SOMME THÉOLOGIQUE

 

SAINT THOMAS D’AQUIN

Docteur de l'Eglise

© Edition numérique : bibliothèque de l’édition du Cerf, 1984

Suivie du Supplementum réalisé par frère Reginald et de la Bible de Jérusalem.

 

Mise à disposition du site sur les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

Edition numérique http://docteurangelique.free.fr, 2010

Cette somme est mise en forme et annotée à partir de 2009. Ce travail intégrera des liens dynamiques internes entre les passages du document et externes avec la Bible.

 

MODE D’EMPLOI DES ANNOTATIONS

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MODE D’EMPLOI DES ANNOTATIONS 1

PRIMA PARS — DIEU, LA TRINITÉ, LA CRÉATION_ 44

QUESTION I — LA DOCTRINE SACRÉE. QU’EST-ELLE ? A QUOI S’ÉTEND-ELLE ?_ 44

Article 1 — Une telle doctrine est-elle nécessaire ? 44

Article 2 — La doctrine sacrée est-elle une science ? 44

Article 3 — La doctrine sacrée est-elle une ou multiple ? 44

Article 4 — La doctrine sacrée est-elle spéculative ou pratique ? 45

Article 5 — La doctrine sacrée est-elle supérieure aux autres sciences ? 45

Article 6 — Cette doctrine est-elle une sagesse ? 45

Article 7 — Dieu est-il le sujet de cette science ? 46

Article 8 — Cette doctrine argumente-t-elle ? 46

Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ? 46

Article 10 — Est-ce que la “ lettre ” de l’Écriture sainte peut revêtir plusieurs sens ? 47

QUESTION 2 — L’EXISTENCE DE DIEU_ 47

Article 1 — L’existence de Dieu est-elle évidente par elle-même ? 47

Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ? 48

Article 3 — Dieu existe-t-il ? 48

QUESTION 3 — LA SIMPLICITÉ DE DIEU_ 50

Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? 50

Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? 50

Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? 50

Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? 51

Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? 51

Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? 51

Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ? 52

Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? 52

QUESTION 4 — LA PERFECTION DE DIEU_ 52

Article 1 — Dieu est-il parfait ? 52

Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ? 53

Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? 53

QUESTION 5 — LA BONTÉ EN GÉNÉRAL 54

Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ? 54

Article 2 — Puisqu’il n’y a entre le bon et l’étant qu’une différence de raison, lequel est premier en raison ? 54

Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? 54

Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ? 55

Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ? 55

Article 6 — La division du bien en honnête, utile et délectable_ 55

QUESTION 6 — LA BONTÉ DE DIEU_ 56

Article 1 — Peut-on dire de Dieu qu’il est bon ? 56

Article 2 — Dieu est-il suprêmement bon ? 57

Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ? 57

Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ? 57

QUESTION 7 — L’INFINITÉ DE DIEU_ 58

Article 1 — Dieu est-il infini ? 58

Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? 59

Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ? 59

Article 4 — Peut-il y avoir dans les choses une multitude infinie ? 60

QUESTION 8 — L’EXISTENCE DE DIEU DANS LES CHOSES_ 60

Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ? 60

Article 2 — Dieu est-il partout ? 61

Article 3 — Dieu est-il partout par l’essence, la puissance et la présence ? 61

Article 4 — Être partout est-il propre à Dieu ? 62

QUESTION 9 — L’IMMUTABILITÉ DE DIEU_ 62

Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ? 62

Article 2 — Être immuable est-il propre à Dieu ? 63

QUESTION 10 — L’ÉTERNITÉ DE DIEU_ 63

Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? 63

Article 2 — Dieu est-il éternel ? 64

Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ? 64

Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ? 64

Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps 65

Article 6 — Y a-t-il un seul aevum, comme il y a un seul temps et une seule éternité ? 65

QUESTION 11 — L’UNITÉ DE DIEU_ 66

Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? 66

Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? 67

Article 3 — Dieu est-il un ? 67

Article 4 — Dieu est-il le plus un de tous les étants ? 68

QUESTION 12 — COMMENT DIEU EST CONNU PAR NOUS_ 68

Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? 68

Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? 69

Article 3 — L’essence divine peut-elle être vue par les yeux du corps ? 69

Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?  70

Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ? 70

Article 6 — Parmi ceux qui voient l’essence de Dieu, certains la voient-ils plus parfaitement que d’autres ? 70

Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ? 71

Article 8 — L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ? 72

Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? 72

Article 10 — L’intellect créé connaît-il simultanément tout ce qu’il voit en Dieu ? 73

Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ? 73

Article 12 — Pouvons-nous, en cette vie, connaître Dieu par la raison naturelle ? 73

Article 13 — Au-dessus de la connaissance naturelle, y a-t-il en cette vie une connaissance de Dieu par la grâce ? 74

QUESTION 13 — LES NOMS DIVINS_ 74

Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? 74

Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? 75

Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?  75

Article 4 — Les nombreux noms donnés à Dieu sont-ils synonymes ? 76

Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? 76

Article 6 — Si c’est par analogie, ces noms sont-ils dits en priorité de Dieu ou des créatures ? 76

Article 7 — Certains noms sont-ils dits de Dieu temporellement ? 77

Article 8 — Ce nom “ Dieu ” signifie-t-il la nature de Dieu, ou son opération ? 78

Article 9 — Ce nom “ Dieu ” est-il communicable ? 78

Article 10 — Ce nom “ Dieu ” est-il employé de façon univoque, ou équivoque, selon qu’il signifie Dieu par nature, par participation, ou selon l’opinion ? 78

Article 11 — Le nom “ Celui qui est ” est-il, plus que tous les autres, le nom propre de Dieu ? 79

Article 12 — Peut-on former au sujet de Dieu des propositions affirmatives ? 79

QUESTION 14 — LA SCIENCE DE DIEU_ 80

Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ? 80

Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? 80

Article 3 — La connaissance que Dieu a de lui-même est-elle compréhensive ? 80

Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? 81

Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? 81

Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ? 81

Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ? 82

Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ? 82

Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? 83

Article 10 — Dieu a-t-il la connaissance des maux ? 83

Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ? 83

Article 12 — Dieu connaît-il une infinité de choses ? 84

Article 13 — Dieu connaît-il les futurs contingents ? 84

Article 14 — Dieu connaît-il nos énonciations ? 85

Article 15 — La science de Dieu est-elle soumise au changement ? 85

Article 16 — Dieu a-t-il des choses une connaissance spéculative, ou une connaissance pratique ? 85

QUESTION 15 — LES IDÉES_ 86

Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ? 86

Article 2 — Y a-t-il plusieurs idées, ou une seule ? 87

Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ? 87

QUESTION 16 — LA VÉRITÉ_ 88

Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? 88

Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? 89

Article 3 — Du vrai comparé à l’étant 89

Article 4 — Du vrai comparé au bon_ 89

Article 5 — Dieu est-il la vérité ? 90

Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? 90

Article 7 — L’éternité de la vérité_ 90

Article 8 — L’immutabilité de la vérité_ 91

QUESTION 17 — LA FAUSSETÉ_ 91

Article 1 — La fausseté est-elle dans les choses ? 91

Article 2 — La fausseté est-elle dans le sens ? 92

Article 3 — La fausseté est-elle dans l’intelligence ? 92

Article 4 — L’opposition entre le vrai et le faux 93

QUESTION 18 — LA VIE DE DIEU_ 93

Article 1 — A qui appartient-il de vivre ? 93

Article 2 — Qu’est-ce que la vie ? 94

Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ? 94

Article 4 — Toutes choses sont-elles vie en Dieu ? 95

QUESTION 19 — LA VOLONTÉ DE DIEU_ 95

Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? 95

Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ? 96

Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? 96

Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? 97

Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? 97

Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ? 97

Article 7 — La volonté de Dieu est-elle sujette au changement ? 98

Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? 98

Article 9 — Y a-t-il en Dieu la volonté des choses mauvaises ? 99

Article 10 — Dieu a-t-il le libre arbitre ? 99

Article 11 — Doit-on distinguer en Dieu une volonté de signe ? 99

Article 12 — Convient-il de proposer cinq signes de la volonté divine ? 99

QUESTION 20 — L’AMOUR EN DIEU_ 100

Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? 100

Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ? 101

Article 3 — Dieu aime-t-il l’un plus que l’autre ? 101

Article 4 — Dieu aime-t-il davantage les meilleurs ? 102

QUESTION 21 — LA JUSTICE ET LA MISÉRICORDE EN DIEU_ 102

Article 1 — Trouve-t-on en Dieu la justice ? 102

Article 2 — La justice de Dieu peut-elle être dite “ Vérité ” ? 103

Article 3 — Trouve-t-on en Dieu la miséricorde ? 103

Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ? 103

QUESTION 22 — LA PROVIDENCE DE DIEU_ 104

Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ? 104

Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ? 104

Article 3 — La providence divine s’applique-t-elle immédiatement à toutes choses ? 105

Article 4 — La providence divine impose-t-elle la nécessité aux choses qui lui sont soumises ? 105

QUESTION 23 — LA PRÉDESTINATION_ 105

Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ? 105

Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ? 106

Article 3 — La réprobation de certains hommes vient-elle de Dieu ? 106

Article 4 — Peut-on dire que les prédestinés sont élus ? 107

Article 5 — Les mérites sont-ils la cause ou la raison de la prédestination, ou de la réprobation, ainsi que de l’élection ?  107

Article 6 — La certitude de la prédestination — les prédestinés sont-ils infailliblement sauvés ? 108

Article 7 — Le nombre des prédestinés est-il fixé ? 108

Article 8 — La prédestination peut-elle être aidée par les prières des saints ? 108

QUESTION 24 — LE LIVRE DE VIE_ 109

Article 1 — Qu’est-ce que le livre de vie ? 109

Article 2 — De quelle vie est-il le livre ? 110

Article 3 — Quelqu’un peut-il être effacé du livre de vie ? 110

QUESTION 25 — LA PUISSANCE DIVINE_ 110

Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ? 110

Article 2 — La puissance de Dieu est-elle infinie ? 111

Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ? 111

Article 4 — Dieu peut-il faire que les choses passées n’aient pas été ? 112

Article 5 — Dieu peut-il faire les choses qu’il ne fait pas, ou omettre celles qu’il fait ? 112

Article 6 — Les choses que Dieu fait, pourrait-il les faire meilleures ? 112

QUESTION 26 — LA BÉATITUDE DIVINE_ 113

Article 1 — La béatitude convient-elle à Dieu ? 113

Article 2 — Dit-on de Dieu qu’il est bienheureux en raison de l’intellection ? 114

Article 3 — Dieu est-il essentiellement la béatitude de tout bienheureux ? 114

Article 4 — La béatitude de Dieu inclut-elle toute béatitude ? 114

QUESTION 27 — LA PROCESSION DES PERSONNES DIVINES_ 114

Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? 114

Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? 115

Article 3 — Outre la génération, peut-il y avoir une autre procession en Dieu ? 115

Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ? 116

Article 5 — N’y a-t-il en Dieu que ces deux processions ? 116

QUESTION 28 — LES RELATIONS DIVINES_ 116

Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ? 116

Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? 117

Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ? 117

Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ? 118

QUESTION 29 — LES PERSONNES DIVINES_ 118

Article 1 — Définition de la personne_ 118

Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ? 119

Article 3 — Convient-il d’employer le terme “ personne ” pour parler de Dieu ? 119

Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? 120

QUESTION 30 — LA PLURALITÉ DES PERSONNES EN DIEU_ 121

Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ? 121

Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? 122

Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ? 122

Article 4 — Comment le nom de “ personne ” est-il commun en Dieu ? 123

QUESTION 31 — TERMES EVOQUANT UNITÉ OU PLURALITÉ EN DIEU_ 123

Article 1 — Y a-t-il une trinité en Dieu ? 123

Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? 124

Article 3 — Le terme exclusif “ seul ” peut-il s’adjoindre à un terme essentiel ? 124

Article 4 — Un terme exclusif peut-il s’adjoindre à un nom personnel ? 124

QUESTION 32 — LA CONNAISSANCE DES PERSONNES DIVINES_ 125

Article 1 — La Trinité des Personnes divines peut-elle être connue par la raison naturelle ? 125

Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? 126

Article 3 — Le nombre des notions 127

Article 4 — Sur les notions, les opinions sont-elles libres ? 127

QUESTION 33 — LA PERSONNE DU PÈRE_ 127

Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ? 127

Article 2 — Le nom de “ Père ” est-il le nom propre de cette Personne ? 128

Article 3 — Le nom de “ Père ”, dit de Dieu, signifie-t-il en première intention une propriété personnelle ? 128

Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ? 129

QUESTION 34 — LE VERBE_ 129

Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? 129

Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ? 130

Article 3 — Le nom de “ Verbe ” implique-t-il rapport aux créatures ? 131

QUESTION 35 — L’IMAGE_ 131

Article 1 — Le Mot “ Image ” est-il en Dieu un nom de personne ? 131

Article 2 — Le nom d’Image est-il propre au Fils ? 132

QUESTION 36 — LA PERSONNE DU SAINT-ESPRIT_ 132

Article 1 — L’Esprit-Saint, est-il le nom propre d’une personne divine ? 132

Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? 133

Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ? 134

Article 4 — Le Père et le Fils sont-ils un seul principe du Saint-Esprit ? 134

QUESTION 37 — LE NOM DU SAINT-ESPRIT QUI EST “ AMOUR ”_ 135

Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ? 135

Article 2 — Le Père et le Fils s’aiment-ils par le Saint-Esprit ? 136

QUESTION 38 — LE NOM DU SAINT-ESPRIT QUI EST “ DON ”_ 137

Article 1 — “ Don ” peut-il être un nom personnel ? 137

Article 2 — “ Don ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ? 137

QUESTION 39 — LA RELATION DES PERSONNES À L’ESSENCE_ 137

Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? 137

Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ? 138

Article 3 — Les noms essentiels s’attribuent-ils aux Personnes au pluriel ou au singulier ? 138

Article 4 — Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ?  139

Article 5 — Les termes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris abstraitement ? 139

Article 6 — Les noms des Personnes peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels concrets ? 140

Article 7 — Faut-il approprier les noms essentiels aux Personnes ? 140

Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? 140

QUESTION 40 — COMPARAISON DES PERSONNES AVEC LES RELATIONS OU PROPRIÉTÉS_ 141

Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? 141

Article 2 — Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ? 142

Article 3 — Si par la pensée on abstrait des personnes leurs relations, reste-t-il des hypostases distinctes ? 142

Article 4 — Logiquement, les relations présupposentelles les actes des personnes, ou inversement ? 143

QUESTION 41 — COMPARAISON DES PERSONNES AVEC LES ACTES NOTIONNELS_ 143

Article 1 — Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ? 143

Article 2 — Les actes notionnels sont-ils nécessaires ou volontaires ? 144

Article 3 — La personne procède-t-elle de rien, ou de quelque chose ? 144

Article 4 — Faut-il poser en Dieu une puissance relative aux actes notionnels ? 145

Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? 145

Article 6 — Les actes notionnels peuvent-ils se terminer à plusieurs personnes ? 146

QUESTION 42 — ÉGALITÉ ET SIMILITUDE ENTRE LES PERSONNES DIVINES_ 146

Article 1 — Y a-t-il lieu de parler d’égalité entre les Personnes divines ? 146

Article 2 — La personne qui procède est-elle égale en éternité à celle dont elle procède ? 147

Article 3 — Y a-t-il un ordre entre les Personnes divines ? 148

Article 4 — Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ? 148

Article 5 — Les Personnes divines sont-elles l’une dans l’autre ? 148

Article 6 — Les Personnes divines sont-elles égales en puissance ? 148

QUESTION 43 — LA MISSION DES PERSONNES DIVINES_ 149

Article 1 — Convient-il à une Personne divine d’être envoyée ? 149

Article 2 — La mission est-elle éternelle ou seulement temporelle ? 150

Article 3 — Comment une Personne divine est-elle envoyée ? 150

Article 4 — Convient-il à toute Personne divine d’être envoyée ? 150

Article 5 — Y a-t-il mission invisible du Fils aussi bien que du Saint-Esprit ? 151

Article 6 — A qui est accordée la mission invisible ? 151

Article 7 — Convient-il au Saint-Esprit d’être envoyé visiblement ? 151

Article 8 — Une Personne peut-elle s’envoyer elle-même visiblement ou invisiblement ? 152

QUESTION 44 — LA CAUSE PREMIÈRE DES ÊTRES_ 152

Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ? 152

Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? 153

Article 3 — Dieu est-il la cause exemplaire des choses ? 153

Article 4 — Dieu est-il la cause finale de toute chose ? 154

QUESTION 45 — LA MANIÈRE DONT LES CHOSES ÉMANENT DU PREMIER PRINCIPE_ 154

Article 1 — Qu’est-ce que la création ? 154

Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ? 155

Article 3 — La création est-elle quelque chose dans la créature ? 155

Article 4 — A quels êtres appartient-il d’être créés ? 156

Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ? 156

Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? 156

Article 7 — Y a-t-il un vestige de la Trinité dans les êtres créés ? 157

Article 8 — L’œuvre de la création se mêle-t-elle aux œuvres de la nature et de la volonté ? 157

QUESTION 46 — LE COMMENCEMENT DE LA DURÉE DES CRÉATURES_ 157

Article 1 — Les créatures ont-elles toujours existé ? 157

Article 2 — Est-ce un article de foi que le monde ait commencé ? 158

Article 3 — En quel sens dit-on — “ Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre ” ? 159

QUESTION 47 — CONSIDÉRATION GÉNÉRALE SUR LA DIFFÉRENCE ENTRE LES ÊTRES_ 160

Article 1 — La multitude des choses et leur distinction_ 160

Article 2 — L’inégalité des choses 160

Article 3 — L’unité du monde_ 160

QUESTION 48 — LE MAL 161

Article 1 — Le mal est-il une nature ? 161

Article 2 — Le mal se trouve-t-il dans les choses ? 162

Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ? 162

Article 4 — Le mal détruit-il totalement le bien ? 163

Article 5 — La division du mal par la peine et la faute_ 163

Article 6 — La raison de mal se réalise-t-elle davantage dans la peine, ou dans la faute ? 163

QUESTION 49 — LA CAUSE DU MAL 164

Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? 164

Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ? 165

Article 3 — Y a-t-il un souverain mal, qui soit la cause première de tous les maux ? 165

QUESTION 50 — LA NATURE DES ANGES_ 166

Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ? 166

Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? 167

Article 3 — Quel est le nombre des anges ? 167

Article 4 — La distinction des anges entre eux 168

Article 5 — L’immortalité ou incorruptibilité des anges 168

QUESTION 51 — LES RAPPORTS DES ANGES AVEC LES RÉALITÉS CORPORELLES_ 168

Article 1 — Les anges ont-ils des corps qui leur soient unis naturellement ? 168

Article 2 — Les anges assument-ils des corps ? 169

Article 3 — Les anges exercent-ils les fonctions de la vie dans les corps qu’ils assument ? 169

QUESTION 52 — LES RAPPORTS DES ANGES AVEC LE LIEU_ 170

Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ? 170

Article 2 — L’ange peut-il être dans plusieurs lieux en même temps ? 171

Article 3 — Plusieurs anges peuvent-il être dans un même lieu ? 171

QUESTION 53 — LE MOUVEMENT LOCAL DES ANGES_ 171

Article 1 — L’ange peut-il se mouvoir localement ? 171

Article 2 — L’ange passe-t-il d’un lieu à un autre en traversant l’espace intermédiaire ? 172

Article 3 — Le mouvement de l’ange est-il successif ou instantané ? 172

QUESTION 54 — LA PUISSANCE COGNITIVE DES ANGES_ 173

Article 1 — L’acte d’intellection de l’ange est-il sa substance ? 173

Article 2 — L’acte d’intellection de l’ange est-il son existence ? 174

Article 3 — La substance de l’ange est-elle son intelligence ? 174

Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ? 174

Article 5 — Les anges ont-ils d’autres puissances cognitives que l’intelligence ? 175

QUESTION 55 — LE MÉDIUM DE LA CONNAISSANCE ANGÉLIQUE_ 175

Article 1 — Les anges connaissent-ils toutes choses par leur substance ou par des espèces ? 175

Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ? 176

Article 3 — Les anges supérieurs connaissent-ils par des espèces plus universelles que les anges inférieurs ? 176

QUESTION 56 — LA CONNAISSANCE DES ANGES CONCERNANT LES ÊTRES IMMATÉRIELS_ 177

Article 1 — L’ange se connaît-il lui-même ? 177

Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ? 178

Article 3 — Les anges peuvent-ils connaître Dieu par leurs facultés naturelles ? 178

QUESTION 57 — LA CONNAISSANCE DES ANGES CONCERNANT LES RÉALITÉS MATÉRIELLES_ 179

Article 1 — Les anges connaissent-ils les choses matérielles ? 179

Article 2 — Les anges connaissent-ils les singuliers ? 179

Article 3 — Les anges connaissent-ils l’avenir ? 179

Article 4 — Les anges connaissent-ils les pensées des cœurs ? 180

Article 5 — Les anges connaissent-ils tous les mystères de la grâce ? 180

QUESTION 58 — LE MODE DE LA CONNAISSANCE ANGÉLIQUE_ 181

Article 1 — L’intellect de l’ange est-il tantôt en puissance et tantôt en acte ? 181

Article 2 — L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? 182

Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ? 182

Article 4 — La connaissance de l’ange se fait-elle par composition et division ? 182

Article 5 — Peut-il y avoir de l’erreur dans l’intellect de l’ange ? 183

Article 6 — La connaissance de l’ange peut-elle être appelée “connaissance du matin” et “connaissance du soir” ? 183

Article 7 — La connaissance du matin et la connaissance du soir sont-elles identiques ou diverses ? 183

QUESTION 59 — LA VOLONTÉ DES ANGES_ 184

Article 1 — Y a-t-il une volonté chez les anges ? 184

Article 2 — La volonté de l’ange est-elle identique à sa nature ou à son intelligence_ 185

Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ? 185

Article 4 — L’irascible et le concupiscible existent-ils chez les anges ? 186

QUESTION 60 — L’AMOUR OU DILECTION CHEZ LES ANGES_ 186

Article 1 — Y a-t-il chez l’ange une dilection naturelle ? 186

Article 2 — Y a-t-il chez l’ange un amour électif ? 187

Article 3 — L’ange s’aime-t-il lui-même d’un amour naturel ou d’un amour électif ? 187

Article 4 — L’ange aime-t-il naturellement un autre ange comme lui-même ? 187

Article 5 — L’ange, par amour naturel aime-t-il Dieu plus que lui-même ? 188

QUESTION 61 — LA PRODUCTION DES ANGES SELON LEUR ÊTRE NATUREL 188

Article 1 — L’ange a-t-il une cause de son existence ? 188

Article 2 — L’ange existe-t-il de toute éternité ? 189

Article 3 — L’ange a-t-il été créé avant les créatures corporelles ? 189

Article 4 — Les anges ont-ils été créés dans le ciel empyrée ? 189

QUESTION 62 — L’ÉLÉVATION DES ANGES À LA GRÂCE ET À LA GLOIRE_ 189

Article 1 — Les anges ont-ils été créés bienheureux ? 190

Article 2 — Les anges avaient-ils besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ? 190

Article 3 — Les anges ont-ils été créés en grâce ? 190

Article 4 — Les anges ont-ils mérité leur béatitude ? 191

Article 5 — Les anges ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ? 191

Article 6 — Les anges ont-ils reçu la grâce et la gloire en proportion de leur capacité naturelle ? 191

Article 7 — Après l’entrée dans la gloire, la connaissance et l’amour naturels demeurent-ils chez les anges ? 192

Article 8 — Les anges bienheureux ont-ils pu pécher par la suite ? 192

Article 9 — Après l’entrée dans la gloire, les anges ont-ils pu progresser ? 192

QUESTION 63 — LE MAL DES ANGES QUANT À LA FAUTE_ 193

Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ? 193

Article 2 — Quelles sortes de péché peut-il y avoir chez l’ange ? 193

Article 3 — A cause de quel désir l’ange a-t-il péché ? 193

Article 4 — En admettant que certains anges sont devenus mauvais volontairement, y en a-t-il d’autres qui le sont naturellement ? 194

Article 5 — L’ange a-t-il pu devenir mauvais volontairement dès le premier instant de sa création ? 194

Article 6 — S’est-il écoulé un certain temps entre la création de l’ange et sa chute ? 195

Article 7 — Le plus élevé parmi les anges déchus était-il absolument le plus élevé de tous les anges ? 195

Article 8 — Le péché du premier ange a-t-il causé le péché des autres ? 195

Article 9 — Y a-t-il autant d’anges tombés que d’anges restés fidèles ? 196

QUESTION 64 — LE CHÂTIMENT DES DÉMONS_ 196

Article 1 — L’obscurcissement de leur intelligence_ 196

Article 2 — L’obstination de leur volonté_ 197

Article 3 — La souffrance des démons 198

Article 4 — Le lieu du châtiment des démons 198

QUESTION 65 — L’ŒUVRE DE CRÉATION DE LA CRÉATURE CORPORELLE_ 198

Article 1 — La créature corporelle vient-elle de Dieu ? 198

Article 2 — La créature corporelle a-t-elle été faite en vue de la bonté de Dieu ? 199

Article 3 — La créature corporelle a-t-elle été l’œuvre de Dieu par l’intermédiaire des anges ? 199

Article 4 — Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ? 200

QUESTION 66 — LE RAPPORT ENTRE CRÉATION ET DISTINCTION_ 200

Article 1 — Un état informe de la matière créée a-t-il précédé dans le temps la distinction de celle-ci ? 200

Article 2 — Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ? 201

Article 3 — Le ciel empyrée fut-il concréé avec la matière informe ? 202

Article 4 — Le temps fut-il concréé avec la matière informe ? 202

QUESTION 67 — L’ŒUVRE DU PREMIER JOUR_ 203

Article 1 — La lumière peut-elle être attribuée dans un sens propre aux réalités spirituelles ? 203

Article 2 — La lumière corporelle est-elle un corps ? 203

Article 3 — La lumière est-elle une qualité ? 203

Article 4 — Est-il normal que la lumière ait été créée le premier jour ? 204

QUESTION 68 — L’ŒUVRE DU DEUXIÈME JOUR_ 204

Article 1 — Le firmament a-t-il été créé le deuxième jour ? 204

Article 2 — Y a-t-il des eaux au-dessus du firmament ? 205

Article 3 — Le firmament divise-t-il les eaux d’avec les eaux ? 205

Article 4 — Y a-t-il un ciel seulement, ou plusieurs ? 206

QUESTION 69 — L’ŒUVRE DU TROISIÈME JOUR_ 206

Article 1 — Le rassemblement des eaux 206

Article 2 — La production des plantes 207

QUESTION 70 — L’ŒUVRE DU QUATRIÈME JOUR_ 207

Article 1 — La production des luminaires 207

Article 2 — La cause finale de la production des luminaires 208

Article 3 — Les luminaires du ciel sont-ils animés ? 208

QUESTION 71 — L’ŒUVRE DU CINQUIÈME JOUR_ 209

QUESTION 72 — L’ŒUVRE DU SIXIÈME JOUR_ 209

QUESTION 73 — CE QUI CONCERNE LE SEPTIÈME JOUR_ 210

Article 1 — L’achèvement des œuvres 210

Article 2 — Le repos de Dieu_ 211

Article 3 — La bénédiction et la sanctification du septième jour 211

QUESTION 74 — L’ENSEMBLE DES JOURS DE LA CRÉATION_ 211

Article 1 — Ces jours sont-ils assez nombreux ? 211

Article 2 — Ces jours sont-ils un seul ou plusieurs ? 212

Article 3 — Quelques façons de parler dans le récit des six jours 212

QUESTION 75 — L’ESSENCE DE L’ÂME_ 213

Article 1 — L’âme est-elle une réalité corporelle ? 213

Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ? 213

Article 3 — Les âmes des bêtes sont-elles subsistantes ? 214

Article 4 — L’âme est-elle l’homme même ? 214

Article 5 — L’âme est-elle composée de matière et de forme ? 214

Article 6 — L’âme humaine est-elle incorruptible ? 215

Article 7 — L’âme est-elle de même espèce que l’ange ? 215

QUESTION 76 — L’UNION DE L’ÂME AU CORPS_ 215

Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ? 215

Article 2 — Y a-t-il autant de principes d’intellection qu’il y a de corps ? 216

Article 3 — Y a-t-il dans l’homme d’autres âmes que l’âme intellectuelle ? 217

Article 4 — Y a-t-il dans l’homme une autre forme substantielle que l’âme intellectuelle ? 218

Article 5 — À quelle sorte de corps convenait-il que l’âme intellective fût unie ? 218

Article 6 — L’âme est-elle unie à un tel corps par l’intermédiaire de dispositions accidentelles ? 219

Article 7 — L’âme est-elle unie au corps par l’intermédiaire d’un autre corps ? 219

Article 8 — L’âme est-elle tout entière dans chaque partie du corps ? 220

QUESTION 77 — LES PUISSANCES DE L’ÂME EN GÉNÉRAL 220

Article 1 — L’essence de l’âme est-elle identique à sa puissance ? 220

Article 2 — Y a-t-il une ou plusieurs puissances dans l’âme ? 221

Article 3 — Comment distingue-t-on ces puissances ? 221

Article 4 — Les rapports naturels entre les puissances de l’âme_ 222

Article 5 — L’âme est-elle le sujet de toutes les puissances ? 222

Article 6 — Les Puissances émanent-elles de l’essence de l’âme ? 222

Article 7 — Une puissance de l’âme sort-elle d’une autre ? 223

Article 8 — Toutes les puissances demeurent-elles dans l’âme après la mort ? 223

QUESTION 78 — LES PUISSANCES NON SPIRITUELLES DE L’ÂME_ 223

Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme_ 223

Article 2 — Les puissances de l’âme végétatives 224

Article 3 — Les sens externes 224

Article 4 — Les sens internes 225

QUESTION 79 — LES PUISSANCES INTELLECTUELLES_ 226

Article 1 — L’intelligence est-elle une puissance de l’âme ou son essence ? 226

Article 2 — L’intelligence est-elle une puissance passive ? 226

Article 3 — Faut-il admettre l’existence d’un intellect agent ? 226

Article 4 — L’intellect agent fait-il partie de l’âme ? 227

Article 5 — N’y a-t-il qu’un seul intellect agent pour tous les hommes ? 227

Article 6 — La mémoire est-elle dans l’intellect ? 228

Article 7 — La mémoire est-elle une puissance distincte de l’intelligence ? 228

Article 8 — La raison se distingue-t-elle de l’intelligence ? 228

Article 9 — La raison supérieure et la raison inférieure sont-elles des puissances différentes ? 229

Article 10 — L’intelligence est-elle une autre puissance que l’intellect ? 229

Article 11 — L’intellect spéculatif et l’intellect pratique sont-ils des puissances différentes ? 230

Article 12 — La syndérèse est-elle une puissance intellectuelle ? 230

Article 13 — La conscience est-elle une puissance ? 230

QUESTION 80 — LES PUISSANCES APPÉTITIVES EN GÉNÉRAL 230

Article 1 — L’appétit est-il une puissance spéciale ? 230

Article 2 — L’appétit sensible et l’appétit intellectuel sont-ils des puissances différentes ? 231

QUESTION 81 — LA SENSIBILITÉ_ 231

Article 1 — La sensibilité est-elle uniquement de l’ordre appétitif ? 231

Article 2 — L’appétit sensible se divise-t-il en puissances distinctes, l’irascible et le concupiscible ? 231

Article 3 — L’irascible et le concupiscible obéissent-ils à la raison ? 232

QUESTION 82 — LA VOLONTÉ_ 232

Article 1 — La volonté désire-t-elle quelque chose de façon nécessaire ? 232

Article 2 — La volonté désire-t-elle toutes choses de façon nécessaire ? 232

Article 3 — La volonté est-elle une puissance supérieure à l’intelligence ? 233

Article 4 — La volonté meut-elle l’intelligence ? 233

Article 5 — Faut-il distinguer dans l’appétit supérieur l’irascible et le concupiscible ? 234

QUESTION 83 — LE LIBRE ARBITRE_ 234

Article 1 — L’homme est-il doué de libre arbitre ? 234

Article 2 — Le libre arbitre est-il une puissance de l’âme ? 234

Article 3 — Le libre arbitre est-il une puissance de l’appétit ou de la connaissance ? 235

Article 4 — Le libre arbitre est-il la même puissance que la volonté ? 235

QUESTION 84 — PAR QUEL MOYEN L’ÂME UNIE AU CORPS CONNAÎT-ELLE LES RÉALITÉS CORPORELLES QUI LUI SONT INFÉRIEURES ?_ 235

Article 1 — L’âme connaît-elle les corps par l’intelligence ? 235

Article 2 — L’âme connaît-elle les corps par son essence ou à travers des espèces ? 236

Article 3 — Y a-t-il dans l’âme des espèces innées de tout objet intelligibles ? 236

Article 4 — Les espèces intelligibles découlent-elles dans l’âme de certaines formes séparées ? 237

Article 5 — Notre âme voit-elle tout ce qu’elle comprend dans les raisons éternelles ? 237

Article 6 — L’âme acquiert-elle la connaissance intellectuelle à partir du sens ? 238

Article 7 — L’intellect peut-il avoir une connaissance en acte, au moyen des espèces intelligibles qu’il possède, sans recourir aux images ? 238

Article 8 — Le jugement de l’intellect est-il empêché par la paralysie des facultés sensibles ? 239

QUESTION 85 — COMMENT ET DANS QUEL ORDRE OPÈRE L’INTELLIGENCE ?_ 239

Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ? 239

Article 2 — Les espèces intelligibles abstraites sont-elles ce que notre intelligence connaît ? 240

Article 3 — Est-il naturel à notre intellect de connaître d’abord le plus universel ? 240

Article 4 — Notre intellect peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? 241

Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ? 241

Article 6 — L’intellect peut-il se tromper ? 242

Article 7 — Quelqu’un peut-il connaître une même chose mieux qu’un autre ? 242

Article 8 — Notre intellect connaît-il l’indivisible avant le divisible ? 242

QUESTION 86 — CE QUE NOTRE INTELLECT CONNAÎT DANS LES RÉALITÉS MATÉRIELLES_ 243

Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ? 243

Article 2 — Notre intellect peut-il connaître des infinis ? 243

Article 3 — Notre intelligence connaît-elle les contingents ? 243

Article 4 — Notre intelligence connaît-elle les futurs ? 244

QUESTION 87 — COMMENT L’ÂME INTELLECTUELLE SE CONNAÎT ET CONNAÎT CE QUI EST EN ELLE_ 244

Article 1 — L’âme intellectuelle se connaît-elle par son essence ? 244

Article 2 — Comment notre intelligence connaît-elle les habitue de l’âme qui existent en elle ? 245

Article 3 — Comment l’intellect connaît-il son acte propre ? 245

Article 4 — Comment l’intellect connaît-il l’acte de volonté ? 245

QUESTION 88 — COMMENT L’ÂME HUMAINE CONNAÎT-ELLE LES RÉALITÉS SUPÉRIEURES A ELLE ?_ 246

Article 1 — L’âme humaine peut-elle, dans l’état de la vie présente, connaître par elle-même les substances immatérielles ?  246

Article 2 — Notre intelligence peut-elle arriver à connaître les substances spirituelles par la connaissance des réalités matérielles ? 246

Article 3 — Dieu est-il notre premier objet de connaissance ? 247

QUESTION 89 — LA CONNAISSANCE CHEZ L’ÂME SÉPARÉE_ 247

Article 1 — L’âme séparée du corps peut-elle faire acte d’intelligence ? 247

Article 2 — L’âme séparée connaît-elle les substances séparées ? 248

Article 3 — L’âme séparée connaît-elle toutes les réalités naturelles ? 248

Article 4 — L’âme séparée connaît-elle les singuliers ? 248

Article 5 — Les habitus de science acquis en cette vie demeurent-ils dans l’âme séparée ? 249

Article 6 — L’âme séparée peut-elle user de l’habitus de science acquis ici-bas ? 249

Article 7 — La distance dans l’espace empêche-t-elle la connaissance chez l’âme séparée ? 249

Article 8 — Les âmes séparées connaissent-elles ce qui se passe ici-bas ? 249

QUESTION 90 — LA PRODUCTION DE L’ÂME HUMAINE_ 250

Article 1 — L’âme humaine est-elle une réalité produite par Dieu, ou bien est-elle de la substance même de Dieu ? 250

Article 2 — Étant admis que l’âme a été produite, a-t-elle été créée ? 250

Article 3 — L’âme humaine a-t-elle été faite par l’intermédiaire des anges ? 251

Article 4 — L’âme humaine a-t-elle été faite avant le corps ? 251

QUESTION 91 — LA PRODUCTION DU CORPS DU PREMIER HOMME_ 251

Article 1 — La matière à partir de laquelle fut produit le corps du premier homme_ 251

Article 2 — L’auteur de cette production du corps humain_ 252

Article 3 — La disposition qui fut attribuée au corps ainsi produit 252

Article 4 — Les modalités et l’ordre de cette production_ 253

QUESTION 92 — LA PRODUCTION DE LA FEMME_ 253

Article 1 — La production des choses devait-elle comporter la production de la femme ? 253

Article 2 — La femme devait-elle être faite à partir de l’homme ? 254

Article 3 — La femme devait-elle être faite de la côte de l’homme ? 254

Article 4 — La femme a-t-elle été faite immédiatement par Dieu ? 254

QUESTION 93 — L’IMAGE DE DIEU CHEZ L’HOMME_ 254

Article 1 — Y a-t-il une image de Dieu chez l’homme ? 255

Article 2 — Y a-t-il une image de Dieu chez les créatures sans raison ? 255

Article 3 — L’image de Dieu est-elle davantage chez l’ange que chez l’homme ? 255

Article 4 — L’image de Dieu est-elle en tout homme ? 256

Article 5 — L’image de Dieu existe-t-elle chez l’homme par rapport à l’essence, ou à toutes les Personnes divines, ou a une seule d’entre elles ? 256

Article 6 — L’image de Dieu existe-t-elle chez l’homme selon l’esprit seulement ? 256

Article 7 — Est-ce selon les actes que l’image de Dieu se trouve dans l’âme ? 257

Article 8 — Est-ce par rapport à cet objet qu’est Dieu que l’image de la divine Trinité est dans l’âme ? 257

Article 9 — La différence entre image et ressemblance_ 258

QUESTION 94 — LA CONDITION DU PREMIER HOMME QUANT À L’INTELLIGENCE_ 258

Article 1 — Le premier homme a-t-il vu Dieu dans son essence ? 258

Article 2 — Le premier homme a-t-il pu voir les substances séparées, c’est-à-dire les anges ? 259

Article 3 — Le premier homme a-t-il eu la science de toutes choses ? 259

Article 4 — Le premier homme a-t-il pu se tromper ou être trompé ? 259

QUESTION 95 — CE QUI SE RATTACHE À LA VOLONTÉ DU PREMIER HOMME — LA GRÂCE ET LA JUSTICE, 260

Article 1 — L’homme a-t-il été créé en grâce ? 260

Article 2 — L’homme a-t-il eu des passions dans l’état d’innocence ? 260

Article 3 — Dans l’état d’innocence, l’homme avait-il toutes les vertus ? 261

Article 4 — Les actions de l’homme avaient-elles une valeur méritoire égale à celles de maintenant ? 261

QUESTION 96 — LE POUVOIR DE DOMINATION QUI APPARTENAIT À L’HOMME DANS L’ÉTAT D’INNOCENCE  262

Article 1 — L’homme dans l’état d’innocence aurait-il dominé sur les animaux ? 262

Article 2 — L’homme en état d’innocence aurait-il dominé sur toute créature ? 262

Article 3 — Dans l’état d’innocence tous les hommes auraient-ils été égaux ? 262

Article 4 — Les hommes, dans l’état d’innocence, auraient-ils dominé sur les hommes ? 263

QUESTION 97 — CE QUI CONCERNE L’ÉTAT DU PREMIER HOMME QUANT À LA CONSERVATION DE L’INDIVIDU   263

Article 1 — L’homme, dans l’état d’innocence, était-il immortel ? 263

Article 2 — L’homme, dans l’état d’innocence, était-il impassible ? 263

Article 3 — Dans l’état d’innocence, l’homme avait-il besoin de se nourrir ? 263

Article 4 — L’homme aurait-il obtenu l’immortalité par l’arbre de vie ? 264

QUESTION 98 — LA GÉNÉRATION_ 264

Article 1 — Y aurait-il eu génération dans l’état d’innocence ? 264

Article 2 — La génération se serait-elle faite, dans l’état d’innocence, par union charnelle ? 265

QUESTION 99 — LEUR CONDITION CORPORELLE_ 265

Article 1 — Dans l’état d’innocence les enfants auraient-ils eu dès la naissance une force physique achevée ? 265

Article 2 — Tous les enfants seraient-ils nés du sexe masculin ? 265

QUESTION 100 — LA CONDITION NATIVE DES ENFANTS QUANT À LA JUSTICE_ 266

Article 1 — Les hommes seraient-ils nés avec la justice ? 266

Article 2 — Les hommes seraient-ils nés confirmés en justice ? 266

QUESTION 101 — LA CONDITION NATIVE DES ENFANTS QUANT À LA SCIENCE_ 266

Article 1 — Les enfants seraient-ils nés avec une science parfaite ? 266

Article 2 — Les enfants auraient-ils eu dès leur naissance l’usage parfait de la raison ? 267

QUESTION 102 — LE LIEU DE L’HOMME, QUI EST LE PARADIS_ 267

Article 1 — Le paradis est-il un lieu corporel ? 267

Article 2 — Le paradis est-il un lieu qui convient à l’habitation de l’homme ? 267

Article 3 — Pour quelle fin l’homme fut-il placé dans le paradis ? 268

Article 4 — L’homme devait-il être créé dans le paradis ? 268

QUESTION 103 — LE GOUVERNEMENT DU MONDE EN GÉNÉRAL 268

Article 1 — Le monde est-il gouverné par quelqu’un ? 268

Article 2 — Quel est le but de ce gouvernement du monde ? 269

Article 3 — Le monde est-il gouverné par un être unique ? 269

Article 4 — Les effets de ce gouvernement 269

Article 5 — Toutes choses sont-elles soumises au gouvernement divin ? 269

Article 6 — Toutes choses sont-elles gouvernées immédiatement par Dieu ? 270

Article 7 — Peut-il se produire quelque chose en dehors de l’ordre du gouvernement divin ? 270

Article 8 — Quelque chose peut-il s’opposer à la providence divine ? 270

QUESTION 104 — LES EFFETS SPÉCIAUX DU GOUVERNEMENT DIVIN_ 271

Article 1 — Les créatures ont-elles besoin d’être conservées dans l’être par Dieu ? 271

Article 2 — Les créatures sont-elles conservées par Dieu de façon immédiate ? 271

Article 3 — Dieu peut-il réduire quelque chose à néant ? 272

Article 4 — Y a-t-il des réalités qui soient réduites à néant ? 272

QUESTION 105 — LA MUTATION DES CRÉATURES PAR DIEU_ 272

Article 1 — Dieu peut-il mouvoir immédiatement la matière à recevoir la forme ? 272

Article 2 — Dieu peut-il mouvoir immédiatement un corps ? 273

Article 3 — Dieu peut-il mouvoir l’intelligence ? 273

Article 4 — Dieu peut-il mouvoir la volonté ? 273

Article 5 — Dieu agit-il en tout être agissant ? 274

Article 6 — Dieu peut-il faire quelque chose en dehors de l’ordre naturel ? 274

Article 7 — Tout ce que Dieu fait en dehors de l’ordre naturel est-il miraculeux ? 274

Article 8 — La diversité des miracles 275

QUESTION 106 — L’ILLUMINATION D’UN ANGE PAR UN AUTRE_ 275

Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ? 275

Article 2 — Un ange peut-il mouvoir la volonté d’un autre ange ? 276

Article 3 — Un ange inférieur peut-il illuminer un ange supérieur ? 276

Article 4 — L’ange supérieur illumine-t-il l’ange inférieur sur tout ce qu’il connaît lui-même ? 276

QUESTION 107 — LE LANGAGE DES ANGES_ 277

Article 1 — Un ange parle-t-il à un autre ? 277

Article 2 — Un ange inférieur peut-il parler à un ange supérieur ? 277

Article 3 — L’ange parle-t-il à Dieu ? 277

Article 4 — La distance locale agit-elle sur le langage angélique ? 277

Article 5 — La parole d’un ange à un autre est-elle connue de tous les autres ? 278

QUESTION 108 — HIÉRARCHIES ET ORDRES ANGÉLIQUES_ 278

Article 1 — Tous les anges appartiennent-ils à une seule hiérarchie ? 278

Article 2 — Y a-t-il un ordre unique dans une même hiérarchie ? 278

Article 3 — Dans un seul ordre y a-t-il plusieurs anges ? 279

Article 4 — La distinction des hiérarchies et des ordres tient-elle à la nature des anges ? 279

Article 5 — Les noms et les propriétés de chaque ordre_ 279

Article 6 — Les rapports des différents ordres entre eux 280

Article 7 — Les ordres subsisteront-ils après le jour du jugement ? 281

Article 8 — Les hommes sont-ils élevés aux ordres angéliques ? 281

QUESTION 109 — L’ORGANISATION DES MAUVAIS ANGES_ 282

Article 1 — Y a-t-il une hiérarchie parmi les démons ? 282

Article 2 — Y a-t-il parmi les démons, un acte de supériorité ? 282

Article 3 — Y a-t-il illumination chez les démons ? 282

Article 4 — Les bons anges exercent-ils une supériorité sur les mauvais anges ? 282

QUESTION 110 — LA PRIMAUTÉ DES ANGES SUR LES CRÉATURES CORPORELLES_ 283

Article 1 — La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ? 283

Article 2 — La matière corporelle obéit-elle aux anges sans aucune résistance ? 283

Article 3 — Les anges peuvent-ils immédiatement, par leur vertu, déplacer les corps ? 283

Article 4 — Les anges, bons ou mauvais, peuvent-ils faire des miracles ? 284

QUESTION 111 — L’ACTION NATURELLE DES ANGES SUR LES HOMMES_ 284

Article 1 — L’ange peut-il illuminer l’intelligence de l’homme_ 284

Article 2 — L’ange peut-il changer la volonté de l’homme ? 285

Article 3 — L’ange peut-il modifier l’imagination de l’homme ? 285

Article 4 — L’ange peut-il agir sur les sens de l’homme ? 285

QUESTION 112 — LA MISSION DES ANGES_ 286

Article 1 — Certains anges sont-ils envoyés pour un ministère ? 286

Article 2 — Tous les anges sont-ils envoyés en ministère ? 286

Article 3 — Les anges envoyés en ministère demeurent-ils auprès de Dieu ? 286

Article 4 — A quel ordre d’anges appartiennent ceux qui sont envoyés ? 287

QUESTION 113 — LES ANGES GARDIENS_ 287

Article 1 — Les hommes sont-ils gardés par des anges ? 287

Article 2 — Y a-t-il un ange particulier chargé de garder chaque homme ? 287

Article 3 — La garde des hommes est-elle réservée au dernier ordre des anges ? 288

Article 4 — Tout homme doit-il avoir un ange gardien ? 288

Article 5 — A quel moment l’ange gardien commence-t-il sa mission ? 288

Article 6 — L’ange gardien garde-t-il l’homme continuellement ? 289

Article 7 — L’ange souffre-t-il de voir périr son protégé ? 289

Article 8 — Y a-t-il conflit entre les anges gardiens ? 289

QUESTION 114 — LES ATTAQUES DES DÉMONS_ 289

Article 1 — Les hommes sont-ils attaqués par les démons ? 289

Article 2 — Tenter est-il le propre du diable ? 290

Article 3 — Tous les péchés des hommes proviennent-ils de l’attaque ou de la tentation des démons ? 290

Article 4 — Les démons peuvent-ils faire de vrais miracles pour nous séduire ? 290

Article 5 — Les démons vaincus par les hommes sont-ils empêchés de les attaquer de nouveau ? 291

QUESTION 115 — L’ACTION DE LA CRÉATURE CORPORELLE_ 291

Article 1 — Un corps peut-il être actif ? 291

Article 2 — Y a-t-il dans le corps des raisons séminales ? 292

Article 3 — Les corps célestes sont-ils la cause de ce qui se passe dans les corps d’ici-bas ? 292

Article 4 — Les corps célestes sont-ils la cause des actes humains ? 292

Article 5 — Les démons sont-ils soumis à l’action des corps célestes ? 293

Article 6 — Les corps célestes rendent-ils nécessaire ce qui est soumis à leur action ? 293

QUESTION 116 — LE DESTIN_ 294

Article 1 — Le destin existe-t-il ? 294

Article 2 — Où le destin se trouve-t-il ? 294

Article 3 — Le destin est-il immuable ? 294

Article 4 — Tout est-il soumis au destin ? 294

QUESTION 117 — CE QUI CONCERNE L’ACTION DE L’HOMME_ 295

Article 1 — Un homme peut-il instruire un autre homme, en produisant en lui la science ? 295

Article 2 — Les hommes peuvent-ils instruire les anges ? 295

Article 3 — L’homme peut-il par la puissance de son âme modifier la matière corporelle ? 296

Article 4 — L’âme humaine séparée peut-elle imprimer aux corps un mouvement local ? 296

QUESTION 118 — D’OÙ PROVIENT L’ÂME DE L’HOMME ?_ 296

Article 1 — L’âme sensitive est-elle transmise avec la semence ? 296

Article 2 — L’âme intellective est-elle transmise avec la semence ? 297

Article 3 — Toutes les âmes ont-elles été créées ensemble ? 298

QUESTION 119 — LA PROPAGATION CORPORELLE DE L’HOMME_ 298

Article 1 — Une part des aliments se transforme-t-elle en la réalité de la nature humaine ? 298

Article 2 — La semence, principe de la génération humaine, provient-elle du superflu de nourriture ? 299

IA IIAE — LA MORALE GÉNÉRALE_ 300

PROLOGUE 300

QUESTION 1 — LA FIN ULTIME DE LA VIE HUMAINE_ 300

Article 1 — Appartient-il à l’homme d’agir pour une fin ? 300

Article 2 — Agir pour une fin est-il propre à la nature raisonnable ? 300

Article 3 — Les actes humains reçoivent-ils leur espèce de leur fin ? 300

Article 4 — Y a-t-il une fin ultime de la vie humaine ? 301

Article 5 — Le même homme peut-il avoir plusieurs fins ultimes ? 301

Article 6 — L’homme ordonne-t-il toutes choses à sa fin ultime ? 301

Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ? 302

Article 8 — Toutes les autres créatures se rejoignent-elles dans cette fin ultime ? 302

QUESTION 2 — EN QUELS BIENS CONSISTE LA BÉATITUDE ?_ 302

Article 1 — La béatitude consiste-t-elle dans les richesses ? 302

Article 2 — La béatitude consiste-t-elle dans les honneurs ? 303

Article 3 — La béatitude consiste-t-elle dans la renommée ou la gloire ? 303

Article 4 — La béatitude consiste-t-elle dans la puissance ? 303

Article 5 — La béatitude consiste-t-elle en quelque bien du corps ? 304

Article 6 — La béatitude consiste-t-elle dans le plaisir ? 304

Article 7 — La béatitude consiste-t-elle dans quelque bien de l’âme ? 304

Article 8 — La béatitude consiste-t-elle en quelque bien créé ? 305

QUESTION 3 — QU’EST-CE QUE LA BÉATITUDE ?_ 305

Article 1 — La béatitude est-elle une réalité incréée ? 305

Article 2 — Si la béatitude est une réalité créée, est-elle une activité ? 305

Article 3 — La béatitude est-elle une activité de la partie sensible de l’âme, ou seulement de sa partie intellectuelle ?  306

Article 4 — Si la béatitude est une activité de la partie intellectuelle, est-elle une activité de l’intellect ou de la volonté ?  306

Article 5 — La béatitude est-elle une activité de l’intellect spéculatif ou de l’intellect pratique ? 307

Article 6 — La béatitude consiste-t-elle dans la considération des sciences spéculatives ? 307

Article 7 — La béatitude consiste-t-elle dans la connaissance des substances séparées, c’est-à-dire des anges ? 307

Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ? 308

QUESTION 4 — LES CONDITIONS REQUISES POUR LA BÉATITUDE_ 308

Article 1 — La délectation est-elle requise pour la béatitude ? 308

Article 2 — Quel est le principal dans la béatitude — la délectation ou la vision ? 308

Article 3 — La compréhension est-elle requise pour la béatitude ? 309

Article 4 — La rectitude de la volonté est-elle requise pour la béatitude ? 309

Article 5 — Le corps est-il requis pour la béatitude de l’homme ? 309

Article 6 — La perfection du corps est-elle requise pour la béatitude ? 310

Article 7 — Certains biens extérieurs sont-ils requis pour la béatitude ? 310

Article 8 — Une société d’amis est-elle requise pour la béatitude ? 310

QUESTION 5 — L’OBTENTION DE LA BÉATITUDE_ 311

Article 1 — L’homme peut-il obtenir la béatitude ? 311

Article 2 — Un homme peut-il avoir plus de béatitude qu’un autre ? 311

Article 3 — Un homme peut-il être bienheureux en cette vie ? 311

Article 4 — La béatitude une fois possédée peut-elle être perdue ? 312

Article 5 — L’homme peut-il acquérir la béatitude par ses forces naturelles ? 312

Article 6 — L’homme obtient-il la béatitude par l’action d’une créature supérieure ? 313

Article 7 — Certaines actions humaines sont-elles requises pour que l’homme obtienne de Dieu la béatitude ? 313

Article 8 — Tout homme désire-t-il la béatitude ? 313

QUESTION 6 — LE VOLONTAIRE ET L’INVOLONTAIRE_ 314

Article 1 — Trouve-t-on du volontaire dans les actes humains ? 314

Article 2 — Trouve-t-on du volontaire chez les bêtes ? 314

Article 3 — Le volontaire peut-il exister sans aucun acte ? 315

Article 4 — Peut-on faire violence à la volonté ? 315

Article 5 — La violence est-elle cause d’involontaire ? 315

Article 6 — La crainte est-elle cause d’involontaire ? 315

Article 7 — La convoitise est-elle cause d’involontaire ? 316

Article 8 — L’ignorance est-elle cause d’involontaire ? 316

QUESTION 7 — LES CIRCONSTANCES DES ACTES HUMAINS_ 316

Article 1 — Qu’entend-on par circonstances ? 317

Article 2 — Le théologien doit-il prêter attention aux circonstances des actes humains ? 317

Article 3 — Combien y a-t-il de circonstances ? 317

Article 4 — Parmi les circonstances, lesquelles sont les plus fondamentales ? 317

QUESTION 8 — L’OBJET DU VOULOIR_ 318

Article 1 — La volonté n’a-t-elle pour objet que le bien ? 318

Article 2 — La volonté porte-t-elle seulement sur la fin, ou aussi sur les moyens ? 318

Article 3 — Est-ce d’un seul mouvement que la volonté se porte vers la fin et vers les moyens ? 319

QUESTION 9 — LE PRINCIPE MOTEUR DE LA VOLONTÉ_ 319

Article 1 — La volonté est-elle mue par l’intelligence ? 319

Article 2 — La volonté est-elle mue par l’appétit sensitif ? 319

Article 3 — Est-ce que la volonté se meut elle-même ? 320

Article 4 — La volonté est-elle mue par un principe extérieur ? 320

Article 5 — La volonté est-elle mue par un corps céleste ? 320

Article 6 — La volonté est-elle mue par Dieu seul en qualité de principe extérieur ? 321

QUESTION 10 — LE MODE DE L’ACTIVITÉ VOLONTAIRE_ 321

Article 1 — La volonté est-elle mue vers quelque chose par nature ? 321

Article 2 — La volonté est-elle mue de façon nécessaire par son objet ? 321

Article 3 — La volonté est-elle mue de façon nécessaire par l’appétit inférieur ? 322

Article 4 — La volonté est-elle mue de façon nécessaire par un moteur extérieur qui est Dieu ? 322

QUESTION 11 — LA JOUISSANCE, ACTE DE LA VOLONTÉ_ 322

Article 1 — Jouir est-il un acte de la puissance appétitive ? 322

Article 2 — Jouir est-il propre à la seule créature raisonnable ou aussi aux bêtes ? 323

Article 3 — Ne jouit-on que de la fin ultime ? 323

Article 4 — N’y a-t-il jouissance que si la fin est possédée ? 323

QUESTION 12 — L’INTENTION_ 324

Article 1 — L’intention est-elle un acte de l’intelligence, ou de la volonté ? 324

Article 2 — L’intention porte-t-elle seulement sur la fin ultime ? 324

Article 3 — Peut-on porter son intention sur deux choses à la fois ? 324

Article 4 — L’intention de la fin et la volonté des moyens sont-ils un seul et même acte ? 324

Article 5 — L’intention convient-elle aux bêtes ? 325

QUESTION 13 — LE CHOIX, ACTE DE LA VOLONTÉ A L’ÉGARD DES MOYENS_ 325

Article 1 — Le choix est-il un acte de la volonté, ou de la raison ? 325

Article 2 — Le choix convient-il aux bêtes ? 325

Article 3 — Le choix porte-t-il seulement sur les moyens ou quelquefois aussi sur la fin ? 326

Article 4 — Le choix ne porte-t-il que sur les actions accomplies par nous ? 326

Article 5 — Le choix ne porte-t-il que sur des choses possibles ? 326

Article 6 — L’homme choisit-il de façon nécessaire, ou librement ? 326

QUESTION 14 — LA DÉLIBÉRATION QUI PRÉCÈDE LE CHOIX_ 327

Article 1 — La délibération est-elle une enquête ? 327

Article 2 — La délibération a-t-elle pour objet la fin, ou seulement les moyens ? 327

Article 3 — La délibération ne porte-t-elle que sur les actions accomplies par nous ? 327

Article 4 — La délibération porte-t-elle sur toutes nos actions ? 328

Article 5 — La délibération procède-t-elle par voie d’analyse ? 328

Article 6 — La délibération procède-t-elle à l’infini ? 328

QUESTION 15 — LE CONSENTEMENT, ACTE DE LA VOLONTÉ À L’ÉGARD DES MOYENS_ 328

Article 1 — Le consentement est-il l’acte d’une puissance appétitive ou cognitive ? 328

Article 2 — Le consentement convient-il aux bêtes ? 329

Article 3 — Le consentement porte-t-il sur la fin ou sur les moyens ? 329

Article 4 — Le consentement à l’acte appartient-il seulement à la partie supérieure de l’âme ? 329

QUESTION 16 — L’USAGE, QUI EST L’ACTE DE LA VOLONTÉ RELATIVEMENT AUX MOYENS_ 329

Article 1 — L’usage est-il un acte de la volonté ? 329

Article 2 — L’usage convient-il aux bêtes ? 330

Article 3 — L’usage porte-t-il sur les moyens seulement, ou aussi sur la fin ? 330

Article 4 — Quel rapport y a-t-il entre l’usage et le choix ? 330

QUESTION 17 — LES ACTES COMMANDÉS PAR LA VOLONTÉ_ 331

Article 1 — Le commandement est-il un acte de la volonté ou bien de la raison ? 331

Article 2 — Le commandement appartient-il aux bêtes ? 331

Article 3 — Quel est le rapport du commandement avec l’usage ? 331

Article 4 — Le commandement et l’acte commandé sont-ils un seul acte, ou des actes différents ? 331

Article 5 — L’acte de la volonté est-il commandé ? 332

Article 6 — L’acte de la raison peut-il être commandé ? 332

Article 7 — L’acte de l’appétit sensible peut-il être commandé ? 332

Article 8 — L’acte de l’âme végétative est-il commandé ? 333

Article 9 — Les actes des membres extérieurs sont-ils commandés ? 333

QUESTION 18 — LA BONTÉ ET LA MALICE DES ACTES HUMAINS EN GÉNÉRAL 333

Article 1 — Tout action humaine est-elle bonne, ou y en a-t-il qui soient mauvaises ? 333

Article 2 — La bonté ou la malice de l’action humaine lui vient-elle de son objet ? 334

Article 3 — La bonté ou la malice des actions humaines leur vient-elle des circonstances ? 334

Article 4 — La bonté ou la malice de l’action humaine lui vient-elle de la fin ? 334

Article 5 — Y a-t-il des actions humaines qui soient bonnes ou mauvaises selon leur espèce ? 335

Article 6 — Cette spécification en bien ou en mal vient-elle de la fin ? 335

Article 7 — L’espèce qui vient de la fin est-elle subordonnée à celle qui vient de l’objet comme à un genre, ou est-ce le contraire ? 335

Article 8 — Y a-t-il des actes humains indifférents selon leur espèce ? 336

Article 9 — Y a-t-il des actes individuels qui soient indifférents ? 336

Article 10 — Y a-t-il des circonstances qui puissent rendre un acte moral spécifiquement bon ou mauvais ? 336

Article 11 — Toute circonstance qui augmente la bonté ou la malice d’un acte moral le range-t-elle dans une nouvelle espèce de bien ou de mal ? 337

QUESTION 19 — LA BONTÉ ET LA MALICE DE L’ACTE INTÉRIEUR DE LA VOLONTÉ_ 337

Article 1 — La bonté de la volonté dépend-elle de l’objet ? 337

Article 2 — La bonté de la volonté ne dépend-elle que de l’objet ? 337

Article 3 — La bonté de la volonté dépend-elle de la raison ? 337

Article 4 — La bonté de la volonté dépend-elle de la loi éternelle ? 338

Article 5 — La raison erronée oblige-t-elle ? 338

Article 6 — La volonté qui, suivant la raison erronée, va contre la loi de Dieu, est-elle mauvaise ? 338

Article 7 — La bonté de la volonté, relativement aux moyens, dépend-elle de l’intention de la fin ? 339

Article 8 — La mesure de la bonté et de la malice de la volonté suit-elle la mesure du bien et du mal qui sont dans l’intention ? 339

Article 9 — La bonté de la volonté dépend-elle de sa conformité à la volonté divine ? 339

Article 10 — Pour que la volonté humaine soit bonne, est-il nécessaire qu’elle se conforme à la volonté divine quant à l’objet voulu ? 340

QUESTION 20 — LA BONTÉ ET LA MALICE DES ACTES HUMAINS EXTÉRIEURS_ 340

Article 1 — La bonté et la malice sont-elles d’abord dans l’acte de la volonté, ou dans l’acte extérieur ? 340

Article 2 — La bonté et la malice de l’acte extérieur dépendent-elles entièrement de celles de la volonté ? 341

Article 3 — La bonté et la malice de l’acte extérieur sont-elles les mêmes que celles de l’acte intérieur ? 341

Article 4 — L’acte extérieur ajoute-t-il quelque chose à la bonté ou à la malice de l’acte intérieur ? 341

Article 5 — L’événement qui suit ajoute-t-il quelque chose à la bonté ou à la malice de l’acte extérieur ? 342

Article 6 — Le même acte extérieur peut-il être bon et mauvais ? 342

QUESTION 21 — LES CONSÉQUENCES DES ACTES HUMAINS RELATIVEMENT À LEUR BONTÉ ET À LEUR MALICE  342

Article 1 — L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, a-t-il raison de rectitude ou de péché ? 342

Article 2 — L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, est-il louable ou coupable ? 342

Article 3 — L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, entraîne-t-il mérite ou démérite ? 343

Article 4 — L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, entraîne-t-il mérite ou démérite devant Dieu ? 343

QUESTION 22 — LE SIÈGE DES PASSIONS_ 343

Article 1 — Y a-t-il des passions dans l’âme ? 343

Article 2 — Les passions sont-elles dans la partie appétitive de l’âme, plutôt que dans sa partie cognitive ? 344

Article 3 — Les passions sont-elles dans l’appétit sensible plutôt que dans l’appétit intellectuel appelé volontés ? 344

QUESTION 23 — COMMENT LES PASSIONS SE DISTINGUENT ENTRE ELLES_ 344

Article 1 — Les passions du concupiscible diffèrent-elles des passions de l’irascible ? 344

Article 2 — L’opposition de contrariété entre les passions de l’irascible est-elle une contrariété selon le bien et le mal ?  345

Article 3 — Y a-t-il une passion qui n’ait pas de contraire ? 345

Article 4 — Y a-t-il dans la même puissance des passions d’espèce différente qui ne soient pas contraires entre elles ?  345

QUESTION 24 — LE BIEN ET LE MAL DANS LES PASSIONS_ 346

Article 1 — Peut-on trouver du bien ou du mal moral dans les passions ? 346

Article 2 — Toute passion est-elle mauvaise moralement ? 346

Article 3 — Toute passion augmente-t-elle ou diminue-t-elle la bonté ou la malice de l’acte ? 346

Article 4 — Existe-t-il une passion qui soit bonne ou mauvaise par son espèce ? 347

QUESTION 25 — L’ORDRE DES PASSIONS ENTRE ELLES_ 347

Article 1 — L’ordre des passions de l’irascible par rapport à celles du concupiscible_ 347

Article 2 — L’ordre des passions du concupiscible entre elles 347

Article 3 — L’ordre des passions de l’irascible entre elles 348

Article 4 — Les quatre passions principales 348

QUESTION 26 — L’AMOUR_ 349

Article 1 — L’amour est-il dans le concupiscible ? 349

Article 2 — L’amour est-il une passion ? 349

Article 3 — L’amour est-il identique à la dilection ? 349

Article 4 — A-t-on raison de distinguer amour d’amitié, et amour de convoitise ? 349

QUESTION 27 — LA CAUSE DE L’AMOUR_ 350

Article 1 — Le bien est-il la seule cause de l’amour ? 350

Article 2 — La connaissance est-elle cause de l’amour ? 350

Article 3 — La ressemblance est-elle cause de l’amour ? 350

Article 4 — Y a-t-il une autre passion qui soit cause de l’amour ? 351

QUESTION 28 — LES EFFETS DE L’AMOUR_ 351

Article 1 — L’union est-elle un effet de l’amour ? 351

Article 2 — L’inhabitation mutuelle est-elle un effet de l’amour ? 351

Article 3 — L’extase est-elle un effet de l’amour ? 352

Article 4 — La jalousie est-elle un effet de l’amour ? 352

Article 5 — L’amour est-il une passion qui blesse celui qui aime ? 352

Article 6 — L’amour est-il la cause de tout ce qu’on fait quand on aime ? 353

QUESTION 29 — LA HAINE_ 353

Article 1 — Le mal est-il la cause et l’objet de la haine ? 353

Article 2 — La haine est-elle causée par l’amour ? 353

Article 3 — La haine est-elle plus forte que l’amour ? 353

Article 4 — Peut-on se haïr soi-même ? 354

Article 5 — Peut-on haïr la Vérité ? 354

Article 6 — Peut-on haïr quelque chose de façon universelle ? 354

QUESTION 30 — LA CONVOITISE_ 355

Article 1 — La convoitise est-elle seulement dans l’appétit sensible ? 355

Article 2 — La convoitise est-elle une passion spéciale ? 355

Article 3 — Y a-t-il des convoitises naturelles et des convoitises qui ne le sont pas ? 355

Article 4 — La convoitise est-elle infinie ? 356

QUESTION 31 — LE PLAISIR EN LUI-MÊME_ 356

Article 1 — Le plaisir est-il une passion ? 356

Article 2 — Le plaisir est-il dans le temps ? 356

Article 3 — Le plaisir diffère-t-il de la joie ? 357

Article 4 — Le plaisir est-il dans l’appétit intellectuel ? 357

Article 5 — Comment classer les plaisirs de l’appétit supérieur par rapport à ceux de l’appétit inférieur ? 357

Article 6 — Comment classer les plaisirs sensibles ? 358

Article 7 — Y a-t-il un plaisir qui ne soit pas naturel ? 358

Article 8 — Le plaisir peut-il être contraire au plaisir ? 358

QUESTION 32 — LA CAUSE DU PLAISIR_ 358

Article 1 — L’action est-elle la cause propre du plaisir ? 358

Article 2 — Le mouvement est-il cause de plaisir ? 359

Article 3 — L’espoir et le souvenir sont-ils cause de plaisir ? 359

Article 4 — La tristesse est-elle cause de plaisir ? 359

Article 5 — Les actions des autres sont-elles pour nous cause de plaisir ? 360

Article 6 — Faire du bien à autrui est-il une cause de plaisir ? 360

Article 7 — La ressemblance est-elle cause de plaisir ? 360

Article 8 — L’étonnement est-il cause de plaisir ? 361

QUESTION 33 — LES EFFETS DU PLAISIR_ 361

Article 1 — Le plaisir est-il cause de dilatation ? 361

Article 2 — Le plaisir cause-t-il la soif ou le désir de lui-même ? 361

Article 3 — Le plaisir empêche-t-il l’exercice de la raison ? 362

Article 4 — Le plaisir perfectionne-t-il l’action ? 362

QUESTION 34 — BONTÉ ET MALICE DES PLAISIRS_ 362

Article 1 — Tout plaisir est-il mauvais ? 362

Article 2 — Étant admis que non, tout plaisir est-il bon ? 363

Article 3 — Existe-t-il un plaisir optimal ? 363

Article 4 — Le plaisir est-il la mesure ou la règle selon laquelle on juge du bien ou du mal moral ? 363

QUESTION 35 — LA DOULEUR OU TRISTESSE EN ELLE-MÊME_ 364

Article 1 — La douleur est-elle une passion de l’âme ? 364

Article 2 — La tristesse est-elle identique à la douleur ? 364

Article 3 — La tristesse ou douleur est-elle contraire au plaisir ? 364

Article 4 — Toute tristesse est-elle contraire à tout plaisir ? 365

Article 5 — Y a-t-il une tristesse contraire au plaisir de la contemplation ? 365

Article 6 — Faut-il fuir la tristesse plus que désirer le plaisir ? 365

Article 7 — La douleur extérieure est-elle plus grande que la douleur intérieure ? 366

Article 8 — Les espèces de tristesse_ 366

QUESTION 36 — LES CAUSES DE LA TRISTESSE OU DOULEUR_ 367

Article 1 — La cause de la douleur est-elle le bien perdu, ou plutôt le mal conjoint ? 367

Article 2 — La convoitise est-elle cause de douleur ? 367

Article 3 — Le désir de l’unité est-il cause de douleur ? 367

Article 4 — Le pouvoir auquel on ne peut résister est-il cause de douleur ? 368

QUESTION 37 — LES EFFETS DE LA DOULEUR OU TRISTESSE_ 368

Article 1 — La douleur supprime-t-elle la faculté d’apprendre ? 368

Article 2 — L’accablement de l’esprit est-il un effet de la tristesse ou douleur ? 368

Article 3 — La tristesse ou douleur affaiblit-elle toute activité ? 369

Article 4 — La tristesse nuit-elle au corps plus que les autres passions de l’âme ? 369

QUESTION 38 — LES REMÈDES À LA TRISTESSE OU DOULEUR_ 369

Article 1 — La douleur ou tristesse est-elle atténuée par n’importe quel plaisir ? 369

Article 2 — La douleur ou tristesse est-elle atténuée par les larmes ? 369

Article 3 — La douleur ou tristesse est-elle atténuée par la compassion des amis ? 370

Article 4 — La douleur ou tristesse est-elle atténuée par la contemplation de la vérité ? 370

Article 5 — La douleur ou tristesse est-elle adoucie par le sommeil ou les bains ? 370

QUESTION 39 — BONTÉ ET MALICE DE LA TRISTESSE OU DOULEUR_ 370

Article 1 — Toute tristesse est-elle un mal ? 370

Article 2 — La tristesse peut-elle être un bien honnête ? 371

Article 3 — La tristesse peut-elle être un bien utile ? 371

Article 4 — La douleur corporelle est-elle le souverain mal ? 371

QUESTION 40 — L’ESPOIR ET LE DÉSESPOIR_ 372

Article 1 — L’espoir est-il la même chose que le désir ou avidité ? 372

Article 2 — L’espoir est-il dans la faculté de la connaissance, ou dans celle de l’appétit ? 372

Article 3 — L’espoir existe-t-il chez les bêtes ? 372

Article 4 — L’espoir a-t-il pour contraire le désespoir ? 373

Article 5 — L’expérience est-elle une cause d’espoir ? 373

Article 6 — Les jeunes et les gens ivres regorgent-ils d’espoir ? 373

Article 7 — Le rapport entre l’espoir et l’amour 373

Article 8 — L’espoir aide-t-il à l’action ? 374

QUESTION 41 — LA CRAINTE EN ELLE-MÊME_ 374

Article 1 — La crainte est-elle une passion de l’âme ? 374

Article 2 — La crainte est-elle une passion spéciale ? 374

Article 3 — Y a-t-il une crainte naturelle ? 374

Article 4 — Les espèces de la crainte_ 375

QUESTION 42 — L’OBJET DE LA CRAINTE_ 375

Article 1 — Est-ce le bien qui est l’objet de la crainte, ou le mal ? 375

Article 2 — Le mal de nature est-il objet de crainte ? 375

Article 3 — La crainte peut-elle avoir pour objet le mal du péché ? 376

Article 4 — Peut-on craindre la crainte elle-même ? 376

Article 5 — Craint-on davantage les maux imprévus ? 376

Article 6 — Craint-on davantage les maux irrémédiables ? 377

QUESTION 43 — LA CAUSE DE LA CRAINTE_ 377

Article 1 — L’amour cause-t-il la crainte ? 377

Article 2 — L’insuffisance cause-t-elle la crainte ? 377

QUESTION 44 — LES EFFETS DE LA CRAINTE_ 377

Article 1 — La crainte a-t-elle un effet de contraction ? 377

Article 2 — La crainte pousse-t-elle à délibérer ? 378

Article 3 — La crainte fait-elle trembler ? 378

Article 4 — La crainte empêche-t-elle d’agir ? 378

QUESTION 45 — L’AUDACE_ 378

Article 1 — L’audace est-elle contraire à la crainte ? 378

Article 2 — Quel rapport l’audace a-t-elle avec l’espoir ? 379

Article 3 — La cause de l’audace_ 379

Article 4 — L’effet de l’audace_ 379

QUESTION 46 — LA COLÈRE ELLE-MÊME_ 380

Article 1 — La colère est-elle une passion spéciale ? 380

Article 2 — L’objet de la colère est-il le bien, ou le mal ? 380

Article 3 — La colère est-elle dans le concupiscible ? 380

Article 4 — La colère s’accompagne-t-elle de raison ? 381

Article 5 — La colère est-elle plus naturelle que la convoitise ? 381

Article 6 — La colère est-elle plus impitoyable que la haine ? 381

Article 7 — La colère vise-t-elle seulement ceux auxquels nous lie la justice ? 382

Article 8 — Les espèces de la colère_ 382

QUESTION 47 — LA CAUSE EFFECTIVE DE LA COLÈRE ET SES REMÈDES_ 382

Article 1 — Le motif de la colère est-il toujours une action faite contre celui qui s’irrite ? 382

Article 2 — Le mépris ou la mésestime est-il le seul motif de la colère ? 382

Article 3 — La cause de la colère chez celui qui s’irrite_ 383

Article 4 — La cause de la colère chez celui qui la subit 383

QUESTION 48 — LES EFFETS DE LA COLÈRE_ 383

Article 1 — La colère cause-t-elle du plaisir ? 383

Article 2 — La colère cause-t-elle plus qu’autre chose l’effervescence du cœur ? 384

Article 3 — La colère empêche-t-elle plus qu’autre chose l’usage de la raison ? 384

Article 4 — La colère rend-elle taciturne ? 384

QUESTION 49 — LA NATURE DES HABITUS_ 385

Article 1 — L’habitus est-il une qualité ? 385

Article 2 — L’habitus est-il une espèce déterminée de la qualité ? 385

Article 3 — L’habitus implique-t-il une tendance à l’action ? 386

Article 4 — La nécessité des habitus 386

QUESTION 50 — LE SIÈGE DES HABITUS_ 386

Article 1 — Y a-t-il des habitus dans le corps ? 386

Article 2 — L’âme est-elle le siège d’habitus dans son essence, ou dans une puissance ? 387

Article 3 — Peut-il y avoir des habitus dans les puissances sensibles ? 387

Article 4 — Y a-t-il des habitus dans l’intelligence elle-même ? 388

Article 5 — Y a-t-il des habitus dans la volonté ? 388

Article 6 — Y a-t-il des habitus dans les substances séparées ? 388

QUESTION 51 — LA GÉNÉRATION DES HABITUS_ 389

Article 1 — Y a-t-il des habitus engendrés par la nature ? 389

Article 2 — Y a-t-il des habitus qui soient causés par des actes ? 389

Article 3 — Un habitus peut-il être engendré par un seul acte ? 390

Article 4 — Y a-t-il des habitus infusés dans l’homme par Dieu ? 390

QUESTION 52 — LA CROISSANCE DES HABITUS_ 390

Article 1 — Les habitus s’accroissent-ils ? 390

Article 2 — Les habitus s’accroissent-ils par addition ? 391

Article 3 — Est-ce que n’importe quel acte accroît l’habitus ? 391

QUESTION 53 — LA DIMINUTION ET LA DESTRUCTION DES HABITUS_ 392

Article 1 — L’habitus peut-il disparaître ? 392

Article 2 — L’habitus peut-il diminuer ? 392

Article 3 — La manière dont l’habitus peut disparaître ou diminuer 393

QUESTION 54 — LA DISTINCTION DES HABITUS_ 393

Article 1 — Peut-il exister plusieurs habitus dans une seule puissance ? 393

Article 2 — Les habitus se distinguent-ils d’après leurs objets ? 393

Article 3 — Les habitus se distinguent-ils selon le bien et le mal ? 394

Article 4 — Un habitus est-il constitué de plusieurs ? 394

QUESTION 55 — L’ESSENCE DE LA VERTU_ 394

Article 1 — La vertu humaine est-elle un habitus ? 394

Article 2 — La vertu humaine est-elle un habitus d’action ? 395

Article 3 — La vertu humaine est-elle un habitus bon ? 395

Article 4 — définition de la vertu_ 395

QUESTION 56 — LE SIÈGE DE LA VERTU_ 396

Article 1 — La vertu a-t-elle pour siège une puissance de l’âme ? 396

Article 2 — Une seule vertu peut-elle résider dans plusieurs puissances ? 396

Article 3 — L’intelligence peut-elle être le siège de la vertu ? 396

Article 4 — L’irascible et le concupiscible peuvent-ils être le siège de la vertu ? 397

Article 5 — Les facultés de connaissance sensible peuvent-elles être le siège de la vertu ? 397

Article 6 — La volonté peut-elle être le siège de la vertu ? 397

QUESTION 57 — LES VERTUS INTELLECTUELLES_ 398

Article 1 — Les habitus intellectuels spéculatifs sont-ils des vertus ? 398

Article 2 — Y a-t-il trois habitus intellectuels spéculatifs — la sagesse, la science et la simple intelligence ? 398

Article 3 — Cet habitus intellectuel qu’est l’art, est-il une vertu ? 399

Article 4 — La prudence est-elle une vertu distincte de l’art ? 399

Article 5 — La prudence est-elle une vertu nécessaire à l’homme ? 399

Article 6 — Le bon conseil, le bon sens, l’équité sont-ils des vertus annexes de la prudence ? 400

QUESTION 58 — LA DISTINCTION ENTRE VERTUS MORALES ET VERTUS INTELLECTUELLES_ 400

Article 1 — Toute vertu est-elle une vertu morale ? 400

Article 2 — La vertu morale est-elle distincte de la vertu intellectuelle ? 400

Article 3 — Suffit-il de distinguer vertu intellectuelle et vertu morale ? 401

Article 4 — La vertu morale peut-elle exister sans vertu intellectuelle ? 401

Article 5 — La vertu intellectuelle peut-elle exister sans vertu morale ? 401

QUESTION 59 — LES RELATIONS ENTRE LES VERTUS MORALES ET LA PASSION_ 402

Article 1 — La vertu morale est-elle la passion ? 402

Article 2 — La vertu morale peut-elle être accompagnée de passion ? 402

Article 3 — La vertu morale peut-elle être accompagnée de tristesse ? 403

Article 4 — Est-ce que toute vertu morale concerne une passion ? 403

Article 5 — Une vertu morale peut-elle exister sans passion ? 403

QUESTION 60 — LA DISTINCTION ENTRE LES VERTUS MORALES_ 403

Article 1 — N’y a-t-il qu’une seule vertu morale ? 403

Article 2 — Les vertus morales qui concernent les opérations se distinguent-elles de celles qui concernent les passions ?  404

Article 3 — Concernant les opérations, n’y a-t-il qu’une seule vertu morale ? 404

Article 4 — Concernant les différentes passions, y a-t-il différentes vertus morales ? 404

Article 5 — Les vertus morales se distinguent-elles selon les différents objets des passions ? 405

QUESTION 61 — LES VERTUS CARDINALES_ 405

Article 1 — Les vertus morales doivent-elles être appelées cardinales ou principales ? 405

Article 2 — Le nombre des vertus cardinales 406

Article 3 — Quelles sont les vertus cardinales ? 406

Article 4 — Les vertus cardinales diffèrent-elles les unes des autres ? 406

Article 5 — Peut-on admettre la division des vertus cardinales en vertus sociales, vertus purifiantes, vertus d’âme purifiée, vertus exemplaires ? 407

QUESTION 62 — LES VERTUS THÉOLOGALES_ 407

Article 1 — Y a-t-il des vertus théologales ? 407

Article 2 — Les vertus théologales sont-elles distinctes des vertus intellectuelles et des vertus morales ? 408

Article 3 — Quel est le nombre et la nature des vertus théologales ? 408

Article 4 — L’ordre des vertus théologales 408

QUESTION 63 — LA CAUSE DES VERTUS_ 409

Article 1 — La vertu est-elle en nous par nature ? 409

Article 2 — Quelque vertu est-elle causée en nous par la répétition des actes ? 409

Article 3 — Certaines vertus morales sont-elles en nous par infusion ? 410

Article 4 — La vertu que nous acquérons par la répétition des actes est-elle de même espèce que la vertu infuse ? 410

QUESTION 64 — LE JUSTE MILIEU DES VERTUS_ 410

Article 1 — Les vertus morales consistent-elles dans un juste milieu ? 410

Article 2 — Ce juste milieu de la vertu morale est-il réel ou de raison ? 411

Article 3 — Les vertus intellectuelles consistent-elles dans un juste milieu ? 411

Article 4 — Les vertus théologales consistent-elles dans un juste milieu ? 411

QUESTION 65 — LA CONNEXION DES VERTUS_ 412

Article 1 — Les vertus morales sont-elles connexes ? 412

Article 2 — Les vertus morales peuvent-elles exister sans la charité ? 412

Article 3 — La charité peut-elle exister sans les vertus morales ? 413

Article 4 — La foi et l’espérance peuvent-elles exister sans la charité ? 413

Article 5 — La charité peut-elle exister sans la foi et l’espérance ? 413

QUESTION 66 — L’ÉGALITÉ DES VERTUS_ 414

Article 1 — La vertu peut-elle être plus ou moins grande ? 414

Article 2 — Toutes les vertus existant en même temps chez le même individu sont-elles égales ? 414

Article 3 — Comparaison des vertus morales avec les vertus intellectuelles 415

Article 4 — Comparaison des vertus morales entre elles 415

Article 5 — Comparaison des vertus intellectuelles entre elles 415

Article 6 — Comparaison des vertus théologales entre elles 416

QUESTION 67 — LA DURÉE DES VERTUS APRÈS CETTE VIE_ 416

Article 1 — Les vertus morales demeurent-elles après cette vie ? 416

Article 2 — Les vertus intellectuelles demeurent-elles après cette vie ? 416

Article 3 — La foi demeure-t-elle après cette vie ? 417

Article 4 — L’espérance demeure-t-elle après cette vie ? 417

Article 5 — Demeure-t-il quelque chose de la foi, ou de l’espérance ? 418

Article 6 — La charité demeure-t-elle après cette vie ? 418

QUESTION 68 — LES DONS DU SAINT-ESPRIT_ 418

Article 1 — Les dons sont-ils différents des vertus ? 418

Article 2 — La nécessité des dons 419

Article 3 — Les dons du Saint-Esprit sont-ils des habitus ? 420

Article 4 — Quels sont les dons et combien sont-ils ? 420

Article 5 — Les dons du Saint-Esprit sont-ils connexes ? 420

Article 6 — Les dons du Saint-Esprit demeurent-ils dans la patrie ? 421

Article 7 — Les rapports mutuels entre les dons 421

Article 8 — Le rapport des dons avec les vertus 421

QUESTION 69 — LES BÉATITUDES_ 422

Article 1 — Les béatitudes se distinguent-elles des dons et des vertus ? 422

Article 2 — Les récompenses des béatitudes appartiennent-elles à cette vie ? 422

Article 3 — Le nombre des béatitudes 423

Article 4 — La convenance des récompenses attribuées aux béatitudes 423

QUESTION 70 — LES FRUITS DU SAINT-ESPRIT_ 424

Article 1 — Les fruits du Saint-Esprit sont-ils des actes ? 424

Article 2 — Les fruits diffèrent-ils des béatitudes ? 424

Article 3 — Le nombre des fruits 425

Article 4 — L’opposition des fruits aux œuvres de la chair 425

QUESTION 71 — LA NATURE DU PÉCHÉ_ 425

Article 1 — Le vice est-il le contraire de la vertu ? 425

Article 2 — Le vice est-il contraire à la nature ? 426

Article 3 — Quel est le pire — le vice ou l’acte vicieux ? 426

Article 4 — L’acte vicieux peut-il cœxister avec la vertu ? 426

Article 5 — En tout péché y a-t-il un acte ? 427

Article 6 — La définition du péché par S. Augustin — “ Une parole, un acte ou un désir contraire à la loi éternelle. ” 427

QUESTION 72 — LA DISTINCTION ENTRE LES PÉCHÉS_ 428

Article 1 — Les péchés se distinguent-ils spécifiquement par leurs objets ? 428

Article 2 — La distinction entre péchés de l’esprit et péchés de la chair 428

Article 3 — Les péchés se distinguent-ils d’après leurs causes ? 428

Article 4 — Les péchés se distinguent-ils d’après les personnes qu’ils visent ? 429

Article 5 — Les péchés se distinguent-ils d’après la diversité de leur dette de peine ? 429

Article 6 — Les péchés se distinguent-ils selon omission et commission ? 429

Article 7 — Les péchés se distinguent-ils selon leurs divers degrés de réalisation ? 430

Article 8 — Les péchés se distinguent-ils selon excès ou défaut ? 430

Article 9 — Les péchés se distinguent-ils selon des circonstances diverses ? 430

QUESTION 73 — LA COMPARAISON DES PÉCHÉS ENTRE EUX_ 431

Article 1 — Tous les péchés et les vices sont-ils connexes ? 431

Article 2 — Tous les péchés et les vices sont-ils égaux ? 431

Article 3 — La gravité des péchés et des vices est-elle évaluée selon leurs objets ? 431

Article 4 — La gravité des péchés est-elle évaluée selon la dignité des vertus auxquelles ils s’opposent ? 432

Article 5 — Les péchés de la chair sont-ils plus graves que ceux de l’esprit ? 432

Article 6 — La gravité des péchés est-elle évaluée selon leur cause ? 432

Article 7 — La gravité des péchés et des vices est-elle évaluée selon les circonstances ? 433

Article 8 — La gravité des péchés et des vices est-elle évaluée selon l’importance de leur nocivité ? 433

Article 9 — La gravité des péchés est-elle évaluée selon la condition de la personne contre qui l’on pèche ? 434

Article 10 — Le péché est-il aggravé par la haute situation du pécheur ? 434

QUESTION 74 — LE SIÈGE DU PÉCHÉ_ 434

Article 1 — La volonté peut-elle être le siège du péché ? 434

Article 2 — La volonté seule est-elle le siège du péché ? 435

Article 3 — La sensualité peut-elle être le siège du péché ? 435

Article 4 — La sensualité peut-elle être le siège du péché mortel ? 435

Article 5 — La raison peut-elle être le siège du péché ? 435

Article 6 — Est-ce dans la raison inférieure que réside la délectation prolongée ou non ? 436

Article 7 — Est-ce dans la raison supérieure que réside le consentement à l’acte ? 436

Article 8 — La raison inférieure peut-elle être le siège du péché mortel ? 436

Article 9 — La raison supérieure peut-elle être le siège du péché véniel ? 437

Article 10 — Peut-il y avoir péché véniel dans la raison supérieure, quand il s’agit de son acte (objet) propre ? 437

QUESTION 75 — LES CAUSES DU PÉCHÉ CONSIDÉRÉES EN GÉNÉRAL 438

Article 1 — Le péché a-t-il une cause ? 438

Article 2 — Le péché a-t-il une cause intérieure ? 438

Article 3 — Le péché a-t-il une cause extérieure ? 438

Article 4 — Le péché est-il cause de péché ? 439

QUESTION 76 — LE PÉCHÉ D’IGNORANCE_ 439

Article 1 — L’ignorance est-elle cause de péché ? 439

Article 2 — L’ignorance est-elle un péché ? 439

Article 3 — L’ignorance excuse-t-elle complètement du péché ? 440

Article 4 — L’ignorance diminue-t-elle le péché ? 440

QUESTION 77 — LE PÉCHÉ DE PASSION_ 441

Article 1 — La passion de l’appétit sensible peut-elle mouvoir ou incliner la volonté ? 441

Article 2 — La passion peut-elle dominer la raison contre le savoir de celle-ci ? 441

Article 3 — Le péché qui vient de la passion est-il un péché de faiblesse ? 442

Article 4 — Cette passion qu’est l’amour de soi est-elle cause de tous les péchés ? 442

Article 5 — Les trois causes énoncées par S. Jean — “ Convoitise des yeux, convoitise de la chair, orgueil de la vie. ”  442

Article 6 — La passion qui est cause du péché, le diminue-t-elle ? 443

Article 7 — La passion excuse-t-elle entièrement ? 443

Article 8 — Le péché de passion peut-il être mortel ? 443

QUESTION 78 — LE PÉCHÉ DE MALICE_ 443

Article 1 — Peut-on pécher par malice volontaire, autrement dit par calcul ? 443

Article 2 — Celui qui pèche par habitus pèche-t-il par malice volontaire ? 444

Article 3 — Celui qui pèche par malice volontaire pèche-t-il par habitus ? 444

Article 4 — Celui qui pèche par malice volontaire pèche-t-il plus gravement que par passion ? 445

QUESTION 79 — LA CAUSE DU PÉCHÉ DU CÔTÉ DE DIEU_ 445

Article 1 — Dieu est-il cause du péché ? 445

Article 2 — L’acte du péché vient-il de Dieu ? 445

Article 3 — Dieu est-il cause de l’aveuglement et de l’endurcissement de certains ? 446

Article 4 — L’aveuglement et l’endurcissement sont-ils ordonnés au salut des pécheurs ? 446

QUESTION 80 — LA CAUSE DU PÉCHÉ DU COTÉ DU DIABLE_ 446

Article 1 — Le diable est-il directement cause du péché ? 446

Article 2 — Le diable induit-il à pécher par suggestion intérieure ? 447

Article 3 — Le diable peut-il mettre dans la nécessité de pécher ? 447

Article 4 — Tous les péchés proviennent-ils de la suggestion du diable ? 447

QUESTION 81 — LA TRANSMISSION DU PÉCHÉ ORIGINEL 448

Article 1 — Le premier péché de l’homme se transmet-il à la postérité par voie d’origine ? 448

Article 2 — Tous les autres péchés du premier père, ou même d’autres ancêtres, se transmettent-ils à la postérité par voie d’origine ? 448

Article 3 — Le péché originel est-il transmis à tous ceux qui descendent charnellement d’Adam ? 449

Article 4 — Le péché originel serait-il transmis à ceux qui seraient miraculeusement formés d’une partie du corps humain ?  449

Article 5 — Si la femme avait péché, mais non pas l’homme, y aurait-il transmission du péché originel ? 449

QUESTION 82 — LE PÉCHÉ ORIGINEL — SON ESSENCE_ 449

Article 1 — Le péché originel est-il un habitus ? 449

Article 2 — N’y a-t-il en chaque homme qu’un seul péché originel ? 450

Article 3 — Le péché originel est-il la convoitise ? 450

Article 4 — Le péché originel existe-t-il également chez tous ? 450

QUESTION 83 — LE PÉCHÉ ORIGINEL — SON SIÈGE EN NOUS_ 451

Article 1 — Le sujet du péché originel est-il d’abord la chair, ou bien l’âme ? 451

Article 2 — Le péché originel est-il dans l’essence de l’âme avant d’être dans ses puissances ? 451

Article 3 — Le péché originel a-t-il pour siège la volonté avant les autres puissances ? 452

Article 4 — Quelques-unes de ces puissances - la puissance génératrice, l’appétit concupiscible et le sens du toucher - sont-elles spécialement infectées ? 452

QUESTION 84 — LES PÉCHÉS CAPITAUX_ 452

Article 1 — La cupidité est-elle la racine de tous les péchés ? 452

Article 2 — L’orgueil est-il le commencement de tout péché ? 453

Article 3 — En dehors de l’orgueil et de l’avarice, y a-t-il d’autres péchés spéciaux qui doivent être appelés vices capitaux ?  453

Article 4 — Combien y a-t-il de péchés capitaux, et quels sont-ils ? 453

QUESTION 85 — LA CORRUPTION DU BIEN DE LA NATURE_ 454

Article 1 — Le bien de la nature est-il diminué par le péché ? 454

Article 2 — Le bien de la nature peut-il être totalement supprimé par le péché ? 454

Article 3 — Les quatre blessures qui, selon Bède, ont frappé la nature humaine à cause du péché_ 455

Article 4 — La privation de mesure, de beauté et d’ordre est-elle l’effet du péché ? 455

Article 5 — La mort et les autres défauts corporels sont-ils des effets du péché ? 455

Article 6 — Ces défauts sont-ils de quelque manière naturels à l’homme ? 456

QUESTION 86 — LA TACHE DU PÉCHÉ_ 456

Article 1 — La tache de l’âme est-elle un effet du péché ? 456

Article 2 — Cette tache demeure-t-elle dans l’âme après l’acte du péché ? 456

QUESTION 87 — LA DETTE DE PEINE, EN ELLE-MÊME_ 457

Article 1 — La dette de peine est-elle un effet du péché ? 457

Article 2 — Un péché peut-il être la peine d’un autre ? 457

Article 3 — Y a-t-il un péché qui rende passible d’une peine éternelle ? 457

Article 4 — Y a-t-il un péché qui rende passible d’une peine infinie en grandeur ? 458

Article 5 — Tout péché rend-il passible d’une peine éternelle et infinie ? 458

Article 6 — La dette de peine peut-elle demeurer après le péché ? 458

Article 7 — Toute peine est-elle infligée pour un péché ? 459

Article 8 — Quelqu’un peut-il être tenu à une peine pour le péché d’autrui ? 459

QUESTION 88 — LE PÉCHÉ VÉNIEL COMPARÉ AU PÉCHÉ MORTEL 459

Article 1 — Convient-il d’opposer péché véniel à péché mortel ? 460

Article 2 — Le péché mortel et le péché véniel se distinguent-ils par le genre ? 460

Article 3 — Le péché véniel est-il une disposition au péché mortel ? 460

Article 4 — Le péché véniel peut-il devenir mortel ? 461

Article 5 — Une circonstance aggravante peut-elle faire d’un péché véniel un péché mortel ? 461

Article 6 — Le péché mortel peut-il devenir véniel ? 461

QUESTION 89 — LE PÉCHÉ VÉNIEL EN LUI-MÊME_ 462

Article 1 — Le péché véniel produit-il une tache dans l’âme ? 462

Article 2 — La caractéristique du péché véniel figurée par “ le bois, le foin et la paille ” (1 Co 3, 12) 462

Article 3 — Dans l’état d’innocence, l’homme aurait-il pu pécher véniellement ? 463

Article 4 — L’ange, bon ou mauvais, peut-il pécher véniellement ? 463

Article 5 — Les premiers mouvements des infidèles sont-ils des péchés véniels ? 463

Article 6 — Le péché véniel peut-il cœxister avec le péché originel seul ? 464

QUESTION 90 — L’ESSENCE DE LA LOI 464

Article 1 — La loi est-elle œuvre de raison ? 464

Article 2 — La fin de la loi 464

Article 3 — La cause de la loi 465

Article 4 — La promulgation de la loi 465

QUESTION 91 — LES DIVERSES ESPÈCES DE LOIS_ 465

Article 1 — Existe-t-il une loi éternelle ? 465

Article 2 — Existe-t-il une loi naturelle ? 465

Article 3 — Existe-t-il une loi humaine ? 466

Article 4 — Existe-t-il une loi divine ? 466

Article 5 — Existe-t-il une seule loi divine ou davantage ? 467

Article 6 — Existe-t-il une loi du péché ? 467

QUESTION 92 — LES EFFETS DE LA LOI 467

Article 1 — La loi a-t-elle pour effet de rendre les hommes bons ? 467

Article 2 — Les effets de la loi sont-ils de “ commander, interdire, permettre et punir ”, comme dit Justinien ? 468

QUESTION 93 — LA LOI ÉTERNELLE_ 468

Article 1 — Qu’est-ce que la loi éternelle ? 468

Article 2 — La loi éternelle est-elle connue de tous ? 469

Article 3 — Toute loi découle-t-elle de la loi éternelle ? 469

Article 4 — Les êtres nécessaires sont-ils soumis à la loi éternelle ? 469

Article 5 — Les êtres naturels et contingents sont-ils soumis à la loi éternelle ? 469

Article 6 — Toutes les choses humaines sont-elles soumises à la loi éternelle ? 470

QUESTION 94 — LA LOI NATURELLE_ 470

Article 1 — Qu’est-ce que la loi naturelle ? 470

Article 2 — Quels sont les préceptes de la loi naturelle ? 471

Article 3 — Tous les actes des vertus relèvent-ils de la loi naturelle ? 471

Article 4 — La loi naturelle est-elle unique chez tous ? 471

Article 5 — La loi de nature est-elle sujette au changement ? 472

Article 6 — La loi de nature peut-elle être effacée de l’âme humaine ? 472

QUESTION 95 — LA LOI HUMAINE_ 472

Article 1 — L’utilité de la loi humaine_ 473

Article 2 — L’origine de la loi humaine_ 473

Article 3 — La qualité de la loi humaine_ 473

Article 4 — Les divisions de la loi humaine_ 474

QUESTION 96 — LE POUVOIR DE LA LOI HUMAINE_ 474

Article 1 — La loi humaine doit-elle être portée en termes généraux ? 474

Article 2 — La loi humaine doit-elle réprimer tous les vices ? 474

Article 3 — La loi humaine doit-elle ordonner les actes de toutes les vertus ? 475

Article 4 — La loi humaine s’impose-t-elle à l’homme de façon nécessaire dans le for de sa conscience ? 475

Article 5 — Tous les hommes sont-ils soumis à la loi humaine ? 475

Article 6 — Chez ceux qui sont soumis à la loi, est-il permis d’agir en dehors des termes de la loi ? 476

QUESTION 97 — LE CHANGEMENT DES LOIS HUMAINES_ 476

Article 1 — La loi humaine est-elle sujette au changement ? 476

Article 2 — La loi humaine doit-elle toujours être changée quand il se présente quelque chose de meilleur ? 477

Article 3 — La loi humaine est-elle abolie par la coutume, et celle-ci acquiert-elle force de loi ? 477

Article 4 — L’application de la loi doit-elle être modifiée par la dispense des gouvernants ? 477

QUESTION 98 — LA LOI ANCIENNE EN ELLE-MÊME_ 478

Article 1 — La loi ancienne était-elle bonne ? 478

Article 2 — La loi ancienne venait-elle de Dieu ? 478

Article 3 — La loi ancienne fut-elle donnée par l’intermédiaire des anges ? 478

Article 4 — La loi ancienne a-t-elle été donnée à tous ? 479

Article 5 — Tous les hommes étaient-ils obligés d’observer la loi ancienne ? 479

Article 6 — L’époque de Moïse convenait-elle à l’établissement de la loi ? 479

QUESTION 99 — LE CLASSEMENT DES PRÉCEPTES DE LA LOI ANCIENNE_ 480

Article 1 — Y a-t-il dans la loi ancienne plusieurs préceptes ou un seul ? 480

Article 2 — La loi ancienne contient-elle des préceptes moraux ? 480

Article 3 — La loi ancienne contient-elle des préceptes cérémoniels ? 480

Article 4 — La loi ancienne contient-elle, en outre, des préceptes judiciaires ? 481

Article 5 — Outre ces trois catégories, la loi ancienne contient-elle encore d’autres préceptes ? 481

Article 6 — Comment la loi ancienne invitait-elle à observer ces préceptes ? 482

QUESTION 100 — LES PRÉCEPTES MORAUX DE LA LOI ANCIENNE_ 482

Article 1 — Tous les préceptes moraux de la loi ancienne appartiennent-ils à la loi naturelle ? 482

Article 2 — Les préceptes moraux de la loi ancienne portent-ils sur les actes de toutes les vertus ? 482

Article 3 — Tous les préceptes moraux de la loi ancienne se ramènent-ils aux dix préceptes du décalogue ? 483

Article 4 — La division des préceptes du décalogue ? 483

Article 5 — Le dénombrement des préceptes du décalogue est-il satisfaisant ? 483

Article 6 — L’ordre des dix préceptes dans le décalogue est-il satisfaisant ? 484

Article 7 — La présentation des préceptes du décalogue ? 485

Article 8 — Les préceptes du décalogue souffrent-ils dispense ? 485

Article 9 — La modalité vertueuse de l’acte tombe-t-elle sous le précepte ? 485

Article 10 — La modalité que donne la charité tombe-t-elle sous le précepte de la loi divine ? 486

Article 11 — Peut-on distinguer dans la loi, d’autres préceptes moraux ? 486

Article 12 — Les préceptes moraux de la loi ancienne justifiaient-ils ? 487

QUESTION 101 — LEUR NATURE_ 487

Article 1 — Que faut-il entendre par préceptes cérémoniels ? 487

Article 2 — Les préceptes cérémoniels sont-ils figuratifs ? 487

Article 3 — Les préceptes cérémoniels devaient-ils être nombreux ? 488

Article 4 — La classification des préceptes cérémoniels 488

QUESTION 102 — LES RAISONS D’ÊTRE DES PRÉCEPTES CÉRÉMONIELS_ 489

Article 1 — Les préceptes cérémoniels ont-ils une raison d’être ? 489

Article 2 — La raison d’être des préceptes cérémoniels est-elle littérale ou uniquement figurative ? 489

Article 3 — Quelle est la raison d’être des sacrifices ? 489

Article 4 — Peut-on assigner une raison d’être certaine à ce qui relève des réalités sacrées ? 491

Article 5 — Quelle est la raison d’être des sacrements de la loi ancienne ? 493

Article 6 — Les observances rituelles avaient-elles quelque motif raisonnable ? 496

QUESTION 103 — LA DURÉE DES PRÉCEPTES CÉRÉMONIELS_ 498

Article 1 — Y eut-il des préceptes cérémoniels avant la loi ? 498

Article 2 — Sous la loi, les préceptes cérémoniels avaient-ils la vertu de justifier ? 498

Article 3 — Les préceptes cérémonials ont-ils cessé à l’avènement du Christ ? 498

Article 4 — Est-ce péché mortel d’observer les préceptes cérémoniels après le Christ ? 499

QUESTION 104 — LEUR NATURE GÉNÉRALE_ 500

Article 1 — Que sont les préceptes judiciaires ? 500

Article 2 — Les préceptes judiciaires sont-ils figuratifs ? 500

Article 3 — La durée des préceptes judiciaires 500

Article 4 — Les catégories des préceptes judiciaires 501

QUESTION 105 — LE SENS DES PRÉCEPTES JUDICIAIRES_ 501

Article 1 — Les préceptes judiciaires qui concernent les gouvernants 501

Article 2 — Les préceptes judiciaires qui concernent les rapports entre citoyens 502

Article 3 — Les préceptes judiciaires qui concernent les étrangers 504

Article 4 — Les préceptes judiciaires qui concernent la vie domestique_ 504

QUESTION 106 — LA LOI NOUVELLE EN ELLE-MÊME_ 505

Article 1 — La loi nouvelle est-elle une loi écrite, ou une loi intérieure ? 505

Article 2 — La loi nouvelle justifie-t-elle ? 506

Article 3 — La loi nouvelle devait-elle être donnée au commencement du monde ? 506

Article 4 — La loi nouvelle doit-elle durer jusqu’à la fin du monde ? 506

QUESTION 107 — LES RAPPORTS DE LA LOI NOUVELLE AVEC LA LOI ANCIENNE_ 507

Article 1 — La loi nouvelle diffère-t-elle de la loi ancienne ? 507

Article 2 — La loi nouvelle réalise-t-elle l’accomplissement de l’ancienne loi ? 507

Article 3 — La loi nouvelle est-elle contenue dans l’ancienne ? 508

Article 4 — Laquelle est la plus pesante — la loi nouvelle ou la loi ancienne ? 508

QUESTION 108 — LE CONTENU DE LA LOI NOUVELLE_ 509

Article 1 — La loi nouvelle doit-elle commander ou prohiber certains actes extérieurs ? 509

Article 2 — La loi nouvelle règle-t-elle suffisamment les actes extérieurs ? 509

Article 3 — La loi nouvelle éduque-t-elle bien les hommes pour leurs actes intérieurs ? 510

Article 4 — La loi nouvelle a-t-elle raison d’ajouter des conseils à ses préceptes ? 511

QUESTION 109 — LA NÉCESSITÉ DE LA GRÂCE_ 511

Article 1 — L’homme peut-il sans la grâce, connaître quelque chose de vrai ? 511

Article 2 — L’homme peut-il sans la grâce de Dieu, vouloir et faire quelque chose de bien ? 512

Article 3 — L’homme peut-il sans la grâce, aimer Dieu par-dessus toutes choses ? 512

Article 4 — L’homme peut-il sans la grâce, observer les préceptes de la loi ? 512

Article 5 — Sans la grâce, l’homme peut-il mériter la vie éternelle ? 513

Article 6 — L’homme peut-il sans la grâce, se préparer à la grâce ? 513

Article 7 — L’homme peut-il sans la grâce, se relever du péché ? 513

Article 8 — L’homme peut-il sans la grâce, éviter le péché ? 514

Article 9 — Une fois qu’il a obtenu la grâce l’homme peut-il par lui-même faire le bien et éviter le péché sans le secours d’une autre grâce ? 514

Article 10 — L’homme en état de grâce peut-il par lui-même persévérer dans le bien ? 515

QUESTION 110 — LA GRÂCE DE DIEU CONSIDÉRÉE DANS SON ESSENCE_ 515

Article 1 — La grâce est-elle une réalité dans l’âme ? 515

Article 2 — La grâce est-elle une qualité de l’âme ? 515

Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ? 516

Article 4 — Quel est le siège de la grâce ? 516

QUESTION 111 — LES DIVERSES ESPECES DE GRÂCE_ 517

Article 1 — Convient-il de diviser la grâce en grâce qui rend agréable à Dieu et grâce gratuitement donnée ? 517

Article 2 — La division de la grâce qui rend agréable à Dieu en grâce opérante et grâce coopérante_ 517

Article 3 — Division de cette grâce en prévenante et subséquente_ 517

Article 4 — La division de la grâce gratuitement donnée_ 518

Article 5 — Comparaison entre la grâce qui rend agréable à Dieu et la grâce gratuitement donnée_ 518

QUESTION 112 — LA CAUSE DE LA GRÂCE_ 519

Article 1 — Dieu seul est-il cause efficiente de la grâce ? 519

Article 2 — Une certaine disposition, par un acte du libre arbitre, est-elle requise chez celui qui reçoit la grâce ? 519

Article 3 — Une telle disposition peut-elle nécessiter la grâce ? 519

Article 4 — La grâce est-elle égale en tous ? 519

Article 5 — Peut-on savoir que l’on a la grâce ? 520

QUESTION 113 — LA JUSTIFICATION DE L’IMPIE_ 520

Article 1 — Qu’est-ce que la justification de l’impie ? 520

Article 2 — L’infusion de la grâce est-elle requise pour la justification ? 521

Article 3 — Le mouvement du libre arbitre est-il requis pour la justification ? 521

Article 4 — Un mouvement de foi est-il requis pour la justification de l’impie ? 521

Article 5 — Un mouvement du libre arbitre contre le péché est-il requis pour la justification ? 522

Article 6 — Parmi les facteurs précédemment énumérés de la justification faut-il introduire la rémission des péchés ?  522

Article 7 — La justification de l’impie est-elle successive, ou instantanée ? 522

Article 8 — Quel est l’ordre naturel des éléments qui concourent à la justification ? 523

Article 9 — La justification de l’impie est-elle la plus grande œuvre de Dieu ? 523

Article 10 — La justification de l’impie est-elle miraculeuse ? 524

QUESTION 114 — LE MÉRITE_ 524

Article 1 — L’homme peut-il mériter de Dieu quelque chose ? 524

Article 2 — Peut-on, sans la grâce, mériter la vie éternelle_ 525

Article 3 — Peut-on, par la grâce, mériter de plein droit la vie éternelle ? 525

Article 4 — La grâce tient-elle principalement de la charité d’être le principe du mérite ? 525

Article 5 — Peut-on mériter pour soi-même la première grâce ? 526

Article 6 — Peut-on mériter pour autrui la première grâce ? 526

Article 7 — Peut-on mériter pour soi-même son relèvement après la chute ? 526

Article 8 — Peut-on mériter pour soi-même une augmentation de grâce ou de charité ? 527

Article 9 — Peut-on mériter pour soi-même la persévérance finale ? 527

Article 10 — Les biens temporels sont-ils objet de mérite ? 527

IIA IIAE — LA MORALE PRISE EN DÉTAIL 528

QUESTION 1 — L’OBJET DE LA FOI 528

Article 1 — L’objet de la foi est-il la vérité première ? 528

Article 2 — L’objet de la foi est-il quelque chose de complexe ou d’incomplexe, c’est-à-dire une réalité ou un énoncé ?  528

Article 3 — La foi peut-elle comporter une chose fausse ? 528

Article 4 — L’objet de la foi peut-il être une chose vue ? 529

Article 5 — L’objet de la foi peut-il être une chose sue ? 529

Article 6 — Les vérités à croire doivent-elles être distinguées en articles précis ? 529

Article 7 — La foi comporte-t-elle en tout temps les mêmes articles ? 530

Article 8 — Le nombre des articles de foi 530

Article 9 — La transmission des articles de foi par le symbole_ 531

Article 10 — A qui appartient-il d’établir le symbole de foi ? 531

QUESTION 2 — L’ACTE INTÉRIEUR DE FOI 532

Article 1 — Qu’est-ce que " croire ", qui est l’acte intérieur de foi ? 532

Article 2 — De combien de manières emploie-t-on le mot " croire " ? 532

Article 3 — Est-il nécessaire au salut de croire quelque chose qui dépasse la raison naturelle ? 533

Article 4 — Est-il nécessaire de croire ce que peut atteindre la raison naturelle ? 533

Article 5 — Est-il nécessaire au salut de croire explicitement certaines vérités ? 533

Article 6 — Tous sont-ils également tenus de croire explicitement ? 534

Article 7 — Est-il toujours nécessaire au salut de croire explicitement au Christ ? 534

Article 8 — Est-il nécessaire au salut de croire explicitement à la Trinité ? 534

Article 9 — L’acte de foi est-il méritoire ? 535

Article 10 — La raison humaine diminue-t-elle le mérite de la foi ? 535

QUESTION 3 — L’ACTE EXTÉRIEUR DE LA FOI 535

Article 1 — Confesser est-il un acte de la foi ? 536

Article 2 — La confession de la foi est-elle nécessaire au salut ? 536

QUESTION 4 — LA VERTU DE FOI 536

Article 1 — Qu’est-ce que la foi ? 536

Article 2 — Dans quelle puissance de l’âme la foi a-t-elle son siège ? 537

Article 3 — La forme de la foi est-elle la charité ? 537

Article 4 — La foi formée et la foi informe sont-elles numériquement identiques ? 537

Article 5 — La foi est-elle une vertu ? 538

Article 6 — La foi est-elle une seule vertu ? 538

Article 7 — Rapport de la foi aux autres vertus 538

Article 8 — Comparaison entre la certitude de la foi et celle des autres vertus intellectuelles ? 539

QUESTION 5 — CEUX QUI ONT LA FOI 539

Article 1 — Est-ce que, dans sa condition première, l’ange ou l’homme a eu la foi ? 539

Article 2 — Les démons ont-ils la foi ? 540

Article 3 — Des hérétiques dans l’erreur sur un seul article de foi ont-ils la foi sur les autres articles ? 540

Article 4 — Parmi ceux qui ont la foi, l’un peut-il l’avoir plus grande qu’un autre ? 540

QUESTION 6 — LA CAUSE DE LA FOI 541

Article 1 — La foi est-elle infusée à l’homme par Dieu ? 541

Article 2 — La foi informe est-elle un don de Dieu ? 541

QUESTION 7 — LES EFFETS DE LA FOI 541

Article 1 — La crainte est-elle un effet de la foi ? 541

Article 2 — La purification du cœur est-elle un effet de la foi ? 542

QUESTION 8 — LE DON D’INTELLIGENCE_ 542

Article 1 — L’intelligence est-elle un don de l’Esprit Saint ? 542

Article 2 — Le don d’intelligence peut-il exister en même temps que la foi ? 542

Article 3 — Cette intelligence, qui. est un don du Saint-Esprit, est-elle seulement spéculative, ou aussi pratique ? 543

Article 4 — Tous ceux qui sont en état de grâce ont-ils le don d’intelligence ? 543

Article 5 — Le don d’intelligence se trouve-t-il chez quelques-uns en dehors de la grâce ? 543

Article 6 — Quel rapport y a-t-il entre le don d’intelligence et les autres dons ? 544

Article 7 — Ce qui correspond au don d’intelligence dans les béatitudes 544

Article 8 — Ce qui correspond au don d’intelligence dans les fruits du Saint-Esprit 544

QUESTION 9 — LE DON DE SCIENCE_ 545

Article 1 — La science est-elle un don ? 545

Article 2 — Le don de science concerne-t-il les réalités divines ? 545

Article 3 — Le don de science est-il spéculatif ou pratique ? 545

Article 4 — Quelle béatitude correspond au don de science ? 546

QUESTION 10 — L’INFIDÉLITÉ EN GÉNÉRAL 546

Article 1 — L’infidélité est-elle un péché ? 546

Article 2 — Quel est le siège de l’infidélité ? 546

Article 3 — L’infidélité est-elle le plus grand des péchés ? 547

Article 4 — Toute action des infidèles est-elle un péché ? 547

Article 5 — Les espèces d’infidélité_ 547

Article 6 — Comparaison entre les espèces d’infidélités 548

Article 7 — Faut-il disputer de la foi avec les infidèles ? 548

Article 8 — Faut-il contraindre les infidèles à la foi ? 548

Article 9 — Peut-on communiquer avec les infidèles ? 549

Article 10 — Les infidèles peuvent-ils avoir autorité sur les fidèles chrétiens ? 549

Article 11 — Doit-on tolérer les rites des infidèles ? 549

Article 12 — Doit-on baptiser les enfants des infidèles malgré leurs parents ? 550

QUESTION 11 — L’HÉRÉSIE_ 550

Article 1 — L’hérésie est-elle une espèce de l’infidélité ? 550

Article 2 — Quelle est la matière de l’hérésie ? 551

Article 3 — Doit-on tolérer les hérétiques ? 551

Article 4 — Doit-on recevoir les hérétiques qui reviennent ? 551

QUESTION 12 — L’APOSTASIE_ 552

Article 1 — L’apostasie se rattache-t-elle à l’infidélité ? 552

Article 2 — Les sujets sont-ils déliés de leur obéissance envers des gouvernants apostats ? 552

QUESTION 13 — LE PÉCHÉ DE BLASPHÈME EN GÉNÉRAL 553

Article 1 — Le blasphème s’oppose-t-il à la confession de la foi ? 553

Article 2 — Le blasphème est-il toujours un péché mortel ? 553

Article 3 — Le blasphème est-il le plus grand des péchés ? 553

Article 4 — Le blasphème existe-t-il chez les damnés ? 553

QUESTION 14 — LE BLASPHÈME CONTRE L’ESPRIT-SAINT_ 554

Article 1 — Le péché contre le Saint-Esprit est-il identique au péché de malice caractérisée ? 554

Article 2 — Quelles sont les espèces du péché contre l’Esprit Saint ? 554

Article 3 — Le péché contre l’Esprit Saint est-il irrémissible ? 555

Article 4 — Peut-on pécher contre l’Esprit Saint dès le commencement avant de commettre d’autres péchés ? 555

QUESTION 15 — L’AVEUGLEMENT DE L’ESPRIT ET L’HÉBÉTUDE DU SENS_ 556

Article 1 — L’aveuglement de l’esprit est-il un péché ? 556

Article 2 — L’hébétude du sens est-elle un autre péché que l’aveuglement de l’esprit ? 556

Article 3 — Ces vices viennent-ils des péchés de la chair ? 556

QUESTION 16 — LES PRÉCEPTES RELATIFS À LA FOI, À LA SCIENCE ET À L’INTELLIGENCE_ 557

Article 1 — Les préceptes relatifs à la foi 557

Article 2 — Les préceptes relatifs aux dons de science et d’intelligence_ 557

QUESTION 17 — LA NATURE DE L’ESPÉRANCE_ 558

Article 1 — L’espérance est-elle une vertu ? 558

Article 2 — L’objet de l’espérance est-il la béatitude éternelle ? 558

Article 3 — Peut-on espérer la béatitude d’un autre par la vertu d’espérance ? 558

Article 4 — Est-il permis de mettre son espérance dans l’homme ? 558

Article 5 — L’espérance est-elle une vertu théologale ? 559

Article 6 — Distinction entre l’espérance et les autres vertus théologales 559

Article 7 — Le rapport de l’espérance avec la foi 559

Article 8 — Le rapport de l’espérance avec la charité_ 559

QUESTION 18 — LE SIÈGE DE L’ESPÉRANCE_ 560

Article 1 — La vertu d’espérance siège-t-elle dans la volonté ? 560

Article 2 — L’espérance existe-t-elle chez les bienheureux ? 560

Article 3 — L’espérance existe-t-elle chez les damnés ? 560

Article 4 — L’espérance des hommes voyageurs est-elle certaine ? 561

QUESTION 19 — LE DON DE CRAINTE_ 561

Article 1 — Dieu doit-il être craint ? 561

Article 2 — La division de la crainte en crainte filiale, crainte initiale, crainte servile et crainte mondaine_ 561

Article 3 — La crainte mondaine est-elle toujours mauvaise ? 562

Article 4 — La crainte servile est-elle bonne ? 562

Article 5 — La crainte servile est-elle substantiellement identique à la crainte filiale ? 562

Article 6 — La venue de la charité exclut-elle la crainte servile ? 563

Article 7 — La crainte est-elle le commencement de la sagesse ? 563

Article 8 — La crainte initiale est-elle substantiellement identique à la crainte filiale ? 563

Article 9 — La crainte est-elle un don du Saint-Esprit ? 564

Article 10 — La crainte grandit-elle quand la charité grandit ? 564

Article 11 — La crainte demeure-t-elle dans la patrie ? 564

Article 12 — Parmi les béatitudes et les fruits, quels sont ceux qui correspondent au don de crainte ? 565

QUESTION 20 — LE DÉSESPOIR_ 565

Article 1 — Le désespoir est-il un péché ? 565

Article 2 — Le désespoir peut-il exister sans l’infidélité ? 565

Article 3 — Le désespoir est-il le plus grave des péchés 566

Article 4 — Le désespoir naît-il de l’acédie ? 566

QUESTION 21 — LA PRÉSOMPTION_ 566

Article 1 — Sur quel objet se fonde la présomption ? 566

Article 2 — La présomption est-elle un péché ? 567

Article 3 — A quoi la présomption s’oppose-t-elle ? 567

Article 4 — Quel vice donne naissance à la présomption ? 567

QUESTION 22 — LES PRÉCEPTES DE LA LOI RELATIFS À L’ESPÉRANCE, ET À LA CRAINTE_ 568

Article 1 — Les préceptes concernant l’espérance_ 568

Article 2 — Les préceptes concernant la crainte_ 568

QUESTION 23 — LA NATURE DE LA CHARITÉ_ 568

Article 1 — La charité est-elle une amitié ? 568

Article 2 — La charité est-elle quelque chose de créé dans l’âme ? 569

Article 3 — La charité est-elle une vertu ? 569

Article 4 — La charité est-elle une vertu spéciale ? 570

Article 5 — La charité est-elle une seule vertu ? 570

Article 6 — La charité est-elle la plus excellente des vertus ? 570

Article 7 — Sans la charité, peut-il y avoir quelque vertu véritable ? 570

Article 8 — La charité est-elle la forme des vertus ? 571

QUESTION 24 — LE SIÈGE DE LA CHARITÉ_ 571

Article 1 — La charité siège-t-elle dans la volonté ? 571

Article 2 — La charité est-elle causée dans l’homme par les actes qui la précèdent ou par infusion divine ? 571

Article 3 — La charité est-elle infusée en nous en proportion de nos capacités naturelles ? 572

Article 4 — La charité s’accroît-elle chez celui qui la possède ? 572

Article 5 — La charité s’accroît-elle par addition ? 572

Article 6 — La charité s’accroît-elle par chacun de ses actes ? 573

Article 7 — La charité s’accroît-elle à l’infini ? 573

Article 8 — La charité du voyage peut-elle être parfaite ? 573

Article 9 — Les différents degrés de la charité_ 574

Article 10 — La charité peut-elle diminuer ? 574

Article 11 — Peut-on perdre la charité une fois qu’on la possède ? 575

Article 12 — Peut-on perdre la charité par un seul acte de péché mortel ? 575

QUESTION 25 — CE QUE L’ON DOIT AIMER DE CHARITÉ_ 576

Article 1 — Dieu seul doit-il être aimé de charité, ou aussi le prochain ? 576

Article 2 — La charité doit-elle être aimée de charité ? 576

Article 3 — Les créatures sans raison doivent-elles être aimées de charité ? 576

Article 4 — Peut-on s’aimer soi-même de charité ? 577

Article 5 — Doit-on aimer de charité son propre corps ? 577

Article 6 — Les pécheurs doivent-ils être aimés de charité ? 577

Article 7 — Les pécheurs s’aiment-ils eux-mêmes ? 578

Article 8 — Doit-on aimer de charité ses ennemis ? 578

Article 9 — Faut-il donner à ses ennemis des marques d’amitié ? 578

Article 10 — Les anges doivent-ils être aimés de charité ? 578

Article 11 — Les démons doivent-ils être aimés de charité ? 579

Article 12 — Énumération de ce qu’il faut aimer de charité_ 579

QUESTION 26 — L’ORDRE DE LA CHARITÉ_ 579

Article 1 — Y a-t-il un ordre dans la charité ? 579

Article 2 — Doit-on aimer Dieu plus que le prochain ? 580

Article 3 — Doit-on aimer Dieu plus que soi-même ? 580

Article 4 — Doit-on s’aimer soi-même plus que le prochain ? 580

Article 5 — Doit-on aimer son prochain plus que son propre corps ? 581

Article 6 — Doit-on aimer tel prochain plus qu’un autre ? 581

Article 7 — Doit-on aimer davantage celui qui est le meilleur, ou celui qui nous est le plus uni ? 581

Article 8 — Doit-on aimer davantage celui qui nous est uni par le sang ? 582

Article 9 — Doit-on aimer de charité son fils plus que son père ? 582

Article 10 — Doit-on aimer sa mère plus que son père ? 582

Article 11 — L’homme doit-il aimer son épouse plus que son père et sa mère ? 583

Article 12 — Doit-on aimer son bienfaiteur plus que son obligé ? 583

Article 13 — L’ordre de la charité subsiste-t-il dans la patrie ? 583

QUESTION 27 — LA DILECTION_ 584

Article 1 — Le propre de la charité est-il plutôt d’être aimé, ou d’aimer ? 584

Article 2 — L’amour, en tant qu’il est un acte de la charité, est-il identique à la bienveillance ? 584

Article 3 — Dieu doit-il être aimé de dilection pour lui-même ? 584

Article 4 — Dieu peut-il être aimé en cette vie sans intermédiaire ? 585

Article 5 — Dieu peut-il être aimé totalement ? 585

Article 6 — Notre dilection de Dieu a-t-elle une mesure ? 585

Article 7 — Lequel vaut mieux — aimer son ami, ou son ennemi ? 586

Article 8 — Lequel vaut mieux — aimer Dieu, ou le prochain ? 586

QUESTION 28 — LA JOIE_ 586

Article 1 — La joie est-elle un effet de la charité ? 586

Article 2 — La joie spirituelle causée par la charité est-elle compatible avec la tristesse ? 587

Article 3 — Cette joie peut-elle être plénière ? 587

Article 4 — La joie est-elle une vertu ? 587

QUESTION 29 — LA PAIX_ 588

Article 1 — La paix est-elle identique à la concorde ? 588

Article 2 — Toutes choses désirent-elles la paix ? 588

Article 3 — La paix est-elle l’effet de la charité ? 588

Article 4 — La paix est-elle une vertu ? 588

QUESTION 30 — LA MISÉRICORDE_ 589

Article 1 — La miséricorde a-t-elle pour cause en nous le mal d’autrui ? 589

Article 2 — A qui convient-il d’exercer la miséricorde ? 589

Article 3 — La miséricorde est-elle une vertu ? 590

Article 4 — La miséricorde est-elle la plus grande des vertus ? 590

QUESTION 31 — LA BIENFAISANCE_ 590

Article 1 — La bienfaisance est-elle un acte de la charité ? 590

Article 2 — Doit-on pratiquer la bienfaisance envers tous ? 591

Article 3 — Faut-il pratiquer davantage la bienfaisance envers ceux qui nous sont le plus unis ? 591

Article 4 — La bienfaisance est-elle une vertu spéciale ? 591

QUESTION 32 — L’AUMÔNE_ 591

Article 1 — Faire l’aumône est-il un acte de la charité ? 592

Article 2 — Comment les aumônes se distinguent-elles ? 592

Article 3 — Quelles sont les aumônes les meilleures — les aumônes spirituelles, ou les aumônes corporelles ? 592

Article 4 — Les aumônes corporelles ont-elles un effet spirituel ? 593

Article 5 — Y a-t-il un précepte de faire l’aumône ? 593

Article 6 — Doit-on faire l’aumône en donnant de son nécessaire ? 593

Article 7 — Peut-on faire l’aumône avec un bien injustement acquis ? 594

Article 8 — Qui doit faire l’aumône ? 594

Article 9 — A qui faut-il faire l’aumône ? 595

Article 10 — De quelle manière faut-il faire l’aumône ? 595

QUESTION 33 — LA CORRECTION FRATERNELLE_ 595

Article 1 — La correction fraternelle est-elle un acte de la charité ? 595

Article 2 — La correction fraternelle est-elle de précepte ? 596

Article 3 — Ce précepte s’impose-t-il à tous, ou seulement aux supérieurs ? 596

Article 4 — Les inférieurs sont-ils tenus, en vertu de ce précepte, de corriger leurs supérieurs ? 596

Article 5 — Un pécheur peut-il corriger ? 597

Article 6 — Doit-on corriger celui qui en deviendra pire ? 597

Article 7 — Une correction secrète doit-elle précéder la dénonciation publique ? 597

Article 8 — L’appel à des témoins doit-il précéder la dénonciation publique ? 598

QUESTION 34 — LA HAINE_ 598

Article 1 — Est-il possible d’avoir de la haine contre Dieu ? 598

Article 2 — La haine de Dieu est-elle le plus grand des péchés ? 599

Article 3 — La haine du prochain est-elle toujours un péché ? 599

Article 4 — La haine du prochain est-elle le péché le plus grand parmi ceux qui se commettent contre lui ? 599

Article 5 — La haine est-elle un vice capital ? 600

Article 6 — De quel vice capital la haine tire-t-elle son origine ? 600

QUESTION 35 — L’ACÉDIE_ 600

Article 1 — L’acédie est-elle un péché ? 600

Article 2 — L’acédie est-elle un vice particulier ? 601

Article 3 — L’acédie est-elle un péché mortel ? 601

Article 4 — L’acédie est-elle un vice capital ? 601

QUESTION 36 — L’ENVIE_ 602

Article 1 — Qu’est-ce que l’envie ? 602

Article 2 — L’envie est-elle un péché ? 602

Article 3 — L’envie est-elle un péché mortel ? 602

Article 4 — L’envie est-elle un vice capital et quelles sont ses filles ? 603

QUESTION 37 — LA DISCORDE_ 603

Article 1 — La discorde est-elle un péché ? 603

Article 2 — La discorde est-elle fille de la vaine gloire ? 604

QUESTION 38 — LA DISPUTE_ 604

Article 1 — La dispute est-elle un péché mortel ? 604

Article 2 — La dispute est-elle fille de la vaine gloire ? 604

QUESTION 39 — LE SCHISME_ 605

Article 1 — Le schisme est-il un péché spécial ? 605

Article 2 — Le schisme est-il plus grave que l’infidélité ? 605

Article 3 — Le pouvoir des schismatiques 605

Article 4 — Le châtiment des schismatiques 606

QUESTION 40 — LA GUERRE_ 606

Article 1 — Y a-t-il une guerre qui soit licite ? 606

Article 2 — Est-il permis aux clercs de combattre ? 607

Article 3 — Est-il permis, à la guerre, d’employer la ruse ? 607

Article 4 — Est-il permis de guerroyer les jours de fêtes ? 607

QUESTION 41 — LA RIXE_ 608

Article 1 — La rixe est-elle un péché ? 608

Article 2 — La rixe est-elle fille de la colère ? 608

QUESTION 42 — LA SÉDITION_ 608

Article 1 — La sédition est-elle un péché spécial ? 608

Article 2 — La sédition est-elle un péché mortel ? 609

QUESTION 43 — LE SCANDALE_ 609

Article 1 — Qu’est-ce que le scandale ? 609

Article 2 — Le scandale est-il un péché ? 609

Article 3 — Le scandale est-il un péché spécial ? 610

Article 4 — Le scandale est-il un péché mortel ? 610

Article 5 — Le scandale passif peut-il atteindre les parfaits ? 610

Article 6 — Les hommes parfaits peuvent-ils causer du scandale ? 611

Article 7 — Doit-on renoncer aux biens spirituels pour éviter le scandale ? 611

Article 8 — Doit-on renoncer aux biens temporels pour éviter le scandale ? 611

QUESTION 44 — LES PRÉCEPTES DE LA CHARITÉ_ 612

Article 1 — Faut-il donner des préceptes au sujet de la charité ? 612

Article 2 — Y a-t-il un seul précepte ou bien deux ? 612

Article 3 — Deux préceptes suffisent-ils ? 613

Article 4 — Convient-il de prescrire que Dieu soit aimé de tout notre cœur ? 613

Article 5 — Convient-il d’ajouter de toute notre âme ? 613

Article 6 — Ce précepte peut-il être accompli en cette vie ? 613

Article 7 — Le commandement — " Tu aimeras ton prochain comme toi-même. " 614

Article 8 — L’ordre de la charité tombe-t-il sous le précepte ? 614

QUESTION 45 — LE DON DE SAGESSE_ 614

Article 1 — La sagesse doit-elle être comptée parmi les dons du Saint-Esprit ? 614

Article 2 — Quel est le siège de la sagesse ? 615

Article 3 — La sagesse est-elle seulement spéculative, ou bien est-elle aussi pratique ? 615

Article 4 — La sagesse, qui est un don, peut-elle cœxister avec le péché mortel ? 615

Article 5 — La sagesse existe-t-elle chez tous ceux qui ont la grâce sanctifiante ? 615

Article 6 — Quelle béatitude correspond au don de sagesse ? 616

QUESTION 46 — LA SOTTISE_ 616

Article 1 — La sottise s’oppose-t-elle à la sagesse ? 616

Article 2 — La sottise est-elle un péché ? 617

Article 3 — A quel vice capital la sottise se ramène-t-elle ? 617

QUESTION 47 — LA NATURE DE LA PRUDENCE_ 617

Article 1 — La prudence est-elle dans la volonté ou dans la raison ? 617

Article 2 — La prudence est-elle seulement dans la raison pratique, ou aussi dans la raison spéculative ? 617

Article 3 — La prudence a-t-elle connaissance des singuliers ? 618

Article 4 — La prudence est-elle une vertu ? 618

Article 5 — La prudence est-elle une vertu spéciale ? 618

Article 6 — La prudence fournit-elle leur fin aux vertus morales ? 619

Article 7 — La prudence établit-elle le milieu des vertus morales ? 619

Article 8 — Commander est-il l’acte principal de la prudence ? 619

Article 9 — La sollicitude ou vigilance se rapporte-t-elle à la prudence ? 619

Article 10 — La prudence s’étend-elle au gouvernement de la multitude ? 620

Article 11 — La prudence qui regarde le bien propre est-elle de même espèce que celle qui s’étend au bien commun ?  620

Article 12 — La prudence est-elle chez les sujets ou seulement chez les princes ? 620

Article 13 — La prudence se trouve-t-elle chez les pécheurs ? 620

Article 14 — La prudence se trouve-t-elle chez tous les bons ? 621

Article 15 — La prudence est-elle en nous par nature ? 621

Article 16 — Perd-on la prudence par l’oubli ? 621

QUESTION 48 — QUELLES-SONT LES PARTIES DE LA PRUDENCE ?_ 622

QUESTION 49 — LES PARTIES DE LA PRUDENCE QU’ON PEUT APPELER INTÉGRANTES_ 622

Article 1 — La mémoire_ 622

Article 2 — L’intellect ou intelligence_ 623

Article 3 — La docilité_ 623

Article 4 — La sagacité_ 623

Article 5 — La raison_ 623

Article 6 — La prévoyance_ 624

Article 7 — La circonspection_ 624

Article 8 — L’attention précautionneuse_ 624

QUESTION 50 — LES PARTIES SUBJECTIVES DE LA PRUDENCE_ 624

Article 1 — L’institution des lois doit-elle être comptée comme une espèce de la prudence ? 625

Article 2 — La politique est-elle une partie de la prudence ? 625

Article 3 — Le gouvernement domestique est-il une partie de la prudence ? 625

Article 4 — L’art militaire est-il une espèce de la prudence ? 625

QUESTION 51 — LES VERTUS ANNEXES OU PARTIES POTENTIELLES DE LA PRUDENCE_ 626

Article 1 — L’eubulia est-elle une vertu ? 626

Article 2 — L’eubulia est-elle une vertu spéciale distincte de la prudence ? 626

Article 3 — La synésis est-elle une vertu ? 626

Article 4 — La gnômè est-elle une vertu spéciale ? 627

QUESTION 52 — LE DON DE CONSEIL 627

Article 1 — Faut-il placer le conseil parmi les sept dons du Saint-Esprit ? 627

Article 2 — Le don de conseil correspond-il à la vertu de prudence ? 627

Article 3 — Le don de conseil subsistent dans la patrie ? 627

Article 4 — La cinquième béatitude " Bienheureux les miséricordieux " correspond-elle au don de conseil ? 628

QUESTION 53 — L’IMPRUDENCE_ 628

Article 1 — L’imprudence est-elle un péché ? 628

Article 2 — L’imprudence est-elle un péché spécial ? 628

Article 3 — La précipitation ou témérité_ 629

Article 4 — L’inapplication_ 629

Article 5 — L’inconstance_ 629

Article 6 — L’origine de ces vices 630

QUESTION 54 — LA NÉGLIGENCE_ 630

Article 1 — La négligence est-elle un péché spécial ? 630

Article 2 — A quelle vertu la négligence s’oppose-t-elle ? 630

Article 3 — La négligence est-elle péché mortel ? 631

QUESTION 55 — LES VICES OPPOSÉS À LA PRUDENCE PAR FAUSSE RESSEMBLANCE_ 631

Article 1 — La prudence de la chair est-elle un péché ? 631

Article 2 — La prudence de la chair est-elle péché mortel ? 631

Article 3 — La ruse est-elle un péché spécial ? 632

Article 4 — La tromperie_ 632

Article 5 — La fraude_ 632

Article 6 — Le souci pour les affaires temporelles 632

Article 7 — Le souci de l’avenir 633

Article 8 — L’origine de ces vices 633

QUESTION 56 — LES PRÉCEPTES RELATIFS À LA PRUDENCE_ 633

Article 1 — Les préceptes relatifs à la prudence_ 633

Article 2 — Les préceptes concernant les vices opposés à la prudence_ 634

QUESTION 57 — LE DROIT_ 634

Article 1 — Le droit est-il l’objet de la justice ? 634

Article 2 — Convient-il de diviser le droit en droit naturel et en droit positif ? 634

Article 3 — Le droit des gens est-il identique au droit naturel ? 635

Article 4 — Y a-t-il lieu de distinguer spécialement le droit du maître et celui du père ? 635

QUESTION 58 — LA JUSTICE_ 635

Article 1 — Qu’est-ce que la justice ? 635

Article 2 — La justice s’exerce-t-elle toujours envers autrui ? 636

Article 3 — La justice est-elle une vertu ? 636

Article 4 — La justice a-t-elle son siège dans la volonté ? 636

Article 5 — La justice est-elle une vertu générale ? 637

Article 6 — Comme vertu générale, la justice se confond-elle avec les autres vertus ? 637

Article 7 — Y a-t-il une justice particulière ? 637

Article 8 — La justice particulière a-t-elle une matière propre ? 638

Article 9 — La justice concerne-t-elle les passions, ou seulement les activités ? 638

Article 10 — Le “ milieu ” de la justice est-il un caractère objectif ? 638

Article 11 — L’acte de la justice consiste-t-il à rendre à chacun son dû ? 639

Article 12 — La justice est-elle la plus grande des vertus morales ? 639

QUESTION 59 — L’INJUSTICE_ 639

Article 1 — L’injustice est-elle un vice spécial ? 639

Article 2 — Agir injustement est-il propre à l’homme injuste ? 639

Article 3 — Peut-on subir une injustice volontairement ? 640

Article 4 — L’injustice est-elle, par son genre, péché mortel ? 640

QUESTION 60 — LE JUGEMENT_ 640

Article 1 — Le jugement est-il un acte de justice ? 640

Article 2 — Est-il licite de juger ? 641

Article 3 — Faut-il juger sur des soupçons ? 641

Article 4 — Le doute doit-il être interprété favorablement ? 641

Article 5 — Le jugement doit-il toujours être porté conformément aux lois écrites ? 642

Article 6 — Le jugement est-il vicié par l’usurpation ? 642

QUESTION 61 — LA DISTINCTION ENTRE JUSTICE COMMUTATIVE ET JUSTICE DISTRIBUTIVE_ 643

Article 1 — Y a-t-il deux espèces de justice —distributive et commutative ? 643

Article 2 — Le juste milieu se détermine-t-il de la même façon dans la justice commutative dans la justice distributive ?  643

Article 3 — La justice distributive et la justice commutative ont-elles la même matière, ou une matière multiple ? 643

Article 4 — Dans quelques-unes de ses espèces, la justice s’identifie-t-elle à la réciprocité ? 644

QUESTION 62 — LA RESTITUTION_ 644

Article 1 — De quelle vertu la restitution est-elle l’acte ? 644

Article 2 — Est-il nécessaire au salut de restituer tout ce que l’on a dérobé ? 645

Article 3 — Faut-il restituer plus que ce que l’on a pris ? 645

Article 4 — Faut-il restituer ce que l’on n’a pas dérobé ? 645

Article 5 — Faut-il restituer à celui de qui l’on a reçu ? 646

Article 6 — Est-ce celui qui a pris qui doit restituer ? 646

Article 7 — Est-ce quelqu’un d’autre qui doit restituer ? 646

Article 8 — Faut-il restituer sans délai ? 647

QUESTION 63 — L’ACCEPTION DES PERSONNES_ 647

Article 1 — L’acception des personnes est-elle un péché ? 647

Article 2 — Peut-il y avoir acception des personnes dans la dispensation des biens spirituels ? 647

Article 3 — Peut-il y avoir acception des personnes dans les honneurs que l’on rend ? 648

Article 4 — Peut-il y avoir acception des personnes dans les jugements ? 648

QUESTION 64 — L’HOMICIDE_ 649

Article 1 — Est-ce un péché de mettre à mort les animaux et même les plantes ? 649

Article 2 — Est-il permis de tuer le pécheur ? 649

Article 3 — Est-il permis à un particulier, ou seulement à l’autorité publique, de tuer le pécheur ? 649

Article 4 — Est-il permis à un clerc de mettre à mort un pécheur ? 649

Article 5 — Est-il permis de se tuer ? 650

Article 6 — Est-il permis de tuer un homme juste ? 650

Article 7 — Est-il permis de tuer un homme pour se défendre ? 651

Article 8 — L’homicide accidentel est-il péché mortel ? 651

QUESTION 65 — LES AUTRES PÉCHÉS D’INJUSTICE PAR VIOLENCE CONTRE LES PERSONNES_ 651

Article 1 — La mutilation_ 651

Article 2 — Les coups 652

Article 3 — L’emprisonnement 652

Article 4 — Le péché de ces violences est-il aggravé parce qu’elles sont commises contre ne personne unie à d’autres ?  652

QUESTION 66 — LE VOL ET LA RAPINE_ 653

Article 1 — La possession de biens extérieurs est-elle naturelle à l’homme ? 653

Article 2 — Est-il licite de posséder en propre un de ces biens ? 653

Article 3 — Le vol consiste-t-il à prendre secrètement le bien d’autrui ? 653

Article 4 — La rapine est-elle un péché spécifiquement distinct du vol ? 654

Article 5 — Tout vol est-il un péché ? 654

Article 6 — Le vol est-il péché mortel ? 654

Article 7 — Est-il permis de voler en cas de nécessité ? 655

Article 8 — Toute rapine est-elle péché mortel ? 655

Article 9 — La rapine est-elle un péché plus grave que le vol ? 655

QUESTION 67 — LES INJUSTICES COMMISES PAR LE JUGE_ 656

Article 1 — Peut-on juger sans injustice quelqu’un qui ne vous est pas soumis ? 656

Article 2 — Est-il permis au juge de juger contre la vérité qu’il connaît, à cause de faits qui lui sont présentés ? 656

Article 3 — Le juge peut-il condamner avec justice quelqu’un qui n’a pas été accusé ? 656

Article 4 — Le juge peut-il licitement accorder une remise de peine ? 657

QUESTION 68 — LES INJUSTICES COMMISES DANS L’ACCUSATION_ 657

Article 1 — Est-on tenu de se porter accusateur ? 657

Article 2 — L’accusation doit-elle être faite par écrit ? 657

Article 3 — Comment l’accusation peut-elle être entachée de vice ? 658

Article 4 — Comment doit-on punir ceux qui portent une accusation fausse ? 658

QUESTION 69 — LES INJUSTICES COMMISES PAR L’ACCUSÉ_ 658

Article 1 — Est-ce un péché mortel de nier une vérité qui entraînerait la condamnation ? 658

Article 2 — Est-il permis de calomnier pour se défendre ? 659

Article 3 — Est-il permis de faire appel pour échapper au jugement ? 659

Article 4 — Un condamné peut-il se défendre par la violence, s’il en a la possibilité ? 659

QUESTION 70 — LES INJUSTICES COMMISES PAR LE TÉMOIN_ 660

Article 1 — Est-on obligé de porter témoignage ? 660

Article 2 — Le témoignage de deux ou trois témoins est-il suffisant ? 660

Article 3 — Un témoin peut-il être récusé sans une faute de sa part ? 661

Article 4 — Est-ce un péché mortel de porter un faux témoignage ? 661

QUESTION 71 — LES INJUSTICES COMMISES PAR LES AVOCATS_ 661

Article 1 — Un avocat est-il obligé d’assister les pauvres ? 661

Article 2 — Doit-on interdire à certains d’exercer l’office d’avocat ? 662

Article 3 — L’avocat pèche-t-il en défendant une cause injuste ? 662

Article 4 — L’avocat pèche-t-il en recevant de l’argent pour son assistance ? 662

QUESTION 72 — L’INJURE_ 663

Article 1 — Qu’est-ce que l’injure ? 663

Article 2 — L’injure est-elle toujours péché mortel ? 663

Article 3 — Faut-il réprimer les auteurs d’injures ? 663

Article 4 — L’origine de l’injure_ 664

QUESTION 73 — LA DIFFAMATION_ 664

Article 1 — Qu’est-ce que la diffamation ? 664

Article 2 — La diffamation est-elle un péché mortel ? 664

Article 3 — Gravité de la diffamation comparée à celle des autres péchés 665

Article 4 — Est-ce un péché d’écouter la diffamation ? 665

QUESTION 74 — LA MÉDISANCE_ 666

Article 1 — La médisance est-elle un péché distinct de la diffamation ? 666

Article 2 — Quel péché, de la médisance ou de la diffamation, est le plus grave ? 666

QUESTION 75 — LA MOQUERIE_ 666

Article 1 — La moquerie est-elle un péché spécial ? 666

Article 2 — La moquerie est-elle un péché mortel ? 667

QUESTION 76 — LA MALÉDICTION_ 667

Article 1 — Est-il permis de maudire un homme ? 667

Article 2 — Est-il permis de maudire une créature sans raison ? 668

Article 3 — La malédiction est-elle un péché mortel ? 668

Article 4 — Comparaison de la malédiction avec les autres péchés 668

QUESTION 77 — LA FRAUDE_ 668

Article 1 — Est-il permis de vendre une chose plus cher qu’elle ne vaut ? 668

Article 2 — La vente injuste en ce qui concerne la marchandise. 669

Article 3 — Le vendeur est-il tenu de dire les défauts de sa marchandise ? 669

Article 4 — Est-il permis, dans le commerce, de vendre une marchandise plus cher qu’on ne l’a achetée ? 670

QUESTION 78 — LE PÉCHÉ D’USURE DANS LES PRÊTS_ 670

Article 1 — Est-ce un péché de recevoir de l’argent à titre d’intérêt pour un prêt d’argent, ce qui constitue l’usure ?  670

Article 2 — Est-il permis, en compensation de ce prêt, de bénéficier d’un avantage quelconque ? 671

Article 3 — Est-on tenu de restituer les bénéfices légitimement obtenus par les intérêts d’un prêt usuraire ? 672

Article 4 — Est-il permis d’emprunter de l’argent sous le régime de l’usure ? 672

QUESTION 79 — LES PARTIES INTÉGRANTES DE LA JUSTICE_ 672

Article 1 — La volonté de faire le bien et la volonté d’éviter le mal sont-elles des parties de la vertu de justice ? 672

Article 2 — La transgression est-elle un péché spécial ? 673

Article 3 — L’omission est-elle un péché spécial ? 673

Article 4 — Comparaison entre omission et transgression. 673

QUESTION 80 — LES PARTIES POTENTIELLES DE LA JUSTICE_ 674

QUESTION 81 — LA NATURE DE LA RELIGION_ 675

Article 1 — La religion concerne-t-elle seulement nos rapports avec Dieu ? 675

Article 2 — La religion est-elle une vertu ? 675

Article 3 — La religion est-elle une vertu unique ? 675

Article 4 — La religion est-elle une vertu spéciale ? 676

Article 5 — La religion est-elle une vertu théologale ? 676

Article 6 — La religion est-elle supérieure aux autres vertus morales ? 676

Article 7 — La latrie comporte-t-elle des actes extérieurs ? 676

Article 8 — La religion est-elle identique à la sainteté ? 677

QUESTION 82 — LA DÉVOTION_ 677

Article 1 — La dévotion est-elle un acte spécial ? 677

Article 2 — La dévotion est-elle un acte de religion ? 677

Article 3 — La cause de la dévotion_ 678

Article 4 — L’effet de la dévotion_ 678

QUESTION 83 — LA PRIÈRE_ 678

Article 1 — La prière est-elle un acte de la faculté appétitive, ou cognitive ? 678

Article 2 — Convient-il de prier Dieu ? 679

Article 3 — La prière est-elle un acte de la religion ? 679

Article 4 — Ne doit-on prier que Dieu ? 679

Article 5 — La prière de demande doit-elle avoir un objet déterminé ? 680

Article 6 — Doit-on demander à Dieu des biens temporels ? 680

Article 7 — Devons-nous prier pour autrui ? 680

Article 8 — Devons-nous prier pour nos ennemis ? 681

Article 9 — Les sept demandes de l’oraison dominicale_ 681

Article 10 — La prière appartient-elle en propre à la créature douée de raison ? 682

Article 11 — Les saints du ciel prient-ils pour nous ? 682

Article 12 — La prière doit-elle être vocale ? 682

Article 13 — L’attention est-elle requise pour la prière ? 683

Article 14 — La prière doit-elle être prolongée ? 683

Article 15 — La prière est-elle méritoire ? 683

Article 16 — La prière est-elle efficace pour obtenir ce qu’on demande ? 684

Article 17 — Les différentes espèces de prière_ 684

QUESTION 84 — L’ADORATION_ 684

Article 1 — L’adoration est-elle un acte de latrie ? 684

Article 2 — L’adoration implique-t-elle un acte intérieur, ou extérieur ? 685

Article 3 — L’adoration requiert-elle un lieu déterminé ? 685

QUESTION 85 — LES SACRIFICES_ 685

Article 1 — Offrir à Dieu le sacrifice est-il deloi naturelle ? 685

Article 2 — Ne faut-il offrir de sacrifice qu’à Dieu ? 686

Article 3 — Offrir le sacrifice est-il un acte spécial de vertu ? 686

Article 4 — Tous sont-ils tenus d’offrir des sacrifices ? 686

QUESTION 86 — LES OBLATIONS ET PRÉMICES_ 687

Article 1 — Certaines oblations sont-elles imposées par précepte ? 687

Article 2 — A qui doit-on les oblations ? 687

Article 3 — Avec quels biens doit-on faire les oblations ? 687

Article 4 — Est-on strictement obligé d’acquitter les prémices ? 688

QUESTION 87 — LES DÎMES_ 688

Article 1 — Est-on tenu d’acquitter les dîmes par un précepte rigoureux ? 688

Article 2 — Les biens dont il faut payer la dîme_ 689

Article 3 — A qui doit-on les dîmes ? 689

Article 4 — Qui doit payer les dîmes ? 690

QUESTION 88 — LE VŒU_ 690

Article 1 — Qu’est-ce que le vœu ? 690

Article 2 — Sur quoi le vœu porte-t-il ? 690

Article 3 — Obligation du vœu_ 691

Article 4 — L’utilité du vœu_ 691

Article 5 — De quelle vertu le vœu est-il l’acte ? 692

Article 6 — Est-il plus méritoire d’accomplir quelque chose avec ou sans vœu ? 692

Article 7 — La solennité du vœu_ 692

Article 8 — Ceux qui sont soumis à une autorité peuvent-ils faire des vœux ? 693

Article 9 — Les enfants peuvent-ils s’obliger par vœu à entrer en religion ? 693

Article 10 — Peut-on dispenser d’un vœu ou le commuer ? 693

Article 11 — Peut-on dispenser du vœu solennel de continence ? 694

Article 12 — Faut-il, pour dispenser d’un vœu, recourir à une autorité supérieure ? 694

QUESTION 89 — LE SERMENT_ 695

Article 1 — Qu’est-ce que le serment ? 695

Article 2 — Le serment est-il licite ? 695

Article 3 — Quelles qualités accompagnent le serment ? 695

Article 4 — De quelle vertu le serment est-il l’acte ? 696

Article 5 — Faut-il rechercher et pratiquer le serment comme utile et bon ? 696

Article 6 — Est-il permis de jurer par une créature ? 696

Article 7 — Le serment oblige-t-il ? 697

Article 8 — Lequel oblige davantage le serment ou le vœu ? 697

Article 9 — Peut-on dispenser d’un serment ? 697

Article 10 — Quand et à qui est-il permis de jurer ? 698

QUESTION 90 — L’ADJURATION_ 698

Article 1 — Est-il permis d’employer l’adjuration à l’égard des hommes ? 698

Article 2 — Est-il permis d’adjurer les démons ? 699

Article 3 — Est-il permis d’adjurer des créatures dénuées de raison ? 699

QUESTION 91 — LA LOUANGE VOCALE_ 699

Article 1 — Faut-il louer Dieu oralement ? 699

Article 2 — Doit-on, dans les louanges de Dieu, employer le chant ? 700

QUESTION 92 — LA SUPERSTITION_ 700

Article 1 — La superstition est-elle un vice opposé à la religion ? 700

Article 2 — La superstition a-t-elle plusieurs espèces ou parties ? 700

QUESTION 93 — LES ALTÉRATIONS SUPERSTITIEUSES DU CULTE DIVIN_ 701

Article 1 — Peut-il y avoir dans le culte du vrai Dieu quelque chose de pernicieux ? 701

Article 2 — Peut-il y avoir quelque chose de superflu dans le culte de Dieu ? 701

QUESTION 94 — L’IDOLÂTRIE_ 701

Article 1 — L’idolâtrie est-elle une espèce de la superstition ? 702

Article 2 — L’idolâtrie est-elle un péché ? 702

Article 3 — L’idolâtrie est-elle le plus grave de tous les péchés ? 703

Article 4 — Quelle est la cause du péché d’idolâtrie ? 703

QUESTION 95 — LA DIVINATION_ 703

Article 1 — La divination est-elle un péché ? 703

Article 2 — La divination est-elle une espèce de la superstition ? 704

Article 3 — Les espèces de la divination_ 704

Article 4 — La divination démoniaque_ 705

Article 5 — La divination par les astres 705

Article 6 — La divination par les songes 705

Article 7 — La divination par les augures et par d’autres observations analogues 706

Article 8 — La divination par les sorts 706

QUESTION 96 — LES PRATIQUES SUPERSTITIEUSES_ 707

Article 1 — Pratiques pour acquérir la science d’après l’ “ art notoire” 707

Article 2 — Pratiques pour agir sur certains corps 707

Article 3 — Pratiques pour conjecturer la bonne ou la mauvaise fortune_ 708

Article 4 — Les formules sacrées qu’on suspend à son cou_ 708

QUESTION 97 — LA TENTATION DE DIEU_ 708

Article 1 — En quoi consiste la tentation de Dieu ? 708

Article 2 — Est-ce un péché de tenter Dieu ? 709

Article 3 — A quelle vertu s’oppose la tentation de Dieu ? 709

Article 4 — Comparaison de la tentation de Dieu avec les autres vices 710

QUESTION 98 — LE PARJURE_ 710

Article 1 — Un mensonge est-il nécessaire pour qu’il y ait parjure ? 710

Article 2 — Le parjure est-il toujours un péché ? 710

Article 3 — Le parjure est-il un péché mortel ? 710

Article 4 — Pèche-t-on en obligeant un parjure à prêter serment ? 711

QUESTION 99 — LE SACRILÈGE_ 711

Article 1 — Qu’est-ce que le sacrilège ? 711

Article 2 — Le sacrilège est-il un péché spécial ? 712

Article 3 — Les espèces du sacrilège_ 712

Article 4 — Quelle punition est due au sacrilège ? 712

QUESTION 100 — LA SIMONIE_ 712

Article 1 — Qu’est-ce que la simonie ? 712

Article 2 — Est-il permis de recevoir de l’argent pour des sacrements ? 713

Article 3 — Est-il permis de recevoir de l’argent pour des actes spirituels ? 714

Article 4 — Est-il permis de vendre des biens annexés au spirituel ? 714

Article 5 — Est-ce seulement le “ présent manuel ” qui rend simoniaque, ou aussi le “ présent verbal ” et le “ présent servile ” ? 715

Article 6 — Le châtiment dû à la simonie_ 715

QUESTION 101 — LA PIÉTÉ_ 716

Article 1 — A qui la piété s’étend-elle ? 716

Article 2 — Quels services la piété rend-elle ? 716

Article 3 — La piété est-elle une vertu spéciale ? 716

Article 4 — Peut-on, sous couvert de religion, omettre les devoirs de la piété filiale ? 717

QUESTION 102 — LE RESPECT_ 717

Article 1 — Le respect est-il une vertu spéciale, distincte des autres ? 717

Article 2 — En quoi le respect consiste-t-il ? 717

Article 3 — Comparaison du respect avec la piété ? 718

QUESTION 103 — LA DULIE_ 718

Article 1 — L’honneur est-il quelque chose de spirituel ou de corporel ? 718

Article 2 — L’honneur est-il dû seulement aux supérieurs ? 719

Article 3 — La vertu de dulie est-elle une vertu spéciale, distincte de celle de latrie ? 719

Article 4 — Distingue-t-on plusieurs espèces dans la dulie ? 719

QUESTION 104 — L’OBÉISSANCE_ 719

Article 1 — L’homme doit-il obéir à l’homme ? 719

Article 2 — L’obéissance est-elle une vertu spéciale ? 720

Article 3 — Comparaison de l’obéissance avec les autres vertus 720

Article 4 — Doit-on obéir à Dieu en tout ? 721

Article 5 — Les inférieurs doivent-ils obéir en tout à leurs supérieurs ? 721

Article 6 — Les fidèles doivent-ils obéir aux puissances séculières ? 722

QUESTION 105 — LA DÉSOBÉISSANCE_ 722

Article 1 — La désobéissance est-elle un péché mortel ? 722

Article 2 — La désobéissance est-elle le plus grave des péchés ? 722

QUESTION 106 — LA RECONNAISSANCE OU GRATITUDE_ 723

Article 1 — La reconnaissance est-elle une vertu spéciale, distincte des autres ? 723

Article 2 — Lequel de l’innocent ou du pénitent, doit à Dieu de plus grandes actions de grâce ? 723

Article 3 — Est-on toujours tenu de rendre grâce pour les bienfaits des hommes ? 723

Article 4 — Faut-il tarder à rendre un bienfait ? 724

Article 5 — La reconnaissance doit-elle prendre garde aux bienfaits reçus, ou aux sentiments du bienfaiteur ? 724

Article 6 — Faut-il rendre plus que ce qu’on a reçu ? 724

QUESTION 107 — L’INGRATITUDE_ 725

Article 1 — L’ingratitude est-elle toujours un péché ? 725

Article 2 — L’ingratitude est-elle un péché spécial ? 725

Article 3 — L’ingratitude est-elle toujours un péché mortel ? 725

Article 4 — Doit-on cesser de faire du bien aux ingrats ? 726

QUESTION 108 — LA VENGEANCE_ 726

Article 1 — La vengeance est-elle licite ? 726

Article 2 — La vengeance est-elle une vertu spéciale ? 726

Article 3 — Comment exercer la vengeance ? 727

Article 4 — Envers qui doit-on exercer la vengeance ? 727

QUESTION 109 — LA VÉRITÉ_ 727

Article 1 — La vérité est-elle une vertu ? 728

Article 2 — La vérité est-elle une vertu spéciale ? 728

Article 3 — La vérité fait-elle partie de la justice ? 728

Article 4 — La vertu de vérité incline-t-elle à diminuer les choses ? 729

QUESTION 110 — LE MENSONGE_ 729

Article 1 — Le mensonge est-il toujours opposé à la vérité comme contenant de la fausseté ? 729

Article 2 — Les espèces du mensonge_ 729

Article 3 — Le mensonge est-il toujours un péché ? 730

Article 4 — Le mensonge est-il toujours péché mortel ? 730

QUESTION 111 — LA SIMULATION ET L’HYPOCRISIE_ 731

Article 1 — La simulation est-elle toujours un péché ? 731

Article 2 — L’hypocrisie est-elle la même chose que la simulation ? 731

Article 3 — L’hypocrisie est-elle supposée à la vertu de vérité ? 731

Article 4 — L’hypocrisie est-elle toujours péché mortel ? 732

QUESTION 112 — LA JACTANCE_ 732

Article 1 — A quelle vertu la jactance est-elle contraire ? 732

Article 2 — La jactance est-elle péché mortel ? 733

QUESTION 113 — L’IRONIE_ 733

Article 1 — L’ironie est-elle un péché ? 733

Article 2 — Comparaison de l’ironie avec la jactance_ 733

QUESTION 114 — L’AMITIÉ OU AFFABILITÉ_ 734

Article 1 — L’amitié ou affabilité est-elle une vertu spéciale ? 734

Article 2 — Cette amitié fait-elle partie de la justice ? 734

QUESTION 115 — L’ADULATION_ 734

Article 1 — L’adulation est-elle un péché ? 734

Article 2 — L’adulation est-elle péché mortel ? 735

QUESTION 116 — LA CONTESTATION_ 735

Article 1 — La contestation est-elle contraire à la vertu d’amitié ? 735

Article 2 — Comparaison entre la contestation et l’adulation_ 735

QUESTION 117 — LA LIBÉRALITÉ_ 736

Article 1 — La libéralité est-elle une vertu ? 736

Article 2 — Quelle est la matière de la libéralité ? 736

Article 3 — L’acte de la libéralité_ 736

Article 4 — Appartient-il à la libéralité de donner plutôt que de recevoir ? 736

Article 5 — La libéralité est-elle une partie de la justice ? 737

Article 6 — La libéralité est-elle la plus grande des vertus ? 737

QUESTION 118 — L’AVARICE_ 737

Article 1 — L’avarice est-elle un péché ? 737

Article 2 — L’avarice est-elle un péché spécial ? 738

Article 3 — A quelle vertu s’oppose l’avarice ? 738

Article 4 — L’avarice est-elle péché mortel ? 738

Article 5 — L’avarice est-elle le plus grave des péchés ? 739

Article 6 — L’avarice est-elle un péché de la chair, ou de l’esprit ? 739

Article 7 — L’avarice est-elle un vice capital ? 739

Article 8 — Les filles de l’avarice_ 740

QUESTION 119 — LA PRODIGALITÉ_ 740

Article 1 — La prodigalité est-elle le contraire de l’avarice ? 740

Article 2 — La prodigalité est-elle un péché ? 740

Article 3 — La prodigalité est-elle un péché plus grave que l’avarice ? 741

QUESTION 120 — L’ÉPIKIE_ 741

Article 1 — L’épikie est-elle une vertu ? 741

Article 2 — L’épikie fait-elle partie de la justice ? 741

QUESTION 121 — LE DON DE PIÉTÉ_ 742

Article 1 — La piété est-elle un don du Saint-Esprit ? 742

Article 2 — Quelle est la béatitude et quels sont les fruits qui correspondent au don de piété ? 742

QUESTION 122 — LES PRÉCEPTES CONCERNANT LA JUSTICE_ 742

Article 1 — Les préceptes du décalogue concernent-ils la justice ? 742

Article 2 — Le premier précepte du décalogue_ 742

Article 3 — Le deuxième précepte du décalogue_ 743

Article 4 — Le troisième précepte du décalogue_ 743

Article 5 — Le quatrième précepte du décalogue_ 744

Article 6 — Les six derniers préceptes du décalogue_ 744

QUESTION 123 — LA VERTU DE FORCE EN ELLE-MÊME_ 745

Article 1 — La force est-elle une vertu ? 745

Article 2 — La force est-elle une vertu spéciale ? 745

Article 3 — La force a-t-elle pour objet la crainte et l’audace ? 745

Article 4 — La force a-t-elle seulement pour objet la crainte de la mort ? 746

Article 5 — L’objet de la force est-il seulement la crainte de mourir au combat ? 746

Article 6 — L’acte principal de la force est-il de supporter ? 746

Article 7 — La force agit-elle en vue de son propre bien ? 747

Article 8 — La force trouve-t-elle son plaisir dans son action ? 747

Article 9 — La force s’affirme-t-elle surtout dans les cas soudains ? 747

Article 10 — La force emploie-t-elle la colère ? 747

Article 11 — La force est-elle une vertu cardinale ? 748

Article 12 — Comparaison entre la force et les autres vertus cardinales 748

QUESTION 124 — LE MARTYRE_ 748

Article 1 — Le martyre est-il un acte de vertu ? 748

Article 2 — De quelle vertu le martyre est-il l’acte ? 749

Article 3 — La perfection de l’acte du martyre_ 749

Article 4 — La sanction du martyre_ 749

Article 5 — La cause du martyre_ 750

QUESTION 125 — LA CRAINTE_ 750

Article 1 — La crainte est-elle un péché ? 750

Article 2 — La crainte est-elle contraire à la force ? 750

Article 3 — La crainte est-elle péché mortel ? 751

Article 4 — La crainte excuse-t-elle ou diminue-t-elle le péché ? 751

QUESTION 126 — L’INTRÉPIDITÉ_ 751

Article 1 — L’intrépidité est-elle un péché ? 751

Article 2 — L’intrépidité est-elle opposée à la force ? 752

QUESTION 127 — L’AUDACE_ 752

Article 1 — L’audace est-elle un péché ? 752

Article 2 — L’audace est-elle contraire à la force ? 752

QUESTION 128 — QUELLES SONT LES PARTIES DE LA FORCE ?_ 752

QUESTION 129 — LA MAGNANIMITÉ_ 753

Article 1 — La magnanimité concerne-t-elle les honneurs ? 753

Article 2 — La magnanimité concerne-t-elle seulement les honneurs considérables ? 754

Article 3 — La magnanimité est-elle une vertu ? 754

Article 4 — La magnanimité est-elle une vertu spéciale ? 755

Article 5 — La magnanimité est-elle une partie de la force ? 755

Article 6 — Quels sont les rapports de la magnanimité avec la confiance ? 755

Article 7 — Quels sont les rapports de la magnanimité avec la sécurité ? 756

Article 8 — Quels sont les rapports de la magnanimité avec les biens de la fortune ? 756

QUESTION 130 — LA PRÉSOMPTION_ 756

Article 1 — La présomption est-elle un péché ? 756

Article 2 — La présomption s’oppose-t-elle par excès à la magnanimité ? 756

QUESTION 131 — L’AMBITION_ 757

Article 1 — L’ambition est-elle un péché ? 757

Article 2 — L’ambition s’oppose-t-elle par excès à la magnanimité ? 757

QUESTION 132 — LA VAINE GLOIRE_ 757

Article 1 — Le désir de la gloire est-il un péché ? 757

Article 2 — Le désir de la gloire s’oppose-t-il à la magnanimité ? 758

Article 3 — Le désir de la gloire est-il péché mortel ? 758

Article 4 — Le désir de la gloire est-il un vice capital ? 758

Article 5 — Les filles de la vaine gloire_ 759

QUESTION 133 — LA PUSILLANIMITÉ_ 759

Article 1 — La pusillanimité est-elle un péché ? 759

Article 2 — A quelle vertu la pusillanimité s’oppose-t-elle ? 759

QUESTION 134 — LA MAGNIFICENCE_ 760

Article 1 — La magnificence est-elle une vertu ? 760

Article 2 — La magnificence est-elle une vertu spéciale ? 760

Article 3 — Quelle est la matière de la magnificence ? 760

Article 4 — La magnificence fait-elle partie de la force ? 761

QUESTION 135 — LA PARCIMONIE (ou mesquinerie) 761

Article 1 — La parcimonie est-elle un vice ? 761

Article 2 — Le vice qui s’oppose à la parcimonie_ 761

QUESTION 136 — LA PATIENCE_ 762

Article 1 — La patience est-elle une vertu ? 762

Article 2 — La patience est-elle la plus grande des vertus ? 762

Article 3 — Peut-on avoir la patience sans la grâce ? 762

Article 4 — La patience fait-elle partie de la force ? 763

Article 5 — La patience est-elle identique à la longanimité ? 763

QUESTION 137 — LA PERSÉVÉRANCE_ 763

Article 1 — La persévérance est-elle une vertu ? 763

Article 2 — La persévérance fait-elle partie de la force ? 764

Article 3 — Quel rapport la persévérance a-t-elle avec la constance ? 764

Article 4 — La persévérance a-t-elle besoin du secours de la grâce ? 764

QUESTION 138 — LES VICES OPPOSÉS À LA PERSÉVÉRANCE_ 765

Article 1 — La mollesse est-elle opposée à la persévérance ? 765

Article 2 — L’entêtement est-il opposé à la persévérance ? 765

QUESTION 139 — LE DON DE FORCE_ 765

Article 1 — La force est-elle un don ? 765

Article 2 — Qu’est-ce qui correspond au don de force dans les béatitudes et les fruits ? 766

QUESTION 140 — LES PRÉCEPTES CONCERNANT LA FORCE_ 766

Article 1 — Les préceptes concernant la force elle-même ? 766

Article 2 — Les préceptes concernant les parties de la force_ 766

QUESTION 141 — LA TEMPÉRANCE_ 766

Article 1 — La tempérance est-elle une vertu ? 767

Article 2 — La tempérance est-elle une vertu spéciale ? 767

Article 3 — La tempérance concerne-t-elle seulement les désirs et les plaisirs ? 767

Article 4 — La tempérance concerne-t-elle seulement les délectations du toucher ? 767

Article 5 — La tempérance concerne-t-elle plus les délectations du goût que celles du toucher ? 768

Article 6 — Quelle est la règle de la tempérance ? 768

Article 7 — La tempérance est-elle une vertu cardinale ? 769

Article 8 — La tempérance est-elle la plus importante des vertus ? 769

QUESTION 142 — LES VICES OPPOSÉS À LA TEMPÉRANCE — INSENSIBIILITÉ ET INTEMPÉRANCE. 769

Article 1 — L’insensibilité est-elle un péché ? 769

Article 2 — L’intempérance est-elle un péché puéril ? 770

Article 3 — Comparaison entre intempérance et lâcheté_ 770

Article 4 — Le péché d’intempérance est-il le plus déshonorant ? 770

QUESTION 143 — LES PARTIES DE LA TEMPÉRANCE EN GÉNÉRAL. 771

QUESTION 144 — LA PUDEUR_ 771

Article 1 — La pudeur est-elle une vertu ? 771

Article 2 — Sur quoi la pudeur porte-t-elle ? 772

Article 3 — Devant qui ressent-on de la pudeur ? 772

Article 4 — Quels sont ceux qui ressentent de la pudeur ? 772

QUESTION 145 — L’HONNEUR_ 773

Article 1 — Quel rapport l’honneur a-t-il avec la vertu ? 773

Article 2 — Quel rapport l’honneur a-t-il avec la beauté ? 773

Article 3 — Quel rapport le bien honnête a-t-il avec l’utile et le délectable ? 773

Article 4 — Le sens de l’honneur est-il une partie de la tempérance ? 774

QUESTION 146 — L’ABSTINENCE_ 774

Article 1 — L’abstinence est-elle une vertu ? 774

Article 2 — L’abstinence est-elle une vertu spéciale ? 774

QUESTION 147 — LE JEÛNE_ 775

Article 1 — Le jeûne est-il un acte de vertu ? 775

Article 2 — Le jeûne est-il un acte d’abstinence ? 775

Article 3 — Le jeûne est-il de précepte ? 775

Article 4 — Certains sont-ils dispensés d’observer ce précepte ? 776

Article 5 — Le temps du jeûne_ 776

Article 6 — Le jeûne exige-t-il un seul repas ? 777

Article 7 — L’heure des repas pour ceux qui jeûnent 777

Article 8 — Les aliments dont il faut s’abstenir 777

QUESTION 148 — LA GOURMANDISE_ 778

Article 1 — La gourmandise est-elle un péché ? 778

Article 2 — La gourmandise est-elle un péché mortel ? 778

Article 3 — La gourmandise est-elle le plus grand des péchés ? 778

Article 4 — Les espèces de la gourmandise_ 779

Article 5 — La gourmandise est-elle un vice capital ? 779

Article 6 — Les filles de la gourmandise_ 779

QUESTION 149 — LA SOBRIÉTÉ_ 780

Article 1 — Quelle est la matière propre de la sobriété ? 780

Article 2 — La sobriété est-elle une vertu spéciale ? 780

Article 3 — L’usage du vin est-il permis ? 780

Article 4 — A qui surtout la sobriété est-elle nécessaire ? 781

QUESTION 150 — L’IVROGNERIE_ 781

Article 1 — L’ivrognerie est-elle un péché ? 781

Article 2 — L’ivrognerie est-elle un péché mortel ? 781

Article 3 — L’ivrognerie est-elle le plus grave des péchés ? 782

Article 4 — L’ivrognerie excuse-t-elle du péché ? 782

QUESTION 151 — LA CHASTETÉ_ 782

Article 1 — La chasteté est-elle une vertu ? 782

Article 2 — La chasteté est-elle une vertu générale ? 782

Article 3 — La chasteté est-elle une vertu distincte de l’abstinence ? 783

Article 4 — Rapports de la chasteté avec la pudicité_ 783

QUESTION 152 — LA VIRGINITÉ_ 783

Article 1 — En quoi consiste la virginité ? 783

Article 2 — La virginité est-elle illicite ? 784

Article 2 — La virginité est-elle illicite ? 784

Article 3 — La virginité est-elle une vertu ? 785

Article 4 — Supériorité de la virginité par rapport au mariage_ 785

Article 5 — La supériorité de la virginité par rapport aux autres vertus 785

QUESTION 153 — LA LUXURE EN GÉNÉRAL 786

Article 1 — Quelle est la matière de la luxure ? 786

Article 2 — Toute union charnelle est-elle illicite ? 786

Article 3 — La luxure est-elle péché mortel ? 786

Article 4 — La luxure est-elle un vice capital ? 787

Article 5 — Les filles de la luxure_ 787

QUESTION 154 — LES PARTIES DE LA LUXURE_ 787

Article 1 — Comment diviser les parties de la luxure ? 787

Article 2 — La fornication simple est-elle péché mortel ? 788

Article 3 — La fornication est-elle le plus grand des péchés ? 789

Article 4 — Y a-t-il péché mortel dans les attouchements et les baisers, et dans les autres caresses de ce genre ? 789

Article 5 — La pollution nocturne est-elle un péché ? 789

Article 6 — Le stupre_ 790

Article 7 — Le rapt 790

Article 8 — L’adultère_ 791

Article 9 — L’inceste_ 791

Article 10 — Le sacrilège_ 791

Article 11 — Le péché contre nature_ 792

Article 12 — L’ordre de gravité entre les espèces de la luxure_ 792

QUESTION 155 — LA CONTINENCE_ 792

Article 1 — La continence est-elle une vertu ? 793

Article 2 — Quelle est la matière de la continence ? 793

Article 3 — Quel est le siège de la continence ? 793

Article 4 - Comparaison de la continence avec la tempérance_ 794

QUESTION 156 — L’INCONTINENCE_ 794

Article 1 — L’incontinence relève-t-elle de l’âme ou du corps ? 794

Article 2 — L’incontinence est-elle un péché ? 794

Article 3 — Comparaison entre l’incontinence et l’intempérance_ 795

Article 4 — Quel est le plus laid — ne pas contenir sa colère, ou sa convoitise ? 795

QUESTION 157 — LA CLÉMENCE ET LA MANSUÉTUDE_ 796

Article 1 — La clémence et la mansuétude sont-elles identiques ? 796

Article 2 — La clémence et la mansuétude sont-elles des vertus ? 796

Article 3 — La clémence et la mansuétude sont-elles des parties de la tempérance ? 796

Article 4 — Comparaison de la clémence et de la mansuétude avec les autres vertus 797

QUESTION 158 — LA COLÈRE_ 797

Article 1 — Peut-il être permis de se mettre en colère ? 797

Article 2 — La colère est-elle un péché ? 797

Article 3 — Toute colère est-elle péché mortel ? 798

Article 4 — La colère est-elle le plus grave des péchés ? 798

Article 5 — Les espèces de la colère_ 798

Article 6 — La colère est-elle un vice capital ? 799

Article 7 — Quelles sont les filles de la colère ? 799

Article 8 — Y a-t-il un vice opposé à la colère ? 799

QUESTION 159 — LA CRUAUTÉ_ 800

Article 1 — La cruauté s’oppose-t-elle à la clémence ? 800

Article 2 — Comparaison de la cruauté avec la férocité ou sauvagerie_ 800

QUESTION 160 — LA MODESTIE_ 800

Article 1 — La modestie est-elle une partie de la tempérance ? 800

Article 2 — Quelle est la matière de la modestie ? 801

QUESTION 161 — L’HUMILITÉ_ 801

Article 1 — L’humilité est-elle une vertu ? 801

Article 2 — L’humilité siège-t-elle dans l’appétit, ou dans le jugement de la raison ? 801

Article 3 — Doit-on, par humilité, se mettre au-dessous de tous ? 802

Article 5 — Comparaison de l’humilité avec les autres vertus 803

Article 6 — Les degrés de l’humilité_ 803

QUESTION 162 — L’ORGUEIL EN GÉNÉRAL 804

Article 1 — L’orgueil est-il un péché ? 804

Article 2 — L’orgueil est-il un vice spécial ? 804

Article 3 — Quel est le siège de l’orgueil ? 804

Article 4 — Quelles sont les espèces de l’orgueil ? 805

Article 5 — L’orgueil est-il péché mortel ? 805

Article 6 — L’orgueil est-il le plus grave de tous les péchés ? 806

Article 7 — Les rapports de l’orgueil avec les autres péchés 806

Article 8 — Doit-on voir dans l’orgueil un vice capital ? 807

QUESTION 163 — LE PÉCHÉ DU PREMIER HOMME_ 807

Article 1 — Le premier péché de l’homme fut-il de l’orgueil ? 807

Article 2 — Que désirait l’homme en péchant ? 807

Article 3 — Le péché de nos premiers parents fut-il plus grave que tous les autres péchés ? 808

Article 4 — Qui pécha davantage, l’homme ou la femme ? 808

QUESTION 164 — LE CHÂTIMENT DU PREMIER PÉCHÉ DE L’HOMME_ 808

Article 1 — La mort, qui est le châtiment commun_ 808

Article 2 — Les autres châtiments particuliers qui sont indiqués dans la Genèse_ 809

QUESTION 165 — LA TENTATION DE NOS PREMIERS PARENTS_ 810

Article 1 — Convenait-il que l’homme fût tenté par le diable ? 810

Article 2 — Le mode et l’ordre de cette tentation_ 810

QUESTION 166 — LA STUDIOSITÉ_ 811

Article 1 — Quelle est la matière de la studiosité ? 811

Article 2 — La studiosité est-elle une partie de la tempérance ? 811

QUESTION 167 — LA CURIOSITÉ_ 812

Article 1 — Le vice de curiosité peut-il exister dans la connaissance intellectuelle ? 812

Article 2 — Le vice de curiosité existe-t-il dans la connaissance sensible ? 812

QUESTION 168 — LA MODESTIE DANS LES MOUVEMENTS EXTÉRIEURS DU CORPS_ 813

Article 1 — Dans les mouvements extérieurs du corps peut-il y avoir vertu et vice ? 813

Article 2 — Peut-il y avoir une vertu dans les activités de jeu ? 813

Article 3 — Le péché par excès de jeu_ 814

Article 4 — Le péché par défaut de jeu_ 814

QUESTION 169 — LA MODESTIE DANS LA TENUE EXTÉRIEURE_ 814

Article 1 — Peut-il y avoir vertu et vice dans la tenue extérieure ? 814

Article 2 — Les femmes pèchent-elles mortellement en se parant avec excès ? 815

QUESTION 170 — LES PRÉCEPTES DE LA TEMPÉRANCE_ 815

Article 1 — Les préceptes concernant la tempérance proprement dite_ 815

Article 2 — Les préceptes concernant les parties de la tempérance_ 816

QUESTION 171 — L’ESSENCE DE LA PROPHÉTIE_ 816

Article 1 — La prophétie appartient-elle à l’ordre de la connaissance ? 816

Article 2 — La prophétie est-elle un habitus ? 817

Article 3 — La prophétie a-t-elle seulement pour objet les futurs contingents ? 817

Article 4 — Le prophète connaît-il tout ce qui peut être prophétisé ? 818

Article 5 — Le prophète distingue-t-il toujours ce qu’il saisit divinement de ce qu’il voit par son propre esprit ? 818

Article 6 — La prophétie peut-elle comporter de la fausseté ? 818

QUESTION 172 — LA CAUSE DE LA PROPHÉTIE_ 819

Article 1 — La prophétie est-elle naturelle ? 819

Article 2 — La prophétie vient-elle de Dieu par l’intermédiaire des anges ? 819

Article 3 — La prophétie requiert-elle des dispositions naturelles ? 820

Article 4 — La prophétie requiert-elle de bonnes mœurs ? 820

Article 5 — Y a-t-il une prophétie d’origine démoniaque ? 820

Article 6 — Les prophètes des démons annoncent-ils quelquefois la vérité ? 821

QUESTION 173 — LE MODE DE LA CONNAISSANCE PROPHÉTIQUE_ 821

Article 1 — Les prophètes voient-ils l’essence même de Dieu ? 821

Article 2 — La révélation prophétique se fait-elle par infusion de certaines représentations, ou seulement par infusion d’une lumière ? 821

Article 3 — La vision prophétique est-elle toujours accompagnée de l’aliénation des sens ? 822

Article 4 — La prophétie comporte-t-elle toujours la connaissance de ce qui est prophétisé ? 822

QUESTION 174 — LES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE LA PROPHÉTIE_ 823

Article 1 — Quelles sont les espèces de la prophétie ? 823

Article 2 — La prophétie la plus haute est-elle celle qui se produit sans vision de l’imagination ? 823

Article 3 — Les divers degrés de la prophétie_ 824

Article 4 — Moïse fut-il le plus grand des prophètes ? 824

Article 5 — Un compréhenseur peut-il être prophète ? 825

Article 6 — La prophétie a-t-elle progressé dans la suite des temps ? 825

QUESTION 175 — LE RAVISSEMENT_ 825

Article 1 — L’âme humaine est-elle ravie en Dieu ? 825

Article 2 — Le ravissement relève-t-il de la faculté de connaissance, ou d’appétit ? 826

Article 3 — Dans son ravissement, S. Paul a-t-il vu l’essence de Dieu ? 826

Article 4 — Dans son ravissement, S. Paul a-t-il été hors de sens ? 827

Article 5 — Dans cet état, l’âme de S. Paul a-t-elle été complètement séparée de son corps ? 827

Article 6 — Ce que S. Paul a su et ce qu’il a ignoré, au sujet de son ravissement 827

QUESTION 176 — LE CHARISME DES LANGUES_ 828

Article 1 — Par ce don obtient-on la connaissance de toutes les langues ? 828

Article 2 — Comparaison entre ce charisme et celui de la prophétie_ 828

QUESTION 177 — LE CHARISME DU DISCOURS_ 829

Article 1 — Y a-t-il un charisme du discours ? 829

Article 2 — A qui ce charisme convient-il ? 829

QUESTION 178 — LE CHARISME DES MIRACLES_ 830

Article 1 — Y a-t-il un charisme des miracles ? 830

Article 2 — A qui le charisme des miracles convient-il ? 830

QUESTION 179 — LA DIVISION ENTRE VIE ACTIVE ET VIE CONTEMPLATIVE_ 831

Article 1 — La division entre vie active et vie contemplative est-elle fondée ? 831

Article 2 — Cette division de la vie en active et contemplative est-elle adéquate ? 831

QUESTION 180 — LA VIE CONTEMPLATIVE_ 831

Article 1 — La vie contemplative appartient-elle à l’intelligence seule, ou bien fait-elle appel aussi à la volonté ? 831

Article 2 — Les vertus morales appartiennent-elles à la vie contemplative ? 832

Article 3 — La vie contemplative comporte-t-elle des actes divers ? 832

Article 4 — La considération de n’importe quelle vérité appartient-elle à la vie contemplative ? 832

Article 5 — Dans l’état présent, la vie contemplative peut-elle atteindre à la vision de l’essence divine ? 833

Article 6 — Les mouvements de contemplation distingués par Denys 833

Article 7 — Le plaisir de la contemplation_ 834

Article 8 — La durée de la contemplation_ 834

QUESTION 181 — LA VIE ACTIVE_ 835

Article 1 — Tous les actes des vertus morales appartiennent-ils à la vie active ? 835

Article 2 — La prudence appartient-elle à la vie active ? 835

Article 3 — L’enseignement appartient-il à la vie active ? 835

Article 4 — La durée de la vie active_ 836

QUESTION 182 — COMPARAISON DE LA VIE ACTIVE AVEC LA VIE CONTEMPLATIVE_ 836

Article 1 — Laquelle est la plus importante ou la plus digne ? 836

Article 2 — Quelle est la plus méritoire ? 837

Article 3 — La vie contemplative est-elle empêchée par la vie active ? 837

Article 4 — L’ordre de priorité entre ces deux vies 837

QUESTION 183 — LES OFFICES ET LES ÉTATS EN GÉNÉRAL PARMI LES HOMMES_ 838

Article 1 — Qu’est-ce qui constitue un état de vie parmi les hommes ? 838

Article 2 — Doit-il y avoir, parmi les hommes, diversité d’états ou d’offices ? 838

Article 3 — La diversité des offices 838

Article 4 — La diversité des états 839

QUESTION 184 — L’ÉTAT DE PERFECTION EN GÉNÉRAL 839

Article 1 — La perfection de la vie chrétienne tient-elle à la charité ? 839

Article 3 — La perfection de cette vie consiste-t-elle principalement dans les préceptes, ou dans les conseils ? 840

Article 4 — Quiconque est parfait se trouve-t-il dans l’état de perfection ? 840

Article 5 — Les prélats et les religieux sont-ils spécialement dans l’état de perfection ? 841

Article 6 — Tous les prélats sont-ils dans l’état de perfection ? 841

Article 7 — Quel est le plus parfait — l’état religieux, ou l’état épiscopal ? 842

Article 8 — Comparaison des religieux avec les curés et les archidiacres 842

QUESTION 185 — L’ÉTAT ÉPISCOPAL 843

Article 1 — Est-il permis de désirer l’épiscopat ? 843

Article 2 — Est-il permis de refuser absolument l’épiscopat ? 843

Article 3 — Faut-il élire le meilleur pour l’épiscopat ? 844

Article 4 — L’évêque peut-il entrer en religion ? 844

Article 5 — Est-il permis à l’évêque d’abandonner physiquement ses sujets ? 845

Article 6 — Est-il permis à l’évêque de posséder quelque chose en propre ? 845

Article 7 — L’évêque pèche-t-il mortellement en ne distribuant pas aux pauvres les biens de l’Église ? 846

Article 8 — Les religieux élevés à l’épiscopat sont-ils tenus aux observances régulières ? 846

QUESTION 186 — LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE L’ÉTAT RELIGIEUX_ 847

Article 1 — L’état religieux est-il parfait ? 847

Article 2 — Les religieux sont-ils tenus d’observer tous les conseils ? 847

Article 3 — La pauvreté est-elle requise à l’état religieux ? 847

Article 4 — La continence est-elle requise à l’état religieux ? 848

Article 5 — L’obéissance est-elle requise à l’état religieux ? 849

Article 6 — Est-il requis que ces trois dispositions soient sanctionnées par des vœux ? 849

Article 7 — Ces trois vœux suffisent-ils ? 849

Article 8 — Comparaison des trois vœux 850

Article 9 — Les religieux commettent-ils un péché mortel toutes les fois quels transgressent leur règle ? 850

Article 10 — Toutes choses égales et dans le même genre de péché, le religieux pèche-t-il davantage que le séculier ?  851

QUESTION 187 — LES ACTIVITÉS QUI CONVIENNENT AUX RELIGIEUX_ 851

Article 1 — Leur est-il permis d’enseigner, de prêcher et d’exercer d’autres fonctions semblables ? 851

Article 2 — Est-il permis aux religieux de se mêler d’affaires séculières ? 852

Article 3 — Les religieux sont-ils tenus de travailler de leurs mains ? 852

Article 4 — Les religieux ont-ils le droit de vivre d’aumônes ? 853

Article 5 — Est-il permis aux religieux de mendier ? 854

Article 6 — Est-il permis aux religieux de porter des vêtements plus grossiers que les autres ? 854

QUESTION 188 — LES DIVERSES FORMES DE VIE RELIGIEUSE_ 855

Article 1 — Y a-t-il plusieurs formes de vie religieuse, ou une seule ? 855

Article 2 — Un ordre religieux peut-il avoir pour but les œuvres de la vie active ? 855

Article 3 — Un ordre religieux peut-il avoir pour but de faire la guerre ? 856

Article 4 — Un ordre religieux peut-il être institué en vue de la prédication et des œuvres analogues ? 856

Article 5 — Un ordre religieux peut-il être institué en vue de l’étude ? 856

Article 6 — Un ordre religieux voué à la vie contemplative est-il supérieur à un ordre voué à la vie active ? 857

Article 7 — Posséder quelque chose en commun rabaisse-t-il la perfection de la vie religieuse ? 857

Article 8 — La vie religieuse des solitaires doit-elle être mise au-dessus de la vie en communauté ? 858

QUESTION 189 — L’ENTRÉE EN RELIGION_ 859

Article 1 — Ceux qui ne se sont pas exercés à l’observation des préceptes doivent-ils entrer en religion ? 859

Article 2 — Est-il licite d’obliger par vœu certaines personnes à entrer en religion ? 860

Article 3 — Ceux qui se sont obligés par vœu à entrer en religion sont-ils tenus d’accomplir leur vœu ? 860

Article 4 — Ceux qui font vœu d’entrer en religion sont-ils obligés d’y demeurer toujours ? 861

Article 5 — Doit-on recevoir les enfants dans la vie religieuse ? 861

Article 6 — Faut-il détourner certains d’entrer en religion à cause du devoir d’assister leurs parents ? 861

Article 7 — Les curés ou archidiacres peuvent-ils entrer en religion ? 862

Article 8 — Peut-on passer d’un ordre religieux à un autre ? 862

Article 9 — Doit-on engager les autres à entrer en religion ? 863

Article 10 — Est-il requis de délibérer longuement avec sa parenté et ses amis pour entrer en religion ? 863

IIIa PARS — LE CHRIST, LES SACREMENTS 864

QUESTION 1 — LA CONVENANCE DE L’INCARNATION_ 864

Article 1 — Convenait-il à Dieu de s’incarner ? 864

Article 2 — L’Incarnation était-elle nécessaire à la restauration du genre humain ? 864

Article 3 — Si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait-il incarné ? 865

Article 4 — Dieu s’est-il incarné principalement pour enlever le péché originel, plutôt que le péché actuel ? 865

Article 5 — Aurait-il convenu que Dieu s’incarne dès le commencement du monde ? 865

Article 6 — L’Incarnation aurait-elle dû être retardée jusqu’à la fin du monde ? 866

QUESTION 2 — LE MODE D’UNION DU VERBE INCARNÉ_ 866

Article 1 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans la nature ? 867

Article 2 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans la personne ? 867

Article 3 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans le suppôt ou hypostase ? 868

Article 4 — La personne ou hypostase du Christ, après l’Incarnation, est-elle composée ? 868

Article 5 — S’est-il produit une union entre l’âme et le corps dans le Christ ? 868

Article 6 — La nature humaine s’est-elle unie au Verbe de façon accidentelle ? 869

Article 7 — L’union de la nature divine et de la nature humaine est-elle quelque chose de créé ? 869

Article 8 — L’union est-elle identique à l’assomption ? 870

Article 9 — L’union du Verbe incarné est-elle l’union la plus parfaite ? 870

Article 10 — L’union des deux natures dans le Christ a-t-elle été réalisée par la grâce ? 870

Article 11 — Cette union a-t-elle été précédée par des mérites ? 871

Article 12 — La grâce d’union fut-elle naturelle au Christ en tant qu’homme ? 871

QUESTION 3 — LE MODE D’UNION DU VERBE INCARNÉ QUANT A LA PERSONNE QUI ASSUME_ 871

Article 1 — Assumer convient-il à une personne divine ? 871

Article 2 — Assumer convient-il à la nature divine ? 872

Article 3 — La nature peut-elle assumer, abstraction faite de la personnalité ? 872

Article 4 — Une personne divine peut-elle assumer sans une autre ? 872

Article 5 — N’importe quelle personne divine peut-elle assumer ? 873

Article 6 — Plusieurs personnes divines peuvent-elles assumer une seule nature ? 873

Article 7 — Une seule personne divine peut-elle assumer deux natures ? 873

Article 8 — Convenait-il à la personne du Fils, plutôt qu’à une autre personne divine, d’assumer la nature humaine ?  874

QUESTION 4 — LE MODE DE L’UNION, DU CÔTÉ DE LA NATURE HUMAINE ASSUMÉE_ 874

Article 1 — La nature humaine était-elle plus apte que toute autre nature à être assumée par le Fils de Dieu ? 874

Article 2 — Le Fils de Dieu a-t-il assumé une personne ? 875

Article 3 — Le Fils de Dieu a-t-il assumé un homme ? 875

Article 4 — Aurait-il été convenable que le Fils de Dieu assume la nature humaine abstraite de tous ses individus ? 875

Article 5 — Aurait-il été convenable que le Fils de Dieu assume la nature humaine dans tous ses individus ? 876

Article 6 — A-t-il été convenable que le Fils de Dieu assume la nature humaine dans un homme de la descendance d’Adam ?  876

QUESTION 5 — LES MODES DE L’UNION DU CÔTÉ DES PARTIES DE LA NATURE HUMAINE ASSUMÉE_ 876

Article 1 — Le Fils de Dieu devait-il assumer un corps véritable ? 876

Article 2 — Le Fils de Dieu devait-il assumer un corps terrestre, c’est-à-dire fait de chair et de sang ? 877

Article 3 — Le Fils de Dieu a-t-il assumé l’âme ? 877

Article 4 — Le Fils de Dieu devait-il assumer l’intelligence ? 877

QUESTION 6 — LE MODE DE L’UNION QUANT À L’ORDRE DANS LEQUEL S’EST RÉALISÉE L’ASSOMPTION DES PARTIES DE LA NATURE HUMAINE_ 878

Article 1 — Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme ? 878

Article 2 — Le Fils de Dieu a-t-il assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit ou de l’intelligence ? 878

Article 3 — L’âme a-t-elle été assumée avant la chair ? 879

Article 4 — La chair du Christ a-t-elle été assumée par le Verbe avant d’être unie à l’âme ? 879

Article 5 — La nature humaine tout entière a-t-elle été assumée par l’intermédiaire de ses parties ? 879

Article 6 — La nature humaine a-t-elle été assumée par l’intermédiaire de la grâce ? 880

QUESTION 7 — LA GRÂCE DU CHRIST EN TANT QU’HOMME INDIVIDUEL 880

Article 1 — Y a-t-il dans l’âme du Christ la grâce habituelle ? 880

Article 2 — Y a-t-il chez le Christ des vertus ? 880

Article 3 — Le Christ a-t-il eu la foi ? 881

Article 4 — Le Christ avait-il l’espérance ? 881

Article 5 — Le Christ a-t-il possédé les dons du Saint-Esprit ? 881

Article 6 — Le Christ a-t-il eu le don de crainte ? 881

Article 7 — Le Christ a-t-il eu les charismes ? 882

Article 8 — Le Christ a-t-il eu le charisme de prophétie ? 882

Article 9 — Le Christ a-t-il eu la plénitude de la grâce ? 882

Article 10 — La plénitude de la grâce est-elle propre au Christ ? 883

Article 11 — La grâce du Christ est-elle infinie ? 883

Article 12 — La grâce du Christ a-t-elle pu s’accroître ? 883

Article 13 — Quel rapport la grâce habituelle du Christ a-t-elle avec l’union hypostatique ? 884

QUESTION 8 — LA GRÂCE DU CHRIST COMME TÊTE DE L’ÉGLISE_ 884

Article 1 — Le Christ est-il la tête de l’Église ? 884

Article 2 — Le Christ est-il la tête des hommes pour leurs corps, ou seulement pour leurs âmes ? 885

Article 3 — Le Christ est-il la tête de tous les hommes ? 885

Article 4 — Le Christ est-il la tête des anges ? 885

Article 5 — La grâce du Christ comme tête de l’Église est-elle identique à sa grâce habituelle d’homme individuel ? 886

Article 6 — Appartient-il en propre au Christ d’être la tête de l’Église ? 886

Article 7 — Le diable est-il la tête de tous les méchants ? 886

Article 8 — L’Anti-Christ peut-il être appelé la tête de tous les méchants ? 887

QUESTION 9 — LA SCIENCE DU CHRIST_ 887

Article 1 — Le Christ a-t-il possédé une science autre que la science divine ? 887

Article 2 — Le Christ a-t-il possédé la science des bienheureux ou compréhenseurs ? 887

Article 3 — Le Christ a-t-il possédé la science infuse ? 888

Article 4 — Le Christ a-t-il possédé une science acquise ? 888

QUESTION 10 — LA SCIENCE BIENHEUREUSE DE L’ÂME DU CHRIST_ 889

Article 1 — L’âme du Christ a-t-elle eu la compréhension du Verbe ou de l’essence divine ? 889

Article 2 — Dans le Verbe, l’âme du Christ a-t-elle connu toutes choses ? 889

Article 3 — Dans le Verbe, l’âme du Christ a-t-elle connu une infinité de choses ? 889

Article 4 — L’âme du Christ voit-elle le Verbe, ou l’essence divine, plus clairement qu’aucune autre créature ? 890

QUESTION 11 — LA SCIENCE INFUSE DE L’ÂME DU CHRIST_ 890

Article 1 — Par sa science infuse, le Christ connaît-il toutes choses ? 890

Article 2 — Le Christ a-t-il pu employer cette science sans recourir aux images ? 891

Article 3 — Cette science était-elle discursive ? 891

Article 4 — La science infuse du Christ a-t-elle été inférieure à celle des anges ? 891

Article 5 — Cette science était-elle à l’état d’habitus ? 891

Article 6 — Distinguait-on dans cette science plusieurs habitus ? 892

QUESTION 12 — LA SCIENCE ACQUISE OU EXPÉRIMENTALE DE L’ÂME DU CHRIST_ 892

Article 1 — Par cette science le Christ a-t-il connu toutes choses ? 892

Article 2 — Le Christ a-t-il progressé dans cette science ? 892

Article 3 — Le Christ a-t-il été instruit par l’homme ? 893

Article 4 — Le Christ a-t-il été instruit par les anges ? 893

QUESTION 13 — LA PUISSANCE DE L’ÂME DU CHRIST_ 893

Article 1 — L’âme du Christ a-t-elle possédé la toute-puissance de façon absolue ? 893

Article 2 — L’âme du Christ a-t-elle possédé la toute-puissance pour transformer les créatures ? 894

Article 3 — L’âme du Christ a-t-elle possédé la toute-puissance relativement à son propre corps ? 894

Article 4 — L’âme du Christ a-t-elle possédé la toute-puissance pour l’exécution de sa propre volonté ? 895

QUESTION 14 — LES DÉFICIENCES DU CORPS ASSUMÉES PAR LE FILS DE DIEU_ 895

Article 1 — Le Fils de Dieu a-t-il dû assumer, avec la nature humaine, les déficiences du corps ? 895

Article 2 — Le Christ a-t-il assumé la nécessité de subir les déficiences du corps ? 895

Article 3 — Le Christ a-t-il contracté les déficiences du corps ? 896

Article 4 — Le Christ a-t-il assumé toutes les déficiences corporelles ? 896

QUESTION 15 — LES DÉFICIENCES DE L’ÂME ASSUMÉES PAR LE CHRIST_ 896

Article 1 — Y a-t-il eu chez le Christ du péché ? 896

Article 2 — Y avait-il chez le Christ le foyer du péché ? 897

Article 3 — Y a-t-il eu chez le Christ de l’ignorance ? 897

Article 4 — L’âme du Christ était-elle passible ? 898

Article 5 — Y a-t-il eu chez le Christ de la douleur sensible ? 898

Article 6 — Y a-t-il eu chez le Christ de la tristesse ? 898

Article 7 — Y a-t-il eu chez le Christ de la crainte ? 899

Article 8 — Y a-t-il eu chez le Christ de l’étonnement ? 899

Article 9 — Y a-t-il eu chez le Christ de la colère ? 899

Article 10 — Le Christ a-t-il été à la fois voyageur et compréhenseur ? 900

QUESTION 16 — LES CONSÉQUENCES DE L’UNION HYPOSTATIQUE POUR CE QU’ON PEUT ATTRIBUER AU CHRIST SELON L’ÊTRE ET LE DEVENIR_ 900

Article 1 — Est-il vrai de dire — " Dieu est homme " ? 900

Article 2 — Est-il vrai de dire " L’homme est Dieu " ? 901

Article 3 — Le Christ peut-il être appelé " homme du Seigneur " ? 901

Article 4 — Ce qui convient au Fils de l’homme peut-il être attribué au Fils de Dieu, et réciproquement ? 901

Article 5 — Ce qui convient au Fils de l’homme peut-il être attribué à la nature divine, et réciproquement ? 902

Article 6 — Est-il vrai de dire — " Le Fils de Dieu a été fait homme " ? 902

Article 7 — Est-il vrai de dire — " L’homme a été fait Dieu " ? 902

Article 8 — Est-il vrai de dire " Le Christ est une créature " ? 903

Article 9 — Est-il vrai de dire du Christ " Cet homme a commencé d’exister " ? 903

Article 10 — Est-il vrai de dire — " Le Christ, en tant qu’homme, est une créature " ? 903

Article 11 — Est-il vrai de dire — " Le Christ, en tant qu’homme, est Dieu " ? 904

Article 12 — Est-il vrai de dire — " Le Christ, en tant qu’homme, est une hypostase ou personne " ? 904

QUESTION 17 — L’UNITÉ DU CHRIST QUANT A SON ÊTRE_ 904

Article 1 — Le Christ est-il une unité, ou une dualité ? 904

Article 2 — N’y a-t-il dans le Christ qu’une seule existence ? 905

QUESTION 18 — L’UNITÉ DU CHRIST QUANT À SA VOLONTÉ_ 905

Article 1 — Y a-t-il chez le Christ deux volontés, l’une divine et l’autre humaine ? 905

Article 2 — Dans la volonté humaine du Christ y a-t-il une volonté de sensualité, et une autre de raison ? 906

Article 3 — Y a-t-il eu chez le Christ deux volontés rationnelles ? 906

Article 4 — Le Christ avait-il le libre arbitre ? 907

Article 5 — La volonté humaine du Christ a-t-elle dans tous ses vouloirs, conforme à la volonté du Père ? 907

Article 6 — Y a-t-il eu contrariété entre les volontés du Christ ? 907

QUESTION 19 — L’UNITÉ D’OPÉRATION CHEZ LE CHRIST_ 908

Article 1 — N’y a-t-il chez le Christ qu’une seule opération, à la fois divine et humaine ? 908

Article 2 — Y a-t-il chez le Christ plusieurs opérations selon sa nature humaine ? 908

Article 3 — Par l’activité de sa nature humaine, le Christ a-t-il pu mériter pour lui-même ? 909

Article 4 — Par l’activité de sa nature humaine, le Christ a-t-il mérité pour nous ? 909

QUESTION 20 — LA SOUMISSION DU CHRIST À SON PÈRE_ 910

Article 1 — Le Christ a-t-il été soumis à son Père ? 910

Article 2 — Le Christ a-t-il été soumis à lui même ? 910

QUESTION 21 — LA PRIÈRE DU CHRIST_ 911

Article 1 — Convient-il au Christ de prier ? 911

Article 2 — Convient-il au Christ de prier selon sa sensualité ? 911

Article 3 — Convenait-il au Christ de prier pour lui-même, ou seulement pour les autres ? 911

Article 4 — Toute prière du Christ est-elle exaucée ? 912

QUESTION 22 — LE SACERDOCE DU CHRIST_ 912

Article 1 — Convient-il au Christ d’être prêtre ? 912

Article 2 — Le Christ a-t-il été lui-même et à la fois, le prêtre et la victime ? 912

Article 3 — Le sacerdoce du Christ a-t-il pour effet l’expiation des péchés ? 913

Article 4 — Cet effet concerne-t-il le Christ, ou seulement les autres hommes ? 913

Article 5 — L’éternité du sacerdoce du Christ 913

Article 6 — Le Christ doit-il être appelé prêtre selon l’ordre de Melchisédech ? 914

QUESTION 23 — L’ADOPTION DU CHRIST_ 914

Article 1 — Convient-il à Dieu d’adopter des fils ? 914

Article 2 — Adapter des fils convient-il à toute la Trinité ? 914

Article 3 — Être adoptés comme fils de Dieu est-il propre aux hommes ? 915

Article 4 — Le Christ peut-il être appelé fils adoptif ? 915

QUESTION 24 — LA PRÉDESTINATION DU CHRIST_ 915

Article 1 — Le Christ a-t-il été prédestiné ? 915

Article 2 — Le Christ a-t-il été prédestiné en tant qu’homme ? 916

Article 3 — La prédestination du Christ est-elle le modèle de la nôtre ? 916

QUESTION 25 — NOTRE ADORATION DU CHRIST_ 917

Article 1 — Est-ce une seule et même adoration que nous rendons à la divinité du Christ et à son humanité ? 917

Article 2 — Doit-on adorer la chair du Christ d’une adoration de latrie ? 917

Article 3 — Doit-on rendre un culte de latrie à l’image du Christ ? 917

Article 4 — Doit-on rendre un culte de latrie à la croix du Christ ? 918

Article 5 — Doit-on rendre un culte de latrie à la mère du Christ ? 918

Article 6 — L’adoration des reliques des saints 918

QUESTION 26 — LA MÉDIATION DU CHRIST ENTRE DIEU ET LES HOMMES_ 919

Article 1 — Est-il propre au Christ d’être médiateur entre Dieu et les hommes ? 919

Article 2 — La médiation convient-elle au Christ selon sa nature humaine ? 919

QUESTION 27 — LA SANCTIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE_ 919

Article 1 — La Bienheureuse Vierge Mère de Dieu a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance ? 919

Article 2 — La Bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant son animation ? 920

Article 2 — Cette sanctification a-t-elle totalement supprimé chez la Bienheureuse Vierge le foyer du péché ? 920

Article 5 — Cette sanctification a-t-elle donné à la Bienheureuse de ne jamais pécher ? 921

Article 5 — Cette sanctification a-t-elle procuré à la Bienheureuse Vierge la plénitude de grâces ? 921

Article 6 — Est-il propre à la Bienheureuse Vierge d’avoir été ainsi sanctifiée ? 922

QUESTION 28 — LA VIRGINITÉ DE LA BIENHEUREUSE MARIE_ 922

Article 1 — La Mère de Dieu a-t-elle été vierge en concevant le Christ ? 922

Article 2 — La Mère de Dieu est-elle demeurée vierge en l’enfantant ? 923

Article 3 — La Mère de Dieu est-elle demeurée vierge après l’enfantement ? 923

Article 4 — La Mère de Dieu avait-elle fait vœu de virginité ? 924

QUESTION 29 — LES FIANÇAILLES DE LA MÈRE DE DIEU_ 924

Article 1 — Le Christ devait-il naître d’une fiancée ? 924

Article 2 — Y eut-il un vrai mariage entre Marie, mère du Seigneur, et Joseph ? 925

QUESTION 30 — L’ANNONCIATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE_ 926

Article 1 — Convenait-il d’annoncer à la Bienheureuse Vierge ce qui allait se faire en elle ? 926

Article 2 — Qui devait faire cette annonce ? 927

Article 3 — De quelle manière l’annonciation devait-elle se faire ? 928

Article 4 — Dans quel ordre s’est accompli l’Annonciation ? 930

QUESTION 31 — LA MATIÈRE À PARTIR DE LAQUELLE FUT CONÇU LE CORPS DU SAUVEUR_ 931

Article 1 — La chair du Christ a-t-elle été prise d’Adam ? 931

Article 2 — La chair du Christ a-t-elle été prise de David ? 932

Article 3 — La généalogie du Christ d’après les évangiles 933

Article 4 — Convenait-il que le Christ naisse d’une femme ? 936

Article 5 — Le corps du Christ a-t-il été formé du sang le plus pur de la Vierge ? 937

Article 6 — La chair du Christ a-t-elle existé chez les anciens patriarches selon un élément déterminé ? 938

Article 7 — La chair du Christ, chez les patriarches, fut-elle sujette au péché ? 939

Article 8 — Le Christ a-t-il payé la dîme comme étant présent dans son aïeul Abraham ? 940

QUESTION 32 — LE PRINCIPE ACTIF DE LA CONCEPTION DU CHRIST_ 941

Article 1 — Le Saint-Esprit a-t-il été le principe actif de la conception du Christ ? 941

Article 2 — Peut-on dire que le Christ a été conçu du Saint-Esprit ? 943

Article 4 — La Bienheureuse Vierge a-t-elle eu un rôle actif dans la conception du Christ ? 944

QUESTION 33 — LE MODE ET L’ORDRE DE LA CONCEPTION DU CHRIST_ 945

Article 1 — Le corps du Christ a-t-il été formé au premier instant de sa conception ? 945

Article 2 — Le corps du Christ a-t-il été animé dès le premier instant de sa conception ? 946

Article 3 — Le corps du Christ a-t-il été assumé par le Verbe dès le premier instant de sa conception ? 947

Article 4 — La conception du Christ a-t-elle été naturelle ou surnaturelle ? 948

QUESTION 34 — LA PERFECTION DU CHRIST DÈS SA CONCEPTION_ 949

Article 1 — Au premier instant de sa conception, le Christ a-t-il été sanctifié par la grâce ? 949

Article 2 — Au premier instant de sa conception, le Christ a-t-il eu l’usage de son libre arbitre ? 950

Article 3 — Au premier instant de sa conception, le Christ a-t-il pu mériter ? 951

Article 4 — Le Christ a-t-il pleinement joui de la vision béatifique au premier instant de sa conception ? 952

QUESTION 35 — LA NAISSANCE DU CHRIST_ 952

Article 1 — La naissance appartient-elle à la nature ou à la personne ? 952

Article 2 — Faut-il attribuer au Christ une autre naissance que sa naissance éternelle ? 953

Article 3 — La Bienheureuse Vierge est-elle la mère du Christ selon sa naissance temporelle ? 954

Article 4 — La Bienheureuse Vierge doit-elle être appelée Mère de Dieu ? 955

Article 5 — Le Christ est-il Fils de Dieu le Père et de la Vierge-Mère selon deux filiations ? 956

Article 6 — Le mode de naissance du Christ 958

Article 7 — Le lieu de la naissance du Christ 959

Article 8 — L’époque de la naissance du Christ 960

QUESTION 36 — LA MANIFESTATION DU CHRIST À LA NAISSANCE_ 961

Article 1 — La naissance du Christ devait-elle être manifestée à tous ? 961

Article 2 — La naissance du Christ devait-elle être manifestée à quelques-uns ? 961

Article 3 — A qui la naissance du Christ devait-elle être manifestée ? 963

Article 4 — Le Christ devait-il se manifester lui-même ou par d’autres ? 964

Article 5 — Par quels autres moyens le Christ aurait-il dû se manifester ? 965

Article 6 — L’ordre de ces manifestations 966

Article 7 — L’étoile par laquelle la naissance du Christ fut manifestée_ 967

Article 8 — L’adoration des mages 969

QUESTION 37 — LES PRESCRIPTIONS LÉGALES OBSERVÉES AU SUJET DE JÉSUS ENFANT_ 970

Article 1 — La circoncision du Christ 970

Article 2 — L’imposition du nom de Jésus 971

Article 3 — L’oblation de Jésus au Temple_ 972

Article 4 — La purification de la Mère de Dieu_ 974

QUESTION 38 — LE BAPTÊME DE JEAN_ 974

Article 1 — Convenait-il à Jean de baptiser ? 974

Article 2 — Le baptême de Jean venait-il de Dieu ? 975

Article 3 — Le baptême de Jean conférait-il la grâce ? 976

Article 4 — D’autres que le Christ devaient-ils recevoir le baptême de Jean ? 977

Article 5 — Ce baptême devait-il cesser après avoir été reçu par le Christ ? 978

Article 6 — Ceux qui avaient reçu le baptême de Jean devaient-ils recevoir ensuite le baptême institué par le Christ ?  978

QUESTION 39 — LE BAPTÊME REÇU PAR LE CHRIST_ 980

Article 1 — Le Christ devait-il être baptisé ? 980

Article 2 — Le Christ devait-il être baptisé du baptême de Jean ? 981

Article 3 — L’âge auquel le Christ reçut le baptême_ 981

Article 4 — Le lieu de baptême du Christ 983

Article 5 — " Les cieux se sont ouverts " 983

Article 6 — L’apparition du Saint-Esprit sous forme de colombe_ 985

Article 7 — Cette colombe fut-elle un véritable animal ? 987

Article 8 — Le témoignage de la voix du Père_ 987

QUESTION 40 — LE GENRE DE VIE DU CHRIST_ 988

Article 1 — Le Christ devait-il mener la vie solitaire, ou bien vivre parmi les hommes ? 988

Article 2 — Le Christ devait-il mener une vie austère ? 990

Article 3 — Le Christ devait-il vivre en ce monde en étant méprisé, ou bien riche et honoré ? 991

Article 4 — Le Christ devait-il vivre selon la loi ? 992

QUESTION 41 — LA TENTATION DU CHRIST_ 993

Article 1 — Était-il convenable que le Christ fût tenté ? 993

Article 2 — Le lieu de la tentation_ 994

Article 3 — Le moment de la tentation_ 995

Article 4 — Le genre et l’ordre des tentations 997

QUESTION 42 — L’ENSEIGNEMENT DU CHRIST_ 999

Article 1 — Le Christ devait-il prêcher aux Juifs seulement ou bien aux païens aussi ? 999

Article 2 — Dans sa prédication, le Christ aurait-il dû éviter de heurter les juifs ? 1000

Article 3 — Le Christ devait-il enseigner en public ou secrètement ? 1001

Article 4 — Le Christ devait-il enseigner seulement par la parole, ou aussi par l’écrit ? 1002

QUESTION 43 — LES MIRACLES DU CHRIST DANS LEUR ENSEMBLE_ 1003

Article 1 — Le Christ devait-il faire des miracles ? 1003

Article 2 — Le Christ a-t-il fait des miracles par une vertu divine ? 1004

Article 3 — A quel moment le Christ a-t-il commencé de faire des miracles ? 1005

Article 4 — Les miracles du Christ ont-ils suffisamment montré sa divinité ? 1006

QUESTION 44 — LES DIVERSES CATÉGORIES DE MIRACLES DU CHRIST_ 1008

Article 1 — Les miracles opérés par le Christ sur les substances spirituelles 1008

Article 2 — Les miracles opérés par le Christ sur les corps célestes 1010

Article 3 — Les miracles accomplis par le Christ sur les hommes 1012

Article 4 — Les miracles accomplis par le Christ sur des créatures dépourvues de raison_ 1014

QUESTION 45 — LA TRANSFIGURATION DU CHRIST_ 1015

Article 1 — Convenait-il que le Christ soit transfiguré ? 1015

Article 2 — La lumière de la Transfiguration était-elle la lumière de gloire ? 1016

Article 3 — Les témoins de la Transfiguration_ 1018

Article 4 — Le témoignage de la voix du Père_ 1019

QUESTION 46 — LA PASSION DU CHRIST_ 1020

Article 1 — Était-il nécessaire que le Christ souffrît pour délivrer les hommes ? 1020

Article 2 — Y avait-il une autre manière possible de délivrer les hommes ? 1021

Article 3 — Cette manière de délivrer les hommes était-elle la plus appropriée ? 1022

Article 4 — Convenait-il que le Christ souffre sur la croix ? 1024

Article 5 — Le caractère universel de la Passion_ 1025

Article 6 — La douleur que le Christ a endurée dans sa passion fut-elle la plus grande ? 1026

Article 7 — Toute l’âme du Christ a-t-elle souffert dans sa passion ? 1028

Article 8 — Sa passion a-t-elle empêché le Christ d’éprouver la joie béatifique ? 1029

Article 9 — Le temps de la Passion_ 1030

Article 10 — Le lieu de la Passion_ 1032

Article 11 — Convenait-il que le Christ soit crucifié avec des bandits ? 1033

Article 12 — La passion du Christ doit-elle être attribuée à sa divinité ? 1034

QUESTION 47 — LA CAUSE EFFICIENTE DE LA PASSION_ 1035

Article 1 — Le Christ a-t-il été mis à mort par autrui ou par lui-même ? 1035

Article 2 — Pour quel motif le Christ s’est-il livré à la Passion ? 1036

Article 3 — Est-ce le Père qui a livré le Christ à la Passion ? 1037

Article 4 — Convenait-il que le Christ souffre de la part des païens ? 1038

Article 5 — Les meurtriers du Christ l’ont-ils connu ? 1039

Article 6 — Le péché des meurtriers du Christ 1040

QUESTION 48 — LA MANIÈRE DONT LA PASSION DU CHRIST A PRODUIT SES EFFETS_ 1041

Article 1 — La passion du Christ a-t-elle causé notre salut par mode de mérite ? 1041

Article 2 — La passion du Christ a-t-elle causé notre salut par mode de satisfaction ? 1041

Article 3 — La passion du Christ a-t-elle causé notre salut par mode de sacrifice ? 1042

Article 4 — La passion du Christ a-t-elle causé notre salut par mode de rachat ? 1043

Article 5 — Est-il propre au Christ d’être le Rédempteur ? 1044

Article 6 — La passion du Christ a-t-elle produit les effets de notre salut par mode d’efficience ? 1045

QUESTION 49 — LES EFFETS DE LA PASSION DU CHRIST_ 1046

Article 1 — Par la passion du Christ sommes-nous délivrés du péché ? 1046

Article 2 — Par la passion du Christ sommes-nous délivrés de la puissance du démon ? 1047

Article 3 — Par la passion du Christ sommes-nous délivrés de l’obligation du châtiment ? 1048

Article 4 — Par la passion du Christ sommes-nous réconciliés avec Dieu ? 1049

Article 5 — Par la passion du Christ, la porte du ciel nous a-t-elle été ouverte ? 1050

Article 6 — Est-ce par la passion que le Christ a obtenu son exaltation dans la gloire ? 1051

QUESTION 50 — LA MORT DU CHRIST_ 1052

Article 1 — Convenait-il au Christ de mourir ? 1052

Article 2 — Par la mort du Christ, sa divinité a-t-elle été séparée de sa chair ? 1053

Article 3 — A la mort du Christ, la divinité a-t-elle été séparée de son âme ? 1054

Article 4 — Durant les trois jours de sa mort, le Christ est-il resté homme ? 1055

Article 5 — Y avait-il identité numérique entre son corps mort et son corps vivant ? 1056

Article 6 — La mort du Christ a-t-elle contribué à notre salut ? 1057

QUESTION 51 — L’ENSEVELISSEMENT DU CHRIST_ 1058

Article 1 — Convenait-il au Christ d’être enseveli ? 1058

Article 2 — Le mode de l’ensevelissement du Christ 1059

Article 3 — Dans le sépulcre, le corps du Christ s’est-il décomposé ? 1060

Article 4 — Combien de temps le Christ est-il resté dans le sépulcre ? 1061

QUESTION 52 — LA DESCENTE DU CHRIST AUX ENFERS_ 1062

Article 1 — Convenait-il au Christ de descendre aux enfers ? 1062

Article 2 — En quel enfer le Christ est-il descendu ? 1063

Article 3 — Le Christ a-t-il été tout entier dans les enfers ? 1065

Article 4 — Le Christ a-t-il séjourné quelque temps dans les enfers ? 1065

Article 5 — Le Christ a-t-il délivré des enfers les saints patriarches ? 1066

Article 6 — Le Christ a-t-il délivré de l’enfer des damnés ? 1067

Article 7 — Le Christ a-t-il délivré les enfants morts avec le seul péché originel ? 1068

Article 8 — Par sa descente aux enfers, le Christ a-t-il libéré les hommes du purgatoire ? 1069

QUESTION 53 — LA RÉSURRECTION DU CHRIST EN ELLE-MÊME_ 1070

Article 1 — La nécessité de la Résurrection_ 1070

Article 2 — La résurrection du Christ au troisième jour 1071

Article 3 — Dans quel ordre s’est accomplie la résurrection du Christ ? 1073

Article 4 — La cause de la résurrection du Christ 1074

QUESTION 54 — LES QUALITÉS DU CHRIST RESSUSCITÉ_ 1075

Article 1 — Après la résurrection, le Christ a-t-il eu un corps véritable ? 1075

Article 2 — Le corps du Christ ressuscité était-il glorieux ? 1076

Article 3 — Le Christ est-il ressuscité avec l’intégré de son corps ? 1077

Article 4 — Les cicatrices que l’on voyait sur le corps du Ressuscité_ 1078

QUESTION 55 — LA MANIFESTATION DE LA RÉSURRECTION_ 1079

Article 1 — La résurrection du Christ devait-elle être manifestée à tous ? 1080

Article 2 — Aurait-il convenu que le Christ ressuscite à la vue de ses disciples ? 1081

Article 3 — Après sa résurrection, le Christ aurait-il dû continuer à vivre avec ses disciples ? 1081

Article 4 — Convenait-il que le Christ apparaisse à ses disciples sous un autre visage ? 1083

Article 5 — Le Christ devait-il manifester la réalité de sa résurrection par des preuves ? 1084

Article 6 — Les preuves apportées par le Christ ont-elles suffisamment manifesté la réalité de sa résurrection ? 1085

QUESTION 56 — LA CAUSALITÉ DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST_ 1088

Article 1 — La résurrection du Christ est-elle la cause de notre résurrection ? 1088

Article 2 — La résurrection du Christ est-elle la cause de notre justification ? 1089

QUESTION 57 — L’ASCENSION DU CHRIST_ 1090

Article 1 — Convenait-il que le Christ monte au ciel ? 1090

Article 2 — Selon quelle nature convenait-il au Christ de monter au ciel ? 1092

Article 3 — Le Christ est-il monté au ciel par sa propre puissance ? 1093

Article 4 — Le Christ est-il monté au-dessus de tous les cieux corporels ? 1094

Article 5 — Le corps du Christ est-il monté au-dessus de toutes les créatures spirituelles ? 1095

Article 6 — Les effets de l’Ascension_ 1096

QUESTION 58 — LA SESSION DU CHRIST À LA DROITE DU PÈRE_ 1097

Article 1 — Convient-il que le Christ siège à la droite du Père ? 1097

Article 2 — Siéger a la droite du Père convient-il au Christ en tant que Dieu ? 1098

Article 3 — Siéger à la droite du Père convient-il au Christ en tant qu’homme ? 1098

Article 4 — Siéger à la droite du Père est-il propre au Christ ? 1100

QUESTION 59 — LE POUVOIR JUDICIAIRE DU CHRIST_ 1101

Article 1 — Le pouvoir judiciaire doit-il être attribué au Christ ? 1101

Article 2 — Le pouvoir judiciaire convient-il au Christ en tant qu’homme ? 1102

Article 3 — Le Christ a-t-il obtenu le pouvoir judiciaire par ses mérites ? 1103

Article 4 — Le pouvoir judiciaire du Christ est-il universel par rapport à toutes les affaires humaines ? 1104

Article 5 — Outre le jugement que le Christ exerce dans le temps présent, faut-il attendre qu’il exerce un autre jugement universel dans les temps à venir ? 1105

Article 6 — Le pouvoir judiciaire du Christ s’étend-il même aux anges ? 1106

QUESTION 60 — L’ESSENCE DU SACREMENT_ 1107

Article 1 — Le sacrement entre-t-il dans le genre du signe ? 1108

Article 2 — Tout signe d’une réalité sacrée est-il un sacrement ? 1108

Article 3 — Le sacrement est-il signe d’une réalité unique ou de plusieurs ? 1109

Article 4 — Le signe sacramentel est-il une chose sensible ? 1110

Article 5 — Le signe sacramentel requiert-il une chose sensible déterminée ? 1111

Article 6 — Le sacrement requiert-il une signification opérée par des paroles ? 1112

Article 7 — Les sacrements requièrent-ils des paroles déterminées ? 1113

Article 8 — Peut-on ajouter ou enlever quelque chose à ces paroles ? 1114

QUESTION 61 — LA NÉCESSITÉ DES SACREMENTS_ 1115

Article 1 — Les sacrements sont-ils nécessaires au salut de l’homme ? 1116

Article 2 — Les sacrements étaient-ils nécessaires dans l’état qui a précédé le péché ? 1116

Article 3 — Les sacrements étaient-ils nécessaires dans l’état qui a suivi le péché ? 1117

Article 4 — Les sacrements étaient-ils nécessaires après la venue du Christ ? 1118

QUESTION 62 — L’EFFET PRINCIPAL DES SACREMENTS QUI EST LA GRÂCE_ 1119

Article 1 — Les sacrements de la loi nouvelle sont-ils cause de la grâce ? 1119

Article 2 — La grâce sacramentelle ajoute-t-elle quelque chose à la grâce des vertus et des dons ? 1121

Article 3 — Les sacrements contiennent-ils la grâce ? 1121

Article 4 — Y a-t-il dans les sacrements une vertu pour causer la grâce ? 1122

Article 5 — Cette vertu des sacrements découle-t-elle de la passion du Christ ? 1123

Article 6 — Les sacrements de l’ancienne loi causaient-ils la grâce_ 1124

QUESTION 63 — L’EFFET SECOND DES SACREMENTS QUI EST LE CARACTÈRE_ 1126

Article 1 — Les sacrements produisent-ils dans l’âme un caractère ? 1126

Article 2 — Quelle est l’essence de ce caractères ? 1127

Article 3 — De qui est-il l’empreinte ? 1128

Article 4 — Quel est le sujet dans lequel réside le caractère ? 1129

Article 5 — Le caractère est-il indélébile ? 1130

QUESTION 64 — LA CAUSE DES SACREMENTS_ 1131

Article 1 — Dieu est-il seul à réaliser l’effet intérieur du sacrement ? 1131

Article 2 : L’institution des sacrements a-t-elle Dieu seul pour auteur ? 1132

Article 3 — Le pouvoir du Christ sur les sacrements 1133

Article 4 — Le Christ pouvait-il communiquer à d’autres son pouvoir sur les sacrements ? 1134

Article 5 — Les mauvais peuvent-ils avoir un pouvoir ministériel sur les sacrements ? 1135

Article 6 — Les mauvais pèchent-ils en administrant les sacrements ? 1135

Article 7 — Les anges peuvent-ils être ministres des sacrements ? 1137

Article 8 — L’intention du ministre est-elle requise dans les sacrements ? 1137

Article 9 — Une foi droite est-elle requise au point qu’un infidèle ne puisse donner les sacrements ? 1138

Article 10 — L’intention droite est-elle requise ? 1140

QUESTION 65 — LE NOMBRE DES SACREMENTS_ 1140

Article 1 — Y a-t-il sept sacrements 1140

Article 2 — L’ordre réciproque des sacrements 1143

Article 3 — La hiérarchie des sacrements 1144

Article 4 — Les sacrements sont-ils tous nécessaires au salut ? 1145

QUESTION 66 — LA NATURE DU SACREMENT DE BAPTÊME_ 1146

Article 1 — Qu’est-ce que le baptême ? Est-ce une ablution ? 1146

Article 2 — L’institution de ce sacrement 1147

Article 3 — L’eau est-elle la matière propre du baptême ? 1148

Article 4 — Faut-il de l’eau pure ? 1149

Article 5 — La forme — " Moi, je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ", convient-elle à ce sacrement ?  1150

Article 6 — Peut-on baptiser sous cette forme " Je te baptise au nom du Christ " ? 1152

Article 7 — L’immersion est-elle nécessaire au baptême ? 1153

Article 8 — Faut-il une triple immersion ? 1154

Article 9 — Le baptême peut-il être réitéré ? 1155

Article 10 — La liturgie du baptême_ 1157

Article 11 — Les différentes sortes de baptême_ 1158

Article 12 — Comparaison entre ces baptêmes 1159

QUESTION 67 — LES MINISTRES DU BAPTÊME_ 1160

Article 1 — Est-ce au diacre qu’il appartient de baptiser ? 1160

Article 2 — Est-ce au prêtre ou seulement à l’évêque qu’il appartient de baptiser ? 1160

Article 3 — Un laïc peut-il conférer le baptême ? 1161

Article 4 — Une femme peut-elle baptiser ? 1162

Article 5 — Un non-baptisé peut-il conférer le baptême ? 1163

Article 6 — Plusieurs ministres peuvent-ils baptiser en même temps un seul et même sujet ? 1164

Article 7 — Est-il nécessaire que quelqu’un reçoive le baptisé au sortir des fonts ? 1165

Article 8 - Son parrain est-il tenu d’instruire le baptisé ? 1166

QUESTION 68 — CEUX QUI REÇOIVENT LE BAPTÊME_ 1166

Article 1 — Tous les hommes sont-ils tenus de recevoir le baptême ? 1167

Article 2 — Peut-on être sauvé sans le baptême ? 1168

Article 3 — Le baptême doit-il être retardé ? 1168

Article 4 — Faut-il baptiser les pécheurs ? 1170

Article 5 — Faut-il imposer des œuvres satisfactoires aux pécheurs qu’on a baptisés ? 1171

Article 6 — La confession des péchés est-elle requise ? 1171

Article 7 — L’intention est-elle requise chez le baptisé ? 1172

Article 8 — La foi est-elle requise chez le baptisé ? 1173

Article 9 — Faut-il baptiser les enfants ? 1174

Article 10 — Faut-il baptiser les enfants des juifs malgré leurs parents ? 1175

Article 11 — Peut-on baptiser les enfants qui sont encore dans le sein de leur mère ? 1176

Article 12 — Faut-il baptiser les fous et les déments ? 1177

QUESTION 69 — LES EFFETS DU BAPTÊME_ 1178

Article 1 — Le baptême enlève-t-il tous les péchés ? 1178

Article 2 — Le baptême délivre-t-il de toute peine ? 1179

Article 3 — Le baptême enlève-t-il les maux de cette vie ? 1180

Article 4 — Le baptême confère-t-il à l’homme la grâce et les vertus ? 1181

Article 5 — Les effets des vertus conférées par le baptême_ 1182

Article 6 — Même les petits enfants reçoivent-ils au baptême la grâce et les vertus ? 1182

Article 7 — Le baptême ouvre-t-il aux baptisés la porte du royaume des cieux ? 1183

Article 8 — Le baptême produit-il un effet égal chez tous les baptisés ? 1184

Article 9 — La " fiction " empêche-t-elle l’effet du baptême ? 1185

Article 10 — Quand la fiction disparaît, le baptême obtient-il son effet ? 1186

QUESTION 70 — LA CIRCONCISION_ 1187

Article 1 — La circoncision a-t-elle préparé et préfiguré le baptême ? 1187

Article 2 — L’institution de la circoncision_ 1187

Article 3 — Le rite de la circoncision_ 1188

Article 4 — L’effet de la circoncision_ 1189

QUESTION 71 — LE CATÉCHISME ET L’EXORCISME_ 1191

Article 1 — Le catéchisme doit-il précéder le baptême ? 1191

Article 2 — L’exorcisme doit-il précéder le baptême ? 1192

Article 3 — Ce qui se fait dans l’exorcisme a-t-il une efficacité ou seulement valeur de signe ? 1193

Article 4 — Est-ce le prêtre qui doit catéchiser et exorciser les candidats au baptême ? 1194

QUESTION 72 — LE SACREMENT DE CONFIRMATION_ 1195

Article 1 — La confirmation est-elle un sacrement ? 1195

Article 2 — La matière de la confirmation_ 1196

Article 3 — Est-il nécessaire au sacrement que le chrême ait été consacré par l’évêque ? 1197

Article 4 — La forme de la confirmation_ 1198

Article 5 — La confirmation imprime-t-elle un caractère ? 1199

Article 6 — Le caractère de la confirmation suppose-t-il le caractère baptismal ? 1200

Article 7 — La confirmation confère-t-elle la grâce ? 1201

Article 8 — A qui convient-il de recevoir ce sacrement ? 1202

Article 9 — Sur quelle partie du corps ce sacrement doit-il être administré ? 1203

Article 10 — Faut-il quelqu’un pour tenir le confirmand ? 1204

Article 11 — Ce sacrement est-il donné seulement par l’évêque ? 1205

Article 12 — Le rite de la confirmation_ 1206

QUESTION 73 — LE SACREMENT D’EUCHARISTIE EN TANT QUE TEL 1206

Article 1 — L’eucharistie est-elle un sacrement ? 1207

Article 2 — L’eucharistie est-elle un seul sacrement ou plusieurs ? 1208

Article 3 — Ce sacrement est-il nécessaire au salut ? 1208

Article 4 — Convient-il que ce sacrement soit désigné par plusieurs noms ? 1210

Article 5 — Ce sacrement a-t-il été judicieusement institué ? 1210

Article 6 — L’agneau pascal fut-il la principale figure de ce sacrement ? 1212

QUESTION 74 — CE QUI DÉTERMINE LA MATIÈRE DE L’EUCHARISTIE_ 1212

Article 1 — La matière de ce sacrement est-elle le pain et le vin ? 1213

Article 2 — Une quantité déterminée de pain et de vin est-elle requise à la matière de ce sacrement ? 1214

Article 3 — Le pain de froment est-il requis à la matière de ce sacrement ? 1214

Article 4 — Ce sacrement doit-il être fait avec du pain azyme ? 1216

Article 5 — Le vin de la vigne est-il la matière propre de ce sacrement ? 1217

Article 6 — Faut-il mêler de l’eau au vin ? 1218

Article 7 — Le mélange d’eau avec le vin est-il nécessaire à ce sacrement ? 1218

Article 8 — La quantité d’eau à mettre_ 1219

QUESTION 75 — LA CONVERSION DU PAIN ET DU VIN AU CORPS ET AU SANG DU CHRIST_ 1220

Article 1 — Le corps du Christ est-il dans ce sacrement en vérité, ou seulement en figure ou comme dans un signe_ 1220

Article 2 — La substance du pain et du vin subsiste-t-elle dans ce sacrement après la consécration ? 1222

Article 3 — La substance du pain, après la consécration de ce sacrement, est-elle anéantie, ou se résout-elle en une matière antérieure ? 1223

Article 4 — Le pain peut-il être converti au corps du Christ ? 1224

Article 5 — Les accidents du pain et du vin subsistent-ils dans ce sacrement ? 1226

Article 6 — Après la consécration, la forme substantielle du pain subsiste-t-elle dans ce sacrement ? 1227

Article 7 — Cette conversion se fait-elle instantanément ? 1228

Article 8 — Cette proposition est-elle vraie " À partir du pain devient le corps du Christ " ? 1229

QUESTION 76 — LE MODE D’EXISTENCE DU CHRIST DANS CE SACREMENT_ 1231

Article 1 — Le Christ tout entier est-il contenu dans ce sacrement ? 1231

Article 2 — Le Christ est-il tout entier dans chacune des deux espèces ? 1232

Article 3 — Le Christ est-il tout entier sous chaque partie des espèces ? 1233

Article 4 — Les dimensions du corps du Christ sont-elles tout entières dans ce sacrement ? 1234

Article 5 — Le corps du Christ est-il dans ce sacrement comme dans un lieu ? 1235

Article 6 — Le corps du Christ est-il déplacé lorsque l’on déplace l’hostie ou la coupe après la consécration ? 1236

Article 7 — Le corps du Christ, tel qu’il est dans ce sacrement, peut-il être vu par un œil au moins glorifié ? 1238

Article 8 — Le vrai corps du Christ subsiste-t-il dans ce sacrement quand il apparaît miraculeusement sous l’apparence d’un enfant ou d’un morceau de chair ? 1239

QUESTION 77 — LES ACCIDENTS QUI SUBSISTENT DANS CE SACREMENT_ 1240

Article 1 — Les accidents qui subsistent sont-ils privés de sujet ? 1240

Article 2 — La quantité est-elle le sujet des autres accidents ? 1242

Article 3 — Ces accidents peuvent-ils modifier un corps extérieur ? 1243

Article 4 — Ces accidents peuvent-ils se dissoudre ? 1244

Article 5 — Ces accidents peuvent-ils engendrer une autre réalité ? 1245

Article 6 — Les accidents peuvent-ils nourrir ? 1247

Article 7 — La fraction du pain consacré_ 1248

Article 8 — Peut-on mélanger un liquide au vin consacré ? 1249

QUESTION 78 — LA FORME DE CE SACREMENT_ 1251

Article 1 — Quelle est la forme de ce sacrement ? 1251

Article 2 — La forme de la consécration du pain est-elle appropriée ? 1252

Article 3 — La forme de la consécration du sang est-elle appropriée ? 1254

Article 4 — La vertu de ces deux formes 1256

Article 5 — La vérité de ces paroles 1257

Article 6 — Les relations entre les deux formes 1259

QUESTION 79 — LES EFFETS DE CE SACREMENT_ 1260

Article 1 — Ce sacrement confère-t-il la grâce ? 1260

Article 2 — L’effet de ce sacrement est-il l’obtention de la gloire ? 1261

Article 3 — L’effet de ce sacrement est-il la rémission du péché mortel ? 1262

Article 4 — Le péché véniel est-il remis par ce sacrement ? 1263

Article 5 — Toute la peine du péché est-elle remise par ce sacrement ? 1264

Article 6 — Ce sacrement préserve-t-il des péchés futurs ? 1265

Article 7 — Ce sacrement profite-t-il à d’autres qu’à ceux qui le consomment ? 1266

Article 8 — Ce qui empêche l’effet de ce sacrement 1267

QUESTION 80 — L’USAGE OU MANDUCATION DE CE SACREMENT, EN GÉNÉRAL 1268

Article 1 — Y a-t-il deux manières de manger ce sacrement — sacramentellement et spirituellement ? 1268

Article 2 — Manger spirituellement ce sacrement convient-il seulement à l’homme ? 1269

Article 3 — Manger le Christ sacramentellement convient-il seulement à l’homme juste ? 1270

Article 4 — Le pécheur commet-il un péché en mangeant sacramentellement le corps du Christ ? 1271

Article 5 — La gravité de ce péché_ 1273

Article 6 — Doit-on repousser le pécheur qui vient à ce sacrement ? 1275

Article 7 — La pollution nocturne empêche-t-elle de recevoir ce sacrements ? 1276

Article 8 — Ce sacrement doit-il être reçu seulement par ceux qui sont à jeun ? 1278

Article 9 — Doit-on proposer ce sacrement à ceux qui n’ont pas l’usage de la raison ? 1280

Article 10 — Faut-il recevoir ce sacrement quotidiennement ? 1281

Article 11 — Est-il permis de s’abstenir totalement de la communion ? 1283

QUESTION 81 — COMMENT LE CHRIST A USÉ DE CE SACREMENT DANS SA PREMIÈRE INSTITUTION_ 1284

Article 1 — Le Christ a-t-il consommé son corps et son sang ? 1284

Article 2 — Le Christ a-t-il donné son corps à Judas ? 1285

Article 3 — Quel corps le Christ a-t-il consommé et donné — passible, ou impassible ? 1286

Article 4 — En quel état se serait trouvé le Christ dans ce sacrement si celui-ci avait été conservé ou consacré pendant les trois jours où il était mort ? 1287

QUESTION 82 — LE MINISTRE DE CE SACREMENT_ 1288

Article 1 — Consacrer ce sacrement est-il le propre du prêtre ? 1288

Article 2 — Plusieurs prêtres peuvent-ils consacrer ensemble la même hostie ? 1289

Article 3 — La dispensation de ce sacrement appartient-elle au seul prêtre ? 1289

Article 4 — Est-il permis au prêtre qui consacre de s’abstenir de communier ? 1290

Article 5 — Un prêtre pécheur peut-il consacrer l’eucharistie ? 1291

Article 6 — La messe d’un mauvais prêtre a-t-elle moins de valeur que la messe d’un bon prêtre ? 1292

Article 7 — Les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés peuvent-ils consacrer ce sacrement ? 1293

Article 8 — Un prêtre dégradé peut-il consacrer ce sacrement ? 1294

Article 9 — Ceux qui reçoivent la communion donnée par de tels prêtres commettent-ils un péché ? 1295

Article 10 — Est-il permis à un prêtre de s’abstenir totalement de célébrer ? 1296

QUESTION 83 — LE RITE DE CE SACREMENT_ 1297

Article 1 — Dans la célébration de ce mystère, le Christ est-il immolé ? 1297

Article 2 — Le temps de la célébration_ 1298

Article 3 — Le lieu et tout l’apparat de cette célébration_ 1300

Article 4 — Les paroles que l’on dit en célébrant ce mystère_ 1303

Article 5 — Les actions qui accompagnent la célébration de ce mystère_ 1307

Article 6 — Les défauts qui se rencontrent dans la célébration de ce sacrement 1311

QUESTION 84 — LA PÉNITENCE EN TANT QUE SACREMENT_ 1314

Article 1 — La pénitence est-elle un sacrement ? 1314

Article 2 — La matière propre de ce sacrement 1315

Article 3 — La forme de ce sacrement 1316

Article 4 — L’imposition des mains est-elle requise au sacrement ? 1318

Article 5 — Ce sacrement est-il nécessaire au salut ? 1319

Article 6 — Les rapports de la pénitence avec les autres sacrements 1320

Article 7 — L’institution de ce sacrement 1321

Article 8 — La durée de la pénitence_ 1322

Article 9 — La pénitence doit-elle être continuelle ? 1323

Article 10 — Le sacrement de pénitence peut-il être renouvelé ? 1324

QUESTION 85 — LA VERTU DE PÉNITENCE_ 1326

Article 1 — La pénitence est-elle une vertu ? 1326

Article 2 — La pénitence est-elle une vertu spéciale ? 1327

Article 3 — Sous quelle vertu faut-il ranger la pénitence ? 1328

Article 4 — Le siège de la vertu de pénitence_ 1329

Article 5 — La cause de la pénitence_ 1330

Article 6 — La place de la pénitence parmi les autres vertus 1331

QUESTION 86 — L’EFFET DE LA PÉNITENCE QUANT À LA RÉMISSION DES PÉCHÉS MORTELS_ 1332

Article 1 — Tous les péchés mortels sont-ils enlevés par la pénitence ? 1332

Article 2 — Les péchés mortels peuvent-ils être remis ? 1333

Article 3 — Par la pénitence, les péchés peuvent-ils être remis l’un sans l’autre ? 1334

Article 4 — La pénitence enlève-t-elle la faute en laissant subsister la dette de peine ? 1335

Article 5 — La pénitence laisse-t-elle subsister des restes de péché ? 1337

Article 6 — La pénitence enlève-t-elle le péché en tant queue est vertu, ou en tant queue est sacrement ? 1338

QUESTION 87 — LA RÉMISSION DES PÉCHÉS VÉNIELS_ 1339

Article 1 — Le péché véniel peut-il être remis sans la pénitence ? 1339

Article 2 — Le péché véniel peut-il être remis sans infusion de grâce ? 1340

Article 3 — Les péchés véniels sont-ils remis par l’aspersion de l’eau bénite, et autres pratiques du même genre ? 1341

Article 4 — Le péché véniel peut-il être remis sans que le péché mortel le soit ? 1341

QUESTION 88 — LE RETOUR DES PÉCHÉS REMIS PAR LA PÉNITENCE_ 1342

Article 1 — Les péchés remis par la pénitence reviennent-ils du fait d’un péché postérieur ? 1342

Article 2 — Est-ce l’ingratitude qui ramène les péchés déjà pardonnés, et plus spécialement selon certains péchés ?  1344

Article 3 — Les péchés reviennent-ils avec un égal degré de culpabilité ? 1346

Article 4 — Cette ingratitude, qui ramène les péchés, est-elle un péché spécial ? 1347

QUESTION 89 — LA REVIVISCENCE DES VERTUS PAR LA PÉNITENCE_ 1347

Article 1 — Par la pénitence, nos vertus nous sont-elles rendues ? 1347

Article 2 — Par la pénitence, les vertus nous sont-elles rendues au même degré qu’avant ? 1348

Article 3 — Par la pénitence l’homme retrouve-t-il la même dignité ? 1349

Article 4 — Les œuvres vertueuses sont-elles frappées de mort par le péché qui les a suivies ? 1351

Article 5 — Les œuvres frappées de mort par le péché revivent-elles par la pénitence ? 1352

Article 6 — Les œuvres mortes, c’est-à-dire faites sans la charité, sont-elles vivifiées, elles aussi, par la pénitence ? 1353

QUESTION 90 — LES PARTIES DE LA PÉNITENCE EN GÉNÉRAL 1354

Article 1 — La pénitence a-t-elle des parties ? 1354

Article 2 — Le nombre des parties de la pénitence_ 1355

Article 3 — Nature des parties de la pénitence_ 1356

SUPPLÉMENT À LA SOMME THÉOLOGIQUE — SACREMENTS, FINS DERNIÈRES 1357

LA PÉNITENCE (SUITE) 1357

QUESTION 1 — DES PARTIES DE LA PÉNITENCE EN PARTICULIER. TOUT D'ABORD DE LA CONTRITION_ 1357

Article 1 — La contrition est-elle une douleur voulue de nos péchés jointe à la résolution de nous confesser et de donner satisfaction ? 1358

Article 2 — La contrition est-elle un acte de vertu ? 1359

Article 3 — L’attrition peut-elle devenir contrition ? 1360

QUESTION 2 — DE L’OBJET DE LA CONTRITION. 1360

Article 1 — L homme doit-il avoir la contrition, non seulement de la faute elle-même, mais encore de ses peines ? 1361

Article 2 — Devons-nous avoir la contrition du péché originel ? 1361

Article 3 — Devons-nous avoir la contrition de tout péché actuel ? 1362

Article 4 — Devons-nous avoir la contrition de nos péchés futurs ? 1363

Article 5 — Devons-nous avoir la contrition du péché d’autrui ? 1364

Article 6 — La contrition de chaque péché mortel en particulier est-elle requise ? 1364

QUESTION 3 — DE L’INTENSITÉ DE LA CONTRITION. 1365

Article 1 — La contrition est-elle la plus grande douleur qui puisse être dans la nature ? 1365

Article 2 — La douleur de contrition peut-elle être excessive ? 1367

Article 3 — Devons-nous avoir plus de douleur d’un péché que d’un autre ? 1368

QUESTION 4 — DU TEMPS DE LA CONTRITION. 1369

Article 1 — La contrition doit-elle durer toute la vie ? 1369

Article 2 — Est-il bon de continuellement pleurer le péché ? 1370

Article 3 — Les âmes, après cette vie, ont-elles encore la contrition de leurs péchés ? 1371

QUESTION 5 — DE L’EFFET DE LA CONTRITION. 1372

Article 1 — La rémission du péché est-elle l’effet de la contrition ? 1372

Article 2 — La contrition peut-elle enlever toute dette de peine ? 1372

Article 3 — Une faible contrition suffit-elle à la rémission de grands péchés ? 1373

QUESTION 6 — NÉCESSITÉ DE LA CONFESSION. 1374

Article 1 — La confession est-elle nécessaire au salut ? 1374

Article 2 — La confession est-elle de droit naturel ? 1375

Article 3 — La confession est-elle obligatoire pour tous ? 1376

Article 4 — Est-il permis de confesser un péché qu’on n’a pas commis ? 1377

Article 5 — Le pécheur est-il tenu de se confesser immédiatement ? 1378

Article 6 — Est-il possible qu’un pécheur soit dispensé de se confesser ? 1380

QUESTION 7 — LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE LA CONFESSION. 1380

Article 1 — Saint Augustin donne t-il une bonne définition de la confession ? 1381

Article 2 — La confession est-elle un acte de vertu ? 1381

Article 3 — La confession est-elle un acte de la vertu de pénitence ? 1382

QUESTION 8 — LE MINISTRE DE LA CONFESSION. 1383

Article 1 — Est-il nécessaire de se confesser à un prêtre ? 1384

Article 2 — Est-il permis, en certains cas, de se confesser à d’autres qu’à des prêtres ? 1385

Article 3 — Est-ce qu’en dehors du cas de nécessité quelqu’un qui n’est pas prêtre, peut entendre la confession des péchés véniels ? 1386

Article 4 — Est-il nécessaire qu’on se confesse à son propre prêtre ? 1386

Article 5 — Peut-on, par privilège ou par ordre du supérieur, se confesser à un autre qu’à son propre prêtre ? 1388

Article 6 — Tout prêtre peut-il absoudre un pénitent à l’article de la mort ? 1390

Article 7 — La peine temporelle à imposer doit-elle être proportionnée à la gravité de la faute ? 1390

QUESTION 9 — DES QUALITÉS DE LA CONFESSION. 1392

Article 1 — La confession peut-elle être informe ? 1392

Article 2 — La confession doit-elle être intégrale ? 1393

Article 3 — La confession peut-elle se faire par intermédiaire ou par écrit ? 1394

Article 4 — La confession exige t-elle les seize conditions que les docteurs lui assignent ? 1395

QUESTION 10 — DE L’EFFET DE LA CONFESSION. 1396

Article 1 — Est-ce que la confession nous libère de la mort du péché ? 1396

Article 2 — La confession nous libère-t-elle en quelque façon de la peine du péché ? 1397

Article 3 — La confession ouvre-t-elle le Paradis ? 1397

Article 4 — La confession donne-t-elle l’espérance du salut ? 1398

Article 5 — Une confession par formule générale suffit-elle à effacer les péchés mortels oubliés ? 1398

QUESTION 11 — LE SECRET DE LA CONFESSION. 1399

Article 1 — Le prêtre est-il tenu, en toutes circonstances, de cacher les péchés qu’il a connus sous le secret de la confession ?  1400

Article 2 — Le secret de la confession s’étend-il à d’autres choses qu’à l’objet même de la confession ? 1401

Article 3 — Le prêtre est-il seul tenu au secret de la confession ? 1402

Article 4 — Un prêtre peut-il, avec la permission du pénitent, révéler à un autre, le péché qu’il connaît sous le secret de la confession ? 1402

Article 5 — Le confesseur peut-il dire ce qu’il sait par la confession, quand il le sait aussi par ailleurs ? 1403

QUESTION 12 — LA NATURE DE LA SATISFACTION. 1404

Article 1 — La satisfaction est-elle une vertu ou un acte de vertu ? 1404

Article 2 — La satisfaction est-elle un acte de justice ? 1405

Article 3 — La définition de la satisfaction, telle que la donne le Maître des Sentences, est-elle satisfaisante ? 1407

QUESTION 13 — POSSIBILITÉ DE LA SATISFACTION. 1408

Article 1 — L'homme peut-il offrir satisfaction à Dieu ? 1408

Article 2 — Peut-on satisfaire pour autrui ? 1410

QUESTION 14 — DES QUALITES DE LA SATISFACTION_ 1411

Article 1 — Peut-on satisfaire pour un seul péché séparement ? 1411

Article 2 — Peut-on, sans être en état de charité, satisfaire pour des péchés delà remis ? 1412

Article 3 — La satisfaction faite en état de péché mortel prend- elle de la valeur quand revient la charité ? 1413

Article 4 — Les œuvres faites en dehors de l’état de charité méritent-elles quelque bieii, au moins un bien temporel ?  1414

Article 5 — Les œuvres faites en dehors de la charité ont-elle quelque valeur pour l’adoucissement des peines de l’enfer ?  1415

QUESTION 15 — DES ŒUVRES DE SATISFACTION. 1416

Article 1 — Les œuvres satisfactoires doivent-elles être pénales ? 1416

Article 2 — Les peines de la vie présente sont-elles satisfactoires ? 1417

Article 3 — Les œuvres satisfactoires sont-elles bien énumérées, quand on en compte trois l’aumône, le jeûne et la prière ?  1418

QUESTION 16 — DES SUJETS DU SACREMENT DE PÉNITENCE. 1420

Article 1 — La pénitence peut-elle se trouver dans les innocents ? 1420

Article 2 — La pénitence se trouve-t-elle chez les saints glorifiés ? 1420

Article 3 — Le bon ange ou le mauvais ange sont-ils, eux aussi, capables de pénitence ? 1421

QUESTION 17 — DU POUVOIR DES CLEFS_ 1422

Article 1 — Doit-il y avoir des clefs dans l’Eglise ? 1422

Article 2 — La clef est-elle un pouvoir de lier ou de délier ? 1424

Article 3 — Y a t-il deux clefs ou une seule ? 1425

QUESTION 18 — DE L’EFFET DES CLEFS_ 1426

Article 1 — Le pouvoir des clefs s’étend-il jusqu’à la rémission de la faute ? 1426

Article 2 — Le prêtre peut-il remettre la peine due au péché ? 1428

Article 3 — Le prêtre peut-il lier par le pouvoir des clefs ? 1430

Article 4 — Le prêtre peut-il à volonté lier ou délier ? 1430

QUESTION 19 — DES MINISTRES DU POUVOIR DES CLEFS_ 1431

Article 1 — Les prêtres de l’Ancienne Loi avaient-ils le pouvoir des clefs ? 1432

Article 2 — Le Christ a t-il eu le pouvoir des clefs ? 1432

Article 3 — Les prêtres ont-ils seuls le pouvoir des clefs ? 1433

Article 4 — Les saints, qui ne sont pas prêtres, ont-ils aussi le pouvoir des clefs ? 1434

Article 5 — Les mauvais prêtres ont-ils l’usage des clefs ? 1435

Article 6 — Les schismatiques, hérétiques, excommuniés, et les prêtres suspens ou frappés de la peine de dégradation ont-ils encore l’usage des clefs ? 1436

QUESTION 20 — DE CEUX SUR LESQUELS PEUT S’EXERCER LE POUVOIR DES CLEFS. 1437

Article 1 — Le prêtre peut-il exercer sur tout homme le pouvoir des clefs qu’il détient ? 1437

Article 2 — Le prêtre peut-il toujours absoudre son sujet ? 1438

Article 3 — Peut-on exercer le pouvoir des clefs sur son supérieur ? 1439

QUESTION 21 — L’EXCOMMUNICATION_ 1440

Article 1 — Convient-il de définir l’excommunication — "la séparation de la communion de l’Eglise quant à ses fruits et à ses suffrages communs" ? 1440

Article 2 — L’Église doit-elle excommunier quelqu’un ? 1441

Article 3 — Peut-on être excommunié pour un dommage temporel qu'on aurait causé ? 1442

Article 4 — Une excommunication portée injustement a-t-elle quelque e_ 1443

QUESTION 22 — DE CEUX QUI PEUVENT EXCOMMUNIER ET DE CEUX QUI PEUVENT ÊTRE L’OBJET D’UNE EXCOMMUNICATION_ 1444

Article 1 — Tout prêtre a t-il le pouvoir d’excommunier ? 1444

Article 2 — Celui qui n’est pas prêtre peut-il porter une excommunication ? 1445

Article 3 — Celui qui est excommunié ou suspens peut-il à son tour excommunier ? 1445

Article 4 — Peut-on s’excommunier soi-même, ou excommunier son égal, ou bien son supérieur ? 1446

Article 5 — Une sentence d’excommunication peut-elle être portée contre une collectivité tout entière ? 1446

Article 6 — Celui qui est déjà l’objet d’une excommunication peut-il être excommunié à nouveau ? 1447

QUESTION 23 — DES RAPPORTS QUE L’ON PEUT AVOIR AVEC LES EXCOMMUNIÉS. 1448

Article 1 — Est-il permis d’avoir des rapports avec un excommunié au plan purement matériel ? 1448

Article 2 — Celui qui communique avec un excommunié encourt-il une excommunication ? 1449

Article 3 — Y a t-il toujours péché mortel à communiquer avec un excommunié dans le cas où ce n’est pas permis ?  1449

QUESTION 24 — L’ABSOLUTION DE L’EXCOMMUNICATION. 1450

Article 1 — Tout prêtre peut-il absoudre de l'excommunication celui qui lui est soumis ? 1450

Article 2 — Quelqu’un peut-il être absous contre sa volonté ? 1451

Article 3 — Peut-on être absous d’une excommunication sans l’être de toutes les autres ? 1452

QUESTION 25 — LES INDULGENCES_ 1452

Article 1 — L’indulgence peut-elle remettre quelque chose de la peine satisfactoire ? 1452

Article 2 — Les indulgences valent-elles autant qu’il est dit dans leur énoncé ? 1454

Article 3 — Convient-il d’accorder des indulgences pour des choses temporelles ? 1457

QUESTION 26 — CEUX QUI PEUVENT ACCORDER DES INDULGENCES. 1457

Article 1 — Un curé peut-il accorder des indulgences ? 1457

Article 2 — Un diacre ou quelqu’un qui n’est pas prêtre peut-il accorder des indulgences ? 1458

Article 3 — Un évêque peut-il accorder des indulgences ? 1459

Article 4 — Celui qui est en état de péché mortel peut-il accorder des indulgences ? 1459

QUESTION 27 — CEUX A QUI LES INDULGENCES PEUVENT PROFITER. 1459

Article 1 — Les indulgences peuvent-elles profiter à ceux qui sont en état de péché mortel ? 1460

Article 2 — Les indulgences peuvent-elles profiter aux religieux ? 1460

Article 3 — L’indulgence peut-elle quelquefois être accordée à celui qui ne fait as ce qui est prescrit tour la gagner ?  1461

Article 4 — Une indulgence peut-elle profiter à celui qui l’a établie ? 1461

QUESTION 28 — LA PÉNITENCE SOLENNELLE. 1462

Article 1 — Certaine pénitence doit-elle être rendue publique ou solennelle ? 1462

Article 2 — La pénitence solennelle peut-elle se réitérer ? 1463

Article 3 — Le rite de la pénitence solennelle est-il convenable ? 1463

L’EXTRÊME ONCTION_ 1464

QUESTION 29 — LE SACREMENT DE L’EXTRÊME ONCTION_ 1464

Article 1 — L’extrême-onction est-elle un sacrement ? 1465

Article 2 — L’extrême-onction n’est-elle qu’un seul sacrement ? 1466

Article 3 — Ce sacrement a t-il été institué par le Christ ? 1467

Article 4 — L’huile d’olive est-elle la matière qui convient tour ce sacrement ? 1468

Article 5 — Est-il nécessaire que l’huile soit consacrée ? 1468

Article 6 — Faut-il que la matière de ce sacrement soit consacrée par l’évêque ? 1469

Article 7 — Ce sacrement a t-il une forme quelconque ? 1470

Article 8 — La forme de ce sacrement doit-elle s’ex dans une formule indicative et non dans une formule déprécative ?  1471

Article 9 — La formule dont on vient de parler est-elle la forme qui convient pour ce sacrement ? 1472

QUESTION 30 — L’EFFET DU SACREMENT DE L’EXTRÊME-ONCTION_ 1472

Article 1 — L’extrême-onction procure-t-elle la rémission des péchés ? 1472

Article 2 — La guérison corporelle est-elle un effet de ce sacrement ? 1474

Article 3 — Ce sacrement imprime- un caractère ? 1475

QUESTION 31 — LE MINISTRE DU SACREMENT DE L’EXTRÊME-ONCTION_ 1475

Article 1 — Si même un laïc peut conférer ce sacrement ? 1475

Article 2 — Les diacres peuvent-ils conférer ce sacrement ? 1476

Article 3 — Si l’évêque seul peut conférer ce sacrement ? 1476

QUESTION 32 — A QUI CE SACREMENT DOIT-IL ÊTRE CONFÉRÉ, ET EN QUELLE PARTIE DU CORPS ?_ 1477

Article 1 — Doit-on donner aussi ce sacrement à ceux qui se portent bien ? 1477

Article 2 — Ce sacrement doit-il être donné en n’importe quelle maladie ? 1477

Article 3 — Doit-on donner ce sacrement aux tous et à ceux qui sont dépourvus de raison ? 1478

Article 4 — Doit-on donner ce sacrement aux enfants ? 1478

Article 5 — Faut-il dans ce sacrement faire des onctions sur tout le corps ? 1479

Article 6 — A-t-on fixé convenablement les parties du corps sur lesquelles les onctions doivent être faites ? 1479

Article 7 — Ceux qui sont mutilés doivent-ils recevoir les onctions qui correspondent aux parties mutilées de leur corps ?  1480

QUESTION 33 — LA RÉITÉRATION DE L’EXTRÊME-ONCTION_ 1481

Article 1 — Ce sacrement doit-il être réitéré ? 1481

Article 2 — Doit-on réitérer ce sacrement au cours d’une même maladie ? 1481

L’ORDRE_ 1482

QUESTION 34 — LE SACREMENT DE L’ORDRE -SA NATURE - SES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS. 1482

Article 1 — Doit-il y avoir un ordre dans l’Église ? 1482

Article 2 — La définition de l’ordre que donne le Maître des Sentences est-elle bonne ? 1483

Article 3 — L’Ordre est-il un sacrement ? 1484

Article 4 — La forme de ce sacrement est-elle convenablement exprimée ? 1484

Article 5 — Y a t-il une matière du sacrement de l’ordre ? 1485

QUESTION 35 — DE L’EFFET DU SACREMENT DE L’ORDRE_ 1486

Article 1 — Le sacrement de l’ordre confère t-il la grâce sanctifiante ? 1486

Article 2 — Tous les ordres donnent-ils un caractère ? 1487

Article 3 — Le caractère de l’ordre présuppose t-il le caractère baptismal ? 1487

Article 4 — Le caractère de l’ordre présuppose t-il nécessairement le caractère de la confirmation ? 1488

Article 5 — Le caractère d’un ordre présuppose t-il nécessairement celui d’un autre ordre ? 1488

QUESTION 36 — DES QUALITÉS REQUISES CHEZ CEUX QUI DOIVENT ÊTRE ORDONNÉS. 1489

Article 1 — La sainteté de vie est-elle requise chez ceux qui doivent recevoir les ordres ? 1489

Article 2 — La science de toute l’Ecriture est-elle requise chez l’ordinand ? 1490

Article 3 — Suffit-il d’avoir une vie pleine de mérite pour être ordonné ? 1491

Article 4 — Commet-il un péché, celui qui con/ère les ordres à des hommes qui en sont indignes ? 1492

Article 5 — Quelqu’un en état de péché, peut-il sans pécher exercer les fonctions d’un ordre qu’il a reçu ? 1493

QUESTION 37 — DE LA DISTINCTION DES ORDRES, DE LEURS ACTES ET DU CARACTÈRE QU’ILS IMPRIMENT. 1494

Article 1 — Doit-on distinguer plusieurs ordres ? 1494

Article 2 — Compte-t-on sept ordres ? 1495

Article 3 — Doit-on distinguer les ordres en sacrés et en non sacrés ? 1497

Article 4 — Le livre des Sentences assigne t-il justement sa jonction à chaque ordre ? 1497

Article 5 — Le caractère sacerdotal s’imprime t-il à la porrection du calice ? 1499

QUESTION 38 — DE CEUX QUI CONFÈRENT CE SACREMENT. 1500

Article 1 — L’évêque est-il l’unique ministre de ce sacrement ? 1501

Article 2 — Les hérétiques et les excommuniés peuvent-ils conférer les ordres ? 1502

QUESTION 39 — DES EMPÊCHEMENTS A LA RÉCEPTION DE CE SACREMENT. 1503

Article 1 — Le sexe féminin est-il un empêchement à la réception du sacrement de l’ordre ? 1503

Article 2 — Les enfants et ceux qui sont privés de l’usage de la raison peuvent-ils recevoir les ordres ? 1504

Article 3 — Le servage est-il un empêchement à la réception des ordres ? 1505

Article 4 — L’homicide est-il un motif d’écarter quelqu’un des ordres ? 1506

Article 5 — La naissance illégitime peut-elle être un empêchement à la réception de l’ordre ? 1506

Article 6 — Un défaut corporel est-il un empêchement à la réception de l’ordre ? 1507

QUESTION 40 — QUESTIONS ANNEXES AU SACREMENT DE L’ORDRE. 1507

Article 1 — Les clercs doivent-ils porter la tonsure ? 1507

Article 2 — La tonsure est-elle un ordre ? 1508

Article 3 — Le fait de recevoir la tonsure entraîne t-il la renonciation aux biens temporels ? 1509

Article 4 — Doit-il y avoir un pouvoir épiscopal supérieur à l’ordre sacerdotal ? 1509

Article 5 — L’Épiscopat est-il un ordre ? 1510

Article 6 — Dans l’Église peut-il se trouver quelqu’un qui soit supérieur aux évêques ? 1511

Article 7 — Convenait-il que dans l’Église soient assignés des vêtements pour les ministres ? 1512

LE MARIAGE_ 1514

QUESTION 41 — LE MARIAGE, INSTITUTION NATURELLE. 1514

Article 1 — Le mariage est-il de droit naturel ? 1514

Article 2 — Le mariage est-il obligatoire ? 1516

Article 3 — L’acte conjugal est-il licite ? 1516

Article 4 — L’acte conjugal est-il méritoire ? 1518

QUESTION 42 — LE SACREMENT DE MARIAGE_ 1519

Article 1 — Le mariage est-il un sacrement ? 1519

Article 2 — N’aurait-on pas dû instituer ce sacrement avant le péché ? 1520

Article 3 — Le mariage confère t-il la grâce ? 1521

Article 4 — L’union charnelle est-elle nécessaire au mariage ? 1522

QUESTION 43 — DU MARIAGE ET DES FIANÇAILLES. 1523

Article 1 — Les fiançailles consistent-elles dans la promesse d’un mariage futur ? 1523

Article 2 — convenait-il de fixer l’age de sept ans pour le contrat de fiançailles ? 1524

Article 3 — Les fiançailles peuvent-elles lire rompues ? 1526

QUESTION 44 — LA DÉFINITION DU MARIAGE_ 1528

Article 1 — Le mariage est-il une union ? 1528

Article 2 — Le mariage porte t-il le nom qui lui convient ? 1529

Article 3 — Le Maître des Sentences a t-il bien défini le mariage ? 1530

QUESTION 45 — LE CONSENTEMENT MATRIMONIAL 1531

Article 1 — Le consentement est-il la cause efficiente du mariage ? 1531

Article 2 — Est-il nécessaire d’exprimer le consentement de vive voix ? 1532

Article 3 — Le consentement, exprime sous forme de promesse pour l’avenir, est-il cause du mariage ? 1532

Article 4 — Un simple signe d’assentiment, même verbal, suffi à constituer le mariage, si le consentement intérieur fait défaut ? 1533

Article 5 — Suffit-il de consentir en secret au mariage immédiat pour être marié ? 1534

QUESTION 46 — DU CONSENTEMENT SUIVI D’UN SERMENT OU DE RELATIONS SEXUELLES_ 1535

Article 1 — Y a t-il mariage quand, à la promesse de le contracter, on ajoute un serment ? 1535

Article 2 — Les relations charnelles qui suivent une promesse de mariage incluent-elles le mariage en fait ? 1536

QUESTION 47 — DU CONSENTEMENT FORCÉ ET DU CONSENTEMENT SOUS CONDITION_ 1537

Article 1 — Le consentement forcé est-il possible ? 1537

Article 2 — Y a t-il une forme de violence que puisse subir un homme résolu ? 1538

Article 3 — Le consentement forcé rend-il le mariage nul ? 1539

Article 4 — Le mariage est-il valide pour le conjoint qui a obtenu de force le consentement de l’autre ? 1540

Article 5 — Le mariage est-il valide quand le consentement a été donné sous condition ? 1541

Article 6 — Un père peut-il imposer le mariage à son enfant ? 1541

QUESTION 48 — DE L’OBJET DU CONSENTEMENT. 1542

Article 1 — Le consentement qui constitue le mariage a t-il pour objet l’union charnelle ? 1542

Article 2 — Y a t-il mariage quand le consentement a été motivé par un but déshonnête ? 1543

QUESTION 49 — DES BIENS DU MARIAGE. 1544

Article 1 — Le mariage doit-il être justifié par les biens qu’il procure ? 1544

Article 2 — La fidélité, l’enfant, le sacrement, sont-ils les seuls biens du mariage ? 1545

Article 3 — Le sacrement est-il le bien principal du mariage ? 1547

Article 4 — Les biens du mariage justifient-ils l’acte conjugal ? 1548

Article 5 — Sans les biens du mariage, l’acte conjugal peut-il se justifier ? 1549

Article 6 — Celui qui dans les relations conjugales ne se propose aucun des biens du mariage, mais le seul plaisir commet-il un péché mortel ? 1550

QUESTION 50 — DES EMPÊCHEMENTS DE MARIAGE. 1551

Article UNIQUE — Convient-il d’assigner des empêchements au mariage ? 1551

QUESTION 51 — DE L’EMPÊCHEMENT D’ERREUR_ 1554

Article 1 — convient-il de considérer l’erreur comme un empêchement de mariage ? 1554

Article 2 — Toute erreur empêche-t-elle le mariage ? 1555

QUESTION 52 — DE L’EMPÊCHEMENT DE CONDITION SERVILE_ 1557

Article 1 — La condition servile est-elle un empêchement de mariage ? 1557

Article 2 — Un serf peut-il contracter mariage sans le consentement de son maître ? 1558

Article 3 — Un homme peut-il se vendre comme serf après son mariage ? 1560

Article 4 — Les enfants doivent-ils hériter de la condition du père ? 1561

QUESTION 53 — DES EMPÊCHEMENTS DU VŒU ET DE L’ORDRE. 1562

Article 1 — Le vœu simple entraîne t-il nécessairement la rupture du mariage ? 1562

Article 2 — Le vœu solen rompt-il le mariage ? 1563

Article 3 — L’Ordre est-il un empêchement de mariage ? 1564

Article 4 — Après le mariage, peut-on recevoir un ordre sacré ? 1565

QUESTION 54 — L’EMPÊCHEMENT DE CONSANGUINITÉ. 1566

Article 1 — La définition de la consanguinité est-elle empêchement au mariage ? 1566

Article 2 — Peut-on diviser la consanguinité par degrés et par lignes ? 1568

Article 3 — La parenté est-elle un empêchement de droit naturel ? 1570

Article 4 — L’Eglise pouvait-elle fixer au quatrième degré les liens de consanguinité qui empêchent le mariage ? 1572

QUESTION 55 — DE L’EMPÊCHEMENT D’AFFINITÉ. 1574

Article 1 — Le mariage est-il cause d’affinité ? 1574

Article 2 — Après la mort de l’époux, l’affinité subsiste-t-elle entre la femme et les parents du mari ? 1576

Article 3 — L’affinité provient-elle de relations illicites ? 1576

Article 4 — L’affinité résulte-t-elle des fiançailles ? 1577

Article 5 — L’affinité peut-elle se multiplier par elle-même ? 1578

Article 6 — L’affinité est-elle un empêchement de mariage ? 1580

Article 7 — L'affinité a-1-elle, par elle-même des degrés ? 1580

Article 8 — Les degrés d’affinité s’étendent-ils aussi loin que les degrés de consanguinité ? 1581

Article 9 — Doit-on toujours rompre le mariage contracté entre parents et alliés ? 1581

Article 10 — Faut-il procéder par voie d’accusation pour faire rompre un mariage contracté entre parents par alliance et parents par le sang ? 1582

Article 11 — Doit-on procéder à l’audition de témoins pour rompre un mariage contracté entre des parents par alliance ou par le sang ? 1584

QUESTION 56 — DE L’EMPÊCHEMENT DE PARENTÉ SPIRITUELLE. 1584

Article 1 — La parenté spirituelle est-elle un e de mariage ? 1584

Article 2 — Contracte-t-on la parenté spirituelle par le baptême seulement ? 1585

Article 3 — Y a t-il parenté spirituelle entre le baptise et son parrain ou sa marraine ? 1587

Article 4 — La parenté spirituelle se transmet-elle de l’époux à l’épouse ? 1588

Article 5 — La parenté spirituelle se communique-t-elle du père spirituel à ses fils selon la chair ? 1589

QUESTION 57 — DE LA PARENTÉ LÉGALE, EFFET DE L’ADOPTION. 1589

Article 1 — La définition de l’adoption est-elle exacte ? 1589

Article 2 — L’adoption entraîne t elle un lien qui soit empêchement au mariage ? 1591

Article 3 — Ce lien spécial de parenté n’existe t-il qu’entre l’adoptant et l’adopté ? 1592

QUESTION 58 — DES EMPÊCHEMENTS D’IMPUISSANCE, DE MALÉFICE, DE FOLIE, D’INCESTE, D’AGE. 1593

Article 1 — L'impuissance est-elle un empêchement de mariage ? 1593

Article 2 — Le maléfice est-il un empêchement de mariage ? 1595

Article 3 — La démence est-elle un empêchement de mariage ? 1596

Article 4 — L’inceste commis avec la sœur de l’épouse annule t-il le mariage ? 1597

Article 5 — Le défaut d’âge est-il un empêchement de mariage ? 1598

QUESTION 59 — DE L’EMPÊCHEMENT DE DISPARITÉ DE CULTE. 1598

Article 1 — Un fidèle peut-il contracter mariage avec un infidèle ? 1599

Article 2 — Le mariage des infidèles est-il un vrai mariage ? 1600

Article 3 — Après sa conversion, un époux peut-il conserver l’épouse infidèle qu'il avait avant sa conversion, quand celle-ci refuse de se convertir ? 1601

Article 4 — Le converti peut-il renvoyer son épouse infidèle quand celle-ci consent à continuer la vie commune sans offenser Dieu ? 1603

Article 5 — Un époux chrétien peut-il prendre une nouvelle femme après avoir renvoyé son épouse infidèle ? 1604

Article 6 — Les autres vices rompent-ils le mariage comme celui de l’infidélité ? 1605

QUESTION 60 — DU MEURTRE DE L’ÉPOUSE_ 1606

Article 1 — Un homme peut-il tuer sa femme surprise dans l’acte d’adultère ? 1606

Article 2 — Le meurtre de l’épouse est-il un empêchement de mariage ? 1607

QUESTION 61 — DE L’EMPÊCHEMENT DE VŒU SOLENNEL 1608

Article 1 — Un des époux peut-il, contre le gré de l’autre, entrer en religion après la consommation du mariage ? 1609

Article 2 — Avant la consommation du mariage, un des époux peut-il entrer en religion contre le gré de l’autre ? 1609

Article 3 — Une femme peut-elle se remarier, lorsque son épouse est entré en religion avant la consommation du mariage ?  1610

QUESTION 62 — DE L’EMPÊCHEMENT QUI PEUT SURVENIR APRÈS LA CONSOMMATION DU MARIAGE, C’EST-À-DIRE LA FORNICATION_ 1611

Article 1 — Un mari peut-il renvoyer sa femme pour cause de fornication ? 1611

Article 2 — Le mari est-il obligé de renvoyer sa femme coupable de fornication ? 1612

Article 3 — Le mari peut-il, de sa propre autorité, renvoyer sa femme en cas de fornication ? 1613

Article 4 — Peut-on mettre le mari et la femme sur le pied de l’égalité dans la cause de divorce ? 1614

Article 5 — Après le divorce, l’homme peut-il épouser une autre femme ? 1615

Article 6 — Après le divorce, le mari et la femme peuvent-ils se réconcilier ? 1616

QUESTION 63 — DES SECONDES NOCES_ 1617

Article 1 — Les secondes noces sont-elles permises ? 1618

Article 2 — Le second mariage est-il un sacrement ? 1618

QUESTION 64 — DE CERTAINES QUESTIONS ANNEXES AU MARIAGE. 1° DU DEVOIR CONJUGAL 1619

Article 1 — Chacun des époux est-il tenu de nécessité de précepte de rendre à l’autre le devoir conjugal ? 1619

Article 2 — Le mari est-il tenu de rendre le devoir à son épouse lorsqu'elle ne le demande pas ? 1621

Article 3 — Le mari et la femme jouissent-ils des mêmes droits pour l’acte du mariage ? 1621

Article 4 — Le mari et la femme peuvent-ils, sans le consentement l’un de l’autre, faire un vœu contraire au devoir conjugal ?  1622

Article 5 — Est-il défendu de demander le devoir conjugal les jours de fêtes ? 1624

Article 6 — commet-on un péché mortel en demandant le devoir conjugal un jour de fête ? 1624

Article 7 — Y a t-il obligation de rendre le devoir conjugal un jour de fêle ? 1625

QUESTION 65 — DES BIGAMES. 1625

Article 1 — La polygamie est-elle contraire à la loi naturelle ? 1625

Article 2 — La polygamie a t-elle pu parfois être permise ? 1629

Article 3 — La loi naturelle interdit-elle d’avoir une concubine ? 1630

Article 4 — Est-ce un péché mortel que d’avoir rapport avec une concubine ? 1632

Article 5 — A t-il été parfois permis d’avoir une concubine ? 1633

QUESTION 66 — DE LA BIGAMIE ET DE L’IRRÉGULARITÉ QUI EN RÉSULTE. 1634

Article 1 — La bigamie qui consiste à avoir eu successivement deux épouses entraîne-t-elle l’irrégularité ? 1634

Article 2 — La bigamie qui consiste dans la possession simultanée ou successive de deux épouses l’une le l’autre illégitimes, produit-elle l’irrégularité ? 1635

Article 3 — Encourt-on l’irrégularité en épousant une femme qui a perdu sa virginité ? 1636

Article 4 — La bigamie est-elle détruite par le baptême ? 1637

Article 5 — Est-il permis de dispenser un bigame ? 1638

QUESTION 67 — DE LA LETTRE DE DIVORCE_ 1639

Article 1 — L’indissolubilité du mariage est-elle de droit naturel ? 1639

Article 2 — La répudiation de l’épouse a-t-elle pu être permise par dispense ? 1640

Article 3 — La loi de Moïse permettait-elle la répudiation de l’épouse ? 1641

Article 4 — L’épouse renvoyée pouvait-elle prendre un autre mari ? 1643

Article 5 — Le mari pouvait-il reprendre l’épouse qu’il avait renvoyée ? 1644

Article 6 — La haine de l’épouse était-elle la cause de son renvoi ? 1644

Article 7 — Les causes du renvoi devaient-elles être inscrites dans la lettre de divorce ? 1645

QUESTION 68 — DES ENFANTS ILLÉGITIMES_ 1646

Article 1 — Les enfants qui naissent en dehors d’un vrai mariage sont-ils illégitimes ? 1646

Article 2 — Les enfants illégitimes doivent-ils subir un dommage par suite de leur illégitimité ? 1646

Article 3 — Peut-on légitimer un enfant illégitime ? 1647

TRAITÉ DES FINS DERNIERES 1648

L’AU- DELÀ_ 1648

QUESTION 69 — LA DEMEURE DES ÂMES APRÈS LA MORT_ 1648

Article 1 — Y a-t-il certaines demeures assignées aux âmes après la mort ? 1648

Article 2 — Y a-t-il des âmes qui aillent au ciel ou en enfer aussitôt après la mort ? 1649

Article 3 — Les âmes qui sont au ciel ou en enfer peuvent-elles en sortir ? 1650

Article 4 — Cette expression "le sein d’Abraham" désigne-t-elle un limbe de l’enfer ? 1652

Article 5 — Le limbe des Patriarches est-il autre chose que l’enfer des damnés ? 1653

Article 6 — Le limbe des enfants est-il le même que celui des Patriarches ? 1653

Article 7 — Faut-il distinguer cinq demeures, ni plus ni moins ? 1654

QUESTION 70 — LA CONDITION DE L’AME SÉPARÉE DU CORPS, ET LA PEINE QUE PEUT LUI INFLIGER UN FEU CORPOREL 1655

Article 1 — Les puissances sensibles demeurent-elles dans l’âme séparée ? 1655

Article 2 — Les actes des puissances sensibles demeurent-ils dans l’âme séparée ? 1657

Article 3 — L’âme se peut-elle souffrir d’un feu corporel ? 1659

QUESTION 70 bis — LA CONDITION DES AMES EN ÉTAT DE PÉCHÉ ORIGINEL 1662

Article 1 — Le péché originel mérite-t-il par lui-même la peine du sens ? 1662

Article 2 — La peine du dam fait-elle souffrir l’âme des enfants morts sans baptême ? 1663

QUESTION 70 ter — LE PURGATOIRE_ 1665

Article 1 — Y a-t-il un purgatoire après cette vie ? 1665

Article 2 — Est-ce dans le même lieu que les âmes sont purifiées et les damnés punis ? 1666

Article 3 — Les souffrances du purgatoire surpassent-elles toutes celles d’ici-bas ? 1667

Article 4 — Les souffrances du purgatoire sont-elles volontaires ? 1668

Article 5 — Les âmes du purgatoire sont-elles tourmentées par les démons ? 1668

Article 6 — Le péché véniel comme péché, est-il expié par les souffrances du purgatoire ? 1669

Article 7 — Les flammes du purgatoire libèrent-elles de la peine due au péché ? 1671

Article 8 — Les âmes du purgatoire sont-elles délivrées plus vite les unes que les autres ? 1671

QUESTION 71 — LES SUFFRAGES POUR LES DÉFUNTS_ 1672

Article 1 — Les suffrages d’un fidèle peuvent-ils être utiles à un autre ? 1672

Article 2 — Les morts peuvent-ils être aidés par les œuvres des vivants ? 1673

Article 3 — Les suffrages des pécheurs sont-ils utiles aux défunts ? 1674

Article 4 — Les suffrages des vivants pour les défunts sont-ils utiles à leurs auteurs ? 1675

Article 5 — Les suffrages sont-ils utiles aux damnés ? 1676

Article 6 — Les suffrages sont-ils utiles aux âmes du purgatoire ? 1678

Article 7 — Les suffrages sont-ils utiles aux enfants morts sans baptême ? 1679

Article 8 — Les suffrages sont-ils utiles de quelque manière aux âmes qui sont au ciel ? 1680

Article 9 — Les prières de l’Église, le saintsacrifice et les aumônes sont-ils les suffrages les seuls utiles ou les plus utiles aux défunts ? 1681

Article 10 — Les indulgences accordées par l’Église sont-elles utiles aux défunts ? 1682

Article 11 — Les cérémonies des obsèques sont-elles utiles aux défunts ? 1683

Article 12 — Les suffrages spécialement destinés à un défunt sont-ils plus utiles à lui qu’aux autres ? 1684

Article 13 — Les suffrages destinés à plusieurs sont-ils aussi utiles à chacun que s’ils lui étaient uniquement destinés ?  1685

Article 14 — Les suffrages communs sont-ils aussi utiles à ceux qui n’en ont pas d’autres, que le sont tout ensemble des suffrages spéciaux et les suffrages communs à ceux qui bénéficient des uns et des autres ? 1686

QUESTION 72 — LA PRIÈRE DES SAINTS QUI SONT AU CIEL. 1687

Article 1 — Les saints connaissent-ils les prières que nous leur adressons ? 1687

Article 2 — Devons-nous demander aux saints de prier pour nous ? 1688

Article 3 — Les prières des Saints en notre faveur sont-elles toujours exaucées ? 1690

LA FIN DU MONDE_ 1691

QUESTION 73 — LES SIGNES PRÉCURSEURS DU JUGEMENT_ 1691

Article 1 — Y aura-t-il des si précurseurs de l’avènement du Souverain Juge ? 1691

Article 2 — Le soleil et la lune doivent-ils réellement cesser de briller, à l’époque du Jugement ? 1692

Article 3 — A l’avènement du Seigneur, les vertus des cieux seront-elles ébranlées ? 1693

QUESTION 74 — LA CONFLAGRATION DE L’UNIVERS À LA FIN DES TEMPS_ 1694

Article 1 — Le monde doit-il être purifié ? 1694

Article 2 — Cette purification se fera-t-elle par le feu ? 1695

Article 3 — Ce feu sera-t-il de même nature que celui qui est l’un des quatre éléments ? 1696

Article 4 — Ce feu purifiera-t-il aussi les cieux supérieurs ? 1697

Article 5 — Ce feu doit-il consumer les autres éléments ? 1698

Article 6 — Tous les éléments seront-ils purifiés par ce feu ? 1700

Article 7 — La dernière conflagration suivra- t-elle le Jugement ? 1700

Article 8 — Ce feu produira-t-il sur les hommes les effets indiques par le Maître des Sentences ? 1701

Article 9 — Ce feu engloutira-t-il les réprouvés ? 1702

LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR_ 1703

QUESTION 75 — LA RÉSURRECTION_ 1703

Article 1 — La résurrection des corps doit-elle avoir lieu ? 1703

Article 2 — Tous les hommes ressusciteront-ils ? 1704

Article 3 — La résurrection est-elle naturelle ? 1705

QUESTION 76 — LA CAUSE DE LA RÉSURRECTION. 1707

Article 1 — La résurrection du Christ est-elle la cause de la nôtre ? 1707

Article 2 — La voix de la trompette sera-t-elle la cause de notre résurrection ? 1708

Article 3 — Les anges coopéreront-ils à la résurrection ? 1709

QUESTION 77 — LE TEMPS ET LE MODE DE LA RÉSURRECTION_ 1710

Article 1 — La résurrection doit-elle être différée jusqu’à la fin du monde, pour que tous les hommes ressuscitent ensemble ?  1710

Article 2 — Le temps de la résurrection est-il caché ? 1711

Article 3 — La résurrection aura-t-elle lieu pendant la nuit ? 1713

Article 4 — La résurrection sera-t-elle instantanée ? 1713

QUESTION 78 — LE POINT DE DÉPART DE LA RESURRECTION_ 1714

Article 1 — La mort sera-t-elle pour tous les hommes le point de d de la résurrection ? 1714

Article 2 — Tous les hommes ressusciteront- ils de leurs cendres ? 1715

Article 3 — Les cendres avec lesquelles le corps sera refait ont-elles une inclination naturelle pour l’âme qui leur sera réunie ?  1716

QUESTION 79 — L’ÉTAT DES RESSUSCITÉS ET D’ABORD LEUR IDENTITÉ_ 1717

Article 1 — L’âme reprendra-t-elle le même corps ? 1717

Article 2 — L’homme ressuscité sera-t-il le même homme ? 1719

Article 3 — Les cendres reprendront-elles, dans le corps humain ressuscité la place qu’elles y occupaient ? 1721

QUESTION 80 — L’INTÉGRITÉ DU CORPS RESSUSCITÉ_ 1722

Article 1 — Tous les membres du corps humain ressusciteront-ils ? 1722

Article 2 — Les cheveux et les ongles ressusciteront-ils ? 1723

Article 3 — Les humeurs du corps humain ressusciteront-elles ? 1723

Article 4 — Tout ce qui, dans le corps, fut vraiment humain ressuscitera-t-il ? 1724

Article 5 — Tous les éléments matériels qui ont fait partie du corps ressusciteront-ils ? 1726

QUESTION 81 — LA QUALITE DU CORPS DES RESSUSCITES_ 1727

Article 1 — Tous les ressuscités auront-ils le même âge, celui de la pleine jeunesse ? 1727

Article 2 — Tous les ressuscités auront-ils la même taille ? 1728

Article 3 — Tous les ressuscités auront-ils le même sexe, le sexe masculin ? 1728

Article 4 — Les ressuscités exerceront-ils les deux principales fonctions de la vie animale ? 1729

QUESTION 82 — L’ETAT CORPOREL DES ELUS. 1730

Article 1 — Le corps des élus sera-t-il impassible ? 1730

Article 2 — L’impassibilité sera-t-elle en tous les élus ? 1732

Article 3 — L’impassibilité empêchera-t-elle l’activité des sens ? 1732

Article 4 — Tous les sens des élus exerceront-ils leurs fonctions ? 1734

QUESTION 83 — LA SUBTILITÉ DU CORPS DES ÉLUS_ 1735

Article 1 — La subtilité est-elle une propriété du corps glorieux ? 1735

Article 2 — La subtilité permet-elle au corps glorieux d’être dans un lieu occupé déjà par un corps non glorieux ? 1737

Article 3 — Deux corps peuvent-ils, par miracle, occuper le même lieu ? 1738

Article 4 — Deux corps glorieux peuvent-ils occuper le même lieu ? 1740

Article 5 — La subtilité du corps glorieux l’affranchit-elle de la nécessité d’être dans un lieu semblable à lui-même ?  1740

Article 6 — Lu subtilité rend-elle palpable le corps glorieux ? 1741

QUESTION 84 — L’AGILITÉ DU CORPS DES ÉLUS_ 1742

Article 1 — Le corps des élus sera-t-il doué d’agilité ? 1742

Article 2 — Les élus feront-ils usage de leur agilité ? 1743

Article 3 — Leur mouvement sera-t-il instantané ? 1744

QUESTION 85 — LA CLARTÉ DU CORPS DES ÉLUS_ 1746

Article 1 — La clarté est-elle une prérogative du corps glorieux ? 1746

Article 2 — La clarté du corps glorieux peut-elle être vue par un œil non glorifié ? 1747

Article 3 — Le corps glorieux est-il nécessairement vu par un œil non glorifié ? 1748

QUESTION 86 — L’ÉTAT CORPOREL DES DAMNÉS. 1748

Article 1 — Les damnés ressusciteront-ils avec leurs difformités corporelles ? 1748

Article 2 — Le corps des damnés sera-1-il incorruptible ? 1749

Article 3 — Le corps des damnés sera-t-il impassible ? 1750

LE MONDE DES RESSUSCITÉS 1752

QUESTION 87 — LA CONNAISSANCE QUE LES RESSUSCITÉS AURONT, AU JOUR DU JUGEMENT, DE LEURS MÉRITES ET DE LEURS DÉMÉRITES. 1752

Article 1 — Chaque homme connaîtra-t-il, après la résurrection, les péchés qu’il a commis ? 1752

Article 2 — Chacun pourra-t-il lire dans la conscience d’autrui tout ce qu’elle renferme ? 1753

Article 3 — Chacun pourra-t-il voir d’un seul regard tous les mérites et démérites de lui-même et des autres ? 1755

QUESTION 88 — DU JUGEMENT GÉNÉRAL, DE SA DATE ET DE SON LIEU_ 1755

Article 1 — Le jugement général aura-t-il lieu ? 1755

Article 2 — Ce jugement aura-t-il lieu oralement ? 1757

Article 3 — La date du jugement général est-elle inconnue ? 1758

Article 4 — Le jugement aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat ? 1759

QUESTION 89 — JUGES ET JUGÉS AU JUGEMENT GÉNÉRAL 1760

Article 1 — Y a-t-il des hommes qui jugeront avec le Christ ? 1760

Article 2 — Le pouvoir judiciaire appartient-il à la pauvreté volontaire ? 1761

Article 3 — Les anges doivent-ils juger ? 1763

Article 4 — Les démons exécuteront-ils la sentence du juge à l’égard des damnés ? 1764

Article 5 — Tous les hommes comparaîtront-il en jugement ? 1765

Article 6 — Les bons seront-ils jugés en ce dernier jugement ? 1765

Article 7 — Les méchants seront-ils jugés ? 1766

Article 8 — Les anges seront-ils jugés au jugement dernier ? 1767

QUESTION 90 — LA FORME SOUS LAQUELLE LE JUGE VIENDRA_ 1768

Article 1 — Le Christ nous jugera-t-il sous la forme de son humanité ? 1768

Article 2 — Le Christ au jugement apparaîtra-t-il sous la forme de son humanité glorieuse ? 1769

Article 3 — La divinité peut-elle être vue sans jouissance par les méchants ? 1771

QUESTION 91 — L’ÉTAT DU MONDE APRÈS LE JUGEMENT_ 1772

Article 1 — Le monde sera-t-il renouvelé ? 1772

Article 2 — Le mouvement des corps célestes cessera-t-il ? 1773

Article 3 — La clarté des corps célestes sera-t-elle augmentée en cette rénovation ? 1777

Article 4 — Les éléments seront-ils renouvelés par la réception d’une clarté ? 1779

Article 5 — Les plantes et les animaux demeureront-ils dans cette rénovation ? 1780

QUESTION 92 — LA VISION DE L’ESSENCE DIVINE. 1781

Article 1 — L'intelligence humaine peut-elle parvenir à voir Dieu en son essence ? 1782

Article 2 — Les saints, après la résurrection, verront-ils Dieu avec les yeux du corps ? 1789

Article 3 — Les saints en voyant Dieu voient-ils tout ce que Dieu voit ? 1791

QUESTION 93 — LA BÉATITUDE DES SAINTS ET LEURS DEMEURES_ 1794

Article 1 — La béatitude des saints sera-t-elle plus grande après le jugement qu’auparavant ? 1794

Article 2 — Les degrés de béatitude doivent-ils être appelés demeures ? 1796

Article 3 — Les diverses demeures se distinguent-elles selon les degrés de charité ? 1796

QUESTION 94 — LE COMPORTEMENT DES SAINTS ENVERS LES DAMNÉS_ 1797

Article 1 — Les saints dans le ciel verront-ils les souffrances des damnés ? 1797

Article 2 — Les bienheureux ont-ils de la compassion pour les souffrances des damnés ? 1798

Article 3 — Les bienheureux se réjouiront-ils des peines des impies ? 1799

QUESTION 95 — LES DOTS DES BIENHEUREUX_ 1799

Article 1 — Doit-on attribuer des dots aux hommes bienheureux ? 1800

Article 2 — La dot est-elle ta même chose que ta béatitude ? 1802

Article 3 — Convient-il au Christ d’avoir des dots ? 1802

Article 4 — Les anges ont-ils des dots ? 1804

Article 5 — Convient-il d’attribuer à l’âme trois dots ? 1805

QUESTION 96 — LES AURÉOLES_ 1807

Article 1 — L’auréole est-elle autre chose que la récompense essentielle, qu’on appelle couronne d’or ? 1807

Article 2 — L’auréole diffère-t-elle du fruit ? 1810

Article 3 — Le fruit est-il réservé à la vertu de continence ? 1811

Article 3 — Convient-il d’assigner trois couronnes aux trois parties de la partie de la continence ? 1812

Article 5 — Une auréole est-elle due à la virginité ? 1814

Article 6 — Une auréole est-elle due aux martyrs ? 1816

Article 7 — Les docteurs ont-ils droit à une auréole ? 1819

Article 8 — Une auréole est-elle due au Christ ? 1820

Article 9 — Une auréole est-elle due aux anges ? 1821

Article 10 — Convient-il de désigner trois auréoles — pour les vierges, les martyrs et les prédicateurs ? 1822

Article 11 — L’auréole des vierges est-elle supérieure aux autres ? 1823

Article 12 — Un bienheureux possède-t-il plus qu’un autre une auréole ? 1824

QUESTION 97 — LE CHATIMENT DES DAMNÉS_ 1824

Article 1 — Les damnés, en enfer, ne souffrent-ils que de la peine du feu ? 1825

Article 2 — Le ver des damnés est-il corporel ? 1825

Article 3 — Les pleurs des damnés sont-ils corporels ? 1826

Article 4 — Les damnés sont-ils en des ténèbres physiques ? 1826

Article 5 — Le feu de l’enter est-il physique ? 1827

Article 6 — Le feu de l’enfer est-il de même nature que le nôtre ? 1829

Article 7 — Le feu de l’enfer est-il souterrain ? 1830

QUESTION 98 — LA VOLONTÉ ET L’INTELLIGENCE DES DAMNÉS_ 1831

Article 1 — Tout vouloir des damnés est-il mauvais ? 1831

Article 2 — Les damnés se repentent-ils du mal qu’ils ont accompli ? 1832

Article 3 — Les damnés voudraient-ils, d’une volonté droite et délibérée, ne pas exister ? 1833

Article 4 — Les damnés voudraient-ils la damnation des non damnés ? 1834

Article 5 — Les damnés haïront-ils Dieu ? 1834

Article 6 — Les damnés déméritent-ils encore ? 1835

Article 7 — Les damnés peuvent-ils se servir des connaissances acquises en ce monde ? 1836

Article 8 — Les damnés penseront-ils parfois à Dieu ? 1837

Article 9 — Les damnés voient-ils la gloire des bienheureux ? 1837

QUESTION 99 — LA MISÉRICORDE ET LA JUSTICE DE DIEU À L’ÉGARD DES DAMNÉS_ 1838

Article 1 — Est-ce la justice divine qui inflige aux pécheurs une peine éternelle ? 1838

Article 2 — La miséricorde divine donnera-t-elle un terme à tout châtiment des hommes comme des démons ? 1840

Article 3 — La miséricorde divine supporte-t-elle que les hommes soient punis éternellement ? 1841

Article 4 — La miséricorde divine mettra-t-elle fin au châtiment des chrétiens damnés ? 1843

Article 5 — Tous ceux qui ont accompli des œuvres de miséricorde seront-ils exempts des peines éternelles ? 1844

Genèse_ 1846

Exode_ 1885

Lévitique_ 1917

Nombres 1941

Deutéronome_ 1975

Josué_ 2003

Juges 2022

Ruth_ 2041

I Samuel 2043

II Samuel 2067

I Rois 2087

II Rois 2110

I Chroniques 2132

II Chroniques 2155

Esdras 2182

Néhémie_ 2190

Tobie_ 2201

Judith_ 2210

Esther 2221

I Maccabées 2229

II Maccabées 2255

Job_ 2273

Psaumes 2292

Proverbes 2338

Ecclésiaste_ 2354

Cantique_ 2360

Sagesse_ 2363

Ecclésiastique_ 2374

Isaïe_ 2403

Jérémie_ 2439

Lamentations 2481

Baruch_ 2491

Ezéchiel 2496

Daniel 2534

Osée_ 2547

Joël 2552

Joël Amos 2554

Abdias 2558

Jonas 2559

Michée_ 2560

Nahum_ 2564

Habaquq_ 2565

Sophonie_ 2567

Aggée_ 2568

Zacharie_ 2569

Malachie_ 2576

Evangile selon Matthieu_ 2577

Evangile selon Marc 2604

Evangile selon Luc 2620

Evangile selon Jean_ 2647

Actes 2668

Epitre aux Romains 2697

I Corinthiens 2708

II Corinthiens 2719

Galates 2727

Ephésiens 2730

Philippiens 2734

Colossiens 2737

I Théssaloniciens 2740

II Théssaloniciens 2742

I Timothée_ 2744

II Timothée_ 2747

Tite_ 2749

Philémon_ 2750

Hébreux 2751

Jacques 2759

I Pierre_ 2762

II Pierre_ 2765

I Jean_ 2767

II Jean_ 2770

III Jean_ 2770

Jude_ 2770

Apocalypse_ 2771

 

 

PRIMA PARS — DIEU, LA TRINITÉ, LA CRÉATION

 

Le docteur de la vérité catholique doit non seulement enseigner les plus avancés, mais aussi instruire les commençants, selon ces mots de l’Apôtre (1 Co 3, 1-2) : “Comme à de petits enfants dans le Christ, c’est du lait que je vous ai donné à boire, non de la nourriture solide. ” Notre intention est donc, dans cet ouvrage, d’exposer ce qui concerne la religion chrétienne de la façon la plus convenable à la formation des débutants.

Nous avons observé en effet que, dans l’emploi des écrits des différents auteurs, les novices en cette matière sont fort empêchés, soit par la multiplication des questions inutiles, des articles et des preuves ; soit parce que ce qu’il leur convient d’apprendre n’est pas traité selon l’ordre même de la discipline, mais selon que le requiert l’explication des livres, ou l’occasion des disputes ; soit enfin que la répétition fréquente des mêmes choses engendre dans l’esprit des auditeurs lassitude et confusion.

Désirant éviter ces inconvénients et d’autres semblables, nous tenterons, confiants dans le pouvoir divin, de présenter la doctrine sacrée brièvement et clairement, autant que la matière le permettra.

 

 

 

QUESTION I — LA DOCTRINE SACRÉE. QU’EST-ELLE ? A QUOI S’ÉTEND-ELLE ?

En vue de délimiter exactement le champ de nos recherches, nous devons d’abord traiter de la doctrine sacrée elle-même, nous demandant ce qu’elle est, et quel est son domaine.

1. Une telle doctrine est-elle nécessaire ? 2. Est-elle une science ? 3. Est-elle une ou multiple ? 4. Est-elle spéculative ou pratique ? 5. Quels rapports entretient-elle avec les autres sciences ? 6. Est-elle une sagesse ? 7. Quel est son sujet ? 8. Argumente-t-elle ? 9. Doit-elle employer des métaphores ou des expressions symboliques ? 10. Les textes de l’Écriture sainte, dans cette doctrine, doivent-ils être expliqués selon plusieurs sens ?

 

            Article 1 — Une telle doctrine est-elle nécessaire ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir une autre doctrine que les disciplines philosophiques. Pourquoi faire effort en effet vers ce qui dépasse la raison humaine ? “ Ne cherche pas plus haut que toi ”, nous dit l’Ecclésiastique (3, 23). Or, ce qui est à portée de la raison nous est communiqué de manière suffisante dans les disciplines philosophiques. Il paraît donc superflu de recourir à une autre doctrine.

2. Il n’y a de science que de l’être, car on ne peut avoir de connaissance que du vrai, qui lui-même est convertible avec l’être[1]. Or, dans les disciplines philosophiques, on traite de toutes les modalités de l’être, et même de Dieu ; d’où vient qu’une branche de ce savoir est appelée théologie, ou science divine, comme le montre Aristote. Il n’est donc pas nécessaire d’ajouter aux disciplines philosophiques une autre doctrine.

En sens contraire, S. Paul dit (2 Tm 3,16 Vg) : “ Toute Écriture divinement inspirée est utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la justice. ” Or, une Écriture divinement inspirée n’a rien à voir avec les disciplines philosophiques, qui sont des œuvres de la raison humaine ; c’est donc qu’une autre doctrine, celle-là d’inspiration divine, a bien sa raison d’être.

Réponse :

Il fut nécessaire pour le salut de l’homme qu’il y eût, en dehors des sciences philosophiques que scrute la raison humaine, une doctrine procédant de la révélation divine. Le motif en est d’abord que l’homme est destiné par Dieu à atteindre une fin qui dépasse la compréhension de son esprit[2], car, dit Isaïe (64, 3), “ l’œil n’a point vu, ô Dieu, en dehors de toi, ce que tu as préparé à ceux qui t’aiment ”. Or il faut qu’avant de diriger leurs intentions et leurs actions vers une fin, les hommes connaissent cette fin[3]. Il était donc nécessaire, pour le salut de l’homme, que certaines choses dépassant sa raison lui fussent communiquées par révélation divine.[4]

A l’égard même de ce que la raison était capable d’atteindre au sujet de Dieu, il fallait aussi que l’homme fût instruit par révélation divine. En effet, la vérité sur Dieu atteinte par la raison n’eût été le fait que d’un petit nombre[5], elle eût coûté beaucoup de temps, et se fût mêlée de beaucoup d’erreurs. De la connaissance d’une telle vérité, cependant, dépend tout le salut de l’homme, puisque ce salut est en Dieu[6]. Il était donc nécessaire, si l’on voulait que ce salut fût procuré aux hommes d’une façon plus ordinaire et plus certaine, que ceux-ci fussent instruits par une révélation divine.

Pour toutes ces raisons, il était nécessaire qu’il y eût, en plus des disciplines philosophiques, œuvres de la raison, une doctrine sacrée, acquise par révélation.

Solutions :

1. Il est bien vrai qu’il ne faut pas chercher à scruter au moyen de la raison ce qui dépasse la connaissance humaine, mais à la révélation qui nous en est faite par Dieu nous devons accorder notre foi. Aussi, au même endroit, est-il ajouté : “ Beaucoup de choses te sont montrées qui dépassent la compréhension humaine.” C’est en ces choses que consiste la doctrine sacrée.

2. Une diversité de “ raisons ”, ou de points de vue, dans ce que l’on connaît, détermine une diversité de sciences. Ainsi est-ce bien une même conclusion que démontrent l’astronome et le physicien, par exemple, que la terre est ronde ; mais le premier utilise à cette fin un moyen terme mathématique, c’est-à-dire abstrait de la matière, tandis que le second en emploie un qui s’y trouve impliqué. Rien n’empêche donc que les objets mêmes dont traitent les sciences philosophiques, selon qu’ils sont connaissables par la lumière de la raison naturelle, puissent encore être envisagés dans une autre science, selon qu’ils sont connus par la lumière de la révélation divine. La théologie qui relève de la doctrine sacrée est donc d’un autre genre que celle qui est encore une partie de la philosophie.

 

            Article 2 — La doctrine sacrée est-elle une science ?

Objections :

1. Toute science procède de principes évidents par eux-mêmes. Or les principes de la doctrine sacrée sont les articles de foi, qui ne sont pas de soi évidents, puisqu’ils ne sont pas admis par tous. “ La foi n’est pas le partage de tous ”, dit l’Apôtre (2 Th 3, 2). La doctrine sacrée n’est donc pas une science.

2. Il n’y a pas de science du singulier[7]. Or, la doctrine sacrée s’occupe de cas singuliers, par exemple des faits et gestes d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et d’autres choses semblables. Elle n’est donc pas une science.

En sens contraire, S. Augustin dit: “ A cette science appartient cela seulement par quoi la foi très salutaire est engendrée, nourrie, défendue, corroborée ”, rôles qui ne peuvent être attribués qu’à la doctrine sacrée. Celle-ci est donc une science.

Réponse :

A coup sûr la doctrine sacrée est une science. Mais, parmi les sciences, il en est de deux espèces. Certaines s’appuient sur des principes connus par la lumière naturelle de l’intelligence : telles l’arithmétique, la géométrie, etc. D’autres procèdent de principes qui sont connus à la lumière d’une science supérieure : comme la perspective à partir de principes reconnus en géométrie, et la musique à partir de principes connus par l’arithmétique. Et c’est de cette façon que la doctrine sacrée est une science. Elle procède en effet de principes connus à la lumière d’une science de Dieu et des bienheureux. Et comme la musique fait confiance aux principes qui lui sont livrés par l’arithmétique, ainsi la doctrine sacrée accorde foi aux principes révélés par Dieu.

Solutions :

1. Les principes de toute science, ou sont évidents par eux-mêmes, ou se ramènent à la connaissance d’une science supérieure. Et ce dernier cas est celui des principes de la doctrine sacrée, comme on vient de le dire.

2. S’il arrive que des faits singuliers soient rapportés dans la doctrine sacrée, ce n’est pas à titre d’objet d’étude principal : ils sont introduits soit comme des exemples de vie, qu’invoquent les sciences morales, soit pour établir l’autorité des hommes par qui nous arrive la révélation divine, fondement même de l’Écriture ou de la doctrine sacrée.

 

            Article 3 — La doctrine sacrée est-elle une ou multiple ?

Objections :

1. Selon Aristote, une science “ une ” n’a pour sujet qu’un seul genre. Or, le créateur et la créature, dont il est question dans la doctrine sacrée, ne sont pas des sujets contenus dans un même genre. La doctrine sacrée n’est donc pas une science “ une ”.

2. Dans la doctrine sacrée, on traite des anges, des créatures corporelles, des mœurs humaines, toutes choses qui appartiennent à diverses sciences philosophiques. La doctrine sacrée ne peut donc être, elle non plus, une science “ une ”.

En sens contraire, l’Écriture parle de cette doctrine comme d’une science unique ; ainsi dit-elle (Sg 10, 10) : “ La sagesse lui donna (à Jacob) la science des choses saintes. ”

Réponse :

La doctrine sacrée est bien une science une. L’unité d’une puissance de l’âme ou d’un habitus se prend, en effet, de son objet ; non pas de son objet considéré matériellement, mais envisagé du point de vue de sa raison formelle d’objet ; l’homme, l’âne, la pierre, par exemple, se rencontrent dans l’unique raison formelle du coloré, qui est l’objet de la vue. Donc, puisque l’Écriture sainte envisage certains objets en tant que révélés par Dieu, ainsi qu’on vient de le voir[8] tout ce qui est connaissable par révélation divine s’unifie dans la raison formelle de cette science et de ce fait, se trouve compris dans la doctrine sacrée comme dans une science unique.

Solutions :

1. La doctrine sacrée ne met pas Dieu et les créatures à égalité lorsqu’elle en traite ; c’est de Dieu principalement qu’elle s’occupe, et lorsqu’elle parle des créatures, elle les envisage selon qu’elles se rapportent à Dieu, soit comme à leur principe, soit comme à leur fin. L’unité de la science est donc sauve.

2. Rien n’empêche que des puissances de l’âme ou des habitus de rang inférieur soient diversifiés par rapport à des matières qui se trouvent unifiées en face d’une puissance ou d’un habitus de rang supérieur, car une puissance de l’âme ou un habitus, s’il est d’un ordre plus élevé, considère son objet sous une raison formelle plus universelle. Par exemple le “ sens commun ” a pour objet le sensible, qui embrasse le visible et l’audible ; ainsi, bien qu’il soit une seule puissance, il s’étend à tous les objets des cinq sens. De même, l’unique science sacrée est en mesure d’envisager sous une même raison formelle, c’est-à-dire en tant que divinement révélables, des objets traités dans des sciences philosophiques différentes ; ce qui fait que cette science peut être regardée comme une certaine impression de la science de Dieu elle-même, une et simple à l’égard de tout.

 

            Article 4 — La doctrine sacrée est-elle spéculative ou pratique ?

Objections :

1. Il semble que la doctrine sacrée soit une science pratique, car, selon Aristote une science pratique a pour but l’action. Or la doctrine sacrée est adonnée à l’action : “ Mettez la Parole en pratique au lieu de l’écouter seulement ”, nous dit S. Jacques (1, 22). La doctrine sacrée est donc une science pratique.

2. La doctrine sacrée se divise en loi ancienne et loi nouvelle[9]. Or, une loi est affaire de science morale, c’est-à-dire de science pratique. C’est donc que la doctrine sacrée appartient à cette catégorie.

En sens contraire, toute science pratique se rapporte à des œuvres qui peuvent être accomplies par l’homme : ainsi la morale concerne les actes humains, la science de l’architecte les constructions. Or la doctrine sacrée porte avant tout sur Dieu, dont les hommes apparaissent plutôt comme ses œuvres à lui ; elle n’est donc pas une science pratique, mais davantage une science spéculative.

Réponse :

Nous avons dit que la doctrine sacrée, sans cesser d’être une, s’étend à des objets qui appartiennent à des sciences philosophiques différentes, à cause de l’unité de point de vue qui lui fait envisager toutes choses comme connaissables dans la lumière divine[10]. Il se peut donc bien que, parmi les sciences philosophiques, les unes soient spéculatives et d’autres pratiques ; mais la doctrine sacrée, pour sa part, sera l’une et l’autre, de même que Dieu, par une même science, se connaît et connaît ses œuvres[11].

Toutefois la science sacrée est plus spéculative que pratique, car elle concerne plus les choses divines que les actes humains n’envisageant ceux-ci que comme moyens pour parvenir à la pleine connaissance de Dieu, en laquelle consiste l’éternelle béatitude[12].

Et par là, Réponse est donnée aux Objections.

 

            Article 5 — La doctrine sacrée est-elle supérieure aux autres sciences ?

Objections :

1. La supériorité d’une science dépend de sa certitude. Or, les autres sciences, dont les principes ne peuvent être mis en doute, paraissent plus certaines que la doctrine sacrée, dont les principes, qui sont les articles de foi, admettent le doute. Les autres sciences paraissent donc être supérieures.

2. C’est le fait d’une science inférieure d’emprunter à une science supérieure : ainsi en est-il de la musique par rapport à l’arithmétique[13] ; or, la doctrine sacrée fait des emprunts aux doctrines philosophiques ; S. Jérôme dit en effet dans une lettre à un grand orateur de Rome, en parlant des anciens docteurs : “ Ils ont parsemé leurs livres d’une telle quantité de doctrines et de maximes de philosophes qu’on ne sait ce qu’on doit admirer davantage, de leur érudition séculière, ou de leur science des Ecritures. ” La doctrine sacrée est donc inférieure aux autres sciences.

En sens contraire, les autres sciences sont appelées ses servantes ; ainsi lit-on aux Proverbes (9, 3) : la Sagesse “ a dépêché ses servantes, elle appelle sur les hauteurs ”.

Réponse :

La vérité est que cette science, à la fois spéculative et pratique[14], dépasse sous ce double rapport toutes les autres. Parmi les sciences spéculatives, on doit appeler la plus digne celle qui est la plus certaine et s’occupe des plus hauts objets. Or, à ce double point de vue, la science sacrée l’emporte sur les autres sciences spéculatives. Elle est la plus certaine, car les autres tirent leur certitude de la lumière naturelle de la raison humaine qui peut faillir[15], alors qu’elle tire la sienne de la lumière de la science divine qui ne peut se tromper. C’est elle aussi qui a l’objet le plus élevé, puisqu’elle porte principalement sur ce qui dépasse la raison[16], au lieu que les autres disciplines envisagent ce qui est soumis à la raison.

Parmi les sciences pratiques, on doit dire supérieure celle qui ne vise pas, au-delà d’elle-même, une autre fin, telle la politique pour l’art militaire (le bien de l’armée est en effet ordonné à celui de la cité). Or, la fin de notre doctrine, selon qu’elle est pratique, n’est autre que la béatitude éternelle, but auquel se réfèrent, comme à la fin suprême, toutes les autres fins des sciences pratiques[17]. De toute façon la science sacrée est donc prééminente.

Solutions :

1. Rien n’empêche qu’une connaissance plus certaine selon sa nature soit en même temps moins certaine pour nous ; cela tient à la faiblesse de notre esprit, qui se trouve, dit Aristote, “ devant les plus hautes évidences des choses, comme l’œil du hibou en face de la lumière du soleil ”[18]. Le doute qui peut surgir à l’égard des articles de foi ne doit donc pas être attribué à une incertitude des choses mêmes, mais à la faiblesse de l’intelligence humaine. Malgré cela, la moindre connaissance touchant les choses les plus hautes est plus désirable qu’une science très certaine des choses moindres, dit Aristote.

2. La science sacrée peut faire des emprunts aux sciences philosophiques, mais ce n’est pas qu’elles lui soient nécessaires, c’est uniquement en vue de mieux manifester ce qu’elle-même enseigne. Ses principes ne lui viennent en effet d’aucune autre science, mais de Dieu immédiatement, par révélation ; d’où il suit qu’elle n’emprunte point aux autres sciences comme si celle-ci lui étaient supérieures, mais au contraire qu’elle en use comme d’inférieures et de servantes ; ainsi en est-il des sciences dites architectoniques, qui utilisent leurs inférieures, comme fait la politique pour l’art militaire. Du reste, que la science sacrée utilise les autres sciences de cette façon-là, le motif n’en est point son défaut ou son insuffisance, mais la faiblesse de notre esprit, qui est acheminé avec plus d’aisance à partir des connaissances naturelles, d’où procèdent les autres sciences, vers les objets qui la dépassent, et dont cette science traite.

 

            Article 6 — Cette doctrine est-elle une sagesse ?

Objections :

1. Une doctrine qui prend ses principes hors d’elle-même ne mérite pas le nom de sagesse : “ Le rôle du sage est d’intimer l’ordre et non de le recevoir d’un autre ”, déclare en effet Aristote ; or, cette doctrine-ci emprunte ailleurs ses principes, comme on l’a montré[19] ; elle n’est donc pas une sagesse.

2. C’est le fait d’une sagesse d’établir les principes des autres sciences ; d’où ce titre de “ chef des autres sciences ” que lui attribue Aristote ; or la doctrine sacrée ne se comporte pas ainsi ; elle n’est donc pas sagesse.

3. Notre doctrine s’acquiert par l’étude, tandis que la sagesse est obtenue par infusion ; ainsi est-elle comptée parmi les sept dons du Saint-Esprit[20], comme on le voit en Isaïe (11, 2). La doctrine sacrée n’est donc pas une sagesse.

En sens contraire, au principe de la loi, le Deutéronome (4, 6 Vg) fait cette déclaration : “ Telle est notre sagesse et notre intelligence aux yeux de tous les peuples. ”

Réponse :

Cette doctrine est par excellence une sagesse, parmi toutes les sagesses humaines, et cela non pas seulement dans un genre particulier, mais absolument. En effet, puisqu’il appartient au sage d’intimer l’ordre et de juger[21], et que d’autre part le jugement, pour ce qui est inférieur, s’obtient par un appel à une cause plus élevée, celui-là est le sage dans un genre quelconque, qui prend en considération la cause suprême de ce genre[22]. Par exemple, s’il s’agit de construction, l’homme de l’art qui a disposé les plans de la maison, mérite le titre de sage et d’architecte, au regard des techniciens inférieurs qui taillent les pierres, ou préparent le ciment. Ce pourquoi l’Apôtre dit (1 Co 3, 10) : “ Comme un sage architecte, j’ai posé le fondement. ” S’il s’agit de la vie humaine dans son ensemble, l’homme prudent sera appelé sage du fait qu’il ordonne les actes humains vers la fin qu’ils doivent atteindre[23] ainsi est-il dit aux Proverbes (10, 23 Vg) : “ La sagesse est prudence pour l’homme. ” Celui-là donc qui considère purement et simplement la cause suprême de tout l’univers, qui est Dieu, mérite par excellence le nom de sage. C’est pourquoi, comme on le voit dans S. Augustin, la sagesse est appelée la connaissance la plus digne. Or, la doctrine sacrée traite très proprement de Dieu selon qu’il est la cause suprême[24] ; car elle ne se contente pas de ce qu’on peut en savoir par les créatures, et que les philosophes ont connu. “ Ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste ”, dit en effet l’Apôtre (Rm 1,19) ; elle traite aussi de Dieu quant à ce qui n’est connu que de lui seul, et qui est communiqué aux autres par révélation. La doctrine sacrée mérite donc par excellence le nom de sagesse.

Solutions :

1. La doctrine sacrée n’emprunte ses principes à aucune science humaine ; elle les tient de la science divine, qui règle, à titre de sagesse souveraine, toute notre connaissance.

2. Les principes des autres sciences, ou bien sont évidents, et donc ne peuvent être prouvés, ou bien sont prouvés par quelque raison naturelle dans une autre science ; or la connaissance propre à notre science est obtenue par révélation et non par raison naturelle[25]. C’est pourquoi il n’appartient pas à la doctrine sacrée de démontrer les principes des autres sciences, mais seulement d’en juger. En effet, tout ce qui, dans ces sciences, se trouverait contredire la vérité exprimée par la science sacrée doit être condamné comme faux, selon l’Apôtre (2 Co 10, 45) : “ Nous détruisons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la science de Dieu. ”

3. Puisque juger est le fait du sage, aux deux façons de juger dont on peut faire état correspondent deux sagesses différentes. Il arrive en effet qu’on juge par inclination, comme celui qui possède un habitus vertueux juge avec rectitude de ce qu’il doit faire dans la ligne de cet habitus, étant déjà incliné dans ce sens[26]. Aussi Aristote déclare-t-il que l’homme vertueux est la mesure et la règle des actes humains. Mais il est une autre façon de juger, à savoir par mode de connaissance, comme celui qui est instruit de la science morale peut juger des actes d’une vertu, même s’il n’a pas cette vertu[27]. La première façon de juger des choses divines est le fait de la sagesse du Saint-Esprit, selon cette parole de l’Apôtre (1 Co 2, 15) : “ L’homme spirituel juge de tout. ” De même Denys : “ Hiérothée est devenu sage, non seulement en étudiant, mais en éprouvant le divin. ” Quant à l’autre façon de juger, c’est celle qui appartient à la doctrine qui nous occupe, selon qu’elle est obtenue par l’étude, bien que ses principes lui viennent de la révélation.

 

            Article 7 — Dieu est-il le sujet de cette science ?

Objections :

1. Toute science, dit Aristote, suppose connue la nature de son sujet, autrement dit “ ce qu’il est ”. Or, cette science ne suppose pas la connaissance de ce que Dieu est, car, selon S. Jean Damascène : “ Dire de Dieu ce qu’il est nous est impossible. ” Dieu n’est donc pas le sujet de cette science.

2. Tout ce dont on traite dans une science est compris dans son sujet. Or, dans la Sainte Écriture, il est question de bien d’autres choses que de Dieu, par exemple des créatures, des mœurs humaines. Donc Dieu n’est pas le sujet de cette science.

En sens contraire, on doit considérer comme le sujet d’une science cela même dont on parle dans la science ; or, dans la science sacrée, il est question de Dieu : d’où son nom de “théo-logie”, autrement dit de discours ou de parole sur Dieu. Dieu est donc bien le sujet de cette science.

Réponse :

Dieu est effectivement le sujet de cette science. Il y a le même rapport, en effet, entre le sujet d’une science et la science elle-même, qu’entre l’objet et une puissance de l’âme[28] ou un habitus[29]. Or, on assigne proprement comme objet à une puissance ou à un habitus ce qui détermine le point de vue sous lequel toutes choses se réfèrent à cette puissance ou à cet habitus ; ainsi, l’homme et la pierre se rapportent à la vue selon qu’ils sont colorés ; et c’est pourquoi le coloré est l’objet propre de la vue. Or, dans la doctrine sacrée, on traite tout “ sous la raison de Dieu ”, ou du point de vue de Dieu, soit que l’objet d’étude soit Dieu lui-même, soit qu’il ait rapport à Dieu comme à son principe ou comme à sa fin. D’où il suit que Dieu est vraiment le sujet de cette science. Ceci d’ailleurs est aussi manifeste si l’on envisage les principes de cette science, qui sont les articles de foi, laquelle concerne Dieu ; or, le sujet des principes et celui de la science tout entière ne font qu’un, toute la science étant contenue virtuellement dans ses principes.

Certains toutefois, considérant les choses mêmes dont traite cette science, et non le point de vue sous lequel elle les envisage, en ont circonscrit autrement la matière. Ainsi parlent-ils de “ choses ” et de “ signes ” ; ou des “ œuvres de la Réparation ” ; ou du “ Christ total ”, à savoir la tête et les membres. Il est bien traité de tout cela dans notre science ; mais c’est toujours par rapport à Dieu.

Solutions :

1. Il est vrai, nous ne pouvons pas savoir de Dieu ce qu’il est[30] ; toutefois, dans notre doctrine, nous utilisons, au lieu d’une définition, pour traiter de ce qui se rapporte à Dieu, les effets que celui-ci produit dans l’ordre de la nature ou de la grâce. Comme on démontre en certaines sciences philosophiques des vérités relatives à une cause au moyen de son effet, en prenant l’effet au lieu de la définition de cette cause.

2. Quant aux divers objets autres que Dieu dont il est question dans la Sainte Écriture, ils se ramènent à Dieu lui-même ; non point à titre de parties, d’espèces ou d’accidents[31], mais comme se rapportant à lui de quelque manière[32].

 

            Article 8 — Cette doctrine argumente-t-elle ?

Objections :

1. S. Ambroise dit : “ Rejette les arguments, là où c’est la foi qu’on cherche. ” Or, dans cette doctrine, c’est la foi surtout que l’on cherche : “ Ces choses ont été écrites, dit S. Jean (20, 31), afin que vous croyiez. ” La doctrine sacrée ne procède donc pas par arguments.

2. Si cette science devait argumenter, ce serait ou par autorité ou par raison. Mais prouver par autorité ne semble pas convenir à sa dignité, car, selon Boèce, l’argument d’autorité est de tous le plus faible. Quant aux preuves rationnelles, elles ne conviennent pas à sa fin, puisque, selon S. Grégoire, “ la foi n’a pas de mérite, là où la raison procure une connaissance directe ”. Par conséquent la doctrine sacrée n’use pas d’arguments.

En sens contraire, l’Apôtre, parlant de l’évêque, dit (Tt 1, 9) : “ Qu’il soit attaché à l’enseignement sûr, conforme à la doctrine ; il doit être capable d’exhorter dans la saine doctrine et de réfuter les contradicteurs. ”

Réponse :

Les autres sciences n’argumentent pas en vue de démontrer leurs principes ; mais elles argumentent à partir d’eux pour démontrer d’autres vérités comprises dans ces sciences. Ainsi la doctrine sacrée ne prétend pas, au moyen d’une argumentation, prouver ses propres principes, qui sont les vérités de foi[33] ; mais elle les prend comme point d’appui pour manifester quelque autre vérité, comme l’Apôtre (1 Co 15,12) prend appui sur la résurrection du Christ pour prouver la résurrection générale.

Toutefois, il faut considérer ceci. Dans l’ordre des sciences philosophiques, les sciences inférieures non seulement ne prouvent pas leurs principes, mais ne disputent pas contre celui qui les nie, laissant ce soin à une science plus haute ; la plus élevée de toutes, au contraire, qui est la métaphysique, dispute contre celui qui nie ses principes, à supposer que le négateur concède quelque chose ; et, s’il ne concède rien, elle ne peut discuter avec lui, mais elle peut détruire ses arguments. La science sacrée donc, n’ayant pas de supérieure, devra elle aussi disputer contre celui qui nie ses principes. Elle le fera par le moyen d’une argumentation, si l’adversaire concède quelque chose de la révélation divine : c’est ainsi qu’en invoquant les “autorités” de la doctrine sacrée, nous disputons contre les hérétiques, utilisant un article de foi pour combattre ceux qui en nient un autre. Mais si l’adversaire ne croit rien des choses révélées, il ne reste plus de moyen pour prouver par la raison les articles de foi ; il est seulement possible de réfuter les raisons qu’il pourrait opposer à la foi. En effet, puisque la foi s’appuie sur la vérité infaillible, et qu’il est impossible de démontrer le contraire du vrai, il est manifeste que les arguments qu’on apporte contre la foi ne sont pas de vraies démonstrations, mais des arguments réfutables.

Solutions :

1. Bien que les arguments de la raison humaine soient impropres à démontrer ce qui est de foi, il reste qu’à partir des articles de foi la doctrine sacrée peut prouver autre chose, comme on vient de le dire.[34]

2. Il est certain que notre doctrine doit user d’arguments d’autorité ; et cela lui est souverainement propre du fait que les principes de la doctrine sacrée nous viennent de la révélation, et qu’ainsi on doit croire à l’autorité de ceux par qui la révélation a été faite. Mais cela ne déroge nullement à sa dignité, car si l’argument d’autorité fondé sur la raison humaine est le plus faible, celui qui est fondé sur la révélation divine est de tous le plus efficace.

Toutefois la doctrine sacrée utilise aussi la raison humaine, non point certes pour prouver la foi, ce qui serait en abolir le mérite, mais pour mettre en lumière certaines autres choses que cette doctrine enseigne. Donc, puisque la grâce ne détruit pas la nature, mais la parfait[35], c’est un devoir, pour la raison naturelle, de servir la foi, tout comme l’inclination naturelle de la volonté obéit à la charité.[36] Aussi l’Apôtre dit-il (2 Co 10, 5) : “ Nous assujettissons toute pensée pour la faire obéir au Christ. ” De là vient que la doctrine sacrée use aussi des autorités des philosophes, là où, par leur raison naturelle, ils ont pu atteindre le vrai. S. Paul, dans les Actes (17, 28) rapporte cette sentence d’Aratus : “ Nous sommes de la race de Dieu, ainsi que l’ont affirmé certains de vos poètes. ” Il faut prendre garde cependant que la doctrine sacrée n’emploie ces autorités qu’au titre d’arguments étrangers à sa nature, et n’ayant qu’une valeur de probabilité. Au contraire, c’est un usage propre qu’elle fait des autorités de l’Écriture canonique. Quant aux autorités des autres docteurs de l’Église, elle en use aussi comme arguments propres, mais d’une manière seulement probable. Cela tient à ce que notre foi repose sur la révélation faite aux Apôtres et aux Prophètes, non sur d’autres révélations, s’il en existe, faites à d’autres docteurs. C’est pourquoi, écrivant à S. Jérôme, S. Augustin déclare : “ Les livres des Écritures canoniques sont les seuls auxquels j’accorde l’honneur de croire très fermement leurs auteurs incapables d’errer en ce qu’ils écrivent. Les autres, si je les lis, ce n’est point parce qu’ils ont pensé une chose ou l’ont écrite que je l’estime vraie, quelque éminents qu’ils puissent être en sainteté et en doctrine.”

 

            Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ?

Objections :

1. Ce qui appartient en propre à une doctrine tout à fait inférieure, ne paraît pas convenir à la doctrine sacrée qui, on vient de le dire[37], occupe le sommet du savoir. Or l’emploi de similitudes diverses et de représentations sensibles est le fait de la poétique, qui occupe le dernier rang parmi toutes les sciences. User de similitudes de ce genre ne convient donc pas à la science sacrée.

2. La doctrine sacrée paraît avoir pour but de manifester la vérité : c’est pourquoi ceux qui accomplissent cette tâche se voient promettre une récompense : “ Ceux qui me mettent en lumière auront la vie éternelle ”, dit la Sagesse dans l’Ecclésiastique (24, 31 Vg). Or, de telles similitudes cachent la vérité[38]. Il ne convient donc pas à cette doctrine de présenter les réalités divines sous des similitudes empruntées au monde corporel.

3. Plus des créatures sont élevées, et plus elles s’approchent de la ressemblance divine. Donc, si quelque chose des créatures devait être transposé en Dieu, une telle transposition devrait se faire à partir des créatures les plus nobles, et non à partir des plus basses, ce qui cependant se présente fréquemment dans les Écritures.

En sens contraire, Dieu dit dans Osée (12, 11) : “ J’ai multiplié les visions et, par les prophètes, j’ai parlé en similitudes. ” Or présenter une vérité sous le couvert de similitudes, c’est bien user de métaphores. Il convient donc à la doctrine sacrée d’en employer.

Réponse :

Il convient certainement à la Sainte Écriture de nous livrer les choses divines sous le voile de similitudes empruntées aux choses corporelles Dieu, en effet, pourvoit à tous les êtres conformément à leur nature. Or, il est naturel à l’homme de s’élever à l’intelligible par le sensible, parce que toute notre connaissance prend son origine des sens[39]. Il est donc parfaitement convenable que dans l’Écriture sainte les choses spirituelles nous soient livrées au moyen de métaphores corporelles. C’est ce que dit Denys : “ Le rayon divin ne peut luire pour nous qu’enveloppé par la diversité des voiles sacrés. ” De plus, l’Écriture étant proposée de façon commune à tous, selon ce mot de l’Apôtre (Rm 1,14) : “Je me dois aux savants et aux ignorants ”, il lui convient de présenter les réalités spirituelles sous la figure de similitudes empruntées au corps, afin que, par ce moyen tout au moins, les simples la comprennent, eux qui ne sont pas aptes à saisir en elles-mêmes les réalités intelligibles.[40]

Solutions :

1. La poétique use de métaphores en vue de la représentation, car celle-ci est naturellement agréable à l’homme. La doctrine sacrée, elle, use de ce procédé par nécessité et dans un but utilitaire, nous venons de le dire.

2. Le rayon de la divine révélation, nous dit Denys, n’est pas supprimé par les figures sensibles qui le voilent ; il demeure dans sa vérité, en sorte qu’il ne soit pas permis aux esprits auxquels est faite la révélation de s’en tenir aux images mêmes ; il les élève jusqu’à la connaissance des choses intelligibles, et, par leur intermédiaire, les autres en sont également instruits[41]. C’est pourquoi ce qui est livré en un endroit de l’Écriture sous des métaphores, est présenté plus explicitement en d’autres passages. Du reste, l’obscurité même des figures est utile, tant pour exercer les esprits studieux, que pour éviter les moqueries des infidèles, au sujet desquels S. Matthieu dit (7, 6) : “ Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré. ”

3. Denys nous explique encore, pourquoi il est préférable que, dans les Écritures, les choses divines nous soient livrées sous la figure des corps les plus vils, plutôt que sous celle des plus nobles. Il en donne trois raisons. Tout d’abord on écarte ainsi de l’esprit humain un risque d’erreur, en rendant évident qu’on ne parle pas en propriété de termes des choses divines, ce qui pourrait être l’objet d’un doute, si ces choses étaient présentées sous la figure des corps les plus nobles, surtout pour les hommes qui n’imaginent rien de plus noble que le monde corporel. En deuxième lieu, cette manière d’agir est plus en rapport avec la connaissance que nous avons de Dieu en cette vie ; car nous savons plutôt de Dieu ce qu’il n’est pas que ce qu’il est[42] ; les similitudes les plus lointaines sont donc à cet égard les plus proches de la vérité : elles nous donnent à comprendre que Dieu est au-dessus de tout ce que nous pouvons dire ou penser de lui. Enfin, par là, les choses divines se trouvent voilées plus efficacement au regard des indignes.

 

            Article 10 — Est-ce que la “ lettre ” de l’Écriture sainte peut revêtir plusieurs sens ?

Objections :

1. Il semble bien que l’Écriture ne contient pas sous une seule lettre plusieurs des sens ainsi distingués : le sens historique ou littéral, le sens allégorique, le sens tropologique ou moral, et le sens anagogique. En effet, une multiplicité de sens pour un seul passage engendre la confusion, prête à l’erreur et rend l’argumentation fragile. C’est pourquoi une argumentation véritable ne procède pas de propositions aux sens multiples ; bien plus, cela occasionne certains sophismes. Or, l’Écriture sainte doit être apte à nous montrer la vérité sans prêter occasion à l’erreur ; elle ne peut donc nous offrir, sous une seule lettre, une pluralité de sens.

2. S. Augustin nous dit : “ Cette partie de l’Écriture qu’on appelle l’Ancien Testament se présente sous quatre formes : l’histoire, l’étiologie, l’analogie, l’allégorie ”, division qui paraît totalement étrangère à celle qui a été rapportée plus haut. Il ne semble donc pas convenable que l’Écriture sainte soit exposée suivant les quatre sens énumérés en premier.

3. En dehors des quatre sens précités, il y a encore le sens parabolique, qui n’est pas compris parmi eux.

En sens contraire, S. Grégoire dit : “ L’Écriture sainte, par la manière même dont elle s’exprime, dépasse toutes les sciences ; car, dans un seul et même discours, tout en racontant un fait, elle livre un mystère. ”

Réponse :

L’auteur de l’Écriture sainte est Dieu. Or, il est au pouvoir de Dieu d’employer, pour signifier quelque chose, non seulement des mots, ce que peut faire aussi l’homme, mais également les choses elles-mêmes. Pour cette raison, alors que dans toutes les sciences ce sont les mots qui ont valeur significative, celle-ci a en propre que les choses mêmes signifiées par les mots employés signifient à leur tour quelque chose. La première signification, celle par laquelle les mots signifient certaines choses, correspond au premier sens, qui est le sens historique ou littéral. La signification par laquelle les choses signifiées par les mots signifient encore d’autres choses, c’est ce qu’on appelle le sens spirituel, qui est fondé sur le sens littéral et le suppose.

A son tour, le sens spirituel se divise en trois sens distincts. En effet, dit l’Apôtre (He 7,19), la loi ancienne est une figure de la loi nouvelle[43], et la loi nouvelle elle-même, ajoute Denys, est une figure de la gloire à venir ; en outre, dans la loi nouvelle, ce qui a lieu dans le chef est le signe de ce que nous-mêmes devons faire. Donc, lorsque les réalités de la loi ancienne signifient celles de la loi nouvelle, on a le sens allégorique ; quand les choses réalisées dans le Christ, ou dans ce qui signifie le Christ, sont le signe de ce que nous devons faire, on a le sens moral ; pour autant, enfin que ces mêmes choses signifient ce qui existe dans la gloire éternelle, on a le sens anagogique.

Comme, d’autre part, le sens littéral est celui que l’auteur entend signifier, et comme l’auteur de l’Écriture sainte est Dieu, qui comprend simultanément toutes choses dans la simple saisie de son intelligence, il n’y a pas d’obstacle à dire, à la suite de S. Augustin, que selon le sens littéral, même dans une seule “ lettre ” de l’Écriture, il y a plusieurs sens.

Solutions :

1. La multiplicité des sens en question ne crée pas d’équivoque, ni aucune espèce de multiplicité de ce genre. En effet, d’après ce qui a été dit, ces sens ne se multiplient pas pour cette raison qu’un seul mot signifierait plusieurs choses, mais parce que les réalités elles-mêmes, signifiées par les mots, peuvent être signes d’autres réalités. Il n’y aura pas non plus de confusion dans l’Écriture, car tous les sens sont fondés sur l’unique sens littéral, et l’on ne pourra argumenter qu’à partir de lui, à l’exclusion des sens allégoriques, ainsi que l’observe S. Augustin contre le donatiste Vincent. Rien cependant ne sera perdu de l’Ecriture sainte, car rien de nécessaire à la foi n’est contenu dans le sens spirituel sans que l’Écriture nous le livre clairement ailleurs, par le sens littéral.

2. Trois des sens énumérés ici par S. Augustin se rapportent au seul sens littéral : l’histoire, l’étiologie et l’analogie. Il y a histoire, explique S. Augustin, lorsqu’une chose est exposée pour elle-même. Il y a étiologie quand la cause de ce dont on parle est indiquée : ainsi lorsque le Seigneur explique pourquoi Moïse donna licence aux Juifs de répudier leurs épouses, c’est-à-dire en raison de la dureté de leur cœur (Mt 19, 8). Il y a analogie enfin quand on fait voir que la vérité d’un passage de l’Écriture n’est pas opposée à la vérité d’un autre passage. Reste l’allégorie qui, à elle seule, dans l’énumération de S. Augustin, tient la place des trois sens spirituels. Hugues de Saint-Victor range lui aussi le sens anagogique sous le sens allégorique ; retenant ainsi, dans son troisième livre des Sentences, trois sens seulement : le sens historique, le sens allégorique et le sens tropologique.

3. Le sens parabolique est inclus dans le sens littéral ; car par les mots on peut signifier quelque chose au sens propre, et quelque chose au sens figuré ; et, dans ce cas, le sens littéral ne désigne pas la figure elle-même, mais ce qu’elle représente. Quand, en effet, l’Écriture parle du bras de Dieu, le sens littéral n’est pas qu’il y ait en Dieu un bras corporel, mais ce qui est signifié par ce membre, à savoir une puissance active. Cela montre bien que, dans le sens littéral de l’Écriture, il ne peut jamais y avoir de fausseté.

 


 

L’objet principal de la doctrine sacrée est de transmettre la connaissance de Dieu, non pas seulement ce qu’il est en lui-même, mais aussi selon qu’il est le principe et la fin de toutes choses, spécialement de la créature raisonnable comme on l’a montré dans ce qui précède. Nous devrons donc, ayant à exposer cette doctrine, traiter 1° de Dieu (première partie) ; 2° du mouvement de la créature raisonnable vers Dieu (deuxième partie) ; 3° du Christ, qui, comme homme, est pour nous la voie qui mène à Dieu (troisième partie).

Notre étude de Dieu comprendra trois sections. Nous considérerons 1° ce qui concerne l’essence divine (Q. 2-26) ; 2° ce qui concerne la distinction des Personnes (Q. 27-43) ; 3° ce qui concerne la manière dont les créatures procèdent de Dieu (Q. 44-119).

Touchant l’essence divine, il y a lieu de se demander 1° si Dieu existe ; 2° comment il est, ou plutôt comment il n’est pas (Q. 3-13) ; 3° il faudra étudier en outre ce qui concerne son opération, à savoir sa science, sa volonté et sa puissance (Q. 14-26).

 

QUESTION 2 — L’EXISTENCE DE DIEU

1. L’existence de Dieu est-elle évidente par elle-même ? 2. Est-elle démontrable ? 3. Dieu existe-t-il ?

 

            Article 1 — L’existence de Dieu est-elle évidente par elle-même ?

Objections :

1. Nous disons évident ce dont la connaissance est en nous naturellement, comme c’est le cas des premiers principes. Or, dit Jean Damascène au début de son livre, “ la connaissance de l’existence de Dieu est naturellement infuse dans tout être ”. Il y a donc là une évidence.

2. On déclare encore évidentes les propositions dont la vérité apparaît dès que les termes en sont connus, comme le Philosophe le dit des premiers principes de la démonstration dans ses Derniers Analytiques. Dès qu’on sait, par exemple, ce que sont le tout et la partie, on sait que le tout est toujours plus grand que sa partie. Or, dès qu’on a compris ce que signifie ce mot : Dieu, aussitôt on sait que Dieu existe. En effet, ce mot signifie un être tel qu’on ne peut en concevoir de plus grand ; or, ce qui existe à la fois dans la réalité et dans l’esprit est plus grand que ce qui existe uniquement dans l’esprit. Donc, puisque, le mot étant compris, Dieu est dans l’esprit, on sait du même coup qu’il est dans la réalité. L’existence de Dieu est donc évidente[44].

3. Il est évident que la vérité existe, car celui qui nie que la vérité existe concède par le fait même qu’elle existe ; car si la vérité n’existe pas, ceci du moins est vrai : que la vérité n’existe pas. Or, si quelque chose est vrai, la vérité existe. Or Dieu est la vérité même, selon ce que dit Jésus en Jean (14, 6) : “ Je suis la voie, la vérité et la vie. ” Donc l’existence de Dieu est évidente.

En sens contraire, personne ne peut penser l’opposé d’une vérité évidente, comme le prouve le Philosophe en ce qui concerne les premiers principes de la démonstration. Or, on peut penser le contraire de cette proposition : Dieu existe, puisque, d’après le psaume (53, 1), “ L’insensé a dit dans son cœur : il n’y a pas de Dieu. ” Donc l’existence de Dieu n’est pas évidente par elle-même.

Réponse :

Une chose peut être évidente de deux façons : soit en elle-même, mais non pas pour nous ; soit à la fois en elle-même et pour nous. En effet, une proposition est évidente par elle-même du fait que le prédicat y est inclus dans l’idée du sujet, comme lorsqu’on dit : L’homme est un animal ; car l’animalité fait partie de l’idée d’homme. Si donc la définition du sujet et celle du prédicat sont connues de tous, cette proposition sera évidente pour tous. C’est ce qui a lieu pour les premiers principes de la démonstration, dont les termes sont trop généraux pour que personne puisse les ignorer, comme être et non-être, tout et partie, etc. Mais s’il arrive chez quelqu’un que la définition du prédicat et celle du sujet soient ignorées, la proposition sera évidente de soi ; mais non pour ceux qui ignorent le sujet et le prédicat de la proposition. C’est pour cette raison, dit Boèce, qu’il y a des conceptions communes de l’esprit qui sont évidentes seulement pour ceux qui savent, comme celle-ci : les choses immatérielles n’ont pas de lieu.

Je dis donc que cette proposition : Dieu existe, est évidente de soi, car le prédicat y est identique au sujet ; Dieu, en effet, est son être même, comme on le verra plus loin[45]. Mais comme nous ne connaissons pas l’essence de Dieu, cette proposition n’est pas évidente pour nous ; elle a besoin d’être démontrée par ce qui est mieux connu de nous, même si cela est, par nature, moins connu, à savoir par les œuvres de Dieu.

Solutions :

1. Nous avons naturellement quelque connaissance générale et confuse de l’existence de Dieu, à savoir en tant que Dieu est la béatitude de l’homme ; car l’homme désire naturellement la béatitude[46], et ce que naturellement il désire, naturellement aussi il le connaît. Mais ce n’est pas là vraiment connaître que Dieu existe, pas plus que connaître que quelqu’un vient n’est connaître Pierre, même si c’est Pierre qui vient. En effet, beaucoup estiment que la béatitude, ce bien parfait de l’homme, consiste dans les richesses, d’autres dans les plaisirs, d’autres dans quelque autre chose.[47]

2. Il n’est pas sûr que tout homme qui entend prononcer ce mot : Dieu, l’entende d’un être tel qu’on ne puisse pas en concevoir de plus grand, puisque certains ont cru que Dieu est un corps. Mais admettons que tous donnent au mot Dieu la signification qu’on prétend, à savoir celle d’un être tel qu’on n’en puisse concevoir de plus grand : il s’ensuit que chacun pense nécessairement qu’un tel être est dans l’esprit comme appréhendé, mais nullement qu’il existe dans la réalité. Pour pouvoir tirer de là que l’être en question existe réellement, il faudrait supposer qu’il existe en réalité un être tel qu’on ne puisse pas en concevoir de plus grand, ce que refusent précisément ceux qui nient l’existence de Dieu.

3. Que la vérité soit, en général, cela est évident ; mais que la vérité première soit, c’est ce qui n’est pas évident pour nous.

 

            Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ?

Objections :

1. L’existence de Dieu est un article de foi ; mais les articles de foi ne se démontrent pas ; car la démonstration engendre la science, mais l’objet de la foi est ce dont la vérité n’apparaît pas, selon l’épître aux Hébreux (11, 1).

2. Le moyen terme d’une démonstration est la définition du sujet, qui fait connaître ce qu’il est. Or, ce Dieu, nous ne pouvons pas savoir ce qu’il est[48], mais seulement ce qu’il n’est pas, dit le Damascène. Donc nous ne pouvons pas démontrer Dieu.

3. Si l’on pouvait démontrer Dieu, ce ne pourrait être que par ses œuvres[49] ; or les œuvres de Dieu ne lui sont pas proportionnelles. Elles sont finies, lui-même est infini[50] ; et il n’y a pas de proportion entre le fini et l’infini. En conséquence, comme on ne peut démontrer une cause par un effet hors de proportion avec elle, il semble qu’on ne puisse pas démontrer l’existence de Dieu.

En sens contraire, l’Apôtre dit (Rm 1, 20) : “ Les perfections invisibles de Dieu sont rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres. ” Mais cela ne serait pas si, par ses œuvres, on ne pouvait démontrer l’existence même de Dieu ; car la première chose à connaître au sujet d’un être, c’est qu’il existe.

Réponse :

Il y a deux sortes de démonstrations : l’une par la cause, que l’on nomme propter quid ; elle part de ce qui est antérieur, en réalité, par rapport à ce qui est démontré. L’autre, par les effets, que l’on nomme démonstration quia ; elle part de ce qui n’est premier que dans l’ordre de notre connaissance. C’est pourquoi, toutes les fois qu’un effet nous est plus manifeste que sa cause, nous recourons à lui pour connaître la cause. Or, de tout effet, on peut démontrer que sa cause propre existe, si du moins les effets de cette cause sont plus connus pour nous qu’elle-même ; car, les effets dépendant de la cause, dès que l’existence de l’effet est établie, il suit nécessairement que la cause préexiste. Donc, si l’existence de Dieu n’est pas évidente à notre égard, elle peut être démontrée par ses effets connus de nous .

Solutions :

1. L’existence de Dieu et les autres vérités concernant Dieu, que la raison naturelle peut connaître, comme dit l’Apôtre (Rm 1, 19), ne sont pas des articles de foi, mais des vérités préliminaires qui nous y acheminent. En effet, la foi présuppose la connaissance naturelle[51], comme la grâce présuppose la nature[52], et la perfection le perfectible. Toutefois, rien n’empêche que ce qui est, de soi, objet de démonstration et de science ne soit reçu comme objet de foi par celui qui ne peut saisir la démonstration.

2. Quand on démontre une cause par son effet, il est nécessaire d’employer l’effet, au lieu de la définition de la cause, pour prouver l’existence de celle-ci. Et cela se vérifie principalement lorsqu’il s’agit de Dieu. En effet, pour prouver qu’une chose existe, on doit prendre comme moyen non sa définition, mais la signification qu’on lui donne car, avant de se demander ce qu’est une chose, on doit se demander si elle existe. Or, les noms de Dieu lui sont donnés d’après ses effets, comme nous le montrerons[53] ; donc, ayant à démontrer Dieu par ses effets, nous pouvons prendre comme moyen terme ce que signifie ce nom : Dieu.

3. Par des effets disproportionnés à leur cause, on ne peut obtenir de cette cause une connaissance parfaite ; mais, comme nous l’avons dit[54], il suffit d’un effet quelconque pour démontrer manifestement que cette cause existe. Ainsi, en partant des œuvres de Dieu, on peut démontrer l’existence de Dieu, bien que par elles nous ne puissions pas le connaître parfaitement quant à son essence.[55]

 

            Article 3 — Dieu existe-t-il ?

Objections :

1. De deux contraires, si l’un est infini, l’autre est totalement aboli. Or, quand on prononce le mot Dieu, on l’entend d’un bien infini. Donc, si Dieu existait, il n’y aurait plus de mal. Or l’on trouve du mal dans le monde. Donc Dieu n’existe pas.

2. Ce qui peut être accompli par des principes en petit nombre ne se fait pas par des principes plus nombreux. Or, il semble bien que tous les phénomènes observés dans le monde puissent s’accomplir par d’autres principes, si l’on suppose que Dieu n’existe pas ; car ce qui est naturel a pour principe la nature, et ce qui est libre a pour principe la raison humaine ou la volonté. Il n’y a donc nulle nécessité de supposer que Dieu existe.

En sens contraire, Dieu lui-même dit (Ex 3, 14) : “ Je suis Celui qui suis. ”

Réponse :

Que Dieu existe, on peut prendre cinq voies pour le prouver.

La première et la plus manifeste est celle qui se prend du mouvement. Il est évident, nos sens nous l’attestent, que dans ce monde certaines choses se meuvent. Or, tout ce qui se meut est mû par un autre. En effet, rien ne se meut qu’autant qu’il est en puissance par rapport au terme de son mouvement, tandis qu’au contraire, ce qui meut le fait pour autant qu’il est en acte ; car mouvoir, c’est faire passer de la puissance à l’acte, et rien ne peut être amené à l’acte autrement que par un être en acte, comme un corps chaud en acte, tel le feu, rend chaud en acte le bois qui était auparavant chaud en puissance, et par là il le meut et l’altère. Or il n’est pas possible que le même être, envisagé sous le même rapport, soit à la fois en acte et en puissance ; il ne le peut que sous des rapports divers ; par exemple, ce qui est chaud en acte ne peut pas être en même temps chaud en puissance ; mais il est, en même temps, froid en puissance. Il est donc impossible que sous le même rapport et de la même manière quelque chose soit à la fois mouvant et mû, c’est-à-dire qu’il se meuve lui-même[56]. Il faut donc que tout ce qui se meut soit mû par un autre. Donc, si la chose qui meut est mue elle-même, il faut qu’elle aussi soit mue par une autre, et celle-ci par une autre encore. Or, on ne peut ainsi continuer à l’infini, car dans ce cas il n’y aurait pas de moteur premier, et il s’ensuivrait qu’il n’y aurait pas non plus d’autres moteurs, car les moteurs seconds ne meuvent que selon qu’ils sont mûs par le moteur premier, comme le bâton ne meut que s’il est mû par la main. Donc il est nécessaire de parvenir à un moteur premier qui ne soit lui-même mû par aucun autre, et un tel être, tout le monde comprend que c’est Dieu.

La seconde voie part de la notion de cause efficiente. Nous constatons, à observer les choses sensibles, qu’il y a un ordre entre les causes efficientes ; mais ce qui ne se trouve pas et qui n’est pas possible, c’est qu’une chose soit la cause efficiente d’elle-même, ce qui la supposerait antérieure à elle-même, chose impossible. Or, il n’est pas possible non plus qu’on remonte à l’infini dans les causes efficientes ; car, parmi toutes les causes efficientes ordonnées entre elles, la première est cause des intermédiaires et les intermédiaires sont causes du dernier terme, que ces intermédiaires soient nombreux ou qu’il n’y en ait qu’un seul. D’autre part, supprimez la cause, vous supprimez aussi l’effet. Donc, s’il n’y a pas de premier, dans l’ordre des causes efficientes, il n’y aura ni dernier ni intermédiaire. Mais si l’on devait monter à l’infini dans la série des causes efficientes, il n’y aurait pas de cause première ; en conséquence, il n’y aurait ni effet dernier, ni cause efficiente intermédiaire, ce qui est évidemment faux[57]. Il faut donc nécessairement affirmer qu’il existe une cause efficiente première, que tous appellent Dieu.

La troisième voie se prend du possible et du nécessaire, et la voici. Parmi les choses, nous en trouvons qui peuvent être et ne pas être ; la preuve, c’est que certaines choses naissent et disparaissent, et par conséquent ont la possibilité d’exister et de ne pas exister. Mais il est impossible que tout ce qui est de telle nature existe toujours ; car ce qui peut ne pas exister n’existe pas à un certain moment. Si donc tout peut ne pas exister, à un moment donné, rien n’a existé. Or, si c’était vrai, maintenant encore rien n’existerait ; car ce qui n’existe pas ne commence à exister que par quelque chose qui existe[58]. Donc, s’il n’y a eu aucun être, il a été impossible que rien commençât d’exister, et ainsi, aujourd’hui, il n’y aurait rien, ce qu’on voit être faux. Donc, tous les êtres ne sont pas seulement possibles, et il y a du nécessaire dans les choses. Or, tout ce qui est nécessaire, ou bien tire sa nécessité d’ailleurs, ou bien non. Et il n’est pas possible d’aller à l’infini dans la série des nécessaires ayant une cause de leur nécessité, pas plus que pour les causes efficientes, comme on vient de le prouver[59]. On est donc contraint d’affirmer l’existence d’un Être nécessaire par lui-même, qui ne tire pas d’ailleurs sa nécessité, mais qui est cause de la nécessité que l’on trouve hors de lui, et que tous appellent Dieu.

La quatrième voie procède des degrés que l’on trouve dans les choses. On voit en effet dans les choses du plus ou moins bon, du plus ou moins vrai, du plus ou moins noble, etc. Or, une qualité est attribuée en plus ou en moins à des choses diverses selon leur proximité différente à l’égard de la chose en laquelle cette qualité est réalisée au suprême degré ; par exemple, on dira plus chaud ce qui se rapproche davantage de ce qui est superlativement chaud. Il y a donc quelque chose qui est souverainement vrai, souverainement bon, souverainement noble, et par conséquent aussi souverainement être, car, comme le fait voir Aristote dans la Métaphysique, le plus haut degré du vrai coïncide avec le plus haut degré de l’être[60]. D’autre part, ce qui est au sommet de la perfection dans un genre donné, est cause de cette même perfection en tous ceux qui appartiennent à ce genre[61] : ainsi le feu, qui est superlativement chaud, est cause de la chaleur de tout ce qui est chaud, comme il est dit au même livre. Il y a donc un être qui est, pour tous les êtres, cause d’être, de bonté et de toute perfection. C’est lui que nous appelons Dieu.

La cinquième voie est tirée du gouvernement des choses. Nous voyons que des êtres privés de connaissance, comme les corps naturels, agissent en vue d’une fin, ce qui nous est manifesté par le fait que, toujours ou le plus souvent, ils agissent de la même manière, de façon à réaliser le meilleur[62] ; il est donc clair que ce n’est pas par hasard, mais en vertu d’une intention qu’ils parviennent à leur fin. Or, ce qui est privé de connaissance ne peut tendre à une fin que dirigé par un être connaissant et intelligent, comme la flèche par l’archer. Il y a donc un être intelligent par lequel toutes choses naturelles sont ordonnées à leur fin, et cet être, c’est lui que nous appelons Dieu.

Solutions :

1. A l’objection du mal, S. Augustin répond : “ Dieu, souverainement bon, ne permettrait aucunement que quelque mal s’introduise dans ses œuvres, s’il n’était tellement puissant et bon que du mal même il puisse faire du bien. ” C’est donc à l’infinie bonté de Dieu que se rattache sa volonté de permettre des maux pour en tirer des biens.[63]

2. Puisque la nature ne peut agir en vue d’une fin déterminée que si elle est dirigée par un agent supérieur, on doit nécessairement faire remonter jusqu’à Dieu, première cause, cela même que la nature réalise. Et de la même manière, les effets d’une libre décision humaine doivent être rapportés au-delà de la raison ou de la volonté humaine, à une cause plus élevée ; car ils sont variables et faillibles, et tout ce qui est variable, tout ce qui peut faillir, doit dépendre d’un principe immobile et nécessaire par lui-même, comme on vient de le montrer.

 


 

Lorsqu’on sait de quelque chose qu’il est, il reste à se demander comment il est, afin de savoir ce qu’il est. Mais comme nous ne pouvons savoir de Dieu que ce qu’il n’est pas[64], non ce qu’il est[65], nous n’avons pas à considérer comment il est, mais plutôt comment il n’est pas.

Il faut donc examiner 1° comment il n’est pas ; 2° comment il est connu de nous ; 3° comment il est nommé.

On peut montrer comment Dieu n’est pas, en écartant de lui ce qui ne saurait lui convenir, comme d’être composé, d’être en mouvement etc. Il faut donc s’enquérir 1° de la simplicité de Dieu (Q. 3), par laquelle nous excluons de lui toute composition. Mais parce que, dans les choses corporelles, les choses simples sont les moins parfaites et font partie des autres, nous traiterons 2° de sa perfection (Q. 4-6) ; 3° de son infinité (Q. 7-8) ; 4° de son immutabilité (Q. 9-10) ; 5° de son unité (Q. 11).

 

 

QUESTION 3 — LA SIMPLICITÉ DE DIEU

1. Dieu est-il un corps, c’est-à-dire : y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? 2. Y a-t-il en lui composition de matière et de forme ? 3. Composition d’essence ou de nature, et de sujet ? 4. Composition de l’essence et de l’existence ? 5. Composition de genre et de différence ? 6. Composition de sujet et d’accident ? 7. Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ? 8. Dieu entre-t-il en composition avec les autres choses ?

 

            Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ?

Objections :

1. Un corps est ce qui a trois dimensions. Mais la Sainte Écriture attribue à Dieu trois dimensions, car on lit dans Job (11, 8) : “ Le Tout-Puissant est plus haut que le ciel, que feras-tu ? plus profond que le séjour des morts, qu’en sauras-tu ? plus long que la terre à mesurer et plus large que la mer. ”

2. Tout être doté de figure est un corps, puisque la figure est la qualité affectant la quantité. Mais Dieu semble avoir une figure, selon la Genèse (1, 26) : “ Faisons l’homme à notre image et ressemblance ” ; car la figure est appelée une image selon la lettre aux Hébreux (1, 3) : le Fils “ est le resplendissement de sa gloire, et la figure c’est-à-dire l’image de sa substance ”.

3. Tout ce qui a des membres est un corps. Mais l’Écriture attribue toujours des membres à Dieu : “ As-tu un bras comme Dieu ? ” (Jb 40, 9). “ Les yeux du Seigneur sont fixés sur les justes ” (Ps 34, 16). “ La droite du Seigneur a montré sa force ” (Ps 118, 16).

4. On ne parle de position que pour un corps. Or, l’Écriture attribue à Dieu des positions : “ J’ai vu le Seigneur assis... ” (Is 6, 1). “ Le Seigneur s’est levé pour juger ” (Is 3, 13).

5. Rien ne peut être le terme local d’un départ ou d’une arrivée s’il n’est un corps ou quelque chose de corporel. Mais l’Écriture présente Dieu comme un terme local d’arrivée : “ Approchez de lui et vous recevrez sa lumière ” (Ps 34, 6), ou de départ : “ Ceux qui se détournent de toi seront inscrits dans la terre ” (Jr 17, 13).

En sens contraire, S. Jean (4, 24) écrit : “ Dieu est esprit. ”

Réponse :

Il faut dire sans aucune réserve que Dieu n’est pas un corps. On peut le démontrer de trois manières :

1. Aucun corps ne meut sans être mû lui-même, comme l’enseigne une expérience universelle ; or, on a fait voir plus haut[66] que Dieu est le premier moteur immobile ; il est donc manifeste qu’il n’est pas un corps.

2. L’être premier doit nécessairement être en acte et d’aucune manière en puissance. Sans doute, si l’on considère un seul et même être qui passe de la puissance à l’acte, la puissance existe avant l’acte ; cependant, absolument parlant, c’est l’acte qui est antérieur à la puissance, puisque l’être en puissance n’est amené à l’acte que par un être en acte[67]. Or, on a montré plus haut[68] que Dieu est l’être premier. Il est donc impossible qu’en Dieu il y ait rien en puissance.[69] Or tout corps est en puissance, car le continu, en tant que tel, est divisible à l’infini. Il est donc impossible que Dieu soit un corps.

3. Dieu est, comme on l’a dit[70], ce qu’il y a de plus noble parmi les êtres. Mais il est impossible qu’un corps soit le plus noble des êtres. Car un corps est vivant ou il ne l’est pas ; le vivant est manifestement plus noble que ce qui n’a point de vie. D’autre part, le corps vivant ne vit pas précisément en tant que corps, car alors tout corps vivrait ; il faut donc qu’il vive par quelque chose d’autre, comme notre corps vit par l’âme. Or, ce par quoi vit le corps est plus noble que le corps. Il est donc impossible que Dieu soit un corps.

Solutions :

1. Comme on l’a dit plus haut[71], la Sainte Écriture nous livre les choses divines et spirituelles sous le voile de similitudes empruntées aux choses corporelles. Aussi, lorsqu’elle attribue à Dieu les trois dimensions, elle désigne, sous la similitude d’une quantité corporelle, la quantité de sa puissance. Ainsi la profondeur symbolise la puissance de connaître les choses cachées[72] ; la hauteur, la supériorité de sa puissance[73] ; la longueur, la durée de son existence[74] ; la largeur, l’efficacité de son amour pour toutes choses[75]. Ou encore, selon Denys : “ La profondeur de Dieu signifie l’incompréhensibilité de son essence[76] ; sa longueur, l’extension de sa vertu, qui pénètre toutes choses ; sa largeur, l’amplitude universelle de cette vertu, en tant que tout est enveloppé par sa protection. ”

2. On dit que l’homme est créé à l’image de Dieu non pas selon son corps, mais selon sa supériorité sur les autres animaux. Aussi, après la parole : “ Faisons l’homme à notre image et ressemblance ”, la Genèse ajoute-t-elle : “ pour qu’il domine sur tous les poissons de la mer... ” Or, l’homme est supérieur aux autres animaux par la raison et l’intelligence. C’est donc selon l’intelligence et la raison, qui sont incorporelles, que l’homme est à l’image de Dieu[77].

3. Dans l’Écriture, des membres sont attribués à Dieu en raison de leur action, selon une certaine similitude[78]. Ainsi, l’acte de l’œil est de voir : aussi attribue-t-on des yeux à Dieu pour signifier sa capacité de voir par l’intelligence, non par les sens. Et de même pour les autres membres.

4. Des positions ne sont attribuées à Dieu que par métaphore[79] : on dit qu’il est assis à cause de son immutabilité[80] et de son autorité ; et debout à cause de sa force pour vaincre tous ses adversaires.

5. On ne s’approche pas de Dieu par une démarche corporelle, puisqu’il est partout, mais par les sentiments de l’âme[81], et l’on s’éloigne de lui de la même façon. Ainsi l’approche ou l’éloignement, sous la similitude du mouvement local, désigne une démarche spirituelle.

 

            Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

Objections :

1. Tout ce qui a une âme est composé de matière et de forme, puisque l’âme est la forme du corps[82]. Mais l’Écriture attribue à Dieu une âme, puisque l’épître aux Hébreux (10, 38) cite cette parole en la mettant dans sa bouche : “ Mon juste vivra par la foi ; et s’il se dérobe, mon âme ne se complaira pas en lui. ”

2. La colère, la joie, etc. sont des passions d’un être composé de corps et d’âme, dit Aristote. Mais ces sentiments sont attribués à Dieu par l’Écriture, par exemple au Psaume (106, 40) : “ Le Seigneur s’est enflammé de colère contre son peuple. ”

3. C’est la matière qui est principe d’individuation. Or, Dieu est un être individuel. S’il ne l’était pas, on pourrait attribuer sa nature à plusieurs êtres. Donc il est composé de matière et de forme.

En sens contraire, tout composé de matière et de forme est un corps ; car l’étendue est le premier attribut que revêt la matière. Or, on vient de montrer que Dieu n’est pas un corps : donc il n’est pas composé de matière et de forme.

Réponse :

Il est impossible qu’il y ait en Dieu aucune matière.

1. Parce que la matière est de l’être en puissance, et il a été démontré que Dieu est acte pur, n’ayant en lui rien de potentiel[83]. Il est donc impossible qu’il y ait en lui composition de matière et de forme.

2. Un composé de matière et de forme n’a de perfection et de bonté qu’en raison de sa forme ; il n’est donc bon que d’une façon participée, selon que sa matière participe de la forme. Or, le bien premier et optimal, Dieu, ne peut pas être bon de façon participée ; car il est bon par essence[84] et ce qui est bon par essence est premier à l’égard de ce qui est bon en raison d’une participation.

3. Tout agent agit en raison de sa forme[85] : il y a donc stricte corrélation entre ce que la forme est pour lui et la manière dont il est agent. Il s’ensuit que ce qui est l’agent premier et par soi est aussi forme premièrement et par soi. Or, Dieu est le premier agent, étant la première cause efficiente, on l’a vu[86] . Il est donc forme selon toute son essence, et non pas composé de matière et de forme.

Solutions :

1. On attribue une âme à Dieu en raison d’une ressemblance entre l’acte de Dieu et le nôtre[87]. Si, en effet, nous voulons quelque chose, cela vient de notre âme[88]. On dit alors que l’âme de Dieu se complaît en quelque chose, pour dire que sa volonté s’y complaît.

2. La colère et les passions semblables sont attribuées à Dieu pour une ressemblance entre les effets : du fait qu’un homme en colère est porté à châtier, on appelle colère, par métaphore, le châtiment divin.

3. Il est vrai que les formes susceptibles d’être reçues dans une matière sont individuées par cette matière, laquelle ne peut être subjectée en rien d’autre, étant elle-même le premier sujet ; la forme, au contraire, en ce qui la concerne, et sauf empêchement venu d’ailleurs, peut être reçue en plusieurs sujets. Au contraire, la forme qui n’est pas faite pour être reçue dans une matière, étant subsistante par elle-même, est individuée par le fait même qu’elle ne peut être reçue en un autre qu’elle-même : ainsi en est-il de Dieu. De ce que Dieu est individué, il ne suit donc nullement qu’il aurait une matière.

 

            Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne s’identifie pas avec son essence ou sa nature. Car rien n’est à proprement parler en soi-même ; or, on dit, de l’essence ou nature de Dieu, qui est la déité, qu’elle est en Dieu : elle est donc distincte de lui.

2. L’effet ressemble à sa cause ; car tout agent assimile à lui son effet. Or, dans les choses créées, le suppôt n’est pas identique à sa nature ; ainsi l’homme n’est pas identique à son humanité. Donc, Dieu non plus n’est pas identique à sa déité.

En sens contraire, il est dit de Dieu qu’il est la vie, et non pas seulement qu’il est vivant, comme on le voit en S. Jean (14, 6) : “ Je suis la voie, la vérité et la vie. ” Or la déité est dans le même rapport avec Dieu que la vie avec le vivant. Donc Dieu est la déité elle-même.

Réponse :

Dieu est identique à son essence ou nature. Pour le comprendre, il faut savoir que dans les choses composées de matière et de forme, il y a nécessairement distinction entre la nature ou essence d’une part, et le suppôt de l’autre[89]. En effet, la nature ou essence comprend seulement ce qui est contenu dans la définition de l’espèce ; ainsi l’humanité comprend seulement ce qui est inclus dans la définition de l’homme, car c’est par cela même que l’homme est homme, et c’est cela que signifie le mot humanité : à savoir ce par quoi l’homme est homme. Mais la matière individuelle, comprenant tous les accidents qui l’individualisent, n’entre pas dans la définition de l’espèce ; car on ne peut introduire dans la définition de l’homme cette chair, ces os, la blancheur, la noirceur, etc. ; donc, cette chair, ces os et les accidents qui circonscrivent cette matière ne sont pas compris dans l’humanité, et cependant ils appartiennent à cet homme-ci. Il s’ensuit que l’individu humain a en soi quelque chose que n’a pas l’humanité. En raison de cela, l’humanité ne dit pas le tout d’un homme, mais seulement sa partie formelle, car les éléments de la définition se présentent comme informant la matière, d’où provient l’individuation.

Mais dans les êtres qui ne sont pas composés de matière et de forme, qui ne tirent pas leur individuation d’une matière individuelle, à savoir telle matière, mais où les formes sont individualisées par elles-mêmes[90], les formes doivent être elles-mêmes les suppôts subsistants, de sorte que là le suppôt ne se distingue pas de la nature. Ainsi, puisque Dieu n’est pas composé de matière et de forme, comme nous l’avons montré[91], on doit conclure nécessairement que Dieu est sa déité, sa vie, et quoi que ce soit d’autre qu’on affirme ainsi de lui.

Solutions :

1. Nous ne pouvons parler des choses simples qu’à la manière des choses composées d’où nous tirons notre connaissance[92]. C’est pourquoi, parlant de Dieu et voulant le signifier comme subsistant, nous employons des termes concrets, parce que notre expérience ne nous montre comme subsistants que des êtres composés ; quand, au contraire, nous voulons exprimer sa simplicité, nous employons des termes abstraits. Donc, si l’on dit que la déité ou la vie, ou quoi que ce soit de pareil, est en Dieu, ces expressions se rapportent non à une diversité dans le réel, en Dieu, mais à une diversité des représentations du réel dans notre esprit.

2. Les effets de Dieu lui sont assimilés, non pas parfaitement, mais dans la mesure du possible[93] ; et c’est cette imperfection dans la ressemblance qui explique que ce qui est (en Dieu) simple et un ne peut être reproduit que par une multiplicité. c’est ainsi que, dans les effets, intervient la composition d’où il provient que le suppôt, en eux, n’est pas identique à la nature.

 

            Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

Objections :

1. Il semble qu’en Dieu essence et existence ne soient pas identiques ; car si cela était, rien ne s’ajouterait à l’être divin. Mais l’être sans aucune addition, c’est l’être en général, qu’on attribue à tout ce qui est. Dieu ne serait donc que l’être en général, commun à tous les êtres, et c’est à quoi s’opposent ces paroles de la Sagesse (14, 21) : “ Ils ont donné à la pierre et au bois le nom incommunicable. ”

2. Au sujet de Dieu, nous pouvons savoir qu’il est, comme nous l’avons dit[94]. Mais nous ne pouvons savoir ce qu’il est[95]. C’est donc qu’on doit distinguer en lui d’une part son existence, de l’autre ce qu’il est : son essence, sa nature.

En sens contraire, S. Hilaire écrit : “ L’être n’est pas en Dieu quelque chose de surajouté, mais vérité subsistante. ” Donc ce qui subsiste en Dieu, c’est son être.

Réponse :

Il ne suffit pas de dire que Dieu est identique à son essence, comme nous venons de le montrer[96] ; il faut ajouter qu’il est identique à son être, ce qui peut se prouver de maintes manières.

1. Ce que l’on trouve dans un étant, outre son essence, est nécessairement causé, soit qu’il résulte des principes mêmes constitutifs de l’essence, comme les attributs propres de l’espèce : ainsi le rire appartient à l’homme en raison des principes essentiels de son espèce ; soit qu’il vienne de l’extérieur, comme la chaleur de l’eau est causée par le feu. Donc, si l’existence même d’une chose est autre que son essence[97], elle est causée nécessairement soit par un agent extérieur, soit par les principes essentiels de cette chose. Mais il est impossible, lorsqu’il s’agit de l’existence, qu’on la dise causée par les seuls principes essentiels de la chose, car aucune chose n’est capable de se donner l’existence, si cette existence dépend d’une cause[98]. Il faut donc que l’étant dont l’existence est autre que son essence, reçoive son existence d’un autre étant. Or cela ne peut se dire de Dieu, puisque ce que nous nommons Dieu, est la cause efficiente première[99]. Il est donc impossible que l’existence soit autre que l’essence.

2. L’existence est l’actualité de toute forme ou nature ; en effet, dire que la bonté ou l’humanité, par exemple, est en acte, c’est dire qu’elle existe. Il faut donc que l’existence soit à l’égard de l’essence, lorsque celle-ci en est distincte, ce que l’acte est à la puissance. Et comme en Dieu rien n’est potentiel, ainsi qu’on la montré[100], il s’ensuit qu’en lui l’essence n’est pas autre chose que son existence. Son essence est donc son existence.

3. De même que ce qui est igné et n’est pas feu est igné par participation, ainsi ce qui a l’existence, et n’est pas l’existence est être par participation. Or Dieu est son essence même, ainsi qu’on l’a montré[101] ; donc, s’il n’est pas son existence même, il aura l’être par participation et non par essence, il ne sera donc pas le premier être, ce qui est absurde. Donc Dieu est son existence, et non pas seulement son essence.

Solutions :

1. Ce qu’on dit ici de l’être sans addition peut se comprendre en deux sens : ou bien l’être en question ne reçoit pas d’addition parce qu’il est de sa notion d’exclure toute addition : ainsi la notion de “ bête ” exclut l’addition de “ raisonnable ”. Ou bien il ne reçoit pas d’addition parce que sa notion ne comporte pas d’addition comme l’animal en général est sans raison en ce sens qu’il n’est pas dans sa notion d’avoir la raison ; mais il n’est pas non plus dans sa notion de ne pas l’avoir. Dans le premier cas, l’être sans addition dont on parle est l’être divin ; dans le second cas, c’est l’être en général ou commun.

2. “ Être ” se dit de deux façons : en un premier sens pour signifier l’acte d’exister, en un autre sens pour marquer le lien d’une proposition, œuvre de l’âme joignant un prédicat à un sujet[102]. Si l’on entend l’existence de la première façon, nous ne pouvons pas plus connaître l’être de Dieu que son essence. De la seconde manière seulement nous pouvons connaître l’être de Dieu : nous savons, en effet, que la proposition que nous construisons pour exprimer que Dieu est, est vraie[103] et nous le savons à partir des effets de Dieu, ainsi que nous l’avons dit.[104]

 

            Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

Objections :

1. Il semble bien que Dieu soit dans un genre. En effet, la substance est l’être subsistant par soi. Or cela convient souverainement à Dieu. Donc Dieu est dans le genre substance.

2. Chaque chose se mesure d’après une norme du même genre, comme les longueurs par une longueur, et les nombres par un nombre. Or, Dieu est la mesure suprême des substances, dit le Commentateur sur le livre X de la Métaphysique. Il appartient donc lui-même au genre substance.

En sens contraire, pour l’esprit, le genre précède ce qui est contenu dans ce genre. Mais rien n’est antérieur à Dieu, ni dans la réalité, ni pour l’esprit. Dieu n’est donc pas un genre.

Réponse :

Quelque chose peut appartenir à un genre de deux façons : absolument et en toute propriété de termes, comme l’espèce est contenue dans le genre ; ou bien par réduction, comme les principes des choses ou les privations : ainsi le point et l’unité se ramènent au genre quantité parce qu’ils y jouent le rôle de principes ; la cécité ou toute autre privation se ramènent au genre de ce dont ils sont le manque. Mais Dieu ne peut être dans un genre d’aucune de ces deux manières.

Qu’il ne puisse être espèce dans un genre, c’est ce qu’on peut démontrer de trois façons.

1. L’espèce se forme par genre et différence, et ce dont provient la différence constitutive de l’espèce joue toujours, à l’égard de ce dont le genre est tiré, le rôle de l’acte par rapport à la puissance[105]. Ainsi ce terme : animal, se prend de la nature sensitive signifiée au concret ; car cela est animal qui est de nature sensitive ; cet autre terme : raisonnable, se prend de la nature intellectuelle, car on dit raisonnable ce qui est de nature intellectuelle. Or, l’intellectuel est avec le sensitif dans la relation de l’acte avec la puissance, et il en est de même en tout le reste. Comme en Dieu nulle puissance ne s’adjoint à l’acte[106], il est impossible que Dieu soit dans un genre à titre d’espèce.

2. L’existence de Dieu est son essence même, on vient de le montrer[107]. Si Dieu était dans un genre, ce genre serait donc nécessairement le genre être, car le genre désigne l’essence, étant attribué essentiellement. Or, le Philosophe démontre, que l’être ne peut être le genre de rien. Tout genre, en effet, comporte des différences spécifiques qui n’appartiennent pas à l’essence de ce genre ; or, il n’est aucune différence qui n’appartienne à l’être puisque le non-être ne saurait constituer une différence. Reste donc que Dieu ne rentre dans aucun genre.

3. Toutes les réalités appartenant à un même genre ont en commun la nature ou essence du genre, puisque celui-ci leur est attribué selon l’essence ; mais elles diffèrent selon l’existence, car l’existence n’est pas la même, par exemple, de l’homme et du cheval, de tel homme et de tel autre homme. Il s’ensuit que dans tous les étants qui appartiennent à un genre, l’existence est autre que l’essence. Or, en Dieu, il n’y a pas cette altérité, comme on l’a montré[108]. Dieu n’est donc pas une espèce dans un genre.

Cela montre qu’on ne peut assigner à Dieu ni genre ni différence ; qu’il ne peut donc être défini, et qu’on ne peut démontrer de lui quoi que ce soit autrement que par ses effets[109] ; car toute définition s’établit par genre et différence, et le médium de la démonstration est la définition.

Quant à inclure Dieu dans un genre par réduction, au titre de principe, l’impossibilité en est manifeste. En effet, le principe qui se ramène à un genre ne s’étend pas au-delà de ce genre ; ainsi le point n’est principe qu’à l’égard du continu, l’unité qu’à l’égard du nombre, etc. Or, Dieu est le principe de tout l’être, comme on le démontrera par la suite[110] : il n’est donc pas contenu dans un genre à ce titre de principe.

Solutions :

1. Le terme de “ substance ” ne signifie pas seulement “ être par soi ”, puisqu’il n’est pas possible que l’être soit un genre, on vient de le dire[111]. Ce qu’il signifie, c’est l’essence à laquelle il appartient d’exister ainsi, à savoir par soi-même, sans pour autant que son existence s’identifie avec son essence. Il est donc manifeste que Dieu n’est pas dans le genre substance.

2. Cette objection se rapporte au cas d’une mesure proportionnée au mesuré ; dans ce cas, en effet, la mesure doit être homogène au mesuré. Mais Dieu n’est pas une mesure proportionnée à quoi que ce soit[112]. Si on le dit mesure de toutes choses, c’est en ce sens que chacune participe de l’être pour autant qu’elle approche de Dieu.

 

            Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

Objections :

1. Il semble qu’il y ait en Dieu des accidents ; car, dit Aristote, une substance ne saurait être accident à l’égard d’une autre. Donc ce qui est un accident dans un sujet ne peut être substance dans un autre ; ainsi prouve-t-on que la chaleur n’est pas la forme substantielle du feu, par le fait qu’elle est accident dans tout le reste. Or la sagesse, la puissance et d’autres attributs qui, en nous, sont accidentels sont attribués à Dieu[113] ; donc, en Dieu aussi ils sont des accidents.

2. Dans chaque genre de choses il y a un premier ; or il y a de nombreux genres d’accidents. Donc, si le terme premier de chacun de ces genres n’est pas en Dieu, il y aura beaucoup de premiers hors de lui, ce qui ne convient pas.

En sens contraire, tout accident est dans un sujet ; or Dieu ne peut pas être un sujet, car une forme simple ne peut être un sujet, dit Boèce[114].

Réponse :

Ce qui précède suffit à prouver qu’il ne peut pas y avoir d’accident en Dieu.

1. Parce que le sujet est à l’accident ce que la puissance est à l’acte. En effet, le sujet est actué par l’accident en quelque manière. Or, il faut exclure de Dieu toute potentialité, on a pu le voir.[115]

2. Parce que Dieu est son être même[116] ; or, dit Boèce “ ce qui est peut bien, par une nouvelle adjonction, être autre chose encore ; mais l’être même ne comporte nulle adjonction ” ; par exemple ce qui est chaud peut bien avoir encore une qualité différente, il peut être blanc ; mais la chaleur même ne peut avoir rien d’autre que la chaleur.

3. Parce que l’être qui a l’existence par soi précède ce qui n’existe que par accident[117]. Donc, Dieu étant en toute rigueur le premier être[118], rien ne peut être en lui par accident. Même les accidents qui découlent par eux-mêmes de la nature du sujet (comme la faculté de rire est par soi un accident propre de l’homme) ne peuvent pas davantage être attribués à Dieu. Car ces accidents trouvent leur cause dans les principes du sujet ; or, en Dieu, rien ne peut être causé, puisqu’il est la cause première[119]. Il en résulte finalement qu’il n’y a aucun accident en Dieu.

Solutions :

1. La puissance et la sagesse ne se disent pas de Dieu et de nous univoquement, comme on l’expliquera plus loin[120]. Il ne s’ensuit donc pas que ce qui est accident en nous le soit aussi en Dieu.

2. La substance ayant à l’égard des accidents une priorité d’être, les principes de ceux-ci se ramènent à ceux de la substance comme à quelque chose d’antérieur. Non que Dieu soit le premier dans le genre de la substance, car s’il est le premier, c’est en étant lui-même en dehors de tout genre[121] et à l’égard de tout l’être.

 

            Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne soit pas absolument simple. En effet, les choses qui procèdent de Dieu lui ressemblent ; ainsi du premier être dérivent tous les êtres, et du premier bien tous les biens. Or, parmi les choses que Dieu a faites, aucune n’est absolument simple. Donc Dieu n’est pas absolument simple.

2. Tout ce qui est le meilleur doit être attribué à Dieu. Or, chez nous, les choses complexes sont meilleures que les simples ; ainsi les mixtes valent mieux que les éléments, et les éléments que leurs parties. Il ne faut donc pas dire que Dieu est absolument simple.

En sens contraire, S. Augustin affirme que “ Dieu est vraiment et souverainement simple ”.

Réponse :

Que Dieu soit parfaitement simple, cela peut se prouver de plusieurs manières.

1. Tout d’abord en rappelant ce qui précède. Puisque Dieu n’est composé ni de parties quantitatives, n’étant pas un corps[122] ; ni de forme et de matière[123], puisqu’en lui le suppôt n’est pas autre que la nature[124], ni la nature n’est autre chose que son existence[125] ; puisqu’il n’y a en lui composition ni de genre et de différence[126], ni de sujet et d’attribut[127], il est manifeste que Dieu n’est composé d’aucune manière, mais qu’il est absolument simple.

2. Tout composé est postérieur à ses composants et dans leur dépendance ; or, Dieu est l’être premier, comme on l’a fait voir[128].

3. Tout composé a une cause ; car des choses de soi diverses ne constituent un seul être que par une cause unifiante. Or, Dieu n’a pas de cause, ainsi qu’on l’a vu[129], étant première cause efficiente.

4. Dans tout composé il faut qu’il y ait puissance et acte, ce qui n’est pas en Dieu[130]. En effet, dans le composé, ou bien une partie est acte à l’égard de l’autre, ou du moins les parties sont toutes comme en puissance à l’égard du tout.

5. Un composé n’est jamais identique à aucune de ses parties. Cela est bien manifeste dans les touts formés de parties dissemblables : nulle partie de l’homme n’est l’homme, et nulle partie du pied n’est le pied. Quant il s’agit de touts homogènes, il est bien vrai que telle chose est dite aussi bien du tout et des parties, et par exemple une partie d’air est de l’air, et une partie d’eau est de l’eau ; mais d’autres choses pourront se dire du tout qui ne conviendront pas à la partie ; ainsi une masse d’eau ayant deux pintes, sa partie n’a plus deux pintes. Donc, en tout composé, il y a quelque chose qui ne lui est pas identique. Or, ceci peut bien se dire du sujet de la forme : qu’il y a en lui quelque chose qui n’est pas lui ; ainsi dans quelque chose qui est blanc, il n’y a pas que le blanc, mais dans la forme même il n’y a rien d’autre qu’elle-même. Dès lors, puisque Dieu est pure forme[131], ou pour mieux dire puisqu’il est l’être[132], il ne peut être composé d’aucune manière. S. Hilaire touche cette raison dans son livre de La Trinité lorsqu’il dit : “ Dieu, qui est puissance, ne comprend pas de faiblesses ; lui qui est lumière, n’admet aucune obscurité. ”

Solutions :

1. Ce qui procède de Dieu ressemble à Dieu, comme les effets de la cause première peuvent lui ressembler. Or, être causé c’est nécessairement être composé de quelque manière ; car tout au moins l’existence d’un être causé est autre que son essence, ainsi qu’on le verra.[133]

2. Si, dans notre univers, les composés sont meilleurs que les simples, cela vient de ce que la bonté achevée de la créature ne consiste jamais en une perfection unique, mais en requiert plusieurs ; tandis que la perfection en laquelle s’accomplit la bonté divine est une et simple, ainsi qu’on le fera voir.[134]

 

            Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ?

Objections :

1. Denys a dit : “ La Déité est l’être de toutes choses, être au-dessus de l’être. ” Or, l’être de toutes choses entre dans la composition de chaque chose. Donc, Dieu vient en composition avec les choses.

2. Dieu est une forme ; car S. Augustin écrit que le Verbe de Dieu, qui est Dieu, “ est une forme non informée ”. Or, une forme est une partie d’un composé. Donc Dieu fait partie de quelque compose.

3. Des choses qui sont et qui ne diffèrent en rien ne sont qu’une seule et même chose. Or, Dieu et la matière première sont et ne diffèrent en rien. Donc ils sont identiques. Mais la matière première entre dans la composition des choses. Donc Dieu aussi. Preuve de la mineure : Toutes les choses qui diffèrent entre elles diffèrent par quelques différences, ce qui suppose qu’elles sont composées ; mais Dieu et la matière première sont absolument simples ; donc ils ne diffèrent en rien.

En sens contraire, Denys a dit : “ Il n’y a de sa part (de Dieu) ni contact, ni aucun autre mélange avec des parties. ” Il est dit aussi au Livre des Causes que “ la cause première régit toutes choses sans se mêler a elles ”.

Réponse :

A ce sujet, il y a eu trois erreurs. Certains ont dit : Dieu est l’âme du monde, comme le rapporte S. Augustin dans la Cité de Dieu, et à cela se ramène ce que certains affirment, à savoir que Dieu est l’âme du premier ciel. D’autres ont dit que Dieu est le principe formel de toutes choses, et telle fut, dit-on, l’opinion des partisans d’Amaury. Enfin, la troisième erreur fut celle de David de Dinant, qui stupidement faisait de Dieu la matière première. Mais tout cela est manifestement faux, et il n’est pas possible que Dieu vienne d’aucune manière en composition avec quelque chose, soit comme principe formel, soit comme principe matériel.

1. Parce que Dieu, comme nous l’avons dit[135], est cause efficiente première. Or, la cause efficiente ne coïncide pas avec la forme de son effet selon l’identité numérique, mais seulement selon l’identité spécifique. En effet un homme engendre un autre homme. Quant à la matière, elle ne s’identifie à la cause ni numériquement ni quant à l’espèce, car l’une est en puissance, tandis que l’autre est en acte.

2. Dieu étant cause efficiente première, il lui appartient d’être celui qui agit, et d’agir par lui-même. Or, ce qui entre comme partie dans un composé n’est pas celui qui agit, et qui agit par lui-même, c’est bien plutôt le composé : ce n’est pas la main qui agit, c’est l’homme par sa main, et c’est le feu qui réchauffe par sa chaleur. Donc Dieu ne peut faire partie d’un composé.

3. Aucune partie de composé ne peut être en toute rigueur le premier des êtres ; et, pas davantage la matière et la forme, qui sont les parties premières des composés ; la matière parce qu’elle est en puissance, et que, de soi, la puissance est postérieure à l’acte, on l’a vu plus haut[136]. Quant à la forme, dès qu’elle est partie d’un composé, elle est une forme participée. Or, de même que le participant est postérieur à ce qui est par essence, ainsi en est-il de la chose participée elle-même ; par exemple, le feu dans une matière en ignition est postérieur à ce qui est feu par nature. Or on a montré que Dieu est absolument le premier être[137].

Solutions :

1. Si l’on dit que Dieu est l’être de toutes choses, ce ne peut être que selon la causalité efficiente[138] et la causalité exemplaire, non comme faisant partie de leur essence.

2. Le Verbe est la forme d’exemplaire[139], non la forme qui est partie d’un composé.

3. Les choses simples ne diffèrent pas entre elles par autre chose qu’elles-mêmes, car cela n’est vrai que des composés. Ainsi, l’homme et le cheval diffèrent par le rationnel et l’irrationnel, qui sont leurs différences ; mais ces différences elles-mêmes ne diffèrent pas ensuite par d’autres différences. Aussi, en rigueur de termes, on ne peut dire proprement qu’elles diffèrent, mais plutôt qu’elles sont diverses, car, selon le Philosophe, “ divers se dit absolument ; mais ce qu’on affirme différer diffère toujours par quelque chose ”. Donc, si l’on veut parler avec précision, la matière première et Dieu ne diffèrent pas ; ils sont divers par eux-mêmes. On ne peut donc pas conclure à leur identité.

 


 

Après avoir considéré la simplicité divine, il nous faut traiter de la perfection de Dieu. Comme on appelle bon tout ce qui est dans la mesure où il est parfait, nous nous occuperons d’abord de la perfection de Dieu (Q. 4) et ensuite de sa bonté (Q. 5-6).

 

 

QUESTION 4 — LA PERFECTION DE DIEU

1. Dieu est-il parfait ? 2. Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ? 3. Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

 

            Article 1 — Dieu est-il parfait ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne convienne pas à Dieu d’être parfait. Car “ parfait ” veut dire achevé, c’est-à-dire totalement fait. Mais il ne convient pas à Dieu d’être fait. Ni donc d’être parfait.

2. Dieu est le principe des choses. Mais il paraît bien que les principes des choses sont imparfaits : ainsi la semence qui est le principe des plantes et des animaux. Donc Dieu est imparfait.

3. La nature de Dieu est l’être même, avons-nous dit[140]. Mais l’être même est ce qu’il y a de plus imparfait, étant ce qu’il y a de plus général, appelé à être complété par les déterminations de tous les étants. Dieu est donc imparfait.

En sens contraire, il est dit en S. Matthieu (5, 48) : “ Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. ”

Réponse :

Comme Aristote le rapporte, certains philosophes de l’antiquité, les pythagoriciens et Speusippe ne reconnaissaient pas au premier principe l’excellence et la perfection suprêmes. La raison en est que les philosophes anciens n’ont considéré que le principe matériel[141], et que le premier principe matériel est ce qu’il y a de plus imparfait. Comme, en effet, la matière, en tant que telle, est en puissance, le premier principe matériel ne peut qu’être tout à fait en puissance, et donc imparfait au maximum.

Mais au sujet de Dieu, il est établi qu’il est le premier principe, non matériel, mais dans l’ordre de la causalité efficiente[142], et un tel principe doit être souverainement parfait ; car si la matière comme telle est en puissance, l’agent en tant que tel est en acte[143]. Il s’ensuit que le premier principe actif doit être en acte au maximum, et, en conséquence, parfait au maximum. Un étant, en effet, est dit parfait dans la mesure où il est en acte, puisqu’on dit parfait l’être à qui rien ne fait défaut de sa perfection propre.

Solutions :

1. Comme dit S. Grégoire, “ nous balbutions comme nous pouvons les grandeurs de Dieu, et ce qui n’est pas fait ne peut, à proprement parler, être dit parfait ”. Mais comme, parmi les choses qui se font, on dit parfaite la chose, qui de la puissance a été menée à l’acte, on transpose le terme “ parfait ”, pour signifier ce qui est pleinement en acte[144], que cela soit, ou non, au terme d’un processus de perfectionnement.

2. Le principe matériel qu’on trouve dans notre monde est sans doute imparfait ; mais il ne saurait être absolument premier, car il en présuppose un autre, qui lui, est parfait. Ainsi la semence, est bien le principe de l’animal engendré à partir d’elle ; mais elle-même a pour principe un autre animal, ou une plante, dont elle se détache. En effet, ce qui est en puissance, doit être précédé par quelque chose qui soit en acte, puisque l’étant en puissance n’est amené à l’acte que par un étant en acte[145].

3. L’être même est ce qu’il y a de plus parfait dans le réel, car à l’égard de tous les étants il est l’acte. Rien n’a d’actualité sinon en tant qu’il est ; c’est donc que l’être même est l’actualité de toutes choses, et des formes elles-mêmes[146]. L’être n’est donc point, par rapport au reste, dans la relation de ce qui reçoit à ce qui est reçu, mais plutôt comme ce qui est reçu à l’égard de ce qui reçoit. Quand par exemple je dis : l’être de l’homme, ou du cheval, ou de quoi que ce soit, j’envisage l’être même comme un principe formel et comme ce qui est reçu, non comme un étant à quoi il appartiendrait d’être.

 

            Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

Objections :

1. Il ne semble pas que les perfections de toutes choses soient en Dieu, car Dieu est simple, ainsi qu’on l’a montré[147]. Or les perfections des choses sont nombreuses et diverses. Il n’y a donc pas en Dieu les perfections de toutes choses.

2. Des attributs opposés ne peuvent se rencontrer dans le même sujet. Or, les perfections des choses sont opposées, car chaque chose reçoit sa perfection de sa différence spécifique, et les différences, par lesquelles est divisé le genre et sont constituées les espèces, sont opposées. Puisque les perfections opposées ne peuvent cœxister dans le même sujet, il semble donc que toutes les perfections des choses ne sont pas en Dieu.

3. Le vivant est plus parfait que le simple étant, et l’intelligent, que le vivant. Or, l’essence en Dieu est l’être même[148]. Donc il n’y a pas en lui la vie, la sagesse et les autres perfections.

En sens contraire, Denys a dit : “ Dieu, par sa seule existence, possède d’emblée tout le reste. ”

Réponse :

Certes les perfections de toutes choses sont en Dieu. Aussi est-il dit universellement parfait, parce qu’aucune grandeur ne lui manque de toutes les perfections qu’on peut découvrir dans tous les ordres, ainsi que l’affirme le Commentateur. On peut le démontrer de deux façons.

D’abord, tout ce qu’il y a de perfection dans l’effet doit se retrouver dans la cause efficiente, que ce soit selon la même raison, s’il s’agit d’un agent univoque, comme lorsqu’un homme engendre un homme ; ou bien de façon éminente, s’il s’agit d’un agent équivoque, comme dans le soleil il y a quelque chose de semblable à ce qui est engendré par sa vertu. Car il est manifeste que tout effet préexiste virtuellement dans sa cause efficiente ; mais préexister ainsi virtuellement dans la cause efficiente, ce n’est pas préexister sous un mode moins parfait, mais plus parfait[149], alors que préexister potentiellement dans la cause matérielle est préexister sous un mode imparfait, parce que la matière, comme telle, est imparfaite[150], tandis que l’agent, comme tel, est parfait. Puisque Dieu est première cause efficiente des choses[151], les perfections de toutes choses doivent préexister en Dieu selon un mode plus éminent. Denys signale cet argument quand il dit de Dieu : “ Il n’est pas ceci à l’exclusion de cela ; mais il est tout, en tant que cause de tout. ” La seconde raison est celle-ci. Nous avons démontré que Dieu est l’être même subsistant par soi[152] ; il suit de là nécessairement qu’il y a en lui toute la perfection de l’acte d’être. Il est manifeste, en effet, que la raison pour laquelle un corps chaud n’a pas toute la perfection de la chaleur est que la chaleur participée n’est pas pleinement elle-même, mais, si la chaleur subsistait par soi, rien ne pourrait lui manquer de ce qui est la chaleur. Il en résulte que, Dieu étant l’être même subsistant[153], rien ne peut lui manquer de la perfection de l’être. Or, les perfections de tous les étants se ramènent à celle de l’être ; car les étants sont parfaits dans la mesure où ils ont l’être[154]. Ils suit de là que la perfection d’aucun étant ne fait défaut à Dieu. Et cet argument a été encore indiqué par Denys quand il a dit : “ Dieu n’est pas de telle ou telle manière ; il est absolument et sans bornes, il embrasse en lui la totalité de l’être. ” Un peu plus loin il ajoute : “ C’est lui qui est l’être de tout ce qui subsiste. ”

Solutions :

1. Comme l’explique le même Denys : “ Si le soleil, un en lui-même et brillant uniformément embrasse en sa forme une les substances, ainsi que les qualités multiples et diverses des choses sensibles, bien plus encore il est nécessaire que dans la cause de tous les étants ceux-ci préexistent, compris dans l’unité de sa nature. ” Et c’est ainsi que des choses diverses et opposées en elles-mêmes préexistent en Dieu dans l’unité, sans faire tort à sa simplicité parfaite.

2. Cette Réponse suffit à résoudre la deuxième objection.

3. Comme l’observe encore Denys, bien que l’être en lui-même soit plus parfait que la vie en elle-même, et la vie plus parfaite que la pensée, à considérer les raisons formelles selon lesquelles notre raison les distingue, le vivant, lui, est plus parfait que l’étant non vivant, car le vivant est aussi un étant, et l’intelligent est aussi un vivant. Ainsi donc, il faut reconnaître que l’étant n’inclut pas en sa notion le vivant et l’intelligent, car participer à l’être[155], ce n’est pas avoir part à tous les modes d’être. Cependant, l’être lui-même inclut la vie et la pensée, car il n’est pas une perfection de l’être qui puisse faire défaut à celui qui est l’être même subsistant.

 

            Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

Objections :

1. Il semble que nulle créature ne puisse ressembler à Dieu, car il est dit au Psaume (86, 8) : “ Parmi les dieux, pas un n’est semblable à toi, Seigneur. ” Mais parmi les créatures, celles qui sont appelées Dieu par participation sont les plus excellentes. Donc beaucoup moins encore les autres créatures peuvent-elles être dites semblables à Dieu.

2. Assimiler, c’est comparer. Or, toute comparaison, est impossible entre des choses qui appartiennent à des genres différents. Toute assimilation aussi, par conséquent : aussi bien, on ne dit pas que la blancheur est semblable à la douceur. Mais nulle créature n’est dans un même genre avec Dieu, puisque Dieu ne fait partie d’aucun genre, comme on l’a montré.[156]

3. On dit semblables les choses qui se rencontrent dans une forme commune. Mais rien n’a en commun avec Dieu la forme, car de Dieu seul, et de nul autre[157], l’essence est l’être même[158]. Ainsi nulle créature ne peut être semblable à Dieu.

4. Entre deux semblables, la similitude est réciproque, car “ le semblable est semblable au semblable ". Donc, si quelque créature est semblable à Dieu, il s’ensuit que Dieu est semblable à une créature, ce qui contredit la parole d’Isaïe (40, 18) : · A quoi donc avez-vous assimilé Dieu ? ”

En sens contraire, la Genèse (1, 26) met ces paroles dans la bouche de Dieu : “ Faisons l’homme à notre image et ressemblance ”, et S. Jean écrit (1 Jn 3, 2) : “ Au temps de cette manifestation, nous lui serons semblables. ”

Réponse :

Toute ressemblance se prend de la communauté de forme, et pour ce motif il y a diverses sortes de ressemblance, selon diverses façons de communier dans la forme. Certaines choses sont dites semblables parce qu’elles communient dans une forme qui est la même, et selon la définition et selon le mode de réalisation, et celles-là on ne les dit pas semblables seulement, mais égales en similitude, tels deux corps également blancs : c’est la similitude parfaite. Mais on peut dire semblables, d’une autre manière, des choses dont la forme est la même selon la définition mais non selon le mode de réalisation, plus ou moins intense : ainsi un corps moins blanc est dit semblable à un corps plus blanc, et c’est là une similitude imparfaite. Enfin, on peut dire semblables des choses dont la forme est commune, sans pourtant rentrer dans la même définition, comme cela est clair pour les agents non univoques.

En effet, comme tout agent fait ce qui lui ressemble en cela même par quoi il est agent[159] ; comme d’autre part tout agent agit selon sa forme[160], il est nécessaire que dans l’effet il y ait ressemblance avec la forme de cet agent. Donc, si l’agent est contenu dans la même espèce que son effet, la similitude formelle entre l’un et l’autre portera sur la perfection spécifique apportée par la forme, comme lorsqu’un homme engendre un homme. Si au contraire l’agent ne se laisse pas enfermer dans l’espèce, il y aura assimilation, mais non selon la perfection spécifique. Ainsi les étants qui sont engendrés par la vertu du soleil accèdent à une certaine ressemblance avec le soleil, mais pas au point de recevoir de lui une forme spécifiquement identique à la sienne.

Du fait qu’un agent est tel qu’il ne se laisse enfermer dans aucun genre[161], c’est à une ressemblance bien plus lointaine encore que parviendront ses effets, ressemblance selon la forme, mais non selon la perfection spécifique ou même générique, seulement selon une certaine proportion, celle selon laquelle l’être est commun à toutes choses. C’est de cette manière que les effets de Dieu, en ceci qu’ils sont, lui sont assimilés comme au premier et universel principe de tout l’être.

Solutions :

1. Quand l’Écriture refuse à un être créé la ressemblance de Dieu et qu’ailleurs elle le dit semblable, elle ne se contredit pas ; car, comme l’observe Denys, les mêmes choses sont à l’égard de Dieu semblables et dissemblables ; semblables pour autant qu’elles parviennent à imiter celui qui ne peut être parfaitement imitable ; dissemblables précisément en tant qu’elles manquent à égaler leur cause, non seulement pour l’intensité de la forme, comme le moins blanc manque à égaler le plus blanc, mais aussi en sa perfection spécifique ou générique.

2. Entre Dieu et les créatures le rapport n’est pas celui d’étants appartenant à des genres différents. Dieu est hors de tout genre, et il est le principe de tous les genres.

3. La similitude que l’on reconnaît entre Dieu et la créature ne consiste pas en la communauté d’une forme semblable selon la perfection générique et spécifique, mais selon la proportion, Dieu étant par essence, les autres par participation.

4. Si l’on concède en quelque manière, que la créature est semblable à Dieu, on ne peut aucunement concéder que Dieu soit semblable à la créature ; car, comme l’explique Denys, “ la similitude n’est mutuelle qu’entre des êtres appartenant à un même ordre, non entre l’effet et la cause ”. Ainsi nous disons bien qu’un portrait ressemble à son modèle, mais non que le modèle ressemble à son portrait. De même, on peut dire en un certain sens que la créature ressemble à Dieu, mais nullement que Dieu ressemble à la créature.


 

Voici maintenant la question de la bonté, et tout d’abord de la bonté en général (Q. 5), ensuite de la bonté de Dieu (Q. 6).

 

 

QUESTION 5 — LA BONTÉ EN GÉNÉRAL

1. Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ? 2. Étant admis qu’il n’y a entre eux qu’une différence de raison, lequel est premier selon la raison : être bon, ou être ? 3. Etant admis que l’étant est premier, tout étant est-il bon ? 4. Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ? 5. La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ? 6. La division du bien en honnête, utile et délectable.

 

            Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

Objections :

1. Il semble que le bon et l’étant diffèrent réellement, car Boèce dit : “ Je vois que, pour les choses, être bonnes et être, c’est différent. ”

2. Rien n’est actualisé par soi-même. Mais un étant est appelé bon en raison d’une actualisation reçue, d’après le Livre des Causes. Donc, le bon diffère réellement de l’étant.

3. Être bon comporte du plus et du moins ; être, non. Le bon diffère donc réellement de l’étant.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ C’est dans la mesure où nous sommes, que nous sommes bons. ”

Réponse :

Le bon et l’étant sont identiques dans la réalité ; ils ne diffèrent que pour la raison, et en voici la preuve. Ce qui fait qu’un étant est bon, c’est qu’il est attirant ; aussi le Philosophe définitif le bien : “ Ce à quoi toutes les choses tendent. ” Or manifestement une chose est attirante dans la mesure où elle est parfaite ; car tous les étants aspirent à se parfaire. En outre, tout étant est parfait dans la mesure où il est en acte[162]. Cela rend manifeste qu’une chose est bonne dans la mesure où elle est, car l’être est l’actualité de toute chose, comme on l’a vu précédemment[163]. Ainsi est-il évident que le bien et l’étant sont identiques dans la réalité ; mais le terme “ bon ” exprime l’aspect d’attirance que n’exprime pas le terme “ étant ”.

Solutions :

1. Le bon et l’étant ont beau être identiques dans la réalité, du moment qu’ils diffèrent notionnellement, ce n’est pas de la même manière qu’une chose est dite être purement et simplement, et être bonne. “Étant”, à proprement parler, se dit de l’“être en acte” ; et l’acte lui-même se dit par rapport à la puissance : il suit de là qu’une chose est dite être, purement et simplement, en raison de ce par quoi elle est premièrement distincte de ce qui est seulement en puissance[164]. Cela, pour n’importe quelle chose c’est l’être substantiel, de sorte que c’est en raison de son être substantiel qu’une chose quelconque est dite purement et simplement être[165]. En raison des actes qui se surajoutent à ce premier, une chose est dite être à quelque égard seulement ; l’être blanc, par exemple, ne supprime pas purement et simplement le “être en puissance”, puisque cela arrive à une chose qui existe déjà actuellement. A l’inverse, bon exprime l’aspect de perfection, puisque c’est la perfection qui est attirante ; et en conséquence, ce qu’exprime ce terme, c’est l’idée d’achèvement. Aussi ce qui est en possession de sa perfection dernière sera-t-il dit bon absolument. Quant à ce qui n’a pas la perfection qu’il devrait avoir, bien qu’il ait quelque perfection selon qu’il est en acte, il ne sera pas dit parfait absolument, ni par conséquent bon absolument, mais seulement sous un certain rapport.

Ainsi, selon son être premier et fondamental, qui est l’être substantiel, une chose est dite être au sens absolu du mot, et bonne seulement en un sens relatif, en tant qu’elle est être. Mais, selon son acte dernier, alors qu’elle achève sa perfection, une chose est dite être sous un certain rapport, et bonne absolument. C’est ce que veut dire Boèce, et quand ce philosophe affirme que dans les choses, autre est leur bien, autre est leur être, il faut l’entendre de l’être et du bien pris absolument tous deux ; car l’être pris absolument est obtenu par l’acte premier et substantiel des choses, et le bien pris absolument par leur acte ultime ou parfait. Toutefois, l’acte premier comporte aussi un certain bien, et l’acte dernier un certain être.

2. Il est vrai que le bien informe l’être, si on l’entend du bien pris absolument, selon son acte ultime.[166]

3. Et de même, le bien ainsi compris, comme un acte surajouté, comporte évidemment du plus ou du moins, par exemple plus ou moins de science, plus ou moins de vertu, etc.

 

            Article 2 — Puisqu’il n’y a entre le bon et l’étant qu’une différence de raison, lequel est premier en raison ?

Objections :

1. Il semble que pour la raison être bon soit antérieur à être. Car l’ordre des noms se règle sur l’ordre des réalités signifiées par ces noms. Mais, parmi les noms divins, Denys met le bon en premier, ensuite seulement ce qui est.

2. On doit considérer comme première pour la raison la notion qui s’étend à un plus grand nombre d’objets. Mais le bien s’étend à plus de choses que l’être, si l’on en croit encore Denys : “ Le bien s’étend à ce qui existe et à ce qui n’existe pas ; l’être seulement à ce qui existe. ”

3. La priorité de raison appartient à ce qui est le plus universel. Or le bien semble plus universel que l’être ; car ce qui est bon est ce qui est attirant, et pour certains il est attirant de ne pas être, comme en témoigne ce jugement à propos de Judas (Mt 26, 24) : “ Mieux vaudrait pour lui que cet homme ne fût pas né. ”

4. Ce n’est pas seulement l’être qui attire, mais aussi la vie, la sagesse et beaucoup d’autres choses. L’être est donc un cas particulier de ce qui est attirant, dont le bien exprime au contraire l’aspect universel. La notion de bon, donc, est antérieure, purement et simplement, à celle de “ étant ”.

En sens contraire, il est dit dans le Livre des Causes : “ La première des choses créées est l’être. ”

Réponse :

Il faut dire que, pour la raison, être est antérieur à être bon. En effet, la notion signifiée par un nom est ce que l’intellect conçoit de la chose à laquelle cette parole s’applique. Cela donc est premier pour la raison, qui vient effectivement en premier dans la conception de notre intellect. Or, c’est le cas de l’être ; car toute chose est susceptible d’être connue selon qu’elle est en acte[167], comme il est dit dans la Métaphysique. C’est pourquoi l’étant est l’objet propre de l’intelligence ; il est donc l’intelligible premier, comme le son est premier et joue le rôle d’objet propre en ce qui concerne l’ouïe. Ainsi donc, pour la raison, être précède être bon.

Solutions :

1. Denys traite des noms divins selon qu’ils désignent en Dieu un rapport de causalité. Lui-même en donne la raison : c’est que Dieu est nommé à partir des créatures comme la cause à partir de ses effets[168]. Or, être bon, qui répond à la notion d’attirance, désigne un rapport de cause finale, causalité qui est la première de toutes, parce que l’agent n’agit qu’en vue d’une fin, et que c’est par l’agent que la matière est amenée à la forme[169]. C’est pourquoi la fin est appelée cause des causes. Ainsi, quand il s’agit de causalité, être bon est antérieur à être, comme la fin est antérieure à la forme ; et c’est pour cette raison que parmi les noms destinés à signifier la causalité divine, on fait figurer le bien avant l’être.

En outre, selon les platoniciens, qui ne distinguaient pas la matière de la privation, la matière étant un non-étant, la participation au bien s’étend plus loin que la participation à l’être. Car la matière première est bonne par participation, puisqu’elle tend à l’être bon ; or rien n’est attiré que par ce qui lui est semblable. Mais la matière, pour les platoniciens, ne participe pas de l’être, puisqu’ils la disent du non-être, et c’est ce qui fait dire à Denys que “ le bien s’étend à ce qui n’existe pas ”.

2. Cela résout la deuxième objection. Ou bien encore on peut dire que le bien s’étend à ce qui existe et à ce qui n’existe pas, non en ce sens qu’on puisse attribuer le bien à l’un et à l’autre, mais en raison du rôle joué par eux dans la causalité ; à condition qu’on entende, par ce qui n’existe pas, non le pur néant, mais ce qui est en puissance, non en acte. Car le bien a raison de fin, et avec cette fin sont en rapport non seulement l’étant en acte qui s’y repose, mais aussi l’être en puissance qui se dirige vers elle. Mais l’étant ne désigne un rapport de causalité qu’à l’égard de la cause formelle, qu’elle soit inhérente ou exemplaire, laquelle s’applique uniquement à ce qui est en acte.

3. Un tel exemple ne signifie pas que le non-être soit attirant en soi ; il ne l’est que par accident en tant qu’il enlève un mal ; c’est cette suppression qui est désirable, en tant que ce mal est privation d’être[170]. Ce qui est attirant par soi, c’est donc l’être ; le non-être ne l’est que par accident, en tant qu’un homme désire un être dont il ne supporte pas d’être privé. C’est ainsi que, par accident, même le non-être est appelé un bien.

4. La vie, la science et les autres biens n’attirent que comme existant en acte, si bien qu’en tout cela c’est vers un certain être que l’on tend. Ainsi rien n’est attirant en dehors de ce qui est, et par conséquent rien n’est bon que l’étant.

 

            Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ?

Objections :

1. Il semble que tout étant ne soit pas bon, car “bon” ajoute à “étant”, comme on l’a fait voir[171]. Or ce qui ajoute à “étant” le restreint : ainsi la substance, la quantité, la qualité et les autres catégories. Donc “bon” restreint “étant”, et il n’est pas vrai que tout étant soit bon.

2. Rien de mauvais n’est bon. On lit dans Isaïe (5, 20) : “Malheur à ceux qui disent bon ce qui est mauvais, et mauvais ce qui est bon.” Mais certain étant est mauvais. Donc n’importe quel étant n’est pas bon.

3. Ce qui fait qu’une chose est bonne, c’est qu’elle est attirante. Or ce n’est pas le cas de la matière première, qui est seulement attirée. Elle n’a donc pas raison de bien. Donc tout étant n’est pas bon.

4. Le Philosophe assure que le bien est étranger aux mathématiques ; mais les objets des mathématiques sont aussi des étants, sans quoi ils ne seraient pas objets de science.

En sens contraire, tout étant autre que Dieu est créature de Dieu. Mais “tout ce que Dieu a créé est bon”, dit l’Apôtre (1 Tm 4, 4). Dieu, lui, est souverainement bon. Donc tout étant est bon.

Réponse :

La vérité est que tout étant, pour autant qu’il est, est bon. Car tout étant, en tant qu’il est, est en acte[172] et possède quelque perfection, car tout acte est une certaine perfection[173]. Or le parfait en tant que tel est attirant et bon, comme on l’a vu plus haut. On en conclut que tout étant, en tant que tel, est bon.

Solutions :

1. Il est bien vrai que la substance, la quantité, la qualité, et tout ce qui se trouve contenu dans ces genres de l’être, restreignent l’étant, en l’appliquant à telle essence ou nature particulière, qui est[174]. Mais “bon” n’ajoute à l’étant que la note d’attirance et de perfection[175], qui appartient à l’être même en quelque nature qu’on le rencontre. Aussi “bon” ne restreint-il pas “étant”.

2. Aucun étant n’est dit mauvais en tant qu’il est, mais en tant que de l’être lui manque ; ainsi un homme est dit mauvais quand il lui manque d’être vertueux ; un œil est dit mauvais quand il manque d’une vue pénétrante.

3. De même que la matière première n’est qu’en puissance, elle n’est bonne qu’en puissance. Quoiqu’on puisse dire, selon les platoniciens, qu’elle n’est pas, à cause de la privation qui l’affecte. Cependant elle participe du bien d’une certaine façon, par une ordination et une aptitude à ce bien. Et c’est pourquoi il lui convient non d’être attirante, mais d’être attirée.

4. Les objets mathématiques ne subsistent pas séparés de toute matière[176]. S’ils subsistaient, il y aurait en eux du bien, leur être, précisément[177]. Ils ne sont séparés que pour la raison, en tant qu’ils sont abstraits du mouvement et de la matière, par conséquent aussi de la finalité puisque la fin est par nature motrice. Et il n’est pas illogique que dans un objet construit par la raison on ne trouve pas la bonté, puisque, comme on l’a vu précédemment[178], l’être est antérieur au bien.

 

            Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

Objections :

1. Il semble que le bien n’ait pas raison de cause finale, mais rentre plutôt dans les autres genres de causes. Ainsi, d’après Denys, “si le bien est loué, c’est en tant que beau”. Mais le beau se rattache à la cause formelle.

2. Le bien est communicatif de soi, d’après Denys, qui dit que “le bien est ce qui fait subsister et exister toutes choses”. Mais communiquer l’être relève de la causalité efficiente.

3. S. Augustin écrit “Parce que Dieu est bon nous sommes.” Mais si nous venons de Dieu c’est comme de notre cause efficiente. Donc la bonté a raison de cause efficiente.

En sens contraire, le Philosophe a dit “Ce pour quoi quelque chose existe est la fin et le bien de tout le reste.”

Réponse :

Puisque le bien est ce qui attire tout ce qui est[179], et que cela a raison de fin, il est évident que le bien implique la raison de fin. Néanmoins, la bonté présuppose la causalité efficiente et la causalité formelle. Car nous voyons que ce qui est premier dans l’exercice de la causalité est dernier dans le résultat ; par exemple, le feu échauffe le bois avant de lui communiquer sa forme de feu, bien que, dans le feu, la chaleur soit une émanation de sa forme substantielle. Or, dans l’ordre de causalité, ce qui est premier c’est le “être bon”, la fin, qui met en action la cause efficiente[180] ; ensuite, l’action de cette cause efficiente meut à la forme ; et enfin arrive la forme. Il faut donc qu’il en soit à l’inverse pour le résultat : on trouvera d’abord la forme, par laquelle l’étant est ce qu’il est ; dans cette forme on discerne ensuite une vertu active, qui appartient à l’être en tant qu’il est achevé, car un être n’est achevé, comme l’observe le Philosophe, que lorsqu’il peut produire son semblable[181] ; et enfin il en résulte la bonté, par laquelle l’étant est établi dans sa perfection.

Solutions :

1. Le beau et le bien, considérés dans le réel, sont identiques parce qu’ils sont fondés tous deux sur la même réalité qui est la forme. De là vient que le bon est loué comme beau. Mais ces deux notions n’en diffèrent pas moins en raison. Le bien concerne l’appétit, puisque le bien est ce vers quoi tend tout ce qui est, et il a raison de fin, car l’appétit est une sorte d’élan vers la chose même. Le beau, lui, concerne la faculté de connaissance, puisqu’on déclare beau ce dont la vue cause du plaisir[182]. Aussi le beau consiste-t-il dans une juste proportion des choses, car nos sens se délectent dans les choses proportionnées qui leur ressemblent en tant qu’ils comportent un certain ordre, comme toute vertu cognitive. Et parce que la connaissance se fait par assimilation, et que la ressemblance concerne la forme, le beau, à proprement parler, se rapporte à la cause formelle.

2. Quand on dit que le bon est communicatif de soi, c’est dans le sens où la fin est dite mouvoir.

3. Un agent volontaire est appelé bon quand sa volonté est bonne ; car c’est par la volonté que nous faisons usage de tout ce qui est en nous. Aussi ne dit-on pas bon l’homme qui a l’esprit bon, mais celui dont la volonté est bonne. Or, l’objet propre de la volonté est la fin[183], ou le bien, et par conséquent dire de Dieu : “Parce qu’il est bon nous sommes”, c’est se référer à la cause finale.

 

            Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

Objections :

1. Il semble que non. Car le bien et l’être diffèrent par leur notion, comme on l’a vu précédemment[184]. Mais c’est à l’être que paraissent se rapporter ces trois termes ; car il est dit au livre de la Sagesse (11, 20) : “ Tu as tout disposé (Seigneur) avec nombre, poids et mesure ”, et c’est à cette triade que se ramènent l’espèce, le mode et l’ordre. S. Augustin lui-même l’indique : “ C’est la mesure qui détermine à chaque chose son mode ; c’est le nombre qui lui fournit son espèce ; c’est le poids qui l’entraîne vers son repos et sa stabilité. ”

2. Le mode, l’espèce et l’ordre sont des biens. Si le bien consiste dans les trois il faudra donc que chacun des trois contienne, à nouveau, les trois ensemble, et que dans le mode, par exemple, on trouve mode, espèce et ordre, et ainsi de suite. On irait donc à l’infini.

3. Le mal consiste dans la privation de ces trois choses ; or, le mal ne supprime jamais totalement le bien[185]. C’est donc que la raison de bien ne consiste pas en elles.

4. On ne peut dire mauvais ce qui constitue la raison de bien. Or, on parle d’un mode, d’une espèce, d’un ordre qui sont mauvais. Ce n’est donc pas en eux que consiste la raison de bien.

5. Selon S. Augustin, mode, espèce et ordre dérivent de nombre, poids et mesure ; or, tout ce qui est bon n’offre pas ces derniers caractères. Car S. Ambroise dit : “ Il n’appartient pas à la nature de la lumière d’être créée avec nombre, poids et mesure. ” Ce n’est donc pas en cela que consiste la bonté.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Ces trois choses : le mode, l’espèce, l’ordre, sont comme des biens généraux dans les êtres faits par Dieu ; aussi, là où ces trois choses sont grandes, il y a de grands biens ; là où elles sont petites, il y en a de petits ; là où elles sont nulles, il n’y a aucun bien. ” Il n’en serait pas ainsi si la bonté ne consistait pas en ces trois choses.

Réponse :

Une chose est réputée bonne selon qu’elle est parfaite, car c’est ainsi qu’elle est attirante, comme on l’a dit plus haut[186]. Le parfait est ce qui ne manque de rien selon le mode de sa perfection. Comme tout être est ce qu’il est par sa forme[187] ; et comme toute forme présuppose certaines conditions et que certaines conséquences nécessaires en découlent, il faut, pour qu’un être soit parfait et bon, qu’il ait à la fois sa forme, les conditions préalables qu’elle requiert, et les propriétés qui en découlent. Or, ce que la forme requiert d’abord, c’est la détermination ou proportionnalité de ses principes, soit matériels, soit efficients[188] et c’est ce qu’on entend par le mode ; c’est pourquoi, d’après S. Augustin, on dit que la mesure fixe ce que doit être le mode. C’est la forme qui est signifiée par l’espèce, car chaque chose est constituée dans son espèce par sa forme, et c’est pourquoi il est dit que le nombre désigne l’espèce. Car, d’après le Philosophe, les définitions qui expriment l’espèce sont comme les nombres. En effet, comme l’unité ajoutée ou soustraite au nombre en fait varier l’espèce, de même, dans les définitions, une différence ajoutée ou soustraite. Enfin ce qui est consécutif à la forme, c’est l’inclination du sujet vers la fin, vers l’action ou quelque chose de semblable ; car tout ce qui est en acte agit, et tend, comme tel, vers ce qui lui convient selon sa forme, dans la mesure où il est en acte. C’est cela qu’on exprime par ces deux termes équivalents : poids et ordre. On voit donc que la bonté, du moment qu’elle se ramène à la perfection, consiste en mode, espèce et ordre.

Solutions :

1. Ces trois termes concernent l’étant seulement en tant qu’il est parfait, donc en tant qu’il est bon[189].

2. Le mode, l’espèce et l’ordre sont dits bons comme ils sont dits être : non qu’eux-mêmes soient comme des subsistants[190], mais par eux, d’autres sont, et sont bons. Il n’est donc pas nécessaire qu’eux-mêmes, en vue d’être bons, revêtent d’autres attributs ; car on ne dit pas qu’ils sont bons formellement par d’autres attributs ; ils sont eux-mêmes la forme par laquelle le sujet est bon. C’est ainsi que la blancheur est dite être, non en ce sens qu’elle serait elle-même par quelque forme, mais parce que, par elle, un sujet est sous un certain rapport, c’est-à-dire est blanc.

3. Tout être est proportionné à une forme déterminée. Il en résulte que selon chaque être qui lui advient, la chose reçoit un mode, une espèce, un ordre. Ainsi, un homme les possédera en tant qu’homme, et de même en tant qu’il est blanc, vertueux, savant, etc. Le mal le prive d’un certain être, par exemple la cécité le prive de la vue : elle ne prive donc pas de tout mode, de toute espèce, de tout ordre, mais seulement de ceux qui résultent de l’être voyant.

4. Selon S. Augustin “ tout mode en tant que mode, est bon ”, et de même pour l’espèce et l’ordre. “ On les appelle mauvais lorsqu’ils sont inférieurs à ce qu’ils devaient être ; ou parce qu’ils sont mal adaptés à leurs fonctions, si bien qu’on les appelle mauvais parce qu’inadaptés et discordants. ”

5. La lumière est dite par nature dépourvue de nombre, de poids et de mesure, non purement et simplement, mais par comparaison avec les êtres corporels, car la vertu de la lumière s’étend à tous les êtres corporels en tant qu’elle est la qualité du premier corps altérant de la nature, qu’est le ciel.

 

            Article 6 — La division du bien en honnête, utile et délectable

Objections :

1. Il semble que cette division ne convienne pas. Car le Bien, selon le Philosophe, se répartit selon les dix prédicaments. Or, l’honnête, l’utile et le délectable peuvent se trouver dans un seul prédicament. Donc il ne convient pas de diviser ainsi le bien.

2. Toute division se fait en des termes opposés. Or, ces trois termes ne sont pas opposés ; car des biens honnêtes sont aussi délectables, et rien de déshonnête n’est utile, alors qu’il serait nécessaire, si la division se faisait en des termes opposés, que honnête et utile s’opposent. Donc cette division ne convient pas selon Cicéron.

3. Quand l’un est en vue de l’autre, ils ne font qu’un ; or, l’utile n’est bon que parce qu’il est en vue du délectable ou de l’honnête. Il ne doit donc pas leur être opposé dans une division.

En sens contraire, S. Ambroise fait appel à cette division.

Réponse :

Il semble que cette division convienne en propre au bien humain. Pourtant, si nous considérons de haut et plus généralement la raison de bien, il apparaît que cette division convient en propre au bien en tant que tel. En effet, une chose est bonne en tant qu’elle est attirante et qu’elle est le terme du mouvement appétitif. Or, ce mouvement peut être comparé à celui des corps dans la nature. Un corps naturel termine son mouvement, purement et simplement, à son terme ultime ; mais on peut dire aussi qu’il le termine relativement à chaque point de l’espace intermédiaire qu’il traverse pour parvenir à l’extrémité où le mouvement s’achève ; aussi a-t-on coutume d’appeler terme d’un mouvement tout ce qui termine une phase du mouvement. Quant au terme ultime du mouvement, on peut distinguer en lui la chose même vers laquelle il tend, comme vers son lieu, ou sa forme, etc. ; ou bien le repos du mobile dans cette réalité. Ainsi, donc, dans le mouvement appétitif, on nomme utile ce qui ne termine le mouvement que de façon relative et comme un moyen au-delà duquel autre chose est visé. Quant au terme ultime où s’achève finalement le mouvement appétitif, considéré comme la chose qui par elle-même attire l’appétit, on l’appelle l’honnête, car on dit honnête ce qui est l’objet même du désirable ; enfin, ce à quoi se termine le mouvement de l’appétit, si l’on entend par là le repos dans la chose désirée, c’est le délectable.

Solutions :

1. Le bien, selon qu’il est identique à l’étant dans le réel[191], se divise comme lui en dix catégories ; mais, selon sa notion propre, cette division-ci lui convient.

2. Cette division ne se fait pas selon des réalités opposées, mais selon des raisons opposées. Toutefois, on nomme proprement délectables des choses qui n’ont d’autre attrait que la délectation, alors que par ailleurs elles sont nuisibles et déshonnêtes. On dit utiles des choses qui n’ont rien en elles-mêmes de désirable, mais qu’on désire seulement comme le moyen d’obtenir autre chose, comme un remède amer. Enfin, on appellera honnêtes les choses qui méritent par elles-mêmes, d’être désirées.

3. Cette division du bien ne se présente pas comme univoque, c’est-à-dire que la notion de bien n’est pas appliquée à ces trois termes de façon égale, mais en vertu d’une analogie fondée précisément sur des priorités. L’idée de bien s’applique d’abord à ce qui est honnête, en second au délectable, et finalement à l’utile.


 

 

QUESTION 6 — LA BONTÉ DE DIEU

1. Peut-on dire de Dieu qu’il est bon ? 2. Dieu est-il suprêmement bon ? 3. Lui seul est-il bon par son essence ? 4. Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

 

            Article 1 — Peut-on dire de Dieu qu’il est bon ?

Objections :

1. Il semble que non, car la raison de bien consiste dans le mode, l’espèce et l’ordre. Or ces trois attributs ne conviennent pas à Dieu, puisqu’il est sans limite et n’est ordonné à rien d’autre.

2. La bonté est ce vers quoi tendent tous les étants. Mais tous les étants ne tendent pas vers Dieu, car tous ne le connaissent pas, et on ne tend qu’à ce que l’on connaît.

En sens contraire, il est écrit dans les Lamentations (3, 25) : “ Dieu est bon pour ceux qui espèrent en lui, pour l’âme qui le cherche. ”

Réponse :

L’attribut “ bon ” appartient à Dieu par excellence. En effet, un étant est bon dans la mesure où il est attirant[192]. Or toute chose tend vers son achèvement, sa perfection[193]. La perfection, et déjà la forme de l’effet, est une similitude de sa cause, puisque tout agent produit un effet semblable à lui[194]. Il suit de là que l’agent même, comme tel, est pour son effet un attirant et, de ce fait a raison de bien, car ce qui attire en lui, c’est que l’on participe à sa ressemblance[195]. Puisque Dieu est la cause efficiente première de toutes choses[196], il lui appartient évidemment d’être attirant et bon. Aussi Denys a attribue-t-il à Dieu le bien comme à la première cause efficiente[197] : “ Dieu reçoit le nom de bien comme étant ce par quoi toutes choses subsistent. ”

Solutions :

1. Avoir mode, espèce et ordre est propre au bien créé. Mais puisque le bien est en Dieu comme en sa cause[198], c’est à lui qu’il appartient d’imprimer aux autres le mode, l’espèce et l’ordre de sorte qu’en Dieu ces caractères existent comme dans leur cause.

2. Tous les êtres, en tendant vers leurs propres perfections, tendent vers Dieu en ce sens que toutes les perfections propres aux choses sont des similitudes de l’être divin, comme on l’a fait voir[199]. Ainsi, parmi les êtres qui tendent vers Dieu, certains le connaissent en lui-même, et c’est le propre de la créature raisonnable[200]. D’autres connaissent des participations de sa bonté, ce qui doit s’entendre même de la connaissance sensible. D’autres enfin ont un mouvement appétitif naturel sans connaissance[201], étant entraînés à leur fin par un acte qui les domine, et qui, lui, connaît.

 

            Article 2 — Dieu est-il suprêmement bon ?

Objections :

1. Il semble que non, car “ suprêmement bon ” dit plus que simplement “ bon ”, sans quoi il conviendrait à n’importe quel bien. Mais tout ce qui s’obtient par addition est composé. Le suprêmement bon est donc composé. Or, Dieu est suprêmement simple, on l’a montré[202]. Donc il n’est pas suprêmement bon.

2. Selon le Philosophe, “ est bon ce vers quoi tendent toutes choses ”. Or il n’est rien vers quoi tendent toutes choses, si ce n’est Dieu, qui est la fin de toutes choses[203]. Il n’y a donc pas d’autre que Dieu qui soit bon, ce qu’a d’ailleurs confirmé le Christ en disant (Mt 19,17) : “ Personne n’est bon que Dieu. ” Mais “ suprêmement ” se dit par comparaison avec d’autres ; ainsi suprêmement chaud se dit par rapport à tout ce qui est chaud. Donc on ne peut pas dire que Dieu est suprêmement bon.

3. “ Suprêmement ” implique comparaison. Mais on ne peut comparer ce qui n’est pas de même genre ; on ne dit pas qu’une douceur est plus grande ou plus petite qu’une ligne. Puisque Dieu n’est pas dans le même genre que les autres qui sont bons, ainsi qu’on l’a établi plus haut[204] et il semble donc qu’on ne puisse le dire un bien suprême par rapport à eux.

En sens contraire, S. Augustin affirme que la Trinité des personnes divines est “ le Bien suprême, que savent discerner les âmes entièrement pures ”.

Réponse :

On doit affirmer que Dieu est suprêmement bon purement et simplement, et non pas seulement dans un genre particulier dans une classe de choses. En effet, ainsi qu’on l’a vu[205], le bien est attribué à Dieu de telle sorte que toutes les perfections désirables par tous les êtres découlent de lui comme de leur cause première. On l’a dit aussi[206], ces perfections ne découlent pas de Dieu comme d’un agent univoque, mais comme d’un agent qui ne se rencontre avec ses effets ni dans la communauté de la forme spécifique ni dans celle de la forme générique. Or, si, dans une cause univoque, la similitude de l’effet se trouve au même niveau de perfection formelle, dans une cause équivoque elle se trouve selon une perfection plus excellente, comme la chaleur qui se trouve dans le soleil selon un mode plus excellent que dans le feu. Il faut donc dire que la bonté étant en Dieu comme dans la cause première, non univoque, de toutes choses, elle se trouve en lui selon un mode souverainement excellent. C’est en raison de cela qu’on le dit suprêmement bon.

Solutions :

1. “ Suprêmement ” ajoute à bon, non pas quelque chose d’absolu, mais une relation seulement ; or la relation, par le moyen de laquelle on dit de Dieu quelque chose de relatif aux créatures n’est pas réelle en Dieu, mais dans les créatures seulement. En Dieu elle est de raison, comme dire d’une chose qu’elle est scientifiquement connaissable, c’est la concevoir relativement à la science, non qu’elle-même soit réellement référée à la science, mais c’est la science qui lui est référée. Ainsi “ suprêmement bon ” ne dit pas une composition en ce qui est dit tel, mais seulement que les autres bons sont déficients en bonté par rapport à lui.

2. Dire de la bonté qu’elle est ce vers quoi tendent toutes choses, n’affirme pas que toute chose bonne soit attirante pour tous, mais que c’est la bonté qui rend attirant tout ce à quoi l’on tend. Quant au mot de l’Évangile exprimant que Dieu seul est bon, il se rapporte au bien par essence, dont on va parler bientôt.[207]

3. Des choses qui ne sont pas dans le même genre en ce sens qu’elles appartiennent chacune à un genre différent, ne peuvent nullement être comparées. Mais quand on dit de Dieu qu’il n’est pas dans le même genre que les autres biens, on n’entend pas le ranger lui-même dans un autre genre ; on affirme qu’il est hors de tout genre, et principe de tous les genres[208]. Et ainsi il est comparé aux autres comme incomparable, et c’est cette prééminence qu’on exprime en le disant suprêmement bon.

 

            Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

Objections :

1. Il semble qu’être bon par essence ne soit pas le propre de Dieu. En effet, comme on l’a vu plus haut[209], l’un est identique à l’étant, de même le bon. Mais tout étant est un par son essence, comme le montre le Philosophe dans sa Métaphysique. Donc tout étant est bon par son essence.

2. Si le bien est vers quoi tendent toutes choses, comme d’autre part c’est l’être que toutes désirent[210], il s’ensuit que c’est l’être même de chaque chose qui est son bien. Mais, chaque chose est un étant par son essence. Donc chaque chose est bonne par son essence.

3. Toute chose est bonne par sa bonté. Donc, s’il est une chose qui n’est pas bonne par son essence, il faudra que sa bonté ne soit pas son essence. Comme pourtant cette bonté est un certain étant, il faut qu’elle soit bonne, et si c’est par une autre bonté, la même question se posera pour cette autre. Il faudra donc aller à l’infini, ou en venir à quelque bonté qui ne sera pas bonne par une autre. Autant s’arrêter au premier terme, et dire que chaque chose est bonne par son essence même.

En sens contraire, Boèce écrit : “ Toute chose autre que Dieu est bonne par participation ” ; elle ne l’est donc point par essence.

Réponse :

Dieu seul est bon par son essence. En effet, tout étant est dit bon dans la mesure où il est parfait[211]. Or, la perfection de chaque chose a trois niveaux. Au premier, elle est constituée dans son être. Au second, elle a, en plus de sa forme constitutive, des accidents qui sont nécessaires à la perfection de son opération. Au troisième, enfin, c’est la perfection d’un être qui atteint quelque chose d’autre, comme une fin pour lui[212]. Par exemple, la première perfection du feu est l’existence même qu’il possède par sa forme substantielle ; la seconde consiste dans sa chaleur, sa légèreté, sa sécheresse, etc., et sa troisième perfection consiste en ce qu’il a trouvé son lieu, où il se repose.

Or, cette triple perfection ne convient à nul être créé en vertu de son essence, mais à Dieu seul. Car il est le seul dont l’essence est son être[213] ; parce que à cette essence aucun accident ne s’ajoute, mais tout ce qui est attribué aux créatures accidentellement être puissant, sage, etc. Lui est essentiel ainsi qu’on l’a vu[214]. Et à rien d’autre que lui-même il n’est ordonné comme à sa fin ; c’est lui-même qui est la fin ultime de toutes les choses[215]. Il est manifeste par là que Dieu seul a en son essence même la perfection totale, et c’est pourquoi lui seul est bon par essence.

Solutions :

1. L’un, formellement, n’implique pas la perfection, mais l’indivision seulement, et l’indivision, toute chose la possède par son essence. Dans le cas des êtres simples, l’essence est indivise à la fois en acte et en puissance ; les êtres composés ont aussi une essence indivise en acte, mais ils sont divisibles en puissance. Et c’est pourquoi il faut que toute chose par son essence soit une, mais non pas bonne, ainsi qu’on vient de le montrer[216].

2. Quoique chaque étant soit bon en tant qu’il a l’être[217], l’essence de la créature n’est pourtant pas son être lui-même[218], de sorte qu’il ne s’ensuit pas qu’elle est bonne par essence.

3. La bonté d’une chose créée n’est pas sa propre essence, mais quelque chose de surajouté, soit son existence, soit quelque perfection accidentelle, soit son orientation vers une fin. Toutefois, cette bonté surajoutée est dite bonne comme elle est dite étant ; or on la dit étant parce que quelque chose est par elle, non pas qu’elle soit elle-même en raison d’autre chose. De la même manière, elle est dite bonne parce que quelque chose est bon par elle, non pas qu’elle-même ait une bonté autre qu’elle-même en raison de quoi elle est bonne.

 

            Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

Objections :

1. Il le semble bien, car S. Augustin écrit, dans son ouvrage sur La Trinité : “ Ceci est bon, cela est bon ; supprime le "ceci" et le "cela" et vois si tu peux, le bien même. Alors, tu verras Dieu, qui ne tient pas sa bonté d’un bien autre qui est bon, mais qui est la bonté de tout ce qui est bon. ” Or, toute chose est bonne par sa propre bonté. Donc il est bon de cette bonté qui est Dieu.

2. Boèce dit : “ Toutes choses sont dites bonnes pour autant qu’elles sont ordonnées à Dieu ”, et cela en raison de la bonté de Dieu. Donc toutes choses sont bonnes de la bonté divine.

En sens contraire, toutes les choses sont bonnes pour autant qu’elles sont[219]. Mais les étants ne sont pas dits être par l’être de Dieu, mais par leur être propre. Donc elles ne sont pas bonnes de la bonté de Dieu, mais de leur propre bonté.

Réponse :

Rien n’empêche, là où intervient la relation, qu’une chose tienne sa dénomination de ce qui lui est extérieur. Ainsi c’est par le lieu qu’un corps est dit localisé, par la mesure qu’il est dit mesuré. Mais quand il s’agit d’une attribution absolue, on trouve diversité d’opinions.

Platon a voulu que les espèces de toutes les choses soient séparées, de sorte que les individus soient dénommés par elles comme par participation ; ainsi, selon lui, Socrate est dit homme par participation à l’idée séparée de l’homme. Et de même que Platon supposait ainsi une idée séparée de l’homme, du cheval, qu’il appelait “l’homme en soi”, “le cheval en soi”, ainsi posait-il une idée séparée de l’étant, et une idée de l’un, qu’il appelait l’étant et l’un en soi ; et il disait que c’est par participation à elles que chaque chose est dite étant et une. Quant à ce qui est ainsi étant par soi, un par soi, Platon en faisait le souverain bien. Et puisque dans la réalité, le bien, comme l’un coïncident avec l’étant, il disait que le bien par soi est Dieu, dont tous les êtres tiennent par participation d’être nommés bons.

Bien que cette opinion apparaisse déraisonnable en ce qu’elle prétendait séparées et subsistantes par soi les espèces des choses corporelles, ce qu’Aristote a réfuté de multiples manières[220], toutefois, il est absolument vrai qu’il y a une réalité première, laquelle est bonne par son essence même, et que nous appelons Dieu, comme nous l’avons établi plus haut[221]. Et Aristote s’accorde avec cette affirmation.

C’est donc bien de ce premier, qui par son essence est, et est bon, que tout autre tient d’être et d’être bon, en tant qu’il y participe par une certaine assimilation encore que lointaine et déficiente, comme on l’a montré à l’article précédent[222].

Et ainsi, nous pouvons conclure que tout être est appelé bon en raison de la bonté divine, comme du premier principe exemplaire, efficient[223] et finalisateur de toute bonté. Toutefois, chaque réalité est dite bonne encore par une ressemblance de la bonté divine qui lui est inhérente, et qui est formellement sa bonté à elle, celle en raison de laquelle elle est dite bonne. Ainsi donc, il y a une bonté unique de toutes choses et il y a une multitude de bontés.

Tout cela répond clairement aux Objections.


 

... Après avoir étudié la perfection de Dieu, il faut étudier son infinité (Q. 7), et son existence dans les choses (Q. 8). On dit en effet que Dieu est partout et en toutes choses en tant qu’il est sans limites et infini.

 

 

QUESTION 7 — L’INFINITÉ DE DIEU

1. Dieu est-il infini ? 2. Y a-t-il en dehors de lui un être qui soit infini en son essence ? 3. Quelque chose peut-il être infini en étendue ? 4. Peut-il y avoir dans les choses une multitude infinie ?

 

            Article 1 — Dieu est-il infini ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, tout infini est imparfait parce qu’il a raison de partie et de matière, selon Aristote . Mais Dieu est absolument parfait. Il n’est donc pas infini.

2. Selon le Philosophe, le fini et l’infini se rapportent à la quantité. Mais en Dieu il n’y a pas de quantité puisqu’il n’est pas corporel, comme on l’a montré précédemment[224].

3. Ce qui est ici et n’est pas ailleurs est fini quant au lieu, donc ce qui est ceci et n’est pas autre chose est fini selon sa substance. Or, Dieu est ce qu’il est et n’est pas autre chose ; il n’est pas pierre ni bois.

En sens contraire, S. Jean Damascène nous dit : “ Dieu est infini, éternel, sans frontières de son être. ”

Réponse :

Comme il est dit dans la Physique d’Aristote, “ tous les anciens philosophes attribuaient l’infini au premier Principe ”, observant avec raison que du principe premier les choses découlent à l’infini. Mais quelques-uns, s’étant trompés sur la nature du premier principe, se sont trompés par suite sur son infinité. Pensant que le premier principe était la matière[225], ils lui ont attribué une infinité matérielle, disant que le premier principe des choses était un corps infini.

Il faut donc considérer qu’on appelle infini ce qui n’est pas limité. Or, sont limitées, chacune à sa manière, la matière par la forme, et la forme par la matière. La matière est limitée par la forme en tant que, avant de recevoir la forme, elle est en puissance à une multitude de formes ; mais, dès qu’elle en reçoit une elle est limitée à elle. La forme, elle, est limitée par la matière, car, considérée en elle-même, elle est commune à beaucoup de choses ; mais par le fait qu’elle est reçue dans une matière, elle devient déterminément la forme de telle chose.

La différence est que la matière reçoit sa perfection de la forme, qui la limite, de sorte que l’infini qui provient de la matière est imparfait par nature : c’est comme une matière sans forme[226]. Au contraire la forme ne reçoit pas de la matière sa perfection, mais, bien plutôt, son amplitude naturelle est restreinte par elle. Il suit de là que l’infini, qui résulte de ce que la forme n’est pas déterminée par la matière, ressortit au parfait.

Or ce qui, dans tous les êtres, est le plus formel, c’est l’être même, comme on l’a vu clairement plus haut[227]. Puisque l’être divin ne peut être reçu dans un sujet autre que lui, Dieu étant son propre être subsistant[228], ainsi qu’on l’a montré, il est manifeste que Dieu est à la fois infini et parfait.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. Ce qui limite la quantité joue à son égard le rôle d’une forme : le signe en est que la forme extérieure d’un corps, qui limite sa quantité, se présente bien comme informant celle-ci. Ainsi donc l’infini quantitatif est un infini qui se tient du côté de la matière, et un tel infini ne peut être attribué a Dieu, nous venons de le dire.[229]

3. Par là même que l’être de Dieu est subsistant par soi et n’est reçu en rien d’autre[230], en raison de quoi on le dit infini, il se distingue de tous les autres êtres, et ceux-ci lui sont extérieurs : de même que la blancheur, si elle subsistait par elle-même, se distinguerait de toutes les blancheurs qui se trouvent dans les corps blancs, par là même qu’elle n’affecte aucun corps.

 

            Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

Objections :

1. Il semble qu’un être autre que Dieu puisse être infini par essence. En effet, l’énergie d’une chose est proportionnée à son essence. Si l’essence de Dieu est infinie, son énergie doit l’être aussi. Donc il peut réaliser un effet infini, puisque c’est à l’effet qu’on reconnaît l’efficacité d’une énergie.

2. Tout ce qui a une énergie infinie est infini en essence. Or l’intellect créé est doté d’une telle énergie, puisqu’il saisit l’universel, qui s’étend à une infinité de singuliers. Donc toute substance intellectuelle créée est infinie.

3. La matière première est autre que Dieu, on l’a montré précédemment[231]. Mais la matière première est infinie. Donc un être autre que Dieu peut être infini.

En sens contraire, l’infini ne peut procéder d’un principe, dit Aristote. Or, tout ce qui est et qui n’est pas Dieu, procède de Dieu comme de son premier principe. Donc rien, en dehors de Dieu, ne peut être infini.

Réponse :

Quelque chose, en dehors de Dieu, peut être infini à certains égards[232], mais non purement et simplement. En effet, si nous parlons de l’infini qui relève de la matière, il est évident que tout ce qui existe en acte a une certaine forme, et par cette forme la matière est limitée. Mais, parce que la matière, sous l’emprise d’une forme substantielle, demeure en puissance à une multitude de formes accidentelles, il faut dire que ce qui est fini purement et simplement, peut être dit infini en quelque façon ; ainsi, un morceau de bois est chose finie quant à sa forme substantielle, mais il est infini d’une certaine manière, étant en puissance à revêtir une infinité de figures.[233]

Mais si nous parlons de l’infini qui se rapporte à la forme, alors il est clair que les êtres dont les formes sont unies à la matière sont finis absolument et ne sont d’aucune manière infinis. Mais s’il y a des formes créées, qui ne sont pas reçues dans une matière, mais qui subsistent par elles-mêmes, comme certains le disent des anges[234], ces formes-là seront infinies d’une certaine manière en ce qu’elles ne seront pas limitées, restreintes par une matière quelconque. Néanmoins, comme toute forme créée ainsi subsistante a l’être et n’est pas son être[235], il est nécessaire que son être, lui, soit reçu[236] et par suite restreint aux limites d’une certaine nature. Un tel subsistant ne peut donc être infini purement et simplement.

Solutions :

1. Il est contraire à la notion même de chose faite que l’essence de cette chose soit identique à son existence, car l’être subsistant n’est pas l’être créé[237]. Donc, il est également contraire à la notion de chose faite que cette chose soit infinie purement et simplement. Donc Dieu, bien qu’il ait une puissance infinie, de même qu’il ne peut pas faire une chose qui ne soit pas faite[238], de même il ne peut pas faire que ce qu’il fait soit infini purement et simplement.

2. Que l’énergie de l’intelligence puisse s’étendre en quelque façon jusqu’à l’infini, cela provient simplement de ce qu’elle est une forme non unie à la matière[239], forme totalement séparée, comme sont les substances des anges[240], ou tout au moins qu’il s’agisse de la faculté intellectuelle, qui, dans l’âme intellective unie au corps, n’est pas l’acte d’un organe du corps[241].

3. La matière première n’existe pas par elle-même dans la nature, n’étant pas un étant en acte, mais seulement en puissance[242]. Aussi est-elle plutôt “concréée” que créée[243]. Du reste, même en tant que puissance, la matière première n’est pas infinie absolument parlant, mais dans un certain ordre ; car sa potentialité ne s’étend qu’aux formes d’existence prévues par la nature.

 

            Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ?

Objections :

1. Il semble que quelque chose puisse être infini en acte selon son étendue. En effet, les mathématiques ne nous trompent pas en dépit de leur caractère abstrait ; car abstraire n’est pas mentir, dit Aristote. Or, les mathématiques usent de l’infini en grandeur. Le géomètre ne dit-il pas : “ Soit telle ligne infinie... ” ? Donc, il n’est pas impossible que quelque chose soit infini en grandeur.

2. Il n’est pas impossible de rencontrer dans une chose ce qui ne va pas contre sa raison formelle. Or, être infini ne va pas contre la raison de grandeur ; au contraire le fini et l’infini semblent être des propriétés d’un même genre. Donc, il n’est pas impossible qu’une grandeur soit infinie.

3. La grandeur est divisible à l’infini ; c’est ainsi, en effet, que l’on définit le continu, comme on le voit dans la Physique d’Aristote. Or, les contraires, par nature, s’opposent dans un sujet commun. Puisque la division et l’addition sont contraires, ainsi que la diminution et la croissance, il semble que la grandeur puise croître à l’infini.

4. Le mouvement et le temps tirent leur quantité et leur continuité de la grandeur parcourue par le mouvement, dit Aristote. Or, il n’est pas contraire à la raison de temps et de mouvement que tous deux soient infinis ; car n’importe quel point du temps et du mouvement circulaire est à la fois un commencement et un terme. Etre infini n’est donc pas contraire à la notion de grandeur.

En sens contraire, tout corps a une surface ; or, tout corps ayant une surface est limité, fini, car une surface est la limite d’un corps fini. Donc tout corps est fini, est limité, et ce que l’on dit de la surface, on peut le dire de la ligne. Donc, rien n’est infini en grandeur.

Réponse :

Autre est l’infini en essence, et autre l’infini en grandeur. A supposer qu’il y eût un corps infiniment étendu, comme le feu ou l’air, ce corps ne serait pas pour cela infini en son essence ; car son essence serait limitée a une espèce par la forme, et à un individu par sa matière[244]. C’est pourquoi, étant admis ce qui précède[245] que nulle créature n’est infinie en essence, il reste à nous demander si quelque créature est infinie en grandeur.

Il faut donc savoir que le corps, qui est étendu de tous côtés, peut être considéré de deux façons : selon les mathématiques, où l’on ne considère en lui que la quantité ; et selon la philosophie de la nature, qui considère en lui la matière et la forme.

Parle-t-on du corps physique, il est évident qu’il ne peut être infini en acte. Car tout corps physique a une forme substantielle déterminée, et comme les accidents dérivent de la forme substantielle[246], il est nécessaire que d’une forme qui est déterminée dérivent des accidents également déterminés, parmi lesquels la quantité. D’où il suit que tout corps naturel a une quantité déterminée, entre une limite supérieure et une limite inférieure. Il est donc impossible qu’un corps physique soit infini. C’est ce que prouve encore le mouvement. En effet tout corps physique a un mouvement physique. Or, le corps infini ne pourrait pas avoir de mouvement physique. Il n’aurait pas de mouvement rectiligne, parce que rien ne se meut physiquement ainsi, à moins qu’il ne soit hors de son lieu, et cela ne peut arriver à un corps infini, qui par hypothèse occupe tous les lieux et pour qui n’importe quel lieu est indifféremment son lieu naturel. Un tel corps n’aurait pas davantage de mouvement circulaire ; car, en tout mouvement circulaire, une partie vient occuper à son tour l’endroit occupé précédemment par une autre, et, ce corps étant supposé infini, cela serait impossible ; car alors, si l’on suppose deux rayons partant du centre, ces rayons doivent en s’allongeant s’écarter toujours plus, et si le corps était infini, à la longueur des rayons correspondrait une distance infinie, impossible à franchir.

Si l’on parle du corps mathématique, on aboutit à la même conclusion ; car si nous imaginons ce corps mathématique existant en acte, il faut bien que nous l’imaginions sous une forme ; car rien n’est en acte que par sa forme. Puisque la forme de l’être quantitatif, en tant que tel, est sa figure géométrique, il est donc inévitable qu’il ait une certaine figure. Et ainsi il sera fini, car la figure d’un corps est précisément ce qui est compris dans une ou plusieurs limites.

Solutions :

1. Le géomètre n’a pas besoin de supposer qu’il existe une ligne infinie en acte, mais il a besoin de prendre une ligne, dont il puisse soustraire la quantité qui lui est nécessaire, et, c’est cela qu’il appelle une ligne infinie.

2. L’infini ne va pas contre la raison formelle de la grandeur prise en général, mais il va contre la raison formelle de n’importe quelle espèce de grandeur, c’est-à-dire de la double ou la triple coudée, le cercle, le triangle, etc. Or, il est impossible qu’une chose soit dans un genre sans appartenir à aucune de ses espèces[247]. Il n’est donc pas possible qu’il y ait une grandeur infinie, puisque nulle espèce de grandeur n’est infinie.

3. L’infini quantitatif se rapporte à la matière, on l’a dit plus haut[248]. Or par la division on se rapproche de la matière, car les parties d’un tout ont raison de matière ; par addition au contraire on va vers le tout, qui a raison de forme. C’est pourquoi on ne trouve pas l’infini en additionnant grandeur à grandeur, alors qu’on le trouve en divisant la grandeur.

4. Le mouvement et le temps ne sont jamais en acte dans leur totalité, mais seulement de façon successive. Ils ont donc toujours de la potentialité mêlée à leur acte. Mais la grandeur, elle, est toute en acte. Et c’est pourquoi l’infini quantitatif qui est lié à la matière, est incompatible avec la totalité d’une grandeur, non avec celle du temps ou du mouvement ; car être en puissance est le propre de la matière.

 

            Article 4 — Peut-il y avoir dans les choses une multitude infinie ?

Objections :

1. Il semble possible qu’il existe une multitude infinie en acte, car il n’est pas impossible que ce qui est en puissance soit amené à l’acte. Mais le nombre est multipliable à l’infini. Il n’est donc pas impossible qu’il existe une multitude infinie en acte.

2. Dans toute espèce il peut exister un individu en acte[249]. Mais il y a une infinité d’espèces de la figure géométrique. Donc il est possible qu’il existe en acte un nombre infini de formes.

3. Des choses qui ne sont pas opposées l’une à l’autre ne se font pas obstacle mutuellement ; or une multitude quelconque de choses étant posée, on peut en poser beaucoup d’autres qui ne s’opposent pas aux premières ; il n’est donc pas impossible qu’on recommence, et cela jusqu’à l’infini.

En sens contraire, il est dit au livre de la Sagesse (11, 20) : “ Tu as tout fait (Seigneur) avec poids, nombre et mesure. ”

Réponse :

Sur ce sujet, deux opinions se sont fait jour. Certains, comme Avicenne et Algazel, ont déclaré impossible qu’il y ait une multitude infinie par soi, mais non pas une multitude infinie par accident. On dit qu’une multitude est infinie par soi quand quelque chose requerrait pour exister qu’il y ait une multitude infinie. Et c’est cela qui est impossible, car alors une chose serait, qui dépendrait pour exister d’un nombre infini de préalables, de telle sorte qu’elle ne pourrait jamais être produite, car on ne peut arriver au bout de l’infini.[250]

On parle d’une multitude infinie par accident quand l’infinité des préalables n’est pas requise nécessairement pour la production de la chose, mais se trouve de fait. On peut rendre manifeste cette différence dans le travail du forgeron, qui requiert nécessairement plusieurs préalables : le savoir-faire dans sa tête, l’activité de ses mains, son marteau. S’il fallait multiplier à l’infini ces préalables, jamais l’ouvrage ne se ferait[251]. Mais la multitude des marteaux utilisés en fait, parce que l’un se brise et doit être remplacé par un autre, est une multitude par accident ; c’est par accident en effet qu’on emploie plusieurs marteaux, et cela ne changerait rien à l’action, qu’on en utilise un ou deux, ou plusieurs, voire une infinité si le travail se poursuivait pendant un temps infini. De cette manière donc, nos auteurs ont jugé possible qu’il y ait une multitude infinie en acte, si c’est par accident.

Mais cela est impossible. En effet, une multitude doit appartenir à une espèce donnée de multitude. Or les espèces de la multitude correspondent aux espèces du nombre. Mais nulle espèce de nombre n’est infinie, car le nombre se définit comme une multitude mesurée par l’unité. On doit donc dire que toute multitude infinie en acte est impossible, par soi ou par accident.[252]

De même, toute multitude existant dans la nature est une multitude créée ; or tout ce qui est créé se trouve compris dans une certaine intention créatrice ; car un agent n’agit pas pour rien. Il est donc nécessaire que l’ensemble des choses créées corresponde à un nombre déterminé[253]. Il est donc impossible qu’une multitude infinie existe en acte, même par accident.

Mais il est possible qu’il y ait une multitude infinie en puissance. Car l’augmentation de la multitude est consécutive à la division de la grandeur, de sorte que plus on divise, plus on obtient d’éléments numériques. Donc, de même que l’infini se trouve en puissance dans la division du continu, pour cette raison que par la division on se rapproche de la matière, comme on vient de le montrer[254] : pour la même raison il y a de l’infini en puissance dans l’accroissement de la multitude par addition.

Solutions :

1. Tout ce qui existe en puissance est amené à l’acte conformément à son propre mode d’être. Un jour ne passe pas de la puissance à l’acte de telle sorte qu’il se réalise tout à la fois, mais successivement. De la même manière, un infini de multitude, là où il existe en puissance, ne se réalise pas en acte de façon à exister simultanément tout entier ; il se réalise successivement, parce que, après avoir posé n’importe quelque multitude, on peut en poser une autre, et ainsi sans terme.

2. Les espèces de la figure géométrique tirent leur infinité de l’infinité numérique ; car les espèces de figures sont le triangle, le quadrilatère, et ainsi de suite. Aussi, de même que la multitude infinie des nombres ne se réalise pas en acte de façon à exister toute ensemble[255], ainsi en est-il de la multitude des figures.

3. Une certaine multitude étant posée, on peut en poser une autre qui ne lui soit pas contraire, c’est vrai ; mais poser un nombre infini s’oppose à toute espèce de multitude. Il n’est donc pas possible qu’il existe une multitude infinie en acte.


 

 

QUESTION 8 — L’EXISTENCE DE DIEU DANS LES CHOSES

A l’être infini il semble convenir d’être partout et en tout. Nous devons donc nous demander si vraiment cela convient à Dieu.

1. Dieu est-il en toutes choses ? 2. Dieu est-il partout ? 3. Dieu est-il partout par essence, par puissance et par présence ? 4. Etre partout est-il propre à Dieu ?

 

            Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ?

Objections :

1. Il semble que non. Car ce qui est au-dessus de tout n’est pas en toutes choses. Mais Dieu est au-dessus de tout, selon le Psaume (113, 4) : “ Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations. ” 2. Ce qui est dans une chose est contenu par elle. Or, Dieu n’est pas contenu par les choses, c’est lui plutôt qui les contient toutes. Donc Dieu n’est pas dans les choses, ce sont les choses qui sont en lui. D’où ce mot de S. Augustin : “ Toutes choses sont en lui, plutôt que lui en quelque lieu. ”

3. L’action d’un agent s’étend d’autant plus loin que son énergie est plus grande. Mais Dieu est le plus puissant des agents. Donc son action peut s’étendre à ce qui est loin de lui, et il n’est pas nécessaire partout.

4. Les démons sont des choses. Cependant Dieu n’est pas dans les démons, car il n’y a pas “ union entre la lumière et les ténèbres ” (2 Co 6, 14). Donc Dieu n’est pas en toutes choses.

En sens contraire, là où un être opère, là il est. Or Dieu opère dans tous les êtres, selon ce que dit Isaïe (26, 12) : “ Toutes nos œuvres, tu les accomplis pour nous. ” Donc Dieu est en toutes choses.

Réponse :

Dieu est en toutes choses, non comme une partie de leur essence ni comme un accident, mais comme l’agent qui est présent à ce en quoi il agit. Il est nécessaire, en effet, que tout agent soit conjoint à ce en quoi il agit immédiatement, et qu’il le touche par l’énergie qui émane de lui. Aussi dans la Physique d’Aristote est-il prouvé que le moteur et le mobile doivent être simultanément. Or, Dieu étant l’être par essence[256], il est nécessaire que l’être créé soit son effet propre, comme brûler est l’effet propre du feu. Et cet effet, Dieu le produit dans les choses non seulement quand les choses commencent d’être, mais aussi longtemps qu’elles sont maintenues dans l’être, comme la lumière est causée dans l’air par le soleil tant que l’air demeure lumineux. Aussi longtemps donc qu’une chose possède l’être, il est nécessaire que Dieu lui soit présent, et cela selon la manière dont elle possède l’être. Or, l’être est en chaque chose ce qu’il y a de plus intime et qui pénètre au plus profond, puisque à l’égard de tout ce qui est en elle il est actualisateur, nous l’avons montré[257]. Aussi faut-il que Dieu soit en toutes choses, à leur intime.

Solutions :

1. Dieu est au-dessus de toutes choses, par l’excellence de sa nature ; mais il est en toutes choses comme source créatrice de leur être à toutes, ainsi que nous venons de le dire.

2. Si dans le domaine des êtres corporels, dire que l’un est dans l’autre, c’est dire qu’il y est contenu, au contraire, les choses, les êtres spirituels, eux, contiennent ce dans quoi ils sont : ainsi l’âme contient le corps[258]. C’est pourquoi Dieu est dans les choses comme contenant les choses. Toutefois, par analogie avec le monde corporel, on dit que toutes choses sont en Dieu en tant que Dieu les contient.

3. Quelle que soit la puissance d’un agent, son action ne peut s’étendre à ce qui est distant de lui sans passer par des intermédiaires. L’extrême puissance de Dieu, précisément, fait qu’il agit sans intermédiaire en toutes choses[259], et ainsi rien n’est éloigné de lui comme si Dieu en était absent. On dit pourtant que les choses sont loin de Dieu en raison d’une dissimilitude de nature ou de grâce, comme lui-même est au-dessus de tout par l’excellence de sa nature.

4. Quand on parle des démons, on pense et à leur nature, œuvre de Dieu, et à la difformité du péché, qui ne vient pas de lui. C’est pourquoi l’on ne doit pas accorder sans réserve que Dieu soit dans les démons, mais seulement selon qu’ils sont des étants[260]. Au contraire, parlant des choses dont le nom désigne une nature en elle-même, en dehors de toute difformité, on doit affirmer purement et simplement que Dieu y existe.

 

            Article 2 — Dieu est-il partout ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, être partout signifie être en tout lieu. Or, comment conviendrait-il à Dieu d’être en tout lieu, s’il n’est dans aucun[261] ? “ Les choses incorporelles, dit Boèce, ne sont pas dans le lieu. ” Donc Dieu n’est pas partout.

2. Le temps est aux choses successives ce que l’espace est aux choses permanentes. Mais un même moment indivisible d’action ou de mouvement ne peut pas exister en divers temps ; donc, dans le domaine des êtres permanents, un être indivisible ne peut pas être en tous lieux. Or, l’être divin n’est pas successif mais permanent ; il ne peut donc pas être en plusieurs lieux ; il n’est donc point partout.

3. Ce qui est tout entier quelque part n’a rien de lui hors de ce lieu. Or, si Dieu est en quelque lieu, il y est tout entier, n’ayant pas de parties[262]. Donc rien de lui n’est ailleurs. Donc Dieu n’est point partout.

En sens contraire, il est dit dans Jérémie (23, 24) : “ Je remplis le ciel et la terre. ”

Réponse :

Le lieu étant une réalité d’une certaine espèce, être dans un lieu peut s’entendre de deux façons : soit communément, comme on dit d’une chose qu’elle est dans d’autres à un titre quelconque : ainsi les accidents du lieu sont eux-mêmes dans le lieu ; ou de la façon qui est propre au lieu : c’est ainsi que les choses localisées sont dans un lieu.

Quand il s’agit de Dieu, c’est en ces deux sens que, d’une certaine manière, on affirme qu’il existe en tout lieu, c’est-à-dire partout. D’abord, comme il est en toutes choses selon qu’il donne à toutes et l’être, et la puissance d’agir, et l’opération[263], c’est ainsi qu’il est en tout lieu, donnant au lieu lui-même et son être comme tel, et son aptitude à localiser. En outre, les corps sont dans un lieu en ce sens qu’ils le remplissent, et Dieu remplit tout lieu. Mais ce n’est pas à la façon d’un corps ; car un corps est dit remplir son lieu quand il en exclut tout autre ; au contraire, que Dieu soit dans un lieu, cela n’exclut pas qu’il y ait en ce lieu d’autres êtres ; bien plus, s’il remplit tout lieu c’est en donnant l’être[264] à toutes les réalités localisées qui ensemble remplissent tous les lieux.

Solutions :

1. Les réalités incorporelles ne sont pas dans un lieu par le contact de la quantité dimensive, comme les corps, mais par le contact de l’énergie qui émane d’elles.[265]

2. Il y a deux indivisibles : l’un est un terme du continu, comme le point dans les choses permanentes, et l’instant dans les choses successives. Et puisque dans les choses permanentes, le point a une position déterminée, il ne peut être ni en plusieurs parties du lieu, ni en plusieurs lieux. De même, l’indivisible d’action ou de mouvement, parce qu’il a un rang déterminé dans la succession du mouvement ou de l’action, ne peut pas être en diverses parties du temps. Mais il y a une autre sorte d’indivisible, qui échappe à tout l’ordre du continu, et c’est de cette façon que les substances incorporelles, comme Dieu, l’ange et l’âme, sont dites indivisibles. Or cet indivisible ne s’applique pas au continu comme s’il en faisait partie, mais comme y appliquant son action[266]. Par conséquent, c’est selon que son action peut s’étendre à un être ou à plusieurs, petit ou grand, qu’un tel indivisible sera dans un ou plusieurs lieux, dans un lieu petit ou grand.

3. “ Tout ” se dit par rapport à des parties. Or il y a deux sortes de parties : les parties de l’essence : ainsi la matière et la forme, qui sont dites les parties du composé ; le genre et la différence, parties de l’espèce[267] ; les parties de la quantité, en lesquelles se divise une quantité donnée[268]. Qu’un tout selon la totalité de la quantité soit dans un lieu, il ne peut pas être en même temps en dehors de ce lieu, car la quantité du localisé est exactement mesurée par la quantité du lieu qu’il occupe ; de sorte qu’il n’y a pas totalité de la quantité s’il n’y a pas totalité du lieu. Mais la totalité de l’essence n’est pas ainsi mesurée par la totalité du lieu. Il n’est donc pas nécessaire que si un tout selon la totalité de l’essence est dans un lieu, il ne soit d’aucune manière en dehors de ce lieu.[269] C’est ce qui apparaît même dans les formes accidentelles, qui sont accidentellement douées de quantité. Ainsi la blancheur est tout entière en chaque partie de sa surface, si on l’entend de la totalité de son essence, car on la trouve en chaque partie avec toute sa perfection spécifique. Mais si la totalité dont on parle est celle de l’étendue qui lui est accidentelle, alors la blancheur n’est pas tout entière en chaque partie de la surface blanche. Or, dans les êtres incorporels, il n’y a pas de totalité, aussi bien par soi que par accident[270], sinon celle de leur perfection spécifique. Et ainsi, de même que l’âme est tout entière dans chaque partie du corps[271], Dieu est tout entier dans tous les êtres et dans chacun.

 

            Article 3 — Dieu est-il partout par l’essence, la puissance et la présence ?

Objections :

1. Il semble que ce soit mal énumérer les manières dont Dieu existe dans les choses que de dire qu’il est en elles par l’essence, la puissance et la présence. En effet, être par l’essence en quelque chose, c’est être en cette chose essentiellement. Or, Dieu n’est pas ainsi dans les choses, car il n’appartient à l’essence de rien[272]. Donc on ne doit pas dire que Dieu est dans les choses par l’essence, la présence et la puissance.

2. Etre présent à quelque chose, c’est ne pas lui faire défaut ; or, quand on dit que Dieu est par son essence en toutes choses, on entend bien qu’il ne fait défaut à aucune. Donc pour Dieu exister dans les choses par essence et par présence est identique, et cette division pèche par surabondance......est dans l’homme, à savoir l’union hypostatique, dont il sera traité en son lieu.

3. Dieu est le principe des choses par sa puissance ; mais aussi par sa science et sa volonté[273]. Or, on ne dit pas que Dieu est présent aux choses par sa volonté et sa science : donc pas davantage par sa puissance.

4. Si la grâce est une perfection ajoutée à la substance des choses[274], il y en a beaucoup d’autres. Donc, si l’on dit que Dieu est présent spécialement à certains êtres par la grâce, il semble que, selon chaque perfection, on doive distinguer une manière spéciale dont Dieu est dans les choses.

En sens contraire, S. Grégoire affirme : “ Dieu est d’une manière générale en toutes choses par sa présence, sa puissance et sa substance ; pourtant, il est dit présent chez certains d’une présence intime et familière par sa grâce. ”

Réponse :

Il y a deux manières dont on dit que Dieu est dans une chose : d’abord comme cause efficiente, et de la sorte il est dans tout ce qu’il a créé ; ensuite, comme l’objet d’une opération est en celui qui opère, ce qui est propre aux opérations de l’âme, où l’objet connu est dans le sujet connaissant[275], l’objet désiré dans celui qui le désire. De cette seconde façon, Dieu est spécialement dans la créature raisonnable, lorsqu’elle le connaît et l’aime, en acte ou par habitus. Et parce que la créature raisonnable a cela par grâce, comme on le verra plus tard[276], c’est de cette façon que Dieu est dit être dans les saints par la grâce.

Mais comment il est dans les autres créatures, il faut l’examiner par comparaison avec ce qui se passe dans les choses humaines. Ainsi, on dit d’un roi qu’il est dans tout son royaume, à savoir par sa puissance, bien qu’il ne soit pas présent partout. Mais par sa présence quelqu’un est dit être dans toutes les choses placées sous son regard, comme, dans une maison, tout ce qui s’y trouve est présent à celui qui l’habite, bien qu’il ne soit pas substantiellement dans toutes les parties de la maison. Enfin, selon la substance ou l’essence, quelqu’un est dans le lieu où sa substance se trouve.

Or, certains, les manichéens, ont prétendu qu’à la puissance divine sont soumises toutes les créatures spirituelles et incorporelles, mais que les créatures visibles et corporelles sont soumises au pouvoir du principe contraire. Contre ceux-là il faut dire que Dieu est en toutes choses par sa puissance.

D’autres, admettant que tout est soumis à la puissance divine, ne consentaient pourtant pas à étendre la providence de Dieu jusqu’aux humbles réalités corporelles. Ce sont eux qui parlent ainsi au livre de Job (22, 14 Vg) : “ Il circule au pourtour des cieux et ne s’occupe pas de nos affaires. ” Contre ceux-là il était nécessaire de dire que Dieu est en toutes choses par sa présence.

Enfin d’autres encore, en accordant que tout relève de la Providence, ont prétendu que tout n’a pas été créé par Dieu immédiatement, mais seulement les premières créatures, lesquelles ont créé les autres. Contre ces derniers, il faut dire que Dieu est en tout être par son essence.

Ainsi donc, Dieu est en tout par sa puissance, parce que tout est soumis à son pouvoir[277]. Il est en tout par présence, parce que tout est à découvert et comme à nu devant ses yeux[278]. Il est en tout par essence, parce qu’il est présent à toutes choses comme cause universelle de leur être, nous l’avons dit.[279]

Solutions :

1. On dit que Dieu est présent en toutes choses par essence : il ne s’agit pas de la leur, comme s’il était une partie de leur essence, mais de la sienne, parce que sa substance est présente à tous les êtres comme la cause de leur existence, nous l’avons dit.[280]

2. Quelque chose peut être dit présent à quelqu’un en tant qu’il tombe sous son regard, alors qu’il est éloigné quant à la substance, on vient de le dire[281]. C’est pourquoi il a fallu distinguer ces deux modes : par essence et par présence.

3. Il est de la nature de la science et de la volonté que ce qui est su soit dans celui qui sait[282], et ce qui est voulu dans celui qui veut[283]. Donc, selon la science et la volonté, les choses sont en Dieu plutôt que Dieu n’est dans les choses. Au contraire, la puissance est par sa nature un principe d’action sur un autre ; aussi, en raison de sa puissance, tout agent dit un rapport et une application de son énergie à quelque chose d’extérieur[284]. Et c’est de cette manière que l’on peut dire d’un agent qu’il est en un autre par sa puissance.

4. En dehors de la grâce, nulle perfection surajoutée à la substance ne fait que Dieu soit en quelqu’un comme objet connu et aimé[285] ; par conséquent la grâce seule détermine une manière singulière dont Dieu est dans les choses. Il y a cependant une autre manière singulière dont Dieu est dans l’homme, à savoir l’union hypostatique[286], dont il sera traité dans son lieu

 

            Article 4 — Être partout est-il propre à Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non, car, d’après Aristote, l’universel est partout et toujours ; la matière première aussi est partout, puisqu’elle se retrouve dans tous les corps. Cependant ni l’un ni l’autre n’est Dieu, comme on l’a prouvé[287]. Donc être partout n’est pas le propre de Dieu.

2. Le nombre est dans les choses nombrées ; or l’univers entier a été constitué “ avec nombre ”, selon la Sagesse (11, 20). Il y a donc un certain nombre qui est dans tout l’univers, et ainsi qui est partout.

3. L’univers lui-même est dans son ensemble une sorte de corps parfait, selon Aristote. Or, l’univers dans son ensemble est évidemment partout, puisqu’il n’y a aucun lieu en dehors de lui.

4. S’il y avait un corps infini, aucun lieu n’existerait en dehors de lui. Donc il serait partout.[288]

5. L’âme, dit S. Augustin est tout entière dans tout le corps et tout entière dans chaque partie[289]. Si donc il n’y avait dans le monde qu’un seul être animé, l’âme d’un tel être serait partout.

6. Comme dit encore S. Augustin : “ Là où l’âme voit, elle sent ; là où elle sent, elle vit ; là où elle vit, elle est. ” Or, l’âme voit pour ainsi dire partout, car successivement elle peut embrasser même l’ensemble du ciel. Donc l’âme est partout.

En sens contraire, S. Ambroise écrit : “ Qui oserait dire que le Saint-Esprit est une créature, lui qui est en tout, partout et toujours, ce qui est bien le propre de la Divinité ? ”

Réponse :

Être partout premièrement et par soi est le propre de Dieu. Je dis être partout premièrement, ce qui est partout selon sa totalité. En effet, si quelque chose était partout selon ses diverses parties existant en divers lieux, il ne serait pas partout premièrement, car ce qui s’attribue à quelque chose en raison de ses parties ne lui convient pas en premier. Par exemple, si l’on dit qu’un homme est blanc quant aux dents, la blancheur ne convient pas premièrement à l’homme lui-même, mais à ses dents. Celui dont je dis ensuite qu’il est par soi partout, c’est celui à qui être partout ne convient pas par accident, c’est-à-dire dans une certaine hypothèse : ainsi, un grain de mil serait partout, à supposer qu’il n’existe aucun autre corps. Il convient donc par soi d’être partout à celui qui est nécessairement partout en toute hypothèse.

Et cela convient à Dieu et à lui seul, car si nombreux que soient les lieux que l’on suppose, même une infinité en dehors de ceux qui existent, il est nécessaire que Dieu soit en chacun, non selon une partie de lui-même, mais selon tout lui-même.[290]

Solutions :

1. L’universel et la matière première sont bien partout, mais non selon le même être.[291]

2. Le nombre étant un accident[292], n’est pas dans un lieu par soi, mais par accident. Il n’est pas davantage tout entier dans chaque être nombré, mais en partie. Ainsi on ne peut conclure qu’il est partout premièrement et par soi.

3. L’univers en son entier est partout ; mais non à titre premier, parce qu’il n’est pas tout entier en chaque lieu, mais selon chacune de ses parties. Ni par soi, puisque si l’on supposait d’autres lieux, il n’y serait pas.

4. Un corps infini en étendue serait partout, et en quelque sorte par lui-même ; mais il y serait partie par partie.

5. S’il y avait un seul être animé, son âme serait partout, premièrement, mais par accident.

6. Quand on dit que l’âme voit quelque part, cela peut s’entendre de deux façons. Ou bien l’adverbe “ quelque part ” concerne l’acte de voir considéré du côté de son objet ; en ce sens il est vrai que si l’âme voit le ciel, elle voit dans le ciel, et de la même manière elle sent dans le ciel. Mais il ne s’ensuit pas qu’elle vive dans le ciel ou qu’elle y soit ; car vivre et être n’impliquent pas un acte par lequel l’agent passe en quelque chose qui lui est extérieur[293]. Ou bien on peut comprendre que l’adverbe concerne l’acte de voir considéré comme émanant du sujet qui voit, et alors, en vérité, l’âme est et vit là où elle sent et voit, selon cette manière de parler. Il ne s’ensuit donc pas qu’elle soit partout.

 


 

Il faut étudier maintenant l’immutabilité de Dieu (Q. 9), et son éternité (Q. 10) qui en est la conséquence.

 

 

QUESTION 9 — L’IMMUTABILITÉ DE DIEU

1. Dieu est-il absolument immuable ? 2. Être immuable est-il propre à Dieu ?

 

            Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

Objections :

1. Il semble que non, car tout ce qui se meut soi-même est en quelque manière mobile. Mais, selon S. Augustin : “ L’Esprit créateur se meut lui-même ; mais non pas dans le temps ni dans le lieu. ”

2. Le livre de la Sagesse (7, 24) dit de celle-ci : “ Elle est mobile plus que tout mouvement. ” Mais Dieu est la sagesse en personne. Donc Dieu est mobile.

3. S’approcher et s’éloigner désignent un mouvement. Or il est dit dans l’Ecriture (Jc 4, 8) : “ Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous. ”

En sens contraire, il est dit dans Malachie (3, 6) : “ Je suis Dieu et je ne change pas. ”

Réponse :

De ce qui précède il ressort que Dieu est absolument immuable.

1. Nous avons montré qu’il y a un premier être, que nous appelons Dieu[294], et que ce premier être doit être acte pur, excluant tout mélange de potentialité, du fait que, absolument parlant, la puissance est postérieure à l’acte[295]. Or, tout ce qui change, d’une manière ou d’une autre, est de quelque façon en puissance. Il est donc manifestement impossible que Dieu change de quelque façon que ce soit.

2. Tout ce qui change demeure stable selon une partie de lui-même, et selon une autre se modifie ; par exemple ce qui passe du blanc au noir demeure stable selon sa substance. Ainsi dans tout ce qui change on observe quelque composition. Or on a démontré plus haut qu’en Dieu il n’y a aucune composition, mais qu’il est absolument simple[296]. Il est donc manifeste que Dieu ne peut changer.

3. Tout ce qui est mû acquiert quelque chose par son mouvement, et atteint à quelque chose à quoi auparavant il n’atteignait pas[297]. Or Dieu, étant infini[298] et comprenant en lui la plénitude totale de la perfection de tout l’être[299], ne peut rien acquérir ni s’étendre à quelque chose qu’auparavant il n’atteignait pas. Donc, le mouvement ne lui convient d’aucune façon. De là vient que certains philosophes anciens, comme forcés par la vérité, ont attribué l’immutabilité au premier Principe.

Solutions :

1. S. Augustin emploie ici le langage de Platon. Celui-ci disait du premier moteur qu’il se meut lui-même, car il appelait mouvement toute espèce d’opérations ; ainsi comprendre, vouloir, aimer sont qualifiés de mouvements. Puisque Dieu se comprend[300] et s’aime[301] lui-même, ces penseurs ont dit que Dieu se meut lui-même ; mais non pas dans le sens où nous parlons ici du mouvement et du changement, c’est-à-dire dans le sens où ils affectent un être existant en puissance.

2. Il faut dire que la sagesse est appelée “ mobile ” par métaphore[302], selon que sa ressemblance se répand jusqu’aux derniers éléments des choses. En effet, rien ne peut exister qui ne procède de la sagesse divine, en l’imitant d’une certaine manière, comme du premier principe efficient et formel[303] ; c’est ainsi que l’œuvre d’art procède de la conception de l’artiste. Cela étant, pour exprimer que la ressemblance de la sagesse divine s’étend graduellement des créatures supérieures qui en participent davantage, jusqu’aux choses inférieures qui en participent moins, on dit que cette diffusion est une sorte de mouvement progressif de la sagesse divine vers les choses, comme si nous disions que le soleil s’avance jusque vers la terre, du fait que les rayons de sa lumière y parviennent. C’est ainsi que Denys le comprend, quand il dit que “ toute dérivation par laquelle Dieu se manifeste vient à nous par l’action du Père des lumières ”.

3. S’approcher et s’éloigner se disent de Dieu dans l’Écriture par métaphore[304]. On dit ainsi que le soleil entre dans la maison ou en sort, selon que ses rayons y arrivent. De même dit-on de Dieu qu’il s’approche ou qu’il s’éloigne de nous, selon que nous recevons l’influx de sa bonté ou que nous nous y dérobons.

 

            Article 2 — Être immuable est-il propre à Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non, car Aristote dit dans la Métaphysique : “ Il y a de la matière dans tout ce qui est mobile ” ; or il y a des substances créées, comme les anges et les âmes, qui, aux yeux de certains, sont dépourvues de matière[305]. Donc l’immutabilité n’est pas propre à Dieu.

2. Tout ce qui se meut, se meut en vue d’une fin ; donc ce qui a déjà obtenu sa fin ultime n’a pas à se mouvoir et ne se meut pas. Or il y a des créatures, qui sont parvenues à leur fin ultime, tels tous les bienheureux[306]. Il y a donc des créatures immuables.

3. Tout ce qui est mobile est variable. Mais les formes d’existence sont invariables. Il est dit en effet au Livre des Six Principes que “ la forme consiste en une simple et invariable essence ”. Donc l’immutabilité n’est pas le propre de Dieu seul.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Dieu seul est immuable ; les choses qu’il a faites, venant du néant, sont mobiles. ”

Réponse :

Dieu seul est immuable au sens absolu, et toute créature est mobile en quelque manière. Il faut savoir en effet qu’un être peut être dit mobile de deux façons : soit par une potentialité qui est en lui ; soit par une puissance qui est dans un autre[307]. Car si toutes les créatures, avant d’exister, étaient possibles, ce n’était pas à l’égard d’une puissance créée, puisque rien de créé n’est éternel[308], mais à l’égard de la seule puissance divine, en ce sens que Dieu pouvait les amener à l’existence[309]. Et de même que c’est en vertu de son seul vouloir qu’il les fait être[310], de même c’est par son vouloir qu’il les conserve dans l’être : en effet, Dieu ne les conserve pas dans l’être autrement qu’en leur donnant l’être continûment[311], de sorte que s’il lui soustrayait son action, aussitôt, comme l’observe S. Augustin, toutes les créatures seraient réduites à rien. Ainsi donc, comme il était au pouvoir du créateur que les choses fussent, alors qu’elles n’étaient pas encore en elles-mêmes, ainsi est-il au pouvoir du Créateur, quand elles sont en elles-mêmes, qu’elles ne soient plus. Elles sont donc toutes mobiles en raison de la puissance qui est en un autre[312], Dieu, puisque par lui elles ont pu être produites à partir du néant à l’être, et elles peuvent être, à partir de l’être, réduites au néant.

Si l’on dit, maintenant, qu’une chose est mobile en raison d’une puissance qui est en elle, ainsi encore, d’une certaine manière, toute créature est mobile. On peut distinguer en effet dans la créature une double puissance, active et passive. Or j’appelle puissance passive celle selon laquelle une réalité est en puissance à sa perfection : soit celle qui consiste à être, soit celle que lui procure l’obtention de sa fin. Donc si l’on pense à la mutabilité selon la puissance à être, alors la mutabilité n’affecte pas toutes les créatures, mais seulement celles en lesquelles la puissance à être qui s’y trouve contenue est compatible avec leur non-être. Aussi dans les corps inférieurs y a-t-il mutabilité et quant à l’être substantiel lui-même, parce que leur matière peut être tout en étant privée de leur forme substantielle ; et en outre il y a là mutabilité quant à l’être accidentel, s’il s’agit d’un accident dont le sujet tolère la privation : ainsi ce sujet, l’homme, peut n’être pas blanc ; il peut donc passer du blanc à une couleur différente. Au contraire, s’il s’agit d’un accident résultant dans le sujet de ses principes essentiels, la privation de cet accident n’est pas compatible avec l’existence du sujet, et il s’ensuit que ce sujet ne peut pas varier quant à cet accident-là : par exemple, la neige ne peut pas devenir noire.

Dans les corps célestes, la matière n’est pas compatible avec la privation de forme ; car la forme actualise toute la potentialité de la matière ; c’est pourquoi les corps célestes ne sont pas soumis au changement quant à leur substance[313] ; mais ils peuvent changer de lieu, parce que l’intégrité du sujet est compatible avec la privation de tel ou tel lieu.

Enfin, les substances incorporelles, parce qu’elles sont formes subsistantes, et que néanmoins elles sont, à l’égard de leur être, dans la relation de la puissance à l’acte[314], sont incompatibles avec une privation de cet acte ; car l’être est consécutif à la forme, et rien n’est dissous, sinon en perdant sa forme. Aussi, dans la forme même, il n’y a pas de puissance au non-être, et c’est pourquoi ces substances-là sont immuables et invariables quant à leur être, ainsi que Denys l’affirme : “ Les substances intellectuelles créées sont pures de toute génération et de toute altération, parce qu’elles sont spirituelles et immatérielles. ” Cependant, il demeure en elles une double mobilité. D’abord, elles sont en puissance à leur fin et il y a ainsi en elles selon le libre choix possibilité de passer du bien au mal[315], comme dit S. Jean Damascène. Ensuite, elles varient à l’égard du lieu, selon que, douées d’un pouvoir fini, elles peuvent appliquer ce pouvoir en tels lieux auxquels auparavant elles n’atteignaient pas[316] ; cela ne peut être attribué à Dieu dont la puissance emplit tout lieu, comme nous l’avons montré.

Ainsi donc, en toute créature on trouve une puissance de changement : que ce soit quant à l’être substantiel, comme dans les corps corruptibles ; que ce soit seulement quant au lieu, comme dans les corps célestes ; que ce soit par rapport à la fin ou par application de leur énergie à divers objets, comme chez les anges. De plus, cette fois universellement, les créatures sont toutes mobiles par rapport à la puissance du créateur, car il est en son pouvoir qu’elles soient, ou qu’elles ne soient pas. D’où il suit que Dieu, n’étant, lui, mobile d’aucune de ces manières, il lui est absolument propre d’être immuable.

Solutions :

1. Cette objection concerne les êtres qui changent quant à leur être substantiel ou accidentel, comme c’est le cas du mouvement dont s’occupent les philosophes.

2. Les anges, outre l’immutabilité quant à l’être, qui est un effet de leur nature, jouissent de l’immutabilité du choix libre, grâce à la puissance divine[317]. Ils n’en demeurent pas moins changeants à l’égard du lieu[318].

3. Les formes sont dites invariables en ce sens qu’elles ne peuvent être elles-mêmes sujettes à variation ; mais elles sont soumises au changement en ce que le sujet change précisément par leur succession. Il est donc évident qu’elles changent conformément à ce qu’elles sont ; car elles ne sont pas des étants en ce sens qu’elles seraient elles-mêmes sujets de l’être, mais en ce sens que quelque chose est par elles.[319]

 


 

 

QUESTION 10 — L’ÉTERNITÉ DE DIEU

Six questions : 1. Qu’est-ce que l’éternité ? 2. Dieu est-il éternel ? 3. Est-il propre à Dieu d’être éternel ? 4. L’éternité diffère-t-elle du temps ? 5. La différence entre l’aevum et le temps. 6. Y a-t-il un seul aevum, comme il y a un seul temps et une seule éternité ?

 

            Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse admettre la définition de Boèce : “ L’éternité est la possession toute à la fois et parfaite d’une vie sans terme. ” En effet, “ sans terme ” est une expression négative. Mais la négation n’entre dans la définition que de réalités déficientes, ce qui ne convient pas à l’éternité. On ne doit donc pas introduire “ sans terme ” dans la définition de l’éternité.

2. L’éternité signifie une certaine durée. Mais la durée regarde l’être plutôt que la vie. Donc on ne devait pas parler de “ vie ”, mais d’“ être ” dans la définition de l’éternité.

3. On appelle “ tout ” ce qui a des parties. Or, cela ne convient pas à l’éternité, puisqu’elle est simple. Il ne convient donc pas de la dire “ toute ”.

4. Plusieurs jours ou plusieurs siècles ne peuvent être simultanés. Pourtant on parle de plusieurs jours et de plusieurs siècles dans l’éternité. Ainsi Michée (5, 1) : “ Ses origines remontent aux jours d’éternité ”, et la lettre aux Romains (16, 25) : “ ... Révélation d’un mystère enveloppé de silence aux siècles éternels. ” Donc l’éternité n’est pas “ toute à la fois ”.

5. Le “ tout ” et le “ parfait ” sont synonymes. Ajouter “ parfaite ” à “ toute ” était donc superflu.

6. La “ possession ” ne concerne pas la durée. Or, l’éternité est une durée. Elle n’est donc pas une possession.

Réponse :

Nous ne pouvons nous élever à la connaissance des choses simples que par le moyen des choses composées[320] ; ainsi nous ne pouvons nous faire une idée de l’éternité qu’à partir du temps. Or, le temps n’est autre chose que “le nombre du mouvement selon l’ordre de l’avant et de l’après”. En effet, étant donné que dans tout mouvement il y a une succession, une partie après l’autre, quand nous nombrons l’avant et l’après dans le mouvement, nous percevons le temps, qui n’est rien d’autre que la numération de l’avant et de l’après du mouvement. Mais, en ce qui est sans mouvement, et qui est toujours de la même manière, on ne peut pas distinguer un avant et un après. Donc, comme la raison de temps consiste dans la numération de l’avant et de l’après dans le mouvement, ainsi appréhender l’uniformité en ce qui est complètement étranger au mouvement, c’est saisir la raison d’éternité.

En outre, on dit mesurées par le temps les choses qui ont un commencement et une fin dans le temps, ainsi qu’il est dit dans la Physique d’Aristote. Et la raison en est qu’à tout ce qui se meut on peut assigner un certain commencement et un certain terme. Mais ce qui est absolument immuable n’a pas de succession et ne peut avoir davantage de commencement ni de fin.

Ainsi donc, l’éternité se fait reconnaître à ces deux caractères : Tout d’abord, ce qui est dans l’éternité est sans terme, c’est-à-dire sans commencement et sans fin, “ terme ” se rapportant à l’un et à l’autre. En second lieu, l’éternité elle-même ne comporte pas de succession, existant toute à la fois.

Solutions :

1. Nous avons coutume de définir négativement les choses simples, comme on dit du point: c’est ce qui n’a pas de parties. Ce n’est pas que la négation appartienne à l’essence de ces choses ; c’est parce que notre esprit, qui appréhende d’abord le composé[321], ne vient à la connaissance des choses simples qu’en écartant d’eux la composition.[322]

2. Ce qui est vraiment éternel n’est pas seulement étant, il est aussi vivant ; et, le “ vivre ” s’étend d’une certaine manière à l’opération[323], ce qui n’est pas vrai de l’être. Or, le progrès de la durée semble concerner l’opération plus que l’être ; et c’est pourquoi le temps se définit : le nombre du mouvement.

3. L’éternité est dite “toute à la fois ”, non parce qu’elle a des parties, mais parce que rien ne lui manque.

4. De même que Dieu, alors qu’il est incorporel, reçoit métaphoriquement[324] dans l’Écriture des noms de réalités corporelles, ainsi l’éternité existant “ toute à la fois ” reçoit des noms qui désignent la succession temporelle.

5. Dans le temps, il y a deux choses à considérer : le temps lui-même, qui est successif ; et l’instant, essentiellement imparfait. C’est pourquoi la définition de l’éternité dit qu’elle est “ toute à la fois ” pour exclure le temps, et “ parfaite ” pour exclure l’instant.

6. Ce qui est possédé, on le tient fermement et tranquillement. C’est donc pour signifier l’immutabilité et l’indéfectibilité de l’éternité qu’on a choisi le terme “ possession ”.

 

            Article 2 — Dieu est-il éternel ?

Objections :

1. Il semble que non, car rien qui soit fait ne peut être dit de Dieu[325]. Or, l’éternité est quelque chose de fait, si l’on en croit ces paroles de Boèce : “ L’instant qui court fait le temps ; l’instant qui demeure fait l’éternité. ” De son côté S. Augustin dit : “ Dieu est l’auteur de l’éternité. ”

2. Ce qui est avant l’éternité et ce qui est après elle n’est pas à la mesure de l’éternité. Or, selon le Livre des Causes, “ Dieu est avant l’éternité ” ; et selon l’Exode (15, 18 Vg), il est aussi après l’éternité, puisqu’il est dit : “ Le Seigneur régnera éternellement et au-delà. ”

3. L’éternité est une certaine mesure, une mesure de durée. Mais il ne convient pas à Dieu d’être mesuré[326]. Il ne lui convient donc pas d’être éternel.

4. Dans l’éternité il n’y a ni présent, ni passé, ni futur, puisqu’elle est “ toute à la fois ” comme on l’a dit. Mais l’Écriture emploie, pour parler de Dieu, des verbes au présent, au passé et au futur. Donc Dieu n’est pas éternel.

En sens contraire, on dit dans le Symbole de S. Athanase : “ Éternel est le Père, éternel est le Fils, éternel est le Saint-Esprit. ”

Réponse :

Selon sa raison formelle, l’éternité est consécutive à l’immutabilité, comme le temps est consécutif au mouvement, ainsi que nous venons de le voir[327]. Aussi, puisque Dieu est absolument immuable[328], il lui appartient absolument aussi d’être éternel. Et non seulement il est éternel, mais il est son éternité, alors que nulle autre chose n’est sa propre durée, n’étant pas son être[329]. Dieu, au contraire, est son être parfaitement simple, et c’est pourquoi, de même qu’il est sa propre essence[330], il est aussi son éternité.

Solutions :

1. Quand on dit que le présent immobile fait l’éternité, c’est selon notre façon de concevoir. De même que la perception du temps en concevant que le présent s’écoule, est causée en nous par la perception de l’écoulement de l’instant, ainsi l’idée de l’éternité est causée en nous lorsque nous concevons un instant immobile. Quant à ce que dit S. Augustin, que “ Dieu est l’auteur de l’éternité ”, il faut l’entendre d’une éternité participée ; car Dieu communique son éternité à certains êtres, comme il leur communique son immutabilité.[331]

2. Cela résout la deuxième objection. Car s’il est dit que Dieu est avant l’éternité, cela s’entend de l’éternité telle qu’elle est communiquée aux substances immatérielles[332]. Aussi est-il écrit au même livre que “ l’intelligence est égalée à l’éternité ”. Quant au texte de l’Exode : “ Dieu régnera pour l’éternité et au-delà ”, il faut savoir que “ éternité ” est pris ici pour “un siècle ”, comme le porte une autre version. Ainsi donc Dieu règne au-delà de l’éternité, parce qu’il dure au-delà de tout siècle, c’est-à-dire au-delà de toute durée déterminée, car les siècles ne sont qu’une période, selon Aristote.

Ou bien, on dit que Dieu règne au-delà de l’éternité parce que, même si quelque chose existait toujours (par exemple le mouvement du ciel pour certains philosophes), Dieu régnerait encore au-delà, en tant que son règne est tout entier simultané[333].

3. L’éternité n’est pas autre chose que Dieu lui-même. Quand on dit qu’il est éternel, on n’entend donc pas qu’il soit mesuré de quelque manière ; mais la notion de mesure est introduite ici à cause de notre façon de concevoir.[334]

4. On applique à Dieu des verbes de divers temps selon que son éternité inclut tous les temps, mais non parce qu’il changerait selon le présent, le passé et le futur.

 

            Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ?

Objections :

1. Il semble que l’éternité ne soit pas réservée à Dieu seul, car on lit dans Daniel (12, 3 Vg) : “ Ceux qui enseignent la justice à la multitude resplendiront comme les étoiles dans des éternités perpétuelles. ” Il n’y aurait pas plusieurs éternités si Dieu seul était éternel.

2. Il est dit dans S. Matthieu (25, 41) : “ Allez, maudits, au feu éternel. ” Donc Dieu n’est pas le seul éternel.

3. Tout ce qui est nécessaire est éternel[335] ; or il y a beaucoup de choses nécessaires : par exemple les principes de la démonstration et toutes les propositions démonstratives.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Il n’y a que Dieu qui n’ait pas de commencement ” ; or ce qui a un commencement n’est pas éternel.

Réponse :

Il faut dire que l’éternité, entendue en son sens propre et véritable, se trouve en Dieu seul. Car l’éternité est une conséquence de l’immutabilité, comme il est évident d’après ce qui précède[336]. Or, Dieu seul est absolument immuable, ainsi qu’on l’a montré.[337] Toutefois, dans la mesure où ils reçoivent de lui l’immutabilité[338], certains êtres participent à ce titre de son éternité.

Certains tiennent donc de Dieu l’immutabilité en ce qu’ils ne cessent jamais d’être, et c’est en ce sens qu’il est dit de la terre dans l’Ecclésiaste (1, 4 Vg) : “ Éternellement elle demeure. ” Également certaines choses, dans l’Écriture, sont dites éternelles en raison de leur durée, bien qu’elles soient corruptibles : c’est ainsi que dans le Psaume (75, 5 Vg) il est question “ de montagnes éternelles ”. Et dans le Deutéronome (33,15 Vg), on parle même des “ fruits des collines éternelles ”. D’autres êtres participent plus largement à l’éternité de Dieu, étant exempts de toute mutabilité selon l’être[339] et, en outre, selon l’opération, comme les anges et les bienheureux qui jouissent du Verbe[340]. Car, à l’égard de cette vision du Verbe, il n’y a pas chez les saints de pensées successives[341], ainsi que l’explique S. Augustin. Aussi, ceux qui voient Dieu sont-ils dits, dans l’Évangile, posséder la vie éternelle, d’après ces paroles en S. Jean (17, 3) : “ La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul Dieu véritable. ”

Solutions :

1. Quand on parle de plusieurs éternités, c’est par allusion à tous ceux qui participent de l’éternité par la contemplation de Dieu.[342]

2. Le feu de l’enfer est dit éternel uniquement parce qu’il n’a pas de fin. Il y a cependant, chez les damnés, des changements consécutifs à leurs peines elles-mêmes, selon ces paroles de Job (24, 19 Vg) : “ Ils passeront de l’eau des neiges à une chaleur intolérable. ” D’où l’on voit que dans l’enfer il n’y a pas de vraie éternité, mais plutôt une durée temporelle ; et c’est ce qu’exprime le Psaume (81, 16 Vg) en ces termes : “ Leur temps s’étendra dans les siècles. ”

3. Le nécessaire n’est qu’un mode de la vérité ; or, le vrai, selon le Philosophe, est “ dans l’intelligence ”[343]. Donc, le vrai et le nécessaire, s’ils sont éternels, le sont comme existant dans une intelligence éternelle, qui est uniquement l’intelligence divine[344]. Il ne s’ensuit donc pas qu’il y ait, en dehors de Dieu, quelque chose d’éternel.

 

            Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ?

Objections :

1. Il semble que l’éternité ne soit pas autre chose que le temps. Car il est impossible à deux mesures de durée de cœxister, à moins que l’une soit une partie de l’autre ; ainsi deux jours, deux heures, n’existent pas simultanément ; mais le jour et l’heure sont simultanés parce que l’heure est une partie du jour. Or, l’éternité et le temps sont simultanés, et l’un et l’autre comportent, chacun à sa manière, ce caractère d’être une mesure de durée. Comme ce n’est pas l’éternité qui fait partie du temps, car elle le déborde et l’inclut, il semble donc que le temps soit une partie de l’éternité, et non autre chose qu’elle.

2. Le Philosophe assure que l’instant temporel demeure le même dans tout le cours du temps. Mais la raison même d’éternité semble consister en cela qu’elle soit une même chose demeurant sans être divisée à travers tout le cours du temps. Donc l’éternité est l’instant temporel qui demeure[345]. Mais l’instant du temps n’est pas autre chose substantiellement que le temps. Donc l’éternité n’est pas autre chose, substantiellement, que le temps.

3. De même que la mesure temporelle du mouvement premier mesure tous les mouvements de la nature, selon la Physique d’Aristote : ainsi semble-t-il que la mesure de durée du premier être[346] soit la mesure de tous les êtres. Or l’éternité est la mesure du premier être, qui est l’être divin. Donc l’éternité est la mesure de tout être. Cependant, l’être des choses corruptibles est mesuré par le temps. Donc le temps est l’éternité même, ou quelque chose de l’éternité.

En sens contraire, l’éternité est “ toute à la fois ”[347], alors que dans le temps il y a un avant et un après. Donc le temps et l’éternité ne sont pas identiques.

Réponse :

Il est manifeste que le temps et l’éternité ne sont pas une même chose. Mais certains ont assigné pour cause à cette différence que l’éternité n’a ni commencement ni fin[348], alors que le temps a un commencement et une fin. Or cette différence est accidentelle et non essentielle. Car, à supposer que le temps ait toujours été et qu’il doive être toujours, selon le sentiment de ceux qui prêtent au ciel un mouvement sempiternel, il n’en resterait pas moins cette différence entre le temps et l’éternité, comme dit Boèce, que l’éternité est toute à la fois, ce qui ne convient pas au temps, parce que l’éternité est la mesure de l’être permanent, et le temps la mesure du mouvement.

Toutefois, si la différence relevée par ces philosophes est référée non plus aux mesures de durée entre elles, mais à ce qu’elles mesurent, elle fournit un autre argument. En effet, cela seulement est mesuré par le temps qui a son commencement et sa fin dans le temps, comme il est dit dans la Physique d’Aristote. Si le mouvement du ciel durait toujours, le temps ne le mesurerait pas selon sa durée totale, puisque l’infini n’a pas de mesure, mais il en mesurerait chacun des cycles, lesquels ont tous un commencement et une fin dans le temps.

Cependant, des mesures elles-mêmes on peut encore tirer un autre argument, si l’on considère le commencement et la fin comme potentiels. En effet, à supposer que le temps dure toujours, on n’en pourrait pas moins, en en découpant des parties, marquer dans le temps un commencement et une fin, comme lorsque nous disons : le commencement et la fin du jour, ou de l’année. Or, cela ne peut se faire pour l’éternité.

Mais ces différences sont des conséquences de la différence essentielle et fondamentale, à savoir que l’éternité est “toute à la fois”, et non pas le temps.

Solutions :

1. Cet argument serait recevable si le temps et l’éternité étaient des mesures homogènes, ce qui manifestement n’est pas, si l’on considère ce que mesurent le temps et l’éternité.[349]

2. L’instant du temps demeure le même réellement dans tout le cours du temps, mais il change notionnellement. Car, l’instant du temps est au mobile ce que le temps est au mouvement. Or le mobile demeure réellement le même dans tout le cours du temps, mais il change notionnellement, étant ici, puis là, et c’est cette succession qui est le mouvement. De la même manière, le flux de l’instant, selon qu’il change notionnellement, c’est le temps. Or, l’éternité demeure la même et réellement, et notionnellement. Aussi l’éternité n’est-elle pas l’instant du temps.

3. De même que l’éternité est la mesure propre de l’être même[350], ainsi le temps est-il la mesure propre du mouvement. Donc, selon qu’un être s’écarte de l’immobilité propre à l’être et se trouve soumis au changement[351], il s’écarte de l’éternité et il est soumis au temps. Donc l’être des choses corruptibles, étant changeant, n’est pas mesuré par l’éternité, mais par le temps. En effet, le temps mesure non seulement ce qui change actuellement, mais ce qui est soumis au changement. Aussi ne mesure-t-il pas seulement le mouvement, mais aussi le repos, qui affecte ce qui, fait pour se mouvoir, ne se meut pas actuellement.

 

            Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps

Objections :

1. Il semble que l’aevum ne soit pas différent du temps ; car d’après S. Augustin : “ Dieu meut la créature spirituelle dans le temps ”. Or, on appelle aevum la mesure des substances spirituelles. Donc le temps ne diffère pas de l’aevum.

2. Ce qui définit le temps, c’est qu’il ait un avant et un après ; ce qui définit l’éternité, c’est qu’elle soit toute à la fois, comme on l’a vu[352]. Mais l’aevum n’est pas l’éternité, puisque l’Ecclésiastique (1,1) dit que la Sagesse éternelle est “ avant l’aevum ”. Donc l’aevum n’est pas simultané, mais il a un avant et un après, comme le temps, avec lequel il ne fait donc qu’une seule chose.

3. Si dans l’aevum il n’y a pas d’avant et d’après, il s’ensuit que, pour les créatures mesurées par l’aevum, il n’y a pas de différence entre être, avoir été, devoir être. Comme il est impossible que ces créatures n’aient pas été, il serait impossible également qu’elles ne soient pas dans le futur, ce qui est faux, puisque Dieu peut les réduire à néant.[353]

4. Puisque les étants mesurés par l’aevum ont une durée infinie devant eux, à partir de leur venue à l’être, si l’aevum est tout à la fois, il s’ensuit que quelque chose de créé est infini en acte, ce qui est impossible[354]. L’aevum ne diffère donc pas du temps.

En sens contraire, Boèce dit : “ C’est toi (Seigneur) qui fais partir le temps de l’aevum. ”

Réponse :

L’aevum diffère du temps et de l’éternité, comme tenant le milieu entre eux. Et quelques-uns leur assignent cette différence : l’éternité n’a ni commencement ni fin ; l’aevum a un commencement et n’a pas de fin ; le temps a un commencement et une fin. Mais, on l’a déjà dit[355], cette différence est accidentelle ; car, alors même que les étants mesurés par l’aevum auraient toujours été et devraient être toujours, comme quelques-uns le supposent, et quand même ils périraient un jour, ce qui est au pouvoir de Dieu[356], même en ce cas, l’aevum se distinguerait de l’éternité et du temps.

D’autres assignent la différence suivante : l’éternité n’a ni avant ni après ; le temps a un avant et un après, comportant commencement et vieillissement ; l’aevum a un avant et un après, mais sans commencement ni vieillissement. Mais cette position est contradictoire. La contradiction est manifeste si commencement et vieillissement sont référés à la durée elle-même ; car l’avant et l’après ne pouvant être simultanés, si l’aevum a un avant et un après, il est inévitable que l’un se retirant, l’autre arrive comme quelque chose de nouveau, et ainsi il y aura commencement dans l’aevum aussi bien que dans le temps. Si ces termes se réfèrent non aux mesures, mais aux choses mesurées, la conclusion est encore inadmissible. Car si la chose temporelle est vieillie par le temps, c’est parce qu’elle a un être soumis au changement, et c’est la mutabilité du mesuré qui introduit dans la mesure l’avant et l’après, comme on le voit dans la Physique d’Aristote[357]. Si le sujet de l’aevum n’est susceptible ni de vieillir ni de commencer, ce sera donc parce que son être est immuable. Donc sa mesure de durée n’aura ni avant ni après.

Voici donc ce qu’il faut dire. L’éternité étant la mesure de l’être permanent, ce par quoi une chose s’écarte de la permanence dans l’être, est ce par quoi elle s’éloigne de l’éternité. Or, il est des créatures qui s’écartent de la permanence d’être en ce que leur être est sujet à changement ou même consiste en un changement, et ces créatures-là sont mesurées par le temps[358] ; c’est le cas de tout mouvement, et c’est le cas de l’être même des choses corruptibles. D’autres créatures s’éloignent moins de la permanence de l’être, car leur être ne consiste pas en un changement et n’est pas sujet à changement[359] ; toutefois, à leur être immuable est conjoint un changement soit actuel, soit potentiel. C’est ce qu’on voit dans les corps célestes, dont l’être substantiel est immuable, mais qui concilient cette immutabilité avec le changement local. De même, les anges ont un être immuable et à la fois sont mobiles selon l’élection[360], du moins du fait de leur nature, et aussi variables dans leurs pensées[361], leurs affections et les rapports qu’ils entretiennent, à leur manière, avec différents lieux[362]. C’est pourquoi ces étants sont mesurés par l’aevum, intermédiaire entre l’éternité et le temps[363]. Quant à l’être dont l’éternité est la mesure, il n’est ni variable en lui-même, ni associé à aucune espèce de variation. Ainsi donc, le temps comporte l’avant et l’après ; l’aevum n’a pas d’avant et d’après, mais l’avant et l’après peuvent l’accompagner ; enfin l’éternité n’a pas l’avant et l’après et ne les admet en aucune manière.

Solutions :

1. Les créatures spirituelles, si on envisage leurs affections et leurs pensées qui sont soumises à la succession, ont pour mesure le temps[364]. Aussi, en ce même endroit, S. Augustin explique-t-il que “ être mû dans le temps ” c’est être mû par ses affections. Quant à l’être naturel des créatures spirituelles, il est mesuré par l’aevum. S’il s’agit de leur vision glorieuse, elles participent à l’éternité[365].

2. L’aevum est tout à la fois, mais il ne se confond pas pour cela avec l’éternité, parce qu’il est compatible avec l’avant et l’après.

3. Dans l’être même de l’ange, considéré en lui-même, il n’y a pas de différence entre l’avant et l’après, mais uniquement quant aux changements qui s’y adjoignent. Seulement, quand nous disons : l’ange est, a été, ou sera, une différence existe dans notre esprit, qui ne peut saisir l’être angélique que par comparaison avec les divers éléments du temps. Dès lors ce même esprit, quand il dit : l’ange est, ou l’ange a été, entend quelque chose d’incompatible avec l’affirmation contraire, même au regard de la toute-puissance divine. Mais quand il dit : l’ange sera, il n’entend pas encore un fait réel. Aussi, puisque l’être ou le non-être de l’ange dépend de la puissance divine, Dieu peut faire, absolument parlant, que l’être de l’ange ne soit pas à l’avenir ; mais il ne peut pas faire que cet être ne soit pas quand il est, ni qu’il n’ait pas été après qu’il fut.

4. L’aevum est infini en ce sens qu’il n’est pas épuisé par le temps. Or, qu’un être créé soit infini parce qu’il n’est pas limité par un autre être[366], cela n’est pas contradictoire.

 

            Article 6 — Y a-t-il un seul aevum, comme il y a un seul temps et une seule éternité ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas qu’un seul aevum. On lit en effet dans le 3° livre apocryphe d’Esdras (4,40) : “ La majesté et la puissance des aevum est chez toi, Seigneur. ”

2. Pour des genres divers, il y a diverses mesures. Mais certains êtres soumis à l’aevum appartiennent au genre des corps : les corps célestes[367] ; d’autres sont des substances spirituelles : les anges. Il n’y a donc pas qu’un seul aevum.

3. “ Aevum ” est un nom de durée : donc tout ce qui a un seul aevum a aussi une seule durée. Or, cela ne peut pas se dire de tous les êtres soumis à l’aevum ; car il en est parmi eux qui viennent à l’être après d’autres comme c’est évident surtout en ce qui concerne les âmes humaines[368].

4. Des êtres indépendants les uns des autres ne semblent pas avoir une même mesure de durée. En effet, si toutes les choses temporelles nous paraissent sujettes d’un même temps, c’est parce qu’il y a un premier mouvement qui est d’une certaine manière cause de tous les autres, et auquel s’applique d’abord la mesure du temps[369]. Mais les êtres soumis à l’aevum ne dépendent pas les uns des autres ; par exemple un ange n’est pas la cause d’un autre ange[370]. Ils n’ont donc pas un aevum commun.

En sens contraire, l’aevum est plus simple que le temps, il est plus proche de l’éternité[371] ; or, le temps est un. Donc, à plus forte raison, l’aevum.

Réponse :

Il y a deux opinions à ce sujet. Pour certains, l’aevum est un ; pour d’autres, il est multiple. Pour découvrir où se trouve le plus de vérité, il faut considérer la cause de l’unité du temps ; car nous parvenons à connaître les réalités spirituelles par le moyen des corporelles[372].

Certains disent qu’il y a un seul temps pour toutes les choses temporelles, pour cette raison qu’il y a un seul nombre pour toutes les choses nombrées, puisque, d’après Aristote, le temps est le nombre du mouvement. Mais cela ne suffit pas ; car si le temps est un nombre, ce n’est pas comme abstrait, hors de ce qui est nombré, mais comme immanent dans ce qu’il nombre[373] ; sans cela le temps ne serait pas continu : dix aunes de drap ne tirent pas leur continuité du nombre dix, mais du drap ainsi nombré. Or, le nombre concret, immanent aux choses, n’est pas le même pour tous, il se diversifie avec les choses.

C’est pourquoi d’autres assignent, comme cause de l’unité du temps, l’unité de l’éternité, principe de toute durée. Aussi, toutes les durées sont une durée unique si l’on considère leur principe ; et elles sont multiples si l’on considère la diversité des choses qui tiennent leur durée de l’influx du premier principe[374]. Enfin, d’autres assignent, comme cause de l’unité du temps, la matière première, premier sujet du mouvement dont le temps est la mesure[375]. Mais, semble-t-il, aucune de ces deux réponses n’est satisfaisante. Car les choses qui sont unes par leur principe ou par leur sujet, surtout quand il s’agit d’un principe et d’un sujet lointains, ne sont pas une seule chose purement et simplement, mais seulement à certains égards.

La vraie raison de l’unité du temps, c’est l’unité du mouvement premier[376], mouvement qui, étant le plus simple de tous, mesure tous les autres, comme il est dit dans la Métaphysique d’Aristote. Ainsi donc, le temps, comparé à ce mouvement premier, n’est pas à son égard dans l’unique relation de mesure à chose mesurée, mais aussi d’accident à sujet[377], et c’est ainsi qu’il en reçoit l’unité. Au contraire, avec les autres mouvements, le temps n’entretient que la relation de mesure à chose mesurée. Aussi ne se multiplie-t-il pas avec ces mouvements, car une mesure unique, dès lors qu’elle est séparée, suffit à un nombre indéfini d’objets.

Ceci posé, il faut savoir encore qu’au sujet des substances spirituelles, on a formulé deux opinions. D’aucuns ont pensé avec Origène que toutes ces substances procédaient de Dieu dans une quasi-égalité, ou tout au moins que c’était le cas de beaucoup d’entre elles, comme quelques-uns l’ont affirmé. D’autres ont dit qu’elles procédaient de Dieu par degrés et dans un certain ordre. Telle semble être l’opinion de Denys, puisqu’il dit qu’entre les substances spirituelles, il en est de premières, d’intermédiaires et d’ultimes[378], fût-ce dans une même hiérarchie angélique[379]. Selon la première de ces opinions, on devrait forcément supposer plusieurs aevum puisque plusieurs êtres soumis à l’aevum seraient premiers et égaux. D’après la seconde, il faut dire que l’aevum est unique : car tout être ayant pour mesure ce qu’il y a de plus simple et de premier dans son ordre, ainsi que le dit Aristote, l’être de toutes les substances soumises à l’aevum doit avoir pour mesure l’être de la première d’entre elles[380], qui est d’autant plus simple qu’elle précède les autres. Cette seconde opinion étant la mieux fondée, comme on le montrera plus loin[381], nous admettons quant à présent qu’il n’y a qu’un seul aevum.

Solutions :

1. On ne saurait opposer à cette solution le langage de l’Écriture ; car le mot aevum y est pris souvent comme synonyme de siècle, mot qui désigne une phase de la durée d’une chose. Dès lors, il y a pluralité d’aevum comme il y a pluralité de siècles.

2. Bien que les corps célestes et les créatures spirituelles diffèrent génériquement en nature, ils ont ceci de commun qu’ils ont un être immuable[382], et c’est pour cela qu’ils sont mesurés par l’aevum.

3. Les choses temporelles ne naissent pas toutes en même temps, et cependant leur temps est unique, à cause du mouvement premier dont le temps est la mesure[383]. De même toutes les choses soumises à l’aevum bien qu’elles ne viennent pas à l’être toutes à la fois, sont mesurées par un seul aevum, en raison de la première d’entre elles.

4. Pour que plusieurs objets soient mesurés par l’un d’entre eux, il n’est pas nécessaire que celui-là soit cause de tous les autres, il suffit qu’il soit le plus simple.


 

 

QUESTION 11 — L’UNITÉ DE DIEU

1. Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? 2. Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? 3. Dieu est-il un ? 4. Dieu est-il le plus un de tous les étants ?

 

            Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

Objections :

1. Il semble que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ”, car tout ce qui se range dans un genre déterminé fait addition à “ étant ”, dont la notion est commune à tous les genres[384]. Or, l’un appartient à un genre déterminé, puisqu’il est principe du nombre, qui lui-même est une espèce de la quantité[385].

2. Ce qui divise une perfection commune ne peut le faire qu’en y ajoutant. Or, étant est divisé par l’un et le multiple. Donc l’un ajoute quelque chose à l’être.

3. Si l’“ un ” n’ajoutait rien à “ étant ”, on dirait la même chose en disant d’un sujet qu’il est ou qu’il est un. Mais dire d’un étant qu’il est, c’est une tautologie. Dire qu’il est un serait donc une tautologie, ce qui est faux. Il faut donc que “ un ” ajoute à “ étant ”.

En sens contraire, Denys écrit : “Il n’est rien, parmi les choses qui existent, qui ne participe à l’un.” Cela ne serait pas, si “un” ajoutait à “étant” car cela en restreindrait la notion. Donc on n’obtient pas le “un” en ajoutant à “étant”.

Réponse :

Ce n’est pas quelque chose que “un” ajoute à “étant”, c’est seulement la négation de la division : en effet, “un” ne signifie rien d’autre que l’étant indivis. Il en ressort que étant et un sont convertibles[386]. En effet, tout être est simple, ou composé. Ce qui est simple est indivis à la fois en acte et en puissance. Tandis que ce qui est composé n’a pas l’être tant que ses parties sont divisées, mais seulement lorsqu’elles constituent et forment le composé lui-même. Il est donc manifeste que l’être de n’importe quelle chose repose sur l’indivision de cette chose[387]. Et de là vient que toute chose, comme elle conserve son être, conserve aussi son unité.

Solutions :

1. Certains, pensant que l’un qui est convertible avec l’étant est identique à l’un principe du nombre, se sont divisés à partir de là en positions contraires. Pythagore et Platon se rendant compte que l’un convertible avec l’étant n’ajoute à l’étant rien de positif, mais signifie la substance même de l’étant en tant qu’elle est indivise ont estimé qu’il en va de même pour l’un qui est le principe du nombre. Et parce que le nombre est composé d’unités, ils ont cru que les nombres étaient les substances mêmes de toutes choses. A l’opposé, Avicenne, considérant que l’un principe du nombre ajoute quelque chose de positif à la substance de l’étant[388] (sans quoi le nombre, composé d’unités, ne serait pas une espèce de la quantité[389]), crut que l’un convertible avec l’étant ajoute quelque chose de positif à la substance de l’étant, comme être blanc ajoute à homme. Mais cela est évidemment faux. Car chaque chose est une en raison de sa propre substance. En effet, si elle était une par quelque autre chose, comme cette chose aurait son unité elle aussi, il faudrait en expliquer l’unité par une chose nouvelle, et l’on irait ainsi à l’infini. On doit donc s’arrêter au début, et dire que l’un convertible avec l’étant n’ajoute à l’étant rien de positif, mais que l’un principe du nombre ajoute à l’étant un accident appartenant au genre quantité.

2. Rien n’empêche que ce qui est divisé sous un certain rapport soit indivis sous un autre ; ainsi ce qui est divisé quant au nombre peut être indivis quant à l’espèce, et il arrive ainsi que quelque chose soit un d’une certaine façon, et d’une autre façon, multiple. Toutefois, si cet être est indivis purement et simplement, soit parce qu’il est indivis selon ce qui touche à l’essence, bien que divisé quant à ce qui ne lui est pas essentiel, comme un même sujet affecté de divers accidents ; ou bien parce qu’il est indivis en acte et divisé seulement en puissance, comme ce qui forme un tout mais qui a plusieurs parties[390] : alors, l’étant dont on parle sera un purement et simplement, et multiple à un certain point de vue. Si au contraire un être est indivis à certains égards et divisé purement et simplement à savoir parce qu’il est divisé selon l’essence et n’est indivis que notionnellement, ou bien selon le principe ou la cause, on aura multiplicité pure et simple, et unité à un certain point de vue ; tel est le cas des choses qui sont multiples numériquement et unes selon l’espèce ou la cause. Ainsi donc, l’être est bien divisé par l’un et le multiple, comme par ce qui est un purement et simplement, et multiple à certains égards. Car le multiple lui-même ne saurait être compris dans l’étant si, d’une certaine manière, il n’était pas rangé dans l’un. C’est pourquoi Denys écrit : “ Il n’est pas de multitude qui ne participe aussi de l’un. Mais ce qui est multiple en raison de ses parties est un en tant que tout ; ce qui est multiple par les accidents est un par le sujet ; ce qui est plusieurs par le nombre est un par l’espèce ; ce qui forme plusieurs espèces est un par le genre, et ce qui est l’effet de multiples dérivations est un par son principe.

3. Il n’y a pas tautologie à dire que l’être est un, parce que “un” ajoute notionnellement quelque chose à “étant”.

 

            Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ?

Objections :

1. Il semble qu’ils ne s’opposent pas ; car une chose opposée à une autre ne peut lui être attribuée ; or, on attribue l’unité même à la multitude, comme on vient de le voir[391] ; donc elles ne s’opposent pas.

2. L’opposé n’est pas constitué par son opposé. Mais l’un constitue la multitude. Donc il ne lui est pas opposé.

3. A un même terme il n’y a qu’un opposé. Or, à la multitude s’oppose le petit nombre. Donc l’un ne s’oppose pas à la multitude.

4. Si l’un s’oppose au multiple, il s’y oppose comme l’indivis au divisé, et par conséquent comme la privation à l’avoir. Or, cela ne convient pas semble-t-il ; car il s’ensuivrait que l’un présuppose la multitude et se définit par elle, alors que c’est la multitude qui se définit par l’un. Ce serait un cercle vicieux, là est l’inconvénient. Donc l’un et le multiple ne sont pas opposés.

En sens contraire, ceux-là sont opposés dont les raisons s’opposent. Or, la raison de l’un consiste dans l’indivisibilité, la raison du multiple, elle, comprend la division. Donc l’un et le multiple s’opposent.

Réponse :

Il faut dire que l’un s’oppose à la multiplicité, mais de diverses manières. L’un principe du nombre s’oppose à la multitude qu’est le nombre, comme la mesure s’oppose au mesuré. En effet, l’un a raison de mesure première, le nombre étant la multitude mesurée par l’un, comme on le voit chez Aristote[392]. Mais l’un convertible avec l’être, s’oppose à la multitude à la manière d’une privation, comme l’indivis s’oppose au divisé[393].

Solutions :

1. Aucune privation n’abolit l’être, parce que la privation est une négation dans un sujet, selon Aristote. Mais toute privation supprime de l’être. Et c’est pourquoi, quand il s’agit de l’étant lui-même, son universalité fait qu’une privation d’étant est fondée sur l’étant ; ce qui ne se produit pas quand il s’agit de la privation de formes particulières, comme la vue, la blancheur, etc. Ce qu’on dit ainsi de l’étant est vrai également de l’un et du bon, qui sont convertibles avec l’être[394] ; car la privation du bien est toujours fondée sur quelque bien, et la privation de l’unité est encore fondée sur quelque un. De là vient que la multitude même est quelque chose d’un[395], que le mauvais est un certain bon[396], et le non-étant un certain étant. Ce n’est pas qu’un opposé soit attribué à son opposé ; car l’un est purement et simplement ce qu’on le dit être, l’autre à certains égards seulement. En effet, ce qui est de quelque façon, à savoir en puissance, n’est pas purement et simplement ce qu’on le dit être, ne l’étant pas en acte. Ou encore, ce qui est purement et simplement, parce qu’il est une substance, n’est pas, en quelque façon, c’est-à-dire selon tel être accidentel. Pareillement donc ce qui est bon à certains égards peut être mauvais purement et simplement, et aussi l’inverse. Et de même, ce qui est un absolument sera multiple à certains égards, et inversement.

2. Le tout est de deux sortes ; il y a le tout homogène, composé de parties semblables, et le tout hétérogène, dont les parties sont dissemblables. Un tout homogène est composé de parties en qui se trouve la forme d’être constitutive du tout, comme toute particule d’eau est de l’eau ; et ainsi se forme le continu. Au contraire, dans un tout hétérogène, aucune partie n’a la forme du tout ; nulle partie d’une maison n’est une maison, et nulle partie de l’homme n’est un homme. Or, c’est de la sorte que la multitude est un tout. Donc, étant donné que ce qui est partie de la multitude, n’est pas lui-même multiple, si la multitude est composée d’unités, c’est comme la maison est composée de non-maisons. Ce n’est pas selon qu’elles sont opposées à elle en tant qu’indivises que ces unités constituent la multitude, mais selon qu’elles sont des étants : ainsi les parties d’une maison constituent la maison en tant qu’elles sont des matériaux, non en tant qu’elles sont des non-maisons.

3. Le mot plusieurs peut se prendre en deux sens : en un sens absolu, et là il s’oppose à l’un ; ou bien au sens où il signifie une certaine abondance, et c’est alors qu’il s’oppose à peu. Dans le premier sens, deux c’est plusieurs, non au second sens.

4. Il est vrai que l’un s’oppose à plusieurs, par mode de privation en tant que plusieurs, par définition, sont le résultat d’une division. Il faut donc que la division précède l’unité, non purement et simplement, mais selon la manière dont notre raison appréhende le réel. En effet, nous arrivons à la connaissance des êtres simples par celle des êtres composés[397] ; c’est pourquoi nous définissons le point comme ce qui n’a pas de parties, ou comme le principe de la ligne. Et pourtant, même notionnellement, la multitude est consécutive à l’un, car notre intelligence ne saisit comme une multitude le résultat d’une division que parce qu’elle attribue l’unité à l’un et à l’autre des divisés. C’est pourquoi l’un entre dans la définition du multiple, non le multiple dans la définition de l’un. Quant à la division, elle tombe en notre intellect sous le coup de la négation de l’étant. Et ainsi ce qui tombe d’abord en notre intellect est l’étant ; deuxièmement, ceci que tel étant n’est pas tel autre étant, et c’est ainsi que nous appréhendons la division ; troisièmement l’un, et quatrièmement la multitude.

 

            Article 3 — Dieu est-il un ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne soit pas un, puisqu’il est écrit (1 Co 8, 5) : “ De fait, il y a beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs. ”

2. L’unité principe du nombre ne peut être attribuée à Dieu, à qui l’on n’attribue aucune quantité[398]. On ne peut davantage lui attribuer l’un convertible avec l’étant, parce qu’il comporte une privation, et que toute privation en Dieu serait une imperfection incompatible avec sa nature[399]. On ne doit donc pas dire que Dieu est un.

En sens contraire, il est dit dans le Deutéronome (6, 4) : “ Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est un. ”

Réponse :

Que Dieu est un se démontre de trois manières.

1. En partant de sa simplicité[400]. En effet, il est manifeste que ce qui donne à un étant singulier d’être le singulier qu’il est, n’est en aucune façon communicable à plusieurs. Certes ce qui fait que Socrate est un homme peut être communiqué à beaucoup d’autres ; mais ce qui fait de lui cet homme singulier n’appartient qu’à un seul. Donc, si Socrate était homme en raison de cela même qui fait de lui cet homme, de même qu’il ne peut y avoir plusieurs Socrate, il ne pourrait y avoir plusieurs hommes. Or, c’est cela qu’il faut dire de Dieu. La nature de Dieu est Dieu même, ainsi qu’on l’a fait voir.[401] Il est donc Dieu par cela même qu’il est ce Dieu-ci. Il est donc impossible qu’il y ait plusieurs dieux.

2. A partir de l’infinité de sa perfection. On a montré plus haut que Dieu comprend en lui toute la perfection de l’être[402]. On raisonne donc ainsi : s’il y avait plusieurs dieux, il faudrait qu’ils diffèrent entre eux. Donc, quelque chose se trouverait en l’un, qui ne se trouverait pas en l’autre. Et s’il en était ainsi, une certaine privation affecterait cet autre et il ne serait pas purement et simplement parfait. Il est donc impossible qu’il y ait plusieurs dieux. Et c’est pourquoi les philosophes anciens eux-mêmes, comme contraints par la vérité, en affirmant un principe infini, ont affirmé qu’il était unique.

3. A partir de l’unité du monde. Tous les étants se montrent ordonnés entre eux[403], certains étant au service de quelques autres. Or, des choses diverses ne concourraient pas à un ordre unique si ce n’est par la vertu d’un ordonnateur unique. Une multitude, en effet, est assujettie à un ordre unique par un seul mieux que par plusieurs ; car c’est l’un qui est par soi cause de l’un, tandis que plusieurs ne sont cause de l’un que par accident, c’est-à-dire dans la mesure où ils sont un en quelque façon[404]. Donc, comme, en général, ce qui est premier est le plus parfait et par soi, non par accident, il est nécessaire que ce qui est le premier ordonnateur de tous les étants, selon un ordre qui est unique, soit un. Et c’est Dieu.

Solutions :

1. L’Apôtre parle de plusieurs dieux selon l’erreur des païens, qui adoraient plusieurs dieux, prenant pour des dieux les planètes et les autres astres, ou même chacune des parties de ce monde. Aussi poursuit-il en disant : “ Pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu. ”

2. On a raison de dire que l’un principe du nombre ne peut s’attribuer à Dieu, mais seulement aux êtres qui existent dans la matière. Car l’un, principe du nombre, est du genre des entités mathématiques, qui ne sont réalisées que dans la matière, tandis que, dans la raison, elles sont abstraites de la matière[405]. Mais l’un, convertible avec l’étant, est un objet métaphysique, dont l’existence ne dépend pas de la matière. Et quoique il n’y ait aucune privation en Dieu, cependant, à cause de notre manière de concevoir[406], il ne peut être connu de nous autrement que par mode de privation et d’exclusion. Ainsi, rien n’empêche que nous formions à son sujet des propositions privatives[407], comme celles-ci : il est incorporel, il est infini. Et c’est de la même manière que nous disons : Il est un.

 

            Article 4 — Dieu est-il le plus un de tous les étants ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car l’unité s’attribue à ce qui est privé de division[408]. Mais la privation n’est pas susceptible de plus ou de moins. Dieu n’est donc pas plus un que tout autre être qui est un.

2. Rien n’est plus indivisible, semble-t-il, que ce qui est indivisible à la fois en acte et en puissance, comme sont le point et l’unité numérique. Or, un étant est d’autant plus un qu’il est indivisible. Dieu n’est donc pas plus un que l’unité ou le point.

3. Ce qui est bon par essence est le meilleur ; donc ce qui est un par son essence est le plus un. Or, tout être est un par son essence, comme le montre Aristote. Donc tout être est un au maximum, et par suite Dieu n’est pas plus un que les autres étants.

En sens contraire, Boèce dit : “ Entre tous les étants que l’on proclame un, l’unité de la Trinité divine est au point culminant. ”

Réponse :

Puisque l’un est l’étant indivis, pour qu’un étant soit le plus un, il faut, et qu’il soit un au maximum, et qu’il soit indivis au maximum. Or Dieu est l’un et l’autre. Il est l’étant par excellence, car son être n’est pas limité par une nature[409], en laquelle il surviendrait ; il est l’être même subsistant[410], illimité de toutes les manières. Il est en outre indivis au maximum, n’étant divisé ni en acte, ni en puissance, de quelque mode de division que ce soit, mais étant simple de toutes les manières, ainsi qu’on l’a fait voir[411]. Il est donc manifeste que Dieu est souverainement un.

Solutions :

1. Bien que la privation elle-même ne comporte pas le plus et le moins, si ce dont elle est la privation comporte du plus et du moins, les privations aussi sont échelonnées selon le plus et le moins. Ainsi, selon qu’une chose est plus ou moins divisée ou divisible, ou qu’elle ne l’est pas du tout, cette chose sera dite plus ou moins une, ou une au maximum.

2. Le point et l’unité numérique ne sont pas des étants, puisqu’ils n’ont l’être que dans un sujet[412]. Il s’ensuit que ni l’un ni l’autre n’est un au maximum. En effet, de même que le sujet lui-même n’est pas un au maximum, en raison de la diversité entre le sujet et son accident, ni le sujet ni l’accident[413] ne sont un au maximum.

3. Bien que tout étant soit un par sa substance, la substance de chaque étant n’est pas également principe d’unité, car il y a des étants dont la substance est composée de plusieurs éléments, d’autres non.[414]


 

 

QUESTION 12 — COMMENT DIEU EST CONNU PAR NOUS

Après avoir considéré jusqu’ici comment Dieu est en lui-même, il nous reste à voir comment il vient à notre connaissance, c’est-à-dire comment il est connu par les créatures.

1. Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? 2. L’essence divine est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? 3. L’essence de Dieu peut-elle être vue par les yeux du corps ? 4. Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ? 5. L’intellect créé, pour voir l’essence de Dieu, a-t-il besoin d’une lumière créée ? 6. Parmi ceux qui voient l’essence de Dieu, certains la voient-ils plus parfaitement que d’autres ? 7. Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ? 8. L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ? 9. Ce qu’il connaît là, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? 10. Connaît-il simultanément tout ce qu’il voit en Dieu ? 11. Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ? 12. Pouvons-nous en cette vie connaître Dieu par la raison naturelle ? 13. Au-dessus de la connaissance naturelle, y a-t-il en cette vie une connaissance de Dieu par la grâce ?

 

            Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ?

Objections :

1. Il semble qu’aucun intellect créé ne peut voir Dieu dans son essence. En effet, Chrysostome commentant ces mots (Jn 1, 18) : “ Dieu, personne ne l’a jamais vu ”, s’exprime ainsi : “ Ce qu’est Dieu lui-même, non seulement les prophètes ; mais ni les anges mêmes, ni les archanges ne l’ont vu. Car, ce qui est d’une nature créée, comment pourrait-il voir ce qui est incréé ? ” A son tour, Denys, parlant de Dieu, écrit : “ ni la sensibilité ne l’atteint, ni l’imagination, ni l’opinion, ni la raison, ni la science. ”

2. Tout ce qui est infini, en tant que tel, est inconnu. Or Dieu est infini, comme on l’a fait voir[415]. Donc, en lui-même, il est inconnu.

3. L’intellect créé ne peut connaître que ce qui existe ; car ce qui tombe en premier sous les prises de l’intellect, c’est l’étant[416] Mais Dieu n’est pas un existant ; il est au-dessus des existants, comme l’affirme Denys. Il n’est donc pas intelligible, mais dépasse toute intelligence.

4. Entre le connaissant et le connu, il doit y avoir quelque proportion, puisque le connu est l’acte du connaissant[417]. Or, il n’y a nulle proportion entre l’intellect créé et Dieu ; une infinie distance les sépare[418]. Donc l’intellect créé ne peut voir l’essence de Dieu.

En sens contraire, on lit dans la 1° épître de Jean (3, 2) : “ Nous le verrons tel qu’il est. ”

Réponse :

Tout objet est connaissable dans la mesure où il est en acte[419]. Dieu qui est acte pur sans aucun mélange de puissance[420] est donc en soi le plus connaissable des objets. Mais ce qui est le plus connaissable en soi n’est pas connaissable pour une intelligence que cet intelligible dépasse ; ainsi le soleil, bien que le plus visible des objets, ne peut être vu par l’oiseau de nuit en raison de l’excès de sa lumière. En raison de quoi, certains ont prétendu que nul intellect créé ne peut voir l’essence divine.

Mais cette position n’est pas admissible. En effet, comme la béatitude dernière de l’homme consiste dans sa plus haute opération, qui est l’opération intellectuelle[421], si l’intellect créé ne peut jamais voir l’essence de Dieu, de deux choses l’une : ou il n’obtiendra jamais la béatitude, ou sa béatitude consistera en une autre fin que Dieu, ce qui est étranger à la foi. La perfection dernière de la créature raisonnable, en effet, est en cela qui est pour elle le principe de son être, parce que toute chose est parfaite dans la mesure où elle rejoint son principe[422]. Et cette opinion est étrangère aussi à la raison ; en effet, l’homme a le désir naturel, quand il voit un effet, d’en connaître la cause, et c’est de là que naît chez les hommes l’admiration[423]. Si donc l’intelligence de la créature raisonnable ne peut pas rejoindre la cause suprême des choses, un désir de nature demeurera vain. Il faut donc reconnaître absolument que les bienheureux voient l’essence de Dieu.

Solutions :

1. Les deux autorités qu’on invoque parlent de la vision compréhensive[424]. Aussi Denys fait-il précéder les paroles alléguées par ces mots : “ Pour tous, universellement, il ne saurait être embrassé, et ni la sensibilité, etc. ” De même Chrysostome, après le texte cité écrit : “ Jean appelle ici vision la très certaine connaissance et la compréhension du Père, telle que le Père la possède a l’égard du Fils. ”

2. L’infini qui provient de la matière non déterminée par la forme[425] est de soi inconnu. Car on ne connaît un étant que par sa forme[426]. Mais l’infini qui provient de ce que la forme n’est pas contractée par une matière est de soi le plus connu. Or c’est ainsi que Dieu est infini, et non dans le premier sens, ainsi qu’on l’a établi[427].

3. Quand on dit que Dieu n’est pas un existant, cela ne signifie pas qu’il n’existe en aucune manière, mais qu’il est au-dessus de tout existant, étant lui-même son être[428]. Il ne s’ensuit donc pas qu’il ne puisse être connu d’aucune manière, mais seulement qu’il dépasse toute connaissance, c’est-à-dire ne peut être embrassé par aucun intellect créé[429].

4. Proportion se dit en deux sens : d’une part pour exprimer un rapport quantitatif ; ainsi le double, le triple, ou l’égal sont des espèces de proportions ; d’autre part, toute relation d’un terme à un autre est appelée proportion. En ce sens, il peut y avoir proportion de la créature à Dieu[430], car elle est avec lui dans la relation d’effet à cause et de puissance à acte. L’intellect créé peut ainsi être proportionné à Dieu pour le connaître.

 

            Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ?

Objections :

1. Il semble bien, car on lit dans la 1° épître de Jean (3, 2) : “ Nous savons qu’au temps de cette manifestation, nous lui serons semblables, et nous le verrons tel qu’il est. ”

2. S. Augustin écrit : “ Quand nous connaissons Dieu, il se forme en nous une certaine ressemblance de Dieu. ”

3. L’intellect en acte est l’intelligible en acte, comme le sens en acte est le sensible en acte. Or, cela exige que le sens soit informé par une similitude de la chose qu’il sait, et l’intellect par une similitude de la chose qu’il connaît. Donc, si Dieu est vu en acte par un intellect créé, il faut que ce soit au moyen d’une certaine similitude[431].

En sens contraire, lorsque l’Apôtre dit (1 Co 13, 12) : “ Nous voyons maintenant comme dans un miroir, en énigme ”, S. Augustin dit que les mots miroir, énigme, désignent n’importe quelles similitudes aptes à nous faire connaître Dieu[432]. Mais voir Dieu par essence n’est pas une vision par énigme ou miroir ; ces deux modes, au contraire, sont placés en opposition. Ce n’est donc pas au moyen de similitudes qu’on voit l’essence divine.

Réponse :

Pour toute vision, aussi bien sensible qu’intelligible, deux conditions sont requises : la faculté de voir, et l’union de la chose vue avec cette faculté. Il n’y a en effet de vision en acte que par le fait que la chose vue est d’une certaine manière dans le sujet qui la voit[433]. S’il s’agit de choses corporelles, il est évident que la chose vue ne peut pas être dans le sujet par son essence, mais seulement par sa représentation, ainsi la représentation de la pierre est dans l’œil et y cause la vision en acte ; dans l’œil il n’y a pas la substance de la pierre. Mais si une seule et même réalité était à la fois le principe de la faculté de voir et la chose vue, il s’ensuivrait que l’objet tiendrait de cette réalité et la faculté de la voir, et la forme par laquelle il la verrait.

Or, manifestement, Dieu est l’auteur de la faculté intellectuelle, et il peut être vu par notre intellect[434]. Et puisque la faculté intellectuelle de la créature n’est pas l’essence divine elle-même[435], il reste qu’elle soit une similitude participée de celui qui est l’intellect premier[436]. De là vient qu’on appelle la faculté intellectuelle créée une certaine lumière intelligible, comme émanant de la première lumière[437]. Qu’on entende cela de la faculté naturelle, ou de quelque perfection de grâce[438] ou de gloire surajoutée. Pour voir Dieu est donc requise, du côté de la faculté de voir, une certaine similitude de Dieu par laquelle l’intellect est capable de voir Dieu[439].

Mais du côté de la chose vue, qui doit nécessairement être unie en quelque manière au sujet qui voit, l’essence divine ne peut être vue par le moyen d’aucune similitude créée.

1. Parce que, selon Denys, par des similitudes appartenant à un ordre inférieur on ne peut nullement connaître les choses d’un ordre supérieur ; par exemple, par l’image d’un corps, on ne peut connaître l’essence d’une chose incorporelle. Donc, beaucoup moins encore, par une représentation créée, quelle qu’elle soit, pourra-t-on voir l’essence de Dieu.

2. Parce que l’essence de Dieu est son être même, ainsi qu’on l’a montré[440], ce qui n’appartient à aucune forme créée. Une forme créée ne peut donc pas être en celui qui voit une similitude représentative de l’essence même de Dieu.

3. Parce que l’essence divine est quelque chose d’illimité[441], contenant en soi suréminemment tout ce qui peut être signifié ou compris par un intellect créé. Et cela ne peut en aucune manière être représenté par une espèce créée ; car toute forme créée est circonscrite selon les limites d’une raison intelligible particulière[442], comme la sagesse, la puissance, l’être même ou quelque chose de semblable. Donc, dire que Dieu est vu au moyen d’une similitude, c’est dire que l’essence divine n’est pas vue, ce qui est erroné.

On doit donc dire que pour voir l’essence de Dieu une similitude de Dieu est requise pour la faculté de voir, et c’est la lumière de la gloire divine qui confère à l’intellect la faculté de voir Dieu[443], lumière dont il est dit dans le Psaume (36, 10) : “ Par ta lumière nous verrons la lumière. ” Mais par aucune similitude créée l’essence de Dieu ne peut être vue, de telle sorte que cette image représenterait la divine essence telle qu’elle est en elle-même.[444]

Solutions :

1. Jean parle ici de la similitude qui consiste en la participation à la lumière de gloire.[445]

2. S. Augustin parle ici de la connaissance de Dieu en cette vie.[446]

3. L’essence divine, c’est l’être même[447]. Donc, comme les autres formes intelligibles, qui ne sont pas leur être[448], sont unies à l’intellect selon un certain être par lequel elles l’informent et le font passer à l’acte[449] : ainsi l’essence divine étant intelligible en acte, s’unit à l’intellect créé, le faisant par là même intelligent[450].

 

            Article 3 — L’essence divine peut-elle être vue par les yeux du corps ?

Objections :

1. Il semble que oui car il est écrit (Jb 19, 26) : “ Dans ma chair je verrai Dieu. ” Et encore (42, 5) : “ Mon oreille t’a entendu ; maintenant mon œil te voit. ”

2. Chez S. Augustin, on trouve également ceci : “ Leurs yeux (des bienheureux dans la gloire) seront rendus plus puissants, non en ce sens qu’ils aient une vue plus perçante que les serpents et les aigles ; car quelle que soit l’acuité de leurs regards, ces animaux ne voient jamais que des corps ; mais en ce sens qu’ils verront des choses incorporelles. ” Or celui qui voit les choses incorporelles peut être élevé jusqu’à voir Dieu. Donc un œil glorifié peut voir Dieu.

3. Il semble bien que l’imagination humaine puisse percevoir Dieu. Isaïe (6, 1) dit en effet : “ J’ai vu le Seigneur assis sur son trône, etc. ” Or, une vision imaginative a pour origine les sens, car l’imagination “ est une activité qui procède du sens en acte ”, selon Aristote.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Personne n’a jamais vu Dieu, ni en cette vie tel qu’il est, ni dans la vie angélique comme les yeux du corps voient les choses visibles. ”

Réponse :

Il est impossible que Dieu soit vu par l’œil corporel, ou par n’importe quel autre sens ou faculté de la partie sensitive. En effet, toute faculté de ce genre est l’acte d’un organe corporel, comme on le verra plus loin[451]. Or l’acte est proportionné à ce dont il est l’acte[452]. Il en résulte qu’une telle faculté ne peut s’étendre au-delà des objets corporels, comme on l’a montré plus haut[453]. Il ne peut donc être vu ni par les sens ni par l’imagination, mais par le seul intellect.

Solutions :

1. Quand Job s’écrie : “ Dans ma chair, je verrai Dieu mon sauveur ”, il n’entend pas qu’il doive voir Dieu avec son œil de chair ; mais que, étant dans sa chair, après la résurrection, il verra Dieu[454]. De même quand il dit : “ Maintenant, mon œil te voit ”, il l’entend de l’œil de l’esprit, comme lorsque l’Apôtre écrit aux Éphésiens (1, 17-18) : “ Que Dieu vous donne un esprit de sagesse, qui vous le fasse vraiment connaître, et qu’il éclaire les yeux de votre cœur. ”

2. S. Augustin parle ainsi d’une façon interrogative et conditionnelle. Avant les paroles citées on lit : “ Ils seront en effet d’une bien autre puissance (les yeux glorifiés) s’il est vrai que par eux la nature incorporelle sera vue ” ; mais ensuite il prend position : “ Il est très vraisemblable que nous verrons alors les corps formant les nouveaux cieux et la nouvelle terre de manière à percevoir d’une souveraine évidence Dieu partout présent et gouvernant toutes choses, même les corporelles ; non pas comme maintenant nous saisissons par notre intelligence les attributs invisibles de Dieu au moyen de ses œuvres[455] ; mais comme, au milieu d’hommes vivants, et exerçant les fonctions de la vie, nous voyons au premier regard et ne croyons pas seulement qu’ils vivent. ” Il est évident que, par ces paroles, S. Augustin assimile la vision de Dieu par les yeux glorifiés à la façon dont nous voyons maintenant la vie chez quelqu’un. Or, la vie n’est pas vue par l’œil corporel comme quelque chose qui serait visible par soi-même, mais comme accidentellement perceptible : ce n’est pas par le sens qu’elle est connue, mais, en concomitance immédiate avec la sensation, par une autre faculté cognitive[456]. Or, qu’aussitôt perçus par le sens de la vue, des corps fassent que la présence divine soit connue par l’intellect, cela s’explique et par l’acuité de l’intellect, et par le resplendissement de la clarté divine dans les corps renouvelés[457].

3. Dans la vision imaginative on ne voit pas l’essence de Dieu[458] ; une image est formée dans l’imagination, qui représente Dieu selon une certaine similitude, comme dans l’Écriture les choses divines nous sont décrites métaphoriquement[459].

 

            Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?

Objections :

1. Il le semble, puisque Denys affirme : “ L’ange est un miroir pur, très clair, recevant en lui, si l’on peut dire, toute la beauté de Dieu. ” Mais une chose quelconque est vue quand on voit son reflet. Donc, puisque l’ange, par ses facultés naturelles, se connaît lui-même[460], il semble que par elles aussi il connaisse l’essence divine.

2. C’est à cause d’une déficience de notre vue, corporelle ou intellectuelle, que ce qui est le plus visible, devient pour nous le moins visible. Mais l’intellect angélique ne souffre d’aucune déficience[461]. Dieu étant le plus intelligible en soi, il est donc le plus intelligible pour l’ange, semble-t-il. Donc si, par ses facultés naturelles, l’ange connaît les autres réalités intelligibles[462], à bien plus forte raison encore il connaît Dieu.

3. Les sens du corps ne peuvent être élevés à connaître la substance incorporelle, parce que cela dépasse leur nature[463]. Donc, si voir Dieu par essence dépasse la nature de tout intellect créé, il semble que nul intellect créé ne puisse parvenir à voir l’essence de Dieu, ce qui est erroné, ainsi qu’on l’a reconnu[464]. Il semble donc qu’il soit naturel à l’intellect créé de voir l’essence divine.

En sens contraire, on lit (Rm 6, 23) : “ Le don de Dieu, c’est la vie éternelle. ” Or la vie éternelle consiste dans la vision de l’essence divine, selon ces mots (Jn 17, 3) : “ La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu. ” Donc voir l’essence de Dieu convient à l’intellect créé par grâce[465], et non par nature.

Réponse :

Il est impossible qu’un intellect créé, par ses facultés naturelles, voie l’essence de Dieu. Car la connaissance consiste en ce que le connu est dans le connaissant[466]. Or, le connu est dans le connaissant selon son mode à lui[467]. Ainsi la connaissance, pour chaque connaissant, est conforme au mode d’être qui convient à sa nature[468]. Donc, si le mode d’existence d’une chose connaissable surpasse le mode d’être que le connaissant tient de sa nature, il faut que la connaissance de cette chose soit au-dessus des facultés naturelles de ce connaissant.

Or il y a dans les choses divers modes d’être. Certaines sont telles que leur nature ne peut être réalisée que dans une matière individuelle : c’est le cas des choses corporelles. D’autres sont telles que leur nature est subsistante par soi, et non dans une matière quelconque. Mais elles ne sont pas leur être, elles ont l’être[469] : ce sont les substances incorporelles que nous appelons les anges[470]. Mais ce mode d’être est propre à Dieu, selon lequel il est son être même subsistant[471].

Donc, connaître les choses qui n’ont l’être que dans une matière individuelle nous est connaturel, parce que notre âme, par laquelle nous connaissons[472], est elle-même la forme d’une certaine matière[473]. Toutefois cette âme a deux facultés cognitives. L’une est l’acte d’un organe corporel. Et à celle-là il est connaturel de connaître les choses selon qu’elles sont dans une matière individuelle[474] : c’est pourquoi les sens ne connaissent que le singulier. L’autre faculté cognitive de l’âme est l’intellect, qui n’est l’acte d’aucun organe corporel[475]. Aussi par l’intellect nous est-il connaturel de connaître les natures qui, à vrai dire, n’ont l’être que dans la matière individuelle, mais de les connaître non pas en tant qu’elles sont dans une matière individuelle, mais selon qu’elles sont abstraites de la matière par la considération de l’intellect[476]. Aussi au moyen de l’intellect pouvons nous connaître ces choses-là dans une notion universelle, ce qui dépasse le pouvoir des sens[477]. A l’intellect angélique, il est connaturel de connaître les natures qui ont l’être en dehors de la matière.[478] Cela est au-dessus de la faculté naturelle de l’intellect chez une âme humaine, dans l’état de la vie présente[479], parce qu’elle est unie au corps.

Il reste donc que connaître l’être même subsistant est connaturel au seul intellect divin, et que cette connaissance dépasse les facultés naturelles de tout intellect créé[480] ; parce que nulle créature n’est son être, mais a un être participé[481]. Donc l’intellect créé ne peut voir Dieu dans son essence que si Dieu, par sa grâce, s’unit à cet intellect comme intelligible pour lui[482].

Solutions :

1. Il est connaturel à l’ange de connaître Dieu par la ressemblance de Dieu qui resplendit dans l’ange lui-même[483]. Mais connaître Dieu par une similitude créée n’est pas le connaître dans son essence, ainsi qu’on l’a montré[484]. Il ne s’ensuit donc pas que l’ange, par ses facultés naturelles, puisse connaître l’essence de Dieu.

2. L’intellect angélique est sans défaut, si le mot “ défaut ” est entendu au sens de privation, comme si l’ange manquait de ce qu’il doit avoir. Mais si ce mot est pris comme une négation, toute créature, comparée à Dieu, est en défaut, n’ayant pas l’excellence que l’on trouve en Dieu.[485]

3. Le sens de la vue, tout à fait matériel, ne peut d’aucune façon être élevé à l’immatériel. Mais notre intellect, comme l’intellect angélique, étant par nature élevé d’une certaine manière au-dessus de la matière[486], peut être par grâce élevé à quelque chose de plus haut, au-delà de sa nature. Un signe de cette différence, c’est que la vue ne peut aucunement connaître dans une représentation abstraite ce qu’elle connaît dans l’existence concrète ; d’aucune manière en effet elle ne perçoit une nature si ce n’est en sa réalisation concrète[487]. Au contraire, notre intellect peut considérer à l’état abstrait ce qu’il connaît dans le concret. Car, bien qu’il connaisse des choses dont la forme est unie à une matière, il résout ce composé en ses deux éléments et considère à part la forme en elle-même[488]. Pareillement, l’intellect de l’ange, bien qu’il lui soit connaturel d’appréhender l’être qui se concrétise dans une nature particulière[489], peut cependant mettre à part l’être même, se connaissant lui-même[490] comme autre que son être[491]. Ainsi l’intellect créé ayant une nature qui le rend capable d’appréhender la forme concrète et l’être concret de façon abstraite, au moyen d’une sorte d’analyse, il lui est possible d’être élevé par la grâce jusqu’à connaître la substance séparée subsistante[492], et l’être séparé subsistant[493].

 

            Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, parmi les choses sensibles, ce qui est lumineux par soi-même n’a pas besoin, pour être vu, d’une autre lumière : de même dans les réalités intelligibles. Or Dieu est la lumière intelligible[494]. Donc il n’est pas vu par le secours d’une lumière créée.

2. Si Dieu est vu par intermédiaire, il n’est pas vu par son essence. Mais s’il est vu par une lumière créée, il est vu par intermédiaire. Donc il n’est pas vu par son essence[495].

3. Ce qui est créé, rien n’empêche que cela appartienne à la nature d’une créature. Donc si c’est par une lumière créée que l’essence divine est vue, cette lumière pourra être naturelle à quelque créature. Et ainsi cette créature n’aura pas besoin pour voir Dieu d’une autre lumière. Or cela est impossible. Il n’est donc pas nécessaire que toute créature, pour voir l’essence de Dieu, requière une lumière surajoutée.

En sens contraire, le Psaume (36, 10) dit : “ Par ta lumière nous verrons la lumière. ”

Réponse :

Tout ce qui est élevé à quelque chose qui dépasse sa nature, il faut qu’il y soit préparé par une disposition qui vienne de plus haut que sa nature ; ainsi l’air, s’il doit recevoir la forme du feu, il faut qu’il y soit préparé par une disposition qui corresponde à cette nouvelle forme. Or, quand un intellect créé voit Dieu par essence, l’essence même de Dieu devient la forme intelligible de l’intellect[496]. Il faut donc que quelque disposition surnaturelle lui soit surajoutée, pour qu’il s’élève à une telle sublimité[497]. Puisque la vertu naturelle de l’intellect créé ne suffit pas à voir l’essence divine, ainsi qu’on l’a montré[498], il faut donc que par un effet de la grâce divine cette vertu en lui soit surdéveloppée. Et cet accroissement de force intellectuelle, nous l’appelons une illumination de l’intellect, comme nous appelons l’intelligible lui-même une lumière, un éclat. Telle est la lumière dont l’Apocalypse (21, 23) dit : “ La clarté de Dieu illuminera ” la société des bienheureux qui verront Dieu. Par la vertu de cette lumière, les bienheureux deviennent déiformes, c’est-à-dire semblables à Dieu, selon la 1° épître de S. Jean (3, 2) . “ Au temps de cette manifestation, nous lui seront semblables, et nous le verrons tel qu’il est. ”

Solutions :

1. Si une lumière créée est nécessaire pour voir l’essence de Dieu, ce n’est pas que par elle l’essence divine soit rendue intelligible, car elle est intelligible par elle-même[499], mais c’est pour que l’intellect reçoive le pouvoir de la connaître, à la façon dont une faculté est rendue par l’habitus plus efficace à l’égard de son acte. Comme aussi la lumière corporelle est nécessaire pour voir les choses extérieures, en tant qu’elle rend le milieu transparent en acte, de telle sorte que la lumière puisse agir sur la vue.

2. Si cette lumière est requise pour voir l’essence divine, ce n’est pas à la manière d’une similitude dans laquelle Dieu serait vu ; elle perfectionne l’intellect, accroissant son pouvoir, afin qu’il soit à même de voir Dieu[500]. On peut exprimer la différence en disant : Elle est un médium non pas dans lequel on voit Dieu, mais sous l’action duquel Dieu est vu. Et cela ne supprime pas la vision immédiate de Dieu.

3. Une disposition à la forme du feu ne peut être naturelle qu’à ce qui a la forme du feu. De même, la lumière de gloire ne saurait être naturelle à la créature, à moins que cette créature ne soit d’une nature divine, ce qui est impossible[501]. Nous venons de dire que par cette lumière, la créature rationnelle devient déiforme.

 

            Article 6 — Parmi ceux qui voient l’essence de Dieu, certains la voient-ils plus parfaitement que d’autres ?

Objections :

1. Il semble que non, puisque la l° épître de Jean (3, 2) affirme : “ Nous le verrons tel qu’il est. ” Mais Dieu n’a qu’une seule façon d’être[502]. Donc il sera vu par tous de la même façon, et non plus parfaitement ou moins.

2. Pour S. Augustin “intellectuellement, nul ne peut connaître une seule chose plus qu’un autre ”. Or, tous ceux qui voient Dieu par essence connaissent intellectuellement l’essence divine ; car c’est par l’intellect que Dieu est vu, non par les sens, ainsi qu’on l’a dit[503]. Donc parmi tous ceux qui voient l’essence divine, nul ne la voit plus clairement que l’autre.

3. Que quelque chose soit vu par un autre plus parfaitement, cela peut provenir, soit de l’objet à voir, soit de la faculté de voir[504]. Du côté de l’objet, cela peut résulter de ce que l’objet est reçu dans le sujet plus parfaitement, c’est-à-dire par une similitude plus parfaite ; mais cela est hors de propos ici, car ce n’est pas par l’intermédiaire d’une similitude, c’est par son essence même que Dieu est présent à l’intellect qui voit son essence[505]. Il reste donc que si l’un voit plus parfaitement que l’autre, cela tienne à une différence de pouvoir entre les intelligences. Dans ce cas, celui dont la puissance intellectuelle est naturellement plus élevée verrait davantage. Or cela ne peut s’admettre, car il est promis aux hommes, à l’égard de la béatitude, d’être les égaux des anges[506].

En sens contraire, la vie éternelle consiste dans la vision de Dieu, selon cette parole en S. Jean (17, 3) : “ La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu. ” Donc, si tous voient également l’essence de Dieu dans la vie éternelle, tous seront égaux, ce qui s’oppose au dire de l’Apôtre (1 Co 15, 41) : “ L’étoile diffère de l’étoile en clarté. ”

Réponse :

Il faut dire que, parmi ceux qui verront l’essence de Dieu, l’un la verra plus parfaitement que l’autre. Cela, certes, ne viendra pas d’une similitude, ainsi qu’on l’a montré[507]. Cela proviendra de ce que l’intellect de l’un aura une plus grande efficacité, un plus grand pouvoir de voir Dieu. Cependant, la faculté de voir Dieu appartient à l’intellect créé non par nature, mais par la lumière de gloire, qui établit l’intellect dans une certaine déiformité, ainsi qu’on l’a exposé[508]. Dés lors, un intellect participant davantage de cette lumière de gloire verra Dieu plus parfaitement. Or celui-là participera davantage de la lumière de gloire qui a le plus de charité[509] ; car, plus grande est la charité, plus grand est le désir[510]. Et le désir rend d’une certaine manière l’être qui désire apte et préparé à recevoir l’objet désiré[511]. Par suite, celui qui aura plus de charité verra Dieu plus parfaitement, et il sera plus heureux[512].

Solutions :

1. Lorsqu’on dit : “ Nous le verrons tel qu’il est”, la locution “ tel que ” entend déterminer le mode de vision par rapport à la chose vue, ce qui signifie : Nous le verrons être tel qu’il est ; car nous verrons son être même, qui est son essence[513]. Mais cela n’exprime pas le mode de vision par rapport à celui qui voit, et le sens n’est donc pas que la manière de voir Dieu sera parfaite comme est parfait le mode d’être en Dieu.

2. Par là[514] se résout également, la deuxième objection. Lorsqu’on dit d’une même chose que l’un ne la connaît pas mieux que l’autre, cela est vrai si on le réfère à la chose connue ; car celui qui juge de la chose autrement qu’elle n’est n’en a pas une connaissance vraie. Mais cela n’est plus exact si on le rapporte à la façon de connaître ; car la connaissance de l’un est plus parfaite que celle de l’autre.

3. La diversité de vision ne proviendra pas de l’objet, puisque le même objet, qui est l’essence divine, sera rendu présent à tous[515] ; elle ne tiendra pas non plus à diverses participations de l’objet par des similitudes différentes[516] ; elle proviendra de la diversité de la faculté intellectuelle, non selon la nature, mais selon la gloire[517], comme on vient de le dire[518].


 

            Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ?

Objections :

1. C’est ce que paraît affirmer ce texte de l’Apôtre (Ph 3, 12) : “Je poursuis ma course pour tâcher de le saisir. ” Or l’Apôtre ne courait pas en vain, car il dit (1 Co 9,26) : “Je cours, non à l’aventure. ” Donc lui-même comprend Dieu, et pour la même raison les autres, qu’il y invite en ces termes (1 Co 9, 24) : “ Courez de manière à saisir (comprehendere). ”

2. Comme dit S. Augustin “ Comprendre une chose, c’est la voir si bien dans sa totalité que rien d’elle n’échappe. ” Mais si Dieu est vu par essence, il est vu dans sa totalité, et rien de lui n’échappe à celui qui le voit ; car Dieu est simple[519]. Donc, quiconque le voit par essence le comprend.

3. Si l’on dit qu’il est vu tout entier, mais non totalement, on peut objecter : “ Totalement ” se rapporte ou à la façon de voir, ou à la chose vue[520]. Mais celui qui voit Dieu par essence le voit totalement en ce qui concerne la chose vue, car il le voit tel qu’il est, ainsi qu’on l’a dit de même[521], il le voit totalement quant à la manière de le voir, car toute sa force intellectuelle s’applique à voir l’essence de Dieu[522]. Donc, quiconque voit Dieu par essence le voit complètement ; donc il le comprend.

En sens contraire, on lit dans Jérémie (32,18.19 Vg) : “ Toi, le Dieu grand et fort, dont le nom est Seigneur de l’univers, grand dans tes desseins et incompréhensible dans tes pensées. ”

Réponse :

Comprendre Dieu est impossible à un intellect créé quel qu’il soit ; mais que notre esprit l’atteigne de quelque manière, c’est déjà une grande béatitude[523], selon S. Augustin.

Pour en avoir l’évidence, il faut savoir que “comprendre” c’est connaître parfaitement, c’est-à-dire connaître un objet autant qu’il est connaissable. Aussi, lorsqu’une vérité est démontrable scientifiquement, celui qui ne la connaît qu’à la manière d’une opinion, pour une raison seulement plausible, ne la comprend pas. Par exemple, si quelqu’un sait par démonstration que la somme des trois angles d’un triangle est égale à deux droits, il comprend cette vérité ; mais si un autre la reçoit comme probable par le fait que des savants ou la plupart des hommes l’affirment ainsi, celui-là ne comprend pas ; car il ne parvient pas à cette manière parfaite de connaissance dont cette vérité est susceptible.

Or, nul intellect créé ne peut parvenir à cette manière parfaite de connaître l’essence divine telle qu’elle est connaissable, et en voici la preuve. Un objet quelconque est connaissable dans la mesure où il est un être en acte[524]. Dieu, dont l’être est infini, ainsi qu’on l’a fait voir[525], est donc infiniment connaissable. Or, nul intellect créé ne peut connaître Dieu infiniment. En effet, un intellect créé connaît l’essence divine plus parfaitement ou moins selon qu’il est pénétré d’une plus grande ou d’une moindre lumière de gloire[526]. Puisque la lumière de gloire, qui est créée, dans quelque intellect créé qu’elle soit reçue, ne peut jamais y être infinie[527], il est donc impossible qu’un intellect créé connaisse Dieu infiniment. Par suite, est impossible qu’il ait de Dieu une connaissance compréhensive.

Solutions :

1. “ Comprendre ” a deux sens. L’un, strict et propre, exprimant l’inclusion de l’objet dans le sujet qui comprend. Ainsi, Dieu n’est compris d’aucune manière, ni par un intellect ni autrement, car, infini[528], il ne peut être inclus dans rien de fini, ce qui ferait que quelque chose de fini l’envelopperait infiniment, comme il est infini lui-même[529]. Or c’est en ce sens que nous parlons de “ comprendre ”. Mais ce mot peut avoir un autre sens, plus large, suivant lequel la compréhension est opposée à la quête. En effet, celui qui atteint quelqu’un, le tenant désormais, est dit le saisir (comprehendere). C’est ainsi que Dieu est compris par les élus, selon ce mot du Cantique (3, 4) : “ Je l’ai saisi, je ne le lâcherai pas. ” Et tel est le sens des formules employées par l’Apôtre. La “ compréhension ” est alors un des trois dons de l’âme bienheureuse[530], correspondant à l’espérance[531] comme la vision correspond à la foi, et la jouissance à l’amour de charité. Parmi nous, tout ce qui est vu n’est pas pour cela tenu et possédé ; car on voit bien des choses à distance, bien des choses qui ne sont pas en notre pouvoir. Nous ne jouissons pas non plus de tous les biens que nous avons, soit parce qu’on n’y trouve pas de plaisir, soit parce qu’ils ne sont pas la fin ultime de notre désir, capables d’assouvir le désir et de l’apaiser[532]. Mais en Dieu, les élus ont ces trois choses : car ils voient Dieu ; le voyant ils le tiennent présent, parce qu’il est en leur pouvoir de le voir sans cesse, et en le tenant ils en jouissent, comme de la fin ultime qui comble le désir[533].

2. Quand on dit que Dieu est incompréhensible, on ne veut pas signifier que quelque chose de lui ne soit pas vu ; on entend qu’il n’est pas vu aussi parfaitement qu’il est visible. Lorsqu’une proposition susceptible de démonstration est connue par une raison simplement plausible, rien d’elle ne demeure inconnu pour autant, ni le sujet, ni le prédicat, ni leur lien ; mais, tout entière, cette proposition est connue avec moins de perfection qu’elle n’est connaissable[534]. Ainsi S. Augustin définit-il la compréhension en disant : “ Un objet est compris quand on le voit de telle sorte que rien de lui n’échappe à celui qui voit ; ou bien quand ses limites peuvent être enveloppées du regard. ” En effet, on enveloppe du regard les limites de la chose connue quand on parvient au terme de sa cognoscibilité.

3. “ Totalement ” concerne la manière d’être de l’objet ; non pas en ce sens que toute sa manière d’être ne soit pas connue, mais parce que le mode[535] d’être de l’objet n’est pas celui de l’être connaissant. Donc celui qui voit Dieu par son essence voit en lui qu’il existe infiniment et qu’il est infiniment connaissable[536] ; mais ce mode d’infinité n’appartient pas à celui qui connaît, en ce sens que lui-même connaîtrait infiniment. C’est ainsi qu’on peut connaître avec probabilité qu’une proposition est démontrable, sans connaître soi-même sa démonstration[537].

 

            Article 8 — L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ?

Objections :

1. Il semble que ceux qui voient Dieu par essence voient en lui toutes choses, car S. Grégoire écrit : “ Que ne verront-ils pas, ceux qui voient Celui qui voit tout ? ” Mais Dieu est celui qui voit tout[538]. Donc ceux qui voient Dieu voient tout.

2. Celui qui voit un miroir voit tout ce qui s’y reflète. Or, tout ce qui vient à l’être ou qui peut y venir se reflète en Dieu comme dans un miroir, car Dieu lui-même connaît en lui toutes choses[539]. Donc, quiconque voit Dieu voit tout ce qui existe et tout ce qui peut exister.

3. Qui connaît le plus peut aussi connaître le moins, comme il est dit au traité De l’Ame. Or, tout ce que Dieu fait ou peut faire est moindre que son essence. Donc quiconque connaît Dieu peut connaître tout ce que Dieu fait ou peut faire.

4. La créature raisonnable désire naturellement tout savoir. Si, en voyant Dieu, elle ne sait pas toutes choses, son désir naturel ne sera donc pas apaisé[540], et ainsi, même en voyant Dieu, elle ne sera pas bienheureuse, ce qui est contradictoire.

En sens contraire, les anges voient Dieu par essence ; et pourtant, ils ne savent pas tout. Selon Denys ‘, “ les anges inférieurs sont purifiés de l’ignorance par les anges supérieurs ”[541]. En outre, les anges ignorent les futurs contingents et les pensées des cœurs, objets connus de Dieu seul[542]. Donc, tous ceux qui voient l’essence de Dieu ne voient pas tout.

Réponse :

Il faut dire que l’intellect créé, en voyant l’essence de Dieu, ne voit pas en elle tout ce que Dieu fait ou peut faire. Car il est manifeste que les choses qui sont vues en Dieu, sont vues comme elles sont en lui. Or toutes choses autres que Dieu sont en Dieu comme des effets sont dans leur cause[543], c’est-à-dire virtuellement[544]. Donc, toutes choses sont vues en Dieu comme l’effet est vu dans la cause. Mais il est clair que plus parfaitement une cause est vue, plus nombreux sont les effets qu’on peut voir en elle. Car un esprit supérieur, si on lui soumet un principe de démonstration, en tire aussitôt des conclusions multiples ; il n’en est pas de même pour un esprit plus faible, lequel a besoin qu’on lui explique chaque chose en détail. Donc cet intellect peut connaître dans une cause tous les effets et toutes les raisons de ces effets, s’il comprend la cause totalement. Or, nul intellect créé ne peut comprendre totalement Dieu, on l’a montré[545]. Donc, nul intellect créé, en voyant Dieu, ne peut connaître tout ce que Dieu fait ou peut faire ; car cela serait comprendre tout son pouvoir. Mais, parmi toutes les choses que Dieu fait ou peut faire, un intellect en connaît d’autant plus qu’il voit Dieu plus parfaitement.

Solutions :

1. S. Grégoire parle ici en se plaçant du côté de l’objet, Dieu, qui pour ce qui est de lui contient et fait voir suffisamment toutes choses[546]. Mais il ne s’ensuit pas que quiconque voit Dieu connaisse toutes les choses, parce qu’il ne le comprend pas parfaitement.

2. Celui qui voit un miroir ne voit pas nécessairement tout ce qui s’y reflète, à moins qu’il n’embrasse du regard le miroir.

3. Bien que voir Dieu soit plus grand que voir tout le reste ; cependant il est plus grand de voir Dieu de telle manière que toutes choses sont connues en lui, que de le voir sans que toutes choses, mais seulement peu ou beaucoup soient connues en lui. Or, on vient de montrer que la quantité des choses que l’on connaît en Dieu dépend du mode plus ou moins parfait dont on le voit[547].

4. Le désir naturel de la créature raisonnable est de savoir toutes ces choses dont la connaissance constitue la perfection de l’intellect[548] : ce sont les genres et les espèces des choses, et leurs essences. Cela, tout élu voyant l’essence divine le verra. Quant à connaître les singuliers autres que lui-même, et leurs pensées et leurs actions, cela n’est pas requis par la perfection de l’intellect, et son désir naturel ne s’étend pas à cela[549], et pas davantage à connaître les choses qui n’existent pas, mais que Dieu pourrait faire[550]. Si cependant, Dieu seul était vu, lui qui est la source et le principe de tout l’être[551] et de toute la vérité[552], il comblerait le désir naturel de savoir de telle façon qu’on ne chercherait rien d’autre et qu’on serait bienheureux. C’est ce qui fait dire à S. Augustin : “ Malheureux (mon Dieu), l’homme qui connaît toutes ces choses (les créatures) et cependant t’ignore ! Bienheureux celui qui te connaît, ignorât-il tout le reste ! Mais qui connaît à la fois toi et toutes choses n’est pas plus heureux à cause de ces choses ; il est bienheureux à cause de toi seul. ”

 

            Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ?

Objections :

1. Il semble que ce que voient en Dieu ceux qui voient l’essence divine soit vu au moyen de certaines représentations. Car toute connaissance a lieu par une assimilation du sujet connaissant à l’objet connu[553]. En effet, l’intellect en acte devient l’objet connu en acte[554] comme le sens en acte devient l’objet sensible en acte, en tant que le sens est informé par une similitude de celui-ci, par exemple la pupille par la similitude de la couleur. Si l’intellect d’un élu qui voit Dieu par essence voit en Dieu quelques créatures, il faut donc qu’il soit informé par les similitudes de ces créatures.

2. Nous gardons en mémoire ce que nous avons d’abord vu. Or, S. Paul, voyant l’essence divine dans un ravissement, au dire de S. Augustin, s’est souvenu, après qu’il eut cessé de voir l’essence de Dieu, de beaucoup de choses qu’il avait vues dans son extase, puisqu’il dit (2 Co 12, 4) qu’il “ entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de dire ”. Il faut donc affirmer que certaines représentations des choses dont il s’est souvenu sont demeurées dans son esprit. Et pour la même raison, quand il voyait l’essence de Dieu présente, il avait des similitudes ou représentations des créatures qu’il voyait en elle.

En sens contraire, le miroir et toutes les choses qui y apparaissent, sont vues dans une représentation unique. Or, tout ce que l’on voit en Dieu, on le voit là comme dans un miroir intelligible. Donc, si Dieu même n’est pas vu par similitude, mais par son essence[555], les choses vues en lui ne le seront pas non plus par similitudes ou représentations.

Réponse :

Ceux qui voient Dieu par son essence ne voient pas les choses qu’ils voient en lui par des représentations, mais par l’essence divine elle-même en tant qu’elle est unie à leur intellect. En effet, on connaît une chose selon que sa similitude est dans le sujet connaissant[556]. Mais cela peut se produire de deux façons. Puisque deux choses semblables à une troisième sont semblables entre elles, une vertu cognitive peut être assimilée à un objet connaissable de deux manières. D’abord par lui-même, quand, directement, elle est informée par sa similitude : alors, la chose est connue en elle-même. En second lieu, selon que la vertu cognitive est informée par la représentation d’un autre qui lui est semblable, et dans ce cas, on ne dit pas que la chose est connue en elle-même, mais dans son semblable. Car autre est la connaissance d’un homme en lui-même, autre celle qu’on acquiert à regarder son portrait. Ainsi, connaître les choses par leurs similitudes existant dans le connaissant, c’est les connaître en elles-mêmes, dans leurs propres natures ; mais les connaître selon que leurs ressemblances préexistent en Dieu[557], c’est les voir en Dieu. Et ces deux connaissances diffèrent. En conséquence, si l’on parle de la connaissance par laquelle ceux qui voient Dieu connaissent en lui les choses, ce n’est pas par des similitudes autres qu’elles-mêmes qu’elles sont vues, mais par la seule essence divine présente à l’esprit, et par laquelle on voit Dieu lui-même.

Solutions :

1. L’intellect de celui qui voit Dieu est assimilé aux choses qu’il voit en Dieu, étant uni à l’essence divine, dans laquelle préexistent les ressemblances de toutes choses[558].

2. Il y a des facultés cognitives qui, à partir de représentations formées en un premier temps, peuvent former d’autres images. Ainsi, l’imagination, en combinant l’image d’une montagne et l’image de l’or, se représente une montagne d’or ; l’intellect, ayant d’abord conçu le genre et la différence, forme la notion d’espèce. De la même façon, en partant de la similitude d’une image, nous pouvons former en nous la représentation de la chose que représente cette image. C’est ainsi que S. Paul, ou tout autre, voyant Dieu, peut se former en lui-même, à partir de l’essence divine, des représentations des choses qu’il voit dans cette essence. C’est une représentation de ce genre qui est demeurée dans l’esprit de S. Paul, après qu’il eut cessé de voir l’essence divine[559]. Cependant, cette vision des choses par des espèces ainsi conçues est un autre mode de connaissance que la vue des choses en Dieu.

 

            Article 10 — L’intellect créé connaît-il simultanément tout ce qu’il voit en Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non car, selon le Philosophe, a il arrive que l’on sache beaucoup de choses ; mais on n’élicite qu’une intellection à la fois ”. Or, ce qu’on voit en Dieu, on le connaît par un acte d’intellection, puisque c’est par l’intellect qu’on voit Dieu[560]. Donc il n’arrive pas à ceux qui voient Dieu d’y voir simultanément plusieurs choses.

2. D’après S. Augustin, “ Dieu meut la créature spirituelle dans le temps ”, à savoir par des pensées et des affections successives. Or la créature spirituelle dont on parle, c’est l’ange, qui voit Dieu. Donc, ceux qui voient Dieu pensent et aiment par des actes successifs ; car le temps implique succession[561].

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Nos pensées ne seront pas changeantes, allant et venant d’un objet à un autre ; tout ce que nous saurons, nous le verrons d’un seul regard. ”

Réponse :

Les choses qui sont vues dans le Verbe ne sont pas vues successivement, mais simultanément. Pour s’en convaincre, il faut songer que si nous ne pouvons pas connaître simultanément plusieurs choses, c’est parce que nous les connaissons par plusieurs représentations[562], et que l’intellect d’un même homme ne peut pas simultanément être informé en acte[563] par des représentations diverses, pour connaître par leur moyen. Il en est comme d’un corps, qui ne peut pas revêtir à la fois plusieurs figures. Aussi arrive-t-il que des choses nombreuses, si elles peuvent être connues par le moyen d’une seule représentation, sont connues simultanément. Par exemple, si les diverses parties d’un même tout sont connues au moyen de représentations propres à chacune, elles sont connues successivement, non simultanément ; mais si ces parties diverses sont comprises sous la représentation du tout, elles sont comprises simultanément. Or, nous avons montré[564] que les choses vues en Dieu n’y sont pas vues chacune par sa propre représentation, mais que toutes sont vues par l’unique essence divine ; c’est pourquoi elles sont vues de façon simultanée et non successive.

Solutions :

1. Nous ne connaissons qu’une chose à la fois, par notre intellect, en ce sens que nous ne connaissons que par une seule représentation[565]. Mais plusieurs choses, comprises en une seule représentation, sont connues simultanément : ainsi dans la représentation de l’homme nous connaissons l’animal et le raisonnable, dans la représentation de la maison, le mur et le toit.

2. Les anges, quant à leur connaissance naturelle qui leur fait connaître les choses par diverses représentations infuses, ne connaissent pas tout simultanément, et ainsi, quant à l’intellect, ils sont mûs dans le temps. Mais en tant qu’ils voient les choses en Dieu, ils les voient simultanément.[566]

 

            Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ?

Objections :

1. Il semble bien, car Jacob dit (Gn 32, 31) : “ J’ai vu Dieu face à face. ” Or, voir Dieu face à face, c’est le voir par son essence, comme on le constate chez S. Paul, qui dit (1 Co 13, 12) : “ Maintenant, nous voyons comme dans un miroir, en énigme ; alors nous verrons face à face. ”

2. Dieu dit au sujet de Moïse (Nb 12, 8) : “ Je lui parle bouche à bouche. Il voit Dieu à découvert et non en énigmes. ” Mais c’est là voir Dieu par son essence. Donc cette vision est possible, même en cette vie.

3. D’ailleurs, ce en quoi nous connaissons tout et par quoi nous jugeons de tout le reste doit nous être connu par soi-même. Or, même maintenant, nous connaissons tout en Dieu ; car S. Augustin écrit : “ Si tous deux nous voyons que ce que tu dis est vrai, si tous les deux aussi nous voyons que ce que je dis est vrai, où donc, je te prie, le voyons-nous ? Non pas moi en toi ; ni toi en moi ; mais tous deux dans l’immuable vérité elle-même, qui est au-dessus de nos intelligences. ” Ailleurs, le même S. Augustin dit : “ C’est d’après la vérité divine, que nous jugeons de toutes choses ”, et ailleurs encore, il affirme : “ Il appartient à la raison de juger des choses corporelles d’après les notions incorporelles et éternelles, notions qui, si elles n’étaient au-dessus de l’âme humaine, ne seraient pas immuables. ” Donc, en cette vie même nous voyons Dieu.

4. D’après S. Augustin encore, nous voyons d’une vision intellectuelle tout ce qui est dans l’âme par son essence. Mais la vision intellectuelle atteint les réalités intelligibles non par des similitudes, mais par leurs essences, comme il le dit dans ce passage même. Donc, puisque Dieu est dans notre âme par son essence[567], par son essence également il est vu par nous.

En sens contraire, Dieu dit (Ex 33, 20) : “ L’homme ne pourra pas me voir et vivre. ” Sur quoi la Glose écrit : “ Tant qu’on vit ici-bas de la vie mortelle, on peut voir Dieu par des images, mais non par la représentation même de sa nature. ”

Réponse :

Un homme purement homme ne peut voir Dieu par son essence, à moins de quitter cette vie mortelle. La raison en est que le mode de connaître dépend du mode d’être du connaissant, on l’a dit[568]. Or, notre âme, tant que nous vivons en cette vie, a l’être dans une matière corporelle[569] ; et de ce fait, par nature, elle ne connaît que les choses dont la forme est unie à la matière, ou du moins qui peuvent être connues par l’intermédiaire de celles-là[570]. Mais il est manifeste que par l’intermédiaire des choses matérielles l’essence divine ne peut être connue ; car on a montré plus haut que la connaissance de Dieu par le moyen d’une similitude créée quelconque n’est pas la vue de son essence[571]. Il est donc impossible à l’âme humaine, tant qu’elle vit de la vie d’ici-bas, de voir l’essence divine. Le signe en est que plus notre âme s’abstrait des choses corporelles, plus elle devient capable de connaître les choses intelligibles, abstraites de la matière. De là vient que dans les songes et dans l’arrêt des impressions sensibles, on perçoit mieux les révélations divines et les présages de l’avenir[572]. Donc, que l’âme soit élevée jusqu’à l’intelligible transcendant qu’est l’essence divine, cela ne peut être, tant qu’on est dans cette vie mortelle.[573]

Solutions :

1. Selon Denys, on dit dans l’Écriture que quelqu’un a vu Dieu pour dire que se sont formées quelques figures perceptibles ou imaginaires, représentant le divin par quelque similitude[574]. Donc, lorsque Jacob s’écrie : “ J’ai vu Dieu face à face ”, on doit le rapporter non à l’essence divine elle-même, mais à quelque figure qui représentait Dieu. Et cela appartient à un sommet de la prophétie, de voir Dieu qui parle, même dans une vision imaginative. Nous verrons cela plus tard quand nous parlerons des degrés de la prophétie[575]. Ou encore Jacob disait cela pour désigner une contemplation intellectuelle éminente.

2. De même que Dieu opère surnaturellement des miracles dans le monde des corps, de même il a, surnaturellement et en dehors de l’ordinaire, élevé jusqu’à la vision de son essence l’esprit de certains hommes, vivant dans la chair, mais ne se servant pas alors des sens charnels. C’est ce que S. Augustin dit de Moïse, le docteur des Juifs, et de S. Paul, docteur des nations. Mais nous en traiterons plus complètement quand nous parlerons du ravissement[576].

3. On dit que nous voyons tout en Dieu, que nous jugeons de toutes choses d’après Dieu, en ce sens que c’est par participation à la lumière divine que nous connaissons toutes choses et que nous en jugeons. Car la lumière naturelle de la raison elle-même est une certaine participation de cette lumière[577]. Ainsi nous disons voir et juger toutes les choses sensibles “ dans le soleil ”, c’est-à-dire à sa lumière. C’est pourquoi S. Augustin a pu écrire : “ Les objets des sciences forment un spectacle qui ne peut être vu s’il n’est comme éclairé par son soleil ”, à savoir par Dieu. Donc, comme il n’est pas nécessaire pour voir sensiblement quelque chose qu’on voie la substance même du soleil, de même il n’est pas nécessaire non plus, pour voir quelque chose intellectuellement, qu’on voie l’essence de Dieu.

4. Cette vision intellectuelle concerne les choses qui sont dans l’âme par leur essence comme les intelligibles sont dans l’intellect[578]. C’est ainsi que Dieu est dans l’âme des bienheureux[579], mais non dans la nôtre, où il ne se trouve que par présence, essence et puissance.

 

            Article 12 — Pouvons-nous, en cette vie, connaître Dieu par la raison naturelle ?

Objections :

1. Il semble que non, car Boèce écrit : “ La raison ne peut saisir une forme pure. ” Or Dieu est la forme pure par excellence, comme on l’a montré plus haut[580]. Donc la raison naturelle ne peut parvenir à sa connaissance.

2. Aristote nous dit que sans représentation imaginative, l’âme ne peut rien concevoir ; mais puisque Dieu est incorporel[581] nous ne pouvons en avoir une telle image.

3. Connaître par la raison naturelle est commun aux bons et aux mauvais, comme la nature elle-même. Or la connaissance de Dieu est réservée aux bons, car S. Augustin déclare : “ Le regard de l’esprit humain ne pénètre pas dans une lumière aussi transcendante, s’il n’est pas purifié par la sainteté de la foi. ”

En sens contraire, Paul dit (Rm 1, 19) : “ Ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux (les païens) manifeste ”, et il s’agit de ce qu’on peut connaître de Dieu par la raison naturelle.

Réponse :

Notre connaissance naturelle prend son origine des sens, et il s’ensuit que notre connaissance naturelle peut s’étendre aussi loin que les objets sensibles. Or, à partir des objets sensibles, notre intellect ne peut parvenir jusqu’à voir l’essence divine ; car les créatures sensibles sont des effets de Dieu qui n’égalent pas la vertu de leur cause[582]. Pour cette raison, à partir de la connaissance des choses sensibles, on ne peut connaître toute la puissance de Dieu, ni par suite voir son essence.

Toutefois, puisque les effets dépendent de la cause, nous pouvons être conduits par eux à connaître ici de Dieu qu’il est[583], et à connaître les attributs qui lui conviennent comme à la cause première universelle, transcendant tous ces effets[584]. Donc, nous connaissons sa relation aux créatures, à savoir qu’il est cause de toutes ; et la différence des créatures par rapport à lui, qui consiste en ce qu’il n’est lui-même rien de ce que sont ses effets[585] ; nous savons enfin que ces attributs, on ne les lui refuse pas comme lui faisant défaut, mais parce qu’il est trop au-dessus d’eux[586].

Solutions :

1. La raison ne peut atteindre à une forme simple de façon à savoir ce qu’elle est, mais elle peut savoir d’elle qu’elle est[587].

2. Dieu est connu naturellement au moyen des images de ses effets[588].

3. La connaissance de Dieu par essence, étant un effet de la grâce[589], ne peut appartenir qu’aux bons ; mais la connaissance de Dieu par la raison naturelle peut convenir aux bons et aux mauvais. C’est pourquoi S. Augustin, dans ses Rétractations, s’exprime ainsi : “Je n’approuve pas ce que j’ai dit dans cette prière : "O Dieu, qui as voulu que seuls les cœurs purs connaissent la vérité..." On peut en effet répondre que beaucoup, parmi ceux qui ne sont pas purs, connaissent beaucoup de vérités ” par la raison naturelle.

 

            Article 13 — Au-dessus de la connaissance naturelle, y a-t-il en cette vie une connaissance de Dieu par la grâce ?

Objections :

1. Il semble que par la grâce on n’ait pas une connaissance de Dieu plus élevée que par la raison naturelle. En effet, Denys écrit : “ Celui qui est le mieux uni à Dieu, en cette vie, ne lui est uni que comme au tout à fait inconnu. ” Et c’est de Moïse qu’il dit cela, bien que celui-ci ait obtenu une excellence particulière dans la connaissance de grâce[590]. Or, être uni à Dieu en ignorant de lui ce qu’il est, cela relève déjà de la raison naturelle[591]. Donc, par la grâce, Dieu ne nous est pas connu plus pleinement que par la raison naturelle.

2. Par la raison naturelle, nous ne pouvons parvenir à la connaissance des choses divines sinon par des images[592]. Mais il n’en va pas autrement pour la connaissance de grâce ; car Denys écrit : “ Le rayon divin ne peut nous illuminer qu’enveloppé dans la variété des voiles sacrés. ”

3. Notre intellect s’unit à Dieu par la grâce de la foi[593]. Or, la foi ne semble pas être une connaissance ; car S. Grégoire dit : “ Les choses invisibles sont objet de foi, non de connaissance. ” Donc la grâce ne nous procure pas une connaissance de Dieu plus excellente.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (1 Co 2, 10, 8) : “. Dieu nous a révélé par son Esprit ” des choses “ que nul parmi les princes de ce monde n’a connues ”. Il désigne ainsi, d’après la Glose, les philosophes.

Réponse :

On doit affirmer que par la grâce nous avons une connaissance de Dieu plus parfaite que par la raison naturelle. En voici la preuve. La connaissance obtenue par la raison naturelle requiert deux choses : des images reçues des sens[594], et la lumière intelligible naturelle, par la vertu de laquelle nous abstrayons de ces images nos conceptions intelligibles[595]. Or sur ces deux points, la révélation de la grâce vient en aide à la connaissance humaine. En effet, la lumière naturelle de l’intelligence est renforcée par l’infusion de la lumière de grâce[596]. Et parfois des images sont formées par l’intervention divine dans l’imagination humaine, images qui expriment plus parfaitement les choses divines que les images qui nous viennent des choses sensibles par un processus naturel. C’est ce qui apparaît dans le cas des visions prophétiques[597]. Il arrive même que des objets extérieurs, accessibles aux sens, soient formés par Dieu, ou encore des voix, pour exprimer quelque aspect du monde divin. C’est ainsi qu’au baptême du Christ, on vit le Saint-Esprit apparaître sous l’apparence d’une colombe, et la voix du Père se fit entendre : “ Celui-ci est mon Fils bien-aimé. ”

Solutions :

1. Sans doute, par la révélation de la grâce en cette vie nous ne connaissons pas de Dieu ce qu’il est[598], et nous lui sommes unis comme à un inconnu. Toutefois, nous le connaissons plus pleinement, en ce que des effets plus nombreux et plus excellents de sa puissance nous sont manifestés, et aussi en ce que, grâce à la révélation divine, nous lui attribuons des perfections que la raison naturelle ne saurait atteindre, par exemple que Dieu est trine et un.

2. La connaissance provenant des images[599], qu’elles soient reçues des sens selon l’ordre naturel des choses, ou qu’elles soient formées dans l’imagination par une intervention de Dieu, est d’autant plus excellente que la lumière intellectuelle en l’homme est plus forte. Et ainsi, dans le cas de la révélation, une connaissance plus riche est tirée des images mentales, grâce à l’infusion de la lumière divine[600].

3. La foi est une sorte de connaissance, en tant que l’intellect est déterminé par la foi à l’égard d’un certain objet à connaître[601]. Mais cette détermination précise ne vient pas de la vision de celui qui croit, elle vient de la vision de celui en qui l’on croit[602]. Ainsi, en tant que la vision fait défaut, la foi comme connaissance est déficiente par rapport à la science ; car la science détermine l’intelligence par la vue et l’intelligence des premiers principes[603].

 


 

 

QUESTION 13 — LES NOMS DIVINS

Après avoir examiné tout ce qui se rapporte à notre connaissance de Dieu, il nous faut poursuivre cette étude par celle des noms que nous donnons à Dieu, car nous nommons chaque chose d’après la connaissance que nous en avons.

1. Dieu peut-il être nommé par nous ? 2. Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? 3. Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? 4. Les nombreux noms donnés à Dieu sont-ils synonymes ? 5. Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures univoquement, ou équivoquement ? 6. Si c’est par analogie, sont-ils dits en priorité de Dieu, ou des créatures ? 7. Certains noms sont-ils dits de Dieu temporellement ? 8. Ce nom “ Dieu ” signifie-t-il la nature de Dieu, ou son opération ? 9. Ce nom est-il communicable ? 10. Ce nom est-il employé de façon univoque, ou équivoque, selon qu’il signifie Dieu par nature, par participation, ou selon l’opinion ? 11. “ Celui qui est ” est-il, plus que tous les autres, le nom propre de Dieu ? 12. Peut-on former au sujet de Dieu des propositions affirmatives ?

 

            Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

Objections :

1. Il semble qu’aucun nom ne convienne à Dieu, car, dit Denys : “ Il n’y a de lui ni nom ni connaissance. ” Et les Proverbes (30, 4) : “ Quel est son nom et quel est le nom de son fils, si tu le sais ? ”

2. Tout nom a une forme ou abstraite ou concrète. Or les noms concrets ne conviennent pas à Dieu, puisqu’il est simple[604]. Les noms abstraits ne lui conviennent pas davantage ; car ils ne signifient pas quelque subsistant achevé[605]. Donc aucun nom ne peut désigner Dieu.

3. Les substantifs signifient la substance qualifiée ; les verbes et les participes signifient en situant dans le temps ; les pronoms sont démonstratifs ou relatifs. Or rien de tout cela ne peut convenir à Dieu. Dieu est sans qualité[606], sans aucun accident[607] ; hors du temps[608] ; il ne tombe pas sous nos sens, pour que nous puissions le montrer[609] ; on ne peut le désigner non plus par manière de relation, car tous les termes relatifs ne font que rappeler quelqu’un des termes qui précèdent, soit noms, soit participes, soit pronoms démonstratifs. Donc Dieu ne peut d’aucune façon être nommé par nous.

En sens contraire, on lit dans l’Exode (15, 3 Vg) : “ Le Seigneur est un vaillant guerrier, Tout-Puissant est son nom. ”

Réponse :

Selon le Philosophe, “les mots sont les signes des concepts, et les concepts sont les représentations des choses ”. Cela montre que les mots se réfèrent aux choses à signifier par l’intermédiaire de ce que l’esprit conçoit. Et il s’ensuit que nous pouvons nommer un être dans la mesure où notre intellect peut le connaître. Or, nous avons montré plus haut que Dieu, durant cette vie, ne peut être vu par nous dans son essence[610] ; mais que nous le connaissons à partir des créatures comme leur principe[611], et par mode d’excellence et de négation. En conséquence, nous pouvons le nommer d’après les créatures, mais non de telle sorte que le nom qui le signifie exprime l’essence divine telle qu’elle est[612], à la manière dont le mot “ homme ” exprime par sa signification l’essence de l’homme selon ce qu’il est ; car il signifie sa définition qui fait connaître son essence ; en effet, ce que signifie formellement le nom, c’est la définition.

Solutions :

1. On doit dire que Dieu est dit n’avoir pas de nom, ou être au-dessus de tout nom en ce sens qu’il est au-dessus de ce que nous connaissons de lui[613] et que nous exprimons par nos paroles.

2. Ne connaissant Dieu que d’après les créatures[614] et ne pouvant lui donner des noms qu’à partir d’elles, tous les noms que nous lui attribuons signifient selon la manière qui convient aux créatures matérielles, dont la connaissance nous est connaturelle, nous l’avons dit[615]. Et parce que, dans le champ de ces créatures, les étants achevés sont des composés, leur forme n’étant pas un sujet complet et subsistant, mais bien plutôt ce par quoi un sujet est ce qu’il est[616], il en résulte que tous les noms par lesquels nous désignons un étant complet et subsistant ont un mode concret de signifier, comme il convient à des composés ; et les noms par lesquels nous signifions des formes simples ont pour signifié non quelque chose de subsistant, mais ce par quoi un subsistant est ce qu’il est[617]. C’est ainsi que la blancheur désigne ce par quoi un subsistant est blanc. Dieu étant à la fois simple et subsistant[618], nous lui attribuons donc des noms abstraits pour signifier sa simplicité, et des noms concrets pour signifier sa subsistance et sa perfection. Cependant, à l’égard du mode d’être de Dieu, ces deux catégories de noms sont défectueuses l’une et l’autre, pour la même raison que notre intellect ne le connaît pas, en cette vie, tel qu’il est.

3. Signifier la substance qualifiée, c’est signifier le suppôt avec la nature ou la forme déterminée dans laquelle il subsiste[619]. Aussi, de même qu’on attribue à Dieu des noms concrets pour signifier sa subsistance et sa perfection, comme nous venons de le dire[620] ; de même nous lui appliquons des noms qui signifient la substance qualifiée. Pour ce qui est des verbes et des participes, qui incluent le temps, ils sont dits de lui parce que l’éternité inclut tous les temps[621]. De même, en effet, que nous ne pouvons concevoir et signifier les êtres simples et subsistants si ce n’est de la manière qui convient aux composés[622], de même nous ne pouvons connaître et exprimer par des mots l’éternité qui est simple si ce n’est de la manière qui convient aux choses temporelles[623] ; et cela à cause de la connaturalité de notre esprit avec les choses composées et temporelles[624]. Quant aux pronoms démonstratifs, ils se rapportent à Dieu comme connu par l’intellect[625], non comme perçu par les sens[626]. Car c’est selon que notre intellect l’atteint, qu’il peut être montré. Et ainsi, de la même manière que des noms, des participes et des pronoms démonstratifs sont dits de lui, Dieu peut être signifié par des pronoms et des noms relatifs.

 

            Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ?

Objections :

1. Il semble qu’aucun nom attribué à Dieu ne désigne sa substance. En effet, S. Jean Damascène écrit : “ Chacun des noms donnés à Dieu ne vise pas à signifier ce qu’il est selon sa substance[627], mais à montrer soit ce qu’il n’est pas, soit sa relation à d’autres, soit ce qui est consécutif à sa nature ou à son opération. ”

2. Denys affirme : “Tu trouveras chez les saints interprètes de la doctrine sacrée un hymne de louange, où les appellations de Dieu se partagent et s’expliquent d’après les degrés divers de ses manifestations. ” Cela signifie que les noms employés par les saints docteurs pour la divine louange se distinguent seulement selon que les perfections qu’ils signifient procèdent de Dieu[628]. Or signifier d’une chose qu’elle procède d’une autre, c’est ne rien signifier de l’essence de cette dernière. Donc les noms que l’on dit de Dieu ne se rapportent pas à ce qu’il est substantiellement.

3. On ne peut nommer les êtres que de la manière dont on les connaît ; or, en cette vie, Dieu n’est pas connu selon sa substance[629]. Donc aucun des noms qui sont dits de Dieu ne le désigne selon sa substance.

En sens contraire, S. Augustin nous dit : “ Pour Dieu, c’est tout un d’être, et d’être fort, sage ou quoi que ce soit que vous disiez de cette simplicité en vue d’en signifier la substance. " Donc tous les noms de ce genre signifient la substance divine.

Réponse :

Manifestement les noms qui sont dits de Dieu par manière de négation, ou qui expriment un rapport de Dieu à la créature ne signifient en aucune manière sa substance, mais qu’il n’est pas ceci ou cela[630], ou bien sa relation à autre chose, ou mieux la relation d’autre chose à lui. Mais au sujet des noms qui sont attribués à Dieu de façon absolue et affirmative, comme “ bon ”, “ sage ” et autres semblables, on a émis à ce sujet des opinions multiples.

Certains ont dit que tous ces noms, bien que de forme affirmative, sont destinés à écarter de Dieu quelque chose, plutôt qu’à dire ce qu’il est. Ainsi, selon eux, dire que Dieu est vivant, c’est dire qu’il n’est pas ce que sont les choses sans vie, et ainsi du reste. Telle est l’opinion de Rabbi Moïse. D’autres disent que ces noms ne veulent signifier que le rapport de Dieu à la créature[631], de sorte que quand nous disons : “ Dieu est bon ”, cela veut dire : “ Dieu est cause de la bonté dans les choses. ” Et ainsi en est-il des autres noms.

Mais aucune de ces opinions ne paraît admissible, pour trois motifs. Premièrement, selon aucune de ces interprétations on ne peut expliquer pourquoi on appliquerait à Dieu certains noms plutôt que d’autres. Ainsi Dieu est cause des corps autant que des choses bonnes. Si quand on dit : Dieu est bon, l’on ne signifie rien d’autre que : Dieu est cause des choses bonnes[632], on pourra donc dire tout aussi bien que Dieu est un corps parce qu’il est cause des corps[633]. Également, on pourrait dire qu’il est un corps pour dire qu’il n’est pas purement en puissance, comme la matière première[634]. Deuxièmement, il résulterait de là que les noms appliqués à Dieu ne lui conviendraient qu’en second[635], comme quand nous disons d’une médecine qu’elle est saine pour dire seulement qu’elle est cause de santé pour l’animal auquel le mot “ sain ” convient d’abord. Troisièmement, cela est contraire à l’intention de ceux qui parlent de Dieu. Quand ils disent de Dieu qu’il est vivant[636], ce qu’ils veulent dire, ce n’est pas qu’il est la cause de notre vie ni qu’il diffère des corps sans vie.

C’est pourquoi nous devons parler autrement : ces termes signifient bien la substance divine, et sont attribués à Dieu substantiellement ; mais ils ne réussissent pas à le représenter. En voici la raison. Les noms que nous donnons à Dieu le signifient à la manière dont nous le connaissons. Or, notre esprit connaissant Dieu à partir des créatures, il le connaît pour autant que les créatures le représentent, et on a montré plus haut[637] que Dieu qui est absolument et universellement parfait a primordialement en lui-même toutes les perfections qu’on trouve dans les créatures. Il suit de là qu’une créature quelconque représente Dieu et lui est semblable dans la mesure où elle a quelque perfection ; non pas certes qu’elle le représente comme un être de même espèce ou de même genre[638], mais comme le principe transcendant dont les effets sont déficients à l’égard de sa forme à lui, mais dont ils retiennent pourtant une certaine ressemblance, à la manière dont les formes des corps inférieurs représentent la vertu du soleil. C’est ce que nous avons exposé plus haut en parlant de la perfection divine[639]. Ainsi donc, les noms allégués signifient la substance divine, mais ils la signifient imparfaitement comme les créatures la représentent imparfaitement. Donc, lorsqu’on dit : Dieu est bon, le sens n’est pas : Dieu est cause de bonté, ou bien : Dieu n’est pas mauvais ; mais le sens est : Ce que nous appelons bonté dans les créatures préexiste en Dieu, quoique selon un mode supérieur. Il ne s’ensuit donc pas qu’il appartienne à Dieu d’être bon en tant qu’il cause la bonté ; mais plutôt, inversement, parce qu’il est bon il répand la bonté dans les choses[640], selon ces paroles de S. Augustin : “ Parce qu’il est bon, nous sommes. ”

Solutions :

1. Si le Damascène dit que ces noms ne signifient pas ce que Dieu est, c’est parce que par aucun d’entre eux n’est exprimé parfaitement ce qu’il est : chacun pourtant le signifie imparfaitement, de même que les créatures le représentent imparfaitement[641].

2. Dans la signification des noms, autre chose parfois est ce dont le nom a été tiré, autre chose ce qu’il est destiné à signifier : ainsi le mot pierre (lapis) a été choisi parce que la pierre blesse le pied (laedit pedem) ; et pourtant il ne signifie pas “ ce qui blesse le pied ”, mais bien une espèce de corps ; sans quoi, tout ce qui blesse le pied serait une pierre. Ainsi donc, les noms divins dont on parle ont bien pour origine les processus créateurs qui partent de la Divinité[642] ; de même, en effet, que selon les diverses perfections participées, qu’elles tiennent de Dieu, les créatures le représentent, bien qu’imparfaitement, de même notre intelligence le connaît et le nomme selon chaque perfection qui procède de lui[643]. Cependant les noms divins ne sont pas destinés à signifier les processions divines en elles-mêmes, comme si, en disant : Dieu est vivant, on entendait : de lui procède la vie ; mais bien à signifier le Principe même des choses, sous l’aspect où la vie préexiste en lui[644], bien que ce soit sous une forme plus éminente que nous ne pouvons le comprendre ou l’exprimer.

3. Nous ne pouvons en cette vie connaître l’essence divine selon ce qu’elle est en elle-même[645] ; mais nous la connaissons telle qu’elle est représentée dans les perfections des créatures[646], et c’est ainsi que l’expriment les noms employés par nous.

 

            Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

Objections :

1. Il semble qu’aucun nom ne puisse être attribué à Dieu dans son sens propre. Car les noms donnés à Dieu sont empruntés aux créatures, ainsi qu’on l’a dit[647]. Mais les noms des créatures ne sont appliqués à Dieu que par métaphore[648], comme lorsqu’on dit : Dieu est un rocher, Dieu est un lion, etc.

2. Aucun nom n’est dit au sens propre d’un sujet à qui refuser ce nom est plus exact que de le lui attribuer. Mais tous ces noms : bon, sage et autres semblables, on les nie de Dieu, avec plus de vérité qu’on ne les affirme, comme le montre Denys. Donc aucun de ces noms n’est attribué à Dieu en son sens propre.

3. Les noms exprimant des choses corporelles ne sont attribués à Dieu que par métaphore, puisqu’il est incorporel[649]. Mais tous les noms en question impliquent certaines conditions corporelles ; le temps est inclus dans leur signification[650], et aussi la composition et autres conditions qui sont celles des corps. Donc tous ces noms sont appliqués à Dieu par métaphore.

En sens contraire, S. Ambroise nous dit : “ Certains noms manifestent de façon évidente ce qui est propre à la divinité, et quelques-uns expriment avec une claire vérité la majesté divine. Il en est d’autres qui ne sont attribués à Dieu que par une sorte de transposition et par voie de similitude. ” Donc tous les noms ne sont pas attribués à Dieu par métaphore ; quelques-uns le sont dans leur sens propre.

Réponse :

Nous l’avons dit, nous connaissons Dieu au moyen des perfections qui procèdent de lui dans les créatures ; et ces perfections sont en lui selon un mode plus éminent que dans les créatures[651]. Or notre intellect appréhende ces perfections telles qu’elles sont dans les créatures, et selon la façon dont il les appréhende, il les signifie par des noms[652] ; toutefois, dans les noms que nous appliquons à Dieu, deux choses sont à considérer : les perfections mêmes signifiées par ces mots, comme la bonté, la vie, etc., et la manière dont elles sont signifiées. Quant à ce que signifient ces noms, ils conviennent à Dieu en propre, et plus encore qu’aux créatures, et en priorité. Mais quant à la manière de signifier, ces mêmes noms ne s’appliquent plus proprement à Dieu, car leur mode de signification est celui qui convient aux créatures[653].

Solutions :

1. Certains noms expriment les perfections qui procèdent de Dieu dans les créatures[654], de telle sorte que le mode imparfait selon lequel les créatures participent de la perfection divine est inclus dans la signification de ces noms. Ainsi pierre, ou rocher, signifie un certain étant avec sa matérialité. De tels noms ne peuvent être attribués à Dieu autrement que par métaphore. Mais certains noms signifient les perfections mêmes de façon absolue, sans qu’aucun mode de participation soit inclus dans leur signification, ainsi être, bon, vivant, etc., et ces noms-là sont dits de Dieu en toute propriété.

2. Quand Denys déclare que les noms en question peuvent être niés de Dieu, c’est parce que ce qui est signifié par le nom ne convient pas à Dieu à la façon dont il est signifié, mais d’une façon plus excellente[655]. C’est pourquoi, en ce même passage, Denys explique que Dieu est au-dessus de toute substance et de toute vie.

3. Les noms attribués proprement à Dieu impliquent des conditions corporelles, non dans le signifié même du nom, mais uniquement dans la manière de les signifier. Au contraire, les noms attribués à Dieu par métaphore impliquent une condition corporelle dans la réalité même qu’ils signifient.

 

            Article 4 — Les nombreux noms donnés à Dieu sont-ils synonymes ?

Objections :

1. Il semble que ces noms attribués à Dieu soient synonymes. En effet, on appelle synonymes des noms qui signifient tout à fait la même chose. Mais les noms que nous attribuons à Dieu signifient tout à fait la même chose ; car la bonté de Dieu est son essence même, et aussi sa sagesse, etc. Donc tous ces noms sont parfaitement synonymes.

2. Si l’on répond que ces noms signifient la même réalité, mais selon des raisons diverses[656], on peut objecter : Une raison à laquelle rien ne correspond dans le réel est une raison vaine. Donc si ces raisons sont multiples quand la réalité est une, il semble bien que ces raisons soient vaines.

3. Ce qui est un selon l’être et selon l’intelligibilité l’est davantage que ce qui est un selon l’être et multiple selon l’intelligibilité. Mais Dieu est souverainement un[657] ; il semble donc qu’il ne doive pas être un dans la réalité et multiple selon l’intelligibilité. Par conséquent, les noms attribués à Dieu ne signifient pas des raisons intelligibles qui sont diverses ; ils sont donc synonymes.

En sens contraire, une accumulation de synonymes ne produit que des paroles creuses, comme si l’on appelle vêtement un habit. Donc si tous les noms attribués à Dieu sont synonymes, on ne peut convenablement l’appeler bon ou quoi que ce soit d’autre. Pourtant il est écrit (Jr 32, 18) : “Toi, le Dieu grand et fort, dont le nom est Seigneur de l’univers. ”

Réponse :

On doit dire que ces noms appliqués à Dieu ne sont pas synonymes. Cela se verrait aisément, si nous disions que ces noms ont été introduits pour nier de Dieu le contraire de ce qu’ils disent, ou pour souligner un rapport de causalité entre Dieu et ses créatures[658]. Alors, en effet, on pourrait distinguer sous ces noms diverses raisons, variant selon la diversité des choses que l’on nie ou des effets que l’on vise.

Mais, même avec notre explication, selon laquelle ces noms signifient la substance divine, bien qu’imparfaitement, il ressort clairement de ce qui précède, qu’ils signifient des raisons intelligibles diverses. En effet, la raison que le nom signifie est ce que l’intelligence conçoit de la réalité signifiée par le nom[659]. Or notre intelligence, connaissant Dieu par les créatures[660], se forme pour connaître Dieu des conceptions proportionnées aux perfections qui procèdent de Dieu dans les créatures[661]. Ces perfections en Dieu préexistent dans l’unité et la simplicité, mais chez les créatures elles sont reçues dans la division et la multiplicité[662]. De même donc qu’aux perfections diverses des créatures correspond un unique Principe simple, représenté par les diverses perfections des créatures d’une manière variée et multiple : ainsi, aux conceptions multiples et diverses de notre intelligence correspond quelque chose d’absolument un et simple[663], saisi imparfaitement au moyen de ces conceptions. D’où il suit que les noms que nous attribuons à Dieu, bien que signifiant une seule réalité, ne sont pas synonymes, parce qu’ils la signifient comme atteinte selon des raisons intelligibles multiples et diverses.

Solutions :

1. Par là se résout la première objection ; car on appelle synonymes des noms qui expriment une même réalité selon une raison intelligible unique. Les noms qui signifient les raisons intelligibles diverses ne signifient pas à parler proprement et formellement une même chose, parce que le nom signifie la chose par l’intermédiaire du concept, nous l’avons dit[664].

2. Les raisons intelligibles multiples que signifient ces noms ne sont pas vides et frivoles, car à toutes correspond une chose une et simple, représentée par elles de façon multiple et imparfaite[665].

3. Cela même appartient à la parfaite unité de Dieu, que ce qui est dans les autres êtres à l’état multiple et divisé existe en lui dans la simplicité et l’unité[666]. Et qu’il soit un selon l’être, et multiple selon l’intelligibilité, cela vient de ce que notre intelligence l’appréhende en une multiplicité de concepts comme les créatures le représentent en une multiplicité de perfections[667].

 

            Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ?

Objections :

1. Il semble que ce qui est dit de Dieu et des créatures leur soit attribué de façon univoque. Car tout nom équivoque se ramène à un nom univoque, comme la multitude se ramène à l’unité. Par exemple, si le mot chien est équivoque, appliqué au chien qui aboie et au chien de mer, il faut bien qu’il soit dit de façon univoque pour certains animaux, c’est-à-dire pour tous ceux qui aboient ; sans cela, on devrait aller à la recherche du sens indéfiniment. Or il y a dans le monde des agents univoques, qui coïncident avec leurs effets à la fois quant au nom et quant à la définition, comme l’homme engendre l’homme. D’autres agents sont équivoques, comme le soleil qui engendre la chaleur sans que lui-même soit chaud, si ce n’est de façon équivoque, à un autre niveau[668]. Il semble donc que le premier agent, auquel tous les autres agents se ramènent, soit un agent univoque. Ainsi ce qu’on dit à la fois de Dieu et des créatures est dit d’une façon univoque

2. Entre les équivoques, il n’y a pas de ressemblance. Comme il y a quelque ressemblance de la créature à l’égard de Dieu, selon la Genèse (1, 26) : “ Faisons l’homme à notre image et ressemblance ”, il semble que quelque chose soit dit, en un sens univoque, de Dieu et des créatures

3. La mesure est homogène au mesuré, comme il est dit dans la Métaphysique d’Aristote[669], Or Dieu est la mesure première des êtres, comme l’affirme également le Philosophe. Donc Dieu est homogène aux créatures, et ainsi quelque chose est dit univoquement de Dieu et de la créature.

En sens contraire, ce qu’on attribue à divers sujets sous un même nom, mais non selon la même raison intelligible, leur est attribué d’une manière équivoque. Or aucun nom ne convient à Dieu selon la même raison intelligible qu’il est dit de la créature ; car la sagesse, par exemple, est dans les créatures une qualité, et non pas en Dieu[670], et changer le genre c’est faire changer la raison intelligible, puisque le genre fait partie de la définition. Et il en est ainsi du reste. Donc, quoi que l’on dise en commun de Dieu et de la créature, cela est dit équivoquement.

2. Dieu est plus éloigné des créatures que des créatures quelconques ne le sont l’une de l’autre[671]. Or, à cause de la distance entre certaines créatures, il arrive que rien ne puisse leur être attribué dans un sens univoque, comme c’est le cas de celles qui ne font pas partie du même genre[672]. Donc, moins encore pourra-t-on attribuer quoi que ce soit à Dieu et aux créatures d’une manière univoque ; toutes ces attributions sont équivoques.

Réponse :

Rien ne peut être attribué univoquement à Dieu et aux créatures. Car un effet qui n’égale pas la vertu de sa cause agente reçoit la similitude de l’agent, non pas selon la même raison formelle, mais de façon déficiente : de sorte que ce qui est dans les effets divisé et multiple se trouve dans la cause simple et un ; ainsi le soleil, par sa vertu, qui est une, produit sur la terre des formes d’existence variées et multiples[673]. De la même manière, comme on l’a dit plus haut[674], les perfections de toutes choses qui se trouvent divisées et multiformes dans les créatures, préexistent en Dieu en étant unifiées. Ainsi donc, lorsqu’un nom de perfection est dit d’une créature, il signifie cette perfection comme distincte, et selon la raison formelle par quoi elle se distingue des autres. Par exemple, si nous donnons à un homme le nom de sage, nous signifions une perfection distincte de l’essence de l’homme, de sa puissance, de son être et de tous ses autres attributs. Au contraire, quand nous donnons ce même nom à Dieu, nous n’entendons pas signifier en lui quelque chose qui soit distinct de son essence, de sa puissance ou de son existence[675]. Et ainsi lorsque le mot “ sage ” est donné à l’homme, il circonscrit en quelque sorte et contient la réalité signifiée, tandis que lorsqu’il est dit de Dieu, il laisse la réalité signifiée hors de toute limite et débordant la signification du nom. Il est donc évident que ce mot “ sage ” n’est pas dit de Dieu et de l’homme selon la même raison formelle. Et il en est ainsi de tous les autres. De sorte qu’aucun nom n’est attribué univoquement à Dieu et à la créature. Mais pas non plus tout à fait équivoquement comme certains l’ont dit. Dans ce cas, en effet, on ne pourrait, à partir des créatures, rien connaître de Dieu, rien en démontrer ; on ne pourrait jamais éviter le sophisme de l’équivocité, et cela irait contre le témoignage tant des philosophes qui démontrent au sujet de Dieu beaucoup de choses, que de l’Apôtre lui-même disant aux Romains (1, 20) : “ Les attributs invisibles de Dieu nous sont rendus manifestes au moyen de ses œuvres. ” Il faut donc dire que les noms en question sont attribués à Dieu et aux créatures selon l’analogie, c’est-à-dire selon une certaine proportion[676].

Et cela arrive dans les mots de deux façons. Ou bien plusieurs termes sont référés à un seul, comme “ sain” se dit du remède et de l’urine, parce que l’un et l’autre sont en relation avec la santé de l’animal, l’une comme cause et l’autre comme signe ; ou bien un terme est référé à l’autre, comme “ sain ” se dit du médicament et de l’animal, en tant que le médicament est cause de la santé qui, elle, appartiendra à l’animal.

C’est de cette dernière façon que certains termes sont attribués à Dieu et à la créature par analogie, ni tout à fait équivoquement ni univoquement. En effet, nous ne pouvons nommer Dieu que d’après les créatures, comme on l’a expliqué[677]. Ainsi, tout ce qui est dit et de Dieu et de la créature est dit pour cette raison qu’il y a une relation de la créature à Dieu comme à son principe et à sa cause, en qui préexistent excellemment toutes les perfections des choses. Et cette sorte de communauté du nom tient le milieu entre la pure équivocité et la pure univocité. Car dans les noms dits de plusieurs par analogie il n’y a ni unité de la raison formelle, comme dans le cas des noms univoques, ni diversité pure et simple des raisons formelles, comme dans le cas des noms équivoques ; mais le nom qui est ainsi pris en plusieurs sens signifie des rapports divers à quelque chose d’un, comme par exemple “ saine ” dit de l’urine signifie un signe de la santé ; dit du remède il signifie une cause de la même santé.

Solutions :

1. Bien que, dans le jeu logique des attributions, les noms équivoques se ramènent aux univoques, inversement, dans l’ordre des actions, il est nécessaire que l’agent non univoque précède l’agent univoque. Car c’est toujours un agent non univoque qui est la cause universelle de l’espèce prise dans sa totalité ; ainsi le soleil intervient comme cause dans la génération de tous les hommes[678]. Un agent univoque n’est pas la cause efficiente et universelle de toute l’espèce sans quoi il serait cause de soi-même, puisqu’il fait partie de l’espèce : il est cause particulière à l’égard de l’individu qu’il fait participer à l’espèce. Donc la cause universelle de toute une espèce n’est pas un agent univoque. Or, la cause universelle a le pas sur la cause particulière. Mais cet agent universel, bien que n’étant pas univoque, n’est pas pour cela tout à fait équivoque car s’il l’était, il ne produirait pas un effet semblable à lui. On peut l’appeler “ agent analogue ”[679]. Et c’est ainsi que dans les attributions logiques elles-mêmes, tous les termes univoques se ramènent à un terme premier qui n’est pas univoque, mais analogue et qui est l’étant.

2. La ressemblance entre la créature et Dieu est imparfaite ; car même selon le genre il n’y a pas identité entre eux, comme on l’a vu précédemment[680].

3. Dieu n’est pas une mesure proportionnée aux étants qu’il mesure[681]. C’est donc à tort que l’objection conclut que Dieu et les créatures sont compris dans un même genre.

Quant à ce qu’on a avancé en sens contraire, cela prouve que les noms en question ne sont pas attribués à Dieu et aux créatures univoquement, mais non qu’ils le sont équivoquement.

 

            Article 6 — Si c’est par analogie, ces noms sont-ils dits en priorité de Dieu ou des créatures ?

Objections :

1. Il semble que les noms soient dits en priorité des créatures plutôt que de Dieu. Car nous nommons un être selon que nous le connaissons, puisque, selon le Philosophe, “les noms sont le signe des concepts ”. Or nous connaissons la créature avant de connaître Dieu[682] ; les noms donnés par nous conviennent donc en priorité aux créatures.

2. Selon Denys, “ nous nommons Dieu d’après les créatures ”. Mais les noms transférés des créatures à Dieu sont dits des créatures d’abord, non de Dieu, comme les noms “ lion ”, “ rocher ” etc. Donc tous les noms sont dits en priorité des créatures, de Dieu ensuite.

3. Tous les noms qui sont dits en commun de Dieu et des créatures sont dits de Dieu comme de la cause de tous les étants[683], d’après Denys. Or, ce qui est dit d’une chose en raison de la causalité est dit d’elle en second : par exemple, l’animal est dit “ sain ” en priorité, et le remède en second parce qu’il est la cause de la santé. Donc, les noms dont nous parlons sont dits en priorité de la créature et en second de Dieu.

En sens contraire, S. Paul écrit (Ep 3, 14) : “ Je fléchis les genoux devant le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom. ” On peut en dire autant des autres noms attribués à Dieu et aux créatures. Donc ces noms sont attribués à Dieu en priorité par rapport aux créatures.

Réponse :

Dans tous les noms qu’on attribue par analogie à plusieurs êtres, il est nécessaire que ces noms soient attribués par rapport à un seul. C’est pourquoi ce terme doit figurer dans la définition de tous les autres. Et comme la raison formelle signifiée par le nom est la définition de ce qu’on nomme, dit Aristote, il est nécessaire que ce nom soit attribué par priorité à celui des termes de l’analogie qui figure dans la définition des autres, et postérieurement aux autres, par ordre, selon qu’ils se rapprochent plus ou moins du premier. Ainsi, le mot “ sain”, en tant qu’il est dit de l’animal, entre dans la définition du mot sain selon qu’il s’applique au remède appelé sain parce qu’il cause la santé de l’animal ; et il entre également dans la définition du mot sain appliqué à l’urine, parce que celle-ci est appelée saine comme symptôme de santé chez l’animal.

Ainsi donc, tous les noms attribués à Dieu par métaphore sont attribués par priorité aux créatures, car, appliqués à Dieu, ils ne signifient rien d’autre qu’une ressemblance avec de telles créatures[684]. Quand on dit : le pré est riant, cela veut dire : le pré est agréable quand il fleurit, comme un homme quand il rit : il y a là une similitude de proportion. De même, le nom de lion attribué à Dieu ne signifie rien d’autre que ceci : Dieu présente cette ressemblance avec le lion qu’il agit avec force comme le lion. Il est donc clair que la signification de tels noms, appliqués à Dieu, ne peut se définir que par ce qui les fait appliquer aux créatures.

Quant aux autres noms qui ne sont pas attribués à Dieu par métaphore, il en serait exactement de même, si nous disions, comme certains, que ces noms n’expriment de Dieu que sa causalité. Dans ce cas, en effet, dire : Dieu est bon, ne serait pas autre chose que dire : Dieu est cause de bonté dans la créature ; ainsi ce nom attribué à Dieu enfermerait dans sa signification la bonté de la créature, de sorte que la bonté serait attribuée à la créature par priorité, à Dieu ensuite.

Mais on a montré ci-dessus[685] que les noms de cette sorte ne sont pas dits de Dieu uniquement en raison de ce qu’il cause, mais aussi en raison de ce qu’il est en son essence ; car quand on dit : Dieu est bon, ou sage, on signifie non seulement que Dieu est cause de sagesse ou de bonté, mais qu’en lui la sagesse et la bonté préexistent d’une façon suréminente.

D’après cela, il faut conclure que si l’on considère la chose signifiée par le nom, chaque nom est dit par priorité de Dieu, non de la créature ; car c’est de Dieu que ces perfections dérivent dans les créatures. Mais quant à l’origine de la dénomination, ce sont les créatures que nous nommons d’abord par ces noms, car ce sont elles que nous connaissons en premier. De là vient que ces noms signifient à la manière qui convient aux créatures, comme on l’a dit précédemment[686].

Solutions :

1. La première objection portait sur l’origine de la dénomination.

2. On ne peut raisonner de la même façon sur les noms attribués à Dieu par métaphore, et sur les autres.

3. Cette objection porterait si ces noms étaient attribués à Dieu en raison de sa causalité (comme on attribue la santé au remède), et non en raison de ce qu’il est en son essence

 

            Article 7 — Certains noms sont-ils dits de Dieu temporellement ?

Objections :

1. Il semble que les noms qui impliquent relation aux créatures ne soient pas dits de Dieu temporellement. En effet on convient communément que tous ces noms signifient la substance divine, ce qui fait dire à S. Ambroise : “ Ce nom "le Seigneur", exprime la puissance, qui est en Dieu sa substance ; "Créateur" signifie l’action de Dieu, qui est son essence. ” Or la substance de Dieu n’est pas temporelle, mais éternelle[687]. Donc ces noms-là ne sont pas dits de Dieu temporellement, mais selon son éternité.

2. Tout ce à quoi un attribut convient temporellement peut être dit “ fait ” ; ainsi, ce qui est dit blanc temporellement a été “ fait ” blanc. Or être fait ne convient pas à Dieu[688]. Donc rien n’est attribué à Dieu temporellement.

3. Si certains noms sont dits de Dieu temporellement, pour cette raison qu’ils comportent une relation avec les créatures, le même motif vaudra pour tous les noms qui comportent une relation aux créatures. Or certains noms qui comportent une relation aux créatures sont dits de Dieu selon l’éternité ; c’est en effet de toute éternité que Dieu connaît et aime la créature, selon le texte de Jérémie (31,3) : “Je t’ai aimé d’un amour éternel. ” Donc, les autres noms qui impliquent relation aux créatures, comme Maître et Créateur conviennent aussi à Dieu de toute l’éternité.

4. Ces noms impliquent relation. Ou bien cette relation est quelque chose en Dieu, ou bien seulement dans la créature. Or elle ne peut pas être uniquement dans la créature ; car, dans ce cas, Dieu serait appelé Maître ou Seigneur d’après la relation opposée, celle qui est dans les créatures. Or, rien n’est dénommé par son opposé. Il reste donc que la relation est quelque chose en Dieu. Mais en Dieu rien n’est temporel, parce que Dieu est au-dessus du temps[689]. Il semble donc bien que ces noms-là ne sont pas dits de Dieu temporellement.

5. Ce qui est dit en raison d’une relation est dit relativement, et, par exemple, “ Seigneur ” se prend de la relation de “ seigneurie ”, comme blanc de la blancheur. Il suit de là que, si la relation de seigneurie n’est pas en Dieu réellement, si elle est une construction de la raison, il s’ensuit que Dieu n’est pas réellement Seigneur, ce qui est évidemment faux.

6. Quand des termes de relation ne sont pas simultanés par nature, l’un peut être quand l’autre n’est pas ; par exemple il y a objet de science, même s’il n’y a pas de science, dit Aristote. Or les termes relatifs qui sont dits de Dieu et de la créature ne sont pas simultanés par nature. Donc on peut dire certaines choses de Dieu relativement à la créature, même la créature n’existant pas. Ainsi ces noms : Seigneur, Créateur, sont attribués à Dieu selon son éternité, non temporellement.

En sens contraire, S. Augustin assure que cette dénomination par relation : “ Seigneur” convient à Dieu temporellement.

Réponse :

Certains noms comportant une relation à la créature sont attribués à Dieu temporellement et non dans l’éternité. Pour le montrer, il faut savoir que certains ont vu dans la relation non une réalité appartenant à l’univers réel, mais une construction de la raison. Or ceci apparaît faux du fait que les réalités elles-mêmes sont naturellement ordonnées et référées les unes aux autres.

Toutefois, il faut savoir que la relation exigeant deux extrêmes, c’est de trois manières différentes qu’elle peut être réelle ou de raison. Parfois, c’est un être de raison des deux côtés, lorsqu’il n’y a d’autre ordre entre les deux termes que la relation établie par la raison, par exemple lorsque nous disons que le même est identique au même. Car, en tant que la raison appréhende deux fois un être unique, elle le pose comme s’il était deux ; c’est ainsi qu’elle appréhende en lui une relation avec lui-même. Il en va pareillement de toutes les relations entre l’étant et le non-étant[690] ; elles sont l’œuvre de la raison qui conçoit le non-étant comme le terme d’une relation. De même encore toutes les relations qui naissent d’un acte de la raison, comme entre le genre et l’espèce, etc.

Certaines relations sont des réalités de nature quant à leurs deux extrêmes : cela arrive quand il y a relation entre deux termes en vertu de quelque chose qui appartient réellement à l’un et à l’autre. Ainsi en est-il manifestement de toutes les relations consécutives à la quantité, comme entre grand et petit, double et moitié, etc., car la quantité est en l’un et l’autre des deux extrêmes. Il en est de même pour les relations résultant de l’action et de la passion comme entre moteur et mobile, père et fils, etc.

Il arrive enfin que la relation soit une réalité de nature dans l’un des extrêmes, et dans l’autre une simple construction de la raison. Cela se produit chaque fois que les deux extrêmes ne font pas partie d’un même ensemble. Par exemple la sensation et la connaissance sont référées au sensible et à l’intellectuellement connaissable, lesquels faisant partie de l’univers réel, sont hors de l’univers intentionnel vers le sensible et l’intelligible. C’est pourquoi il y a bien une relation réelle dans la science et la sensation, l’une et l’autre étant ordonnées à connaître intellectuellement ou sensiblement des réalités ; mais ces réalités, considérées en elles-mêmes, sont étrangères à l’univers intentionnel. Aussi, dans ces réalités, il n’y a pas réellement une relation à la science et à la sensation, mais selon la raison seulement, en tant que notre intelligence appréhende ces réalités comme termes des relations à leur égard de la connaissance et de la sensation. C’est pourquoi le Philosophe remarque que si ces réalités sont en relation, ce n’est pas parce qu’elles-mêmes se réfèrent à d’autres, mais parce que ces autres se réfèrent à elles. Pareillement, on dit que la colonne est à droite uniquement parce qu’elle se situe à droite de l’observateur : une telle relation n’est pas réelle dans la colonne, mais chez l’observateur.

Puisque Dieu est en dehors de tout l’ensemble des créatures, et que toutes les créatures sont ordonnées à lui sans que ce soit réciproque, il est évident que les créatures sont référées à Dieu réellement. Mais en Dieu il n’y a pas une relation réelle avec les créatures[691], mais seulement une relation construite par la raison, en tant que les créatures sont référées à lui. Ainsi, rien n’empêche que ces noms impliquant une relation aux créatures soient attribués à Dieu temporellement ; non en raison d’un changement en Dieu, mais en raison d’un changement affectant la créature. C’est ainsi que la colonne passe à la droite de l’observateur sans subir elle-même aucun changement, mais l’observateur ayant changé de place.

Solutions :

1. Certains mots relatifs sont employés pour signifier directement des relations, comme maître et serviteur, père et fils, etc. On les appelle relatifs quant à l’être. D’autres sont employés pour signifier des réalités dont naissent certaines relations, comme moteur et mobile, chef et subordonné. On les dit relatifs quant à l’expression.

Il faut appliquer cette distinction aux noms divins. Certains d’entre eux signifient la relation elle-même à la créature, comme Seigneur. Ceux-là ne signifient donc pas la substance divine directement, mais indirectement, parce qu’ils la présupposent, comme la Seigneurie présuppose la puissance, laquelle est la substance divine. D’autres noms divins signifient directement l’essence divine, et à titre de conséquence impliquent une relation, comme Sauveur, Créateur, etc. qui signifient une action de Dieu ne faisant qu’un avec son essence. Si toutefois ces deux catégories de noms se disent de Dieu temporellement, c’est en raison de la relation qu’ils comprennent[692] soit principalement, soit par voie de conséquence, non en tant qu’ils signifient l’essence divine, soit directement, soit indirectement.

2. Comme les relations qui sont dites de Dieu temporellement ne sont en Dieu que par un acte de notre raison[693], “ être fait ” ou “ avoir été fait ” ne se dit de Dieu qu’en tant qu’il est connu par nous, à l’exclusion de tout changement qui l’affecterait dans sa réalité comme lorsque nous disons : “ Seigneur, tu es devenu pour nous un refuge ” (Ps 90, 1 Vg).

3. L’opération de l’intellect et du vouloir reste immanente à celui qui connaît et qui aime[694]. C’est pourquoi les noms qu’on donne aux relations consécutives à ces actes se disent de Dieu selon son éternité. Mais les relations résultant d’actes transitifs, c’est-à-dire d’actes qui, selon notre façon de comprendre, passent en des effets extérieurs à Dieu sont dits de Dieu temporellement, et c’est le cas quand on appelle Dieu Sauveur, Créateur, etc.

4. Les relations signifiées par ces noms qui sont dits de Dieu temporellement, ne sont en Dieu que par un acte de notre raison[695], tandis que les relations opposées existent en réalité dans les créatures. Et il n’y a pas d’illogisme à ce que Dieu reçoive des noms tirés de relations qui ont réalité dans la créature, pourvu que simultanément soient construites par notre intellect les relations opposées en Dieu, de sorte que Dieu soit nommé relativement à la créature, pour cette raison que la créature lui est référée, comme d’après le Philosophe le connaissable est nommé relativement à la connaissance parce que la connaissance est relative à lui[696].

5. Puisque Dieu se réfère à la créature en ce sens que la créature se réfère à lui[697] ; et puisque la relation de sujétion est réelle dans la créature, il s’ensuit que Dieu n’est pas Seigneur selon une vue de la raison mais en réalité. Car de la manière même dont la créature lui est soumise, il est dit Seigneur.

6. Pour savoir si des termes relatifs sont simultanés ou non par nature, il ne faut pas considérer l’ordre des choses auxquelles on attribue ces relations, mais ce que signifient ces termes relatifs. Car si l’un des deux inclut l’autre dans sa notion et réciproquement, alors ces termes sont simultanés par nature, comme double et moitié, père et fils, etc. Mais si l’un inclut l’autre dans sa notion sans que ce soit réciproque, alors ils ne sont pas simultanés par nature. C’est le cas pour la connaissance et l’objet connaissable. Car l’objet connaissable est ainsi appelé parce qu’il est tel en puissance, tandis que la connaissance existe à l’état d’habitus ou en acte. Aussi, selon ce que le mot signifie, l’objet connaissable existe avant la connaissance. Mais si l’on envisage l’objet connaissable en acte, il existe simultanément avec la connaissance en acte[698]. Car quelque chose n’est connu que s’il est actuellement objet de connaissance[699]. Donc, bien que Dieu soit antérieur aux créatures, parce que dans la signification de “ Seigneur ” il est inclus qu’il ait un serviteur, et réciproquement, ces deux termes relatifs sont simultanés par nature. Aussi Dieu n’a-t-il pas été Seigneur avant d’avoir une créature qui lui fût soumise.

 

            Article 8 — Ce nom “ Dieu ” signifie-t-il la nature de Dieu, ou son opération ?

Objections :

1. Il semble que ce nom ne soit pas un nom de nature. Le Damascène dit en effet : “ Dieu (theos) vient de théein qui veut dire pourvoir à toutes choses, prendre soin de toutes choses ; ou bien de aithein qui signifie brûler, car “ notre Dieu est un feu dévorant ” (Dt 4, 24) ; ou bien encore de théâsthai c’est-à-dire voir toutes choses. Or, tout cela désigne des opérations, et non une nature.

2. Un être est nommé par nous selon qu’il est connu[700] ; or la nature divine nous est inconnue[701]. Donc ce nom “ Dieu ” n’exprime pas la nature divine.

En sens contraire, S. Ambroise affirme que “ Dieu ” est un nom de nature.

Réponse :

Ce dont un nom a été tiré n’est pas toujours ce qu’on lui fait signifier. En effet, lorsque nous connaissons la substance d’une chose par ses propriétés ou ses opérations, nous la nommons parfois du nom de telle opération ou de telle propriété particulière, comme la substance de la pierre a pris nom de ce qu’elle blesse le pied. Cependant on n’emploie pas ce mot pour désigner l’action de blesser, mais pour désigner la substance de la pierre. Quand il s’agit de choses qui nous sont connues en elles-mêmes, comme la chaleur, le froid, la blancheur, etc., on ne recourt pour les nommer à rien d’autre ; dans ce cas, ce que le nom signifie par lui-même est aussi ce qu’il est destiné à signifier.

Parce que Dieu ne nous est pas connu dans sa nature propre mais nous est révélé uniquement par ses activités[702] ou par ses œuvres[703], c’est donc à partir d’elles que nous pouvons le nommer, comme on l’a dit plus haut[704]. En conséquence, ce nom “ Dieu ” nomme une opération, si l’on considère sa signification étymologique. Car ce nom a été donné en raison de la providence universelle que Dieu exerce pour les choses, et tous ceux qui parlent de Dieu entendent appeler Dieu l’être à qui incombe le gouvernement de toutes choses[705]. Aussi Denys écrit-il : “ La déité est ce qui prend soin de toutes choses avec une prévoyance et une bonté parfaites. ” Mais bien qu’il soit emprunté à cette perfection[706] et à cette activité[707], ce nom “ Dieu ” n’en est pas moins employé pour signifier la nature divine.

Solutions :

1. Ce que dit S. Jean Damascène se rapporte à la providence, d’où ce nom a été tiré.

2. Dans la mesure où par les propriétés et les effets d’une chose nous pouvons connaître sa nature nous pouvons exprimer celle-ci par un nom. Ainsi, comme nous pouvons, à partir de sa propriété, connaître la pierre en elle-même, connaissant l’essence de la pierre, ce nom “ pierre ” signifie la nature même de la pierre, telle qu’elle est en elle-même : il signifie en effet la nature de la pierre, prise en elle-même. Car la notion exprimée par le nom est la définition, selon Aristote. A l’inverse, à partir des effets de Dieu, nous ne pouvons pas connaître la nature divine telle qu’elle est en elle-même, de telle sorte que nous connaissions son essence, mais par mode d’éminence[708], de causalité[709] et de négation[710], comme on l’a expliqué. Et c’est ainsi que le nom “ Dieu ” signifie la nature divine. En effet, ce nom a été adopté pour désigner un être au-dessus de tout, qui est le principe de tout, qui est séparé de tout. C’est cela que veulent signifier ceux qui nomment Dieu.

 

            Article 9 — Ce nom “ Dieu ” est-il communicable ?

Objections :1. Il semble que ce nom “ Dieu ” soit communicable. A quiconque, en effet, est communiquée la réalité signifiée par le nom, le nom lui-même est communiqué. Or nous avons dit que le nom “ Dieu ” signifie la nature divine, laquelle est communicable à d’autres, selon le 2° épître de Pierre (1, 4) : “ Il nous a donné de grandes et précieuses promesses, afin de vous rendre ainsi participants de la nature divine. ” Donc le nom “ Dieu ” est communicable.

2. Seuls les noms propres sont incommunicables[711] ; or ce nom “ Dieu ” n’est pas un nom propre, c’est une appellation : la preuve, c’est qu’il se met au pluriel, ainsi qu’en témoigne le Psaume (82, 6) : “ J’ai dit : vous êtes des dieux. ”

3. Le nom “ Dieu ” tire son origine de l’opération comme on l’a dit à l’article précédent. Mais les autres noms divins qui ont pour origine soit les opérations de Dieu, soit ses œuvres, sont communicables, comme bon, sage, etc. Donc le nom “ Dieu ”, lui aussi, est communicable.

En sens contraire, on lit dans la Sagesse (14, 21) : “ Ils ont donné au bois et à la pierre le nom incommunicable ”, et il s’agit du nom de la divinité.

Réponse :

Un nom peut être communicable de deux manières : proprement, ou métaphoriquement. Un nom est communicable proprement, quand il est communicable à plusieurs selon toute sa signification. Il est communicable par métaphore quand il est communicable à plusieurs selon l’un des caractères inclus dans sa signification. Ainsi le nom “ lion ” est commun au sens propre à tous les animaux en qui se trouve la nature signifiée par ce mot ; par métaphore, il est communiqué à tous les êtres ayant quelque chose de léonin, comme l’audace ou le courage, qui les fait appeler lions par métaphore.

Pour savoir maintenant quels noms peuvent être communiqués au sens propre, il faut considérer ceci. Toute forme reçue dans un sujet singulier dans lequel elle est individuée est commune à beaucoup soit réellement, soit au moins notionnellement[712]. Par exemple, la nature humaine est commune à beaucoup, en réalité et notionnellement. Mais la nature du soleil n’est pas réellement commune à plusieurs ; elle l’est seulement notionnellement ; car on peut concevoir la nature du soleil comme réalisée en plusieurs sujets, et cela parce que notre esprit conçoit toujours la nature d’une espèce en faisant abstraction de la matière individuelle[713]. Par conséquent, que sa réalisation ait lieu en un sujet ou en plusieurs, cela n’est pas compris dans le concept de la nature spécifique ; d’où il résulte qu’il peut être conçu comme existant en plusieurs individus sans qu’il soit porté atteinte au concept de la nature spécifique. Mais l’être singulier, du fait qu’il est singulier, est distinct et séparé de tous les autres. Donc, quand un nom est choisi pour désigner un être singulier, ce nom est incommunicable et en réalité et notionnellement ; il ne peut pas venir à l’esprit que cet individu soit multiplié en plusieurs. Par suite aucun nom signifiant un individu n’est communicable à plusieurs proprement, mais seulement par métaphore, comme quelqu’un peut être appelé Achille du fait qu’il a une des qualités d’Achille, comme son courage.

Quant aux formes qui ne sont pas individuées par un suppôt distinct d’elles, mais par elles mêmes, parce que ce sont des formes subsistantes[714], si elles étaient connues telles qu’elles sont en elles-mêmes, elles ne pourraient être communiquées ni réellement ni notionnellement, sinon peut-être par métaphore, comme on l’a dit des individus. Mais parce que ces formes simples subsistant par elles-mêmes ne peuvent être connues par nous telles qu’elles sont, parce que nous ne les concevons qu’à la manière des composés ayant leur forme dans la matière[715], nous leur donnons des noms au concret qui signifient la nature dans un suppôt[716]. De la sorte, en ce qui concerne formellement les noms, il en va de même des noms qui signifient les natures des choses composées, et de ceux par lesquels nous signifions les natures simples subsistantes.

Ainsi donc, puisque ce nom “ Dieu ” a été choisi pour désigner la nature divine, ainsi qu’on l’a dit[717], et puisque cette nature divine n’est pas communicable, ainsi qu’on l’a montré[718], le nom “Dieu” est incommunicable selon la réalité qu’il signifie, mais il est communicable selon l’opinion, au sens où le nom “ soleil ” serait communicable pour ceux qui s’imagineraient qu’il y a plusieurs soleils. C’est en ce sens que S. Paul dit aux Galates (4, 8) : “ Vous serviez des dieux qui n’en sont pas. ” Et la Glose explique : “ Ils ne sont pas dieux par nature, mais dans l’opinion des hommes. ”

Toutefois, le nom de Dieu est communicable, non selon toute sa signification, mais partiellement, en raison d’une certaine similitude. Ainsi appelle-t-on dieux ceux qui participent du divin par manière de ressemblance, selon ces mots du Psaume (82, 6) : “ J’ai dit : vous êtes des dieux. ”

Si un certain nom était donné à Dieu pour le signifier non quant à sa nature, mais en tant que sujet, selon qu’il est cet être-ci, ce nom-là serait de toute manière incommunicable. C’est peut-être le cas du tétragramme chez les Hébreux, et il en est comme si quelqu’un donnait au soleil un nom désignant précisément ce soleil dans son individualité.

Solutions :

1. La nature divine n’est pas communicable, sinon par mode de participation de ressemblance[719].

2. Ce nom “ Dieu ” est une appellation et non pas un nom propre ; car il signifie la nature divine comme si elle était dans un sujet, bien que Dieu lui-même en sa réalité ne soit ni universel ni particulier. Car les noms n’épousent pas le mode d’être des choses nommées selon qu’elles sont dans le réel, mais selon qu’elles sont dans notre connaissance[720]. Toutefois, selon la vérité de ce qu’il signifie, il est incommunicable, comme on l’a expliqué tout à l’heure du mot soleil.

3. Ces mots : bon, sage, et autres semblables, ont été tirés de perfections communiquées par Dieu aux créatures[721]. Cependant ils sont destinés à signifier non la nature divine mais, prises en, elles-mêmes, les perfections qu’ils signifient. C’est pourquoi même selon la réalité des choses, ils sont communicables à beaucoup. Au contraire, le nom “ Dieu ” a été employé, à partir d’une opération propre à Dieu que nous expérimentons constamment, pour signifier la nature divine[722].

 

            Article 10 — Ce nom “ Dieu ” est-il employé de façon univoque, ou équivoque, selon qu’il signifie Dieu par nature, par participation, ou selon l’opinion ?

Objections :

1. Il semble que ce nom : “ Dieu ” soit attribué à Dieu de façon univoque et par nature, et par participation, et selon l’opinion. En effet, là où la signification est absolument diverse, il n’y a pas contradiction entre affirmer et nier, car l’équivocité empêche la contradiction. Mais le catholique qui dit : l’idole n’est pas Dieu, contredit le païen qui affirme : l’idole est Dieu. Donc le nom de Dieu employé des deux côtés est dit de façon univoque.

2. De même que l’idole est Dieu selon l’opinion et non selon la vérité, ainsi la jouissance de plaisirs charnels est appelée bonheur selon l’opinion et non selon la vérité. Mais ce nom de béatitude est dit univoquement de cette béatitude prétendue et de la béatitude véritable[723]. Donc le nom “ Dieu ” lui aussi se dit univoquement du vrai Dieu et d’un Dieu prétendu.

3. On appelle univoques des mots qui signifient une raison formelle unique. Mais le catholique, quand il dit que Dieu est un, entend par ce nom une réalité toute-puissante et digne d’une vénération suprême. Et le païen entend la même chose lorsqu’il dit que son idole est Dieu. Donc ce nom est prononcé des deux côtés dans un sens univoque.

En sens contraire, ce qui existe dans l’intelligence est la similitude de ce qui existe dans la réalité, selon Aristote. Mais le nom “ animal ” dit de l’animal vrai et de l’animal peint, est utilisé équivoquement. Donc le nom de Dieu appliqué au vrai Dieu et à un Dieu prétendu est prononcé de façon équivoque.

Nul ne peut désigner ce qu’il ne connaît pas ; mais le païen ne connaît pas la divinité véritable. Donc, lorsqu’il dit : Mon idole est Dieu, il ne signifie pas la divinité véritable. Mais c’est elle que signifie le catholique professant qu’il existe un seul Dieu. Donc ce nom “ Dieu ” n’est pas attribué d’une façon univoque, mais de façon équivoque, au vrai Dieu et au Dieu prétendu.

Réponse :

Ce nom “ Dieu ” dans les trois significations qu’on vient de proposer n’est pas utilisé ni univoquement, ni équivoquement, mais analogiquement[724]. On peut le manifester ainsi : la raison formelle que signifient les termes univoques est en tous points la même ; celles que signifient les termes équivoques sont totalement diverses, tandis que pour les analogues il faut que le nom pris dans une signification entre dans la définition de ce nom pris selon les autres significations. Ainsi, l’étant attribué à la substance entre dans la définition de l’étant selon que ce nom est dit de l’accident. “ Sain ” dit de l’animal entre dans la définition “ sain ” dit de l’urine et du remède ; car cette qualité que signifie le mot “ sain ” et qui est dans l’animal, l’urine en est le signe, et le remède, la cause. Il en est ainsi dans le problème posé. Car ce nom “ Dieu ”, pris au sens du vrai Dieu, entre dans la raison formelle signifiée par ce même nom quand il est dit dans le sens de l’opinion ou de la participation. En effet, lorsque nous donnons à quelqu’un le nom de Dieu par participation, nous entendons par ce nom “ Dieu ” quelque chose qui a une ressemblance avec le vrai Dieu. Pareillement, lorsque nous appelons Dieu une idole, nous entendons par ce nom signifier quelque chose dont les hommes estiment que c’est Dieu. Il est ainsi manifeste que ce nom a des significations diverses, mais une de ces significations est incluse dans les autres. Il est donc manifeste qu’il est utilisé analogiquement.

Solutions :

1. La multiplicité des noms ne tient pas à l’attribution d’un nom, mais à sa signification ; car le nom d’homme, attribué à qui que ce soit vraiment ou faussement, ne se dit que d’une seule manière. On le dirait de façon multiple si, par ce nom d’homme, nous entendions signifier des raisons formelles diverses ; par exemple, si l’un entendait signifier par là un homme véritable, tandis qu’un autre entendrait, par le même mot, signifier une pierre ou autre chose. Il est évident par là que le catholique disant que l’idole n’est pas Dieu contredit le païen pour qui elle est Dieu, car tous deux emploient ce nom “ Dieu ” dans l’intention de signifier le vrai Dieu. En effet, lorsque le païen affirme que son idole est Dieu, il n’emploie pas ce mot selon qu’il signifie un Dieu prétendu. Car, en ce cas, il dirait vrai, puisque les catholiques aussi emploient parfois le nom : Dieu, en ce sens, par exemple lorsqu’ils disent avec le Psaume (96, 5 Vg) : “ Tous les dieux des païens sont des démons. ”

2 et 3. Même réponse. Car ces arguments se fondent sur la diversité d’attribution, et non sur la diversité de signification.

4. Quand on parle d’un animal réel et d’un animal en peinture, on ne parle pas de façon purement équivoque. Le Philosophe emploie ce mot au sens large, en tant que l’équivoque inclut l’analogie. Car l’être est attribué de façon analogique, mais on dit parfois qu’il est attribué de façon équivoque aux prédicaments qui sont divers.

5. La nature même de Dieu en ce qu’il est, ni le catholique ni le païen ne la connaît[725] ; mais l’un et l’autre la connaît en tant qu’elle est au terme des voies de la causalité, de l’éminence et de la négation, nous l’avons déjà dit[726]. Ainsi le païen, lorsqu’il dit que son idole est Dieu, peut-il prendre ce mot “ Dieu ” dans le même sens que le catholique disant que l’idole n’est pas Dieu. Mais, s’il y avait quelqu’un qui ne connaisse Dieu sous aucun rapport, il ne le nommerait aucunement, sinon comme nous prononçons parfois des mots dont nous ignorons le sens.

 

            Article 11 — Le nom “ Celui qui est ” est-il, plus que tous les autres, le nom propre de Dieu ?

Objections :

l. Il ne semble pas. Car le nom de Dieu, avons-nous dit[727], est incommunicable. Or “ Celui qui est ” n’est pas un nom incommunicable. Donc ce n’est pas le nom propre de Dieu.

2. Denys nous dit : “ C’est le nom de Bien qui manifeste le mieux que tout émane de Dieu ”.[728] Mais ce qui convient le plus à Dieu, c’est d’être le principe universel des choses. C’est donc le nom de Bien qui est le plus propre à Dieu, et non “ Celui qui est ”.

3. Tout nom divin semble impliquer un rapport avec la créature, puisque Dieu n’est connu de nous que par les créatures[729]. Mais “ Celui qui est ” implique aucun rapport aux créatures.

En sens contraire, Moïse posant à Dieu cette question : “ S’ils me demandent quel est son nom, que leur dirai-je ? ” Le Seigneur répond : “ Voici ce que tu leur diras : Celui qui est m’a envoyé vers vous. ” (Ex 3, 13.14 Vg.)

Réponse :

Ce nom “ Celui qui est ” est dit le nom le plus propre à Dieu pour trois raisons :

1. A cause de sa signification ; car il ne désigne pas une forme particulière d’existence, mais l’existence même. Aussi, puisque l’existence de Dieu est identique à son essence, ce qui ne convient qu’à lui seul, nous l’avons montré[730], il est évident qu’entre tous les noms qu’on lui donne, celui-là nomme Dieu le plus proprement ; car tout être est nommé d’après sa forme.

2. A cause de son universalité ; car tous les autres noms ou bien sont moins étendus, ou bien, s’ils ont la même extension, ils ajoutent pour l’esprit quelque chose qui le qualifie et le détermine d’une certaine manière. Or, notre esprit ne peut, en cette vie, connaître l’essence de Dieu telle qu’elle est en soi[731], et quelque détermination qu’il confère à ce qu’il conçoit de Dieu, il est en défaut par rapport à ce qu’est Dieu en lui-même. Aussi, moins les noms sont déterminés, plus ils sont généraux et absolus, et plus proprement nous les disons de Dieu. C’est ce qui fait dire à S. Jean Damascène : “ De tous les noms que nous donnons à Dieu, nous devons regarder comme principal "Celui qui est", car Dieu est l’être comprenant tout en soi-même comme une sorte d’océan de substance, infini et sans bords. ” Tout autre nom détermine en quelque manière la substance de la chose qu’il nomme, tandis que ce nom “ Celui qui est ” ne détermine aucun mode d’être[732] ; il est sans détermination à l’égard de tous, et c’est en cela qu’il nomme l’océan infini de substance.

3. A cause de ce qui est inclus dans sa signification ; car ce nom signifie au présent, et cela convient souverainement à Dieu[733], dont l’être ne connaît ni passé, ni avenir, ainsi que le remarque S. Augustin.

Solutions :

1. Ce nom “ Celui qui est ” est un nom de Dieu plus propre que ce nom “ Dieu ” en raison de ce dont il est tiré, l’être, et quant à son mode de signifier, ainsi que de sa connotation temporelle comme on vient de le dire. Toutefois, en raison de ce qu’il entend signifier, ce nom “ Dieu ” est plus propre car ce qu’il entend signifier, c’est la nature divine[734]. Encore plus propre est le Tétragramme, employé pour signifier la substance divine selon qu’elle est incommunicable et, si l’on peut ainsi parler, singulière.

2. Il est vrai que ce nom : “ Le Bon ” est le nom principal de Dieu en tant qu’il est cause ; mais non purement et simplement ; car absolument parlant, “ être ” ne peut être conçu que comme antérieur à “ causer ”[735].

3. Il n’est pas nécessaire que tous les noms divins impliquent une relation aux créatures ; il suffit qu’ils soient empruntés à des perfections communiquées par Dieu aux créatures[736], et entre celles-ci la toute première est l’être même, d’où est pris ce nom : “ Celui qui est ”.

 

            Article 12 — Peut-on former au sujet de Dieu des propositions affirmatives ?

Objections :

1. Cela semble impossible, car Denys s’exprime ainsi : “ En ce qui concerne Dieu, les négations sont vraies ; les affirmations sont inconsistantes.”

2. Boèce écrit “ Une forme simple ne peut pas être un sujet[737]. ” Or Dieu est par excellence une forme simple, comme on l’a montré précédemment[738] : il ne peut donc pas être un sujet. Or tout ce dont une proposition affirme quelque chose est pris comme sujet. On ne peut donc former au sujet de Dieu aucune proposition affirmative.

3. Tout esprit conçoit faussement s’il conçoit une chose autrement qu’elle n’est. Or, on l’a fait voir[739], Dieu a l’être sans aucune composition. Puisque tout intellect qui affirme connaît son objet par mode de composition[740], il semble qu’une proposition affirmative touchant Dieu ne puisse pas se construire avec vérité.

En sens contraire, la foi ne contient aucune erreur, et l’on y trouve certaines propositions affirmatives, comme : Dieu est trine et un, il est tout-puissant, etc.

Réponse :

Assurément, des propositions affirmatives vraies peuvent être formées au sujet de Dieu. Pour s’en convaincre, il faut savoir qu’en toute proposition affirmative vraie, le prédicat et le sujet doivent d’une certaine manière signifier la même réalité, et des raisons formelles diverses. Cela se constate dans les propositions où l’attribut est une qualité accidentelle, aussi bien que dans le cas d’un attribut substantiel. Il est manifeste, en effet, que l’homme et le blanc sont un seul et même sujet ; mais ils diffèrent formellement ; car autre est la raison formelle d’homme, autre la raison de blanc. Pareillement, quand je dis : L’homme est un animal, cela même qui est homme est vraiment animal, car dans le même suppôt existent et la nature sensible qui le fait appeler animal et la nature raisonnable qui le fait appeler homme. Ainsi, dans ce cas également, le prédicat et le sujet sont identiques par le suppôt, alors qu’ils diffèrent formellement. Mais dans les propositions où le même est affirmé du même, cette loi se vérifie encore d’une certaine manière ; car ce que l’intelligence prend alors comme sujet, elle lui fait jouer le rôle de suppôt ; ce qu’elle prend comme prédicat, elle lui prête la nature d’une forme dans un suppôt, et c’est ce qui fait dire que les prédicats se prennent comme forme et les sujets comme matière. Or, à la diversité de raisons formelles qui se rencontre ici correspond l’altérité du prédicat et du sujet, tandis que leur identification dans la chose, l’intellect la signifie par la composition même.

Quant à Dieu, considéré en lui-même, il est absolument un et simple ; mais notre esprit le connaît au moyen de divers concepts, car il ne peut le voir en lui-même tel qu’il est[741]. Malgré cela, notre esprit sait qu’à toutes ses conceptions diverses correspond une même et unique réalité simple. Ainsi donc, la pluralité de raisons formelles qui intervient ici est représentée par la diversité du prédicat et du sujet dans nos phrases affirmatives ; tandis que l’unité est représentée dans ces mêmes phrases par leur composition.

Solutions :

1. Quand Denys avance que les propositions relatives à Dieu sont inconsistantes ou, selon une autre traduction, sans convenance, il veut dire qu’aucun nom attribué à Dieu ne lui convient quant au mode de sa signification, comme on l’a expliqué plus haut[742].

2. Notre intellect ne peut pas saisir les formes simples subsistantes telles qu’elles existent en elles-mêmes[743] ; mais il les appréhende à la manière des composés, en qui se trouve quelque chose qui est sujet et quelque chose qui est inhérent à ce sujet. C’est pourquoi il appréhende la forme simple à la manière d’un sujet et lui attribue quelque chose.

3. Quant à cette proposition : Tout intellect qui connaît une chose autrement qu’elle n’est, est erroné, on peut l’entendre de deux manières, selon que l’adverbe “ autrement ” détermine le verbe “ concevoir ” du côté de l’objet connu, ou du côté de l’esprit qui connaît. Si on le prend du côté de l’objet, la proposition est vraie, et son sens est celui-ci : Un intellect qui juge qu’une chose est autrement qu’elle n’est, est erroné. Mais ce n’est pas le cas ici ; en formant au sujet de Dieu des propositions affirmatives, notre esprit ne le déclare pas composé, mais simple. Si l’on prend au contraire l’adverbe du côté du sujet, alors la proposition est fausse ; car autre est le mode d’opération de l’intellect, autre le mode d’être de la chose[744]. Il est manifeste en effet que notre intellect connaît immatériellement les choses matérielles qui sont au-dessous de lui ; non qu’il les connaisse comme immatérielles, mais son mode de connaître est immatériel. De même, quand il conçoit les êtres simples qui sont au-dessus de lui, notre intellect les conçoit selon son mode, par manière de composition, sans pour autant qu’il les juge elles-mêmes composées. Ainsi, notre intellect n’est pas erroné lorsqu’il forme des propositions composées au sujet de Dieu.

 


 

Après l’étude de la substance divine, il reste à envisager ce qui concerne ses opérations. Et, comme il y a des opérations de deux espèces, les unes qui demeurent dans le sujet opérant, et d’autres qui s’étendent à un effet extérieur, nous traiterons d’abord de la science et de la volonté (Q. 14-24) [car savoir est dans l’être qui sait, et vouloir dans l’être qui veut] ; ensuite, nous traiterons de la puissance de Dieu (Q. 25), qu’on envisage comme principe des opérations divines s’étendant à un effet extérieur. Et, parce que la connaissance est une opération vitale, après l’étude de la science divine (Q. 14-17), nous traiterons de la vie divine (Q. 18). Et, parce que la science a pour objet le vrai, il faudra encore traiter de la vérité et de l’erreur (Q. 16-17). En outre, le connu étant dans le connaissant[745], et les conceptions des choses, en Dieu, prenant le nom d’idées, nous devrons ajouter à la considération de la science divine la considération des Idées (Q. 15).

 

 

QUESTION 14 — LA SCIENCE DE DIEU

1. Y a-t-il science en Dieu ? 2. Dieu se connaît-il lui-même ? 3. La connaissance que Dieu a de lui-même est-elle compréhensive ? 4. Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? 5. Dieu connaît-il les autres ? 6. Dieu a-t-il des autres une connaissance propre ? 7. La science de Dieu est-elle discursive ? 8. La science de Dieu est-elle cause des choses ? 9. Dieu a-t-il connaissance des choses qui ne sont pas ? 10. Dieu a-t-il connaissance des maux ? 11. Dieu connaît-il les singuliers ? 12. Dieu connaît-il une infinité de choses ? 13. Dieu connaît-il les futurs contingents ? 14. Dieu connaît-il nos énonciations ? 15. La science de Dieu est-elle soumise au changement ? 16. Dieu a-t-il des choses une connaissance spéculative, ou une connaissance pratique ?

 

            Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas de science en Dieu. En effet, la science est un habitus[746], et l’habitus n’a pas de place en Dieu, car il tient le milieu entre la puissance et l’acte[747]. Il n’y a donc pas de science en Dieu.

2. La science, ayant pour objet les conclusions, est une connaissance causée par autre chose qu’elle, à savoir par la connaissance des principes. Mais il n’y a rien de causé en Dieu[748]. Donc il n’y a pas de science en Dieu.

3. Toute science est ou générale ou particulière. Mais en Dieu, ni le général ni le particulier ne se rencontrent, comme on l’a montré précédemment[749]. Il n’y a donc pas de science en Dieu.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 11, 33) : “ O profondeur inépuisable de la sagesse et de la science de Dieu ! ”

Réponse :

En Dieu il y a science, le plus parfaitement qui soit. Pour s’en convaincre, il faut observer que les êtres doués de connaissance se distinguent des non-connaissants en ce que ceux-ci n’ont d’autre forme que leur forme propre ; tandis que l’être connaissant a, par nature, la capacité de recevoir, en outre, la forme d’autre chose : car la forme du connu est dans le connaissant[750]. Et il est évident par là que la nature du non-connaissant est plus restreinte et plus limitée ; celle, au contraire, des connaissants ayant une plus grande ampleur et une plus large extension. Ce qui a fait dire au Philosophe que “l’âme est d’une certaine manière toutes choses”[751]. Or, c’est par la matière que la forme est restreinte, et c’est pourquoi nous disions plus haut[752] que les formes, à mesure qu’elles sont plus immatérielles, accèdent à une sorte d’infinité. On voit donc que l’immatérialité d’un être est ce qui fait qu’il soit doué de connaissance, et son degré de connaissance se mesure à son immatérialité. Aussi Aristote explique-t-il, dans le traité De l’Ame, que les plantes ne connaissent pas en raison de leur matérialité. Le sens, lui, est connaissant en raison de sa capacité à recevoir des formes sans matière ; et l’intellect est connaissant à un plus haut degré encore, parce qu’il est plus séparé de la matière, et non mélangé à elle, dit Aristote[753]. Comme Dieu est au sommet de l’immatérialité[754], ainsi qu’on l’a vu par ce qui précède[755], il est en conséquence au sommet de la connaissance.

Solutions :

1. Parce que les perfections qui procèdent de Dieu dans les créatures, sont chez lui, selon un mode supérieur, comme il a été dit plus haut[756], quand nous attribuons à Dieu un nom tiré de quelque perfection de la créature, nous devons exclure de sa signification tout ce qui tient au mode imparfait propre à la créature. C’est pourquoi la science en Dieu n’est pas une qualité, ou un habitus, mais substance et acte pur.

2. Nous avons vu[757] que ce qui est divisé et multiple dans les créatures se trouve en Dieu simple et un. Dans l’homme, selon la diversité des connus, il y a diverses sortes de connaissances : ainsi, “ principes ”, on dit “ intelligence ”, “ science ” , selon qu’il connaît les conclusions ; “ sagesse ”, selon qu’il connaît la cause suprême ; “ conseil ” ou “ prudence ”, selon qu’il connaît ce qui est à faire. Mais Dieu connaît toutes ces choses d’une simple et unique connaissance, ainsi qu’on le verra. C’est pourquoi la connaissance de Dieu peut recevoir absolument tous ces noms, à la condition qu’on écarte de chacun d’eux, lorsqu’il est attribué à Dieu, tout ce qu’il comprend d’imparfait, et qu’on en retienne tout le parfait[758]. C’est ainsi qu’il est écrit (Jb 12,13) : “ En lui résident la sagesse et la puissance ; le conseil et l’intelligence lui appartiennent. ”

3. La science emprunte ses caractères à la manière d’être du sujet connaissant, car l’objet connu est dans celui qui le connaît[759] selon la manière d’être de ce dernier. Puisque l’essence divine a un mode d’être supérieur à celui des créatures[760], la science divine ne sera pas comme la science créée : ni universelle ni particulière, ni en disposition habituelle, ni en puissance, ni sous aucun autre mode pareil.

 

            Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne se connaît pas lui-même, car il est dit au Livre des Causes : “ Tout être connaissant sa propre essence revient à son essence par un retour complet. ” Or Dieu ne quitte pas sa propre essence ; il ne se meut en aucune façon[761] ; il ne peut donc faire ainsi retour, pour la connaître, à son essence. Donc il ne se connaît pas.

2. Connaître est un certain “ pâtir ”, un “ être mû ”, comme il est dit au livre De l’Ame ; la science est encore une assimilation de l’esprit à la chose connue[762] ; enfin, ce que l’on sait est une perfection de celui qui sait. Or, nul ne pâtit de lui-même, ne se perfectionne lui-même, n’est semblable à lui-même, comme l’observe S. Hilaire.

3. Nous sommes semblables à Dieu surtout par l’intelligence, parce que c’est l’esprit, dit S. Augustin, qui nous fait à l’image de Dieu[763]. Mais notre intellect ne parvient pas à se connaître lui-même, si ce n’est en connaissant d’autres choses, comme l’affirme le livre De l’Ame. Donc Dieu non plus ne se connaît pas, si ce n’est peut-être en connaissant autre chose que lui.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (1 Co 2, 11) : “ Nul ne connaît ce qui concerne Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu. ”

Réponse :

Dieu se connaît, et il se connaît par lui-même. Pour le comprendre, il faut savoir que si, dans le cas d’opérations qui s’étendent à un effet extérieur, l’objet de l’opération, c’est-à-dire son terme, est quelque chose d’extérieur au sujet opérant, au contraire, quand il s’agit d’opérations qui sont dans le sujet opérant lui-même, l’objet en lequel se termine l’opération est dans le sujet opérant, et en cela même consiste l’opération : que l’objet est dans le sujet. Aussi est-il dit au livre De l’Ame que le sensible en acte est identique au sens en acte, et que l’intelligible en acte est identique à l’intellect en acte. Car sentir ou connaître intellectuellement en acte quelque chose, cela vient de ce que notre intellect ou notre sens est actuellement informé par la forme du sensible ou de l’intelligible[764]. Et si le sens ou l’intelligence diffèrent du sensible ou de l’intelligible, c’est seulement quand ils sont l’un et l’autre en puissance. Donc, comme en Dieu rien n’est potentiel, mais qu’il est l’acte pur[765], il y a nécessité qu’en lui l’intellect et l’objet de l’intellect soient identiques de toute manière ; de telle sorte que jamais il ne soit dépourvu de forme intelligible, comme nous quand nous ne connaissons qu’en puissance ; et que, d’autre part, la forme intelligible ne soit pas distincte de la substance même de l’intellect divin, comme il arrive pour notre intellect quand il est actuellement connaissant. En conséquence, la forme intelligible dont on parle est l’intellect divin lui-même, et ainsi il se connaît lui-même par lui-même.

Solutions :

l. “ Faire retour à sa propre essence ”, c’est simplement subsister en soi. En effet, la forme, en tant qu’elle parfait la matière en lui donnant l’être, se répand en quelque sorte dans cette matière. Mais en tant qu’elle a l’être en elle-même, elle revient à elle. Donc, les facultés cognitives non subsistantes, mais qui sont l’acte d’organes corporels, ne se connaissent pas elles-mêmes, comme on le voit de nos divers sens. Au contraire, les facultés cognitives qui subsistent par elles-mêmes peuvent se connaître elles-mêmes. C’est ce que déclare le Livre des Causes quand il dit : “ Celui qui connaît sa propre essence fait retour à son essence. ” Or, subsister par soi-même est souverainement le cas de Dieu[766]. Donc, selon cette façon de parler, on devra dire que souverainement aussi Dieu fait retour à son essence, et se connaît lui-même.

2. “Être mû”, “pâtir”, ces mots sont pris équivoquement[767] quand on dit que l’intellection est un “être mû”, un “pâtir”, comme l’explique Aristote au livre De l’Ame. Car connaître intellectuellement n’est pas un mouvement, lequel est l’acte de l’imparfait, c’est-à-dire un passage de la puissance à l’acte[768] ; c’est un acte du parfait, c’est-à-dire un acte qui demeure dans l’agent[769]. De même, que l’intellect soit actué par l’intelligible, ou encore qu’il lui devienne assimilé, cela convient à l’intellect auquel il arrive d’être en puissance. Étant en puissance, il diffère de son intelligible et lui est assimilé par une forme intelligible, qui est la similitude de la chose connue, et il tient d’elle sa perfection, comme la puissance est perfectionnée par l’acte. Mais l’intellect divin, qui n’est d’aucune manière en puissance[770], n’est pas perfectionné par l’intelligible, il ne lui est pas assimilé ; il est lui-même sa propre perfection et son propre intelligible.

3. La matière première, qui est pure puissance[771], n’est capable de l’être naturel que dans la mesure où elle est actualisée par la forme. Or, notre intellect passif est dans l’ordre de l’intelligible ce qu’est la matière première dans l’ordre des choses naturelles, car il est en puissance à l’égard des intelligibles comme la matière première à l’égard des choses naturelles. Il s’ensuit que notre intellect passif ne peut connaître les intelligibles que s’il est actualisé par une forme intelligible. Et ainsi il se connaît lui-même, comme il connaît tout le reste, au moyen d’une forme intelligible[772] ; car il est évident que, connaissant un objet intelligible, il connaît sa propre intellection, et par cet acte il connaît sa puissance intellectuelle. Mais Dieu, lui, est acte pur aussi bien dans l’ordre de la connaissance que dans l’ordre de l’existence[773], et c’est pourquoi il se connaît lui-même par lui même.

 

            Article 3 — La connaissance que Dieu a de lui-même est-elle compréhensive ?

Objections :

1. Il ne le semble pas, car S. Augustin écrit : “ Un être qui se comprend est fini pour lui-même. ” Or, Dieu est de toute manière infini[774] : donc il ne peut se comprendre lui-même.

2. Si l’on dit : Dieu est infini pour nous, bien que fini pour lui-même, on peut objecter encore : Ce qui est vrai pour Dieu est plus vrai que ce qui est vrai pour nous. Donc, si Dieu est pour lui-même fini, il est plus vrai de dire : Dieu est fini, que de dire : Dieu est infini. Or, cela contredit tout ce qui a été déterminé plus haut[775]. Donc Dieu ne se comprend pas lui-même.

En sens contraire, S. Augustin écrit au même endroit : “ Tout être qui se connaît intellectuellement se comprend. ”

Réponse :

Dieu a de lui-même une connaissance compréhensive, et en voici la preuve. On dit d’une chose qu’elle est comprise lorsqu’on est parvenu au terme extrême de sa connaissance, et cela se produit lorsque cette chose est connue aussi parfaitement qu’elle est connaissable. Par exemple, une proposition susceptible d’être démontrée est comprise quand elle est connue par démonstration, non quand elle est connue par une raison simplement plausible[776]. Or il est manifeste que Dieu se connaît parfaitement comme il est parfaitement connaissable. En effet, chaque être est connaissable dans la mesure où il est en acte ; car on ne connaît pas une chose selon qu’elle est en puissance, mais selon qu’elle est en acte[777], ainsi qu’il est dit dans la Métaphysique. Or, la vertu cognitive de Dieu égale l’actualité de son être, car, si Dieu est connaissant, cela vient de ce qu’il est en acte[778] et dégagé de toute matière[779], de toute potentialité[780], ainsi qu’on l’a montré[781]. Il est donc évident qu’il se connaît lui-même autant qu’il est connaissable. Et c’est pourquoi il se comprend parfaitement.

Solutions :

l. A le prendre en toute propriété de termes, “ comprendre ” signifie avoir en soi et inclure quelque chose. Ainsi, tout ce qui est “ compris ” est nécessairement fini comme tout ce qui est inclus. Mais quand on dit de Dieu qu’il est compris par lui-même, on n’entend pas dire que son intellect soit autre que son être, qu’il le prend en lui et l’inclut. De telles expressions doivent être interprétées négativement. De même que l’on dit : Dieu est en lui-même pour dire qu’il n’est contenu par rien d’extérieur[782], ainsi dit-on qu’il se comprend lui-même pour exprimer que rien de lui-même ne lui échappe. C’est ce qui fait dire à S. Augustin : “ Une chose est comprise quand on la voit de telle sorte que rien d’elle n’échappe à celui qui voit. ”

2. Quand on dit : Dieu est fini pour lui-même, cela ne doit s’entendre que d’une sorte d’égalité de proportion, et cela signifie : Dieu ne dépasse pas plus la capacité de sa propre intelligence qu’un être fini ne dépasse la capacité d’un esprit fini. Mais on n’entend pas que Dieu soit fini pour lui-même en ce sens que lui-même se comprendrait comme fini.

 

            Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

Objections :

1. Il semble que non. Car connaître est une opération. Or, une opération signifie quelque chose qui procède d’un opérant. Donc le connaître de Dieu n’est pas sa substance même.

2. Connaître que l’on connaît, ce n’est pas connaître quelque chose d’important, de principal, mais quelque chose de secondaire et d’accessoire. Donc, si Dieu est identique à son intellection, connaître sera pour Dieu comme pour nous connaître que nous connaissons, et le connaître de Dieu ne sera rien de grand.

3. Connaître, c’est connaître quelque chose. Donc, quand Dieu se connaît lui-même, si lui-même n’est autre que son propre connaître, il connaît seulement son connaître, et ainsi à l’infini. Il n’est donc pas possible que le connaître de Dieu soit sa substance.

En sens contraire, S. Augustin affirme :

“ Pour Dieu, être, c’est être sage. ” Etre sage, ici, c’est connaître. Donc, pour Dieu, être, c’est connaître par l’intelligence. Or, nous avons vu plus haut que l’être de Dieu est identique à sa substance[783] ; donc, l’intellection, en Dieu, est identique à sa substance.

Réponse :

On doit dire nécessairement que le connaître, en Dieu, est identique à sa substance. Car si l’intellection de Dieu était distincte de sa substance, il s’ensuivrait, selon le Philosophe au livre XII de la Métaphysique, que cette substance divine trouverait son acte et sa perfection dans autre chose qu’elle-même, à l’égard de quoi elle entretiendrait la relation de puissance à un acte, ce qui est tout à fait impossible[784], car le connaître est la perfection et l’acte du connaissant[785].

Comment cela se fait, il faut l’examiner. Nous avons dit plus haut que l’intellection n’est pas une action sortant de l’agent et passant en quelque chose d’extérieur[786], mais qu’elle demeure en lui comme son actualité et sa perfection[787], à la manière dont l’être même est la perfection de l’existant[788]. En effet, comme l’être est consécutif à la forme[789], ainsi l’intellection est consécutive à la forme intelligible[790]. Mais en Dieu, il n’y a pas de forme qui soit autre que son être même, ainsi qu’on l’a montré[791]. Il en résulte donc nécessairement, son essence même étant forme intelligible, comme on l’a dit également[792], que son connaître lui-même est et son essence et son être.

De tout ce qui précède il résulte qu’en Dieu, l’intellect, le connu, la forme intelligible et le connaître lui-même sont absolument une seule et même chose. Manifestement donc, dire de Dieu qu’il connaît n’introduit dans sa substance aucune multiplicité[793].

Solutions :

1. L’intellection n’est pas une opération sortant de l’opérant, mais elle demeure en lui[794].

2. Connaître le connaître qui n’est pas subsistant n’est pas connaître grand-chose, comme lorsque nous connaissons notre propre connaître. Mais il n’en va pas de même du connaître divin, qui est subsistant[795].

3. Le connaître divin, qui est subsistant en lui-même, est connaissance de soi-même[796], et non de quelque chose d’autre qu’il faudrait poursuivre indéfiniment.

 

            Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne connaisse pas les autres. Car tout ce qui est autre que Dieu lui est extérieur. Or S. Augustin nous dit : “ Dieu ne voit rien en dehors de lui-même. ” Donc il ne connaît pas les autres.

2. Le connu est la perfection du connaissant[797]. Donc, si Dieu connaît les autres, quelque chose d’autre sera sa perfection, et sera plus noble que lui. Ce qui est impossible.

3. L’intellection est spécifiée par l’intelligible, comme tout autre acte est spécifié par son objet[798] ; et de là vient que le connaître est d’autant plus noble que la chose connue est plus noble. Or, Dieu est lui-même sa propre intellection, avons-nous dit[799]. Donc, si Dieu connaît autre chose que lui, Dieu même est spécifié par autre chose, ce qui est impossible. Il ne connaît donc pas les choses autres que lui-même.

En sens contraire, on lit dans l’épître aux Hébreux (4, 13) : “ Toutes choses sont à nu et à découvert devant ses yeux.”

Réponse :

De toute nécessité il faut dire que Dieu connaît les autres. Il est manifeste, en effet, qu’il se connaît parfaitement lui-même, sans quoi son être ne serait pas parfait, puisque son être est son connaître[800]. Or, si quelque chose est connu parfaitement, il est nécessaire que son pouvoir soit connu parfaitement. Mais le pouvoir d’un agent ne peut être connu parfaitement sans que soient connues les choses auxquelles s’étend ce pouvoir. Comme le pouvoir de Dieu s’étend aux autres, puisqu’il est la première cause efficiente de toutes choses, comme on l’a démontré précédemment[801], il est donc de toute nécessité que Dieu connaisse les autres. Cela devient plus évident encore si l’on ajoute que l’être même de la cause première, qui est Dieu, est son connaître, et que toutes choses sont en lui à la manière dont l’intelligible est dans l’intellect. Car tout ce qui est dans un autre y est toujours selon le mode propre de celui en qui il est[802].

Pour savoir comment Dieu connaît ainsi les autres, il faut remarquer qu’il y a deux manières, pour une chose, d’être connue : en elle-même, et en une autre. On connaît une chose en elle-même quand on la connaît par le moyen de sa propre forme intelligible, adéquate à elle, comme lorsque l’œil voit un homme par la forme sensible, en lui, de cet homme. On connaît au contraire en un autre ce que l’on voit par la forme cognitive propre de ce qui le contient, comme lorsque l’on voit une partie d’un tout par la forme cognitive du tout, ou un homme dans un miroir par l’image que donne ce miroir, ou de quelque autre manière dont une chose puisse être vue dans une autre[803].

Partant de là, il faut dire que Dieu se voit lui-même en lui-même, puisqu’il se voit par sa propre essence. Mais quant aux autres êtres, il ne les voit pas en eux-mêmes, il les voit en lui-même, selon que son essence a en elle la similitude de tout ce qui est autre que lui[804].

Solutions :

1. Quand S. Augustin écrit : “ Dieu ne voit rien en dehors de lui-même ”, il ne faut pas comprendre qu’il ne verrait rien de ce qui se trouve hors de lui-même, mais bien que ce qui est en dehors de lui-même, il ne le voit ou ne le regarde qu’en lui-même, ainsi qu’on vient de l’expliquer[805].

2. Si le connu est la perfection du connaissant, ce n’est point par sa substance, c’est par sa forme intelligible[806], selon laquelle il se trouve dans l’intellect comme sa forme et sa perfection.[807] “ Ce n’est pas la pierre, dit Aristote qui est dans l’âme, mais sa forme.”[808] Quant aux réalités autres que Dieu, elles sont connues par Dieu selon que son essence comprend leurs formes intelligibles ainsi qu’on vient de le voir[809]. Il ne s’ensuit donc pas qu’une autre réalité soit la perfection de l’intellect divin, en dehors de l’essence divine.

3. La vision intellectuelle n’est pas spécifiée par ce qui est vu dans un autre, mais par le connu principal dans lequel les autres choses sont connues. Le connaître, en effet, est spécifié par son objet en raison de ce que la forme intelligible est le principe de l’opération intellectuelle ; car toute opération est spécifiée par la forme qui est le principe de cette opération[810], comme l’échauffement est spécifié par la chaleur. L’opération intellectuelle reçoit son espèce de la forme intelligible qui fait que l’intellect est en acte[811]. Et cette forme intelligible est celle du connu principal qui, en Dieu, n’est autre que son essence même, en laquelle toutes les formes représentatives des êtres sont comprises[812]. Il ne s’impose donc pas que l’intellection divine, ou plutôt Dieu lui-même, soit spécifiée par autre chose que l’essence de Dieu.

 

            Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

Objections :

1. Il ne le semble pas, car Dieu connaît toutes choses, on vient de le voir, comme elles sont en lui-même[813]. Mais les autres choses sont en Dieu comme dans la cause première et universelle[814]. Donc, elles sont également connues de lui comme dans leur cause première et universelle, et c’est là connaître en général, non d’une connaissance propre. Donc Dieu connaît les autres choses en général, non d’une connaissance propre à chacun.

2. L’essence divine est distante de l’essence de la créature autant que l’essence de la créature l’est d’elle. Or, par l’essence de la créature, l’essence divine ne peut être connue[815]. Et ainsi, Dieu ne connaissant rien que par son essence[816], il s’ensuit qu’il ne connaît pas la créature dans son essence, de façon à savoir “ ce qu’elle est ”, ce qui est avoir d’elle une connaissance propre.

3. On ne peut connaître proprement une chose que par sa propre raison formelle. Or Dieu connaît toutes choses par son essence[817]. Il semble donc qu’il ne connaisse pas chaque chose par sa raison formelle propre, car lui-même ne peut pas être la raison formelle de choses multiples et diverses[818]. Dieu n’a donc pas des choses une connaissance propre, mais une connaissance générale.

En sens contraire, avoir des choses une connaissance propre, c’est les connaître non seulement en général, mais selon qu’elles se distinguent les unes des autres. Or, c’est ainsi que Dieu connaît les choses, selon ces paroles de l’épître aux Hébreux (4,12) : “ Elle va (la parole de Dieu) jusqu’à distinguer l’âme et l’esprit, les jointures et les mœlles ; elle démêle les sentiments et les pensées du cœur. Aussi nulle créature n’est cachée devant Dieu. ”

Réponse :

A cet égard, certains philosophes se sont égarés, disant que Dieu ne connaît les autres réalités qu’en général, c’est-à-dire en tant qu’ils sont des étants. De même, en effet, que le feu, s’il se connaissait lui-même comme principe de la chaleur, connaîtrait la nature de la chaleur et, avec elle, toutes les autres choses chaudes, en tant que chaudes : ainsi Dieu, en tant qu’il se connaît comme principe de l’être[819], connaît la nature de l’étant et de toutes les autres choses en tant qu’elles sont des étants. Mais cela ne se peut pas. En effet, connaître quelque chose en général et non en ce qu’il a de distinct, c’est le connaître d’une manière imparfaite. Aussi notre intelligence, quand elle passe de la puissance à l’acte, accède-t-elle d’abord à une connaissance générale et confuse des choses, avant d’en avoir une connaissance propre, allant ainsi de l’imparfait au parfait, dit Aristote. Donc, si la connaissance que Dieu a des choses autres que lui-même était générale seulement et non distincte, il s’ensuivrait que son intellection ne serait pas de toute manière parfaite, ni, en conséquence, son être lui-même[820], ce qui contredit à nos précédentes déterminations[821]. Il faut donc affirmer que Dieu connaît les réalités autres que lui d’une connaissance propre, non pas seulement selon qu’elles ont en commun la raison formelle d’étant, mais selon qu’elles se distinguent les unes des autres.

Pour le mettre en évidence, il faut observer que certains, voulant montrer que Dieu connaît des choses multiples, emploient des comparaisons comme celles-ci : le centre d’un cercle, s’il se connaissait lui-même, connaîtrait toutes les lignes qui partent de lui ; la lumière, si elle se connaissait elle-même, connaîtrait toutes les couleurs. Mais ces exemples, bien qu’ils soient valables sur un point, à savoir quant à la causalité universelle, sont déficients en ce que la multitude et la diversité qu’ils envisagent ne sont pas causés par ce principe universel unique en ce qui les distingue, mais seulement en ce qui leur est commun. Ainsi, la diversité des couleurs n’a pas pour cause la lumière seule, mais la disposition du milieu qui la reçoit ; de même, la diversité des rayons du cercle provient de leurs positions diverses. De là vient que cette diversité ou multitude ne peut pas être connue dans son unique principe d’une connaissance propre, mais seulement en général. Or, en Dieu, il n’en est pas ainsi. On l’a montré plus haut[822], tout ce qu’il y a de perfection, en quelque créature que ce soit, préexiste et se trouve contenu en Dieu d’une façon suréminente. Et dans les créatures il n’y a pas seulement ce qu’elles ont de commun, à savoir leur être, qui appartient à leur perfection, il y a aussi ce par quoi elles diffèrent les unes des autres, comme vivre, connaître, et les autres caractères par lesquels se distinguent les vivants et les non-vivants, les intelligents et les non-intelligents. Et toute forme par laquelle une chose quelconque est constituée en sa propre espèce est une perfection[823]. Ainsi, toutes choses préexistent en Dieu non seulement quant à ce qui est commun à toutes, mais encore quant à ce qui les distingue. En conséquence, Dieu contenant en lui toutes les perfections[824], l’essence de Dieu entretient avec les essences de toutes choses non le rapport du commun au propre, de l’unité aux nombres ou du centre aux lignes divergentes, mais le rapport de l’acte parfait aux actes imparfaits, comme si je disais : de l’homme à l’animal, ou de six, nombre entier, aux fractions qu’il renferme. Or, il est clair que par l’acte parfait on peut connaître les actes imparfaits non seulement en général, mais d’une connaissance propre. Celui qui connaît le nombre six connaît sa moitié : trois, d’une connaissance propre.

Ainsi donc, comme son essence comprend tout ce qu’il y a de perfection dans l’essence de quelque autre chose que ce soit, et bien davantage, Dieu peut connaître en lui-même toutes choses d’une connaissance propre. Car la nature propre d’un être quelconque a consistance selon qu’elle participe en quelque manière à la perfection divine[825]. Or Dieu ne se connaîtrait point parfaitement lui-même, s’il ne connaissait toutes les manières dont sa perfection peut être participée par d’autres[826]. Et la nature même de l’être ne lui serait pas connue parfaitement, s’il ne connaissait tous les modes d’être[827]. Il est donc manifeste que Dieu connaît toutes choses d’une connaissance propre, selon que chacune se distingue des autres.

Solutions :

1. Connaître une chose comme elle est dans le sujet connaissant peut se comprendre de deux manières. Ou bien l’adverbe “ comme ” signifie le mode de connaissance du point de vue de la chose connue, et alors il est faux. Car le connaissant ne connaît pas toujours le connu selon l’être qu’il a en lui ; l’œil ne connaît pas la pierre quant à l’être qu’elle a en lui[828] ; mais, par la forme intentionnelle de la pierre qu’il a en lui, il connaît la pierre telle qu’elle est en dehors de l’œil[829]. Et quand un connaissant connaît ce qu’il connaît selon l’être qu’il a en lui, il ne le connaît pas moins aussi selon l’être qu’il a en dehors de lui. Ainsi l’intellect connaît la pierre selon l’être intelligible qu’elle a en lui, pour autant qu’il réfléchit sur son acte[830] ; mais en même temps il connaît l’être de la pierre en sa nature propre. Mais, si l’adverbe “ comme ” signifie le mode de connaissance du point de vue du connaissant, alors il est vrai que le connaissant ne connaît le connu que pour autant qu’il est en lui[831] ; car le mode de connaître est d’autant plus parfait que le connu est plus parfaitement dans le connaissant.

En conséquence, il faut dire ceci : Dieu ne connaît pas seulement que les choses sont en lui, mais, en raison de ce qu’il les contient en lui, il les contient selon leur propre nature, et d’autant plus parfaitement que plus parfaitement chacune est en lui.

2. L’essence de la créature est à l’essence de Dieu ce que l’acte imparfait est à l’acte parfait[832]. Ainsi l’être de la créature ne peut suffire à conduire à la connaissance de l’essence divine ; mais l’inverse est vrai.

3. Le même ne peut être pris comme raison formelle de choses diverses s’il est égal à chacune. Mais l’essence divine est quelque chose qui transcende toutes les créatures. C’est pourquoi l’on peut voir en elle la raison formelle de toutes choses, étant participable et imitable par toutes les créatures, chacune à sa manière.[833]

 

            Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

Objections :

l. Il semble que la science de Dieu soit discursive. En effet, la science de Dieu ne désigne pas une disposition habituelle, mais une intellection actuelle[834]. Or, le Philosophe nous dit que, si l’on peut savoir beaucoup de choses simultanément de façon habituelle, on ne peut en connaître en acte qu’une seule. Donc, comme Dieu connaît des choses multiples, connaissant et lui-même et tout le reste, ainsi qu’on l’a montré[835], il semble qu’il ne connaisse pas toutes choses à la fois, mais qu’il passe d’un objet à l’autre de façon discursive.

2. Connaître l’effet par la cause, c’est connaître discursivement. Or Dieu connaît tout le reste par lui-même, comme l’effet par sa cause[836]. Donc sa connaissance est discursive.

3. Dieu connaît chaque créature plus parfaitement[837] que nous ne pouvons la connaître ; or nous connaissons dans les causes créées leurs effets, et ainsi nous procédons discursivement des causes aux effets. Il semble donc que pour Dieu il en soit de même.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Dieu voit toutes choses non une à une et par un regard alternatif, comme s’il voyait ici puis là ; il voit tout en même temps. ”

Réponse :

Dans la science divine, il n’y a rien de discursif, et en voici la preuve. Dans notre science on trouve un double processus discursif. Un selon la succession, comme lorsque, après avoir considéré une chose, nous passons à la considération d’une autre. L’autre, selon la causalité : comme lorsque, par la vertu des principes, nous parvenons à la connaissance des conclusions. Le premier processus discursif ne peut convenir à Dieu ; car nous-mêmes, qui concevons successivement des choses diverses quand nous considérons chacune en elle-même, nous les connaissons ensemble si nous les connaissons toutes dans un médium unique ; par exemple, quand nous connaissons les parties dans le tout, et quand nous voyons divers objets dans le miroir. Or Dieu voit tout en un seul médium, qui est lui-même, ainsi qu’on l’a établi[838]. Il voit donc toutes choses ensemble, et non pas successivement. Semblablement, le second processus discursif ne peut convenir à Dieu. Tout d’abord parce que ce second sens présuppose le premier ; car ceux qui passent des prémisses aux conclusions ne les considèrent pas ensemble. Ensuite parce que cette démarche va du connu à l’inconnu ; il est donc clair que, le premier terme connu, on ignore encore l’autre, et le second n’est pas alors connu “ dans ” le premier, mais “ à partir ” du premier. Le terme de la démarche a lieu quand le second terme est vu dans le premier, les effets se résolvant dans les causes ; mais alors la démarche discursive cesse. Donc, puisque Dieu voit ses effets en lui-même comme dans leur cause[839], sa connaissance n’est pas discursive.

Solutions :

1. Bien que le connaître actuel soit un en lui-même, cependant il arrive que, dans un seul connaître, on atteigne de nombreux connus, comme on vient de le dire[840].

2. Dieu ne connaît pas premièrement la cause, ensuite et par elle ses effets d’abord inconnus : il connaît les effets dans la cause, ainsi qu’on vient de le dire[841].

3. Dieu voit, beaucoup mieux que nous, les effets des causes créées dans les causes elles-mêmes[842] ; mais la connaissance de ces effets n’est pas causée en lui par la connaissance des causes créées, comme c’est le cas pour nous, et sa science n’est donc pas discursive.

 

            Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

Objections :

1. Il semble que non, car Origène dit ceci : “ Ce n’est pas parce que Dieu sait qu’une chose doit être un jour, que cette chose sera[843] ; mais parce qu’elle doit être, Dieu sait d’avance qu’elle sera. ”

2. Une fois la cause posée, l’effet aussi est posé. Or la science de Dieu est éternelle[844]. Donc, si la science de Dieu était la cause des choses créées, il semble que les créatures existeraient de toute éternité.

3. Le connaissable précède la science, et la mesure, dit Aristote. Mais ce qui est ainsi postérieur et mesuré ne peut pas être cause.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Dieu ne connaît pas l’universalité des créatures spirituelles ou corporelles parce qu’elles sont ; mais elles sont parce qu’il les connaît. ”

Réponse :

La science de Dieu est la cause des choses ; car la science de Dieu est à l’égard des choses créées ce qu’est la science de l’artisan à l’égard de ses œuvres. Or, la science de l’artisan est bien la cause de ce qu’il produit, du fait qu’il agit par son intelligence, et que par conséquent la forme intelligible est le principe de son opération[845], comme la chaleur est le principe de l’échauffement. Toutefois, il faut considérer que la forme naturelle n’est pas dite principe d’action en tant qu’elle est immanente à ce qu’elle fait exister, mais bien en tant qu’elle est ordonnée à l’effet[846]. De même, la forme intelligible n’est pas dite principe d’action par le seul fait qu’elle est la forme intelligible dans le connaissant[847], si elle n’est pas complétée par une ordination à l’effet, laquelle vient de la volonté. En effet, comme la forme intelligible est indifférente à l’égard de l’un ou l’autre des opposés (puisque c’est la même science qui considère les opposés), elle ne produirait pas d’effet déterminé, si elle-même n’était déterminée à son égard par l’appétit. C’est ce qu’explique Aristote. Or, il est manifeste que Dieu cause toutes choses par son intelligence, puisque son être et son intellection sont identiques[848]. Il est donc nécessaire de dire que sa science est la cause des choses, conjointement avec sa volonté[849]. C’est pourquoi la science de Dieu, envisagée comme cause des choses, est ordinairement appelée “ science d’approbation ”.

Solutions :

1. Origène n’a envisagé ici que l’aspect de connaissance, et nous avons dit[850] que la connaissance n’est pas cause indépendamment de la volonté. Mais quand il dit que Dieu prévoit telles choses parce qu’elles sont à venir, il faut comprendre ce “ parce que ” d’une causalité logique, non ontologique. Cette conséquence est exacte, en effet : s’il est vrai d’une chose qu’elle sera, il est vrai que Dieu l’a prévue ; mais les choses futures ne sont pas cause que Dieu les connaisse.

2. La science de Dieu est cause des choses selon la manière dont ces choses sont en elle. Or il n’y a pas eu dans la science de Dieu que les choses seraient depuis toujours[851]. Bien que la science de Dieu, elle, soit éternelle, il ne s’ensuit donc pas que les créatures existent depuis toujours.

3. Les choses naturelles sont intermédiaires entre la science de Dieu et la nôtre ; car nous tirons notre science de ces mêmes choses naturelles[852] dont la science de Dieu est la cause. Et c’est pourquoi, de même que les connaissables naturels sont antérieurs à notre science et la mesurent, ainsi la science de Dieu est première par rapport aux choses naturelles et les mesure. Ainsi, une maison est intermédiaire entre la science de l’architecte qui l’a construite, et la science de l’observateur qui en prend connaissance après sa construction.

 

            Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ?

Objections :

1. Il semble que non, car il n’y a de science en Dieu que des choses vraies[853], et il y a attribution réciproque entre le vrai et l’étant[854]. Donc il n’y a pas en Dieu la connaissance des non-étants.

2. La connaissance requiert une similitude entre celui qui sait et ce qu’il sait[855]. Or ce qui n’est pas ne peut avoir aucune ressemblance avec Dieu, qui est l’être même[856]. Donc ce qui n’est pas ne peut pas être connu par Dieu.

3. La science de Dieu est cause des choses[857]. Mais elle n’est pas cause des non-étants, car le non-étant n’a pas de cause[858]. Donc Dieu n’a pas la science de ce qui n’est pas.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 4, 17) : Dieu “ appelle les choses qui ne sont pas, comme celles qui sont ”.

Réponse :

Dieu connaît toutes choses, de quelque manière qu’elles soient. Or rien n’empêche que des choses qui, purement et simplement, ne sont pas, soient cependant en quelque manière. Sont purement et simplement celles qui sont en acte. Celles qui ne sont pas en acte sont en puissance : en la puissance de Dieu ou en celle de la créature, qu’il s’agisse de puissance active ou de puissance passive, ou du pouvoir de penser, d’imaginer, d’exprimer en quelque manière que ce soit. Toutes choses, donc, qui peuvent être faites, pensées ou dites par la créature, et aussi toutes celles que lui-même peut faire, Dieu les connaît, même si elles ne sont pas en acte. En ce sens, on peut dire qu’il a la connaissance des non-étants.

Mais entre les choses qui ne sont pas en acte, il faut noter une diversité. Certaines, bien que n’étant pas actuellement, ont été ou seront, et celles-là on dit que Dieu les connaît d’une “ science de vision ” ; comme le connaître de Dieu, qui est son être même[859], a pour mesure l’éternité, laquelle, étant elle-même sans succession, englobe la totalité du temps[860], le regard de Dieu, éternellement présent, porte sur la totalité du temps, et sur toutes les choses qui sont dans quelque partie du temps que ce soit, comme sur des réalités qui lui sont présentes. D’autres, qui ne sont pas en acte, sont dans la puissance de Dieu ou de la créature, et cependant ne sont pas, ni ne seront, ni n’ont jamais été. A l’égard de celles-là, Dieu est dit avoir non une science de vision, mais une science de “ simple intelligence ”. Et l’on s’exprime ainsi parce que, parmi nous, les choses qu’on voit ont un être propre en dehors du sujet qui voit.[861]

Solutions :

1. Les choses qui ne sont pas en acte ont leur vérité comme choses en puissance, car il est vrai qu’elles sont en puissance. Et c’est ainsi que Dieu les connaît.

2. Dieu étant l’être même, dans la mesure où une chose est, elle participe à sa ressemblance[862], de même qu’une chose chaude, dans la mesure où elle est chaude, participe de la chaleur. Et ainsi les choses qui sont en puissance, bien qu’elles ne soient pas en acte, sont connues de Dieu.

3. La science de Dieu n’est cause des choses que si sa volonté s’y adjoint[863]. Il n’est donc pas nécessaire que tout ce que Dieu sait existe, ait existé ou doive un jour exister, mais cela seulement dont il veut ou dont il permet qu’il soit[864]. Et, encore une fois, ce qui est dans la science de Dieu, ce n’est pas que ces choses sont, mais qu’elles peuvent être.

 

            Article 10 — Dieu a-t-il la connaissance des maux ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne connaisse pas les maux car, d’après Aristote, un intellect qui n’est pas en puissance ne connaît pas la privation ; or le mal, selon S. Augustin, est la privation du bien[865]. Comme l’intelligence divine n’est jamais en puissance, mais toujours en acte, ainsi qu’on l’a vu[866], il semble que Dieu ne connaisse pas le mal.

2. Toute science est cause de ce qu’elle connaît, ou est causée par lui[867]. Or la science de Dieu n’est pas cause du mal[868] ; elle n’est pas non plus causée par lui. Donc il n’y a pas en Dieu la connaissance des maux.

3. Ce que l’on connaît, on le connaît soit par son semblable, soit par son opposé. Or, tout ce que Dieu connaît, il le connaît par son essence, ainsi qu’on l’a montré[869]. Et l’essence divine ne ressemble pas au mal et n’a pas le mal pour contraire, car elle n’a pas de contraire[870], affirme S. Augustin .

4. Ce qui est connu par autre chose n’est pas connu par soi-même et n’est donc pas connu parfaitement. Or le mal n’est pas connu de Dieu par soi-même, car il faudrait pour cela que le mal fût en Dieu ; en effet, le connu doit être dans le connaissant[871]. Et si le mal est connu de Dieu par autre chose, à savoir par le bien, il sera connu de lui imparfaitement, ce qui est impossible, car nulle connaissance, en Dieu, n’est imparfaite. Donc Dieu n’a pas la connaissance des maux

En sens contraire, on lit au livre des Proverbes (15, 11) : “ Le séjour des morts et la perdition sont en présence du Seigneur. ”

Réponse :

Celui qui connaît parfaitement quelque chose, il faut qu’il connaisse tous les accidents qui peuvent lui survenir[872]. Or il y a des choses bonnes auxquelles il peut arriver d’être détériorées par des maux. Dieu ne connaîtrait donc pas en perfection les choses bonnes s’il ne connaissait pas aussi les maux. Mais une chose quelconque est connaissable dans la mesure où elle est. Comme l’être du mal n’est que la privation du bien[873], par cela seul que Dieu connaît les biens, il connaît aussi les maux, comme on connaît les ténèbres par la lumière. C’est ce qui fait dire à Denys : “Dieu tire de lui-même la vue des ténèbres ; ce n’est pas autrement que par la lumière qu’il les connaît. ”

Solutions :

1. Le Philosophe veut dire que l’intellect qui n’est pas en puissance ne connaît pas la privation par le moyen d’une privation qui serait en lui. Car il avait dit précédemment que le point, ou tout autre indivisible, n’est connu que par la privation de la division[874]. La raison en est que les formes simples et indivisibles ne sont pas en acte dans notre intelligence, mais seulement en puissance ; si elles étaient en acte, on ne les connaîtrait pas par le détour de la privation. Or c’est ainsi, sans détour, et sans utiliser la privation, que les substances séparées connaissent les réalités simples[875]. Dieu ne connaît donc pas le mal par une privation existant en lui, mais par son opposé, le bien.

2. La connaissance de Dieu n’est pas cause du mal, mais de la chose bonne par l’intermédiaire de laquelle le mal est connu[876].

3. Quoique le mal ne soit pas opposé à l’essence divine, qui n’est pas corruptible, il est cependant opposé aux œuvres de Dieu : Dieu connaît celle-ci par son essence et, les connaissant, il connaît les maux opposés.

4. Connaître indirectement quelque chose, c’est le connaître imparfaitement, s’il s’agit de choses connaissables par elles-mêmes. Mais le mal n’est pas connaissable par lui-même ; car ce qui caractérise le mal, c’est d’être privation du bien[877] ; et ainsi il ne peut être défini ni connu, si ce n’est par l’intermédiaire du bien.

 

            Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car l’intelligence divine est plus immatérielle que l’intelligence humaine ; or, l’intelligence humaine, à cause de son immatérialité, ne connaît pas les singuliers, car il est dit au livre De l’Ame : “ La raison connaît l’universel ; les sens, eux, les singuliers. ”

2. Les seules facultés, en nous, qui connaissent les singuliers sont celles qui reçoivent les formes intentionnelles non abstraites des conditions matérielles[878]. Or les choses sont en Dieu abstraites au maximum de toute matérialité[879]. Donc Dieu ne connaît pas les singuliers.

3. Toute connaissance se fait par le moyen d’une similitude[880]. Or, la similitude des êtres singuliers, en tant précisément que singuliers, ne semble pas pouvoir être en Dieu ; car le principe de la singularité des êtres est la matière[881], et la matière, n’étant qu’en puissance, est entièrement dissemblable de Dieu, qui est l’acte pur[882]. Donc Dieu ne connaît pas les singuliers.

En sens contraire, on lit au livre des Proverbes (16, 2) : “ Toutes les voies de l’homme sont à découvert devant ses yeux. ”

Réponse :

Dieu connaît les singuliers. En effet, toutes les perfections qui se rencontrent dans les créatures préexistent en Dieu d’une manière plus excellente, on l’a montré plus haut[883]. Or, connaître les singuliers appartient à notre perfection. Il est donc nécessaire que Dieu les connaisse. Aristote tient pour inacceptable que quelque chose soit connu par nous et ne le soit pas par Dieu. C’est pourquoi, argumentant contre Empédocle, il lui oppose que Dieu serait bien imparfait s’il ignorait la discorde. Toutefois, les perfections qui se trouvent divisées dans les choses inférieures se trouvent en Dieu sous forme simple et une. C’est pourquoi, alors que nous connaissons les universaux qui sont immatériels par une faculté, et par une autre les singuliers matériels[884], Dieu, lui, par son intellect un et simple connaît les uns et les autres.

Mais, comment cela peut se faire, certains, pour le montrer, ont dit que Dieu connaît les singuliers par les causes universelles, car il n’y a rien dans le singulier qui ne provienne de quelque cause universelle. Et ils donnent cet exemple : si un astronome connaissait dans leurs principes universels tous les mouvements du ciel, il pourrait annoncer toutes les éclipses futures. Mais cela n’est pas suffisant. Car les êtres particuliers reçoivent des causes générales certaines formes d’être et certains pouvoirs d’action ; mais, si proche du concret que soit leur conjonction, ces pouvoirs et ces formes ne sont jamais rendus individuels que dans et par la matière individuelle[885]. Aussi, celui qui connaît Socrate en ce qu’il est blanc, qu’il est fils de Sophronisque, ou par quelque autre caractéristique de ce genre, ne connaîtrait pas Socrate selon qu’il est cet homme-là. On voit donc que, de la manière indiquée, Dieu ne connaîtrait pas les singuliers dans leur singularité.

D’autres ont dit que Dieu connaît les singuliers en appliquant les causes universelles à leurs effets singuliers. Mais cela ne signifie rien, car nul ne peut appliquer une chose à une autre s’il ne connaît d’abord celle-là. Ainsi donc l’application en question ne saurait être la raison explicative de la connaissance des singuliers, qu’elle présuppose.

Il faut donc parler autrement. Dieu étant cause des choses par sa science, comme on l’a dit[886], la science de Dieu a la même extension que sa causalité. Et comme la vertu active de Dieu ne s’étend pas seulement aux formes à partir desquelles est dégagé l’universel, mais à la matière même, ainsi qu’on le montrera[887], il est donc de toute nécessité que la science de Dieu s’étende aux singuliers, qui tiennent leur individualité de la matière[888]. En effet, comme Dieu connaît les autres par l’intermédiaire de sa propre essence[889], en tant que cette essence est la similitude des choses[890], ou encore leur principe efficient[891], il est nécessaire que son essence suffise à lui faire connaître toutes les choses qui sont faites par lui, et cela non seulement dans leur nature universelle, mais aussi dans leur singularité. Il en serait ainsi de la science de l’artisan lui-même, si elle produisait toute la chose, au lieu de lui donner uniquement sa forme[892].

Solutions :

1. Par l’abstraction, notre intellect dégage la forme intelligible des principes individuants de son objet[893]. Il s’ensuit que cette forme intelligible ne peut pas être la similitude des caractéristiques individuelles, et c’est pour cette raison que notre intellect ne connaît pas le singulier[894]. Mais la forme intelligible de l’intellect divin, qui est l’essence de Dieu, n’est pas immatérielle par abstraction ; elle l’est par elle-même[895], et c’est d’elle que proviennent tous les principes constitutifs de la chose, ceux de la nature spécifique ou ceux de l’individuation[896]. Par elle, Dieu peut donc connaître non seulement les universaux, mais aussi les singuliers.

2. Bien que la forme intelligible de l’intellect divin ne comprenne pas en elle-même des conditions matérielles, comme il en est avec les formes cognitives dans l’imagination et dans le sens, toutefois, par sa vertu réalisatrice, elle s’étend également et aux choses immatérielles et aux choses matérielles, comme on vient de le dire[897].

3. Bien que la matière s’éloigne de la ressemblance avec Dieu en raison de sa potentialité, toutefois, en tant que, même ainsi, elle a l’être[898], elle retient une certaine ressemblance avec l’être divin[899].

 

            Article 12 — Dieu connaît-il une infinité de choses ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne puisse connaître une infinité de choses. En effet, l’infini en tant que tel est inconnu : selon la formule d’Aristote, il est “ce dont on peut toujours prendre davantage, quelle que soit la quantité déjà prise ”. S. Augustin dit aussi “ Ce qui est embrassé par la science devient fini par la compréhension de celui qui le sait. ” Or, l’infini ne peut devenir fini.

2. On dira peut-être : ce qui est infini en soi est fini pour la science de Dieu. Mais alors, voici l’objection. La nature même de l’infini est de ne pouvoir être parcouru, comme il est dit dans la Physique d’Aristote[900]. Mais l’infini ne peut être parcouru ni par le fini, ni par l’infini, ce que prouve le même ouvrage. Donc l’infini ne peut être borné, pas même par l’infini. Et ainsi l’infinité des choses n’est pas incluse dans la science de Dieu, même si celle-ci est infinie.

3. La science de Dieu est la mesure de ce que Dieu sait ; or il est contraire à la nature de l’infini que l’infini soit mesuré.

En sens contraire, S. Augustin s’exprime ainsi : “ Quoique les nombres infinis soient sans nombre, ils n’échappent pas à celui dont la science est sans nombre. ”

Réponse :

Étant donné que Dieu connaît non seulement ce qui est en acte, mais aussi ce qui est contenu dans sa puissance ou dans celle de la créature, ainsi qu’on l’a montré[901], et puisque ces possibles sont évidemment en nombre infini, il est nécessaire d’admettre que Dieu connaît une infinité de choses. Quant à la science de vision, qui a pour objet uniquement les choses qui sont, ou seront ou ont été, bien que certains disent qu’elle n’embrasse pas une infinité d’objets, puisque nous n’admettons pas que le monde a toujours été[902], ni que la génération et le mouvement doivent durer sans fin, de sorte que les individus seraient multipliées à l’infini[903], toutefois, si l’on y regarde de plus près, on doit dire nécessairement que Dieu, même par sa science de vision, connaît une infinité de choses. Car Dieu connaît même les pensées et les affections des cœurs, qui seront dans l’avenir multipliées à l’infini, puisque les créatures rationnelles doivent durer sans terme[904].

Voici pourquoi : la connaissance d’un objet s’étend aussi loin que le permet la forme qui est en lui le principe de la connaissance. La forme cognitive sensible, dans le sens, ne représente qu’un seul individu ; il s’ensuit que par cette forme un seul individu peut être connu. Au contraire, la forme intelligible, dans notre esprit, représente la chose quant à sa nature spécifique, nature qui peut être participée par une infinité de choses particulières[905]. De là vient que notre intellect, au moyen du concept d’homme, connaît en quelque sorte une infinité d’hommes. Il ne les connaît pas selon qu’ils se distinguent les uns des autres, mais selon qu’ils ont en commun une nature spécifique. C’est que la forme intelligible, en nous, ne représente pas les hommes quant à leurs principes individuels, elle représente seulement les principes constitutifs de l’espèce[906]. Mais l’essence divine, par laquelle l’intellect divin connaît, est une représentation suffisante de toutes les choses qui sont ou peuvent être, non seulement quant aux principes communs à plusieurs, mais aussi quant à ce qui est propre à chacune, ainsi qu’on l’a montré[907]. Il s’ensuit que la science de Dieu s’étend à une quantité infinie de choses, même selon qu’elles sont distinctes les unes des autres.

Solutions :

1. D’après le Philosophe, l’infini concerne la quantité. Et la raison formelle de quantité comporte un ordre entre les parties. En conséquence, connaître l’infini selon le mode propre de l’infini, c’est le connaître partie après partie[908], et de cette façon l’infini échappe à toute connaissance ; car, quel que soit le nombre des parties que l’on puisse embrasser, il en restera indéfiniment hors de prise. Mais Dieu ne connaît pas l’infini, ou des objets en nombre infini en énumérant, pour ainsi dire, partie après partie ; nous avons expliqué qu’il connaît d’une connaissance simultanée, non successive[909]. Rien ne s’oppose donc, en ce qui le concerne, à la connaissance d’une infinité d’objets.

2. Une traversée suppose une succession de parties, et de là vient que l’infini ne peut être parcouru, ni par le fini, ni par l’infini. Au contraire, la raison formelle de compréhension exige seulement l’adéquation à ce qui est compris, car on appelle “ compris ” ce dont rien ne reste extérieur à ce qui le comprend[910]. La raison formelle de l’infini n’exclut donc pas qu’il soit compris par un infini. Et ainsi, ce qui est infini en soi peut être fini pour la science de Dieu, en ce sens qu’il y est inclus, mais non en ce sens qu’il serait parcouru ou traversé.

3. La science de Dieu est bien la mesure des choses ; mais ce n’est pas une mesure quantitative[911], et c’est à une telle mesure qu’échappent les choses en nombre infini. La science de Dieu mesure l’essence et la vérité de chaque chose, car chaque chose participe à la vérité de sa nature dans la mesure où elle est conforme à la science de Dieu[912] : telle l’œuvre d’art qui concorde avec l’art lui même. A supposer donc qu’il y ait en acte des êtres en nombre infini, par exemple une infinité d’hommes ; ou bien qu’il y ait une infinité en étendue, comme l’air, selon d’anciens philosophes, il est manifeste que l’être de chaque chose n’en serait pas moins déterminé et fini, car il serait renfermé dans les bornes de certaines natures particulières ; ces choses seraient donc mesurables à l’égard de la science de Dieu.

 

            Article 13 — Dieu connaît-il les futurs contingents ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, une cause nécessaire produit un effet nécessaire. Mais la science de Dieu est cause de ce qu’elle sait, avons-nous dit[913]. Comme la science de Dieu est nécessaire, son objet doit l’être aussi. La science de Dieu n’atteint donc pas les contingents.

2. Dans toute proposition conditionnelle, si l’antécédent est absolument nécessaire, le conséquent est absolument nécessaire aussi ; car l’antécédent est au conséquent ce que les principes sont à la conclusion, et les Derniers Analytiques nous enseignent que, de principes nécessaires, ne peuvent découler que des conclusions nécessaires. Or cette proposition conditionnelle est vraie : Si Dieu a su que cela est à venir, cela sera[914] ; car la science de Dieu est toujours vraie. Et l’antécédent de cette proposition est absolument nécessaire, d’abord parce qu’il est éternel ; ensuite parce qu’il est exprimé au passé. Donc le conséquent est aussi absolument nécessaire. Et ainsi tout ce qui est su par Dieu est nécessaire, de sorte qu’il n’y a pas en Dieu de science des contingents.

3. Tout ce qui est su par Dieu existe nécessairement[915], puisque même tout ce qui est su par nous existe nécessairement, alors que la science de Dieu est plus certaine que notre science. Or, aucun futur contingent n’existe nécessairement. Donc aucun futur contingent n’est su par Dieu.

En sens contraire, le Psaume (33,15) dit de Dieu à l’égard des hommes : “ Il forme le cœur de chacun ; il connaît toutes leurs actions. ” Or, les actions des hommes sont contingentes, puisqu’elles dépendent de leur libre arbitre. Dieu connaît donc les futurs contingents.

Réponse :

Comme on a montré plus haut[916] que Dieu connaît toutes les choses, non seulement celles qui sont en acte, mais aussi celles qui sont en sa puissance ou en la puissance de la créature, et comme certaines choses parmi ces dernières sont des contingents futurs pour nous, il s’ensuit que Dieu connaît les futurs contingents.

Pour établir clairement cette conclusion, il faut observer qu’un contingent peut être considéré sous un double aspect. D’abord en lui-même, lorsqu’il s’est déjà produit, et alors il n’est plus considéré comme futur, mais comme présent ; ni comme pouvant être ou ne pas être, mais comme déterminé à une branche de l’alternative. Pour cette raison, il peut, pris ainsi, tomber infailliblement sous une connaissance certaine, sous le sens de la vue, par exemple comme lorsque je vois Socrate assis. D’une autre manière, le contingent peut être considéré tel qu’il est dans sa cause. Sous cet aspect il est considéré comme futur et comme contingent, non encore déterminé à être ou à ne pas être, à être ceci ou cela, car la cause contingente est celle qui peut ceci ou son contraire. Dans ce cas le contingent ne peut être connu avec certitude. En conséquence, celui qui ne connaît un effet contingent que dans sa cause, n’a de lui qu’une connaissance conjecturale. Mais Dieu, lui, connaît tous les contingents non seulement en tant qu’ils sont dans leurs causes, mais aussi selon que chacun d’eux est actuellement réalisé en lui-même.

Et, bien que les contingents se réalisent successivement, Dieu ne les connaît pas en eux-mêmes successivement comme nous, mais simultanément[917]. Car sa connaissance, tout autant que son être[918], a pour mesure l’éternité[919] ; or l’éternité, qui est tout entière à la fois, englobe la totalité du temps, ainsi qu’il a été dit[920]. De la sorte, tout ce qui se trouve dans le temps est éternellement présent à Dieu, non seulement en tant que Dieu a présentes à son esprit les raisons formelles de toutes choses, ainsi que certains le prétendent, mais parce que son regard se porte éternellement sur toutes les choses, en tant qu’elles sont présentes.

Il est donc manifeste que les contingents sont connus de Dieu infailliblement en tant que présents sous le regard divin dans leur présence[921], et cependant, par rapport à leurs propres causes, ils demeurent des futurs contingents.

Solutions :

1. Même si la cause éloignée est nécessaire, l’effet peut être contingent du fait de la cause prochaine, si elle est contingente. Ainsi la germination d’une plante est un effet contingent en raison de sa cause prochaine, bien que la cause prochaine de cette germination, le mouvement solaire, soit une cause nécessaire. De même, les causes contingentes que Dieu connaît sont contingentes en raison de leurs causes prochaines, bien que la science de Dieu, qui est leur cause première, soit une cause nécessaire.

2. Certains disent que cet antécédent : Dieu a su que tel fait contingent sera, n’est pas nécessaire, mais contingent, car, bien qu’il soit passé, il se rapporte à l’avenir[922]. Mais cela ne l’empêche pas d’être nécessaire car, ce qui a eu un rapport au futur, il est nécessaire qu’il l’ait eu, même si parfois ce futur n’arrive pas.

D’autres disent que l’antécédent en question est contingent, parce qu’il est composé de nécessité et de contingence, comme cette proposition : Socrate est un homme blanc, est une proposition contingente. Mais cela non plus ne signifie rien, car, quand on dit : “ Dieu a su que tel contingent sera ”, “ contingent ” ne figure dans la proposition que comme l’élément matériel de l’affirmation, non comme son élément principal ; de sorte que cette contingence, aussi bien que la nécessité qui pourrait y être substituée, ne fait pas que la proposition soit nécessaire ou contingente, vraie ou fausse. Ainsi, il peut être vrai que j’aie dit : “ l’homme est un âne ”, aussi bien que : “ Socrate court ”, ou : “ Dieu est ”. Il en est de même, si je parle de nécessité ou de contingence.

Il faut donc reconnaître que cet antécédent est nécessaire absolument. Certains disent qu’il ne s’ensuit pas que le conséquent soit nécessaire absolument, parce que l’antécédent est cause éloignée du conséquent, et que ce conséquent est contingent en raison de sa cause prochaine. Mais cela ne prouve rien, car une proposition conditionnelle dont l’antécédent serait une cause éloignée nécessaire, et le conséquent un effet contingent, serait une proposition fausse, comme si je disais : “ Si le soleil se meut, l’herbe germera. ”

Il faut donc s’exprimer autrement et dire ceci : Quand, dans l’antécédent, on introduit quelque chose relevant d’une opération de l’esprit, le conséquent doit être compris non selon l’être réel, tel qu’il est en soi, mais selon l’être intentionnel qu’il a dans l’esprit[923]. Autre, en effet, est l’être d’une chose en elle-même, autre son être dans l’esprit. Par exemple, quand je dis : “ Si l’âme connaît quelque chose, ce quelque chose est immatériel ”, il faut comprendre que cela est immatériel dans l’intellect, non selon son être réel. De même, quand je dis : “ Si Dieu a su quelque chose, cela sera ”, le conséquent doit être compris de l’être selon lequel la chose est présente. Ainsi compris, il est nécessaire aussi bien que l’antécédent, car “ ce qui est, quand c’est, il est nécessaire que ce soit ”, selon Aristote.

3. Les choses qui se réalisent temporellement sont connues successivement par nous dans le temps, mais par Dieu dans l’éternité, qui est au-dessus du temps[924]. En conséquence, du fait que nous connaissons les futurs contingents en tant que tels, ils ne peuvent pas être certains pour nous, mais pour Dieu seul, dont le connaître est dans l’éternité, qui transcende le temps. Il en est comme de celui qui marche sur un chemin et ne voit pas ceux qui le suivent, alors que l’homme posté sur une hauteur, regardant tout le chemin, voit à la fois tous ceux qui y passent. Ainsi ce qui est su par nous avec certitude doit être nécessaire aussi en soi-même ; car les choses qui en soi sont des futurs contingents, nous ne pouvons les connaître avec certitude. Mais les choses qui sont sues par Dieu, il suffit qu’elles soient nécessaires de la nécessité de leur présence sous le regard de la science divine, nous l’avons dit[925], mais il n’est pas requis qu’elles le soient en elles-mêmes quand on les considère dans leurs causes. En conséquence, cette proposition : “ Tout ce que Dieu sait est nécessairement ”, on a coutume de la distinguer. Elle peut se rapporter à la chose dont elle parle, ou au dire. Si on l’entend de la chose, la proposition est prise en un sens divisé, et elle est fausse ; car cela veut dire : Toute chose que Dieu sait est nécessaire. Mais elle peut également être comprise du dire. Alors la proposition est prise en un sens composé, et elle est vraie ; car cela signifie : ce dire, “ une chose sue par Dieu est ” est nécessaire.

Mais certains objectent à cela que cette distinction a sa place quand il s’agit de formes séparables de leur sujet. Si, par exemple, je dis : “ Ce qui est blanc peut être noir ”, cette proposition, fausse quant au dire, est vraie quant à la chose, car la chose qui est blanche peut être noire, alors que cette assertion “ Ce qui est blanc est noir ”, ne peut jamais être vraie. Mais, quand il s’agit de formes inséparables de leur sujet, la distinction, affirment ces auteurs, n’est pas de mise ; car si je dis, par exemple : “ le corbeau noir peut être blanc ”, la proposition est fausse dans les deux sens. Or, qu’une chose soit sue par Dieu, c’est là un attribut inséparable de cette chose ; car ce qui est su par Dieu ne peut en aucune manière être ignoré de lui. A la vérité, cette instance serait irrecevable, si être connu de Dieu comportait dans le sujet quelque disposition inhérente. Mais, comme cela ne comporte que d’être l’objet d’un acte du connaissant, à la chose sur elle-même, bien qu’elle soit toujours sue, quelque chose peut être attribué qui lui convient selon ce qu’elle est en elle-même, et qui ne lui convient pas en tant qu’elle est l’objet de l’acte de connaître[926]. Ainsi l’être matériel est attribué à la pierre telle qu’elle est en elle-même, alors qu’il ne saurait lui être attribué en tant qu’elle est un objet intelligible.

 

            Article 14 — Dieu connaît-il nos énonciations ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car connaître des énonciations convient à notre esprit en tant qu’il compose entre eux ou écarte l’un de l’autre deux concepts[927]. Mais dans l’intelligence divine il n’y a aucune composition[928].

2. Toute connaissance se fait au moyen d’une similitude[929]. Mais en Dieu il n’y a aucune similitude, puisque Dieu est absolument simple[930].

En sens contraire, on lit dans le Psaume (94, 11) : “ Dieu connaît les pensées des hommes. ” Or dans les pensées des hommes il y a des énonciations. Donc Dieu connaît celle-ci.

Réponse :

Puisque former des énonciations est au pouvoir de notre intelligence, et puisque Dieu connaît tout ce qui est en son propre pouvoir ou au pouvoir de sa créature, comme on l’a dit précédemment[931], c’est une nécessité que Dieu connaisse toutes les énonciations qu’il est possible de former. Seulement, de même qu’il connaît les choses matérielles immatériellement et les choses composées simplement[932], Dieu connaît les énonciations, non en énonçant lui-même comme s’il y avait dans son esprit la composition ou la division qui caractérise l’énonciation[933], mais il connaît chaque chose par une intuition simple, en pénétrant par elle l’essence de chaque chose. Il en est comme si, en appréhendant l’essence de l’homme, nous connaissions par là même tous les prédicats qui peuvent être attribués à l’homme. Cela n’a pas lieu dans le cas de notre intellect, qui passe d’un terme à l’autre parce que la forme intelligible représente un terme de telle manière qu’elle n’en représente pas un autre[934]. Aussi, en connaissant l’essence de l’homme, nous ne connaissons pas par cela même les autres attributs de l’homme, mais successivement. En raison de quoi les raisons formelles que nous connaissons à part l’une de l’autre, il nous faut les ramener à l’unité par composition ou division, en formant des énonciations. Mais la forme intelligible de l’intellect divin, qui est son essence[935], suffit à tout manifester. En connaissant son essence, Dieu connaît donc les essences de toutes choses, et tout ce qui peut leur arriver.

Solutions :

1. L’objection proposée n’aurait de valeur que si Dieu connaissait les énonciations par mode énonciatif[936].

2. La composition dans l’énonciation signifie quelque être de la chose ; c’est ainsi que Dieu, par son être, qui est son essence[937], est la similitude de tous les modes d’être qui sont signifiés.

 

            Article 15 — La science de Dieu est-elle soumise au changement ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car la science est relative à la chose sue. Or, ce qui implique relation avec la créature s’attribue à Dieu temporellement et varie selon les variations de la créature. Donc la science de Dieu elle-même varie selon les variations de la créature.

2. Tout ce que Dieu peut faire, il peut le savoir. Mais Dieu peut faire plus de choses qu’il n’en fait. Il peut donc savoir plus de choses qu’il n’en sait, et ainsi sa science peut varier par augmentation ou diminution.

3. Dieu a su autrefois que le Christ naîtrait. Mais maintenant il ne sait pas que le Christ naîtra, puisque le Christ n’est plus à naître. Donc Dieu ne sait pas tout ce qu’il a su, et ainsi sa connaissance semble être variable.

En sens contraire, il est dit dans l’épître de S. Jacques (1,17) : en Dieu “ il n’existe aucune vicissitude, ni ombre de changement ”.

Réponse :

D’après nos précédentes déterminations, la science de Dieu est sa substance même[938]. Comme sa substance est absolument immuable, ainsi que nous l’avons également montré[939], il y a nécessité que sa science soit tout à fait invariable.

Solutions :

1. Des appellations de Dieu comme Seigneur, Créateur, etc. impliquent des relations consécutives à des actes conçus comme ayant pour terme les créatures selon l’être qu’elles ont en elles-mêmes. C’est pourquoi de telles relations sont attribuées à Dieu de manière changeante, selon les changements des créatures. Mais la science, l’amour, etc. impliquent des relations consécutives à des actes conçus comme immanents en Dieu, et c’est pourquoi ces attributs sont appliqués à Dieu de manière invariable.[940]

2. Dieu connaît aussi les choses qu’il peut faire et ne fait pas[941]. Par conséquent, de ce qu’il peut faire des choses qu’il ne fait pas, on ne peut conclure qu’il puisse savoir plus de choses qu’il n’en sait, à moins qu’on ne l’entende de sa science de vision, par laquelle il est dit savoir les choses qui sont en acte à un moment quelconque de la durée. Cependant, que Dieu sache que des choses sont possibles qui ne sont pas, ou que des choses qui sont pourraient ne pas être, il ne s’ensuit pas que sa science soit variable, mais seulement qu’il connaît la variabilité des choses. Si cependant quelque chose était, dont Dieu ignorerait d’abord qu’elle est et le saurait ensuite, sa science serait soumise à la variation. Mais cela ne se peut pas ; car Dieu, dans son éternité, sait tout ce qui est ou peut être en un temps quelconque[942]. Aussi, dire d’une chose qu’elle est à quelque moment que ce soit de la durée, c’est dire par là même que cela est su par Dieu depuis l’éternité. Par conséquent, on ne doit pas concéder que Dieu puisse savoir plus de choses qu’il n’en sait, car cette proposition implique que Dieu eût ignoré d’abord ce qu’il aurait su ensuite.

3. Les anciens nominalistes ont dit que “ Le Christ naît ”, “ le Christ naîtra ”, “ le Christ est né ”, sont un même énoncé, pour cette raison que la chose énoncée est la même, à savoir la naissance du Christ. A partir de là on conclut que tout ce que Dieu a su, il le sait ; car il sait maintenant que le Christ est né, ce qui, dans l’hypothèse, a la même signification que : Il naîtra. Mais cette opinion est fausse. D’abord parce que la diversité dans les termes d’une proposition donne naissance à des énonciations diverses. Ensuite parce que, dans ce cas, une proposition vraie une fois serait vraie toujours, ce que nie à bon droit le Philosophe, selon qui cette proposition : “ Socrate est assis ”, est vraie tant qu’il est assis, mais si Socrate se lève, la proposition devient fausse. On doit donc concéder que cette proposition : Tout ce que Dieu a su, il le sait, n’est pas vraie en tant qu’énoncé. Mais il ne s’ensuit pas que la science de Dieu soit variable. Car, de même qu’aucune variation ne s’introduit dans la connaissance de Dieu du fait qu’il sait, d’une seule et même chose, tantôt qu’elle est, et tantôt qu’elle n’est pas, de même c’est sans aucune variation de la science divine que Dieu sait d’un énoncé tantôt qu’il est vrai, tantôt qu’il est faux. Il y aurait variation dans la science de Dieu si Dieu connaissait les énoncés par mode d’énonciation, à savoir en composant et divisant des concepts, comme fait notre propre intellect[943]. De là vient en effet que notre connaissance varie, soit du vrai au faux, comme lorsque, une chose ayant changé, nous retenons à son égard l’opinion ancienne ; soit d’une opinion à une autre opinion, comme si, ayant dit d’abord que quelqu’un est assis, nous disons ensuite qu’il ne l’est pas. Mais rien de tout cela ne peut se produire en Dieu.

 

            Article 16 — Dieu a-t-il des choses une connaissance spéculative, ou une connaissance pratique ?

Objections :

1. Il semble que Dieu n’ait pas une connaissance spéculative des choses, car la science de Dieu est cause des choses, comme on l’a montré[944]. Or une science spéculative des choses n’est pas cause des choses sues. Donc la science de Dieu n’est pas spéculative.

2. La connaissance spéculative s’obtient par abstraction à partir des choses concrètes[945], ce qui ne convient pas à la science de Dieu. Donc la science de Dieu n’est pas spéculative.

En sens contraire, ce qui est plus noble doit être attribué à Dieu. Mais la science spéculative est plus noble que la science pratique, comme le montre le Philosophe au début de la Métaphysique. Donc Dieu a des choses une connaissance spéculative.

Réponse :

Il y a une sorte de science qui n’est que spéculative ; une autre qui n’est que pratique ; une troisième enfin qui est spéculative sous un aspect, et pratique sous un autre. Pour le comprendre, il faut savoir qu’une science peut être dite spéculative de trois façons. Premièrement, en raison des choses dont elle est la science, et qui ne sont pas réalisables par celui qui sait : ainsi la science que l’homme a des choses de la nature ou de Dieu. Deuxièmement, en raison de la façon de connaître, comme un architecte qui étudie une maison en la définissant, en la classant et en en considérant les caractéristiques générales. Procéder ainsi, c’est étudier des choses réalisables d’une manière spéculative et non en tant qu’elles sont à réaliser, car une chose se fait par application d’une forme à une matière, non par la réduction analytique du composé en ses principes universels. Troisièmement, en raison de la fin poursuivie, car, dit Aristote, “ l’intellect pratique diffère de l’intellect spéculatif par la finalité ”. En effet, l’intellect spéculatif est la considération de la vérité. Donc, si un architecte se demande, au sujet d’une maison, comment elle pourrait être construite, non afin de la construire, mais simplement pour le savoir, ce sera, en ce qui concerne le but poursuivi, une recherche spéculative, bien qu’elle porte sur une opération. Donc la connaissance qui est spéculative en raison de la chose connue est uniquement spéculative ; celle qui est spéculative quant au mode ou quant à la fin est en partie spéculative et en partie pratique ; et, quand elle est ordonnée à réaliser ce qui est la fin de l’opération, uniquement pratique.

En conséquence, il faut dire que Dieu a de lui-même une connaissance uniquement spéculative, car lui-même n’est pas quelque chose susceptible d’être produit[946]. Mais, de tout le reste il a une connaissance à la fois spéculative et pratique. Spéculative, sans doute, quant au mode de connaître, car tout ce que nous concevons spéculativement, en définissant et en distinguant des concepts, Dieu le connaît d’une façon infiniment plus parfaite.

Quant aux choses qu’il peut faire, mais ne fait être réellement en aucun temps, Dieu n’en a pas une connaissance pratique selon qu’une connaissance est appelée pratique du fait de sa finalité ; il a, en ce sens-là, une connaissance pratique des choses qu’il fait être[947]. Quant aux maux, bien qu’ils ne soient pas réalisables par lui, ils n’en tombent pas moins, comme les choses bonnes, sous sa connaissance pratique, pour autant que Dieu les permet, les empêche, ou les réduit à l’ordre[948]. C’est ainsi que les maladies sont un objet de connaissance pratique pour le médecin, en tant que, par son art, il les soigne.

Solutions :

l. La science de Dieu est cause non de lui-même, mais des autres choses : de certaines en acte ce sont celles qui sont réalisées à un moment quelconque du temps ; d’autres virtuellement ce sont celles qu’il a le pouvoir de faire, mais qui ne sont jamais faites[949].

2. Tirer la science des choses sues ne convient pas à la science spéculative en tant que telle, mais par accident, en tant qu’elle est humaine[950].

Quant à l’objection En sens contraire, il faut y répondre ceci. Des choses réalisables, il n’y a pas science parfaite, si elles ne sont pas connues en tant que réalisables. Aussi, puisque la science de Dieu est parfaite de toute manière, Dieu doit connaître les choses réalisables en tant que réalisables, et non seulement en tant que spéculativement connaissables. Cependant la noblesse de la science spéculative ne lui est pas retirée, car toutes les choses autres que lui, c’est en lui-même qu’il les voit[951], et c’est spéculativement qu’il se connaît lui-même[952]. Ainsi, dans la connaissance spéculative qu’il a de lui-même, il a une connaissance à la fois spéculative et pratique de toutes les autres choses.


 

 

QUESTION 15 — LES IDÉES

1. Y a-t-il des idées en Dieu ? 2. Y a-t-il plusieurs idées, ou une seule ? 3. Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

 

            Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas d’idées en Dieu, car Denys affirme que Dieu ne connaît pas les choses par une idée. Mais, si l’on parle d’idées en Dieu, c’est seulement afin que les choses soient connues par elles. Donc il n’y a pas d’idées en Dieu.

2. Comme on l’a dit plus haut[953], Dieu connaît toutes les choses en lui-même. Or, il ne se connaît pas lui-même par une idée. Donc pas davantage les autres choses.

3. L’idée est introduite comme principe de connaissance et d’action. Mais l’essence divine est le principe suffisant du connaître et du faire à l’égard de toutes les choses[954]. Il n’est donc pas nécessaire d’introduire en elle des idées.

En sens contraire, S. Augustin écrit “ Il y a dans les idées une telle force que, sans elles, personne ne peut être sage. ”

Réponse :

Il est nécessaire de dire qu’il y a des idées dans l’esprit divin.

“Idée”, en grec, c’est ce que nous appelons forme en latin. Par idées on entend donc les formes, considérées comme existant par soi, de toutes les choses. Or la forme d’une chose quelconque, existant en dehors d’elle, peut avoir deux rôles : ou elle est le modèle de la chose dont elle est dite être la forme, ou elle est le principe par lequel on la connaît, dans le sens où l’on dit que les formes des connaissables sont dans le connaissant[955]. C’est pour l’un et l’autre rôle qu’il est nécessaire de reconnaître qu’il y a des idées en Dieu.

En voici la preuve. Dans toutes les choses qui ne sont pas le fruit du hasard, il y a nécessité que la forme de l’engendré soit la fin à laquelle tend la génération[956]. Or l’agent n’agirait pas en vue de la forme s’il n’avait en lui la similitude de cette forme. Mais cela peut avoir lieu de deux façons. En certains agents, la similitude de la chose à faire préexiste selon son être naturel ; c’est le cas des êtres qui agissent par nature, comme l’homme engendre l’homme et le feu engendre le feu. En d’autres, cette similitude préexiste selon l’être intelligible, comme chez ceux qui agissent par leur intelligence. C’est ainsi que la représentation de la maison est dans l’esprit de l’architecte. Et cette similitude peut être dite alors l’idée de la maison, parce que l’homme de l’art entend faire la maison à la ressemblance de la forme que son esprit a conçue.

Donc, puisque ce monde n’est pas l’œuvre du hasard, mais a été fait par Dieu qui agit par son intelligence, ainsi qu’on le verra[957], il est nécessaire d’admettre dans l’esprit divin une forme à la ressemblance de laquelle soit fait le monde, et c’est en cela que consiste formellement l’idée.

Solutions :

1. Dieu ne conçoit pas les choses au moyen d’une idée existant hors de lui-même[958]. Déjà Aristote rejetait la doctrine de Platon, qui imaginait des idées existant par elles-mêmes, et non dans l’intellect.

2. Quoique Dieu connaisse par sa propre essence et lui-même et toutes choses[959], son essence est un principe d’opération à l’égard de toutes les choses, non à l’égard de lui-même[960]. Et c’est pourquoi elle a valeur d’idée selon qu’elle se rapporte aux autres créatures, non en tant qu’elle se rapporte à lui-même.

3. Dieu est selon son essence la représentation de toutes choses[961]. Ainsi l’idée de Dieu n’est-elle pas autre chose que son essence.

 

            Article 2 — Y a-t-il plusieurs idées, ou une seule ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas plusieurs idées, car l’idée en Dieu est l’essence divine[962]. Mais celle-ci est une. Donc l’idée aussi.

2. L’idée est un principe de connaissance et d’action, comme l’art et la sagesse. Or, en Dieu, il n’y a pas plusieurs arts, ni plusieurs sagesses. Il n’y a donc pas plusieurs idées.

3. Si quelqu’un dit : Les idées sont multipliées selon leurs rapports aux diverses créatures, on pourra objecter : La pluralité des idées est éternelle. Donc, si les idées sont multiples alors que les créatures sont temporelles, le temporel sera cause de l’éternel[963].

4. Ou bien les rapports dont on parle ne sont réels que dans la créature, ou bien ils sont réels en Dieu aussi. S’ils ne sont réels que dans les créatures, qui ne sont pas éternelles, la multiplicité des idées ne sera pas éternelle si elles sont multipliées uniquement par ces rapports. S’ils sont réellement en Dieu, il s’ensuit qu’il y a en Dieu une autre pluralité réelle que la pluralité des Personnes[964], et cela contredit S. Jean Damascène affirmant que “ dans la Divinité tout est un, sauf le non-engendrement, l’engendrement et la procession ”. Donc il n’y a pas plusieurs idées en Dieu.

En sens contraire, on lit dans S. Augustin : “ Les idées sont comme les formes premières ou les raisons permanentes et immuables des choses. Elles ne sont pas formées, elles sont éternelles et toujours les mêmes, et l’intelligence divine les contient. Mais, tandis qu’elles-mêmes ne commencent ni ne finissent, c’est d’après elles qu’on dit être formé tout ce qui peut commencer et finir. ”

Réponse :

Il est nécessaire d’admettre la pluralité des idées. Pour le prouver, il faut observer qu’en tout effet l’intention de l’agent principal porte expressément sur ce qui est la fin dernière : ainsi l’ordre de l’armée pour le chef. Or, ce qu’il y a de meilleur dans les choses, c’est le bien de l’ordre universel[965], comme on le voit dans la Métaphysique d’Aristote. Donc l’ordre de l’univers est expressément l’objet de l’intention divine, et non le résultat fortuit des actions sans lien entre elles d’agents successifs, comme le soutiennent certains, qui ont dit que Dieu n’a créé qu’une première créature, à partir de laquelle la chaîne de productions a abouti à la grande multitude actuelle. Selon cette opinion, Dieu n’aurait l’idée que du premier créé. Mais, si c’est l’ordre du monde qui est formellement créé et que Dieu s’est expressément proposé comme fin, il faut que Dieu ait l’idée de l’ordre universel. Or, on ne peut concevoir un tout sans avoir la conception précise des éléments qui le constituent ; par exemple, un constructeur ne pourrait pas concevoir le plan de la maison, s’il n’avait pas en lui la représentation propre de chacune de ses parties. Il faut donc que dans l’esprit divin se trouvent les raisons formelles propres de toutes choses[966]. C’est ce qui fait dire à S. Augustin : “ Toutes les choses, chacune selon ce qu’elle a en propre, ont été créées par Dieu ”[967], et il s’ensuit donc qu’il y a en Dieu une pluralité d’idées.

Comment cela ne s’oppose pas à la simplicité divine, c’est ce qu’il est facile de voir, si l’on observe que l’idée d’une œuvre est dans l’esprit de l’opérateur comme ce qui est connu, non comme la forme intelligible par quoi cela est connu et par laquelle est actualisé son intellect[968]. Dans l’esprit du constructeur, la forme de la maison est quelque chose qu’il connaît, et c’est à sa ressemblance qu’il donnera forme à la maison dans la matière. Or, il n’est pas contraire à la simplicité de l’intelligence divine qu’elle connaisse beaucoup de choses : ce qui serait contraire à sa simplicité, c’est qu’elle soit actualisée par plusieurs formes intelligibles. Donc, s’il y a dans l’esprit divin de multiples idées, c’est d’une multiplicité d’objets connus qu’il s’agit.

On peut se représenter les choses ainsi. Dieu connaît parfaitement son essence[969], il la connaît donc de toutes les manières dont elle est connaissable. Or elle peut être connue non seulement en elle-même, mais selon qu’elle est participable, par mode d’une certaine ressemblance[970], par les créatures. Mais chaque créature a sa nature propre, selon le mode dont elle participe de la ressemblance de l’essence divine. Ainsi, quand Dieu connaît sa propre essence comme imitable de manière déterminée par telle créature, il la connaît comme étant la raison propre[971] et l’idée de cette créature, et de même pour les autres.

Solutions :

1. Ce qu’on appelle idée ne désigne pas l’essence divine en elle-même, mais en tant qu’elle est similitude ou raison formelle de telle ou telle chose[972]. Pour autant donc que plusieurs raisons formelles sont connues à partir de l’essence une, les idées sont dites multiples.

2. La sagesse et l’art signifient ce par quoi Dieu connaît ; l’idée, ce qu’il connaît. Or Dieu, par un médium unique[973], connaît des choses qui sont multiples, et non seulement selon qu’elles sont en elles-mêmes, mais aussi selon qu’elles sont dans l’intellect comme connues[974], et c’est là connaître les raisons formelles des choses en leur multiplicité. Ainsi l’architecte, quand il connaît la forme de la maison réalisée dans la matière, on dit qu’il connaît la maison ; quand il connaît la même forme dans son esprit, on dit qu’il connaît l’idée ou la raison formelle de la maison[975]. Or, non seulement Dieu connaît la multitude des choses par son essence, mais il connaît qu’il la connaît ainsi. Cela revient à dire qu’il connaît une pluralité de raisons des choses, ou encore qu’il connaît qu’il y a dans son intellect une pluralité d’idées connues.

3. Ces rapports, selon lesquels les idées sont multipliées, ne sont pas causés par les choses, mais par l’intellect divin, quand il compare son essence aux choses[976].

4. Ces rapports qui multiplient les idées ne sont pas dans les choses créées, mais en Dieu. Cependant, ce ne sont pas des relations réelles[977], comme celles qui distinguent les Personnes divines : ils sont l’objet de l’intellection divine.

 

            Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas en Dieu des idées de toutes les choses qu’il connaît. L’idée du mal, en effet, n’est pas en Dieu, car il s’ensuivrait que le mal est en Dieu. Or les choses mauvaises sont connues de Dieu[978]. Donc il n’y a pas en Dieu des idées de toutes les choses qu’il connaît.

2. Nous avons dit[979] que Dieu connaît les choses qui ne sont, ni ne seront, ni n’ont été. Or, de toutes ces choses il n’y a pas d’idées, car Denys écrit : “ Ce sont des modèles pour la volonté divine, qui définit et réalise les choses. ” Donc il n’y a pas en Dieu des idées de toutes les choses qu’il connaît.

3. Dieu connaît la matière première[980] dont il ne peut pas avoir d’idée, puisqu’elle n’a aucune forme.

4. Il est certain que Dieu ne connaît pas seulement les espèces, mais aussi les genres, les singuliers et les accidents[981]. Or, de toutes ces choses il n’y a pas d’idées, selon Platon, le premier qui a introduit la théorie des idées, au dire de S. Augustin.

En sens contraire, les idées sont les raisons formelles des choses dans l’esprit divin[982], comme le montre S. Augustin. Or, de toutes les choses qu’il connaît, Dieu a dans son esprit les raisons formelles propres[983]. Donc il a une idée de toutes les choses qu’il connaît.

Réponse :

Puisque l’idée a été conçue par Platon comme le principe de la connaissance des choses et de leur génération, c’est avec ce double rôle que nous les attribuons à Dieu. Selon que l’idée est un principe formateur des choses, on peut dire qu’elle est un modèle, et elle concerne la connaissance pratique. Selon qu’elle est un principe de connaissance, on l’appelle proprement une raison formelle, et elle peut même concerner la connaissance spéculative[984]. En conséquence, comme modèle l’idée concerne toutes les choses que Dieu fait en un temps quelconque ; mais, comme principe de connaissance, elle concerne toutes les choses qui sont connues par Dieu, même si elles ne sont réalisées à aucun moment du temps ; et toutes les choses qui sont connues par Dieu selon leur raison propre, même celles qui sont connues par Dieu spéculativement seulement.

Solutions :

1. Le mal est connu de Dieu non par une raison formelle qui lui serait propre, mais par la raison formelle de bien[985]. Et c’est pourquoi il n’a pas d’idée en Dieu, ni au sens de modèle, ni au sens de raison formelle.

2. Des choses qui ne sont, ni ne seront, ni n’ont été, Dieu n’a pas une connaissance pratique, si ce n’est virtuellement. Donc, à l’égard de ces choses il n’y a pas d’idée en Dieu au sens de modèle, mais seulement au sens de raison formelle[986].

3. Platon, au dire de certains, pensait que la matière est incréée ; en conséquence il n’y avait pas pour lui une idée de la matière, mais l’idée “ causait avec ” la matière. Pour nous, qui pensons que la matière est créée par Dieu[987], non à part de la forme, il y a bien en Dieu une idée de la matière, mais une idée qui n’est autre que celle du composé hylémorphique. Car la matière, par elle-même, n’est pas connaissable.

4. Les genres ne peuvent avoir d’idée autre que celle de l’espèce, si par idée on entend un modèle ; car le genre ne se réalise jamais autrement que dans une certaine espèce[988]. Il en est de même des accidents inséparables de leur sujet, parce qu’ils se réalisent toujours avec ce sujet. Au contraire, les accidents qui surviennent après coup comportent une idée spéciale. En effet, l’homme de l’art qui a conçu la forme d’une maison réalise avec cette forme toutes les particularités accidentelles qui, dès le principe, faisaient partie du projet de la maison. Mais, ce qu’il ajoute à la maison déjà


 

 

QUESTION 16 — LA VÉRITÉ

Puisque la science a pour objet des choses vraies, après avoir étudié la science de Dieu, il faut chercher ce qu’est la vérité.

1. La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? 2. Est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? 3. Du vrai, comparé à l’étant. 4. Du vrai comparé au bon. 5. Dieu est-il la vérité ? 6. Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? 7. L’éternité de la vérité. 8. Son immutabilité.

 

Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ?

Objections :

1. Il semble que la vérité n’est pas dans l’intelligence, mais plutôt dans les choses. En effet, S. Augustin, dans les Soliloques rejette cette définition du vrai : “ Le vrai est ce que l’on voit ” ; car, dit-il, en ce cas, les pierres qui se trouvent dans les profondeurs de la terre ne seraient pas de vraies pierres, parce qu’elles ne se voient pas. Il repousse également cette autre définition : “ Le vrai est ce qui est tel qu’il apparaît au sujet connaissant, si celui-ci veut et peut le connaître ”, car, dans ces conditions, rien ne serait vrai, si personne ne pouvait le connaître. Et lui-même définit ainsi le vrai : “ Le vrai, c’est ce qui est. ” Il semble donc que le vrai soit dans les choses, et non dans l’intelligence.

2. Tout ce qui est vrai, est vrai par la vérité. Donc, si la vérité est uniquement dans l’intelligence, rien ne sera vrai sinon dans la mesure où il est connu par l’intelligence, ce qui est l’erreur des anciens philosophes disant : “ Tout ce qui apparaît est vrai. ” Il s’ensuit que des propositions contradictoires sont vraies simultanément, car des propositions contradictoires paraissent vraies simultanément à diverses personnes.

3. “Ce qui fait qu’une chose est telle, est cela encore davantage”, disent les Derniers Analytiques. Or, du fait qu’une chose est ou n’est pas, l’opinion ou la parole concernant cette chose sera vraie ou fausse, dit Aristote. Donc la vérité est dans les choses plutôt que dans l’intelligence.

En sens contraire, le Philosophe dit : “Le vrai et le faux ne sont pas dans les choses, mais dans l’intelligence. ”

Réponse :

De même qu’on nomme “bon” ce à quoi tend l’appétit[989], de même on nomme “vrai” ce à quoi tend l’intelligence. Mais il y a cette différence entre l’appétition et l’intellection, ou tout autre mode de connaissance, que la connaissance consiste en ce que le connu est dans le connaissant[990], tandis que l’appétition consiste dans le penchant du sujet vers la chose même qui l’attire. Ainsi le terme de l’appétition, qui est le bon, se trouve dans la chose attirante, mais le terme de la connaissance, qui est le vrai, est dans l’intelligence.

Or, de même que le bien est dans la chose, en tant qu’elle est ordonnée à l’appétit, en raison de quoi la raison formelle passe de la chose attirante à l’appétit lui-même, de telle sorte que l’appétit est dit bon dès lors que ce qui l’attire est bon[991], de même, le vrai étant dans l’intelligence selon que celle-ci se conforme à la chose connue, il est nécessaire que la raison formelle de vrai passe à la chose par dérivation, de sorte que cette dernière soit dite vraie elle aussi en tant qu’elle est en rapport avec l’intelligence.

Mais cette chose peut se rapporter à l’intelligence par soi ou par accident. Elle se rapporte par soi à l’intelligence dont elle dépend selon son être ; elle se rapporte par accident à l’intelligence par laquelle elle est connaissable. Comme si nous disions que la maison a un rapport essentiel à l’intelligence de son architecte, et un rapport accidentel aux intelligences dont elle ne dépend pas[992]. Or, une chose ne se juge pas en considération de ses caractères accidentels, mais en raison de ses caractères essentiels. On dira donc qu’une chose est vraie, absolument parlant, par comparaison avec l’intelligence dont elle dépend. De là vient que les productions de l’art sont dites vraies par rapport à notre intelligence ; par exemple, une maison est dite vraie quand elle revêt la forme d’art qui a été conçue par son architecte ; une parole est dite vraie quand elle est le signe d’une connaissance intellectuelle vraie. Pareillement, les choses naturelles sont dites vraies en tant que se réalise en elles la similitude des formes intelligibles qui sont dans l’intelligence divine : on appelle une vraie pierre celle qui a la nature propre de la pierre, telle que l’a préconçue l’intelligence de Dieu[993]. Ainsi donc, la vérité est principalement dans l’intelligence, secondairement dans les choses, en tant que reliées à l’intelligence comme à leur principe.

C’est pour cela qu’on a pu définir diversement la vérité. S. Augustin, dans son traité De la Vraie Religion la définit ainsi : “La vérité est ce par quoi est manifesté ce qui est. ” S. Hilaire : “ Le vrai est la déclaration ou la manifestation de l’être. ” Et cela se rapporte à la vérité dans l’intelligence. Sur la vérité des choses rapportée à l’intelligence, on peut citer cette autre définition de S. Augustin : “ La vérité est la parfaite similitude de chaque chose avec son vrai principe, sans aucune dissemblance. ” Et celle-ci, de S. Anselme : “ La vérité est une rectitude que l’esprit seul peut percevoir. ” Car cela est droit ou correct qui concorde avec son principe. On cite encore cette définition d’Avicenne : “ La vérité de chaque chose consiste dans la propriété de son être tel qu’il lui a été conféré. ” Quant à la définition : “ La vérité est l’adéquation entre la chose et l’intelligence ”, elle peut se rapporter à l’un et l’autre aspects de la vérité.

Solutions :

1. S. Augustin parle ici de la vérité des choses, et il en exclut le rapport de cette vérité avec notre esprit. Car ce qui est accidentel doit être exclu de toute définition.

2. Les anciens philosophes ne faisaient pas procéder les essences des choses naturelles d’une intelligence, mais du hasard, et comme ils se rendaient compte du rapport qu’il y a entre le vrai et l’intelligence, ils étaient contraints de mettre la vérité des choses dans leur rapport à notre intelligence ; d’où toutes sortes d’inconvénients que dénonce Aristote au livre IV de la Métaphysique. Mais ces inconvénients sont écartés si nous faisons consister la vérité des choses dans leur rapport avec l’intellect divin[994].

3. Quoique la vérité de notre intelligence soit causée par la chose, il ne s’ensuit pas que la raison formelle de vérité se trouve d’abord dans la chose, pas plus que la raison formelle de la santé ne se trouve en priorité dans le remède plutôt que dans l’animal[995]. C’est en effet la vertu active du remède, non sa “ santé ”, qui cause la santé du patient ; car il s’agit là d’un agent non univoque. De même, c’est l’être de la chose, et non sa vérité, qui cause la vérité dans l’intelligence. Aussi Aristote dit-il : “ Une opinion ou une parole est vraie du fait que la chose est, et non parce que la chose est vraie.

 

            Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ?

Objections :

1. Il semble que la vérité n’existe pas dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise. En effet, pour le Philosophe, “ les sens sont toujours vrais quand ils perçoivent leurs sensibles propres ; et de même l’intelligence lorsqu’elle connaît l’essence d’une chose ”. Mais la composition et la division ne se trouvent ni dans la sensation, ni dans l’intellection de l’essence[996]. Donc la vérité ne se trouve pas seulement dans l’acte de l’intelligence qui compose et divise.

2. Isaac définit la vérité comme “ l’adéquation de la chose et de l’intellect ”. Mais, de même que la saisie intellectuelle des objets complexes peut être adéquate aux choses, de même l’intelligence des objets non complexes, et aussi la perception par le sens de la chose telle qu’elle est. Donc la vérité n’est pas seulement dans la composition et la division opérées par l’intelligence.

En sens contraire, Aristote affirme qu’à l’égard des objets simples et de l’essence, il n’y a vérité ni dans les choses ni dans l’intellect.

Réponse :

On l’a déjà dit[997], le vrai, selon sa raison formelle première, est dans l’intelligence. Puisque toute chose est vraie selon qu’elle possède la forme qui est propre à sa nature[998], il est nécessaire que l’intellect en acte de connaître soit vrai en tant qu’il y a en lui la similitude de la chose connue, similitude qui est sa forme propre en tant qu’il est connaissant[999]. Et c’est pour cela que l’on définit la vérité par la conformité de l’intellect et de la chose. Il en résulte que connaître une telle conformité, c’est connaître la vérité. Or, cette conformité, le sens ne la connaît en aucune manière ; car, bien que l’œil, par exemple, ait en lui la similitude intentionnelle du visible[1000], il ne saisit pas le rapport qu’il y a entre la chose vue et ce qu’il en appréhende.

L’intellect, lui, peut connaître sa conformité à la chose intelligible. Ce n’est pourtant pas dans l’acte par lequel il connaît l’essence de la chose qu’il appréhende cette conformité. Mais quand il juge que la chose est bien telle que la représente la forme intelligible qu’il en tire, c’est alors qu’il commence à connaître et à dire le vrai. Et cela, il le fait en composant et en divisant, car, en toute proposition, il applique à une chose signifiée par le sujet une forme signifiée par le prédicat, ou bien il l’en écarte[1001]. C’est pourquoi il se trouve, certes, que le sens est vrai à l’égard d’une chose donnée, ou l’intellect dans l’acte par lequel il connaît une essence, mais non qu’il connaisse ou dise le vrai. Et il en va de même pour les mots, qu’ils soient simples ou composés. Donc, si la vérité peut se trouver dans le sens ou dans l’intelligence connaissant l’essence, c’est comme dans une chose vraie, mais non comme le connu est dans le connaissant, ce que veut dire le mot “vrai”. La perfection de l’intellect, en effet, c’est le vrai en tant qu’il est connu[1002]. En conséquence, à parler proprement, la vérité est dans l’intelligence qui compose et divise, non dans le sens, et pas davantage dans la simple intellection de l’essence.

Par là sont résolues les Objections.

 

            Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

Objections :

1. Il semble que le vrai et l’être ne sont pas convertibles. Car on a dit que le vrai est proprement dans l’intelligence[1003]. Or l’étant est proprement dans l’univers réel. Donc ils ne sont pas convertibles.

2. Ce qui englobe l’étant et le non-étant n’est pas convertible avec l’étant. Mais c’est le cas du vrai, car il est vrai que ce qui est, est ; et que ce qui n’est pas, n’est pas.

3. Deux choses dont l’une est antérieure à l’autre ne semblent pas convertibles. Or, le vrai semble antérieur à l’étant, car celui-ci n’est objet de l’intelligence que sous la raison de vrai.

En sens contraire, le Philosophe assure que la situation des choses est la même dans l’ordre de l’être et dans l’ordre de la vérité.

Réponse :

Comme le bon se définit par rapport à l’appétit, de même le vrai par rapport à la connaissance. Or, dans la mesure où une chose participe de l’être, dans cette mesure elle est connaissable[1004]. Et c’est ce qui fait dire à Aristote que “l’âme est en quelque manière toutes choses”, selon le sens et selon l’intellect[1005]. Il en résulte que, comme le bon est convertible avec l’étant[1006], ainsi le vrai. Toutefois, de même que le bien ajoute à l’être la raison formelle d’attirance, de même le vrai ajoute à l’être un rapport à l’intelligence.

Solutions :

1. Comme on l’a dit[1007], le vrai est dans l’intelligence et dans les choses. Le vrai qui est dans les choses s’identifie substantiellement à l’être. Mais le vrai qui est dans l’intelligence s’identifie à l’étant, comme ce qui manifeste s’identifie à ce qui est manifesté[1008]. Car cela appartient à la raison formelle du vrai, nous l’avons dit[1009]. Toutefois, on peut dire encore que l’étant aussi, comme le vrai, est à la fois dans les choses et dans l’intelligence, bien que le vrai soit principalement dans l’intelligence, et l’étant principalement dans les choses ; ce qui a lieu parce que le vrai et l’être diffèrent formellement [1010].

2. Le non-étant n’a pas en soi de quoi être connu ; il est connu uniquement pour autant que l’intelligence le rend connaissable[1011]. Le vrai est donc fondé sur l’étant, en ce que le non-étant est un être de raison, c’est-à-dire un étant dont l’être consiste en son appréhension par la raison

3. Lorsqu’on dit que l’étant ne peut être appréhendé que sous la raison de vrai, cela peut se comprendre de deux façons. On peut comprendre que l’étant n’est pas appréhendé si la raison formelle de vrai ne résulte pas de l’appréhension de l’étant, et en ce sens l’affirmation est exacte. Mais on pourrait comprendre aussi que l’étant ne pourrait être appréhendé sans que soit d’abord appréhendée la raison de vrai, et cela est faux[1012]. A l’inverse, le vrai ne pourrait être appréhendé si d’abord ne l’était celle de l’étant, car l’étant est inclus dans la raison de vrai. On pourrait de même comparer l’intelligible à l’étant. On ne pourrait pas, en effet, connaître l’étant s’il n’était pas intelligible ; et pourtant l’étant peut être intellectuellement connu sans que soit connue son intelligibilité. De même, l’étant que connaît l’intelligence est vrai, mais, en connaissant l’étant, on ne connaît pas pour autant le vrai.[1013]

 

            Article 4 — Du vrai comparé au bon

Objections :

1. Il semble que, selon l’ordre rationnel, le bien soit antérieur au vrai. En effet, selon le Philosophe, ce qui est le plus universel est premier selon l’ordre de la raison. Or le bien est plus universel que le vrai, car le vrai est un certain bien, celui de l’intelligence[1014]. Donc le bien est rationnellement antérieur au vrai.

2. Le bien est dans les choses ; le vrai est dans la composition et la division opérées par l’intelligence, nous l’avons dit[1015]. Mais les choses qui sont dans le réel sont antérieures à celles qui sont dans l’intelligence. Donc, selon l’ordre rationnel, le bon est antérieur au vrai.

3. La vérité est rangée par Aristote parmi les vertus ; or la vertu est comprise dans la catégorie du “bon”, étant, selon S. Augustin , “une bonne qualité de l’âme”. Le bien est donc antérieur au vrai.

En sens contraire, ce qui se trouve dans un plus grand nombre de choses a la priorité selon l’ordre de raison ; or le vrai se rencontre parmi les choses où il n’y a pas de bien, par exemple dans les entités mathématiques[1016]. Donc le vrai est antérieur au bien.

Réponse :

Quoique le bon et le vrai, quant au suppôt qu’ils qualifient, soient convertibles avec l’étant[1017], ils diffèrent par leur raison formelle. Et, sous ce rapport, le vrai, absolument parlant, a priorité sur le bien. On peut le montrer de deux façons. Tout d’abord, par le fait que le vrai est plus proche que le bon de l’étant, qui, lui, est premier. En effet, le vrai concerne l’être lui-même immédiatement, tandis que la raison formelle de bon est consécutive à l’être en tant qu’il est, d’une certaine manière, parfait, car c’est ainsi qu’il est attirant[1018]. En second lieu, par nature, la connaissance précède l’appétit[1019]. Donc, puisque le vrai a rapport à la connaissance, et le bien à l’appétit, le vrai, selon l’ordre de la raison, aura la priorité sur le bien.

Solutions :

1. La volonté et l’intelligence s’incluent l’une l’autre, car l’intelligence connaît la volonté, et la volonté veut que l’intelligence connaisse. Ainsi donc, parmi les choses qui ont rapport à l’objet de la volonté, se trouvent également les choses de l’intelligence, et réciproquement. Par suite, dans le domaine de l’appétibilité, le bien se présente comme universel, et le vrai comme particulier ; mais, dans l’ordre de l’intelligibilité, c’est l’inverse. Donc, de ce qu’on observe que le vrai est un certain bien, il suit que le bien est premier dans le domaine de l’appétibilité, non purement et simplement.

2. Est antérieur dans l’ordre rationnel ce qui tombe d’abord sous les prises de l’intellect. Or, l’intellect appréhende d’abord l’étant lui-même ; deuxièmement, il s’appréhende lui-même connaissant l’étant[1020] ; et troisièmement, il s’appréhende comme désirant l’étant. Aussi, la raison d’étant est première ; celle de vrai, deuxième ; et celle de bon, troisième, quoique le bien soit dans les choses.

3. La vertu appelée vérité n’est pas la vérité en général, mais cette vérité particulière qui consiste à se montrer tel qu’on est, en paroles et en actes. La vérité de la vie est prise dans ce sens particulier que l’homme réalise dans sa vie ce à quoi il est ordonné par l’intelligence divine, dans le même sens où l’on dit qu’il y a de la vérité dans les autres choses. Quant à la vérité de la justice, elle consiste en ce que l’homme observe ce qu’il doit à autrui, selon la loi[1021]. Mais il ne faut pas, à partir de ces vérités particulières, passer à la vérité commune.

 

            Article 5 — Dieu est-il la vérité ?

Objections :

l. Il semble que non. En effet, la vérité consiste dans une composition ou une division opérée par l’intelligence[1022]. Or, en Dieu il n’y a rien de tel[1023].

2. Selon S. Augustin, la vérité d’une chose consiste à ressembler à son principe. Mais Dieu n’a pas de principe[1024]. Donc il n’y a pas de vérité en lui.

3. Ce que l’on dit de Dieu, on le dit toujours comme de la cause suprême[1025] ; par exemple, l’être de Dieu est cause de tout être, et sa bonté est cause de tout bien. Donc, si Dieu est vérité, tout ce qui est vrai viendra de lui. Or, que tel homme pèche, cela est vrai. Donc cela viendra de Dieu, ce qui est évidemment faux[1026].

En sens contraire, il est dit en S. Jean (14, 6) : “ Moi, je suis la voie, la vérité et la vie. ”

Réponse :

D’après ce qui précède[1027], la vérité se trouve dans l’intelligence selon que celle-ci appréhende une chose telle qu’elle est, et dans la chose selon qu’elle a un être qui peut se conformer à l’intellect. Or cela se trouve en Dieu au plus haut degré. Car son être non seulement est conforme à son intelligence, mais il est son intellection même[1028], et celle-ci est la mesure et la cause de tout être distinct du sien, de toute intelligence autre que la sienne[1029] ; et lui-même est son propre être[1030] et sa propre intellection. Il s’ensuit que non seulement la vérité est en lui, mais que lui-même est la souveraine et première vérité.

Solutions :

1. Il n’y a en Dieu ni composition ni division de concepts, mais par la simple vue de son intelligence, il juge de tout et il connaît tous les objets complexes[1031]. Et c’est ainsi que la vérité est dans son intellect.

2. Le vrai de notre intellect est dans sa conformité à son principe, à savoir aux choses dont il dépend pour connaître. Le vrai des choses, lui aussi, est dans leur conformité à leur principe, qui est l’intelligence divine. Mais, à proprement parler, cela ne peut pas se dire de la vérité divine, à moins peut-être qu’il ne s’agisse d’une appropriation de la vérité au Fils qui a un principe[1032]. Mais, si l’on parle de la vérité selon sa raison formelle, la parole de S. Augustin ne peut se comprendre de Dieu si l’on ne retrouve sous la proposition affirmative la négative qui s’y cache, comme lorsqu’on dit : “ le Père est par lui-même ”, pour dire qu’il n’est pas par un autre. De la même manière on peut dire que la vérité divine est la similitude de son principe, pour signifier que l’être de Dieu n’est pas dissemblable de son intelligence.

3. Le non-étant et les privations n’ont pas de vérité par eux-mêmes, ils en ont seulement dans l’appréhension de notre esprit[1033]. Or toute appréhension de l’intellect a Dieu pour cause. De sorte que tout ce qu’il y a de vérité dans mon énonciation : “ cet homme commet un péché d’impureté ”, cette vérité vient tout entière de Dieu. Mais si l’on veut conclure que ce péché est causé par Dieu, il y a là ce qu’on appelle le sophisme de l’accident.

 

            Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ?

Objections :

1. Il semble qu’il y a une seule vérité, selon laquelle toutes chose sont vraies. En effet, S. Augustin a dit : “Rien n’est plus grand que l’esprit humain, si ce n’est Dieu.” Or la vérité est plus grande que l’esprit humain ; autrement l’esprit serait juge de la vérité, alors qu’en fait il juge selon la vérité et non pas d’après lui-même. Donc Dieu est vérité. Il n’y a donc pas d’autre vérité que Dieu.

2. S. Anselme dit que la vérité est aux choses vraies ce que le temps est aux choses temporelles. Or, il n’y a qu’un seul temps de toutes les choses temporelles, donc il y a une seule vérité de tout ce qui est vrai.

En sens contraire, dans le Psaume (12, 2 Vg) on trouve ces paroles : “ Les vérités ont disparu de chez les enfants des hommes. ”

Réponse :

En un sens, il y a une seule vérité par laquelle tout est vrai. Pour s’en convaincre, il faut savoir que, si un attribut est dit de plusieurs sujets univoquement, cet attribut se trouve selon sa raison formelle en chacun, comme la nature animale en chaque espèce d’animal. Mais quand l’attribut est dit de plusieurs analogiquement, il se trouve selon sa raison formelle propre dans un seul d’entre eux, en fonction duquel les autres sont dénommés par cet attribut[1034]. Ainsi “sain” est dit de l’animal, de l’urine et du médicament, non que la santé soit ailleurs que dans le seul animal, mais en fonction de la santé de l’animal, le médicament est dit sain parce qu’il est cause de cette santé, et l’urine parce qu’elle en est le signe. Et quoique la santé ne soit ni dans le médicament ni dans l’urine, il y a dans l’un et dans l’autre quelque chose par quoi l’un cause et l’autre signifie la santé[1035].

Or, on a dit plus haut[1036] que la vérité est premièrement dans l’intelligence, et secondairement dans les choses, en tant que les choses sont référées à l’intelligence divine. Donc, si nous parlons de la vérité en tant qu’elle est dans l’intelligence selon sa propre raison formelle, il y a, en plusieurs intelligences créées, plusieurs vérités, et aussi dans la même intelligence selon la pluralité de choses connues. C’est ce qui fait dire à la Glose, sur ces mots du Psaume : “Les vérités ont disparu de chez les enfants des hommes”, que d’une même vérité divine résultent plusieurs vérités, comme d’un unique visage d’homme résultent plusieurs images dans le miroir. Mais, si nous parlons de la vérité selon qu’elle est dans les choses, alors toutes choses sont vraies par une seule et première vérité, à laquelle chacune est assimilée selon son entité. Et ainsi, bien qu’il y ait diverses essences ou formes des choses, cependant la vérité de l’intellect divin est unique, par rapport à laquelle toutes les choses sont dénommées vraies[1037].

Solutions :

1. Notre esprit juge de toutes les choses non pas selon une vérité quelconque, mais selon la vérité première, en tant qu’elle se reflète en lui comme dans un miroir[1038], sous la forme des intelligibles premiers. Il s’ensuit que la vérité première est plus grande que l’âme. Et cependant, la vérité créée qui est dans notre intelligence, est plus grande que l’âme, elle aussi, mais non purement et simplement : sous un certain rapport, en tant qu’elle en est la perfection. En ce sens, on pourrait dire aussi de la science qu’elle est plus grande que l’âme.

2. La parole de S. Anselme est vraie des choses qui sont dites vraies par rapport à l’intellect divin.

 

            Article 7 — L’éternité de la vérité

Objections :

l. Il semble que la vérité créée soit éternelle, car S. Augustin affirme : “ Rien n’est plus éternel que la définition du cercle et que deux et trois font cinq. ” Or ce sont là des vérités créées.

2. Ce qui est toujours est éternel. Or les universaux sont partout et toujours. Ils sont donc éternels. Donc aussi la vérité, qui est ce qu’il y a de plus universel.

3. Si ceci est vrai présentement, il a toujours été vrai que ceci serait vrai. Or, de même qu’une proposition au présent est une vérité créée, de même celle d’une proposition au futur. Donc quelque vérité créée est éternelle.

4. Ce qui n’a ni commencement ni fin est éternel. Mais la vérité de nos énonciations n’a ni commencement ni fin. Parce que, si la vérité commençait, alors qu’auparavant elle n’était pas, il était vrai alors que la vérité n’était pas. Cela était donc doté de quelque vérité, si bien que la vérité était avant d’avoir commencé. Pareillement, si l’on suppose que la vérité a une fin, il s’ensuit qu’elle est après avoir cessé, car il sera vrai que la vérité n’est pas. Donc la vérité est éternelle.

En sens contraire, Dieu seul est éternel, comme on l’a établi plus haut.

Réponse :

La vérité de nos énonciations n’est pas autre que la vérité de notre intelligence. En effet, une énonciation est d’une part dans l’intelligence, d’autre part dans la parole. Selon qu’elle est dans l’intelligence, elle est par elle-même susceptible de vérité. Selon qu’elle est proférée, l’énonciation est dite vraie en tant qu’elle signifie la vérité de l’intellect, non en raison d’une vérité qui serait en elle comme dans son sujet. Ainsi l’urine est dite saine non en raison d’une santé qui serait en elle, mais en raison de la santé de l’animal, qu’elle signifie. Semblablement, nous avons dit[1039] que les choses sont dénommées vraies par dérivation de la vérité qui est dans l’intelligence. Donc, s’il n’y avait pas d’intelligence éternelle, il n’y aurait pas de vérité éternelle. Mais comme seule l’intelligence divine est éternelle, c’est en elle seule que la vérité est éternelle. Et il ne s’ensuit pas qu’il y ait quelque chose d’autre que Dieu qui soit éternel, car la vérité de l’intelligence divine est Dieu même, ainsi qu’on l’a montrée[1040].

Solutions :

1. La définition du cercle et “ deux et trois font cinq ” sont éternels dans l’esprit divin.

2. Que quelque chose existe partout et toujours, cela peut s’entendre de deux façons. Ou bien on entend que ce quelque chose a en soi de quoi s’étendre à tout temps et à tout lieu, comme il convient à Dieu d’être partout et toujours[1041]. Ou bien on veut dire qu’il n’a en soi rien qui le détermine à quelque lieu et à quelque temps, à l’exclusion d’un autre. C’est ainsi que la matière première est dite une, non qu’elle ait une forme d’existence une, comme l’homme est un en raison de l’unité de sa forme ; mais on la qualifie ainsi en raison du défaut de toutes les formes qui pourraient y introduire des distinctions[1042]. De cette manière-là, tout ce qui est universel est dit exister partout et toujours, parce que les universaux font abstraction de l’espace et du temps. Mais il ne s’ensuit pas qu’ils soient éternels, si ce n’est dans un intellect, s’il en est, qui soit éternel.

3. Ce qui est maintenant a été futur avant d’être, parce qu’il était dans sa cause comme devant être fait. Donc, cette cause écartée, sa venue à l’être ne serait pas un futur. Or, seule la cause première est éternelle[1043]. Par conséquent, si l’on peut dire qu’il a toujours été vrai que les choses qui existent maintenant étaient futures, cela vient de ce qu’il a été inscrit dans une cause éternelle qu’ils seraient. Et celle-ci, c’est Dieu seul.

4. Parce que notre intellect n’est pas éternel, la vérité des énonciations que nous formons n’est pas éternelle. Elle a commencé[1044]. Et avant que cette vérité existât, il n’était pas vrai de dire que cette vérité n’était pas, sauf si cela était dit par l’intelligence divine, en qui seule la vérité est éternelle. Mais maintenant il est vrai de dire que cette vérité n’était pas alors. Et encore, cela n’est vrai que de la vérité présente maintenant à notre intelligence, non d’une vérité qui serait dans la chose[1045]. Car cette vérité-là concerne le non-étant ; or le non-étant n’est pas vrai en lui-même, il n’est vrai que par l’intellect qui l’appréhende. Donc, dire d’une vérité qu’il fut un temps où elle n’était pas, n’est vrai que si nous appréhendons son non-être comme antérieur à son être.

 

            Article 8 — L’immutabilité de la vérité

Objections :

1. Il semble que la vérité soit immuable. Car S. Augustin a dit : “ La vérité n’est pas égale à l’esprit humain, car elle serait alors changeante comme lui. ”

2. Ce qui demeure après toute mutation est immuable ; ainsi la matière première ne peut être ni engendrée ni détruite parce qu’elle demeure après toute génération et toute destruction. Or, la vérité demeure après toute mutation, car après toute mutation il est vrai de dire : ceci est ou ceci n’est pas.

3. Si la vérité d’un énoncé devait changer, ce serait surtout selon le changement de la chose. Or c’est ce qui n’a pas lieu. En effet, selon S. Anselme, la vérité est une certaine rectitude, consistant en ce qu’une chose réalise ce qu’il en est d’elle dans l’esprit divin[1046]. Or, cette proposition : “ Socrate est assis ” tient de l’esprit divin de signifier que Socrate est assis, et elle signifie cela même lorsque Socrate n’est pas assis. La vérité de la proposition ne change donc en aucune manière.

4. La cause étant la même, l’effet est aussi le même. Or, c’est la même réalité qui est cause de vérité pour ces trois propositions : “ Socrate est assis, sera assis, a été assis. ” Donc la vérité en est la même. Il faut cependant que l’une de ces trois propositions soit vraie ; par conséquent, leur vérité commune demeure immuable, ce qu’on dirait, pour le même motif, de toute autre proposition.

En sens contraire, le Psaume (12, 2 Vg) dit : “ Les vérités ont disparu de chez les enfants des hommes. ”

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut[1047], la vérité est proprement dans la seule intelligence, et les choses sont dites vraies en raison d’une vérité qui est dans un intellect. La mutabilité du vrai doit donc être étudiée par rapport à l’intellect, dont la vérité consiste dans sa conformité avec les choses qu’il connaît. Or cette conformité peut varier de deux façons, comme toute autre ressemblance, par la mutation de l’un de ses deux extrêmes. La vérité varie du fait de l’intelligence si, la chose restant comme elle est, quelqu’un change d’opinion à son sujet. D’une autre façon, la vérité varie si, l’opinion demeurant la même, c’est la chose qui change. Dans ces deux cas, il y a passage du vrai au faux.

Donc, s’il se trouve une intelligence en laquelle ne puisse se produire aucune alternance d’opinion[1048], ou aux prises de laquelle aucune chose n’échappe[1049], la vérité, en cette intelligence-là, sera immuable. Or, telle est l’intelligence divine, comme il est évident d’après ce qui précède. La vérité de l’intelligence divine est donc immuable. Mais la vérité de notre intelligence est changeante. Non qu’elle-même soit le sujet de ce changement, mais selon que notre intelligence passe du vrai au faux .Car c’est ainsi que des formes peuvent être dites changeantes. C’est selon la vérité de l’intellect divin que les choses naturelles sont dites vraies, et cette vérité est absolument immuable.

Solutions :

1. S. Augustin parle de la vérité divine.

2. Le vrai et l’étant sont convertibles[1050]. Or, l’étant n’est ni engendré ni corrompu par soi, mais par accident, selon que cet étant-ci ou celui-là est corrompu ou engendré, selon Aristote. De même, la vérité est changée, non qu’il ne reste plus aucune vérité, mais parce que cette vérité, qui était auparavant, n’est plus.

3. Une proposition n’est pas vraie seulement comme les autres choses sont dites vraies parce qu’elles réalisent ce que l’intellect divin a ordonné à leur sujet, mais aussi d’une manière qui lui est propre en tant qu’elle signifie la vérité de l’intelligence, laquelle consiste dans la conformité de cette intelligence avec ce qui est. Si cette conformité disparaît, la vérité du jugement change, et par suite la vérité de la proposition. Ainsi cette proposition : “ Socrate est assis ” est vraie, lorsque Socrate est assis, d’une double vérité : d’une vérité de chose en tant qu’elle est une expression vocale, et d’une vérité de signification, comme exprimant un jugement vrai. Si Socrate se lève, la première vérité demeure, mais la seconde est changée.

4. Le fait d’être assis, pour Socrate, qui cause la vérité de cette proposition : “ Socrate est assis ” ne se comporte pas de la même manière quand Socrate est assis, et quand il ne l’est plus, ou pas encore. Donc la vérité causée ainsi n’est pas non plus la même, elle est signifiée diversement par les propositions au présent, au passé et au futur. Par conséquent, bien qu’une de ces propositions soit vraie, on ne peut pas en conclure que la même vérité demeure invariable.

 


 

 

QUESTION 17 — LA FAUSSETÉ

1. La fausseté est-elle dans les choses ? 2. Est-elle dans le sens ? 3. Est-elle dans l’intelligence ? 4. L’opposition entre le vrai et le faux.

 

            Article 1 — La fausseté est-elle dans les choses ?

Objections :

1. Il semble que non car, dit S. Augustin : “ Si le vrai est ce qui est, on devra en conclure que le faux n’est nulle part, malgré toutes les objections. ”

2. Falsus (faux) vient de fallere (tromper). Or les choses ne trompent pas ; comme dit S. Augustin : “ Elles ne montrent rien d’autre que leur aspect. ” Donc le faux ne se trouve pas dans les choses.

3. Le vrai est dit des choses par référence à l’intellect divin en ceci qu’elles sont à son imitation, ainsi qu’on l’a expliqué[1051]. Mais toute chose, par tout ce qu’elle est, imite Dieu[1052]. Donc toute chose est vraie, sans rien de faux. Et ainsi aucune chose n’est fausse.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Tout corps est corps véritable et fausse unité ”, pour cette raison qu’il imite l’unité, mais n’est pas unité[1053]. Or toute chose imite la bonté divine et se trouve en défaut par rapport à elle[1054] : donc il y a du faux en toute chose.

Réponse :

Puisque le vrai et le faux s’opposent, et que les termes opposés sont relatifs à un même sujet, il est nécessaire de chercher tout d’abord la fausseté là où se trouve d’abord et par priorité la vérité, à savoir dans l’intelligence. Dans les choses il n’y a ni vérité ni fausseté, si ce n’est par rapport à l’intelligence[1055]. Comme toute chose est nommée purement et simplement d’après ce qui lui convient par soi, tandis qu’elle n’est nommée que sous un certain aspect d’après ce qui lui convient par accident[1056], une chose pourrait bien être dite fausse purement et simplement en référence à l’intelligence dont elle dépend et avec laquelle il lui est essentiel d’être en rapport, mais en référence à une autre intelligence à l’égard de laquelle elle n’est en rapport qu’accidentellement, elle ne pourrait être dite fausse que sous un certain aspect[1057].

Or les choses de la nature dépendent de l’intelligence divine comme les choses artificielles dépendent de l’intelligence humaine. Donc, les choses artificielles sont dites purement et simplement, et en elles-mêmes, fausses dans la mesure où elles manquent à être conformes à l’idée de l’artiste ; c’est pourquoi l’on dit d’un artiste qu’il fait une œuvre fausse quand il manque son but.

Ainsi donc, dans les choses produites par Dieu il ne peut se trouver rien de faux, si l’on considère ces choses dans leur rapport avec l’intelligence divine ; car tout ce qui arrive dans les choses provient des plans de cette sagesse divine. Il n’y a d’exception peut-être qu’en ce qui concerne les agents volontaires. Ils ont le pouvoir de se soustraire au plan de l’intellect divin[1058], ce qui constitue le “ mal de faute ” ou péché ; en raison de quoi les péchés sont appelés par l’Écriture des erreurs, des mensonges, comme on le voit dans le Psaume (4,3) : “ Jusques à quand aimerez-vous la vanité et rechercherez-vous le mensonge ? ” Inversement, l’acte vertueux est appelé “ vérité de la vie ” en tant que soumission aux dispositions de l’intelligence divine, selon la parole de saint Jean (3,21) : “ Celui qui fait la vérité vient à la lumière. ”

Mais, par rapport à notre intelligence, à qui se réfèrent par accident les choses surnaturelles, celles-ci peuvent être dites fausses, non absolument, mais sous un certain aspect. Et elles peuvent l’être de deux manières. Tout d’abord comme ce qui est signifié par notre intellect, de telle sorte que l’on appelle faux, dans une chose, ce que l’on en dit ou que l’on s’en représente faussement. De cette façon, toute chose peut être dite fausse quant à ce qui n’est pas en elle, comme si nous disions, avec Aristote, que la diagonale du carré est un “ faux commensurable ” ou, avec S. Augustin, qu’un tragédien est un “faux Hector”. Et inversement, cette chose peut être dite vraie quant à ce qui lui convient. En second lieu comme ce qui cause la connaissance, et alors une chose est dite fausse si elle est de nature à provoquer sur elle une opinion fausse. Et parce qu’il nous est naturel de juger des choses par ce qu’on en voit du dehors, notre connaissance ayant son origine dans les sens[1059], et les sens ayant pour objet propre et essentiel les accidents extérieurs, pour cette raison, ce qui présente, parmi les accidents extérieurs des choses, l’apparence d’autres choses, est appelé faux par rapport à ces choses-là. Ainsi le fiel est du faux miel, et l’étain est du faux argent. C’est ce que note S. Augustin en disant que nous appelons fausses les choses que nous trouvons ressembler aux vraies. Et le Philosophe affirme qu’on dit fausses toutes choses aptes à se montrer comme elles ne sont pas, ou ce qu’elles ne sont pas. De cette même manière, l’homme lui aussi peut être appelé faux s’il aime les fausses opinions et le faux langage, mais non pas s’il est capable de les imaginer car, dans ce cas, les savants et les sages pourraient être appelés faux, remarque Aristote.

Solutions :

1. La chose référée à l’intelligence est dite vraie selon ce qu’elle est, et fausse selon ce qu’elle n’est pas. Aussi S. Augustin remarque-t-il que c’est un vrai tragédien qui est un faux Hector[1060]. Ainsi donc, dans les choses qui sont, se trouve un certain aspect par où elles sont fausses.

2. Les choses ne trompent pas par elles-mêmes, mais par accident. Car elles donnent occasion à la fausseté en étant revêtues de la ressemblance de choses dont elles n’ont pas la réalité.

3. Ce n’est pas par référence à l’intellect divin que les choses sont dites fausses, elles le seraient alors purement et simplement ; c’est en référence à notre intelligence, c’est-à-dire secondairement.

4. En Réponse à ce qui a été avancé En sens contraire, il faut dire qu’une image ou une représentation déficiente ne revêt la forme de la fausseté que si elle donne occasion à une opinion fausse. On ne peut donc pas dire qu’il y ait fausseté partout où il y a similitude, mais bien là où la similitude est telle qu’elle est de nature à faire naître une opinion fausse, non pas en chacun, mais en la plupart.

 

            Article 2 — La fausseté est-elle dans le sens ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas de fausseté dans le sens. Car S. Augustin écrit : “ Si tous les sens corporels transmettent leur impression telle quelle, je ne vois pas ce que nous devrions en exiger de plus. ” Il semble donc que nous ne sommes pas trompés par les sens. Ainsi la fausseté ne se trouve pas dans le sens.

2. Le Philosophe affirme : “ La fausseté n’est pas le propre du sens, mais de l’imagination[1061]. ”

3. Dans l’incomplexe, il n’y a ni vrai ni faux, mais seulement dans les combinaisons de concepts. Or composer et diviser n’est pas le fait du sens[1062]. Donc la fausseté ne se trouve pas dans le sens.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Dans l’exercice de tous nos sens, il nous arrive d’être trompés par la séduction d’une ressemblance. ”

Réponse :

La fausseté n’est à chercher dans le sens que de la même manière dont on y trouve la vérité. Or la vérité n’est pas dans le sens de telle manière qu’il connaisse la vérité, mais en ceci seulement qu’il a des objets sensibles une appréhension vraie, nous l’avons dit[1063]. Et cela vient de ce qu’il appréhende les choses telles qu’elles sont. Donc, s’il arrive que le sens soit faux, cela vient de ce qu’il appréhende ou juge les choses autrement qu’elles ne sont. Or, à l’égard de la connaissance des choses, le sens se comporte selon que la similitude des choses est en lui[1064]. Mais c’est de trois manières différentes que la similitude d’une chose est dans le sens. D’abord premièrement et par soi : ainsi la similitude de la couleur dans la vue, et en général celle des sensibles propres. Deuxièmement par soi, mais non premièrement : ainsi, dans la vue, la similitude de la grandeur, de la configuration et des autres sensibles communs. D’une troisième façon, ni premièrement ni par soi, mais par accident : ainsi, dans la vue, il y a la similitude d’un homme, non en tant qu’il est homme, mais en tant qu’il se trouve que ce coloré est un homme.

A l’égard des sensibles propres, le sens n’a pas de connaissance fausse, si ce n’est par accident et dans des cas peu nombreux ; car cela vient d’une mauvaise disposition de l’organe, qui reçoit mal la forme sensible, de même que les autres patients, quand ils sont mal disposés, reçoivent de façon défectueuse la forme qu’imprime en eux leurs agents. De là vient que certains malades, dont la langue est en mauvais état, trouvent amères des choses douces.

Mais, à l’égard des sensibles communs ou des sensibles par accident, il peut y avoir un jugement faux, même dans un sens bien disposé, car le sens n’est pas ordonné à ces objets directement, mais par accident ou consécutivement à son ordination envers l’objet propre.

Solutions :

1. “ L’impression qui affecte le sens ”, c’est le sentir lui-même. Du fait que les sens transmettent leurs impressions telles quelles, il s’ensuit que nous ne sommes pas trompés quant au jugement par lequel nous estimons sentir quelque chose. Mais, étant donné que le sens est quelquefois affecté autrement que n’est la chose[1065], il s’ensuit qu’il nous signale quelquefois cette chose autrement qu’elle n’est. Ainsi nos sens nous trompent sur la chose, non sur le sentir.

2. L’erreur est dite ne pas être le propre du sens parce qu’il ne se trompe pas à l’égard de son objet propre ; c’est ce qu’on voit plus clairement dans cette autre traduction : “ La perception du sensible n’est jamais fausse. ” Quant à l’imagination, on lui attribue l’erreur en ce sens qu’elle représente l’image de la chose, même absente, de sorte que, si le sujet considère cette image de la chose comme étant la chose même, c’est d’une telle considération que provient l’erreur. C’est ce qui fait dire au Philosophe que les ombres, les peintures et les songes sont dits faux parce que les choses auxquelles ils ressemblent ne sont pas là.

3. Cette raison prouve que l’erreur n’est pas dans le sens comme dans ce qui connaît le vrai et le faux.

 

            Article 3 — La fausseté est-elle dans l’intelligence ?

Objections :

1. Il semble que la fausseté ne soit pas dans l’intelligence. En effet, S. Augustin écrit : “Celui qui se trompe ne saisit pas par l’intelligence ce en quoi il se trompe. ” Or, dire d’une connaissance qu’elle est fausse, c’est dire que nous sommes trompés par elle. Donc, dans l’intelligence, il n’y a pas d’erreur.

2. Le Philosophe a dit : “ L’intelligence est toujours droite. ” Il n’y a donc pas de fausseté dans l’intelligence.

En sens contraire, le Philosophe écrit : “ Là où se trouvent des combinaisons de concepts, se trouvent le vrai et le faux. ” Or les combinaisons de concepts se trouvent dans l’intelligence. Donc le vrai et le faux se trouvent dans l’intelligence.

Réponse :

Comme chaque chose a l’être par sa forme propre[1066], ainsi la faculté cognitive a le connaître par la similitude propre de la chose connue[1067]. Mais une chose de la nature ne manque pas de l’être qu’elle a en raison de sa forme, tandis qu’elle peut manquer de certains êtres accidentels, ou encore consécutifs à sa forme. De même il peut manquer à un homme d’avoir deux pieds, mais non pas d’être homme. Ainsi une faculté cognitive ne manque pas de connaître la chose même dont la similitude l’informe ; elle peut manquer par contre d’une chose qui lui est consécutive ou accidentelle. Il en est comme de la vue, dont nous avons dit[1068] qu’elle n’est jamais trompée à l’égard de son sensible propre, mais qu’elle peut l’être à l’égard des sensibles communs qui sont consécutifs au sensible propre, et à l’égard des sensibles par accident.

Or, de même que le sens est informé directement par la similitude des sensibles propres, l’intellect est informé par la similitude de la quiddité de la chose[1069]. Aussi l’intellect ne se trompe pas plus au sujet de la quiddité que le sens à l’égard des sensibles propres. Mais lorsqu’il compose ou divise les concepts, il peut se tromper, en attribuant à la réalité dont il a appréhendé l’essence quelque chose qui n’est pas consécutif à cette quiddité, ou même qui lui est opposé. Car il en est alors de l’intellect qui juge de ces choses comme du sens qui juge des sensibles communs ou accidentels. Avec cette différence, cependant, conformément à ce qu’on disait plus haut en parlant de la vérité[1070], que la fausseté peut être dans l’intellect non seulement en ce que la connaissance de cet intellect est fausse, mais en ce que l’intellect la connaît comme il connaît la vérité. Dans le sens, au contraire, la fausseté n’est pas en tant que connue, nous l’avons dit[1071].

Mais, parce que la fausseté de l’intelligence ne se trouve que dans l’opération par laquelle elle compose les concepts, dans celle par laquelle elle connaît la quiddité, la fausseté peut se trouver par accident, lorsque s’y mêle une composition de concepts. Cela peut se produire de deux façons. Selon la première, l’intelligence attribue la définition d’une chose à une autre, comme si l’on attribuait à l’homme la définition du cercle. Alors la définition de l’un est fausse pour l’autre. Ou, autrement, l’intelligence compose entre elles, comme parties d’une définition, des notes intelligibles qui ne sont pas conciliables. Dans ce cas, la définition n’est pas seulement fausse à l’égard d’une certaine chose, mais en elle-même. Par exemple, si l’intellect construit cette définition : “ Animal raisonnable quadrupède ”, l’intellect est faux dans cette définition, parce qu’il est faux en construisant cette proposition : “ Un animal raisonnable est quadrupède[1072]. ” Et c’est pourquoi, dans l’acte de connaître les essences simples, l’intellect ne peut être faux[1073], mais ou bien il est vrai, ou bien il ne connaît rien du tout.

Solutions :

1. L’essence de la chose étant l’objet propre de l’intelligence, nous connaissons à proprement parler une chose quand, la ramenant à son essence, nous en jugeons selon ce qu’elle est, comme cela se passe dans les démonstrations qui sont sans faute. C’est ainsi qu’il faut comprendre la parole de S. Augustin, pour qui celui qui se trompe ne saisit pas par l’intelligence ce en quoi il se trompe et non pas en ce sens qu’on ne se trompe jamais par une opération intellectuelle.

2. L’intelligence est toujours droite, si l’on entend par “ intelligence ” la saisie des premiers principes : ce n’est pas à leur égard, en effet, que l’intellect est induit en erreur, pour la même raison qu’il n’est pas induit en erreur à l’égard de la quiddité[1074]. Car les principes immédiatement connus sont ceux qui sont connus aussitôt que leurs termes sont saisis par l’intellect, leur prédicat étant inclus dans la définition du sujet[1075].

 

            Article 4 — L’opposition entre le vrai et le faux

Objections :

1. Il semble que le vrai et le faux ne soient pas contraires. En effet, ils s’opposent comme ce qui est et ce qui n’est pas, car “ le vrai, c’est ce qui est ”, dit S. Augustin. Or ce qui est et ce qui n’est pas ne s’opposent pas comme des contraires. Donc le vrai et le faux ne sont pas contraires.

2. Un contraire ne saurait exister dans son contraire ; or le faux est dans le vrai puisque, selon S. Augustin, “ un tragédien ne pourrait être un faux Hector, s’il n’était un vrai tragédien ”.

3. En Dieu il n’y a aucune contrariété, car rien n’est contraire à la substance divine, selon S. Augustin . Or le faux s’oppose à Dieu, car dans l’Écriture une idole est appelée un mensonge puisque, à ces mots de Jérémie (8, 5) : “ Ils s’attachent avec force au mensonge ”, la Glose ajoute : “ C’est-à-dire à l’idole. ” Le vrai et le faux ne sont donc pas contraires.

En sens contraire, le Philosophe estime qu’une opinion fausse est le contraire d’une vraie.

Réponse :

Le vrai et le faux s’opposent comme des contraires, et non comme l’affirmation et la négation, ainsi que certains l’ont prétendu. Pour s’en convaincre, il faut observer que la négation ne dit rien de positif et n’implique pas un sujet déterminé, en raison de quoi elle peut être dite aussi bien de l’étant que du non-étant, comme non voyant, non assis. La privation, elle, ne dit rien de positif non plus, mais elle implique un sujet déterminé, car elle est, dit Aristote, une négation dans un sujet : on ne peut appeler aveugle qu’un sujet à qui il convient par nature de voir. Quant au “ contraire ”, il dit quelque chose de positif et, à la fois, il implique un sujet déterminé : ainsi le noir est une certaine espèce de couleur. Or le faux pose quelque chose, car le faux provient, dit Aristote, de ce que l’on dit ou croit que quelque chose est, alors qu’il n’est pas ; ou n’est pas, alors qu’il est[1076]. De même, en effet, que parler de vrai, c’est porter un jugement conforme à ce qui est ainsi, parler de faux, c’est porter un jugement qui n’y est pas conforme. Il est donc manifeste que le vrai et le faux sont contraires.

Solutions :

1. Ce qui est dans les choses, c’est la vérité de la chose, mais ce dont l’être consiste à être connu, c’est le vrai de l’intelligence, en laquelle se trouve d’abord la vérité[1077]. Donc le faux, lui aussi, est ce qui, en tant qu’appréhendé par l’intelligence, n’est pas. Entre l’appréhension de l’être et celle du non-être, il y a contrariété. Aussi le philosophe prouve-t-il que cette affirmation : “ Le bon est bon ”, et cette autre : “ Le bon n’est pas bon ”, sont deux affirmations contraires.

2. Le faux n’est pas fondé sur le vrai qui lui est contraire (pas plus que le mal sur le bien qui lui est contraire), mais sur le vrai qui est son sujet. La raison en est, dans les deux cas, que le vrai et le bien sont des transcendantaux, convertibles avec l’étant[1078]. Aussi, de même que toute privation est fondée sur un sujet qui est un étant, ainsi tout mal est fondé sur quelque bien, et tout faux sur quelque vrai.

3. Comme les contraires et les termes opposés par manière de privation se rapportent naturellement à un même sujet, il en résulte que rien n’est contraire à Dieu si on le considère tel qu’il est en lui-même, ou selon sa bonté, ou selon sa vérité (car dans son intelligence il ne peut y avoir d’erreur). Mais dans l’esprit qui l’appréhende, Dieu a un contraire, car une opinion vraie à son sujet a pour contraire une opinion fausse[1079]. Et c’est ainsi que les idoles sont appelées des mensonges opposés à la vérité divine : c’est-à-dire que la fausse opinion que l’on a des idoles est contraire à l’opinion vraie sur l’unité de Dieu.


 

 

QUESTION 18 — LA VIE DE DIEU

Puisque l’intellection est une opération de vivants, nous devons, après l’étude de la science et de l’intelligence en Dieu, étudier sa vie.

1. A qui appartient-il de vivre ? 2. Qu’est-ce que la vie ? 3. La vie convient-elle à Dieu ? 4. Toutes choses sont-elles vie en Dieu ?

 

            Article 1 — A qui appartient-il de vivre ?

Objections :

1. Il semble que vivre soit commun à toutes les chose naturelles. En effet, Aristote dit que “ le mouvement est comme une vie pour tous les êtres de la nature ”. Mais toutes les choses naturelles sont douées de mouvement. Donc elles participent toutes à la vie.

2. On dit que les plantes vivent, pour cette raison qu’il y a en elles un principe qui les fait croître et décroître. Or le mouvement local est plus parfait que le mouvement de croissance et de décroissance, et il est antérieur par nature, comme le prouve Aristote. Donc, puisque tous les corps de la nature ont en eux un certain principe de mouvement local, il semble que tous vivent.

3. Parmi les corps naturels, les plus imparfaits sont les éléments. Or on leur attribue la vie, car on parle d’eaux vives. Donc, bien davantage, les autres corps naturels ont la vie.

En sens contraire, Denys écrit “ C’est dans les plantes qu’on entend les derniers bruissements de la vie ”, d’où l’on peut inférer que les plantes occupent le dernier degré dans l’ordre des vivants. Or les corps inanimés sont inférieurs aux plantes. Donc ils n’ont pas la vie.

Réponse :

C’est chez ceux en qui la vie est manifeste que nous pouvons saisir à qui appartient et à qui n’appartient pas la vie[1080]. Or la vie est surtout visible chez les animaux ; c’est ce que remarque Aristote, disant que “ chez les animaux la vie est manifeste ”. Il faut donc distinguer les vivants des non vivants d’après ce qui nous fait dire que les animaux vivent, ce en quoi la vie se révèle d’abord et grâce à quoi elle persiste en dernier lieu. Or, nous disons qu’un animal vit à partir du moment où il se meut lui-même, et on juge qu’il vit aussi longtemps que ce mouvement apparaît en lui. Dès qu’il n’a plus qu’une motion étrangère, on dit qu’il est mort par défaut de vie, il est donc clair que ceux-là sont vivants à proprement parler qui se meuvent eux-mêmes de quelque espèce de mouvement ; soit qu’on prenne le mouvement au sens propre, comme un acte de l’imparfait, c’est-à-dire de l’être en puissance ; soit qu’on le prenne en un sens plus général, s’appliquant aussi à l’acte du parfait, au sens où l’intelligence et la sensation sont appelés des mouvements[1081], selon Aristote. On appellera donc vivants tous les êtres qui se déterminent eux-mêmes à un mouvement ou à une opération quelconque. Ceux qui n’ont pas la capacité naturelle de se porter d’eux-mêmes à quelque mouvement ou opération ne seront dits vivants que par métaphore.

Solutions :

1. Cette parole du Philosophe peut se comprendre soit du mouvement premier, celui des corps célestes, soit du mouvement en général. Mais dans les deux cas, le mouvement est appelé une sorte de vie des corps naturels par métaphore et non en propriété de termes. Le mouvement du ciel, en effet, est à l’égard de l’ensemble des natures corporelles ce qu’est chez l’animal le mouvement du cœur, par lequel la vie se conserve. De même, tout mouvement naturel est dans les choses naturelles un simulacre d’opération vitale. De telle sorte que, si tout l’univers corporel n’était qu’un seul vivant, et si le mouvement dont on parle était le fait d’un agent interne, comme quelques-uns l’ont prétendu, il s’ensuivrait que le mouvement serait la vie de tous les corps de la nature[1082].

2. Les corps lourds et les corps légers ne sont dotés de mouvement que s’ils sont en dehors de leur disposition naturelle, à savoir quand ils se trouvent en dehors de leur lieu propre ; dans leur lieu propre et naturel ils se tiennent en repos. Au contraire, les plantes et les autres vivants se meuvent d’un mouvement vital en raison de ce qu’ils sont dans leur disposition naturelle, et non en s’y portant et en la quittant. Bien mieux, c’est quand ils se désistent de ce mouvement qu’ils s’éloignent de leur disposition naturelle. En outre, les corps lourds ou légers sont mûs de l’extérieur, soit par la cause génératrice qui leur donne la forme, soit par une cause qui écarte d’eux ce qui s’oppose au mouvement, selon la Physique d’Aristote, et ainsi ils ne se meuvent pas eux-mêmes, comme des corps vivants.

3. Quant aux eaux vives, on les appelle ainsi parce qu’elles ont un écoulement continu. Les eaux immobiles ou stagnantes, comme celles des citernes ou des mares, sont appelées mortes parce qu’elles ne se relient pas à une source perpétuellement jaillissante. Cela se dit par métaphore[1083] ; car en paraissant se mouvoir, les eaux ont l’apparence de la vie ; mais elles n’ont pas pour cela la vie au sens propre, car ce mouvement ne vient pas d’elles ; il vient de la cause qui les engendre, comme il arrive pour les autres corps lourds ou légers.

 

            Article 2 — Qu’est-ce que la vie ?

Objections :

1. Il semble que la vie soit une opération. En effet, rien ne se divise autrement qu’en parties appartenant au même genre. Or la vie comprend, d’après le Philosophe, quatre opérations : se nourrir, sentir, se mouvoir localement et penser. La vie elle-même est donc quelque chose du même genre[1084], c’est-à-dire une opération.

2. On distingue la vie active de la vie contemplative. Or les contemplatifs ne se distinguent des actifs qu’en considération de certaines opérations. Donc la vie est une opération.

3. Connaître Dieu est une opération[1085]. Or telle est la vie, selon cette parole en S. Jean (17, 3) : “ La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, Dieu. ”

En sens contraire, le Philosophe écrit que “ pour les vivants, vivre, c’est être ”.

Réponse :

D’après ce que nous disions plus haut[1086], notre intelligence, qui est formellement la faculté de connaître la quiddité des choses comme son objet propre, tient cet objet des sens, dont les objets propres sont les accidents extérieurs. De là vient que c’est à partir des caractères apparents de la chose que nous en venons à la connaissance de son essence. Et parce que nous nommons d’après notre façon de connaître, ainsi qu’on l’a rappelé plus haut[1087], il arrive que le plus souvent les noms destinés à signifier les essences des choses sont tirés de leurs propriétés extérieures. En conséquence, ces noms désignent tantôt, selon leur acception propre, les essences mêmes des choses, qu’ils sont principalement destinés à signifier, tantôt les propriétés dont ils ont été pris, et cela moins proprement[1088]. C’est ainsi que le mot “ corps ” a été destiné à signifier un certain genre de substances, à partir de ce fait qu’on trouve en elles les trois dimensions ; en raison de cela le mot corps est utilisé parfois pour signifier les dimensions elles-mêmes, le corps devenant alors une espèce de la quantité.

Il faut dire la même chose de la vie. Le mot vie se prend d’un phénomène apparent qui est le mouvement autonome ; mais ce n’est pas cela qu’on entend signifier par ce nom, c’est la substance à laquelle il convient, selon sa nature, de se mouvoir elle-même, ou de se porter de quelque manière à son opération[1089]. D’après cela, vivre n’est rien autre chose que d’être en une telle nature, et la vie signifie cela même, mais sous une forme abstraite, comme le mot “ course ” signifie abstraitement le fait de courir. “ Vivant ” n’est donc pas un prédicat accidentel, mais substantiel. Néanmoins, le mot vie se prend quelquefois, moins proprement pour désigner les opérations vitales dont ce nom a été pris. C’est ainsi que le Philosophe écrit : “ Vivre, c’est principalement sentir et penser. ”

Solutions :

1. Dans le texte cité dans l’objection, le Philosophe prend précisément le mot vivre dans le sens de l’opération vitale. On peut dire aussi, et mieux, que sentir, comprendre et autres activités de ce genre sont pris tantôt comme opérations, tantôt de l’être de ceux qui les exercent. Ainsi, dans le passage de l’Éthique cité tout à l’heure, Aristote écrit que pour nous “ être c’est sentir ou comprendre ”, c’est-à-dire avoir une nature capable de sentir ou de comprendre. Et c’est en ce sens que le Philosophe divise la vie en quatre activités. Car en ce monde inférieur, il y a quatre genres de vivants[1090]. Certains sont limités à la nutrition et à ses effets, qui sont l’accroissement et la génération ; d’autres s’étendent jusqu’à la sensation, comme les animaux immobiles, les huîtres par exemple ; d’autres encore y ajoutent le mouvement local, comme les animaux parfaits : quadrupèdes, volatiles, etc. ; enfin certains atteignent à l’intelligence, et c’est le cas des hommes.

2. On appelle opérations vitales celles dont le principe est dans les opérants, de telle sorte qu’ils puissent se mettre eux-mêmes à les exercer. Or il arrive qu’à l’égard de certaines opérations il y a dans les hommes non seulement des principes naturels, comme les facultés naturelles, mais encore des principes d’action surajoutés, tels les habitus, inclinant, comme naturellement, à des actions déterminées, rendues de ce fait délectables[1091]. Pour ce motif, et en usant de métaphore, on dit d’une action agréable à un homme, d’une action à laquelle il se sent incliné, à laquelle il est principalement occupé et vers laquelle il oriente sa vie, que cette action est sa vie. Tel, par exemple, sera dit mener une vie voluptueuse, tel autre une vie honorable. C’est de cette façon de parler que l’on use quand on distingue la vie active de la vie contemplative[1092], et aussi quand on dit que connaître Dieu constitue la vie éternelle[1093].

3. Cela résout la troisième objection.

 

            Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non, car on attribue la vie à ce qui se meut de soi-même ; or Dieu ne se meut d’aucune manière[1094] et ne peut donc vivre.

2. En tout ce qui vit doit se trouver un principe de vie, et c’est ainsi que chez Aristote l’âme est appelée “ la cause et le principe du corps ”[1095]. Mais Dieu n’a pas de principe. Donc il ne lui convient pas de vivre.

3. Le principe initial de la vie, en tout ce qui vit autour de nous, est l’âme végétative[1096], qui ne se trouve que dans les êtres corporels. Donc la vie ne convient pas aux choses incorporelles.

En sens contraire, on dit dans le Psaume (84, 3) : “ Mon cœur et ma chair tressaillent vers le Dieu vivant. ”

Réponse :

La vie est en Dieu dans la plus haute acception du terme. Pour s’en convaincre, il faut observer que la vie étant attribuée à certains êtres en raison de ce qu’ils sont mûs par eux-mêmes, et non par d’autres, plus cela conviendra parfaitement à quelqu’un plus parfaitement aussi on trouve en lui la vie. Or, dans la série des moteurs et des mobiles, on distingue par ordre un triple élément. Tout d’abord, la fin meut l’agent[1097] ; l’agent principal est celui qui agit par sa forme, et il arrive que celui-ci agisse par le moyen d’un instrument, lequel n’agit donc pas par la vertu de sa forme, mais par celle de l’agent principal, lui-même n’ayant pour rôle que d’exécuter l’action.

On trouve donc certaines choses qui se meuvent elles-mêmes non en ce qui concerne la forme qui est en elles par nature, ou en ce qui concerne la fin, mais quant à l’exécution du mouvement ; la forme par laquelle elles agissent, et la fin vers laquelle elles tendent leur sont assignées par la nature. Telles sont les plantes qui croissent et déclinent selon la forme qu’elles tiennent de la nature.

D’autres vont au-delà et se meuvent non seulement quant à l’exécution du mouvement, mais quant à la forme qui est le principe de ce mouvement, forme qu’ils acquièrent d’eux-mêmes. Et tels sont les animaux, dont le principe d’action est une forme non pas imposée par la nature, mais acquise par le sens[1098]. Il s’ensuit que, plus parfaite est leur faculté de sentir, plus parfaitement aussi ils se meuvent eux-mêmes. Ainsi ceux qui ne sont doués que du toucher n’ont pour tout mouvement que la contractilité, comme les huîtres, dont la capacité de se mouvoir ne dépasse guère celle des plantes. Au contraire, ceux qui sont doués d’une faculté de sentir complète, c’est-à-dire capable de connaître non seulement ce qui leur est conjoint ou qui les touche, mais encore ce qui est au loin, ceux-là se meuvent en progressant vers ce qui est éloigné d’eux.

Mais, quoique les animaux de cette sorte reçoivent des sens la forme qui est le principe de leur mouvement, cependant ils ne se fixent pas à eux-mêmes la fin de leur opération ou de leur mouvement ; cette fin est inscrite en eux par la nature, qui les pousse à se mouvoir en vertu de leur forme à faire telle ou telle action. C’est pourquoi au-dessus de tous les autres animaux sont ceux qui se meuvent eux-mêmes, en outre, quant à la finalité de leur mouvement ordonné à une fin, qu’ils se fixent à eux-mêmes[1099]. Et cela se fait par raisonnement et par l’intelligence, faculté à laquelle il appartient de connaître le rapport entre la fin et le moyen, et d’ordonner l’un à l’autre. La manière dont vivent ceux qui sont doués d’intelligence est donc plus parfaite, parce qu’ils se meuvent eux-mêmes plus parfaitement. Le signe en est que dans un seul et même homme, l’intelligence meut les facultés sensitives, lesquelles commandent et meuvent les organes, qui a leur tour exécutent le mouvement[1100]. Ainsi voit-on dans les disciplines pratiques que l’art du navigateur, à qui il appartient de gouverner le navire, commande à l’art du constructeur qui en détermine la forme, et ce dernier commande aux simples agents d’exécution, dont le rôle est de disposer la matière.

Mais bien que notre intelligence se détermine ainsi à certaines choses, certaines autres lui sont fixées par la nature, comme les premiers principes, qu’elle ne peut éviter de reconnaître, et la fin ultime qu’il lui est impossible de ne pas vouloir[1101].

Ainsi, bien qu’elle se meuve à quelque fin, il faut pourtant qu’à d’autres fins elle soit mue par un autre. C’est pourquoi celui dont la nature est son intellection même[1102] et en qui le naturel n’est pas fixé par un autre[1103], détient la forme suprême de la vie. Et tel est Dieu. En Dieu donc il y a vie au plus haut point. Aussi le Philosophe, au livre XII de la Métaphysique ayant montré que Dieu est l’intelligence même, conclut qu’il a la vie parfaite et éternelle, parce que son intelligence est souverainement parfaite et toujours en acte[1104].

Solutions :

1. Comme le montre Aristote, il y a deux espèce d’actions. L’une passe dans une matière extérieure, comme chauffer ou scier ; l’autre demeure dans l’agent, comme concevoir, sentir ou vouloir. Il y a entre les deux cette différence que la première action n’est pas la perfection de l’agent, qui meut, mais du sujet qui est mû. La seconde, au contraire, est la perfection de l’agent[1105]. De là vient, le mouvement étant l’acte du mobile, que la seconde action, en tant qu’elle est l’acte de l’opérant, est appelée son mouvement et cela en raison de cette ressemblance : de même que le mouvement est l’acte du mobile, ainsi l’action dont on parle est l’acte de l’agent ; pourtant le mouvement est un acte de l’imparfait, c’est-à-dire de ce qui est en puissance, alors que l’action immanente est acte du parfait, à savoir de ce qui est en acte, comme il est dit au traité De l’Ame[1106]. Donc dans le sens où l’intelligence est ainsi appelée un mouvement, l’être qui se connaît lui-même par intelligence est dit se mouvoir. Et c’est ce qui a fait dire à Platon que Dieu se meut lui-même, mais non pas d’un mouvement qui soit un acte de l’imparfait.

2. De même que Dieu est son existence[1107] et son intellection[1108], ainsi est-il son acte de vie. Pour cette raison, il vit mais il n’y a pas en lui un principe.

3. Dans notre monde inférieur la vie est reçue dans une nature corruptible, qui a besoin et de génération pour la survivance de l’espèce et de nutrition pour la conservation de l’individu. C’est pour cela que, dans les êtres inférieurs, on ne trouve pas de vie sans qu’il y ait une âme végétative. Mais cela n’a pas sa place dans les réalités incorruptibles.

 

            Article 4 — Toutes choses sont-elles vie en Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non ; car dans les Actes des Apôtres (17, 28), il est dit de Dieu : “ En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être. ” Mais toutes choses ne sont pas mouvement en Dieu[1109]. Donc toutes ne sont pas vie en Dieu.

2. Toutes choses sont en Dieu comme dans leur modèle premier[1110]. Or les images doivent être conformes à leur modèle. Donc, puisque toutes les choses ne vivent pas en elles-mêmes, il semble que toutes ne sont pas vie en Dieu.

3. S. Augustin affirme que la substance vivante est supérieure à toute substance non vivante. Donc, si ce qui ne vit pas en soi-même est vie en Dieu, il semble en résulter que les choses soient en Dieu plus véritablement qu’en elles-mêmes. Or cela paraît faux ; car en elles-mêmes les choses sont en acte, et en Dieu uniquement en puissance[1111].

4. De même que les choses bonnes sont connues de Dieu, et aussi celles qui sont réalisées à un certain moment du temps, de même les choses mauvaises et celles que Dieu peut faire, mais qui ne sont jamais réalisées[1112]. Donc, si toutes choses sont vie en Dieu en tant qu’il les connaît, il semble que les choses mauvaises aussi, et celles qui ne sont jamais réalisées, soient vie en Dieu en tant qu’il les connaît. Cela semble absurde.

En sens contraire, S. Jean écrit (1, 3) : “ Ce qui a été fait était vie en lui. " Or toutes choses, hors Dieu, ont été faites[1113]. Donc toutes choses sont vie en Dieu.

Réponse :

Ainsi qu’on l’a expliqué[1114], le “ vivre ” de Dieu est son “ connaître ”. Or en Dieu l’intellect, le connu, l’intellection même sont une seule et même chose[1115]. Donc tout ce qui se trouve en Dieu comme connu est son “ vivre ”, sa vie même. Et comme toutes les choses que Dieu a faites sont en lui comme connues[1116] on doit dire que toutes les choses, en Dieu, sont la vie divine même.

Solutions :

1. Les créatures sont dites en Dieu à un double titre : tout d’abord comme contenues et conservées par la puissance divine, dans le sens où nous disons, de ce qui est en notre pouvoir, que cela est en nous. En ce sens-là, les choses sont dites en Dieu, même quant à l’être qu’elles ont en elles-mêmes. Et c’est ainsi qu’il faut comprendre les paroles de l’Apôtre quand il dit : “ En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être ” (Ac 17, 28). Car le fait pour nous de vivre, d’être et de nous mouvoir est causé par Dieu[1117]. Mais d’une autre façon les choses sont dites être en Dieu, comme le connu dans le connaissant[1118]. Et alors elles sont en Dieu par leurs raisons propres[1119], qui ne sont pas autre chose en Dieu que l’essence divine[1120]. Et puisque l’essence divine est vie[1121], mais non mouvement[1122], on s’explique que selon cette manière de parler les choses ne soient pas mouvement en Dieu, mais vie.

2. On dit que les images doivent être semblables à leur modèle selon la forme, non selon le mode d’être. Car il arrive que la même forme ait l’être de manière différente dans l’image et dans le modèle ; ainsi la forme de la maison, dans l’esprit de l’architecte, a un être immatériel et intelligible ; dans la maison même, hors de l’esprit, elle a une existence matérielle et sensible. C’est ainsi que les raisons formelles des choses qui en elles-mêmes ne vivent pas, sont vie dans l’esprit divin parce que dans l’esprit divin elles ont l’être divin.

3. Si la matière n’entrait pas dans la raison formelle des choses de la nature, mais seulement la forme, les choses naturelles seraient dans l’esprit divin par leurs idées[1123] plus véritablement qu’en elles-mêmes, de toutes les manières. C’est pour cela que pour Platon l’homme séparé était l’homme véritable, l’homme matériel, lui, était homme par participation. Mais parce que la matière entre dans la raison formelle des choses corporelles[1124], on doit dire purement et simplement que ces choses ont l’être dans l’esprit divin plus véritablement qu’en elles-mêmes, parce que l’être qu’elles ont en Dieu est incréé, celui qu’elles ont en elles-mêmes est créé. Mais être ceci ou cela, être homme ou cheval, elles l’ont plus véritablement dans leur propre nature que dans l’esprit divin ; parce que l’être matériel appartient à la vérité de l’homme[1125], tandis qu’elles n’ont pas cet être dans l’esprit divin. C’est ainsi que la maison a un être plus noble dans l’esprit de l’architecte que dans la matière ; pourtant on dit maison avec plus de vérité celle qui est dans la matière que celle qui est dans l’esprit de l’architecte, car la première est maison en acte, l’autre seulement maison en puissance.

4. Bien que les choses mauvaises soient dans la science de Dieu, en tant que comprises en elle[1126], elles ne sont pas en Dieu comme créées ou conservées par lui ni comme ayant en lui leur raison formelle : car Dieu les connaît par la raison formelle des choses bonnes. Pour ces motifs on ne peut donc pas dire que les choses mauvaises soient vie en Dieu. Quant aux choses qui ne sont à aucun moment du temps, elles peuvent être dites vie en Dieu dans le sens où vivre désigne le seul connaître, en tant qu’elles sont connues par Dieu, non dans le sens où vivre est aussi un principe d’action.[1127]


 

 

QUESTION 19 — LA VOLONTÉ DE DIEU

1. Y a-t-il une volonté en Dieu ? 2. Dieu veut-il autre chose que lui-même ? 3. Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? 4. La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? 5. Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? 6. La volonté divine s’accomplit-elle toujours ? 7. La volonté de Dieu est-elle sujette au changement ? 8. La volonté de Dieu rend-elle nécessaires les choses qu’elle veut ? 9. Y a-t-il en Dieu la volonté des choses mauvaises ? 10. Dieu a-t-il le libre arbitre ? 11. Doit-on distinguer en Dieu une “ volonté de signe ” ? 12. Convient-il de proposer cinq signes de la volonté divine ?

 

            Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

Objections :

1. Il semble qu’en Dieu il n’y ait pas de volonté. Car l’objet de la volonté, c’est la fin, c’est le bien. Or on ne saurait assigner à Dieu une fin[1128]. Donc il n’y a pas en lui de volonté.

2. La volonté est une faculté de désir. Or le désir, relatif à ce qu’on n’a pas, marque une imperfection qui ne convient pas à Dieu[1129].

3. D’après le Philosophe, la volonté est un moteur mû ; or Dieu est le premier moteur immobile[1130], comme le prouve Aristote lui-même. Donc il n’y a pas de volonté en Dieu.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 12, 2) : “ Sachez reconnaître quelle est la volonté de Dieu. ”

Réponse :

Il y a en Dieu une volonté comme il y a en lui un intellect, car la volonté est consécutive à l’intelligence. En effet, comme une chose de la nature est en acte par sa forme[1131], ainsi l’intelligence, par la forme intelligible, est en acte par le connu[1132]. Or, toute chose est à l’égard de sa forme naturelle dans un rapport tel que si elle n’a pas cette forme, elle y tend ; et quand elle l’a, elle s’y repose. Il en est de même de toute perfection naturelle, qui est un bien de nature[1133] ; et cette relation au bien, dans les choses privées de connaissance, est appelée appétit naturel[1134]. Ainsi la nature intellectuelle a une relation semblable au bien qu’elle appréhende par le moyen de la forme intelligible, de telle sorte que si elle a ce bien, elle s’y repose, et si elle ne l’a pas, elle le cherche. Or, se reposer dans le bien, comme le chercher, relève de la volonté[1135]. Aussi, en toute créature douée d’intelligence y a-t-il une volonté, de même qu’en toute créature douée de sensation il y a un appétit animal. Ainsi, en Dieu, il faut qu’il y ait une volonté, puisqu’il y a en lui une intelligence[1136]. Et comme son intellection est son être même[1137], ainsi en est-il de son vouloir.

Solutions :

1. Bien que rien d’extérieur à Dieu ne soit une fin pour lui-même, lui-même est la fin pour toutes les choses qui sont faites par lui[1138]. Et cela par essence, puisqu’il est bon par son essence, ainsi qu’on l’a montré précédemment[1139]. La fin, en effet, est formellement ce qui est bon[1140].

2. La volonté appartient en nous à la partie appétitive[1141]. Celle-ci, bien qu’elle tire son nom du désir, n’a pas pour acte unique de désirer ce qu’elle n’a pas, mais aussi d’aimer ce qu’elle a et d’en jouir[1142]. Et c’est sous cet aspect que la volonté est attribuée à Dieu, car elle a toujours le bien qui est son objet puisqu’il ne diffère pas de Dieu selon l’essence[1143], comme on l’a dit dans la solution précédente.

3. Une volonté dont l’objet principal est un bien extérieur à celui qui veut doit être mue par quelque cause. Mais l’objet de la volonté divine est sa bonté même, qui est son essence[1144]. C’est pourquoi, puisque la volonté de Dieu, aussi, est son essence, ce n’est pas par un autre que soi, c’est par elle-même qu’elle est mue, dans le sens où l’on dit que connaître intellectuellement et vouloir sont des mouvements[1145]. C’est en ce sens que Platon a dit du premier Principe qu’il se meut lui-même.

 

            Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

Objections :

1. Il semble que non. Car son vouloir est identique à son être[1146]. Or Dieu n’est pas autre chose que lui-même[1147]. Donc il ne veut pas autre chose que lui-même.

2. Ce qui est voulu meut la volonté[1148], comme l’objet désiré meut le désir, selon Aristote. Donc, si Dieu veut autre chose que lui, sa volonté sera mise en mouvement par quelque chose d’autre, ce qui est impossible.

3. Toute volonté à qui suffit un objet voulu ne recherche rien d’autre. Mais à Dieu suffit sa bonté[1149], et sa volonté en est rassasiée. Donc Dieu ne veut rien d’autre que lui-même.

4. L’acte de volonté est multiplié selon la multiplicité des objets voulus. Donc, si Dieu veut et lui-même et d’autres choses, il s’ensuit que son acte de volonté est multiple, et par suite aussi son être, qui est son vouloir. Or cela est impossible[1150]. Il ne veut donc pas autre chose que lui-même.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (1 Th 4, 3) : “ Voici quelle est la volonté de Dieu : votre sanctification. ”

Réponse :

Il faut dire que Dieu veut non seulement lui-même, mais aussi d’autres choses. On le voit par la comparaison proposée précédemment. Un objet de nature n’a pas seulement une inclination naturelle à l’égard de son propre bien, pour l’acquérir lorsqu’il lui fait défaut ou pour s’y reposer lorsqu’il le tient, mais encore pour le communiquer à d’autres autant qu’il est possible. Aussi voyons-nous que tout agent, pour autant qu’il est en acte et achevé, produit son semblable[1151]. Donc la raison formelle de bonté comprend ceci : que chacun communique à d’autres le bien qu’il a, autant qu’il est possible[1152]. Et cela convient principalement à la volonté divine, d’où toute perfection provient selon quelque ressemblance[1153]. Ainsi donc, si les choses naturelles, dans la mesure où elles sont achevées, communiquent leur bonté à d’autres, bien plus encore appartient-il à la volonté divine de communiquer à d’autres son bien par manière de ressemblance, autant que c’est possible. Dieu veut donc et que lui-même et que les autres choses soient, lui-même étant la fin, les autres étant ordonnées à la fin, en tant qu’il appartient aussi à la bonté divine, par mode de convenance, d’être participée par d’autres[1154].

Solutions :

1. Bien que le vouloir de Dieu soit son être en réalité, il en diffère pourtant conceptuellement, en raison des manières différentes dont nous connaissons et signifions l’un et l’autre, ainsi qu’on l’a vu[1155]. Quand je dis que Dieu est, cette affirmation ne comporte pas une relation à quelque chose, comme lorsque je dis : Dieu veut. En conséquence, bien que Dieu ne soit pas autre que lui-même, il veut pourtant autre chose que lui-même.

2. Dans les choses que nous voulons en vue d’une fin, c’est dans la fin que se trouve tout le principe du mouvement, et c’est elle qui meut la volonté[1156]. On le voit clairement dans le cas des choses qui ne sont voulues qu’en raison de la fin. Par exemple, celui qui veut prendre une potion amère, ne veut rien d’autre que la santé. Il en va autrement pour celui qui prend une potion agréable, qu’il peut vouloir, non seulement pour la santé, mais pour elle-même. Ainsi donc puisque c’est en vue de cette fin qu’est sa propre bonté que Dieu veut des choses autres que lui-même, comme on vient de le dire[1157], il ne s’ensuit pas que quelque chose d’autre que sa bonté meuve sa volonté. Et ainsi, de même que Dieu connaît les autres êtres en se connaissant lui-même[1158], il veut aussi tout le reste en voulant sa propre bonté.

3. De ce que la bonté de Dieu suffit à sa volonté il ne s’ensuit pas qu’il ne veuille rien d’autre, mais bien qu’il ne veut rien qu’en raison de sa bonté. De même que l’intelligence divine bien qu’elle ait toute sa perfection en cela même qu’elle connaît l’essence divine, n’en connaît pas moins dans cette essence les autres choses[1159].

4. De même que l’intellection divine est une, parce qu’elle ne voit une multitude de choses que dans l’un[1160], ainsi le vouloir divin est un et simple parce qu’il ne veut une multitude de choses que comprises en une, sa bonté.

 

            Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ?

Objections :

1. Il semble bien que Dieu veuille nécessairement tout ce qu’il veut. Car tout ce qui est éternel est nécessaire[1161], et tout ce que Dieu veut, il le veut éternellement, sans quoi sa volonté serait changeante[1162].

2. Dieu veut les choses autres que lui en tant qu’il veut sa propre bonté[1163]. Mais Dieu veut sa bonté nécessairement. Donc il veut tout le reste nécessairement.

3. Tout ce qui est naturel à Dieu est nécessaire ; car il est par soi l’être nécessaire et le principe de toute nécessité, ainsi qu’on l’a montré[1164]. Or il lui est naturel de vouloir tout ce qu’il veut, car en lui rien ne peut être hors de sa nature[1165], dit Aristote. Donc tout ce qu’il veut, il le veut par nécessité.

4. N’être pas nécessaire et pouvoir ne pas être sont des propositions équivalentes. Donc, s’il n’est pas nécessaire que Dieu veuille une des choses qu’il veut, il est possible qu’il ne veuille pas cette chose-là et il est possible encore qu’il la veuille, puisqu’il la veut. Donc la volonté de Dieu est contingente à l’égard du vouloir et du non-vouloir de cette chose. Ainsi elle est imparfaite car tout ce qui est contingent est imparfait[1166].

5. D’une cause qui peut indifféremment faire ceci ou son contraire, nulle action ne sort, à moins qu’elle ne soit poussée à l’un des deux par l’action d’une autre. Donc, si la volonté de Dieu est indifférente à l’égard de certains vouloirs il s’ensuit qu’elle est déterminée à produire tel effet par quelque agent étranger, et ainsi qu’elle a une cause antérieure à elle[1167].

6. Tout ce que Dieu sait, il le sait nécessairement. Mais, de même que la science de Dieu est son essence même, ainsi sa volonté[1168]. Donc tout ce que Dieu veut, il le veut nécessairement.

En sens contraire, l’Apôtre dit de Dieu (Ep 1, 11) : “Il opère toutes choses d’après le conseil de sa volonté.” Or, ce que nous opérons d’après une délibération volontaire, nous ne le voulons pas nécessairement. Donc Dieu ne veut pas nécessairement tout ce qu’il veut.

Réponse :

Quelque chose est dit nécessaire en deux sens : absolument, et conditionnellement. Quelque chose est jugé absolument nécessaire selon la relation des termes de la proposition qui l’exprime : que le prédicat appartienne à la définition du sujet, comme il est nécessaire que l’homme soit un animal ; ou bien que le sujet entre dans la notion du prédicat, comme il est nécessaire qu’un nombre soit pair ou impair. Mais il n’est pas nécessaire de cette façon que Socrate soit assis ; aussi n’est-ce pas nécessaire absolument parlant ; mais cela peut être dit nécessaire conditionnellement ; car à supposer qu’il soit assis, il est nécessaire qu’il soit assis lorsqu’il est assis.

Au sujet des vouloirs divins, on doit donc considérer qu’il est nécessaire absolument, qu’il y ait un bien qui soit voulu pour lui-même par Dieu, mais cela n’est pas vrai de tout ce qu’il veut. En effet, la volonté divine a un rapport nécessaire avec la bonté divine qui est son objet propre[1169]. Dieu veut donc nécessairement que sa bonté soit, comme notre volonté veut nécessairement la béatitude[1170], comme du reste toute autre faculté de l’âme a un rapport nécessaire à son objet propre et principal, par exemple la vue à la couleur ; car il est de sa nature même qu’elle y tende[1171]. Mais les choses autres que lui, Dieu les veut en tant qu’elles sont ordonnées à sa bonté comme à leur fin[1172]. Or les choses qui sont ordonnées à une fin, nous ne les voulons pas nécessairement en voulant la fin, à moins qu’elles ne soient telles que sans elles la fin ne puisse être : ainsi, voulant conserver la vie, nous voulons nous nourrir et voulant faire une traversée, nous voulons un navire. Mais nous ne voulons pas aussi nécessairement les choses sans lesquelles la fin peut être atteinte, comme un cheval pour voyager ; car sans cheval on peut faire sa route, et il en est ainsi de tout le reste. Aussi, puisque la bonté de Dieu est parfaite[1173] et peut être sans les autres choses[1174], puisque sa perfection ne s’accroît en rien par les autres[1175], il s’ensuit que vouloir d’autre choses que lui-même n’est pas pour Dieu nécessaire absolument. Cela est pourtant nécessaire conditionnellement ; car à supposer qu’il veuille, Dieu ne peut pas ne pas vouloir, parce que sa volonté ne peut pas changer[1176].

Solutions :

1. De ce que Dieu veut éternellement quelque chose, il ne s’ensuit pas qu’il le veuille nécessairement, si ce n’est pas conditionnellement.

2. Bien que Dieu veuille nécessairement sa bonté, il ne veut pas nécessairement les choses qu’il veut en vue de sa bonté ; car sa bonté peut être sans les autres choses.

3. Ce n’est pas naturellement que Dieu veut n’importe laquelle de ces autres choses qu’il ne veut pas nécessairement ; cela n’est pas non plus contre sa nature, c’est volontaire.

4. Il arrive qu’une cause nécessaire en elle-même ait un rapport non nécessaire à tel de ses effets, et cela par le défaut de l’effet, non par la défaillance de la cause. Ainsi la vertu du soleil a un rapport non nécessaire à tel effet contingent d’ici-bas, non par la défaillance de la vertu solaire, mais par celle de l’effet, qui procède de cette cause non nécessairement. De même, que Dieu veuille non nécessairement certaines des choses qu’il veut, cela ne vient pas d’une défaillance de la volonté divine, mais d’un défaut qui affecte par nature la chose voulue : à savoir qu’elle est telle que, sans elle, la parfaite bonté de Dieu peut être. Or tout bien créé comporte ce défaut-là.

5. Une cause contingente par elle-même a besoin d’être déterminée à son effet par quelque chose d’extérieur. Mais la volonté divine, qui de soi est nécessaire, se détermine d’elle-même à vouloir un bien auquel elle a un rapport non nécessaire.

6. De même que l’être divin, le vouloir divin et le savoir divin sont en eux-mêmes nécessaires ; mais, alors que le savoir divin a un rapport nécessaire aux choses qu’il sait, il n’en est pas de même du vouloir à l’égard des choses voulues. La raison en est qu’on a la science des choses selon que les choses sont dans le sujet qui connaît ; au contraire, la volonté a rapport aux choses selon qu’elles sont en elles-mêmes[1177]. Donc, parce que toutes les choses autres que Dieu ont un être nécessaire selon qu’elles sont en Dieu, mais non selon qu’elles sont en elles-mêmes[1178], en raison de cela toutes les choses que Dieu sait, il les sait nécessairement ; mais toutes les choses qu’il veut, il ne les veut pas nécessairement.

 

            Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

Objections :

1. Il semble que non, car Denys écrit : “ De même que notre soleil illumine par son être même, non par raisonnement et par choix, toutes les choses qui veulent participer de sa lumière : ainsi le bien divin, par son essence même, projette sur tous les existants les rayons de sa bonté. ” Or, agir par volonté, c’est agir par raisonnement et par choix[1179]. Donc Dieu n’agit point par volonté, et ainsi sa volonté n’est pas cause des choses.

2. En tout ordre de choses, ce qui est tel par essence est toujours premier ; ainsi, parmi les choses ignées, il y en a une qui est première, celle qui est le feu par essence. Or Dieu est l’agent premier[1180]. Donc il agit par son essence, qui est sa nature[1181]. Il agit donc par nature et non par volonté. La volonté divine n’est donc pas cause des choses.

3. Tout ce qui est cause d’un effet par cela qui fait qu’il est tel, est cause par nature et non par volonté : car le feu par exemple est cause de l’échauffement parce qu’il est chaud ; au contraire l’artisan est cause de la maison parce qu’il veut la faire. Or Augustin écrit : “ Parce que Dieu est bon, nous sommes.”[1182] Donc Dieu est cause des choses par nature et non par volonté.

4. Une même chose ne peut avoir qu’une cause. Or on a établi plus haut[1183] que la science de Dieu est cause des choses créées. Donc on ne doit pas dire que la volonté de Dieu en soit la cause

En sens contraire, il est écrit au livre de la Sagesse (11, 25) : “ Comment une chose pourrait elle subsister, si tu ne l’avais voulue ? ”

Réponse :

Il est nécessaire de dire que la volonté de Dieu est la cause des choses, et que Dieu agit par volonté, non par nécessité de nature comme certains l’ont pensé. On peut le montrer de trois façons.

1. A partir de l’ordre des causes agentes. Comme “l’intelligence et la nature” agissent l’une et l’autre en vue d’une fin, ainsi que le prouve Aristote, il est nécessaire qu’à celui qui agit par nature, soient déterminés d’avance par une intelligence supérieure la fin et les moyens nécessaires à cette fin[1184]. Ainsi, à la flèche sont fixés d’avance, par l’archer, et sa cible et son trajet. Aussi est il nécessaire que dans l’ordre des agents, celui qui est intellectuel et volontaire soit premier par rapport à celui qui agit par nature. Et comme le premier dans l’ordre des agents est Dieu[1185], il est nécessaire qu’il agisse par intelligence et par volonté.

2. A partir de la raison formelle d’agent naturel, auquel il appartient de produire un seul effet ; car la nature, à moins d’empêchement, opère toujours de la même manière. La raison en est que l’agent naturel agit selon qu’il est tel, de sorte que, tant qu’il demeure tel, il ne produit que tel effet. Or, tout étant qui agit par nature a un être limité[1186]. Donc, puisque l’être de Dieu n’est pas limité, mais contient en lui toute la perfection de l’être[1187], il est impossible qu’il agisse par nécessité de nature à moins qu’il ne cause quelque chose d’illimité et d’infini dans l’être, ce qui est impossible, comme il ressort de ce qui précède[1188]. Dieu n’agit donc point par nécessité de nature ; mais des effets limités procèdent de son infinie perfection[1189], selon la détermination que leur imposent sa volonté et son intelligence.

3. A partir du rapport de l’effet à sa cause. Car les effets procèdent de leur cause agente selon qu’ils préexistent en elle, parce que tout agent produit son semblable[1190]. Or les effets préexistent dans leur cause selon la manière d’être de cette cause[1191]. Aussi, puisque l’être de Dieu est son intellection même[1192], ses effets préexistent-ils en lui intelligiblement. Et par conséquent, il procèdent de lui selon l’intelligence[1193]. Et ainsi donc, selon la volonté, car l’impulsion à faire ce qui a été conçu par l’intelligence relève de la volonté[1194]. La volonté de Dieu est donc cause des choses.

Solutions :

1. Denys n’entend pas refuser à Dieu le choix de façon absolue, mais de façon relative : en ce que sa bonté se communique non seulement à quelques-uns, mais à tous. Il s’agit donc du choix selon qu’il implique une discrimination.

2. Parce que l’essence de Dieu est identique à son intellection et à son vouloir[1195], de ce qu’il agit par son essence, il suit qu’il agit par mode d’intelligence et de volonté.

3. Le bien est l’objet de la volonté. Donc, lorsqu’on dit : “ Parce que Dieu est bon, nous sommes ”, cela signifie que sa bonté est en lui la raison de vouloir toutes les autres choses, ainsi qu’on l’a dit[1196].

4. Même en nous, un unique effet a pour cause la science, qui conçoit la forme de l’œuvre, comme directrice, et la volonté comme motrice. Car la forme, selon qu’elle est dans l’intelligence seule, n’est déterminée que par la volonté à être ou ne pas être dans l’effet[1197]. Aussi l’intellect spéculatif ne dit-il rien du faire[1198]. Quant à la puissance, elle est cause comme exécutant ; car ce mot désigne le principe immédiat de l’opération[1199]. Mais tous ces attributs sont un en Dieu.

 

            Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ?

Objections :

1. Il semble qu’on puisse attribuer une cause à la volonté divine. Car S. Augustin demande : “ Qui oserait dire que Dieu a tout créé sans raison ? ” Or, quand il s’agit d’un agent volontaire, ce qui est la raison d’agir est aussi la cause du vouloir[1200]. Donc la volonté de Dieu a une cause.

2. A tout ce que fait un agent volontaire qui n’a pas de cause de son vouloir, on ne peut attribuer d’autre cause que le vouloir de celui qui veut. Or la volonté de Dieu est cause de toutes choses, ainsi qu’on l’a montré[1201]. Donc, s’il n’y a aucune cause de sa volonté, il n’y aura pas d’autre cause à chercher pour tous les êtres de nature, sinon la seule volonté divine. Et ainsi toutes les sciences seraient superflues, elles qui s’efforcent de trouver les causes des effets. Cela ne semble pas admissible.

3. Ce qui est produit par un agent volontaire sans aucune cause dépend de sa seule volonté. Donc, si la volonté de Dieu n’a pas de cause, il s’ensuit que tout ce qui se produit dépend de sa simple volonté et n’a pas d’autre cause, ce qui ne peut non plus s’admettre[1202].

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Toute cause efficiente est supérieure à ce qu’elle fait ; or rien n’est supérieur à la volonté divine ; il n’y a donc pas à en chercher la cause. ”

Réponse :

On ne peut d’aucune manière attribuer une cause à la volonté divine. Pour s’en convaincre, il faut observer que, la volonté procédant de l’intelligence[1203], être cause qu’une volonté veuille et qu’une intelligence connaisse, cela se fait de la même manière. Or ce qui se passe dans l’intellect, c’est que, s’il conçoit d’un côté le principe, et d’un côté la conclusion, l’intelligence du principe cause la science de la conclusion[1204]. Mais si l’intellect voyait directement la conclusion dans le principe, saisissant l’un et l’autre d’un seul regard[1205], la science de la conclusion ne serait pas causée en lui par l’intelligence des principes, car le même n’est pas cause de soi-même[1206]. Toutefois l’intellect comprendrait que les principes sont cause de la conclusion[1207]. Il en va de même pour la volonté, pour laquelle la fin est à l’égard des moyens ce que sont pour l’intelligence les principes à l’égard des conclusions[1208]. Par conséquent, si quelqu’un, par un acte, veut la fin, et par un autre acte les moyens, le vouloir de la fin sera pour lui la cause du vouloir des moyens. Mais si par un seul acte il veut la fin et les moyens relatifs à cette fin, cela ne pourra pas être, car le même n’est pas cause de soi-même. Cependant, il sera vrai de dire que cet être veut ordonner les moyens à la fin[1209].

Or, de même que Dieu, par un seul acte, voit toutes les choses dans son essence[1210], ainsi par un seul acte veut-il tout dans sa bonté[1211]. Aussi, de même qu’en Dieu connaître la cause ne cause pas la connaissance des effets, mais il connaît les effets dans leurs causes, ainsi vouloir la fin n’est-il pas en Dieu cause qu’il veuille les moyens ; mais il veut que les moyens soient ordonnés à la fin. Il veut donc que ceci soit pour cela, mais ce n’est pas à cause de cela qu’il veut ceci.

Solutions :

1. La volonté de Dieu est raisonnable ; non en ce sens qu’il y aurait en Dieu une cause de son vouloir, mais en ce sens qu’il veut que telle chose soit en raison d’une autre.

2. Puisque Dieu veut que les effets soient de telle manière qu’ils proviennent de causes déterminées, afin que soit respecté l’ordre des choses[1212], il n’est pas superflu de chercher d’autres causes outre la volonté de Dieu. Ce qui serait superflu, ce serait de chercher d’autres causes premières qui ne dépendraient pas de la volonté divine, et c’est ce que dit S. Augustin : “ La vanité des philosophes a voulu attribuer aux effets contingents d’autres causes, dans l’impuissance où ils étaient d’apercevoir la cause supérieure à toutes les causes : la volonté de Dieu. ”

3. Puisque Dieu veut que les effets soient par les causes[1213], tous les effets qui présupposent un autre effet ne dépendent pas seulement de la volonté de Dieu, mais de quelque chose d’autre. Mais les premiers effets, eux, dépendent de la seule volonté de Dieu. Comme si nous disions : Dieu a voulu que l’homme ait des mains pour servir son intelligence en accomplissant toutes sortes d’œuvres ; il a voulu qu’il ait une intelligence pour être un homme ; il a voulu qu’il soit homme afin de pouvoir jouir de son Créateur, ou encore pour l’achèvement de l’univers. Mais ces dernières finalités ne se rapportent à nulle autre fin créée. De telles choses dépendent donc de la simple volonté de Dieu ; mais toutes les autres dépendent aussi de l’enchaînement d’autres causes.

 

            Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, l’Apôtre écrit (1 Tm 2, 4) : “ Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. ” Mais cela ne se passe pas ainsi. Donc la volonté de Dieu ne s’accomplit pas toujours.

2. Ce que la science est au vrai, la volonté l’est au bien[1214]. Or Dieu sait tout le vrai[1215] ; donc il veut tout ce qui est bon. Pourtant tout ce qui est bon ne se réalise pas ; beaucoup de choses bonnes peuvent être faites, qui ne sont pas faites. La volonté de Dieu n’est donc pas toujours accomplie.

3. La volonté de Dieu, cause première, n’exclut pas, a-t-on dit, les causes intermédiaires[1216]. Or l’effet de la Cause première peut être empêché par la défaillance de la cause seconde, comme il arrive lorsque l’effet de la vertu motrice de notre corps est empêché par la débilité de la jambe. Ainsi donc, l’effet de la volonté de Dieu peut être empêché par la défaillance des causes secondes. La volonté de Dieu ne s’accomplit donc pas toujours.

En sens contraire, le Psaume (115,3) dit : “ Tout ce que Dieu veut, il le fait. ”

Réponse :

Il est nécessaire que la volonté de Dieu soit toujours accomplie. Pour le découvrir il faut observer que l’effet se conformant à l’agent selon sa forme, le rapport est le même dans la série des causes agentes et dans celle des causes formelles[1217]. Or l’ordre des causes formelles est tel que si un sujet peut bien, par sa défaillance, manquer d’une forme particulière, toutefois, à l’égard de la forme universelle, rien ne peut être manquant. Quelque chose, en effet, peut être, qui ne soit pas un homme ni un vivant, mais rien ne peut être qui ne soit pas un étant. Il faut donc qu’il en soit de même dans les causes agentes. Quelque chose, en effet, peut bien se produire qui échappe à l’ordre de quelque cause agente particulière ; mais non pas à l’ordre d’une cause universelle, sous l’action de laquelle toutes les causes particulières sont comprises. Parce que, si quelque cause particulière manque son effet, cela vient de l’empêchement que lui apporte une autre cause particulière, qui rentre dans l’ordre de la cause universelle. L’effet ne peut donc en aucune manière se soustraire à l’ordination posée par la cause universelle. Cela se voit même dans les réalités corporelles. Ainsi, l’effet d’un astre peut être empêché ; mais quel que soit l’effet produit par un empêchement de cette sorte, dans les réalités corporelles, cet effet se ramène nécessairement, par telles ou telles causes intermédiaires, à l’activité universelle du premier ciel.

Donc, puisque la volonté de Dieu est cause universelle à l’égard de toutes choses[1218], il est impossible que la volonté de Dieu n’obtienne pas son effet. C’est pourquoi, ce qui semble s’écarter de la divine volonté dans un certain ordre y retombe dans un autre. Le pécheur, par exemple, autant qu’il est en lui, s’éloigne de la divine volonté en faisant le mal ; mais il rentre dans l’ordre de cette volonté par le châtiment que lui inflige la justice.

Solutions :

1. Cette parole de l’Apôtre : “ Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ”, etc. peut se comprendre de trois façons.

D’abord de telle sorte que l’affirmation distributive soit ainsi interprétée : “ Dieu veut que soient sauvés tous les hommes qui sont sauvés. ” Comme dit S. Augustin : “ Non pas qu’il n’y ait pas d’hommes dont il ne veuille pas le salut, mais aucun homme n’est sauvé dont il ne veuille pas le salut. ”

Deuxièmement, on peut comprendre cette distribution en l’appliquant aux catégories d’individus, mais non aux individus de ces catégories, dans le sens suivant : “ Dieu veut que des hommes soient sauvés dans toutes les catégories : hommes et femmes, Juifs et païens, grands et petits, sans qu’il veuille sauver tous ceux qui appartiennent à ces catégories. ”

Troisièmement, selon le Damascène, ce texte se comprend de la volonté antécédente, non de la volonté conséquente. Cette distinction ne se prend pas du côté de la volonté divine elle-même, dans laquelle il n’y a ni avant ni après, mais du côté des choses voulues. Pour le comprendre, il faut considérer que toute chose, selon qu’elle est bonne, et dans cette mesure, est voulue par Dieu. Or, quelque chose peut être, à première vue, considéré en soi-même, bon ou mauvais, alors que dans sa connexion avec autre chose, ce qui est une considération conséquente, on voit les choses à l’inverse[1219]. Ainsi, qu’un homme vive est bon, tuer un homme est mauvais, si l’on considère la chose en elle-même. Mais si s’ajoute à cela, pour un homme déterminé, que cet homme est un assassin, ou qu’il est un danger pour la collectivité, à ce point de vue il est bon que cet homme soit mis à mort, et il est mauvais qu’il vive. Aussi pourra-t-on dire d’un juge épris de justice : de volonté antécédente il veut que tout homme vive ; mais de volonté conséquente il veut que l’assassin soit pendu. Semblablement, Dieu veut de volonté antécédente que tous les hommes soient sauvés ; mais de volonté conséquente il veut que quelques-uns soient damnés, comme sa justice l’exige.

Cependant, même ce que nous voulons antécédemment nous ne le voulons pas purement et simplement, mais sous un certain aspect. Car la volonté se rapporte aux choses telles qu’elles sont en elles-mêmes : et en elles-mêmes elles sont particularisées. C’est pourquoi nous voulons purement et simplement une chose quand nous la voulons en tenant compte de toutes les circonstances particulières, ce qui est vouloir de volonté conséquente[1220]. Par conséquent on peut dire que le juge épris de justice veut purement et simplement que l’assassin soit pendu ; mais sous un certain aspect il voudrait qu’il vive, en tant qu’il est un homme ; ce qu’on peut appeler une velléité plutôt qu’une volonté absolue. Cela fait bien voir que tout ce que Dieu veut de façon absolue se réalise, bien que ce qu’il veut de volonté antécédente ne se réalise pas.

2. Par l’acte de la faculté cognitive le connu est dans le connaissant[1221], tandis que par l’acte de la faculté appétitive, l’opérant est orienté aux choses selon qu’elles sont en elles-mêmes[1222]. Or, tout ce qui peut avoir raison d’étant et de vrai est tout entier virtuellement en Dieu[1223] ; mais tout cela ne se trouve pas dans les choses créées. Et c’est pourquoi Dieu connaît tout ce qui est vrai, tandis qu’il ne veut pas tout ce qui est bon, si ce n’est selon qu’il se veut lui-même, en qui, virtuellement, tout bien existe[1224].

3. La cause première peut être empêchée de produire son effet par une défaillance de la cause seconde, quand elle n’est pas universellement première, comprenant et se subordonnant toutes les autres causes. Si elle l’était, l’effet ne pourrait en aucune manière se soustraire à son ordination. Et il en est ainsi, nous l’avons dit à l’instant[1225], de la volonté de Dieu.

 

            Article 7 — La volonté de Dieu est-elle sujette au changement ?

Objections :

1. Il semble bien, puisque le Seigneur dit dans la Genèse (6, 7 Vg) : “ Je me repens d’avoir créé l’homme. ” Mais celui qui se repent de ce qu’il a fait a une volonté changeante.

2. Jérémie (18, 78) fait dire au Seigneur : “ Tantôt je parle à propos d’une nation et d’un royaume, d’arracher, d’abattre et de détruire ; mais si cette nation contre laquelle j’ai parlé revient de sa méchanceté, alors je me repens du mal que j’avais voulu lui faire. ”

3. Tout ce que Dieu fait, il le fait volontairement ; or Dieu ne fait pas toujours la même chose car à une époque il a prescrit d’observer la loi juive, et à une autre époque il l’a interdit. Donc sa volonté est changeante

4. Nous l’avons établi[1226], Dieu ne veut pas nécessairement ce qu’il veut ; il peut donc vouloir ou ne pas vouloir une même chose. Or, tout ce qui peut ceci ou son opposé est changeant. Par exemple ce qui peut être et ne pas être est changeant quant à sa substance ; ce qui peut être ici et n’y être pas est changeant selon le lieu, etc. Donc Dieu est changeant quant à la volonté.

En sens contraire, il est écrit (Nb 23, 19) : “ Dieu n’est point un homme, pour mentir ; il n’est pas un fils d’homme, pour se repentir. ”

Réponse :

La volonté de Dieu est absolument immuable. Mais à cet égard il faut songer qu’autre chose est changer de volonté, autre chose est vouloir le changement de certaines choses. Quelqu’un peut, sa volonté demeurant toujours la même, vouloir que ceci se fasse maintenant, et que le contraire se fasse ensuite. La volonté changerait si quelqu’un se mettait à vouloir ce que d’abord il ne voulait pas, ou à cesser de vouloir ce qu’il voulait d’abord. Cela ne peut arriver que par un changement soit dans la connaissance, soit dans les conditions existentielles de celui qui veut. En effet, la volonté, ayant pour objet le bon[1227], un sujet peut commencer à vouloir une autre chose de deux façons. D’abord, si cette chose commence à être bonne pour lui, et cela n’est pas sans changement de sa part, comme, lorsque le froid arrive, il devient bon de s’asseoir près du feu, ce qui auparavant ne l’était pas. Ou bien le sujet vient à reconnaître que cela lui est bon, alors qu’il l’ignorait auparavant ; car si nous délibérons, c’est pour savoir ce qui nous est bon[1228]. Or, on a montré plus haut, que la substance de Dieu et sa science sont absolument immuables l’une et l’autre[1229]. Il faut donc que sa volonté, elle aussi, soit absolument immuable.

Solutions :

1. Cette parole doit être comprise comme une métaphore, par comparaison avec nous[1230]. Quand nous nous repentons, nous annulons ce que nous avons fait. Toutefois, cela peut se produire sans qu’il y ait de changement dans la volonté ; car un homme, sans que sa volonté change, peut vouloir faire maintenant une chose et, en même temps, se proposer de la détruire ensuite[1231]. Ainsi donc on dit que Dieu s’est repenti par assimilation à notre repentir, puisque après avoir fait l’homme, il l’a détruit par le déluge sur la surface de la terre.

2. La volonté de Dieu, Cause première et universelle[1232], n’exclut pas les causes intermédiaires, qui ont en elles la vertu de produire certains effets[1233]. Mais parce que les causes intermédiaires toutes ensembles n’égalent pas en vertu la cause première[1234], il y a dans la puissance, la science et la volonté divine, beaucoup de choses qui ne sont pas contenues dans l’ordre des causes inférieures. Telle la résurrection de Lazare. Eu égard aux causes inférieures, quelqu’un pouvait dire : “ Lazare ne ressuscitera pas ” ; le même, considérant la Cause première, Dieu, pouvait dire : “ Lazare ressuscitera. ” Or, Dieu veut ces deux choses : que tel événement soit à venir en raison de sa cause inférieure, et que cependant, il ne soit pas à venir en raison de sa cause supérieure, ou inversement. On doit donc dire que Dieu, quelquefois, prédit un événement selon que cet événement est contenu dans l’ordre des causes secondes, comme sont les dispositions de la nature ou le mérite des hommes ; et cependant cet événement ne se produit pas, parce qu’il en est autrement en vertu de la causalité divine. C’est ainsi que Dieu a prédit à Ézéchias (Is 38,1) : “ Mets en ordre ta maison, car tu vas mourir, tu ne guériras pas. ” Et pourtant cela ne s’est pas produit, parce que depuis l’éternité il en était décidé autrement dans la science et la volonté de Dieu, qui sont immuables[1235]. C’est ce que veut dire S. Grégoire quand il écrit que Dieu change sa sentence, mais non pas son conseil, à savoir le conseil de sa volonté. Donc quand Dieu dit : “ Je me repentirai ”, c’est une métaphore[1236], fondée sur ce que les hommes, quand ils ne réalisent pas leurs menaces, semblent s’en repentir.

3. On ne peut pas conclure de cet argument que Dieu ait une volonté changeante, mais qu’il veut des changements.

4. Bien que, si Dieu veut quelque chose, ce vouloir ne soit pas absolument nécessaire, il l’est pourtant conditionnellement[1237], à cause de l’immutabilité des vouloirs divins, comme on l’a dit précédemment.

 

            Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ?

Objections :

1. Il semble bien que oui. En effet, S. Augustin affirme : “ Nul n’est sauvé si ce n’est celui dont Dieu veut qu’il soit sauvé. Il faut donc le prier pour qu’il veuille, car s’il l’a voulu, il est nécessaire que cela se produise. ”

2. Toute cause qui ne peut être empêchée produit nécessairement son effet ; car la nature elle-même produit toujours le même effet[1238], à moins que quelque obstacle l’entrave, dit Aristote. Or, la volonté de Dieu ne peut être empêchée ; car l’Apôtre dit (Rm 9, 19) : “ Qui résiste à sa volonté ? ” La volonté de Dieu impose donc sa nécessité aux choses qu’elle veut.

3. Ce qui tient sa nécessité de quelque chose qui lui est antérieur est nécessaire absolument[1239] ; ainsi il est nécessaire que l’animal meure, parce qu’il est composé d’éléments qui se contrarient. Or, pour les choses créées par Dieu, la volonté divine est comme quelque chose qui leur est antérieur et dont elles tiennent leur nécessité, car cette proposition conditionnelle est vraie : Si Dieu veut quelque chose, cela est. Or, toute proposition conditionnelle vraie est nécessaire. Il s’ensuit donc que tout ce que Dieu veut est absolument nécessaire.

En sens contraire, toutes les choses bonnes qui sont faites, Dieu veut qu’elles soient faites. Donc, si sa volonté rend nécessaires les choses qu’il veut, il s’ensuit que toutes les choses adviennent nécessairement. De la sorte périssent le libre arbitre[1240], la délibération et tout ce qui s’ensuit.

Réponse :

La volonté divine rend nécessaires certaines choses qu’elle veut, mais non pas toutes. Et certains penseurs ont voulu expliquer ce fait par un appel aux causes intermédiaires, en disant : les choses que Dieu produit par des causes nécessaires sont nécessaires ; celles qu’il produit par des causes contingentes sont contingentes[1241]. Mais cela ne dit pas assez, semble-t-il, pour deux raisons. Tout d’abord, l’effet d’une cause première est rendu contingent par la cause seconde pour ce motif que son effet est empêché de se produire par la défaillance de celle-ci, comme l’efficacité du soleil est entravée par la défaillance de la plante. Or nulle défaillance de la cause seconde ne peut empêcher la volonté de Dieu de produire son effet[1242]. Ensuite, si la distinction entre choses contingentes et choses nécessaires est référée aux seules causes secondes, il s’ensuit qu’elle échappe à l’intention et à la volonté divine, ce qui est inadmissible[1243].

Il est donc mieux de dire que s’il y a des choses auxquelles la volonté divine confère la nécessité, et d’autres auxquelles elle ne la confère pas, cela provient de l’efficacité de cette volonté. En effet, lorsqu’une cause est efficace, l’effet procède de la cause, non seulement quant à ce qui est produit, mais encore quant à la manière dont cela est produit, ou dont cela est ; c’est en effet l’insuffisante vigueur de la semence qui fait que le fils naisse dissemblable de son père quant aux caractères individuants, qui font sa manière d’être un homme[1244]. Donc, comme la volonté divine est parfaitement efficace, il s’ensuit que, non seulement les choses qu’elle veut sont faites, mais qu’elles se font de la manière qu’il veut. Or Dieu veut que certaines choses se produisent nécessairement, et d’autres, de façon contingente, afin qu’il y ait un ordre dans les choses, pour la perfection de l’univers[1245]. C’est pourquoi il a préparé pour certains effets des causes nécessaires, qui ne peuvent défaillir, et d’où proviennent nécessairement les effets ; et pour d’autres effets il a préparé des causes défectibles, dont les effets se produisent d’une manière contingente. Ainsi donc, ce n’est pas parce que leurs causes prochaines sont contingentes que des effets voulus par Dieu arrivent de façon contingente, mais c’est parce que Dieu a voulu qu’ils arrivent de façon contingente qu’il leur a préparé des causes contingentes.

Solutions :

1. La nécessité dont parle S. Augustin, dans les choses voulues par Dieu doit être comprise, non comme absolue, mais comme conditionnelle[1246]. En effet, il est nécessaire que soit vraie cette proposition conditionnelle : si Dieu veut cela, il est nécessaire que cela soit.

2. Du fait que rien ne résiste à la volonté de Dieu, il s’ensuit non seulement que se réalise ce que Dieu veut, mais aussi que cela se réalise de façon contingente ou nécessaire, selon qu’il l’a voulu ainsi.

3. Être nécessaire en raison de quelque chose d’antérieur, cela s’entend selon le mode de nécessité que confère la chose antérieure. De là vient que les choses qui sont produites par la volonté de Dieu ont la sorte de nécessité que Dieu veut pour elles : c’est-à-dire ou une nécessité absolue, ou une nécessité conditionnelle seulement. Ainsi, toutes les choses ne sont pas nécessaires absolument.

 

            Article 9 — Y a-t-il en Dieu la volonté des choses mauvaises ?

Objections :

1. Il semble que Dieu veuille les choses mauvaises. Car toute chose bonne qui est faite, Dieu la veut. Mais il est bon que ces choses mauvaises soient faites, car S. Augustin a dit : “ Bien que les choses mauvaises ne soient pas bonnes, qu’il y ait non seulement des choses bonnes mais aussi des choses mauvaises, cela est bon. ”

2. Denys écrit : “ Le mal concourt à la perfection de l’univers. ” Et, dit S. Augustin : “ La beauté admirable de l’univers résulte de tout son ensemble ; en lui, cela même qu’on appelle mal, ramené à l’ordre et mis à sa place, fait ressortir davantage les choses bonnes, car celles-ci plaisent davantage et sont plus dignes de louange quand on les compare aux mauvaises. ” Mais Dieu veut tout ce qui appartient à la perfection et à la beauté de l’univers[1247] ; car c’est cela que Dieu veut surtout dans les créatures. Donc Dieu veut le mal.

3. Dire que les choses mauvaises sont faites et qu’elles ne sont pas faites, ce sont là deux propositions contradictoires. Mais Dieu ne veut pas que les choses mauvaises ne se produisent pas, car il y en a qui sont faites, et de ce fait la volonté de Dieu ne se réaliserait pas toujours. Donc Dieu veut que les choses mauvaises soient faites.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Ce n’est jamais par l’action d’un sage qu’un homme est avili ; or Dieu l’emporte sur le plus sage des hommes. Encore beaucoup moins donc Dieu n’est cause que quelqu’un soit avili. Or dire que Dieu est cause, c’est dire qu’il veut. ” Ce n’est donc pas par la volonté de Dieu qu’un homme devient vil. Donc Dieu ne veut pas le mal.

Réponse :

Nous le disions plus haut[1248], la raison formelle de “bon” est d’être attirant, et le mauvais est l’opposé du bon. Il est donc impossible qu’une chose mauvaise, en tant que telle, soit attirante, “appétible”, qu’il s’agisse de l’appétit naturel, de l’appétit animal ou de l’appétit intellectuel, qui est la volonté[1249]. Mais un mal peut devenir attirant par accident, en tant qu’il résulte d’une chose bonne. Et cela se voit, quelque espèce d’appétit que l’on considère. Car un agent naturel ne tend jamais à la privation de la forme ou à la destruction totale, mais à une forme à laquelle est liée la privation d’une autre forme[1250] ; il veut la génération d’une réalité, génération qui ne se fait pas sans la corruption de la précédente. Le lion, qui tue un cerf, cherche sa nourriture, ce qui entraîne la mise à mort d’un animal. De même, le fornicateur cherche la jouissance, à laquelle est liée la difformité de la faute.

Or, le mal qui est lié à un bien est la privation d’un autre bien. Jamais donc le mal n’attirerait l’appétit, même accidentellement, si le bien auquel est lié le mal n’attirait pas davantage que le bien dont le mal est la privation. Or, Dieu ne veut aucun bien plus que sa propre bonté[1251] ; il veut pourtant tel bien plus que tel autre bien. “En conséquence le mal de faute qui prive la créature de son ordination au bien, Dieu ne le veut en aucune manière.” Mais le mal qui est une déficience de la nature, ou le mal de peine, Dieu le veut en voulant quelque bien auquel est lié un tel mal. Par exemple, en voulant la justice, il veut la peine du coupable, et en voulant que soit gardé l’ordre de nature[1252], il veut que par un effet de nature certains êtres soient détruits.

Solutions :

1. Certains ont dit : Dieu ne veut pas les choses mauvaises, mais il veut que des choses mauvaises soient ou soient faites. Ils disaient cela parce que les choses qui, en soi, sont mauvaises, sont ordonnées à quelque bien, et ils croyaient que cette ordination au bien était comprise dans l’affirmation que des choses mauvaises sont ou sont faites. Mais cela n’est pas exact. Car si le mal est ordonné au bien, ce n’est pas par lui-même, c’est par accident. En effet, il n’est pas dans l’intention du pécheur qu’un bien sorte de son péché, les tyrans ne se proposaient pas de faire briller la patience des martyrs. On ne peut donc pas dire que cette ordination au bien soit incluse dans la formule par laquelle on déclare bon que le mal soit ou se produise ; car rien ne se juge d’après ce qui lui convient par accident, mais d’après ce qui lui convient par soi-même[1253].

2. Le mal ne concourt à la perfection et à la beauté de l’univers que par accident, comme on vient de le dire[1254]. Aussi bien, quand Denys dit que le mal contribue à la perfection de l’univers il donne cela comme la conclusion inacceptable à laquelle aboutirait la position qu’il critique.

3. Que les choses mauvaises soient faites, et qu’elles ne soient pas faites, ce sont deux propositions contradictoires ; mais vouloir que les choses mauvaises soient faites et vouloir qu’elles ne le soient pas ne s’opposent pas car il s’agit là de deux propositions affirmatives. Dieu, en effet, ne veut ni que les choses mauvaises soient faites ni qu’elles ne soient pas faites, mais il veut permettre qu’elles soient faites.[1255]

 

            Article 10 — Dieu a-t-il le libre arbitre ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Jérôme nous dit : “ Dieu est le seul en qui le péché ne se trouve et ne puisse se trouver ; les autres, ayant le libre arbitre, peuvent se porter vers le bien ou vers le mal. ”

2. Le libre arbitre est une faculté de raison et de volonté, par laquelle nous choisissons le bien et le mal. Or Dieu ne veut pas le mal, on vient de le dire[1256] ; il n’a donc pas le libre arbitre.

En sens contraire, S. Ambroise écrit : “ L’Esprit Saint distribue à chacun ses dons comme il veut, c’est-à-dire selon le libre arbitre de sa volonté, non par soumission à la nécessité. ”

Réponse :

Nous avons le libre arbitre à l’égard des choses que nous ne voulons ni nécessairement, ni par un instinct de nature. Car il n’appartient pas au libre arbitre, mais à l’instinct naturel, que nous voulions être heureux. Aussi ne dit-on pas des autres animaux, qui sont mûs vers quelque objet que ce soit par instinct naturel, qu’ils agissent par libre arbitre[1257]. Donc, comme Dieu veut nécessairement sa propre bonté, mais non les autres choses, comme on l’a montré[1258], il possède le libre arbitre à l’égard de tout ce qu’il ne veut pas nécessairement.

Solutions :

1. Il semble que S. Jérôme écarte de Dieu le libre arbitre, non purement et simplement, mais seulement quant à ce qui est de verser dans le péché[1259].

2. Puisque le mal de faute consiste dans le rejet de la volonté divine, en raison de laquelle Dieu veut tout ce qu’il veut, comme on l’a montré[1260], il est manifestement impossible que Dieu veuille le mal de faute[1261]. Et pourtant il est libre à l’égard des contraires, en tant qu’il peut vouloir que ceci soit ou ne soit pas[1262]. C’est ainsi que nous-mêmes, sans pécher, nous pouvons vouloir nous asseoir, et ne pas le vouloir.

 

            Article 11 — Doit-on distinguer en Dieu une volonté de signe ?

Objections :

1. Il semble que non ; car la science de Dieu, aussi bien que la volonté de Dieu, est cause des choses[1263]. Mais on ne parle pas de signes du côté de la science divine. Donc on ne doit pas en admettre pour sa volonté.

2. Tout signe qui ne concorde pas avec la chose signifiée est faux. Donc, si les signes de la volonté divine ne concordent pas avec la volonté divine, ils sont faux ; s’ils concordent ils sont inutiles.

En sens contraire, la volonté de Dieu est unique, étant identique à son essence[1264]. Pourtant elle est parfois signifiée au pluriel, comme quand on dit avec le Psaume (111, 2 Vg) : “ Les œuvres de Dieu sont grandes, conformes à toutes ses volontés. ” Il faut donc parfois prendre pour la volonté même de Dieu un signe de sa volonté.

Réponse :

Comme on a pu le voir plus haut[1265], ce que nous disons de Dieu est pris tantôt dans un sens propre, tantôt par métaphore. Quand, par métaphore, nous attribuons à Dieu des passions humaines, c’est à cause de la ressemblance des effets. De là vient que ce qui serait en nous le signe de telle passion est attribué métaphoriquement à Dieu sous le nom de cette passion. Ainsi les gens irrités ont coutume de punir, si bien que l’acte de punir est un signe de colère ; c’est pour cette raison que l’acte de punir, quand il est attribué à Dieu, est signifié par le mot “ colère ”. De même, ce qui est en nous le signe d’une volonté est appelé parfois métaphoriquement, en Dieu, une volonté. Par exemple, si un homme ordonne quelque chose, c’est un signe qu’il veut que cette chose soit faite ; pour cette raison, le précepte divin est parfois appelé, par métaphore, une volonté de Dieu, ainsi : “ Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. ” Mais il y a cette différence entre la volonté et la colère, que la colère n’est jamais attribuée à Dieu au sens propre, parce que dans sa signification principale elle inclut la passion ; au contraire, la volonté est attribuée au sens propre à Dieu[1266]. C’est pourquoi, en Dieu, on distingue une volonté au sens propre et une volonté au sens métaphorique. La volonté proprement dite est appelée volonté de bon plaisir[1267], et la volonté métaphorique est appelée volonté de signe, parce que le signe d’une volonté est pris en ce cas pour la volonté même.

Solutions :

1. La science de Dieu n’est cause des choses qui sont faites que par l’intermédiaire de la volonté ; car les choses que nous avons dans l’esprit par la connaissance, nous ne les faisons que si nous les voulons[1268]. C’est pourquoi on n’attribue pas de signe à la science comme à la volonté.

2. Si les signes du vouloir sont nommés “ volontés de Dieu ”, ce n’est pas parce qu’ils sont le signe de ce que Dieu veut ; mais les choses qui sont en nous le signe que nous voulons sont appelées en Dieu (par métaphore) “ volontés de Dieu ”[1269]. Ainsi, la punition n’est pas signe qu’il y ait en Dieu de la colère ; mais l’acte de punir, du fait qu’il est en nous signe de colère, est appelé chez Dieu “ colère ”.

 

            Article 12 — Convient-il de proposer cinq signes de la volonté divine ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’il convienne de proposer, concernant la volonté divine, les cinq signes que sont : la prohibition, le précepte, le conseil, l’opération et la permission. Car les choses mêmes que Dieu prescrit ou nous conseille, il les opère parfois en nous[1270], et ce qu’il prohibe, il le permet parfois[1271] : on ne devrait donc pas opposer ces termes dans une division.

2. Dieu ne fait rien sans le vouloir[1272] d’après le livre de la Sagesse (Il, 25) ; or la volonté de signe est distincte de la volonté de bon plaisir[1273]. Donc l’opération ne doit pas se ranger sous la volonté de signe.

3. L’opération et la permission concernent toutes les créatures, car à l’égard de tout, Dieu agit et permet certaines choses[1274] ; au contraire, le précepte, le conseil et la prohibition ne s’adressent qu’à la créature raisonnable ; tous ces termes, qui n’appartiennent pas au même ordre de choses, ne devraient donc pas figurer ensemble dans une même division.

4. Le mal se produit de façon plus diverse que le bien ; car le bien se réalise d’une seule manière, alors que le mal est multiforme, ainsi que l’observent Aristote et Denys ; il ne convient donc pas de consacrer au mal un signe seulement : la prohibition, alors que deux concernent le bien : le conseil et le précepte.

Réponse :

Les signes en question sont ceux par lesquels nous avons coutume de manifester nos vouloirs. En effet, quelqu’un peut déclarer qu’il veut une chose, ou par soi-même ou par un autre. Par soi-même, en faisant quelque chose soit directement, soit indirectement et par accident. Directement, s’il opère par lui-même quelque chose, et à cet égard l’opération est dite signe.

Indirectement s’il n’empêche pas un autre d’agir ; car celui qui écarte un empêchement est dit mouvoir indirectement et par accident, ainsi que l’explique Aristote. A cet égard, est dite signe la permission. Par un autre quelqu’un déclare qu’il veut quelque chose : soit par une intimation formelle qui l’oblige, ce qui se fait en prescrivant ce que l’on veut, et en prohibant le contraire ; soit par la persuasion, ce qui relève du conseil.

Donc, puisque ce sont là les cinq manières dont quelqu’un déclare qu’il veut quelque chose, on leur donne parfois le nom de “ volontés divines ”, en tant qu’ils sont signes de cette volonté. En effet, que le précepte, le conseil et la prohibition soient appelés volontés de Dieu, c’est ce qu’on voit en S. Matthieu (6, 10) : “ Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. ” Que la permission ou l’action soient appelées volontés de Dieu, on le voit par ces paroles de S. Augustin : “ Rien ne se fait si ce n’est ce que le Tout-Puissant veut que ce soit fait, soit en laissant faire, soit en faisant lui-même. ”[1275]

Il est vrai qu’on peut dire aussi : La permission et l’opération se réfèrent au présent, permission s’il s’agit du mal, opération s’il s’agit du bien ; à l’avenir au contraire se rapportent, s’il s’agit du mal, la prohibition ; s’il s’agit du bien nécessaire, le précepte ; s’il s’agit du bien surérogatoire, le conseil.

Solutions :

1. Rien n’empêche qu’au sujet de la même chose on déclare de diverses façons sa volonté ; dans la langue aussi, il y a bien des synonymes. Rien ne s’oppose donc à ce qu’une même chose soit objet de précepte, d’opération, de prohibition ou de permission.

2. De même que, par métaphore, on peut signifier que Dieu veut une chose qu’il ne veut pas à proprement parler, de même on peut, par métaphore, signifier qu’il veut une chose qu’il veut vraiment. Rien n’empêche donc qu’à l’égard du même objet il y ait et une volonté de bon plaisir et une volonté de signe[1276]. Mais l’opération est toujours identique à la volonté de bon plaisir, et non pas le précepte ni le conseil ; la raison en est d’abord que l’opération est au présent, alors que le précepte et le conseil regardent l’avenir[1277] ; ensuite l’opération est par elle-même un effet de la volonté ; le précepte et le conseil n’en sont l’effet que par intermédiaire, ainsi qu’on vient de le dire[1278].

3. La créature raisonnable est maîtresse de ses actes, et c’est pourquoi on relève à son sujet des signes particuliers de la volonté divine, selon que Dieu destine cette créature à agir volontairement et par elle-même. Les autres créatures, au contraire, n’agissent que mues par l’opération divine[1279], et c’est pourquoi, touchant ces autres créatures, on ne signale que l’opération et la permission.

4. Le mal de faute, bien qu’il se produise de multiples manières, a toujours ceci de commun qu’il est contraire à la volonté de Dieu, et c’est pour cela qu’un seul signe s’y rapporte : la prohibition. Au contraire, les biens ont avec la bonté divine des rapports divers ; car il en est sans lesquels nous ne pouvons accéder au partage de la bonté divine, et à leur égard il y a le précepte. Il en est d’autres par lesquels nous y accédons de manière plus parfaite et ils sont l’objet du conseil[1280]. On peut dire encore que le conseil ne regarde pas seulement les meilleurs biens à obtenir, mais aussi les moindres maux à éviter.


 

Il faut maintenant étudier ce qui se rapporte à la volonté de Dieu considérée absolument. Or, dans la partie appétitive de notre âme, se trouvent à la fois des passions, comme la joie, l’amour et les choses semblables, et les habitus que sont les vertus morales comme la justice, la force et les autres. Nous envisagerons donc : 1° L’amour chez Dieu (Q. 20) ; 2° sa justice et sa miséricorde (Q. 21).

 

 

QUESTION 20 — L’AMOUR EN DIEU

L’amour se trouve-t-il en Dieu ? 2. Dieu aime-t-il toutes choses ? 3. Aime-t-il quelqu’un plus qu’un autre ? 4. Aime-t-il davantage les meilleurs ?

 

            Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non. Car il n’y a en Dieu aucune passion. L’amour est une passion[1281]. Donc il n’y a pas d’amour en Dieu.

2. L’amour, la colère, la tristesse, etc. se distinguent comme des contraires dans le même genre. Or la tristesse et la colère ne s’attribuent à Dieu que par métaphore[1282]. Donc aussi l’amour.

3. On lit dans Denys : “ L’amour est une force unificatrice et un principe de cohésion. ” Mais cela ne peut trouver place en Dieu, puisqu’il est simple[1283]. Une telle force ne peut trouver à s’employer dans un être absolument simple.

En sens contraire, on lit dans S. Jean (1 Jn 4, 16) : “ Dieu est amour. ”

Réponse :

On trouve nécessairement l’amour en Dieu. En effet, le premier mouvement de la volonté ou d’une faculté appétitive quelconque est l’amour[1284]. Car l’acte de la volonté, ou l’acte de l’appétit quel qu’il soit, se porte comme à son propre objet vers le bien et vers le mal. Mais le bien est principalement et par soi l’objet de la volonté comme de tout appétit ; le mal secondairement en vertu d’autre chose, c’est-à-dire du bien auquel il s’oppose. Il faut donc que les actes de volonté et de tout appétit qui regardent le bien aient une priorité naturelle sur ceux qui regardent le mal : ainsi la joie sur la tristesse, et l’amour sur la haine[1285] ; car ce qui est tel par soi est toujours antérieur à ce qui ne l’est que par autre chose.[1286]

En outre, ce qui est plus général est premier par nature[1287] ; c’est pourquoi l’intelligence se rapporte d’abord au vrai universellement, et seulement ensuite à des vérités particulières[1288]. Or, il est des actes de volonté ou d’appétit qui concernent le bien envisagé sous quelque condition particulière : ainsi la joie, la délectation, est relative au bien présent et possédé ; le désir et l’espérance au bien non encore obtenu. Au contraire, l’amour a rapport au bien en général, qu’il soit possédé ou non. C’est donc l’amour qui est par nature l’acte premier de la volonté ou de l’appétit[1289].

C’est pour cette raison que tous les mouvements appétitifs présupposent l’amour comme leur première racine. On ne désire rien d’autre, en effet, que ce qui est bon et qu’on aime[1290] ; en rien d’autre on ne trouve sa joie[1291]. Quant à la haine, elle ne s’adresse qu’à ce qui fait obstacle à la chose aimée. Il est tout aussi évident que la tristesse et les autres mouvements semblables se réfèrent à l’amour comme à leur principe premier. On doit conclure de là qu’en tout être où il y a quelque faculté appétitive, il doit y avoir amour[1292] ; car en supprimant ce qui est premier, on supprime tout ce qui vient après. Or, on a montré qu’il y a en Dieu une volonté[1293] : il est nécessaire d’affirmer qu’il y a en lui de l’amour.

Solutions :

1. La puissance cognitive ne meut que par l’intermédiaire de la puissance appétitive. Et de même qu’en nous la raison qui conçoit l’universel ne meut qu’au moyen de la raison particulière[1294], comme il est dit au traité De l’Ame : ainsi l’appétit intellectuel appelé volonté nous met en mouvement par le moyen de l’appétit sensitif[1295]. Ainsi ce qui, immédiatement, fait se mouvoir le corps, en nous, c’est l’appétit sensitif. D’où il suit qu’un acte de l’appétit sensitif est toujours accompagné d’une modification corporelle, principalement touchant le cœur, qui est le premier principe du mouvement chez le vivant. C’est pour cela que les actes de l’appétit sensitif, en tant que liés à une altération corporelle, sont des “ passions ”[1296], et non des actes de volonté. L’amour donc, et la joie ou délectation, quand il s’agit d’actes de l’appétit sensitif, sont des passions ; mais non pas s’il s’agit d’actes de l’appétit intellectuel[1297]. Or c’est ainsi que nous les attribuons à Dieu[1298]. Ce qui fait dire au Philosophe : “ Dieu jouit d’une action une et simple. ” De même, et pour la même raison, il aime sans que ce soit là une passion.

2. Dans les passions de l’appétit sensitif, il y a lieu de distinguer ce qui est en quelque façon matériel, à savoir l’altération corporelle, et ce qui est formel, qui vient de l’appétit[1299]. Ainsi, dans la colère, comme le note le traité De l’Ame, ce qu’il y a de matériel, c’est l’afflux du sang au cœur, ou quoi que ce soit de ce genre ; le formel, c’est l’appétit de vengeance. Mais en outre, du côté de ce qui est formel, quelques-unes de ces passions impliquent une certaine imperfection ; et par exemple, dans le désir est incluse l’idée d’un bien non possédé, dans la tristesse, celle d’un mal subi. Et il en est de même de la colère, qui suppose la tristesse. D’autres passions, comme l’amour et la joie, n’impliquent aucune imperfection[1300]. Donc, puisque rien dans ces mouvements appétitifs ne convient à Dieu quant à ce qui s’y trouve de matériel, comme on vient de le dire[1301], on ne peut attribuer à Dieu que par métaphore ce qui implique une même imperfection du côté de ce qui est formel, pour exprimer la similitude des effets, ainsi qu’on l’a expliqué[1302]. Mais ce qui ne comporte aucune imperfection peut être attribué à Dieu au sens propre[1303], comme l’amour et la joie, mais en excluant la passion, comme on vient de le dire.

3. L’amour tend toujours vers deux termes : la chose bonne qu’il veut pour quelqu’un, et celui pour qui il la veut[1304]. Aimer quelqu’un, c’est proprement en effet vouloir pour lui ce qui est bon. C’est pourquoi s’aimer soi-même, c’est vouloir pour soi ce qui est bon, de sorte qu’on cherche à se l’unir autant qu’on le peut[1305]. C’est ce qu’on veut dire quand on appelle l’amour une force unificatrice, même en Dieu, mais sans qu’il y ait alors composition d’éléments, car le bien que Dieu veut pour lui n’est autre que lui-même, qui est bon par essence, comme on l’a montré précédemment[1306]. Mais aimer un autre que soi, c’est vouloir ce qui est bon pour lui. Ainsi, c’est en user avec lui comme avec soi-même, rapportant à lui la chose bonne qu’on aime, comme à soi-même. C’est en ce sens qu’on appelle l’amour un principe de cohésion : parce que celui qui aime intègre l’autre à son moi, se comportant avec lui comme avec soi-même[1307]. L’amour divin, lui aussi, est une force de cohésion, non qu’il introduise en Dieu une composition quelconque, mais en tant que Dieu veut pour les autres ce qui est bon.

 

            Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ?

Objections :

1. Il semble que non. Car, d’après Denys, l’amour met l’aimant hors de lui-même et le fait passer en quelque sorte en l’aimé[1308]. Or, il est impossible de dire que Dieu, mis hors de lui-même, passe ainsi dans les autres. Il est donc impossible de dire que Dieu aime toutes choses.

2. L’amour de Dieu est éternel[1309] ; or, les choses autres que Dieu ne sont éternelles qu’en Dieu[1310]. Dieu ne les aime donc qu’en lui-même. Mais en tant qu’elles sont en Dieu, elles ne sont pas autre chose que Dieu. Donc Dieu n’aime rien d’autre que lui-même.

3. Il y a deux espèces d’amour : l’amour de convoitise et l’amour d’amitié[1311]. Or, Dieu n’aime pas les créatures dénuées de raison d’un amour de convoitise, n’ayant besoin de rien qui lui soit extérieur[1312]. Il ne les aime pas non plus d’un amour d’amitié, qu’on ne peut avoir pour des créatures dénuées de raison, selon la remarque d’Aristote[1313].

4. Dans le Psaume (5, 6) on dit à Dieu : “ Tu hais tous les artisans d’iniquité. ” Or on ne peut à la fois haïr et aimer quelque chose. Donc Dieu n’aime pas toutes choses.

En sens contraire, on lit au livre de la Sagesse (11, 24) : “ Tu aimes tout ce qui existe ; tu ne hais rien de ce que tu as fait. ”

Réponse :

Dieu aime tout ce qui existe ; car tout ce qui existe, en tant qu’il existe, est bon ; en effet, l’être même de chaque chose est un bien, et toute perfection de cette chose est également un bien[1314]. Or, on a montré plus haut[1315] que la volonté de Dieu est cause de toute chose ; ainsi faut-il que toute chose n’ait d’être et de perfection que dans la mesure où elle est voulue par Dieu. Donc à tout existant Dieu veut quelque bien. Puisque aimer n’est autre chose que de vouloir pour quelqu’un une chose bonne[1316], il est évident que Dieu aime tout ce qui existe.

Mais il n’en est pas de cet amour comme du nôtre. En effet, comme notre volonté n’est pas la cause de la bonté des choses, mais est mue par elle comme par son objet propre[1317], notre amour, par lequel nous voulons pour quelqu’un ce qui lui est bon, n’est pas cause de sa bonté ; c’est au contraire sa bonté, vraie ou supposée, qui provoque l’amour par lequel nous voulons pour lui que soit conservé le bien qu’il possède, et que s’y ajoute celui qu’il ne possède pas[1318] ; et nous agissons pour cela. Mais l’amour de Dieu infuse et crée la bonté dans les choses.

Solutions :

1. L’aimant est mis hors de lui-même en l’aimé, en tant qu’il veut pour l’aimé ce qui lui est bon et y pourvoit par son action, comme il fait pour lui-même[1319]. Aussi Denys ajoute-t-il : “ Osons le dire : l’Amour même de toutes choses, dans l’abondance de sa bonté aimante, sort de lui-même lorsqu’il exerce ses providences à l’égard de tous les êtres. ”

2. Les créatures n’ont pas existé de toute éternité[1320], si ce n’est en Dieu ; mais par cela même qu’elles ont été de toute éternité en Dieu, de toute éternité Dieu les a connues dans leurs natures propres[1321], et pour la même raison il les a aimées. De même nous : par les représentations des choses en nous, nous connaissons les choses qui existent en elles-mêmes[1322].

3. On ne peut aimer d’amitié que les créatures raisonnables, en qui l’on trouve la réciprocité de l’amour et la communion de vie[1323], et qui sont susceptibles de bonheur ou de malheur selon les hasards du sort. De même, est-ce à elles seules que s’adresse proprement notre bienveillance[1324]. Les créatures sans raison ne peuvent s’élever ni à aimer Dieu, ni à partager la vie intellectuelle et bienheureuse qui est la sienne. Et c’est pourquoi Dieu, à proprement parler, ne peut aimer ces créatures d’un amour d’amitié ; mais d’une sorte d’amour de convoitise, en tant qu’il les ordonne aux créatures raisonnables et aussi à lui-même, non qu’il en ait besoin, mais en raison de sa bonté et de notre utilité[1325]. Car on peut convoiter quelque chose et pour soi et pour d’autres.

4. Rien n’empêche d’éprouver, à l’égard du même objet, de l’amour sous un certain rapport, et de la haine sous un autre. Dieu aime les pécheurs en tant qu’ils sont des natures déterminées et qu’ils sont par lui. Mais en tant qu’ils sont pécheurs, ils ne sont pas, ils manquent à l’être[1326], et en eux cela n’est pas de Dieu : c’est pourquoi, sous ce rapport, ils sont haïs par Dieu.

 

            Article 3 — Dieu aime-t-il l’un plus que l’autre ?

Objections :

1. Il semble que Dieu aime également tous les êtres. Car on lit au livre de la Sagesse (6, 7) : “ Il prend également soin de tous. ” Or, la providence de Dieu, par laquelle il prend soin des choses, vient de l’amour qu’il leur porte[1327]. Donc il aime également toutes choses.

2. L’amour de Dieu est son essence même[1328]. Or, l’essence de Dieu ne comporte pas le plus et le moins[1329]. Donc son amour non plus. Il n’aime donc pas certains plus que d’autres.

3 L’amour de Dieu s’étend aux choses créées[1330], de même que sa connaissance[1331] et son vouloir[1332]. Mais on ne dit pas que Dieu connaisse une chose plus qu’une autre[1333], ni qu’il la veuille davantage. Donc il n’aime pas certains plus que d’autres.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Dieu aime toutes les choses qu’il a faites, et parmi elles, il aime davantage ses créatures raisonnables ; parmi celles-ci il aime davantage celles qui sont membres de son Fils unique, et beaucoup plus encore son Fils unique. ”

Réponse :

Puisque aimer c’est vouloir ce qui est bon pour quelqu’un[1334], on peut aimer un être plus ou moins en un double sens. Tout d’abord en ce sens que l’acte même de la volonté est plus ou moins intense. De cette façon Dieu n’aime pas certains plus que d’autres, car il les aime tous d’un vouloir simple et toujours égal[1335]. En un autre sens, quant au bien qu’on veut pour l’aimé, et là on dit que nous aimons davantage celui pour qui nous voulons un bien plus grand, quand même ce ne serait pas d’une volonté plus intense. De cette façon, on doit nécessairement dire que Dieu aime certains êtres plus que d’autres. Car, puisque l’amour de Dieu est cause de la bonté des choses, ainsi qu’on vient de le dire[1336], une chose ne serait pas meilleure qu’une autre, si Dieu ne voulait pas un bien plus grand pour elle que pour une autre.

Solutions :

1. Quand on dit que Dieu a un soin égal de toutes choses, cela ne signifie pas qu’il dispense par ses soins des biens égaux à toutes choses, mais qu’il administre toutes choses avec une égale sagesse et une égale bonté[1337].

2. Cet argument se rapporte à l’intensité de l’amour, laquelle affecte l’acte de la volonté, qui est identique à l’essence divine[1338]. Mais le bien que Dieu veut aux créatures n’est pas l’essence divine. Aussi rien n’empêche qu’il soit plus ou moins grand.

3. L’intellection et le vouloir ne signifient que des actes ; ils n’impliquent pas, dans leur signification, des objets[1339] dont la diversité permettrait de dire que Dieu sait ou veut plus ou moins, comme on vient de le dire au sujet de l’amour.

 

            Article 4 — Dieu aime-t-il davantage les meilleurs ?

Objections :

1. Il semble que Dieu n’aime pas toujours davantage les meilleurs. Car manifestement le Christ est meilleur que tout le genre humain, étant à la fois Dieu et homme. Mais Dieu a aimé le genre humain plus que le Christ, puisque S. Paul écrit (Rm 8, 39) : “ Il n’a pas épargné son propre Fils ; mais il 1’a livré pour nous tous. ”

2. L’ange est meilleur que l’homme, dont le Psaume (8, 6 Vg) a dit : “ Tu l’as fait de peu inférieur aux anges. ” Or Dieu a aimé l’homme plus que l’ange, comme en témoigne l’épître aux Hébreux (2,16) : “ Ce n’est pas à des anges qu’il vient en aide, c’est à la postérité d’Abraham. ”

3. Pierre était meilleur que Jean, car il aimait le Christ davantage[1340]. Sachant cela, le Seigneur interrogea Pierre (Jn 21, 15) : “ Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? ” Cependant le Christ a aimé Jean plus que Pierre. En effet, sur ce texte où Jean est appelé “ celui que Jésus aimait ”, S. Augustin remarque : “ Par cette expression, Jean est distingué des autres disciples ; non en ce qu’il était le seul aimé, mais en ce qu’il était aimé plus que les autres. ” Donc Dieu n’aime pas toujours davantage ce qui est le meilleur.

4. Un innocent est meilleur qu’un pénitent, puisque sa pénitence, dit S. Jérôme, est “ la seconde planche de salut après le naufrage ”. Or Dieu aime le pénitent plus que l’innocent, puisqu’il trouve en lui plus de joie, selon S. Luc (15, 7) : “ Je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence. ”

5. Le juste, dont Dieu prévoit la chute, est meilleur que le pécheur objet de sa prédestination. Or Dieu aime davantage le pécheur prédestiné, puisqu’il veut pour lui un plus grand bien : la vie éternelle. Donc Dieu n’aime pas toujours davantage les meilleurs.

En sens contraire, tout être aime son semblable[1341], comme l’Ecclésiastique (13, 15) le dit de “ tout être vivant ”. Or, plus un être est bon, plus il ressemble à Dieu. Donc Dieu l’aime davantage.

Réponse :

Il est nécessaire, d’après ce qui précède, d’affirmer que Dieu aime davantage ceux qui sont meilleurs. En effet, c’est le vouloir de Dieu qui est cause que les choses soient bonnes[1342] et l’on dit que, pour Dieu, aimer quelque chose davantage, c’est vouloir pour lui un plus grand bien[1343]. Donc, si certains sont meilleurs, c’est uniquement parce que Dieu leur veut un bien plus grand, et il s’ensuit qu’il aime les meilleurs davantage.

Solutions :

1. Il est certain que Dieu aime le Christ non seulement plus que tout le genre humain, mais plus que tout l’ensemble des créatures : c’est-à-dire qu’il lui a voulu le bien le plus grand, et qu’il lui a donné “ le nom qui est au-dessus de tout nom ”, (Ph 2, 9) au point qu’il fût le vrai Dieu. Mais cette supériorité n’a subi aucune atteinte du fait que Dieu l’a livré à la mort pour le salut du genre humain ; bien au contraire, il est devenu par là un glorieux vainqueur : “ l’insigne du pouvoir a été mis sur son épaule ”, dit Isaïe 9, 6.

2. Dieu aime la nature humaine unie au Verbe divin en la personne du Christ plus qu’il n’aime les anges, nous venons de le dire[1344], et cette nature humaine est meilleure, surtout en raison de l’union. Mais si l’on parle de la nature humaine en général, en la comparant à celle des anges selon la destination à la grâce et à la gloire, ce qu’on trouve c’est l’égalité[1345] ; car il y a une “ même mesure pour l’ange et pour l’homme ”, d’après l’Apocalypse (21, 17). De telle sorte qu’à cet égard certains anges peuvent l’emporter sur certains hommes, et certains hommes sur certains anges. Mais quant à la condition naturelle, l’ange est meilleur que l’homme[1346]. Si Dieu a pris la nature humaine, ce n’est pas qu’absolument parlant il aimât l’homme davantage, c’est parce que le besoin de l’homme était plus grand. C’est ainsi qu’un bon père de famille dépense davantage pour son serviteur malade que pour son fils bien portant.

3. Le problème de Pierre et de Jean a reçu plusieurs solutions S. Augustin y voit un mystère, disant que la vie active, signifiée par Pierre, aime Dieu plus que ne le fait la vie contemplative, figurée par Jean, en ceci qu’elle éprouve davantage les contraintes de cette vie et qu’elle aspire plus ardemment à en être délivrée pour aller à Dieu. Mais Dieu aime davantage la vie contemplative, puisqu’il en prolonge la durée au-delà de cette vie corporelle, où s’achève la vie active[1347]. D’autres disent : Pierre a aimé davantage le Christ dans ses membres, et sous ce rapport il a été aimé davantage par le Christ, qui pour cela lui a confié son Église. Mais Jean a aimé plus que Pierre le Christ en sa personne, et de cette façon personnelle il en a aussi été aimé davantage par Jésus qui, pour cela, lui a confié sa mère. D’autres encore disent qu’on ne peut savoir qui des deux a aimé davantage d’un amour de charité, et lequel des deux Dieu a ainsi aimé davantage en vue d’une gloire plus grande dans la vie éternelle. Mais on dit que Pierre a aimé davantage quant à une certaine promptitude ou ferveur, et que Jean a été aimé davantage en ce qui concerne les signes de familiarité que le Christ lui accordait plus qu’aux autres en raison de sa jeunesse et de sa pureté. D’autres enfin disent que le Christ a aimé Pierre davantage quant au don de charité, et Jean davantage quant au don d’intelligence, et que pour cette raison Pierre fut le meilleur et le plus aimé absolument parlant[1348], et Jean sous un certain rapport. Mais il semble présomptueux de vouloir juger de ces choses, car on lit dans les Proverbes (16, 2) : “ Celui qui pèse les esprits, c’est le Seigneur. ” Et personne d’autre.

4. Les pénitents et les innocents se trouvent mutuellement aussi bien en excès qu’en défaut. Car, qu’ils soient innocents ou pénitents, ceux-là sont les meilleurs et les plus aimés qui ont plus de grâce[1349]. Cependant, toutes autres choses égales, l’innocence est meilleure, et Dieu l’aime davantage. Si l’on dit cependant que Dieu se réjouit au sujet du pénitent plus qu’au sujet de l’innocent, c’est parce que, le plus souvent, les pénitents, quand ils se relèvent, sont plus avisés, plus humbles et plus fervents. Aussi S. Grégoire dit-il sur ce même passage que “ dans un combat, le chef aime mieux le soldat qui, ayant fui et s’étant ressaisi, presse avec force l’ennemi, que celui qui n’a jamais fui, mais n’a jamais non plus agi avec force ”. Ou bien il y a un autre motif : c’est qu’un don égal de grâce présente plus de valeur à l’égard du pénitent qui avait mérité une peine, qu’à l’égard de l’innocent qui n’en avait pas mérité. Ainsi, cent pièces d’or données à un pauvre sont un don plus grand que pour un roi.

5. Puisque c’est la volonté de Dieu qui est cause de la bonté des choses[1350], on doit se reporter, pour évaluer la bonté de celui qui est aimé de Dieu, au temps où il doit recevoir de la bonté divine tel ou tel bien. Donc, selon le temps où le pécheur prédestiné doit recevoir de la bonté divine tel ou tel bien, il est meilleur, bien que, considéré selon un autre temps, il soit pire. D’ailleurs, il y a eu un temps où il n’était ni bon ni mauvais.

 

 

QUESTION 21 — LA JUSTICE ET LA MISÉRICORDE EN DIEU

1. Trouve-t-on en Dieu la justice ? 2. Sa justice peut-elle être dite “ vérité ” ? 3. Trouve-t-on en Dieu la miséricorde ? 4. Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ?

 

            Article 1 — Trouve-t-on en Dieu la justice ?

Objections :

1. Il semble que non. Car la justice, est divisée d’avec la tempérance[1351]. Or, la tempérance ne se trouve pas en Dieu. Donc pas davantage la justice.

2. Faire tout ce qu’on fait selon le bon plaisir de sa volonté n’est pas agir selon la justice. Or, dit l’Apôtre aux Éphésiens (1,11), Dieu “ opère toutes choses au gré de sa volonté ”.

3. L’acte propre de la justice est de rendre à chacun son dû[1352]. Or Dieu ne doit rien à personne[1353].

4. Tout ce qui est en Dieu est identique à son essence[1354]. Mais cela ne convient pas à la justice car, dit Boèce, “ce qui est bon concerne l’essence, mais ce qui est juste concerne l’action ”.

En sens contraire, on dit dans le Psaume (11, 7) : “ Le Seigneur est juste ; il aime la justice. ”

Réponse :

Il y a deux sortes de justice[1355]. L’une qui consiste à donner et à recevoir en retour, comme dans les achats, les ventes et autres communications ou échanges. Cette justice est appelée par le Philosophe justice commutative, c’est-à-dire qu’elle règle les échanges et les communications. Et cette justice-là ne convient pas à Dieu ; car, dit l’Apôtre aux Romains (11, 35) : “ Qui lui a donné le premier, pour devoir être payé en retour ? ”

Une autre espèce de justice consiste à distribuer, et on l’appelle justice distributive. Par elle, un gouvernant ou un administrateur attribue à chacun ce qui lui revient selon son mérite. De même donc que le bon ordre de la famille ou de n’importe quel groupe gouverné est le témoignage de cette espèce de justice dans le gouvernant ; de même l’ordre de l’univers, aussi apparent dans les choses de la nature que celles qui relèvent de la volonté[1356], manifeste la justice de Dieu. Aussi Denys écrit-il : “ On doit reconnaître la vraie justice de Dieu en ce qu’il attribue à tous les êtres ce qui leur convient selon la dignité de chacun, conservant la nature de chaque être à sa place et dans sa propre valeur. ”

Solutions :

1. Parmi les vertus morales[1357], il en est qui gouvernent les passions : ainsi la tempérance gouverne les convoitises, la force surmonte les craintes et modère les audaces, la douceur calme les colères. Ces vertus ne peuvent être attribuées à Dieu que par métaphore[1358] ; car en Dieu il n’y a point de passion ainsi qu’on l’a vu[1359], et pas davantage d’appétit sensitif, siège de ce genre de vertus[1360] d’après le Philosophe. D’autres vertus morales concernent les opérations comme les donations, les dépenses, etc., que règlent la justice, la libéralité et la magnificence, vertus qui n’ont pas pour siège la partie sensitive de l’âme, mais la volonté[1361]. Rien n’empêche donc que des vertus de cette sorte soient attribuées à Dieu, non sans doute à l’égard des actions concernant la cité, mais à l’égard de celles qui conviennent à Dieu. Car il serait ridicule, comme le remarque Aristote, de louer Dieu pour ses vertus politiques.

2. Puisque le bien présenté par l’intelligence est l’objet de la volonté[1362], il est impossible que Dieu veuille quelque chose qui ne soit pas ordonné par sa sagesse. Celle-ci est comme la loi de justice, selon laquelle sa volonté est droite et juste[1363]. Aussi, ce que Dieu fait selon son bon plaisir est juste, comme est juste ce que nous faisons selon la loi. Mais pour nous il s’agit d’une loi établie par un supérieur, alors que Dieu est à lui-même sa propre loi.

3. A chacun est dû ce qui lui appartient. Or il appartient à chacun d’avoir ce qui est ordonné à lui : ainsi l’esclave appartient au maître, non le maître à l’esclave ; car l’homme libre est celui qui dispose de soi-même. Le nom de dette comprend donc une relation d’exigence ou de dépendance de quelqu’un à l’égard de celui à qui il est ordonné. Or l’ordre des choses se présente sous deux aspects. D’une part, tel être créé est ordonné à tel autre, comme les parties au tout, les accidents à la substance et chaque chose à sa fin[1364]. D’autre part, toutes les choses créées sont ordonnées à Dieu. Il s’ensuit que, dans l’action divine, l’idée de dette peut être envisagée de deux manières, suivant que quelque chose est dû à Dieu même, ou à la créature. Et dans ces deux cas, Dieu accomplit ce qui est dû. En effet, il est dû à Dieu que soient réalisés dans les choses les desseins conçus par sa sagesse et par sa volonté, par lesquels est manifestée sa bonté[1365]. Sous ce rapport, la justice de Dieu concerne son honneur, pour lequel il se rend à lui-même ce qui lui est dû. Quant à la créature, il lui est dû d’avoir ce qui est ordonné à elle, comme à l’homme d’avoir des mains, et que les autres animaux soient à son service. Et ici encore Dieu accomplit la justice, quand il donne à chacun ce qui lui est dû selon ce que comporte sa nature et sa condition. Mais cette dette-là dépend de la première ; car cela est dû à chaque être, qui lui est ordonné selon l’ordre établi par la sagesse divine[1366]. Et bien que Dieu, de cette manière, donne à quelqu’un ce qui lui est dû, lui-même n’est pas pour autant débiteur ; car lui-même n’est pas ordonné aux autres, mais les autres à lui. Aussi dit-on parfois que la justice en Dieu est le sens de ce qu’exige sa bonté, et parfois qu’elle est la rétribution conforme aux mérites. S. Anselme signale ces deux points de vue quand il écrit, s’adressant à Dieu : “ Lorsque tu punis les méchants, c’est justice, parce que cela convient à leurs mérites ; mais quand tu les épargnes, c’est justice, parce que cela s’accorde à ta bonté. ”

4. Bien que la justice concerne l’action, cela n’empêche pas qu’elle s’identifie avec l’essence de Dieu ; car ce qui est de l’essence d’un être peut aussi être un principe d’action[1367]. Mais le bien ne concerne pas toujours l’action, car un être est dit bon non seulement selon qu’il agit, mais encore selon qu’il est parfait dans son essence[1368]. C’est pourquoi il est dit dans le même passage de Boèce qu’à l’égard du juste le bon est comme ce qui est général a l’égard de ce qui est particulier

 

            Article 2 — La justice de Dieu peut-elle être dite “ Vérité ” ?

Objections :

1. Il semble que la justice de Dieu ne soit pas la vérité. En effet, la justice est dans la volonté, dont elle est la rectitude[1369], dit S. Anselme. Or, la vérité est dans l’intelligence[1370], selon le Philosophe. Donc la justice ne se rattache pas à la vérité.

2. La vérité, selon le Philosophe est une autre vertu que la justice. La vérité ne se rattache donc pas à la raison formelle de justice.

En sens contraire, on dit dans le Psaume (85,11) : “ La miséricorde et la vérité se sont rencontrées ” et “ vérité ” est mis là pour “ justice ”.

Réponse :

Nous avons dit que la vérité consiste dans l’adéquation entre l’intelligence et la chose[1371], et que l’intellect qui cause la chose est pour elle la règle et la mesure, tandis que c’est l’inverse pour l’intellect qui reçoit des choses sa science[1372]. Donc, quand ce sont les choses qui sont la règle et la mesure de l’intelligence, la vérité consiste en ce que l’intelligence se conforme à la chose ; et c’est ce qui a lieu pour nous ; car selon que la chose est ou n’est pas, notre jugement et son expression sont vrais ou faux. Mais quand c’est l’intelligence qui est règle et mesure des choses, la vérité consiste en ce que les choses se conforment à l’intelligence. Par exemple, un artisan fait une œuvre vraie quand celle-ci est conforme aux règles de l’art. Or, ce que les œuvres de l’art sont à l’art lui-même, les actions justes le sont à la loi avec laquelle elles concordent. Et ainsi la justice de Dieu, qui établit dans les choses un ordre conforme au dessein de sa sagesse, qui est sa loi, est bien nommée une vérité. Ainsi, dit-on aussi pour nous : la vérité de la justice.

Solutions :

1. La justice, si on la prend du côté de la loi qui la règle, est dans la raison ou l’intelligence[1373], mais si l’on considère la manière impérative dont elle règle les œuvres selon la loi, elle est dans la volonté[1374].

2. Quant à la vérité étudiée par le Philosophe, c’est une vertu particulière par laquelle quelqu’un se montre tel qu’il est, soit dans ses paroles, soit dans ses actes. Elle consiste alors en la concordance entre le signe et le signifié, non en la conformité de l’effet à la cause qui est la règle, comme nous venons de le dire pour la vérité de la justice[1375].

 

            Article 3 — Trouve-t-on en Dieu la miséricorde ?

Objections :

1. Il semble que la miséricorde ne convienne pas à Dieu, car elle est une espèce de la tristesse[1376], selon le Damascène. Mais il n’y a pas de tristesse en Dieu[1377].

2. La miséricorde est un relâchement de la justice[1378]. Mais Dieu ne peut négliger ce qui relève de sa justice, car S. Paul écrit (2 Tm 2, 13) : “ Si nous sommes infidèles, lui reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même. ” Et comme l’observe la Glose, Dieu se renierait lui-même, s’il reniait ses paroles.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (111, 4) : “ Le Seigneur est compatissant et miséricordieux. ”

Réponse :

La miséricorde doit être attribuée à Dieu au plus haut point, mais selon ses effets, non selon une émotion qui relève de la passion[1379]. Pour l’établir il faut considérer qu’être miséricordieux, c’est avoir en quelque sorte un cœur misérable, c’est-à-dire affecté de tristesse à la vue de la misère d’autrui comme s’il s’agissait de la sienne propre[1380].

Il s’ensuit qu’on s’efforce de faire cesser la misère du prochain comme on ferait pour la sienne, et tel est l’effet de la miséricorde. Donc, s’attrister de la misère d’autrui ne convient pas à Dieu ; mais faire cesser cette misère lui convient par excellence, si nous entendons par misère une déficience quelconque[1381]. Or les déficiences sont supprimées par l’octroi de quelque bonté, et l’on a montré précédemment que Dieu est la source première de toute bonté[1382].

Mais il faut prendre garde que faire largesse aux choses de leurs perfections relève à la fois de la bonté de Dieu, de sa justice, de sa libéralité et de sa miséricorde, mais sous divers rapports. L’octroi des perfections, en lui-même relève de la bonté, ainsi qu’on l’a fait voir. Mais que les perfections soient octroyées par Dieu aux choses selon leur mérite, cela relève, comme on l’a dit[1383], de la justice Qu’en outre Dieu octroie aux choses leurs perfections non pour sa propre utilité mais uniquement parce qu’il est bon, cela relève de la libéralité[1384]. Enfin, que ces perfections octroyées par Dieu aux choses y suppriment toute déficience, cela relève de sa miséricorde.

Solutions :

1. Cette objection ne porte que sur la miséricorde au sens d’émotion passionnelle.

2. Dieu agit miséricordieusement, non certes en faisant quoi que ce soit de contraire à sa justice, mais en accomplissant quelque chose qui dépasse la justice. Il en est comme de celui qui, devant cent deniers, en donne deux cents en prenant sur ce qui lui appartient. Cet homme n’agit pas contre la justice, mais il agit, selon le cas, par libéralité ou par miséricorde[1385]. De même celui qui remet une offense commise envers lui ; car celui qui remet quelque chose le donne en quelque manière ; aussi l’Apôtre (Ep. 4,33) appelle-t-il la rémission un don, ou un pardon : “ Pardonnez-vous les uns aux autres, comme le Christ vous a pardonné. ” On voit par là que la miséricorde ne supprime pas la justice, mais est en quelque sorte une plénitude de justice. C’est ce qui fait dire à S. Jacques (2,13 Vg) : “ La miséricorde exalte le jugement au-dessus de lui-même. ”

 

            Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne retrouve pas la miséricorde et la justice dans toutes les œuvres de Dieu En effet, certaines sont attribuées à sa miséricorde, comme la justification de l’impie[1386] ; d’autres à sa justice comme la damnation des impies, ce qui fait dire à S. Jacques (2,13) : “ Le jugement sera sans miséricorde pour celui qui n’aura pas fait miséricorde ” Donc la justice et la miséricorde n’apparaissent pas dans toutes les œuvres de Dieu.

2. Dans sa lettre aux Romains (15, 8, 9), l’Apôtre attribue la conversion des Juifs à la justice et à la vérité, mais la conversion des païens à la miséricorde. Donc il n’y a pas, en toute œuvre de Dieu, miséricorde et justice.

3. Beaucoup de justes, en ce monde, sont affligés. Or, cela est injuste. Il n’y a donc pas dans toute œuvre de Dieu justice et miséricorde.

4. La justice consiste à rendre ce qui est dû, la miséricorde à soulager la misère ; l’une comme l’autre présuppose donc une matière de son œuvre. Mais la création ne présuppose rien. Donc, dans la création, ne se rencontre ni la miséricorde ni la justice.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (25,10) : “ Tous les sentiers du Seigneur sont miséricorde et vérité. ”

Réponse :

On trouve nécessairement en toute œuvre de Dieu miséricorde et vérité, à condition de comprendre la miséricorde comme la suppression d’une déficience, bien que, à proprement parler, toute déficience ne puisse pas être appelée une misère, mais seulement celle qui affecte la créature raisonnable, laquelle est susceptible d’être heureuse[1387]. Car la misère s’oppose au bonheur.

La raison de cette nécessité est que ce qui est attribué en vertu de la justice divine étant dû soit à Dieu même, soit à quelque créature, ni dans un cas ni dans l’autre il ne peut être omis dans une œuvre faite par Dieu. En effet, Dieu ne peut pas faire quelque chose qui ne soit pas conforme à sa sagesse et à sa bonté, et c’est de cette manière, comme nous l’avons dit[1388] que quelque chose est dû à Dieu . De même, quoi qu’il fasse dans les créatures, il le fait toujours selon l’ordre et la mesure convenables[1389] ; c’est en quoi consiste la raison de justice. Et ainsi est-il nécessaire qu’en toute œuvre de Dieu se rencontre la justice.

L’œuvre de la justice divine présuppose toujours une œuvre de miséricorde et se fonde sur elle. Car rien n’est dû à la créature, si ce n’est en raison de quelque chose qui préexiste en elle, ou que l’on considère tout d’abord en elle ; et si cela est dû à la créature, ce sera en raison d’un présupposé encore antérieur. Ne pouvant aller ainsi à l’infini[1390], on doit arriver à quelque chose qui dépend de la seule bonté de la volonté divine, laquelle est la fin ultime[1391]. Comme si l’on disait qu’avoir des mains est dû à l’homme en vue de son âme raisonnable ; avoir une âme lui est dû pour qu’il soit un homme, mais être un homme, cela n’a pas d’autre raison que la bonté divine. En toute œuvre de Dieu apparaît donc, comme sa racine première, la miséricorde. La vertu de ce principe se retrouve dans tout ce qui en dérive, et même là elle agit plus fortement, comme la cause première a une influence plus forte que la cause seconde[1392]. Pour cette même raison, quand il s’agit de ce qui est dû à quelque créature, Dieu, dans sa surabondante bonté, dispense des biens plus que n’exige la proportion de la chose. En effet, ce qui serait suffisant pour observer l’ordre de la justice est au-dessous de ce que confère la bonté divine, laquelle dépasse toute la proportion de la créature.

Solutions :

1. Si l’on attribue certaines œuvres à la justice de Dieu, et d’autres à sa miséricorde, c’est parce qu’en certaines apparaît plus fortement la miséricorde, et en d’autres la justice. Mais dans la damnation même des réprouvés la miséricorde apparaît, non pour une relaxe totale, mais pour une certaine atténuation, car Dieu punit en deçà de ce qui est mérité. De même dans la justification de l’impie, la justice apparaît, car elle remet les fautes en raison de l’amour, que cependant Dieu inspire lui-même par miséricorde. C’est ainsi qu’il est écrit de Madeleine (Lc 7, 47) : “ Beaucoup de péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé. ”

2. La justice et la miséricorde ne se montrent pas moins dans la conversion des Juifs que dans celle des païens. Mais tel aspect de la justice apparaît dans la conversion des Juifs qui ne se voit pas dans celle des païens, par exemple qu’ils sont sauvés à cause des promesses faites à leurs pères.

3. Le fait même que les justes subissent des peines en ce monde prouve la justice et la miséricorde de Dieu ; car ils sont purifiés de leurs fautes légères par ces afflictions et libérés de l’attachement aux biens terrestres pour s’élever davantage jusqu’à Dieu, selon ces paroles de S Grégoire : “ Les maux qui nous pressent en ce monde nous contraignent d’aller vers Dieu. ”

4. Il est vrai que rien n’est présupposé à la création dans le réel ; mais quelque chose lui est présupposé dans la connaissance divine[1393]. En ce sens, la raison de justice y est sauvegardée en ce que Dieu produit les êtres selon qu’il convient à sa sagesse et à sa bonté. Et d’une certaine manière la raison de miséricorde y est sauvegardée en ce que la créature passe du non-être à l’être.

 


 

Après avoir étudié ce qui concerne la volonté de Dieu prise absolument, nous devons passer à ce qui regarde l’intelligence et la volonté prises ensemble. Or, cela, c’est la providence à l’égard de tous les êtres (Q. 22), et c’est, en ce qui concerne spécialement les hommes et leur salut éternel, la prédestination et la réprobation avec leurs conséquences (Q. 23-24). En effet, dans la science des mœurs, après avoir étudié les vertus morales, on étudie la prudence. Or c’est à elle que la providence, semble-t-il, se rattache.

 

 

QUESTION 22 — LA PROVIDENCE DE DIEU

1. La providence convient-elle à Dieu ? 2. Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ? 3. La providence divine s’étend-elle immédiatement à toutes choses ? 4. La providence divine impose-t-elle la nécessité aux choses qui lui sont soumises ?

 

            Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non, car, d’après Cicéron, la providence est une partie de la prudence[1394]. Or la prudence qui, d’après le Philosophe , assure la bonté de la délibération, ne saurait convenir à Dieu, en qui ne s’élèvent pas de doutes et qui n’a donc aucun besoin de délibérer[1395].

2. Tout ce qui est en Dieu est éternel[1396]. Mais la providence n’est pas chose éternelle, ayant pour objet, dit S. Jean Damascène, les êtres existants qui ne sont pas éternels.

3. Il n’y a en Dieu nulle complexité[1397] ; or la providence semble être quelque chose de complexe puisqu’elle inclut volonté et intelligence.

En sens contraire, on lit au livre de la Sagesse (14, 3, Vg) : “ C’est toi, Père, qui gouvernes tout par ta providence. ”

Réponse :

Il est nécessaire d’attribuer à Dieu la providence. En effet, tout ce qui est bon dans les choses a été créé par Dieu, ainsi qu’on l’a montré antérieurement[1398]. Or ce qui est bon dans les choses, c’est non seulement ce qui se rapporte à leur substance, mais aussi quant à leur ordination à leur fin[1399], et surtout à la fin ultime qui est, nous venons de le voir, la bonté divine[1400]. Cette bonté qu’est l’ordre, qui se trouve dans les choses créées, a donc été créée par Dieu. Et puisque Dieu est cause des choses par son intelligence de telle sorte que la raison formelle de ses effets doit préexister en lui, comme nous l’avons fait voir[1401], il est nécessaire que le plan selon lequel les choses sont ordonnées à leur fin préexiste dans la pensée divine[1402]. Or précisément la disposition rationnelle des choses qui ont à être ordonnées à une fin, c’est la providence. Elle est en effet la partie principale de la prudence[1403], partie à laquelle les deux autres se subordonnent, pour autant que, à partir des choses passées remémorées[1404], et des choses présentes saisies par l’intelligence[1405], nous conjecturons sur les choses futures que nous avons à ordonner[1406]. Or, d’après le Philosophe, c’est le propre de la prudence d’ordonner les autres à leur fin[1407], qu’il s’agisse de soi-même, comme on dit prudent l’homme qui ordonne comme il faut ses actes à la fin qui est le but de sa vie, ou qu’il s’agisse d’autres personnes qui lui sont soumises, dans la famille, la cité ou le royaume[1408], conformément au mot de l’Évangile (Mt 24, 45) : “ Serviteur fidèle et prudent, que le Seigneur a établi sur sa famille. ” C’est de cette dernière façon que la prudence, ou la providence, peut convenir à Dieu : car en Dieu même, il n’y a rien qui soit ordonné à une fin, puisque Dieu est lui-même la fin ultime[1409].

C’est donc le plan même selon lequel les choses sont ordonnées à leur fin qu’on nomme en Dieu “providence”. Ce qui fait dire à Boèce : “La providence est le plan divin lui-même qui, établi en celui qui est le souverain maître de toutes choses, dispose tout.” On peut en effet appeler disposition, tant le plan selon lequel les choses sont ordonnées à leur fin que celui selon lequel les parties sont ordonnées entre elles parties dans le tout.

Solutions :

1. D’après le Philosophe, la providence, au sens propre du mot, a pour rôle de prescrire les actions dont une vertu auxiliaire, l’eubulia (bon conseil) a la charge de delibérer comme il faut[1410], et une autre, la synésis (bon sens), celle de bien juger[1411]. Aussi, quoique délibérer ne convienne pas à Dieu[1412], si l’on entend par là une enquête sur des questions obscures, prescrire au sujet des choses à ordonner à leur fin, dont il porte en son esprit la parfaite disposition, convient à Dieu selon ce que dit le Psaume (148, 6) : “Il a posé une loi, qui ne passera pas.” Sous ce rapport, la prudence et la providence conviennent donc bien à Dieu. Mais on pourrait répondre encore que la disposition même des choses à faire est appelée en Dieu délibération, non en ce qu’elle comporterait une recherche, mais en raison de la certitude de sa connaissance[1413], certitude à laquelle ceux qui délibèrent parviennent par la recherche. C’est ainsi que, d’après S. Paul (Ep 1,11) Dieu “ opère toutes choses selon le conseil de sa volonté ”.

2. Prendre soin des créatures comprend deux choses : la conception de l’ordre à assurer, qui est appelée providence ou disposition, et la réalisation de cet ordre, qui est le gouvernement[1414]. De ces deux choses, la première est éternelle, la seconde est temporelle.

3. La providence est dans l’intelligence, mais elle présuppose la volonté de la fin, car nul ne prescrit les actions à faire en vue d’une fin s’il ne veut pas cette fin[1415]. Aussi la prudence présuppose-t-elle les vertus morales par lesquelles les puissances appétitives s’orientent vers le bien, selon Aristote. Cependant, même si la providence concernait également la volonté et l’intelligence divine, cela ne dérogerait pas à la simplicité de Dieu, car la volonté et l’intelligence, en Dieu, sont une même chose, comme on l’a dit déjà[1416].

 

            Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ?

Objections :

1. Il semble que non. Car rien de ce qui est prévu n’est fortuit. Donc si tout est prévu par Dieu[1417], rien ne sera fortuit, ce qui fait disparaître le hasard et la fortune, contrairement à l’opinion commune.

2. Une sage providence écarte, autant qu’il est possible, les défectuosités et le mal de ce qu’elle prend en charge. Or nous voyons qu’il y a beaucoup de mal dans les choses. Ou bien donc Dieu ne peut pas l’empêcher, et alors il n’est pas tout-puissant[1418], ou bien il ne prend pas soin de toutes choses.

3. Ce qui arrive nécessairement ne requiert pas de providence ou de prudence : aussi, selon le Philosophe, la prudence est-elle la disposition selon la raison des actes contingents au sujet desquels il y a délibération et élection. Puisque, parmi les choses, il en est beaucoup qui arrivent nécessairement[1419], elles ne sont pas toutes soumises à la providence.

4. Quiconque est laissé à soi-même n’est pas soumis à la providence d’un autre qui le gouverne. Or, les hommes sont laissés à eux-mêmes par Dieu selon l’Ecclésiastique (15, 14) : “ Au commencement, Dieu a créé l’homme et il l’a laissé aux mains de son propre conseil. ”[1420] Et cela est vrai spécialement des méchants, puisqu’il est dit dans le Psaume (81, 13 Vg) : “ Il les a abandonnés aux désirs de leur cœur. ”

5. L’Apôtre nous dit (1 Co 9,9) : “ Dieu ne se préoccupe pas des bœufs ”, et il en est de même pour les autres créatures sans raison.

En sens contraire, il est dit de la Sagesse divine (Sg 8,1,Vg) : “ Elle atteint avec force d’une extrémité du monde à l’autre et dispose tout avec douceur. ”

Réponse :

Certains penseurs ont nié complètement la providence, comme Démocrite et les épicuriens, qui attribuaient la formation du monde au hasard. D’autres ont cru que seuls les êtres incorruptibles sont soumis à la providence ; les êtres corruptibles ne le seraient pas quant aux individus, mais quant aux espèces, car, selon l’espèce, ils sont incorruptibles. C’est en leur nom que Job (22,14 Vg) dit au sujet de Dieu : “ Les nuages sont pour lui un voile opaque, il circule au pourtour des cieux et il ne voit pas nos affaires. ” Toutefois, Rabbi Moïse excepte les hommes de cette condition générale des choses corruptibles, à cause de la splendeur de l’intelligence[1421], dont ils participent ; mais pour les autres individus corruptibles, il suit l’opinion précédente.

Mais on doit nécessairement dire que toutes les choses sont soumises à la providence, non seulement dans l’universalité de leur nature, mais dans leur singularité[1422]. Et en voici la preuve : puisque tout agent agit en vue d’une fin, l’ordination des effets à la fin doit s’étendre aussi loin que s’étend la causalité du premier agent. En effet, il arrive, dans les œuvres d’un agent, qu’un effet se produise sans être ordonné à la fin. C’est parce que cet effet procède de quelque autre cause en dehors de l’intention de l’agent. Or la causalité de Dieu[1423], qui est l’agent premier[1424], s’étend à tous les étants, non seulement quant à leurs éléments spécifiques, mais aussi quant à leurs caractères d’individus[1425], et aussi bien à ceux des choses incorruptibles qu’à ceux des choses corruptibles. Il est donc nécessaire que toutes les choses, d’une manière ou d’une autre, soient ordonnées par Dieu à une fin, selon l’Apôtre (Rm 13, 1) : “ Les choses faites par Dieu sont ordonnées. ” Donc, comme la providence de Dieu n’est autre chose que le plan de l’ordination des choses à leur fin, ainsi qu’on l’a dit[1426], il est nécessaire que toutes choses, pour autant qu’elles participent à l’être[1427], soient soumises, dans cette mesure même, à la providence divine.

De même, on a montré plus haut que Dieu connaît toutes choses, universelles et particulières[1428]. Et comme sa connaissance a le même rapport aux choses que celle de l’art créateur à ses œuvres, nous l’avons dit[1429], il est nécessaire que toutes choses soient soumises à l’ordre conçu par lui de même que tous les objets fabriqués sont soumis à l’ordre conçu par l’artisan.

Solutions :

1. Il n’en est pas de la cause universelle comme de la cause particulière. A l’ordre d’une cause particulière un effet peut échapper ; mais rien à l’ordre de la cause universelle[1430]. Rien, en effet, ne se soustrait à l’ordre d’une cause particulière si ce n’est sous l’action d’une autre cause particulière antagoniste : ainsi le bois est empêché de brûler par l’action de l’eau. Aussi, comme toutes les causes particulières sont sous l’emprise de la cause universelle, il est impossible qu’un effet échappe à l’ordre de celle-ci. Donc, lorsqu’un effet se soustrait à l’ordre de quelque cause particulière, on le dit casuel ou fortuit par rapport à cette cause particulière ; mais par rapport à la cause universelle, à l’ordre de laquelle il ne peut échapper, on dit qu’il est prévu, au sens de “ projeté ”. Il en est comme de la rencontre des deux esclaves qui, casuelle en ce qui les concerne, est cependant préparée par le maître qui les envoie en un même lieu, à l’insu l’un de l’autre.

2. Il en va autrement de celui qui a la charge d’un bien particulier, et de celui qui pourvoit à un tout universel. Le premier exclut autant qu’il le peut tout défaut de ce qui est soumis à sa vigilance ; tandis que le second permet qu’il arrive quelque défaillance dans une partie, pour ne pas empêcher le bien du tout[1431]. C’est pourquoi les destructions et les défaillances qui se constatent dans les choses de la nature sont considérées comme contraires à telle nature particulière ; mais elles n’en sont pas moins dans l’intention de la nature universelle, en tant que le mal de l’un tourne au bien de l’autre ou au bien de tout l’univers. Car la destruction de l’un est toujours la génération de l’autre, génération par laquelle l’espèce se conserve. Donc, puisque Dieu est le Pourvoyeur de l’étant dans son universalité, il appartient à sa providence de permettre certains défauts à l’égard de telles choses particulières, afin que le bien parfait de l’univers ne soit pas empêché[1432]. S’il s’opposait à tous les maux, beaucoup de biens feraient défaut à son œuvre entière. Sans la mort de beaucoup d’animaux, la vie du lion serait impossible, et la patience des martyrs n’existerait pas sans la persécution des tyrans. Aussi S. Augustin écrit-il : “ Le Dieu tout puissant ne permettrait en aucune manière qu’un quelconque mal s’introduise dans ses œuvres, s’il n’était assez puissant et assez bon pour tirer du bien du mal lui-même. ” C’est par les deux objections que nous résolvons maintenant que semblent avoir été poussés ceux qui ont retiré à la divine providence le soin des choses corruptibles, où se produisent les hasards et le mal.

3. L’homme n’est pas l’auteur de la nature, il use seulement pour son utilité des choses naturelles dans ses œuvres artistiques ou vertueuses. C’est pourquoi la providence humaine ne s’étend pas aux choses nécessaires, qui proviennent de la nature. Mais la providence de Dieu s’étend jusqu’à elles, parce qu’il est, lui, l’auteur de la nature[1433]. C’est par cette troisième raison que semblent avoir été entraînés ceux qui ont soustrait à l’action de la providence divine le cours des choses naturelles, l’attribuant uniquement à la nécessité de la matière, comme le firent avec Démocrite d’autres anciens philosophes de la nature.

4. Lorsqu’on dit que Dieu a laissé l’homme à lui-même, on ne l’exclut pas de la providence divine ; on montre seulement que l’homme n’est pas limité dans ses démarches par une vertu opérative préfixée, déterminée à un seul mode d’agir, comme c’est le cas des choses naturelles. Celles-ci sont menées seulement, dirigées vers leur fin par un autre ; elles ne se mènent pas, ne se conduisent pas elles-mêmes vers leur fin, comme font les créatures raisonnables par le libre arbitre qui leur permet de délibérer et de choisir[1434]. C’est l’Écriture qui dit expressément : “ Il l’a laissé aux mains de son propre conseil. ” Mais l’acte même du libre arbitre se ramenant à Dieu comme à sa cause, il est nécessaire que les œuvres du libre arbitre soient soumises à la providence. Car la providence de l’homme est sous l’emprise de la providence de Dieu, comme une cause particulière sous celle de la cause universelle[1435]. Quant aux hommes justes, Dieu exerce à leur égard la providence d’une façon plus excellente qu’envers les impies, en ce qu’il ne permet pas qu’il arrive quoi que ce soit contre eux qui compromette finalement leur salut[1436] ; car “ pour ceux qui aiment Dieu, tout coopère à leur bien ”, dit l’Apôtre (Rm 8, 28). Mais du fait qu’il ne retire pas les impies du mal moral, on dit qu’il les abandonne.

Mais ce n’est pas qu’ils soient exclus en tout de sa providence, car ils retomberaient au néant s’ils n’étaient conservés par sa providence. C’est cette quatrième raison qui semble avoir déterminé Cicéron à retirer de la providence les choses humaines, au sujet desquelles nous délibérons.

5. Parce que la créature raisonnable a, par le libre arbitre, la maîtrise de ses actes, elle est soumise à la providence d’une façon spéciale, en ce qu’on lui impute ses actes à mérite ou à faute[1437], et qu’elle reçoit en retour la récompense ou le châtiment. C’est à cet égard que l’Apôtre soustrait les bœufs à la sollicitude divine. Mais il ne veut pas dire que les créatures irrationnelles individuelles échappent à la providence divine, comme Rabbi Moïse l’a pensé.

 

            Article 3 — La providence divine s’applique-t-elle immédiatement à toutes choses ?

Objections :

1. Il semble que la providence divine ne s’étend pas immédiatement à toutes choses. Car tout ce que requiert la dignité doit être attribué à Dieu. Mais il appartient à la dignité d’un roi qu’il ait des ministres afin de régir ses sujets par leur intermédiaire. Bien plus, donc, est-il exclu que la providence divine s’occupe immédiatement de toutes choses.

2. Le rôle de la providence est d’ordonner les choses à leur fin[1438]. Or la fin de chaque chose est sa perfection, par quoi elle est bonne[1439]. Mais il appartient à toute cause de conduire son effet jusqu’à sa perfection. Toute cause agente est donc cause de l’effet qu’on attribue à la providence. Donc, si la providence divine s’occupe immédiatement de toutes les choses, toutes les causes secondes disparaissent[1440].

3. Il vaut mieux, dit S. Augustin, ignorer certaines choses que de les connaître, par exemple les choses viles, et le Philosophe exprime la même pensée dans la Métaphysiques. Mais tout ce qui est meilleur doit être attribué à Dieu[1441], donc Dieu n’a pas la providence immédiate de certaines choses viles et des choses mauvaises.

En sens contraire, on lit dans le livre de Job (34, 13 Vg) : “ Quel autre a-t-il établi sur la terre, ou qui a-t-il constitué chef sur le globe qu’il a formé ? ” Sur quoi S. Grégoire écrit : “ Il gouverne par lui-même le monde qu’il a créé par lui-même. ”[1442]

Réponse :

La providence comprend deux moments : le plan de l’ordination des choses à leur fin, et la mise en œuvre de ce plan, qu’on appelle le gouvernement[1443]. Pour ce qui est du premier, Dieu par sa providence, s’occupe de toutes les choses, car il a dans son intelligence la représentation de toutes les choses, même les plus petites[1444], et quelques causes qu’il ait attribuées aux divers effets, c’est lui qui leur a donné la vertu de les produire. Aussi faut-il qu’il ait d’abord dans son intelligence, le rapport de ces effets à leur cause[1445]. C’est au second moment que la providence divine use d’intermédiaires, car Dieu gouverne les inférieurs par l’entremise des supérieurs, non que sa providence soit en défaut, mais par surabondance de bonté[1446], afin de communiquer aux créatures elles-mêmes la dignité de cause.

Par là est exclue l’opinion de Platon rapportée par S. Grégoire de Nysse, d’après laquelle il y a une triple providence. La première est celle du Dieu souverain, qui d’abord et principalement s’occupe des choses spirituelles, et conséquemment de tout l’univers en ce qui concerne les genres, les espèces et les causes universelles[1447]. La deuxième providence est celle qui s’occupe des réalités individuelles dans lesquelles se réalise la nature des choses qui naissent et se corrompent, et Platon l’attribue aux dieux qui parcourent les cieux, c’est-à-dire aux substances séparées qui meuvent circulairement les corps célestes[1448]. La troisième providence s’occupe des choses humaines, et Platon l’attribuait aux génies, dont son école faisait des intermédiaires entre nous et les dieux, comme S. Augustin le rapporte.

Solutions :

l. Avoir des ministres pour mettre en œuvre le plan de sa providence est de la dignité d’un roi ; mais que le plan des choses qu’il ait à faire ne soit pas dans son esprit, cela est une déficience. Car toute science pratique est d’autant plus parfaite qu’elle s’étend plus complètement aux circonstances particulières dont l’action est faite[1449].

2. De ce que la providence divine s’occupe immédiatement de toutes les choses, il ne résulte nullement que soient exclues les causes secondes, par l’intermédiaire desquelles le plan divin est mis en œuvre, comme on vient de l’établir.

3. Il vaut mieux pour nous ignorer les choses viles ou mauvaises, en tant que par ces choses nous serions empêchés, ne pouvant connaître tout à la fois[1450], de porter notre esprit à la considération du meilleur, et en tant que penser aux choses mauvaises pervertit quelquefois notre volonté. Mais cela n’a pas de place en Dieu, qui voit tout d’un seul regard[1451], et dont la volonté ne peut être portée au mal[1452].

 

            Article 4 — La providence divine impose-t-elle la nécessité aux choses qui lui sont soumises ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car tout effet dont la cause propre est déjà ou a été, si, cette cause étant posée, il ne peut pas ne pas suivre, est produit nécessairement, ainsi que le prouve Aristote. Mais la providence de Dieu, puisqu’elle est éternelle[1453], préexiste, et il est nécessaire que l’effet projeté par elle advienne, car la providence divine ne saurait être en défaut. Donc la providence divine impose la nécessité à ce qu’elle gouverne[1454].

2. Celui qui projette une œuvre l’assure le mieux qu’il peut contre toute défaillance. Or Dieu est tout-puissant[1455]. Donc il donne aux choses préparées par sa providence la stabilité que procure la nécessité.

3. Boèce dit en parlant du destin : “ A partir des données premières et immuables de la providence, il astreint les actes et le sort des hommes à l’infrangible connexion des causes. ” Il semble donc que la providence impose la nécessité aux choses qui lui sont soumises.

En sens contraire, Denys écrit : “ Corrompre la nature n’est pas le fait de la providence divine. ” Or, par nature certaines choses sont contingentes. Donc la providence divine n’impose pas aux choses une nécessité qui exclurait la contingence.

Réponse :

La providence divine impose la nécessité à certaines choses ; mais non pas à toutes, comme l’ont cru quelques philosophes. Il appartient en effet à la providence d’ordonner les choses à leur fin[1456]. Or, après la bonté divine qui est la fin transcendante[1457], le premier des biens immanents aux choses mêmes est la perfection de l’univers, perfection qui n’existerait pas si tous les degrés de l’être ne se rencontraient pas dans les choses. Il appartient donc à la providence divine de produire tous les degrés des étants. Et c’est pourquoi à certains effets elle a préparé des causes nécessaires afin qu’ils se produisent nécessairement, et à certains autres des causes contingentes pour qu’ils arrivent de façon contingente, selon la condition des causes prochaines[1458].

Solutions :

1. L’effet de la providence divine n’est pas uniquement qu’une chose arrive d’une façon quelconque, mais qu’elle arrive, selon le cas, soit nécessairement, soit d’une manière contingente[1459]. Et c’est pourquoi un événement arrive infailliblement et nécessairement lorsque la providence divine a ordonné qu’il arrive ainsi ; et il arrive de façon contingente lorsque le plan de la providence divine a réglé qu’il arriverait ainsi.

2. L’ordre de la providence divine est immuable et certain précisément en ceci que toutes les choses qui lui sont soumises arrivent de la manière dont il a été disposé : nécessairement, ou de façon contingente .

3. Les paroles de Boèce sur l’immuable et indissoluble destin se rapportent à l’infaillibilité de la providence, dont les effets ne sauraient faire défaut, non plus que la manière, prévue par elle, dont ces effets se produisent. Cela ne concerne pas la nécessité des effets eux-mêmes. Car il faut considérer que le nécessaire et le contingent sont des attributs de l’étant en tant que tel. Aussi le mode de contingence ou de nécessité tombe-t-il sous la providence de Dieu, qui est le gérant de l’étant dans sa totalité, et non sous celle des agents particuliers[1460].


 

Après la providence divine, il faut étudier la prédestination et le livre de vie (Q. 24).

 

 

QUESTION 23 — LA PRÉDESTINATION

1. Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ? 2. Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ? 3. La réprobation de certains hommes vient-elle de Dieu ? 4. Comparaison entre la prédestination et l’élection ; peut-on dire que les prédestinés sont élus ? 5. Les mérites sont-ils la cause ou la raison de la prédestination, ou de la réprobation, ainsi que de l’élection ? 6. Certitude de la prédestination : les prédestinés sont-ils infailliblement sauvés ? 7. Le nombre des prédestinés est-il fixé ? 8. La prédestination peut-elle être aidée par les prières des saints ?

 

            Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ?

Objections :

1. Il semble bien que les hommes ne sont pas prédestinés par Dieu. En effet, S. Jean

Damascène écrit : “ Il faut savoir que Dieu prévoit tout, mais ne prédétermine pas tout[1461]. Il prévoit ce qui est en nous, mais il ne le prédétermine pas. ” Or, les mérites ou les démérites humains sont en nous, en tant que nous sommes maîtres de nos actes par le libre arbitre[1462]. Donc ce qui est objet de mérite ou de démérite n’est pas prédestiné par Dieu, et ainsi disparaît la prédestination des hommes.

2. On vient de dire que toutes les créatures sont dirigées vers leur fin par la providence divine[1463]. Mais les créatures autres que l’homme ne sont pas dites prédestinées par Dieu. Donc, les hommes non plus.

3. Les anges sont capables de béatitude comme les hommes, et cependant il ne semble pas qu’ils soient prédestinés, car ils n’ont jamais été misérables, alors que la prédestination est un projet de miséricorde[1464], selon S. Augustin. Donc les hommes ne sont pas prédestinés.

4. Les bienfaits accordés aux hommes par Dieu sont révélés aux saints par le Saint-Esprit, selon l’Apôtre (1 Co 2,12) : “ Nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits.[1465] ” Donc, si les hommes étaient prédestinés par Dieu, les prédestinés connaîtraient leur prédestination. Ce qui est évidemment faux.

En sens contraire, on lit dans l’épître aux Romains (8, 30) : “ Ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés. ”

Réponse :

Il convient que Dieu prédestine les hommes. En effet, toutes choses sont soumises à la providence divine, comme on l’a montré[1466]. Et il appartient à la providence d’ordonner les choses à leur fin[1467]. Or la fin a laquelle Dieu ordonne ses créatures est double. L’une dépasse la mesure et le pouvoir de la nature créée, et cette fin est la vie éternelle, qui consiste en la vision divine[1468], laquelle dépasse la nature de toute créature, comme on l’a montré plus haut[1469]. L’autre fin est proportionnée à la nature créée, de telle sorte que la créature peut l’atteindre par les ressources de sa nature. Or, ce à quoi on ne peut parvenir par les ressources de sa nature, il faut y être porté par un autre : ainsi la flèche est lancée vers la cible par l’archer. C’est pourquoi, à proprement parler, la créature raisonnable, qui est capable de la vie éternelle[1470], y est conduite et comme transportée par Dieu. Et le projet de cette action divine existe en Dieu, de même qu’il y a en lui le plan de l’ordination de toutes les choses à leur fin, que nous avons appelé la providence[1471]. Or l’idée d’une chose à faire existe dans l’esprit de son auteur et elle est une sorte de préexistence en lui de cette chose à faire[1472]. Aussi le projet de conduire jusqu’à la vie éternelle, la créature raisonnable est nommée “prédestination”, car “destiner” est la même chose que “envoyer”. Il est évident par là que la prédestination, quant à son objet, est une part de la providence .

Solutions :

1. Jean Damascène appelle prédestination une nécessité imposée comme il en est des choses de la nature, qui sont prédéterminées à agir d’une seule manière[1473]. C’est évident par ce qu’il dit ensuite : “ Dieu ne veut pas le péché et ne contraint pas à la vertu. ” Cela n’exclut donc pas la prédestination.

2. Les créatures sans raison ne sont pas capables de cette fin dont nous parlons et qui dépasse les facultés de la nature humaine[1474]. C’est pour cela qu’on ne peut pas, à proprement parler, les dire prédestinées, bien que parfois ce terme soit étendu abusivement à n’importe quelle autre fin.

3. La prédestination convient aux anges comme aux hommes, bien qu’ils n’aient jamais été misérables[1475]. Le mouvement n’est pas spécifié par le terme d’où il part, mais par le terme où il tend. Il n’importe en rien au “ devenir blanc ” que celui qui devient blanc, ait été auparavant noir, jaune ou rouge. De même, il n’importe en rien à la raison formelle de prédestination que l’on soit prédestiné à la vie éternelle à partir d’un état de misère, ou non. On pourra répondre d’ailleurs que tout octroi d’un bien dépassant ce qui est dû à son bénéficiaire est un effet de miséricorde, ainsi qu’on l’a dit plus haut[1476].

4. Même si leur prédestination est révélée à certains hommes par privilège spécial, il ne convient pas qu’elle soit révélée à tous ; car dans ce cas les non prédestinés tomberaient dans le désespoir et les prédestinés, ainsi rassurés, dans la négligence.

 

            Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ?

Objections :

1. Il semble que la prédestination introduit quelque chose de réel dans le prédestiné. Car, de soi, toute action produit une passion[1477]. Donc, si la prédestination est une action en Dieu, elle existe, comme passion, chez les prédestinés.

2. Sur l’épître aux Romains (1,4) : “ (Jésus) prédestiné Fils de Dieu ”, Origène dit : “ La prédestination concerne ce qui n’est pas, mais la destination concerne ce qui est. ” S. Augustin demande : “ Qu’est-ce que la prédestination, sinon la destination de quelqu’un qui existe ? ” Donc la prédestination concerne un être existant[1478], et elle introduit quelque chose dans le prédestiné.

3. Etre préparé est quelque chose de réel dans ce qui est préparé. Or la prédestination, dit S. Augustin, est la préparation des bienfaits divins. Elle est donc quelque chose de réel dans les prédestinés.

4. Ce qui est temporel n’entre pas dans la définition de l’éternel[1479]. Mais la grâce, qui est une réalité temporelle[1480], entre dans la définition de la prédestination. Car celle-ci, d’après le Livre des Sentences, se définit “ la préparation de la grâce[1481] pour le présent, et de la gloire pour l’avenir ”. Donc la prédestination n’est pas quelque chose d’éternel. Ainsi faut-il donc qu’elle n’existe pas en Dieu[1482], mais chez les prédestinés, car tout ce qui est en Dieu est éternel.

En sens contraire, S. Augustin appelle la prédestination “la prescience des bienfaits de Dieu”. Or la prescience n’est pas dans ceux qui en sont l’objet, mais seulement dans celui qui a la prescience. Donc la prédestination n’est pas non plus dans les prédestinés, mais dans celui qui prédestine.

Réponse :

La prédestination n’est pas quelque chose dans les prédestinés, mais seulement dans celui qui prédestine. On vient de dire en effet que la prédestination est une part de la providence[1483]. Or la providence n’est pas dans les choses qu’elle concerne, elle est un certain plan de l’intelligence qui ordonne à la fin, ainsi qu’on l’a dit précédemment[1484]. Mais la réalisation de la providence, qu’on appelle gouvernement[1485], se trouve comme passion dans les êtres gouvernés, et comme action dans celui qui gouverne. Il est donc clair que la prédestination est un certain plan, conçu dans l’esprit divin, de l’ordination de certains au salut éternel. C’est la réalisation de cette ordination qui se trouve passivement dans les prédestinés, et activement en Dieu. La réalisation de la prédestination c’est d’abord la vocation, puis la glorification, selon ces paroles de l’Apôtre (Rm 8, 30) : “Ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés, et ceux qu’il a appelés... il les a glorifiés.”

Solutions :

1. Les actions qui passent dans une matière extérieure, comme chauffer ou scier, produisent de soi une passion, mais non pas les actions qui demeurent dans l’agent, comme sont l’intellection[1486] et le vouloir, nous l’avons dit[1487]. Or la prédestination est une action de cette sorte. Aussi n’introduit-elle rien de réel dans le prédestiné. Mais sa réalisation, qui porte sur des choses extérieures, introduit dans ces choses un certain effet.

2. “Destination” peut se prendre pour un réel envoi du sujet vers un certain terme, et ainsi la destination ne concerne que ce qui existe. En un autre sens, on peut entendre par “destination”, un “envoi” envisagé mentalement, et on emploie destinare pour une ferme résolution. C’est ainsi qu’au livre II des Maccabées (6, 20, Vg), nous lisons qu’Éléazar “décida (destinavit) de ne pas accepter, par amour de la vie, des aliments interdits par la Loi”. Dans ce sens, la “destination” peut concerner ce qui n’existe pas. Cependant la prédestination, du fait qu’elle implique antériorité, peut concerner ce qui n’existe pas, en quelque sens qu’on prenne le mot destination.

3. Il y a deux sortes de préparation. On peut préparer le patient à recevoir l’action, et cette préparation est dans le sujet préparé. Mais il y a aussi la préparation de l’agent à agir, et celle-ci reste dans l’agent. Or c’est de cette matière que la prédestination est une préparation, dans le sens où l’on dit que celui qui agit par intelligence se prépare à l’action en concevant tout d’abord ce qu’il doit faire. Et c’est ainsi que Dieu, éternellement, a préparé en prédestinant, c’est-à-dire qu’il a conçu le plan qui ordonne certains hommes au salut[1488].

4. La grâce entre dans la définition de la prédestination, non comme élément de son essence, mais en tant que la prédestination comporte un rapport avec la grâce, qui est un rapport de cause à effet, ou encore d’acte à objet[1489]. Il ne s’ensuit donc pas que la prédestination soit quelque chose de temporel.

 

            Article 3 — La réprobation de certains hommes vient-elle de Dieu ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne réprouve aucun homme. Car nul ne réprouve celui qu’il aime[1490], selon le livre de la Sagesse (11, 24) : “Tu aimes tout ce qui existe, et tu ne hais rien de ce que tu as fait.” Donc Dieu ne réprouve aucun homme.

2. Si Dieu réprouvait certains hommes, il faudrait que la réprobation soit aux réprouvés ce que la prédestination est aux prédestinés. Mais la prédestination est pour les prédestinés une cause de salut ; la réprobation serait donc aux réprouvés une cause de perdition[1491]. Or cela est faux ; car le prophète Osée (13, 9 Vg) a dit : “Ta perdition vient de toi, Israël, de moi seulement vient ton secours.” Dieu ne réprouve donc personne.

3. D’ailleurs, on ne doit imputer à personne ce qu’il ne peut éviter. Mais si Dieu réprouve quelqu’un, ce réprouvé ne peut éviter sa perte ; car il est écrit dans l’Ecclésiaste (7, 13 Vg) : “Regarde l’œuvre de Dieu : nul ne pourra redresser ce qu’il a méprisé.” Donc, on ne devrait pas imputer aux hommes leur propre perdition, et cela est faux[1492].

En sens contraire, on trouve dans Malachie (1, 23) : “J’ai aimé Jacob ; mais j’ai haï Esaü.”

Réponse :

Dieu réprouve certains. On a dit en effet plus haut que la prédestination est une part de la providence[1493]. Or il appartient à la providence de permettre quelque défaillance dans les choses qui lui sont soumises, comme on l’a dit précédemment[1494]. Aussi, puisque les hommes sont ordonnés à la vie éternelle par la providence divine, il appartient également à la providence de permettre que certains manquent cette fin, et c’est cela qu’on appelle réprouver.

Donc, de même que la prédestination est une part de la providence à l’égard de ceux qui sont ordonnés par Dieu au salut éternel, la réprobation à son tour est une part de la providence à l’égard de ceux qui manquent cette fin. D’où l’on voit que la réprobation ne désigne pas une simple prescience ; elle y ajoute quelque chose selon la considération de la raison, comme on l’a dit plus haut de la providence[1495]. Car de même que la prédestination inclut la volonté de conférer la grâce et la gloire, ainsi la réprobation inclut la volonté de permettre que tel homme tombe dans la faute, et d’infliger la peine de damnation pour cette faute[1496].

Solutions :

1. Dieu aime tous les hommes et même toutes ses créatures, en ce sens qu’il veut du bien à toutes[1497]. Mais il ne veut pas tout bien à toutes. Donc, en tant qu’il ne veut pas pour certains ce bien qu’est la vie éternelle, on dit qu’il les a en haine ou qu’il les réprouve.

2. Au point de vue de la causalité, la réprobation n’est pas comparable à la prédestination. Car la prédestination est cause aussi bien de ce qu’attendent les prédestinés dans l’autre vie, qui est la gloire, que de ce qu’ils reçoivent en celle-ci, qui est la grâce. La réprobation n’est pas cause de ce qui lui correspond dans le présent, à savoir la faute ; elle est cause du délaissement par Dieu[1498] . Mais elle est cause de la sanction future, à savoir la peine éternelle. La faute, elle, provient du libre arbitre chez celui qui est réprouvé et que la grâce délaisse. Et ainsi se vérifie le mot du prophète : “ Ta perdition vient de toi, Israël.”

3. La réprobation de Dieu ne diminue en rien le pouvoir d’agir des réprouvés. Aussi, lorsque l’on dit que le réprouvé ne peut obtenir la grâce, il faut l’entendre d’une impossibilité non pas absolue, mais conditionnée ; comme on a dit plus haut[1499] que, s’il est nécessaire que le prédestiné soit sauvé, c’est d’une nécessité conditionnée, qui ne supprime pas le libre arbitre. Aussi, bien que l’homme réprouvé par Dieu ne puisse obtenir la grâce[1500], cependant, le fait qu’il tombe dans tel péché ou dans un autre, cela provient de son libre arbitre, et c’est donc à juste titre qu’il en est jugé coupable.

 

            Article 4 — Peut-on dire que les prédestinés sont élus ?

Objections :

1. Il semble que non, car selon Denys ,comme le soleil répand sa lumière sur tous les corps, sans choisir, ainsi Dieu répand sa bonté. Mais c’est principalement selon la communication de la grâce et de la gloire que la bonté divine se communique à quelques-uns[1501]. Donc c’est sans choisir que Dieu communique la grâce et la gloire, ce qui est le fait de la prédestination.

2. L’élection porte sur des existants ; or la prédestination, étant éternelle, concerne aussi les non-existants[1502]. Donc certains sont prédestinés sans être élus.

3. L’élection importe une certaine discrimination. Mais “ Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ” (1 Tm 2, 4). Donc la prédestination, qui préordonne les hommes au salut, exclut le choix.

En sens contraire, on lit dans l’épître aux Éphésiens (1, 4) : “ Il nous a choisis en lui avant la création du monde. ”

Réponse :

La prédestination, selon l’ordre rationnel présuppose l’élection, et l’élection, l’amour[1503]. Cela tient à ce que la prédestination, comme on l’a dit[1504], fait partie de la providence. Or la providence, de même que la prudence, est un plan existant dans l’intelligence, qui prescrit l’ordination de certains à leur fin, nous l’avons dit précédemment[1505]. Or on ne décide pas d’ordonner quelque chose à une fin, si d’abord on ne veut cette fin. Aussi la prédestination de certains au salut présuppose-t-elle, selon la raison, que Dieu veuille leur salut, et cela comprend l’élection et l’amour de dilection[1506]. Celui-ci, en tant qu’il veut pour eux ce bien du salut éternel, car aimer, nous l’avons dit[1507], c’est vouloir une certaine bonté pour quelqu’un. Et la prédestination suppose l’élection, en tant que Dieu veut ce bien pour certains de préférence à d’autres, puisqu’il réprouve certains, comme nous l’avons dit[1508].

Toutefois, l’élection et l’amour n’ont pas en Dieu et en nous un ordre identique. En nous, la volonté ne rend pas bon celui qu’elle aime, mais nous sommes enclins à l’aimer parce qu’il est bon[1509]. C’est pourquoi nous choisissons quelqu’un pour l’aimer, de sorte qu’en nous le choix précède l’amour. En Dieu c’est l’inverse, car la volonté par laquelle Dieu veut une bonté pour quelqu’un en l’aimant est cause que celui-ci plutôt que les autres soit bon de cette bonté[1510]. Par où l’on voit que selon l’ordre rationnel, l’amour est présupposé à l’élection, celle-ci à la prédestination. C’est pourquoi tous les prédestinés sont élus et aimés.

Solutions :

1. Si l’on considère en général la communication de la bonté divine, Dieu la communique en effet sans choix, en ce sens qu’il n’est rien qui ne participe de cette bonté en quelque manière comme on l’a vu antérieurement[1511]. Mais si l’on considère la communication de telle ou telle bonté, Dieu ne la donne pas sans choix puisqu’il donne à certains des choses bonnes qu’il ne donne pas à d’autres. Et ainsi, dans l’octroi de la grâce et de la gloire, il y a une élection.

2. Lorsque la volonté de celui qui choisit est appelée à ce choix par un bien préexistant dans la chose, alors il faut que le choix se porte sur des êtres qui existent, et c’est ce qui a lieu pour nous. Mais en Dieu il en est autrement, ainsi qu’on vient de le dire[1512]. Aussi, déclare S. Augustin, “ bien que Dieu choisisse ceux qui ne sont pas, il ne se trompe pas dans ses choix ”.

3. Dieu veut le salut de tous les hommes, comme on l’a déjà vu[1513], par sa volonté antécédente, ce qui n’est pas le vouloir purement et simplement ; il ne le veut pas, tout considéré, c’est-à-dire purement et simplement.

 

            Article 5 — Les mérites sont-ils la cause ou la raison de la prédestination, ou de la réprobation, ainsi que de l’élection ?

Objections :

1. Il semble que la prescience des mérites soit la cause de la prédestination, car Paul écrit (Rm 8, 29) : “ Ceux qu’il a connus d’avance, il les a prédestinés. ” Et sur la parole de S. Paul (Rm 9, 15), “ Je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde ”, S. Ambroise donne ce commentaire : “ Je ferai miséricorde à celui que je sais d’avance devoir revenir à moi de tout son cœur . ” Donc, il semble bien que la prescience des mérites soit cause de la prédestination.

2. La prédestination suppose la volonté divine[1514], qui ne peut être irrationnelle, puisque la prédestination est la résolution de faire miséricorde[1515], selon S. Augustin. Mais il ne peut y avoir une autre raison de la prédestination que la prévision des mérites[1516]. Donc cette prévision est la cause ou la raison de la prédestination.

3. “ Il n’y a pas d’injustice en Dieu ”, dit l’épître aux Romains (9, 14). Or il semble injuste de donner à des égaux des choses inégales. Tous les hommes sont égaux, et en nature et selon le péché originel[1517] ; on ne trouve en eux d’inégalité que selon le mérite ou le démérite de leurs propres actes. Donc si Dieu prépare aux hommes, en les prédestinant ou en les réprouvant, des sorts inégaux, ce ne peut être qu’en raison de la prescience qu’il a de leurs mérites différents.

En sens contraire, l’Apôtre dit à Tite (3, 5) : “ Il nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous faisions, mais selon sa miséricorde.”[1518] Or, de même qu’il nous a sauvés, il nous a prédestinés à être sauvés. Donc la prévision des mérites n’est pas la raison ou la cause de la prédestination.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut[1519], la prédestination inclut une volonté, et l’on doit donc chercher la raison de la prédestination comme on cherche celle de la volonté divine. Or nous avons dit[1520] qu’on ne peut assigner de cause à la volonté divine en ce qui concerne l’acte de vouloir, mais qu’on peut lui assigner une cause à l’égard des choses voulues, en tant que Dieu veut qu’une chose soit à cause d’une autre. Personne n’a donc été assez insensé pour dire que les mérites fussent cause de la prédestination quant à l’acte même de celui qui prédestine. Mais voici ce qui est en question : Du côté de ses effets[1521], la prédestination a-t-elle une cause ? Et cela revient à demander : Est-ce que Dieu a préordonné qu’il donnerait à un être les effets de la prédestination à cause de ses mérites ? [1522]

Donc certains ont dit : L’effet de la prédestination est préordonné en faveur d’un être à cause des mérites de cet être dans sa vie antérieure. Telle fut la position d’Origène, pour qui les âmes humaines, toutes créées au commencement, obtiennent selon la diversité de leurs œuvres des sorts divers en ce monde-ci, une fois unies à leur corps. Mais l’Apôtre écarte cette opinion en disant (Rm 9, 1113) : “ Avant même que les enfants fussent nés et qu’ils eussent rien fait, ni bien ni mal,... non en vertu des œuvres, mais par le choix de Celui qui appelle, il fut dit : ... L’aîné servira le plus jeune. ”

C’est pourquoi d’autres ont dit que les mérites préexistants, mais cette fois en cette vie, sont la raison et la cause des effets de la prédestination. En effet les pélagiens ont prétendu que le commencement des bonnes œuvres vient de nous, et que leur achèvement vient de Dieu. Et ainsi, l’effet de la prédestination est donné à un tel et non à tel autre, parce que l’un a fourni le commencement en se préparant, et l’autre non. Mais à l’encontre il y a ces paroles de l’Apôtre (2 Co 3, 5 Vg) : “ Nous ne sommes pas capables par nous-mêmes de penser quoi que ce soit qui vienne de nous-mêmes. ” Or, on ne peut trouver aucun principe qui soit antérieur à la pensée. On ne peut donc pas dire qu’il y ait en nous un commencement fournissant la raison des effets de la prédestination.

Aussi d’autres ont-ils avancé que la raison de la prédestination est dans les mérites qui suivent l’effet de cette prédestination. Et ils entendent que Dieu donne sa grâce à un être et a préordonné de lui donner cette grâce[1523], parce qu’il a prévu qu’il en userait bien, comme si un prince donnait un cheval à tel soldat dont il sait qu’il en usera bien. Mais ces penseurs semblent avoir distingué entre ce qui vient de la grâce et ce qui vient du libre arbitre, comme si le même effet ne pouvait pas venir des deux. Car il est évident que ce qui vient de la grâce est un effet de la prédestination ; et cela ne peut être donné comme la raison de cette prédestination, puisque c’est inclus en elle. Donc, si quelque chose d’autre est de notre côté cause de la prédestination, cela ne sera pas compris dans les effets de la prédestination. Mais il n’y a pas lieu de distinguer ainsi ce qui vient du libre arbitre et ce qui vient de la prédestination, de même que l’effet de la cause première et celui de la cause seconde. La providence divine produit ses effets par l’opération des causes secondes, ainsi qu’on l’a dit plus haut[1524], de sorte que cela même que réalise le libre arbitre vient de la prédestination[1525].

Il faut donc dire ceci. L’effet de la prédestination peut être envisagé par nous de deux façons : particulièrement, et globalement. Rien n’empêche qu’un effet particulier de la prédestination soit la cause et le motif d’un autre. Un effet postérieur sera cause d’un effet antérieur dans l’ordre des causes finales ; un effet antérieur sera cause d’un effet postérieur dans l’ordre du mérite, qu’on peut ramener à une disposition de la matière. Ainsi nous pouvons dire : Dieu a préordonné de donner à quelqu’un la gloire à cause de ses mérites ; et il a préordonné de donner à quelqu’un la grâce afin qu’il mérite la gloire.

Mais si l’effet de la prédestination est envisagé d’une autre manière, en sa totalité, il est impossible que l’effet total de la prédestination ait une cause quelconque de notre part. Car quoi que ce soit qui se trouve dans l’homme et l’ordonne au salut, tout cela est compris sous l’effet de la prédestination, même la préparation à la grâce[1526] ; car cela non plus n’a pas lieu autrement que par le secours divin, selon ce mot de l’Écriture (Lm 5, 21) : “ Fais-nous revenir à toi, Seigneur, et nous reviendrons. ” De ce point de vue pourtant, la prédestination, quant à ses effets, a pour raison la bonté divine, à laquelle tout l’effet de la prédestination s’ordonne comme à sa fin, et dont il procède comme de son premier principe moteur[1527].

Solutions :

1. L’usage prévu de la grâce n’est pas la raison pour laquelle Dieu confère cette grâce, si ce n’est dans l’ordre de la finalité, comme on vient de le dire.

2. La raison de la prédestination, considérée dans son effet global, c’est la bonté divine[1528]. Mais un effet particulier est la raison d’un autre, comme on vient de le dire.

3. C’est dans la bonté divine elle-même qu’on peut trouver la raison de la prédestination de certains et de la réprobation des autres. On dit que Dieu a tout fait pour sa bonté, afin que celle-ci soit représentée dans les choses[1529]. Or il est nécessaire que la bonté divine[1530], une[1531] et simple[1532] en elle-même, soit représentée dans les choses sous des formes diverses, parce que l’être créé ne peut atteindre à la simplicité divine[1533]. De là vient que pour l’achèvement de l’univers sont requis divers ordres de choses, dont les unes tiennent un haut rang et d’autres un rang infime dans cet univers. Et afin que la diversité des degrés se maintienne, Dieu permet que certains maux se produisent, pour éviter que beaucoup de biens ne se trouvent empêchés, nous l’avons dit précédemment[1534].

Considérons donc tout le genre humain comme nous faisons de l’universalité des choses. Parmi les hommes, Dieu a voulu, pour certains qu’il a prédestinés, faire apparaitre sa bonté sous la forme de la miséricorde qui pardonne ; et pour d’autres qu’il réprouve, sous la forme de la justice qui punit[1535]. Telle est la raison pour laquelle Dieu choisit certains et réprouve les autres. C’est cette cause qu’assigne l’Apôtre en disant (Rm 9, 22, 23) : “ Dieu, voulant manifester sa colère ” (c’est-à-dire la vindicte de sa justice) “ et faire connaître sa puissance, a supporté ” (c’est-à-dire a permis) “ avec une grande patience des vases de colère, méritant la perdition, afin de montrer les richesses de sa gloire à l’égard des vases de miséricorde qu’il a d’avance préparés pour la gloire ”. Et ailleurs (2 Tm 2, 20), le même Apôtre écrit : “ Dans une grande maison, il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais il y en a aussi de bois et de terre ; les uns pour les usages nobles, les autres pour les usages vulgaires.

Mais pourquoi Dieu choisit ceux-ci pour la gloire et pourquoi il réprouve ceux-là, il n’y en a pas d’autre raison que la volonté divine. C’est ce qui faire dire à S. Augustin : “ Pourquoi attire-t-il celui-ci et non celui-là, garde-toi de vouloir en juger, si tu ne veux pas t’égarer. ” Ainsi, dans la nature, on peut fournir une raison pour expliquer que la matière première[1536], de soi tout uniforme, soit distribuée en partie sous la forme du feu, en partie sous la forme de la terre, fondée par Dieu au commencement : c’est afin qu’il y ait une diversité d’espèces parmi les choses naturelles. Mais pourquoi telle partie de matière est sous telle forme, et telle partie sous telle autre, cela ne dépend que de la volonté divine. C’est ainsi qu’il dépend de la seule volonté de l’architecte que cette pierre-ci soit en cet endroit du mur, et cette autre ailleurs, bien qu’il entre dans le plan de l’art que certaines pierres soient ici, et d’autres là.

Et pourtant, il n’y a pas d’injustice chez Dieu, s’il réserve des dons inégaux à des êtres qui ne le sont pas. Cela ne heurterait la raison de justice que si l’effet de la prédestination était conféré comme un dû, au lieu de l’être comme une grâce. Là où l’on donne par grâce, chacun peut à son gré donner ce qu’il veut, plus ou moins, pourvu qu’il ne refuse à personne son dû ; cela sans préjudice de la justice. C’est ce que dit le père de famille de la parabole (Mt 20, 14, 15) : “ Prends ce qui te revient et va t’en ; ne m’est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux ? ”

 

            Article 6 — La certitude de la prédestination — les prédestinés sont-ils infailliblement sauvés ?

Objections :

1. Il semble que la prédestination ne soit pas certaine. Car on lit dans l’Apocalypse (3, 11) : “ Tiens ferme ce que tu as, afin que personne ne te ravisse ta couronne. ” Sur quoi S. Augustin remarque : “ Un autre ne pourrait pas la ravir si le premier ne l’avait perdue. ” C’est donc qu’on peut acquérir et perdre la couronne de gloire, qui est l’effet de la prédestination.

2. Une chose possible n’entraîne jamais de conséquences impossibles. Or il est possible qu’un prédestiné, comme Pierre, pèche et aussitôt soit tué[1537]. Or, dans cette supposition, la prédestination serait frustrée de son effet. Cela n’est donc pas impossible. Donc la prédestination n’est pas certaine.

3. Tout ce que Dieu a pu, il le peut encore[1538]. Or Dieu a pu ne pas prédestiner ceux qu’il a prédestinés. Donc, maintenant, il peut ne pas les prédestiner, et ainsi la prédestination n’est pas certaine.

En sens contraire, sur ces paroles de S. Paul (Rm 8, 29) : “ Ceux qu’il a connus d’avance, il les a prédestinés ”, la Glose écrit : “ La prédestination est une prescience et une préparation des bienfaits de Dieu[1539], grâce à laquelle sont très certainement sauvés tous ceux qui sont sauvés. ”

Réponse :

La prédestination obtient très certainement et infailliblement son effet, sans pour autant qu’elle impose à cet effet une nécessité telle qu’il se produirait d’une façon nécessaire. On a dit en effet plus haut[1540] que la prédestination est une part de la providence. Or tous les effets soumis à la providence ne sont pas nécessaires, mais certains sont produits de façon contingente, selon la condition de leurs causes prochaines que la providence divine a ordonnées à les produire[1541]. Cependant l’ordre de la providence est infaillible, comme on l’a montré plus haut[1542]. Ainsi donc, l’ordre de la prédestination, lui aussi, est certain, et cependant cela ne supprime pas notre libre arbitre, grâce auquel l’effet de la prédestination se produit de façon contingente.

Il faut en outre penser ici à ce qui a été dit plus haut[1543] de la science divine et aussi de la volonté divine qui n’enlèvent rien à la contingence, bien qu’elles soient très certaines et infaillibles.

Solutions :

l. La couronne peut appartenir à quelqu’un de deux façons : soit en raison de la prédestination divine, et ainsi nul ne perd sa couronne. Soit en raison d’un mérite de grâce[1544], car ce que nous méritons est en quelque façon nôtre[1545]. Ainsi un homme peut perdre sa couronne par un péché mortel postérieur. Mais un autre reçoit la couronne perdue, en ce sens qu’il est subsistué au premier. Dieu en effet ne permet pas que les uns tombent sans en élever d’autres[1546], selon ces paroles de Job (34, 24) : “ Il brise les puissants sans enquête et en met d’autres à leur place. ” C’est ainsi que les hommes ont été substitués aux anges déchus[1547], et les païens aux Juifs. Or celui qui est substitué à un autre dans l’état de grâce, recevra la couronne de l’être déchu en ce qu’il se réjouira dans la vie éternelle des actions bonnes du bien fait que l’autre a faites ; car, dans la vie éternelle, chacun se réjouira des actions bonnes faites non seulement par lui, mais par autrui.

2. Il est sans doute possible, dans l’absolu, qu’un prédestiné meure en état de péché mortel ; mais cela est impossible si l’on suppose, comme fait l’objectant, que cet homme est prédestiné[1548]. Il ne s’ensuit donc pas que la prédestination soit faillible.

3. Comme la prédestination inclut la volonté divine[1549], ce que nous avons dit plus haut[1550] à savoir que, pour Dieu, vouloir quelque chose de créé est nécessaire conditionnellement, en raison de l’immutabilité de la volonté divine, mais non absolument, cela vaut pour la prédestination. Il ne faut donc pas dire que Dieu peut ne pas prédestiner celui qu’il a prédestiné, si l’on prend cette proposition dans le sens composé, bien que, absolument parlant, Dieu puisse prédestiner ou ne pas prédestiner. Mais cela n’enlève pas à la prédestination sa certitude.

 

            Article 7 — Le nombre des prédestinés est-il fixé ?

Objections :

l. Il semble que non. Car un nombre qu’on peut augmenter n’est pas fixé. Mais on peut augmenter le nombre des prédestinés, semble-t-il, puisqu’on lit dans le Deutéronome (1,11) : “ Que le Seigneur notre Dieu ajoute au nombre beaucoup de milliers ! ” Commentaire de la Glose : “ C’est-à-dire au nombre déterminé auprès de Dieu, qui connaît ceux qui lui appartiennent. ” Donc le nombre des prédestinés n’est pas fixé.

2. On ne peut pas donner une raison pour laquelle Dieu prédestinerait au salut un nombre d’hommes plus ou moins grand[1551]. Mais Dieu ne fait rien sans raison[1552]. Donc le nombre des hommes qui seront sauvés n’est pas fixé d’avance par Dieu.

3. L’action de Dieu est plus parfaite que celle de la nature[1553]. Or, dans les œuvres de la nature, c’est le bien qui se rencontre le plus souvent ; le défaut et le mal y sont plus rares. Donc, si c’était Dieu qui fixait le nombre des élus, il y aurait plus d’élus que de damnés, ce que contredit le texte de S. Matthieu (7, 13-14) : “ Large et spacieux est le chemin qui conduit à la perdition, et nombreux sont ceux qui s’y engagent ; étroite est la porte, et resserré le chemin qui conduit à la vie, et peu nombreux ceux qui le trouvent. ”

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Le nombre des prédestinés est fixé, et il ne peut être ni augmenté ni diminué. ”

Réponse :

Le nombre des prédestinés est fixé, mais certains ont dit : il est fixé quant à sa forme, il ne l’est pas quant à sa matière, comme si nous disions : il est fixé que cent ou mille seront sauvés, mais non que ceux-ci ou ceux-là le seront. Mais cela supprime la certitude de la prédestination, dont nous avons déjà parlé[1554]. C’est pourquoi il faut dire que le nombre des prédestinés est certain pour Dieu non seulement quant à sa forme, mais aussi quant à sa matière.

Mais il faut remarquer que le nombre des prédestinés est dit certain pour Dieu non seulement en raison de sa connaissance (parce qu’il sait combien seront sauvés, car en ce sens Dieu est tout aussi certain du nombre des gouttes de pluie et des grains de sable[1555]), mais en outre, il est certain pour Dieu en raison d’un choix et d’une détermination.

Pour en être persuadé, il faut savoir que tout agent vise une œuvre bien définie, comme on l’a vu plus haut en traitant de l’infini[1556]. Or, quiconque envisage de donner à son œuvre une mesure déterminée projette un chiffre pour les parties essentielles qui sont requises de soi à la perfection du tout. En effet, il ne choisit pas un chiffre absolu pour les éléments accessoires : il règle ce chiffre pour autant que ces éléments sont nécessaires au reste. Ainsi le bâtisseur projette une mesure déterminée pour sa maison, et aussi un nombre déterminé de chambres qu’il veut avoir dans sa maison, et des mesures déterminées pour le mur ou le toit. Mais il ne choisit pas un nombre déterminé de pierres : il en prendra la quantité suffisante pour bâtir un mur de telles dimensions.

C’est ainsi qu’il faut considérer l’action de Dieu à l’égard de l’univers, qui est son œuvre. Car il a réglé d’avance la mesure qui doit être celle de tout l’univers, et quel nombre conviendrait aux parties essentielles de l’univers, celles qui sont en rapport avec sa perpétuité : combien de sphères, combien d’étoiles, combien d’éléments, combien d’espèces d’êtres. Mais les individus corruptibles sont ordonnés au bien de l’univers, non principalement, mais secondairement, c’est-à-dire en tant que la bonté de l’espèce est assurée par eux. Sans doute Dieu connaît le nombre de tous les individus[1557] ; mais le nombre des vaches, des moustiques, etc. n’est pas par lui-même réglé d’avance par Dieu ; la providence divine les produit en nombre suffisant pour la conservation des espèces[1558].

Or, entre toutes, les créatures raisonnables, parce qu’elles sont incorruptibles[1559], sont ordonnées à concourir au bien de l’univers, comme des parties principales et surtout celles qui atteignent la béatitude, parce qu’elles atteignent plus immédiatement à la fin suprême[1560]. De là vient que pour Dieu, le nombre des prédestinés est certain non seulement comme connu avec certitude, mais aussi comme expressément défini : il n’en est pas tout à fait de même en ce qui concerne le nombre des réprouvés[1561], qui semblent ordonnés par Dieu au bien des élus[1562], puisque pour ceux-ci “tout contribue à leur bien”.

Quant au nombre de tous les hommes prédestinés, certains assurent qu’il y aura autant d’hommes sauvés qu’il y a eu d’anges déchus[1563] ; d’autres, autant que d’anges demeurés fidèles ; d’autres encore, autant que d’anges déchus et, en outre, que d’anges tout d’abord créés. Mais le mieux est de dire que “le nombre des élus destinés à être placés dans la félicité éternelle est connu de Dieu seul”.

Solutions :

l. Cette parole du Deutéronome doit s’entendre des hommes que Dieu a connus d’avance comme justes dans la vie présente. Leur nombre augmente et diminue[1564], mais non celui des prédestinés.

2. La mesure quantitative d’une partie doit se prendre de sa proportion avec le tout. Et c’est ainsi qu’il y a pour Dieu une raison de créer tant d’étoiles, tant d’espèces d’êtres, de prédestiner tant d’hommes, selon la proportion entre ces parties principales et le bien de l’univers[1565].

3. Le bien proportionné à la condition commune de la nature se réalise le plus souvent, et ne fait défaut que rarement. Mais le bien qui excède l’état commun des choses se trouve réalisé seulement par un petit nombre, et l’absence de ce bien est fréquente. Ainsi voit-on que la plupart des hommes sont doués d’un savoir suffisant pour la conduite de leur vie, et que ceux qu’on appelle idiots ou insensés parce qu’ils manquent de connaissance sont très peu nombreux. Mais bien rares, parmi les humains, sont ceux qui parviennent à une science profonde des choses intelligibles. Donc, puisque la béatitude éternelle, qui consiste dans la vision de Dieu, excède le niveau commun de la nature[1566], surtout parce que cette nature a été privée de la grâce par la corruption du péché originel[1567], il y a peu d’hommes sauvés. Et en cela même apparaît souverainement la miséricorde de Dieu[1568], qui élève certains êtres à un salut que manque le plus grand nombre, selon le cours et la pente commune de la nature.

 

            Article 8 — La prédestination peut-elle être aidée par les prières des saints ?

Objections :

l. Il semble que non. Car rien d’éternel n’est empêché par du temporel ; par suite, rien de temporel ne peut aider à l’existence de quelque chose d’éternel. Or la prédestination est éternelle[1569]. Donc, puisque les prières des saints sont temporelles, elles ne peuvent aider à ce que quelqu’un soit prédestiné.

2. Comme personne n’a besoin de conseil, si ce n’est pour un défaut de connaissance, personne aussi n’a besoin de secours si ce n’est pour un manque de force. Or ni l’un ni l’autre ne concerne Dieu qui prédestine, ce qui fait dire à l’Apôtre (Rm 11, 34) : “ Qui a secouru l’Esprit du Seigneur, ou qui a été son conseiller ? ”

3. Ce sont les mêmes choses qui peuvent être aidées et qui peuvent être empêchées. Or la prédestination ne saurait être empêchée par personne[1570]. Donc elle ne peut être aidée par personne.

En sens contraire, on lit dans la Genèse (25, 21) : “ Isaac implora Dieu pour Rébecca, sa femme, et Rébecca conçut. ” Or, de cette conception naquit Jacob, qui fut prédestiné, et cette prédestination ne se fût pas accomplie, si Jacob n’était pas né. Donc la prédestination est aidée par les prières des saints.

Réponse :

Sur cette question, diverses erreurs se sont fait jour. Quelques-uns, s’attachant à la certitude de la prédestination divine, ont déclaré superflues les prières et pareillement tout ce qu’on peut faire en vue d’obtenir le salut, parce que, qu’on les fasse ou non, les prédestinés l’obtiendront, et les réprouvés ne l’obtiendront pas. Mais contre cette opinion s’élèvent toutes les exhortations de la Sainte Écriture à la prière et aux autres bonnes œuvres.

D’autres ont prétendu que par des prières on peut changer la prédestination divine. Telle fut, dit-on, l’opinion des Égyptiens, qui croyaient pouvoir conjurer par des sacrifices et par des prières les décrets divins qu’ils appelaient le destin[1571]. Mais elle s’oppose à l’autorité de la Sainte Écriture ; car il est dit (1 S 15, 29 Vg) : “ La Gloire d’Israël ne pardonnera pas ; le repentir ne le fléchira pas ”, et encore (Rm 11, 29) : “ Les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance. ”

Il faut donc s’exprimer autrement et dire que dans la prédestination il y a deux choses : la préordination divine, et son effet[1572]. Quant à la première, la prédestination n’est nullement influencée par les prières des saints ; car ce n’est pas grâce aux prières des saints que quelqu’un est prédestiné par Dieu[1573]. Mais quant à la seconde, on peut dire que la prédestination est aidée par les prières des saints et par les autres bonnes œuvres ; parce que la providence, dont la prédestination fait partie[1574], ne supprime pas les causes secondes ; elle pourvoit à ses effets de telle manière que même l’ordre des causes secondes est soumis à cette providence[1575]. Donc, de même que les effets naturels sont organisés de telle sorte que les causes naturelles s’y ordonnent, car sans elles ces effets ne se produiraient pas ; de même le salut d’un homme est prédestiné par Dieu de telle sorte que le plan de la prédestination englobe tout ce qui favorise le salut de l’homme : ses propres prières, ou celles des autres, ou d’autres bonnes œuvres sans lesquelles il n’obtient pas le salut. Il faut donc que les prédestinés s’efforcent de bien agir et de prier, puisque c’est par ce moyen que l’effet de la prédestination se réalise avec certitude. C’est ce qui fait dire à S. Pierre (2 P 1, 10) : “ Appliquez-vous à assurer par vos bonnes œuvres votre vocation et votre élection. ”

Solutions :

l. Cet argument montre que la prédestination n’est pas aidée par les prières des saints quant à la préordination.

2. On peut être aidé par un autre de deux façons. On peut recevoir de lui un surcroît de vertu active, et être aidé ainsi dénote de la faiblesse, et ne peut convenir à Dieu[1576]. C’est en ce sens qu’il est dit : “ Qui a secouru l’Esprit du Seigneur ? ” Mais on peut être aidé par quelqu’un qui exécute l’action qu’on a conçue, comme le maître est aidé par son serviteur. De cette façon Dieu est aidé par nous, quand nous exécutons ce qu’il a décidé, selon ces paroles de l’Apôtre (1 Co 3, 9) : “ Nous sommes les coopérateurs de Dieu. ” Et cela ne provient pas d’une déficience de la puissance divine, mais c’est Dieu qui veut se servir des causes intermédiaires afin de ménager dans les choses la beauté de l’ordre[1577], et aussi afin de communiquer aux créatures la dignité d’être causes[1578].

3. Les causes secondes ne peuvent échapper à l’ordre de la Cause première, qui est universelle, comme on l’a dit plus haut[1579]. Mais elles exécutent cet ordre. C’est pour cela que la prédestination peut être aidée par les créatures, alors qu’elle ne peut pas être empêchée.


 

 

QUESTION 24 — LE LIVRE DE VIE

1. Qu’est-ce que le livre de vie ? 2. De quelle vie est-il le livre ? 3. Quelqu’un peut-il être effaçé du livre de vie ?

 

            Article 1 — Qu’est-ce que le livre de vie ?

Objections :

1. Il semble que le livre de vie ne soit pas identique à la prédestination. En effet, il est dit dans l’Ecclésiastique (24, 23) : “ Tout cela c’est le livre de vie. ” La Glose explique : “ C’est-à-dire le Nouveau et l’Ancien Testament. ” Or cela n’est pas la prédestination.

2. Pour S. Augustin, le livre de vie est “ une certaine force divine qui fera que soient remises en la mémoire de chacun ses œuvres bonnes ou mauvaises ”. Mais une force divine ne semble pas pouvoir se rapporter à la prédestination, mais plutôt à l’attribut de puissance[1580].

3. A la prédestination s’oppose la réprobation[1581]. Donc, si le livre de vie était la prédestination, il y aurait un livre de mort comme il y a un livre de vie.

En sens contraire, sur ces paroles du Psaume (69, 29) : “ Qu’ils soient rayés du livre de vie ”, la Glose explique : “ Ce livre est la connaissance de Dieu, par laquelle il a prédestiné à la vie ceux qu’il a connus d’avance. ”

Réponse :

On parle d’un livre de vie en Dieu par métaphore[1582], à la ressemblance des affaires humaines. C’est la coutume des hommes d’inscrire sur un livre ceux qu’on choisit pour quelque emploi, comme les soldats, ou les conseillers qui, de ce fait, étaient autrefois “ pères conscrits ”. Or, on sait d’après ce qui précède[1583] que tous les prédestinés ont été choisis par Dieu pour posséder la vie éternelle. C’est l’inscription de ces prédestinés qui est appelée le livre de vie.

D’autre part, on dit par métaphore que quelque chose est inscrit dans l’esprit d’un homme lorsqu’il le tient solidement dans sa mémoire, selon le mot des Proverbes (3,1) : “ Mon fils, n’oublie pas mes enseignements, et que ton cœur garde mes préceptes. ” Et un peu plus loin : “ Grave-les sur les tablettes de ton cœur. ” Car sur les livres matériels aussi on écrit pour soulager sa mémoire. De ce fait la connaissance de Dieu, par laquelle il retient fermement en lui qu’il a prédestiné certains à la vie éternelle, est appelé le livre de vie. Car de même que l’écriture d’un livre est le signe de ce qu’on doit faire, ainsi la connaissance de Dieu est en lui une sorte de signe à l’égard de ceux qu’il doit conduire à la vie éternelle[1584]. C’est ce que signifient ces paroles de l’Apôtre (2 Tm 2,19) : “ Les solides fondations posées par Dieu tiennent bon, marquées du sceau de ces paroles : "Le Seigneur connaît les siens." ”

Solutions :

1. On peut parler d’un livre de vie en deux sens différents. On peut désigner par là l’inscription de ceux qui sont élus en vue de vivre, et c’est ainsi que nous parlons en ce moment du livre de vie. Mais on peut aussi appeler livre de vie l’inscription de ce qui conduit à la vie, et cela encore en un double sens, soit qu’il s’agisse des choses à faire, et à cet égard l’Ancien et le Nouveau Testament sont appelés le livre de vie ; soit qu’on désigne des choses déjà faites, et alors c’est cette force divine propre à ramener un jour à la mémoire de chacun tous ses actes, qui est appelé le livre de vie[1585]. C’est ainsi qu’on appelle aussi bien livre militaire celui où figurent les conscrits, celui qui traite de l’art militaire, ou celui qui relate les exploits des soldats.

2. Cela donne la réponse à la deuxième objection.

3. On n’a pas coutume d’inscrire ceux qui sont éliminés, mais ceux qui sont élus. Il n’y a donc pas un livre de mort répondant à la réprobation, comme à la prédestination correspond le livre de vie.

4. Le livre de vie diffère logiquement de la prédestination, puisqu’il implique sa connaissance, comme on le voit par le texte de la Glose allégué.

 

            Article 2 — De quelle vie est-il le livre ?

Objections :

1. Il semble que le livre de vie ne concerne pas seulement la gloire des prédestinés.

Le livre de vie est une connaissance de la vie. Mais c’est par sa propre vie que Dieu connaît toute autre vie[1586]. Donc le livre de vie s’entend principalement de la vie divine, et non pas uniquement de la vie des prédestinés.

2. De même que la vie de gloire vient de Dieu, de même la vie de nature[1587]. Donc, si l’on appelle livre de vie la connaissance de la vie de gloire, la connaissance de la vie de nature devra être appelée aussi livre de vie.

3. Certains sont élus pour la grâce et ne le sont pas pour la gloire, comme le prouvent ces mots du Seigneur en S. Jean (6, 71) : “ N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze, et l’un de vous est un démon ? ” Mais le livre de vie est l’inscription de l’élection divine, nous venons de le voir[1588]. Donc il a rapport aussi à la vie de la grâce.

En sens contraire, le livre de vie est une connaissance de la prédestination, nous venons de le voir[1589]. Or la prédestination ne concerne pas la vie de la grâce sinon en tant qu’elle conduit à la gloire[1590] ; car ceux-là ne sont pas prédestinés qui ont la grâce et qui manquent la gloire. Le livre de vie ne se rapporte donc qu’à la gloire.

Réponse :

Comme on vient de le dire[1591], le livre de vie implique une sorte d’inscription ou de connaissance de ceux qui sont élus en vue de la vie. Or, si quelqu’un est choisi, c’est pour un avantage qui ne lui appartient pas par nature. En outre, ce pour quoi on le choisit a raison de fin, et par exemple on ne choisit pas, on n’inscrit pas un soldat pour qu’il porte les armes, mais pour qu’il combatte, ce qui est la tâche qu’on attend d’une armée. Or, la fin qui dépasse notre nature, c’est la vie glorieuse, on l’a montré plus haut Donc, à proprement parler, le livre de vie concerne la vie de gloire.

Solutions :

1. La vie divine, même comme vie glorieuse, est naturelle à Dieu[1592]. A son égard il n’est donc pas question d’élection, ni par conséquent d’un livre de vie. Car nous ne disons pas que quelqu’un est élu pour avoir la connaissance sensible, ou quoi que ce soit qui résulte de la nature.

2. Cela donne la réponse à la deuxième objection, car, à l’égard de la vie naturelle, il n’y a ni élection ni livre de vie.

3. La vie de la grâce n’a pas raison de fin, mais de moyen pour une fin[1593]. Dès lors, on ne dit pas que quelqu’un est élu à la vie de la grâce, si ce n’est en tant que la vie de la grâce est ordonnée à la gloire. Pour cette raison, ceux qui ont la grâce et ne parviennent pas à la gloire ne sont pas appelés élus de façon absolue, mais sous un certain rapport[1594]. De même, on ne les dira pas inscrits purement et simplement au livre de vie, mais seulement en quelque façon, selon que dans le décret et dans la pensée de Dieu il est marqué qu’ils auront une certaine ordination à la vie éternelle, en participant à la grâce.

 

            Article 3 — Quelqu’un peut-il être effacé du livre de vie ?

Objections :

1. Il semble que personne ne soit effacé du livre de vie, car S. Augustin écrit : “ La prescience de Dieu, qui ne peut se tromper, c’est le livre de vie. ” Mais rien ne peut être soustrait à la prescience de Dieu, ni semblablement à sa prédestination[1595]. Donc personne ne peut être effacé du livre de vie.

2. Ce qui existe en quelque chose y existe selon le mode de cette chose[1596]. Mais le livre de vie est une chose éternelle et immuable[1597]. Donc tout ce qu’il y a en lui s’y trouve non temporellement, mais immuablement et d’une manière indélébile.

3. Effacer s’oppose à inscrire ; mais personne ne peut être inscrit à nouveau au livre de vie : donc personne ne peut en être effacé.

En sens contraire, on lit au Psaume (69, 29) : “ Qu’ils soient effacés du livre de vie. ”

Réponse :

Certains disent : Personne ne peut être effacé véritablement du livre de vie, mais on peut l’être selon l’opinion des hommes. Il est fréquent en effet que dans l’Écriture une chose est dite se produire dès lors qu’elle devient connue. Selon cette manière de parler, certains sont dits inscrits au livre de vie parce que les hommes pensent qu’ils y figurent, constatant leur justice présente. Mais quand il apparaît, en ce monde ou en l’autre, qu’ils ont déchu de cette justice, on dit qu’ils en sont effacés. C’est ainsi que la Glose explique cette radiation, à propos de la parole du Psaume : “ Qu’ils soient effacés du livre de vie. ”

Mais parce que n’être pas effacé du livre de vie est donné comme une récompense des justes, conformément à l’Apocalypse (3, 5) : “Le vainqueur sera revêtu de vêtements blancs, et je n’effacerai pas son nom du livre de vie” ; comme d’autre part ce qui est promis aux saints ne se trouve pas uniquement dans l’opinion des hommes : pour cette raison, on peut dire qu’être effacé ou n’être pas effacé du livre de vie doit se référer non seulement à l’opinion humaine, mais aussi à la réalité. Le livre de vie est en effet l’inscription de ceux qui sont ordonnés à la vie éternelle, et cette ordination procède de deux facteurs : la prédestination divine, et une telle ordination n’est jamais en défaut[1598], ou la grâce. Car quiconque a la grâce est digne, par cela même, de la vie éternelle[1599]. Mais cette dernière ordination est mise en défaut quelquefois ; car il y en a qui sont ordonnés, par la grâce, qui est en eux, à recevoir la vie éternelle, mais ils en déchoient par le péché mortel[1600]. Donc ceux qui sont ordonnés à posséder la vie éternelle par la prédestination divine sont inscrits purement et simplement au livre de vie[1601] ; car ils y sont inscrits comme devant posséder la vie éternelle en elle-même. Et ceux-là ne sont jamais effacés du livre de vie[1602]. Mais ceux qui sont ordonnés à recevoir la vie éternelle, non par la prédestination divine, mais seulement par la grâce, sont dits inscrits au livre de vie non purement et simplement, mais d’une certaine façon[1603] ; car ils y sont inscrits comme devant recevoir la vie éternelle non en elle-même, mais dans sa cause[1604]. Et ceux-là peuvent être effacés du livre de vie[1605]. Non pas que cette radiation ait rapport à la connaissance de Dieu, comme si Dieu prévoyait d’abord quelque chose et ensuite l’ignorait ; mais elle a rapport à la chose connue ; car Dieu sait que tel homme est d’abord destiné à la vie éternelle et qu’ensuite il n’y est plus ordonné, ayant perdu la grâce[1606].

Solutions :

1. Être effacé du livre de vie ne se rapporte pas, on vient de le dire, à la prescience, comme s’il y avait en Dieu quelque mutabilité[1607] ; mais aux choses prévues, qui, elles, sont changeantes[1608].

2. Bien que toutes choses soient en Dieu immuablement, elles sont pourtant changeantes en elles-mêmes, et à cela se réfère l’effacement du livre de vie.

3. Dans le sens où nous accordons qu’un homme peut être effacé du livre de vie, il peut aussi y être inscrit à nouveau, soit quant à l’opinion des hommes, soit parce que, recouvrant la grâce[1609], il est à nouveau ordonné par elle à la vie éternelle. Et cela également se trouve compris dans la connaissance divine, mais non pas à nouveau.


 

 

QUESTION 25 — LA PUISSANCE DIVINE

Après la science et la volonté divine, après ce qui s’y rattache, il reste à étudier la puissance divine.

1. Y a-t-il en Dieu de la puissance ? 2. Sa puissance est-elle infinie ? 3. Est-il tout-puissant ? 4. Peut-il faire que les choses passées n’aient pas été ? 5. Peut-il faire les choses qu’il ne fait pas, ou omettre celles qu’il fait ? 6. Ce qu’il fait, pourrait-il le faire meilleur ?

 

            Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, il y a le même rapport entre la matière première et la puissance qu’entre Dieu, agent premier[1610], et l’acte. Or la matière première, considérée en elle-même, est sans aucun acte[1611]. Donc l’agent premier, qui est Dieu, n’a aucune puissance.

2. Selon le Philosophe, tout acte est meilleur que sa puissance ; car la forme est meilleure que la matière, et l’action est meilleure que la puissance active, car elle est la fin de celle-ci[1612]. Mais rien n’est meilleur que ce qui est en Dieu[1613] ; car tout ce qui est en Dieu est Dieu, ainsi qu’on l’a montré[1614]. Donc il n’y a en Dieu aucune puissance.

3. La puissance est un principe d’opération. Mais l’opération divine est identique à son essence, puisqu’en Dieu il n’y a aucun accident[1615]. Or l’essence divine est sans aucun principe[1616]. Donc il n’y a aucune puissance en Dieu.

4. On a montré précédemment[1617] que la science de Dieu et sa volonté sont la cause des choses. Or cause et principe sont identiques. Il ne faut donc pas attribuer à Dieu de la puissance, mais seulement de la science et de la volonté.

En sens contraire, on dit dans le Psaume (89, 9) : “ Tu es puissant, Seigneur, toi que la vérité entoure. ”

Réponse :

Il y a deux sortes de puissance : la puissance passive, qui n’est d’aucune manière en Dieu ; et la puissance active, qu’il faut lui attribuer souverainement. Il est manifeste en effet que tout étant, dans la mesure où il est en acte et parfait, est le principe actif de quelque chose[1618] ; mais il est passif dans la mesure où il est déficient et imparfait. Or on a montré plus haut que Dieu est acte pur[1619], qu’il est absolument et universellement parfait[1620], qu’il n’y a place en lui pour aucune imperfection. Dès lors, il lui convient souverainement d’être un principe actif, et en aucune manière d’être passif. Or la raison de principe actif est celle de la puissance active. Car la puissance active est un principe d’action sur autrui ; la puissance passive est un principe de passivité à l’égard d’autrui, comme l’explique le Philosophe dans la Métaphysique. Il reste donc qu’en Dieu la puissance active, et non la puissance passive, se trouve au plus haut degré.

Solutions :

1. La puissance active ne s’oppose pas à l’acte, mais se fonde sur lui, car tout être agit selon qu’il est en acte[1621]. C’est la puissance passive qui s’oppose à l’acte ; car tout étant est passif selon qu’il est en puissance. C’est donc cette dernière puissance qui est exclue de Dieu, non la puissance active.

2. Chaque fois que l’acte est autre que la puissance, il est nécessairement plus noble qu’elle. Mais l’action de Dieu n’est pas autre que sa puissance : toutes deux sont identiques à l’essence divine, car même l’être en Dieu ne diffère pas de son essence[1622]. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’il y ait quelque chose de plus noble que la puissance de Dieu.

3. Dans les choses créées, la puissance est cause non seulement de l’action, mais aussi de son effet[1623]. En Dieu donc, la raison de puissance est sauvegardée en ce qu’elle est principe de l’effet ; mais non en ce qu’elle est principe de son action, qui est identique à son essence[1624]. A moins qu’il ne s’agisse de nos façons de concevoir, selon que l’essence divine, qui contient d’avance en elle, de façon simple, toutes les perfections des créatures[1625], peut être conçue et comme action et comme puissance, de même qu’elle est conçue comme sujet possédant une nature, et en outre comme nature[1626].

4. La puissance n’est pas attribuée à Dieu comme quelque chose qui diffère réellement de sa science et de sa volonté ; elle n’en diffère que selon la raison formelle[1627], en tant que la puissance implique la raison de principe d’exécution à l’égard de ce que la volonté commande et de la fin vers laquelle la connaissance dirige[1628] : ce sont trois aspects en Dieu d’une seule réalité. Ou bien l’on peut répondre que la science elle-même, ou la volonté divine, selon que chacune est un principe efficient, ont raison de puissance. De sorte que la considération de la science et de la volonté précède en Dieu la considération de la puissance, comme la cause précède l’opération et l’effet[1629].

 

            Article 2 — La puissance de Dieu est-elle infinie ?

Objections :

1. Il semble que non, car, d’après le Philosophe, tout ce qui est infini est imparfait[1630]. Mais la puissance de Dieu n’est pas imparfaite[1631]. Donc elle n’est pas infinie.

2. Toute puissance se manifeste par l’effet : sans quoi elle est vaine[1632]. Donc si la puissance de Dieu était infinie, elle produirait un effet infini, ce qui est impossible.

3. Le Philosophe prouve qu’une puissance corporelle infinie produirait un mouvement instantané. Mais Dieu ne meut pas d’un mouvement instantané ; d’après S. Augustin, il meut la créature spirituelle dans le temps, et la créature corporelle dans le lieu et le temps[1633]. Donc sa puissance n’est pas infinie.

En sens contraire, S. Hilaire écrit : “Dieu est vivant, puissant, d’une vertu sans limite. ” Or, tout ce qui est sans limite est infini. Donc la vertu divine est infinie.

Réponse :

Comme on l’a dit dans l’article précédent, il y a en Dieu une puissance active du fait qu’il est lui-même en acte. Or son être est un être infini, n’étant pas limité par un sujet où il serait reçu[1634], comme on le voit d’après ce que nous avons dit précédemment en traitant de l’infinité de l’essence divine[1635]. Il est donc nécessaire que la puissance active de Dieu soit infinie. Car, chez tous les agents on découvre que, plus un agent possède parfaitement la forme par laquelle il agit, plus grande aussi est sa puissance active[1636]. Par exemple, plus un corps est chaud, plus il a le pouvoir de chauffer, et son pouvoir de chauffer serait infini, si sa chaleur était infinie. Aussi, comme l’essence divine par laquelle Dieu agit est infinie ainsi qu’on l’a montré[1637], il s’ensuit que sa puissance est infinie.

Solutions :

1. Le Philosophe parle de l’infini qui se tient du côté de la matière non déterminée par la forme, et tel est l’infini qui convient à la quantité[1638]. Mais ce n’est pas ainsi, nous l’avons vu[1639], que l’essence divine est infinie, et par suite ce n’est pas ainsi que sa puissance est infinie. Il ne s’ensuit donc pas que cette puissance soit imparfaite.

2. La puissance de l’agent univoque se manifeste tout entière dans son effet : ainsi la puissance génératrice dans l’homme ne peut rien de plus que d’engendrer un homme. Mais la puissance d’un agent non univoque ne se manifeste pas tout entière dans la production de son effet ; par exemple la puissance du soleil ne se manifeste pas tout entière dans la production d’un animal engendré par la putréfaction[1640]. Or il est évident que Dieu n’est pas un agent univoque ; car rien d’autre ne peut avoir en commun avec lui le genre, ou l’espèce, comme on l’a montré plus haut[1641]. Il en résulte que son effet est toujours inférieur à sa puissance. Il n’est donc pas nécessaire qu’il manifeste cette puissance en produisant un effet infini. Et pourtant, même si Dieu ne produisait rien, sa puissance n’en deviendrait pas vaine ; car on appelle vain ce qui tend à une fin et ne l’atteint pas. Or la puissance de Dieu n’est pas ordonnée à l’effet comme à sa fin ; c’est elle, plutôt, qui est la fin de son effet[1642].

3. Le Philosophe prouve, comme on l’a dit, que si un corps avait une puissance infinie, il pourrait mouvoir dans un temps nul. Et cependant il montre que la puissance du moteur céleste est infinie parce qu’il peut mouvoir durant un temps infini. Donc, dans la pensée d’Aristote, une puissance corporelle infinie, si elle existait, devrait mouvoir dans un temps nul, mais il n’en est pas de même de la puissance d’un moteur incorporel. La raison en est qu’un corps mouvant un corps est à son égard un agent univoque. Aussi faut-il que toute la puissance de l’agent se manifeste dans le mouvement. Donc, puisqu’une puissance motrice supérieure, dans un corps, meut plus vite qu’une autre, il est nécessaire que, si cette puissance est infinie, elle meuve d’une vitesse hors de proportion avec toute autre, c’est-à-dire dans un temps nul. Mais un moteur incorporel est un agent non univoque[1643] ; il n’est donc pas nécessaire que toute sa vertu se manifeste dans le mouvement, de telle sorte qu’il meuve lui aussi dans un temps nul. Et surtout parce qu’un tel agent meut selon ce que décide sa volonté[1644].

 

            Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ?

Objections :

1. Il semble que non, car être mû et subir une action appartient à toutes les choses. Mais cela, Dieu ne le peut pas, car il est immobile, comme on l’a vu plus haut[1645].

2. Pécher est un agir[1646]. Mais Dieu ne peut pas pécher, pas plus que “ se renier lui-même ”, dit S. Paul (2 Tm 2, 13). Donc Dieu n’est pas tout-puissant.

3. On dit de Dieu qu’il “ montre sa puissance surtout en pardonnant et en faisant miséricorde[1647] ”. C’est donc que l’extrême limite de cette puissance est le pardon et la miséricorde. Or il y a des choses beaucoup plus considérables que pardonner et avoir pitié, par exemple de créer un autre monde, ou quelque chose de semblable.

4. Sur ces mots de S. Paul (1 Co 1, 20) : “ Dieu a rendu folle la sagesse de ce monde ”, la Glose dit : “ Dieu l’a fait en montrant possible ce que cette sagesse jugeait impossible. ” Il semble donc qu’il ne faut pas juger du possible ou de l’impossible d’après les causes inférieures, comme fait la sagesse de ce monde, mais d’après la puissance divine. Donc, si Dieu est tout-puissant, tout sera possible. Il n’y aura donc rien d’impossible. Or supprimer l’impossible, c’est supprimer aussi le nécessaire ; car ce qui est nécessaire, il est impossible que cela n’existe pas. Il n’y aura donc rien de nécessaire dans les choses, si Dieu est tout-puissant. Or cela est impossible[1648]. Donc Dieu n’est pas tout-puissant.

En sens contraire, on lit en S. Luc (1, 37) : “ Rien n’est impossible à Dieu. ”

Réponse :

Tout le monde confesse que Dieu est tout-puissant. Mais il paraît difficile de déterminer la raison de cette toute-puissance. Car on peut douter de ce qu’il faut comprendre quand on dit : Dieu peut toutes choses. Mais à y bien regarder, puisque la puissance n’est relative qu’au possible, quand on dit : Dieu peut tout, on ne peut le comprendre mieux qu’en concevant qu’il peut tout ce qui est possible, et qu’on le dit tout-puissant à cause de cela.

Or, d’après le Philosophe, le possible se prend en deux sens. On peut l’envisager par rapport à quelque pouvoir particulier, comme si l’on dit possible à l’homme ce qui est soumis à la puissance de l’homme. Mais on ne peut pas dire que Dieu soit appelé tout-puissant parce qu’il peut tout ce qui est possible à la nature créée ; car la puissance de Dieu s’étend bien au-delà. D’autre part, si l’on dit que Dieu est tout-puissant parce qu’il peut tout ce qui est possible à sa propre puissance : on tourne en rond ; car on ne dit alors rien de plus que ceci : Dieu est tout-puissant parce qu’il peut tout ce qu’il peut. Reste que Dieu soit dit tout-puissant parce qu’il peut tout le possible absolument parlant, et telle est l’autre façon de concevoir le possible. Or on dit une chose possible ou impossible absolument d’après le rapport des termes : possible, parce que le prédicat ne contredit pas le sujet, par exemple que Socrate s’assoie[1649] ; impossible absolument, parce que le prédicat est incompatible avec le sujet, par exemple que l’homme soit un âne.

Mais puisque tout agent produit un effet semblable à lui[1650], il faut considérer qu’à toute puissance active correspond un possible, qui est son objet propre, et qui est conforme à la raison formelle de l’acte sur lequel se fonde la puissance active. Ainsi la puissance d’échauffer se rapporte comme à son objet propre à ce qui est susceptible d’échauffement. Or l’être divin, sur quoi se fonde la raison formelle de puissance divine, est un être infini et non limité à quelque genre de l’être[1651], car il possède en soi par avance la perfection de tout l’être[1652]. En conséquence, tout ce qui peut répondre à la notion d’être se trouve contenu dans le possible absolu, à l’égard duquel Dieu est dit tout-puissant.

Or, rien n’est opposé à la raison d’étant, si ce n’est le non-étant[1653]. Donc ce qui est exclu de la notion de possible absolu soumis à la puissance divine, est ce qui implique en soi simultanément l’être et le non-être. En effet, cela n’est pas soumis à la toute-puissance, non à cause d’un défaut de cette puissance divine, mais parce qu’il ne peut avoir raison de faisable et de possible. Ainsi, tous les objets qui n’impliquent pas contradiction sont compris parmi ces possibles à l’égard desquels Dieu est dit tout-puissant. Quant aux objets qui impliquent contradiction, ils ne sont pas compris dans la toute-puissance divine, parce qu’ils ne peuvent pas avoir raison de possible. Pour cette raison il convient de dire d’eux qu’ils ne peuvent pas être faits, plutôt que de dire : Dieu ne peut pas les faire. Et cette doctrine ne contredit pas la parole de l’ange : “ Rien n’est impossible à Dieu. ” Car ce qui implique contradiction ne peut être un concept, nulle intelligence ne pouvant le concevoir[1654].

Solutions :

1. Dieu est dit tout-puissant selon la puissance active, non selon la puissance passive, on vient de le dire[1655]. Aussi qu’il ne puisse ni être mû ni subir n’exclut pas la toute-puissance.

2. Le péché est un raté de l’action morale ; aussi pouvoir pécher, c’est pouvoir être en défaut en agissant, ce qui contredit la toute-puissance. Et c’est pourquoi, si Dieu ne peut pas pécher, c’est parce qu’il est tout-puissant. Cependant le Philosophe écrit : “ Dieu et le sage peuvent faire des choses mauvaises. ” Mais cela doit se comprendre ou bien comme une proposition conditionnelle dont l’antécédent est impossible, comme si l’on dit : Dieu peut faire du mal s’il veut ; car rien n’empêche qu’une proposition conditionnelle soit vraie alors que son antécédent et son conséquent sont impossibles ; par exemple : Si l’homme est un âne, il a quatre pieds. Ou bien le Philosophe entend dire que Dieu peut faire des choses apparemment mauvaises mais qui seraient bonnes s’il les faisait. Ou enfin il parle selon l’opinion commune des païens, qui croyaient que certains hommes pouvaient être divinisés, transformés en Jupiter ou Mercure.

3. La toute-puissance de Dieu se montre surtout en pardonnant et en faisant miséricorde parce que cela montre que Dieu a le pouvoir suprême, puisqu’il pardonne librement les péchés ; car celui qui est astreint à la loi d’un être supérieur ne peut librement pardonner les péchés. Ou bien encore parce qu’en pardonnant et en faisant miséricorde aux hommes, Dieu les amène à la participation du bien infini, ce qui est le souverain effet de la puissance divine[1656]. Ou encore parce que, comme on l’a dit précédemment, l’effet de la miséricorde divine est le fondement de toutes les œuvres divines[1657] ; en effet, rien n’est dû à personne si ce n’est en raison de ce qui lui fut donné d’abord gratuitement par Dieu. Or, la toute-puissance divine se manifeste surtout en ce que la première institution de tous les biens lui revient.

4. Ce qu’on dit possible absolument n’est appelé tel ni par rapport aux causes supérieures, ni à l’égard des causes inférieures, mais en soi-même. Tandis que ce qui est possible à l’égard d’une certaine puissance est appelé possible par rapport à la cause prochaine. Il s’ensuit que les choses d’une nature telle qu’elles ne peuvent avoir que Dieu pour auteur, comme la création, la justification, etc., ces choses sont dites possibles par rapport à la cause suprême. Au contraire, celles qui peuvent être réalisées par les causes inférieures sont dites possibles par rapport à celles-ci. Car c’est selon le mode d’être de sa cause prochaine que l’effet est affecté de contingence ou de nécessité, ainsi qu’on l’a dit plus haut[1658]. Si l’Apôtre déclarait folle la sagesse de ce monde, c’est parce qu’elle estimait impossible à Dieu lui-même ce qui est impossible à la nature. On voit par là que la toute-puissance de Dieu n’exclut des choses ni l’impossibilité, ni la nécessité[1659].

 

            Article 4 — Dieu peut-il faire que les choses passées n’aient pas été ?

Objections :

1. Il semble que Dieu peut le faire. Car ce qui est impossible de soi est plus impossible que ce qui est impossible par accident. Or, Dieu peut faire ce qui est impossible de soi, comme rendre la vue à un aveugle ou ressusciter un mort. A bien plus forte raison peut-il faire ce qui n’est impossible que par accident. Or, que les choses passées n’aient pas été, cela n’est impossible que par accident ; car c’est un fait purement accidentel, que l’impossibilité de ne pas courir attribuée à Socrate, du fait que cela est passé.

2. Tout ce que Dieu a pu faire, il le peut encore, car sa puissance n’est pas amoindrie[1660]. Or Dieu a pu faire, avant que Socrate courût, qu’il ne courût point : donc, après qu’il a couru, Dieu peut faire qu’il n’ait pas couru.

3. La charité est une plus grande vertu que la virginité[1661] ; or Dieu peut rétablir la charité perdue. Donc aussi la virginité, et il peut donc faire qu’une vierge qui a été déflorée ne l’ait pas été.

En sens contraire, S. Jérôme écrit “ Dieu, qui peut tout, ne peut pas faire d’une femme déflorée une femme qui ne l’ait pas été. ” Pour la même raison, il ne peut donc pas faire de tout autre événement passé un événement qui ne se soit pas passé.

Réponse :

On vient de le dire à l’article précédent[1662], ce qui implique contradiction ne tombe pas sous la toute-puissance de Dieu. Or, que le passé n’ait pas existé, c’est là une chose qui implique contradiction. Et en effet, comme il y a contradiction à dire que Socrate s’assied et ne s’assied pas, de même à dire qu’il s’est assis et qu’il ne s’est pas assis. Or dire qu’il s’est assis, c’est déclarer une chose passée ; dire qu’il ne s’est pas assis, c’est dire que cette chose passée n’a pas été. Donc, que les choses passées n’aient pas été, cela n’est pas soumis à la puissance divine. C’est ce qu’affirme S. Augustin : “ Celui qui dit : "Si Dieu est tout-puissant, qu’il fasse que ce qui a été fait n’ait pas été fait", celui-là ne voit pas qu’il dit : "Si Dieu est tout-puissant, qu’il fasse que ce qui est vrai, en cela même qu’il est vrai, soit faux". ” Et le Philosophe écrit : “ Un seul pouvoir manque à Dieu : faire que ce qui a été fait ne l’ait pas été.”

Solutions :

1. Il est bien vrai que l’impossibilité, pour le passé, de n’avoir pas été, est accidentelle, si l’on regarde ce qui est passé, par exemple la course de Socrate. Mais si l’on considère le passé comme tel, alors, qu’il n’ait pas été, c’est chose impossible non seulement de soi, mais absolument, car cela implique contradiction. C’est donc plus impossible que la résurrection d’un mort, qui, elle, n’implique pas contradiction ; elle est déclarée impossible à l’égard d’un certain pouvoir, celui de la nature[1663]. Des impossibilités de ce genre sont en effet soumises au pouvoir de Dieu.

2. De même que si Dieu peut tout en raison de la perfection de sa puissance, il y a pourtant des choses qui ne sont pas soumises à sa puissance, parce qu’il leur manque d’être possibles[1664]. Ainsi, à considérer l’immutabilité de la puissance divine[1665], Dieu peut tout ce qu’il a pu ; mais certaines choses ont été possibles autrefois, quand elles étaient faisables, qui aujourd’hui ne le sont plus, parce qu’elles ont été faites. Ainsi, on dit que Dieu ne peut pas les faire, pour exprimer qu’elles-mêmes ne peuvent pas être faites.

3. Dieu peut faire que toute tare de l’âme ou du corps disparaisse de la femme déflorée, mais il ne peut pas faire qu’elle ne l’ait pas été. De même Dieu peut bien rendre la charité au pécheur ; mais il ne peut pas faire qu’il n’ait pas péché et qu’il n’ait pas perdu la charité.

 

            Article 5 — Dieu peut-il faire les choses qu’il ne fait pas, ou omettre celles qu’il fait ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne peut faire que les choses qu’il fait. Car Dieu ne peut faire ce qu’il n’a pas prévu et préordonné qu’il ferait[1666] ; or Dieu n’a prévu et préordonné que les choses qu’il fait. Donc il ne peut faire que ce qu’il fait.

2. Dieu ne peut faire que ce qu’il doit, et ce qu’il est juste de faire[1667]. Or les choses que Dieu ne fait pas, il ne doit pas les faire, et il n’est pas juste qu’il les fasse. Donc Dieu ne peut faire que ce qu’il fait.

3. Dieu ne peut faire que ce qui est bon pour les choses qu’il a faites et qui leur convient[1668]. Or il n’est pas bon et il ne convient pas aux choses faites par Dieu d’être autrement qu’elles sont. Donc Dieu ne peut rien faire d’autre que ce qu’il fait.

En sens contraire, Jésus a dit (Mt 26, 53) : “ Ne puis-je pas prier mon Père, qui me fournirait aussitôt plus de douze légions d’anges ? ” Et ni lui-même ne pria, ni son Père ne lui envoya d’anges pour résister aux Juifs. Donc Dieu peut faire ce qu’il ne fait pas.

Réponse :

Sur ce sujet certains se sont trompés de deux façons. Les uns ont prétendu que Dieu agit comme par nécessité de nature, de sorte que, à l’instar des choses naturelles d’où ne peuvent provenir d’autres effets que ceux qui se produisent : un homme d’une semence d’homme, un olivier d’une semence d’olivier, ainsi de l’opération divine ne pourraient découler ni d’autres choses, ni un autre ordre de l’univers que celui qui existe maintenant. Mais nous avons montré plus haut que Dieu n’agit point par nécessité de nature[1669] ; que c’est sa volonté qui est la cause de toutes choses[1670], et que cette volonté elle-même n’est pas déterminée naturellement et nécessairement à ces choses-ci[1671]. Par suite ce cours des choses ne provient aucunement de Dieu avec une telle nécessité qu’il n’en puisse produire d’autres.

Certains ont dit que la puissance divine est déterminée au cours actuel des choses à cause de l’ordre conçu par sa sagesse et sa justice, hors desquelles Dieu ne fait rien. Mais puisque la puissance de Dieu, qui est son essence[1672], n’est pas autre chose que sa sagesse même[1673], on peut bien dire que rien n’est au pouvoir de Dieu si cela n’appartient pas à l’ordre de la sagesse divine ; car la sagesse divine comprend tout le pouvoir contenu dans la puissance[1674]. Toutefois, l’ordre imposé aux choses par la sagesse divine, ordre qui a raison de justice, comme on l’a dit précédemment[1675], n’égale pas en ampleur la sagesse divine de telle façon que la sagesse divine serait limitée à cet ordre-là. Il est manifeste que toute la conception de l’ordre imposé par le sage à son œuvre dépend de la fin poursuivie. Donc, quand la fin est en exacte proportion avec les choses faites en vue de cette fin, la sagesse de l’agent est limitée à un ordre déterminé. Mais la bonté divine est une fin qui dépasse hors de toute proportion les choses créées[1676]. En conséquence, la sagesse divine n’est pas restreinte à un ordre de choses fixe, tellement qu’il ne puisse découler d’elle un ordre différent. Il faut donc dire purement et simplement que Dieu peut faire autre chose que ce qu’il fait.

Solutions :

1. En nous, chez qui la puissance et l’essence sont autres que la volonté et l’intelligence[1677] ; et chez qui autre est l’intelligence, et autre la sagesse[1678] ; autre la volonté, et autre la justice, quelque chose peut être en notre puissance, qui ne peut être dans la volonté juste ou dans l’intelligence sage[1679]. Mais en Dieu la puissance et l’essence[1680], la volonté et l’intelligence[1681], la sagesse et la justice[1682] sont une seule et même chose. De sorte que rien ne peut être dans sa puissance qui ne puisse être dans sa juste volonté et dans sa sage intelligence. Alors, puisque sa volonté n’est pas déterminée nécessairement à ceci ou à cela, sinon conditionnellement, ainsi qu’on l’a exposé[1683], et puisque, nous venons de le dire[1684], la sagesse de Dieu et sa justice ne sont pas déterminées à tel ordre de choses, rien n’empêche qu’il y ait en la puissance de Dieu quelque chose qu’il ne veut pas et qui n’est pas compris dans l’ordre qu’il a imposé aux choses. Et parce que la puissance de Dieu est conçue par nous comme exécutrice, sa volonté comme impérante, son intelligence et sa sagesse comme directrices[1685] : pour cela, ce qu’on attribue à la puissance considérée seule sera dit au pouvoir de Dieu selon sa puissance absolue et nous avons reconnu tel tout ce en quoi la raison d’étant peut se trouver[1686]. Mais pour ce qu’on attribue à la puissance divine comme exécutrice du vouloir de la volonté juste, on dit que Dieu peut le faire de puissance ordonnée[1687]. Donc, selon cette distinction, nous devons dire que Dieu peut, de puissance absolue, faire autre chose que ce qu’il a prévu et préordonné qu’il ferait ; et cependant il est impossible qu’il fasse réellement des choses qu’il n’aurait pas prévu et préordonné devoir faire[1688]. Car le faire est soumis à la prescience et à la préordination[1689], mais non pas le pouvoir, qui, lui, appartient à la nature[1690]. Ainsi donc, Dieu fait quelque chose parce qu’il le veut ; mais s’il peut le faire, ce n’est pas parce qu’il le veut, c’est parce que telle est sa nature.

2. Dieu ne doit rien à personne, si ce n’est à lui-même[1691]. Ainsi, lorsqu’on dit : Dieu ne peut faire que ce qu’il doit, cela ne signifie rien d’autre que ceci : Dieu ne peut faire que ce qui est juste et convenable pour lui. Mais ce que j’appelle juste et convenable peut s’entendre de deux façons. Je puis joindre d’abord, dans ma phrase, ce que je dis juste et convenable au verbe être de telle sorte qu’il soit restreint à désigner les choses présentes, et se réfère ainsi à la puissance. Dans ce cas, la proposition est fausse ; car son sens est celui-ci : Dieu ne peut faire que ce qui est, actuellement, juste et convenable. Si au contraire ce qui est juste et convenable est joint d’abord au verbe pouvoir, qui a plus d’ampleur, et ensuite seulement au verbe être, il en résultera quelque chose de présent et d’indéterminé, et la proposition sera vraie en ce sens : Dieu ne peut rien faire qui ne serait convenable et juste s’il le faisait[1692].

3. Bien que ce cours des choses soit déterminé par ces choses qui existent présentement, la sagesse et la puissance divines ne sont pas limitées pour cela à ce cours des choses. Ainsi, bien que, pour ces choses qui se font maintenant, nul autre arrangement ne puisse être bon et convenable, cependant Dieu pourrait faire d’autres choses et leur donner un autre ordre.

 

            Article 6 — Les choses que Dieu fait, pourrait-il les faire meilleures ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne peut pas faire meilleures les choses qu’il fait. Car tout ce que Dieu fait, il le fait avec le maximum de puissance[1693] et de sagesse[1694]. Or une chose est d’autant meilleure qu’elle est faite avec plus de puissance et de sagesse. Donc Dieu ne peut faire quelque chose de meilleur que ce qu’il fait.

2. Contre Maximin, S. Augustin discute ainsi : “ Si Dieu a pu, et n’a pas voulu, engendrer un fils qui fût son égal, il a été envieux. ” Pour la même raison, si Dieu a pu faire meilleures les choses qu’il a faites et ne l’a pas voulu, il a été envieux. Or l’envie est totalement étrangère à Dieu[1695]. Donc Dieu a fait chaque chose aussi parfaitement que possible. Il ne peut donc rien faire meilleur qu’il ne l’a fait.

3. Ce qui est souverainement et pleinement bon ne peut pas être fait meilleur ; car rien ne dépasse le maximum. Or, dit S. Augustin, “ les choses que Dieu fait sont bonnes chacune prise à part ; mais prises ensemble, elles sont excellentes, car de leur ensemble résulte l’admirable beauté de l’univers[1696] ”. Donc le bien de l’univers ne peut être créé par Dieu meilleur qu’il ne l’est.

4. Le Christ, comme homme, est “plein de grâce et de vérité ” ; il possède l’Esprit sans mesure[1697] ; et ainsi il ne peut être meilleur. La béatitude créée est appelée souverain bien, et elle non plus ne peut donc pas être meilleure. Enfin la bienheureuse Marie a été élevée au-dessus de tous les chœurs des anges[1698] et ainsi elle ne peut être meilleure. Donc, tout ce que Dieu a fait, il ne peut le faire meilleur.

En sens contraire, on lit dans l’épître aux Éphésiens (3, 20), que Dieu “ peut faire infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander ou concevoir ”.

Réponse :

Chaque chose a une double bonté. L’une appartient à son essence, comme d’être une créature raisonnable est de l’essence de l’homme ; et quant à ce bien-là, Dieu ne peut faire nulle chose meilleure qu’elle n’est, bien qu’il puisse en faire une autre meilleure qu’elle. Il en est comme du nombre 4, que Dieu ne peut pas faire plus grand, car il ne serait pas alors le nombre 4, mais un autre nombre. On sait que l’addition d’une différence substantielle, dans les définitions, est comme l’addition de l’unité dans les nombres, comme l’explique la Métaphysique d’Aristote[1699], L’autre bonté des choses est celle qui s’ajoute à leur essence[1700], comme il est bon pour l’homme d’être vertueux et savant. Et selon cette bonté Dieu peut faire meilleures les choses qu’il a faites. Mais absolument parlant[1701], quelque chose que Dieu ait faite, il peut toujours en faire une autre meilleure.

Solutions :

1. Quand on dit : Dieu peut faire quelque chose de mieux que ce qu’il fait, si le mot “mieux ” est un substantif, la proposition est vraie ; car quelle que soit une chose donnée, Dieu peut toujours en faire une meilleure, et s’il s’agit de la même, il peut la faire meilleure d’une certaine façon, et non pas d’une autre façon, ainsi qu’on vient de le voir[1702]. Si le mot “ mieux ” est pris comme un adverbe, et s’il se rapporte au mode d’agir de Dieu, en ce sens-là Dieu ne peut pas faire mieux qu’il ne fait ; car il ne peut rien faire avec plus de sagesse et de bonté. Mais s’il se rapporte au mode d’être de l’effet, alors Dieu peut toujours faire mieux ; car il peut donner aux choses qu’il a créées un mode d’être plus parfait en ce qui concerne leurs attributs accidentels, sinon quant à leurs attributs essentiels.

2. Il est dans la nature des choses que le fils égale son père une fois parvenu à l’âge d’homme ; mais il n’est dans la nature d’aucune chose créée d’être meilleure que Dieu ne l’a faite[1703]. Ainsi la comparaison ne vaut pas.

3. L’univers ne peut être meilleur qu’il n’est, si on le prend comme constitué par les choses actuelles ; à cause de l’ordre très approprié attribué aux choses par Dieu et en quoi consiste le bien de l’univers[1704]. Si une seule de ces choses était rendue meilleure, la proportion de l’ordre s’en trouverait détruite, comme dans le chant de la cithare la mélodie serait altérée si une corde était tendue plus qu’elle ne doit. Mais Dieu pourrait faire d’autres choses ; il pourrait ajouter à celles qu’il a faites ; et ainsi nous aurions un autre univers meilleur.

4. L’humanité du Christ, du fait qu’elle est unie à Dieu ; la béatitude créée, du fait qu’elle est jouissance de Dieu ; et la bienheureuse Vierge, du fait qu’elle est Mère de Dieu, ont en quelque sorte une dignité infinie, dérivée du bien infini qu’est Dieu[1705]. Sous ce rapport rien ne peut être fait de meilleur qu’eux, comme rien ne peut être meilleur que Dieu.


 

 

QUESTION 26 — LA BÉATITUDE DIVINE

En dernier lieu, après ce qui concerne l’unité de l’essence divine, il faut étudier la béatitude

1. La béatitude convient-elle à Dieu ? 2. Dit-on de Dieu qu’il est bienheureux en raison de l’intellection ? 3. Dieu est-il essentiellement la béatitude de tout bienheureux ? 4. La béatitude de Dieu inclut-elle toute béatitude ?

 

            Article 1 — La béatitude convient-elle à Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non. Car, selon Boèce, la béatitude est “ un état résultant de l’assemblage de tous les biens ”. Or il n’y a pas en Dieu d’assemblage de biens, pas plus qu’aucune composition[1706]. Donc la béatitude ne convient pas à Dieu.

2. La béatitude, ou félicité, selon le Philosophe est la récompense de la vertu. Or à Dieu ne convient nulle récompense, non plus que nul mérite[1707].

En sens contraire, l’Apôtre (1 Tm 5, 15) parle de : “ Celui qui fera paraître au temps fixé le bienheureux et seul Souverain, Roi des rois et Seigneur des seigneurs. ”

Réponse :

La béatitude convient souverainement à Dieu. Car sous le nom de béatitude on ne signifie rien d’autre que la bonté parfaite de la nature intellectuelle, à qui il appartient de se connaître comblée par la bonté qui est sienne, à qui donc il appartient que ce qui lui arrive soit bon ou mauvais pour elle, et qui est maîtresse de ses actes. Or l’un et l’autre, être parfait[1708] et être intelligent[1709], appartiennent excellemment à Dieu. Donc la béatitude lui convient au plus haut point.

Solutions :

1. La somme de tous les biens n’est pas en Dieu par mode de composition mais par mode de simplicité ; car les perfections qui sont multipliées dans les créatures préexistent en Dieu dans la simplicité et l’unité, ainsi qu’on l’a expliqué précédemment[1710].

2. Être la récompense de la vertu est accidentel à la béatitude ou félicité et ne se rencontre que chez celui qui doit l’acquérir[1711] ; de même, être terme de la génération est accidentel à l’étant, et vient de ce que l’étant passe de la puissance à l’acte. Ainsi, de même que Dieu a l’existence, bien qu’il ne soit pas engendré[1712], ainsi a-t-il la béatitude bien qu’il ne mérite pas.

 

            Article 2 — Dit-on de Dieu qu’il est bienheureux en raison de l’intellection ?

Objections :

1. Il semble que non, car la béatitude est le souverain bien. Mais Dieu est dit bon selon son essence[1713] ; et c’est selon l’essence que la bonté concerne l’être[1714], d’après Boèce . Donc la béatitude est attribuée à Dieu selon son essence, et non selon son intelligence.

2. La béatitude a raison de fin[1715] ; or la fin est l’objet de la volonté, comme le bien lui-même[1716]. Donc la béatitude est attribuée à Dieu selon la volonté, et non selon l’intelligence.

En sens contraire, S. Grégoire écrit : “ Celui-là est glorieux qui, jouissant de lui-même, n’a pas besoin de louange étrangère. ” Or être glorieux signifie ici être bienheureux. Donc, puisque nous jouissons de Dieu par l’intelligence[1717], car “ la vision est toute notre récompense ”, dit S. Augustin, il semble que la béatitude soit attribuée à Dieu selon son intelligence.

Réponse :

Nous venons de définir la béatitude comme le bien parfait de la créature intellectuelle[1718]. De là vient, toute chose cherchant sa perfection, que la nature intellectuelle, elle aussi, désire naturellement être bienheureuse. Or, ce qu’il y a de plus parfait dans une nature intellectuelle quelconque, c’est l’opération intellectuelle[1719], qui lui permet de se saisir en quelque façon de toutes choses. Ainsi, la béatitude de toute nature intellectuelle créée, consiste dans l’intellection. En Dieu, I’intellection n’est pas autre que l’être même dans la réalité, ils ne se distinguent que selon les raisons formelles[1720]. On doit donc attribuer à Dieu la béatitude selon l’intelligence, comme aussi à tous les bienheureux, qui sont dits bienheureux par assimilation à sa propre béatitude[1721].

Solutions :

1. Cet argument prouve que Dieu est heureux par son essence ; mais non pas qu’on doive lui attribuer la béatitude selon la raison formelle d’essence, mais bien plutôt selon la raison formelle d’intelligence.

2. La béatitude, étant un bien, est l’objet de la volonté. Mais l’objet d’une puissance est présupposé à son acte. Et par suite, selon notre façon de comprendre, la béatitude de Dieu précède l’acte de la volonté divine qui s’y repose. Et ce ne peut être là qu’un acte d’intelligence. Voilà pourquoi c’est dans l’acte d’intelligence qu’on trouve la béatitude[1722].

 

            Article 3 — Dieu est-il essentiellement la béatitude de tout bienheureux ?

Objections :

1. Il le paraît, car Dieu est le souverain bien, ainsi qu’on l’a fait voir[1723]. Or il est impossible qu’il y ait plusieurs souverains biens, comme on l’a montré aussi[1724]. Donc, puisqu’il appartient à la raison de béatitude qu’elle soit le souverain bien, il semble que la béatitude ne soit autre chose que Dieu.

2. La béatitude est la fin dernière de la créature raisonnable[1725]. Or être la fin dernière de la créature raisonnable n’appartient qu’à Dieu. Donc Dieu seul est la béatitude de tout bienheureux.

En sens contraire, la béatitude de l’un est plus grande que la béatitude de l’autre, selon ces mots de l’Apôtre (I Co 15, 41) : “ Une étoile diffère en éclat d’une autre étoile. ” Or rien n’est plus grand que Dieu. Donc la béatitude est autre chose que Dieu.

Réponse :

La béatitude de la nature intellectuelle consiste dans un acte d’intelligence[1726]. Mais on peut y considérer deux choses : l’objet de l’acte, qui est l’intelligible, et l’acte même qui est l’intellection.

Si l’on considère la béatitude du côté de son objet, en ce sens, c’est Dieu seul qui est la béatitude ; car un être est bienheureux par cela seul qu’il connaît Dieu par l’intelligence[1727], conformément à ces paroles de S. Augustin : “ Bienheureux celui qui te connaît, ignorât-il tout le reste. ” Mais considérée quant à l’acte même de l’intelligence, la béatitude est quelque chose de créé dans les créatures bienheureuses[1728]. Tandis qu’en Dieu elle est quelque chose d’incréé.

Solutions :

1. La béatitude, quant à son objet, consiste dans le souverain bien purement et simplement, c’est-à-dire en Dieu[1729]. La béatitude quant à l’acte, dans les créatures bienheureuses, est le souverain bien non purement et simplement mais par rapport à l’ensemble des biens auxquels la nature peut participer.

2. Comme le remarque le Philosophe, sous le nom de fin on désigne deux choses : ce dont on jouit, et l’acte par lequel on en jouit ; ou, si l’on veut, la chose même, et l’usage qu’on en fait. Par exemple, pour l’avare, la fin c’est l’argent et l’acquisition de l’argent. Donc la fin dernière de la créature raisonnable, c’est Dieu à titre d’objet ; mais c’est la béatitude créée comme étant l’usage, ou pour mieux dire la jouissance de cet objet[1730].

 

            Article 4 — La béatitude de Dieu inclut-elle toute béatitude ?

Objections :

1. Il semble que la béatitude divine n’embrasse pas toutes les béatitudes. En effet, il y a de fausses béatitudes[1731]. Mais en Dieu rien ne peut être faux.

2. Pour quelques-uns, la béatitude consiste dans les choses corporelles, comme les voluptés, les richesses, etc., toutes choses étrangères à Dieu, qui est incorporel[1732]. Donc la béatitude de Dieu ne comprend pas toute béatitude.

En sens contraire, la béatitude est une perfection. Or la perfection de Dieu comprend toute perfection, ainsi qu’on l’a montré[1733]. Donc la béatitude de Dieu comprend toute béatitude.

Réponse :

Tout ce qu’il y a de désirable en quelque béatitude que ce soit, vraie ou fausse, tout cela préexiste éminemment dans la béatitude divine. De la félicité contemplative, il retient la perpétuelle et infaillible contemplation de lui-même[1734], ainsi que de tout le reste. De la félicité active, il tient le gouvernement de tout l’univers[1735]. Du bonheur terrestre, qui, au dire de Boèce, comprend les plaisirs, les richesses, la puissance, la dignité et la gloire, il a : pour plaisirs, la joie de lui-même et de tout le reste[1736] ; pour richesses, cette suffisance parfaite[1737] qu’elles promettent aux hommes ; pour puissance, la toute-puissance[1738] ; pour dignité, le gouvernement universel ; pour gloire, l’admiration de toute créature.

Solutions :

1. Une béatitude est fausse selon qu’elle s’éloigne de la béatitude vraie, ce qui n’est pas le cas de Dieu. Toutefois, ce qui demeure là, si peu que ce soit, de semblable à la béatitude, préexiste tout entier dans la béatitude divine.

2. Les biens qui existent de façon corporelle dans les créatures corporelles existent en Dieu spirituellement, selon le mode qui est le sien[1739]. Que cela suffise, en ce qui concerne l’essence divine prise en son unité.

 


 

QUESTION 27 — LA PROCESSION DES PERSONNES DIVINES

Au sujet de la procession, cinq questions se posent : 1. Y a-t-il une procession en Dieu ? 2. Y a-t-il en Dieu une procession qu’on puisse appeler génération ? 3. Outre la génération, peut-il y avoir une autre procession en Dieu ? 4. Cette autre procession peut-elle s’appeler génération ? 5. N’y a-t-il en Dieu que ces deux processions ?

 

            Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ?

Objections :

1. “ Procession ” évoque un mouvement vers le dehors. Mais en Dieu, il n’y a ni mouvement[1740] ni dehors[1741] : il n’y a donc pas non plus de procession en Dieu.

2. Tout ce qui “ procède ” est autre que son principe. Mais en Dieu il n’y a aucune diversité : c’est au contraire la simplicité suprême[1742]. Donc, pas de procession en Dieu.

3. Procéder d’un autre, cela paraît s’opposer à la notion même de premier principe. Or, comme on l’a montré plus haut, Dieu est le premier principe[1743]. Il n’y a donc pas de place en Dieu pour une procession.

En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (8, 42) : “ Je suis sorti de Dieu. ”

Réponse :

Touchant les réalités divines, la Sainte Écriture use de termes qui ont trait à une procession. Procession qui a été comprise en sens divers. Certains l’ont entendue à la manière dont l’effet procède de la cause : Arius disait ainsi que le Fils procède du Père comme sa première créature, et que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils comme leur créature à tous deux. Mais dans cette hypothèse, ni le Fils ni le Saint-Esprit ne seraient vrai Dieu, contrairement à ce qui est dit du Fils, en la première épître de S. Jean (5, 20) : “ Afin que nous soyons en son vrai Fils : il est vrai Dieu. ” S. Paul dit aussi du Saint-Esprit (1 Co 6,19) : “ Ne savez-vous pas que vos membres sont le temple du Saint-Esprit ? ” Or il n’appartient qu’à Dieu d’avoir un temple.

D’autres ont entendu cette procession au sens où l’on dit que la cause procède en son effet, en tant qu’elle le meut ou lui imprime sa ressemblance. Ainsi fit Sabellius. D’après lui, Dieu le Père lui-même s’appelle “ le Fils ” en tant qu’il a pris chair de la Vierge ; et il s’appelle “ le Saint-Esprit ” en tant qu’il sanctifie et vivifie la créature raisonnable. Mais cela va contre l’affirmation du Seigneur an 5,19) : “ Le Fils ne peut rien faire de lui-même... ” ; et contre tant d’autres passages qui montrent que ce n’est pas le Père qui est le Fils.

Or, à bien réfléchir, Arius et Sabellius ont pris “ procession ” au sens de mouvement vers un terme extérieur ; de sorte qu’aucun d’eux n’a posé de procession en Dieu même. Mais toute procession suppose une action. Et si, dans le cas de l’action qui se porte sur une matière extérieure, il y a une procession ad extra ; de même aussi dans le cas de l’action qui demeure au-dedans de l’agent lui-même, il y a lieu de considérer une certaine procession ad intra. On le voit surtout dans l’intelligence, dont l’acte, qui est l’intellection, demeure dans le sujet connaissant[1744]. En quiconque connaît, et du fait même qu’il connaît, quelque chose procède au-dedans de lui : à savoir, le concept de la chose connue, procédant de la connaissance de cette chose[1745]. C’est ce concept que la parole signifie : on l’appelle “ verbe intérieur ”, signifié par le “ verbe oral ”.

Or, Dieu étant au-dessus de toutes choses, ce qu’on affirme de lui doit s’entendre, non pas à la manière des créatures inférieures, autrement dit des corps, mais par analogie avec les créatures les plus hautes, c’est-à-dire avec les créatures spirituelles[1746] ; et même empruntée à celle-ci, cette similitude reste en défaut pour représenter les réalités divines[1747]. Il ne faut donc pas entendre “procession” au sens où il s’en rencontre dans le monde corporel, soit par mouvement local, soit par l’action d’une cause sur son effet extérieur : ainsi la chaleur procède de la source chaude et atteint le corps échauffé. Il faut ici l’entendre par manière d’émanation intellectuelle, tel le verbe intelligible émanant de celui qui parle et demeurant au-dedans de lui. C’est en ce dernier sens que la foi catholique pose une procession en Dieu.

Solutions :

1. Cette objection prend “ procession ” au sens d’un mouvement local, ou bien d’une action qui s’exerce sur une matière extérieure ou qui tend à un effet extérieur. Mais on vient de dire[1748] qu’il n’y a pas de procession de ce genre en Dieu.

2. Ce qui procède par procession ad extra, et le principe dont il procède, sont nécessairement divers. Ce n’est plus le cas pour ce qui procède intérieurement par processus intellectuel : ici au contraire, plus la procession est parfaite, plus le terme fait un avec son principe. Il est clair en effet que, mieux la chose est connue, plus la conception intellectuelle est intime au connaissant et fait un avec lui : car l’intellect, en tant précisément qu’il est en acte de connaître devient une seule chose avec le connu[1749]. Dès lors, l’intellection divine étant au sommet de la perfection, comme on l’a dit[1750], il s’ensuit nécessairement que le Verbe divin est parfaitement un avec son principe sans la moindre diversité.

3. Procéder d’un principe comme son terme extérieur et divers : oui, cela répugne à la condition de Premier Principe. Mais procéder comme terme intime, sans diversité, par mode intellectuel, c’est inclus dans la notion de Premier Principe. En effet, quand nous disons que l’architecte est le principe de l’édifice[1751], nous évoquons dans ce mot de “ principe ” la conception de son art ; et cette conception serait ainsi incluse dans l’attribut de premier principe, si l’architecte était premier principe. Or Dieu qui est le Premier Principe des choses, est aux choses créées ce que l’architecte est à ses œuvres.

 

            Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

Objections :

1. La génération est le changement du non-être à l’être, c’est-à-dire l’opposé de la corruption ; l’un et l’autre ont pour sujet la matière. Mais rien de tout cela ne convient à Dieu. Il ne peut donc pas y avoir de génération en Dieu.

2. En Dieu, avons-nous dit[1752], il y a procession de mode intellectuel. Mais en nous cette procession ne s’appelle pas génération. En Dieu non plus, par conséquent[1753].

3. Quiconque est engendré reçoit l’être de son principe ; par suite en tout engendré, l’être est reçu. Mais aucun être reçu n’est subsistant par soi[1754]. Et comme l’être divin nous l’avons prouvé[1755] est subsistant par soi, il s’ensuit que l’être d’aucun engendré n’est l’être divin. Il n’y a donc pas de génération en Dieu.

En sens contraire, on lit dans le Psaume (2, 7) : “ Je t’ai engendré aujourd’hui. ”

Réponse :

La procession du Verbe en Dieu se nomme “génération ”. Pour le montrer, distinguons deux emplois du mot génération. On l’applique d’abord dans un sens général à tout ce qui s’engendre et se corrompt ; dans ce cas, “ génération ” ne signifie rien d’autre que le passage du non-être à l’être. Nous en usons en second lieu, et cette fois au sens propre, à propos des vivants[1756] ; dans ce cas, “ génération ” signifie “ l’origine qu’un vivant tire de son principe vivant conjoint ” : on la nomme proprement “ naissance ”. Ceci pourtant ne suffit pas pour être qualifié d’“ engendré ” ; ce nom n’est donné proprement qu’à ce qui procède selon la ressemblance au principe. Un poil, un cheveu ne vérifie pas la condition d’engendré, ni de fils ; seul la vérifie ce qui procède selon la ressemblance ; et non pas selon n’importe quelle ressemblance ; car les vers engendrés des animaux ne vérifient pas une génération, ni une filiation, malgré la ressemblance générique. Pour qu’il y ait génération au second sens, il faut procéder selon la ressemblance spécifique, comme l’homme procède de l’homme ; le cheval, du cheval.

Dès lors, chez les vivants, comme l’homme ou l’animal, qui procèdent de la puissance à l’acte de vie, la génération inclut les deux modes susdits, changement et naissance. Mais dans le cas d’un vivant dont la vie ne passe pas de la puissance à l’acte, la procession, s’il s’en rencontre en lui, exclut absolument le premier mode de génération ; par contre, elle peut vérifier la notion propre aux vivants.

C’est donc ainsi que la procession du Verbe, en Dieu, a raison de génération. Le Verbe, en effet, procède par mode d’activité intellectuelle : et c’est là une opération “ vitale ”[1757] ; il procède “ d’un principe conjoint” on l’a déjà dit[1758] ; et “par assimilation formelle ”, car le concept d’intelligence est la similitude de la chose connue[1759] ; et il “ subsiste en la même nature ”, car en Dieu l’intellection est identique à l’être on l’a montré plus haut[1760]. Voilà pourquoi la procession du Verbe en Dieu, prend le nom de “ génération ”, et le Verbe qui procède, celui de “ Fils ”.

Solutions :

1. Cette objection tire argument de la génération au premier sens, celle qui comporte passage de la puissance à l’acte. Ainsi entendue, la génération ne se trouve pas en Dieu, nous l’avons dit[1761].

2. En nous, l’acte d’intellection n’est pas la substance même de l’intellect : aussi le verbe qui procède en nous selon l’opération intellectuelle, n’a pas la même nature que son principe[1762] ; et par suite il ne vérifie pas proprement et complètement la notion de génération. Mais l’acte d’intellection divine est la substance même du sujet connaissant on l’a montré plus haut[1763] ; aussi le Verbe y procède comme un subsistant de même nature. Et pour cette raison, c’est au sens propre qu’on le dit “ engendré ” et “ Fils ”. De là vient que l’Écriture, pour désigner la procession de la Sagesse divine, fait appel à des notions propres à la génération des vivants, celles de “ conception ”, “ d’enfantement ”[1764]. Ainsi le livre des Proverbes (8, 24) fait dire à la Sagesse divine : “ Les abîmes n’existaient pas encore, et j’étais déjà conçue. J’étais enfantée avant les collines. ” Mais pour notre intellect, nous usons seulement du terme “ conception ”, pour autant que le verbe de notre intellect soutient avec la chose connue un rapport de similitude, et non d’identité de nature[1765].

3. Tout ce qui est reçu n’est pas nécessairement reçu dans un sujet ; sans quoi l’on ne pourrait pas dire que toute la substance de la chose créée est reçue de Dieu, puisqu’il n’y a pas de sujet récepteur de toute la substance. Semblablement, ce qui est engendré en Dieu reçoit bien l’être de celui qui l’engendre, sans que pour autant cet être soit reçu dans une matière[1766] ou un sujet[1767] ; car cela répugne à la subsistance de l’être divin : on le dit “ reçu ”, parce que le terme procédant tient d’un autre l’être divin, et non pas parce qu’il serait distinct de cet être divin. La perfection même de l’être divin contient en effet et le Verbe qui procède intellectuellement et le principe du Verbe, comme aussi nous l’avons dit de tout ce qui appartient à la perfection divine[1768].

 

            Article 3 — Outre la génération, peut-il y avoir une autre procession en Dieu ?

Objections :

1. Il n’y a, semble-t-il, en Dieu d’autre procession que la génération du Verbe. Car en admettre une seconde, c’est se donner une raison d’en admettre encore une autre, et ainsi de suite à l’infini : or cela ne saurait être admis. Arrêtons-nous donc à la première : il n’y a qu’une procession en Dieu.

2. D’ailleurs chaque nature ne comporte qu’une manière de se communiquer. La raison en est que les opérations se multiplient et se différencient par leurs termes. Or il n’y a procession en Dieu que par communication de la nature divine. Et puisqu’il n’y a qu’une nature divine, ainsi qu’on l’a montré plus haut[1769], il s’ensuit qu’en Dieu il n’y a qu’une procession.

3. S’il devait y avoir en Dieu une autre procession que la procession intellectuelle du Verbe, ce serait sans doute la procession de l’amour, qui s’accomplit par l’opération de la volonté[1770]. Mais cette procession ne peut pas se distinguer de la procession propre de l’intellect, puisqu’en Dieu la volonté n’est pas distincte de l’intellect, on l’a vu plus haut[1771]. En Dieu donc, pas d’autre procession que la procession du Verbe.

En sens contraire, on lit en S. Jean que le Saint-Esprit procède du Père (15, 26), et qu’il est lui-même distinct du Fils (14, 16) : “ Je prierai mon Père et il vous enverra un autre Paraclet. ”. Il y a donc en Dieu une autre procession que la procession du Verbe.

Réponse :

Il y a deux processions en Dieu : celle du Verbe, et une autre. Pour le faire voir, considérons qu’en Dieu il n’y a de procession qu’en raison de l’action qui demeure en l’agent lui-même, au lieu de se porter vers un terme extérieur[1772]. Et dans une nature intellectuelle, cette action immanente se réalise dans l’acte d’intelligence et dans l’acte de volonté[1773]. La procession du Verbe appartient à l’acte d’intelligence[1774]. Quant à l’opération de la volonté, elle donne lieu en nous à une autre procession : la procession de l’amour, qui fait que l’aimé est dans l’aimant[1775], comme la procession du Verbe fait que la chose dite ou connue est dans le connaissant[1776]. Dès lors, outre la procession du Verbe, est affirmée en Dieu une autre procession : c’est la procession de l’amour.

Solutions :

1. Il n’est pas nécessaire d’aller à l’infini dans les processions divines. Car, dans une nature intellectuelle, la procession ad intra trouve son achèvement dans la procession de volonté[1777] .

2. Tout ce qui est en Dieu est Dieu, comme on l’a montré[1778]. Mais c’est là une condition qui ne se retrouve nulle part ailleurs[1779]. Il est donc vrai que la nature divine est communiquée dans toute procession qui n’est pas ad extra : mais ce n’est pas le cas des autres natures.

3. Bien qu’en Dieu intelligence et volonté ne soient qu’une même chose, il est pourtant essentiel à la volonté et à l’intellect que les processions qui s’accomplissent dans leurs opérations respectives se disposent dans un certain ordre : en effet, pas de procession d’amour qui ne dise ordre à la procession d’un verbe, puisque rien ne peut être aimé de volonté, qui n’ait été conçu dans l’intellect[1780]. De même donc qu’on doit considérer un ordre du Verbe au principe d’où il procède, bien qu’en Dieu l’intellect et le concept ne soient qu’une même substance[1781] ; de même, bien qu’en Dieu volonté et intellect ne fassent qu’un, la procession de l’amour garde une distinction d’ordre avec la procession du verbe, parce qu’il est essentiel à l’amour de procéder de la conception de l’intelligence.

 

            Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il, c’est une génération. Car l’être qui procède en ressemblance de nature chez les vivants, on dit bien qu’il est engendré, qu’il naît. Or ce qui procède en Dieu par mode d’amour, procède en ressemblance de nature[1782] : sans quoi il serait étranger à la nature divine, et nous aurions là une procession ad extra. Par conséquent, ce qui procède en Dieu par mode d’amour, procède comme un terme engendré et qui naît.

2. La similitude, qui est essentielle au verbe, est aussi essentielle à l’amour[1783] : “ Tout être vivant aime son semblable ”, dit l’Ecclésiastique (13, 15). Si donc, en raison de sa similitude, il convient au verbe qui procède d’être engendré et de naître, cela convient aussi, semble-t-il, à l’amour qui procède.

3. Ce qui ne rentre sous aucune espèce d’un genre, ne fait point partie de ce genre. Donc, du fait qu’on vérifie en Dieu une “ procession ”, il faut bien qu’outre ce nom générique, elle ait un autre nom, spécifique celui-ci. Or on n’en peut donner d’autre que celui de “ génération ”. Il semble donc bien que la procession d’amour en Dieu est une génération.

En sens contraire, s’il en était ainsi, le Saint-Esprit qui est le terme de cette procession d’amour[1784], serait engendré : or S. Athanase le nie : “ Le Saint-Esprit vient du Père et du Fils ; non qu’il soit fait, ni créé, ni engendré [par eux], mais il en procède. ”

Réponse :

La procession de l’amour, en Dieu, ne doit pas être qualifiée de génération. On s’en rendra compte par la considération que voici : entre l’intelligence et la volonté, il y a cette différence que l’intelligence est en acte du fait que la chose connue est dans l’intellect par sa similitude[1785] : la volonté, elle, est en acte, non parce qu’une similitude du voulu est dans le voulant, mais bien parce qu’il y a en elle une inclination vers la chose voulue[1786]. Il en résulte que la procession qui se prend selon le caractère propre de l’intellect est formellement assimilatrice, et pour autant il est possible qu’elle soit une génération, car celui qui engendre, c’est le semblable à soi-même qu’il engendre[1787]. A l’inverse, la procession qui se prend selon l’action de la volonté, ce n’est pas sous l’aspect d’assimilation qu’elle nous apparaît, mais plutôt comme impulsion et mouvement vers un terme. C’est pourquoi ce qui, en Dieu, procède par mode d’amour ne procède pas comme engendré, comme fils, mais bien plutôt comme souffle. Ce mot évoque une sorte d’élan et d’impulsion vitale, dans le sens où l’on dit que l’amour nous meut et nous pousse à faire quelque chose.

Solutions :

1. Tout ce qui est en Dieu ne fait qu’un avec la nature divine[1788]. Ce n’est donc pas du côté de cette unité qu’on peut saisir la raison propre de telle ou telle procession, autrement dit ce qui distingue l’une de l’autre ; la raison propre de chacune des processions doit se prendre de l’ordre qu’elles soutiennent entre elles. Or cet ordre dépend de la nature propre du vouloir et de l’intellect. C’est donc d’après la nature propre de ces deux activités que chaque procession en Dieu reçoit un nom : le nom qu’on donne à une chose, en effet, veut signifier la nature propre de cette chose[1789]. Voilà pourquoi ce qui procède par mode d’amour a beau recevoir la nature divine : on ne dira pourtant pas qu’il est “ né ”.

2. Si la similitude appartient au verbe et à l’amour, c’est à titre différent. Elle appartient au verbe en ce sens que lui-même est une similitude de celui qui l’engendre. Quant à l’amour, ce n’est pas qu’il soit lui-même une similitude ; mais la similitude est principe d’amour[1790]. Il ne s’ensuit donc pas que l’amour soit engendré, mais que l’engendré est principe de l’amour.

3. Nous ne pouvons nommer Dieu que par emprunt aux créatures, on l’a dit plus haut[1791]. Et comme, dans la créature, il n’y a communication de la nature que par génération, la procession en Dieu n’a pas d’autre nom d’espèce que celui de génération. Dès lors, la procession qui n’est pas génération est demeurée sans nom d’espèce : on peut cependant l’appeler “spiration ” puisque c’est la procession de l’“ Esprit ”.

 

            Article 5 — N’y a-t-il en Dieu que ces deux processions ?

Objections :

1. De même qu’on attribue à Dieu la connaissance et le vouloir, on lui attribue aussi la puissance[1792]. Donc, si l’on conçoit deux processions en Dieu selon la connaissance et le vouloir, il faut en concevoir une troisième selon la puissance.

2. La bonté est par excellence principe de procession, puisqu’on dit que le bien est diffusif de soi[1793]. Il faut donc concevoir en Dieu une procession selon la bonté.

3. En Dieu, la fécondité a plus de puissance qu’en nous[1794]. Or en nous la procession du verbe n’est pas unique, mais multiple ; en effet, d’un verbe en nous procède un autre verbe ; et pareillement d’un amour, un autre amour. Donc en Dieu aussi, il y a plus de deux processions.

En sens contraire, ils sont deux seulement qui procèdent en Dieu : le Fils et le Saint-Esprit. Il n’y a donc en lui que deux processions.

Réponse :

En Dieu on ne peut concevoir de procession que selon les actions qui demeurent dans l’agent. Or, des actions de ce genre, dans une nature intellectuelle et divine, il n’y en a que deux : l’intellection et le vouloir. Car la sensation, qui semble aussi une opération immanente au sujet sentant, n’appartient pas à la nature intellectuelle[1795] ; elle n’est d’ailleurs pas complètement étrangère au genre des actions ad extra, puisque la sensation s’accomplit par action du sensible sur le sens. Il reste donc qu’en Dieu, il ne peut y avoir d’autre procession que celle du verbe et de l’amour.

Solutions :

1. La puissance est principe de l’action qu’on exerce sur autre chose[1796] ; l’action évoquée par l’attribut de puissance est donc l’action ad extra. Dès lors, la procession évoquée dans ce même attribut n’est pas la procession d’une personne divine ; ce n’est que la procession des créatures.

2. Au dire de Boèce, le bien concerne l’essence[1797], et non pas l’opération, sinon à titre d’objet de la volonté. Et comme il nous faut concevoir les processions divines à raison de quelque action, la bonté et les attributs du même genre ne nous donnent pas à saisir d’autres processions que celles du Verbe et de l’Amour, en tant que Dieu connaît et aime son essence, sa vérité[1798] et sa bonté.

3. C’est par un acte unique et simple que Dieu connaît tout, et pareillement veut tout ; on l’a dit plus haut[1799]. Il ne peut donc pas y avoir en lui de verbe procédant d’un autre verbe, ni d’amour procédant d’un autre amour ; il n’y a en lui qu’un Verbe parfait et qu’un Amour parfait[1800]. Et c’est en cela que se manifeste sa parfaite fécondité.

 


 

QUESTION 28 — LES RELATIONS DIVINES

1. Y a-t-il en Dieu des relations réelles ? 2. Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même, ou bien sont-elles “ accolées du dehors ” ? 3. Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ? 4. Quel est leur nombre ?

 

            Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ?

Objections :

1. Boèce dit : “ Quand on fait usage des prédicaments pour parler de Dieu, tous ceux que l’on peut attribuer passent au genre substance[1801] ; quant à la relation, il est absolument impossible de l’attribuer. ” Or ce qui se trouve réellement en Dieu peut lui être attribué. C’est donc qu’il n’y a pas réellement de relation en Dieu.

2. Boèce dit encore : “ La relation de Père à Fils, dans la Trinité, et celle de tous deux au Saint-Esprit, sont comme la relation du même au même. ” Or cette dernière n’est qu’une relation de raison, car toute relation réelle exige des extrêmes qui soient réellement deux. Dès lors, les relations qu’on affirme en Dieu ne sont pas des relations réelles, mais de pure raison. [1802]

3. La relation de paternité est une relation de principe. Or, quand on dit que Dieu est principe des créatures, cela n’évoque pas de relation réelle, mais seulement une relation de raison[1803]. Ni les autres relations qu’on y considère, pour la même raison.

4. Il y a relation en Dieu à raison de la procession intelligible d’un verbe[1804]. Mais les relations consécutives aux opérations de l’intellect sont des relations de raison. Dès lors la paternité et la filiation qu’on affirme en Dieu, du fait de cette génération, ne sont que des relations de raison.

 

En sens contraire, on ne parle de père qu’en raison d’une paternité, et de fils, qu’en raison d’une filiation. Donc, si en Dieu il n’y a réellement ni paternité, ni filiation, il s’ensuit que Dieu n’est pas réellement Père, ni Fils ; il ne l’est que par considération de notre esprit. Or c’est là l’hérésie de Sabellius[1805].

Réponse :

Il existe réellement des relations en Dieu. Pour le mettre en évidence, considérons que dans la seule catégorie de relation on trouve des prédicats qui sont attribués par la raison à un sujet sans que, dans la réalité, une propriété de ce sujet leur corresponde. Cela n’arrive pas dans les autres genres ; ceux-ci, tels la quantité et la qualité, signifient formellement et proprement quelque chose d’inhérent à un sujet[1806]. Tandis que les prédicats relatifs ne signifient formellement et proprement qu’un rapport à autre chose. Rapport qui parfois existe dans la nature même des choses : quand des réalités sont, par nature, ordonnées l’une à l’autre[1807]. De telles relations sont nécessairement réelles. Ainsi le corps pesant possède une inclination et un ordre au lieu central ; par suite, il y a dans le pesant lui-même un rapport au lieu central. Il en est de même dans les autres cas de cette sorte. Mais parfois aussi le rapport signifié par le prédicat relatif n’existe que dans l’appréhension même de la raison[1808], qui établit une comparaison entre une chose et une autre. Ce n’est alors qu’une relation de raison : comme lorsque l’esprit, comparant “ homme ” à “ animal ”, y considère l’espèce d’un genre.

Or, quand une chose procède d’un principe d’une même nature, tous les deux, ce qui procède et son principe, appartiennent nécessairement à un même ordre ; et par suite ils doivent soutenir entre eux des rapports réels. Donc, puisque, en Dieu, les processions se réalisent en identité de nature, on l’a vu plus haut[1809], nécessairement les relations que l’on considère du fait de ces processions, sont des relations réelles.

Solutions :

1. On dit que le relatif ne s’attribue pas du tout “ en Dieu ”, quand on considère la raison propre du prédicat relatif, laquelle se prend non pas du sujet où il inhère, mais de l’autre, c’est-à-dire du terme auquel le sujet est relatif[1810]. Boèce n’a donc pas voulu par là nier l’existence d’aucune relation en Dieu ; il niait que la relation comme telle s’attribuât par manière de réalité inhérente ; elle s’attribue plutôt par manière de rapport à autre chose.

2. La relation signifiée par l’expression “le même” est une relation de raison, s’il s’agit d’identité pure et simple[1811] ; car cette sorte de relation ne peut consister qu’en un certain ordre saisi par la raison entre une chose et elle-même, prise sous deux de ses aspects. Il en est autrement lorsqu’on dit de plusieurs réalités qu’elles sont identiques, non plus numériquement, mais quant à leur nature générique ou spécifique. Boèce met donc en parallèle relations divines et relations d’identité, non pas sous tous les rapports, mais en ceci seulement que les relations dont il s’agit, tout comme la relation d’identité, n’introduisent aucune diversité dans la substance.[1812]

3. La créature procédant de Dieu en diversité de nature, Dieu est en dehors de tout l’ordre créé[1813] ; en outre, sa relation aux créatures ne provient pas de sa nature. Ce n’est pas, en effet, par une nécessité de sa nature qu’il produit les créatures[1814], mais par sa pensée et par son vouloir, on l’a dit plus haut[1815]. De là vient que la relation aux créatures n’est pas réelle en Dieu. En revanche, la relation à Dieu est réelle dans les créatures ; car celles-ci sont soumises à l’ordre divin[1816], et il est intrinsèque à leur nature de dépendre de Dieu. Quant aux processions divines, elles s’accomplissent en identité de nature[1817] ; leur cas ne peut donc pas être assimilé au précédent.

4. Les relations résultant, dans les choses connues mêmes, de la seule opération de l’intellect, ne sont que des relations de raison[1818] ; c’est en effet la raison qui les découvre entre deux objets appréhendés. Mais les relations qui résultent des opérations de l’intellect et s’établissent entre le verbe et son principe, ne sont pas de simples relations de raison : ce sont des relations réelles. Car l’intellect lui-même et la raison sont bien une réalité, et ils se rapportent réellement à ce qui en procède intellectuellement, de même que la chose corporelle se rapporte réellement à ce qui en procède corporellement. C’est ainsi qu’en Dieu paternité et filiation sont des relations réelles.

 

            Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

Objections :

1. Au dire de S. Augustin, “ parmi les noms qu’on donne à Dieu, tous ne désignent pas la substance[1819]. On lui donne des noms relatifs comme celui de Père, qui se dit par rapport au Fils ; et ces noms-là ne s’attribuent pas au titre de la substance ”. C’est donc que la relation n’est pas l’essence divine.

2. S. Augustin écrit aussi : “ Toute réalité désignée par un terme relatif, est encore quelque chose quand on fait abstraction de l’aspect relatif : ainsi le maître est un homme, l’esclave est un homme. ” Donc, s’il existe des relations en Dieu, il doit y avoir en Dieu autre chose que ces relations : or ce ne peut être que son essence[1820] ; donc son essence est autre chose que ses relations.

3. L’être du relatif consiste à se rapporter à autre chose. Donc, si la relation est l’essence divine elle-même, l’être de cette essence divine consistera à se rapporter à autre chose. Cela n’est pas compatible avec la perfection de l’être divin, qui est ce qu’il y a de plus purement absolu et subsistant par soi[1821]. Donc la relation n’est pas l’essence divine elle-même.

En sens contraire, toute réalité qui n’est pas l’essence divine, est une créature[1822]. Or la relation se vérifie réellement en Dieu[1823]. Donc, si elle n’est pas l’essence divine, ce sera une créature ; et dès lors on ne devra pas lui rendre un culte de latrie. Or on chante au contraire dans la Préface : “ .. Afin d’adorer la propriété dans les Personnes, et l’égalité dans la majesté. ”

Réponse :

On dit que sur ce point Gilbert de la Porrée s’est trompé, mais que dans la suite, au Concile de Reims, il rétracta son erreur. Il disait en effet qu’en Dieu les relations sont assistentes, c’est-à-dire accolées du dehors.

Pour éclaircir cette question, notons d’abord qu’en chacun des neuf genres d’accident, il y a deux aspects à considérer. Il y a d’abord l’être qui convient à chacun d’eux en tant qu’accident ; et pour tous en général, il consiste à exister dans le sujet : en effet, l’être de l’accident, c’est d’exister dans un autre[1824]. L’autre aspect à considérer en chacun d’eux, c’est la raison formelle propre de chacun de ces genres. Or, dans les autres genres que la relation, par exemple dans la quantité et la qualité, la raison formelle propre du genre se prend encore par rapport au sujet[1825] ; on dit ainsi que la quantité est une mesure de la substance, que la qualité est une disposition de la substance. Mais la raison formelle propre de la relation ne se prend pas par rapport au sujet en qui elle existe ; elle se prend par rapport à quelque chose d’extérieur.

Donc, si nous considérons les relations, même dans les choses créées, en tant que relations, sous cet aspect elles se trouvent bien assistentes, et non pas fixées du dedans ; c’est-à-dire qu’elles signifient un rapport contigu en quelque sorte à la chose référée elle-même, puisqu’il se porte à partir d’elle vers l’autre. Tandis que, si l’on considère la relation en tant qu’accident, elle est aussi inhérente au sujet ayant en lui un être accidentel. Gilbert de la Porrée, lui, n’a considéré la relation que sous le premier aspect.

Or tout ce qui, dans les créatures, possède un être accidentel, selon qu’on le transfère en Dieu, y possède l’être substantiel ; car rien n’existe en Dieu à la manière d’un accident dans son sujet ; tout ce qui existe en Dieu est son essence[1826]. Ainsi donc, si l’on considère la relation sous l’aspect où, dans les choses créées, elle a un être accidentel dans le sujet, de ce côté la relation qui existe réellement en Dieu a l’être de l’essence divine ne faisant qu’un avec elle. Mais en tant même que relation, elle ne signifie pas un rapport à l’essence, mais bien à son opposé.

Ainsi est-il clair que la relation réelle en Dieu est réellement identique à l’essence, et n’en diffère que par une considération de l’esprit[1827], en tant que la relation évoque un rapport à son opposé, que n’évoque pas le terme d’essence. On voit aussi qu’en Dieu il n’y a pas à distinguer l’être relatif et l’être essentiel : ce n’est qu’un seul et même être.

Solutions :

1. Ce passage de S. Augustin n’entend pas nier que la paternité, ou toute autre relation en Dieu, soit, quant à son être, identique à l’essence divine ; il note que la relation ne s’attribue pas selon le type d’attribution qui convient à la substance, c’est-à-dire comme une réalité existant dans le sujet dont on l’affirme, mais comme se rapportant à un autre. Pour cette raison l’on dit qu’en Dieu il n’y a que deux prédicaments (substance et relation). En effet, les autres prédicaments impliquent un rapport au sujet d’attribution, tant dans leur mode d’être que dans la raison formelle de leur propre genre[1828] ; or rien de ce qui existe en Dieu ne peut soutenir, avec le sujet où il existe et dont on l’affirme, d’autre rapport que celui d’identité, parce que Dieu est absolument simple[1829].

2. Comme au niveau des créatures on ne trouve pas seulement dans l’attribution relative le rapport à l’autre, mais aussi quelque chose d’absolu[1830], ainsi en Dieu mais d’une tout autre manière. Car dans la créature cet absolu que l’on trouve joint au relatif en est réellement distinct[1831], alors qu’en Dieu ils sont une seule et même réalité, que le terme relatif ne suffit pas à exprimer, ne la comprenant pas tout entière en sa signification. Il a été dit plus haut, à propos des Noms divins[1832], qu’il y a dans la perfection de l’essence divine plus de richesse que ne peut signifier quelque nom que ce soit. Si donc, en Dieu, l’absolu s’ajoute au relatif, ce n’est pas comme une réalité autre, mais comme le signifié d’un nom complète le signifié d’un autre.

3. Si la perfection divine ne contenait rien de plus que le signifié du terme relatif, son être serait certes imparfait, puisqu’il serait par rapport à un autre. De même, si elle ne contenait rien de plus que le signifié du terme “ sagesse ”, elle ne serait pas une réalité subsistante. Mais parce que la perfection de l’essence divine est trop grande pour être embrassée dans la signification d’un autre nom[1833], le fait que notre terme relatif, ou tout autre nom attribué à Dieu, ne signifie pas quelque chose de parfait, n’entraîne pas du tout que l’essence divine est un être imparfait, car elle comprend en soi la perfection de tous les genres, on l’a dit plus haut[1834].

 

            Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

Objections :

1. Quand deux choses sont identiques à une troisième, elles sont identiques entre elles. Or toute relation qui existe en Dieu, est dans la réalité identique à l’essence divine[1835]. Les relations ne se distinguent donc pas les unes des autres.

2. Il est vrai que la paternité et la filiation se distinguent de l’essence divine quant à leur raison formelle[1836] ; mais c’est aussi le cas de la bonté[1837] et de la puissance[1838]. Or, cette distinction de raison n’entraîne pas de distinction réelle entre la bonté et la puissance divines[1839]. Elle n’en pose donc pas non plus entre la paternité et la filiation.

3. Il n’y a de distinction réelle en Dieu qu’en raison de l’origine[1840]. Or une relation ne provient pas d’une autre relation à ce qu’il semble. Donc les relations ne se distinguent pas réellement les unes des autres.

En sens contraire, Boèce dit qu’en Dieu, “ la substance contient l’unité, la relation multiplie la trinité ”. Donc, si les relations ne se distinguent pas les unes des autres, il n’y aura pas de trinité réelle en Dieu ; il n’y aura qu’une pure trinité de raison. Or, c’est là l’erreur de Sabellius[1841].

Réponse :

Attribuer un prédicat à un sujet, c’est nécessairement lui attribuer tout ce qui appartient à la définition du prédicat. Par exemple, si le prédicat “ homme ” convient à quelqu’un, nécessairement le prédicat “ raisonnable ” lui convient aussi. Or la relation comporte, par définition, un rapport à autre que soi, rapport qui oppose relativement la chose à cet autre. Dès lors, puisqu’en Dieu il y a réellement relation, comme on l’a dit[1842], il doit y avoir aussi réellement opposition. Mais l’opposition relative inclut dans sa définition même une distinction. Il doit donc y avoir en Dieu distinction réelle, affectant, non pas sans doute, la réalité absolue qu’est l’essence, où se trouve la plus haute unité et simplicité[1843], mais la réalité relative.

Solutions :

1. Aristote a marqué les limites du principe évoqué, quand plusieurs êtres sont identiques au même, ils sont identiques entre eux. Cela vaut, d’après lui, s’il s’agit d’identité à la fois dans la réalité et dans la pensée : par exemple “ tunique ” et “ vêtement ”. Mais cela ne vaut plus dès qu’il y a distinction de raison. Ainsi l’action est bien identique au mouvement, et la passion de même ; il ne s’ensuit pas cependant qu’action et passion soient identiques ; “ action ” implique en effet référence au principe du mouvement dans le mobile[1844], tandis que “ passion ” évoque provenance à partir d’un autre[1845]. Il en est de même dans le cas present ; la paternité est identique en réalité à l’essence divine, et la filiation pareillement[1846] ; cependant l’une et l’autre comportent en leur raison formelle propre des rapports opposés : d’où vient qu’elles se distinguent l’une de l’autre.

2. Puissance et bonté ne comportent pas d’opposition dans leur notion ; leur cas est donc différent.

3. Bien que, à parler strictement, les relations ne proviennent ni ne procèdent l’une de l’autre, c’est pourtant en considérant la procession d’un terme émanant d’un principe, qu’on les conçoit opposées[1847].

 

            Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ?

Objections :

1. Il semble qu’en Dieu il n’y ait pas seulement quatre relations réelles : paternité et filiation, spiration et procession. En effet, on peut considérer en Dieu des relations de connaissant à connu[1848], de voulant à voulu[1849] : relations réelles, à ce qu’il semble, et non comprises dans la liste ci-dessus. Il y a donc plus de quatre relations réelles en Dieu.

2. Nous saisissons des relations réelles en Dieu à raison de la procession intellectuelle du verbe. Mais, dit Avicenne, les relations d’ordre intelligible se multiplient à l’infini[1850]. Il y a donc en Dieu une infinité de relations réelles.

3. De toute éternité, les idées des choses sont en Dieu. Or elles ne se distinguent les unes des autres que par leur rapport aux choses, on l’a dit plus haut[1851]. Il y a donc beaucoup plus de quatre relations éternelles en Dieu.

4. Égalité, similitude, identité sont bien des relations ; et on les attribue à Dieu dans son éternité[1852]. Il y a donc en Dieu, de toute éternité, plus de relations qu’on n’en a énuméré tout à l’heure.

En sens contraire, il semblerait plutôt qu’il y en a moins que quatre. Car, selon Aristote, “ c’est un seul et même chemin qui va d’Athènes à Thèbes et de Thèbes à Athènes ”. Pareillement, c’est une seule et même relation qui va du père au fils : celle qu’on nomme “ paternité ” ; et qui va du fils au père : on la nomme alors “ filiation ”. A ce compte, il n’y a pas quatre relations en Dieu.

Réponse :

C’est la doctrine du philosophe que toute relation se fonde ou sur la quantité, par exemple : double et moitié ; ou sur l’action et la passion, par exemple : cause et effet, père et fils, maître et serviteur, etc. Or, il n’y a pas de quantité en Dieu[1853] : “ Il est grand sans dimensions ” dit S. Augustin. Dès lors il ne peut y avoir en Dieu de relation réelle que fondée sur l’action. Et non point sur les actions selon lesquelles procède quelque chose d’extérieur à Dieu, car les relations de Dieu aux créatures ne sont pas réellement en lui, on l’a vu plus haut[1854]. On ne peut donc concevoir en Dieu de relations réelles que selon les actions qui posent en lui une procession intérieure, et non pas extérieure[1855].

Nous avons vu d’autre part qu’il n’y a que deux processions de ce genre ; l’une se prend selon l’opération intellectuelle, et c’est la procession du verbe[1856] ; l’autre se prend selon l’opération de la volonté, et c’est la procession de l’amour[1857]. Et en chaque procession, il faut considérer deux relations opposées : la relation de ce qui procède à partir du principe, et celle de principe même. Or, la procession du verbe s’appelle une génération, au sens propre qui convient aux êtres vivants ; et la relation de principe de générations chez les vivants parfaits, se nomme “ paternité ” ; la relation de terme émané du principe, se nomme “ filiation ”. Quant à la procession de l’amour, nous avons dit qu’elle n’a pas de nom propre[1858] ; les relations qu’elle fonde n’en ont donc pas non plus. On donne pourtant le nom de “ spiration ” à la relation du principe de cette procession, et celui de “ procession ” à la relation du terme procédant, bien que ce soient là proprement deux noms de procession ou d’origine, et non de relation.

Solutions :

1. Là où connaissant et connu, voulant et voulu font deux, il peut y avoir relation réelle du savoir à la chose sue, de la volonté à la chose voulue. Mais en Dieu, connaissant et connu ne font absolument qu’un ; car c’est en se connaissant qu’il connaît tout le reste[1859]. Il en est de même pour la volonté et son objet[1860]. Dès lors, en Dieu, ces relations ne sont pas plus réelles que des relations d’identité. En revanche, la relation au verbe est réelle ; car par “ verbe ”, nous entendons le terme qui procède par l’opération intellectuelle, et non pas la chose connue. En effet, quand nous connaissons la pierre, ce qu’on nomme “ verbe ”, c’est ce que l’intellect conçoit de la chose connue[1861].

2. En nous, les relations intelligibles se multiplient à l’infini, car c’est par autant d’actes distincts que l’homme connaît la pierre, puis encore connaît ce savoir[1862] ; les actes de connaissance se multiplient ainsi à l’infini, et par suite aussi les relations connues. Mais en Dieu rien de tel, puisqu’il connaît tout dans son acte unique[1863].

3. Les rapports idéaux sont objet de la connaissance divine[1864] ; leur multiplicité n’entraîne donc pas l’existence d’une multitude de relations, voilà tout

4. Égalité et similitude, en Dieu, ne sont pas des relations réelles, mais de pures relations de raison : on le montrera plus loin[1865].

5. La route est la même d’un point à un autre, et vice versa : mais les directions sont différentes. On ne peut donc pas conclure de là que la relation de père à fils et sa réciproque soient identiques ; on pourrait seulement le conclure de quelque réalité absolue qui serait interposée entre eux.

 


 

Nous avons exposé tout d’abord les notions qu’il semblait nécessaire de connaître touchant les processions et les relations ; il nous faut maintenant aborder l’étude des Personnes. Elle comprendra deux parties : les Personnes considérées en elles-mêmes, et les Personnes comparées entre elles. Dans la première, nous devrons d’abord considérer les Personnes en général, puis chaque Personne en particulier.

L’étude des Personnes en général comporte quatre questions : 1° La signification du terme “ personne ” (Q. 29) 2° Le nombre des Personnes (Q. 30) 3° Les attributs que ce nombre implique ou exclut, tels ceux qui évoquent diversité, similitude, etc. (Q. 31). 4° Notre connaissance des Personnes (Q. 32).

 

 

QUESTION 29 — LES PERSONNES DIVINES

Au sujet de la signification du mot “personne ”, nous verrons : 1. La définition de la personne. 2. La comparaison de ce terme avec ceux d’essence, de subsistance et d’hypostase. 3. Le terme personne convient-il à propos de Dieu ? 4. Ce qu’il y signifie.

 

            Article 1 — Définition de la personne

Objections :

1. Boèce en donne cette définition : la personne est la substance individuelle de nature raisonnable. Or cette définition paraît irrecevable. En effet, on ne définit pas le singulier[1866] ; c’est donc à tort qu’on la définit.

2. Dans cette définition, le terme “ substance ” est à prendre soit au sens de substance première, soit au sens de substance seconde. S’il s’agit de substance première, le mot “ individuelle ”, est de trop, car la substance première est la substance individuelle[1867]. S’il s’agit de la substance seconde, “ individuelle ” en fait une définition fausse et contradictoire dans ses termes ; car ce sont les genres et les espèces qu’on appelle substances secondes[1868]. Cette définition est donc mal faite.

3. Dans la définition d’une réalité, on ne doit pas insérer de terme signifiant une intention logique, Par exemple, l’énoncé que voici : “ l’homme est une espèce d’animal ”, ne constitue pas une bonne définition, car “ homme ” désigne une réalité, tandis qu’espèce désigne une intention logique[1869]. Dès lors, puisque “personne ” désigne une réalité, (ce terme en effet signifie une substance de nature raisonnable), il est incorrect d’introduire dans sa définition le terme “ individu ”, qui désigne une intention logique.

4. “ La nature, dit Aristote, est le principe du mouvement et du repos dans l’être qui y est sujet par soi, et non accidentellement.”[1870] Mais la personne se vérifie chez des êtres soustraits au mouvement, comme Dieu et les anges[1871]. Il ne fallait donc pas mettre le mot “ nature ” dans la définition de la personne, mais plutôt celui d’“ essence ”.

5. L’âme séparée est une substance individuelle de nature raisonnable, elle n’est pourtant pas une personne[1872]. C’est donc que notre définition pèche par quelque endroit.

Réponse :

L’universel et le particulier se rencontrent dans tous les genres ; cependant ils se vérifient d’une manière spéciale dans le genre substance[1873]. La substance, en effet, est individuée par elle-même ; tandis que les accidents le sont par leur sujet[1874], c’est-à-dire par la substance : on dit “ cette ” blancheur, dès lors qu’elle est dans “ ce ” sujet. C’est donc à bon droit qu’on donne aux individus du genre substance un nom spécial : on les nomme “ hypostase ” ou “ substance première ”[1875].

Mais le particulier et l’individu se rencontrent sous un mode encore plus spécial et parfait dans les substances raisonnables, qui ont la maîtrise de leurs actes : elles ne sont pas simplement “ agies ”, comme les autres, elles agissent par elles-mêmes[1876] ; or les actions existent dans les singuliers[1877]. Aussi, parmi les autres substances, les individus de nature raisonnable ont-ils un nom spécial, celui de “ personne ”. Et voilà pourquoi, dans la définition ci-dessus, on dit : “ La substance individuelle ”, puisque “ personne ” signifie le singulier du genre substance ; et l’on ajoute “ de nature raisonnable ”, en tant qu’elle signifie le singulier dans les substances raisonnables.

Solutions :

1. Bien que l’on ne puisse pas définir tel ou tel singulier[1878], on peut définir ce qui constitue la raison formelle commune de singularité[1879]. C’est ainsi que le Philosophe définit la substance première. Et c’est de cette manière que Boèce définit la personne.

2. Pour certains, dans la définition de la personne, “ substance ” est mis pour “ substance première ” (qui est l’hypostase) ; et cependant “ individuelle ” n’y est pas de trop. En effet, par ces termes d’hypostase ou de substance première, on exclut l’universel ou la partie ; car on ne qualifie pas d’hypostase l’homme en général, ni même sa main, qui n’est qu’une partie. Mais, en ajoutant “ individuelle ”, on exclut de la personne la raison d’aptitude à être assumé ; dans le Christ, par exemple, la nature humaine n’est pas une personne, parce qu’elle se trouve assumée par un plus digne : le Verbe de Dieu[1880].

Cependant, il vaut mieux dire que, dans notre définition, “ substance ” est pris dans un sens général qui domine les subdivisions (substance première et substance seconde), et que l’adjectif “ individuelle ” amène ce terme à signifier la substance première.

3. Parce que les différences substantielles nous sont inconnues, ou encore n’ont pas de nom, il nous faut parfois user de différences accidentelles à leur place[1881]. On dira, par exemple, que le feu est “ un corps simple, chaud et sec ” ; car les accidents propres sont des effets des formes substantielles et les manifestent. Pareillement, pour définir des choses, on peut prendre des noms d’intentions logiques au lieu de noms de choses inexistants[1882]. C’est ainsi que le terme “ individu ” figure dans la définition de la personne : il y désigne le mode de subsister qui appartient aux substances particulières.

4. D’après Aristote, le mot “ nature ” a d’abord été donné à la génération des vivants, c’est-à-dire à la naissance. Et comme cette génération procède d’un principe intérieur, le terme a été étendu au principe intrinsèque de tout mouvement : c’est la définition même qui en a été donnée par Aristote. Et parce que ce principe est formel ou matériel, on appelle “ nature ” aussi bien la forme que la matière. Mais la forme achève l’être de chaque chose : on appelle donc en général “nature” l’essence de chaque chose, c’est-à-dire cela même qu’exprime la définition[1883]. Et c’est en ce sens que le mot “ nature ” est pris ici. Aussi Boèce dit-il : “ La nature est ce qui informe chaque chose en la dotant de sa différence spécifique. ” Celle-ci en effet est la différence qui achève la définition et qui se prend de la forme propre de la chose[1884]. Il convenait donc bien, pour définir la personne, qui est l’individu d’un genre déterminé, d’employer le terme de “ nature ” plutôt que celui d’essence, qui dérive d’esse, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus commun.

5. L’âme est une partie de la nature humaine : et du fait que, tout en subsistant à l’état séparé, elle garde son aptitude naturelle à l’union, on ne peut l’appeler une substance individuelle, c’est-à-dire une hypostase ou substance première pas plus que la main ou toute autre partie de l’être humain[1885]. Voilà pourquoi ni la définition, ni le nom de personne ne lui conviennent.

 

            Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

Objections :

1. Persona et hypostasis paraissent bien synonymes. Boèce dit que les Grecs appellent hypostasis la substance individuelle de nature raisonnable. Or c’est là précisément la signification du mot persona chez les Latins[1886]. Les deux termes sont donc parfaitement synonymes.

2. En parlant de Dieu, on dit aussi bien tres subsistentiae ou tres personae[1887]. Et nous ne le ferions pas si persona et subsistentia ne signifiaient pas la même chose. Donc persona et subsistentia sont synonymes.

3. Selon Boèce, ousia, autrement dit essentia, désigne le composé de matière et de forme[1888]. Mais ce qui est composé de matière et de forme, c’est l’individu du genre substance, c’est-à-dire cela même qu’on appelle hypostasis ou persona. Tous ces termes paraissent donc bien signifier la même chose.

En sens contraire, Boèce dit aussi que les genres et les espèces subsistent seulement, tandis que les individus non seulement subsistunt, mais encore substant. Or, de subsistere vient l’appellation de subsistentia ; et de substare, celle de substantia. Si donc la condition d’hypostase ou personne ne convient pas aux genres ni aux espèces[1889], hypostasis et persona ne sont pas synonymes de subsistentia.

5. Selon Boèce encore, on nomme hypostasis la matière, et ousiosis, c’est-à-dire subsistentia, la forme. Mais ni la matière ni la forme ne peuvent être appelées persona. Donc persona n’est pas identique aux termes susdits.

Réponse :

Selon Aristote, “ substance ” s’emploie en deux sens. On appelle d’abord ainsi la quiddité de la chose, c’est-à-dire ce qu’exprime la définition ; on dit ainsi que la définition signifie la substance de la chose. Les Grecs nomment cette substance-là ousia, que nous pouvons traduire par essentia. Dans un second sens, on appelle substance le sujet ou suppôt qui subsiste dans le genre substance[1890]. Et si on le prend en général, on peut d’abord lui donner un nom qui désigne l’intention logique[1891] : celui de “ suppôt ”. On lui donne aussi trois noms qui se rapportent à la chose signifiée, à savoir : res naturae, subsistentia et hypostasis, qui correspondent à trois aspects de la substance prise en ce second sens. En tant qu’elle existe par soi et non dans un autre, on l’appelle subsistentia, car subsister se dit de ce qui existe en soi-même et non en autre chose[1892]. En tant qu’elle est le sujet d’une nature commune, on l’appelle res naturae, par exemple, “ cet homme ” est une réalisation concrète de la nature humaine. En tant qu’elle est le sujet des accidents, on l’appelle hypostasis ou substantia[1893]. Et ce que ces trois noms signifient communément pour toutes les substances, le mot persona le signifie particulièrement pour les substances raisonnables.

Solutions :

1. Chez les Grecs, hypostasis signifie proprement, de par sa composition même, n’importe quel individu du genre substance ; mais l’usage courant lui fait désigner l’individu de nature raisonnable, à cause de son excellence.

2. De même que pour Dieu nous employons le pluriel : trois personnes ou trois subsistances, ainsi les Grecs disent trois hypostases. Mais le mot substantia qui, à considérer le sens propre du terme, correspond à hypostasis[1894], prête à équivoque en latin, puisqu’il signifie tantôt l’essence et tantôt l’hypostase. C’est pour éviter cette occasion d’erreur, qu’on a préféré traduire hypostasis par “ subsistence ” plutôt que par “ substance ”.

3. L’essence est proprement ce que signifie la définition. Or celle-ci comprend les principes spécifiques, et non les principes individuels[1895]. Par suite, dans les êtres composés de matière et de forme, l’essence ne signifie pas seulement la forme, ni seulement la matière, mais le composé de matière et de forme communes, considérées comme principes de l’espèce. Mais c’est le composé de “ cette matière ” et de “ cette forme ”, qui est une hypostase ou une personne ; car une âme, de la chair et des os sont bien constitutifs de l’homme en général ; mais “ cette âme ”, “ cette chair ” et “ ces os ” sont bien constitutifs de cet homme singulier ; c’est pourquoi “ hypostase ” et “ personne ” signifient en plus du contenu d’essence, les principes individuels : ils ne sont donc pas synonymes d’essentia dans les composés de matière et de forme, comme on l’a dit en traitant de la simplicité de Dieu[1896].

4. Aux genres, Boèce attribue de subsistere, parce que, s’il convient à certains individus de subsister, c’est comme appartenant à des genres et à des espèces compris dans le prédicament substance ; ce n’est pas que les espèces et les genres subsistent comme tels, sinon dans la théorie de Platon, qui fait subsister les substances des choses à part des singuliers[1897]. En revanche, la fonction de substare convient aux mêmes individus à l’égard des accidents, lesquels ne font point partie de la définition des genres et des espèces[1898].

5. Le composé individuel de matière et de forme tient en propre de sa matière la fonction de sujet des accidents.[1899] De là ce mot de Boèce que “ la forme pure ne peut pas être sujet ”. Quant à subsister par soi, il le tient en propre de sa forme. Celle-ci ne survient pas dans une chose déjà subsistante : elle donne l’être actuel à la matière pour que l’individu puisse subsister. Voilà pourquoi Boèce rapporte hypostasis à la matière, et ousiosis ou subsistentia à la forme : c’est que la matière est principe du substare, et la forme, principe du subsistere.

 

            Article 3 — Convient-il d’employer le terme “ personne ” pour parler de Dieu ?

Objections :

1. Denys écrit : “ Il faut absolument se refuser la hardiesse de dire ou penser quoi que ce soit de la Déité supersubstantielle et cachée, en dehors des termes dont l’expression nous est donnée par les Saintes Écritures.”[1900] Or le nom de personne ne se trouve pas employé dans la Sainte Écriture du Nouveau ni de l’Ancien Testament. Il ne faut donc pas employer ce mot à propos de Dieu.

2. Boèce nous dit : “ Le mot personne parait dériver des masques qui représentaient des personnages humains dans les comédies ou tragédies : persona en effet vient de personare (résonner) ; parce que le son, en roulant dans la concavité du masque, est amplifié. Les Grecs nomment ces masques prosôpa (visages), parce qu’on les met sur le visage et devant les yeux si bien qu’ils cachent la figure.” Or ceci ne peut convenir en Dieu, sinon par métaphore. Donc le nom de personne n’est applicable à Dieu que par métaphore[1901].

3. Toute personne est une hypostase[1902]. Mais le terme d’hypostase ne semble pas convenir à Dieu, car, d’après Boèce, il désigne le sujet des accidents ; et il n’y a pas d’accidents en Dieu[1903]. S. Jérôme dit même que, “ dans ce mot d’hypostase, un venin se cache sous le miel ”. Le terme de personne ne doit donc pas être dit de Dieu.

4. Enfin, si une définition ne peut être attribuée à un sujet donné[1904], le terme défini ne le peut pas davantage. Or la définition, donnée plus haut, de la personne ne semble pas convenir à Dieu. D’abord, parce que la raison implique une connaissance discursive[1905] ; et on a montré que celle-ci ne convient pas à Dieu[1906] ; on ne peut donc pas dire que Dieu soit “ de nature raisonnable ”. Ensuite, parce que Dieu ne peut pas être appelé substance “ individuelle ” ; car le principe d’individuation est la matière[1907], et Dieu n’a pas de matière[1908]. En outre, Dieu ne soutient pas d’accidents[1909], pour être qualifié de “ substance ”. Il ne faut donc pas attribuer à Dieu le nom de personne.

En sens contraire, le Symbole de S. Athanase dit : “ Autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit. ”

Réponse :

La personne signifie ce qu’il y a de plus parfait dans toute la nature : savoir, ce qui subsiste dans une nature raisonnable. Or tout ce qui dit perfection doit être attribué à Dieu, car son essence contient en soi toute perfection[1910]. Il convient donc d’attribuer à Dieu ce nom de “Personne ”. Non pas, il est vrai, de la même manière qu’on l’attribue aux créatures ; ce sera sous un mode plus excellent, comme il en est de l’attribution à Dieu des autres noms donnés par nous aux créatures ; on a expliqué cela plus haut, au traité des noms divins[1911].

Solutions :

1. Il est exact qu’on ne rencontre pas le nom de personne appliqué à Dieu dans les Écritures de l’Ancien ou du Nouveau Testament. Mais on y trouve maintes fois affirmé de Dieu ce que signifie ce nom ; autrement dit, que Dieu est par soi au suprême degré, et qu’il est souverainement intelligent[1912]. Et s’il fallait, pour nommer Dieu, s’en tenir littéralement aux mots que l’Écriture sainte applique à Dieu, on ne pourrait jamais parler de lui dans une autre langue que celle où fut composée l’Écriture de l’Ancien ou du Nouveau Testament. Mais on a été contraint de trouver des mots nouveaux pour exprimer la foi traditionnelle touchant Dieu : car il fallait bien entrer en discussion avec les hérétiques. Ce n’est d’ailleurs pas là une nouveauté à éviter, puisqu’il ne s’agit pas de chose profane ; elle n’est pas en désaccord avec le sens des Écritures. Or ce que l’Apôtre prescrit (1 Tm 6, 20), c’est d’éviter “ dans les mots les nouveautés profanes ”.

2. Si l’on se reporte aux origines du mot, le nom de personne, il est vrai, ne convient pas à Dieu ; mais si on lui donne sa signification authentique, c’est bien à Dieu qu’il convient par excellence. En effet, comme dans ces comédies et tragédies on représentait des personnages célèbres, le terme de personne en vint à signifier des gens constitués en dignité ; de là cet usage dans les églises, d’appeler “ personnes ” ceux qui détiennent quelque dignité. Certains définissent pour cela la personne : “ Une hypostase distinguée par une propriété ressortissant à la dignité. ” Or, c’est une haute dignité, de subsister dans une nature raisonnable[1913] ; aussi donne-t-on le nom de personne à tout individu de cette nature, nous l’avons dit. Mais la dignité de la nature divine surpasse toute dignité ; c’est donc bien avant tout à Dieu que convient le nom de personne.

3. Le nom d’hypostase non plus ne convient pas à Dieu dans son sens étymologique, puisque Dieu ne soutient pas d’accidents[1914] ; mais il lui convient dans son sens authentique de “ réalité subsistante ”. S. Jérôme a bien dit qu’un venin se cachait sous ce mot : car, avant que sa signification fût pleinement connue des Latins, les hérétiques égaraient les simples avec ce mot, en les amenant à confesser plusieurs essences comme ils confessaient plusieurs hypostases : cela, grâce au fait que le terme de “ substance ”, qui est la traduction littérale du mot grec “ hypostase ”, se prend couramment chez les Latins au sens d’“ essence ”[1915].

4. On peut dire que Dieu est de nature “ raisonnable ”, au sens où “ raison ” évoque non pas le raisonnement discursif, mais la nature intellectuelle en général. De son côté, “ individu ” ne peut sans doute convenir à Dieu pour autant qu’il évoque la matière comme principe d’individuation[1916] ; il lui convient seulement comme évoquant l’incommunicabilité. Enfin “ substance ” convient à Dieu en tant qu’il signifie l’exister par soi[1917]. Cependant, certains disent que la définition ci-dessus, donnée par Boèce, ne définit pas la personne au sens où nous parlons de Personnes en Dieu. Ainsi Richard de Saint-Victor, voulant corriger cette définition, a-t-il dit que la personne, quand il s’agit de Dieu, est “ une existence incommunicable de nature divine ”.


 

            Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ?

Objections :

1. “ Quand nous disons : la personne du Père, écrit S. Augustin, nous ne disons pas autre chose que la substance du Père ; car c’est en lui-même qu’on le dit “ personne ”, et non par rapport au Fils. ”

2. La question quid s’enquiert de l’essence[1918]. Or, selon S. Augustin, lorsque l’on dit : “ Ils sont trois qui témoignent dans le ciel, le Père, le Verbe et le Saint-Esprit, ” si l’on demande : trois quoi ? (quid tres ?), on répond : trois personnes. Ce nom de personne signifie donc l’essence.

3. Ce que le nom signifie, selon le Philosophe, c’est sa définition. Or on définit la personne : une substance individuelle de nature raisonnable, on l’a dit[1919]. Donc le nom de personne signifie bien la substance.

4. Quand il s’agit des hommes et des anges, la personne ne signifie pas une relation, mais quelque chose d’absolu. Si donc, en Dieu, ce nom signifiait la relation, il s’attribuerait de façon équivoque à Dieu, aux hommes et aux anges[1920].

En sens contraire, Boèce dit que tout nom concernant les Personnes signifie une relation. Or aucun nom ne les concerne de plus près que celui de “ personne ”. Donc le nom de “ personne signifie une relation.

Réponse :

Ce qui fait difficulté pour le sens de ce terme en Dieu, c’est qu’on le dit au pluriel des Trois, condition qui le met à part des noms essentiels ; et cependant il ne s’attribue pas relativement, comme les termes qui signifient une relation[1921]. Certains ont donc pensé que le terme de “ Personne ”, par sa teneur propre signifie purement et simplement l’essence en Dieu[1922], tout comme le mot “ Dieu ” ou celui de “ Sage ”[1923] ; mais à cause des instances des hérétiques, il a été accommodé par décision conciliaire à tenir lieu des noms relatifs, surtout dans l’emploi au pluriel ou avec un terme partitif : “ Les trois Personnes” par exemple, ou bien “ Autre est la personne du Père, autre celle du Fils ”. Mais cette explication paraît insuffisante. Car, si le mot “ personne ”, en vertu de sa signification propre, n’a pas de quoi signifier autre chose que l’essence en Dieu, on n’aurait pas mis fin aux calomnies des hérétiques en disant “ Trois Personnes ” ; on leur aurait au contraire donné là occasion de calomnies plus graves.

C’est pourquoi d’autres ont dit que le mot “ personne ”, en Dieu, signifie à la fois l’essence et la relation. Les uns disent qu’il signifie directement l’essence, et indirectement la relation ; pour cette raison que “ personne ”, c’est comme si l’on disait per se una (une par soi) ; or, l’unité concerne l’essence[1924], tandis que “ par soi ” implique la relation en construction indirecte. Et de fait, on saisit le Père comme subsistant par soi, en tant que distinct du Fils par sa relation. D’autres, en revanche, ont dit qu’il signifie directement la relation et indirectement l’essence, pour cette raison que, dans la définition de la personne, “ nature ” vient en complément indirect[1925]. Et ces derniers se sont davantage approchés de la vérité.

Pour tirer cette question au clair, nous partirons de la considération que voici. Une chose peut entrer dans la signification d’un terme moins général, sans entrer dans la signification du terme plus général : ainsi “ raisonnable ” est compris dans la signification du mot “ homme ”, mais il ne l’est pas dans celle du mot “ animal ”. Aussi, chercher la signification du terme “ animal ”, et chercher celle de ce cas d’animal qu’est “ l’homme ”, cela fait deux. De même, autre chose est de chercher la signification du mot “ personne ” en général, autre chose de chercher celle de “ Personne divine ”.

En effet, la personne en général signifie, comme on l’a dit[1926], la substance individuelle de nature raisonnable. Or, I’individu est ce qui est indivis en soi et distinct des autres. Par conséquent la personne, dans une nature quelconque, signifie ce qui est distinct en cette nature-là. Ainsi, dans la nature humaine, elle signifie ces chairs, ces os et cette âme, qui sont les principes individuants de l’homme[1927]. S’il est vrai que ces éléments-là n’entrent pas dans la signification de “ la personne ”, ils entrent bien dans la signification de “ la personne humaine ”. Or en Dieu, nous l’avons dit[1928], il n’y a de distinction qu’à raison des relations d’origine. D’autre part, la relation en Dieu n’est pas comme un accident inhérent à un sujet ; elle est l’essence divine même[1929] ; par suite elle est subsistante au même titre que l’essence divine. De même donc que la déité est Dieu[1930], de même aussi la paternité divine est Dieu le Père, c’est-à-dire une Personne divine. Ainsi “ la Personne divine ” signifie la relation en tant que subsistante : autrement dit, elle signifie la relation par manière de substance c’est-à-dire d’hypostase subsistant en la nature divine[1931] (bien que ce qui subsiste en la nature divine ne soit autre chose que la nature divine).

D’après ce qui précède, il reste vrai que le nom de “ Personne ” signifie directement la relation, et indirectement l’essence : la relation, dis-je, non pas en tant que relation, mais signifiée par manière d’hypostase. Il reste vrai aussi que la Personne signifie directement l’essence et indirectement la relation, si l’on considère d’une part que l’essence est identique à l’hypostase et, d’autre part, que l’hypostase en Dieu se définit et se signifie “ distincte par relation ”[1932] ; ce qui pose la relation, signifiée comme relation, cette fois, en détermination indirecte dans la définition de la Personne. On peut dire aussi que cette signification du nom de “ Personne ” n’avait pas été saisie avant la calomnie des hérétiques ; on n’usait donc alors de ce terme qu’au sens d’un attribut absolu pris parmi les autres. Mais dans la suite le mot de “ Personne ” fut appliqué à signifier le relatif, en raison de ses aptitudes de signification ; c’est-à-dire que, s’il désigne le relatif, ce n’est pas un pur effet de l’usage, comme le pensait la première opinion, cela tient aussi à sa signification propre.

Solutions :

1. Le mot “personne ” s’attribue absolument, et non pas relativement, parce qu’il signifie la relation, non par mode de relation, mais par mode de substance[1933], entendez d’hypostase. Voilà pourquoi S. Augustin dit qu’il signifie l’essence. En Dieu, en effet, l’essence est identique à l’hypostase : aucune distinction en lui entre quod est et quo est[1934].

2. La question quid ? s’enquiert parfois de la nature que signifie la définition ; ainsi, quand on demande : Quid sit homo ? (Qu’est-ce que l’homme ?), on répond : C’est un animal raisonnable et mortel. Parfois aussi elle s’enquiert du suppôt ; ainsi quand on demande : Quid natat in mari ? (Qu’est-ce qui nage dans la mer ?), on répond : c’est le poisson. Et c’est dans ce dernier sens que la question : Quid tres ? (trois quoi ?) a obtenu cette réponse : trois Personnes.

3. Le concept de substance individuelle, c’est-à-dire distincte et incommunicable, implique la relation s’il s’agit de Dieu ; on vient de l’exposer[1935].

4. Un terme général n’est pas équivoque du seul fait que les termes moins universels ont des définitions différentes. Par exemple, le cheval et l’âne n’ont pas la même définition spécifique ; et cependant ils vérifient univoquement le nom d’animal, car la définition générique d’“ animal ” leur convient à tous deux. Dès lors, s’il est vrai que la relation entre dans la signification de “ Personne divine ”, sans entrer dans celle de “ personne angélique ou humaine ”, il ne s’ensuit pas que le terme “ personne ” soit équivoque. Il n’est d’ailleurs pas univoque non plus ; rien ne peut être attribué univoquement à Dieu et aux créatures on l’a vu plus haut[1936].


 

 

QUESTION 30 — LA PLURALITÉ DES PERSONNES EN DIEU

1. Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ? 2. Combien sont-elles ? 3. Que signifient en Dieu nos termes numériques ? 4. Comment le nom de personne est-il commun en Dieu ?

 

            Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

Objections :

1. La personne est la substance individuelle de nature raisonnable[1937]. Donc, s’il y a plusieurs personnes en Dieu, il s’ensuivra qu’il y a en lui plusieurs substances, ce qui semble hérétique[1938].

2. Plusieurs propriétés absolues ne font pas plusieurs personnes, ni en Dieu, ni en nous ; donc plusieurs relations le feront moins encore. Or en Dieu il n’y a pluralité que de relations, nous l’avons dit[1939]. On ne peut donc pas dire qu’il y a plusieurs personnes en Dieu.

3. L’être vraiment un, dit Boèce parlant de Dieu, est ce qui n’a pas de nombre[1940]. Or, toute pluralité implique un nombre. Il n’y a donc pas plusieurs personnes en Dieu.

4. Où il y a pluralité, il y a tout et partie. Donc, si l’on compte plusieurs personnes en Dieu, il faudra aussi poser en lui tout et partie : cela contredit la simplicité divine[1941].

En sens contraire, S. Athanase dit : “ Autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit. ” Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont donc plusieurs personnes.

Réponse :

Il y a plusieurs personnes en Dieu, selon nos prémisses. En effet, nous avons montré que le terme “ personne ” signifie en Dieu la relation en tant que réalité subsistant dans la nature divine[1942]. D’autre part nous avons établi qu’il y a en Dieu plusieurs relations réelles[1943]. Il s’ensuit qu’il y a plusieurs réalités subsistantes dans la nature divine, autrement dit qu’il y a plusieurs personnes en Dieu.

Solutions :

1. Dans la définition de la personne, le terme “ substance” ne signifie pas l’essence, mais le suppôt, puisqu’on ajoute “ individuelle ”. Or, pour signifier cette substance-là, les Grecs emploient le terme d’“ hypostase ” ; ils disent ainsi “ les trois hypostases ”, comme nous disons “ les trois personnes ”. En revanche, chez nous il n’est pas d’usage de dire “ trois substances ” : ce terme étant équivoque, on ne veut pas donner à entendre “ trois essences ”[1944].

2. En Dieu, les propriétés absolues, telles que bonté et sagesse, ne s’opposent pas mutuellement, et par suite ne se distinguent pas réellement. De ce fait, bien qu’elles soient subsistantes, elles ne font pas plusieurs réalités subsistantes, c’est-à-dire trois personnes[1945]. Quant aux propriétés absolues des créatures, elles ne subsistent pas, bien qu’elles se distinguent réellement les unes des autres, comme la blancheur et la douceur. Mais en Dieu les propriétés relatives sont à la fois subsistantes et réellement distinctes entre elles, nous l’avons vu[1946]. Voilà pourquoi la pluralité de ces propriétés-là suffit à poser en Dieu une pluralité de personnes.

3. La suprême unité et simplicité de Dieu nous fait exclure de lui toute pluralité d’attributs absolus, mais non d’attributs relatifs[1947]. Car les relations qualifient le sujet par rapport à un autre, n’impliquant ainsi aucune composition dans le sujet qu’elles qualifient. Boèce lui-même l’enseigne dans l’ouvrage allégué.

4. Il y a deux sortes de nombres : le nombre simple ou absolu, tel que deux, trois, quatre ; et le nombre qui est dans les choses dénombrées, comme deux hommes, deux chevaux. Donc, si l’on considère en Dieu le nombre pris absolument ou abstraitement, rien n’empêche qu’on y vérifie tout et partie ; cela n’existe que dans la considération de notre esprit, car le nombre abstrait des réalités dénombrées ne se trouve que dans la pensée[1948]. Mais on peut considérer le nombre tel qu’il est dans les choses dénombrées ; alors sans doute, s’il s’agit de choses créées, un est à deux, ou deux est à trois comme la partie au tout ; par exemple, un homme est moins que deux hommes, deux sont moins que trois. Mais cela ne vaut pas en Dieu ; on verra plus loin[1949] que le Père est aussi grand que la Trinité tout entière.

 

            Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ?

Objections :

1. On vient de dire qu’en Dieu c’est la pluralité des propriétés relatives qui entraîne une pluralité de personnes[1950]. Or il y a quatre relations en Dieu : la paternité, la filiation, la commune spiration et la procession[1951]. Il y a donc quatre personnes en Dieu.

2. En Dieu, il n’y a pas plus de différence entre la nature et la volonté qu’entre la nature et l’intelligence. Or, en Dieu, la personne qui procède par mode de volonté, comme amour, se distingue de la personne qui procède par mode de nature, comme fils[1952]. Donc la personne qui procède par mode d’intelligence, comme verbe[1953], se distingue aussi de la personne qui procède par mode de nature comme fils. Et nous voilà encore conduits à poser plus de trois personnes en Dieu.

3. Dans les créatures, ce qui est excellent possède davantage d’opérations intimes ; ainsi l’homme a sur les animaux ce privilège qu’il est doué d’intelligence et de vouloir[1954]. Or, Dieu dépasse infiniment toute créature[1955]. En lui donc, s’il y a procession de personne, ce ne sera pas seulement par mode de volonté et d’intelligence, mais par une infinité d’autres modes. Il y a donc en Dieu un nombre infini de personnes.

4. C’est en raison de son infinie bonté[1956] que le Père se communique infiniment en produisant une personne divine. Or, le Saint-Esprit possède aussi une bonté infinie[1957]. Donc il produit aussi une personne divine, et celle-ci une autre, et ainsi à l’infini.

5. Tout ce qui se compte en nombre fini a une mesure, puisque le nombre est une mesure. Or, les Personnes divines échappent à toute mesure[1958], selon S. Athanase : “ Immense est le Père, immense est le Fils, immense est le Saint-Esprit. ” Donc elles excèdent le nombre trois.

En sens contraire, on lit dans la 1° lettre de S. Jean (5, 7) : “ Ils sont trois qui témoignent dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit. ” Et si l’on demande : Trois quoi ? on répond : Trois Personnes, comme S. Augustin l’expose[1959]. Il y a donc seulement trois Personnes en Dieu.

Réponse :

Les thèses précédemment établies nous font nécessairement poser trois Personnes en Dieu, pas davantage. En effet, on a montré que “ plusieurs personnes ”, c’est plusieurs relations subsistantes, réellement distinctes entre elles. Et il n’y a de distinction réelle entre les relations divines qu’en raison de l’opposition relative[1960]. Deux relations opposées ressortissent donc nécessairement à deux personnes ; mais s’il est des relations qui ne s’opposent pas, elles ressortissent nécessairement à une même personne.

Dès lors, la paternité et la filiation, qui sont deux relations opposées, appartiennent nécessairement à deux personnes : la paternité subsistante est donc la personne du Père, et la filiation subsistante est la personne du Fils. Si les deux autres relations[1961] ne s’opposent à aucune des deux précédentes, elles s’opposent l’une à l’autre, et par suite ne peuvent appartenir toutes deux à une même personne. Il faut donc ou bien qu’une des deux appartienne à ces deux personnes, ou bien qu’une relation convienne à l’une des deux personnes, et l’autre relation à l’autre personne. Mais la procession ne peut convenir au Père et au Fils, pas même à l’un seulement d’entre eux[1962] : car il s’ensuivrait que la procession intellectuelle[1963] (qui est génération en Dieu, et nous donne à saisir les relations de paternité et de filiation) proviendrait de la procession d’amour[1964] (qui nous donne à saisir les relations de spiration et de procession), puisque la personne qui engendre et celle qui naît procéderaient de celle qui spire ; ce serait là contredire nos principes[1965]. Il reste donc que la spiration appartienne et à la personne du Père et à celle du Fils, puisqu’elle n’a d’opposition relative ni à la paternité ni à la filiation. Et par suite la procession doit nécessairement appartenir à une autre personne ; c’est elle qu’on nomme la personne du Saint-Esprit, procédant par mode d’amour, comme on l’a dit[1966]. Il n’y a donc en Dieu que trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Solutions :

1. Il y a bien quatre relations en Dieu[1967] ; mais l’une d’entre elles, la spiration, au lieu de se poser à part de la personne du Père ou du Fils, leur convient à tous deux[1968]. Aussi, bien qu’elle soit relation, elle ne prend pas le nom de “propriété ”, puisqu’elle n’appartient pas à une personne seulement ; ce n’est pas non plus une relation “ personnelle ”, c’est-à-dire qui constitue une personne. En revanche, les trois relations de paternité, filiation et procession sont qualifiées de “ propriétés personnelles ”, comme constituant les personnes : la paternité est la personne du Père, la filiation est la personne du Fils, la procession est la personne du Saint-Esprit.

2. Ce qui procède par mode de connaissance, comme verbe, procède formellement en ressemblance de son principe, tout comme ce qui procède par mode de nature. Aussi avons-nous dit que la procession du Verbe divin est identiquement génération par mode de nature[1969]. Mais l’amour comme tel ne procède pas par ressemblance de son principe[1970], bien qu’en Dieu l’amour soit consubstantiel en tant que divin[1971]. C’est pour cela que la procession de l’Amour en Dieu ne s’appelle pas une génération.

3. L’homme, qui est plus parfait que les autres animaux, a en effet davantage d’opérations immanentes ; mais c’est parce que sa perfection se réalise par mode de composition[1972]. Aussi, chez les Anges, qui sont plus parfaits encore, mais plus simples[1973], il y a moins d’opérations immanentes que chez l’homme : ils n’ont ni imagination, ni sensation, etc[1974]. En Dieu, il n’y a réellement qu’une seule opération, qui est son essence[1975]. Mais on a vu comment cela comportait deux processions[1976].

4. Cet argument vaudrait si le Saint-Esprit possédait une bonté numériquement distincte de celle du Père ; alors en effet, comme en raison de sa bonté le Père produit une personne divine, il faudrait que le Saint-Esprit en produise une aussi. Mais c’est la même et unique bonté qui est commune au Père et au Saint-Esprit[1977]. Et si une distinction s’introduit, c’est en raison des relations des personnes[1978]. Par conséquent, la bonté convient au Saint-Esprit comme reçue d’un autre ; elle convient au Père comme au principe qui la communique. Mais en raison de l’opposition relative, être principe d’une personne divine est incompatible avec la relation constitutive du Saint-Esprit ; car celui-ci procède des autres personnes qui peuvent exister en Dieu[1979].

5. S’il s’agit du nombre abstrait, qui n’existe que dans la pensée, il est vrai que tout nombre déterminé a pour mesure l’unité. Mais si, dans les personnes divines, on considère le nombre réel, il n’y a plus là de mensuration : les trois personnes, on le verra[1980], n’ont qu’une même et identique grandeur, et rien ne se mesure soi-même.

 

            Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ?

Objections :

1. L’unité de Dieu, c’est son essence[1981]. Or tout nombre est l’unité plusieurs fois répétée. Donc en Dieu tout terme numérique signifie l’essence divine, et pose bien ainsi quelque chose en Dieu.

2. Ce qui se dit à la fois de Dieu et des créatures, convient à Dieu plus éminemment qu’aux créatures. Mais les termes numériques posent bien quelque chose dans les créatures[1982]. Donc à plus forte raison en Dieu.

3. Si les termes numériques ne posent rien en Dieu et n’y sont employés que pour exclure une imperfection[1983], savoir : la pluralité, pour nier l’unité ; l’unité, pour nier la pluralité ; alors, on tourne dans un cercle vicieux qui ne fait que nous embrouiller sans rien résoudre. C’est inadmissible. Il faut donc bien que les termes numériques posent quelque chose en Dieu.

En sens contraire, S. Hilaire écrit : “ L’affirmation d’une société, c’est-à-dire d’une pluralité, a exclu l’idée d’isolement et de solitude (en Dieu). ” Et S. Ambroise : “ Quand nous disons : un Dieu, l’unité exclut une pluralité de dieux ; et nous ne posons pas de quantité en Dieu. ” Il semble donc bien que, si l’on fait appel à des termes de ce genre à propos de Dieu, c’est pour nier, et non affirmer quelque chose de positif[1984].

Réponse :

Le Maître des Sentences dit qu’en Dieu nos termes numériques ne posent rien et ne font que nier. D’autres tiennent le contraire.

Pour tirer ceci au clair, nous partirons de la considération que voici. Toute pluralité suppose une division. Or il y a deux sortes de divisions : l’une matérielle, par division du continu ; elle donne lieu au nombre qui est une espèce de la quantité. Ce nombre-là ne se rencontre donc que dans les réalités matérielles, douées de quantité[1985]. L’autre est la division formelle, par opposition ou diversité de formes ; elle donne lieu à une multitude qui n’est pas dans un genre déterminé, mais fait partie des transcendantaux ; l’être, en effet, est un ou multiple[1986]. Et c’est la seule multitude qui se rencontre dans les réalités immatérielles.

Donc, certains ne considéraient que la multitude qui est une espèce de la quantité discontinue ; et voyant bien que cette quantité ne trouve pas de place en Dieu, ils ont pensé que nos termes numériques n’affirment rien de positif en Dieu et ne font que nier[1987]. D’autres, considérant aussi le même type de multitude, émirent cette opinion : de même qu’on attribue à Dieu la science sous l’aspect propre de savoir, et non sous son aspect générique de qualité, puisqu’il n’y a pas de qualité en Dieu[1988], de même on affirme en Dieu un nombre sous la raison propre de nombre et non sous son aspect générique de quantité.

Pour nous, nous disons que les termes numériques attribués à Dieu ne sont pas empruntés au nombre, qui est une espèce de la quantité ; on ne pourrait les attribuer à Dieu que par métaphore[1989], comme les autres propriétés des corps : largeur, longueur, etc. Ils sont pris à la multitude qui est un transcendantal. Or cette multitude-là est aux réalités qu’elle qualifie, comme l’un, convertible avec l’être, est à l’être. Et, comme on l’a dit en traitant de l’unité de Dieu[1990], cet un-là n’ajoute à l’être que la négation d’une division ; car l’un, c’est l’être indivis. Dès lors, qu’on le dise de ce qu’on voudra, “ un ” signifie cette chose-là dans son indivision. Par exemple, en disant : l’homme est un, on signifie la nature de l’homme comme indivise. Et il en va de même quand nous qualifions des choses “ multiples ” : la multitude ainsi entendue signifie ces choses mêmes en leur indivision respective. Mais le nombre qui est une espèce de quantité ajoute à l’être un accident[1991] ; de même aussi, l’unité principe du nombre.

Attribués à Dieu, les termes numériques signifient donc les réalités mêmes qu’ils qualifient, et n’y ajoutent qu’une négation. En ceci, le Maître des Sentences a dit vrai. Par exemple, quand nous disons : “ l’essence est une ”, “ une ” signifie l’essence en son indivision ; quand nous disons : “ la personne est une ”, cet attribut signifie la personne en son indivision ; et quand nous disons : “ les personnes sont plusieurs ”, nous signifions les personnes, chacune en son indivision : car, par définition, la multitude est constituée d’unités.

Solutions :

1. L’“ un ” qui est un transcendantal est plus général que la substance ou la relation ; et “ multitude ” est dans le même cas. Un terme numérique peut donc désigner en Dieu soit la substance, soit la relation, suivant les attributs auxquels on l’adjoint. Et pourtant les termes de cet ordre ne posent pas seulement l’essence ou la relation : ils y ajoutent, en vertu de leur signification propre, la négation d’une division[1992].

2. La multitude qui ajoute quelque chose de positif dans l’être créé est une espèce de la quantité. Ce n’est pas elle qu’on transpose analogiquement en Dieu, mais seulement la multitude transcendantale[1993], laquelle n’ajoute aux sujets dont on l’affirme que leur indivision à chacun : telle est la multitude que l’on affirme en Dieu.

3. “ Un ” ne nie pas la multitude, mais la division ; et celle-ci précède logiquement l’unité et la multitude. De son côté, la multitude ne nie pas l’unité : elle nie la division dans chacun des éléments constituant cette multitude. Tout cela d’ailleurs a été exposé à propos de l’unité divine[1994]. D’ailleurs, il est bon de savoir que les autorités alléguées En sens contraire ne sont pas des preuves suffisantes ; si la pluralité exclut la solitude, et si l’unité exclut la pluralité de dieux, cela n’entraîne pas que ces termes ne signifient rien d’autre. La blancheur exclut bien la noirceur ; mais ce terme de “blancheur” ne signifie pas uniquement exclusion de la noirceur.

 

            Article 4 — Comment le nom de “ personne ” est-il commun en Dieu ?

Objections :1. Une seule chose est commune aux trois personnes : l’essence[1995]. Or le nom de “ personne ” ne signifie pas directement l’essence[1996]. Ce n’est donc pas un terme commun aux trois.

2. Commun s’oppose à l’incommunicable. Or la personne est incommunicable par définition[1997] : On n’a qu’à se reporter à la définition[1998] donnée par Richard de Saint-Victor. Le nom de personne n’est donc pas commun aux trois.

3. Admettons qu’il leur soit commun ; cette communauté se vérifie ou bien réellement, ou seulement en raison. Ce n’est pas réellement, puisqu’ainsi les trois personnes seraient une seule personne ; pas davantage en pure raison, puisqu’alors “personne ” serait un universel, et qu’en Dieu il n’y a ni universel, ni particulier, ni genre, ni espèce on l’a vu plus haut[1999]. Le nom de personne n’est donc pas commun aux trois.

En sens contraire, S. Augustin dit qu’à la question : “ trois quoi ? ” on a répondu : trois personnes, parce que le signifié de ce terme leur est commun.

Réponse :

“ Personne ” est bien un nom commun aux trois : notre langage l’atteste, puisque nous disons : “ les trois Personnes ” ; de même qu’en disant “trois hommes ”, nous attestons que le terme “ homme ” est commun à ces trois sujets. Mais il est clair qu’il ne s’agit pas d’une communauté de réalité, telle qu’est celle de l’unique essence commune aux trois ; il n’y aurait alors pour les trois qu’une personne, comme il n’y a qu’une essence[2000].

On s’est donc demandé de quelle communauté il s’agit ; et les réponses sont multiples. Communauté d’une négation, dit-on, alléguant le terme “ incommunicable ” qui se trouve dans la définition de la personne. Communauté d’une intention logique[2001], disent d’autres, parce que la définition de la personne contient le terme “individuel” : comme si l’on disait que “ cheval ” et “bœuf” ont ceci de commun, d’être une espèce[2002]. Mais ces deux réponses sont à rejeter, du fait que “ personne ” n’est ni un terme négatif, ni un terme de logique, mais bien un nom de chose ou réalité.

Voici plutôt ce qu’il faut dire. Même en ces cas humains, “personne ” est un nom commun, de cette communauté logique qui est celle non pas du genre ou de l’espèce, mais de l’individu indéterminé. En effet, les noms de genre ou d’espèce, par exemple “ homme ”, “ animal ”, signifient formellement les natures communes mêmes[2003], et non pas les intentions logiques des natures communes ; ce sont les termes “ genre ” ou “ espèce ” qui signifient ces intentions. Tandis que l’individu indéterminé, par exemple : “ quelque homme ”, signifie une nature commune avec le mode déterminé d’existence qui appartient aux singuliers, savoir : d’être par soi subsistant à part des autres[2004]. Enfin, le nom d’un singulier déterminé comprend dans sa signification les caractères distincts déterminés : dans “ Socrate ”, par exemple, on évoque cette chair et ces os. Il y a pourtant une différence à noter : “ Quelque homme ” signifie l’individu par le biais de sa nature posée avec le mode d’existence propre au singulier ; tandis que le nom de “ personne ” ne signifie pas formellement l’individu du côté de sa nature, il signifie la réalité qui subsiste en telle nature[2005]. Or, ceci est commun logiquement à toutes les Personnes divines : chacune d’elle subsiste en la nature divine, et subsiste distincte des autres. Voilà comment le nom de “ personne ” est logiquement commun aux trois Personnes divines.

Solutions :

1. Le premier argument suppose une communauté réelle que nous avons écartée[2006]                                                                                                                                       .

2. Certes, la personne est incommunicable ; cependant ce mode même d’exister incommunicablement peut se trouver commun à plusieurs.

3. Il s’agit de communauté logique, et non réelle. Cela pourtant n’entraîne pas qu’il y ait de l’universel ou du particulier en Dieu, ni qu’on y trouve genre ou espèce ; d’abord parce que, même en ces cas humains, la communauté du terme “ personne ” n’est pas celle d’un genre ou d’une espèce[2007] ; ensuite parce que les Personnes divines n’ont qu’un seul être[2008] ; or genre, espèce ou n’importe quel prédicat universel, s’attribue à plusieurs sujets qui diffèrent par leur être[2009].

 

 

QUESTION 31 — TERMES EVOQUANT UNITÉ OU PLURALITÉ EN DIEU

On étudiera ici les vocables intéressant l’unité ou la pluralité en Dieu.

1. Le terme même de trinité. 2. Peut-on dire que le Fils est “ autre ” que le Père ? 3. Le terme exclusif “ seul ”, qui paraît nier l’existence d’un autre, peut-il s’adjoindre à un nom essentiel ? 4. Peut-il s’adjoindre à un nom personnel ?

 

            Article 1 — Y a-t-il une trinité en Dieu ?

Objections :

1. Tout nom, en Dieu, signifie la substance ou la relation[2010]. Or le terme “ trinité ” ne signifie pas la substance, car il s’attribuerait à chaque personne. Il ne signifie pas non plus la relation, car il ne se construit pas dans la phrase comme un terme relatif. Il ne faut donc pas faire usage de ce terme à propos de Dieu.

2. “ Trinité ” se présente comme un nom collectif[2011], car il signifie une pluralité. Or un nom de ce genre ne convient pas en Dieu, l’unité du nom collectif étant la moindre des unités, alors qu’en Dieu se vérifie l’unité suprême[2012]. Le terme “ trinité ” ne convient donc pas en Dieu.

3. Ce qui est trine est triple. Mais en Dieu, il n’y a pas de “ triplicité ”, car celle-ci est une espèce d’inégalité. Donc, pas de trinité non plus.

4. Ce qui se vérifie en Dieu, se vérifie en l’unité de l’essence divine, puisque Dieu est son essence[2013]. Donc, s’il y a trinité en Dieu, il y aura trinité dans l’unité de l’essence divine : ce qui ferait trois unités essentielles. Ce qui est hérétique.

5. C’est une règle des noms divins, que le concret s’y attribue à l’abstrait : la déité est Dieu, la paternité est le Père[2014]. Or on ne peut pas dire : la trinité est trine. Cela ferait en effet neuf réalités en Dieu : autre erreur. Il ne faut donc pas faire usage de ce terme en Dieu.

En sens contraire, S. Athanase écrit : “ On doit adorer l’unité dans la trinité et la trinité dans l’unité. ”

Réponse :

Quand il s’agit de Dieu, le terme “ trinité ” évoque le nombre précis des personnes. Donc, de même qu’on reconnaît une pluralité de personnes en Dieu[2015], il y a lieu de faire appel au mot trinité ; car cela même que “ pluralité ” signifie en général, le terme “ trinité ” le signifie de manière précise et déterminée.

Solutions :

1. Étymologiquement, le mot trinité paraît signifier l’unique essence des trois Personnes, trinitas étant mis pour triumunitas. Mais ce qu’il signifie à proprement parler, c’est plutôt le nombre des personnes de l’unique essence ; aussi ne peut-on pas dire : “ le Père est la trinité ”, car il n’est pas les trois personnes. En outre, il ne signifie pas les relations en tant que telles, mais plutôt le nombre des personnes en relation les unes avec les autres[2016], et c’est pourquoi il ne se construit pas grammaticalement comme un relatif.

2. Dans sa signification, le nom collectif implique deux choses : une pluralité de suppôts, et une certaine unité entre eux, qui est l’unité d’un ordre. Un peuple, par exemple, est une multitude d’hommes soumis à un certain ordre. Donc, si l’on s’en tient à la première condition, “ trinité ” rentre dans la catégorie des noms collectifs. Mais il en diffère quant à la seconde : dans la trinité divine, il n’y a pas seulement unité d’ordre, il y a en outre unité d’essence.

3. “ Trinité ” est un terme absolu qui signifie le nombre trois des Personnes. “Triplicité ” signifie la proportion de trois à un, c’est-à-dire un cas d’inégalité, comme on peut l’apprendre chez Boèce. Il y a donc une trinité en Dieu, mais pas de triplicité.

4. Dans la trinité divine, il y a à considérer un nombre et les personnes dénombrées. Donc, quand on dit “ la trinité dans l’unité ”, on n’introduit pas le nombre dans l’unité de l’essence, comme si elle était trois fois une ; on pose simplement les trois personnes dans l’unique nature, comme on dit des suppôts d’une nature qu’ils subsistent en cette nature-là[2017]. Inversement, on dit “l’unité dans la trinité ”, comme on dit qu’une nature existe en ses suppôts.

5. Dans trinitas est trina, le prédicat signifie la multiplication de trois par lui-même ; car trina pose une tridistinction dans le sujet auquel on l’attribue. On ne peut donc pas dire : trinitas est trina : il s’ensuivrait qu’il y a trois suppôts de la trinité, de même que, si je dis “ Dieu est trine ”, il s’ensuit qu’il y a trois suppôts de la déité.

 

            Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ?

Objections :

1. “ Autre ” est un terme relatif qui évoque une diversité de substance. Donc, si le Fils est un autre que le Père, ils seront divers. Or, selon S. Augustin, en disant “ trois personnes ”, on n’entend évoquer aucune diversité[2018].

2. Les sujets qui sont autres entre eux, diffèrent en quelque façon les uns des autres. Dès lors, si le Fils est un autre que le Père, il en est aussi “ différent ”. Mais S. Ambroise s’y oppose : “ Le Père et le Fils ne font qu’un par leur divinité ; il n’y a là ni différence de substance[2019], ni la moindre diversité. ”

3. Alienum, c’est-à-dire étranger, dérive de alius, c’est-à-dire autre. Mais le Fils n’est pas “étranger” au Père, car, dit S. Hilaire, “entre Personnes divines il n’y a rien de divers, rien d’étranger, rien de séparable[2020]. ” Donc le Fils n’est pas non plus un autre que le Père.

4. Alius, c’est-à-dire un autre, et aliud, c’est-à-dire autre chose, ont même signification sauf le genre connoté, ici neutre, là masculin. Si donc le Fils est alius, c’est-à-dire autre que le Père, il s’ensuit qu’il est aussi aliud, c’est-à-dire “ autre chose ” que le Père.

En sens contraire, on lit dans le De fide ad Petrum : “ Unique est l’essence du Père et du Fils et du Saint-Esprit ; en cette essence, le Père n’est pas une chose, le Fils une autre, le Saint-Esprit une autre, bien que personnellement le Père soit un autre que le Fils, etc. ”

Réponse :

Des formules inconsidérées font encourir le reproche d’hérésie, dit S. Jérôme. Donc, quand on parle de la Trinité, il faut procéder avec précaution et modestie : “ Nulle part, dit S. Augustin, l’erreur n’est plus dangereuse, la recherche plus laborieuse, la découverte plus fructueuse. ” Or, dans nos énoncés touchant la Trinité, nous avons à nous garder de deux erreurs opposées entre lesquelles il faut nous frayer une voie sûre : l’erreur d’Arius qui enseigne, avec la trinité des Personnes, une trinité de substances ; et celle de Sabellius, qui enseigne, avec l’unité d’essence, l’unité de personne.

Pour écarter l’erreur d’Arius, on évitera de parler de “ diversité ” ou de “ différence ” en Dieu ; ce serait ruiner l’unité d’essence. Mais nous pouvons faire appel au terme de “ distinction ”, en raison de l’opposition relative[2021] ; c’est en ce dernier sens qu’on entendra les expressions de “ diversité ” ou “ différence ”, des personnes, si on les rencontre dans un texte faisant autorité. En outre, pour sauver la simplicité de l’essence divine, il faut éviter les termes de “ séparation ” et “ division ” il s’agit de la division du tout en ses parties ; pour sauver l’égalité, on évitera le terme de “ disparité ” ; pour sauver la similitude, on évitera ceux d’“ étranger ” et “ divergent ”. “ Chez le Père et le Fils, dit S. Ambroise, la déité est une et sans divergence. ” Et d’après S. Hilaire, il n’y a rien de séparable en Dieu[2022].

Pour écarter d’autre part l’erreur de Sabellius, nous éviterons singularitas (solitude), qui nierait la communicabilité de l’essence divine[2023] : d’après S. Hilaire, en effet, c’est un sacrilège d’appeler le Père et le Fils “un Dieu solitaire ”. Nous éviterons aussi le terme “ unique ”, qui nierait la pluralité des Personnes[2024] ; S. Hilaire dit ainsi que “ solitaire ”, “unique ” sont exclus de Dieu. Si nous disons “ le Fils unique ”, c’est qu’il n’y a pas plusieurs Fils en Dieu ; mais nous ne disons pas que Dieu est “ unique ”, parce que la déité est commune à plusieurs suppôts. Nous évitons encore le terme de “ confus ”, pour respecter l’ordre de nature entre les Personnes[2025]. S. Ambroise dit ainsi : “ Ce qui est un, n’est pas confus ; ce qui n’est pas différencié, ne peut pas être multiple. ” On évitera aussi le mot “ solitaire ”, pour respecter la société des Personnes[2026] : “ Ni solitaire, ni divers : voilà comment nous devons confesser Dieu”, dit S. Hilaire.

Or, le masculin alius, c’est-à-dire un autre, évoque une pure distinction de suppôts ; on peut donc sans inconvénient dire que le Fils est alius a Patre, autre que le Père, car il est bien un autre suppôt de la nature divine, et pareillement une autre personne, une autre hypostase[2027].

Solutions :

1. “ Un autre ” alius est assimilable aux termes qui désignent l’individu : il vaut pour le suppôt (non pour l’essence[2028]). Pour en vérifier l’attribution, il suffit donc qu’il y ait distinction d’hypostase ou de personne[2029]. Au contraire, pour qu’il y ait “ diversité ”, il faut une distinction de substance seconde[2030], c’est-à-dire d’essence. C’est pourquoi le Fils est un autre que le Père, sans qu’ils soient divers.

2. “ Différence ” implique distinction de forme. Or, il n’y a qu’une forme en Dieu[2031] : “ Lui qui existait en la forme de Dieu... ”, dit S. Paul. Le terme “ différent ” ne convient donc pas proprement en Dieu, comme l’enseigne l’autorité alléguée. Damascène, il est vrai, use de ce terme à propos de Dieu, parce que la propriété relative s’exprime à la manière d’une forme ; il dit en effet que les hypostases ne diffèrent pas entre elles par leur substance, mais par leurs propriétés déterminées[2032]. Au fond, comme on l’a dit dans la réponse, “ différence ” vient là pour “ distinction ”.

3. Alienum veut dire : étranger et dissemblable ; mais alius n’évoque rien de tel. C’est pourquoi l’on dit que le Fils est alius, c’est-à-dire un autre que le Père, mais non pas alienus, c’est-à-dire étranger au Père.

4. Le neutre est un genre indéterminé, le masculin est un genre déterminé et distinct, ainsi que le féminin. Le neutre convient donc pour signifier l’essence commune ; le masculin et le féminin, pour signifier un suppôt déterminé dans la nature commune. Ainsi, quand il s’agit des hommes, si l’on demande : Qui est-ce ? ou Quis (au masculin), on répond par un nom de personne : C’est Socrate. Mais si l’on demande : Qu’est-ce ? ou Quid (au neutre), on répond : C’est un animal raisonnable et mortel. Voilà pourquoi, puisqu’en Dieu il y a distinction de personnes sans distinction d’essence[2033], on dit que le Père est alius (au masculin), c’est-à-dire un autre que le Fils, et non aliud (au neutre), c’est-à-dire autre chose. Inversement, on dit qu’ils sont unum (au neutre), c’est-à-dire une seule chose ; et non pas unus (au masculin), c’est-à-dire un seul sujet.

 

            Article 3 — Le terme exclusif “ seul ” peut-il s’adjoindre à un terme essentiel ?

Objections :

1. Au dire du Philosophe, celui-là est seul, qui n’est pas avec un autre. Mais Dieu est avec les anges et les âmes des saints. On ne peut donc pas dire que Dieu soit seul.

2. Ce qu’on peut adjoindre à un nom essentiel, en Dieu, peut s’attribuer à chaque personne ou à toutes ensemble. Ainsi l’on peut dire que le Père est Dieu sage, que la Trinité est Dieu sage, puisque Dieu peut être qualifié de sage[2034]. Or S. Augustin s’arrête à cette thèse, que le Père n’est pas le seul vrai Dieu. C’est donc qu’on ne peut pas dire “ Dieu seul ”.

3. Si le mot “ seul ” se trouve adjoint à un terme essentiel, l’exclusion vise ou bien un prédicat personnel ou bien un prédicat essentiel. Elle ne vise pas un prédicat personnel, car il est faux de dire : “ Dieu seul est Père ”, puisque l’homme l’est aussi. Elle ne vise pas non plus un prédicat essentiel : en effet, si la proposition “ Dieu seul crée ” était vraie, celle-ci le serait aussi, à ce qu’il semble : “ le Père seul crée ” ; car ce qui est vrai de Dieu, l’est aussi du Père. Or la dernière proposition est fausse, puisque le Fils aussi est créateur[2035]. C’est donc que le mot “ seul ” ne peut s’adjoindre à un terme essentiel, en Dieu.

En sens contraire : On lit dans la 1° épître à Timothée (1,17) : “ Au roi immortel des siècles, invisible, seul Dieu... ”

Réponse :

Le mot “seul” peut s’employer de deux façons : “catégorématique” ou “syncatégorématique”. On appelle “catégorématique” le terme qui pose purement et simplement dans le sujet la chose qu’il signifie ; c’est le cas de “blanc” dans l’expression : “ l’homme blanc ”. Pris ainsi, le mot “ seul ” ne peut absolument pas être apposé à un terme quelconque en Dieu ; il y poserait une solitude, d’où il suivrait que Dieu est solitaire : et cela vient d’être exclu[2036].

On appelle “ syncatégorématique ” le terme qui dit un rapport entre prédicat et sujet, comme “ tout ”, “ nul ”, etc. ; c’est aussi le cas du mot “ seul ”, qui exclut tout autre sujet de la participation au prédicat. Par exemple, quand on dit : “ Socrate seul écrit ”, on ne veut pas dire que Socrate soit solitaire ; on veut dire que personne n’écrit avec lui, même si beaucoup sont là avec lui. Si l’on prend ainsi le mot “ seul ”, rien n’empêche de l’adjoindre à un terme essentiel en Dieu, pour signifier que tous les autres êtres sont exclus de la participation au prédicat. On peut dire par exemple : “ Dieu seul est éternel ”, car rien en dehors de Dieu n’est éternel[2037].

Solutions :

1. Certes, les anges et les âmes des saints sont toujours avec Dieu ; et pourtant, s’il n’y avait pas plusieurs personnes en Dieu, nécessairement Dieu serait seul ou solitaire. Car la nature d’un être qui est de nature étrangère à la nôtre, n’empêche pas notre solitude ; on dit bien de quelqu’un qu’il est seul au jardin, malgré toutes les plantes et les bêtes qui s’y trouvent. De même on dirait que Dieu est seul ou solitaire, malgré les anges et les hommes qui sont avec lui, s’il n’y avait pas plusieurs personnes en Dieu. Ce n’est donc pas la société des anges et des âmes qui tire Dieu de sa solitude absolue, encore moins de sa solitude relative, c’est-à-dire de celle qui se vérifie pour tel attribut particulier.

2. Si l’on veut parler proprement, on n’emploie pas “ seul ” pour modifier le prédicat : celui-ci est toujours pris formellement. Le mot “ seul ” intéresse le sujet, car il exclut tout autre sujet que celui qu’il accompagne. Tandis que l’adverbe “ seulement ”, exclusif lui aussi, s’emploie et pour le sujet et pour le prédicat. On peut dire en effet : “ Socrate seulement court ” ; autrement dit, aucun autre ne court. Et on dit aussi : “ Socrate court seulement ” ; autrement dit, il ne fait rien d’autre. Par conséquent, des expressions comme celles-ci : “ le Père est le seul Dieu ”, ou “ la Trinité est le seul Dieu ”, sont impropres[2038], à moins d’introduire quelque sous-entendu du côté du prédicat ; par exemple, on veut dire : “ la Trinité est celui qui seul est Dieu ”. S. Augustin qu’on allègue n’établit pas une thèse ; il propose l’explication d’un texte difficile, il veut dire que l’invocation “ à l’invisible et seul Dieu ” doit s’entendre de la Trinité seule, et non de la personne du Père.

3. Quel que soit le prédicat, essentiel ou personnel, “ seul ” peut s’adjoindre à un terme essentiel posé en sujet. En effet, la proposition “ Dieu seul est Père ” a deux significations : “ Père ” peut attribuer au sujet la personne du Père ; alors la proposition est vraie, puisqu’aucun homme n’est cette Personne. “ Père ” peut aussi n’attribuer que la relation de paternité : alors la proposition est fausse, puisque pareille relation se vérifie en d’autres (de manière non univoque[2039], cela s’entend). De même, il est bien vrai que “ seul Dieu crée ”. Si l’on n’en peut déduire : “ donc seul le Père crée ”, c’est que, disent les logiciens, le terme exclusif “ immobilise ” le terme qu’il accompagne ; autrement dit, l’on ne peut pas étendre la proposition aux suppôts particuliers par retour du général au particulier. De cette proposition, par exemple : “ Seul l’homme est un animal capable de rire ”, il ne suit pas que “ seul Socrate est un animal, etc. ”.

 

            Article 4 — Un terme exclusif peut-il s’adjoindre à un nom personnel ?

Objections :

1. Le Seigneur dit à son Père (Jn 17, 3) : “ Qu’ils te connaissent, toi, seul vrai Dieu. ” C’est donc que “ le Père seul est vrai Dieu ”.

2. On lit en S. Mathieu (11, 27) : “ Personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père. ” Autrement dit : seul le Père connaît le Fils. Et connaître le Fils est bien commun aux Trois[2040]. Ainsi, même conclusion que ci-dessus.

3. Le terme exclusif n’exclut pas ce qui est impliqué dans la notion même du terme auquel on l’adjoint. Il n’exclut, par exemple ni la partie, ni l’universel : de “ Socrate seul est blanc ”, on ne peut pas conclure : “ Donc sa main n’est pas blanche ”, ni non plus : “ Donc l’homme n’est pas blanc. ” Or une Personne est impliquée dans la notion de l’autre[2041] : le Père est impliqué dans la notion du Fils, et réciproquement. Donc en disant : “ Le Père seul est Dieu ”, on n’exclut ni le Fils, ni le Saint-Esprit : cette expression paraît donc vraie.

4. D’ailleurs l’Église chante : “ Toi, le seul Très-Haut, Jésus Christ. ”

En sens contraire, la proposition “ le Père seul est Dieu ” se résout en deux autres qui l’expliquent : “ Le Père est Dieu ” et “ Nul autre que le Père n’est Dieu. ” Mais cette dernière est fausse, car le Fils, qui est Dieu, est un autre que le Père[2042]. Donc la proposition “ le Père seul est Dieu ” est fausse, ainsi que toute autre de ce genre.

Réponse :

La proposition “ le Père seul est Dieu ” peut avoir plusieurs sens. “ Seul ” peut qualifier le Père ; et pris de façon catégorématique[2043], il fait du Père un solitaire ; alors la proposition est fausse[2044]. Pris de façon syncatégorématique, il donne encore lieu à plusieurs sens : si “ seul ” exclut les autres de la forme du sujet “ Père ”[2045], la proposition est vraie, car elle signifie alors : “ Celui qui est seul à être le Père, est Dieu. ” C’est l’explication qu’en donne S. Augustin, quand il écrit : “ Nous disons "le Père seul", non qu’il soit séparé du Fils ou du Saint-Esprit[2046], mais nous signifions par là qu’ils ne sont point Père avec lui. ” Cependant, ce sens-là n’est pas celui qui ressort du langage habituel à moins d’y sous-entendre par exemple : “ Celui qui seul se nomme le Père est Dieu. ”

Dans son sens propre, “ seul ” exclut de la participation du prédicat ; et cette fois, la proposition est fausse, si l’on veut dire : à l’exclusion d’“ un autre ” (alius) ; elle est vraie, si l’on veut seulement dire : à l’exclusion d’“ autre chose ” (aliud). En effet, le Fils est un autre que le Père, mais non pas autre chose[2047] ; pareillement le Saint-Esprit. Mais le mot “ seul ” concerne proprement le sujet, avons-nous dit[2048] : il veut donc plutôt exclure “ un autre ”, qu’“ autre chose ”. Par conséquent, il ne faut pas généraliser pareille expression ; quand on en rencontrera dans un texte faisant autorité, on aura soin de l’expliquer.

Solutions :

1. L’expression “ Toi, le seul vrai Dieu ” s’entend non pas de la personne du Père, mais de toute la Trinité, selon S. Augustin. Si d’ailleurs on l’entend de la personne du Père, on n’exclut pas les autres Personnes, à cause de l’unité d’essence[2049] ; c’est-à-dire qu’alors “ seul ” exclut seulement “ autre chose ”.

2. Même Réponse à la seconde difficulté : quand on attribue au Père une perfection essentielle, on n’exclut ni le Fils ni le Saint-Esprit, en raison de l’unité d’essence[2050]. Notons par ailleurs qu’il ne suffit pas de répondre que le vocable latin nemo équivaut à nullus homo, donc que l’exclusion ne vise que les hommes ; ce n’est pas le cas, dans le texte allégué, car on n’aurait pas à y faire exception du Père. Nemo (personne) est pris là au sens usuel, c’est-à-dire qu’il exclut universellement n’importe quelle nature rationnelle[2051].

3. Le terme exclusif n’exclut pas ce qui est compris dans la notion même du terme auquel il est joint et ne fait qu’un sujet avec lui : ce qui est le cas de la partie et de l’universel. Mais le Père et le Fils sont deux suppôts distincts[2052] : le cas n’est donc pas le même.

4. Nous ne disons pas, sans plus, que “ seul le Fils est le Très-Haut ” ; nous disons que seul il est “ le TrèsHaut avec le Saint-Esprit dans la gloire de Dieu le Père ”.


 

 

QUESTION 32 — LA CONNAISSANCE DES PERSONNES DIVINES

La question qui se pose ici est celle de notre connaissance des Personnes divines.

Sur ce point nous verrons : 1. Si les Personnes divines peuvent être connues par la raison naturelle. 2. S’il faut attribuer des “ notions ” aux Personnes divines. 3. Le nombre de ces notions. 4. Sur les notions, les opinions sont-elles libres ?

 

            Article 1 — La Trinité des Personnes divines peut-elle être connue par la raison naturelle ?

Objections :

1. Les philosophes n’ont pu arriver à la connaissance de Dieu que par la raison naturelle. Or on trouve chez les philosophes maint passage qui parle de la Trinité des Personnes.

Aristote a dit : “ Nous nous sommes appliqué à glorifier par ce nombre trois le Dieu unique, qui surpasse toutes les propriétés des choses créées. ” S. Augustin écrit même, à propos des ouvrages des platoniciens : “ J’y ai lu en d’autres termes, il est vrai, mais c’est bien cela qu’on y établissait par toutes sortes d’arguments, j’y ai lu qu’au commencement était le Verbe, que le Verbe était en Dieu et que le Verbe était Dieu ”, et le reste de ce texte, qui expose la distinction des personnes divines. On dit encore, dans la Glose, que les mages de Pharaon échouèrent “ au troisième signe ”, c’est-à-dire dans la connaissance de la troisième personne, le Saint-Esprit : ils en ont donc connu au moins deux. Enfin Trismégiste écrit : “ Un a engendré l’Un, et il a réfléchi sur soi sa flamme. ” Voilà bien qui semble enseigner la génération du Fils et la procession du Saint-Esprit[2053]. La raison naturelle peut donc atteindre à la connaissance des Personnes divines.

2. Richard de Saint-Victor écrit : “ Je tiens sans le moindre doute qu’il ne manque pas d’arguments, non seulement probables, mais encore nécessaires, pour rendre raison de n’importe quelle vérité. ” On a en effet avancé maints arguments pour prouver même la Trinité des Personnes. Certains invoquent l’infinie bonté divine[2054], qui se communique infiniment dans la procession des Personnes divines. D’autres font appel à ce principe, qu’il n’y a pas d’heureuse possession d’aucun bien sans société. S. Augustin, lui, cherche à manifester la Trinité des Personnes à partir de la procession du verbe et de l’amour en notre esprit ; c’est la voie même que nous avons suivie ci-dessus[2055]. La Trinité des Personnes peut donc être connue par raison naturelle.

3. Révéler à l’homme ce que la raison humaine est incapable de connaître, voilà une démarche vaine. Or, on ne va pas dire que la révélation divine du mystère de la Trinité est une démarche vaine[2056]. C’est donc que la raison humaine peut connaître la Trinité des Personnes.

En sens contraire, S. Hilaire écrit : “Que l’homme se garde bien de penser que son intelligence puisse atteindre le mystère de la génération divine ! ” Et S. Ambroise : “ Impossible de savoir le secret de cette génération. La pensée y défaille, la voix se tait. ” Or c’est par l’origine précisément génération et procession qu’on distingue une trinité en Dieu, comme on l’a vu plus haut[2057] ; et puisque l’homme peut “ savoir et atteindre intellectuellement ” ce dont on peut donner une raison nécessaire[2058], il s’ensuit que la Trinité des Personnes n’est pas connaissable par la raison.

Réponse :

Il est impossible de parvenir à la connaissance de la Trinité des Personnes divines par la raison naturelle. En effet, on a vu plus haut[2059] que, par sa raison naturelle, l’homme ne peut arriver à connaître Dieu qu’a partir des créatures. Or les créatures conduisent à la connaissance de Dieu, comme les effets à leur cause. On ne pourra donc connaître de Dieu, par la raison naturelle, que ce qui lui appartient nécessairement à titre de principe de tous les êtres ; c’est sur ce fondement que nous avons construit notre traité de Dieu[2060]. Mais la vertu créatrice de Dieu est commune à toute la Trinité[2061] ; autrement dit, elle ressortit à l’unité d’essence, non à la distinction des Personnes. La raison naturelle pourra donc connaître de Dieu ce qui a trait à l’unité d’essence, et non ce qui a trait à la distinction des Personnes.

Et celui qui prétend prouver la Trinité des Personnes par la raison naturelle, fait doublement tort à la foi. D’abord, il méconnaît la dignité de la foi elle-même, dignité qui consiste à avoir pour objet les choses invisibles, c’est-à-dire qui dépassent la raison humaine[2062] : “ La foi, dit l’Apôtre (He 11, 1) porte sur ce qu’on ne voit pas. ” Ensuite, il compromet les moyens d’amener certains hommes à la foi. En effet, apporter en preuve de la foi des raisons qui ne sont pas nécessaires, c’est exposer cette foi au mépris des infidèles ; car ils pensent que c’est sur ces raisons-là que nous nous appuyons, et à cause d’elles que nous croyons. N’essayons donc pas de prouver les vérités de la foi autrement que par des arguments d’autorité, pour ceux qui les acceptent. Pour les autres, il suffit de défendre la non-impossibilité des mystères annoncés par la foi[2063]. Ainsi Denys écrit : “ Celui qui reste absolument sourd aux oracles, sera inaccessible à notre philosophie[2064]. Mais s’il prend en considération la vérité des oracles divins, bien entendu, nous aurons alors nous aussi recours à cette règle. ”

Solutions :

1. Les philosophes n’ont pas connu le mystère de la Trinité des Personnes divines, du moins par ses notions propres : génération, filiation et procession[2065]. C’est ce que dit l’Apôtre (1 Co 2, 6) : “ Nous prêchons une sagesse de Dieu que personne n’a connue parmi les princes de ce siècle ”, c’est-à-dire les philosophes, d’après la Glose. Ils ont pourtant connu certains attributs essentiels qu’on approprie aux Personnes : la puissance, appropriée au Père ; la sagesse appropriée au Fils ; la bonté appropriée au Saint-Esprit, comme on le verra plus loin[2066]. Donc, quand Aristote écrit : “ Par ce nombre trois, etc. ”, n’allons pas croire qu’il ait posé le nombre trois en Dieu ; il veut dire que les anciens observaient le nombre trois dans les sacrifices et les prières, parce que ce nombre possède une sorte de perfection.

De même, on lit bien dans les livres des platoniciens : “ Au commencement était le verbe... ” Mais “ verbe ” n’y signifie pas une personne engendrée en Dieu : il évoque le type idéal selon lequel Dieu a tout créé, et qu’on approprie au Fils[2067]. Et, bien qu’ils aient connu des perfections appropriées aux trois Personnes, on dit qu’ils ont échoué “ au troisième signe ”, c’est-à-dire dans la connaissance de la troisième Personne, parce qu’ils ont dévié de la bonté appropriée au Saint-Esprit, du fait que “ connaissant Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu ”, dit S. Paul (Rm 1, 21). Il y a une autre explication : les platoniciens posaient un premier Etre, qu’ils appelaient le Père de tout l’univers ; ensuite ils posaient au-dessous de lui une autre substance, qu’ils appelaient la Pensée ou l’Intellect du Père[2068] : en lui se trouvaient les idées de toutes choses, comme le rapporte Macrobe dans son Commentaire du Songe de Scipion. On ne voit d’ailleurs pas qu’ils aient posé une troisième substance, qui paraisse correspondre au Saint-Esprit. Mais nous, ce n’est pas un Père et un Fils de cette sorte, substantiellement différents, que nous posons : ce fut l’erreur d’Origène et d’Arius, disciples sur ce point des platoniciens.[2069]

Quant à cet aphorisme de Trismégiste : “ l’Un a engendré l’Un, et il a réfléchi sur soi sa flamme ”, il ne concerne pas la génération du Fils, ni la procession du Saint-Esprit, mais bien la production du monde : le Dieu unique a produit un monde par amour de soi[2070].

2. La raison qu’on apporte pour expliquer une chose donnée peut jouer un double rôle. Il peut se faire qu’elle en établisse démonstrativement la cause cachée. Ainsi en philosophie de la Nature on prouve efficacement pourquoi le mouvement a une vitesse uniforme. Mais il arrive aussi que la raison qu’on donne ne prouve pas efficacement que telle est la cause cachée que l’on cherche, mais, une cause étant supposée, elle montre que les effets qui, par hypothèse, en découlent s’accordent bien avec elle. Ainsi en astronomie on donne comme raison (des phénomènes observés) la théorie des excentriques et des épicycles, étant donné que ce qui apparaît aux sens des mouvements des astres est respecté par cette hypothèse ; ce n’est pourtant pas une preuve décisive (que telle est la vraie cause de ces phénomènes), car il n’est pas dit qu’une autre hypothèse ne les respecterait pas aussi. On peut donc donner une explication du premier type pour prouver que Dieu est un[2071], etc. Mais la raison que l’on apporte pour manifester la Trinité est du second type : c’est-à-dire que, la Trinité étant admise, les explications qu’on en donne s’accordent avec cette présupposition, mais aucune d’elle ne suffit à prouver que Dieu est Trinité.

C’est clair quand on en vient au détail. La bonté infinie de Dieu se manifeste aussi dans la production des créatures, car produire de rien requiert une vertu infinie. Certes, Dieu se communique en raison de sa bonté infinie[2072]. Il ne s’ensuit pas qu’il en procède quelque chose d’infini, mais quelque chose qui reçoit à sa mesure[2073] communication de l’infinie bonté. De même pour ce principe que, sans société, il n’y a possession heureuse d’aucun bien. Cela vaut pour une personne qui n’a pas en elle-même la bonté parfaite ; alors elle a besoin, pour atteindre à cette plénitude de bien qui fait le bonheur, du bien d’un autre uni à elle[2074]. Quant à l’analogie de notre intellect, elle n’est pas une preuve décisive en ce qui concerne Dieu, pour cette raison que l’intelligence ne se réalise pas de manière univoque en Dieu et en nous[2075]. S. Augustin a donc bien dit que c’est par le moyen de la foi qu’on parvient à la connaissance, et non inversement[2076].

3. La connaissance des Personnes divines était nécessaire pour nous à un double titre. Le premier était de nous faire penser juste au sujet de la création des choses. En effet, affirmer que Dieu a tout fait par son Verbe, c’est rejeter l’erreur selon laquelle Dieu a produit les choses par nécessité de nature[2077] ; et poser en lui la procession de l’Amour, c’est montrer que si Dieu a produit des créatures, ce n’est pas qu’il en eût besoin, ni pour une autre cause extérieure à lui : c’est par amour de sa bonté[2078]. Aussi Moïse, après avoir écrit : “ Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ”, ajoute ceci : “ Dieu dit : que la lumière soit ”, afin de faire paraître le Verbe de Dieu ; après quoi il écrit : “ Dieu vit que la lumière était bonne ”, pour montrer l’approbation du divin Amour. Et il décrit de même la production des autres œuvres. Le second motif, et le principal, était de nous donner une vraie notion du salut du genre humain, salut qui s’accomplit par l’incarnation du Fils[2079] et par le don du Saint-Esprit.

 

            Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ?

Objections :

1. Denys dit qu’on ne doit pas être assez téméraire pour rien dire de Dieu qui n’ait été expressément formulé pour nous par l’Écriture sainte. Or l’Écriture sainte ne fait pas mention des “ notions ”. Il ne faut donc pas en poser en Dieu[2080].

2. Ce qu’on affirme de Dieu a trait ou bien à l’unité d’essence, ou bien à la trinité des Personnes[2081]. Or les notions n’appartiennent ni à l’unité d’essence, ni à la trinité des Personnes. En effet, on ne peut pas attribuer à ces notions ce qui appartient à l’essence : on ne dit pas “ la paternité est sage ”, ni “ elle crée ”. On ne peut pas non plus leur attribuer ce qui appartient aux Personnes : on ne dit pas “ la paternité engendre ”, ni “ la filiation est engendrée ”. C’est donc qu’il ne faut pas poser ces notions en Dieu.

3. Ce qui est simple est connaissable par soi ; inutile d’y poser des formes abstraites, principes formels de connaissance[2082]. Or les Personnes divines sont souverainement simples. Il n’y a donc pas à poser des “ notions” dans les Personnes divines.

En sens contraire, S. Jean Damascène dit que “ nous saisissons la distinction des hypostases, c’est-à-dire des personnes, dans leurs trois propriétés : la paternité, la filiation, la procession ”. Il faut donc bien poser les propriétés et notions en Dieu.

Réponse :

Prévostin, considérant la simplicité des personnes[2083], a dit qu’il ne fallait pas mettre de propriétés ou notions en Dieu ; et si parfois il en rencontre dans les textes qui font autorité, il traduit l’abstrait par le concret : de même que l’usage nous fait dire “ Je supplie votre bonté ”, c’est-à-dire “ vous, qui êtes bon ”, ainsi quand on parle de “la paternité ” en Dieu, on veut dire “ Dieu le Père ”.

Mais, on l’a déjà vu[2084], nous ne dérogeons pas à la simplicité divine en usant de noms abstraits et concrets à propos de Dieu ; car nous nommons selon que nous connaissons. Or notre intelligence ne peut pas atteindre jusqu’à la simplicité divine, considérée telle qu’elle est en soi ; elle saisit et exprime les réalités divines selon son mode à elle, qui est le mode des choses sensibles d’où elle tire sa connaissance[2085]. Et dans ce domaine, nous usons de noms abstraits pour signifier les formes pures, et de noms concrets pour signifier les choses subsistantes. Par suite, nous signifions aussi les réalités divines au moyen de noms abstraits pour évoquer leur simplicité, et au moyen de noms concrets pour évoquer leur caractère subsistant et parfait, nous l’avons dit[2086]. Mais ce ne sont pas seulement les attributs essentiels qu’il nous faut ainsi exprimer sous ces deux modes, abstrait et concret, disant par exemple : “ la déité ” et “ Dieu ”, “ la Sagesse ” et “ le Sage ” ; ce sont aussi les attributs personnels : il nous faut dire “ la paternité ” et “ le Père ”. Deux raisons nous y obligent principalement.

Et d’abord, les instances des hérétiques. Quand nous confessons que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu, ils nous demandent : en raison de quoi sont-ils un seul Dieu, et en raison de quoi sont-ils trois ? Et de même qu’à la première question nous répondons : ils sont un par leur essence[2087], par la déité, ainsi il a bien fallu recourir à des noms abstraits pour dire par quoi se distinguent les personnes : ce sont les “ propriétés ” ou “ notions ”, c’est-à-dire des termes abstraits tels que “ paternité ” et “ filiation ”. De sorte que, en Dieu, nous signifions l’essence comme un “ quoi ”, la personne comme un “ qui ”[2088] et la propriété comme un “ par quoi ”.

Seconde raison : il y a en Dieu une personne qui se rapporte à deux autres : la personne du Père qui se rapporte à la personne du Fils et à la personne du Saint-Esprit. Or ce n’est pas par une relation unique ; car il s’ensuivrait que le Fils et le Saint-Esprit se rapporteraient aussi au Père par une seule et même relation ; et comme, en Dieu, il n’y a que la relation pour “ multiplier la Trinité ”, le Fils et le Saint-Esprit ne seraient pas deux personnes[2089]. Et l’on ne peut pas se contenter de répondre avec Prévostin : De même que Dieu n’a qu’une relation aux créatures, qui pourtant se rapportent à lui par des relations variées, de même aussi le Père se rapporte au Fils et au Saint-Esprit par une relation unique, tandis que ceux-ci se rapportent à lui par deux relations. Cette réponse ne tient pas ; en effet, la raison formelle et spécifique du relatif consiste à se rapporter à l’autre : par conséquent, deux relations auxquelles ne correspond qu’une seule relation opposée, ne sont pas spécifiquement différentes. Si les relations de “ seigneur ” et de “ père ” doivent être spécifiquement distinctes, c’est que celle de “ service ” et de filiation sont diverses. Or, toutes les choses créées se rapportent à Dieu sous un type unique de relation, celui de “ créature ” de Dieu ; tandis que le Fils et le Saint-Esprit ne se rapportent pas au Père par une relation identique.

De plus, rien ne nous oblige à poser en Dieu une relation réelle à la créature, nous l’avons dit[2090], mais les relations de raison peuvent sans inconvénient être multipliées en Dieu. C’est au contraire une relation réelle qu’il faut poser dans le Père pour le référer au Fils, et au Saint-Esprit[2091] ; les deux relations du Fils au Père, et du Saint-Esprit au Père nous obligent donc à poser dans le Père deux relations, le rapportant l’une au Fils et l’autre au Saint-Esprit. Aussi, puisque le Père est une seule et même Personne, il a bien fallu exprimer séparément ces relations sous forme abstraite ; et c’est là précisément ce qu’on appelle des propriétés ou notions.

Solutions :

1. La Sainte Écriture ne fait pas mention des notions ; mais elle fait mention des Personnes[2092], en qui les notions sont comprises comme l’abstrait dans le concret.

2. Les relations mêmes ou notions existent réellement en Dieu, on l’a dit plus haut[2093] ; cependant nous les signifions en Dieu non pas comme des choses, mais comme des raisons formelles par quoi nous prenons connaissance des Personnes[2094]. De là vient qu’on ne peut pas attribuer aux notions ce qui a trait à un acte essentiel ou personnel : cela jurerait avec leur mode de signification. Nous ne pouvons donc pas dire que “ la paternité engendre ou crée ”, ni qu’“ elle est sage ou intelligente ”. Quant aux prédicats essentiels qui n’ont pas trait à un acte, mais qui écartent de Dieu les conditions créées[2095], on peut les attribuer aux notions : on dira, par exemple, que “la paternité est éternelle, immense, etc. ”. De même, en raison de l’identité réelle, on peut attribuer aux notions les prédicats substantiels personnels et essentiels : on peut dire ainsi que “ la paternité est Dieu, qu’elle est le Père ”.

3. Les personnes sont simples, sans doute. Mais on peut, sans préjudice de cette simplicité, signifier sous forme abstraite les raisons formelles propres des personnes, on vient de le dire[2096].

 

            Article 3 — Le nombre des notions

Objections :

1. Les notions des personnes sont proprement les relations qui les distinguent. Or il n’y a en Dieu que quatre relations, nous l’avons dit[2097]. Il n’y a donc aussi que quatre notions.

2. Parce qu’en Dieu il n’y a qu’une essence, on dit que Dieu est un ; parce qu’en lui il y a trois personnes, on dit que Dieu est trine[2098]. Si donc en Dieu il y a cinq notions, on devrait dire que Dieu est “ quine ” : or cela ne peut se dire.

3. Admettons qu’il y ait en Dieu trois personnes et cinq notions. Il faut alors qu’une personne possède plusieurs notions : deux ou davantage. C’est ainsi que l’on en pose trois dans la personne du Père : l’innascibilité, la paternité et la commune spiration. Or, ou bien ces trois notions sont réellement distinctes ; ou bien elles n’ont entre elles qu’une distinction de raison[2099]. Si c’est une distinction réelle, voilà la personne du Père composée de plusieurs choses[2100]. Si c’est une simple distinction logique, une notion doit pouvoir s’attribuer à l’autre : autrement dit, de même que “ la bonté de Dieu est sa sagesse ” en raison de leur identité dans la réalité divine[2101], de même aussi “ la commune spiration est la paternité ”. Mais personne n’admet cette dernière proposition. Il n’y a donc pas cinq notions.

En sens contraire, 4. Il semble qu’il y en a plus de cinq. De même que le Père ne procède d’aucun autre d’où la notion d’“ innascibilité ”, de même, du Saint-Esprit il ne procède aucune autre personne[2102] ; et ceci va nous faire poser une sixième notion.

5. Il est commun au Père et au Fils d’être principe du Saint-Esprit[2103] ; pareillement il est commun au Fils et au Saint-Esprit de procéder du Père[2104]. Or, on pose une notion commune au Père et au Fils : la spiration ; il faut donc aussi poser une notion commune au Fils et au Saint-Esprit.

Réponse :

On appelle “ notion ” une raison formelle notifiant en propre une personne divine. Or c’est l’origine qui multiplie les personnes divines[2105] ; et une origine comporte un principe et un terme ; ce qui donne deux modes de notifier une personne. La personne du Père ne peut pas être notifiée sous l’aspect de terme procédant d’un autre ; mais elle peut l’être comme ne procédant d’aucun autre : sous ce point de vue, elle a pour notion l’“ innascibilité ”. Sous l’aspect de principe d’un autre, elle est notifiable doublement : comme principe du Fils, elle se notifie par la notion de “ paternité ” ; comme principe du Saint-Esprit, elle se notifie par la notion de “ spiration commune ”[2106]. Le Fils, lui, peut être notifié sous l’aspect de terme procédant d’un autre par naissance ; il est notifié ainsi par sa “ filiation ”. Il peut l’être aussi sous l’aspect de principe de qui procède un autre, à savoir le Saint-Esprit ; il se notifie ainsi de la même manière que le Père, par la notion de “ spiration commune ”. Quant au Saint-Esprit, il peut être notifié comme terme procédant d’un autre, par sa “ procession ”[2107] ; mais il ne peut pas l’être comme principe d’un autre, puisqu’aucune Personne n’en procède[2108].

Il y a donc cinq notions en Dieu : l’innascibilité, la paternité, la filiation, la spiration commune et la procession. Quatre seulement d’entre elles sont des “ relations ” ; car l’innascibilité n’est pas une relation, sinon par réduction, ainsi qu’on le verra[2109]. Quatre seulement aussi sont des “ propriétés ” car la spiration commune, qui convient à deux Personnes, n’est pas une propriété. Enfin, il y en a trois qui sont des “ notions personnelles ”, c’est-à-dire qui constituent les personnes, c’est-à-dire la paternité, la filiation et la procession. La spiration commune et l’innascibilité sont bien des notions des personnes, mais non pas des notions personnelles ; on le verra mieux dans la suite[2110].

Solutions :

1. On vient de voir qu’en outre des quatre relations, il y a lieu de poser une cinquième notion : l’innascibilité.

2. On signifie l’essence, en Dieu, comme une réalité ; il en est de même des personnes ; mais on signifie les notions comme des raisons formelles notifiant les personnes[2111]. De là vient la différence des expressions ; on dit bien que Dieu est un, à raison de l’unité d’essence ; qu’il est trine, à raison de la trinité des Personnes ; mais qu’il y ait cinq notions n’autorise pas à dire que Dieu est “ quine ”.

3. Seule l’opposition relative met en Dieu une pluralité réelle[2112]. Plusieurs propriétés d’une même personne ne se distinguent donc pas réellement, faute d’opposition relative entre elles. On ne les attribue pourtant pas l’une à l’autre, parce qu’on les signifie par mode de raisons formelles différentes. Pareillement, bien qu’on dise qu’en Dieu “ la science est la puissance ”[2113], on ne dit pas que “ l’attribut de puissance est l’attribut de science ”.

4. Nous l’avons dit[2114] : La personne comporte une dignité. Dès lors, on ne peut pas former une “ notion ” du Saint-Esprit avec cela seul qu’aucune personne n’en procède : en effet, cela ne concerne pas sa dignité, alors que “ n’avoir pas de principe ” se rapporte à la dignité du Père, qui est d’être premier principe.

5. Il n’y a pas un mode unique et typique de procéder du Père, qui serait commun au Fils et au Saint-Esprit ; alors qu’il y a un mode unique et typique de produire le Saint-Esprit, qui est commun au Père et au Fils. Or ce qui fait reconnaître une personne est nécessairement quelque chose de typique[2115]. Les deux cas sont donc différents, et l’argument ne vaut pas.

 

            Article 4 — Sur les notions, les opinions sont-elles libres ?

Objections :

1. S. Augustin dit que nulle part l’erreur n’est plus dangereuse qu’en matière trinitaire ; et il est bien certain que les notions s’y rattachent. Mais les opinions contraires sur ce point ne peuvent pas être exemptes d’erreur. Il n’est donc pas permis d’avoir une opinion contraire au sujet des notions.

2. c’est par les notions qu’on connaît les personnes, nous l’avons dit[2116]. Or il n’est pas permis d’avoir une opinion contraire à la doctrine reçue touchant les personnes. Donc, pas davantage touchant les notions.

En sens contraire, il n’y a pas d’article de foi qui traite des notions ; des opinions divergentes sont donc ici permises.

Réponse :

Il y a deux façons, pour une vérité, d’appartenir à la foi. D’abord directement : c’est le cas de ce que Dieu nous a révélé à titre principal[2117] : par exemple, que Dieu est trine et un[2118], que le Fils de Dieu s’est incarné, etc. Tenir une opinion fausse en ces matières, c’est par là même encourir l’hérésie, surtout si l’on y met de l’opiniâtreté. Appartiennent indirectement à la foi les propositions dont la négation entraîne une conséquence contraire à la foi : si l’on dit, par exemple, que Samuel n’était pas fils d’Helcana, il s’ensuit que la Sainte Écriture dit faux. En ces matières, quelqu’un peut avoir une opinion fausse sans risque d’hérésie, avant de se rendre compte ou avant qu’il soit défini que pareille position entraîne une conséquence contraire à la foi, surtout s’il n’y met pas d’opiniâtreté. Mais une fois qu’il est devenu manifeste, et surtout une fois que l’Église a défini que cette position entraîne une conséquence contraire à la foi, l’erreur en cette matière n’est plus exempte d’hérésie. De là vient que beaucoup d’opinions sont maintenant tenues pour hérétiques, qui ne l’étaient pas précédemment.

Disons donc que, au sujet des notions, quelques théologiens ont émis des opinions contraires à la doctrine commune, et cela sans risque d’hérésie, car ils n’entendaient ainsi rien soutenir de contraire à la foi. Mais celui qui, en cette matière, soutiendrait une opinion fausse en se rendant compte qu’elle entraîne une conséquence contraire à la foi, tomberait dans le péché d’hérésie.

Ainsi est-il répondu clairement aux objections.


 

 

QUESTION 33 — LA PERSONNE DU PÈRE

Il faut, logiquement, traiter des Personnes en particulier. Et tout d’abord de la personne du Père : 1. Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ? 2. Le nom de “ Père ” est-il le nom propre de cette Personne ? 3. Est-ce, en Dieu, un nom de personne avant d’être un attribut de l’essence ? 4. Est-il propre au Père d’être inengendré ?

 

            Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ?

Objections :

1. On ne peut pas dire que le Père est “ principe ” du Fils ou du Saint-Esprit. Car principe et cause, c’est tout un, au dire du Philosophe. Or, on ne dit pas que le Père est la cause du Fils[2119]. Donc on ne doit pas dire non plus qu’il en est le principe.

2. A tout principe répond un terme qui en dépend. Donc, si le Père est principe du Fils, il s’ensuit que le Fils dépend du Père, par conséquent qu’il est créé. Erreur manifeste[2120].

3. L’appellation de “ principe ” se fonde sur une propriété. Or, selon S. Athanase, il n’y a en Dieu ni avant ni après[2121]. I1 ne faut donc pas user de ce terme de “ principe” à propos des personnes divines.

En sens contraire, S. Augustin dit que “ le Père est le principe de toute la déité ”.

Réponse :

Le mot “ principe ” signifie simplement : ce dont procède quelque chose. Toute chose, en effet, dont une autre procède de quelque manière que ce soit, prend le nom de principe, et réciproquement. Et puisque le Père est quelqu’un de qui procède un autre[2122], il s’ensuit qu’il est Principe.

Solutions :

1. Les Grecs emploient indifféremment les termes de “ cause ” et de “ principe ”, quand il s’agit de Dieu ; mais les Docteurs latins évitent le terme de “ cause ” et n’emploient que celui de “ principe ”. Voici pourquoi. “ Principe ” est plus général que “ cause”, ce mot étant lui-même plus général qu’“ élément ” : on dit bien, en effet, que le premier terme ou même la première partie d’une chose en sont le principe, mais non pas la cause. Or, plus un nom est général, plus il convient pour être transposé en Dieu, nous l’avons dit[2123] ; car plus les noms se spécialisent, plus ils déterminent le mode propre à la créature[2124]. De fait, le nom de “ cause ” évoque une diversité de substance et une dépendance de l’effet vis-à-vis de la cause, que n’évoque pas le nom de “ principe ” : quel que soit le genre de causalité, il y a toujours, entre la cause et son effet, une sorte de distance en perfection ou en vertu[2125]. Mais, le terme de “ principe ” s’emploie même quand il n’y a aucune différence de ce genre ; il suffit qu’on discerne un ordre. On dit que le point est le principe de la ligne, ou encore que la première partie de la ligne en est le principe.

2. Chez les auteurs grecs, on trouve des passages où il est dit que le Fils ou le Saint-Esprit “ dépendent de leur principe ” ; mais cette expression n’est pas reçue chez nos docteurs. Si, en donnant au Père le nom de Principe, nous lui reconnaissons une sorte d’“ autorité ”, du moins nous avons soin de ne donner au Fils ou au Saint-Esprit aucune qualification qui évoque tant soit peu sujétion ou infériorité : cela, pour éviter toute occasion d’erreur[2126]. Le même souci inspirait S. Hilaire, quand il disait : “ Par son autorité de Donateur, le Père est plus grand ; mais le Fils n’est pas moins grand, lui qui reçoit en don l’être même du Père . ”

3. Il est vrai que le mot “ principe ”, à considérer son étymologie, paraît venir d’une priorité cependant il ne signifie pas priorité mais origine. Ne confondons pas la signification d’un mot avec son étymologie, comme on l’a dit plus haut[2127].

 

            Article 2 — Le nom de “ Père ” est-il le nom propre de cette Personne ?

Objections :

1. Le nom de “ père ” signifie une relation, alors que la personne est une substance individuelle[2128] : “ Père ” n’est donc pas un nom propre de personne.

2. Par ailleurs, “ celui qui engendre ” est une désignation plus générale que “ père ” ; car tout père engendre, mais la réciproque n’est pas vraie. Or, le nom plus général convient plus proprement pour nommer Dieu, on l’a vu[2129]. Donc “ Celui qui engendre, le Géniteur ” seraient des noms plus propres que “ le Père ” pour désigner une Personne divine.

3. Un nom figuré ne peut pas être le nom propre de quelqu’un[2130]. Or c’est par métaphore que nous qualifions notre verbe d’“engendré”, de “fruit”[2131] ; par métaphore aussi, par suite, que nous nommons “père” le principe du verbe. En Dieu, par conséquent, le Principe du Verbe ne peut pas s’appeler Père au sens propre.

4. Tout ce qui est dit de Dieu en propre se vérifie de lui en priorité, et de la créature secondairement[2132]. Or il semble au contraire que la notion de génération s’applique en priorité à la créature et non à Dieu : n’y a-t-il pas, en effet, plus véritablement génération quand le fruit se distingue de son principe non par simple relation[2133], mais par son essence même ? Dès lors le nom de “ père ” qui se fonde sur la génération, ne convient pas en propre à une Personne divine.

En sens contraire, on lit dans le Psaume (89,27) : “ Il m’invoquera : Tu es mon Père.”

Réponse :

Le nom propre d’une personne signifie ce qui la distingue de toute autre. En effet, de même que la définition de l’homme comprend une âme et un corps, ainsi, au dire d’Aristote, la définition de “ tel homme ” comprend telle âme et tel corps ; c’est-à-dire cela même qui distingue cet homme de tout autre. Or, ce qui distingue des autres la personne du Père, c’est la paternité. Le nom propre de cette Personne est donc bien celui de Père, qui signifie la paternité.

Solutions :

1. En nous, la relation n’est pas une personne subsistante ; aussi, quand il s’agit de nous, le nom de “ père ” ne signifie pas la personne, mais une relation de la personne. En Dieu, il en est autrement, quoi qu’en aient pensé certains théologiens, qui ont erré sur ce point : la relation signifiée par le nom de “ Père ” est une personne subsistante. En effet, nous avons dit[2134] qu’en Dieu le mot “ personne ” signifie la relation en tant que subsistant dans la nature divine.

2. Au dire du Philosophe, on doit de préférence nommer la réalité d’après ce qui fait sa perfection et son achèvement. Or “ génération ” signifie le processus dans son devenir même[2135], tandis que “ paternité ” signifie l’achèvement parfait de la génération. Voilà pourquoi le nom de “ Père ” est préférable à ceux de “ Géniteur ” ou d’“ Engendrant ”, comme nom de personne divine.

3. Notre verbe n’est pas quelque chose de subsistant dans la nature humaine ; on ne peut donc pas le qualifier proprement d’engendré, ni de fils. Par contre, le Verbe divin est une réalité subsistant dans la nature divine[2136] ; aussi est-ce proprement et non par figure, qu’on lui donne le nom de “Fils ”, et à son Principe le nom de “ Père ”.

4. Les termes de “ génération ” et de “ paternité ” comme les autres noms qui s’attribuent à Dieu au sens propre, conviennent plus véritablement à Dieu qu’aux créatures, du moins à considérer la réalité signifiée, et non le mode de signification[2137]. Aussi l’Apôtre dit-il (Ep 3, 14. 15) : “Je fléchis les genoux devant le Père de mon Seigneur Jésus-Christ, de qui toute paternité au ciel et sur la terre tire son nom. ” Voici pourquoi : il est clair que la génération est spécifiée par son terme, qui est la forme de l’engendré[2138] ; et plus cette forme se rapprochera de l’engendrant, plus aussi il y aura génération véritable et parfaite ; ainsi la génération univoque est plus parfaite que la génération équivoque[2139]. C’est que, par définition, l’engendrant engendre un être qui lui est semblable selon la forme[2140]. Dès lors, le fait même que, dans la génération divine, il y a identité numérique de forme entre engendrant et engendré[2141], alors que dans les créatures il n’y a qu’identité spécifique sans identité numérique[2142], cela même montre que la génération et la paternité se vérifient en Dieu plus parfaitement que dans les créatures. Et si, en Dieu, il n’y a qu’une distinction relative[2143] entre l’engendrant et l’engendré, cela fait ressortir la vérité de cette génération et de cette paternité.

 

            Article 3 — Le nom de “ Père ”, dit de Dieu, signifie-t-il en première intention une propriété personnelle ?

Objections :

1. Logiquement, le terme commun est présupposé au terme propre[2144]. Or, le nom de “ Père ”, pris au sens personnel, est propre à la personne du Père ; pris comme attribut essentiel, il est commun à toute la Trinité : car c’est à la Trinité entière que nous disons : “ Notre Père ”. C’est donc comme attribut essentiel, et non au sens personnel, que ce nom de “ Père ” se vérifie à titre premier et principal.

2. Quand un nom garde la même définition dans ses diverses applications, il n’y a pas à distinguer d’ordre ni de degrés dans l’attribution. Or, qu’il s’agisse de la Personne divine Père du Fils ou qu’il s’agisse de toute la Trinité “ Notre Père ” ou “ Père des créatures ”, dans les deux cas on se réfère à une même notion de paternité ou de filiation ; car, selon S. Basile, recevoir l’être est une condition commune aux créatures et au Fils[2145]. Par conséquent, le nom de Père, en Dieu, ne s’attribue pas premièrement au sens personnel, et secondairement au sens essentiel.

3. Il n’est pas de comparaison possible entre des attributions qui, sous un même nom, ne répondent pas au même concept. Or, dans l’épître aux Colossiens (1,15), le Fils se trouve rapproché des créatures sous cet aspect de filiation ou de génération : “ Lui, l’image du Dieu invisible, le Premier-né de toute créature. ” Il s’agit donc d’un même concept dans les deux cas. Autrement dit, en Dieu, il n’y a pas priorité d’attribution de la paternité personnelle sur la paternité comme attribut de l’essence.

En sens contraire, l’éternel a priorité sur le temporel[2146]. Or, c’est de toute éternité que Dieu est Père de son Fils ; et seulement dans le temps qu’il est Père de la créature. Donc en Dieu la paternité se vérifie premièrement envers le Fils, et secondairement envers la créature.

Réponse :

Un terme analogique convient premièrement au sujet où se réalise parfaitement toute la raison formelle signifiée par ce terme ; puis secondairement au sujet où elle se réalise partiellement ou sous un certain aspect ; à ce dernier sujet, on l’attribue par comparaison avec celui qui la réalise parfaitement, car l’imparfait dérive du parfait[2147]. Ainsi le nom de “ lion ” se dit au premier chef de l’animal, en qui se réalise toute l’essence du lion ; c’est lui qu’on nomme lion au sens propre ; ensuite, par dérivation, on donnera ce nom à l’homme en qui on retrouve quelque chose du lion, son audace ou sa force, par exemple ; on l’appelle un lion par métaphore.

Or, il ressort clairement de ce qui précède[2148] que la raison formelle de paternité et de filiation se trouve parfaite en Dieu le Père et en Dieu le Fils, puisque le Pere et le Fils ont une seule et même nature et gloire. Mais, dans la créature, s’il y a filiation par rapport à Dieu, ce n’est plus au sens parfait, car le Créateur et la créature n’ont pas la même nature ; il n’y a ici de filiation qu’en raison d’une certaine similitude entre les natures. Et plus cette similitude sera parfaite, plus on approchera d’une véritable filiation. De fait, Dieu est appelé Père de certaines créatures, en raison d’une simple similitude de vestige[2149] : c’est le cas des créatures sans raison. Selon Job (38, 28) : “ Qui est le Père de la pluie ? qui donc a engendré les gouttes de rosée ? ” Il y en a d’autres dont Dieu est le Père, parce qu’elles portent son image : ce sont les créatures raisonnables[2150]. “Dieu n’est-il pas ton Père, dit le Deutéronome (32, 6), lui qui t’a possédé, qui t’a fait et qui t’a créé ? ” Il y en a dont Dieu est le Père à raison de cette similitude qu’est la grâce : ceux-là prennent le nom de fils adoptifs, parce que le don de la grâce qu’ils ont reçu les habilite à l’héritage de la gloire éternelle[2151]. Selon S. Paul (Rm 8, 16. 17) : “ L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes fils de Dieu ; et si nous sommes fils, nous sommes aussi héritiers. ” Il y en a enfin dont Dieu est le Père à raison de cette similitude qu’est la gloire, parce qu’ils possèdent déjà l’héritage de la gloire, dont S. Paul dit (Rm 5, 2) : “ Nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des fils de Dieu. ”

Il est donc clair que la paternité s’attribue à Dieu premièrement et principalement au sens où elle évoque la relation entre deux Personnes divines, et secondairement au sens où elle évoque une relation de Dieu à la créature.

Solutions :

1. Dans notre pensée, il y a priorité logique des attributs communs absolus sur les propriétés personnelles, car ces attributs sont impliqués dans la notion des propriétés, et sans réciprocité. Qui dit : le Père, dit du même coup : Dieu, sans pour autant que la réciproque soit vraie. Mais il y a priorité des attributs propres évoquant les relations personnelles, sur les attributs communs qui disent relation aux créatures, car la Personne procédant à l’intime de la divinité procède aussi comme principe de la production des créatures. En effet, le verbe conçu dans la pensée de l’artiste procède de celui-ci avant l’œuvre priorité de nature, cela s’entend, puisque l’œuvre reproduit la conception de l’esprit[2152]. De même, le Fils procède du Père avant la créature à laquelle n’est attribué le nom de “ fils ” que dans la mesure où elle reçoit par participation la ressemblance du Fils[2153]. C’est ce que dit S. Paul (Rm 8, 29) : “ Ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils. ”

2. Quand on dit que “ recevoir” est une condition commune à la créature et au Fils, il ne s’agit pas de communauté univoque, mais d’une similitude lointaine[2154] qui suffit à donner lieu au titre de “ Premier-Né des créatures ”. Ainsi le texte déjà cité, après avoir dit que certains deviendraient conformes à l’image du Fils de Dieu, ajoute : “ afin que lui-même soit le premier-né d’un grand nombre de frères ”. Mais celui qui est naturellement Fils de Dieu a sur tous les autres ce privilège de posséder par nature ce qu’il reçoit[2155], au dire du même S. Basile. Et pour cette raison il s’appelle “le Fils unique ”, comme on le voit en S. Jean 1,18 : “ Le Fils Unique, qui est dans le sein du Père, lui-même nous l’a fait connaître. ”

3. La troisième objection se trouve ainsi résolue.

 

            Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

Objections :

1. Toute propriété est quelque chose de positif dans le sujet auquel elle appartient[2156]. Or la qualification d’“ inengendré ” ne pose rien dans le Père ; par là, on nie simplement qu’il soit engendré. Ce n’est donc pas une propriété du Père.

2. Le terme “ inengendré ” peut s’entendre soit comme une privation, soit comme une pure négation. Si c’est une négation, tout ce qui n’est pas engendré peut être qualifié d’inengendré. Or le Saint-Esprit n’est pas engendré, l’essence divine non plus : la qualité d’inengendré leur convient donc aussi. Et dès lors, ce n’est pas une propriété du Père. S’agit-il d’une privation ? Toute privation évoque une imperfection dans le sujet qu’elle affecte ; il s’ensuivrait que la personne du Père est imparfaite, ce qui est impossible.

3. En Dieu, “ inengendré ” ne signifie pas la relation, puisque ce n’est pas un prédicat relatif ; il signifie donc la substance. Par suite, “ inengendré ” et “ engendré ” évoquent une différence substantielle. Mais entre le Fils, c’est-à-dire l’Engendré, et le Père, il n’y a pas de différence substantielle[2157]. C’est donc que le Père ne peut pas être qualifié d’Inengendré.

4. Le propre ne convient qu’à un seul sujet. Mais puisqu’en Dieu il y a plusieurs personnes qui procèdent d’une autre[2158], rien, semble-t-il, n’empêche qu’il y en ait également plusieurs ne procédant d’aucune autre. Alors il n’est pas propre au Père d’être inengendré.

5. Le Père n’est pas seulement principe de la personne “ engendrée ”, il l’est également de la Personne qui “ procède ”. Si donc, en raison de l’opposition entre le Père et la Personne engendrée, on fait de la condition d’inengendré une propriété du Père, il faudra en faire autant de la condition d’“ improcessible ”.

En sens contraire, S. Hilaire écrit : “ L’Un procède de l’Un, c’est-à-dire que l’Engendré procède de l’Inengendré, chacun ayant en propre l’un l’innascibilité, l’autre l’origine. ”

Réponse :

De même que dans les créatures on distingue “ premier principe ” et “ second principe ”, ainsi dans les Personnes divines, où il n’y a ni avant ni après[2159], on distingue un “ Principe qui n’a pas de principe ” : c’est le Père ; et un “ Principe qui a un principe ” : c’est le Fils[2160]. Or, dans les créatures, un principe premier se reconnaît à un double caractère ; l’un qui l’affecte en tant qu’il est principe, consiste en ce qu’il a une relation à ce qui procède de lui ; l’autre, qui lui appartient en tant qu’il est premier principe, consiste en ce que lui-même ne provient pas d’un principe antérieur. De même en Dieu : par rapport aux Personnes qui procèdent de lui, le Père se notifie à nous par la paternité et la spiration[2161] ; en tant que “Principe qui n’a pas de principe”, il se notifie par ceci qu’“il n’est pas d’un autre”[2162] ; et voilà précisément la propriété d’innascibilité, celle que signifie le nom d’“ Inengendré ”.

Solutions :

1. Au dire de certains l’innascibilité signifiée par “ inengendré ” (au sens où cet attribut est propre au Père) ne serait pas une simple négation. Ou bien elle inclurait les deux aspects que l’on vient de signaler : que le Père ne procède d’aucun autre, et qu’il est Principe des autres Personnes ; ou bien elle évoquerait l’universelle “ autorité ”, ou encore “ la plénitude de Source ”. Mais ces explications ne semblent pas exactes. L’innascibilité ainsi comprise ne serait pas une propriété distincte de la paternité et de la spiration ; elle les inclurait, comme le terme propre est inclus dans le terme commun. Car en Dieu, la qualité de Source ou d’Auteur ne signifie pas autre chose que : Principe d’origine. Disons donc, avec S. Augustin, qu’“ inengendré ” nie la condition d’engendré : “ Le mot : "inengendré" ne veut pas dire autre chose que : "non-fils". Cela n’empêche pas d’y reconnaître une notion propre au Père ; c’est la condition de tout ce qui est premier et simple d’être connu négativement[2163] ; ainsi l’on définit le point : “ Ce qui n’a pas de parties ”.

2. “ Inengendré ” se prend parfois en pure négation : S. Jérôme dit ainsi que le Saint-Esprit est inengendré, c’est-à-dire non engendré. Il peut aussi s’employer en un sens privatif, sans pour autant impliquer d’imperfection. Car il y a plusieurs sortes de privation : d’abord quand le sujet n’a pas ce que d’autres possèdent naturellement, mais que sa nature à lui n’exige pas ; on dit ainsi que la pierre est une chose inanimée, simplement parce que la vie lui fait défaut, tandis que d’autres choses en sont douées naturellement. Une seconde sorte de privation est celle du sujet qui n’a pas ce que possèdent naturellement certains sujets de son propre genre ; on dit ainsi que la taupe est aveugle. La troisième sorte est celle du sujet qui n’a pas ce que, par nature, il devrait posséder ; et c’est cette privation qui implique imperfection. Or quand on qualifie le Père d’Inengendré, on lui attribue une privation du second type, et non pas du troisième. On veut dire en effet que certain suppôt de la nature divine n’est pas engendré, alors qu’un autre de ses suppôts est lui-même engendré. Mais cette explication nous autoriserait à qualifier aussi le Saint-Esprit d’inengendré[2164]. Pour que ce nom demeure propre au Père seul, il faut encore sous-entendre qu’il appartient à une personne qui est principe d’une autre ; autrement dit, il nie la condition d’engendré dans le genre “ principe personnel en Dieu ”. Ou bien encore, inengendré signifiera : qui ne procède absolument d’aucun autre, et pas seulement : qui ne procède point par voie de génération. Si l’on admet ce dernier sens, “ inengendré ” ne convient pas au Saint-Esprit qui “ est d’un autre ” par sa procession, et comme personne subsistante[2165] ; il ne convient pas non plus à l’Essence divine dont on peut dire que, dans le Fils ou dans le Saint-Esprit elle provient d’un autre, à savoir du Père.

3. Selon S. Damascène, “ inengendré ” peut d’abord signifier incréé ; c’est alors un prédicat substantiel, qui dénote la différence entre substance créée et incréée. Il peut aussi signifier non engendré ; c’est alors un prédicat relatif, du moins dans la mesure où la négation se ramène à une affirmation. “Non homme”, par exemple, est un prédicat qui se rattache au genre substance ; “non blanc” se rattache au genre qualité. Et puisqu’en Dieu “engendré” évoque la relation, “inengendré” est aussi de l’ordre de la relation. On ne peut donc pas conclure qu’entre le Père inengendré et le Fils engendré, il doit y avoir une diversité substantielle ; il y a seulement une distinction relative, du fait que la relation de Fils est née du Père.

4. En tout genre il faut un premier, et un seul. Dans la nature divine, il faut donc aussi un principe qui n’ait pas de principe, autrement dit un inengendré, et un seul. Dès lors, admettre deux Innascibles, c’est admettre deux dieux, deux natures divines. S. Hilaire disait : “ Puisqu’il n’y a qu’un Dieu, il ne peut y avoir deux Innascibles. ” Et la raison majeure en est que, s’il y avait deux Innascibles, aucun d’eux ne procéderait de l’autre ; ne pouvant ainsi se distinguer par opposition relative[2166], il faudrait que ce soit par diversité de nature.

5. Pour exprimer la propriété que possède le Père de ne provenir d’aucun autre, on lui dénie la nativité du Fils plutôt que la procession du Saint-Esprit. C’est que la procession du Saint-Esprit n’a pas de nom propre et spécifique, comme on l’a vu[2167]. Et c’est aussi qu’elle présuppose la génération du Fils, par ordre de nature[2168]. Le seul fait de nier du Père qu’il soit engendré, alors qu’il est lui-même principe engendrant, implique en conséquence qu’il ne procède pas à la manière du Saint-Esprit : car le Saint-Esprit, loin d’être principe de génération, procède de l’engendré[2169].


 

 

Nous étudions maintenant la personne du Fils. Le Fils porte trois noms, ceux de “ Fils, verbe et Image ”. Mais la qualité de Fils, toute relative à celle du Père, se trouve élucidée par l’étude précédente ; il nous reste à considérer le Verbe (Q. 34) et l’Image (Q. 35).

 

 

QUESTION 34 — LE VERBE

Au sujet du Verbe, nous nous demanderons : 1. Ce mot est-il en Dieu un nom essentiel ou personnel ? 2. Est-ce un nom propre au Fils ? 3. Ce nom de Verbe implique-t-il rapport aux créatures ?

 

            Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ?

Objections :

1. Les noms personnels s’attribuent à Dieu au sens propre, comme c’est le cas des noms de Père[2170] et de Fils. Au contraire, selon Origène, le nom de Verbe s’attribue à Dieu par métaphore. Ce n’est donc pas en Dieu un nom personnel.

2. “ Le verbe est une connaissance imprégnée d’amour ”, dit S. Augustin. Et, selon S. Anselme, “ dire, pour l’Esprit suprême, c’est considérer en réfléchissant”. Or, connaissance, réflexion et considération sont en Dieu des prédicats essentiels[2171]. Par conséquent, “ Verbe ” n’est pas en Dieu un prédicat personnel.

3. Par définition, le verbe est quelque chose qu’on dit. Or, d’après S. Anselme, de même que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont tous les trois connaissants[2172], de même aussi chacun d’eux “ dit ” et “ est dit ”. Le nom de Verbe, en Dieu, est donc un prédicat essentiel et non personnel.

4. D’ailleurs aucune Personne divine n’est “ faite ”[2173]. Mais le Verbe de Dieu est quelque chose de “ fait ”, car il est écrit (Ps 148, 8) : “ Feu, grêle, glaces, souffle des tempêtes qui font sa Parole ”, c’est-à-dire qui l’accomplissent. C’est donc que Verbe n’est pas un nom de Personne divine.

En sens contraire, Augustin écrit : “ De même que le Fils se rapporte au Père, ainsi le Verbe se rapporte à celui dont il est l’expression. ” Or, “ le Fils ” est un nom personnel, précisément parce que c’est un terme relatif. Donc “ le Verbe ” l’est aussi.

Réponse :

En Dieu, le nom de Verbe, pris au sens propre, est un nom personnel, et nullement un nom essentiel. Pour s’en rendre compte, il faut noter qu’en nous le mot “ Verbe ” pris au sens propre peut désigner trois choses, sans compter une quatrième signification, impropre ou figurée. Au sens le plus immédiat et commun, on appelle “Verbe ” la parole proférée par la voix. Cette parole elle-même procède d ‘un “ verbe ” intérieur. Et à double titre, selon les deux éléments qu’on peut trouver dans le “ verbe ” extérieur ou parole : l’émission vocale et sa signification. Car, d’une part, le terme vocal signifie un concept de l’esprit, au dire du Philosophe ; d’autre part, il procède d’une “ imagination ” toujours d’après Aristote. Quant au son vocal dépourvu de signification, il ne peut pas être nommé “ verbe ” : si la parole extérieure reçoit ce nom, c’est qu’elle signifie un concept intime de l’esprit. “ Verbe ” désigne donc a) premièrement et principalement le concept intérieur de l’esprit ; b) en second lieu, la parole qui exprime ce concept intérieur ; c) et en troisième lieu, l’image formatrice de cette parole. On trouve précisément ces trois modes du verbe signalés par le Damascène, qui écrit : “ On appelle verbe (logos) cette opération naturelle de l’esprit par laquelle il se meut, connaît et raisonne ; c’est comme sa lumière et sa splendeur (voilà notre premier verbe). Il y a aussi un verbe qui ne se profère pas avec un mot, mais “ qui se prononce dans le cœur ” (voilà notre troisième verbe). Et il y a encore un verbe qui est “ le messager de la pensée ” (et c’est notre deuxième verbe). “ Verbe ” a même un quatrième sens, métaphorique cette fois : on désigne de ce nom la chose signifiée ou effectuée par un “ verbe ” proprement dit. On dira ainsi couramment : “ Voilà bien ce (verbe) que je vous avais dit ” ; ou encore : “ ... ce (verbe) que le roi avait ordonné ” ; et ce disant on désigne certain fait qui a été l’objet d’un “ verbe ”, c’est-à-dire dont on a parlé ou qu’on avait prescrit.

En Dieu, on parle de Verbe au sens propre, c’est-à-dire au sens de concept de l’esprit. Ainsi l’entend S. Augustin : “Celui qui peut saisir le verbe, non seulement avant qu’il résonne, mais avant même que les images de ses sons viennent habiller la pensée, celui-là peut alors contempler une certaine similitude du Verbe dont il est écrit : Au commencement était le Verbe. ” Or, par définition, le concept intérieur procède d’un principe : la connaissance de l’esprit qui le conçoit. Aussi, appliqué à Dieu au sens propre, “ le Verbe ” signifie une réalité qui procède : et cela se rattache en Dieu, à la notion des noms de personne, puisque les Personnes divines se distinguent par l’origine, on l’a vu[2174]. La conclusion s’impose donc : le nom de Verbe appliqué à Dieu au sens propre, se prend comme nom personnel, et non pas comme nom essentiel.

Solutions :

1. Les ariens, dont Origène se trouve être la source, tenaient le Fils pour “ autre ” que le Père, au sens d’une diversité de substance. Ils s’efforcèrent donc d’établir que, si le Fils de Dieu porte le nom de Verbe, ce n’est pas au sens propre ; car ils craignaient, en acceptant l’analogie de la procession du verbe[2175], d’être contraints de reconnaître que le Fils de Dieu est consubstantiel au Père. Le verbe intérieur procède en effet du sujet qui le “ dit ”, de telle sorte qu’il demeure en lui[2176]. D’ailleurs, dès qu’on admet un “ verbe en Dieu ” au sens figuré, on est bien obligé d’admettre aussi un Verbe de Dieu au sens propre. Une chose ne mérite la qualification métaphorique de “ verbe ” que si elle manifeste à la façon d’un verbe, ou si elle est elle-même manifestée par un verbe. Est-elle manifestée par un verbe ? Alors il faut reconnaître ce verbe qui la manifeste. Prend-elle au contraire le nom de “ verbe ” par ce qu’elle manifeste extérieurement ? Alors c’est qu’elle signifie un concept intérieur de l’esprit (car on manifeste aussi sa pensée par des signes extérieurs). Donc si l’on parle parfois d’une “ parole de Dieu ” au sens métaphorique, il faut pourtant reconnaître en Dieu un Verbe au sens propre, désignant une Personne.

2. De tous les vocables qui ont trait à la connaissance, “ verbe ” est le seul qui s’attribue à Dieu dans un sens personnel, parce qu’il est seul à signifier quelque chose qui procède d’un autre ; le verbe, en effet, est ce que l’intellect forme en concevant l’objet. Mais l’“ intellect ” supposé mis en acte par l’espèce intelligible[2177], ne dit rien que d’absolu ; pareillement l’“ intellection”, qui est pour l’intellect en acte ce qu’est l’“ exister ” pour l’être en acte : connaître ne signifie pas une action qui sort du sujet, mais une action immanente[2178]. Donc, s’il arrive de dire que le verbe est une “ pensée ”, ne prenons pas ce dernier terme pour l’acte du sujet connaissant, ni pour quelqu’un de ses habitus ; entendons par là ce que l’intellect conçoit en connaissant. S. Augustin a dit aussi que le Verbe est la “ Sagesse engendrée ” : ce n’est pas autre chose que la conception du Sage ; on pourrait aussi bien l’appeler la “ Pensée engendrée ”. De cette manière, on peut également expliquer le mot de S. Anselme que, pour Dieu, “ dire la vérité ” consiste à “ regarder en pensant ” : en effet le Verbe est conçu par le regard de la Pensée divine. Cependant le latin cogitatio ne convient pas proprement au Verbe de Dieu ; c’est l’avis de S. Augustin : “ On le nomme Verbum Dei (Parole de Dieu) et non pas cogitatio (pensée) : il ne faut pas donner à croire qu’il y ait en Dieu quoi que ce soit de mouvant[2179], qui tantôt prendrait une forme pour devenir verbe, et tantôt pourrait la quitter et se dérouler sans forme. ” En effet, la cogitatio consiste proprement dans la recherche de la vérité, qui n’a pas de place en Dieu, quand l’intellect est parvenu à atteindre sa forme ou perfection, qui est la vérité[2180], il ne “ cogite ” plus, il contemple parfaitement la vérité. S. Anselme a donc pris cogitatio au sens impropre de pensée contemplative.

3. Pris au sens propre, le mot “ dire ”, comme celui de “ verbe ”, s’emploie en Dieu comme terme personnel, et non pas essentiel. Autrement dit, de même que Verbum n’est pas un attribut commun au Père, au Fils et au Saint-Esprit, de même il n’est pas vrai que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient un même et unique Dicens (Disant). Selon S. Augustin, “ dire c’est-à-dire émettre le Verbe éternel n’est pas le fait de chacun des Trois en Dieu. ” Mais dici (être dit) convient à chaque Personne : il n’y a pas que le Verbe à “ être dit ” : c’est vrai aussi de la chose saisie ou signifiée dans le verbe. Donc une seule Personne “ est dite ” à titre de verbe, mais chaque personne “ est dite ” à titre d’objet saisi dans le Verbe. En effet, c’est en se connaissant lui-même[2181], ainsi que le Fils et le Saint-Esprit et tous les autres objets compris dans sa science, que le Père conçoit son Verbe : si bien que, dans le Verbe, c’est la Trinité entière qui “ est dite ”, et même toute créature. Ainsi l’intellect humain se dit à lui-même la pierre dans le verbe qu’il conçoit en pensant la pierre. Quant à S. Anselme, il a pris improprement “ dire ” pour “ connaître ”. Ces termes ne sont pourtant pas synonymes. “ Connaître ” dit uniquement le rapport vécu du sujet connaissant à la chose connue ; aucune origine n’est évoquée ainsi, mais seulement une sorte d’information de notre intellect, car notre intellect a besoin d’être mis en acte par la forme de l’objet à connaître[2182]. En Dieu “ connaître ” évoquera une identité totale, puisqu’en Dieu connaissant et connu sont totalement un, comme on l’a vu[2183]. Mais “ dire ” se rapporte d’abord au verbe conçu, puisque dire c’est émettre un verbe ; mais par l’intermédiaire du verbe, il se rapporte encore à la chose connue, manifestée au sujet par ce verbe qu’il émet[2184]. Ainsi donc, la seule Personne qui “ dit ” en Dieu est celle qui profère le Verbe, bien que chacune des Personnes connaisse et soit connue et par suite “ soit dite ” dans le Verbe.

4. Dans ce passage du Psaume, verbum se prend au sens figuré de “ objet ou effet du Verbe ”. On dit que les créatures “ accomplissent la parole de Dieu ”, quand elles exécutent l’effet que leur assigne le Verbe de la sagesse divine. Nous disons de même que celui-là “ accomplit la parole du roi ”, qui réalise l’ouvrage prescrit par la parole du roi[2185].

 

            Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ?

Objections :

1. Le Fils est une personne subsistante[2186]. Mais le nom de verbe n’évoque rien de tel : en nous, c’est bien clair. Il ne peut donc pas être un nom propre de la personne du Fils.

2. C’est par une sorte d’émission, que le verbe procède du sujet qui le profère[2187]. Si donc le Fils est proprement “ le Verbe ”, il procède du Père par voie d’émission. Or c’est là précisément l’hérésie de Valentin, telle qu’Augustin la rapporte dans son catalogue d’hérésies.

3. Le nom propre d’une personne signifie une de ses propriétés. Donc, si “ le Verbe ” est un nom propre du Fils, il signifie une propriété du Fils ; et cela va nous donner un nombre de propriétés supérieur à celui qu’on a déterminé plus haut[2188].

4. Quiconque connaît, conçoit un verbe en connaissant[2189]. Or le Fils connaît. Il conçoit donc à son tour un verbe ; et dès lors la qualité de Verbe n’est pas propre au Fils.

5. Il est écrit du Fils (He 1, 3) qu’“ il porte toutes choses par le verbe de sa puissance ” : ce qui fait dire à S. Basile que le Saint-Esprit est le verbe du Fils[2190]. Ainsi encore une fois, la qualité de Verbe n’est pas propre au Fils.

En sens contraire, “ Verbe s’entend du Fils seul ”, dit S. Augustin.

Réponse :

En Dieu, l’appellation de Verbe proprement dit s’entend au sens personnel : et c’est un nom propre de la personne du Fils. En effet, ce terme signifie une émanation de l’intellect[2191]. Or, en Dieu, la personne qui procède par émanation de l’intellect s’appelle le Fils[2192], et sa procession prend le nom de génération, comme on l’a montré plus haut[2193]. Il s’ensuit que seul, en Dieu, le Fils est qualifié proprement de Verbe.

Solutions :

1. En nous, être et connaître ne sont pas identiques ; par suite, ce qui n’a en nous qu’un être de connaissance ne fait point partie de notre nature. Mais l’être de Dieu est sa pensée même[2194]. Aussi le Verbe de Dieu n’est pas un accident ou un effet de Dieu, il appartient à sa nature ; il est donc une réalité subsistante, puisque tout ce qui est en Dieu est subsistant[2195]. Damascène dit ainsi que “ le Verbe de Dieu est substantiel et subsiste en sa propre hypostase ; tandis que les autres verbes, c’est-à-dire les nôtres, sont des opérations de l’âme ”.

2. Si l’erreur de Valentin a été condamnée, ce n’est pas simplement pour avoir soutenu que le Fils naît par émission ; ce sont les ariens qui lui font ce reproche, au dire de S. Hilaire. En réalité, Valentin a été condamné à cause du sens différent qu’il donnait à cette émission[2196], comme on le voit chez S. Augustin.

3. C’est la même propriété qui est signifiée dans les deux noms de Verbe et de Fils. “ On l’appelle le Verbe, dit S. Augustin, pour la même raison qui le fait appeler le Fils. ” En effet, la même nativité du Fils (voilà bien sa propriété personnelle) peut être signifiée par plusieurs noms, qu’on lui donne pour exprimer diversement sa perfection[2197]. Pour faire valoir qu’il est consubstantiel au Père, on l’appelle “ le Fils” ; parce qu’il est coéternel, on l’appelle “la Splendeur” ; parce qu’il lui est totalement semblable, on l’appelle “ l’Image ” ; parce qu’il est engendré d’une manière immatérielle, on l’appelle “ le Verbe ”. Car il était impossible de trouver un nom unique qui signifiât d’un coup tous ces aspects.

4. Le Fils de Dieu connaît, au même titre qu’il est Dieu ; car en Dieu, connaître est un attribut essentiel[2198]. Or le Fils, c’est Dieu engendré, et non pas Dieu engendrant. Il connaît donc, non pas en produisant un verbe, mais à titre de Verbe procédant. En Dieu, en effet, le Verbe qui procède ne se distingue pas réellement de l’intellect divin ; il se distingue seulement par sa relation d’origine, de celui qui est principe du Verbe[2199].

5. Quand on dit du Fils qu’“ il porte toutes choses par le verbe de sa puissance ”, on prend verbe en un sens figuré qui évoque l’efficacité créatrice du Verbe[2200]. Par exemple, la Glose affirme qu’ici “ verbe ” est pris au sens de commandement. On veut dire que les choses sont conservées dans l’être par l’effet de la puissance du Verbe, de même qu’elles ont été produites par lui. L’interprétation de S. Basile, que “ verbe ” désignerait ici le Saint-Esprit, est pareillement impropre et figurée. En ce sens, on appelle “ verbe ” de quelqu’un tout ce qui le manifeste ; et le Saint-Esprit est appelé “ verbe du Fils ”, parce qu’il le manifeste[2201].

 

            Article 3 — Le nom de “ Verbe ” implique-t-il rapport aux créatures ?

Objections :

1. Tout nom divin connotant un effet créé est un attribut essentiel[2202]. Mais “le Verbe ” n’est pas un attribut essentiel, c’est un nom de personne, on vient de le dire[2203]. Il n’implique donc pas de rapport à la créature.

2. Les termes qui impliquent un rapport aux créatures s’attribuent à Dieu selon le temps[2204] ; ainsi les noms de Seigneur et de Créateur. Au contraire, “ Verbe ” s’attribue à Dieu dans l’absolu de l’éternité[2205]. Ce nom n’implique donc pas de rapport à la créature.

3. “ Le Verbe ”, cela évoque bien une relation, mais c’est une relation au principe d’où il procède[2206]. Donc, s’il se rapporte à la créature, il s’ensuivra qu’il en procède.

4. Il y a autant d’idées en Dieu que de rapports distincts aux créatures[2207]. Donc, si “ le Verbe ” dit rapport aux créatures, il y a en Dieu non pas un seul Verbe, mais plusieurs.

5. Si quelque rapport à la créature se trouve impliqué dans ce nom de Verbe, ce ne peut être que le rapport de la pensée divine à son objet. Mais Dieu ne connaît pas seulement ce qui est, il connaît aussi ce qui n’est pas[2208]. “ Le Verbe ” dirait donc rapport à ce qui n’est pas, ce qui paraît faux.

En sens contraire, selon S. Augustin, ce nom de Verbe “ dit relation non seulement au Père, mais encore aux choses qui ont été faites par la puissance créatrice du Verbe ”.

Réponse :

Oui, le nom de “ Verbe ” dit rapport à la créature. En se nommant, Dieu connaît toute créature[2209]. Or, le verbe conçu dans la pensée représente tout ce que le sujet connaît en acte ; de fait, en nous, il y a autant de verbes que d’objets de pensée différents[2210]. Mais Dieu connaît en un seul acte soi-même et toutes choses ; son unique Verbe n’exprime donc pas seulement le Père, mais encore les créatures. D’autre part, tandis qu’à l’égard de Dieu, la pensée divine est connaissance pure, à l’égard des créatures elle est connaissance et cause[2211] ; ainsi, le Verbe de Dieu est pure expression du mystère du Père, mais il est expression et cause des créatures. D’où la parole du Psaume (33, 9) : “ I1 a parlé, et les choses ont été faites. ” Nommer “le Verbe ”, c’est en effet évoquer le plan opératoire des choses que Dieu fait.[2212]

Solutions :

1. Un nom de personne inclut aussi la nature, du moins obliquement, puisque la personne est “la substance individuelle d’une nature raisonnable ”[2213]. Donc, si, dans un nom de Personne divine, aucun rapport créé ne s’introduit du côté de la relation personnelle, il peut bien s’en introduire du côté de la nature[2214]. De même qu’il est propre au Fils d’être “ le Fils ”[2215], il lui est propre aussi d’être “ Dieu l’engendré ”, ou “ le Créateur engendré ” ; et c’est par là que s’introduit dans le nom de Verbe un rapport à la créature.

2. I1 s’agit ici de relations consécutives à l’action. Or certains noms divins impliquent une relation au créé consécutive à une action transitive de Dieu, c’est-à-dire terminée à l’action extérieure ; ainsi créer, gouverner le monde ; les noms de ce genre s’attribuent à Dieu dans le temps. Mais il en est d’autres qui impliquent une relation consécutive à une action qui ne passe pas à un effet extérieur, mais demeure dans l’agent : ainsi connaître, vouloir ; les noms de cette catégorie ne s’attribuent pas à Dieu dans le temps[2216]. C’est précisément une relation de ce genre qu’évoque le nom de Verbe. Autrement dit, nous récusons la majeure de l’argument ; il n’est pas vrai que tous les noms relatifs au créé s’attribuent à Dieu dans le temps, mais ceux-là seuls qui impliquent une relation consécutive à une action transitive.

3. Dieu connaît les créatures, mais d’un savoir qui ne provient pas des créatures : il les connaît par sa propre essence[2217]. Aussi, bien que le Verbe exprime les créatures, il ne s’ensuit pas qu’il en procède.

4. Tel qu’on l’applique en fait, le terme d’“ idée ” désigne en premier le rapport à la créature[2218] : de là vient qu’en Dieu on en use au pluriel, et non comme d’un nom personnel[2219]. Mais celui de “ Verbe ” désigne en premier le rapport au sujet qui le dit[2220], et seulement en second le rapport aux créatures (pour autant que Dieu, en se connaissant, connaît toute créature[2221]) : de là vient qu’en Dieu il n’y a qu’un Verbe, et que c’est un nom personnel.

5. Le Verbe de Dieu concerne ce qui n’est pas, dans la même mesure que la science divine : il n’y a pas moins dans le Verbe de Dieu que dans la science de Dieu, dit S. Augustin. Cependant, à l’égard du réel, le Verbe est expression et cause[2222] ; à l’égard de ce qui n’est pas, c’est-à-dire du pur possible, il est expression et manifestation[2223].


 

 

QUESTION 35 — L’IMAGE

1. Le Mot “ Image ” est-il en Dieu un nom de personne ? 2. Est-ce un nom propre au Fils ?

 

            Article 1 — Le Mot “ Image ” est-il en Dieu un nom de personne ?

Objections :

1. Le livre De fide ad Petrum parle de “ l’unique déité et image de la Trinité, cette image d’après laquelle l’homme a été fait ”. C’est donc qu’“ image ” est un attribut essentiel, et non pas un nom de personne.

2. S. Hilaire définit ainsi l’image : “ C’est l’espèce exacte de la chose qu’elle représente. ” Espèce ou forme, voilà bien un attribut essentiel en Dieu. Il en est donc de même pour “ image ”.

3. Image dérive d’imiter ; et ceci dénote un ordre de priorité du modèle sur l’image. Mais il n’y a pas un ordre de priorité entre les Personnes divines[2224]. C’est donc qu’en Dieu l’Image n’est pas un nom de personne.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Prétendre qu’image est un terme absolu, quoi de plus absurde ? ” Autrement dit, “ image ” s’attribue en Dieu comme un terme relatif. C’est donc un nom de personne.

Réponse :

Qui dit image, dit similitude. Mais pour avoir une image, il ne suffit pas d’une similitude quelconque ; il faut une similitude dans la nature spécifique, ou du moins un signe caractéristique de l’espèce. Et le signe caractéristique de l’espèce, dans le monde corporel, paraît bien être la figure ; chacun voit que les animaux d’espèces différentes ont des figures différentes, mais pas nécessairement des couleurs différentes. Aussi ne suffit-il pas de peindre sur le mur la couleur d’un animal ; on n’appellera cela son image que si l’on reproduit sa figure. Mais cette similitude dans l’espèce ou la figure ne suffit pas encore ; pour qu’on ait une image, il faut encore un ordre d’origine. Comme dit S. Augustin, un œuf n’est pas l’image d’un autre œuf, parce qu’il ne dérive pas de lui. Pour être vraiment l’image d’un autre, il faut en procéder de manière à lui ressembler dans l’espèce, ou au moins dans un signe caractéristique de l’espèce. Or, les attributs qui impliquent procession ou origine, en Dieu, sont des noms personnels[2225]. Aussi le nom d’“ Image ”, est-il un nom de personne.

Solutions :

1. On appelle image, au sens propre, ce qui procède à l’imitation ou ressemblance d’un autre. Cet autre, à la ressemblance duquel procède l’image, s’appelle proprement le modèle ; mais on l’appelle aussi “ image ”, improprement. C’est en ce dernier sens que le texte allégué e prend le terme d’image, en disant que la divinité de la Sainte Trinité est l’image d’après laquelle l’homme a été façonné[2226].

2. Le mot “ espèce ”, qui entre dans la définition de l’image chez S. Hilaire, évoque une forme dérivée d’un autre. C’est-à-dire qu’on définit l’image : l’espèce de quelqu’un, comme on dit de ce qu’une autre chose s’est assimilé : voici la “ forme ” de cette chose. Il suffit pour cela d’avoir une forme semblable à elle.[2227]

3. Entre Personnes divines, “ imitation ” signifie seulement assimilation, sans postériorité.

 

            Article 2 — Le nom d’Image est-il propre au Fils ?

Objections :

1. Le nom d’Image n’est pas propre au Fils, puisque le Saint-Esprit est l’Image du Fils[2228], selon Damascène.

2. D’après S. Augustin, l’image est par définition une similitude dérivant du modèle. Or, ces deux aspects conviennent au Saint-Esprit : il procède d’un autre, et il lui ressemble[2229]. Donc il est Image ; et cet attribut n’est pas propre au Fils.

3. D’ailleurs, l’homme lui-même est qualifié d’image de Dieu. “ L’homme, dit S. Paul (1 Co 11, 7), ne doit pas se voiler la tête, car il est l’image et la gloire de Dieu. ”[2230] Le nom d’image n’est donc pas propre au Fils.

En sens contraire, S. Augustin dit que “ seul le Fils est l’Image du Père ”.

Réponse :

En général, les docteurs grecs disent que le Saint-Esprit est l’Image du Père et du Fils. Mais les docteurs latins n’attribuent qu’au Fils le nom d’Image, parce que l’Écriture ne le donne qu’au Fils : “ Il est l’image du Dieu invisible, dit S. Paul (Col l,15), engendré avant toute créature” ; et encore (He 1, 3) “ Lui qui est le rayonnement de sa gloire et l’effigie de sa substance. ”

Certains en donnent cette raison que le Fils et le Père ont en commun non seulement la nature divine, mais aussi la “ notion ” de principe du Saint-Esprit ; alors que le Saint-Esprit n’a aucune notion commune avec le Fils ou avec le Père[2231]. Explication insuffisante, semble-t-il. Car, si les relations dans la divinité n’apportent ni égalité ni inégalité, selon S. Augustin, elles ne peuvent pas davantage causer la similitude requise pour qu’il y ait image[2232].

D’autres disent qu’on ne peut pas appeler le Saint-Esprit “ l’Image du Fils ”, parce qu’il n’existe pas d’image d’une image ; ni non plus “ l’image du Père ”, parce que l’image se rapporte au modèle immédiatement, alors que le Saint-Esprit se rapporte au Père par le Fils[2233] ; et pas davantage “ l’Image du Père et du Fils ”, parce qu’il paraît impossible qu’une image reproduise deux modèles. Ils concluent de là que le Saint-Esprit n’est une image d’aucune manière. Mais cela ne vaut rien. Car le Père et le Fils sont un seul principe du Saint-Esprit, comme on le verra plus loin[2234] ; rien n’empêche donc que sous cet aspect commun, le Père et le Fils aient une même image. D’ailleurs l’homme lui-même n’est-il pas l’image de la Trinité tout entière[2235] ?

Il faut donc parler autrement. Par sa procession, le Saint-Esprit reçoit la nature du Père, de même que le Fils[2236] ; et pourtant on ne dit pas qu’il “naît”. Pareillement, bien qu’il reçoive la ressemblance spécifique du Père, on ne lui donne pas le nom d’“image”. C’est que le Fils procède comme Verbe[2237], et que la ressemblance spécifique envers son principe est la loi typique du verbe mental mais non pas de l’amour[2238], encore qu’elle appartienne à cet amour qu’est le Saint-Esprit, mais à titre d’amour divin.

Solutions :

1. Le Damascène et les autres Docteurs grecs emploient le terme d’image dans un sens large, celui de similitude parfaite.

2. Bien que le Saint-Esprit soit semblable au Père et au Fils, il ne s’ensuit pas qu’il soit proprement leur image : on vient de dire pourquoi[2239].

3. L’image de quelqu’un se retrouve dans un autre de deux manières ; soit dans un être de même nature spécifique, comme l’image du roi se retrouve en son fils ; soit dans un être de nature différente, comme l’image du roi se retrouve dans la pièce de monnaie. Or, c’est de la première manière que le Fils est l’image du Père, et de la seconde seulement que l’homme est l’image de Dieu[2240]. Aussi, pour signifier cette imperfection de l’image, dans le cas de l’homme, on ne dit pas sans nuances qu’il est l’image de Dieu, mais qu’il est “ à l’image ” de Dieu ; cette construction marque l’effort d’une tendance vers la perfection. Du Fils, au contraire, on ne peut pas dire qu’il soit “ à l’image ” du Père : il en est la parfaite image.


 

 

Il faut maintenant étudier ce qui concerne la personne du Saint-Esprit. Les noms qu’on lui donne, outre celui d’Esprit-Saint (Q. 36), sont ceux d’“ Amour ” (Q. 37) et de “ Don de Dieu ” (Q. 38).

 

 

QUESTION 36 — LA PERSONNE DU SAINT-ESPRIT

Au sujet de l’Esprit-Saint, nous nous poserons quatre questions : 1. Ce nom d’Esprit-Saint est-il propre à une personne divine ? 2. La personne divine appelée l’Esprit-Saint procède-t-elle du Père et du Fils ? 3. Procède-t-elle du Père par le Fils ? 4. Le Père et le Fils sont-ils un seul principe du Saint-Esprit ?

 

            Article 1 — L’Esprit-Saint, est-il le nom propre d’une personne divine ?

Objections :

1. Aucun nom commun aux trois personnes n’est propre à une seule. Or ce nom d’“ Esprit-Saint ” est commun aux trois personnes. S. Hilaire montre en effet que l’expression “ Esprit de Dieu ” peut désigner le Père, par exemple dans ce texte : “ L’Esprit du Seigneur est sur moi ” (Is 61,1 ; Lc 4, 18) ; elle peut aussi désigner le Fils, par exemple quand le Fils dit (Mt 12, 28) : “ C’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons ”, il déclare ainsi qu’il chasse les démons par la puissance de sa propre nature ; d’autres fois encore il désigne le Saint-Esprit : “ Je répandrai de mon Esprit sur toute chair ” (Jl 2, 28). Il suit de là que ce nom d’“ Esprit-Saint ” n’est pas un nom propre de personne divine.

2. Les noms des personnes divines sont des termes relatifs[2241], au dire de Boèce. Or l’expression “ Esprit-Saint ” n’est pas un terme relatif, ce n’est donc pas un nom propre de personne divine.

3. Parce que “ le Fils ” désigne une personne divine, on ne peut pas construire ce nom avec un complément créé, en disant : “ Le Fils de tel ou tel. ” Mais on dit fort bien : “ L’Esprit de tel ou tel homme. ” Le Seigneur a dit ainsi à Moïse (Nb 11,17) : “Je prendrai de ton Esprit et je le leur donnerai " ; et ailleurs (2 R 2, 15) : “ L’Esprit d’Élie se reposa sur Élisée. ” Il ne semble donc pas que l’Esprit-Saint soit un nom de personne divine.

En sens contraire, on lit dans la première lettre de S. Jean (5, 7 Vg) : “ Ils sont trois qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et l’Esprit-Saint. " Or, dit S. Augustin, si l’on nous demande : trois quoi ? nous répondons : trois personnes[2242]. L’Esprit-Saint est donc bien le nom d’une Personne divine.

Réponse :

On a vu plus haut[2243] qu’il y a en Dieu deux processions, dont l’une, celle précisément qui s’accomplit par mode d’amour, n’a pas de nom propre. Par suite, les relations qu’on y considère demeurent innommées ; on l’a vu aussi[2244], et, pour la même raison, la personne qui procède ainsi n’a pas de nom propre. L’usage pourtant a fait prévaloir certains noms pour désigner les relations en question : nous les appelons “ procession ” et “ spiration ”, termes qui, à considérer leur signification propre, paraissent évoquer des actes notionnels plutôt que des relations ; de même, pour désigner la Personne divine qui procède par mode d’amour, l’usage scripturaire a fait prévaloir le nom d’Esprit-Saint.

Et cela convenait ; on peut le montrer par deux raisons. La première se tire de la communauté même de ce nom d’Esprit-Saint. Comme dit S. Augustin : “ L’Esprit-Saint, parce qu’il est commun aux deux premières Personnes, reçoit lui-même pour nom propre une appellation commune aux deux. Le Père en effet est Esprit, le Fils aussi est Esprit ; le Père est saint, le Fils aussi est saint. ” La seconde raison se tire de la signification propre de cette expression. Dans le monde corporel, le mot spiritus paraît évoquer une sorte d’impulsion et de motion : en effet on donne ce nom au souffle et au vent. Or, le propre de l’amour est de mouvoir et pousser la volonté de l’aimant vers l’aimé[2245]. Quant à la sainteté, on l’attribue aux choses qui sont ordonnées à Dieu. Donc, parce qu’il y a une Personne divine qui procède par mode d’amour, de l’amour dont Dieu est l’objet, c’est à bon droit qu’on l’appelle l’Esprit-Saint.

Solutions :

1. L’expression d’esprit saint, entendue dans le sens que donnent les deux mots pris séparément, est un attribut commun à toute la Trinité. En effet, ce terme d’esprit signifie l’immatérialité de la substance divine[2246] ; l’esprit ou souffle corporel étant invisible et pauvre de matière, nous attribuons ce nom à toutes les substances immatérielles et invisibles. Quant au mot saint, il signifie la pureté de la bonté divine. Mais si l’on prend l’expression Esprit-Saint comme un seul mot, c’est alors le nom réservé par l’usage de l’Église à désigner celle des trois personnes qui procède par mode d’amour. Et l’on vient d’en dire la raison.

2. Il est vrai que l’expression Esprit-Saint n’est pas un terme relatif ; elle en tient lieu cependant, à la faveur de l’accommodation qui lui a fait désigner une personne singulière, distinguée des autres par une pure relation. On peut d’ailleurs saisir une relation dans ce terme, si l’on entend Esprit-Saint au sens de “ spiré ”[2247].

3. Le nom de Fils dit pure relation d’émané à principe ; tandis que le nom de Père dit relation de principe, et pareillement le nom d’Esprit, en tant qu’il évoque une énergie motrice[2248]. Or, il n’appartient pas à une créature d’être principe d’une personne divine ; c’est tout le contraire[2249]. Voilà pourquoi, en parlant des personnes divines, nous pouvons bien dire : “ notre Père ” et “ notre Esprit ”, mais non pas “ notre Fils ”.

 

            Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ?

Objections :

1. Selon Denys, “ on ne doit pas s’aventurer à parler de la substantielle Déité en des termes étrangers à ceux qui nous sont divinement formulés par les textes sacrés. ”[2250] Or la Sainte Écriture ne dit pas que le Saint-Esprit procède du Fils ; elle dit seulement qu’il procède du Père : “ l’Esprit de vérité qui procède du Père ” Un 15, 26). Donc le Saint-Esprit ne procède pas du Fils.

2. On lit dans le Symbole du Concile de Constantinople : “ Nous croyons en l’Esprit-Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie ; il procède du Père ; avec le Père et le Fils il reçoit même adoration et même gloire. ” On n’aurait donc jamais dû ajouter à notre Symbole que le Saint-Esprit procède du Fils : ceux qui l’ont ajouté semblent plutôt tomber sous l’anathème.

3. Jean Damascène écrit : “ Nous disons que le Saint-Esprit est du Père, et nous l’appelons Esprit du Père ; mais nous ne disons pas qu’il est du Fils ; pourtant, nous l’appelons l’Esprit du Fils ”. Le Saint-Esprit ne procède donc pas du Fils.

4. On ne procède pas de celui-là même en qui on repose. Or le Saint-Esprit repose dans le Fils, car on lit dans la “ Légende de saint André ” : “ La paix soit avec vous et avec tous ceux qui croient en un seul Dieu le Père, et en son Fils unique Notre Seigneur Jésus Christ, et en l’unique Esprit-Saint qui procède du Père et demeure dans le Fils. ” Le Saint-Esprit ne procède donc pas du Fils.

5. Le Fils procède comme Verbe[2251]. Mais en nous, notre souffle ne paraît pas procéder de notre parole. Donc le Saint-Esprit ne procède pas du Fils.

6. Le Saint-Esprit procède parfaitement du Père[2252]. Il est donc superflu de le faire procéder Fils.

7. Au dire d’Aristote, “il n’y a pas de différence entre être et pouvoir être, dans les choses éternelles ”, et bien moins encore en Dieu[2253]. Or le Saint-Esprit peut être distingué du Fils même s’il n’en procède pas[2254]. S. Anselme dit en effet : “Le Fils et le Saint-Esprit tiennent bien leur être du Père, mais par voie différente ; l’un par naissance, l’autre par procession, et cela les distingue l’un de l’autre. ” Plus loin il ajoute : “ Car si le Fils et le Saint-Esprit n’avaient rien d’autre pour être deux, cela seul suffirait à les distinguer. ” Le Saint-Esprit est donc distinct du Fils sans en procéder.

En sens contraire, S. Athanase dit : “ Le Saint-Esprit est du Père et du Fils, non comme fait ou créé ou engendré, mais comme procédant. ”

Réponse :

Il est nécessaire d’affirmer que le Saint-Esprit procède du Fils ; s’il n’en procédait pas, il ne pourrait d’aucune manière s’en distinguer. Cela ressort de ce qui a été dit jusqu’ici[2255]. En effet, on ne peut pas dire que les Personnes divines se distinguent l’une de l’autre par quelque chose d’absolu ; il s’ensuivrait que les Trois n’auraient pas une essence unique, puisqu’en Dieu tout attribut absolu appartient à l’unité d’essence[2256]. Il reste donc que les Personnes divines se distinguent entre elles uniquement par des relations. Mais ces relations ne peuvent distinguer les personnes, sinon autant qu’elles sont opposées[2257]. La preuve en est que le Père a deux relations : par l’une il se rapporte au Fils, et par l’autre au Saint-Esprit[2258] ; cependant, comme ces relations ne s’opposent pas, elles ne constituent pas deux personnes ; elles n’appartiennent qu’à une seule personne, celle du Père. Donc si, dans le Fils et dans le Saint-Esprit, on ne pouvait trouver que les deux relations qui rapportent chacun d’eux au Père, ces relations ne seraient pas opposées entre elles, pas plus que les deux relations qui rapportent le Père à chacun d’eux. Aussi, de même que le Père n’est qu’une personne, il s’ensuivrait pareillement que le Fils et le Saint-Esprit ne seraient qu’une personne, possédant deux relations opposées aux deux relations du Pere. Mais c’est là une hérésie, car on détruit ainsi la foi en la Trinité.

Il faut donc bien que le Fils et le Saint-Esprit se réfèrent l’un à l’autre par des relations opposées. Or, en Dieu, il ne peut y avoir d’autres relations opposées que des relations d’origine, on l’a montré plus haut[2259] ; et ces relations d’origine opposées entre elles sont celles de principe d’une part, et de terme émané de ce principe, d’autre part[2260]. En définitive, il faudra dire ou bien que le Fils procède du Saint-Esprit mais personne ne le dit ; ou bien que le Saint-Esprit procède du Fils ; et voilà ce que nous confessons.

Et l’explication que nous avons donnée plus haut de leur procession respective s’accorde avec cette doctrine. On a dit[2261] que le Fils procède selon le mode propre à l’intellect comme Verbe ; et que le Saint-Esprit procède selon le mode propre à la volonté, comme Amour. Or nécessairement l’amour procède du Verbe : nous n’aimons rien en dehors de ce que nous appréhendons dans une conception de l’esprit[2262]. De ce chef encore il est donc clair que le Saint-Esprit procède du Fils.

L’ordre même des choses nous l’apprend. Nulle part en effet on ne trouve de multitude qui procède sans ordre d’un principe unique[2263], a moins qu’il s’agisse de pure distinction matérielle ; ainsi un même ouvrier fabrique une multitude de couteaux matériellement distincts les uns des autres, sans qu’il y ait d’ordre d’entre eux. Mais, dès qu’on dépasse le cas de la distinction purement matérielle, on trouve toujours un ordre dans la multitude produite ; si bien que l’ordre qui éclate jusque dans la production des créatures manifeste la beauté de la sagesse divine. Donc, s’il y a deux personnes qui procèdent de l’unique personne du Père : le Fils et le Saint-Esprit, il faut bien qu’il y ait un ordre entre elles[2264]. Et l’on ne peut en assigner d’autre qu’un ordre de nature, l’une procédant de l’autre ; à moins de supposer entre elles une distinction matérielle, ce qui est impossible.

Aussi les Grecs reconnaissent-ils que la procession du Saint-Esprit a une certaine relation avec le Fils. Ils concèdent que le Saint-Esprit est l’Esprit du Fils, qu’il provient du Père par le Fils ; certains d’entre eux, dit-on, concèdent même qu’il est du Fils, ou qu’il découle du Fils, mais non pas qu’il en procède. Il y a là, semble-t-il, ignorance ou malignité ; car, si l’on veut bien y réfléchir, on verra que parmi les mots qui ont trait à une origine quelconque, celui de procession est le plus général. Nous en usons pour désigner n’importe quelle origine ; par exemple, on dit que la ligne procède du point, que le rayon procède du soleil, la rivière de sa source, et de même en toutes sortes d’autres cas. Aussi, du fait qu’on admet l’un ou l’autre des mots évoquant l’origine, on peut en conclure que le Saint-Esprit procède du Fils.

Solutions :

1. On ne doit pas attribuer à Dieu ce qui ne se trouve pas dans la Sainte Écriture, ni en propres termes ni quant au sens. Or, s’il est vrai qu’on ne trouve pas formulé expressément dans la Sainte Écriture que le Saint-Esprit procède du Fils, le sens du moins s’y trouve bien, et avant tout dans ce passage où le Fils dit du Saint-Esprit an 16,14) : “ Il me glorifiera, car il recevra du mien. ” En outre, c’est une règle d’interprétation de l’Écriture : ce qu’elle affirme du Père, doit s’entendre aussi du Fils, même s’il y a addition d’un terme exclusif : il n’y a d’exception que sur les points où le Père et le Fils se distinguent par relations opposées. De fait, quand le Seigneur dit (Mt 11, 27) : “ Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père ”, cela ne veut pas exclure que le Fils lui-même se connaisse. Ainsi donc, même si les passages où il est dit que le Saint-Esprit procède du Père portaient cette clause qu’il procède du Père “ seul ”, le Fils n’en serait pas exclu pour autant ; car sur ce point, d’être principe du Saint-Esprit, le Père et le Fils ne s’opposent pas ; ils s’opposent uniquement en ceci que l’un est Père et l’autre Fils.

2. A chaque concile on a institué un symbole dirigé contre l’erreur qu’il s’agissait de condamner. Le concile suivant ne composait donc pas un symbole différent du précédent ; mais pour faire face aux hérésies nouvelles, il insérait une addition expliquant ce qui n’était contenu qu’implicitement dans le symbole antérieur. Ainsi lit-on, dans une décision du Concile de Chalcédoine, que les Pères assemblés au Concile de Constantinople ont enseigné la doctrine du Saint-Esprit “ non pas en ajoutant ce qui aurait manqué chez leurs prédécesseurs réunis à Nicée, mais en expliquant la pensée de ceux-ci contre les hérétiques ”. Donc, au temps des premiers conciles, comme on n’avait pas encore vu naître l’erreur qui refuse au Saint-Esprit de procéder du Fils, on n’eut pas besoin alors d’exposer explicitement ce point. Mais plus tard, quand cette erreur se fit jour chez quelques-uns, un Concile réuni en Occident formula expressément cette doctrine avec l’autorité du pontife romain ; car c’était déjà par son autorité que les anciens conciles se réunissaient et recevaient confirmation. Cependant la doctrine en question se trouvait contenue implicitement dans l’affirmation que “ le Saint-Esprit procède du Père ”[2265].

3. Ce sont les nestoriens qui ont d’abord donné cours à cette erreur que le Saint-Esprit ne procède pas du Fils. On en a la preuve dans un symbole nestorien condamné au Concile d’Éphèse. Le nestorien Théodoret embrassa cette erreur, et bien d’autres après lui, au nombre desquels se trouve aussi Jean Damascène : sur ce point donc, il ne faut pas suivre sa doctrine. Certains disent pourtant que si le Damascène ne confesse pas que le Saint-Esprit procède du Fils, il ne le nie pas non plus, à prendre ses paroles dans leur sens propre.

4. Dire que le Saint-Esprit repose ou demeure dans le Fils n’exclut pas qu’il en procède ; car on dit aussi que le Fils demeure dans le Père, bien qu’il procède du Père. Si l’on dit du Saint-Esprit qu’il demeure dans le Fils, c’est à la manière où l’amour de celui qui aime se repose en l’aimé[2266] ; ou bien il s’agit de la nature humaine du Christ, et l’on a en vue ce texte de S. Jean (1, 33) : “ Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et se reposer, voilà celui qui baptise. ”

5. Ce n’est pas par analogie avec la parole vocale, dont en effet notre souffle ne procède pas, qu’il faut concevoir le Verbe en Dieu : on n’aurait là qu’un Verbe métaphorique. Il faut l’entendre par analogie avec notre Verbe mental[2267], duquel procède l’amour[2268].

6. Du fait que le Saint-Esprit procède parfaitement du Père, non seulement il n’est pas superflu d’ajouter qu’il procède du Fils, c’est absolument nécessaire : car le Père et le Fils n’ont qu’une même et unique vertu[2269] ; et tout ce qui procède du Père procède nécessairement du Fils, à moins que cela contredise sa propriété de Fils[2270]. Il est clair que le Fils ne procède pas de lui-même, bien qu’il procède du Père.

7. Le Saint-Esprit se distingue personnellement du Fils du fait que l’origine de l’un se distingue de l’origine de l’autre. Mais cette différence d’origine elle-même consiste en ce que le Fils procède seulement du Père, tandis que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Autrement, les deux processions ne se distingueraient pas, on vient de le montrer[2271].

 

            Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ?

Objections :

1. Ce qui procède de quelqu’un par un autre n’en procède pas immédiatement. Donc si le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, il ne procède pas immédiatement du Père. Ce qui est choquant.

2. Si le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, il ne procède du Fils qu’à cause du Père. Mais, selon l’adage aristotélicien, “ ce à cause de quoi un autre est tel est cela davantage ”[2272]. Le Saint-Esprit, alors, procède davantage du Père que du Fils.

3. Le Fils a l’être par génération[2273]. Donc si le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, il s’ensuit que le Fils est engendré d’abord ; après quoi le Saint-Esprit procède. En ce cas, la procession du Saint-Esprit n’est pas éternelle. Or, c’est là une hérésie[2274].

4. Quand on dit de quelqu’un : “ Il opère par un autre ”, on peut dire aussi l’inverse. Par exemple, on dit indifféremment : “ Le roi agit par le bailli ”, ou bien : “ Le bailli agit de par le roi. ” Or nous ne disons jamais que le Fils spire l’Esprit-Saint par le Père. On ne peut donc pas non plus dire que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils.

En sens contraire, S. Hilaire fait cette prière : “ Gardez, je vous en conjure, ce vœu suprême de ma foi : que toujours je possède le Père, je veux dire : vous-même ; et que j’adore votre Fils avec vous ; et que j’obtienne votre Esprit qui tient l’être de vous par votre Fils unique. ”

Réponse :

Dans toutes les locutions où il est question d’“ agir par un autre ”, la préposition “ par ” dénote dans le complément une cause ou un principe de cette action. Mais l’action est intermédiaire entre l’agent et l’effet ; et tantôt le complément introduit par la préposition “ par ” est cause de l’action en influant sur sa production par l’agent ; alors c’est pour l’agent qu’il est cause d’action, cause finale, formelle ou efficiente (c’est-à-dire motrice)[2275] : cause finale, si l’on dit : “ l’ouvrier travaille par désir du gain” ; cause formelle : “ il agit par son art ” ; cause motrice : “ il agit par l’ordre d’un autre ”. Et tantôt le complément qui suit la préposition “ par” est cause de l’action en lui faisant atteindre l’effet, par exemple quand on dit : “ l’ouvrier agit par son marteau ”. Dans cette dernière expression, on ne peut pas dire que le marteau soit cause d’action, pour l’ouvrier ; on veut dire qu’il est cause pour l’œuvre, c’est-à-dire qu’il la fait procéder de l’ouvrier ; et qu’il tient cette causalité même de l’ouvrier. Certains présentent la même explication, en disant que la préposition “ par ” dénote la causalité principale tantôt dans le sujet, par exemple dans l’expression : “ le roi agit par le bailli ” ; tantôt dans le complément, par exemple dans l’expression inverse : “ le bailli agit de par le roi ”.

Donc, puisque le Fils tient du Père que le Saint-Esprit procède de lui[2276], on peut dire que le Père spire le Saint-Esprit “ par le Fils ” ; ou, ce qui revient au même, que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils.

Solutions :

1. En toute action, il y a deux choses à considérer : le suppôt qui agit, et la vertu par laquelle il agit. Ainsi le feu échauffe par sa chaleur. Si donc, dans le Père et le Fils, on considère la vertu par laquelle ils spirent le Saint-Esprit, il n’y a alors aucun intermédiaire, car cette vertu est une et identique. Mais si l’on considère les personnes mêmes qui spirent, puisque le Saint-Esprit procède à la fois du Père et du Fils[2277], on s’aperçoit que le Saint-Esprit procède du Père immédiatement en tant qu’il vient du Père, et médiatement en tant qu’il vient du Fils ; voilà en quel sens on dit qu’il procède du Père par le Fils. C’est ainsi qu’Abel procédait d’Adam immédiatement, puisque Adam était son père ; et médiatement puisque Ève était sa mère et procédait d’Adam. A vrai dire, cet exemple emprunté à une origine matérielle, paraît assez mal choisi pour représenter la procession immatérielle des Personnes divines.

2. Si, pour spirer le Saint-Esprit, le Fils recevait du Père une vertu numériquement distincte, il ferait office de cause seconde et instrumentale ; et dans ce cas le Saint-Esprit procéderait davantage du Père que du Fils. Mais le Père et le Fils n’ont qu’une seule vertu spiratrice, numériquement identique[2278] ; c’est pourquoi le Saint-Esprit procède également de chacun d’eux. Parfois cependant, on dit qu’il procède du Père principalement ou proprement, parce que le Fils tient cette vertu du Père[2279].

3. La génération du Fils est coéternelle à celui qui l’engendre[2280] ; le Père n’a donc pas existé avant d’engendrer le Fils. De même, la procession du Saint-Esprit est coéternelle à son principe ; le Fils n’a donc pas été engendré avant que le Saint-Esprit procède. L’un et l’autre sont éternels.

4. Quand on dit de quelqu’un qu’il opère par autre chose, il n’est pas toujours légitime d’inverser la proposition. Ainsi l’on ne dit pas que “ le marteau agit par l’ouvrier ”, alors qu’on dit : “ le bailli agit de par le roi ”. Pourquoi cette différence ? C’est qu’au bailli il appartient d’agir, car il est maître de ses actes ; alors qu’au marteau il n’appartient pas d’agir, mais seulement d’être mû ; c’est pourquoi on le désigne seulement en qualité d’instrument. Et ce qui permet de dire que le bailli opère de par le roi (per regem), bien que la préposition per indique un intermédiaire, c’est que plus une cause précède les autres dans la série des suppôts, plus immédiatement aussi sa causalité s’exerce sur l’effet : car c’est la vertu de la cause première qui unit la cause seconde à son effet. D’où l’axiome bien connu dans les sciences où il y a démonstration : “ Les premiers principes sont immédiats. ” Ainsi donc, parce que le bailli occupe un rang intermédiaire dans l’ordre des suppôts en action, on dit que “ le roi agit par le bailli ”. Mais si l’on considère l’ordre des causalités, on dit bien encore que le bailli agit ; mais, parce que la vertu du roi atteint l’effet plus immédiatement que celle du bailli, on dit qu’il agit de par le roi (per regem) parce que la causalité du roi permet à celle du bailli de produire son effet[2281].

 

            Article 4 — Le Père et le Fils sont-ils un seul principe du Saint-Esprit ?

Objections :

1. Le Saint-Esprit ne procède pas du Père et du Fils en tant qu’ils sont un. Non en nature, parce que le Saint-Esprit procéderait ainsi de soi-même, puisqu’il ne fait qu’un en nature avec eux[2282]. Non en fait qu’ils ne feraient qu’un par une même propriété, car une propriété unique ne peut pas appartenir à deux suppôts, comme on le voit[2283]. Le Saint-Esprit procède donc du Père et du Fils en tant qu’ils sont deux. Et par suite, le Père et le Fils ne sont pas un principe unique du Saint-Esprit.

2. Quand on dit : “ Le Père et le Fils sont un seul principe du Saint-Esprit ”, il ne peut s’agir là d’unité personnelle, car le Père et le Fils ne seraient ainsi qu’une seule personne[2284]. Pas davantage d’unité de propriété ; car si, en raison d’une propriété unique, le Père et le Fils ne sont qu’un principe du Saint-Esprit, pareillement, en raison de ses deux propriétés[2285], le Père sera deux principes du Fils et du Saint-Esprit, conséquence inadmissible. C’est donc que le Père et le Fils ne sont pas un seul principe du Saint-Esprit.

3. Le Fils n’est pas plus conforme au Père que le Saint-Esprit[2286]. Or le Saint-Esprit et le Père ne sont pas principe unique d’une personne divine. Donc le Père et le Fils ne le sont pas non plus.

4. Admettons que le Père et le Fils soient un seul principe du Saint-Esprit. De deux choses l’une : ou cet unique principe est le Père, ou il ne l’est pas. Mais on ne peut concéder ni l’un ni l’autre : si cet unique principe est le Père, il s’ensuit que le Fils est le Père ; si ce n’est pas le Père, il s’ensuit que le Père n’est pas le Père. Il ne faut donc pas dire que le Père et le Fils sont un seul principe du Saint-Esprit.

5. Si le Père et le Fils sont un seul principe du Saint-Esprit, il faudra, semble-t-il, dire inversement que “ l’unique principe du Saint-Esprit est le Père et le Fils ”. Mais cette dernière proposition paraît fausse. En effet, quand on dit “ l’unique principe ”, ce terme doit suppléer ou pour la personne du Père, ou pour la personne du Fils : et dans les deux cas, la proposition est fausse. Il est donc faux également de dire que le Père et le Fils sont un seul principe du Saint-Esprit.

6. L’unité de substance, c’est l’identité. Donc, si le Père et le Fils sont un seul principe du Saint-Esprit, il s’ensuit qu’ils sont le même principe. Mais cela, beaucoup le nient. On ne doit donc pas concéder que le Père et le Fils sont un seul principe du Saint-Esprit.

7. Parce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul principe de la créature, on dit qu’ils sont un seul Créateur. Mais le Père et le Fils ne sont pas un seul Spirateur, mais “ deux spirateurs ” ; c’est le sentiment de nombreux auteurs ; et il est conforme aux expressions de S. Hilaire, selon qui l’on doit confesser que le Saint-Esprit “ a le Père et le Fils pour auteurs ”. Le Père et le Fils ne sont donc pas un seul principe du Saint-Esprit.

En sens contraire, S. Augustin dit que le Père et le Fils ne sont pas deux principes, mais un seul et unique principe du Saint-Esprit.

Réponse :

Le Père et le Fils sont un, en tout ce que l’opposition relative ne vient pas distinguer entre eux[2287]. Or entre eux, il n’y a pas d’opposition relative sur ce point : être principe du Saint-Esprit. Il s’ensuit que le Père et le Fils sont un seul principe du Saint-Esprit.

Cependant, au gré de certains, la proposition : “ Le Père et le Fils sont principe unique du Saint-Esprit ” serait impropre. En effet, le mot “ principe ”, employé là au singulier, ne signifie pas la personne mais la propriété ; donc, disent-ils, il joue là comme un adjectif ; et comme on ne détermine pas un adjectif par un adjectif, il est incorrect de dire que le Père et le Fils sont “ principe unique ” du Saint-Esprit ; à moins d’entendre ici “ unique ” comme une sorte d’adverbe : “ ils sont principe unique ” signifierait “ ils sont principe d’une manière unique ”. Mais pareille explication nous autoriserait à dire que le Père est “ double principe ” du Fils et du Saint-Esprit, c’est-à-dire “ principe en double manière ”[2288].

Voici plutôt ce que nous dirons. Le mot “ principe ” signifie bien ici la propriété de spiration, mais il la signifie sous forme de substantif concret comme sont les mots “ père ” et “ fils ” même dans le cas des créatures[2289]. Par suite ce mot prend le nombre de la forme signifiée, selon la loi du pluriel des substantifs. De même donc que le Père et le Fils sont un seul Dieu, car la forme signifiée par le mot “ Dieu ” est unique, de même ils sont “ un seul principe ” du Saint-Esprit, parce que la propriété signifiée par le “ principe ” est unique[2290].

Solutions :

1. Si l’on considère la vertu spiratrice, le Saint-Esprit procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un en cette vertu, laquelle signifie d’une certaine manière la nature avec la propriété (nous le dirons plus loin[2291]). Et il ne répugne pas qu’une propriété unique existe en deux suppôts, quand ceux-ci n’ont qu’une seule nature. Mais si l’on considère les suppôts de la spiration, le Saint-Esprit procède du Père et du Fils en tant qu’ils font deux : car il en procède comme l’amour mutuel de deux personnes qui s’aiment[2292].

2. Quand on dit qu’ils sont “ un seul principe ” du Saint-Esprit, on désigne l’unique propriété de spiration, qui est la forme signifiée par le mot “ principe ”. Il ne s’ensuit pas cependant que les deux propriétés du Père nous autorisent à dire qu’il est “ plusieurs principes ” ; cela impliquerait une pluralité de suppôts[2293].

3. On ne peut envisager de ressemblance ou de dissemblance en Dieu, en considérant les propriétés relatives ; il faut pour cela considérer l’essence[2294]. Aussi, de même que le Père n’est pas plus semblable à lui-même qu’au Fils, de même le Fils n’est pas plus semblable au Père que le Saint-Esprit.

4. Les deux propositions : “ Le Père et le Fils sont un seul principe qui est le Père ”, et “ ... sont un seul principe qui n’est pas le Père ” ne sont pas contradictoires ; par suite on n’est pas contraint de concéder l’une ou l’autre. En effet, quand on dit : “ Le Père et le Fils sont un seul principe ”, le terme “ principe ” n’a pas de suppléance déterminée : il supplée confusément[2295] pour les deux personnes ensemble. L’argument contient donc un sophisme : le même terme passe d’une suppléance confuse à une suppléance déterminée.

5. Cette proposition aussi est vraie : “ L’unique principe du Saint-Esprit est le Père et le Fils. ” Car ici le terme “ principe ” ne supplée pas pour une personne, mais pour deux indistinctement : on vient de le dire[2296].

6. On peut fort bien dire que le Père et le Fils sont “ le même principe ”, du fait que “ principe ” supplée confusément et indistinctement pour les deux personnes ensemble[2297].

7. D’après certains, le Père et le Fils sont bien un seul principe du Saint-Esprit, mais ils sont “ deux spirateurs ”, parce que les suppôts sont distincts ; de même ils sont “ deux spirants ” parce que les actes se rapportent aux suppôts[2298]. Le cas du terme “ Créateur ” est différent, car le Saint-Esprit procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont deux personnes distinctes, alors que la créature ne procède pas des trois Personnes en tant que distinctes, on vient de le dire[2299], mais en tant qu’elles sont un en leur essence[2300]. Mais la réponse que voici paraît préférable. “ Spirant ” est un adjectif, alors que “ spirateur ” est un substantif. On peut donc dire que le Père et le Fils sont “ deux spirants ”, puisqu’il y a plusieurs suppôts ; mais non pas “deux spirateurs ”, car il n’y a qu’une seule spiration[2301]. En effet, les adjectifs prennent le nombre de leur sujet, tandis que les substantifs prennent leur nombre en eux-mêmes, c’est-à-dire celui de la forme qu’ils signifient. Quant à la formule de S. Hilaire, que le Saint-Esprit a le Père et le Fils pour “ auteurs ”, au pluriel, on l’expliquera en disant que ce substantif y tient lieu d’adjectif.


 

 

QUESTION 37 — LE NOM DU SAINT-ESPRIT QUI EST “ AMOUR ”

Passons maintenant à ce nom du Saint-Esprit : “ l’Amour ” : 1. Est-ce un nom propre du Saint-Esprit ? 2. Le Père et le Fils s’aiment-ils par le Saint-Esprit ?

 

            Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

Objections :

1. S. Augustin écrit : “ On donne le nom de Sagesse au Père, au Fils et au Saint-Esprit : et tous ensemble ne sont qu’une sagesse, et non pas trois sagesses. Je ne vois pas pourquoi on ne donnerait pas aussi le nom de charité au Père, au Fils et au Saint-Esprit, tous ensemble n’étant d’ailleurs qu’une seule charité.[2302]” Mais un nom qui convient à chacune des personnes et à toutes ensemble au singulier, n’est pas le nom propre d’une personne. “ L’Amour ” n’est donc pas un nom propre du Saint-Esprit.

2. Le Saint-Esprit est une personne qui subsiste[2303]. Or le mot “ amour ” n’évoque pas une personne subsistante, mais une action qui passe de l’aimant à l’aimé. Donc, “ l’Amour ” n’est pas un nom propre du Saint-Esprit.

3. L’amour est le lien de ceux qui aiment car, selon Denys, c’est “ une force qui unit ”[2304]. Or le lien est un intermédiaire entre ceux qu’il unit, et non un terme qui procéderait d’eux. Donc, puisque le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, ainsi qu’on l’a montré[2305], il paraît bien qu’il n’est pas l’amour ou le lien du Père et du Fils.

4. Quiconque aime a un amour. Or le Saint-Esprit aime, et par suite a un amour. Si donc le Saint-Esprit est l’amour, on aura l’amour de l’amour, et l’esprit de l’esprit. Tout cela n’a pas de sens.

En sens contraire, S. Grégoire a dit : “ Le Saint-Esprit lui-même est l’Amour. ”

Réponse :

Quand il s’agit de Dieu, le terme d’amour peut se prendre en deux sens : essentiel ou personnel. Pris au sens personnel, c’est un nom propre du Saint-Esprit, dans le même sens où “ Verbe ” est le nom propre du Fils. Pour en être convaincus, rappelons-nous qu’il y a en Dieu deux processions : l’une par mode d’intelligence, ou procession du Verbe, l’autre par mode de volonté, ou procession de l’Amour[2306]. La première nous est mieux connue, et l’on a trouvé des noms propres pour désigner chacun des éléments qu’on peut y distinguer. Il n’en n’est plus de même avec la procession de volonté : pour désigner la personne qui procède, nous avons recours à des circonlocutions[2307] ; et même les relations nées de cette procession reçoivent les noms de procession et de spiration, nous l’avons dit[2308], qui sont, en rigueur de termes, des noms d’origine plutôt que des noms de relation.

Et pourtant il nous faut saisir la similitude entre l’une et l’autre. Du fait qu’on connaît une chose, il provient dans le connaissant une sorte de conception intellectuelle de la chose connue, conception appelée verbe[2309] ; de même, du fait qu’on aime une chose, il provient dans le cœur de l’aimant une sorte d’impression, pour ainsi parler, de la chose aimée, ce qui fait dire que l’aimé est dans l’aimant[2310], comme le connu est dans le connaissant[2311]. Si bien que celui qui se connaît et s’aime est en lui-même, non seulement par identité réelle, mais encore à titre de connu dans le connaissant et d’aimé dans l’aimant.

Mais lorsqu’il s’agit de l’intellect, on a trouvé des mots pour désigner le rapport du connaissant à la chose connue, ne serait-ce que le mot même de “ connaître ” ; et l’on en a trouvé d’autres pour signifier l’émanation de la conception intellectuelle, comme “ dire ” et “ verbe ”. Par suite, en Dieu “ connaître ” ne s’emploie que comme attribut essentiel[2312], puisqu’il n’évoque pas expressément de rapport au Verbe qui procède ; tandis que “Verbe ” s’emploie comme nom personnel, vu qu’il signifie cela même qui procède[2313]. Quant à “ dire ”, c’est un terme notionnel qui évoque le rapport du Principe du Verbe au Verbe lui-même[2314]. Et quand il s’agit de la volonté, nous avons bien le verbe aimer (diligere, amare), qui évoque le rapport de l’aimant à la chose aimée[2315] ; mais il n’y a pas de termes propres pour évoquer le rapport que soutient avec son principe l’affection même ou impression de la chose aimée, cette impression qui provient dans l’aimant du fait même qu’il aime, il n’y a pas non plus de mot pour évoquer la relation inverse[2316]. Aussi, faute de termes propres, nous désignons ces rapports en recourant aux termes d’amour ou de dilection ; c’est comme si nous appellions le Verbe “ la pensée conçue ” ou “ la sagesse engendrée ”.

Ainsi donc, si l’on considère le sens original d’amour et de dilection, qui évoque simplement le rapport de l’aimant à la chose aimée, on n’emploie amour et aimer que comme attributs essentiels, tout de même que connaissance et “ connaître ”[2317]. Mais, si nous employons ces mots pour exprimer la relation qui rapporte à son principe ce qui procède par mode d’amour, ou inversement ; c’est-à-dire si par amour nous entendons : l’amour qui procède, et par “ aimer ” : spirer[2318] l’amour qui procède, alors Amour est un nom de Personne, et aimer est un verbe notionnel, comme dire ou engendrer.

Solutions :

1. Dans le passage cité, S. Augustin emploie le mot charité au sens où, en Dieu, il désigne l’essence.

2. Si connaître, vouloir et aimer s’emploient à la manière de verbes signifiant des actions transitives, c’est-à-dire qui passent du sujet dans l’objet, en réalité ce sont là des actions immanentes[2319], connotant d’ailleurs dans l’agent lui-même une relation à l’objet, on l’a dit plus haut[2320]. Aussi, même en nous, l’amour est quelque chose qui demeure dans l’aimant, et le verbe mental est quelque chose qui demeure en celui qui le dit[2321], tout en connotant une relation à la chose exprimée ou aimée[2322]. Mais en Dieu, qui ne souffre aucun accident, leur condition s’élève encore ; le Verbe et l’Amour sont là subsistants[2323]. Donc, quand on dit que le Saint-Esprit est l’amour du Père “ envers ” le Fils ou “ envers ” toute autre chose, on ne signifie rien de transitif ; on ne fait que signifier le rapport de l’Amour à la chose aimée, de même que “ Verbe ” connote le rapport du Verbe à la chose exprimée dans ce Verbe.

3. On dit bien que le Saint-Esprit est le lien du Père et du Fils, en tant qu’il est l’Amour. En effet, c’est par une dilection que le Père aime et lui-même et le Fils, et réciproquement ; par suite, en tant qu’Amour, le Saint-Esprit évoque un rapport réciproque entre le Père et le Fils, celui d’aimant à aimé. Mais du fait même que le Père et le Fils s’entr’aiment, il faut bien que leur mutuel Amour, qui est le Saint-Esprit, procède de l’un et de l’autre[2324]. Donc, si l’on considère l’origine, le Saint-Esprit n’est pas au milieu, il est la troisième Personne de la Trinité. Mais si l’on considère le rapport qu’on vient de dire, oui, il est entre les deux autres Personnes comme le lien qui les unit, tout en procédant de chacune d’elles.

4. Bien que le Fils connaisse, il ne lui convient pas de produire un verbe, parce que la connaissance lui appartient à titre de Verbe qui procède ; de même, bien que le Saint-Esprit aime, au sens essentiel, il ne lui convient pas de spirer un amour, c’est-à-dire d’aimer au sens notionnel ; il aime à titre essentiel comme Amour qui procède, et non comme principe producteur d’un amour[2325].

 

            Article 2 — Le Père et le Fils s’aiment-ils par le Saint-Esprit ?

Objections :

1. S. Augustin prouve que le Père n’est pas sage par la Sagesse engendrée. Or, de même que le Fils est la sagesse engendrée, ainsi le Saint-Esprit est l’Amour qui procède, on l’a déjà vu[2326]. Le Père et le Fils ne s’aiment donc point par cet Amour procédant qui est le Saint-Esprit.

2. Dans l’énoncé : “ Le Père et le Fils s’aiment par le Saint-Esprit ”, le verbe aimer peut s’entendre ou bien au sens essentiel, ou bien au sens notionnel[2327]. Au sens essentiel, il est impossible que la proposition soit vraie, car on devrait pouvoir aussi bien dire que le Père connaît par son Fils. Au sens notionnel, elle ne l’est pas davantage, car on devrait aussi bien pouvoir dire : “ Le Père et le Fils spirent par le Saint-Esprit ”, ou encore : “ Le Père engendre par son Fils. ” Autant de formules inacceptables. Ainsi donc, en quelque sens qu’on la prenne, la proposition ci-dessus est fausse.

3. C’est par un même et unique amour que le Père aime son Fils, lui-même et nous. Mais il n’est pas vrai que “ le Père s’aime par le Saint-Esprit ”. Car aucun acte notionnel ne fait réflexion sur le principe de cet acte[2328] ; on ne peut pas dire que le Père s’engendre ou se spire. On ne peut pas dire non plus que “ le Père s’aime par le Saint-Esprit ” en entendant aimer au sens notionnel de spirer. De plus, l’amour dont il nous aime n’est pas le Saint-Esprit, du moins à ce qu’il semble ; car cet amour-là dit relation à la créature, donc relève de l’essence[2329]. Dès lors, il est faux que “ le Père aime le Fils par le Saint-Esprit ”.

En sens contraire, selon S. Augustin, “ c’est par le Saint-Esprit que le Fils est aimé du Père et qu’il aime le Père ”.

Réponse :

Voici où gît la difficulté. On emploie l’ablatif pour désigner une cause ; et en disant : “ Le Père aime le Fils par le Saint-Esprit (Spiritu Sancto) ”, on semble faire du Saint-Esprit un principe d’amour chez le Père et chez le Fils, ce qui est parfaitement impossible. Pour certains donc, la proposition en question est fausse ; d’après eux, S. Augustin l’a virtuellement rétractée en rétractant cette proposition similaire : “ Le Père est sage par la sagesse engendrée. ” D’autres disent que c’est une formule impropre, à expliquer comme suit : “ Le Père aime le Fils par le Saint-Esprit”, c’est-à-dire par l’amour essentiel qu’on approprie au Saint-Esprit[2330]. D’autres disent qu’on a là un ablatif de signe, donnant le sens suivant : le Saint-Esprit est le signe que le Père aime le Fils, puisqu’il procède d’eux comme un amour. Il y en a qui voient là un ablatif de cause formelle : car le Saint-Esprit, disent-ils, est l’amour dont formellement le Père et le Fils s’entr’aiment. D’autres enfin disent que c’est un ablatif d’effet formel ; en quoi, ils approchent la vérité de plus près.

Pour éclaircir cette question, il faut noter qu’on dénomme ordinairement les choses à raison de leur forme[2331]. On qualifie ceci de “ blanc ” à raison de sa blancheur ; cela d’“ homme ”, à raison de son humanité. Par suite, tout ce qui fonde une appellation de la chose fait pour autant envers celle-ci office de forme. Ainsi dans l’expression : “ cet homme est couvert d’un vêtement”, le complément indirect, c’est-à-dire l’ablatif indumento, évoque le rôle de cause formelle, bien que le vêtement ne soit pas une forme. Or il arrive qu’on dénomme une chose par ce qui en procède, non seulement en qualifiant l’agent par l’action, mais aussi en le qualifiant par le terme même de l’action, à savoir par l’effet, si du moins l’effet lui-même entre dans la définition de l’action. On dit ainsi : le feu chauffe “ par échauffement ”, bien que l’échauffement ne soit pas la vraie forme du feu (la forme du feu, c’est la chaleur), mais seulement l’action émanant du feu. Et l’on dit aussi : “ L’arbre est fleuri de fleurs magnifiques ”, bien que les fleurs ne soient pas une forme de l’arbre, mais des effets ou produits qui en procèdent.

Cela étant, voici notre solution. “ Aimer ” ayant deux sens en Dieu, l’un essentiel et l’autre notionnel[2332], si on l’entend comme attribut essentiel, il faut dire alors que le Père et le Fils s’aiment, non point par l’Esprit-Saint, mais bien par leur propre essence. C’est pourquoi S. Augustin écrit : “ Qui donc osera dire que le Père n’aime lui-même, le Fils et le Saint-Esprit que par le Saint-Esprit ? ” Et c’est ce sens qu’avaient en vue les premières opinions. Si au contraire on prend “ aimer ” au sens notionnel, il ne signifie pas autre chose que “ spirer l’amour ”, comme “ dire ” signifie” : produire un verbe, et “ fleurir ” : produire des fleurs. De même donc que l’on dit de l’arbre : “ Il est tout fleuri de fleurs ”, de même aussi l’on dit que “ le Père dit par son Verbe ou par son Fils soi-même et la créature ” ; et l’on dit que “ le Père et le Fils aiment, par le Saint-Esprit, ou par l’Amour qui procède, eux-mêmes et nous ”.

Solutions :

1. Nous avons dit[2333] la condition différente des termes concernant l’intelligence, et de ceux concernant la volonté. Etre sage, ou connaissant sont en Dieu des attributs purement essentiels ; on ne peut donc pas dire que le Père soit sage ou connaissant par son Fils. Tandis qu’aimer s’emploie non seulement comme terme essentiel, mais aussi comme terme notionnel : et c’est en ce dernier sens qu’on peut dire que le Père et le Fils “ s’aiment par le Saint-Esprit ”.

2. Lorsque l’action évoque en sa notion même un effet déterminé, le principe de l’action peut être qualifié par l’action et par l’effet : on peut dire ainsi que l’arbre est fleuri d’une floraison (précoce), ou fleuri de fleurs (magnifiques). Mais quand l’action n’évoque pas d’effet déterminé, son principe ne peut pas être qualifié par l’effet : on le qualifie seulement par l’action. On ne dit pas que l’arbre “ produit la fleur par la fleur ”, mais “ par production de fleurs ”. Or les verbes spirer, engendrer évoquent purement l’acte notionnel[2334] ; on ne peut donc pas dire que le Père “ spire par le Saint-Esprit ”, ni “ engendre par le Fils ”. Mais nous pouvons dire : “ le Père dit (lui-même et toutes choses) par son Verbe ”, “ Verbe ” désignant ici la Personne qui procède ; on dira tout aussi bien qu’“ il dit par une diction ”, diction désignant l’acte notionnel. C’est que dire évoque une Personne déterminée, puisqu’il signifie : produire le Verbe[2335]. Pareillement, aimer au sens notionnel signifie : produire l’Amour. Voilà pourquoi l’on peut dire que le Père aime le Fils “ par le Saint-Esprit ”.

3. Ce n’est pas seulement son Fils que le Père aime par le Saint-Esprit, mais encore lui-même et nous ; car, nous l’avons dit[2336], “ aimer ” au sens notionnel n’évoque pas seulement la production d’une personne divine, il évoque la personne produite par mode d’amour ; et l’amour dit rapport à la chose aimée. C’est pourquoi, de même que le Père dit, par le Verbe qu’il engendre, lui-même et toute créature, puisque le Verbe engendré par lui suffit à représenter le Père et toute créature[2337] ; de même aussi, il aime lui-même et toute créature par le Saint-Esprit, puisque le Saint-Esprit procède comme amour de cette bonté première en raison de laquelle le Père s’aime lui-même ainsi que toute créature[2338]. On voit aussi par là que se trouve évoqué comme en second, dans le Verbe et l’Amour procédant, un rapport à la créature, en tant que la vérité et la bonté divine est principe de la connaissance et de l’amour que Dieu a de toute créature.


 

 

QUESTION 38 — LE NOM DU SAINT-ESPRIT QUI EST “ DON ”

1. “ Don ” peut-il être un nom personnel ? 2. Est-ce un nom propre du Saint-Esprit ?

 

            Article 1 — “ Don ” peut-il être un nom personnel ?

Objections :

1. Tout nom personnel évoque une distinction en Dieu[2339]. Mais celui de don n’évoque pas de distinction en Dieu, puisque, selon S. Augustin, le Saint-Esprit, “ don de Dieu, est ainsi donné qu’il se donne lui-même en tant qu’il est Dieu ”. Par conséquent “ le don ” n’est pas un nom personnel.

2. Aucun nom personnel ne convient à l’essence divine[2340]. Or, d’après S. Hilaire, l’essence divine est le don que le Père donne au Fils. “ Le don ” n’est donc pas un nom personnel.

3. Selon S. Damascène, il n’y a ni sujet, ni serviteur dans les Personnes divines[2341]. Mais la qualification de don évoque certaine dépendance aussi bien à l’égard de celui qui reçoit qu’à l’égard de celui qui donne. “ Le don ” n’est donc pas un nom de Personne divine.

4. “ Le don ” implique un rapport à la créature[2342]. Il s’attribue donc à Dieu dans le temps, à ce qu’il semble. Mais les noms personnels, tels ceux de Père et de Fils, s’attribuent à Dieu éternellement. Dès lors, “ le don ” n’est pas un nom personnel.

En sens contraire, “ de même, dit S. Augustin, que le corps de chair n’est pas autre chose que la chair, ainsi "le don du Saint-Esprit" n’est pas autre chose que le Saint-Esprit ”. Or “ le Saint-Esprit ”, voilà bien un nom personnel ; donc “ le don ” est aussi un nom personnel.

Réponse :

On appelle “ don ” ce qui est apte à être donné. Or, ce que l’on donne se rapporte et au donateur et au bénéficiaire ; si quelqu’un donne une chose, c’est qu’elle lui appartient ; et s’il la donne à un autre, c’est pour qu’elle appartienne désormais à cet autre. D’une Personne divine aussi, on dit qu’elle est “ d’un autre”, soit en raison de son origine, par exemple : “ le Fils du Père ”, soit parce qu’elle est en la possession d’un autre. Comment cela ? Nous possédons ce dont nous pouvons librement user ou jouir à volonté ; en ce sens, une Personne divine ne peut être possédée que par la créature raisonnable unie à Dieu. Les autres créatures peuvent bien être mues par une Personne divine : cela ne leur confère pas le pouvoir de jouir de cette divine Personne, ni d’user de son effet[2343]. Mais la créature raisonnable obtient parfois ce privilège, lorsqu’elle se met à participer du Verbe divin et de l’Amour qui procède[2344], jusqu’à pouvoir librement connaître Dieu en vérité et l’aimer parfaitement[2345]. Donc la créature raisonnable peut seule posséder une personne divine. Quant à réaliser cette possession, elle ne peut y parvenir par ses propres forces[2346] : il faut que cela lui soit donné d’en haut[2347], puisque, ce que nous tenons d’ailleurs, nous disons que cela nous est donné. Voilà comment il convient à une Personne divine d’être donnée, et d’être Don.

Solutions :

1. Dans la mesure où, dans l’expression “ Don de tel ou de tel ”, le complément nous réfère à l’origine, le terme de don y évoque bien une distinction personnelle. Cela n’empêche pas le Saint-Esprit de se donner lui-même, puisqu’il s’appartient et peut user ou mieux, jouir de lui-même. S. Augustin ne dit-il pas : “ Qu’y a-t-il d’aussi tien que toi ? ” Mais on peut dire autrement et mieux : le don doit appartenir au donateur à quelque titre ; et ce rapport d’appartenance : être à quelqu’un, ou de quelqu’un, peut se vérifier de plusieurs manières. D’abord par identité, comme dans le passage qu’on vient de citer de S. Augustin : alors le don ne se distingue pas du donateur, mais seulement de celui à qui il est donné. En ce sens, on dit que le Saint-Esprit se donne lui-même. Une chose peut aussi être appelée la chose “ de quelqu’un ”, comme sa propriété ou son esclave ; alors le don se distingue essentiellement du donateur. En ce sens, le “ don de Dieu ” est quelque chose de créé[2348]. On dit enfin : ceci est la chose “ d’un tel ”, à raison uniquement de l’origine ; ainsi nous disons : le Fils du Père, le Saint-Esprit de tous deux[2349]. Si c’est bien en ce sens qu’on rapporte le don au donateur dans l’expression Don de Dieu, le Don se distingue alors personnellement du Donateur, et Don est un nom personnel.

2. Le don doit appartenir au donateur à un titre quelconque ; parmi ces titres possibles, il y a l’identité et l’origine. Or c’est au premier de ces titres que l’essence est qualifiée de don du Père au premier des sens ci-dessus ; autrement dit, l’essence est “ du Père ” par identité.

3. En tant que nom personnel en Dieu, Don n’implique aucune dépendance : il dit pure relation d’origine au donateur[2350]. Mais par rapport à celui à qui la donation est faite, il évoque libre usage ou jouissance.

4. On parle de don sans qu’il y ait donation effective, en tant que la chose est apte à être donnée. La personne divine s’appelle donc éternellement Don, bien qu’elle soit donnée dans le temps. D’ailleurs, le fait que ce nom implique un rapport à la créature ne suffit pas à en faire un attribut essentiel ; cela suppose simplement que quelque chose d’essentiel est inclus dans sa notion, comme l’essence est incluse dans la notion de personne, on l’a vu plus haut[2351].

 

            Article 2 — “ Don ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

Objections :

1. On appelle don ce qui est donné. Or, selon Isaïe (9, 6), “ le Fils nous a été donné ”. Donc ce nom le “ Don ” convient aussi bien au Fils qu’au Saint-Esprit.

2. Tout nom propre d’une personne signifie une de ses propriétés[2352]. Mais ce nom de Don ne signifie aucune propriété du Saint-Esprit. Ce n’est donc pas un nom propre de cette Personne.

3. On l’a vu[2353] : du Saint-Esprit, on peut dire qu’il est “ l’Esprit de tel homme ”. Mais on ne peut pas dire qu’il soit le Don de tel homme, mais seulement le Don de Dieu. C’est donc que l’appellation de Don n’est pas un nom propre du Saint-Esprit.

En sens contraire, S. Augustin a dit : “ Pour le Fils, être né c’est tenir son être du Père ; de même pour le Saint-Esprit, être le Don de Dieu, c’est procéder du Père et du Fils[2354]. ” Mais si procéder du Père et du Fils procure un nom au Saint-Esprit, ce sera son nom propre. Dès lors, Don est le nom propre du Saint-Esprit.

Réponse :

Pris au sens personnel en Dieu, “ le Don ” est un nom propre du Saint-Esprit. On va s’en rendre compte par la considération suivante. D’après le Philosophe, il y a don au sens propre quand il y a donation sans retour, c’est-à-dire quand on donne sans attendre de rétribution ; “ don ” implique ainsi une donation gratuite. Or, la raison d’une donation gratuite est l’amour ; pourquoi donnons-nous gratuitement une chose à quelqu’un ? Parce que nous lui voulons du bien. Le premier don que nous lui accordons est donc l’amour, qui nous fait lui vouloir du bien[2355]. On voit donc ainsi que l’amour constitue le don premier, en vertu duquel sont donnés tous les dons gratuits.

Aussi, puisque le Saint-Esprit procède comme Amour, nous l’avons déjà dit[2356], il procède en qualité de Don premier. C’est ce que dit S. Augustin : “ Par le Don, qui est le Saint-Esprit, une multitude de dons sont distribués en propre aux membres du Christ. ”[2357]

Solutions :

1. Parce que le Fils procède comme Verbe[2358], donc, par définition, à la ressemblance de son principe, le nom d’Image est propre au Fils, bien que le Saint-Esprit, lui aussi, soit semblable au Père[2359]. De même, parce que le Saint-Esprit procède du Père comme Amour, le nom de Don est propre au Saint-Esprit, bien que le Fils aussi soit donné. Car cela même que le Fils nous soit donné provient de l’Amour du Père : “ Dieu, dit S. Jean (3,13), a tant aimé le monde qu’il lui a donne son Fils unique. ”

2. Le nom de Don dit rapport au donateur à titre d’origine. Par là il inclut la propriété d’origine du Saint-Esprit, c’est-à-dire la procession.[2360]

3. Avant qu’un don soit donné, il n’appartient qu’au donateur ; mais après qu’il a été donné, il appartient à qui on l’a donné. La qualité de Don n’implique donc pas nécessairement sa donation actuelle ; et dans ces conditions, on ne peut pas l’appeler le Don de l’homme, mais seulement le Don de Dieu, c’est-à-dire du donateur. Quand il a été donné, alors il est l’Esprit ou le Don “ de l’homme ”[2361].

 

Nous avons jusqu’ici traité des Personnes divines considérées en elles-mêmes. Il nous reste à les comparer à l’essence (Q.39), aux propriétés (Q.40) et aux actes notionnels (Q.41) ; puis à les comparer entre elles (Q. 42).

 


 

 

QUESTION 39 — LA RELATION DES PERSONNES À L’ESSENCE

1. En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? 2. Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ? 3. Les noms essentiels s’attribuent-ils aux Personnes au pluriel ou au singulier ? 4. Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ? 5. Peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris abstraitement ? 6. Les noms des Personnes peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels concrets ? 7. Faut-il approprier aux Personnes les attributs essentiels ? 8. Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ?

 

            Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ?

Objections :

1. Quand l’essence est identique à la personne ou suppôt, il n’y a qu’un suppôt pour une nature ; on le voit dans toutes les substances séparées[2362]. Car, lorsque deux choses sont réellement identiques, l’une ne peut se multiplier sans que l’autre se multiplie aussi. Or, en Dieu, il y a une essence et trois Personnes, on l’a vu plus haut[2363]. L’essence n’est donc pas identique à la personne.

2. Le oui et le non ne se vérifient pas simultanément du même sujet. Or de l’essence et de la personne on vérifie le oui et le non : la personne est distincte et multiple, l’essence ne l’est pas. Donc personne et essence ne sont pas identiques.

3. Rien n’est sujet de soi-même. Or la personne est sujet de l’essence : d’où son nom de “ suppôt ” ou “ hypostase ”[2364]. La personne n’est donc pas identique à l’essence.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Quand nous disons : la personne du Père, nous ne désignons pas autre chose que : la substance du Père. ”

Réponse :

Pour peu que l’on considère la simplicité de Dieu, la réponse à notre question ne fait pas l’ombre d’un doute. On l’a montré plus haut, en effet[2365] : la simplicité divine exige qu’en Dieu essence et suppôt soient identiques ; suppôt qui, dans les substances intellectuelles, n’est pas autre chose que la personne[2366]

Il semble que la difficulté vienne, ici, de ce que l’essence garde son unité malgré la multiplication des personnes. Et comme, selon Boèce, c’est la relation qui multiplie les personnes dans la Trinité, certains ont jugé que la différence entre personne et essence en Dieu provenait de ce que, selon eux, les relations étaient adjointes (assistentes) à l’essence ; dans les relations en effet, ils voyaient seulement l’aspect sous lequel elles sont “ vers l’autre ”, oubliant qu’elles sont aussi des réalités.

Mais, on l’a montré plus haut[2367] : si, dans les choses créées, les relations ont un être accidentel, en Dieu elles sont l’essence divine elle-même. Il s’ensuit qu’en Dieu l’essence n’est pas réellement autre chose que la personne, bien que les personnes se distinguent réellement entre elles. Rappelons en effet[2368] que la Personne désigne la relation en tant qu’elle subsiste dans la nature divine. Or la relation, comparée à l’essence, ne s’en distingue pas réellement, mais notionnellement seulement ; comparée à la relation opposée, elle s’en distingue réellement en vertu de l’opposition relative[2369]. C’est ainsi qu’il reste une essence et trois Personnes.

Solutions :

1. Dans les créatures, la distinction des suppôts ne peut pas être assurée par des relations, il y faut des principes essentiels ; et cela, parce que, dans les créatures, les relations ne sont pas subsistantes. Mais en Dieu elles sont subsistantes[2370] ; aussi peuvent-elles distinguer les suppôts grâce à leur opposition mutuelle. Et pourtant l’essence demeure indivisée, parce que, sous l’aspect où elles s’identifient réellement à l’essence, les relations elles-mêmes ne se distinguent pas entre elles.

2. En tant que l’essence et la personne, même en Dieu, nous présentent des aspects intelligibles distincts[2371], on peut affirmer de l’une ce qu’on nie de l’autre ; et par suite l’une peut être sujet d’une attribution vraie sans que l’autre le soit.

3. On l’a dit plus haut[2372] : nous nommons les choses divines à la manière des choses créées. Or, les natures du monde créé sont individuées par la matière, laquelle est en effet sujet récepteur de la nature spécifique[2373] ; de là vient que les individus prennent les noms de sujets, suppôts, hypostases[2374]. Voilà aussi pourquoi même les personnes divines reçoivent ces noms de suppôts ou hypostases, bien que dans leur cas il n’y ait pas distinction réelle entre le sujet et ce dont elles sont le sujet[2375].

 

            Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

Objections :

1. S. Hilaire dit que le Père, le Fils et le Saint-Esprit “ sont trois par la substance, un par leur harmonie ”. Or la substance de Dieu est son essence[2376]. Les trois Personnes ne sont donc pas “ d’une seule essence ”.

2. Selon Denys, on ne doit rien affirmer de Dieu, qui n’ait été formulé authentiquement par la Sainte Écriture[2377]. Or la Sainte Écriture n’a jamais dit expressément que le Père, le Fils et le Saint-Esprit “ sont d’une seule essence ”. Il ne faut donc pas le dire.

3. La nature divine, c’est l’essence[2378]. Il suffisait donc de dire que les trois Personnes sont d’une seule nature.

4. Il n’est pas d’usage de rapporter la personne à l’essence, en disant : “ la personne de telle essence ” ; mais on rapporte plutôt l’essence à la personne, en disant : “ l’essence de telle personne ”[2379]. Il semble donc pareillement contraire à l’usage de dire : “ trois Personnes d’une seule essence ”.

5. Selon S. Augustin, nous évitons de dire que les trois Personnes sont ex una essentia (“ à partir d’une seule essence ”) de peur de donner à penser qu’en Dieu l’essence est autre chose que la personne[2380]. Mais si les prépositions évoquent un passage et une distinction, il en est de même du génitif. Il faut donc, pour la même raison, s’abstenir de l’expression : tres personae sunt unius essentiae (d’une seule essence).

6. En parlant de Dieu, il faut éviter ce qui peut être occasion d’erreur[2381]. Mais notre formule peut être occasion d’erreur. S. Hilaire écrit en effet : “ Parler de "l’unique substance du Père et du Fils", c’est évoquer ou bien un subsistant qui porte deux noms, ou bien une substance qui a fourni deux substances imparfaites, ou bien une tierce substance préalable qui aurait été prise et assumée par les deux autres.[2382] ” Il ne faut donc pas dire que les trois personnes sont “ d’une seule essence ”.

En sens contraire, “ le mot homoousion, dit S. Augustin, mot qui fut approuvé contre les ariens au Concile de Nicée, signifie que les trois Personnes sont d’essence unique ”.

Réponse :

On l’a dit plus haut[2383], notre intellect ne nomme pas les choses divines selon leur mode à elles, faute de pouvoir les connaître ainsi ; il les nomme selon le mode rencontré dans les créatures. Or, dans les choses sensibles où notre intellect puise sa connaissance, la nature d’une espèce donnée est individuée par la matière ; la nature tient ainsi le rôle d’une forme, et l’individu celui de sujet ou suppôt de la forme[2384]. Voilà pourquoi même en Dieu (il s’agit ici de notre mode de signifier) l’essence tient le rôle d’une forme des trois Personnes. Or, quand il s’agit des choses créées, notre langage rapporte toute forme à son sujet : la forme “ de celui-ci ”. On parle ainsi de la santé, de la beauté “ de tel homme ”. Mais on ne rapporte à la forme le sujet qui la possède que si la forme est accompagnée d’un adjectif qui la détermine. On dit ainsi : “ cette femme est d’une beauté remarquable ”, “ cet homme est d’une vertu accomplie ”. De même donc, puisqu’en Dieu il y a multiplication des personnes sans multiplication de l’essence[2385], nous dirons : “ l’unique essence des trois Personnes ”, en prenant ces génitifs comme des déterminations de la forme.

Solutions :

1. Dans ce texte de S. Hilaire, “ substance ” est pris au sens d’hypostase, et non d’essence[2386].

2. Il est exact que l’expression “ trois Personnes d’une seule essence ” ne se trouve pas textuellement dans l’Écriture. Cependant, on y trouve bien ce qu’elle signifie, par exemple en ce passage (Jn 10, 30) : “ Mon Père et moi sommes un ” ; et dans cet autre (Jn 10, 38 ; 14, 10) : “ Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi. ” Beaucoup d’autres passages pourraient être allégués.

3. La nature désigne le principe d’action, mais “ l’essence ” se rapporte à l’être[2387]. Aussi, quand nous parlons de choses qui ont en commun une même action, par exemple de tout ce qui échauffe, on peut dire qu’elles sont de même nature, mais on ne peut dire qu’elles sont d’une seule essence que si c’est leur être qui est un. Donc, en disant que les trois Personnes ont la même essence, on exprime mieux l’unité divine qu’en disant “ la même nature”.

4. Il est d’usage de rapporter au sujet la forme tout court[2388] : “ le courage de Pierre ”. Mais on ne rapporte le sujet à la forme, que si l’on veut en déterminer la forme ; il faut alors deux génitifs : un pour signifier la forme, un autre pour signifier sa détermination. On dira ainsi : “ Pierre est d’un courage incomparable. ” Ou bien il faut un génitif qui en vaille deux ; on dit : “ C’est un homme de sang ”, c’est-à-dire qui verse beaucoup de sang. Donc, puisque nous signifions l’essence divine comme une forme pour la personne, il est correct de dire : “ l’essence de cette personne” ; mais l’inverse est incorrect, à moins d’ajouter un mot déterminant l’essence : “ le Père est une Personne d’essence divine ”, ou bien : “ les trois Personnes sont une seule essence ”.

5. Les prépositions ex ou de n’introduisent pas une cause formelle, mais une cause efficiente ou matérielle. Or ces dernières causes sont toujours distinctes de leur effet ; car rien n’est sa propre matière[2389], rien non plus n’est son propre principe actif[2390]. Au contraire, une chose donnée peut être sa propre forme, comme on le voit dans tous les êtres immatériels[2391]. Dès lors, quand on dit : “ tres Personae unius essentiae ”(trois Personnes d’une seule essence), signifiant ainsi l’essence d’une forme, on ne présente pas l’essence comme distincte de la personne ; au contraire on le ferait, si l’on disait : “ tres Personae ex eadem essentia ”(trois Personnes provenant de la même essence).

6. S. Hilaire a dit : “ On ferait gravement tort aux choses sacrées, si, sous prétexte que certains ne les tiennent pas pour sacrées, il fallait les laisser disparaître. On comprend mal homoousion ? Peu m’importe, à moi qui l’entends correctement. ” Et plus haut : “ Disons la substance “ une ” parce que l’engendré reçoit la propre nature du Père, mais non pas parce qu’il y aurait partage, union ou communion ” (à une substance préalable)[2392].

 

            Article 3 — Les noms essentiels s’attribuent-ils aux Personnes au pluriel ou au singulier ?

Objections :

1. Attribués aux trois Personnes, les noms essentiels tels que “ Dieu ” doivent, semble-t-il, se mettre au pluriel et non au singulier. De même, en effet, que le terme “ homme ” évoque un sujet possédant l’humanité, ainsi “ Dieu ” évoque un sujet possédant la déité. Or les trois Personnes sont trois possesseurs de la déité. Les trois Personnes sont donc trois Dieux.

2. Lorsque la Vulgate dit : “ Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ”, l’original hébreu porte Elohim, qu’on peut traduire “ les dieux ” ou “ les juges ” ; et ce pluriel vise la pluralité des Personnes. Les trois Personnes sont donc plusieurs dieux, et non pas un seul Dieu.

3. Le mot res pris absolument paraît appartenir au genre substance[2393]. Or, attribué aux Personnes, il se met au pluriel ; S. Augustin écrit, par exemple : “ Les res dont nous devons jouir sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit. ” On pourra donc mettre au pluriel les autres noms essentiels, quand on les attribue aux trois Personnes.

4. De même que le mot Dieu signifie : ce qui possède la déité, ainsi le mot personne signifie : ce qui subsiste en une nature intellectuelle quelconque[2394]. Or on dit : “ Trois Personnes ” ; nous pouvons pareillement dire : trois dieux.

En sens contraire, il est écrit (Dt 6, 4) : “ Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est un seul Dieu. ”

Réponse :

Parmi les noms essentiels, il en est qui signifient l’essence sous forme de substantifs, d’autres sous forme d’adjectifs. Les substantifs essentiels attribués aux trois Personnes se mettent au singulier, et non au pluriel. Tandis que les adjectifs attribués aux trois Personnes se mettent au pluriel. En voici la raison.

Les substantifs désignent ce qu’ils signifient comme une substance, tandis que les adjectifs le désignent comme un accident, c’est-à-dire comme une forme inhérente à un sujet[2395]. Or, la substance a unité ou pluralité par soi, comme elle a l’être par soi[2396] ; c’est pourquoi le substantif prend le singulier ou le pluriel suivant la forme qu’il signifie. Tandis que l’accident, qui a l’être dans un sujet, reçoit aussi du sujet son unité ou sa pluralité[2397] ; par suite, dans les adjectifs, le singulier ou le pluriel se prend des suppôts.

Dans les créatures, il est vrai, on ne rencontre de forme unique en plusieurs suppôts que dans le cas d’une unité d’ordre, comme la forme d’une multitude ordonnée. De fait, les mots qui signifient ce genre de forme s’attribuent à plusieurs au singulier, s’il s’agit de substantifs, mais non pas s’il s’agit d’adjectifs. On dit ainsi que “ plusieurs hommes font un collège, une armée, un peuple ” ; tandis qu’on dit : plusieurs hommes sont “ collégiaux ”. En Dieu, nous avons dit[2398], nous signifions l’essence divine comme une forme, qui est simple et souverainement une, on l’a montré plus haut[2399]. Aussi, les substantifs qui signifient l’essence divine se mettent au singulier et non au pluriel, quand on les attribue aux trois Personnes. Et voilà pourquoi, de Socrate, Platon et Cicéron, nous disons que ce sont trois hommes, tandis que du Père, du Fils et du Saint-Esprit nous ne disons pas que ce sont “ trois dieux” mais “ un seul Dieu ”. En trois suppôts de nature humaine, il y a en effet trois humanités ; mais dans les trois Personnes, il n’y a qu’une essence divine.

Mais les adjectifs essentiels attribués aux trois se mettent au pluriel, à cause de la pluralité des suppôts. On dit qu’ils sont trois existants, trois sages, trois éternels, incréés, immenses si l’on prend ces termes comme des adjectifs. Si on les prend comme des substantifs, on dit alors que les Trois sont un Incréé, un Immense, un Éternel, comme dit S. Athanase dans le Symbole qui porte son nom.

Solutions :

1. Le mot “ Dieu ” signifie bien “ ayant la déité ”, mais avec un mode de signification différent : “ Dieu ” est un substantif, tandis que “ ayant la déité ” est un adjectif[2400]. Dès lors, il y a bien “ trois ayant la déité (étant Dieu) ” sans que pour autant il y ait “trois dieux ”.

2. Chaque langue a ses usages propres. En raison de la pluralité des suppôts, on dit en grec : “ trois hypostases[2401] ” ; en hébreu : “ Elohim ”, au pluriel. Nous, nous évitons le pluriel “ Dieux[2402] ” ou “ Substances ”, de peur qu’on ne rapporte cette pluralité à la substance ou essence.

3. Le mot res est un transcendantal[2403]. Pris au sens de relation, on le met au pluriel en Dieu ; pris au sens de substance, on le met au singulier. S. Augustin lui-même dit, à l’endroit cité : “ Cette même Trinité est une certaine "réalité" suprême. ”

4. La forme signifiée par le mot “ personne ” n’est pas l’essence ni la nature, mais la personnalité[2404]. Et puisque dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit il y a trois personnalités, c’est-à-dire trois propriétés personnelles[2405], le mot “ personne ” s’attribue aux trois non pas au singulier, mais au pluriel.

 

            Article 4 — Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ?

Objections :

1. Il le faudrait pour que la proposition “ Dieu engendre Dieu ” soit vraie ; mais cela semble impossible. En effet, au dire des logiciens, ce que signifie et ce que désigne le terme singulier coïncident. Or le mot “ Dieu ” paraît bien être un terme singulier, puisque nous avons dit[2406] qu’on ne peut l’employer au pluriel. Et puisqu’il signifie l’essence, il désigne donc aussi l’essence, et ne peut désigner la personne.

2. Quand le prédicat restreint la désignation du sujet, ce n’est pas en modifiant sa signification, mais uniquement en raison du temps connoté[2407]. Or quand on dit : “ Dieu crée ”, “ Dieu” désigne l’essence. Quand on dit : “ Dieu engendre ”, le prédicat notionnel ne peut donc faire que le sujet “ Dieu ” désigne la Personne.

3. Si la proposition “ Dieu engendre ” est vraie, parce que le Père engendre, il sera vrai pareillement que “ Dieu n’engendre pas ”, puisque le Fils n’engendre pas[2408]. Il y a donc Dieu qui engendre et Dieu qui n’engendre pas ; il semble en découler qu’il y a deux dieux.

4. Si Dieu engendre Dieu, ce dieu qu’il engendre c’est lui-même ou un autre. Or il ne s’engendre pas lui-même : rien, dit S. Augustin, ne s’engendre soi-même[2409]. Il n’engendre pas non plus un autre Dieu, car il n’y a qu’un Dieu[2410]. Donc la proposition “ Dieu engendre Dieu ” est fausse.

5. Si Dieu engendre Dieu, ce Dieu qu’il engendre ou bien est Dieu le Père, ou bien ne l’est pas. Si c’est Dieu le Père, alors Dieu le Père est engendré. Si ce n’est pas Dieu le Père, il existe donc un Dieu qui n’est pas Dieu le Père. Mais ceci est faux[2411]. C’est donc qu’on ne peut pas dire : Dieu engendre Dieu.

En sens contraire, on dit dans le Symbole : Deum de Deo “ Dieu de Dieu ”.

Réponse :

Certains ont pensé que le mot “ Dieu ” et les autres du même genre désignent l’essence proprement et par nature, mais que l’adjonction d’un terme notionnel les amène à désigner la personne. Cette opinion vient, semble-t-il, de ce qu’on a considéré les exigences de la simplicité divine ; celle-ci veut qu’en Dieu sujet et forme s’identifient : le possesseur de la déité, ou Dieu, est identiquement la déité.[2412]

Mais pour respecter la propriété des expressions, il ne suffit pas de considérer la réalité signifiée, il faut aussi tenir compte du mode de signification. Or le terme “ Dieu ” signifie l’essence divine dans un suppôt[2413], comme le terme “ homme ” signifie l’humanité dans un suppôt. Cette autre considération a conduit à une seconde opinion, qui est préférable : le terme “ Dieu ” est capable, proprement et en vertu de son mode de signification, de désigner la personne, comme le terme “ homme ”.

Tantôt donc le mot “ Dieu ” désigne l’essence, comme par exemple dans : “ Dieu crée ”, où le prédicat convient au sujet en raison de la forme signifiée : la déité. Tantôt il désigne la personne : soit une seule, par exemple dans : “ Dieu engendre ”, soit deux : “ Dieu spire ”, soit les trois ensemble : “ Au roi immortel des siècles, invisible, seul Dieu, honneur et gloire (1 Tm 1, 17). "

Solutions :

1. Le mot “ Dieu ” a bien en commun avec les termes particuliers que la forme signifiée par lui ne se multiplie pas ; mais il s’apparente aux termes communs[2414], parce que la forme signifiée se trouve en plusieurs suppôts. Il n’est donc pas nécessaire qu’il désigne toujours l’essence qu’il signifie.

2. Cette objection est valable contre ceux qui pensaient (voir la réponse[2415]) que le mot “ Dieu ” n’est utilisable pour désigner la personne que par artifice, non en vertu de sa valeur propre et naturelle.

3. Ce n’est pas de la même manière que le mot “ Dieu ” et le mot “ homme ” sont aptes à désigner la personne. La forme signifiée par le mot “homme ”, c’est-à-dire l’humanité, étant tellement divisée en des suppôts différents, ce terme désigne la personne, même sans addition qui le détermine à désigner une personne qui est un suppôt distinct. Par ailleurs, l’unité ou communauté de la nature humaine n’existe pas dans la réalité, mais seulement dans la pensée ; le terme “ homme ” ne désigne la nature commune que si le contexte l’exige, par exemple si l’on dit : “L’homme est une espèce. ” Au contraire, la forme signifiée par le mot “ Dieu ”, c’est-à-dire l’essence divine, est une et commune dans la réalité[2416] : ce terme désigne donc de soi la nature commune, et si l’on veut lui faire désigner une personne, il faut le préciser. Aussi, quand on dit : “Dieu engendre ”, le mot “ Dieu ” désigne la personne du Père, en raison de l’acte notionnel (propre au Père[2417]), qui lui est attribué. Mais quand nous disons : “ Dieu n’engendre pas ”, rien, dans le contexte ne précise qu’il s’agit de la personne du Fils, et l’on donne à entendre que la génération ne convient pas à la nature divine. Mais si l’on ajoute quelque chose, qui réfère le mot “ Dieu ” à la personne du Fils, la formule sera vraie ; par exemple : “ Dieu engendré n’engendre pas. ” La conclusion déduite dans l’argument : “ Dieu est engendrant et Dieu est non engendrant ” ne tient donc que si l’on réfère de quelque manière le mot “ Dieu ” aux personnes, si l’on dit par exemple : “ Le Père est Dieu et engendre, et le Fils est Dieu et n’engendre pas. ” Mais alors il ne s’ensuit plus qu’il y ait plusieurs dieux, puisque le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu, nous l’avons dit[2418].

4. La première branche du dilemme : “ le Père s’engendre lui-même ”, est évidemment fausse ; car le pronom réfléchi pose le même suppôt[2419] que le sujet auquel il renvoie. Qu’on ne vienne pas nous opposer le mot de S. Augustin : Deus Pater genuit alterum se. ” Car, ou bien se est un ablatif, donnant le sens suivant : “ Il engendre un Autre que lui ” ; ou bien se exerce une référence simple, évoquant ainsi une identité de nature, mais alors l’expression est impropre ; ou bien enfin c’est une locution emphatique qui signifie : “ ... engendre un autre lui-même”, c’est-à-dire “ un autre tout semblable à lui ”.

L’autre branche du dilemme est fausse, elle aussi : “ Il engendre un autre Dieu. ” Car s’il est vrai que le Fils est “ un autre que le Père ”[2420], on n’est pas autorisé à dire qu’il est “ un autre Dieu ” : ici “ autre ” fait office d’adjectif qualifiant le substantif “ Dieu ”, ce qui signifie division de la déité. Quelques théologiens pourtant concèdent la proposition : “ Il engendre un autre Dieu. ” Ils prennent là “ un autre ” pour un substantif auquel “ Dieu ” ferait apposition, autrement dit : “ ... un autre qui est Dieu ”. Mais c’est alors une manière impropre de parler, et qu’il faut éviter pour ne pas donner occasion d’erreur[2421].

5. La première branche de ce nouveau dilemme, à savoir : “ Dieu engendre un Dieu qui est Dieu le Père ”, est fausse : car “ le Père ”, mis en apposition à “ Dieu ”, restreint ce terme à désigner la personne du Père. Le sens est donc : “ Dieu engendre un Dieu qui est le Père en personne ”, c’est-à-dire que le Père serait engendré : ce qui est faux[2422]. C’est donc la négative qui est vraie : “ Dieu engendre un Dieu qui n’est pas Dieu le Père. ” Si pourtant, en ajoutant une précision supposée sous-entendue, on pouvait ne pas entendre “ Dieu le Père ” comme une apposition, ce serait l’affirmative qui serait vraie, et la négative fausse. On voudrait dire alors : “ Celui qui est Dieu, le Père, a engendré Dieu. ” Mais c’est là une exégèse forcée ; il vaut mieux nier purement l’affirmative et concéder la négative.

Prévostin, il est vrai, a rejeté les deux branches du dilemme comme fausses. Voici la raison qu’il en donne : dans l’affirmation, le relatif “ qui ” peut évoquer simplement le suppôt ; mais dans la négation, il évoque à la fois forme et suppôt. L’affirmative de notre dilemme signifie ainsi qu’il convient à la personne du Fils d’être Dieu le Père ; et la négative refuse non seulement à la personne du Fils, mais même à sa déité, d’être Dieu le Père. A vrai dire, cette manière de voir ne paraît pas fondée en raison : au dire du Philosophe, ce qui peut faire objet d’affirmation, peut aussi faire objet de négation.

 

            Article 5 — Les termes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris abstraitement ?

Objections :

1. Il semble que les noms essentiels exprimés sous forme abstraite[2423] peuvent suppléer pour la Personne, et que par exemple l’expression : “ l’Essence engendre l’essence ” est vraie. S. Augustin écrit en effet : “Le Père et le Fils sont une seule sagesse, car ils sont une seule essence ; et considérés en leur distinction mutuelle, ils sont sagesse de sagesse, comme ils sont essence d’essence. ”

2. Quand nous sommes engendrés ou dissous, il y a génération ou dissolution de ce qui est en nous. Mais le Fils est engendré[2424] ; et l’essence divine est en lui[2425]. Donc, semble-t-il, l’essence divine est engendrée.

3. Dieu est son essence divine, ainsi qu’on l’a montré[2426]. Or on a dit que la proposition “ Dieu engendre Dieu ” est vraie. Celle-ci l’est donc aussi : “ L’Essence engendre l’essence. ”

4. Si un attribut peut être dit d’un sujet, il peut servir à le désigner. Mais le Père est l’essence divine[2427]. Donc l’essence peut désigner la personne du Père : et ainsi l’Essence engendre.

5. L’essence est une réalité engendrante, car elle est le Père[2428], et celui-ci est l’engendrant[2429]. Donc, si l’essence n’engendre pas, elle sera une réalité engendrante et non engendrante : chose impossible.

6. S. Augustin dit que le Père est le principe de toute la déité[2430]. Or il n’est principe qu’en engendrant ou en spirant[2431]. Donc le Père engendre ou spire la déité.

En sens contraire : “ Rien ne s’engendre soi-même ”[2432], dit S. Augustin. Or, si l’essence engendre l’essence, elle s’engendre elle-même, puisqu’il n’y a rien en Dieu qui se distingue de l’essence divine. Donc l’essence n’engendre pas l’essence.

Réponse :

Sur ce point, l’abbé Joachim est tombé dans l’erreur ; il affirmait que, si l’on dit : “ Dieu engendre Dieu ”, on peut tout aussi bien dire “ L’Essence engendre l’essence. ” Il considérait, en effet, qu’en raison de la simplicité divine, Dieu n’est pas autre chose que l’essence divine[2433]. En cela, il s’abusait ; car pour s’exprimer avec vérité, il ne suffit pas de considérer les réalités signifiées par les termes, il faut aussi tenir compte de leur mode de signification, nous l’avons dit[2434]. Or, s’il est bien vrai qu’en réalité “ Dieu est sa déité ”, il reste que le mode de signifier n’est pas le même pour ces deux termes. Le terme “ Dieu ” signifie l’essence divine dans son sujet ; et ce mode de signifier lui donne une aptitude naturelle à désigner la personne. Ce qui est propre aux personnes peut ainsi s’attribuer au sujet “ Dieu ”, et l’on peut dire : “ Dieu est engendré ou engendre ”, comme on l’a vu précédemment[2435]. Mais le terme d’essence ne possède pas, par son mode de signifier, d’aptitude à désigner la personne, car il signifie l’essence comme une forme abstraite[2436]. C’est pourquoi les propriétés des personnes, c’est-à-dire ce qui les distingue mutuellement, ne peuvent pas être attribuées à l’essence ; car on signifierait ainsi qu’il y a distinction dans l’essence comme entre les suppôts.

Solutions :

1. Pour exprimer l’unité entre l’essence et la personne, les saints Docteurs ont parfois forcé leurs expressions au-delà des limites requises pour la propriété du langage. De pareilles formules ne sont pas à généraliser, mais plutôt à expliquer ; c’est-à-dire qu’on expliquera les termes abstraits par des termes concrets, ou même par des noms personnels. Ainsi la formule “ essence d’essence ” ou “ sagesse de sagesse ” doit s’entendre comme suit : “ Le Fils qui est l’essence et la sagesse, procède du Père qui est l’essence et la sagesse. ” Dans ces termes abstraits, on peut d’ailleurs noter un certain ordre : ceux qui ont trait à l’action ont plus d’affinité avec les personnes, puisque les actes appartiennent aux suppôts[2437]. L’expression : “ nature de nature ”, et cette autre : “ sagesse de sagesse ”, sont donc moins impropres que “ essence d’essence ”.

2. Dans les créatures, l’engendré ne reçoit pas la nature même, numériquement identique, que possède l’engendrant ; il en reçoit une, numériquement distincte, qui, par la génération, commence d’exister en lui à nouveau, et cesse d’exister par la dissolution ; ainsi la nature est engendrée et corrompue par accident. Mais Dieu engendré possède la nature même, numériquement la même, que possède l’engendrant[2438] ; la nature divine n’est donc pas engendrée dans le Fils, ni par soi, ni par accident.

3. Certes, “ Dieu ” et “ la divine essence ”, c’est tout un en réalité[2439]. Cependant, en raison du mode de signifier différent de chacun de ces termes[2440], il faut parler différemment de l’un et de l’autre.

4. L’essence divine s’attribue au Père par identité, à cause de la simplicité divine[2441]. Il ne s’ensuit pas qu’elle puisse désigner le Père ; cela tient au mode de signifier qui est différent d’un terme à l’autre[2442]. La majeure de l’argument vaudrait s’il s’agissait d’attribuer un universel à son particulier.

5. Entre substantif et adjectif, il y a cette différence que les substantifs comprennent dans leur signification même le sujet auquel ils se rapportent, tandis que les adjectifs rapportent ce qu’ils signifient à un substantif sujet[2443]. D’où cette règle des logiciens : les substantifs font office de sujets, les adjectifs sont rattachés au sujet. Les substantifs personnels peuvent donc être attribués à l’essence en raison de l’identité réelle entre essence et personne[2444], sans que du même coup la propriété personnelle introduise sa distinction dans l’essence[2445] ; elle s’applique au suppôt compris dans le substantif. Mais les adjectifs notionnels et personnels ne peuvent s’attribuer à l’essence que s’ils sont accompagnés d’un substantif. On ne peut pas dire : “ L’essence est engendrante ” ; mais on dira : “l’essence est une réalité engendrante, l’essence de Dieu engendrant ”, pour que “ réalité ” et “ Dieu ” désignent la Personne. Il n’y a donc pas contradiction à dire : “ L’essence est une réalité engendrante, et une réalité non engendrante ” : dans le premier membre, “ réalité ” désigne la personne ; dans le second, l’essence.

6. La déité, qui est une en plusieurs suppôts[2446], a quelque affinité avec la forme signifiée par un nom collectif[2447]. Ainsi, dans l’expression : “ Le Père est le principe de toute la déité ”, “ la déité ” peut s’entendre pour “ l’ensemble des Personnes ” ; et l’on veut dire que, entre toutes les Personnes divines, c’est le Père qui est le principe. Il n’est pas pour autant nécessaire qu’il soit principe de lui-même : ainsi quelqu’un est chef du peuple, sans l’être de soi-même. On peut encore dire qu’il est principe de toute la déité, non parce qu’il l’engendre ou la spire, mais parce qu’il la communique en engendrant ou en spirant[2448].

 

            Article 6 — Les noms des Personnes peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels concrets ?

Objections :

1. On ne peut pas, semble-t-il, attribuer les Personnes aux noms essentiels concrets, par exemple de dire : “ Dieu est les trois Personnes ”, ou “ Dieu est la Trinité ”. En effet, la proposition : “ L’homme est tout homme ” est fausse, car elle n’est vérifiée d’aucun des suppôts du sujet “ homme ”[2449] : Socrate n’est pas tout homme, Platon non plus, ni aucun autre. Or il en est de même de la proposition : “ Dieu est la Trinité ” : elle ne se vérifie d’aucun des suppôts de la nature divine. En effet, le Père n’est pas la Trinité ; le Fils non plus ; et pas davantage le Saint-Esprit. Donc la proposition : “ Dieu est la Trinité ” est fausse.

2. Dans la table de Porphyre [classification logique des êtres], on n’attribue pas les termes inférieurs à leurs supérieurs, sauf par attribution accidentelle, comme lorsqu’on dit : “ L’animal est homme ” ; il est, en effet, accidentel à l’animal comme tel d’être homme. Or, selon Damascène, le mot “Dieu” est aux trois Personnes comme un terme supérieur vis-à-vis de ses inférieurs[2450]. Il semble bien que les noms des Personnes ne peuvent pas être attribués au sujet “ Dieu ”, sinon dans un sens accidentel.

En sens contraire, un sermon attribué à S. Augustin déclare : “ Nous croyons que le Dieu unique est une Trinité de nom divin. ”

Réponse :

On l’a dit à l’article précédent[2451], alors que les adjectifs personnels ou notionnels ne peuvent pas s’attribuer à l’essence, les substantifs le peuvent en raison de l’identité réelle entre l’essence et la personne. Or, l’essence divine est réellement identique aux trois Personnes, et pas seulement à l’une d’entre elles[2452]. On peut donc aussi bien attribuer à l’essence une Personne, ou deux, ou trois, et dire par exemple : “ l’essence est le Père, le Fils et le Saint-Esprit ”. En outre, on a dit que le mot “ Dieu ” est de soi apte à désigner l’essence. Et puisque la proposition : “ L’essence est les trois Personnes ” est vraie, celle-ci doit l’être également : “ Dieu est les trois Personnes. ”

Solutions :

1. Comme on l’a dit plus haut, le terme “homme ” désigne de soi la personne, quoique le contexte puisse lui donner de désigner la nature commune. La proposition : “ l’homme est tout homme ” est donc fausse, parce qu’elle ne peut se vérifier d’aucun suppôt humain. Mais le terme “ Dieu ” désigne de soi l’essence[2453] ; et par suite, bien que la proposition “ Dieu est la Trinité ” ne se vérifie pour aucun suppôt de nature divine, elle se vérifie pour l’essence. C’est faute de considérer ce point de vue que Gilbert de la Porrée a nié cette proposition.

2. La proposition : “ Dieu ou l’essence divine est le Père ”, est une attribution par identité, mais elle ne rentre pas dans le cas type de l’attribution d’un terme inférieur à son universel supérieur ; car en Dieu il n’y a ni universel, ni particulier[2454]. Dès lors, puisque la proposition : “ le Père est Dieu ” est vraie par soi, la proposition réciproque : “ Dieu est le Père ” est également vraie “ par soi ” et d’aucune façon “ par accident ”.

 

            Article 7 — Faut-il approprier les noms essentiels aux Personnes ?

Objections :

1. Lorsqu’il s’agit de Dieu, on doit éviter tout ce qui peut être occasion d’erreur pour la foi ; S. Jérôme l’a bien dit : des formules insuffisamment pesées font encourir l’hérésie. Or, approprier à une Personne ce qui est commun aux trois, peut être occasion d’erreur pour la foi ; car on pourra penser que cet attribut ne convient qu’à la Personne à qui on l’approprie, ou qu’il lui convient davantage qu’aux autres[2455]. Il ne faut donc pas approprier aux Personnes les attributs essentiels.

2. Exprimés à l’abstrait, les attributs essentiels sont signifiés comme des formes[2456]. Mais le rapport d’une personne à une autre n’est pas celui d’une forme à son sujet ; forme et sujet ne font pas deux suppôts[2457]. Il ne faut donc pas approprier aux Personnes les attributs essentiels, surtout quand on les exprime sous forme abstraite.

3. Le terme propre précède logiquement le terme approprié, car “ propre ” sert à définir “ approprié ”. Mais ce sont au contraire les attributs essentiels qui précèdent les personnes dans notre manière de penser Dieu, de même que la notion commune précède la notion propre[2458]. On ne devrait donc pas approprier les attributs essentiels.

En sens contraire, l’Apôtre a dit (1 Co 1, 24) : “ Le Christ, force de Dieu et sagesse de Dieu. ”

Réponse :

Pour manifester ce mystère de la foi, il convenait d’approprier aux Personnes les attributs essentiels. En effet, si, comme on l’a dit[2459], la Trinité des personnes ne peut être établie par voie de démonstration, il convient pourtant d’en éclairer le mystère par des moyens plus accessibles à la raison que le mystère lui-même. Or, les attributs essentiels sont davantage à la portée de notre raison que les propriétés personnelles, puisque, à partir des créatures, dont nous tirons toute notre connaissance, nous pouvons aboutir avec certitude à la connaissance des attributs essentiels[2460], nullement à celle des attributs personnels, comme il a été dit[2461]. De même donc que nous recourons aux analogies du vestige et de l’image, découvertes dans les créatures[2462], pour manifester les Personnes divines, de même aussi nous recourons aux attributs essentiels. Manifester ainsi les Personnes au moyen des attributs essentiels, c’est ce qu’on nomme appropriation.

Recourir ainsi aux attributs essentiels pour manifester les Personnes divines, peut se faire de deux manières. La première procède par voie de ressemblance : par exemple, au Fils qui, en tant que Verbe, procède intellectuellement[2463], on approprie les attributs concernant l’intelligence. L’autre procède par voie de dissemblance : on approprie ainsi la puissance au Père, selon S. Augustin, parce que les pères, en ce bas monde, souffrent ordinairement des infirmités de la vieillesse, et l’on entend écarter tout soupçon de pareilles faiblesses en Dieu[2464].

Solutions :

1. Quand nous approprions les attributs essentiels aux Personnes, nous n’entendons pas les déclarer propriétés personnelles[2465] ; nous cherchons seulement à manifester les Personnes en faisant valoir des analogies ou des différences. Il n’en résulte donc aucune erreur pour la foi, mais bien plutôt une manifestation de la vérité.

2. Certes, si l’on appropriait les attributs essentiels de manière à en faire des propriétés des Personnes, il s’ensuivrait qu’une personne ferait pour l’autre office de forme[2466] : S. Augustin a repoussé cette erreur, en montrant que le Père n’est point sage de la sagesse qu’il engendre comme si le Fils seul était la sagesse, comme si l’attribut “ sage ” ne convenait pas au Père considéré sans le Fils, mais seulement au Père et au Fils pris ensemble. En vérité, si le Fils est appelé sagesse du Père, c’est qu’il est sagesse issue de la sagesse du Père : chacun d’eux est sagesse par soi, et tous deux ensemble ne font qu’une sagesse. Le Père n’est donc point sage par la sagesse qu’il engendre, mais par la sagesse qui est son essence[2467].

3. Dans l’ordre de notre pensée, l’attribut essentiel considéré comme tel précède en effet la Personne ; mais rien n’empêche que, considéré comme approprié, il présuppose la propriété personnelle. Ainsi la notion de couleur présuppose celle d’étendue, en tant que telle ; et pourtant la couleur est présupposée en nature à l’étendue blanche, en tant que blanche.

 

            Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ?

Objections :

1. Il semble que les saints Docteurs ont attribué aux Personnes ces attributs essentiels d’une manière inacceptable. Car S. Hilaire dit : “ L’éternité est dans le Père, la beauté dans l’Image, la jouissance dans le Présent. ” Cette formule évoque les Personnes sous les trois noms propres de “ Père, d’Image ” (nom propre du Fils[2468]) et de “ Présent ”, c’est-à-dire “ Don ” (nom propre du Saint-Esprit, comme on l’a vu précédemment[2469]). Et elle leur approprie trois attributs : au Père, l’éternité ; au Fils, la beauté ; au Saint-Esprit, la jouissance. Voilà qui semble mal fondé. En effet, l’éternité évoque la durée de l’être[2470] ; la species (beauté) est un principe de l’être[2471] ; la jouissance relève de l’opération[2472]. Or, où a-t-on rencontré l’essence ou l’opération appropriées à une Personne ? L’appropriation ci-dessus ne convient donc pas.

2. S. Augustin écrit : “ Dans le Père, est l’unité ; dans le Fils, l’égalité ; dans le Saint-Esprit, l’harmonie de l’unité et de l’égalité. ” Or cela aussi fait difficulté. Une Personne ne peut pas être formellement qualifiée par ce qui appartient en propre à une autre ; ainsi, disions-nous plus haut[2473], le Père n’est point sage de la sagesse engendrée. Mais S. Augustin poursuit : “ Ces Trois sont un tous les trois, à cause du Père ; égaux tous les trois, à cause du Fils ; unis tous les trois, à cause du Saint-Esprit. ” C’est donc à tort qu’il a approprié ces attributs aux Personnes.

3. Selon S. Augustin aussi, la puissance s’attribue au Père, la sagesse au Fils, la bonté au Saint-Esprit. Cette appropriation ne paraît pas non plus très heureuse ; car la force appartient à la puissance : or la force se trouve appropriée au Fils par S. Paul qui parle du “ Christ, force de Dieu ” ; voire au Saint-Esprit par S. Luc (6,19) : “ Une force, dit-il, sortait de lui, et les guérissait tous. ” La puissance ne doit donc pas s’approprier au Père.

4. S. Augustin dit encore : “ Il ne faut pas entendre indistinctement la formule de l’Apôtre : "De lui, et par lui, et en lui" ; il dit "de lui" à cause du Père ; "par lui" à cause du Fils ; "en lui" à cause du Saint-Esprit. ” Or cette appropriation ne paraît pas non plus convenir ; l’expression “ en lui ” semble évoquer le rôle de cause finale[2474], c’est-à-dire de la première des causes ; elle devrait donc être appropriée au Père, qui est le principe sans principe.

5. La vérité se trouve appropriée au Fils, en S. Jean (14, 6) : “Je suis la voie, la vérité et la vie. ” On approprie aussi au Fils le “ Livre de vie ” ; la Glose explique ainsi ce verset du Psaume 40, 8 : “ En tête du livre, il est écrit de moi ; c’est-à-dire dans le Père, qui est ma tête. ” Au Fils encore, on approprie le nom divin : “ Celui qui est ”. Car, sur ce mot d’Isaïe (65, 1 Vg) : “ Je m’adresse aux nations ”, la Glose note : “ C’est le Fils qui parle, lui qui disait à Moïse : "Je suis Celui qui suis." ”

Mais il semble que ce soient là des propriétés[2475] du Fils, et non pas de simples appropriations. En effet, selon S. Augustin, “ la Vérité est la suprême similitude du principe, sans la moindre différence ”[2476] ; et il semble que cela convienne en propre au Fils, qui a un principe. Le “ Livre de vie ”, lui aussi, paraît être un attribut propre, car il évoque un être qui procède[2477] d’un autre : tout livre a un auteur. Même le nom divin “ Celui qui est ” semble propre au Fils. Admettons en effet que ce soit la Trinité qui dise à Moïse : “ Je suis Celui qui suis ”, Moïse pouvait alors dire aux Hébreux : “ Celui qui est Père, Fils et Saint-Esprit m’envoie vers vous. ” Donc, il pouvait aller plus loin et dire la même chose en désignant spécialement une des Personnes. Mais il eût dit une fausseté, car aucune personne n’est Père, Fils et Saint-Esprit[2478]. Donc, le nom divin “ Celui qui est ” ne peut pas être commun[2479] à la Trinité : c’est un attribut propre au Fils.

Réponse :

C’est à partir des créatures que notre esprit s’achemine à la connaissance de Dieu[2480] ; et pour considérer Dieu, il nous faut bien emprunter les procédés de pensée que nous imposent les créatures. Or, quand nous considérons une créature quelconque, quatre aspects s’offrent successivement à nous. D’abord on considère la chose en elle-même et absolument, comme un certain être. Puis on la considère en tant qu’une. Ensuite on y considère son pouvoir d’agir et de causer. Enfin on envisage ses relations avec ses effets. La même et quadruple considération s’offre donc à nous à propos de Dieu.

C’est de la première de ces considérations celle qui envisage Dieu absolument en son être que relève l’appropriation d’Hilaire, où l’on approprie l’éternité au Père, la beauté au Fils, la jouissance au Saint-Esprit. En effet, l’éternité, en tant qu’elle signifie l’être sans commencement[2481], offre une analogie avec la propriété du Père, principe sans principe[2482]. La species ou beauté offre de son côté une analogie avec la propriété du Fils. Car la beauté requiert trois conditions. D’abord l’intégrité ou perfection : les choses tronquées sont laides par là même. Puis les proportions voulues ou harmonie. Enfin l’éclat : des choses qui ont de brillantes couleurs, on dit volontiers qu’elles sont belles.

Or, la première de ces conditions offre une analogie avec cette propriété du Fils de posséder en lui vraiment et parfaitement la nature du Père, en tant qu’il est Fils[2483]. S. Augustin l’insinue quand il dit : “ En lui, c’est-à-dire dans le Fils, est la vie suprême et parfaite. ”

La deuxième condition répond à cette autre propriété du Fils, d’être l’image expresse du Père[2484]. Aussi voyons-nous qualifier de “beau ” tout portrait qui représente parfaitement le modèle, celui-ci fût-il laid. Augustin en touche un mot quand il note : “ Lui, en qui est une si haute ressemblance et la suprême égalité... ”

La troisième condition s’accorde avec la troisième propriété du Fils, Verbe parfait, “ lumière et splendeur de l’intelligence ”[2485], comme dit Damascène. S. Augustin y touche aussi lorsqu’il dit : “ En tant que Verbe parfait et sans défaut, art en quelque sorte du Dieu tout-puissant... ”

Enfin l’usus (usage) ou jouissance offre une analogie avec les propriétés du Saint-Esprit, à condition de prendre usus au sens large, comme le verbe uti peut comprendre frui dans ses cas d’espèce ; saint Augustin dit ainsi qu’uti (user), c’est “ prendre quelque chose à sa libre disposition ”, et que frui (jouir), c’est “ user avec joie. ” En effet, l’“ usage ” dans lequel le Père et le Fils jouissent l’un de l’autre, s’apparente à cette propriété du Saint-Esprit : l’Amour. “ Cette dilection, écrit S. Augustin, cette délectation, cette félicité ou béatitude[2486], Hilaire lui donne le nom d’usus. ” Quant à l’“ usage ” dont nous jouissons, nous, il répond à cette autre propriété du Saint-Esprit : le Don de Dieu[2487]. “ Dans la Trinité, dit encore S. Augustin, le Saint-Esprit est la suavité du Père et du Fils, suavité qui s’épanche en nous et dans les créatures, avec une immense largesse et surabondance. ”[2488] Et l’on voit dès lors pourquoi “ éternité, beauté ” et “ jouissance ” sont attribuées aux Personnes, à la différence des attributs “ essence ” et “ opération ”[2489]. Car ceux-ci ont une définition trop générale pour qu’on puisse y dégager un aspect qui offre des analogies avec les propriétés des Personnes.

La deuxième considération touchant Dieu est celle de son unité. A ce point de vue se rapporte l’appropriation de S. Augustin, qui attribue au Père l’unité, au Fils l’égalité, au Saint-Esprit l’harmonie ou union. Chacun de ces trois aspects implique l’unité, mais diversement. L’unité se pose absolument, sans rien présupposer. Aussi est-elle appropriée au Père, qui ne présuppose aucune autre personne, étant principe sans principe[2490]. Tandis que l’égalité dit unité dans la relation à l’autre : on est égal à un autre, quand on a la même dimension que lui. Aussi l’égalité est-elle appropriée au Fils, principe issu du principe[2491]. Enfin l’union évoque l’unité des deux sujets. Aussi on l’approprie au Saint-Esprit qui procède des deux premières Personnes[2492].

Cette explication nous permet de saisir la pensée de S. Augustin, lorsqu’il dit : “ Les Trois sont un à cause du Père, égaux à cause du Fils, unis à cause du Saint-Esprit.”[2493] Il est bien clair en effet qu’un prédicat quelconque s’attribue spécialement au sujet où il se rencontre d’abord ; ainsi tous les vivants, en ce monde matériel, sont-ils tels en raison de l’âme végétative, avec laquelle commence la vie, pour les êtres corporels[2494]. Or l’unité appartient au Père d’emblée, même en supposant l’impossible exclusion des deux autres Personnes ; celles-ci tiennent donc leur unité du Père. Mais, si l’on fait abstraction des autres Personnes, on ne trouvera pas d’égalité dans le Père ; celle-ci apparaît dès qu’on pose le Fils. Aussi dit-on que tous sont égaux à cause du Fils ; non que le Fils soit principe d’égalité pour le Père, mais parce qu’on ne pourrait qualifier le Père d’“ égal ”, s’il n’y avait le Fils égal au Père. En celui-ci, l’égalité apparaît d’abord en regard du Fils ; quant au Saint-Esprit, s’il est égal au Père, il le tient du Fils[2495]. Pareillement, si l’on fait abstraction du Saint-Esprit, lien des deux, il devient impossible de concevoir l’unité de liaison entre le Père et le Fils ; aussi dit-on que tous sont liés ou “ connexes ” à cause du Saint-Esprit[2496]. En effet, dès qu’on pose le Saint-Esprit, apparaît la raison qui permet de dire du Père et du Fils qu’ils sont “ connexes ”.

La troisième considération qui envisage en Dieu sa puissance efficiente donne lieu à la troisième appropriation, celle des attributs de puissance, sagesse et bonté. Cette appropriation procède par voie d’analogie, si l’on considère ce qui appartient aux Personnes divines ; par voie de différence, si l’on considère ce qui appartient aux créatures. La puissance, en effet, évoque un principe[2497]. Par là elle s’apparente au Père céleste, principe de toute la déité[2498]. Au contraire, elle fait parfois défaut chez les pères de la terre, en raison de leur vieillesse. La sagesse s’apparente au Fils qui est dans les cieux, car il est le Verbe, c’est-à-dire le concept de la sagesse[2499]. Mais elle fait parfois défaut chez les fils d’ici-bas, par manque d’expérience. Quant à la bonté, motif et objet d’amour[2500], elle s’apparente à l’Esprit divin, qui est l’Amour[2501]. Mais elle peut s’opposer à l’esprit terrestre, qui comporte une sorte de violence impulsive : Isaïe (25, 4) parle ainsi de “ l’esprit des violents, pareil à l’ouragan qui bat la muraille ”. Que la force soit appropriée parfois au Fils et au Saint-Esprit, c’est vrai[2502], mais non au sens où ce mot signifie la puissance ; c’est en cet emploi particulier du mot où l’on nomme “vertu” ou “ force” un effet de la puissance, lorsqu’on dit qu’un ouvrage est très fort.

La quatrième considération envisage Dieu par rapport à ses effets. C’est de ce point de vue qu’on approprie la triade : “ De lui, par lui, en lui. ” En effet, la préposition “ de ” introduit tantôt la cause matérielle mais celle-ci n’a rien à faire en Dieu ; tantôt la cause efficiente, laquelle convient à Dieu en raison de sa puissance active[2503]. On l’approprie donc au Père, comme la puissance. La préposition “ par ” désigne tantôt une cause intermédiaire : l’ouvrier opère par son marteau. En ce sens “ par lui ” peut être mieux qu’approprié, ce peut être une propriété du Fils : “ Par lui, tout a été fait ”, dit S. Jean. Non que le Fils soit un instrument ; mais il est le Principe issu du Principe[2504]. Tantôt “ par ” désigne la cause formelle par quoi l’agent opère : l’ouvrier, dit-on, opère par son art. En ce sens, puisque la sagesse et l’art s’approprient au Fils, on lui approprie aussi “ par lui ”. Enfin la préposition “ en ” évoque un contenant. Or, Dieu contient les choses doublement : par ses idées d’abord, car on dit que les choses existent “ en Dieu ”, en ce sens qu’elles existent dans sa pensée ; alors l’expression “ en lui ” s’approprie au Fils[2505]. Mais Dieu contient aussi les choses en ce sens que sa bonté les conserve et les gouverne en les conduisant à la fin qui leur convient[2506]. Alors “ en lui ” s’approprie au Saint-Esprit, comme la bonté. D’ailleurs, il n’y a pas lieu d’approprier au Père, principe sans principe[2507], la fonction de cause finale[2508], bien qu’elle soit la première des causes. En effet, les Personnes dont le Père est le principe ne procèdent pas en vue d’une fin[2509] : chacune d’elle est la fin ultime[2510]. Leur procession est naturelle et paraît plutôt relever de la puissance naturelle que d’un vouloir.

Quant aux autres appropriations qui font difficulté[2511] : la vérité, d’abord, puisqu’elle concerne l’intellect, nous l’avons dit[2512], s’approprie bien au Fils. Elle n’est pas cependant son attribut propre ; car on peut considérer la vérité soit dans la pensée, soit dans la réalité[2513] ; et puisque pensée et réalité (celle-ci entendue au sens essentiel) sont des attributs essentiels et non personnels, on doit en dire autant de la vérité. La définition d’Augustin alléguée ci-dessus[2514] concerne la vérité en tant qu’appropriée au Fils.

L’expression “ Livre de vie ” évoque, en son terme direct, la connaissance ; et dans son génitif, la vie. C’est en effet, nous l’avons dit[2515], la connaissance que Dieu a de ceux qui posséderont la vie éternelle. On l’approprie donc au Fils, bien que la vie s’approprie au Saint-Esprit, en tant qu’elle comporte un mouvement d’origine intérieure[2516] et apparente ainsi à cet attribut propre du Saint-Esprit : l’Amour[2517]. Quant à la condition d’“ écrit par un autre ”, cela n’appartient pas au livre en tant que livre, mais en tant qu’œuvre de l’art. L’expression n’implique donc pas d’origine, et par suite n’est pas un attribut personnel[2518] : elle s’approprie seulement à la personne.

Enfin le nom divin “ qui est ”[2519] s’approprie à la personne du Fils, non pas en vertu de sa signification propre, mais en raison du contexte : c’est-à-dire pour autant que la parole adressée par Dieu à Moïse préfigurait la libération du genre humain plus tard accomplie par le Fils. Cependant, si l’on considère la relation impliquée dans ce “ qui ”, le nom divin “ qui est ” pourrait se trouver rapporté à la personne du Fils. Alors il prendrait un sens personnel, par exemple si je dis : “ Le Fils est le "Qui est" engendré, tout comme "Dieu engendre" est un nom personnel. Mais si l’antécédent de "Qui" demeure indéterminé, "Qui est" est un attribut essentiel. ” Il est vrai encore que, dans la phrase : Iste qui est Pater, etc., le pronom iste (celui) paraît se rapporter à une personne déterminée ; mais la grammaire tient ainsi pour une personne n’importe quelle chose désignable comme du doigt, même s’il ne s’agit pas d’une personne en réalité : Cette pierre, cet âne. Aussi, toujours du point de vue grammatical, l’essence divine signifiée et posée en sujet par le mot Deus peut fort bien être désignée par le pronom iste[2520], comme dans ce texte : Iste Deus meus et glorificabo eum (Celui-ci est mon Dieu, je le glorifierai).


 

 

 

QUESTION 40 — COMPARAISON DES PERSONNES AVEC LES RELATIONS OU PROPRIÉTÉS

1. La relation est-elle identique à la Personne ? 2. Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ? 3. Si par la pensée on abstrait des personnes leurs relations, reste-t-il des hypostases distinctes ? 4. Logiquement, les relations présupposent-elles les actes des personnes, ou inversement ?

 

            Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ?

Objections :

1. De deux termes identiques, si l’un se multiplie, l’autre se multiplie en même temps. Or il arrive qu’une seule personne ait plusieurs relations : le Père, par exemple, a la paternité, et la spiration commune. Il arrive inversement qu’une relation unique subsiste en deux personnes : ainsi la spiration commune existe dans le Père et dans le Fils[2521]. La relation n’est donc pas identique à la personne.

2. Selon le Philosophe, “ rien n’est en soi-même. ” Mais la relation est dans la personne ; et ce n’est point par simple identité, car à ce titre elle serait aussi dans l’essence[2522]. Donc relation (ou propriété) et personne ne sont pas identiques en Dieu.

3. Quand deux choses sont identiques, ce qui s’attribue à l’une s’attribue à l’autre. Mais tout ce qu’on attribue à la personne n’est pas du même coup attribuable à la propriété[2523]. Nous disons bien que le Père engendre, mais nous ne disons pas que la paternité engendre ou soit engendrante. La propriété n’est donc pas identique à la personne en Dieu.

En sens contraire, selon Boèce, il n’y a pas de différence en Dieu entre ce qui est et ce par quoi il est[2524]. Or c’est par sa paternité que le Père est Père[2525]. Donc le Père est identique à la paternité. Et le même raisonnement prouverait que les autres propriétés sont identiques aux autres personnes.

Réponse :

Sur cette question, diverses opinions se sont fait jour. D’après certains, les propriétés ne sont pas les personnes. Ces théologiens ont été frappés par le mode de signification des relations, lesquelles posent leur signifié non pas dans un sujet, mais en regard d’un terme : d’où la qualification d’assistentes ou adjointes, donnée par eux aux relations, comme on l’a expliqué plus haut[2526]. Mais, considérée comme une réalité d’ordre divin, la relation est l’essence elle-même[2527] ; et cette essence est identique à la personne[2528]. La relation est donc nécessairement identique à la personne, nous l’avons montré[2529].

Selon d’autres, qui prennent cette identité en considération, les propriétés sont bien les personnes, mais elles ne sont pas dans les personnes ; en effet, ces théologiens ne posent de propriétés en Dieu que par manière de parler, nous l’avons dit[2530]. Mais nous avons montré[2531] qu’il faut bel et bien poser des propriétés en Dieu ; propriétés qu’on signifie en termes abstraits, à titre de formes, en quelque sorte, des personnes[2532], tout en étant les personnes même[2533]. Nous en disons autant de l’essence : elle est en Dieu, et pourtant elle est Dieu[2534].

Solutions :

1. Identiques en réalité, personne et propriété gardent pourtant entre elles une distinction de raison[2535] ; c’est pourquoi il peut y avoir multiplication de l’une sans l’autre. Notons cependant que la simplicité divine nous présente un double type d’identité réelle unifiant en Dieu des aspects qu’on trouve distincts dans le créé. Tout d’abord, la simplicité divine exclut la composition de matière et de forme[2536] ; c’est-à-dire qu’en Dieu l’abstrait et le concret, par exemple, la déité et Dieu s’identifient. En second lieu, la simplicité divine exclut toute composition de sujet et accident[2537], c’est-à-dire que tout attribut divin est l’essence divine : et ceci entraîne l’identité en Dieu de la sagesse et de la puissance, puisque l’une et l’autre sont l’essence divine. Or, ce double type d’identité se vérifie entre personne et propriété. D’une part, les propriétés personnelles s’identifient aux personnes comme l’abstrait au concret[2538] ; elles sont en effet les personnes subsistantes mêmes : la paternité est le Père, la filiation est le Fils, la procession est le Saint-Esprit. D’autre part, les propriétés non personnelles s’identifient aux personnes, selon cette autre loi d’identité qui fait qu’en Dieu tout attribut est l’essence. Ainsi la spiration commune est identique à la personne du Père et à la personne du Fils. Non qu’elle constitue une personne unique qui subsisterait par soi ; c’est une propriété unique en deux personnes, on l’a dit plus haut[2539].

2. Au seul titre de leur identité, on dit bien que les propriétés sont dans l’essence. Mais quand on dit qu’elles sont “ dans ” les personnes, on fait valoir, outre l’identité réelle, le mode sous lequel on les signifie, qui est celui d’une forme dans son sujet[2540]. Aussi les propriétés déterminent et distinguent les personnes, mais non pas l’essence[2541].

3. Les participes et les verbes notionnels signifient des actes notionnels ; et les actes appartiennent aux suppôts. Or, on ne signifie pas les propriétés comme des suppôts, mais comme les formes des suppôts[2542]. Ce sont donc les exigences du mode de signifier qui interdisent d’attribuer aux propriétés les participes et les verbes notionnels.

 

            Article 2 — Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ?

Objections :

1. Ce qui est simple est distinct par soi. Or les personnes sont souverainement simples[2543]. Elles sont donc distinctes par soi, et non point par leurs relations.

2. Une forme ne se distingue que par son genre[2544] ; si le blanc se distingue du noir, c’est bien selon la qualité. Or l’hypostase signifie l’individu du genre substance[2545]. Ce n’est donc pas par des relations que les hypostases peuvent se distinguer.

3. L’absolu est antérieur au relatif[2546]. Mais la distinction première est celle des personnes divines. Celles-ci ne se distinguent donc pas par des relations.

4. Ce qui présuppose une distinction ne peut pas en être le principe premier. Or, la relation présuppose la distinction (des termes corrélatifs), puisqu’elle la contient dans sa définition : l’essence du relatif consiste, dit-on, à se rapporter à l’autre. Le principe premier de distinction en Dieu ne peut donc pas être la relation.

En sens contraire, Boèce dit que seule la relation introduit une pluralité dans la Trinité des Personnes divines[2547].

Réponse :

En toute pluralité où l’on trouve un élément commun, il faut bien chercher un élément distinctif. Et puisque les trois personnes communient dans l’unité d’essence[2548], il faut nécessairement chercher quelque chose qui les distingue et fasse qu’elles soient plusieurs. Or, chez ces personnes divines il y a deux choses en quoi elles diffèrent : l’origine et la relation. Non qu’origine et relation soient réellement différentes, mais leur mode de signification n’est pas le même. On signifie l’origine comme une action : la génération, par exemple[2549] ; la relation, comme une forme[2550] : la paternité.

Certains donc, considérant que la relation suit l’acte, ont pensé qu’en Dieu les hypostases se distinguent par l’origine ; c’est-à-dire que le Père se distingue du Fils précisément parce que l’un engendre, et que l’autre est engendré. Quant aux relations ou propriétés, ce sont des conséquences manifestant la distinction des hypostases ou personnes. Ainsi, dans les créatures, les propriétés manifestent la distinction des individus, distinction procurée par les principes matériels[2551].

Mais cette opinion n’est pas soutenable, pour deux raisons. Tout d’abord, pour saisir deux choses comme distinctes, il faut en saisir la distinction par quelque chose d’intrinsèque à toutes deux, par exemple, dans les êtres créés, par la matière ou par la forme. Or, nous ne signifions pas l’origine de la chose comme un élément intrinsèque à celle-ci, mais comme une voie qui va d’une chose à l’autre : ainsi la génération se présente comme une voie qui part de l’engendrant et aboutit à l’engendré. Il est donc impossible que ces deux réalités, l’engendrant et l’engendré, se distinguent par la seule génération ; il faut saisir en l’un et en l’autre des éléments qui les distinguent l’un de l’autre. Or dans la personne divine, il n’y a rien d’autre à saisir pour l’esprit que l’essence et la relation (ou propriété) ; et puisque l’essence est commune, c’est donc par leurs relations que les personnes se distinguent entre elles[2552].

Seconde raison. N’allons pas concevoir la distinction des personnes divines comme la division d’un élément commun, car l’essence commune reste indivise[2553]. Il faut que les principes distinctifs constituent eux-mêmes les réalités qu’ils distinguent. Or, précisément, les relations (ou propriétés) distinguent ou constituent les hypostases ou personnes en étant elles-mêmes les personnes subsistantes[2554] ; ainsi la paternité est le Père, la filiation est le Fils, puisqu’en Dieu l’abstrait et le concret s’identifient[2555]. Mais il est contraire à la notion d’origine de constituer l’hypostase ou personne. Car l’origine exprimée à l’actif est signifiée comme jaillissant de la Personne, qu’elle présuppose par conséquent. Et l’origine étant exprimée au passif, la “ naissance ”, par exemple, est signifiée comme une voie vers la personne subsistante, et non comme un élément constitutif de cette personne.

Il vaut donc mieux dire que les personnes ou hypostases se distinguent par leurs relations, plutôt que par l’origine. S’il est vrai qu’elles se distinguent sous ces deux aspects, c’est pourtant d’abord et principalement par les relations, compte tenu du mode de signification[2556]. De là vient que le nom de “ Père ” signifie l’hypostase, et non seulement la propriété ; alors que celui de “ géniteur ” ou “ engendrant ” signifie seulement la propriété. En effet “ Père ” signifie la relation de paternité qui distingue et constitue l’hypostase[2557] ; alors que “ engendrant ” ou “ engendré ” signifie l’origine ou génération qui ne distingue ni ne constitue l’hypostase.

Solutions :

1. Les personnes sont les relations subsistantes mêmes[2558]. Donc quand on dit qu’elles se distinguent par leurs relations, on ne porte aucune atteinte à la simplicité des personnes divines.

2. Les personnes ne se distinguent ni dans leur être substantiel, ni en aucun attribut absolu, mais uniquement en ce qui les qualifie l’une par rapport à l’autre[2559]. Aussi la relation suffit-elle à les distinguer.

3. Plus une distinction est première, plus elle est proche de l’unité ; autrement dit, moins elle doit distinguer. La distinction des personnes divines doit être assurée par ce qui distingue le moins, donc par les relations[2560].

4. La relation présuppose la distinction des sujets, quand elle est un accident ; mais si elle est subsistante, elle ne présuppose pas cette distinction, elle l’apporte avec elle[2561]. Quand on dit que l’essence de la relation consiste à se rapporter à l’autre, cet “ autre ” désigne le corrélatif : or celui-ci n’est pas antérieur au relatif, il lui est simultané par nature[2562].

 

            Article 3 — Si par la pensée on abstrait des personnes leurs relations, reste-t-il des hypostases distinctes ?

Objections :

1. Le concept inclus dans un autre concept qui lui ajoute une différence, demeure intelligible quand on supprime cette différence. Ainsi “homme ” ajoute une différence à “ animal ” ; si l’on supprime la différence : raisonnable, il reste l’objet de pensée : animal. Or, la personne ajoute une différence à l’hypostase ; la personne, dit-on, c’est “l’hypostase distinguée par une propriété qui concerne la dignité ”[2563]. Si donc on retire de la personne la propriété personnelle, il reste l’hypostase.

2. Ce qui fait que le Père est Père, ne fait pas qu’il est quelqu’un. En effet, c’est la paternité qui fait que le Père est Père ; et si elle lui donnait aussi d’être quelqu’un, il s’ensuivrait que le Fils, faute de paternité, ne serait pas quelqu’un. Si donc, par la pensée, on ôte au Père la paternité, il lui reste d’être quelqu’un, autrement dit une hypostase. Ainsi, quand on retire à la personne sa propriété, il reste une hypostase.

3. S. Augustin écrit : “ Inengendré ” et “ Père ” ne sont pas des termes synonymes ; même si le Père n’avait pas engendré de Fils, rien n’empêcherait de l’appeler “ Inengendré ”[2564]. Mais s’il n’avait pas engendré le Fils, il n’y aurait pas en lui de paternité. On voit donc que, sans la paternité, l’hypostase du Père demeure sous la détermination d’Inengendré.

En sens contraire, S. Hilaire dit : “ Le Fils n’a que cela en propre : d’être né. ”[2565] Or, c’est par sa naissance qu’il est Fils. Donc si l’on écarte la filiation, il n’y a plus d’hypostase du Fils. Et on ferait le même raisonnement pour les autres personnes.

Réponse :

L’abstraction opérée par la pensée est double. Dans un cas, on dégage l’universel du particulier : d’homme, par exemple, on abstrait animal. Dans l’autre cas, on dégage la forme de la matière ; ainsi l’intellect abstrait la forme de cercle hors de toute matière sensible.

Entre ces deux types d’abstraction il y a cette différence : dans l’abstraction qui dégage l’universel du particulier, le terme à partir duquel on abstrait ne subsiste pas dans la pensée. De l’objet de pensée : homme, ôtons la différence : raisonnable : il ne reste plus d’homme dans la pensée, mais seulement l’animal. Mais dans l’abstraction qui dégage la forme de la matière, les deux termes demeurent ; quand du bronze j’abstrais la forme du cercle, tous les deux demeurent séparément objets de notre pensée : l’objet “ cercle ” et l’objet “ bronze ”.

En Dieu, sans doute, il n’y a réellement ni universel, ni particulier[2566] ; ni matière, ni forme[2567]. Il y a pourtant quelque analogie de ces divisions dans notre manière d’exprimer les réalités divines. Damascène dit ainsi qu’en Dieu “le commun, c’est la substance ; le particulier, c’est l’hypostase ”. Donc, si nous parlons d’abstraction analogue à celle qui dégage l’universel du particulier, quand on met de côté les propriétés, ce qui reste dans la pensée c’est l’essence commune, et non pas l’hypostase du Père (l’hypostase tenant lieu ici de particulier). Mais si nous parlons d’abstraction analogue à celle qui sépare la forme de la matière[2568], alors, quand on met de côté les propriétés non personnelles, on saisit encore les hypostases ou personnes ; ainsi, par la pensée écartons du Père la propriété d’inengendré ou celle de spirant : l’hypostase ou personne du Père demeure dans la pensée[2569]. Mais si par la pensée on met de côté la propriété personnelle, l’hypostase s’évanouit. En effet, n’imaginons pas que les propriétés personnelles surviennent aux hypostases divines comme une forme advient au sujet préexistant : elles apportent plutôt leur suppôt avec soi[2570] ; mieux, elles sont la personne subsistante même : la paternité, par exemple, est le Père lui-même. La raison en est que l’hypostase, autrement dit : la substance individuelle, désigne ce qui est distinct en Dieu[2571]. Or c’est la relation, disions-nous plus haut[2572] qui distingue et constitue l’hypostase. Il s’ensuit qu’une fois les relations personnelles écartées par la pensée, il n’y a plus d’hypostases.

Il est vrai que pour certains, nous l’avons dit plus haut[2573], les hypostases divines se distinguent par la simple origine, et non par leurs relations ; on concevrait le Père comme une hypostase du seul fait qu’il ne procède d’aucun autre ; le Fils, du fait qu’il procède d’un autre par génération. Quant aux relations qui viennent s’ajouter comme des propriétés ennoblissantes, elles constituent en la qualité de personne : d’où leur nom de “ personnalités ”. Donc si, par la pensée, on écarte ces relations, on a encore des hypostases[2574], mais non plus des personnes.

Mais cela ne se peut pas, pour deux raisons. D’abord, ce sont les relations qui distinguent et constituent les hypostases, nous l’avons dit[2575]. Ensuite, toute hypostase de nature raisonnable est une personne, comme il ressort de la définition de Boèce : “ La personne est "la substance individuelle de nature raisonnable"[2576]. ” Aussi, pour avoir une hypostase qui ne soit pas une personne, c’est de la nature qu’il faudrait “ abstraire ” la rationalité, au lieu d’“ abstraire ” de la personne sa propriété.

Solutions :

1. Ce que la personne ajoute à l’hypostase, ce n’est pas “ une propriété distinctive ” sans plus, mais “ une propriété distinctive qui concerne la dignité ”[2577] : toute cette formule est à prendre comme une différence unique. Or, la propriété distinctive concerne la dignité, pour autant qu’on y sous-entend l’excellence de “ subsistant en la nature raisonnable ”. Aussi, une fois la propriété distinctive écartée par la pensée, il n’y a plus d’hypostase ; celle-ci ne demeurerait que si on retirait à la nature la différence “ raisonnable ”[2578].

2. C’est par sa paternité que le Père est Père, qu’il est une personne et quelqu’un (c’est-à-dire une hypostase). Et cela n’empêche pas plus le Fils d’être quelqu’un (ou une hypostase), que d’être une personne.

3. S. Augustin ne veut pas dire que, sans la paternité, l’hypostase du Père demeure au seul titre d’inengendré, comme si l’innascibilité constituait et distinguait l’hypostase du Père ; ceci n’est pas possible puisque inengendré n’exprime rien de positif et n’est qu’une négation, de l’aveu même d’Augustin. Dans le passage allégué, inengendré est pris dans un sens très général : tout inengendré, en effet, n’est pas père. Donc, si l’on met de côté la paternité, il n’y a plus en Dieu d’hypostase du Père, distincte des autres personnes[2579] : il y a seulement l’hypostase d’un Dieu distinct des créatures, comme peuvent l’entendre les Juifs, par exemple.

 

            Article 4 — Logiquement, les relations présupposentelles les actes des personnes, ou inversement ?

Objections :

1. Le Maître des Sentences dit : “ Dieu est toujours Père, parce qu’il engendre toujours son Fils. ” Où il paraît bien que la génération précède en raison la paternité[2580].

2. Toute relation présuppose logiquement ce qui la fonde ; ainsi l’égalité présuppose la quantité. Or, la paternité est une relation fondée sur l’action, à savoir sur la génération.[2581] Donc la paternité présuppose la génération.

3. Entre génération active et paternité, il y a le même rapport qu’entre naissance et filiation. Or la filiation présuppose la naissance, car Dieu est le Fils parce qu’il est né. La paternité présuppose donc aussi la génération.

En sens contraire, la génération est une opération de la personne du Père. Or c’est la paternité qui constitue la personne du Père. Donc la paternité est présupposée logiquement à la génération.

Réponse :

Si l’on tient que les propriétés au lieu de distinguer et constituer les hypostases ne font que manifester les hypostases déjà distinctes et constituées, il faut dire alors purement et simplement que, dans l’ordre de notre pensée, les relations suivent les actes notionnels. Et l’on pourra dire purement et simplement : “ Parce que Dieu engendre, il est Père. ”

Mais si l’on admet qu’en Dieu ce sont les relations qui distinguent et constituent les personnes[2582], il faut alors recourir à une distinction. En effet, nous concevons et exprimons l’origine en Dieu ou bien à l’actif, ou bien au passif : à l’actif, nous attribuons la génération au Père, et nous attribuons la spiration (entendue comme acte notionnel) au Père et au Fils. Au passif, nous attribuons la naissance au Fils, la procession au Saint-Esprit. Or, prises au sens passif, les origines précèdent purement et simplement en raison les propriétés des personnes qui procèdent, même leurs propriétés personnelles, parce que l’origine, prise au sens passif est conçue et signifiée comme une voie vers la personne que la propriété constitue[2583]. Pareillement, l’origine prise au sens actif précède logiquement la relation non personnelle de la personne principe[2584] ; c’est-à-dire que l’acte notionnel de spiration précède logiquement la propriété relative innommée qui est commune au Père et au Fils. Mais la propriété personnelle[2585] du Père peut faire l’objet d’une double considération. Comme relation, d’abord ; et de ce chef encore, elle présuppose logiquement l’acte notionnel, la relation étant fondée sur l’acte. Ensuite, comme constituant la personne[2586] ; sous cet aspect, la relation doit être présupposée à l’acte notionnel, comme la personne qui agit est logiquement présupposée a son action .

Solutions :

1. Dans cette sentence du Maître, “ parce qu’il engendre, il est Père ”, le mot “ Père ” est un attribut évoquant simplement la relation de paternité ; il ne signifie pas expressément la personne subsistante. Avec ce dernier sens, il faudrait retourner la formule : “ parce que c’est le Père, il engendre ”.[2587]

2. Cette objection vaut pour la paternité considérée comme relation, mais non pas comme constituant la personne[2588].

3. La naissance est la voie qui mène à la personne du Fils. Sous cet aspect, elle précède la filiation, même en tant que celle-ci constitue la personne du Fils. Mais la génération active se conçoit et signifie comme émanant de la personne du Père ; aussi présuppose-t-elle la propriété personnelle du Père[2589].

 


 

 

 

QUESTION 41 — COMPARAISON DES PERSONNES AVEC LES ACTES NOTIONNELS

1. Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ? 2. Ces actes sont-ils nécessaires ou volontaires ? 3. La personne procède-t-elle de rien ou de quelque chose ? 4. Faut-il poser en Dieu une puissance relative aux actes notionnels ? 5. En quoi consiste cette puissance ? 6. Les actes notionnels peuvent-ils se terminer à plusieurs personnes ?

 

            Article 1 — Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ?

Objections :

1. Selon Boèce, “tous les genres, dès qu’on les applique à qualifier Dieu, se muent en la substance divine[2590], exception faite des termes relatifs”. Or l’action est l’un des dix genres. Donc, si l’on attribue une action à Dieu, elle appartiendra à son essence, et non pas à la notion.

2. Pour S. Augustin, tout ce qu’on énonce de Dieu lui est attribué soit à titre de substance, soit

à titre de relation. Mais ce qui appartient à la substance divine se trouve exprimé par les attributs essentiels ; ce qui appartient à la relation, est exprimé par les noms des personnes et par ceux des propriétés[2591]. Il n’y a donc pas lieu d’attribuer encore aux personnes des actes notionnels.

3. C’est une propriété de l’action, qu’elle entraîne avec elle une passion. Mais nous n’admettons pas de passions en Dieu[2592]. Il ne faut donc pas non plus y admettre des actes notionnels.

En sens contraire, S. Augustin dit qu’“ il est propre au Père d’engendrer le Fils ”. Or engendrer est un acte ; il faut donc poser des actes notionnels en Dieu.

Réponse :

Dans les Personnes divines, la distinction se prend selon l’origine[2593]. Mais une origine ne peut se désigner convenablement que par des actes[2594]. Donc, quand on a voulu désigner l’ordre d’origine entre les Personnes divines, il a bien fallu attribuer aux personnes des actes notionnels.

Solutions :

1. Toute origine se désigne par un acte. Mais on peut attribuer à Dieu deux ordres d’origine. L’une concerne la procession des créatures ; mais c’est là un attribut commun aux trois Personnes. C’est pourquoi les actions attribuées à Dieu pour désigner la procession des créatures appartiennent à l’essence[2595]. Mais on considère en Dieu un autre ordre d’origine : une personne y procède d’une autre. Aussi les actes qui désignent cet ordre d’origine sont-ils qualifiés de “ notionnels ” : on sait que les “ notions ” des personnes sont les rapports mutuels entre ces personnes[2596].

2. Actes notionnels et relations des personnes ne diffèrent que par leur mode de signifier ; en réalité, c’est une seule et même chose. Le Maître des Sentences disait ainsi que la génération et la naissance “ prennent en d’autres termes, le nom de paternité et de filiation ”. Pour en être certain, il faut remarquer ceci. C’est le mouvement qui nous a d’abord permis de conjecturer un lien d’origine entre une chose et une autre ; dès qu’une chose est tirée hors de son état par un mouvement, il nous est apparu que cela provenait de quelque cause[2597]. De là vient que, dans sa signification originelle, le terme d’action évoque l’origine du mouvement. Le mouvement, en effet, en tant qu’il est dans le mobile pour l’effet d’un autre, se nomme passion ; et l’origine du mouvement lui-même en tant que celui-ci part d’un autre et se termine en ce qui est mû, prend le nom d’action. Donc, si l’on élimine le mouvement, action n’évoque plus que l’ordre d’origine, en tant qu’il va de la cause ou principe à ce qui en provient[2598]. Et puisqu’en Dieu il n’y a pas de mouvement[2599], l’action personnelle du principe producteur d’une personne n’est pas autre chose que son rapport de principe à la personne qui en procède[2600]. Ces rapports, d’ailleurs, ce sont les relations mêmes[2601] ou notions. Mais, comme nous ne pouvons parler des choses divines et intelligibles qu’à la manière des choses sensibles d’où nous tirons notre connaissance[2602] ; et comme en celles-ci les actions et passions, en raison du mouvement qu’elles impliquent, sont distinctes des relations résultant des actions et passions, il a bien fallu signifier les rapports des personnes par deux catégories distinctes de termes : par manière d’actes, et par manière de relations. Ainsi il est clair qu’en réalité il s’agit d’une seule et même chose ; il n’y a de différence que dans le mode de signifier[2603].

3. Oui, en tant que l’action évoque l’origine du mouvement, elle entraîne de soi une passion. Mais ce n’est pas en ce sens qu’on affirme une action dans les Personnes divines[2604] ; dès lors, on n’y pose rien de “passif”, sinon du point de vue de la grammaire, dans l’expression verbale : comme on dit que le Père engendre, ainsi dit-on que le Fils est engendré.

 

            Article 2 — Les actes notionnels sont-ils nécessaires ou volontaires ?

Objections :

1. S. Hilaire écrit : “ Ce n’est pas sous l’impulsion d’une nécessité naturelle que le Père a engendré le Fils. ”

2. L’Apôtre dit (Col 1, 13) : “ Dieu nous a transférés dans le royaume du Fils de sa dilection. ” Or, la dilection appartient à la volonté[2605]. C’est donc par volonté que le Fils est engendré du Père.

3. Rien n’est plus volontaire que l’amour[2606]. Or, c’est comme Amour que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils[2607]. Il procède donc volontairement.

4. Le Fils procède par mode intellectuel comme Verbe[2608]. Mais c’est volontairement que tout verbe est émis par celui qui parle. Le Fils procède donc du Père par volonté, et non par nature.

5. Ce qui n’est pas volontaire est nécessaire[2609]. Donc, si le Père, n’a pas engendré le Fils par volonté, il s’ensuit qu’il l’a engendré par nécessité. Or S. Augustin enseigne le contraire dans l’ouvrage qu’il a adressé à Orose.

En sens contraire, dans ce même ouvrage, S. Augustin déclare que le Père n’a engendré le Fils ni par volonté, ni par nécessité.

Réponse :

La proposition : “ Ceci existe ou se produit volontairement ”, qui traduit l’ablatif voluntate, peut d’abord signifier une pure concomitance ; je puis dire ainsi que je suis homme volontairement, puisque je veux être homme. En ce sens on pourra dire que le Père a engendré son Fils volontairement, de même qu’il est Dieu volontairement ; car il veut être Dieu[2610], et il veut engendrer son Fils. L’adverbe (ou l’ablatif) peut aussi évoquer un principe : par exemple on dit que l’ouvrier opère volontairement, parce que sa volonté est principe de l’œuvre. Dans ce dernier sens, il faudra dire que le Père n’a pas engendré le Fils volontairement ; ce qu’il a produit par volonté, c’est la créature[2611], comme il ressort de ce canon rapporté par S. Hilaire : “ Si quelqu’un dit que le Fils a été fait par volonté de Dieu, comme une quelconque de ses créatures, qu’il soit anathème. ”

En voici la raison. Entre la causalité du vouloir et celle de la nature, il y a cette différence que la nature est déterminée à un seul effet, tandis que la volonté ne l’est pas[2612]. Car l’effet s’assimile à la forme par laquelle opère l’agent ; et, comme on sait[2613], une chose n’a qu’une forme naturelle qui lui donne d’être. D’où l’adage : Comme on est, ainsi l’on fait[2614]. Mais la forme par laquelle agit la volonté n’est pas unique ; il y en a autant que d’idées conçues par l’intellect[2615]. Ce qui s’accomplit par volonté n’est donc pas tel que l’agent est en lui-même, mais tel que l’agent l’a voulu et conçu. Ainsi la volonté est le principe des choses qui peuvent être autres que ce qu’elles sont ; au contraire, les choses qui ne peuvent être autres qu’elles ne sont, ont pour principe la nature.

Or, ce qui est susceptible d’être ainsi ou autrement, bien loin d’appartenir à la Nature divine, ne peut être que créé ; car Dieu est l’Être nécessaire par soi[2616], tandis que la créature est faite de rien[2617]. Aussi les ariens, voulant nous amener à cette conclusion que le Fils est une créature, disaient que le Père a engendré le Fils volontairement, c’est-à-dire par volonté. Pour nous, nous devons dire que le Père a engendré le Fils par nature, et non par volonté. Aussi lit-on chez S. Hilaire : “ C’est la volonté divine qui octroie l’être à toutes les créatures ; mais c’est une naissance parfaite de la substance immuable et inengendrée, qui a donné au Fils sa nature. Toutes les choses ont été créées telles que Dieu a voulu qu’elles soient ; mais le Fils né de Dieu subsiste tel qu’est Dieu lui-même. ”

Solutions :

1. S. Hilaire vise les hérétiques qui allaient jusqu’à refuser à la génération du Fils la concomitance du vouloir du Père[2618]. D’après eux, le Père a engendré le Fils naturellement, en ce sens qu’il n’avait pas la volonté d’engendrer, de même que nous subissons par nécessité naturelle bien des maux contraires à notre volonté : mort, vieillesse et autres afflictions. Cette intention de l’auteur ressort clairement du contexte, où l’on peut lire : “ Ce n’est pas contre sa volonté comme forcé ou poussé par une nécessité naturelle alors qu’il ne le voulait pas, que le Père a engendré le Fils. ”

2. Si l’Apôtre appelle le Christ “ Fils de dilection ” de Dieu, c’est parce qu’il est surabondamment aimé de Dieu, mais non parce que l’amour serait le principe de la génération du Fils[2619].

3. La volonté aussi, en tant qu’elle est une certaine nature, veut quelque chose naturellement ; par exemple, la volonté de l’homme tend naturellement au bonheur[2620]. Pareillement, Dieu se veut lui-même et s’aime naturellement, tandis que la volonté divine est en quelque sorte indifférente à l’endroit des autres choses, on l’a dit[2621]. Or le Saint-Esprit procède comme Amour pour autant que Dieu s’aime lui-même ; c’est dire qu’il procède naturellement, tout en procédant par mode de volonté[2622].

4. Dans les conceptions de l’intellect, également, il faut remonter aux premiers principes, lesquels sont connus naturellement. Or c’est naturellement que Dieu se connaît[2623] : et, de ce chef, la conception du Verbe est naturelle.

5. Il y a le nécessaire par soi, et le nécessaire par un autre. Nécessaire par un autre, on peut l’être de deux manières. D’abord, en raison de sa cause efficiente et contraignante ; on nomme ainsi nécessaire ce qui est violent. Ensuite, en raison de sa cause finale ; ainsi dans les choses posées en vue d’une fin, on dira “ nécessaire ” ce sans quoi la fin ne peut se réaliser, ou se réaliser dans de bonnes conditions[2624]. Mais aucun de ces modes de nécessité ne convient à la génération divine ; car Dieu n’est pas ordonné à une fin[2625], et aucune contrainte n’a prise sur lui. Le nécessaire par soi, c’est ce qui ne peut pas ne pas être ; ainsi est-il nécessaire que Dieu existe[2626]. Et voilà en quel sens il est nécessaire que le Père engendre le Fils.

 

            Article 3 — La personne procède-t-elle de rien, ou de quelque chose ?

Objections :

1. Il semble que les actes notionnels ne viennent pas de quelque chose. En effet, si le Père engendre le Fils en le tirant de quelque chose, c’est ou bien de soi-même, ou bien d’autre chose. Si c’est d’autre chose qu’il l’engendre : puisque ce dont nous sommes faits est en nous, il s’ensuit qu’il y a dans le Fils quelque chose d’étranger au Père. Or cela va contre l’enseignement de S. Hilaire : “ Entre eux, rien de divers, ni d’étranger.”[2627] Mais, si le Père l’engendre en le tirant de lui-même, autre difficulté : la substance de laquelle est tirée une production, si elle continue à exister reçoit attribution de la forme produite. On dit ainsi que “ l’homme est blanc ”, parce que l’homme ne cesse pas d’exister quand, de non blanc, il devient blanc. Il s’ensuit ou bien que le Père cesse d’exister, une fois le Fils engendré ; ou bien que le Père est le Fils : or cela est faux. Le Père n’engendre donc pas le Fils “ de quelque chose ”, mais “ de rien ”.

2. Ce dont on est engendré est un principe de l’engendré. Donc, si le Père engendre le Fils en le tirant de sa substance ou nature, il s’ensuit que la substance ou nature du Père est principe du Fils. Mais il ne peut en être le principe matériel, car il n’y a pas de matière en Dieu[2628] ; ce sera donc une sorte de principe actif, comme l’engendrant est principe de l’engendré. D’où il s’ensuit que l’essence engendre ; conclusion que nous avons rejetée plus haut[2629].

3. S. Augustin dit que les trois Personnes ne sont pas “de” la même essence, parce que l’essence, n’est pas autre chose que la personne[2630]. Or la personne du Fils n’est pas une autre chose que l’essence du Père. Donc le Fils n’est pas “de” l’essence du Père.

4. Toute créature est tirée du néant[2631]. Or dans l’Écriture, le Fils est appelé créature : l’Ecclésiastique (24, 5) fait dire à la Sagesse engendrée : “ Je suis sortie de la bouche du Très-Haut, engendrée la première avant toute créature ” ; et plus loin : “ j’ai été créée dès le commencement et avant les siècles ”. Le Fils n’est donc pas engendré de quelque chose, mais de rien. On peut opposer la même difficulté à propos du Saint-Esprit, à partir de ce texte de Zacharie (12,1) : “ Ainsi dit le Seigneur qui a étendu le ciel, qui a fondé la terre et créé l’esprit de l’homme au-dedans de lui ” ; ou de ce texte d’Amos (4,3) dans une version différente de la Vulgate : “ C’est moi qui forme les montagnes et qui crée l’Esprit. ”

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Dieu le Père seul a engendré de sa propre nature et sans commencement un Fils égal à lui-même. ”

Réponse :

Le Fils n’est pas engendré du néant, mais bien de la substance du Père. En effet, on a montré plus haut[2632] qu’en Dieu il y a véritablement et proprement paternité, filiation et naissance. Or, entre “ engendrer ” vraiment, acte par lequel un fils procède, et “ faire ”, il y a cette différence, que l’on fait une chose avec une matière extérieure ; le menuisier fait un escabeau avec du bois, mais c’est de sa propre substance que l’homme engendre un fils[2633]. Et tandis que l’artiste créé fait quelque chose d’une matière donnée, Dieu, lui, fait quelque chose de rien, nous le montrerons plus loin[2634] ; non que le néant passe en la substance de la chose, mais parce que toute la substance de la chose est produite par Dieu sans rien de présupposé[2635]. Donc, si le Fils procédait du Père comme tiré du néant, son rapport au Père serait celui de l’œuvre à l’artiste ; et il est trop clair que l’œuvre ne peut pas prendre le nom de fils au sens propre[2636], mais seulement par manière de comparaison. Il s’ensuit que si le Fils de Dieu procédait du Père comme tiré du néant, il ne serait pas Fils véritablement et au sens propre. Ce qui va contre l’affirmation de S. Jean (1 Jn 5, 20 Vg) : “ Afin que nous soyons en son vrai Fils, Jésus Christ. ” Le vrai Fils de Dieu n’est donc pas tiré du néant ; il n’est pas fait, mais seulement engendré.

Et si quelques êtres faits de rien par Dieu sont appelés “ fils de Dieu ”, c’est par métaphore, en raison d’une certaine assimilation à Celui qui est véritablement Fils[2637]. Celui-ci, en tant qu’il est le seul Fils de Dieu vrai et naturel, prend le nom de “ Fils unique ”, selon ce mot de S. Jean (1, 18) : “ Le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui-même nous l’a fait connaître. ” En tant que d’autres sont appelés “ fils adoptifs ” par ressemblance avec lui, on lui donne par une sorte de métaphore le nom de “ Fils premier-né ”[2638], selon le mot de S. Paul (Rm 8, 29) : “ Ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, afin que celui-ci soit le premier-né d’un grand nombre de frères. ”

En fin de compte, le Fils de Dieu est bien engendré de la substance du Père. A la vérité, c’est d’une autre manière que le fils d’un homme. Une parcelle de la substance de l’homme qui engendre passe en effet dans la substance de l’engendré[2639]. Mais la nature divine est indivisible[2640]. Il faut donc que le Père, en engendrant le Fils, au lieu de lui transmettre une portion de sa nature, la lui communique tout entière et ne se distingue de lui que par une pure relation d’origine, comme on l’a montré[2641].

Solutions :

1. Dans l’expression “ le Fils est né du Père (de Patre) ”, la préposition de désigne un principe engendrant consubstantiel, et non pas un principe matériel. Car ce qui est tiré d’une matière préalable est produit par une transmutation de cette matière en une certaine forme ; alors que l’essence divine est immuable[2642] et ne peut pas recevoir une autre forme.

2. En disant que le Fils est engendré “ de l’essence du Père ”, on met en cause un principe quasi actif : telle est du moins l’explication du Maître des Sentences, qui adopte la traduction suivante : “ Le Fils est engendré de l’essence du Père c’est-à-dire du Père Essence. ” Il invoque ce passage de S. Augustin" : “Quand je dis de Patre Essentia, c’est comme si je disais en termes plus formels : de l’essence du Père. ” Mais cela ne paraît pas suffire à donner à cette formule un sens satisfaisant. Car nous pouvons dire que la créature procède “ de Dieu Essence ”[2643], et pourtant nous ne disons pas qu’elle est “de l’essence de Dieu ”[2644]. On peut donc proposer une autre solution.

La préposition latine de dénote toujours un principe consubstantiel. Ainsi l’on ne dit pas que la maison est faite “du” constructeur, car celui-ci n’en est pas la cause consubstantielle ; par contre, on dit qu’une chose est faite “d’ ” une autre, dès que celle-ci se présente, à titre quelconque, comme un principe consubstantiel. Principe actif : le fils, dit-on, naît “de” son père. Principe matériel : un couteau “de” fer. Principe formel, du moins s’il s’agit d’êtres en qui la forme est elle-même subsistante[2645] et n’advient pas à un sujet distinct ; d’un ange, on peut dire qu’il est “de” nature intellectuelle[2646]. C’est en ce sens précisément qu’on dit : “ Le Fils est engendré de l’essence du Père ”, car l’essence du Père, communiquée au Fils par génération, subsiste en celui-ci[2647].

3. Dans l’énoncé : “ Le Fils est engendré "de" l’essence du Père ”, il y a un complément vis-à-vis duquel peut se vérifier la distinction (à savoir : du Père). Mais dans l’autre énoncé : “les trois personnes sont "de" l’essence divine”[2648], il n’y a rien vis-à-vis de quoi puisse s’établir la distinction évoquée par la préposition “de”. Le cas des deux formules n’est donc pas le même.

4. Quand l’Écriture dit que la sagesse est créée, on peut l’entendre non pas de la Sagesse qui est le Fils de Dieu, mais de la sagesse créée que Dieu infuse à des créatures[2649]. L’Ecclésiastique (1, 9 Vg) dit en effet : “ Il l’a créée (à savoir : la sagesse) dans l’Esprit Saint, et il l’a répandue sur toutes ses œuvres. ” D’ailleurs, il n’y a aucun inconvénient à ce que, dans le même passage, l’Écriture parle à la fois des deux sagesses, engendrée et créée, parce que la sagesse créée est une participation de la Sagesse incréée[2650]. Ou bien cette expression peut se rapporter à la nature créée assumée par le Fils[2651] : le sens est alors celui-ci : “ Dès le commencement et avant les siècles, j’ai été créée ”, c’est-à-dire : “ Il a été prévu que je serais unie à la créature. ” Ou bien, en qualifiant la Sagesse de “créée” et “engendrée”, on nous insinue le mode éminent de la génération divine. Dans la génération, en effet, l’engendré reçoit la nature de l’engendrant[2652] ; et c’est pour sa perfection. Dans la création, d’autre part, le créateur ne change pas ; mais le créé ne reçoit pas la nature du créateur[2653]. On qualifie donc le Fils à la fois de “ créé ” et d’“ engendré ”, pour nous faire saisir par ce terme de “ création ” l’immutabilité du Père, et par celui de “ génération ” l’unité de nature entre le Père et le Fils[2654]. C’est l’explication donnée par S. Hilaire.

Les autres passages invoqués ne parlent pas du Saint-Esprit, mais d’un “ esprit ” créé : ce terme désigne tantôt le vent, tantôt l’air, ou le souffle de l’homme, voire l’âme, ou une substance invisible quelconque.

 

            Article 4 — Faut-il poser en Dieu une puissance relative aux actes notionnels ?

Objections :

1. Toute puissance est active ou passive, et ni l’une ni l’autre ne convient ici. Il n’y a pas de puissance passive en Dieu, on l’a déjà vu[2655] ; pas davantage de puissance active d’une personne vis-à-vis d’une autre, puisque les personnes divines ne sont pas “faites”, on vient de le montrer[2656]. Il n’y a donc pas en Dieu de puissance concernant les actes notionnels.

2. On parle de puissance par rapport à un possible. Mais les personnes divines ne sont pas au nombre des possibles ; elles appartiennent aux réalités nécessaires[2657]. Il ne faut donc pas poser en Dieu de puissance relative aux actes notionnels, c’est-à-dire aux actes par lesquels procèdent les Personnes divines.

3. Le Fils procède comme Verbe, c’est-à-dire comme conception de l’intellect[2658] ; le Saint-Esprit procède comme Amour, ce qui ressortit à la volonté[2659]. Or, en Dieu, on parle bien de puissance par rapport à ses effets, mais non point par rapport à la pensée ou à son vouloir, cela a été établi plus haut[2660]. On ne doit donc pas parler en Dieu de puissance relative aux actes notionnels.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “Si Dieu le Père n’a pu engendrer un Fils égal à lui-même, où donc est la puissance de Dieu le Père ? ” Il y a donc bien en Dieu une puissance correspondant aux actes notionnels.

Réponse :

De même qu’on pose en Dieu des actes notionnels[2661], il faut y poser une puissance concernant les actes en question. “ Puissance ” ne signifie rien d’autre que “ principe d’un acte ” ; et dès lors que nous saisissons le Père comme principe de génération[2662], le Père et le Fils comme principe de spiration[2663], il nous faut bien attribuer au Père la puissance d’engendrer et au Fils la puissance de spirer. En effet, la puissance d’engendrer est ce par quoi le géniteur engendre ; et quiconque engendre, engendre en vertu de quelque perfection[2664]. Il faut donc, en tout engendrant, poser une puissance d’engendrer ; et dans celui qui spire, une puissance de spirer.

Solutions :

1. Dans les actes notionnels, aucune Personne ne procède comme “faite”[2665]. Donc, quand on parle en Dieu de puissance relative aux actes notionnels, on ne pose pas comme terme une personne faite, mais seulement une personne qui procède.

2. Le possible qui s’oppose au nécessaire vient de la puissance passive ; celui-ci n’existe pas en Dieu[2666] ; il n’y a donc pas de possible de ce genre en Dieu. Il n’y a en lui que le possible inclus dans le nécessaire[2667]. En ce second sens, on dira fort bien : que Dieu existe, c’est possible ; et pareillement : qu’il engendre un Fils, c’est possible.

3. Puissance signifie principe[2668] ; et “ principe ” implique distinction d’avec ce qui procède de ce principe[2669]. Or, dans ce que nous attribuons à Dieu, on considère deux sortes de distinction : l’une est réelle, et l’autre de pure raison[2670]. Dieu se distingue réellement et par essence des choses dont il est principe, par création[2671] ; pareillement, une personne se distingue réellement de celle dont elle est principe par acte notionnel[2672]. Mais en Dieu, l’action ne se distingue pas de l’agent, sinon d’une distinction de raison ; sans quoi l’action serait un accident en Dieu[2673]. C’est pourquoi, au sujet des actions divines qui donnent lieu à la procession de réalités distinctes de leur principe (soit selon l’essence[2674], soit selon l’hypostase[2675]), on peut attribuer à Dieu une puissance, au sens propre de principe : nous posons en lui une puissance de créer, et nous pouvons de même y poser une puissance d’engendrer ou de spirer[2676]. Mais connaître et vouloir ne sont pas de ces actes qui dénoncent la procession d’une réalité distincte de Dieu, soit selon l’essence, soit selon l’hypostase[2677]. On ne peut donc vérifier en lui une puissance concernant ces deux actes, sauf selon notre mode de penser et d’exprimer son mystère, car nous parlons encore en Dieu d’intellect et d’intellection, bien que l’intellection divine soit son essence même[2678], et n’ait pas de principe.

 

            Article 5 — En quoi consiste cette puissance ?

Objections :

1. Qui dit puissance, dit principe, par définition : la puissance active, selon Aristote, est le principe de l’action. Or en Dieu “ principe d’une personne ” est un terme notionnel[2679]. Donc en Dieu la puissance ne signifie pas l’essence, mais, la relation.

2. En Dieu, pas de différence entre pouvoir et agir[2680]. Mais la génération, en Dieu, signifie la relation[2681]. La puissance d’engendrer la signifie donc aussi.

3. Les attributs qui signifient l’essence en Dieu, sont communs aux trois Personnes[2682]. Mais la puissance d’engendrer n’est pas commune aux trois Personnes. Elle est propre au Père[2683]. Elle ne signifie donc pas l’essence.

En sens contraire, de même que Dieu peut engendrer un Fils[2684], de même aussi il le veut. Mais la volonté d’engendrer signifie l’essence[2685]. La puissance d’engendrer la signifie donc aussi.

Réponse :

Pour certains, la puissance d’engendrer signifierait en Dieu la relation. Mais cela ne se peut pas. Ce qu’on nomme proprement puissance, dans un agent quelconque, est ce par quoi l’agent agit. D’autre part, quiconque produit quelque chose par son action, assimile cette chose à soi, et précisément à la forme en vertu de laquelle il agit[2686]. Par exemple, l’homme engendré ressemble à son progéniteur précisément dans la nature humaine[2687], en vertu de laquelle l’homme peut engendrer un homme[2688]. Donc, chez tout engendrant, ce qui constitue sa puissance génératrice est cela même en quoi l’engendré ressemble à l’engendrant. Or, le Fils de Dieu est semblable au Père qui l’engendre[2689], précisément quant à sa nature divine[2690]. C’est donc la nature divine dans le Père qui est pour celui-ci sa puissance d’engendrer. Aussi lisons-nous chez S. Hilaire : “ Il est impossible que la naissance divine ne garde pas la nature même d’où elle provient ; car ce qui tire sa substance de Dieu même et non d’ailleurs, ne peut être autre que Dieu. ”

Il faut donc dire avec le Maître des Sentences que la puissance d’engendrer signifie principalement l’essence divine et non pas la relation seulement. Et même, elle ne signifie pas l’essence en tant qu’identique à la relation[2691], ce qui serait signifier les deux au même titre. Sans doute la paternité se présente comme une forme du Père[2692] ; mais c’est une propriété personnelle qui joue, pour la personne du Père, le rôle de la forme individuelle pour l’individu créé. Or, dans les êtres créés, la forme individuelle constitue bien la personne qui engendre[2693] ; mais elle n’est pas ce par quoi la personne engendre, sinon Socrate engendrerait Socrate. Par suite, la paternité non plus ne peut pas être considérée comme ce par quoi le Père engendre, mais bien comme ce qui constitue la personne du géniteur : sinon le Père engendrerait un Père. Ce par quoi le Père engendre, c’est la nature divine en quoi le Fils lui est assimilé[2694]. Aussi voit-on que Damascène appelle la génération “ une œuvre de la nature ”, non que celle-ci engendre, mais c’est par elle que le géniteur engendre. Par conséquent, la puissance d’engendrer signifie en droite ligne la nature divine, et la relation seulement de façon conjointe.

Solutions :

1. Le mot “puissance” ne désigne pas la relation même de principe, sinon ce terme appartiendrait au genre relation ; il désigne la réalité qui fait fonction de principe et encore non à titre d’agent (principium quod) mais à titre de forme par laquelle l’agent agit (principium quo)[2695]. Or l’agent se distingue sans doute de ce qu’il fait, le géniteur se distingue de l’engendré ; mais ce par quoi le géniteur engendre est commun à l’engendré et à son géniteur, et d’autant plus parfaitement que la génération est plus parfaite. Aussi, puisque la génération divine est souverainement parfaite[2696], ce par quoi le géniteur engendre est commun à l’engendré et à l’engendrant ; commun par identité numérique, et non pas seulement spécifique comme dans les créatures[2697]. Donc, quand on dit que l’essence divine est le principe par quoi le géniteur engendre, il ne s’ensuit pas que l’essence se distingue de l’engendré ; cela s’ensuivrait si l’on disait que l’essence divine engendre[2698].

2. En Dieu, entre la puissance d’engendrer et l’acte d’engendrer, l’identité est du même ordre qu’entre l’essence divine et la génération ou la paternité : identité réelle, avec distinction de raison[2699].

3. L’expression “puissance d’engendrer” évoque la puissance dans le terme direct et la génération dans le complément, comme quand on parle de “l’essence du Père”. Ainsi donc l’essence directement signifiée dans cette expression, est commune aux trois Personnes ; quant à la notion qu’elle connote, elle est propre à la personne du Père.

 

            Article 6 — Les actes notionnels peuvent-ils se terminer à plusieurs personnes ?

Objections :

1. Il semble que les actes notionnels peuvent se terminer à plusieurs personnes, de sorte qu’il y ait en Dieu plusieurs personnes engendrées ou spirées. En effet, quiconque possède la puissance d’engendrer, peut engendrer. Or le Fils possède la puissance d’engendrer[2700]. Donc il peut engendrer ; et certes, non point lui-même. Donc il peut engendrer un autre fils. Donc il peut y avoir plusieurs Fils en Dieu.

2. S. Augustin dit : “ Le Fils n’a pas engendré de Créateur. Ce n’est pas qu’il ne l’ait pas pu, mais il ne le devait pas. ”

3. Pour engendrer, Dieu le Père est plus puissant qu’un Père créé. Or un homme peut engendrer plusieurs fils. Donc Dieu aussi, surtout parce que la puissance du Père n’est pas diminuée quand il a engendré son Fils[2701].

En sens contraire, il n’y a pas de différence chez Dieu entre être et pouvoir[2702]. Donc s’il pouvait y avoir plusieurs Fils en Dieu, de fait il y en aurait plusieurs. Il y aurait ainsi plus de trois personnes en Dieu, et c’est là une hérésie[2703].

Réponse :

Comme dit le Symbole attribué à saint Athanase, il y a en Dieu un seul Père, un seul Fils et un seul Saint-Esprit. On peut en donner quatre raisons. La première se tire des relations qui seules distinguent les personnes. Puisque les personnes divines sont les relations subsistantes elles-mêmes[2704], il ne pourrait y avoir en Dieu plusieurs Pères ou plusieurs Fils que s’il y avait plusieurs paternités et plusieurs filiations. Ceci d’ailleurs ne serait possible que par distinction matérielle entre ces filiations, car, dans une même espèce, les formes ne sont multipliables qu’en raison de la matière[2705], qui n’existe pas en Dieu. Il ne peut donc y avoir en lui qu’une seule filiation subsistante, de même que la blancheur subsistante, si elle pouvait exister, serait unique.

La deuxième raison se prend des processions. Dieu connaît et veut toutes choses par un acte unique et simple[2706]. Il ne peut donc y avoir qu’une seule personne procédant comme verbe, et c’est le Fils[2707] ; une seule personne procédant comme amour, et c’est le Saint-Esprit[2708].

La troisième raison se prend du mode de procéder. Les personnes procèdent naturellement, nous l’avons dit[2709]. Or la nature est déterminée à un seul effet[2710].

La quatrième raison est tirée de la perfection des Personnes divines[2711] : si le Fils est parfait, c’est que la filiation divine est tout entière contenue en lui, et qu’il n’y a qu’un seul Fils. On en dirait autant des autres Personnes.

Solutions :

1. Certes, on doit concéder purement et simplement que le Fils possède la puissance que possède le Père[2712]. Mais on ne concédera pas la formule latine Filius habet potentiam generandi si du moins on entend generandi comme le gérondif du verbe actif, ce qui signifierait : Le Fils a la puissance d’engendrer. Le Père et le Fils ont bien aussi un seul et même être[2713], et pourtant on ne dira pas que “ le Fils est le Père ”[2714], en raison du prédicat personnel qui s’ajoute ici à “ est ”. Toutefois, si le mot generandi est gérondif du verbe passif, alors, oui, il y a dans le Fils une potentia generandi : la puissance d’être engendré (par le Père). On le concédera encore, si c’est le gérondif du verbe impersonnel, autrement dit : la puissance d’être engendré par une personne quelconque.

2. Dans ce passage, S. Augustin ne veut pas dire que le Fils pourrait engendrer un fils ; mais que, s’il n’engendre pas, ce n’est pas par impuissance, comme on le verra plus loin.[2715]

3. L’immatérialité et la perfection divines exigent qu’il ne puisse pas y avoir plusieurs Fils en Dieu.[2716] Le fait de n’avoir qu’un Fils n’implique donc chez le Père aucune impuissance d’engendrer.

 

Il s’agit maintenant de comparer les Personnes entre elles. Nous considérerons d’abord leur égalité et leur similitude (Q. 42), ensuite leur mission (Q. 43).


 

 

QUESTION 42 — ÉGALITÉ ET SIMILITUDE ENTRE LES PERSONNES DIVINES

1. Y a-t-il lieu de parler d’égalité entre les Personnes divines ? 2. La personne qui procède est-elle égale en éternité à celle dont elle procède ? 3. Y a-t-il un ordre entre les Personnes divines ? 4. Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ? 5. Sont-elles l’une dans l’autre ? 6. Sont-elles égales en puissance ?

 

            Article 1 — Y a-t-il lieu de parler d’égalité entre les Personnes divines ?

Objections :

1. Qui dit égalité, dit quantité identique de part et d’autre, selon Aristote. Or il n’y a pas de quantité chez les Personnes divines[2717]. Pas de quantité continue, d’abord : ni intrinsèque, ou grandeur[2718] ; ni extrinsèque : lieu ou temps[2719]. Ce n’est pas non plus la quantité discrète, ou nombre, qui donnera lieu ici à une égalité, car deux personnes font plus qu’une seule. Donc, pas d’égalité entre les Personnes divines.

2. On l’a déjà dit[2720] : les Personnes divines sont d’essence unique. Et l’on signifie ainsi l’essence comme une forme. Or, avoir même forme fonde un rapport de similitude, et non pas d’égalité. Parlons donc de similitude entre les Personnes divines, mais non d’égalité.

3. L’égalité est toujours réciproque : autrement dit, on est égal à son égal. Mais on ne peut dire des Personnes divines qu’elles soient égales l’une à l’autre. S. Augustin écrit en effet : “ L’image qui reproduit son modèle à la perfection, s’égale bien à lui ; mais lui ne s’égale point à son image. ” Or l’image du Père, c’est le Fils[2721]. Ainsi donc le Père n’est pas égal au Fils. Par conséquent, il n’y a pas d’égalité entre les Personnes divines.

4. L’égalité est une relation. Mais il n’y a pas de relation commune à toutes les personnes ; au contraire, c’est par leurs relations qu’elles se distinguent l’une de l’autre[2722]. L’égalité ne convient donc pas aux Personnes divines.

En sens contraire, S. Athanase dit dans son Symbole : “ Les trois Personnes coéternelles sont égales entre elles. ”

Réponse :

L’égalité des Personnes divines est une conclusion nécessaire. En effet, selon le Philosophe, il y a égalité quand il n’y a aucune différence en plus ou en moins. Et précisément, chez les Personnes divines, on ne peut poser la moindre différence en plus ou en moins. C’est Boèce qui le dit : “ Ceux-là n’échappent pas au risque de diviser la divinité, qui y mettent du plus ou du moins, comme les ariens, qui déchirent la Trinité en y introduisant des degrés, et en font une pluralité. ”

Voici pourquoi. Des choses inégales ne peuvent pas avoir la même quantité, numériquement la même. Or, en Dieu, la quantité n’est pas autre chose que l’essence.[2723] Il en résulte que, s’il y avait la moindre inégalité entre les Personnes divines, elles n’auraient pas une essence unique, autrement dit, les trois Personnes ne seraient pas un seul Dieu. Cela étant impossible, il faut bien admettre l’égalité des Personnes divines.

Solutions :

1. La quantité est de deux sortes. La quantité de masse, ou quantité dimensive n’existe que dans les êtres corporels ; elle n’a évidemment pas de place dans les Personnes divines[2724]. La quantité virtuelle mesure la perfection d’une nature ou d’une forme ; c’est d’elle qu’il s’agit quand on parle d’une chose “ plus ou moins chaude ” ; on veut dire qu’elle est plus ou moins parfaite en ce genre de qualité qu’est la chaleur. Or, on peut envisager la quantité virtuelle d’abord dans sa racine, c’est-à-dire dans la perfection même de la forme ou nature ; en ce sens, on parlera de grandeur spirituelle, comme on parle d’une grande chaleur, à raison de son intensité ou perfection. S. Augustin a dit : “ Pour les choses qui sont grandes autrement que par la masse, être plus grand, c’est être meilleur ” ; et l’on sait que “ meilleur ” désigne un plus parfait. En second lieu, on peut envisager la quantité virtuelle dans les effets de la forme. De ces effets, le premier est l’être, car toute chose a l’être selon sa forme[2725] ; le second est l’opération, car tout agent agit en vertu de sa forme. La quantité virtuelle se vérifiera donc et dans l’être et dans l’opération. Dans l’être d’abord, en ce sens que les choses de nature plus parfaite ont une durée plus grande ; dans l’opération aussi, en ce sens que les natures plus parfaites sont plus puissantes pour agir. Et voilà précisément, selon S. Augustin, comment s’entend l’égalité entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit : “ C’est qu’aucun d’eux ne précède l’autre en éternité, ne le dépasse en grandeur, ni le surpasse en puissance. ”

2. Quand la comparaison porte sur la quantité virtuelle, l’égalité implique la similitude, avec ceci en plus qu’elle exclut toute différence de degré.

En effet, toutes les choses qui ont même forme, peuvent se dire semblables, même si elles participent inégalement à cette forme ; on dit ainsi que l’air est semblable au feu par sa chaleur. Mais on ne peut pas les dire égales, si l’une participe à cette forme plus parfaitement que l’autre. Or le Père et le Fils, non seulement n’ont qu’une seule et même nature, mais ils l’ont aussi parfaitement l’un que l’autre[2726] : aussi disons-nous, non seulement contre Eunomius, que le Fils est semblable au Père, mais aussi, contre Arius, qu’il est égal au Père.

3. L’égalité et la similitude peuvent s’exprimer en Dieu par deux sortes de vocables : des noms et des verbes. Quand on y emploie des noms, c’est bien d’égalité et de similitude mutuelle qu’il s’agit entre personnes divines : le Fils est égal et semblable au Père, et réciproquement. La raison en est que l’essence n’appartient pas davantage au Père qu’au Fils[2727] ; aussi, de même que le Fils a la grandeur du Père, autrement dit est égal au Père, de même aussi le Père a la grandeur du Fils, autrement dit est égal au Fils. Mais dans les créatures “ il n’y a pas réciprocité d’égalité et de similitude ”, dit Denys. Nous disons bien que les effets sont semblables aux causes, pour autant qu’ils possèdent la forme de leur cause ; mais la réciproque n’est pas vraie, parce que la forme est dans la cause à titre principal, dans l’effet à titre secondaire.[2728] Quant aux verbes, il signifient l’égalité avec mouvement. Et s’il est vrai qu’en Dieu il n’y a pas de mouvement, du moins on y vérifie une sorte de “ recevoir ”[2729]. Donc, parce que le Fils reçoit du Père ce qui le rend son égal, nous disons que le Fils est égal au Père, et non l’inverse.

4. Dans les Personnes divines, la pensée ne trouvera rien de plus que l’essence où elles communient, et les relations qui les distinguent. Or, l’égalité entre les personnes implique ces deux aspects : distinction des personnes, d’abord[2730], car nul n’est égal à soi-même ; unité d’essence, ensuite, car si les personnes sont égales entre elles, c’est qu’elles ont même grandeur et essence. D’ailleurs, il est clair que, de soi-même à soi-même, il n’y a pas de relation réelle ; pas davantage d’une relation à une autre. Par exemple, lorsqu’on dit que la paternité s’oppose à la filiation, l’opposition n’est pas une relation qui s’intercalerait entre la paternité et la filiation. Sans quoi, dans les deux cas, on multiplierait les relations à l’infini.

Dès lors l’égalité, et pareillement la similitude, n’est pas, dans les Personnes divines, une relation réelle à distinguer des relations personnelles ; elle inclut dans son concept aussi bien les relations distinctes des personnes, que l’unité d’essence. De là ce mot du Maître des Sentences : ici “ la dénomination seule est relative ”

 

            Article 2 — La personne qui procède est-elle égale en éternité à celle dont elle procède ?

Objections :

1. Le Fils, par exemple, n’est pas coéternel au Père. Arius, en effet, recensait douze modes de génération (tous entachés de quelque inégalité). Comme type du premier mode, il cite la genèse de la ligne par le point : à ce mode, il manque l’égalité en simplicité[2731]. Deuxième mode : l’émission des rayons du soleil ; ici, pas d’égalité en nature[2732]. Troisième mode : l’impression d’une marque par le sceau ; ici, pas de consubstantialité, pas non plus de puissance efficace communiquée. Quatrième mode : l’inspiration du bon vouloir par Dieu : point non plus de consubstantialité. Cinquième mode : l’accident qui procède de la substance ; mais l’accident n’est pas subsistant[2733]. Sixième mode : l’abstraction d’une forme hors de sa matière (ainsi le sens extrait l’espèce de la chose sensible)[2734] ; ici, il n’y a pas égale simplicité et spiritualité[2735] de part et d’autre. Septième mode : l’excitation du vouloir par la pensée ; mais ce processus s’accomplit dans le temps. Huitième mode : le changement de figure (ainsi le bronze devient statue) ; c’est là un mode matériel. Neuvième mode : le mouvement produit par un moteur ; ici, il y a cause et effet[2736]. Dixième mode : la genèse des espèces à partir du genre ; pareil mode répugne à Dieu, car on n’attribue pas le Père au Fils comme on attribue un genre à ses espèces[2737]. Onzième mode : la création artistique (le coffret extérieur procède du coffret conçu dans la pensée) ; on a encore effet et cause. Douzième mode : la naissance des vivants (ainsi l’homme naît de son père) ; ici, le principe précède l’effet dans le temps.

Bref, il ressort de cette enquête, que, de quelque manière qu’un être procède d’un autre, l’égalité fait défaut entre eux, égalité de nature ou de durée. Donc si le Fils procède du Père, il faudra avouer ou bien qu’il est inférieur au Père, ou bien qu’il lui est postérieur, à moins qu’il ne soit l’un et l’autre.

2. Tout ce qui provient d’un autre a un principe. Mais ce qui est éternel n’a pas de principe[2738]. Le Fils n’est donc pas éternel, ni non plus le Saint-Esprit.

3. Ce qui se corrompt cesse d’être. Donc ce qui est engendré commence d’être ; car c’est pour cela même qu’on l’engendre : pour qu’il soit. Or le Fils est engendré par le Père[2739]. Donc il commence d’être, et n’est pas coéternel au Père.

4. Si le Fils est engendré par le Père, ou bien il est toujours engendré, ou bien on peut désigner l’instant de sa génération. Admettons qu’il soit toujours engendré. Tant qu’une chose est en cours de génération, elle est imparfaite ; on le voit bien pour les êtres successifs tels que le temps, le mouvement, qui sont en perpétuel devenir. Il s’ensuivrait que le Fils serait toujours imparfait : conséquence inadmissible[2740]. C’est donc qu’il y a un instant donné, qui est l’instant de la génération du Fils ; et avant cet instant, le Fils n’existait pas.

En sens contraire, S. Athanase dit : “ Les Personnes sont toutes trois coéternelles l’une à l’autre. ”

Réponse :

Que le Fils soit coéternel au Père, c’est une thèse nécessaire, comme le montrera la considération suivante. L’être issu d’un principe peut être postérieur à son principe soit en raison de l’agent, soit en raison de l’action. Pour ce qui est de l’agent, distinguons encore le cas de l’agent volontaire et celui de l’agent naturel. L’agent volontaire a le choix du temps ; comme il est en son pouvoir de choisir la forme à donner à l’effet, on l’a dit plus haut[2741], il est aussi en son pouvoir de choisir le temps où produire l’effet. Pour l’agent naturel, il y a aussi antériorité du principe par rapport à l’effet[2742], lorsque l’agent, ne possédant pas du premier coup la perfection de son pouvoir naturel d’action, ne l’atteint qu’au bout d’un certain temps. Du côté de l’action, ce qui peut empêcher l’effet n’existerait pas dès ce même instant, mais seulement au terme de l’action.

Or, il ressort clairement de nos exposés précédents que le Père engendre son Fils non par volonté, mais par nature[2743] ; qu’en outre, la nature du Père est parfaite de toute éternité[2744] ; enfin que l’action par laquelle le Père produit le Fils n’est pas successive ; autrement, le Fils de Dieu serait engendré progressivement, c’est-à-dire d’une génération matérielle et liée au mouvement : chose impossible[2745]. Ainsi le Fils de Dieu est bien coéternel au Père, et le Saint-Esprit coéternel à tous deux.

Solutions :

1. S. Augustin l’a dit : il n’est pas de mode créé de procession qui puisse représenter parfaitement la génération divine. Il faut donc s’en former une représentation analogique à partir de modes multiples, l’un suppléant en quelque manière au défaut de l’autre[2746]. C’est ainsi qu’on lit dans les Actes du Concile d’Éphèse : “ Le nom de Splendeur nous révèle que le Fils cœxiste avec le Père et lui est coéternel[2747] ; celui de Verbe nous montre qu’il s’agit d’une naissance sans passivité[2748] ; celui de Fils nous insinue sa consubstantialité. ” De toutes ces similitudes pourtant, c’est la procession du verbe émané de l’intellect qui constitue la représentation la plus formelle[2749] ; or le verbe n’est postérieur à son principe que dans le cas d’un intellect passant de la puissance à l’acte, condition absolument étrangère à Dieu.[2750]

2. L’éternité exclut tout commencement ou principe de durée[2751], mais non pas tout principe d’origine.

3. Toute corruption est un changement ; voilà pourquoi ce qui se corrompt commence à n’être plus ou cesse d’être. Mais la génération éternelle n’est pas un changement, nous l’avons assez dit.[2752]

4. Dans le temps, on distingue l’indivisible, c’est-à-dire l’instant, et ce qui dure, c’est-à-dire le temps. Mais, dans l’éternité, l’instant indivisible lui-même subsiste toujours, on l’a dit précédemment.[2753] Or, la génération du Fils ne s’accomplit ni dans un instant temporel, ni dans la durée du temps, mais dans l’éternité.[2754] C’est pourquoi, si l’on veut signifier cette présence et permanence actuelle de l’éternité, on peut dire avec Origène que le Fils “ naît toujours ”. Cependant il vaut mieux, avec S. Grégoire et S. Augustin, dire : “ Il est toujours né ” ; dans cette expression, l’adverbe “ toujours ” évoque la permanence de l’éternité, et le parfait “ est né ” évoque la perfection achevée de ce qui est engendré[2755]. Ainsi on n’attribue au Fils aucune imperfection, et l’on évite d’admettre, comme Arius, “ un temps où il n’était pas ”.

 

            Article 3 — Y a-t-il un ordre entre les Personnes divines ?

Objections :

1. Il n’y a en Dieu que l’essence, la Personne, ou la notion[2756]. Or qui dit “ ordre de nature ”, n’évoque ni l’essence, ni une personne, ni une notion. Il n’y a donc pas d’ordre de nature en Dieu.

2. Dès qu’il y a un ordre de nature, il y a un premier, au moins en nature et en raison. Mais, selon S. Athanase, “ il n’y a ni avant ni après ” dans les Personnes divines.[2757] C’est donc qu’il n’y a pas d’ordre de nature entre elles.

3. Qui dit ordre, dit distinction. Mais la Nature divine ne comporte aucune distinction.[2758] Elle ne comporte donc pas d’ordre non plus. Donc, il n’y a pas d’ordre de nature ici.

4. La nature divine est l’essence de Dieu.[2759] Mais il n’y a pas d’“ ordre de l’essence ”, en Dieu. Donc pas davantage d’ordre de nature.

En sens contraire, une pluralité sans ordre est une confusion.[2760] Or, il n’y a pas de confusion dans les Personnes divines, dit S. Athanase. Il y a donc là un ordre.

Réponse :

L’ordre se prend toujours par rapport à un principe. Et comme il y a des principes de tout genre, par exemple, en position, le point ; dans la connaissance : les principes de la démonstration ; et chaque cause dans sa ligne , il y aura autant d’ordres différents. En Dieu, on parle de principe selon l’origine,[2761] et sans priorité, nous l’avons vu plus haut.[2762] Il doit donc y avoir un ordre d’origine, sans priorité. S. Augustin l’appelle “ un ordre de nature, ordre selon lequel l’un procède de l’autre, et non pas soit antérieur à l’autre ”.

Solutions :

1. “ Ordre de nature ” évoque ici la notion d’origine, mais en général et sans spécifier.

2. Dans les créatures, même quand effet et principe cœxistent strictement selon la durée, le principe précède l’effet en nature et en raison, du moins si l’on considère la réalité qui est principe.[2763] Mais, si l’on considère les relations mêmes de cause à effet, de principe et de dérivé, alors il est clair que les rapports corrélatifs sont simultanés en nature et en raison, puisque l’un entre dans la définition de l’autre. Or, en Dieu, les relations sont elles-mêmes les personnes[2764] qui subsistent en une seule nature[2765]. En conséquence, ni la nature, ni les relations ne peuvent ici donner lieu à une priorité entre les personnes, pas même à une priorité de nature et de raison.

3. “ Ordre de nature ”, disons-nous ; non que la nature elle-même ait à s’ordonner, mais parce que, entre les Personnes divines, l’ordre se prend selon leur origine naturelle.[2766]

4. “Nature” implique un certain aspect de principe, mais non “essence”[2767]. Et c’est pourquoi l’ordre d’origine s’appelle un ordre de nature, plutôt qu’un ordre d’essence.

 

            Article 4 — Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ?

Objections :

1. Le Fils n’a pas la même grandeur que le Père. Il dit lui-même en Jn 14, 28 : “ Le Père est plus grand que moi. ” Et l’Apôtre (1 Co 15, 28) : “ Le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a tout soumis. ”

2. La paternité fait partie de la dignité du Père. Mais la paternité ne convient pas au Fils. Le Fils ne possède donc pas toute la dignité du Père. Il n’a donc pas la même grandeur que le Père.

3. Dès qu’il y a tout et parties, plusieurs parties font plus qu’une seule ou qu’un moindre nombre de ces parties ; ainsi trois hommes font un total plus grand que deux hommes ou un seul. Mais il semble bien qu’en Dieu il y ait un tout universel et des parties ; car, sous le terme général de relation ou notion, sont comprises plusieurs “ notions ”. Et puisque dans le Père, il y a trois de ces notions, et deux seulement dans le Fils[2768], il semble donc que le Fils n’est pas égal au Père.

En sens contraire, on lit dans l’épître aux Philippiens (2, 6) : “ Il n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation d’être égal à Dieu. ”

Réponse :

Il faut reconnaître que le Fils est aussi grand que le Père. En effet, la grandeur de Dieu n’est pas autre chose que la perfection de sa nature[2769]. D’autre part, pour qu’il y ait paternité et filiation, il faut que, par sa génération, le fils parvienne à posséder en perfection la nature du père, comme le père la possède[2770]. Chez les hommes, il est vrai, la génération est un changement qui fait passer le sujet de la puissance à l’acte ; aussi le fils n’est-il pas dès le début égal au père qui l’engendre ; c’est par une croissance convenable qu’il parvient à cette égalité, sauf accident imputable à un défaut du principe générateur. Mais il est clair, par ce qu’on a dit plus haut[2771], qu’en Dieu s’établissent des rapports de vraie et propre paternité et filiation ; et il n’est pas possible d’admettre une défaillance de la vertu de Dieu le Père, en son acte générateur, ni que Dieu le Fils soit parvenu à sa perfection par un développement successif[2772]. Il faut donc conclure que, de toute éternité, le Fils est aussi grand que le Père. C’est pourquoi S. Hilaire écrit ; “ Écartez de cette naissance les misères de la condition corporelle ; écartez le processus initial de la conception, les douleurs de l’enfantement et toutes les nécessités humaines ; tout fils, par sa naissance naturelle, jouit de l’égalité avec son père, puisqu’il est la similitude vivante de sa nature. ”

Solutions :

1. Ces paroles concernent le Christ considéré selon sa nature humaine, en laquelle, de fait, il est inférieur à son Père et lui est soumis ; mais considéré en sa Nature divine, il est égal à son Père. C’est bien ce que dit S. Athanase : “ Égal à son Père selon sa divinité, inférieur au Père selon son humanité. ” Ou comme dit S. Hilaire : “ Par sa situation de Donateur, le Père serait plus grand ; mais en raison de ce qui est donné, l’Être divin, indivisible[2773], le bénéficiaire n’est pas moins grand ”, et, dans son Livre sur les Conciles, il explique que “ la soumission du Fils, c’est sa piété[2774] naturelle ”, qui consiste à reconnaître qu’il tient du Père sa nature. “ Mais la soumission de tous les autres, c’est leur condition infirme de créature. ”

2. L’égalité est un rapport de grandeur. Or la grandeur de Dieu est la perfection de sa nature, on l’a dit[2775], et elle ressortit à l’essence[2776]. C’est dire qu’en Dieu égalité et similitude concernent les attributs essentiels, et qu’on n’y peut parler d’inégalité ou de dissemblances à propos des distinctions relatives[2777]. S. Augustin dit ainsi : “ Demander "de qui" est telle Personne, c’est poser une question d’origine mais demander "quelle" elle est, et de quelle "grandeur", voilà qui intéresse l’égalité. ” Donc, si la paternité est une dignité du Père, c’est pour autant qu’elle est l’essence du Père : la dignité est en effet un attribut absolu qui ressortit à l’essence[2778]. Et, comme la même essence est paternité dans le Père et filiation dans le Fils, ainsi la même dignité est dans le Père sa paternité, et dans le Fils sa filiation. Il est donc vrai que le Fils possède toute la dignité du Père. Et on ne peut pas déduire : “ Le Père possède la paternité, donc le Fils possède la paternité ” ; car on passe là de l’absolu au relatif. Le Père et le Fils ont bien même et unique essence ou dignité ; mais dans le Père elle comporte la condition relative de donateur[2779], et dans le Fils le bénéficiaire qui reçoit.

3. Bien que le prédicat “ relation ” se vérifie de chaque relation divine, ce n’est pas en Dieu un tout universel, puisque toutes ces relations ne font qu’un selon l’essence et l’être[2780]. C’est là une condition opposée à celle d’universel, dont les parties sont distinctes selon l’être. Il en est de même de la personne, on l’a déjà dit[2781] : en Dieu, ce n’est pas un universel. Dès lors, toutes les relations divines ne font pas un total plus grand qu’une seule de ces relations ; et toutes les personnes ne font pas quelque chose de plus grand qu’une seule, puisque chaque personne possède toute la perfection de la Nature divine[2782].

 

            Article 5 — Les Personnes divines sont-elles l’une dans l’autre ?

Objections :

1. Des huit modes d’exister dans un autre, recensés par Aristote, aucun ne convient au cas du Père et du Fils ; c’est assez clair quand on parcourt la liste en détail. Le Fils n’est donc pas dans le Père, ni le Père dans le Fils.

2. Ce qui sort d’un autre, n’est pas en lui. Mais de toute éternité le Fils est sorti du Père, selon le prophète Michée (5, 1) : “ La sortie date du commencement des jours de l’éternité. ” Donc le Fils n’est pas dans le Père.

3. Quand deux termes s’opposent, l’un n’est pas dans l’autre. Or le Père et le Fils s’opposent relativement[2783]. Il n’est donc pas possible que l’un soit dans l’autre.

En sens contraire, on lit dans S. Jean (14, 10) : “ Je suis dans le Père et le Père est en moi. ”

Réponse :

Il y a trois choses à considérer dans le Père et dans le Fils : l’essence, la relation et l’origine. Et sous ces trois chefs, le Père et le Fils sont mutuellement l’un dans l’autre. En effet, considérons l’essence : le Père est dans le Fils, puisque le Père est son essence[2784], et qu’il la communique[2785] au Fils sans le moindre changement[2786] : l’essence du Père étant dans le Fils, il s’ensuit bien que le Père est dans le Fils. Et puisque le Fils est son essence, il s’ensuit également que le Fils est dans le Père, où est sa propre essence. C’est ce que disait S. Hilaire : “ Le Dieu immuable suit, pour ainsi dire, sa nature quand il engendre un Dieu immuable. En celui-ci, c’est donc la nature subsistante de Dieu que nous reconnaissons, car Dieu est en Dieu ”. Considérons maintenant les relations : il est évident que chacun des relatifs qui s’opposent, entre dans la notion de l’autre[2787]. Enfin considérons l’origine : il est clair encore que le verbe intelligible ne procède pas au-dehors, mais qu’il demeure dans l’intellect qui le dit[2788] ; de même, l’objet exprimé par le verbe est contenu dans ce verbe. Et l’on raisonnerait pareillement pour le Saint-Esprit.

Solutions :

1. Ce qui se passe dans les créatures ne donne pas une représentation suffisante de ce qui se passe en Dieu[2789]. Ainsi l’immanence réciproque du Fils dans le Père et du Père dans le Fils échappe à tous les modes recensés par le Philosophe. Cependant, le mode qui s’en rapproche le plus est l’immanence de l’effet dans son principe d’origine ; avec cette différence, bien entendu, que dans les créatures il n’y a pas d’unité d’essence entre le principe et ce qui en procède.

2. La “ sortie ” du Fils émanant du Père s’entend à la manière d’une procession intérieure[2790], celle du verbe qui sort du “ cœur” tout en y demeurant[2791]. En Dieu, cette “ sortie ” n’évoque donc qu’une distinction relative, sans la moindre distance ou division de l’essence.

3. Ce n’est point par l’essence, mais par leurs relations que le Père et le Fils s’opposent, d’ailleurs sans préjudice de l’immanence mutuelle entre termes relativement opposés, on vient de le dire.

 

            Article 6 — Les Personnes divines sont-elles égales en puissance ?

Objections :

1. Nous lisons dans S. Jean (5, 19) : “ Le Fils ne peut rien faire de lui-même, il ne fait que ce qu’il voit faire au Père. ” Mais le Père peut agir de lui-même. Il est donc plus puissant que le Fils.

2. Celui qui commande et enseigne a un pouvoir supérieur à celui qui obéit et écoute. Or le Père commande au Fils, ainsi qu’il est dit dans S. Jean (14,31) : “ Ce que mon Père m’a ordonné, je le fais. ” Le Père enseigne aussi le Fils, selon qu’il est dit (Jn 5, 20) : “ Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait. ” Pareillement le Fils écoute, selon cette autre parole (Jn 5, 30) : “ Je juge selon ce que j’entends. ” Donc le pouvoir du Père est supérieur à celui du Fils.

3. A la toute-puissance du Père, il appartient de pouvoir engendrer un Fils égal à lui-même[2792]. S. Augustin dit ainsi : “ Si le Père n’a pu engendrer son égal, où est sa toute-puissance ? ” Or le Fils ne peut pas engendrer de fils, on l’a vu précédemment[2793]. Le Fils ne peut donc pas tout ce qui relève de la toute-puissance du Père ; autrement dit, il ne lui est pas égal en puissance.

En sens contraire, on lit dans S. Jean (5, 19) : “ Tout ce que fait le Père, le Fils aussi le fait pareillement. ”

Réponse :

Il faut dire que le Fils est égal au Père en puissance. Car la puissance d’agir suit la perfection de la nature. On le voit bien dans les créatures : plus la nature qu’on possède est parfaite, plus la vertu active est grande. Or, on a montré plus haut[2794] que la notion même de paternité et de filiation divine exige que le Fils soit égal au Père en grandeur, c’est-à-dire en perfection de nature. Il en résulte que le Fils est égal au Père en puissance. La même raison vaut pour le Saint-Esprit comparé au Père et au Fils.

Solutions :

1. En disant que le Fils “ ne peut rien faire de lui-même ”, on ne refuse au Fils rien de la puissance du Père ; car on ajoute aussitôt que “ tout ce que fait le Père, le Fils le fait également ”. On montre seulement par là que le Fils tient sa puissance du Père comme il tient de lui sa nature. Comme dit S. Hilaire : “ Si grande est l’unité de la Nature divine, que le Fils, quand il agit par soi, n’agit pas de lui-même. ”

2. Quand il est dit que le Père “ montre ” au Fils et que le Fils l’“ écoute ”, entendons simplement que le Père communique sa science au Fils, comme il lui communique son essence[2795]. Et l’on peut rapporter à cette explication le commandement du Père : en engendrant son Fils, il lui donne de toute éternité connaissance et vouloir[2796] de ce qu’il aura à faire. Ou bien, et de préférence, on rapportera ces expressions au Christ dans sa nature humaine.

3. Comme la même essence est dans le Père sa paternité, et dans le Fils sa filiation, ainsi c’est par la même puissance que le Père engendre et que le Fils est engendré[2797]. Il est donc clair que, tout ce que peut le Père, le Fils le peut également. On n’en déduira pas cependant que le Fils peut engendrer ; ce serait là encore[2798] passer indûment de l’absolu au relatif. En Dieu, en effet, la génération signifie la relation[2799]. Le Fils a donc la même puissance que le Père avec une relation différente : le Père a cette puissance à titre de donateur, ce qu’on exprime en disant qu’il peut engendrer ; le Fils, de son côté, l’a comme bénéficiaire qui reçoit, et on l’exprime en disant qu’il peut être engendré[2800].


 

 

QUESTION 43 — LA MISSION DES PERSONNES DIVINES

1. Convient-il à une Personne divine d’être envoyée ? 2. La mission est-elle éternelle ou seulement temporelle ? 3. Comment une Personne divine est-elle envoyée ? 4. Convient-il à toute Personne divine d’être envoyée ? 5. Y a-t-il mission invisible du Fils aussi bien que du Saint-Esprit ? 6. A qui est accordée la mission invisible ? 7. La mission visible. 8. Une Personne peut-elle s’envoyer elle-même, visiblement ou invisiblement ?

 

            Article 1 — Convient-il à une Personne divine d’être envoyée ?

Objections :

1. L’envoyé est inférieur à celui qui l’envoie. Or aucune Personne divine n’est inférieure à l’autre[2801]. Donc aucune Personne divine n’est envoyée par une autre.

2. Ce qu’on envoie se sépare de ce qui l’envoie : comme dit S. Jérôme : “ Ce qui est uni et conjoint en un seul et même corps ne peut pas être envoyé. ” Or, il n’y a rien de séparable dans les Personnes divines[2802], selon S. Hilaire. Donc une Personne ne peut être envoyée par une autre.

3. Celui qu’on envoie quitte son lieu pour un autre. Mais cela non plus ne convient pas à une Personne divine, puisqu’elle est partout[2803]. Donc il ne convient pas à une Personne divine d’être envoyée.

En sens contraire, on lit en S. Jean (8, 16) : “ Je ne suis pas seul : j’ai avec moi le Père qui m’a envoyé. ”

Réponse :

L’idée de mission ou envoi implique une double relation : de l’envoyé à celui qui l’envoie, et de l’envoyé au terme où on l’envoie. Etre envoyé, cela dénonce d’abord, entre l’envoyé et celui qui l’envoie, une procession : qu’il s’agisse d’un mandat, comme le cas du maître envoyant son serviteur ; ou d’un conseil, comme on dit que le conseiller envoie le roi faire la guerre ; ou d’une origine, comme on dit que la tige émet la fleur. Cela dénonce aussi un rapport avec le terme de l’envoi ; il s’agit pour l’envoyé de commencer d’être là à quelque titre, soit qu’auparavant il ne fût d’aucune manière là où on l’envoie, soit qu’il n’y fût pas de la manière dont il commence d’y être.

On peut donc parler de la mission d’une Personne divine, en évoquant par là, d’une part, sa procession d’origine à l’égard de la Personne qui l’envoie[2804] ; d’autre part, un nouveau mode pour elle d’exister quelque part. On dit ainsi du Fils qu’il a été envoyé en ce monde par son Père, en tant qu’il a commencé d’être en ce monde par la chair qu’il a prise[2805], bien qu’auparavant “ il fût déjà dans le monde ”[2806] comme dit S. Jean (1, 10).

Solutions :

1. La mission implique une infériorité dans l’envoyé, quand c’est par ordre ou par conseil que l’envoyé procède du principe qui l’envoie ; car celui qui conseille est plus sage. Mais en Dieu la mission n’évoque que la procession d’origine, et celle-ci respecte l’égalité des Personnes divines, on l’a vu plus haut.[2807]

2. Ce qu’on envoie pour commencer d’être en un lieu où il n’était d’aucune manière, se meut d’un mouvement local dans l’exécution de sa mission ; il faut donc bien qu’il se sépare localement de celui qui l’envoie. Mais il n’est rien de tel dans la mission d’une Personne divine : la Personne envoyée ne commence pas d’exister en un lieu où elle n’était pas[2808] ; elle ne cesse donc pas non plus d’exister à l’endroit où elle était. Autrement dit, cette mission-là ne comporte pas de séparation, mais une simple distinction d’origine.

3. La dernière objection raisonne sur la mission (ou envoi) qui comporte un mouvement local : pareille mission n’a rien à faire en Dieu[2809].

 

            Article 2 — La mission est-elle éternelle ou seulement temporelle ?

Objections :

1. S. Grégoire parle ainsi : “ Le Fils est envoyé du fait qu’il est engendré. ” Or, la génération du Fils est éternelle[2810]. Sa mission l’est donc aussi.

2. Ce qui reçoit une attribution dans le temps subit un changement. Mais une Personne divine ne change pas[2811]. La mission d’une Personne divine n’est donc pas temporelle, mais éternelle.

3. Mission implique procession. Or la procession des Personnes divines est éternelle. Leur mission l’est donc aussi.

En sens contraire, on lit dans l’épître aux Galates (4, 4) : “ Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils. ”

Réponse :

Dans les vocables évoquant l’origine des Personnes divines, il y a des différences à noter. Certains termes n’évoquent dans leur signification que le rapport d’émané à principe : tels sont “procession” et “sortie”. D’autres, outre ce rapport au principe, précisent le terme de la procession : les uns évoquent le terme éternel, comme “génération” et “spiration”, car la génération est une procession qui met la Personne divine en possession de la Nature divine, et la spiration passive évoque la procession de l’Amour subsistant.[2812] Les autres expressions, avec le rapport au principe, évoquent un terme temporel, comme mission et donation. En effet, on est envoyé pour être en quelque endroit. On est donné pour être possédé. Or, qu’une Personne divine vienne à être possédée par une créature[2813], ou existe en elle d’une manière nouvelle, voilà bien quelque chose de temporel.

Aussi, en Dieu, mission et donation s’emploient uniquement comme des attributs temporels ; génération et spiration, uniquement comme des attributs éternels ; enfin procession et sortie s’emploient en Dieu aussi bien éternellement que temporellement. En effet, de toute éternité, le Fils procède pour être Dieu[2814] ; dans le temps, il procède pour être aussi homme par sa mission visible[2815], ou encore pour être dans l’homme par sa mission invisible[2816].

Solutions :

1. La parole de S. Grégoire se rapporte à la génération temporelle du Fils, qui naît alors non plus du Père, mais d’une mère[2817]. Ou bien l’on veut dire que le Fils, du seul fait qu’il est engendré éternellement, se trouve en position d’être envoyé.

2. Si une Personne divine existe chez quelqu’un à titre nouveau, ou se trouve possédée dans le temps par quelqu’un, ce n’est pas en raison d’un changement chez cette Personne divine, mais d’un changement dans la créature[2818]. Ainsi Dieu reçoit dans le temps l’attribut de Seigneur, en raison du changement de la créature.

3. Le mot mission n’évoque pas seulement la procession à partir du principe : il assigne en outre à cette procession un terme temporel.[2819] Il n’y a donc mission que dans le temps. Ou bien disons que le mot mission inclut dans son concept la procession éternelle et y ajoute un effet temporel ; car le rapport de la Personne divine à son principe ne peut être qu’éternel. Et si l’on parle d’une double procession, éternelle et temporelle, ce n’est pas qu’il y ait double rapport au principe ; ce qui est double, c’est le terme, éternel et temporel.

 

            Article 3 — Comment une Personne divine est-elle envoyée ?

Objections :

1. Pour une Personne divine, être envoyée c’est être donnée[2820]. Donc si la Personne divine n’est envoyée qu’en raison des dons de la grâce sanctifiante, ce n’est pas la Personne divine elle-même qui sera donnée, mais ses dons[2821]. Or c’est là précisément l’erreur de ceux qui disent que le Saint-Esprit ne nous est pas donné, mais seulement ses dons.

2. La préposition secundum (selon, en raison de, à titre de) notifie un rapport de causalité. Or c’est la Personne divine qui est cause qu’on possède ce don qu’est la grâce sanctifiante[2822], et non pas l’inverse, selon la parole de S. Paul (Rm 5, 5) : “ L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. ” Donc, on ne peut pas dire que la Personne divine est envoyée à raison de la grâce.

3. D’après S. Augustin, “ on dit que le Fils est envoyé, lorsque dans le temps l’esprit le perçoit ”. Mais le Fils n’est pas connu seulement par la grâce sanctifiante, il l’est aussi par “ grâce gratuite ”[2823], par exemple par la foi et la science. Ce n’est donc pas en raison seulement de la grâce sanctifiante qu’il y a mission de la Personne divine.

4. Rabain Maur dit que le Saint-Esprit fut donné aux Apôtres pour opérer des miracles. Or, cela n’est pas un don qui appartient à la grâce sanctifiante, mais un don de “ grâce gratuite ”[2824]. La Personne divine n’est donc pas donnée seulement en raison de la grâce sanctifiante.

En sens contraire, S. Augustin dit que “ le Saint-Esprit procède temporellement pour sanctifier la créature. ” Or, la mission est une procession temporelle[2825]. Et puisqu’il n’y a sanctification de la créature que par la grâce qui rend agréable à Dieu, il s’ensuit qu’il n’y a de mission d’une Personne divine que par la grâce sanctifiante.

Réponse :

On dit qu’une Personne divine est “envoyée”, en tant qu’elle existe en quelqu’un d’une manière nouvelle ; elle est “donnée”, en tant qu’elle est possédée par quelqu’un[2826]. Or ni l’un ni l’autre n’a lieu sinon en raison de la grâce sanctifiante. Il y a en effet pour Dieu une manière commune d’exister en toutes choses par son essence, sa puissance et sa présence[2827] ; il y est ainsi comme la Cause dans les effets qui participent de sa bonté[2828]. Mais, au-dessus de ce mode commun, il y a un mode spécial qui est propre à la créature raisonnable : on dit que Dieu existe en celle-ci comme le connu dans le connaissant[2829] et l’aimé dans l’aimant. Et parce qu’en le connaissant et aimant, la créature raisonnable atteint par son opération jusqu’à Dieu lui-même, on dit que, par ce mode spécial, non seulement Dieu est dans la créature raisonnable[2830], mais encore qu’il habite en elle comme dans son temple. Ainsi donc, en dehors de la grâce sanctifiante, il n’y a pas d’autre effet qui puisse être la raison d’un nouveau mode de présence de la Personne divine dans la créature raisonnable[2831]. Et c’est seulement en raison de la grâce sanctifiante qu’il y a mission et procession temporelle de la Personne divine. De même, on dit que nous “possédons” cela seulement dont nous pouvons librement jouir[2832]. Or, on n’a pouvoir de jouir d’une Personne divine qu’en raison de la grâce sanctifiante.

Cependant, dans le don même de la grâce sanctifiante, c’est le Saint-Esprit que l’on possède et qui habite l’homme[2833]. Aussi est-ce le Saint-Esprit lui-même qui est donné et envoyé.

Solutions :

l. Le don de la grâce sanctifiante perfectionne la créature raisonnable pour la mettre en état, non seulement d’user librement du don créé, mais encore de jouir de la Personne divine elle-même. C’est donc bien en raison de la grâce sanctifiante qu’il y a mission invisible ; et pourtant la Personne divine elle-même nous est donnée[2834].

2. La grâce sanctifiante dispose l’âme à posséder la Personne divine[2835] ; c’est ce que signifie notre formule : “ Le Saint-Esprit est donné en raison de la grâce. ” Cependant, ce don même qu’est la grâce provient du Saint-Esprit[2836] ; et c’est ce qu’exprime S. Paul, lorsqu’il dit que “ l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit ”.

3. Il est vrai que nous pouvons connaître le Fils par certains effets de grâce, différents de la grâce sanctifiante ; cependant ces autres effets ne suffisent pas pour qu’il habite en nous, et que nous le possédions.

4. Le don d’accomplir des miracles est ordonné à la grâce sanctifiante, qu’il s’agit de manifester ; il en est de même du don de prophétie et de n’importe quelle “ grâce gratuite ”[2837]. Aussi la première épître aux Corinthiens (12, 7) nomme la grâce gratuite “ une manifestation de l’Esprit ”. On dit donc que le Saint-Esprit fut donné aux Apôtres pour opérer des miracles, parce que la grâce sanctifiante leur a été donnée par le signe qui la manifestait. Mais si le signe de la grâce gratuite était donné seul sans la grâce, on ne dirait plus que le Saint-Esprit est donné, purement et simplement.[2838] Cette formule reçoit alors un complément déterminatif ; on dira, par exemple, que l’esprit de prophétie, ou l’esprit des miracles a été donné à quelqu’un, s’il a le pouvoir de prophétiser ou de faire des miracles.

 

            Article 4 — Convient-il à toute Personne divine d’être envoyée ?

Objections :

l. Pour une Personne divine, être envoyée c’est être donnée[2839]. Or le Père se donne : car nul ne peut le posséder si lui-même ne se donne. On peut donc bien dire que le Père s’envoie lui-même.

2. Il y a mission de la Personne divine, quand il y a habitation de grâce[2840]. Mais par la grâce, c’est la Trinité entière qui habite en nous, selon cette parole en S. Jean (14, 23) : “ Nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure. ” Chacune des Personnes divines est donc envoyée.

3. Tout attribut qui convient à l’une des Personnes convient à toutes, exception faite des notions et des personnes[2841]. Or le terme mission ne signifie ni une personne, ni une notion, car il n’y a que cinq notions, nous l’avons dit[2842]. De toute Personne divine on peut donc dire qu’elle est envoyée.

En sens contraire, S. Augustin nous dit : “ Dans l’Écriture, seul le Père n’est jamais dit être envoyé. ”

Réponse :

Par définition, mission implique procession à partir d’un autre ; et en Dieu, procession d’origine, on l’a dit plus haut[2843]. Puisque le Père ne procède d’aucun autre[2844], il ne lui convient donc nullement d’être envoyé ; cela n’appartient qu’au Fils et au Saint-Esprit, car il leur convient d’être à partir d’un autre.

Solutions :

1. Si donner veut dire communiquer librement quelque chose, alors le Père se donne ainsi lui-même, puisqu’il se communique libéralement à la créature pour qu’elle jouisse de lui[2845]. Mais si donner veut évoquer une autorité du donateur sur ce qui est donné, alors en Dieu ne peut être donnée, et pareillement envoyée, que la Personne qui procède d’une autre.

2. L’effet de grâce provient aussi du Père qui, par cette grâce, habite l’âme au même titre que le Fils et le Saint-Esprit[2846] ; mais on ne dit pas qu’il est envoyé, parce qu’il ne procède pas d’un autre[2847]. C’est l’explication qu’en donne S. Augustin : “ Quand le Père est connu de quelqu’un dans le temps, on ne dit pas qu’il est envoyé ; car il n’a personne de qui venir ou procéder. ”

3. Le terme de mission, en tant qu’il évoque une procession à partir de celui qui envoie, inclut bien une notion dans sa signification ; non pas sans doute telle notion en particulier, mais dans une acception générique, au sens ou “ être d’un autre ” est un aspect commun aux deux notions de filiation et de spiration passive.[2848]

 

            Article 5 — Y a-t-il mission invisible du Fils aussi bien que du Saint-Esprit ?

Objections :

l : C’est en raison des dons de la grâce que l’on considère la mission invisible d’une Personne divine. Or tous les dons de grâce ressortissent au Saint-Esprit[2849], selon la parole de S. Paul (1 Co 12, 11) : “ Ils sont tous l’œuvre du même et unique Esprit. ” Il n’y a donc de mission invisible que du Saint-Esprit.

2. La mission de la Personne divine est liée à la grâce sanctifiante[2850]. Or les dons qui perfectionnent l’intellect ne sont pas des dons de la grâce sanctifiante, car on peut les posséder sans la charité[2851], dit S. Paul (1 Co 13, 2) : “ Quand j’aurais le don de prophétie, quand je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais toute la foi, une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. ” Puisque le Fils procède, comme Verbe, de l’intellect[2852], il ne lui appartient donc pas d’être envoyé.

3. La mission d’une Personne divine, disions-nous[2853], est une procession. Mais la procession du Fils et celle du Saint-Esprit sont deux processions distinctes[2854]. Donc, si ces deux Personnes sont envoyées, cela fera aussi deux missions distinctes. Et alors la seconde serait superflue, car une seule suffit à sanctifier la créature.

En sens contraire, il est écrit de la Sagesse divine (Sg 9, 10) : “ Envoyez-la de vos cieux très saints, envoyez-la du trône de votre gloire. ”

Réponse :

Par la grâce sanctifiante, c’est toute la Trinité qui habite l’âme[2855], selon ce qui est écrit en S. Jean (14, 23) : “ Nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure. ” Or, dire qu’une Personne divine est envoyée à quelqu’un par la grâce invisible, c’est signifier un mode nouveau d’habitation de cette Personne, et l’origine qu’elle tient d’une autre[2856]. Puisque ces deux conditions : habiter l’âme par la grâce, et procéder d’un autre, conviennent également au Fils et au Saint-Esprit, concluons qu’il convient à tous deux d’être envoyés invisiblement. Quant au Père, il lui appartient sans doute d’habiter l’âme par la grâce, mais non pas d’être d’un autre, ni par suite d’être envoyé.

Solutions :

l. Il est vrai que tous les dons, à titre de dons, sont appropriés au Saint-Esprit, parce que celui-ci, en tant qu’Amour, a le caractère du premier don, nous l’avons dit[2857]. Cependant, certains dons, considérés selon leur teneur en propre et spécifique, sont attribués par appropriation[2858] au Fils : tous ceux précisément qui se rattachent à l’intellect. Et selon ces dons il y a une mission du Fils. S. Augustin dit ainsi : “ Le Fils est invisiblement envoyé à chacun, lorsqu’on le connaît et perçoit. ”

2. La grâce rend l’âme conforme à Dieu[2859]. Aussi pour qu’il y ait mission d’une Personne divine à l’âme par la grâce, il faut que l’âme soit conforme ou assimilée à cette personne par quelque don de grâce. Or le Saint-Esprit est l’Amour[2860] ; c’est donc le don de la charité qui assimile l’âme au Saint-Esprit, et c’est en raison de la charité que l’on considère une mission du Saint-Esprit. Le Fils, lui, est le Verbe et non pas un verbe quelconque, mais celui qui inspire l’Amour[2861]. “ Le Verbe que nous cherchons à faire entendre, dit S. Augustin, est une connaissance pleine d’amour. ” Il n’y a donc pas mission du Fils pour un perfectionnement quelconque de l’intellect, mais seulement quand l’intellect est doté et enrichi de telle sorte qu’il en vienne à déborder dans un élan d’amour, selon qu’il est écrit en S. Jean (6, 45) : “ Quiconque a entendu le Père et a reçu son enseignement, vient à moi ”, ou dans le Psaume (39, 4) : “ Dans ma méditation, un feu s’embrasera. ” Aussi S. Augustin use-t-il de termes significatifs : “ Le Fils, dit-il est envoyé, lorsqu’il est connu et perçu. ” Le mot perception signifie en effet une certaine connaissance expérimentale. C’est là proprement la “ sagesse ”, ou science savoureuse[2862], selon la maxime de l’Ecclésiastique (6, 22) : “ La sagesse de la doctrine mérite bien son nom. ”

3. Nous l’avons dit[2863], la mission comporte un double aspect : origine de la Personne envoyée, et habitation par la Grâce. Si, en parlant de mission, nous considérons l’origine, alors la mission du Fils est distincte de celle du Saint-Esprit, comme la génération de l’un est distincte de la procession de l’autre[2864]. Mais, si nous considérons l’effet de la grâce, les deux missions ont une racine commune, la grâce[2865], tout en se distinguant dans les effets de cette grâce, qui sont l’illumination de l’intellect et l’embrasement de l’affection. On voit par là qu’une mission ne va pas sans l’autre, puisque aucune des deux ne s’accomplit sans la grâce sanctifiante, et qu’une Personne ne se sépare pas de l’autre.

 

            Article 6 — A qui est accordée la mission invisible ?

Objections :

l. Les Pères de l’Ancien Testament ont eu part à la grâce[2866], tandis qu’il ne semble pas que la mission invisible les ait atteints, d’après S. Jean (7, 39) : “ L’Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. ” La mission invisible n’est donc pas donnée à tous ceux qui participent à la grâce.

2. Il n’y a de progrès en vertu que par la grâce[2867]. Mais la mission invisible ne paraît pas liée aux progrès de la vertu ; car, le progrès vertueux étant continu, semble-t-il, puisque la charité ou bien croît sans cesse[2868], ou bien disparaît, on aurait alors une mission continuelle. Ne disons donc pas que la mission invisible est faite “ à tous ceux qui ont part à la grâce ”.

3. Le Christ et les bienheureux ont la grâce en plénitude[2869]. Mais il ne semble pas qu’il leur soit fait de mission, car on ne fait d’envoi qu’à celui qui est à distance, alors que le Christ, en tant qu’homme, et les bienheureux sont parfaitement unis à Dieu[2870]. Ce n’est donc pas “ à tous ceux qui ont part à la grâce ”, qu’est faite la mission invisible.

4. Les sacrements de la loi nouvelle contiennent la grâce[2871] ; pourtant nul ne dit qu’il leur est fait une mission invisible. Il n’y a donc pas mission invisible à tout ce qui a la grâce.

En sens contraire, d’après S. Augustin, il y a mission invisible “ pour sanctifier la créature ”. Or, toute créature qui a la grâce est sanctifiée[2872]. Il y a donc mission invisible à toute créature qui a la grâce.

Réponse :

Ainsi qu’on l’a dit[2873], le concept de mission implique que l’envoyé, ou bien commence d’être où il n’était pas auparavant, comme il arrive dans les choses créées ; ou bien commence d’être d’une manière nouvelle là où il était déjà, et c’est dans ce dernier sens qu’on parle d’une mission des Personnes divines. Il y a donc deux conditions à vérifier chez celui à qui se fait leur envoi : l’habitation de la grâce, et certain caractère de nouveauté dans l’œuvre de la grâce. Et à tous ceux en qui se rencontrent ces deux conditions, il y a mission invisible.

Solutions :

l. Il y a eu mission invisible aux pères de l’Ancien Testament. S. Augustin dit ainsi que le Fils, par sa mission invisible “ devient présent chez les hommes et avec les hommes : mystère déjà réalisé autrefois chez les Pères et les Prophètes[2874] ”. Donc, quand nous lisons en S. Jean que “ l’Esprit n’était pas encore donné ”, nous l’entendons de cette donation avec signes visibles qui eut lieu le jour de la Pentecôte.

2. Il y a mission invisible même dans le progrès vertueux ou la croissance de la grâce. S. Augustin dit que le Fils “ est envoyé à chacun lorsqu’il est connu et perçu autant qu’il peut l’être selon la capacité d’une âme qui progresse en Dieu ou qui y est déjà consommée ”. Cependant, s’il est un accroissement de grâce où il y ait lieu de considérer une mission invisible, c’est avant tout celui qui fait passer à quelque acte nouveau ou à un nouvel état de grâce ; par exemple, lorsqu’on est élevé à la grâce des miracles, à celle de prophétie[2875], ou lorsqu’on en vient, par ferveur de charité, à s’exposer au martyre[2876], à renoncer à tous ses biens, ou à entreprendre quelque œuvre difficile.

3. Une mission invisible est accordée aux bienheureux dès le premier instant de leur béatitude[2877]. Dans la suite, il leur est donné des missions invisibles, non plus par intensification de leur grâce, mais en ce sens qu’ils reçoivent de nouvelles révélations touchant certains mystères ; il en est ainsi jusqu’au jour du jugement. Ici, le progrès consiste dans une extension de la grâce à de nouveaux objets. Le Christ reçut une mission invisible dès le premier instant de sa conception[2878] ; mais il n’en eut pas d’autre, puisqu’il fut rempli de toute grâce et sagesse dès le premier instant de sa conception.

4. Dans les sacrements de la loi nouvelle, la grâce existe à titre instrumental, à la manière dont la forme de l’œuvre existe dans l’instrument de l’artiste, c’est-à-dire comme en train de passer de l’agent dans le patient[2879]. Mais on ne parle de mission que pour le terme de l’envoi[2880]. Ce n’est donc pas aux sacrements qu’est faite la mission d’une Personne divine, mais à ceux qui reçoivent la grâce par le moyen de ces sacrements.

 

            Article 7 — Convient-il au Saint-Esprit d’être envoyé visiblement ?

Objections :

l. Le Fils, en tant précisément qu’il est envoyé visiblement dans le monde, est dit inférieur au Père[2881]. Mais nulle part on ne lit que le Saint-Esprit soit ainsi inférieur au Père. C’est donc qu’il ne convient pas au Saint-Esprit d’être visiblement envoyé.

2. Il y a mission visible en raison de l’assomption d’une créature visible par une Personne divine ; tel est le cas de la mission du Fils dans la chair[2882]. Mais le Saint-Esprit n’a pas assumé de créature visible. On ne peut donc pas dire qu’il soit présent en certaines créatures visibles autrement que dans les autres, sinon comme dans un signe qui le manifeste ; mais c’est le cas des sacrements, c’est le cas de toutes les figures de l’ancienne loi. Ne parlons donc pas de mission visible du Saint-Esprit, ou bien il faudra dire qu’elle a lieu pour tous les cas qu’on vient d’énumérer.

3. Toute créature visible est un effet qui manifeste la Trinité entière[2883]. Dans les créatures visibles qu’on mentionne, il n’y a donc pas mission du Saint-Esprit plutôt que d’une autre Personne.

4. Le Fils a été envoyé visiblement selon la plus digne des créatures visibles, c’est-à-dire avec la nature humaine[2884]. Donc, si le Saint-Esprit est envoyé visiblement, ce doit être avec des créatures raisonnables.

5. Pour S. Augustin, ce qui est visiblement accompli par la vertu divine, est confié au ministère des anges[2885]. Donc s’il y a eu apparition de formes visibles, ce fut par le ministère des anges ; ainsi ce sont les anges qui sont envoyés, et non pas le Saint-Esprit.

6. S’il y a mission visible du Saint-Esprit, ce n’est jamais que pour manifester sa mission invisible, car les réalités invisibles sont manifestées par les choses visibles. Par conséquent, celui qui n’a pas reçu de mission invisible n’a pas dû non plus recevoir de mission visible ; et tous ceux qui, dans l’un ou l’autre Testament, ont reçu la mission invisible, ont dû aussi recevoir la mission visible : ce qui est évidemment faux. L’hypothèse l’est donc aussi ; autrement dit, le Saint-Esprit n’est pas envoyé visiblement.

En sens contraire, on lit en S. Matthieu (3, 16) que le Saint-Esprit descendit sur le Seigneur, quand il reçut le baptême, sous la forme d’une colombe.

Réponse :

A toute chose, Dieu pourvoit selon le mode qui lui convient. Or, c’est le mode connaturel à l’homme, d’être conduit par le visible à l’invisible ; on l’a dit plus haut[2886]. Aussi a-t-il fallu manifester à l’homme, par des choses visibles, les mystères invisibles de Dieu. De même donc que Dieu, par des créatures visibles présentant quelques signes révélateurs, s’est en quelque mesure montré aux hommes[2887], lui et les processions éternelles de ses Personnes, ainsi convenait-il qu’à leur tour les missions invisibles de ces Personnes divines fussent manifestées par quelques créatures visibles. Avec une différence, d’ailleurs, selon qu’il s’agit du Fils ou du Saint-Esprit. Puisque le Saint-Esprit procède comme l’Amour[2888], il lui appartient d’être le don de la sanctification ; le Fils étant principe du Saint-Esprit[2889], il lui appartient d’être l’auteur de cette sanctification. Le Fils est donc visiblement envoyé comme auteur de la sanctification, tandis que le Saint-Esprit l’est comme signe de la sanctification.

Solutions :

l. Le Fils a assumé dans l’unité de sa personne[2890] la créature visible où il est apparu, si bien que les attributs propres à cette créature sont attribuables au Fils de Dieu. C’est ainsi, en raison de sa nature assumée[2891], que le Fils est dit inférieur au Père. Mais le Saint-Esprit n’a pas assumé en l’unité de sa personne la créature où il est apparu ; ce qui convient à celle-ci ne s’attribue pas à lui. On ne peut donc pas arguer de la créature visible qui le manifeste, pour le dire inférieur au Père.

2. On ne considère pas de mission visible du Saint-Esprit dans la vision imaginaire, autrement dit dans la vision prophétique. Selon S. Augustin, la vision prophétique n’est pas offerte aux yeux du corps sous des formes corporelles : elle est présentée à l’esprit sous les images spirituelles de réalités corporelles[2892]. Mais la colombe et le feu ont été vus par les yeux des témoins. D’ailleurs le Saint-Esprit n’y était pas simplement comme le Christ était dans le rocher : "Le rocher, dit S. Paul (1 Co 10, 4), c’était le Christ". Ce rocher était déjà une créature, et c’est son opération qui lui vaut de représenter le Christ et d’en prendre le nom. Mais colombe et feu ont soudain existé à seule fin de signifier ces mystères. Il faut, semble-t-il, les rapprocher de la flamme qui apparut à Moïse dans le buisson, de la colonne que le peuple suivait dans le désert, des éclairs et du tonnerre qui accompagnaient la révélation de la loi sur la montagne. Si la forme corporelle de toutes ces choses a existé, ce fut pour symboliser et prédire quelque chose ”. On voit donc que la mission visible ne se vérifie ni pour les visions prophétiques, qui furent imaginaires et non corporelles ; ni pour les signes sacramentels de l’Ancien et du Nouveau Testament, où l’on recourt à des choses préexistantes pour symboliser une réalité sacrée. Il n’est question de mission visible du Saint-Esprit que lorsqu’il s’est manifesté par des créatures formées exprès pour le signifier.

3. C’est bien la Trinité entière qui a produit ces créatures visibles ; mais leur production les destinait à manifester spécialement telle ou telle Personne. De même que des noms distincts désignent le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ainsi des choses différentes ont pu les signifier, bien qu’il n’y ait aucune séparation ou diversité entre les Personnes divines[2893].

4. Il fallait, disions-nous à l’instant, manifester la personne du Fils comme l’auteur de la sanctification au moyen d’une créature raisonnable, capable d’action et de sanctification. Mais pour faire office de signe de sanctification, n’importe quelle autre créature suffisait. Il n’était pas non plus nécessaire que la créature visible, formée à cette fin, fût assumée par le Saint-Esprit dans l’unité de sa personne[2894] ; elle n’était pas prise pour agir, mais seulement pour notifier. C’est pourquoi encore elle n’avait à durer que le temps de remplir son office.

5. Sans doute, ces créatures visibles ont été formées par le ministère des anges, mais pour signifier la personne du Saint-Esprit et non pas celle de l’ange. Et, puisque le Saint-Esprit était en ces créatures visibles, comme la réalité signifiée est dans le signe, on dit qu’il y avait là mission visible du Saint-Esprit, et non pas de l’ange.

6. Il n’est pas nécessaire que la mission invisible soit toujours manifestée par un signe extérieur visible : “La manifestation de l’Esprit, dit S. Paul (1 Co 12, 7), est accordée selon que l’exige l’utilité” de l’Église. Il s’agit, par ces signes visibles, de confirmer et de propager la foi ; or ce fut principalement l’œuvre du Christ et des Apôtres, comme l’affirme l’épître aux Hébreux (2, 3) : “Publié en premier lieu par le Seigneur, le salut nous a été attesté par ceux qui avaient entendu celui-ci.” Il était donc spécialement besoin d’une mission du Saint-Esprit au Christ, aux Apôtres et à un certain nombre des premiers saints, qui étaient en quelque sorte les fondations de l’Église. Notons toutefois que la mission visible faite au Christ manifestait une mission invisible accomplie non pas en cet instant, mais dès le début de sa conception[2895].

La mission visible adressée au Christ, dans son baptême, se fit sous la forme d’une colombe, animal très fécond ; c’était pour montrer la puissance privilégiée du Christ comme source de grâce par la régénération spirituelle[2896]. Aussi entendit-on retentir la voix du Père, disant : “Celui-ci est mon Fils bien-aimé” ; car les autres devaient être régénérés à la ressemblance du Fils unique. Dans la Transfiguration, le Saint-Esprit lui fut envoyé sous forme de nuée lumineuse, pour montrer la fertilité de son enseignement ; la voix ajouta, en effet : “Écoutez-le”.

Aux apôtres, il fut envoyé sous forme de souffle, pour montrer leur pouvoir de ministres dans la dispensation des sacrements[2897] ; il leur fut dit, en effet (Jn 20, 23) : “Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis.” Sous forme aussi de langues de feu, pour manifester leur office de docteurs : “Ils commencèrent, disent les Actes (2, 4), à parler en diverses langues.”

Quant aux Pères de l’Ancien Testament, ils ne devaient pas recevoir de mission visible du Saint-Esprit. Il fallait en effet que la mission visible du Christ précède celle du Saint-Esprit ; car le Saint-Esprit manifeste le Fils, comme le Fils manifeste le Père[2898]. Il y eut bien des apparitions visibles des Personnes divines aux Pères de l’Ancien Testament ; mais on ne peut parler à ce propos de missions visibles, parce que, selon S. Augustin, ces apparitions ne se sont pas produites pour signifier l’habitation par grâce de la Personne divine[2899], mais pour manifester quelque autre chose.

 

            Article 8 — Une Personne peut-elle s’envoyer elle-même visiblement ou invisiblement ?

Objections :

1. S. Augustin affirme : “ Le Père n’est envoyé par personne, parce qu’il ne procède de personne[2900]. ” Donc, si une Personne divine est envoyée par une autre, il faut qu’elle en procède.

2. Celui qui envoie a autorité sur l’envoyé. Or, à l’égard d’une Personne divine, il n’est d’autorité qu’à titre d’origine[2901]. Il faut donc que la Personne envoyée procède de celle qui envoie.

3. Si la Personne divine peut être envoyée par celle de qui elle ne procède pas, rien n’empêchera de dire que le Saint-Esprit est donné par l’homme de qui il ne procède pas. Or S. Augustin a combattu cette dernière thèse. C’est donc que la Personne divine n’est envoyée que par celle dont elle procède.

En sens contraire, le Fils est envoyé par le Saint-Esprit, selon cette parole d’Isaïe (48, 16) : “ Maintenant le Seigneur Dieu m’envoie. ” Or le Fils ne procède pas du Saint-Esprit. Une Personne divine est donc envoyée par celle de qui elle ne procède pas.

Réponse :

Sur cette question, on trouve exprimées diverses opinions. Selons certains, la Personne divine n’est envoyée que par celle de qui elle procède éternellement. Dans ce système, si l’on dit que le Fils de Dieu est envoyé par le Saint-Esprit il faut le rapporter à sa nature humaine selon laquelle le Saint-Esprit l’envoie prêcher. Mais S. Augustin dit que le Fils s’envoie lui-même et qu’il est envoyé par le Saint-Esprit ; et encore que le Saint-Esprit est envoyé par lui-même et par le Fils. De sorte qu’en Dieu, s’il n’appartient pas à toute Personne d’être envoyée, mais seulement à une Personne issue d’une autre, en revanche il appartient à toute Personne d’envoyer.

Les deux points de vue ont chacun leur vérité. Lorsqu’on dit qu’une Personne est envoyée, on signifie la Personne même qui procède d’une autre, et l’effet visible ou invisible à raison duquel on envisage une mission de la Personne divine[2902]. Donc, si l’on considère celui qui envoie comme principe de la Personne envoyée, de ce point de vue ce n’est pas une Personne quelconque qui envoie, mais celle-là seulement à qui il appartient d’être principe de la Personne envoyée ; le Fils n’est ainsi envoyé que par le Père, tandis que le Saint-Esprit l’est par le Père et par le Fils[2903]. Mais si la Personne qui envoie est considérée comme principe de l’effet pour lequel on envisage une mission, c’est alors la Trinité entière qui envoie la Personne en mission. Il ne s’ensuit pas, d’ailleurs, que l’homme donne le Saint-Esprit, puisqu’il ne peut pas causer l’effet de grâce[2904].

Ainsi, la solution des objections va de soi.

 

 


 

LA PROCESSION DES CRÉATURES A PARTIR DE DIEU, PREMIERE CAUSE DE TOUS LES ETRES

Après avoir considéré la procession des Personnes divines, il reste à considérer la procession des créatures à partir de Dieu. Cette étude comprendra trois parties : premièrement la production des créatures (Q. 44-46) ; deuxièmement, leur distinction (Q.47-102) ; troisièmement, leur conservation et leur gouvernement (Q. 103-119).

Sur la production des choses, on envisagera : 1. Quelle est la cause première des êtres ? (Q. 44) 2. Comment les créatures procèdentelles de la cause première ? (Q. 45) 3. Quel est le principe de leur durée ? (Q. 46).

 

 

QUESTION 44 — LA CAUSE PREMIÈRE DES ÊTRES

1. Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ? 2. La matière première est-elle créée par Dieu, ou bien est-elle un principe en liaison et à égalité avec lui ? 3. Dieu est-il la cause exemplaire des choses, ou y a-t-il d’autres exemplaires que lui ? 4. Est-ce lui qui est la cause finale des choses ?

 

            Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ?

Objections :

1. Il ne semble pas nécessaire que tout être ait été créé par Dieu. Car rien n’empêche qu’une chose se rencontre sans qu’elle ait en elle ce qui n’appartient pas à sa définition, comme un homme qui n’aurait pas la blancheur. Mais le rapport d’effet à cause ne semble pas appartenir à la définition des êtres, puisque certains êtres peuvent se comprendre indépendamment de ce rapport. Ils peuvent donc exister sans elle. Donc rien n’empêche que certains êtres n’aient pas été créés par Dieu.

2. Si un être a besoin d’une cause efficiente, c’est pour exister[2905]. Donc ce qui ne peut pas ne pas être n’a pas besoin de cause efficiente. Mais aucun être nécessaire ne peut pas ne pas exister, parce que ce qui est nécessaire ne peut pas ne pas être. Donc, puisqu’il y a beaucoup de réalités nécessaires dans les choses[2906], il semble que tous les êtres n’existent pas à partir de Dieu.

3. Quelle que soit la cause d’un être, elle peut lui servir de principe de démonstration. Mais en mathématiques les démonstrations ne se font pas par la cause efficiente, selon Aristote. Donc tous les êtres n’existent pas à partir de Dieu comme par leur cause efficiente.

En sens contraire, il est dit dans la lettre aux Romains (11, 36) : “ Tout est de lui, par lui et en lui. ”

Réponse :

Tout être, de quelque manière qu’il existe, existe nécessairement par Dieu. Car si un être se trouve dans un autre par participation, il est nécessaire qu’il y soit causé par ce à quoi cela revient par essence ; par exemple, le fer est porté à incandescence par le feu. Or, on a montré précédemment, en traitant de la simplicité divine, que Dieu est l’être même subsistant par soi[2907]. Et l’on a montré ensuite que l’être subsistant ne peut être qu’unique[2908] ; par exemple si la blancheur subsistait en elle-même[2909], elle serait forcément unique, puisque les blancheurs ne sont multiples que par les sujets qui les reçoivent[2910]. Il reste donc que tous les êtres autres que Dieu ne sont pas leur être, mais participent de l’être[2911]. Il est donc nécessaire que tous les êtres qui se diversifient selon qu’ils participent diversement de l’être, si bien qu’ils ont plus ou moins de perfection, soient causés par un unique être premier[2912], qui est absolument parfait[2913].

C’est ce qui a fait dire à Platon qu’avant toute multiplicité il faut poser l’unité. Et Aristote affirme que ce qui est souverainement être et souverainement vrai est cause de tout l’être et de tout le vrai, comme ce qui est chaud au maximum est cause de toute chaleur.

Solutions :

1. Bien que la relation d’un être à sa cause n’entre pas dans sa définition, elle est pourtant une conséquence de ce qui appartient à sa notion ; car, du fait qu’une réalité est un être par participation, elle est causée par un autre[2914]. Aussi une telle réalité ne peut exister sans être causée, comme l’homme ne peut exister sans avoir la faculté de rire[2915]. Mais parce que être causé n’appartient pas à la pure notion d’être, il se trouve un être qui n’est pas causé.[2916]

2. Cet argument a poussé certains à prétendre que ce qui est nécessaire n’a pas de cause, comme le rapporte Aristote. Mais cela apparaît manifestement faux dans les sciences qui procèdent par démonstration, dans lesquelles des principes nécessaires sont causes de conclusions également nécessaires. Aussi Aristote affirme-t-il qu’il y a des êtres nécessaires qui ont une cause de leur nécessité. Si une cause efficiente est requise, ce n’est pas seulement parce que l’effet pourrait ne pas exister, mais parce que l’effet n’existerait pas s’il n’y avait pas de cause. Car cette proposition conditionnelle[2917] est vraie, que son antécédent et son conséquent soient possibles, ou impossibles.

3. Les êtres mathématiques sont considérés comme abstraits selon la raison, bien qu’ils ne soient pas abstraits dans leur être[2918]. Or, il convient à tout être d’avoir une cause agente pour autant qu’il a l’être. Donc, bien que les êtres mathématiques aient une cause agente[2919], ce n’est pas selon la relation qu’ils ont à cette cause agente qu’ils sont considérés par le mathématicien. Et c’est pourquoi, dans les mathématiques, on ne démontre rien par la cause agente.

 

            Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car tout ce qui devient est composé d’un substrat et de quelque chose d’autre, dit Aristote. Mais la matière première n’a pas de substrat[2920]. Donc elle ne peut pas avoir été faite par Dieu.

2. Activité et passivité sont antagonistes. Mais, de même que le premier principe actif est Dieu, ainsi la matière est le principe ultime de passivité[2921]. Donc Dieu et la matière première sont deux principes opposés, et aucun des deux n’existe par l’autre.

3. Tout agent produit un effet qui lui ressemble[2922]. Ainsi, puisque tout agent agit en tant qu’il est en acte, il s’ensuit que tout ce qui est fait doit être d’une certaine manière en acte[2923]. Mais la matière première, en tant que telle, est seulement en puissance[2924]. Il est donc contraire à la notion de matière première d’avoir été faite.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “Tu as fait deux choses, Seigneur ; l’une est proche de toi ”, c’est l’ange ; “ et l’autre est proche du néant ”, c’est la matière première.

Réponse :

Les anciens philosophes sont entrés progressivement et comme pas à pas dans la connaissance de la vérité. Au début, étant encore grossiers, ils n’accordaient d’existence qu’aux corps perceptibles aux sens. Ceux qui admettaient le mouvement de ces corps ne le considéraient que selon des dispositions accidentelles comme la rareté et la densité, l’attraction et la répulsion. Et comme ils supposaient que ces corps avaient une substance incréée[2925], ils attribuaient diverses causes à ces transformations accidentelles, comme l’amitié, la discorde, l’intelligence, etc.

Progressant au-delà, d’autres distinguèrent par la pensée la forme substantielle et la matière[2926], qu’ils estimaient incréée ; et ils découvrirent que les transmutations des corps se faisaient selon les formes essentielles. Et ils leur attribuaient des causes plus universelles, comme le mouvement du soleil le long de l’écliptique selon Aristote, ou les idées[2927] pour Platon.

Mais il faut remarquer que la forme donne à la matière sa spécificité[2928], de même qu’un accident qui s’ajoute à une substance spécifique lui donne un mode d’être particulier[2929], ainsi à l’homme d’être un blanc. Les uns et les autres considèrent donc l’être sous un angle particulier, soit en tant qu’il est celui-ci, soit en tant qu’il est tel. Et c’est ainsi qu’ils attribuèrent aux choses des principes d’action particuliers.

Mais d’autres allèrent plus loin et s’élevèrent jusqu’à la considération de l’être en tant qu’être, et ils considérèrent la cause des choses non seulement selon qu’elles sont celles-ci ou qu’elles sont de telle sorte, mais en tant qu’elles sont des êtres. Donc ce qui est cause des choses en tant qu’elles sont des êtres doit être leur principe[2930], non seulement selon qu’elles sont telles par leurs formes accidentelles, ni selon qu’elles sont celles-ci par leurs formes substantielles, mais encore selon tout ce qui appartient à leur être, de quelque façon que ce soit. Et c’est ainsi qu’il faut affirmer que même la matière première est créée par la cause universelle des êtres[2931].

Solutions :

1. Dans ce texte, le Philosophe parle du mode particulier de devenir, qui fait passer d’une forme à une autre, qu’elle soit accidentelle ou substantielle. Mais nous parlons maintenant des choses selon leur émanation à partir du principe universel de l’être[2932]. Or, de cette émanation, la matière elle-même n’est pas exclue, bien qu’elle le soit du premier mode de production.

2. La passivité dépend de l’activité. Aussi est-il logique que le principe ultime de passivité soit l’effet du principe ultime d’activité ; car l’imparfait a toujours le parfait pour cause[2933]. Il faut en effet que le premier principe, d’après Aristote, soit absolument parfait[2934].

3. Cet argument ne prouve pas que la matière ne serait pas créée, mais qu’elle n’est pas créée sans forme[2935]. Car, bien que tout ce qui est créé soit en acte, il n’est pas acte pur[2936]. Aussi faut-il que tout ce qui est en lui principe passif soit créé, si tout ce qui appartient à son être est créé[2937].

 

            Article 3 — Dieu est-il la cause exemplaire des choses ?

Objections :

1. Il semble que la cause exemplaire soit autre chose que Dieu. Car toute reproduction ressemble à son modèle. Mais les créatures sont très loin de ressembler à Dieu[2938]. Dieu n’est donc pas leur cause exemplaire.

2. Tout ce qui existe par participation se ramène à quelque chose qui existe par soi-même, comme la chaleur par rapport au feu, ainsi qu’on l’a dit[2939]. Mais tout ce qu’il y a dans les choses sensibles n’existe qu’en participant d’une espèce donnée. Ce qui le montre bien, c’est que dans aucun être matériel on ne trouve seulement ce qui appartient à sa spécificité, mais que des principes d’individuation s’ajoutent aux principes spécifiques[2940]. Il faut donc admettre des spécificités existant par soi comme l’homme par soi, le cheval par soi, etc. C’est cela qu’on appelle des exemplaires. Il y a donc des exemplaires qui existent en dehors de Dieu.

3. Les sciences et les définitions portent sur ce qui est spécifique[2941], et non pas sur les particularités : le particulier n’est pas objet de science ou de définition[2942]. Il y a donc des êtres et des espèces non singuliers. Ce sont des modèles. On est ramené à l’objection précédente.

4. Denys dit la même chose : “ Ce qui est être par soi est antérieur à ce qui est vie en soi et à ce qui est sagesse en soi. ”

En sens contraire, l’exemplaire ou modèle est identique à l’idée. Mais les idées, selon S. Augustin, sont des formes principes contenues dans l’intelligence divine[2943]. Donc les exemplaires des choses ne sont pas hors de Dieu.

Réponse :

Dieu est cause première exemplaire de toutes choses. Pour en être persuadé, il faut considérer qu’un modèle est nécessaire à la production d’une chose pour que l’effet reçoive une forme déterminée. En effet, l’artisan produit dans la matière une forme déterminée à cause du modèle qu’il observe, que ce modèle lui soit extérieur, ou bien qu’il soit intérieurement conçu par son esprit. Or, il est manifeste que les choses produites par la nature reçoivent une forme déterminée. Cette détermination des formes doit être ramenée, comme à son premier principe, à la sagesse divine qui a élaboré l’ordre de l’univers, lequel consiste dans la disposition différenciée des choses[2944]. Et c’est pourquoi il faut dire que la sagesse divine contient les notions de toutes choses, que précédemment nous avons appelées idées[2945], c’est-à-dire formes exemplaires existant dans l’intelligence divine. Bien que celles-ci soient multiples[2946], selon leur relation aux réalités, elles ne sont pas réellement distinctes de l’essence divine, en tant que sa ressemblance peut être participée de façon diverse par les divers êtres[2947]. Ainsi donc Dieu lui-même est le premier modèle de tout.

On peut en outre dire de certains êtres créés qu’ils sont des modèles pour d’autres, dans la mesure où ils se ressemblent, soit selon la même espèce, soit selon l’analogie que produit une certaine imitation.

Solutions :

1. Les créatures n’atteignent pas à une ressemblance avec Dieu selon leur nature spécifique de la manière dont l’homme engendré ressemble à celui qui l’a engendré[2948]. Cependant, elles atteignent à sa ressemblance selon qu’elles réalisent ce que Dieu conçoit d’elles ; c’est ainsi que la maison réalisée dans la matière ressemble à la maison conçue par l’architecte.

2. Il appartient à la notion d’homme d’exister dans la matière, et ainsi on ne peut trouver d’homme qui soit sans matière[2949]. Donc, bien que l’homme existe par participation de l’espèce, on ne peut le référer à quelque chose qui existerait par soi dans la même espèce, mais à une espèce qui le dépasse, comme les substances séparées[2950]. Et il en est de même pour toutes les autres réalités sensibles.

3. Bien que la science ou la définition ne concernent que des êtres, il n’est pas nécessaire que les choses aient l’être de la même manière que l’intelligence dans son acte de connaissance. Car nous, par la vertu de l’intellect agent[2951], nous abstrayons les espèces universelles hors des conditions particulières[2952] ; mais cela n’oblige pas à ce que les universaux subsistent en eux-memes en dehors des êtres particuliers, pour être leur modèle[2953].

4. Comme dit Denys, par “ vie en soi ” ou “ sagesse en soi ” on nomme tantôt Dieu[2954], tantôt les vertus que lui-même a données aux choses, mais non pas des choses subsistantes comme l’entendaient les anciens.

 

            Article 4 — Dieu est-il la cause finale de toute chose ?

Objections :

1. Agir pour une fin semble être le fait de celui qui a besoin de cette fin. Mais Dieu n’a besoin de rien[2955]. Donc il ne lui convient pas d’agir pour une fin.

2. Selon Aristote la fin et la forme de la génération, et d’autre part l’agent de cette génération, ne peuvent pas être identiques, car la fin de la génération ce n’est pas son auteur mais son effet dans l’engendré. Mais Dieu est le premier agent de toutes choses[2956]. Donc il n’en est pas la cause finale.

3. Tout être désire sa fin. Mais tous ne désirent pas Dieu, car beaucoup ne le connaissent pas[2957]. Donc Dieu n’est pas la fin de tous.

4. La cause finale est la première des causes[2958]. Donc, si Dieu est à la fois cause agente et cause finale, il s’ensuit qu’il y a en lui succession temporelle. Ce qui est impossible[2959].

En sens contraire, il est dit dans les Proverbes (16,4 Vg) : “ Le Seigneur a tout fait en vue de lui-même. ”

Réponse :

Tout agent agit en vue d’une fin, autrement il ne résulterait de son action pas plus une chose qu’une autre, si ce n’est par hasard. Or, l’agent et le patient, en tant que tels, ont la même fin, mais à des titres différents ; car c’est une même et unique chose que l’agent veut communiquer, et que le patient veut recevoir. Il y a bien des êtres qui agissent et pâtissent en même temps ; ce sont les agents imparfaits, car il leur convient d’acquérir quelque chose même en agissant[2960]. Mais il n’appartient pas au premier agent, qui est pur agent[2961], d’agir pour acquérir une fin ; il veut seulement communiquer sa perfection, qui est sa bonté[2962]. Et chaque créature entend obtenir sa propre perfection[2963], qui est une ressemblance de la perfection et de la bonté divines. Ainsi donc la bonté divine est la fin de toutes choses.

Solutions :

1. Agir par indigence est le propre de l’agent imparfait à qui il est naturel d’agir et de pâtir[2964]. Mais cela ne convient pas à Dieu. Et c’est pourquoi lui seul est absolument libéral, car il n’agit pas pour son avantage mais seulement en vue de sa bonté.

2. La forme de l’être engendré n’est la fin de la génération que parce que cette forme est une ressemblance de la forme de celui qui engendre[2965], lequel veut transmettre sa ressemblance. Autrement la forme de l’engendré serait plus noble que celui qui engendre, puisque la fin est plus noble que les moyens qui y conduisent.

3. Tout être désire Dieu comme sa fin lorsqu’il désire n’importe quel bien, que ce soit par un désir intelligent, par un désir sensible, ou par un désir de nature, lequel est étranger à la connaissance ; car rien n’a raison de bien et de désirable sinon en tant qu’il participe d’une ressemblance avec Dieu[2966].

4. Parce que Dieu est cause efficiente, exemplaire et finale de toutes choses[2967], et parce que la matière première vient de lui[2968], il s’ensuit que le premier principe de toutes choses est unique en réalité. Mais rien n’empêche d’envisager en lui, par la raison, plusieurs causalités dont certaines précèdent les autres dans notre intelligence.


 

 

QUESTION 45 — LA MANIÈRE DONT LES CHOSES ÉMANENT DU PREMIER PRINCIPE

C’est ce qu’on appelle la création.

1. Qu’est-ce que la création ? 2. Dieu peut-il créer quelque chose ? 3. La création est-elle un être dans la nature des choses ? 4. A quels êtres appartient-il d’être créé ? 5. Appartient-il à Dieu de créer ? 6. Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes ? 7. Y a-t-il un vestige de la Trinité dans les êtres créés ? 8. L’œuvre de la création se mêle-t-elle aux œuvres de la nature et de la volonté ?

 

            Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

Objections :

1. Il semble que créer ne soit pas faire quelque chose de rien. S. Augustin dit en effet : “ On fait ce qui n’existait absolument pas. On crée en constituant quelque chose que l’on tire de ce qui existait déjà. ”

2. La valeur de l’action et du mouvement est estimée à partir de leurs termes. Or, l’action la plus noble est celle qui va du bien au bien et de l’être à l’être, plutôt que celle qui va de rien à quelque chose. Mais la création apparaît comme l’action la plus noble et la première de toutes les actions. Donc elle ne consiste pas à aller du néant à l’être, mais plutôt de l’être à l’être.

3. Cette préposition “ de ” implique un rapport de causalité, surtout de causalité matérielle, comme lorsque nous disons qu’une statue est faite “ de ” bronze. Mais rien ne peut être la matière de l’être, ni en être cause d’aucune manière[2969]. Donc créer n’est pas faire quelque chose de rien.

En sens contraire, sur le premier verset de la Genèse : “ Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ”, la Glose dit que créer est faire quelque chose de rien.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut[2970], il ne faut pas considérer seulement l’émanation d’un être particulier à partir d’un agent particulier, mais aussi l’émanation de tout l’être à partir de la cause universelle, qui est Dieu ; et c’est cette émanation-là que nous désignons par le mot de création. Or, ce qui procède d’autre chose par mode d’émanation particulière n’est pas présupposé à cette émanation ; par exemple, là où un homme est engendré, il n’y avait pas d’homme auparavant, mais l’homme vient de ce qui n’est pas homme, et le blanc de ce qui n’est pas blanc. Ainsi, lorsque l’on considère l’émanation de tout l’être universel à partir du premier principe, il est impossible qu’un être soit présupposé à cette émanation. Or, “rien” signifie “aucun être”. Donc, ainsi que la génération d’un homme a pour point de départ ce non-être particulier qu’est le non-homme, de même la création, qui est une émanation de tout l’être, vient de ce non-être qui est le néant.

Solutions :

1. S. Augustin emploie le mot “ création” d’une manière équivoque, selon que l’on qualifie de créés les êtres qui passent à une forme supérieure, comme on dit “ créer” un évêque. Mais ce n’est pas en ce sens que nous parlons ici de création, on vient de le dire.

2. Les changements ne tirent pas leur nature et leur dignité du terme de départ, mais du terme d’arrivée. Un changement est d’autant plus parfait et primordial que le terme auquel il aboutit est lui-même plus noble et plus primordial. C’est ainsi que, comme telle, la génération est plus noble et plus primordiale que l’altération, pour ce motif que la forme substantielle est plus noble que la forme accidentelle[2971] ; cependant, la privation de la forme substantielle, qui est le terme de départ de la génération, est plus imparfaite que le contraire, qui est le terme de départ de l’altération. De la même manière, la création l’emporte en noblesse et en priorité sur la génération et l’altération, parce que son terme d’arrivée est toute la substance de la chose[2972]. Or ce que l’esprit conçoit comme point de départ est le non-être absolu.

3. Lorsque l’on dit que quelque chose est fait “ de ” rien, la préposition “ de ” ne désigne pas la cause matérielle mais une simple succession, comme lorsque l’on dit : Du matin naît le midi, c’est-à-dire que celui-ci succède au matin. Toutefois il faut comprendre que cette préposition “ de ” peut ou bien inclure la négation impliquée dans le fait que je dis “ rien ”, ou bien être incluse en lui. Dans le premier cas, l’idée d’ordre est affirmée, et l’on marque l’ordre de succession à partir du non-être qui précédait. Si, au contraire, la négation inclut la préposition, alors l’ordre de succession est nié, et le sens est : telle chose est faite de rien, c’est-à-dire : Elle n’est pas faite de quelque chose ; comme si l’on disait : Cet homme ne parle de rien, parce qu’il ne parle pas de quelque chose. Or ces deux sens sont vérifiés lorsque l’on dit que quelque chose est fait de rien. Mais dans le premier cas, “ de ” implique une succession, comme on vient de l’expliquer ; dans le second cas, il implique le rapport à une cause matérielle, qui est niée.

 

            Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ?

Objections :

1. Il ne semble pas que Dieu puisse créer quelque chose. Car, selon Aristote, les philosophes anciens admirent comme un axiome universel que du néant rien ne peut sortir. Or, la puissance de Dieu ne s’étend pas à ce qui est contraire aux premiers principes[2973] ; ainsi ne peut-il pas faire que le tout ne soit pas plus grand que la partie, ou que l’affirmation et la négation soient vraies en même temps. Donc il ne peut pas faire quelque chose de rien, ce qui est créer.

2. Si créer c’est faire quelque chose de rien, être créé c’est devenir quelque chose. Mais tout devenir est un changement. Donc la création est un changement. Mais tout changement se fait dans un sujet, comme le montre cette définition du mouvement : l’acte de ce qui existe en puissance[2974]. Donc il est impossible que quelque chose soit fait de rien par Dieu.

3. Ce qui est fait est nécessairement fait à un moment donné. Mais on ne peut pas dire que ce qui est créé se fasse et ait été fait au même moment ; car, dans les choses permanentes, ce qui devient n’existe pas, et ce qui est devenu existe à présent, autrement, quelque chose existerait et n’existerait pas au même moment. Donc, si quelque chose devient, sa production précède ce qu’il est devenu. Mais cela ne peut être sans la préexistence d’un sujet qui porte ce devenir. Donc il est impossible que quelque chose soit fait de rien.

4. On ne peut parcourir une distance infinie[2975]. Mais il y a une distance infinie entre l’être et le rien. Il est donc impossible que quelque chose soit fait de rien.

En sens contraire, on lit dans la Genèse : “ Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. ” Et la Glose dit alors que créer, c’est faire quelque chose de rien.

Réponse :

Non seulement il n’est pas impossible que Dieu crée quelque chose, mais il est nécessaire d’affirmer que tout a été créé par Dieu, comme on le déduit de ce qui précède[2976]. Car, celui qui fait quelque chose à partir de quelque chose d’autre, le fait à partir de ce qui est présupposé à son action, et n’est pas produit par elle. Ainsi l’artisan opère à partir d’éléments naturels, comme le bois et le bronze, qui ne sont pas produits par son action, mais par l’action de la nature. La nature elle-même produit les réalités naturelles quant à leur forme, mais elle présuppose la matière. Donc, si Dieu agissait seulement à partir d’un élément présupposé à son action, cet élément ne serait pas causé par lui. Or, on a montré plus haut[2977] que rien ne peut être dans les étants qui ne vienne de Dieu, cause universelle de tout l’être. Il est donc nécessaire de dire que c’est à partir de rien que Dieu produit les choses dans l’être.

Solutions :

1. On a déjà vu[2978] que les philosophes anciens n’ont considéré que l’émanation des effets particuliers à partir de causes particulières, auxquelles il est nécessaire de présupposer quelque chose qui précède leur action. D’où leur axiome que rien ne peut sortir de rien. Mais cela ne s’applique pas à l’émanation première à partir du principe universel des choses.

2. La création n’est pas un changement, si ce n’est selon notre mode de concevoir. Car il appartient à la raison de changement qu’un même être se comporte de façon différente maintenant et auparavant. Dans certains cas, c’est le même être en acte qui a changé, comme dans les changements selon la qualité, la quantité et le lieu ; dans d’autres cas, c’est seulement le même être en puissance, comme dans les mutations selon la substance dont le sujet est la matière[2979]. Mais dans la création, qui produit toute la substance des choses, on ne peut saisir aucun élément identique qui diffère maintenant de l’état antérieur, si ce n’est seulement pour l’intelligence[2980] ; ainsi nous comprenons qu’une chose n’existait nullement d’abord, et qu’ensuite elle existe. Mais puisque activité et passivité se fondent dans la réalité commune du mouvement, et ne diffèrent que selon des relations diverses, dit Aristote, il s’ensuit forcément que, si l’on écarte le mouvement, il ne reste que des relations diverses dans l’être qui crée et dans celui qui est créé[2981]. Mais comme la manière de comprendre conditionne la manière de s’exprimer, la création est présentée à la manière d’un changement, et c’est pourquoi l’on dit que créer c’est faire quelque chose de rien. Cependant les termes “faire” et “être fait” sont ici mieux adaptés que “changer” et “être changé”, car “faire” et “être fait” impliquent une relation de cause à effet et d’effet à cause, tandis que l’idée de changement ne s’y joint que par voie de conséquence.

3. Dans les choses qui se font sans mouvement, le devenir et le fait d’être devenu sont simultanés ; soit qu’une telle production soit le terme du mouvement, comme l’illumination[2982] (car c’est en même temps qu’une chose s’illumine et est illuminée), soit qu’elle demeure étrangère au mouvement, comme c’est simultanément que le verbe mental se forme en nous et est déjà formé[2983]. Et dans ces choses, ce qui devient est. Mais quand on dit qu’il devient, on veut dire qu’il existe par un autre, et qu’il n’existait pas auparavant. Aussi, puisque la création est sans mouvement, c’est simultanément qu’un être est en voie de création et a été créé.

4. Cette objection procède d’une fausse imagination, comme s’il y avait, entre le néant et l’être, un intermédiaire infini, ce qui est évidemment faux. Cette fausse imagination vient elle-même de ce que la création est présentée dans le langage comme une certaine mutation entre deux termes[2984].

 

            Article 3 — La création est-elle quelque chose dans la créature ?

Objections :

1. De même que la création envisagée passivement est attribuée à la créature, de même la création envisagée activement est attribuée au Créateur[2985]. Mais elle n’est pas quelque chose dans le Créateur, car il s’ensuivrait alors qu’il y aurait en Dieu quelque chose de temporel[2986]. Donc, la création passivement prise n’est pas quelque chose dans la créature.

2. Il n’y a aucune réalité intermédiaire entre le créateur et la créature. Mais la création est présentée comme un intermédiaire entre eux. Car elle n’est pas le Créateur, n’étant pas éternelle[2987] ; ni la créature, car il faudrait pour cette même raison une autre création, par laquelle elle serait créée, et ainsi à l’infini. La création n’est donc pas quelque chose.

3. Si la création est quelque chose en dehors de la substance créée elle-même, il faut qu’elle en soit un accident. Or tout accident est dans un sujet. La chose créée serait donc le sujet de la création. Et ainsi la même réalité serait le sujet de la création et son terme. Cela est impossible, car le sujet est antérieur à l’accident et le conserve dans l’être[2988] ; tandis que le terme est postérieur à l’action ou à la passion dont il est le terme[2989], et dès qu’il existe, activité et passivité cessent. Donc la création comme telle n’est pas une réalité.

En sens contraire, c’est davantage d’être fait selon toute sa substance que selon une forme substantielle ou accidentelle[2990]. Mais la génération, au sens strict ou dérivé, par laquelle un être devient selon une forme substantielle ou accidentelle, est quelque chose dans l’être engendré[2991]. Donc, à bien plus forte raison, la création par laquelle un être est fait selon toute sa substance, est quelque chose dans l’être créé.

Réponse :

La création pose quelque chose dans l’être créé mais seulement selon la relation. En effet ce qui est créé ne se fait pas par changement ou mutation[2992]. Car ce qui se fait par changement ou mutation se fait à partir d’un terme préexistant ; c’est ce qui se passe pour les productions particulières de certains êtres ; mais cela ne peut arriver pour la production de tout l’être par la cause universelle de tous les êtres, qui est Dieu[2993]. Aussi Dieu, en créant, produit les choses sans changement. Lorsqu’on retire du changement l’action et la passion, il ne reste rien d’autre que la relation, comme on vient de le dire[2994]. Aussi faut-il que dans la créature la création ne soit pas autre chose qu’une relation au Créateur, en tant qu’il est le principe de son être ; de même que dans la passion, qui existe dans le mouvement, est impliquée une relation au principe du changement[2995].

Solutions :

1. La création entendue activement signifie l’action divine, qui est son essence, avec une relation à la créature. Mais la relation à la créature, en Dieu, n’est pas réelle mais seulement de raison. Tandis que la relation de la créature à Dieu est une relation réelle, comme on l’a dit en traitant des Noms divins[2996].

2. Parce que la création est signifiée comme une mutation, ainsi qu’on vient de le dire[2997], et que la mutation est un intermédiaire entre le principe moteur et l’objet mû, la création, elle aussi, est présentée comme un intermédiaire entre le Créateur et la créature. Cependant la création passivement prise est dans la créature, et elle est créature. Mais cela n’exige pas qu’elle soit créée par une autre création ; car les relations, du fait que leur être même consiste dans un rapport à autre chose, ne lui sont pas référées par d’autres relations, mais par elles-mêmes, comme on l’a déjà dit en traitant de l’égalité des Personnes divines.[2998]

3. Présentée comme un changement, la création a pour terme la créature. Mais selon qu’elle est en réalité une relation, la créature est son sujet et la précède dans l’existence, comme le sujet précède l’accident[2999]. Mais elle a un autre titre de priorité, en raison de l’objet auquel elle se réfère, et qui est le principe de la créature. Mais cela n’implique pas que l’on dise de la créature qu’elle est en voie d’être créée, aussi longtemps qu’elle existe, car la création implique relation de la créature au Créateur, avec l’idée de nouveauté, ou de commencement[3000].

 

            Article 4 — A quels êtres appartient-il d’être créés ?

Objections :

1. Il semble qu’être créé ne soit pas le propre des êtres composés et subsistants. Il est dit en effet dans le Livre des Causes :“La première des choses créées, c’est l’être.”[3001] Mais l’être de la chose créée n’est pas subsistant.[3002] Donc la création n’appartient pas, à proprement parler, aux réalités subsistantes et composées.

2. Les êtres sont créés à partir de rien.[3003] Or les êtres composés ne viennent pas de rien, mais de leurs composants. Donc il ne leur convient pas d’être créés.

3. Ce qui est produit comme tel par une première émanation, préexiste à une seconde : ainsi, une chose naturelle, produite par une génération naturelle, est présupposée aux travaux des hommes. Mais ce qui est présupposé à la génération naturelle, c’est la matière. Donc c’est la matière qui est créée à proprement parler[3004], et non le composé.

En sens contraire, il est dit au début de la Genèse : “ Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. ” Or le ciel et la terre sont des réalités composées et subsistantes. C’est donc de telles réalités qui sont proprement objets de création.

Réponse :

Etre créé, c’est en quelque manière devenir, on vient de le voir[3005]. Or, le devenir est ordonné à l’être. Donc, les êtres auxquels il convient proprement de devenir et d’être créés sont ceux auxquels il convient d’être. Et cela convient à proprement parler aux sujets subsistants, qu’ils soient simples, comme les substances séparées[3006], ou qu’ils soient composés, comme les substances matérielles. En effet, l’être convient proprement à ce qui possède l’être et qui subsiste dans son être. Tandis que les formes, les accidents et autres entités semblables sont appelées des étants non pas parce qu’ils existent en eux-mêmes, mais parce qu’ils appartiennent à un autre ; ainsi la blancheur est-elle appelée un étant parce que son sujet est blanc. Aussi, selon le Philosophe, on parle de l’accident avec plus de propriété en l’appelant quelque chose de l’être plutôt qu’un être. Ainsi donc, les accidents, les formes, etc., parce qu’ils ne subsistent pas, sont des cœxistants plutôt que des êtres, et on doit les dire concréés plutôt que créés. Ce qui est proprement créé, ce sont les choses subsistantes.

Solutions :

1. Lorsque l’on dit que la première des choses créées est l’être, ce mot ne concerne pas le sujet créé mais la raison propre sous laquelle la création atteint son objet. Car un être est dit créé non du fait qu’il est tel être, mais du fait qu’il est un être, puisque la création est l’émanation de tout l’être à partir de l’être universel, comme on l’a dit[3007]. On parlerait de la même façon si l’on disait que le premier objet de la vue est la couleur, bien que ce qui est vu à proprement parler soit un objet coloré.

2. La création ne désigne pas la constitution de la chose composée à partir de ses principes préexistants ; mais on dit que le composé est créé parce qu’il est produit dans l’être avec tous ses éléments constitutifs.

3. Cet argument ne prouve pas que la matière seule soit créée, mais que la matière n’existe que par création. Car la création est la production de tout l’être, et non pas seulement de la matière.[3008]

 

            Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ?

Objections :

1. Il semble que non. Car, selon le Philosophe, un être est parfait quand il peut produire un être qui lui ressemble.[3009] Mais les créatures immatérielles sont plus parfaites que les créatures matérielles[3010], qui peuvent produire un être semblable à elles, car le feu engendre le feu, et l’homme engendre un homme. Donc la substance immatérielle peut produire une substance semblable à elle. Mais une substance immatérielle ne peut être faite que par création, puisqu’il n’y a pas de matière dont elle serait faite[3011]. Donc certaines créatures peuvent créer.

2. Plus il y a de résistance de la part de ce qui est fait, plus celui qui le fait doit avoir de pouvoir. Mais le contraire résiste plus que le néant. Donc il faut plus de force pour faire quelque chose à partir de son contraire ce que fait pourtant la créature que pour faire quelque chose de rien[3012]. Donc certaines créatures peuvent créer.

3. Le pouvoir de celui qui fait quelque chose s’évalue en proportion de ce qui est fait. Mais l’être créé est fini, comme on l’a prouvé lorsqu’on traitait de l’infinité de Dieu[3013]. Donc, pour produire par création quelque chose de créé, il suffit d’un pouvoir limité. Mais avoir un pouvoir limité n’est pas contraire à la notion de créature. Donc il n’est pas impossible qu’une créature crée.

En sens contraire, il y a ce que dit S. Augustin : “ Ni les bons ni les mauvais anges ne peuvent être les créateurs de quoi que ce soit. ” Donc beaucoup moins encore les autres créatures.

Réponse :

Il apparaît assez au premier regard, d’après ce qui précède, que créer ne peut être l’action propre que de Dieu seul. Il faut en effet ramener les effets les plus universels aux causes les plus universelles et les plus primordiales. Or, parmi tous les effets, le plus universel est l’être lui-même. Aussi faut-il qu’il soit l’effet propre de la cause première et absolument universelle, qui est Dieu. C’est pourquoi on dit aussi dans le Livre des Causes, que ni une intelligence, ni une âme, malgré sa noblesse, ne donne l’existence, sinon en tant qu’elle opère par l’opération divine. Produire l’être absolument, et non en tant qu’il est celui-ci ou qu’il est tel, cela relève de la raison même de création. [3014] Aussi est-il manifeste que la création est l’action propre de Dieu lui-même.

Mais il arrive qu’un être participe de l’action propre d’un autre, non par son pouvoir, mais par manière d’instrument, en tant qu’il agit par le pouvoir de cet autre ; ainsi l’air est capable, par le pouvoir du feu, de chauffer et de brûler. Ceci a conduit certains penseurs à estimer que, bien que la création soit l’effet propre de la cause universelle, certaines causes inférieures, en tant qu’elles agissent par la vertu de la cause première, peuvent créer. Et c’est ainsi qu’Avicenne a prétendu que la première substance séparée, créée par Dieu, en crée une autre après elle, puis la substance de l’orbe du ciel, avec son âme[3015] ; et que la substance de l’orbe du ciel crée ensuite la matière des corps inférieurs. De la même manière, le Maître des Sentences assure que Dieu peut communiquer à la créature la puissance de créer, de telle sorte qu’elle crée par délégation, non de sa propre autorité.

Mais cela est impossible. Car une cause seconde instrumentale ne participe de l’action de la cause supérieure que dans la mesure où, par un effet qui lui est propre, elle agit par manière de disposition pour produire l’effet de l’agent principal. Donc, si elle ne faisait rien selon ce qui lui est propre, il serait inutile de l’employer, et il n’y aurait pas besoin de choisir des instruments déterminés pour produire des actions déterminées. Ainsi nous voyons qu’une hache, en coupant le bois, fait ce qu’elle tient de sa forme propre, et produit la forme d’un banc, qui est l’effet propre de l’agent principal. Or, ce qui est l’effet propre de Dieu qui crée, c’est ce qui est présupposé à tous les autres effets, à savoir l’être pris absolument. Aussi aucun autre être ne peut-il rien opérer par manière de disposition et d’instrument en vue de cet effet, puisque la création ne se fait à partir de rien de présupposé qui pourrait être disposé par l’action de l’agent instrumental.[3016] Ainsi donc il est impossible qu’il convienne à aucune créature de créer, ni par sa vertu propre, ni par sa vertu instrumentale, ni à titre ministériel.

Et il est particulièrement absurde de dire qu’un corps puisse créer ; car un corps n’agit sinon par contact et motion ; aussi son action requiert quelque chose de préexistant à son action, qui puisse être touché ou mû, ce qui est contraire à la notion de création.

Solutions :

1. Un être parfait qui participe d’une certaine nature produit un être semblable à lui, non en produisant cette nature prise absolument, mais en l’appliquant à quelque chose. Car l’homme que voici ne peut être la cause de la nature humaine prise absolument, parce qu’il serait alors cause de lui-même[3017] ; mais il est cause que la nature humaine existe dans cet homme qu’il a engendré.[3018] Et ainsi présuppose-t-il à son action la matière déterminée par laquelle il est cet homme-ci. Mais, de même que cet homme-ci participe de la nature humaine, de même tout être créé participe, si j’ose dire, de la nature de l’être ; car Dieu seul est son être, comme on l’a déjà dit.[3019] Donc aucun être créé ne peut produire aucun être pris absolument, sinon en tant qu’il cause l’être dans cet être-ci ; et ainsi faut-il que ce par quoi quelque chose est cet être-ci soit compris comme antérieur à l’action qui produit un être semblable à lui.[3020] Mais, dans une substance immatérielle, on ne peut concevoir ce qui l’individualise comme antérieur à elle, parce que ce qui l’individualise c’est sa forme[3021], qui lui donne l’être, puisqu’il s’agit de formes subsistantes[3022]. Donc une substance immatérielle ne peut produire une autre substance immatérielle semblable à elle, quant à son être ; elle peut seulement produire une perfection surajoutée, par exemple si l’on disait, avec Denys, que l’ange supérieur illumine l’ange inférieur[3023]. C’est en ce sens qu’il y a de la paternité jusque dans le ciel, selon la parole de l’Apôtre (Ep 3,15) : (Dieu) “de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom.” Par là encore il apparaît avec évidence que nul être créé ne peut causer quelque chose sans une réalité préexistante, ce qui exclut l’idée de création.

2. Si quelque chose est produit à partir de son contraire, c’est par accident, dit le Philosophe[3024]. Par soi il naît du sujet où il se trouvait en puissance. Donc le contraire résiste à l’agent, en ce sens qu’il empêche la puissance d’accéder à l’acte auquel l’agent s’efforce d’amener la matière : ainsi le feu entend amener l’eau à un acte semblable au sien, et il en est empêché par la forme et les dispositions contraires, qui entravent en quelque sorte la puissance pour qu’elle ne passe pas à l’acte. Et plus la puissance est liée, plus l’agent doit avoir de force pour amener la puissance à l’acte ; aussi faut-il une force beaucoup plus grande dans l’agent si nulle puissance ne préexiste. Ainsi donc il est évident qu’il faut beaucoup plus de force pour faire quelque chose de rien[3025], que pour le faire de son contraire.

3. Le pouvoir d’un agent ne se mesure pas seulement à la substance de ce qui est fait, mais encore à la manière de le faire ; car une plus grande chaleur chauffe non seulement davantage, mais plus rapidement. Donc, bien que causer un effet fini ne manifeste pas une puissance infinie, cependant causer cet effet à partir de rien manifeste une puissance infinie. Cela découle de la solution qui précède. Si en effet il faut à l’agent une force d’autant plus grande que la puissance est plus éloignée de l’acte, l’agent qui opère sans aucune puissance préalable, comme c’est le cas du créateur, doit avoir un pouvoir infini. Car il n’y a pas de proportion entre ce qui n’a aucune puissance et la puissance que présuppose le pouvoir de tout agent naturel, elles sont entre elles comme entre le non-être et l’être. Et puisque aucune créature n’a l’infinité de la puissance pas plus qu’elle n’a l’infinité de l’être, comme on l’a prouvé antérieurement[3026], il reste qu’aucune créature ne peut créer.

 

            Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ?

Objections :

1. Il semble que créer soit propre à l’une des Personnes. En effet, ce qui est premier est cause de ce qui est second, et le parfait est cause de l’imparfait[3027]. Mais la procession d’une Personne divine est antérieure à la procession de la créature, et elle est plus parfaite, parce que la Personne divine procède de manière à ressembler parfaitement à son principe, tandis que la créature ressemble imparfaitement au sien[3028]. Donc les processions des Personnes divines sont la cause de la procession des créatures. Et ainsi créer est le propre de la Personne.

2. Les Personnes divines ne se distinguent que par leurs processions et leurs relations[3029]. Donc tout ce qui est attribué de manière différente aux Personnes divines leur convient selon leurs processions et leurs relations. Mais la causalité à l’égard des créatures est attribuée diversement aux Personnes divines ; car, dans le Symbole de Nicée, on attribue au Père d’être le Créateur de l’univers visible et invisible ; on attribue au Fils que “ par lui tout a été fait ” ; mais à l’Esprit Saint, qu’il est Seigneur et qu’il donne la vie[3030]. Donc la causalité à l’égard des créatures convient aux Personnes selon leurs processions et relations.

3. Si l’on dit que la causalité à l’égard de la créature se prend selon quelque attribut essentiel qui est approprié à l’une des personnes[3031], cela ne paraît pas suffisant. Car tout effet divin est causé par n’importe quel attribut essentiel, la puissance, la bonté et la sagesse[3032] ; et il ne convient pas davantage à l’un qu’à l’autre. Donc on ne devrait pas attribuer un mode déterminé de causalité à une Personne plutôt qu’à une autre, à moins qu’on ne prenne les relations et les processions comme point de départ de la distinction à établir[3033].

En sens contraire, Denys affirme que les noms qui concernent la causalité sont communs à toute la divinité.

Réponse :

Créer, c’est proprement causer ou produire l’être des choses[3034]. Puisque tout agent produit un être semblable à lui[3035], le principe de l’action peut se juger à partir de son effet : ainsi le feu engendre le feu. Et c’est pourquoi créer convient à Dieu selon son être, lequel est son essence[3036], commune aux trois Personnes[3037]. Aussi créer n’est-il pas propre à l’une des Personnes, mais commun à toute la Trinité.

Cependant, les Personnes divines, selon la raison de leur procession[3038], ont une causalité à l’égard de la création des choses. Comme on l’a montré antérieurement, en traitant de la science et de la volonté de Dieu[3039], Dieu est cause des choses par son intelligence et sa volonté, comme il en est de l’artisan pour les produits de son art. Or l’artisan opère d’après le verbe conçu dans son intelligence[3040], et par l’amour que sa volonté porte à son œuvre. Aussi Dieu le Père a-t-il produit la créature par son Verbe, qui est le Fils ; et par son Amour, qui est l’Esprit Saint. De la sorte, les processions des Personnes sont la raison de la production des créatures[3041], en tant qu’elles incluent les attributs essentiels que sont la science et la volonté.

Solutions :

1. On vient de dire que les processions des Personnes divines sont cause de la création.

2. La nature divine, bien qu’elle soit commune aux trois Personnes[3042], leur convient cependant dans un certain ordre, en tant que le Fils reçoit du Père la nature divine[3043], et que l’Esprit Saint la reçoit de tous deux[3044]. De même aussi, le pouvoir de créer, bien qu’il soit commun aux trois Personnes[3045], leur convient dans un certain ordre, car le Fils la tient du Père, et le Saint-Esprit du Père et du Fils. Aussi attribue-t-on le nom de Créateur au Père, comme à celui qui ne tient pas d’un autre le pouvoir créateur[3046]. Du Fils, on dit que tout a été fait par lui, en tant qu’il a le même pouvoir, mais reçu d’un autre, car la préposition “par” désigne ordinairement une cause intermédiaire, ou un principe découlant lui-même d’un principe[3047]. Quant à l’Esprit Saint, qui tient ce même pouvoir des deux autres Personnes, on lui attribue de gouverner et de vivifier, comme Seigneur, ce que le Père a créé par le Fils[3048].

On peut encore trouver une raison générale de cette attribution selon la façon dont les attributs essentiels sont appropriés aux trois Personnes[3049]. Comme on l’a vu précédemment[3050], on approprie au Père la puissance, qui se manifeste surtout dans la création, et c’est pourquoi on attribue au Père d’être le Créateur. Au Fils on approprie la sagesse, par laquelle tout agent intelligent opère, et c’est pourquoi on dit de lui : “ par qui tout a été fait ”. Enfin on approprie la bonté au Saint-Esprit, et c’est à elle qu’il revient de gouverner en conduisant les choses aux fins qui leur sont dues, et de donner la vie, parce que celle-ci consiste en une sorte de mouvement interne[3051] et que ce qui donne d’abord le mouvement, c’est la fin et le bien[3052].

3. Il est vrai que tout effet venant de Dieu procède de n’importe lequel de ses attributs. Néanmoins, chacun de ses effets se ramène à cet attribut avec lequel il a de l’affinité selon sa raison propre. Ainsi on attribue l’ordonnance des choses à la sagesse divine[3053], la justification de l’impie à la miséricorde et à la bonté qui se diffuse surabondamment[3054]. Quant à la création, qui est la production de la substance même des choses, elle se ramène à la puissance.

 

            Article 7 — Y a-t-il un vestige de la Trinité dans les êtres créés ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de trouver dans la création un vestige de la Trinité. Car tout être s’offre à l’investigation par ses vestiges. Mais la Trinité des Personnes ne peut se découvrir à partir des créatures, comme on l’a établi précédemment[3055]. Donc il n’y a pas de vestiges de la Trinité dans la création.

2. Tout ce qui se trouve dans la créature est créé. Donc, si l’on trouve un vestige de la Trinité dans une créature en raison de telle ou telle de ses propriétés, et si tout ce qui est créé offre un vestige de la Trinité, il faudra qu’en chacune de ces propriétés on trouve un vestige de la Trinité, et ainsi indéfiniment.

3. L’effet ne représente que sa cause. Mais la causalité des créatures appartient à la nature commune de la Trinité[3056], non aux relations par lesquelles les Personnes se distinguent et se comptent[3057]. Donc on ne trouve pas dans la créature un vestige de la Trinité, mais seulement de l’unité de l’essence divine.

En sens contraire, d’après S. Augustin, “ un vestige de la Trinité apparaît dans la créature ”.

Réponse :

Tout effet représente de quelque manière sa cause, mais diversement. Parfois l’effet représente seulement la causalité de la cause, mais non sa forme. C’est ainsi que la fumée manifeste le feu, et une telle représentation est appelée vestige ; car l’empreinte du pas manifeste le mouvement de quelqu’un qui est passé, sans révéler sa nature. Mais un autre effet représente la cause parce qu’il a une forme semblable à celle de cette cause : le feu engendré représente le feu dont il est issu, et la statue de Mercure représente celui-ci. Une telle représentation est une image.

Or les processions des Personnes divines ont lieu selon les actes de l’intelligence et de la volonté, on l’a vu antérieurement[3058] ; car le Fils procède comme Verbe de l’intelligence[3059], et l’Esprit Saint comme Amour de la volonté[3060]. Donc, dans les créatures douées de raison, qui ont intelligence et volonté, on trouve une image de la Trinité parce qu’on trouve en elles un verbe qui est conçu et un amour qui procède.

Mais en toutes les créatures on trouve une représentation de la Trinité par mode de vestige en ce sens qu’on trouve en elles quelque chose qu’il faut nécessairement rapporter aux Personnes divines comme à leur cause. En effet, toute créature subsiste dans son être, possède une forme qui détermine son espèce et a un ordre à l’égard d’autres êtres. Donc, en tant que substance créée, elle représente sa cause et son principe, et ainsi elle manifeste la personne du Père qui est un principe n’ayant pas de principe[3061]. En tant qu’elle a une certaine forme et espèce, elle représente le Verbe, car la forme de l’œuvre d’art vient de la conception de l’artiste[3062]. En tant qu’ordonné à d’autres, elle représente l’Esprit Saint selon qu’il est Amour, car l’ordre d’un effet à l’égard d’autre chose provient de la volonté du Créateur[3063].

C’est pourquoi S. Augustin dit qu’on trouve un vestige de la Trinité en chaque créature, selon qu’elle est un être doté d’unité, qu’elle est formée par quelque espèce, et qu’elle occupe un certain rang. C’est à cela encore que se ramène cette triade : le nombre, le poids et la mesure, dont parle le livre de la Sagesse (11,20) ; car la mesure se rapporte à la substance d’une chose limitée par ses principes, le nombre à l’espèce, le poids à l’ordre. A cela encore se ramène une autre triade proposée par S. Augustin : le mode, l’espèce et l’ordre[3064] ; et encore cette autre : “ Ce qui est constitué, ce qui est distingué, ce qui convient. ” En effet, une chose est constituée par sa substance, elle est distinguée par sa forme, elle convient à autre chose par son ordre. C’est ainsi qu’on peut unifier facilement ces différentes catégories.

Solutions :

1. La représentation par mode de vestige se prend selon les attributs appropriés[3065] ; par ce moyen on peut, à partir des créatures, s’élever à la Trinité des Personnes, comme on vient de le dire.

2. La créature est au sens propre la réalité subsistante, dans laquelle on peut trouver ces trois caractères[3066]. Il n’est pas nécessaire de les trouver dans chacun des élément qui sont en elle, mais, selon cette triple représentation, le vestige est attribué à la réalité subsistante.

3. Les processions des Personnes sont elles aussi, d’une certaine façon, cause et raison de la création, de la manière qu’on a dite[3067].

 

            Article 8 — L’œuvre de la création se mêle-t-elle aux œuvres de la nature et de la volonté ?

Objections :

1. Il semble que la création se mêle aux œuvres de la nature et de l’art. Dans toute opération de la nature ou de l’art il y a production d’une certaine forme. Mais elle n’est pas produite à partir de quelque chose, puisque la matière ne fait pas partie d’elle-même[3068]. Donc elle est produite de rien. Et ainsi, dans toute production de la nature ou de l’art, il y a création.

2. L’effet n’est pas plus puissant que sa cause. Mais dans la nature tout être agit par sa forme accidentelle[3069], active ou passive[3070]. Donc aucune forme substantielle n’est produite par la nature. Il reste donc que ce soit par création.

3. La nature produit un être semblable à elle[3071]. Mais tout ce qui est engendré dans la nature ne l’est pas par un être semblable à lui, comme on le voit chez les animaux engendrés par putréfaction. Donc leur forme ne vient pas de la nature, mais de la création. Et il en est de même pour les autres.

4. Ce qui n’est pas créé n’est pas une créature. Donc, si la création n’est pas liée aux productions de la nature, il s’ensuivra que les œuvres de la nature ne sont pas des créatures, ce qui est hérétique.

En sens contraire, S. Augustin distingue l’œuvre de propagation, qui est une œuvre de la nature, de l’œuvre de création.

Réponse :

Ce problème est soulevé à cause de la question philosophique des formes. Certains philosophes ont pensé qu’elles n’avaient pas pour principe l’action de la nature, mais qu’elles existaient auparavant dans la matière, à l’état latent. Mais cette erreur est due à leur ignorance de la matière, parce qu’ils ne savaient pas distinguer entre la puissance et l’acte : parce que les formes préexistent en puissance dans la matière[3072], ils ont pensé qu’elles préexistent comme telles.

D’autres ont pensé que les formes sont données ou causées par un agent séparé, par mode de création. Ainsi la création s’ajouterait à toute opération de la nature. Mais cette erreur est due a leur ignorance de la forme. Car ils n’ont pas pris garde que la forme naturelle d’un corps n’est pas une réalité subsistante : elle est ce par quoi quelque chose est[3073]. Aussi, puisque être fait, être créé ne convient à proprement parler qu’à un être subsistant, comme on l’a dit précédemment[3074], les formes ne sont ni faites ni créées, mais il leur revient d’être concréées. Ce qui est fait, à proprement parler, par l’action de la nature, c’est l’être composé, fait à partir de la matière. Aussi, dans les œuvres de la nature, la création ne s’immisce pas, mais elle est présupposée à l’opération de la nature.

Solutions :

1. Les formes commencent à être en acte, lorsque le composé est fait ; pour autant, elles ne sont pas faites par soi, mais seulement par accident[3075].

2. Dans la nature, les qualités actives agissent en vertu des formes substantielles. Et c’est pourquoi l’agent naturel produit un être qui lui ressemble non seulement selon la qualité, mais selon l’espèce[3076].

3. Pour engendrer des animaux inférieurs, il suffit d’un agent universel, qui est le pouvoir des corps célestes, auxquels ils sont assimilés non selon l’espèce, mais selon une certaine analogie[3077]. Il n’est donc pas nécessaire que leurs formes soient créées par un agent séparé. Mais quant à la génération des animaux supérieurs, un agent universel ne suffit pas : il y faut un agent propre, dont la génération est univoque.

4. L’opération de la nature présuppose toujours des principes créés[3078], et c’est ainsi que les produits de la nature sont appelés des créatures.


 

 

QUESTION 46 — LE COMMENCEMENT DE LA DURÉE DES CRÉATURES

Logiquement, nous devons considérer maintenant le commencement de la durée des créatures.

1. Les créatures ont-elles toujours existé ? 2. Est-ce un article de foi qu’elles aient eu un commencement ? 3. En quel sens dit-on : “ Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre ? ”

 

            Article 1 — Les créatures ont-elles toujours existé ?

Objections :

1. Il semble que la totalité des créatures, qu’on appelle le monde, n’a pas commencé, mais a existé éternellement. Car tout ce qui a commencé d’exister, avant d’exister, devait avoir été possible ; autrement il aurait été impossible qu’il soit fait. Si le monde a commencé d’exister avant de commencer, il était possible qu’il existât. Mais ce qui a la possibilité d’être, c’est la matière, qui est puissance à l’être que lui donne la forme[3079], et au non-être, qui vient de la privation. Donc, si le monde a commencé, la matière a existé avant le monde. Mais la matière ne peut pas exister sans forme[3080], et la matière du monde avec sa forme, c’est le monde. Le monde aurait donc existé avant de commencer d’être, ce qui est impossible.

2. Ce qui a la vertu d’exister toujours ne peut pas tantôt exister et tantôt ne pas exister ; car une chose existe aussi longtemps que dure son pouvoir d’exister. Mais toute chose incorruptible a la vertu d’être toujours, car son pouvoir d’être n’est pas limité par un délai déterminé. Donc aucune chose incorruptible ne peut exister dans un temps, et ne pas exister dans l’autre. Mais tout ce qui commence d’exister existe dans un temps et n’existe pas dans un autre. Donc aucune chose incorruptible n’a commencé d’exister. Mais il y a dans le monde beaucoup de réalités incorruptibles, comme les corps célestes et toutes les substances intellectuelles[3081]. Donc le monde n’a pas commencé d’exister.

3. Ce qui n’est pas engendré n’a pas eu de commencement. Mais le Philosophe déclare que la matière est inengendrée, et de même le ciel[3082]. Donc la totalité des créatures n’a pas commencé d’exister.

4. Il y a vide là où il n’y a pas de corps, mais où il est possible qu’il y en ait. Donc, si le monde a commencé d’exister, là où il est maintenant il n’y avait pas de corps auparavant, et pourtant il pouvait y en avoir un, autrement il n’y en aurait pas là maintenant[3083]. Donc, avant le monde, il y a eu le vide, ce qui est impossible.

5. Rien ne commence nouvellement à être mû si ce n’est par le fait que le moteur ou le mobile se comportent autrement que dans l’état antérieur. Mais ce qui se modifie est maintenant autrement qu’auparavant, il est mû. Donc, avant tout mouvement qui commence, il y a quelque mouvement[3084]. Donc le mouvement a toujours existé. Donc aussi le mobile, car le mouvement n’existe que dans un mobile.

6. Tout ce qui meut est ou bien naturel, ou bien volontaire[3085]. Mais ni l’un ni l’autre ne commence à mouvoir sans un mouvement préexistant. En effet, la nature opère toujours de la même manière. De ce fait, s’il n’y a pas auparavant un changement soit dans la nature de ce qui meut, soit dans le mobile, le moteur naturel ne commence pas à imprimer un mouvement qui n’aurait pas existé auparavant. Quant à la volonté, elle peut, sans changer elle-même, retarder l’exécution de ce qu’elle se propose ; mais cela se fait toujours par quelque changement qu’on s’imagine, au moins de la part du temps lui-même. Ainsi celui qui veut construire une maison demain, et non pas aujourd’hui, attend que quelque chose se passe demain, qui n’existe pas aujourd’hui ; pour le moins, il attend qu’aujourd’hui soit passé et que demain arrive ; ce qui ne peut exister sans changement, puisque le temps est le nombre du mouvement[3086]. On conclut donc qu’avant tout mouvement qui commence à nouveau, il y a eu un autre changement. Ainsi on arrive à la conclusion de l’argument précédent.

7. Ce qui est toujours à son commencement et toujours à sa fin ne peut ni commencer ni finir ; parce que ce qui commence n’est pas à sa fin ; et ce qui finit n’est pas à son commencement. Mais le temps est toujours à son commencement et à sa fin ; car il n’y a rien dans le temps en dehors de l’instant présent, qui est la fin du passé et le commencement du futur. Donc le temps ne peut ni commencer ni finir et il en est de même du mouvement, dont le temps est la mesure[3087].

8. Dieu est antérieur au monde en nature, ou en durée. Si c’est seulement en nature, puisque Dieu est éternel, le monde aussi est éternel. S’il est antérieur par sa durée, comme l’avant et l’après dans la durée constituent le temps[3088], le temps aurait existé avant le monde, ce qui est impossible.

9. Une fois posée la cause suffisante, l’effet est posé, car la cause qui n’est pas suivie d’effet est une cause imparfaite, qui a besoin d’un secours étranger pour que son effet se produise. Mais Dieu est la cause suffisante du monde[3089] : cause finale en raison de sa bonté[3090] ; cause exemplaire en raison de sa sagesse[3091] ; cause efficiente en raison de sa puissance, comme on l’a fait voir précédemment[3092]. Donc, puisqu’il est éternel, le monde aussi existe depuis toujours.

10. Si l’action d’un être est éternelle, son effet l’est aussi. Mais l’action de Dieu, identique à sa substance[3093], est éternelle[3094]. Donc le monde aussi est éternel.

En sens contraire, le Christ dit en S. Jean (17, 5) : “ Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût. ” Et on lit dans le livre des Proverbes (8,22) : “ Le Seigneur m’a créée, prémices de son œuvre, avant ses œuvres les plus anciennes.”

Réponse :

Rien, en dehors de Dieu, n’a existé de toute éternité. Et il n’est pas impossible de l’établir. On a montré précédemment que la volonté de Dieu est la cause des choses[3095]. Donc un être n’est nécessaire que s’il est nécessaire que Dieu le veuille, puisque la nécessité de l’effet dépend de la nécessité de la cause, dit Aristote. Or, on a montré précédemment que, à parler absolument, il n’est pas nécessaire que Dieu veuille autre chose que lui-même[3096]. Il n’est donc pas nécessaire que Dieu veuille que le monde ait toujours existé. Mais le monde n’existe que dans la mesure où Dieu le veut, puisque l’existence du monde dépend de la volonté de Dieu comme de sa cause. Il n’est donc pas nécessaire que le monde ait toujours existé et on ne peut pas le prouver de manière démonstrative.

Les raisons qu’en donne Aristote ne sont pas de véritables démonstrations. Ce sont des arguments pour réfuter les raisonnements de philosophes anciens, qui affirmaient que le monde a commencé en employant des procédés emplis de contradictions. Cela se manifeste de trois façons. Parce qu’il présente pour commencer des opinions comme celles d’Anaxagore, d’Empédocle et de Platon, pour les contredire. Ensuite parce que, chaque fois qu’il traite ce sujet, il invoque le témoignage des anciens, ce qui n’est pas à proprement parler une démonstration, mais l’établissement d’une présomption[3097]. Enfin parce qu’il dit expressément qu’il y a des questions dialectiques pour lesquelles nous n’avons pas de solution rationnelle, comme celle de savoir si le monde est éternel.

Solutions :

1. Avant d’exister, le monde a été possible ; cette possibilité n’est pas celle de la puissance passive, qui est celle de la matière, mais celle de la puissance active de Dieu[3098]. Ou bien encore, il était possible d’une possibilité absolue qui n’est pas rapportée à une puissance : elle consiste dans le simple rapport de termes qui ne sont pas contradictoires[3099] ; c’est en ce sens que le possible s’oppose à l’impossible, comme le montre Aristote.

2. Ce qui a le pouvoir d’exister toujours, du fait qu’il possède ce pouvoir ne peut pas tantôt exister et tantôt ne pas exister ; mais avant d’avoir cette vertu, il n’existait pas. C’est pourquoi cet argument avancé par Aristote ne prouve pas absolument que les choses incorruptibles n’ont pas commencé, mais qu’elles n’ont pas commencé de la manière habituelle aux êtres engendrés et corruptibles.

3. Aristote prouve que “la matière n’est pas engendrée” pour ce motif qu’elle n’a pas de sujet à partir duquel elle existerait. Il prouve aussi que le ciel n’est pas engendré parce qu’il n’a pas de contraire d’où il pourrait être engendré. Ces deux raisonnements prouvent seulement que la matière et le ciel n’ont pas commencé par génération, comme quelques- uns le soutenaient, principalement au sujet du ciel. Mais nous disons que la matière et le ciel ont été produits dans l’être par création, comme ce qui précède l’a prouvé[3100].

4. Il ne suffit pas, pour définir le vide, de dire qu’il n’y a rien en lui ; il est requis qu’il s’agisse d’un espace capable de contenir un corps et qui n’en contient pas, comme le montre Aristote. Nous disons, nous, qu’il n’y avait ni lieu ni espace avant le monde.

5. Le premier moteur s’est toujours comporté de la même manière, mais non le premier mobile, parce qu’il a commencé d’être, alors qu’auparavant il n’existait pas. Or, cela n’a pas été par un changement, mais par la création, qui n’est pas un changement, comme on l’a dit précédemment[3101]. Il est donc évident que cet argument avancé par Aristote vaut contre ceux qui posaient des mobiles éternels, sans admettre un mouvement éternel ; on voit cette opinion chez Anaxagore et chez Empédocle. Nous estimons, nous, que, depuis que les mobiles ont commencé d’exister, le mouvement n’a jamais cessé.

6. Le premier agent est un agent volontaire. Et bien qu’il ait eu la volonté éternelle de produire certain effet, il n’a pas produit un effet éternel[3102]. Et il n’est pas nécessaire de poser au préalable un changement, même pas par notre représentation du temps. En effet, il faut concevoir autrement un agent particulier, qui présuppose une chose et en cause une autre, et l’agent universel, qui produit tout. L’agent particulier produit la forme et présuppose la matière ; aussi faut-il qu’il proportionne la forme à la matière requise. Il est donc logique de considérer qu’il donne une forme à telle matière et non pas à telle autre, en raison de la différence qu’il y a entre diverses sortes de matières. Mais cette considération n’est pas convenable pour Dieu, qui produit en même temps la forme et la matière[3103] et dont on doit dire que lui-même produit une matière adaptée à la forme et à la fin.[3104]

Et de même l’agent particulier présuppose le temps, comme il présuppose la matière. Aussi, logiquement, considère-t-on en lui qu’il agit dans le temps postérieur, et non dans le temps antérieur, selon la représentation du temps avec un avant et un après. Mais quand il s’agit de l’agent universel, qui produit la chose et le temps[3105], il n’y a pas à considérer qu’il agisse maintenant et non avant, selon la représentation du temps qui passe, comme si le temps était présupposé à son action. Nous devons considérer qu’il a donné à son œuvre autant de temps qu’il a voulu, comme il lui a semblé bon pour manifester sa puissance. En effet, le monde nous fait mieux connaître la puissance divine du Créateur, s’il n’a pas toujours existé, plutôt que s’il avait été éternel ; car il est manifeste que ce qui n’a pas toujours existé a une cause, tandis que cela n’est pas aussi évident avec ce qui a toujours existé[3106].

7. Comme dit Aristote, l’avant et l’après sont dans le temps selon qu’ils sont dans le mouvement[3107]. Aussi le commencement et la fin doivent-ils être entendus pour le temps de la même manière que pour le mouvement. A supposer l’éternité du mouvement, il est nécessaire que tout point pris dans le mouvement soit le commencement et la fin de celui-ci. Mais cela n’est pas nécessaire si le mouvement a commencé. Et la même analyse vaut pour l’instant présent du temps. On voit ainsi que cette analyse de l’instant présent envisagé comme le commencement et la fin du temps présuppose l’éternité du temps et du mouvement. Aussi Aristote emploie-t-il cet argument contre ceux qui posaient l’éternité du temps, tout en niant celle du mouvement.

8. Dieu est antérieur au monde en durée. Mais le mot “antérieur” ne désigne pas une priorité de temps, mais la priorité de l’éternité[3108]. Ou bien l’on peut dire qu’il désigne l’éternité d’un temps imaginaire, qui n’existe pas réellement. De même, lorsque nous disons : au-dessus du ciel il n’y a rien, le mot “au-dessus” ne désigne qu’un lieu imaginaire, en ce sens qu’il est possible d’imaginer qu’on ajoute aux dimensions du corps céleste d’autres dimensions.

9. De même que l’effet d’une cause agissant par nature procède de cette cause selon le mode de sa forme, de même il suit la volonté de l’agent libre selon la forme que cet agent a préalablement conçue et définie, comme on l’a vu précédemment[3109]. Donc, bien que, de toute éternité, Dieu eût été cause suffisante du monde, il n’en résulte pas qu’il ait produit le monde autrement qu’en conformité avec son dessein décidé à l’avance, c’est-à-dire que ce monde a commencé d’exister après le non-être, pour faire connaître plus manifestement son auteur[3110].

10. L’action une fois posée, l’effet en découle selon l’exigence de la forme qui est le principe de l’action. Or, dans les agents volontaires, ce qui a été conçu et défini préalablement a valeur de la forme qui est le principe de l’action. Donc, de l’action éternelle de Dieu ne découle pas un effet éternel, mais un effet tel que Dieu l’a voulu, c’est-à-dire qui ait commencé d’être après le non-être[3111].

 

            Article 2 — Est-ce un article de foi que le monde ait commencé ?

Objections :

1. Il semble que ce ne soit pas un article de foi, mais la conclusion d’une démonstration. Car tout ce qui a été fait a un commencement de sa durée[3112]. Mais on peut démontrer rationnellement que Dieu est la cause efficiente du monde, ce que les philosophes qui font autorité ont admis[3113]. Donc on peut prouver par voie de démonstration que le monde a commencé.

2. Si l’on doit dire nécessairement que le monde a été fait par Dieu, c’est ou bien de rien, ou bien de quelque chose. Mais ce n’est pas de quelque chose, car alors la matière du monde eût précédé le monde, et contre cela sont valables les arguments d’Aristote établissant que le ciel n’a pas été engendré[3114]. Il faut donc dire que le monde a été fait de rien[3115]. Et ainsi il a l’existence après la non-existence. Il faut donc qu’il ait commencé d’exister.

3. Tout être qui agit par intelligence opère à partir d’un principe, comme on le voit dans toutes les œuvres de l’art. Mais Dieu agit par son intelligence[3116]. Donc il opère à partir d’un principe. Donc le monde, qui est son œuvre, n’a pas toujours existé.

4. Certains arts et le peuplement de certaines régions ont commencé à des dates déterminées. Mais cela ne serait pas si le monde avait toujours existé. Il est donc évident que le monde n’a pas toujours existé.

5. Il est certain que rien ne peut s’égaler à Dieu. Mais si le monde avait toujours existé, il serait égal à Dieu pour la durée. Il est donc certain que le monde n’a pas toujours existé.

6. Si le monde a toujours existé, un nombre infini de jours a précédé celui-ci. Mais on ne peut parcourir l’infini. Donc on ne serait jamais parvenu au jour présent, ce qui est évidemment faux.

7. Si le monde a existé éternellement, la génération a existé aussi éternellement. Donc un homme a été engendré par un autre, et ainsi de suite à l’infini. Mais le père est la cause efficiente du fils, selon Aristote. Donc, dans la chaîne des causes efficientes, on pourrait remonter à l’infini, argument rejeté par Aristote[3117].

8. Si le monde et la génération ont toujours existé, des hommes en nombre infini nous ont précédés. Mais l’âme humaine est immortelle. Ainsi une infinité d’âmes humaines existeraient aujourd’hui en acte, ce qui est impossible[3118]. On peut donc savoir de science certaine que le monde a commencé, et on ne le tient pas seulement de la foi.

En sens contraire, les articles de foi ne peuvent être rationnellement démontrés, car, d’après l’épître aux Hébreux (11,1) la foi est “ la preuve de ce qu’on ne voit pas ”[3119]. Or, que Dieu soit le Créateur d’un monde, qui a commencé d’être, c’est un article de foi, car nous disons : “ Je crois en un seul Dieu, créateur du ciel et de la terre. ” En outre, S. Grégoire dit que Moïse a parlé en prophète au sujet du passé, quand il a dit : “ Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ”, ce qui enseigne que le monde a commencé. Donc la nouveauté du monde ne nous est connue que par la révélation et on ne peut l’établir par démonstration.

Réponse :

La foi seule établit que le monde n’a pas toujours existé, et l’on ne peut en fournir de preuve par manière de démonstration, comme nous l’avons déjà dit pour le mystère de la Trinité[3120]. La raison en est que l’on ne peut établir que le monde a commencé en raisonnant à partir du monde lui-même, car le principe de la démonstration est la “ quiddité ” (ce qu’est une chose). Or en considérant un être selon son espèce on l’abstrait du temps et de l’espace[3121] ; c’est pourquoi l’on dit des universaux qu’ils sont partout et toujours. On ne peut donc pas démontrer que l’homme, le ciel ou la pierre n’ont pas toujours existé. On ne le peut pas davantage à partir de la cause agente qui agit par volonté. En effet, la raison ne peut connaître de la volonté de Dieu que ce qu’il est absolument nécessaire que Dieu veuille ; mais ce n’est pas le cas de ce qu’il veut au sujet des créatures, comme on l’a dit précédemment[3122].

Cependant la volonté divine peut se manifester à l’homme par la révélation, fondement de notre foi[3123]. Aussi, que le monde ait commencé, est objet de foi, non de démonstration ou de savoir. Cette observation est utile pour éviter qu’en prétendant démontrer ce qui est de foi par des arguments non rigoureux, on ne donne l’occasion aux incroyants de se moquer, en leur faisant supposer que c’est pour des raisons de ce genre que nous croyons ce qui est de foi.

Solutions :

1. Comme le fait remarquer S. Augustin, on trouve chez les philosophes qui soutiennent l’éternité du monde, deux positions différentes. Les uns ont prétendu que la substance du monde ne venait pas de Dieu. C’est là une erreur insoutenable qu’on réfute par argument nécessaire[3124]. D’autres ont posé l’éternité du monde, tout en affirmant que le monde a été fait par Dieu. “En effet, ils ne veulent pas d’un monde temporel, mais ils attribuent un commencement à sa création, si bien que le monde aurait été créé depuis toujours, d’une manière qu’on a du mal à comprendre.” Voici comment ils s’en expliquent, dit encore S. Augustin : “Si le pied de quelqu’un avait été de toute éternité dans la poussière, il y aurait toujours marqué une empreinte dont personne ne douterait qu’il ne fût la cause ; et ainsi le monde a toujours existé, puisque celui qui le cause existe toujours.” Pour comprendre cela, il faut observer que la cause efficiente qui agit par manière de mouvement précède nécessairement son effet dans le temps[3125] ; car l’effet n’existe qu’au terme de l’action, et tout agent est forcément le principe de son action. Mais si l’action est instantanée et non successive, il n’est pas nécessaire que l’agent soit antérieur à son effet dans la durée, comme c’est évident dans l’illumination[3126]. Aussi disent-ils que, si Dieu est la cause active du monde, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il soit antérieur au monde quant à la durée[3127] ; car la création, par laquelle il a produit le monde, n’est pas une mutation successive, comme on l’a dit précédemment[3128].

2. Ceux qui supposeraient un monde éternel diraient que le monde a été fait par Dieu de rien, non qu’il ait été fait après le rien, selon notre façon de concevoir la création, mais parce qu’il n’a pas été fait de quelque chose. Et ainsi, certains d’entre eux ne rejettent pas le mot de création, comme on le voit chez Avicenne dans sa Métaphysique.

3. Cet argument vient d’Anaxagore et est rapporté par Aristote. Mais il ne conclut pas nécessairement sauf pour l’intelligence qui, en délibérant, recherche ce qu’il faut faire, ce qui ressemble à un changement. Telle est l’intelligence humaine[3129], mais non l’intelligence divine, comme on l’a bien montré précédemment[3130].

4. Les partisans de l’éternité du monde soutiennent que toutes les parties de la terre sont devenues successivement habitables et inhabitables un nombre infini de fois. De même ils soutiennent que les arts, par suite de décadences et d’accidents divers, ont été inventés et perdus un nombre infini de fois. Ce qui fait dire à Aristote qu’il est ridicule d’arguer de ces changements particuliers pour conclure à la nouveauté du monde entier.

5. Même si le monde avait toujours existé, il ne serait pas l’égal de Dieu en éternité selon Boèce, parce que l’être divin est un être tout entier simultané, sans aucune succession[3131], et il n’en est pas ainsi du monde[3132].

6. Tout passage se comprend du point de départ au point d’arrivée. Or, quel que soit le jour passé que l’on prend comme point de départ, de ce jour à aujourd’hui il y a un nombre fini de jours qui peuvent être franchis. Tandis que l’objection suppose qu’entre deux extrêmes il y a un nombre infini d’intervalles.

7. Il est vrai qu’il est impossible de remonter à l’infini, de cause en cause, s’il s’agit de causes efficientes essentielles, de telle sorte que les causes nécessaires à la production d’un certain effet soient multipliées à l’infini, par exemple si la pierre était poussée par le bâton, le bâton par la main, et ainsi de suite indéfiniment[3133]. Mais il n’est pas impossible d’aller à l’infini de cause en cause, s’il s’agit de causes agentes accidentelles. C’est ce qui arrive quand toutes les causes, multipliées en nombre infini, tiennent la place d’une cause unique et ne sont multipliées que par accident. Par exemple, un artisan se sert accidentellement de plusieurs marteaux parce qu’ils se brisent l’un après l’autre. Il est donc accidentel à tel marteau d’entrer en action après un autre marteau. De la même manière, il est accidentel à tel homme, en tant qu’il engendre, d’avoir été lui-même engendré par un autre ; un effet, il engendre en tant qu’homme, et non en tant qu’il est le fils d’un autre homme. Car tous les hommes qui engendrent ont le même rang dans l’échelle des causes efficientes : celui de générateur particulier. Aussi n’est-il pas impossible qu’un homme soit engendré par un autre, et ainsi de suite indéfiniment. Mais ce serait impossible si la génération de tel homme dépendait et de tel autre homme, et aussi d’un corps élémentaire, puis du soleil, et ainsi de suite à l’infini.

8. Ceux qui pensent que le monde est éternel éludent cet argument de diverses manières. Pour certains il n’est pas impossible qu’il existe en acte une infinité d’âmes, comme le montre la Métaphysique d’Algazel affirmant qu’il s’agit là d’un infini par accident. Mais nous avons déjà écarté cette opinion[3134]. Certains disent que l’âme est détruite avec le corps[3135]. D’autres, que de toutes les âmes il n’en subsiste qu’une après la mort[3136]. Mais d’autres encore, selon S. Augustin, ont soutenu, à cause de cela, la métempsychose, c’est-à-dire que les âmes séparées des corps durant un certain nombre de cycles reviendraient animer d’autres corps. De tout cela nous traiterons dans la suite[3137]. Il faut cependant observer que cet argument n’a qu’une portée particulière. Par conséquent on pourrait encore tenir l’éternité du monde, ou même d’une créature, comme l’ange, mais non l’éternité de l’homme. Or nous traitons ici du cas général : y a-t-il une créature qui puisse avoir existé de toute éternité ?

 

            Article 3 — En quel sens dit-on — “ Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre ” ?

Objections :

1. Il semble que la création des choses n’a pas eu lieu au commencement du temps. En effet, ce qui n’existe pas dans le temps n’existe pas à un moment donné du temps. Mais la création des choses n’a pas eu lieu dans le temps, car par cette création c’est la substance des choses qui a été produite dans l’être[3138]. Or le temps ne mesure pas la substance des choses[3139], et en particulier des choses incorporelles. Donc la création n’a pas eu lieu au commencement du temps.

2. Aristote prouve que “tout ce qui se fait s’était fait”. Et ainsi tout devenir a un avant et un après. Or, au moment initial du temps, comme il est indivisible[3140], il n’y a pas d’avant ni d’après. Donc, puisque être créé est un certain devenir[3141], il semble que les choses n’ont pas été créées au commencement du temps.

3. Le temps lui-même a été créé. Mais le temps ne peut pas être créé au commencement du temps, puisque le temps est divisible, tandis que le commencement du temps est indivisible[3142]. La création des choses n’a donc pas eu lieu au commencement du temps.

En sens contraire, la Genèse dit : “ Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. ”

Réponse :

Ces paroles de la Genèse ont reçu une triple explication pour exclure une triple erreur.

Certains ont admis que le temps a toujours existé, et que le temps n’a pas de commencement. Pour réfuter cette erreur on interprète le mot “commencement”[3143] : c’est-à-dire du temps.

Mais d’autres ont prétendu qu’il y a deux principes de la création, l’un pour le bien, et l’autre pour le mal. Pour exclure cette erreur on explique “au commencement” au sens de “dans le Principe”, c’est-à-dire dans le Fils. En effet, de même qu’on approprie le principe d’efficience au Père, à cause de sa puissance, on attribue le principe d’exemplarité au Fils, à cause de la sagesse[3144]. De sorte que, comme il est dit dans le Psaume (104, 24) : “Tu as fait toutes tes œuvres avec sagesse”, ainsi comprend-on que Dieu a tout fait “dans le Principe”, c’est-à-dire dans le Fils, selon l’Apôtre (Col 1,16) : “C’est en lui (le Fils) qu’ont été créées toutes choses.”

D’autres ont dit que Dieu a créé les êtres corporels par l’intermédiaire de créatures spirituelles. Et pour exclure cette erreur[3145], on interprète : “Au commencement”, soit avant toutes choses, “Dieu créa le ciel et la terre.” On admet en effet que quatre choses ont été créées ensemble : le ciel empyrée, la matière corporelle (désignée par le mot “terre”), le temps, et la nature angélique.

Solutions :

1. On ne dit pas que les choses ont été créées au commencement du temps en ce sens que le commencement du temps servirait à mesurer la création, mais parce que le ciel et la terre ont été créés simultanément avec le temps.

2. Cette parole du Philosophe s’entend du devenir qui se fait par manière de mouvement, ou qui est le terme du mouvement. Puisque, dans tout mouvement, il faut considérer un avant et un après, quel que soit le point que l’on désigne dans un mouvement donné, qui fait qu’une chose est en devenir, on trouvera forcément un avant et un après car ce qui est au principe du mouvement ou à son terme n’est plus en acte de mouvement. Mais la création n’est ni un mouvement, ni le terme d’un mouvement, nous l’avons dit plus haut[3146]. Ainsi donc, ce qui est créé l’est de telle sorte qu’auparavant il ne l’était pas.

3. Rien ne devient, sinon en tant qu’il est. Rien n’est réel dans le temps, sinon le moment présent. Aussi le temps ne peut-il être produit que selon un instant présent. Cela ne veut pas dire qu’il y serait, mais qu’il commence à partir de là.


 

 

Après la production des êtres, il faut traiter de leur distinction. Cette considération sera triple. Car nous aurons à étudier : 1° La distinction des choses dans leur ensemble (Q. 47) ; 2° la distinction du bien et du mal (Q. 48-49) ; 3° la distinction entre créature spirituelle et créature corporelle (Q. 50).

 

 

QUESTION 47 — CONSIDÉRATION GÉNÉRALE SUR LA DIFFÉRENCE ENTRE LES ÊTRES

1. La multitude même des choses, c’est-à-dire leur distinction. 2. Leur inégalité. 3. L’unité du monde.

 

            Article 1 — La multitude des choses et leur distinction

Objections :

1. Il semble que la multitude des choses et leur distinction ne viennent pas de Dieu. En effet, l’unité est naturellement apte à produire l’unité. Or Dieu est souverainement un, comme on l’a montré[3147] : il ne doit donc produire qu’un seul effet.

2. Ce qui est fait d’après un modèle lui devient semblable. Or, Dieu est la cause exemplaire de ce qu’il produit, on l’a dit plus haut[3148]. Donc, puisque Dieu est un, son œuvre aussi est une, et non pas composée de parties distinctes.

3. Ce qui est ordonné à une fin se proportionne à cette fin. Or la fin de la créature est une, puisque c’est la bonté divine, ainsi qu’on l’a fait voir[3149]. Donc l’effet de Dieu ne peut être qu’unique.

En sens contraire, on lit dans la Genèse (1, 4.7) : “ Dieu distingua la lumière d’avec les ténèbres, et il divisa les eaux d’avec les eaux. ” Donc la distinction et la multitude des choses viennent de Dieu.

Réponse :

Les philosophes ont expliqué de diverses manières la distinction des choses. Les uns l’ont attribuée à la matière toute seule, ou bien associée à l’agent. Démocrite et tous les anciens philosophes de la nature n’admettaient que la cause matérielle. D’après eux la différence entre les choses résultait du hasard, selon le mouvement de la matière. Anaxagore expliquait à la fois par la matière et par l’agent la distinction entre les choses et leur multitude ; il imaginait une intelligence qui aurait différencié les choses en les extrayant de ce qui était mélangé dans la matière. Mais cette théorie ne peut tenir, pour deux raisons. Premièrement, nous avons montré que la matière elle-même a été créée par Dieu[3150], et par conséquent, si quelque différence entre les choses provient de la matière, elle doit être rapportée à une cause plus haute. Ensuite, la matière est ordonnée à la forme, et non inversement[3151]. Et comme la différence entre les êtres vient de leur forme spécifique[3152], leur différence ne vient pas de leur matière, mais plutôt, à l’inverse, de ce que la différenciation a été créée dans la matière, afin qu’elle soit adaptée à des formes diverses.

D’autres ont attribué la distinction des choses aux agents seconds. Ainsi Avicenne dit que Dieu, “en se connaissant lui-même[3153], a produit la première intelligence : en elle, parce qu’elle n’est pas son être, commence la composition de puissance et d’acte”, comme on le verra plus loin[3154]. Cette première intelligence, en tant qu’elle connaît la Cause première, produit la seconde intelligence ; en tant qu’elle se connaît elle-même selon qu’elle est en puissance, elle produit le corps du ciel, qu’elle meut : en tant qu’elle se connaît elle-même selon qu’elle est en acte, elle produit l’âme du ciel.

Mais cette théorie ne peut tenir pour deux motifs. Tout d’abord, puisque, nous l’avons montré, Dieu seul peut créer[3155], ce qui ne peut être causé que par voie de création ne peut être produit que par Dieu. C’est le cas de tous les êtres non soumis à la génération et à la corruption. En outre, dans cette hypothèse, l’universalité des êtres ne proviendrait pas de l’intention du premier Agent, mais de la rencontre de plusieurs causes agentes, et c’est ce que nous disons provenir du hasard. Il s’ensuivrait donc que la perfection de l’univers, qui consiste dans la diversité des êtres, serait le fruit du hasard, ce qui est impossible[3156].

Aussi faut-il dire que la distinction entre les choses ainsi que leur multiplicité proviennent de l’intention du premier agent, qui est Dieu. En effet, Dieu produit les choses dans l’être pour communiquer sa bonté aux créatures[3157], bonté qu’elles doivent représenter[3158]. Et parce qu’une seule créature ne saurait suffire à la représenter comme il convient, il a produit des créatures multiples et diverses, afin que ce qui manque à l’une pour représenter la bonté divine soit suppléé par une autre. Ainsi la bonté qui est en Dieu sous le mode de la simplicité et de l’uniformité[3159] est-elle sous le mode de la multiplicité et de la division dans les créatures.

Par conséquent l’univers entier participe de la bonté divine et la représente plus parfaitement que toute créature quelle qu’elle soit. Et c’est parce que la distinction entre les créatures a pour cause la sagesse divine[3160], que Moïse l’attribue au Verbe de Dieu, dessein de sa sagesse[3161]. Aussi lit-on au livre de la Genèse (1, 3) : “ Dieu dit : Que la lumière soit. Et il sépara la lumière des ténèbres. ”

Solutions :

1. L’agent naturel agit par la forme par laquelle il est[3162] ; elle est unique en chacun, et c’est pourquoi il ne peut produire qu’un seul effet. Mais un agent volontaire, tel qu’est Dieu, nous l’avons montré[3163], agit par la forme conçue dans son intelligence. Donc, puisque, nous l’avons montré également[3164], il n’est pas contraire à l’unité et à la simplicité de Dieu que son intelligence conçoive des choses multiples, il s’ensuit que, tout en étant un, il peut produire des choses multiples.

2. L’argument qu’on tire de la cause conforme à son modèle vaudrait pour un effet qui représenterait son modèle à la perfection. Celui-là ne pourrait être reproduit plusieurs fois que matériellement. C’est pourquoi l’Image incréée, qui est parfaite, est unique[3165]. Mais aucune créature ne représente parfaitement l’exemplaire primordial qui est l’essence divine, et c’est pourquoi elle peut être représentée par des choses multiples. Pourtant, selon que les idées divines sont dites exemplaires, leur pluralité correspond, dans l’intellect divin, à la pluralité des choses[3166].

3. Dans le domaine spéculatif, le moyen terme de la démonstration, qui démontre parfaitement la conclusion, est nécessairement unique ; mais en matière d’opinion, les moyens termes sont nombreux. De même, dans le domaine pratique, quand ce qui est fait pour une fin est adéquat à cette fin, pour ainsi dire, il n’est pas exigé qu’il y en ait plus d’un. Mais ce n’est pas la situation de la créature par rapport à sa fin qui est Dieu[3167]. C’est pourquoi il a fallu que les créatures fussent multipliées.

 

            Article 2 — L’inégalité des choses

Objections :

1. Il semble qu’elle ne vient pas de Dieu. En effet, il appartient à l’être le meilleur de produire les choses les meilleures. Or, parmi les choses les meilleures, l’une n’est pas supérieure à l’autre. Donc Dieu, être excellent, doit faire tous les êtres égaux.

2. En outre, observe Aristote, l’égalité est un effet de l’unité. Or, Dieu est un[3168] : donc il a fait tous les êtres égaux.

3. Il est conforme à la justice de faire des dons inégaux à des êtres inégaux. Mais Dieu est juste dans toutes ses œuvres[3169]. Donc, puisque l’action par laquelle il communique l’existence aux créatures ne présuppose pas d’inégalité entre elles, il semble qu’il les ait faites toutes égales.

En sens contraire, il est dit dans l’Ecclésiastique (33, 78 Vg) : “ Pourquoi un jour l’emporte-t-il sur un jour, une lumière sur une lumière, une année sur une année, puisqu’ils viennent du soleil ? C’est la sagesse du Seigneur qui a distingué ces choses. ”

Réponse :

Origène, voulant écarter la théorie de ceux qui expliquaient la distinction entre les choses par l’antagonisme des principes du bien et du mal, établit qu’au commencement Dieu a créé tous les êtres égaux. Selon lui, Dieu ne créa d’abord que les créatures raisonnables, et les fit toutes égales. L’inégalité survint entre elles par le fait du libre arbitre, les unes se tournant plus ou moins vers Dieu, les autres s’en détournant plus ou moins. Les créatures raisonnables qui se tournèrent librement vers Dieu furent élevées aux divers ordres angéliques, suivant la mesure de leurs mérites[3170]. Celles qui se détournèrent de Dieu furent enchaînées à des corps divers, à la mesure de leur faute. Telle est la cause qu’il attribue à la création des corps et à leur diversité.

Mais dans ce système, la diversité des créatures corporelles n’aurait pas été créée pour que Dieu communique sa bonté aux créatures, mais pour punir le péché. Or cela contredit ces paroles de la Genèse (1, 31) : “ Dieu vit toutes les choses qu’il avait faites, et elles étaient très bonnes. ” D’ailleurs, dit S. Augustin, “ qu’y a-t-il de plus insensé que d’assigner pour cause à ce soleil qui brille, unique, dans un unique univers, non le désir de l’architecte divin d’orner la beauté ou de pourvoir au salut des choses corporelles, mais la volonté de punir une âme, parce qu’elle a commis telle faute ? De sorte que si cent âmes avaient péché de la même manière, notre monde aurait cent soleils ”.

Aussi faut-il dire que la sagesse de Dieu, qui est cause de la distinction entre les êtres, est aussi cause de leur inégalité. Et en voici la raison. La distinction entre les êtres est double, l’une formelle, parce qu’ils sont spécifiquement différents ; l’autre matérielle, parce qu’ils ne diffèrent que numériquement[3171]. Or, la matière étant ordonnée à la forme[3172], la distinction matérielle est ordonnée à la distinction formelle. Aussi voyons-nous que dans les choses incorruptibles, il n’y a qu’un seul individu par espèce[3173], car un seul suffit à conserver l’espèce. Dans celles qui sont soumises à la génération et à la corruption, il y a beaucoup d’individus d’une seule espèce, pour la conservation de celle-ci. D’où l’on voit que la différence formelle a plus d’importance que la différence matérielle. Or la distinction formelle implique toujours l’inégalité ; car, ainsi que l’explique Aristote dans sa Métaphysique, il en est des formes comme des nombres, dont l’espèce varie par addition ou soustraction de l’unité[3174]. C’est pourquoi, dans les choses naturelles, les espèces semblent être ordonnées par degrés, les corps mixtes sont plus parfaits que les éléments simples, les plantes que les minéraux, les animaux que les plantes, les hommes que les autres animaux[3175]. Et dans chacun de ces ordres de créatures une espèce est plus parfaite que les autres. Donc, de même que la sagesse divine est cause de la distinction entre les choses, pour la perfection de l’univers[3176], ainsi est-elle cause de leur inégalité. Car l’univers ne serait point parfait si l’on ne trouvait dans les êtres qu’un seul degré de bonté.

Solutions :

1. Il appartient à l’agent le meilleur de produire tout son effet du mieux possible, mais non que chaque partie soit la meilleure absolument : elle est la meilleure dans sa proportion au tout[3177]. La bonté de l’animal serait détruite, si n’importe quelle partie de son corps avait la dignité de l’œil. Ainsi Dieu a fait l’ensemble de l’univers le meilleur, selon son mode de créature ; mais non pas chaque créature en particulier ; parmi celles-ci, l’une est meilleure que l’autre. Aussi, des créatures prises à part est-il dit dans la Genèse (1, 4) : “ Dieu vit que la lumière était bonne”, et ainsi de chacune ; mais de toutes ensemble il est dit (v. 31) : “ Dieu vit toutes les choses qu’il avait faites, et elles étaient très bonnes. ”

2. Ce qui procède en premier de l’unité, c’est l’égalité ; ensuite procède la multiplicité. C’est pourquoi du Père, à qui selon S. Augustin, est appropriée l’unité, procède le Fils, à qui est appropriée l’égalité, et enfin la créature à qui convient l’inégalité[3178]. Toutefois, les créatures participent aussi d’une sorte d’égalité, l’égalité de proportion.

3. Cet argument, qui a séduit Origène, ne vaut qu’en matière de rétribution, là où l’inégalité des récompenses est due à l’inégalité des mérites. Mais dans la constitution première des choses, on ne peut motiver l’inégalité des parties par une inégalité préalable, qu’elle vienne des mérites ou des dispositions de la matière, mais seulement par la perfection de l’ensemble, comme on le voit dans les œuvres de l’art. Si dans une maison le toit diffère des fondations, ce n’est point parce qu’il est d’une matière différente ; mais, afin que la maison soit parfaite dans toutes ses parties, l’architecte se procure divers matériaux, et il les créerait, s’il pouvait.

 

            Article 3 — L’unité du monde

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas un seul monde, mais plusieurs. Car, comme l’observe S. Augustin, il est absurde de dire que Dieu a créé les choses sans raison[3179]. Or, la raison qui lui a fait créer un monde a pu lui en faire créer plusieurs, puisque sa puissance n’est pas limitée à la création d’un seul monde, mais qu’elle est infinie comme nous l’avons montré[3180]. Donc Dieu a produit plusieurs mondes.

2. La nature réalise toujours le meilleur, et Dieu à plus forte raison. Or il serait meilleur qu’il y eût plusieurs mondes plutôt qu’un seul ; car un plus grand nombre de choses bonnes vaut mieux qu’un nombre moindre. Donc plusieurs mondes ont été créés par Dieu.

3. Tout ce qui a sa forme dans la matière peut être multiplié numériquement alors que l’espèce demeure unique ; car la multiplication numérique provient de la matière[3181]. Or l’univers a sa forme dans la matière ; car, de même que si je dis : “l’homme”, je signifie une forme, et lorsque je dis : “cet homme”, je signifie une forme dans la matière ; ainsi, quand on dit : “le monde”, c’est une forme qui est signifiée, et quand on dit : “ce monde”, on signifie une forme dans la matière. Rien n’empêche donc qu’il existe plusieurs mondes.

En sens contraire, il est dit en S. Jean (1,10) : “ Le monde a été fait par lui ”, et il parle du monde au singulier parce qu’il n’y en a qu’un seul.

Réponse :

L’ordre même qui règne dans les choses, telles que Dieu les a faites, manifeste l’unité du monde. Ce monde, en effet, est un d’une unité d’ordre, selon que certains êtres sont ordonnés à d’autres. Or tous les êtres qui viennent de Dieu sont ordonnés entre eux et à Dieu, ainsi qu’on l’a montré[3182]. Il est donc nécessaire que tous les êtres appartiennent à un seul monde. C’est pourquoi ceux-là seuls ont pu admettre une pluralité des mondes, qui n’assignaient pas pour cause à ce monde-ci une sagesse ordonnatrice, mais le hasard. Ainsi Démocrite disait que la rencontre des atomes a produit non seulement ce monde, mais une infinité d’autres.

Solutions :

1. La raison pour laquelle le monde est unique, c’est que toutes choses doivent être ordonnées à un but unique, selon un ordre unique. Aussi Aristote déduit-il l’unité du gouvernement divin de l’unité de l’ordre existant dans les choses[3183]. Et Platon prouve l’unité du monde par l’unité de l’Exemplaire dont il est l’image.

2. Aucun agent ne se propose comme fin une pluralité purement matérielle ; car une pluralité matérielle est sans terme assignable, elle tend de soi vers l’infini, et l’infini est contraire à la raison de fin. Or, quand on dit que plusieurs mondes seraient meilleurs qu’un seul, on l’entend d’une multiplicité matérielle. Or ce type de perfection n’est pas visé par le Créateur ; car pour la même raison on pourrait dire que, ayant fait deux mondes, il eût été mieux qu’il en fît trois, et ainsi à l’infini.

3. Le monde est constitué par tout l’ensemble de sa matière. En effet, il n’est pas possible qu’il y ait une autre terre que celle-ci ; car les autres terres seraient entraînées par leur poids, au centre, déjà occupé par la terre, où qu’elles soient. Et il en est de même des autres corps qui composent le monde.


 

 

Il faut maintenant étudier la distinction des choses en particulier, et tout d’abord la distinction entre le bien et le mal. Ensuite, la distinction entre créature spirituelle et créature corporelle (Q. 50). Touchant le premier point, nous avons à nous interroger sur le mal (Q. 48) et la cause du mal (Q. 49).

 

QUESTION 48 — LE MAL

1. Le mal est-il une nature ? 2. Le mal se trouve-t-il dans les choses ? 3. Le bien est-il le sujet du mal ? 4. Le mal détruit-il totalement le bien ? 5. La division du mal par la peine et la faute. 6. La raison de mal se réalise-t-elle davantage dans la peine, ou dans la faute ?

 

            Article 1 — Le mal est-il une nature ?

Objections :

1. Il semble que oui. En effet, ce qu’on appelle un genre est une nature déterminée[3184]. Or, le mal est un genre, puisque Aristote écrit dans les Catégories que le bien et le mal ne sont pas compris dans un genre, mais sont eux-mêmes des genres par rapport aux autres choses. Donc le mal est une nature.

2. Toute différence spécifique est une nature donnée[3185]. Or le mal est une différence spécifique en morale ; par exemple un habitus mauvais, diffère spécifiquement d’un bon, comme la libéralité diffère de l’avarice.

3. Deux choses contraires ont une nature commune. Or le bien et le mal s’opposent comme deux contraires, et non pas comme privation et possession, comme dit le philosophe qui le prouve par le fait qu’entre le bien et le mal il y a un milieu, et que du mal on peut toujours faire retour au bien.

4. Ce qui n’existe pas n’agit pas[3186]. Or le mal agit, puisqu’il corrompt le bien. C’est donc que le mal est un certain être et une certaine nature.

5. Ce qui concourt à la perfection de l’univers, est forcément un être et une nature[3187]. Or, le mal concourt à la perfection de l’univers, selon S. Augustin “ De tout ce qui constitue l’univers, il résulte une beauté admirable, et dans cet ensemble, ce qu’on appelle le mal, bien ordonné et mis à sa place, fait ressortir l’éclat du bien. ”

En sens contraire, Denys affirme : “ Le mal n’est ni un existant, ni un bien. ”

Réponse :

Dans une opposition, un terme est connu par l’autre[3188], comme les ténèbres par la lumière. Pour savoir ce que c’est que le mal, il faut donc utiliser la notion de bien. Or, nous avons établi plus haut[3189] que le bien est tout ce qui est désirable. Ainsi, du fait que toute nature désire son être et sa perfection[3190], il résulte que l’être et la perfection de toute nature a raison de bien. Il est donc impossible que le mal signifie un certain être, ou une certaine nature de forme. Le terme de mal désigne donc une certaine absence de bien. Voilà pourquoi l’on dit du mal qu’il n’est “ni un existant, ni un bien” ; car l’être, comme tel, étant un bien, on ne peut nier l’un sans l’autre.

Solutions :

1. Aristote parle ici selon l’opinion des pythagoriciens, qui faisaient du mal une nature et qui, en conséquence, prenaient le bien et le mal pour des genres. Aristote, notamment dans ses livres de logique, a en effet l’habitude de prendre ses exemples dans les opinions courantes de son temps, selon l’estimation des autres philosophes. On peut encore dire ceci. Comme l’observe le même Philosophe dans la Métaphysique, la première contrariété est celle de la possession et de la privation ; elle se trouve dans tous les contraires, vu que l’un des contraires est toujours imparfait par rapport à l’autre, comme le noir à l’égard du blanc, et l’amer à l’égard du doux. Sous ce rapport, si l’on dit que le bien et le mal sont deux genres, ce n’est pas en parlant rigoureusement, mais relativement aux contraires[3191] ; car dans la mesure où toute forme a raison de bien, toute privation, comme telle, a raison de mal.

2. Le bien et le mal ne sont des différences constitutives qu’en matière morale, parce que les actions reçoivent leur spécification de la fin, qui est l’objet de la volonté, principe de toute moralité[3192]. Et comme le bien a raison de fin[3193], il s’ensuit que le bien et le mal sont en morale des différences spécifiques : le bien par lui-même, le mal au sens où il empêche les êtres de réaliser leur fin. Toutefois, cet éloignement de la fin requise constitue une espèce en matière morale, dans la mesure où il est joint à une fin indue, de même que dans les êtres matériels, on ne trouve de privation d’une forme substantielle que jointe à une autre forme. Ainsi le mal, qui est une différence constitutive en matière morale, est un certain bien joint à la privation d’un autre bien[3194]. Par exemple, la fin que se propose l’homme intempérant n’est pas de perdre le bien de la raison ; c’est de jouir d’un bien sensible en dehors de l’ordre de la raison. De telle sorte que ce mal n’est pas une différence constitutive, en tant que mal, mais en raison du bien qui lui est conjoint[3195].

3. Par là se résout aussi le troisième argument. Aristote parle là du bien et du mal tels qu’ils sont considérés en matière morale. Ici l’on peut dire qu’il y a un milieu entre le bien et le mal en ce sens qu’on appelle bien ce qui est selon l’ordre, et mal non seulement ce qui est désordonné, mais ce qui est nuisible à autrui[3196]. C’est à cette façon de parler que se rattachent ces paroles d’Aristote : “Le prodigue est sans doute vain, mais il n’est pas mauvais.” Même si, du mal moral on peut revenir au bien, il n’en va pas de même pour toute espèce de mal. Ainsi, de cette sorte de mal qu’est la cécité, on ne revient pas à la vue.

4. Faire quelque chose se dit en trois sens. Tout d’abord selon la cause formelle, comme on dit que la blancheur rend un objet blanc. En ce sens, on dit que le mal, même sous la raison de privation, corrompt le bien, car il en est la corruption et la privation même. On dit encore qu’une chose agit selon la cause efficiente, comme le peintre blanchit la muraille. Enfin on parle selon la cause finale lorsque l’on dit que la fin meut celui qui fait quelque chose[3197]. Or, de ces deux dernières façons, le mal n’agit point par lui-même, c’est-à-dire en tant qu’il est une certaine privation, mais seulement en raison du bien qui s’y joint[3198] ; car toute action a pour principe une forme, et tout ce qu’on recherche comme fin est une certaine perfection[3199]. C’est pourquoi Denys écrit dans le passage cité en sens contraire : “ Le mal n’agit et n’est désiré qu’en raison du bien qui lui est adjoint ; de lui-même, il est étranger à la fin, il est en dehors de toute volonté et de toute intention. ”

5. Comme on l’a dit précédemment[3200], les parties de l’univers sont hiérarchisées de telle sorte que l’une agisse sur l’autre, qu’elle soit sa fin et lui serve de modèle. Or, nous venons de montrer qu’il ne peut en être ainsi du mal, si ce n’est en raison du bien qui lui est conjoint[3201]. Le mal ne contribue donc pas à la perfection de l’univers, et il ne fait point partie de l’ordre universel, si ce n’est accidentellement, en raison du bien conjoint.

 

            Article 2 — Le mal se trouve-t-il dans les choses ?

Objections :

1. Il semble que non. Car tout ce qui se trouve dans les choses est de l’être, ou la privation d’un être, ce qui est du non-être. Or Denys affirme que le mal diffère de l’existant, et plus encore du non-existant.

2. Être et chose se prennent indifféremment l’un pour l’autre. Donc, si le mal est un être dans les choses, il s’ensuit que le mal est aussi une chose, contrairement à ce que nous venons de dire[3202].

3. “ Ce qu’il y a de plus blanc, c’est ce qui n’est pas mélangé de noir ”, observe Aristote. De même donc, le meilleur, c’est ce qui n’est pas mélangé de mal. Mais, Dieu, bien plus encore que la nature, fait toujours ce qu’il y a de meilleur[3203]. Donc dans les choses que Dieu a faites, on ne trouve aucun mal.

En sens contraire, d’après cela il faudrait rejeter toutes les interdictions et les châtiments, qui ne concernent pas autre chose que les maux.

Réponse :

Comme nous l’avons dit à l’article précédent[3204], la perfection de l’univers requiert qu’il y ait inégalité entre les créatures, afin que tous les degrés de bonté s’y trouvent réalisés. Or, un premier degré de bonté, c’est qu’un être soit tellement bon qu’il ne puisse jamais défaillir. Un autre, c’est qu’il soit bon, mais puisse faillir au bien. Et ces degrés se rencontrent aussi dans l’être lui-même ; car il y a certaines choses qui ne peuvent perdre l’être, comme les réalités incorporelles[3205] ; et d’autres peuvent le perdre, comme les réalités corporelles. Donc, de même que la perfection de l’univers requiert qu’il n’y ait pas seulement des réalités incorporelles, mais aussi des réalités corporelles ; de même la perfection de l’univers exige que certains êtres puissent défaillir à l’égard du bien ; d’où il suit que parfois ils défaillent. Or, la nature du mal consiste précisément en ce qu’un être défaille à l’égard du bien. D’où il est évident que, dans les choses, le mal se rencontre au même titre que la corruption, car la corruption elle-même est une sorte de mal.

Solutions :

1. Le mal diffère aussi bien de l’être pur et simple que du non-être pur et simple, n’étant ni une possession, ni une pure négation, mais une privation[3206].

2. Comme dit Aristote dans la Métaphysique, le mot être s’entend de deux façons. D’une part pour signifier l’entité d’une chose ; en ce sens, l’être se divise selon les dix prédicaments[3207], et c’est en ce sens-là que l’être et la chose s’équivalent. En ce sens, aucune privation n’est de l’être ; et le mal n’en est pas non plus. D’autre part, le mot être sert à exprimer la vérité d’une proposition : celle-ci consiste dans la composition dont le caractère est indiqué par le verbe “ est ”, et qui répond à la question : Cela est-il ? [3208] Nous disons en ce sens que la cécité est dans l’œil, et de même pour toute autre privation. En ce sens, le mal lui-même est appelé un être. C’est pour avoir ignoré cette distinction que certains, constatant qu’on déclare mauvaises telles ou telles choses, ou que dans les choses on relève du mal, ont cru que le mal était lui-même une chose.

3. Dieu, la nature ou tout autre agent font ce qu’il y a de meilleur dans le tout, mais non ce qu’il y a de meilleur dans chaque partie, si ce n’est par rapport au tout, comme nous l’avons dit plus haut[3209]. Or le tout, c’est-à-dire l’universalité des créatures, est meilleur et plus parfait s’il y a en lui des êtres qui peuvent s’écarter du bien et qui dès lors en déchoient, Dieu ne les en empêchant pas. En effet, il appartient à la Providence, non de détruire la nature, mais de la sauver, dit Denys ; or il est conforme à la nature des êtres que ceux qui peuvent défaillir défaillent quelquefois. Et d’ailleurs, dit S. Augustin, “Dieu est si puissant qu’il peut faire sortir le bien du mal”. De sorte que beaucoup de biens seraient supprimés si Dieu ne permettait que se produise aucun mal. Le feu ne brûlerait pas si l’air n’était pas détruit[3210] ; la vie du lion ne serait pas assurée si l’âne ne pouvait être tué ; et on ne ferait l’éloge ni de la justice qui punit, ni de la patience qui souffre, s’il n’y avait pas l’iniquité d’un persécuteur.

 

            Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ?

Objections :

1. Il semble que non. Car tous les biens sont des existants[3211]. Mais Denys affirme que le mal n’est pas un existant[3212] et ne se trouve pas dans les êtres existants[3213]. Donc le mal n’est pas dans le bien comme dans son sujet.

2. Le mal n’est pas de l’être[3214], et le bien est de l’être[3215] ; or le non-être ne requiert pas un être où il puisse se trouver comme dans son sujet. Donc le mal non plus ne requiert pas le bien pour y être comme dans son sujet.

3. L’un des contraires n’est pas le sujet de l’autre ; or le bien et le mal sont des contraires[3216]. Donc le mal n’est pas dans le bien comme dans son sujet.

4. Comme le sujet de la blancheur est appelé un blanc, ainsi le sujet du mal doit être appelé un mal. Donc, si le mal a pour sujet le bien, il s’ensuivra que le bien sera un mal. Cela contredit la parole d’Isaïe (5, 20) : “ Malheur à vous qui appelez bien le mal, et mal le bien. ”

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Le mal n’existe que dans le bien. ”

Réponse :

Nous l’avons dit[3217], le mal implique l’absence de bien. Mais toute absence de bien ne s’appelle pas un mal. L’absence de bien peut en effet être prise soit comme négation pure, soit comme privation. Et l’absence de bien prise par manière de négation n’a pas raison de mal, sans quoi les choses qui n’existent d’aucune manière seraient des maux, et toute chose serait mauvaise du seul fait qu’elle n’a pas le bien d’une autre. Ainsi l’homme serait mauvais pour n’avoir pas l’agilité de la chèvre ou la force du lion. C’est lorsqu’elle est une privation que l’absence est appelée un mal : telle la privation de la vue, qu’on nomme cécité[3218]. Or, c’est un seul et même être, qui est sujet de la privation et de la forme, à savoir l’être en puissance ; qu’il s’agisse de l’être en puissance absolument, comme la matière première, sujet de la forme substantielle[3219] et de la privation opposée ; ou qu’il s’agisse d’un être en puissance sous un certain rapport et en acte par lui-même, comme un corps translucide qui est le sujet des ténèbres et de la lumière. Mais il est évident que la forme par laquelle quelque chose est en acte constitue une certaine perfection, un certain bien[3220] ; et ainsi tout être en acte est un certain bien[3221]. De même, tout être en puissance est comme tel un certain bien, selon qu’il a un ordre au bien ; de même qu’il est un être en puissance, il est un bien en puissance. Cela démontre que le sujet du mal est le bien.

Solutions :

1. Denys veut dire que le mal n’est pas dans les êtres existants à titre de partie, ou de propriété naturelle d’un existant donné.

2. Le non-être ne requiert pas de sujet si on le prend comme une négation pure ; mais la privation est “une négation dans un sujet”[3222], dit le Philosophe, et c’est un tel non-être qui est le mal.

3. Le mal n’a pas pour sujet le bien qui lui est opposé ; il a pour sujet un autre bien : ainsi le sujet de la cécité n’est pas la vue, mais le vivant. Il ne semble pas moins, remarque S. Augustin, que “ soit ici en défaut la règle de dialectique d’après laquelle les contraires ne peuvent exister ensemble ”. Mais cette règle ne se vérifie qu’à l’égard du bien et du mal pris dans leur acception commune, non en ce qui concerne spécialement tel bien ou tel mal. S’il s’agit par exemple du blanc et du noir, du doux et de l’amer, ou d’autres contraires de ce genre, ils ne sont jamais pris que concrètement, car ils appartiennent à des genres déterminés. Mais le bien embrasse tous les genres[3223]. C’est pourquoi un bien peut exister simultanément avec la privation d’un autre bien.

4. L’imprécation du prophète s’adresse à ceux qui appellent mal le bien pris comme bien ; mais cela ne résulte aucunement de ce qui précède, comme on a pu le voir[3224].

 

            Article 4 — Le mal détruit-il totalement le bien ?

Objections :

1. Il semble que le mal détruit tout le bien. Car, de deux contraires, l’un est totalement détruit par l’autre. Or le bien et le mal sont des contraires : donc le mal peut détruire tout le bien.

2. S. Augustin écrit : “ Le mal nuit en ce qu’il enlève le bien. ” Or le bien se ressemble et il n’est qu’une seule et même forme[3225]. Donc il est enlevé totalement par le mal.

3. Le mal, tant qu’il existe, est nuisible et détruit le bien. Or à force d’enlever quelque chose, on anéantit un être, à moins qu’il soit infini, ce qui n’est le cas d’aucun bien créé.

En sens contraire, S. Augustin écrit que le mal ne peut entièrement épuiser le bien.

Réponse :

Le mal ne peut détruire complètement le bien. Pour s’en convaincre, il faut observer qu’il y a trois sortes de bien. La première est totalement détruite par le mal ; c’est le bien opposé au mal : ainsi la lumière est totalement détruite par les ténèbres, et la vue par la cécité. La deuxième n’est ni totalement détruite par le mal, ni même affaiblie par lui : ainsi, du fait des ténèbres, rien de la substance de l’air n’est diminué. Enfin, la troisième sorte de bien est diminuée par le mal, sans être complètement détruite : c’est l’aptitude du sujet à son acte[3226].

Or, cette diminution du bien ne doit pas se comprendre par manière de soustraction, comme pour les quantités, mais par affaiblissement ou déclin, comme dans les qualités et les formes. Cette baisse de capacité s’explique par le processus inverse de son développement. La capacité se développe par les dispositions qui préparent la matière à l’acte : plus elles sont multipliées dans le sujet, plus celui-ci est habilité à recevoir la perfection et la forme[3227]. En sens inverse, la capacité diminue par les dispositions contraires : plus elles sont nombreuses dans la matière, et intenses, plus elles atténuent la disposition à l’acte.

Donc, si les dispositions contraires ne peuvent se multiplier et s’intensifier indéfiniment, mais seulement jusqu’à un certain point, l’aptitude susdite ne sera pas non plus diminuée ou affaiblie à l’infini, et c’est ce que l’on voit dans les qualités actives et passives des éléments. En effet, le froid et l’humidité, qui diminuent ou affaiblissent l’aptitude du combustible à s’enflammer, ne peuvent s’accroître indéfiniment. Si au contraire les dispositions adverses peuvent être indéfiniment multipliées, l’aptitude en question peut être elle-même indéfiniment diminuée ou affaiblie ; mais elle ne serait jamais totalement détruite ; car elle demeure dans sa racine, qui est la substance du sujet[3228]. De même, si l’on interposait indéfiniment des corps opaques entre le soleil et l’air, celui-ci verra indéfiniment diminuer sa capacité de recevoir la lumière ; mais il ne la perdrait nullement, puisqu’il est translucide par nature. De même on pourrait ajouter indéfiniment péchés sur péchés, et ainsi affaiblir de plus en plus l’aptitude de l’âme à la grâce ; car les péchés sont comme des obstacles interposés entre nous et Dieu, selon la parole d’Isaïe (59, 2) : “ Nos iniquités ont mis une séparation entre nous et Dieu. ” Cependant, ils ne détruisent pas totalement cette aptitude, car elle tient à la nature de l’âme.

Solutions :

1. Le bien opposé au mal est totalement aboli par le mal ; mais il n’en est pas de même des autres biens, comme on vient de le dire[3229].

2. L’aptitude du sujet à l’acte est intermédiaire entre le sujet et l’acte[3230]. Par le côté où elle touche à l’acte, elle est diminuée par le mal ; mais par le côté où elle tient au sujet, elle persiste. Dès lors, quoique le bien, considéré en soi, demeure toujours identique à lui-même, toutefois, en raison de ses rapports avec des choses diverses, il n’est pas détruit totalement, mais en partie.

3. Certains auteurs, imaginant la diminution du bien en question à la manière d’une diminution quantitative, ont affirmé : Il en est comme du continu, qui se subdivise indéfiniment, pourvu que la division procède d’après une proportion uniforme, comme si l’on prend la moitié de la moitié ou le tiers du tiers. Mais ce raisonnement n’est pas applicable ici. Car, dans la division où l’on opère selon la même proportion, on enlève de moins en moins, vu que la moitié de la moitié est moindre que la moitié du tout. Mais un second péché ne diminue pas nécessairement moins que le précédent l’aptitude du sujet à la grâce : il peut la diminuer autant, et même davantage. Il faut donc répondre que l’aptitude dont on parle, bien qu’elle soit finie, peut néanmoins s’affaiblir indéfiniment, non par elle-même, mais par accident, en raison de l’accroissement indéfini des dispositions contraires, comme nous venons de le dire[3231].

 

            Article 5 — La division du mal par la peine et la faute

Objections :

1. Cette division du mal par la peine et la faute n’est pas suffisante. Car tout défaut paraît être un mal. Or, en toute créature se trouve ce défaut essentiel : qu’elle ne peut se conserver elle-même dans l’être[3232], défaut qui n’est cependant ni une peine, ni une faute.

2. Chez les êtres sans raison, il n’y a ni faute ni peine ; on trouve cependant en eux corruption et déficience, qui se rattachent à la raison de mal.

3. La tentation est un certain mal. Cependant elle n’est pas une faute ; car “ la tentation à laquelle on ne consent pas, (dit la Glose sur 1 Co 12, 7) n’est pas péché, mais matière à éprouver la vertu ”. Ce n’est pas non plus une peine, puisque la tentation précède la faute, tandis que la peine la suit. La division du mal en peine et faute est donc insuffisante.

En sens contraire, il apparaît que cette division est superflue. Car, dit S. Augustin, on appelle mal ce qui nuit. Or ce qui nuit a le caractère d’une peine. Donc tout mal est englobé dans la peine.

Réponse :

Nous l’avons dit[3233], le mal n’est que la privation du bien, et le bien consiste principalement et par lui-même dans une perfection et un acte[3234]. Or l’acte se prend en deux sens : comme acte premier ou comme acte second. L’acte premier est la forme et l’intégrité de la chose même ; l’acte second est l’opération[3235]. En conséquence, le mal se réalise de deux manières. Il peut consister dans la destruction de la forme ou de quelque élément requis pour l’intégrité de la chose ; c’est ainsi que la cécité ou la perte d’un membre est un mal. Il peut consister encore dans la soustraction de l’action qui lui est due, que cette action ait disparu, ou qu’elle manque des éléments et de la fin qu’elle exige[3236].

Mais puisque le bien, comme tel, est objet de volonté[3237], le mal, privation du bien, se trouve à un titre spécial dans les créatures raisonnables, douées de volonté. Aussi le mal qui est une privation de forme ou d’intégrité aura pour elles raison de peine, d’autant plus que toutes choses sont soumises à la providence et à la justice divines, ainsi qu’on l’a montré[3238]. Car la nature de la peine, c’est d’être contraire à la volonté[3239]. Quant au mal qui consiste en la soustraction de l’action obligée, en matière volontaire, il a raison de faute. Car on impute à faute ce qui s’écarte de l’action parfaite dont l’agent est le maître par sa volonté. Donc tout mal, considéré dans le domaine du volontaire, est une peine ou une faute.

Solutions :

1. Nous avons expliqué[3240] que le mal est la privation du bien, et non sa simple négation. Tout manque n’est donc pas un mal, mais seulement le manque d’un bien qu’on doit avoir par nature. Ce n’est pas un mal pour la pierre de n’avoir pas la vue ; c’en est un seulement pour l’animal ; car il n’est pas conforme à la nature de la pierre de posséder la vue. De même, il est contraire à la raison de créature de se conserver dans l’être par elle-même ; car c’est le même qui donne l’être et y conserve. Ce défaut-là n’est donc pas un mal pour la créature.

2. Nous ne disons pas que la peine et la faute divisent le mal purement et simplement, mais le mal dans le domaine du volontaire[3241].

3. Si l’on considère la tentation comme une provocation au mal, elle est toujours une faute de la part de celui qui tente. Chez celui qui est tenté, à vrai dire elle n’a pas d’existence, si ce n’est dans la mesure où il en est plus ou moins affecté ; car l’action de l’agent est dans le patient[3242]. Or quand le sujet tenté est entraîné au mal par le tentateur, il tombe dans une faute.

A l’argument en sens contraire, on doit répondre qu’il est essentiel à la peine de nuire à l’agent en lui-même ; mais qu’il est essentiel à la faute de nuire à l’agent dans son action. De la sorte, la peine et la faute sont comprises l’une et l’autre dans le mal, en tant qu’il a raison de nuisance.

 

            Article 6 — La raison de mal se réalise-t-elle davantage dans la peine, ou dans la faute ?

Objections :

1. Il semble que la peine réalise plus que la faute la raison de mal. En effet, la faute est à la peine ce que le mérite est à la récompense. Or, la récompense réalise la notion de bien plus que le mérite, puisqu’elle en est la fin[3243]. Il semble donc que, pareillement, la peine réalise plus que la faute la notion de mal.

2. Le plus grand mal est celui qui est opposé au plus grand bien. Or nous avons dit que la peine s’oppose au bien de l’agent, et la faute au bien de l’action[3244]. Donc, puisque l’agent vaut mieux que l’action, il semble que la peine soit pire que la faute.

3. Il est une peine qui consiste en la privation même de la fin, c’est la perte de la vision divine[3245]. Or le mal de la faute est seulement la privation de l’ordre à cette fin. La peine est donc un plus grand mal que la faute.

En sens contraire, un sage se résout à un moindre mal pour en éviter un plus grand : ainsi le médecin coupe un membre pour sauver le corps. Or la sagesse de Dieu inflige la peine pour éviter la faute. Donc la faute est un plus grand mal que la peine.

Réponse :

La faute réalise la raison de mal plus que la peine, et non seulement que la peine sensible, qui consiste dans la privation des biens corporels - façon de comprendre la peine qui est le fait du grand nombre - ; mais aussi en comprenant la peine dans toute son étendue, en y englobant ces peines que sont la privation de la grâce et de la gloire. Cela se prouve de deux manières.

1. La faute est un mal qui rend l’homme mauvais, ce qui n’est pas vrai de la peine. “ Ce n’est pas d’être châtié qui est un mal, dit Denys, c’est de mériter le châtiment. ” En effet, comme d’une part le bien propre consiste dans l’acte et non dans la puissance[3246] ; comme d’autre part l’acte ultime, en toutes choses, consiste dans l’opération ou dans l’usage des choses que l’on possède, le bien de l’homme consiste donc purement et simplement dans l’action bonne, ou dans le bon emploi des choses qu’il possède[3247]. Or, nous usons de toutes choses par notre volonté. C’est donc en raison de sa volonté bonne, grâce à laquelle il use bien des choses qu’il possède, qu’un homme est déclaré bon, tandis que sa volonté mauvaise le rend mauvais[3248]. Car celui qui a une volonté mauvaise peut user mal même du bien qu’il a, comme un lettré qui parlerait mal. Donc, puisque la faute consiste dans un acte désordonné de la volonté, et la peine dans la privation de l’un des biens que la volonté utilise, on voit que la faute a raison de mal plus que la peine.

2. Dieu est l’auteur du mal de peine et non du mal de faute. La raison en est que le mal de peine enlève le bien de la créature, soit qu’il s’agisse d’un bien créé, comme la vue dont la cécité nous prive, soit qu’il s’agisse du bien incréé, qui est enlevé à la créature lorsqu’elle est privée de la vision de Dieu. Mais le mal de faute s’oppose proprement au bien incréé[3249] ; car il contrarie l’accomplissement de la volonté divine et l’amour divin, par lequel le bien divin est aimé en lui-même, et non seulement en tant que participé par la créature. Il est donc évident par là que la faute réalise la raison de mal plus que la peine.

Solutions :

1. Bien que la faute aboutisse à la peine, comme le mérite aboutit à la récompense, on ne commet pas la faute en vue du châtiment, tandis qu’on acquiert le mérite en vue de la récompense. Il faut dire bien plutôt que la peine est infligée pour faire éviter la faute. Et ainsi la faute est pire que la peine.

2. L’ordre de l’action, qui est enlevé par la faute, est plus parfait que le bien de l’agent enlevé par la peine ; car celui-ci est sa perfection seconde, tandis que l’autre est sa perfection première[3250].

3. La faute ne se compare pas à la peine comme la fin à l’ordre qui y mène. En effet, l’un et l’autre, la fin et l’ordre, peuvent être enlevés d’une certaine façon et par la faute et par la peine. Mais par la peine, ils sont détruits en ce que l’homme lui-même est détourné et de sa fin et de ce qui le mène vers cette fin ; par la faute, la fin et l’ordre sont détruits de telle manière que la privation porte sur l’action humaine, qui n’est pas ordonnée à la fin requise[3251].


 

 

QUESTION 49 — LA CAUSE DU MAL

1. Le bien peut-il être cause du mal ? 2. Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ? 3. Y a-t-il un souverain mal, qui soit la cause première de tous les maux ?

 

            Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ?

Objections :

1. Cela semble impossible, car il est dit en S. Matthieu (7,18) : “ Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits. ”

2. L’un des contraires ne peut être la cause de l’autre. Or le mal est le contraire du bien.

3. Un effet défectueux ne peut venir que d’une cause défectueuse. Mais le mal, s’il a une cause, est un effet défectueux. Donc il a une cause défectueuse. Tout défaut étant un mal, la cause du mal ne peut être que du mal.

4. Denys affirme que le mal n’a pas de cause. Donc le bien n’est pas cause du mal.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ On ne voit aucunement d’où pourrait naître le mal, si ce n’est du bien. ”

Réponse :

D’une façon ou d’une autre, on est obligé de dire que le mal a une cause. Le mal, en effet, est le défaut d’un bien qu’un être est naturellement apte à avoir[3252], et doit avoir. Or, un être ne peut être privé de la disposition due à la nature que si une cause lui soustrait cette disposition. Un corps lourd ne s’élève que si quelqu’un le lance ; un agent ne manque son action qu’en raison d’un obstacle. Mais être cause ne peut être que le fait d’un bien ; car rien ne peut être cause sinon en tant qu’il est de l’être[3253], et tout être, en tant que tel, est un bien[3254]. Du reste, si nous considérons la nature particulière des causalités, nous voyons que l’agent, la forme et la fin impliquent chacun une certaine perfection qui se rattache à la raison de bien[3255]. La matière elle-même, en tant qu’elle est en puissance au bien, a raison de bien.

Ce qui précède prouve que le bien est cause du mal à la manière d’une cause matérielle, car on a montré[3256] que le bien est le sujet du mal. Quant à la cause formelle, le mal n’en a pas, car il est plutôt une privation de forme. Il en est de même de la cause finale ; car le mal, loin d’avoir une fin, est bien plutôt la privation de l’ordination à la fin requise ; car ce n’est pas seulement la fin qui a raison de bien, mais aussi l’utile, qui est ordonné à la fin[3257]. Si le mal a une cause efficiente, c’est une cause qui ne le produit pas directement, mais par accident.

Pour en avoir la preuve, il faut savoir que le mal n’est pas produit de la même manière dans l’action et dans l’effet. Dans l’action, le mal est causé par le défaut de l’un des principes de l’action, soit du côté de l’agent principal, soit du côté de l’agent instrumental. Ainsi, un défaut de motricité chez le vivant peut provenir ou d’une faiblesse de l’organisme, comme chez l’enfant, ou du mauvais état des membres qui en sont les instruments, comme chez les boiteux. Dans une chose, au contraire, le mal a pour cause parfois la puissance de l’agent (non pas toutefois dans l’effet propre de cet agent), et parfois le défaut de l’agent ou de la matière. Le mal est produit par la puissance ou la perfection de l’agent, quand, à la forme voulue par cet agent, est liée comme une conséquence nécessaire la privation d’une autre forme. Ainsi la combustion implique-t-elle la destruction de l’air ou de l’eau, de sorte que, plus le feu est puissant et actif, plus il imprime énergiquement sa forme, et plus il détruit avec énergie ce qui lui est contraire. Le mal et la destruction de l’air ou de l’eau provient de la perfection du feu. Mais cela est produit par accident ; car le feu ne tend pas à expulser la forme de l’eau, il tend à introduire sa propre forme ; seulement, en faisant ceci, il cause cela par accident. Mais s’il y a un défaut dans l’effet propre du feu, c’est-à-dire s’il ne réussit pas à chauffer, cela provient d’un défaut de l’action même, défaut qui est dû à un manque dans le principe d’action, comme on l’a dit[3258] ; ou bien cela tient à une mauvaise disposition de la matière, qui ne reçoit pas l’action du feu. Or ce fait même d’être déficient, est accidentel au bien, auquel il convient par soi d’agir. Cela prouve de toute manière que le mal n’a de cause que par accident. Et c’est ainsi que le bien est cause du mal.

Solutions :

1. Voici le commentaire de S. Augustin : “ Le Seigneur entend par le mauvais arbre la mauvaise volonté, par le bon arbre la bonne volonté. ” Or la bonne volonté ne produit pas d’acte moral mauvais, puisque l’acte moral est jugé bon en raison de la qualité de la volonté[3259]. Pourtant, le mouvement de la volonté mauvaise a pour principe une créature raisonnable qui est bonne[3260], et c’est ainsi que le bien est cause du mal.

2. Le bien ne produit pas le mal qui lui est contraire ; mais il peut en causer un autre. Ainsi la bonté du feu cause le mal de l’eau, et un homme bon par nature peut causer un acte moralement mauvais. C’est là un genre de causalité par accident, nous l’avons dit[3261]. Et il peut arriver que de la même manière, par accident, un contraire soit la cause de son contraire, comme il arrive lorsque le froid ambiant produit au-dedans une réaction de chaleur.

3. Le mal a une cause défectueuse de manière différente, suivant qu’il s’agit d’agents volontaires ou d’agents naturels. L’agent naturel agit d’après ce qu’il est[3262], à moins d’un empêchement extérieur, et cela même est chez lui une sorte de défaut. En conséquence, il n’y a jamais de mal dans l’effet sans qu’il préexiste un autre mal dans l’agent ou dans la matière, comme on vient de le dire[3263]. Mais dans l’ordre des choses volontaires, le défaut de l’action vient de la volonté qui défaille actuellement, en tant qu’elle ne se soumet pas actuellement à sa règle. Ce défaut n’est pas une faute ; mais la faute vient de ce que le sujet opère avec un tel défaut.

4. Le mal n’a pas de cause par soi, mais seulement par accident, on vient de le dire[3264].

 

            Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ?

Objections :

1. Il semble bien que le souverain bien, qui est Dieu, soit cause du mal, car on lit dans Isaïe (45, 6, 7) : “ Je suis le Seigneur, il n’y en a pas d’autre. Je façonne la lumière et je crée les ténèbres ; je fais le bonheur et je crée le malheur. ” Et dans Amos (3, 6) : “ Arrive-t-il un malheur dans une ville, sans qu’il soit l’œuvre du Seigneur ? ”

2. L’effet de la cause seconde se ramène à la cause première[3265]. Or le bien est la cause du mal, comme on vient de le dire[3266]. Donc, puisque Dieu est la cause de tout bien, comme on l’a également montré[3267], il s’ensuit que tout mal vient aussi de Dieu.

3. D’après Aristote, “ le salut et la perte du navire ” ont la même cause. Mais Dieu est cause du salut de toutes choses. Donc lui-même est cause de toute perdition et de tout mal.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Dieu n’est pas l’auteur du mal, car il n’est pas cause que l’on tende au non-être. ”

Réponse :

D’après ce que nous avons dit[3268], le mal qui vient d’une déficience dans l’action a toujours pour cause le défaut de l’agent. Or, en Dieu, il n’y a aucun défaut, mais une perfection souveraine, comme nous l’avons montré. Par conséquent, Dieu n’est pas responsable du mal de l’action qui est causé par une déficience de l’agent.

En revanche, le mal qui consiste dans la destruction de certaines choses se ramène à Dieu comme à sa cause, et cela se voit clairement dans le domaine de la nature comme dans celui de la volonté. Nous l’avons dit en effet[3269] : un agent qui, par son pouvoir, produit une certaine forme d’où résulte une corruption et un manque, cause, par son pouvoir, cette corruption et ce manque. Or, il est évident que la forme que Dieu se propose principalement dans les choses créées, c’est le bien de l’univers. Et l’ordre de l’univers requiert, comme nous l’avons dit[3270], que certains êtres puissent défaillir et parfois défaillent. De telle sorte que Dieu, en causant le bien de l’ordre universel, cause aussi, par voie de conséquence et pour ainsi dire par accident, la corruption de certains êtres, conformément à ces paroles de l’Écriture (1 S 2, 6) : “ C’est le Seigneur qui fait mourir et qui fait vivre. ” S’il est dit au livre de la Sagesse (1,12) : “ Dieu n’a pas fait la mort ”, cela s’entend d’une mort qui serait voulue pour elle-même. A l’ordre de l’univers se ramène également l’ordre de la justice, d’après lequel un châtiment doit être infligé aux pécheurs. On peut donc dire que Dieu est l’auteur de ce mal qu’est la peine, mais non du mal qu’est la faute[3271], pour la raison qu’on vient de dire[3272].

Solutions :

1. Ces textes concernent le mal de peine, non celui de faute[3273].

2. L’effet de la cause seconde défaillante se ramène à la cause première non défaillante pour tout ce qu’il a d’entité et de perfection[3274], mais non pour ce qu’il a de déficient. Ainsi tout ce qu’il y a de mouvement dans la jambe qui boite est causé par sa puissance motrice ; mais ce qu’il y a de dévié dans ce mouvement n’est pas causé par cette puissance motrice, il a pour cause la difformité de la jambe. De même, tout ce qu’il y a d’être et d’action dans une action mauvaise, remonte à Dieu comme à sa cause ; mais ce qu’il y a là de défaillant n’est pas causé par Dieu ; c’est l’effet de la cause seconde qui défaille.

3. Le naufrage du navire est attribué au pilote comme cause parce qu’il a omis de faire ce qui était nécessaire au salut du navire. Mais Dieu ne manque jamais de réaliser ce qui est nécessaire au salut[3275]. Le cas n’est donc pas le même.

 

            Article 3 — Y a-t-il un souverain mal, qui soit la cause première de tous les maux ?

Objections :

1. Il semble bien, car les effets contraires ont des causes contraires. Or il y a de la contrariété dans les choses, selon l’Ecclésiastique (33,14) : “ En face du mal il y a le bien ; en face de la mort, la vie ; ainsi, en face de l’homme pieux, le pécheur. ” Il y a donc des principes contraires, l’un du bien et l’autre du mal.

2. Si l’un des contraires est dans la nature des choses, l’autre aussi, selon Aristote. Or, le souverain bien est dans la nature des choses, et c’est lui qui est la cause de tout bien, ainsi qu’on l’a montré[3276]. Donc il y a aussi un souverain mal opposé à lui, et qui est la cause de tout mal.

3. De même qu’on trouve dans les êtres le bien et le mieux, on y trouve le mal et le pire. Or le bien et le mieux sont ainsi appelés par comparaison avec le meilleur[3277]. Donc le mal et le pire sont également ainsi nommés par rapport à un souverain mal.

4. Ce qui est tel par participation se ramène à ce qui est tel par essence[3278]. Or, les choses qui sont mauvaises pour nous ne sont pas mauvaises par essence, elles le sont en vertu d’une participation[3279]. Donc on doit trouver quelque part un souverain mal qui soit cause de tout mal.

5. Tout ce qui est par accident se ramène à ce qui est par soi[3280]. Or le bien est cause du mal par accident[3281]. Donc il faut poser un souverain mal qui soit cause des maux par soi-même. Et on ne peut pas dire que le mal n’a pas de cause par soi, qu’il n’a qu’une cause par accident, car il s’ensuivrait que le mal ne serait pas le cas le plus fréquent, mais le plus rare

6. Le mal de l’effet se ramène au mal de la cause ; car un effet défectueux vient d’une cause défectueuse, on l’a dit[3282]. Mais on ne peut pas remonter à l’infini dans l’ordre des causes[3283]. Donc il faut poser un premier mal qui soit la cause de tout mal.

En sens contraire, on a montré plus haut[3284] que le souverain bien est cause de tout l’être. Il ne peut donc pas y avoir de principe opposé à lui, qui soit cause des maux.

Réponse :

Il est évident d’après ce qui précède qu’il n’y a pas de premier principe des maux, comme il y a un premier principe des biens.

1. Parce que le premier principe des biens est le bien par essence, ainsi qu’on l’a montré[3285]. Or rien ne peut être le mal par essence, puisque, on l’a montré aussi, tout être, en tant qu’être, est bon[3286], et que le mal ne se trouve que dans le bien, comme dans son sujet[3287].

2. Parce que le premier principe des biens est le bien souverain et parfait, en qui préexiste toute bonté, ainsi qu’on l’a vu[3288]. Or il ne peut y avoir un souverain mal ; car, on l’a montré, même si le mal diminuait sans cesse le bien, jamais il ne peut le détruire totalement[3289]. Comme il y a toujours du bien dans les êtres, il n’y a rien qui soit intégralement et parfaitement mauvais. C’est ce qui fait dire au Philosophe : “ Si le mal était mal intégralement, il se détruirait lui-même ” ; car en supprimant tout bien, au point de le rendre intégralement mauvais, on supprimerait aussi le mal lui-même, qui a le bien pour sujet[3290]

3. Parce que la raison de mal s’oppose à la raison de premier principe. D’abord parce que tout mal est causé par le bien, comme on l’a montré[3291]. Et aussi parce que le mal ne peut être cause que par accident ; ainsi ne peut-il pas être cause première, puisque la cause par accident est postérieure à ce qui est par soi, comme le prouve Aristote[3292].

Ceux qui ont admis deux premiers principes, l’un bon et l’autre mauvais, sont tombés dans cette erreur pour la même raison qui fit avancer aux philosophes anciens d’autres erreurs également étranges. Au lieu de s’élever à la cause universelle de tout l’être, ils se sont arrêtés aux causes particulières d’effets particuliers[3293]. C’est pourquoi, quand ils ont observé que certains êtres nuisent à d’autres en vertu de leur nature, ils en ont conclu que cette nature était mauvaise, comme si l’on disait que le feu est mauvais par nature parce qu’il a brûlé la maison d’un pauvre. Mais on ne doit pas juger de la bonté d’une chose d’après le rapport qu’elle a avec un être particulier ; on doit considérer cette nature en elle-même, et par rapport à l’univers entier, dans lequel tout être tient son rang avec un ordre admirable, nous l’avons vu[3294].

De même, ceux qui trouvaient à deux effets antagonistes particuliers des causes particulières également antagonistes, ne surent pas ramener ces causes particulières à une cause universelle commune, et ils conclurent que les principes premiers étaient eux-mêmes antagonistes. Mais étant donné que tous les contraires se rejoignent dans un même genre, il est nécessaire de reconnaître, au-dessus des causes particulières qui s’opposent, une cause unique commune. Ainsi, au-dessus des qualités contraires des éléments, on trouve la vertu active du corps céleste. De même, au-dessus de tout ce qui est d’une manière quelconque, se trouve un unique premier principe d’être, ainsi que nous l’avons fait voir[3295].

Solutions :

1. Les contraires se rejoignent dans un même genre et se rejoignent également dans la qualité d’être[3296] ; c’est pourquoi, bien qu’ils aient des causes particulières contraires, il faut pourtant en venir à leur trouver une cause première commune.

2. La privation et la possession se réalisent naturellement dans un même sujet. Le sujet de la privation est l’être en puissance, nous l’avons dit[3297]. Ainsi, puisque le mal est la privation du bien, comme on vient de le voir[3298], le mal ne peut s’opposer qu’au bien dans lequel se trouve de la potentialité, et non pas au souverain bien, qui est acte pur[3299].

3. On doit envisager tout être selon sa raison propre. Or, de même qu’une forme est une certaine perfection[3300], ainsi une privation est un certain manque. Par conséquent toute forme, toute perfection, tout bien se considère selon qu’il s’approche d’un terme parfait, et une privation au contraire selon qu’elle s’éloigne du terme d’où elle part. On ne dit donc pas d’une chose qu’elle est mauvaise ou pire parce qu’elle se rapproche d’un souverain mal, comme on dirait qu’elle est bonne ou meilleure selon sa proximité à l’égard du souverain bien.

4. Aucun être n’est dit mauvais par participation ; il est dit mauvais au contraire par manque de participation. Il n’y a donc pas lieu de ramener le mal à quelque chose qui serait le mal par essence.

5. Le mal ne peut avoir de cause que par accident, comme on l’a montré[3301]. Il est donc impossible de remonter de lui à quelque chose qui serait cause du mal par soi. Quant à dire que le mal est le cas le plus fréquent, cela est faux, absolument parlant. Car les êtres engendrés et corruptibles, chez lesquels seuls le mal de nature peut se rencontrer, ne sont qu’une faible partie de l’univers. Et de plus, dans chaque espèce, les défauts de nature ne se produisent que dans les cas les moins nombreux. C’est parmi les hommes seulement que le mal semble être le cas le plus fréquent ; car le bien de l’homme, tel qu’il apparaît aux sens, n’est pas le bien de l’homme en tant qu’homme ; celui-ci doit se juger selon la raison ; or le plus grand nombre suivent les sens plutôt que la raison[3302].

6. Dans la recherche des causes du mal, on ne remonte pas à l’infini ; on ramène tous les maux à une cause bonne, d’où le mal découle par accident.

 


 

 

Après avoir traité de la création en général, il faut étudier, en les distinguant l’une de l’autre, la créature corporelle et la créature spirituelle. A ce sujet on considérera : 1. La créature purement spirituelle que la Sainte Écriture appelle ange (Q. 50-64). 2. La créature purement corporelle (Q. 65-74). 3. La créature composée de corporel et de spirituel, qu’est l’homme (Q. 75-102).

Au sujet de ces anges, nous étudierons successivement leur nature (Q. 50-53), leur intelligence (Q. 54-58), leur volonté (Q. 59-60) et leur création (Q. 61-64).

La nature des anges doit être envisagée d’abord en elle-même (Q. 50), puis dans ses rapports avec les êtres corporels (Q. 51-53).

 

 

QUESTION 50 — LA NATURE DES ANGES

1. Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ? 2. A supposer que l’ange soit tel, est-il composé de matière et de forme ? 3. Le nombre des anges. 4. La distinction des anges entre eux. 5. Leur immortalité ou incorruptibilité.

 

            Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

Objections :

1. Ce qui est incorporel seulement par rapport à nous et non par rapport à Dieu n’est pas incorporel purement et simplement. Or, selon S. Jean Damascène l’ange “ est dit incorporel et immatériel par rapport à nous ; mais, comparé à Dieu, il est corporel et matériel ”. L’ange n’est donc pas absolument incorporel.

2. Seul le corps est mobile, d’après Aristote. Or, selon S. Jean Damascène, l’ange est une substance intellectuelle toujours en mouvement. L’ange est donc une substance corporelle.

3. S. Ambroise dit que “toute créature est circonscrite par les limites fixes de sa nature ”. Or, être circonscrit est propre aux corps[3303]. Toute créature est donc corporelle, y compris les anges puisqu’ils sont créatures de Dieu, selon ces paroles du Psaume (148, 2.4) : “ Louez le Seigneur, vous tous ses anges... car il a parlé, ils ont été faits ; il a commandé et ils ont été créés. ”

En sens contraire, le Psaume (104, 4) parle de “ celui qui a fait de ses anges des esprits ”.

Réponse :

Il est nécessaire d’admettre l’existence de créatures incorporelles. En effet, le but principal de Dieu dans la création est le bien, qui n’est autre que l’assimilation à Dieu[3304]. Or, un effet n’est parfaitement assimilé à sa cause que s’il l’imite en cela même qui, dans la cause, est son principe ; ainsi le chaud produit le chaud. Dieu produit la créature par son intelligence et sa volonté, nous l’avons expliqué plus haut[3305]. La perfection de l’univers exige donc qu’il existe des créatures intellectuelles. Et l’acte d’intellection ne pouvant être l’acte d’un corps ni d’une vertu corporelle[3306], car tout corps est déterminé dans le temps et dans l’espace, nous devons nécessairement affirmer que la perfection de l’univers requiert l’existence de créatures incorporelles. Les philosophes anciens, qui ignoraient la nature de l’intelligence et ne la distinguaient pas du sens, estimaient que rien n’existe en dehors de ce qui peut être saisi par les sens et l’imagination. Et comme l’imagination n’atteint pas le corporel, ils pensaient, au dire d’Aristote, que rien n’existe en dehors du corporel. L’erreur des sadducéens, qui niaient l’existence de l’esprit (Ac 23,8), provenait des mêmes principes. Mais la supériorité de l’intelligence sur les sens fait raisonnablement conclure à l’existence d’êtres incorporels que l’intelligence seule peut appréhender.

Solutions :

1. Les substances incorporelles sont intermédiaires entre Dieu et les créatures corporelles. Or, en regard de l’un des extrêmes l’intermédiaire fait figure de l’autre extrême ; ainsi le tiède, comparé au chaud, paraît froid. C’est pour cette raison que S. Jean Damascène dit que, comparés à Dieu, les anges sont matériels et corporels[3307] ; ce n’est pas parce qu’ils ont en eux quelque chose de la nature corporelle.

2. Dans ce texte, le mot “ mouvement ” est pris dans un sens large qui embrasse aussi les actes d’intelligence et de volonté[3308]. On peut donc dire que l’ange est une substance toujours en mouvement en tant qu’il est toujours en acte d’intellection, et non pas, comme nous, tantôt en acte et tantôt en puissance[3309]. L’objection provient donc d’une équivoque.

3. Être circonscrit par des limites locales est propre aux corps, mais être circonscrit par des limites essentielles est commun à toute créature, tant corporelle que spirituelle[3310]. Ce qui fait dire à S. Ambroise que certains êtres, non contenus dans des lieux corporels, n’en sont pas moins circonscrits par leur substance.

 

            Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

Objections :

1. Tout ce qui est contenu dans un genre est composé du genre et d’une différence spécifique qui, en s’ajoutant au genre, constitue l’espèce. Or le genre est pris de la matière, et la différence est prise de la forme, selon les Métaphysiques[3311]. Tout ce qui est dans un genre est donc composé de matière et de forme. Si l’ange fait partie du genre substance, il est donc composé de matière et de forme.

2. Là où se trouvent les propriétés de la matière, la matière elle-même se trouve. Ces propriétés sont les facultés de recevoir et d’être sujet : d’où le mot de Boèce : “ Une forme simple ne peut être sujet. ” Or, l’ange possède les propriétés de la matière ; il est donc composé de matière et de forme.

3. La forme est acte. Ce qui n’est que forme est donc acte pur. Or, l’ange n’est pas acte pur, car c’est là le propre de Dieu seul[3312]. L’ange n’est donc pas uniquement forme ; il a une forme reçue dans une matière.

4. La matière est le principe propre qui limite et finit la forme. Une forme qui n’est pas dans une matière est donc infinie[3313]. Or, la forme de l’ange n’est pas infinie, puisque toute créature est finie. La forme de l’ange est donc dans une matière.

En sens contraire, Denys écrit que les premières créatures doivent être considérées aussi bien comme immatérielles que comme incorporelles.

Réponse :

Certains pensent que les anges sont composés de matière et de forme. Avicebron s’est efforcé de prouver cette opinion dans son livre la Source de la vie. Il part de ce principe que tout ce que l’intelligence distingue doit être également distinct dans la réalité. Or l’intelligence appréhende séparément dans la substance incorporelle ce qui la distingue de la substance corporelle, et ce par quoi elle lui est semblable. Il prétend en conclure que ce qui distingue la substance incorporelle de la substance corporelle, est pour elle comme une forme, et que le sujet de cette forme distinctive, en tant que réalité commune, tient lieu de matière. Et pour cette raison il pose l’existence d’une seule et même matière universelle pour les êtres spirituels et pour les êtres corporels ; cela veut dire que la forme de la substance incorporelle s’imprime dans la matière des êtres spirituels comme la forme de la quantité s’imprime dans la matière des êtres corporels[3314].

Mais on voit immédiatement qu’il ne peut y avoir une seule et même matière pour les êtres corporels et les êtres spirituels. En effet, une forme spirituelle et une forme corporelle ne peuvent être reçues dans la même partie de matière, car alors une seule et même chose serait à la fois corporelle et spirituelle. Il faut donc que la forme corporelle soit reçue dans une partie de la matière, et la forme spirituelle dans une autre. Or on ne peut concevoir que la matière soit divisée en parties sans présupposer en elle la quantité ; si celle-ci est écartée, dit Aristote, la substance demeure indivisible. Si bien que, dans cette hypothèse, la matière des êtres spirituels devrait être sujette à la quantité ; ce qui est impossible[3315]. Il ne peut donc y avoir une seule et même matière pour les êtres corporels et les êtres spirituels.

Qui plus est, si l’on considère la substance intellectuelle en elle-même, elle ne peut avoir aucune matière, quelle qu’elle soit. L’opération d’un être est en effet conforme au mode de sa substance[3316]. Or, l’acte d’intellection est une opération absolument immatérielle ; il suffit pour le comprendre de se rappeler quel est son objet, puisque c’est l’objet qui donne à un acte son espèce et sa nature[3317]. Une chose ne tombe sous l’acte d’intelligence que dans la mesure où elle est dégagée de la matière, car les formes qui sont dans la matière sont des formes individuelles, et l’intelligence ne les appréhende pas en tant que telles[3318]. Toute substance intellectuelle est donc absolument immatérielle.

D’autre part, il n’est nullement nécessaire que tout ce que l’intelligence distingue soit aussi distinct dans la réalité, car l’intelligence appréhende les choses non pas selon leur mode propre, mais selon son mode à elle. Si bien que les choses matérielles, qui sont inférieures à notre intelligence, sont dans notre intelligence d’une manière plus simple qu’elles ne sont en elles-mêmes[3319]. Au contraire, les substances angéliques lui étant supérieures, notre intelligence ne peut les appréhender selon ce qu’elles sont en elles-mêmes, mais à sa manière, c’est-à-dire à la manière dont elle saisit les choses composées. C’est ainsi également qu’elle appréhende Dieu[3320].

Solutions :

1. C’est la différence qui constitue l’espèce[3321]. Or, une chose est constituée dans une espèce en tant qu’elle est déterminée à tel degré dans l’échelle des êtres, car les espèces des choses sont comme les nombres qui diffèrent selon qu’on ajoute ou soustrait une unité selon Aristote[3322]. Dans les choses matérielles, autre est ce qui détermine à tel degré spécial (la forme), et autre ce qui est déterminé (la matière). Le genre se prend donc d’un autre principe que la différence. Mais, dans les choses immatérielles, le déterminant n’est pas autre que le déterminé ; c’est par lui-même que chaque être spirituel occupe un degré déterminé dans l’échelle des êtres[3323]. En lui, genre et différence ne se prennent pas de deux réalités, mais d’une seule. Toute la distinction vient donc de notre façon de les considérer ; en effet, quand nous considérons cette chose d’une manière indéterminée, nous l’envisageons comme partie du genre ; mais quand nous la considérons d’une manière déterminée, nous l’envisageons comme la différence.

2. L’argument cité est apporté par Avicebron dans sa Source de la vie. Il vaudrait si l’intelligence avait le même mode de réception que la matière, mais il n’en est rien. La matière reçoit la forme pour être constituée par elle comme être de telle espèce, air, feu, etc. L’intelligence, elle, ne reçoit pas la forme de cette manière, sans quoi l’opinion d’Empédocle serait vraie : que nous connaissons la terre par la terre et le feu par le feu. Mais la forme intelligible est dans l’intelligence selon la raison même de forme ; c’est ainsi, en effet, que l’intelligence la connaît[3324]. Ce mode de réception n’est donc pas celui de la matière, c’est celui de la substance immatérielle.

3. S’il n’y a pas, dans l’ange, composition de matière et de forme, il y a cependant composition d’acte et de puissance. Il suffit pour s’en rendre compte de considérer les choses matérielles où se trouvent les deux compositions. La première est celle de la forme et de la matière qui constituent une nature. Mais une nature, ainsi composée, n’est pas son être ; l’être est son acte. Par conséquent, même là où il n’y a pas de matière, où la forme subsiste indépendamment d’une matière[3325], la forme est encore vis-à-vis de son être en rapport de puissance à acte[3326]. Et c’est une telle composition que l’on doit admettre pour les anges[3327]. Voilà ce que veulent exprimer ceux qui, empruntant les termes de Boèce, disent que l’ange est composé de “ce par quoi il est” et de “ce qu’il est”, ou de l’essence et de ce qui existe : car, “ce qu’il est”, c’est la forme subsistante elle-même ; et l’essence, c’est ce par quoi la substance existe[3328], comme la course est ce par quoi court celui qui court. En Dieu, nous l’avons prouvé[3329], l’être et ce qu’il est ne sont pas autres ; lui seul est donc acte pur.

4. Toute créature est finie, absolument parlant, parce que son être n’est pas purement et simplement subsistant ; il est limité à la nature qu’elle affecte. Mais rien n’empêche qu’une créature soit infinie sous un certain rapport. Ainsi, les créatures matérielles sont infinies du côté de la matière, et finies du côté de la forme, limitée par la matière où elle est reçue[3330]. Au contraire, les substances immatérielles créées sont finies quant à leur existence, mais infinies en tant que leurs formes ne sont pas reçues dans un autre[3331]. Ainsi, si la blancheur existait séparément, nous dirions qu’elle est infinie en tant que blancheur, n’étant pas contractée par un sujet ; pourtant son être serait fini, puisqu’il serait déterminé par une nature spéciale. Aussi est-il dit dans le Livre des Causes que l’intelligence est finie par en haut, parce qu’elle reçoit l’être d’un principe qui lui est supérieur, et infinie par en bas, parce qu’elle n’est pas reçue dans une matière.

 

            Article 3 — Quel est le nombre des anges ?

Objections :

1. Le nombre est une espèce de la quantité, et une conséquence de la division du continu. Cela ne peut se réaliser pour les anges, qui sont incorporels[3332]. Les anges ne peuvent donc pas être en grand nombre.

2. Plus une chose est proche de l’unité, moins elle est multiple ; le cas des nombres le montre bien. Or la nature angélique est, de toutes les natures créées, la plus proche de Dieu[3333]. Il semble donc, Dieu étant souverainement un, que c’est dans la nature angélique que se trouve la moins grande multitude.

3. L’effet propre des substances séparées semble être de mouvoir les corps célestes[3334]. Or les mouvements des corps célestes se réduisent à un petit nombre déterminé, que nous pouvons connaître. Les anges ne sont pas en plus grand nombre que les mouvements des corps célestes.

4. Denys écrit que “ ce sont les rayons de la divine bonté qui font subsister toutes les substances intelligibles et intellectuelles[3335] ”. Or le rayon ne se multiplie qu’en raison de la diversité des sujets qui le reçoivent[3336]. Mais on ne peut dire que la matière reçoive le rayon intelligible, puisque les substances intellectuelles sont immatérielles. Leur multiplicité semble donc être fonction des premiers corps, les corps célestes, auxquels la propagation des rayons divins doit, de quelque manière, se terminer. Et ainsi on aboutit à la même conclusion que dans l’argument précédent.

En sens contraire, il est écrit au livre de Daniel (7,10) : “ Mille milliers le servaient, et une myriade de myriades se tenaient debout devant lui. ”

Réponse :

La question qui nous occupe a été résolue de différentes façons.

Pour Platon, les substances séparées sont les espèces des choses sensibles en sorte que, d’après lui, il faudrait dire que la nature humaine comme telle est séparée. A s’en tenir à cette opinion, il y a autant de substances séparées que d’espèces sensibles.

Aristote réprouve cette position parce que la matière fait partie de l’essence des espèces sensibles[3337]. Les substances séparées ne peuvent donc pas être les exemplaires de ces espèces sensibles ; au contraire elles ont des natures plus élevées. Et cependant, Aristote pense que ces natures plus parfaites sont en relation avec ces choses sensibles, en tant qu’elles en sont les moteurs et les causes finales ; ce qui l’a conduit à fixer pour les substances séparées un nombre égal à celui des premiers mouvements.

Mais, comme cela semblait contraire aux enseignements de la Sainte Écriture, le juif Rabbi Moïse voulut concilier Aristote et l’Écriture. Aussi écrit-il dans son Guide des Égarés que si par ange, on désigne les substances immatérielles, ils sont aussi nombreux que les mouvements des corps célestes, suivant l’opinion d’Aristote. Mais pour sauvegarder l’Écriture, il ajoute que celle-ci appelle également anges les hommes qui annoncent les choses divines, et les forces des êtres naturels qui manifestent la toute-puissance de Dieu[3338]. Mais ce n’est pas l’usage des Écritures d’appeler anges les forces des êtres irrationnels.

Il faut donc dire que la multitude des anges, même en tant qu’ils sont des substances immatérielles, surpasse de beaucoup toute multitude matérielle. C’est ce que dit Denys : “Les armées bienheureuses des esprits célestes sont nombreuses, dépassant la limite faible et restreinte de nos nombres matériels. ” En effet, Dieu ayant dans la création comme but principal la perfection de l’univers[3339], plus des êtres sont parfaits, plus Dieu les a créés en abondance. Car, de même que dans le monde des corps, la surabondance se prend de la grandeur, dans les êtres incorporels elle se prend de la multitude. Or les corps incorruptibles, qui sont les plus parfaits parmi les corps, dépassent en grandeur, presque sans comparaison, les corps corruptibles ; car toute la sphère où se trouvent l’action et la passion est peu de chose en regard des corps célestes. Il est donc raisonnable d’affirmer que la multitude des substances immatérielles dépasse tellement celle des substances matérielles qu’il est presque impossible de les comparer[3340].

Solutions :

1. Dans les anges, le nombre, qui est une quantité discrète, n’est pas conséquence de la division du continu. Il résulte de la distinction des formes, en tant que la multitude est un transcendantal, comme on l’a dit précédemment[3341].

2. La proximité de la nature angélique par rapport à Dieu ne la réduit pas à un petit rapport d’individus, mais entraîne seulement le minimum de multiplicité dans sa composition.

3. Ce raisonnement est celui d’Aristote. Sa conclusion serait nécessaire si les substances séparées étaient créées en vue des substances corporelles. Car, dans cette hypothèse, les substances immatérielles n’auraient aucune raison d’être, à moins qu’elles ne soient causes d’un mouvement quelconque dans les choses corporelles. Or, il est faux que les substances immatérielles soient ordonnées aux substances corporelles, puisque la fin doit être plus noble que ce qui lui est ordonné. Aussi Aristote dit-il lui-même que ce raisonnement n’a pas de valeur nécessaire, mais simplement probable. Il est cependant obligé de le tenir, du fait que nous ne pouvons parvenir à la connaissance des êtres intelligibles que par les sensibles[3342].

4. Ce raisonnement a valeur probante pour ceux qui pensent que la matière est cause de la distinction des choses ; mais nous avons déjà réfuté cette opinion[3343]. La cause de la multiplicité des anges n’est donc ni la matière, ni les corps, mais la sagesse divine qui a établi les divers ordres des substances immatérielles.

 

            Article 4 — La distinction des anges entre eux

Objections :

1. La différence étant plus noble que le genre[3344], les choses qui se ressemblent selon ce qu’il y a de plus noble en elles sont semblables dans leur différence constitutive ultime, et par conséquent sont de la même espèce. Or les anges se ressemblent tous par ce qu’il y a de plus noble en eux, par l’intellectualité. Ils rentrent donc tous dans une seule et même espèce.

2. Le plus et le moins ne diversifient pas l’espèce. Or, les anges ne semblent différer entre eux que selon le plus et le moins, en tant que l’un est plus simple et intellectuellement plus perspicace que l’autre[3345]. Les anges ne diffèrent donc pas d’espèce.

3. L’âme s’oppose à l’ange comme les termes d’un même genre. Or, toutes les âmes sont de la même espèce[3346]. Les anges aussi par conséquent.

4. Plus un être est parfait en matière, plus il doit être multiplié : ce qui ne se réaliserait pas s’il n’y avait qu’un individu par espèce. Il y a donc plusieurs anges dans chaque espèce.

En sens contraire, entre les choses qui sont de la même espèce il n’y a, au dire d’Aristote, ni antériorité ni postériorité. Or, Denys enseigne qu’un même ordre d’anges comprend des premiers, des intermédiaires et des derniers[3347]. Les anges ne sont donc pas tous de la même espèce

Réponse :

Pour certains, toutes les substances spirituelles, y compris les âmes, sont de la même espèce. Pour d’autres, les anges sont bien de la même espèce, mais non pas les âmes. Pour d’autres enfin, seuls les anges d’une même hiérarchie, ou d’un même ordre[3348], rentrent dans la même espèce. Tout cela est impossible. Les choses qui, ayant la même espèce, diffèrent numériquement, sont semblables formellement mais se distinguent matériellement[3349]. Or les anges, on l’a dit[3350], ne sont pas composés de matière et de forme ; il ne peut donc y avoir deux anges de la même espèce. De même, si la blancheur ou l’humanité étaient séparées de la matière, on ne pourrait dire qu’il y en a plusieurs, puisqu’elles ne sont multipliées qu’en raison de leurs sujets. Et quand bien même ils auraient une matière, les anges ne pourraient pas être plusieurs dans une même espèce. Car, dans cette hypothèse, le principe de leur distinction serait la matière, non pas en tant que divisée par la quantité, puisqu’ils sont incorporels, mais en raison d’une diversité[3351] qui comporte non seulement changement d’espèce mais de genre.

Solutions :

1. La différence est plus noble que le genre, comme le déterminé est plus noble que l’indéterminé, ou le propre que le commun, et non pas comme constituant une nature différente de celle du genre. Autrement, ou bien les animaux privés de raison seraient tous de même espèce ; ou bien il y aurait en eux une autre forme plus parfaite que l’âme sensible. C’est donc selon les divers degrés déterminés de la nature sensible que les animaux non raisonnables diffèrent spécifiquement[3352]. De même chez les anges la différence spécifique se prend des différents degrés de la nature intellectuelle.

2. Le plus et le moins n’entraînent pas un changement d’espèce s’ils résultent de l’intensification ou du relâchement d’une même forme, mais seulement s’ils ont leur principe dans des formes d’inégal degré ; ainsi disons-nous que le feu est plus parfait que l’air. C’est de cette seconde manière qu’il y a entre les anges du plus ou du moins .

3. Le bien de l’espèce l’emporte sur le bien de l’individu[3353]. La multiplication des espèces est donc, chez les anges, bien meilleure que la multiplication des individus dans une même espèce.

4. Comme nous l’avons dit plus haut[3354], l’agent se propose la multiplication des espèces, et non la multiplication numérique qui peut s’étendre à l’infini. La perfection de la nature angélique exige donc la multiplication des espèces, non la multiplication des individus dans une même espèce.

 

            Article 5 — L’immortalité ou incorruptibilité des anges

Objections :

1. Il semble bien que les anges ne sont pas incorruptibles. Car, selon le Damascène, “l’ange est une substance intellectuelle qui reçoit l’immortalité par grâce et non par nature.” [3355]

2. Platon fait dire au Démiurge : “O dieux des dieux dont je suis l’auteur et le père, vous êtes mon œuvre, vous êtes dissolubles par nature, mais je vous rends indissolubles par ma volonté.” [3356] Or qu’est-ce que ces dieux, sinon les anges ? Les anges sont donc corruptibles par nature.

3. Nous lisons dans S. Grégoire : “Tous les êtres rentreraient dans le néant, si la main du Tout-puissant ne les conservait dans l’existence.”[3357] Ce qui peut être réduit à néant est corruptible. Les anges sont donc corruptibles par nature, puisqu’ils ont été créés par Dieu.

En sens contraire, Denys affirme : “ Les substances intellectuelles ont une vie indéfectible, car elles sont exemptes de toute corruption, de la mort, de la matière et de la génération. ”

Réponse :

Il est nécessaire d’affirmer que les anges sont incorruptibles par nature. En effet, une chose est corrompue uniquement parce que sa forme est séparée de la matière. L’ange étant une pure forme subsistante, comme nous l’avons montré[3358], sa substance ne peut donc être corruptible. Car une chose qui convient à un être en raison de lui-même, ne peut jamais être séparée ; mais elle peut être séparée de l’être auquel elle convient en raison d’un autre, si cet autre fait défaut lui-même. Le cercle ne peut perdre sa rotondité, puisqu’elle lui convient par lui-même essentiellement ; mais un cercle d’airain peut cesser d’être rond, puisque la forme ronde n’est pas essentielle à l’airain. Or l’être convient à la forme en raison d’elle-même, car une chose est être en acte par là même qu’elle a une forme[3359]. Le composé de matière et de forme cesse donc d’exister dès que la forme est séparée de la matière. Mais, si la forme subsiste par elle-même, comme chez les anges, nous l’avons dit[3360], elle ne peut perdre l’être. C’est donc en raison de son immatérialité que l’ange est incorruptible par nature.

On trouve un signe de cette incorruptibilité dans l’opération intellectuelle : un être opère sous le rapport où il est en acte[3361] ; son opération manifeste donc le mode de son être. Or, c’est l’objet qui donne à l’opération son espèce et son essence intelligible. L’objet intelligible, lui, échappe au temps[3362] ; il est donc éternel. Par conséquent, toute substance intellectuelle est incorruptible par nature. [3363]

Solutions :

1. S. Jean Damascène parle dans ce texte de l’immortalité parfaite qui inclut l’immutabilité complète, car, selon le mot de S. Augustin, “tout changement est une certaine mort”. Or, nous le prouverons plus loin[3364], l’ange n’acquiert la parfaite immutabilité que par la grâce.

2. Par les “ dieux ”, Platon désigne les corps célestes. Et comme il croyait que ces corps sont composés des éléments, il les disait corruptibles par nature, mais redevables à la volonté divine d’être conservés dans l’être.

3. Il y a des êtres nécessaires dont la nécessité a une cause. Il n’est donc pas contradictoire que l’être d’une chose nécessaire et incorruptible dépende d’une autre comme de sa cause. Lorsque S. Grégoire dit que tous les êtres, même les anges, retomberaient dans le néant si Dieu ne les soutenait dans l’être, il ne veut donc pas dire que les anges renferment un principe de corruption, mais que leur être dépend de Dieu comme de sa cause. Une chose est dite corruptible, non point parce que Dieu peut la réduire à néant en lui retirant son action conservatrice, mais parce qu’elle renferme en elle-même un principe de corruption, ou une contrariété, ou au moins la puissance de la matière.


 

 

Il faut maintenant considérer les rapports des anges avec les réalités corporelles : 1. Avec les corps (Q. 51). 2. Avec les lieux (Q. 52). 3. Avec le mouvement local (Q. 53).

 

 

QUESTION 51 — LES RAPPORTS DES ANGES AVEC LES RÉALITÉS CORPORELLES

1. Les anges ont-ils des corps qui leur soient unis naturellement ? 2. Assument-ils des çorps ? 3. Exercent-ils des fonctions vitales dans les corps qu’ils assument ?

 

            Article 1 — Les anges ont-ils des corps qui leur soient unis naturellement ?

Objections :

1. Origène dit : “ C’est le propre de la seule nature de Dieu (c’est-à-dire du Père, du Fils et de l’Esprit Saint[3365]) d’exister sans substance matérielle et en dehors de toute union corporelle. ” On lit aussi dans S. Bernard : “ Comme nous n’accordons qu’à Dieu l’immortalité, nous n’attribuons qu’à lui l’incorporéité ; sa nature est la seule qui n’ait pas besoin du secours d’un instrument corporel, ni pour lui, ni pour un autre. Mais ce secours est nécessaire à tout esprit créé. ” S. Augustin dit également “ Les démons sont appelés des animaux aériens, parce qu’ils possèdent la nature des corps aériens. ” Or les anges et les démons ont la même nature[3366] ; les anges ont donc des corps qui leur sont unis naturellement.

2. S. Grégoire appelle l’ange “animal raisonnable” ; or tout animal est composé de corps et d’âme : les anges ont donc des corps qui leur sont unis naturellement.

3. La vie est plus parfaite dans les anges que dans les âmes. Or, non seulement l’âme vit, mais elle vivifie le corps[3367]. Donc les anges vivifient des corps qui leur sont unis naturellement.

En sens contraire, Denys dit qu’il faut considérer les anges comme des êtres aussi bien immatériels qu’incorporels.

Réponse :

Les anges n’ont pas de corps qui leur soient naturellement unis. En effet, ce qui est accidentel à une nature ne se retrouve pas nécessairement dans tous les cas où cette nature se réalise ; avoir des ailes, par exemple, n’est pas essentiel à l’animal, et par suite ne convient pas à tous les animaux. Or, comme nous le prouverons plus loin[3368], l’acte d’intellection n’est l’acte ni d’un corps ni d’une faculté corporelle ; être uni à un corps n’est donc pas essentiel à la substance intellectuelle en tant que telle, encore que cela puisse arriver pour des raisons extrinsèques à son caractère intellectuel. Ainsi en va-t-il de l’âme ; si elle est unie à un corps, c’est que, imparfaite et en puissance dans le genre des substances intellectuelles, elle n’a pas, par nature, la plénitude de la science, mais doit l’acquérir à l’aide des sens corporels à partir des choses sensibles[3369]. Or, si une nature appartenant à un genre donné est imparfaite par rapport à la perfection propre de ce genre, il faut que, d’abord, cette perfection générique soit réalisée pleinement en une autre nature. Il y a donc, parmi les êtres de nature intellectuelle, des substances intellectuelles parfaites qui n’ont pas besoin de puiser leur science dans les choses sensibles, et par conséquent les substances intellectuelles ne sont pas toutes unies à des corps ; certaines existent à l’état séparé : c’est elles que nous appelons les anges.

Solutions :

1. Comme nous l’avons déjà dit[3370], certains croyaient que tout ce qui existe est corporel. C’est cette opinion qui semble les avoir conduits à penser que toutes les substances spirituelles sont unies à des corps ; certains sont allés jusqu’à dire que Dieu est l’âme du monde, comme le rapporte S. Augustin. Mais cela contredit la foi catholique, pour laquelle Dieu est élevé au-dessus de toute chose, selon la parole du Psaume (8, 2) : “ Ta majesté est élevée au-dessus des cieux. ” Aussi Origène a-t-il refusé de parler ainsi de Dieu ; mais il a admis cette opinion pour les autres substances, se laissant tromper là comme en beaucoup d’autre points par les opinions des philosophes.

On peut expliquer le mot de S. Bernard en ce sens que les esprits créés ont un instrument corporel, non pas uni naturellement, mais assumé pour accomplir certaines fonctions[3371].

Quant à S. Augustin, il n’exprime pas sa propre conviction, mais rapporte l’opinion des platoniciens, qui croyaient à l’existence d’animaux aériens qu’ils appelaient “ démons ”.

2. S. Grégoire appelle l’ange “ animal raisonnable ” par métaphore, parce que l’ange a une raison semblable à celle de l’homme.

3. Vivifier à titre de cause efficiente est une perfection simple ; elle convient donc à Dieu[3372] : “ C’est le Seigneur qui donne la mort ou la vie ” (1 S 2, 6). Mais vivifier à titre de cause formelle est propre à la substance qui fait partie d’une nature, et n’est pas, à elle seule, une nature complète[3373]. La substance intellectuelle qui n’est pas unie à un corps est donc plus parfaite que celle qui l’est.

 

            Article 2 — Les anges assument-ils des corps ?

Objections :

1. Il semble bien que non. En effet, comme la nature physique, les anges n’emploient aucun moyen superflu dans leurs opérations[3374]. Or, assumer des corps serait superflu pour les anges, car l’ange n’a pas besoin de corps, puisque sa puissance surpasse toute puissance corporelle[3375]. L’ange n’assume donc pas de corps.

2. Assumer une chose, c’est l’unir à soi. Or, nous l’avons dit dans l’article précédent, un corps ne peut pas être uni à un ange comme à sa forme. D’autre part, si le corps est uni à l’ange comme à un moteur, on ne dit pas qu’il est assumé, autrement tous les corps mus par les anges[3376] seraient assumés par eux. Les anges n’assument donc pas de corps.

3. Les anges n’assument ni des corps de terre ou d’eau, car ils ne pourraient les faire disparaître d’un seul coup[3377] ; ni des corps de feu, parce qu’ils brûleraient ce qu’ils toucheraient ; ni des corps d’air, car l’air n’a ni figures, ni couleur. Les anges n’assument donc pas des corps.

En sens contraire, S. Augustin dit que “ des anges apparurent à Abraham sous des corps qu’ils avaient assumés ”.

Réponse :

Certains prétendent que les anges n’assument jamais de corps et que toutes les apparitions mentionnées dans l’Écriture eurent la forme de visions prophétiques[3378], c’est-à-dire que ce ne sont que des visions de l’imagination. Cette opinion va contre la pensée de l’Écriture. Car l’objet de la vision de l’imagination n’existe que dans l’imagination du sujet[3379] ; dès lors il n’est pas vu indifféremment par tous. Or, à plusieurs reprises, l’Écriture parle d’anges qui apparaissent, comme s’ils étaient vus par tous. Ainsi en va-t-il des anges qui apparaissent à Abraham : ils sont vus par lui, par toute la famille, par Loth et par les habitants de Sodome. De même, l’ange qui apparaît à Tobie est vu par tous. Tout cela montre que ces manifestations ont lieu en visions corporelles, dont l’objet, extérieur au sujet, peut être vu par tous. L’objet d’une telle vision ne peut donc être qu’un corps réel. Donc, puisque les anges ne sont pas des corps[3380], et n’ont pas de corps qui leur soient unis naturellement[3381], il leur arrive d’assumer des corps.

Solutions :

1. Ce n’est pas pour eux que les anges ont besoin d’assumer des corps, mais pour nous. Dans la nouvelle Alliance, c’est pour montrer, par un commerce familier avec les hommes, ce que sera la société intellectuelle que les hommes espèrent avoir avec eux dans la vie future[3382]. Dans l’ancienne Alliance, c’était pour annoncer par mode de figure que le Verbe de Dieu devait assumer un corps humain[3383] ; car toutes les apparitions de l’Ancien Testament étaient ordonnées à l’apparition du Fils de Dieu dans la chair.

2. L’ange et le corps qu’il assume ne sont pas en rapport de matière à forme, mais l’ange est pour le corps comme un moteur[3384] que ce corps mobile ne fait que représenter. La Sainte Écriture décrit les propriétés des choses intelligibles en faisant appel aux similitudes sensibles : de même, les anges se façonnent, par la puissance divine, des corps sensibles qui représentent leurs propriétés intelligibles. C’est ce qu’on veut exprimer lorsqu’on dit que les anges assument des corps.

3. A son degré ordinaire de dilatation, l’air ne retient ni la figure ni la couleur ; mais quand il est condensé, il peut revêtir différentes formes et réfléchir des couleurs : on le voit dans les nuages. C’est donc à partir de l’air que les anges forment des corps, avec l’assistance divine, en le solidifiant par la condensation autant qu’il est nécessaire.

 

            Article 3 — Les anges exercent-ils les fonctions de la vie dans les corps qu’ils assument ?

Objections :

1. Les anges ne doivent pas tromper par de fausses apparences[3385]. Or, les anges tromperaient s’ils faisaient passer pour vivants des corps qui n’accomplissent pas les opérations de la vie. Les anges exercent donc les fonctions vitales dans les corps qu’ils assument.

2. Les anges ne font rien d’inutile[3386]. Or, ils feraient des choses inutiles s’ils formaient dans leurs corps des yeux, des narines et d’autres organes qui n’accomplissent pas leurs fonctions naturelles. Les anges exercent donc les fonctions sensibles qui sont l’œuvre absolument propre de la vie.

3. La marche est aussi une opération vitale[3387]. Or, certains anges sont apparus, qui marchaient. Il est dit dans la Genèse (18, 16) qu’“ Abraham marchait, en les conduisant, avec les anges qui lui étaient apparus ” ; et à Tobie, qui demandait (Tb 5, 7) : “ Connais-tu le chemin qui conduit au pays des Mèdes ? ” l’ange Raphaël répondit : “ Je le connais, et j’ai souvent parcouru tous ces chemins. ” Les anges exercent donc fréquemment les activités des êtres vivants.

4. Parler est une activité vitale, puisque la parole est formée par la voix qui, au dire d’Aristote, est “ un son proféré par la bouche de l’animal”[3388]. Or, on lit en plusieurs endroits dans l’Écriture que les anges ont parlé dans des corps qu’ils avaient assumés. Les anges exercent donc les activités des êtres vivants.

5. Manger est une opération propre à l’être animé[3389] ; aussi, après sa résurrection, le Seigneur mangea-t-il avec ses disciples pour leur prouver qu’il avait repris vie (Lc 24, 41). Or, certains des anges qui sont apparus dans des corps, ont mangé. Abraham offrit de la nourriture à ceux qu’il avait adorés auparavant (Gn 18, 2). Les anges exercent donc les opérations vitales dans les corps qu’ils assument.

6. La génération est un acte vital. [3390] Or les anges ont accompli cette fonction dans certains corps. Il est écrit dans la Genèse (6, 4) : “Après que les fils de Dieu eurent approché les filles des hommes, elles mirent au monde des hommes puissants et fameux dans le siècle.” Les anges exercent donc les opérations vitales dans les corps qu’ils assument.

En sens contraire, nous avons dit plus haut[3391] que les corps assumés par les anges ne vivent pas : ils ne peuvent donc pas exercer les activités des êtres vivants.

Réponse :

Certaines activités vitales ont quelque chose de commun avec les activités non vitales ; ainsi la parole, action vitale, est, en tant que son, semblable aux autres sons inanimés ; la marche est, en tant que mouvement, semblable aux autres mouvements. Les anges peuvent donc, par les corps qu’ils assument, exercer les activités des êtres vivants en ce qu’elles ont de commun avec les activités des nonvivants, mais non dans ce qu’elles ont de propre. Car, selon Aristote, seul peut produire une action celui qui en a la puissance. Aucun être ne peut donc avoir d’activité vitale s’il n’a pas la vie, qui est le principe potentiel d’une telle action.

Solutions :

1. L’Écriture ne va pas contre la vérité en décrivant les choses intelligibles sous des figures sensibles, car son intention n’est pas de faire croire que les choses intelligibles sont des choses sensibles, mais de faire entrevoir les propriétés des choses intelligibles par la similitude des figures sensibles[3392]. De même il n’est pas contraire à la véracité des saints anges que les corps qu’ils assument paraissent être des hommes vivants, alors qu’ils ne le sont pas. Ils n’assument des corps que pour faire connaître leurs propriétés et leurs opérations spirituelles par les propriétés et les opérations des hommes. Ce but serait moins parfaitement atteint, si les anges assumaient de vrais hommes, parce que les propriétés de ces hommes ne feraient pas connaître les anges, mais les hommes eux-mêmes.

2. La sensation est une opération exclusivement vitale ; on ne peut donc pas dire que les anges exercent des sensations par les organes des corps qu’ils assument. Ces corps ne sont cependant pas inutiles, puisqu’ils ne sont pas formés pour procurer des sensations, mais pour manifester par leurs organes les vertus spirituelles des anges[3393] ; ainsi l’œil désigne la fonction intellectuelle de l’ange et les autres membres ses autres facultés, selon Denys.

3. Seul le mouvement qui procède d’un principe moteur conjoint peut être une opération vitale. Mais les anges, n’étant pas la forme des corps qu’ils assument[3394], ne les meuvent pas de cette façon. Cependant les anges subissent, du fait du mouvement de ces corps, une motion accidentelle ; ils y résident en effet à la façon d’un moteur dans un mobile, de telle sorte qu’ils sont dans ces corps et non ailleurs[3395]. Cette dernière conclusion ne vaudrait pas pour Dieu : le mouvement des choses dans lesquelles il se trouve n’entraîne pour lui aucune motion, puisqu’il est partout[3396], tandis que les anges épousent accidentellement les mouvements qu’ils produisent dans les corps qu’ils assument.

Il faut cependant faire une exception pour les corps célestes, même si les anges s’y trouvent comme le moteur dans le mobile. Les corps ou sphères célestes en effet, dans leur mouvement circulaire, ne quittent pas entièrement le lieu où ils se trouvent, ils l’occupent toujours par quelque partie d’eux-mêmes[3397]. Par ailleurs les anges n’appliquent pas leur activité motrice à une partie déterminée de la substance même de la sphère. Cette partie se trouvant tantôt à l’orient et tantôt à l’occident, il s’ensuivrait que l’ange se déplacerait avec elle. Mais, comme Aristote l’explique, l’ange occupe un endroit déterminé, toujours à l’orient, d’où il exerce sa puissance motrice sur la sphère[3398].

4. Les anges ne parlent pas, au sens propre du mot ; ils produisent seulement dans l’air des sons qui sont semblables aux voix humaines.

5. A proprement parler, les anges ne mangent pas : manger c’est prendre une nourriture qu’on peut transformer en sa propre substance. Sans doute, après la résurrection du Christ, les aliments n’étaient pas assimilés à son corps, mais se résorbaient dans la matière préexistante. Cependant le Christ avait un corps tel qu’il pouvait assimiler des aliments ; il mangeait donc véritablement[3399]. Mais les anges non seulement n’assimilent pas la nourriture prise aux corps qu’ils ont assumés, mais ces corps ne sont pas naturellement tels qu’ils puissent assimiler des aliments. Ils ne mangent donc pas réellement, mais ce qu’ils font représente la manducation spirituelle[3400]. C’est ce que l’ange Raphaël dit à Tobie : “ Lorsque j’étais avec vous, je paraissais manger et boire ; mais je me nourris d’un aliment invisible ” (Tb 12, 18). Si Abraham offrit de la nourriture à des anges, c’est qu’il les regardait comme des hommes ; cependant c’est Dieu qu’il adorait en eux, parce qu’il était en eux “ comme il est d’ordinaire dans les prophètes ”, selon S. Augustin.

6. S. Augustin répond : “ Beaucoup assurent avoir expérimenté ou avoir entendu dire par ceux qui l’avaient expérimenté, que les sylvains et les faunes (ceux que le vulgaire appelle incubes) se sont souvent présentés à des femmes et ont consommé l’union avec elles ; aussi vouloir le nier paraît de l’impudence. Mais s’il s’agit des saints anges de Dieu, ils n’ont pu en aucune manière tomber ainsi avant le déluge[3401]. Il faut donc entendre par "fils de Dieu" les fils de Seth qui étaient bons ; et par "filles des hommes" l’Écriture désigne celles qui étaient nées de la race de Caïn. Il n’y a pas à s’étonner que des géants soient nés de telles unions ; au surplus, ils n’étaient pas tous géants ; mais les géants étaient alors beaucoup plus nombreux que dans les temps postérieurs au déluge. ” Cependant, si parfois certains hommes naissent des démons, ce n’est pas au moyen d’une semence émise par ceux-ci, mais par la semence d’un autre homme qu’ils ont recueillie[3402], de telle sorte que le démon qui est succube d’un homme se fasse l’incube d’une femme. De même ils utilisent les semences d’autres êtres pour produire certaines générations, comme dit S. Augustin ; et ainsi celui qui est engendré n’est pas fils du démon, mais de l’homme dont on a recueilli la semence[3403].


 

 

QUESTION 52 — LES RAPPORTS DES ANGES AVEC LE LIEU

1. L’ange est-il dans un lieu ? 2. Peut-il être dans plusieurs lieux en même temps ? 3. Plusieurs anges peuvent-ils être dans le même lieu ?

 

            Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ?

Objections :

1. Il semble que non, puisque Boèce dit : “ Le sentiment commun des philosophes est que les êtres incorporels ne sont pas dans un lieu. ” Et Aristote : “ Est dans un lieu, non pas tout ce qui existe, mais seulement le corps mobile. ” Or, l’ange n’est pas corps[3404]. Il n’est donc pas dans un lieu.

2. Le lieu est une quantité dotée d’une position ; tout ce qui est localisé est donc situé. Or, l’ange ne peut être situé, puisque sa substance est affranchie de la quantité à qui il appartient en propre de situer[3405]. L’ange n’est donc pas dans un lieu.

3. Être dans un lieu, c’est être mesuré et contenu par ce lieu. Or l’ange ne peut être ni mesuré ni contenu dans un lieu, le contenant ayant une forme plus parfaite que le contenu[3406]. L’ange n’est donc pas localisé.

En sens contraire, l’Église dit dans une oraison de Complies : “ Que tes saints anges qui habitent cette maison, nous gardent en paix. ”

Réponse :

Il convient à l’ange d’être dans un lieu. Cependant, être dans un lieu se dit de façon équivoque[3407] pour l’ange et pour un corps. Le corps est dans un lieu parce qu’il y est appliqué selon le contact de la quantité dimensive ; les anges n’ont pas cette sorte de quantité, ils n’ont que la quantité virtuelle[3408]. Et si l’on dit que l’ange est dans un lieu corporel, c’est parce que sa puissance s’applique d’une certaine manière a ce lieu.

L’ange n’est donc ni mesuré par un lieu, ni affecté par une position dans le continu ; c’est là le propre du corps localisé, puisqu’il a une quantité dimensive. L’ange n’est pas non plus contenu dans un lieu ; en effet, si une substance incorporelle exerce sa puissance sur une réalité corporelle, elle la contient, mais elle n’est pas contenue par elle, car l’âme est dans le corps comme le contenant, non comme contenu par lui[3409] ; de même l’ange, bien loin d’être contenu par le lieu qu’il occupe, l’enveloppe d’une certaine manière.

Ainsi sont résolues les objections.

 

            Article 2 — L’ange peut-il être dans plusieurs lieux en même temps ?

Objections :

1. La puissance de l’ange n’est pas inférieure à celle de l’âme humaine[3410]. Or, l’âme est à la fois en plusieurs lieux puisqu’elle est “ tout entière dans chaque partie du corps”, selon S. Augustin. L’ange peut donc être dans plusieurs lieux à la fois.

2. L’ange est réellement dans le corps qu’il assume[3411], et, s’il assume un corps continu, il semble qu’il soit en chacune de ses parties. Or ce corps occupe, en raison de ses différentes parties, plusieurs lieux différents. L’ange peut donc être en plusieurs lieux à la fois.

3. D’après S. Jean Damascène : “ l’ange est là où il agit ”. Or, il lui arrive d’agir en plusieurs lieux à la fois ; celui qui détruit Sodome en est un exemple. L’ange peut donc être en plusieurs lieux à la fois.

En sens contraire, S. Jean Damascène enseigne : “ Quand les anges sont au ciel, ils ne sont pas sur la terre. ”

Réponse :

La puissance et l’essence de l’ange sont finies ; tandis que celles de Dieu sont infinies[3412], et elles sont la cause universelle de toutes choses[3413]. Aussi la puissance divine s’exerce sur tout[3414] ; Dieu n’est pas seulement en plusieurs lieux, mais partout[3415]. La puissance de l’ange, au contraire, parce que limitée, ne s’étend pas à tout, mais à une seule chose déterminée. Car ce qui se rattache à une seule puissance se rapporte à elle comme à quelque chose d’un ; ainsi l’universalité des êtres est à l’égard de la puissance universelle de Dieu comme quelque chose d’un[3416] ; et de même, tel être particulier est comme quelque chose d’un, vis à vis de la puissance de l’ange. Or, comme l’ange n’occupe un lieu qu’en y appliquant sa puissance, il n’est ni partout, ni en plusieurs lieux, mais dans un seul.

Pourtant certains se sont trompés sur ce point. Ne parvenant pas à s’élever au-dessus de l’imagination, ils ont conçu l’indivisibilité de l’ange à l’égal de celle du point, et en ont conclu que l’ange ne pouvait occuper localement qu’un point. Mais cela est manifestement erroné. Car le point est un indivisible affecté d’une position, alors que l’indivisibilité de l’ange est hors de toute espèce de quantité et de position[3417]. Il n’est donc pas nécessaire de lui assigner un lieu indivisible quant à la position : l’ange peut être dans un lieu divisible ou indivisible, grand ou petit selon que, par sa volonté, il applique sa puissance à un corps plus grand ou plus petit. Ainsi, le corps tout entier sur lequel il applique sa puissance lui correspond comme un seul lieu.

Il ne s’ensuit pas que, s’il y a un ange qui meut la sphère, il doit être partout. D’abord, parce que sa puissance ne s’applique qu’au point précis où commence le mouvement.[3418] Or ce point se trouve à l’orient : ce qui faisait dire à Aristote que la puissance motrice des corps célestes se trouvait à l’orient[3419]. Ensuite, parce que les philosophes n’ont jamais dit que tous les orbes étaient mus immédiatement par une seule substance séparée ; il n’est donc pas nécessaire que celle-ci soit partout.

Tout ce qui précède montre qu’être dans un lieu se dit de manière différente du corps, de l’ange et de Dieu. Le corps est circonscrit par son lieu, puisqu’il est mesuré par lui. L’ange est dans le lieu, non pas circonscriptivement, puisqu’il n’est pas mesuré par le lieu, mais d’une manière limitée, car lorsqu’il est dans un lieu, il n’est pas dans un autre[3420]. Dieu enfin n’est ni circonscrit par un lieu, ni limité, puisqu’il est partout.[3421]

Il est facile maintenant de répondre aux objections, car tout lieu auquel la puissance de l’ange s’applique immédiatement est considéré comme unique, qu’il soit continu ou non.

 

            Article 3 — Plusieurs anges peuvent-il être dans un même lieu ?

Objections :

1. Si plusieurs corps ne peuvent pas être simultanément dans le même lieu, c’est parce qu’ils le remplissent. Or, les anges ne remplissent pas le lieu, puisque le corps est le seul à accomplir cette fonction pour exclure le vide, comme le montre Aristote[3422]. Les anges peuvent donc être à plusieurs dans le même lieu.

2. Il y a plus de différence entre un ange et un corps qu’entre deux anges. Or, un ange et un corps peuvent être simultanément dans un même lieu[3423] ; car, comme Aristote le prouve dans les Physiques, il n’y a pas de lieu qui ne soit occupé par un corps sensible. Donc, à plus forte raison, deux anges peuvent être dans un même lieu.

3. S. Augustin dit que l’âme est dans chaque partie du corps. Or, le démon, s’il ne peut pénétrer dans les esprits, pénètre parfois dans les corps ; l’âme et le démon sont alors dans le même lieu. Le même cas est donc possible pour toute autre substance spirituelle.

En sens contraire, il n’y a pas deux âmes dans le même corps[3424]. Pareillement, il ne peut y avoir deux anges dans le même lieu.

Réponse :

Deux anges ne sont jamais ensemble dans le même lieu. La raison en est que deux causes complètes ne peuvent causer immédiatement une seule et même chose. On le voit dans tous les genres de causes : par exemple, une seule chose n’a qu’une seule forme prochaine, et une seule cause motrice à son contact, bien qu’il puisse y avoir plusieurs causes motrices éloignées. Et qu’on n’objecte pas l’exemple du bateau tiré par plusieurs hommes, car aucun de ces hommes n’est un moteur complet, puisque aucun ne peut mouvoir le bateau par ses seules forces. Mais tous ensemble ils forment comme un seul moteur, leurs forces s’unissant pour produire un seul mouvement[3425]. Or, puisque l’ange n’est dans un lieu que parce que sa puissance le touche immédiatement de façon à le contenir parfaitement, comme nous l’avons dit[3426], il ne peut y avoir qu’un ange dans un seul et même lieu.

Solutions :

1. Si plusieurs anges ne peuvent être ensemble dans le même lieu, ce n’est pas qu’ils le remplissent, mais pour la raison que l’on vient d’expliquer.

2. L’ange et le corps ne sont pas dans le lieu de la même manière. Le raisonnement ne vaut donc pas.

3. Le démon et l’âme n’ont pas le même rapport de causalité vis-à-vis du corps[3427] ; l’âme en est la forme, le démon ne l’est pas.


 

 

QUESTION 53 — LE MOUVEMENT LOCAL DES ANGES

1. L’ange peut-il se mouvoir localement ? 2. Passe-t-il d’un lieu à un autre en traversant l’espace intermédiaire ? 3. Le mouvement de l’ange est-il successif, ou instantané ?

 

            Article 1 — L’ange peut-il se mouvoir localement ?

Objections :

1. Cela paraît impossible. En effet, comme Aristote le prouve dans les Physiques, l’être qui n’a pas de parties ne peut pas se mouvoir ; en effet une chose ne se meut ni quand elle est encore au point de départ, ni quand elle est parvenue au terme, le mouvement étant alors accompli. Il faut en déduire que tout ce qui se meut est, tant que dure le mouvement, en partie au point de départ et en partie au terme. Or l’ange n’est pas divisible en parties[3428]. Il ne peut donc pas se mouvoir localement.

2. Selon la définition d’Aristote, le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait[3429]. Or l’ange bienheureux n’a plus d’imperfection[3430]. Il ne se meut donc pas localement.

3. Tout mouvement est provoqué par une indigence[3431]. Or les anges ne sont affectés d’aucune indigence. Ils ne sont donc pas mus localement.

En sens contraire, l’ange bienheureux a les mêmes possibilités de mouvement que l’âme bienheureuse. Or, on doit admettre que l’âme bienheureuse peut se mouvoir localement, puisque c’est un article de foi que l’âme du Christ est descendue aux enfers[3432]. L’ange bienheureux se meut donc localement.

Réponse :

L’ange bienheureux peut se mouvoir localement. L’ange et le corps matériel, n’ayant pas avec le lieu des rapports identiques, ne se meuvent pas de la même manière. Le corps matériel est localisé parce qu’il est contenu et mesuré par le lieu ; le mouvement local du corps doit donc être mesuré par le lieu et conforme à ses exigences. Par conséquent “la continuité du mouvement est fonction de l’étendue ; et l’antériorité et la postériorité dans le mouvement local du corps dépendent de l’antériorité et de la postériorité dans l’étendue”, selon Aristote.

L’ange, au contraire, loin d’être mesuré et contenu par le lieu, le contient plutôt[3433]. Aussi ne requiert-il pas d’être mesuré par le lieu, ni de tenir de lui la continuité, selon ses exigences propres. De soi, c’est un mouvement non continu. En effet, parce que l’ange n’est dans un lieu que par contact virtuel, nous l’avons dit[3434], son mouvement local ne peut être qu’une succession de contacts divers avec des lieux divers, parce qu’il ne peut être en plusieurs lieux à la fois[3435]. Et, quoique ces contacts ne soient pas nécessairement continus, une certaine continuité peut s’y trouver, car rien n’empêche d’assigner à l’ange un lieu divisible, par contact virtuel, comme nous assignons au corps un lieu divisible, par le contact selon l’étendue. Or, la continuité du mouvement local corporel résulte de ce que le corps quitte successivement et non tout d’un coup le lieu dans lequel il était auparavant. De même, l’ange peut quitter successivement le lieu divisible dans lequel il était auparavant ; son mouvement sera alors continu. Mais il peut aussi quitter instantanément la totalité du lieu qu’il occupe et s’appliquer instantanément à un tout autre lieu, et alors son mouvement ne sera pas continu.

Solutions :

1. Cet argument ne vaut pas ici, pour deux raisons :

D’abord, la démonstration d’Aristote part de ce qui est indivisible quantitativement, à quoi correspond un lieu nécessairement indivisible ; ce qui ne peut se dire des anges[3436].

Ensuite, la démonstration d’Aristote part du mouvement continu. Si le mouvement n’était pas continu, on pourrait dire qu’une chose est mue quand elle est encore à son point de départ ou quand elle est déjà au terme, puisque c’est la simple succession des différentes positions locales d’une même chose qu’on appellerait alors mouvement ; cette chose pourrait donc être dite en mouvement, quelle que soit la position locale qu’elle occupe. Mais la continuité du mouvement s’y oppose, parce que le continu ne se résout pas dans son terme, la ligne ne se résout pas dans le point. Aussi faut-il que le mobile, pendant son mouvement, ne soit pas tout entier dans l’un des termes, mais en partie dans l’un et en partie dans l’autre.

On voit donc que la démonstration d’Aristote ne s’applique pas au mouvement angélique, s’il est discontinu ; mais s’il est continu, on peut concéder que l’ange, pendant son mouvement, est en partie au point de départ et en partie au terme. Cette composition de parties n’affecte cependant pas la substance de l’ange, mais le lieu, car au commencement de son mouvement continu, l’ange est tout entier dans le lieu divisible qui est le point de départ du mouvement, puis pendant le mouvement il est dans une des parties du premier lieu qu’il abandonne, et dans une des parties du lieu suivant qu’il va occuper. Cette occupation simultanée d’une partie de chacun des deux lieux est possible pour l’ange, puisqu’il peut occuper un lieu divisible par application de sa vertu, comme le corps l’occupe par l’application de son étendue[3437]. Par conséquent, le corps qui peut être mû localement est divisible selon l’étendue, tandis que l’ange peut exercer sa puissance sur une chose divisible.

2. Le mouvement de l’être en puissance est l’acte de ce qui est imparfait[3438]. Mais le mouvement qui s’opère par l’application d’une puissance active est le fait d’un être en acte ; car la puissance active d’une chose tient à ce qu’elle est en acte.

3. Le mouvement de l’être en puissance est provoqué par son indigence. Le mouvement de l’être en acte, au contraire, ne comble pas l’indigence propre de cet être, mais celle d’un autre[3439]. C’est donc pour nos besoins que l’ange se meut localement, selon l’épître aux Hébreux (1,14) : “ Tous sont des esprits chargés d’un ministère, envoyés au service de ceux qui doivent hériter le salut. ”

 

            Article 2 — L’ange passe-t-il d’un lieu à un autre en traversant l’espace intermédiaire ?

Objections :

1. Il semble bien que non, car tout ce qui traverse un milieu, traverse d’abord un lieu qui lui est égal avant de parvenir à un lieu plus étendu. Or, l’ange étant indivisible[3440], le lieu qui lui est égal est un lieu ponctuel. Si donc l’ange traverse l’espace intermédiaire dans son mouvement, il faut qu’il traverse un nombre infini de points ; ce qui est impossible.

2. L’ange est une substance plus simple que notre âme[3441]. Or notre âme peut, par la pensée, passer d’un extrême à l’autre sans traverser le milieu : ainsi je peux penser à la France et ensuite à la Syrie, sans penser à l’Italie qui est entre les deux. L’ange peut donc, à plus forte raison, passer d’un lieu à l’autre sans traverser l’espace intermédiaire.

En sens contraire, quand l’ange se meut d’un lieu à un autre, au moment où il est au terme, il n’est plus en mouvement, le changement étant déjà accompli. Or, le changement arrivé à son terme présuppose un mouvement. Il y a donc eu antérieurement un mouvement. Or, comme l’ange n’était pas en mouvement lorsqu’il était encore au point de départ, il a donc fallu qu’il traverse l’espace intermédiaire.

Réponse :

Nous avons dit dans l’article précédent[3442] que le mouvement local de l’ange pouvait être ou continu ou discontinu. S’il est continu, l’ange ne peut passer d’un lieu à l’autre sans traverser l’espace intermédiaire ; car “l’espace intermédiaire est l’espace que traverse, avant d’arriver au terme, ce qui se meut d’un mouvement continu”. L’ordre de priorité dans le mouvement continu est en effet fonction de l’ordre de priorité dans l’étendue. Si le mouvement de l’ange n’est pas continu, il lui est possible de passer d’un lieu à l’autre sans traverser l’espace intermédiaire. En effet, entre deux lieux quelconques, éloignés l’un de l’autre, les lieux intermédiaires sont toujours en nombre infini, qu’il s’agisse de lieux divisibles ou indivisibles. La chose est manifeste pour les lieux indivisibles[3443], car entre deux points quelconques il y a toujours une infinité de points intermédiaires[3444], puisque deux points ne peuvent se suivre sans qu’un intermédiaire les sépare, comme le prouve Aristote. Il faut en dire autant des lieux divisibles, et on le prouve à partir de la nature du mouvement corporel continu. Un corps ne peut se mouvoir d’un lieu à l’autre que dans le temps. Or, on ne peut trouver, dans tout le temps qui mesure le mouvement d’un corps, deux instants pendant lesquels ce corps en mouvement serait dans le même lieu ; s’il était dans un seul et même lieu pendant deux instants, il y serait au repos, puisque le repos consiste à demeurer plusieurs instants dans le même lieu. Et comme il y a, entre le premier et le dernier instant du temps qui mesure le mouvement, une infinité d’instants[3445], il faut donc qu’il y ait une infinité de lieux entre le premier lieu, point de départ du mouvement, et le dernier qui le termine.

On peut rendre la chose sensible par un exemple. Soit un corps long d’un empan et une distance de deux empans. Il est clair que le lieu où commence le mouvement est d’un empan et le lieu auquel il se termine est, lui aussi, d’un empan. Dès que le corps commence à se mouvoir, il abandonne peu à peu le premier empan et pénètre dans le second. Les lieux intermédiaires se multiplient donc dans la mesure où se divise une étendue longue d’un empan, puisque chaque point déterminé dans l’étendue du premier empan est principe d’un lieu ; et le point déterminé dans l’étendue du second empan est le terme de ce même lieu. Or, l’étendue est divisible à l’infini, et en toute étendue il y a, en puissance, un nombre infini de points[3446] ; il s’ensuit que deux lieux, quels qu’ils soient, sont donc toujours séparés par une infinité de lieux intermédiaires. Or, le mobile ne peut parcourir cette infinité de lieux intermédiaires que par la continuité du mouvement ; car, si les lieux intermédiaires sont infinis en puissance, on peut également trouver une certaine infinité potentielle dans le mouvement continu. Par conséquent, dans un mouvement discontinu, toutes les parties qui le composent sont actuellement en nombre déterminé. Si donc un mobile quelconque se meut d’un mouvement non continu, ou bien il ne traverse pas tous les intermédiaires, ou bien il traverse des intermédiaires en nombre actuellement infini ; ce qui est impossible. L’ange ne traverse donc pas tous les lieux intermédiaires, si son mouvement est discontinu.

Cette propriété de pouvoir passer d’un extrême à l’autre sans passer par les intermédiaires ne peut d’ailleurs convenir qu’à l’ange, non au corps. Car, le corps étant mesuré et contenu par le lieu, il doit en suivre les lois dans son mouvement. Mais la substance de l’ange n’est pas soumise au lieu, comme étant contenue par lui ; au contraire elle lui est supérieure et le contient[3447]. Il est donc au pouvoir de l’ange de s’appliquer à un lieu de la manière qu’il veut, soit en passant par l’espace intermédiaire, soit en n’y passant pas.

Solutions :

1. L’ange ne s’applique pas au lieu par l’étendue, mais en y exerçant sa puissance ; ce lieu peut donc être divisible, sans avoir toujours le point pour principe[3448]. Cependant, les lieux intermédiaires, même ceux qui sont divisibles, sont en nombre infini, mais ils peuvent être traversés grâce à la continuité du mouvement, nous venons de le montrer[3449].

2. Lorsque l’ange se meut localement, son essence est appliquée aux divers lieux[3450] ; mais ce n’est pas l’âme qui s’applique aux choses qu’elle pense, ce sont les choses pensées qui sont en elle[3451].

SC. Dans le mouvement continu, le mouvement achevé n’est pas partie mais terme du mouvement. Il doit donc avoir été précédé d’un mouvement, et par conséquent ce mouvement doit avoir traversé l’espace intermédiaire. En revanche, le mouvement achevé est bien une partie du mouvement discontinu, comme l’unité est partie du nombre. Si bien que le mouvement discontinu est composé par la succession de lieux divers même sans intermédiaire.

 

            Article 3 — Le mouvement de l’ange est-il successif ou instantané ?

Objections :

1. Il semble que le mouvement de l’ange soit instantané. En effet, un mouvement est d’autant plus rapide que la puissance du moteur est plus forte et que le mobile oppose moins de résistance. Or, la puissance de l’ange qui se meut lui-même dépasse sans proportion la puissance qui meut un corps[3452]. D’autre part, la vitesse du mouvement se mesure en proportion inverse du temps écoulé. Mais on peut toujours établir une proportion entre deux temps. Donc si le corps se meut dans le temps, l’ange se meut instantanément.

2. Le mouvement de l’ange est plus simple[3453] que n’importe quel changement corporel. Or il y a au moins un changement corporel qui est instantané : l’illumination ; à la fois parce qu’une chose n’est pas illuminée successivement de la manière dont elle s’échauffe successivement, et parce que le rayon de lumière atteint en même temps ce qui est proche et ce qui est éloigné[3454]. Le mouvement de l’ange est donc, à plus forte raison, instantané.

3. Si l’ange se meut localement dans le temps, il est, au terme de son mouvement, au dernier instant de ce temps. Mais durant le temps qui précède, ou bien il est dans le lieu immédiatement antérieur, considéré comme point de départ du mouvement, ou bien il est en partie au point de départ et en partie au terme. La seconde hypothèse exigerait que l’ange soit divisible en parties, ce qui est impossible[3455]. Reste donc qu’il soit, pendant tout le temps qui précède, au point de départ, et même qu’il y soit au repos, puisque être au repos c’est demeurer plusieurs instants dans le même lieu. L’ange ne se meut donc que dans le dernier instant.

En sens contraire, tout mouvement comporte succession. Or c’est le temps qui mesure cette succession. Tout mouvement est donc dans le temps[3456], et même celui de l’ange, dès lors qu’il comporte succession.

Réponse :

Certains ont enseigné que le mouvement local de l’ange est instantané. Ils disaient en effet que lorsque l’ange se meut d’un lieu à l’autre, il n’est au terme qu’au dernier instant du temps, tandis que pendant tout le temps qui précède il est au point de départ. Il n’est pas besoin d’intermédiaire entre les deux termes, pas plus qu’il n’y a d’intermédiaire entre le temps et son terme[3457], alors qu’entre deux instants du temps, il y a nécessairement un temps intermédiaire[3458]. On ne peut donc trouver un instant ultime, et l’on se voit obligé de dire qu’il n’y a pas de dernier instant pendant lequel l’ange serait au point de départ, tout comme dans l’illumination et dans la génération substantielle du feu, il n’y a pas d’instant ultime, pendant lequel l’air serait encore obscur, ou la matière encore privée de la forme du feu, mais on peut parler d’un temps ultime en ce sens qu’au terme de ce temps la lumière est dans l’air, et la forme substantielle dans la matière. C’est en ce sens que l’illumination et la génération substantielle sont des mouvements instantanés.

Mais tout cela est hors de propos. La notion même de repos implique que ce qui est au repos reste dans le même état pendant plusieurs instants, et donc qu’il soit dans le même lieu à chacun des instants du temps qui mesure ce repos. Tandis que la notion de mouvement implique que le mobile ne demeure pas dans le même état plusieurs instants de suite, et donc qu’il ait une position différente à chacun des instants du temps qui mesure son mouvement. Le mobile doit donc, au dernier instant du temps, avoir acquis une forme qu’il n’avait pas auparavant. Ces précisions montrent bien que se reposer dans un état donné (dans la blancheur par exemple) pendant un certain temps, équivaut à rester dans cet état à chacun des instants qui composent ce temps ; il est donc impossible que ce qui demeure pendant tout un temps dans un terme se trouve à la fin de ce temps dans un autre terme. Seul le mouvement rend la chose possible, puisque se mouvoir durant tout un temps donné, c’est précisément changer de position à chacun des instants qui composent ce temps. Tous les changements instantanés de cette nature sont donc les termes d’un mouvement continu ; la génération est le terme de l’altération de la matière, et l’illumination est le terme du mouvement local du corps qui illumine. Or, le mouvement local de l’ange n’est pas le terme d’un mouvement continu ; il existe par lui-même et ne dépend d’aucun autre mouvement[3459]. On ne peut donc pas dire que l’ange est dans un lieu pendant tout un temps, et qu’il se trouve en un autre lieu au dernier instant de ce même temps ; il faut admettre un instant qui soit le dernier de sa présence au lieu précédent. Or, là où plusieurs instants se succèdent, il y a nécessairement temps, puisque le temps est le nombre de la succession dans le mouvement[3460].

Concluons donc que le mouvement de l’ange est dans le temps ; dans le temps continu, si son mouvement est continu ; dans le temps discontinu[3461], si son mouvement est discontinu, car l’ange peut se mouvoir de ces deux manières[3462], et la continuité du temps dépend de celle du mouvement, selon Aristote[3463]. Mais le mouvement de l’ange étant indépendant du mouvement du ciel, ce temps, continu ou non, n’est pas identique au temps qui mesure le mouvement du ciel et toutes les choses corporelles dont le mouvement dépend de celui du ciel. [3464]

Solutions :

1. Si le temps qui mesure le mouvement de l’ange n’est pas continu et n’est que la succession des instants[3465], il est sans proportion, leurs espèces étant différentes, avec le temps continu qui mesure les mouvements corporels. S’il est continu, il présente une certaine proportion avec le temps corporel, non à cause du rapport entre le moteur et le mobile, mais à cause du rapport des étendues que parcourt le mobile. D’ailleurs la rapidité du mouvement de l’ange ne dépend pas de l’énergie de sa puissance, mais de la détermination de sa volonté[3466].

2. L’illumination est le terme d’un mouvement d’altération, et non d’un mouvement local[3467]. Aussi rien n’exige que la lumière atteigne les objets rapprochés plus tôt que les objets éloignés. Mais le mouvement de l’ange est local et n’est pas terme d’un mouvement[3468]. Il n’y a donc pas de ressemblance entre les deux cas.

3. Cette objection ne tient compte que du temps continu. Or, le temps du mouvement angélique pouvant être discontinu[3469], l’ange peut être à tel instant ici, à tel autre instant ailleurs, sans qu’il y ait de temps intermédiaire. Si le temps du mouvement angélique est continu, l’ange traverse une infinité de lieux pendant tout le temps qui précède le dernier instant[3470] ; il est cependant en partie dans un des lieux continus et en partie dans un autre, non parce que sa substance est divisible, mais parce que sa puissance s’exerce partiellement dans le premier lieu et partiellement dans le second, comme nous l’avons expliqué plus haut[3471].

 


 

 

Après avoir traité ce qui concerne la substance de l’ange, il faut étudier sa connaissance, ce qui comporte quatre parties : 1. La puissance cognitive de l’ange (Q. 54). 2. Le médium de la connaissance angélique (Q. 55). 3. Son objet (Q. 56-57). 4. Son mode (Q. 58).

 

 

QUESTION 54 — LA PUISSANCE COGNITIVE DES ANGES

1. L’acte d’intellection de l’ange est-il sa substance ? 2. Est-il son existence ? 3. La substance de l’ange est-elle son acte d’intellection ? 4. Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ? 5. Ont-ils d’autres puissances cognitives que l’intelligence ?

 

            Article 1 — L’acte d’intellection de l’ange est-il sa substance ?

Objections :

1. L’ange est plus élevé et plus simple que l’intellect agent de l’âme humaine[3472]. Or, la substance de l’intellect agent est son action, comme le montrent Aristote et son Commentateur. A bien plus forte raison, la substance de l’ange sera-t-elle son action, qui est l’acte d’intellection.

2. Aristote dit que l’action de l’intelligence est vie. Et puisque, pour les vivants, vivre c’est être[3473] , il semble que la vie s’identifie à l’essence. L’acte d’intellection est donc l’essence de l’ange connaissant.

3. Si deux extrêmes sont une seule et même chose, ce qui leur est intermédiaire n’en diffère pas ; car le milieu est moins éloigné de chacun des extrêmes que ceux-ci l’un de l’autre. Or, dans l’ange, ce qui connaît et ce qui est connu sont, au moins lorsqu’il connaît sa propre essence, une seule et même chose[3474]. Par conséquent, l’acte d’intellection, qui est intermédiaire entre l’intelligence et la chose connue[3475], s’identifie à la substance de l’ange.

En sens contraire, l’action d’une chose diffère plus de sa substance que son existence. Or, en toute créature l’existence est distincte de la substance ; leur identité est le privilège de Dieu seul, comme nous l’avons montré[3476]. Donc ni l’action de l’ange, ni celle d’aucune autre créature, n’est sa substance.

Réponse :

Il est impossible que l’action de l’ange, ni d’une créature quelconque, soit sa substance. Car, à proprement parler, l’action est l’actualité de la puissance active, comme l’être est l’actualité de la substance ou de l’essence[3477]. Or, l’actualité excluant la potentialité, ce qui n’est pas acte pur et renferme de la puissance ne peut être son actualité. Et comme Dieu seul est acte pur[3478], il est le seul en qui la substance, l’existence et l’action s’identifient[3479].

De plus, si l’acte d’intellection de l’ange était sa substance, il faudrait qu’il soit subsistant. Or, un acte d’intellection subsistant, comme toute forme abstraite supposée subsistante, ne peut être qu’unique[3480]. La substance de tel ange ne se distinguerait donc plus de celle de Dieu, qui est l’acte d’intellection subsistant[3481], ni de celle d’un autre ange. De même, si l’ange était son acte d’intellection, il ne pourrait y avoir des degrés selon la plus ou moins grande perfection de l’intellection ; car cette graduation provient d’une inégale participation à l’acte même d’intellection[3482].

Solutions :

1. Lorsqu’on dit que l’intellect agent est son action[3483], ce n’est pas une attribution essentielle mais une attribution par concomitance. En effet, sa substance étant toujours en acte, l’action lui est, de soi, concomitante. Au contraire, l’intellect possible n’agit qu’après avoir été mis en acte.

2. “La vie” n’a pas avec “vivre” le même rapport que l’essence avec l’existence ; elle est ce que “la course” est à “courir” : l’un désigne l’acte abstraitement, l’autre concrètement. Dire que “vivre, c’est être” n’entraîne donc pas que la vie soit l’essence. Parfois cependant, le mot vie s’emploie pour l’essence : ainsi S. Augustin dit : “La mémoire, l’intelligence et la volonté sont une seule essence, une seule vie.” Mais ce n’est pas l’acception d’Aristote quand il dit : “L’action de l’intelligence est vie.”

3. L’action transitive est réellement intermédiaire entre l’agent et le sujet qui reçoit l’action ; tandis que l’action immanente n’est intermédiaire entre l’agent et l’objet que selon notre manière de parler, non pas réellement[3484]. En réalité l’action immanente est consécutive à l’union de l’agent et de l’objet, puisque l’acte d’intellection est consécutif à l’union entre le connaissant et le connu[3485], dont il est en quelque sorte l’effet, distinct de l’un et de l’autre.

 

            Article 2 — L’acte d’intellection de l’ange est-il son existence ?

Objections :

1. Aristote dit que “pour les vivants, vivre c’est être”[3486]. Il dit aussi que “l’acte d’intellection est un certain vivre”. L’acte d’intellection de l’ange est donc son existence.

2. Ce que la cause est à la cause, l’effet l’est à l’effet. Or, la forme par laquelle l’ange existe[3487] est identique à la forme par laquelle il se connaît lui-même[3488], pour le moins. Son acte de connaissance est donc identique à son existence.

En sens contraire, “ l’acte d’intellection de l’ange est son mouvement ”, dit Denys. Mais l’existence n’est pas un mouvement[3489]. L’existence de l’ange n’est donc pas son acte d’intellection.

Réponse :

L’action de l’ange n’est pas son être, et il en va de même pour toute créature. Il y a en effet deux sortes d’actions : l’action transitive qui sort de l’agent pour s’exercer sur une chose extérieure dans laquelle elle produit une passion, ainsi brûler ou scier ; l’action immanente qui ne s’exerce pas sur une chose extérieure, mais demeure dans l’agent lui-même, ainsi sentir, connaître et vouloir. Cette seconde action ne modifie pas un être extérieur, mais tout se passe au-dedans de l’agent lui-même[3490].

Pour ce qui est de l’action de la première espèce, il est évident qu’elle ne peut pas être l’existence même de l’agent ; car l’existence dit quelque chose d’intrinsèque à l’agent[3491], tandis que l’action transitive se déverse de l’agent dans le patient. Quant à l’action de la seconde espèce, il lui est essentiel d’avoir une certaine infinité absolue ou relative[3492]. Infinité absolue, comme pour l’acte d’intellection et l’acte de volonté, dont les objets respectifs, le vrai et le bien, sont convertibles avec l’être[3493] ; si bien que ces deux actes ont un objet qui, de soi, s’étend à tout ce qui est ; or, ils sont, l’un comme l’autre, spécifiés par leur objet[3494]. Infinité relative, comme pour l’acte de sensation, qui peut se porter sur toutes les choses sensibles ; ainsi la vue se porte sur tout ce qui est visible. Or, l’être de toute créature est déterminé selon tel genre et selon telle espèce.[3495] “ Seul l’être de Dieu est infini absolument, et comprend en lui toutes choses ”, dit Denys. Donc seul l’Etre divin est son acte d’intellection et son acte de volonté.

Solutions :

1. Vivre désigne tantôt l’être même du vivant[3496], tantôt l’opération vitale, qui montre qu’une chose est vivante. C’est dans ce sens qu’Aristote dit que “l’acte d’intellection est un certain vivre ” ; car dans le passage cité il distingue les différents degrés de vivants, selon les différentes opérations vitales

2. L’essence même de l’ange est la mesure adéquate de son existence[3497], mais non de son intellection, car par sa seule essence il ne peut connaître tous les intelligibles[3498]. C’est pourquoi elle est proportionnée par elle-même, en tant que telle essence déterminée, à l’existence de l’ange. En revanche, elle n’est proportionnée à son intellection que par la médiation d’un objet plus ample qu’elle-même, le vrai, l’être, qui se réalise en elle[3499]. Par conséquent, bien que cette essence soit une seule et même forme[3500], ce n’est pas sous le même rapport qu’elle est principe d’existence et principe d’intellection. L’existence de l’ange n’est donc pas identique à son acte d’intellection.

 

            Article 3 — La substance de l’ange est-elle son intelligence ?

Objections :

1. Esprit et intelligence désignent la puissance intellectuelle. Or Denys, en plusieurs endroits, dénomme les anges des intelligences et des esprits. L’ange est donc sa puissance intellectuelle.

2. Si l’intelligence de l’ange est quelque chose en dehors de son essence, il faut qu’elle soit un accident ; car nous appelons accident ce qui est en dehors de l’essence[3501]. Or Boèce dit “qu’une forme simple ne peut être sujet ”[3502]. Donc, si l’intelligence de l’ange n’était pas son essence, il ne serait pas une forme simple : ce qui est contraire à ce qu’on a dit plus haut[3503].

3. S. Augustin dit que “ Dieu a fait la nature angélique proche de lui, et la matière première proche du néant ”. L’ange est donc plus simple que la matière première, puisqu’il est plus proche de Dieu. Or la matière première est sa propre puissance[3504]. A plus forte raison, l’ange est-il son intelligence.

En sens contraire, Denys dit que “ les anges sont composés de substance, de puissance active et d’opération”[3505]. Substance, puissance active, opération sont donc en eux trois choses différentes.

Réponse :

Ni dans l’ange, ni dans aucune créature, la vertu ou puissance opérative n’est identique à l’essence. En effet, la puissance est corrélative à l’acte, et la diversité des actes implique diversité des puissances ; c’est pourquoi l’on dit qu’un acte propre correspond à une puissance propre[3506]. Or, en toute créature, l’essence diffère de son existence et est avec elle en rapport de puissance à acte[3507]. D’autre part, l’acte auquel correspond la puissance opérative est l’opération. Par conséquent, puisque dans l’ange l’acte d’intellection n’est pas identique à l’existence[3508], et qu’aucune opération, ni dans l’ange, ni dans aucune créature, n’est identique à l’essence[3509], l’essence de l’ange n’est pas son intelligence, et l’essence de toute créature, quelle qu’elle soit, est distincte de sa puissance opérative[3510].

Solutions :

1. L’ange est nommé “intelligence” et “esprit” parce qu’il n’a en lui que la connaissance intellectuelle ; tandis que la connaissance de l’âme humaine est en partie intellectuelle et en partie sensible[3511].

2. La forme simple qui est acte pur ne peut être le sujet d’aucun accident, parce que le sujet est vis-à-vis de l’accident en rapport de puissance à acte[3512]. En ce sens-là, Dieu seul est forme simple, et c’est de cela que parle Boèce. Mais la forme simple qui n’est pas son existence, et qui est à l’existence ce que la puissance est à l’acte[3513], peut être le sujet d’accidents, notamment de ceux qui suivent l’espèce, car ils appartiennent à la forme[3514] ; quant aux accidents individuels, ils ne suivent pas l’espèce, mais la matière, qui est principe d’individuation[3515]. L’ange n’est forme simple qu’en ce dernier sens.

3. La puissance de la matière est corrélative à l’être substantiel[3516], tandis que la puissance opérative est corrélative à l’être accidentel[3517]. Il n’y a donc pas parité entre les deux cas.

 

            Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ?

Objections :

1. Selon Aristote : “ En toute nature, il y a quelque chose par quoi elle peut devenir tout, et quelque chose par quoi elle peut tout faire[3518] ; il en est ainsi de l’âme. ” Or l’ange est une nature. Il y a donc en lui un intellect agent et un intellect possible.

2. Recevoir est le propre de l’intellect possible, et illuminer le propre de l’intellect agent[3519], comme le montre Aristote. Or, l’ange reçoit la lumière de ce qui est au-dessus de lui, et illumine ce qui est au-dessous de lui[3520]. Il y a donc en lui un intellect agent et un intellect possible.

En sens contraire, chez nous, la distinction entre l’intellect agent et l’intellect possible se prend par rapport aux images, qui sont à l’intellect possible ce que les couleurs sont à la vue, tandis qu’elles sont à l’intellect agent ce que les couleurs sont à la lumière, comme le montre Aristote[3521]. Or, comme il n’y a pas d’images dans l’ange[3522], il n’y a pas en lui de distinction entre l’intellect agent et l’intellect possible.

Réponse :

Ce qui oblige à reconnaître en nous un intellect possible, c’est que parfois nous ne sommes qu’en puissance et non en acte relativement à l’opération intellectuelle[3523]. Il doit donc y avoir en nous, antérieurement à l’acte même d’intellection, une faculté qui soit en puissance vis-à-vis des objets intelligibles ; cette faculté passe à l’acte par rapport à ces mêmes objets, lorsqu’elle en acquiert la science[3524] et ensuite lorsqu’elle les contemple. C’est cette faculté que nous appelons l’intellect possible. Mais ce qui nous oblige à poser en nous un intellect agent, c’est que les natures des choses matérielles, qui sont l’objet de notre intelligence, ne subsistent pas actuellement en dehors de l’âme d’une manière immatérielle et intelligible[3525], mais tant qu’elles sont en dehors de l’âme, elles ne sont intelligibles qu’en puissance. Il faut donc une faculté qui rende ces natures intelligibles en acte. C’est cette faculté que nous appelons intellect agent[3526].

Aucune de ces exigences ne se retrouve dans l’ange ; son intelligence n’est jamais en puissance par rapport aux objets qu’il connaît naturellement, et ces objets sont intelligibles, non en puissance, mais en acte, puisque l’intelligence angélique a pour objet premier et principal les choses immatérielles, comme nous le montrerons plus loin[3527]. A proprement parler il ne peut donc y avoir dans les anges ni intellect agent ni intellect possible.

Solutions :

1. Aristote ne requiert ces deux principes que dans toute nature où il peut y avoir génération et devenir. Or dans les anges la science n’a pas à se former, elle leur est présente naturellement[3528]. Il n’est donc pas nécessaire de poser en eux un intellect agent et un intellect possible.

2. Le propre de l’intellect agent est d’illuminer, non un autre être intelligent, mais les objets intelligibles, en les rendant, par l’abstraction, intelligibles en acte. Quant à l’intellect possible, sa nature est d’être en puissance aux natures intelligibles et de les saisir ensuite en acte[3529]. L’illumination d’un ange par un autre n’entre donc pas dans la définition de l’intellect agent ; pas plus que le fait d’être illuminé au sujet des mystères surnaturels, à la connaissance desquels il était en puissance, n’entre dans la définition de l’intellect possible. Si l’on tient cependant à appeler ces deux choses intellect agent et intellect possible, on parlera d’une manière équivoque[3530] ; mais il n’y a pas à discuter sur les mots.

 

            Article 5 — Les anges ont-ils d’autres puissances cognitives que l’intelligence ?

Objections :

1. Il semble que, chez les anges, il n’y ait pas que la connaissance intellectuelle. Car S. Augustin nous dit que dans les anges il y a “ la vie qui comprend et qui sent ”. Il y a donc en eux des facultés sensibles.

2. S. Isidore dit que les anges savent beaucoup de choses par expérience. Or l’expérience est le fruit de nombreux actes de mémoire, dit Aristote. Les anges ont donc une mémoire[3531].

3. Denys dit que l’imagination des démons est dépravée. Il y a donc une imagination dans les démons, et aussi dans les bons anges qui sont de même nature.

En sens contraire, S. Grégoire affirme : “ L’homme possède la sensation qui lui est commune avec les animaux, et l’intellection qui lui est commune avec les anges. ”

Réponse :

Il y a dans notre âme deux espèces de facultés ; les unes exercent leurs opérations à l’aide d’organes corporels et sont les actes de certaines parties du corps ; ainsi la vue s’exerce par l’œil et l’ouïe par l’oreille. Les autres facultés accomplissent leurs opérations sans aucun organe corporel, comme l’intelligence et la volonté, et ne sont pas les actes de certaines parties du corps[3532]. Or, les anges n’ont pas de corps qui leur soient naturellement unis, nous l’avons démontré plus haut[3533]. Il n’y a donc, parmi les facultés de l’âme, que l’intelligence et la volonté qui puissent leur convenir. Averroès enseigne la même chose, lorsqu’il dit que les substances séparées se composent d’intelligence et de volonté. Il est d’ailleurs conforme à l’ordre de l’univers que la créature intellectuelle la plus élevée soit intellectuelle entièrement et non pas seulement en partie, comme l’est notre âme. C’est pour cette raison, nous l’avons déjà expliqué[3534], qu’on appelle les anges des intelligences et des esprits.

Solutions :

1. On peut résoudre les objections de deux façons. La première, c’est que les autorités citées expriment l’opinion selon laquelle les anges et les démons ont des corps qui leur sont naturellement unis. S. Augustin allègue fréquemment cette opinion dans ses livres, sans vouloir s’en porter garant, puisqu’il dit qu’il n y a pas à s’attarder longtemps sur cette question[3535].

On peut dire aussi que ces autorités et d’autres semblables doivent s’entendre d’une manière figurée[3536]. Car, comme les sens saisissent avec certitude l’objet sensible qui leur est propre, on a coutume d’employer aussi le mot “sentir” pour désigner la certitude de la saisie intellectuelle ; c’est de là aussi que vient le mot “ sentence ”. De même l’expérience peut être attribuée aux anges en raison de la similitude des objets connus ; et non parce qu’ils ont des facultés de connaissance semblables aux nôtres. Chez nous, en effet, il y a expérience, lorsque nous connaissons les singuliers au moyen des sens ; or les anges connaissent aussi les singuliers, comme on le verra plus loin[3537], mais non à l’aide de facultés sensitives. Nous pouvons dire encore que les anges ont une mémoire, en la prenant, comme S. Augustin au sens de mémoire de l’esprit ; elle ne pourrait leur être attribuée si on la considérait comme partie de l’âme sensible. De même, on attribue une imagination dépravée aux démons parce que leur appréciation pratique du vrai bien est erronée[3538] et que la cause propre de nos erreurs est l’imagination, qui nous fait parfois prendre les similitudes des choses pour les choses elles-mêmes, comme il arrive dans le sommeil ou chez les fous.


 

 

QUESTION 55 — LE MÉDIUM DE LA CONNAISSANCE ANGÉLIQUE

1. Les anges connaissent-ils toutes choses par leur substance ou par des espèces ? 2. A supposer que ce soit par des espèces, celles-ci leur sont-elles connaturelles, ou sont-elles reçues des choses ? 3. Les anges supérieurs connaissent-ils par des espèces plus universelles que les anges inférieurs ?

 

            Article 1 — Les anges connaissent-ils toutes choses par leur substance ou par des espèces ?

Objections :

1. Il semble bien que les anges connaissent toutes choses par leur substance. Denys dit en effet : “ Les anges connaissent ce qui est sur terre selon la nature propre de leurs esprits. ” Or la nature de l’ange est son essence[3539]. L’ange connaît donc les choses par son essence.

2. Aristote dit que “dans les êtres immatériels, le connaissant et le connu sont une seule et même chose”. Or, c’est le médium d’intellection qui fait de l’objet connu et du sujet connaissant une seule et même chose[3540]. Donc, dans les êtres immatériels comme les anges, le médium d’intellection est la substance même du sujet connaissant.

3. Tout ce qui est dans un autre s’y trouve selon le mode de cet autre. L’ange ayant une nature intellectuelle, tout ce qui est en lui s’y trouve d’une manière intelligible[3541]. Mais tout est en lui, puisque les êtres inférieurs sont dans les êtres supérieurs d’une façon essentielle, tandis que les supérieurs ne sont dans les inférieurs que par participation[3542] ; ce qui fait dire à Denys que “ Dieu rassemble toutes choses en toutes choses ”. L’ange connaît donc toutes choses dans sa propre substance.

En sens contraire, Denys dit que “ les anges sont illuminés par les raisons des choses ”. Ils connaissent donc par les raisons des choses et non par leur propre substance.

Réponse :

Ce qui permet à l’intelligence de produire son acte joue le rôle de forme pour l’intelligence en acte d’intellection, la forme étant ce par quoi l’agent agit[3543]. Or, pour qu’une puissance soit parfaitement achevée par sa forme il faut que cette forme contienne tout ce à quoi la puissance s’étend. Dans les choses corruptibles, la forme n’épuise pas la puissance de la matière, puisque la puissance de la matière s’étend à plus de choses que n’en contient la forme de tel ou tel être matériel[3544].

L’intelligence, au contraire, ayant comme objet l’être et le vrai en général, la puissance intellectuelle de l’ange s’étend à tout[3545]. Or, l’essence de l’ange, par là même qu’elle est déterminée selon tel genre et telle espèce, ne comprend pas tout en elle. Renfermer en soi absolument tout d’une manière parfaite est propre à l’essence divine, qui est infinie[3546]. Aussi n’y a-t-il que Dieu qui connaisse tout par sa propre essence. L’ange ne peut, par son essence, connaître toutes choses : pour connaître les choses son intelligence doit être perfectionnée par des espèces.

Solutions :

1. Lorsqu’on dit que l’ange connaît les choses selon sa nature, le mot “ selon ” n’intéresse pas le médium de connaissance, qui n’est que la similitude de l’objet connu, mais la faculté de connaissance, qui convient à l’ange selon sa nature à lui[3547].

2. La formule d’Aristote “ le sens en acte est le sensible en acte ” ne signifie pas que la faculté sensible soit identique à la similitude sensible qui est dans le sens, mais que l’une et l’autre sont unies comme acte et puissance[3548]. De même, dire que “l’intelligence en acte est le connu en acte ” ne signifie pas que la substance de l’intelligence soit la similitude par laquelle elle produit l’acte d’intellection, mais que cette similitude est sa forme[3549]. Or, dire que “ dans l’ordre des réalités immatérielles, l’intellect en acte s’identifie avec l’objet de son intellection ” revient à “ dire que l’intelligence en acte est l’intelligé en acte ”. Qu’une forme, en effet, soit actuellement l’objet d’une intellection, cela provient de cela même qu’elle est immatérielle.

3. Les êtres supérieurs à l’ange et ceux qui lui sont inférieurs sont d’une certaine manière compris dans sa substance ; non d’une manière parfaite, ni selon leur raison propre, car l’essence de l’ange, étant limitée, se distingue des autres par sa raison propre, mais d’une manière générale. Par contre, dans l’essence divine, toutes les choses sont d’une manière parfaite et selon leur raison propre, comme dans la cause première et universelle[3550], dont procède tout ce qu’il y a de propre ou de commun en tout être quel qu’il soit. C’est pour cette raison que Dieu a par sa propre essence la connaissance parfaite de toutes choses, tandis que l’ange n’en a qu’une connaissance générale[3551].

 

            Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

Objections :

1. Il semble que les anges connaissent par des espèces reçues des choses. En effet, tout ce qui est connu l’est parce que sa similitude est connue dans une intelligence[3552]. Or, la similitude d’un être existe dans un autre ou bien à la manière d’un exemplaire, et alors elle est cause de cet être, ou bien à la manière d’une image, et alors elle est causée par lui. Toute science ou connaissance doit donc être la cause ou l’effet de l’objet connu. La science de l’ange n’étant pas cause des choses qui existent dans la nature, car seule la science divine possède cette propriété[3553], il faut donc que toutes les espèces par lesquelles l’intelligence angélique connaît soient tirées des choses

2. La lumière de l’intelligence angélique est plus intense que la lumière de l’intellect agent de notre âme[3554]. Or, celle-ci abstrait les espèces intelligibles en les tirant des images.[3555] La lumière de l’intellect angélique peut donc abstraire des espèces, même à partir des choses sensibles ; et par conséquent rien n’empêche que l’ange connaisse intellectuellement par des espèces tirées des choses.

3. Si les espèces qui sont dans l’intelligence accusent des différences suivant que l’objet est proche ou éloigné c’est parce qu’elles sont tirées des choses sensibles. Donc, si l’ange ne produisait pas son acte d’intellection par des espèces tirées des choses, sa connaissance n’enregistrerait pas les différences du proche et de l’éloigné, et tout mouvement local lui serait inutile[3556].

En sens contraire, Denys dit : “ Les anges ne tirent pas leurs divines connaissances d’une analyse d’éléments, ni de sensations. ”

Réponse :

Les espèces par lesquelles les anges produisent leur acte d’intellection ne sont pas tirées des choses, mais sont connaturelles aux anges. On doit, en effet, concevoir la distinction et l’ordre des substances spirituelles comme la distinction et l’ordre des choses corporelles. Les corps supérieurs ont, par nature, une puissance totalement achevée par la forme, tandis que dans les corps inférieurs la puissance de la matière n’est pas totalement achevée par la forme, mais reçoit, sous l’action d’un agent, tantôt une forme et tantôt une autre[3557]. De même les substances intellectuelles inférieures, les âmes humaines, ont une puissance intellectuelle qui, par nature, n’est pas complète, mais se complète et se perfectionne successivement par les espèces intelligibles qu’elles reçoivent des choses[3558]. Au contraire, dans les substances spirituelles supérieures, dans les anges, la puissance intellectuelle est, par nature, complétée et perfectionnée en ce qu’elles ont des espèces intelligibles connaturelles leur permettant de porter leur intelligence sur tout ce qu’elles peuvent naturellement connaître.

Cette conclusion peut aussi se déduire du mode d’être de ces substances. Car l’être possédé par les substances spirituelles inférieures, les âmes, a une certaine affinité avec le corps, pour autant qu’elles en sont les formes[3559]. Ce mode d’être entraîne pour elles qu’elles n’atteignent leur perfection dans l’ordre de l’intelligible qu’à partir des corps et par eux, le corps qui leur est uni : sans cela, pourquoi seraient-elles unies à un corps ? Mais les substances supérieures, les anges, sont affranchies de toute corporéité, subsistant immatériellement et selon un être par lui-même intelligible ; elles atteignent donc leur perfection dans l’ordre intelligible grâce à un influx d’intelligibilité par lequel elles ont reçu de Dieu, en même temps que leur nature intellectuelle, les espèces des choses qu’elles connaissent[3560]. Aussi S. Augustin écrit-il : “ Les êtres inférieurs aux anges sont créés de telle manière qu’ils sont d’abord produits dans la connaissance de la créature intellectuelle, et ensuite dans leur nature propre ”.

Solutions :

1. Les similitudes des choses sont effectivement dans l’esprit des anges, sans être, pour autant, tirées des créatures ; elles viennent de Dieu qui est cause des créatures et en qui préexistent les similitudes des choses[3561]. Ce qui fait dire à S. Augustin : “ De même que l’idée en vertu de laquelle la créature est produite existe dans le Verbe de Dieu antérieurement à la créature même qui est produite, de même la connaissance de cette même idée est d’abord produite dans la créature intellectuelle[3562], et c’est ensuite seulement que la créature est produite. ”

2. On ne va d’un extrême à l’autre qu’en passant par ce qui est entre les deux. Or, l’être d’une forme présente dans l’imagination, étant dégagé de la matière, mais non de toutes conditions matérielles, est intermédiaire entre l’être de la forme qui est dans la matière, et l’être de la forme qui est dans l’intelligence où elle est abstraite de la matière et des conditions matérielles. Par conséquent, si puissante que soit l’intelligence angélique, elle ne pourrait rendre intelligibles des formes matérielles qu’en les faisant d’abord passer par l’état de formes imaginées ; ce qui lui est impossible puisqu’elle n’a pas d’imagination, nous l’avons vu.[3563] Et à supposer que l’ange puisse abstraire des choses matérielles des espèces intelligibles, il ne le ferait pas, puisque les espèces connaturelles qu’il possède rendent cette opération inutile. [3564]

3. La connaissance de l’ange ne diffère en rien si l’objet est localement proche, ou éloigné ; mais cela ne rend pas son mouvement local inutile, car, s’il se meut localement, ce n’est pas pour acquérir une connaissance, c’est pour accomplir une action dans un milieu[3565].

 

            Article 3 — Les anges supérieurs connaissent-ils par des espèces plus universelles que les anges inférieurs ?

Objections :

1. L’universel paraît être abstrait du particulier. Or, les anges ne connaissent pas au moyen d’espèces abstraites.[3566] On ne peut donc pas dire que les espèces des intelligences angéliques sont plus ou moins universelles.

2. Ce qui tombe sous une connaissance particulière est connu plus parfaitement que ce qui tombe sous une connaissance universelle ; car connaître une chose d’une manière universelle, c’est en avoir une connaissance intermédiaire entre la puissance et l’acte[3567]. Donc, si les anges supérieurs connaissent par des formes plus universelles que les anges inférieurs, leur science sera moins parfaite, ce qui est inadmissible.

3. Plusieurs choses ne peuvent avoir la même raison propre. Or, si l’ange supérieur connaît par une seule forme universelle des choses diverses que l’ange inférieur connaît par plusieurs formes spéciales, il n’emploie qu’une seule forme universelle pour connaître des choses diverses[3568], et n’aura donc pas de connaissance propre de chacune d’elles ; ce qui est absurde.

En sens contraire, Denys dit que les anges supérieurs participent de la science selon un mode plus universel que les anges inférieurs. Et on lit dans le Livre des Causes que les anges supérieurs ont des formes plus universelles.

Réponse :

S’il y a des êtres qui sont supérieurs aux autres, c’est parce qu’ils sont plus proches du premier Être, qui est Dieu, et qu’ils lui sont plus semblables. Or, en Dieu, la plénitude totale de la connaissance intellectuelle est contenue en un seul principe : dans l’essence divine elle-même par laquelle Dieu connaît tout[3569]. Cette plénitude intellectuelle ne se trouve dans les créatures intellectuelles que sous un mode inférieur et moins simple[3570]. Par conséquent, ce que Dieu connaît par un seul principe, les intelligences inférieures le connaissent par plusieurs, et moins l’intelligence est élevée, plus ces médiums de connaissance sont nombreux. Plus un ange sera élevé, moins nombreuses sont les espèces par lesquelles il peut saisir l’universalité des intelligibles. Ces formes doivent donc être plus universelles, puisque chacune d’elles s’étend à un plus grand nombre d’objets. Nous pouvons d’ailleurs trouver en nous-mêmes une analogie : certains hommes ne saisissent la vérité intelligible que si elle leur est expliquée en détail, point par point. Cela tient à la faiblesse de leur intelligence, alors que d’autres, dont l’intelligence est plus puissante, peuvent saisir un grand nombre de choses à l’aide de quelques principes. [3571]

 

Solutions :

1. Il est accidentel à l’universel d’être abstrait des singuliers. Cela ne se produit que lorsque l’intelligence qui le connaît tire des choses sa connaissance[3572] ; mais, dans le cas contraire, l’universel connu n’est pas abstrait des choses, il leur est, de quelque manière, préexistant, soit selon la priorité de la cause sur son effet, et c’est ainsi que les raisons universelles des choses sont dans le Verbe de Dieu[3573], soit selon une priorité de nature, et c’est ainsi que les raisons universelles des choses sont dans l’intellect angélique.

2. Connaître quelque chose d’une manière universelle peut se prendre en deux sens. Ou bien on l’entend par rapport à la chose connue, et le sens est que l’on ne connaît de l’objet que sa nature universelle (espèce ou genre) [3574]. Cette connaissance universelle est moins parfaite : c’est connaître imparfaitement un homme que savoir seulement de lui qu’il est animal. Ou bien on parle de connaissance universelle par rapport au médium de connaissance. Dans ce cas il est plus parfait de connaître quelque chose de manière universelle ; car l’intelligence qui peut avoir une connaissance propre de chaque chose par un seul médium universel est plus parfaite que celle qui ne le peut pas[3575].

3. Plusieurs choses ne peuvent avoir la même raison propre si elle est adéquate, mais une réalité éminente peut être raison propre et similitude de choses diverses[3576]. Ainsi dans l’homme la prudence s’étend universellement à tous les actes des vertus[3577], et elle peut être à la fois raison propre et similitude de la prudence particulière qui pousse le lion à des actes de magnanimité et le renard à des actes de ruse. De même, l’essence divine, à cause de son excellence, est considérée comme la raison propre de toutes les perfections ; si bien que c’est selon leur raison propre qu’elles lui sont analogiquement attribuées[3578]. De même encore, on doit dire de la raison ou idée universelle qui est dans l’esprit angélique qu’en raison de son excellence, l’ange peut par elle connaître, d’une connaissance propre et distincte, une multitude d’objets.

 

 

Continuant le traité de la connaissance angélique, il faut étudier ce que les anges connaissent : premièrement les êtres immatériels (Q. 56) ; deuxièmement les choses matérielles (Q. 57).


 

 

QUESTION 56 — LA CONNAISSANCE DES ANGES CONCERNANT LES ÊTRES IMMATÉRIELS

1. L’ange se connaît-il lui-même ? 2. Un ange en connaît-il un autre ? 3. L’ange connaît-il Dieu par ses facultés naturelles ?

 

            Article 1 — L’ange se connaît-il lui-même ?

Objections :

1. Denys affirme : “Les anges ignorent leurs propres puissances.” Or, lorsqu’on connaît la substance d’une chose, on en connaît la puissance. L’ange ne connaît donc pas son essence.

2. L’ange est une substance singulière ; autrement il n’agirait pas, puisque ce sont les singuliers subsistants qui sont les principes des actions[3579]. Mais le singulier n’est pas intelligible[3580]. L’ange ne peut donc pas être connu par intellection ; et comme l’ange n’a qu’une connaissance intellectuelle[3581], il ne peut se connaître lui-même.

3. L’intelligence est mue par l’objet intelligible ; car, suivant Aristote, tout acte d’intellection est “un certain pâtir”[3582]. Or, rien ne se meut soi-même[3583], et rien ne pâtit de sa propre action, comme on peut le voir dans les choses corporelles. L’ange ne peut donc pas se saisir lui-même par son intellect.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ L’ange se connaît lui-même dans sa propre conformation, c’est-à-dire dans l’illumination de la vérité. ”

Réponse :

Comme on l’a déjà vu[3584], l’objet joue un rôle différent dans l’action immanente et dans l’action transitive. Dans l’action transitive, l’objet ou la matière sur laquelle s’exerce l’action est séparé de l’agent : ce qui est chauffé est distinct de ce qui chauffe, et ce qui est construit de celui qui construit. Mais dans l’action immanente, pour que l’action se produise, il faut que l’objet soit uni à l’agent : le sensible doit être uni au sens pour qu’il y ait sensation en acte[3585] ; l’objet joue alors, quand il est uni à la puissance, le rôle de la forme[3586] qui, dans les autres agents, est principe de l’action : car de même que la chaleur est, dans le feu, principe formel de l’échauffement, l’espèce de la chose vue est, dans l’œil, principe formel de la vision.

Mais cette espèce de l’objet peut n’être qu’en puissance dans la faculté de connaissance ; alors elle n’est qu’en puissance de connaître, et pour qu’elle connaisse en acte, il faut qu’elle soit actualisée en sa conformité avec cette espèce[3587]. Tandis que, si celle-ci est toujours actuelle en elle, rien n’empêche qu’elle connaisse par son moyen, sans aucun changement ou réception antécédente. Etre mû par l’objet n’est donc pas de la nature du connaissant comme tel, et n’est requis que si le connaissant est en puissance. Or, qu’elle soit inhérente ou subsistante, la forme est toujours principe d’action de la même manière ; la chaleur ne chaufferait pas moins, si elle était subsistante, qu’elle ne chauffe étant inhérente. Si donc il est, dans l’ordre des intelligibles, un être qui soit forme intelligible subsistante, il se connaîtra lui-même. Or l’ange étant immatériel est une forme subsistante[3588] et, partant, intelligible en acte. Il se connaît donc lui-même par sa forme qui est sa substance.

Solutions :

1. Le texte de Denys, tel qu’il a été cité, est tiré d’une ancienne traduction ; elle est corrigée sur ce point par la nouvelle, qui traduit : “ et en outre les anges ont connu leurs propres facultés ”. Au lieu de cela on lisait dans l’ancienne : “ en outre les anges ignorent leurs propres facultés ”. On pourrait d’ailleurs justifier l’ancienne traduction et dire que les anges ne connaissent jamais parfaitement leur faculté, si l’on considère cette faculté comme procédant de l’ordre de la Providence divine[3589], incompréhensible aux anges.

2. Si notre intelligence ne connaît pas les singuliers qui sont dans les choses corporelles, ce n’est pas à cause de leur singularité, mais à cause de la matière qui est en eux principe d’individuation[3590]. Donc, s’il existe des singuliers qui existent sans matière, comme les anges, rien ne les empêche d’être intelligibles en acte.

3. Etre mû et pâtir conviennent à l’intellect pour autant qu’il est en puissance, il ne peut donc en être question pour l’intelligence angélique[3591], surtout quand il s’agit de se connaître elle-même. De plus, l’action de l’intelligence n’est pas de même nature que l’action qui se rencontre dans le monde des corps[3592], celle-ci s’exerçant sur une matière extérieure.

 

            Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ?

Objections :

1. Il semble que non, car Aristote dit que si l’intellect humain avait en lui une nature comptant parmi les natures des choses sensibles, cette nature qui se trouverait au-dedans de lui empêcherait les choses extérieures d’apparaître ; de même que, si la pupille était colorée d’une couleur, elle ne pourrait pas voir les autres couleurs[3593]. Or, l’intelligence angélique se comporte vis-à-vis de la connaissance des êtres immatériels de la même manière que l’intelligence humaine vis-à-vis de la connaissance des choses corporelles[3594]. L’intelligence angélique ne peut donc connaître les autres anges, puisqu’elle a en elle une autre nature déterminée[3595] qui est du nombre des natures immatérielles.

2. On lit dans le Livre des Causes : “ Toute intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle en tant qu’elle en est l’effet ; et ce qui est au-dessous en tant qu’elle en est la cause.” [3596] Un ange n’étant pas cause de l’autre[3597] ne peut donc pas le connaître.

3. Un ange ne peut connaître un autre ange par sa propre essence[3598]. Tout acte de connaissance est fonction d’une similitude[3599]. Or, l’essence de l’ange connaissant n’est semblable à celle de l’ange connu que génériquement, comme nous l’avons montré[3600]. Tel ange n’aurait pas la connaissance propre de tel autre ange, mais seulement une connaissance générique. De même on ne peut pas dire qu’un ange en connaisse un autre par l’essence de l’ange connu. Car ce que l’intelligence connaît lui est intrinsèque[3601], et seule la Trinité peut pénétrer un esprit. [3602]

De même encore on ne peut pas dire qu’un ange en connaît un autre au moyen d’une espèce, car celle-ci ne différerait pas de l’ange connu, l’un et l’autre étant immatériels[3603]. Il semble donc que, de toute manière, la connaissance d’un ange par un autre est impossible.

4. Si un ange en connaît un autre, ce ne peut être que par une espèce innée[3604], et alors si Dieu créait un nouvel ange, ceux qui existent déjà ne pourraient le connaître ; ou bien par une espèce acquise reçue des choses, et alors les anges supérieurs ne pourraient connaître les anges inférieurs, dont ils ne reçoivent rien. Il semble donc qu’un ange ne puisse d’aucune manière en connaître un autre.

En sens contraire, il est dit dans le Livre des Causes que “toute intelligence connaît les choses incorruptibles”.

Réponse :

Comme dit S. Augustin, les choses qui préexistent de toute éternité dans le Verbe, en sont sorties de deux manières : dans l’intelligence angélique et pour subsister dans leurs propres natures. Les choses ont pénétré dans l’intelligence angélique en ce sens que Dieu imprime dans l’esprit angélique les similitudes des choses qu’il a créées[3605]. Or dans le Verbe de Dieu préexistent éternellement non seulement les raisons des choses corporelles, mais encore celles de toutes les créatures spirituelles. Le Verbe de Dieu a donc imprimé, dans chaque créature spirituelle, les raisons de toutes les choses tant spirituelles que corporelles ; de telle façon cependant que chaque ange a reçu la raison de sa propre espèce selon l’être à la fois naturel et intelligible, en sorte qu’il subsiste dans sa nature spécifique et se connaisse par elle[3606] ; tandis que les raisons des autres natures tant spirituelles que corporelles ne sont imprimées en lui que selon l’être intelligible, afin que par ces espèces impresses il puisse connaître les créatures spirituelles et corporelles.

Solutions :

1. Les natures spirituelles des anges se distinguent entre elles selon un certain ordre, comme nous l’avons dit[3607]. Tel ange déterminé n’est donc pas gêné par sa propre nature pour connaître les natures des autres anges, puisque les anges qui lui sont supérieurs aussi bien que ceux qui lui sont inférieurs ont avec sa nature une certaine affinité et n’en diffèrent que par leurs degrés différents de perfection.

2. Les relations de causalité n’ont rien à voir au fait qu’un ange en connaisse un autre, sinon en raison de la similitude[3608] qu’elles établissent entre la cause et son effet. Donc, même s’il n’y a pas causalité entre les anges, il suffira, pour qu’ils se connaissent, qu’il y ait entre eux similitude.

3. Un ange ne peut en connaître un autre que si l’espèce de cet ange est dans son intelligence ; et entre cette espèce et l’ange connu la différence n’est pas que l’un soit matériel et l’autre immatériel, mais que l’un ait un être naturel et l’autre un être intentionnel. Car l’ange est une forme qui subsiste dans un être naturel, alors que son espèce qui est dans l’intelligence de l’ange connaissant n’y a qu’un être intelligible[3609] ; c’est ainsi que la couleur possède, dans le mur, un être naturel, tandis que dans le médium qui la communique à l’œil elle n’a qu’un être intentionnel[3610].

4. Dieu a fait chaque créature en harmonie avec l’univers qu’il voulait réaliser[3611]. Par conséquent, si Dieu avait décidé de faire un plus grand nombre d’anges ou un plus grand nombre de choses naturelles, il aurait imprimé un plus grand nombre d’espèces intelligibles aux esprits angéliques : comme un architecte qui voudrait faire une maison plus vaste, ferait des fondations plus étendues. La même raison qui porterait Dieu à ajouter une créature à l’univers l’amènerait donc à ajouter une espèce intelligible aux anges.

 

            Article 3 — Les anges peuvent-ils connaître Dieu par leurs facultés naturelles ?

Objections :

1. Il ne semble pas car, dit Denys : “ Dieu est, par sa puissance incompréhensible, placé au-dessus de tous les esprits célestes ” ; et peu après il ajoute : “ étant au-dessus de toute substance[3612], il échappe à toute connaissance ”.

2. Entre Dieu et l’intelligence angélique la distance est infinie[3613]. Or on ne peut atteindre ce qui est infiniment distant. L’ange ne peut donc pas connaître Dieu par ses facultés naturelles.

3. S. Paul dit (1 Co 13, 12) : “ A présent nous voyons Dieu comme dans un miroir et en énigme, mais alors nous le verrons face à face. ” Ce texte semble dire qu’il y a deux connaissances de Dieu : l’une qui consiste à le voir dans son essence, c’est ce que S. Paul appelle voir face à face ; et l’autre qui consiste à le voir dans le miroir des créatures. Or, les anges n’ont pas pu connaître Dieu de la première manière par leurs facultés naturelles, nous l’avons montré[3614] ; d’autre part, la vision dans le miroir ne leur convient pas, puisqu’ils ne tirent pas des choses sensibles leur connaissance de Dieu, selon Denys[3615]. Les anges ne peuvent donc pas connaître Dieu par leurs facultés naturelles.

En sens contraire, les anges ont une connaissance plus puissante que les hommes. Or les hommes peuvent connaître Dieu par leurs facultés naturelles[3616], selon le mot de S. Paul (Rm 1,19) : “ Ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux. ” Donc à plus forte raison les anges.

Réponse :

Les anges peuvent, par leurs facultés naturelles, avoir une certaine connaissance de Dieu. Pour le prouver, rappelons qu’il y a trois manières de connaître une chose : 1° Par la présence de son essence dans le sujet connaissant, à la façon dont l’œil voit la lumière ; c’est de cette manière, a-t-on dit[3617], que l’ange se connaît lui-même 2° Par la présence de sa similitude dans la puissance connaissante, comme l’œil voit la pierre parce que la similitude de la pierre est dans l’œil. 3° Par une similitude de la chose connue qui n’est pas donnée immédiatement par cette chose, mais par une autre en laquelle se trouve cette similitude, comme lorsque nous voyons un homme dans un miroir[3618].

A la première manière correspond la connaissance qu’on a de Dieu lorsqu’on le voit par son essence ; aucune créature ne peut la posséder par ses moyens naturels, nous l’avons déjà dit[3619]. A la troisième manière correspond la connaissance que nous donne de Dieu, ici-bas, sa similitude qui se reflète dans les créatures[3620]. Comme dit S. Paul (Rm 1, 20) : “ Nous connaissons les réalités invisibles de Dieu par les choses visibles qu’il a faites. ” C’est pourquoi l’on dit que nous le voyons “ dans un miroir ”. Mais la connaissance que l’ange possède de Dieu par ses facultés naturelles est intermédiaire entre ces deux modes ; elle est analogue à la connaissance qui fait voir une chose par une espèce tirée d’elle. Car l’image de Dieu étant imprimée dans sa propre nature, l’ange connaît Dieu par sa propre essence, en tant qu’elle est similitude de Dieu. Cependant il ne voit pas l’essence même de Dieu, aucune similitude créée n’étant capable de représenter l’essence divine[3621]. Cette connaissance se rapproche donc davantage de la connaissance au moyen d’un miroir, puisque la nature angélique est comme un miroir qui présente la similitude de Dieu.

Solutions :

1. Denys parle là d’une connaissance parfaitement compréhensive, comme le montrent ses propres expressions. Or aucune créature ne connaît Dieu de cette façon[3622].

2. La distance infinie qui sépare de Dieu l’intelligence et l’essence de l’ange a seulement pour effet d’empêcher l’ange de comprendre Dieu complètement et de voir son essence par sa propre nature[3623], non pas de lui rendre toute connaissance impossible ; car, de même que Dieu est infiniment distant de l’ange, la connaissance que Dieu a de lui-même est infiniment distante de la connaissance que l’ange a de Dieu.

3. La connaissance naturelle de Dieu par l’ange est intermédiaire entre ces deux espèces de connaissance, quoiqu’elle se rapproche plutôt de la seconde, comme nous venons de le dire.


 

 

QUESTION 57 — LA CONNAISSANCE DES ANGES CONCERNANT LES RÉALITÉS MATÉRIELLES

1. Les anges connaissent-ils les natures des choses matérielles ? 2. Connaissent-ils les singuliers ? 3. Connaissent-ils l’avenir ? 4. Connaissent-ils les pensées des cœurs ? 5. Connaissent-ils les mystères de la grâce ?

 

            Article 1 — Les anges connaissent-ils les choses matérielles ?

Objections :

1. L’objet connu parfait le sujet intelligent[3624]. Or, les choses matérielles ne peuvent parfaire les anges, puisqu’elles leur sont inférieures. Les anges ne connaissent donc pas les choses matérielles.

2. La Glose (sur 2 Co 12, 2) dit que la vision intellectuelle porte sur les choses qui sont dans l’âme par leur essence. Or, les choses matérielles, ne pouvant être par leur essence ni dans l’âme humaine ni dans l’esprit de l’ange, ne peuvent être connues par vision intellectuelle ; seuls peuvent les connaître l’imagination qui saisit les similitudes des corps[3625], et les sens qui atteignent les corps eux-mêmes. Donc les anges, qui n’ont ni imagination ni sens, ne peuvent connaître les choses matérielles.

3. Les choses matérielles ne sont pas intelligibles en acte[3626], elles ne sont rendues connaissables que par l’appréhension des sens et de l’imagination. Les anges, ne possédant pas ces facultés, ne connaissent donc pas les choses matérielles.

En sens contraire, tout ce que la puissance inférieure peut faire, la puissance supérieure le peut également. Or l’intelligence humaine, inférieure par nature à celle de l’ange[3627], peut connaîtreles choses matérielles. A plus forte raison l’intelligence angélique.

Réponse :

L’ordre des choses est tel que les êtres supérieurs sont plus parfaits que les êtres inférieurs, et ce qui est contenu dans les êtres inférieurs d’une manière déficiente, partielle et multiple, est contenu dans les supérieurs de façon éminente, avec une certaine totalité et simplicité[3628]. “En Dieu donc, qui est au sommet de toutes choses, tout préexiste d’une manière substantielle, en l’absolue simplicité de son être”, dit Denys. Les anges, eux, sont plus proches de Dieu et plus semblables à lui que les autres créatures. Ils participent donc davantage de lui et selon un mode plus parfait, ainsi que le remarque Denys[3629]. Dès lors, tout ce qui est matériel préexiste dans les anges[3630] d’une façon plus simple et plus immatérielle que dans les choses elles-mêmes, mais avec plus de multiplicité et d’imperfection qu’en Dieu.

D’autre part, tout ce qui se trouve dans un sujet se conforme au mode d’être du sujet où il se trouve. Or, les anges sont de nature intellectuelle. Par conséquent, de même que Dieu connaît les choses matérielles par son essence[3631], les anges les connaissent parce qu’ils les ont en eux par leurs espèces intelligibles[3632].

Solutions :

1. L’objet connu parfait le sujet connaissant en raison de l’espèce intelligible qui est dans l’intelligence. Ainsi les espèces intelligibles qui sont dans l’intelligence de l’ange sont les perfections de l’intelligence angélique et l’actualisent[3633].

2. Le sens ne saisit pas les essences des choses, mais seulement les accidents extérieurs. De même, l’imagination ne saisit que les images des corps[3634]. Seule l’intelligence saisit leurs essences. Aussi, Aristote dit-il que l’objet de l’intelligence est ce qu’est la chose, et que, dans ce domaine, jamais elle ne se trompe, pas davantage que le sens relativement à son sensible propre[3635]. Les essences des choses matérielles ne sont donc pas dans l’intelligence de l’homme et dans celle de l’ange selon leur être réel, mais à la manière dont le connu est dans le connaissant. Cependant, certaines choses sont dans l’intelligence ou dans l’âme selon ces deux manières d’être. Dans l’un comme dans l’autre cas, il y a vision intellectuelle.

3. Si l’ange recevait des choses matérielles elles-mêmes la connaissance qu’il en a, il lui faudrait les rendre intelligibles en acte par l’abstraction. Mais ce n’est pas de cette manière qu’il les connaît, c’est par des espèces intelligibles en acte qui lui sont connaturelles[3636], de même que notre intelligence les connaît par des espèces qu’elle rend intelligibles en les abstrayant.

 

            Article 2 — Les anges connaissent-ils les singuliers ?

Objections :

1. Selon Aristote, “ le sens a pour objet les singuliers, et la raison ou l’intelligence, les universaux ”[3637]. Or, dans les anges, il n’y a d’autre faculté de connaissance que l’intelligence, on l’a vu[3638]. Ils ne connaissent donc pas les singuliers.

2. La connaissance est une certaine assimilation du connaissant au connu[3639]. Or, il semble impossible que l’ange s’assimile au singulier en tant que singulier, puisqu’il est immatériel[3640] et que la singularité a pour principe la matière[3641]. L’ange ne peut donc pas connaître les singuliers.

3 Si l’ange connaissait les singuliers, ce serait soit par des espèces singulières, soit par des espèces universelles. Ce ne peut être par des espèces singulières, car il lui en faudrait un nombre infini ; ni par des espèces universelles, car l’universel ne peut suffire à faire connaître un singulier en tant que singulier, les singuliers n’étant connus qu’en puissance dans l’universel[3642]. L’ange ne connaît donc pas les singuliers.

En sens contraire, nul ne peut être le gardien de ce qu’il ne connaît pas. Or les anges gardent chaque homme en particulier[3643], selon ces mots du Psaume (91,11) : “ Il a commandé à ses anges de te garder dans toutes tes voies. ” Les anges connaissent donc les singuliers.

Réponse :

Certains ont affirmé que l’ange n’a aucune connaissance des singuliers. Cette affirmation est contraire à la foi catholique, qui enseigne que les êtres inférieurs sont l’objet du ministère des anges, ainsi que le dit S. Paul (He 1,14) : “ Ils sont tous des esprits en service.” [3644] Si les anges ne connaissaient pas les singuliers, ils ne pourraient exercer aucune providence vis-à-vis des activités du monde, puisque toute action a pour principe un être singulier[3645]. Cela irait contre cette parole de l’Ecclésiaste (5, 5) : “ Ne dis pas devant l’ange que tu as péché par inadvertance. ” Cette négation contredit aussi les enseignements des philosophes, d’après lesquels les anges meuvent les sphères célestes par leur intelligence et leur volonté[3646].

Aussi d’autres ont-ils dit que l’ange connaît les singuliers, mais dans les causes universelles dont dépendent tous les effets particuliers, de même que l’astronome prévoit une éclipse future d’après les dispositions des mouvements célestes. Cette thèse présente les mêmes inconvénients que la précédente : connaître le singulier dans ses causes universelles n’est pas le connaître en tant que singulier, tel qu’il est dans l’espace et le temps. L’astronome qui connaît l’éclipse future par le comput des mouvements célestes ne la connaît que dans ses conditions générales d’éclipse, non dans ses circonstances particulières de lieu et de temps que seule la connaissance sensible peut lui faire atteindre.

Or service, providence et motion portent sur les singuliers tels qu’ils existent dans l’espace et le temps. Il faut donc dire que si l’homme connaît par différentes facultés les différents genres des choses : les choses universelles et immatérielles par l’intelligence, les choses singulières et corporelles par les sens, l’ange connaît les uns et les autres par sa seule faculté intellectuelle. Car l’ordre des choses est tel que plus un être est élevé, plus sa puissance a d’unité et d’extension ; ainsi, chez l’homme, le sens commun, qui est supérieur au sens propre, perçoit par une seule puissance tout ce que connaissent les cinq sens externes, et de plus certaines autres choses qu’aucun des sens externes ne connaît, comme la différence entre le blanc et le doux. On peut constater la même chose chez les autres êtres. L’ange étant, par ordre de nature, supérieur à l’homme[3647], on ne peut dire que l’homme connaisse par une de ses facultés quelque chose que l’ange ne connaîtrait pas par son unique faculté de connaissance, qui est l’intelligence. Aussi Aristote tient-il pour inacceptable que nous connaissions la discorde et que Dieu l’ignore.

Si l’on veut comprendre comment l’intelligence angélique connaît les singuliers, on peut procéder ainsi. Comme les choses émanent de Dieu pour subsister dans leur nature propre[3648], elles en émanent aussi pour exister dans la connaissance angélique[3649]. Or il est évident que les choses émanent de Dieu non seulement en ce qui relève de la nature universelle, mais aussi de ce qui est principe d’individuation. Car Dieu est cause de toute la substance de la chose, de sa matière aussi bien que de sa forme[3650], et il connaît les choses selon qu’il les cause, puisque c’est sa science qui est cause des choses, nous l’avons montré[3651]. Donc, de même que Dieu, par son essence, grâce à laquelle il cause tout, est la similitude de tout[3652], et de même que par elle il connaît tout, les natures universelles aussi bien que la singularité[3653] ; ainsi les anges, par les espèces que Dieu leur infuse, connaissent les choses dans leur nature universelle et aussi dans leur singularité, en tant que ces espèces sont des représentations multipliées de la simple et unique essence de Dieu.

Solutions :

l. Aristote parle là de notre intelligence, qui ne saisit les choses qu’en les abstrayant[3654] ; et c’est par cette exclusion des conditions matérielles que ce qui est rendu abstrait devient universel. Mais ce mode d’intellection ne convient pas à l’ange, on vient de le voir[3655]. C’est pourquoi l’argument ne convient pas ici.

2. Par leur nature, les anges ressemblent aux choses matérielles, non pas comme deux choses se ressemblent génériquement, spécifiquement ou accidentellement, mais comme le supérieur ressemble à l’inférieur, par exemple le soleil au feu. C’est de cette manière que se trouve en Dieu la similitude de tous les êtres, et quant à leur forme et quant à leur matière, selon que tout ce qui existe dans les choses préexiste en lui comme dans sa cause[3656]. Pour la même raison, les espèces de l’intelligence angélique, qui sont des similitudes dérivées de l’essence divine[3657], sont les similitudes des choses, de leur forme aussi bien que de leur matière.

3. Les anges connaissent les singuliers par des formes universelles, mais qui sont similitudes des choses et quant à leurs principes universels, et quant à leurs principes d’individuation[3658]. On a expliqué plus haut[3659] comment ils pouvaient connaître plusieurs choses par une seule espèce.

 

            Article 3 — Les anges connaissent-ils l’avenir ?

Objections :

1. Il semble que oui, car les anges sont, en fait de connaissance, plus puissants que les hommes. Or certains hommes connaissent beaucoup de choses futures[3660]. A plus forte raison les anges.

2. Le présent et le futur sont des différences du temps. Or l’intelligence angélique est au-dessus du temps ; car l’intelligence va de pair avec l’éternité, c’est-à-dire avec l’aevum[3661], d’après le Livre des Causes. Il n’y a donc pas, pour l’intelligence angélique, de différence entre le passé et le futur ; il connaît indifféremment l’un et l’autre.

3. L’ange ne connaît pas au moyen d’espèces tirées des choses, mais par des espèces innées universelles[3662]. Or, des espèces universelles ont un rapport égal avec le passé, le présent et l’avenir. Il semble donc que les anges connaissent indifféremment les choses passées, présentes et futures.

4. On dit que quelque chose est éloigné dans le temps, comme on le dit éloigné dans l’espace. Or, les anges connaissent ce qui est éloigné dans l’espace[3663]. Ils connaissent donc aussi ce qui est éloigné dans l’avenir.

En sens contraire, ce qui est le signe propre de la Divinité ne peut convenir aux anges. Or, connaître les choses futures est le signe propre de la Divinité, selon cette parole d’Isaïe (41, 23) : “ Annoncez ce qui doit arriver dans l’avenir, et nous saurons que vous êtes des dieux. ” Les anges ne connaissent donc pas les choses futures.

Réponse :

Le futur peut être connu de deux manières, dans sa cause et en lui-même :

1. Dans sa cause. De cette façon, on connaît de science certaine les choses futures qui procèdent nécessairement de leurs causes, par exemple que le soleil se lèvera demain. Au contraire, les choses qui procèdent de leurs causes le plus souvent, mais non toujours, sont connues par conjecture et non d’une manière certaine ; c’est ainsi que le médecin prévoit la santé du malade. Cette seconde manière de connaître les futurs convient aux anges, et d’une façon d’autant plus parfaite qu’ils connaissent les causes des choses plus universellement et plus parfaitement que nous, de même que les médecins, qui ont une vue plus aiguë des causes de la maladie, prévoient mieux ce que celle-ci deviendra. Quant aux choses qui ne procèdent de leurs causes que dans la minorité des cas, elles sont complètement inconnues, comme les choses fortuites ou de pur hasard.

2. Les choses futures peuvent aussi être connues en elles-mêmes. En ce sens, Dieu seul connaît celles qui surviennent nécessairement ou le plus souvent, et même les choses fortuites et de pur hasard. Dans son éternité Dieu voit tout, car, grâce à sa simplicité[3664], cette éternité est présente au temps tout entier et elle le contient[3665]. Si bien que l’unique regard de Dieu porte sur tout ce qui se produit à travers la durée du temps comme si c’était présent. Il voit toutes les choses en elles-mêmes, nous l’avons dit en traitant de la science divine[3666]. Donc aucune intelligence créée ne peut connaître le futur tel qu’il est dans son être réalisé.

Solutions :

1. Les hommes ne connaissent les futurs que dans leurs causes ou par révélation divine[3667]. Et, de cette façon, les anges les connaissent avec beaucoup plus de pénétration que les hommes[3668].

2. Quoique l’intelligence de l’ange soit au-dessus du temps qui mesure les mouvements corporels, il y a cependant en elle un temps déterminé par la succession des conceptions intelligibles[3669]. Comme dit S. Augustin : “ Dieu meut la créature spirituelle dans le temps. ” Et du fait même qu’il y a succession en elle, l’intelligence angélique ne voit pas comme présent tout ce qui se fait à travers la durée totale du temps.

3. Sans doute, en elles-mêmes, les espèces qui sont dans l’intelligence angélique ont un rapport égal avec les choses présentes, passées ou futures[3670] ; mais du côté des choses, les relations avec les espèces sont différentes selon que ces choses sont passées, présentes ou futures. Les choses présentes ont une nature par laquelle elles sont semblables aux espèces qui sont dans l’esprit de l’ange, et peuvent ainsi être connues de lui. Les choses futures, au contraire, n’ont pas encore la nature par laquelle elles seraient semblables à ces espèces ; elles ne peuvent donc pas être connues.

4. Ce qui est distant selon le lieu existe réellement dans la nature, et participe d’une nature dont la similitude est dans l’ange[3671]. Il n’en va pas de même pour les choses futures, nous venons de le dire[3672]. L’assimilation n’est donc pas valable.

 

            Article 4 — Les anges connaissent-ils les pensées des cœurs ?

Objections :

1. Il le semble bien car, sur cette parole de Job (28, 17) : “L’or et le cristal ne peuvent être comparés à la sagesse ”, S. Grégoire commente : “ Alors (dans la béatitude des ressuscités) chacun connaîtra l’autre comme il se connaît lui-même, et chacun pénétrera la conscience des autres en même temps que son intelligence. ” Or, il est dit en S. Matthieu (22, 30) que les ressuscités seront semblables aux anges. Un ange peut donc voir ce qui est dans la conscience de l’autre.

2. Ce que les figures sont aux corps, les espèces intelligibles le sont à la chose connue[3673]. Or, quand on voit un corps, on voit la figure. Donc, quand on voit une substance intellectuelle, on voit l’espèce intelligible qui est en elle. Il semble donc, puisque chaque ange voit les autres anges[3674] et les âmes, qu’il puisse voir leurs pensées.

3. Les choses qui sont dans notre imagination ressemblent moins à l’ange que celles qui sont dans notre intelligence, celles-ci étant saisies par elle en acte, celles-là ne l’étant qu’en puissance[3675]. Or, les choses qui sont dans l’imagination peuvent être connues par les anges, tout comme les choses corporelles, puisque l’imagination est une faculté du corps[3676]. L’ange peut donc connaître les pensées de l’intelligence.

En sens contraire, ce qui est propre à Dieu ne convient pas aux anges. Or, connaître les pensées des cœurs est le propre de Dieu, selon cette parole de Jérémie (17, 9) : “ Le cœur de l’homme est perverti et impénétrable. Qui le connaîtra ? Moi, le Seigneur, qui scrute les cœurs. ”

Réponse :

Les pensées des cœurs peuvent être connues de deux manières : 1. D’abord dans leurs effets. De cette façon elles peuvent être connues de l’ange aussi bien que de l’homme ; mais il y faut d’autant plus de pénétration que l’effet est plus caché. Car la pensée peut se révéler non seulement par un acte extérieur, mais encore par un changement d’expression du visage ; les médecins peuvent même connaître certaines affections de l’âme par nos pulsations. A plus forte raison les anges, et même les démons, le pourront-ils, puisqu’ils aperçoivent d’une manière beaucoup plus pénétrante ces modifications corporelles cachées. Aussi S. Augustin dit-il que “ les démons discernent avec une extrême facilité les dispositions des hommes, non seulement quand elles sont exprimées par la parole, mais même quand elles sont conçues par l’esprit, et que certains signes venus de l’âme les manifestent dans le corps ”, bien qu’il dise aussi dans ses Révisions qu’on ne peut expliquer comment cela se fait.

2. On peut connaître encore les pensées selon qu’elles sont dans l’esprit, et les affections selon qu’elles sont dans la volonté. Dieu seul peut connaître de cette manière les pensées des cœurs et les sentiments de la volonté. En effet, la volonté de la créature rationnelle n’est soumise qu’à Dieu, et il est seul, lui qui en est l’objet principal à titre de fin ultime[3677], à pouvoir agir sur elle[3678]. Ce qui dépend de la volonté seule, comme ce qui est dans la volonté seule, n’est donc connu que de Dieu. Or, que la pensée d’un homme se porte actuellement sur un objet, cela ne dépend évidemment que de sa volonté ; car celui qui possède l’habitus de la science ou des espèces intelligibles que cet habitus implique, peut en user quand il veut[3679]. Aussi S. Paul dit-il (1 Co 2, 11) : “ Ce qu’il y a dans l’homme, nul ne le connaît, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui. ”

Solutions :

1. En cette vie, la pensée d’un homme est cachée aux autres à la fois en raison de l’opacité du corps, et de la volonté qui réserve ses secrets. Le premier obstacle sera supprimé lors de la résurrection, et il n’existe pas pour les anges. Mais le second demeurera après la résurrection, et il existe présentement pour les anges. La qualité spirituelle du ressuscité, cependant, son éclat corporel la manifestera[3680], et c’est ainsi qu’un bienheureux pourra pénétrer jusqu’à l’esprit d’un autre.

2. Même si un ange voit les espèces intelligibles de l’autre, du fait que la plus ou moins grande universalité des espèces est proportionnée à la noblesse des substances[3681], il ne s’ensuit pas que l’on sache comment l’autre use de ces espèces ou quand il les considère effectivement.

3. L’instinct des animaux ne maîtrise pas ses actes, il suit l’impulsion d’une autre cause, corporelle ou spirituelle. Connaissant les choses corporelles et leurs dispositions, les anges peuvent donc, par elles, savoir ce qui est dans l’instinct et dans l’imagination des animaux, et aussi des hommes pour autant qu’en eux l’appétit sensible agit parfois sous une impulsion corporelle, comme cela se produit toujours chez les animaux. Mais il ne s’ensuit pas que les anges connaissent les mouvements de l’appétit sensible et les perceptions de l’imagination de l’homme quand ils ont pour cause la volonté et la raison, puisque la partie inférieure de l’âme participe en quelque manière de la raison[3682]. Comme dit Aristote elle est à la raison ce que celui qui obéit est à celui qui commande. De plus, si l’ange connaît ce qui est dans l’appétit sensible et l’imagination des hommes, il ne s’ensuit pas qu’il connaisse ce qui est dans la pensée et la volonté, car l’intelligence et la volonté, bien loin d’être soumises à l’appétit sensible et à l’imagination, peuvent s’en servir de différentes manières.

 

            Article 5 — Les anges connaissent-ils tous les mystères de la grâce ?

Objections :

1. Il semble que les anges connaissent les mystères de la grâce. Car, entre les mystères, le plus éminent est celui de l’Incarnation. Or les anges l’ont connu dès le commencement. S. Augustin dit en effet : “ Ce mystère a été caché en Dieu pendant tous les siècles, mais non sans être connu des principautés et des puissances célestes. ” S. Paul dit aussi (1 Tm 3, 16) : “ Ce grand mystère de la piété est apparu aux anges. ” Les anges connaissent donc les mystères de la grâce.

2. Les raisons de tous les mystères de la grâce sont contenues dans la sagesse divine[3683]. Or, les anges voient la sagesse même de Dieu, qui est son essence[3684]. Ils connaissent donc les mystères de la grâce.

3. Denys dit que les prophètes sont instruits par les anges[3685]. Or, les prophètes ont connu les mystères de la grâce, car il est dit dans Amos (3, 7) : “ Le Seigneur ne fait rien sans en révéler le secret à ses serviteurs les prophètes. ” Les anges connaissent donc les mystères de la grâce.

En sens contraire, nul n’apprend ce qu’il connaît déjà. Or les anges, même les plus élevés, cherchent à connaître les mystères de la grâce et les apprennent. Denys dit en effet que l’Écriture nous montre “ quelques-unes de ces essences célestes interrogeant Jésus lui-même et apprenant de lui ce qu’il a fait pour nous, et Jésus les enseignant sans intermédiaire ”, comme on le voit dans Isaïe (63, 1), où les anges demandent : “ Qui est donc celui-ci, qui vient d’Edom ? ” et où Jésus leur répond : “ Moi, qui annonce la justice. ” Les anges ne connaissent donc pas les mystères de la grâce.

Réponse :

Il y a chez les anges deux sortes de connaissances : D’abord, une connaissance naturelle, selon laquelle ils connaissent les choses soit par leur essence, soit par des espèces innées[3686]. Les anges ne peuvent connaître de cette manière les mystères de la grâce. Ces mystères dépendent de la pure volonté de Dieu, et si un ange ne peut connaître les pensées d’un autre ange quand elles dépendent de sa volonté[3687], il peut encore moins connaître ce qui dépend de la seule volonté divine. C’est le raisonnement que tient S. Paul (1 Co 2, 11) : “ Ce qu’il y a dans l’homme, nul ne le connaît, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ; de même ce qui est en Dieu, nul ne le connaît, sinon l’Esprit de Dieu. ”

L’autre connaissance des anges est celle qui les rend bienheureux, et par laquelle ils voient le Verbe et les choses dans le Verbe. Cette vision leur fait connaître les mystères de la grâce, non dans leur totalité ni à tous également, mais selon qu’il a plu à Dieu de les leur révéler, comme le dit l’Apôtre (1 Co 2, 10) : “ Dieu nous a révélé ces choses par son Esprit. ” Ainsi cependant, les anges supérieurs, qui contemplent d’un regard plus pénétrant la sagesse divine, connaissent dans la vision même de Dieu des mystères plus nombreux et plus profonds[3688], qu’ils manifestent aux anges inférieurs en les illuminant[3689]. Et même parmi les mystères, il en est qu’ils ont connus dès leur création, et d’autres dont ils ne sont instruits que dans la suite, selon les exigences de leur mission.

Solutions :

1. On peut parler du mystère de l’Incarnation de deux façons. En un sens général, il a été révélé à tous les anges dès le principe de leur béatitude ; car ce mystère est le principe général auquel tous leurs offices sont ordonnés, comme le dit S. Paul (He 1, 14) : “Tous sont des esprits en service, envoyés comme serviteurs pour le bien de ceux qui doivent recevoir l’héritage du salut.”[3690] Or, ce salut s’opère par le mystère de l’Incarnation : il fallait donc que tous les anges en fussent instruits d’une manière générale dès le début.

Nous pouvons aussi considérer les conditions spéciales de la réalisation des mystères. En ce sens, il n’est pas vrai que tous les anges aient été instruits de tout dès le début ; et même les anges supérieurs ont par la suite appris certaines choses à ce sujet, comme en fait foi le passage de Denys que nous avons cité. [3691]

2. Bien que les anges bienheureux contemplent la sagesse divine, ils ne la comprennent pas totalement[3692]. Il n’est donc pas nécessaire qu’ils connaissent tout ce qui s’y cache.

3. Tout ce que les prophètes ont connu par révélation divine du mystère de la grâce a été révélé de façon bien plus excellente encore aux anges. Mais, quoique Dieu ait révélé d’une manière générale aux prophètes ce qu’il devait accomplir pour le salut du genre humain, les Apôtres ont connu à ce sujet des précisions que les prophètes n’avaient pas connues. C’est ce que dit S. Paul aux Éphésiens (3, 4) : “ En me lisant, vous pouvez voir l’intelligence que j’ai du mystère du Christ, qui n’a pas été dévoilé aux autres générations aussi clairement qu’il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres. ” D’ailleurs, même parmi les prophètes, les derniers ont connu des choses qui n’avaient pas été connues des premiers selon cette parole du Psaume (119, 100) : “ J’ai plus d’intelligence que les vieillards. ” Et S. Grégoire dit que la connaissance des choses divines a progressé à travers les siècles.


 

 

QUESTION 58 — LE MODE DE LA CONNAISSANCE ANGÉLIQUE

1. L’intellect de l’ange est-il tantôt en puissance et tantôt en acte ? 2. L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? 3. Son intellection est-elle discursive ? 4. Se fait-elle par composition et division ? 5. Peut-il y avoir de l’erreur dans l’intellect de l’ange ? 6. La connaissance de l’ange peut-elle être appelée connaissance du matin et connaissance du soir ? 7. La connaissance du matin et la connaissance du soir sont-elles identiques ou diverses ?

 

            Article 1 — L’intellect de l’ange est-il tantôt en puissance et tantôt en acte ?

Objections :

1. Il semble que l’intellect de l’ange soit parfois en puissance, car Aristote définit le mouvement comme “l’acte de ce qui existe en puissance”[3693]. Or, d’après Denys, les esprits angéliques se meuvent lorsqu’ils pensent[3694]. Les esprits angéliques sont donc parfois en puissance.

2. Le désir ayant pour objet une chose que l’on n’a pas, mais que l’on peut avoir[3695], quiconque désire comprendre une chose est en puissance par rapport à elle. Or, S. Pierre dit (1 P 1, 12) que les anges désirent pénétrer le secret de Dieu. L’intellect de l’ange est donc parfois en puissance.

3. Il est dit dans le Livre des Causes que le mode d’intellection d’une intelligence est corrélatif au mode de sa substance. Or, la substance de l’ange est en partie mêlée de puissance[3696]. L’intellect de l’ange est donc parfois en puissance.

En sens contraire, S. Augustin a dit : “ Depuis qu’ils ont été créés, dans l’éternité même du Verbe, les anges jouissent d’une sainte et pieuse contemplation. ” Or, l’intelligence qui contemple n’est pas en puissance, mais en acte[3697]. L’intellect de l’ange n’est donc pas en puissance.

Réponse :

D’après Aristote, l’intelligence est en puissance de deux manières : d’abord “ avant d’avoir appris ou trouvé ”, c’est-à-dire avant d’avoir l’habitus de science, et aussi lorsque, possédant l’habitus de science, elle ne considère pas actuellement son objet.

Selon la première manière l’ange n’est jamais en puissance vis-à-vis des choses auxquelles peut s’étendre sa connaissance naturelle. Car, de même que les corps supérieurs, les corps célestes n’ont, dans l’ordre de l’être, aucune potentialité qui ne soit actuée, les intelligences célestes, les anges, n’ont, dans l’ordre intellectuel, aucune potentialité qui ne soit totalement actuée par des espèces intelligibles connaturelles[3698]. A l’égard des vérités qui leur sont divinement révélées, rien n’empêche que leur intelligence soit en puissance[3699], de même que les corps célestes sont parfois en puissance à être illuminés par le soleil.

Selon la seconde manière, l’intelligence angélique peut être en puissance à l’égard de ce qu’elle connaît naturellement puisqu’elle ne considère pas toujours en acte tout ce que peut atteindre sa connaissance naturelle[3700]. Mais cela n’arrive jamais relativement à la connaissance du Verbe et des choses qu’elle voit dans le Verbe. L’ange contemple toujours en acte le Verbe et ce qui est en lui, puisque c’est cette vision qui constitue sa béatitude[3701] et que, selon Aristote, la béatitude consiste dans un acte, non dans un habitus[3702].

Solutions :

1. Dans le texte de Denys, “mouvement” ne signifie pas acte de l’imparfait, c’est-à-dire de ce qui existe en puissance, mais acte du parfait, c’est-à-dire de ce qui existe en acte. En ce sens, on peut appeler mouvements l’intellection et la sensation, comme le fait Aristote[3703].

2. Ce désir que S. Pierre attribue aux anges n’implique pas qu’ils sont privés de l’objet désiré, mais qu’ils n’en sont jamais lassés. On peut aussi répondre que ce désir de voir Dieu porte sur les nouvelles révélations qu’ils reçoivent de Dieu, selon l’exigence des missions dont ils sont chargés. [3704]

3. Dans la substance des anges il n’y a aucune puissance qui ne soit actuée[3705]. Et pas davantage, leur intelligence n’est une puissance séparée de son acte. [3706]

 

            Article 2 — L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ?

Objections :

1. Cela semble impossible car pour Aristote “ on peut bien savoir plusieurs choses, mais on ne peut en connaître actuellement qu’une seule ”.

2. Une chose est connue en tant que l’intelligence est informée par une espèce intelligible, comme le corps est informé par la figure[3707]. Or, un même corps ne peut être informé simultanément par des figures diverses ; semblablement une même intelligence ne peut être informée simultanément par divers objets intelligibles.

3. L’acte d’intellection est un certain mouvement[3708]. Or un mouvement n’a jamais plusieurs termes. On ne peut donc pas avoir l’intelligence de plusieurs choses à la fois.

En sens contraire, S. Augustin dit que “ la puissance spirituelle de l’esprit angélique comprend d’un seul coup, avec grande facilité, tout ce qu’il veut ”.

Réponse :

L’unité d’opération requiert l’unité d’objet, comme l’unité de mouvement requiert l’unité de terme[3709]. Or, certaines choses peuvent être prises à la fois comme multiples et comme une ; telles sont par exemple les parties d’une étendue continue. Si l’on considère chacune en elle-même, elles sont multiples ; et par conséquent, ni le sens ni l’intelligence ne peuvent les saisir en même temps et en une seule opération. Si, au contraire, on les considère comme ne formant qu’une même chose dans le tout, elles peuvent être connues en même temps et par une seule opération, tant par le sens que par l’intelligence, pourvu qu’ils considèrent le contenu tout entier, dit Aristote[3710]. Ainsi encore, notre intelligence perçoit simultanément le sujet et le prédicat, en tant que parties d’une même proposition ; ou bien deux choses comparées entre elles, en tant qu’elles forment une seule comparaison. Tout cela prouve que, prises séparément, les choses multiples, ne peuvent être connues en même temps, et que cela n’est possible que si elles sont unies en un seul intelligible.

Or, une chose est intelligible en acte selon que sa similitude est dans l’intelligence[3711]. Donc, tout ce qui peut être connu par une seule espèce intelligible sera connu comme ne formant qu’un seul intelligible et, par suite, sera saisi d’un seul coup. Mais les choses qui sont connues par des espèces intelligibles diverses seront saisies comme autant d’intelligibles divers.

S’il s’agit de la connaissance qui leur fait connaître les choses dans le Verbe, les anges atteignent donc tout par une seule espèce qui est l’essence divine[3712]. A ce point de vue, ils connaissent tout en même temps ; pour nous également, dit S. Augustin, dans la patrie du ciel, “ nos pensées ne seront plus changeantes, allant et venant d’une chose à une autre ; nous verrons toute notre science simultanément et d’un seul regard. ” Mais par la connaissance qu’ils acquièrent au moyen d’espèces innées[3713], les anges ne peuvent connaître simultanément que ce qui est atteint par une seule espèce, et non ce qui requiert des espèces diverses.

Solutions :

1. Connaître plusieurs choses en tant qu’elles ne font qu’un, c’est, en quelque manière, ne connaître qu’une seule chose.

2. L’intelligence est informée par les espèces qu’elle a en elle[3714]. Elle peut donc par une seule espèce voir simultanément plusieurs intelligibles, comme un même corps peut par une seule figure ressembler en même temps à plusieurs autres corps.

3. Il faut répondre comme à la première objection.

 

            Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

Objections :

1. La connaissance discursive consiste en ce qu’une chose est connue par une autre. Or, les anges connaissent une chose par une autre, puisqu’ils connaissent les créatures par le Verbe[3715]. Leur connaissance est donc discursive.

2. Ce que peut une substance inférieure, une puissance supérieure le peut aussi. Or, l’intelligence humaine peut faire des syllogismes et connaître les choses dans leurs effets ; c’est ce qui constitue le raisonnement discursif. Donc, à plus forte raison l’intelligence angélique peut-elle le faire puisqu’elle est, dans l’ordre de nature, supérieure à l’intelligence humaine[3716].

3. S. Isidore dit que les anges connaissent beaucoup de choses par l’expérience. Or, la connaissance expérimentale est discursive. Comme dit Aristote : “ L’expérience naît de plusieurs souvenirs, et l’idée universelle naît de plusieurs expériences. ” La connaissance des anges est donc discursive.

En sens contraire, nous lisons dans Denys : “ Les anges ne tirent pas leur connaissance divine de raisons discursives, et leur connaissance ne passe pas de l’universel au particulier. ”

Réponse :

Comme nous l’avons dit souvent[3717], les anges occupent, dans le monde spirituel, le même degré que les corps célestes dans le monde corporel, aussi Denys les appelle-t-il les “ esprits célestes ”. Or, les corps célestes diffèrent des corps terrestres en ce que ces derniers atteignent leur perfection ultime par le changement et le mouvement, tandis que les premiers la possèdent par nature. De même, les intelligences inférieures, celles des hommes, acquièrent leur perfection et la connaissance de la vérité par un mouvement discursif de l’opération intellectuelle, en procédant d’une chose connue à une autre[3718] ; si, dans la connaissance même du principe, elles percevaient toutes les conclusions qui en découlent, le raisonnement leur deviendrait inutile. C’est précisément ce qui a lieu chez les anges ; ils perçoivent immédiatement tout ce qui peut être connu dans les choses qui tombent premièrement et naturellement sous leur connaissance[3719]. Aussi les qualifie-t-on d’“intellectuels” ; car, même parmi nous, ce qui est saisi tout de suite et naturellement, est dit “intelligé” ; c’est pourquoi on donne le nom d’intellect à l’habitus des premiers principes. En retour, on appelle les âmes humaines “rationnelles”, puisqu’elles n’acquièrent la connaissance de la vérité que de façon discursive[3720]. Cela vient d’ailleurs de la faiblesse de leur lumière intellectuelle[3721] ; si elles avaient, comme les anges, la plénitude de la lumière intellectuelle, elles discerneraient dès la première saisie des principes tout ce qu’ils renferment, en percevant tout ce que l’on peut en déduire.

Solutions :

1. Le raisonnement implique un certain mouvement[3722]. Or, tout mouvement va de quelque chose d’antérieur vers quelque chose de postérieur. Il y a donc connaissance discursive lorsque, à partir d’une chose connue d’abord, on parvient à la connaissance d’une autre chose connue ensuite, qui précédemment était inconnue. Mais si, d’un seul regard, on voit à l’instant l’autre chose, comme on voit à l’instant dans le miroir l’image de la chose, il n’y a pas connaissance discursive. Or c’est ainsi que les anges connaissent les choses dans le Verbe.

2. Les anges peuvent faire des syllogismes en ce sens qu’ils peuvent les connaître, parce qu’ils voient les effets dans les causes, et les causes dans les effets. Mais non en ce sens qu’ils acquièrent la connaissance d’une vérité inconnue en allant des causes aux effets, et des effets aux causes.

3. On ne parle d’expérience pour les anges et les démons que par analogie, en ce qu’ils connaissent les choses sensibles qui leur sont présentes, mais sans aucun raisonnement. [3723]

 

            Article 4 — La connaissance de l’ange se fait-elle par composition et division ?

Objections :

1. Là où il y a pluralité de choses connues, il y a composition de ces choses connues, dit Aristote. Or dans l’intellect de l’ange il y a pluralité de concepts, puisqu’il connaît les choses diverses par des espèces diverses[3724], et non toutes d’un seul coup. Il y a donc composition et division dans l’intellect de l’ange.

2. Il y a plus de distance entre la négation et l’affirmation qu’entre deux natures opposées, quelles qu’elles soient ; car on distingue avant tout les réalités par mode d’affirmation et de négation. Or la distance qui sépare certaines natures fait que l’ange ne peut les connaître que par des espèces diverses, une seule ne suffisant pas, on l’a vu[3725]. Il ne peut donc connaître l’affirmation et la négation que par des espèces diverses. L’intelligence de l’ange semble donc opérer par composition et division.

3. Le langage est le signe de l’intelligence. Or, comme le montrent de nombreux passages de l’Écriture, lorsque les anges parlent aux hommes, ils prononcent des propositions affirmatives et négatives ; elles sont le signe de la composition ou de la division opérée par l’intelligence. Il semble donc que l’ange connaisse par composition et division.

En sens contraire, nous lisons dans Denys : “ la vertu intellectuelle des anges resplendit par la simplicité éclatante des divins concepts ”. Or, dit Aristote, la simplicité de l’intelligence exclut la composition et la division. La connaissance de l’ange s’opère donc sans composition ni division.

Réponse :

Dans le jugement, le prédicat est corrélatif au sujet, comme dans le raisonnement la conclusion est corrélative au principe. Car si notre intelligence voyait immédiatement dans le principe la vérité de la conclusion, elle n’aurait pas besoin de discourir et de raisonner. De même, si dans la saisie de la quiddité du sujet, notre intelligence avait immédiatement la connaissance de tout ce qui peut être affirmé ou nié du sujet, elle n’aurait pas besoin de procéder par composition et division ; il lui suffirait de connaître l’essence. Le motif pour lequel notre intelligence raisonne et compose ou divise est donc le même : parce qu’elle ne peut pas, dans la première appréhension d’un objet, voir tout ce qui est virtuellement contenu en lui[3726]. Cela provient de la faiblesse de notre lumière intellectuelle, nous l’avons dit à l’article précédent. La lumière intellectuelle de l’ange, elle, étant parfaite (selon Denys, l’ange est un miroir pur et éclatant), son opération intellectuelle pas plus qu’elle n’use du raisonnement, n’emploie la composition et la division des concepts. Néanmoins, l’ange connaît la composition et la division des énonciations comme il connaît le raisonnement des syllogismes[3727] ; il connaît les composés d’une manière simple, les choses mobiles d’une manière immuable et les choses matérielles d’une manière immatérielle[3728].

Solutions :

1. La composition n’est pas causée par n’importe quelle pluralité de concepts, mais par celle de concepts dont l’un est affirmé ou nié de l’autre. Or, quand l’ange connaît la quiddité d’une chose, il perçoit simultanément tout ce qui peut en être affirmé ou nié. Connaissant l’essence[3729], il y discerne donc, par une seule et unique intuition, tout ce que nous pouvons y découvrir en composant et en divisant.

2. Dans la réalité, des quiddités diverses sont moins différentes que l’affirmation et la négation. Mais, pour la connaissance, l’affirmation et la négation sont plus rapprochées, car dès que l’on connaît la vérité d’une affirmation, on connaît aussi la fausseté de la négation opposée.

3. Le fait que les anges puissent formuler des propositions affirmatives ou négatives, prouve qu’ils connaissent la composition et la division[3730], mais non que leur activité intellectuelle s’exerce en composant et en divisant. Leur connaissance est une intelligence simple de la quiddité.

 

            Article 5 — Peut-il y avoir de l’erreur dans l’intellect de l’ange ?

Objections :

1. Cela semble possible, car la perversité se rattache à la fausseté. Or, d’après Denys, l’imagination des démons est perverse. Il semble donc qu’il puisse y avoir erreur dans l’intellect des anges.

2. L’ignorance entraîne une fausse appréciation. Or Denys dit qu’il peut y avoir ignorance chez les anges. Il semble donc que leur intelligence soit sujette à l’erreur.

3. Il y a fausseté ou erreur dans l’intelligence de tous ceux qui s’écartent de la vérité de la sagesse et qui ont une raison dépravée. Or, Denys attribue cet état aux démons[3731]. Il semble donc que l’erreur soit possible pour l’intelligence des anges.

En sens contraire, Aristote dit que la simple appréhension est toujours vraie ; S. Augustin dit aussi que l’acte d’intellection ne porte que sur le vrai[3732]. Or les anges ne connaissent que par mode d’appréhension et d’intuition. Leur connaissance n’est donc pas sujette à l’égarement ou à l’erreur.

Réponse :

La solution vraie de cette question dépend, d’une certaine manière, de celle de l’article précédent. On a dit en effet que l’ange ne connaît pas par composition et division, mais par intuition de l’essence. Or l’intellect est toujours dans le vrai à l’égard de l’essence des choses, comme le sens à l’égard de son objet propre, selon Aristote[3733]. Si, pour nous, l’appréhension de l’essence comporte parfois méprise et erreur, c’est pour une raison accidentelle, parce qu’il s’y mêle une certaine composition ; soit que nous prenions la définition d’une chose pour celle d’une autre, soit que les parties d’une définition soient incompatibles, comme si par exemple nous prenions comme définition d’une chose : “animal quadrupède volatile”, car on ne trouve aucun animal qui réponde à cette définition. Cette erreur n’arrive que dans les choses composées, dont la définition intègre des éléments divers, l’un étant matériel à l’égard de l’autre. Mais quand l’acte d’intellection porte sur des essences simples, il ne peut pas y avoir erreur, selon les Métaphysiques[3734] ; ou bien on ne les saisit pas du tout, et alors on n’en connaît rien, ou bien on les connaît telles qu’elles sont.

De soi, il ne peut donc y avoir fausseté, erreur ou méprise, dans l’intellect angélique. Mais cela se produit par accident, et encore, d’une autre manière que chez nous. En effet, c’est par voie de composition et de division que nous parvenons parfois à définir une essence, comme lorsque nous cherchons une définition en usant de divisions et de raisonnements. Cela ne se produit pas chez les anges : ils perçoivent dans l’essence même d’une chose toutes les énonciations qui la concernent[3735]. Or, la quiddité d’une chose peut bien être principe de connaissance à l’égard de tout ce qui lui convient ou lui est contraire selon sa nature, mais non de ce qui dépend d’un ordre surnaturel de la Providence divine. Par conséquent, lorsque les bons anges dont la volonté est droite jugent, par l’essence d’une chose, de ce qui convient naturellement à cette chose, ils ne le font qu’en réservant les dispositions spéciales de la Providence. Il ne peut donc y avoir chez eux aucune fausseté ou erreur. Mais chez les démons, la volonté perverse soustrait l’intelligence à la sagesse divine[3736] ; aussi jugent-ils parfois les choses d’une manière absolue, en ne tenant compte que des conditions naturelles. Dans cet ordre naturel ils ne peuvent se tromper, mais pour ce qui relève de l’ordre surnaturel, ils le peuvent ; cela arriverait, par exemple, si voyant un homme mort, ils pensaient qu’ils ne ressuscitera pas, ou bien, voyant le Christ dans sa nature humaine, ils pensaient qu’il n’est pas Dieu.

Solutions :

On peut résoudre par là les objections dans un sens ou dans l’autre, car la perversité des démons c’est de n’être pas soumis à la sagesse divine. Et l’ignorance chez les anges ne porte pas sur ce qu’ils peuvent connaître naturellement mais sur les choses surnaturelles[3737]. Il est clair également que l’appréhension de l’essence est toujours vraie ; elle n’est fausse qu’accidentellement, lorsqu’elle est engagée indûment dans une composition ou une division données.

 

            Article 6 — La connaissance de l’ange peut-elle être appelée “connaissance du matin” et “connaissance du soir” ?

Objections :

1. Le soir et le matin sont l’un et l’autre mêlés de ténèbres. Or, rien n’est ténébreux dans l’intelligence angélique puisqu’il n’y a en elle ni erreur ni fausseté[3738]. La connaissance angélique ne doit donc être dite ni matutinale, ni vespérale.

2. Entre le soir et le matin, il y a la nuit ; et entre le matin et le soir il y a le midi. Donc, s’il y a dans les anges une connaissance matutinale et vespérale, il semble que, pour la même raison, il doit y avoir une connaissance du jour et de la nuit.

3. La connaissance se diversifie d’après les objets connus. Aussi Aristote dit-il ‘ que les sciences se divisent de la même manière que les choses. Or, dit S. Augustin, les choses existent de trois manières, selon qu’elles sont dans le Verbe[3739], dans leur nature propre ou dans l’intelligence angélique[3740]. Donc si, en raison de l’être des choses dans le Verbe et dans leur nature propre, on distingue dans les anges une connaissance du matin et une connaissance du soir, on doit aussi leur accorder une troisième connaissance, en raison de l’être que les choses ont dans l’intelligence angélique.

En sens contraire, S. Augustin divise la connaissance angélique en connaissance du matin et connaissance du soir.

Réponse :

C’est S. Augustin en effet qui a introduit cette distinction de la connaissance angélique en connaissance du matin et en connaissance du soir. Pour lui, les six jours pendant lesquels, d’après la Genèse, Dieu a fait toutes choses, ne sont pas des jours ordinaires mesurés par le mouvement du soleil, étant donné que le soleil n’a été créé que le quatrième jour. Il voit dans ces six jours l’expression figurée de la connaissance angélique s’appliquant aux six ordres des choses qui forment le monde. Et comme dans un jour normal le matin est le commencement de la journée, et le soir en est le terme, il appelle connaissance du matin celle de l’être primordial des choses, connaissance qui porte sur les choses selon qu’elles sont dans le Verbe[3741] ; tandis qu’il appelle connaissance du soir la connaissance de l’être créé comme existant dans sa nature propre. Car l’être des choses découle du Verbe comme d’un principe primordial[3742] ; et cette émanation se termine à l’être que les choses ont dans leur nature propre.

Solutions :

1. Le matin et le soir ne sont pas pris ici comme impliquant un mélange de lumière et de ténèbres, mais en tant qu’ils sont principe et terme. On peut aussi répondre que rien n’empêche, dit S. Augustin, qu’une même chose soit appelée lumière par rapport à une chose, et ténèbres par rapport à une autre. Ainsi, comparée à celle des impies, la vie des fidèles et des justes est appelée lumière : “ Autrefois vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur ” (Ep 5, 8). Au contraire, comparée à la vie de la gloire, cette même vie des fidèles est qualifiée de ténébreuse : “ Vous avez la parole prophétique, à laquelle vous faites bien de porter attention comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur " (2 P 1, 19). De la même façon, la connaissance par laquelle l’ange connaît les choses dans leur nature est lumineuse en comparaison de l’ignorance et de l’erreur, mais obscure en comparaison de la vision du Verbe[3743].

2. La connaissance du matin et la connaissance du soir se rapportent l’une et l’autre au “jour”, c’est-à-dire aux anges illuminés, distincts de ces ténèbres que sont les mauvais anges. Lorsque les bons connaissent la créature, ils ne s’y attachent pas, ce qui serait s’enfoncer dans les ténèbres de la nuit[3744], ils rapportent cette connaissance à la louange de Dieu, en qui ils connaissent toutes choses comme en leur principe. C’est pourquoi, après le soir, on parle de matin et non de nuit : le matin est la fin du jour précédent et le commencement du suivant, en ce sens que les anges rapportent à la louange de Dieu la connaissance du jour précédent. Quant à midi, il est compris dans le jour, comme le milieu entre deux extrêmes, à moins qu’on n’en réserve le nom à la connaissance de Dieu lui-même, qui n’a ni commencement ni fin[3745].

3. Les anges sont eux aussi des créatures. L’être des choses dans l’intelligence angélique[3746] est donc compris sous la connaissance du soir, comme l’être qu’elles ont dans leur nature propre.

 

            Article 7 — La connaissance du matin et la connaissance du soir sont-elles identiques ou diverses ?

Objections :

1. Il semble qu’elles ne fassent qu’un. Car il est dit dans la Genèse (1, 5) : “ Il y eut un soir, il y eut un matin, c’est-à-dire un jour.” Or, d’après S. Augustin, le jour désigne la connaissance angélique. La connaissance du matin et la connaissance du soir forment donc une seule et même connaissance.

2. Une seule et même puissance ne peut avoir deux opérations[3747]. Or, la connaissance matutinale des anges est toujours en acte[3748], puisqu’ils voient toujours Dieu et les choses qui sont en lui, selon cette parole en S. Matthieu (18, 10) : “ Leurs anges voient toujours la face de mon Père. ” Donc, si la connaissance du soir était différente de la connaissance du matin, les anges ne pourraient jamais être en acte dans la connaissance du soir.

3. Nous lisons chez S. Paul (1 Co 13, 10) : “ Quand sera venu ce qui est parfait, ce qui est partiel sera aboli. ” Si la connaissance du soir était autre que la connaissance du matin, elle serait envers elle comme l’imparfait pour le parfait. Elle ne peut donc exister simultanément avec elle.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Il y a une grande différence entre la connaissance d’une chose dans le Verbe et la connaissance de cette même chose dans sa nature[3749] ; aussi est-ce avec raison que l’une appartient au jour, l’autre au soir. ”

Réponse :

Comme nous venons de le dire, on appelle connaissance du soir la connaissance par laquelle les anges connaissent les choses “dans leur nature propre”. Ce qui ne veut pas dire qu’ils tirent leur connaissance de la nature propre des choses, comme si la proposition “dans” indiquait un rapport de principe, puisque les anges ne tirent pas des choses leurs connaissances[3750]. L’expression doit s’entendre de l’objet connu en tant qu’il tombe sous la connaissance, c’est-à-dire que la connaissance du soir désigne la connaissance par laquelle les anges atteignent l’être que les choses ont dans leur nature propre. Mais ils peuvent le connaître par deux médiums : par des espèces innées[3751], et par les raisons des choses qui sont dans le Verbe[3752]. Car, en voyant le Verbe, ils ne connaissent pas seulement l’être que les choses ont dans le Verbe, mais aussi l’être qu’elles ont dans leur nature propre[3753], de même que Dieu, par là même qu’il le voit, connaît l’être que les choses ont dans leur nature propre[3754]. Par conséquent, si l’on appelle connaissance du soir la connaissance par laquelle les anges perçoivent dans la vision du Verbe l’être qu’elles ont dans leur nature propre, la connaissance du soir et la connaissance du matin sont identiques essentiellement, elles ne diffèrent que selon les objets connus. Mais si, par connaissance du soir on entend la connaissance dans laquelle les anges perçoivent, par des espèces innées, l’être que les choses ont dans leur nature propre, la connaissance du soir et la connaissance du matin sont distinctes[3755]. Et c’est sans doute ainsi que S. Augustin l’entendait quand il disait que l’une est imparfaite par rapport à l’autre.

Solutions :

1 Le nombre des six jours s’entend, d’après S. Augustin, des six genres de choses qui sont connus par les anges ; de même l’unité du jour se prend pour l’unité de l’objet connu, qui peut être connu de différentes manières.

2. La même puissance peut produire simultanément deux opérations, si l’une se réfère à l’autre ; ainsi la volonté veut en même temps la fin et le moyen qui lui est ordonné ; et l’intelligence, quand elle a acquis la science, connaît en même temps les principes et les conclusions qui en découlent[3756]. Or, dit S. Augustin, chez les anges la connaissance du soir se réfère à la connaissance du matin. Elles peuvent donc exister simultanément dans l’ange.

3. Le parfait n’abolit l’imparfait que s’il s’oppose à lui ; ainsi la foi, qui a pour objet ce qui ne se voit pas, disparaîtra quand viendra la vision[3757]. Mais l’imperfection de la connaissance du soir ne s’oppose pas à la connaissance du matin. Connaître une chose en elle-même et la connaître dans sa cause ne s’opposent pas. Pas plus qu’il n’y a de contradiction à ce qu’une même chose soit connue par deux médiums : l’un parfait, l’autre imparfait ; ainsi nous pouvons arriver à une même conclusion par l’expérience ou par le raisonnement. De même l’ange peut-il connaître une même chose soit par le Verbe incréé, soit par le raisonnement[3758].

 

 


 

Au sujet de la volonté chez les anges, nous étudierons d’abord la volonté en elle-même, (Q. 59) puis son mouvement qui est l’amour ou dilection (Q. 60).

 

 

QUESTION 59 — LA VOLONTÉ DES ANGES

1. Y a-t-il une volonté chez les anges ? 2. La volonté de l’ange est-elle identique à sa nature, ou aussi à son intelligence ? 3. Les anges ont-ils le libre arbitre ? 4. L’irascible et le concupiscible existent-ils chez eux ?

 

            Article 1 — Y a-t-il une volonté chez les anges ?

Objections :

1. Au dire du Philosophe, “la volonté est dans la raison”. Or il n’y a pas de raison chez les anges, mais quelque chose qui lui est supérieur[3759]. Il y a donc, chez les anges, non pas une volonté, mais une faculté supérieure à la volonté.

2. La volonté relève de l’appétit, selon Aristote, et l’appétit suppose une imperfection puisqu’il a pour objet ce que l’on ne possède pas. Or les anges, surtout les anges bienheureux, n’ont pas d’imperfection[3760]. Il semble donc qu’il n’y a pas en eux de volonté.

3. Selon Aristote encore, la volonté est un moteur mu ; en effet elle est mue par l’objet désirable quand celui-ci tombe sous l’appréhension de l’intelligence. Mais les anges sont immobiles parce qu’incorporels[3761].

En sens contraire, S. Augustin enseigne que l’image de la Trinité se trouve dans l’esprit, en tant qu’il y a en lui mémoire, intelligence et volonté[3762]. Cette image de Dieu n’existe pas seulement dans l’esprit humain, mais aussi dans l’esprit angélique, car celui-ci est capable de Dieu[3763]. Il y a donc une volonté dans l’ange.

Réponse :

Il est nécessaire d’admettre que les anges ont une volonté. Toutes les créatures, en effet, procèdent de la volonté divine[3764] et sont inclinées au bien par l’appétit[3765], chacune à sa manière et diversement. Certaines sont inclinées au bien uniquement par la disposition de leur nature, sans qu’il y ait connaissance de leur part ; tels les plantes et les corps inanimés. On nomme cette inclination “appétit naturel”[3766]. D’autres sont portées au bien avec une certaine connaissance, non qu’elles saisissent la raison même de bien, mais elles connaissent seulement un bien déterminé en sa particularité : ainsi le sens qui connaît le doux, le blanc, etc. L’inclinaison qui naît de cette connaissance s’appelle “appétit sensible”. D’autres créatures enfin sont inclinées au bien avec une connaissance qui leur fait appréhender la raison même de bien, ce qui est le propre de l’intelligence. De tels êtres sont portés vers le bien de la façon la plus parfaite, car ils ne sont pas seulement poussés vers lui en quelque sorte par un autre, comme il arrive pour les êtres dénués de connaissance ; ils ne sont pas seulement inclinés à un bien en sa particularité, comme les êtres doués de connaissance sensible ; mais ils sont inclinés vers le bien universel lui-même[3767]. Et cette inclination a nom “volonté”. C’est pourquoi, puisque les anges appréhendent par leur intelligence la raison universelle de bien, il est manifeste qu’il y a en eux une volonté.

Solutions :

1. Ce n’est pas de la même manière que la raison est supérieure au sens, et l’intelligence à la raison. La raison transcende le sens en raison de la diversité des objets connus ; car le sens a pour objet le particulier, et la raison l’universel[3768]. De là vient la nécessité d’un double appétit ; l’un tend au bien universel et est requis par la raison ; l’autre se porte vers le bien particulier et est exigé par le sens. Mais l’intelligence et la raison diffèrent seulement par leur mode de connaissance ; l’intelligence connaît par simple intuition ; la raison connaît par raisonnement[3769]. Ce qui n’empêche pas la raison de parvenir à connaître, par le raisonnement, ce que l’intelligence connaît par intuition, à savoir l’universel. C’est donc le même objet qui est proposé à la faculté appétitive, soit par la raison, soit par l’intelligence. Il s’ensuit que les anges, qui sont des créatures uniquement intellectuelles, n’ont pas un appétit supérieur à la volonté.

2. Bien que le mot “ appétit ” vienne étymologiquement du mot appetere, qui signifie désirer ce que l’on n’a pas, cependant la faculté appétitive s’étend à bien d’autres objets. Ainsi le mot lapis, pierre vient de laesio pedis, blessure du pied, et a un sens beaucoup plus étendu. De même, le mot irascibile prend son origine dans ira, colère ; mais la puissance irascible comporte aussi bien l’espérance, l’audace et beaucoup d’autre passions que la colère[3770].

3. La volonté est appelée moteur mû au sens où le mouvement peut s’appliquer à l’acte du vouloir et de l’intellection. En ce sens, on peut parler de mouvement dans l’ange, car, dit Aristote, un tel mouvement n’est autre que l’acte de l’être parfait[3771].

 

            Article 2 — La volonté de l’ange est-elle identique à sa nature ou à son intelligence

Objections :

1. Il semble que chez les anges la volonté ne diffère pas de l’intelligence et de la nature. En effet, l’ange est un être plus simple que le corps naturel. Mais ce dernier est incliné par sa forme même vers sa fin qui est son bien. A plus forte raison, semble-t-il, en sera-t-il ainsi de l’ange. Or la forme de l’ange ne peut être que la nature en laquelle il subsiste, ou l’espèce qui se trouve dans son intelligence[3772]. C’est donc par l’une ou par l’autre que l’ange sera incliné au bien. Et puisque cette ordination au bien relève de sa volonté[3773], celle-ci ne peut être autre chose que la nature ou l’intelligence.

2. L’objet de l’intelligence, c’est le vrai[3774] ; et celui de la volonté, c’est le bien. Mais le vrai et le bien ne diffèrent pas réellement ; il n’y a entre eux qu’une distinction de raison[3775]. La volonté et l’intelligence ne diffèrent donc pas réellement.

3. La distinction de l’objet commun et de l’objet propre ne diversifie pas les puissances, car la même puissance de la vue a pour objet la couleur et la blancheur. Mais le bien et le vrai ont entre eux le même rapport que l’objet commun et l’objet propre, car le vrai est un bien particulier puisqu’il est celui de l’intelligence[3776]. La volonté, dont l’objet est le bien, ne diffère donc pas de l’intelligence, dont l’objet est le vrai.

En sens contraire, la volonté chez les anges ne se porte que vers le bien. L’intelligence est relative au bien et au mal, car les anges connaissent l’un et l’autre[3777]. La volonté de l’ange est donc autre que son intelligence.

Réponse :

La volonté, chez les anges, est une faculté ou puissance qui ne s’identifie ni avec leur nature, ni avec leur intelligence. Avec leur nature d’abord, car la nature ou l’essence d’une chose lui est intrinsèque ; et tout ce qui lui est extrinsèque ne saurait s’identifier à l’essence. Nous voyons bien en effet que, dans les corps naturels, ce qui tend à l’être n’est pas quelque chose de surajouté à l’essence, c’est soit la matière, qui désire l’être avant de le posséder ; soit la forme, qui maintient la chose dans l’être, une fois que cette chose est constituée. Mais l’inclination vers ce qui est extrinsèque suppose toujours quelque chose de surajouté à l’essence[3778] ; ainsi la tendance au lieu propre se fait par le moyen de la gravité ou de la légèreté, qualités extrinsèques à l’essence ; l’inclination à produire un être semblable à soi se réalise par le moyen des qualités actives[3779]. Or la volonté a une inclination naturelle au bien[3780]. Il n’y aura donc identité entre essence et volonté que dans le cas où la totalité du bien sera contenue dans l’essence du sujet voulant. C’est le cas de Dieu, qui ne veut rien en dehors de lui qu’en raison de sa bonté[3781]. Mais on ne peut en dire autant d’aucune créature, car le bien infini est en dehors de l’essence de tout être créé[3782]. C’est pourquoi la volonté de l’ange, pas plus que celle d’une autre créature, ne peut s’identifier à son essence.

De même, qu’il s’agisse de l’ange ou de l’homme, il ne peut y avoir identification entre intelligence et volonté. La connaissance, en effet, suppose que le connu est dans le connaissant[3783] ; elle implique donc, pour l’intelligence, que ce qui lui est extrinsèque par son essence se trouve apte de quelque manière à exister en elle. La volonté au contraire se porte vers ce qui est en dehors d’elle par une certaine inclination qui la fait tendre vers la réalité extérieure[3784]. Il faut donc bien que, dans toute créature, l’intelligence soit autre que la volonté. En Dieu, il n’en est pas ainsi, car Dieu possède en lui-même l’être universel et le bien universel, et il en résulte que sa volonté, aussi bien que son intelligence, est identique à son essence[3785].

Solutions :

1. Le corps naturel, par sa forme substantielle, incline vers son être propre. Mais, pour tendre vers une réalité extérieure, il lui faut quelque chose de surajouté, ainsi que nous venons de le dire[3786].

2. Les puissances se diversifient d’après la distinction, non pas matérielle, mais formelle, de leurs objets[3787]. C’est pourquoi la distinction entre la raison formelle du bien et la raison formelle du vrai suffit à établir celle de l’intelligence et de la volonté.

3. Le bien et le vrai sont convertibles dans la réalité, et c’est pourquoi le bien peut être appréhendé par l’intelligence sous la raison de vrai, et le vrai sous la raison de bien par la volonté[3788]. Cela suffit à distinguer les deux puissances.

 

            Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

Objections :

1. L’acte du libre arbitre consiste dans le choix ou élection. Mais il ne peut y avoir d’élection dans les anges ; celle-ci en effet est un appétit qui se porte sur ce qui a été délibéré au préalable, et la délibération est une recherche, selon Aristote[3789] : or si les anges connaissent c’est sans avoir à chercher[3790], puisque c’est du raisonnement que relève la recherche. Il n’y a donc pas de libre arbitre chez l’ange.

2. Le libre arbitre suppose la possibilité d’une alternative. Mais il n’y a pas d’alternative dans la connaissance angélique ; car l’ange ne peut se tromper dans le domaine des réalités naturelles. comme on l’a dit[3791]. Son affectivité elle-même ne peut donc être libre dans son choix.

3. Ce qui est naturel chez les anges leur convient à des degrés différents puisque la nature intellectuelle (qui leur est commune à tous) est plus parfaite chez les anges supérieurs que chez les anges inférieurs[3792]. Or le libre arbitre ne comporte pas de degrés : il n’y a donc pas de libre arbitre chez les anges.

En sens contraire, la liberté du choix appartient à la dignité humaine. Or, la dignité de l’ange est plus élevée que celle de l’homme[3793]. A plus forte raison, la liberté du choix doit-elle se trouver chez l’ange.

Réponse :

Il y a des êtres qui n’agissent pas par choix, mais qui sont comme agis et mus par d’autres, telle la flèche lancée vers un but par l’archer. D’autres êtres agissent par un certain choix, mais qui n’est pas libre, tels les animaux sans raison ; ainsi la brebis fuit le loup parce que, d’une certaine manière, elle juge et estime que le loup lui est nuisible ; mais ce jugement, chez elle, n’est pas libre il lui est inné par nature[3794]. Seul, celui qui possède une intelligence peut agir par un jugement libre, car il connaît la raison universelle de bien, et, à partir de là, il peut juger si ceci ou cela est bon. C’est pourquoi, en tout être où il y a intelligence, il y a aussi libre arbitre. Le libre arbitre se trouve donc chez l’ange, et d’une manière plus excellente que chez l’homme, comme il en est pour l’intelligence.

Solutions :

1. Aristote, dans le passage auquel on se réfère ici, parle uniquement de l’élection humaine. Or nous savons que l’appréciation de l’homme, dans les choses spéculatives, diffère de celle de l’ange ; la première suppose la recherche ; la seconde s’en passe[3795]. Il en est de même dans le domaine de l’action. Certes, dans les anges, il y a choix ou élection ; mais l’ange n’a pas besoin de la recherche délibérative du conseil ; la saisie immédiate de la vérité lui suffit.

2. Nous l’avons dit[3796], la connaissance suppose que le connu est dans le connaissant ; et c’est être imparfait pour une chose de ne pas posséder ce qu’elle est apte, par nature, à posséder. L’ange ne serait donc pas parfait en nature si son intelligence n’était pas en possession de toutes les vérités qu’il peut naturellement connaître[3797]. Mais, par l’acte de la puissance appétitive, l’affectivité se trouve inclinée vers la réalité extérieure. Or, la perfection d’un être ne dépend pas de toutes les réalités vers lesquelles il est incliné, mais seulement des réalités supérieures qui peuvent le parfaire. Ce n’est donc pas être imparfait pour l’ange que de ne pas avoir une volonté déterminée vers les réalités qui lui sont inférieures ; c’en serait une au contraire que d’être indéterminé à l’égard de ce qui est au-dessus de lui.

3. Le libre arbitre, comme le jugement, est plus noble chez l’ange que chez l’homme. Cependant, il reste vrai que la liberté elle-même, en tant qu’elle est une absence de cœrcition, ne comporte pas de plus ou de moins. Il en est ainsi de toute privation ou de toute négation ; elles ne comportent pas en elles-mêmes de degrés, mais seulement par rapport à leur cause, ou en tant qu’une affirmation s’y trouve jointe[3798].

 

            Article 4 — L’irascible et le concupiscible existent-ils chez les anges ?

Objections :

1. Denys parle de “la fureur insensée des démons et de leur folle concupiscence”. Mais les démons sont de même nature que les anges, puisque le péché n’a pas changé leur nature[3799]. L’irascible et le concupiscible existent donc chez les anges.

2. L’amour et la joie appartiennent au concupiscible ; la colère, l’espérance et la crainte relèvent de l’irascible[3800]. Or, l’Écriture attribue ces passions aux anges.

3. Certaines vertus, comme la charité et la tempérance, semblent appartenir au concupiscible ; d’autres, comme l’espérance et la force, à l’irascible[3801]. Mais ces vertus se trouvent chez les anges. Il y a donc en eux le concupiscible et l’irascible.

En sens contraire, comme l’affirme Aristote, l’irascible et le concupiscible appartiennent à la partie sensible de l’âme. Or il n’y a pas de sensibilité chez les anges[3802].

Réponse :

Ce n’est pas l’appétit intellectuel, mais seulement l’appétit sensible, qui se divise en irascible et concupiscible. La raison en est que les puissances se distinguent non par leurs objets matériels mais d’après leur objet formel[3803]. Si une faculté a pour objet une formalité commune à plusieurs objets matériellement distincts, il n’y a pas lieu de distinguer plusieurs facultés selon la pluralité des objets compris dans cette formalité qui leur est commune. Ainsi l’objet propre de la vue, c’est la couleur comme telle ; on ne distingue donc pas plusieurs puissances de voir selon que l’objet de la vision sera le blanc ou le noir. Mais si l’objet propre d’une faculté était le blanc comme tel, il faudrait distinguer cette puissance de celle qui a le noir pour objet.

Or, d’après tout ce que nous avons dit[3804], il est manifeste que l’objet de l’appétit intellectuel ou volonté, est le bien sous la raison commune de bien. On ne divisera donc pas l’appétit intellectuel d’après les biens particuliers qu’il convoite. Mais il en sera tout autrement pour l’appétit sensible qui, précisément, a pour objet un bien particulier[3805]. Dans les anges, il n’y a que l’appétit intellectuel, on ne le distinguera donc pas en irascible et concupiscible, mais on le laissera indivisible, et on lui donnera le nom de volonté.

Solutions :

1. La fureur et la concupiscence sont attribuées aux démons par métaphore. C’est ainsi que l’on parle parfois de la colère de Dieu à cause de l’effet produit qui ressemble à celui de la colère[3806].

2. L’amour et la joie, considérés comme des passions, appartiennent au concupiscible ; mais, quand ils désignent simplement un acte de la volonté, ils relèvent de la partie intellectuelle[3807] ; ainsi aimer, c’est vouloir du bien à quelqu’un[3808], et la joie, c’est le repos de la volonté dans le bien possédé[3809]. Quand il s’agit de l’ange, il n’est jamais question de lui attribuer l’amour et la joie comme des passions, dit S. Augustin.

3. La charité, comme vertu, n’est pas dans le concupiscible, mais dans la volonté[3810]. Car l’objet, du concupiscible, c’est le bien agréable aux sens ; tel n’est pas le bien divin qui est l’objet de la charité[3811]. Pour la même raison, l’espérance n’est pas dans l’irascible, car l’objet de l’irascible, c’est le bien difficile à obtenir dans l’ordre sensible ; et la vertu d’espérance a pour objet le bien considéré comme difficile à acquérir mais qui est le bien divin[3812]. Quant à la tempérance, envisagée comme vertu humaine, elle gouverne le désir des délectations sensibles, lesquelles appartiennent au concupiscible. De même la force régit les audaces et les craintes qui se trouvent dans l’irascible[3813]. C’est pourquoi la tempérance, vertu humaine, réside dans le concupiscible, et la force dans l’irascible. En ce sens, elles n’existent pas chez l’ange qui ne connaît pas les passions de désir, de crainte et d’audace, et qui n’a pas à les régler par la tempérance et la force. Mais on peut parler de tempérance chez les anges sous le rapport où ils mesurent et règlent leur volonté d’après la volonté divine ; et l’on peut parler de force à leur propos, quand ils exécutent fermement les volontés de Dieu. Tout cela se fait par le moyen de la volonté, et non par l’irascible et le concupiscible.


 

 

Il faut maintenant considérer l’acte de la volonté, qui est l’amour ou dilection, car tout acte de la puissance appétitive dérive de l’amour ou dilection.

 

QUESTION 60 — L’AMOUR OU DILECTION CHEZ LES ANGES

1. Y a-t-il chez l’ange une dilection naturelle ? 2. Y a-t-il chez lui un amour électif ? 3. S’aime-t-il lui-même d’un amour naturel ou d’un amour de choix ? 4. Aime-t-il naturellement un autre ange comme lui-même ? 5. Par un amour naturel, aime-t-il Dieu plus que lui-même ?

 

            Article 1 — Y a-t-il chez l’ange une dilection naturelle ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car, d’après Denys , l’amour naturel s’oppose à l’amour intellectuel[3814]. Or l’amour de l’ange ne peut être qu’intellectuel.

2. Les êtres qui aiment d’amour naturel sont agis bien plus qu’ils n’agissent, car aucun être n’a la maîtrise de sa nature[3815]. Mais les anges ne sont pas agis, ils agissent puisqu’ils ont le libre arbitre, comme on l’a montré[3816]. Ils n’ont donc pas d’amour naturel.

3. Toute dilection est droite ou déviée. Mais la première relève de la charité, la seconde de l’iniquité. Or, ni l’une ni l’autre ne relève de la nature, puisque la charité est au-dessus d’elle[3817] et l’iniquité contre elle.

En sens contraire, l’amour découle de la connaissance car rien n’est aimé sans être connu[3818], dit S. Augustin. Or les anges ont une connaissance naturelle[3819] ; il doit donc y avoir aussi chez eux une dilection naturelle.

Réponse :

Il est nécessaire d’attribuer aux anges une dilection naturelle. En effet, ce qui est primordial (et général) dans une perfection se retrouve toujours en ses formes ultérieures (plus élaborées et plus particulières)[3820]. Or, la nature est première par rapport à l’intelligence, puisque la nature d’une chose, c’est son essence[3821]. Ce qui appartient à la nature doit donc toujours demeurer, même chez les êtres intelligents. D’autre part, toutes les natures ont en commun de posséder une certaine inclination qui n’est autre que l’appétit naturel ou amour.[3822] Cette inclination se retrouve sous divers modes selon la diversité des natures. Dans la nature intellectuelle il y a une inclination naturelle volontaire ; dans la nature sensible une inclination sensible ; dans les natures matérielles une inclination correspondant à leur ordre naturel vers autre chose qu’elles-mêmes. Puisque l’ange est de nature intellectuelle, il y aura donc nécessairement dans sa volonté une dilection naturelle. [3823]

Solutions :

1. L’amour intellectuel s’oppose seulement à un amour naturel qui serait uniquement naturel, c’est-à-dire appartenant à une nature qui n’ajoute pas à la notion de nature la perfection de la connaissance sensible ou intellectuelle .

2. Tous les êtres de l’univers sont agis de quelque manière, sauf évidemment le premier agent qui ne l’est d’aucune façon, et en qui nature et volonté sont identiques[3824]. Rien n’empêche par conséquent que l’ange soit agi, en ce sens que son inclination naturelle lui est donnée par l’Auteur même de sa nature. Mais l’ange n’est pas agi de telle manière qu’il n’agisse pas, puisqu’il possède une volonté libre.[3825]

3. De même que toute connaissance naturelle est vraie, de même toute dilection naturelle est droite, car l’amour naturel est une inclination de nature qui vient de l’Auteur de chaque nature[3826]. Et ce serait l’offenser de prétendre qu’une inclination naturelle n’est pas droite. Cependant la rectitude de la dilection naturelle et celle de la charité et de la vertu sont différentes, car cette dernière vient perfectionner la première[3827]. Ainsi peut-on dire également que la vérité de la connaissance naturelle et la vérité de la connaissance infuse ou acquise sont différentes.

 

            Article 2 — Y a-t-il chez l’ange un amour électif ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car l’amour électif semble être un amour raisonné, puisque l’élection suppose la réflexion et le conseil, c’est-à-dire une certaine recherche, dit Aristote[3828]. Mais l’amour raisonné s’oppose à l’amour intuitif qui est propre aux anges[3829], selon Denys. Il n’y a donc pas chez les anges d’amour électif.

2. Chez les anges, en dehors de la connaissance infuse, il n’y a que la connaissance naturelle ; car l’ange ne part pas de principes pour en venir aux conclusions[3830]. Il se trouve donc, à l’égard de tout ce qu’il peut connaître naturellement, dans la même situation que notre intelligence à l’égard des premiers principes qu’elle saisit naturellement[3831]. Mais l’amour découle de la connaissance, on l’a déjà dit[3832]. En dehors de l’amour gratuit, il n’y a donc pas chez l’ange un amour autre que naturel.

En sens contraire, nous ne méritons ni ne déméritons dans le domaine purement naturel[3833]. Or les anges, par leur amour, peuvent mériter ou démériter[3834]. Il y a donc en eux un amour de choix.

Réponse :

Il y a chez les anges un amour naturel et un amour électif ; et l’amour naturel, chez eux, est principe de l’autre. Tout ce qui est premier, en effet, a raison de principe, et, puisque la nature est première en tout être[3835], il faut bien que le naturel soit en lui principe du reste.

On peut aisément le constater chez l’homme, quant à son intelligence et quant à sa volonté. L’intelligence, en effet, connaît naturellement les principes[3836] et, de là, l’homme parvient à la science des conclusions, lesquelles ne lui sont pas connues naturellement, par la recherche ou par l’enseignement. Pareillement, la fin joue pour la volonté le même rôle que le principe pour l’intelligence, selon Aristote. C’est pourquoi la volonté tend naturellement vers sa fin ultime, car tout homme veut naturellement la béatitude[3837]. De cette volonté naturelle dérivent tous les autres vouloirs ; car tout ce que veut l’homme, il le veut pour la fin[3838]. L’amour du bien que l’homme poursuit naturellement comme fin, est un amour naturel. L’amour qui en provient, et qui se porte vers un bien en vue de la fin, est un amour électif.

Il y a cependant une différence entre l’intelligence et la volonté. La connaissance intellectuelle, en effet, requiert que la chose connue soit dans le connaissant[3839]. Or, c’est à cause de l’imperfection de son intelligence que l’homme ne connaît pas naturellement dès le principe tous les intelligibles, mais quelques-uns seulement, à partir desquels il se porte vers les autres pour les saisir[3840]. L’acte de la puissance appétitive au contraire met en rapport celui qui désire avec la réalité même. Or, il y a des réalités qui sont bonnes en elles-mêmes et donc désirables comme telles ; et il y a aussi des réalités dont la raison de bonté tient à leur rapport avec autre chose, et qui sont désirables à cause de cette autre chose. Ce n’est donc pas du fait de son imperfection que le sujet désirant veut ceci naturellement comme sa fin, et cela électivement, en l’ordonnant à sa fin. Donc, puisque la nature de l’ange est parfaite, on ne trouve en lui que la connaissance naturelle, non la connaissance rationnelle[3841]. Mais on trouve en lui et l’amour naturel et l’amour électif.

Tout cela fait évidemment abstraction de l’ordre surnaturel, pour lequel la nature est un principe insuffisant. Il en sera parlé plus loin[3842]

Solutions :

1. Tout amour électif n’est pas nécessairement un amour rationnel, au sens où l’on oppose amour rationnel et amour intellectuel. L’amour rationnel est ainsi appelé parce qu’il suit la connaissance qui procède par raisonnement. Mais nous avons vu, en parlant du libre arbitre[3843], que le choix ne suppose pas nécessairement le discours rationnel, sauf dans le cas del’homme.

2. La réponse vient d’être donnée.

 

            Article 3 — L’ange s’aime-t-il lui-même d’un amour naturel ou d’un amour électif ?

Objections :

1. L’amour naturel a pour objet la fin ; l’amour électif, les moyens. Or, une même réalité ne peut être à la fois fin et moyen sous le même rapport, donc être en même temps objet d’amour naturel et d’amour électif.

2. L’amour produit l’union[3844], selon Denys. Mais on ne peut unir que des choses différentes. L’ange ne peut donc s’aimer lui-même.

3. L’amour est de quelque manière un mouvement qui, comme tout mouvement, tend vers autre chose que soi. L’ange ne peut donc s’aimer lui-même ni d’amour naturel ni d’amour électif.

En sens contraire, selon Aristote, l’amour de l’autre vient de l’amour que l’on a pour soi-même[3845].

Réponse :

L’amour a pour objet le bien[3846], et le bien peut être substantiel ou accidentel[3847], comme le montre l’Éthique. Il y a donc un double amour possible : l’un qui a pour objet le bien subsistant, l’autre qui s’adresse au bien accidentel. Quand on aime un être à titre de bien subsistant, on lui veut du bien ; quand on aime une réalité à titre de bien accidentel, on la désire pour un autre : ainsi on aime la science, non en vue de lui faire du bien, mais pour la posséder. Certains ont nommé cette sorte d’amour : convoitise ; et la première : amitié[3848].

Il est évident, chez les êtres dénués de connaissance, que chacun désire acquérir ce qui lui est bon ; ainsi le feu tend à s’élever. Il en est de même chez l’ange et chez l’homme, qui naturellement désirent leur bien et leur perfection[3849]. Cela, c’est s’aimer soi-même. L’ange, comme l’homme s’aime donc lui-même naturellement quand il désire un bien d’un désir naturel. Mais quand il désire un bien par choix, il s’aime lui-même d’un amour électif.

Solutions :

1. L’ange et l’homme ne s’aiment pas à la fois naturellement et électivement à propos d’un même objet, mais à propos de réalités diverses, on vient de le dire.

2. L’unité est plus parfaite que l’union[3850], et ainsi il y a plus d’unité dans l’amour que l’on se porte à soi-même que dans l’amour qu’on porte aux différents êtres qui nous sont unis. Quand on dit, avec Denys, que l’amour est cause d’union, c’est pour montrer que l’amour de l’autre découle de l’amour de soi, comme l’union dérive de l’unité.

3. L’amour, comme le mouvement qu’il représente, peut demeurer chez l’aimant ; il ne tend pas nécessairement vers quelque chose d’autre[3851] ; mais, de même que la connaissance peut se réfléchir sur le connaissant et le prendre comme objet[3852], ainsi l’amour peut se réfléchir sur l’aimant et le faire s’aimer soi-même.

 

            Article 4 — L’ange aime-t-il naturellement un autre ange comme lui-même ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car l’amour suit la connaissance[3853]. Mais l’ange ne connaît pas un autre ange comme lui-même ; car il se connaît par son essence et il ne connaît les autres anges que par similitude, on l’a déjà vu[3854]. Il ne peut donc pas les aimer comme lui-même.

2. La cause est plus parfaite que son effet[3855], et le principe est plus parfait que son dérivé. Or, l’amour de l’autre dérive de l’amour de soi, selon Aristote. L’ange n’aime donc pas les autres comme lui-même, mais il s’aime davantage.

3. L’amour naturel a pour objet la fin, et il ne peut disparaître[3856]. Mais un ange n’est pas la fin d’un autre et en outre cet amour peut disparaître, comme on le voit chez les démons, qui n’aiment pas les bons anges. Donc un ange n’en aime pas un autre d’un amour naturel comme il s’aime lui-même.

En sens contraire, ce qui se trouve dans tous les êtres, même irrationnels, ne peut que leur être naturel. Or, il est dit dans l’Ecclésiastique (13, 15) que “tout être vivant aime son semblable”. L’ange aime donc naturellement les autres anges comme lui-même.

Réponse :

On l’a dit[3857], l’ange et l’homme s’aiment eux-mêmes naturellement. Or, celui qui ne fait qu’un avec nous, on le considère comme un autre soi-même ; c’est pourquoi tout être aime ce qui ne fait qu’un avec lui[3858]. S’il s’agit d’une union naturelle, il l’aime d’un amour naturel ; s’il s’agit d’une union qui n’est pas naturelle, il l’aime autrement. Ainsi l’homme aime son concitoyen d’un amour qui fait appel aux vertus civiques, mais il aime son parent d’un amour naturel basé sur l’unité créée par la consanguinité.

Or, il est manifeste que l’unité fondée sur la communauté de genre ou d’espèce est une unité de nature. Toute chose, parce qu’elle aime son espèce, aimera donc ce qui ne fait qu’un spécifiquement avec elle. Et c’est ce qui se voit même chez les êtres matériels ; car le feu a une inclination naturelle à communiquer à un autre sa forme qui est son bien[3859], tout comme il est incliné naturellement vers son bien qui est de s’élever.

Dès lors, on doit reconnaître que l’ange aime naturellement un autre ange sous le rapport où celui-ci lui ressemble en nature[3860]. Mais sous d’autres points de vue, ou en raison des différences existantes, il ne l’aime pas d’un amour naturel.

Solutions :

1. L’expression “comme soi-même” peut déterminer la connaissance ou l’amour du point de vue de l’objet connu ou aimé. Ainsi, on connaît un autre comme soi-même quand on saisit que cet autre existe, de même que l’on se reconnaît soi-même comme existant. Mais l’expression “comme soi-même” peut déterminer la connaissance ou l’amour du point de vue du sujet qui connaît ou qui aime. En ce sens, il ne connaît pas un autre comme il se connaît lui-même, par la présence à soi-même de sa propre essence : car s’il connaît l’autre ce n’est pas par son essence à lui. De même il n’aime pas l’autre comme il s’aime lui-même, par sa propre volonté, car il n’aime pas l’autre par sa volonté à lui.

2. Le mot “comme” ne désigne pas une égalité, mais une similitude. L’amour naturel étant fondé sur une unité naturelle[3861], ce qui est moins un avec l’aimant est naturellement moins aimé. On aimera donc naturellement davantage celui qui est un numériquement avec soi, et on aimera moins celui qui n’est un avec soi que spécifiquement ou génériquement. Mais il est naturel que l’on ait pour l’autre un amour semblable à celui qu’on a pour soi-même, en ce que s’aimer, c’est vouloir son propre bien[3862], et de même aimer l’autre, c’est vouloir son bien à lui[3863].

3. L’amour naturel a pour objet la fin[3864], non pas comme un sujet auquel on veut du bien, mais comme une réalité bonne que l’on veut pour soi[3865], et, par voie de conséquence, que l’on veut pour les autres parce qu’ils ne font qu’un avec nous[3866]. Un tel amour naturel ne disparaît jamais, même chez les mauvais anges, car ils continuent à aimer les autres anges sous le rapport où ils leur ressemblent en nature. Mais il les haïssent en raison des divergences créées par leur justice ou leur injustice respectives.

 

            Article 5 — L’ange, par amour naturel aime-t-il Dieu plus que lui-même ?

Objections :

1. Nous l’avons dit[3867], l’amour naturel est fondé sur une raison naturelle. Mais la plus grande distance existe entre la nature angélique et la nature divine. Il semble donc que l’ange aime Dieu moins que lui-même ou même qu’un autre ange[3868].

2. Ce qui fait qu’une chose est telle l’est lui-même encore davantage[3869]. Or, c’est à cause de soi-même que quelqu’un aime naturellement un autre[3870] : ce que chacun aime, en effet, c’est comme son bien qu’il l’aime. L’ange n’aime donc pas Dieu naturellement plus que lui-même.

3. Toute nature fait retour sur elle-même, car il est de fait qu’un agent tend par son action à la conservation de lui-même[3871]. Or la nature ne ferait pas ainsi retour sur soi si elle tendait davantage vers un autre que vers elle-même. L’ange n’aime donc pas naturellement Dieu plus que lui-même.

4. C’est le propre de la charité de nous faire aimer Dieu plus que nous-même. Mais la dilection de la charité n’est pas naturelle[3872] à l’ange, car “ elle est diffusée dans leurs cœurs par le Saint-Esprit qui leur a été donné ”, selon S. Augustin.

5. L’amour naturel demeure toujours tant que demeure la nature. Mais le fait d’aimer Dieu plus que soi disparaît chez l’homme et chez l’ange lorsqu’ils pèchent[3873]. S. Augustin parle de deux cités fondées sur deux amours : l’une, la cité terrestre, fondée sur l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu ; l’autre, la cité céleste fondée sur l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi. Aimer Dieu plus que soi-même ne relève donc pas de la nature.

En sens contraire, tous les principes moraux de la loi appartiennent à la loi naturelle[3874]. Or, le précepte d’aimer Dieu plus que soi-même est un précepte moral de la loi. Il relève donc de la loi naturelle. Et par conséquent, l’ange peut aimer Dieu d’un amour naturel plus que lui-même.

Réponse :

Certains ont prétendu que l’ange aime naturellement Dieu plus que lui-même d’un amour de convoitise[3875] ; car il désire pour lui-même le bien divin plus que son propre bien. D’une certaine manière cependant ils admettent que l’ange aime Dieu plus que lui-même d’un amour d’amitié en ce sens que par nature il veut à Dieu un bien[3876] plus grand qu’à lui-même ; l’ange veut, en effet, que Dieu soit Dieu, alors que pour lui-même, il veut être ce qu’il est selon sa propre nature. Mais, à parler dans l’absolu, l’ange s’aimerait plus que Dieu, car il s’aime naturellement lui-même plus intensément que Dieu, et en priorité[3877].

Une telle opinion apparaît manifestement fausse si l’on considère le mouvement naturel des êtres.

L’inclination naturelle des êtres sans raison va nous permettre en effet de découvrir quelle est l’inclinaison naturelle des natures intellectuelles douées de volonté. Dans les réalités naturelles, toute chose qui, par nature, en tout ce qu’elle est, relève d’une autre, se trouve d’abord inclinée vers cette autre plus que vers elle-même. Et cela se manifeste dans la manière même dont une chose est poussée naturellement à agir, ce qui dénote en elle une attitude foncière, dit Aristote. Nous voyons en effet que naturellement la partie s’expose pour la conservation du tout : la main s’expose aux coups, sans délibération, pour préserver le corps. Et comme la raison imite la nature, nous retrouvons cette même inclination dans le cas des vertus politiques : le citoyen vertueux s’expose à la mort pour le salut de tout l’État ; et si l’homme était partie naturelle de la Cité, cette inclination serait naturelle en lui.

Ceci posé, il faut remarquer que le bien universel est Dieu lui-même[3878] ; et ce bien englobe l’ange, l’homme et toute créature, car toute créature, du simple point de vue naturel, est de Dieu en tout ce qu’elle est[3879]. Il suit de là que l’ange et l’homme aiment naturellement Dieu en priorité et plus qu’eux-mêmes. D’autre part, si l’homme ou l’ange s’aimaient naturellement eux-mêmes plus que Dieu, il s’ensuivrait qu’un tel amour naturel serait mauvais[3880], et qu’il ne serait pas perfectionné par la charité, mais détruit par elle.

Solutions :

1. La première difficulté envisage des réalités qui sont sur le même plan et dont l’une n’est pas la raison de l’existence ou de la bonté de l’autre. Sous ce rapport, tout être s’aime naturellement lui-même plus que l’autre, car il est plus un avec lui-même qu’avec l’autre[3881]. Mais quand un être trouve en un autre toute la raison de son existence et de sa bonté, il est impossible qu’il n’aime pas par nature cet autre plus que lui-même, car, ainsi que nous venons de le dire, toute partie aime naturellement le tout plus que soi. Ainsi, chaque individu aime naturellement le bien de l’espèce plus que son bien propre. Or, Dieu n’est pas seulement le bien d’une espèce, il est le bien universel purement et simplement[3882]. Sous ce rapport tout être aime naturellement Dieu plus que lui-même.

2. Quand on dit que l’ange aime Dieu parce que Dieu est son bien, si l’on veut dire que dans cet amour son bien propre joue le rôle de fin, cela est faux : ce n’est pas, en effet, en vue de son propre bien, c’est en vue de Dieu même qu’il aime naturellement Dieu[3883]. Si l’on veut parler, au contraire, de ce qui le provoque à aimer, cela est vrai : il ne saurait, en effet, être naturel à quiconque d’aimer Dieu sinon pour cette raison que chacun dépend de ce bien que Dieu est.

3. La nature fait retour sur elle-même non seulement sous le rapport de ce qui lui est individuel, mais plus encore sous le rapport de ce qui lui est commun avec d’autres natures. Toute chose, en effet, n’incline pas seulement à la conservation de son être individuel, mais aussi au salut de son espèce. A plus forte raison possède-t-elle une inclination naturelle vers ce qui est purement et simplement le bien universel[3884].

4. Dieu, en tant que bien universel duquel dépend tout bien naturel[3885], est aimé naturellement par chaque être. En tant qu’il est le bien béatifiant, objet propre de la béatitude[3886] surnaturelle, il est aimé de charité.

5. En Dieu, la substance divine est identique au bien universel ou bien commun de toutes les créatures[3887]. Dès lors, tous ceux qui voient l’essence divine sont, d’un même mouvement d’amour, mus vers elle, à la fois en tant que cette essence est distincte des autres réalités, et en tant qu’elle est le bien commun de toutes. Car, puisque Dieu, en tant que bien commun, est naturellement aimé de tous les êtres, quiconque le voit dans son essence ne peut pas ne pas l’aimer. Mais ceux qui ne le voient pas dans son essence[3888], le connaissent par des effets particuliers, dont certains peuvent contrarier leur volonté[3889]. En ce sens, on dit qu’ils ont de la haine pour Dieu. Il reste néanmoins qu’à titre de bien commun de tous les êtres, chacun de ceux-ci aime Dieu naturellement plus que lui-même.

 


 


 

Après avoir traité de la nature des anges, de leur connaissance et de leur volonté, il reste à considérer leur création, ou d’une façon plus générale leur commencement.

Trois parties dans cette étude : d’abord comment ils ont été produits dans leur être naturel (Q. 61) ; puis comment ils ont été perfectionnés en grâce ou en gloire (Q. 62) ; enfin comment certains d’entre eux sont devenus mauvais (Q. 63).

 

QUESTION 61 — LA PRODUCTION DES ANGES SELON LEUR ÊTRE NATUREL

1. L’ange a-t-il une cause de son existence ? 2. L’ange existe-t-il de toute éternité ? 3. L’ange a-t-il été créé avant la créature corporelle ? 4. Les anges ont-ils été créés dans le ciel empyrée ?

 

            Article 1 — L’ange a-t-il une cause de son existence ?

Objections :

1. Le premier chapitre de la Genèse mentionne toutes les réalités créées par Dieu, et il n’est pas question des anges.

2. Selon Aristote si une substance est forme sans matière, “elle possède du même coup par elle-même l’être et l’unité, et n’a pas de cause qui la fasse telle”. Mais les anges sont des formes immatérielles comme on l’a montré[3890]. Ils ne sont donc pas causés dans leur existence.

3. Tout ce qui est produit par un agent reçoit de lui sa forme[3891]. Mais les anges sont des formes. Ils ne les reçoivent donc pas d’un agent, et ne sont pas causés par lui.

En sens contraire, on lit dans le Psaume (148, 2) : “Louez-le, vous tous, ses anges”, et plus loin : “car il commanda et ils furent créés”.

Réponse :

Il est nécessaire de dire que les anges, comme aussi bien tout ce qui est en dehors de Dieu, ont été produits par Dieu. Seul, en effet, Dieu est son existence : dans toutes les autres réalités, l’essence est distincte de l’existence[3892]. Il s’ensuit évidemment que Dieu seul est un être par son essence, tandis que les autres réalités sont des êtres par participation. Or tout ce qui est par participation est causé par ce qui est par essence ; ainsi tout ce qui est embrasé l’est par le feu. Il est donc nécessaire que les anges aient été créés par Dieu[3893].

Solutions :

1 . S. Augustin remarque que les anges ne sont pas omis en cette première création des choses ; ils sont signifiés par le mot “ciel” ou le mot “lumière”. D’ailleurs qu’ils aient été omis ou signifiés par le nom de réalités corporelles, cela tient à ce que Moise s’adressait à un peuple grossier, incapable encore de parvenir à l’idée d’une nature immatérielle[3894]. Si on lui avait dit expressément que certaines réalités étaient au-dessus de la nature corporelle, il eût été tenté de verser dans l’idolâtrie à laquelle il était déjà trop porté, ce que Moïse voulait avant tout éviter.

2. Les substances qui sont des formes subsistantes n’ont pas, de leur être et de leur unité, une autre cause formelle qu’elles-mêmes ; pas davantage elles n’ont de cause efficiente qui fasse passer la matière de la puissance à l’acte. Mais elles ont une cause productrice de toute leur substance[3895].

3. Cela[3896] résout la troisième objection.

 

            Article 2 — L’ange existe-t-il de toute éternité ?

Objections :

1. Il semble que l’ange ait été produit par Dieu de toute éternité. En effet, Dieu est cause de l’ange par son être, car Dieu n’agit pas au moyen d’une puissance greffée sur son essence[3897]. Mais l’être de Dieu est éternel[3898]. Il a donc produit les anges de toute éternité.

2. Tout ce qui existe à un moment donné, et à un autre moment n’existe pas, se trouve soumis au temps, ainsi qu’il est dit dans le Livre des Causes[3899]. Et si l’on ne peut pas dire que l’ange, à un moment donné, existe, et qu’à un autre, il n’existe pas, c’est donc qu’il existe toujours.

3. S. Augustin prouve l’incorruptibilité de l’âme par ce fait que son intelligence est capable de vérité[3900]. Mais de même que la vérité est incorruptible, de même est-elle éternelle[3901]. Une nature intellectuelle, comme celle de l’âme et de l’ange, doit donc être non seulement incorruptible, mais éternelle.

En sens contraire, le livre des Proverbes (8, 22) fait dire à la Sagesse engendrée : “Le Seigneur m’a possédée au commencement de ses voies, avant ses œuvres les plus anciennes.” Mais les anges ont été produits par Dieu, nous l’avons dit plus haut[3902] C’est donc qu’ils n’ont pas toujours existé.

Réponse :

Dieu seul, Père, Fils et Saint-Esprit, existe de toute éternité[3903]. Cela, la foi catholique l’enseigne sans aucun doute[3904] ; et toute opinion contraire doit être repoussée comme hérétique. Dieu donc a produit les créatures de rien[3905], en ce sens qu’avant elles il n’y avait rien.

Solutions :

1. L’être de Dieu est identique à son vouloir[3906]. Le fait que Dieu ait produit les anges et les autres créatures par son être, n’exclut donc pas qu’il les ait produits par sa volonté. Or, la volonté de Dieu n’est pas nécessitée à produire des créatures[3907]. Dieu a produit celles qu’il a voulues et quand il l’a voulu.

2. L’ange est au-dessus du temps mesuré par le mouvement du ciel, car il est au-dessus de tout mouvement de la nature corporelle. Mais il n’est pas au-dessus du temps qui mesure la succession du non-être et de l’être, ni au-dessus du temps qui mesure la succession de ses opérations[3908]. C’est pourquoi S. Augustin peut écrire que “Dieu meut la création spirituelle à travers le temps”.

3. Les anges et les âmes intellectuelles, du fait qu’ils ont une nature capable de vérité, sont incorruptibles. Mais ils ne possèdent pas leur nature de toute éternité ; elle leur a été donnée par Dieu quand Dieu l’a voulu[3909]. Donc il n’en découle pas que les anges existent de toute éternité.

 

            Article 3 — L’ange a-t-il été créé avant les créatures corporelles ?

Objections :

1. Il semble que les anges ont été créés avant le monde corporel. Nous lisons en effet dans S. Jérôme : “ Six mille ans de notre histoire ne sont pas encore écoulés ; et pendant combien de temps, combien de siècles ne faut-il pas penser que les Anges, les Trônes, les Dominations et les autres hiérarchies angéliques[3910] étaient déjà au service de Dieu ? ” Quant à S. Jean Damascène, il écrit : “ Certains disent que les anges furent produits avant toute autre création ” ; c’est l’opinion de Grégoire de Nazianze, pour qui : “ Dieu commença par concevoir les puissances angéliques et célestes, puis il réalisa sa conception. ”

2. La nature angélique tient le milieu entre la nature divine et la nature corporelle[3911]. Or la nature divine existe de toute éternité[3912] ; la nature corporelle existe à partir d’un moment donné du temps[3913]. La nature angélique a donc dû être produite avant la création du temps et après l’éternité.

3. Il y a plus de distance entre la nature angélique et la nature corporelle qu’entre deux natures corporelles différentes[3914]. Mais les natures corporelles ont été créées l’une après l’autre en six jours, selon le récit de la Genèse[3915]. A plus forte raison la nature angélique a-t-elle été produite avant toute nature corporelle

En sens contraire, on lit dans la Genèse : “ Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ” ; ce qui ne serait pas vrai si quelque chose avait été créé auparavant. Les anges n’ont donc pas été créés avant la nature corporelle.

Réponse :

A ce sujet, on trouve chez les saints Docteurs une double opinion. Pour la première et la plus probable, les anges auraient été créés en même temps que la nature corporelle. Les anges, en effet, font partie de l’univers ; ils ne constituent pas un univers spécial et séparé ; ils entrent, avec la nature corporelle, dans la constitution d’un seul et même univers. La preuve en est dans l’ordre des créatures entre elles : cet ordre, en effet, est le bien de l’univers dont aucune partie n’est parfaite, séparée du tout[3916]. Il ne semble donc pas probable que Dieu, dont les œuvres sont parfaites, ait créé séparément la créature angélique avant les autres créatures.

Cependant l’opinion contraire ne doit pas être regardée comme erronée, surtout en raison de l’autorité de S. Grégoire de Nazianze, qui est si grande, au point de vue de la doctrine chrétienne, que personne n’a jamais osé l’attaquer, pas plus que l’on ne s’est attaqué aux écrits de S. Athanase, ainsi que le remarque S. Jérôme.

Solutions :

1. S. Jérôme parle d’après l’opinion des Docteurs grecs qui, tous, s’accordent à reconnaître que les anges ont été créés avant le monde corporel.

2. Dieu n’est pas une partie de l’univers : il est au-dessus, et en possède la perfection d’une manière éminente[3917]. L’ange au contraire fait partie de l’univers.

3. Les créatures corporelles sont unifiées entre elles par la matière, tandis que, sous cet aspect, l’ange n’a pas de rapport avec la créature corporelle. Aussi peut-on dire que, dès que la matière est créée, toutes les créatures corporelles existent déjà de quelque manière[3918]. Au contraire, on ne pourrait pas dire qu’une fois l’ange créé, l’univers lui-même se trouve produit.

 

            Article 4 — Les anges ont-ils été créés dans le ciel empyrée ?

Objections :

1. Il semble que non, car les anges sont des substances incorporelles qui ne dépendent pas d’un corps dans leur être[3919], ni par conséquent dans leur devenir. Ils n’ont donc pas été créés dans un lieu corporel.

2. S. Augustin affirme que les anges ont été créés dans la partie supérieure de l’air ; donc ils ne l’ont pas été dans le ciel empyrée.

3. Le ciel empyrée, c’est le ciel suprême[3920] ; il n’en est pas de plus élevé. Or, dans Isaïe (14,13), nous voyons l’ange pécheur s’écrier : “ Je monterai au ciel. ” Il ne se trouvait donc pas dans le ciel empyrée.

En sens contraire, nous lisons dans la Glose de Walafrid Strabon : “ Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Le ciel dont il s’agit n’est pas le firmament visible, mais le ciel empyrée, ciel de feu ou ciel spirituel, ainsi appelé non pas à cause de son ardeur, mais de sa splendeur[3921]. Et aussitôt qu’il fut produit, il fut rempli par les anges. ”

Réponse :

Nous l’avons dit[3922], les créatures, corporelles ou spirituelles, constituent un seul univers. Il y a donc un ordre entre elles, et les spirituelles président à toute la création corporelle. Il convenait donc que les anges fussent créés dans la partie suprême du monde corporel pour présider à tout l’ensemble de ce monde. Peu importe d’ailleurs que l’on donne à cette partie le nom de ciel empyrée[3923] ou une autre appellation : comme le dit S. Isidore, le ciel suprême, c’est le ciel des anges, selon cette parole du Deutéronome (10,14) : “ C’est au Seigneur ton Dieu qu’appartiennent les cieux et les cieux des cieux. ”

Solutions :

1. Les anges ne sont pas créés dans un lieu corporel comme s’ils en dépendaient dans leur être ou dans leur devenir ; car Dieu aurait pu les créer avant tout le monde matériel, ainsi que le soutiennent beaucoup de saints Docteurs[3924]. Mais ils ont été produits dans un lieu corporel afin de montrer leur relation au monde matériel et parce qu’ils entrent en contact avec les corps par leur puissance[3925].

2. Il se peut que S. Augustin entende par partie supérieure de l’air le ciel suprême, avec lequel l’air possède un certain rapport en raison de sa subtilité et de sa transparence. Ou bien il veut parler seulement des anges pécheurs qui, selon certains, appartenaient aux hiérarchies inférieures[3926]. Dans ce cas, rien n’empêcherait de concevoir que les anges supérieurs, ayant une puissance plus élevée et plus universelle sur tous les corps, aient été créés dans la partie suprême du monde matériel ; les autres, ayant des vertus plus particulières, auraient été créés dans des parties inférieures du monde corporel.

3. Le ciel que l’ange pécheur veut atteindre n’est pas un ciel corporel, mais le ciel de la Trinité sainte, vers lequel il a voulu monter en s’égalant à Dieu, comme nous le montrerons plus loin[3927].


 

 

QUESTION 62 — L’ÉLÉVATION DES ANGES À LA GRÂCE ET À LA GLOIRE

1. Les anges ont-ils été créés bienheureux ? 2. Avaient-ils besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ? 3. Ont-ils été créés en grâce ? 4. Ont-ils mérité leur béatitude ? 5. Ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ? 6. Ont-ils reçu la grâce et la gloire en proportion de leur capacité naturelle ? 7. Après l’entrée dans la gloire, l’amour et la connaissance naturels demeurent-ils en eux ? 8. Ont-ils pu pécher par la suite ? 9. Après l’entrée dans la gloire, ont-ils pu progresser ?

 

            Article 1 — Les anges ont-ils été créés bienheureux ?

Objections :

1. On lit dans le livre des Dogmes ecclésiastiques que “les anges, en persévérant dans cette béatitude dans laquelle ils ont été créés, ne possèdent pas naturellement ce bien qui est le leur”. C’est donc que les anges ont été créés bienheureux.

2. La nature angélique est plus noble que la créature corporelle. Mais la créature corporelle a été créée dès le principe parfaite et revêtue de sa forme[3928] ; selon S. Augustin, en effet, la non-information de la matière est première en nature, mais non temporellement. Donc, Dieu n’a pas davantage créé la nature angélique informe et imparfaite. Or, la nature angélique est formée et parfaite par le moyen de la béatitude qui la fait jouir de Dieu.

3. Si l’on en croit S. Augustin, l’œuvre des six jours fut produite en une seule fois, et c’est dès le principe de la création des choses que ces six jours ont tous existé[3929]. Le “matin” dont il est question dans le récit de la Genèse n’est autre, selon son commentaire, que la connaissance angélique en tant qu’elle a pour objet le Verbe et les choses vues dans le Verbe[3930]. Or, les anges sont bienheureux du fait qu’ils voient le Verbe. C’est donc que l’ange est bienheureux au principe même de sa création.

En sens contraire, il est de la nature même de la béatitude de produire, chez le bienheureux, la stabilisation et la confirmation dans le bien[3931]. Or, les anges n’ont pas été confirmés dans le bien dès le premier moment de leur création, comme le montre la chute de quelques-uns. C’est donc que les anges n’ont pas été créés bienheureux.

Réponse :

Par béatitude on entend la perfection dernière de la nature rationnelle ou intellectuelle ; et c’est pourquoi la béatitude est objet de désir naturel, car tout être désire naturellement son ultime perfection[3932]. D’autre part, l’ultime perfection de la nature rationnelle ou intellectuelle est double. Il y a d’abord une perfection qui peut être atteinte par les seules forces de la nature, et à laquelle on donne en quelque manière le nom de béatitude ou de félicité. Aristote enseigne, en ce sens, que l’ultime félicité de l’homme consiste, en cette vie, dans la très parfaite contemplation du souverain bien intelligible qui est Dieu[3933]. Mais au-delà de cette félicité, il en est une autre que nous espérons posséder plus tard, et en laquelle “nous verrons Dieu tel qu’il est”. Une telle félicité surpasse les forces naturelles de toute intelligence créée, quelle qu’elle soit, on l’a montré précédemment[3934].

Ceci posé, pour ce qui est de la première béatitude, que l’ange peut atteindre par ses seules forces naturelles, on doit dire que l’ange a été créé bienheureux. En effet, ce n’est pas par un mouvement discursif, comme chez l’homme, que l’ange acquiert une telle perfection, mais il la possède immédiatement en raison de la dignité de sa nature, nous l’avons déjà noté[3935]. Quant à l’ultime béatitude, qui dépasse ses forces naturelles, l’ange ne l’a pas possédée dès le principe de sa création. Car cette béatitude ne fait pas partie de sa nature ; elle en est seulement la fin : l’ange ne devait donc pas la posséder dès le commencement.

Solutions :

1. La béatitude dont il est question dans la première difficulté se réfère à la perfection naturelle[3936] que l’ange possédait dans l’état d’innocence.

2. La créature corporelle n’a pas eu, au premier instant de sa création, la perfection que lui procure son opération. S. Augustin en est d’accord ; pour lui, la germination des plantes sortant de terre ne fait pas partie de l’œuvre première de la création, mais seulement la vertu germinative donnée à la terre[3937]. Semblablement, la créature angélique, au principe de sa création, a possédé la perfection de sa nature, mais non cette perfection à laquelle elle devait parvenir par son opération.

3. L’ange a une double connaissance du Verbe ; l’une est naturelle, et l’autre appartient à la gloire. La connaissance naturelle lui fait connaître le Verbe par sa propre nature angélique, qui en est la similitude et le reflet ; la connaissance de la gloire lui fait connaître le Verbe par son essence divine. En l’une et l’autre connaissance, l’ange connût les choses dans le Verbe ; mais d’une connaissance imparfaite s’il s’agit de la connaissance naturelle, et d’une façon parfaite s’il s’agit de la connaissance de gloire[3938]. La première connaissance des choses dans le Verbe fut présente à l’ange dès qu’il fut créé ; la seconde ne lui parvint qu’avec la béatitude, et du fait de sa conversion au bien. Et c’est cette connaissance que l’on appelle “matutinale”.

 

            Article 2 — Les anges avaient-ils besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ?

Objections :

1. Nous n’avons pas besoin de la grâce pour accomplir ce qui est en notre pouvoir naturel. Mais l’ange se tourne naturellement vers Dieu puisqu’il l’aime d’un amour naturel, comme nous l’avons vu plus haut[3939]. Il n’a donc pas besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu.

2. Nous avons besoin de secours seulement pour les œuvres difficiles. Mais se tourner vers Dieu était aisé pour l’ange, puisqu’en lui rien ne s’opposait à cette conversion[3940].

3. Se tourner vers Dieu, c’est se préparer à la grâce[3941], selon ce mot du prophète Zacharie (1, 3) : “ Tournez-vous vers moi, et je me tournerai vers vous. ” Mais nous n’avons pas besoin de la grâce pour nous préparer à la grâce, autrement on irait à l’infini. Donc l’ange n’a pas besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu.

En sens contraire, c’est en se tournant vers Dieu que l’ange parvient à la béatitude. S’il n’avait pas besoin de la grâce pour opérer une telle conversion, il s’ensuivrait que, sans la grâce, il pourrait parvenir à la vie éternelle. Ce qui va contre la parole de l’Apôtre (Rm 6, 23) : “ La vie éternelle est une grâce de Dieu. ”

Réponse :

Les anges ont eu besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu en tant qu’il est l’objet de la béatitude. Comme on l’a dit plus haut en effet[3942], le mouvement naturel de la volonté est principe de tous les autres vouloirs Or, l’inclination naturelle de la volonté a pour objet ce qui est adapté à la nature[3943]. Ce qui est au-dessus de la nature ne peut donc devenir objet de la volonté si celle-ci n’est pas aidée par quelque principe surnaturel. Ainsi en est-il du feu : il possède bien une inclination naturelle à chauffer et à se communiquer, mais produire ou engendrer de la matière vivante dépasse son pouvoir naturel, et il n’y est nullement incliné si ce n’est pour autant qu’il est mu, à titre d’instrument, par l’âme nutritive[3944].

Or nous avons montré en traitant de la connaissance de Dieu[3945], que la vision de l’essence divine, objet de la béatitude suprême pour la créature rationnelle, dépasse la nature de toute intelligence créée. C’est pourquoi aucune créature rationnelle ne peut avoir un mouvement de volonté ordonné à cette béatitude, si elle n’est mue par un agent surnaturel. Et c’est ce que nous appelons le secours de la grâce[3946]. La volonté de l’ange n’a donc pu se tourner vers cette béatitude sans le secours de la grâce.

Solutions :

1. L’ange aime Dieu naturellement en tant que Dieu est principe de son être naturel[3947]. Mais la conversion dont nous parlons ici est celle qui béatifie la créature par la vision de l’essence divine.

2. On appelle “difficile” pour un être ce qui dépasse sa puissance. Mais cela peut s’entendre de deux façons. En un premier sens, l’entreprise à tenter dépasse les forces naturelles de la puissance. Dans ce cas, si celle-ci peut être aidée de quelque façon, on dit que l’entreprise est difficile ; s’il n’y a aucun secours possible, on dit que l’entreprise est impossible. C’est ainsi qu’il est impossible à l’homme de voler. Au second sens, la difficulté ne vient pas de la nature même de la puissance, mais d’un empêchement qui lui est adjoint. Ainsi l’ascension n’est pas contraire à la nature de la puissance motrice de l’âme, puisque l’âme, pour autant qu’il est en elle, est capable de mouvoir le corps en quelque direction que ce soit ; mais la lourdeur du corps est un obstacle à l’ascension, et de là vient qu’il est difficile à l’homme de s’élever.

Or, il est difficile à l’homme de se tourner vers la béatitude suprême, d’abord parce qu’elle surpasse sa nature[3948], et ensuite parce qu’il trouve un obstacle dans la corruption du corps et la viciation du péché. Pour ce qui est de l’ange, c’est seulement parce qu’elle est surnaturelle que la béatitude est difficile.

3. Tout mouvement de la volonté vers Dieu peut être appelé conversion. Or il y a une triple conversion possible vers Dieu. La première, par cette parfaite dilection[3949] qui est celle de la créature jouissant déjà de Dieu ; elle requiert la grâce consommée[3950]. La deuxième est celle qui mérite la béatitude. Elle requiert la grâce habituelle, principe du mérite[3951]. La troisième conversion est celle par laquelle on se prépare à recevoir la grâce. Elle ne requiert pas la grâce habituelle, mais une opération de Dieu convertissant l’âme à lui[3952], selon cette parole de l’Écriture (Lm 5, 21) : “ Fais-nous revenir à toi, Seigneur, et nous reviendrons. ”

 

            Article 3 — Les anges ont-ils été créés en grâce ?

Objections :

1. D’après S. Augustin, la nature angélique fut d’abord créée informe, et appelée “le ciel”, puis elle fut revêtue d’une forme, et appelée “lumière”. Mais cette forme dont il est question ne peut être que la grâce[3953]. Les anges n’ont donc pas été créés en grâce.

2. La grâce incline vers Dieu la créature raisonnable[3954]. Si les anges avaient été créés en grâce, aucun d’entre eux ne se serait détourné de Dieu.

3. La grâce est intermédiaire entre la nature et la gloireci-dessusci-dessusci-dessusci-dessusci-dessus. Mais les anges n’ont pas été bienheureux dès leur création[3955]. Il semble donc plus raisonnable de concevoir qu’ils ont été d’abord créés avec leur nature propre ; puis qu’ils ont reçu la grâce, et qu’enfin ils sont devenus bienheureux.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “Qui a produit dans les anges la bonne volonté, si ce n’est celui qui les a créés avec leur volonté, c’est-à-dire avec ce chaste amour par lequel ils adhèrent à celui qui tout à la fois crée leur nature et les enrichit de la grâce.”

Réponse :

Sur ce sujet, il y a diverses opinions. Les uns disent que les anges ont été créés avec leur nature seulement ; les autres qu’ils ont été créés en grâce. Il semble pourtant que l’on doive regarder cette seconde opinion comme plus probable et plus conforme à l’enseignement des Pères. D’après S. Augustin, en effet, toutes les choses qui, au cours du temps, sont produites par l’œuvre de la Providence divine, la créature opérant sous la motion de Dieu[3956], ont été réalisées en leur première condition à l’état de raisons séminales : tels les arbres, les animaux, et autres réalités du même genre[3957]. Or, il est manifeste que la grâce sanctifiante peut être comparée à la béatitude comme la raison séminale dans la nature à son effet naturel[3958]. Aussi dans S. Jean (1 Jn 3, 9) la grâce est-elle appelée “semence de Dieu”. De même donc qu’au premier instant de la création, ont été produites les raisons séminales de tous les effets naturels, ainsi, dès le principe, les anges ont-ils été créés en grâce.

Solutions :

1. L’absence de la forme chez l’ange peut s’entendre de l’absence de la gloire ; en ce sens elle a précédé temporellement cette dernière[3959]. On peut l’entendre aussi de la forme de la grâce ; sous ce rapport l’absence de forme n’est pas première dans l’ordre du temps, mais seulement tans l’ordre de la nature[3960]. Ainsi en est-il, selon S. Augustin de la forme corporelle.

2. Toute forme incline son sujet selon le mode propre à la nature de celui-ci. Le mode naturel de la nature intellectuelle est de se porter librement vers l’objet de son vouloir. L’inclination de la grâce[3961] n’impose donc pas de nécessité, mais celui qui possède la grâce peut ne pas s’en servir, et pécher[3962].

3. Bien que, selon l’ordre naturel, la grâce soit intermédiaire entre la nature et la gloire, cependant, dans l’ordre du temps, la gloire ne devait pas être donnée à la créature en même temps que la nature, car elle est la fin que par son opération la nature poursuit avec l’aide de la grâce[3963]. La grâce, elle, n’est pas fin à l’égard de l’opération, mais principe car elle ne provient pas des œuvres. Il convenait donc qu’elle fût donnée en même temps que la nature.

 

            Article 4 — Les anges ont-ils mérité leur béatitude ?

Objections :

1. Il semble que non, car le mérite vient de la difficulté de l’acte méritoire. Mais l’ange n’eut aucune difficulté à bien agir[3964]. Son acte bon ne fut donc pas méritoire.

2. Un acte naturel n’est pas méritoire. Mais il était naturel à l’ange de se tourner vers Dieu[3965]. Il ne pouvait donc mériter par là sa béatitude.

3. Si l’ange mérita sa béatitude, ce fut nécessairement soit avant de la posséder, soit après. Mais ce ne fut pas avant car, pour beaucoup d’auteurs, il ne possédait pas la grâce avant d’être béatifié[3966] ; et sans elle il n’y a pas de mérite[3967]. Ce ne fut pas non plus après, car, en ce cas, il mériterait encore maintenant, ce qui est faux, semble-t-il. Cela supposerait en effet qu’un ange peut parvenir au degré supérieur de gloire possédé par un autre ange ; et les distinctions établies dans l’ordre de la grâce seraient instables, ce qui est inadmissible[3968]. En conséquence l’ange bienheureux n’a pu mériter sa béatitude.

En sens contraire, il est dit dans l’Apocalypse (21, 17) que la mesure de l’ange, dans la Jérusalem céleste, est une “mesure d’homme”. Mais l’homme ne peut parvenir à la béatitude que par le mérite[3969]. Il en est donc de même pour l’ange.

Réponse :

La béatitude parfaite est naturelle à Dieu seul, car en lui béatitude et existence sont identiques[3970]. Pour la créature, la béatitude n’est pas naturelle, mais représente sa fin ultime[3971]. Or, toute chose parvient à sa fin par le moyen de son opération. Cette opération conduisant au terme est soit productrice de la fin quand celle-ci n’excède pas la puissance de l’agent, comme le remède produit la santé ; soit méritoire à l’égard de la fin, quand la réalisation de celle-ci dépasse le pouvoir de l’agent, qui ne peut alors l’attendre que d’un autre[3972]. Nous avons montré que la béatitude ultime surpasse le pouvoir de la nature angélique et humaine[3973]. Il appartient donc à l’homme, comme à l’ange, de mériter sa béatitude.

Et si nous admettons que l’ange a été créé dans la grâce[3974], sans laquelle il n’y a pas de mérite[3975], il est aisé de voir qu’il a pu mériter sa béatitude. Il en serait de même si l’on admettait que l’ange a possédé la grâce à un moment quelconque avant la gloire.

Mais si l’on prétend que l’ange n’a pas possédé la grâce avant d’être bienheureux, il faut dire alors qu’il a reçu la béatitude sans mérite de sa part, comme nous-mêmes recevons la grâce[3976]. Or cela va à l’encontre du concept même de béatitude, laquelle a raison de fin[3977] et est la récompense de la vertu[3978], selon le Philosophe. A moins que l’on ne dise, comme certains, que les anges, déjà bienheureux, méritent leur béatitude par l’exercice des divers ministères qui leur sont confiés. Mais cela s’oppose à la nature du mérite, car il se définit comme la voie qui conduit au terme[3979], et celui qui se trouve déjà parvenu au terme n’a pas à y être conduit. Personne ne mérite ce qu’il possède déjà.

Ou bien il faudrait dire qu’un seul et même acte de conversion vers Dieu est méritoire en tant qu’il vient du libre arbitre, et qu’en même temps il constitue la béatitude en tant qu’il touche au terme et mérite la fin. Mais cela aussi semble contradictoire ; car le libre arbitre n’est pas cause suffisante du mérite ; pour être méritoire, l’acte libre doit être informé par la grâce[3980]. Or, il ne peut être informé à la fois par la grâce imparfaite qui est principe de mérite[3981], et par la grâce parfaite qui est principe de béatitude.

Il est donc préférable de soutenir que l’ange, avant d’être béatifié, a eu la grâce qui lui a permis de mériter sa béatitude.

Solutions :

1. La difficulté de bien agir ne vient pas, pour l’ange, d’une cause contraire ou d’un empêchement qui s’opposerait à sa puissance naturelle ; elle vient de ce fait que l’œuvre bonne à accomplir est au-dessus de ses forces naturelles[3982].

2. L’ange n’a pas mérité sa béatitude par sa conversion naturelle vers Dieu, mais par la conversion de la charité, qui se fait par la grâce[3983].

3. Tout cela répond à la troisième objection.

 

            Article 5 — Les anges ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ?

Objections :

1. Il semble que l’ange n’a pas possédé la béatitude aussitôt après un seul acte méritoire. Car il est plus difficile à l’homme qu’à l’ange de bien agir. Or l’homme n’est pas récompensé aussitôt après un seul acte méritoire[3984]. Donc l’ange non plus.

2. L’ange, dès le principe et à l’instant même de sa création, a pu produire un acte ; ainsi les corps naturels, dans l’instant où ils sont créés, commencent à être mus, et si le mouvement corporel pouvait être instantané comme le sont les opérations de l’intelligence et de la volonté, les corps posséderaient le mouvement dès le premier instant de leur génération[3985]. Donc si l’ange, par un seul mouvement de sa volonté, a mérité la béatitude, il l’a fait dans le premier instant de sa création ; et si sa béatitude n’a pas été retardée, il a dû être bienheureux aussitôt, en ce même instant.

3. Des réalités considérablement distantes doivent être reliées par de nombreux intermédiaires. Mais il y a une très grande distance entre la béatitude des anges et leur état naturel. L’intermédiaire entre eux, c’est le mérite[3986]. L’ange a donc dû parvenir à la béatitude par de nombreux intermédiaires.

En sens contraire, l’âme de l’homme et l’ange sont ordonnés semblablement à la béatitude[3987] ; c’est pourquoi l’égalité avec les anges est promise aux saints[3988]. Mais l’âme séparée du corps, si elle est en état de mérite par rapport à la béatitude, la reçoit immédiatement, à moins d’un empêchement[3989]. Il en est donc de même de l’ange. Or, dès son premier acte de charité, l’ange s’est trouvé en état de mérite. Et, comme il n’y avait en lui aucun obstacle, il a donc dû parvenir à la béatitude par ce seul et unique acte méritoire.

Réponse :

L’ange, après son premier acte de charité qui lui faisait mériter la béatitude, a été aussitôt bienheureux. La raison en est que la grâce perfectionne la nature selon le mode de cette nature de même que toute perfection, nous l’avons montré[3990], est reçue dans son sujet conformément à la nature de celui-ci. Le propre de la nature angélique, est de ne pas acquérir sa perfection naturelle progressivement, mais de l’avoir aussitôt, avec sa nature, ainsi que nous l’avons montré plus haut[3991]. Or, comme par sa nature l’ange est ordonné à sa perfection naturelle, de la même manière par son mérite il est ordonné à la gloire[3992]. Il suit de là que, chez l’ange, la béatitude a suivi immédiatement le mérite.

D’ailleurs, le mérite de la béatitude, non seulement chez l’ange, mais aussi chez l’homme, peut tenir à un seul acte ; car, en étant perfectionné par n’importe quel acte de charité, l’homme mérite la béatitude[3993]. Il en ressort qu’aussitôt après un seul acte informé par la charité, l’ange a été bienheureux.

Solutions :

1. Selon sa nature, l’homme n’est pas, comme l’ange, fait pour atteindre immédiatement sa perfection ultime. C’est pourquoi un plus long itinéraire lui est ménagé pour qu’il mérite sa béatitude[3994].

2. L’ange est au-dessus du temps des réalités corporelles ; les divers instants qui le concernent marquent seulement la succession de ses diverses opérations[3995]. Or, il n’a pas pu y avoir à la fois, chez l’ange, un acte méritoire de la béatitude, et un acte de jouissance de cette même béatitude, car le premier a pour principe la grâce imparfaite, et le second la grâce achevée[3996]. Il faut donc distinguer divers instants : l’un où l’ange a mérité sa béatitude, et l’autre où il est devenu bienheureux.

3. Il est de la nature de l’ange d’obtenir aussitôt la perfection à laquelle il est ordonné[3997]. C’est pourquoi un seul acte méritoire lui suffit ; et cet acte a raison d’intermédiaire puisqu’il ordonne l’ange à la béatitude.

 

            Article 6 — Les anges ont-ils reçu la grâce et la gloire en proportion de leur capacité naturelle ?

Objections :

1. La grâce est donnée uniquement par la volonté de Dieu[3998] ; le degré de grâce en dépend donc aussi et n’a rien à voir avec le degré de perfection naturelle.

2. Un acte humain est plus proche de la grâce que la simple nature, parce qu’il est préparatoire à la grâce[3999]. Mais comme l’écrit S. Paul aux Romains (11, 6), la grâce ne vient pas des œuvres[4000]. A plus forte raison le degré de grâce ne dépend-il pas, chez les anges, de la perfection de leur nature.

3. L’homme et l’ange sont ordonnés également à la béatitude et à la grâce[4001]. Mais la grâce n’est pas donnée à l’homme en proportion de ses dons naturels[4002]. Il en sera donc de même pour l’ange.

En sens contraire, le Maître des Sentences écrit que “ parmi les anges, ceux qui sont d’une nature plus subtile ou d’une sagesse plus perspicace[4003], ont été aussi favorisés de dons plus grands de la grâce ”.

Réponse :

Il est raisonnable de penser que les dons de la grâce et la perfection de la béatitude ont été attribués aux anges d’après leur degré de perfection naturelle. On peut en donner deux raisons. D’abord une raison prise du côté de Dieu qui, selon l’ordre de sa sagesse, a établi divers degrés dans la nature angélique. Or, de même que la nature angélique a été produite par Dieu en vue de la grâce et de la béatitude[4004], ainsi, semble-t-il, les divers degrés de la nature angélique ont été ordonnés à divers degrés de grâce et de gloire. Quand un bâtisseur polit des pierres en vue de construire une maison, nous le voyons destiner les plus belles et les mieux réussies aux parties les plus nobles. Ainsi donc, il semble qu’aux anges qu’il a dotés d’une nature plus haute, Dieu a réservé des dons de grâce plus grands et une béatitude supérieure.

La seconde raison est tirée de l’ange lui-même. L’ange n’est pas composé de diverses natures, dont l’une, par son inclination, viendrait contrarier ou retarder le mouvement de l’autre ; c’est ce qui arrive chez l’homme, dont la partie intellectuelle est retardée ou empêchée dans son activité par les tendances de la partie sensible[4005]. Or, quand rien ne vient s’opposer au mouvement d’une nature, celle-ci peut agir dans la plénitude de sa puissance. Il est donc raisonnable de penser que les anges dotés d’une nature plus parfaite se sont tournés aussi vers Dieu avec plus de force et d’efficacité. C’est ce qui arrive même chez les hommes, auxquels la grâce et la gloire sont accordées en proportion de l’intensité de leur retour à Dieu[4006]. Il semble donc que les anges qui ont reçu une nature plus parfaite ont obtenu aussi plus de grâce et de gloire.

Solutions :

1. La nature angélique, aussi bien que la grâce, dépend de la pure volonté de Dieu. Et de même que la volonté de Dieu a ordonné la nature à la grâce[4007], de même les degrés de nature aux degrés de la grâce.

2. L’acte de la créature rationnelle vient d’elle-même ; la nature vient immédiatement de Dieu[4008]. Ainsi, que la grâce donnée soit proportionnée à la perfection de la nature, cela s’entend mieux que si elle était conférée à la mesure de la perfection des œuvres.

3. La diversité des natures n’est pas la même chez les anges qui diffèrent entre eux spécifiquement[4009], et chez les hommes qui ne diffèrent que numériquement. La différence spécifique est en vue de la fin ; la différence numérique provient de la matière[4010]. En outre, chez l’homme, certaines choses peuvent retarder ou empêcher le mouvement de la nature intellectuelle[4011] ; mais cela n’arrive pas chez les anges. On ne peut donc raisonner de même dans les deux cas.

 

            Article 7 — Après l’entrée dans la gloire, la connaissance et l’amour naturels demeurent-ils chez les anges ?

Objections :

1. Nous lisons dans la première épître aux Corinthiens (13,10) : “ Quand viendra ce qui est parfait, ce qui est imparfait disparaîtra. ” Mais la connaissance et l’amour naturels sont imparfaits par rapport à la connaissance et à l’amour des bienheureux[4012]. Ils doivent donc disparaître lorsque survient la béatitude.

2. Là où une seule chose suffit, le reste est superflu. Or, la connaissance et la dilection de la gloire suffisent aux anges bienheureux[4013]. Connaissance et amour naturels demeurent donc superflus.

3. La même puissance ne peut pas produire en même temps deux actes, pas plus qu’une ligne ne peut se terminer, à l’une de ses extrémités, par deux points. Mais les anges au ciel sont toujours en acte de connaissance et d’amour béatifiques, car la félicité n’est pas un habitus, mais un acte[4014], selon Aristote. Il ne peut donc y avoir chez les anges ni connaissance ni amour naturels.

En sens contraire, tant que demeure une nature, demeure aussi son opération. Or, la béatitude ne détruit pas la nature dont elle est la perfection[4015]. Elle n’enlève donc pas non plus la connaissance et l’amour naturels.

Réponse :

Il faut dire que chez les anges bienheureux subsistent la connaissance et la dilection naturelles. Car les rapports qui existent entre les principes d’opération se retrouvent entre les opérations elles-mêmes. Or, il est manifeste que la nature est première par rapport à la béatitude qui est seconde, car la béatitude ajoute à la nature[4016]. D’autre part, ce qui est premier doit toujours être sauvegardé dans ce qui est second[4017]. Il faut donc que la nature soit sauvegardée dans la béatitude. Et de même faut-il que l’acte naturel soit sauvegardé dans l’acte béatifique.

Solutions :

1. La perfection que l’on acquiert enlève l’imperfection qui lui est opposée. Mais l’imperfection de la nature n’est pas opposée à la perfection de la béatitude ; elle lui est seulement sous-jacente. Ainsi, l’imperfection de la puissance est sous-jacente à la perfection de la forme, en sorte que ce qui est enlevé par la forme, ce n’est pas la puissance, mais la privation, laquelle s’oppose à la forme. Semblablement l’imperfection de la connaissance naturelle ne s’oppose pas à la perfection de la connaissance de gloire ; rien n’empêche en effet de connaître quelque chose par divers moyens de connaissance, les uns démonstratifs, les autres simplement probables. Ainsi l’ange peut connaître Dieu par l’essence divine, ce qui relève de la connaissance de gloire ; et connaître Dieu par sa propre essence angélique, ce qui appartient à la connaissance naturelle[4018].

2. Les conditions de la béatitude se suffisent par elles-mêmes, mais, pour qu’elles existent, il est nécessaire que les conditions naturelles les précèdent, car aucune béatitude ne subsiste par elle-même si ce n’est la béatitude incréée[4019].

3. Deux opérations d’une même puissance ne peuvent exister en même temps qu’à la condition d’être ordonnées l’une à l’autre[4020]. Or, connaissance et amour naturels sont ordonnés à la connaissance et à la dilection de gloire.

 

            Article 8 — Les anges bienheureux ont-ils pu pécher par la suite ?

Objections :

1. Il semble bien, car la béatitude n’enlève pas la nature, on vient de le dire. Or il est de l’essence de la nature créée d’être déficiente[4021]. L’ange bienheureux peut donc pécher.

2. Les facultés rationnelles sont capables de se porter sur des objets opposés, d’après Aristote. Or la volonté de l’ange ne cesse pas d’être une faculté rationnelle[4022]. Elle peut donc se porter sur le mal comme sur le bien.

3. Choisir entre le bien et le mal relève du libre arbitre, lequel n’est pas diminué chez les anges bienheureux[4023]. Ceux-ci peuvent donc pécher.

En sens contraire, d’après S. Augustin “cette nature qui ne peut pécher” se trouve dans les saints anges.

Réponse :

Il faut dire que les anges bienheureux ne peuvent pas pécher, car leur béatitude consiste à voir Dieu dans son essence[4024]. Or l’essence de Dieu, c’est l’essence même de la bonté[4025]. L’ange qui voit Dieu se trouve donc par rapport à Dieu comme celui qui ne le voit pas par rapport à l’idée du bien comme tel[4026]. Or personne ne peut vouloir ou agir qu’en vue du bien, et il lui est impossible de se détourner du bien comme tel[4027]. L’ange bienheureux ne peut donc vouloir ou agir qu’en se référant à Dieu, et par le fait même ne peut pécher d’aucune manière.

Solutions :

1. Toute nature bonne créée, considérée en elle-même, peut faillir[4028]. Mais, unie indéfectiblement au bien incréé, comme il arrive dans la béatitude, elle atteint un sommet où elle ne peut plus pécher, nous venons de le dire.

2. Les facultés rationnelles peuvent se porter sur des objets opposés quand il s’agit d’objets auxquels elles ne sont pas ordonnées naturellement ; mais elles ne peuvent être ordonnées par nature à des objets opposés. L’intelligence, en effet, ne peut pas ne pas assentir aux principes naturellement connus[4029] ; et de même la volonté ne peut pas ne pas adhérer au bien en tant que tel, car elle est naturellement ordonnée au bien comme à son objet propre[4030]. La volonté de l’ange peut donc se porter en beaucoup de cas vers des déterminations opposées, faire ou ne pas faire ceci ou cela. Mais pour ce qui est de Dieu, vu tel qu’il est : l’essence même de la bonté, il n’y a pas d’alternative possible ; quelles que soient, parmi les déterminations opposées, celles auxquelles l’ange se résout, il les choisit toujours selon Dieu ; et par le fait même il ne pèche pas.

3. Le libre arbitre se trouve à l’égard des moyens qui mènent à la fin, dans le même rapport que l’intelligence à l’égard des conclusions[4031]. Or, l’intelligence peut, selon les principes donnés, déduire diverses conclusions ; mais elle commet une faute lorsque, pour parvenir à une conclusion, elle ne tient pas compte de l’ordre imposé par les principes. De même, que le libre arbitre puisse choisir divers moyens, du moment qu’ils sont ordonnés à la fin, cela relève en lui de cette perfection qu’est la liberté[4032] ; mais qu’il opère un choix en se soustrayant à l’ordre de la fin, ce qui est pécher[4033], cela relève de ce qu’il y a de déficient dans sa liberté. C’est pourquoi il y a une plus grande liberté chez les anges, qui ne peuvent pas pécher, qu’en nous, qui pouvons pécher.

 

            Article 9 — Après l’entrée dans la gloire, les anges ont-ils pu progresser ?

Objections :

1. La charité est le principe du mérite[4034]. Mais, dans les anges, la charité est parfaite[4035]. Les anges bienheureux peuvent donc mériter, et à mesure que croît leur mérite, leur béatitude qui en est la récompense grandit. Ils peuvent donc progresser en béatitude.

2. D’après S. Augustin : “Dieu se sert de nous à la fois pour notre utilité et aux fins de sa bonté.”[4036] Ainsi en est-il des anges, qu’il emploie à divers ministères spirituels: “Ne sont-ils pas tous des esprits destinés à servir, envoyés en mission pour le bien de ceux qui doivent hériter du salut ?” (He 1,14). Or ces services n’auraient aucune utilité pour eux s’ils n’en tiraient du mérite et ne progressaient en béatitude.

3. C’est une imperfection pour celui qui n’est pas au sommet, de ne pouvoir pas progresser. Or, les anges ne sont pas au sommet de la béatitude[4037]. Il y aurait donc pour eux une imperfection à ne pouvoir progresser en béatitude.

En sens contraire, le mérite et le progrès appartiennent à la condition de voyageurs . Mais les anges ne sont pas des voyageurs ; ils ont la parfaite vision[4038]. Donc les anges bienheureux ne peuvent ni mériter, ni progresser en béatitude.

Réponse :

Dans un mouvement, l’intention de l’agent moteur est de conduire le mobile à un point déterminé, car l’intention se porte sur une fin, et la fin ne supporte pas d’être indéterminée. D’autre part, comme la créature rationnelle ne peut atteindre par ses propres forces sa béatitude qui consiste en la vision de Dieu, elle a besoin d’y être mue par Dieu lui-même[4039]. Il faut donc que soit fixé le terme vers lequel elle se trouve conduite comme vers sa fin ultime.

Cette délimitation de la vision divine ne peut affecter l’objet lui-même qui est vu, car c’est la vérité suprême, qui est appréhendée par tous les bienheureux selon des degrés divers[4040]. C’est donc selon le mode de vision que ce terme est fixé diversement selon l’intention de celui qui conduit le bienheureux à sa fin. En effet, il n’est pas possible qu’en étant élevé à la vision de la suprême essence, la créature rationnelle parvienne au mode suprême de vision qui est la compréhension ; car ce mode ne peut appartenir qu’à Dieu, nous l’avons montré[4041]. Mais comme il faut une puissance d’une efficacité infinie pour comprendre Dieu, alors que la créature ne dispose que d’une efficacité finie, et comme entre le fini et l’infini il y a une infinité de degrés, il y a donc une infinité de modes selon lesquels la créature rationnelle peut voir Dieu plus ou moins clairement. Et puisque la béatitude consiste en la vision même[4042], le degré de la béatitude est, de même, le degré de la vision.

En définitive, toute créature rationnelle est conduite par Dieu à sa fin bienheureuse de telle manière qu’elle atteigne un degré de béatitude déterminé par la prédestination divine[4043]. Il en résulte que, ce degré atteint, elle ne peut progresser.

Solutions :

1. C’est à celui qui est mû vers la fin qu’il appartient de mériter. Or, la créature rationnelle n’est pas mue vers la fin seulement d’une façon passive, elle l’est aussi par son activité. Donc, quand la fin se trouve à sa portée, c’est l’opération de la créature rationnelle qui conquiert la fin ; ainsi l’homme, par la méditation, acquiert la science. Tandis que, si la fin n’est pas en son pouvoir, mais doit être obtenue d’un autre, l’opération est méritoire de la fin[4044]. De plus, quand on est parvenu au terme ultime, il n’y a plus de mouvement, le changement est acquis. C’est pourquoi mériter appartient à la charité imparfaite, qui est celle de l’état de voyageur ; quant à la charité parfaite, elle ne mérite pas, elle jouit de la récompense[4045]. Ainsi en va-t-il des habitus acquis : l’activité qui les précède nous les fait acquérir ; une fois possédés, ils nous font agir avec perfection et joie[4046]. Semblablement, l’acte de la charité parfaite n’a pas raison de mérite, il relève plutôt de la récompense et de son accomplissement.

2. Une chose peut être utile de deux manières. D’abord comme un moyen pour parvenir à une fin ; c’est en ce sens que le mérite de la béatitude nous est utile. Ensuite, comme une partie est utile au tout, par exemple le mur à la maison. Sous ce rapport les ministères des anges bienheureux leur sont utiles, car ils font d’une certaine manière partie de leur béatitude ; en effet, répandre sur autrui la perfection que l’on possède appartient à l’être parfait en tant qu’il est parfait[4047].

3. Bien qu’absolument parlant, l’ange bienheureux n’atteigne pas le degré suprême de la béatitude, cependant, pour ce qui est de lui et compte tenu de la prédestination divine, il est parvenu au terme ultime et au sommet de son bonheur.

Néanmoins, la joie des anges doit s’accroître par le salut de ceux près desquels ils sont appelés à exercer leur ministère, selon cette parole en S. Luc (15,10) : “ Il y a de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent. ” Mais cette joie-là appartient à la récompense accidentelle, et elle peut augmenter jusqu’au jour du jugement. Aussi certains estiment-ils que les anges peuvent mériter à l’égard de cette récompense accidentelle. Pourtant, il vaut mieux reconnaître que d’aucune façon un bienheureux ne peut mériter, à moins d’être à la fois dans l’état de voyage et dans l’état de vision parfaite, ce qui était le cas du Christ sur la terre. La joie dont nous parlons, les anges l’obtiennent en vertu de leur état bienheureux plutôt qu’ils ne la méritent.


 

Il faut étudier maintenant comment des anges sont devenus mauvais. Premièrement, quant au mal de faute (Q. 63). Deuxièmement, quant au mal de peine (Q. 64).

 

QUESTION 63 — LE MAL DES ANGES QUANT À LA FAUTE

1. Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ? 2. Quelles sortes de péchés peut-il y avoir chez lui ? 3. A cause de quel désir a-t-il péché ? 4. En admettant que certains anges sont devenus mauvais volontairement, y en a-t-il d’autres qui le sont naturellement ? 5. En admettant que non, un ange a-t-il pu devenir mauvais volontairement dès le premier instant de sa création ? 6. En admettant que non, s’est-il écoulé un certain temps entre sa création et sa chute ? 7. Le plus élevé parmi les anges déchus était-il absolument le plus élevé de tous les anges ? 8. Le péché du premier ange a-t-il causé le péché des autres ? 9. Y a-t-il autant d’anges tombés que d’anges restés fidèles ?

 

            Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ?

Objections :

1. Le mal de faute ne peut se trouver que dans les êtres qui sont en puissance, d’après Aristote, car le mal est une privation[4048] et le sujet de la privation est un être en puissance. Mais les anges, parce qu’ils sont des formes subsistantes[4049], ne possèdent pas de potentialité. Il ne peut donc y avoir en eux le mal de faute.

2. Les anges sont plus nobles que les corps célestes[4050], et les philosophes reconnaissent qu’il ne peut y avoir de mal dans les corps célestes. Donc chez les anges non plus.

3. Ce qui est naturel à un être y demeure toujours[4051]. Mais il est naturel aux anges de se tourner vers Dieu dans un mouvement d’amour[4052]. Un tel mouvement ne peut donc disparaître. Or, en aimant Dieu, les anges ne pèchent pas. Donc ils ne peuvent pécher.

4. Il n’y a de désir que du bien véritable ou du bien apparent. Mais ce qui apparaît bon aux anges ne peut être que le bien véritable, car en eux il ne peut y avoir d’erreur, ou, à tout le moins, elle ne peut précéder la faute[4053]. Les anges ne peuvent donc désirer que le véritable bien, et, ce faisant, ils ne pèchent pas.

En sens contraire, nous lisons dans Job (4, 18) cette parole : “ Dieu découvre du mal dans ses anges. ”

Réponse :

L’ange, aussi bien qu’une créature rationnelle quelconque, si on le considère dans sa seule nature, peut pécher ; et, s’il arrive qu’une créature ne puisse pécher, cela lui vient du don de la grâce et non de la condition de sa nature. La raison en est que le péché n’est pas autre chose qu’une déviation par rapport à la rectitude de l’acte qu’on doit accomplir[4054] ; et cela est vrai aussi bien dans l’ordre des réalités naturelles que dans celui des activités artisanales ou morales. Le seul acte qui ne puisse dévier de sa rectitude est celui qui a pour règle la puissance même de l’agent. En effet, si la main de l’artisan était la règle même de la taille qu’il pratique dans le bois, le bois serait toujours coupé correctement ; mais s’il lui faut faire appel à une règle extérieure, il y aura toujours possibilité de déviation. Or la volonté divine seule est la règle de sa propre action, car elle n’est pas ordonnée à une fin supérieure[4055]. La volonté de la créature, au contraire, ne parvient à la rectitude de son acte qu’en se réglant sur la volonté divine à laquelle ressortit la fin dernière. Ainsi, le vouloir d’un inférieur doit-il se régler sur le vouloir du supérieur, le vouloir du soldat sur celui de son chef. Dans la seule volonté divine, par conséquent, il ne peut y avoir de péché. En retour, le péché peut exister dans n’importe quelle volonté créée, à ne considérer que sa condition naturelle.

Solutions :

l. L’ange n’est pas en puissance à l’égard de son être naturel. Mais il y a de la puissance en lui sous le rapport de la partie intellectuelle, en ce sens qu’il peut se tourner vers tel ou tel objet[4056]. Et de là vient qu’il peut y avoir du mal en lui.

2. Les corps célestes n’ont qu’une activité naturelle. Et de même que dans leur nature ils ne connaissent pas le mal de la corruption, de même dans leur activité ils ignorent le mal du désordre. Chez les anges, au contraire, au-dessus de leur activité naturelle, il y a l’activité du libre arbitre[4057], et c’est là que le mal peut se trouver.

3. Il est naturel à l’ange de se tourner par un mouvement d’amour vers Dieu, en tant que Dieu est principe de son être naturel[4058]. Quant à se tourner vers Dieu comme vers l’objet de la béatitude surnaturelle, cela vient d’un amour gratuit dont l’ange peut se détourner en péchant.

4. Le péché peut se produire dans l’acte du libre arbitre d’une double manière. En premier lieu, quand un mal donné est objet de choix ; ainsi l’homme pèche en choisissant l’adultère qui est un mal en soi. Sous ce rapport, le péché procède toujours d’une ignorance ou d’une erreur[4059] ; autrement ce qui est mal ne serait pas choisi comme un bien. L’adultère, sous l’influence de la passion ou de l’habitude, choisit, dans un cas particulier, telle délectation désordonnée comme si elle était un bien actuellement désirable, même s’il sait à quoi s’en tenir sur les exigences de la moralité en général[4060]. L’ange, lui, ne peut pécher de cette manière, car il ne possède pas de passions capables de lier la raison ou l’intelligence, comme nous l’avons montré[4061], et de plus, une habitude vicieuse n’a pu précéder la première faute et l’incliner au mal.

D’une autre manière, il arrive au libre arbitre de pécher quand il choisit un objet bon en soi, mais sans tenir compte de l’ordre imposé par la règle morale. Dans ce cas, le défaut qui entraîne le péché ne vient pas de l’objet choisi, mais du choix lui-même qui n’est pas fait selon l’ordre voulu ; ainsi quand quelqu’un décide de prier et le fait sans observer l’ordre institué par l’Église. Un tel péché ne suppose pas l’ignorance, mais seulement l’absence de considération de ce qui doit être considéré. Et c’est de cette manière que l’ange a péché, se tournant délibérément vers son bien propre, de façon désordonnée par rapport à cette règle suprême qu’est la volonté divine[4062].

 

            Article 2 — Quelles sortes de péché peut-il y avoir chez l’ange ?

Objections :

1. Il semble que l’ange ne puisse pas pécher seulement par orgueil et par envie. En effet, la délectation prise à propos d’un péché rend coupable de ce péché. Or, au dire de S. Augustin, les démons se délectent dans les obscénités des péchés charnels. Il peut donc y avoir dans les démons des péchés de la chair.

2. Aussi bien que l’orgueil et l’envie, l’acédie, l’avarice et la colère sont des péchés spirituels qui relèvent de l’esprit[4063], comme les péchés charnels relèvent de la chair. Les anges ont donc pu les commettre.

3. Selon S. Grégoire, la plupart des vices naissent de l’orgueil et de l’envie[4064]. Or, une fois la cause posée, l’effet s’ensuit. Donc si les anges ont connu l’orgueil et l’envie, ils ont possédé aussi les autres vices.

En sens contraire, S. Augustin écrit que “ le démon n’est ni fornicateur, ni ivrogne, ni rien de semblable ; il est cependant orgueilleux et envieux ”.

Réponse :

Un péché peut se trouver chez un individu de deux manières : sous forme de culpabilité et sous forme d’attachement. Selon la culpabilité, il arrive que tous les péchés existent chez les démons, car, en portant les hommes à les commettre, ils encourent la culpabilité. Selon l’attachement, seuls les péchés qui ont rapport à la nature spirituelle se trouvent chez les anges. Une nature spirituelle, en effet, ne s’attache pas aux biens proprement corporels, mais aux biens qui peuvent se trouver dans les réalités spirituelles ; car on ne désire que ce qui peut convenir de quelque manière à sa propre nature[4065]. Or, il n’y a péché à s’attacher aux biens spirituels que si on le fait sans tenir compte de la règle établie par le supérieur[4066]. Et c’est un péché d’orgueil de ne pas se soumettre à son supérieur lorsqu’on le doit. C’est pourquoi le premier péché de l’ange ne peut être qu’un péché d’orgueil.

Mais, par voie de conséquence, il a pu y avoir chez lui un péché d’envie. Le même motif, en effet, qui porte l’affectivité à désirer quelque chose, lui fait aussi repousser tout ce qui s’y oppose[4067]. Or l’envieux se désole du bien d’autrui parce qu’il y voit un obstacle à son propre bien ; c’est ce qui arrive à l’ange mauvais qui, désirant une excellence singulière, voit cette singularité lui échapper du fait de l’excellence d’un autre. C’est pourquoi, après son péché d’orgueil, l’ange éprouve le péché d’envie, parce qu’il se désole du bien de l’homme ; il en veut même à l’excellence divine, car Dieu utilise ce bien à sa gloire et contrarie ainsi la volonté du diable.

Solutions :

1. Les démons ne se plaisent pas aux obscénités des péchés de la chair, comme s’ils étaient attirés par les délectations charnelles. La joie qu’ils éprouvent des péchés des hommes, quels que soient ces péchés, procèdent de l’envie, car ces péchés sont un obstacle au bien de l’homme[4068].

2. L’avarice, comme tout péché spécial, est un appétit immodéré des biens corporels qu’utilise la vie humaine, et de tout ce qui peut être estimé à prix d’argent[4069]. Les démons ne sont pas affectionnés à ces biens, pas plus qu’aux plaisirs de la chair. C’est pourquoi l’avarice, au sens propre, n’existe pas chez eux. Mais on peut entendre par avarice tout désir immodéré du bien créé, et en ce sens l’avarice fait partie de l’orgueil qui se trouve chez les démons. Quant à la colère qui suppose une passion[4070], comme la concupiscence, elle ne trouve place chez les démons que par métaphore. L’acédie est une certaine tristesse qui rend l’homme paresseux dans les activités spirituelles, en raison d’une certaine langueur physique[4071] ; or cette dernière ne convient pas aux démons. En définitive, il apparaît clairement que seuls l’orgueil et l’envie sont des péchés purement spirituels et peuvent exister chez les démons. Encore est-il que l’envie ne doit pas être considérée comme une passion sensible, mais comme une volonté qui refuse le bien d’autrui.

3. Dans l’envie et l’orgueil, tels que nous les plaçons chez les démons, sont inclus tous les péchés qui en dérivent[4072].

 

            Article 3 — A cause de quel désir l’ange a-t-il péché ?

Objections :

1. Il semble que le diable n’a pas désiré être comme Dieu. En effet, ce qui ne tombe pas sous l’appréhension ne peut être objet de désir ; car c’est en tant qu’il peut être appréhendé que le bien meut l’appétit sensible, rationnel ou intellectuel[4073], et dans cet appétit seul peut se trouver le péché[4074]. Mais qu’une créature soit égale à Dieu, cela ne peut devenir objet d’appréhension, car cela implique contradiction, parce qu’il serait nécessaire que le fini soit l’infini, pour s’égaler à lui[4075]. Donc l’ange n’a pas pu désirer être comme Dieu.

2. Ce qui est la fin propre d’une nature peut être désiré par elle sans péché. Mais l’assimilation à Dieu est la fin naturelle de toute créature[4076]. Si donc il a désiré non pas l’égalité, mais la similitude avec Dieu, il apparaît que l’ange n’a pas péché.

3. L’ange a été créé dans une plus grande plénitude de sagesse que l’homme. Or aucun homme, à moins d’être tout à fait fou, ne choisit d’être égal à l’ange, encore moins à Dieu. Car le choix ne se porte, après réflexion, que sur ce qui est possible[4077]. A plus forte raison ce n’est pas en désirant être comme Dieu que l’ange a péché.

En sens contraire, Isaïe (14, 13-14) fait dire au diable : “Je monterai au ciel, et je serai semblable au Très-Haut.” Et S. Augustin écrit que dans son orgueil, le diable “voulut être appelé Dieu”.

Réponse :

Sans aucun doute l’ange a péché en désirant être comme Dieu. Mais cela peut s’entendre d’une double manière : soit par égalité, soit par similitude. De la première manière, l’ange n’a pu désirer être comme Dieu, car il savait, de connaissance naturelle, que c’était impossible ; et d’autre part le premier péché de l’ange n’a pas été précédé par un habitus ou une passion[4078] qui aurait entravé sa puissance intellectuelle et l’aurait amené, en se trompant sur un objet particulier, à vouloir l’impossible, comme il nous arrive parfois[4079]. Et même si l’on suppose que l’égalité avec Dieu était possible, elle allait à l’encontre du désir naturel. Tout individu, en effet, désire naturellement la conservation de son être, et cette conservation n’aurait pas lieu s’il se trouvait transformé en une autre nature. C’est pourquoi aucune réalité appartenant à un degré inférieur de nature ne peut désirer un degré supérieur ; ainsi, l’âne ne désire pas devenir cheval, car il cesserait d’être lui-même. Il est vrai qu’en ces sortes de choses l’imagination nous trompe ; en effet l’homme désire s’élever vers un plus haut degré de perfection par l’acquisition de qualités accidentelles, lesquelles peuvent lui advenir sans corruption du sujet lui-même[4080] ; et il en vient à penser qu’il peut atteindre à un degré supérieur de nature, alors qu’il ne pourra pas y parvenir sans cesser d’être. Or, il est manifeste que Dieu surpasse l’ange non seulement en perfection accidentelle, mais en degré de nature ; et cela est déjà vrai d’un ange à l’autre[4081]. Il est donc impossible qu’un ange inférieur désire être égal à un ange supérieur, ni être égal à Dieu.

Quant à désirer être comme Dieu par similitude, cela peut se produire de deux façons. Premièrement, quand un être désire avec Dieu la similitude à laquelle l’ordonne sa nature[4082]. En ce sens, il ne pèche pas, à condition toutefois que ce désir soit dans l’ordre, c’est-à-dire l’incline à recevoir de Dieu cette similitude[4083]. Il y aurait péché au contraire à considérer comme un droit d’être semblable à Dieu comme si cela dépendait de ses propres forces et non de la Toute-puissance divine[4084]. A un second point de vue, on peut désirer acquérir avec Dieu une ressemblance qui ne nous est pas naturelle, c’est le cas de celui qui voudrait être capable de créer le ciel et la terre, pouvoir qui est propre à Dieu. Un tel désir serait un péché. Et c’est en ce sens que le diable a désiré être comme Dieu ; non pas qu’il ait prétendu n’être, comme Dieu, soumis à qui que ce soit, car en ce cas il eût désiré ne pas être, puisqu’ aucune créature ne peut être que soumise à Dieu et participant de lui l’existence[4085]. Mais l’ange a désiré ressembler à Dieu en désirant comme fin ultime de sa béatitude ce à quoi il pourrait parvenir par ses forces naturelles, et en détournant son désir de la béatitude surnaturelle qu’il ne pouvait recevoir que de la grâce de Dieu.

Ou bien, s’il a désiré comme fin ultime cette ressemblance avec Dieu que donne la grâce[4086], il a voulu l’avoir par les forces de sa nature, et non la tenir de l’intervention de Dieu et selon les dispositions prises par lui. Et cette opinion est conforme à la manière de voir de S. Anselme pour qui l’ange a désiré ce à quoi il fût parvenu s’il était resté droit. D’ailleurs, les deux opinions reviennent au même ; car dans les deux cas l’ange a désiré posséder sa béatitude dernière par ses propres forces, ce qui n’appartient qu’à Dieu.

Enfin, étant donné que ce qui est par soi est principe et cause de ce qui est dérivé[4087], il suit de là que l’ange a désiré également une certaine principauté sur les créatures[4088], en quoi il a voulu d’une façon perverse s’assimiler à Dieu.

Par ce que nous venons de dire, nous avons répondu à toutes les objections.

 

            Article 4 — En admettant que certains anges sont devenus mauvais volontairement, y en a-t-il d’autres qui le sont naturellement ?

Objections :

1. Il semble que certains démons sont mauvais par nature. En effet, Porphyre, cité par S. Augustin, parle d’une “certaine espèce de démons, menteurs par nature, qui simulent les dieux et les âmes des morts”. Or, être menteur, c’est être mauvais. Il y a donc des démons naturellement mauvais.

2. Les anges, comme les hommes, ont été créés par Dieu, mais il y a des hommes naturellement mauvais[4089], dont il est dit dans l’Écriture (Sg 12, 10) : “La malice leur est naturelle.” Il peut donc se trouver aussi des anges naturellement mauvais.

3. Certains animaux sans raison ont des méchancetés naturelles, comme la ruse chez le renard, la voracité chez le loup ; ce sont pourtant des créatures de Dieu. Les démons peuvent donc, eux aussi, tout en étant créatures de Dieu, être naturellement mauvais.

En sens contraire, Denys écrit que “les démons ne sont pas mauvais par nature”.

Réponse :

Tout ce qui est, en tant qu’il est et qu’il possède une nature donnée[4090], tend naturellement vers un bien, car il procède d’un principe bon[4091], et l’effet fait toujours retour vers son principe. Cependant, il arrive qu’à un bien particulier se trouve adjoint un mal ; au feu, par exemple, se trouve lié ce mal d’être destructeur d’autres choses[4092]. Mais au bien universel ne peut être adjoint aucun mal[4093]. Par conséquent, un être dont la nature est de tendre vers un bien particulier peut tendre vers un mal, non pas en tant que tel, mais parce qu’accidentellement ce mal est conjoint à un bien. Au contraire un être dont la nature est de tendre vers un bien sous la raison commune de bien, ne peut tendre naturellement vers un mal. Or, il est manifeste qu’une nature intellectuelle est ordonnée au bien universel qu’elle peut appréhender et qui est l’objet de sa volonté[4094]. Et, comme les démons sont des substances intellectuelles, ils ne peuvent d’aucune façon avoir une inclination naturelle vers un mal quelconque. Ils ne peuvent donc être mauvais naturellement.

Solutions :

1. Augustin reproche précisément à Porphyre son opinion et affirme que, si les démons sont menteurs, ce n’est pas naturellement, mais de leur propre volonté. D’ailleurs, Porphyre croyait que les démons étaient des animaux doués d’une nature sensible, et la nature sensible est ordonnée à un bien particulier[4095] auquel peut s’adjoindre un mal. Dans ce cas, les démons pourraient avoir une inclination au mal, mais accidentellement, en tant que le mal est conjoint au bien[4096].

2. La malice de certains hommes peut être dite naturelle, soit en raison de l’habitude qui est une seconde nature, soit en raison de l’inclination naturelle[4097] de la nature sensible à une passion désordonnée, au sens où l’on dit que certains sont naturellement enclins à la colère ou à la concupiscence[4098]. Mais cela ne vient pas de la nature intellectuelle.

3. Les animaux sans raison, par leur nature sensible, ont une inclination naturelle vers certains biens particuliers auxquels sont joints certains maux[4099]. Ainsi à la sagacité du renard dans la recherche de la nourriture est liée la ruse. Il s’ensuit qu’être rusé n’est pas un mal pour le renard, puisque cela lui est naturel, pas plus que ce n’est un mal pour le chien d’être furieux, selon la remarque de Denys.

 

            Article 5 — L’ange a-t-il pu devenir mauvais volontairement dès le premier instant de sa création ?

Objections :

1. Il le semble bien, car il est dit en S. Jean (8, 44) : “ Il était homicide dès le commencement. ”

2. D’après S. Augustin ce n’est pas selon une succession de temps mais d’origine, que la créature a d’abord été informe, puis formée[4100]. D’autre part le “ciel” dont il est dit qu’il fut créé en premier, signifie, toujours d’après le même Docteur, la nature angélique informe. Puis, par ces paroles : “Que la lumière soit, et la lumière fut”, il faut entendre la nature angélique qui a été formée lorsqu’elle s’est tournée vers le Verbe[4101]. C’est donc dans le même temps que la nature angélique a été créée et qu’elle a été faite lumière[4102]. Mais, au moment où elle devenait lumière, elle était distinguée des ténèbres, et par ténèbres il faut entendre les anges pécheurs[4103]. Ce qui revient à dire que dès le premier instant de leur création, certains anges furent bienheureux et d’autres tombèrent dans le péché.

3. Le péché s’oppose au mérite. Mais, au premier instant de sa création, une nature intellectuelle peut mériter, telle l’âme du Christ ou les bons anges eux-mêmes[4104]. Les démons ont donc pu pécher en cet instant.

4. La nature angélique est plus puissante que la nature corporelle[4105]. Mais une réalité corporelle peut commencer d’agir au premier instant de sa création ; ainsi le feu, dès qu’il est produit, commence à s’élever[4106]. Par conséquent, l’ange, lui aussi, a pu agir au premier instant de sa création. Or, de deux choses l’une : ou cette opération a été bonne, ou elle ne l’a pas été. Si elle a été bonne, l’ange possédant la grâce a mérité la béatitude[4107] ; et, comme chez l’ange la récompense suit immédiatement le mérite, la béatitude lui a été accordée aussitôt, on l’a vu plus haut[4108] ; par suite aucun ange n’aurait péché, ce qui est faux[4109]. Il reste donc que les anges ont pu pécher dès le premier instant en agissant mal.

En sens contraire, il est écrit dans la Genèse (1, 31) : “ Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et cela était très bon. ” Or, parmi tout cela, il y avait les démons. Les démons furent donc bons à un moment donné.

Réponse :

Certains auteurs ont pensé que les démons, dès le premier instant de leur création, furent mauvais, non du fait de leur nature, mais en raison d’un péché proprement volontaire ; car “dès qu’il a été produit, le diable a récusé la justice ; et cette opinion, remarque S. Augustin, ne doit pas être confondue avec l’hérésie manichéenne, qui prétend que le diable a une nature mauvaise[4110].” Pourtant, cette manière de voir contredit l’Écriture : il est écrit en effet du diable, sous la figure du roi de Babylone (Is 14, 12) : “ Comment es-tu tombé, Lucifer, toi qui brillais au matin ? ” et encore, en s’adressant au roi de Tyr (Ez 28, 13) : “ Tu as connu les délices du paradis de Dieu. ” C’est pourquoi une telle opinion est regardée avec raison par les théologiens comme erronée.

D’autres auteurs ont pensé que les anges pouvaient pécher au premier instant de leur création, mais ne l’ont pas fait. Pour réfuter cette opinion, certains remarquent que deux opérations consécutives ne peuvent se terminer au même instant. Or, le péché de l’ange fut postérieur à l’opération créatrice ; le terme de la création en effet, c’est l’existence de l’ange[4111] ; le terme du péché, c’est de rendre mauvais celui qui le commet[4112]. Il apparaît donc impossible que, dans un même instant, l’ange ait commencé d’être et soit devenu mauvais.

Mais une telle raison est insuffisante. Elle vaut pour les mouvements temporels successifs ; ainsi un mouvement local qui suit une altération ne peut se terminer au même instant que l’altération elle-même. Mais dans les mutations instantanées il est possible que les termes de la première mutation et de la seconde soient réalisés en même temps et au même instant ; ainsi, au même instant, la lune est illuminée par le soleil et l’air par la lune[4113]. Or, il est manifeste que la création est instantanée[4114] ; de même le mouvement du libre arbitre chez les anges, puisqu’ils n’usent ni de comparaison ni de raisonnement, ainsi qu’on l’a fait voir[4115]. Rien n’empêche donc le terme de la création et le terme du libre arbitre d’exister en même temps et au même instant.

Ce qu’il faut dire, c’est qu’il a été impossible à l’ange, au premier instant, de pécher par un acte désordonné de son libre arbitre. Bien qu’une réalité puisse bien, à l’instant où elle commence d’exister, commencer d’agir, cependant cette opération contemporaine de son existence lui vient nécessairement de l’agent qui lui donne celle-ci ; ainsi celui qui produit le feu lui donne en même temps de s’élever[4116]. Par conséquent, lorsqu’une chose reçoit l’être d’un agent déficient, lequel peut être cause d’une action défectueuse, elle pourra, dès le premier instant où elle commence d’être, produire une opération fautive ; c’est le cas de la jambe qui est boiteuse à la naissance, du fait de la débilité de la semence, et qui commence aussitôt à boiter. Mais l’agent qui produit les anges dans l’existence, c’est Dieu[4117] ; et Dieu ne peut être cause de péché[4118]. Pour cette raison on ne peut pas dire que le diable, au premier instant de sa création, a été mauvais.

Solutions :

1. Quand on lit dans l’Écriture que le diable pèche dès le commencement, il faut l’entendre, selon S. Augustin, non pas de ce commencement qu’est la création, mais du début de son péché ; car jamais le démon ne s’est repenti de sa faute[4119].

2. Cette distinction de la lumière et des ténèbres, qui entend par ténèbres les péchés des démons, doit se prendre d’après la prescience divine[4120]. C’est ce qu’explique S. Augustin quand il écrit : “ Seul, celui-là a pu distinguer la lumière et les ténèbres, qui a pu, avant leur chute, prévoir ceux qui devaient tomber. ”

3. Tout ce qui appartient au mérite vient de Dieu[4121]. C’est pourquoi, dès le premier instant de sa création, l’ange a pu mériter. Mais il n’en est pas de même pour le péché, nous venons de le voir.

4. Comme le remarque S. Augustin, Dieu n’a pas fait de discrimination entre les anges avant la perversion des uns et la conversion des autres. C’est pourquoi tous, ayant été créés en grâce[4122], ont mérité dès le premier instant. Mais certains ont mis obstacle à leur béatitude en détruisant leur mérite précédent, et ils ont été privés de la béatitude qu’ils avaient méritée.

 

            Article 6 — S’est-il écoulé un certain temps entre la création de l’ange et sa chute ?

Objections :

1. Il semble que oui, car on lit dans Ézéchiel (28, 15) : “ Ta conduite fut parfaite depuis le jour où tu fus créé[4123], jusqu’à ce que l’iniquité se trouve en toi. ” Mais cette conduite, qui représente un mouvement continu, suppose un certain temps entre la création du diable et sa chute.

2. Origène écrit que “l’antique serpent n’a pas marché sur le ventre dès le début”, ce qui s’entend du péché de l’ange. Le diable n’a donc pas péché aussitôt après le premier instant de sa création.

3. Pouvoir pécher est commun à l’homme et à l’ange[4124]. Or, il s’est écoulé un certain temps entre la formation de l’homme et sa chute. Il a dû en être de même pour le diable.

4. L’instant où le diable a péché est distinct de l’instant où il fut créé[4125]. Or, entre deux instants, il s’écoule toujours un temps intermédiaire[4126].

En sens contraire, nous lisons dans S. Jean (8, 44), que le diable “n’était pas établi dans la vérité”. Et S. Augustin écrit à ce propos : “Il faut le comprendre en ce sens que le diable a été dans la vérité, mais qu’il n’y est pas demeuré.” [4127]

Réponse :

On trouve à ce sujet une double opinion. Pourtant il paraît plus probable et plus conforme à la pensée des Pères qu’aussitôt après le premier instant de sa création, le diable a péché. Cela est nécessaire en effet, si l’on admet, comme nous l’avons fait[4128], que l’ange, dans ce premier instant, fut créé en grâce et produisit un acte de libre arbitre. Puisque les anges parviennent à la béatitude par un seul acte méritoire, comme nous l’avons dit[4129], si en ce premier instant, le diable, créé en grâce, avait mérité, il aurait dû recevoir aussitôt la béatitude, à moins qu’il n’y ait opposé un obstacle en péchant.

Mais si l’on admet que l’ange n’a pas été créé en grâce ; ou bien que, dans le premier instant, il n’a pas pu poser d’acte libre[4130], rien n’empêche d’admettre un certain laps de temps entre sa création et sa chute.

Solutions :

1. Les mouvements corporels, mesurés par le temps, signifient parfois métaphoriquement[4131], dans la Sainte Écriture, des mouvements spirituels instantanés. Et c’est ainsi que le mot “conduite” est pris ici pour le mouvement du libre arbitre en tendance vers le bien.

2. Origène parle ainsi parce que le diable ne fut pas mauvais dès le principe, c’est-à-dire au premier instant[4132].

3. Le libre arbitre de l’ange est inflexible une fois le choix accompli[4133]. C’est pourquoi, si aussitôt après le premier instant où il eut un mouvement naturel vers le bien, le diable n’avait pas mis obstacle à la béatitude, il eût été confirmé dans le bien. Il n’en est pas ainsi de l’homme, et c’est pourquoi l’argument ne porte pas.

4. Entre deux instants, il y a un temps intermédiaire, quand il s’agit du temps continu[4134], selon Aristote. Mais les anges ne sont pas soumis au mouvement céleste, lequel est en premier lieu mesuré par le temps continu ; le temps angélique se ramène à la succession des opérations de l’intelligence et du vouloir[4135]. Par suite, le premier instant, pour l’ange, correspond à cette opération de l’esprit qui le fait se tourner vers lui-même par ce que nous avons appelé la connaissance du soir[4136] ; la Genèse mentionne en effet au premier jour un soir, et non un matin. Cette première opération fut bonne chez tous les anges[4137]. Puis, à partir de là, certains anges, par la connaissance du matin, se portèrent vers la louange du Verbe ; certains autres, au contraire, demeurèrent en eux-mêmes et “enflés d’orgueil”, dit Augustin, devinrent ténèbres[4138]. Ainsi la première opération fut commune à tous ; mais dans la seconde ils se divisèrent. Tous furent donc bons au premier instant ; mais dans le second les bons furent distingués des méchants.

 

            Article 7 — Le plus élevé parmi les anges déchus était-il absolument le plus élevé de tous les anges ?

Objections :

1. On lit dans Ézéchiel (28, 14) : “ Tu étais un chérubin protecteur ; je t’avais placé sur la montagne sainte de Dieu. ” Mais d’après Denys, l’ordre des Chérubins est inférieur à celui des Séraphins[4139]. Le plus élevé des anges pécheurs n’était donc pas le plus élevé de tous les anges.

2. Dieu a créé la nature intellectuelle en vue de la béatitude à acquérir[4140]. Donc si le plus élevé de tous les anges a péché, il s’ensuit que le dessein de Dieu a été frustré dans la plus noble des créatures ; ce qu’il est difficile d’admettre.

3. Plus une inclination est forte dans un être, moins elle risque de manquer son but. Or, plus l’ange est élevé, plus il est incliné vers Dieu, et moins il a de chances de pécher.

En sens contraire, S. Grégoire écrit que le premier ange qui a péché, “supérieur à toutes les troupes angéliques, les dépassait en clarté, et resplendissait encore davantage quand on le comparait aux autres anges”.

Réponse :

Il faut considérer deux choses dans le péché : l’inclination au péché et le motif du péché. Pour ce qui est de l’inclination, il semble que les anges supérieurs étaient moins portés à pécher que les anges inférieurs. C’est ce qui fait dire au Damascène que le plus grand des anges pécheurs était “le supérieur de l’ordre terrestre”. Et cela paraît concorder avec l’opinion des platoniciens que rapporte S. Augustin. Ceux-ci prétendaient en effet que tous les dieux étaient bons ; mais, parmi les démons, les uns étaient bons, les autres mauvais ; ils appelaient dieux les substances intellectuelles qui sont au-dessus de la sphère lunaire, et démons celles qui sont au-dessous, tout en étant supérieures par nature aux hommes. Une telle opinion n’est pas contraire à la foi, car, dit S. Augustin, toute la création corporelle est gouvernée par Dieu au moyen des anges[4141]. Rien n’empêche donc d’affirmer que les anges inférieurs sont préposés par Dieu à l’administration des corps inférieurs, tandis que les anges supérieurs ont pour rôle d’administrer les corps plus élevés, les anges suprêmes se tenant devant Dieu[4142]. Pour cette raison S. Jean Damascène dit que ceux qui tombèrent faisaient partie de l’ordre inférieur, encore que, même dans cet ordre, il y en eût qui demeurèrent fidèles.

Mais si l’on considère le motif pour lequel l’ange a péché, ce motif apparaît plus fort chez les anges supérieurs. Le péché des démons fut en effet le péché d’orgueil[4143], dont le motif est la propre excellence du pécheur[4144]. Or, cette excellence était plus grande chez les anges supérieurs. C’est pourquoi S. Grégoire affirme que le premier ange pécheur fut le plus élevé de tous.

Et cette dernière opinion semble la plus probable. Car le péché de l’ange ne venait pas d’une inclination mauvaise, mais de son seul libre arbitre[4145] ; il convient donc de retenir ici la raison qui s’appuie sur le motif du péché. Pourtant, nous n’entendons pas préjuger de l’autre opinion, car il a pu y avoir aussi bien chez le prince des anges inférieurs un motif de pécher.

Solutions :

1. Le mot “Chérubin” signifie, selon l’interprétation commune, plénitude de science ; le mot “Séraphin”, ardent ou enflammé. Le premier nom se tire donc de la science, qui peut exister avec le péché mortel ; le second se tire de l’ardeur de la charité qui est incompatible avec le péché mortel[4146]. Dès lors le premier ange pécheur ne peut être appelé séraphin, mais chérubin.

2. L’intention divine n’est frustrée ni à propos de ceux qui pèchent, ni à propos de ceux qui sont sauvés. Dieu a prévu l’un et l’autre événement[4147], et de l’un et de l’autre il tire sa gloire, soit en sauvant les fidèles, en raison de sa bonté[4148], soit en punissant les pécheurs, en raison de sa justice[4149]. Quant à la créature intellectuelle elle-même, quand elle pèche, elle se rend défaillante à l’égard de sa vraie fin, et rien ne s’oppose à cela en une créature, si sublime soit-elle[4150] ; car la créature intellectuelle a été établie par Dieu de telle manière qu’il dépend de sa décision d’agir (ou non) en vue de la vraie fin.

3. Quelque grande que fût l’inclination au bien chez l’ange suprême, elle ne lui imposait pas une nécessité[4151], et par son libre arbitre il pouvait s’y soustraire.

 

            Article 8 — Le péché du premier ange a-t-il causé le péché des autres ?

Objections :

1. Il semble que non, car la cause est antérieure à l’effet. Mais tous les anges ont péché en même temps, d’après le Damascène[4152]. Le péché de l’un n’a donc pas été cause du péché des autres.

2. Le premier péché de l’ange ne peut être que l’orgueil, comme on l’a vu[4153], et l’orgueil recherche l’excellence[4154]. Or, il répugne à celui qui désire exceller de se soumettre à un inférieur, plus encore qu’à un supérieur. Les démons ne pouvaient donc accepter de se soumettre à un ange, plutôt qu’à Dieu. Pourtant, si le péché d’un ange a été cause du péché des autres, ce serait seulement en ce sens que le premier ange a amené les autres à se soumettre à lui. Il ne semble donc pas que le péché du premier ange ait été cause du péché pour les autres.

3. C’est un péché plus grand de se soumettre à un autre contre Dieu, que de vouloir commander à un autre comme Dieu ; car le motif du péché a moins de valeur[4155]. Donc, si le péché du premier ange fut cause du péché des autres, en ce sens qu’il les amena à se soumettre à lui, il s’ensuit que les anges inférieurs auraient péché plus gravement que l’ange suprême. Mais, au sujet de cette parole du Psaume (104, 26) : “... ce dragon que tu as formé” nous lisons dans la Glose : “ Lui qui était supérieur aux autres dans son être est devenu aussi le plus élevé en méchanceté. ” C’est donc que le péché du premier ange ne fut pas cause du péché des autres.

En sens contraire, il est dit dans l’Apocalypse que le dragon a entraîné avec lui “le tiers des étoiles du ciel”.

Réponse :

Le péché du premier ange fut cause du péché des autres, non par mode de coaction, mais par une sorte de suggestion persuasive[4156]. Le signe en est que tous les démons sont soumis au démon suprême, comme le montre manifestement le Seigneur quand il dit (Mt 25, 41) : “Allez, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges.” Cela relève de la justice divine en effet, que celui qui a consenti aux suggestions de quelqu’un dans la faute, soit soumis à sa puissance dans le châtiment, selon cette parole de l’Écriture (2 P 2, 19) : “ On est esclave de celui par qui on s’est laissé vaincre. ”

Solutions :

1. Bien que les démons aient péché en même temps, cependant le péché de l’un a pu être cause du péché des autres. En effet, l’ange n’a pas besoin de temps pour choisir, ou pour exhorter, ou pour consentir[4157] ; c’est le fait de l’homme qui doit délibérer pour choisir et consentir, et qui doit faire usage du langage pour exhorter, toutes choses qui demandent du temps.

Pourtant il est manifeste que l’homme aussi, en même temps qu’il conçoit une pensée dans son cœur, commence dans le même instant à l’exprimer par ses lèvres. Et à l’instant où s’achève sa phrase, l’auditeur qui en saisit le sens peut donner son assentiment, surtout s’il s’agit de vérités premières[4158] qu’on approuve aussitôt qu’entendues. Donc si l’on supprime le temps qui nous est nécessaire pour nous exprimer ou pour délibérer, on conçoit très bien que, dans l’instant même où le premier ange exprimait intelligiblement le choix de son désir, les autres aient pu y donner leur adhésion.

2. L’orgueilleux, toutes choses égales d’ailleurs, préfère se soumettre à un supérieur plutôt qu’à un inférieur. Mais si, en se soumettant à un inférieur, il acquiert une excellence qu’il ne peut obtenir en se soumettant à un supérieur, il préfère la première soumission à la seconde. Ainsi donc, cela n’allait pas contre l’orgueil des démons de se soumettre à un inférieur en consentant à sa primauté ; ils voulaient l’avoir pour prince et pour chef en vue de conquérir, par leur puissance naturelle, leur béatitude ultime[4159], et cela leur était d’autant plus aisé que, par ordre de nature, ils se trouvaient déjà soumis à l’ange suprême.

3. Comme nous l’avons déjà dit[4160], l’ange n’a rien en lui qui le retarde, mais il se porte de tout son pouvoir vers son objet, que ce soit le bien ou le mal. Et parce que l’ange suprême avait une puissance naturelle supérieure à celle des anges inférieurs, il s’est précipité dans le péché avec plus de violence. C’est pourquoi il est devenu supérieur à tous en méchanceté.

 

            Article 9 — Y a-t-il autant d’anges tombés que d’anges restés fidèles ?

Objections :

1. Il semble qu’il y ait eu davantage d’anges pécheurs car, dit Aristote, “le mal se trouve dans le plus grand nombre, le bien dans le plus petit nombre”[4161].

2. La justice et le péché se trouvent de la même manière chez les anges et chez les hommes. Mais, parmi les hommes, il y en a plus de mauvais que de bons[4162], selon cette parole de l’Ecclésiaste (1, 15, Vg) : “ Le nombre des insensés est infini. ”

3. Les anges se distinguent d’après leurs personnes et d’après leurs catégories[4163]. Si donc le plus grand nombre de personnes angéliques sont restées fidèles, il semble que les anges pécheurs n’appartiennent pas à toutes les catégories.

En sens contraire, il est dit dans l’Écriture (2 R 6, 16) : “Ceux qui sont avec nous sont plus nombreux que ceux qui sont avec eux”, parole que l’on applique aux bons anges qui nous portent secours, et aux mauvais qui nous sont contraires.

Réponse :

Il y eut plus d’anges fidèles que de pécheurs. Car le péché va à l’encontre de l’inclination naturelle de la créature ; or, ce qui est contre la nature ne se produit qu’accidentellement dans un petit nombre de cas[4164]. La nature, en effet, obtient son résultat soit toujours, soit le plus souvent.

Solutions :

1. Aristote parle des hommes pour lesquels le mal vient de la poursuite des biens sensibles ; car ceux-ci sont connus de la plupart, tandis que l’on déserte le bien rationnel qui n’est connu que du petit nombre[4165]. Dans les anges, au contraire, il n’y a que la nature intellectuelle. Aussi l’argument ne porte pas ici.

2. Nous avons répondu par là à la deuxième objection.

3. Pour ceux qui pensent que le diable appartenait au degré inférieur de ces anges qui président au monde terrestre, il est évident que les anges pécheurs ne ressortissent pas à toutes les catégories, mais seulement à la dernière. Si l’on admet au contraire que le diable appartenait à la catégorie suprême[4166], il est probable que ceux qui sont tombés ressortissaient à toutes les catégories[4167], et que, dans chacune d’entre elles, des hommes sont introduits pour suppléer les anges tombés[4168]. Et cela confirme encore l’indépendance du libre arbitre, qui peut s’infléchir vers le mal, quelle que soit la dignité de la créature. Cependant, dans la Sainte Écriture, les noms de certaines catégories, comme les Séraphins et les Trônes, ne sont pas attribués aux démons, car ces noms sont pris de l’ardeur de la charité et de l’habitation de Dieu[4169], qui sont incompatibles avec le péché mortel[4170].

On leur attribue au contraire les noms de Chérubins, de Puissances et de Principautés, car ces noms sont pris de la science et de la puissance[4171], qui peuvent être communes aux bons et aux mauvais anges.


 

 

QUESTION 64 — LE CHÂTIMENT DES DÉMONS

1. L’obscurcissement de leur intelligence. 2. L’obstination de leur volonté. 3. Leur souffrance. 4. Le lieu de leur châtiment.

 

            Article 1 — L’obscurcissement de leur intelligence

Objections :

1. Il semble que l’intelligence du démon soit obscurcie par la privation de toute connaissance de la vérité. Car si les démons connaissaient quelque vérité, c’est surtout eux-mêmes qu’ils devraient connaître[4172], et ce serait là pour eux connaître les substances séparées. Or cette connaissance ne convient pas à leur misère, car elle constitue une telle béatitude que certains y ont vu le suprême bonheur de l’homme[4173]. Les démons sont donc privés de toute connaissance de la vérité.

2. Ce qui est le plus manifeste dans la nature doit l’être aussi pour les anges, qu’ils soient bons ou mauvais. Le fait qu’il n’en est pas ainsi pour nous vient de la faiblesse de notre intelligence, qui ne connaît qu’à partir des images[4174] : c’est ainsi que la faiblesse de sa vue empêche le hibou de voir le soleil. Mais les démons ne peuvent connaître Dieu, qui pourtant est en soi la réalité la plus évidente, puisqu’il est la souveraine Vérité[4175] ; cela vient de ce qu’ils n’ont pas le cœur pur, seul capable de voir Dieu[4176]. Ils ne connaissent donc pas non plus les autres vérités.

3. La connaissance angélique est double, au sentiment de S. Augustin, celle du matin et celle du soir[4177]. Or, la connaissance du matin ne convient pas aux démons qui ne voient pas les choses dans le Verbe ; et pas davantage celle du soir, car elle rapporte les choses connues à la louange du Créateur (c’est pourquoi la Genèse place le matin après le soir). Les démons ne peuvent donc avoir aucune connaissance des choses.

4. D’après S. Augustin, les anges ont connu en vertu de leur condition le mystère du royaume de Dieu[4178]. Mais les démons ont été privés de cette connaissance, car, selon l’Apôtre (1 Co 2, 8), “s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire”. Pour la même raison, ils ont été privés de toute autre connaissance.

5. Une vérité peut être connue soit par nature comme les premiers principes, soit par l’enseignement d’autrui, soit du fait d’une longue expérience. Mais les démons ne peuvent connaître la vérité naturellement, car ils sont séparés des bons anges comme les ténèbres le sont de la lumière, au dire de S. Augustin, et toute manifestation de la vérité se fait par illumination[4179]. De même, ils ne la connaissent pas par révélation ou en la recevant des bons anges, car, selon le mot de l’Apôtre (2 Co 6,19) “il n’y a pas d’union entre la lumière et les ténèbres”. Enfin une longue expérience ne peut venir que des sens. Il n’y a donc dans les démons aucune connaissance de la vérité.

En sens contraire, d’après Denys, “les dons angéliques accordés aux démons n’ont pas changé ; ils demeurent dans leur intégrité et leur splendeur”. Or, parmi ces dons naturels, se trouve la connaissance de la vérité. C’est donc qu’elle existe chez les démons.

Réponse :

Il y a une double connaissance de la vérité, celle qui vient de la grâce et celle qui vient de la nature. La première, à son tour, est soit spéculative, comme lorsque les secrets divins sont révélés à quelqu’un, soit affective, et c’est elle qui produit l’amour de Dieu et qui relève à proprement parler du don de sagesse[4180].

De ces trois connaissances, celle qui est naturelle n’est chez les démons ni enlevée, ni diminuée[4181]. Elle est en effet une propriété de la nature angélique qui, comme telle, est intelligence et esprit[4182]. Or, à cause de la simplicité de la substance[4183], rien ne peut être soustrait à la nature angélique pour sa punition, comme il arrive que l’homme soit puni par l’ablation de la main, du pied ou d’un autre membre. C’est en ce sens que Denys affirme que les dons naturels demeurent dans leur intégrité chez les démons. Leur connaissance naturelle n’est donc pas diminuée. Quant à la connaissance spéculative qui vient de la grâce, elle n’est pas enlevée totalement, mais diminuée, car les secrets divins ne sont révélés aux démons que dans la mesure nécessaire, soit par l’intermédiaire des bons anges, soit par les “manifestations temporelles de la puissance divine”[4184], dit S. Augustin. Cependant, cette connaissance n’a pas l’étendue et la clarté de celle des saints anges qui voient dans le Verbe les vérités révélées[4185]. Mais pour ce qui est de la connaissance affective issue de la grâce[4186], ils en sont totalement privés, aussi bien que de la charité.

Solutions :

1. Le bonheur consiste dans l’application de l’intelligence à une réalité supérieure[4187]. Les substances séparées nous dépassent par nature ; c’est pourquoi il y a une certaine félicité pour l’homme à les connaître. Mais la félicité parfaite se trouve dans la connaissance de la première des substances, c’est-à-dire de Dieu[4188]. Or, la connaissance des substances séparées est connaturelle aux anges[4189], de même qu’il nous est connaturel de connaître les natures sensibles. C’est pourquoi, de même que le bonheur de l’homme ne consiste pas dans la connaissance des natures sensibles, de même le bonheur de l’ange ne réside pas dans l’appréhension des substances séparées.

2. Ce qui est le plus évident en soi nous est caché parce qu’il est hors de proportion avec notre intelligence, et non pas seulement parce que notre intelligence tire ses idées des images. Or la substance divine est hors de proportion aussi bien avec l’intelligence angélique qu’avec l’intelligence humaine[4190]. C’est pourquoi l’ange lui-même, par nature, ne peut connaître la substance de Dieu. Il peut cependant parvenir naturellement à une connaissance de Dieu supérieure à celle de l’homme, en raison de la perfection de son intelligence[4191]. Cette connaissance demeure aussi chez les démons ; car, bien qu’ils n’aient pas cette pureté du regard que donne la grâce, ils ont celle qui leur vient de la nature et qui suffit à leur connaissance de Dieu.

3. La créature est ténèbres, comparée à l’excellence de la lumière divine : c’est pourquoi la connaissance que l’on prend de la créature en sa nature propre est dite connaissance du soir. Car si le soir est associé aux ténèbres, il possède encore quelque lumière ; autrement ce serait la nuit. Ainsi donc la connaissance des choses en leur nature propre, quand on la réfère à la louange du Créateur, comme chez les bons anges, peut être appelée vespérale. Si au contraire on ne la réfère pas à Dieu, et c’est le cas des démons, elle est dite non pas vespérale, mais nocturne[4192]. C’est pourquoi nous lisons dans la Genèse que Dieu a “appelé nuit” les ténèbres quand il les sépara de la lumière.

4. Tous les anges, au commencement, ont connu de quelque manière le mystère du royaume de Dieu qui devait être accompli par le Christ[4193] ; mais surtout ceux qui furent béatifiés dans la vision du Verbe, que les démons n’ont jamais eue. Cependant tous les anges ne saisirent pas ce mystère parfaitement ni également[4194] ; et beaucoup moins encore les démons eurent-ils une connaissance parfaite du mystère de l’Incarnation au moment de la venue du Christ en ce monde. “Ce mystère, écrit S. Augustin n’a pas été connu d’eux comme il le fut des saints anges qui jouissent de l’éternité participée du Verbe ; ils devaient seulement en percevoir avec terreur certains effets temporels.” Mais s’ils avaient connu parfaitement et avec certitude qu’il est le Fils même de Dieu et quels seraient les fruits de sa passion, jamais ils n’auraient cherché à faire crucifier le Seigneur de gloire.

5. Les démons connaissent une vérité de trois manières. Premièrement, du fait de la perspicacité de leur nature, car bien qu’enténébrés par la privation de la lumière de la grâce, ils sont cependant lucides du fait de la lumière de leur nature intellectuelle. Deuxièmement, par révélation reçue des saints anges, auxquels certes ils ne ressemblent pas par la rectitude de la volonté, mais par une similitude de nature intellectuelle qui rend possible la communication[4195]. Troisièmement, par suite d’une longue expérience. Ils ne la reçoivent pas des sens, mais au moment où l’entrée dans l’existence des choses concrètes, dont ils ont naturellement dans leur intelligence la représentation, achève de rendre celle-ci ressemblante, ils connaissent comme présents des événements qu’ils pouvaient connaître d’avance quand ils étaient futurs. Nous nous en sommes expliqués plus haut à propos de la connaissance angélique[4196].

 

            Article 2 — L’obstination de leur volonté

Objections :

1. Il semble que la volonté des démons n’est pas obstinée dans le mal. Car le libre arbitre appartient à la nature intellectuelle[4197], qui demeure chez les démons[4198]. Or le libre arbitre, de soi et par priorité, est ordonné au bien plutôt qu’au mal. La volonté des démons ne peut donc être obstinée dans le mal au point de ne pouvoir faire retour au bien.

2. La miséricorde infinie de Dieu est plus grande que la malice du démon, qui est finie. Or, c’est uniquement par la miséricorde de Dieu que l’on peut passer du mal de faute à la bonté qui justifie[4199]. Les démons peuvent donc revenir de l’état de malice à l’état de justice.

3. Si les démons avaient leur volonté ancrée dans le mal, cette obstination aurait surtout pour objet le péché qu’ils ont commis. Mais ce péché, qui est l’orgueil[4200], n’existe plus en eux, car il n’a plus de motif, à savoir leur propre excellence[4201].

4. S. Grégoire écrit que “ l’homme peut réparer par le moyen d’un autre, puisque c’est un autre qui l’a fait tomber ”. Mais les démons inférieurs ont été entraînés au mal par le premier ange, comme on vient de le voir[4202]. Leur chute peut donc être réparée par un autre ange. Ils ne sont donc pas fixés dans le mal.

5. Quiconque est obstiné dans le mal ne fait jamais d’œuvre bonne. Mais le démon fait quelques œuvres bonnes, par exemple quand il confesse la vérité en disant du Christ : “Je sais que tu es le Saint de Dieu” (Mc 1, 24). S. Jacques écrit aussi dans son épître (2, 19) : “Les démons croient et ils tremblent.” Enfin, selon Denys, ils désirent ce qui est bon et même ce qui est meilleur, à savoir l’être, la vie, l’intelligence.

En sens contraire, nous lisons dans le Psaume (74, 23) cette parole que l’on applique aux démons : “L’orgueil de ceux qui t’ont haï s’élève sans cesse.” C’est donc que les démons persévèrent dans leur malice.

Réponse :

D’après Origène toute volonté créée, en raison du libre arbitre, peut se tourner vers le bien et le mal ; il n’y a d’exception que pour l’âme du Christ, à cause de son union au Verbe. Mais une telle doctrine enlève toute vérité à la béatitude des anges et des hommes bienheureux, car la stabilité éternelle est une condition essentielle de la vraie béatitude[4203] ; de là son nom de vie éternelle. De plus, cette doctrine contredit l’autorité de la Sainte Écriture qui affirme que les démons et les pécheurs doivent être envoyés au “supplice éternel”, tandis que les bons doivent être introduits dans “la vie éternelle”. C’est pourquoi une telle position doit être regardée comme erronée, et il faut tenir fermement, selon la foi catholique, que la volonté des bons anges est confirmée dans le bien, tandis que la volonté des démons est devenue obstinée dans le mal.

La cause de cette obstination, il faut la prendre non de la gravité de la faute, mais de la condition naturelle de leur état “Ce que la mort est pour les hommes, écrit S. Jean Damascène, la chute l’est pour les anges.” Or, il est manifeste que tous les péchés mortels des hommes, quelle que soit leur gravité, sont rémissibles avant la mort ; mais après la mort, ils sont irrémissibles et subsistent perpétuellement[4204].

Pour découvrir la cause d’une telle obstination, il faut considérer que la puissance appétitive, chez la créature, est, par rapport à la puissance appréhensive qui la meut, comme le mobile par rapport au moteur[4205]. L’appétit sensitif a pour objet un bien particulier ; la volonté, le bien universel[4206] ; et de même les sens ont pour objet le particulier, l’intelligence, l’universel. Or, l’appréhension de l’ange diffère de celle de l’homme en ce que l’ange appréhende immuablement l’objet par son intelligence[4207] à la manière dont nous saisissons immuablement les premiers principes dont nous avons l’intuition[4208]. Par la raison au contraire, l’homme appréhende la vérité d’une manière progressive et mobile en passant d’une proposition à une autre, gardant la voie ouverte vers l’une ou l’autre des conclusions opposées. C’est pourquoi la volonté humaine, elle aussi, adhère à son objet avec une certaine mobilité et inconstance, pouvant s’en détourner pour adhérer à l’objet contraire. En revanche, la volonté de l’ange adhère à son objet d’une façon fixe et immuable.

Par conséquent, si nous considérons l’ange avant son adhésion, il peut librement[4209] se fixer sur tel objet ou son contraire (sauf s’il s’agit d’objets voulus naturellement) ; mais après l’adhésion, il se fixe immuablement sur l’objet de son choix. Aussi a-t-on coutume de dire que le libre arbitre de l’homme est capable de se porter sur des objets opposés, aussi bien après l’élection qu’avant ; tandis que le libre arbitre de l’ange est capable de se porter vers des objets opposés avant l’élection, mais pas après. Ainsi donc, les bons anges adhérant toujours à la justice, sont confirmés en elle ; les mauvais anges, en péchant, s’obstinent dans le péché. Quant à l’obstination des hommes damnés, on en traitera plus tard[4210].

Solutions :

1. Les anges bons et méchants possèdent le libre arbitre[4211], mais selon le mode et la condition de leur nature.

2. La miséricorde de Dieu délivre de leur péché ceux qui se repentent[4212]. Mais ceux qui ne sont pas capables de se repentir, parce qu’ils adhèrent immuablement au mal, ne peuvent bénéficier de la miséricorde divine.

3. Le péché commis au commencement demeure dans le diable pour autant qu’il comporte le désir de son objet, bien que le diable se sache très bien dans l’impossibilité de l’atteindre. Il en est de même pour celui qui croit pouvoir commettre un homicide et qui veut le commettre, mais ensuite n’en a plus la possibilité ; sa volonté demeure cependant en lui, en ce sens qu’il voudrait le faire s’il le pouvait[4213].

4. La raison qui fait que le péché de l’homme est rémissible, ne vient pas uniquement de ce que ce péché a été suggéré par un autre. C’est pourquoi l’argument est sans portée.

5. L’activité du démon est double. Il y a d’abord celle qui provient d’une délibération de sa volonté ; c’est vraiment son activité propre. Une telle activité est toujours mauvaise chez le démon, car, bien qu’il puisse faire quelque chose de bon, cependant il ne l’accomplit pas d’une façon correcte ; ainsi quand il dit la vérité pour induire en erreur[4214], ou quand il croit et confesse la divinité du Christ, non pas volontairement, mais forcé par l’évidence des faits. L’autre activité du démon est celle qui lui est naturelle ; elle peut être bonne et atteste la bonté de la nature[4215]. Et pourtant, même de cette activité bonne, les démons abusent pour faire le mal.

 

            Article 3 — La souffrance des démons

Objections :

1. La souffrance et la joie s’opposent et ne peuvent se trouver en même temps dans le même sujet[4216]. Or, il y a de la joie chez les démons. S. Augustin écrit en effet : “Le diable a pouvoir sur ceux qui méprisent les préceptes de Dieu, et ce malheureux pouvoir le réjouit” Il n’y a donc pas de souffrance chez les démons

2. La souffrance cause la crainte, car les choses à venir que nous craignons sont celles qui nous font souffrir quand elles sont présentes[4217]. Or les démons ne connaissent pas la crainte, selon cette parole en Job (41, 25) : (Léviathan) “en est arrivé à ne rien craindre”. Ils ne connaissent donc pas davantage la souffrance.

3. Il est bon de souffrir de ce qui est mal[4218]. Mais les démons ne peuvent faire ce qui est bon. Ils ne peuvent donc souffrir, à tout le moins du mal de faute, comme lorsqu’on est rongé par ce qu’on appelle le ver de la conscience[4219].

En sens contraire, le péché du démon est plus grave que celui de l’homme. Mais l’homme est soumis à la souffrance en punition du plaisir qu’il a pris dans le péché, selon ce mot de l’Apocalypse (18, 7) : “Autant (Babylone) s’est glorifiée et plongée dans les plaisirs, autant donnezlui de tourments et de malheurs.” A plus forte raison le diable, qui s’est glorifié souverainement[4220], est-il puni par ses lamentations et sa souffrance.

Réponse :

La crainte, la douleur, la joie et autres choses semblables, si on les considère comme des passions, ne peuvent exister chez les démons[4221] ; elles relèvent proprement de l’appétit sensible, et celui-ci est une puissance qui suppose un organe corporel. Mais si on les considère comme de simples actes de volonté, sous ce rapport, on peut les trouver chez les démons. Et il est nécessaire d’affirmer qu’il y a en eux de la souffrance. Car la souffrance envisagée comme un pur acte de volonté, n’est pas autre chose que la répulsion de la volonté pour ce qui est, ou devant l’absence de ce qui n’est pas. Or, il est évident que les démons voudraient que n’existent pas beaucoup de choses qui existent, et qu’existent beaucoup de choses qui n’existent pas ; ainsi, parce qu’ils sont jaloux[4222], ils voudraient que soient damnés ceux qui sont sauvés. Il faut donc reconnaître qu’il y a en eux de la souffrance, surtout si l’on songe qu’il appartient à la nature de la peine de contrarier la volonté. De même ils sont privés de la béatitude qu’ils désirent naturellement[4223] ; et, chez beaucoup d’entre eux, la volonté perverse est empêchée de faire tout le mal qu’elle voudrait.

Solutions :

1. La joie et la douleur sont opposées sur un même objet, mais non sur des objets différents. Rien n’empêche donc qu’un même individu souffre d’une chose et se réjouisse en même temps d’une autre[4224] ; et cela est surtout vrai quand la douleur et la joie sont de simples actes de volonté ; car, non seulement à propos de choses diverses, mais à l’égard d’une même réalité, nous pouvons vouloir ceci et ne pas vouloir cela.

2. Chez les démons, la souffrance a pour objet ce qui est présent, et la crainte ce qui est à venir. Quand on lit cette parole : “Il en est arrivé à ne rien craindre”, il faut l’entendre de la crainte de Dieu qui éloigne du péché[4225]. D’ailleurs, il est écrit (Jc 2, 19) : “Les démons croient, et ils tremblent.”

3. Souffrir du mal de faute pour lui-même atteste que la volonté est bonne puisque le mal de faute s’oppose à elle. Souffrir du mal de peine, ou du mal de faute à cause de la peine qui s’ensuit, atteste la bonté de la nature et son opposition à la souffrance. C’est pourquoi S. Augustin écrit que “la douleur du bien perdu dans le supplice atteste la bonté de la nature”[4226]. De tout cela, il suit que le démon, en raison de la perversité et de l’obstination de sa volonté, ne souffre pas du mal de faute.

 

            Article 4 — Le lieu du châtiment des démons

Objections :

1. Le démon est une nature spirituelle qui n’a pas de rapport avec le lieu[4227]. Il n’y a donc pas de lieu pour le châtiment des démons.

2. Le péché de l’homme n’est pas plus grave que celui du démon. Or le lieu du châtiment, pour l’homme, c’est l’enfer[4228]. Il doit à plus forte raison en être de même pour les démons. Ce n’est donc pas l’air ténébreux.

3. Les démons sont punis de la peine du feu. Mais il n’y a pas de feu dans l’air ténébreux.

En sens contraire, S. Augustin écrit que “l’air ténébreux est comme la prison des démons jusqu’au jour du jugement”.

Réponse :

Les anges, du fait de leur nature, tiennent le milieu entre Dieu et les hommes[4229]. Or, le plan de la Providence comporte de procurer le bien des êtres inférieurs par le moyen des supérieurs[4230]. Pour ce qui est du bien de l’homme, il est procuré d’une double manière par la Providence : soit directement quand l’homme est porté au bien et détourné du mal ; et il convient que cela se fasse par le ministère des bons anges ; soit indirectement[4231] quand l’homme est éprouvé, combattu par l’assaut de l’adversaire. Et cette manière de lui procurer son bien humain, il convient qu’elle soit confiée aux mauvais anges afin qu’après leur péché ils ne perdent pas leur utilité dans l’ordre de la nature[4232]. Ainsi donc un double lieu de châtiment est attribué aux démons ; l’un en raison de leur faute, c’est l’enfer ; l’autre en raison de l’épreuve qu’ils font subir aux hommes, c’est l’air ténébreux.

D’autre part c’est jusqu’au jour du jugement qu’il faut procurer le salut des hommes. C’est jusque là, par conséquent, que doit se poursuivre le ministère des anges aussi bien que les épreuves infligées par les démons. Tout ce temps-là, les bons anges sont envoyés ici-bas auprès de nous ; les démons résident dans l’air ténébreux pour nous éprouver. Cependant, certains d’entre eux sont dès maintenant en enfer pour torturer ceux qui sont induits au mal[4233] ; de même que certains bons anges sont au ciel avec les âmes saintes[4234]. Mais après le jugement dernier, tous les méchants, hommes et anges, seront en enfer ; tous les bons, au ciel.

Solutions :

1. Le lieu n’est pas un châtiment pour l’ange et l’âme en ce sens qu’il altérerait leur nature ; mais il afflige leur volonté en la contristant[4235], car l’ange et l’âme ont conscience qu’ils sont dans un lieu qui ne correspond pas à leur vouloir.

2. Selon la condition de leur nature, les âmes sont toutes égales, et l’une n’a pas à être préférée à l’autre. Mais les démons ont un degré de nature supérieur aux hommes ; c’est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

3. Certains ont prétendu que la peine du sens était différée jusqu’au jour du jugement, aussi bien pour les démons que pour les âmes ; et il en serait de même pour le bonheur des saints. Mais c’est là une doctrine erronée[4236], et qui va à l’encontre de ce que dit l’Apôtre (2 Co 5, 1) : “Si notre demeure terrestre vient à être détruite, nous avons une demeure dans les cieux.” D’autres, tout en ne la concédant pas pour les âmes, acceptent cette théorie en ce qui regarde les démons. Mais il est mieux de reconnaître que le même jugement s’applique aux âmes et aux anges mauvais, comme le même jugement s’applique aux âmes saintes et aux bons anges.

Ce qu’il faut dire, c’est d’abord que le lieu du ciel fait partie de la gloire des anges, mais cette gloire n’est pas diminuée quand ils viennent à nous, car ils considèrent que ce lieu est à eux[4237] (comme nous disons que le prestige de l’évêque n’est pas diminué quand il ne siège pas sur son trône épiscopal). Semblablement à propos des démons, nous devons affirmer que, s’ils ne sont pas effectivement liés au feu de la géhenne, tandis qu’ils se trouvent dans l’air ténébreux, cependant, du fait qu’ils se savent astreints à cette captivité, leur peine n’en est pas diminuée. Et c’est pourquoi nous lisons dans la Glose (sur Jc 3, 6) qu’“ils emportent avec eux le feu de la géhenne”. Et contre cette manière de voir, on ne peut opposer le passage de Luc (8,31), où il est dit qu’“ils supplièrent le Seigneur de ne pas les envoyer dans l’abîme”. Car la raison de leur demande est qu’ils regardaient comme un châtiment de quitter le lieu où ils pouvaient encore nuire aux hommes. De là cette parole en S. Marc (5, 10) : “Ils le suppliaient instamment de ne pas les chasser du pays”.

 

 


 

Après la créature spirituelle, il faut considérer la créature corporelle. Dans sa production, L’Écriture fait mention de trois œuvres : l’œuvre de création, quand il est dit : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre" ; l’œuvre de distinction, quand il est dit : "Il sépara la lumière des ténèbres" et "les eaux qui sont sur le firmament, des eaux qui sont sous le firmament" ; l’œuvre d’ornementation, quand il est dit : "Qu’il y ait des luminaires dans le firmament."

Il nous faut donc considérer : I. L’œuvre de création (Q. 65). II. L’œuvre de distinction (Q. 66). III. L’œuvre d’ornementation (Q. 70).

 

QUESTION 65 — L’ŒUVRE DE CRÉATION DE LA CRÉATURE CORPORELLE

1. La créature corporelle vient-elle de Dieu ? - 2. A-t-elle été faite en vue de la bonté de Dieu ? - 3. A-t-elle été l’œuvre de Dieu par l’intermédiaire des anges ? - 4. Les formes des corps viennent-elles des anges, ou immédiatement de Dieu ?

 

            Article 1 — La créature corporelle vient-elle de Dieu ?

Objections :

1. Il est dit dans l’Ecclésiaste (3,14) : "J’ai appris que tout ce que Dieu a fait se conserve éternellement."[4238] Mais les corps visibles ne se conservent pas éternellement, car il est dit (2 Co 4,18) : "Les choses visibles sont temporaires mais les invisibles sont éternelles." Donc Dieu n’a pas fait les corps visibles.

2. Il est écrit dans la Genèse (1,31) : "Dieu vit tout ce qu’il avait fait et c’était très bon." [4239] Or il y a des créatures corporelles mauvaises ; en beaucoup de cas en effet nous faisons l’expérience de leur nocivité. C’est évident pour nombre de serpents, pour la chaleur du soleil, etc. Et l’on appelle une chose "mauvaise" parce qu’elle est nuisible. Les créatures corporelles ne viennent donc pas de Dieu.

3. Ce qui vient de Dieu n’éloigne pas de Dieu mais conduit à lui. Or les créatures corporelles détournent de Dieu[4240] ; d’où la parole de l’Apôtre (2 Co 4,18) : "Nous qui ne considérons pas les choses visibles..." Les créatures corporelles ne viennent donc pas de Dieu.

En sens contraire, le Psaume (146,6) dit : "Celui qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent..."

Réponse :

Selon la position de certains hérétiques, toutes ces choses que nous voyons ne sont pas créées par le Dieu bon, mais par un principe mauvais. Et pour prouver leur erreur ils prennent argument de ce que dit l’Apôtre (2 Co 4,4) : "Le dieu de ce monde a aveuglé les esprits des incrédules."[4241] Cette position est absolument insoutenable. En effet, si dans un sujet des éléments divers se trouvent unis, cette union a nécessairement une cause[4242]. Car des êtres divers ne s’unissent pas d’eux-mêmes et comme tels. Ainsi donc, chaque fois qu’entre des êtres de natures diverses on trouve de l’unité[4243], il faut que ces éléments divers reçoivent cette unité d’une cause unique. Tout comme divers corps chauds tiennent leur chaleur du feu. Or en toutes choses si diverses qu’elles soient, on trouve le fait, commun à toutes, d’exister. Il est donc nécessaire qu’il y ait un unique principe d’être à partir duquel toute chose, quelle qu’elle soit, tient l’être[4244], qu’il s’agisse de réalités invisibles et spirituelles, ou de réalités visibles et corporelles. - Quant au diable, il est dit "le dieu de ce monde", non parce qu’il l’aurait créé, mais parce que ceux qui vivent selon le monde sont ses esclaves[4245], d’après la tournure de langage dont use l’Apôtre (Ph 3,19) quand il dit : "Leur dieu, c’est leur ventre."

Solutions :

1. Toutes les créatures de Dieu se conservent éternellement de quelque façon, ne serait-ce que selon leur matière ; car les créatures ne seront jamais réduites au néant, même si elles sont corruptibles[4246]. Mais, plus les créatures sont proches de Dieu, qui est absolument immuable[4247], plus elles sont immuables. En effet, les créatures corruptibles durent perpétuellement quant à la matière, mais changent quant à la forme substantielle[4248]. Les créatures incorruptibles au contraire, demeurent certes quant à la substance, tout en changeant quant au reste, par exemple selon le lieu pour les corps célestes, et selon les affections chez les créatures spirituelles[4249]. - Quant au mot de l’Apôtre : "Les choses visibles sont temporaires", même s’il est vrai quant aux choses considérées en elles-mêmes, en tant que toute créature visible est soumise au temps, soit selon son être, soit selon son mouvement[4250], cependant l’Apôtre veut ici parler des choses visibles en tant qu’elles ont valeur de récompense pour l’homme ; car, parmi les récompenses de l’homme, celles qui consistent en ces réalités-ci sont temporelles et passagères, alors que celles qui consistent en des réalités invisibles sont durables et éternelles. Aussi avait-il écrit juste avant (2 Co 4,17) : Elle (la tribulation) "opère en nous un éternel poids de gloire".

2. La créature corporelle, quant à sa nature, est bonne[4251]. Elle n’est pourtant pas le bien universel ; elle n’est qu’un certain bien particulier et restreint. C’est selon cette particularisation et restriction qu’il y a en elle de la contrariété ; une chose est ainsi opposée à une autre, bien que l’une et l’autre soient bonnes en elles-mêmes[4252]. - Mais certains, appréciant les choses non d’après leur nature, mais selon leur propre avantage, estiment que tout ce qui leur est nuisible est mauvais dans l’absolu. Ils ne considèrent pas qu’une réalité, nuisible pour l’un sous un certain rapport, est avantageuse pour un autre ou pour le même sous un autre rapport. Cela n’aurait lieu en aucun cas si les corps étaient par eux-mêmes mauvais et nuisibles.

3. Autant qu’il tient à elles, les créatures ne détournent pas de Dieu, mais y conduisent. Car, écrit l’Apôtre (Rm 1,20) : "Les mystères invisibles de Dieu sont saisis par l’intelligence au moyen des créatures.[4253]" Si les créatures détournent de Dieu, c’est par la faute de ceux qui en usent comme des insensés. D’où cette parole du livre de la Sagesse (14,11) : "Les créatures sont un piège pour les pieds des insensés." Bien plus, le fait même qu’elles détournent ainsi de Dieu témoigne qu’elles sont de Dieu. Car elles ne peuvent détourner de Dieu ces insensés qu’en les séduisant par une part de bien qui existe en elles et qu’elles tiennent de Dieu[4254].

 

            Article 2 — La créature corporelle a-t-elle été faite en vue de la bonté de Dieu ?

Objections :

1. Il est dit, au livre de la Sagesse (1,14) : "Dieu a créé toutes choses pour qu’elles existent.[4255]" Donc toutes les choses ont pour cause leur propre existence et non la bonté de Dieu.

2. Le bien a raison de fin[4256]. Un bien plus grand est donc dans les choses la cause finale d’un bien moindre. Or, la créature spirituelle se compare à la créature matérielle comme un bien plus grand en face d’un bien moindre[4257]. La créature corporelle existe donc en vue de la créature spirituelle, et non de la bonté de Dieu.

3. La justice ne fait de répartitions inégales qu’entre des sujets inégaux. Mais Dieu est juste[4258]. Il y a donc, avant toute inégalité créée par Dieu[4259], une inégalité non créée par Dieu. Mais une inégalité non créée par Dieu ne peut exister que par suite du libre arbitre[4260]. Toute inégalité est donc consécutive aux mouvements différents du libre arbitre. Or les créatures corporelles ne sont pas égales aux spirituelles. Les créatures corporelles ont donc pour cause certains mouvements du libre arbitre, et non la bonté de Dieu.

En sens contraire, il est dit dans les Proverbes (16,4 Vg) : "Dieu a fait toutes choses en vue de lui-même."

Réponse :

Origène a prétendu que la créature corporelle n’a pas été faite à partir d’une intention première de Dieu, mais pour châtier le péché de la créature spirituelle. En effet, selon sa thèse, Dieu ne fit au commencement que les créatures spirituelles, et il les fit toutes égales. Et comme elles jouissaient du libre arbitre[4261], certaines se sont tournées vers Dieu[4262] et ont reçu, selon la qualité de leur conversion, un rang plus ou moins élevé[4263], tout en demeurant dans leur simplicité[4264]. Les autres, qui s’étaient détournées de Dieu, furent attachées à différents corps selon la mesure de leur éloignement à l’égard de Dieu.

Cette position est erronée. 1° Elle est contraire à la Sainte Écriture qui, après avoir raconté la production de chacune des espèces de la créature corporelle, ajoute : "Et Dieu vit que cela était bon", pour dire que chacune fut faite pour cette raison que son être même est bon[4265]. Or, selon l’opinion d’Origène, la créature corporelle n’a pas été faite parce qu’il est bon qu’elle existe, mais afin de punir le mal commis par une autre créature. - 2° Il s’ensuivrait que la disposition du monde corporel, telle qu’elle est maintenant, viendrait du hasard. En effet, si le corps du soleil a été fait tel qu’il est pour être adapté au châtiment d’un certain péché d’une créature spirituelle, au cas où plusieurs créatures spirituelles auraient commis le même péché que celle-là (pour le châtiment de laquelle il suppose que le soleil a été créé), il s’ensuivrait qu’il y aurait plusieurs soleils dans le monde. Et de même pour le reste. Or cela est totalement aberrant[4266].

Écartons donc cette conception erronée, et considérons que l’univers entier est constitué par l’ensemble de toutes les créatures comme un tout l’est par ses parties. Or, si nous voulons fixer la cause finale d’un tout et de ses parties nous trouvons ceci : 1° chacune des parties existe en vue de ses actes, comme l’œil existe pour voir ; 2° la partie la moins noble est faite en vue de la plus noble[4267], comme le sens pour l’intellect, le poumon pour le cœur ; 3° toutes les parties existent en vue de la perfection du tout, comme la matière en vue de la forme (les parties sont en effet une sorte de matière pour le tout). Enfin l’homme tout entier existe en vue d’une cause extrinsèque, par exemple la jouissance de Dieu[4268]. Ainsi en est-il pareillement dans les parties de l’univers : 1° chaque créature existe en vue de son acte propre et de sa perfection[4269] ; 2° les créatures moins nobles existent en vue des plus nobles, de même que les créatures qui sont au-dessous de l’homme sont faites en vue de l’homme. En poussant plus loin, chaque créature est faite en vue de la perfection de l’univers. En poussant plus loin encore, l’univers tout entier, avec chacune de ses parties, est ordonné à Dieu comme à sa fin[4270], en tant que, dans ces créatures, la bonté divine est représentée par une certaine imitation qui doit faire glorifier Dieu[4271]. Ce qui n’empêche pas que les créatures rationnelles, au-dessus de ce plan, aient leur fin en Dieu selon une modalité spéciale, car elles peuvent l’atteindre par leur propre opération en le connaissant et en l’aimant[4272]. Ainsi est-il évident que la bonté divine est la fin de toutes les réalités corporelles.

Solutions :

1. C’est dans le fait même qu’elle possède l’être qu’une créature représente l’être divin et sa bonté[4273]. Le fait que Dieu a créé toutes choses pour qu’elles existent n’exclut donc pas qu’il les ait créées en vue de sa bonté.

2. La fin prochaine n’exclut pas la fin ultime[4274]. Que la créature corporelle soit d’une certaine manière faite pour la créature spirituelle ne supprime donc pas qu’elle soit faite en vue de la bonté de Dieu.

3. L’égalité selon la justice a sa place là où il y a rétribution. Ce qui est juste, c’est qu’on rétribue à égalité pour des choses égales[4275]. Or il n’y a pas de place pour cela dans la première constitution des choses. Un maître d’œuvre ne commet aucune injustice quand il place des pierres de même nature à des endroits différents d’un édifice. Car il ne le fait pas à cause d’une diversité antécédente qui serait dans les pierres, mais en recherchant la perfection de l’édifice tout entier ; et cette perfection ne peut être réalisée si les pierres ne sont pas réparties de façon diverse dans l’édifice. Il en est de même pour Dieu : au commencement, parce qu’il voulait la perfection dans l’univers, il institua les créatures diverses et inégales selon l’ordre de sa sagesse et sans injustice, aucune diversité de mérites n’étant par ailleurs présupposée[4276].

 

            Article 3 — La créature corporelle a-t-elle été l’œuvre de Dieu par l’intermédiaire des anges ?

Objections :

1. De même que la sagesse divine gouverne les choses, ainsi tout est fait par la sagesse de Dieu[4277]. "Tu as tout fait avec sagesse", dit le Psaume (104,24). Mais "ordonner est le propre du sage", comme il est dit au début de la Métaphysique d’Aristote. Dans le gouvernement des choses, les inférieures sont donc régies par les supérieures[4278], dit S. Augustin. Il y a donc eu dans la production des choses un ordre tel que la créature corporelle, en tant qu’inférieure, fut produite par la créature spirituelle, en tant que supérieure[4279].

2. La diversité des effets prouve la diversité des causes, puisque le même produit toujours le même[4280]. Donc, si toutes les créatures, tant spirituelles que corporelles, étaient immédiatement produites par Dieu, il n’y aurait aucune diversité entre elles ; et l’une ne serait pas plus distante de Dieu que l’autre. Ce qui, de toute évidence, est faux puisque, dit le Philosophe, c’est en raison de leur grande distance par rapport à Dieu que certains êtres sont corruptibles[4281].

3. Une puissance infinie n’est pas requise pour produire un effet fini. Or tout corps est fini[4282]. Il a donc pu être produit par la puissance finie d’une créature spirituelle ; et cette production a eu lieu parce que chez de tels êtres il n’y a pas de différence entre être et pouvoir[4283] ; et surtout parce qu’aucune dignité convenant à un être selon sa nature ne lui est refusée, sauf pour une faute.

En sens contraire, il est dit au livre de la Genèse : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre", mots par lesquels il faut entendre la créature corporelle. Celle-ci est donc immédiatement produite par Dieu.

Réponse :

Certains ont soutenu que les choses avaient procédé de Dieu par degrés : ainsi la première créature serait sortie immédiatement de lui ; celle-ci en aurait produit une autre, et ainsi de suite jusqu’à la créature corporelle. - Mais cette position est impossible[4284] ; car la première production de la créature corporelle se fait par création, création dans laquelle la matière elle-même est produite[4285], car l’imparfait est antérieur au parfait dans l’ordre du devenir[4286]. Or il est impossible que quelque chose soit créé, sinon par Dieu seul[4287].

Pour en avoir l’évidence, il faut considérer que plus une cause est élevée, plus nombreux sont les effets auxquels s’étend sa causalité. D’autre part, ce qui forme le substrat des choses apparaît toujours à l’expérience comme plus commun que ce qui informe et restreint ce substrat. Ainsi l’être est-il plus commun que la vie[4288], la vie que la pensée, la matière que la forme. Donc, plus une chose est un substrat, plus elle procède d’une cause supérieure. Donc ce qui est en premier le substrat de toutes choses relève proprement de la causalité de la cause suprême[4289]. En conséquence, aucune cause seconde ne peut produire quelque chose si l’on ne présuppose pas dans la réalité produite cet élément premier causé par la cause supérieure.

D’autre part, la création est la production d’une chose selon la totalité de sa substance[4290], sans qu’il y ait aucun élément préalable, soit incréé, soit créé par un autre. Il reste donc que nul être ne peut créer quoi que ce soit, sauf Dieu qui est la cause première[4291]. C’est pourquoi, afin de montrer que tous les corps ont été immédiatement créés par Dieu, Moïse dit : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre."

Solutions :

1. Il y a un certain ordre dans la production des choses ; non pas celui où une créature serait créée par une autre, car c’est impossible[4292], mais celui des divers degrés que la sagesse divine a établis entre les créatures[4293].

2. Le Dieu unique lui-même peut connaître des réalités diverses sans aucun détriment pour sa simplicité, nous l’avons montré précédemment[4294]. C’est pourquoi, selon la diversité de ce qu’il connaît, il est aussi, par sa sagesse, la cause des diverses choses produites[4295] ; tout comme un artisan, en concevant des formes diverses, produit diverses œuvres d’art.

3. La quantité de la puissance d’un agent ne se mesure pas seulement à la chose qu’il fait, mais aussi à sa manière d’agir. Car une seule et même chose est faite différemment par une puissance plus grande et par une plus petite. Or produire quelque chose alors que rien ne préexiste est le propre d’une puissance infinie[4296]. Cela ne peut donc convenir à aucune créature.

 

            Article 4 — Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ?

Objections :

1. Boèce dit : "A partir des formes qui sont sans matière viennent les formes qui sont dans la matière." Or les formes qui sont sans matière sont les substances spirituelles[4297], alors que les formes qui sont dans la matière sont les formes des corps. Donc les formes des corps viennent des substances spirituelles.

2. Tout ce qui est par participation se ramène à ce qui est par essence[4298]. Or les formes spirituelles sont formes par essence[4299], alors que les formes des créatures corporelles sont participées. Les formes des réalités corporelles sont donc dérivées des substances spirituelles.

3. Les substances spirituelles ont une plus grande puissance de causalité que les corps célestes[4300]. Or les corps célestes causent les formes dans ces réalités inférieures, et c’est pourquoi on les dit causes de la génération et de la corruption[4301]. A plus forte raison, les formes qui sont dans la matière sont donc dérivées des substances spirituelles.

En sens contraire, S. Augustin nous dit : "Il ne faut pas penser que la matière corporelle soit aux ordres des anges, mais plutôt aux ordres de Dieu." Or on dit que la matière corporelle est toujours prête à servir celui dont elle reçoit son espèce[4302]. Les formes corporelles ne viennent donc pas des anges mais de Dieu.

Réponse :

Certains ont pensé que toutes les formes corporelles sont dérivées des substances spirituelles que nous appelons anges. Et ceci a été soutenu de deux façons. - Platon, d’une part, supposa que les formes qui sont dans la matière corporelle étaient dérivées et formées, par une sorte de participation, à partir des formes subsistant sans matière[4303]. Il supposait en effet une sorte d’homme subsistant immatériellement ; et de même pour le cheval et pour les autres êtres par eux sont constitués nos singuliers sensibles ; et cela selon la mesure où resterait dans la matière corporelle une sorte d’impression venant de ces formes séparées. Ce qui se produirait par une sorte de ressemblance qu’il appelait "participation". Ainsi les platoniciens établissaient d’après l’ordre des formes un ordre des substances séparées. Par exemple, il y a une substance séparée qui est le cheval, et elle est cause de tous les chevaux. Au-dessus d’elle, il y a une certaine vie séparée qu’ils disaient être la vie par elle-même et la cause de toute vie. Ultérieurement enfin, ils supposaient une forme qu’ils nommaient l’être lui-même et la cause de tout être.

Avicenne, d’autre part, et un certain nombre d’autres, n’affirmèrent pas que les formes des réalités corporelles qui sont dans la matière subsistent par soi, mais seulement dans l’intelligence. Ils disaient donc que toutes les formes qui sont dans la matière corporelle procédaient de formes existant dans l’intelligence des créatures spirituelles (ce qu’ils appellent "intelligences" et que nous appelons anges[4304]) ; de même que les formes des objets produits par l’art procèdent de celles qui sont dans l’esprit de l’artiste. - Certains hérétiques modernes ont une position qui semble revenir au même. Ils disent en effet que Dieu est créateur de toutes choses ; mais ils supposent que la matière est formée et distinguée par le diable en espèces variées[4305].

Toutes ces opinions semblent bien procéder d’une même racine. Leurs auteurs cherchaient en effet la cause des formes comme si les formes elles-mêmes étaient produites en tant que telles. Mais, comme le prouve Aristote, ce qui est produit au sens propre, c’est le composé[4306]. Les formes des réalités corruptibles ont bien cette propriété tantôt d’exister et tantôt de ne pas exister et cela sans qu’elles soient elles-mêmes engendrées ou détruites[4307] : ce sont les composés qui sont engendrés ou détruits. Ce qui existe, ce ne sont pas les formes, mais les composés, qui existent par elles[4308] ; et il appartient à chaque chose d’être produite de la manière dont il lui appartient d’exister. En conséquence, puisque le semblable est produit par le semblable[4309], il n’y a pas à chercher, comme cause des formes corporelles, une quelconque forme immatérielle, mais un composé, à la manière dont tel feu est engendré par tel feu. Ainsi donc, les formes corporelles sont causées non pas comme si elles découlaient d’une quelconque forme immatérielle[4310], mais comme une matière amenée de la puissance à l’acte par le fait d’un agent lui-même composé.

Mais un tel agent composé, qui est un corps, est mû par une substance spirituelle créée, dit S. Augustin[4311]. Il s’ensuit, en poussant plus loin, que les formes corporelles sont aussi dérivées des substances spirituelles, non que celles-ci versent en elles leur forme mais parce que ce sont elles qui les meuvent vers leur forme[4312]. Et si nous poussons plus loin encore, même les formes intelligibles de l’intelligence angélique, qui sont comme des sortes de raisons séminales[4313] des formes corporelles, se ramènent à Dieu comme à la cause première.

Pour la première production de la créature corporelle, il ne faut tenir compte d’aucun passage de la puissance à l’acte[4314]. Par suite, les formes corporelles que les corps reçurent alors ont été produites immédiatement par Dieu ; car à lui seul, comme à sa cause propre, la matière obéit totalement[4315]. C’est donc pour signifier cela que Moïse a mis, avant chacune des œuvres de la création, les mots : "Dieu dit : que (ceci ou cela) soit" ; phrase en laquelle est signifiée la formation des choses opérée par le Verbe de Dieu. Par lui, selon S. Augustin, existe "toute forme, toute structure et harmonie des parties".

Solutions :

1. Boèce entend par "formes qui sont sans matière" les notions des choses qui sont dans l’esprit divin[4316]. L’Apôtre dit de même (He 11,3) : "Par la foi nous croyons que les mondes ont été disposés par la parole de Dieu, en sorte que l’univers visible provient de ce qui n’est pas apparent." - Si toutefois, par "formes qui sont sans matière" il entend les anges, il faut dire que "les formes qui sont dans la matière" proviennent d’eux, non par écoulement, mais par motion[4317].

2. Les formes qui sont participées dans la matière ne se ramènent pas à certaines formes qui seraient de même espèce et subsisteraient par elles-mêmes, ce qui fut la position des platoniciens ; elles se ramènent à des formes intelligibles, soit de l’intellect angélique, d’où elles procèdent par motion[4318], soit, en remontant plus haut, à des raisons de l’intellect divin, à partir desquelles les semences des formes sont elles aussi imprimées dans les créatures, de telle sorte que, par mouvement, elles puissent être amenées à l’acte.

3. Les corps célestes causent les formes dans les réalités de ce monde inférieur, non par mode d’écoulement, mais par mode de motion.[4319]


 

 

Il faut maintenant considérer l’œuvre de la distinction. Ce que nous ferons en étudiant :

1° le rapport entre la création et la distinction (Q. 66) ; 2° la distinction elle-même considérée dans sa nature propre (Q. 67-69).

 

 

QUESTION 66 — LE RAPPORT ENTRE CRÉATION ET DISTINCTION

1. Un état informe de la matière créée a-t-il précédé dans le temps la distinction de cette matière ? - 2. Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ? - 3. Le ciel empyrée fut-il concréé avec la matière informe ? - 4. Le temps fut-il concréé avec elle ?

 

            Article 1 — Un état informe de la matière créée a-t-il précédé dans le temps la distinction de celle-ci ?

Objections :

1. Il semble qu’un état informe de la matière a précédé dans le temps la formation de celle-ci. Il est dit en effet dans la Genèse (1,2) : "La terre était déserte et vide" ou, selon une autre version, "invisible et incomposée" ; selon S. Augustin, cela désigne un état informe de la matière. A un certain moment, avant d’être formée, la matière aurait donc été informe.

2. Dans son opération la nature imite l’opération de Dieu, comme la cause seconde imite la cause première[4320]. Or, dans l’opération de la nature, l’état informe précède la formation. Cela vaut donc aussi dans l’opération divine.

3. La matière est au-dessus de l’accident. Car la matière fait partie de la substance[4321]. Or Dieu peut faire qu’un accident soit sans sujet. C’est évident dans le sacrement de l’autel[4322]. Dieu peut donc faire que la matière soit sans forme.

En sens contraire, 1. L’imperfection d’un effet atteste l’imperfection de l’agent[4323]. Or Dieu est l’agent parfait par excellence. D’où la parole du Deutéronome (32,4) : "Les œuvres de Dieu sont parfaites." L’œuvre créée par Dieu n’a donc jamais été informe.

2. La formation de la créature corporelle fut produite par l’œuvre de la distinction[4324]. Mais la distinction s’oppose à la confusion, comme la formation à l’état informe. Donc, si l’état informe avait précédé dans le temps la formation de la matière, il s’ensuivrait qu’au commencement il y aurait eu une confusion de la créature corporelle, ce que les anciens avaient appelé le Chaos.

Réponse :

Sur ce problème, les Pères ont eu des opinions différentes. S. Augustin veut que l’état informe de la matière n’ait pas précédé temporellement sa formation ; il n’y aurait eu antériorité que selon l’origine ou l’ordre de la nature. D’autres, comme S. Basile, S. Ambroise et S. Jean Chrysostome, veulent que l’état informe de la matière ait précédé sa formation. Quoique ces opinions paraissent contraires, elles ne diffèrent cependant que de peu. S. Augustin entend en effet autrement que les autres l’expression d’ "état informe" de la matière.

Selon S. Augustin, dans l’état informe de la matière, il faut voir l’absence de toute forme. Et de ce point de vue il est impossible de dire que l’état informe de la matière ait précédé temporellement soit la formation de cette matière, soit sa distinction. C’est manifeste pour la formation. En effet, si la matière informe avait précédé par la durée, elle aurait déjà existé en acte ; car l’acte est impliqué par la durée[4325] ; le terme de la création est en effet l’être en acte[4326]. Or, cela même qui est en acte, c’est la forme[4327]. Donc affirmer qu’il y eut d’abord de la matière sans forme, c’est dire qu’un être en acte fut sans acte, ce qui est contradictoire. - On ne peut pas dire non plus que la matière eut une sorte de forme commune, et qu’après coup vinrent s’y ajouter des formes diverses par lesquelles elle s’est trouvée distinguée. Car ce serait revenir à l’opinion des anciens naturalistes, qui supposaient que la matière première était un corps en acte, par exemple le feu, l’air ou l’eau, ou quelque intermédiaire[4328] ; d’où il résultait que le devenir substantiel n’était autre que l’altération. Car, cette forme antérieure donnant d’être en acte dans la catégorie de la substance[4329], et faisant qu’il y ait tel être existant, il s’ensuivrait que la forme surajoutée ne causerait pas absolument de l’être en acte, mais de l’être selon tel acte, ce qui est le propre de la forme accidentelle. De cette manière, les formes subséquentes seraient des accidents, où l’on ne constate pas génération mais altération. Il faut donc dire que la matière première ne fut ni créée sans aucune forme, ni créée sous une forme unique commune, mais fut créée sous des formes distinctes. - Ainsi donc, si l’expression "état informe de la matière" se réfère à la condition de la matière première (qui en tant que telle ne comporte aucune forme), il faut reconnaître qu’un tel état n’a pas précédé temporellement la formation ou la distinction de la matière, comme le dit S. Augustin, mais seulement par origine ou par nature, à la manière dont la puissance est antérieure à l’acte, et la partie au tout.

Les autres Pères, au contraire, emploient l’expression "état informe" non comme excluant toute forme, mais comme excluant cette beauté et cet éclat que l’on voit maintenant dans la créature corporelle. Et en ce sens ils affirment que l’état informe de la matière corporelle a, dans la durée, précédé sa formation. A prendre les choses ainsi, S. Augustin est, pour une part, en accord avec eux ; mais pour une autre part, il ne les suit pas, comme nous le verrons plus loin[4330].

Selon ce qu’on veut tirer de la lettre de la Genèse, il manquait trois espèces de beauté[4331], et c’est pourquoi on appela "informe" la créature corporelle. Il manquait d’abord la beauté de la lumière à la totalité de ce corps diaphane que l’on nomme ciel, d’où cette phrase : "Les ténèbres couvraient l’abîme." D’autre part, il manquait à la terre une double beauté : la première est d’être dégagée des eaux ; et c’est en ce sens qu’il est dit : "La terre était déserte" ou "invisible", car elle ne pouvait se faire voir telle qu’elle est en raison des eaux qui la couvraient de toutes parts. La seconde beauté est celle qu’elle tire des végétaux et des plantes ; et c’est pourquoi il est dit qu’elle était "vide" ou, selon l’autre version, "inorganisée". Ainsi donc, ayant mis en tête de son récit la création de deux natures, le ciel et la terre, l’auteur sacré exprime l’état informe du ciel en disant : "Les ténèbres couvraient l’abîme", en tant que sous le mot "ciel", l’air est inclus ; et il énonce l’état informe de la terre par les mots : "La terre était déserte et vide."

Solutions :

1. Dans ce passage, le mot "terre" est entendu autrement par S. Augustin et par les autres Pères. S. Augustin veut en effet qu’ici les noms de "terre" et d’ "eau" désignent la matière première elle-même. En effet, comme Moïse s’adressait à un peuple inculte, il ne lui était pas possible de signifier la matière première autrement que par des analogies tirées de choses bien connues. C’est aussi pourquoi il désigne cette matière par plusieurs analogies, en n’usant pas du seul mot "eau" ou du seul mot "terre", pour qu’on ne se figure pas qu’elle fut en réalité ou la terre, ou l’eau. Cependant, la matière première présente avec la terre cette ressemblance d’être sous-jacente aux formes[4332], et avec l’eau, de pouvoir être informée par des formes diverses. En ce sens donc la terre est appelée "déserte et vide" ou "invisible et inorganisée", parce que la matière est connue par la forme[4333] (donc considérée en elle-même on la dit invisible ou déserte) ; et sa puissance est remplie par la forme ; de là vient que Platon dit que la matière est un "lieu". - Les autres Pères entendent par terre l’élément lui -même ; nous avons expliqué plus haut[4334] comment, selon eux, elle était informe.

2. La nature produit l’effet en acte à partir de l’être en puissance[4335]. Il est donc nécessaire que dans son opération la puissance précède temporellement l’acte, et que l’état informe soit antérieur à la formation. Mais Dieu produit l’être en acte à partir de rien[4336] ; il peut donc produire instantanément une réalité parfaite selon la grandeur de sa puissance.

3. L’accident, puisqu’il est forme, est de l’acte ; au contraire la matière, en tant que telle, est de l’être en puissance[4337]. Etre en acte est donc plus contraire à une matière sans forme qu’à un accident sans sujet[4338].

Solutions des objections en sens contraire : 1. Si, selon la doctrine des autres Pères, l’ "état informe" précède temporellement la formation de la matière, cela vient non d’une impuissance de Dieu mais de sa sagesse. Il entend observer un ordre dans l’établissement des choses en les conduisant de l’état imparfait à l’état parfait[4339].

2. Certains des physiciens anciens supposaient une confusion excluant toute distinction ; sauf la réserve faite par Anaxagore d’un unique intellect distinct et sans mélange. En revanche, l’Écriture énonce, antérieurement à l’œuvre de la distinction, des distinctions diverses. - 1. Celle du ciel et de la terre, qui manifeste une distinction valant aussi au plan de la matière, comme nous le verrons plus loin[4340] ; on la trouve dans les mots : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre." - 2. La distinction des éléments quant à leurs formes. Elle est faite quand sont nommées l’eau et la terre. Si l’Écriture ne fait allusion ni à l’air ni au feu, c’est qu’il n’était pas évident pour les hommes sans instruction auxquels s’adressait Moïse qu’il y eût des corps de ce genre, comme c’est manifeste dans le cas de la terre et de l’eau. Platon cependant avait compris que l’air était signifié par l’expression "souffle du Seigneur", car l’air se dit aussi "souffle". Quand au feu, il l’avait vu signifié par le ciel, qu’il disait de nature ignée, comme le rapporte S. Augustin[4341]. Maïmonide, qui est d’accord avec Platon pour le reste, affirme pour sa part que le feu est signifié par les "ténèbres", pour cette raison dit-il, que dans la sphère qui lui est propre le feu ne brille pas. Il semble plus conforme à la réalité de répéter ce qui a été dit plus haut, car l’expression "souffle du Seigneur" n’est habituellement employée dans l’Écriture que lorsqu’il s’agit du Saint-Esprit[4342]. Et quand il est dit qu’il plane sur les eaux, c’est à entendre non d’une manière corporelle mais comme la volonté d’un maître artisan domine la matière qu’il entend informer.[4343] - 3. la distinction selon la situation locale. La terre était sous les eaux qui la rendaient invisible ; et l’air, qui est le sujet des ténèbres, est indiqué comme au-dessus des eaux par ces paroles : "Les ténèbres étaient sur la face de l’abîme." - Ce qui restait encore à distinguer, la suite nous le montrera[4344]

 

            Article 2 — Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ?

Objections :

1. Il semble qu’il y a pour tous les corps une seule et unique matière informe. S. Augustin dit en effet : "Je vois deux choses que tu as faites : l’une qui était formée, et l’autre qui était informe." Puis il précise que cette dernière est la "terre invisible et sans parure", laquelle, affirme-t-il, signifie la matière des réalités corporelles. Il y a donc une matière unique pour toutes les choses corporelles.

2. Aristote nous dit que les réalités qui sont unes par le genre sont unes par la matière[4345]. Or toutes les choses corporelles se rencontrent dans le genre corps. Il y a donc une matière unique pour tous les êtres corporels.

3. Il y a diversité d’acte en des puissances diverses, et unité quand la puissance est unique. Or il y a une forme unique pour tous les corps, qui est la corporéité. Il y a donc pour tous une matière unique.

4. Considérée en elle-même, la matière n’existe qu’en puissance[4346]. Mais la distinction vient des formes. Donc, si on la considère en elle-même, il y a seulement une matière pour toutes les réalités corporelles.

En sens contraire, toutes les choses qui ont en commun la matière sont transmuables entre elles et jouent les unes pour les autres les rôles d’agent et de patient, dit Aristote. Or, les corps célestes et les corps inférieurs n’ont pas ce comportement mutuel[4347]. Ils n’ont donc pas une matière unique.

Réponse :

Sur ce problème les opinions des philosophes ont différé. Platon et tous les philosophes antérieurs à Aristote supposèrent que tous les corps avaient la nature des quatre éléments. Puisque les quatre éléments communiquent dans une même matière, comme nous le montrent leur génération et leur destruction mutuelles, il s’ensuivait par voie de conséquence qu’il y ait une matière unique pour tous les corps. Quant au fait que certains corps sont indestructibles, Platon l’attribuait, non à une condition de la matière, mais à la volonté de l’auteur, c’est-à-dire de Dieu, qu’il présente parlant ainsi aux corps célestes : "Par votre nature vous êtes susceptibles de dissolution, mais par ma volonté vous êtes exempts de dissolution, car ma volonté est supérieure au nœud qui vous constitue."

Aristote réfute cette position en invoquant le mouvement naturel des corps. Le corps céleste est doué d’un mouvement naturel différent du mouvement naturel des éléments ; il s’ensuit donc que sa nature est autre que celle des quatre éléments. Et comme le mouvement circulaire qui est propre aux corps célestes ne connaît pas de contrariété[4348], les mouvements des éléments étant contraires entre eux (tel le mouvement ascendant ou descendant), le corps céleste est pareillement sans contrariété, alors que les corps élémentaires comportent contrariété. Ainsi, puisque la génération et la destruction se produisent entre contraires, il en découle que selon sa nature le corps céleste est incorruptible[4349], alors que les éléments sont corruptibles.

Malgré cette différence de la corruptibilité et de l’incorruptibilité naturelles, Avicebron considérant l’unité de la forme corporelle, a supposé une matière unique pour tous les corps. Mais s’il y avait une seule forme essentielle comme forme de corporéité, forme à laquelle se surajouteraient d’autres formes qui présideraient à la distinction des corps, on serait dans la nécessité qu’on vient de dire[4350]. Car cette forme inhérerait de manière immuable à la matière. Par suite, du point de vue de cette forme, tout corps serait incorruptible, et sa corruption ne se produirait que par le rejet des formes subséquentes ; ce qui ne serait pas une corruption absolue mais relative, parce qu’un certain être en acte demeurerait sous-jacent à la corruption. La même chose arrivait aux anciens physiciens quand ils supposaient comme sujet des corps un être en acte, comme le feu, l’air ou un autre du même genre.

D’autre part, si l’on suppose qu’il n’y a aucune forme dans le corps corruptible qui demeure comme substrat de la génération et de la corruption, il s’ensuit nécessairement que ce n’est pas la même matière qui se trouve dans les corps selon qu’ils sont corruptibles ou incorruptibles. En effet, la matière, en tant que telle, est en puissance à la forme[4351]. Il faut donc que la matière, considérée en elle-même, soit en puissance aux formes de toutes les choses dont elle est la matière commune. D’autre part, la matière ne devient en acte par une forme que par rapport à cette forme. La matière reste donc en puissance à toutes les autres formes[4352]. - Ceci n’est pas exclu si l’une de ces formes est plus parfaite et contient en elle-même dans ses virtualités les autres formes ; car la puissance, en tant que telle, a un comportement indifférent à l’égard du parfait et de l’imparfait. Par suite, quand elle se trouve sous une forme imparfaite, elle est en puissance à une forme parfaite, et réciproquement. Ainsi donc, la matière en tant qu’elle est sous la forme d’un corps incorruptible reste encore en puissance à la forme d’un corps corruptible. Et comme elle n’a pas cette forme en acte, elle se trouvera simultanément sujet de forme et de privation ; la carence d’une forme dans ce qui est en puissance à la forme étant la privation. Mais cette disposition est le fait du corps corruptible. Il y a donc impossibilité de nature à ce que le corps incorruptible et le corps corruptible aient une même et unique matière.

Il ne faut pas dire pour autant, comme l’imagina Averroès, que le corps céleste est lui-même la matière du ciel, un être en puissance à une situation locale et non à l’existence substantielle, sa forme étant alors la substance séparée qui lui est unie à titre de moteur[4353]. On ne peut affirmer en effet que quelque chose soit un être en acte, s’il n’est lui-même tout entier acte et forme, ou s’il ne possède pas l’acte ou la forme. Si l’on écarte par l’esprit cette substance séparée qui est posée comme moteur[4354], et si le corps céleste n’est pas ce qui possède la forme (c’est-à-dire un être composé de la forme et du sujet de la forme), il s’ensuit qu’il est tout entier forme et acte. Mais tout être de ce genre est une intelligence en acte[4355], ce qu’on ne peut dire du corps céleste, puisqu’il est perceptible aux sens[4356].

Il reste donc que la matière du corps céleste considérée en elle-même n’est pas en puissance à une autre forme que celle qu’elle possède[4357]. Et peu importe à notre propos ce que peut être cette forme, âme ou autre chose. En toute hypothèse, cette forme perfectionne si bien cette matière que d’aucune façon il ne demeure en elle de puissance à l’existence substantielle, mais seulement au lieu[4358], dit Aristote. Ainsi donc, ce n’est pas la même matière qui existe dans les corps célestes et dans les éléments, sauf par analogie, pour autant que ces choses s’unifient dans la notion de puissance.

Solutions :

1. S. Augustin suit en cela l’opinion de Platon qui ne supposait pas de "quinte essence". On peut aussi répondre que la matière informe est une selon une unité d’ordre[4359], comme tous les corps sont un dans l’ordre de la créature corporelle.

2. Si l’on considère le genre du point de vue physique, les êtres corruptibles et les êtres incorruptibles ne sont pas dans le même genre, à cause des diverses modalités que prend en eux la puissance, selon Aristote. Mais du point de vue logique il y a un genre unique pour tous les corps, à cause d’une unique raison de corporéité[4360].

3. La forme de la corporéité n’est pas une dans tous les corps, car, nous l’avons dit[4361], elle ne diffère pas des formes par lesquelles les corps se distinguent

4. Puisque la puissance se dit par rapport à l’acte, l’être en puissance se diversifie du fait même qu’il est ordonné à divers actes[4362] ; ainsi la vue à la couleur, et l’ouïe au son. En conséquence, la matière du corps céleste est autre que la matière des éléments par ce fait qu’elle n’est pas en puissance à leurs formes[4363].

 

            Article 3 — Le ciel empyrée fut-il concréé avec la matière informe ?

Objections :

1. Si le ciel empyrée est quelque chose, il faut qu’il soit un corps sensible. Or tout corps sensible est sujet au mouvement[4364]. Mais le ciel empyrée n’est pas dans ce cas, car son mouvement serait perçu par le mouvement de quelque corps apparent ; ce dont on n’a pas du tout conscience. Le ciel empyrée n’est donc pas quelque chose qui fut concréé avec la matière informe.

2. S. Augustin dit que "les corps inférieurs sont régis selon un certain ordre par les corps supérieurs"[4365]. Si le ciel empyrée était une sorte de corps suprême, il faudrait donc qu’il possède une certaine influence sur les corps inférieurs de ce monde. Ce qui ne semble pas se produire, surtout si on le présente comme exempt de mouvement ; car aucun corps ne peut être cause de mouvement s’il n’est lui-même sujet de mouvement[4366]. Le ciel empyrée n’est donc pas concréé avec la matière informe.

3. Si l’on dit que le ciel empyrée est le lieu de la contemplation, non ordonné à des effets naturels, S. Augustin dit En sens contraire "Dans la mesure où notre esprit saisit quelque chose d’éternel, nous ne sommes plus en ce monde." [4367] D’où il ressort que la contemplation élève notre esprit au-dessus des choses corporelles. Il n’y a donc pas un lieu corporel assigné à la contemplation.

4. Parmi les corps célestes, il se trouve un corps qui est en partie diaphane et en partie lumineux : le "ciel sidéral"[4368]. Il se trouve également un ciel entièrement diaphane, que certains appellent "ciel aqueux" ou "cristallin"[4369]. S’il y a au-dessus un autre ciel, il faut donc qu’il soit totalement lumineux. Mais cela ne peut être, car alors l’air serait continuellement illuminé et il n’y aurait jamais de nuit. Il n’y a donc pas de ciel empyrée concréé avec la matière informe.

En sens contraire, Strabon dit que dans ces mots : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre", le ciel signifie non pas un firmament visible, mais empyrée, c’est-à-dire du feu.

Réponse :

L’existence du ciel empyrée ne se trouve proposée que par les autorités de Strabon et de Bède, et en outre par celle de S. Basile. En affirmant ce fait, ces auteurs s’accordent sur un point : ce ciel est le lieu des bienheureux. En effet Strabon, et Bède avec lui, nous dit : "Aussitôt fait, il fut rempli par les anges." Et dans le même sens S. Basile précise : "De même que les damnés sont chassés dans les ténèbres ultimes[4370], de même la récompense pour les œuvres méritoires est allouée dans cette lumière qui est hors du monde, où les bienheureux reçoivent en partage le séjour du repos." Ces auteurs diffèrent cependant sur la raison qui fait supposer l’existence de ce ciel. Pour Strabon et Bède, l’hypothèse du ciel empyrée repose sur cet argument que le firmament (mot par lequel ils entendent le ciel empyrée) n’est pas dit avoir été fait au commencement, mais le deuxième jour[4371]. S. Basile quant à lui donne pour raison qu’il ne faut pas que Dieu semble avoir purement et simplement commencé son œuvre à partir des ténèbres, ce qui était un des mensonges blasphématoires des manichéens, puisqu’ils appelaient dieu des ténèbres le Dieu de l’Ancien Testament.

Toutes ces raisons n’ont pas beaucoup de force. La question du firmament, dont on lit dans l’Écriture qu’il fut fait le deuxième jour, est en effet résolue de manière différente par S. Augustin et par les autres Pères[4372]. Quant à la question des ténèbres, elle se résout, pour le premier, en ce que l’état informe que signifient les ténèbres a précédé la formation non par la durée mais par l’origine. Pour les autres Pères, les ténèbres n’étant pas une créature mais une privation de lumière[4373], la sagesse divine est manifestée en ce que les êtres qu’elle a produits à partir de rien ont d’abord été institués par elle dans un état d’imperfection, puis ont été ultérieurement conduits à la perfection.

On peut trouver une raison plus satisfaisante en partant de la condition même de la gloire. On attend en effet une double gloire dans la récompense à venir : spirituelle et corporelle[4374] ; et alors, non seulement les corps humains seront glorifiés, mais le monde entier sera renouvelé[4375]. Or, la gloire spirituelle a commencé dès le début du monde dans la béatitude des anges[4376], béatitude dont la pareille est promise aux saints[4377]. Il était donc convenable que, dès le commencement, la gloire corporelle soit aussi inaugurée dans un corps préservé dès le début de la servitude de la corruption et du changement[4378], et doué d’une totale luminosité, conformément à ce que la créature corporelle tout entière s’attend à devenir après la résurrection[4379]. Et c’est pourquoi ce ciel est appelé empyrée, c’est-à-dire de feu, non parce qu’il brûle, mais parce qu’il resplendit.

Il faut savoir que, d’après S. Augustin, Porphyre "distinguait les anges des démons par le fait que les lieux de l’air appartenaient aux démons[4380], et ceux de l’éther ou de l’empyrée aux anges". Mais notons que Porphyre, en platonicien, estimait que ce ciel sidéral était de feu. Aussi le nommait-il "empyrée" ; ou bien encore "éthéré", en tant que le mot éther se prend de l’embrasement, et non, comme dit Aristote, de la rapidité du mouvement. Nous rappelons cela pour empêcher de croire que S. Augustin comprenait le ciel empyrée dans le sens des modernes.

Solutions :

1. Les corps sensibles sont sujets du mouvement selon le statut même du monde. Car c’est le mouvement de la créature corporelle qui procure la multiplication des éléments[4381]. Mais, dans la dernière consommation de la gloire, le mouvement des corps trouvera son terme[4382]. Et pourtant, ce dut être la disposition du ciel empyrée dès le début.

2. Il y a quelque probabilité, comme le pensent certains, que le ciel empyrée, étant ordonné à l’état de gloire, n’ait pas d’influence sur les corps inférieurs, lesquels relèvent d’un autre ordre, celui du cours naturel des choses. Cependant la position suivante semble être encore plus probable. De même que les anges les plus élevés, qui sont auprès de Dieu, ont une influence sur les anges de dignité intermédiaire et dernière, qui sont "envoyés" (bien que, selon Denys, eux-mêmes ne soient pas "envoyés")[4383] ; de façon analogue, le ciel empyrée a une influence sur les corps soumis au mouvement, bien qu’il ne soit pas lui-même soumis au mouvement[4384]. Ainsi peut-on dire qu’il cause dans le premier ciel soumis au mouvement, non quelque réalité passagère et survenant par un mouvement, mais quelque chose de fixe et de permanent, comme la puissance de contenir ou de causer, ou autre chose de ce genre, qui soit approprié à sa dignité.

3. On attribue un lieu corporel à la contemplation pour une raison non de nécessité mais de convenance, de manière qu’une clarté extérieure soit en harmonie avec la clarté intérieure[4385]. D’où la parole de S. Basile : "Les esprits serviteurs ne pouvaient vivre dans les ténèbres : c’est en pleine lumière et joie spirituelles qu’ils trouvaient l’état qui leur convenait."

4. "Il est manifeste, dit S. Basile, que le ciel, refermé sur sa propre circonférence, formé d’une matière opaque et solide, pouvait séparer l’intérieur de l’extérieur. Il était donc nécessaire qu’il rendît obscur le lieu qu’il isolait, la lumière extérieure venant se briser sur lui." - Mais parce que ce corps du firmament, bien que solide, est diaphane, ce qui n’empêche pas la lumière (l’expérience le prouve, puisque nous pouvons voir la lumière des étoiles, sans que les ciels intermédiaires y mettent obstacle), pour cette raison, on pourrait encore dire que le ciel empyrée n’a pas une lumière condensée qui émet des rayons, comme le corps du soleil, mais une lumière d’une nature plus subtile[4386]. - Enfin une autre réponse est encore possible : le ciel empyrée possède la clarté de l’état de gloire, qui n’est pas de la même espèce que la clarté naturelle.

 

            Article 4 — Le temps fut-il concréé avec la matière informe ?

Objections :

1. Il semble que non. S. Augustin, s’adressant à Dieu dit en effet : "Je trouve deux choses que tu as faites étrangères au temps : la matière corporelle et la nature angélique[4387]". Le temps n’est donc pas concréé avec la matière.

2. Le temps se divise entre le jour et la nuit. Mais au commencement il n’y avait ni jour ni nuit ; cela n’apparut qu’ultérieurement, quand "Dieu divisa la lumière d’avec les ténèbres". Ainsi le temps n’existait pas dès le commencement.

3. Le temps est le nombre qui mesure le mouvement[4388] du firmament. Or on lit dans l’Écriture que celui-ci fut créé au deuxième jour[4389]. Le temps n’existe donc pas dès le commencement.

4. Le mouvement est antérieur au temps[4390]. C’est donc bien lui, plutôt que le temps, qui devait être dénombré parmi les premiers êtres créés.

5. Le temps est une mesure extrinsèque[4391] ; de même le lieu. Pas plus que le lieu nous ne devons donc compter le temps au nombre des premiers êtres créés.

En sens contraire, S. Augustin a dit que la créature, tant spirituelle que corporelle, est créée "au commencement du temps".

Réponse :

On dit communément qu’il y a quatre choses qui furent créées en premier : la nature angélique, le ciel empyrée, la matière corporelle informe, et le temps. Mais il faut prendre garde que cette manière de parler ne découle pas de l’opinion de S. Augustin. Celui-ci en effet pose deux créatures faites en premier[4392] : la nature angélique[4393] et la matière corporelle. Il ne fait aucune mention du ciel empyrée[4394]. Or, ces deux réalités, de la nature angélique et de la matière informe, précédent la formation non dans la durée mais par nature. Et comme elles précèdent par nature la formation, de même sont-elles aussi antérieures et au mouvement, et au temps. On ne peut donc faire figurer le temps dans cette énumération.

Celle-ci provient de l’opinion des autres Pères, pour qui l’état informe de la matière avait, dans la durée, précédé la formation[4395]. En raison de cette durée, il était donc nécessaire de poser un temps quelconque. Sinon il ne pourrait y avoir de mesure de la durée.

Solutions :

1. S. Augustin dit cela en ce sens que la nature angélique et la matière informe précèdent le temps dans l’ordre d’origine ou de nature.

2. Selon les autres Pères, la matière se trouvait d’une certaine manière sans forme, puis elle fut formée[4396]. De même le temps fut d’une certaine manière informe, puis ultérieurement formé et distingué en jour et en nuit.

3. Si le mouvement du firmament n’a pas commencé dès le début, alors le temps qui a précédé n’était pas le nombre du mouvement du firmament, mais de tout mouvement premier[4397]. En effet, le temps se trouve être le nombre du mouvement du firmament dans la mesure où ce mouvement est le premier des mouvements. Mais s’il y avait un autre mouvement premier, c’est de ce mouvement que le temps serait la mesure. Car tout ce qui est mesuré l’est par référence au premier de son genre. D’autre part, il faut dire que dès le commencement il y eut un certain mouvement, ne serait-ce que par une succession d’idées et d’affections dans l’esprit angélique[4398]. Or, on ne peut concevoir le mouvement sans le temps, car le temps n’est rien d’autre que "le nombre de l’avant et de l’après dans le mouvement"[4399].

4. Parmi les êtres créés en premier, on compte ceux qui ont un rapport général avec les choses. On doit donc y compter le temps, puisqu’il a valeur de mesure commune[4400]. Mais cela ne vaut pas pour le mouvement, qui se rapporte seulement au sujet qu’il affecte.

5. Le lieu est à entendre dans le ciel empyrée, qui contient tout. Et comme le lieu est au nombre des réalités permanentes, il est créé simultanément dans sa totalité. Mais le temps, qui n’est pas chose permanente, a été créé seulement à l’origine dans son principe. C’est ainsi que maintenant encore rien ne peut être considéré comme du temps en acte, en dehors de l’instant présent.

Étudions à la suite l’œuvre de distinction : I. L’œuvre du premier jour (Q. 67). - II. L’œuvre du deuxième jour (Q. 68). - III. L’œuvre du troisième jour (Q. 69).

 

 

QUESTION 67 — L’ŒUVRE DU PREMIER JOUR

1. La lumière peut-elle être attribuée dans un sens propre aux réalités spirituelles ? - 2. La lumière corporelle est-elle un corps ? - 3. Est-elle une qualité ? - 4. Est-il normal que la lumière ait été créée le premier jour ?

 

            Article 1 — La lumière peut-elle être attribuée dans un sens propre aux réalités spirituelles ?

Objections :

S. Augustin dit que, parmi les réalités spirituelles, "la meilleure et la plus certaine est la lumière ) ; et aussi, que "ce n’est pas de la même manière que le Christ est appelé lumière et pierre, car dans le premier cas l’attribution est propre, et dans le second cas, figurative".

2. Denys compte "Lumière" parmi les noms intelligibles de Dieu. Or les noms intelligibles sont attribués dans un sens propre aux êtres spirituels. Donc la lumière est attribuée dans un sens propre aux êtres spirituels.

3. S. Paul écrit (Ep 5,13) : "Tout ce qui se manifeste est lumière." Or, au sens propre le fait de se manifester convient aux êtres spirituels plus qu’aux corporels. Donc aussi la lumière.

En sens contraire, S. Ambroise place la "splendeur" au nombre des mots qui sont dits métaphoriquement de Dieu.

Réponse :

Quand on traite d’un mot, il convient de le faire selon deux points de vue : celui de sa première acception, et celui de l’usage qu’on en fait. Ainsi, le mot "vision" est d’abord employé pour signifier l’acte du sens de la vue. Mais en raison de la dignité et de la certitude de ce sens, l’emploi de ce nom s’est étendu par l’usage à toute connaissance des autres sens. Ne dit-on pas : "Voyez ce goût ou cette odeur, ou comme c’est chaud." Et ultérieurement enore l’usage s’est étendu à la connaissance intellectuelle ; ainsi lit-on dans S. Matthieu (5,8) : "Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu."

La même méthode doit être appliquée au mot "lumière". Il a été institué pour signifier ce qui procure une manifestation au sens de la vue. Ultérieurement, la signification s’est étendue à tout ce qui produit la manifestation d’une connaissance. - Ainsi donc, pris dans son acception première, le mot lumière est attribué métaphoriquement aux êtres spirituels, comme le soutient S. Ambroise. Mais dans la langue usuelle, où il est étendu à toute manifestation, il est attribué dans son sens propre aux êtres spirituels.

Tout cela répond clairement aux objections.

 

            Article 2 — La lumière corporelle est-elle un corps ?

Objections :

S. Augustin dit : "La lumière tient le premier rang parmi les corps." Donc elle est un corps.

2. Aristote nous dite que la lumière est une espèce de feu. Or le feu est un corps.

3. Être porté, divisé, réfléchi appartient proprement aux corps. Or tous ces phénomènes sont attribués à la lumière ou au rayon. Plusieurs rayons aussi peuvent, selon Denys, converger ou se séparer ; et il semble que cela ne peut convenir qu’à des corps. La lumière est donc un corps.

En sens contraire, deux corps ne peuvent pas être en même temps dans un même lieu. Or la lumière est dans un même lieu en même temps que l’air. Donc la lumière n’est pas un corps.

Réponse :

Il est impossible que la lumière soit un corps. Et cela est manifeste à trois points de vue.

1. Au point de vue du lieu ; car le lieu de n’importe quel corps est distinct du lieu d’un autre corps ; et il n’est pas possible, dans l’ordre de la nature, que deux corps soient simultanément dans le même lieu, quels que puissent être ces corps ; le contact requiert en effet des positions distinctes.

2. Cela se voit aussi à partir de la notion de mouvement. Si la lumière était un corps, l’illumination serait un mouvement local. Or aucun mouvement local ne peut être instantané. Tout corps qui se meut localement doit en effet atteindre nécessairement la moitié de la distance parcourue avant d’atteindre son extrémité. Or l’illumination est un fait instantané. - Et l’on ne peut pas dire qu’elle ait lieu en un temps imperceptible. Car si, pour peu d’espace, le temps peut être inaperçu, pour un grand espace, par exemple de l’orient à l’occident, cela n’est pas possible. Or, sitôt que le soleil apparaît au point de son lever, toute la voûte céleste est illuminée jusqu’au point opposé. - En partant du mouvement on peut faire encore une autre considération. Tout corps a un mouvement naturel déterminé. Or le mouvement de l’illumination a lieu dans toutes les directions, et pas davantage d’une manière circulaire que d’une manière rectiligne. Il est donc manifeste que l’illumination n’est pas le mouvement local d’un corps quelconque.

3. La même impossibilité se constate également si l’on part des faits de génération et de corruption. En effet, si la lumière était un corps, quand l’air se remplit de ténèbres par absence de source lumineuse, il s’ensuivrait qu’il y aurait une corruption du corps de la lumière, et que sa matière recevrait une autre forme. Or cela ne ressort pas de l’expérience, à moins qu’on ne dise que les ténèbres sont aussi un corps. - On ne voit pas non plus à partir de quelle matière se produirait quotidiennement la génération d’un corps si grand qu’il remplit la voûte céleste intermédiaire. Et il serait ridicule de dire que par la seule absence de luminaire ce corps énorme se corrompt. - Si l’on objectait que ce corps ne se corrompt pas, mais qu’il arrive et se répand alentour en même temps que le soleil, que dira-t-on pour rendre compte du fait que lorsque l’on interpose un corps autour d’un flambeau, toute la pièce se trouve dans l’obscurité ? Et il ne semble pas que la lumière s’entasse autour du flambeau, car l’on ne voit pas qu’il s’y trouve alors davantage de lumière qu’avant. Tout cela est donc contraire, non seulement à la raison, mais aussi aux sens, et il faut donc dire qu’il est impossible que la lumière soit un corps.

Solutions :

1. S. Augustin emploie le mot de lumière pour désigner un corps producteur de lumière en acte : le feu qui est le plus noble des quatre éléments.

2. Aristote appelle "lumière" le feu dans sa matière propre, tout comme le feu dans la matière de l’air est appelé "flamme", et dans la matière de la terre, "braise". Mais il ne faut pas prêter trop attention aux exemples qu’Aristote donne dans ses livres de Logique ; car il les introduit à titre d’opinions probables avancées par d’autres.

3. Tout cela est attribué métaphoriquement à la lumière, comme cela pourrait l’être à la chaleur. En effet, puisque le mouvement local est naturellement le premier des mouvements, comme il est montré aux Physiques, nous employons des mots appropriés au mouvement local pour l’altération et les autres mouvements. Tout comme, par dérivation, le mot "distance" a été étendu, à partir du lieu, à tous les contraires, remarque Aristote.

 

            Article 3 — La lumière est-elle une qualité ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, toute qualité demeure dans le sujet ; et cela, même après la disparition de l’agent. Telle la chaleur de l’eau que l’on a retirée de dessus le feu. Or la lumière ne reste pas dans l’air quand la source lumineuse disparaît. La lumière n’est donc pas une qualité.

2. Toute qualité sensible comporte un contraire. Ainsi le chaud s’oppose au froid, et le blanc au noir. Mais il n’y a pas de contraire pour la lumière. Les ténèbres ne sont en effet que la privation de la lumière. La lumière n’est donc pas une qualité sensible.

3. La cause est supérieure à l’effet. Or la lumière des corps célestes cause les formes substantielles dans les êtres inférieurs de ce bas monde. Elle donne aussi une existence spirituelle aux couleurs puisqu’elle les rend visibles en acte. La lumière n’est donc pas une qualité sensible, mais bien plutôt une forme substantielle ou spirituelle.

En sens contraire, S. Jean Damascène dit que la lumière est une qualité.

Réponse :

Certains ont dit que la lumière dans l’air n’a pas un être naturel, comme la couleur sur un mur, mais un être intentionnel, comme la similitude de la couleur dans l’air. Mais cela est impossible pour deux raisons : 1. La lumière est un attribut de l’air ; l’air en effet devient lumineux en acte. Au contraire, la couleur n’est pas un attribut de l’air, car on ne parle pas d’ "air coloré". 2. La lumière comporte un effet dans la nature, puisque les rayons du soleil chauffent les corps. Or les êtres intentionnels ne causent pas de changements naturels.

D’autres ont affirmé que la lumière est la forme substantielle du soleil. Mais cela apparaît impossible pour deux raisons : 1. Aucune forme substantielle n’est par elle-même objet de sensation, car l’essence est l’objet de l’intelligence, selon Aristote. Or la lumière est de soi l’objet de la vue. 2. Il est impossible que ce qui est forme substantielle dans un être soit forme accidentelle dans un autre. Car la forme substantielle a en propre de constituer l’espèce, et elle se rencontre donc toujours en celle-ci et en tout individu. Or la lumière n’est pas la forme substantielle de l’air ; autrement il y aurait corruption de celui-ci quand elle disparaît. Elle ne peut donc être la forme substantielle du soleil.

Il faut donc dire : de même que la chaleur est une qualité active produite par la forme substantielle du feu, de même la lumière est une qualité active produite par la forme substantielle du soleil ou de n’importe quel autre corps lumineux par lui-même, s’il en existe. Le signe en est que les rayons des diverses étoiles ont des effets divers selon les diverses natures des corps.

Solutions :

1. La qualité suit la forme substantielle. Le sujet se comporte donc dans la réception de la qualité de diverses manières comme pour la réception de la forme. En effet, quand la matière reçoit parfaitement la forme, la qualité produite par la forme trouve elle aussi une stabilité ferme ; comme si l’eau se changeait en feu. En revanche, quand la forme substantielle est reçue imparfaitement, selon un mode inchoatif, la qualité produite demeure quelque temps, mais pas toujours ; l’expérience nous montre que l’eau qu’on a chauffée retourne à son état naturel. Or, l’illumination ne se fait pas par une sorte de transmutation de la matière pour lui faire recevoir la forme substantielle selon un mode inchoatif. En conséquence la lumière ne persiste que dans la mesure où l’agent demeure présent.

2. La lumière se trouve n’avoir pas de contraire, du fait qu’elle est la qualité naturelle du premier corps principe d’altération, lequel est éloigné de toute contrariété.

3. De même que la chaleur agit pour produire la forme du feu d’une manière quasi instrumentale par la vertu de la forme substantielle, de même la lumière agit d’une manière quasi instrumentale par la vertu des corps célestes, pour produire les formes substantielles, et aussi pour rendre les couleurs visibles en acte, en tant qu’elle est la qualité du premier corps sensible.

 

            Article 4 — Est-il normal que la lumière ait été créée le premier jour ?

Objections :

1. Il semble que non. La lumière, on vient de le dire (article précédent), est une qualité. Or la qualité, du fait qu’elle est un accident, n’a pas raison de premier, mais plutôt de dernier. Ce n’est donc pas le premier jour que devait être placée la production de la lumière.

2. C’est la lumière qui distingue le jour de la nuit. Or cela est fait par le soleil, dont la création est située au quatrième jour. Ce n’est donc pas le premier jour qu’il fallait mettre la production de la lumière.

3. La nuit et le jour sont produits par le mouvement circulaire d’un corps lumineux. Or le mouvement circulaire est propre au firmament ; et nous lisons que celui-ci fut créé le deuxième jour. Il ne fallait donc pas mettre au premier jour la production de la lumière qui distingue le jour de la nuit.

4. Si l’on dit que le texte biblique doit être entendu de la lumière spirituelle, voici l’objection. La lumière, que l’Écriture dit avoir été créée le premier jour, opère la distinction d’avec les ténèbres ; mais au début il n’y avait pas de ténèbres spirituelles, car au début les démons eux-mêmes étaient bons, comme on l’a dit plus haut. Ce n’est donc pas le premier jour qu’il fallait mettre la production de la lumière.

En sens contraire, ce qui est la condition indispensable à l’existence du jour doit être produit dès le premier jour. Or, sans la lumière il ne peut y avoir de jour. I1 fallait donc que la lumière fût faite le premier jour

Réponse :

Il y a deux positions au sujet de la production de la lumière. - Pour S. Augustin il n’aurait pas été normal que Moïse ait omis de mentionner la production de la créature spirituelle. Il dit donc que les mots : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre" sont à entendre en ce sens que "le ciel" signifie la nature spirituelle encore informe, et que la "terre" signifie la matière informe de la créature corporelle. Or la nature spirituelle est d’une dignité supérieure à celle de la nature corporelle ; elle fut donc formée la première. En conséquence la formation de la créature spirituelle est signifiée dans la production de la lumière, de telle manière qu’on l’entende de la lumière spirituelle ; en effet, la formation de la créature spirituelle vient de ce qu’elle est illuminée pour pouvoir adhérer au Verbe de Dieu.

Pour d’autres, Moïse a omis la production de la créature spirituelle ; mais ils donnent de ce fait des raisons différentes. Pour S. Basile, Moïse commence son récit au début du temps qui régit les réalités sensibles ; et la nature spirituelle, c’est-à-dire angélique, est omise parce qu’elle fut créée antérieurement. - S. Jean Chrysostome donne une autre raison : Moïse parlait à un peuple grossier, incapable de saisir d’autres réalités que corporelles. Il voulait en outre le détourner de l’idolâtrie. Or ils auraient trouvé une occasion d’idolâtrie si on leur avait présenté certaines substances supérieures à toutes les créatures corporelles, et ils les auraient tenues pour des dieux, puisqu’ils étaient déjà enclins à honorer comme dieux le soleil, la lune et les étoiles, ce que le Deutéronome (4,19) leur interdit.

Il faut noter d’ailleurs qu’au sujet de la créature corporelle, diverses modalités d’une absence de forme avaient été précédemment indiquées : une première par l’expression : "La terre était déserte et vide", une autre par celle-ci : "Les ténèbres couvraient l’abîme." Or il était nécessaire que l’état informe des ténèbres fût d’abord supprimé par la production de la lumière ; et ceci pour deux raisons : 1. Parce que la lumière, comme nous l’avons dit à l’article précédent, est la qualité du premier corps ; le monde devait donc être formé en premier par elle. 2. A cause du caractère commun de la lumière ; les corps inférieurs, en effet, communient en elle avec les corps supérieurs. Or, de même que dans la connaissance on procède en partant des choses les plus communes, de même dans l’activité ; car "le vivant" est engendré antérieurement à "l’animal", et celui-ci avant "l’homme", dit Aristote. Ainsi donc, l’ordre de la sagesse divine doit être manifesté en ce qu’en premier lieu, parmi les œuvres de la distinction, soit produite la lumière à titre de forme du premier corps, et à titre de forme la plus commune. - S. Basile propose encore une troisième raison : c’est par la lumière que toutes les autres choses sont manifestées. - On peut même en ajouter une quatrième, que nous avons touchée dans l’objection En sens contraire : il ne peut pas y avoir de jour sans lumière. Il fallait donc que la lumière soit faite au premier jour.

Solutions :

1. Selon l’opinion qui admet un état informe de la matière précédant temporellement sa formation, il faut dire que la matière a été créée dès le début sous des formes substantielles ; après quoi elle aurait été formée selon diverses conditions accidentelles, au nombre desquelles la lumière tient le premier rang.

2 Certains disent que cette lumière primordiale était une sorte de nuée lumineuse qui est ultérieurement rentrée dans la matière préexistante, quand le soleil fut créé. Mais cela ne convient pas car, au début de la Genèse, l’Écriture relate l’institution d’une nature qui a continué d’exister ; on ne doit donc pas dire que quelque chose aurait été fait alors, qui ensuite aurait cessé d’exister - C’est pourquoi d’autres ont dit que cette nuée lumineuse dure encore et qu’elle est unie au soleil de telle manière qu’on ne peut l’en distinguer. Mais, dans une telle conception, cette nuée resterait inutile ; or il n’y a rien de vain dans les œuvres de Dieu. - Aussi d’autres encore disent-ils que le corps du soleil fut formé à partir de cette nuée. Mais on ne peut davantage avancer cela, si l’on admet que le soleil n’est pas de la nature des quatre éléments, mais qu’il est par nature incorruptible ; car, selon ce principe, sa matière ne peut exister sous une autre formel.

Il faut donc dire avec Denys que cette lumière fut la lumière du soleil, mais dans un état encore informe ; en ce sens que c’était déjà la substance du soleil, et qu’elle avait la puissance commune d’illuminer, mais qu’ultérieurement il lui fut donné une capacité spéciale et déterminée pour des effets particuliers Et de ce point de vue, dans la production de cette lumière, la lumière fut distinguée des ténèbres sous trois chefs.

1. Quant à la cause : dans la substance du soleil il y avait la cause de la lumière, et dans l’opacité de la terre la cause des ténèbres.

2. Quant au lieu : car, dans une moitié de la voûte céleste il y avait la lumière, et dans l’autre les ténèbres.

3. Quant au temps : parce que, dans une moitié de la voûte céleste, selon une partie du temps il y avait lumière, et selon une autre, ténèbres. Et c’est le sens de ces paroles : "Il appela la lumière jour, et les ténèbres, nuit."

3. S. Basile dit que la lumière et les ténèbres se produisirent alors par émission et contraction de la lumière et non par mouvement. - Mais à cela S. Augustin objecte qu’il n’y a pas de raison à cette alternance d’émission et de rétraction dans la lumière, puisque les hommes et les animaux, à la vie desquels cela aurait pu servir, n’existaient pas encore. De plus il n’est pas dans la nature d’un corps lumineux de retenir la lumière quand il est présent. Il est vrai que cela aurait pu se faire miraculeusement, mais dans la première institution de la nature il n’y a pas à chercher de miracles, mais bien ce que comporte la nature des choses, selon S. Augustin.

Ainsi donc, il faut dire qu’il y a deux mouvements dans le ciel : l’un commun à tout le ciel, produisant le jour et la nuit, et qui semble avoir été institué le premier jour ; l’autre qui est diversifié par les divers corps célestes dont le mouvement opère la diversité des jours, mois et années. En conséquence, au premier jour il est question de la seule distinction de la nuit et du jour qu’opère le mouvement commun. Et c’est au quatrième jour qu’est mentionnée la diversité des jours, des temps et des années, quand il est dit : "Qu’ils servent de signes pour les temps, les jours et les années", diversité qui est opérée par les mouvements propres.

4. Selon S. Augustin, l’état informe n’a pas précédé dans le temps la formation. Il faut donc dire que la production de la lumière est à entendre de la formation de la créature spirituelle, non celle qui se trouve parfaite par la gloire, avec laquelle elle ne fut pas créée, mais celle qui s’accomplit par la grâce, avec laquelle elle fut créée comme nous l’avons dit plus haut. Cette lumière a donc opéré la division d’avec les ténèbres, c’est-à-dire d’avec l’état informe d’une autre créature non encore formée ; ou bien, si toute la créature a été formée dans un même instant, la distinction fut opérée d’avec les ténèbres spirituelles, non celles qui auraient alors existé, car le diable n’a pas été créé mauvais, mais celle que Dieu prévoyait devoir exister.

 

 

QUESTION 68 — L’ŒUVRE DU DEUXIÈME JOUR

1. Le firmament a-t-il été créé le deuxième jour ? - 2. Y a-t-il des eaux au-dessus du firmament ? - 3. Le firmament divise-t-il les eaux d’avec les eaux ? - 4. Y a-t-il un ciel seulement, ou plusieurs ?

 

            Article 1 — Le firmament a-t-il été créé le deuxième jour ?

Objections :

1. Il est dit dans la Genèse : "Dieu appela le firmament ciel." Or le ciel a été fait avant n’importe quel jour, comme il ressort des paroles : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre."

2. Les œuvres des six jours sont ordonnées selon la sagesse divine. Or, il ne conviendrait pas à la sagesse divine qu’elle fît en second ce qui est par nature premier. Or, le firmament est par nature antérieur à l’eau et à la terre, lesquelles sont cependant mentionnées avant la formation de la lumière qui eut lieu le premier jour.

3. Tout ce qui a été fait pendant les six jours est constitué à partir de la matière, qui fut créée antérieurement à n’importe quel jour. Mais le firmament ne pouvait être formé à partir d’une matière préexistante ; sinon il serait susceptible de génération et de corruption. Le firmament n’a donc pas été fait le deuxième jour.

En sens contraire, on lit au début de la Genèse : "Et Dieu dit : que le firmament soit." Et on lit ensuite : "Et il y eut un soir et il y eut un matin, deuxième jour."

Réponse :

S. Augustin enseigne qu’il y a deux règles à observer dans ces questions : 1. Tenir indéfectiblement que l’Écriture sainte est vraie. 2. Quand l’Écriture peut être expliquée de plusieurs manières, personne ne doit donner à l’une des interprétations une adhésion tellement absolue que, dans le cas où il serait établi par raison certaine que cela est faux, on ait la présomption d’affirmer que tel est le sens de l’Écriture : de peur que la Sainte Écriture n’en vienne à être tournée en ridicule par les infidèles, et qu’ainsi le chemin de la foi ne leur soit fermé.

On doit donc savoir que lorsque nous lisons qu’au deuxième jour le firmament fut créé, cela peut s’entendre en un double sens.

1. Du firmament où sont les astres. Et de ce point de vue il faut que nous donnions des explications différentes selon les diverses conceptions que les hommes se font du firmament. - Certains ont dit que ce firmament est composé à partir des éléments. C’était l’opinion d’Empédocle, qui pourtant affirme que ce corps était indissoluble parce que, dans sa composition, il n’y avait pas de haine mais seulement de l’amitié. - D’autres ont soutenu que le firmament est de la nature des quatre éléments, toutefois non pas comme composé des éléments, mais comme étant un élément simple. C’était l’opinion de Platon, qui affirmait que le corps céleste appartenait à l’élément du feu. - D’autres avancèrent que le ciel n’était pas de la nature des quatre éléments, mais qu’il était un cinquième corps distinct de ceux-ci. Telle est l’opinion d’Aristote.

Si l’on s’en tient à la première opinion, on peut concéder de façon absolue que le firmament a été fait le deuxième jour, même quant à sa substance. Car il revient à l’œuvre de la création de produire la substance même des éléments, et aux œuvres de distinction et d’ornement de donner des formes à partir des éléments préexistants. - Selon l’opinion de Platon, il ne convient pas de croire que le firmament ait été fait au deuxième jour quant à sa substance ; car, dans cette conception, faire le firmament c’est produire l’élément du feu : or la production des éléments relève de l’œuvre de la création pour ceux qui tiennent qu’un état informe de la matière a précédé temporellement son information ; les formes des éléments sont en effet ce qui survient en premier dans la matière. - Si l’on adopte l’opinion d’Aristote, on peut encore bien moins affirmer que le firmament fut produit, quant à sa substance, au deuxième jour, dès lors que, par les jours, on entend désigner une succession temporelle. En effet, le ciel est de nature incorruptible ; il a donc une matière qui ne peut être sujette d’une autre forme ; il est donc impossible que le firmament ait été fait à partir d’une matière temporellement préexistante. - En conséquence, la production de la substance du firmament revient à l’œuvre de la création. Cependant, dans les deux opinions citées, une certaine information du firmament convient au deuxième jour ; Denys dit de même que la lumière du soleil demeura informe pendant les trois premiers jours de la création, puis qu’elle fut informée le quatrième jour. - Par contre, si, avec S. Augustin, on entend par ces jours, non une succession temporelle, mais un ordre de nature, rien n’empêche de dire que selon n’importe laquelle de ces opinions la formation du firmament dans sa substance appartient au deuxième jour.

2. On peut encore entendre d’une autre manière l’affirmation que le firmament fut fait au deuxième jour. Le firmament ne signifierait pas ce sur quoi sont fixés les astres, mais cette partie de l’air où se condensent les nuages et le mot de "firmament" serait employé pour la désigner en raison de la consistance de l’air en cette partie ; car ce qui est épais et solide est appelé "corps ferme, pour le différencier du corps mathématique", dit S. Basile. Aussi S. Augustin recommande-t-il cette explication en ces termes : "J’estime que cette considération mérite tout à fait d’être louée ; car ce qu’elle énonce n’est pas contre la foi, et d’autre part peut être admis aussitôt qu’on a lu le texte."

Solutions :

1. Selon S. Jean Chrysostome, Moïse aurait d’abord énoncé globalement ce que Dieu a fait, en mettant en tête : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre" ; puis il l’aurait développé par parties. Comme si quelqu’un disait : "Cet ouvrier a fait cette maison", et puis ajoutait : "D’abord il a fait les fondations, puis il a dressé les murs, et troisièmement il a posé le toit." Ainsi n’avons-nous pas à entendre qu’il s’agisse d’un ciel différent quand il est dit : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre", et lorsqu’il est affirmé que le firmament a été fait le deuxième jour.

Mais on peut dire qu’autre est ce ciel que l’Écriture dit avoir été créé au commencement, et celui dont elle place l’apparition au deuxième jour. Cette interprétation se présente de diverses manières. - Selon S. Augustin, le ciel fait le premier jour est la nature spirituelle informe, et le ciel que nous disons avoir été fait le deuxième jour est le ciel corporel. - Selon Bède et Strabon, le ciel du premier jour est le ciel empyrée, et le firmament du deuxième jour est le ciel sidéral. - Pour S. Jean Damascène, le ciel du premier jour est une sorte de ciel sphérique sans étoiles, dont parlent les philosophes, disant qu’il est la neuvième sphère et le premier mobile, et il serait mû du mouvement diurne. Quant au firmament du deuxième jour, il serait à entendre du ciel sidéral.

Il est une autre explication que suggère S. Augustin : le ciel du premier jour serait le ciel sidéral lui-même, et le firmament du deuxième jour serait à entendre de l’espace d’air où se condensent les nuages et qui est aussi appelé ciel par équivocité. Et ce serait justement pour signaler cette équivocité qu’il serait dit expressément : "Dieu appela le firmament le ciel", comme il a été dit auparavant : "Il appela la lumière jour" ; car le mot jour est aussi employé pour désigner un espace de vingt-quatre heures. Maïmonide observe que la même remarque peut être faite à d’autres passages.

Ce qu’on vient de dire donne la solution des objections 2 et 3.

 

            Article 2 — Y a-t-il des eaux au-dessus du firmament ?

Objections :

1. Par nature l’eau est pesante. Or, le lieu propre de ce qui est pesant n’est pas le haut, mais uniquement le bas. Il n’y a donc pas d’eaux au-dessus du firmament.

2. Par nature l’eau est fluide. Mais ce qui est fluide ne peut pas demeurer sur un corps rond, l’expérience le prouve. Puisque le firmament est un corps rond, il ne peut donc y avoir de l’eau au-dessus de lui.

3. L’eau étant un des éléments, est ordonnée à la génération des corps mixtes, comme ce qui est imparfait est ordonné à ce qui est parfait. Mais le dessus du firmament n’est pas le lieu où s’opère le mélange, qui se fait au-dessus de la terre. Il ne servirait donc à rien qu’il y ait des eaux au-dessus du firmament. Or, dans les œuvres de Dieu il n’y a rien qui soit inutile. Donc il n’y a pas d’eaux au-dessus du firmament.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (1,7) : "Il divisa les eaux qui étaient au-dessus du firmament d’avec celles qui étaient sous le firmament."

Réponse :

Comme dit S. Augustin : "L’autorité de cette Écriture l’emporte sur la capacité de tout le génie humain. Aussi, quelle que puisse être la modalité et la nature des eaux qui sont là, il reste qu’elles sont là, et nous ne le mettrons pas en doute." Sur la nature de ces eaux les auteurs ne sont pas d’accord. Origène dit que les eaux qui sont au-dessus du firmament sont les substances spirituelles. C’est en ce sens qu’il serait dit dans le Psaume (148,4) : "Que les eaux qui sont au-dessus des cieux louent le nom du Seigneur" et en Daniel (3,60) : "Toutes les eaux qui êtes sur les cieux, bénissez le Seigneur." - Mais S. Basile lui réplique que cela n’est pas dit parce que les eaux seraient des créatures raisonnables, mais en raison de ce que "leur considération, sagement méditée par ceux qui ont l’intelligence, complète la glorification du Créateur". La même chose est dite, aux mêmes passages, du feu, de la grêle et d’autres créatures analogues, dont il est évident qu’elles ne sont pas douées de raison. - Il faut donc dire que ce sont des eaux corporelles. Mais la nature de ces eaux doit être entendue différemment selon les diverses opinions sur le firmament.

Si par firmament on entend le ciel sidéral, et qu’on le considère comme étant de la nature des quatre éléments, pour la même raison on pourra croire que les eaux d’au-dessus des cieux sont de même nature que les eaux élémentaires.

Si par le firmament on entend le ciel sidéral, mais qu’on ne le considère pas comme étant de même nature que les quatre éléments[4401], ces eaux qui sont au-dessus du firmament ne seront pas de même nature que les eaux élémentaires. Mais tout comme, d’après Strabon, un ciel est appelé ciel empyrée, c’est-à-dire igné, à cause seulement de sa splendeur, ainsi un autre ciel, qui est au-dessus du ciel sidéral, sera appelé ciel aqueux en raison seulement de sa diaphanéité. - Dans l’hypothèse où le firmament est d’une nature distincte des quatre éléments, on peut dire encore qu’il divise les eaux, si par eaux l’on entend non l’élément eau mais la matière informe des corps, ainsi que le fait S. Augustin car, de ce point de vue, tout ce qui est intermédiaire entre les corps divise les eaux d’avec les eaux.

Si maintenant l’on entend par firmament la partie de l’air où les nuages se condensent, les eaux qui sont au-dessus du firmament sont alors ces eaux qui, s’étant dissoutes en vapeur, se sont élevées au-dessus d’une certaine partie de l’air et sont le point de départ de la génération des pluies. Quant à dire comme certains, auxquels S. Augustin fait allusion, que les eaux qui se sont dissoutes en vapeur s’élèvent au-dessus du ciel sidéral, c’est absolument impossible : - à cause du caractère solide du ciel ; - à cause de la région médiane du feu, qui consumerait de telles vapeurs ; parce que le lieu où se portent les corps légers et rares est au-dessous de la concavité de l’orbe de la lune ; - parce que, c’est une constatation des sens, les vapeurs ne montent pas jusqu’à la hauteur du sommet de certaines montagnes. - Quant à l’argument d’une raréfaction d’un corps à l’infini, parce qu’un corps est divisible à l’infini, il est sans valeur ; un corps naturel ne se divise pas ou ne se raréfie pas à l’infini, mais jusqu’à un terme déterminé.

Solutions :

1. Certains ont pensé que cette objection pouvait se résoudre ainsi : les eaux sont lourdes par nature, mais elles sont contenues au-dessus des cieux par une puissance divine. S. Augustin rejette cette solution parce que, dit-il, "il nous faut chercher maintenant comment Dieu a institué les natures des choses, et non ce qu’il veut opérer en elles pour la manifestation miraculeuse de sa puissance". - Il faut donc répondre autrement ; et si l’on s’en tient à l’une ou l’autre des deux dernières opinions, la solution est évidente après ce qui a été dit. Selon la première opinion, il faut supposer qu’il y a dans les éléments un autre ordre que celui qu’Aristote propose ; c’est-à-dire qu’il y a certaines eaux épaisses autour de la terre, et d’autres plus ténues autour du ciel : en sorte que celles-ci se comportent par rapport au ciel comme celles-ci par rapport à la terre. - Ou bien on entend par eau la matière des corps, ainsi que nous venons de le dire.

2. La raison est évidente selon les deux dernières opinions. Pour la première, S. Basile répond de deux manières : 1. Il n’est pas nécessaire que tout ce qui apparaît arrondi en sa concavité soit également arrondi au-dessus, en sa convexité. 2. Les eaux qui sont au-dessus du ciel ne sont pas liquides, mais solidifiées autour du ciel par une sorte de congélation. D’où le nom qui leur est donné par plusieurs, de ciel cristallin.

3. Selon la troisième opinion, les eaux sont élevées sous forme de vapeur au-dessus du firmament afin de servir aux pluies. - Selon la deuxième, les eaux sont au-dessus du firmament, c’est-à-dire de tout le ciel diaphane et sans étoiles. Certains affirment que celui-ci est le premier mobile, qui fait tourner tout le ciel du mouvement diurne, afin que soit réalisée, grâce à ce mouvement, la continuité de la génération ; de même que le ciel où sont les étoiles opère selon le mouvement zodiacal l’alternance de la génération et de la corruption, par mode d’approche et d’éloignement, et par les diverses vertus des étoiles. - Selon la première opinion enfin, les eaux sont en cet endroit, dit S. Basile, pour tempérer la chaleur des corps célestes. Certains, rapporte S. Augustin, ont voulu en voir une preuve dans le fait que l’étoile Saturne, à cause de sa proximité des eaux supérieures, est la plus froide.

 

            Article 3 — Le firmament divise-t-il les eaux d’avec les eaux ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, pour un corps spécifiquement un, il y a un seul lieu naturel. Or "toute eau est spécifiquement identique à toute eau", dit Aristote. Il n’y a donc pas à distinguer les eaux selon le lieu.

2. Si l’on dit que les eaux qui sont au-dessus du firmament sont d’une autre espèce que celles qui sont au-dessous, une objection surgit. Des êtres d’espèces différentes n’ont besoin d’aucun autre principe de distinction. Si les eaux inférieures et les eaux supérieures sont différentes spécifiquement, le firmament n’est donc pas ce qui les distingue.

3. Ce qui divise des eaux d’avec d’autres eaux, il semble que ce soit ce qui, des deux côtés, se trouve touché par les eaux. Comme par exemple si l’on bâtit un mur au milieu d’une rivière. Or, il est évident que les eaux inférieures n’atteignent pas jusqu’au firmament. Le firmament ne divise donc pas les eaux d’avec les eaux.

En sens contraire, le livre de la Genèse porte : "Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux, divisant les eaux d’avec les eaux."

Réponse :

Quelqu’un qui considérerait superficiellement la lettre de la Genèse pourrait, en s’inspirant des conceptions de certains philosophes anciens, imaginer ceci. Certains supposaient que l’eau était une sorte de corps infini et le principe de tous les autres corps (immensité des eaux qui pourrait être comprise dans le mot "abîme" de la phrase : "Les ténèbres couvraient l’abîme.") Ils supposaient en outre que ce ciel sensible que nous apercevons ne contenait pas au-dessous de lui la totalité des corps, et qu’il y avait au-dessus du ciel un corps infini composé d’eaux. Et ainsi l’on pouvait dire que le firmament du ciel divise les eaux extérieures d’avec les eaux intérieures, c’est-à-dire d’avec tous les corps qui sont contenus sous le ciel, et dont ils supposaient que le principe était l’eau. - Mais comme cette position a été convaincue d’erreur par de vraies raisons, il ne faut pas dire que c’est là le sens de l’Écriture.

Il faut donc considérer que Moïse, parlant à un peuple grossier, et condescendant à son inculture, ne lui présente que des réalités perceptibles avec évidence par les sens. Or tout homme, si simple soit-il, saisit par les sens que la terre et l’eau sont des corps. Mais l’air, lui, n’est pas perçu par tous comme s’il était un corps ; au point que même certains philosophes dirent que l’air n’est rien, et appelèrent du "vide" ce que l’air remplit. Voilà pourquoi Moise fait mention expresse de l’eau et de la terre, mais ne nomme pas expressément l’air, pour éviter ainsi de présenter à ces hommes sans culture une réalité inconnue. Cependant, pour exprimer la vérité à ceux qui en sont capables, il donne occasion de concevoir l’air, en l’indiquant comme adjoint à l’eau dans la phrase : "Les ténèbres couvraient l’abîme." Par ces paroles en effet, il est donné à entendre que sur la surface des eaux il y avait un certain corps diaphane qui est le sujet de la lumière et des ténèbres.

Ainsi donc, que nous entendions par firmament, soit le ciel où sont les astres, soit l’espace de l’air où sont les nuages, il est dit avec justesse que le firmament divise les eaux d’avec les eaux ; aussi bien si, par l’eau, on désigne la matière informe, que si l’on entend sous ce mot tous les corps diaphanes. Le ciel sidéral, en effet, distingue les corps diaphanes inférieurs des supérieurs. L’air nuageux, pour sa part, distingue une partie supérieure de l’air, où se font les générations des pluies et autres précipitations atmosphériques, de la partie inférieure de l’air, celle qui est au contact de l’eau et est signifiée sous le nom des "eaux".

Solutions :

1. Si par le firmament on entend le ciel sidéral, les eaux supérieures ne sont pas de la même espèce que les eaux inférieures. Mais si l’on entend par le firmament l’air des nuages, alors les deux eaux sont de la même espèce. Et en ce cas deux lieux sont assignés aux eaux, mais non pour la même raison ; le lieu supérieur est en effet le lieu de la génération des eaux, tandis que le lieu inférieur est celui de leur repos.

2. Si l’on admet que les eaux sont spécifiquement diverses, le firmament divise les eaux d’avec les eaux en ce sens qu’il est, non la cause opérant la division, mais le terme délimitant les unes et les autres.

3. La non-perceptibilité aux sens de l’air et des corps semblables est la raison pour laquelle Moïse a englobé tous les corps de ce genre, en les appelant des eaux. Et ainsi il est manifeste que, de part et d’autre du firmament, quelle que soit l’acception qu’on leur donne, il y a des eaux.

 

            Article 4 — Y a-t-il un ciel seulement, ou plusieurs ?

Objections :

1. Le ciel est divisé par opposition à la terre, dans ces paroles : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre." Or il n’y a qu’une seule terre ; donc il n’y a qu’un seul ciel.

2. Tout ce qui a subsistance par sa matière n’est qu’une seule réalité. Or tel est le cas du ciel, comme le prouve Aristote.

3. Tout ce que l’on attribue univoquement à plusieurs sujets leur est attribué selon une raison commune. Or, s’il y a plusieurs ciels, le mot "ciel" est attribué univoquement à plusieurs ; car, si l’attribution était équivoque, ce ne serait pas en propriété de termes que l’on parlerait de plusieurs ciels. Si l’on parle de plusieurs ciels, il faut donc qu’il y ait une raison commune selon laquelle on dit que ces réalités sont des ciels. Mais on ne peut préciser cette raison. Il ne faut donc pas dire qu’il y a plusieurs ciels.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (148,4) : "Louez-le, cieux des cieux !".

Réponse :

Sur ce sujet on constate une différence entre S. Basile et S. Jean Chrysostome. S. Jean Chrysostome dit qu’il n’y a qu’un seul ciel, et que si l’on a au pluriel l’expression "cieux des cieux" c’est à cause d’un hébraïsme. Car l’hébreu a coutume de ne désigner le ciel qu’au pluriel, tout comme en latin beaucoup de mots n’ont pas de singulier. S. Basile, suivi par S. Jean Damascène affirme au contraire qu’il y a plusieurs ciels. - En fait, cette divergence est plus dans les mots que dans la réalité. Car S. Jean Chrysostome désigne comme un seul ciel la totalité des corps qui est au-dessus de la terre et de l’eau ; c’est même pour cette raison que les oiseaux qui volent dans l’air sont appelés "oiseaux du ciel". Cependant dans ce corps il y a beaucoup de distinctions, et c’est pour cela que S. Basile suppose qu’il y a plusieurs ciels.

Pour arriver à saisir la distinction qu’il y a entre les ciels, il faut considérer que le mot "ciel" est employé en trois sens différents dans l’Écriture.

1. Au sens propre et naturel. Et alors le ciel désigne un certain corps de haute altitude, lumineux en acte ou en puissance, et incorruptible par nature. De ce point de vue on admet qu’il existe trois ciels : un premier entièrement lumineux, nommé "empyrée" ; un deuxième entièrement diaphane, nommé "ciel aqueux" ou "cristallin" ; un troisième, partiellement diaphane et partiellement lumineux, nommé "ciel sidéral", lequel est encore divisé en huit sphères, savoir la sphère des étoiles fixes et les sept sphères des planètes, qui peuvent être dites huit ciels.

2. Le mot "ciel" est employé pour ce qui participe de certaines propriétés des corps célestes savoir l’altitude et la luminosité, en acte ou en puissance. Et selon cette acception, de tout cet espace qui va des eaux jusqu’à l’orbe de la lune, S. Jean Damascène fait un ciel unique qu’il appelle "ciel de l’air". En ce sens, il y aurait donc selon lui trois ciels : le ciel de l’air, le ciel des étoiles et un autre ciel supérieur ; ce dernier étant à entendre de celui dont on lit (2 Co 12,2) que l’Apôtre "fut ravi jusqu’au troisième ciel".

Mais cet espace contient deux éléments : le feu et l’air, et en l’un et l’autre on parle d’une région supérieure et d’une région inférieure. C’est pourquoi Raban Maur distingue ce ciel en quatre. Il appelle la région la plus haute du feu "ciel igné", et la plus basse "ciel olympien" (d’après l’altitude d’une montagne qui s’appelle l’Olympe) ; d’autre part, il nomme "ciel de l’éther" la partie supérieure de la région de l’air, à cause de son état d’inflammation, et la partie inférieure "ciel de l’air". Et comme ces quatre ciels sont à compter avec les trois ciels supérieurs, selon Raban Maur, cela fait au total sept ciels corporels.

3. Le mot "ciel" est dit métaphoriquement. Ainsi quelquefois la sainte Trinité est appelée ciel en raison de sa sublimité et de sa lumière spirituelles. C’est de ce ciel qu’il est expliqué que le diable a dit (Is 14,13) : "Je monterai jusqu’au ciel", c’est-à-dire jusqu’à l’égalité avec Dieu. Quelquefois les biens spirituels en lesquels consiste la récompense des saints sont appelés également des cieux, en raison de leur sublimité. Ainsi, comme l’expose S. Augustin, là où il est dit (Mt 5,12) : "Votre récompense est grande dans les cieux." Quelquefois, les trois genres de visions surnaturelles, c’est-à-dire la vision corporelle, la vision imaginative, la vision intellectuelle, sont nommées trois ciels. S. Augustin explique ainsi que S. Paul fut ravi jusqu’au troisième ciel.

Solutions :

1. La terre se rapporte au ciel comme le centre à la circonférence. Or, par rapport à un seul centre il peut y avoir plusieurs circonférences. Ainsi, pour une seule terre, suppose-t-on plusieurs ciels.

2. Cet argument est tiré du ciel pour autant qu’il implique l’universalité des créatures corporelles. Et de ce point de vue il n’y a qu’un seul ciel.

3. On trouve en commun dans tous les ciels l’altitude et une certaine luminosité, comme il ressort de ce qui a été dit.

 

 

QUESTION 69 — L’ŒUVRE DU TROISIÈME JOUR

1. Le rassemblement des eaux. - 2. La production des plantes.

 

            Article 1 — Le rassemblement des eaux

Objections :

1. Il semble que le rassemblement des eaux n’est pas convenablement situé au troisième jour. Car les choses qui sont faites le premier et le deuxième jour sont exprimées par le mot "faire". Le texte porte en effet : "Dieu dit : Que la lumière soit faite... Que le firmament soit fait." Or le troisième jour se classe avec les deux premiers. L’œuvre du troisième jour aurait donc dû être exprimée par le verbe "faire" et non par "rassembler".

2. La terre était primitivement couverte de tous côtés par les eaux. C’est pourquoi elle était dite "invisible". Il n’y avait donc pas de lieu sur la terre où les eaux pouvaient être rassemblées.

3. Les choses qui ne sont pas en continuité n’ont pas un lieu unique. Or toutes les eaux ne sont pas en continuité. Donc toutes les eaux ne sont pas rassemblées en un lieu unique.

4. Le rassemblement relève du mouvement local. Mais les eaux semblent naturellement couler et courir vers la mer. Un commandement divin n’était donc pas nécessaire pour cela.

5. La "terre" se trouve déjà nommée au commencement de la création, quand il est dit : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre." Il n’est donc pas logique qu’au troisième jour on dise que le nom de "terre" lui fut donné.

En sens contraire, l’autorité de l’Écriture s’impose.

Réponse :

Il faut s’exprimer de façon différente suivant que l’on suit le commentaire de S. Augustin ou celui des autres Pères. - S. Augustin ne suppose pas un ordre de durée entre toutes ces œuvres, mais seulement un ordre d’origine et de nature. Il dit en effet qu’en premier furent créées la nature spirituelle informe et la nature corporelle dépourvue de toute forme. Celle-ci, selon lui, serait d’abord signifiée par les mots de terre et d’eau. Non que cet état informe ait précédé temporellement la formation, mais seulement dans l’ordre d’origine ; et non pas que, pour lui, une formation en ait précédé une autre dans la durée, mais seulement selon un ordre de nature. Ordre selon lequel il fut nécessaire de poser d’abord la formation de la nature supérieure, qui est la nature spirituelle, puisqu’on lit qu’au premier jour la lumière fut faite. - Or, de même que la nature spirituelle a prééminence sur la nature corporelle, de même les corps supérieurs ont prééminence sur les inférieurs. C’est pourquoi, en deuxième lieu, est mentionnée la formation des corps supérieurs, quand il est dit : "Que le firmament soit fait." Cela signifiait l’impression d’une forme céleste dans la matière informe, qui préexistait non selon le temps, mais seulement selon l’origine. - En troisième lieu se place l’impression de formes élémentaires dans la matière informe qui est antérieure non selon le temps mais selon l’origine. Ainsi ces paroles : "Que les eaux se rassemblent et qu’apparaisse le sec", feraient entendre que dans la matière corporelle se trouve imprimée la forme substantielle de l’eau, qui lui donne en propre un tel mouvement ; et la forme substantielle de la terre, qui lui donne de se faire voir comme telle.

Pour les autres Pères, dans ces œuvres, l’ordre de durée entre aussi en ligne de compte. Ils affirment en effet que l’état informe de la matière a précédé temporellement sa formation, et qu’une formation en a précédé une autre. Mais l’état informe de la matière ne signifie pas, selon eux, le manque de toute forme, car il y avait déjà le ciel, l’eau et la terre (ces trois réalités étant nommées en tant que manifestement perceptibles aux sens) ; cet état informe de la matière est à comprendre comme le manque de la distinction convenable et de la perfection d’une certaine beauté. - C’est relativement à ces trois choses que l’Écriture aurait posé trois états informes : pour le ciel, qui est en haut, l’état informe des "ténèbres", car c’est de lui que naît la lumière ; puis l’état informe de l’eau, qui tient le milieu, est signifié par le mot "abîme", ce nom signifiant une certaine immensité désordonnée des eaux, dit St Augustin ; enfin il s’agirait de l’état informe de la terre dans les mots : la terre était "invisible" ou "vide", ce qui provenait de ce qu’elle était recouverte par les eaux.

Ainsi donc, la formation du corps supérieur fut faite le premier jour. Et comme le temps fait suite au mouvement du ciel (parce qu’il est le nombre du mouvement du corps suprême), cette formation opéra la distinction du temps, c’est-à-dire de la nuit et du jour. - Le deuxième jour fut formé le corps médian, l’eau, qui reçut par le firmament une certaine distinction et un certain ordre (étant comprises, sous le nom d’eaux, d’autres choses aussi, comme nous l’avons dit). - Le troisième jour enfin fut formé le dernier corps, la terre, par le fait qu’elle cessa d’être couverte par les eaux ; et la distinction fut opérée dans ce qui est le plus inférieur, entre la terre et la mer. En conséquence, comme l’auteur avait exprimé l’état informe de la matière en disant : la terre était "invisible" ou "vide", de même rend-il assez adéquatement sa formation quand il dit : "et qu’apparaisse le sec".

Solutions :

1. Selon S. Augustin, si le mot "faire" n’est pas employé pour l’œuvre du troisième jour comme pour les œuvres précédentes, c’est afin de montrer que les formes supérieures, qui sont les formes spirituelles des anges et des corps célestes, sont parfaites en leur être et stables, alors que les formes des corps inférieurs sont imparfaites et sujettes au mouvement. Ainsi donc, par le rassemblement des eaux et l’apparition du sec, se trouve désignée l’impression de cette seconde espèce de formes : "L’eau est instable par sa liquidité, et la terre est stable par sa fixité", dit S. Augustin. - Selon les autres Pères, il faut dire que l’œuvre du troisième jour atteint sa perfection du point de vue du seul mouvement local ; et donc il ne fallait pas que l’Écriture utilisât le mot "faire".

2. La réponse est évidente selon la position de S. Augustin ; car on ne doit pas dire que la terre a d’abord été couverte par les eaux et qu’ensuite les eaux furent rassemblées ; mais il faut dire qu’elles ont été produites dans ce rassemblement. - Selon les autres Pères, dit S. Augustin, il y a trois réponses : 1° Les eaux furent élevées à une plus grande hauteur, où elles se sont rassemblées ; car il a été vérifié par l’expérience que la mer est plus élevée que la terre dans le cas de la mer Rouge, dit S. Basile. 2° L’eau qui couvrait la terre était plus rare et comme à l’état de nuée, et c’est par le rassemblement qu’elle fut condensée. 3° La terre a pu présenter certaines parties assez profondes pour recevoir les eaux qui se rassemblaient en s’y déversant. Entre ces trois opinions, la première semble être la plus probable.

3. Toutes les eaux ont un terme unique, la mer, où elles se jettent par des canaux visibles ou cachés. Et c’est la raison pour laquelle il a été dit que toutes les eaux furent rassemblées en un seul lieu. - Autre interprétation : l’expression "un seul lieu" n’est pas employée au sens absolu mais par comparaison avec le lieu de la terre sèche. Ainsi, le sens de la phrase "que les eaux soient rassemblées en un seul lieu" est-il à comprendre : "soient mises à part de la terre sèche". Car, pour signaler la multiplicité de lieux où se trouve l’eau, il est ajouté : "Il appela mers les rassemblements des eaux."

4. C’est le commandement de Dieu qui donne aux corps leur mouvement naturel. Aussi est-il dit que par leur mouvement naturel "ils accomplissent la parole de Dieu". - Une autre interprétation est possible : il était naturel que l’eau fût partout autour de la terre, comme l’air est partout autour de la terre et de l’eau. Mais la nécessité de la fin poursuivie, c’est-à-dire l’existence de plantes et d’animaux sur la terre, commandait qu’une partie de la terre fût dégagée des eaux. Ce fait est attribué par certains philosophes à l’action du soleil qui dessèche la terre par évaporation ; mais la Sainte Écriture le rapporte à la puissance divine, non seulement dans la Genèse, mais encore dans le livre de Job, où Dieu dit (38,10) : "J’ai entouré la mer de mes limites" ; et dans le livre de Jérémie (5,22) : "Ne me craindrez-vous pas, dit Dieu, moi qui ai posé le sable pour limite à la mer ?"

5. Selon S. Augustin, la terre dont il était d’abord fait mention est à entendre de la matière première ; ici il est question de l’élément terre lui-même. - Une autre interprétation est proposée par S. Basile : la terre était d’abord nommée du point de vue de sa nature ; maintenant elle l’est à partir de sa propriété principale, la sécheresse ; d’où vient qu’il est dit : "Et il appela "terre", l’élément sec". - Autre interprétation encore, avec le rabbin Maïmonide : partout où est employée l’expression "il appela", se trouve signalé un emploi équivoque des mots. Ainsi est-il dit en premier lieu : "Il appela la lumière jour", parce que "jour" signifie encore un espace de vingt-quatre heures, au sujet duquel il est dit au même endroit : "Et il y eut un soir et il y eut un matin, un jour." Pareillement on doit dire que "le firmament", c’est-à-dire l’air, "il l’appela ciel", le mot "ciel" désignant aussi ce qui fut d’abord créé. De même encore on lit que "le sec", c’est-à-dire cette partie qui a été découverte par les eaux, "il l’appela terre", en ce sens que la distinction se fait par opposition à la mer ; bien que le nom commun de terre serve à la désigner, qu’elle soit ou non couverte par les eaux. D’autre part, on voit que partout où il est dit "il appela", cela signifie : "Il donna la nature ou la propriété de pouvoir être appelé ainsi."

 

            Article 2 — La production des plantes

Objections :

1. Il semble que leur production est mal placée au troisième jour dans le texte biblique. Car les plantes possèdent la vie comme les animaux. Or la production des animaux n’est pas rangée parmi les œuvres de distinction, mais elle relève de l’œuvre d’ornementation. La production des plantes ne devait donc pas, elle non plus, être mentionnée dans la troisième journée, qui appartient à l’œuvre de distinction.

2. Ce qui se rattache à la malédiction de la terre ne devait pas être mentionné avec la formation de la terre. Or, la production de certaines plantes relève de la malédiction de la terre : "La terre sera maudite dans ton travail, des épines et des ronces pousseront pour toi", est-il dit dans la Genèse (3,18). La production des plantes ne devait donc pas être mentionnée de manière générale en ce troisième jour qui a rapport à la formation de la terre.

3. De même que les plantes adhèrent à la terre, de même les pierres et les métaux. Et pourtant il n’est fait aucune mention de ceux-ci dans la formation de la terre. Il ne devait donc pas davantage être fait mention des plantes au troisième 1our.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (1,12) : "La terre produisit une herbe verdoyante" ; et il est ajouté : "Il y eut un soir et il y eut un matin, troisième jour."

Réponse :

Comme il a été dit à l’article précédent, c’est au troisième jour que l’état informe de la terre a été supprimé. Or le récit indiquait à propos de la terre deux états informes : l’un consistant en ce qu’elle était "invisible" et "vague", parce que recouverte par les eaux ; l’autre en ce qu’elle était "inorganisée" ou "vide" ; ce qui signifiait qu’elle n’avait pas l’ornement qui lui revenait, celui qu’elle reçoit des plantes comme d’une sorte de vêtement. Ainsi, l’un et l’autre de ces états informes a-t-il été supprimé le troisième jour : le premier par le fait que "les eaux furent rassemblées en un seul lieu et le sec apparut", le second en ce que "la terre produisit de l’herbe verdoyante".

Cependant, au sujet de la production des plantes, l’opinion de S. Augustin diffère de celle des autres. Les autres interprètes disent que les plantes ont été produites en acte, dans leurs espèces, en ce troisième jour, ce qui est conforme au sens obvie du texte. S. Augustin au contraire affirme que "ces paroles veulent dire que la terre a produit l’herbe et les arbres par mode de causalité, c’est-à-dire qu’elle a reçu la capacité de les produire". Et il le confirme par l’autorité de l’Écriture ; la Genèse (2,4) dit en effet : "Voici les générations du ciel et de la terre quand ils ont été créés au jour où Dieu fit le ciel et la terre, et tout arbrisseau des champs avant qu’il sortît de terre, et toute herbe des campagnes, avant qu’elle germât." Avant qu’elles ne sortissent de la terre, les plantes ont donc été faites par mode de causalité dans la terre. - Il confirme aussi cette interprétation par la raison. En ces premiers jours, Dieu a constitué la créature en un état originel ou causal ; puis il s’est reposé de ce travail ; et cependant, depuis, dans l’administration des choses créées par l’œuvre de propagation, "jusqu’à présent il est à l’œuvre". Or, produire les plantes à partir de la terre appartient à l’œuvre de propagation. Donc, le troisième jour, les plantes ne furent pas produites en acte, mais seulement dans un état causal.

Cependant, selon les autres, on peut dire que la première institution des espèces appartient aux œuvres des six jours. Mais que, à partir des espèces une fois instituées, se produise la génération d’êtres semblables selon l’espèce, cela appartient désormais à l’administration des choses. C’est en ce sens que l’Écriture dit : "Avant qu’elle pousse hors de terre" ou "avant qu’elle germe", c’est-à-dire avant qu’il y ait production de semblables à partir de semblables, comme nous voyons que cela se fait maintenant de façon naturelle par ensemencement. Aussi l’Écriture dit-elle expressément : "Que la terre fasse germer de l’herbe verte et produisant sa semence."

C’est-à-dire que sont produites des espèces parfaites de plantes, à partir desquelles d’autres semences naîtront. Et peu importe l’endroit où les plantes ont leur puissance séminale, que ce soit la racine, la tige ou le fruit.

Solutions :

1. La vie reste cachée dans les plantes parce qu’elles n’ont ni le mouvement local ni la sensation, qui distinguent ce qui est animé de ce qui ne l’est pas. Et c’est pourquoi, puisqu’elles sont fixées de façon immobile dans la terre, leur production est présentée comme une sorte de formation de la terre.

2. Même avant cette malédiction, les épines et les ronces étaient produites, soit en puissance, soit en acte. Elles n’étaient pas produites comme châtiment pour l’homme, en sorte que la terre qu’il cultiverait pour sa nourriture fît germer des produits inudles et même nuisibles. C’est pourquoi il est dit : "Elle fera germer pour toi."

3. Moïse, nous l’avons déjà dit, n’a parlé que des choses qui se manifestent de façon apparente. Or, les minéraux ont une naissance cachée dans les entrailles de la terre. En outre, ils ne sont pas manifestement distincts de la terre, mais semblent en être une espèce. Et c’est pourquoi il n’en a pas fait mention.

L’ŒUVRE D’ORNEMENTATION

Il faut logiquement étudier l’œuvre d’ornementation : 1° en étudiant chacun des jours en eux-mêmes (Q. 70-73) ; 2° en considérant les six jours dans leur ensemble (Q. 74).

Dans la première partie nous verrons : I. L’œuvre du quatrième jour (Q. 70). - II. L’œuvre du cinquième jour (Q. 71). - III. L’œuvre du sixième jour (Q. 72). - IV. Ce qui relève du septième jour (Q. 73).

 

 

QUESTION 70 — L’ŒUVRE DU QUATRIÈME JOUR

1. La production des luminaires. - 2. La cause finale de cette production. - 3. Les luminaires sont-ils animés ?

 

            Article 1 — La production des luminaires

Objections :

1. Il semble que les luminaires ne devaient pas être produits le quatrième jour. En effet, les luminaires sont par nature des corps incorruptibles. Leur matière ne peut donc exister sans leurs formes. Or, leur matière fut produite dans l’œuvre de création avant même qu’il y eût des jours et donc aussi leurs formes. Ils n’ont donc pas été formés le quatrième jour.

2. Les luminaires sont des foyers de lumière. Or la lumière a été faite le premier jour. Les luminaires devaient donc aussi être faits le premier jour et non le quatrième.

3. Comme les plantes sont fixées dans la terre, les luminaires le sont au flrmament. C’est pourquoi il est dit dans l’Écriture : "Il les plaça au firmament." Or la production des plantes est décrite en même temps que la formation de la terre où elles s’enracinent, La production des luminaires devait donc être située au deuxième jour avec la production du firmament.

4. Le soleil et les autres luminaires sont causes des plantes. Or, dans l’ordre de la nature, la cause précède l’effet. Les luminaires ne devaient donc pas être faits le quatrième jour mais le troisième, ou auparavant.

5. Au dire des astrologues beaucoup d’étoiles sont plus grosses que la lune. Le soleil et la lune ne devaient donc pas être présentés seuls comme "les deux grands luminaires".

En sens contraire, l’autorité de l’Écriture s’impose.

Réponse :

Dans la récapitulation des œuvres divines, l’Écriture s’exprime de cette manière (Gn 2,1) : "Ainsi donc furent achevés le ciel et la terre et tout leur ornement." Dans ces paroles on peut entendre qu’il y a trois œuvres. D’abord l’œuvre de création, par laquelle nous lisons qu’ont été produits le ciel et la terre, mais à l’état informe. Puis l’œuvre de distinction, par laquelle le ciel et la terre ont été achevés : soit par des formes substantielles attribuées à une matière entièrement informe, comme le veut S. Augustin ; soit au point de vue de la beauté et de l’ordre désirables, comme disent les autres Pères. A ces deux œuvres enfin s’ajoute l’œuvre d’ornementation. Il y a différence en effet entre ornement et perfection. Car la perfection du ciel et de la terre semble regarder les choses qui leur sont intrinsèques, et l’ornement, les choses qui sont distinctes du ciel et de la terre. Ainsi voit-on l’homme achevé en lui-même par ses membres et ses formes propres, et orné par ses vêtements et autres choses semblables. Or, la distinction de plusieurs choses se trouve manifestée surtout par le mouvement local qui a pour effet de les séparer. Et c’est la raison pour laquelle la production de ces êtres qui sont doués de mouvement dans le ciel et sur la terre appartient à l’œuvre d’ornement.

Nous avons dit plus haut que dans la création il est fait mention de trois choses : le ciel, l’eau et la terre. Or ces trois choses furent aussi formées par l’œuvre de distinction en trois jours : le premier jour, le ciel ; le deuxième, la séparation des eaux ; le troisième, la séparation, sur la terre, de la mer et du continent sec. Il en est de même pour l’œuvre de l’ornementation : au premier jour (qui est le quatrième) furent produits les luminaires qui se meuvent dans le ciel pour son ornement ; le deuxième jour (qui est le cinquième) furent produits les oiseaux et poissons, pour orner l’élément intermédiaire, car ces êtres se meuvent dans l’eau et dans l’air, qui sont compris ici comme une seule et même chose ; le troisième jour (qui est le sixième) furent produits les animaux qui se meuvent sur la terre, pour l’ornement de celle-ci.

Toutefois, pour ce qui est de la production des luminaires, il est bon de remarquer que S. Augustin n’est pas en désaccord avec les autres Pères. Il dit en effet, que les luminaires furent faits en acte et non pas seulement en tant qu’une puissance était capable de les produire, car le firmament ne possède pas la puissance de produire les luminaires comme la terre a la vertu de produire les plantes. Aussi l’Écriture ne dit pas : "Que le firmament produise des luminaires" comme elle dit : "Que la terre fasse germer une herbe verdoyante."

Solutions :

1. Du point de vue de S. Augustin cette objection ne pose aucune difficulté. Puisqu’il ne suppose pas de succession temporelle entre les œuvres en question, on n’est pas obligé de dire que la matière des luminaires a existé sous une autre forme. - Du point de vue de ceux qui supposent que les corps célestes sont de la nature des quatre éléments, on ne rencontre non plus aucune difflculté, car on peut dire qu’ils sont formés, comme les animaux et les plantes, d’une matière préexistante. - Mais, du point de vue de ceux qui supposent que les corps célestes sont d’une autre nature que les éléments et incorruptibles par nature, il faut dire que la substance des luminaires fut créée dès le début, mais qu’elle était d’abord informe, et qu’elle a été informée seulement au moment que nous considérons ; non certes par une forme substantielle, mais par le don d’une vertu déterminée. Cependant, la raison pour laquelle il n’est pas fait mention d’eux dès le début, mais seulement au quatrième jour, est, dit S. Jean Chrysostome, qu’on détournait ainsi le peuple de l’idolâtrie, en lui montrant que les luminaires ne sont pas des dieux, du fait même qu’ils n’ont pas existé dès le début.

2. Du point de vue de S. Augustin, aucune difficulté, car la lumière dont il est fait mention au premier jour était une lumière spirituelle ; or ici, c’est la lumière corporelle qui est produite. - Si au contraire on entend la lumière faite au premier jour comme une lumière corporelle, il faut dire qu’au premier jour elle fut produite selon la nature commune de la lumière, et qu’au quatrième jour fut attribuée aux luminaires une vertu déterminée pour des effets déterminés ; ainsi constatons-nous que les rayons du soleil ont d’autres effets que les rayons de la lune, etc. En raison de cette détermination apportée à la vertu, Denys~ dit que la lumière du soleil, qui fut d’abord informe, a été formée le quatrième jour.

3. D’après Ptolémée, les luminaires ne sont pas fixés sur les sphères, mais jouissent d’un mouvement distinct du leur. Aussi, remarque S. Jean Chrysostome, il n’est pas dit qu’il les plaça sur le firmament du ciel comme s’ils y étaient fixés, mais bien qu’ "il leur donna l’ordre d’être là", tout comme il plaça l’homme dans le paradis pour qu’il soit là. - Mais pour Aristote, les étoiles sont fixées sur les orbes et ne se meuvent en réalité que du seul mouvement de ceux-ci. Toutefois, les sens perçoivent le mouvement des luminaires, mais non celui des sphères. Et comme Moïse se mettait au niveau du peuple inculte, il s’en tint à ce qui apparaît aux sens, comme nous l’avons déjà dit.

Mais si le firmament créé le deuxième jour est différent par nature de celui où se trouvent les étoiles bien que la connaissance sensible, à laquelle Moise se conforme, ne fasse pas le discernement, l’objection ne vaut plus. En effet le firmament est alors créé le deuxième jour, pour ce qui est de sa partie inférieure. Et le quatrième jour les étoiles y furent placées, pour ce qui est de sa partie supérieure. De telle sorte que l’ensemble soit pris pour une seule chose, comme il apparaît aux sens.

4. Comme dit S. Basile, si la production des plantes précède la production des luminaires c’est pour exclure l’idolâtrie. En effet, ceux qui croient que les luminaires sont des dieux disent que les plantes tiennent d’eux leur origine primordiale. Encore que, selon S. Jean Chrysostome, de même que le cultivateur coopère à la production des plantes, de même aussi les luminaires, par leurs mouvements.

5. Comme le note S. Jean Chrysostome, on dit "deux grands luminaires", non pas tant pour souligner leur volume que leur vertu efficace. Parce que, même si les étoiles étaient d’une masse plus grande que la lune, les effets de celle-ci se font davantage sentir dans nos zones inférieures. - En outre, pour nos sens, elle paraît plus grande.

 

            Article 2 — La cause finale de la production des luminaires

Objections :

1. Il semble que la cause de cette production n’est pas indiquée de façon satisfaisante. Car on lit dans Jérémie (10,2) : "Ne soyez pas terrifiés par les signes du ciel, que les paiens redoutent." Les luminaires ne furent donc pas faits "pour servir de signes".

2. Le signe se distingue par opposition à la cause. Mais les luminaires sont également causes de ce qui se passe ici-bas. Ils ne sont donc pas des signes.

3. La distinction des temps et des jours commence dès le premier jour. Les luminaires n’ont donc pas été faits "en vue des temps, jours et années", c’est-à-dire pour les distinguer.

4. Rien n’est fait en we de plus vil que soi, car "la fin est meilleure que tout ce qui lui est ordonné". Or les luminaires sont meilleurs que la terre. Ils n’ont donc pas été faits "pour éclairer la terre".

5. La lune ne préside pas à la nuit quand elle est nouvelle. Or, il est probable qu’elle fut créée nouvelle, car c’est alors que les hommes commencent leurs computs. La lune n’a donc pas été faite "pour présider à la nuit".

En sens contraire, l’autorité de l’Écriture s’impose.

Réponse :

Comme nous l’avons vu précédemment, on peut dire qu’une créature corporelle a été faite pour son acte propre, ou pour une autre créature, ou pour tout l’univers, ou pour la gloire de Dieu. Mais Moïse, pour détourner le peuple de l’idolâtrie, n’a pas fait allusion à d’autre motif que l’utilité de l’homme. En ce sens il est dit au Deutéronome (4,19) : "Ne lève pas les yeux vers le ciel, de crainte que tu ne voies le soleil et la lune et les autres astres du ciel ; ne te laisse pas entraîner à te prosterner devant eux et à les servir. Car Dieu les a créés pour le senice de toutes les nations." - Or, ce service, il nous le détaille au début de la Genèse sous trois chefs : 1. Il est utile pour la vue, qui dirige l’homme dans ses activités et qui est extrêmement nécessaire pour lui faire connaître les choses. A cet égard le texte dit : "Pour qu’ils brillent dans le firmament et qu’ils éclairent la terre." 2. Pour assurer les phases du temps, qui écartent l’ennui, conservent notre santé et font pousser les produits nécessaires à notre nourriture. Ce qui n’aurait pas lieu, si c’était toujours l’été ou toujours l’hiver. Sous ce rapport le texte ajoute : "afin qu’ils soient pour les temps, les jours et les années". 3. Pour faire connaître quelles entreprises et quelles affaires sont opportunes, du fait que les luminaires du ciel nous renseignent sur la pluie et le beau temps, qui se prêtent à des entreprises différentes. C’est pour cela que le texte dit : "afin qu’ils soient des signes".

Solutions :

1. Les luminaires sont signes des transmutations corporelles, non de celles qui dépendent du libre arbitre.

2. La cause sensible nous conduit quelquefois à la connaissance d’un effet caché ; et inversement. Rien n’empêche donc qu’une cause sensible soit un signe. Le texte dit cependant "signe" plutôt que "cause" afin de supprimer une occasion d’idolâtrie.

3. Le premier jour fut faite la distinction générale du temps en jours et en nuits, selon le mouvement diurne qui est commun au ciel tout entier, mouvement qu’on peut comprendre comme ayant commencé le premier jour. Mais les distinctions spéciales des jours et des temps, selon qu’un jour est plus chaud qu’un autre, tel temps que tel autre, telle année que telle autre, relèvent des mouvements spéciaux aux astres, mouvements qu’on peut comprendre comme ayant commencé le quatrième jour.

4. "Éclairer la terre" s’entend de l’utilité pour l’homme qui, en raison de son âme, passe avant les corps des luminaires. Cependant, rien n’empêche de dire qu’une créature plus digne ait été faite en vue d’une créature inférieure, considérée non en elle-même, mais comme ordonnée à l’intégrité de l’univers.

5. Quand la lune est pleine, elle se lève le soir et se couche le matin, et ainsi elle préside à la nuit. Et il est assez probable que la lune fut créée dans sa plénitude ; tout comme les herbes furent créées dans leur perfection, "faisant semence", et de même les bêtes et les hommes. Car bien que, selon le processus naturel, on parvienne au parfait en partant de l’imparfait, cependant, à considérer les choses absolument, le parfait est antérieur à l’imparfait. Pourtant S. Augustin ne l’affirme pas, puisqu’il dit ne pas trouver choquant que Dieu ait créé imparfaits des êtres qu’il a perfectionnés plus tard.

 

            Article 3 — Les luminaires du ciel sont-ils animés ?

Objections :

1. Un élément supérieur doit être doté d’ornements plus nobles. Or, les corps qui ressortissent à l’ornementation des éléments inférieurs sont vivants ; par exemple les poissons, oiseaux et bêtes terrestres. Donc aussi les luminaires, qui ressortissent à l’ornementation du ciel.

2. La forme d’un corps plus noble est elle-même plus noble. Or le soleil, la lune et les autres luminaires sont plus nobles que les corps des plantes et des animaux. Ils ont donc une forme plus noble. Or la plus noble des formes est l’âme qui est principe de vie ; car, pour S. Augustin, "n’importe laquelle des substances vivantes est, dans l’ordre de la nature, placée au-dessus d’une non vivante". Donc les luminaires du ciel sont animés.

3. La cause est plus noble que l’effet. Or le soleil, la lune et les autres luminaires sont causes de vie. Cela est surtout évident chez les animaux engendrés à partir de la putréfaction, où la vie est reçue par la vertu du soleil et des étoiles. Les corps célestes sont donc bien davantage vivants et doués d’une âme.

4. Les mouvements du ciel et des corps célestes sont naturels, comme on le voit clairement dans le traité Du Ciel. Or, un mouvement naturel vient d’un principe intrinsèque. Puisque le principe du mouvement des corps célestes est une substance douée de connaissance ; et puisqu’une telle substance est mue comme celui qui désire est mû par l’objet qu’il désire, selon les Métaphysiques : il semble que le principe connaissant soit un principe intrinsèque aux corps célestes. Ceux-ci sont donc animés.

5. Le premier mobile est le ciel. Or, dans le genre des mobiles, le premier se meut lui-même, comme il est prouvé au livre des Physiques. Car "ce qui est par soi est antérieur à ce qui est par un autre". Or, seuls les êtres dotés d’une âme se meuvent eux-mêmes, ainsi qu’il est montré au même livre. Les corps célestes sont donc vivants.

En sens contraire, le Damascène nous dit : "Que personne ne considère les cieux ou les luminaires comme dotés d’une âme ; car ils sont inanimés et insensibles."

Réponse :

Sur cette question les philosophes ont eu des opinions diverses. Anaxagore, rapporte S. Augustin, "fut accusé auprès des Athéniens pour avoir dit que le soleil était une pierre brûlante, niant ainsi absolument qu’il soit un dieu", ou un être vivant. Les platoniciens, eux,~ supposèrent que les corps célestes avaient une âme. - Parmi les docteurs de la foi on rencontre une pareille diversité. Origène attribue une âme aux corps célestes. S. Jérôme aussi paraît avoir ce sentiment lorsqu’il commente le texte de l’Ecclésiaste (1,6) : "Parcourant l’univers, l’esprit va en tournoyant." S. Basile et le Damascène, au contraire, afflrment que ces corps ne sont pas animés. Quant à S. Augustin, il laisse la chose dans le doute sans pencher dans aucun sens, comme on peut s’en rendre compte dans son Commentaire littéral sur la Genèse, ainsi que dans son Enchiridion, où il dit également que, au cas où les corps célestes seraient dotés d’une âme, celle-ci appartiendrait à la société des anges.

Devant une telle diversité d’opinions, et pour mettre quelque peu en lumière la vérité, il faut remarquer que l’union de l’âme et du corps n’a pas pour fin le corps, mais l’âme ; car ce n’est pas la forme qui a pour fln la matière, mais l’inverse. D’autre part, la nature et la vertu de l’âme se reconnaissent à son opération, qui est aussi d’une certaine manière sa fin. Or le corps se trouve nécessaire à certaines opérations de l’âme qui s’exercent par son intermédiaire, ainsi qu’on peut s’en rendre compte dans les activités de l’âme sensitive et nutritive. Il est donc nécessaire que de telles âmes soient unies aux corps en raison de leurs activités. - En revanche, il est une activité de l’âme qui ne s’exerce pas par l’intermédiaire du corps, bien que le corps lui apporte un certain concours : ainsi est-ce le corps qui fournit à l’âme humaine les images dont elle a besoin pour faire acte d’intelligence. Il est donc nécessaire aussi pour cette âme d’être unie à un corps en raison de son opération, encore qu’il lui arrive d’en être séparée.

Or, il est manifeste que l’âme du corps céleste ne peut pas exercer les opérations de l’âme nutritive : se nourrir, croître et engendrer ; car de telles opérations ne conviennent pas à un corps incorruptible par nature. Semblablement aussi, les opérations de l’âme sensitive ne conviennent pas aux corps célestes ; car tous les sens sont fondés sur le toucher qui appréhende les qualités élémentaires. Tous les organes des puissances sensibles requièrent aussi, selon un certain mélange, une proportion déterminée des éléments ; mais on admet que les corps célestes sont étrangers à la nature de ceux-ci. - Il reste donc qu’aucune des activités de l’âme ne peut convenir à l’âme céleste, sauf deux : l’intellection et le mouvement ; car l’appétition est consécutive au sens et à l’intelligence, et se trouve ordonnée à l’un et à l’autre. Mais l’activité intellectuelle ne s’exerce pas par le corps ; elle n’a donc besoin du corps que dans la mesure où les sens lui fournissent des images. D’autre part, nous l’avons dit, les activités de l’âme sensitive ne conviennent pas aux corps célestes Ainsi donc, ce n’est pas en raison de l’activité intellectuelle que l’âme serait unie au corps céleste. - Il ne reste donc que la finalité du mouvement. Mais pour mouvoir il n’est pas requis que l’âme soit unie au corps céleste comme une forme, mais seulement par contact dynamique, comme un moteur est uni au mobile. Aussi, après avoir prouvé que le premier qui se meut lui-même se compose de deux parties, dont l’une est motrice et l’autre mue, Aristote, voulant préciser la manière dont ces deux parties sont unies, déclare que c’est par un contact, soit mutuel, s’il s’agit de deux corps, soit de l’un des deux à l’autre (et non réciproquement), si l’un est corps et l’autre non-corps. - Les platoniciens eux aussi ne supposaient pas qu’il y eût union des âmes aux corps, sinon par contact dynamique, comme du moteur au mobile. Ainsi, lorsque Platon affirme que les corps célestes sont animés, cela signifie tout simplement que les substances spirituelles sont unies aux corps célestes comme les moteurs aux corps qu’ils meuvent.

Que les corps célestes soient mus par une substance douée de connaissance, et non seulement par nature, comme le sont les corps lourds et légers, cela ressort avec évidence du fait que la nature ne meut que vers un seul terme, et s’y repose lorsqu’elle en a pris possession ; ce qui n’est pas constaté dans le mouvement des corps célestes. Il demeure donc qu’ils sont mus par une substance douée d’appréhension. - S. Augustin dit encore que "tous les corps" sont administrés par Dieu "par l’intermédiaire de l’esprit de vie".

Il apparaît donc avec évidence que les corps célestes ne sont pas dotés d’âme de la même manière que les plantes et les animaux, mais de façon équivoque. Et c’est pourquoi la différence entre ceux qui les considèrent comme dotés d’âme et ceux qui les estiment inanimés est en réalité petite, voire nulle, et limitée à une affaire de mots

Solutions :

1. Certaines réalités relèvent de l’ornementation quant à leur mouvement propre. Et de ce point de vue les luminaires du ciel, du fait qu’ils sont mus par une substance vivante, se rencontrent avec les autres êtres qui ressortissent à l’ornementation.

2. Rien n’empêche qu’une réalité soit la plus noble, considérée absolument, et qu’elle ne le soit pas sous un certain rapport. Ainsi, la forme du corps céleste bien que, considérée absolument, elle ne soit pas plus noble que l’âme animale, est cependant plus noble sous la raison de forme ; car elle parfait totalement sa matière, en sorte qu’elle n’est pas en puissance à une autre forme ; mais cela, l’âme ne le fait pas. A l’égard du mouvement, en outre, les corps célestes sont mus par des moteurs plus nobles.

3. Le corps céleste, du fait qu’il est moteur mû, joue le rôle d’un instrument qui agit par la vertu de l’agent principal. C’est pourquoi, par la vertu de son moteur, qui est une substance vivante, il peut causer la vie.

4. Le mouvement du corps céleste est naturel, non à cause d’un principe actif, mais d’un principe passif : car il lui appartient par nature d’être mû d’un tel mouvement par une intelligence.

5. On dit que le ciel se meut lui-même en tant qu’il est composé d’un moteur et d’un mobile, et non à la manière d’une forme et d’une matière, mais bien, comme nous l’avons dit, selon un contact dynamique. - Et de cette manière on peut dire également que son moteur est un principe intrinsèque ; en sorte que le mouvement du ciel peut, lui aussi, être dit naturel quant au principe actif. Tout comme on dit que le mouvement volontaire est naturel pour l’animal en tant qu’il est animal, selon Aristote.

 

 

QUESTION 71 — L’ŒUVRE DU CINQUIÈME JOUR

 

            Article UNIQUE

Objections :

1. Il semble que la description de cette œuvre ne soit pas faite comme il faut. Les eaux produisent en effet ce dont leur vertu est capable. Or la vertu de l’eau n’est pas suffisante pour produire l’ensemble des poissons et des oiseaux, puisque nous voyons qu’un grand nombre d’entre eux sont engendrés à partir d’une semence. Le texte a donc tort de dire : "Que les eaux produisent des reptiles animés d’une âme vivante et des oiseaux volant au-dessus de la terre."

2. Les poissons et les oiseaux ne sont pas seulement produits à partir de l’eau ; dans leur composition la terre semble plus importante que l’eau. Car leurs corps ont leur mouvement naturel vers la terre, si bien qu’ils trouvent en elle leur repos. Il n’est donc pas juste de dire que les poissons et les oiseaux sont produits à partir de l’eau.

3. Comme les poissons se meuvent dans les eaux, de même les oiseaux se meuvent dans l’air ; donc, si les poissons sont produits à partir des eaux, les oiseaux devraient être produits non à partir des eaux, mais à partir de l’air.

4. Tous les poissons ne sont pas des animaux rampant sous l’eau ; certains ont des pattes dont ils usent pour marcher sur la terre, comme les phoques. La production des poissons n’est donc pas décrite de manière adéquate par ces mots : "Que les eaux produisent des reptiles animés d’une âme vivante."

5. Les animaux terrestres sont plus parfaits que les oiseaux. Cela se voit à ce que leurs membres sont plus distincts et qu’ils ont une génération plus parfaite. En effet, ils engendrent des animaux, alors que les oiseaux et les poissons engendrent des œufs. Et les êtres plus parfaits viennent les premiers dans l’ordre de la nature. Ce n’est donc pas au cinquième jour, avant les animaux terrestres, que les poissons et oiseaux auraient dû être créés.

En sens contraire, l’autorité de l’Écriture s’impose.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, l’œuvre d’ornementation correspond par son ordre à l’œuvre de distinction. En conséquence, de même qu’entre les trois jours consacrés à la distinction, celui du milieu, le deuxième, est consacré à la distinction du corps intermédiaire qui est l’eau, de même entre les trois jours consacrés à l’œuvre d’ornementation, celui du milieu, le cinquième, est réservé à l’ornementation de l’élément intermédiaire, par la production des oiseaux et des poissons. Et donc, de même que Moïse nomme au quatrième jour les luminaires et la lumière, pour indiquer que le quatrième jour répond au premier, où il avait dit que la lumière avait été faite, - de même, à notre cinquième jour, fait-il mention des eaux et du firmament du ciel pour indiquer que le cinquième jour correspond au deuxième.

Il faut pourtant savoir que, comme pour la production des plantes, S. Augustin s’écarte des autres commentateurs sur la production des poissons et des oiseaux. Les autres disent en effetb que les poissons et les oiseaux furent produits en acte le cinquième jour, alors que S. Augustin dit que le cinquième jour la nature des eaux produisit les poissons et les oiseaux en puissance.

Solutions :

1. Avicenne supposa que tous les êtres vivants pouvaient être engendrés à partir d’un certain mélange des éléments sans intervention de semences, par un processus qui reste cependant naturel. Cela semble inexact. Car la nature progresse vers ses effets par des intermédiaires déterminés. Tout être par conséquent qui, par nature, est engendré à partir de la semence ne peut pas, par nature, être engendré sans semence. - Il faut donc donner une autre Réponse. Dans la génération naturelle des animaux, pour ceux qui sont engendrés à partir de la semence, le principe actif est la vertu formatrice qui réside dans la semence ; et, pour ceux qui sont engendrés à partir de la putréfaction, cette vertu est remplacée par celle du corps céleste. Le principe matériel, pour sa part, dans la génération de l’un ou de l’autre de ces genres d’animaux, est quelque élément ou dérivé d’élément. - Dans la première institution des choses, le principe actif fut le Verbe de Dieu qui, à partir de la matière élémentaire, produisit les animaux, soit en acte, si l’on s’en rapporte aux autres Pères, soit en puissance, si l’on suit S. Augustin. Non que l’eau ou la terre aient en eux la puissance de produire tous les animaux, comme l’a supposé Avicenne, mais parce que le fait que les animaux puissent être produits à partir de la matière élémentaire, par la vertu de la semence ou des astres, provient de la vertu primitivement donnée aux éléments.

2. Les corps des oiseaux et des poissons peuvent être considérés à deux points de vue : 1° En eux-mêmes. De ce point de vue il est nécessaire que domine en eux l’élément terre. Car pour qu’il y ait un mélange équilibré dans le corps de l’animal, il est nécessaire qu’il possède en abondance l’élément le moins actif, qui est la terre. 2° Mais si l’on considère ces corps selon qu’ils sont par nature destinés à avoir tels ou tels mouvements, ils ont alors une certaine affinité avec les éléments dans lesquels ils se meuvent. Et c’est en ce sens que leur génération est décrite ici.

3. L’air, parce qu’il n’est pas perceptible aux sens, n’est pas énuméré pour lui-même, mais avec les autres : partiellement avec l’eau, pour ce qui regarde sa partie inférieure où se condense l’évaporation des eaux, et partiellement avec le ciel pour sa partie supérieure. Et les oiseaux se meuvent dans la partie inférieure de l’air ; de là vient qu’ils sont dits voler "sous le firmament du ciel", même si l’on entend le firmament au sens d’air nuageux. Voilà pourquoi la production des oiseaux est attribuée à l’eau.

4. La nature va d’un extrême à l’autre en passant par des intermédiaires. C’est pourquoi entre les animaux terrestres et les animaux aquatiques il y a certains intermédiaires qui rejoignent les uns aux autres. On les compte parmi ceux avec lesquels ils ont le plus de points communs, - du point de vue de ce qu’ils ont de commun avec ceux-ci, non du point de vue de ce qu’ils ont de commun avec l’autre extrême. Cependant, pour que soient inclus tous ceux qui ont un caractère spécial, parmi les poissons, après avoir dit : "Que les eaux produisent des reptiles ayant une âme vivante", le texte ajoute : "Dieu créa les grands monstres marins..."

5. La production de ces animaux suit l’ordre des corps dont ils sont l’ornement, plutôt que leur ordre de dignité respective. Toutefois, dans la progression de la génération, on va des plus imparfaits vers les plus parfaits.

 

 

QUESTION 72 — L’ŒUVRE DU SIXIÈME JOUR

 

            Article UNIQUE

Objections :

1. Cette œuvre ne semble pas décrite de façon satisfaisante. En effet, tout autant que les oiseaux et les poissons, les animaux terrestres ont une âme vivante. Or, les animaux terrestres ne sont pas l’âme vivante elle-même. Il est donc illogique de dire : "Que la terre produise une âme vivante" ; il aurait fallu dire : "Que la terre produise des quadrupèdes à l’âme vivante."

2. Le genre ne doit pas être divisé par opposition à l’espèce. Or le bétail et les bêtes sauvages se rangent dans le genre quadrupède. Il est donc maladroit de dénombrer les quadrupèdes avec le bétail et les bêtes sauvages.

3. Comme les autres animaux, l’homme est dans un genre et une espèce déterminés. Or dans la formation de l’homme il n’est pas fait mention de son genre ou de son espèce. On n’aurait donc pas dû faire mention de genre ou d’espèce dans la production des autres animaux, comme quand il est dit : "dans son genre" ou "dans son espèce".

4. Plus que les oiseaux ou les poissons, les animaux terrestres sont semblables à l’homme qui est déclaré béni de Dieu. Et donc, comme il est dit que poissons et oiseaux ont été bénis, à plus forte raison cela devrait être dit des autres animaux.

5. Il y a des animaux qui sont engendrés de la putréfaction, qui est une sorte de corruption. Or la corruption n’a pas sa place dans la première institution des choses. Ces animaux ne devaient donc pas être produits dans la première création.

6. Certains animaux sont venimeux et nuisibles à l’homme. Or, il ne devait rien y avoir de nuisible à l’homme avant le péché. Donc les animaux de ce genre, ou bien ne devaient pas du tout être créés par Dieu qui est auteur des choses bonnes, ou bien ils ne devaient pas être faits avant le péché.

En sens contraire, l’autorité de l’Écriture s’impose.

Réponse :

De même qu’au cinquième jour l’élément intermédiaire reçoit son ornement en correspondance avec le deuxième jour, de même au sixième jour le dernier élément, la terre, reçoit son ornement par la production des animaux terrestres, ce qui correspond au troisième jour. Et c’est pourquoi dans les deux cas on mentionne la terre. - Ici encore, d’après S. Augustin, les animaux terrestres sont produits en puissance, alors que, selon les autres Pères, ils le sont en acte.

Solutions :

1. S. Basile dit que les divers degrés de vie que l’on rencontre chez les divers vivants peuvent être énumérés d’après la manière dont s’exprime l’Écriture. - Les plantes d’abord, qui ont la vie la plus imparfaite. Il n’est donc fait aucune mention de vie dans leur production, mais seulement de génération ; car c’est seulement sous ce rapport qu’on trouve en elles un acte de vie, puisque, on le dira plus loin, les opérations de nutrition et d’augmentation sont au service de la génération - Parmi les animaux, les animaux terrestres sont, à s’en tenir à l’opinion commune, plus parfaits que les oiseaux et les poissons ; non point parce que les poissons manqueraient de mémoire, comme le dit S. Basile et le refuse S. Augustin, mais en raison de la distinction des membres et de la perfection de la génération. (Il arrive cependant que, pour certaines sagacités de l’instinct, des animaux imparfaits comme les abeilles et les fourmis soient doués davantage.) Aussi Moïse emploie-t-il pour les poissons les mots : non "âme vivante", mais "reptiles animés d’une âme vivante .. ; tandis que pour les animaux terrestres, en raison de la perfection de la vie qui est en eux, il emploie les mots "âme vivante ). Comme si les poissons étaient des corps possédant quelque chose de l’âme, alors que les animaux terrestres, en raison de la perfection de leur vie, seraient des sortes d’âmes dominant leurs corps. - Quant au degré le plus parfait de la vie il est dans l’homme. Aussi ne dit-il pas que la vie de l’homme est produite par la terre ou l’eau, comme pour les autres animaux, mais par Dieu.

2. Par le "bétail" ou les "bêtes des troupeaux" il faut entendre les animaux domestiques qui servent l’homme d’une manière ou d’une autre. Par les "bêtes sauvages" il faut entendre les fauves comme les ours et les lions. Par les "reptiles", les animaux qui n’ont pas de pattes pour s’élever au-dessus de la terre, comme les serpents, ou encore ceux qui ont des pattes courtes et les élèvent peu, comme les lézards, les tortues et autres animaux de même genre. Mais comme il en reste qui ne sont contenus sous aucun de ces genres, comme les cerfs et les chevreuils, afin qu’eux aussi soient recensés, il a ajouté "les quadrupèdes" - Ou, selon une autre interprétation, il a mis en tête "les quadrupèdes" comme genre, et a ajouté les autres comme espèces ; car il y a des reptiles qui sont quadrupèdes, comme les lézards et les tortues

3. Moïse fait mention du genre et de l’espèce pour les autres animaux et plantes, afin d’indiquer les générations de semblables par leurs semblables. Dans le cas de l’homme il n’était pas nécessaire de le dire, parce que ce qui est énoncé antérieurement des autres peut s’entendre de l’homme. - Ou bien parce que plantes et animaux sont produits selon leur genre et leur espèce comme dans un grand éloignement de la ressemblance divine, alors que l’homme est dit formé "à l’image et ressemblance de Dieu".

4. La bénédiction de Dieu donne la vertu de se multiplier par la génération. Donc ce qui est affirmé pour les poissons et les oiseaux, il n’était pas nécessaire de le répéter pour les animaux terrestres : on le comprend. - Dans le cas des hommes, la bénédiction est répétée parce qu’il y a en eux une raison spéciale de multiplication, celle de pourvoir au nombre des élus ; et aussi "pour que personne ne dise qu’il y a quelque péché dans le devoir d’engendrer des fils". - Quant aux plantes, "elles n’ont aucun désir de se propager, et elles engendrent sans en avoir conscience ; de là vient qu’elles ne furent pas jugées dignes de recevoir des paroles de bénédictionf".

5. Puisque la génération de l’un est la corruption de l’autre, il n’est pas contraire à la première institution des choses que la corruption des moins nobles engendre les plus nobles. En conséquence les animaux qui sont engendrés de la corruption des choses inanimées ou des plantes pouvaient être engendrés alors. Mais ceux qui sont engendrés de la corruption d’animaux ne purent être produits alors qu’en puissance.

6. Comme dit S. Augustin, "si un ignorant entre dans l’atelier d’un artisan, il y voit quantité d’outils dont il ignore la raison d’être, et, s’il est très sot, il les jugera inutiles. Si dans la suite, par étourderie, il tombe dans le foyer, ou se blesse à quelque outil aiguisé, il estimera qu’il y a là beaucoup d’êtres nuisibles ; et l’artisan qui en sait l’usage se moquera de sa sottise C’est ainsi qu’en ce monde certains osent critiquer bien des choses dont ils ne voient pas les raisons ; car il y en a beaucoup qui, sans être nécessaires à notre maison, ont cependant un rôle pour parfaire l’intégrité de l’univers". Or, avant le péché, l’homme faisait des choses du monde un usage conforme à l’ordre. Les animaux venimeux ne lui nuisaient donc pas.

 

 

 

QUESTION 73 — CE QUI CONCERNE LE SEPTIÈME JOUR

1. L’achèvement des œuvres. - 2. Le repos de Dieu. - 3. La bénédiction et la sanctification de ce jour.

 

            Article 1 — L’achèvement des œuvres

Objections :

1. Il semble que l’on ne devait pas attribuer au septième jour l’achèvement des œuvres divines. Car tout ce qui se fait en ce monde relève des œuvres divines. Or la "consommation du monde" sera sa fin selon Matthieu (13,39). En outre, le temps de l’incarnation du Christ est le temps d’une sorte d’achèvement ; aussi est-il nommé par l’Apôtre (Ga 4,4) "le temps de la plénitude". Et le Christ lui-même, nous rapporte S. Jean (19,30), a dit en mourant : "Tout est consommé." L’achèvement des œuvres divines ne ressortit donc pas au septième jour.

2. Celui qui achève son travail fait quelque chose. Mais nous ne lisons pas que Dieu ait fait quelque chose le septième jour ; au contraire, il s’est reposé de tout travail. L’achèvement des œuvres divines n’appartient donc pas au septième jour.

3. On ne dit pas que quelque chose est complet si l’on y ajoute beaucoup de choses, sauf au cas où celles-ci seraient superflues. Car on appelle "parfait" ce à quoi rien ne manque de ce qu’il doit avoir. Or, après le septième jour, bien des choses ont été faites : production d’un grand nombre d’individus ; production d’espèces nouvelles qui apparaissent fréquemment, principalement chez les animaux qui s’engendrent à partir de la putréfaction. Chaque jour aussi Dieu crée de nouvelles âmes. L’œuvre de l’incarnation fut encore une nouveauté, selon Jérémie (31,22) : "Dieu fera du nouveau sur la terre." Nouveaux également sont les miracles dont il est dit dans l’Ecclésiastique (36,6) : "Renouvelle les signes et fais d’autres miracles." De même tout sera renouvelé dans la glorification des saints, selon l’Apocalypse (21,5) : "Et celui qui siège sur le trône dit : Voici que je fais toutes choses nouvelles." L’achèvement des œuvres divines ne doit donc pas être attribué au septième jour.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (2,2) : "Dieu acheva le septième jour l’œuvre qu’il avait faite."

Réponse :

Il y a deux sortes de perfections pour une chose : la perfection première, et la perfection seconde. La perfection première consiste en ce que la chose est parfaite en sa substance ; et cette perfection est la forme du tout, laquelle résulte de l’intégrité des parties. La perfection seconde est la fin. Or la fin, ou bien est l’opération même, ainsi la fin du joueur de cithare est de jouer de la cithare, ou bien elle est quelque chose où l’on parvient par son activité, comme la fin du constructeur est la maison qu’il réalise en construisant. Or la première perfection est cause de la seconde, parce que la forme est principe de l’action.

L’ultime perfection et la fin de tout l’univers, c’est la parfaite béatitude des saints ; et celle-ci se produira dans l’ultime consommation du monde. Au contraire, la première perfection qui consiste dans l’intégrité de l’univers s’est réalisée dans la première institution des choses. Et c’est elle qui est attribuée au septième jour.

Solutions :

1. Comme on vient de le dire, la perfection première est cause de la perfection seconde. Or, pour atteindre la béatitude, deux choses sont requises, la nature et la grâce. La perfection même de la béatitude aura donc lieu à la fin du monde, comme nous l’avons dit. Mais les causes de cette perfection-là ont préexisté : pour la nature, dans la première institution des choses ; et pour la grâce, dans l’incarnation du Christ, parce que "la grâce et la vérité furent faites par Jésus-Christ", dit S. Jean (1,17). Ainsi donc, au septième jour eut lieu l’achèvement de la nature ; à l’incarnation du Christ, l’achèvement de la grâce ; et à la fin du monde l’achèvement de la gloire.

2. Le septième jour, Dieu a opéré quelque chose non pas en constituant une nouvelle créature, mais en administrant la créature et en lui donnant le mouvement pour son opération propre. D’une certaine manière, cela se rapporte à une sorte de commencement de la perfection seconde. C’est la raison pour laquelle la consommation des œuvres, d’après notre version, est attribuée au septième jour. Mais selon une autre version, elle est attribuée au sixième jour. Et l’un et l’autre peuvent se soutenir. Car la consommation qui se réalise par l’intégrité des parties dans l’univers appartient au sixième jour ; alors que la consommation qui a lieu par l’activité de ces parties appartient au septième.

On pourrait encore dire que, dans le cas d’un mouvement continu, aussi longtemps que quelque chose peut continuer à se mouvoir, on ne dit pas que le mouvement est parfait avant le repos ; le repos montre en effet que le mouvement est consommé. Or, Dieu aurait pu faire de nombreuses créatures en plus de celles qu’il avait faites pendant les six jours. Donc, c’est du fait qu’au septième jour il a cessé de constituer de nouvelles créatures que l’on dit qu’il a consommé son œuvre.

3. Rien de ce qui a été fait ultérieurement par Dieu n’était entièrement nouveau ; d’une manière ou d’une autre cela avait préexisté dans l’œuvre des six jours. - Certaines choses préexistèrent matériellement : par exemple Dieu forma la femme de la côte d’Adam. D’autres préexistèrent dans les œuvres des six jours de façon non seulement matérielle mais aussi par leur causalité. Ainsi les individus qui sont engendrés maintenant ont préexisté dans les premiers individus de leurs espèces. Quant aux espèces nouvelles, s’il en apparaît, elles ont préexisté dans certaines vertus actives ; c’est ainsi que les animaux engendrés à partir de la putréfaction sont produits par les vertus des étoiles et des éléments, vertus que ceux-ci reçurent dès le début, même si l’on voit apparaître de nouvelles espèces de ces animaux. Il arrive aussi que certains animaux naissent, selon une nouvelle espèce, de l’union d’animaux de diff~rentes espèces ; ainsi l’âne et la jument engendrent le mulet ; ces animaux aussi préexistaient par leur causalité dans l’œuvre des six jours. - Mais d’autres ont préexisté par mode de similitude : telles les âmes qui sont créées maintenant. De même l’œuvre de l’incarnation, car, comme dit l’Apôtre (Ph 2,7), le Fils de Dieu "est devenu semblable aux hommes". La gloire spirituelle enfin a préexisté par mode de similitude chez les anges, et la gloire corporelle dans le ciel, principalement dans le ciel empyrée. D’où la parole de l’Ecclésiaste (1, 9) : "Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, déjà cela préexistait dans les siècles qui nous ont précédés."

 

            Article 2 — Le repos de Dieu

Objections :

1. Il semble que Dieu ne s’est pas reposé de toute son œuvre le septième jour. Car Jésus dit en S. Jean (5,17) : "Mon Père est à l’œuvre jusqu’à maintenant, et je suis à l’œuvre, moi aussi"

2. Le repos s’oppose au mouvement, ou au travail qui a parfois le mouvement pour cause. Mais Dieu a produit ses œuvres dans l’immobilité et sans aucun travail. Il ne faut donc pas dire qu’au septième jour il s’est reposé de son œuvre.

3. Si l’on argue que Dieu s’est reposé le septième jour en ce sens qu’ "il a fait se reposer l’homme", on répondra : Le repos s’oppose à l’activité. Or cette expression "Dieu créa ou fit ceci ou cela" ne s’explique pas en ce sens que Dieu "a fait créer ou fabriquer cela par l’homme". Il est donc également inexact d’expliquer ce texte disant que Dieu s’est reposé, en ce sens qu’"il a fait se reposer l’homme".

En sens contraire, la Genèse dit que "Dieu se reposa au septième jour de toute l’œuvre qu’il avait faite".

Réponse :

Le repos s’oppose en propre au mouvement, et par suite au travail engendré par le mouvement. Or, bien que le mouvement au sens propre se dise des corps, cependant le mot "mouvement" peut être transposé de deux manières pour signifier les réalités spirituelles : 1. En tant que toute opération est appelée mouvement ; ainsi la bonté divine elle-même est en mouvement d’une certaine manière et va vers les choses en tant qu’elle se communique à elles, comme dit Denys. 2. Le désir, qui tend vers autre chose, est appelé aussi un certain mouvement. - En conséquence, le mot "repos" peut prendre deux acceptions : 1. celle de cessation de toute œuvre ; 2. celle de la satisfaction du désir.

Et ce repos du septième jour s’applique à Dieu de ces deux manières. Au premier sens, parce que, au septième jour, il a cessé de constituer de nouvelles créatures ; ultérieurement en effet il n’a rien fait qui n’ait d’une manière quelconque préexisté dans ses premières œuvres, ainsi que nous l’avons dit. - Au second sens, en ce qu’il n’avait pas besoin lui-même de ce qu’il avait créé : il est bienheureux en jouissant de lui-même. Aussi, après la création de toutes ses œuvres on ne dit pas "qu’il a trouvé son repos dans ses œuvres", comme s’il en avait besoin pour sa béatitude, mais "qu’il se reposa d’elles", en lui-même, car par lui-même il se suffit et satisfait son propre désir. En conséquence, bien qu’il se soit reposé en lui-même de toute éternité, après la création de ses œuvres, il goûta en lui-même un repos qui appartient au septième jour. Et c’est en cela, dit S. Augustin, que consiste "se reposer de ses œuvres".

Solutions :

1. Dieu est à l’œuvre jusqu’à maintenant, en conservant et en administrant la créature constituée, non en constituant une nouvelle créature

2. Le repos ne s’oppose pas ici au travail ou au mouvement, mais à la production de choses nouvelles et au désir qui tend vers une autre chose, comme on l’a dit.

3. De même que Dieu se repose en lui seul et trouve sa béatitude en jouissant de lui-même, de même nous devenons bienheureux du seul fait que nous jouissons de Dieu. C’est ainsi qu’il nous donne de nous reposer en lui de ses œuvres et des nôtres. Il est donc exact de donner cette interprétation : Dieu s’est reposé parce qu’il nous a fait reposer ; mais ce n’est pas la seule interprétation admissible ; l’autre est plus fondamentale et se présente la première.

 

            Article 3 — La bénédiction et la sanctification du septième jour

Objections :

1. Il semble que bénédiction et sanctification n’étaient pas dues au septième jour. Un temps est ordinairement appelé béni ou saint parce qu’à ce moment un bonheur est arrivé ou un malheur a été évité Or à Dieu rien n’est ajouté ni enlevé, qu’il opère ou qu’il cesse d’opérer. Bénédiction et sanctification spéciales ne sont donc pas dues au septième jour.

2. Le mot bénédiction vient de bonté. Or, le bien est diffusif et communicatif de luimême, selon Denys. Donc les jours où Dieu a produit les créatures auraient dû bien plus encore être bénis que le jour où il a cessé de les produire.

3. Précédemment, pour chacune des créatures, il est fait mention d’une certaine bénédiction, quand il est dit à propos de chaque œuvre : "Et Dieu vit que c’était bon." Il n’était donc pas nécessaire qu’après la production de toutes les choses le septième jour fût béni.

En sens contraire, la Genèse dit : "Et Dieu bénit le septième jour et il le sanctifia, car ce jour-là il avait cessé toute son œuvre."

Réponse :

Nous avons vu plus haut que le repos de Dieu au septième jour est à entendre de deux manières : 1. En ce sens qu’il s’est arrêté de constituer de nouvelles choses, mais en continuant de conserver et d’administrer la créature constituée. 2. En ce sens qu’après avoir créé ses œuvres il se reposa en lui-même. - Du premier point de vue, la bénédiction convient au septième jour. Car, comme nous l’avons vu, la bénédiction concerne la multiplication, et c’est pourquoi Dieu dit aux créatures qu’il bénit : "Croissez et multipliez". Or, la multiplication se fait par l’organisation des créatures, en tant qu’elles s’engendrent de semblables à semblables. - Du second point de vue, la sanctification convient au septième jour. En effet, la sanctification d’un être se prend éminemment de ce qu’il trouve son repos en Dieu. Et c’est pourquoi les choses vouées à Dieu sont appelées saintes, elles aussi.

Solutions :

1. Le septième jour n’est pas sanctifié en ce sens que quelque chose pourrait être ajouté à Dieu ou lui être retiré, mais parce que quelque chose s’ajoute aux créatures par leur multiplication et par leur repos en Dieu.

2. Dans les six premiers jours, les choses ont été produites dans leurs premières causes. Mais ultérieurement, à partir de ces premières causes, les choses se multiplient et se conservent, ce qui relève aussi de la bonté de Dieu. Et la perfection divine se manifeste éminemment en ce que lui-même se repose en elle seule, et en ce que nous-mêmes pouvons nous reposer en jouissant de cette perfection.

3. Le bien dont il est fait mention chaque jour appartient à la première institution de la nature ; mais la bénédiction du septième jour appartient à sa propagation.

 

 

 

QUESTION 74 — L’ENSEMBLE DES JOURS DE LA CRÉATION

1. Sont-ils assez nombreux ? - 2. Sont-ils un seul jour ou plusieurs ? - 3. Quelques façons de parler employées par l’Écriture dans son récit des six jours.

 

            Article 1 — Ces jours sont-ils assez nombreux ?

Objections :

1. Il semble que l’énumération de ces jours ne soit pas suffisante. En effet, l’œuvre de création n’est pas moins différente des œuvres de distinction et d’ornementation que celles-ci ne le sont entre elles. Or, certains jours sont attribués à la distinction, et d’autres à l’ornementation. Donc d’autres jours doivent encore être assignés à la création.

2. L’air et le feu sont des éléments plus nobles que la terre et l’eau. Or, un jour est attribué à la distinction de l’eau, et un autre à la distinction de la terre. D’autres jours auraient donc dû être attribués à la distinction du feu et de l’air.

3. Les oiseaux ne sont pas moins éloignés des poissons que des bêtes terrestres. L’homme est également plus différent de tous les animaux que tous les autres animaux entre eux Or, un jour spécial est attribué à la production des poissons de la mer, et un autre à la production des animaux de la terre. Un autre jour devait donc être attribué à la production des oiseaux du ciel et un autre à la production de l’homme.

En sens contraire, 4. Certains jours semblent assignés de façon superflue. En effet, la lumière se comporte par rapport aux luminaires comme un accident par rapport à un sujet. Or, un sujet est produit en même temps que son accident propre. La lumière ne devait donc pas être produite un jour, et les luminaires un autre jour.

5. Ces jours sont attribués à la première institution du monde. Or, au septième jour, absolument rien n’est institué. Le septième jour ne devrait donc pas être compté avec les autres.

Réponse :

Le motif de la distinction de ces jours peut être découvert à partir de ce que nous avons vu précédemment. Il fallait en effet d’abord que soient distinguées les parties du monde, et ensuite que chacune des parties reçoive son ornement, du fait qu’elle se trouve comme remplie de ses habitants. - Si l’on suit l’interprétation des autres Pères, trois parties se trouvent indiquées dans la créature corporelle : la première est désignée par le mot "ciel", celle du milieu par le mot "eau" ; celle d’en bas par le mot "terre". De là vient que, selon les pythagoriciens, au dire d’Aristote, la perfection réside en trois choses, "le commencement, le milieu et la fin". La première partie est donc distinguée le premier jour, et ornée le quatrième ; celle du milieu est distinguée le deuxième jour, et ornée le cinquième ; la dernière est distinguée le troisième jour, et ornée le sixième. - S. Augustin est d’accord pour les trois derniers jours, mais non pour les trois premiers. Car, selon son interprétation, le premier jour fut formée la créature spirituelle, et dans les deux autres la créature corporelle, de telle sorte que les corps supérieurs le furent le deuxième jour, et les corps inférieurs le troisième. Ainsi la perfection des œuvres divines répond-elle à la perfection du nombre six, qui est produit par la somme de ses parties aliquotes qui sont : un, deux, trois. En effet un jour est attribué à la formation de la créature spirituelle, deux à la formation de la créature corporelle, et trois à l’ornementation.

Solutions :

1. Si l’on suit l’interprétation de S. Augustin, l’œuvre de la création a trait à la production de la matière informe et de la nature spirituelle informe. Mais ces deux actes sont hors du temps, comme il le dit dans ses Confessions. Aussi la production de l’un et l’autre est-elle placée "avant n’importe quel jour". - Mais si l’on suit l’interprétation des autres Pères, on peut dire que l’œuvre de distinction et d’ornementation est envisagée selon une certaine mutation de la créature, que mesure le temps. Or l’œuvre de la création consiste en une seule et unique action divine, accomplie en un instant et produisant la substance des choses. C’est la raison pour laquelle toute œuvre de distinction et d’ornementation est dite avoir été faite "un jour" ; la création au contraire est dite faite "au commencement", ce qui évoque quelque chose d’indivisible.

2. Le feu et l’air ne sont pas expressément nommés par Moïse parmi les parties du monde, parce que le vulgaire ne les distingue pas. Mais ils sont comptés avec l’élément intermédiaire, qui est l’eau, surtout pour ce qui concerne la partie inférieure de l’air ; quant à sa partie supérieure elle est comptée avec le ciel, dit S. Augustin.

3. La production des animaux est rapportée selon qu’ils servent à l’ornementation des parties du monde. C’est pourquoi les jours de la production des animaux sont distingués ou unis selon qu’ils ornent une même partie du monde, ou des parties différentes.

4. Le premier jour, la nature de la lumière fut produite dans un certain sujet. Au quatrième jour, on dit que furent créés les luminaires, non parce que leur substance fut produite à nouveau, mais parce qu’ils furent formés d’une manière selon laquelle ils n’existaient pas auparavant, comme nous l’avons dit plus haute.

5. Le septième jour, selon S. Augustin, est attribué à quelque chose qui s’ajoute à toutes les œuvres attribuées aux six jours : que Dieu se reposa en lui-même de toutes ses œuvres. Après les six jours il fallait donc faire mention du septième. - Selon les autresg, on peut dire qu’au septième jour le monde eut une sorte de nouvel état, en ce qu’il cessait d’acquérir du nouveau. Aussi après les six jours est mis le septième jour, attribué à la cessation de l’œuvre.

 

            Article 2 — Ces jours sont-ils un seul ou plusieurs ?

Objections :

1. Il semble que tous ces jours sont un seul jour. Car on lit dans la Genèse (2,4.5) : "Voici les générations du ciel et de la terre, quand ils furent créés le jour où Dieu fit le ciel et la terre, et tout arbrisseau des champs avant qu’il sortît de terre." Il y a donc un jour unique où il fit "le ciel et la terre et tout arbrisseau des champs". Or, il fit le ciel et la terre le premier jour, ou plutôt avant le premier jour, et l’arbrisseau des champs le troisième jour. Le premier et le troisième jour sont donc un seul et même jour et, pour une raison identique, les autres jours.

2. "Celui qui vit dans l’éternité a créé tout simultanément" dit l’Ecclésiastique (18,1). Or, cela ne serait pas si les jours de ces œuvres étaient multiples, car des jours multiples ne sont pas simultanés. Il n’y a donc pas plusieurs jours mais un seul.

3. Le septième jour, Dieu cessa de créer de nouvelles choses. Si le septième jour est distinct des autres jours, il s’ensuit que Dieu n’a pas fait le septième jour, ce qui paraît inadmissible.

4. Toute l’œuvre attribuée à un seul jour, Dieu l’a réalisée instantanément, puisque pour chacune des œuvres on a ces mots : "Il dit et ce fut fait." Donc, si l’œuvre suivante était réservée à un autre jour, il s’ensuivrait que dans le reste de ce jour il aurait arrêté son travail, qui serait devenu superflu. Il n’y a donc pas, pour une œuvre, un jour distinct de celui de l’œuvre précédente.

En sens contraire, la Genèse dit : "Il y eut un soir il y eut un matin, deuxième jour" et "troisième jour" et ainsi de suite. Or "deuxième" et "troisième" ne peuvent être employés là où il n’y en a qu’un. Il n’y a donc pas eu un seul et unique jour.

Réponse :

Sur cette question, Augustin est en désaccord avec les autres interprètes. Il veut en effet que tous ces jours que l’on nous dit être sept, en soient un seul, présenté en sept fois par rapport aux choses créées. - Les autres interprètes estiment que ce furent sept jours distincts, non un seul.

Ces deux opinions, si on les réfère à l’explication littérale de la Genèse, présentent une grande divergence. En effet, selon S. Augustin, il faut entendre par "jour" la connaissance de l’esprit angélique, de telle sorte que le premier jour soit la connaissance de la première œuvre divine, le deuxième celle de la deuxième, et ainsi de suite. Et quand il est dit que chaque œuvre fut faite un certain jour, c’est pour indiquer que Dieu n’a rien produit dans la nature des choses qu’il n’ait imprimé dans l’esprit angélique, lequel peut connaître simultanément une multiplicité de choses, principalement dans le Verbe, où se parfait et s’achève toute la connaissance des anges. Et en ce sens les jours se distinguent selon l’ordre naturel des choses connues, et non selon la succession de la connaissance, ou selon la succession des choses produites. Par ailleurs, le mot "jour" peut être appliqué à la connaissance angélique de manière propre et véritable, puisque, pour S. Augustin, la lumière, qui est la cause du jour, se rencontre proprement dans le domaine spirituel. - Pour les autres interprètes, ces jours indiquent et la succession des jours temporels, et la succession de la production des choses.

Mais, si l’on réfère ces deux opinions au mode de production des choses, on ne trouve pas une si grande divergence. Et cela en raison de deux différences par où l’exégèse de S. Augustin s’écarte de celle des autres, comme il ressort de ce qui a été dit : -1 S. Augustin, par la terre et l’eau qui ont été créées en premier, entend la matière corporelle dans un état de non-formation totale ; par la fabrication du firmament, le rassemblement des eaux et l’apparition du sec, il entend l’impression des formes dans la matière corporelle. Les autres Pères, au contraire, entendent par la terre et l’eau créées en premier les éléments du monde existant sous leurs formes propres ; et dans les œuvres suivantes ils voient une certaine distinction opérée dans les corps préalablement existants, comme nous l’avons vu plus haut. - 2 Il y a divergence sur la production des plantes et des animaux, que les autres interprètes supposent avoir été produits en acte dans l’œuvre des six jours, alors que S. Augustin y voit une production seulement en puissance.

Le fait que S. Augustin suppose l’œuvre des six jours simultanément réalisée entraîne donc une identité de conception dans le mode de production des choses. Car, pour lui comme pour les autres, dans la première production des choses, la matière existait sous les formes substantielles des éléments ; et pareillement, dans la première institution des choses, il n’y avait ni animaux ni plantes en acte. - Toutefois il demeure entre eux quatre points de divergence : selon les autres Pères, après la première production des créatures, il y eut un certain temps : 1. où il n’y avait pas de lumière ; 2. où le firmament n’était pas formé ; 3. où la terre n’était pas dégagée des eaux ; 4. où les luminaires du ciel n’étaient pas formés. Autant de choses que l’on ne peut admettre dans l’interprétation de S. Augustin. - En conséquence pour ne faire tort à aucune des deux opinions, il faut répondre aux arguments de chacune.

Solutions :

1. Le jour où Dieu créa le ciel et la terre, il créa aussi tout arbrisseau des champs, non en acte, mais "avant qu’il sorte de terre", c’est-à-dire en puissance. Ce que S. Augustin assigne au troisième jour, et les autres à la première institution des choses.

2. Dieu créa tout simultanément, pour ce qui est de la substance des choses, en une sorte d’état d’informité. Mais pour ce qui est de la formation qui fut opérée par la distinction et l’ornementation, ce ne fut pas simultané. D’où l’emploi exprès du mot "création".

3. Le septième jour, Dieu s’arrêta de constituer des choses nouvelles, mais non pas d’en propager certaines à partir des autres. C’est à cette propagation que se rapporte le fait que d’autres jours succèdent au premier.

4. Ce n’est pas par impuissance de Dieu, comme s’il avait besoin de temps pour opérer, que toutes les choses ne furent pas simultanément distinguées et ordonnées, mais afin qu’un ordre soit observé dans l’institution des choses. Ainsi convenait-il que correspondent aux divers états du monde des jours distincts. Mais chaque fois, la nouvelle œuvre ajoutait au monde un nouvel état de perfection.

5. Selon S. Augustin, cet ordre des jours doit être référé à l’ordre naturel des œuvres qui sont attribuées aux jours.

 

            Article 3 — Quelques façons de parler dans le récit des six jours

Objections :

1. I1 semble que l’Écriture n’use pas de mots appropriés pour exprimer l’œuvre des six jours. En effet, tout autant que la lumière, le firmament et les œuvres de ce genre, le ciel et la terre sont faits par le Verbe de Dieu, puisque : "Tout a été fait par lui", dit S. Jean (1,3). Dans la création du ciel et de la terre, il fallait donc faire mention du Verbe de Dieu, comme pour les autres œuvres.

2. L’eau fut créée par Dieu, et pourtant sa création n’est pas rappelée. La description de la création des choses est donc insuffisante.

3. La Genèse dit : "Dieu vit toutes les choses qu’il avait faites, et elles étaient très bonnes." Donc, on aurait dû dire pour chaque œuvre : "Dieu vit qu’elle était bonne." I1 n’est donc pas juste que cela soit omis dans l’œuvre de création et dans l’œuvre du deuxième jour.

4. L’Esprit de Dieu est Dieu. Or, il ne convient pas à Dieu d’être porté, ni d’avoir une situation locale. Donc il ne convient pas de dire : "L’Esprit de Dieu était porté sur les eaux"

5 Nul ne fait ce qui a déjà été fait. I1 n’est donc pas logique qu’après avoir dit : "Dieu dit : Que le firmament soit et il en fut ainsi", on ajoute : "Et Dieu fit le firmament" Et de même pour d’autres œuvres.

6. Le soir et le matin ne suffisent pas à diviser le jour, car il y a plusieurs parties dans un jour. Il est donc anormal de dire : "Il y eut un soir et un matin, deuxième jour", ou "troisième".

7. A "deuxième" et "troisième" ne correspond pas logiquement "un" mais "premier". Donc, on aurait dû dire : "Il y eut un soir et un matin, premier jour", au lieu de dire : "un jour".

Réponse aux objections : 1. Selon S. Augustin, la personne du Fils est mentionnée, tant dans la première création que dans la distinction et l’ornementation des choses, mais de manières différentes. En effet, la distinction et l’ornementation ont trait à la formation des choses. Et de même que la formation des choses fabriquées se fait par cette forme de l’art qui est dans l’esprit de l’artiste, forme que l’on peut appeler son verbe intelligible, de même la formation de la créature tout entière se fait par le Verbe de Dieu. Et donc, dans l’œuvre de distinction et d’ornementation, il est fait mention du Verbe. Mais dans la création le Fils est mentionné comme principe, par ces mots : "Dans le principe Dieu créa" ; parce que le mot création désigne la production de la matière informe. - Mais selon les autres Pères, qui admettent que les éléments furent créés d’emblée sous leurs formes propres, il faut répondre autrement. S. Basile dit en effetm que les mots "Dieu dit" concernent le commandement divin. Or, il fallait d’abord produire la créature qui obéirait, avant de faire mention de ce commandement divin.

2. Selon S. Augustin, il faut entendre par "ciel" la nature spirituelle informe, et par "terre" la matière informe de tous les corps : ainsi aucune créature ne fut omise. Mais, pour S. Basile, le ciel et la terre sont mis là comme deux extrêmes, pour qu’à partir d’eux on comprenne les intermédiaires ; surtout en raison de ce que le mouvement de tous les intermédiaires est dirigé, soit vers le ciel comme pour les corps légers, soit vers la terre comme pour les corps lourds. - D’autres disent que sous le nom de "terre" l’Écriture a l’habitude d’entendre la totalité des quatre éléments. Aussi, après avoir dit : "Louez le Seigneur depuis la terre", le Psaume (148,7) ajoute : "feu, grêle, neige, glace, etc.".

3. Dans l’œuvre de la création on a mis quelque chose qui correspond à ce qui est dit dans l’œuvre de la distinction et de l’ornement : "Dieu vit que (ceci et cela) était bon." Pour le comprendre, il faut considérer que le Saint-Esprit est amour. Or, dit S. Augustin, "il y a deux fins pour lesquelles Dieu aime sa créature : qu’elle existe, et qu’elle dure. Et donc pour que ce qui devait durer existât, il est dit que l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux", en tant que l’eau désigne la madère informe. Ainsi, l’amour de l’ardste est-il porté sur une matière quelconque pour, à partir d’elle, former une œuvre. "Et pour que durât ce qui avait été fait, il est dit : Dieu vit que c’était bon."

Ainsi en effet est signifiée une sorte de complaisance du Dieu artisan dans la chose réalisée ; non en ce sens qu’il connaîtrait la créature une fois faite, ou s’y complairait d’une autre manière qu’avant de l’avoir faite. - Et ainsi, dans l’une et l’autre œuvre, et de création et de formadon, est insinuée la trinité des Personnes. Dans la création, la personne du Père par Dieu créant ; la personne du Fils par le principe en lequel il a créé ; la personne du Saint-Esprit, qui est porté sur les eaux. Dans la formation, d’autre part, la personne du Père en Dieu qui "dit" ; la personne du Fils dans le Verbe "par lequel" il est dit ; la personne du Saint-Esprit dans la complaisance avec laquelle Dieu vit que ce qu’il avait fait était bon.

Si, dans l’œuvre du deuxième jour, il n’est pas dit que "Dieu vit que c’était bon", c’est parce que l’œuvre de la distinction des eaux commence alors, et s’achève au troisième jour ; donc ce qui est mis au troisième jour se réfère aussi au deuxième. - Ou bien cela tient à ce que la distinction qui est placée au deuxième jour est de celles qui ne sont pas manifestes pour le peuple ; c’est pourquoi l’Écriture n’emploie pas une approbation de cette sorte. - Ou encore on pourrait dire que le firmament s’entend de l’air nuageux qui n’appartient pas aux parties permanentes de l’univers, ou aux parties principales du monde. Ces trois raisons sont proposées par Maïmonide. - Certains assignent une raison mystique tirée du nombre ; c’est parce que deux s’écarte de l’unité que l’œuvre du deuxième jour n’est pas approuvée.

4. Maïmonide entend par "l’esprit de Dieu" l’air ou le vent, comme Platon ; et il dit que cette expression est employée ici selon que l’Écriture a coutume d’attribuer partout à Dieu le souffle des vents - Mais, selon les Pères, par "esprit de Dieu" il faut entendre le Saint-Esprit. Et celui-ci est dit "être porté sur l’eau", c’est-à-dire, pour S. Augustin, sur la matière informe, "afin qu’on ne pense pas que Dieu aime par une nécessité d’indigence les œuvres qu’il doit faire ; l’amour d’indigence est subordonné en effet aux choses qu’il aime. L’expression était adroite, au contraire, pour insinuer d’abord qu’il y avait quelque chose de commencé, au-dessus duquel l’esprit serait porté ; car il n’est pas "porté au-dessus" de façon locale, mais selon la supériorité de sa puissance", dit S. Augustin. - Pour S. Basile, être porté au-dessus de l’élément eau signifie "qu’il chauffait et vivifiait la nature des eaux comme une poule qui couve, et il infusait à ce qu’il réchauffait la puissance vitale" En effet, c’est l’eau qui a la principale puissance vitale ; car beaucoup d’animaux sont engendrés dans l’eau, et les semences de tous les animaux sont humides. En outre, la vie spirituelle est donnée par l’eau du baptême, d’où cette parole en S. Jean (3,5) : "Personne, à moins de renaître de l’eau et de l’Esprit Saint..."

5. D’après S. Augustin, ces trois expressions désignent trois modes d’existence des choses : 1. L’existence dans le Verbe, par les mots "qu’il soit fait" ; 2. l’existence dans la pensée angélique, par les mots "fut fait" ; 3. l’existence des choses dans leur propre nature par les mots "il fit". Et comme c’est la formation des anges qui est décrite au premier jour, il n’était pas nécessaire d’ajouter : "il fit". - D’après les autres Pères on peut dire que les mots "Dieu dit : qu’il soit fait" visent le commandement de Dieu pour que cela se fasse ; tandis que par les mots "fut fait" on désigne l’accomplissement de l’œuvre. Il fallait cependant ajouter comment ce fut fait, surtout en raison de ceux qui disaient que toutes les choses visibles furent faites par les anges. Et c’est pourquoi, afin d’exclure cette opinion, il est ajouté que lui-même "Dieu fit". Aussi, dans chacune des œuvres, après les mots "Et ce fut fait" est mentionné un certain acte de Dieu : soit "il fit" soit "il distingua", soit "il appela", soit quelque chose d’analogue.

6. Selon S. Augustin, par "le soir" et "le matin" il faut entendre la connaissance vespérale et la connaissance matutinale des anges, dont nous avons traité plus haut. - Ou bien, selon S. Basile, on a coutume de désigner la totalité du temps par sa partie principale, qui est le jour ; ainsi Jacob disait-il (Gn 47,9) : "Les jours de mon pèlerinage", sans faire aucune mention de la nuit Or, le soir et le matin sont nommés comme les termes du jour, dont le matin est le début, et le soir la fin. - On peut encore dire que le soir désigne le commencement de la nuit, et le matin, le commencement du jour. Il était en effet opportun qu’en rappelant la première distinction des choses on ait désigné seulement le commencement des temps. Et le soir est mentionné en premier parce que, comme le jour a commencé à partir de la lumière, on a rencontré le terme de la lumière, qui est le soir, avant le terme des ténèbres et de la nuit, qui est le matin. Ou bien selon S. Jean Chrysostome, c’est afin de signifier que le jour naturel ne se termine pas le soir mais le matin.

7. Il est dit "un jour" dans la première institution du jour pour indiquer que les intervalles de vingt-quatre heures appartiennent à un seul jour. Ainsi, par l’emploi du mot "un" on fixe la mesure du jour naturel. - Ou bien parce que ce mot signifierait que le jour s’achève par le retour du soleil à un unique et même point. - Ou encore parce que, une fois achevé le septénaire des jours, on revient au premier jour qui fait un avec le huitième. Ces trois raisons sont données par S. Basile.

 

 

 

 

 

QUESTION 75 — L’ESSENCE DE L’ÂME

Sur le premier point, deux sujets de recherche : l’âme en elle-même (Q. 75), et dans son union avec le corps (Q. 76). Sur le premier sujet, sept questions : 1. L’âme est-elle une réalité corporelle ? - 2. Est-elle une réalité subsistante ? - 3. Les âmes des bêtes sont-elles subsistantes ? - 4. L’âme est-elle l’homme même, ou bien plutôt l’homme est-il un être composé d’âme et de corps ? - 5. L’âme est-elle composée de matière et de forme ? - 6. Est-elle incorruptible ? - 7. Est-elle de même nature que l’ange ?

            Article 1 — L’âme est-elle une réalité corporelle ?

Objections :

1. L’âme est pour le corps principe de mouvement. Si elle en donne, c’est qu’elle en a reçu. C’est vrai de toute réalité : on ne donne pas ce qu’on n’a pas, ce qui n’est pas chaud ne chauffe pas. Dans le cas d’un être qui donnerait du mouvement sans en avoir reçu, il y aurait mouvement éternel et uniforme, d’après la démonstration d’Aristote. Mais rien de tel n’apparaît dans le mouvement qui vient de l’âme. Donc l’âme donne du mouvement parce qu’elle en a reçu ; et puisque toute réalité de ce genre est un corps, l’âme est par conséquent une réalité corporelle.

2. Toute connaissance se fait par la médiation d’une certaine similitude de l’objet. Or, il ne peut y avoir ressemblance entre un corps et une réalité incorporelle. L’âme ne pourrait donc pas connaître les corps, si elle n’avait pas la même nature.

3. La cause motrice doit avoir contact avec ce qu’elle meut. Or il n’y a de contact qu’entre les corps. Donc, si l’âme met le corps en mouvement, elle est une, réalité corporelle.

En sens contraire, d’après S. Augustin, on dit que l’âme est simple si on la compare au corps, parce qu’elle ne se répand pas par sa masse dans l’espace.

Réponse :

Pour rechercher quelle est la nature de l’âme, il faut commencer par admettre que l’âme est le premier principe de la vie dans les vivants qui nous entourent, car nous appelons " animés " les vivants, et " objets inanimés ", les êtres qui n’ont pas la vie. Or, la vie se manifeste surtout par la connaissance et par le mouvement. Les anciens philosophes, incapables de dépasser l’imagination, attribuaient à ces actions un principe corporel : il n’y avait pour eux d’autres réalités que les corps ; en dehors, il n’y avait rien. Aussi affirmaient-ils que l’âme est une réalité corporelle.

On pourrait montrer de bien des manières la fausseté de cette opinion, mais on se servira d’un seul argument, à la fois le plus universel et le plus sûr.

Tout principe d’opération vitale n’est pas une âme, ou alors l’œil, principe de la vision serait une âme, et ainsi des autres organes. Mais c’est le premier principe vital qui est une âme. Un corps peut bien être en quelque façon principe vital, - le cœur par exemple -, mais non pas le premier principe. Si un corps est principe vital, ce n’est pas en tant que corps, - autrement tout corps le serait -, mais parce qu’il est tel corps. Or il possède une telle actualité en raison d’un principe qui est appelé son acte[4402]. Puisque l’âme est le premier principe de la vie, elle n’est donc pas une réalité corporelle, mais l’acte d’un corps. De même, la chaleur, principe de l’action par laquelle un corps en chauffe un autre, n’est pas un corps, mais l’acte d’un corps.

Solutions :

1. Tout être en mouvement reçoit son mouvement, c’est vrai ; mais, puisqu’on ne peut remonter à l’infini, il est nécessaire qu’il y ait une cause de mouvement qui n’en reçoive pas. Être mis en mouvement, c’est passer de la puissance à l’acte : la cause motrice donne au mobile ce qu’elle a, en tant qu’elle l’actualise. Mais Aristote distingue une cause motrice tout à fait immobile, et qui ne reçoit de mouvement ni par nature ni indirectement ; une telle cause peut produire un mouvement perpétuel et uniforme. Puis une autre cause qui n’est pas mise en mouvement par elle-même, - per se - mais seulement indirectement, - per accidens -, celle-là ne produit pas de mouvement perpétuel et uniforme ; c’est le cas de l’âme. Enfin une autre cause à laquelle il appartient par nature d’être mue, comme le corps. Les anciens " physiciens ", qui ne croyaient qu’à l’existence des corps, affirmèrent que toute cause motrice reçoit son mouvement, que cela est nécessaire dans le cas de l’âme, et donc quelle est une réalité corporelle.

2. Il n’est pas requis que la ressemblance de la réalité connue soit actuelle dans l’être qui connaît. Mais si un être est d’abord en puissance, puis en acte de connaître, il suffit qu’il soit en puissance à la ressemblance de la chose connue, sans qu’il la possède en acte ; ainsi la couleur n’est pas en acte dans la pupille de l’œil. Par suite, il n’est pas besoin que la ressemblance des réalités corporelles soit actuelle dans l’âme, mais que l’âme soit en puissance à la recevoir. - Les anciens " physiciens ", qui ne distinguaient pas la puissance et l’acte, supposaient à l’âme une nature corporelle, composée des éléments de tous les corps pour être capable de les connaître tous.

3. On distingue contact par la quantité, et contact par l’action. Dans le premier cas, un corps ne peut être touché que par un corps ; dans le second, il peut l’être par une réalité immatérielle qui le meut.

 

            Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ?

Objections :

1. Il faudrait pour cela qu’elle puisse être désignée comme " quelque chose ". Or cette désignation convient seulement au composé d’âme et de corps[4403].

2. À une réalité subsistante on peut attribuer une activité. Or, on ne peut le faire pour l’âme. Car, d’après Aristote, si l’on disait que l’âme sent ou comprend, on pourrait aussi bien dire qu’elle tisse ou qu’elle bâtit.

3. De plus, cela impliquerait qu’elle a une certaine activité indépendamment du corps, alors que cela n’est pas vrai, même de l’acte intellectuel pour lequel il faut toujours des images, phénomènes d’origine corporelle.[4404]

En sens contraire, selon S. Augustin " lorsque l’on a compris que l’esprit est par nature une substance, mais non corporelle, on comprend l’erreur de ceux qui la tiennent pour corporelle : ils y ajoutent des éléments sans lesquels ils sont incapables de concevoir aucune nature à savoir les images des corps ". La nature de l’esprit humain est donc incorporelle d’abord, mais de plus elle est substance, c’est-à-dire réalité subsistante.

Réponse :

Le principe de l’acte intellectuel que nous appelons âme humaine doit être un principe incorporel et subsistant. Par l’intelligence en effet l’homme peut connaître toutes les natures corporelles. Mais pour connaître des objets, il ne faut rien posséder en soi de leur nature[4405] ; car ce qu’on posséderait ainsi par essence empêcherait de connaître les autres réalités. Ainsi, la langue du malade chargée d’une humeur amère, bilieuse, ne goûte rien de doux, mais trouve tout amer[4406]. Donc, si le principe intellectuel possédait en lui une nature corporelle quelconque, il ne pourrait connaître tous les corps : tout corps est en effet d’une nature déterminée[4407]. Il est donc impossible que le principe intellectuel soit un corps.

Et il est tout autant impossible qu’il connaisse par le moyen d’un organe corporel. Car la nature de cet organe déterminé empêcherait de connaître tous les corps[4408], ce que ferait une couleur dans la pupille de l’œil. De même un liquide prend la coloration du verre où il est versé.

Le principe intellectuel, - en d’autres termes l’esprit, l’intelligence, - possède donc par lui-même une activité à laquelle le corps n’a point de part[4409]. Or rien ne peut agir par soi qui n’existe pas par soi. Car seul agit l’être en acte[4410] ; en conséquence un être n’opère que de la manière dont il existe[4411]. Ainsi ne dit-on pas que ce qui chauffe, c’est la chaleur, mais ce qui est chaud. Il reste que l’âme humaine, c’est-à-dire l’intelligence, l’esprit, est une réalité incorporelle et subsistante.

Solutions :

1. On peut comprendre " quelque chose " soit de toute réalité subsistante, soit d’une réalité subsistante complète, d’espèce déterminée. Le premier sens exclut tout ce qui est accident, ou forme matérielle, le second exclut encore cette imperfection d’être une partie d’un tout. Ainsi la main est " quelque chose " au premier sens, mais non au second. De la même manière l’âme, qui est une partie de la nature humaine, n’est " quelque chose ", réalité subsistante, qu’au premier sens[4412]. C’est pourquoi il faut concéder que le composé d’âme et de corps peut être désigné comme " quelque chose ".

2. Le texte cité ne rapporte pas la pensée d’Aristote, mais l’opinion de ceux pour qui comprendre, c’est être mis en mouvement : on peut le voir par le contexte. - Autre réponse : il convient à ce qui existe par soi d’agir par soi[4413]. Mais on peut dire d’une chose qu’elle subsiste par soi lorsqu’elle n’est ni accident, ni forme matérielle, alors même qu’elle ne serait qu’une partie d’un être. Mais à proprement parler, il n’y a de subsistant par soi que la chose qui n’est ni accident, ni forme matérielle, ni partie[4414]. En ce sens, on ne peut pas dire que l’œil ou la main subsistent par soi, et par conséquent qu’ils aient une activité propre. C’est au tout que sont attribuées les opérations des parties, considérées comme moyen d’action. On dira en effet que l’homme voit avec l’œil, et palpe avec la main ; mais, en un autre sens, que l’objet chaud réchauffe par sa chaleur. Car, à parler en rigueur, la chaleur ne chauffe en aucune manière. On dira donc que l’âme pense, comme on dit que l’œil voit, mais il serait plus exact de dire : l’homme pense par son âme.

3. Le corps n’est pas requis pour l’acte intellectuel à la manière d’un organe, mais en raison de l’objet qu’il lui donne[4415] : l’image, qui est à l’intelligence ce que la couleur est à la vue. Le fait d’avoir besoin du corps n’empêche pas l’intelligence d’être subsistante ; autrement l’animal ne le serait pas[4416], lui qui a besoin d’objets extérieurs pour la sensation[4417].

 

            Article 3 — Les âmes des bêtes sont-elles subsistantes ?

Objections :

1. Il semble bien. En effet, l’homme, dont l’âme est une réalité subsistantes, appartient au même genre que les animaux.

2. Il y a le même rapport entre les sens et le donné sensible qu’entre l’intelligence et le donné intelligible. Or, l’intelligence se passe du corps pour appréhender les réalités intelligibles. Il arrivera donc la même chose pour les sens. L’âme des bêtes qui possède des sens sera donc subsistante, pour le même motif que l’âme humaine douée d’intelligence.

3. L’âme des bêtes meut leur corps. Or un corps ne meut pas : il est mû. Donc l’âme des bêtes possède une certaine activité indépendamment du corps.

En sens contraire, on lit dans le livre des Dogmes de l’Église : " Nous croyons que seul l’homme possède une âme subsistante, mais ce n’est pas vrai des animaux. "

Réponse :

Les anciens philosophes ne faisaient aucune différence entre le sens et l’intelligence. Comme on l’a déjà dit, ils rapportaient l’une et l’autre faculté à un principe corporel. Platon admit qu’ils se distinguaient, mais il rapportait l’une et l’autre à un principe incorporel, affirmant que comprendre et sentir convenaient en propre à l’âme. En conséquence, l’âme des bêtes devait être subsistante. Mais Aristote affirma que l’intellection, seule parmi les activités de l’âme, s’accomplit sans organe corporel. Quant à la sensation et aux autres activités de l’âme sensitive, il est clair qu’elles impliquent une modification corporelle ; ainsi, dans la vision, la pupille est modifiée par la représentation colorée ; il en est de même pour les autres puissances. L’âme sensitive n’a donc pas d’opération qui lui convienne en propre, mais toute son activité procède du composé. L’âme des bêtes, n’ayant pas d’activité propre, ne peut être subsistante car tout être existe de la manière dont il agit.

Solutions :

1. Bien que l’homme soit du même genre que les animaux, il en diffère cependant par l’espèce. C’est la différence de forme qui entraîne la différence spécifique. Mais il n’est pas nécessaire que toute différence de forme rende le genre différent.

2. L’analogie entre le sens et l’intelligence se fonde sur ce qu’ils sont tous deux en puissance à leurs objets. Mais ils sont dissemblables, du fait que le sens subit l’action du donné sensible avec une modification corporelle. Aussi des objets d’une trop grande intensité peuvent-ils être dommageables pour le sens. Cela n’arrive pas dans l’intelligence qui, après avoir saisi les objets de pensée les plus relevés, est plus apte à en saisir de moindres. Cependant, si le corps se fatigue tandis qu’on pense, c’est un effet indirect, en tant que l’intelligence a besoin de l’opération des facultés sensibles qui lui fournissent des images.

3. Il y a dans l’âme deux facultés qui ont rapport au mouvement : l’une commande le mouvement, c’est l’appétit. Dans l’âme sensitive, elle ne peut agir sans le corps : la colère, la joie et toutes les passions impliquent une modification corporelle. L’autre faculté motrice exécute le mouvement. par elle, les membres sont mis en mesure de suivre l’impulsion de l’appétit. Son opération ne consiste pas à mouvoir, mais à être mue. D’où l’on peut conclure qu’il n’y a pas dans l’âme sensitive de mouvement qui s’exécute sans le corps.

 

            Article 4 — L’âme est-elle l’homme même ?

Objections :

1. Il est écrit (2 Co 4, 16) : " Bien que notre homme extérieur se corrompe, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour. " Ce qui est au-dedans, c’est l’âme. L’âme est donc l’homme intérieur.

2. L’âme humaine est une substance, non pas universelle, mais individuelle. C’est donc une hypostase, une personne, et de plus, une personne humaine. L’âme est donc l’homme, puisque la personne humaine, c’est l’homme.

En sens contraire, S. Augustin loue Varron d’avoir reconnu que " l’homme ce n’est ni seulement le corps, ni seulement l’âme, mais à la fois l’âme et le corps ".

Réponse :

On peut comprendre de deux façons que l’âme soit l’homme. D’abord en ce sens que l’homme en général serait l’âme, alors que cet homme particulier ne serait pas l’âme, mais un composé d’âme et de corps, ainsi Socrate. Et si je m’exprime ainsi, c’est que certains philosophes ont admis que la forme seule appartenait à l’espèce, la matière étant une partie de l’individu et non de l’espèce. Mais cela ne peut être vrai, puisque tout ce que désigne la définition appartient à l’espèce. Et la définition des êtres physiques ne désigne pas uniquement la forme, mais la matière. Aussi, dans ces êtres, la matière est-elle une partie de l’espèce, non pas la matière qui a une quantité déterminée, et qui est le principe de l’individuation, mais la matière commune. Par exemple, il est de l’essence de cet homme particulier qu’il soit constitué par cette âme, cette chair et ces os, tandis qu’il est de l’essence de l’homme en général d’avoir une âme, de la chair et des os. Car tout ce qui est commun par essence à tous les individus contenus dans une espèce appartient forcément à la substance de l’espèce.

On peut encore comprendre la thèse d’une autre façon : "cette âme" serait identique à "cet homme". On pourrait le dire, si l’activité de l’âme sensitive lui était propre indépendamment du corps. Toutes les activités qu’on attribue à l’homme conviendraient alors uniquement à l’âme. Chaque réalité est cela même qui agit. Ainsi un homme, c’est cela même qui produit les actes de l’homme. - Mais on a montré précédemment[4418] que la sensation n’est pas une opération de l’âme seule. Sentir est une opération de l’homme tout entier, bien qu’elle ne soit pas propre à l’homme. En conséquence, l’homme n’est pas seulement l’âme, mais un être composé d’âme et de corps. Platon, pour qui la sensation était une opération propre à l’âme, pouvait dire que l’homme est " une âme qui se sert d’un corps ".

Solutions :

1. Aristote a écrit qu’une chose est surtout ce qui est en elle le principal. Lorsque le chef de la cité fait quelque chose, on l’attribue à la cité elle-même. Ainsi parfois désigne-t-on par le terme d’homme ce qu’il y a en lui de plus important, tantôt la partie intellectuelle, - ce qui est conforme à la vérité, - et c’est " l’homme intérieur " ; tantôt la partie sensible, y compris le corps, - selon l’opinion des philosophes qui s’arrêtaient au niveau du sensible, - et c’est " l’homme extérieur ".

2. Toute substance individuelle n’est pas une hypostase, une personne, mais seulement celle qui possède l’essence spécifique au complet. Ni la main, ni le pied ne peut être appelé hypostase ou personne. De même l’âme, qui n’est qu’une partie de l’espèce humaine.

            Article 5 — L’âme est-elle composée de matière et de forme ?

Objections :

1. La puissance s’oppose à l’acte. Tous les êtres en acte participent de l’acte premier, Dieu, par qui toutes choses ont la bonté, l’être, la vie, comme l’enseigne Denys. Donc tout ce qui est en puissance participe de la première puissance, qui est la matière première. Or, l’âme humaine est en puissance sous un certain rapport : cela se voit à l’état potentiel où se trouve parfois l’intelligence. L’âme humaine participe donc de la matière première, qui la constitue pour une part.

2. Il y a matière partout où se rencontrent les propriétés de la matière. Or, il y a dans l’âme des propriétés matérielles telles que d’être sujet et de changer. L’âme est le sujet de la science et de la vertu ; elle passe de l’ignorance à la science, du vice à la vertu. Il y a donc de la matière dans l’âme.

3. Ce qui n’a pas de matière, n’a pas de cause de son être, dit Aristote. Mais l’âme a une cause, puisqu’elle est créée par Dieu. Elle possède donc une matière.

4. Ce qui n’a pas de matière, étant seulement forme, est acte pur et infini. Mais cela appartient à Dieu seul. L’âme a donc une matière.

En sens contraire, S. Augustin établit que l’âme n’a été faite d’aucune matière, ni corporelle, ni spirituelle.

Réponse :

L’âme n’a pas de matière. On peut d’abord le prouver d’après le concept d’âme en général, selon lequel l’âme est la forme d’un corps. Mais alors elle est forme, ou par sa réalité tout entière ou par une partie d’elle-même. Dans la première hypothèse, l’âme ne peut avoir de matière, si l’on entend par là de l’être qui n’est qu’en puissance ; car la forme, en tant que telle, est un acte, et ce qui est seulement en puissance ne peut être partie d’un acte, puisque la puissance ne peut coïncider avec l’acte, étant son opposé. Mais si l’âme n’est forme que par une partie d’elle-même, cette partie nous la nommerons âme, et la matière dont elle est immédiatement l’acte nous la nommerons le " premier animé ".

On peut prouver aussi que l’âme n’a pas de matière en se fondant sur le concept d’âme humaine, considérée comme intellectuelle. Il est évident que tout être est reçu dans un autre selon le mode de celui qui le reçoit. Ainsi, toute réalité est connue selon que sa forme existe dans l’être connaissant. L’âme intellectuelle connaît la réalité dans son essence, sous un mode absolu, par exemple la pierre en tant que pierre. La forme de la pierre se trouve donc dans l’âme intellectuelle, sous un mode absolu, selon sa seule raison formelle. L’âme intellectuelle est donc une forme absolue (c’est-à-dire dégagée de matière), et non un composé de matière et de forme. Si au contraire elle était un composé, la forme des réalités serait reçue en elle en tant qu’elles sont individuelles ; et de la sorte, l’âme ne connaîtrait que le singulier, à la manière des facultés sensibles, qui reçoivent la forme des réalités dans un organe corporel. La matière, en effet, est le principe d’individuation des formes. Il reste donc que l’âme intellectuelle, et d’ailleurs toute autre substance dotée d’intelligence, et connaissant la forme des réalités sous un mode absolu, n’est pas composée de forme et de matière

Solutions :

1. L’Acte premier est le principe universel de tous les actes, parce qu’il est et contient virtuellement en lui toute réalité, selon Denys. S’il est participé par les autres êtres, ce n’est pas qu’il en fasse partie, mais c’est en tant que les êtres procèdent de lui par une sorte de diffusion de sa plénitude. Quant à la puissance, elle doit être proportionnée à l’acte, puisqu’elle le reçoit. Les actes reçus, qui procèdent du premier acte infini et en sont une participation, sont divers. Il ne peut donc y avoir une puissance unique qui reçoive tous les actes, comme il y a un acte unique qui donne l’être à tous les actes participés ; ou alors la puissance réceptrice serait égale à la puissance active du premier acte. Mais la puissance réceptrice qui se trouve dans l’âme intellectuelle est d’un autre ordre que celle de la matière première. Il y paraît bien à la diversité des formes reçues en l’une ou en l’autre, car la matière première reçoit les formes individuelles et l’intelligence, les formes universelles. L’existence d’une puissance de ce genre dans l’âme intellectuelle ne prouve donc pas que l’âme soit composée de matière et de forme.

2. Il convient à la matière d’être sujet et de changer, parce qu’elle est en puissance. L’intelligence et la matière première n’étant pas en puissance de la même façon, diffèrent par leur manière d’être sujet et de changer. L’intelligence est sujet de la science, et passe de l’ignorance à la science, pour autant qu’elle est en puissance aux formes intelligibles.

3. Ce qui cause l’existence de la matière, c’est la forme. C’est aussi l’agent. Par le fait que l’agent fait passer la matière à l’acte, à l’acte de la forme, il est cause de son existence. Mais une forme qui subsiste par soi, ne possède pas l’existence par la vertu de quelque principe formel distinct d’elle ; elle n’a pas non plus de cause qui la fasse passer de la puissance à l’acte. À la suite du texte cité dans l’objection, le Philosophe, conclut que, dans les êtres composés de matière et de forme, " il n’y a pas d’autre cause que celle qui fait passer de la puissance à l’acte ; mais les êtres immatériels sont immédiatement un être véritable ".

4. L’être participé est avec ce qui participe de lui dans le rapport de l’acte à la puissance. Toute forme créée, même si elle subsiste par soi, doit participer à l’être. C’est vrai, selon Denys de la vie même, ou de toute autre modalité semblable. Or l’être participé est limité par la capacité du sujet récepteur. En conséquence, Dieu seul, qui est son être même, est acte pur et illimité. Mais, dans les substances intelligentes, il y a composition d’acte et de puissance ; non pas composition de matière et de forme, mais de forme et d’être participé. C’est pourquoi certains philosophes disent qu’elles sont composées de " ce par quoi elles sont " et de " ce qu’elles sont " : l’être est en effet " ce par quoi " une réalité existe.

 

            Article 6 — L’âme humaine est-elle incorruptible ?

Objections :

1. Les êtres qui ont même origine et même développement doivent avoir une fin semblable. Hommes et bêtes ont même origine, puisqu’ils viennent de la terre. Et le développement de leur vie est identique : car, selon l’Ecclésiaste (3, 19), " tous les vivants ont le même souffle, et l’homme n’a rien de plus que l’animal. " Par suite, ajoute-t-il, " la mort est la même pour l’un comme pour l’autre, et leur sort est égal. " Puisque l’âme des bêtes est corruptible, l’âme humaine l’est donc aussi.

2. Ce qui vient du néant doit retourner au néant, car la fin doit être proportionnée au commencement. Or, il est dit au livre de la Sagesse (2, 2 Vg) : " Nous sommes nés de rien ", ce qui est vrai du corps, mais de l’âme aussi. Par conséquent " après cette vie, ce sera comme si nous n’avions pas existé ", même sous le rapport de l’âme.

3. Aucune réalité n’existe qui n’ait d’activité propre. Pour l’âme, cette activité, qui est de comprendre à l’aide des images, ne peut exister sans le corps. L’âme ne peut connaître intellectuellement sans images, et les images ne peuvent être données s’il n’y a pas de corps, dit Aristote. L’âme ne peut donc subsister, une fois le corps détruit.

En sens contraire, les âmes humaines, dit Denys, tiennent de la bonté divine une nature " intellectuelle et une vie subsistante et impérissable ".

Réponse :

L’âme humaine, dont nous affirmons qu’elle est le principe de la pensée, doit être incorruptible. Une chose en effet, peut se corrompre soit par elle-même, soit par la corruption d’autre chose qu’elle-même. Or, une réalité subsistante ne peut être engendrée ou corrompue de la seconde manière, c’est-à-dire parce qu’un autre être est engendré ou se corrompt. Génération et corruption conviennent en effet à une chose de la manière dont lui convient l’être, lequel est acquis par l’une et perdu par l’autre. La chose à qui l’être convient par soi ne peut être engendrée ou corrompue qu’en raison de sa propre nature ; mais ce qui ne subsiste pas, comme les accidents et les formes matérielles, naît et disparaît en même temps que le composé auquel il appartient. - On a vu que l’âme des bêtes n’est pas subsistante par nature, mais seulement l’âme humaine. Aussi l’âme des bêtes est-elle détruite avec les corps.

Quant à l’âme humaine, elle ne pourrait se corrompre autrement qu’en se corrompant par elle-même. Or c’est tout à fait impossible, non seulement pour elle, mais pour toute réalité subsistante qui est forme pure. En effet, ce qui convient de soi à une chose en est inséparable. Or l’être convient de soi à la forme, qui est un acte. La matière ne reçoit l’être actuel que parce qu’elle reçoit la forme. Si elle se corrompt, c’est que la forme se sépare d’elle. Mais il est impossible que la forme soit séparée d’elle-même. Une forme subsistante ne peut donc cesser d’exister.

Même si l’âme était composée de matière et de forme, selon l’opinion de certains, il faudrait encore affirmer qu’elle est incorruptible. Il n’y a de corruption en effet que dans les êtres où il y a passage d’un contraire à un autre. Générations et corruptions sont les passages de certains états à leurs contraires. Les corps célestes dont la matière n’est pas soumise à la contrariété sont incorruptibles. Mais dans l’âme intellectuelle, il ne peut y avoir contrariété. Quand elle reçoit, c’est selon la nature de son être. Or ce qui est ainsi reçu ne présente pas de contrariété. Car même les idées des opposés ne sont pas opposées en elle, et il n’y a qu’une même science des contraires. L’âme humaine ne peut donc être corruptible.

On peut trouver une preuve de cette incorruptibilité dans cette vérité générale : tout être désire naturellement exister, sous le mode qui lui convient. Chez les êtres dotés de connaissance, le désir est proportionné au mode de connaître. Le sens ne connaît l’être que dans une étendue et une durée concrètes, mais l’intelligence le connaît absolument, et par référence à n’importe quel temps. Aussi, tout être doté d’intelligence désire-t-il naturellement exister toujours. Mais un désir naturel ne peut être vain. Toute substance intelligente est donc incorruptible.

Solutions :

1. Salomon met cette idée au compte des insensés, comme on peut le voir au livre de la Sagesse (2, 1-21). Que l’homme et les animaux aient même origine, c’est vrai quant au corps ; tous les animaux viennent en effet de la terre. Mais ce n’est plus vrai de l’âme ; l’âme des bêtes est produite par une énergie corporelle, mais l’âme humaine par Dieu. La Genèse (1, 24) dira, à propos des bêtes : " Que la terre produise l’âme du vivant ", mais à propos de l’homme (2, 7) : Dieu " a soufflé sur son visage un souffle de vie. " D’où cette parole de l’Ecclésiaste (12, 7) : " Que la poussière retourne à la terre d’où elle est tirée et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné. " De même, le développement vital est identique, sous le rapport du corps. A cela se réfère le texte de l’Ecclésiaste (3, 19) : " Tous les vivants ont même souffle " ; et celui de la Sagesse (2, 2) : " C’est une fumée et un souffle dans nos narines... " Mais le développement n’est pas le même dans le cas de l’âme : l’homme a l’intelligence, les bêtes n’en ont pas. Il est donc faux de dire : " L’homme n’a rien de plus que l’animal. " Aussi, la fin de l’un et celle de l’autre est-elle la même pour le corps, non pour l’âme.

2. Créer procède, non d’une puissance passive, mais de la seule puissance active du Créateur qui peut faire quelque chose de rien. Ainsi, pouvoir retourner au néant n’implique pas que la créature ait une aptitude à ne plus exister, mais signifie que le Créateur a la puissance de ne plus lui donner l’être. Or être corruptible, c’est avoir cette aptitude à ne plus exister.

3. Penser avec des images est l’opération propre de l’âme qui est unie au corps. Lorsqu’elle en sera séparée, elle aura une manière différente de connaître, analogue à celle des autres substances séparées, comme on le verra plus clairement par la suite.

 

            Article 7 — L’âme est-elle de même espèce que l’ange ?

Objections :

1. Tout être est orienté à sa fin par la nature de son espèce, qui lui donne une inclination vers cette fin. L’âme et l’ange ont une même fin, la béatitude éternelle. Ils sont donc de la même espèce.

2. La dernière différence spécifique est la plus parfaite dans l’être, car c’est elle qui achève l’essence de l’espèce. Mais rien n’est plus parfait dans l’ange et dans l’âme que l’être intellectuel. Ils ont ainsi même différence spécifique, ils sont donc de même espèce.

3. L’âme ne paraît différer de l’ange que par son union au corps. Celui-ci n’est pas une partie de l’essence de l’âme ; il n’appartient donc pas à son espèce. Par conséquent l’âme et l’ange sont de même espèce.

En sens contraire, les êtres dont les activités propres sont différentes appartiennent à différentes espèces. C’est le cas pour l’âme et pour l’ange. D’après Denys : " Les esprits angéliques possèdent une intelligence simple et heureuse, parce qu’ils n’empruntent pas au monde visible leur connaissance de la divinité. " Il affirme ensuite le contraire au sujet de l’âme humaine. L’âme et l’ange n’appartiennent donc pas à la même espèce.

Réponse :

Origène admettait l’identité d’espèce pour les âmes humaines et pour les anges ; car il ne reconnaissait qu’une différence accidentelle dans leur degré de perfection, causée, comme on l’a dit précédemment, par leur libre choix.

Mais cela est impossible, parce que les substances incorporelles ne peuvent se distinguer numériquement les unes des autres sans une différence d’espèce et sans une inégalité naturelle. N’étant pas composées de matière et de forme, mais étant formes subsistantes, elles devront se distinguer par l’espèce. Il est inconcevable qu’une forme séparée ne soit pas unique en chaque espèce. S’il y avait une blancheur séparée de tout sujet, elle serait nécessairement unique ; ainsi telle blancheur ne se distingue de telle autre que parce qu’elle se trouve en tel ou tel sujet. La diversité dans l’espèce est toujours accompagnée d’une inégalité naturelle.

Ainsi, parmi les espèces de couleurs, l’une est plus parfaite que l’autre, et il en est de même ailleurs. La raison en est que les différences qui divisent le genre sont des contraires ; or les contraires ont entre eux le rapport du parfait à l’imparfait, car " le principe de l’opposition par contrariété, c’est la privation et la possession ", selon Aristote.

La conséquence serait la même si les substances incorporelles étaient composées de matière et de forme. Pour distinguer telle matière de telle autre, ou bien il faudra que la forme soit principe de distinction pour la matière ; c’est-à-dire que les matières seront diverses par leur relation à diverses formes, et alors il y aura encore une diversité d’espèce et une inégalité naturelle. Ou bien il faudra que la matière soit le principe de distinction des formes, et dans ce cas une matière ne se distinguera d’une autre que d’après les divisions de la quantité ; mais on n’en trouve pas dans les substances incorporelles telles que l’ange et l’âme. Il est donc impossible que l’ange et l’âme soient de même espèce. On montrera plus loin comment les âmes humaines sont plusieurs en une seule espèce.

Solutions :

1. Cet argument considère la fin prochaine et naturelle d’un être, alors que la béatitude éternelle des esprits est une fin dernière et surnaturelle.

2. L’ultime différence spécifique est la plus parfaite dans l’être, parce qu’elle est la plus déterminée, à la manière dont l’acte est plus parfait que la puissance. Mais " intellectuel " n’est pas ce qu’il y a de plus parfait en ce sens ; car c’est un indéterminé et un universel par rapport à de nombreux degrés d’intellectualité, de même que " sensible ", par rapport aux nombreux degrés de l’être sensible. En conséquence, puisque les êtres sensibles n’appartiennent pas tous à une même espèce, pas davantage tous les êtres intellectuels.

3. Le corps ne fait pas partie de l’essence de l’âme, mais l’âme est, par son essence, apte à être unie au corps. Aussi n’est-ce pas l’âme, à proprement parler, qui appartient à l’espèce, mais le composé. Et le fait même que l’âme, en quelque façon, ait besoin du corps pour agir montre qu’elle est une nature intellectuelle d’un degré inférieur à celui de l’ange, lequel n’est jamais uni à un corps.

 

 

QUESTION 76 — L’UNION DE L’ÂME AU CORPS

1. Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ? - 2. Y a-t-il autant de principes intelligents qu’il y a de corps, ou n’y a-t-il qu’une seule intelligence pour tous les hommes ? - 3. Dans un corps qui a pour forme un principe intelligent, y a-t-il une autre âme ? - 4. Y a-t-il en lui une autre forme substantielle ? - 5. De quelle nature doit être un corps informé par un principe intelligent ? - 6. L’âme est-elle unie à un tel corps par l’intermédiaire de dispositions accidentelles ? - 7. Ou au moyen d’un autre corps ? - 8. L’âme est-elle tout entière dans chaque partie du corps ?

 

Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ?

Objections :

1. Pour Aristote, "l’intellect est séparé" et n’est l’acte d’aucun corps. Il ne peut donc s’unir à lui comme une forme.

2. Toute forme est déterminée par la nature de sa matière ; sans quoi, il n’y aurait pas besoin d’une proportion entre la matière et la forme. Mais si l’intellect s’unissait au corps comme une forme, comme tout corps a une nature déterminée, il faudrait que l’intellect aussi ait une nature déterminée. Il ne pourrait plus alors connaître toutes choses, ce qu’on a établi précédemment. Ce qui serait contre la nature même d’intellect. L’intellect n’est donc pas uni au corps comme une forme.

3. Toute puissance réceptrice qui est l’acte d’un corps reçoit la forme sous un mode matériel et individuel ; car la forme est reçue selon le mode d’existence de ce qui la reçoit. Or, la forme de la réalité intellectuellement connue n’est pas reçue dans l’intelligence de la manière que l’on vient de dire, mais, au contraire, sous un mode immatériel et universel. Autrement, l’intelligence ne connaîtrait pas l’immatériel et l’universel, mais seulement le singulier, comme fait le sens. L’intellect n’est donc pas uni au corps comme une forme.

4. La puissance d’agir et l’action appartiennent à une même réalité ; c’est le même être en effet qui peut agir et qui agit. Nous savons déjà e que l’activité intellectuelle n’appartient à aucun corps. La puissance intellectuelle ne sera donc pas la puissance d’un corps. Et puisque nulle puissance ne peut être plus éloignée de la matière ou plus simple que l’essence dont elle procède, l’essence même d’où sort la faculté intellectuelle ne peut être unie au corps comme une forme.

5. Ce qui possède l’être par soi-même ne doit pas s’unir au corps comme une forme. Car la forme est " ce par quoi " une réalité existe, et ainsi, à parler en rigueur, l’être de la forme n’est pas celui de la forme en elle-même, mais du composé dont elle est la forme. Or, le principe pensant possède l’être par lui-même, et il est subsistant, comme on l’a dit. Il ne s’unit donc pas au corps comme une forme.

6. Ce qui appartient par soi-même à une réalité s’y trouve toujours. Or, il appartient à la forme d’être unie par elle-même à la matière. Ce n’est pas accidentellement, mais par essence qu’elle est l’acte d’une matière, ou alors l’union de la matière et de la forme ne donnerait pas un tout essentiel, mais un tout accidentel. La forme ne peut donc exister sans sa matière propre. Or le principe pensant, qui est incorruptible comme on l’a montré, continue d’exister sans être uni à un corps, lorsque le corps est détruit. Il ne lui est donc pas uni comme une forme.

En sens contraire, pour Aristote, la différence spécifique d’une réalité doit se prendre de sa forme. Or, chez l’homme, cette différence, c’est le " rationnel ", à cause même du principe intelligent qui est en lui. Ce principe est donc la forme de l’homme.

Réponse :

Il est nécessaire d’affirmer que l’âme intellectuelle, principe de l’activité intellectuelle, est " forme " comme humain. Le principe immédiat de l’opération d’un être, c’est la forme de cet être auquel une activité est attribuée ; ainsi, le principe immédiat de la guérison du corps, c’est la santé ; celui du savoir dans l’âme, c’est la science. La santé est donc forme pour le corps, et la science forme pour l’âme. Car un être agit en tant qu’il est en acte, et ce par quoi il agit, c’est cela même par quoi il est en acte. Or le principe immédiat de la vie du corps, c’est l’âme. Et comme la vie se révèle par des activités qui varient selon le degré d’être des vivants, le principe immédiat de chacune des activités vitales en eux, c’est l’âme. L’âme est le principe qui nous fait nous développer physiquement, sentir, nous mouvoir dans l’espace, et pareillement penser. Ce principe de notre pensée, qu’on l’appelle intelligence ou âme intellectuelle, est donc la forme du corps. Telle est la démonstration d’Aristote.

Mais si l’on voulait soutenir que l’âme intellectuelle n’est pas forme du corps, il faudrait montrer comment l’acte de penser peut appartenir à tel homme en particulier. Chacun sait en effet par expérience que c’est lui-même qui pense. - Or, l’action est attribuée à un être de trois manières selon Aristote : " Ou bien cet être agit selon tout ce qu’il est, ainsi le médecin guérit ; ou selon une partie de lui-même, ainsi l’homme voit par ses yeux ; ou par accident, ainsi dit-on que le blanc construit, parce qu’il arrive que l’architecte soit blanc. " Donc, lorsque nous disons que Socrate ou Platon font acte d’intelligence, on ne leur attribue pas cela par accident mais en tant qu’ils sont hommes, c’est-à-dire en vertu de leur essence. Il faut donc admettre que Socrate pense selon tout ce qu’il est, d’après la conception platonicienne pour laquelle l’homme, c’est l’âme intellectuelle[4419]. Ou bien admettre que l’intelligence n’est qu’une partie de la réalité de Socrate. La première opinion est insoutenable, car nous avons montré que c’est le même homme qui a conscience, à la fois, de sentir et de penser. Or, sentir ne peut se faire sans le corps qui doit donc être une partie de l’homme. Par conséquent, l’intelligence par laquelle Socrate pense est une partie de son être, si bien que l’intelligence est en quelque façon unie à son corps.

Le Commentateur soutient que cette union se réalise au moyen de l’"espèce intelligible". Celle-ci se trouverait à la fois dans l’intellect possible, et dans les images qui dépendent d’organes corporels. Ainsi donc, la continuité entre l’intellect possible et le corps de tel ou tel homme serait assurée par l’espèce intelligible. Mais une continuité, une union de cette sorte ne peut faire que l’action de l’intellect soit vraiment une action de Socrate. Une comparaison empruntée à l’ordre de la sensation, (point de départ des recherches d’Aristote sur l’intelligence), va éclairer le problème. Les images sont à l’intelligence dans le même rapport que les couleurs à la vue. Les "espèces" qui proviennent des images sont donc dans l’intellect possible comme les "espèces" sensibles des couleurs sont dans la faculté de voir. Mais du fait que les couleurs dont les similitudes sont dans la vue, se trouvent sur un mur, il ne s’ensuit pas qu’on attribue au mur l’action de voir ; on dira plutôt qu’il est vu. De même, par le fait que les espèces qui proviennent des images sont dans l’intellect possible, il ne s’ensuit pas que Socrate qui possède ces images pense lui-même, mais que lui ou ses images sont compris par l’intellect.

Selon d’autres philosophes, l’intellect est uni au corps comme un principe moteur, en sorte que l’intellect et le corps forment un seul être, ce qui permet d’attribuer l’action de l’intellect à ce tout. Mais cette théorie est sans aucune valeur, et cela pour plusieurs motifs : 1. L’intellect ne peut donner de mouvement au corps que par le moyen de l’affectivité. Or le mouvement affectif présuppose un acte intellectuel. Ce n’est donc pas en raison d’une impulsion de l’intellect que Socrate pense ; au contraire, c’est parce que Socrate pense qu’il reçoit une impulsion de l’intellect. - 2. Socrate est un être individuel, dont l’essence, composée de matière et de forme, est une ; si l’intellect n’est pas sa forme, il n’appartiendra pas à son essence. L’intellect sera donc avec Socrate dans le rapport d’un principe moteur avec ce qui est mis en mouvement. Mais penser est une activité immanente, ayant son terme dans le sujet[4420], et non pas transitive, ayant son terme dans un autre, comme l’action de chauffer. On ne peut donc attribuer l’acte d’intelligence à Socrate parce qu’il recevrait une impulsion de l’intellect. - 3. L’action d’une cause motrice n’appartient au mobile que comme à un instrument, telle l’action du menuisier sur la scie. S’il convient à Socrate de penser en raison de l’activité de sa cause motrice, il ne sera donc qu’un instrument. Conclusion contraire à la pensée d’Aristote, pour qui penser ne se réalise pas au moyen d’un instrument corporel. - 4. L’action de la partie est attribuée au tout, comme celle de l’œil l’est à l’homme ; elle n’est cependant jamais attribuée à une autre partie du même être, si ce n’est peut-être par accident : on ne dira pas que la main voit, parce que l’œil voit. Donc, si l’unité de l’intellect et de Socrate se réalise seulement comme on vient de le dire, l’action de l’intellect ne pourra être attribuée à Socrate. D’autre part, si Socrate est un tout composé de l’intellect et des autres éléments qui constituent Socrate, et si cependant l’intellect ne lui est uni que comme une cause motrice, il en résulte que Socrate n’est pas absolument un, et donc qu’il n’est pas absolument un être ; car toute réalité possède l’être de la même manière quelle possède l’unité[4421].

Il ne reste donc que la solution d’Aristote cet homme pense parce que le principe pensant est sa forme. C’est donc l’acte intellectuel qui permet de prouver que le principe de la pensée est la forme du corps.

On peut encore le montrer d’après l’essence de l’espèce humaine. La nature d’une réalité est révélée par son opération. L’opération propre à l’homme est de penser ; car c’est par là qu’il est supérieur à tous les animaux. Et Aristote a établi dans cette activité, comme étant proprement humaine, le parfait bonheur. L’espèce de l’homme doit donc être déterminée d’après le principe de cette activité. Et comme l’espèce est déterminée d’après la forme propre à un être, il s’ensuit que le principe de l’activité intellectuelle est pour l’homme cette forme propre.

Il faut ici considérer que plus la forme est d’un degré élevé, plus elle a d’emprise sur la matière corporelle, moins elle y est " enfoncée ", et plus elle la dépasse par son activité ou sa puissance. Ainsi la forme d’un corps composé possède une activité qui n’a pas pour cause les qualités élémentaires. Et plus on s’élève dans l’échelle des êtres, plus on trouve que la vertu de la forme dépasse la matière élémentaire : l’âme végétale la dépasse plus que ne le fait la forme du métal, l’âme sensitive plus que ne le fait l’âme végétative. Or, l’âme humaine est la forme la plus élevée en perfection. Sa puissance dépasse si fort la matière corporelle qu’elle possède une activité et une faculté où cette matière n’entre en aucune façon. Cette faculté, c’est l’intelligence.

Il faut bien voir enfin que si l’on donnait l’âme comme un composé de matière et de forme, elle ne pourrait absolument pas être forme du corps. La forme est acte, la matière est seulement puissance ; un composé de matière et de forme ne peut donc pas être, selon tout ce qu’il est, la forme d’un autre sujet. Si ce composé n’est forme que selon une partie de son être, cette partie sera appelée " âme ", et le sujet de la forme sera appelé " premier animé ", comme on l’a dit plus haut.

Solutions :

1. La forme la plus parfaite à laquelle s’arrête la recherche du philosophe de la Nature, c’est-à-dire l’âme humaine, " est bien une forme séparée, mais unie à la matière " d’après Aristote ; et il le prouve par le fait que " l’homme est engendré de la matière par l’homme et par le soleil ". Elle est en effet séparée en tant que principe d’intellection ; car la faculté intellectuelle n’est pas la vertu d’un organe corporel à la manière dont la faculté de voir est l’acte de l’œil. Penser, en effet, est un acte, qui ne peut s’exercer comme " voir ", par un organe corporel. Néanmoins l’âme qui possède cette puissance intellectuelle est unie à la matière, en tant qu’elle est la forme du corps, et le terme de la génération humaine. D’où cette affirmation du traité De l’Âme que l’intelligence est une forme séparée, parce qu’elle n’est pas la " vertu " d’un organe corporel.

2 et 3. En conséquence, pour que l’homme puisse tout comprendre par son intelligence, et qu’il saisisse l’immatériel et l’universel, il suffit que cette faculté intellectuelle ne soit pas l’acte du corps.

4. L’âme humaine, en raison de sa perfection, n’est pas une forme enfoncée dans la matière, totalement absorbée par elle. Rien n’empêche donc qu’une de ses puissances ne soit pas l’acte d’un corps. Cependant l’âme, considérée selon son essence, est la forme du corps.

5. L’âme communique à la matière corporelle l’être par lequel elle est une réalité subsistante ainsi l’âme intellectuelle ne forme avec cette matière qu’un seul être, en sorte que cet être qui est celui du composé tout entier est également l’être de l’âme. Cela n’arrive pas pour les formes qui ne sont pas subsistantes. En conséquence, l’âme humaine conserve son être, le corps étant détruit, ce qui n’est pas le cas des autres formes.

6. Il convient par essence à l’âme d’être unie à un corps, comme au corps léger de se tenir en haut. Le corps léger demeure léger lorsqu’il est séparé de son lieu naturel, mais il garde une tendance, une inclination à y retourner. De même l’âme humaine conserve son être lorsqu’elle est séparée du corps, tout en ayant une aptitude, une inclination naturelle à s’unir à la matière.

 

            Article 2 — Y a-t-il autant de principes d’intellection qu’il y a de corps ?

Objections :

1. Il semble au contraire qu’il n’y ait qu’une seule intelligence pour tous les hommes. Il n’y a pas plus d’une substance immatérielle par espèce. L’âme humaine est une substance immatérielle, puisqu’elle n’est pas composée de matière et de forme. Il ne peut donc y en avoir plusieurs dans une même espèce, et tous les hommes appartiennent à une seule. Il ne peut donc y avoir pour eux tous qu’une seule intelligence.

2. A supprimer la cause, on supprime l’effet. Si le nombre des âmes dépendait du nombre des corps, il ne resterait pas, ceux-ci détruits, une multitude d’âmes, mais un seul être. Ce qui est hérétique, parce que cela supprimerait les récompenses et les châtiments.

3. Si mon intelligence est distincte de la vôtre, ce sont donc deux intelligences individuelles. Les individus sont en effet des êtres qui se distinguent numériquement à l’intérieur d’une même espèce. Or ce qui est reçu dans un sujet, l’est selon le mode de l’être qui reçoit. Les espèces intelligibles des choses seront donc reçues en nos deux intelligences sous un mode individuel. Mais c’est contre la nature de l’intelligence, qui connaît l’universel.

4. Ce qui est intellectuellement perçu se trouve dans une intelligence en acte. Si mon intelligence se distingue de la vôtre, il faut donc que l’objet de pensée soit différent en chacune de nos intelligences. Il sera de la sorte compté comme une chose individuelle, et intelligible seulement en puissance. Il faudra encore abstraire de l’un et de l’autre un concept universel, car lorsqu’on a affaire à une pluralité quelconque, on peut abstraire un aspect intelligible commun. Mais c’est contre la nature de l’intelligence, qui, en cette hypothèse, ne se distinguerait plus de l’imagination. Il faut donc admettre qu’il n’y a qu’une intelligence pour tous les hommes.

5. Lorsque l’élève reçoit la science de son maître, on ne peut pas dire que la science du maître soit la cause génératrice de la science de l’élève, ou alors la science serait une forme active, à la manière de la chaleur, ce qui est évidemment faux. La science qui est transmise à l’élève semble donc une même science numériquement que celle du maire. Ce qui exige une seule intelligence pour tous deux. Le maître et l’élève ont donc une même intelligence, et, en conséquence, tous les hommes.

6. S. Augustin écrit : " Si j’affirmais seulement qu’il y a plusieurs âmes humaines, je me moquerais de moi-même. " Mais l’unité de l’âme apparaît surtout clairement dans l’intelligence. Il n’y a donc qu’une seule intelligence pour tous les hommes.

En sens contraire, il y a le même rapport, selon Aristote, entre les causes universelles et leur effet universel, et entre les causes particulières et leur effet particulier. Or il est impossible qu’une âme, unique dans son espèce, appartienne à des êtres vivants d’espèces différentes. Il est donc impossible qu’une âme intellectuelle, umque numériquement, appartienne à divers êtres particuliers.

Réponse :

Que l’intelligence soit unique pour tous les hommes, c’est absolument impossible. Et cela est évident, d’abord dans la position platonicienne, où l’on admet que l’homme, c’est l’intelligence. Si Socrate et Platon ne sont qu’un seul intellect, ils forment un seul homme, et ne se distinguent l’un de l’autre que par les éléments surajoutés à leur essence. Il n’y aurait pas plus de différence entre Socrate et Platon qu’entre l’homme vêtu d’une tunique, et le même homme vêtu d’une pèlerine, ce qui est parfaitement absurde.

C’est encore évident avec la position aristotélicienne, où l’intelligence est une partie, une faculté de l’âme qui est la forme du corps. Il est impossible qu’il n’y ait qu’une forme pour plusieurs réalités numériquement distinctes ; tout autant qu’il est impossible qu’elles aient un seul être. Car le principe de l’être, c’est la forme.

Même conclusion, quel que soit le mode d’union qu’on imagine entre l’intelligence et tel ou tel individu. Supposons une cause principale unique et deux causes instrumentales. Il n’y aura qu’un seul être actif, absolument parlant, mais il y aura deux actions ; par exemple, si un homme touche plusieurs objets avec les deux mains, il n’y aura qu’un seul être qui touche, mais deux attouchements. Inversement, s’il n’y a qu’un seul instrument et plusieurs causes principales, on aura plusieurs êtres actifs, mais une seule action. Par exemple, si plusieurs hommes tirent un bateau avec un seul câble, il y aura plusieurs êtres qui tirent, et une seule action de tirer. Si enfin la cause principale et l’instrument sont uniques, il y aura un seul être actif et une seule action. Ainsi lorsque le forgeron frappe avec son marteau, un seul frappe, et d’un seul coup. - Quel que soit le mode d’union de l’intelligence à tel ou tel homme, il est évident que celle-ci a une supériorité sur les autres facultés, car les puissances sensibles lui obéissent et sont à son service. Supposons qu’il y ait pour deux hommes plusieurs intelligences et un seul sens, par exemple que deux hommes n’aient qu’un seul œil, il y aurait plusieurs voyants et une seule vision. Mais, au contraire, s’il n’y a qu’une intelligence, on pourra multiplier autant qu’on voudra le nombre des instruments à son service, Socrate et Platon ne formeront qu’un seul être intelligent.

Ajoutez que l’acte même de penser, qui est l’action de l’intelligence, ne s’accomplit pas à l’aide d’un autre instrument que l’intelligence elle-même. D’où une nouvelle conséquence : il n’y aura qu’un seul être qui agit et une seule action. C’est-à-dire que tous les hommes ne formeraient qu’un seul être intelligent, et il n’y aurait qu’un seul acte intellectuel, je veux dire : envers un même objet de pensée.

Mon acte intellectuel pourrait se distinguer du vôtre en raison de la distinction de nos images, car l’image de la pierre en moi n’est pas la même que son image en vous. Mais il faudrait pour cela que l’image, pour autant qu’elle est propre à chacun de nous, fût la forme de l’intellect possible. Car le même être, agissant selon diverses formes, produit des actions diverses ; de manière analogue, des formes diverses dans la réalité produisent dans un même œil plusieurs sensations visuelles. Or, la forme de l’intellect possible, ce n’est pas l’image, mais l’espèce intelligible abstraite des images. Une seule intelligence n’abstrait de diverses images de même espèce qu’une seule espèce intelligible. Aussi peut-il se trouver plusieurs images de la pierre dans une même conscience humaine, et cependant on n’en abstraira qu’une seule espèce intelligible de la pierre. Par elle, l’intelligence d’un seul homme comprend en un seul acte la nature de la pierre, malgré la multiplicité des images. Donc, en admettant qu’il n’y ait qu’une seule intelligence pour tous les hommes, la diversité des images en plusieurs individus ne pourrait causer la diversité des actes intellectuels en chacun d’eux, comme l’imagine le Commentateur, au livre III du traité De l’âme. - Il est donc absolument impossible et inacceptable de n’admettre qu’une seule intelligence pour tous les hommes.

Solutions :

1. L’âme intellectuelle, tout comme l’ange, ne vient pas de la matière ; elle est néanmoins la forme d’une certaine matière, ce qui ne convient pas à l’ange. Ce sont donc les divisions de la matière qui fondent la multiplicité des âmes dans une même espèce ; mais il est absolument impossible qu’il y ait, dans une même espèce, plusieurs anges.

2. L’unité d’une chose est fonction de son mode d’être ; il faut donc juger d’après son être de son aptitude à être multipliée. Or, l’âme intellectuelle, considérée dans son être, est unie au corps en tant que forme ; et néanmoins elle continue d’exister, une fois le corps détruit. De même, la multiplicité des âmes est relative à celle des corps, et néanmoins lorsque les corps sont détruits, les âmes restent une multitude d’êtres.

3. Que l’être intelligent ou son espèce intelligible soient individués, cela n’exclut pas la connaissance de l’universel ; ou alors, les intelligences pures, qui sont des réalités subsistantes et donc individuelles ne pourraient pas connaître l’universel. Cet empêchement ne peut venir que de la matérialité du sujet connaissant ou de l’espèce qui est son moyen de connaître. L’action, en effet, correspond au mode de la forme de l’être agissant : l’action de chauffer, à la chaleur ; et la connaissance, à l’espèce par laquelle on connaît. - Or, une essence universelle se trouve divisée en une multiplicité d’êtres par les principes d’individuation qui viennent de la matière. Donc, si la forme, qui est le moyen de connaître, est matérielle, non abstraite des conditions de la matière, elle représentera l’essence du genre ou de l’espèce, mais seulement en tant que cette essence est diversifiée par les principes d’individuation ; et par suite l’essence ne sera pas connue dans son universalité. Mais si l’espèce est abstraite des conditions de la matière individuelle, ce sera une ressemblance de l’essence, abstraction faite de ce qui fonde la multiplicité. C’est de cette façon qu’on connaît l’universel. Il importe peu ici de savoir s’il y a ou non plusieurs intelligences ; car, même s’il n’y en avait qu’une, il faudrait que cette intelligence et son espèce intelligible fussent quelque chose d’individuel.

4. Qu’il y ait une ou plusieurs intelligences, l’objet de la pensée est un. Cet objet n’est pas lui-même dans l’intelligence mais seulement sa ressemblance. " Ce n’est pas la pierre qui est dans l’âme, mais la représentation de la pierre. " Et cependant l’objet de la pensée, c’est la pierre et non pas la " représentation " de la pierre, à moins que l’intelligence ne fasse réflexion sur elle-même. Autrement il n’y aurait pas de sciences des réalités, mais seulement de nos représentations. Or, il arrive que divers sujets connaissants s’assimilent à une même réalité au moyen de formes diverses. Et, par le fait que la connaissance se fait par assimilation du sujet connaissant à la réalité connue, le même objet peut être connu par plusieurs individus. Ainsi, dans la sensation, plusieurs voient la même couleur à travers des " espèces " diverses. De même, plusieurs intelligences peuvent comprendre une même réalité. La différence entre sens et intelligence, dans la doctrine d’Aristote, consiste en ce que la réalité est perçue par le sens selon le mode qu’elle possède en dehors de l’âme, c’est-à-dire dans son existence concrète ; mais que l’essence de la réalité, qui est saisie par l’intelligence, est sans aucun doute en dehors de l’âme, mais n’existe pas sous le mode selon lequel elle est saisie. En effet, l’essence universelle est connue abstraction faite des principes d’individuation. Or elle n’existe pas, de cette manière, en dehors de l’esprit. - Dans la théorie de Platon, la réalité intelligible est telle en dehors de l’esprit qu’au-dedans, car il admettait que les essences des choses avaient une existence à part de la matière.

5. La science de l’élève n’est pas la même que celle du maître. On expliquera plus loin comment l’une est cause de l’autre.

6. S. Augustin veut dire que la pluralité des âmes n’empêche pas qu’elles appartiennent à une même espèce.

 

            Article 3 — Y a-t-il dans l’homme d’autres âmes que l’âme intellectuelle ?

Objections :

1. Il semble qu’il y ait dans l’homme d’autres âmes que l’âme intellectuelle, à savoir l’âme sensitive et l’âme végétative. Car une même substance ne peut être à la fois corruptible et incorruptible ; or l’âme intellectuelle ne peut se corrompre, tandis que les autres âmes le peuvent, comme on l’a dit plus haut. Il ne peut donc y avoir dans l’homme une seule essence pour ces trois âmes.

2. Même si l’âme sensitive est incorruptible, on peut objecter ceci : selon Aristote, " ce qui est corruptible n’est pas du même genre que ce qui est incorruptible ". Or l’âme sensitive du cheval, du lion et des autres animaux est périssable. Si elle ne l’est pas dans l’homme, elle n’appartiendra pas au même genre en lui que dans la bête. L’animal se définissant par son âme sensitive, l’animalité ne formera pas un genre commun à l’homme et aux bêtes. Ce qui est inadmissible.

3. Selon Aristote, l’embryon est animal avant d’être homme. Ce serait impossible si l’âme sensitive avait une même essence avec l’âme intellectuelle. Car il est animal par l’âme sensitive, et homme par l’âme intellectuelle. il n’y a donc pas dans l’homme une même essence pour les deux âmes.

4. Selon Aristote encore, le genre se détermine d’après la matière, et la différence spécifique d’après la forme. " Raisonnable ", qui est dans l’homme cette différence, est relatif à l’âme intellectuelle. Quant au genre " animal ", il lui convient parce qu’il possède un corps doué d’une âme sensitive. L’âme intellectuelle est avec ce dernier dans le rapport de forme à matière ; elle n’est donc pas identique par essence à l’âme sensitive, mais elle la suppose comme sujet matériel.

En sens contraire, on lit dans le livre des Dogmes de l’église : " Nous ne disons pas, comme Jacques et d’autres auteurs syriens, qu’il y a deux âmes en un seul homme, l’une animale qui vivifie le corps et se trouve mêlée au sang, l’autre spirituelle qui est au service de la raison ; mais nous disons qu’il y a dans l’homme une seule et même âme, qui vivifie le corps par sa présence, et se règle elle-même par la raison. "

Réponse :

Platon admettait l’existence de plusieurs âmes en un seul corps. Il les distinguait d’après les organes, et leur attribuait les diverses fonctions vitales : faculté nutritive dans le foie, affective dans le cœur, connaissante dans le cerveau.

Aristote rejette cette opinion en ce qui concerne les parties de l’âme qui usent d’organes corporels pour leur opération. La preuve en est que les animaux qui peuvent vivre après avoir été coupés en morceaux, présentent dans chacun des tronçons les diverses opérations de l’âme, tels le sens et l’affectivité. Ce serait impossible si les différents principes d’opérations, qui seraient d’essence diverse, étaient distribués en diverses régions du corps.

Quant à l’âme intellectuelle, Aristote ne détermine pas d’une façon certaine, semble-t-il, si elle est distincte des autres parties de l’âme par sa seule nature, ou aussi par sa localisation.

La théorie de Platon peut être soutenue si l’on admet que l’âme est unie au corps, non comme une forme, mais comme une cause motrice, ainsi qu’il l’admet lui-même. Il n’y a pas de contradiction à ce qu’un seul mobile soit mis en mouvement par plusieurs moteurs, surtout si la motion s’exerce sur différentes parties du mobile. Mais si nous admettons que l’âme est unie au corps comme une forme, il est absolument impossible qu’il y ait dans un même corps plusieurs âmes d’essence différente.

La première raison en est que l’animal ne serait pas parfaitement un s’il avait plusieurs âmes. Cette parfaite unité procède de la forme qui donne à une réalité son existence. C’est le même principe qui donne à une chose l’être et l’unité. Mais ce qui est désigné par plusieurs formes n’est pas parfaitement un, par exemple un homme blanc. Si donc l’homme était vivant en raison d’une première forme qui serait l’âme végétative ; s’il était animal par une seconde forme, l’âme sensi-. tive ; et enfin s’il était homme par une troisième, l’âme rationnelle, il s’ensuivrait que l’homme ne possède pas une parfaite unité. Aristote présente une argumentation analogue, contre Platon : s’il y avait une idée de l’animal, et une autre idée du bipède, on n’aurait pas un animal bipède d’une unité rigoureuse. Pour le même motif, au livre I du traité De l’Âme s’opposant aux philosophes qui admettent plusieurs âmes pour le corps, il demande quel est le principe qui les enveloppera toutes, c’est-à-dire qui en fera un seul être. On ne peut répondre que c’est l’unité du corps, car c’est l’âme qui contient le corps et lui donne son unité, bien plutôt que le contraire.

Une seconde raison qui rend cette position intenable est prise du mode d’attribution. Il peut y avoir une attribution accidentelle entre des prédicats empruntés à diverses formes, pourvu qu’elles ne soient pas ordonnées par essence l’une à l’autre, par exemple : le blanc est doux. Mais si elles ont cet ordre entre elles, il y aura attribution par essence per se du second mode, où le sujet entre dans la définition du prédicat. Ainsi l’étendue est antérieure à la couleur ; donc, lorsqu’on dira qu’un corps étendu est coloré, ce sera le second mode d’attribution per se. Supposons que l’on attribue à un être le prédicat "animal" en raison d’une certaine forme, et en raison d’une autre forme le prédicat "homme" ; on trouve alors l’alternative suivante : ou bien ces deux formes ne sont pas ordonnées l’une à l’autre par essence, et l’on n’a qu’une attribution accidentelle ; ou bien l’une des deux âmes est antérieure à l’autre, et l’on a une attribution per se du second mode. Or, les deux hypothèses sont évidemment fausses : "animal" est attribué à l’homme en vertu de son essence et non d’une manière accidentelle ; d’autre part "homme" n’entre pas dans la définition de l’animal, mais c’est le contraire. C’est donc par une seule et même forme qu’un être est animal et qu’il est homme. Autrement, l’homme ne posséderait pas vraiment tout ce qui constitue l’animal, - raison pour laquelle il y a attribution nécessaire d’"animal" à "homme".

Troisième preuve : lorsqu’une activité de l’âme est très intense, elle empêche les autres de s’exercer. Cela n’arriverait pas, si le principe de ces activités n’était pas essentiellement un.

L’âme, sensitive, intellectuelle et végétative, ne forme donc dans l’homme qu’une seule et même âme. On comprendra aisément comment cela peut se faire en considérant les différentes espèces ou formes des êtres de la nature.

Elles se distinguent les unes des autres par des degrés de perfection croissante ; les êtres animés sont plus parfaits que les êtres inanimés, les animaux plus que les plantes, les hommes plus que les animaux. Et il y a encore des degrés à l’intérieur de chacun de ces genres. Voilà pourquoi Aristote, au livre VIII des Métaphysiques, compare les espèces dans les êtres aux nombres qui changent d’espèce selon qu’on ajoute ou retranche une unité ; au livre II du traité De l’âme, il compare les différentes âmes aux figures géométriques dont l’une contient l’autre comme le pentagone contient le carré et possède un plus grand nombre de côtés. L’âme intellectuelle contient donc en sa perfection toute la réalité de l’âme sensitive des animaux, et de l’âme végétative des plantes. Une surface à cinq côtés n’a pas deux figures, celle d’un pentagone et celle d’un carré ; car la figure à quatre côtés serait inutile puisqu’elle est contenue virtuellement dans celle qui en a cinq. Semblablement, Socrate n’est pas homme par une âme, et animal par une autre, mais par une seule et même âme.

Solutions :

1. Si l’âme sensitive est incorruptible, ce n’est pas en tant que sensitive. C’est en tant qu’intellectueue que l’incorruptibilité lui est due. Quand l’âme n’est que sensitive, elle peut être détruite, mais lorsqu’en plus elle est intellectuelle, elle est incorruptible. Le principe sensitif ne donne pas l’incorruptibilité, mais ne peut pas non plus la faire perdre à ce qui est en outre principe d’intellection.

2. Ce ne sont pas les formes qui sont classées dans les genres et les espèces, mais les êtres composés. L’homme est corruptible, comme les autres animaux. On distingue le corruptible de l’incorruptible en raison de la différence des formes ; cela ne fait pas que l’homme diffère en genre des autres animaux.

3. L’embryon n’a d’abord qu’une âme sensitive. Celle-ci disparaît, et une âme plus parfaite lui succède, qui est à la fois sensitive et intellectuelle. On le dira avec plus de détails par la suite.

4. Il ne faut pas concevoir que les êtres de la nature sont distincts de la même manière que les abstractions logiques qui tiennent à notre façon de comprendre. Car la raison peut comprendre une seule et même réalité à l’aide de divers concepts. On a dit que l’âme intellectuelle contenait virtuellement toute la réalité de l’âme sensitive, et quelque chose de plus. La raison peut donc considérer à part ce qui appartient à l’âme sensitive comme un élément matériel et imparfait. Elle constate que cet élément est commun à l’homme et aux animaux, et elle en forme le concept du genre. Quant au degré de perfection par lequel l’âme intellectuelle est supérieure à l’âme sensitive, elle le considère comme l’élément formel qui achève l’être humain, et elle en forme la différence spécifique de l’homme.

            Article 4 — Y a-t-il dans l’homme une autre forme substantielle que l’âme intellectuelle ?

Objections :

1. Le Philosophe décrit l’âme comme " l’acte d’un corps naturel qui a la vie en puissance ". Il y a donc entre l’âme et le corps le rapport de forme à matière. Mais le corps lui-même possède une forme substantielle qui lui donne d’être un corps. Donc, antérieurement à l’âme, il y a dans le corps une forme substantielle.

2. L’homme, comme tout animal, se meut lui-même. " Toute réalité de ce genre se divise en deux éléments, l’un moteur, et l’autre mobile ", dit Aristote. L’élément moteur dans l’homme, c’est l’âme. Il faut donc que l’autre élément soit de telle nature qu’il puisse être mis en mouvement. Or la matière première ne peut l’être, parce qu’elle est pure puissance, selon Aristote. Bien plus, tout ce qui est mis en mouvement est un corps. Il doit donc y avoir dans l’homme et dans tout animal un forme substantielle spéciale qui constitue le corps.

3. La hiérarchie des formes s’établit par rapport à la matière première. Un ordre se détermine toujours en fonction d’un certain point de départ. S’il n’y avait pas dans l’homme d’autre forme substantielle que l’âme intellectuelle, mais que celle-ci fût en relation immédiate avec la matière première, elle appartiendrait à la classe des formes les plus imparfaites, car c’est là leur caractéristique.

4. Le corps humain est une combinaison d’éléments. Cette combinaison ne se réalise pas seulement selon leur matière : on n’aurait alors qu’une corruption. Les formes élémentaires doivent donc demeurer dans le corps composé. Mais ce sont des formes substantielles. Il y a donc dans le corps humain d’autres formes en plus de l’âme intellectuelle.

En sens contraire, pour chaque réalité, il n’y a qu’un être substantiel. Or, c’est la forme substantielle qui donne cet être. Il n’y a donc qu’une forme pour chaque réalité. Dans l’homme, c’est l’âme qui est cette forme. Il ne peut donc y en avoir d’autre en lui que l’âme intellectuelle.

Réponse :

On pourrait supposer que l’âme intellectuelle n’est pas unie au corps comme une forme, mais, selon la théorie platonicienne, qu’elle est seulement cause motrice ; on devrait accorder alors qu’il y a dans l’homme une forme substantielle spéciale qui donnerait son être au corps apte à recevoir de l’âme le mouvement. - Mais si, comme on l’a dit, l’âme intellectuelle est forme du corps, il ne peut y avoir dans l’homme d’autre forme substantielle que cette âme.

Prouvons-le : une forme substantielle se distingue d’une forme accidentelle en ce que cette dernière ne donne pas l’être purement et simplement, mais un certain mode d’être. Ainsi la chaleur ne donne au sujet qu’elle affecte que d’être chaud. Lorsqu’une forme accidentelle est produite, on ne dit pas qu’un être est produit de façon absolue, mais que tel être reçoit telle modalité, telle manière d’être. Inversement, lorsque la forme accidentelle disparaît, il n’y a pas destruction de l’être de façon absolue, mais seulement sous un certain rapport. La forme substantielle, elle, donne l’être absolument. En conséquence, sa présence est cause d’une production pure et simple de l’être, et sa disparition est cause d’une destruction absolue. Ce qui explique l’opinion des anciens " physiciens " ; pour eux la matière première était une réalité en acte : le feu, l’air ou quelque autre élément. Aussi n’admettaient-ils pas qu’il y eût jamais production ou destruction pure et simple, mais que tout devenir était un changement qualitatif. - Si en plus de l’âme intellectuelle, il préexistait dans la matière une forme substantielle quelconque, qui donnerait au sujet de l’âme d’être en acte, il faudrait donc conclure : l’âme ne donne pas l’être de façon absolue ; elle n’est pas une forme substantielle ; il n’y a pas de génération pure et simple, lorsqu’elle disparaît, mais seulement sous un certain rapport. Or tout cela est évidemment faux.

Il faut donc dire qu’il n’y a aucune forme substantielle dans l’homme que l’âme intellectuelle. Celle-ci contient par sa vertu l’âme sensitive et l’âme végétative, mais, de plus, toutes les formes inférieures ; et elle fait à elle seule tout ce que les formes moins parfaites accomplissent dans les autres êtres. - Il faut en dire autant pour l’âme sensitive chez les bêtes, et l’âme végétative dans les plantes, et de façon générale pour toutes les formes plus parfaites, par comparaison avec les imparfaites.

Solutions :

1. Aristote ne dit pas seulement que l’âme est " l’acte d’un corps ", mais " l’acte d’un corps naturel organisé, qui a la vie en puissance ", et que cette puissance " ne rejette pas l’âme hors de soi ". Dans ce que j’appelle corps l’âme est incluse, comme son acte, de même que la chaleur est l’acte de l’objet chaud, et la lumière, l’acte du corps lumineux. Ce qui ne veut pas dire que le corps soit lumineux en dehors de la lumière, mais qu’il est lumineux par la lumière. Et si l’on définit l’âme comme ci-dessus, c’est que l’âme donne à la fois d’être un corps, et d’être organisé, et d’avoir la vie en puissance. L’acte premier (qui est l’être) est en puissance par rapport à l’acte second, ou opération. Mais une puissance de ce genre " ne rejette pas ", c’est-à-dire n’exclut pas de soi l’acte de l’âme.

2. L’âme ne met pas le corps en mouvement par son être, c’est-à-dire en tant qu’elle lui est unie comme une forme, mais par la faculté motrice dont l’activité implique que le corps est déjà réalisé en acte par l’âme. Ainsi, par cette vertu motrice, l’âme est ce qui donne le mouvement, et le corps animé est le mobile.

3. On peut distinguer, en fonction de la matière, différents degrés de perfection : être, vivre, sentir, penser. Or, la forme supérieure surajoutée est toujours plus parfaire que la précédente. Celle qui donne à la matière le premier degré de perfection est la moins parfaite ; celle qui donne à la fois le premier, le deuxième, le troisième et ainsi de suite, est la plus parfaite ; et néanmoins elle s’unit immédiatement à la matière.

4. Pour Avicenne, les formes substantielles des éléments conservent leur intégrité dans le corps mixte et la combinaison des éléments consisterait en un état moyen de leurs qualités contraires. - Mais c’est impossible. Les différentes formes des éléments ne peuvent exister que dans les diverses parties de la matière. Celles-ci impliquent des dimensions quantitatives, sans lesquelles la matière n’est pas divisible. Une telle matière est corporelle. Or, plusieurs corps ne peuvent exister dans le même lieu. Par suite, les éléments du corps mixte seraient distincts par leur position dans l’étendue. Nous n’aurons plus alors une véritable combinaison, qui aboutit à un véritable tout ; ce sera une combinaison apparente, qui consiste en une juxtaposition de parties très petites.

Pour Averroès, les formes des éléments sont, en raison de leur imperfection, intermédiaires entre les formes accidentelles et les formes substantielles. Elles sont susceptibles de plus et de moins. C’est pourquoi l’intensité de leurs qualités diminue dans la combinaison ; elles se trouvent réduites à un état moyen et composent ainsi une seule forme. Mais cette solution est encore moins admissible. L’être substantiel de toute réalité consiste en un degré indivisible d’être. Tout ce qu’on y ajoute ou en retranche amène un changement d’espèce, comme pour les nombres. Une forme substantielle n’est donc pas susceptible de plus ou de moins. Il est d’ailleurs tout aussi impossible d’admettre une réalité intermédiaire entre la substance et l’accident.

La vraie solution est celle d’Aristote : les formes des éléments demeurent dans le composé, non pas en acte, mais virtuellement. Leurs qualités demeurent, quoique atténuées ; c’est en elles que réside la vertu des formes élémentaires. Ce mode de combinaison constitue la disposition propre à recevoir la forme substantielle du corps composé, soit celle d’une pierre, soit celle d’une âme d’espèce quelconque.

 

            Article 5 — À quelle sorte de corps convenait-il que l’âme intellective fût unie ?

Objections :

1. Il semble anormal que l’âme intellectuelle soit unie à un tel corps. En effet, la matière doit être proportionnée à la forme. Or l’âme intellectuelle est une forme incorruptible. Elle ne doit donc pas être unie à un corps corruptible.

2. L’âme intellectuelle est une forme de la plus pure immatérialité. La preuve en est qu’elle possède une opération indépendante de la matière corporelle. Or, plus un corps est subtil, moins il a de matière. L’âme devrait donc être unie au corps le plus subtil, au feu, par exemple, et non pas à un corps mixte, où l’élément terrestre domine.

3. La forme est le principe constitutif de l’espèce. Aussi les espèces différentes ne dériventelles pas d’une seule forme. Or l’âme intellectuelle est une forme unique. Elle ne doit donc pas être unie à un corps composé de parties appartenant à des espèces dissemblables.

4. Plus la forme est parfaite, plus son sujet récepteur doit être parfait. Or l’âme intellectuelle est la plus parfaite des âmes. D’autre part les animaux ont le corps pourvu de moyens naturels de protection, par exemple de poils comme vêtement, de sabots comme chaussure ; ils ont aussi des armes naturelles, griffes, défenses, cornes. Il semble donc que l’âme intellectuelle n’aurait pas dû être unie à un corps qui est imparfait puisqu’il est démuni de tels moyens.

En sens contraire, Aristote définit l’âme : " L’acte d’un corps physique organisé qui a la vie en puissance. "

Réponse :

Ce n’est pas la forme qui est ordonnée à la matière, c’est bien plutôt la matière qui est ordonnée à la forme ; et c’est à la forme de nous expliquer pourquoi la matière est de telle sorte, et non inversement. Or l’âme intellectuelle est, comme on l’a dit, au plus bas degré des substances spirituelles ; car elle n’a pas une connaissance innée de la vérité, comme les anges, mais il faut qu’à l’aide des sens, elle la recueille de la multiplicité des choses, comme le montre Denys. - La nature ne refuse à aucun être le nécessaire. Il fallait donc que l’âme intellectuelle possédât non seulement la faculté de penser, mais encore celle de sentir. Or, le sens ne peut fonctionner sans un organe corporel. Il était donc nécessaire que l’âme intellectuelle fût unie à un corps apte à servir d’organe au sens. Or tous les sens dérivent du toucher, et l’organe du toucher doit présenter une combinaison moyenne des contraires, tels que le chaud et le froid, l’humide et le sec, etc., que le toucher peut percevoir. C’est la raison pour laquelle ce sens est en puissance aux contraires et peut les connaître. Aussi, dans la mesure où l’organe du toucher se rapprochera davantage de cette combinaison moyenne, dans cette mesure même le toucher sera plus fin. Or, l’âme intellectuelle possède au plus haut degré de perfection la faculté de sentir ; car les qualités de l’être inférieur se trouvent sous un mode plus élevé dans l’être supérieur ; c’est Denys qui le dit. Il fallait donc que le corps auquel est unie l’âme intellectuelle soit, parmi tous les autres, celui qui présenterait le plus parfaitement possible cette combinaison moyenne des contraires. - Pour ce motif, l’homme est celui de tous les animaux qui a le toucher le plus fin ; et, parmi les hommes, ceux qui ont le toucher le plus fin sont d’intelligence plus pénétrante. Aristote en donne cet indice : "Ceux qui ont les chairs délicates ont l’esprit délié. "

Solutions :

1. On essaiera peut-être d’éluder cette objection, en disant que le corps humain était incorruptible avant le péché originel. - La réponse paràlt insuffisante. Car avant le péché le corps de l’homme fut immortel non par nature, mais par un don de la grâce divine. Dans le cas contraire, il n’aurait pas perdu son immortalité ; pas plus que le démon ne l’a perdue. - La véritable solution est la suivante : nous trouvons deux sortes de condition dans la matière : l’une qui est choisie parce qu’elle proportionne la matière à la forme, l’autre [qui n’est pas choisie] mais qui découle nécessairement de cette première condition. Par exemple, pour obtenir une forme de scie, l’ouvrier choisit du fer, c’est-à-dire une matière qui puisse couper des corps durs ; mais, que les dents de la scie puissent s’émousser et se couvrir de rouille cela tient aux conditions nécessaires de cette matière. De même, il faut à l’âme intellectuelle un corps qui présente une combinaison moyenne d’éléments, mais qu’il soit corruptible, cela tient aux nécessités d’une telle matière. - Si l’on voulait prétendre que Dieu aurait pu se dérober à cette nécessité, il faut répondre avec S. Augustin, que la structure des réalités physiques ne doit pas être appréciée d’après la puissance divine, mais d’après ce qui convient à la nature des choses. Toutefois, Dieu a apporté un remède à la mort par le don de la grâce.

2. L’âme intellectuelle n’a pas besoin de corps si l’on considère seulement son activité rationnelle, mais en raison des facultés sensibles qui demandent des organes où les éléments soient en proportions égales. Il fallait donc que l’âme intellectuelle fût unie à un corps déterminé, et non pas à un simple élément, ni à un corps composé où il y aurait une quantité excessive de feu ; la combinaison ne serait plus bien proportionnée à cause de la trop grande activité du feu. Mais le corps qui possède cette proportion dans les éléments est d’un degré d’être assez élevé, parce qu’il n’est pas composé de contraires, en quoi il a une certaine ressemblance avec les corps célestes.

3. Les parties du corps des animaux, telles que l’œil, la main, la chair, les os, etc. n’appartiennent pas à une espèce déterminée ; c’est l’animal entier qui est d’une certaine espèce. Aussi ne peut-on dire, à parler rigoureusement, qu’elles sont d’espèces différentes, mais qu’elles correspondent à diverses dispositions. Une telle diversité convient à l’âme intellectuelle : cette âme en effet est une par essence, mais multiple par ses facultés ; et ses opérations différentes demandent des dispositions variées dans le corps auquel elle est unie. C’est pourquoi on observe une plus grande diversité d’organes chez les animaux parfaits que chez les autres, et chez ceux-ci que dans les plantes.

4. L’âme intellectuelle est en puissance à une infinité d’actes, du fait qu’elle peut saisir les essences universelles. Il n’était donc pas possible de lui fixer des jugements instinctifs déterminés, ou même des moyens spéciaux de défense ou de protection, comme c’est le cas pour les animaux, dont la connaissance et l’activité sont déterminées à certaines fins particulières. Au lieu de tous ces instruments, l’homme possède par nature une raison, et la main, qui est " l’organe des organes ", parce qu’elle peut lui fournir des outils d’une infinité de modèles et pour une infinité d’usages.

            Article 6 — L’âme est-elle unie à un tel corps par l’intermédiaire de dispositions accidentelles ?

Objections :

1. Toute forme est unie à une matière qui lui est propre et qui possède certaines dispositions. Ces dernières sont des accidents. Il faut donc admettre dans la matière certains accidents, avant qu’elle soit unie à la forme substantielle, et en conséquence avant son union à l’âme.

2. Pour plusieurs formes appartenant à une même espèce, il faut diverses parties de matière. Cette distinction des parties ne peut être conçue sans des dimensions dans l’étendue. Il y a donc dans la matière des dimensions avant son union aux formes substantielles, lorsqu’il y a plusieurs formes dans une même espèce.

3. Un être spirituel agit sur un corps par le contact de sa vertu. Or la vertu ou puissance de l’âme, ce sont ses facultés. Il semble donc que l’âme soit unie au corps par le moyen d’une puissance, c’est-à-dire d’un accident.

En sens contraire, " l’accident est postérieur à la substance, et dans le temps et par nature ", dit Aristote. On ne peut donc supposer de forme accidentelle dans la matière, antérieurement à l’âme, qui est forme substantielle.

Réponse :

Si l’âme n’était unie au corps que comme une cause motrice, rien n’empêcherait, bien mieux, il serait nécessaire - qu’il y ait entre l’âme et le corps des dispositions intermédiaires : une puissance, du côté de l’âme, pour mouvoir le corps ; une certaine aptitude, du côté du corps, pour qu’il puisse recevoir de l’âme son mouvement.

Mais si, comme on l’a dit, l’âme intellectuelle est unie au corps comme forme substantielle, il est impossible qu’une disposition accidentelle intervienne entre l’âme et le corps ou entre n’importe quelle forme substantielle et sa matière. La matière est en effet en puissance à recevoir tous les actes dans un certain ordre : l’acte qui est de soi premier (parmi tous les actes) le sera donc aussi, dans la matière. Ce premier acte, c’est l’être. On ne peut donc concevoir que la matière soit chaude ou quantifiée, avant d’être en acte. Mais l’être en acte lui vient de la forme substantielle, qui donne l’être absolument, comme on l’a déjà dit. Aucune disposition accidentelle ne peut donc préexister dans la matière avant son union avec la forme substantielle, et en conséquence avant son union avec l’âme.

Solutions :

1. La forme la plus parfaite contient virtuellement toutes les perfections des formes inférieures, on l’a déjà fait voir. Une seule et même forme donne donc à la matière ses différents degrés de perfection. C’est par la même forme que l’homme est un être en acte, un corps, un vivant, un animal, et un homme. Or, à chacun de ces genres correspondent des formes accidentelles qui lui sont propres. Par suite, on peut concevoir la matière comme parfaite en son être, avant de la concevoir comme corporelle, et ainsi de suite ; de la même manière, les accidents propres à l’être peuvent être conçus avant la corporéité. C’est ainsi que, dans la matière, des dispositions peuvent être considérées comme présupposées à la forme, non pas à vrai dire à tout ce que fait la forme mais à ce qu’elle fait d’ultime et de plus parfait.

2. Les dimensions sont des accidents propres à la corporéité, laquelle convient à toute matière. Lorsque la matière aura été conçue comme déterminée par la corporéité avec ses dimensions, alors on pourra la concevoir comme distincte en diverses parties ; de la sorte, on pourra la concevoir sous diverses formes correspondant aux différents degrés de perfection. En effet, quoique ce soit une seule et même forme qui donne à la matière ces différents degrés, on peut cependant en distinguer plusieurs par abstraction.

3. Une substance spirituelle qui serait unie à un corps comme cause motrice seulement, le serait par l’intermédiaire de sa puissance, ou vertu. Mais l’âme intellectuelle est unie au corps comme forme, et donc par son être ; néanmoins elle le gouverne et le met en mouvement par sa puissance active.

            Article 7 — L’âme est-elle unie au corps par l’intermédiaire d’un autre corps ?

Objections :

1. Il semble que oui, car, dit S. Augustin : " L’âme gouverne le corps au moyen de la lumière (c’est-à-dire du feu), et de l’air, éléments qui ressemblent le plus à l’esprit. " Mais ces éléments sont des corps. C’est donc par l’intermédiaire de certains corps que l’âme est unie au corps humain.

2. Quand l’union de deux réalités est détruite par la suppression d’un certain élément, c’est que cet élément leur servait d’intermédiaire. Or, quand l’esprit vital manque, l’âme se sépare du corps. L’esprit vital, qui est un corps subtil, est donc intermédiaire entre le corps et l’âme.

3. Des êtres très différents par essence ne peuvent être unis que par un intermédiaire. Or l’âme intellectuelle est très différente du corps, parce qu’elle est incorporelle, et parce qu’elle est incorruptible. Elle doit donc lui être unie par un intermédiaire qui soit corporel et incorruptible. Ce sera une lumière céleste, capable d’harmoniser les éléments et de les unir en un tout.

En sens contraire, pour Aristote " il ne faut pas se demander si l’âme et le corps sont un, pas plus qu’on ne se le demande pour la cire et son empreinte ". Or l’empreinte est unie à la cire sans intermédiaire. Il en va donc de même pour l’âme et le corps.

Réponse :

Si, comme le veulent les platoniciens, l’âme était unie au corps à la manière d’une cause motrice, il faudrait admettre des corps intermédiaires entre l’âme et le corps de l’homme ou de n’importe quel animal. Il convient en effet à la cause motrice de mettre en mouvement un être éloigné d’elle par des intermédiaires plus proches.

Mais, si l’âme est unie au corps comme une forme ainsi qu’on l’a dit, il est impossible qu’elle lui soit unie par l’intermédiaire d’un autre corps. La raison en est que l’unité est toujours fonction de l’être. Or la forme donne par elle-même l’être en acte à une réalité, puisqu’elle est par essence un acte ; et elle ne donne pas l’être par intermédiaire. Aussi l’unité d’un composé de matière et de forme est-elle le fait de la forme elle-même, qui est, selon tout elle-même, unie à la matière comme son acte. Et il n’y a pas d’autre cause unissante que celle qui donne à la matière d’être en acte, comme dit Aristote.

Par conséquent, l’opinion de ceux qui admettaient des intermédiaires corporels entre l’âme et le corps de l’homme est évidemment fausse. Parmi eux, les platoniciens affirmaient que l’âme intellectuelle possède un corps incorruptible, qui lui est naturellement uni, dont elle ne se sépare jamais, et au moyen duquel elle est unie au corps humain corruptible. - Selon d’autres, cette union se fait par un " esprit " matériel. - Selon d’autres encore, l’âme est unie au corps par le moyen de la lumière, qui pour eux est corporelle, et de la nature de la " quinte essence ", si bien que l’âme végétative est unie au corps par la lumière du ciel des étoiles ; l’âme sensitive, par celle du ciel cristallin ; et l’âme intellectuelle, par celle du ciel empyrée. Tout cela est imaginaire et dérisoire, car la lumière n’est pas un corps ; la " quinte essence " ne peut pas entrer en composition dans un corps mixte d’une façon matérielle, parce qu’elle est inaltérable, mais seulement s’y unir par sa puissance active ; enfin l’âme est unie immédiatement au corps comme la forme à sa matière.

Solutions :

1. S. Augustin parle de l’âme pour autant qu’elle met le corps en mouvement : c’est pourquoi il emploie le mot " gouvernement ". Il est d’ailleurs vrai qu’elle meut les parties les plus grossières du corps par le moyen des plus subtiles. Le premier instrument de la faculté motrice est l’" esprit vital", selon Aristote.

2. L’" esprit vital " disparaissant, l’union de l’âme et du corps cesse, mais ce n’est pas parce qu’il joue le rôle d’intermédiaire, c’est parce que la disposition favorable à l’union disparaît avec lui. L’" esprit vital " est néanmoins un intermédiaire du mouvement, comme premier instrument de la faculté motrice.

3. L’âme est en effet très différente du corps, eu égard aux caractéristiques propres à l’un et à l’autre. Si l’un et l’autre existaient séparément, il faudrait faire intervenir de nombreux intermédiaires. Mais en tant que forme du corps, l’âme n’a pas un être distinct de l’être du corps ; elle lui est unie immédiatement par son être. On pourrait dire, de la même manière, que toute forme, considérée comme acte, est très éloignée de la matière, qui est seulement un être en puissance.

            Article 8 — L’âme est-elle tout entière dans chaque partie du corps ?

Objections :

1. Cela ne semble pas admis par Aristote : " Il n’est pas nécessaire que l’âme soit dans chaque partie du corps, mais que, se trouvant en un certain point initial du corps, elle fasse vivre les autres parties. Car chacune d’elles est capable par nature d’exécuter un mouvement qui lui est propre."

2. L’âme est dans le corps dont elle est l’acte. Mais c’est l’acte d’un corps organisé. Elle se trouve donc seulement dans un corps organisé, ce qui n’est pas le cas de toutes les parties du corps humain. L’âme n’est donc pas tout entière dans chaque partie du corps.

3. D’après le traité De l’âme, le rapport qui existe entre une partie de l’âme et une partie du corps, par exemple la vue et la pupille de l’œil, se retrouve de même entre l’âme et le corps, pris dans leur totalité. Si l’âme tout entière est dans chaque partie du corps, il faudra que toute partie du corps soit un animal.

4. Toutes les facultés de l’âme ont leur principe dans son essence. Donc, si l’âme est tout entière dans chaque partie du corps, toutes les facultés de l’âme s’y trouveront aussi, par exemple la vue dans l’oreille, l’ouïe dans l’œil. Ce qui est inadmissible.

5. Si toute l’âme était dans chaque partie du corps, chacune d’elles dépendrait immédiatement de l’âme. En ce cas, il n’y aurait pas de partie dépendante d’une autre, ni de partie plus importante qu’une autre. Ce qui est évidemment faux. L’âme n’est donc pas tout entière dans chaque partie du corps.

En sens contraire, selon S. Augustin, " l’âme se trouve tout entière dans la totalité du corps, et tout entière dans chaque partie ".

Réponse :

Si l’âme était unie au corps seulement comme cause motrice, on pourrait admettre qu’elle n’est pas dans toute partie du corps, mais uniquement dans l’une d’elles, par laquelle elle pourrait mouvoir les autres. Mais du fait que l’âme est unie au corps comme sa forme, elle doit se trouver dans tout le corps et clans chacune de ses parties, car elle n’est pas une forme accidentelle, mais substantielle. Or, la forme substantielle constitue non seulement la perfection du tout, mais encore de chaque partie. Le tout étant en effet composé de parties, lorsque la forme d’un tout ne donne pas l’être aux diverses parties du corps, elle consiste en un simple assemblage ou ordre de parties, comme l’est par exemple la forme d’une maison. Mais une telle forme est accidentelle, tandis que l’âme est une forme substantielle ; elle doit donc être la forme et l’acte non seulement du tout, mais encore de chacune des parties. En conséquence, lorsque l’âme quitte le corps, on ne parle plus d’animal ou d’homme, si ce n’est de la manière équivoque dont on parle d’un animal peint ou sculpté ; et il en va de même pour la main ou l’œil, la chair et les os. Un indice, c’est que nulle partie du corps n’a d’activité lorsqu’il n’y a plus d’âme ; et cependant tout ce qui possède les caractères d’une espèce doit garder l’activité propre à cette espèce. - Mais l’acte doit se trouver dans le sujet qu’il actue ; l’âme doit donc être dans tout le corps, et dans chacune de ses parties.

Et maintenant, qu’elle y soit tout entière, voici comment on peut l’établir. Un tout, c’est ce qui est divisible en parties. Il y aura donc trois sortes de totalité, selon les trois sortes de division : 1. Un tout peut être divisible en parties quantitatives, comme le tout d’une ligne, d’un corps. 2. Un tout peut être divisé logiquement ou réellement en parties de l’essence : par exemple, l’objet défini se divise selon les parties de la définition, le composé se résout en matière et en forme. 3. Il y a encore le tout potentiel, qui est divisible du point de vue de l’étendue de sa vertu en puissance d’action.

Le premier mode de totalité ne peut convenir aux formes que d’une manière indirecte, et encore aux formes qui peuvent être indifféremment dans un tout quantitatif ou dans ses parties. Ainsi la couleur blanche, qu’elle se trouve sur la surface totale ou sur l’un des segments de cette surface, est essentiellement la même. Elle est alors divisée d’une manière indirecte, lorsque la surface est divisée. Mais une forme qui requiert des parties diversement constituées, telle que l’âme, surtout dans les animaux parfaits, n’est pas dans le même rapport avec le tout et avec les parties. Ainsi n’est-elle pas divisible, même indirectement, c’est-à-dire par division quantitative. Le premier mode de totalité ne peut donc être attribué à l’âme, ni essentiellement ni d’une manière indirecte. Au contraire, le second mode de totalité, celui de la définition et de l’essence, convient en propre et essentiellement aux formes. Il en est de même pour le tout potentiel puisque la forme est principe des activités.

On pourrait donc se demander si la couleur blanche est tout entière sur la surface totale et sur chacune de ses parties. Il faudrait alors distinguer plusieurs cas : si l’on parle de la totalité d’étendue que la couleur blanche possède indirectement, elle ne se trouvera pas tout entière en chaque partie de la surface. On devrait affirmer la même chose à propos du tout potentiel, car la blancheur qui recouvre toute la surface fait une impression plus vive sur la vue que celle qui n’en recouvre qu’une partie. Mais s’il s’agit du tout de l’espèce et de l’essence, la couleur blanche se trouve tout entière en une partie quelconque de la surface.

Or, l’âme ne possède, ni par soi ni indirectement, de totalité quantitative. Il suffit donc d’admettre qu’elle est tout entière dans une partie quelconque du corps, sous le rapport de la totalité d’essence et de perfection ; mais non pas selon la totalité de sa vertu. Car elle n’est pas selon toute sa puissance dans chaque partie du corps ; au contraire, la faculté de voir est dans l’œil, celle d’entendre, dans l’oreille, etc.

Il faut noter toutefois que l’âme, exigeant des parties différemment organisées, n’est pas dans le même rapport envers le tout et envers les parties ; elle est en relation avec le tout, premièrement et par soi, comme avec un sujet propre et bien adapté auquel elle donne sa perfection ; elle est en relation avec les parties, secondairement, en tant qu’elles sont ordonnées au tout.

Solutions :

1. Le Philosophe parle en cet endroit de la faculté motrice de l’âme.

2. L’âme est l’acte d’un corps organisé en tant que le corps est son sujet proportionné et immédiatement apte à être perfectionné par elle.

3. L’animal est composé de l’âme et du corps tout entier, qui est son sujet immédiat et proportionné. Sous ce rapport, l’âme ne se trouve pas dans chaque partie. Il n’est donc pas nécessaire que toute partie de l’animal soit un animal.

4. Il y a des puissances que l’âme possède en tant qu’elle dépasse par son excellence la capacité du corps : ce sont l’intelligence et la volonté. Par suite, ces puissances ne se trouvent dans aucune partie du corps. Les autres facultés appartiennent à la fois à l’âme et au corps. Il n’est pas nécessaire alors que chacune d’elles se trouve dans chaque partie du corps, mais seulement dans celle qui est adaptée à l’activité de cette puissance.

5. On dit qu’une partie du corps est plus capitale qu’une autre en raison des puissances diverses dont ces parties du corps sont les organes. Celle qui est l’organe de la puissance principale est la partie principale du corps, ou encore celle qui est son principal instrument.

Il faut maintenant considérer les puissances de l’âme, d’abord de façon générale (Q. 77), puis dans le détail (Q. 78).

 

 

QUESTION 77 — LES PUISSANCES DE L’ÂME EN GÉNÉRAL

Dans cette première étude, on recherchera : 1. Si l’essence de l’âme est identique à sa puissance. - 2. S’il y a une ou plusieurs puissances de l’âme. - 3. Comment on distingue ces puissances. - 4. Leurs rapports mutuels. - 5. Si l’âme est le sujet de toutes les puissances. - 6. Si les puissances émanent de l’essence de l’âme. - 7. Si une puissance de l’âme sort d’une autre. - 8. Si toutes les puissances demeurent dans l’âme après la mort.

            Article 1 — L’essence de l’âme est-elle identique à sa puissance ?

Objections :

1. S. Augustin a dit : " L’esprit, la connaissance et l’amour sont substantiellement dans l’âme, ou, en d’autres termes, essentiellement. " Et encore : " La mémoire, l’intelligence et la volonté sont une seule vie, un seul esprit, une seule essence. "

2. L’âme est plus noble que la matière première. Or la matière première est sa propre puissance. A plus forte raison, l’âme.

3. La forme substantielle est plus simple que la forme accidentelle. Ce qui le montre, c’est que la forme substantielle ne peut croître ou décroître, mais possède un être indivisible. Or la forme accidentelle est sa propre vertu. À plus forte raison la forme substantielle, qui est l’âme.

4. La puissance sensible est ce par quoi nous sentons ; la puissance intellectuelle, ce par quoi nous pensons. Or "le principe propre de la sensation et de l’intellection, c’est l’âme " selon Aristote. L’âme est donc identique à ses puissances.

5. Tout ce qui n’appartient pas à l’essence d’une réalité est accidentel. Si la puissance de l’âme n’appartient pas à son essence, elle est donc un accident. Or c’est contraire à la pensée de S. Augustin. Pour lui, les fonctions notées plus haut "ne sont pas dans l’âme comme dans un sujet, à la manière dont la couleur, la configuration, ou tout autre mode de la qualité et de la quantité appartiennent à un corps. Car toute modalité de ce genre est rigoureusement limitée à son sujet, tandis que l’âme peut encore connaître et aimer les autres réalités ".

6. Une forme simple ne peut jouer le rôle de sujet. Or l’âme est une forme simple, puisqu’elle n’est pas composée de forme et de matière, on l’a dit plus haute. Les puissances de l’âme ne peuvent donc être en elle comme dans un sujet.

7. Un accident ne peut causer une différence substantielle. Et cependant " sensible " et " rationnel " sont des différences substantielles. Or elles sont fondées sur le sens et sur la raison, qui sont des puissances de l’âme. Ces puissances ne sont donc pas des accidents. Et de la sorte, la puissance de l’âme est identique à son essence.

En sens contraire, d’après Denys, " on distingue dans les esprits célestes l’essence, la puissance, et l’activité ". À plus forte raison, l’essence et la vertu ou puissance sont-elles distinctes dans l’âme.

Réponse :

En dépit de l’affirmation de certains, il est impossible de dire que l’essence de l’âme soit sa puissance. On le démontrera ici de deux manières.

1. L’être et n’importe quel genre de l’être se divisent en puissance et acte. Il faut donc que l’un et l’autre se rapportent au même genre ; si l’acte n’appartient pas au genre " substance ", la puissance qui lui est corrélative ne peut appartenir à ce genre. Or, l’activité de l’âme ne se trouve pas dans le genre substance ; en Dieu seul l’activité est sa substance même, en sorte que la puissance divine, principe de son activité, c’est l’essence même de Dieu. Mais cela ne peut être vrai ni de l’âme, ni d’aucune autre créature, comme on l’a dit précédemment de l’ange.

2. C’est impossible encore, à considérer seulement l’âme. Sous le rapport de l’essence, l’âme est un acte. Si l’essence de l’âme était le principe immédiat de l’activité, l’être qui possède une âme aurait donc toujours en acte les opérations vitales, de même qu’il est toujours vivant en acte. Car l’âme, en tant que forme, n’est pas un acte ordonné à un acte ultérieur : elle est le terme dernier de la génération. Aussi être encore en puissance à un autre acte ne lui convient pas sous le rapport de l’essence, c’est-à-dire comme forme, mais sous le rapport de sa puissance. Aussi l’âme, en tant que sujet de sa puissance d’opération, est-elle appelée un acte premier ordonné à un acte second. - Or l’être qui possède une âme n’est pas toujours en acte de ses opérations vitales. La définition même de l’âme l’indique : elle est "l’acte d’un corps ayant la vie en puissance ", et cependant une telle puissance n’exclut pas l’existence actuelle de l’âme. L’essence de l’âme n’est donc pas sa puissance. Aucun être en effet n’est en puissance par rapport à l’acte, en tant qu’il est acte lui-même.

Solutions :

1. S. Augustin parle ici de l’âme (mens) en tant qu’elle se connaît et s’aime elle-même. De cette façon, la connaissance et l’amour sont substantiellement ou essentiellement dans l’âme pour autant qu’il s’agit de la connaître et de l’aimer elle-même : car la substance, l’essence de l’âme, est connue et aimée. - Même interprétation, lorsqu’il parle " d’une seule vie, d’un seul esprit, d’une seule essence ". - Ou encore, selon une autre explication, cette manière de parler est juste si l’on pense à la relation qu’un tout potentiel soutient avec ses parties. Le cas de ce tout est intermédiaire entre celui du tout universel et celui du tout intégral. Le tout universel se trouve en chacune de ses parties avec toute son essence et toute sa puissance : ainsi " animal " par rapport à l’homme et au cheval. On peut donc attribuer rigoureusement ce tout à l’une quelconque des parties. Quant au tout intégral, il n’est en aucune manière en entier dans chacune des parties. L’attribution ne peut donc se faire à chacune d’elles, prise individuellement ; on peut néanmoins le faire d’une manière impropre, en attribuant ce tout à l’ensemble des parties ; on dit ainsi que le mur, le toit, les fondations sont la maison. Le tout potentiel est bien en chaque partie avec toute l’essence, mais non avec sa puissance entière. On pourra donc en faire l’attribution à l’une quelconque des parties, mais non aussi rigoureusement que dans le cas du tout universel. Et c’est ainsi que S. Augustin entend que la mémoire, l’intelligence et la volonté sont l’essence même de l’âme.

2. L’acte auquel la matière première est en puissance est la forme substantielle. C’est pourquoi la puissance de la matière n’est pas autre chose que son essence.

3. L’action, comme l’être, appartient au composé ; c’est en effet à l’être existant qu’il appartient d’agir. Or, le composé existe substantiellement par la forme substantielle, et il agit par la puissance qui suit cette forme. En conséquence, la forme accidentelle active est avec la forme substantielle de l’être qui agit (ainsi la chaleur avec le feu) dans le même rapport que la puissance de l’âme avec son essence.

4. C’est de la forme substantielle que la forme accidentelle tient d’être principe de l’action. La forme substantielle est donc le principe premier de l’action, mais non son principe prochain. C’est le sens de l’affirmation d’Aristote : " Ce par quoi nous comprenons et sentons, c’est l’âme. "

5. Si l’on entend par "accident" ce qui s’oppose à la substance, alors il n’y a pas de milieu entre substance et accident. Car leur opposition s’obtient par affirmation et négation : être dans un sujet, ne pas être dans un sujet. En ce sens, la puissance de l’âme, du fait qu’elle n’est pas son essence, est un accident, classé dans la seconde espèce de la Qualité. - Mais si l’on entend par " accident " l’un des cinq prédicables, on peut trouver un intermédiaire entre l’accident et la substance. En effet, tout ce qui est essentiel à une réalité appartient à la substance. Cependant tout ce qui ne lui est pas essentiel ne peut être appelé accident prédicable, mais cela seul qui n’est pas causé par les principes essentiels de l’espèce. Car le " propre " ne fait pas partie de l’essence de la réalité ; mais il est causé par les principes essentiels de l’espèce ; il est intermédiaire entre l’essence et l’accident entendu au sens d’accident prédicable. C’est de cette façon qu’on peut considérer les puissances de l’âme comme intermédiaires entre la substance et l’accident, en tant que propriétés naturelles de l’âme. Quant à l’expression de S. Augustin : "ne sont pas dans l’âme comme dans un sujet, à la manière dont la couleur, la configuration, ou tout autre mode de la qualité et de la quantité appartiennent à un corps. Car toute modalité de ce genre est rigoureusement limitée à son sujet, tandis que l’âme peut encore connaître et aimer les autres réalités ", il faut la comprendre comme plus haut (sol. 1), c’est-à-dire : dans leur rapport à l’âme, non pas en tant qu’elle aime et connaît, mais en tant qu’elle est aimée et connue. Et voici la marche de sa preuve : Si l’amour était dans l’âme aimée comme un accident dans un sujet, il s’ensuivrait que l’accident dépasserait le sujet où il se trouve, puisqu’il est d’autres réalités que l’âme qui sont objets d’amour.

6. Bien que l’âme ne soit pas composée de matière et de forme, elle est néanmoins en puissance sous un certain rapport, nous l’avons dit, ce qui lui permet d’être sujet pour l’accident. L’affirmation avancée dans cette objection s’applique à Dieu qui est Acte pur, et c’est pour lui que Boèce en fait usage.

7. On n’établit pas les différences substantielles " rationnel " et " sensible " à partir des facultés, sens et raison, mais à partir de l’âme sensitive et rationnelle elle-même. Toutefois, les formes substantielles, inconnaissables pour nous en elles-mêmes, n’étant connues que par leurs accidents, rien n’empêche de dénommer par ces derniers les différences substantielles.

 

            Article 2 — Y a-t-il une ou plusieurs puissances dans l’âme ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait qu’une seule puissance dans l’âme. Car l’âme intellectuelle possède à un très haut degré la ressemblance divine. Or en Dieu il n’y a qu’une seule et simple puissance. Il en va donc de même dans l’âme intellectuelle.

2. Plus une puissance active est élevée dans l’ordre de l’être, plus son unité est profonde. Mais l’âme intellectuelle surpasse en puissance toutes les autres formes. Il lui convient donc, plus qu’à elles toutes, de ne posséder qu’une seule puissance.

3. L’action appartient à l’être en acte. Or, c’est par la même essence que l’homme possède l’être selon divers degrés de perfection. Ce sera donc par la même puissance qu’il accomplira les actions qui correspondent à ces différents degrés.

En sens contraire, le Philosophe met plusieurs puissances dans l’âme.

Réponse :

Il est nécessaire d’admettre une pluralité de puissances dans l’âme. Pour l’établir, reconnaissons, avec Aristote au traité Du Ciel, que les réalités inférieures ne peuvent atteindre à la perfection du bien, mais seulement à un état imparfait et cela au moyen de mouvements peu nombreux ; les réalités supérieures au contraire arrivent à la perfection, et par un grand nombre de mouvements ; mais il en est encore de plus élevées, celles qui parviennent à la perfection au moyen d’un petit nombre de mouvements. Le degré suprême se trouve chez celles qui la possèdent sans aucun mouvement. Par exemple, c’est avoir la moins bonne santé que de ne pouvoir l’obtenir parfaitement, mais médiocrement, moyennant quelques remèdes ; sera en meilleure disposition celui qui peut obtenir une parfaite santé, avec de nombreux remèdes ; cet autre le sera mieux encore, qui n’aura besoin que de peu de remèdes. La disposition excellente sera d’avoir sans aucun remède une parfaite santé.

Concluons donc : les réalités inférieures à l’homme parviennent à quelques biens particuliers ; aussi n’ont-elles d’actions et de puissances que peu nombreuses et strictement déterminées. L’homme peut arriver au bien universel et parfait, car il peut obtenir la béatitude. Il occupe cependant, par nature, le dernier rang parmi les êtres à qui convient la béatitude. Aussi l’âme humaine a-t-elle besoin d’opérations et de vertus nombreuses et diverses. Pour les anges, une aussi grande diversité ne convient pas. Et en Dieu, il n’y a ni puissance ni action en dehors de son essence.

Il est une autre raison pour laquelle l’âme humaine est douée d’un grand nombre de puissances différentes ; c’est qu’elle est la frontière du monde spirituel et du monde corporel ; c’est pourquoi les puissances de l’un et de l’autre s’unissent en elle.

Solutions :

1. L’âme humaine ressemble à Dieu davantage que les créatures inférieures, parce qu’elle peut atteindre à la perfection du bien. Toutefois, c’est par le moyen de puissances nombreuses et d’ordre différent ; c’est en cela que d’autres êtres lui sont supérieurs.

2. Une puissance parfaitement une est supérieure à d’autres si elle atteint les mêmes résultats que celles-ci. Mais une puissance multiforme sera supérieure à d’autres si elle a pouvoir sur un plus grand nombre de choses.

3. Une réalité unique n’a qu’un être substantiel, mais elle peut avoir plusieurs opérations. Il n’y a donc qu’une essence de l’âme, mais plusieurs puissances.

 

            Article 3 — Comment distingue-t-on ces puissances ?

Objections :

1. On ne détermine pas l’espèce d’un être par ce qui lui est postérieur ou extrinsèque. Or, l’acte est postérieur à la puissance, et l’objet lui est extrinsèque. Ils ne peuvent donc servir à distinguer les espèces de puissance.

2. Les contraires sont des réalités qui diffèrent absolument l’une de l’autre. Si l’on distinguait les puissances d’après leurs objets, il s’ensuivrait qu’il n’y aurait pas une seule et même puissance pour les contraires. Ce qui est évidemment faux dans presque tous les cas ; car il y a une même faculté de voir pour le blanc et pour le noir, un même goût pour le doux et pour l’amer.

3. En supprimant la cause, on supprime l’effet. Si la diversité des puissances dépendait de la diversité des objets, le même objet ne pourrait avoir relation à diverses puissances. Or c’est faux, car c’est le même objet que la puissance connaissante connaît et que la puissance affective désire.

4. Ce qui cause essentiellement un effet, produit ce même effet dans tous les cas. Or, des objets divers, qui ont rapport à diverses puissances, ont en même temps rapport à une seule et même puissance ; par exemple, le son et la couleur se réfèrent à la vue et à l’ouïe comme à des puissances différentes, et cependant ils ont encore rapport à une seule et même puissance, le sens commun. Il n’y a donc pas à distinguer les puissances d’après la différence des objets.

En sens contraire, les réalités subordonnées se distinguent d’après celles qui leur sont antérieures. Or, d’après Aristote, " les actes et opérations sont logiquement antérieurs aux facultés, et de plus les opposés (c’est-à-dire les objets) sont antérieurs aux actes ". Les puissances se distinguent donc d’après les actes et les objets.

Réponse :

La puissance comme telle est ordonnée à l’acte. La nature de la puissance doit donc être déterminée d’après l’acte auquel elle s’ordonne. Les puissances se diversifieront donc selon que se diversifient les actes. Or la raison formelle d’un acte se diversifiera selon que se diversifie la raison formelle de son objet. Car tout acte se réfère soit à une puissance active, soit à une puissance passive. Or, l’objet, quand il a rapport à l’acte d’une puissance passive, est cause motrice ; la couleur est principe de la vision pour autant qu’elle met en mouvement la faculté de voir. Mais, par rapport à l’acte d’une puissance active, l’objet est un terme et une fin. Par exemple, l’objet de la faculté de croître, c’est une quantité achevée, terme de la croissance. L’acte reçoit donc son espèce de ces deux principes : le principe moteur et la fin, ou terme. L’acte de chauffer diffère de l’acte de refroidir, en tant que le premier procède d’un corps chaud pour produire la chaleur dans un autre, et le second d’un corps froid pour produire le froid. La diversité des puissances doit donc s’établir d’après les actes et les objets.

Il faut cependant noter que les modalités accidentelles ne changent pas l’espèce. Il est accidentel à l’animal d’être coloré ; aussi le genre animal n’est-il pas divisé en espèces d’après la couleur, mais en fonction d’une différence essentielle : celle qui affecte l’âme sensitive, qui tantôt est unie à la raison et tantôt ne l’est pas. En conséquence, " rationnel " et " irrationnel " sont les différences essentielles du genre animal, et fondent la distinction de ses espèces.

Ce n’est donc pas n’importe quelle différence dans les objets qui est principe de distinction des puissances de l’âme, mais une différence affectant cela même à quoi la puissance est de soi ordonnée. Par exemple, le sens se rapporte de soi à la " qualité sensible ", dont les divisions essentielles sont la couleur, le son, etc. Il y aura donc une puissance sensible pour la couleur, c’est la vue ; une pour le son, c’est l’ouïe. Mais s’il arrive qu’une " qualité sensible " telle que la couleur se trouve affecter un musicien ou un grammairien, un grand ou un petit corps, un homme ou une pierre, de telles différences n’entraînent pas une distinction des puissances de l’âme.

Solutions :

1. L’acte est postérieur à la puissance sous le rapport de l’existence, il est cependant antérieur dans l’ordre d’intention et pour la raison, à la manière dont la fin est antérieure à la cause efficiente. Quant à l’objet, bien qu’il soit extrinsèque, il est néanmoins le principe ou le terme de l’acte. Or, il y a proportion entre le principe et la fin, et les éléments intrinsèques d’une réalité.

2. Si une puissance quelconque avait un rapport essentiel à l’un des contraires, comme à son objet, il faudrait une autre puissance pour l’autre contraire. Or, la puissance de l’âme ne se réfère pas essentiellement à l’aspect propre d’un des contraires, mais à l’aspect commun aux deux ; par exemple, la faculté de voir ne se rapporte pas directement au blanc, mais à la couleur. La raison en est que l’un des contraires est d’une certaine manière le principe de l’autre, car ils sont entre eux dans la relation du parfait à l’imparfait.

3. Rien n’empêche qu’une réalité soit la même par son sujet, et soit diverse pour la raison. C’est pourquoi elle peut avoir rapport à différentes facultés de l’âme.

4. Une faculté supérieure se réfère par nature à un objet plus universel qu’une faculté inférieure ; car plus la puissance est parfaite, plus son objet est étendu. Aussi peut-il se faire que plusieurs réalités puissent être groupées sous un même aspect objectif, auquel se réfère de soi la faculté supérieure, et que cependant elles diffèrent comme objets propres des facultés inférieures. Il peut donc y avoir des objets divers appartenant à des puissances inférieures distinctes, et qui cependant sont soumises à une seule faculté supérieure.

 

            Article 4 — Les rapports naturels entre les puissances de l’âme

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas d’ordre entre les puissances de l’âme. En effet, lorsque des réalités sont classées sous une même division, il n’y a entre elles ni avant ni après, elles sont données simultanément. Or c’est le cas des puissances de l’âme. Il n’y a donc pas d’ordre entre elles.

2. Les puissances de l’âme ont rapport aux objets et à l’âme elle-même. Par rapport à l’âme, il n’y a pas d’ordre entre elles, puisque l’âme est une. Même conclusion par rapport aux objets, puisqu’ils sont divers et absolument disparates, par exemple, la couleur et le son.

3. Lorsque des puissances sont ordonnées entre elles, l’activité de l’une dépend de l’activité de l’autre. Mais cela n’arrive pas dans les puissances de l’âme, car la faculté de voir peut fonctionner sans celle d’entendre, et inversement. Il n’y a donc pas d’ordre entre les puissances de l’âme.

En sens contraire, Aristote compare les parties ou puissances de l’âme à des figures géométriques. Or, il y a des rapports d’ordre entre les figures ; et donc aussi entre les facultés de l’âme.

Réponse :

L’âme est une, et ses puissances sont multiples. Or le multiple sort de l’un selon un certain ordre. Un certain ordre entre les facultés de l’âme est donc nécessaire.

On trouve trois espèces d’ordre entre elles : les deux premières se prennent des relations de dépendance d’une puissance envers une autre ; la troisième d’après la hiérarchie des objets. Une puissance peut dépendre d’une autre, soit selon l’ordre de la nature, en tant que les êtres parfaits passent naturellement avant les êtres imparfaits ; soit selon l’ordre de génération et de succession temporelle, en tant que l’être imparfait s’achemine vers le parfait.

Selon la première espèce d’ordre, les facultés intellectuelles ont priorité sur les facultés sensibles ; c’est pourquoi elles les gouvernent et leur commandent. De la même manière, les facultés sensibles ont priorité sur les puissances de l’âme végétative. - Dans la deuxième espèce d’ordre, le rapport est inverse. Car les puissances végétatives sont antérieures, dans l’ordre de génération, aux facultés sensibles ; c’est ainsi qu’elles préparent le corps pour que ces dernières puissent agir. Même rapport entre les facultés sensibles et les facultés intellectuelles. - Selon la troisième espèce d’ordre, certaines puissances sensibles sont ordonnées entre elles, comme la vue, l’ouïe, l’odorat. Car ce qui est visible prend naturellement le premier rang ; parce que l’être visible est commun aux corps célestes et aux corps inférieurs. Ce qui est sonore se réalise dans l’air, qui a une priorité de nature sur la combinaison d’éléments qui produit l’odeur.

Solutions :

1. On trouve en certains genres des espèces où il y a relation d’avant et d’après : tels les nombres et les figures, quant à leur existence. On dit cependant qu’ils sont donnés simultanément, en tant qu’ils sont classés sous un même genre.

2. L’ordre des puissances de l’âme est déterminé : et par rapport à l’âme qui est apte à diverses activités selon un certain ordre, bien qu’elle reste une, selon son essence ; et par rapport aux objets, et même par rapport aux actes, comme on l’a dit.

3. Cette objection n’a de valeur que dans le cas des puissances où l’on n’observe que la troisième espèce d’ordre. Celles où se trouvent les deux autres espèces sont constituées de telle sorte que l’acte de l’une dépend de l’acte de l’autre.

            Article 5 — L’âme est-elle le sujet de toutes les puissances ?

Objections :

1. Il semble que toutes les puissances de l’âme sont en elle comme dans leur sujet, car il y a même rapport entre l’âme et les puissances qui lui appartiennent qu’entre le corps et les puissances corporelles. Mais le corps est le sujet de ses puissances. Il en va donc de même pour l’âme.

2. Les opérations des puissances psychiques sont attribuées au corps à cause de l’âme. Pour Aristote, en effet, " l’âme est l’origine première de nos sensations et de nos pensées ". Or, les principes propres des actes de l’âme sont les puissances. Donc celles-ci sont d’abord dans l’âme.

3. Selon S. Augustin, il est certains états d’âme, la crainte par exemple, qui ne dépendent pas du corps, bien mieux, qui sont éprouvés sans le corps ; d’autres au contraire en dépendent. Mais si la puissance sensible n’était pas uniquement dans l’âme comme dans son sujet, elle ne pourrait rien éprouver sans le corps. L’âme est donc le sujet de la puissance sensible et, pour la même raison, de toutes les autres puissances.

En sens contraire, Aristote écrit au traité Du Sommeil et de la Veille : " Sentir n’appartient en propre ni à l’âme ni au corps ", mais au composé humain. La puissance sensible a donc ce composé pour sujet. L’âme n’est donc pas seule le sujet de toutes les puissances.

Réponse :

Le sujet d’une puissance d’opération, c’est ce qui est capable d’agir ; car tout accident exprime la nature de son sujet propre. Or c’est le même être qui est capable d’agir et qui agit. Le sujet de la puissance est donc l’être qui possède l’opération de cette puissance, selon Aristote, au commencement du même traité.

Or nous savons qu’il y a dans l’âme des opérations qui s’exercent sans organe corporel ; ainsi, penser et vouloir. Par conséquent, les puissances qui sont les principes de ces opérations sont dans l’âme comme dans leur sujet. Mais il est d’autres opérations dans l’âme, et qui s’accomplissent par des organes corporels ; par exemple, la vision par l’œil, l’audition par l’oreille. Et de même toutes les autres opérations de la vie végétative ou sensitive. Par conséquent, les puissances qui sont les principes de ces opérations ont pour sujet le composé humain, et non pas seulement l’âme.

Solutions :

1. Toutes les puissances appartiennent à l’âme non pas comme à leur sujet, mais comme à leur principe ; car c’est de l’âme que le composé humain tient le pouvoir d’accomplir toutes ses opérations.

2. Toutes ces puissances sont dans l’âme avant d’être dans le composé humain, non pas comme dans leur sujet, mais comme dans leur principe.

3. Pour Platon, sentir est une opération propre à l’âme, comme penser. En beaucoup de questions philosophiques, lorsque S. Augustin utilise des conceptions platoniciennes, il ne les prend pas à son compte, mais se borne à les citer. Toutefois, dans le cas présent, lorsqu’il dit que l’âme sent tantôt dans le corps et tantôt sans le corps, cela peut s’interpréter de deux manières :

1) Quand je dis " avec ou sans corps ", je veux préciser la nature de l’acte de sentir, en tant qu’il procède de l’être sentant. Il n’y a pas alors d’état sensible sans corps ; car l’acte de sentir ne procède de l’âme qu’au moyen d’un organe corporel.

2) Ou bien je veux préciser la nature de cet acte en fonction de l’objet senti. Alors l’âme sent certains états avec le corps, c’est-à-dire qu’ils se trouvent dans le corps, une blessure par exemple ; mais il est d’autres états qu’elle éprouve sans le corps, c’est-à-dire que ces états ne se trouvent pas en lui, mais seulement dans la conscience que l’âme en prend ; ainsi se sent-elle triste ou joyeuse, à l’annonce de quelque événement.

            Article 6 — Les Puissances émanent-elles de l’essence de l’âme ?

Objections :

1. Il semble que non, car d’un principe simple ne peuvent procéder des réalités diverses. L’essence de l’âme est une et simple. Puisque ses puissances sont nombreuses et diverses, elles ne peuvent émaner de son essence.

2. L’être dont un autre procède est la cause de ce dernier. Or l’essence de l’âme ne peut être la cause des puissances, comme il est évident à l’examen des différents genres de causes. Les puissances n’émanent donc pas de l’essence de l’âme.

3. L’émanation désigne un certain mouvement. Or rien ne se meut soi-même, si ce n’est selon une partie de soi ; on dit par exemple que l’animal se meut lui-même, parce qu’une partie de son être donne le mouvement et qu’une autre le reçoit. L’âme non plus, selon Aristote, n’est pas mise en mouvement. L’âme ne cause donc pas en elle-même ses propres puissances.

En sens contraire, les facultés de l’âme sont des propriétés qu’elle possède par nature. Or le sujet est cause de ses propres accidents : il est en effet exprimé dans la définition de chacun d’eux selon Aristote. Les facultés procèdent donc de l’essence de l’âme comme de leur cause.

Réponse :

Il y a entre forme substantielle et forme accidentelle des ressemblances et des différences. Elles ont en commun d’être en acte, et de faire que quelque chose soit en acte. Mais elles diffèrent sous deux rapports.

1. La forme substantielle donne l’être absolument, et son sujet est seulement de l’être en puissance. La forme accidentelle ne donne pas l’être absolument, mais telle qualité, telle quantité, ou toute autre modalité, et son sujet, c’est de l’être déjà en acte. On trouvera donc l’être actuel dans la forme substantielle avant de le trouver dans son sujet ; et puisque ce qui est premier dans un genre est toujours cause, la forme substantielle causera l’être en acte dans son sujet. Mais à l’inverse, l’actualité de l’être se trouve dans le sujet de la forme accidentelle avant de se trouver en celle-ci. C’est pourquoi l’actualité de cette forme est causée par l’actualité même du sujet ; de telle sorte que le sujet reçoit la forme accidentelle pour autant qu’il est en puissance, mais il la produit pour autant qu’il est en acte. Cela, nous ne l’affirmons que de l’accident qui est une propriété essentielle ; car, pour l’accident d’origine externe, le sujet ne fait que le recevoir : ce qui le produit, c’est un principe extérieur.

2. Les formes substantielle et accidentelle diffèrent encore en ce que la matière est ordonnée à la forme substantielle et parce que l’élément le moins important est toujours ordonné à celui qui l’est davantage. A l’inverse, la forme accidentelle a pour rôle de perfectionner le sujet.

D’après ce qui précède, il est évident que le sujet des puissances de l’âme est soit seulement l’âme elle-même, qui peut être sujet d’un accident, en tant que puissance réceptrice, soit le composé. Et ce dernier existe en acte par le fait de l’âme. En conclusion, toutes les puissances, quel que soit leur sujet : l’âme seule ou le composé, émanent de l’essence de l’âme comme de leur principe. Comme on l’a dit, en effet, l’accident est causé par le sujet, en tant que celui-ci est en acte ; il est reçu en lui, en tant que le sujet est en puissance.

Solutions :

1. D’un principe simple plusieurs effets peuvent procéder naturellement, selon un ordre déterminé, ou encore en raison d’une diversité de sujets récepteurs. Ainsi donc, d’une seule et même essence émanent de nombreuses puissances de nature différente, soit à cause des rapports d’ordre qu’elles ont entre elles, soit du fait qu’il y a divers organes corporels.

2. Par rapport à ses propriétés, le sujet est cause finale, et en un certain sens cause efficiente ; et même cause matérielle, comme sujet récepteur de l’accident. De là, nous pouvons conclure que l’essence de l’âme est la cause de toutes les puissances, à la fois comme fin et comme principe actif, et de certaines d’entre elles comme sujet récepteur.

3. Les propriétés émanent de leur sujet non par une sorte de changement, mais par une sorte de rejaillissement naturel. Ainsi une modalité d’être rejaillit naturellement d’une autre : par exemple, à partir de la lumière, la couleur.

            Article 7 — Une puissance de l’âme sort-elle d’une autre ?

Objections :

1. Lorsque plusieurs réalités commencent d’être en même temps, l’une ne peut sortir de l’autre. Or toutes les puissances sont créées en même temps que l’âme. L’une d’entre elles ne peut donc sortir d’une autre.

2. Une puissance émane de l’âme, comme l’accident émane de son sujet. Mais une puissance de l’âme ne peut être le sujet d’une autre puissance, puisqu’il n’y a pas d’accident de l’accident. Elles ne peuvent donc procéder l’une de l’autre.

3. L’opposé ne naît pas de son opposé, mais tout être naît d’un être semblable selon l’espèce. Or, les puissances se distinguent comme des opposés, ainsi que des espèces diverses. L’une d’elles ne procède donc pas d’une autre.

En sens contraire, on connaît les puissances par leurs actes. Or l’acte d’une puissance est causé par l’acte d’une autre puissance ; par exemple l’acte de l’imagination par l’acte du sens. En conséquence, une puissance de l’âme est causée par une autre.

Réponse :

Dans les réalités qui, selon un certain ordre naturel, procèdent d’un même principe, celui-ci est cause d’elles toutes, et la plus proche du principe est cause en quelque façon des plus éloignées. On l’a dit : il y a plusieurs espèces d’ordre entre les puissances de l’âme. Il y a donc des puissances de l’âme qui procèdent de l’essence par l’intermédiaire d’une autre puissance.

Mais l’essence de l’âme est pour ses puissances un principe actif et une fin, comme aussi un sujet récepteur, soit à elle seule, soit en même temps que le corps. Or le principe actif et la cause finale sont plus parfaits ; le sujet récepteur, comme tel, moins parfait. Par suite, les puissances de l’âme qui ont une priorité dans l’ordre de perfection et de nature, sont principes des autres à la manière des causes efficiente et finale. Nous voyons en effet que le sens a pour la fin l’intelligence, mais la réciproque n’est pas vraie. En effet, le sens est comme une participation incomplète de l’intelligence. On peut donc dire qu’il procède naturellement de l’intelligence, comme l’imparfait du parfait. - Mais si l’on considère l’ordre de réceptivité, ce sont au contraire les puissances les moins parfaites qui sont principes des autres. L’âme, par exemple, en tant qu’elle possède la puissance de sentir, est un sujet, une matière en quelque sorte, par rapport à l’intelligence. C’est pourquoi les puissances moins parfaites sont antérieures aux autres, dans l’ordre de génération : en effet, l’animal est engendré avant l’homme.

Solutions :

1. Toute puissance émane de l’essence non par changement, mais par une sorte de rejaillissement naturel ; et cependant elle existe en même temps que l’âme. Il faut dire la même chose d’une puissance quelconque par rapport à une autre.

2. Un accident ne peut être absolument parlant le sujet d’un autre accident. Mais il y a un ordre de réceptivité dans la substance ; ainsi la quantité est reçue avant la qualité. De cette façon, l’on peut dire qu’un accident est le sujet d’un autre, telle l’étendue pour la couleur, en ce sens que la substance reçoit tel accident par l’intermédiaire d’un autre. Ce rapport peut également être affirmé des puissances de l’âme.

3. L’opposition qu’on trouve entre les puissances de l’âme est celle du parfait à l’imparfait. La même opposition se rencontre entre les espèces de nombres et de figures. Ce genre d’opposition n’empêche pas que l’une tire son origine de l’autre. Car il est naturel que l’imparfait procède du parfait.

            Article 8 — Toutes les puissances demeurent-elles dans l’âme après la mort ?

Objections :

1. Il semble que toutes les puissances de l’âme demeurent dans l’âme séparée du corps. Car l’auteur du livre De l’esprit et de l’âme écrit : " L’âme s’éloigne du corps, emportant avec elle le sens et l’imagination, la raison, l’intellect et l’intelligence, le concupiscible et l’irascible. "

2. Les puissances de l’âme sont ses propriétés naturelles. Or une propriété est toujours inhérente à son sujet et n’en est jamais séparée. Les puissances de l’âme demeurent donc en elle, même après la mort.

3. Les puissances de l’âme, et même les puissances sensibles, ne perdent pas leur force lorsque le corps se débilite. - Comme il est dit au traité De l’âme, " si un vieillard recevait l’œil d’un jeune homme, il verrait aussi bien que lui ". Or la perte de la force est un acheminement vers la corruption. Les puissances de l’âme ne se corrompent donc pas en même temps que le corps, mais demeurent dans l’âme séparée.

4. La mémoire est une faculté de l’âme sensitive. Mais la mémoire demeure dans l’âme séparée. Dans l’évangile (Lc 16, 23) il est dit au mauvais riche dont l’âme seule se trouve en enfer : " Souviens-toi que tu as été comblé de biens pendant ta vie. " La mémoire demeure donc dans l’âme séparée, et par conséquent les autres puissances de la partie sensitive de l’âme.

5. La joie et la tristesse sont des états du concupiscible, qui est une puissance de l’âme sensitive. Or, il est sûr que les âmes séparées s’attristent des peines ou se réjouissent des récompenses qui sont leur partage. Donc cette puissance affective demeure dans l’âme séparée.

6. L’âme, au moment où le corps gît insensible mais non pas encore mort, perçoit certaines visions imaginaires ; selon S. Augustin elle éprouverait le même état après la mort lorsqu’elle est effectivement séparée du corps. Or l’imagination est une puissance sensitive. Ainsi donc une puissance de ce genre demeure dans l’âme séparée, et par conséquent toutes les autres.

En sens contraire, on lit dans le livre des Dogmes de l’église : " L’homme est constitué par deux substances, l’âme avec sa raison, la chair avec ses sens. " Donc la chair ayant achevé sa fonction, les puissances sensibles ne demeurent pas.

Réponse :

L’âme est le seul principe de toutes ses puissances, on l’a déjà dit. Mais certaines n’ont pas d’autre sujet que l’âme : telles l’intelligence et la volonté. Ces facultés demeurent donc nécessairement dans l’âme, une fois le corps détruit. D’autres ont pour sujet le composé humain : ainsi toutes les puissances de l’âme sensitive et végétative. Or, le sujet étant détruit, l’accident ne peut persister. Aussi, lorsque le composé se désagrège, ces puissances ne demeurent pas sous un mode actuel, mais seulement virtuel ; elle sont dans l’âme comme dans leur principe et leur racine.

Il est donc faux d’affirmer, comme certains, que ces puissances demeurent dans l’âme même lorsque le corps est détruit. Et encore plus faux que les actes de ces puissances demeurent dans l’âme séparée, car ces puissances n’ont d’activité qu’au moyen d’organes corporels.

Solutions :

1. Ce livre ne fait pas autorité. Il peut donc être négligé avec autant de facilité qu’on en a apporté en l’écrivant. On peut néanmoins répondre que l’âme emporte avec elle ces puissances sensibles sous un mode non actuel, mais virtuel.

2. Les puissances dont nous disons qu’elles ne demeurent pas sous un mode actuel dans l’âme séparée, ne sont pas des propriétés de l’âme seule mais du composé humain.

3. On dit que ces puissances ne perdent pas leur force lorsque le corps se débilite, parce que l’âme, leur principe d’activité, est immuable.

4. Cette manière de se souvenir doit s’entendre de la mémoire, pour autant que S. Augustin attribue cette faculté à l’esprit, et non selon qu’elle est une puissance de l’âme sensitive.

5. Tristesse et joie sont dans l’âme séparée comme des états de l’affectivité, non pas sensible, mais spirituelle. Elles se trouvent aussi chez les anges.

6. Il s’agit ici d’une recherche et non d’une affirmation de S. Augustin. Il a d’ailleurs retouché certains de ces passages.

Étudions maintenant les puissances de l’âme dans le détail. Il appartient spécialement au théologien de scruter les puissances intellectuelles et appétitives, puisqu’elles sont le siège de vertus. Cependant, la connaissance de ces puissances dépend d’une certaine façon de la connaissance des autres. Aussi allons-nous diviser notre étude en trois sections : 1. Les puissances dont l’exercice précède celui de l’intelligence (Q. 78). - 2. Les puissances intellectuelles (Q. 79). - 3. Les puissances affectives (Q. 80).

 

 

QUESTION 78 — LES PUISSANCES NON SPIRITUELLES DE L’ÂME

1. Les différents genres de puissances dans l’âme. - 2. Les puissances de l’âme végétative. - 3. Les sens externes. - 4. Les sens internes.

            Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme

Objections :

1. Il semble qu’il n’y a pas lieu de distinguer ces cinq genres différents de puissances que sont la puissance végétative, sensitive, affective, motrice, intellectuelle. Car les puissances sont des parties de l’âme. Or on n’y distingue ordinairement que trois parties ; les âmes végétative, sensitive et rationnelle. Il n’y a donc que trois genres de puissances et non pas cinq.

2. Les puissances de l’âme sont le principe des opérations vitales. Or, la vie se manifeste de quatre manières. Aristote nous dit en effet : " Admis qu’il y ait plusieurs modes de vivre, nous disons qu’un être vit, même s’il ne possède que l’un de ces modes : soit l’intelligence, soit le sens, soit le mouvement et le repos dans l’espace, soit encore le changement dû à la nutrition avec dépérissement ou croissance. " Il n’y a donc que quatre genres de puissances de l’âme, l’affectivité étant exclue.

3. Ce qui est commun à toutes les puissances ne peut être référé à un genre distinct dans l’âme. Or l’appétition convient à n’importe quelle puissance de l’âme. La faculté de voir tend vers un objet visible proportionné. Comme dit l’Ecclésiastique (40, 22) : " L’œil désire la grâce et la beauté, et plus que cela, voir la verdure des champs. " De même, toute autre puissance désire un objet qui lui convienne. Il ne faut donc pas faire de l’affectivité un genre spécial de puissance.

4. Le principe du mouvement dans les animaux c’est ou bien le sens, ou bien l’intellect, ou encore l’affectivité, d’après le traité De l’âme. La faculté motrice ne doit donc pas être comptée comme un genre spécial de puissance en plus de ces trois.

En sens contraire, le Philosophe déclare admettre comme puissances de l’âme, les puissances végétative, sensitive, appétitive, motrice, et intellectuelle.

Réponse :

Il y a cinq genres différents de puissances dans l’âme, et l’on vient de les énumérer. Trois d’entre eux sont attribués à l’âme ; quatre sont des modes de vivre. Ce qui explique cette diversité, c’est que des âmes diverses se distinguent selon les différentes manières dont l’action de l’âme transcende la nature corporelles. La nature corporelle tout entière est en effet soumise à l’âme, et joue à son égard le rôle de matière et d’instrument. Il y a donc d’abord une opération de l’âme qui dépasse si complètement la nature des corps qu’elle ne s’exerce même pas au moyen d’un organe corporel : c’est celle de l’âme rationnelle. Il y a une autre opération, inférieure à la précédente, qui s’accomplit au moyen d’un organe, mais non d’une qualité corporelle : celle de l’âme sensitive. En effet, le chaud et le froid, l’humide et le sec, et les autres qualités corporelles du même genre, sont bien requises pour l’action du sens. Mais il ne s’ensuit pas que cette action s’accomplisse au moyen de ces qualités ; elles sont requises seulement pour que l’organe soit en bonne disposition. Enfin, la moins élevée des opérations de l’âme se fait au moyen d’un organe et en vertu d’une qualité corporelle. Elle est supérieure néanmoins à l’action des corps ; car les mouvements de ceux-ci dépendent d’un principe extérieur, tandis que cette activité procède d’un principe interne, ce qui est commun à toutes les opérations de l’âme : tout être animé en effet se meut lui-même en quelque manière. Cette dernière activité est celle de l’âme végétative : l’assimilation nutritive et les opérations consécutives s’accomplissent par l’action de la chaleur, qui joue alors le rôle de cause instrumentale, comme dit Aristote.

Or, les différents genres de puissances se distinguent d’après les objets. Plus une puissance est élevée, plus son objet est universel, nous l’avons dite. On peut déterminer trois degrés d’universalité dans l’objet. Pour certaine puissance de l’âme, l’objet est seulement le corps uni à l’âme ; telle est la puissance végétative, qui n’agit en effet que sur le corps auquel l’âme est unie. Il y a un autre genre de puissance dont l’objet est plus universel, c’est-à-dire tout corps sensible, et non seulement le corps uni à l’âme. Il y a enfin un autre genre de puissance dont l’objet est encore plus universel, ce n’est plus seulement tout corps sensible, mais tout être en général. Ainsi les deux derniers genres de puissance possèdent une opération qui a rapport non seulement à une réalité conjointe à l’âme, mais encore à une réalité extérieure.

Il faut cependant que l’âme qui opère soit unie à son objet. Il est donc nécessaire que la réalité extérieure, objet de l’opération de l’âme, soit en relation avec elle à un double point de vue. - 1 : En tant qu’elle est apte à être unie à l’âme et à se trouver en elle par sa ressemblance. A cet égard il y a deux genres de puissances : la puissance sensible, relative à un objet moins universel à savoir le corps sensible ; la puissance intellectuelle, relative à l’objet absolument commun à tout, qui est l’être universel. - 2 : En tant que l’âme est inclinée et en tendance à cette réalité extérieure. Il y aura encore là deux genres de puissances : la puissance appétitive, par laquelle l’âme entre en relation avec la réalité extérieure comme avec sa fin, première dans l’ordre d’intention ; et la puissance motrice, qui met l’âme en rapport avec la réalité extérieure, prise comme terme de l’opération et du mouvement. C’est en effet pour obtenir un objet désiré et auquel il tend, que l’animal se meut dans l’espace.

Quant aux différents modes de la vie, on les distingue d’après la hiérarchie des vivants. Chez certains vivants, il n’y a que la puissance végétative, comme chez les plantes. Il en est d’autres qui, en plus de la puissance végétative, possèdent la sensibilité, mais non la locomotion : ce sont des animaux immobiles, comme les huîtres. D’autres encore ont en plus le mouvement local ; ainsi les animaux parfaits, qui ont besoin de beaucoup de choses pour vivre, et donc doivent se mouvoir pour chercher au loin le nécessaire. Il est enfin d’autres vivants qui ont en plus la puissance intellectuelle, ce sont les hommes. - Quant à la puissance appétitive, elle ne constitue pas de degré dans la hiérarchie des vivants ; car " en tout être où il y a puissance sensible, il y a appétit ", selon Aristote.

Solutions :

1 et 2. On vient de résoudre les deux premières objections.

3. L’appétit naturel est l’inclination qui porte naturellement une réalité vers un objet donné ; par son appétit naturel, toute puissance désire ce qui lui convient. Mais l’appétit de l’être animé dépend de ce qui est connu. Et pour un appétit de ce genre, il faut une faculté spéciale ; la connaissance seule ne suffit pas. La réalité est désirée en tant qu’elle existe en elle-même, tandis qu’elle n’est pas elle-même dans la faculté de connaissance, mais seulement selon sa ressemblance. La faculté de voir ne tend donc à l’objet visible que pour réaliser son acte, c’est-à-dire pour voir ; mais l’être animé tend à la chose qu’il voit par sa puissance appétitive, non seulement pour voir, mais pour d’autres fins utiles. Si l’âme n’avait besoin des réalités perçues par le sens que pour l’exercice de cette faculté sensible, c’est-à-dire afin de sentir, il ne serait pas nécessaire de distinguer l’appétit comme un genre spécial parmi les puissances de l’âme ; la tendance naturelle des puissances suffirait.

4. Le sens et la faculté appétitive sont bien principes de mouvement chez les animaux parfaits. Toutefois, ni l’un ni l’autre à eux seuls ne pourraient mouvoir si une puissance spéciale ne leur était surajoutée. En effet, les animaux immobiles ont bien ces deux facultés, et cependant ils n’ont pas de faculté motrice. Celle-ci se trouve non seulement dans l’affectivité et le sens en tant qu’ils commandent- le mouvement, mais aussi dans les différentes parties du corps, pour les rendre aptes à suivre l’impulsion affective que donne l’âme. En voici le signe : lorsque les membres ne sont plus dans leur disposition naturelle, ils n’obéissent plus au mouvement appelé par l’appétit.

            Article 2 — Les puissances de l’âme végétatives

Objections :

1. La division des parties végétatives ou puissances de nutrition, de croissance et de reproduction semble mal venue. Car ces puissances sont des forces naturelles. Or les puissances de l’âme dépassent ces forces par leur perfection. On ne doit donc pas compter celles-ci parmi les puissances de l’âme.

2. Il ne faut pas assigner une puissance de l’âme en raison d’une fonction commune aux vivants et aux non-vivants. Or, telle est la génération, pour tous les êtres qui peuvent être engendrés et se corrompre, vivants ou non. Donc la puissance génératrice ne doit pas être comptée parmi les puissances de l’âme.

3. L’âme possède une puissance supérieure à celle de la nature corporelle. Or une nature corporelle donne, par le moyen de la même puissance active, et l’espèce et la quantité qui convient. À plus forte raison, l’âme. Il n’y a donc pas lieu de distinguer la faculté de croître et celle d’engendrer.

4. Toute réalité conserve son être par le principe même dont elle le tient. Or c’est par la puissance de reproduction que le vivant acquiert son être. C’est donc par elle qu’il conserve la vie. Mais la faculté de nutrition est ordonnée aussi à la conservation du vivant. Comme dit Aristote : " C’est une puissance qui peut sauvegarder l’être du sujet où elle se trouve. " On ne doit donc pas distinguer cette faculté de celle d’engendrer.

En sens contraire, selon le Philosophe, les opérations de l’âme végétative sont " engendrer, s’alimenter et croître ".

Réponse :

Il y a trois puissances dans l’âme végétative. Car, nous l’avons dit, celle-ci a pour objet le corps vivant par l’âme, et ce corps requiert de l’âme trois sortes d’opérations : l’une qui lui donne l’être, et pour cela il y a la faculté d’engendrer ; une autre par laquelle le corps vivant atteint le développement qui lui convient, et pour cela il y a la faculté de croissance ; une troisième enfin par laquelle le corps vivant conserve son être et son développement normal, et pour cela il y a la faculté de nutrition.

Il faut cependant marquer des différences entre ces puissances. Celles de nutrition et de croissance produisent leur effet dans l’être où elles se trouvent. C’est en effet le corps uni à l’âme qui croît et se conserve par l’action des facultés de croissance et de nutrition, appartenant à cette âme. Mais la faculté d’engendrer produit son effet non dans le même corps, mais dans un autre, car aucun être ne peut s’engendrer lui-même. Par suite, la faculté d’engendrer avoisine la dignité de l’âme sensitive, qui est en relation avec les réalités extérieures, que sous un mode plus parfait et plus universel ; car ce qu’il y a de plus élevé dans une nature inférieure rejoint ce qu’il y a de plus bas dans la nature qui lui est supérieure, comme Denys le montre bien. Aussi, parmi les trois puissances végétatives, celle qui joue davantage le rôle de fin la principale et la plus parfaite., c’est la faculté d’engendrer, dit Aristote. Il appartient en effet à une chose déjà parfaite en elle-même d’en produire une autre qui lui soit semblable. Les puissances de croissance et de nutrition sont subordonnées à la puissance de génération ; celle de croissance à la puissance nutritive.

Solutions :

1. Ces forces sont appelées naturelles parce qu’elles ont un effet semblable à celui de la nature matérielle qui donne aussi l’être, la quantité, et la conservation dans l’être ; les puissances végétatives le font toutefois sous un mode plus élevé. Elles sont encore appelées naturelles parce que, dans leur action, elles utilisent comme instruments les qualités actives et passives qui sont les principes des actions physiques.

2. La génération dans les êtres inanimés est produite par une cause tout extérieure. Mais la génération des vivants s’accomplit sous un mode plus élevé, au moyen d’un élément du vivant, la semence, qui contient un principe apte à former le corps. Il faut donc dans le vivant une puissance pour élaborer cette semence, et c’est la puissance d’engendrer.

3. La génération du vivant étant causée par une semence, il faut au commencement que l’animal soit engendré sous un petit volume. D’où la nécessité d’une puissance de l’âme qui lui fasse atteindre un développement convenable. Mais le corps inanimé est engendré à partir d’une matière déterminée par une cause extérieure. Voilà pourquoi il reçoit en même temps et son caractère spécifique et la quantité conforme aux conditions de la matière.

4. Comme on l’a dit (a. 1), l’action de l’âme végétative s’accomplit au moyen de la chaleur, dont le rôle est d’absorber l’humidité. Il faut donc, pour restituer l’humidité perdue, une puissance nutritive qui transforme l’aliment en la substance du corps. C’est nécessaire également pour l’action des puissances de croissance et de génération.

            Article 3 — Les sens externes

Objections :

1. Il ne semble pas qu’il y ait seulement cinq sens externes. Car le sens connaît les accidents, et ceux-ci se divisent en de nombreux genres. Puisque les puissances se distinguent d’après les objets, il semble qu’il y ait autant de sens différents que de genres d’accidents.

2. La grandeur, la figure, et les autres sensibles communs ne sont pas des sensibles par accident, mais s’opposent à ces derniers selon Aristote. Or, une différence essentielle dans les objets entraîne une distinction dans les puissances. Puisque la grandeur et la figure diffèrent de la couleur plus que ne fait le son, on a plus de raison, semble-t-il, de distinguer une puissance connaissante pour la grandeur ou la figure que pour la couleur et le son.

3. Un seul sens ne perçoit qu’un seul ensemble de qualités contraires : ainsi la vue perçoit le blanc et le noir. Or le toucher perçoit plusieurs ensembles de contraires : le chaud et le froid, l’humide et le sec, etc. On n’a donc pas affaire à un seul sens, mais à plusieurs. Il y a donc plus de cinq sens.

4. L’espèce ne s’oppose pas au genre. Or le goût est une espèce de toucher. On ne doit donc pas en faire un sens distinct du toucher.

En sens contraire, le Philosophe dit au traité De l’âme qu’il n’y a pas plus de cinq sens.

Réponse :

Certains ont voulu chercher un principe de distinction des sens externes dans la structure des organes, selon qu’y prédomine tel ou tel élément, l’eau, l’air, etc. D’autres, dans la nature du milieu sensible qui est ou contigu ou extérieur au sens : l’air, l’eau, etc. D’autres enfin, d’après la nature des diverses qualités sensibles que ce soit la qualité d’un corps simple, ou la qualité résultant d’une combinaison.

Mais aucune de ces solutions n’est valable. Les puissances ne sont pas faites pour les organes, mais les organes pour les puissances. La diversité des puissances ne vient pas de la diversité des organes ; mais la nature a disposé des organes différents pour correspondre à la diversité des puissances. De même, elle a donné divers milieux aux divers sens, sous le mode qui convenait à l’activité des puissances. Quant à la nature des qualités sensibles, ce n’est pas aux sens qu’il appartient de les connaître, mais à l’intelligence.

Il faut donc prendre comme fondement du nombre et de la distinction des sens externes ce qui appartient en propre et essentiellement au sens. Or le sens est une puissance passive dont la nature est de pouvoir être modifiée par un objet sensible extérieur. L’objet extérieur, cause de changement, est ce que le sens perçoit essentiellement, et c’est selon les différences qu’il présente qu’on distingue les puissances sensibles.

Or il y a deux espèces de modification : l’une est physique, l’autre spirituelle. Une modification est physique quand la forme de ce qui cause le changement est reçue dans l’être changé sous un mode physique, par exemple la chaleur dans ce qui est chauffé. Une modification est spirituelle quand la forme est reçue sous un mode spirituel, par exemple la couleur dans la pupille de l’œil qui, pour autant n’en est pas colorée. Pour l’action du sens, une modification spirituelle est requise selon laquelle la forme intentionnelle de l’objet sensible est produite dans l’organe du sens. Autrement, si la seule modification physique suffisait à produire la sensation, tous les corps physiques en éprouveraient lorsqu’ils subissent un changement qualitatif.

Mais dans certains sens, on ne trouve qu’une modification spirituelle, comme dans la vue. En d’autres, on trouve en même temps que cette modification spirituelle une modification physique, qu’elle provienne seulement de l’objet, ou aussi de l’organe. Sous le rapport de l’objet, on trouve une modification physique dans l’espace, lorsqu’il s’agit du son qui est l’objet de l’ouïe, car le son est produit par une percussion et par l’ébranlement de l’air. Il y a altération qualitative dans le cas de l’odeur, objet de l’odorat ; il faut en effet qu’un corps soit modifié d’une certaine manière par la chaleur pour exhaler une odeur. Par rapport à l’organe, il y a modification physique dans le toucher et dans le goût, car la main s’échauffe en touchant un objet chaud, et la langue s’humecte de l’humidité des saveurs. Quant aux organes de l’odorat et de l’ouïe, ils ne subissent aucune modification physique en sentant, si ce n’est par accident.

La vue, qui s’exerce sans aucune modification physique soit dans l’organe soit dans l’objet, est la faculté la plus spirituelle, le plus parfait de tous les sens et le plus universel. Après elle, vient l’ouïe, puis l’odorat qui supposent une modification physique du côté de l’objet. Car le mouvement local est plus parfait que le mouvement d’altération, et lui est naturellement antérieur, comme on le prouve au livre VIII des Physiques -. Le toucher et le goût sont les plus matériels des sens. On parlera plus bas de leur distinction. - Les trois premiers sens n’opèrent pas par un intermédiaire contigu, afin qu’aucune modification physique n’atteigne l’organe, comme c’est le cas pour les deux derniers.

Solutions :

1. Tous les accidents n’ont pas par eux-mêmes le pouvoir de causer un changement, mais seulement les qualités de la troisième espèce, qui sont susceptibles d’altération. Et c’est pourquoi il n’y a que ces qualités qui soient objets des sens. En effet, d’après le livre VII des Physiques, " les sens sont modifiés selon les mêmes qualités que les corps inanimés ".

2. La grandeur, la figure, et ce qu’on appelle " sensibles communs " sont intermédiaires entre les sensibles par accident et les sensibles propres, objets des sens. En effet, les sensibles propres modifient le sens immédiatement et directement, car ce sont des qualités qui causent une altération. Quant aux sensibles communs, ils se ramènent tous à la quantité. Pour la grandeur et le nombre, il est évident que ce sont des espèces de la quantité. La figure est une qualité qui a rapport à la quantité, puisqu’elle consiste dans la limitation de l’étendue. Le mouvement et le repos sont perçus selon que leur sujet se trouve dans un ou plusieurs états quant à la grandeur ou à la distance dans l’espace, qu’il s’agisse d’un mouvement de croissance ou d’un mouvement local ; ou encore, sous le rapport des qualités sensibles, un mouvement d’altération. De telle sorte que sentir le mouvement et le repos, c’est d’une certaine façon sentir l’un et le multiple. Or, la quantité est le sujet immédiat de la qualité, cause d’altération, telle la surface pour la couleur. En conséquence, les sensibles communs n’agissent pas sur le sens immédiatement et directement, mais par le moyen de la qualité sensible ; par exemple la surface, par le moyen de la couleur. Ce ne sont pourtant pas des sensibles par accident. Car les sensibles communs introduisent un élément de diversité dans la modification sensorielle : le sens est modifié différemment par une grande et par une petite surface. On dit même que la blancheur est grande ou petite, et pour cette raison, elle peut être divisée relativement au sujet où elle se trouve.

3. Le Philosophe semble dire, au traité De l’Âme que le sens du toucher forme un genre, mais qu’il se divise en plusieurs espèces, et c’est pour cela qu’il a pour objet plusieurs ensembles de contraires. Ces espèces n’ont pas d’organe différencié, mais se rencontrent ensemble sur tout le corps ; aussi ne remarque-t-on pas qu’elles sont distinctes. Quant au goût, qui perçoit le doux et l’amer, il se rencontre avec le toucher sur la langue mais non sur tout le corps. On peut donc le distinguer aisément du toucher.

On peut répondre également que dans tous ces contraires, chaque ensemble appartient à un genre prochain, et tous les ensembles à un genre commun, qui serait l’objet du toucher en général. Mais il n’y a pas de dénomination pour ce genre commun, pas plus que pour un genre prochain, comme celui du chaud et du froid.

4. D’après Aristote, le goût est une sorte de toucher qui ne se trouve que sur la langue. Il n’y a donc pas à le distinguer du toucher en général, mais seulement de ces espèces de toucher qui se rencontrent par tout le corps. - Toutefois si l’on admet l’unité du toucher, à cause de l’unité de son objet, on pourra dire que le goût se distingue du toucher parce que la modification sensorielle n’est pas la même chez tous les deux. Le toucher ne subit pas seulement une modification spirituelle, mais une modification physique dans son organe, en fonction de la qualité sensible qui agit directement sur lui. Mais l’organe du goût n’est pas nécessairement modifié de cette façon, de telle sorte, par exemple, que la langue devienne douce ou amère. Il n’est modifié que par une qualité qui précède la sensation de saveur et où celle-ci prend naissance, et qui est l’humidité, laquelle est l’objet du toucher.

            Article 4 — Les sens internes

Objections :

1. La division admise des sens internes ne parait pas satisfaisante. On n’oppose pas en effet ce qui est commun à ce qui est propre. On ne doit donc pas compter le sens commun parmi les puissances sensibles internes, à part des sens externes qui sont des sens propres.

2. Il n’est pas besoin d’une faculté interne de connaissance pour une fonction que peut accomplir le sens propre et externe ; mais pour apprécier les objets sensibles, les sens externes suffisent ; chaque sens en effet peut juger de son objet propre. De même, ils semblent avoir ce qu’il faut pour percevoir leurs actes. L’action du sens est en effet comme un intermédiaire entre la puissance et l’objet ; il paraît donc que la faculté de voir peut bien mieux percevoir son acte de voir qu’elle ne perçoit la couleur, son acte étant plus proche de la faculté que l’objet. De même pour les autres sens. Il n’est donc pas nécessaire de désigner pour cette fonction une puissance interne qu’on appellerait sens commun.

3. L’imagination et la mémoire sont, d’après le Philosophe, des modalités du centre primitif de la sensibilité. Mais l’on n’oppose pas une modalité à son sujet. Il ne faut donc pas distinguer la mémoire et l’imagination du sens.

4. L’intelligence dépend beaucoup moins du sens que n’importe quelle puissance de l’âme sensitive. Et cependant l’intelligence ne connaît que par l’apport des sens. C’est pourquoi il est dit dans les Seconds Analytiques : " Ceux qui manquent d’un sens, manquent d’une science. " A plus forte raison ne doit-on pas distinguer une puissance sensible destinée à percevoir des représentations qui échappent aux sens, puissance qu’on nomme " estimative ".

5. L’acte de la cogitative, qui est de juger, de synthétiser et d’analyser, et l’acte de la faculté de réminiscence, qui consiste à user d’une manière de syllogisme pour évoquer les souvenirs, ne sont pas moins différents des actes de l’estimative et de la mémoire que l’estimative ne l’est de l’imagination. Il faut donc distinguer les deux premières de l’estimative et de la mémoire, ou alors ne pas distinguer celles-ci de l’imagination.

6. D’après S. Augustin. il y a trois genres de visions : corporelles, par le moyen des sens ; spirituelles, par l’imagination ; intellectuelles, par l’intelligence. Il n’y a donc pas, entre le sens et l’intellect, d’autre faculté interne que l’imagination.

En sens contraire, Avicenne, dans son livre sur l’âme, admet qu’il y a cinq sens internes : le sens commun, la " fantaisie ", l’imagination, l’estimation, et la mémoire.

Réponse :

La nature ne manque jamais de donner le nécessaire ; il faut donc qu’il y ait dans l’âme sensitive autant d’actions diverses qu’en requiert la vie d’un animal parfait. Et toutes les actions qu’on ne peut ramener à un seul principe demandent des puissances diverses ; car une puissance de l’âme n’est rien d’autre que le principe immédiat d’une opération de cette âme.

Or, il faut remarquer que la vie d’un animal parfait requiert non seulement qu’il connaisse la réalité quand elle est présente au sens, mais encore quand elle est absente. Autrement, du fait que le mouvement et l’action de l’animal suivent la connaissance, celui-ci ne se mettrait jamais en mouvement pour chercher quelque chose qui n’est pas là. Or c’est le contraire qu’on observe, surtout chez les animaux parfaits qui se meuvent dans l’espace ; ils se dirigent en effet vers un objet absent dont ils ont connaissance. L’animal doit donc, en son âme sensitive, non seulement recevoir les ressemblances des qualités sensibles au moment où il est actuellement modifié par elles, mais encore les retenir et les conserver. Dans les êtres corporels, recevoir et conserver se réfèrent à des principes divers : les corps humides reçoivent bien et conservent mal ; c’est le contraire pour les corps secs. La puissance sensible étant l’acte d’un organe corporel, il doit y avoir y avoir une faculté pour recevoir les ressemblances des qualités sensibles, et une autre pour les conserver.

Il faut encore remarquer que si l’animal ne se mettait en mouvement que pour des objets agréables ou douloureux pour les sens, il lui suffirait de connaître les qualités que le sens perçoit et qui le délectent ou lui font horreur. Mais l’animal doit rechercher ou éviter certains objets non seulement parce qu’ils conviennent ou non au sens, mais encore parce qu’ils sont ou utiles ou nuisibles. Par exemple, la brebis qui voit le loup arriver, s’enfuit, non parce que sa couleur ou sa forme ne sont pas belles, mais parce qu’il est son ennemi naturel. De même, l’oiseau rassemble de la paille, non pour le plaisir sensible qu’il en éprouve, mais parce qu’elle lui sert à construire son nid. Il faut donc que l’animal perçoive des représentations de ce genre, que le sens externe ne perçoit pas. Il doit y avoir un principe distinct de cette perception. Car la connaissance des qualités sensibles vient d’une modification causée par l’objet sensible, mais non la perception des représentations dont nous parlons.

Ainsi donc, pour percevoir les qualités sensibles il y a le sens propre et le sens commun. On dira plus loin comment ils se distinguent. Pour obtenir ou conserver ces qualités, il y a la " fantaisie " ou imagination, qui sont une même chose. L’imagination est en effet comme un trésor des formes reçues par les sens. Pour percevoir les représentations qui ne sont pas reçues par les sens, il y a l’estimative. Pour les conserver, il y a la mémoire, qui en est comme le trésor. En voici un signe : les animaux commencent à avoir des souvenirs à partir d’une connaissance de ce genre, par exemple que ceci leur est nuisible ou leur convient. La raison de passé, que perçoit la mémoire, doit être comptée parmi ces représentations.

Notez que relativement aux qualités sensibles il n’y a pas de différence entre l’homme et les animaux. Ils sont modifiés de la même manière par les objets sensibles extérieurs. Mais quant à ces représentations spéciales, il y a une différence. Les animaux ne les perçoivent que par un instinct naturel ; l’homme les saisit par une sorte d’inférence. Aussi la faculté, appelée chez les animaux estimative naturelle, est appelée chez l’homme cogitative, ou faculté qui forme des représentations par une sorte d’inférence. On la nomme encore " raison particulière ", et les médecins lui assignent un organe spécial, la partie médiane du cerveau. Elle regroupe en effet des représentations individuelles, comme la raison proprement dite regroupe des représentations universelles.

Pour ce qui est de la mémoire, l’homme possède non seulement comme les animaux le pouvoir de se souvenir immédiatement des faits passés, mais encore celui de les évoquer, par la " réminiscence ", en recherchant d’une manière presque syllogistique à se souvenir de ces faits sous forme de représentations individuelles.

Avicenne distingue une cinquième faculté, intermédiaire entre l’estimative et l’imagination, qui assemble et dissocie les images ; ainsi, avec l’image de l’or et l’image d’une montagne, nous formons une seule image, celle d’une montagne d’or que nous n’avons jamais vue. Cette opération ne se trouve pas chez les animaux, mais seulement chez l’homme, qui peut faire cela avec la seule imagination. C’est d’ailleurs à l’imagination qu’Averroès l’attribue, dans son livre sur le Sens et les Sensibles.

Il n’est donc pas besoin de distinguer plus de quatre facultés internes dans l’âme sensitive : le sens commun et l’imagination, l’estimative et la mémoire.

Solutions :

1. Le sens interne n’est pas appelé " commun " par attribution universelle, comme s’il était un genre, mais comme la racine et le principe communs à tous les sens externes.

2. Le sens propre apprécie son objet sensible, en le discernant des autres qualités qui peuvent tomber sous le même sens, par exemple en discernant le blanc du noir ou du vert. Mais discerner le blanc du doux, ni la vue ni le goût ne le peuvent ; car pour discerner une chose d’une autre, il faut les connaître toutes les deux. C’est donc au sens commun qu’il appartient de faire un tel discernement ; à lui sont rapportées comme à un terme commun toutes les connaissances des sens propres, et c’est par lui encore que sont perçues les activités des sens, par exemple quand quelqu’un voit qu’il voit. Cela ne peut être le fait du sens propre, qui ne connaît que la qualité sensible par laquelle il est modifié. C’est par cette modification que s’accomplit la vision, et de cette modification en découle une autre dans le sens commun, qui perçoit la vision elle-même.

3. Une puissance peut sortir de l’essence de l’âme par l’intermédiaire d’une autre, on l’a déjà dit ; de la même façon l’âme peut être sujet d’une puissance par l’intermédiaire d’une autre puissance. Sous ce rapport on dit que l’imagination et la mémoire sont des modifications du sens commun, qui est le premier des sens internes.

4. Bien que l’opération intellectuelle ait son origine dans la sensation, l’intelligence connaît, dans la réalité saisie par le sens, bien plus que le sens n’en peut percevoir. Il en va de même dans l’estimative, à un degré inférieur cependant.

5. Si la cogitative et la mémoire ont une telle excellence dans l’homme, ce n’est pas à cause de l’âme sensitive, mais à cause de leur affinité, de leur proximité à la raison universelle, qui exerce sur elles une sorte d’influence. Ce ne sont pas des puissances différentes de celles des animaux ; ce sont les mêmes, mais plus parfaites.

6. Pour S. Augustin, la vision spirituelle est celle qui est causée par les images des corps en leur absence. Elle comprend donc toutes les connaissances internes.

 

 

QUESTION 79 — LES PUISSANCES INTELLECTUELLES

1. L’intelligence est-elle une puissance de l’âme ou son essence ?-2. Si c’est une puissance, est-elle passive ? - 3. Si c’est une puissance passive, faut-il admettre l’existence d’un intellect agent ? - 4. Celui-ci fait-il partie de l’âme ? - 5. N’y a-t-il qu’un seul intellect agent pour tous les hommes ? - 6. La mémoire est-elle dans l’intellect ? - 7. Est-elle une puissance distincte de l’intelligence ? - 8. La raison se distingue-t-elle de l’intelligence ? - 9. La raison supérieure et la raison inférieure sont-elles des puissances différentes ? - 10. L’intelligence est-elle une autre puissance que l’intellect ? - 11. L’intellect spéculatif et l’intellect pratique sont-ils des puissances distinctes ? - 12. La syndérèse est-elle une puissance intellectuelle ? - 13. Même question pour la conscience.

            Article 1 — L’intelligence est-elle une puissance de l’âme ou son essence ?

Objections :

1. L’intelligence semble être une même réalité que l’esprit. Or l’esprit n’est pas une puissance, mais c’est l’essence de l’âme. " L’esprit, dit S. Augustin, n’est pas un relatif, mais désigne l’essence. " L’intelligence est donc l’essence de l’âme.

2. Les différents genres des puissances de l’âme s’unissent non en une puissance unique, mais en une commune essence. Or l’appétit et l’intellect sont des puissances différentes et qui s’unissent dans l’esprit. Car S. Augustin met intelligence et volonté dans l’esprit. Donc l’esprit et l’intelligence sont l’essence même de l’âme, et non des puissances.

3. S. Grégoire, dans une homélie pour le jour de l’Ascension, dit que " l’homme a l’intelligence comme les anges ". Or les anges sont appelés Esprits et Intelligences. L’esprit et l’intelligence de l’homme ne sont donc pas des puissances de l’âme, mais son essence.

4. Une substance est intellectuelle par le fait qu’elle est immatérielle. Or, c’est par son essence que l’âme est immatérielle. Il semble donc qu’elle soit intellectuelle par son essence.

En sens contraire, le Philosophe donne l’intelligence comme une puissance de l’âme.

Réponse :

Il est nécessaire d’affirmer d’après tout ce qui précède, que l’intelligence est une puissance de l’âme et non pas son essence même. Le principe immédiat de l’opération peut être l’essence même de la réalité qui opère, lorsque son opération elle-même est identique à son existence. Il y a en effet même rapport entre une puissance et son opération, considérée comme son acte, qu’entre l’essence et l’existence. Or, en Dieu seul, l’acte de penser est une même chose que l’existence. Donc en Dieu seul l’intelligence est son essence ; dans les autres créatures intellectuelles, l’intelligence n’est qu’une puissance de l’être intelligent.

Solutions :

1. Le terme " sens " signifie tantôt la faculté de sentir, et tantôt l’âme sensitive elle-même. On désigne ainsi l’âme sensitive du nom de sa faculté principale, qui est le sens. De même, l’âme intellectuelle est parfois désignée du nom d’intelligence, l’intelligence étant sa principale puissance. Ainsi dit-on, au traité De l’âme, que l’intelligence est une substance. De semblable façon, S. Augustin dit que l’âme est esprit, ou bien qu’elle est essence.

2. La puissance appétitive et la puissance intellectuelle sont des genres différents de puissances de l’âme, en raison de la différence des objets. Mais l’appétit correspond en partie au sens, et en partie à l’intelligence, selon qu’il opère soit avec un organe corporel, soit sans organe. L’appétit, en effet, suit le mode de connaissance. En conséquence de cela, S. Augustin met la volonté dans l’esprit ; Aristote, dans la raison.

3. Il n’y a chez les anges d’autres facultés que l’intelligence, et la volonté qui l’accompagne. Aussi l’ange est-il appelé Esprit ou Intelligence, parce que toute sa puissance consiste en cela. L’âme humaine possède bien d’autres puissances, sensitive, végétative, et donc le cas n’est pas le même.

4. L’immatérialité de la substance intelligente créée n’est pas elle-même son intellect, mais c’est parce qu’elle est immatérielle qu’elle a un intellect. Il n’est donc pas nécessaire que l’intelligence soit la substance de l’âme, mais seulement qu’elle en soit la faculté et la puissance.

 

            Article 2 — L’intelligence est-elle une puissance passive ?

Objections :

1. Être passif vient de la matière, et être actif, de la forme. Or, la faculté intellectuelle est une conséquence de l’immatérialité de la substance intelligente. Il semble donc que l’intelligence ne soit pas une puissance passive.

2. La faculté intellectuelle est incorruptible, comme on l’a dit. Mais d’après le traité De l’Âme " l’intellect est corruptible, s’il est passif ". La faculté intellectuelle n’est donc pas passive.

3. Selon S. Augustin et selon Aristote, " l’être actif est plus noble que l’être passif ". Or toutes les puissances de l’âme végétative sont actives, et ce sont cependant les plus basses des puissances de l’âme. À plus forte raison les puissances intellectuelles, qui sont les plus hautes, sont-elles toutes actives.

En sens contraire, pour Aristote, comprendre est une certaine manière de pâtir.

Réponse :

Un être peut pâtir de trois manières 1. Au sens strict, quand il perd quelque chose qui lui convient naturellement ou selon sa propre inclination ; par exemple, quand l’eau perd sa froidure par l’effet de la chaleur ; quand l’homme tombe malade ou s’attriste. - 2. En un sens plus large, un être pâtit quand quelque chose lui est ôté, que cela lui convienne ou non ; c’est le cas non seulement de celui qui tombe malade, mais de celui qui revient à la santé ; non seulement de celui qui s’attriste, mais de celui qui se réjouit ; c’est le cas de toute altération ou déplacement. - 3. En un sens absolument général, le seul fait d’être en puissance, et de recevoir l’acte auquel on était en puissance, sans que rien soit ôté. Et de cette façon, on peut dire que tout être qui passe de la puissance à l’acte pâtit, même lorsqu’il acquiert une perfection. Ainsi notre acte de penser est une certaine manière de pâtir.

En voici la raison. L’opération intellectuelle a pour objet l’être universel, nous l’avons dit. On peut donc voir si l’intelligence est en acte ou en puissance, selon son rapport à l’être universel. Il y a une Intelligence qui sous ce rapport est l’acte de tout l’être : c’est l’intelligence de Dieu, qui est l’essence divine, en laquelle tout l’être préexiste originellement et virtuellement, comme dans la cause première. C’est pourquoi l’intelligence divine n’est pas en puissance, mais elle est acte pur. Or aucune intelligence créée ne peut être l’acte de tout l’être, car il faudrait alors qu’elle soit un être infini. En conséquence, toute intelligence créée, par cela même qu’elle existe, n’est pas l’acte de tous les intelligibles, mais est avec eux dans le rapport de la puissance à l’acte.

Or, il y a deux espèces de relation de la puissance à l’acte. Il y a une sorte de puissance qui est toujours parfaitement remplie par son acte, comme nous l’avons dit de la matière des corps célestes. Il y a une autre sorte de puissance qui n’est pas toujours en acte, mais où il y a progrès de la puissance à l’acte : tels les êtres soumis à la génération et à la corruption. - C’est ainsi que l’intelligence angélique est toujours en acte par rapport à ses objets intelligibles, en raison de sa proximité à la première intelligence, qui est acte pur, comme on vient de le dire. Mais l’intelligence humaine, la dernière dans la hiérarchie intellectuelle et la plus éloignée de la perfection de l’intelligence divine, est en puissance par rapport aux intelligibles, et au commencement elle est " comme une tablette de cire où il n’y a rien d’écrit ", selon l’image d’Aristote. Cela paraît clairement dans ce fait que nous ne sommes d’abord qu’en puissance à penser, et qu’ensuite nous sommes en acte. - Il est donc évident que pour nous, penser, c’est pâtir selon la troisième manière. Par conséquent l’intelligence est une puissance passive.

Solutions :

1. Cette objection procède des deux premiers modes de pâtir, qui sont propres à la matière première. Mais le troisième mode se trouve chez tout être en puissance qui passe à l’acte.

2. L’intellect passif, c’est, pour certains, l’affectivité sensible, en laquelle se trouvent les passions de l’âme, et qui dans l’Éthique d’Aristote est appelée " rationnelle par participation ", parce qu’elle obéit à la raison. Pour d’autres, l’intellect passif, c’est la cogitative, ou raison particulière. En l’un et l’autre sens, " passif " est conçu selon les deux premiers modes de pâtir : pour autant qu’un tel intellect est l’acte d’un organe corporel. Quant à l’intellect qui est en puissance à tous les intelligibles, et que pour cette raison Aristote appelle intellect possible, il n’est passif que selon le troisième mode ; car il n’est pas l’acte d’un organe corporel. Et c’est pourquoi il est incorruptible.

3. L’être actif est supérieur à l’être passif, si l’action et la passion se rapportent à la même perfection. Mais ce n’est pas toujours vrai lorsqu’il s’agit de perfections différentes. L’intelligence est une puissance passive par rapport à l’être universel. La puissance végétative est active par rapport à un être particulier : le corps uni à l’âme. Par suite, rien n’empêche qu’un principe passif comme l’intelligence soit supérieur à une puissance active telle que l’âme végétative.

 

            Article 3 — Faut-il admettre l’existence d’un intellect agent ?

Objections :

1. Cela semble inutile, car il y a le même rapport entre l’intelligence et l’intelligible qu’entre le sens et le sensible. Le sens étant en puissance à son objet, on n’admet pas de sens actif, mais seulement un sens passif. Or, notre intelligence est en puissance à l’intelligible. Il ne parait donc pas nécessaire d’admettre un intellect agent, mais seulement un intellect possible.

2. On pourrait dire qu’il y a pour le sens un principe actif, comme la lumière. Cependant la lumière n’est requise dans la vision qu’afin de rendre le milieu transparent en acte ; car c’est la couleur elle-même qui modifie le milieu transparent. Mais dans l’opération intellectuelle, il n’y a pas de milieu qui doive être mis en acte. Il n’est donc pas nécessaire d’admettre un intellect agent.

3. La ressemblance de l’agent est reçue dans le patient selon le mode d’être de ce dernier. Mais l’intellect possible est une faculté immatérielle. Il lui suffit donc de son immatérialité pour qu’il reçoive immatériellement les formes des choses. Or, par là même qu’elle est immatérielle, une forme est intelligible en acte. Il n’est donc nullement nécessaire d’admettre un intellect agent chargé de rendre les espèces intelligibles en acte.

En sens contraire, le Philosophe affirme : " comme en toute nature, il y a dans l’âme un principe par lequel elle peut devenir toutes choses, et un principe par lequel elle peut les faire. " Il faut donc reconnaître l’existence d’un intellect agent.

Réponse :

Selon Platon, un intellect agent n’était nullement nécessaire pour rendre l’objet intelligible en acte ; seulement peut-être pour donner la lumière intellectuelle à celui qui pense comme on le dira plus loin. Platon affirmait en effet que les formes des réalités naturelles subsistent sans matière, et par conséquent qu’elles sont intelligibles en acte, car cela dépend de l’immatérialité. Ces formes, il les appelait " idées ". Et c’est, d’après lui, par une participation à ces idées que d’une part la matière des corps est informée, ce qui donne aux individus d’exister dans leurs genres et espèces ; et de l’autre, nos intelligences, ce qui leur donne de connaître les genres et les espèces des choses.

Mais Aristote n’admettait pas que les formes des réalités physiques puissent subsister sans matière[4422]. Par conséquent, les formes des choses sensibles que nous connaissons ne sont pas actuellement intelligibles. Or rien ne passe de la puissance à l’acte sinon par un être en acte[4423], tel le sens par rapport au sensible[4424]. Il fallait donc supposer dans l’intelligence une faculté qui puisse mettre en acte les objets intelligibles, en abstrayant les idées des conditions de la matière. D’où la nécessité de l’intellect agent.

Solutions :

1. Les objets sensibles sont en acte hors de l’âme ; il n’est donc pas besoin de supposer un sens agent. En somme, toutes les puissances végétatives sont actives ; toutes les puissances sensibles sont passives ; mais dans l’intelligence, il y a un principe actif et un principe passif.

2. Il y a deux opinions sur le rôle de la lumière. Selon les uns, la vue requiert la lumière pour que les couleurs soient visibles en acte. Parallèlement, l’intellect agent est requis dans l’intellection pour accomplir la même fonction que la lumière dans l’acte de voir. Selon d’autres, il faut la lumière non pour rendre visibles les couleurs, mais pour rendre le " milieu " lumineux en acte. C’est l’opinion d’Averroès, dans son commentaire du traité de l’Âme. En ce sens, l’analogie aristotélicienne de l’intellect agent avec la lumière doit se comprendre ainsi : l’un est nécessaire pour l’intellection comme l’autre pour la vision, mais non avec un rôle identique.

3. Étant donné un agent, il est bien vrai que sa ressemblance est reçue sous des modes divers selon les dispositions de chaque sujet. Mais, s’il n’existe pas préalablement, la disposition du sujet récepteur n’a aucun effet. Or l’intelligible en acte n’est pas donné dans la réalité, au moins quand il s’agit de la nature même des réalités sensibles qui ne subsistent pas en dehors de la matière. Aussi ne suffirait-il pas, pour l’acte de penser, de l’immatérialité de l’intellect possible, s’il n’y avait pas d’intellect agent, capable de rendre les objets intelligibles en acte par le moyen de l’abstraction.

 

            Article 4 — L’intellect agent fait-il partie de l’âme ?

Objections :

1. L’intellect agent a un rôle illuminateur. Mais ce rôle appartient à une réalité supérieure à l’âme. Selon S. Jean (1, 9) : " Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant en ce monde. " L’intellect agent n’est donc pas une partie de l’âme.

2. Pour Aristote, on ne peut pas dire que l’intellect agent est tantôt en acte d’intellection et tantôt ne l’est pas. Or cela est vrai de notre âme. L’intellect agent n’en fait donc pas partie.

3. Pour agir, il suffit d’un agent et d’un patient. Si l’intellect possible, principe passif, et l’intellect agent, principe actif, sont l’un et l’autre parties de l’âme, l’homme pourra faire acte d’intelligence quand il voudra, ce qui est évidemment faux. L’intellect agent n’est donc pas une faculté de l’âme.

4. Pour Aristote " l’intellect agent est une substance qui existe en acte ". Or aucun être n’est en acte et en puissance sous le même rapport. Donc, si l’intellect possible, qui est en puissance à tous les intelligibles, est une partie de notre âme, il n’est pas possible que l’intellect agent le soit aussi.

5. Si l’intellect agent fait partie de l’âme, il faut qu’il soit une puissance. Il n’appartient en effet ni à la catégorie " passion " ni à la catégorie " habitus " ; car ni l’un ni l’autre ne peut jouer un rôle actif par rapport aux passivités de l’âme. Au contraire, la passion, c’est l’acte même d’une puissance passive en tant que subie ; l’habitus est ce qui résulte des actes. Or, toute puissance émane de l’essence de l’âme. Ce serait donc aussi le cas pour l’intellect agent. Il ne se trouverait donc pas dans l’âme comme une participation d’une intelligence supérieure à l’homme. Ce qui est inadmissible. L’intellect agent ne fait pas partie de l’âme.

En sens contraire, le Philosophe déclare : " Il est nécessaire qu’il y ait dans l’âme ces différences ", que sont l’intellect possible et l’intellect agent.

Réponse :

L’intellect agent dont parle Aristote est quelque chose de l’âme. Voyons, pour l’établir, comment il est nécessaire d’admettre, au-dessus de l’âme intellectuelle de l’homme, une intelligence supérieure qui lui donne la faculté de penser. Car tout être qui participe à une forme, et qui est mobile et imparfait, présuppose l’existence d’un être qui, lui, soit essentiellement cette forme, et qui soit immobile et parfait. Si l’âme humaine est intellectuelle, c’est parce qu’elle participe à la puissance intellectuelle. On peut en donner ce signe qu’elle n’est pas intellectuelle entièrement, mais seulement selon une partie d’elle-même. De plus, elle ne parvient à atteindre la vérité que par mouvements successifs, en raisonnant. Enfin, elle n’a qu’une intelligence imparfaite ; car elle ne comprend pas tout, et même en ce qu’elle comprend, elle passe de la puissance à l’acte. Il doit donc y avoir une intelligence d’un ordre plus élevé qui aide l’âme humaine à comprendre.

Pour certains philosophes, cette intelligence, distincte de l’âme humaine par sa substance, est l’intellect agent qui, comme en éclairant les images, les rend intelligibles en acte. Mais, à supposer qu’il existe un tel intellect agent séparé, il faut néanmoins dans l’âme une puissance dérivée de cette intelligence supérieure, et par laquelle l’âme fasse passer l’intelligible à l’acte. C’est la même chose dans les êtres de la nature arrivés à leur perfection : en plus des causes universelles, il y a en chacun de ces êtres leurs vertus propres, dérivées de ces causes. Ce n’est pas en effet le soleil seul qui engendre l’homme : il y a dans l’homme une puissance génératrice qui lui est propre ; et de même dans tous les animaux parfaits. Or, il n’y a rien de plus parfait parmi les êtres de la nature que l’âme humaine. Elle doit donc avoir en elle-même une puissance dérivée de l’intelligence supérieure, au moyen de laquelle elle puisse illuminer les images.

Et cela, nous le connaissons expérimentalement quand nous nous percevons dans l’acte d’abstraire les formes universelles à partir des conditions particulières, ce qui est rendre actuels les intelligibles. Or, aucune action ne peut être attribuée à une réalité sans un principe qui soit en elle par essence, nous venons de le dire à propos de l’intellect possible. Il faut donc que le pouvoir qui est principe de l’abstraction soit quelque chose de l’âme humaine. Voilà pourquoi Aristote a comparé l’intellect agent à la lumière qui est une qualité reçue dans l’air. Platon, lui, a comparé au soleil l’intelligence séparée qui laisse une impression en nos âmes, au dire de Thémistius.

Mais l’intelligence séparée, selon l’enseignement de notre foi, est Dieu lui-même, créateur de l’âme, le seul objet de sa béatitude, comme on le dira par la suite. C’est donc par lui que l’âme humaine participe de la lumière intellectuelle, selon le Psaume (4, 7) : " Elle est marquée sur nous, la lumière de ta face, Seigneur. "

Solutions :

1. Cette lumière véritable illumine comme une cause universelle, dont l’âme humaine reçoit une puissance particulière.

2. Ces paroles du Philosophe ne se rapportent pas à l’intellect agent, mais à l’intelligence en acte. Il avait dit auparavant : " La connaissance en acte est identique à la chose connue. " Ou, si on les applique à l’intellect agent, cela veut dire qu’il ne dépend pas de cet intellect que tantôt l’on pense et tantôt l’on ne pense pas : cela dépend de l’intellect possible.

3. Si l’intellect agent était pour l’intellect possible comme un objet qui agit sur une puissance, - par exemple, l’objet visible en acte pour la faculté de voir, - la conséquence serait que nous comprendrions tout immédiatement ; car l’intellect agent est le principe qui rend intelligible. En fait, il n’est pas l’objet de l’intellect possible, mais il lui donne un objet en acte. Cela exige non seulement la présence de l’intellect agent, mais encore celle des images, et un état favorable des puissances sensibles, et encore l’exercice d’une activité intellectuelle ; en effet, au moyen d’une seule idée, on peut former d’autres idées, des propositions avec des termes et des conclusions à l’aide des premiers principes. Toutefois, pour une telle activité, il est indifférent que l’intellect agent soit une partie de l’âme, ou une substance séparée.

4. L’âme intellectuelle est bien une substance immatérielle en acte, mais elle est en puissance aux formes intelligibles des choses. Les images, au contraire, sont bien des représentations actuelles de certaines natures, mais elles ne sont immatérielles qu’en puissance. Aussi rien n’empêche-t-il qu’une même âme, étant immatérielle en acte, possède une faculté qui rende les objets immatériels en acte en les abstrayant des conditions de la matière individuelle, faculté qu’on appelle intellect agent ; et une autre faculté qui reçoive ces mêmes formes intelligibles, et qu’on appelle intellect possible parce qu’il est en puissance sous ce rapport.

5. L’essence de l’âme étant immatérielle et créée par l’Intelligence suprême, rien n’empêche que la faculté qui est une participation de cette intelligence suprême, et qui est le pouvoir d’abstraire de la matière, procède de cette même essence, tout comme les autres puissances.

            Article 5 — N’y a-t-il qu’un seul intellect agent pour tous les hommes ?

Objections :

1. Aucune forme séparée n’est multipliée d’après le nombre des corps. Or, d’après Aristote, " l’intellect est séparé ". Il n’est donc pas multiplié d’après le nombre des corps humains, mais il n’y en a qu’un seul pour tous.

2. L’intellect agent produit l’universel, qui est unité dans le multiple. Mais la cause de l’unité est une, à plus forte raison. Il n’y a donc qu’un intellect agent chez tous.

3. Tous les hommes possèdent les mêmes principes premiers de l’intelligence. Or ils y donnent leur assentiment par l’intellect agent. Ils possèdent donc tous le même intellect agent.

En sens contraire, le Philosophe dit que l’intellect agent est comme la lumière. Or la lumière n’est pas la même dans les divers objets éclairés. Il n’y a donc pas un même intellect agent pour tous les hommes.

Réponse :

La vraie réponse à cette question dépend de ce qui précède. En effet, si l’intellect agent ne faisait pas partie de l’âme, mais était une substance séparée, il n’y en aurait qu’un pour tous les hommes. Et c’est ainsi que les partisans de l’unité le comprennent. Mais si l’intellect agent fait partie de l’âme, comme une de ses facultés, il faut nécessairement admettre autant d’intellects agents que d’âmes, le nombre des âmes étant égal au nombre des hommes, comme on l’a dit précédemment. Car il est impossible qu’une seule et même faculté appartienne à plusieurs substances.

Solutions :

1. Le Philosophe prouve que l’intellect agent est séparé, par le fait que l’intellect possible l’est lui-même ; car, selon sa propre expressions, " l’agent est supérieur au patient ". Or, on dit que l’intellect possible est séparé, parce qu’il n’est l’acte d’aucun organe corporel. C’est dans le même sens qu’on peut le dire de l’intellect agent, et cela ne signifie pas qu’il soit une substance séparée.

2. L’intellect agent cause l’universel en l’abstrayant de la matière. Il n’est pas nécessaire pour cela qu’il soit unique chez tous les êtres intelligents. La seule unité requise doit se trouver dans son rapport aux choses d’où il abstrait l’universel, et relativement auxquelles l’universel est un. Et c’est ce qui convient à l’intellect agent, en tant qu’il est immatériel.

3. Tous les êtres de même espèce ont en commun l’action qui convient à cette espèce, et par conséquent la faculté qui est le principe de cette action, sans qu’elle soit la même numériquement pour tous les individus. Or, connaître les premières notions intellectuelles est une action propre à l’espèce humaine. Tous les hommes doivent donc avoir en commun la faculté qui est le principe de cette action, et c’est l’intellect agent. Mais il n’est pas nécessaire qu’elle soit la même numériquement pour tous. Il faut néanmoins qu’elle dérive en tous d’un même principe. Ainsi, cette possession en commun des premières notions par tous les hommes démontre l’unité de l’intelligence séparée, que Platon compare au soleil, mais non pas l’unité de l’intellect agent, qu’Aristote compare à la lumière.

            Article 6 — La mémoire est-elle dans l’intellect ?

Objections :

1. Il ne paraît pas qu’il y ait une mémoire dans la partie intellectuelle de l’âme. Car, selon S. Augustin, il n’y a dans la partie supérieure de l’âme que " ce qui n’est pas commun aux hommes et aux animaux ". Or la mémoire est commune aux uns et aux autres. S. Augustin écrit au même endroit : " Les bêtes peuvent connaître les choses corporelles au moyen des sens, et les conserver dans leur mémoire. " Cette faculté n’appartient donc pas à la partie intellectuelle de l’âme.

2. La mémoire se rapporte au passé. Mais le passé implique une référence à un temps déterminé. La mémoire connaît donc les choses dans le temps, ce qui est les connaître " ici et maintenant ". Or cela n’appartient pas à l’intelligence, mais au sens. Il n’y a donc pas de mémoire intellectuelle, mais seulement une mémoire sensible.

3. La mémoire conserve les ressemblances de choses auxquelles on ne pense pas en acte. Mais cela ne peut avoir lieu dans l’intelligence, car l’intelligence est mise en acte du fait qu’elle est informée par l’espèce intelligible. Or, dire que l’intelligence est en acte, c’est dire que l’on est en acte de penser. Ainsi l’intelligence pense en acte tout ce dont elle possède une espèce intelligible. Il n’y a donc pas de mémoire intellectuelle.

En sens contraire, selon S. Augustin " la mémoire, l’intelligence et la volonté forment un seul esprit ".

Réponse :

Puisqu’il appartient par essence à la mémoire de conserver les impressions des choses auxquelles on ne pense pas en acte, il faut examiner d’abord si les espèces intelligibles peuvent être conservées sous ce mode dans l’intelligence. Pour Avicenne, c’est impossible. Cela peut arriver, selon lui, dans la partie sensitive de l’âme, où certaines facultés, parce qu’elles sont les actes d’organes corporels, sont capables de conserver des impressions, sans connaissance actuelle. Or, dans l’intelligence, qui n’a pas d’organe corporel, rien n’existe que sous un mode intelligible. Ce dont la similitude se trouve dans l’intelligence doit donc être pensé en acte. En conséquence, d’après Avicenne, aussitôt que l’on cesse de connaître en acte une réalité, l’impression intelligible de cette réalité cesse d’exister dans l’intelligence. Et si l’on veut penser à nouveau la même chose, on doit se tourner vers l’intellect agent (qui pour lui est une substance séparée), afin qu’il émane de cet intellect des formes intelligibles dans l’intellect possible. À force de pratiquer ce mouvement de conversion, l’intellect possible acquerrait, selon lui, une certaine facilité à le faire, et ce serait là l’habitus scientifique. Donc, dans cette théorie, rien n’est conservé dans l’intelligence qui ne soit connu en acte. De cette façon, il est impossible de mettre la mémoire dans l’intelligence.

Mais cette opinion s’oppose nettement aux affirmations d’Aristote. Il dit en effet : " Lorsque l’intellect possible devient ses objets en les connaissant, on dit qu’il est en acte ; c’est ce qui arrive quand il est capable d’opérer par lui-même. Il est encore d’une certaine façon en puissance, mais non pas comme avant d’apprendre ou de découvrir. " Or on dit que l’intellect possible devient un objet, en tant qu’il en reçoit les espèces intelligibles. À cause de cela, il peut donc opérer quand il le veut, mais il n’opère pas toujours ; car même alors il est d’une certaine manière en puissance, sous un autre mode toutefois qu’avant de penser, à savoir le mode selon lequel celui qui a une connaissance habituelle est en puissance à connaître en acte.

La théorie d’Avicenne est également contraire à la raison. Tout ce qui est reçu dans un sujet l’est sous le mode de ce sujet. Or l’intelligence est d’une nature plus stable et permanente que la matière corporelle. Donc, si la matière conserve les formes qu’elle reçoit, non seulement quand elle est mise en acte par elles, mais encore quand cette activité a cessé, l’intelligence recevra sous un mode bien plus stable et invariable les espèces intelligibles, qu’elles soient d’origine sensible ou même qu’elles émanent d’une intelligence d’ordre supérieur. Donc, à ne concevoir la mémoire que comme la faculté de conserver des espèces intelligibles on doit admettre qu’elle existe dans l’intelligence. Mais si l’on entend par mémoire une faculté qui a pour objet le passé comme tel, il n’y aura pas de mémoire intellectuelle, mais seulement une mémoire sensitive, capable de saisir les faits particuliers. Car le passé comme tel, signifiant qu’une chose existe en un temps donné, participe de la nature du particuliers.

Solutions :

1. La mémoire, en tant que conservatrice des espèces intelligibles, n’est pas commune aux hommes et aux bêtes. Les espèces ne sont pas conservées seulement dans l’âme sensitive, mais bien plutôt dans le composé ; car la mémoire est l’acte d’un organe. Mais l’intelligence est par elle-même conservatrice des espèces intelligibles, sans accompagnement d’organe corporel. D’où cette affirmation du Philosophe : " L’âme est le lieu des espèces, non tout entière, mais l’intelligence. "

2. La marque du passé peut être rapportée soit à l’objet connu, soit à l’acte de connaître. Ces deux conditions sont réunies dans l’âme sensitive, qui connaît parce qu’elle est modifiée par un objet sensible présent ; aussi l’animal se souvient-il en même temps, d’avoir senti dans le passé, et d’avoir senti un objet sensible passé. Mais dans l’âme intellectuelle, la marque du passé est accidentelle et ne convient pas directement à l’objet de l’intelligence. Celle-ci comprend l’homme comme tel ; mais à l’homme ainsi conçu, il est accidentel d’être présent, passé ou futur. Toutefois, par rapport à l’acte de connaître, la marque du passé peut se trouver dans l’intelligence comme dans le sens. Car notre acte intellectuel est un acte particulier qui se réalise à tel ou tel moment ; ce qui permet de situer un acte d’intelligence maintenant, hier ou demain. Et cela ne va pas contre la nature de cette faculté ; car cet acte intellectuel, bien que particulier, est néanmoins immatériel, comme on l’a dit plus haut en traitant de l’intellect. Par suite, de même que l’intelligence se connaît elle-même, quoiqu’elle soit une réalité singulière, de même connaît-elle son intellection, qui est un acte singulier, existant dans le passé, le présent ou le futur. - Ainsi peut-on admettre qu’il y a mémoire dans l’intelligence par rapport aux actes passés, en tant qu’elle comprend avoir compris antérieurement, mais non pas en tant qu’elle saisirait le passé avec les caractères de la durée.

3. Parfois, l’espèce intelligible est seulement en puissance dans l’intelligence ; on dit alors que celle-ci est en puissance. Parfois l’espèce s’y trouve parfaitement en acte, et alors l’intelligence comprend en acte. Parfois encore, l’intelligence est dans un état intermédiaire entre la puissance et l’acte ; alors l’intelligence est à l’état d’habitus. Et de cette façon, l’intelligence conserve les espèces intelligibles, même quand elle n’est pas en acte de connaître.

            Article 7 — La mémoire est-elle une puissance distincte de l’intelligence ?

Objections :

1. Il semble que la mémoire intellectuelle est une puissance autre que l’intelligence. Car S. Augustin met dans l’âme : mémoire, intelligence et volonté. Il est clair que la mémoire se distingue de la volonté, et donc aussi de l’intelligence.

2. Les puissances de l’âme sensitive et celles de l’âme intellective se distinguent de la même façon. Or la mémoire sensible est autre chose que le sens. Donc la mémoire intellectuelle est une puissance autre que l’intelligence.

3. Pour S. Augustin, mémoire, intelligence et volonté sont égales entre elles, et procèdent l’une de l’autre. Ce serait impossible si la mémoire était la même puissance que l’intelligence.

En sens contraire, le propre de la mémoire est d’être le trésor des espèces intelligibles, le lieu où elles sont conservées. Or Aristote attribue ce pouvoir à l’intelligence. La mémoire intellectuelle n’est donc pas une autre puissance que l’intelligence.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, les puissances de l’âme se distinguent d’après la diversité des objets, puisque la nature de chaque puissance consiste dans sa relation à son objet. On a dit également que si quelque puissance est ordonnée par nature à un objet considéré sous son aspect général, il n’y aura pas lieu de diversifier la puissance en fonction des différences particulières de cet objet ; ainsi, la puissance de voir qui est ordonnée à son objet considéré sous l’aspect de coloré, n’a pas à se différencier d’après le blanc et le noir. Or l’intelligence regarde son objet sous l’aspect général de l’être, du fait que l’intellect possible est la faculté de devenir toutes choses. C’est pourquoi aucune différence parmi les choses n’entraîne une distinction de puissances dans l’intellect possible.

Toutefois, l’intellect agent et l’intellect possible se distinguent en tant que puissances. Car, par rapport à un même objet, la puissance active qui met l’objet en acte doit être un principe distinct de la puissance passive qui est modifiée par l’objet en acte. De la sorte, la puissance active est avec son objet dans le rapport d’un être en acte à un être en puissance, tandis que la puissance passive est, au contraire, dans le rapport d’un être en puissance à un être en acte.

Il n’y a donc pas d’autres différences à introduire dans l’intelligence que celles de l’intellect possible et de l’intellect agent. La mémoire n’est donc pas une puissance distincte de l’intelligence ; car il appartient à la même faculté de conserver comme de recevoir.

Solutions :

1. Bien qu’on dise au premier livre des Sentences que mémoire, intelligence et volonté soient trois pouvoirs, ce n’est pas là toutefois la pensée de S. Augustin , qui déclare expressément " Si l’on conçoit mémoire, intelligence et volonté comme toujours présentes à l’âme, qu’on y pense actuellement ou non, ces facultés paraissent appartenir toutes à la mémoire. Mais j’appelle intelligence la puissance par laquelle nous connaissons actuellement, et j’appelle volonté, l’amour ou dilection qui réunit ce fils à son père. " Il est donc clair que S. Augustin ne prend pas ces trois termes comme trois puissances : il prend mémoire au sens de conservation habituelle dans l’âme, intelligence au sens d’acte intellectuel, et volonté au sens d’acte de vouloir.

2. Le passé et le présent peuvent être des différences propres qui entretiennent une distinction dans les puissances sensibles, mais non dans les puissances intellectuelles, pour la raison donnée plus haut.

3. L’intelligence procède de la mémoire, comme l’acte procède de l’habitus. Et de cette manière elle lui est égale, mais non comme une puissance à une autre.

 

            Article 8 — La raison se distingue-t-elle de l’intelligence ?

Objections :

1. Cette distinction paraît réelle. Le traité De l’esprit et de l’âme s’exprime ainsi : " Si nous allons des puissances inférieures aux supérieures, d’abord se présente à nous le sens, puis l’imagination, puis la raison, puis l’intelligence. " La raison se distingue donc de l’intelligence comme l’imagination se distingue de la raison.

2. Boèce dit que l’intelligence est avec la raison dans le même rapport que l’éternité avec le temps. Mais il n’appartient pas au même pouvoir d’être à la fois dans l’éternité et dans le temps. La raison n’est donc pas la même puissance que l’intelligence.

3. L’homme possède l’intelligence comme les anges, et le sens comme les animaux. Mais la raison qui est propre à l’homme, et pour laquelle il est appelé animal raisonnable, est une puissance autre que le sens. Donc, pour le même motif, la raison est une puissance autre que l’intelligence qui convient en propre aux anges, et pour laquelle ils sont appelés des êtres intellectuels.

En sens contraire, S. Augustin nous dit : " Le principe par lequel l’homme surpasse les animaux irrationnels c’est la raison, l’esprit, ou l’intelligence, ou comme on voudra l’appeler. " Raison, esprit et intelligence sont donc une seule puissance.

Réponse :

La raison et l’intelligence ne peuvent être dans l’homme des puissances différentes. On le verra clairement si l’on considère l’acte de l’une et de l’autre. Faire acte d’intelligence, c’est simplement saisir la vérité intelligible. Raisonner, c’est aller d’un objet d’intelligence à un autre, en vue de saisir la vérité intelligible. Aussi les anges, qui possèdent parfaitement cette connaissance en vertu de leur nature, n’ont-ils pas besoin d’aller d’un élément intelligible à un autre ; ils saisissent la vérité des choses par une intuition simple, et non d’une manière discursive, selon Denys. Mais les hommes parviennent à connaître la vérité en allant d’un point à un autre ; aussi sont-ils appelés des êtres rationnels. Le raisonnement est donc à l’intuition intellectuelle ce que le mouvement est au repos, ou l’acquisition à la possession : l’un appartient à l’être parfait, l’autre à l’imparfait. Mais du fait que le mouvement procède toujours de l’immobile et se termine au repos, le raisonnement humain procède, par la méthode de recherche ou d’invention, de quelques connaissances intellectuelles simples, les premiers principes ; ensuite, par la voie du jugement, il retourne de nouveau vers ces premiers principes, à la lumière desquels il vérifie les résultats de sa découverte.

Or il est évident que le repos et le mouvement ne sont pas rapportés à des puissances diverses, mais à une puissance unique, même dans les êtres de la nature. Car c’est par la même impulsion de nature qu’un être est mis en mouvement vers un lieu donné et qu’il s’y arrête. Ce sera plus vrai encore des actes de l’intelligence et de la raison. Il est donc évident que chez l’homme elles sont une même puissance.

Solutions :

1. Cette énumération est fondée sur l’ordre des actes, non sur la distinction des puissances. Toutefois, le livre cité n’a pas grande autorité.

2. La solution est claire si l’on se reporte à notre réponse. On compare l’éternité au temps comme l’immobile au mobile. C’est pourquoi Boèce a comparé l’intelligence à l’éternité, la raison au temps.

3. Les autres animaux sont tellement inférieurs à l’homme qu’ils ne peuvent atteindre à la connaissance de la vérité que cherche la raison. L’homme atteint à la vérité intelligible que les anges connaissent, mais imparfaitement. C’est pourquoi le pouvoir de connaître qu’ont les anges n’est pas d’un autre genre que celui de la raison, mais il est à son égard comme le parfait à l’égard de l’imparfait.

            Article 9 — La raison supérieure et la raison inférieure sont-elles des puissances différentes ?

Objections :

1. D’après S. Augustin. l’image de la Trinité se trouve dans la partie supérieure de l’âme, non dans la partie inférieure. Or les parties de l’âme, ce sont ses puissances. Il faut distinguer la raison supérieure et la raison inférieure comme deux puissances.

2. Aucune réalité ne procède d’elle-même. Mais la raison inférieure procède de la raison supérieure, elle est réglée et dirigée par elle. Ce sont donc deux puissances différentes.

3. Pour Aristote, la science par laquelle l’âme connaît les vérités nécessaires est un autre principe, une autre partie de l’âme, que l’opinion ou cette sorte de raisonnement par quoi elle connaît les vérités contingentes. Ce qu’il prouve ainsi : " Lorsque des choses sont de genre différent, c’est une partie de l’âme de genre différent qui leur est ordonnée. " Mais contingent et nécessaire sont de genre différent, comme corruptible et incorruptible. Or, étant donné l’identité du nécessaire et de l’éternel, du temporel et du contingent, il parait bien qu’il y a identité entre le " pouvoir de science " d’Aristote et la partie supérieure de la raison, qui d’après S. Augustin vise " à considérer et consulter l’éternel ", et de même entre le pouvoir " d’opinion " et " de raisonnement " et la raison inférieure, qui, toujours d’après S. Augustin est ordonnée à l’organisation des choses temporelles. Ces deux raisons sont donc des puissances distinctes.

4. S. Jean Damascène dit que " l’opinion est formée par l’imagination. Ensuite l’esprit, jugeant si l’opinion est vraie ou fausse, discerne la vérité ; c’est pourquoi mens (esprit) vient de metiendo (mesurant). L’intelligence a donc rapport aux choses dont il y a jugement et détermination vraies. " Ainsi donc, le pouvoir d’opinion, qui est la raison inférieure, est distinct de l’esprit et de l’intelligence, par quoi nous pouvons désigner la raison supérieure.

En sens contraire, selon S. Augustin, raison supérieure et raison inférieure ne se distinguent que par leurs fonctions. Elles ne sont donc pas deux puissances.

Réponse :

Raison supérieure et raison inférieure, au sens où S. Augustin les prend, ne peuvent en aucune façon être deux puissances de l’âme. Il définit la première : celle qui est ordonnée à considérer et à consulter les vérités éternelles. " Considérer " en tant qu’on les contemple en elles-mêmes ; " consulter ", en tant qu’on y prend des règles pour l’action. La raison inférieure est définie : celle qui s’occupe des choses temporelles. Or, le rapport du temporel à l’éternel, du point de vue de notre connaissance, c’est que l’un est le moyen de connaître l’autre. Dans l’ordre d’invention, nous parvenons par les choses temporelles à la connaissance des éternelles. Comme dit

S. Paul (Rm 1, 20) : " Les perfections invisibles de Dieu sont rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres. " Mais dans l’ordre du jugement, nous jugeons des choses temporelles d’après les vérités éternelles déjà connues, et nous les ordonnons d’après elles.

Or, il peut arriver qu’un moyen employé, et le terme auquel on arrive par ce moyen, appartiennent à des habitus spirituels différents ; ainsi les premiers principes indémontrables appartiennent à l’habitus d’intelligence, et les conclusions déduites de ces principes, à l’habitus de science. C’est pourquoi, à partir des principes de la géométrie, on peut former des conclusions pour une autre science, comme la perspective. Mais le moyen et le terme relèvent de la même puissance, qui est la raison. En effet, l’acte de la raison est comme un mouvement qui passe de l’un à l’autre ; or, c’est le même mobile qui, franchissant l’espace intermédiaire, parvient au terme.

Par conséquent, raison supérieure et raison inférieure ne sont qu’une seule et même puissance. Mais, d’après S. Augustin, elles se distinguent par leurs fonctions et par divers habitus. Car on attribue la sagesse à la raison supérieure, et la science à la raison inférieure.

Solutions :

1. On peut parler de partie selon n’importe quel principe de partition. Mais en tant que la raison se divise d’après des fonctions diverses, on peut dire que raison supérieure et raison inférieure sont des divisions de l’âme ; mais non pas en tant qu’elles seraient des puissances diverses.

2. On dit que la raison inférieure procède de la raison supérieure ou est réglée par elle, parce que les principes dont se sert l’inférieure sont déduits des principes de la supérieure, et sont dirigés par eux.

3. La " science " dont parle le Philosophe, n’est pas identique à la raison supérieure. Car on découvre des vérités nécessaires même dans les choses temporelles, objet de la physique et des mathématiques. L’opinion, le raisonnement non scientifique, a moins d’extension que la raison inférieure. Car il n’a rapport qu’aux choses contingentes. - Cependant on ne peut pas dire de façon absolue qu’il y ait une puissance par laquelle l’intellect connaît les choses nécessaires, et une autre puissance par laquelle il connaît les choses contingentes ; car il les connaît sous la même raison objective, c’est-à-dire sous la raison d’être et de vrai. En conséquence, il connaît parfaitement les êtres nécessaires, qui sont parfaits sous le rapport de la vérité ; il atteint leur essence, et, par elle, démontre leurs propriétés essentielles. Quant aux être contingents, il les connaît imparfaitement, parce qu’ils sont imparfaits sous le rapport de l’être et de la vérité. Le parfait et l’imparfait en acte ne peuvent causer une diversité de puissances, mais ils causent des actes divers par leurs modes, et donc divers principes d’action et divers habitus. Si le Philosophe a distingué deux parties dans l’âme, le " pouvoir de science " et le " pouvoir d’opinion ", ce n’est pas qu’ils forment deux puissances, mais parce qu’ils se distinguent par une aptitude spéciale à acquérir des habitus divers, ce qu’Aristote cherche justement à établir en cet endroit. Bien que contingent et nécessaire diffèrent par le genre, ils se confondent cependant sous l’aspect universel d’être, qui est l’objet de l’intelligence, et auquel ils se réfèrent respectivement comme le parfait et l’imparfait.

4. Cette distinction du Damascène s’applique à la diversité des actes, et non à celle des puissances. L’opinion est un acte de l’intelligence qui se porte vers l’un des termes d’une opposition contradictoire, avec la crainte que l’autre ne soit vrai. juger, ou mesurer (mensurare) est un acte de l’intelligence appliquant des principes certains à l’examen de propositions données. D’où le nom de mens. Comprendre enfin, c’est adhérer à ce qui a été jugé en l’approuvant.

            Article 10 — L’intelligence est-elle une autre puissance que l’intellect ?

Objections :

1. Il semble bien, car le traité De l’Esprit et De l’âme dit : " Si nous allons des puissances inférieures aux supérieures, d’abord se présente à nous le sens, puis l’imagination, puis la raison, ensuite l’intellect, et ensuite l’intelligence. " Imagination et sens sont des puissances différentes donc intellect et intelligence le sont également.

2. Boèce dit que " le sens, l’imagination, la raison, l’intelligence considèrent l’homme chacun d’une manière différente ". Or l’intellect est la même puissance que la raison. L’intelligence est donc une autre puissance que l’intellect, de même que la raison est distincte de l’imagination et du sens.

3. " Les actes sont antérieurs aux puissances. " Or l’intelligence est un acte distinct des autres actes attribués à l’intellect. S. Jean Damascène dit en effet : " Le premier mouvement de connaissance est l’intelligence ; l’intelligence qui s’applique à quelque objet est l’intention ; celle qui est permanente et qui assimile l’âme à l’objet connu, c’est la réflexion ; la réflexion qui s’attarde sur un même sujet, qui s’examine et se juge elle-même, c’est la phronèsis ou la sagesse ; la phronèsis développée forme la pensée, c’est-à-dire la parole intérieure ordonnée, d’où provient la parole exprimée par la langue. " En conséquence, il semble que l’intelligence soit une puissance spéciale.

En sens contraire, selon Aristote " l’intelligence a pour objet les indivisibles, en lesquels, il ne peut y avoir de faux ". Mais une telle manière de connaître appartient à l’intellect. Donc l’intelligence n’est pas une autre puissance que lui.

Réponse :

Le nom d’intelligence signifie proprement l’acte même de l’intellect, qui est de penser.

Toutefois, dans certains ouvrages traduits de l’arabe, les substances séparées que nous appelons anges, sont nommées Intelligences, peut-être parce que ces substances ont une activité intellectuelle constante. Mais dans les ouvrages traduits du grec, on les appelle Intellects ou Esprits. Et donc l’intelligence ne se distingue pas de l’intellect comme une puissance d’une autre puissance, mais comme l’acte se distingue de la puissance. Une division semblable a été donnée aussi par les philosophes. Parfois, en effet, ils admettent quatre intellects : agent, possible, à l’état d’habitus, intellect réalisé en acte. Parmi ces quatre, l’intellect agent et l’intellect possible sont des puissances distinctes. Ainsi distingue-t-on en toute réalité puissance active et puissance passive. Si l’on considère les trois dernières dénominations, elles s’opposent entre elles d’après l’état de l’intellect possible : il est parfois seulement en puissance, et on le nomme possible ; il est parfois en acte premier, l’acte de savoir, et alors on le nomme intellect à l’état d’habitus ; parfois enfin, il est en acte second, ce qui est penser, et alors on le nomme intellect réalisé.

Solutions :

1. Au cas où l’on admettrait l’autorité de ce livre on peut dire que l’intelligence désigne ici l’acte de l’intellect. Ainsi peut-on la distinguer de l’intellect, comme l’acte de la puissance.

2. Boèce prend intelligence au sens d’acte intellectuel qui dépasse la raison. C’est pourquoi il ajoute : " La raison n’appartient qu’au genre humain, comme l’intelligence n’appartient qu’à Dieu. " Car c’est le propre de Dieu de tout connaître, sans aucune espèce de recherche.

3. Tous ces actes que le Damascène énumère procèdent d’une seule puissance, la puissance intellectuelle. Elle saisit d’abord quelque chose par une intuition simple, et cet acte se nomme intelligence. Puis elle ordonne ce qu’elle a saisi à quelque autre connaissance ou opération, et c’est l’intention. Quand elle persiste à chercher dans ce même sens, c’est la réflexion. Quand elle examine ce qu’elle a élaboré en fonction de principes certains, cela s’appelle savoir : c’est la phronèsis, ou sagesse, car " il appartient à la sagesse de juger ", dit Aristote. Quand elle tient quelque chose pour certain, parce qu’il a été examiné, elle pense à la manière de le communiquer aux autres : et c’est la mise en ordre de la parole intérieure, d’où procède le langage. - Et en effet toute différence dans les actes n’entraîne pas une distinction des puissances, mais celle-là seulement qui ne peut être ramenée au même principe, comme on l’a dit plus haut.

            Article 11 — L’intellect spéculatif et l’intellect pratique sont-ils des puissances différentes ?

Objections :

1. La faculté de connaître et celle de mouvoir appartiennent à des genres différents. Or l’intellect spéculatif ne fait que connaître, et l’intellect pratique met en mouvement. Ce sont donc deux puissances différentes.

2. Une diversité d’objets entraîne une diversité de puissances. Or l’objet de l’intellect spéculatif est le vrai ; celui de l’intellect pratique, le bien. Mais le vrai et le bien sont des notions différentes, on l’a dit plus haut. Donc l’intellect spéculatif et l’intellect pratique sont des puissances différentes.

3. Dans la partie intellectuelle de l’âme, l’intellect pratique a le même rapport avec l’intellect spéculatif, que l’estimative avec l’imagination dans la partie sensible. Mais ces deux dernières se distinguent comme puissances. Et donc aussi les deux intellects.

En sens contraire, d’après le traité De l’âme, l’intellect spéculatif devient pratique par extension. Or une puissance ne se transforme pas en une autre puissance. Intellect spéculatif et intellect pratique ne sont donc pas des puissances différentes.

Réponse :

Voilà ce qu’il faut dire, et pour la raison suivante. Un élément accidentel dans l’objet qui spécifie une puissance ne la diversifie pas, nous l’avons déjà dit. Il est accidentel à l’objet coloré qu’il soit un homme, qu’il soit grand ou petit ; aussi tout cela est-il saisi par la même puissance de voir. Or, il est accidentel à un objet saisi par l’intelligence qu’il soit ordonné à l’action ou non. Et c’est en cela que diffèrent intellect spéculatif et intellect pratique. L’intellect spéculatif est celui qui, lorsqu’il appréhende quelque chose, ne l’ordonne pas à l’action, mais seulement à la contemplation de la vérité. Au contraire, l’intellect pratique ordonne à l’action ce qu’il appréhende. C’est pourquoi le Philosophe dit que " l’intellect spéculatif diffère du pratique par sa fin ". Aussi l’un et l’autre sont-ils dénommés d’après leur fin : l’un spéculatif, et l’autre pratique, c’est-à-dire opératif .

Solutions :

1. L’intellect pratique est une faculté de mouvement, non en tant qu’il exécute le mouvement, mais en tant qu’il le dirige. Et cela lui appartient en raison de sa façon de connaître.

2. Le vrai et le bien s’impliquent mutuellement. Car le vrai est un bien, sans quoi il ne serait pas désirable ; et le bien est un vrai, autrement il ne serait pas intelligible. Donc, de même que l’objet de l’appétit peut être du vrai en tant qu’il a raison de bien, par exemple lorsque l’on désire connaître la vérité ; de même, l’objet de l’intellect pratique est un bien qui a raison de vrai et, comme tel, peut être ordonné à l’action. En effet l’intellect pratique connaît la vérité, comme l’intellect spéculatif, mais cette vérité connue, il l’ordonne à l’action.

3. Il y a beaucoup de différences d’objet qui peuvent entraîner une distinction dans les puissances sensibles, mais qui n’ont pas le même effet dans les puissances intellectuelles, comme on l’a dit précédemment.

            Article 12 — La syndérèse est-elle une puissance intellectuelle ?

Objections :

1. Elle paraît être une puissance spéciale distincte des autres. En effet, les réalités qui peuvent être comprises sous une même division semblent appartenir au même genre. Or S. Jérôme oppose la syndérèse à l’irascible, au concupiscible, au rationnel, qui sont des puissances. La syndérèse en est donc une également.

2. Les opposés sont du même genre. Or syndérèse et sensibilité semblent s’opposer ; car la syndérèse incline toujours au bien, et la sensibilité toujours au mal. C’est pourquoi celle-ci est symbolisée par le serpent, comme le montre S. Augustin. Il semble donc que la syndérèse soit une puissance, comme la sensibilité.

3. S. Augustin dit que notre pouvoir naturel de juger a " des règles et des germes de vertus, qui sont certaines et immuables ". C’est ce que nous appelons syndérèse. Puisque les règles immuables de notre jugement appartiennent à la partie supérieure de la raison, la syndérèse paraît être identique à la raison. C’est donc une puissance.

En sens contraire, " les puissances rationnelles sont capables des contraires ", d’après Aristote. Ce n’est pas le cas de la syndérèse, qui incline au bien seulement. La syndérèse n’est donc pas une puissance. En effet si elle était une puissance, elle devrait être rationnelle, car on ne la trouve pas chez les animaux.

Réponse :

La syndérèse n’est pas une puissance, mais un habitus. Pourtant, certains l’ont considérée comme une puissance supérieure à la raison, et d’autres ont dit que c’était la raison, non comme raison mais comme nature. Pour comprendre qu’elle est un habitus, il faut remarquer, comme on l’a dit plus haut, que le raisonnement humain, étant une sorte de mouvement, procède de la simple appréhension de quelques termes, à savoir de termes naturellement connus sans recherche rationnelle, comme d’un principe immobile ; et qu’il s’achève également dans un acte simple de l’intellect, lorsque nous jugeons, à l’aide de principes naturellement connus, les conclusions trouvées en raisonnant. Mais nous le savons, de même que la raison spéculative travaille sur des connaissances théoriques, ainsi la raison pratique s’attache-t-elle aux vérités qui ont rapport à l’action. De même donc que nous avons naturellement en nous des principes pour l’ordre spéculatif, il en faut aussi pour l’ordre de l’action.

Or, les premiers principes spéculatifs qui sont naturellement en nous n’appartiennent pas à une puissance spéciale, mais à un habitus spécial qui est appelé " l’intelligence des principes ". De même, les principes pratiques que nous possédons par nature ne relèvent pas d’une puissance spéciale, mais d’un habitus naturel distinct, que nous nommons syndérèse. C’est pourquoi l’on dit que la syndérèse incite au bien, et proteste contre le mal, lorsque nous nous mettons, à l’aide des premiers principes pratiques, à la recherche de ce qu’il faut faire, et que nous jugeons ce que nous avons trouvé. Il est donc clair que la syndérèse n’est pas une puissance, mais un habitus naturel.

Solutions :

1. Cette division de S. Jérôme se rapporte à la distinction des actes, et non à celle des puissances. Or, des actes divers peuvent appartenir à une même puissance.

2. De même l’opposition de la sensibilité et de la syndérèse se rapporte à l’opposition des actes, et non à celle des espèces différentes d’un même genre.

3. Ces raisons immuables sont les premiers principes pratiques, au sujet desquels il n’y a jamais d’erreur. On les attribue à la raison comme puissance, et à la syndérèse comme habitus. En conséquence, nous jugeons naturellement par l’une et par l’autre, c’est-à-dire par la raison et par la syndérèse.

            Article 13 — La conscience est-elle une puissance ?

Objections :

1. Pour Origène, la conscience est " l’esprit correcteur, le pédagogue qui accompagne l’âme pour l’éloigner du mal et l’attacher au bien ". Mais l’esprit désigne dans l’âme une certaine puissance : soit l’âme intelligente elle-même, selon la parole de S. Paul (Ep 4, 23) : " Renouvelez l’esprit de votre âme. " Soit l’imagination : c’est ainsi que chez S. Augustin, la vision imaginative est appelée spirituelle. La conscience est donc une puissance.

2. Il n’y a qu’une puissance de l’âme qui puisse être sujet du péché. Or la conscience est le sujet du péché. S. Paul dit de certains (Ti 1, 15) : " Leur esprit même et leur conscience sont souillés. " Il semble donc que la conscience soit une puissance.

3. La conscience ne peut être qu’un acte, un habitus, ou une puissance. Or elle n’est pas un acte : autrement, elle ne serait pas permanente dans l’homme. Elle n’est pas non plus un habitus : sans quoi elle ne serait pas quelque chose de simple, mais de multiple, car nous nous dirigeons dans l’action au moyen de nombreux habitus de connaissance. La conscience est donc une puissance.

En sens contraire, la conscience peut être mise de côté, mais non pas une puissance de l’âme. La conscience n’est donc pas une puissance.

Réponse :

À proprement parler, la conscience n’est pas une puissance, mais un acte. C’est évident d’après le nom même, et d’après les opérations qu’on lui attribue dans le langage usuel. D’après le nom d’abord, conscience marque le rapport d’une science avec quelque chose. En effet conscientia signifie cum alio scientia (connaissance avec autre chose). Or l’application d’une connaissance à quelque autre chose se réalise au moyen d’un acte. Donc, d’après l’étymologie même, il est évident que la conscience est un acte.

La même conclusion s’impose si l’on se réfère aux opérations attribuées à la conscience. On dit que la conscience atteste, oblige, incite, et encore accuse, donne du remords ou qu’elle reproche. Or tout cela procède de l’application d’une certaine science ou connaissance qui est en nous, à ce que nous faisons. Ce qui se réalise de trois manières. - 1. Lorsque nous reconnaissons que nous avons accompli ou non telle action. Comme dit l’Ecclésiaste (7, 22 Vg) : "Ta conscience sait que tu as souvent maudit les autres. " Et dans ce sens on dit que la conscience atteste. - 2. Cette application se fait encore, quand, par notre conscience, nous jugeons qu’il faut accomplir ou ne pas accomplir une action. On dit alors que la conscience incite ou oblige. - 3. Lorsque nous jugeons par la conscience que ce qui a été fait, a été bien fait, ou non. Et alors on dit que la conscience excuse, accuse ou reproche. Il est clair que tout cela découle de l’application actuelle de notre connaissance à notre action. Aussi, à proprement parler, la conscience désigne-t-elle un acte.

Mais du fait que l’habitus est le principe de l’acte, on attribue parfois le nom de conscience au premier habitus naturel, c’est-à-dire à la syndérèse. Ainsi fait S. Jérôme. S. Basile l’appelle " pouvoir naturel de juger ". S. Jean Damascène dit que c’est " la loi de notre intelligence ". On a coutume en effet de nommer la cause et l’effet l’un par l’autre.

Solutions :

1. La conscience est appelée esprit, lorsqu’on emploie esprit dans le sens d’âme intelligente (mens). La conscience est en effet une sorte de décret de celle-ci.

2. On dit que la souillure est dans la conscience, non pas comme dans son sujet, mais comme le connu est dans la connaissance ; c’est-à-dire lorsque l’on sait qu’on est souillé.

3. Si l’acte ne demeure pas toujours dans sa réalité propre, cependant il est toujours dans sa cause : la puissance ou l’habitus. Or, même quand il y a plusieurs habitus à perfectionner la conscience, ils reçoivent leur valeur d’une seule cause, qui est l’habitus des premiers principes, ou syndérèse. De là vient que, spécialement, cet habitus est parfois nommé conscience, comme on vient de le dire.

Il faut maintenant étudier les puissances appétitives 1. Quatre questions sur ce sujet : 1. L’appétit en général (Q. 80). - 2. La sensibilité (Q. 81). - 3. La volonté (Q. 82). - 4. Le libre arbitre (Q. 83).

 

 

QUESTION 80 — LES PUISSANCES APPÉTITIVES EN GÉNÉRAL

1. Doit-on faire de l’appétit une puissance spéciale ? - 2. L’appétit doit-il être divisé en sensible et intellectuel, comme en autant de puissances distinctes ?

            Article 1 — L’appétit est-il une puissance spéciale ?

Objections :

1. Il n’y a pas lieu d’assigner une puissance spéciale pour ce qui est commun aux êtres animés et inanimés. Mais l’appétence est commune aux uns et aux autres. Car le bien est " ce que toutes choses désirent ". L’appétit n’est donc pas une puissance spéciale.

2. Les puissances se distinguent d’après les objets. Or, c’est la même réalité que nous connaissons et que nous désirons. Il ne doit donc pas y avoir de faculté appétitive distincte de la faculté de connaître.

3. Ce qui est commun ne se distingue pas par opposition à ce qui est propre. Or, toute puissance de l’âme aspire à un bien particulier désirable, à savoir l’objet qui lui convient. Donc, par rapport à cet objet qu’est le désirable en général, il ne faut pas distinguer de puissance spéciale, qui serait la puissance appétitive.

En sens contraire, le Philosophe distingue la puissance appétitive des autres puissances. De même, S. Jean Damascène l’oppose aux facultés de connaissance.

Réponse :

Il est nécessaire d’admettre dans l’âme une puissance appétitive. Pour l’établir, nous devons considérer que toute forme est suivie d’une inclination. Par exemple, le feu en vertu de sa forme tend à monter et à engendrer un effet semblable à lui. Or, chez les êtres connaissants, la forme est d’une perfection plus grande que chez les non-connaissants. La forme d’un non-connaissant le détermine à un seul être qui lui est propre et qui est son être naturel. De cette forme naturelle découle par nature une inclination qu’on nomme appétit naturel. Chez les êtres connaissants, chacun est déterminé dans son être propre par sa forme naturelle, mais cela n’empêche pas qu’il reçoive les espèces des autres réalités ; ainsi le sens, les espèces de tous les sensibles, et l’intelligence, celles de tous les intelligibles. Si bien que l’âme humaine devient en quelque façon toutes choses, par le sens et par l’intelligence ; en cela les êtres connaissants ressemblent, pour ainsi dire, à Dieu, " en qui toute réalité préexiste ", selon Denys.

De même donc que les formes des êtres connaissants ont une perfection supérieure à celle des simples formes naturelles, ainsi faut-il que leur inclination soit supérieure à l’inclination appelée appétit naturel. Et cette inclination supérieure appartient à la faculté appétitive de l’âme : par elle l’animal peut tendre vers ce qu’il connaît, et non pas seulement vers les fins auxquelles l’incline sa forme naturelle. Il est donc nécessaire d’admettre dans l’âme une faculté appétitive.

Solutions :

1. On trouve chez les êtres doués de connaissance une appétence supérieure à celle qui est commune à tous les êtres. Et c’est pourquoi il faut qu’il y ait pour cela dans l’âme une puissance déterminée.

2. Ce qui est connu est une même réalité que ce qui est désiré, mais sous une autre formalité : il est connu comme être sensible ou intelligible, il est désiré comme bon ou convenable. Pour admettre des puissances diverses, il faut une diversité d’objets formels, non d’objets matériels.

3. Toute puissance de l’âme est une forme, une nature. Elle a son inclination naturelle dans un sens donné. Aussi chacune des puissances désire-t-elle l’objet qui lui convient par un appétit naturel. Mais au-dessus de cela, il y a l’appétit de l’animal, consécutif à la connaissance : il est le principe du mouvement affectif qui se porte sur un objet non parce que convenant à telle puissance particulière, comme la vision convient à la vue et l’audition à l’ouïe, mais parce que convenant absolument à l’animal.

            Article 2 — L’appétit sensible et l’appétit intellectuel sont-ils des puissances différentes ?

Objections :

1. Les puissances ne se distinguent pas par des différences accidentelles, comme on l’a dit précédemment e. Or il est accidentel à l’objet désiré qu’il soit connu par le sens ou par l’intelligence. Donc les appétits sensible et intellectuel ne sont pas des puissances différentes.

2. La connaissance intellectuelle a pour objet l’universel, et c’est ce qui la distingue de la connaissance sensible, qui a pour objet le singulier. Or une telle distinction ne peut se rencontrer dans l’appétit ; en effet, celui-ci étant un mouvement qui part de l’âme vers les choses, lesquelles sont singulières, il semble que tout appétit ait le singulier pour objet. Il n’y a donc pas à distinguer l’appétit intellectuel de l’appétit sensible.

3. De même que l’appétit est subordonné à la connaissance, en tant que faculté inférieure, de même la faculté motrice. Or il n’y a pas dans l’âme de faculté motrice relative à l’intelligence autre que celle consécutive à la connaissance sensible, et commune à tous les animaux. Donc, pour le même motif, il n’y a pas d’autre puissance appétitive.

En sens contraire, le Philosophe distingue deux espèces d’appétit, et dit que le plus élevé met en mouvement l’inférieur.

Réponse :

Il faut absolument admettre que l’appétit intellectuel est une puissance distincte de l’appétit sensible. La puissance appétitive est une puissance passive, dont la nature est d’être mise en mouvement par l’objet connu. Par suite, d’après Aristote, l’objet désirable étant connu est principe du mouvement sans le recevoir, tandis que l’appétit l’ayant reçu le donne. Les êtres passifs et mobiles se distinguent d’après la diversité des principes actifs et moteurs ; car il faut une proportion entre le moteur et le mobile, entre l’être actif et l’être passif, et la puissance passive elle-même tient sa propre nature de son rapport au principe actif. Donc, puisque l’objet connu par l’intelligence est d’un autre genre que l’objet connu par le sens, il s’ensuit que l’appétit intellectuel est une puissance distincte de l’appétit sensible.

Solutions :

1. Il n’est pas accidentel à l’objet désirable d’être connu par le sens ou par l’intelligence : cela lui convient essentiellement ; car l’objet désirable meut l’appétit en tant qu’il est connu. Par suite, les différences dans l’objet connu causent de soi les différences d’objet désirable. En conséquence, les puissances appétitives se distinguent entre elles d’après les différences de ce qui est connu, comme d’après leurs objets propres.

2. Bien que l’appétitivité intellectuelle se porte vers des réalités qui, hors de l’âme, sont singulières, elle s’y porte cependant sous un certain aspect universel ; par exemple elle désire une chose parce que cette chose est bonne. Aristote dit à ce sujet qu’on peut avoir de la haine pour un objet universel : ainsi " nous avons en haine toute l’espèce des voleurs ". Nous pouvons également désirer par l’appétit rationnel les biens immatériels que le sens ne perçoit pas, comme la science, la vertu, etc.

3. Il est dit dans le traité De l’âme qu’une opinion universelle ne peut mouvoir sans l’intermédiaire d’une opinion particulière. De même, l’appétit supérieur met en mouvement par l’intermédiaire de l’inférieur. Et c’est pourquoi il n’y a pas de facultés motrices distinctes pour l’intelligence et pour le sens.

 

 

QUESTION 81 — LA SENSIBILITÉ

1. La sensibilité est-elle uniquement de l’ordre appétitif ? - 2. Se divise-t-elle en puissances distinctes, l’irascible et le concupiscible ? - 3. Ces deux puissances obéissent-elles à la raison ?

            Article 1 — La sensibilité est-elle uniquement de l’ordre appétitif ?

Objections :

1. La sensibilité semble appartenir non seulement à l’appétit, mais encore à la connaissance. S. Augustin nous dit en effet que " le mouvement sensible de l’âme qui se porte vers les sens corporels est commun aux hommes et aux bêtes ". Mais les sens sont des facultés connaissantes. La sensibilité est donc une faculté de connaissance.

2. Les réalités comprises dans une seule et même division appartiennent au même genre. Or S. Augustin oppose la sensibilité à la raison supérieure et à la raison inférieure, qui sont de l’ordre de la connaissance. La sensibilité fait donc partie de celle-ci.

3. La sensibilité joue le rôle du serpent dans la tentation du premier homme. Or, le serpent a révélé et proposé le péché, ce qui procède du pouvoir de connaître. Donc la sensibilité s’y rattache.

En sens contraire, la sensibilité se définit comme " l’appétit des choses concernant le corps ".

Réponse :

Le terme de " sensibilité " parait venir de ce mouvement sensible dont parle S. Augustin, de la même façon que le nom d’une puissance se prend de l’acte, par exemple la vue, de l’acte de voir. Le mouvement sensible est un appétit consécutif à une connaissance sensible.

En effet, bien que l’on qualifie de mouvement l’acte de la faculté cognitive, ce nom lui convient moins proprement qu’à l’acte de l’appétit. Car l’opération de la faculté cognitive s’accomplit en ce que les choses connues existent dans l’être connaissant, tandis que l’opération de la faculté appétitive s’accomplit en ce que l’être qui désire se porte vers la chose désirable. Et c’est pourquoi on assimile au repos l’opération de la faculté connaissante, tandis qu’on assimile davantage au mouvement l’opération de la faculté appétitive. Aussi le mouvement sensible est-il l’acte de la faculté appétitive, qui s’appelle donc sensibilité.

Solutions :

1. Lorsque S. Augustin dit que le mouvement sensible de l’âme se porte vers les sens corporels, cela ne signifie pas que les sens appartiennent à la sensibilité, mais bien plutôt que le mouvement de sensibilité est une sorte d’inclination vers le sensible, c’est-à-dire : lorsque nous désirons les objets que les sens nous font connaître. Et de cette manière les sens appartiennent à la sensibilité en ce qu’ils la précèdent.

2. La sensibilité se contre-distingue de la raison supérieure et de la raison inférieure, en tant qu’elles se ressemblent par l’acte de mouvoir : en effet le pouvoir de connaître auquel se rapporte la raison et la faculté appétitive qu’est la sensibilité, ont ceci de commun d’être l’une et l’autre le principe de l’action.

3. Le serpent a non seulement révélé et proposé le péché, mais encore il a incliné à le commettre. C’est pour cette raison qu’il représente la sensibilité.

            Article 2 — L’appétit sensible se divise-t-il en puissances distinctes, l’irascible et le concupiscible ?

Objections :

1. " C’est une même faculté de l’âme qui a pour objet les contraires, ainsi la vue a pour objet le blanc et le noire. " Or ce qui convient et ce qui nuit sont des contraires. Du fait que le concupiscible a pour objet ce qui convient, et l’irascible, ce qui nuit, ils ne forment qu’une même puissance.

2. L’appétit sensible n’a pas d’autre objet que ce qui convient dans l’ordre de la sensation. Or, c’est là l’objet du concupiscible. Donc aucun appétit sensible n’est différent du concupiscible.

3. La haine est dans la puissance irascible. En effet, d’après S. Jérôme : " L’irascible doit nous procurer la haine du vice. " Or la haine, étant le contraire de l’amour, se trouve dans la puissance concupiscible. Les deux puissances ne forment donc qu’une faculté.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse et S. Jean Damascène distinguent ces deux puissances comme des parties de l’appétit sensible.

Réponse :

L’appétit sensible est un pouvoir qu’on appelle génériquement sensibilité, mais il se divise en deux facultés qui sont ses espèces : l’irascible et le concupiscible. Pour en être persuadé, il faut considérer ceci : les êtres corruptibles de la nature doivent avoir non seulement une inclination à suivre ce qui leur convient et à fuir ce qui leur est nuisible, mais encore une inclination à résister aux causes de corruption et aux agents contraires qui empêchent d’acquérir ce qui convient, et apportent ce qui est nuisible. Ainsi le feu est enclin naturellement non seulement à s’éloigner d’un lieu inférieur, qui ne lui convient pas, et à s’élever vers le haut, ce qui est conforme à sa nature, mais encore à s’opposer à ce qui peut le détruire ou gêner son action. Puisque l’appétit sensible est une inclination consécutive à la connaissance sensible, comme la tendance naturelle est une inclination consécutive à la forme naturelle, il doit y avoir dans la partie sensitive de l’âme deux puissances. L’une, par laquelle l’âme est directement inclinée à rechercher ce qui lui convient dans l’ordre sensible, et à fuir ce qui peut lui nuire, est le concupiscible. L’autre, par laquelle l’animal résiste aux attaques des choses qui l’empêchent d’atteindre ce qui convient et lui causent du dommage, est l’irascible. En conséquence, on dit que son objet est : ce qui est ardu ; car il tend à surmonter les obstacles et à les dominer.

On ne peut ramener ces deux inclinations à un même principe ; car il arrive que l’âme s’occupe des choses pénibles, contre l’inclination du concupiscible, afin de suivre celle de l’irascible qui est de lutter contre les obstacles.

D’où l’opposition entre passions de l’irascible et celles du concupiscible ; ainsi, lorsque la convoitise s’allume, la colère diminue, et réciproquement dans la plupart des cas.

Cela montre encore que l’irascible est une sorte de combattant et de protecteur du concupiscible ; il insurge contre les obstacles aux choses agréables que désire le concupiscible, et contre les causes de dommage que ce dernier veut fuir. Par suite, toutes les passions de l’irascible naissent des passions du concupiscible, et se terminent en elles. La colère, par exemple, naît d’une tristesse infligée au sujet, et lorsqu’elle l’en a délivré, elle prend fin dans un sentiment de joie. Autre conséquence : les animaux combattent pour ce qu’ils désirent, à savoir la nourriture et les jouissances sexuelles, selon Aristote.

Solutions :

1. Le concupiscible a pour objet à la fois ce qui convient et ce qui ne convient pas. Mais l’irascible est là pour résister aux inconvénients qui passent à l’attaque.

2. De même que les facultés sensibles de connaissance comprennent une faculté " estimative " chargée de percevoir des modalités qui n’impressionnent pas les sens, comme on l’a vu plus haut, de même l’appétit sensible possède une faculté dont l’objet n’est pas ce qui convient comme délectable au sens, mais comme utile au vivant pour sa défense : et cette faculté, c’est l’irascible.

3. La haine appartient de soi au concupiscible mais en raison de la lutte quelle provoque, elle peut relever de l’irascible.

            Article 3 — L’irascible et le concupiscible obéissent-ils à la raison ?

Objections :

1. Ces deux facultés font partie de la sensibilité. Or celle-ci n’obéit pas à la raison : aussi est-elle symbolisée par le serpent, d’après S. Augustin. Donc l’irascible et le concupiscible n’obéissent pas à la raison.

2. Quand on obéit à quelqu’un, on ne lutte pas contre lui. Or l’irascible et le concupiscible luttent contre la raison. Comme dit S. Paul (Rm 7, 23) : " je vois dans mes membres une autre loi qui s’oppose à celle de mon esprit. " Irascible et concupiscible ne sont donc pas soumis à la raison.

3. Comme la faculté appétitive, la faculté sensible est inférieure à la raison. Or le sens n’obéit pas à la raison : nous n’entendons pas quand nous le voulons. Semblablement, les facultés de l’appétit sensible ne lui obéissent pas.

En sens contraire, selon S. Jean Damascène " ce qui obéit à la raison et se laisse persuader par elle se divise en convoitise et colère ".

Réponse :

Irascible et concupiscible obéissent à la partie supérieure de l’âme, qui comprend raison et volonté, de deux manières, c’est-à-dire quant à la raison et quant à la volonté. Ils obéissent à la raison dans leur activité même. En voici le motif : l’appétit sensible chez les animaux reçoit naturellement son mouvement de l’estimative ; par exemple, la brebis a peur parce qu’elle estime le loup son ennemi. Au lieu de l’estimative, il y a chez l’homme, nous l’avons déjà dit , la cogitative, que certains philosophes nomment raison particulière, parce qu’elle opère des synthèses de représentations individuelles. Aussi l’appétit sensible de l’homme est-il, par nature, mis en mouvement par elle. Mais la raison particulière reçoit naturellement, chez l’homme, son mouvement et sa direction de la raison universelle ; c’est pourquoi, dans le raisonnement syllogistique, on tire de propositions universelles des conclusions particulières. Il s’ensuit évidemment que la raison universelle commande à l’appétit sensible qui se divise en concupiscible et irascible, et que cet appétit lui obéit. Mais la déduction qui va de principes universels à des conclusions particulières n’est pas l’œuvre de l’intelligence intuitive, mais de la raison. Donc ces deux puissances sensibles obéissent plutôt à la raison qu’à l’intelligence. Chacun peut l’éprouver en soi-même : on peut apaiser la colère, la crainte, etc., ou aussi les exciter, à l’aide de considérations d’ordre universel.

L’appétit sensible est soumis à la volonté, dans l’exécution qui s’accomplit au moyen de la faculté motrice. Chez les autres animaux, en effet, le mouvement suit immédiatement l’état affectif ; ainsi la brebis qui a peur du loup s’enfuit aussitôt. Car il n’y a pas chez eux d’appétit supérieur qui s’y oppose. Mais l’homme ne suit pas aussitôt le mouvement de l’appétit, que ce soit l’irascible ou le concupiscible. Il attend le commandement de l’appétit supérieur, la volonté. En effet, quand des puissances motrices sont ordonnées l’une à l’autre, la seconde n’imprime de mouvement qu’en vertu de la première ; aussi l’appétit inférieur ne peut-il mouvoir que si l’appétit supérieur y consent. C’est ce que veut dire Aristote : l’appétit supérieur met en mouvement l’appétit inférieur, comme une sphère céleste en meut une autre. De cette façon donc, l’irascible et le concupiscible obéissent à la raison.

Solutions :

1. La sensibilité est symbolisée par le serpent d’après ce qui lui convient en propre comme pouvoir sensible. Irascible et concupiscible désignent plutôt l’affectivité sensible par rapport à son activité à laquelle la raison l’engage.

2. Comme dit Aristote " Il faut considérer dans cet animal qu’est l’homme, un pouvoir despotique et un pouvoir politique ; l’âme domine le corps par un pouvoir despotique ; l’intellect domine l’affectivité par un pouvoir politique et royal. " Le pouvoir despotique est celui par lequel quelqu’un commande à des esclaves qui n’ont pas la faculté de résister à l’ordre du chef, car ils n’ont rien à eux. Le pouvoir politique et royal est celui par lequel en commande à des hommes libres qui, bien que soumis à l’autorité du chef, ont cependant quelque pouvoir propre qui leur permet de résister à ses ordres.

Ainsi donc, l’âme domine le corps par un pouvoir despotique ; car les membres du corps ne peuvent aucunement résister à son commandement, mais, suivant son appétit, la main, le pied, et tout membre qui peut recevoir naturellement une impulsion de la volonté, se meuvent aussitôt. Mais on dit que l’intelligence, c’est-à-dire la raison, commande à l’irascible et au concupiscible par un pouvoir politique, car l’affectivité sensible a un pouvoir propre qui lui permet de résister au commandement de la raison. L’appétit sensible, en effet, peut entrer naturellement en action sous l’impulsion non seulement de l’estimative chez les animaux, et, chez l’homme, de la cogitative que la raison universelle dirige, mais encore sous celle de l’imagination et des sens. Nous savons par expérience que l’irascible et le concupiscible s’opposent à la raison, quand nous sentons ou imaginons une chose agréable que la raison interdit, ou une chose attristante que la raison prescrit. Ainsi, le fait que ces deux facultés s’opposent parfois à la raison n’empêche pas qu’elles lui obéissent.

3. Les sens externes ont besoin, pour agir, des objets sensibles du dehors qui les impressionnent, et sur la présence desquels la raison n’a pas de prise. Mais les facultés internes, tant dans l’ordre de l’appétit que de la connaissance, n’ont pas besoin des réalités extérieures. C’est pourquoi elles sont soumises au commandement de la raison qui peut non seulement exciter ou apaiser les états affectifs, mais encore former des schèmes dans l’imagination.

 

 

QUESTION 82 — LA VOLONTÉ

1. La volonté désire-t-elle quelque chose de façon nécessaire ? - 2. Désire-t-elle toutes choses de façon nécessaire ? - 3. Est-elle une puissance supérieure à l’intelligence ? - 4. La volonté meut-elle l’intelligence ? - 5. Se divise-t-elle en irascible et concupiscible ?

            Article 1 — La volonté désire-t-elle quelque chose de façon nécessaire ?

Objections :

1. Pour S. Augustin, ce qui est nécessaire ne peut pas être volontaire. Or, tout mouvement de la volonté est volontaire. Donc rien de ce que désire la volonté n’est désiré de façon nécessaire.

2. D’après Aristote, les facultés rationnelles sont capables des contraires. Or la volonté est une faculté rationnelle, puisqu’il est dit au traité De l’Âme : " La volonté est dans la raison. " La volonté est donc capable des contraires, et en conséquence n’est déterminée à rien de façon nécessaire.

3. Par la volonté nous sommes maîtres de nos actes. Mais nous ne sommes pas maîtres de ce qui existe nécessairement. L’acte de la volonté ne peut donc être nécessaire.

En sens contraire, S. Augustin affirme que " tous, d’une même volonté, désirent la béatitude ". Si ce désir n’était pas nécessaire, mais contingent, il manquerait au moins chez quelques-uns. Donc la volonté désire quelque chose de façon nécessaire.

Réponse :

" Nécessité " a plusieurs sens. De façon générale, le nécessaire est " ce qui ne peut pas ne pas être ". Mais cela peut convenir à un être d’abord en raison d’un principe intrinsèque ; soit d’un principe matériel, comme lorsque l’on dit que tout composé de contraires doit nécessairement se corrompre ; soit d’un principe formel, comme lorsque l’on dit nécessaire que les trois angles d’un triangle soient égaux à deux droits. Et cela est la nécessité naturelle et absolue. Il peut ensuite convenir à un être de ne pouvoir pas ne pas être en raison d’un principe extrinsèque, cause finale ou efficiente. Par rapport à la fin, cela arrive quand un être ne peut atteindre sa fin, ou l’atteindre convenablement sans ce principe ; par exemple, la nourriture est nécessaire à la vie, le cheval au voyage. Cela s’appelle nécessité de la fin, ou parfois encore l’utilité. Par rapport à la cause efficiente, la nécessité se rencontre quand un être se trouve contraint par un agent de telle sorte qu’il ne puisse pas faire le contraire. C’est la nécessité de contrainte.

Cette dernière nécessité répugne tout à fait à la volonté. Car nous appelons violent ce qui est contraire à l’inclination naturelle d’un être. Or, le mouvement volontaire est une certaine inclination vers un objet. Par suite, comme on appelle naturel ce qui est conforme à l’inclination de la nature, ainsi appelle-t-on volontaire ce qui est conforme à l’inclination de la volonté. Or, il est impossible qu’un acte soit à la fois violent et naturel ; il est donc également impossible qu’un acte soit absolument contraint ou violent, et en même temps volontaire.

Mais la nécessité venue de la fin ne répugne pas à la volonté, lorsqu’elle ne peut atteindre cette fin que par un seul moyen ; ainsi lorsqu’on a la volonté de traverser la mer, il est nécessaire à la volonté qu’elle veuille prendre le bateau.

De même pour la nécessité de nature. Il faut même dire qu’il doit en être ainsi ; de même que l’intelligence adhère nécessairement aux premiers principes, de même la volonté adhère nécessairement à la fin dernière, qui est le bonheur. Car la fin a le même rôle dans l’ordre pratique que le principe dans l’ordre spéculatifs. Il faut en effet que ce qui convient naturellement et immuablement à quelque chose soit le fondement et le principe de tout ce qui en dérive ; car la nature est le premier principe en tout être, et tout mouvement procède de quelque chose d’immuable.

Solutions :

1. L’expression de S. Augustin doit se comprendre du nécessaire par nécessité de contrainte. La nécessité de nature " n’ôte pas la liberté ", comme il le dit lui-même dans le même ouvrage.

2. Que la volonté veuille quelque chose naturellement, cela se rapporte plutôt à l’intelligence des premiers principes qu’à la raison, qui est capable des contraires. Sous cet aspect, c’est une puissance intellectuelle plutôt que rationnelle.

3. Nous sommes maîtres de nos actes en tant que nous pouvons choisir ceci ou cela. Le choix ne porte pas sur la fin, il porte sur les moyens. En conséquence, le désir de la fin dernière ne fait pas partie des actes dont nous sommes maîtres.

            Article 2 — La volonté désire-t-elle toutes choses de façon nécessaire ?

Objections :

1. Denys dit que " le mal est étranger à la volonté ". Celle-ci tend donc nécessairement au bien qui lui est proposé.

2. L’objet de la volonté est avec elle dans le rapport du moteur au mobile. Or le mouvement du mobile suit nécessairement à l’impulsion du moteur. Les objets de la volonté la meuvent donc nécessairement.

3. De même que ce qui est connu par le sens est objet de l’appétit sensible, ainsi ce qui est connu par l’intelligence est objet de l’appétit intellectuel, ou volonté. Mais l’objet connu par le sens meut nécessairement l’appétit sensible : selon S. Augustin, " les animaux sont entraînés par ce qu’ils voient ". Il semble donc que l’objet connu par l’intelligence meuve nécessairement la volonté.

En sens contraire, S. Augustin dit que la volonté est la faculté par laquelle " on pèche, ou l’on vit selon la justice ". Et ainsi, elle est capable des contraires. Elle ne veut donc pas de façon nécessaire tout ce qu’elle veut.

Réponse :

Voici comment on peut prouver une telle proposition. De même que l’intelligence adhère nécessairement et naturellement aux premiers principes, ainsi la volonté à la fin dernière, comme on vient de le dire. Or il y a des vérités qui n’ont pas de relation nécessaire aux premiers principes, comme les propositions contingentes, dont la négation n’implique pas la négation de ces principes. A de telles vérités l’intelligence ne donne pas nécessairement son assentiment. Mais il est des propositions nécessaires qui ont cette relation nécessaire : comme les conclusions démonstratives dont la négation entraîne celle des principes. A celles-ci l’intelligence assentit nécessairement, lorsqu’elle a reconnu par démonstration la connexion des conclusions avec les principes. Faute de quoi, l’assentiment n’est pas rendu nécessaire.

Il en va de même pour la volonté. Il y a des biens particuliers qui n’ont pas de relation nécessaire au bonheur, parce qu’on peut être heureux sans eux. A de tels biens la volonté n’adhère pas de façon nécessaire. Mais il y a d’autres biens qui impliquent cette relation ; ce sont ceux par lesquels l’homme adhère à Dieu, en qui seul se trouve la vraie béatitude. Toutefois, avant que cette connexion soit démontrée nécessaire par la certitude que donne la vision divine, la volonté n’adhère nécessairement ni à Dieu ni aux biens qui s’y rapportent. Mais la volonté de celui qui voit Dieu dans son essence adhère nécessairement à Dieu, de la même manière que maintenant nous voulons nécessairement être heureux. Il est donc évident que la volonté ne veut pas de façon nécessaire tout ce qu’elle veut.

Solutions :

1. La volonté ne peut tendre à aucun objet, sinon sous la raison de bien. Mais comme il y a une multitude de biens, la volonté n’est pas déterminée nécessairement à un seul.

2. La cause motrice produit nécessairement le mouvement dans le mobile, lorsque la force de cette cause surpasse de telle sorte le mobile que toute la capacité d’agir de celui-ci est soumise à la cause. Mais la capacité de la volonté, s’étendant au bien universel et parfait, ne peut être entièrement subordonnée à aucun bien particulier. Aussi n’est-elle pas mise en action par lui de façon nécessaire.

3. Le sens n’opère pas, comme la raison, des synthèses de divers objets, mais il en saisit de façon absolue un seul. Par suite, il meut vers cet objet unique l’appétit sensible, avec déterminisme. Mais la raison peut comparer plusieurs objets, et c’est pourquoi l’appétit intellectuel qui est la volonté, peut être sollicité par eux, et non pas par un seul de façon nécessaire.

 

            Article 3 — La volonté est-elle une puissance supérieure à l’intelligence ?

Objections :

l. La volonté paraît supérieure : car le bien et la fin sont les objets de la volonté. Or la fin est la première et la plus élevée des causes. La volonté est donc la première et la plus élevée des puissances.

2. On constate que les êtres de la nature progressent de l’imparfait au parfait. Et cela se remarque également dans les puissances de l’âme. Ainsi il y a progrès du sens à l’intellect, qui est supérieur. Mais il y a un progrès naturel de l’acte intellectuel à l’acte volontaire. La volonté est donc une puissance plus parfaite et plus élevée que l’intelligence.

3. Les habitus sont avec les puissances dans le rapport de la perfection à ce qui est perfectible. Mais l’habitus qui perfectionne la volonté, c’est-à-dire la charité, est supérieur à l’habitus qui perfectionne l’intelligence. S. Paul dit en effet (1 Co 13,2) : " Quand je connaîtrais tous les mystères, quand j’aurais la plénitude de la foi, si je ne possède pas la charité, je ne suis rien. " La volonté est donc une puissance supérieure à l’intelligence.

En sens contraire, Aristote fait de l’intelligence la plus élevée des puissances de l’âme.

Réponse :

La supériorité d’une chose sur une autre peut être considérée soit absolument, soit sous un certain rapport. Une chose est telle absolument, quand elle l’est par elle-même, et elle est telle relativement, quand elle l’est par rapport à une autre. Si l’intelligence et la volonté sont considérées en elles-mêmes, l’intelligence est la faculté la plus élevée. On peut l’établir en comparant les objets de ces deux puissances. Celui de l’intelligence est plus simple et plus absolu que celui de la volonté. En effet, l’objet de l’intelligence, c’est la raison même du bien en tant que bien, et le bien désirable dont l’idée est dans l’intelligence est l’objet de la volonté. Or, plus un être est simple et abstrait, plus il est en soi-même noble et élevé. Et c’est pourquoi l’objet de l’intelligence est plus élevé que celui de la volonté. Mais, puisque la nature propre d’une puissance dépend de son rapport à l’objet, il s’ensuit que l’intelligence, de soi et absolument, est une puissance plus élevée et plus noble que la volonté.

Relativement cependant, et par comparaison à autre chose il peut arriver que la volonté soit supérieure à l’intelligence, dans le cas où l’objet de la volonté se trouve dans une réalité plus élevée que celui de l’intelligence. C’est comme si je disais que l’ouïe est sous un certain rapport plus noble que la vue, parce que la chose qui produit le son est d’une plus grande perfection qu’une autre chose qui serait colorée, bien que la couleur soit plus noble et plus simple que le son. - On l’a déjà dit’, l’action de l’intelligence consiste en ce que la raison même de la chose est dans l’être qui pense ; au contraire, l’acte de la volonté s’accomplit en ce qu’elle se porte vers la chose telle qu’elle est en elle-même. C’est ce qui fait dire à Aristote 1 que " le bien et le mal ", objets de la volonté, " sont dans les choses, et que le vrai et le faux ", objets de l’intelligence, " sont dans l’esprit ". Donc, quand la réalité où se trouve le bien est plus élevée que l’âme même où se trouve l’idée de cette réalité, la volonté est supérieure à l’intelligence, par rapport à cette réalité. Mais quand la réalité est inférieure à l’âme, alors sous ce rapport l’intelligence est supérieure à la volonté. C’est pourquoi il est mieux d’aimer Dieu que de le connaître ; et inversement il vaut mieux connaître les choses matérielles que les aimer. Toutefois, absolument parlant, l’intelligence est plus noble que la volonté.

Solutions :

1. La relation de cause s’établit par comparaison entre un terme et un autre, et dans une telle comparaison, c’est la raison de bien qui se trouve être la plus élevée. Mais le vrai a une signification plus absolue, et il enveloppe la raison même de bien. Aussi le bien est-il un certain vrai. Mais réciproquement le vrai lui-même est un certain bien, pour autant que l’intelligence est une réalité, et que le vrai est sa fin. Or, parmi les autres fins, celle-ci est la plus excellente, de même que l’intelligence parmi les autres puissances.

2. Ce qui est antérieur dans l’ordre de la génération et du temps est moins parfait ; car dans un seul et même être, la puissance précède l’acte dans le temps et l’état imparfait d’une chose précède son état parfait. Mais ce qui est purement et simplement premier selon l’ordre de la nature, est plus parfait : c’est dans ce sens qu’on parle de la priorité de l’acte sur la puissance. Et sous ce rapport l’intelligence est antérieure à la volonté comme la cause du mouvement l’est au mobile, et le principe actif au principe passif ; en effet, le bien connu par l’intelligence met en mouvement la volonté.

3. Cet argument considère la volonté par rapport à ce qui est supérieur à l’âme. La vertu de charité est en effet la vertu par laquelle nous aimons Dieu.

 

            Article 4 — La volonté meut-elle l’intelligence ?

Objections :

1. Il semble que non, parce que la cause motrice est supérieure et antérieure au mobile. Car la cause motrice, c’est l’être qui agit, et l’être qui agit est plus noble que celui qui pâtit, comme disent S. Augustin et Aristote. Or on vient de dire que l’intelligence est antérieure et supérieure à la volonté. La volonté ne meut donc pas l’intelligence.

2. Le moteur n’est pas mû par le mobile, si ce n’est peut-être par accident. Or l’intelligence meut la volonté ; car l’objet désirable connu par l’intelligence est moteur, mais non mobile. Or l’appétit est à la fois l’un et l’autre. L’intelligence n’est donc pas mue par la volonté.

3. Nous ne pouvons rien vouloir qui n’ait été saisi par l’intelligence. Si, donc la volonté meut l’intellect à son acte en voulant cet acte, il faudra encore qu’un acte d’intelligence précède ce vouloir, et un autre vouloir cet acte d’intelligence et ainsi à l’infini, ce qui est impossible. La volonté ne meut donc pas l’intelligence.

En sens contraire, le Damascène dit : " Il est en nous de connaître ou de ne pas connaître quelque art que ce soit. " Ce n’est en nous que par la volonté. Or c’est par l’intelligence que nous connaissons les arts. Donc la volonté meut l’intelligence.

Réponse :

Il y a deux manières de causer le mouvement. La première comme le fait une fin : on dit en effet que la cause finale meut la cause efficiente. C’est ainsi que l’intelligence meut la volonté ; car le bien connu est l’objet de la volonté, et la meut à titre de fin. - La seconde manière de mouvoir est celle de l’agent ; de même que le principe d’altération meut ce qui est altéré, le principe d’impulsion meut ce qui est mis en branle.

Et c’est ainsi que la volonté meut l’intelligence, et toutes les facultés de l’âme, comme dit S. Anselme. En voici le motif : dans une série ordonnée de puissances actives, la puissance qui tend à une fin universelle meut les puissances qui ont pour objet des fins particulières. Cela se constate dans la nature et dans la vie sociale. Le ciel, dont l’action tend à conserver l’universalité des êtres susceptibles de génération et de corruption, met en mouvement tous les corps inférieurs, qui, chacun dans son ordre, tendent à la conservation de leur espèce, ou même de leur individu. Pareillement, le roi, qui a pour but le bien commun de tout le royaume, meut par son commandement chacun des gouverneurs de villes, lesquels sont chargés du gouvernement d’une ville en particulier. Or l’objet de la volonté est le bien et la fin pris en général. Chacune des autres puissances a rapport à un bien propre qui lui convient, par exemple, la vue tend à percevoir la couleur, l’intelligence à connaître la vérité. Et c’est pourquoi la volonté, à la manière d’une cause efficiente, met en activité toutes les facultés de l’âme, à l’exception des puissances végétatives, qui ne sont pas soumises à notre décision.

Solutions :

1. On peut considérer l’intelligence sous deux aspects : 1° en tant qu’elle connaît l’être et le vrai universel, et 2° en tant qu’elle est une certaine réalité, une puissance déterminée qui possède un acte déterminé. La volonté peut aussi être considérée sous deux aspects : 1° par rapport à l’universalité de son objet, c’est-à-dire en tant qu’elle désire le bien universel, et 2° comme puissance déterminée de l’âme ayant un acte déterminé. Donc, si l’on compare l’intelligence et la volonté sous le rapport de l’universalité de leurs objets respectifs, l’intelligence est, comme nous l’avons dit, plus élevée et plus noble, absolument parlant, que la volonté. Mais, si l’on considère l’intelligence sous le rapport de l’universalité de son objet, et la volonté comme une puissance déterminée, l’intelligence est encore supérieure à la volonté ; car, dans la raison d’être et de vrai que saisit l’intelligence, est comprise la volonté elle-même, son acte et son objet. Par suite, l’intelligence connaît la volonté, son acte et son objet, de même que les autres intelligibles, la pierre, le bois, qui sont compris sous la raison universelle d’être et de vrai. Mais, si l’on considère la volonté sous le rapport de l’universalité de son objet, qui est le bien, et l’intelligence au contraire comme une certaine réalité, une puissance spéciale, alors sont compris sous la raison universelle de bien, comme autant de biens particuliers, et l’intelligence, et son acte et son objet qui est le vrai, car chacun d’eux est un bien particulier. À cet égard, la volonté est supérieure à l’intelligence et peut la mettre en mouvement.

Par là, on peut voir pourquoi ces deux puissances s’incluent l’une l’autre lorsqu’elles agissent, car l’intelligence perçoit que la volonté veut, et la volonté veut que l’intelligence pense. Par une raison semblable, le bien est inclus dans le vrai, en tant qu’il est un certain vrai saisi par l’intelligence, et le vrai est inclus dans le bien, en tant qu’il est un certain bien désiré.

2. L’intelligence meut la volonté d’une autre manière que la volonté meut l’intelligence, comme on vient de le dire.

3. Il n’est pas besoin d’aller à l’infini ; mais on s’arrête à l’intelligence, comme étant à l’origine. Car tout mouvement de volonté est nécessairement précédé par une appréhension, alors que toute appréhension n’est pas précédée par un mouvement volontaire. Cependant le principe originel de la délibération et de l’intellection est un principe plus élevé que notre intelligence, c’est Dieu, comme le dit Aristote lui-même . Et de cette façon, il prouve qu’il n’est pas besoin d’aller à l’infini.

            Article 5 — Faut-il distinguer dans l’appétit supérieur l’irascible et le concupiscible ?

Objections :

1. " Concupiscible " vient de concupiscere (désirer), et " irascible " d’irasci (se mettre en colère). Or, il est des désirs qui ne peuvent appartenir à l’appétit sensible, mais seulement à l’appétit intellectuel ou volonté ; ainsi, " le désir de la sagesse (Sg 6,21) conduit au royaume éternel ". De même, il y a certaine colère qui relève non de l’appétit sensible, mais de l’appétit intellectuel, par exemple quand nous nous mettons en colère contre les vices. Ainsi S. Jérôme, nous engage à avoir la haine des vices dans notre faculté d’irascible. Il faut donc distinguer deux puissances dans l’appétit supérieur comme dans l’appétit sensible.

2. Selon l’enseignement commun, la charité est dans le concupiscible, l’espérance dans l’irascible. Or, elles ne peuvent se trouver dans l’appétit sensible, puisque leurs objets ne sont pas de l’ordre du sens, mais de l’ordre de l’intelligence. Donc il faut admettre de l’irascible et du concupiscible dans la partie intellectuelle de l’âme.

3. Au livre De l’esprit et de l’Âme, il est dit que " l’âme possède ces puissances ", (c’est-à-dire l’irascible, le concupiscible et la raison) avant d’être unie au corps. Or, aucune puissance de la partie sensible n’appartient à l’âme seule, mais au composé d’âme et de corps, on l’a établi plus haut u. Il y a donc irascible et concupiscible dans la volonté, qui est l’appétit intellectuel.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse dit que la partie irrationnelle de l’âme se divise en concupiscible et irascible. De même, S. Jean Damascène. Et Aristote : " La volonté est dans la raison ; dans la partie irrationnelle de l’âme, la concupiscence et la colère, ou encore le désir et l’audace ".

Réponse :

Irascible et concupiscible ne sont pas des parties de l’appétit intellectuel, ou volonté. Car, d’après nos conclusions précédentes, une puissance qui est ordonnée à un objet considéré sous un point de vue universel ne se divise pas d’après les différences d’espèce contenues sous cet universel. Ainsi la vue considère ce qui est visible sous la raison de coloré, et l’on ne distingue pas plusieurs puissances de voir d’après les diverses espèces de couleurs. S’il y avait une puissance qui eût pour objet le blanc comme blanc et non comme coloré, elle se distinguerait de la puissance qui aurait pour objet le noir comme noir.

Or l’appétit sensible n’envisage pas la raison universelle de bien ; car le sens ne perçoit pas non plus l’universel. C’est pourquoi l’appétit sensible se divise en parties d’après les diverses raisons de biens particuliers. Le concupiscible a pour objet le bien, en tant que celui-ci est agréable au sens et qu’il convient à la nature du sujet. L’irascible a pour objet le bien, en tant que celui-ci repousse et combat ce qui est nuisible. - Mais la volonté envisage le bien sous la raison universelle de bien. C’est pourquoi il n’y a pas à distinguer en elle, qui est l’appétit intellectuel, des puissances diverses telles que l’irascible et le concupiscible, de la même manière qu’on ne distingue pas dans l’intelligence plusieurs facultés de connaissance, alors qu’on le fait pour le sens.

Solutions :

1. L’amour, le désir, et les autres états affectifs peuvent se comprendre de deux façons. Parfois, comme des passions, c’est-à-dire des états qui proviennent d’une certaine perturbation de l’âme. C’est le sens habituel, et alors on ne les trouve que dans l’appétit sensible. - D’autres fois, ils signifient un simple état affectif, sans passion ou trouble de l’âme. En ce sens, ils sont des actes de la volonté. Et alors on peut les attribuer même aux anges et à Dieu. Or, dans ce cas, ils n’appartiennent pas à des puissances diverses, mais à une seule, qui est la volonté.

2. La volonté peut être appelée irascible, pour autant qu’elle veut combattre le mal non par une impulsion passionnelle, mais par un jugement de raison. De même, on peut l’appeler concupiscible, en tant qu’elle désire le bien. C’est ainsi que la charité est dans le concupiscible, et l’espérance dans l’irascible, c’est-à-dire dans la volonté pour autant qu’elle a rapport à des actes de cette sorte.

3. C’est encore ainsi qu’on peut interpréter l’expression du traité De l’esprit et de l’âme, à savoir que l’irascible et le concupiscible se trouvent dans l’âme avant son union au corps (pourvu qu’on le comprenne d’un ordre de nature et non d’un ordre temporel). Toutefois il n’est pas nécessaire d’accorder du crédit à cet ouvrage. Ce qui résout la troisième objection.

 

 

QUESTION 83 — LE LIBRE ARBITRE

1. L’homme est-il doué de libre arbitre ? - 2. Qu’est-ce que le libre arbitre : un acte, une puissance ou un habitus ? - 3. Si c’est une puissance, est-elle de l’ordre de l’appétit ou de la connaissance ? - 4. Si elle est de l’ordre de l’appétit, est-elle la même puissance que la volonté, ou une autre ?

            Article 1 — L’homme est-il doué de libre arbitre ?

Objections :

1. Il semble que l’homme n’ait pas le libre arbitre. Car celui qui a le libre arbitre fait ce qu’il veut. Or l’homme ne fait pas ce qu’il veut. S. Paul dit en effet (Rm 7,19) : " je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais. " L’homme n’a donc pas le libre arbitre.

2. Qui possède le libre arbitre peut vouloir et ne pas vouloir, agir et ne pas agir. Mais cela n’appartient pas à l’homme. Selon S. Paul (Rm 9,16), ni vouloir n’appartient à celui qui veut, ni courir à celui qui court. L’homme n’a donc pas le libre arbitre.

3. " Est libre ce qui est cause de soi ", dit Aristote. Ce qui reçoit son mouvement d’un autre, n’est pas libre. Or Dieu met en mouvement la volonté d’après le livre des Proverbes (2 1, 1) : " Le cœur du roi est dans la main du Seigneur qui le tourne dans le sens qu’il veut. " Et S. Paul (Ph 2, 13) : " C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et l’agir ". L’homme n’a donc pas le libre arbitre.

4. Quiconque est libre, est maître de ses actes. Mais l’homme ne l’est pas. Il est écrit (Jr 10, 23) : " La voie de l’homme n’est pas en son pouvoir, il n’appartient pas à l’homme de diriger ses pas ". L’homme n’est donc pas libre.

5. " Tel est un être, telle lui paraît sa fin ", dit le Philosophe. Mais il n’est pas en notre pouvoir d’être de telle ou telle façon ; cela nous est donné par la nature. Il nous est donc naturel de suivre une fin déterminée. Nous ne l’atteignons donc pas librement.

En sens contraire, selon l’Ecclésiastique (1 5, 14) : " Dieu a créé l’homme au commencement, et il l’a laissé au pouvoir de son conseil ", c’est-à-dire " de son libre arbitre ", dit la Glose.

Réponse :

L’homme possède le libre arbitre, ou alors les conseils, les exhortations, les préceptes, les interdictions, les récompenses et les châtiments seraient vains. - Pour établir la preuve de la liberté, considérons d’abord que certains êtres agissent sans aucun jugement, comme la pierre qui tombe vers le bas, et tous les êtres qui n’ont pas la connaissance. - D’autres êtres agissent d’après un certain jugement, mais qui n’est pas libre. Ainsi les animaux, telle la brebis qui, voyant le loup, juge qu’il faut le fuir ; c’est un jugement naturel, non pas libre, car elle ne juge pas en rassemblant des données, mais par un instinct naturel. Et il en va de même pour tous les jugements des animaux. - Mais l’homme agit d’après un jugement ; car, par sa faculté de connaissance, il juge qu’il faut fuir quelque chose ou le poursuivre. Cependant ce jugement n’est pas l’effet d’un instinct naturel s’appliquant à une action particulière, mais d’un rapprochement de données opéré par la raison ; c’est pourquoi l’homme agit selon un jugement libre, car il a la faculté de se porter à divers objets. En effet, dans le domaine du contingent, la raison peut suivre des directions opposées, comme on le voit dans les syllogismes dialectiques et les arguments de la rhétorique. Or, les actions particulières sont contingentes ; par suite le jugement rationnel qui porte sur elles peut aller dans un sens ou dans un autre, et n’est pas déterminé à une seule chose. En conséquence, il est nécessaire que l’homme ait le libre arbitre, par le fait même qu’il est doué de raison.

Solutions :

1. Bien que l’appétit sensible obéisse à la raison, comme on l’a dit c, il peut cependant en certains cas lui résister, en désirant quelque chose contre son ordre. Tel est donc le bien que l’homme ne fait pas, alors même qu’il le veut, et qui est " ne pas désirer contre la raison ", selon la glose d’Augustin sur ce passage.

2. Il ne faut pas comprendre ce texte de S. Paul en ce sens que l’homme ne pourrait vouloir ou courir librement, mais en ce sens que le libre arbitre n’y suffit pas s’il ne reçoit l’impulsion et l’aide de Dieu.

3. Le libre arbitre est cause de son mouvement. Par le libre arbitre, en effet, l’homme se meut lui-même à l’action. Il n’est cependant pas indispensable à la liberté que ce qui est libre soit la cause première de soi-même ; pas plus qu’il n’est requis, pour être la cause de quelque chose, d’en être la cause première. C’est Dieu qui est la cause première, donnant le mouvement aux causes naturelles et aux causes volontaires. Et de même qu’en mettant en mouvement les causes naturelles il n’empêche pas leurs actes d’être naturels, ainsi en mettant en mouvement les causes volontaires, il n’ôte pas à leurs actes leur modalité volontaire, mais bien plutôt il la réalise en eux ; car Dieu opère en chaque être selon sa nature propre.

4. Quand on dit que la voie de l’homme ne lui appartient pas, cela concerne l’exécution de ses choix, exécution qui peut être empêchée, quelle que soit sa volonté5. Mais nos choix eux-mêmes nous appartiennent, toujours en supposant le secours de Dieu.

5. Il y a deux manières d’être pour l’homme, l’une naturelle, l’autre surajoutée à la nature. On peut considérer cette qualité naturelle soit dans la partie intellectuelle de l’âme, soit dans le corps, et les puissances qui lui sont rattachées. Par le fait que l’homme est disposé de telle manière en raison de la qualité naturelle qu’il tient de son être intellectuel l’homme désire naturellement la fin dernière, c’est-à-dire le bonheur. Or, cette tendance est naturelle et n’est pas soumise au libre arbitre, nous l’avons montré précédemment. - Du côté du corps et de ses puissances, l’homme peut avoir telle manière d’être naturelle, en raison de son tempérament ou d’une disposition provenant d’une influence quelconque de causes corporelles ; toutefois ces causes ne peuvent modifier la partie intellectuelle puisque celle-ci n’est pas l’acte d’un corps. En conséquence, tel se trouve chaque individu du fait de son état corporel et telle lui paraît la fin ; car l’homme est incliné par l’effet d’une telle disposition à choisir ou à rejeter telle action. Mais ces inclinations sont soumises au jugement de la raison à laquelle obéit l’appétit inférieur, comme on l’a dit. Aussi cette soumission ne porte-t-elle pas préjudice au libre arbitre.

Quant aux manières d’être surajoutées, ce sont les habitus et les passions, qui inclinent un individu dans un sens plutôt que dans l’autre. Toutefois ces inclinations elles-mêmes sont soumises au jugement de la raison. De plus, ces qualités en dépendent encore, par le fait qu’il nous appartient de les acquérir, en les causant ou en nous y disposant, ou encore de les rejeter. Et ainsi, rien ne s’oppose à la liberté de décision

            Article 2 — Le libre arbitre est-il une puissance de l’âme ?

Objections :

1. Le libre arbitre n’est rien d’autre qu’un libre jugement. Or un jugement n’est pas une puissance, c’est un acte.

2. Le libre arbitre est appelé " faculté de la volonté et de la raison ". Faculté est le nom d’une certaine facilité d’agir dans la puissance, qui vient de l’habitus. Le libre arbitre est donc un habitus. - S. Bernard admet lui aussi que le libre arbitre est " un habitus de l’âme qui dispose librement d’elle-même ". Ce n’est donc pas une puissance.

3. Aucune puissance naturelle n’est ôtée par le péché. Or le libre arbitre est enlevé par le péché. S. Augustin dit en effet que " l’homme, en usant mal de sa liberté, l’a perdue en se perdant lui-même. " Le libre arbitre n’est donc pas une puissance.

En sens contraire, il n’y a pas d’autre sujet de l’habitus que la puissance. Mais le libre arbitre est le sujet de la grâce, et avec son assistance il choisit le bien. Donc, le libre arbitre est une puissance.

Réponse :

Bien que le libre arbitre, selon la véritable signification de ce terme, désigne un acte, cependant nous appelons couramment libre arbitre le principe même de cet acte, le principe par lequel l’homme juge librement. Or les principes de nos actes, ce sont les puissances et les habitus ; on dit que nous connaissons et par la science, et par la puissance intellectuelle. Le libre arbitre doit donc être soit une puissance, soit un habitus, soit une puissance qui possède un habitus.

Or, qu’il ne soit ni un habitus, ni une puissance avec un habitus, cela apparent clairement par deux voies. D’abord, parce que, si c’est un habitus, il faut qu’il soit naturel ; car il est naturel à l’homme d’avoir le libre arbitre. Or nous n’avons aucun habitus naturel pour ce qui est soumis au libre arbitre. Car nous sommes inclinés naturellement vers les objets pour lesquels nous avons des habitus naturels : c’est le cas de l’adhésion aux premiers principes. Mais ces inclinations naturelles ne sont pas soumises au libre arbitre, comme nous l’avons dit, pour le désir du bonheur. Il est donc contraire à la notion même de libre arbitre d’être un habitus naturel. Mais il serait contraire à son caractère de capacité naturelle d’être un habitus acquis. Il n’est donc en aucune façon un habitus.

En second lieu, cela paraît à la définition même des habitus, " par lesquels nous sommes disposés bien ou mal à l’égard des passions et des actes " dit Aristote. Par la tempérance nous sommes dans une bonne attitude par rapport aux convoitises, et dans une mauvaise par l’intempérance. Par la science, nous sommes en bonne disposition pour l’acte intellectuel lorsque nous connaissons le vrai ; en mauvaise, par l’habitus contraire. Or le libre arbitre est indifférent à choisir bien ou mal. Aussi ne peut-il être un habitus. Il reste donc qu’il soit une puissance.

Solutions :

1. C’est l’usage de désigner la puissance par le nom de l’acte ; ainsi par cet acte qui est le jugement libre, on désigne la puissance qui lui sert de principe. Si, au contraire, le libre arbitre signifiait un acte, il ne pourrait se trouver toujours dans l’homme.

2. " Faculté " désigne parfois la puissance prête à agir. En ce sens on l’emploie dans la définition du libre arbitre. - S. Bernard parle d’un habitus non pas en tant qu’il s’oppose à la puissance, mais en tant qu’il signifie une disposition quelconque à agir. Ce qui est donné aussi bien par la puissance que par l’habitus ; car, par la puissance, l’homme se trouve capable d’agir ; par l’habitus, apte à agir bien ou mal.

3. On dit que l’homme en péchant a perdu le libre arbitre, non sous le rapport de la liberté naturelle, par laquelle il est soustrait à la nécessité, mais sous le rapport de la liberté qui est l’exemption de la faute et de la souffrance. On parlera de cette question dans le traité de morale, deuxième Partie de cet ouvrage.

            Article 3 — Le libre arbitre est-il une puissance de l’appétit ou de la connaissance ?

Objections :

1. S. Jean Damascène dit que " le libre arbitre accompagne aussitôt la nature rationnelle ". Or la raison est une puissance de connaître. Donc aussi le libre arbitre.

2. Le libre arbitre signifie équivalemment " jugement libre ". Mais juger appartient à la faculté de connaissance. Le libre arbitre est donc une puissance cognitive.

3. L’acte éminent du libre arbitre est le choix. Or le choix est de l’ordre de la connaissance, car il implique la comparaison d’une chose avec une autre, ce qui est le propre de la faculté de connaître. Donc le libre arbitre est une puissance cognitive.

En sens contraire, d’après Aristote, le choix " est le désir des choses qui sont en notre pouvoir ". Or le désir est un acte de l’appétit. Donc aussi le choix. Mais il y a libre arbitre en tant que nous choisissons. Le libre arbitre est donc une faculté appétitive.

Réponse :

L’acte propre du libre arbitre est le choix. Car nous sommes libres en tant que nous pouvons accepter une chose en en refusant une autre ; ce qui est choisir. Il faut donc considérer la nature du libre arbitre d’après le choix. Or dans le choix s’unissent un élément de connaissance et un élément d’appétitivité. Dans l’ordre de la connaissance, est requise la délibération par quoi l’on juge quel terme de l’alternative doit être préféré à l’autre. Dans l’ordre de l’appétit, il est requis qu’en désirant on accepte le discernement opéré par la délibération. C’est pourquoi Aristote au livre VI de l’Ethique il ne détermine pas si le choix appartient plutôt à la faculté appétitive ou à la connaissance. Il est dit en effet que le choix est " ou bien un intellect qui désire, ou bien un appétit qui juge ". Mais au livre III, il incline plutôt vers le second sens, quand il nomme " le choix un désir qui a rapport à la délibération ". La raison en est que le choix a pour objet propre ce qui conduit à la fin ; or le moyen, comme tel, est un bien utile. Aussi le bien, en tant que tel, étant objet de l’appétit, le choix est dans son principe l’acte d’une faculté appétitive. Et ainsi le libre arbitre est une puissance de l’appétit.

Solutions :

1. Les puissances appétitives marchent de pair avec les facultés de connaissance. D’où l’expression du Damascène.

2. Le jugement est pour ainsi dire la conclusion à laquelle se détermine la délibération. Or celle-ci est déterminée d’abord par le jugement de la raison et ensuite par l’acceptation de l’appétit. Ce qui fait dire à Aristote,, : " Ayant formé notre jugement par la délibération, nous désirons selon celle-ci. " Et de cette façon le choix lui-même est regardé comme un certain jugement d’après lequel on nomme le libre arbitre.

3. Cette comparaison qui est impliquée dans le choix se rattache à la délibération qui le précède et qui appartient à la raison. L’appétit ne fait pas de comparaison ; néanmoins par le fait qu’il est mû par la faculté de connaissance qui, elle, compare, il présente un semblant de comparaison, puisqu’il préfère une chose à une autre.

            Article 4 — Le libre arbitre est-il la même puissance que la volonté ?

Objections :

1. Il semble être une autre puissance, car le Damascène dit qu’autre chose est la thélèsis, autre chose, la boulèsis. La thélèsis, c’est la volonté. La boulèsis, c’est le libre arbitre. Car, d’après lui, c’est le vouloir d’une chose, par comparaison avec une autre. Le libre arbitre paraît donc être une puissance distincte de la volonté.

2. On connaît les puissances par leurs actes. Mais le choix, qui est l’acte du libre arbitre, est autre chose que la volonté selon Aristote. Car la volonté a pour objet la fin, et le choix, ce qui conduit à la fin. Le libre arbitre est donc une puissance autre que la volonté.

3. La volonté est l’appétit intellectuel. Or, dans l’intelligence, il y a deux puissances, l’intellect agent et l’intellect possible. Donc il doit y avoir aussi dans l’appétit intellectuel une puissance distincte de la volonté. Et cela ne peut être que le libre arbitre. Donc ce dernier est une puissance distincte.

En sens contraire, le Damascène dit que le libre arbitre n’est rien d’autre que la volonté.

Réponse :

Les puissances appétitives doivent correspondre aux puissances cognitives, on l’a déjà dits. Le rapport qu’on trouve, dans la faculté intellectuelle de connaître, entre l’intelligence et la raison, se trouve dans l’appétit, entre la volonté et le libre arbitre, qui n’est rien d’autre que le pouvoir de choisir. Et cela est clair par la relation qu’il y a entre les objets et les actes de ces facultés. Faire acte d’intelligence implique la simple saisie de quelque chose. C’est pourquoi l’on dit justement que les principes sont saisis par l’intelligence lorsqu’ils sont connus par eux-mêmes, sans inférence. Raisonner, c’est passer d’une connaissance à une autre. Aussi, à proprement parler, nous raisonnons à propos des conclusions, qui se font connaître à partir des principes. Il en va de même dans l’appétit : vouloir implique le simple appétit de quelque chose. Par suite, la volonté a pour objet la fin, laquelle est désirée pour elle-même. Choisir, c’est vouloir une chose pour en obtenir une autre. Aussi le choix a-t-il pour objet les moyens qui conduisent à la fin. Or le rapport est le même, dans l’ordre de la connaissance, entre le principe et la conclusion à laquelle on donne son adhésion à cause du principe, - et, dans l’ordre appétitif, entre la fin et les moyens qui sont voulus en vue d’elle. Il est donc évident que le rapport de l’intelligence à la raison se retrouve entre la volonté et la faculté de choix qui est le libre arbitre. On a prouvé plus haut que faire acte d’intelligence et raisonner appartiennent à la même puissance, comme le repos et le mouvement appartiennent à une même force. Il en va donc de même, pour l’acte de vouloir et l’acte de choisir. Et voilà pourquoi la volonté et le libre arbitre ne forment pas deux puissances, mais une seule.

Solutions :

1. Boulèsis se distingue de thélèsis non en raison de la diversité des puissances, mais en raison de la différence des actes.

2. Le choix, et la volonté, c’est-à-dire l’acte de vouloir, sont des actes distincts ; néanmoins ils appartiennent à une même puissance, de même que l’acte d’intelligence et le raisonnement, on vient de le dire.

3. L’intelligence est pour la volonté une cause motrice. Il n’est donc pas besoin d’introduire dans la volonté la même distinction que dans l’intelligence entre intellect agent et intellect possible.

Il est logique de considérer maintenant les actes et les habitus de l’âme dans les facultés intellectuelles, et dans les facultés appétitives, les autres puissances ne relevant pas directement de l’étude théologique. D’autre part, les actes appétitifs relèvent de la science morale : aussi en sera-t-il traité dans la Partie de cet ouvrage réservée à cette science. On étudiera donc d’abord les actes, puis les habitus intellectuels.

Par rapport aux actes, voici quelle sera la suite des questions : On se demandera comment l’âme exerce son activité intellectuelle, d’abord quand elle est unie au corps (Q. 84-88), puis lorsqu’elle en est séparée (Q. 89). Dans le premier cas, trois problèmes : 1° Comment l’âme connaît-elle les corps qui sont d’une nature inférieure à la sienne ? (Q. 84-86). 2° Comment se connaît-elle elle-même et connaît-elle ce qui est en elle ? (Q. 87). 3° Comment connaît-elle les substances immatérielles qui lui sont supérieures ? (Q. 88).

Il y aura trois parties dans l’étude des réalités corporelles : 1. Par quel moyen l’âme les connaît-elle ? (Q. 84). - 2. Comment et dans quel ordre ? (Q. 85). - 3. Que connaît-elle de ces réalités ? (Q. 86).

 

 

QUESTION 84 — PAR QUEL MOYEN L’ÂME UNIE AU CORPS CONNAÎT-ELLE LES RÉALITÉS CORPORELLES QUI LUI SONT INFÉRIEURES ?

1. L’âme connaît-elle les corps par l’intelligence ? - 2. Les connaît-elle par son essence ou à travers des espèces ? - 3. Si c’est à l’aide d’espèces, y a-t-il en elle des espèces innées de tout objet intelligible ? - 4. Ces espèces découlent-elles dans l’âme de formes immatérielles séparées ? - 5. Notre âme voit-elle dans les raisons éternelles tout ce qu’elle comprend ? - 6. Acquiert-elle la connaissance intellectuelle à partir du sens ? - 7. L’intellect peut-il avoir une connaissance en acte au moyen des espèces intelligibles qu’il possède, sans recourir aux images ? - 8. Le jugement de l’intellect est-il empêché par la paralysie des facultés sensibles ?

            Article 1 — L’âme connaît-elle les corps par l’intelligence ?

Objections :

1. " L’intelligence ne peut connaître les corps, dit S. Augustin, et il n’y a que les sens pour saisir les réalités corporelles. " Il dit encore : " La vision intellectuelle a pour objet les réalités qui sont par essence dans l’âme. " Or cela n’est pas corporel. L’âme ne peut donc connaître les corps au moyen de l’intelligence.

2. Il y a le même rapport entre le sens et l’intelligible qu’entre l’intelligence et le sensible. Or par le sens, l’âme ne peut aucunement connaître les réalités spirituelles, qui sont intelligibles. Elle ne peut donc pas non plus connaître par l’intelligence les corps qui sont sensibles.

3. L’intelligence a pour objet les êtres nécessaires et qui existent toujours de la même manière. Or tous les corps sont mobiles et existent sous des modes changeants. L’âme ne peut donc les connaître par l’intelligence.

En sens contraire, la science se trouve dans l’intelligence. Donc, si l’intelligence ne connaît pas les corps, il n’y a aucune science des corps. Ainsi disparaît la science de la nature, qui a pour objet le corps mobile.

Réponse :

Les premiers philosophes qui se préoccupèrent de la nature des choses pensaient que rien n’existait dans le monde en dehors des corps. Voyant tous les corps en mouvement, et croyant qu’ils étaient en perpétuel devenir, ils en conclurent qu’on ne pouvait avoir aucune certitude sur la vérité des choses. On ne peut en effet connaître avec certitude ce qui est dans un flux continuel, car cela s’anéantit avant que l’esprit ait pu en juger. C’était, au dire d’Aristote, l’opinion d’Héraclite : " Il est impossible de toucher deux fois l’eau du fleuve qui s’écoule. "

Après eux, Platon, voulant sauvegarder la certitude de la connaissance intellectuelles, admit l’existence d’un autre genre de réalités que les corps, réalités séparées de la matière et du mouvement, qu’il nommait " espèces " ou " idées ". Chacun des êtres particuliers et sensibles que nous voyons est appelé homme, cheval, etc., à cause de sa participation de ces idées. En conséquence, selon Platon, les sciences, les définitions et tout ce qui appartient à l’activité intellectuelle, ne se réfèrent pas aux corps sensibles, mais à ces réalités immatérielles et séparées. De la sorte, l’âme ne connaît pas ces êtres corporels, mais leurs idées séparées.

Cette position est fausse, pour deux raisons 1° Les idées étant immatérielles et immobiles, ü faudrait rejeter du domaine des sciences la connaissance du mouvement et de la matière, la connaissance propre de la science de la nature et la démonstration au moyen des causes efficientes et matérielles. 2° Il parent ridicule, alors que nous cherchons à connaître des réalités présentes à notre expérience, de recourir à d’autres réalités qui ne peuvent être la substance des premières, puisqu’elles en diffèrent quant à l’existence. Par conséquent, le fait de connaître ces substances séparées ne nous permettrait pas de juger des choses sensibles.

Platon nous paraît s’être écarté de la vérité en ceci : pensant que toute connaissance s’obtient au moyen d’une certaine ressemblance de l’objet, il crut que la forme de l’objet connu devait être nécessairement dans l’objet connaissant sous le même mode que dans l’objet. Or, il observa que la forme d’une chose connue était dans l’intelligence sous un mode universel, immatériel, immobile. Cela est manifeste dans l’acte même de l’intelligence, qui comprend d’une manière universelle et en quelque sorte nécessaire, car la manière d’être de l’action se modèle sur la forme de l’agent. C’est pourquoi Platon pensa que les réalités connues devaient subsister sous ce mode, c’est-à-dire de façon immatérielle et immuable.

Mais cela n’est pas nécessaire. Même dans les choses sensibles, nous voyons que la forme existe sous un mode différent dans l’une et dans l’autre. Par exemple quand la blancheur est plus intense en celle-ci, plus faible en celle-là ; quand la blancheur se trouve ici avec la douceur, là sans elle. Et de la sorte, la forme sensible existe sous un mode dans la réalité extérieure à l’âme, et sous un autre mode dans le sens, qui reçoit les formes des choses sensibles sans la matière, comme la couleur de l’or sans l’or. Pareillement, l’intelligence reçoit les espèces des corps matériels et mobiles sous un mode immatériel et immobile, conformément à sa nature ; car ce qui est reçu est dans ce qui le reçoit selon le mode de ce dernier. Disons donc que l’âme connaît les corps au moyen de l’intelligence, d’une connaissance immatérielle, universelle et nécessaire.

Solutions :

1. Le texte de S. Augustin doit être appliqué aux moyens par lesquels l’intelligence connaît, et non à l’objet connu. Elle connaît les corps en effet en les saisissant, non au moyen d’autres corps ou de représentations matérielles et corporelles, mais par des espèces immatérielles et intelligibles, qui par leur essence peuvent se trouver dans l’âme.

2. Comme le remarque S. Augustin, on ne peut pas dire que l’intelligence connaisse seulement les êtres spirituels de même que le sens connaît seulement les corps. Car il s’ensuivrait que Dieu et les anges ne connaîtraient pas les êtres corporels. Cette différence entre le sens et l’intelligence s’exprime ainsi : une puissance inférieure ne peut atteindre l’objet d’une puissance plus parfaite, mais une puissance plus parfaite peut exercer l’acte de la puissance inférieure sous un mode plus élevé.

3. Tout mouvement suppose quelque chose d’immobile. Quand il y a changement qualitatif, la substance demeure immuable ; quand il y a génération ou corruption de la forme substantielle, la matière demeure. Et même les choses changeantes ont des manières d’être qui ne changent pas ; par exemple, bien que Socrate ne soit pas toujours assis, il est cependant immuablement vrai que, lorsqu’il est assis, ü demeure dans un lieu déterminé. Par suite, rien n’empêche qu’on ait une science immuable des réalités en mouvement.

 

            Article 2 — L’âme connaît-elle les corps par son essence ou à travers des espèces ?

Objections :

1. Il semble que l’âme connaisse les corps par son essence. S. Augustin dit en effet que " l’âme enveloppe en elle-même les images des corps, et s’en saisit, les formant en elle d’elle-même ; car elle donne, pour les élaborer, quelque chose de sa substance ". Or l’âme comprend les corps au moyen de représentations de ces corps. Donc l’âme connaît les réalités corporelles par son essence, qu’elle emploie à construire de telles représentations, et dont elle les forme.

2. Selon Aristote, " l’âme est d’une certaine façon toutes choses ". Puisque le semblable est connu par le semblable, l’âme connaît donc les corps par son essence.

3. L’âme est supérieure aux créatures corporelles. Or les êtres inférieurs se trouvent dans les supérieurs sous un mode plus parfait qu’en eux-mêmes, selon Denys. Les créatures corporelles existent donc dans l’essence de l’âme sous un mode plus élevé qu’elles n’existent en elles-mêmes. En conséquence, l’âme peut connaître les corps au moyen de sa substance.

En sens contraire, S. Augustin nous dit que, " l’esprit recueille ses connaissances des êtres corporels par les sens du corps ". Mais l’âme n’est pas connaissable par les sens. Elle ne connaît donc pas les corps au moyen de sa substance.

Réponse :

Les anciens philosophes admettaient que l’âme connaît les corps par son essence. Car ils étaient unanimement persuadés que " le semblable est connu par le semblable "-. Ils estimaient que la forme de l’objet connu est dans l’objet connaissant sous le même mode que dans l’objet. Les platoniciens furent d’un avis contraire. Platon, voyant que l’âme intellectuelle est immatérielle et connaît sous un mode immatériel, posa en thèse que les formes des réalités connues subsistaient immatériellement. Mais les premiers philosophes de la Nature, considérant que les réalités connues étaient corporelles et matérielles, regardèrent comme nécessaire leur existence matérielle dans le sujet connaissant. Aussi, pour attribuer à l’âme la connaissance de toutes choses, il leur fallut lui attribuer la nature même de tout ce qu’elle connaissait. Et puisque la nature des êtres est constituée par leur principe, ils attribuèrent à l’âme la nature du premier principe. De la sorte, le philosophe qui reconnaissait le feu comme principe de toutes choses, admettait que l’âme est de la nature du feu. De même, pour ceux qui avaient pour principe l’air ou l’eau. Empédocle, qui admettait quatre éléments matériels et deux principes de mouvement, disait aussi que tels étaient les constitutifs de l’âme. Leur opinion étant que les réalités sont matériellement dans l’âme, ils affirmèrent que toute connaissance de l’âme était matérielle, sans faire de discernement entre l’intelligence et le sens.

Mais cette opinion est à rejeter. Car, premièrement, les composés n’existent qu’en puissance dans le principe matériel en question. Or quelque chose ne peut être connu selon qu’il est en puissance, mais selon qu’il est en acte, selon Aristote, au point que la puissance elle-même n’est connue qu’au moyen de l’acte. Il ne suffirait donc pas d’attribuer à l’âme la nature des principes, pour qu’elle pût tout connaître ; mais il faudrait encore qu’elle connût la nature et la forme de chacun des composés, par exemple, de l’os, de la chair, etc., comme dit Aristote contre Empédocle, au traité De l’âme. Secondement, s’il faut que la réalité connue existe matériellement dans le sujet connaissant, il n’y a pas de raison pour que les choses qui subsistent matériellement hors de l’âme soient privées de connaissance ; si, par exemple, l’âme connaît le feu au moyen du feu, le feu qui est hors de l’âme peut aussi connaître le feu.

Il reste donc que les réalités matérielles doivent exister dans le connaissant sous un mode non pas matériel, mais plutôt immatériel. La raison en est que l’acte de connaissance s’étend aux choses qui sont hors du sujet connaissant. Car nous connaissons aussi les réalités qui sont hors de nous. Or la matière détermine la forme à être une seule chose. Par suite il est clair que la nature de la connaissance s’oppose à la nature de la matérialité. C’est pourquoi les êtres qui ne reçoivent les formes que matériellement ne sont en aucune façon dotés de connaissance, ainsi les plantes, dit Aristote.

Or un sujet connaît d’autant plus parfaitement qu’il possède la forme de la chose connue sous un mode plus immatériel. Par conséquent l’intelligence qui abstrait l’idée non seulement de la matière, mais encore des conditions singulières de celle-ci, connaît plus parfaitement que le sens, qui reçoit la forme de la chose connue sans matière, à la vérité, mais avec les conditions matérielles. Et parmi les sens eux-mêmes, la vue est celui qui connaît le mieux, parce qu’il est le moins matériel, comme on l’a dit antérieurement, et parmi les intelligences aussi, l’une est plus parfaite que l’autre dans la mesure où elle est plus immatérielle.

Tout cela montre clairement que, s’il y a une intelligence qui par son essence connaisse toutes choses, cette essence doit les contenir toutes en elle sous un mode immatériel, comme les anciens philosophes admettaient que l’âme est composée en acte de tous les éléments matériels, afin de connaître toutes choses. Or c’est le propre de Dieu de contenir immatériellement en son essence toutes les réalités, en tant que les effets préexistent virtuellement dans leur cause. Donc Dieu seul comprend tout dans son essence. Mais ce n’est pas vrai de l’âme humaine, ni même de l’ange.

Solutions :

1. S. Augustin parle en cet endroit de la vision imaginaire qui est produite par des images des corps. L’âme donne quelque chose de sa substance pour former ces images, à la manière dont un sujet est donné pour recevoir une forme. Ainsi construit-elle ces images de son propre fonds ; non pas que l’âme, ou une partie de l’âme soit transformée en telle ou telle image, mais cela doit s’entendre de la même façon dont on dit qu’un corps devient une chose colorée, parce qu’il est informé par la couleur. Et c’est le sens qui apparaît dans la suite du texte. S. Augustin dit en effet Il que " l’âme conserve quelque chose " de non modifié par telle image, " par quoi elle juge librement de la forme de ces images ", et cette chose, il l’appelle " esprit ", ou " intelligence ". Quant à la partie de l’âme qui est modifiée par ces images, c’est-à-dire l’imagination, S. Augustin dit que nous l’avons en commun avec les animaux.

2. Aristote n’admettait pas, comme les anciens philosophes de la Nature, que l’âme fût en acte composée de toutes choses, mais il disait : " L’âme est d’une certaine façon toutes choses ", en tant qu’elle est en puissance de les connaître toutes ; les sensibles au moyen du sens, les intelligibles par l’intelligence.

3. Toute créature a un être fini et déterminé. Par suite, l’essence d’une créature d’ordre supérieur peut bien avoir quelque ressemblance avec une créature inférieure, parce qu’elles appartiennent toutes deux à un même genre ; elle ne lui est cependant pas absolument semblable, parce qu’elle possède une détermination spécifique à laquelle n’atteint pas une créature inférieure. Au contraire, l’essence de Dieu est la ressemblance parfaite de toutes choses, par rapport à tout ce qu’on peut trouver dans les réalités, car il est leur principe universel.

            Article 3 — Y a-t-il dans l’âme des espèces innées de tout objet intelligibles ?

Objections :

1. Il semble que l’âme comprenne toutes choses au moyen d’espèces inscrites dans sa nature. D’après S. Grégoire, " l’homme a cela de commun avec les anges qu’il est intelligent. " Or les anges ont l’intelligence de toutes choses au moyen de formes innées. C’est pourquoi on dit au Livre des Causes que " toute intelligence est pleine de formes ". L’âme possède donc des espèces innées des réalités physiques et, par elles, comprend les corps.

2. L’âme intellectuelle est plus noble que la matière première des corps. Or, la matière première est créée par Dieu sous les formes auxquelles elle est en puissance. A plus forte raison l’âme intellectuelle est-elle créée par Dieu avec les espèces intelligibles. Ainsi l’âme connaît intellectuellement les corps au moyen d’espèces qui lui sont innées par nature.

3. Personne ne peut donner une réponse vraie sinon sur ce qu’il sait. Or, un homme quelconque, qui n’a pas de science acquise, donne des réponses justes sur tout sujet, pourvu qu’on l’interroge avec méthode, comme on le rapporte dans le Ménon de Platon. Donc, avant qu’un homme acquière la science, il a connaissance des choses ; ce qui serait impossible si l’âme n’avait pas d’espèces innées. C’est donc par ce moyen que l’âme comprend les réalités corporelles.

En sens contraire, le Philosophe, parlant de l’intelligence, dit qu’elle est " comme une tablette où il n’y a rien d’écrit ".

Réponse :

La forme étant le principe de l’action, une chose doit avoir le même rapport à la forme qu’à l’action. Par exemple si le mouvement vers le haut dépend de la légèreté, il faut que la chose qui est seulement en puissance à s’élever, soit légère seulement en puissance ; que celle qui est en acte de s’élever, soit légère en acte. Or, nous voyons que parfois l’homme est seulement en puissance à connaître, tant par les sens que par l’intelligence. Et de cette puissance il passe à l’acte, si bien qu’il sent grâce à l’action des qualités sensibles sur le sens, et qu’il comprend par l’enseignement ou par la découverte. On doit donc dire que l’âme est en puissance à connaître par rapport aux similitudes qui sont principes soit de la sensation soit de l’intellection. Aussi, selon Aristote, l’intelligence, par quoi l’âme comprend, n’a pas en elle d’espèces innées, mais à l’origine elle est en puissance à toutes les espèces.

Il arrive cependant que ce qui possède la forme en acte ne peut agir selon cette forme, à cause d’un obstacle (comme le corps léger qui est empêché de s’élever vers le haut). Pour cette raison, Platon admettait que l’intelligence humaine est naturellement remplie de toutes les espèces intelligibles, mais que l’union avec le corps l’empêche de passer à l’acte.

Mais cette opinion ne paraît pas recevable. 1° Dans l’hypothèse où l’âme aurait une connaissance naturelle de toutes choses, il ne semble pas possible qu’elle en arrive à oublier cette connaissance au point d’ignorer qu’elle la possède. Personne n’oublie ce qu’il connaît naturellement, par exemple que le tout est plus grand que la partie, et autres évidences. Cela paraît encore moins acceptable si l’on admet que l’union de l’âme et du corps est naturelle. Il ne convient pas en effet qu’une opération naturelle soit totalement empêchée par une chose qui appartient à un être en raison de sa nature. - 2° La fausseté de cette opinion apparaît clairement en ceci : lorsqu’on est privé d’un sens, on est privé aussi de la connaissance que procurait ce sens ; ainsi l’aveugle-né ne peut connaître aucunement les couleurs. Ce qui n’arriverait pas si l’intelligence humaine possédait par nature les concepts de tous les intelligibles. Il faut donc conclure que l’âme ne connaît pas les corps par le moyen d’espèces qui lui seraient innées.

Solutions :

1. Il est vrai que l’homme ressemble aux anges par sa faculté de comprendre ; il n’atteint pas cependant à l’excellence de leur intelligence. Ainsi les corps inférieurs qui se bornent à exister n’atteignent pas, selon S. Grégoire, au degré d’existence des corps supérieurs. En effet, la matière des corps inférieurs n’est pas totalement accomplie par la forme, mais elle est en puissance aux formes qu’elle n’a pas. La matière des corps célestes, au contraire, est totalement accomplie par la forme, en sorte qu’elle n’est plus en puissance à aucune autre comme nous l’avons vu antérieurement. De même, l’intelligence angélique est perfectionnée par les espèces intelligibles conformément à sa nature, mais l’intelligence humaine est seulement en puissance à ces espèces.

2. La matière première reçoit de la forme son être substantiel. Il fallait donc qu’elle fût créée sous une forme, faute de quoi elle n’aurait pas existé en acte. Mais même existant sous une forme, elle reste en puissance aux autres formes. Mais l’intelligence ne reçoit pas de l’espèce intelligible son être substantiel. Le cas n’est donc pas semblable.

3. Dans une interrogation méthodique, on procède des principes universels immédiatement connus aux principes propres. Une telle progression cause la science dans l’âme du disciple. Aussi, lorsque celui-ci donne une réponse juste sur ce qui lui est demandé par la suite, ce n’est pas parce qu’il le savait déjà ; il l’apprend alors comme une chose nouvelle. Il importe peu en effet que le maître passe des principes universels aux conclusions en exposant ou en interrogeant ; dans les deux cas, l’esprit de l’auditeur acquiert la certitude au sujet des vérités dérivées à l’aide des vérités connues les premières.

            Article 4 — Les espèces intelligibles découlent-elles dans l’âme de certaines formes séparées ?

Objections :

1. Il semble que oui, car tout ce qui existe sous un certain mode par participation est causé par ce qui existe essentiellement sous ce mode. Par exemple, l’état de ce qui est en feu a pour cause le feu. Or, lorsque l’âme intellectuelle est en acte de penser, elle participe des intelligibles eux-mêmes. L’intelligence en acte, en effet, est d’une certaine façon l’objet connu en acte. Donc, ce qui est de soi et par essence connu en acte, est cause que l’âme intellectuelle est en acte de penser. Or telles sont les formes qui existent sans matière. Par conséquent, les espèces intelligibles au moyen desquelles l’âme connaît sont donc causées en elle par certaines formes séparées.

2. Il y a le même rapport entre l’intelligible et l’intelligence qu’entre les sensibles et le sens. Or les qualités sensibles qui existent en acte hors de l’âme sont causes des espèces sensibles qui sont dans le sens, et par lesquelles nous sentons. Les espèces intelligibles au moyen desquelles notre intelligence connaît, sont donc causées par des intelligibles en acte, qui existent hors de l’âme. Ce sont justement des formes séparées de la matière. Les formes intelligibles qui sont en nous découlent donc de substances séparées.

3. Tout ce qui est en puissance est amené à l’acte par une réalité qui est elle-même en acte. Donc, si notre intelligence est d’abord en puissance, puis en acte de penser, cela doit avoir pour cause une intelligence qui est toujours en acte. Une telle intelligence est un intellect séparé. Les espèces intelligibles, par lesquelles nous sommes en acte de comprendre, sont donc causées par des substances séparées.

En sens contraire, selon cette manière de voir, nous n’aurions pas besoin des sens pour faire acte d’intelligence. Ce qui est évidemment faux, surtout si l’on considère que l’homme privé d’un sens ne peut avoir aucune science des qualités sensibles relatives à ce sens.

Réponse :

Certains philosophes ont affirmé que nos espèces intelligibles proviennent de formes ou de substances séparées. Il y eut deux opinions sur ce point. Platon, d’abord, comme nous l’avons dit, admettait que les formes des réalités sensibles subsistaient par soi, sans matière. Telle la forme de l’homme, qu’ü nommait " l’homme en soi ", ou l’idée du cheval, qu’il nommait " le cheval en soi ", etc. Les formes séparées étaient participées par notre âme et par la matière corporelle ; par notre âme, afin de connaître ; par la matière, afin d’exister. Ainsi, la participation à l’idée de pierre ferait que la matière corporelle devient " cette pierre ", et, de même, que notre intelligence connaît la pierre. Mais la participation à l’idée s’opère par une certaine ressemblance de cette idée dans l’être qui en participe. C’est quelque chose comme la relation du modèle à ce qui le reproduit. Donc, les formes sensibles qui sont dans la matière corporelle découlent des idées comme étant des ressemblances de ces idées ; il en va de même pour les espèces intelligibles en nous. C’est pourquoi Platon rapportait aux idées les sciences et les définitions, nous l’avons déjà dit.

Mais il est contre la nature même des choses sensibles que leurs formes subsistent sans matière. Aristote en donne de nombreuses preuves. Pour cette raison, Avicenne, rejetant l’opinion de Platon, posa en thèse non pas que les formes intelligibles des réalités accessibles aux sens subsistent sans matière, mais qu’elles préexistent sous un mode immatériel dans les intelligences séparées. Elles dérivent de la première intelligence dans la suivante, et ainsi de suite jusqu’à la dernière intelligence séparée, qu’il nomme intellect agent. C’est de celui-ci, selon la pensée d’Avicenne, que les espèces intelligibles découlent dans nos âmes, et les formes sensibles dans la matière corporelle.

Avicenne s’accorde ainsi avec Platon pour admettre que nos espèces intelligibles découlent de formes séparées. Mais Platon dit qu’elles subsistent par soi, et Avicenne qu’elles sont dans l’intellect agent. Il est encore une autre divergence. Pour Avicenne, les espèces intelligibles ne demeurent pas dans notre intelligence quand elle cesse de penser, mais elle doit se tourner vers l’intellect agent pour les recevoir à nouveau. Aussi n’admet-il pas une science innée dans l’âme, comme Platon, pour qui les participations aux idées demeurent dans l’âme d’une manière immuable.

Mais on ne peut, selon cette position, donner une raison suffisante de l’union de l’âme avec le corps. On ne peut dire que l’âme intellectuelle soit unie au corps en vue de ce dernier ; la forme n’est pas faite pour la matière, ni le moteur pour le mobile. C’est bien plutôt le contraire. Le corps paraît tout à fait nécessaire à l’âme intelligente pour l’opération propre à celle-ci, qui est de penser. Car, pour son existence, elle ne dépend pas du corps. Si l’âme était apte par nature à recevoir les espèces intelligibles par l’influence de principes séparés, et non à l’aide des sens, elle n’aurait pas besoin du corps pour son acte intellectuel. C’est donc en vain qu’elle serait unie au corps.

Si l’on disait, d’autre part, que notre âme a besoin des sens pour comprendre, parce que les sens l’excitent, en quelque façon, à considérer les choses dont elle reçoit les idées par l’action de principes séparés, cela encore serait insuffisant. Car cette excitation ne serait nécessaire à l’âme que dans la mesure où elle est, selon les platoniciens, comme endormie et sans mémoire, en raison de son union avec le corps. En ce cas, les sens n’auraient d’autre utilité pour l’âme intellectuelle que de supprimer les obstacles qui proviennent de cette union. Il restera donc à chercher pour quelle raison l’âme est unie au corps.

Mais si l’on dit avec Avicenne que les sens sont nécessaires à l’âme parce qu’ils l’excitent à se tourner vers l’intellect agent de qui elle reçoit les idées, cela n’est pas satisfaisant. Car, s’il était naturel à l’âme de connaître des espèces dérivées de l’intellect agent, il s’ensuivrait que l’âme pourrait parfois se tourner vers cet intellect, soit par une inclination de sa nature, soit sous l’excitation d’un autre sens, afin de recevoir les espèces de qualités sensibles dont le sens manquerait à un individu. En sorte qu’un aveugle-né pourrait avoir la science des couleurs, ce qui est évidemment faux. Il faut donc conclure que les espèces intelligibles par lesquelles notre âme connaît ne dérivent pas de formes séparées.

Solutions :

1. Les espèces intelligibles auxquelles participe notre esprit se ramènent, comme à leur cause première, à un principe intelligible par essence qui est Dieu. Mais elles procèdent de ce principe par l’intermédiaire des formes des êtres sensibles et matériels, par lesquels nous acquérons la science, selon Denys.

2. Les réalités matérielles peuvent être sensibles en acte quant à l’être qu’elles ont hors de l’âme, mais non pas intelligibles en acte. Le cas n’est donc pas le même pour le sens et pour l’intelligence.

3. Notre intellect possible passe de la puissance à l’acte par un être en acte : l’intellect agent, qui est une faculté de notre âme, comme on l’a vu. Ce n’est pas par un intellect séparé comme cause propre et immédiate, mais peut-être comme cause éloignée.

            Article 5 — Notre âme voit-elle tout ce qu’elle comprend dans les raisons éternelles ?

Objections :

1. Il semble que l’âme intellectuelle ne connaisse pas les choses matérielles dans les raisons éternelles. Car ce en quoi l’on connaît un objet est mieux connu que lui, et connu en priorité. Or l’âme intellectuelle, dans la vie présente, ne connaît pas les raisons éternelles, car elle ne connaît pas Dieu lui-même, en qui les raisons éternelles existent, mais " elle s’unit à lui comme à un être inconnu ", selon Denys. L’âme ne connaît donc pas toutes choses dans les raisons éternelles.

2. D’après S. Paul (Rm 1, 20), " les perfections invisibles de Dieu se voient au moyen des choses créées ". Or les raisons éternelles sont au nombre de ces perfections. Par suite, ce sont les raisons éternelles qu’on connaît au moyen des corps, et non l’inverse.

3. Les raisons éternelles ne sont pas autre chose que des idées. Pour S. Augustin en effet " les idées sont les raisons immuables des choses existant dans l’esprit divin ". Donc, si l’on admet que l’âme intellectuelle connaît tout dans les raisons éternelles, on reviendra à la théorie de la doctrine de Platon, pour qui toute science dérive des idées.

En sens contraire, S. Augustin nous dit : " Si nous voyons ensemble que la vérité se trouve et dans ce que vous dites, et dans ce que je dis, où donc pouvons-nous le voir ? Ni moi en vous, ni vous en moi, mais tous deux dans cette vérité immuable qui est supérieure à nos esprits. " Or la vérité immuable est contenue dans les raisons éternelles. L’âme intellectuelle connaît donc toute vérité dans ces raisons.

Réponse :

S. Augustin écrit : " S’il arrive à ceux qu’on nomme philosophes d’émettre des pensées vraies et en harmonie avec notre foi, il faut les leur réclamer comme à des possesseurs illégitimes. Car les doctrines des pa7iens renferment des fables inventées et superstitieuses, dont tout chrétien sortant de la société païenne doit se détourner. " Aussi, lorsque S. Augustin qui fut imprégné des doctrines platoniciennes, y trouvait des pensées en accord avec notre foi, il les recueillait ; lorsqu’il les jugeait contraires, il leur substituait quelque chose de mieux. Or Platon admettait, comme nous l’avons dit, que les formes des réalités subsistaient par elles-mêmes en dehors de la matière, et il les nommait " Idées ". C’est en participant d’elles que notre intelligence, d’après lui, connaît toutes choses. Ainsi, de même que la matière corporelle, par participation de l’idée de pierre, devient une pierre ; de même notre intelligence, en participant de la même idée, connaît la pierre. Mais il semble étranger à la foi d’admettre que les formes puissent subsister sans matière en dehors des réalités, ce qu’admettaient les platoniciens, en disant que " la vie en soi ", " la sagesse en soi " sont des substances créatrices, comme le rapporte Denys. En conséquence, S. Augustin admit, au lieu des Idées de Platon, des raisons de toutes les créatures, existant dans l’Esprit divin, selon lesquelles tous les êtres sont formés, et l’âme humaine connaît toutes choses.

Donc à cette demande : l’âme humaine connaît-elle toutes choses dans les raisons éternelles ? Il faut répondre qu’on peut connaître une chose dans une autre de deux manières. - 1° On la connaît dans un objet connu ; par exemple, quelqu’un voit dans un miroir des réalités dont l’image est reflétée dans ce miroir. L’âme, dans la vie présente, ne peut tout voir ainsi dans les raisons éternelles ; mais c’est ainsi que les bienheureux connaissent toutes choses, eux qui voient Dieu, et toutes choses en lui. - 2° On connaît une chose dans une autre, comme dans un principe de connaissance ; par exemple, nous disons voir dans le soleil ce que nous voyons dans la lumière de cet astre. En ce sens, il faut dire que l’âme humaine connaît tout dans les raisons éternelles ; c’est en participant d’elles que nous connaissons toutes choses. Car la lumière intellectuelle qui est en nous n’est rien d’autre qu’une ressemblance participée de la lumière incréée, en laquelle les raisons éternelles sont contenues. Aussi, à la demande faite dans le Psaume (4,6.7) : " Beaucoup d’hommes disent : Qui nous fera voir le bonheur ? " le Psalmiste répond : " Elle est marquée sur nous, la lumière de ton visage, Seigneur. " C’est comme si l’on disait : " Par le sceau même de la lumière divine en nous, tout nous est montré. "

Cependant, en plus de la lumière intellectuelle, il nous faut des espèces intelligibles tirées des choses matérielles pour connaître de telles choses ; c’est pourquoi nous ne connaissons pas ces choses du seul fait qu’elles participeraient des raisons éternelles, comme les platoniciens l’admettaient. D’où cette question de S. Augustin : " Les philosophes qui enseignent à l’aide d’arguments très sûrs que toutes les réalités temporelles sont produites par les raisons éternelles, ont-ils pu pour autant voir en ces mêmes raisons, ou déduire à partir d’elles, combien il y avait d’espèces d’animaux, et quels étaient leurs principes générateurs ? N’ont-ils pas cherché tout cela dans les descriptions des contrées et des époques ? " Et S. Augustin en disant que tout est connu " dans les raisons éternelles ", ou " dans la vérité immuable ", n’a pas prétendu que l’on voyait les raisons éternelles elles-mêmes. C’est clair d’après ce qu’il écrit ailleurs : " Ce n’est pas toute âme rationnelle, une âme quelconque, qui est reconnue apte à cette vision des raisons éternelles, mais seulement celle qui aura été sainte et pure " comme les âmes des bienheureux.

Tout cela répond clairement aux Objections.

            Article 6 — L’âme acquiert-elle la connaissance intellectuelle à partir du sens ?

Objections :

1. Il semble que la connaissance intellectuelle ne soit pas acquise à partir des réalités sensibles. Car S. Augustin affirme " Il ne faut pas attendre une vérité pure des sens corporels. " Il le prouve par deux arguments : 1° " Tout ce que peut atteindre le sens est en changement perpétuel ; or ce qui ne demeure pas ne peut pas être perçu. " - 2° " De tout ce que nous sentons au moyen du corps nous gardons une image, même quand la chose n’est pas présente au sens, par exemple dans le sommeil ou la démence ; on n’est pas capable alors de discerner par les sens si l’on connaît les réalités sensibles elles-mêmes ou de fausses représentations de ces réalités. Or rien ne peut être perçu, s’il n’est discerné du faux. " Et S. Augustin conclut qu’il ne faut pas attendre des sens la vérité. Or la connaissance intellectuelle saisit la vérité. Donc il ne faut pas attendre des sens la connaissance intellectuelle.

2. S. Augustin dit encore " Il ne faut pas croire qu’un corps puisse agir sur l’esprit, comme si l’esprit était sous l’action du corps à la façon d’une matière ; car l’être en activité est supérieur en tout point à l’être dont il fait quelque chose. " D’où cette conclusion : " Ce n’est pas le corps qui produit son image dans l’esprit, mais l’esprit qui la forme en lui-même. " La connaissance intellectuelle ne dérive donc pas des choses sensibles.

3. L’effet ne peut dépasser la vertu de sa cause. Or la connaissance intellectuelle s’étend au-delà des données sensibles. Nous saisissons en effet par l’intelligence certains objets que le sens ne peut percevoir. La connaissance intellectuelle ne dérive donc pas des réalités sensibles.

En sens contraire, Aristote prouve dans la Métaphysique et à la fin des Seconds Analytiques que le principe de notre connaissance est le sens.

Réponse :

Il y eut sur ce point trois opinions parmi les philosophes. Pour Démocrite, " il n’est pas d’autre cause à toute notre connaissance que ceci : de ces corps que nous concevons, des images viennent pénétrer dans nos âmes ". Ainsi s’exprime S. Augustin dans sa lettre à Dioscore. Aristote lui-même r rapporte que Démocrite expliquait la connaissance " par des images et des émanations ". Et le motif de cette opinion est que Démocrite, tout comme les autres anciens philosophes de la Nature, ne mettait pas de différence entre l’intelligence et le sens, d’après Aristote au traité De l’Ame. Et comme le sens est modifié par le sensible, ils croyaient que toute notre connaissance provenait exclusivement de cette modification. Selon Démocrite, elle était produite par des émanations d’images.

Platon, au contraire, mettait une différence entre l’intelligence et le sens, l’intelligence étant une puissance immatérielle qui n’employait pas un organe corporel pour agir. Mais, comme un principe immatériel ne peut être modifié par un corps, Platon admit que la connaissance intellectuelle provient non d’une modification de l’intelligence par les choses sensibles, mais par une participation des formes intelligibles séparées, comme nous l’avons dit. De plus, le sens était pour lui une puissance qui agit par elle-même. Étant une force spirituelle, le sens non plus ne pouvait être modifié par les choses sensibles. Ce sont les organes des sens qui recevaient cette modification par laquelle l’âme serait en quelque sorte excitée à former en elle les espèces des réalités sensibles. S. Augustin paraît faire allusion à cette opinion lorsqu’il dit v que " ce n’est pas le corps qui sent, mais l’âme par le corps ; elle se sert de lui comme d’un messager pour former en elle-même ce qui est annoncé du dehors ". En fin de compte, d’après Platon, ni la connaissance intellectuelle ne procède du sensible, ni même la connaissance sensible n’est produite entièrement par les réalités matérielles. Mais celles-ci excitent l’âme sensible à sentir, et les sens excitent l’âme intellectuelle à connaître.

Aristote, lui, prit une voie intermédiaire. Il admettait avec Platon que l’intelligence diffère du sens, mais que le sens n’a pas d’opération propre sans communiquer avec le corps ; en sorte que sentir n’est pas un acte de l’âme seulement, mais du composé. De même pour toutes les opérations de l’âme sensitive. Or, rien ne s’oppose à ce que les choses sensibles qui sont hors de l’âme agissent sur le composé. Aristote s’accorde donc avec Démocrite pour admettre que les opérations de l’âme sensitive sont produites par une impression des choses sensibles sur le sens, non pas par manière d’émanation, comme le voulait Démocrite, mais par une certaine action. Car Démocrite expliquait toute opération par une émanation d’atomes, comme le montre Aristote. - Quant à celui-ci, il affirme agir sur une réalité incorporelle, il ne suffit donc pas, pour produire l’acte d’intelligence, de la seule impression des corps sensibles, mais il faut un principe d’une nature plus élevée. Car " l’agent est plus noble que le patient ", dit-il lui-même--. Non pas cependant que l’acte intellectuel soit produit en nous par la seule impression d’êtres supérieurs, selon l’opinion de Platon. Mais ce principe actif, supérieur et de nature plus élevée, qu’Aristote appelle intellect agent et dont nous avons parlé précédemment, rend intelligibles en acte par mode d’abstraction, les images acquises par le sens.

D’après cela, dans la mesure où il dépend des images, l’acte intellectuel est causé par le sens. Mais parce que les images sont incapables de modifier l’intellect possible, elles doivent être rendues intelligibles en acte par l’intellect agent En conséquence, on ne peut dire que la connaissance sensible soit la cause totale et parfaite de la connaissance intellectuelle, mais plutôt elle est la matière sur laquelle agit cette cause.

Solutions :

1. Les paroles de S. Augustin signifient qu’il ne faut pas attendre des sens qu’ils nous livrent toute la vérité. La lumière de l’intellect agent est requise, par laquelle nous connaissons sous un mode immuable les choses changeantes, et nous discernons les réalités de leurs images.

2. S. Augustin ne parle pas en cet endroit de connaissance intellectuelle, mais de connaissance imaginative. Or, dans la doctrine de Platon, l’imagination est douée d’une activité qui appartient à l’âme seule. Aussi, pour montrer que les corps n’impriment pas leur ressemblance dans l’imagination, mais que c’est l’âme même qui le fait, S. Augustin s’est-il servi du principe employé par Aristote pour prouver que l’intellect agent est séparé : à savoir, que " l’agent est plus noble que le patient ". Et sans aucun doute faudrait-il, selon cette doctrine, que l’imagination, outre une puissance passive, ait encore une puissance active. Mais si nous affirmons avec Aristote que l’acte d’imagination appartient au composé, il n’y a pas de difficulté ; car le corps sensible est plus noble que l’organe de l’animal, en tant qu’il est avec celui-ci dans le rapport d’un être en acte à un être en puissance, comme le coloré en acte par rapport à la pupille qui est colorée en puissance. - On pourrait cependant répondre autrement. La modification primitive de la faculté d’imaginer provient bien d’une action des choses sensibles, car " l’imagination est un mouvement qui a son origine dans le sens ", selon le traité De l’âme.

Néanmoins, il y a dans l’homme une certaine opération psychologique qui, en divisant et composant, forme diverses images qui n’ont pas été reçues par le moyen des sens. Si on l’interprète ainsi, le texte de S. Augustin est acceptable.

3. La connaissance sensible n’est pas la cause totale de la connaissance intellectuelle. Rien d’étonnant alors si celle-ci s’étend plus loin que celle-là.

            Article 7 — L’intellect peut-il avoir une connaissance en acte, au moyen des espèces intelligibles qu’il possède, sans recourir aux images ?

Objections :

1. Cela semble possible. Car l’intellect peut passer à l’acte par l’espèce intelligible qui l’informe. Mais l’intelligence en acte, c’est l’acte même de penser. Donc les espèces intelligibles suffisent pour cet acte, sans qu’il y ait retour sur les images.

2. L’imagination dépend davantage du sens que l’intelligence ne dépend de l’imagination. Or on peut concevoir que l’imagination soit en acte malgré l’absence des choses sensibles. À plus forte raison l’intelligence peut-elle comprendre sans retour sur les images.

3. Il n’y a pas d’images des réalités immatérielles ; car l’imagination ne dépasse pas le temps et le continu spatial. Si notre intelligence ne peut avoir d’activité sans recourir aux images, il s’ensuit donc qu’elle ne peut rien atteindre d’immatériel. Ce qui est évidemment faux, puisque nous connaissons par l’intelligence la vérité elle-même, et Dieu et les anges.

En sens contraire, le Philosophe affirme " L’âme ne perçoit intellectuellement rien sans image. "

Réponse :

Notre intelligence, selon l’état de la vie présente où elle est unie à un corps passible, ne peut passer à l’acte sans recourir aux images. On le constate à deux signes. D’abord, étant une faculté qui n’emploie pas d’organe corporel, l’intelligence ne serait nullement entravée dans son activité par une lésion organique, si son activité même ne requérait pas l’exercice d’une faculté qui a besoin d’un organe. Or, tels sont le sens, l’imagination et toutes les puissances appartenant à l’âme sensible. Ce qui prouve clairement que pour exercer son activité, non seulement dans l’acquisition d’une science nouvelle, mais encore dans l’usage d’une science acquise, l’intelligence requiert l’acte de l’imagination et des autres facultés. Car nous le voyons : quand une lésion organique entrave soit l’acte de l’imagination chez les fous, soit l’acte de la mémoire chez les léthargiques, l’individu ne peut faire acte d’intelligence, même par rapport aux connaissances qu’il avait acquises auparavant. Ensuite, chacun peut l’observer en soi-même, lorsqu’on cherche à connaître intellectuellement quelque chose, on se forme par manière d’exemples des images dans lesquelles on regarde, pour ainsi dire, ce qu’on désire connaître. Également, quand nous voulons faire comprendre une chose à quelqu’un, nous lui donnons des exemples dont il puisse se former des images pour comprendre.

La raison en est que toute puissance connaissante est en proportion avec l’objet à connaître. Pour l’intelligence angélique, qui est absolument séparée de tout corps, l’objet propre est la substance intelligible, qui elle-même n’a pas de corps. Et c’est par de tels intelligibles que cette intelligence connaît les réalités matérielles. Pour l’intelligence humaine, qui est unie à un corps, l’objet propre est la quiddité ou nature qui existe dans une matière corporelle. Et c’est par les natures des choses visibles qu’elle s’élève même à une certaine connaissance des réalités invisibles. Or, par définition, cette nature sensible se trouve chez un individu qui ne peut exister sans matière corporelle. Ainsi, par définition, l’essence de la pierre existe en telle pierre, l’essence du cheval existe en tel cheval, et ainsi du reste. Par suite, la nature de la pierre, ou de quelque autre réalité matérielle, ne peut être parfaitement et vraiment connue que dans la mesure où on la connaît comme existant dans le particulier. Or nous connaissons celui-ci par le sens et par l’imagination. Donc, pour que l’intelligence connaisse en acte son objet propre, il est nécessaire qu’elle se tourne vers l’image afin de considérer l’essence universelle comme existant dans le particuliers. Si l’objet propre de l’intelligence était la forme séparée, ou si les natures des réalités sensibles ne subsistaient pas dans les êtres particuliers, comme le veulent les platoniciens, il ne serait pas nécessaire que notre intelligence ait toujours recours au phantasme pour comprendre.

Solutions :

1. Les espèces intelligibles, conservées dans l’intellect possible, s’y trouvent à l’état d’habitus quand on n’est pas en acte de pensée, nous l’avons dit précédemment. Pour connaître en acte, il ne suffit pas de la simple conservation des espèces, mais il faut que nous en fassions usage de la manière qui convient aux réalités dont elles sont les espèces, c’est-à-dire des natures existant en des êtres particuliers.

2. L’image est elle-même une ressemblance de la réalité particulière. Elle n’a donc pas besoin d’une autre ressemblance du particulier, comme l’intelligence en a besoin.

3. Les objets incorporels dont il n’y a pas d’images ne nous sont connus que par relation aux corps sensibles qui eux ont des images. Ainsi, nous atteignons la vérité en considérant la réalité qui est l’objet de notre réflexion ; nous connaissons Dieu comme cause, suivant Denys, et par passage à la limite, et par négation ; quant aux autres substances immatérielles, nous ne pouvons les connaître, en l’état de la vie présente, que par négation, ou par relation aux êtres corporels. C’est pourquoi, lorsque nous saisissons l’un de ces objets, nous devons recourir aux images des corps, bien que ces objets eux-mêmes n’aient pas d’images.

            Article 8 — Le jugement de l’intellect est-il empêché par la paralysie des facultés sensibles ?

Objections :

1. Il semble que non. Car le supérieur ne dépend pas de l’inférieur. Or, le jugement de l’intelligence est au-dessus de l’opération des sens.

2. Raisonner est un acte intellectuel. Or, dans le sommeil, le sens est réduit à l’inaction. Il arrive néanmoins qu’on raisonne en dormant. Le jugement de l’intelligence n’est donc pas entravé parce que l’action du sens est arrêtée.

En sens contraire, ce qui arrive de contraire aux bonnes mœurs, durant le sommeil, n’est pas imputable comme une faute, dit S. Augustin. Ce ne serait pas le cas si l’homme avait alors le libre usage de la raison et de l’intelligence. L’exercice de la raison est donc entravé par l’immobilisation du sens.

Réponse :

L’objet propre de notre intelligence est, nous l’avons dit à l’article précédent, la nature de la réalité sensible. Or, on ne peut juger parfaitement d’une chose si l’on ne connaît tout ce qui s’y rapporte, et surtout si l’on ignore le terme et la fin du jugement. Selon Aristote " de même que l’œuvre est la fin de la science technique, de même la fin de la science de la nature est principalement le donné de la connaissance sensible ". L’artisan ne se préoccupe de connaître le couteau qu’en vue de son travail, pour fabriquer ce couteau particulier. Pareillement, l’homme des sciences de la nature ne cherche à connaître la nature de la pierre ou du cheval que pour savoir la définition des réalités perceptibles au sens. Il est évident que l’artisan ne pourrait juger parfaitement du couteau, s’il ignorait le travail qu’il fait ; ni l’homme de science, des réalités naturelles, s’il ignorait les choses sensibles. Or, tout ce que notre intelligence atteint, dans la vie présente, nous le connaissons par rapport à ces choses sensibles et naturelles. Nous ne pouvons donc avoir de jugement intellectuel parfait lorsque le sens, qui nous fait connaître les réalités sensibles, est empêché d’agir.

Solutions :

1. L’intelligence est supérieure au sens ; elle dépend cependant de lui d’une certaine façon. Ses objets immédiats et principaux ont leur origine dans le sensible. Il est donc inévitable que le jugement de l’intelligence soit empêché par l’inactivité du sens.

2. Le sens est lié chez le dormeur en raison de certaines évaporations, de vapeurs qui se dissipent, comme il est dit au livre Du Sommeil. Aussi, selon l’état de ces vapeurs, le sens se trouve-t-il plus ou moins lié. Quand il y a un grand mouvement de vapeurs, non seulement le sens est lié, mais l’imagination aussi, et alors il n’y a plus de représentation d’images ; surtout lorsqu’on s’endort après un repas copieux. Quand le mouvement des vapeurs est plus lent, il y a bien des images, mais déformées et sans ordre ; par exemple chez les fiévreux. Et si le mouvement est encore plus calme, on a des images ordonnées ; cela se produit surtout vers la fin du sommeil, et chez les hommes sobres et doués d’une forte imagination. Si le mouvement est faible, non seulement l’imagination se trouve libre, mais même le sens commun est particulièrement libéré ; à ce point qu’on juge parfois en dormant que ce qu’on voit est un rêve, comme si l’on discernait entre les réalités et leurs images. Cependant, le sens commun reste quelque peu lié ; tout en discernant entre certaines images et les réalités, il se trompe toujours sur quelques-unes de ces images. - Donc, dans la mesure où le sens et l’imagination demeurent libres dans le sommeil, le jugement de l’intelligence a son libre exercice, mais non pas totalement. Par suite, ceux qui raisonnent en dormant reconnaissent toujours au réveil qu’ils ont fait quelque erreur.

 

 

QUESTION 85 — COMMENT ET DANS QUEL ORDRE OPÈRE L’INTELLIGENCE ?

1. Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ? - 2. Les espèces intelligibles abstraites des images sont-elles ce que notre intelligence connaît, ou ce par quoi elle connaît ? - 3. Est-il naturel à notre intellect de connaître d’abord le plus universel ? - 4. Peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? - 5. Connaît-il par composition et division ? - 6. Peut-il se tromper ? - 7. Quelqu’un peut-il connaître une même chose plus qu’un autre ? - 8. Notre intellect connaît-il l’indivisible avant le divisible ?

 

            Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

Objections :

1. Il semble que non. Car toute intelligence qui connaît une chose autrement qu’elle n’est, est dans l’erreur. Or les formes matérielles ne sont pas abstraites des êtres particuliers dont les ressemblances sont les images. Donc, si nous connaissons les réalités matérielles en abstrayant les espèces à partir des images, il y a erreur dans notre intelligence.

2. Les réalités matérielles sont les êtres de la nature qui contiennent la matière dans leur définition. Or on ne peut rien connaître par l’intelligence sans les éléments de la définition. Les réalités matérielles ne peuvent donc être connues si l’on ne connaît pas leur matière. Mais la matière étant principe d’individuation, les réalités matérielles ne peuvent être connues en abstrayant l’universel à partir du particulier, ce qui arrive quand on abstrait les espèces intelligibles à partir des images.

3. Pour Aristote, les images sont à l’âme intellectuelle dans le rapport des couleurs à la vue. Or la vision ne s’obtient pas en abstrayant des couleurs certaines espèces, mais par le fait que les couleurs s’impriment dans la vue. Donc comprendre ne résulte pas d’une abstraction à partir des images, mais d’une impression des images dans l’intelligence.

4. Comme il est dit au traité De l’âme, il y a dans l’âme intellectuelle deux facultés, l’intellect agent et l’intellect possible. Or ce qui appartient à l’intellect possible, ce n’est pas d’abstraire les espèces intelligibles à partir des images, mais de recevoir les espèces déjà abstraites. Mais cela ne semble pas appartenir non plus à l’intellect agent ; car celui-ci joue à l’égard des images le même rôle que la lumière à l’égard des couleurs ; et celle-ci n’abstrait rien à partir des couleurs, elle s’y insinue plutôt. Donc en aucune façon nous ne faisons acte à’intelligence en abstrayant à partir des images.

5. Le Philosophe dit que " l’intelligence connaît les espèces dans les images ". Ce n’est donc pas en les abstrayant.

En sens contraire, Aristote affirme : " Dans la mesure où les choses sont séparables de la matière, elles ont rapport à l’intelligence. " Il faut donc que les réalités matérielles soient connues intellectuellement en tant qu’elles sont abstraites de la matière et des ressemblances matérielles, qui sont les images.

Réponse :

L’objet à connaître est, comme on l’a dit, proportionné à la faculté connaissante. Or il y a trois degrés dans ce genre de faculté. Il y a une faculté de connaître qui est l’acte d’un organe corporel, c’est le sens. Voilà pourquoi l’objet de toute puissance sensible est une forme qui existe dans une matière corporelle. Et puisque cette matière est le principe de l’individuation, toute puissance sensible ne connaît que les êtres particuliers. Il y a une autre faculté de connaître qui n’est pas l’acte d’un organe et n’est unie en aucune manière à la matière corporelle : c’est l’intellect angélique. Aussi son objet est-il une forme qui subsiste sans matière. Même lorsque les anges connaissent les réalités matérielles, ils ne les contemplent que dans des êtres immatériels, soit en eux-mêmes, soit en Dieu. L’intelligence humaine se tient entre les deux ; car elle n’est pas l’acte d’un organe, mais une faculté de l’âme, laquelle est forme du corps, comme on l’a bien vu précédemment. Il lui est donc propre de connaître une forme qui existe individuée dans une matière corporelle, mais non de connaître cette forme en tant qu’elle est dans telle matière. Or, connaître ce qui existe dans une matière individuelle, mais non en tant qu’elle existe dans telle matière, c’est abstraire de la matière individuelle la forme que représentent les images. Et c’est pourquoi on doit dire que notre intelligence connaît les réalités matérielles en les abstrayant des images. Et en considérant de la sorte ces réalités, nous parvenons à connaître quelque chose des êtres immatériels, tandis que les anges connaissent les êtres matériels par l’intermédiaire des êtres immatériels.

Platon, qui ne prêtait attention qu’à l’immatérialité de l’intelligence humaine, et non à son union avec le corps, donnait pour objet à l’intelligence les idées séparées. Pour lui, quand nous comprenons, ce n’est pas en abstrayant, mais bien plutôt en participant des réalités abstraites, comme nous l’avons déjà exposé.

Solutions :

1. Il y a deux modes d’abstraction. Le premier, par composition et division, quand nous comprenons qu’une chose n’est pas une autre ou qu’elle en est séparée. Le second par une considération simple, quand nous pensons à un objet, sans faire attention à un autre. Si l’intelligence abstrait, selon le premier mode, en séparant des choses qui en réalité ne sont pas séparées, cela implique une erreur. Mais si l’on procède selon le second mode, cela n’est pas faux, comme on le voit clairement dans les choses sensibles. Car, si nous pensions ou disions que la couleur ne se trouve pas dans le corps coloré, ou qu’elle en est séparée, notre opinion ou notre dire serait faux. Mais cela n’arrivera pas si nous considérons seulement la couleur et ses propriétés, sans faire attention au fruit qui est coloré. Le fruit n’appartient pas à la définition de la couleur il n’y a donc rien qui empêche de connaître la couleur, alors qu’on ne considère nullement le fruit. De même, ce qui appartient par définition à l’espèce d’une réalité matérielle quelconque, une pierre, un homme, un cheval, peut être considéré sang les principes individuels, qui n’appartiennent pas à la définition de l’espèce. Procéder ainsi, c’est abstraire l’universel du particulier, ou l’espèce intelligible de l’image, c’est-à-dire considérer la nature de l’espèce, sans considérer les principes individuels présentés par les images.

Donc, quand on dit que l’intelligence est dans l’erreur lorsqu’elle connaît une réalité autrement qu’elle n’est, on dit vrai si l’on rapporte le terme " autrement " à la réalité connue. Car l’intelligence est dans l’erreur lorsqu’elle pense qu’une chose existe autrement qu’elle n’est. L’intellect serait dans l’erreur s’il abstrayait hors de la matière l’espèce de la pierre, pour faire croire qu’elle n’existe pas dans la matière, selon la thèse de Platon. - Mais on ne dit pas vrai, si " autrement " est rapporté à celui qui comprend. Il n’est pas erroné d’admettre que le mode d’être de celui qui comprend effectivement est différent du mode d’être de la réalité existante. Car l’objet pensé est immatériellement en celui qui comprend selon la nature de l’intelligence, mais non pas matériellement à la manière d’une réalité matérielle.

2. Selon certains philosophes, l’essence spécifique des réalités naturelles serait seulement la forme, et la matière ne serait pas une partie de l’essence. A ce compte, on ne devrait pas mettre la matière dans la définition de ces réalités. Il faut donc parier autrement. Il y a deux matières : l’une est commune, et l’autre " désignée " ou individuelle. La matière commune, c’est par exemple la chair et l’os en général ; la matière individuelle, ces chairs et ces os. L’intelligence abstrait donc de la matière de la chose naturelle l’essence spécifique, en laissant de côté la matière sensible individuelle, mais non pas la matière sensible commune. Par exemple, elle abstrait l’essence de cet homme, en laissant de côté sa chair et ses os qui n’appartiennent pas à la définition de l’essence spécifique, mais sont les éléments individuels, selon Aristote ; cette essence peut donc être considérée à part de ces éléments. Mais l’espèce " homme " ne peut être abstraite par l’intelligence de la chair et des os.

Les essences mathématiques peuvent être abstraites par l’intellect de la matière sensible non seulement individuelle, mais commune ; non pas toutefois de la matière intelligible commune, mais seulement individuelle. La matière sensible, c’est la matière corporelle en tant qu’elle possède des qualités sensibles : froid et chaud, dur et mou, etc. La matière intelligible, c’est la substance en tant qu’elle supporte la quantité. Or la quantité appartient à la substance avant les qualités sensibles. D’où les modes de la quantité, nombres, dimensions, figures, qui sont les limites de celle-ci, peuvent être considérées à part des qualités sensibles, ce qui est abstraire de la matière sensible. Cependant elles ne peuvent pas être envisagées sans la notion d’une substance sous-jacente à la quantité, ce qui serait abstraire de la matière intelligible commune. On peut néanmoins les considérer à part de cette substance-ci et de cette substance-là, c’est-à-dire abstraire de la matière intelligible individuelle.

D’autres notions peuvent être abstraites même à partir de la matière intelligible commune, par exemple, l’être, l’un, la puissance et l’acte ; et d’autres encore qui même peuvent exister sans aucune matière, comme les substances immatérielles.

Platon, n’ayant pas distingué les deux modes d’abstraction dont nous avons parlé h, affirmait que tout ce qui selon nous est abstrait par l’intelligence, était séparé en réalité.

3. Les couleurs ont le même mode d’existence dans la matière corporelle individuelle et dans la faculté de voir. Elles peuvent donc imprimer cette ressemblance dans cette faculté. Mais les images, qui sont des ressemblances d’êtres individuels et se trouvent en des organes corporels, n’ont pas le même mode d’être que l’intelligence humaine, comme nous venons de le montrer. Elles ne peuvent donc par leur propre action s’imprimer dans l’intellect possible. Mais l’action de l’intellect agent produit une certaine ressemblance du réel dans l’intellect possible par une conversion de l’intellect agent vers les images ; cette ressemblance représente les réalités dont on possède les images, mais uniquement quant à l’essence spécifique.

Et c’est en ce sens qu’on dit l’espèce intelligible abstraite des images ; mais cela ne signifie pas qu’une même forme, qui était d’abord dans les images, se trouve ensuite dans l’intellect possible à la manière dont un corps, pris dans un lieu, est transporté dans un autre.

4. Les images reçoivent la lumière de l’intellect agent, et de plus c’est d’elles que sont abstraites les espèces intelligibles par l’action de cette faculté. Elles reçoivent une lumière ; en effet, de même que la partie sensible de l’âme acquiert une force plus grande à cause de son union à la partie intellectuelle, de même les images, par la vertu de l’intellect agent, deviennent susceptibles de fournir, par l’abstraction, des représentations intelligibles. L’intellect agent opère cette abstraction dans la mesure où nous sommes capables de considérer les essences spécifiques en laissant à part les conditions individuelles, et ce sont les ressemblances de ces essences qui informent l’intellect possible.

5. Notre intellect, certes, abstrait les espèces des images en tant qu’il considère les natures des choses sous un mode universel. Et cependant, il connaît celles-ci dans les images, car il ne peut connaître la réalité dont il abstrait les espèces intelligibles que par le retour aux images, comme nous l’avons vu précédemment.

            Article 2 — Les espèces intelligibles abstraites sont-elles ce que notre intelligence connaît ?

Objections :

1. Il semble que oui, car l’objet connu en acte se trouve dans celui qui connaît, parce que le connu en acte est l’intelligence elle-même en acte[4425]. Or il n’y a rien de la chose connue dans l’intelligence en acte, si ce n’est l’espèce intelligible abstraite. Cette espèce est donc l’objet connu en acte.

2. L’objet connu en acte doit se trouver dans un certain sujet. Autrement il ne serait rien. Or il n’est pas dans la réalité, qui est hors de l’âme. Car cette réalité étant matérielle, rien de ce qui est en elle ne peut être l’objet connu en acte. Cet objet est donc dans l’intelligence, et n’est pas autre chose que l’espèce intelligible.

3. D’après Aristote " les mots sont les signes des états de l’âme ". Or les mots signifient les réalités connues, car c’est par la parole que nous exprimons ce que nous comprenons. Donc les états de l’âme que sont les espèces intelligibles sont cela même que nous connaissons.

En sens contraire, il y a le même rapport entre l’espèce intelligible et l’intelligence qu’entre l’espèce sensible et le sens. Or l’espèce sensible n’est pas ce qui est senti, mais bien plutôt ce par quoi le sens connaît. Donc l’espèce intelligible n’est pas ce qui est compris, mais ce par quoi l’intelligence comprend.

Réponse :

Certains philosophes ont prétendu que les puissances de connaître qui sont en nous ne connaissent que leurs propres modifications : par exemple le sens ne connaîtrait que la modification de son organe. Et dans cette théorie l’intelligence ne connaît aussi que sa modification, qui est l’espèce intelligible qu’elle reçoit. Et en conséquence, l’espèce intelligible est ce qui est connu.

Mais cette opinion est évidemment fausse, pour deux raisons. D’abord, parce que les objets que nous comprenons et les objets des sciences sont identiques. Donc, si ceux que nous comprenons n’étaient que les espèces qui sont dans l’âme, toutes les sciences seraient une connaissance non des réalités hors de l’âme, mais des espèces intelligibles qu’elle possède en elle. Ainsi, pour les platoniciens, il n’y a de science que des idées, qui d’après eux sont les objets connus en acte. - En second lieu, on en arriverait à l’erreur des anciens qui affirmaient que " tout ce qui paraît est vrai " ; et par suite que les contradictoires sont vraies simultanément. En effet, si la puissance ne connaît que sa propre modification, elle ne peut juger que de cela. Or un objet paraît être de telle manière, selon la manière dont la puissance de connaître est affectée. Donc le jugement de cette puissance aura pour objet cela même qu’elle juge, c’est-à-dire sa propre modification, telle qu’elle est. Et ainsi tout jugement sera vrai. Par exemple, si le goût ne perçoit que sa propre modification, celui dont le goût est sain et qui juge que le miel est doux, jugera juste, et de même celui dont le goût est infecté et qui juge le miel amer. L’un et l’autre jugent selon l’impression de leur goût. Par conséquent, toute opinion sera également vraie, et de façon générale, toute conception.

On doit donc dire que l’espèce intelligible est pour l’intelligence ce par quoi elle connaît. Cela se prouve ainsi. Il y a deux sortes d’action, d’après Aristote : celle qui demeure dans le principe actif, comme voir ou penser, et celle qui passe dans une réalité extérieure, comme chauffer et couper. Or l’une et l’autre supposent une certaine forme. La forme par laquelle se réalise l’action transitive est un mode d’être semblable au terme de l’action ; par exemple la chaleur de la chose qui chauffe est semblable à ce qui est chauffé. Pareillement, la forme requise pour l’action immanente est une ressemblance de l’objet. Aussi la ressemblance de la réalité visible est-elle la forme par laquelle la faculté visuelle voit, et la ressemblance de la réalité connue par l’intelligence, c’est-à-dire l’espèce intelligible, est la forme par laquelle l’intelligence connaît.

Mais parce que l’intelligence réfléchit sur elle-même, elle saisit par la même réflexion et son acte de connaître, et l’espèce par laquelle elle connaît. Et ainsi l’espèce intelligible est ce qui est connu en second lieu. Mais ce qui est premièrement connu, c’est la réalité dont l’espèce intelligible est la ressemblance[4426].

On peut le prouver encore par la théorie ancienne qui admettait que " le semblable est connu par le semblable ". L’âme connaîtrait, par la terre qui est en elle, la terre qui est au-dehors, et ainsi du reste. Au lieu de la terre, nous pouvons dire " l’espèce intelligible de la terre ", selon Aristote qui déclare - " ce n’est pas la pierre qui est dans l’âme, mais l’espèce de la pierre " ; alors ce sera au moyen des espèces intelligibles que l’âme connaîtra les réalités qui sont en dehors d’elle.

Solutions :

1. L’objet connu est dans l’intelligence connaissante par sa ressemblance. Et de cette façon on identifie objet connu et intelligence en acte, en tant que la ressemblance de la réalité connue est la forme de l’intelligence, de même que la ressemblance de la réalité sensible est la forme du sens en acte. On ne peut donc conclure que l’espèce intelligible abstraite est l’objet connu, mais qu’elle en est la ressemblance.

2. Quand on dit " objet connu en acte ", deux choses sont considérées : la réalité connue et le fait même d’être connu. De même, quand on dit " universel abstrait ", on comprend et la nature de la réalité, et l’état d’abstraction ou d’universalité. La nature réelle, à qui il arrive d’être connue, abstraite, universalisée, n’existe que dans les singuliers. Mais le fait même d’être connue, abstraite, universalisée, est dans l’intelligence. On peut en juger par un exemple pris du sens. La vue voit la couleur du fruit, sans percevoir son odeur. Si l’on demande où existe la couleur qui est vue indépendamment de l’odeur, il est donc clair qu’elle existe seulement dans le fruit. Mais qu’elle soit perçue en laissant de côté l’odeur, cela tient à la vue, parce qu’il y a dans la vue une ressemblance de la couleur, et non de l’odeur. Pareillement, l’humanité connue par l’intelligence n’existe que dans cet homme-ci ou cet homme-là. Mais que l’humanité soit connue sans les conditions individuelles, ce qui est le fait même de l’abstraction, et de quoi résulte l’idée universelle, cela lui arrive en tant qu’elle est perçue par l’intelligence, dans laquelle se trouve la ressemblance de l’essence spécifique, et non celle des principes individuels.

3. Il y a dans la partie sensible de l’âme deux sortes d’opération. L’une suppose seulement une modification ; ainsi l’opération du sens se réalise-t-elle en ce que celui-ci est modifié par le sensible. L’autre suppose la formation d’un objet, en tant que la faculté d’imaginer se donne la représentation d’une réalité absente ou jamais vue. L’une et l’autre opérations sont réunies dans l’intelligence. On observe d’abord une modification de l’intellect possible, en tant qu’il reçoit la forme de l’espèce intelligible. Ainsi modifié, il forme en second lieu une définition, une division ou une composition qui est exprimée par le mot. Donc la " raison " que signifie le nom, c’est la définition, et la proposition exprime l’acte intellectuel de composer et de diviser. Les mots ne désignent donc pas les espèces intelligibles, mais les moyens que l’activité intellectuelle se donne pour juger des choses extérieures.

 

            Article 3 — Est-il naturel à notre intellect de connaître d’abord le plus universel ?

Objections :

1. Il semble que les concepts les plus universels n’ont pas la priorité dans notre connaissance intellectuelle. Ce qui par nature est antérieur et plus connu est postérieur et moins connu par rapport à nous. Or l’universel est antérieur par nature : car ce qui est premier, c’est ce qui n’implique pas réciprocité dans les conditions d’existence. L’universel est donc donné postérieurement dans notre connaissance intellectuelle.

2. Pour nous, le composé est antérieur au simple. Or les concepts les plus universels sont les plus simples. Par rapport à nous, ils sont donc connus postérieurement.

3. D’après Aristote, le défini arrive à notre connaissance avant les parties de la définition. Mais le plus universel fait partie de la définition du moins universel, par exemple : " animal " fait partie de la définition de l’homme. Le plus universel est donc postérieur par rapport à nous.

4. C’est par les effets que nous parvenons aux causes et aux principes. Or les universaux sont des principes. Ils sont donc connus en second lieu par rapport à nous.

En sens contraire, il est dit au livre I de la Physique qu’on doit procéder de l’universel au singulier.

Réponse :

Il y a deux choses à considérer dans notre connaissance intellectuelle. D’abord que cette connaissance prend en quelque sorte son origine de la connaissance sensible. Or, le sens a pour objet le singulier, et l’intelligence, l’universel. La connaissance du singulier doit donc être pour nous antérieure à celle de l’universel. - En second lieu, notre intelligence passe de la puissance à l’acte. Tout ce qui change ainsi parvient d’abord à l’acte incomplet, intermédiaire entre la puissance et l’acte, avant d’arriver à l’acte parfait. Cet acte parfait, c’est la science achevée, qui fait connaître les réalités d’une manière distincte et précise. Quant à l’acte incomplet, c’est une science imparfaite qui donne une connaissance indistincte et confuse. Car ce qu’on connaît de cette façon est connu sous un certain rapport en acte, et sous un autre, en puissance. Aussi, dit Aristote, "ce qui est d’abord manifesté et certain pour nous l’est d’une manière assez confuse ; mais ensuite nous distinguons avec netteté les principes et les éléments". Or, il est évident que connaître une chose qui renferme plusieurs éléments sans avoir une connaissance propre de chacun, c’est la connaître confusément. On peut connaître ainsi et le tout universel, en qui les parties sont contenues en puissance, et le tout intégral. L’un et l’autre peuvent être connus d’une manière confuse, sans que leurs parties soient nettement distinguées. Or, lorsque l’on connaît distinctement ce qui est contenu dans le tout universel, on connaît quelque chose dont l’extension est moindre. Par exemple, on connaît indistinctement l’animal quand on le connaît seulement comme tel ; mais on le connaît distinctement quand on le connaît comme rationnel et irrationnel, comme lorsque l’on connaît l’homme et le lion. Ce qui se présente en premier à notre intellect, c’est la connaissance de l’animal avant celle de l’homme. Et cela s’applique à chaque fois que nous comparons un concept plus universel à un autre qui l’est moins.

Et puisque le sens passe de la puissance à l’acte comme fait l’intelligence, on trouve chez lui le même ordre dans la connaissance. Nous jugeons en effet avec nos sens ce qui est plus commun avant ce qui l’est moins, et cela dans l’espace et dans le temps. Dans l’espace d’abord : quand on voit quelque chose de loin, on se rend compte que c’est un corps, avant de savoir que c’est un animal, et un animal avant un homme, et un homme avant Socrate ou Platon. Ensuite par rapport au temps : l’enfant distingue un homme de ce qui n’en n’est pas un, avant de distinguer tel homme d’un autre homme. C’est pourquoi, "les enfants appellent d’abord tous les hommes "papa", mais par la suite les distinguent les uns des autres", dit Aristote.

La raison en est évidente. Celui qui connaît une chose d’une manière confuse est encore en puissance à connaître le principe de distinction. Par exemple, celui qui connaît le genre, est en puissance à connaître la différence spécifique. Ainsi, la connaissance indistincte est intermédiaire entre la puissance et l’acte.

En conclusion, il faut dire que la connaissance du singulier est antérieure par rapport à nous à la connaissance de l’universel, comme la connaissance sensible l’est à la connaissance intellectuelle. Mais aussi bien dans le sens que dans l’intelligence, la connaissance d’un objet plus général est antérieure à la connaissance d’un objet moins général.

Solutions :

1. L’universel peut être considéré sous deux aspects : 1° La nature universelle peut être pensée en même temps que le rapport d’universalité. Or ce rapport (c’est-à-dire qu’un seul et même concept convienne à de nombreux individus) provient de l’abstraction opérée par l’intelligence ; il faut donc que, sous cet aspect, l’universel soit donné en second lieu. D’après Aristote, en effet "l’animal universel ou bien n’est rien du tout, ou est donné ensuite". Pour Platon qui admettait la subsistance de l’universel, celui-ci est antérieur aux particuliers qui, selon ce philosophe, n’existent que dans leur participation aux universaux subsistants, qu’il appelle Idées. - 2° L’universel peut être considéré sous le rapport de la nature réelle, animalité, humanité, en tant qu’elle existe dans les êtres particuliers. Et alors il y a deux ordres. Le premier est l’ordre de la génération et du temps, selon lequel les choses imparfaites et en puissance existent d’abord. Le plus universel est, de cette façon, antérieur par nature. C’est clair pour la génération de l’homme et de l’animal "L’animal est engendré avant l’homme", dit Aristote. Le second ordre est celui de la perfection ou de la finalité de la nature. Ainsi l’acte est absolument antérieur à la puissance, le parfait à l’imparfait. A ce point de vue, le moins universel est antérieur par nature au plus universel, l’homme est antérieur à l’animal ; car la fin de la nature n’est pas de s’arrêter à la génération de l’animal, mais d’engendrer l’homme.

2. Le plus universel est comparé à ce qui l’est moins, soit comme tout, soit comme partie. 1° Comme tout, en tant, que dans l’extension du plus universel non seulement se trouve en puissance le moins universel, mais encore autre chose : dans l’extension d’animal, il y a non seulement l’homme, mais encore le cheval. 2° Le plus universel est comparé comme une partie au moins universel, en tant que ce dernier contient non seulement le plus universel, mais autre chose encore : homme contient non seulement animal, mais aussi rationnel. En conclusion, l’animal considéré en soi est connu par nous avant l’homme ; mais l’homme nous est connu avant que nous sachions que l’animal est une partie de sa définition.

3. La partie d’un tout peut être connue de deux manières : 1° Absolument, selon ce qu’elle est en elle-même ; rien n’empêche alors de connaître les parties avant le tout, par exemple les pierres avant la maison. 2° En tant qu’elle appartient à tel tout ; il est nécessaire alors de connaître le tout avant les parties ; nous connaissons la maison d’une connaissance confuse avant de distinguer chacune de ses parties. Pareillement, les éléments de la définition, considérés en eux-mêmes, sont connus avant la réalité à définir ; dans le cas contraire, ils ne la feraient pas connaître. Mais en tant que parties de la définition, ils sont connus après la réalité à définir. Nous connaissons d’abord l’homme d’une connaissance confuse, avant de savoir distinguer tout ce qui appartient à l’homme.

4. L’universel, en tant qu’il implique le rapport d’universalité, est bien un certain principe de connaissance, du fait que le rapport d’universalité est consécutif à la connaissance qui se réalise par abstraction. Mais il n’est pas nécessaire que tout principe de connaissance soit un principe d’existence, comme le pensait Platon ; car ü nous arrive de connaître la cause par l’effet, et la substance par les accidents. Aussi, l’universel pris en ce sens n’est-il pour Aristote ni un principe d’être, ni une substance. Cependant, si l’on considère la nature du genre et de l’espèce, en tant qu’elle existe dans les êtres singuliers, elle a en quelque sorte raison de principe formel par rapport à eux ; car le singulier est tel à cause de la matière, tandis que le principe spécifique vient de la forme. Toutefois le genre par rapport à l’espèce est plutôt un principe matériel ; on détermine en effet l’essence du genre d’après ce qui est matériel dans la réalité, et celle de l’espèce d’après ce qui est formel ; par exemple, le genre animal en raison de la partie sensible ; l’espèce humaine en raison de la partie intellectuelle. Par suite, l’intention dernière de la nature, c’est l’espèce, mais non l’individu, ni le genre. Car la forme est la fin de la génération, tandis que la matière est en vue de la forme. Mais il n’est pas nécessaire que la connaissance de toute cause et de tout principe soit postérieure par rapport à nous. Parfois nous connaissons des effets cachés à l’aide de causes sensibles, et parfois nous procédons inversement.

            Article 4 — Notre intellect peut-il connaître plusieurs choses à la fois ?

Objections :

1. Cela paraît possible, car l’intelligence dépasse le temps. Or l’avant et l’après appartiennent au temps. L’intelligence n’atteint donc pas divers objets dans une succession, mais simultanément.

2. Rien n’empêche que diverses formes, qui ne sont pas opposées, cœxistent en acte dans le même être, par exemple l’odeur et la couleur dans le fruit. Mais les espèces intelligibles ne sont pas opposées. Donc l’intellect peut être mis en acte simultanément par diverses espèces intelligibles. Il peut donc comprendre plusieurs objets à la fois.

3. L’intellect saisit d’une seule vue un tout, tel que l’homme ou la maison. Or en n’importe quel tout il y a beaucoup de parties. L’intellect saisit donc à la fois plusieurs objets.

4. On ne peut connaître en quoi une chose diffère d’une autre, si elles ne sont connues toutes deux à la fois. Et cela est vrai de toute comparaison. Or notre intelligence connaît les différences et les rapports. Elle connaît donc plusieurs objets à la fois.

En sens contraire, d’après Aristote, " il y a intelligence d’un seul objet, mais science de plusieurs ".

Réponse :

L’intelligence peut comprendre plusieurs choses comme une unité, mais non plusieurs choses comme une pluralité. Quand je dis comme unité et comme pluralité, j’entends : au moyen d’une ou plusieurs espèces intelligibles. Car le mode d’une action dépend de la forme qui est principe de cette action. Donc, tout ce qu’une intelligence peut comprendre au moyen d’une seule forme intelligible, elle peut le comprendre simultanément. Ainsi Dieu voit tout à la fois, parce qu’il voit tout par une seule forme, qui est son essence. Mais tout ce qu’une intelligence comprend au moyen de plusieurs espèces, elle ne le comprend pas tout d’un coup. La raison en est qu’un même sujet ne peut être simultanément déterminé par plusieurs formes de genre identique, mais d’espèces diverses ; il est impossible par exemple qu’un même corps soit, sous le même rapport, coloré de diverses couleurs ou informé par diverses figures. Toutes les espèces intelligibles sont du même genre, comme perfections d’une seule puissance intellectuelle, bien que les réalités qu’elles représentent appartiennent à des genres différents. Il n’est donc pas possible que la même intelligence soit déterminée à la fois par plusieurs espèces intelligibles, pour comprendre en acte divers objets.

Solutions :

1. L’intelligence est au-delà du temps, si l’on définit celui-ci comme le nombre du mouvement des réalités corporelles. Mais la pluralité même des espèces intelligibles produit une certaine succession des opérations intellectuelles, en tant que telle opération en précède une autre. Et cette succession, S. Augustin l’appelle temps, lorsqu’il dit que " Dieu meut la créature spirituelle à travers le temps ".

2. Des formes opposées ne peuvent pas exister à la fois dans un même sujet, mais c’est encore impossible pour toutes les formes du même genre, alors même qu’elles ne seraient pas opposées entre elles. On le voit par l’exemple des couleurs et des figures.

3. On peut connaître les parties d’un tout de deux façons : 1° d’une connaissance confuse, en tant que les parties sont dans le tout ; de cette façon, elles sont connues par la seule forme du tout, et connues simultanément ; 2° d’une connaissance distincte, en tant que chacune d’elles est connue par une espèce intelligible propre ; elles ne peuvent alors être connues simultanément.

4. Lorsque l’intellect comprend la différence ou le rapport d’un objet à un autre, il les connaît sous l’aspect même de leur différence et de leur rapport, de la même manière, comme on vient de le dire, qu’il connaît les parties dans le tout.

 

            Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car pour qu’il y ait composition ou division, il faut plusieurs éléments. Or l’intellect ne peut comprendre plusieurs choses à la fois. Il ne peut donc connaître en composant et en divisant.

2. Toute composition ou division implique le temps : présent, passé ou futur. Or l’intellect abstrait du temps, comme de toutes les autres conditions particulières. Il ne connaît donc pas par composition et division.

3. L’intellect comprend en s’assimilant aux choses. Mais composition et division ne sont rien dans les choses. On n’y trouve en effet que la chose, exprimée par le prédicat et le sujet, qui n’est qu’une seule et même réalité si le jugement est vrai. L’homme est vraiment cet être qui est animal. Donc l’intellect ne compose ni ne divise.

En sens contraire, les mots expriment les conceptions de l’intelligence, dit le Philosophe. Mais dans le langage, il y a composition et division, comme on le voit dans les propositions affirmatives et négatives. Donc l’intelligence compose et divise.

Réponse :

Il est nécessaire à l’intellect humain de procéder par composition et division. Puisqu’il passe de la puissance à l’acte[4427], il ressemble aux êtres soumis à la génération, qui n’ont pas immédiatement toute leur perfection, mais l’acquièrent de façon successive. Pareillement, l’intellect humain n’obtient pas dès la première appréhension la connaissance parfaite d’une réalité ; il en connaît d’abord quelque chose, par exemple la quiddité qui est l’objet premier et propre de l’intellect, puis les propriétés, les accidents, les manières d’être qui entourent l’essence de cette réalité. Et à cause de cela, il est nécessaire à l’intellect d’unir les éléments connus, ou de les séparer, et ensuite, de cette composition ou division, de passer à une autre, ce qui est raisonner.

L’intellect angélique et l’intellect divin sont comme les réalités incorruptibles, qui ont toute leur perfection dès le principe. Aussi ont-ils immédiatement la connaissance totale d’une réalité. En connaissant la quiddité, ils savent donc en même temps tout ce que nous pouvons atteindre par composition, division et raisonnement. - C’est pourquoi l’intellect humain connaît au moyen de ces opérations ; les intellects divin et angélique les connaissent, non pas en les pratiquant, mais par l’intelligence de la simple quiddité.

Solutions :

1. L’intellect compose et divise au moyen d’une différence ou d’une relation. Aussi connaît-il beaucoup de choses en composant et divisant, comme lorsqu’il connaît les différences et les relations entre les choses.

2. L’intellect abstrait des images et cependant ne comprend en acte qu’en se tournant vers les images. A cause de cela, comme on l’a dit précédemment, le temps affecte l’acte intellectuel de composition et de division.

3. La ressemblance de la réalité est reçue dans l’intelligence selon le mode de cette puissance, et non selon le mode de la réalité. Au jugement affirmatif ou négatif de l’intelligence correspond bien quelque chose dans le réel, mais cela ne se trouve pas de la même manière dans le réel que dans l’intelligence. L’objet propre de l’intelligence humaine est en effet la quiddité de la chose matérielle, perçue par le sens et l’imagination. Or il y a deux modes de composition dans la chose matérielle. D’abord, celle de la forme avec la matière ; à cela correspond dans l’intelligence la composition selon laquelle un tout universel est attribué à sa partie. Car le genre se prend de la matière commune ; la différence spécifique, de la forme ; le particulier, de la matière individuelle. Le second mode de composition est celui de l’accident à son sujet. A cette composition dans les choses correspond dans l’intelligence l’attribution de l’accident au sujet, par exemple : " l’homme est blanc ". - Toutefois la composition dans l’intelligence diffère de la composition réelle. Car les éléments qui entrent en composition dans la réalité sont divers, tandis que la composition par l’intelligence est le signe de l’identité des éléments qu’on réunit. Car l’intelligence ne compose pas de telle sorte qu’elle affirme : l’homme est la blancheur ; elle dit : l’homme est blanc, c’est-à-dire : est ce qui possède la blancheur ; or, ce qui est homme et ce qui a la blancheur est identique par son sujet. Pareillement, dans la composition de la matière et de la forme " animal " désigne ce qui a la nature sensible ; " rationnel ", ce qui a la nature intellectuelle ; " homme " ce qui a l’un et l’autre ; " Socrate ", ce qui a tout cela dans une matière individuelle. Et d’après cette identité, notre intelligence unit un terme à un autre par l’acte d’attribution.

 

            Article 6 — L’intellect peut-il se tromper ?

Objections :

1. Il semble bien, car le Philosophe dit que le vrai et le faux sont dans l’esprit. Or esprit et intellect sont identiques, on l’a dit plus haut". Il y a donc du faux dans l’intellect.

2. L’opinion et le raisonnement sont des actes de l’intellect. Or on trouve de l’erreur chez l’une et l’autre. Et donc aussi dans l’intelligence.

3. Le péché est dans l’intelligence. Or le péché implique erreur : " Ils se trompent ceux qui font le mal ", dit le livre des Proverbes (14, 22). Il peut donc y avoir erreur dans l’intelligence.

En sens contraire, " Celui qui fait erreur, dit S. Augustin, ne comprend pas cela même en quoi il fait erreur. " Et Aristote dit : " L’intelligence est toujours juste. "

Réponse :

Le Philosophe, à ce sujet, compare l’intelligence et le sens. Car le sens ne se trompe pas sur son objet propre, ainsi la vue sur la couleur ; ou alors c’est par accident, en raison d’un obstacle provenant de l’organe ; par exemple, le goût des fiévreux trouve amères les choses douces, parce que la langue est chargée d’humeurs mauvaises. Le sens se trompe aussi sur les sensibles communs, par exemple, en appréciant grandeur ou figure. Ainsi jugera-t-il que le soleil n’a qu’un pied de diamètre, alors qu’il est plus grand que la terre. Le sens se trompe encore plus aisément sur les sensibles par accident ; il jugera que le fiel est du miel, à cause de la ressemblance de leur couleur. - La raison de cette rectitude du sens est claire. Toute puissance, en tant que telle, est ordonnée à son objet propre. Les réalités de ce genre se comportent toujours de la même manière. Tant que la puissance demeure, il n’y a pas de défaillance dans son jugement sur son objet propre.

L’objet propre de l’intellect est la quiddité. Aussi, à parler absolument, n’y a-t-il pas d’erreur dans l’intelligence, au sujet de la quiddité. Mais l’intelligence peut se tromper sur les éléments qui ont rapport à l’essence ou quiddité, lorsqu’elle ordonne un élément à l’autre par composition, division ou même raisonnement. L’intelligence ne peut pas non plus se tromper sur les jugements qui sont compris dès qu’on connaît le sens de leurs termes, comme il arrive pour les premiers principes. Ce sont eux qui assurent l’infaillibilité de la vérité, en donnant aux conclusions la certitude de la science.

Il peut cependant y avoir des causes par accident qui trompent l’intellect sur la quiddité des êtres composés. Cela ne vient pas de l’organe, puisque l’intelligence n’en emploie pas, mais de la composition qui est requise pour établir une définition ; lorsqu’une définition vraie pour une chose, est fausse pour une autre, comme la définition du cercle pour le triangle ; ou lorsqu’une définition est fausse en elle-même, parce qu’elle implique une composition impossible, par exemple, la définition d’un être comme " animal rationnel ailé ". Quand il s’agit de réalités simples, dont la définition ne peut impliquer composition, nous ne pouvons nous tromper ; mais notre connaissance est en défaut parce que nous ne les saisissons pas totalement.

Solutions :

1. Si le Philosophe dit que le faux est dans l’esprit, c’est dans la composition et la division.

2. Même réponse pour l’objection tirée de l’opinion et du raisonnement.

3. Et encore, pour l’erreur des pécheurs, puisqu’elle consiste dans l’application d’un jugement à un objet désirable. Mais dans la connaissance absolue de la quiddité, et de tout ce qu’on connaît par elle, l’intelligence ne se trompe jamais. Et c’est le sens des autorités en sens contraire.

            Article 7 — Quelqu’un peut-il connaître une même chose mieux qu’un autre ?

Objections :

1. Cela semble impossible. S. Augustin dit en effet " Si quelqu’un comprend une réalité autrement qu’elle n’est, il ne la comprend pas... Il n’est donc pas douteux qu’il y a une compréhension si parfaite qu’on ne peut en concevoir qui lui serait supérieure. On ne peut donc aller à l’infini dans la connaissance d’une réalité, et il n’est pas possible que l’un la connaisse davantage qu’un autre. "

2. L’intelligence, dans son opération, est vraie. Or la vérité, étant une certaine égalité de l’intelligence et du réel, n’est pas susceptible de plus ou de moins. On ne peut dire, à proprement parier, qu’une chose est plus ou moins égale à une autre. Il n’y a donc pas de plus ou de moins dans la connaissance d’une réalité.

3. L’intelligence est ce qu’il y a de plus formel dans l’homme. Or une différence de forme cause une différence d’espèce. Donc si un homme comprend mieux qu’un autre, c’est qu’ils n’appartiennent pas à la même espèce.

En sens contraire, on voit par expérience que certains comprennent plus profondément que d’autres. Ainsi celui qui peut ramener une conclusion aux premiers principes et aux causes premières, comprend plus profondément que celui qui la ramène seulement aux causes propres les plus proches.

Réponse :

Il y a deux manières de considérer ce problème. 1° Lorsque " mieux comprendre " s’applique à la chose comprise. En ce sens, il est impossible qu’un esprit connaisse une même chose mieux qu’un autre. Si elle était comprise autrement qu’elle n’est, soit en mieux soit en pire, il y aurait erreur, et non compréhension, dit S. Augustin. 2° " Mieux comprendre " s’applique à celui qui comprend. En ce cas, un esprit peut avoir une connaissance plus parfaite d’une même réalité qu’un autre esprit, parce qu’il a une capacité intellectuelle supérieure ; de même qu’on voit mieux avec les yeux lorsqu’on a une vue meilleure.

Cette supériorité de l’intelligence tient à deux conditions. C’est d’abord l’intelligence même, qui est plus parfaite. Car, mieux le corps est organisé, plus est élevée l’âme qui lui est attribuée, ce qui se constate clairement chez les êtres d’espèces diverses. La raison en est que l’acte et la forme sont reçus dans la matière selon la capacité de celle-ci. Et puisque, même parmi les hommes, il en est dont le corps est mieux organisé, il leur échoit une âme dont l’intelligence est plus vigoureuse : c’est pourquoi Aristote dit que " ceux dont la chair est délicate ont l’esprit bien doué ". - La seconde condition tient aux facultés inférieures dont l’intelligence a besoin pour agir ; ceux dont l’imagination, la cogitative, la mémoire sont meilleures sont aussi les mieux doués sous le rapport de l’intelligence.

Solutions :

1. La première objection est résolue par ce qu’on vient de dire.

2. De même pour la deuxième, car la vérité de l’intelligence consiste en ce qu’elle comprend le réel tel qu’il est.

3. La différence de forme qui provient d’une disposition différente de la matière n’entraîne pas une différence spécifique, mais seulement une diversité numérique. Il y a en effet pour les individus divers des formes diverses, dont la diversité provient de la matière.

            Article 8 — Notre intellect connaît-il l’indivisible avant le divisible ?

Objections :

1. Il semble que l’intellect connaisse d’abord l’indivisible, car, selon Aristote " nous arrivons à l’intelligence et à la science par la connaissance des principes et des éléments ". Or les indivisibles jouent ce rôle par rapport aux divisibles. Les indivisibles sont donc connus d’abord.

2. Les éléments d’une définition sont connus avant elle. Car " la définition se forme d’éléments antérieurs et plus connus ", dit Aristote. Or l’indivisible est mis dans la définition de la ligne : " La ligne, dit Euclide, est une longueur sans largeur, dont les extrêmes sont deux points. " Et l’unité est mise dans la définition du nombre : " Le nombre, dit Aristote, est une multitude mesurée par l’unité. " Notre intelligence connaît donc d’abord l’indivisible.

3. " Le semblable est connu par le semblable. " Or l’indivisible ressemble davantage à l’intelligence que le divisible. Car " l’intellect est simple ", dit Aristote. L’intelligence connaît donc d’abord l’indivisible.

En sens contraire, il est dit au traité De l’Âme que l’indivisible est manifesté à l’intelligence de la même manière que la privation. Or la privation est connue en second lieu. Et donc aussi l’indivisible.

Réponse :

L’objet de notre intellect, dans la vie présente, est la quiddité de la réalité matérielle qu’il abstrait des images. Étant donné que ce qui est premièrement et directement connu par une faculté de connaissance est son objet propre, nous pouvons considérer dans quel ordre nous connaissons l’indivisible, d’après son rapport à cette quiddité. Or, l’indivisible se prend de trois manières, d’après le traité De l’Âme. 1° À la manière du continu, qui est indivisé en acte, bien qu’il soit divisible en puissance. Et cet indivisible est connu par nous avant sa division, qui est la division en parties. Car la connaissance confuse est, comme on l’a dit, antérieure à la connaissance distincte. - 2° Il y a l’indivisible de l’espèce ; par exemple, l’idée de l’homme est quelque chose d’indivisible. Là encore nous connaissons l’indivisible avant la division en parties logiques, comme on l’a dit précédemment ; et aussi avant que l’intelligence ne compose ou ne divise, en affirmant ou en niant. La raison en est que l’intelligence connaît ces deux sortes d’indivisible, comme son propre objet. - 3° On appelle indivisible une réalité qui l’est absolument, comme le point et l’unité, qui ne sont divisés ni en acte ni en puissance. Et cet indivisible-là est connu en second lieu, par privation de ce qui est divisible. Le point est ainsi défini d’une manière privative " ce qui n’a pas de parties " ; de même l’essence de l’un est qu’il est indivisible, selon Aristote. Et cela, parce qu’un indivisible de cette sorte présente une certaine opposition à la réalité corporelle dont l’intelligence saisit premièrement et directement la quiddité.

Mais si notre intellect accomplissait son acte par une participation des indivisibles séparés, selon la doctrine platonicienne, il s’ensuivrait que ces indivisibles seraient connus d’abord. Car dans cette doctrine, c’est de ces principes premiers que les choses participent d’abord.

Solutions :

1. Quand on acquiert la science, on ne commence pas toujours par les principes et les éléments. Parfois nous progressons des effets sensibles à la connaissance des principes et des causes intelligibles. Mais quand la science est achevée, la science des effets dépend toujours de la connaissance des principes et des éléments. Car, selon l’expression d’Aristote au même endroit, " nous pensons savoir lorsque nous pouvons ramener les effets à leur cause ".

2. On ne se sert pas du point pour définir une ligne quelconque ; il est clair en effet que dans une ligne infinie, ou même dans une ligne circulaire, il n’y a de point qu’en puissance. Mais Euclide donne la définition de la ligne droite finie ; et, par suite, il emploie le point à définir la ligne, comme la limite à définir le limité. - Quant à l’unité, elle est la mesure du nombre, et c’est pourquoi elle est employée à définir le nombre mesuré. Elle n’est pas mise dans la définition du divisible ; c’est bien plutôt le contraire.

3. La similitude par laquelle nous pensons est l’espèce intelligible de l’objet connu dans le connaissant. Si quelque chose est connu d’abord, ce n’est donc pas en raison d’une ressemblance de nature avec la faculté connaissante, mais à cause du rapport de convenance entre la puissance et son objet ; autrement la vue connaîtrait l’ouïe mieux qu’elle ne connaît la couleur.

 

 

QUESTION 86 — CE QUE NOTRE INTELLECT CONNAÎT DANS LES RÉALITÉS MATÉRIELLES

1. L’intellect connaît-il les singuliers ? - 2. Des infinis ? - 3. Les êtres contingents ? - 4. Les futurs ?

            Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ?

Objections :

1. Il semble que oui, car tout esprit qui connaît un jugement affirmatif par composition, connaît les termes de la composition. Or notre intelligence connaît cette composition : " Socrate est homme " ; car il lui appartient de former des propositions. Donc notre intellect connaît ce singulier qu’est Socrate.

2. L’intellect pratique dirige l’action. Or les actions concernent des singuliers. L’intellect connaît donc des singuliers.

3. Notre intelligence se connaît elle-même. Or elle est une réalité singulière. Autrement elle n’aurait pas d’action, puisque les actions émanent d’êtres singuliers. Elle connaît donc le singulier.

4. Tout ce dont est capable une faculté inférieure, une faculté supérieure le peut. Or le sens connaît le singulier. À plus forte raison l’intellect.

En sens contraire, d’après Aristote, " l’universel est connu par la raison et le singulier par le sens ".

Réponse :

Notre intelligence ne peut connaître directement et premièrement le singulier dans les réalités matérielles. En voici la raison : ce qui les fait singulières, c’est la matière individuelle[4428] ; or, notre intelligence connaît en abstrayant l’espèce intelligible de cette matière, comme nous l’avons dit plus haut[4429]. Ce qui est connu par cette abstraction, c’est l’universel. Notre intelligence ne connaît donc directement que l’universel. [4430]

Mais indirectement, et par une sorte de réflexion, elle peut connaître le singulier. Comme on l’a dit plus haut, même après avoir abstrait les espèces intelligibles, elle ne peut les connaître en acte sans avoir recours aux images ; et c’est en ces images qu’elle connaît les espèces intelligibles. Ainsi donc, elle connaît directement l’universel au moyen de l’espèce intelligible, et indirectement les singuliers d’où proviennent les images. Et de cette manière, elle forme cette proposition "Socrate est homme."

Solutions :

1. On vient de répondre à la première objection.

2. Le choix d’un acte particulier à exécuter est comme la conclusion d’un syllogisme de l’intelligence pratique. Mais d’une proposition universelle on ne peut tirer directement une conclusion singulière sans employer une proposition singulière comme mineure. C’est pourquoi le jugement universel de l’intelligence pratique ne peut porter à l’action sans une donnée de connaissance de la partie sensible, comme il est dit au traité De l’Âme.

3. Le singulier ne présente pas d’obstacle à l’intellection en tant que singulier, mais en tant que matériel, car on ne comprend que sous un mode immatériel. Donc, s’il existe un singulier immatériel tel que l’intelligence, rien ne s’oppose à ce qu’il soit intelligible.

4. Une faculté supérieure possède la capacité d’une faculté qui lui est inférieure, mais sous un mode plus élevé. C’est pourquoi la réalité connue par le sens sous un mode matériel et concret (ce qui est connaître directement le singulier), est connue par l’intelligence sous un mode immatériel et abstrait : ce qui est connaître l’universel.

            Article 2 — Notre intellect peut-il connaître des infinis ?

Objections :

1. Cela paraît possible. Car Dieu surpasse tous les infinis. Or notre intelligence peut connaître Dieu, on l’a vu précédemment. À plus forte raison peut-elle connaître tous les autres infinis.

2. Notre intelligence est apte par nature à connaître les genres et les espèces. Mais dans certains genres ü y a une infinité d’espèces, comme dans les nombres, les proportions et les figures. Notre intelligence peut donc connaître des infinis.

3. Si l’existence d’un corps dans un lieu n’empêchait pas l’existence d’un autre corps dans le même lieu, rien n’empêcherait qu’il y eût une infinité dans un seul lieu. Mais une espèce intelligible ne s’oppose pas à l’existence simultanée d’une autre espèce dans la même intelligence. Il arrive en effet qu’on possède la connaissance d’une multitude de choses à l’état habituel. Donc, rien n’empêche que notre intelligence ne possède de cette manière la science des infinis.

4. Puisque notre intelligence n’est pas une faculté matérielle, comme on l’a vu antérieurement, elle paraît être infinie comme puissance. Or une telle puissance est capable d’atteindre une infinité d’objets. Notre intelligence peut donc connaître des infinis.

En sens contraire, il est dit dans la Physique d’Aristote que " l’infini, en tant qu’infmi, est inconnu ".

Réponse :

Toute puissance est proportionnée à son objet. Il faut donc que l’intelligence se trouve dans le même rapport avec l’infini que son objet, la quiddité de la réalité matérielle. Or dans les réalités matérielles, il n’y a pas d’infini en acte, mais seulement un infini en puissance, en tant que l’une succède à l’autre, d’après Aristote. Par conséquent on trouve dans notre intelligence un infini en puissance, en tant qu’elle considère un objet après un autre. Car notre intelligence ne connaît jamais tant de choses qu’elle n’en puisse connaître davantage.

Mais elle ne peut posséder un nombre infini de connaissances, ni en acte ni à l’état habituel. D’abord, en ce qui concerne la connaissance en acte, notre intelligence ne peut connaître de cette manière plusieurs choses ensemble, si ce n’est au moyen d’une seule espèce intelligible. Or l’infini ne peut être représenté par une espèce unique, ou alors ce serait l’infini de totalité et de perfection. L’infini ne peut être connu que si on le prend partie par partie, comme le montre sa définition : " L’infini est ce à quoi on peut toujours ajouter. " Et de la sorte, l’infini ne pourrait être connu en acte que si l’on en dénombrait toutes les parties, ce qui est impossible.

Pour la même raison nous ne pouvons posséder des connaissances en nombre infini à l’état d’habitus. La connaissance habituelle est en effet causée en nous par la connaissance actuelle. Car c’est en faisant acte d’intelligence, dit Aristote, que nous acquérons la science. Nous ne pourrions donc avoir l’habitus d’une infinité de connaissances d’une manière distincte, que si nous avions considéré toute l’infinité des objets, en les dénombrant selon la succession de nos connaissances ; ce qui est impossible.

En conclusion, notre intelligence ne peut connaître l’infini, ni en acte ni à l’état d’habitus, mais seulement en puissance, comme on vient de le dire.

Solutions :

1. Comme on l’a dit précédemment, Dieu est appelé infini comme une forme qui n’est limitée par aucune matière. Dans les réalités physiques, on parle d’infini en tant qu’il n’y a pas de limite provenant d’une forme. La forme étant connue de soi, et la matière sans la forme étant inconnue, il s’ensuit que l’infini matériel est inconnu de soi. De soi, la forme infinie qu’est Dieu est connue, mais par rapport à nous elle est inconnue, à cause de la faiblesse de notre intelligence, qui dans l’état de la vie présente possède une aptitude naturelle à connaître les réalités matérielles. C’est pourquoi nous ne pouvons présentement connaître Dieu que par des effets sensibles. Après cette vie, l’incapacité de notre intelligence sera supprimée par la lumière de gloire, et alors nous pourrons voir Dieu lui-même dans son essence, sans toutefois le comprendre parfaitement.

2. Notre intelligence est apte par nature à connaître les espèces intelligibles en les abstrayant des images. Et voilà pourquoi ces espèces des nombres et des figures dont on n’a pas eu d’images ne peuvent être connues ni en acte ni à l’état d’habitus, si ce n’est peut-être en général et dans les principes universels ; mais c’est là connaître en puissance et d’une manière confuse.

3. Si deux ou plusieurs corps étaient dans un même lieu, il ne leur serait pas nécessaire de pénétrer successivement dans ce lieu pour qu’on puisse les dénombrer d’après l’ordre de leur entrée. Mais les espèces intelligibles pénètrent l’une après l’autre dans notre intelligence. Il faut donc que les espèces y soient en nombre déterminé, et non pas infini.

4. De même que notre intellect est infini en puissance, ainsi connaît-il l’infini. En effet, sa capacité est infinie en ce qu’elle n’est pas limitée par une matière corporelle. Or elle connaît l’universel qui est abstrait de la matière individuelle ; elle n’est donc pas limitée à la connaissance d’un individu, mais sa capacité naturelle s’étend à des individus en nombre infini.

            Article 3 — Notre intelligence connaît-elle les contingents ?

Objections :

1. Cela ne paraît pas possible : car, d’après l’Éthique, intelligence, sagesse et science ont pour objet non le contingent, mais le nécessaire.

2. Selon Aristote : " Les réalités qui tantôt existent et tantôt n’existent pas, sont mesurées par le temps. " Or l’intelligence fait abstraction du temps, comme des autres conditions de la matière. Puisque le propre des réalités contingentes est tantôt d’être et tantôt de ne pas être, il semble donc que l’intelligence ne puisse les connaître.

En sens contraire, toute science réside dans l’intelligence. Or il y a des sciences qui concernent les choses contingentes, comme les sciences morales, qui ont pour objet les actes humains soumis au libre arbitre ; et même les sciences naturelles, en ce qui traite de la génération et de la corruption. L’intelligence peut donc connaître les réalités contingentes.

Réponse :

On peut considérer les choses contingentes, soit en tant que contingentes, soit en tant qu’elles renferment du nécessaire ; car rien n’est contingent à ce point qu’il n’implique quelque nécessité. Par exemple, que Socrate coure, c’est un fait contingent en soi. Mais le rapport de la course au mouvement est nécessaire. Car il est nécessaire que Socrate se meuve, s’il court.

Or toute réalité est contingente en raison de la matière ; le contingent est en effet ce qui peut être ou ne pas être, et la puissance appartient à la matière. Quant à la nécessité, elle provient de la forme. Car tout ce qui procède de la forme se trouve par nécessité dans un être. Or la matière est principe d’individuation, tandis que l’on connaît l’idée universelle en abstrayant la forme hors de la matière individuelle. Nous l’avons dit plus haut : l’intelligence a un rapport naturel et direct à l’universel ; le sens se rapporte par nature au singulier, bien que l’intelligence atteigne aussi ce dernier indirectement, comme on l’a dit plus hauto. Par suite, les choses contingentes comme telles sont connues directement par le sens, indirectement par l’intelligence. Mais les idées universelles et nécessaires impliquées dans le contingent sont connues par l’intelligence.

Donc, si l’on considère l’universel dans les choses connaissables, toutes les sciences ont pour objet le nécessaire. Mais si l’on considère les réalités elles-mêmes, il y aura des sciences du nécessaire et des sciences du contingent.

Tout cela résout clairement les Objections.

            Article 4 — Notre intelligence connaît-elle les futurs ?

Objections :

1. Cela paraît vrai, car notre intelligence connaît au moyen des espèces intelligibles qui abstraient du fait d’être ici et maintenant, et de la sorte se rapportent indifféremment à n’importe quel temps. Or l’intelligence connaît les choses présentes. Elle peut donc connaître les choses futures.

2. Quand l’homme n’a pas l’usage de ses sens, il peut connaître certains événements futurs ; on le voit chez les dormeurs et chez les fous. Or, quand il n’a pas l’usage des sens, son intelligence est plus active. L’intelligence peut donc, de soi, connaître les futurs.

3. La connaissance intellectuelle de l’homme est bien plus pénétrante que la connaissance d’aucun animal. Mais il est des animaux qui connaissent que certains événements vont arriver. Par exemple, les corneilles, par des croassements répétés, annoncent qu’il va bientôt pleuvoir. A plus forte raison l’intelligence humaine peut-elle connaître les choses futures.

En sens contraire, il est écrit dans l’Ecclésiaste (8, 7 Vg) : " Elle est grande l’affliction de l’homme, car il ignore le passé, et d’aucun messager il ne peut apprendre l’avenir. "

Réponse :

Il faut faire la même distinction au sujet de la connaissance des futurs qu’au sujet des choses contingentes. Car les choses à venir, en tant qu’elles ont rapport au temps, sont des singuliers que l’intelligence ne connaît que par réflexion, nous l’avons dit. Mais les idées des choses futures peuvent être universelles et accessibles à l’intelligence ; elles peuvent aussi être objet de science.

Toutefois, si nous voulons parler de la connaissance des futurs au sens habituel, ü y aura deux manières de les connaître : en eux-mêmes et dans leurs causes. En eux-mêmes, les futurs ne peuvent être connus que par Dieu ; ils sont même présents pour lui tandis qu’ils sont encore à venir par rapport à la succession des événements du monde, en ce sens que son intuition éternelle se porte simultanément sur tout le cours du temps, ainsi qu’on l’a dit en traitant de la science de Dieu. Mais en tant que les futurs sont encore dans leurs causes, ils peuvent être connus même par nous. Et s’ils se trouvent en elles comme en des principes dont ils procèdent nécessairement, on les connaît avec la certitude de la science. Ainsi, l’astronome prévoit l’éclipse qui va se produire. Mais si les futurs sont dans leurs causes comme devant en procéder le plus fréquemment, on les connaît alors par une conjecture plus ou moins assurée, dans la mesure même où les causes sont plus ou moins inclinées à produire leur effet.

Solutions :

1. Cet argument se rapporte à la connaissance qui naît des raisons universelles des causes, ce qui permet de connaître les futurs d’après le caractère de la relation entre effet et cause.

2. Selon S. Augustin, l’âme possède naturellement une certaine puissance de divination, par laquelle elle peut connaître les futurs. C’est pourquoi lorsqu’elle se retire des sens corporels, et se replie pour ainsi dire sur elle-même, elle peut avoir part à la connaissance des choses à venir. - Cette opinion serait admissible, si nous pensions que l’âme a connaissance des réalités par la participation aux idées, comme le font les platoniciens. Alors l’âme connaîtrait naturellement les causes universelles de tous les effets, mais le corps l’en empêche. Aussi, lorsqu’elle se retire des sens corporels, connaît-elle les futurs.

Mais ce mode de connaître n’est pas conforme à la nature de notre intelligence ; ce qui lui convient plutôt, c’est de connaître à partir des sens. Il n’est donc pas naturel à l’âme de connaître les futurs quand elle s’éloigne des sens. Cela se produirait plutôt sous l’influence de causes supérieures, spirituelles ou corporelles. Des causes spirituelles d’abord ; quand, par exemple, par la puissance divine et le ministère des anges, l’intelligence est éclairée, et les images disposées de manière à faire connaître les réalités futures ; ou encore lorsque, par l’action des démons, il se produit un mouvement dans l’imagination pour annoncer à l’avance des événements futurs que ces esprits connaissent, comme on l’a vu précédemment. Ces impressions produites par des causes spirituelles, l’âme est plus à même de les recevoir lorsqu’elle est retirée des sens : car elle est par là même plus proche des esprits, et plus dégagée des troubles extérieurs. - Ce fait se produit aussi par l’influence de causes supérieures corporelles. Il est évident que les corps supérieurs exercent une action sur les corps inférieurs. Étant donné que les facultés sensibles sont les actes des organes corporels, il s’ensuit que sous l’influence des corps célestes il se produit un certain changement dans l’imagination. Et du fait que les corps célestes sont cause de beaucoup d’événements futurs, les indices de certains d’entre eux apparaissent dans l’imagination. Ces indices sont plutôt perçus la nuit et par les dormeurs, que le jour et par les gens éveillés. Car, d’après Aristote, " les impressions transmises de jour se dissipent plus facilement. Mais l’air de la nuit est moins agité, car les nuits sont plus silencieuses. Et ces impressions influent sur le corps, à cause du sommeil, parce que les faibles mouvements intérieurs sont perçus davantage dans le sommeil que dans la veille. Ces mouvements produisent des images grâce auxquelles on prévoit l’avenir. "

3. Les animaux n’ont pas, au-dessus de l’imagination, une faculté qui ordonne les images comme fait la raison de l’homme ; c’est pourquoi l’imagination des animaux est entièrement dépendante de l’influence des corps célestes. Et donc, les mouvements des animaux peuvent faire connaître certains événements à venir, comme la pluie, bien mieux que les mouvements des hommes qui agissent par la délibération de leur raison. Aussi, dit Aristote " certains hommes très dénués de prudence prévoient fort bien l’avenir. Car leur intelligence n’est pas préoccupée par les soucis ; mais étant pour ainsi dire déserte et vide, elle subit l’influence de toute cause qui peut la mouvoir ".

 

 

QUESTION 87 — COMMENT L’ÂME INTELLECTUELLE SE CONNAÎT ET CONNAÎT CE QUI EST EN ELLE

1. Se connaît-elle par son essence ? - 2. Comment connaît-elle les habitus qui existent en elle ? - 3. Comment l’intellect connaît-il son acte propre ? - 4. Comment l’intellect connaît-il l’acte de la volonté ?

            Article 1 — L’âme intellectuelle se connaît-elle par son essence ?

Objections :

1. La réponse paraît affirmative, car S. Augustin dit que " l’esprit se connaît par lui-même, parce qu’il est immatériel ".

2. L’ange et l’âme sont tous deux dans le genre des substances intellectuelles. Or l’ange se connaît lui-même par son essence. Donc aussi l’âme humaine.

3. " Dans les réalités qui n’ont pas de matière, l’intelligence et l’objet connu sont une même chose ", dit Aristote. Or l’esprit humain n’a pas de matière ; car, il n’est pas l’acte d’un corps, nous l’avons dit plus haut. Donc intelligence et objet connu sont identiques dans l’esprit humain. Celui-ci se connaît donc par son essence.

En sens contraire, il est dit au traité De l’Âme que l’intellect se connaît lui-même, comme il connaît les autres choses. Or il ne connaît pas celles-ci par leurs essences, mais par leurs similitudes. Donc il ne se connaît pas par son essence.

Réponse :

Tout être est connaissable pour autant qu’il existe en acte, et non pour autant qu’il existe en puissance. En effet, quelque chose est de l’être et du vrai, et tombe donc sous la connaissance dans la mesure où il existe en acte. C’est évident pour les réalités sensibles : la vue ne perçoit pas le coloré en puissance, mais le coloré en acte. De même pour l’intellect, en tant qu’il est apte à connaître les réalités matérielles ; il ne connaît pas ce qui est en acte. Et voilà pourquoi il ne connaît la matière première que par son rapport à la forme. Quant aux substances immatérielles, c’est dans la mesure où il leur convient par essence d’être en acte qu’elles sont intelligibles par leur essence.

Donc, l’essence de Dieu, qui est un acte pur et parfait, est absolument et parfaitement intelligible en elle-même. C’est pourquoi Dieu connaît par son essence non seulement lui-même, mais encore tous les êtres. - L’essence de l’ange appartient au genre des intelligibles, puisqu’elle est un acte, mais ce n’est pas un acte pur et complet. Aussi son activité intellectuelle ne peut-elle être totalement accomplie par son essence. C’est bien par elle que l’ange se connaît lui-même, mais il ne peut par elle connaître toutes choses, et il connaît les réalités autres que lui à l’aide de similitudes. Quant à l’intellect humain, il n’est dans le genre des intelligibles qu’un être en puissance, comme la matière première dans le genre des réalités sensibles. D’où le nom d’intellect " possible ". Si donc on le considère dans son essence, il ne connaît qu’en puissance. Il possède ainsi par soi-même la capacité de connaître, mais non celle d’être connu, si ce n’est lorsqu’il est en acte. Les platoniciens admettaient aussi un ordre d’êtres intelligibles au-dessus de l’ordre des intelligences ; car, pour eux, l’intelligence ne connaît qu’en participant de l’intelligible, et l’être participant est inférieur à l’être participé.

Si l’intellect humain était mis en acte par participation aux formes intelligibles séparées, selon la doctrine des platoniciens, il se connaîtrait lui-même en participant ainsi aux réalités incorporelles. Mais il est connaturel à notre intellect, dans l’état de la vie présente, de regarder les choses matérielles et sensibles, comme on l’a dit précédemment. Par conséquent, notre intellect se connaît lui-même, en tant qu’il est mis en acte par les espèces que la lumière de l’intellect agent abstrait du sensible ; et cette lumière est l’acte de ces intelligibles, et, par leur intermédiaire, de l’intellect possible. Ce n’est donc pas par son essence que notre intelligence se connaît, mais par son acte.

Et cela de deux manières. D’abord, sous un mode particulier, lorsque Socrate ou Platon perçoit qu’il possède une âme intellectuelle, du fait qu’il perçoit qu’il comprend. Ensuite, sous un mode universel, lorsque nous considérons la nature de l’esprit humain d’après l’acte d’intelligence. Il est bien vrai que le pouvoir de juger et la valeur de la connaissance par laquelle nous comprenons la nature de l’âme nous vient de ce que la lumière de notre intelligence dérive de la vérité divine, en qui sont contenues les idées de toutes les choses. D’où cette parole de S. Augustin : " Nous contemplons l’incorruptible vérité, par laquelle nous définissons aussi parfaitement que possible non pas ce qu’est l’esprit de chaque individu humain, mais ce qu’il doit être selon les raisons éternelles. " - Il y a cependant une différence entre ces deux modes de connaître. Car, pour avoir une connaissance du premier mode, il suffit de la présence même de l’esprit, qui est le principe de l’acte par lequel l’esprit se perçoit lui-même. Aussi dit-on qu’il se connaît par sa présence. Mais pour avoir la connaissance du second mode, la seule présence ne suffit pas ; il y faut encore une recherche active et pénétrante. Par suite, beaucoup ignorent la nature de l’âme, et beaucoup aussi se sont trompés sur sa nature. C’est pourquoi S. Augustin dit d’une telle recherche sur l’esprits : " L’esprit ne cherche pas à se connaître comme s’il était absent, mais il cherche dans sa présence à discerner ce qu’il est ", c’est-à-dire à connaître en quoi il diffère des autres réalités, ce qui est connaître sa quiddité et sa naturel.

Solutions :

1. L’esprit se connaît par lui-même, parce qu’il finit par arriver à la connaissance de lui-même, bien que ce soit par son acte. C’est l’esprit lui-même qui est connu, car c’est lui-même qui s’aime, comme dit S. Augustin au même endroit. Car il est deux manières d’être connu par soi : ou bien parce qu’on arrive à cette connaissance sans intermédiaire ; ainsi dit-on que les premiers principes sont connus par soi ; ou bien parce que la connaissance d’une chose ne peut être indirecte, par exemple la couleur est visible par soi, tandis que la substance l’est par accident.

2. L’essence de l’ange est comme un acte dans le genre des réalités intelligibles ; aussi est-elle à la fois intelligence et objet connu. C’est pourquoi l’ange saisit son essence par lui-même. Mais ce n’est pas le cas de l’intelligence humaine, qui ou bien est tout à fait en puissance par rapport aux objets intelligibles, comme l’intellect possible, ou bien est l’acte des espèces intelligibles qui sont abstraites des images, comme l’intellect agent.

3. Cette parole du Philosophe est vraie universellement de toute intelligence. Car le sens en acte est identique au sensible, en raison de la ressemblance de l’objet sensible, laquelle est forme du sens en acte ; et ainsi l’intelligence en acte est identique au connu en acte, à cause de la ressemblance de la réalité connue, qui est la forme de l’intelligence en acte. Par suite, l’intelligence humaine qui est mise en acte par l’espèce intelligible de la réalité connue, est connue elle aussi au moyen de cette espèce qui lui tient lieu de forme. Dire que " dans les réalités qui n’ont pas de matière, l’intelligence et l’objet connu sont une même chose " revient à dire que " dans les réalités connues en acte, intelligence et objet connu sont identiques " ; car un objet est connu en acte par l’intelligence du fait qu’il n’a pas de matière. Mais il faut faire cette distinction ; l’essence de certains êtres existe sans matière, telles les substances séparées que nous appelons anges, et dont chacune est à la fois connue et connaissante ; mais il y a d’autres êtres dont ce n’est pas l’essence qui existe sans matière, mais seulement la similitude qu’on en abstrait. D’où cette parole du Commentateur sur le livre III du traité De l’âme : Cette affirmation d’Aristote n’est vraie que des substances séparées. Ce qui se vérifie sous un certain mode en ces intelligences ne se vérifie pas dans les autres, nous venons de le dire.

            Article 2 — Comment notre intelligence connaît-elle les habitue de l’âme qui existent en elle ?

Objections :

1. Il semble que notre intelligence connaisse les habitus de l’âme par leur essence. S. Augustin dit en effet : " On ne voit pas la foi dans le cœur qui la possède, comme on voit l’âme d’un autre homme d’après les mouvements du corps ; c’est une science très certaine qui l’atteint, et la conscience la proclame. " Et il en va de même pour les autres habitus de l’âme. Ils sont donc connus non par leurs actes, mais par eux-mêmes.

2. Les réalités matérielles qui sont hors de l’âme sont connues par la présence de leurs similitudes dans l’âme. Aussi dit-on qu’elles sont connues par leurs similitudes. Or les habitus sont présents dans l’âme par leur essence. C’est donc par leur essence qu’on les connaît.

3. Ce qui fait qu’une chose est telle l’est lui-même encore davantage. Or les réalités autres que l’âme sont connues par elle à cause des habitus et des espèces intelligibles. A plus forte raison ces habitus et ces espèces sont-ils connus de l’âme par eux-mêmes.

En sens contraire, les habitus sont, comme les puissances, .principes des actes. Or, selon le traité De l’âme, " les actes et opérations sont, par définition, antérieurs aux puissances ". Pour la même raison, ils sont donc antérieurs aux habitus. Et ainsi les habitus sont connus par les actes, tout comme les puissances.

Réponse :

L’habitus est en quelque sorte intermédiaire entre la pure puissance et l’acte pur. Mais nous avons déjà dit r que rien n’est connu sinon dans la mesure où il est en acte. Donc, dans la mesure où l’habitus s’éloigne de l’acte parfait, il lui manque d’être connu par lui-même, et il faut qu’il soit connu par son acte. Ce qui se réalise ou bien lorsqu’un individu perçoit qu’il possède un habitus parce qu’il perçoit qu’il produit l’acte propre de cet habitus ; ou bien lorsqu’on recherche la nature et la définition de l’habitus en considérant l’acte. La première connaissance de l’habitus est obtenue par la présence même de l’habitus ; car du fait même de sa présence, il cause l’acte, dans lequel il est immédiatement perçu. Le second mode de connaissance s’obtient par une recherche appliquée, comme on l’a dit au sujet de l’esprit dans l’a. précédent.

Solutions :

1. Quoique la foi ne soit pas connue par les mouvements extérieurs du corps, elle est néanmoins perçue par celui qui la possède dans un acte intérieur du cœur. Car nul ne peut savoir qu’il a la foi, sinon parce qu’il perçoit qu’il croit.

2. Les habitus ne sont pas présents à notre intelligence comme ses objets ; car l’objet de notre intelligence dans l’état de la vie présente est la nature de la réalité matérielle, nous l’avons dit plus haut. Mais ils sont présents en elle comme des principes par lesquels elle connaît.

3. Le principe : " Ce qui fait qu’une chose est telle, l’est lui-même encore davantage " est vrai si on le comprend de réalités de même ordre, par exemple dans un même genre de cause, si l’on dit que le désir de la santé a pour cause la vie, on en conclut que la vie est plus désirable. Mais ce principe n’est pas vrai s’il s’agit de réalités d’ordres différents. Si l’on dit par exemple que la santé a pour cause la médecine, il ne s’ensuit pas que la médecine soit plus désirable. Car la santé est dans l’ordre des fins, la médecine dans l’ordre des causes efficientes. Donc, si nous considérons deux choses qui soient l’une et l’autre de l’ordre des objets de connaissance, celui grâce auquel l’autre est connu est le mieux connu des deux ; ainsi les principes par rapport aux conclusions. Mais l’habitus, comme réalité psychologique, n’est pas de l’ordre des objets de connaissance. Et si quelque chose est connu, l’habitus n’en est pas cause à la manière d’un objet connu, mais comme une qualité ou une forme au moyen de laquelle on connaît. Et par conséquent l’objection ne porte pas.

            Article 3 — Comment l’intellect connaît-il son acte propre ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne le connaisse pas. Car ce qui est connu à proprement parler, c’est l’objet de la faculté connaissante. Mais l’acte diffère de l’objet. Donc l’intellect ne connaît pas son acte.

2. Tout ce qui est connu, est connu par un certain acte. Si donc l’intellect connaît son acte c’est par un acte qu’il le connaît. Et de nouveau, cet acte par un autre acte. On ira donc à l’infini, ce qui semble impossible.

3. L’intellect est avec son acte dans le même rapport que le sens avec le sien. Mais le sens propre ne sent pas son acte, c’est affaire au sens commun, selon Aristote n. Donc l’intellect non plus ne connaît pas son acte.

En sens contraire, " je sais que je sais " dit S. Augustin.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit : toute chose est connue dans la mesure où elle est en acte. Or l’ultime perfection de l’intellect, c’est son opération. Car celle-ci n’est pas une action transitive, qui trouve son achèvement dans la chose exécutée, comme l’édifice achevé est la perfection de l’art de bâtir. Elle demeure dans l’intelligence comme étant la propre perfection et l’acte de celle-ci.

Toutefois, les diverses intelligences procèdent sur ce point de façon différente. Il est une intelligence, l’intelligence divine, qui est identique à son acte de connaître. Et ainsi, connaître qu’il connaît, c’est pour Dieu connaître son essence. Car son essence est la même chose que son acte d’intelligence. - Il est une autre intelligence, celle de l’ange, qui n’est pas identique à son acte de connaître, nous l’avons dit précédemment ; toutefois, son premier objet de connaissance, c’est son essence. Par suite, bien qu’on puisse chez l’ange distinguer par la pensée entre la connaissance de son acte et celle de son essence, il connaît néanmoins l’un et l’autre en même temps et d’un seul acte. Car connaître son essence est la perfection propre de cette essence. Or une réalité est connue en même temps que sa perfection, et d’un seul acte. - Il est enfin une espèce d’intelligence, celle de l’homme, qui n’est pas identique à son acte, et dont le premier objet de connaissance n’est pas son essence, mais quelque chose d’extérieur : la nature de la réalité matérielle. Donc, ce qui est connu d’abord par l’intelligence humaine, c’est un objet de ce genre. Secondairement est connu l’acte par lequel on atteint l’objet ; et par l’acte est connue l’intelligence elle-même, dont la perfection est le fait même de connaître. C’est pourquoi le Philosophe dit que les objets sont connus avant les actes, et les actes avant les puissances.

Solutions :

1. L’objet de l’intelligence est un universel : l’être et le vrai, dans lequel est inclus aussi l’acte de connaître. L’intelligence peut donc connaître son acte. Mais non pas d’abord ; car le premier objet de notre intelligence, dans la vie présente, ce n’est pas n’importe quel être et quel vrai, mais c’est l’être et le vrai considéré dans les réalités matérielles, on l’a déjà dit. Et par là, l’intelligence parvient à la connaissance de toutes les autres réalités.

2. L’acte de l’intelligence humaine n’est pas l’acte et la perfection de la nature connue, en sorte qu’on puisse connaître par un seul acte l’essence de la réalité matérielle et l’acte même de connaître, de même qu’on connaît par un seul acte une réalité et sa perfection. Autre est donc l’acte par lequel l’intelligence connaît la pierre, et autre l’acte par lequel elle connaît qu’elle connaît la pierre, et ainsi de suite. Rien ne s’oppose d’ailleurs à ce qu’il y ait dans l’intelligence un infini en puissance, on l’a déjà dit.

3. Le sens propre perçoit du fait que l’organe matériel est modifié par l’objet sensible extérieur. Or il est impossible qu’une chose matérielle se modifie elle-même ; mais l’une est modifiée par l’autre. Par suite, l’acte du sens propre est perçu par le sens commun. Mais l’intelligence ne connaît pas au moyen d’un organe matériel modifié, et son cas n’est donc pas comparable.

            Article 4 — Comment l’intellect connaît-il l’acte de volonté ?

Objections :

1. Il semble que l’intellect ne connaisse pas l’acte de la volonté. Car l’intellect ne connaît que ce qui est présent en lui de quelque façon. Or l’acte de volonté n’est pas dans l’intellect, puisqu’il s’agit de puissances différentes. L’acte de volonté n’est donc pas connu par l’intellect.

2. L’espèce de l’acte est déterminée par l’objet. Or l’objet de la volonté diffère de celui de l’intellect. Donc l’acte de la volonté et l’objet de l’intellect sont spécifiquement différents, et l’acte de la volonté n’est donc pas connu par l’intellect.

3. S. Augustin dit que les sentiments de l’âme ne sont pas connus " par des images, comme les corps, ni par leur présence, comme les arts ; mais par des connaissances d’un certain genre ". Or semble-t-il, il ne peut y avoir dans l’âme d’autres connaissances des choses que celle de l’essence de ces choses, ou de leurs similitudes. Il paraît donc impossible que l’intellect connaisse ces sentiments de l’âme que sont les actes de la volonté.

En sens contraire, S. Augustin écrit au traité De la Trinité : " J’ai conscience que je veux. "

Réponse :

Comme on l’a dit précédemment, l’acte de volonté n’est rien d’autre qu’une inclination consécutive à la forme connue par l’intellect, de même que l’appétit naturel est consécutif à la forme naturelle. Or l’inclination de toute réalité est sous un mode naturel dans les choses ; l’inclination qu’est l’appétit sensible est sous un mode sensible dans les êtres dotés de sens ; et pareillement, l’inclination intellectuelle, qui est l’acte de la volonté, est sous un mode intelligible dans l’être intelligent, comme dans son principe et sujet propre. C’est pourquoi Aristote emploie cette expression : " La volonté est dans la raison. " Or ce qui est sous un mode intelligible dans un être intelligent doit en conséquence être connu par lui. L’acte de volonté est donc connu par l’intelligence en tant qu’on se perçoit en train de vouloir, et en tant qu’on connaît la nature de cet acte, et par suite la nature de son principe, habitus ou puissance.

Solutions :

1. Cet argument serait valable si la volonté et l’intellect étaient non seulement des puissances diverses mais encore avaient un sujet différent ; en ce cas, ce qui serait dans la volonté ne serait pas dans l’intellect.

Mais puisque l’une et l’autre ont leur racine dans la seule substance de l’âme, et que l’une est en quelque sorte principe de l’autre, il s’ensuit que ce qui est dans la volonté est d’une certaine façon dans l’intellect.

2. Le bien et le vrai, objets de la volonté et de l’intellect, se distinguent rationnellement, et cependant chacun d’eux est contenu dans l’extension de l’autre comme nous l’avons dit précédemment ; car le vrai est un certain bien, et le bien un certain vrai. C’est pourquoi ce qui concerne la volonté est accessible à l’intelligence, et ce qui concerne l’intellect accessible à la volonté.

3. Les sentiments de l’âme ne sont pas dans l’intellect par leurs similitudes comme les corps ; ni par leur présence dans leur sujet, comme les arts ; mais comme le dérivé est dans le principe qui contient la notion du dérivé. Voilà pourquoi S. Augustin dit que les sentiments de l’âme sont dans la mémoire par des connaissances d’un certain genre.

 

 

QUESTION 88 — COMMENT L’ÂME HUMAINE CONNAÎT-ELLE LES RÉALITÉS SUPÉRIEURES A ELLE ?

1. L’âme humaine peut-elle, dans l’état de la vie présente, connaître par elles-mêmes les substances immatérielles que nous appelons anges ? - 2. Peut-elle arriver à les connaître par la connaissance des réalités matérielles ? - 3. Dieu est-il notre premier objet de connaissance ?

            Article 1 — L’âme humaine peut-elle, dans l’état de la vie présente, connaître par elle-même les substances immatérielles ?

Objections :

1. Cela paraît possible. S. Augustin dit en effet : " De même que l’esprit recueille la connaissance des réalités corporelles au moyen des sens, ainsi connaît-il des réalités incorporelles par lui-même. " Or ce sont là des substances immatérielles. L’esprit connaît donc les substances immatérielles.

2. Le semblable est connu par le semblable. Or l’esprit humain ressemble plus aux réalités immatérielles qu’aux matérielles, l’esprit étant immatériel lui-même, comme on l’a montré précédemment. Donc, puisque notre esprit connaît les choses qui ont une matière, il connaît à plus forte raison celles qui n’en ont pas.

3. Si les réalités les plus sensibles par nature ne nous donnent pas les sensations les plus intenses, c’est parce que leur intensité détruit le sens. Mais l’intensité des objets intelligibles ne détruit pas l’intelligence, comme il est dit au traité De l’âme. Donc les objets le plus parfaitement intelligibles par nature le sont aussi par rapport à nous. Or, les réalités matérielles ne sont intelligibles que si nous les rendons intelligibles en acte par l’abstraction ; il est évident que les substances le plus intelligibles de soi sont celles qui, par nature, sont immatérielles. Elles sont donc connues par nous bien davantage que les réalités matérielles.

4. Le Commentateur dit que si les substances séparées ne pouvaient être connues de nous, la nature aurait travaillé inutilement ; car elle aurait fait qu’une chose naturellement intelligible ne serait pas connue de quelque intellect. Or la nature ne fait rien inutilement ou en vain. Les substances immatérielles sont donc accessibles à notre intelligence.

5. Le rapport qui unit le sens et le sensible se retrouve entre l’intellect et l’intelligible. Or, par la vue, nous pouvons voir tous les corps, les corps célestes incorruptibles, et les corps inférieurs corruptibles. Donc notre intellect peut comprendre toutes les substances intelligibles, même celles qui sont supérieures à l’âme, et immatérielles.

En sens contraire, il est écrit au livre de la Sagesse (9, 16) : " Qui pénétrera ce qui est dans les cieux ? " Or on dit que ces substances spirituelles sont dans les cieux, selon le texte de S. Matthieu (18, 10) : " Leurs anges dans les cieux, etc. " Les substances immatérielles ne peuvent donc être connues par le moyen d’une recherche humaine.

Réponse :

Selon la doctrine de Platon, non seulement les substances immatérielles sont connues de nous, mais encore elles sont le premier objet de notre connaissance. Pour lui, en effet, les formes immatérielles subsistantes, qu’il appelle " idées ", sont les objets propres de notre intelligence, et par suite sont connues par nous premièrement et directement. L’âme arrive cependant à la connaissance des choses matérielles, pour autant que l’imagination et le sens se mêlent à l’intellect. C’est pourquoi plus l’intellect en est purifié, mieux il perçoit la vérité des réalités immatérielles.

Mais, selon la doctrine d’Aristote, plus conforme à notre expérience, notre intellect possède dans son état actuel un rapport naturel avec les natures des réalités matérielles ; aussi ne connaît-il rien sans avoir recours aux images comme nos exposés l’ont montré. Quant aux substances immatérielles qui ne tombent pas premièrement et directement sous le sens et l’imagination, selon la connaissance expérimentale que nous avons, il est évident que l’intellect ne peut les atteindre.

Pour Averroès, cependant, l’homme peut parvenir finalement, dès cette vie, à connaître les substances séparées, parce que nous sommes en continuité, en union avec une substance séparée qu’il nomme " intellect agent ". Celui-ci, parce qu’il est une substance séparée, connaît naturellement les autres substances séparées. Quand l’union entre lui et nous sera si parfaite que nous pourrons par lui connaître en perfection, nous atteindrons nous aussi les substances séparées, de même que nous connaissons les réalités matérielles par l’intellect possible qui nous est uni. - Voici comment il conçoit l’union de l’intellect agent avec nous : c’est un fait que nous connaissons au moyen de l’intellect agent et des objets intelligibles contemplés, comme on le voit à notre connaissance des conclusions par le moyen de principes d’abord connus ; il est donc nécessaire que l’intellect agent soit avec les objets connus dans le rapport d’une cause principale avec ses instruments, ou de la forme avec la matière. Selon ces deux modes, on attribue une certaine action aux deux principes : à la cause principale et à l’instrument, comme l’action de couper à l’artisan et à la scie ; à la forme et au sujet matériel, comme l’action de chauffer, à la chaleur et au feu. Mais dans les deux modes, l’intellect agent est par rapport aux objets connus comme une perfection par rapport au sujet perfectible, comme l’acte par rapport à la puissance. Or la perfection et son effet sont reçus simultanément dans un sujet ; par exemple, dans la pupille, la lumière et l’objet visible en acte. Donc la lumière de l’intellect agent et les objets intelligibles sont reçus simultanément dans l’intellect possible. Et plus nous recevons de ces intelligibles, plus nous approchons de l’union parfaite avec l’intellect agent. Ainsi, quand nous connaîtrons tous les intelligibles, l’union sera parfaite et par l’intellect agent nous pourrons connaître toutes les réalités matérielles et immatérielles. Et c’est en cela qu’Averroès met la félicité ultime de l’homme. - Peu importe, dans la question qui nous occupe, que, dans cet état de félicité, ce soit l’intellect possible qui connaisse les substances séparées, par l’effet de l’intellect agent, selon l’opinion d’Averroès ; ou bien selon l’opinion qu’il prête à Alexandre d’Aphrodise, que l’intellect possible ne connaissant jamais ces substances en raison de sa nature corruptible, ce soit l’homme qui les connaisse au moyen de l’intellect agent.

Mais cette position ne tient pas. 1. Si l’intellect agent est une substance séparée, il est. impossible que nous connaissions formellement par elle. Car un principe actif agit formellement par sa forme et son acte ; tout principe actif agit en tant qu’il est en acte. On a dit la même chose en traitant de l’intellect possible.

2. Si l’intellect agent était une substance séparée, il ne nous serait pas uni par sa substance, mais seulement par sa lumière, en tant que celle-ci est participée par les intelligences spéculatives, mais non sous le rapport des autres opérations de l’intellect agent, ce qui nous donnerait le pouvoir de connaître les substances immatérielles. Ainsi, quand nous voyons les couleurs illuminées par le soleil, ce n’est pas la substance de cet astre qui nous est unie, de telle sorte que nous puissions accomplir ses opérations ; c’est seulement sa lumière qui s’unit à nous, pour permettre de voir les couleurs.

3. Même si la substance de l’intellect agent nous était unie selon le mode décrit ci-dessus, ces philosophes n’admettent pas que cet intellect nous soit parfaitement uni pour un ou deux intelligibles, mais pour tous les objets intelligibles considérés. Mais la multitude de ces objets dépasse la capacité de l’intellect agent ; car la connaissance des substances séparées est bien supérieure à la connaissance de tous les êtres matériels. Il est donc évident que même si tous ces êtres matériels étaient connus, l’intellect agent ne nous serait pas uni de telle sorte qu’il nous donnât le pouvoir de connaître les substances séparées.

4. Il n’est guère possible qu’un homme connaisse en ce monde tous les êtres matériels. Alors, personne n’arriverait au bonheur, ou ce ne serait que le petit nombre. Mais cela va contre l’opinion d’Aristote qui dit dans l’Éthique : " Le bonheur est un bien commun à tous ceux qui sont doués pour la vertu. " De plus, il est contraire à la raison que la fin d’une espèce ne soit atteinte que par un petit nombre des individus qui appartiennent à cette espèce.

5. Le Philosophe dit expressément que " le bonheur est l’activité conforme à la vertu parfaite ". Et après avoir énuméré de nombreuses vertus, il conclut que le bonheur achevé, qui consiste à connaître les objets intelligibles les plus élevés, procède de la vertu de sagesse, dont il avait fait la première des sciences spéculatives. Il est donc évident que pour Aristote le bonheur parfait consiste dans la connaissance des substances séparées telle qu’on peut l’obtenir par les sciences spéculatives et non par une relation de continuité avec l’intellect agent, telle que certains philosophes l’ont imaginée.

6. On a démontré précédemment que l’intellect agent n’est pas une substance séparée, mais une faculté de l’âme qui est puissance active par rapport aux objets pour lesquels l’intellect possible est puissance réceptrice. Car, d’après Aristote, l’intellect possible est " un principe qui permet à l’âme de devenir toutes choses ", et l’intellect agent est " un principe qui lui permet de les faire toutes ". L’une et l’autre faculté n’ont pour objet, dans la vie présente, que les réalités matérielles ; l’intellect agent en fait des objets intelligibles en acte, et ils sont reçus dans l’intellect possible. Donc, dans la vie présente, nous ne pouvons connaître en elles-mêmes les substances séparées, ni par l’intellect possible ni par l’intellect agent.

Solutions :

1. On peut conclure de ce texte de S. Augustin que la connaissance des réalités incorporelles est accessible à notre esprit par la connaissance qu’il a de lui-même. C’est si vrai que, d’après les philosophes, la science de l’âme est un point de départ pour la connaissance des substances séparées. Car, du fait qu’elle se connaît elle-même, notre âme parvient à une certaine connaissance des substances incorporelles, comme il lui arrive d’en posséder. Cela ne fait pas qu’elle les connaisse d’une manière absolue et parfaite en se connaissant elle-même.

2. Une similitude de nature n’est pas une raison suffisante pour connaître. Autrement il faudrait dire avec Empédocle que l’âme est de la nature de toutes les choses, pour les connaître toutes. Mais il est requis que la ressemblance de la réalité connue se trouve dans le sujet connaissant à la manière d’une forme. Or l’intellect possible, dans la vie présente, est apte à recevoir les similitudes des réalités matérielles par abstraction des images. C’est pourquoi il connaît davantage les réalités sensibles que les substances immatérielles.

3. Il faut qu’il y ait proportion entre l’objet et la puissance connaissante, par exemple celle d’actif à passif, de perfection à perfectible. Donc, si les objets sensibles trop intenses ne sont pas perçus par le sens, ce n’est pas seulement parce qu’ils lèsent les organes, mais parce qu’ils ne sont pas proportionnés aux puissances sensibles. De même les substances immatérielles ne sont pas proportionnées à notre intellect dans la vie présente, de sorte qu’elles ne peuvent être connues par lui.

4. Cette opinion du Commentateur est fausse de bien des manières. 1. Du fait que les substances séparées ne sont pas connues par nous, il ne s’ensuit pas qu’elles soient inaccessibles à toute intelligence ; en effet elles se connaissent elles-mêmes, et se connaissent les unes les autres. - 2. Les substances séparées n’ont pas pour fin d’être connues par nous. On dit qu’une chose existe en vain, inutilement, lorsqu’elle n’atteint pas sa propre fin. On ne pourrait donc pas conclure que les substances immatérielles existent en vain, même si nous ne les connaissons en aucune façon.

5. Le sens connaît tous les corps, supérieurs ou inférieurs, de la même manière, c’est-à-dire par une modification organique due à l’objet sensible. Or, les substances matérielles que notre intelligence connaît par abstraction ne sont pas connues de la même manière que les substances immatérielles ; on ne peut en effet connaître celles-ci par abstraction, puisqu’elles n’ont pas d’images.

            Article 2 — Notre intelligence peut-elle arriver à connaître les substances spirituelles par la connaissance des réalités matérielles ?

Objections :

1. Cela parait possible. Selon Denys " l’esprit humain ne peut être élevé à la contemplation immatérielle des hiérarchies célestes qu’en se servant d’un intermédiaire matériel ". Il reste donc que nous pouvons être conduits par les réalités sensibles à la connaissance des substances spirituelles.

2. La science se trouve dans l’intellect. Or il y a des sciences et des définitions concernant les substances immatérielles. Ainsi, le Damascène définit l’ange, et l’on donne certains renseignements sur les anges dans les traités de théologie et de philosophie. Nous pouvons donc connaître les substances immatérielles.

3. L’âme humaine appartient au genre des substances immatérielles. Or nous pouvons connaître notre âme, au moyen de l’acte par lequel elle connaît les choses sensibles. De même pouvons-nous connaître les autres substances immatérielles par leurs effets dans les réalités matérielles.

4. La seule cause qui ne puisse être connue par ses effets est celle qui est infiniment distante de ces effets. Or cela n’appartient qu’à Dieu. Donc les autres substances immatérielles peuvent être connues par nous au moyen des choses sensibles.

En sens contraire, selon Denys, " on ne peut comprendre ni l’intelligible par le sensible, ni le simple par le composé, ni l’incorporel par le corporel ".

Réponse :

Au dire d’Averroès, il y eut un philosophe du nom d’Avempace, pensant qu’il nous était possible, selon les vrais principes de la philosophie, d’arriver à connaître les substances spirituelles par la connaissance des substances matérielles. Notre intelligence étant capable par nature d’abstraire de la matière l’essence de la réalité matérielle, on pourra, s’il demeure quelque matérialité en cette essence, procéder à une nouvelle abstraction. Et comme on ne peut le faire indéfiniment, on arrivera à une essence qui sera absolument sans matière. Et c’est en quoi consiste la connaissance de la substance immatérielle.

Ce raisonnement serait valable si les substances immatérielles étaient les formes des réalités sensibles, selon la doctrine platonicienne. Mais si ce n’est pas vrai, et s’il est admis que les substances immatérielles sont absolument autre chose que les essences des réalités sensibles, notre intelligence pourra abstraire aussi parfaitement que ce soit ces essences de la matière sans atteindre jamais quelque chose de semblable à une substance immatérielle. Nous ne pouvons donc connaître parfaitement ces substances spirituelles au moyen des substances sensibles.

Solutions :

1. Nous pouvons nous élever par les réalités matérielles à une certaine connaissance des réalités immatérielles, mais non à une connaissance parfaite. Car il n’y a pas un rapport suffisant entre les deux ordres de réalités ; les analogies qu’on peut prendre des choses matérielles pour comprendre les êtres immatériels sont fort lointaines, d’après Denys.

2. Lorsque, dans les sciences, on traite des réalités supérieures, c’est surtout par voie de négation. Ainsi Aristote décrit-il les corps célestes en leur déniant les propriétés des corps inférieurs. A plus forte raison ne connaissons-nous pas les substances spirituelles en saisissant leur essence. Mais les doctrines qu’on expose à leur sujet dans les sciences spéculatives sont obtenues par une méthode négative, ou par quelque rapport qu’elles soutiennent avec les choses matérielles.

3. L’âme humaine se connaît elle-même par son acte d’intelligence, qui est son acte propre, et révèle parfaitement sa capacité et sa nature. Mais elle ne peut, ni par ce moyen m par les autres données d’origine matérielle parvenir à une connaissance de ce genre pour les substances spirituelles. Car ces divers moyens sont inadéquats à ce que sont ces dernières.

4. Les substances immatérielles créées n’appartiennent pas au même genre réel que les substances matérielles, parce que puissance et matière ne s’y trouvent pas au même titre ; cependant elles appartiennent au même genre logique, car elles sont aussi dans le prédicament " substance ", puisque leur essence est distincte de leur être. Mais Dieu n’a en commun avec les réalités matérielles ni genre réel, ni genre logique, car il n’est en aucune façon, dans un genre, nous l’avons déjà dit. On peut donc, au moyen des similitudes des réalités matérielles, connaître quelque chose de positif sur les anges, sous le rapport du genre qui est commun, mais non sous le rapport de l’espèce ; sur Dieu, ce n’est pas du tout possible.

            Article 3 — Dieu est-il notre premier objet de connaissance ?

Objections :

1. Il semble que Dieu soit ce qui est connu d’abord par l’esprit humain. En effet, ce en quoi tout le reste est connu, et au moyen de quoi nous en jugeons, est notre premier objet de connaissance ; comme la lumière pour l’œil, comme les premiers principes pour l’intelligence. Or, c’est dans la lumière de la vérité première que nous connaissons toutes choses, et que nous en jugeons, dit S. Augustin. Dieu est donc pour nous le premier objet de connaissance.

2. " Ce qui fait qu’une chose est telle l’est lui-même encore davantage. " Or Dieu est la cause de toutes nos connaissances. Il est en effet " la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ", selon S. Jean (1, 9.) Dieu est donc pour nous le premier et le plus haut objet de connaissance.

3. Ce qui est connu premièrement dans une image, c’est le modèle sur lequel l’image est formée. Or notre esprit est à l’image de Dieu. Donc ce qui est connu d’abord dans notre esprit, c’est Dieu.

En sens contraire, " Dieu, personne ne l’a jamais vu ", dit S. Jean (1, 18).

Réponse :

Puisque l’intelligence humaine ne peut, dans la vie présente, connaître les substances immatérielles créées, on vient de le voir, elle pourra bien moins encore connaître l’essence de la substance incréée. Il faut donc affirmer absolument que Dieu n’est pas pour nous le premier objet connu, mais bien plutôt que nous parvenons à le connaître au moyen des créatures, selon S. Paul (Rm 1,20) : " Les perfections invisibles de Dieu sont rendues visibles à l’intelligence au moyen de ses œuvres. " Mais ce qui est connu premièrement par nous, dans la vie présente, c’est l’essence de la réalité matérielle, qui est l’objet de notre intelligence, comme nous l’avons affirmé bien des fois.

Solutions :

1. Nous connaissons et jugeons toutes choses à la lumière de la vérité première, pour autant que la lumière même de notre intelligence, possédée par nature et par grâce, n’est rien d’autre qu’un reflet de cette vérité première, comme nous l’avons dit antérieurement. Or la lumière de notre intelligence n’est pas pour elle un objet, mais un moyen de connaissance. Donc, Dieu est bien moins encore pour notre intelligence le premier objet connu.

2. Ce principe ne s’applique, comme on l’a dit, qu’à des réalités du même ordre. Or Dieu est cause de tout ce qui est connu, non comme premier objet de connaissance, mais comme cause première de toute faculté connaissante.

3. S’il y avait en notre âme une image parfaite de Dieu, de même que le Fils est l’image parfaite du Père, notre esprit connaîtrait Dieu immédiatement. Mais cette image est imparfaite. Donc le raisonnement ne vaut pas

 

 

QUESTION 89 — LA CONNAISSANCE CHEZ L’ÂME SÉPARÉE

1. L’âme séparée du corps peut-elle faire acte d’intelligence ? - 2. Connaît-elle les substances séparées ? - 3. Connaît-elle toutes les réalités naturelles ? - 4. Connaît-elle les singuliers ? - 5. Les habitus de science acquis en cette vie demeurent-ils dans l’âme séparée ? - 6. Peut-elle user de l’habitus de science acquis ici-bas ? - 7. La distance dans l’espace empêche-t-elle la connaissance chez l’âme séparée ? - 8. Les âmes séparées connaissent-elles ce qui se passe ici-bas ?

            Article 1 — L’âme séparée du corps peut-elle faire acte d’intelligence ?

Objections :

1. Il semble que l’âme séparée ne puisse absolument rien connaître. Aristote dit en effet : " L’activité intellectuelle disparaît quand disparaissent certains organes internes. " Mais tout ce qui est dans l’homme disparaît à la mort. Donc aussi l’activité de l’intelligence.

2. L’âme humaine est empêchée de comprendre quand le sens est paralysé, et quand l’imagination est troublée. Or, par la mort, le sens et l’imagination sont totalement détruits comme on l’a dit. Après la mort, l’âme ne fait donc plus acte d’intelligence.

3. Si l’âme séparée comprend, il faut que ce soit par des espèces intelligibles. Mais ce n’est pas par .des espèces innées ; car, à l’origine, elle est " comme une tablette où rien n’est écrit ". Ni par des espèces qu’elle pourrait alors abstraire des choses ; car elle n’a plus les organes du sens et de l’imagination, qui servent d’intermédiaire, pour abstraire les espèces intelligibles. Pas davantage par des espèces jadis abstraites et conservées en elle ; car alors l’âme de l’enfant ne connaîtrait rien après la mort. Ce n’est pas enfin par des espèces intelligibles que Dieu lui imposerait alors ; ce ne serait plus la connaissance naturelle dont nous parlons ici, mais un don de la grâce. Donc l’âme séparée du corps ne connaît rien.

En sens contraire, comme dit Aristote, " s’il n’y a pas d’opération propre à l’âme, celle-ci ne peut exister séparée ". Or elle en vient à exister ainsi. Elle a donc une opération qui lui est propre, et surtout l’acte d’intelligence. L’âme peut donc faire acte d’intelligence lorsqu’elle existe sans le corps.

Réponse :

Ce qui fait la difficulté de cette question, c’est que, tant que l’âme est unie au corps, elle ne peut faire acte d’intelligence sans avoir recours aux images, comme le montre l’expérience. Si cela ne tient pas à la nature de l’âme, mais lui convient par accident du fait qu’elle est liée au corps, selon l’opinion platonicienne, le problème est facile à résoudre. Car, une fois ôté l’obstacle du corps, l’âme retournerait à sa nature pour connaître ce qui est intelligible de soi, sans recours aux images, comme le font les autres substances spirituelles. Mais dans cette hypothèse, l’âme ne serait pas unie au corps à son propre avantage, puisqu’elle connaîtrait moins bien, unie au corps que séparée de lui. Cela serait seulement à l’avantage du corps, ce qui est contraire à la raison, puisque la matière est faite pour la forme, et non inversement. Mais si nous admettons qu’il est naturel à l’âme de connaître en ayant recours aux images, puisque sa nature ne change pas après la mort du corps, il semble que l’âme ne puisse plus rien connaître naturellement puisqu’elle n’a plus à sa disposition d’images auxquelles elle puisse avoir recours.

Pour supprimer cette difficulté, considérons ceci : Puisque rien n’opère sinon dans la mesure où il est en acte, le mode d’agir de toute réalité est une conséquence de son mode d’être. Or l’âme a un mode d’être différent quand elle est unie au corps, et quand elle en a été séparée, bien que sa nature demeure identique ; non pas que son union au corps lui soit accidentelle, car il est de sa nature d’être unie à son corps. De même la nature d’un corps léger n’est pas modifiée, lorsqu’il est dans son lieu propre qui lui est naturel, ou lorsqu’il est hors de ce lieu, ce qui est étranger à sa nature. Il convient donc à l’âme humaine, selon le mode d’être qu’elle possède quand elle est unie au corps, de connaître en ayant recours aux images des corps qui sont dans des organes corporels. Mais quand elle aura été séparée du corps, il lui conviendra de connaître en se tournant vers ce qui est intelligible de soi, comme cela convient -aux autres substances séparées. Aussi le mode de connaître par recours aux images est naturel à l’âme, tout comme d’être unie à un corps ; mais être séparée du corps est en dehors de sa nature ; de même que comprendre sans avoir recours aux images. Et c’est pourquoi elle est unie à un corps : pour exister et pour agir conformément à sa nature.

Mais il y a là une nouvelle difficulté. Puisque la nature est toujours ordonnée au meilleur, et puisqu’il est meilleur de connaître en se tournant vers ce qui est de soi intelligible qu’en ayant recours aux images, Dieu devait établir la nature de l’âme de telle sorte que le plus noble des modes de connaître lui fût naturel, et qu’elle n’eût pas besoin pour cela d’être unie à un corps.

Il faut donc considérer ceci. Bien que connaître par recours aux intelligibles soit plus noble absolument que connaître par recours aux images, cependant ce premier mode, tel qu’il eût été possible à l’âme, eût été moins parfait pour elle. Ce qui se démontre ainsi. Dans toutes les substances intellectuelles, la faculté de connaître provient d’un influx de la lumière divine. Cette lumière est parfaitement une et simple dans le premier principe ; et dans la mesure où les créatures intellectuelles sont éloignées du premier principe, dans cette mesure même cette lumière se divise et se diversifie, comme c’est le cas pour les lignes qui sortent d’un point central. En conséquence, Dieu, par sa seule essence, connaît toutes choses ; les plus élevées des substances intellectuelles, tout en connaissant au moyen de plusieurs formes n’emploient cependant que des formes en plus petit nombre, plus universelles, et d’une plus grande puissance pour comprendre les choses, en raison de l’efficacité de la vertu intellectuelle qui est en elles. Mais dans les moins élevées de ces substances, il y a des formes plus nombreuses, moins universelles, et moins efficaces pour comprendre le réel, parce que n’atteignant pas à la puissance intellectuelle des êtres supérieurs. Donc, si les substances inférieures possédaient des formes de la même universalité que les substances supérieures en possèdent, ces formes, n’ayant pas autant de puissance intellectuelle, ne leur donneraient pas une connaissance parfaite des choses, mais seulement une connaissance générale et confuse. C’est ce qui se voit en quelque façon chez les hommes : ceux qui ont l’intelligence plus faible ne pénètrent parfaitement les conceptions universelles des intelligences plus vigoureuses que si on les leur explique en détail. Or il est évident que, parmi les substances intellectuelles, les âmes humaines sont, dans l’ordre de nature, au degré le plus bas. La perfection de l’univers l’exigeait, afin qu’il y eût divers degrés dans les réalités. Donc, si les âmes humaines avaient reçu de Dieu une telle structure qu’elles eussent connu à la manière qui convient aux substances séparées, elles n’auraient pas une connaissance parfaite, mais confuse et générale. Donc, pour qu’elles puissent avoir une connaissance parfaite et directe des réalités, leur structure naturelle les rend aptes à s’unir à un corps, et de la sorte elles reçoivent des choses sensibles elles-mêmes une connaissance propre de ces choses à la manière dont les hommes simples ne peuvent être instruits que par des exemples concrets.

Il est donc évident que c’est pour son plus grand bien que l’âme est unie à un corps et qu’elle comprend par recours aux images. Elle peut cependant être séparée du corps, et posséder un autre mode d’activité intellectuelles.

Solutions :

1. Si l’on examine avec soin le texte du Philosophe, on voit qu’il dépend d’une hypothèse faite auparavant : penser serait u mouvement du composé humain, comme sentir. Il n’avait pas encore montré la différence entre l’intelligence et le sens. On peut dire aussi qu’Aristote parle de ce mode de connaître qui implique un recours aux images. C’est encore de là que procède la deuxième objection.

3. L’âme séparée ne connaît pas au moyen d’espèces innées, ni au moyen d’espèces qu’elle abstrait alors ; ni seulement au moyen d’espèces conservées dans la mémoire, ainsi que l’établit l’objection. Mais c’est par des espèces provenant d’un influx de la lumière divine ; l’âme y a part, comme les autres substances séparées, quoique sous un mode moins élevé. Aussi, dès qu’elle cesse d’être en relation avec le corps, elle entre en relation avec les réalités supérieures. Il ne s’ensuit pas que cette connaissance ne soit pas naturelle ; car Dieu est non seulement l’auteur de l’influx de la lumière de grâce, mais aussi de la lumière naturelle.

            Article 2 — L’âme séparée connaît-elle les substances séparées ?

Objections :

1. Il semble qu’elle ne puisse pas les connaître. Car l’âme est plus parfaite quand elle est unie au corps que lorsqu’elle en est séparée, puisqu’elle est par essence une partie de la nature humaine. Or une partie est toujours plus parfaite dans son tout. Mais on a dit que l’âme unie au corps ne connaissait pas les substances séparées. A plus forte raison lorsqu’elle est séparée du corps.

2. Tout ce qui est connu, est connu par sa présence, ou par une espèce. Or les substances séparées ne peuvent être connues de l’âme par leur présence, car Dieu seul pénètre dans l’âme. Ce n’est pas non plus par des espèces que l’âme pourrait abstraire de l’ange, car l’ange est plus simple que l’âme. Donc l’âme ne peut en aucune façon connaître les substances séparées.

3. Pour certains philosophes, c’est dans la connaissance des substances séparées que consiste la félicité ultime de l’homme. Donc, si l’âme séparée peut connaître de telles substances, c’est par le seul fait de la séparation qu’elle obtiendra la félicité. Ce qui est inadmissible.

En sens contraire, les âmes séparées connaissent les autres âmes séparées. Ainsi le riche mis en enfer a vu Lazare et Abraham (Lc 16, 23). Les âmes séparées voient donc aussi et les démons et les anges.

Réponse :

D’après S. Augustin. " notre esprit obtient par lui-même la connaissance des réalités incorporelles ", c’est-à-dire en se connaissant lui-même, comme on l’a dit plus haut. Donc, du fait que l’âme séparée se connaît elle-même, nous pouvons déduire de quelle manière elle connaît les autres substances séparées. On a dit que, tant que l’âme est unie au corps, elle connaît par recours aux images. Et c’est pourquoi elle ne peut se connaître elle-même que lorsqu’elle fait acte d’intelligence au moyen d’une espèce abstraite des images ; c’est en effet par son acte qu’elle se connaît elle-même, comme nous l’avons dit. Mais lorsqu’elle sera séparée du corps, elle connaîtra non par recours aux images, mais en se tournant vers les objets qui sont de soi intelligibles ; par conséquent, elle se connaîtra elle-même par elle-même.

Or, il convient communément à toute substance séparée " de connaître les réalités qui lui sont soit supérieures soit inférieures, selon le mode de sa propre substance " ; car une chose est connue à la manière dont elle existe dans le sujet connaissant ; tout être existe dans un autre selon le mode de cet être où il est. Le mode d’exister de l’âme séparée est inférieur à celui de l’ange, mais semblable à celui des autres âmes séparées. C’est pourquoi elle a une connaissance parfaite de ces âmes, mais elle n’a des anges qu’une connaissance imparfaite et inadéquate, si l’on parle de la connaissance naturelle de l’âme séparée. Quant à la connaissance de gloire, c’est d’un autre ordre.

Solutions :

1. L’âme séparée est dans un état moins parfait si l’on considère la nature qui l’apparente à la nature du corps. Cependant, elle est en quelque sorte plus libre pour connaître, en tant que l’alourdissement et les préoccupations causées par le corps empêchent la pureté de l’acte intellectuel.

2. L’âme séparée connaît les anges par des similitudes d’origine divine, qui cependant n’arrivent pas à les représenter parfaitement, parce que la nature de l’âme est inférieure à celle de l’ange.

3. Ce n’est pas dans la connaissance des substances immatérielles quelconques que consiste la félicité ultime de l’homme, mais dans la connaissance de Dieu seul, qui ne peut être vu que par grâce. Cependant, connaître la autres substances séparées procure une grande félicité, même si ce n’est pas la plus haute, pourvu toutefois qu’elles soient connues parfaitement. Mais l’âme séparée ne les connaît pas parfaitement de connaissance naturelle, on vient de le dire.

            Article 3 — L’âme séparée connaît-elle toutes les réalités naturelles ?

Objections :

1. Il semble bien ; car dans les substances séparées se trouvent les idées de toues ces réalités, et les âmes séparées connaissent ces substances.

2. Celui qui connaît un objet intelligible plus élevé, peut à plus forte raison en connaître un qui l’est moins. Or l’âme séparée connaît les substances immatérielles qui sont les objets de la plus parfaite intelligibilité. À plus forte raison connaît-elle les réalités matérielles qui sont moins intelligibles.

En sens contraire, 3. L’intelligence naturelle des démons est plus vigoureuse que celle de l’âme séparée. Mais les démons ne connaissent pas toutes les choses naturelles ; ils apprennent beaucoup par une longue expérience, selon Isidore de Séville. Donc les âmes séparées non plus ne connaissent pas toutes les choses naturelles.

4. Si l’âme, aussitôt qu’elle est séparée, connaissait toutes les choses naturelles, il serait inutile pour les hommes de chercher à acquérir la science. Ce qui n’est pas admissible. L’âme séparée ne connaît donc pas toutes les choses naturelles.

Réponse :

L’âme séparée connaît, nous l’avons dit, au moyen d’espèces qu’elle reçoit par un influx de lumière, comme les anges. Mais puisque la nature de l’âme est inférieure à celle de l’ange, pour qui ce mode de connaître est naturel, l’âme séparée ne reçoit pas au moyen de ces espèces une connaissance parfaite des choses, mais une sorte de connaissance générale et confuse. Or les anges ont cette parfaite connaissance parce que tout ce que Dieu fait dans les natures réelles, il le fait dans l’intelligence angélique, dit S. Augustin. Aussi, les âmes séparées n’ont-elles pas de toutes les choses naturelles une connaissance propre et certaine, mais générale et confuse.

Solutions :

1. L’ange non plus ne connaît pas toutes les choses naturelles par son essence ; il les connaît au moyen d’espèces. Il ne s’ensuit donc pas que l’âme connaisse toutes ces choses parce qu’elle connaît les substances séparées.

2. L’âme séparée ne connaît pas à la perfection les substances séparées ; il en va de même pour les choses naturelles ; mais elle les connaît d’une manière confuse, comme on vient de le dire.

3. S. Isidore parle ici des événements futures que ni anges, ni démons, ni âmes séparées ne connaissent, sauf dans leurs causes, ou par révélation divine. Tandis que nous parlons de la connaissance de la nature.

4. La connaissance qu’on acquiert en ce monde par l’étude est une connaissance propre et parfaite. La connaissance de l’au-delà est confuse. Il ne s’ensuit donc par que l’application à l’étude soit vaine.

            Article 4 — L’âme séparée connaît-elle les singuliers ?

Objections :

1. Il semble que non car, nous l’avons montré, il ne demeure pas dans l’âme séparée d’autre puissance de connaître que l’intelligence. Mais l’intelligence ne connaît pas les singuliers, on l’a dit plus haut. Et donc l’âme séparée non plus.

2. La connaissance est plus déterminée quand on connaît une chose en sa singularité que lorsqu’on en a une idée universelle. Or l’âme séparée n’a pas une connaissance déterminée touchant les espèces des réalités naturelles. À plus forte raison n’en a-t-elle pas de leur singularité.

3. Si elle connaissait les singuliers autrement que par le sens, elle devrait au même titre connaître tous les singuliers. Or elle ne les connaît pas tous. Elle n’en connaît donc aucun.

En sens contraire, le mauvais riche mis en enfer disait : " J’ai cinq frères " (Lc 16, 28).

Réponse :

Les âmes séparées connaissent certains singuliers, mais non pas tous, même parmi ceux qui sont actuellement existants. Pour le prouver, il faut considérer que l’intelligence a deux modes de connaître. L’un, par abstraction des images, et alors les singuliers ne peuvent être connus directement par l’intelligence, mais indirectement, on l’a dit précédemment. L’autre mode de connaître résulte d’un influx d’espèces intelligibles par Dieu, et de cette façon l’intelligence peut connaître les singuliers. Car Dieu lui-même, en tant qu’il est cause des principes universels et individuels, connaît par son essence tout universel et tout singulier, nous l’avons montré ; de même, les substances séparées, au moyen des espèces qui sont des similitudes participées de cette essence divine, peuvent connaître les singuliers.

Il y a cependant une différence entre les anges et les âmes séparées, car la connaissance des anges au moyen de ces espèces est propre et parfaite ; celle des âmes est confuse. Aussi les anges, en raison de la vigueur de leur intelligence, peuvent-ils avoir par ces espèces une connaissance spécifique non seulement des natures, mais encore des singuliers contenus sous ces espèces universelles. Quant aux âmes séparées, elles ne peuvent connaître par ces espèces que les singuliers avec lesquels elles ont un certain rapport ; soit par une connaissance antérieure, soit par quelque sentiment, soit par une relation naturelle, soit par une disposition divine. Car tout ce qui est reçu dans un sujet, est déterminé en lui selon son mode d’être.

Solutions :

1. Par la voie de l’abstraction, l’intelligence ne connaît pas les singuliers. Ainsi, ce n’est pas de cette manière que l’âme séparée connaît, mais de la manière qu’on vient de dire.

2. La connaissance de l’âme séparée est ordonnée aux espèces et aux individus de ces réalités avec lesquelles on a un rapport précis, on vient de le dire.

3. L’âme séparée n’est pas ordonnée également à tous les singuliers, mais avec certains elle a un rapport qu’elle n’a pas avec d’autres. Il n’y a donc pas un égal motif à ce qu’elle connaisse tous les singuliers.

            Article 5 — Les habitus de science acquis en cette vie demeurent-ils dans l’âme séparée ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’Apôtre affirme (1 Co 13, 8) : " la science sera détruite. "

2. Certains hommes moins bons possèdent la science, tandis que d’autres meilleurs en sont privés. Si l’habitus de science demeurait dans l’âme même après la mort, il s’ensuivrait que des êtres moins bons seraient dans la vie future supérieurs à des êtres meilleurs. Ce qui paraît inadmissible.

3. Les âmes séparées posséderont la science par un influx de lumière divine. Donc, si la science acquise en ce monde demeurait dans l’âme séparée, il y aurait deux formes d’une même espèce en un même sujet. Ce qui est impossible.

4. Le Philosophe affirme : " L’habitus est une qualité qui change difficilement, mais il arrive que la maladie ou quelque autre cause semblable détruise la science. " Mais le plus grand changement dans notre vie est le changement par la mort. Il semble donc que l’habitus de science soit détruit par la mort.

En sens contraire, S. Jérôme écrit dans une lettre à Paulin de Nole : " Apprenons sur la terre ce que nous garderons dans le ciel. "

Réponse :

Selon certains philosophes, l’habitus de science n’est pas dans l’intelligence même, mais dans les facultés sensibles : imagination, cogitative, mémoire ; et les espèces intelligibles ne sont pas conservées dans l’intellect possible. Si cette théorie était vraie, il s’en suivrait que, le corps détruit, l’habitus de la science acquis en cette vie serait détruit totalement.

Mais la science est dans l’intelligence, qui est " le lieu des idées ", comme il est dit au traité De l’âme ; il faut donc que l’habitus de la science acquis en cette vie soit en partie dans les facultés sensibles énumérées ci-dessus, et en partie dans l’intelligence même. On peut le constater dans les actes mêmes par lesquels on acquiert l’habitus de science ; car " les habitus sont du même ordre que les actes qui servent à les acquérir ", selon l’Éthique. Or ces actes de l’intelligence se réalisent par un recours aux images qui sont dans les facultés sensibles. Aussi, par de tels actes, l’intellect possible acquiert une aptitude à réfléchir au moyen des espèces intelligibles reçues, et, de leur côté, les facultés sensibles acquièrent une certaine souplesse qui permet à l’intelligence de recourir plus aisément à elles pour la spéculation intellectuelle. Mais puisque 1"acte d’intelligence est à titre premier et formellement dans l’intellect lui-même, tandis qu’il est matériellement et par mode de disposition dans les puissances inférieures, il faut en dire autant de l’habitus.

Donc, la partie de l’habitus de science qui se trouve dans les facultés inférieures ne subsistera pas dans l’âme séparée ; mais ce qui est dans l’intelligence elle-même subsistera nécessairement. En effet, comme dit Aristote, une forme est détruite de deux manières : ou bien essentiellement, lorsqu’elle est détruite par son contraire, comme le chaud par le froid ; ou bien par accident, parce que son sujet est détruit. Or, il est clair que la science qui est dans l’intelligence humaine ne peut disparaître par corruption du sujet ; car, nous l’avons montré’. l’intelligence est incorruptible. Pareillement, les espèces ou intentions intelligibles qui sont dans l’intellect possible ne peuvent être détruites par leur contraire ; car rien ne leur est contraire, surtout en ce qui concerne la simple appréhension de la quiddité. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une opération par laquelle l’intelligence compose et divise, ou même raisonne, on peut trouver de la contrariété dans l’intelligence, en tant que le faux, dans le jugement ou le raisonnement, est le contraire du vrai. Et de cette façon, il arrive parfois que la science soit détruite par son contraire, lorsqu’on est détourné par un faux raisonnement de la science de la vérité. C’est pourquoi le Philosophe donne deux modes selon lesquels la science est détruite - l’oubli pour la mémoire, et la méprise dans le cas d’un raisonnement faux. Mais cela n’a pas lieu dans l’âme séparée. Il faut donc dire que l’habitus de science, pour autant qu’il est dans l’intelligence, subsiste dans l’âme séparée.

Solutions :

1. L’Apôtre ne parle pas en cet endroit de la science comme habitus, mais comme acte de connaissance. Aussi pour prouver cela, il poursuit : " Maintenant je connais en partie... "

2. De même qu’un homme moins bon pourra être de plus grande stature qu’un homme meilleur, ainsi rien n’empêche que le moins bon ait dans la vie future un habitus de science que le meilleur n’aura pas. Mais cela n’a presque aucune importance, en comparaison des autres prérogatives qui seront accordées aux meilleurs.

3. Les deux sciences ne sont pas du même ordre. Aussi cela n’entraîne-t-il aucune impossibilité.

4. Cet argument procède de la destruction de la science selon ce qui vient des facultés sensibles.

            Article 6 — L’âme séparée peut-elle user de l’habitus de science acquis ici-bas ?

Objections :

1. Il semble que l’acte de la science acquise ici-bas ne subsiste pas dans l’âme séparée. En effet, Aristote dit que " lorsque le corps est détruit, l’âme n’a plus ni souvenir ni amour ". Or, considérer des connaissances antérieures, c’est évoquer des souvenirs. L’âme ne peut donc faire usage de la science qu’elle a acquise ici-bas.

2. Les espèces intelligibles ne seront pas plus efficaces dans l’âme séparée qu’elles ne le sont dans l’âme unie au corps. Or, par les espèces intelligibles nous ne pouvons pas comprendre maintenant sans nous tourner vers les images, on l’a vu précédemment. Donc l’âme séparée ne le pourra pas non plus. Et ainsi elle ne pourra connaître en aucune façon par les espèces intelligibles acquises ici-bas.

3. Selon Aristote, " les habitus reproduisent des actes semblables à ceux par lesquels ils sont acquis ". Or l’habitus de science s’acquiert ici-bas par un acte d’intelligence qui a recours aux images. Il ne peut donc reproduire d’autres actes. Mais ces actes ne sont pas au pouvoir de l’âme séparée. Donc l’âme séparée ne pourra exercer aucun acte d’une science acquise ici-bas.

En sens contraire, il est dit dans S. Luc (16, 25), au riche mis en enfer : " Souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie. "

Réponse :

Dans un acte il faut considérer deux choses : son espèce et son mode. L’espèce de l’acte se définit par l’objet vers lequel l’acte de la faculté connaissante est dirigé au moyen de l’espèce, qui est une ressemblance de l’objet. Mais le mode de l’acte s’apprécie d’après la capacité de l’agent. Par exemple, si quelqu’un voit une pierre, cela tient à l’espèce sensible de la pierre, qui est dans l’œil ; mais qu’il ait une vue pénétrante, cela tient à la puissance visuelle de l’œil. - Donc, puisque les espèces intelligibles demeurent dans l’âme séparée, alors que l’état de cette âme n’est pas le même que son état ici-bas, l’âme séparée peut connaître, au moyen des espèces intelligibles acquises ici-bas, les choses qu’elle a connues antérieurement ; non pas cependant de la même manière, c’est-à-dire par un recours aux images, mais sous un mode qui convient à une âme séparée. Et de la sorte, l’acte de la science acquise ici-bas demeure dans l’âme séparée, mais non sous le même mode.

Solutions :

1. Le Philosophe parle de la réminiscence selon laquelle la mémoire appartient à la partie sensible, et non pas selon qu’elle se trouve d’une certaine manière dans l’intelligence, nous l’avons dit.

2. La diversité du mode de connaître ne provient pas d’une efficacité différente des espèces intelligibles, mais de l’état différent de l’âme qui connaît.

3. Les actes par lesquels on acquiert un habitus sont semblables aux actes produits par l’habitus quant à l’espèce de l’acte, mais non quant au mode de l’action. En effet, accomplir des actions justes, mais sans justice, c’est-à-dire sans plaisir, produit l’habitus de justice générale qui nous fait agir avec plaisir.

            Article 7 — La distance dans l’espace empêche-t-elle la connaissance chez l’âme séparée ?

Objections :

1. Il semble que oui, car S. Augustin nous dit : " Les âmes des morts sont dans un lieu où elles ne peuvent savoir ce qui se passe ici-bas. " Or elles savent ce qui se passe près d’elles. La distance dans l’espace empêche donc la connaissance de l’âme séparée.

2. S. Augustin écrit : " Les démons, en raison de la rapidité de leurs mouvements nous révèlent des choses inconnues. " Mais l’agilité n’y ferait rien si la distance locale n’était pas un empêchement à la connaissance du démon. A plus forte raison empêche-t-elle celle de l’âme séparée, qui par nature est inférieure au démon.

3. On est distant dans le lieu comme on l’est dans le temps. Mais la distance dans le temps empêche la connaissance chez l’âme séparée, car elle ne connaît pas les événements futurs. Il semble donc que la distance dans l’espace empêche aussi la connaissance chez l’âme séparée.

En sens contraire, il est écrit en S. Luc (16, 23) que le riche " lorsqu’il fut dans les supplices, levant les yeux, vit de loin Abraham ". La distance dans l’espace n’empêche donc pas la connaissance chez l’âme séparée.

Réponse :

Certains auteurs ont affirmé que l’âme séparée connaît les singuliers par abstraction des données sensibles. Si c’était vrai, on pourrait dire que la distance spatiale est un obstacle à la connaissance chez l’âme séparée. Il faudrait en effet ou bien que les choses sensibles agissent sur l’âme séparée, ou bien l’âme séparée sur les choses sensibles. Dans les deux cas, une distance déterminée serait requise. - Mais une telle supposition est impossible. En effet, on abstrait les espèces intelligibles des choses sensibles au moyen des sens et des autres facultés sensibles, qui ne demeurent pas en acte dans l’âme séparée. Celle-ci connaît les singuliers par des espèces qui proviennent d’un influx de la lumière divine, lumière qui a le même rapport avec ce qui est près et ce qui est loin. Donc la distance dans l’espace n’empêche en aucune façon la connaissance chez l’âme séparée.

Solutions :

1. S. Augustin ne dit pas que c’est en raison de la localisation des âmes des morts qu’elles ne peuvent voir ce qui se passe ici-bas, en sorte que la distance dans l’espace paraîtrait la cause de leur ignorance. Mais cela peut arriver pour un autre motif, comme on va le dire bientôt.

2. S. Augustin s’exprime en cet endroit selon l’opinion de ceux qui admettaient que les démons sont par nature unis à des corps. A ce compte, ils peuvent aussi avoir des puissances sensibles, qui exigent pour connaître une distance déterminée. S. Augustin revient expressément sur cette opinion dans le même ouvrage, bien qu’il paraisse plutôt la citer que la professer, comme on peut le voir à ce qu’il écrit au livre XXI de la Cité de Dieu.

3. Les êtres futurs, qui sont éloignés dans le temps, ne sont pas des êtres en acte. Ils ne sont donc pas connaissables en eux-mêmes. Car dans la mesure où une chose manque de réalité, elle manque de capacité à être connue. Mais les choses qui sont distantes dans l’espace sont des êtres en acte, et donc sont connaissables en eux-mêmes. De ce fait la distance dans l’espace et la distance dans le temps ne sont pas comparables.

            Article 8 — Les âmes séparées connaissent-elles ce qui se passe ici-bas ?

Objections :

1. Il semble bien, car si les âmes séparées ne savaient pas ce qui se passe ici-bas, elles n’en auraient pas souci. Or elles s’en préoccupent, comme le montre ce passage de S. Luc (16, 28) : " J’ai cinq frères. Que Lazare les avertisse, afin qu’ils ne viennent pas eux aussi dans ce lieu de supplice. " Les âmes séparées connaissent donc ce qui se passe ici-bas.

2. Il arrive fréquemment que les morts apparaissent aux vivants, soit pendant le sommeil soit pendant la veille, et les avertissent au sujet des événements terrestres. Ainsi Samuel apparut à Saül (1 S 28, 11). Ce serait impossible s’ils ne savaient pas ce qui se passe ici-bas. Donc ils le savent.

3. Les âmes séparées savent ce qui arrive chez elles. Si donc elles ne connaissaient pas ce qui arrive chez nous, c’est que la distance spatiale les empêcherait de connaître ; or, on vient de le nier.

En sens contraire, il est dit dans Job (14, 2 1) : " Que ses enfants soient honorés ou méprisés, l’homme, n’en saura rien. "

Réponse :

Si l’on parle de la connaissance naturelle, dont il s’agit maintenant, les âmes des morts ne savent pas ce qui se passe ici-bas. On peut en trouver la raison dans ce qui a été dit e : l’âme séparée connaît les singuliers pour autant qu’elle a un certain rapport avec eux, soit à cause d’une trace laissée par une connaissance ou une affection de la vie antérieure, soit à cause d’une disposition divine. Or les âmes des morts, d’après le plan divin, et d’après leur manière d’exister, sont séparées de la société des vivants, et agrégées à la société des substances spirituelles, qui sont sans corps. C’est pourquoi elles ignorent ce qui se fait parmi nous. S. Grégoire en donne cette raison : " Les morts ne savent pas comment est organisée la vie de ceux qui vivent dans la chair après eux ; car la vie de l’esprit est bien différente de la vie de la chair ; et de même que les êtres corporels et les êtres incorporels diffèrent par le genre, ainsi se distinguent-ils par la connaissance. " Et S. Augustin semble exprimer la même idée quand il écrit : " Les âmes des morts ne sont pas présentes aux événements des vivants. "

Mais si l’on parle des âmes des bienheureux, il semble que S. Grégoire et S. Augustin diffèrent d’opinion. Car S. Grégoire ajoute : " Il ne faut pas cependant penser la même chose au sujet des âmes saintes, car pour celles qui voient en elles-mêmes la clarté du Dieu tout-puissant, il ne faut pas croire du tout qu’il puisse y avoir en dehors d’elles quelque chose qu’elles ignorent. " - Tandis que S. Augustin dit expressément dans l’ouvrage cité : " Les morts, même saints, ne savent pas ce que font les vivants, et leurs enfants. " Passage qui se retrouve dans la glose sur ce texte d’Isaïe (63,16) : " Abraham nous ignore. " Et S. Augustin confirme son dire par ce fait que sa mère ne le visitait pas, ni ne le consolait dans ses tristesses comme elle le faisait quand elle vivait ; et il n’est pas probable qu’une vie plus heureuse l’ait rendue plus insensible ; et par ce fait encore que le Seigneur avait promis au roi Josias qu’il mourrait avant de voir les malheurs qui devaient arriver à son peuple (2 R 22, 20). - Mais

S. Augustin hésite ; aussi avait-il écrit précédemment : " Que chacun prenne ce que je dis, comme il voudra. " Tandis que S. Grégoire est affirmatif ; on le voit à l’expression : " Il ne faut pas croire du tout... "

Il semble plutôt cependant, selon la pensée de S. Grégoire, que les âmes des saints qui voient Dieu connaissent tous les événements actuels d’ici-bas. Elles sont en effet égales aux anges, de qui S. Augustin affirme qu’ils n’ignorent pas ce qui arrive chez les vivants. Mais, parce que les âmes des saints sont en union très parfaite avec la justice divine, elles ne s’attristent pas, ni ne se mêlent des affaires des vivants, sauf lorsqu’une disposition de cette justice l’exige.

Solutions :

1. Les âmes des morts peuvent avoir souci des affaires des vivants, même si elles ignorent leur état ; de même avons-nous le souci des morts, en offrant pour eux des suffrages, quoique leur état nous soit inconnu. - Elles peuvent aussi connaître les actions des vivants, non par elles-mêmes, mais soit par les âmes qui, d’ici-bas, arrivent près d’elles, soit par les anges ou les démons ; soit encore " par une révélation de l’Esprit de Dieu ", comme dit

S. Augustin dans le même ouvrage.

2. Que les morts apparaissent aux vivants de façon ou d’autre, cela peut arriver par une permission spéciale de Dieu s’il veut que les âmes des morts interviennent dans les affaires des vivants ; et cela doit être compté parmi les miracles divins. Ou bien ces apparitions se font par l’opération des anges bons ou mauvais, même à l’insu des morts ; de même que des vivants apparaissent sans le savoir à d’autres vivants dans leur sommeil, comme dit S. Augustin dans l’ouvrage cité i. Donc, on peut dire au sujet de Samuel qu’il est apparu par une révélation divine selon ce passage de l’Ecclésiastique (46,20) : " Samuel s’endormit dans la mort, et annonça au roi sa fin. " On peut dire aussi que cette apparition fut procurée par les démons, au cas où l’on n’admettrait pas l’autorité de l’Ecclésiastique, parce que ce livre ne se trouve pas parmi les Écritures canoniques chez les hébreux.

3. Cette ignorance ne provient pas de la distance dans l’espace, mais de la cause qui a été donnée dans la Réponse.

LES ORIGINES DE L’HOMME

Nous examinerons quatre points : 1° ce qui concerne la production elle-même de l’homme.(Q. 90-92) ; 2° la cause finale de cette production (Q. 93) ; 3° l’état et la condition du premier homme (Q. 94-101) ; 4° le lieu où l’homme fut placé (Q. 102). En ce qui concerne la production, nous envisagerons : 1° celle de l’âme (Q. 90) ; 2° celle du corps de l’homme (Q. 91) ; 3° celle de la femme (Q. 92).

 

 

QUESTION 90 — LA PRODUCTION DE L’ÂME HUMAINE

1. L’âme humaine est-elle une réalité produite par Dieu, ou bien est-elle de la substance même de Dieu ? - 2. Étant admis qu’elle est un effet de Dieu, a-t-elle été produite par création ? - 3. A-t-elle été faite par l’intermédiaire des anges ? - 4. A-t-elle été faite avant le corps ?

            Article 1 — L’âme humaine est-elle une réalité produite par Dieu, ou bien est-elle de la substance même de Dieu ?

Objections :

1. Il semble que l’âme n’ait pas été " faite ", mais qu’elle soit de la substance de Dieu. En effet, il est dit dans la Genèse (2, 7) : " Dieu modela l’homme avec le limon de la terre, il insuffla dans ses narines une haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. " Mais celui qui insuffle envoie quelque chose de lui-même. Donc l’âme, par laquelle l’homme est vivant, est quelque chose de la substance de Dieu.

2. Comme on l’a établi plus haut, l’âme est une forme simple. Mais la forme est acte. Donc l’âme est acte pur, ce qui appartient à Dieu seul. Donc l’âme est de la substance de Dieu.

3. Toutes les choses qui sont, et qui ne sont aucunement différentes, sont identiques. Mais Dieu et l’âme spirituelle sont, et ne sont aucunement différents, car il faudrait qu’ils aient des différences pour qu’on puisse les distinguer, et alors ils seraient composés. Donc Dieu et l’âme spirituelle sont identiques.

En sens contraire, S. Augustin énumère certaines opinions dont il dit qu’" elles sont grandement et ouvertement perverses et opposées à la foi catholique " ; or, la première de ces opinions est celle suivant laquelle " Dieu n’a pas fait l’âme à partir de rien, mais de lui-même ".

Réponse :

Dire que l’âme est de la substance de Dieu n’a manifestement pas la moindre vraisemblance. Car il ressort clairement de ce qui a été dite que l’âme humaine est à certains moments intelligente en puissance, qu’elle acquiert d’une certaine façon sa science à partir des choses, et qu’elle a diverses puissances. Or tout cela est étranger à la nature de Dieu, qui est acte pur, qui ne reçoit rien des autres et ne porte en lui aucune diversité ; cela aussi on l’a prouvé.

Cette erreur semble avoir son point de départ dans deux thèses soutenues par les anciens. Les premiers qui commencèrent à étudier les natures des choses ne purent dépasser l’imagination et soutinrent que rien n’existait en dehors des corps e ; aussi, disaient-ils que Dieu est un certain corps, dont ils estimaient qu’il était le- principe des autres corps. Et comme ils soutenaient que l’âme fait partie de ce corps dont elle est pour eux le principe, ainsi que le dit Aristote, il s’ensuivait logiquement que l’âme était de la substance de Dieu. C’est à partir de cette conception aussi que les manichéens, pensant que Dieu était une lumière corporelle, soutinrent que l’âme était une partie de cette lumière, attachée au corps.

Dans une deuxième étape, certains parvinrent à saisir qu’il existait quelque chose d’incorporel, mais qui toutefois n’était pas séparé du corps, et qui était la forme du corps. C’est ainsi que Varron dit que Dieu est " l’âme qui gouverne le monde par son mouvement et sa raison ", comme le rapporte S. Augustin. Et ainsi certains soutinrent que l’âme de l’homme était une partie de cette âme totale, à la façon dont l’homme est une partie du tout qu’est le monde ; ils ne parvenaient pas à distinguer par leur intelligence les degrés des substances spirituelles autrement que sur le modèle de la distinction des corps.

Mais, comme on l’a établi plus haut, tout cela est impossible ; aussi est-ce une erreur manifeste de penser que l’âme est de la substance de Dieu.

Solutions :

1. " Insuffler " n’est pas à comprendre de façon corporelle. Pour Dieu, inspirer est la même chose que produire un " esprit ". D’ailleurs ce que l’homme émet quand il souffle, ce n’est pas quelque chose de sa substance, mais quelque chose d’une nature étrangère.

2. L’âme est bien une forme simple, si on la considère dans son essence ; elle n’est pourtant pas son acte d’être, elle est un être (ens) par participation ; cela ressort de ce qui a été dit plus haut et c’est pourquoi elle n’est pas acte pur comme Dieu.

3. Ce qui est " différent " au sens propre de ce mot, est différent en vertu de quelque chose ; aussi ne cherche-t-on de différence que pour des êtres entre lesquels il y a quelque chose de commun. Et c’est pourquoi il faut que les êtres " différents " soient de quelque façon des êtres composés, puisqu’ils diffèrent en quelque chose et convergent en quelque chose. Mais en prenant les termes avec cette rigueur, on peut dire avec Aristote que si tout être différent est divers, tout être divers n’est pas différent, car les êtres simples sont divers par eux-mêmes et ne diffèrent pas entre eux par des différences qui entreraient dans leur composition. Ainsi l’homme et l’âne sont différents en vertu des différences : " rationnel " et " non rationnel ", mais pour ces différences elles-mêmes il ne faut pas dire qu’elles soient en outre différentes en vertu d’autres différences.

            Article 2 — Étant admis que l’âme a été produite, a-t-elle été créée ?

Objections :

1. Il semble que l’âme n’ait pas été produite dans l’être par création. Car ce qui a en soi quelque chose de matériel est fait à partir d’une matière. Mais l’âme a en soi quelque chose de matériel, puisqu’elle n’est pas acte pur. Donc l’âme a été faite à partir d’une matière, et ainsi elle n’a pas été créée.

2. Tout acte d’une matière quelconque est " éduit ", semble-t-il, de la puissance de la matière ; en effet, étant donné que la matière est en puissance à l’acte, tout acte préexiste en puissance dans la matière. Mais l’âme est l’acte d’une matière corporelle, comme il apparaît dans sa définition. Par conséquent l’âme est " éduite " de la puissance de la matière.

3. L’âme est une forme. Par conséquent si l’âme est produite par création, il devra en être de même pour toutes les autres formes, et ainsi aucune forme ne passera à l’être par voie de génération, ce qui ne cadre pas avec les faits.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (1, 27) : " Dieu créa l’homme à son image. " Or, c’est par son âme que l’homme est à l’image de Dieu. Par conséquent c’est bien par création que l’âme est passée à l’être.

Réponse :

L’âme raisonnable ne peut être produite que par création, ce qui n’est pas vrai pour les autres formes. La raison en est que le devenir est le chemin vers l’être et que par suite le devenir doit s’attribuer à quelque chose dans les mêmes conditions que " être ". Or on ne dit en toute propriété de termes qu’une chose " est " que si elle-même possède l’acte d’être, et subsiste ainsi dans son être. Aussi les substances seules peuvent-elles être appelées des êtres en toute vérité et propriété de termes. L’accident, lui, ne possède pas l’acte d’être, mais par lui quelque chose existe et c’est à ce titre qu’il est appelé de l’être (ens) : ainsi la blancheur est-elle appelée de l’être parce qu’elle fait que quelque chose est blanc. Et c’est pourquoi il est dit, au livre VII des Métaphysiques, que " l’accident est dit plutôt " d’un être " que " un être ". La même considération s’applique à toutes les formes non subsistantes, et c’est pourquoi devenir ne s’attribue en propriété de termes à aucune forme non subsistante ; si l’on dit qu’elles sont produites, c’est du fait que les composés subsistants sont produits.

Mais l’âme rationnelle, elle, est une forme subsistante, on l’a établi plus haut. Aussi peut-on lui attribuer en propriété de termes d’exister et de devenir. Et comme elle ne peut devenir ni à partir d’une matière corporelle préalable, car alors elle serait de nature corporelle, ni à partir d’une matière spirituelle, car alors les substances spirituelles pourraient se transmuer les unes dans les autres, il faut dire nécessairement qu’elle n’est produite que par création.

Solutions :

1. Ce qui est dans l’âme comme l’élément matériel est l’essence elle-même, qui est simple ; l’élément formel en elle est l’existence dont elle participe ; or celle-ci est nécessairement posée en même temps que l’essence de l’âme, car l’existence suit à la forme en vertu d’une connexion immédiate. D’ailleurs le raisonnement serait le même si l’on admettait, comme certains, que l’âme est composée d’une matière spirituelle. Car cette matière n’est pas en puissance à une autre forme, pas plus que la matière du corps céleste, sinon l’âme serait corruptible. Et ainsi, d’aucune façon, l’âme ne peut être faite à partir d’une matière préalable.

2. Le fait, pour un acte, d’être tiré de la puissance de la matière n’est rien d’autre que le phénomène selon lequel une chose devient en acte ce qu’elle était d’abord en puissance. Mais puisque l’âme raisonnable n’a pas un être dépendant de la matière corporelle, mais un être subsistant et qui transcende la capacité de la matière corporelle, comme on l’a dit plus haut, elle n’est pas " éduite " de la puissance de la matière.

3. La condition de l’âme raisonnable n’est pas semblable à celle des autres formes, on vient de le dire.

            Article 3 — L’âme humaine a-t-elle été faite par l’intermédiaire des anges ?

Objections :

1. Il existe un ordre plus parfait dans les réalités spirituelles que dans les corporelles. Or, comme dit Denys, les corps inférieurs sont produits par les corps supérieurs. Donc, les esprits inférieurs que sont les âmes raisonnables sont produits par les esprits supérieurs, c’est-à-dire par les anges.

2. La fin des choses correspond à leur principe. En effet, Dieu est à la fois principe et fin des choses. Par conséquent la manière dont les choses sortent de leur principe correspond, elle aussi, à la manière dont elles sont ramenées à leur fin. Or, dit Denys, " les êtres les plus bas sont ramenés par les premiers ". Donc les êtres les plus bas sont amenés à l’existence par les premiers, c’est-à-dire les âmes par les anges.

3. " Est parfait ce qui peut faire un semblable à soi ", dit Aristote. Mais les substances spirituelles sont bien plus parfaites que les corporelles. Puisque les corps produisent des êtres qui leur sont semblables selon l’espèce, à bien plus forte raison les anges pourront-ils faire quelque chose qui leur est inférieur selon la nature spécifique et qui est l’âme raisonnable.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (2, 7) que Dieu lui-même " insuffla dans les narines de l’homme une haleine de vie ".

Réponse :

Certains ont soutenu que les anges causent les âmes raisonnables en agissant par la vertu de Dieu. Mais cela est tout à fait impossible et incompatible avec la foi. On a montré, en effet, que l’âme raisonnable ne peut être produite que par création. Or Dieu seul peut créer, car il appartient exclusivement à l’agent premier d’agir sans rien de présupposé, puisque l’agent second présuppose toujours quelque chose de fourni par l’agent premier, on l’a vu antérieurement q. Mais faire quelque chose à partir d’un élément présupposé, c’est agir par transmutation. Et c’est pourquoi tout autre agent agit par transmutation ; Dieu seul agit par création. Et puisque l’âme rationnelle n’est pas produite par transmutation d’une matière, elle ne peut être produite que par Dieu, sans intermédiaire.

Solutions :

Cela donne la réponse aux Objections. Car, si les corps causent des êtres qui leur sont semblables ou inférieurs, et si les êtres supérieurs ramènent les inférieurs à leur fin, cela se fait toujours par une certaine transmutation.

            Article 4 — L’âme humaine a-t-elle été faite avant le corps ?

Objections :

1. Comme on l’a vu plus haut l’œuvre de création a précédé l’œuvre de distinction et d’ornementation. Mais c’est par création que l’âme a été produite dans l’être, on l’a également établi précédemment, tandis que le corps a été fait au terme de la phase d’ornementation. Donc, l’âme de l’homme a été produite avant son corps.

2. L’âme raisonnable a plus de points communs avec les anges qu’avec les animaux dénués de raison. Mais les anges ont été créés avant les corps ou dès l’origine, en même temps que la matière corporelle, tandis que le corps de l’homme fut formé le sixième jour, lorsque furent produits les animaux dénués de raison. C’est donc que l’âme de l’homme a été créée avant son corps.

3. La fin est proportionnée au commencement. Mais, à la fin, l’âme demeure après le corps. Donc, au commencement aussi, elle a été créée avant le corps.

En sens contraire, " l’acte propre est produit dans la puissance propre ". Étant donné que l’âme est l’acte propre du corps, c’est donc dans le corps que l’âme a été produite.

Réponse :

Origène a soutenu que non seulement l’âme du premier homme, mais celle de tous les hommes ont été créées avant les corps, en même temps que les anges ; et cela parce qu’il croyait que toutes les substances spirituelles, aussi bien les âmes que les anges, étaient égales selon la condition de leur nature, et qu’elles ne différaient que par leur mérite ; de telle sorte que certaines sont liées à des corps - ce sont les âmes des hommes et des corps célestes -, tandis que d’autres restent dans leur pureté, distribuées en divers ordres. Nous avons déjà parlé de cette opinion, aussi la laisserons-nous de côté pour le moment.

S. Augustin, lui, dit que l’âme du premier homme a été créée avant son corps avec les anges, mais c’est pour une autre raison. Il admet que le corps de l’homme ne fut pas produit en acte parmi les œuvres des six jours, mais seulement selon des " raisons causales " : ce qu’on ne peut pas dire à propos de l’âme, car celle-ci ne fut pas faite à partir d’une matière corporelle ou spirituelle préexistante et ne pouvait être produite par une vertu créée. C’est pourquoi il semble que l’âme elle-même fut produite en même temps que les anges parmi les œuvres des six jours, au cours desquels toutes choses furent faites, et que c’est par la suite qu’elle s’est inclinée de son propre gré vers un corps à régir. - A vrai dire, S. Augustin ne dit pas cela de façon vraiment affirmative, ses paroles le montrent bien ; il dit en effet : " On peut croire, si aucun texte de l’Écriture ou aucune raison objective n’y contredit, que si l’homme a été fait le sixième jour, c’est en ce sens que la raison causale du corps humain se trouvait dans les éléments du monde, tandis que l’âme en sa réalité propre était déjà effectivement créée. " De fait, cela pourrait être toléré chez ceux qui admettent que l’âme a par elle-même une nature spécifique complète, et qu’elle n’est pas unie au corps en qualité de forme, mais seulement pour le régir. Mais, si l’âme est unie au corps en qualité de forme, si elle est par nature une partie de la nature humaine, cela ne peut absolument pas être. Il est manifeste en effet que Dieu a institué les premières choses dans l’état parfait de leur nature, selon que l’exigeait l’espèce de chacune. Or l’âme, étant une partie de la nature humaine, ne possède sa perfection naturelle que dans son union au corps. Aussi n’eût-il pas été convenable que l’âme fût créée sans le corps.

Donc, si l’on veut soutenir l’opinion de S. Augustin sur les œuvres des six jours, on pourra dire que l’âme humaine a préexisté dans les œuvres de ces six jours, selon une similitude générique, en tant qu’elle a en commun avec les anges la nature intellectuelle ; mais elle-même a été créée en même temps que le corps. Dans la perspective des autres Pères, au contraire, c’est parmi les œuvres des six jours que furent produits aussi bien l’âme que le corps du premier homme.

Solutions :

1. Si la nature de l’âme constituait une espèce complète, de telle manière qu’elle soit créée pour elle-même, l’argument prouverait en effet qu’elle a été créée à part dès le commencement. Mais comme elle est par nature la forme d’un corps, il n’y avait pas à la créer séparément elle devait être créée dans le corps.

2. Il faut répondre de la même façon que pour l’objection précédente. En effet, si l’âme avait par elle seule sa nature spécifique, elle aurait davantage de ressemblance avec les anges ; mais en tant qu’elle est forme d’un corps, elle appartient au genre animal à titre de principe formel.

3. Le fait que l’âme demeure après le corps est une chose qui se produit par accident, en raison de cette défaillance du corps qu’est la mort. Mais une défaillance de ce genre n’avait aucune raison d’être au commencement de la création de l’âme.

 

 

 

 

QUESTION 91 — LA PRODUCTION DU CORPS DU PREMIER HOMME

1. La matière à partir de laquelle ce corps fut produit. - 2. L’auteur de cette production. - 3. La disposition qui fut attribuée au corps ainsi produit. - 4. Les modalités et l’ordre de cette production.

            Article 1 — La matière à partir de laquelle fut produit le corps du premier homme

Objections :

1. Il faut une plus grande vertu pour produire quelque chose à partir du néant qu’à partir d’une réalité quelconque, puisque le non-être est plus éloigné de l’acte que l’être en puissance. Mais l’homme étant la plus digne des créatures inférieures, il convenait que la vertu de Dieu se manifestât au plus haut point dans sa production. Par conséquent il aurait dû être produit à partir non pas du limon de la terre, mais du néant.

2. Les corps célestes sont plus nobles que les corps terrestres. Mais le corps humain jouit de la plus haute noblesse, puisqu’il reçoit sa perfection de la forme la plus noble, l’âme raisonnable. Donc il n’aurait pas dû être formé à partir d’un corps terrestre, mais plutôt d’un corps céleste.

3. Le feu et l’air sont des corps plus nobles que la terre et l’eau, ce que montre leur subtilité. Donc, puisque le corps humain est le plus digne de tous, il aurait dû être fait de feu et d’air plutôt que du limon de la terre.

4. Le corps humain est composé de quatre éléments. Il n’a donc pas été fait à partir du limon de la terre, mais à partir de tous les éléments.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (2,7) : " Dieu modela l’homme avec le limon de la terre. "

Réponse :

Puisque Dieu est parfait, il a, dans ses œuvres, donné à toutes choses la perfection qui leur convenait ; c’est ce que dit le Deutéronome (32, 4) : " Les œuvres de Dieu sont parfaites. " Mais lui-même est parfait purement et simplement, du fait qu’" il possède toutes choses en lui comme dans leur source ", et cela non par mode de composition, mais " dans la simplicité et l’unité ", comme dit Denys, à la façon dont des effets divers préexistent. dans une cause -selon l’unique vertu de celle-ci. Cette perfection se communique aux anges dans la mesure où toutes les choses qui ont été produites par Dieu dans la nature existent dans la connaissance des anges grâce aux idées qui les représentent. A l’homme, cette perfection se communique d’une façon encore inférieure ; en effet il ne possède pas dans sa connaissance naturelle l’idée de toutes les choses de la nature ; mais il est en quelque sorte composé à partir de toutes choses : du genre des substances spirituelles il possède l’âme raisonnable ; à la ressemblance des corps célestes il est maintenu dans l’éloignement des contraires par l’extrême équilibre de sa complexion, les éléments étant en lui selon leur substance même. De telle sorte cependant que, les éléments supérieurs prédominent en lui pour ce qui est de l’énergie, à savoir le feu et l’air, car la vie réside principalement dans le chaud, qui relève du feu, et dans l’humide, qui relève de l’air ; par contre, c’est selon leur substance que les éléments inférieurs abondent en lui ; autrement l’équilibre du mixte ne pourrait se réaliser, à savoir si les éléments inférieurs qui sont de moindre vertu n’abondaient pas dans l’homme par leur quantité.

Et c’est pour cela qu’il est dit du corps de l’homme qu’il a été formé du limon de la terre, car on appelle " limon " de la terre mélangée d’eau. C’est pour la même raison aussi qu’on appelle l’homme un microcosme, car toutes les créatures du monde se trouvent de quelque façon en lui.

Solutions :

1. La vertu de Dieu créateur se manifeste dans le corps de l’homme du fait que sa matière a été produite par création. Mais il fallait que le corps de l’homme fût fait avec la matière des quatre éléments pour que l’homme eût des points communs avec les corps inférieurs, étant lui-même comme une sorte d’intermédiaire entre les substances spirituelles et les substances corporelles.

2. Le corps céleste est plus noble absolument que le corps terrestre ; cependant, si l’on considère les actes de l’âme raisonnable, il est moins adapté. En effet, l’âme raisonnable reçoit par les sens, en quelque sorte, la connaissance de la vérité ; or les organes des sens ne peuvent pas être formés à partir d’un corps céleste, car le corps céleste est impassible. Et il n’est pas vrai, comme certains le prétendent, que quelque chose de la quintessence entre matériellement dans la composition du corps humain. Ils soutiennent que l’âme est unie au corps par l’intermédiaire d’une certaine lumière. D’abord, il est faux que la lumière soit un corps, comme ils le disent. Deuxièmement, il est impossible qu’une portion de quintessence se détache d’un corps céleste ou se mélange aux éléments, car le corps céleste est impassible. Ainsi n’entre-t-il pas dans la composition des corps mixtes, si ce n’est selon l’effet de sa vertu.

3. Si le feu et l’air, dont la vertu active est plus grande, abondaient aussi en quantité dans la composition du corps humain, ils attireraient absolument tout le reste à eux, et cela empêcherait l’égalité du mélange qui est nécessaire, dans la composition de l’homme, à la bonté du toucher, lequel est le fondement des autres sens. Il faut en effet que l’organe de n’importe quel sens ne possède pas en acte les contraires que perçoit le sens, mais qu’il les possède seulement en puissance. Cette condition peut être remplie du fait que l’organe ne porte en lui aucune chose qui appartienne au genre des contraires, à la façon dont la pupille ne comporte elle-même aucune couleur de manière à être en puissance à toutes les couleurs. Mais cela n’était pas possible dans l’organe du toucher, puisqu’il est composé des éléments dont le toucher perçoit les qualités. Ou bien cela tient au fait que l’organe est intermédiaire entre les contraires, comme c’est nécessaire dans le cas du toucher : en effet l’intermédiaire est en puissance aux extrêmes.

4. Dans le limon de la terre il y a de la terre, et de l’eau qui agglutine les parties de terre. Pour ce qui est des autres éléments, l’Écriture n’en fait pas mention, parce qu’ils sont moins abondants quantitativement dans le corps de l’homme, on vient de le dire ; et parce que l’Écriture, destinée à un peuple grossier n’a pas fait mention, dans toute la production des choses, du feu et de l’air que ne perçoivent pas les sens des gens grossiers.

            Article 2 — L’auteur de cette production du corps humain

Objections :

1. Il semble que le corps humain n’a pas été produit immédiatement par Dieu. En effet, S. Augustin dit que " Dieu dispose les réalités corporelles par l’intermédiaire de la créature angélique ". Mais, comme on vient de le dire, le corps humain a été formé à partir d’une matière corporelle. Donc il devait être produit par l’intermédiaire des anges, et non pas immédiatement par Dieu.

2. Si quelque chose peut être réalisé par une vertu créée, il n’est pas nécessaire que ce soit produit immédiatement par Dieu. Mais le corps humain peut être produit par la vertu créée d’un corps céleste, car certains animaux sont engendrés à partir d’une putréfaction par la vertu active du corps céleste, et Albumasar dit que dans les lieux où il y a excès de chaleur ou de froid il n’y a pas de génération humaine, mais seulement dans les lieux tempérés. Par conséquent il n’était pas nécessaire que le corps humain fût formé immédiatement par Dieu.

3. Rien ne se fait à partir d’une matière corporelle, si ce n’est par transmutation de la matière. Mais toute transmutation corporelle est causée par le mouvement du corps céleste, qui est le premier des mouvements. Puisque le corps humain a été produit à partir d’une matière corporelle, il semble donc que le corps céleste a eu quelque part dans cette formation.

4. S. Augustin dit que l’homme a été fait, quant au corps, parmi les œuvres des six jours, selon les raisons causales que Dieu inséra dans la création corporelle ; dans la suite seulement il fut formé en acte. Mais ce qui préexiste selon les raisons causales dans la création corporelle peut être produit par une vertu corporelle. Donc le corps humain fut produit par une vertu créée, et non immédiatement par Dieu.

En sens contraire, on lit dans l’Ecclésiastique (17, 1) : " Le Seigneur a créé l’homme en le tirant de la terre. "

Réponse :

La première formation du corps humain ne pouvait pas être réalisée par une vertu créée ; elle devait se faire immédiatement par Dieu.

Certains ont bien soutenu que les formes qui sont dans la matière corporelle dérivent de certaines formes immatérielles. Mais Aristote rejette cette opinions parce que " ce n’est pas aux formes par elles-mêmes qu’il revient d’être produites, mais au composé ", on l’a rappelé plus hautf ; et, puisque l’agent doit être semblable à ce qu’il produit, il ne convient pas qu’une forme pure, qui est sans matière, produise une forme qui est dans la matière et qui n’est produite que dans la production du composé. Et voilà pourquoi c’est nécessairement une forme existant dans la matière qui est cause de la forme existant dans la matière ; ainsi un composé est engendré par un composé.

Pour ce qui est de Dieu, il est sans doute absolument immatériel, mais il est le seul à pouvoir, par sa vertu, produire la matière en la créant. Aussi est-ce à lui seul qu’il appartient de produire une forme dans la matière sans le secours d’une forme matérielle préalable. Et c’est pourquoi les anges ne peuvent changer les corps pour leur donner une forme, si ce n’est, dit S. Augustin en employant certaines semences.

Donc, puisque jamais il n’avait été formé de corps humain par la vertu duquel un autre corps spécifiquement semblable pût être formé par voie de génération, il était nécessaire que le premier corps d’homme fût formé immédiatement par Dieu.

Solutions :

1. Les anges apportent à Dieu certains services dans les activités qu’il exerce sur les corps ; il y a cependant des choses que Dieu fait dans la créature corporelle, et que les anges ne peuvent faire en aucune façon, comme ressusciter les morts ou donner la vue aux aveugles. Or c’est selon cette vertu-là aussi que Dieu a formé du limon le corps du premier homme. Il aurait pu se faire pourtant que les anges aient apporté certains services pour la formation du corps du premier homme, comme ils en apporteront à la résurrection finale, en rassemblant nos poussières.

2. Les animaux supérieurs qui sont engendrés par semence ne peuvent pas, comme l’imagine Avicenne, être engendrés par la seule vertu du corps céleste. Pourtant, dit Aristote, cette vertu coopère à leur génération naturelle : " C’est l’homme qui engendre un homme à partir de la matière, et c’est aussi le soleil. " Voilà pourquoi un lieu tempéré est exigé pour la génération de l’homme et des autres animaux supérieurs. Mais la vertu des corps célestes est suffisante pour engendrer des animaux imparfaits à partir d’une matière bien préparée ; ü est manifeste en effet qu’il faut plus de conditions pour produire une réalité parfaite que pour en produire une imparfaite.

3. Le mouvement du ciel est cause des transmutations naturelles, mais non de celles qui se font en dehors des virtualités de la nature et par la seule vertu divine, comme lorsque les morts ressuscitent ou que des aveugles recouvrent la vue. Or c’est à de telles transmutations que ressemble la formation de l’homme à partir du limon de la terre.

4. Il y a deux manières pour une chose de préexister dans les créatures selon les raisons causales. D’abord à la fois selon la puissance active et la puissance passive, en ce sens qu’il y a non seulement une matière préexistante d’où elle puisse être tirée, mais aussi une créature préexistante qui soit capable de la faire. Ensuite selon la puissance passive seulement, en ce sens qu’il y a une matière préexistante à partir de laquelle elle peut être faite par Dieu. C’est de cette deuxième façon que selon S. Augustin le corps de l’homme a préexisté dans les œuvres produites selon les raisons causales.

            Article 3 — La disposition qui fut attribuée au corps ainsi produit

Objections :

1. Il semble que le corps de l’homme n’ait pas été doté de la disposition convenable. En effet, l’homme étant le plus noble des animaux, son corps aurait dû être disposé de la façon la plus parfaite pour ce qui est propre à la vie animale : la sensation et le mouvement. Mais on trouve des animaux dotés de sens plus aiguisés et de mouvements plus rapides que l’homme ; ainsi les chiens ont un meilleur odorat et les oiseaux se déplacent plus vite. Le corps de l’homme n’a donc pas reçu la disposition souhaitable.

2. Est parfait ce à quoi rien ne manque. Mais il manque plus de choses au corps humain qu’à celui des autres animaux ; ceux-ci sont pourvus par la nature de revêtements et d’armes pour leur protection, qui manquent à l’homme. Par conséquent le corps de l’homme est dans la plus imparfaite des dispositions.

3. L’homme est plus éloigné des plantes que des bêtes. Mais les plantes ont la position verticale, tandis que les bêtes se penchent en avant. Par conséquent l’homme ne devrait pas avoir la station debout.

En sens contraire, il est dit dans l’Ecclésiaste (7,30) : " Dieu a fait l’homme droit. "

Réponse :

Toutes les réalités de la nature ont été produites par la pensée créatrice de Dieu ; aussi sont-elles en quelque sorte les œuvres

de cet artiste qu’est Dieu. Or tout artiste vise à introduire dans son œuvre la disposition la meilleure, non pas dans l’absolu, mais par rapport à la fin. Et si une telle disposition comporte quelque défaut, l’artisan ne s’en soucie pas ; ainsi l’artisan qui fait une scie, destinée à couper, la fait avec du fer pour qu’elle soit apte à couper, et il ne cherche pas à la faire avec du verre qui est une matière plus belle, car cette beauté empêcherait d’obtenir la fin voulue.

C’est ainsi que Dieu a donné à chaque réalité de la nature la disposition la meilleure : non pas dans l’absolu, mais dans la relation à sa fin propre. C’est ce que dit Aristote : " Et parce que c’est mieux ainsi, non pas absolument, mais relativement à la substance de chaque chose. "

Or, la fin prochaine du corps humain, c’est l’âme raisonnable et ses opérations ; car la matière est pour la forme, et les instruments pour les actions de l’agent principal. Je dis donc que Dieu a établi le corps humain dans la disposition la meilleure pour répondre à une telle forme et à de telles opérations. Si l’on voit quelque défaut dans la disposition du corps humain, il faut considérer que ce défaut découle de la matière, par ailleurs nécessaire aux propriétés requises par un corps pour qu’il soit exactement ajusté à l’âme et à ses opérations.

Solutions :

1. Le toucher, qui est le fondement des autres sens, est plus parfait chez l’homme qu’en tout autre animal, et c’est pour cela que l’homme devait avoir parmi tous les animaux la complexion la plus équilibrée. L’homme est supérieur aussi à tous les autres animaux, comme on l’a vu plus haut, pour ce qui est des sens internes.

Si pour certains sens externes, l’homme est inférieur à d’autres animaux, c’est en vertu d’une certaine nécessité. Par exemple, l’homme est de tous les animaux celui qui a le plus faible odorat ; il était nécessaire en effet que, parmi tous les animaux, l’homme eût le plus grand cerveau proportionnellement à l’ensemble du corps, à la fois pour que s’accomplissent plus librement en lui les opérations des sens internes qui sont nécessaires à l’activité de l’intelligence, comme on l’a vu antérieurement ; et aussi pour que la froideur du cerveau tempérât la chaleur du cœur qui, elle, doit être abondante chez l’homme pour lui permettre la station verticale ; mais le grand volume du cerveau est, à cause de son humidité, un empêchement pour l’odorat, qui requiert la sécheresse.

On peut déterminer pareillement la raison pour laquelle certains animaux ont une vue plus perçante et une ouïe plus subtile que l’homme. C’est l’obstacle que ces sens trouvent chez l’homme à cause du parfait équilibre de sa complexion. C’est par la même raison qu’il faut expliquer le fait que certains animaux sont plus rapides que l’homme ; en effet l’équilibre de la complexion chez l’homme est contraire à ce degré supérieur de vitesse.

2. Les cornes et les griffes qui sont les armes de certains animaux, l’épaisseur du cuir, l’abondance des poils ou des plumes qui les couvrent, attestent l’abondance en eux de l’élément terrestre ; or celle-ci est contraire à l’égalité et à la délicatesse de la complexion humaine, et c’est pourquoi ces choses ne convenaient pas à l’homme. Mais à leur place l’homme possède la raison et ses mains, grâce auxquelles il peut se procurer armes, vêtements et autres choses nécessaires à la vie, et cela selon des modalités infinies. Aussi la main est-elle appelée, au traité De l’âme " l’instrument des instruments ". Cela convenait mieux aussi à une nature douée de raison, infiniment fertile en conceptions, et capable de se procurer des instruments en nombre infini.

3. La station verticale convenait à l’homme pour quatre raisons. Premièrement, parce que les sens ont été donnés à l’homme non seulement en vue de pourvoir aux nécessités de la vie, comme chez les autres animaux, mais aussi pour lui procurer la connaissance. De ce fait, tandis que les autres animaux ne trouvent leur plaisir dans les réalités sensibles qu’en fonction de la nourriture ou de la sexualité, l’homme seul trouve son plaisir dans la beauté des choses sensibles prise en elle-même. C’est pourquoi, parce que les sens ont leur siège surtout sur la face, les autres animaux ont la face inclinée vers la terre comme pour chercher leur nourriture et pourvoir à leur subsistance ; tandis que l’homme a le visage dressé, et ainsi, grâce aux sens et principalement grâce à la vue qui est le plus subtil et montre davantage les différences des choses, il peut librement connaître de tous côtés les objets des sens, les choses célestes et les choses terrestres, pour recueillir en tout cela la vérité intelligible.

Deuxièmement, pour que les sens internes puissent procéder plus librement à leurs opérations, du fait que le cerveau, dans lequel elles trouvent en quelque sorte leur accomplissement, n’est pas oppressé, mais se trouve élevé au-dessus des autres parties du corps.

Troisièmement, parce que si l’homme avait la position inclinée, il devrait se servir de ses mains comme de pieds de devant, et ainsi la main perdrait son utilité pour l’accomplissement d’ouvrages divers.

Quatrièmement, parce que si l’homme avait la position inclinée et se servait de ses mains comme de pieds de devant, il lui faudrait saisir la nourriture avec la bouche. Alors il aurait une bouche proéminente, des lèvres dures et épaisses, une langue également dure de manière à ne pas être blessée par les choses extérieures, comme on le voit chez les autres animaux, et de telles dispositions empêcheraient tout à fait le langage, qui est l’œuvre propre de la raison.

Et pourtant l’homme, doué de la position verticale, reste extrêmement éloigné des plantes. En effet, l’homme tient sa partie supérieure, la tête, tournée vers le haut du monde, et sa partie inférieure vers le bas du monde ; et c’est pourquoi il est disposé au mieux, selon la disposition de l’univers. Au contraire, les plantes ont leur partie supérieure tournée vers la partie inférieure du monde, car les racines correspondent à la bouche, et elles ont la partie inférieure tournée vers le haut. Les bêtes, elles, se trouvent dans une situation intermédiaire, car la partie supérieure de l’animal est celle par laquelle il prend la nourriture, et la partie inférieure, celle par laquelle il élimine le surcroît de nourriture.

            Article 4 — Les modalités et l’ordre de cette production

Objections :

1. Il semble que l’Écriture décrive de façon très imparfaite la production du corps humain. En effet, de même que le corps humain a été fait par Dieu, de même aussi les autres œuvres des six jours. Mais pour les autres œuvres il est écrit : " Dieu dit : "Que cela soit, et ce fut fait". " Il aurait donc fallu parler de même pour la production de l’homme.

2. Comme on l’a vu ci-dessus, le corps humain a été fait par Dieu immédiatement. Il n’aurait pas fallu dire : " Faisons l’homme. "

3. La forme du corps humain, c’est l’âme elle-même, qui est " l’haleine de vie ". Il ne fallait donc pas attendre d’avoir dit : " Dieu modela l’homme avec le limon de la terre " pour ajouter seulement ensuite : " et il insuffla sur sa face une haleine de vie ".

4. L’âme, qui est " l’haleine de vie ", se trouve dans tout l’ensemble du corps, et principalement dans le cœur. Il ne fallait donc pas dire que " Dieu insuffla sur sa face une haleine de vie ".

5. Le sexe, masculin ou féminin, concerne le corps, tandis que l’image de Dieu concerne l’âme. Mais d’après S. Augustin l’âme fut faite avant le corps. On ne voit donc pas quelle raison il y avait, après avoir dit : " Il le fit à son image ", d’ajouter : " Homme et femme il les créa. "

En sens contraire. Il y a l’autorité de l’Écriture.

Réponse :

1. Si l’homme a une prééminence sur les autres êtres, cela ne tient pas, comme le dit S. Augustin, à ce que Dieu a fait l’homme, tandis qu’il n’aurait pas fait lui-même les autres êtres, puisqu’il est écrit (Ps 102, 26) : " Les cieux sont l’ouvrage de tes mains ", et ailleurs (Ps 95, 5) : " La terre ferme, ses mains l’ont façonnée. " Cela tient à ce que l’homme a été fait à l’image de Dieu. L’Écriture cependant emploie une manière spéciale de parler pour décrire la production de l’homme, afin de montrer que c’est pour l’homme que les autres êtres ont été créés. En effet, quand il s’agit de ce que nous voulons à titre principal, nous le faisons avec plus de délibération et d’application.

2. Il ne faut pas penser, comme certains l’ont cru à tort, que Dieu s’adressait aux anges lorsqu’il a dit : " Faisons l’homme. " Cette manière de parler est destinée à signifier la pluralité des Personnes divines, dont l’image se trouve de façon plus expressive chez l’homme.

3. Certains ont lu dans ce texte que le corps de l’homme avait été formé d’abord, et qu’ensuite, à ce corps déjà formé, Dieu avait infusé une âme. Mais c’eût été contraire à la perfection de la création initiale des choses, si Dieu avait fait soit le corps sans l’âme, soit l’âme sans le corps, puisque l’un et l’autre sont une partie de la nature humaine. Et cela est encore plus inexact pour le corps, qui dépend de l’âme, que pour l’âme elle-même. Aussi, pour exclure cette interprétation, certains ont-ils soutenu que lorsque le texte dit : " Dieu modela l’homme ", il faut entendre la production du corps et de l’âme tout ensemble, et que lorsqu’il est ajouté : " et il insuffla sur sa face une haleine de vie ", il s’agit du Saint-Esprit, comme lorsque le Seigneur souffla sur les Apôtres en disant : " Recevez le Saint-Esprit " (Jn 20, 22). Mais, dit S. Augustin, cette exégèse est exclue par les paroles mêmes de l’Écriture ; en effet celle-ci enchaîne aussitôt : " et l’homme devint un être vivant ", ce que S. Paul (1 Co 15,45) rapporte non pas à la vie spirituelle, mais à la vie animale. Ainsi donc, par " haleine de vie " il faut entendre l’âme ; et les paroles ; " il insuffla sur sa face une haleine de vie " sont comme une explication de ce qui précède, car l’âme est la forme du corps.

4. Les opérations vitales se manifestent davantage sur la face de l’homme, à cause des sens qui s’y trouvent ; c’est pourquoi l’Écriture dit que c’est sur la face de l’homme que fut insufflée l’haleine de vie.

5. D’après S. Augustin, toutes les œuvres des six jours ont été faites simultanément. Aussi quand il envisage le cas de l’âme, dont il soutient qu’elle a été faite en même temps que les anges, il ne dit pas qu’elle ait été faite avant le sixième jour ; ce qu’il dit, c’est qu’au sixième jour l’âme du premier homme fut produite en acte, tandis que son corps était produit selon les raisons causales. Mais les autres Pères soutiennent que l’âme et aussi le corps de l’homme furent produits en acte le sixième jour.

 

 

QUESTION 92 — LA PRODUCTION DE LA FEMME

1. Cette production des choses devait-elle comporter la production de la femme ? - 2. La femme devait-elle être faite à partir de l’homme ? - 3. Devait-elle être faite de la côte de l’homme ? - 4. A-t-elle été faite immédiatement par Dieu ?

            Article 1 — La production des choses devait-elle comporter la production de la femme ?

Objections :

1. Aristote dit : " La femelle est un mâle manqué, produit par le hasard. " Mais rien de manqué ni de défectueux ne devait se trouver dans la première institution des choses.

2. Sujétion et abaissement sont des suites du péché, car c’est après le péché qu’il a été dit à la femme, (Gn 3, 16) : " Tu seras sous le pouvoir de l’homme. " Et S. Grégoire dit que " là où nous ne fautons pas, nous sommes tous égaux ". Mais c’est par nature que la femme est de moindre puissance et dignité que l’homme ; en effet, dit S. Augustin, toujours l’agent est plus honorable que le patient. Donc la femme ne devait pas être produite avant le péché dans la première production des choses.

3. Il faut couper court aux occasions de péché. Mais Dieu savait à l’avance que la femme serait pour l’homme une occasion de péché. Par conséquent il n’aurait pas dû produire la femme.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (2,18) : " Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; faisons-lui une aide qui lui soit assortie. "

Réponse :

Il était nécessaire que la femme fût faite, comme dit l’Écriture, pour aider l’homme. Non pas pour l’aider dans son travail, comme l’ont dit certains, puisque, pour n’importe quel autre travail, l’homme pouvait être assisté plus convenablement par un autre homme que par la femme, mais pour l’aider dans l’œuvre de la génération.

On peut voir cela avec plus de clarté en considérant le mode de génération chez les vivants. Il y a en effet des vivants qui n’ont pas en eux de vertu génératrice active, mais sont engendrés par un agent d’une autre espèce, par exemple les plantes et les animaux qui sont engendrés sans semence, à partir d’une matière convenable par la vertu active des corps célestes. D’autres ont une vertu génératrice active et une vertu passive réunies en un seul être, telles les plantes qui sont engendrées à partir d’une semence. Car il n’y a pas dans les plantes d’activité vitale plus noble que la génération ; aussi est-ce à juste titre qu’en elles la vertu génératrice active est toujours unie à la vertu passive. Mais chez les animaux parfaits la vertu génératrice active et la vertu passive se trouvent distribuées entre le sexe masculin et le sexe féminin. Et, parce qu’il y a chez ces animaux une activité vitale plus noble que la génération, activité à laquelle toute leur vie est ordonnée comme à l’œuvre principale, il s’ensuit que chez eux le sexe masculin n’est pas toujours uni au sexe féminin, mais seulement au temps du commerce charnel. Nous pouvons donc nous représenter les choses comme si le commerce charnel réalisait entre le mâle et la femelle la même unité que celle qui existe en tout temps dans la plante entre la vertu masculine et la vertu féminine, bien que celle-ci soit prédominante chez telles plantes, et celle-là chez d’autres.

L’homme, lui, est ordonné à une activité vitale encore plus noble, la connaissance intellectuelle ; et c’est pourquoi à l’égard de l’homme, il y avait une raison plus forte encore de distinguer ces deux vertus, et de produire la femme à part de l’homme, tout en les unissant charnellement pour l’œuvre de génération. Et c’est pourquoi, aussitôt après avoir raconté la formation de la femme, la Genèse (2, 24) ajoute : " Ils seront deux dans une seule chair ".

Solutions :

1. Par rapport à la nature particulière, la femme est quelque chose de défectueux et de manqué. Car la vertu active qui se trouve dans la semence du mâle vise à produire quelque chose qui lui soit semblable en perfection selon le sexe masculin. Mais si une femme est engendrée, cela résulte d’une faiblesse de la vertu active, ou de quelque mauvaise disposition de la matière, ou encore de quelque transmutation venue du dehors, par exemple des vents du sud qui sont humides, comme dit Aristote. Mais rattachée à la nature universelle, la femme n’est pas un être manqué : par l’intention de la nature, elle est ordonnée à l’œuvre de la génération. Or, l’intention de la nature universelle dépend de Dieu, qui est l’auteur universel de la nature, et c’est pourquoi, en instituant la nature, il produisit non seulement l’homme, mais aussi la femme.

2. Il y a deux espèces de sujétion. L’une est servile, lorsque le chef dispose du sujet pour sa propre utilité, et ce genre de sujétion s’est introduit après le péché. Mais il y a une autre sujétion, domestique ou civique, dans laquelle le chef dispose des sujets pour leur utilité et leur bien. Ce genre de sujétion aurait existé même avant le péché. Car la multitude humaine aurait été privée de ce bien qu’est l’ordre, si certains n’avaient été gouvernés par d’autres plus sages. Et c’est ainsi, de ce genre de sujétion, que la femme est par nature soumise à l’homme, parce que l’homme par nature possède plus largement le discernement de la raison. D’ailleurs l’état d’innocence, comme on le dira plus loin, n’excluait pas l’inégalité entre les hommes.

3. Si Dieu avait supprimé dans le monde toutes les choses dans lesquelles l’homme a trouvé occasion de péché, l’univers serait resté inachevé. Et il n’y avait pas à supprimer le bien commun pour éviter un mal particulier, étant donné surtout que Dieu est assez puissant pour ordonner n’importe quel mal au bien.

            Article 2 — La femme devait-elle être faite à partir de l’homme ?

Objections :

1. Il semble que non. Car la sexualité est commune à l’homme et aux autres ammaux. Mais chez les autres animaux les femelles n’ont pas été faites à partir des mâles. Donc cela n’aurait pas dû se faire chez l’homme.

2. Les êtres de même espèce ont la même matière. Mais l’homme et la femme sont de la même espèce. Donc, puisque l’homme a été fait du limon de la terre, c’est à partir de là que la femme aussi aurait dû être faite, et non à partir de l’homme.

3. La femme a été faite pour aider l’homme en vue de la génération. Mais une trop grande proximité rend une personne inapte à cela, aussi exclut-on du mariage les personnes proches, comme on voit au Lévitique (18, 26). Donc la femme n’aurait pas dû être faite à partir de l’homme.

En sens contraire, il est dit dans l’Ecclésiastique (17, 5 Vg) : " Il a été créé à partir de lui (l’homme) une aide pour lui " : la femme.

Réponse :

Il convenait que la femme, dans la première institution des choses, fût formée à partir de l’homme et cela beaucoup plus que chez les autres animaux. 1°. Ainsi serait accordée au premier homme cette dignité d’être, à la ressemblance de Dieu, le principe de toute son espèce, comme Dieu est le principe de tout l’univers. Ce qui fait dire à S. Paul (Ac 17, 26) que Dieu " d’un être unique fit tout le genre humain ". - 2°. Afin que l’homme chérît davantage la femme et s’attachât à elle de façon plus inséparable, sachant qu’elle avait été produite de lui, aussi est-il dit dans la Genèse (2, 23) : " Elle fut tirée de l’homme ; c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme. " Ce qui était d’ailleurs particulièrement nécessaire dans l’espèce humaine, où l’homme et la femme demeurent ensemble pendant toute la vie, à la différence des autres animaux. - 3°. Parce que, selon Aristote, " l’homme et la femme s’unissent chez les humains non seulement pour les besoins de la génération, comme chez les autres animaux, mais aussi pour la vie domestique, qui comporte certaines activités de l’homme et de la femme, et dans laquelle l’homme est le chef de la femme ". Aussi convenait-il que la femme fût formée de l’homme comme de son principe. - 4°. La quatrième raison est de l’ordre du symbolisme sacramentel, car cela préfigure que l’Église prend son principe dans le Christ. D’où la parole de Paul (Ep 5,32) : " Ce mystère est grand, je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église ".

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. La matière est ce avec quoi l’on fait quelque chose. Or, la nature créée a un principe déterminé et, étant déterminée elle-même dans une ligne unique, ses productions se font aussi selon un processus déterminé ; aussi est-ce à partir d’une matière déterminée qu’elle produit quelque chose d’une espèce déterminée. Mais la vertu divine, étant infinie, peut produire une chose de même espèce à partir de n’importe quelle matière, par exemple l’homme à partir du limon de la terre, et la femme à partir de l’homme.

3. La génération naturelle fait contracter une proximité qui est en effet un empêchement au mariage. Mais ce n’est pas par une génération naturelle que la femme fut produite à partir, de l’homme, c’est par la seule vertu divine ; aussi Ève n’est-elle pas appelée la fille d’Adam, et ainsi l’argument ne porte pas.

            Article 3 — La femme devait-elle être faite de la côte de l’homme ?

Objections :

1. Il semble que non. Car cette côte était une masse beaucoup plus petite que le corps de la femme. Mais d’une petite masse on ne peut faire une plus grande que par deux voies : ou bien par addition, mais alors il faudrait dire que la femme avait été faite à partir de cet appoint plutôt qu’à partir de la côte ; ou bien par raréfaction, car, dit S. Augustin " un corps ne peut croître que par raréfaction ". Or on ne constate pas que le corps de la femme ait moins de densité que celui de l’homme, au moins selon la proportion qui existe entre la côte et le corps d’Ève. Par conséquent Ève ne fut pas formée de la côte d’Adam.

2. Dans les œuvres de la première création il n’y avait rien de superflu. Par conséquent la côte d’Adam faisait partie de l’intégralité de son corps et donc, si on l’avait retirée, le corps d’Adam serait demeuré incomplet. Ce qui est inadmissible.

3. On ne peut enlever une côte à un homme sans le faire souffrir. Mais il n’y avait pas de douleur avant le péché. C’est donc qu’on n’a pas dû enlever la côte de l’homme pour en former la femme.

En sens contraire, il est écrit dans la Genèse (2, 22) : " De la côte qu’il avait tirée de l’homme, Dieu façonna une femme. "

Réponse :

Il était convenable que la femme fût formée de la côte de l’homme. Premièrement, pour signifier qu’entre l’homme et la femme il doit y avoir une union de société. Car ni la femme ne devait " dominer sur l’homme ", et c’est pourquoi elle n’a pas été formée de la tête. Ni ne devait-elle être méprisée par l’homme, et c’est pourquoi elle n’a pas été formée des pieds. Deuxièmement, cela convenait pour le symbolisme sacramentel, car c’est du côté du Christ endormi sur la croix qu’ont jailli les mystères, le sang et l’eau, par lesquels l’Église a été instituées.

Solutions :

1. Certains disent que c’est par multiplication de matière, sans addition étrangère, que le corps de la femme fut formé à la façon dont le Seigneur a multiplié les cinq pains. Mais cela est tout à fait impossible. En effet la multiplication des pains s’est produite ou bien selon une transmutation de la substance même de la matière, ou bien selon une transmutation de ses dimensions. Or, elle ne s’est pas produite selon une transmutation de la substance même de la matière ; d’abord parce que la matière considérée en elle-même n’est absolument pas susceptible de transmutation, puisqu’elle existe en puissance et a seulement valeur de sujet ; ensuite parce que multitude et grandeur sont choses qui n’intéressent pas l’essence de la matière elle-même. Et c’est pourquoi, si la matière reste la même et qu’il n’y ait pas d’addition, on ne peut concevoir aucune autre façon de multiplier la matière que de lui donner de plus grandes dimensions. Or c’est exactement cela qu’on appelle raréfaction, c’est-à-dire, comme dit Aristote, le fait pour une matière déterminée de prendre de plus grandes dimensions. Par conséquent, dire que la matière est multipliée sans être raréfiée, c’est affirmer que les contradictoires se vérifient simultanément, c’est poser la définition en niant le défini.

Voilà pourquoi, étant donné que dans les multiplications de ce genre on ne constate pas de raréfaction, il faut nécessairement admettre une addition de matière, soit par création, soit, ce qui est plus probable, par conversion. Aussi S. Augustin dit-il : " Le Christ a rassasié cinq mille hommes avec cinq pains de la même façon qu’il produit l’abondance des moissons avec peu de grains ", chose qui se fait par la conversion de l’aliment. On dit pourtant que c’est avec cinq pains qu’il a nourri la foule, ou encore que c’est avec la côte qu’il a formé la femme, parce que l’addition s’est faite à la matière préexistante de la côte ou des pains.

2. Cette côte appartenait à l’intégrité d’Adam non comme individu particulier, mais comme principe de l’espèce ; il en va comme de la semence, qui appartient à la perfection de celui qui engendre, et qui se libère par un acte naturel accompagné de plaisir. C’est la raison pour laquelle, à bien plus forte raison, par la vertu divine, le corps de la femme put être formé sans douleur à partir de la côte de l’homme.

3. Ainsi est résolue la troisième objection.

            Article 4 — La femme a-t-elle été faite immédiatement par Dieu ?

Objections :

1. Aucun individu produit à partir d’un être de la même espèce n’est fait immédiatement par Dieu. Mais la femme a été faite de l’homme, qui est de la même espèce qu’elle. Donc elle n’a pas été faite immédiatement par Dieu.

2. S. Augustin dit que Dieu administre les choses corporelles par les anges. Mais le corps de la femme a été fait d’une matière corporelle. Par conséquent il a été fait par le ministère des anges et non immédiatement par Dieu.

3. Les choses qui ont préexisté dans les créatures selon les raisons causales sont produites par la vertu de quelque créature, et non pas immédiatement par Dieu. Mais, dit S. Augustin, le corps de la femme fut produit selon les raisons causales dans les premières œuvres. Donc la femme ne fut pas produite immédiatement par Dieu.

En sens contraire, S. Augustin a dit " Former ou façonner une côte pour faire exister une femme, personne ne le pouvait, si ce n’est Dieu, par qui toute la nature subsiste. "

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, la génération naturelle, dans chaque espèce, se fait à partir d’une matière déterminée. Or, la matière à partir de laquelle se fait naturellement la génération d’un être humain, c’est la semence humaine de l’homme ou de la femme. C’est pourquoi aucun individu de l’espèce humaine ne peut être engendré naturellement à partir d’aucune autre matière, quelle qu’elle soit. Dieu seul, qui a institué la nature, peut produire les choses dans l’existence en dehors de l’ordre de la nature. Et c’est pourquoi Dieu était le seul à pouvoir former et l’homme du limon de la terre, et la femme de la côte de l’homme.

Solutions :

1. Cet argument porte quand un individu est engendré à partir d’un être qui lui est spécifiquement semblable, par engendrement naturel.

2. Comme dit S. Augustin, nous ne savons pas si les anges ont apporté leur ministère à Dieu dans la formation de la femme ; ce qui est certain toutefois, c’est que de même que le corps de l’homme n’a pas été formé du limon par les anges, le corps de la femme non plus ne fut pas formé par eux de la côte de l’homme.

3. S. Augustin dit encore : " La première création des choses ne comportait pas absolument que la femme fût faite de cette façon, mais comportait qu’elle pût l’être ainsi. " Et c’est pourquoi ce n’est pas selon une puissances active que le corps de la femme a préexisté selon les raisons causales dans les premières œuvres, mais seulement selon une puissance passive qui se définit en fonction de la puissance active du Créateur.

 

 

QUESTION 93 — L’IMAGE DE DIEU CHEZ L’HOMME

Il faut considérer à présent la fin ou terme de la production de l’homme, selon la parole de l’Écriture qui le dit fait " à l’image et à la ressemblance de Dieu ".

1. Y a-t-il une image de Dieu chez l’homme ? - 2. Y a-t-il une image de Dieu dans les créatures sans raison ? - 3. L’image de Dieu est-elle davantage chez l’ange que chez l’homme ? - 4. L’image de Dieu est-elle en tout homme ? - 5. L’image de Dieu existe-t-elle chez l’homme par rapport à l’essence, ou à toutes les Personnes divines, ou à une seule d’entre elles ? - 6. L’image de Dieu existe-t-elle chez l’homme selon l’esprit seulement ? - 7. Est-ce selon les actes que l’image de Dieu se trouve dans l’âme ? - 8. Est-ce par rapport à cet objet qu’est Dieu que l’image de la Trinité est dans l’âme ? - 9. La différence entre image et ressemblance.

            Article 1 — Y a-t-il une image de Dieu chez l’homme ?

Objections :

1. Il semble que non, car on lit chez Isaïe (40,18) " A qui comparer Dieu, et quelle image pourriez-vous lui offrir ? "

2. Être l’image de Dieu est le propre du Premier-Né, de qui l’Apôtre dit (Col 1, 15) : " Il est l’image du Dieu invisible, le Premier-Né de toute créature. " Donc, ce n’est pas chez l’homme qu’on trouve l’image de Dieu.

3. S. Hilaire dit que " l’image est une forme qui ne présente aucune différence avec le modèle sur lequel on la forme ". Il dit encore : " L’image est la ressemblance d’une chose destinée à s’égaler à cette chose dans une unité indiscernable. " Mais il n’y a pas entre Dieu et l’homme de forme qui ne présente pas de différences ; il ne peut pas non plus y avoir égalité de l’homme avec Dieu. Par conséquent il ne peut y avoir une image de Dieu chez l’homme.

En sens contraire, on lit dans la Genèse (1, 26) : " Faisons l’homme à notre image et ressemblance. "

Réponse :

Selon S. Augustin, " là où il y a image, il y a toujours ressemblance, mais là où il y a ressemblance, il n’y a pas toujours image ". Cela montre bien que la ressemblance est incluse dans la notion d’image, et que l’image ajoute quelque chose à la notion de ressemblance : à savoir qu’elle est l’expression d’un autre ; car on appelle " image " un être qui est fait à l’imitation d’un autre. C’est pourquoi un œuf, si semblable et égal qu’il puisse être à un autre œuf, n’est pas dit à son image, parce que malgré tout il n’en est pas l’expression.

L’égalité, elle, n’est pas essentielle à l’image, car S. Augustin dit au même endroit : " Là où il y a image, il n’y a pas nécessairement égalité. " On le voit pour l’image d’une personne qui se reflète dans un miroir. L’égalité est cependant essentielle à l’image parfaite, car l’image parfaite ne doit être privée d’aucune des choses appartenant à la réalité qu’elle exprime.

Or, il est manifeste que l’on trouve chez l’homme une certaine ressemblance de Dieu, et qui dérive de Dieu comme de son modèle ; cependant ce n’est pas une ressemblance qui va jusqu’à l’égalité, car le modèle dépasse infiniment cette reproduction particulière. Et c’est pourquoi l’on dit qu’il y a chez l’homme image de Dieu, non pas parfaite, mais imparfaite. C’est ce que signifie l’Écriture lorsqu’elle dit que l’homme a été fait " à l’image " de Dieu ; la préposition " à " traduit en effet une certaine approximation par rapport à une réalité qui demeure éloignée.

Solutions :

1. Le prophète parle ici des images corporelles fabriquées par l’homme, et c’est pourquoi il dit de façon très significative : " Quelle image pourriez-vous lui offrir ? " Mais Dieu s’est offert à lui-même une image spirituelle dans l’homme.

2. Le " Premier-Né de toute créature " est l’image parfaite de Dieu, réalisant parfaitement ce dont il est l’image ; aussi est-il appelé Image, mais jamais on ne dit qu’il est " à l’image ". Tandis que pour l’homme on dit à la fois qu’il est image, à cause de la ressemblance ; et qu’il est " à l’image ", à cause de l’imperfection de la ressemblance. Et comme la ressemblance parfaite de Dieu ne peut se réaliser que dans l’identité de nature, l’image de Dieu se trouve en son Fils Premier-Né à la façon dont l’image du roi se trouve dans le fils qui a reçu de lui la vie ; tandis que l’image de Dieu est dans l’homme comme dans une nature étrangère, à la façon dont l’image du roi se trouve sur une pièce d’argent, comme l’explique S. Augustin.

3. Puisque l’un, c’est l’être indivisé, on pourra dire qu’une forme ne présente pas de différence dans la mesure où elle est une. Mais une chose peut être appelée une, non seulement selon le nombre, l’espèce ou le genre, mais encore selon une certaine analogie ou proportion. Et c’est de cette façon qu’il y a unité ou convenance de la créature avec Dieu. - Quant à l’incise de S. Hilaire : que l’image est " destinée à s’égaler à la chose ", elle s’applique à la notion d’image parfaite.

            Article 2 — Y a-t-il une image de Dieu chez les créatures sans raison ?

Objections :

1. Denys affirme : " Les choses causées présentent des images contingentes de leurs causes. " Mais Dieu est cause non seulement des créatures douées de raison, mais aussi de celles qui ne le sont pas. Donc l’image de Dieu se trouve dans les créatures sans raison.

2. On s’approche d’autant plus de la qualité d’image que l’on porte en soi une ressemblance plus manifeste avec quelque chose. Mais Denys dit que le rayon du soleil porte au suprême degré la ressemblance de la bonté divine. Donc il est à l’image de Dieu.

3. Plus on est parfait en bonté, plus on est semblable à Dieu. Mais l’univers dans sa totalité est plus parfait en bonté que l’homme, car même si chaque chose est bonne, cependant toutes ensemble sont appelées " très bonnes ". Par conséquent l’univers tout entier est à l’image de Dieu et pas seulement l’homme.

4. Boèce dit à propos de Dieu : " Portant le monde dans son esprit et le formant selon une image qui lui est semblable... " C’est donc que le monde tout entier est à l’image de Dieu et non seulement la créature douée de raison.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Ce qui fait l’excellence de l’homme, c’est que Dieu l’a fait à son image, par le fait qu’il lui a donné un esprit intelligent qui le rend supérieur aux bêtes. " Donc les choses qui n’ont pas d’intelligence ne sont pas à l’image de Dieu.

Réponse :

Ce n’est pas n’importe quelle ressemblance, même dérivée d’un autre, qui suffit pour vérifier la notion d’image. S’il s’agit en effet d’une ressemblance qui est seulement générique ou qui porte seulement sur quelque accident commun, on ne dira pas pour cela qu’une chose est l’image d’une autre ; on ne pourrait pas dire en effet que le ver, qui tire son origine de l’homme, est l’image de l’homme en raison de la ressemblance générique qu’il a avec lui ; on ne pourrait pas dire non plus que si une chose devient blanche à la ressemblance d’une autre, elle est pour cette raison à l’image de l’autre, car la blancheur est un accident commun à plusieurs espèces. Ce qui est requis pour la qualité d’image, c’est une ressemblance spécifique, à la façon dont l’image du roi est dans son fils, ou, tout au moins, une ressemblance qui porte sur un accident propre à l’espèce, surtout celle qui porte sur la configuration, à la façon dont l’image de l’homme est dite se trouver dans le cuivre d’une monnaie. Aussi est-il bien significatif que S. Hilaire dise : " L’image est une forme qui ne présente aucune différence. " D’ailleurs, il est manifeste que la ressemblance spécifique se prend au niveau de la différence ultime. Or certains êtres présentent des ressemblances avec Dieu, premièrement, et c’est ce qui est le plus commun, en tant qu’ils existent ; deuxièmement, en tant qu’ils vivent ; troisièmement, en tant qu’ils sont sagesse et intelligence. Ces derniers, dit S. Augustin, " sont tellement proches de Dieu par cette ressemblance que rien dans les créatures n’est plus proche de lui ". On voit donc bien par là que seules les créatures dotées d’intelligence sont à proprement parler à l’image de Dieu.

Solutions :

1. Tout être imparfait est une participation du parfait, et c’est pourquoi même les êtres qui restent en deçà de la notion d’image, dans la mesure où malgré tout ils possèdent une ressemblance quelconque avec Dieu, participent en quelque chose de cette notion d’image. C’est pour cela que Denys dit que les choses causées sont des images contingentes de leurs causes, à savoir dans la mesure où il arrive qu’elles le soient, mais non pas absolument parlant.

2. Denys assimile le rayon du soleil à la bonté divine du point de vue de la causalité, non selon la dignité de la nature ; or c’est celle-ci qui est requise pour la notion d’image.

3. L’univers est plus parfait en bonté que la créature douée d’intelligence, mais c’est en extension et en déploiement. En intensité et en concentration, la ressemblance de la perfection divine se trouve davantage dans la créature intellectuelle, qui est apte à recevoir le souverain bien. - On peut dire aussi qu’il ne faut pas opposer partie et tout, mais partie et partie. Aussi, lorsqu’on dit que seule la nature douée d’intelligence est à l’image de Dieu, on n’exclut pas que l’univers selon quelqu’une de ses parties soit à l’image de Dieu ; ce que l’on exclut, ce sont les autres parties de l’univers.

4. Boèce prend le mot image dans la ligne de la ressemblance par laquelle le produit de l’art imite l’idée artistique qui est dans l’esprit de l’artisan. C’est ainsi que toute créature est image de la notion exemplaire qu’elle possède dans l’esprit divin. Mais ce n’est pas en ce sens que nous parlons ici de l’image ; nous l’entendons d’une ressemblance de nature, en considérant la façon dont toutes choses sont assimilées au premier être en tant qu’elles existent ; à la première vie en tant qu’elles sont vivantes ; à la sagesse suprême en tant qu’elles sont intelligentes.

            Article 3 — L’image de Dieu est-elle davantage chez l’ange que chez l’homme ?

Objections :

1. S. Augustin dit que Dieu n’a donné d’être à son image à aucune autre créature qu’à l’homme. Il n’est donc pas vrai de dire que l’ange est plus que l’homme à l’image de Dieu.

2. D’après S. Augustin, " l’homme est tellement à l’image de Dieu, qu’il est formé par Dieu sans intervention d’aucune créature, et c’est pourquoi rien n’est plus uni à Dieu ". Mais une créature est appelée image de Dieu en tant qu’elle est unie à Dieu. Donc l’ange n’est pas plus que l’homme à l’image de Dieu.

3. On dit qu’une créature est à l’image de Dieu, en tant qu’elle est dotée d’intelligence. Mais dans la nature dotée d’intelligence il n’y a pas de plus ou de moins, car la nature n’appartient pas à la catégorie de l’accident, mais à celle de la substance. Donc l’ange n’est pas plus que l’homme à l’image de Dieu.

En sens contraire, S. Grégoire dit dans une homélie que " l’ange est appelé le sceau de la ressemblance, parce que c’est en lui que la ressemblance de l’image divine se laisse deviner le plus clairement ".

Réponse :

Pour parler de l’image de Dieu, on peut se placer à deux plans. D’abord au plan où la qualité d’image se vérifie à titre primordial, celui de la nature intellectuelle. Ainsi l’image de Dieu est davantage chez les anges que chez les hommes, car la nature intellectuelle est plus parfaite en eux, comme il ressort clairement de ce qui a été dit antérieurement à ce sujet. Ensuite on peut considérer l’image de Dieu dans l’homme à un plan où elle se vérifie à titre secondaire : pour autant que l’on trouve en l’homme une certaine imitation de Dieu, du fait par exemple que l’homme naît de l’homme comme Dieu naît de Dieu ; du fait encore que l’âme de l’homme est tout entière dans la totalité de son corps et tout entière dans n’importe quelle partie de ce corps, comme Dieu l’est dans le monde. Sur des points de ce genre l’image de Dieu se trouve davantage chez l’homme que chez l’ange. Mais ce n’est pas de ce côté que l’on découvre essentiellement la qualité d’image divine chez l’homme ; cela ne se fait qu’en présupposant la première imitation, celle qui se réalise selon la nature intellectuelle ; autrement, même les bêtes seraient à l’image de Dieu. Et c’est pourquoi, puisque l’ange est plus à l’image de Dieu que l’homme quant à la nature intellectuelle, il faut reconnaître que, absolument parlant, l’ange est davantage à l’image de Dieu, et que l’homme ne l’emporte que sous des aspects particuliers.

Solutions :

1. Ce que S. Augustin exclut de l’image de Dieu, ce sont les autres créatures inférieures dénuées de raison, non les anges.

2. De même que le feu est appelé le plus subtil des corps selon son espèce, et que pourtant tel feu est plus subtil que tel autre, de même, lorsqu’on dit que " rien n’est plus uni à Dieu " que l’esprit humain, c’est en considérant le genre auquel il appartient, celui de la nature intellectuelle. En effet, comme S. Augustin l’avait écrit un peu plus haut : " Les êtres doués de sagesse lui sont tellement proches en similitude que rien dans les créatures ne lui est plus proche. " Et ainsi de telles paroles n’excluent pas que l’ange soit davantage à l’image de Dieu.

3. Lorsqu’on dit que la substance " n’est pas susceptible de plus ou de moins ", on ne veut pas dire que telle espèce de substance ne soit pas plus parfaite que telle autre ; ce que l’on veut dire, c’est qu’un seul et même individu ne participe pas tantôt plus tantôt moins de sa nature spécifique, ou encore que la substance spécifique n’est pas participée en plus ou en moins par les divers individus.

            Article 4 — L’image de Dieu est-elle en tout homme ?

Objections :

1. S. Paul dit (1 Co 11, 7) : " L’homme est l’image de Dieu, tandis que la femme est l’image de l’homme. " Donc, puisque la femme est un individu de l’espèce humaine, il ne convient pas à n’importe quel individu d’être l’image de Dieu.

2. S. Paul dit (Rm 8, 29) : " Ceux que Dieu a d’avance discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils. " Mais tous les hommes n’ont pas été prédestinés. Donc tous les hommes ne reproduisent pas l’image.

3. Comme on l’a dit ci-dessus, la ressemblance fait partie de la notion d’image. Mais par le péché l’homme perd sa ressemblance avec Dieu. Par conséquent il perd l’image de Dieu.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (39, 7 Vg) : " Et pourtant l’homme passe comme dans une image. "

Réponse :

Puisque c’est en vertu de sa nature intellectuelle que l’homme est dit exister à l’image de Dieu, le trait par lequel il sera le plus à l’image de Dieu sera celui par lequel la nature intellectuelle peut le plus imiter Dieu. Or la nature intellectuelle imite Dieu surtout en ce que Dieu se connaît et s’aime lui-même.

L’image de Dieu dans l’homme pourra donc se vérifier selon trois degrés. D’abord, en ce que l’homme a une aptitude naturelle à connaître et à aimer Dieu ; cette aptitude réside dans la nature même de l’âme spirituelle, laquelle est commune à tous les hommes. Deuxièmement, en ce que l’homme connaît et aime Dieu en acte ou par habitus, quoique de façon imparfaite ; c’est l’image par conformité de grâce. Troisièmement, en ce que l’homme connaît et aime Dieu en acte et de façon parfaite ; c’est ainsi qu’on rejoint l’image selon la ressemblance de gloire. Aussi, en marge du Psaume (4, 7) : " La lumière de ta face a été imprimée sur nous, Seigneur ", la Glose distingue trois sortes d’images : celles de la création, de la récréation et de la ressemblance. La première de ces images se trouve chez tous les hommes, la deuxième chez les justes seulement, et la troisième seulement chez les bienheureux.

Solutions :

1. Si l’on considère la réalité dans laquelle réside principalement la qualité d’image, à savoir la nature intellectuelle, l’image de Dieu se trouve aussi bien chez la femme que chez l’homme. Aussi c’est après avoir dit : " A l’image de Dieu il le créa " (l’homme), que la Genèse ajoute : " Homme et femme il les créa " ; et, commente S. Augustin, il dit au pluriel : " il les créa " pour que l’on ne pense pas que les deux sexes avaient été réunis en un seul individu. Mais, pour ce qui est de certains traits secondaires, l’image de Dieu se trouve dans l’homme d’une façon qui ne se vérifie pas dans la femme ; en effet, l’homme est principe et fin de la femme, comme Dieu est principe et fin de toute la création. Aussi, une fois que S. Paul eut dit : " L’homme est l’image et la gloire de Dieu tandis que la femme est la gloire de l’homme ", il montra la raison pour laquelle il avait dit cela en ajoutant :" Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme, et ce n’est pas l’homme q ‘ ui a été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. "

2 et 3. Ces arguments sont valables pour l’image qui est réalisée par la conformité de grâce et de gloire.

            Article 5 — L’image de Dieu existe-t-elle chez l’homme par rapport à l’essence, ou à toutes les Personnes divines, ou a une seule d’entre elles ?

Objections :

1. Il semblerait qu’il n’y a pas chez l’homme image de Dieu par rapport à la trinité des Personnes divines. En effet, S. Augustin nous dit : " Une, essentiellement, est la divinité de la sainte Trinité, et l’image d’après laquelle a été fait l’homme. " S. Hilaire, de son côté, affirme : " L’homme est produit d’après l’image commune de la Trinité. " Donc, s’il y a image de Dieu chez l’homme, c’est par rapport à l’essence, non par rapport à la trinité des Personnes.

2. Dans le livre des Dogmes Ecclésiastiques il est dit que l’image de Dieu est considérée chez l’homme du point de vue de " l’éternité ". S. Jean Damascène, de son côté, dit que " le fait pour l’homme d’être à l’image de Dieu signifie qu’il est doué d’intelligence, libre dans son jugement et capable de disposer de lui-même ". Pour S. Grégoire de Nysse, lorsque l’Écriture affirme que " l’homme a été fait à l’image de Dieu, c’est comme si elle disait que la nature humaine a été rendue participante de tout bien, car la divinité est plénitude de bonté ". Or tout cela concerne non la distinction des Personnes, mais l’unité de l’essence.

3. Une image conduit à la connaissance de la réalité dont elle est l’image. Par conséquent, s’il y a chez l’homme image de Dieu selon la trinité des Personnes, puisque l’homme peut se connaître lui-même par la raison naturelle, il s’ensuivrait que l’homme pourrait connaître la trinité des Personnes divines par la raison naturelle. Or ceci est faux, on l’a montré précédemment.

4. Le nom d’Image ne convient pas à n’importe laquelle des trois Personnes divines, mais au Fils seul ; en effet S. Augustin dit que " le Fils seul est image du Père ". Donc si l’on voulait envisager l’image de Dieu selon la Personne, il n’y aurait pas chez l’homme l’image de toute la Trinité, mais seulement celle du Fils.

En sens contraire, il y a cette remarque de S. Hilaire : le fait que l’Écriture dit de l’homme qu’il a été fait à l’image de Dieu montre la pluralité des Personnes divines.

Réponse :

Comme on l’a dit précédemment, la distinction des Personnes divines ne se fait que par l’origine, ou plutôt par les relations d’origine. Or le mode d’origine n’est pas le même dans tous les êtres, pour chacun le mode d’origine s’harmonise avec sa nature : autre en effet est la production des êtres animés, autre celle des êtres inanimés, autre celle des animaux, et autre celle des plantes. Par suite, il est manifeste que la distinction des Personnes divines se fait selon ce qui convient à la nature divine. D’où il résulte qu’être à l’image de Dieu par une imitation de la nature divine n’exclut pas que l’on soit à l’image de Dieu par une représentation des trois Personnes ; bien plutôt l’un entraîne l’autre. Ainsi donc, il faut dire qu’il y a dans l’homme image de Dieu à la fois dans la ligne de la nature divine et dans celle de la trinité des Personnes, car en Dieu lui-même il existe bien aussi une nature en trois Personnes.

Solutions :

1 et 2. Ce qu’on vient de dire répond aux deux premières objections.

3. Cet argument porterait s’il y avait chez l’homme une image de Dieu représentant Dieu à la perfection. Mais, dit S. Augustin, il y a la plus grande différence entre cette trinité qui est en nous, et la Trinité divine. Et c’est pourquoi il dit au même endroit : " La trinité qui est en nous, nous la voyons plutôt que nous ne la croyons ; que Dieu, au contraire, soit Trinité, nous le croyons plutôt que nous ne le voyons ".

4. Certains ont dit en effet que dans l’homme il y avait seulement l’image du Fils. Mais S. Augustin rejette cette opinion. D’abord parce que, le Fils étant semblable au Père par leur égalité dans l’essence, il est nécessaire, si l’homme a été fait à la ressemblance du Fils, qu’il ait été fait à la ressemblance du Père. Deuxièmement parce que, si l’homme avait été fait seulement à l’image du Fils, le Père ne dirait pas : " Faisons l’homme à notre image et ressemblance ", mais : à la tienne.

Donc, lorsqu’il est dit : " Il le fit à l’image de Dieu ", il ne faut pas comprendre que le Père a fait l’homme uniquement à l’image du " Fils qui est Dieu ", suivant l’interprétation de certains, mais que le Dieu Trinité a fait l’homme à son image, c’est-à-dire à celle de toute la Trinité.

Et lorsqu’il est dit : " Dieu fit l’homme à son image ", cela peut être compris de deux façons. Premièrement, en voyant dans la préposition " à " le terme de la production ; le sens serait ainsi : Faisons l’homme de telle manière que notre image soit en lui. Deuxièmement, en voyant dans cette préposition l’idée de la cause exemplaire, comme lorsqu’on dit : ce livre a été fait conformément à celui-là. Ainsi, l’image de Dieu est l’essence divine elle-même ; dans ce cas l’essence divine est appelée image par figure de style, " image " étant pris pour " modèle ", ou encore, disent certains, l’essence est appelée image parce que c’est par elle qu’une Personne en imite une autre.

            Article 6 — L’image de Dieu existe-t-elle chez l’homme selon l’esprit seulement ?

Objections :

1. S. Paul affirme (1 Co 11, 7) " L’homme est l’image de Dieu. " Mais l’homme n’est pas seulement esprit. Donc l’image de Dieu ne se découvre pas seulement dans l’âme spirituelle.

2. On lit dans la Genèse (1, 27) : " Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. " Mais la distinction de l’homme et de la femme concerne le corps. Donc l’image de Dieu dans l’homme se découvre selon le corps et non selon l’âme spirituelle seulement.

3. L’image semble se découvrir surtout par une ressemblance de " figure ". Mais la figure concerne le corps. Donc l’image de Dieu chez l’homme se découvre aussi dans son corps et pas seulement dans l’âme spirituelle.

4. D’après S. Augustin, on trouve en nous trois sortes de visions : la vision corporelle, la vision spirituelle ou imaginative, et la vision intellectuelle. Donc si selon la vision intellectuelle, qui relève de l’âme spirituelle, il y a en nous une certaine trinité selon laquelle nous sommes à l’image de Dieu, il doit en être de même pour les autres visions.

En sens contraire, S. Paul dit aux Éphésiens (4, 23) : " Renouvelez-vous par une transformation spirituelle de votre âme et revêtez l’homme nouveau. " Cela nous fait entendre que notre renouvellement, qui se fait en revêtant l’homme nouveau, concerne l’âme spirituelle. Mais d’autre part, S. Paul dit aux Colossiens (3, 10) : " Vous avez revêtu l’homme nouveau, celui qui s’achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l’image de son Créateur. " Ainsi il rattache à l’image de Dieu le renouvellement qui s’accomplit lorsqu’on revêt l’homme nouveau. Être à l’image de Dieu appartient donc uniquement à l’âme spirituelle.

Réponse :

Bien qu’il y ait dans toutes les créatures une certaine ressemblance de Dieu, c’est dans la seule créature dotée de raison que la ressemblance de Dieu se trouve par mode d’image, nous l’avons dit plus haut ; dans les autres créatures elle se trouve par mode de vestige. Ce qui met la créature dotée de raison au-dessus des autres créatures, c’est l’intelligence ou esprit. D’où il résulte que dans la créature raisonnable elle-même, c’est au niveau de l’esprit seulement qu’on découvre l’image de Dieu et que, dans les autres parties, si cette créature raisonnable en possède, c’est une ressemblance par mode de vestige que l’on trouve, comme dans les autres êtres auxquels elle ressemble quant à ces parties.

On en comprendra clairement la raison si l’on observe la façon dont, respectivement, image et vestige constituent une représentation. En effet, l’image, comme on l’a dits., représente selon une ressemblance spécifique. Mais le vestige représente à la façon d’un effet qui représenterait sa cause sans atteindre à la ressemblance spécifique, comme les empreintes qui sont laissées par le passage des animaux et qu’on appelle vestiges ; comme la cendre qui est appelée vestige du feu, ou la désolation d’un pays qui est appelée vestige de l’armée ennemie.

C’est une différence de ce genre que l’on peut observer entre les créatures dotées de raison et les autres créatures, aussi bien pour la façon dont la ressemblance de la nature divine est représentée dans ces créatures que pour celle dont y est représentée la ressemblance de la Trinité incréée. En effet, en ce qui concerne la ressemblance de la nature divine, les créatures douées de raison semblent parvenir d’une certaine façon jusqu’à la représentation de la nature spécifique, puisqu’elles imitent Dieu non seulement en ce qu’il existe et vit, mais aussi en tant qu’il connaît intellectuellement, nous l’avons vu plus haute. Mais les autres créatures ne connaissent pas intellectuellement ; il apparaît en elles un certain vestige de l’intelligence qui les produit, si l’on considère leur organisation.

Pareillement, la Trinité incréée se distingue selon la procession du Verbe à partir de celui qui le profère, et la procession de l’Amour à partir des deux autres, on en a traité précédemment d. On pourra donc pour la créature dotée de raison, chez laquelle on trouve la procession du verbe dans l’intelligence et la procession de l’amour dans la volonté, parler d’une image de la Trinité incréée en vertu d’une certaine représentation spécifique. Mais chez les autres créatures on ne trouve pas ces trois termes que sont le principe du verbe, le verbe et l’amour. Ce qui apparaît chez ces créatures, c’est un certain vestige, du fait que ces trois termes se trouvent dans la cause qui les produit. Car le fait même pour la créature d’avoir une substance modifiée et finie montre qu’elle vient de quelque principe ; son appartenance à une espèce montre le Verbe de celui qui la fait, tout comme la forme de la maison montre la conception de l’artisan ; et son ordre montre l’amour de celui qui la produit, par lequel l’effet est ordonné au bien, tout comme l’usage d’un édifice montre la volonté du constructeur.

Ainsi donc, si l’on trouve chez l’homme une ressemblance de Dieu par mode d’image, c’est au niveau de l’âme spirituelle ; dans ses autres parties, on la trouve par mode de vestige.

Solutions :

1. On appelle l’homme image de Dieu, non parce qu’il serait image lui-même par son essence, mais parce que l’image de Dieu a été imprimée en lui au niveau de l’âme spirituelle, à la façon dont on appelle un denier l’image de César ; en tant qu’il porte l’image de César. Et ainsi il n’est pas nécessaire de trouver l’image de Dieu dans n’importe quelle partie de l’homme.

2. Comme dit S. Augustin, certains ont placé l’image de Dieu dans l’homme non pas à l’intérieur d’un seul et même individu, mais répartie en plusieurs ; ils disent que " l’homme tient la place du Père, l’enfant qui procède de lui par voie de naissance celle du Fils, enfin la troisième personne correspondant à l’Esprit Saint est, disaient-ils, la femme qui procède de l’homme sans être pourtant ni son fils ni sa fille ".

Cette théorie, dès le premier regard, se révèle absurde. Premièrement, parce qu’il s’ensuivrait que le Saint-Esprit serait principe du Fils, comme la femme est principe de l’enfant, qui naît de l’homme. Deuxièmement, parce qu’un homme donné ne serait à l’image que d’une seule Personne. Troisièmement, parce qu’alors l’Écriture n’aurait dû faire mention de l’image de Dieu dans l’homme qu’après la production de l’enfant.

Aussi faut-il dire que si l’Écriture, après avoir dit : " A ‘image de Dieu il le créa ", ajoute : " Homme et femme il les créa ", ce n’est pas pour inviter à découvrir l’image de Dieu dans la distinction des sexes, mais parce que l’image de Dieu est commune à l’un et à l’autre sexe, puisqu’elle se réalise au niveau de l’âme spirituelle dans laquelle il n’y a pas de distinction des sexes. C’est pourquoi S. Paul (Col 3, 1 0) après avoir dit : " A l’image de son Créateur ", ajoute : " là il n’est plus question d’homme ou de femme ".

3. Bien que l’image de Dieu chez l’homme ne se prenne pas selon la figure corporelle, cependant, dit S. Augustin, puisque " seul le corps de l’homme, parmi les corps des animaux terrestres, n’est pas allongé, couché sur le ventre, mais disposé de manière à pouvoir mieux contempler le ciel, il peut paraître à juste titre avoir été fait davantage en cela à l’image et à la ressemblance de Dieu que le corps des autres animaux. " Toutefois il ne faut pas interpréter cette réflexion comme s’il y avait une image de Dieu dans le corps de l’homme ; il faut comprendre que la configuration même du corps humain représente par mode de vestige l’image de Dieu dans l’âme.

4. Selon S. Augustin, on trouve une certaine trinité aussi bien dans la vision corporelle que dans la vision imaginative. Dans la vision corporelle il y a d’abord l’espèce du corps extérieur ; deuxièmement la vision proprement dite, qui se fait par l’impression d’une similitude de cette espèce sur la vue ; troisièmement l’intention de la volonté qui ordonne de voir, et maintient la vision sur l’objet. Pareillement, dans la vision imaginative, on trouve d’abord l’espèce conservée dans la mémoire ; deuxièmement la vision imaginative elle-même, qui provient de ce que le regard de l’âme, c’est-à-dire la faculté imaginative, est informée selon cette espèce ; troisièmement l’intention de la volonté qui unit les deux.

Mais l’une et l’autre trinité n’atteignent pas à la qualité d’image divine. En effet, l’espèce du corps extérieur est en dehors de la nature de l’âme, et l’espèce qui est dans la mémoire, bien qu’elle ne se trouve pas en dehors de l’âme, est empruntée au-dehors ; ainsi, de part et d’autre, la représentation de la connaturalité et coéternité des Personnes divines n’est pas atteinte. Quant à la vision corporelle, elle ne procède pas seulement de l’espèce du corps extérieur, mais en même temps de la faculté sensible du voyant ; pareillement la vision imaginative ne procède pas seulement de l’espèce conservée dans la mémoire, mais aussi de la vertu imaginative ; et ainsi il n’y a pas là représentation adéquate de la procession du Fils à partir du seul Père. Enfin l’intention de la volonté qui unit les deux termes précédents ne procède de ceux-ci ni dans la vision corporelle, ni dans la vision imaginative, et par ce fait elle ne fournit pas de représentation adéquate de la procession du Saint-Esprit à partir du Père et du Fils.

            Article 7 — Est-ce selon les actes que l’image de Dieu se trouve dans l’âme ?

Objections :

S. Augustin nous dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu selon que " nous sommes, et que nous connaissons que nous sommes et que nous aimons cet être et ce connaître ". Mais " être " ne désigne pas un acte. Par conséquent l’image de Dieu dans l’âme ne se montre pas au plan des actes.

2. S. Augustin situe l’image de Dieu dans l’âme au niveau de ces trois réalités que sont " l’esprit, la connaissance et l’amour ". Mais le mot " esprit " ne désigne pas un acte, il désigne plutôt une puissance, ou encore l’essence de l’âme intellective. Par conséquent ce n’est pas au plan des actes que se découvre l’image de Dieu.

3. S. Augustin situe l’image de la Trinité dans l’âme au niveau de " la mémoire, de l’intelligence et de la volonté ". Mais ces trois réalités, dit Pierre Lombard sont " les puissances naturelles de l’âme ". Par conséquent c’est au plan des puissances et non des actes que se prend l’image de Dieu.

4. L’image de la Trinité demeure toujours dans l’âme. Mais l’acte ne demeure pas toujours. Ce n’est donc pas au plan des actes que se découvre l’image de Dieu dans l’âme.

En sens contraire, la trinité que S. Augustin situe dans les parties inférieures de l’âme, est à prendre selon l’acte de la vision, sensible ou imaginaire. Donc la trinité qui est dans l’esprit, selon laquelle l’homme est à l’image de Dieu, doit, elle aussi, se découvrir au plan de la vision en acte.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, pour mériter le nom d’image il faut représenter de quelque façon les traits spécifiques du modèle. Donc, si l’on doit trouver l’image de la Trinité dans l’âme, il faut la prendre principalement de ce qui s’approche davantage, autant que c’est possible, d’une représentation spécifique des Personnes divines. Or celles-ci se distinguent selon la procession du Verbe à partir de celui qui le profère, et selon celle de l’Amour qui unit l’un et l’autre. D’autre part, le verbe, dit S. Augustin, ne peut exister dans notre âme " sans une pensée en acte ". Ainsi donc, en premier lieu et à titre principal, l’image de Dieu dans l’âme apparaît au plan des actes. Autrement dit, à partir de la connaissance que nous possédons, nous formons par la pensée un verbe intérieur et, à partir de là, jaillit en nous l’amour.

Mais parce que les habitus et les puissances sont les principes des actes et que tout chose existe virtuellement dans son principe, secondairement et par voie de conséquence, l’image de la Trinité dans l’âme peut être considérée au plan des puissances et surtout des habitus, pour autant que les actes existent virtuellement en eux.

Solutions :

1. L’être qui en nous ressortit à l’image de Dieu, est celui qui nous est propre et qui nous met au-dessus des autres animaux ; et il nous convient précisément parce que nous avons un esprit. Et c’est pourquoi cette Trinité est celle-là même que S. Augustin propose ailleurs, et qui consiste dans " l’esprit, la connaissance et l’amour ".

2. La trinité mens, notitia, amor est la première que S. Augustin découvrit dans l’esprit. Mais parce que mens, l’esprit, tout en se connaissant tout entier d’une certaine façon, reste aussi d’une certaine façon dans l’ignorance de lui-même, en tant qu’il se distingue du reste, et qu’ainsi il est à la recherche de lui-même comme S. Augustin le prouve, il en résulte que la connaissance ne s’égale pas totalement à l’esprit. Aussi S. Augustin choisit-il dans l’âme trois réalités propres à l’esprit : la mémoire, l’intelligence et la volonté, dont nul n’ignore la présence en soi-même. Et c’est dans ces trois réalités qu’il préfère situer l’image de la Trinité, comme si la première trinité proposée était d’une certaine façon insuffisante.

3. Comme le montre S. Augustin, on dit que nous connaissons et voulons ou aimons quelque chose, quand nous pensons à cette chose et quand nous n’y pensons pas. Mais lorsqu’il n’y a aucune pensée, cela relève de la seule mémoire, laquelle n’est rien d’autre, pour lui, que la conservation habituelle de la connaissance et de l’amour. Mais, comme il le dit lui-même, " le verbe ne peut exister là sans une pensée. En effet, nous pensons tout ce que nous disons, fût-ce par ce verbe intérieur qui n’appartient à la langue d’aucun peuple. Aussi l’image de Dieu se fait-elle plutôt connaître dans ces trois réalités : la mémoire, l’intelligence et la volonté. Mais l’intelligence dont je parle maintenant est celle que nous exerçons en pensant..., et ce que j’appelle volonté, amour ou dilection, c’est la volonté qui unit l’être engendré à celui qui l’engendre ".

Ce texte montre clairement que S. Augustin place l’image de la Trinité dans l’intelligence et la volonté en acte, plutôt que chez celles-ci telles que la mémoire les garde à l’état d’habitus. Cependant, même à cet égard, il existe dans l’âme une certaine image de la Trinité, comme il est dit au même endroit. On voit clairement par là que " mémoire, intelligence, volonté " ne sont pas trois " facultés ", comme il est dit dans les Sentences.

4. A cet argument on pourrait répondre par la remarque de S. Augustin que " l’esprit se souvient toujours de lui-même, toujours il a l’intelligence et l’amour de lui-même ". Certains interprètent cette remarque comme si l’âme avait toujours en acte l’intelligence et l’amour d’elle-même. Mais S. Augustin exclut cette interprétation par ce qu’il ajoute : " L’âme ne pense pas constamment qu’elle se distingue de ce qui n’est pas elle ". Et l’on voit ainsi que l’âme a toujours l’intelligence et l’amour d’elle-même non pas en acte, mais de façon habituelle. Cependant on pourrait dire qu’en percevant son acte, l’âme a l’intelligence d’elle-même chaque fois qu’elle connaît quelque chose. Mais puisqu’elle n’est pas toujours intelligent en acte, comme c’est évident chez ceux qui dorment, il faut dire que les actes, même s’ils ne demeurent pas toujours en eux-mêmes, demeurent cependant toujours dans leurs principes, qui sont les puissances et les habitus. " Ce qui fait dire à S. Augustin : " Si l’âme raisonnable a été faite à l’image de Dieu en ce sens qu’elle peut à l’aide de la raison et de l’intelligence connaître et contempler Dieu, c’est du jour où elle a commencé d’exister que l’image de Dieu a été en elle. "

            Article 8 — Est-ce par rapport à cet objet qu’est Dieu que l’image de la divine Trinité est dans l’âme ?

Objections :

1. Il semble que l’image de la Trinité divine dans l’âme ne se réalise pas seulement par relation à cet objet qu’est Dieu. En effet, comme on l’a dit, l’image de la Trinité divine se trouve dans l’âme selon que le verbe procède en nous de ce qui le profère et que l’amour procède de l’un et de l’autre. Mais cela se réalise en nous à propos de n’importe quel objet. Donc, à propos de n’importe quel objet on trouve dans notre esprit l’image de la Trinité divine.

2. S. Augustin nous dit : " Quand nous cherchons dans l’âme une trinité, nous la cherchons dans l’âme tout entière et nous ne séparons pas la raison qui agit sur le temporel de celle qui contemple l’éternel. " Donc on trouve l’image de la Trinité dans l’âme en relation avec des objets temporels.

3. Connaître et aimer Dieu nous convient à cause du don de la grâce. Donc, si c’est par la mémoire, l’intelligence et la volonté ou l’amour de Dieu que l’on découvre dans l’âme l’image de la Trinité, l’image de Dieu ne sera pas dans l’homme par nature, mais par grâce. Et ainsi elle ne sera pas commune à tous.

4. Les saints qui sont dans la patrie sont au plus haut degré rendus conformes à l’image de Dieu par la vision de gloire, ce qui fait dire à S. Paul (2 Co 3, 18) : " Nous sommes transformés en cette image, allant de gloire en gloire. " Mais dans la vision de gloire on connaît les choses temporelles. Donc, même en relation avec les choses temporelles, l’image de Dieu se découvre en nous.

En sens contraire, voici ce que dit S. Augustin : " Si l’image de Dieu est dans l’esprit, ce n’est pas parce que celui-ci a souvenir, amour et intelligence de lui-même, mais parce qu’il peut en outre se rappeler, comprendre et aimer Dieu par qui il a été créé. " C’est donc encore beaucoup moins par rapport aux autres objets que l’on considérera l’image de Dieu dans l’âme.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, l’image implique une ressemblance qui aboutisse à représenter de quelque façon les traits spécifiques du modèle. Il faut par conséquent que l’image de la Trinité dans l’âme se découvre par quelque chose qui représente les Personnes divines d’une représentation spécifique, autant que cela est possible à la créature. Or les Personnes divines, on l’a dit, se distinguent selon la procession du Verbe à partir de celui qui le profère, et la procession de l’Amour à partir de l’un et de l’autre. D’autre part, le Verbe de Dieu naît de Dieu selon la connaissance qu’il a de lui-même, et l’Amour procède de Dieu selon qu’il s’aime lui-même. Or, il est manifeste que la diversité des objets entraîne une diversité spécifique dans le verbe et l’amour ; en effet, le verbe conçu dans le cœur de l’homme au sujet d’une pierre ou d’un cheval n’est pas de même espèce, non plus que l’amour. Donc l’image divine chez l’homme se réalise par le verbe qui est conçu à partir de la connaissance de Dieu et de l’amour qui en dérive. Et ainsi il y a image de Dieu dans l’âme en tant qu’elle se porte ou qu’elle est capable de se porter vers Dieu.

Or l’esprit peut se porter vers quelque chose de deux façons : de façon directe et immédiate ou de façon indirecte et médiate. Ainsi, lorsque quelqu’un voit l’image d’un homme dans un miroir, on dit qu’il se porte vers l’homme lui-même. Et c’est pourquoi S. Augustin écrit : " L’esprit a souvenir, intelligence et amour de lui-même ; si nous voyons cela, nous voyons une trinité, qui certes n’est pas encore Dieu, mais déjà image de Dieu. " Mais il en est ainsi non parce que l’esprit se porte sur lui-même en s’arrêtant à soi, mais pour autant qu’il est capable ultérieurement de se porter vers Dieu, on le voit bien par le texte cité en sens contraire.

Solutions :

1. Pour vérifier la raison d’image, il ne faut pas observer seulement qu’un être procède d’un autre, mais il faut encore voir de qui il procède. Cela veut dire que le Verbe de Dieu procède d’une connaissance sur Dieu.

2. On trouve bien une trinité " dans l’âme tout entière ". Mais cela n’exige pas qu’en dehors de l’action sur le temporel et de la contemplation de l’éternel, il faille " chercher un troisième terme dans lequel cette trinité se réaliserait ", selon la suite du texte cité. Mais si dans cette partie de la raison qui se porte du côté du temporel " on peut trouver une trinité, cependant on ne peut pas y trouver l’image de Dieu ", comme il est précisé ensuite. Car la connaissance de ces choses temporelles est pour l’âme une réalité adventice. En outre, les habitus eux-mêmes, par lesquels on connaît le temporel, ne sont pas toujours présents ; parfois ils sont là de façon présente, parfois ils ne sont là que par la mémoire, et cela même après qu’ils ont commencé à être là. C’est manifeste pour la foi, qui nous advient temporellement dans le présent, alors que dans la béatitude future il n’y aura plus foi, mais mémoire de la foi.

3. La connaissance et l’amour de Dieu ayant valeur méritoire ne se réalisent que par grâce. Il y a pourtant une connaissance et un amour naturels de Dieu, comme on l’a établi antérieurement . Et cela aussi est naturel : que l’esprit puisse employer la raison à connaître Dieu. C’est de ce point de vue, nous l’avons dit, que l’image de Dieu demeure toujours dans l’homme. Que cette image, selon S. Augustin, " soit usée et comme voilée au point d’exister à peine ", comme chez ceux qui n’ont pas d’usage de la raison ; " ou qu’elle soit obscure et déformée " comme chez les pécheurs " ou qu’elle soit claire et belle " comme chez les justes.

4. Par la vision de gloire, c’est en Dieu lui-même que l’on verra les choses temporelles, et c’est pourquoi dans la vision de ces choses resplendira l’image de Dieu. C’est ce que dit S. Augustin : " Dans cette nature, à laquelle l’esprit sera uni pour son bonheur, tout ce qu’il verra, il le verra établi dans l’immutabilité ", car c’est dans le Verbe incréé que se trouvent les idées de toutes les créatures.

            Article 9 — La différence entre image et ressemblance

Objections :

1. Il semble que la distinction entre " ressemblance " et image ne soit pas bien faite. En effet, il ne convient pas de considérer le genre comme distinct de l’espèce. Mais la ressemblance est vis-à-vis de l’image dans la situation du genre par rapport à l’espèce ; en effet, dit S. Augustin, " là où il y a image, il y a à coup sûr ressemblance, mais non réciproquement ". La distinction entre ressemblance et image est donc injustifiée.

2. La notion d’image découle non seulement de la représentation des Personnes divines, mais aussi de celle de l’essence divine, et c’est de celle-ci que relèvent l’immortalité et l’indivisibilité. Il n’est donc pas juste de dire que " la ressemblance est dans l’essence, parce qu’elle est immortelle et indivisible, tandis que l’image est ailleurs ".

3. Comme on l’a dit plus haut, il y a trois sortes d’image de Dieu dans l’homme : celle de la nature, celle de la grâce, et celle de la gloire. Mais innocence et justice relèvent de la grâce. Il n’est donc pas juste de dire h que " l’image se découvre selon la mémoire, l’intelligence et la volonté, et la ressemblance selon l’innocence et la justice ".

4. La connaissance de la vérité appartient à l’intelligence, tandis que l’amour de la vertu appartient à la volonté, intelligence et volonté étant deux parties de l’image. Il n’est donc pas juste de dire que " l’image se trouve dans la connaissance de la vérité, et la ressemblance dans l’amour de la vertu ".

En sens contraire, S. Augustin écrit " Certains pensent, non sans raison, que "à l’image" et "à la ressemblance" sont deux paroles distinctes ; car si elles n’en faisaient qu’une, un seul mot aurait pu suffire. "

Réponse :

La ressemblance est une certaine forme d’unité ; en effet, dit Aristote, c’est l’unité dans une même qualité qui cause la ressemblance. Car l’unité, étant un transcendantal, est à la foi commune à toutes choses, et adaptable à chacune tout comme la bonté et la vérité. Aussi, de même que la bonté peut être référée à une réalité particulière ou bien comme lui étant présupposée, ou bien comme la parachevant parce que désignant chez elle quelque perfection ; de même en est-il de la relation entre la ressemblance et l’image. En effet, il y a un bien qui précède l’homme, en tant que tout homme est un bien particulier. Et il y a un bien qui est consécutif à l’homme, en tant que nous déclarons que tel homme est spécialement bon à cause de la perfection de sa vertu. Pareillement, la ressemblance est considérée comme précédant l’image, en tant qu’elle est plus générale, on l’a dit plus haut. Mais on peut aussi la considérer comme consécutive à l’image en tant qu’elle signifie une perfection de celle-ci ; car nous disons que l’image de quelque chose ressemble, ou non, à ce dont elle est l’image, en tant qu’elle le représente parfaitement, ou non.

Ainsi donc, il y a deux manières de concevoir la distinction entre ressemblance et image. D’abord, en tant que ressemblance est un attribut antérieur à image et existe en plusieurs autres choses. En ce sens, on parlera de " ressemblance " de Dieu pour des choses qui sont plus communes que les propriétés de la nature intellectuelle. C’est en ce sens que S. Augustin dit : " Personne ne doute que l’esprit (c’est-à-dire l’âme spirituelle) ait été fait à l’image de Dieu " ; mais pour ce qui est des autres parties de l’homme, les parties inférieures de l’âme ou encore le corps, " il y en a qui veulent qu’elles aient été faites à sa ressemblance ". C’est encore en ce sens qu’il dit ailleurs que la ressemblance de Dieu dans l’âme se découvre par son incorruptibilité ; en effet corruptibilité et incorruptibilité sont une distinction de l’être pris en toute son ampleur.

D’une autre manière on peut concevoir la ressemblance comme signifiant et la précision et la perfection de l’image. C’est en ce sens que S. Jean Damascène écrit : " "Être à l’image" signifie "être doué d’intelligence, de libre arbitre et de maîtrise de soi-même", tandis que "être à la ressemblance", c’est posséder, autant que c’est possible à l’homme, la ressemblance de la vertu. " C’est encore en référence à ce sens que l’on dit : la ressemblance appartient à l’amour de la vertu ; en effet, il n’y a pas de vertu sans amour de la vertu.

Solutions :

1. Ce n’est pas d’après la notion commune de ressemblance que l’on fait une distinction entre " ressemblance " et " image " ; en ce sens elle est incluse dans la notion même d’image ; c’est en tant qu’il y a des ressemblances qui restent en deçà de la notion d’image, ou encore que certaines perfectionnent l’image.

2. L’essence de l’âme appartient à l’image en tant qu’elle représente l’essence divine par ce qui est propre à la nature intellectuelle ; elle ne lui appartient pas selon les conditions qui caractérisent l’être pris dans toute son ampleur, comme d’être simple et indissoluble.

3. Il y a aussi certaines vertus qui se trouvent naturellement dans l’âme, au moins quant à leurs germes, et dans cette ligne on pourrait parler d’une ressemblance naturelle. Pourtant, il n’est pas illogique que ce qui est appelé image d’après une explication soit, d’après une autre explication, appelé " ressemblance ".

4. Il y a un amour du verbe (c’est la connaissance aimée), qui ressortit à la raison d’image ; mais l’amour de la vertu ressortit à la " ressemblance ", comme la vertu elle-même.

L’ÉTAT OU CONDITION DU PREMIER HOMME

Nous allons étudier l’état ou condition du premier homme. D’abord quant à l’âme, (Q. 94-96), puis quant au corps (Q. 97).

En ce qui concerne l’âme, nous examinerons successivement la condition de l’homme quant à l’intelligence (Q. 94) et quant à la volonté (Q. 95).

 

 

QUESTION 94 — LA CONDITION DU PREMIER HOMME QUANT À L’INTELLIGENCE

1. Le premier homme a-t-il vu Dieu dans son essence ? - 2. A-t-il pu voir les substances séparées, c’est-à-dire les anges ? - 3. A-t-il eu la science de toutes choses ? - 4. A-t-il pu se tromper ou être trompé ?

            Article 1 — Le premier homme a-t-il vu Dieu dans son essence ?

Objections :

1. La béatitude de l’homme consiste dans la vision de l’essence divine. Or le premier homme " lorsqu’il vivait dans le Paradis, eut une vie bienheureuse et riche de tous les biens ", nous dit S. Jean Damascène. Et S. Augustin écrit : " Si les hommes éprouvaient les sentiments que nous avons maintenant, comment auraient-ils été bienheureux dans ce séjour d’inexprimable béatitude, le Paradis ? " Donc le premier homme dans le Paradis avait la vision de Dieu dans son essence.

2. S. Augustin dit qu’au premier homme " il ne manquait aucune des choses que peut obtenir une volonté bonne ". Or une volonté bonne ne peut rien obtenir de mieux que la vision de l’essence divine. Donc l’homme avait la vision de Dieu dans son essence.

3. La vision de Dieu dans son essence est celle où l’on voit Dieu sans intermédiaire et sans énigme. Or l’homme dans l’état d’innocence voyait Dieu sans intermédiaire. Pierre Lombard le ditd. Il le voyait aussi sans énigme, car qui dit énigme, dit obscurité, comme le fait remarquer S. Augustine : mais l’obscurité a été introduite par le péché. Donc l’homme dans son premier état avait la vision de Dieu dans son essence.

En sens contraire, S. Paul dit (1 Co 15, 46) " Ce n’est pas le spirituel qui vient d’abord, mais le psychique. " Mais rien n’est plus spirituel que d’avoir la vision de Dieu. Donc le premier homme, en son premier état de vie psychique, n’avait pas la vision de Dieu dans son essence.

Réponse :

Le premier homme n’avait pas la vision de Dieu selon le régime commun de sa vie d’alors ; peut-être pourrait-on dire qu’il l’a vu dans un ravissement lorsque, d’après la Genèse (2, 21), " Dieu fit tomber un profond sommeil sur Adam ".

En voici la raison. Puisque l’essence divine est la béatitude même, l’intelligence de celui qui voit l’essence divine est dans la même situation par rapport à Dieu que n’importe quel homme par rapport à la béatitude. Or, il est évident que nul homme ne peut par sa volonté se détourner de la béatitude ; car c’est d’un mouvement naturel et de façon nécessaire que l’homme veut la béatitude et fuit le malheur. Aussi nul homme, voyant Dieu dans son essence, ne peut par sa volonté se détourner de Dieu, ce qui est pécher. Et c’est pourquoi tous ceux qui voient Dieu dans son essence sont fixés dans l’amour de Dieu de telle façon qu’ils ne peuvent plus jamais pécher. Donc, puisqu’Adam a péché, il est manifeste qu’il ne voyait pas Dieu dans son essence.

Il connaissait pourtant Dieu d’une connaissance plus haute que la nôtre ; et ainsi sa connaissance était en quelque sorte intermédiaire entre celle de l’état présent et celle de la patrie, où l’on voit Dieu dans son essence. Pour en être certain il faut remarquer que la vision de Dieu par son essence s’oppose à la vision de Dieu par l’intermédiaire de la créature. Or plus une créature est élevée et semblable à Dieu, plus Dieu est vu clairement par son intermédiaire, de même qu’un homme est mieux vu dans un miroir où son image se reflète de façon plus distincte. Ainsi, il est clair que Dieu est vu de façon bien supérieure par l’intermédiaire des effets intelligibles que par celui des effets sensibles et corporels. Mais l’homme est empêché, dans son état présent, de considérer entièrement et lucidement les effets spirituels parce qu’il est tiraillé par les objets sensibles qui l’assiègent. Pourtant, dit l’Ecclésiastique (7, 30) : " Dieu a fait l’homme droit. " Cette rectitude consistait chez l’homme, tel qu’il avait été constitué par Dieu, en ce que les choses inférieures étaient soumises aux supérieures et que celles-ci n’étaient pas empêchées par celles-là. C’est pourquoi le premier homme n’était pas empêché par les choses extérieures de contempler avec clarté et persévérance les effets intelligibles que lui procurait l’irradiation de la vérité première, soit par connaissance naturelle, soit par connaissance de grâce. Aussi S. Augustin dit-il : " Peut-être Dieu parlait-il auparavant avec les premiers hommes comme il le fait avec les anges, en illuminant leur esprit de l’immuable vérité elle-même, ... bien que ce ne fût pas par une aussi grande participation de l’essence divine que celle dont les anges bénéficient. " Ainsi donc, par de tels effets intelligibles, le premier homme connaissait Dieu plus clairement que nous ne le connaissons maintenant.

Solutions :

1. Au Paradis, l’homme était bienheureux, mais non de la béatitude parfaite dans laquelle il devait être transféré et qui consiste dans la vision de l’essence divine. Il possédait pourtant, dit S. Augustin, " une vie bienheureuse dans une certaine mesure ", en tant qu’il jouissait de l’intégrité et d’une certaine perfection conformes à sa nature.

2. La volonté bonne est une volonté ordonnée. Et la volonté du premier homme n’eût pas été ordonnée, si elle avait voulu posséder dans l’état de mérite ce qui lui avait été promis comme récompense.

3. Il y a deux sortes d’intermédiaires dans la connaissance. Dans l’un, on voit en même temps que lui ce que l’on voit grâce à lui, comme lorsqu’on voit un homme dans un miroir et qu’on le voit en même temps que le miroir. L’autre intermédiaire est celui dont la connaissance nous permet de parvenir à quelque chose d’inconnu, par exemple le moyen terme d’une démonstration. Dans l’état d’innocence on voyait bien Dieu sans cette deuxième sorte d’intermédiaire, mais non sans la première. En effet, le premier homme n’avait pas besoin de parvenir à la connaissance de Dieu par l’intermédiaire d’une démonstration tirée de quelque effet, comme cela nous est nécessaire ; mais c’est simultanément dans les effets, surtout intelligibles, qu’à sa mesure il connaissait Dieu.

Il faut faire une distinction semblable pour l’obscurité impliquée dans le mot " énigme ". Selon un premier sens, toute créature est quelque chose d’obscur comparée à l’immensité de la clarté divine ; et en ce sens Adam voyait Dieu en énigme, car il voyait Dieu à travers un effet créé. Mais un second sens fait penser à l’obscurité consécutive au péché, en ce que l’homme est retenu de considérer les choses intelligibles par l’accaparement des choses sensibles ; et en ce sens Adam ne voyait pas Dieu en énigme.

            Article 2 — Le premier homme a-t-il pu voir les substances séparées, c’est-à-dire les anges ?

Objections :

1. Il semblerait qu’Adam dans l’état d’innocence a vu les anges dans leur essence. Car S. Grégoire affirme : " Certes, dans le Paradis, l’homme jouissait constamment de la parole de Dieu et se mêlait aux esprits des bons anges par la pureté du cœur et la sublimité de la vision. "

2. L’âme dans l’état présent est empêchée de connaître les substances séparées, parce qu’elle est unie à un corps corruptible, qui " appesantit l’âme " (Sg 9, 15). C’est pourquoi l’âme séparée peut voir les substances séparées, ainsi qu’on l’a dit précédemment. Or l’âme du premier homme n’était pas appesantie par le corps, puisque celui-ci n’était pas corruptible. Donc elle pouvait voir les substances séparées.

3. Une substance séparée en connaît une autre en se connaissant elle-même, comme il est dit dans le Livre des Causes. Or l’âme du premier homme se connaissait elle-même. Donc elle connaissait les substances séparées.

En sens contraire, l’âme d’Adam était de la même nature que nos âmes. Or nos âmes ne peuvent pas maintenant saisir intellectuellement les substances séparées. Donc l’âme du premier homme non plus.

Réponse :

On peut distinguer les états de l’âme selon deux points de vue. Le premier correspond aux divers modes de l’existence naturelle ; c’est ainsi qu’on distingue l’état de l’âme séparée et l’état de l’âme unie au corps. L’autre point de vue est celui de l’intégrité et de la corruption à l’intérieur du même mode d’être naturel, et c’est de cette façon qu’on distingue l’état d’innocence et l’état de l’homme après le péché. En effet, dans l’état d’innocence l’âme humaine était préparée, comme maintenant, à donner au corps sa perfection et à le gouverner ; aussi est-il écrit que le premier homme devint une " âme vivante ", c’est-à-dire donnant à un corps la vie animale. Mais elle possédait l’intégrité de cette vie, en tant que le corps était totalement soumis à l’âme, ne la gênant en rien, comme on l’a dit plus haut. Or, il est manifeste d’après ce que nous avons déjà établi, que si l’âme est préparée à gouverner et à perfectionner un corps selon la vie animale, elle doit avoir le mode de vie intellectuelle correspondant, c’est-à-dire une connaissance par conversion vers les images. Aussi ce mode de connaissance convenait-il également à l’âme du premier homme.

Mais selon ce type de connaissance intellectuelle, on trouve, dit Denys, trois degrés dans le mouvement de l’âme. Le premier degré pour l’âme consiste à se rejoindre elle-même à partir des choses extérieures ; le deuxième à s’élever de manière à s’unir aux " puissances supérieures unifiées ", qui sont les anges ; le troisième à se laisser conduire encore au-delà vers le bien qui les dépasse tous et qui est Dieu. Dans la première démarche, qui va des choses extérieures à l’âme elle-même, la connaissance de l’âme atteint sa perfection. Car l’opération intellectuelle de l’âme est naturellement ordonnée aux choses extérieures, comme on l’a dit précédemment ; aussi est-ce par la connaissance de ces choses que l’on peut connaître parfaitement notre opération intellectuelle, comme on connaît l’acte par l’objet. Et par cette opération intellectuelle, on peut connaître parfaitement l’intelligence humaine, comme on connaît la puissance par son acte propre. Mais dans la deuxième démarche, on ne trouve pas de connaissance parfaite. Puisque l’ange ne connaît pas par conversion vers les images, mais de façon bien plus éminente, comme on l’a vu antérieurement, cette façon de connaître selon laquelle l’âme se connaît elle-même, ne conduit pas de façon suffisante à la connaissance de l’ange. La troisième démarche aboutit encore beaucoup moins à une connaissance parfaite, car les anges eux-mêmes en se connaissant ne peuvent parvenir à la connaissance de la substance de Dieu, à cause de sa transcendance.

Ainsi donc l’âme du premier homme ne pouvait pas voir les anges selon leur essence. Cependant il possédait à leur sujet un mode de connaissance plus excellent que le nôtre, car sa connaissance était plus certaine et plus stable en ce qui concerne les réalités intelligibles intérieures. Et c’est à cause de cette si grande supériorité que S. Grégoire dit que le premier homme se trouvait " au milieu des esprits angéliques ".

Solutions :

1. Cela résout la première objection.

2. Si l’âme du premier homme n’atteignait pas à la saisie intellectuelle des substances séparées, ce n’est pas parce qu’elle était appesantie par le corps ; cela tenait au fait que son objet connaturel n’atteignait pas à l’excellence des substances séparées. Quant à nous, nous souffrons de cette double déficience.

3. L’âme du premier homme ne pouvait pas, en se connaissant elle-même, parvenir à connaître les substances séparées ; on vient de le dire, car chaque substance séparée connaît les autres selon son mode à elle.

            Article 3 — Le premier homme a-t-il eu la science de toutes choses ?

Objections :

1. Le premier homme aurait eu cette science soit par des espèces acquises, soit par des espèces infuses. Or ce ne fut pas par des espèces acquises ; en effet une telle connaissance est causée par l’expérience, dit Aristote ; mais le premier homme n’avait pas à ce moment fait l’expérience de toutes les réalités. Ce n’était pas non plus par des espèces connaturelles, car il était de la même nature que nous ; or notre âme est " comme une tablette où il n’y a rien d’écrit ", dit le traité De l’Âme. Et s’il l’avait eu par des espèces infuses, sa science des choses n’aurait pas été de même structure que la nôtre, acquise à partir des choses.

2. Tous les individus de la même espèce ont la même façon d’acquérir leur perfection. Mais les autres hommes n’ont pas dès le début la science de toutes choses ; ils l’acquièrent dans la succession du temps, chacun à sa façon. Par conséquent Adam non plus n’a pas eu la science de toutes choses dès le moment où il fut formé.

3. L’état de la vie présente est accordé à l’homme pour qu’il y fasse des progrès aussi bien dans l’ordre de la connaissance que dans celui du mérite ; c’est pour cela, semble-t-il, que l’âme a été unie au corps. Mais l’homme, en cet état, aurait fait des progrès dans l’ordre du mérite. Par conséquent il en aurait fait aussi dans l’ordre de la science. C’est donc qu’il n’avait pas la science de toutes choses.

En sens contraire, il y a le fait qu’il donna des noms aux animaux, selon la Genèse (2, 20). Or les noms doivent s’accorder avec les natures des choses. Donc Adam connaissait les natures de tous les animaux, et pour la même raison il faut dire qu’il avait la science de toutes les autres réalités.

Réponse :

Selon l’ordre naturel, le parfait précède l’imparfait, de même que l’acte précède la puissance, car les choses qui sont en puissance ne sont amenées à l’acte que par un être en acte. Et comme les choses ont été instituées par Dieu à l’origine non seulement pour avoir l’existence en elles-mêmes, mais aussi pour être les principes d’autres êtres, elles ont été produites dans l’état parfait où elles pourraient être principes d’autres êtres. Or l’homme est principe d’un autre, non seulement par la génération corporelle, mais aussi par l’instruction et le gouvernement. Et c’est pourquoi, de même que le premier homme fut établi dans un état de perfection corporelle, afin de pouvoir engendrer aussitôt, de même il fut également établi dans un état parfait quant à l’âme, afin de pouvoir aussitôt instruire et gouverner les autres.

Or on ne peut instruire si l’on ne possède pas la science. Et c’est pourquoi le premier homme fut établi par Dieu dans la possession de la science concernant toutes les choses dont l’homme peut être instruit : tout ce qui existe virtuellement dans les premiers principes immédiatement connus, c’est-à-dire tout ce que les hommes peuvent naturellement connaître. D’autre part, pour gouverner sa vie personnelle et celle des autres, on a besoin de connaître non seulement ce qui peut être connu naturellement, mais aussi les choses qui dépassent la connaissance naturelle, car la vie de l’homme est ordonnée à une fin surnaturelle ; ainsi, pour gouverner notre vie, nous avons besoin de connaître les choses de la foi. Aussi en matière surnaturelle le premier homme reçut-il toute la connaissance qui était nécessaire pour gouverner la vie humaine selon cet état. Mais les autres choses, celles qui ne sont ni connaissables par l’application naturelle de l’homme, ni nécessaires à la condition de la vie humaine, le premier homme ne les connaissait pas : par exemple les pensées des hommes, les futurs contingents et certaines données singulières comme combien de cailloux se trouvent dans le fleuve, etc.

Solutions :

1. Le premier homme avait la science de toutes choses grâce à des espèces infusées par Dieu. Il ne faut pas en conclure pourtant que cette science était d’une autre structure que la nôtre, pas plus que les yeux donnés par le Christ à l’aveugle-né n’étaient d’une autre structure que les yeux produits par la nature.

2. Adam, en sa qualité de premier homme, devait posséder un élément de perfection qui ne convient pas aux autres hommes, comme cela se voit par ce que nous venons de dire.

3. Quant à la science des choses naturellement connaissables, Adam n’aurait pas progressé pour le nombre des choses connues, mais pour la façon de connaître ; car ce qu’il savait intellectuellement, il l’aurait connu dans la suite par expérience. Quant aux connaissances surnaturelles, il aurait progressé aussi au point de vue du nombre, par des révélations nouvelles, de même que les anges progressent par de nouvelles illuminations. Cependant, le progrès en mérite et le progrès en science sont différents, car un homme n’est pas pour un autre principe de mérite comme il est principe de science.

            Article 4 — Le premier homme a-t-il pu se tromper ou être trompé ?

Objections :

1. Il semble que l’homme dans l’état primitif aurait pu se tromper. En effet, S. Paul dit (1 Tm 2, 14) : " C’est la femme qui, séduite, se rendit coupable de transgression. "

2. Pierre Lombard’ enseigne que " si la femme n’a pas tremblé en entendant le serpent parler, c’est qu’elle estima qu’il avait reçu de Dieu l’usage de la parole ". Mais c’était là une erreur. Donc la femme s’est trompée avant le péché.

3. Il est naturel que plus une chose semble éloignée, plus elle semble petite. Mais la nature de l’œil n’a pas été réduite par le péché. Donc ce phénomène se serait produit aussi dans l’état d’innocence. Par conséquent l’homme se serait trompé sur les dimensions de ce qu’il voyait, comme maintenant.

4. S. Augustin dit que dans le sommeil l’âme croit aux apparences comme à la réalité elle-même. Mais l’homme dans l’état d’innocence aurait mangé, et par conséquent il aurait dormi et rêvé. Donc il se serait trompé en croyant aux apparences comme à la réalité.

5. Le premier homme n’aurait pas connu les pensées des hommes et les futurs contingents, comme on vient de le dire. Donc si quelqu’un lui avait dit quelque chose de faux sur ces matières, il aurait été trompé.

En sens contraire, S. Augustin enseigne " Approuver comme vraies des choses fausses est le fait non pas de la nature de l’homme tel qu’il fut créé, mais du châtiment de l’homme condamné. "

Réponse :

Certains ont affirmé que l’on pouvait reconnaître deux sens au mot " erreur " : d’abord celui de n’importe quelle appréciation superficielle qui fait adhérer à ce qui est faux comme étant vrai, mais sans assentiment de vraie croyance ; ensuite l’erreur désignerait une croyance ferme. Donc, quant aux choses dont Adam avait la science, il n’aurait pu se laisser tromper dans aucun de ces deux sens. Mais pour celles dont il n’avait pas la science, il aurait pu faire erreur, en prenant ce mot au sens large de n’importe quelle appréciation sans assentiment bien arrêté. On disait cela parce qu’avoir une appréciation fausse dans de telles conditions n’est pas nuisible à l’homme et que, si cet assentiment est donné sans témérité, il n’est pas coupable.

Mais cette thèse ne peut se concilier avec l’intégrité du premier état, car, dit S. Augustin, dans cet état " on évitait paisiblement le péché et, tant que cela durait, il ne pouvait y avoir absolument aucun mal ". Or, c’est manifeste, comme le vrai est le bien de l’intelligence, de même le faux est son mal, dit Aristote. Aussi n’est-il pas possible, tant que durait l’innocence, que l’intelligence de l’homme donnât son acquiescement à quelque chose de faux comme si c’eût été vrai. De même en effet que dans les membres corporels du premier homme il pouvait y avoir absence de quelque perfection, par exemple la clarté des corps glorieux, mais qu’aucun mal ne pouvait s’y trouver ; de même dans l’intelligence il pouvait y avoir absence de quelque connaissance, mais il ne pouvait s’y trouver aucune appréciation fausse.

La rectitude de ce premier état aboutit à la même conclusion : aussi longtemps que l’âme resterait soumise à Dieu, les forces inférieures de l’homme resteraient soumises aux forces supérieures, et celles-ci ne seraient pas entravées par celle-là. Or il est clair, d’après ce qui a déjà été dit, que l’intellect est toujours dans le vrai par rapport à son objet propre. Aussi ne tombe-t-il jamais de lui-même dans l’erreur ; toute erreur provient dans l’intelligence d’un élément inférieur, par exemple l’imagination ou quelque faculté semblable. Nous voyons donc que lorsque notre pouvoir naturel de juger n’est pas paralysé, nous ne sommes pas induits en erreur par des apparences de ce genre, mais seulement lorsqu’il est paralysé, comme c’est évident chez les dormeurs. Et ainsi il est manifeste que la rectitude de l’état primitif n’était compatible avec aucune erreur d’ordre intellectuel.

Solutions :

1. Cette " séduction " de la femme a sans doute précédé son péché d’action, mais elle était consécutive à un péché d’orgueil intérieur. En effet S. Augustin dit : " La femme ne croirait pas aux paroles du serpent... si elle n’avait déjà dans l’esprit l’amour de sa propre puissance et une certaine présomption orgueilleuse à son propre sujet. "

2. La femme a estimé que le serpent avait reçu cet usage de la parole, non par voie naturelle, mais par une opération surnaturelle. Mais on n’est pas obligé de suivre sur ce point l’autorité de Pierre Lombard.

3. Si quelque réalité avait été représentée aux sens ou à l’imagination du premier homme autrement qu’elle n’était en vérité, l’homme ne se serait pourtant pas trompé, car par sa raison il aurait discerné la vérité.

4. Ce qui se produit pendant le sommeil n’est pas imputé à l’homme, car il n’a pas l’usage de la raison, ce qui est l’acte propre de l’homme.

5. Si quelqu’un était venu lui dire quelque chose de faux concernant les futurs contingents ou les pensées des cœurs, l’homme dans l’état d’innocence n’aurait pas cru que les choses étaient ainsi, mais seulement que cela était possible, et cela n’eût pas été une appréciation fausse. - On peut dire aussi que Dieu lui aurait donné son secours pour lui éviter de se tromper dans les choses dont il n’avait pas la science. Et il n’y a pas à faire instance contre cela, comme font certains, en disant que, dans la tentation, l’homme n’a pas reçu ce secours pour être préservé de l’erreur, alors que c’est à ce moment qu’il en avait le plus grand besoin. Car le péché s’était déjà produit dans son esprit, et il n’eut pas recours au secours divin.

Examinons maintenant ce qui concerne la volonté du premier homme. A ce sujet on considérera deux points : 1. La grâce et la justice du premier homme (Q. 95). - 2. L’usage de cette justice dans la domination qu’il exerçait sur les autres êtres (Q. 96).

 

 

QUESTION 95 — CE QUI SE RATTACHE À LA VOLONTÉ DU PREMIER HOMME — LA GRÂCE ET LA JUSTICE,

1. L’homme a-t-il été créé en grâce ? - 2. Dans l’état d’innocence avait-il des passions ? - 3. Avait-il toutes les vertus ? - 4. Ses actions avaient-elles une valeur méritoire égale à celles de maintenant ?

            Article 1 — L’homme a-t-il été créé en grâce ?

Objections :

1. S. Paul, faisant une distinction entre Adam et le Christ, dit ceci (1 Co 15,45) : " Le premier Adam a été fait âme vivante ; le dernier, esprit qui donne la vie. " Mais donner la vie et l’esprit est le fait de la grâce. Donc il est propre au Christ d’avoir été créé en grâce.

2. S. Augustin dit : " Adam ne posséda pas le Saint-Esprit. " Mais quiconque a la grâce possède le Saint-Esprit. Donc Adam ne fut pas créé en grâce.

3. S. Augustin dit que " Dieu a disposé la vie des anges et des hommes de manière à montrer d’abord en eux ce dont était capable le libre arbitre, et ensuite ce que pouvait le bienfait de sa grâce et le jugement de sa justice ". Il a donc d’abord créé l’homme et l’ange avec le seul libre arbitre de leur nature, et c’est ensuite seulement qu’il leur conféra la grâce.

4. P. Lombard enseigne : "L’homme a reçu dans sa création un secours grâce auquel il pouvait se maintenir, mais non progresser. " Mais quiconque possède la grâce peut progresser par le mérite. Donc le premier homme n’a pas été créé en grâce.

5. Pour qu’un homme reçoive la grâce, il est requis qu’il donne son consentement, puisque par là s’accomplit une sorte de mariage spirituel entre Dieu et l’âme. Mais consentir à la grâce ne peut se faire que chez quelqu’un qui existe déjà. Donc l’homme n’a pas reçu la grâce au premier instant de sa création.

6. Il y a plus de distance entre la nature et la grâce qu’entre la grâce et la gloire, celle-ci n’étant rien d’autre que la grâce dans son achèvement. Mais chez l’homme la grâce a précédé la gloire. Donc à plus forte raison la nature a-t-elle précédé la grâce.

En sens contraire, l’homme et l’ange se trouvent à égalité dans leur manière d’être ordonnés à la grâce ; or l’ange a été créé en grâce, car S. Augustin nous dit : " Dieu était en eux tout à la fois instituant leur nature et leur accordant la grâce. " Donc l’homme, lui aussi, fut créé en grâce.

Réponse :

Certains disent que le premier homme n’a pas été créé en grâce, mais que cependant la grâce lui fut conférée par la suite avant le péché. En effet, la plupart des Pères attestent que l’homme eut la grâce dans l’état d’innocence. Mais qu’il ait été créé en grâce, comme d’autres l’affirment, semble bien requis par la rectitude même de ce premier état dans lequel Dieu fit l’homme, selon cette parole de l’Ecclésiaste (7, 29) : " Dieu fit l’homme droit. "

Cette rectitude, en effet, consistait en ce que la raison était soumise à Dieu, les forces inférieures à la raison, et le corps à l’âme. Or la première de ces soumissions était cause à la fois de la deuxième et de la troisième ; aussi longtemps en effet que la raison demeurait soumise à Dieu, les éléments inférieurs lui restaient soumis, comme l’affirme S. Augustin. Par ailleurs, il est manifeste que cette soumission du corps à l’âme et des forces inférieures à la raison n’était pas naturelle ; autrement elle aurait persisté après le péché, puisque chez les démons aussi les éléments naturels sont demeurés après le péché comme le dit Denys. Par suite il est clair que la première soumission aussi, celle de la raison envers Dieu, n’était pas seulement d’ordre naturel, mais résultait d’un don surnaturel de grâce ; car il n’est pas possible que l’effet soit supérieur à la cause. Aussi S. Augustin écrit-il : " Aussitôt qu’eut été accomplie la transgression du précepte, la grâce de Dieu les abandonna et ils eurent honte de la nudité de leurs corps... ; ils éprouvèrent en effet une poussée de leur chair révoltée en représailles de leur propre révolte. " Ceci donne à entendre que si l’abandon de la grâce a détruit l’obéissance de la chair à l’âme, c’est parce que la grâce existant dans l’âme soumettait à celle-ci les forces inférieures.

Solutions :

1. S. Paul emploie ces expressions pour montrer qu’il existe un corps spirituel comme il existe un corps animal ; car la vie spirituelle du corps a commencé chez le Christ, qui est " le premier-né d’entre les morts " (Col 1, 18), de même que la vie animale a commencé chez Adam. Par conséquent les paroles de l’Apôtre n’impliquent pas qu’Adam n’était pas " spirituel " dans son âme, mais qu’il ne l’était pas dans son corps.

2. Comme le dit S. Augustin dans le même livre, on ne nie pas que le Saint-Esprit ait été de quelque façon en Adam, comme chez les autres justes ; mais on affirme qu’il n’y a pas existé " comme il existe maintenant chez les fidèles ", qui sont admis à recevoir l’héritage éternel aussitôt après la mort.

3. Ce texte de S. Augustin ne comporte pas que l’ange ou l’homme ait été créé dans le libre arbitre naturel avant d’avoir la grâce, mais il montre ce dont était capable en eux le libre arbitre avant la confirmation en grâce, et ce qu’ils obtiendraient postérieurement par le secours de la grâce qui les affermit.

4. Pierre Lombard parle en cet endroit comme ceux qui soutinrent que l’homme n’avait pas été créé en grâce, mais seulement dans une condition naturelle. - On peut dire encore que si l’homme a été créé en grâce, ce n’est pas de sa création naturelle qu’il tint le pouvoir de progresser par voie de mérite, mais d’une grâce surajoutée.

5. Puisque le mouvement de la volonté n’est pas un mouvement continu, rien n’empêchait que le premier homme consentit à la grâce dès le premier instant de sa création.

6. Nous méritons la gloire par un acte de la grâce, mais nous ne méritons pas la grâce par un acte de la nature. Aussi la comparaison ne vaut-elle pas.

            Article 2 — L’homme a-t-il eu des passions dans l’état d’innocence ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet il arrive que " la chair convoite contre l’esprit " (Ga 5, 17) à cause des passions de l’âme. Mais cela ne se produisait pas dans l’état d’innocence. Donc dans l’état d’innocence il n’y avait pas de passions dans l’âme.

2. L’âme d’Adam était plutôt plus noble que son corps. Mais le corps d’Adam fut impassible. Donc dans son âme non plus il n’y a pas eu de passions.

3. Par la vertu morale les passions sont réprimées. Mais chez Adam il y eut une vertu morale parfaite. Donc les passions lui étaient totalement étrangères.

En sens contraire, S. Augustin écrit qu’" il y avait en eux un amour de Dieu à l’abri de tout désordre ", avec certaines autres passions de l’âme.

Réponse :

Les passions de l’âme sont dans l’appétit sensible, lequel a pour objet le bien et le mal. C’est pourquoi, si l’on prend l’ensemble des passions, certaines d’entre elles se réfèrent au bien, comme l’amour et la joie, d’autres au mal, comme la crainte et la douleur. Or, dans le premier état, il n’y avait ni présence ni menace d’aucun mal, et il ne manquait aucun des biens dont une volonté bonne aurait désiré pour lors la possession, comme l’écrit S. Augustin ; par suite aucune des passions qui regardent le mal n’était en Adam, comme la crainte, la douleur, etc. ; pareillement étaient absentes les passions qui regardent un bien non possédé et qu’il faudrait posséder à tel moment, par exemple une cupidité brûlante. En revanche, les passions qui peuvent concerner un bien présent, comme la joie et l’amour ; celles qui concernent un bien futur à posséder en son temps, comme le désir ou l’espoir sans inquiétude, existaient dans l’état d’innocence. Elles se présentaient pourtant autrement que chez nous. Chez nous, en effet, l’appétit sensible, dans lequel se produisent les passions, n’est pas totalement soumis à la raison ; aussi, tantôt elles préviennent en nous et gênent le jugement de la raison, tantôt elles sont consécutives à un jugement de la raison, dans la mesure où l’appétit sensible obéit quelque peu à la raison. Dans l’état d’innocence au contraire, l’appétit inférieur était totalement soumis à la raison ; aussi n’y avait-il en lui que les passions de l’âme consécutives à un jugement de la raison.

Solutions :

1. " La chair convoite contre l’esprit " par le fait que les passions se rebellent contre la raison, ce qui n’arrivait pas dans l’état d’innocence.

2. Le corps humain dans l’état d’innocence était impassible par rapport aux passions qui détruisent l’équilibre naturel, comme on le dira plus loin. De même l’âme était impassible par rapport aux passions qui entraînent la raison.

3. La vertu morale parfaite ne supprime pas totalement les passions, elle les règle : " C’est le propre du tempérant de convoiter ce qu’il faut et comme il le faut ", dit Aristote.

            Article 3 — Dans l’état d’innocence, l’homme avait-il toutes les vertus ?

Objections :

1. Il semble que non, car certaines vertus sont ordonnées à refréner la démesure des passions : par exemple la tempérance refrène la convoitise immodérée, et la force refrène la crainte immodérée. Mais dans l’état d’innocence il n’y avait pas de passions immodérées. Par conséquent les vertus qu’on vient de nommer n’existaient pas non plus.

2. Certaines vertus règlent les passions qui concernent le mal : par exemple la mansuétude règle les colères, et la force règle les craintes. Mais dans l’état d’innocence il n’y avait pas de passions de ce genre, on vient de le dire, ni par conséquent de vertus correspondantes.

3. La pénitence est une vertu qui regarde le péché commis dans le passé. La miséricorde, de son côté, est une vertu qui regarde la misère. Mais dans l’état d’innocence il n’y avait ni péché, ni misère, ni par conséquent les vertus correspondantes.

4. La persévérance est une vertu. Mais Adam ne l’eut pas, comme le montre le péché qui suivit. Donc il n’avait pas toutes les vertus.

5. La foi est une vertu. Mais elle n’existait pas dans l’état d’innocence ; elle implique en effet une connaissance en énigme qui s’oppose à la perfection du premier état.

En sens contraire, S. Augustin dit dans une homélie - : " Le prince des vices a vaincu Adam, formé du limon de la terre à l’image de Dieu, armé de pureté, équilibré par la tempérance, rayonnant de lumière. "

Réponse :

L’homme dans l’état d’innocence a possédé d’une façon ou d’une autre toutes les vertus. Cette vérité ressort de ce qui précède. On a dit en effet n que la rectitude du premier état consistait en ce que la raison était soumise à Dieu et les facultés inférieures à la raison. Or les vertus ne sont rien d’autre que des perfections grâce auxquelles la raison est ordonnée à Dieu, et les forces inférieures disposées selon la règle de la raison ; on le verra plus clairement lorsqu’on traitera des vertus. Par conséquent la rectitude de l’état primitif exigeait que l’homme eût d’une façon ou d’une autre toutes les vertus.

Mais il faut remarquer que parmi les vertus certaines n’impliquent dans leur notion aucune imperfection, par exemple la charité et la justice ; et les vertus de cette espèce existaient sans restriction aucune dans l’état d’innocence, aussi bien comme habitus que dans leur exercice. Mais d’autres vertus impliquent dans leur notion même une imperfection, qui peut se prendre soit du côté de l’acte, soit du côté de la matière. Et si une telle imperfection n’est pas incompatible avec la perfection de l’état primitif, ces vertus pouvaient exister dans cet état, comme la foi qui porte sur ce que l’on ne voit pas, et l’espérance qui porte sur ce que l’on ne possède pas. En effet la perfection de l’état primitif n’allait pas jusqu’à la vision de Dieu face à face, tel qu’on le possède avec la jouissance de la béatitude finale ; aussi la foi et l’espérance pouvaient-elles exister dans cet état, aussi bien comme habitus que dans leur exercice. Si au contraire l’imperfection impliquée dans la notion même de telle ou telle vertu s’oppose à la perfection de l’état primitif, cette vertu pouvait exister en cet état comme habitus, mais non pas dans son exercice ; cela est clair pour la pénitence qui est une douleur du péché commis, et pour la miséricorde qui est une douleur de la misère d’autrui ; en effet aussi bien la douleur que la faute et la misère sont incompatibles avec la perfection de l’état primitif. Aussi des vertus comme celles-là existaient chez le premier homme à l’état d’habitus, mais non dans leur exercice ; le premier homme en effet était disposé de telle manière que, si un péché avait eu lieu par le passé, il en aurait eu de la douleur ; et pareillement s’il avait vu de la misère chez un autre, il l’aurait repoussée selon son pouvoir. Ainsi Aristote dit-il 0 que " la pudeur ", dont l’objet est un acte indigne, " ne se produit chez le vertueux que sous condition : il est disposé de telle manière en effet qu’il aurait honte s’il commettait quelque chose d’indigne ".

Solutions :

1. Il est accidentel à la tempérance et à la force de réprimer des passions excessives, lorsque ces vertus trouvent un tel excès dans leur sujet ; ce qui leur est essentiel, c’est de régler les passions.

2. Parmi les passions qui sont ordonnées au mal, celles-là sont incompatibles avec la perfection de l’état primitif qui concernent le mal chez celui-là même qui subit cette passion, par exemple la crainte et la douleur. Mais les passions qui concernent le mal chez autrui ne contrarient pas la perfection de cet état ; dans l’état primitif, l’homme pouvait haïr la malice des démons tout aussi bien qu’il pouvait aimer la bonté de Dieu. Aussi les vertus concernant des passions de ce genre auraient pu exister dans l’état primitif aussi bien comme habitus que dans leur exercice.

En revanche, parmi les vertus qui concernent les passions portant sur le mal du sujet lui-même, celles qui portaient exclusivement sur des passions de ce genre ne pouvaient exister dans l’état primitif quant à leur exercice, mais seulement comme habitus, ainsi qu’on l’a dit pour la pénitence et la miséricorde.

Mais il y a des vertus qui ne concernent pas seulement le genre de passions dont on vient de parler, mais également d’autres passions ; ainsi la tempérance qui ne concerne pas seulement les tristesses mais aussi les délectations, et la force qui concerne non seulement la crainte, mais aussi l’audace et l’espoir. Dans l’état primitif il pouvait donc y avoir des actes de tempérance pour autant que celle-ci modère les plaisirs ; et de même pour la force, en tant qu’elle règle l’audace ou l’espoir, mais non en tant que ces vertus règlent la tristesse et la crainte.

3. Tout ce qu’on vient de dire résout cette objection.

4. Par " persévérance " on peut entendre deux choses. D’abord une certaine vertu ; alors le mot désigne un habitus grâce auquel on choisit de persévérer dans le bien. Et en ce sens, Adam avait la persévérance. La persévérance peut aussi désigner la circonstance dans laquelle s’exerce une vertu ; alors elle signifie une persistance de la vertu sans interruption. Et en ce sens Adam n’a pas eu la persévérance.

5. Ce qu’on vient de dire résout la cinquième objection.

            Article 4 — Les actions de l’homme avaient-elles une valeur méritoire égale à celles de maintenant ?

Objections :

1. On pourrait penser que les activités du premier homme avaient moins de valeur méritoire que les nôtres. En effet, la grâce est donnée par la miséricorde de Dieu, laquelle apporte plus de secours à ceux qui sont davantage dans le besoin. Mais nous avons besoin de la grâce plus que le premier homme dans l’état d’innocence. Donc la grâce nous est infusée de façon plus abondante. Et puisqu’elle est la racine du mérite, nos activités obtiennent ainsi une plus grande valeur méritoire.

2. Pour qu’il y ait mérite, il faut qu’il y ait combat et difficulté. En effet il est dit (2 Tm 2, 5) : " Ne recevra la couronne que celui qui aura lutté suivant les règles. " Et Aristote : " C’est dans le difficile et le bien que s’exerce la vertu. " Mais maintenant combat et difficulté sont plus grands. Donc la valeur méritoire est plus grande aussi.

3. Pierre Lombard dit que l’homme n’aurait pas mérité en résistant à la tentation, tandis que maintenant résister à la tentation est méritoire. Donc nos actes ont une valeur méritoire plus grande que dans l’état primitif.

En sens contraire, dans cette hypothèse, l’homme serait en meilleure condition après le péché.

Réponse :

La valeur du mérite peut être estimée à partir de deux principes. D’abord à partir de sa racine, qui est la charité et la grâce ; ce poids du mérite correspond à la récompense essentielle, qui consiste dans la jouissance de Dieu ; en effet, celui qui agit avec une plus grande charité jouira plus parfaitement de Dieu. Ensuite on juge le mérite à partir de l’importance de l’acte, laquelle est double : absolue et proportionnée. En effet, la veuve qui mit deux piécettes dans le Trésor fit une œuvre moindre en quantité absolue que ceux qui y déposaient de grandes offrandes ; mais en quantité proportionnelle la veuve fit plus, selon la sentence du Seigneur, parce que cela dépassait davantage ses ressources. Cependant ces deux valeurs méritoires correspondent à la récompense accidentelle, qui nous réjouit du bien créé.

Ainsi donc, il faut dire que les œuvres humaines auraient eu plus de valeur méritoire dans l’état d’innocence qu’après le péché, si l’on prend la valeur qui vient de la grâce ; celle-ci eût été alors plus abondante, ne trouvant aucun obstacle dans la nature humaine. Même jugement si l’on considère l’importance absolue des œuvres, car l’homme ayant une plus grande vertu aurait fait des œuvres plus grandes. Mais si l’on considère l’importance proportionnelle, le caractère méritoire se trouve plus important après le péché en raison de la faiblesse humaine ; en effet une œuvre petite dépasse le pouvoir de celui qui l’accomplit avec difficulté plus qu’une œuvre importante ne dépasse le pouvoir de celui qui agit sans difficulté.

Solutions :

1. Après le péché l’homme a besoin de la grâce pour plus de choses qu’avant le péché, mais il n’en a pas davantage besoin. Car l’homme, même avant le péché, avait besoin de la grâce pour obtenir la vie éternelle, ce qui est la nécessité principale de la grâce. Mais après le péché l’homme a besoin de la grâce, en outre, pour la rémission de son péché et le soutien de sa faiblesse.

2. Difficulté et combat relèvent de la valeur méritoire qui se prend de l’importance proportionnelle des œuvres, comme on vient de le dire. C’est un signe de l’empressement de la volonté qui porte ses efforts vers ce qui est difficile. Or l’empressement de la volonté est causé par la grandeur de la charité. Mais il peut arriver que quelqu’un fasse une œuvre facile avec une volonté aussi empressée qu’un autre fait une œuvre difficile, car il serait prêt à faire aussi ce qui lui serait difficile. Cependant la difficulté effective, en tant qu’elle a le caractère d’une peine, comporte en plus une valeur satisfactoire pour le péché.

3. Résister à la tentation n’aurait pas été méritoire pour le premier homme, selon l’opinion de ceux qui ne lui accordaient pas la grâce, comme maintenant cela n’est pas méritoire pour celui qui n’a pas la grâce. Il y a pourtant cette différence que dans l’état primitif rien ne se trouvait à l’intérieur de l’homme pour le pousser au mal comme maintenant, aussi l’homme pouvait-il alors davantage que maintenant résister à la tentation sans la grâce.

 

 

QUESTION 96 — LE POUVOIR DE DOMINATION QUI APPARTENAIT À L’HOMME DANS L’ÉTAT D’INNOCENCE

1. L’homme dans l’état d’innocence aurait-il dominé sur les animaux ? - 2. Aurait-il dominé sur toute créature ? - 3. Dans l’état d’innocence tous les hommes auraient-ils été égaux ? - 4. Les hommes, dans cet état, auraient-ils dominé sur les hommes ?

            Article 1 — L’homme dans l’état d’innocence aurait-il dominé sur les animaux ?

Objections :

1. S. Augustin dit que c’est par le ministère des anges que les animaux furent amenés à Adam pour qu’il leur assignât des noms. Mais ce ministère des anges n’eût pas été nécessaire si par lui-même l’homme avait dominé sur les animaux. Donc l’homme dans l’état d’innocence n’avait pas de pouvoir sur les autres animaux.

2. Il n’est pas bon de réunir sous une même domination des êtres en discorde. Mais il y a beaucoup d’animaux qui par nature sont en discorde, tels la brebis et le loup. C’est donc que tous les animaux n’étaient pas englobés sous le pouvoir de l’homme.

3. D’après S. Jérôme , Dieu donna la domination sur les animaux à l’homme qui n’en avait pas besoin avant le péché, parce qu’il savait d’avance qu’après la chute l’homme devrait se faire aider par le renfort des animaux. Donc à tout le moins l’homme n’avait pas avant le péché à user de sa domination sur les animaux.

4. L’acte propre de celui qui domine c’est, semble-t-il, de commander. Mais il n’est pas juste d’adresser un commandement à un être sans raison. Donc l’homme n’avait pas de domination sur les animaux non raisonnables.

En sens contraire, la Genèse (1, 26) dit au sujet de l’homme : " Qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre. "

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, la désobéissance envers l’homme de ce qui doit lui être soumis, est une suite et un châtiment de sa propre désobéissance envers Dieu. Et c’est pourquoi dans l’état d’innocence, avant la désobéissance dont on vient de parler, rien ne lui résistait, de ce qui par nature devait lui être soumis.

Or tous les animaux sont par nature soumis à l’homme. C’est là une chose qu’on peut établir à partir de trois données. La première est l’ordre même de la nature. De même que, dans la genèse des choses, on saisit un certain ordre selon lequel on passe de l’imparfait au parfait, car la matière est pour la forme et la forme plus imparfaite pour celle qui est plus parfaite, de même en est-il aussi de l’usage qui est fait des choses de la nature, car les êtres plus imparfaits sont mis à la disposition des plus parfaits ; les plantes se servent de la terre pour leur nourriture, les animaux des plantes, et les hommes des plantes et des animaux. Ainsi est-ce par nature que l’homme domine sur les animaux. Et c’est pourquoi Aristote dit que " la chasse faite aux animaux sauvages est juste et naturelle ", car par elle l’homme revendique ce qui lui appartient par nature.

La deuxième donnée est l’ordre de la providence divine, laquelle gouverne toujours les inférieurs par les supérieurs. Aussi, comme l’homme est au-dessus des autres animaux, puisqu’il a été fait à l’image de Dieu, est-il très convenable que les autres animaux soient soumis à sa conduite.

La troisième donnée consiste dans les propriétés respectives de l’homme et des autres animaux.

Chez les autres animaux, en effet, on trouve au niveau de leur pouvoir naturel d’estimation une certaine participation de la prudence concernant quelques actes particuliers ; tandis que chez l’homme on trouve une prudence universelle, qui fournit le plan de tout ce qu’il y a à faire. Or tout ce qui existe par participation est soumis à ce qui est par essence et de façon universelle. Et ainsi il est clair que la sujétion des autres animaux envers l’homme est naturelle.

Solutions :

1. Il y a beaucoup de choses qu’une puissance supérieure peut obtenir de ses sujets, et qui restent impossibles à la puissance inférieure. Or l’ange, par nature, est supérieur à l’homme. Aussi y a-t-il tel effet qui pouvait être produit chez les animaux par la vertu des anges et qui ne pouvait être réalisé par le pouvoir de l’homme : ainsi, que tous les animaux fussent rassemblés en un instant.

2. Certains disent que les animaux qui maintenant sont féroces et tuent d’autres animaux auraient été, dans cet état, pacifiques, non seulement avec l’homme, mais aussi avec les autres animaux. Mais cela est tout à fait déraisonnable. En effet, la nature des animaux n’a pas été changée par le péché de l’homme au point que ceux qui maintenant, par nature, mangent la chair d’autres animaux, comme les lions ou les faucons, eussent alors été herbivores. D’ailleurs, la Glose tirée de Bède ne dit pas à propos de la Genèse (1, 30) que les fruits et l’herbe aient été donnés en nourriture à tous les animaux et oiseaux, mais à certains d’entre eux. Par conséquent l’hostilité eût été naturelle entre certains animaux.

Pour autant, ils n’auraient pas été soustraits à la domination de l’homme, pas plus qu’ils ne le sont maintenant à la domination de Dieu, par la providence de qui tout cela est disposé. L’homme eût été l’exécuteur de cette providence, comme cela se voit encore maintenant pour les animaux domestiques ; en effet, les hommes fournissent des poules aux faucons domestiques pour leur nourriture.

3. Les hommes dans l’état d’innocence n’avaient pas besoin des animaux pour leurs nécessités corporelles, ni pour se couvrir parce qu’ils étaient nus et n’en éprouvaient pas de honte, étant à l’abri de tout mouvement de convoitise désordonnée ; ni pour s’alimenter, car ils se nourrissaient des arbres du Paradis ; ni pour se déplacer, car ils avaient un corps vigoureux. Ils avaient pourtant besoin des animaux afin de prendre une connaissance expérimentale de leurs natures. Cela est signifié par le fait que Dieu amena à l’homme les animaux, pour qu’il leur assignât des noms, lesquels désignent leurs natures.

4. Tous les animaux ont, dans leur pouvoir naturel d’estimation, une certaine participation de la prudence et de la raison. C’est en vertu de cela que les grues suivent leur guide et que les abeilles obéissent à leur reine. Et c’est ainsi que tous les animaux eussent alors obéi à l’homme d’eux-mêmes, à la façon dont le font maintenant certains animaux domestiques.

 

            Article 2 — L’homme en état d’innocence aurait-il dominé sur toute créature ?

Objections :

1. Il semble que l’homme n’aurait pas dominé sur toutes les autres créatures. Car l’ange par nature jouit d’un plus grand pouvoir que l’homme. Mais, dit S. Augustin, la matière corporelle n’aurait pas obéi au moindre signe des saints anges ; donc beaucoup moins encore à l’homme dans l’état d’innocence.

2. Les plantes ont uniquement, comme puissances vitales, celles qui président à la nutrition, à la croissance et à la génération. Or ces puissances ne sont pas capables par nature d’obéir à la raison, comme cela se voit chez un seul et même homme. Donc, puisque la domination appartient à l’homme au titre de la raison, il semble que l’homme dans l’état d’innocence n’aurait pas dominé sur les plantes.

3. Quiconque domine sur une chose peut changer cette chose. Mais l’homme n’aurait pu changer le cours des corps célestes ; cela en effet est le propre de Dieu seul, dit Denys. Donc il ne dominait pas sur eux.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (1, 26) au sujet de l’homme : " Qu’il commande à toute créature. "

Réponse :

Tout existe dans l’homme d’une certaine façon, et c’est pourquoi au type de domination qu’il exerce sur ce qui est en lui correspond celui qu’il lui revient d’exercer sur les autres. Or dans l’homme, il y a quatre choses à considérer : la raison qu’il a en commun avec les anges, les puissances sensibles qu’il a en commun avec les animaux, les puissances naturelles qu’il a en commun avec les plantes, et le corps lui-même qu’il a en commun avec les choses inanimées. Dans l’homme la raison occupe la place de ce qui domine, et non de ce qui est soumis à domination. Aussi l’homme dans l’état primitif ne dominait-il pas sur les anges ; et quand on dit qu’il commande à toute créature, il s’agit de celle qui n’était pas à l’image de Dieu. Quant aux puissances sensibles, comme l’irascible et le concupiscible, qui obéissent dans une certaine mesure à la raison, l’âme exerce sur elles une domination en leur donnant des ordres. Aussi dans l’état d’innocence dominait-elle par ses ordres sur les autres animaux. Quant aux puissances naturelles et au corps, l’homme n’exerce pas de domination sur eux en leur donnant des ordres, mais en les utilisant. Et de même la domination qu’il exerçait dans l’état d’innocence sur les plantes et les choses inanimées se faisait non par des ordres ou une transformation, mais en utilisant leurs services sans rencontrer d’empêchement.

On a ainsi répondu aux Objections.

            Article 3 — Dans l’état d’innocence tous les hommes auraient-ils été égaux ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car S. Grégoire dit que " là où nous n’avons pas commis de faute, nous sommes tous égaux ". Mais dans l’état d’innocence il n’y avait pas de faute. Donc tous étaient égaux.

2. C’est la similitude et l’égalité qui expliquent l’amour mutuel, selon la parole de l’Ecclésiastique (13,15) : " Tout être vivant aime son semblable, et tout homme son prochain. " Or dans cet état il y avait entre les hommes beaucoup de cet amour qui est le lien de la paix. Donc tous les hommes auraient été égaux dans l’état d’innocence.

3. Lorsque cesse la cause, cesse l’effet. Mais la cause de l’inégalité qui règne maintenant entre les hommes semble tenir d’une part à Dieu, qui récompense certains pour leurs mérites et en punit certains, d’autre part à la nature, car c’est en raison d’une défaillance de la nature que certains naissent débiles et privés de quelque membre, alors que d’autres sont forts et en parfaite intégrité. Cela n’aurait pas existé dans l’état primitif.

En sens contraire, on lit dans l’épître aux Romains (13, 1) : " Ce qui vient de Dieu est conforme à son ordre. " Mais l’ordre semble consister surtout dans l’inégalité ; en effet S. Augustin nous dit : " L’ordre est une disposition de choses égales ou inégales, qui attribue à chacune sa place. " Donc dans l’état primitif, qui aurait été parfaitement harmonieux, on aurait trouvé de l’inégalités.

Réponse :

Il faut dire nécessairement qu’il y avait dans l’état primitif une certaine inégalité, tout au moins quant au sexe, car sans différence de sexe il n’y aurait pas eu génération ; de même pour l’âge : même dans cet état certains hommes étaient engendrés par d’autres, et ceux qui s’unissaient charnellement n’étaient pas stériles.

Mais même en ce qui concerne l’âme il y aurait eu des différences aussi bien pour la justice que pour la science ; en effet ce n’est pas par nécessité que l’homme agissait, mais par son libre arbitre ; or en vertu de celui-ci l’homme a le pouvoir d’appliquer plus ou moins son esprit à faire, vouloir ou connaître quelque chose. Ainsi certains auraient fait plus de progrès que d’autres en justice et en science.

Du côté du corps aussi il pouvait y avoir inégalité. En effet, le corps humain n’était pas totalement affranchi des lois de la nature au point de ne pas recevoir plus ou moins d’avantages ou de secours des facteurs extérieurs, puisqu’aussi bien leur vie était sustentée par des aliments. Et ainsi rien n’empêche de dire que, selon les différentes dispositions de l’air ou les diverses dispositions des étoiles, les uns auraient été engendrés plus vigoureux de corps que les autres, plus grands, plus beaux, avec une meilleure complexion ; de telle façon toutefois que chez ceux qui eussent été moins avantagés il n’y aurait eu ni défaut ni péché tant pour l’âme que pour le corps.

Solutions :

1. Les paroles de S. Grégoire entendent exclure l’inégalité qui tient à la différence entre justice et péché. A cause de celle-ci, il arrive que certains doivent être contraints par d’autres à subir un châtiment.

2. L’égalité fait que l’amour mutuel est égal de part et d’autre. Cependant il peut y avoir un plus grand amour entre des êtres inégaux qu’entre des êtres égaux, bien que la réponse ne soit pas égale entre les deux côtés ; en effet le père aime naturellement son fils davantage que le frère n’aime son frère, bien que le fils n’aime pas son père autant qu’il en est aimé.

3. La cause de l’inégalité pouvait très bien venir du côté de Dieu, non certes en ce sens que Dieu aurait puni les uns et récompensé les autres, mais du fait qu’il aurait élevé davantage ceux-ci, et moins ceux-là, de manière à faire briller davantage la beauté de l’ordre parmi les hommes. Du côté de la nature également, des inégalités pouvaient se produire de la façon qui vient d’être dite, sans aucune défaillance de la nature.

            Article 4 — Les hommes, dans l’état d’innocence, auraient-ils dominé sur les hommes ?

Objections :

1. S. Augustin écrit : " Dieu a voulu que l’homme, être raisonnable, fait à son image, ne dominât que sur les êtres sans raison ; domination non de l’homme sur l’homme, mais de l’homme sur la bête. "

2. Ce qui a été introduit comme un châtiment du péché n’aurait pas existé dans l’état d’innocence. Mais que l’homme soit soumis à l’homme, cela fut introduit comme châtiment du péché ; il fut dit en effet à la femme après le péché ; " Ton mari dominera sur toi " (Gn 3, 16). C’est donc que dans l’état d’innocence l’homme n’était pas soumis à l’homme.

3. Sujétion s’oppose à liberté. Mais la liberté est l’un des biens primordiaux, qui n’aurait pas fait défaut dans l’état d’innocence, lorsque " rien ne manquait de ce que peut désirer une volonté bonne ", selon la formule de S. Augustin. Donc l’homme ne dominait pas sur l’homme dans l’état d’innocence.

En sens contraire, la condition des hommes dans l’état d’innocence n’était pas plus digne que celle des anges. Mais parmi les anges il en est qui dominent sur d’autres, si bien que l’un des ordres angéliques est appelé Dominations. Donc il n’est pas contre la dignité de l’état d’innocence que l’homme ait dominé sur l’homme.

Réponse :

Domination peut se comprendre de deux façons. D’abord comme l’opposé de la servitude, et alors on appelle maître (dominus) celui auquel on est soumis en qualité d’esclave. Domination peut aussi s’entendre dans un sens général par rapport à une sujétion quelconque. Et alors on peut attribuer la domination à celui qui a mission de gouverner et diriger des hommes libres. Au premier sens du mot domination, l’homme dans l’état d’innocence ne dominait pas sur l’homme, mais au second sens il aurait pu exercer une telle domination.

La raison en est que l’esclave diffère de l’homme libre en ce que " l’homme libre est à lui-même sa fin ", dit Aristote, tandis que l’esclave est ordonné à un autre. On peut donc dire que quelqu’un domine sur un autre comme sur son esclave, quand il ramène le dominé à sa propre utilité à lui, le dominateur. Pour chacun, c’est son bien propre qui est désirable ; par suite, il est affligeant pour chacun de céder exclusivement à un autre le bien qui aurait dû être le sien, et on ne peut supporter sans souffrir une telle domination. C’est pourquoi, dans l’état d’innocence, cette domination de l’homme sur l’homme n’aurait pas existé.

Mais on domine sur un autre comme sur un homme libre, quand on dirige celui-ci vers son bien propre, ou vers le bien commun. Et une telle domination de l’homme sur l’homme aurait existé dans l’état d’innocence pour deux motifs. Premièrement, parce que l’homme est par nature un animal social, si bien que dans l’état d’innocence les hommes auraient eu une vie sociale. Mais la vie sociale d’une multitude ne pourrait exister sans un dirigeant qui recherche le bien commun ; car plusieurs recherchent nécessairement plusieurs buts, mais un seul n’en recherche qu’un. Ce qui fait dire à Aristote : " Chaque fois que plusieurs éléments sont ordonnés à une seule fin, on en trouve toujours un qui prend la tête et qui dirige. " Le deuxième motif c’est que si un homme avait été supérieur à un autre en connaissance et en justice, il aurait été choquant qu’il n’emploie pas cette supériorité au service des autres. En ce sens il est écrit (1 P 4, 1 0) : " Chacun de vous selon la grâce reçue, mettez-la au service des autres... " Ce qui fait dire à S. Augustin : " Les justes commandent non parce qu’ils ambitionnent de dominer, mais parce qu’ils veulent servir par leur sagesse ; voilà ce que prescrit l’ordre de la nature et c’est ainsi que Dieu a créé l’homme ".

Cela répond à toutes les Objections, car elles concernent la première espèce de domination.

I1 faut étudier maintenant ce qui concerne l’état du premier homme dans son corps. Nous examinerons d’abord la conservation de l’individu (Q. 97), et ensuite celle de l’espèce (Q. 98).

 

 

 

QUESTION 97 — CE QUI CONCERNE L’ÉTAT DU PREMIER HOMME QUANT À LA CONSERVATION DE L’INDIVIDU

1. L’homme dans l’état d’innocence était-il immortel ? - 2. Était-il impassible ? - 3. Avait-il besoin de se nourrir ? - 4. Aurait-il obtenu l’immortalité par l’arbre de vie ?

            Article 1 — L’homme, dans l’état d’innocence, était-il immortel ?

Objections :

1. Il semble que non. Car " mortel " fait partie de la définition de l’homme. Mais si l’on enlève la définition, on enlève le défini. Donc si homme il y avait, il ne pouvait pas être immortel.

2. " Corruptible et incorruptible appartiennent à des genres différents ". dit Aristote. Mais les êtres qui appartiennent à des genres différents ne peuvent pas se changer l’un en l’autre. Donc, si le premier homme avait été incorruptible, il n’aurait pas pu être corruptible dans l’état actuel.

3. Si l’homme dans l’état d’innocence a été immortel, il le devait soit à la nature, soit à la grâce. Or il ne le devait pas à la nature car, puisque la nature reste spécifiquement la même, il serait immortel maintenant encore. Il ne le devrait pas non plus à la grâce, car le premier homme recouvra la grâce par la pénitence, selon la parole du livre de la Sagesse (10, 1) : (la Sagesse) " le délivra de sa faute " ; par conséquent il aurait recouvré l’immortalité, ce qui est évidemment faux. Donc l’homme n’était pas immortel dans l’état d’innocence.

4. L’immortalité est promise à l’homme comme une récompense, selon la parole de l’Apocalypse (21, 4) : " Il n’y aura plus de mort. " Or, l’homme ne fut pas créé dans l’état de récompense, mais de manière à mériter la récompense. Par conséquent l’homme dans l’état d’innocence n’était pas immortel.

En sens contraire, l’épître aux Romains (5, 2) nous dit : " Par le péché la mort est entrée dans le monde. " Donc avant le péché l’homme était immortel.

Réponse :

Quelque chose peut être qualifié d’incorruptible à trois titres. Premièrement, du côté de la matière, s’il n’a pas de matière, comme l’ange, ou s’il a une matière en puissance à une seule forme, comme les corps célestes ; on dit alors qu’il est incorruptible par nature. Deuxièmement, du côté de la forme, du fait qu’à une chose corruptible par nature est attachée une certaine disposition qui l’empêche absolument de se corrompre. On dit alors que c’est incorruptible en vertu de la gloire, car, dit S. Augustin " Dieu a fait l’âme d’une nature si puissante que sa béatitude fait rejaillir sur le corps plénitude de santé et vigueur d’incorruption ". Troisièmement, du côté de la cause efficiente. C’est de cette façon que l’homme dans l’état d’innocence aurait été incorruptible et immortel, car, dit S. Augustin : " Dieu en créant l’homme lui a donné la vigueur de l’immortalité pour aussi longtemps qu’il ne pécherait pas, si bien qu’il serait lui-même l’auteur ou de sa vie ou de sa mort. " En effet, son corps n’était pas à l’abri de la dissolution par une vertu d’immortalité existant en lui ; c’est l’âme qui possédait une force surnaturelle donnée par Dieu, grâce à laquelle elle pouvait préserver le corps de toute corruption, aussi longtemps qu’elle serait demeurée soumise à Dieu. Cette disposition est logique. Puisque l’âme raisonnable n’est pas entièrement absorbée par sa relation à la matière corporelle, comme on l’a dit précédemment, il convenait qu’au commencement lui fût donnée une vertu par laquelle elle pourrait conserver le corps d’une façon q ‘ ui dépassât la nature de la matière corporelle.

Solutions :

1 et 2. Les deux premières objections parlaient de l’incorruptibilité et de l’immortalité par nature.

3. La force que possédait l’âme pour préserver le corps de la corruption ne lui était pas naturelle, c’était un don de grâce. Et sans doute recouvra-telle la grâce pour la rémission de la faute et le mérite de la gloire, mais elle ne la recouvra pas dans son effet d’immortalité perdue. Car cela était réservé au Christ par qui le défaut de la nature devait être réparé en mieux, comme on le dira plus loin.

4. L’immortalité de gloire promise en récompense diffère de celle qui fut octroyée à l’homme dans l’état d’innocence.

            Article 2 — L’homme, dans l’état d’innocence, était-il impassible ?

Objections :

1. La sensation est un certain pâtir. Mais l’homme, dans l’état d’innocence, eût été doué de sensibilité. Donc il aurait été passible.

2. Le sommeil est une certaine passion. Mais l’homme dans l’état d’innocence aurait dormi, selon la Genèse (2, 21) : " Dieu fit tomber un profond sommeil sur Adam. " Donc il aurait été passible.

3. On ajoute dans le même chapitre de la Genèse : " Dieu enleva une de ses côtes. " Donc il eût été passible aussi en subissant cette ablation.

4. Le corps de l’homme était mou. Mais ce qui est mou est exposé par nature à subir l’action de ce qui est dur. Par conséquent, si le corps du premier homme avait heurté quelque corps dur, il en aurait souffert. Et ainsi le premier homme était passible.

En sens contraire, si le premier homme avait été passible, il aurait été aussi corruptible, car la passion, en augmentant, détruit la substance.

Réponse :

Le mot " passion " peut s’employer en deux sens. D’abord au sens propre, où l’on dit qu’une chose pâtit parce qu’elle est écartée de sa disposition naturelle. En effet, la passion est l’effet de l’action ; or, dans les réalités de la nature, les contraires agissent et pâtissent réciproquement, et l’un écarte l’autre de sa disposition naturelle. Ensuite le mot " passion " est employé dans un sens général pour désigner n’importe quelle mutation, même si elle concerne quelque chose qui perfectionne la nature, par exemple lorsqu’on dit que connaître intellectuellement ou éprouver une sensation sont " un certain pâtir ". Donc, en ce second sens, l’homme dans l’état d’innocence était passible et " pâtissait " à la fois dans son âme et dans son corps. Mais, au premier sens de ce mot, il était impassible dans son âme et dans son corps, de même qu’il était immortel ; il avait en effet le pouvoir d’empêcher la passion aussi bien que la mort, s’il était resté sans péché.

Solutions :

1 et 2. La sensation et le sommeil n’écartent pas l’homme de sa disposition naturelle, mais sont ordonnés au bien de la nature.

3. Comme on l’a dit plus haute, cette côte était en Adam en tant que celui-ci était principe du genre humain, à la façon dont la semence est dans l’homme en tant qu’il est principe par la génération. Par conséquent, de même que la séparation de la semence ne s’accompagne pas d’une passion qui écarterait l’homme, de sa disposition naturelle, il faut en dire autant de l’ablation de cette côte.

4. Le corps de l’homme dans l’état d’innocence pouvait être préservé de la lésion que lui aurait infligée quelque chose de dur, en partie par la raison personnelle de l’homme qui lui permettait d’éviter les nuisances ; en partie aussi par la providence de Dieu qui le gardait de telle sorte que rien ne se présentât à l’improviste, qui pût le blesser.

            Article 3 — Dans l’état d’innocence, l’homme avait-il besoin de se nourrir ?

Objections :

1. Il semblerait que non, car la nourriture est nécessaire à l’homme pour réparer ses pertes. Mais dans le corps d’Adam il ne se produisait aucune perte puisqu’il était incorruptible. Par conséquent il n’avait pas besoin d’aliments.

2. Les aliments sont nécessaires pour se nourrir. Mais la nutrition ne se fait pas sans passion. Puisque le corps de l’homme était impassible, il semble bien qu’il n’avait pas besoin d’aliments.

3. Nous avons besoin d’aliments, dit-on, pour conserver la vie. Mais Adam avait d’autres façons de conserver sa vie puisque, s’il ne péchait pas, il ne devait pas mourir. Donc les aliments ne lui étaient pas nécessaires.

4. Si l’on prend des aliments, cela entraîne des déjections, avec une certaine honte qui ne convient pas à la dignité de l’état primitif. Par conséquent il semble que l’homme dans l’état primitif n’usait pas d’aliments.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (2, 16) : " Tu peux manger de tous les arbres du jardin. "

Réponse :

Dans l’état d’innocence l’homme avait une vie animale, où les aliments répondaient à un besoin ; après la résurrection il aura une vie spirituelle, où il n’y aura plus besoin d’aliments. Pour le faire comprendre, considérons que l’âme rationnelle est à la fois âme et esprit. On l’appelle " âme " selon ce qu’elle a de commun avec les autres âmes, à savoir de donner vie à un corps ; ce qui fait dire dans la Genèse (2,7) : " L’homme devint une âme vivante ", c’est-à-dire donnant vie à un corps. Mais on l’appelle " esprit " selon ce qu’elle a en propre, à l’exclusion des autres âmes : de posséder une puissance intellective immatérielle. Dans l’état primitif, donc, l’âme rationnelle communiquait au corps ce qui lui revient en tant qu’elle est une âme ; et c’est pourquoi ce corps était qualifié d’" animal ", en tant qu’il tirait vie d’une âme (anima). Or le premier principe vital dans notre monde inférieur, c’est, dit Aristote, l’âme végétative, dont les activités sont la nutrition, la génération et la croissance. Et c’est pourquoi ces activités convenaient à l’homme dans l’état primitif. Mais dans l’état final, après la résurrection, l’âme communiquera d’une certaine façon au corps ce qui lui est propre en sa qualité d’esprit : l’immortalité pour tous les hommes ; l’impassibilité, la gloire et la vigueur pour les bons dont les corps seront appelés spirituels. Aussi, après la résurrection, les hommes n’auront pas besoin d’aliments, tandis qu’ils en avaient besoin dans l’état d’innocence.

Solutions :

1. Selon S. Augustin : " Comment un corps mortel avait-il à se soutenir par des aliments ? Ce qui est immortel n’a besoin ni d’aliments ni de boissons. " On a dit plus haut, en effet, que l’immortalité de l’état primitif était assurée par une force surnaturelle résidant dans l’âme, et non par une disposition attachée au corps. Aussi quelque chose de l’élément humide de ce corps pouvait-il se perdre sous l’action de la chaleur ; et, pour que cet élément ne fût pas totalement consumé, il était nécessaire de secourir l’homme par l’absorption d’aliments.

2. Dans la nutrition il y a en effet passion et altération du côté de l’aliment, converti en la substance de celui qui est alimenté. Aussi ne peut-on pas en conclure que le corps de l’homme était passible ; ce qui l’était, c’était l’aliment absorbé. Pourtant, une telle passion eût tourné à la perfection de la nature.

3. Si l’homme n’avait pas pourvu à son alimentation, il aurait péché, de même qu’il pécha en mangeant l’aliment défendu. En effet, on lui avait commandé tout à la fois, de s’abstenir de l’arbre de la science du bien et du mal, et de se nourrir de tout autre arbre du Paradis.

4. Certains disent que l’homme dans l’état d’innocence n’aurait pris que l’exacte quantité de nourriture qui lui était nécessaire et qu’ainsi il n’y aurait pas eu de déjections. Mais c’est supposer sans raison qu’il n’y aurait pas eu dans les aliments absorbés certains déchets inaptes à être convertis en nourriture pour l’homme. Aussi devait-il y avoir un phénomène d’élimination. Dieu toutefois aurait pourvu à ce qu’aucune indécence n’en résultât.

            Article 4 — L’homme aurait-il obtenu l’immortalité par l’arbre de vie ?

Objections :

1. Il semble que l’arbre de vie ne pouvait pas être cause d’immortalité. En effet, rien ne peut agir au-delà de sa nature spécifique, car l’effet ne dépasse pas la cause. Mais l’arbre de vie était corruptible ; sinon il n’aurait pas pu être pris comme nourriture, puisque l’aliment est converti en la substance de celui qui s’en nourrit, comme on vient de le dire. Donc l’arbre de vie n’avait pas le pouvoir de conférer l’incorruptibilité ou l’immortalité.

2. Les effets causés par les vertus des plantes et autres choses naturelles sont naturels. Si donc l’arbre de vie avait causé l’immortalité, cette immortalité eût été naturelle.

3. Dire cela serait retomber, semble-t-il, dans les fables des anciens d’après lesquelles les dieux qui mangeaient d’une certaine nourriture sont devenus immortels, ce qui fait rire le Philosophe.

En sens contraire, on lit dans la Genèse (3,22) : " Ne permettez pas qu’il avance la main, qu’il cueille à l’arbre de la vie, en mange et vive pour toujours. "

2. S. Augustin nous dit : " Le goût de l’arbre de vie empêchait la corruption du corps ; enfin, même après le péché, il aurait pu demeurer à l’abri de la dissolution, s’il lui avait été permis de manger de l’arbre de vie. "

Réponse :

L’arbre de vie causait en quelque façon l’immortalité, mais non absolument. Pour le comprendre il faut considérer que l’homme, dans l’état primitif, avait pour la conservation de sa vie deux remèdes contre deux espèces de déficiences. La première de ces déficiences est la perdition de l’humidité sous l’action de la chaleur naturelle qui est un instrument de l’âme. Contre cela l’homme était secouru par la manducation des autres arbres du Paradis, à la façon dont maintenant aussi nous trouvons soutien dans les aliments que nous prenons. La deuxième déficience, dit Aristote, tient au fait que ce qui est engendré à partir d’une matière étrangère diminue lorsqu’il est adjoint à l’élément humide préexistant ; la vertu active de la nature spécifique devient de l’eau ; ainsi l’eau ajoutée au vin est d’abord convertie en la saveur du vin, mais, si l’on en ajoute de plus en plus, elle diminue la force du vin et, à la fin, le vin est devenu de l’eau. Ainsi donc, nous constatons qu’au début la vertu active de la nature spécifique est tellement forte qu’elle peut assimiler non seulement la quantité d’aliments nécessaire pour compenser la déperdition, mais aussi celle qui est requise pour la croissance. Dans la suite, ce qui est assimilé ne suffit plus pour continuer la croissance mais seulement pour compenser la déperdition. Enfin, dans l’état de vieillesse, cela ne suffit même plus à ce dernier besoin, d’où la décrépitude et finalement la dissolution du corps. Contre cette deuxième déficience, l’homme trouvait un remède dans l’arbre de vie, car celui-ci avait une vertu pour fortifier l’espèce contre la faiblesse qui résultait d’apports étrangers. Aussi S. Augustin écrit-il : " Les aliments étaient à portée de l’homme pour qu’il n’eût pas faim, la boisson pour qu’il n’eût pas soif, et l’arbre de vie pour le garantir contre les atteintes de la vieillesse " ; et il dit encore : " L’arbre de vie empêchait la corruption des hommes à la façon d’un remède. "

Cependant il n’était pas purement et simplement cause de l’immortalité. En effet, ce n’est pas lui qui causait la vertu que possédait l’âme pour conserver son corps, et il ne pouvait pas davantage donner au corps une disposition d’immortalité telle qu’il ne pût être désagrégé. On peut le montrer du fait que la vertu de n’importe quel corps est finie. Aussi celle de l’arbre de vie ne pouvait-elle s’étendre jusqu’à donner au corps une vigueur suffisante pour durer durant un temps infini, mais seulement pour un temps déterminé. Il est clair en effet que plus une vertu est grande, plus l’effet qu’elle imprime est durable. Aussi, puisque la vertu de l’arbre de vie était limitée, une fois que l’on aurait mangé de cet arbre, on se serait trouvé préservé de la corruption pour un temps déterminé ; après quoi, ou bien l’homme eût été transféré à une vie spirituelle, ou bien il aurait eu besoin de manger de nouveau à l’arbre de vie.

Solutions :

Cela répond aux objections. Les premiers arguments prouvent effectivement que l’arbre de vie n’était pas la cause, purement et simplement de l’incorruptibilité. Mais les deux textes en sens contraire montrent qu’il causait l’incorruptibilité en empêchant la corruption de la façon qu’on vient de dire.

CE QUI CONCERNE LA CONSERVATION DE L’ESPÈCE

Il faut considérer maintenant ce qui, dans l’état du premier homme, concerne la conservation de l’espèce. Nous étudierons d’abord l’acte même de génération (Q. 98), puis la condition dans laquelle seraient nés les enfants (Q. 99).

 

 

 

QUESTION 98 — LA GÉNÉRATION

1. Y aurait-il eu génération dans l’état d’innocence ? - 2. La génération se serait-elle faite par union chamelle ?

            Article 1 — Y aurait-il eu génération dans l’état d’innocence ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y aurait pas eu génération dans l’état d’innocence. En effet, selon Aristote, " le contraire de la génération est la corruption ". Or les contraires sont dans le même genre. Mais dans l’état d’innocence il n’y aurait pas eu de corruption, donc pas de génération non plus.

2. La génération est faite pour que soit conservé dans l’espèce ce qui ne peut être conservé dans l’individu ; aussi chez les individus qui ont une durée sans fin ne trouve-t-on pas de génération. Mais dans l’état d’innocence l’homme aurait vécu perpétuellement sans mourir. Donc dans cet état il n’y aurait pas eu génération.

3. Par la génération les hommes se multiplient. Mais quand les maîtres se multiplient, il est nécessaire de procéder à une division des possessions pour éviter la confusion du droit de propriété. Donc, puisque l’homme a été institué maître des animaux, s’il s’était produit une multiplication du genre humain, il s’en serait suivi une division de la propriété. Or ceci est contraire au droit naturel, d’après lequel toutes choses sont communes, selon Isidore. C’est donc qu’il n’y aurait pas eu génération dans l’état d’innocence.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (1, 28) : " Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre. " Or une telle multiplication n’aurait pu se réaliser sans nouveaux engendrements, puisque deux êtres humains seulement avaient été établis à l’origine. Donc dans l’état primitif il y aurait eu génération.

Réponse :

Dans l’état d’innocence il y aurait eu génération pour la multiplication du genre humain ; autrement le péché eût été très nécessaire, puisqu’il en a résulté un si grand bien. Il faut donc considérer que l’homme, selon sa nature, a été établi comme un chaînon intermédiaire entre créatures corruptibles et incorruptibles, car son âme est par nature incorruptible et son corps est par nature corruptible.

Or, il faut remarquer que l’intention de la nature ne se porte pas de la même façon sur les créatures corruptibles et sur celles qui sont incorruptibles. Ce que la nature en effet vise essentiellement, c’est ce qui existe toujours et sans fin. Mais ce qui n’existe que pour un temps ne semble pas être visé à titre principal par la nature, mais comme un être ordonné à un autre ; sans quoi, par la corruption de cet être, l’intention de la nature serait brisée. Donc, puisque dans les êtres corruptibles il n’y a de perpétuel et de permanent que les espèces, c’est le bien de l’espèce qui est principalement visé par la nature, et c’est à la conservation de l’espèce qu’est ordonnée la génération naturelle. Quant aux substances incorruptibles, elles demeurent non seulement selon l’espèce, mais aussi dans les individus, et c’est pourquoi les individus eux-mêmes font également partie de la visée principale de la nature.

Ainsi donc la génération convient à l’homme, si nous considérons son corps, qui est corruptible par nature. Si nous considérons son âme, qui est incorruptible, il convient que la multitude des individus soit visée pour elle-même par la nature, ou plutôt par l’Auteur de la nature, qui seul est le créateur des âmes humaines. Et c’est pourquoi, pour la multiplication du genre humain, il a établi la génération dans le genre humain, même dans l’état d’innocence.

Solutions :

1. Le corps humain dans l’état d’innocence était corruptible pour ce qui dépendait de lui, mais il pouvait être préservé de la corruption par l’âme. Et c’est pourquoi il ne fallait pas lui retirer la génération qui est nécessaire aux êtres corruptibles.

2. Même si, dans l’état d’innocence, la génération n’avait pas existé pour la conservation de l’espèce, elle aurait existé pour la multiplication des individus.

3. Dans l’état que nous connaissons, la multiplication des maîtres entraîne nécessairement la division des possessions, car la communauté de possession est une occasion de discorde, dit Aristote. Mais dans l’état d’innocence les volontés humaines auraient été si bien ordonnées que les hommes auraient usé en commun, sans danger de discorde, selon les attributions de chacun, des biens soumis à leur maîtrise ; c’est d’ailleurs ce que l’on observe maintenant aussi chez beaucoup de gens de bien.

            Article 2 — La génération se serait-elle faite, dans l’état d’innocence, par union charnelle ?

Objections :

1. Selon S. Jean Damascène, le premier homme au Paradis terrestre était " comme un ange ". Mais dans l’état que nous aurons à la résurrection, quand les hommes seront semblables aux anges, " on ne prendra ni femme ni mari " (Mt 22, 30). Par conséquent dans le Paradis non plus il n’y aurait pas eu génération par union charnelle.

2. Les premiers êtres humains furent créés à l’âge adulte. Par conséquent si pour eux la génération avait eu lieu par union chamelle avant le péché, il y aurait eu entre eux union des sexes même au Paradis. Or l’Écriture montre bien que cela est faux.

3. C’est dans l’union charnelle que l’homme devient le plus semblable aux bêtes à cause de la véhémence du plaisir, et c’est pourquoi on fait l’éloge de la continence par laquelle les hommes s’abstiennent de plaisirs de ce genre. Mais si l’homme est comparé aux bêtes, c’est à cause du péché, selon la parole du Psaume (49,21) : " L’homme ne comprit pas quel était son honneur, il ressembla au bétail qu’on abat et lui devint pareil. " Par conséquent il n’y aurait pas eu d’union charnelle de l’homme et de la femme avant le péché.

4. Dans l’état d’innocence il n’y aurait pas eu de corruption. Mais par l’union charnelle il y a corruption de l’intégrité virginale. Par conséquent il n’y aurait pas eu d’union des sexes dans l’état d’innocence.

En sens contraire. 1. C’est avant le péché que Dieu créa l’homme et la femme, comme il est dit dans la Genèse (1, 27 et 2, 22). Or rien n’existe sans raison dans les œuvres de Dieu. Donc, même si l’homme n’avait pas péché, il y aurait eu union charnelle, ce qui est le but de la distinction des sexes.

2. En Genèse (2, 18), il est dit que la femme fut faite pour aider l’homme. Mais cette aide n’est destinée à rien d’autre qu’à la génération, laquelle se fait par union charnelle, car, pour toute autre activité, l’homme pouvait trouver une aide plus adaptée chez un autre homme que chez la femme. Donc, dans l’état d’innocence, la génération se serait faite par union charnelle.

Réponse :

Certains, parmi les anciens Pères, considérant la laideur de la convoitise qui accompagne l’union charnelle dans notre état présent, ont soutenu que dans l’état d’innocence la génération ne se serait pas faite par union des sexes. Ainsi S. Grégoire de Nysse dit que dans le Paradis le genre humain se serait multiplié d’une autre façon, comme se sont multipliés les anges, sans commerce charnel, par l’opération de la puissance divine. Et il dit que Dieu avait créé l’homme et la femme avant le péché, en pensant au mode de génération qui allait exister après le péché, péché que Dieu connaissait à l’avance.

Mais cette opinion n’est pas raisonnable. En effet, les choses qui sont naturelles à l’homme ne lui sont ni retirées ni accordées par le péché. Or il est clair que si nous considérons dans l’homme la vie animale qu’il avait même avant le péché, comme nous venons de le dire, il lui est naturel d’engendrer par union charnelle, tout comme aux autres animaux parfaits. C’est ce que manifestent les membres naturels destinés à cet usage. Et c’est pourquoi il ne faut pas dire qu’avant le péché ces membres naturels n’auraient pas eu leur usage comme les autres membres.

Il y a donc deux choses à considérer dans l’union charnelle par rapport à l’état actuel. Premièrement, ce qui relève de la nature : la conjonction du mâle et de la femelle pour engendrer. Car en toute génération, il faut une vertu active et une vertu passive. Par suite, étant donné qu’en tous les êtres chez lesquels il y a distinction des sexes la vertu active se trouve dans le mâle et la vertu passive dans la femelle, l’ordre de la nature exige que pour engendrer il y ait union charnelle du mâle et de la femelle. On peut considérer un autre point, qui est une certaine difformité de la convoitise immodérée. Celle-ci n’aurait pas existé dans l’état d’innocence, quand les facultés inférieures étaient totalement soumises à la raison. Aussi S. Augustin dit : " Gardons-nous de penser que la génération n’aurait pu avoir lieu sans la maladie de la sensualité. Ces membres-là auraient obéi comme les autres, au gré de la volonté, sans l’aiguillon d’une passion séductrice, dans la tranquillité de l’âme et du corps. "

Solutions :

1. Dans le Paradis l’homme aurait été comme un ange pour ce qui est de l’âme spirituelle, tout en ayant une vie animale selon son corps. Tandis que, après la résurrection, l’homme sera semblable à l’ange, étant devenu spirituel à la fois dans son âme et dans son corps. Aussi ne peut-on appliquer le même raisonnement à ces deux états.

2. Si nos premiers parents n’eurent pas de commerce charnel au Paradis, c’est, dit S. Augustin, parce qu’ils furent chassés du Paradis pour leur péché peu après la formation de la femme ; ou bien parce qu’ils attendirent que l’autorité divine leur fixât un temps pour cela, n’ayant reçu jusqu’alors à ce sujet qu’une prescription générale. 3. Les bêtes n’ont pas la raison. Aussi l’homme devient-il bestial dans l’union charnelle en tant qu’il n’est pas capable de régler par la raison le plaisir de l’union charnelle et le bouillonnement de la convoitise. Mais, dans l’état d’innocence, il n’y aurait rien eu dans ce domaine qui n’eût été réglé par la raison ; non pas, comme le disent certains, que le plaisir sensible eût été moindre. Car le plaisir sensible eût été d’autant plus grand que la nature était plus pure et le corps plus délicat. Mais l’appétit concupiscible ne se serait pas élevé avec un tel désordre au-dessus du plaisir réglé par la raison. Car celle-ci n’est pas chargée de diminuer le plaisir sensible, mais d’empêcher l’appétit concupiscible de s’attacher immodérément au plaisir. Et je dis " immodérément " par rapport à la mesure de la raison. C’est ainsi que l’homme sobre ne trouve pas moins de plaisir que le glouton dans la nourriture qu’il prend avec mesure, mais son appétit concupiscible se repose moins dans ce genre de plaisir. C’est bien ce que suggèrent les paroles de S. Augustin : elles n’excluent pas de l’état d’innocence l’intensité du plaisir, mais l’ardeur de la convoitise et l’agitation de l’âme. C’est pourquoi la continence n’eût pas mérité d’éloges dans l’état d’innocence, et si elle en mérite dans le temps actuel, ce n’est pas parce qu’elle restreint la fécondité, mais parce qu’elle écarte la convoitise désordonnée. Mais alors il y aurait eu fécondité sans convoitise.

4. Selon S. Augustin : en cet état, " le commerce charnel n’eût corrompu d’aucune façon l’intégrité de la femme... ; en effet l’introduction de la semence virile dans le sein de la femme n’aurait pas davantage porté atteinte à l’intégrité de l’épouse que maintenant le flux menstruel à l’intégrité de la vierge... De même que pour l’enfantement, ce ne sont pas les gémissements de la douleur, mais la poussée de la maturité qui aurait dilaté les entrailles de la femme, de même, pour la conception, ce ne sont pas les convoitises de la volupté mais le libre emploi de la volonté qui aurait uni l’une et l’autre nature ".

LA CONDITION DANS LAQUELLE SERAIENT NÉS LES ENFANTS

Il faut étudier maintenant la condition des enfants engendrés dans l’état d’innocence : 1. Quant au corps (Q. 99). - 2. Quant à la justice (Q. 100). - 3. Quant à la science (Q. 101).

 

 

 

QUESTION 99 — LEUR CONDITION CORPORELLE

1. Dans l’état d’innocence les enfants auraient-ils eu dès la naissance une force physique achevée ? - 2. Seraient-ils tous nés de sexe masculin ?

            Article 1 — Dans l’état d’innocence les enfants auraient-ils eu dès la naissance une force physique achevée ?

Objections :

1. S. Augustin nous dit : " Cette faiblesse du corps (celle qui apparaît chez les enfants) répond bien à la faiblesse de leur esprit. " Mais dans l’état d’innocence il n’y aurait eu aucune faiblesse de l’esprit. Par conséquent une telle faiblesse du corps n’aurait pas existé non plus chez les enfants.

2. Certains animaux ont dès leur naissance une force suffisante pour faire usage de leurs membres. Mais l’homme est plus noble que les autres animaux. Donc il lui est bien plus naturel encore d’avoir dès la naissance la force de se servir de ses membres. Et ainsi l’état actuel semble bien être une peine consécutive au péché.

3. Ne pas pouvoir atteindre une chose délectable offerte à la vue implique une certaine douleur. Mais si les enfants n’avaient pas eu la force de mouvoir leurs membres, il serait souvent arrivé qu’ils ne pussent atteindre un objet délectable présenté à leur vue. Il y aurait donc eu pour eux une certaine douleur qui ne pouvait exister avant le péché. Donc les enfants dans l’état d’innocence n’auraient pas été privés de la force de mouvoir leurs membres.

4. Les infirmités de la vieillesse semblent correspondre à celles de l’enfance. Mais dans l’état d’innocence, il n’y aurait pas eu té dans la vieillesse. Donc il n’y en aurait pas eu dans l’enfance non plus.

En sens contraire, tout être engendré est imparfait avant d’atteindre sa perfection. Mais les enfants dans l’état d’innocence auraient été produits par voie de génération. Par conséquent ils auraient commencé par être imparfaits en taille et en vigueur corporelle.

Réponse :

Ce qui est au-dessus de la nature, nous ne le connaissons que par la foi ; ce que nous croyons, nous le devons à l’autorité. Aussi en tout ce que nous faisons devons-nous suivre la nature des choses, sauf pour celles qui nous sont transmises par l’autorité divine et qui sont au-dessus de la nature. Or, manifestement il est naturel parce que en harmonie avec les principes de la nature humaine, que les enfants n’aient pas dès leur naissance la force suffisante pour mouvoir leurs membres. En effet, l’homme a par nature un cerveau plus volumineux, proportionnellement au reste du corps, que les autres animaux. Aussi est-il naturel qu’en raison de l’extrême humidité du cerveau chez les enfants, les nerfs qui sont les instruments du mouvement ne soient pas aptes à mouvoir les membres. D’autre part, il ne fait de doute pour aucun catholique qu’il pourrait se faire, par la vertu divine, que les enfants aient dès leur naissance la force complète nécessaire au mouvement des membres.

Or, il est certain, par l’autorité de l’Écriture (Ecclésiaste 7, 29) que " Dieu fit l’homme droit ", et cette rectitude consiste, dit S. Augustin dans la parfaite soumission du corps à l’âme. De même donc que, dans l’état primitif, il ne pouvait rien y avoir dans les membres de l’homme qui résistât à une volonté bien ordonnée, de même les membres de l’homme ne pouvaient se dérober à la volonté humaine. Or une volonté humaine bien ordonnée est celle qui tend aux actes qui lui conviennent. Mais les mêmes actes ne conviennent pas à l’homme à n’importe quel âge. Il faut donc dire que les enfants n’auraient pas eu dès leur naissance une force suffisante pour mouvoir leurs membres à n’importe quels actes, mais à ceux qui convenaient à l’enfance, comme de téter et autres actes de ce genre.

Solutions :

1. La faiblesse dont parle S. Augustin est celle qui apparaît maintenant chez les enfants même dans les actes qui conviennent à leur âge ; on le voit bien par les mots qui précèdent ; " placés à côté du sein, ils sont encore plus capables de pleurer de faim que de téter ".

2. Que certains animaux possèdent dès la naissance l’usage de leurs membres, cela ne vient pas de leur perfection, puisque certains animaux plus parfaits n’ont pas cet avantage, mais de la sécheresse de leur cerveau, et de ce que les actes propres à des animaux de ce genre sont imparfaits, si bien que peu de force y suffit.

3. La solution a été donnée dans le corps de l’article. Mais on peut dire aussi que les enfants n’auraient rien désiré sinon ce qui leur aurait convenu selon une volonté bien ordonnée, et selon leur état.

4. L’homme dans l’état d’innocence aurait connu la génération, mais non la corruption. Et c’est pourquoi certaines déficiences infantiles consécutives à la génération auraient pu se produire en cet état, mais non des faiblesses séniles, qui acheminent à la corruption.

            Article 2 — Tous les enfants seraient-ils nés du sexe masculin ?

Objections :

1. Aristote dit que " la femelle est un mâle manqué "e, survenant pour ainsi dire en dehors de la visée de la nature. Mais dans l’état primitif rien ne serait arrivé qui ne fût pas naturel dans la génération humaine. Donc il ne serait pas né de femmes.

2. Tout engendrant engendre un être qui lui est semblable, à moins d’être empêché par une impuissance ou par une mauvaise disposition de la matière, comme lorsqu’un petit feu ne peut enflammer du bois vert. Or, dans la génération, la vertu active se trouve chez le mâle. Donc, puisque dans l’état d’innocence, il n’y aurait eu aucune impuissance chez le mâle, ni aucune mauvaise disposition de la matière chez la femelle, il semble que les nouveau-nés auraient tous été mâles.

3. Dans l’état d’innocence la génération était ordonnée à la multiplication des hommes. Mais les hommes auraient pu se multiplier suffisamment par le premier homme et la première femme, du fait que ceux-ci devaient vivre sans fin. Donc il n’aurait pas été nécessaire que dans l’état d’innocence naquissent d’autres femmes.

En sens contraire, la nature se serait développée par la génération telle que Dieu l’a instituée. Mais, comme il est dit dans la Genèse (1, 27 ; 2, 22), Dieu institua l’homme et la femme dans la nature humaine. Par conséquent, en cet état, ce sont des hommes et des femmes qui auraient été engendrés.

Réponse :

Rien n’eût manqué dans l’état d’innocence de ce qui appartient à la nature humaine, complète. Or, de même que la diversité des degrés d’être appartient à la perfection de l’univers, de même la diversité des sexes concourt à la perfection de la nature humaine. Et c’est pourquoi dans l’état d’innocence l’un et l’autre sexe eussent été produits par la génération.

Solutions :

1. Quand on dit que la femelle est un mâle manqué, c’est parce qu’elle est en dehors de la visée de la nature particulière, ce n’est pas qu’elle soit en dehors de la nature universelle, on l’a dit précédemment.

2. La génération de la femme ne se produit pas seulement, comme dit l’objection, à cause de l’impuissance de la vertu active ou d’une mauvaise disposition de la matière, mais parfois à cause d’un accident extérieur. Par exemple, d’après Aristote e, le vent du nord favorise la génération des garçons, et celui du sud la génération des filles. Parfois aussi cela vient d’une pensée de l’âme, qui peut facilement modifier le corps. Ceci pouvait surtout se produire dans l’état d’innocence, où le corps était plus soumis à l’âme ; et ainsi le sexe de l’enfant aurait été différent au gré de l’engendrant.

3. Les enfants auraient été engendrés dotés d’une vie animale à laquelle il appartient d’engendrer tout autant que d’user d’aliments. Aussi convenait-il que tous engendrassent, et pas seulement les premiers parents. Cela semble impliquer qu’il serait né autant de filles que de garçons.

 

 

 

QUESTION 100 — LA CONDITION NATIVE DES ENFANTS QUANT À LA JUSTICE

1. Les hommes seraient-ils nés avec la justice ? - 2. Seraient-ils nés confirmés en justice ?

            Article 1 — Les hommes seraient-ils nés avec la justice ?

Objections :

1. Hugues de Saint-Victor dit que le premier homme, avant le péché, aurait engendré . des enfants non chargés de péché sans doute, mais qui n’auraient pas hérité de la justice de leur père.

2. La justice est réalisée par la grâce, dit S. Paul (Rm 5, 21 Vg). Or la grâce ne se transmet pas, car alors elle serait naturelle, mais elle est infusée par Dieu seul. Donc les enfants ne seraient pas nés avec la justice.

3. La justice est dans l’âme. Mais l’âme ne vient pas par transmission corporelle. Donc la justice non plus n’aurait pas été transmise des parents aux enfants.

En sens contraire, S. Anselme écrit : " Ceux que l’homme eût engendrés, s’il n’avaient pas péché, eussent été justes dès qu’ils auraient eu une âme raisonnable. "

Réponse :

Par nature, l’homme engendre un être qui lui est spécifiquement semblable. Aussi tous les accidents consécutifs à la nature de l’espèce se retrouvent-ils semblables chez les fils comme chez les parents, à moins d’une erreur dans l’opération de la nature, erreur qui ne se serait pas produite dans l’état d’innocence. Mais il n’est pas nécessaire que cette ressemblance se réalise dans les accidents individuels.

Or, la justice originelle dans laquelle fut créé le premier homme était un accident de la nature spécifique ; non pas qu’elle fût causée par les principes spécifiques, mais parce qu’elle était un don accordé par Dieu à toute la nature. C’est clair, du fait que les opposés sont dans le même genre ; or le péché originel, qui s’oppose à cette justice, est appelé un péché de nature ; aussi est-il transmis par les parents à leurs descendants. Et c’est pourquoi les enfants leur eussent été assimilés également quant à la justice originelle.

Solutions :

1. La parole de Hugues est à entendre non pas de l’habitus de justice, mais de l’exercice actuel de cette justice.

2. Certains disent que les enfants seraient nés non pas avec la justice surnaturelle qui est principe de mérite, mais avec la justice originelle. Mais la racine de la justice originelle, dans la rectitude de laquelle l’homme a été créé, consiste dans une soumission surnaturelle de la raison envers Dieu, qui se réalise par la grâce sanctifiante, comme on l’a dit précédemment e ; il est donc nécessaire de dire que si les enfants étaient nés dans la justice originelle, ils seraient nés aussi avec la grâce ; ainsi nous avons dit plus hautd que le premier homme avait été créé avec la grâce. Celle-ci toutefois n’en devenait pas naturelle pour autant, car elle n’aurait pas été transmise par la vertu de la semence, mais eût été accordée à l’homme dès qu’il aurait eu une âme raisonnable. C’est de la même façon d’ailleurs que l’âme raisonnable est infusée par Dieu dès que le corps y est disposé, et pourtant elle n’est pas causée par transmission corporelle.

3. Cela résout la troisième objection.

            Article 2 — Les hommes seraient-ils nés confirmés en justice ?

Objections :

1. S. Grégoire, commentant le texte de Job (3, 13) : " Je dormirai de mon sommeil... ", dite : " Si aucune injection de péché n’avait corrompu notre premier père, il n’aurait aucunement engendré de sa chair des fils de la géhenne ; mais ceux qui maintenant doivent être sauvés par le Rédempteur auraient été les seuls à être élus pour naître de lui. " Donc ils seraient tous nés confirmés en justice.

2. S. Anselme écrit que si les premiers parents " avaient vécu de telle manière que lors de la tentation ils n’eussent pas péché, ils auraient été confirmés avec toute leur descendance de manière à ne plus pouvoir pécher ". Donc, les enfants seraient nés confirmés en justice.

3. Le bien est plus puissant que le mal. Mais le péché du premier homme a entraîné une nécessité de pécher chez ceux qui naissent de lui. Donc, si le premier homme avait persévéré dans la justice, il en aurait découlé chez ses descendants une nécessité d’observer la justice.

4. L’ange qui adhérait à Dieu alors que d’autres péchaient fut aussitôt confirmé en justice, de manière à ne plus pouvoir pécher. Donc, si l’homme pareillement avait résisté à la tentation, il eût été confirmé. Mais tel il fut, tels eussent été ceux qu’il aurait engendrés. Donc ses fils aussi seraient nés confirmés en justice.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Alors la société humaine tout entière eût été bienheureuse, si eux-mêmes (c’est-à-dire les premiers parents) n’avaient transmis le mal à leurs descendants, et si personne non plus, dans leur postérité, n’avait commis d’iniquité qui méritât condamnation. " Une telle réflexion laisse entendre que même si les premiers hommes n’avaient pas péché, certains de leur postérité auraient pu commettre l’iniquité. C’est donc qu’ils ne seraient pas nés confirmés en justice.

Réponse :

Il ne paraît pas possible que dans l’état d’innocence les enfants fussent nés confirmés en justice. Il est manifeste en effet que les enfants à leur naissance n’ont pas plus de perfection que n’en ont leurs parents lorsqu’ils sont en état d’engendrer. Or les parents, aussi longtemps qu’ils auraient engendré, n’auraient pas été confirmés en justice. Si une créature rationnelle est confirmée en justice, cela vient de ce qu’elle devient bienheureuse par la claire vision de Dieu ; car lorsqu’on voit Dieu on ne peut pas ne pas se fixer en lui, étant donné qu’il est l’essence même de la bonté dont nul ne peut se détourner, puisque rien n’est désiré et aimé si ce n’est sous la raison de bien. (je dis cela selon la loi commune, car il peut en arriver autrement par privilège spécial, comme nous le croyons de la Vierge, Mère de Dieu.) Mais sitôt qu’Adam serait parvenu à cette béatitude qui lui ferait voir Dieu face à face, il serait devenu spirituel tant dans son corps que dans son âme, et sa vie animale aurait cessé, qui est la seule où il eût fait œuvre de génération. Par conséquent il est manifeste que les petits enfants ne seraient pas nés confirmés en grâce.

Solutions :

1. Si Adam n’avait pas péché, il n’aurait pas engendré des fils de la géhenne, c’est-à-dire qui auraient contracté à partir de lui le péché, cause de la géhenne. Ces fils auraient cependant pu devenir fils de la géhenne en péchant par leur libre arbitre. Ou bien, s’ils n’étaient pas devenus fils de la géhenne par leur péché, ce n’eût pas été pour avoir été confirmés en justice, mais en vertu de la providence de Dieu, par laquelle ils auraient été gardés indemnes de péché.

2. S. Anselme ne présente pas cela comme une affirmation, mais comme une hypothèse. Cela se voit à sa façon de parler, lorsqu’il dit : " Il semble que s’ils avaient vécu... "

3. Cet argument n’est pas concluant, bien que S. Anselme semble avoir été entraîné par lui, comme on le voit dans son texte. En effet les descendants ne contractent pas par le péché du premier père une nécessité de pécher au point de ne pouvoir revenir à la justice, ce qui n’arrive qu’aux damnés. Aussi n’aurait-il pas transmis à ses descendants l’impossibilité absolue de pécher, ce qui ne se réalise que chez les bienheureux.

4. Le cas de l’homme n’est pas semblable à celui de l’ange. Car l’homme possède un libre arbitre susceptible de changement, aussi bien après le choix qu’avant celui-ci. Or, ceci n’est pas le fait de l’ange, comme on l’a dit plus haut en traitant des anges.

 

 

 

QUESTION 101 — LA CONDITION NATIVE DES ENFANTS QUANT À LA SCIENCE

1. Les enfants seraient-ils nés avec une science parfaite ? - 2. Auraient-ils eu dès leur naissance l’usage parfait de la raison ?

            Article 1 — Les enfants seraient-ils nés avec une science parfaite ?

Objections :

1. Tel était Adam, tels auraient été les fils qu’il aurait engendrés. Mais, comme on l’a dit plus haut, Adam avait une science parfaite. Donc aussi les fils nés de lui.

2. L’ignorance est causée par le péché, dit Bède. Mais l’ignorance est la privation de science. Donc avant le péché les nouveau-nés auraient eu toute la science.

3. Les nouveau-nés auraient eu aussitôt la justice. Mais la justice requiert la science, qui dirige dans l’action. Donc ils auraient eu la science.

En sens contraire, notre âme, par nature, est " comme une tablette rase où il n’y a rien d’écrit ". Mais la nature de l’âme est maintenant identique à ce qu’elle eût été alors. Donc les âmes des enfants, pour commencer, auraient été dénuées de science.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, pour ce qui est au-dessus de la nature, on fait confiance à l’autorité seule ; aussi, là où l’autorité est muette, devons-nous suivre la condition de la nature. Or, il est naturel à l’homme d’acquérir la science par les sens, comme on l’a dit précédemment ; et si l’âme est soumise à un corps, c’est parce qu’elle a besoin de lui pour son opération propre ; ce qui ne serait pas, si, dès le commencement, elle avait une science non acquise par les facultés sensibles. Aussi faut-il dire que, dans l’état d’innocence, les enfants ne seraient pas nés avec une science parfaite ; ils l’auraient acquise sans difficulté au cours du temps par découverte personnelle ou par enseignement.

Solutions :

1. Avoir une science parfaite était un accident individuel du premier père, en tant que celui-ci était institué père et instructeur de tout le genre humain. Et c’est pourquoi, sur ce point, il n’engendrait pas des fils semblables à lui ; mais seulement quant aux accidents naturels ou gratuits accordés à toute la nature.

2. L’ignorance est la privation de la science que l’on doit avoir pour un temps donné. Cela n’eût pas existé chez les enfants nouveau-nés ; ils auraient eu en effet la science qui leur convenait pour ce temps-là. C’est pourquoi il n’y aurait pas eu en eux ignorance, mais non-savoir par rapport à certains objets. Ce non-savoir que Denys reconnaît chez les saints anges eux-mêmes.

3. Les enfants auraient eu une science suffisante pour les diriger dans les œuvres de justice où les hommes sont dirigés par les principes universels du droit ; mais cette science, ils l’auraient eue alors avec beaucoup plus de plénitude que nous ne l’avons par nature, et de même pour les autres principes universels.

            Article 2 — Les enfants auraient-ils eu dès leur naissance l’usage parfait de la raison ?

Objections :

1. Si maintenant les enfants n’ont pas l’usage parfait de la raison, c’est parce que l’âme est appesantie par le corps. Mais cela n’existait pas alors car, dit le livre de la Sagesse (9,15) : " Le corps corruptible appesantit l’âme. " Donc, avant le péché et la corruption consécutive au péché, les enfants auraient eu dès leur naissance l’usage parfait de la raison.

2. Certains autres animaux ont dès la naissance l’usage de leur activité naturelle ; c’est ainsi que l’agneau fuit aussitôt le loup. A bien plus forte raison les hommes dans l’état d’innocence auraient-ils eu dès la naissance le parfait usage de la raison.

En sens contraire, la nature progresse de l’imparfait au parfait chez tous les êtres engendrés. Par conséquent les enfants n’auraient pas eu, dès le commencement, le parfait usage de la raison.

Réponse :

Il est clair, d’après ce qui a été dit précédemment, que l’usage de la raison dépend d’une certaine façon de l’usage des facultés sensibles ; c’est pourquoi lorsque les sens sont liés et les puissances sensitives internes empêchées, l’homme n’a pas le parfait usage de sa raison, comme cela se voit chez ceux qui dorment ou qui délirent. Or, les puissances sensibles sont les vertus d’organes corporels ; aussi lorsque leurs organes sont entravés, il est nécessaire que leurs actes soient empêchés, et par suite l’usage de la raison. Chez les enfants ces puissances trouvent une entrave dans l’excessive humidité du cerveau. Et c’est pourquoi chez eux il n’y a pas de parfait usage de la raison, pas plus que des autres membres. Aussi les enfants dans l’état d’innocence n’auraient pas eu le parfait usage de la raison tel qu’ils devaient l’avoir à l’âge adulte. Ils auraient eu pourtant un usage de la raison plus parfait que maintenant pour les choses qui relevaient de cet état, comme on l’a dit plus haut pour l’usage des membres.

Solutions :

1. L’appesantissement de l’âme qui résulte de la corruption du corps consiste en ce que l’usage de la raison est gêné même pour les choses qui concernent l’homme à tout âge.

2. Même les autres animaux n’ont pas dès le commencement un usage parfait de leur activité naturelle comme ils l’ont par la suite. Cela se voit dans le fait que les oiseaux apprennent à leurs petits à voler, et on trouve des choses semblables dans d’autres espèces d’animaux. Et cependant chez l’homme il y a une entrave spéciale du fait de l’abondante humidité du cerveau, comme on l’a dit plus haut.

 

 

QUESTION 102 — LE LIEU DE L’HOMME, QUI EST LE PARADIS

1. Le paradis est-il un lieu corporel ? - 2. Est-il un lieu qui convient à l’habitation de l’homme ? - 3. Pourquoi l’homme fut-il placé dans le paradis ? - 4. Devait-il être créé dans le paradis ?

            Article 1 — Le paradis est-il un lieu corporel ?

Objections :

1. Bède dit a que " le paradis atteint jusqu’au cercle lunaire ". Mais aucun lieu terrestre ne peut être dans ce cas, car il est contre la nature de la terre de s’élever si haut ; en outre, sous le globe lunaire c’est la région du feu, qui consumerait la terre. Donc le paradis n’est pas un lieu corporel.

2. L’Écriture évoque (Gn 2, 10) quatre fleuves qui sortent du paradis. Or les fleuves qui sont nommés là ont manifestement leur origine ailleurs, comme on le voit chez Aristote. Donc le paradis n’est pas un lieu corporel.

3. On a exploré très activement tous les lieux habitables de la terre sans jamais mentionner le lieu du paradis. C’est donc, semble-t-il, que celui-ci n’est pas un lieu corporel.

4. La description du paradis terrestre comporte un arbre de vie. Mais celui-ci est une réalité spirituelle ; on dit en effet dans le livre des Proverbes (3, 18) à propos de la Sagesse qu’elle est " un arbre de vie pour qui la saisit ". C’est donc que le paradis lui non plus n’est pas un lieu corporel, mais spirituel.

5. Si le paradis est un lieu corporel, il faut que les arbres du paradis eux aussi soient corporels. Mais il ne le semble pas, car les arbres corporels ont été produits le troisième jour ; et on ne parle de la plantation des arbres du paradis, dans la Genèse (2, 8, 9), qu’après l’œuvre des six jours. C’est donc que le paradis n’est pas un lieu corporel.

En sens contraire, S. Augustin écrit " Il y a trois opinions principales sur le paradis celle qui veut le comprendre de façon purement corporelle ; l’autre de façon purement spirituelle ; la troisième qui l’interprète de l’une et l’autre façon, et c’est celle-ci, je l’avoue, qui me plaît. "

Réponse :

Comme dit S. Augustin : " Rien n’empêche d’adopter les interprétations spirituelles du paradis qui peuvent être utiles, pourvu toutefois que l’on croie à la vérité absolument fidèle de cette histoire, telle qu’elle se manifeste dans le récit des événements. " En effet, ce que l’Écriture dit du paradis se présente à la façon d’un récit historique ; or, dans tout ce que l’Écriture rapporte de cette façon, il faut prendre comme fondement l’authenticité de l’histoire, et c’est là-dessus qu’il faut bâtir les interprétations spirituelles. Le paradis est donc, selon Isidore : " Un lieu situé à l’Orient, dont le nom se traduit par jardin. "

C’est à bon droit qu’on le dit situé en Orient. Il faut croire en effet qu’il est placé dans le lieu le plus noble de toute la terre ; or, étant donné que l’Orient est la droite du ciel, comme on le voit dans Aristote, et que la droite est plus noble que la gauche, il était convenable que le paradis terrestre fût institué par Dieu à l’Orient.

Solutions :

1. L’expression de Bède n’est pas juste, si on la prend dans son sens obvie. On peut pourtant l’interpréter comme ceci : le paradis " s’élève jusqu’au lieu du globe lunaire " non pas géographiquement, mais métaphoriquement, en ce sens qu’il y règne un équilibre de température qui n’est jamais troublé, selon Isidore, et sur ce point il est assimilé aux corps célestes où ne s’exerce aucune contrariété ; pourtant, si l’on fait mention du globe lunaire plutôt que des autres sphères, c’est parce que le globe lunaire est la limite des corps célestes de notre côté, et aussi parce que, parmi les corps célestes, c’est la lune qui a le plus d’affinité avec la terre ; aussi comporte-t-elle certaines ténèbres nuageuses, commençant ainsi à s’approcher de l’opacité.

D’autres disent que le paradis atteignait jusqu’au globe lunaire, c’est-à-dire jusqu’à l’interstice central de l’air où sont engendrés les pluies, les vents, etc., parce que l’influence sur ce genre d’évaporations est attribuée surtout à la lune. Mais si cette explication était exacte, ce lieu ne conviendrait pas à l’habitation des hommes, puisqu’il y règne le climat le plus excessif et qu’il n’est pas accommodé à la complexion humaine comme l’air inférieur, plus proche de la terre.

2. Comme dit S. Augustin, " il faut penser que ce lieu est très éloigné des investigations humaines..., que les fleuves dont on dit que les sources sont connues se sont perdus quelque part sous la terre et ont rejailli en d’autres lieux... En effet qui ignore que c’est là un phénomène qui a coutume de se produire pour certaines eaux ? "

3. Ce lieu est coupé de notre habitat par certains obstacles : des montagnes, des mers, ou quelque région brûlante, infranchissable. Et c’est pourquoi les géographes n’ont pas mentionné ce lieu.

4. L’arbre de vie est un arbre matériel, ainsi appelé parce que son fruit avait la vertu de conserver la vie, comme il a été dit plus haut. Et cependant il avait une signification spirituelle, comme le rocher du désert était une réalité matérielle qui pourtant symbolisait le Christ (1 Co 10, 4). Pareillement, l’arbre de la science du bien et du mal était un arbre matériel, ainsi dénommé à cause de l’événement futur, puisqu’après en avoir mangé, l’homme apprit par l’expérience du châtiment quelle distance il y a entre le bien de l’obéissance et le mal de la désobéissance. Et néanmoins il pouvait symboliser le libre arbitre, comme disent certains.

5. D’après l’interprétation de S. Augustin, les plantes ne furent pas produites effectivement le troisième jour, mais selon certaines raisons séminales ; c’est après l’œuvre des six jours que les plantes furent produites effectivement, tant celles du paradis que les autres. D’après les autres Pères, il faut dire que toutes les plantes furent produites en acte le troisième jour, y compris les arbres du paradis ; et lorsqu’on parle d’une plantation des arbres du paradis après l’œuvre des six jours, il faut entendre cela comme un rappel ; aussi bien notre texte porte-t-il (Gn 2, 8 Vg) : " Le Seigneur Dieu avait planté dès le début le paradis de délices. "

            Article 2 — Le paradis est-il un lieu qui convient à l’habitation de l’homme ?

Objections :

1. L’homme et l’ange sont ordonnés de semblable façon à la béatitude. Mais l’ange fut établi dès le début comme habitant le lieu des bienheureux, qui est le ciel empyrée. Par conséquent c’est là aussi qu’il eût fallu établir l’habitation de l’homme.

2. Si un lieu quelconque est dû à l’homme, c’est soit en raison de l’âme, soit en raison du corps.

Si c’est en raison de l’âme, le lieu qui lui est dû, c’est le ciel, qui semble être le lieu naturel de l’âme, puisque toutes en ont le désir implanté en elles. Mais en raison du corps, aucun autre lieu ne lui est dû qu’aux autres animaux. Par conséquent le paradis n’était à aucun titre le lieu qui convenait à l’habitation de l’homme.

3. Un lieu n’a pas de raison d’être, si rien n’y est contenu. Mais, depuis le péché, le paradis n’est pas le lieu de l’habitation des hommes. Donc, si c’est un lieu approprié à l’habitation de l’homme, il semble avoir été institué par Dieu en vain.

4. L’homme étant d’une complexion moyenne, il lui faut un lieu tempéré. Mais le lieu du paradis n’est pas un lieu tempéré ; on dit en effet qu’il est sous le cercle de l’équateur, lieu qui doit être très chaud puisque deux fois dans l’année le soleil y passe sur le sommet de la tête des habitants. Donc, le paradis n’est pas un lieu favorable à l’habitat humain.

En sens contraire, S. Jean Damascène dit du paradis que " c’est une région divine, digne séjour de celui qui était à l’image de Dieu ".

Réponse :

Comme il a été dit plus haut, si l’homme était incorruptible et immortel, ce n’est pas parce que son corps possédait une disposition à l’incorruptibilité, mais parce que son âme possédait une force pour préserver le corps de la corruption. Or, un corps humain peut se corrompre soit par le dedans, soit par le dehors. Il se corrompt par le dedans du fait que l’élément humide se trouve consumé, et du fait qu’il vieillit, comme on l’a dit ci-dessus ; à cette corruption le premier homme pouvait obvier par la nourriture. Parmi les facteurs extérieurs qui entraînent la corruption se trouve surtout l’atmosphère non tempérée ; aussi le meilleur remède à ce genre de corruption est le caractère tempéré de l’atmosphère. Or, dans le paradis, on trouve l’un et l’autre, car, dit S. Jean Damascène, c’est un lieu " resplendissant d’une atmosphère tempérée, extrêmement subtile et pure, orné de plantes toujours en fleurs ". Ainsi., il est manifeste que le paradis est un lieu convenable à l’habitation des hommes dans leur premier état d’immortalité.

Solutions :

1. Le ciel empyrée est le plus élevé des lieux corporels, et en outre il est étranger à tout changement. Par le premier de ces traits, il est le lieu convenable à la nature angélique, car, dit S. Augustin, Dieu régit la création corporelle par celle qui est spirituelle ; aussi est-il convenable que la nature spirituelle soit placée au-dessus de toute nature corporelle, comme pour présider sur elle. Par le second trait, le ciel empyrée est accordé à l’état de béatitude, lequel est affermi dans la stabilité suprême. Ainsi donc le lieu de la béatitude est naturel à l’ange selon sa nature ; et c’est pourquoi celui-ci y a été créé. Mais il ne convient pas à l’homme selon la nature de celui-ci, puisque l’homme ne préside pas à l’ensemble de la création corporelle par mode de gouvernement ; il ne lui convient qu’en raison de la béatitude ; aussi l’homme n’a-t-il pas été placé dès le début dans le ciel empyrée, mais il devait y être transféré dans l’état de la béatitude finale.

2. Il est ridicule de dire que pour l’âme ou une substance spirituelle quelconque il y a quelque lieu naturel ; c’est en vertu d’une certaine convenance que l’on attribue un lieu spécial à la créature incorporelle. Le paradis terrestre en effet était un lieu qui convenait à l’homme aussi bien pour son âme que pour son corps, en tant que son âme possédait la force de préserver le corps humain de la corruption. Ce qui n’est pas accordé aux autres animaux. Et c’est pourquoi, dit S. Jean Damascène " aucun des êtres sans raison n’habite " le paradis, bien que, en vertu d’une disposition particulière, les animaux y aient été amenés à Adam par Dieu et que le serpent y ait accédé par l’opération du diable.

3. Ce n’est pas parce que l’habitation de l’homme ne s’y trouve plus depuis le péché que ce lieu n’a pas de raison d’être ; ce n’est pas pour rien non plus qu’une certaine immortalité avait été accordée à l’homme bien qu’il dût ne pas la conserver. Par là se manifeste la bonté de Dieu pour l’homme, et celui-ci découvre ce qu’il a perdu par son péché. D’ailleurs, comme on le dit, Hénoch et Élie habitent maintenant dans ce paradis.

4. Ceux qui disent que le paradis se trouve sous le cercle de l’équateur pensent que sous ce cercle il y a un lieu extrêmement tempéré en raison de l’égalité des jours et des nuits en tout temps ; et aussi parce que le soleil n’en est jamais très éloigné, ce qui entraînerait un froid excessif ; et enfin il n’y a pas là-bas non plus de chaleur excessive, car même si le soleil passe sur la tête des gens, il ne reste pas longtemps dans cette situation. Aristote toutefois dit expressément q que cette région est inhabitable à cause de sa chaleur. Ceci paraît plus vraisemblable, car les terres où le soleil ne passe jamais droit au-dessus de la tête sont d’une chaleur excessive à cause de la seule proximité du soleil. Quoi qu’il en soit, il faut croire que le paradis a été placé dans un lieu très tempéré, soit sous l’équateur, soit ailleurs.

            Article 3 — Pour quelle fin l’homme fut-il placé dans le paradis ?

Objections :

1. Il semble que l’homme n’ait pas été placé dans le paradis afin d’y travailler et de le garder. Car ce qui a été introduit comme châtiment du péché n’aurait pas existé au paradis, dans l’état d’innocence. Mais l’agriculture a été introduite comme châtiment du péché, dit la Genèse (3, 17). Donc l’homme n’a pas été placé au paradis pour y travailler.

2. Il n’est pas nécessaire de placer une garde là où l’on ne craint aucun assaut violent. Mais au paradis on n’avait à redouter aucun assaillant. Par conséquent il n’était pas nécessaire de le garder.

3. Si l’homme a été placé dans le paradis pour y travailler et le garder, cela semble entraîner que l’homme a été fait pour le paradis et non le paradis pour l’homme, ce qui paraît faux. Donc l’homme n’a pas été placé dans le paradis pour y travailler et le garder.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (2,15) : " Le Seigneur Dieu prit l’homme et le plaça dans un paradis de délices pour y travailler et le garder. "

Réponse :

Selon S. Augustin, cette parole de la Genèse peut être comprise de deux façons. D’abord en ce sens que Dieu aurait placé l’homme dans le paradis pour que lui, Dieu, travaillât et gardât l’homme ; il travaillerait en le justifiant, (on sait que si ce travail cessait, l’homme serait aussitôt dans les ténèbres, de la même façon que l’air lorsque cesse l’influx lumineux) ; et il garderait l’homme de toute corruption et de tout mal. Un autre sens est celui-ci : " Afin que l’homme travaillât et gardât le paradis. " Mais ce travail n’aurait pas été pénible comme après le péché ; il aurait été joyeux à cause de l’expérience que l’homme aurait faite de sa force naturelle. En outre, la garde dont il était chargé n’était pas tournée contre un envahisseur, elle était destinée à ce que l’homme se gardât à lui-même le paradis, en évitant de le perdre par le péché. Et tout cela tournait au bien de l’homme ; et ainsi c’est bien le paradis qui est ordonné au bien de l’homme et non pas l’inverse.

Cela donne la réponse aux Objections.

            Article 4 — L’homme devait-il être créé dans le paradis ?

Objections Il semble que oui, car l’ange a été créé dans le lieu où il devait habiter, qui est le ciel empyrée. Mais le paradis était le lieu qui convenait à l’habitation de l’homme avant le péché. Il semble donc que l’homme ait dû être créé dans le paradis.

2. Les autres animaux se conservent dans le lieu où ils ont été engendrés, les poissons dans les eaux, les animaux marcheurs sur la terre d’où ils ont été tirés. Or l’homme se serait conservé dans le paradis, comme on l’a dit. C’est donc là qu’il a dû être créé.

3. La femme a été créée dans le paradis. Mais l’homme est plus digne que la femme. A bien plus forte raison par conséquent aurait-il dû être créé dans le paradis.

En sens contraire, il est dit dans la Genèse (2, 15) : " Dieu prit l’homme et le plaça dans le paradis. "

Réponse :

Le paradis était le lieu convenable à l’habitation de l’homme en raison de l’incorruption de l’état primitif. Or cette incorruption n’appartenait pas à l’homme selon sa nature, mais en vertu d’un don surnaturel de Dieu. Donc, pour que cela fût imputé à la grâce de Dieu et non à la nature humaine, Dieu créa l’homme en dehors du paradis et le plaça ensuite dans le paradis pour qu’il y habitât pendant tout le temps de sa vie animale, pour être transféré après cela au ciel, lorsqu’il aurait obtenu la vie spirituelles.

Solutions :

1. Le ciel empyrée est un lieu qui convient aux anges en vertu de leur nature, aussi est-ce là qu’ils furent créés.

2. Pareillement les lieux en question conviennent à ces animaux selon leur nature.

3. La femme a été faite dans le paradis, non en raison de sa dignité à elle, mais de celle du principe à partir duquel son corps était formé. Pareillement c’est dans le paradis aussi que seraient nés les enfants, puisque les parents y étaient déjà.

LE GOUVERNEMENT DIVIN

 

 

QUESTION 103 — LE GOUVERNEMENT DU MONDE EN GÉNÉRAL

1. Le monde est-il gouverné par quelqu’un ? - 2. Quel est le but de ce gouvernement ? - 3. Le monde est-il gouverné par un être unique ? - 4. Les effets de ce gouvernement. 5. Toutes choses sont-elles soumises au gouvernement divin ? - 6. Toutes choses sont-elles gouvernées immédiatement par Dieu ? - 7. Peut-il se produire quelque chose en dehors de l’ordre du gouvernement divin ? - 8. Quelque chose peut-il s’opposer à la providence divine ?

            Article 1 — Le monde est-il gouverné par quelqu’un ?

Objections :

1. On ne peut gouverner que les êtres qui sont mus ou qui agissent en vue d’une fin. Mais les réalités naturelles, qui constituent la plus grande partie du monde, ne sont pas mues et n’agissent pas en vue d’une fin, puisqu’elles ne connaissent pas la fin. Le monde n’est donc pas gouverné.

2. A proprement parler, ne sont gouvernés que les êtres qui sont mus vers quelque chose. Mais le monde ne paraît pas mû vers quelque chose, car en lui-même il est stable. Donc il n’est pas gouverné.

3. L’être qui est nécessairement déterminé à un seul parti n’a pas besoin d’être gouverné de l’extérieur. Or, les principaux éléments du monde sont déterminés de façon nécessaire à une seule ligne de conduite dans leurs actes et leurs mouvements. Donc le monde n’a pas besoin d’être gouverné.

En sens contraire, nous lisons dans le livre de la Sagesse (14, 3 Vg) : " Mais toi, Père, tu gouvernes toutes choses par ta providence. " Et Boèce écrit : " Ô toi qui gouvernes le monde selon un plan éternel ! "

Réponse :

Certains philosophes anciens ont refusé d’admettre que le monde soit gouverné, disant que toutes choses sont menées par le hasard. Mais cette position apparaît insoutenable pour deux motifs. D’abord en raison de ce qui se manifeste dans les choses elles-mêmes. Nous voyons en effet les êtres naturels réaliser ce qui est le meilleur, soit toujours, soit dans la plupart des cas ; cela n’arriverait pas s’il n’y avait pas une providence pour mener ces êtres à bonne fin, ce qui est gouverner. C’est pourquoi l’ordre constant qui est dans les choses démontre lui-même manifestement que le monde est gouverné. Ainsi, selon la remarque de Cicéron citant Aristote, lorsqu’on entre dans une maison bien rangée, on perçoit dans cet ordre même l’idée directrice du maître de maison.

En second lieu, la même conclusion se tire de la considération de la bonté divine par laquelle toutes choses ont été produites dans l’être, comme on l’a vu précédernment. Car, puisqu’un être excellent ne peut produire que des choses excellentes, il ne convient pas à la souveraine bonté de Dieu de ne pas conduire à leur perfection les réalités créées par lui. Or la perfection dernière d’un être se trouve dans l’obtention de sa fin. Il appartient donc à la bonté divine, après avoir donné aux choses l’existence, de les acheminer à leur fin. Ce qui est gouverner.

Solutions :

1. Un être est mû ou agit en vue d’une fin de deux manières.

Selon la première, il se porte lui-même vers sa fin, comme le font l’homme et les autres créatures raisonnables, car il leur appartient de connaître la raison de fin, et de moyens qui y conduisent.

Ou bien on dit qu’un être agit ou est mû en vue d’une fin parce qu’un autre l’actionne ou le dirige vers la fin ; ainsi la flèche est dirigée sur la cible par l’archer qui connaît la cible, tandis que la flèche l’ignore. C’est pourquoi, de même que le mouvement de la flèche vers un but déterminé démontre à l’évidence que la flèche est dirigée par un être connaissant, ainsi le cours assuré des réalités naturelles privées de connaissance manifeste clairement qu’une intelligence gouverne le monde.

2. Dans tous les êtres créés, il y a quelque chose de stable, ne serait-ce que la matière première, et aussi quelque chose de mobile, du moment que nous considérons l’action comme un mouvement. Sous ce double rapport, un être a besoin d’être gouverné ; car ce qu’il y a en lui de stable retournerait au néant, parce qu’il en vient, si la main qui le gouverne ne le conservait, comme nous le montrerons bientôt d.

3. La nécessité naturelle inhérente aux choses déterminées à un seul parti est imprimée en elles par Dieu qui les dirige à leur fin, à la manière de cette nécessité imposée à la flèche par l’archer, et qui la porte vers la cible. Cette impulsion est dans l’archer, non dans la flèche. Il y a cependant cette différence que les créatures reçoivent de Dieu leur propre nature, tandis que le mouvement que l’homme leur imprime sans tenir compte de leur nature relève de la violence. C’est pourquoi, de même que la nécessité, issue de la violence et imprimée au mouvement de la flèche, manifeste la visée de l’archer, de même la nécessité de nature, donnée par Dieu aux créatures, démontre le gouvernement de la providence divine.

            Article 2 — Quel est le but de ce gouvernement du monde ?

Objections :

1. Il semble que la cause finale du gouvernement du monde ne soit pas une réalité extérieure au monde. En effet, le but du gouvernement est celui auquel il conduit la chose gouvernée. Mais ce but ne peut être qu’un bien inhérent à la chose elle-même ; c’est ainsi que le malade est amené à la santé, laquelle est un bien existant en lui. La fin du gouvernement des êtres n’est donc pas un bien extérieur à eux, mais un bien qui se trouve en eux-mêmes.

2. Selon Aristote, la fin d’un être est ou bien son opération ou bien l’œuvre qu’il produit. Mais il ne peut y avoir d’œuvre produite qui soit en dehors de l’ensemble de l’univers ; quant à l’opération, elle a pour sujet celui qui agit. Rien d’extérieur au monde ne peut donc être la fin du gouvernement des choses.

3. Le bien de la multitude réside dans l’ordre, et dans la paix qui est " la tranquillité de l’ordre " selon S. Augustin. Mais le monde consiste en une multitude de choses. La fin du gouvernement du monde sera donc un ordre pacifique qui existe dans les choses elles-mêmes. Elle ne sera donc pas quelque chose d’extérieur au monde.

En sens contraire, il est écrit au livre des Proverbes (16, 4 Vg) : " Le Seigneur a tout fait en vue de lui-même. " Or Dieu est extérieur à tout l’ordre de l’univers. La fin des choses est donc un bien extérieur.

Réponse :

Puisque la fin répond au principe, il ne peut se faire, une fois connu le principe des choses, que leur fin soit ignorée. Donc, puisque le principe des choses, qui est Dieu, est extérieur à tout l’ensemble de l’univers, ainsi qu’on l’a dit, il en résulte nécessairement que la fin des choses est aussi un bien extrinsèque.

C’est logique. Il est manifeste en effet que le bien a valeur de fin. D’où il suit que la fin particulière d’une chose est un bien particulier, tandis que la fin générale de tous les êtres est un bien universel. Or le bien universel, c’est ce qui est bon par soi et par son essence ; c’est ce qui, en d’autres termes, réalise l’essence même de la bonté. Le bien particulier au contraire n’est bon que par participation. Or, il est évident que, dans tout l’ensemble des créatures, aucun être n’est bon que par participation. Dès lors le bien qui est la fin de tout l’univers doit nécessairement être extérieur à tout l’univers.

Solutions :

1. Nous acquérons un bien de multiples manières : tantôt il s’agit d’une forme qui se réalise en nous, comme la santé ou la science ; tantôt il s’agit d’une œuvre accomplie par nous, ainsi l’architecte obtient son but en construisant une maison ; tantôt enfin il s’agit d’un bien que nous acquérons ou possédons, ainsi celui qui achète un champ parvient à ses fins en en prenant possession. Rien n’empêche donc que la fin à laquelle est conduit l’univers soit un bien extérieur.

2. Aristote parle des fins poursuivies dans le domaine des arts. Certains arts ont pour but l’opération elle-même : la fin du cithariste est de jouer de la cithare. D’autres arts ont pour fin une œuvre réalisée : la fin recherchée par le bâtisseur, ce n’est pas l’acte de bâtir, c’est la maison. Mais il arrive qu’une réalité extrinsèque soit une fin, à titre non seulement d’ouvrage réalisé, mais encore comme possédé, ou même encore représenté. Ainsi pouvons-nous dire qu’Hercule est la fin de l’image que l’on fait pour le représenter. On peut donc dire qu’un bien extérieur à tout l’univers est la fin du gouvernement de tout l’univers, en tant précisément que ce bien est possédé et représenté, car toute chose tend à participer du bien et à s’assimiler à lui selon son pouvoir.

3. Certes, il y a une fin de l’univers qui lui est immanente - c’est. l’ordre de ce même univers ; mais ce bien n’est pas la fin ultime, car il est ordonné à un bien extrinsèque comme à sa fin suprême. Ainsi l’ordre de l’armée est ordonné au chef, selon la remarque d’Aristote.

            Article 3 — Le monde est-il gouverné par un être unique ?

Objections :

1. Nous jugeons de la cause par ses effets. Or, dans le gouvernement du monde, il apparaît que les choses ne sont pas gouvernées et n’agissent pas de manière uniforme : les unes sont contingentes, les autres sont nécessaires, et elles diffèrent encore autrement. Donc le monde n’est pas gouverné par un être unique.

2. Quand des réalités sont gouvernées par un seul être, il n’y a plus de désaccord entre elles, à moins d’impéritie, de sottise ou d’impuissance chez celui qui gouverne, ce qui n’est pas le cas de Dieu. Mais il y a désaccord et lutte entre les créatures ; les contraires en sont la preuve. Donc le monde n’est pas gouverné par un seul être.

3. Dans la nature, on trouve toujours le meilleur. Mais, selon l’Ecclésiastique (4, 9), " il est meilleur d’être deux ensemble qu’un, seul". Le monde est donc gouverné, non par un seul être, mais par plusieurs.

En sens contraire, nous confessons un seul Dieu et un seul Seigneur, selon l’Apôtre (1 Co 8,6) : " Nous n’avons qu’un Dieu, le Père, et un seul Seigneur. " Et ces deux titres concernent le gouvernement : au Seigneur en effet appartient le gouvernement de ses sujets ; et le nom de Dieu se réfère étymologiquement à sa providence, nous l’avons dit antérieurement. Donc le monde est gouverné par un seul.

Réponse :

Il est nécessaire de dire que le monde est gouverné par un être unique. Car, puisque la fin de ce gouvernement est ce qui est essentiellement bon, ce qui est le bien le meilleur, il s’ensuit nécessairement que le gouvernement du monde soit le meilleur. Or le meilleur gouvernement est celui d’un seul. La raison en est que le gouvernement n’est rien d’autre que la conduite des gouvernés vers une fin qui est un bien. Et l’unité appartient à l’idée de bonté : c’est ce que Boèce prouve par ce fait que toutes choses, en désirant le bien, désirent l’unité sans laquelle elles ne peuvent exister. Car aucune réalité ne possède l’être sinon autant qu’elle est une ; et c’est pourquoi nous voyons les choses s’opposer de tout leur pouvoir à leur division ; et leur dissolution provient toujours d’un défaut qui est en elles. De là vient que le but recherché par celui qui gouverne une multitude, c’est l’unité et la paix.

Or la cause propre de l’unité, c’est l’un par soi. Il est manifeste en effet que plusieurs individus ne peuvent réaliser l’unité et l’accord sur divers objets que s’ils sont déjà unis eux-mêmes de quelque manière. Mais ce qui est un par soi peut être cause d’unité d’une manière beaucoup plus étroite et aisée que ne le peuvent plusieurs individus unis ensemble. La multitude est donc mieux gouvernée par un seul que par plusieurs.

Il reste donc que le gouvernement du monde, qui est le meilleur, est l’œuvre d’un seul. Et c’est ce que remarque Aristote quand il écrit : " Les êtres ne veulent pas être mal gouvernés ; la pluralité des chefs fait obstacle au bien ; ce qu’il faut donc, c’est un chef unique. "

Solutions :

1. Le mouvement est un acte du mobile, produit par celui qui meut. La diversité des mouvements vient de la diversité des mobiles, qui est requise pour la perfection de l’univers, nous l’avons dit. Mais elle ne vient pas de la diversité des gouvernants.

2. Les contraires, bien qu’ils soient en désaccord par rapport à leurs fins prochaines, se rejoignent cependant quant à la fin ultime, car ils sont compris dans un seul ordre universel.

3. Quand il s’agit de biens particuliers, il vaut mieux en posséder deux qu’un seul. Mais pour ce qui est du bien essentiel, on ne saurait faire aucune addition à sa bonté.

            Article 4 — Les effets de ce gouvernement

Objections :

1. Il semble que l’effet du gouvernement du monde soit unique. Car l’effet d’un gouvernement, c’est, semble-t-il, ce qu’il cause dans les réalités gouvernées. Or cet effet est unique, à savoir le bien de l’ordre, comme c’est évident pour une armée. Donc le gouvernement du monde a un effet unique.

2. Il est naturel que de l’unité procède l’unité. Et puisque le monde est gouverné par un être unique comme on l’a montré à l’article précédent, l’effet de ce gouvernement doit être unique.

3. Si l’unité du gouvernement divin ne produit pas l’unité de ses effets, ceux-ci seront multipliés par la multitude des gouvernés. Or celle-ci est innombrable. Innombrables seront donc aussi les effets du gouvernement divin.

En sens contraire, selon Denys, "la Déité contient et remplit elle-même toutes choses de sa providence et de sa bonté parfaite ". Or le gouvernement relève de la providence. Le gouvernement divin aura donc des effets déterminés.

Réponse :

L’effet d’une action peut être apprécié à partir de la fin de cette action ; car c’est par l’opération que l’on parvient à la fin. La fin du gouvernement divin est le bien essentiel auquel toutes choses s’efforcent de participer et de s’assimiler. L’effet du gouvernement du monde peut donc se prendre à un triple point de vue.

1. Du point de vue de la fin elle-même ; sous ce rapport, il n’y a qu’un seul effet de gouvernement ; c’est l’assimilation au souverain bien.

2. On peut apprécier les effets du gouvernement au point de vue de la manière dont cette assimilation se réalise. En ce sens, il y a deux effets du gouvernement, car la créature est assimilée à Dieu de deux manières : d’une part elle est bonne à la manière dont Dieu est bon, en ce sens qu’elle-même est bonne ; d’autre part elle meut une autre créature vers la bonté, à la manière dont Dieu est cause de bonté dans les êtres. D’où résultent deux effets du gouvernement : la conservation des choses dans le bien, leur motion vers le bien.

3. On peut considérer les effets du gouvernement divin d’un point de vue particulier ; sous ce rapport, ils sont innombrables.

Solutions :

1. L’ordre de l’univers englobe et la conservation des choses diverses établies par Dieu, et leur motion. On trouve, en effet, sous ces deux points de vue, de l’ordre dans le monde : en tant qu’une chose est meilleure qu’une autre, et en tant que l’une est mue par l’autre.

2 et 3. Les deux autres objections se trouvent résolues par ce que nous avons exposé.

            Article 5 — Toutes choses sont-elles soumises au gouvernement divin ?

Objections :

1. On lit dans l’Ecclésiaste (9,11) : " J’ai vu sous le soleil que la course ne revient pas aux plus rapides, ni la lutte aux plus vaillants. Il n’y a pas de pain pour les sages, ni de richesse pour les intelligents, ni de faveur pour les savants ; car le temps de malchance leur arrive à tous. " Or ce qui est soumis au gouvernement de quelqu’un n’est pas soumis au hasard. Donc les réalités qui sont sous le soleil ne sont pas soumises au gouvernement divin.

2. On lit chez S. Paul (1 Co 9, 9) : "Dieu ne se soucie pas des bœufs." Mais chacun prend souci de ce qu’il gouverne. Donc toutes choses ne sont pas soumises au gouvernement divin.

3. Ce qui peut se gouverner soi-même ne semble pas avoir besoin du gouvernement d’un autre. Mais la créature rationnelle peut se gouverner elle-même., car elle a la maîtrise de ses actes, et elle peut agir par elle-même, au lieu d’être conduite par un autre, ce qui est le propre des gouvernés. Tout n’est donc pas soumis au gouvernement divin.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Dieu ne veille pas seulement sur le ciel et la terre, sur l’homme et sur l’ange ; mais, même en ce qui regarde la structure intime du plus petit et du plus vil animal, le duvet de l’oiseau, l’humble fleur des champs, la feuille de l’arbre, il assure l’harmonieux accord de leurs parties. " Tout est donc soumis à son gouvernement.

Réponse :

C’est en vertu du même principe qu’il appartient à Dieu de gouverner le monde et de le causer ; car c’est au même être qu’il appartient de produire une chose et de lui donner sa perfection, ce qui est le rôle du gouvernement. Or, comme nous l’avons montré, Dieu n’est pas la cause particulière d’un certain genre de réalités, mais la cause universelle de tout l’être. C’est pourquoi, de même que rien ne peut exister qui ne soit créé par Dieu, de même rien ne peut exister qui ne soit soumis à son gouvernement.

C’est encore évident à partir de la notion de fin. Le pouvoir d’un gouvernant s’étend aussi loin que peut s’étendre la cause finale de son gouvernement. Or la cause finale du gouvernement divin est sa propre bonté, on l’a montré tout à l’heure. Aussi, puisque rien ne peut exister qui ne soit ordonné à la bonté divine comme à sa fin, on l’a vu précédemment, il est impossible qu’aucun être soit soustrait au gouvernement divin. Ce fut donc une sottise de prétendre avec certains que les êtres corruptibles d’ici-bas, ou encore les faits singuliers ou encore les affaires humaines Il ne sont pas gouvernés par Dieu. C’est comme leur porte-parole qu’Ézéchiel (9,9) disait : " Le Seigneur a quitté le pays. "

Solutions :

1. On dit exister " sous le soleil " les réalités qui, en relation avec le mouvement du soleil, sont soumises à la génération et à la corruption. Or, en toutes ces réalités, le hasard a sa place ; non pas que tout ce qui se fait en elles soit fortuit, mais en chacune d’elles il peut se trouver un effet du hasard. Et cela même, que le hasard ait sa place dans ces sortes de réalités, montre qu’elles sont soumises au gouvernement de quelqu’un. Car, si les choses corruptibles n’étaient pas gouvernées par un être supérieur, elles ne tendraient vers rien, surtout celles qui sont dépourvues de connaissance ; et ainsi il n’arriverait en elles rien qui ne soit étranger à une intention volontaire, ce qui définit le hasard. Aussi, pour montrer que les événements fortuits se produisent conformément à l’ordination d’une cause supérieure, l’auteur sacré ne prétend pas voir le hasard partout, mais il parle du " temps de la malchance " pour faire entendre que, dans une certaine période de temps, des défaillances fortuites se produisent dans les choses.

2. Le gouvernement implique une mutation dans les choses par le moyen de celui qui gouverne. Or tout mouvement, selon Aristote, est l’acte imprimé au mobile par le moteur. Tout acte, d’autre part, est proportionné à la réalité dont il est l’acte. Il faut donc que les divers mobiles soient mus de diverses manières, même quand la motion est attribuable à un moteur unique. Ainsi donc, dans le plan unique du gouvernement divin, les choses sont gouvernées de façon diverse conformément à leur diversité. Car certaines, selon leur nature, agissent par elles-mêmes, comme ayant la maîtrise de leurs actes ; et celles-là sont gouvernées par Dieu non seulement en ce qu’il les meut par une impulsion intérieure, mais aussi en ce qu’il les conduit au bien et les détourne du mal par des préceptes et des défenses, par des récompenses et des peines. Ce n’est pas ainsi que les créatures irrationnelles sont gouvernées par Dieu ; elles sont seulement menées par lui, et n’agissent pas. Donc, lorsque l’Apôtre dit : " Dieu ne se soucie pas des bœufs ", il ne soustrait pas entièrement les bœufs au gouvernement divin, mais seulement au mode de gouvernement qui appartient en propre à la créature rationnelle.

3. La créature rationnelle se gouverne elle-même par l’intelligence et la volonté, lesquelles ont besoin d’être régies et perfectionnées par l’intelligence et la volonté de Dieu. C’est pourquoi, au-dessus de ce gouvernement par lequel la créature rationnelle se dirige elle-même, comme ayant la maîtrise de ses actes, elle a besoin d’être gouvernée par Dieu.

            Article 6 — Toutes choses sont-elles gouvernées immédiatement par Dieu ?

Objections :

1. S. Grégoire de Nysse critique l’opinion de Platon qui divise la providence en trois. Une première providence d’un premier Dieu qui pourvoit à toutes les réalités célestes et universelles. La deuxième serait pour lui celle de dieux secondaires qui parcourent le ciel pour s’occuper de la génération et de la corruption. Et il attribue la troisième providence à des démons chargés sur terre des actions humaines. Il semble donc que tout soit immédiatement gouverné par Dieu.

2. Selon Aristote, il est mieux, quand c’est possible, qu’une chose soit faite par un seul que par plusieurs. Mais Dieu peut par lui-même gouverner toutes choses sans intermédiaires. Il vaut donc mieux qu’il les gouverne toutes immédiatement.

3. Rien en Dieu n’est limité ni imparfait. Or il semble que c’est à cause de ses limites qu’un gouvernement se serve d’intermédiaires ; comme un roi de la terre, qui ne peut tout faire ni être présent partout dans son royaume, doit avoir des ministres pour son gouvernement. Donc Dieu gouverne immédiatement toutes choses.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " De même que les corps grossiers et inférieurs sont régis selon un certain ordre par les corps plus subtils et plus puissants, de même toute la nature corporelle est régie par l’esprit vivant et intelligent, l’esprit prévaricateur et pécheur par l’esprit fidèle et juste, et celui-ci par Dieu lui-même. "

Réponse :

Il faut considérer deux choses dans le gouvernement : le plan de ce gouvernement, qui n’est autre que la providence ; et l’exécution de ce plan. En ce qui concerne le plan du gouvernement divin, Dieu gouverne immédiatement toutes choses ; quant à l’exécution, Dieu gouverne certaines réalités par des intermédiaires.

La raison en est que Dieu étant l’essence même de la bonté, tout ce qu’on lui attribue doit réaliser la perfection qui lui est propre. Or la perfection, en tout genre d’idée ou de connaissance pratique, comme le plan d’un gouvernement, consiste à connaître les réalités particulières où se déploie l’activité ; ainsi un bon médecin ne se contente pas d’étudier les principes généraux de son art, il s’applique encore à considérer les moindres particularités du cas qu’il traite, et ainsi pour le reste. Il faut donc dire que Dieu tient compte dans son gouvernement des plus petits détails.

Mais puisque le gouvernement doit conduire à la perfection les choses gouvernées, il s’ensuit que le gouvernement sera d’autant meilleur qu’une plus grande perfection leur est communiquée par celui qui gouverne. Or il est plus parfait d’être bon soi-même, et en même temps cause de bonté pour les autres, que d’être simplement bon en soi. C’est pourquoi Dieu gouverne les êtres de telle manière que certains d’entre eux puissent être, en gouvernant, cause de bonté pour les autres. Ainsi le véritable maître ne fait pas seulement de ses disciples des savants, mais encore des enseignants.

Solutions :

1. L’opinion de Platon est critiquée parce que, quant au plan même du gouvernement, il prétend que Dieu ne gouverne pas immédiatement toutes choses. Et ce qui le prouve bien, c’est qu’il divise la providence en trois ; alors que la providence est précisément le plan du gouvernement.

2. Si Dieu gouvernait à lui seul, les choses ne connaîtraient pas la perfection d’être causes. Aussi la perfection du tout ne serait pas mieux réalisée par un seul qu’elle l’est par beaucoup.

3. Ce n’est pas seulement un motif de d’imperfection qui oblige les rois de la terre à avoir des exécutants de leur gouvernement, c’est aussi un motif de dignité ; car la hiérarchie des ministres donne au pouvoir royal plus d’éclat.

            Article 7 — Peut-il se produire quelque chose en dehors de l’ordre du gouvernement divin ?

Objections :

1. Il semble que certains événements puissent échapper au plan du gouvernement divin. Car Boèce écrit : " Dieu dispose tout par sa bonté. " Donc, si rien n’arrivait en dehors du plan du gouvernement divin, il n’y aurait pas de mal dans les choses.

2. Ce qui est l’effet du hasard échappe à la prévision de celui qui gouverne. Donc, si rien ne se produisait en dehors du plan du gouvernement divin, il n’y aurait dans les choses rien de fortuit ni d’aléatoire.

3. L’ordre du gouvernement divin est déterminé et immuable, puisqu’il est conforme à un plan éternel. Admettre qu’il ne puisse rien arriver en dehors de cet ordre, ce serait donc reconnaître que tout est nécessaire et qu’il n’y a pas de contingence dans les choses ; ce qui est inadmissible. Il peut donc arriver quelque chose qui échappe au plan du gouvernement divin.

En sens contraire, nous lisons au livre d’Esther (13, 9 Vg) : " Seigneur Dieu, Roi tout-puissant, tout est soumis à ton pouvoir, et il n’est rien qui puisse résister à ta volonté. "

Réponse :

Un effet peut se produire en dehors de l’ordre d’une cause particulière, mais non en dehors de l’ordre de la cause universelle. La raison en est que ce qui fait obstacle à l’ordre d’une cause particulière vient d’une autre cause qui s’oppose à celle-ci ; mais cette cause elle-même se ramène forcément à la première cause universelle ; c’est ainsi qu’une indigestion se produit à l’encontre des lois de la nutrition, et qu’elle est causée par un obstacle, comme une nourriture trop lourde, qu’il faut ramener à une autre cause, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on parvienne à la première cause universelle. Et puisque Dieu est la première cause universelle, non seulement d’un genre donné, mais de tout l’être, il est impossible que quelque chose se produise en dehors de l’ordre du gouvernement divin ; mais du fait même que quelque chose semble d’un certain côté échapper au plan de la providence divine considérée au point de vue d’une cause particulière, il est nécessaire que cela retombe dans ce même ordre selon une autre cause.

Solutions :

1. Il n’est rien dans le monde qui soit totalement mauvais, car le mal a toujours son fondement dans le bien, ainsi que nous l’avons montrés. C’est pourquoi une chose est dite mauvaise en ce qu’elle sort de l’ordre que représente un bien particulier. Mais, si elle échappait totalement à l’ordre du gouvernement divin, elle serait pur néant.

2. On dit que, dans la réalité, certains événements sont fortuits parce qu’ils se produisent en dehors de l’ordre de certaines causalités particulières. Mais, en ce qui concerne la divine providence, " rien dans le monde ne se fait au hasard ", écrit S. Augustin.

3. On dit encore que certains effets sont contingents parce qu’on les rapporte à des causes prochaines qui peuvent manquer leur but, mais non parce que quelque chose se produirait en dehors de tout l’ordre du gouvernement divin. Car cela même qui se produit en dehors d’une cause prochaine, se trouve, par le moyen de quelque autre cause, soumis au gouvernement divin.

            Article 8 — Quelque chose peut-il s’opposer à la providence divine ?

Objections :

1. Il semble bien, puisqu’on lit dans Isaïe (3, 8) : " Leurs propos et leurs actes à l’égard du Seigneur ne sont que révolte. "

2. Aucun roi ne punit avec justice ceux qui ne s’opposent pas à leurs ordres. Donc, si rien ne venait contrarier l’ordre divin, aucun homme ne serait puni par Dieu avec justice.

3. Toute chose est soumise à l’ordre du gouvernement divin. Pourtant telle chose est combattue par telle autre. Il y a donc certaines choses qui s’opposent au gouvernement divin.

En sens contraire, Boèce écrit " Il n’y a rien qui veuille ou qui puisse faire obstacle à ce souverain Bien. C’est donc lui, le souverain Bien, qui régit fortement toutes choses et les dispose avec douceur", ainsi qu’il est dit de la sagesse divine (Sg 8, 1).

Réponse :

L’ordre de la providence divine peut être considéré à un double point de vue : en général, c’est-à-dire en tant qu’il a pour origine la cause qui gouverne tout ; en particulier, c’est-à-dire en tant qu’il se réfère à une cause déterminée, exécutrice du gouvernement divin. Au premier point de vue, rien ne s’oppose à l’ordre du gouvernement divin, et cela pour deux raisons évidentes. D’abord parce que l’ordre du gouvernement divin, envisagé dans sa totalité, tend au bien, et que toute chose, dans son action et sa tendance, ne vise que le bien ; car, selon Denys " nul, dans son opération, ne se propose pour fin le mal ". Ensuite, parce que toute inclination, soit naturelle, soit volontaire, ne peut être imprimée que par le premier moteur ; de même que la tendance de la flèche vers un point déterminé de la cible n’est pas autre chose que l’impulsion donnée par le tireur. Tous les êtres qui agissent, soit naturellement, soit volontairement, parviennent donc pour ainsi dire spontanément au but pour lequel ils ont été divinement ordonnés. Et c’est pourquoi l’on dit de Dieu qu’il dispose toutes choses avec douceur.

Solutions :

1. On dit que certains pensent, parlent ou agissent contre Dieu, non parce qu’ils s’opposent totalement au plan du gouvernement divin, car même ceux qui pèchent poursuivent un certain bien. Mais ils s’opposent à un certain bien déterminé qui leur convient selon leur nature ou leur état. Et c’est pourquoi ils sont punis justement par Dieu.

2. Ceci résout la deuxième objection.

3. Le fait qu’un être en contrarie un autre montre qu’on peut refuser l’ordre qui vient d’une cause particulière, mais non l’ordre qui dépend de la cause universelle de l’ensemble

 

 

QUESTION 104 — LES EFFETS SPÉCIAUX DU GOUVERNEMENT DIVIN

1. Les créatures ont-elles besoin d’être conservées dans l’être par Dieu ? - 2. Le sont-elles d’une manière immédiate ? - 3. Dieu peut-il réduire quelque chose à néant ? - 4. Y a-t-il des réalités qui soient réduites à néant ?

            Article 1 — Les créatures ont-elles besoin d’être conservées dans l’être par Dieu ?

Objections :

1. Ce qui ne peut pas ne pas être n’a pas besoin d’être conservé dans l’être ; de même que ce qui ne peut pas disparaître n’a pas besoin qu’on le conserve pour l’empêcher de disparaître. Mais il y a des créatures qui, par leur nature même, ne peuvent pas ne pas être. Donc toutes les créatures n’ont pas besoin d’être conservées dans l’être par Dieu. - Prouvons la mineure par ce syllogisme. Tout ce qui appartient de soi à une chose se trouve en elle nécessairement, et son opposé ne peut aucunement lui appartenir. Ainsi, un nombre binaire est nécessairement un nombre pair, et il est impossible qu’il soit impair. Or l’être, de soi, est consécutif à la forme, car toute chose est en acte pour autant qu’elle possède une forme. D’autre part, nous l’avons dit précédemment, certaines créatures, comme les anges, sont des formes subsistantes, ce qui suppose par conséquent que, de soi, l’être leur appartient. Et il en est de même de ces réalités dont la matière n’est en puissance qu’à une seule forme, comme les corps célestes. Les créatures de ce genre, par leur nature même, existent donc nécessairement et ne peuvent pas ne pas être ; car la puissance au non-être, dans leur cas, ne peut être fondée ni sur la forme à laquelle l’être se conforme de soi, ni sur la matière sous-jacente à la forme, puisque, n’étant pas en puissance à une autre forme, la matière d’un corps céleste ne peut perdre la forme qu’elle possède déjà.

2. Dieu est plus puissant qu’aucun agent créé. Mais un agent créé peut communiquer à son effet le pouvoir de se conserver dans l’être, même après que cet agent a cessé d’exercer sur lui son activité ; ainsi, quand le constructeur a terminé son travail, la maison demeure ; quand le feu a cessé d’agir, l’eau reste chaude, au moins quelque temps. A plus forte raison Dieu peut-il communiquer à sa créature le pouvoir de se conserver dans l’être, même après qu’il a cessé de la produire.

3. Tout ce qui violente une nature ne peut arriver sans une cause agente. Mais pour une créature tendre au non-être est contre nature et représente pour elle quelque chose de violent, car toute créature tend par nature à l’existence. Aucune créature ne peut donc tendre au non-être sans un agent destructeur. Mais il y a des créatures qu’aucun agent ne peut détruire, telles les substances spirituelles et les corps célestes. De telles créatures ne peuvent donc tendre au non-être, même lorsque cesse l’action de Dieu qui les produit.

4. Si Dieu conserve les choses dans l’être, ce ne peut être que par une certaine action. Or il n’y a pas d’action efficace sans effet produit. Il faut donc que l’action conservatrice de Dieu produise quelque chose dans les créatures, ce que l’on ne voit pas. Une telle action en effet ne produit pas l’existence de la créature, car ce qui existe déjà ne devient pas. Elle ne produit pas davantage quelque autre effet surajouté cars dans ce cas, ou bien Dieu ne conserverait pas la créature dans l’être d’une façon continue, ou bien quelque chose serait continuellement ajouté à la créature, ce qui est inconcevable. Les créatures ne sont donc pas conservées dans l’être par Dieu.

En sens contraire, nous lisons dans l’épître aux Hébreux (1, 3) " Il soutient toutes choses par sa parole puissante. "

Réponse :

Il est nécessaire de dire, et selon la foi, et selon la raison, que les créatures sont conservées dans l’être par Dieu. Pour le prouver, il faut remarquer qu’un être est conservé par un autre d’une double manière. D’abord indirectement et par accident, en ce sens que- celui-là est dit conserver une chose, qui en écarte tout élément destructeur ; ainsi celui qui empêche l’enfant de tomber dans le feu est appelé un sauveteur. Sous ce rapport, Dieu conserve certaines choses, mais non pas toutes, car il y a des réalités incorruptibles qui n’ont pas besoin qu’on les conserve en écartant ce qui pourrait les détruire. - Dans un autre sens, quelqu’un est dit conserver une chose directement et par soi, quand celle-ci dépend de celui qui la conserve de telle manière que, sans lui, elle ne pourrait pas exister. A ce point de vue, toutes les créatures ont besoin de la conservation divine. En effet, l’existence des créatures dépend à tel point de Dieu qu’elles ne pourraient subsister un instant et seraient réduites au néant si, par l’opération de la puissance divine, elles n’étaient conservées dans l’être, comme dit S. Grégoire.

Et il est aisé de s’en rendre compte. Tout effet dépend de sa cause dans la mesure même où celle-ci est sa cause. Mais il y a des agents qui sont seulement cause du devenir de l’effet, et non directement de son existence. C’est ce qui arrive aussi bien à propos des produits de l’art qu’à propos des réalités naturelles. Le constructeur est cause du devenir de la maison, il ne l’est pas directement de son être. L’être de la maison est consécutif à sa forme ; la forme, elle, n’est autre que la composition et l’ordre des matériaux, et elle est consécutive à la vertu naturelle de ceux-ci. De même que le cuisinier cuit les aliments en utilisant la vertu naturelle active du feu, de même le constructeur bâtit la maison en utilisant du ciment, des pierres et des poutres capables de recevoir et de conserver un agencement et un ordre donnés. En sorte que l’être de la maison dépend des matériaux employés, tandis que le devenir est l’œuvre du constructeur.

La même remarque s’applique d’ailleurs aux réalités naturelles. Si un agent naturel n’est pas cause de la forme en tant que telle, il ne sera pas davantage cause par soi de l’être consécutif à cette forme ; il sera seulement cause du devenir de l’effet.

Or, il est manifeste que, si deux réalités sont de même espèce, l’une ne peut pas être par soi cause de la forme de l’autre, en tant qu’elle est telle forme ; ce serait dire que la réalité-cause peut produire sa propre forme, puisque les deux formes ont la même nature spécifique. Mais elle peut produire une forme semblable en prenant appui sur la matière en laquelle cette forme se trouve en puissance, et en la lui faisant acquérir. Et cela c’est être cause du devenir, comme l’homme engendre l’homme, et le feu engendre le feu. C’est pourquoi, toutes les fois qu’un effet naturel est apte de soi à recevoir l’impression de son agent selon la même raison spécifique déjà possédée par l’agent, ce dernier est cause du devenir de l’effet, mais non de son être.

Mais parfois un effet n’est pas apte de soi à recevoir de l’agent une impression qui soit de même nature spécifique que l’agent lui-même ; ainsi en est-il de tous les agents qui reproduisent des effets qui ne leur sont pas spécifiquement semblables, tels les corps célestes, causes de la génération de corps inférieurs qui en sont spécifiquement dissemblables. Dans ce cas l’agent peut être cause de la forme en tant qu’elle est telle forme spécifique, et non pas seulement en tant qu’elle est obtenue dans telle matière. L’agent n’est pas alors simplement cause du devenir, mais de l’être.

Donc de même que le devenir d’une réalité ne peut se poursuivre quand cesse l’action de l’agent, cause du devenir ; de même l’être d’une chose ne saurait demeurer lorsque cesse l’action de l’agent qui est cause non pas simplement du devenir, mais aussi de l’être de cette chose. Et c’est la raison pour laquelle l’eau chauffée retient la chaleur quand cesse l’action du feu, tandis que l’air cesse instantanément d’être lumineux quand cesse l’action du soleil. La matière de l’eau en effet est capable de recevoir la chaleur du feu telle qu’elle est spécifiquement dans le feu, et si elle est amenée à revêtir la forme du feu, elle restera toujours chaude ; si au contraire elle ne participe qu’imparfaitement de la forme du feu, par manière d’inchoation, la chaleur ne demeurera en elle que temporairement, à cause d’une participation trop faible du principe de chaleur. L’air n’est d’aucune manière apte par nature à recevoir la lumière telle qu’elle est spécifiquement dans le soleil, ce qui signifierait qu’il reçoit la forme même du soleil, laquelle est principe de lumière ; aussi, puisqu’elle n’a pas de fondement dans l’air, la lumière y cesse dès que cesse l’action du soleil.

Or la situation de toute créature à l’égard de Dieu est celle même de l’air en face du soleil qui l’éclaire. Le soleil, par sa propre nature, est étincelant de lumière : l’air devient lumineux en participant de la lumière du soleil, sans pour autant participer de sa nature. Ainsi Dieu est l’être par essence, car son essence est d’exister ; toute créature au contraire est être par participation, du fait qu’exister n’appartient pas à son essence. Et, comme l’écrit S. Augustin : "Si la puissance de Dieu cessait un jour de régir les créatures, aussitôt leurs formes cesseraient, et toute nature s’effondrerait. " Et encore : " De même que l’air, en présence de la lumière, devient lumineux, ainsi l’homme, en présence de Dieu, se trouve illuminé ; en son absence, il tombe immédiatement dans les ténèbres."

Solutions :

1. L’être est de soi consécutif à la forme de la créature, à condition que l’on pose l’intervention de Dieu ; de même, la lumière est une conséquence de la diaphanéité de l’air, mais demande l’intervention du soleil. C’est pourquoi la puissance au non-être chez les créatures spirituelles et chez les corps célestes doit être de préférence située en Dieu, qui peut toujours soustraire son influx, plutôt que placée dans la forme ou dans la matière de ces créatures.

2. Dieu ne peut communiquer à une créature de continuer à exister tout en cessant d’agir sur elle, pas plus qu’il ne peut lui communiquer d’être cause de son existence. Car la créature a besoin d’être conservée par Dieu en tant précisément que l’être de l’effet dépend de la cause de l’être. Il n’en n’est pas de même de l’agent qui ne cause que le devenir.

3. Il est question dans cette objection de la conservation qui s’opère par le retrait de tout élément destructeur. Or toutes les créatures, nous venons de le dire, n’ont pas besoin de cela.

4. La conservation des choses par Dieu ne suppose pas une nouvelle action de sa part, mais seulement qu’il continue à donner l’être, ce qu’il fait en dehors du mouvement et du temps. Ainsi la conservation de la lumière dans l’air se fait par la continuation de l’influx solaire.

            Article 2 — Les créatures sont-elles conservées par Dieu de façon immédiate ?

Objections :

1. C’est par la même action que Dieu conserve les choses et les crée, nous l’avons dite. Mais il crée immédiatement tous les êtres ; donc, il les conserve aussi immédiatement.

2. Toute réalité est plus proche d’elle-même que d’une autre. Mais il ne peut lui être donné de se conserver elle-même ; à plus forte raison ne peut-il lui être donné de conserver autre chose. Donc Dieu conserve toute chose sans cause intermédiaire.

3. Pour qu’un effet soit conservé dans l’être, il faut que sa cause soit productrice non seulement de son devenir, mais de son être. Or, toutes les choses créées, semble-t-il, ne sont causes que du devenir de leurs effets, car elles n’agissent que par le moyen du mouvement, on l’a vu. Elles ne conservent donc pas leurs effets dans l’être.

En sens contraire, c’est le même agent qui, à la fois, donne l’être aux choses et le conserve. Mais Dieu donne l’être aux choses en se servant de causes intermédiaires. C’est donc par leur moyen aussi qu’il conserve les choses dans l’être.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, on peut conserver une réalité dans l’être d’une double manière : indirectement et par accident en écartant et en empêchant l’action d’un agent destructeur ; directement et par soi, ce qui suppose que l’être d’une réalité dépend d’une autre réalité, comme l’effet dépend de sa cause. Une réalité peut être conservatrice d’une autre de ces deux manières.

Il est manifeste en effet que, même pour les réalités matérielles, il y en a beaucoup qui empêchent l’action des agents destructeurs et sont dites conservatrices des choses ; c’est ainsi que le sel empêche la putréfaction de la viande, et il est beaucoup d’exemples analogues.

Mais on trouve aussi certains effets qui dépendent, dans leur être, d’une créature. Car il y a de nombreuses causes ordonnées les unes aux autres, en sorte que nécessairement, si l’effet dépend d’abord et principalement de la cause première, il dépend aussi secondairement de toutes les causes intermédiaires. C’est pourquoi, à titre principal certes, la cause première est conservatrice de l’effet ; mais à titre second toutes les causes intermédiaires le sont aussi, et d’autant plus qu’elles sont plus élevées et plus proches de la cause première. De là vient qu’on attribue aux causes supérieures, même dans le monde matériel, la conservation et la permanence des choses ; Aristote affirme que le premier mouvement, le mouvement diurne, est cause de la continuité de la génération ; que le second mouvement, le mouvement zodiacal, est cause de la diversité produite sous le rapport de la génération et de la corruption. De même les astronomes attribuent à Saturne, la planète supérieure, les réalités fixes et permanentes.

Il faut donc dire que Dieu conserve certaines choses dans l’être en se servant de causes intermédiaires.

Solutions :

1. Oui, Dieu a créé toutes choses immédiatement, mais en les créant il a institué un ordre entre elles, si bien que quelques-unes dépendent de certaines autres et, à titre second, sont conservées dans l’être par ces dernières, étant admis que la conservation principale vient de Dieu lui-même.

2. La cause propre est conservatrice de l’effet qui dépend d’elle car, de même qu’il ne peut être donné à aucun effet d’être cause de soi, mais qu’il peut être cause d’autre chose, de même il ne peut être donné à aucun effet de se conserver soi-même ; mais, à titre de cause, il peut conserver autre chose.

3. Aucune créature ne peut exercer la causalité sur une chose et lui faire acquérir une nouvelle forme ou une nouvelle disposition, sinon par le moyen d’un certain changement, car elle ne peut agir que sur un sujet préexistant. Mais, après qu’elle a produit dans le sujet la forme ou la disposition, il lui revient de les conserver sans autre mutation de l’effet. Ainsi, quand l’air est illuminé de nouveau, cela suppose un certain changement, mais ensuite la conservation de la lumière se fait par la seule présence du foyer lumineux sans que rien soit changé dans l’air.

            Article 3 — Dieu peut-il réduire quelque chose à néant ?

Objections :

1. D’après S. Augustin " Dieu n’est pas cause de la tendance au non-êt ;e ". Or c’est ce qui arriverait si Dieu réduisait quelque chose à néant. C’est donc qu’il ne peut rien anéantir.

2. Dieu est cause que les choses soient, du fait de sa bonté, car, selon S. Augustin " c’est parce que Dieu est bon que nous sommes ". Mais Dieu ne peut pas ne pas être bon ; il ne peut donc pas faire que les choses ne soient pas, ce qu’il ferait s’il les réduisait à néant.

3. Si Dieu réduisait certains êtres à néant, il faudrait que ce soit par une action de sa part. Mais cela est impossible, car toute action a pour forme quelque chose de réel. C’est d’ailleurs pourquoi la corruption se termine toujours à une réalité engendrée, selon l’adage qui veut que la génération d’un être suppose la corruption d’un autre être. Dieu ne peut donc rien annihiler.

En sens contraire, nous lisons dans Jérémie (10, 24 Vg) : " Corrige-moi, Seigneur, mais dans une juste mesure, sans te courroucer, pour ne pas me réduire à néant. "

Réponse :

Pour certains philosophes, Dieu a produit les choses dans l’être par nécessité de nature. Si c’était vrai, Dieu ne pourrait rien réduire à néant, de même qu’il ne peut changer sa nature. Mais, comme nous l’avons déjà dit, cette position est fausse et tout à fait étrangère à la foi catholique, où l’on professe que Dieu a produit les choses dans l’être par sa libre volonté. Aussi lisons-nous dans le Psaume (135, 6) : " Tout ce que le Seigneur a voulu, il l’a fait. " Communiquer l’être à la créature dépend donc de la volonté de Dieu. Et Dieu conserve les choses dans l’existence uniquement parce qu’il continue à leur communiquer l’existence, comme nous l’avons déjà noté. Donc, de même qu’avant la création des choses, il pouvait ne pas leur communiquer l’être et, de la sorte, ne pas les produire ; de même, une fois les choses réalisées, il peut cesser de leur communiquer l’être : elles cesseront alors aussitôt d’exister. C’est cela, les réduire à néant.

Solutions :

1. Le non-être n’a pas de cause par soi, car rien ne peut être cause sinon en tant qu’il est de l’être ; et l’être, à proprement parler, est cause d’être. C’est pourquoi Dieu ne peut être cause d’une tendance au non-être. Cette tendance, la créature la possède par soi, en tant qu’elle vient du néant. Cependant Dieu peut être cause par accident de l’anéantissement des choses : il suffirait qu’il leur retire son action conservatrice.

2. La bonté de Dieu est cause des choses, non par nécessité de nature, puisque la bonté divine ne dépend pas des créatures, mais par sa libre volonté. Dieu peut donc, sans porter préjudice à sa bonté, ne pas donner l’être aux choses ; il peut également, sans diminuer sa bonté, ne pas les conserver dans l’être.

3. Si Dieu réduisait quelque chose à néant, ce ne serait pas par une action nouvelle, mais par le fait qu’elle cesserait d’agir.

            Article 4 — Y a-t-il des réalités qui soient réduites à néant ?

Objections :

1. La fin répond au principe. Mais au principe il n’y avait que Dieu. Au terme, quand les choses auront atteint leur fin, il faudra donc qu’il n’y ait plus rien que Dieu. Et ainsi les créatures seront réduites à néant.

2. Toute créature a une puissance finie. Mais aucune puissance finie ne peut s’étendre à l’infini, et c’est pourquoi Aristote montre n , que "une puissance finie ne peut mouvoir pendant un temps infini ". Aucune créature ne peut donc durer indéfiniment. Et ainsi, à un moment donné, elle sera réduite à néant.

3. La matière ne fait pas partie de la forme ni des accidents. Mais parfois ceux-ci cessent d’exister. Ils sont donc réduits à néant.

En sens contraire, nous lisons dans l’Ecclésiaste (3, 14) : "J’ai appris que tout ce que Dieu fait durera toujours. "

Réponse :

En ce qui regarde les interventions de Dieu envers sa créature, certaines se produisent selon le cours naturel des choses ; d’autres sont miraculeuses et en dehors de l’ordre naturel imprimé aux créatures, comme on le dira bientôt,. Les premières, Dieu les fera selon la nature même des choses ; les œuvres miraculeuses sont ordonnées à la manifestation de la grâce, selon cette parole de l’Apôtre (1 Co 12, 7) : " A chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune " ; et plus loin il parle, entre autres, des miracles.

Les natures des créatures montrent que nulle d’entre elles n’est réduite à néant ; car ou bien elles sont immatérielles, et il n’y a pas en elles de puissance au non-être ; ou bien elles sont matérielles, et elles subsistent toujours, au moins quant à la matière, qui est incorruptible, car elle subsiste comme sujet de la génération et de la corruption.

D’autre part la réduction d’une chose à néant ne saurait se rattacher à la manifestation de la grâce, car la puissance et la bonté divines sont davantage manifestées par la conservation des choses dans l’être.

Il faut donc conclure purement et simplement qu’absolument rien n’est réduit à néant.

Solutions :

1. Que les choses soient produites dans l’être après n’avoir pas existé, cela montre la puissance de leur auteur. Mais leur réduction à néant ferait obstacle à cette manifestation, car c’est la conservation des choses dans l’être qui manifeste au maximum la puissance de Dieu, selon l’Apôtre (He 1, 3) : " Il soutient toutes choses par sa parole puissante. ".

2. La puissance à exister, chez la créature, est purement réceptive, mais la puissance active vient de Dieu de qui découle l’existence. C’est pourquoi la durée indéfinie des choses doit être attribuée à l’infinité de la puissance divine. Cependant, certaines choses reçoivent une vertu limitée qui leur permet de durer un certain temps, en ce sens que l’influx qu’elles reçoivent de Dieu pour exister peut être contrarié par un agent auquel une vertu finie ne saurait résister indéfiniment, mais seulement pendant un temps limité. Et c’est pourquoi les choses qui n’ont pas de contraire peuvent durer toujours, bien qu’ayant une vertu finie.

. 3. Les formes et les accidents ne sont pas des êtres complets, car ils ne subsistent pas ; ils sont seulement une détermination de l’être. C’est pourquoi on dit qu’ils sont de l’être, en ce sens que, par eux, quelque chose existe. Pourtant, même selon leur mode d’être, on ne peut pas dire qu’ils soient tout à fait réduits à néant ; non parce qu’une partie d’entre eux subsiste, mais parce qu’ils demeurent en puissance dans la matière ou le sujet.

Il faut maintenant considérer le second effet du gouvernement divin, qui est la mutation des créatures, qu’il s’agisse de la mutation des créatures par Dieu (Q. 105), ou de la mutation d’une créature par une autre (Q. 106-119).

 

 

 

QUESTION 105 — LA MUTATION DES CRÉATURES PAR DIEU

1. Dieu peut-il mouvoir immédiatement la matière pour l’unir à la forme ? - 2. Peut-il mouvoir immédiatement un corps ? - 3. Peut-il mouvoir l’intelligence ? - 4. Peut-il mouvoir la volonté ? - 5. Dieu agit-il en tout être agissant ? - 6. Peut-il faire quelque chose en dehors de l’ordre naturel ? - 7. Tout ce que Dieu produit ainsi est-il miraculeux ? - 8. La diversité des miracles.

            Article 1 — Dieu peut-il mouvoir immédiatement la matière à recevoir la forme ?

Objections :

1. Il semble que ce ne soit pas possible. D’après Aristote Il en effet, la forme qui est dans une matière peut seule produire une forme matérielle déterminée, car le semblable produit son semblable. Mais Dieu n’est pas une forme existant dans une matière. Donc il ne peut pas produire une forme matérielle.

2. Si un agent se trouve ordonné à des effets multiples, il n’en produira aucun, à moins d’être déterminé à l’un d’eux par quelque chose d’autre ; comme dit Aristote, une opinion universelle n’est motrice que par le moyen d’une saisie particulière. Mais la puissance divine est la cause universelle de toutes choses. Elle ne peut donc produire une forme particulière que par le moyen d’un agent particulier.

3. De même que l’être, pris communément, dépend de la première cause universelle, de même l’être déterminé dépend de causes particulières déterminées, nous l’avons montré à la question précédente. Mais ce qui détermine l’être d’une chose, c’est sa propre forme. Donc, les formes propres aux choses ne sont produites par Dieu que moyennant des causes particulières.

En sens contraire, il est écrit dans la Genèse (2, 7) : "Dieu forma l’homme du limon de la terre. "

Réponse :

Dieu peut immédiatement mouvoir la matière à recevoir la forme. En effet, l’être en puissance passive peut être réduit à l’acte par une puissance active qui contienne la puissance passive sous son pouvoir. Et comme la matière est contenue sous le pouvoir divin, puisqu’elle est produite par Dieu, elle peut être réduite à l’acte par la puissance divine ; et c’est là précisément mouvoir la matière à recevoir la forme, car la forme n’est autre chose que l’acte de la matière.

Solutions :

1. Un effet se trouve assimilé à l’agent qui le cause d’une double manière. Premièrement, l’homme est engendré par l’homme, le feu par le feu. Secondement, selon une contenance virtuelle, en tant que l’effet est virtuellement contenu dans la cause ; ainsi les animaux engendrés par la putréfaction, les plantes et les minéraux sont assimilés au soleil et aux étoiles, par la vertu desquels ils sont engendrés. Ainsi donc l’effet est assimilé à la cause agente selon tout ce que la vertu de l’agent peut atteindre en lui.

Or, la puissance de Dieu atteint la forme et la matière, ainsi que nous l’avons vu c. C’est pourquoi le composé qui est engendré est assimilé à Dieu selon une contenance virtuelle ; et il est assimilé au composé qui l’engendre selon une similitude spécifique. Et de même que le composé engendrant peut mouvoir la matière à recevoir la forme en produisant un composé semblable à lui, ainsi en est-il de Dieu. On ne pourrait en dire autant d’une autre forme immatérielle, car la matière échappe à la puissance des substances séparées. Aussi les démons et les anges n’agissent-ils pas sur les réalités de ce monde visible en y imprimant des formes, mais en utilisant des germes ou semences corporels.

2. Cette objection serait valable si Dieu agissait par nécessité de nature. Mais Dieu agit par sa volonté et son intelligence, et celle-ci connaît les structures propres de toutes les formes, y compris les formes particulières ; d’où il suit que Dieu peut, d’une façon déterminée, imprimer à la matière telle ou telle forme.

3. Que les causes secondes soient ordonnées à produire des effets déterminés, elles le tiennent de Dieu. Et puisque c’est Dieu qui ordonne les autres causes à produire des effets déterminés, il peut tout aussi bien les produire lui-même.

            Article 2 — Dieu peut-il mouvoir immédiatement un corps ?

Objections :

1. " Le moteur qui meut et le mobile qui est mû doivent cœxister ", d’après Aristote, et par suite avoir entre eux un certain contact. Mais il n’y a pas de contact possible entre Dieu et un corps, car en Dieu, comme l’affirme Denys, il n’y a pas de toucher. Dieu ne peut donc pas mouvoir un corps immédiatement.

2. Dieu est un moteur qui n’est pas mû. Or tel est le cas de l’objet de l’appétit, quand cet objet est appréhendé. Dieu meut donc en tant qu’objet désiré et appréhendé. Mais il ne peut être appréhendé que par l’intelligence, laquelle n’est ni un corps ni une faculté corporelle. Donc Dieu ne peut pas mouvoir un corps immédiatement.

3. Selon Aristote, le mouvement produit par une puissance infinie est instantané. Mais il est impossible que le mouvement d’un corps soit instantané, car, comme le mouvement se produit entre deux termes opposés, il s’ensuivrait que les deux termes se trouveraient simultanément dans le même sujet, ce qui est impossible. Un corps ne peut donc être mû immédiatement par une puissance infinie. Or la puissance de Dieu est infinie, comme on l’a vu. Donc Dieu ne peut mouvoir un corps immédiatement.

En sens contraire, Dieu a produit les œuvres des six jours immédiatement. Or ces œuvres comprennent des mouvements corporels, puisqu’il est écrit dans la Genèse (1, 9) : "Que les eaux se rassemblent en un lieu unique. " Donc Dieu peut mouvoir immédiatement un corps quel qu’il soit.

Réponse :

C’est une erreur de croire que Dieu ne peut pas produire par lui-même tous les effets particuliers qui sont réalisés par une cause créée quelconque . Et puisque les corps sont mus immédiatement par les causes créées, on ne saurait douter que Dieu puisse mouvoir immédiatement n’importe quel corps.

Cela d’ailleurs s’accorde avec ce que nous avons dit plus haut. Tout mouvement de n’importe quel corps, ou bien est la conséquence d’une forme : ainsi le mouvement local des corps lourds ou légers vient de la forme qui leur a été donnée par l’engendrant, et c’est pourquoi on voit en celui-ci la cause d’un mouvement. Ou bien le mouvement est l’acheminement vers une forme à acquérir ; ainsi l’échauffement conduit à la forme de feu. Or il appartient au même agent qui imprime la forme et de disposer à la forme, et de donner le mouvement consécutif à la forme ; ainsi le feu non seulement engendre un autre feu, mais il produit aussi la chaleur et il fait s’élever la flamme. Puisque Dieu peut immédiatement imprimer une forme dans une matière, il peut donc aussi bien mouvoir un corps, de quelque façon que ce soit.

Solutions :

1. Il y a deux espèces de contact : le contact corporel qui fait que deux corps se touchent ; et le contact virtuel ; ainsi dit-on qu’un objet attristant "touche" celui qui s’en afflige. Dieu, qui est incorporel, ne touche pas et n’est pas touché. Mais, sous le rapport du contact virtuel, il touche les créatures en les faisant se mouvoir ; il n’est pas cependant touché par elles, car aucune créature, par sa vertu naturelle., ne peut atteindre jusqu’à lui. En ce sens, Denys dit : " Il n’y a pas de toucher en Dieu ", en ce qu’il serait touché.

2. Dieu meut en tant que désiré et connu. Mais il n’est pas nécessaire qu’il meuve toujours en tant que désiré et connu par celui qui est mû ; il suffit qu’il soit désiré et connu par lui-même. Dieu produit en effet toutes choses en vue de sa bonté.

3. Aristote entend prouver i que la puissance du premier moteur n’est pas une puissance de grandeur quantitative, par le raisonnement suivant. La puissance du premier moteur est infinie (il le montre en disant qu’elle peut mouvoir pendant un temps infini). Or une puissance infinie, qui serait infinie en grandeur quantitative, exercerait sa motion en dehors du temps, ce qui est impossible. Il faut donc que la puissance infinie du premier moteur ne soit pas infinie quantitativement.

Il est donc évident que la motion d’un corps en dehors du temps ne peut relever que d’une puissance infinie en grandeur quantitative. La raison en est que toute puissance de grandeur quantitative meut selon tout elle-même, car elle meut par nécessité de nature. D’autre part, une puissance infinie dépasse sans proportion toute puissance finie. Or plus la puissance du moteur est grande, plus grande aussi est la rapidité du mouvement. Donc, puisqu’une puissance finie meut selon un temps déterminé, il s’ensuit qu’une puissance infinie doit mouvoir en dehors de tout temps ; car entre un temps quel qu’il soit et un autre temps, il y aura toujours une proportion déterminée.

Mais la puissance qui ne se mesure pas par la grandeur quantitative est la puissance d’un être intelligent, lequel agit sur ses effets selon qu’il leur convient. C’est pourquoi, comme il ne convient pas à un corps d’être mû en dehors du temps, on ne peut pas conclure des principes posés que l’être intelligent réalise le mouvement corporel en dehors du temps.

            Article 3 — Dieu peut-il mouvoir l’intelligence ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne meuve pas immédiatement l’intelligence créée, car l’acte d’intelligence a pour cause celui en qui il se trouve, il ne s’exerce pas sur une matière extérieure, dit Aristote.

Or l’action de celui qui est mû par un autre ne vient pas de celui en qui elle se trouve, mais de l’agent moteur. L’intelligence n’est donc pas mue par un autre.

2. Ce qui a en soi le principe suffisant de son mouvement n’est pas mû par un autre. Mais le mouvement de l’intelligence, c’est sa propre intellection, au sens où nous disons avec Aristote que l’intellection et la sensation sont des mouvements. Or la lumière intelligible, inhérente à l’intelligence, constitue un principe suffisant d’intellection. L’intelligence n’est donc pas mue par un autre qu’elle-même.

3. De même que le sens est mû par l’objet sensible, ainsi l’intelligence est mue par l’objet intelligible. Mais Dieu n’est pas intelligible pour nous ; car il dépasse notre intelligence. Il ne peut donc mouvoir notre intelligence.

En sens contraire, celui qui enseigne meut l’intelligence du disciple. Mais Dieu " enseigne à l’homme la science " d’après le Psaume (94, 10). Donc Dieu meut l’intelligence de l’homme.

Réponse :

Dans les mouvements corporels, on appelle moteur celui qui donne la forme, laquelle est principe du mouvement. Ainsi peut-on dire que celui-là meut l’intelligence, qui cause la forme, principe de ce mouvement qu’est l’opération intellectuelle. Or, dans l’être intelligent, il y a un double principe de l’opération intellectuelle : l’un est la faculté intellectuelle elle-même et se trouve dans l’être intelligent, même s’il n’est qu’en puissance à agir ; l’autre est le principe de l’intellection en acte, à savoir la similitude de l’objet intelligible. On pourra donc dire qu’un être meut une intelligence, soit qu’il lui donne la faculté de connaître, soit qu’il imprime en elle la similitude de la chose connue.

Or, selon ces deux principes, Dieu meut l’intelligence créée. Il est en effet le premier être immatériel. Et parce que l’intellectualité est une conséquence de l’immatérialité, il est aussi le premier être intelligent. Aussi, comme le premier, dans un ordre quelconque, est cause de tous les dérivés qui appartiennent à cet ordre, il s’ensuit que de Dieu dérive toute vertu intellectuelle. Pareillement, puisque Dieu est le premier être, et que tous les êtres préexistent en lui comme en leur première cause, il faut bien qu’ils soient en lui d’une manière intelligible et selon son mode à lui.

De même en effet que toutes les raisons intelligibles des choses existent d’abord en Dieu, puis dérivent de lui dans les autres intelligences pour leur faire exercer l’intellection en acte, de même ces raisons intelligibles dérivent sur les créatures pour les faire subsister.

Ainsi donc Dieu meut l’intelligence en tant qu’il lui donne la vertu de connaître, qu’il s’agisse de la vertu naturelle ou d’une vertu surajoutée ; et en tant qu’il imprime dans l’intelligence des similitudes ou espèces intelligibles. De plus il soutient et conserve dans l’être et cette vertu et ces espèces.

Solutions :

1. L’opération intellectuelle relève de l’intelligence du sujet connaissant, mais comme d’une cause seconde. Elle relève de Dieu comme de sa cause première. C’est Dieu en effet qui donne à l’être intelligent son pouvoir d’intellection.

2. La lumière intellectuelle, en même temps que la similitude de l’objet, est un principe suffisant d’intellection, mais c’est un principe second dépendant du premier principe.

3. L’objet intelligible meut notre intelligence en imprimant en elle de quelque façon sa propre similitude grâce à laquelle l’intellection peut se produire. Mais les similitudes que Dieu imprime dans l’intelligence créée ne suffisent pas à le faire connaître dans son essence, ainsi que nous l’avons déjà montré. Dieu meut donc l’intelligence créée sans pour autant lui devenir intelligible, nous l’avons dit aussi.

 

            Article 4 — Dieu peut-il mouvoir la volonté ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, tout ce qui est mû de l’extérieur est contraint. Mais la volonté ne peut être contrainte. Elle ne peut donc être mue de l’extérieur, et par conséquent Dieu ne peut la mouvoir.

2. Dieu ne peut faire que des contradictoires soient vrais en même temps et c’est ce qui arriverait s’il exerçait une motion sur la volonté ; car agir volontairement c’est être mû par soi et non par un autre. Donc Dieu ne peut pas mouvoir la volonté.

3. Le mouvement se réfère davantage au moteur qu’au mobile ; c’est pourquoi l’homicide n’est pas attribué à la pierre, mais à celui qui la lance. Donc, si Dieu meut la volonté, des œuvres volontaires de l’homme ne peuvent lui être imputées à mérite ou à démérite. Or ceci est faux. Donc Dieu ne meut pas la volonté.

En sens contraire, nous lisons dans l’épître aux Philippiens (2, 13) - " C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire. "

Réponse :

De même que l’intelligence, on vient de le dire, est mue par son objet, et par celui qui lui donne la faculté de connaître, ainsi la volonté est mue par son objet qui est le bien, et par celui qui crée la faculté de vouloir. Or la volonté peut être mue, à titre d’objet, par un bien quelconque ; mais elle ne peut l’être d’une manière suffisante et efficace que par Dieu. En effet, un agent moteur ne peut mouvoir un mobile d’une manière suffisante que si sa vertu active ne dépasse pas, ou au moins n’égale pas la vertu passive du mobile. Or la vertu passive de la volonté s’étend au bien dans son universalité ; car son objet est le bien universel comme l’objet de l’intelligence est l’être universel[4431]. Mais tout bien créé est un bien particulier ; Dieu seul est le bien universel. C’est pourquoi lui seul peut combler la volonté et la mouvoir, comme objet, d’une façon pleinement suffisante.

Pareillement, la puissance volontaire est causée par Dieu seul. Le vouloir, en effet, n’est pas autre chose qu’une certaine inclination vers l’objet de la volonté, c’est-à-dire vers le bien universel. Or incliner un être vers le bien universel appartient au premier moteur, car c’est à lui que correspond la fin ultime. Ainsi, dans les affaires humaines, il appartient au chef d’orienter la multitude vers le bien commun.

Aux deux points de vue envisagés, il est donc propre à Dieu de mouvoir la volonté, mais surtout au second point de vue selon lequel Dieu incline intérieurement la volonté.

Solutions :

1. L’être mû par un autre n’est contraint que s’il est mû contre son inclination propre. Mais s’il est mû par un autre qui lui donne sa propre inclination, on ne peut dire qu’il soit contraint. Ainsi le corps lourd qui est mû par son engendrant et qui tombe, n’est pas contraint. C’est de cette manière que Dieu, en mouvant la volonté, ne la force pas, car il lui donne sa propre inclination.

2. Agir volontairement, c’est se mouvoir soi-même, c’est-à-dire par un principe intrinsèque. Mais ce principe intrinsèque peut venir d’un autre principe qui, lui, est extrinsèque. Se mouvoir soi-même ne s’oppose donc pas nécessairement à être mû par un autre.

3. Si la volonté était mue par un autre de telle manière qu’elle ne se mouvrait aucunement par elle-même, ses œuvres ne pourraient lui être imputées à mérite ou à démérite. Mais puisque le fait d’être mue par un autre n’exclut pas qu’elle puisse se mouvoir d’elle-même, ou vient de le dire, il s’ensuit que la possibilité de mériter ou de démériter ne lui est pas enlevée.

            Article 5 — Dieu agit-il en tout être agissant ?

Objections :

1. Il semble que non, car aucune insuffisance ne doit être attribuée à Dieu. Donc, si Dieu opère en tout être agissant, il le fait d’une façon pleinement suffisante, ce qui rend inutile l’action de l’agent créé. Donc Dieu n’agit pas en tout être agissant.

2. Une opération unique ne peut venir à la fois de deux agents, pas plus qu’un mouvement numériquement unique ne peut appartenir à deux mobiles différents. Donc, si l’action de la créature vient de Dieu agissant en elle, elle ne peut venir en même temps de la créature - ainsi nulle créature ne fait quoi que ce soit.

3. On dit qu’un agent est cause de l’opération de son effet en ce sens qu’il donne à l’effet la forme qui déterminera son action. Donc, si Dieu est cause de l’opération des créatures, ce sera en tant qu’il leur donne la puissance d’agir. Mais ceci commence lorsque Dieu crée. Il apparaît donc qu’ultérieurement Dieu n’agit pas dans tout être agissant.

En sens contraire, nous lisons dans Isaïe (26, 12) : " Toutes nos œuvres, tu les accomplis en nous, Seigneur. "

Réponse :

Que Dieu agisse en tout être agissant, certains l’ont compris en ce sens u’aucune vertu créée, en réalité, ne ferait rien, mais que Dieu seul produirait tout immédiatement ; ainsi le feu ne chaufferait pas par lui-même, mais c’est Dieu qui, dans le feu, produirait la chaleur, et ainsi de tout le reste.

Or cela est impossible. D’abord, parce que ce serait enlever du même coup, dans la création, toute relation entre cause et effet. Ce serait attribuable à l’impuissance du créateur, car c’est la puissance de l’agent qui donne à son effet la vertu d’agir. - En second lieu, parce que les puissances d’action que nous découvrons dans les choses leur seraient attribuées sans raison, puisqu’elles ne feraient rien. Bien plus, toutes les choses créées apparaîtraient d’une certaine façon inutiles si elles étaient privées d’opération propre, car toute chose existe en vue de son opération. L’imparfait existe toujours en vue du plus parfait. Ainsi la matière est pour la forme, et la forme, qui est l’acte premier, est pour son opération, qui est l’acte second. L’opération est donc la fin de la réalité créée. Dès lors il faut comprendre que Dieu agit dans les choses de telle sorte que celles-ci gardent leur opération propre.

Pour le comprendre, il importe de considérer qu’il y a quatre genres de causes : la matière, qui n’est pas à proprement parler principe d’action, mais se présente comme le sujet récepteur de l’effet produit. La fin, l’agent et la forme se comportent comme un principe d’action, mais selon un certain ordre. Le premier principe d’action est la fin, parce qu’elle meut l’agent ; en deuxième lieu, vient l’agent ; en troisième lieu, il y a la forme de la réalité que l’agent applique à l’action (quoique l’agent lui-même agisse par le moyen de sa propre forme). On le voit bien dans les œuvres de l’art : l’artisan est mû à agir par la fin, c’est-à-dire par l’œuvre qu’il se propose de réaliser, que ce soit un coffre ou un lit ; puis il applique à l’action la hache, laquelle taille par son tranchant.

C’est donc de ces trois façons que Dieu agit en tout être agissant. En premier lieu, du point de vue de la fin ; car toute action est produite en vue d’un bien, véritable ou apparent, et d’ailleurs rien n’est bon, ou n’apparaît tel, sinon en tant qu’il possède en participation une certaine similitude du souverain Bien qui est Dieu. Il s’ensuit donc que Dieu lui-même, en tant que fin, est la cause de toute opération.

En deuxième lieu, il faut se souvenir que, lorsque plusieurs agents sont ordonnés entre eux, c’est toujours en vertu du premier agent que le second opère, car le premier agent meut le second à agir. Sous ce rapport, toutes choses agissent en vertu de Dieu lui-même, en sorte qu’il est vraiment la cause de toutes les actions des agents créés.

En troisième lieu, on doit considérer que Dieu ne meut pas seulement les choses à agir en appliquant leurs formes et leurs vertus à l’action, comme fait l’artisan qui applique la hache à tailler sans pour autant lui avoir donné sa forme de hache ; mais Dieu donne aussi aux créatures agissantes leurs formes, et il conserve ces formes dans l’être. Ainsi Dieu n’est pas seulement cause des actions en tant qu’il donne la forme, principe d’action, comme l’engendrant qui est dit cause de mouvement des corps lourds et légers ; mais il l’est encore parce qu’il conserve les formes et les vertus des êtres ; ainsi le soleil est cause de la manifestation des couleurs parce qu’il donne et conserve la lumière qui les manifeste. Et parce que la forme d’une chose lui est d’autant plus intime qu’elle se présente davantage comme première et universelle ; parce que Dieu lui-même est proprement la cause de l’être universel en toutes choses, et que cet être est ce qu’il y a de plus intime à ces choses : il suit de là que Dieu agit intimement dans toutes les réalités. C’est pourquoi, dans la Sainte Écriture, les opérations de la nature sont attribuées à Dieu comme agissant en elles, selon cette parole de Job (10, 11) : "Tu m’as vêtu de peau et de chair ; tu m’as tissé avec des os et des nerfs. "

Solutions :

1. Dieu agit dans les choses d’une manière pleinement suffisante, au titre d’agent premier. Et cela ne rend pas superflue l’action des agents seconds.

2. Une seule et même action ne procède pas de deux agents de même catégorie, mais rien ne s’oppose à ce qu’elle procède d’un agent premier et d’un agent second.

3. Dieu ne donne pas seulement aux choses leurs formes, mais il les conserve dans l’être, il les applique à l’action, et il est la fin de toutes les opérations, ainsi que nous venons de le dires.

            Article 6 — Dieu peut-il faire quelque chose en dehors de l’ordre naturel ?

Objections :

1. S. Augustin écrit : " Dieu, auteur et créateur de toutes les natures, ne fait rien contre la nature. " Or il semble que ce qui est en dehors de l’ordre naturel inscrit dans les choses soit contre la nature. Donc Dieu ne peut rien faire en dehors de l’ordre inscrit dans les choses.

2. L’ordre de la nature vient de Dieu aussi bien que l’ordre de la justice. Mais Dieu ne peut rien faire qui soit en dehors de l’ordre de la justice, car il ferait alors quelque chose d’injuste. Donc, il ne peut rien faire en dehors de l’ordre de la nature.

3. C’est Dieu qui a institué l’ordre de la nature. Donc s’il faisait quelque chose en dehors de cet ordre, il faudrait en conclure, semble-t-il, qu’il est sujet au changement, ce qui est inadmissible.

En sens contraire, nous lisons chez S. Augustin que " parfois Dieu agit contre le cours ordinaire de la nature ".

Réponse :

Toute cause, parce qu’elle a raison de principe, introduit dans ses effets un certain ordre.

C’est pourquoi la multiplication des causes a pour résultat la multiplication des ordres ; et de même qu’une cause se trouve contenue sous une autre cause, ainsi en est-il des ordres eux-mêmes. Ce n’est donc pas la cause supérieure qui est contenue sous l’ordre de la cause inférieure, mais bien le contraire. Nous en avons un exemple dans les affaires humaines : car c’est du père de famille que dépend l’ordre de la maison, et celui-ci est contenu sous l’ordre de la cité, qui procède de son chef, tout comme l’ordre de la cité est contenu sous l’ordre du roi qui préside à l’organisation de tout le royaume.

Donc, si l’ordre des choses est considéré comme dépendant de la cause première, alors Dieu ne peut rien faire contre cet ordre, car en ce cas il agirait contre sa prescience, ou sa volonté, ou sa bonté. Mais si nous considérons l’ordre des choses en tant qu’il dépend de l’une quelconque des causes secondes, à ce point de vue Dieu peut agir en dehors de l’ordre des choses. Car Dieu n’est pas soumis à l’ordre des causes secondes ; c’est cet ordre qui lui est soumis, parce qu’il procède de lui non par nécessité de nature, mais par choix de sa volonté ; car il eût pu instituer un ordre de choses différent. C’est pourquoi il peut agir en dehors de tel ordre institué, quand il le veut ; il peut, par exemple, produire les effets des causes secondes sans leur concours, ou produire certains effets qui dépassent la puissance des causes secondes. De là cette parole de S. Augustin : " Dieu agit contre le cours habituel de la nature, mais il ne fait rien qui aille contre sa loi souveraine pas plus que contre lui-même. "

Solutions :

1. Quand quelque chose arrive dans les réalités naturelles en dehors de leur nature foncière, cela peut se produire d’une double manière. D’abord, par l’action exercée sur une chose par un agent qui ne lui a pas donné son inclination naturelle ; ainsi l’homme qui lance en l’air un corps lourd ; ce n’est pas lui qui a donné au corps sa lourdeur, et l’action de cet homme va à l’encontre de la nature du corps. En second lieu, par l’action d’un agent duquel dépend l’inclination naturelle. Dans ce cas, il n’y a pas action contre la nature de l’être sur lequel l’agent exerce son pouvoir. Ainsi le flux et le reflux de la mer ne vont pas à l’encontre de la nature de l’eau, bien qu’ils soient en dehors de son mouvement naturel qui l’entraîne vers le bas. Le flux et le reflux viennent en effet de l’influence d’un corps céleste qui tient sous sa dépendance l’inclination naturelle des corps inférieurs. - Et puisque l’ordre de la nature a été inscrit par Dieu dans les choses, quand Dieu agit en dehors de cet ordre, il ne va pas contre la nature. C’est ce qui fait dire à S. Augustin : "Ce que Dieu fait est naturel à chaque chose, car de lui dépend tout mode, nombre et ordre de la nature. "

2. L’ordre de la justice se réfère à la cause première qui est la règle de toute justice. C’est pour cette raison que Dieu ne peut rien faire en dehors de cet ordre.

3. Dieu inscrit dans les choses un certain ordre, en se réservant cependant d’agir parfois autrement pour une raison spéciale. C’est pourquoi, quand il agit en dehors de cet ordre, Dieu ne change pas.

            Article 7 — Tout ce que Dieu fait en dehors de l’ordre naturel est-il miraculeux ?

Objections :

1. La création du monde, celle des âmes, la justification de l’impie sont produites par Dieu en dehors de l’ordre naturel, puisqu’elles ne sont pas réalisées par l’activité d’une cause naturelle. Et cependant on ne dit pas que ce sont des miracles. Donc tout ce que Dieu fait en dehors de l’ordre naturel n’est pas miraculeux.

2. On appelle miracle " quelque chose d’ardu et d’insolite qui dépasse la puissance de la nature et l’attente de celui qui en est le témoin étonné ". Mais certains faits se produisent en dehors de l’ordre naturel qui n’apparaissent pas difficiles, car il s’agit d’affaires minimes comme la régénération des pierres précieuses ou la guérison des malades. - D’autres faits ne sont pas insolites parce qu’ils arrivent fréquemment : ainsi les malades que l’on déposait sur les places et qui étaient guéris par l’ombre de S. Pierre (Ac 5, 15). - D’autres encore ne dépassent pas le pouvoir de la nature, comme la guérison des fièvres. - D’autres enfin ne dépassent pas notre espoir : nous espérons tous la résurrection des morts qui pourtant se produira en dehors de l’ordre naturel. Donc tous les faits étrangers à l’ordre de la nature, ne sont pas des miracles.

3. Le mot miracle vient du mot admiration. Mais l’admiration concerne des faits manifestes pour les sens. Or, il arrive parfois que des événements se produisent en dehors de l’ordre naturel, et ne sont pas perceptibles aux sens : ainsi quand les Apôtres furent remplis de science sans avoir cherché ni appris. Tous les faits qui se produisent en dehors de l’ordre naturel ne sont donc pas des miracles.

En sens contraire, S. Augustin écrit : "Quand Dieu fait quelque chose en dehors du cours connu et habituel de la nature, on qualifie cela de haut fait et de merveille. "

Réponse :

Le mot miracle vient du mot admiration. L’admiration surgit quand se manifestent des effets dont la cause demeure cachée. Ainsi, on est dans l’admiration ou l’étonnement quand on voit une éclipse de soleil et qu’on en ignore la cause, comme le note Aristote. Or, la cause d’un effet apparent à tous peut être connue par certains et ignorée par d’autres. Aussi un événement est-il étonnant pour l’un, et non pour les autres. Par exemple, une éclipse de soleil étonne l’ignorant, non l’astronome. Mais le miracle est un événement qui suscite pleinement l’admiration parce que sa cause est entièrement cachée à tous. Et cette cause, c’est Dieu. Aussi les actions que Dieu fait en dehors des causes connues de nous sont-elles appelées des miracles.

Solutions :

1. La création, la justification de l’impie, bien qu’elles soient l’œuvre de Dieu seul, ne sont pas cependant appelées à proprement parler des miracles. Car elles ne sont pas aptes, par nature, à être produites par d’autres causes, et ainsi elles n’arrivent pas en dehors de l’ordre de la nature, puisqu’elles ne lui appartiennent pas.

2. Le miracle est appelé difficile, non pas en raison de l’importance de l’événement, mais parce qu’il dépasse le pouvoir de la nature. - Pareillement, il est insolite, non parce qu’il est rare, mais parce qu’il est produit en dehors du cours naturel des choses. - Il surpasse la puissance de la nature, non seulement en raison de la substance même du fait accompli, mais à cause de la manière dont il est produit et de l’ordre de sa réalisation. - Enfin, quand nous disons qu’il dépasse l’espoir de la nature, il ne s’agit pas de cette espérance de grâce qui vient de la foi et par laquelle nous croyons à la résurrection future.

3. La science des Apôtres, si elle n’était pas manifeste en elle-même, l’était cependant dans ses effets qui la rendaient admirable.

            Article 8 — La diversité des miracles

Objections :

1. Il semble qu’un miracle ne soit pas plus important qu’un autre. Car S. Augustin écrit : " Dans les événements qui suscitent l’admiration, toute l’explication se trouve dans la puissance de celui qui agit. " Or la puissance de Dieu est la même pour tous les miracles. Il n’y en a donc pas de plus ou moins grand.

2. La puissance de Dieu est infinie. Mais l’infini dépasse sans proportion tout ce qui est fini. Un effet de cette puissance n’est donc pas plus admirable qu’un autre, et par suite tous les miracles se valent.

En sens contraire, le Seigneur dit lui-même (Jn 14, 12) à propos des œuvres miraculeuses : "Les œuvres que je fais, (celui qui croit en moi) les fera lui aussi, et il en fera de plus grandes. "

Réponse :

Rien ne peut être appelé miracle si on le réfère à la puissance divine, car tout ce qui est produit par Dieu, comparé à sa puissance, est infime, selon la parole d’Isaïe (40, 15) : " Les nations sont comme une goutte d’eau au bord du seau, comme un grain de poussière dans la balance. " Mais on qualifie de miracle un événement par comparaison avec la puissance de la nature qu’il dépasse. Et, sous ce rapport, il y a des miracles plus ou moins grands.

La puissance de la nature peut en e être dépassée d’une triple manière : 1° en ce qui regarde la substance même du fait produit ; par exemple, si deux corps se trouvent ensemble dans un même lieu, si le soleil recule, si un corps humain est glorifié : cela, la nature ne peut le faire d’aucune façon. - 2° l’événement surpasse la puissance de la nature, non pas par rapport à ce qui est produit, mais par rapport au sujet dans lequel l’événement s’est produit. Il en est ainsi de la résurrection des morts, de la guérison des aveugles, ou d’autres cas semblables. La nature peut en effet produire la vie, mais non dans un cadavre ; elle peut donner la vue, mais non à un aveugle. De tels miracles appartiennent au deuxième degré. - 3° le miracle peut dépasser la puissance de la nature dans la manière et l’ordre selon lesquels il est produit : ainsi lorsqu’un malade est subitement guéri de la fièvre par la vertu divine sans recourir aux remèdes et en dehors du processus ordinaire et naturel de guérison ; ou bien quand, par la vertu divine, le ciel se couvre subitement et que la pluie tombe sans cause naturelle, comme le fait se produisit à la prière de Samuel (1 S 12, 18) et d’Élie (1 R 18, 44). Ce sont là des miracles du dernier rang.

Mais en chacun de ces ordres de miracles, il y a des degrés multiples, selon qu’ils dépassent diversement la puissance de la nature.

Ce que nous venons de dire suffit pour résoudre les objections, qui se placent au point de vue de la puissance divine.

LA MOTION DE LA CRÉATURE PAR UNE AUTRE

Il faut maintenant considérer comment une créature en meut une autre. Cette étude comportera trois parties. Nous verrons d’abord comment les anges, créatures purement spirituelles, peuvent mouvoir (Q. 106-114). Ensuite comment les corps peuvent mouvoir (Q. 115), en dernier lieu, l’homme, dont la nature est à la fois spirituelle et corporelle (Q. 117).

Sur le premier point, trois considérations : 1. Comment l’ange agit-il sur un autre ange ? - 2. Comment agit-il sur la créature corporelle ? (Q. 110). - 3. Comment agit-il sur les hommes ? (Q. 111).

Il faudra, sur l’interaction des anges, considérer leur illumination réciproque et leur langage, (Q. 107), puis la hiérarchie qui règne entre eux, bons et mauvais (Q. 108-109)

 

 

QUESTION 106 — L’ILLUMINATION D’UN ANGE PAR UN AUTRE

1. Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ? - 2. Un ange peut-il mouvoir la volonté d’un autre ? - 3. L’ange inférieur peut-il illuminer l’ange supérieur ? - 4. L’ange supérieur illumine-t-il l’intelligence de l’ange inférieur au sujet de tout ce qu’il connaît ?

 

            Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

Objections :

1. Les anges possèdent tous cette même béatitude que nous attendons pour l’avenir. Mais alors un homme n’en illuminera pas un autre, selon Jérémie (31, 24) : " Un homme n’enseignera plus son prochain, ni un homme son frère. " Il en est donc de même dès maintenant pour les anges.

2. Il y a trois sortes de lumière chez les anges : la lumière naturelle, la lumière de grâce, et la lumière de gloire. Or, l’ange reçoit de celui qui le crée la lumière naturelle ; de celui qui le justifie, la lumière de grâce ; de celui qui le béatifie, la lumière de gloire ; et tout cela vient de Dieu. Donc un ange n’en illumine pas un autre.

3. La lumière dont il s’agit est une certaine forme de l’esprit. Mais l’esprit " est formé par Dieu seul, sans l’intermédiaire d’aucune créature ", remarque S. Augustin. Il n’appartient donc pas à un ange d’en illuminer un autre.

En sens contraire, Denys écrit : " Les anges de la seconde hiérarchie sont purifiés, illuminés et perfectionnés par les anges de la première hiérarchie. "

Réponse :

Il faut reconnaître qu’un ange en illumine un autre. Pour bien le saisir, il faut considérer ceci : la lumière intellectuelle n’est rien d’autre qu’une certaine manifestation de la vérité, selon l’épître aux Éphésiens (5, 13) : "Tout ce qui se manifeste est lumière." Illuminer consiste donc à transmettre à autrui la manifestation d’une vérité que l’on connaît, et c’est en ce sens que l’Apôtre peut écrire (Ep 3,8.9) : "A moi, le moindre de tous les saints, a été confiée cette grâce d’illuminer tous les hommes, touchant l’économie du mystère caché depuis le commencement en Dieu." On pourra donc dire qu’un ange en illumine un autre quand il lui manifeste une vérité que lui-même connaît. C’est pourquoi Denys écrit : "Les théologiens enseignent ouvertement que les ordres des anges préposés aux corps célestes reçoivent des esprits les plus élevés la connaissance des choses divines."

Mais, nous l’avons dit, deux choses concourent à l’acte d’intelligence : la puissance intellectuelle, et la similitude de la chose connue. A ces deux points de vue un ange peut notifier à un autre la vérité que lui-même connaît. Il le fait d’abord en fortifiant la puissance intellectuelle de cet ange. De même en effet que la puissance d’un corps moins parfait est fortifiée par la proximité spatiale d’un corps plus parfait, "ainsi la chaleur d’un corps tiède est augmentée par la présence d’un corps brûlant" ; de même, la puissance intellectuelle d’un ange inférieur se trouve renforcée du fait qu’un ange supérieur se tourne vers lui. En effet, ce mouvement de conversion chez les êtres spirituels réalise ce que produit la proximité locale pour les êtres corporels.

En second lieu, si l’on se place au point de vue de la similitude de la chose connue, l’ange, sous ce rapport également, manifeste la vérité à un autre. L’ange supérieur a une connaissance plus universelle de la vérité, à laquelle l’intelligence de l’ange inférieur n’est pas adaptée, car il lui est connaturel de saisir la vérité sous un mode plus particulier. Donc, l’ange supérieur propose la vérité qu’il conçoit universellement sous une forme plus détaillée, pour que l’ange inférieur puisse la saisir, et c’est ainsi qu’il la lui donne à connaître. Ainsi font nos docteurs : ce qu’ils conçoivent synthétiquement, ils l’explicitent de multiples manières pour s’adapter à la capacité intellectuelle d’autrui. Et c’est ce que Denys écrit : " Chaque substance spirituelle divise et multiplie avec une prévoyante sagesse la science qu’elle a reçue de Dieu, afin d’élever jusqu’à cette science les esprits d’un ordre inférieur. "

Solutions :

1. Tous les anges, les anges supérieurs comme les inférieurs, voient immédiatement l’essence divine ; sous ce rapport, un ange n’en instruit pas un autre. C’est au sujet de cet enseignement que le prophète Jérémie déclare : " L’homme n’instruira pas son frère en lui disant : Connais le Seigneur. Car ils me connaîtront tous, des plus petits aux plus grands. " Néanmoins, pour ce qui est des plans providentiels et des intentions divines sur le monde, qui sont contenus en Dieu comme dans leur cause, Dieu seul les connaît à fond en sa propre essence parce qu’il se comprend lui-même. Quant aux bienheureux qui voient Dieu, ils ont de ces idées créatrices une connaissance d’autant plus parfaite que leur vision de l’essence divine est plus élevée. Un ange supérieur connaîtra donc en Dieu plus de choses ayant rapport aux idées divines, qu’un ange inférieur, et de ce chef il pourra illuminer celui-ci. C’est encore ce que déclare Denys : " Les anges sont illuminés sur les idées divines des choses. "

2. Un ange n’en illumine pas un autre en lui transmettant la lumière naturelle, ou celle de la grâce, ou celle de la gloire ; mais en fortifiant en lui la lumière naturelle, et en lui manifestant la vérité des choses qui ont rapport à l’état de nature, de grâce ou de gloire, ainsi que nous venons de le dire.

3. L’esprit est formé immédiatement par Dieu ; soit comme une image par son exemplaire, puisque c’est uniquement à l’image de Dieu que l’esprit a été créé ; soit comme un sujet qui n’est achevé que par sa forme ultime, car un esprit créé est toujours regardé comme informe s’il n’est pas uni à la Vérité première. Les autres illuminations, qu’elles viennent de l’homme ou de l’ange, sont comme un acheminement vers la forme ultime.

 

            Article 2 — Un ange peut-il mouvoir la volonté d’un autre ange ?

Objections :

1. Il semble que oui, car, pour Denys, d’après le texte cité en sens contraire à l’article précédent, de même qu’un ange en illumine un autre, de même il le purifie et le perfectionne. Mais la purification et la perfection relèvent de la volonté : la purification concerne les souillures de ses fautes, lesquelles sont du ressort de la volonté ; et la perfection est atteinte par l’obtention de la fin, qui est objet de la volonté. Donc un ange peut mouvoir la volonté d’un autre ange.

2. Pour Denys : "les noms donnés aux anges désignent leurs propriétés ". Or Séraphin signifie ceux qui brûlent ou qui réchauffent ; or cela est l’effet de l’amour, qui relève de la volonté. Donc un ange meut la volonté d’un autre ange.

3. Aristote enseigne que l’appétit supérieur meut l’appétit inférieur. Mais, de même que l’ange supérieur a une intelligence supérieure, de même pour l’appétit. L’ange supérieur peut donc, par sa motion, changer la volonté d’un ange inférieur.

En sens contraire, il n’appartient de changer la volonté qu’à celui qui a le pouvoir de justifier, parce que la justice est la rectitude de la volonté. Mais Dieu seul justifie. Donc un ange ne peut pas changer la volonté d’un autre ange.

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit, il peut s’opérer un double changement dans la volonté : du côté de son objet, et du côté de la puissance volontaire elle-même. Du côté de l’objet, la volonté est mue par le bien lui-même qui est son objet propre, tout comme l’appétit est mû par ce qui est désirable ; et elle est mue par celui qui fait voir l’objet, par exemple celui qui en montre la bonté. Mais comme nous l’avons déjà dit, si les biens particuliers attirent quelque peu la volonté, il n’y a que le bien universel, c’est-à-dire Dieu, qui puisse la mouvoir efficacement. Et c’est lui seul qui découvre aux bienheureux ce bien dans son essence. Nous le voyons dans ce passage de l’Exode (33, 18.19) où Moïse, ayant dit à Dieu : " Montre-moi ta gloire", Dieu lui répond : " je te montrerai toute ma bonté. " Donc l’ange ne peut mouvoir efficacement la volonté d’un autre ange ni comme objet, ni comme révélateur de l’objet. Mais il incline cette volonté soit vers lui-même en tant qu’il est aimable, soit en lui manifestant certains biens créés en rapport avec la bonté de Dieu. Et par là, il peut incliner la volonté d’un autre ange à l’amour de la créature ou de Dieu, par une sorte de persuasion.

Mais si l’on se place au point de vue de la puissance volontaire elle-même, d’aucune façon elle ne peut être mue par un autre que par Dieu. Car l’opération de la volonté est une inclination du sujet volontaire vers l’objet voulu. Or celui-là seul peut changer l’inclination volontaire, qui donne à la créature la faculté de vouloir. Ainsi une inclination naturelle ne peut être changée que par l’agent qui donne la puissance d’où procède cette inclination naturelle. Or, Dieu seul donne à la créature la puissance volontaire, car lui seul est l’auteur de la nature intellectuelle. Un ange ne peut donc mouvoir la volonté d’un autre.

Solutions :

1. C’est d’après le mode de l’illumination qu’il faut comprendre la purification et le perfectionnement. Puisque Dieu illumine en changeant à la fois l’intelligence et la volonté, il les purifie aussi l’une et l’autre de leurs défauts, et les perfectionne en leur faisant atteindre leur fin. Quant à l’ange, son illumination ne porte que sur l’intelligence, nous venons de le dires ; il purifiera donc l’intelligence de son défaut qui est l’ignorance, et la perfectionnera en lui faisant atteindre sa fin qui est la connaissance de la vérité. C’est ce que déclare Denys : "Dans la hiérarchie céleste, la purification se réalise dans les substances qui y sont soumises, uniquement parce qu’elles sont illuminées par ce qui leur est inconnu, et par là même amenées à une science plus parfaite." Comme si nous disions que la vue corporelle est purifiée quand les ténèbres sont écartées ; illuminée, quand on l’inonde de lumière ; perfectionnée, quand elle est amenée à la connaissance des objets colorés.

2. Un ange peut porter un autre à l’amour de Dieu par mode de persuasion, nous venons de le dire.

3. Aristote parle de l’appétit inférieur sensible qui peut être mû par l’appétit supérieur intellectuel, parce qu’ils appartiennent à une âme de même nature, et parce que l’appétit inférieur est une puissance corporelle et organique. Ce qui n’existe pas chez les anges.

 

            Article 3 — Un ange inférieur peut-il illuminer un ange supérieur ?

Objections :

1. Cela semble possible. Car la hiérarchie ecclésiastique dérive de la hiérarchie céleste et la représente ; c’est pourquoi la Jérusalem d’en haut est appelée notre mère (Ga 4,26). Mais dans l’Église il arrive que les supérieurs soient illuminés et enseignés par les inférieurs, selon l’Apôtre (1 Co 14,31) : "Vous pouvez tous prophétiser à tour de rôle, afin que tous soient instruits et tous encouragés. " Il doit donc en être de même dans la hiérarchie angélique.

2. L’ordre des substances corporelles dépend de la volonté de Dieu, et de même l’ordre des substances spirituelles. Mais, on l’a dit précédemment, Dieu agit quelquefois en dehors de l’ordre des substances corporelles. Il agit donc aussi quelquefois en dehors de l’ordre des substances spirituelles, en illuminant directement les inférieures sans passer par l’intermédiaire des substances supérieures. Ainsi donc, les anges inférieurs, illuminés par Dieu, peuvent illuminer les anges supérieurs.

3. Un ange en illumine un autre en se tournant vers lui, comme nous l’avons dit plus haut. Mais, puisque ce rapprochement est volontaire, il peut arriver qu’un ange supérieur se tourne vers un ange de l’ordre le plus bas sans passer par les ordres intermédiaires. Il peut donc l’illuminer, et, à son tour, cet ange inférieur peut illuminer les anges des ordres intermédiaires qui lui sont supérieurs.

En sens contraire, Denys écrit : " C’est une loi divine, établie d’une façon immuable, que les êtres inférieurs font retour à Dieu par l’entremise des êtres supérieurs. "

Réponse :

Les anges inférieurs n’illuminent jamais les anges supérieurs, mais sont toujours illuminés par eux. La raison en est, comme nous l’avons dit récemment n, que les divers ordres sont contenus les uns sous les autres, comme les causes elles-mêmes. Et comme les causes sont ordonnées entre elles, ainsi en est-il des ordres. Et c’est pourquoi il n’est pas impossible que parfois quelque chose se produise en dehors de l’ordre d’une cause inférieure, en vue de l’ordonner à une cause supérieure ; ainsi, dans les affaires humaines, on passe outre au commandement du chef pour obéir à celui du prince. Voilà pourquoi il arrive que, passant outre à l’ordre de la nature corporelle, Dieu produise quelque chose de miraculeux pour amener les hommes à le connaître. Mais transgresser l’ordre naturel des substances spirituelles n’aurait aucun rapport avec l’ordination des hommes vers Dieu, puisque les opérations angéliques ne sont pas évidentes pour nous comme le sont les opérations des corps visibles. Pour cette raison, Dieu ne transgresse pas l’ordre qui convient aux substances spirituelles selon lequel les anges inférieurs sont mus par les anges supérieurs, et non inversemen.

Solutions :

1. La hiérarchie ecclésiastique imite la hiérarchie céleste de quelque façon, mais ne lui ressemble pas parfaitement. Dans la hiérarchie céleste, en effet, toute la raison de l’ordre tient à la proximité avec Dieu. De là vient que ceux qui sont plus proches de Dieu sont plus élevés en dignité et plus éclairés en savoir ; ce qui fait que les anges supérieurs ne sont jamais illuminés par les anges inférieurs. Dans la hiérarchie ecclésiastique au contraire, ceux qui sont plus proches de Dieu par la sainteté sont parfois au dernier rang et dépourvus d’une science éminente ; parfois aussi les hommes très savants sur un point ne le sont pas sur un autre. Voilà pourquoi les supérieurs peuvent être enseignés par les inférieurs.

2. La raison pour laquelle Dieu agit en dehors de l’ordre de la nature corporelle ne vaut pas quand il s’agit de la nature spirituelle, nous venons de le dire. Donc l’objection ne porte pas.

3. Sans doute, c’est par sa volonté que l’ange se tourne vers un autre ange pour l’illuminer, mais la volonté de l’ange est toujours réglée par la loi divine qui a institué la hiérarchie des anges.

 

            Article 4 — L’ange supérieur illumine-t-il l’ange inférieur sur tout ce qu’il connaît lui-même ?

Objections :

1. Il semble que non, car d’après Denys, les anges supérieurs ont une science plus universelle, et les anges inférieurs une science plus particulière et subordonnée. Mais une science universelle a un contenu beaucoup plus riche qu’une science particulière. Les anges inférieurs ne connaissent donc pas, par l’illumination des anges supérieurs, tout ce que ceux-ci connaissent.

2. D’après le Maître des Sentences, les anges supérieurs ont connu depuis toujours le mystère de l’Incarnation, tandis que les anges inférieurs n’en ont eu connaissance qu’au moment de son accomplissement. C’est ce qui, selon l’interprétation de Denys, semble impliqué, dans cette question posée par certains anges (Ps 24, 10) : " Qui est ce roi de gloire ? " et dans la réponse donnée par d’autres : " Ce roi de gloire est le Seigneur des armées ", comme si les premiers se trouvaient dans l’ignorance, et les autres instruits du mystère. Or il n’en serait pas ainsi si les anges supérieurs transmettaient par illumination aux anges inférieurs tout ce qu’il savent.

3. Si les anges supérieurs annoncent aux anges inférieurs tout ce qu’ils savent, les anges inférieurs n’ignorent plus rien de ce que les anges supérieurs connaissent. Ces derniers ne peuvent donc plus les illuminer, ce qui semble difficile à admettre.

En sens contraire, S. Grégoire écrit : " Dans la patrie céleste, bien qu’il y ait des dons excellents, rien cependant n’est possédé de façon exclusive. " Et Denys enseigne que " toute substance céleste transmet à celle qui lui est inférieure la connaissance qu’elle a reçue de celle qui lui est supérieure ", comme c’est évident d’après les autorités déjà citées.

Réponse :

Toutes les créatures reçoivent en participation de la bonté divine le bien qu’elles possèdent en vue de le communiquer aux autres, car il est de la nature du bien de se communiquer. De là vient que les agents corporels, eux aussi, transmettent, autant que possible, leur similitude à d’autres. C’est pourquoi plus un agent participe de la bonté divine, plus il tend de tout son pouvoir à communiquer aux autres sa propre perfection. Aussi S. Pierre (1 P 4, 10) exhorte-t-il ceux qui, par le moyen de la grâce, participent de la bonté divine, en leur disant : " Que chacun de vous mette au service des autres la grâce qu’il a reçue, connne de bons intendants de la grâce divine sous toutes ses formes. " À plus forte raison les saints anges, qui participent avec une telle plénitude de la bonté divine, transmettent-ils à leurs inférieurs tout ce que Dieu leur fait connaître. Pourtant cette connaissance n’est pas reçue par les anges inférieurs selon le mode d’excellence qu’elle possède dans les anges supérieurs ; et c’est pourquoi les anges supérieurs demeurent toujours dans un ordre plus élevé et possèdent une science plus parfaite. Ainsi en est-il du maître qui saisit plus pleinement les mêmes choses qu’il enseigne à son disciple.

Solutions :

1. La science des anges supérieurs est dite plus universelle, parce qu’ils comprennent les choses d’une manière plus éminente.

2. Le texte du Maître des Sentences ne doit pas être entendu en ce sens que les anges inférieurs auraient ignoré totalement le mystère de l’Incarnation, mais en ce sens qu’ils ne l’ont pas connu aussi pleinement que les anges supérieurs, et qu’ils ont pu, dans la suite, progresser dans cette connaissance, tandis que ce mystère s’accomplissait.

3. Jusqu’au jour du jugement, Dieu ne cessera de révéler aux anges supérieurs des choses nouvelles ayant trait à l’organisation du monde, et surtout au salut des prédestinés. Il y aura donc toujours, pour les anges supérieurs, possibilité d’illuminer les anges inférieurs.

 

 

 

QUESTION 107 — LE LANGAGE DES ANGES

1. Un ange parle-t-il à un autre ? - 2. Un ange inférieur peut-il parler à un ange supérieur ? - 3. L’ange parle-t-il à Dieu ? - 4. La distance locale agit-elle sur le langage angélique ? - 5. La parole d’un ange à un autre est-elle connue de tous les autres ?

 

            Article 1 — Un ange parle-t-il à un autre ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car S. Grégoire écrit a qu’après la résurrection, " les âmes ne seront plus cachées les unes aux autres par l’épaisseur du corps ". À bien plus forte raison, l’esprit d’un ange n’est-il pas caché à un autre ange. Mais le langage sert à manifester à un autre ce qui est caché dans l’esprit. Il n’est donc pas nécessaire qu’un ange parle à un autre ange.

2. Il y a deux sortes de langage : le langage intérieur par lequel on se parle à soi-même, et le langage extérieur par lequel on parle à un autre. Mais le langage extérieur se fait par le moyen d’un signe sensible comme la parole, le geste, et à l’aide d’un membre comme la langue ou le doigt ; toutes choses qui ne peuvent convenir à l’ange.

3. Celui qui parle doit attirer d’abord l’attention de celui auquel il s’adresse. Or on ne voit pas comment un ange peut éveiller l’attention d’un autre ange, car nous ne pouvons nous-mêmes le faire qu’au moyen d’un signe sensible. Donc un ange ne parle pas à un autre.

En sens contraire, nous lisons chez S. Paul (1 Co 13, 1) : "Quand même je parlerais les langues des hommes et des anges... "

Réponse :

Il existe un langage angélique, car, écrit S. Grégoire : " Il convient que notre esprit, dépassant le plan du langage corporel, soit élevé à des modes sublimes et inconnus du langage intérieur. " Donc, pour comprendre de quelle manière un ange peut parler à un autre ange, il faut considérer ce que nous avons dit au sujet des actes et puissances de l’âme : c’est la volonté qui meut l’intelligence à son opération. Or l’intelligible se trouve dans l’intelligence d’une triple manière. En premier lieu, d’une façon habituelle, ou, dit S. Augustin . en tant qu’il est conservé dans la mémoire. En deuxième lieu, l’intelligible est considéré ou conçu en acte. En troisième lieu, il est rapporté à autre chose. Il est bien évident que le passage du premier au deuxième degré se fait par le commandement de la volonté ; c’est pourquoi l’habitus est défini comme " ce qu’on utilise quand on veut ". Pareillement, le passage du deuxième degré au troisième s’opère par le moyen de la volonté ; car c’est par la volonté que le concept de l’esprit est mis en rapport avec une autre réalité, qu’il s’agisse de faire quelque chose à partir de l’idée qu’on en a, ou de manifester sa pensée à autrui.

Quand l’esprit s’applique à considérer en acte ce qu’il possède sous forme d’habitus, on peut dire qu’il se parle à lui-même ; car le concept mental ainsi formé est ce qu’on appelle le verbe intérieur. Du fait que l’ange, par sa volonté, ordonne son concept mental en vue de le manifester à un autre, aussitôt ce dernier en prend connaissance : c’est ainsi que l’ange parle à un autre ange. Car parler à autrui, ce n’est pas autre chose que manifester à autrui sa propre pensée.

Solutions :

1. Le concept intérieur de notre esprit se trouve enfermé en nous comme par une double barrière : d’abord par la volonté qui peut retenir le concept à l’intérieur de notre intelligence, ou l’ordonner à la communication extérieure. Sous ce rapport, nul ne peut voir la pensée de quelqu’un si ce n’est Dieu seul, selon la parole de l’Apôtre (1 Co 2, 11) : " Personne ne connaît les secrets de l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui. " En second lieu, l’esprit de l’homme est fermé à un autre homme du fait de la matérialité du corps. C’est pourquoi, quand ia volonté ordonne le concept mental en vue de le manifester à un autre, cet autre ne le connaît pas du même coup, mais il faut employer un signe sensible. C’est ce que remarque S. Grégoire quand il écrit : " Aux yeux d’autrui, dans le secret de notre âme, nous nous tenons comme derrière la muraille de notre corps ; quand nous voulons nous montrer, nous sortons comme par la porte du langage pour découvrir ce que nous sommes intérieurement. " Or l’ange ne connaît pas cet obstacle ; aussi, dès qu’il veut manifester sa pensée à un autre ange, celui-ci la connaît-il aussitôt.

2. Le langage qui s’extériorise par la voix nous est nécessaire à cause de l’obstacle du corps. C’est pourquoi il ne convient pas à l’ange, qui ne connaît que le langage intérieur. Celui-ci ne consiste pas seulement à se parler à soi-même en formant un concept, mais aussi à ordonner, par le moyen de la volonté, ce concept en vue de le manifester à un autre. Ainsi la langue des anges est une métaphore pour signifier la puissance qu’ils ont de manifester leur pensée.

3. Quant aux bons anges qui toujours se voient mutuellement dans le Verbe, on pourrait dire qu’il n’est pas besoin d’éveiller leur attention, car, de même que l’un voit toujours l’autre, de même il voit toujours dans cet autre ce qui a rapport à soi. Mais, déjà, tels qu’ils ont été établis dans leur état naturel, les anges pouvaient se parler, et même maintenant les mauvais anges peuvent converser entre eux ; il faut donc dire que, de même que le sens est mû par le sensible, de même l’intelligence est mue par l’intelligible ; et si le sens est excité par un signe sensible, l’attention mentale de l’ange peut tout aussi bien être éveillée par quelque vertu intelligible.

 

            Article 2 — Un ange inférieur peut-il parler à un ange supérieur ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car, à propos de la parole : " Quand même je parlerais les langues des hommes et des anges... " la Glose remarque que les locutions angéliques sont des illuminations par lesquelles les anges supérieurs éclairent les anges inférieurs. Mais ces derniers, ainsi que nous l’avons dit, n’illuminent jamais les anges supérieurs. Donc les anges inférieurs ne parlent pas aux anges supérieurs.

2. Illuminer, ce n’est pas autre chose que manifester à autrui ce qui nous paraît évident. Et c’est la même chose que parler. Nous retrouvons la conclusion précédente.

3. S. Grégoire écrit : "Dieu parle aux anges par le fait même qu’il dévoile à leurs cœurs les secrets cachés et invisibles. " Or parler ainsi, c’est illuminer. Donc toute parole divine est une illumination. Au même titre, toute parole angélique est une illumination. L’ange inférieur ne peut donc aucunement parler à un ange supérieur.

En sens contraire, Denys explique que ce sont les anges inférieurs qui disent aux anges supérieurs : " Qui est ce roi de gloire ? "

Réponse :

Les anges inférieurs peuvent parler aux anges supérieurs. Pour s’en rendre compte, il faut considérer que, chez les anges, toute illumination est aussi parole, mais toute parole n’est pas nécessairement illumination. Car, nous l’avons dit à l’article précédent, pour un ange, parler à un autre ange, c’est simplement ordonner volontairement sa pensée vers lui en vue de la lui faire connaître. Or, les choses qui sont conçues par l’esprit peuvent se référer à un double principe : à Dieu lui-même qui est la vérité première ; et à la volonté de l’être intelligent, qui nous fait considérer en acte une réalité. La vérité est la lumière de l’intelligence, et la règle de toute vérité c’est Dieu lui-même ; aussi la manifestation de ce que l’esprit conçoit, pour autant qu’elle dépend de la vérité première, est à la fois parole et illumination. Ainsi en est-il lorsqu’un homme dit à un autre homme : " Le ciel a été créé par Dieu ", ou bien : " L’homme est un animal. "

Mais la manifestation des choses qui dépendent simplement de la volonté de celui qui les conçoit, ne peut pas être appelée illumination : c’est une simple parole. Par exemple, si un individu dit à un autre : " je veux apprendre cela ", ou : " je veux faire ceci ou cela. " La raison en est que la volonté créée n’est pas lumière ni règle de vérité ; elle participe seulement de la lumière ; c’est pourquoi communiquer les choses qui dépendent de la volonté créée, en tant que telle, ce n’est pas illuminer. Il n’importe pas en effet à la perfection de mon intelligence de savoir ce que tu veux ou ce que tu comprends ; ce qui importe à mon intelligence c’est de connaître la vérité de la chose.

Or, il est manifeste que les anges sont appelés supérieurs ou inférieurs en référence à ce principe qu’est Dieu. Et c’est pourquoi l’illumination, qui a Dieu pour principe, descend seulement des anges supérieurs aux anges inférieurs. Mais par rapport à ce principe qu’est la volonté, le sujet volontaire est lui-même premier et supérieur. C’est pourquoi la manifestation des choses qui appartiennent à la volonté est communiquée par le sujet volontaire à n’importe qui. Et sous ce rapport, les anges supérieurs parlent aux anges inférieurs, et tout aussi bien les inférieurs aux supérieurs.

Solutions :

1. et 2. Cela donne la solution des deux premières objections.

3. Toute parole divine adressée aux anges est illumination ; parce que la volonté de Dieu est règle de vérité, et savoir ce que Dieu veut appartient à la perfection et à l’illumination de l’esprit créé. Mais il n’en est pas de même de la volonté angélique, nous venons de le montrer.

 

            Article 3 — L’ange parle-t-il à Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non. Car le langage a pour but de manifester quelque chose à autrui. Mais l’ange ne peut rien manifester à Dieu qui connaît tout. Donc l’ange ne parle pas à Dieu.

2. Parler, c’est ordonner sa pensée vers un autre, on vient de le dire. Mais l’ange dirige toujours sa pensée vers Dieu. Donc, si l’ange parle à Dieu, il lui parle toujours ; ce que certains peuvent trouver incroyable du fait que l’ange parle aussi parfois à un autre ange. Il semble donc que l’ange ne parle jamais à Dieu.

En sens contraire, on lit dans Zacharie (1, 12) : " L’ange du Seigneur prit la parole et dit : Seigneur de l’univers, jusques à quand seras-tu sans pitié pour Jérusalem ? " .

Réponse :

Nous l’avons dit, le langage de l’ange consiste dans l’orientation qu’il donne à sa pensée en la dirigeant vers un autre. Or l’ordination d’une réalité vers une autre peut se faire d’une double manière : premièrement, en vue d’être communiquée à l’autre ; ainsi, dans la nature, l’agent est ordonné au patient ; et s’il s’agit de parole humaine, le maître est ordonné au disciple. Sous ce rapport, l’ange ne parle d’aucune façon à Dieu, ni de ce qui appartient à la vérité des choses, ni de ce qui dépend de la volonté créée, parce que Dieu est le principe et l’auteur de toute vérité et de toute volonté.

En second lieu, il arrive qu’une réalité est ordonnée à une autre pour en recevoir quelque bien ; ainsi, dans l’ordre des choses naturelles, le patient est ordonné à l’agent ; et, quand il s’agit du langage humain, le disciple est ordonné au maître. C’est de cette manière que l’ange parle à Dieu, soit en consultant la volonté divine sur ce qu’il doit faire, soit en admirant l’excellence divine qu’il n’arrivera jamais à comprendre à fond. Comme dit S. Grégoire : " Les anges parlent à Dieu quand, par un regard dirigé au-dessus d’eux-mêmes, ils s’élèvent en des transports d’admiration. "

Solutions :

1. Le langage n’est pas toujours ordonné à manifester quelque chose à autrui ; il arrive au contraire quelquefois que c’est à celui qui parle que quelque chose est manifesté : ainsi quand le disciple demande une explication au maître.

2. S’il s’agit du langage par lequel les anges louent Dieu et l’admirent, on peut dire que les anges parlent sans cesse à Dieu. Mais s’il s’agit de consulter la sagesse divine pour savoir ce qu’il faut faire, de ce point de vue les anges ne parlent à Dieu que lorsqu’une œuvre nouvelle se présente à réaliser, sur laquelle ils désirent être éclairés.

 

            Article 4 — La distance locale agit-elle sur le langage angélique ?

Objections :

1. Selon le Damascène : "L’ange est là où il agit. " Or le langage est une action de l’ange. Dès lors, puisque l’ange est dans un lieu déterminé, il semble qu’il ne peut parler que jusqu’à une certaine distance.

2. On parle fort lorsque l’auditeur est à distance. Or Isaïe (6, 3) dit au sujet des Séraphins : " Ils se criaient l’un à l’autre. " Il semble donc que la distance joue un rôle dans le langage des anges.

En sens contraire, on lit dans S. Luc (16,24) que le riche qui était en enfer, parlait à Abraham malgré la distance. À plus forte raison, cette distance ne peut empêcher un ange de parler à un autre ange.

Réponse :

Le langage angélique consiste en une opération intellectuelle. Or l’opération intellectuelle de l’ange fait totalement abstraction du lieu et du temps ; car même l’opération de notre intelligence est indépendante du lieu et du temps, sinon par accident, du fait des images, lesquelles ne se trouvent aucunement chez les anges. C’est pourquoi la différence de temps ou la distance du lieu ne jouent aucun rôle là où il est fait entièrement abstraction du temps et du lieu. La distance ne crée donc aucun obstacle à la parole angélique.

Solutions :

1. Nous l’avons dit, le langage angélique est une parole intérieure qui peut cependant être perçue par un autre. Elle existe donc dans l’ange même qui parle, et par conséquent elle est là où se trouve cet ange. Mais de même que la distance n’empêche pas un ange d’en voir un autre, de même elle ne l’empêche pas de percevoir en cet autre ce qui est destiné à lui-même, autrement dit de percevoir sa parole.

2. La clameur angélique en question n’est pas cet appel qu’on lance d’une voix forte à cause de la distance. Elle signifie la grandeur de ce qui est dit, ou l’intensité d’amour avec laquelle on le dit, selon le mot de S. Grégoire : " On crie d’autant moins qu’on désire moins. "

 

            Article 5 — La parole d’un ange à un autre est-elle connue de tous les autres ?

Objections :

1. Si tous n’entendent pas la parole d’un homme, c’est parce qu’ils se trouvent à des distances différentes. Mais dans le langage angélique, on vient de le voir, la distance n’a rien à faire. Donc, lorsqu’un ange parle à un autre, tous le perçoivent.

2. Tous les anges ont en commun la puissance intellectuelle. Si la pensée de l’un adressée à un autre est connue de lui, à titre égal elle est donc connue des autres.

3. L’illumination est une sorte de langage. Mais l’illumination d’un ange par un autre parvient à tous, car Denys écrit : " Chaque essence céleste communique aux autres la connaissance qu’elle a reçue. " Donc la parole d’un ange adressée à un autre parvient à tous.

En sens contraire, un homme peut ne parler qu’à un seul homme. À plus forte raison en est-il ainsi des anges.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit : la pensée d’un ange peut être perçue par un autre du fait que celui qui a cette pensée la dirige vers cet autre. Or l’ange peut avoir un motif pour diriger sa pensée vers celui-ci et non vers celui-là. C’est pourquoi sa pensée peut être connue par l’un et non par les autres. Ainsi le langage d’un ange peut être perçu par un seul ange, et ce n’est pas la distance qui empêche les autres de la connaître, mais la volonté ordonnatrice de celui qui parle.

Solutions :

1. et 2. Ainsi se trouvent résolues la première et la deuxième objections.

3. L’illumination a pour objet tout ce qui émane de la règle première de vérité, laquelle est un principe commun pour tous les anges. C’est pourquoi les illuminations sont communes à tous. Mais le langage peut concerner tout ce qui a rapport à la volonté créée, considérée comme principe, et ce principe est propre à chaque ange ; c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que les paroles de ce genre soient communiquées à tous.

 

 

QUESTION 108 — HIÉRARCHIES ET ORDRES ANGÉLIQUES

Il faut maintenant considérer l’organisation des anges en hiérarchies et en ordres ; car, nous l’avons dit, les anges supérieurs illuminent les anges inférieurs, mais non réciproquement.

1. Tous les anges appartiennent-ils à une seule hiérarchie ? - 2. Y a-t-il un ordre unique dans une même hiérarchie ? - 3. Dans un même ordre y a-t-il plusieurs anges ? - 4. La distinction des hiérarchies et des ordres tient-elle à la nature des anges ? - 5. Noms et propriétés de chaque ordre. - 6. Rapports mutuels des différents ordres. - 7. Ces ordres subsisteront-ils après le jour du jugement ? - 8. Les hommes sont-ils élevés aux ordres angéliques ?

            Article 1 — Tous les anges appartiennent-ils à une seule hiérarchie ?

Objections :

1. Il semble bien, car, puisque les anges sont les plus haut placés parmi les créatures, il faut dire qu’ils sont répartis au mieux. Or, la meilleure répartition d’une multitude est celle qui rassemble cette multitude sous un commandement unique, comme le montre clairement Aristote. Et comme une hiérarchie n’est pas autre chose qu’un gouvernement sacral, il apparaît que tous les anges appartiennent à une seule hiérarchie.

2. Denys écrit : " La hiérarchie est ordre, science et action. " Mais tous les anges ont en commun le même ordre de rapports avec Dieu, qui est l’objet de leur connaissance et la règle de leurs actions. Ils appartiennent donc tous à une hiérarchie unique.

3. Le gouvernement sacral, que l’on appelle hiérarchie, se trouve aussi bien chez les hommes que chez les anges. Mais tous les hommes n’ont qu’une seule hiérarchie. Donc tous les anges aussi.

En sens contraire, Denys distingue trois hiérarchies chez les anges.

Réponse :

La hiérarchie, on vient de le dire, est un gouvernement sacral. Or, par le nom de

gouvernement, on entend deux choses : le chef lui-même, et la multitude rangée sous son obéissance. Donc, puisque Dieu est le seul chef, non seulement de tous les anges, mais aussi des hommes et de toute création, non seulement les anges, mais toute la créature rationnelle, parce qu’elle peut participer aux vérités sacrées, forment une seule et même hiérarchie, selon cette parole de S. Augustin : " Il y a deux cités ou sociétés : l’une formée par les bons, anges et hommes, l’autre par les mauvais. "

Mais si l’on envisage le gouvernement du côté de la multitude rangée sous l’obéissance du chef, alors le gouvernement est appelé unique quand la multitude peut être régie d’une seule et même manière. Au contraire les groupes qui ne peuvent être gouvernés de la même manière par le chef relèvent de principautés différentes : par exemple, sous un roi unique, il y a différentes cités régies par des lois et des ministres divers.

Or il est manifeste que les hommes reçoivent les illuminations divines d’une autre façon que les anges. Ceux-ci les perçoivent dans leur pureté intelligible, les hommes les perçoivent sous des similitudes sensibles, comme l’affirme Denys. Il faut donc distinguer la hiérarchie humaine de la hiérarchie angélique.

Et de même, il y a lieu de distinguer trois hiérarchies chez les anges. Nous avons dit plus haut, à propos de la connaissance angélique, que les anges supérieurs avaient une connaissance de la vérité plus universelle que les anges inférieurs. Or, cette prise de connaissance universelle peut se distinguer selon trois degrés chez les anges. Car les raisons des choses au sujet desquelles les anges sont illuminés, peuvent être envisagées de trois manières. Premièrement, en tant qu’elles procèdent du premier principe qui est Dieu ; et ce mode de connaissance convient à la première hiérarchie qui est en relation immédiate avec Dieu, et qui se trouve placée, comme le dit Denys : " dans le vestibule de la divinité ". - Deuxièmement, on peut considérer les raisons des choses en tant qu’elles dépendent des causes créées universelles, lesquelles sont déjà de quelque façon multiples ; et ce mode de connaissance convient à la deuxième hiérarchie. - En troisième lieu, enfin, on considère les raisons des choses dans leur application aux réalités individuelles et dans leur dépendance envers leurs causes propres ; et ce mode de connaissance convient à la dernière hiérarchie. Ceci apparaîtra davantage quand nous traiterons de chacun des ordres angéliques. Ainsi il y a lieu de distinguer plusieurs hiérarchies chez les anges, si l’on se place au point de vue de la multitude régie par le chef

Dès lors il est évident que l’on s’égare, et qu’on parle contre l’intention de Denys, lorsqu’on prétend placer chez les personnes divines une hiérarchie que l’on appelle " supercéleste ". Entre les personnes divines il y a un ordre de nature non un ordre hiérarchique. Car, écrit Denys : " L’ordre hiérarchique consiste en ce que les uns sont purifiés, illuminés et perfectionnés, tandis que les autres purifient, illuminent et perfectionnent. " N’introduisons jamais cette inégalité entre les personnes divines.

Solutions :

1. La raison sur laquelle s’appuie l’objection part du gouvernement envisagé du côté du chef ; le meilleur, en effet, c’est que la multitude soit régie par un chef unique, comme le veut Aristote dans le passage cité.

2. Au point de vue de la connaissance de Dieu que tous les anges voient de la même manière, c’est-à-dire dans son essence, il n’y a pas lieu de distinguer des hiérarchies parmi les anges. Mais il n’en est pas de même quant aux raisons des choses créées.

3. Tous les hommes appartiennent à la même espèce, et possèdent un même mode d’intellection qui leur est connaturel. Ce n’est pas le cas des anges, si bien que l’analogie ne vaut pas.

 

            Article 2 — Y a-t-il un ordre unique dans une même hiérarchie ?

Objections :

1. Il semble que dans une même hiérarchie il n’y ait pas plusieurs ordres. Car si on multiplie la définition, on multiplie le défini. Mais, d’après Denys, la hiérarchie est un ordre. S’il y a plusieurs ordres, il n’y aura plus une seule hiérarchie, mais plusieurs.

2. Divers ordres représentent divers degrés. Mais les degrés, chez les esprits purs, résultent de la diversité des dons spirituels. Or, chez les anges, les dons spirituels sont communs, car, selon le Maître des Sentences, " ils ne possèdent rien en particulier". Il n’y a donc pas divers ordres angéliques.

3. Dans la hiérarchie ecclésiastique, on distingue les ordres d’après le rôle de chacun d’eux, qui est de purifier, d’illuminer et de perfectionner. À l’ordre des diacres, il convient de purifier ; à l’ordre des prêtres, d’illuminer ; à l’ordre des évêques’ de perfectionner : c’est la doctrine de Denys. Or chaque ange purifie, illumine et perfectionne. Il n’y a donc pas lieu de distinguer des ordres angéliques.

En sens contraire, l’Apôtre écrit aux Éphésiens (1, 2 1) que Dieu a établi le Christ-homme " au-dessus de toute Principauté, Puissance, Vertu, Domination ". Ce sont là différents ordres angéliques, et certains d’entre eux appartiennent à une même hiérarchie, comme il apparaîtra plus loin.

Réponse :

Une hiérarchie est un gouvernement unique, c’est-à-dire une multitude ordonnée et unifiée sous l’autorité d’un chef. Or ce serait une multitude non pas ordonnée, mais confuse, si, dans cette multitude, il n’y avait pas divers ordres. C’est donc la nature même de la hiérarchie qui requiert la diversité des ordres, et cette diversité s’établit d’après celle des offices ou activités.

C’est ainsi que, dans une seule cité, on voit clairement les ordres se répartir d’après les activités diverses ; il y a l’ordre de ceux qui jugent, l’ordre de ceux qui combattent, de ceux qui cultivent la terre, etc.

Mais bien qu’il y ait dans une seule cité des ordres nombreux, tous peuvent être ramenés à trois principaux, si l’on considère que toute multitude parfaite comporte un rang inférieur, un rang moyen et un premier rang. Aussi, dans toutes les cités, trouve-t-on trois ordres de citoyens : les nobles ; ceux qui occupent le dernier rang et forment le petit peuple ; ceux qui occupent un rang intermédiaire, les notables.

Ainsi donc, dans chaque hiérarchie angélique, on distingue les ordres d’après les diverses activités et les différents offices[4432], et toute cette diversité se réduit à trois classes : la plus haute, la classe moyenne, la classe inférieure. C’est pour cela que, dans chaque hiérarchie, Denys distingue trois ordres.

Solutions :

1. Le mot ordre peut avoir deux sens. Il signifie d’abord l’organisation d’un ensemble, qui comprend sous elle plusieurs degrés ; en ce sens la hiérarchie est appelée un ordre. Il peut signifier aussi l’un des degrés de l’organisation ; sous ce rapport, on compte plusieurs ordres dans une hiérarchie.

2. Il est bien vrai que, dans la société des anges, tout est possédé en commun. Pourtant certaines choses sont possédées par les uns d’une façon plus excellente que par les autres. Une réalité est possédée par celui qui peut la communiquer plus parfaitement que par celui qui ne le peut pas. Ainsi le corps qui peut communiquer sa chaleur est plus parfaitement chaud que celui qui en est incapable ; celui qui peut enseigner possède une science plus parfaite que celui qui ne le peut pas. Et plus est parfait le don que l’on communiquera, plus le rang que l’on occupe dans l’échelle des êtres est élevé : par exemple, le maître capable d’enseigner une science plus haute occupe un rang plus éminent dans le magistère. C’est selon cette analogie qu’il faut envisager la diversité des rangs et des ordres, correspondant chez les anges à celle de leurs offices et activités.

3. L’ange le moins élevé est supérieur à l’homme le plus haut placé dans notre hiérarchie, selon cette parole en S. Matthieu (11, 11) : " Le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui ", Jean-Baptiste dont il est dit : " Il n’en a pas surgi de plus grand parmi les enfants des hommes. " C’est pourquoi le dernier ange de la hiérarchie céleste peut purifier, illuminer, perfectionner, et cela d’une façon plus parfaite que les ordres de notre hiérarchie terrestre. Ce n’est donc pas la diversité de ces opérations qui distingue les ordres angéliques ; ce sont d’autres différences dans leurs activités.

 

            Article 3 — Dans un seul ordre y a-t-il plusieurs anges ?

Objections :

1. On a dit précédemment que tous les anges sont inégaux entre eux. Mais on attribue à un seul ordre des êtres qui sont égaux. Donc plusieurs anges ne peuvent faire partie d’un même ordre.

2. Il est superflu de faire par beaucoup ce qui peut être bien réalisé par un seul. Mais ce qui relève d’un seul office angélique, un seul ange suffit pour l’assurer. Un seul soleil suffit bien à remplir l’office du soleil, à plus forte raison l’ange, qui est plus parfait qu’un corps céleste. Donc, si les ordres se distinguent d’après les offices, comme on l’a dit plus haut, il serait superflu pour un seul ordre de comporter plusieurs anges.

3. On a dit plus haut que tous les anges sont inégaux. Donc, si plusieurs anges, - mettons trois ou quatre - appartenaient au même ordre, le dernier ange aurait plus d’affinité avec le premier ange de l’ordre inférieur qu’avec l’ange qui est au sommet de l’ordre auquel lui, dernier ange, appartient. Dès lors on ne voit pas pourquoi il se rattache à cet ordre plutôt qu’à l’autre. Il n’y a donc pas plusieurs anges dans un ordre.

En sens contraire, nous lisons dans Isaïe (6, 3) que les Séraphins " criaient l’un à l’autre ". Il y a donc plusieurs anges dans l’ordre des Séraphins.

Réponse :

Celui qui connaît parfaitement certaines réalités peut distinguer en elles, jusqu’au moindre détail, leurs activités, leurs puissances et leurs natures. Celui qui les connaît imparfaitement ne parvient qu’à des distinctions plus générales, obtenues par des traits moins nombreux. Ainsi, celui qui connaît imparfaitement les choses de la nature les range dans des ordres plus généraux : il place dans l’un les corps célestes, dans l’autre les corps inférieurs inanimés, dans un autre ordre encore les plantes, dans un autre les animaux. Mais s’il connaissait plus parfaitement ces réalités naturelles, il pourrait distinguer dans les corps célestes divers ordres, et ainsi dans chaque catégorie.

Or, comme le remarque Denys, nous connaissons imparfaitement les anges et leurs offices. Nous ne pouvons donc distinguer ces offices et les ordres qui en résultent que d’une manière générale. Mais, si nous connaissions parfaitement les offices des anges, nous saurions beaucoup mieux que chaque ange a son office propre, et donc son ordre particulier dans le monde, mieux que chaque étoile bien que la nature propre de cet office et de cet ordre nous soit cachée.

Solutions :

1. Tous les anges d’un même ordre sont de quelque façon égaux, en raison de la similitude qui permet de les ranger dans un même ordre. Absolument parlant cependant, ils sont inégaux ; et c’est pourquoi Denys écrit que, dans un seul et même ordre, il y a lieu de considérer les premiers anges, les anges intermédiaires et les derniers.

2. Cette distinction spéciale, selon laquelle chaque ange a un office et un ordre qui lui sont propres, nous est inconnue.

3. Dans une surface moitié blanche et moitié noire, les deux parties qui sont sur la limite du noir et du blanc sont plus rapprochées par leur situation que deux autres parties blanches éloignées l’une de l’autre ; mais elles sont moins proches sous le rapport de la qualité (le noir et le blanc). Ainsi, deux anges qui sont aux confins d’ordres différents ont entre eux plus d’affinité de nature qu’avec d’autres anges de leur ordre ; mais ils sont moins proches, quant à leur aptitude à des offices semblables, car cette aptitude ne s’étend pas au-delà de certaines limites.

 

            Article 4 — La distinction des hiérarchies et des ordres tient-elle à la nature des anges ?

Objections :

1. "Hiérarchie" signifie gouvernement sacral. Et Denys introduit dans sa définition que la hiérarchie "est une image de Dieu aussi parfaite que possible". Mais la sainteté et la ressemblance avec Dieu, chez les anges, vient de la grâce et non de la nature. La distinction des hiérarchies et des ordres angéliques doit donc être attribuée à la grâce et non à la nature.

2. D’après Denys, les Séraphins sont ainsi appelés parce qu’ils sont ardents et brûlants. Ce qui se réfère, semble-t-il, à la charité, laquelle ne vient pas de la nature, mais de la grâce : " Elle est diffusée en effet dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous est donné. " Et, pour S. Augustin, cette parole de l’Apôtre (Rm 5, 5) "s’applique aussi bien aux saints anges qu’aux hommes saints ". Les ordres angéliques ne viennent donc pas de la nature mais de la grâce.

3. La hiérarchie ecclésiastique prend modèle sur la hiérarchie céleste. Or, chez les hommes, les ordres viennent de la grâce et non de la nature. Ce n’est pas par nature que celui-ci est évêque, celui-là prêtre, cet autre diacre. Il doit donc en être de même chez les anges.

En sens contraire, pour le Maître des Sentences, "un ordre angélique désigne une multitude d’esprits célestes qui se ressemblent par quelque don de grâce, comme ils se rejoignent par la participation des mêmes dons naturels". La distinction des ordres angéliques se fait donc non seulement d’après les dons de la grâce, mais aussi d’après les dons naturels.

Réponse :

L’ordre d’un gouvernement, qui est l’ordre d’une multitude établie sous une principauté, se détermine d’après la fin poursuivie. Or la fin des anges peut être envisagée de deux manières. Premièrement, d’après la puissance de leur nature, c’est-à-dire en tant qu’ils connaissent et aiment Dieu d’une connaissance et d’un amour naturels. Et par rapport à cette fin, les ordres angéliques se distinguent d’après leurs dons naturels. - Deuxièmement, on peut considérer la fin de la multitude angélique en tant qu’elle dépasse leur puissance naturelle et consiste dans la vision de l’essence divine et dans la jouissance définitive de la bonté divine. Cette fin, les anges ne peuvent l’atteindre que par la grâce. Aussi, par rapport à cette fin, les ordres angéliques se distinguent d’une façon achevée d’après les dons de la grâce, et, quant à ce qui les y dispose, d’après les dons naturels ; parce que les dons de la grâce ont été attribués aux anges selon leur capacité de nature, ce qui n’a pas lieu chez les hommes, nous l’avons dit igdisx. C’est pourquoi, chez les hommes, les ordres se distinguent d’après les dons de la grâce et non d’après la nature.

Cela donne la réponse aux Objections.

 

            Article 5 — Les noms et les propriétés de chaque ordre

Objections :

1. Il semble que les noms donnés aux ordres angéliques sont mal choisis. Car tous les esprits célestes sont appelés Anges et Vertus. Or il ne convient pas d’approprier à quelques individus les noms communs à tous. Il n’y a donc pas lieu d’établir un ordre spécial pour les anges et un autre pour les vertus.

2. A Dieu seul il appartient de dominer ou d’être Seigneur selon cette parole du Psaume (100, 3) : " Sachez que le Seigneur (Dominus) est Dieu. " On ne doit donc pas attribuer le nom de Domination à un ordre des esprits célestes.

3. Le mot de Domination se rattache, semble-t-il, au gouvernement, de même que Principautés et Puissances. Il ne convient donc pas de donner ces appellations à trois ordres différents.

4. Les Archanges sont, pour ainsi dire, les princes des Anges. Ce nom d’Archange doit donc être attribué uniquement à l’ordre des Principautés.

5. Le nom de Séraphin signifie l’ardeur de la charité ; le nom de Chérubin signifie la science. Mais la charité et la science sont des dons communs à tous les anges. Ces noms ne doivent donc pas appartenir à des ordres spéciaux.

6. Un trône, c’est un siège. Or Dieu est dit siéger dans la créature raisonnable, par cela même qu’elle le connaît, et qu’elle l’aime. L’ordre des Trônes ne doit donc pas se distinguer de l’ordre des Chérubins et des Séraphins.

Il apparaît en définitive que les ordres angéliques portent des noms qui leur conviennent mal.

En sens contraire, c’est l’autorité de la Sainte Écriture qui les nomme ainsi. Isaïe (6,2) parle des Séraphins ; Ézéchiel (10, 15) des Chérubins ; S. Paul, des Trônes, des Vertus, des Puissances et des Principautés (Col 1, 16 ; Ep 1, 2 1) ; S. Jude d’un Archange. Quant aux anges, on trouve leur nom en de multiples endroits de l’Écriture.

Réponse :

Pour donner un nom aux ordres angéliques il faut considérer, comme le remarque Denys, que "les noms propres de chacun des ordres désignent leurs propriétés ". Et pour déterminer quelle est la propriété d’un ordre, il convient de remarquer qu’une chose peut se trouver, dans les réalités bien ordonnées, de trois manières : par propriété, par excès, ou par participation. Un chose est dans un être par propriété quand elle y est d’une manière adéquate et proportionnée à sa nature. Elle y est par excès quand ce qui est attribué à cet être est moindre que cet être, mais lui convient cependant avec un certain excès ; c’est ce que l’on dit à propos de tous les noms attribués à Dieu. Elle y est enfin par participation, quand ce qui est attribué à un être ne se trouve pas pleinement en lui, mais seulement d’une manière déficiente ; c’est ainsi que les saints sont appelés des dieux par participation.

Donc, si l’on doit donner à un être un nom qui désigne sa propriété, il faut le nommer, non par ce dont il ne participe qu’imparfaitement ou par ce qu’il possède par excès, mais par ce qui coïncide en quelque sorte avec lui d’une façon adéquate. Par exemple, si l’on veut donner à l’homme un nom qui lui convienne en propre, on dira de lui qu’il est une substance rationnelle ; mais non une substance intellectuelle, car la pure intelligence est le propre de l’ange et ne convient à l’homme que par participation. On ne dira pas davantage qu’il est une substance sensible, car c’est là le nom qui convient en propre à l’animal, et la nature sensible est inférieure à ce qui convient en propre à l’homme ; on l’attribue à l’homme d’une manière qui dépasse celle des autres animaux.

Ainsi donc il faut considérer que, dans les ordres angéliques, toutes les perfections spirituelles sont communes à tous les anges, et que toutes ces perfections existent plus pleinement chez les anges supérieurs. Mais puisque, dans ces perfections elles-mêmes, il y a une certaine gradation, on attribuera par mode de propriété la perfection la plus haute à l’ordre le plus élevé ; et cette même perfection sera attribuée par mode de participation à l’ordre inférieur. En retour, une perfection inférieure sera attribuée par mode de propriété à un mode inférieur, et par excès à un ordre supérieur. De cette manière l’ordre supérieur reçoit son nom de la perfection supérieure.

C’est en se référant aux perfections spirituelles que Denys explique les noms des différents ordres angéliques. Quant à S. Grégoire, il semble s’attacher davantage, pour l’interprétation de ces noms, aux ministères extérieurs. Pour lui " les anges sont ceux qui annoncent les choses les moins importantes ; les Archanges annoncent les plus importantes ; par les Vertus sont accomplis les miracles ; les Puissances ont pour rôle de réprimer les puissances mauvaises ; les Principautés commandent aux esprits bons ".

Solutions :

1. Le mot " ange " signifie messager. Donc tous les esprits célestes, en tant qu’ils sont chargés de manifester les choses divines, sont appelés anges. Mais les anges supérieurs ont une certaine excellence dans cette manifestation, et c’est de cette excellence que les ordres supérieurs prennent leur nom. L’ordre le moins élevé des anges n’ajoute aucune excellence à cette manifestation commune ; aussi reçoit-il son nom à partir de cette simple manifestation, en sorte que, dit Denys, le nom commun devient le nom propre de l’ordre le moins élevé. A moins que l’on ne dise que cet ordre est appelé spécialement l’ordre des Anges parce que ceux-ci nous annoncent immédiatement les choses divines.

Le mot vertu peut revêtir une double signification : ou bien une signification commune en tant que la vertu est intermédiaire entre l’essence et l’opération ; sous ce rapport, tous les esprits célestes sont appelés vertus célestes aussi bien qu’essences célestes. - Ou bien le mot vertu comporte, dans sa signification, un certain excès de force, et sous ce rapport il est le nom propre d’un ordre angélique. C’est pourquoi Denys écrite que " le nom de vertu signifie une certaine force héroïque et inébranlable ", soit pour accomplir toutes les opérations divines qui conviennent aux anges de cet ordre, soit pour recevoir les choses divines. Autrement dit, il signifie que ces esprits abordent sans crainte les choses divines qui les regardent, et cela relève précisément de la force d’âme.

2. D’après Denys " la domination ou seigneurie est célébrée en Dieu par mode d’excès ; mais par participation, les Saintes Écritures appellent Dominations les esprits plus élevés en dignité qui communiquent aux ordres inférieurs les dons de Dieu ". C’est pourquoi, toujours selon Denys, le nom de Domination signifie d’abord une liberté exempte de la condition servile et de la sujétion quotidienne à laquelle le peuple est astreint, et de l’oppression tyrannique dont les grands eux-mêmes souffrent parfois. Puis ce nom signifie encore " un gouvernement ferme et inflexible qui n’est incliné à aucun acte servile ni à aucun de ces actes qu’entraîne la sujétion ou l’oppression causée par le tyran. " En troisième lieu enfin, ce nom signifie "le désir et la participation de la véritable souveraineté qui est en Dieu ".

Semblablement le nom de chaque ordre signifie la participation de ce qui est en Dieu. Ainsi le nom de Vertu désigne la participation de la vertu divine, et ainsi pour le reste.

3. Les noms de Domination, de Puissance, de Principauté se réfèrent au gouvernement de différentes manières. Il appartient en effet au maître (dominus) seul de prescrire ce qu’il faut faire. C’est pourquoi S. Grégoire écrit que " certaines troupes angéliques, parce que les autres leur sont soumises, sont appelées Dominations ". - Le nom de Puissance désigne un certain ordre établi, selon le mot de l’Apôtre (Rm 13, 2) : " Celui qui résiste à la puissance résiste à l’ordre établi par Dieu. " Ce qui fait dire à Denys que le nom de Puissance désigne un certain ordre établi concernant soit la réception des choses divines, soit les actions divines que les esprits supérieurs exercent sur les inférieurs pour les élever à Dieu. - À l’ordre des Puissances revient donc de régler ce que les sujets qui leur sont soumis doivent exécuter. - Exercer une principauté d’après S. Grégoire c’est être " le premier parmi les autres " ; en d’autres termes, c’est être en quelque sorte parmi les premiers à exécuter les consignes. Et Denys, entend aussi par Principautés, ceux qui, " dans un ordre sacré conduisent les autres ". Car ceux qui conduisent les, autres, étant les premiers parmi eux, méritent à proprement parler le nom de princes, selon cette parole du Psaume (68, 26 Vg) : " En tête marchaient les princes accompagnés par les chanteurs. "

4. Les Archanges, d’après Denys, tiennent le milieu entre les Principautés et les Anges. Or, ce qui est intermédiaire, si on le compare à l’un des extrêmes, apparaît semblable à l’autre extrême, car il participe à la fois de l’un et de l’autre ; ce qui est tiède paraît froid si on le compare au chaud, et chaud si on le compare au froid. Ainsi les Archanges sont-ils appelés princes des Anges parce que, comparés à eux, ils sont princes ; mais comparés aux principautés, ils ne sont que des Anges. - Mais pour S. Grégoire, les Archanges sont ainsi appelés parce que, annonçant de grandes choses, ils sont supérieurs au seul ordre des Anges. Quant aux Principautés, leur nom vient de ce qu’elles sont au-dessus de toutes les vertus célestes chargées d’accomplir les ordres de Dieu.

5. Le nom de Séraphins ne leur vient pas tant de la charité que de l’excès de charité signifié par le mot ardeur ou incendie. Aussi Denys explique-t-il ce nom de Séraphins d’après les propriétés du feu qui comporte un excès de chaleur. Or, dans le feu, nous pouvons considérer trois choses : d’abord son mouvement qui se porte en haut et qui est continu. Ce qui signifie que les Séraphins se portent tout droit vers Dieu. En second lieu, nous pouvons considérer dans le feu sa vertu active qui est la chaleur, non pas certes une chaleur quelconque, mais une chaleur douée d’une certaine acuité qui permet au feu d’avoir une action extrêmement pénétrante et capable d’atteindre les moindres replis d’un être, tout cela d’ailleurs avec une ardeur débordante. Ce qui signifie que les Séraphins exercent une action puissante sur ceux qui leur sont soumis, les excitant à une ferveur semblable à la leur, et les purifiant totalement par l’incendie de leur charité. - En troisième lieu, on peut considérer dans le feu son éclat. Cela signifie que les Séraphins ont en eux une lumière inextinguible, et qu’ils illuminent parfaitement les autres.

Quant au nom de Chérubin, on l’emploie pour signifier un certain excès de science, si bien qu’on le traduit par " plénitude de science ". Ce que Denys explique de quatre manières : par rapport à leur parfaite vision de Dieu ; par rapport à leur pleine réception de la lumière divine ; par rapport au fait qu’en Dieu ils contemplent la beauté de l’ordre des choses dérivé de Dieu ; enfin, par rapport à cet autre fait qu’étant remplis d’une telle connaissance, ils la diffusent avec abondance sur les autres.

6. L’ordre des Trônes a cette supériorité sur les ordres inférieurs que les Trônes peuvent connaître immédiatement en Dieu les raisons des œuvres divines. Mais les Chérubins sont supérieurs en science, les Séraphins supérieurs en ardeur de charité. Et, bien que ces deux dernières supériorités incluent la troisième, celle des Trônes cependant n’inclut pas les deux autres. C’est pourquoi l’ordre des Trônes se distingue de l’ordre des Chérubins et de celui des Séraphins. Ce qu’il y a de commun à tous en effet, c’est que l’excellence d’un ordre inférieur est contenue dans l’excellence de l’ordre supérieur, mais non réciproquement.

Quant à Denys, il explique le nom des Trônes en le comparant aux sièges matériels, à quatre points de vue. Premièrement, au point de vue de la situation, car les sièges sont élevés au-dessus de la terre ; ainsi les Trônes sont élevés jusqu’à connaître immédiatement en Dieu les raisons des choses. Deuxièmement, le siège matériel implique la solidité : on s’y assoit solidement. Pour ce qui est des anges, le cas est inverse - ils sont affermis par Dieu. - En troisième lieu, le siège reçoit celui qui s’y assoit et peut servir à le transporter. Ainsi les Trônes reçoivent Dieu en eux et le portent de quelque manière aux ordres inférieurs. - En quatrième lieu, le siège, du fait de sa configuration, est ouvert sur l’un de ses côtés pour recevoir celui qui s’y assied. Ainsi les Trônes, par leur promptitude, sont ouverts pour recevoir Dieu et le servir.

            Article 6 — Les rapports des différents ordres entre eux

Objections :

1. Il semble que les différents ordres soient mal rangés. En effet, l’ordre des prélats apparaît comme l’ordre suprême. Or les Dominations, les Principautés et les Puissances jouissent, comme leur nom l’indique, d’une certaine prélature. Ces ordres devraient donc venir avant tous les autres.

2. Plus un ordre est proche de Dieu, plus il est élevé. Mais l’ordre des Trônes apparaît comme le plus proche de Dieu : y a-t-il proximité plus grande qu’entre le siège et celui qui s’y assoit ? L’ordre des Trônes est donc le plus élevé de tous.

3. La science est première par rapport à l’amour, et l’intelligence semble être d’un rang plus élevé que la volonté. L’ordre des Chérubins doit donc passer avant l’ordre des Séraphins.

4. S. Grégoire place les Principautés au-dessus des Puissances. Elles ne viennent donc pas immédiatement avant les Archanges, comme le voudrait Denys.

En sens contraire, Denys place, dans la première hiérarchie, les Séraphins en tête, les Chérubins ensuite, et les Trônes en dernier lieu ; dans la deuxième hiérarchie : les Dominations d’abord, puis les Vertus, enfin les Puissances ; dans la troisième hiérarchie, les Principautés, les Archanges et les Anges.

Réponse :

Les rangs assignés aux ordres angéliques par Grégoire et Denys concordent, sauf en ce qui concerne les Principautés et les Vertus. En effet, Denys place les Vertus après les Dominations et avant les Puissances ; les Principautés après les Puissances et avant les Archanges. S. Grégoire au contraires place les Principautés entre les Dominations et les Puissances, les Vertus entre les Puissances et les Archanges. Ces deux manières de voir peuvent s’autoriser de S. Paul. L’Apôtre en effet, dans son épître aux Éphésiens (1, 20), énumère ainsi, en remontant, les ordres intermédiaires : " Dieu l’a établi (le Christ) à sa droite dans les cieux au-dessus de toute Principauté, Puissance, Vertu et Domination ", plaçant les Vertus entre les Puissances et les Dominations, ce que fait aussi Denys. Mais, dans l’épître aux Colossiens (1, 16) il énumère les mêmes ordres en descendant : "Toutes choses, les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances, ont été créées par lui et en lui. " Dans ce texte, les principautés sont placées entre les Dominations et les Puissances, et S. Grégoire fait de même.

Voyons donc d’abord la raison du classement adopté par Denys. Il convient avant tout de rappeler ce que nous avons dit li à savoir que la première hiérarchie saisit les raisons des choses en Dieu même ; la deuxième hiérarchie les saisit dans les causes universelles ; la troisième, dans leur détermination à des effets particuliers. Et, parce que Dieu est la fin non seulement des ministères angéliques, mais aussi de toute création, à la première hiérarchie appartient la considération de la fin ; à la seconde, la disposition générale des actions à accomplir ; à la dernière l’application pratique de cette disposition à l’effet, ce qui est l’exécution de l’œuvre. Il est manifeste en effet que ces trois étapes se retrouvent en toute opération. C’est pourquoi Denys, considérant les propriétés des ordres angéliques d’après leurs noms, a placé dans la première hiérarchie les ordres dont les noms expriment leur rapport à Dieu, à savoir : les Séraphins, les Chérubins et les Trônes. Dans la hiérarchie intermédiaire, il a placé les ordres dont les noms indiquent un certain gouvernement ou mise en place générale : les Dominations, les Vertus et les Puissances. Dans la troisième hiérarchie, il a mis les ordres dont les noms expriment la mise à exécution de l’œuvre Principautés, Anges et Archanges.

D’autre part, en regard de la fin, on peut considérer trois choses : en premier lieu, on envisage la fin ; puis on en acquiert une parfaite connaissance ; en dernier lieu on fixe son intention sur elle. Le deuxième point s’ajoute au premier, et le troisième aux deux autres. Et puisque Dieu est la fin des créatures à la manière dont le chef est la fin de l’armée, ainsi que le note Aristote, on peut trouver ici une certaine analogie dans ce qui se passe à propos de l’organisation des affaires humaines ; car certains hommes sont revêtus d’une telle dignité qu’ils peuvent eux-mêmes approcher familièrement le roi ou le chef ; d’autres ont sur ceux-là cet avantage qu’ils connaissent ses intentions secrètes ; d’autres enfin font sans cesse partie de son entourage et lui sont étroitement unis. D’après cette analogie, nous pouvons saisir comment sont disposés les ordres dans la première hiérarchie. Les Trônes sont élevés jusqu’à recevoir Dieu familièrement en eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils deviennent capables de connaître immédiatement en lui les raisons des choses, ce qui est propre à toute la première hiérarchie. Mais les Chérubins connaissent de façon suréminente les secrets divins. Quant aux Séraphins, ils l’emportent en quelque chose qui passe tout le reste, l’union à Dieu lui-même. Ainsi, ce qui est commun à toute la hiérarchie sert à nommer l’ordre des Trônes ; de même que ce qui est commun à tous les esprits célestes sert à nommer l’ordre des Anges.

D’autre part, l’idée de gouvernement renferme trois choses. La première, c’est la détermination des œuvres qu’il faut accomplir, et cela relève en propre des Dominations. La deuxième consiste à donner la faculté nécessaire pour pouvoir agir ; cela appartient aux Vertus. La troisième consiste à régler de quelle manière les directives données pourront être accomplies par ceux que cela regarde ; c’est l’office des Puissances.

Enfin l’exécution des ministères angéliques consiste à annoncer les œuvres divines. Or, dans l’exécution de toute œuvre, il y en a qui, pour ainsi dire, la commencent en conduisant les autres : ainsi, dans les chœurs, les préchantres ; et, dans le combat, ceux qui conduisent et dirigent les autres : tel est le rôle des Principautés. Il y en a d’autres qui exécutent purement et simplement : cela revient aux Anges. D’autres enfin tiennent le milieu : c’est le fait des Archanges, nous l’avons dit.

Or cette classification des ordres est satisfaisante. Ce qui est le plus élevé en effet dans une classe inférieure a une étroite affinité avec ce qui est le plus bas dans la classe supérieure ; ainsi les animaux les plus simples se distinguent-ils peu des plantes. Le tout premier ordre, c’est celui des Personnes divines : il se termine au Saint-Esprit qui est l’Amour procédant. C’est avec lui que l’ordre le plus élevé de la première hiérarchie aura une affinité, puisque son nom évoque l’incendie de l’amour. Le dernier ordre de la première hiérarchie est celui des Trônes et leur nom a une certaine affinité avec les Dominations : les Trônes désignent en effet, pour S. Grégoire, ceux " par lesquels Dieu exerce ses jugements " ; ils reçoivent les illuminations divines afin de pouvoir illuminer immédiatement la seconde hiérarchie dont le rôle est d’ordonner les ministères divins. Quant à l’ordre des Puissances, il possède une affinité avec l’ordre des Principautés ; car le rôle des Puissances est d’imposer à ceux qui leur sont soumis le plan de l’œuvre qu’ils doivent réaliser, et ce plan est reçu aussitôt par les Principautés qui, comme leur nom l’indique, sont les premières dans l’exécution des ministères divins, comme présidant au gouvernement des royaumes et des nations, ce qui est le premier et le principal des ministères divins. Car le bien d’une nation est plus divin que le bien d’un seul homme, et il est écrit dans Daniel (10, 13) : " Le Prince du royaume des Perses m’a résisté. "

Le classement des ordres angéliques d’après S. Grégoire a aussi sa cohérence. Puisque les Dominations ont pour rôle de définir et de prescrire ce qui a rapport aux ministères divins, les ordres angéliques qui leur sont soumis sont classés d’après le rang qu’occupent les créatures sur lesquelles ces ministères s’exercent. Or, selon S. Augustin " les corps sont régis selon un certain ordre, les inférieurs par les supérieurs, et tous par la créature spirituelle ; l’esprit mauvais par l’esprit bon ". Donc, le premier ordre après les Dominations sera celui des Principautés, qui commandent même aux esprits bons. Ensuite viendront les Puissances qui entravent les esprits mauvais, comme les puissances terrestres entravent les malfaiteurs, d’après l’épître aux Romains (13, 3). Puis ce sont les Vertus, qui ont puissance sur la nature corporelle dans l’accomplissement des miracles. Enfin viennent les Anges et les Archanges qui annoncent aux hommes, les premiers les choses que la raison ne saurait atteindre ; les seconds, les choses de moindre importance et qui sont à la portée de l’entendement.

Solutions :

1. Pour les anges, il est préférable d’être soumis à Dieu que de présider aux créatures inférieures, ce qui découle de la soumission. C’est pourquoi les ordres dont les noms évoquent la prélature ne sont pas les plus élevés, mais bien ceux dont les noms signifient leur conversion vers Dieu.

2. La proximité avec Dieu signifiée par le nom de Trônes convient aussi aux Chérubins et aux Séraphins, mais d’une manière plus excellente, nous venons de le dire.

3. Comme nous l’avons noté antérieurement, la connaissance suppose que l’objet connu est dans le connaissant ; l’amour, que l’aimant est uni à l’être aimé. Or, les réalités supérieures existent d’une manière plus noble en elles-mêmes que dans les êtres inférieurs. Au contraire, les réalités inférieures existent dans les êtres supérieurs d’une manière plus noble qu’en elles-mêmes. C’est pourquoi la connaissance des réalités inférieures l’emporte sur l’amour qu’on leur porte ; tandis que l’amour des réalités supérieures, et surtout de Dieu, l’emporte sur la connaissance qu’on en a.

4. Si l’on considère attentivement les classements donnés par Grégoire et Denys à propos des ordres angéliques, on constate qu’en somme, à examiner les choses dans leur réalité, ils diffèrent peu, ou même pas du tout. Pour Grégoire, le nom de Principautés leur vient de ce qu’" elles président aux esprits bons ". Et cela convient aussi aux Vertus, si l’on interprète ce mot dans le sens d’une certaine force donnant aux esprits inférieurs l’efficacité nécessaire pour accomplir les ministères divins. De plus, les Vertus, pour Grégoire, semblent, avoir le même rôle que les Principautés pour Denys. Ce qui prime en effet dans les ministères divins, c’est de faire des miracles -. ce qui prépare la voie aux messages des Archanges et des Anges.

 

            Article 7 — Les ordres subsisteront-ils après le jour du jugement ?

Objections :

1. Il semble que non, car d’après S. Paul (1 Co 15, 24) : " Le Christ détruira toute Principauté et Puissance quand il aura remis le royaume à Dieu son Père ", ce qui aura lieu à la consommation dernière. Au même titre, dans ce nouvel état, tous les autres ordres disparaîtront.

2. L’office des ordres angéliques est de purifier, d’illuminer et de parfaire. Or, après le jour du jugement, un ange n’exercera plus sur un autre cette fonction, car ils n’auront plus à progresser en connaissance. Les ordres angéliques subsisteraient donc pour rien.

3. L’Apôtre écrit à propos des anges (He 1, 14) : " Ils sont tous destinés à servir, envoyés en mission pour le bien de ceux qui doivent hériter le salut. " La fonction des anges est donc de conduire les hommes au salut. Or tous les élus parviennent au salut avant le jour du jugement. Donc, après ce jour, les fonctions et les ordres angéliques ne subsisteront pas.

En sens contraire, il est écrit au livre des Juges (5, 20 Vg) : " Les étoiles demeurant dans leur ordre et leur cours... ", texte que la Glose applique aux anges. Donc les anges subsisteront dans leurs ordres.

Réponse :

Dans les ordres angéliques on peut distinguer deux choses : la diversité des rangs et l’exercice des fonctions. Les rangs se diversifient chez les anges d’après les différences de grâce et de nature, comme nous l’avons déjà dit. Et cette double différence demeurera toujours chez les anges. Car on ne pourrait leur enlever leur différence de nature sans les détruire ; et, en outre, les divers degrés de gloire demeurent toujours en eux, proportionnés au mérite antécédent de chacun.

Quant à l’exercice des fonctions angéliques, il demeurera pour une part après le jour du jugement et il cessera pour une autre part. Il cessera pour autant que ces fonctions sont ordonnées à conduire les hommes au salut ; mais il demeurera en ce qui concerne l’ultime obtention de la fin. Ainsi en est-il dans les fonctions des grades militaires, qui sont différentes selon qu’il s’agit du combat ou du triomphe.

Solutions :

1. Les Principautés et les Puissances disparaîtront à la consommation finale pour ce qui est de conduire les autres à leur fin car, une fois la fin acquise, on ne tend plus vers elle. Et c’est en ce sens que l’Apôtre écrit : " Quand le Christ aura remis le royaume à son Père... ", c’est-à-dire quand il aura amené les fidèles à jouir de Dieu lui-même.

2. Les actions des anges les uns sur les autres peuvent se comprendre par analogie avec nos propres activités intellectuelles. Il y a en nous beaucoup d’activités intellectuelles qui sont ordonnées les unes aux autres dans un rapport de cause à effet ; ainsi quand nous parvenons peu à peu, à l’aide de multiples moyens termes, à une conclusion unique. Il est manifeste que la connaissance de la conclusion dépend de tous les moyens termes précédents, non seulement en ce qui regarde l’acquisition de la science, mais aussi en ce qui regarde sa conservation. La preuve en est que si l’on venait à oublier l’un ou l’autre des moyens termes, on pourrait bien avoir de la conclusion une connaissance d’opinion ou de foi, mais non une connaissance scientifique, puisque l’on ignorerait l’ordre des causes.

Ainsi donc, quand les anges inférieurs connaissent les raisons des œuvres divines par la lumière des anges supérieurs, leur connaissance dépend de cette lumière, non seulement pour ce qui est de cette acquisition, mais aussi pour ce qui est de sa conservation. Donc, bien qu’après le jugement les anges ne progressent plus dans la connaissance de certaines choses, cependant ils n’en sont pas

3. Bien qu’après le jour du jugement les hommes n’aient plus besoin d’être conduits au salut par le ministère des anges, pourtant ceux qui seront sauvés recevront encore, grâce à ce même ministère une certaine illumination.

 

            Article 8 — Les hommes sont-ils élevés aux ordres angéliques ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, la hiérarchie humaine est placée sous la dernière des hiérarchies angéliques, de même que celle-ci est placée sous la deuxième, et celle-ci sous la première. Or les anges de la dernière hiérarchie ne sont jamais transférés dans la deuxième ou la première. Les hommes ne seront donc pas non plus transférés dans les ordres angéliques.

2. Il revient aux ordres angéliques d’accomplir certaines fonctions, comme de garder les hommes, de faire des miracles, de repousser les démons, et autres œuvres semblables qui ne paraissent pas convenir aux âmes des saints. Donc les hommes ne seront pas transférés dans les ordres angéliques.

3. De même que les bons anges induisent au bien, les démons induisent au mal. Mais c’est une erreur de dire que les âmes des hommes mauvais deviennent des démons : S. Jean Chrysostome la condamne. Il semble donc que les âmes des saints, elles non plus, ne seront pas incorporées aux ordres angéliques.

En sens contraire, dans l’évangile, de S. Matthieu (22,30) le Seigneur dit des saints qu’" ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel ".

Réponse :

Nous l’avons dit, les ordres des anges se distinguent d’après la condition de leur nature, et d’après les dons de la grâce. Donc, si l’on considère les ordres des anges d’après le degré de leur nature, sous ce rapport les hommes ne peuvent d’aucune façon entrer dans les ordres angéliques, car la diversité des natures subsistera toujours. C’est en se plaçant à ce point de vue que certains ont prétendu que les hommes ne pouvaient d’aucune manière parvenir à égalité avec les anges, ce qui est faux et en contradiction avec la promesse du Christ dans S. Luc (20, 36), disant que les fils de la résurrection seront égaux aux anges dans les cieux. Ce qui relève de la nature joue le rôle de matière dans la définition des ordres ; l’achèvement vient du don de la grâce, laquelle dépend de la libéralité divine, non du degré de nature. C’est pourquoi, par le moyen de la grâce, les hommes peuvent mériter une gloire telle qu’elle les place à égalité avec les anges dans l’un ou l’autre de leurs ordres. Et c’est là, pour les hommes, prendre place dans les ordres angéliques.

Certains disent cependant que trouvent place dans les ordres angéliques, non pas tous ceux qui sont sauvés, mais seulement les vierges ou les parfaits, tandis que les autres constituent un ordre distinct de toute la société des anges. Pourtant S. Augustin n’est pas de cet avis ; pour lui, " il n’y aura pas deux sociétés, celle des hommes et celle des anges, mais une seule, car tous ont la même béatitude : adhérer au Dieu unique. "

Solutions :

1. La grâce est donnée aux anges en proportion de leur perfection naturelle. Il n’en est pas ainsi des hommes, nous l’avons dit précédemment. C’est pourquoi, de même que les anges inférieurs ne peuvent être élevés au degré de nature des anges supérieurs, de même ils ne peuvent être élevés à leur degré de grâce. Mais les hommes peuvent monter à ce degré de grâce sans monter au degré de nature qui lui correspond chez les anges.

2. Les anges, selon l’ordre naturel, sont intermédiaires entre Dieu et nous. C’est pourquoi, de loi commune, c’est eux qui administrent non seulement les choses humaines, mais aussi le monde corporel. Quant aux saints, même après cette vie, ils gardent la même nature que nous. Aussi, de loi commune, il ne leur revient pas d’administrer les choses humaines, et, comme dit S. Augustin, " ils n’interviennent pas dans les affaires des vivants ". Cependant, par une disposition spéciale, il est concédé parfois à certains saints, vivants ou morts, d’exercer des offices de ce genre, comme de faire des miracles, de chasser les démons et autres œuvres semblables, comme S. Augustin l’affirme dans le même livre.

3. Il n’est pas erroné de dire que les hommes mauvais subissent la peine des démons ; ce qui est faux, c’est de prétendre que les démons ne sont pas autre chose que les âmes des défunts. Et c’est cela que Chrysostome réprouve.

 

 

QUESTION 109 — L’ORGANISATION DES MAUVAIS ANGES

1. Y a-t-il une hiérarchie parmi les démons ? - 2. Y a-t-il parmi les démons un acte de supériorité ? - 3. Un démon en illumine-t-il un autre ? - 4. Les démons sont-ils soumis à la supériorité des bons anges ?

            Article 1 — Y a-t-il une hiérarchie parmi les démons ?

Objections :

1. L’ordre ressortit à la raison de bien, comme la mesure et la beauté, d’après S. Augustin. Au contraire, le désordre se rattache à la raison de mal. Mais chez les bons anges, il n’y a rien de désordonné. Donc, chez les mauvais anges, il n’y a pas de hiérarchie.

2. Les ordres angéliques sont inclus dans une hiérarchie. Or les démons ne peuvent être établis dans une hiérarchie, car celle-ci est un " principal sacré ", et les démons sont vides de toute sainteté. Il ne peut donc y avoir d’ordres chez les démons.

3. D’après l’opinion commune, les démons ont déchu en tombant de chacun des ordres angéliques. Donc, si l’on range certains démons dans un ordre, sous prétexte qu’ils sont déchus de cet ordre, on devrait aussi leur attribuer le nom de l’ordre en question. Or nulle part ils ne sont appelés Séraphins ou Trônes ou Dominations. Donc, pour la même raison, ils n’appartiennent pas non plus aux autres ordres.

En sens contraire, l’Apôtre écrit aux Éphésiens (6, 12) : "Nous avons à lutter contre les Principautés et les Puissances, contre les chefs de ce monde de ténèbres. "

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit b, on peut considérer l’ordre angélique soit selon le degré de la nature, soit selon le degré de la grâce. D’autre part, il y a deux états de la grâce : un état imparfait qui est celui du mérite ; et un état parfait qui est celui de la gloire consommée. Si l’on considère les ordres angéliques par rapport à la perfection de la gloire, les démons n’appartiennent et n’appartiendront jamais à ces ordres. Si l’on envisage les ordres du point de vue de la grâce imparfaite, les démons furent, à un moment donné, dans les ordres angéliques, mais ils en ont déchu : nous l’avons dit en effet e. tous les anges furent créés en grâce. Si enfin, nous considérons dans les démons ce qui relève de leur nature, à ce point de vue ils appartiennent encore aux ordres angéliques, car, selon Denys, ils n’ont pas perdus leurs dons naturels.

Solutions :

1. Le bien peut se trouver sans le mal, mais le mal ne saurait exister sans le bien, nous l’avons dit précédemment. Pour cette raison, les démons, en tant qu’ils ont une nature bonne, sont ordonnés entre eux.

2. L’organisation des démons, si on la considère du côté de Dieu, auteur de l’ordre, est chose sacrée ; car Dieu se sert des démons à ses propres fins. Mais du point de vue des démons, elle n’est pas sacrée, car les démons abusent de leur nature pour faire le mal.

3. Le nom de Séraphins leur vient de l’ardeur de leur charité ; le nom de Trônes, de ce que Dieu habite en eux ; le nom de Dominations implique une certaine liberté ; toutes choses qui sont opposées au péché. C’est pourquoi on ne peut attribuer ces noms aux anges pécheurs.

 

            Article 2 — Y a-t-il parmi les démons, un acte de supériorité ?

Objections :

1. Il semble que non. Car toute supériorité repose sur un ordre de justice. Mais les démons sont entièrement déchus de la justice. Il n’y a donc pas chez eux d’autorité supérieure.

2. Là où il n’y a pas d’obéissance et de soumission, il n’y a pas de supériorité. Cela en effet ne peut exister sans la concorde qui est nulle chez les démons, selon les Proverbes (13, 10) - " Chez les orgueilleux les querelles sont incessantes. " Il n’y a donc pas de supériorité chez les démons.

3. S’il y avait quelque supériorité chez les démons, cela tiendrait soit à leur nature, soit à leur faute ou à leur châtiment. Cela ne peut tenir à la nature ; car la sujétion et la servitude ne viennent pas de la nature, étant la suite du péché. Et cela ne vient pas de la faute ou du châtiment ; car, en ce cas, les démons supérieurs, qui ont péché plus gravement, seraient soumis aux démons inférieurs. Il n’y a donc pas de supériorité chez les démons.

En sens contraire, nous lisons dans la Glose (sur 1 Co 15, 24) : " Tant que dure le monde, les anges commandent aux anges, les hommes aux hommes, les démons aux démons. "

Réponse :

Puisque l’action d’un être est une conséquence de sa nature, quand plusieurs natures sont ordonnées entre elles, il faut que leurs actions le soient aussi. C’est ce qui apparaît avec évidence dans les réalités corporelles ; parce que l’ordre naturel place les corps inférieurs au-dessous des corps célestes, il s’ensuit que les actions et mouvements des premiers sont soumis aux actions et mouvements des seconds. Or il est évident, d’après ce que nous avons dit, que l’ordre naturel range les démons les uns au-dessous des autres. Les actions des uns seront donc soumises aux actions des autres qui leur sont supérieurs. Or c’est là précisément la définition de la supériorité : que l’action d’un sujet soit soumise à l’action du supérieur. Ainsi donc, la disposition naturelle des démons réclame elle-même qu’il y ait chez eux une supériorité. - Cela convient aussi à la sagesse divine qui ne laisse rien de désordonné dans l’univers, mais qui " atteint avec force d’une extrémité du monde à l’autre et dispose tout avec douceur " (Sg 8, 1).

Solutions :

1. La supériorité chez les démons n’est pas fondée sur leur justice, mais sur la justice de Dieu qui ordonne toutes choses.

2. La concorde qui fait que certains démons obéissent à d’autres ne vient pas de leur amitié mutuelle, mais de leur commune méchanceté qui leur fait haïr les hommes et résister à la justice de Dieu. C’est le propre des hommes impies, en effet, de s’unir entre eux et, pour accomplir leurs mauvais desseins, de se soumettre à ceux qu’ils voient plus puissants et plus forts.

3. Les démons ne sont pas égaux en nature il y a donc chez eux une supériorité naturelle. Cela n’arrive pas chez les hommes qui sont égaux en nature. D’ailleurs, que les démons inférieurs soient soumis aux démons supérieurs, ce n’est pas pour le bien des supérieurs, mais plutôt pour leur malheur ; car, si faire le mal est déjà extrêmement malheureux, commander dans le mal est le comble de la misère.

 

            Article 3 — Y a-t-il illumination chez les démons ?

Objections :

1. Il semble bien, car l’illumination consiste dans la manifestation de la vérité. Or un démon peut manifester une vérité à un autre, parce que les démons supérieurs ont, par nature, une science plus vigoureuse. Ils peuvent donc illuminer les démons inférieurs.

2. Un corps très lumineux peut éclairer un corps où la lumière est insuffisante : ainsi le soleil éclaire la lune. Or les démons supérieurs participent plus que les autres de la lumière naturelle. Ils peuvent donc illuminer les démons inférieurs.

En sens contraire, l’illumination va de pair avec la purification et le perfectionnement, on l’a déjà dit. Or il ne convient pas aux démons de purifier, selon cette parole de l’Écriture (Sg 34, 4 Vg) : " Que pourra purifier celui qui est impur ? " Ils ne peuvent donc pas davantage illuminer.

Réponse :

À proprement parler il ne peut y avoir d’illumination chez les démons. Comme nous l’avons déjà dit, la véritable illumination est la manifestation de la vérité, en tant qu’elle se réfère à Dieu, lumière de toute intelligence. Les autres manifestations de la vérité relèvent du langage : ainsi quand un ange manifeste sa pensée à un autre. Or, la perversité des démons fait que l’un d’eux ne peut pas se proposer d’en rattacher un autre à Dieu ; il cherche plutôt à le détourner de l’ordre divin. C’est pourquoi un démon n’en illumine pas un autre, mais il peut lui faire connaître sa pensée par le moyen du langage.

Solutions :

1. Toute manifestation de la vérité n’est pas illumination, mais seulement celle que nous venons de dire.

2. À se placer au point de vue de la connaissance naturelle, la manifestation de la vérité n’est nécessaire ni chez les anges, ni chez les démons, nous l’avons dit i, car, dès le commencement de leur création, ils ont possédé toutes les connaissances qui leur sont naturelles. C’est pourquoi une plus grande plénitude de lumière naturelle dans les démons supérieurs ne peut constituer une illumination.

 

            Article 4 — Les bons anges exercent-ils une supériorité sur les mauvais anges ?

Objections :

1. La supériorité des anges se manifeste surtout par les illuminations. Mais les mauvais anges, étant ténèbres, ne sont pas illuminés par les bons. Donc les bons anges n’exercent pas de supériorité sur les mauvais.

2. Quand les inférieurs agissent mal, cela tient, semble-t-il, à la négligence des supérieurs. Or les démons font beaucoup de mal. Donc, s’ils étaient soumis à la supériorité des bons anges, il faudrait admettre chez ceux-ci de la négligence, ce qui est inconcevable.

3. La supériorité des anges s’établit d’après leur ordre naturel, nous l’avons dit. Or si, comme on le pense communément, les démons ont déchu de chacun des ordres angéliques, il y a beaucoup de démons qui sont supérieurs en nature à beaucoup de bons anges. Les bons anges n’exercent donc pas une supériorité sur tous les mauvais anges.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " L’esprit rebelle à la vie et pécheur est régi par l’esprit docile à la vie, pieux et juste. " Et S. Grégoire enseigne que "les Puissances sont des anges au pouvoir desquels les vertus adverses sont soumises ".

Réponse :

Tout ordre et donc toute supériorité existe d’abord et originellement en Dieu, et les créatures y participent selon qu’elles sont plus proches de lui ; en effet celles qui exercent une influence sur les autres sont les plus parfaites et les plus proches de Dieu. Or la perfection la plus haute et qui rapproche le plus de Dieu, c’est celle des créatures qui jouissent de Dieu, comme les saints anges. De cette perfection, les démons sont privés. C’est pourquoi les bons anges exercent une domination sur les mauvais anges, et ceux-ci sont régis par eux.

Solutions :

1. Les saints anges révèlent aux démons bien des choses concernant les mystères divins, car la justice divine exige que les démons contribuent soit à punir les méchants, soit à éprouver les bons ; ainsi, dans les affaires humaines, les assesseurs du juge communiquent sa sentence aux bourreaux. Ces révélations, si on les envisage du côté des anges qui les communiquent, sont des illuminations, car ces anges les rapportent à Dieu. Mais du côté des démons qui les reçoivent, ce ne sont pas des illuminations, car les démons ne les ordonnent pas à Dieu, mais à la satisfaction de leur propre malice.

2. Les saints anges sont les ministres de la sagesse divine. Et de même que la sagesse divine permet que certains maux arrivent par le moyen des mauvais anges ou des hommes, à cause du bien qu’elle-même en tire, ainsi les bons anges n’empêchent pas totalement les mauvais de nuire.

3. L’ange qui est inférieur en nature commande aux démons, même si ceux-ci lui sont naturellement supérieurs, car la vertu de la justice divine, à laquelle sont unis les bons anges, est plus puissante que la vertu naturelle des anges. C’est pourquoi, même chez les hommes, comme le dit l’Apôtre (1 Co 2, 15) : " Celui qui est spirituel juge toutes choses. " Et Aristote enseigne m que " l’homme vertueux est la règle et la mesure de toutes les actions humaines ".

 

 

 

QUESTION 110 — LA PRIMAUTÉ DES ANGES SUR LES CRÉATURES CORPORELLES

1. La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ? - 2. La créature corporelle obéit-elle aux anges sans aucune résistance ? - 3. Les anges peuvent-ils immédiatement, par leur vertu, déplacer les corps ? - 4. Les anges, bons ou mauvais, peuvent-ils faire des miracles ?

 

            Article 1 — La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ?

Objections :

1. Ce qui possède une manière déterminée d’agir n’a pas besoin d’être gouverné par une autorité. Nous-mêmes avons besoin d’être gouvernés pour ne pas agir autrement que nous le devons. Mais les êtres corporels ont des manières d’agir déterminées par la nature même qu’ils ont reçue de Dieu. Ils n’ont donc pas besoin d’être gouvernés par les anges.

2. Les êtres inférieurs sont gouvernés par les êtres supérieurs. Parmi les corps, certains sont considérés comme inférieurs, d’autres comme supérieurs. Ceux-ci régissent donc les autres, qui n’ont pas besoin d’être gouvernés par les anges.

3. On distingue les divers ordres d’anges selon leurs diverses missions. Si les créatures corporelles étaient gouvernées par les anges, il y aurait autant de missions angéliques que d’espèces de choses corporelles, et donc autant d’ordres d’anges, ce qui est contraire à ce qu’on a dit plus haut. Donc la créature corporelle n’est pas gouvernée par les anges.

En sens contraire, S. Augustin assure que " tous les corps sont régis par un esprit vivant doué de raison ", et S. Grégoire que " en ce monde visible rien ne peut être dirigé que par une créature invisible ".

Réponse :

Dans les êtres humains comme dans ceux de la nature, nous constatons communément que le pouvoir particulier est gouverné et conduit par un pouvoir plus universel, comme par exemple le pouvoir du bailli dépend de celui du roi.

À propos des anges nous avons vu que les anges supérieurs qui dominent les anges inférieurs possèdent une science plus étendue. Il est clair que la puissance de tout être corporel est plus limitée que celle d’une substance spirituelle, puisque toute forme corporelle est individualisée par la matière et déterminée par les conditions de temps et de lieu ; les formes immatérielles au contraire sont libérées de toute matière, et intelligibles. C’est pourquoi, de même que les anges inférieurs, dont la forme est moins universelle, sont régis par les anges supérieurs, ainsi tous les êtres corporels sont régis par les anges. Ce n’est pas là seulement une affirmation des Pères : c’est la pensée de tous les philosophes qui admettent des substances incorporelles.

Solutions :

1. Les choses corporelles ont des activités déterminées, mais elles les exercent seulement en tant qu’elles reçoivent une motion, car c’est le propre de l’être corporel d’agir seulement quand il subit une motion. Aussi faut-il que cette créature corporelle soit mue par une créature spirituelle.

2. Ce raisonnement s’appuie sur l’opinion d’Aristote, qui affirmait que les corps célestes sont mus par des substances spirituelles ; et il a tenté de fixer leur nombre selon le nombre des mouvements qui se manifestent dans les astres. Il ne pensait pas que des substances spirituelles exercent une influence immédiate sur des corps inférieurs, sauf peut-être les âmes humaines agissant sur leur corps. Et cela parce qu’il n’estimait pas qu’il puisse y avoir dans les corps inférieurs d’autres activités que leurs activités naturelles, pour lesquelles suffisait le mouvement transmis par les corps célestes. Mais nous croyons que beaucoup de choses s’accomplissent dans les corps inférieurs en dehors de leurs activités naturelles, qui ne peuvent s’expliquer suffisamment par l’action des corps célestes ; nous estimons donc nécessaire de tenir que les anges ont une influence immédiate non seulement sur les corps célestes, mais même sur les corps inférieurs.

3. Au sujet des substances immatérielles, les philosophes ont adopté des positions différentes. Platon affirma que les substances immatérielles étaient les idées et les espèces des corps sensibles les unes étant plus universelles que d’autres ; il déclara donc que les substances immatérielles exercent une influence immédiate sur tous les corps sensibles, et qu’elles agissent diversement selon la diversité des corps. - Aristote affirma que les substances immatérielles ne sont pas les images des corps sensibles, mais quelque chose de plus élevé et de plus universel ; c’est pourquoi il ne leur attribua pas une influence immédiate sur chaque corps, mais seulement sur les agents universels que sont les corps célestes. - Avicenne prit une position intermédiaire. Comme Platon, il estimait que quelques substances spirituelles influençaient immédiatement une sphère d’activités et de passivités matérielles, dont les formes dérivent des substances immatérielles ; Avicenne aussi affirmait cela. Mais il diffère de Platon en ce qu’il affirmait qu’une seule substance immatérielle qu’il appela intellect agent, dominait tous les corps inférieurs.

Les Pères admirent comme les platoniciens que plusieurs substances spirituelles étaient préposées aux choses corporelles. S. Augustin dit en effet : " Chaque chose visible en ce monde est confiée à un pouvoir angélique. " Et le Damascène écrit : " Le diable faisait partie de ces puissances angéliques qui dirigeaient l’ordre terrestre. " Origène, commentant le passage (Nb 22, 23) : " Quand l’âne eut vu l’ange ", déclare que " le monde a besoin d’anges qui gouvernent les bêtes, et soient préposés à la naissance des animaux et à la croissance des boutures et des plantes et des autres choses. " Mais il ne faut pas soutenir cela parce que, d’après sa nature, un ange se trouverait plus apte à gouverner les animaux que les plantes ; car tout ange, même le moindre, possède une puissance plus élevée et plus universelle que n’importe quel genre de corps. Non, cette diversité vient de l’économie de la sagesse divine, qui prépose des dirigeants différents aux choses diverses. Il n’en résulte pas qu’il y ait plus de neuf ordres d’anges ; car, on l’a dit plus haut, les ordres se divisent selon les missions générales. C’est pourquoi, selon S. Grégoire " à l’ordre des Puissances appartiennent tous les anges qui possèdent en propre le pouvoir sur les démons ; de même, à l’ordre des Vertus appartiennent tous les anges qui exercent un pouvoir sur les choses purement corporelles. C’est par leur ministère que s’accomplissent même parfois des miracles. "

 

            Article 2 — La matière corporelle obéit-elle aux anges sans aucune résistance ?

Objections :

1. La puissance des anges est plus grande que celle de l’âme. Mais la matière du corps est soumise aux conceptions de l’âme ; en effet le corps de l’homme est modifié par la conception de l’âme qui lui fait ressentir la chaleur et le froid, et même parfois la santé et la maladie. Donc la matière corporelle devrait être bien plus encore modifiée selon la conception de l’ange.

2. Tout ce que peut une puissance inférieure, une puissance supérieure le peut. Mais la puissance de l’ange est supérieure à celle du corps. Et celui-ci est capable de modifier la matière corporelle en y introduisant une autre forme ; par exemple, quand le feu engendre le feu dans un autre être. Donc, à plus forte raison, les anges peuvent-ils modifier la forme d’une matière corporelle.

3. Toute la nature corporelle, avons-nous dit, est gouvernée par les anges. Les réalités corporelles se comportent donc envers les anges comme des instruments, l’instrument étant ce qui transmet un mouvement reçu. Mais, dans les effets réalisés, il y a quelque chose qui provient des agents principaux et non de leur instrument, et parmi les effets, celui-ci est le principal. Par exemple la digestion s’opère sous l’effet de la chaleur, qui n’est qu’un instrument de l’âme nutritive ; mais que la digestion engendre de la chair vivante, cela provient de la puissance de l’âme elle-même. De même, si le bois est coupé, c’est par la scie ; s’il prend la forme d’un lit, cela vient de la puissance de l’artisan. Donc, la forme substantielle, qui est l’effet principal parmi les effets corporels, provient de la puissance des anges. La matière obéit donc aux anges pour recevoir sa forme substantielle.

En sens contraire, S. Augustin déclare : " On ne doit pas croire que la matière des choses visibles soit soumise sans limites aux anges désobéissants, mais à Dieu seul. "

Réponse :

Selon les platoniciens, les formes réalisées dans la matière sont causées par des formes immatérielles ; car ils pensaient que ces formes matérielles étaient des participations de formes immatérielles. Avicenne les a suivis sur ce point en estimant que " toutes les formes qui sont dans la matière résultent d’une conception de l’intelligence et que les agents corporels ne font que disposer la matière à recevoir ces formes ". - Ils se trompèrent en considérant la forme comme un être qui existe en soi si bien qu’il procéderait d’un principe formel. Mais, comme Aristote le prouve, ce qui est produit à proprement parler est un être composé[4433]. C’est cela qui est proprement une substance. La forme, au contraire, ne constitue pas un être, comme si elle-même subsistait ; elle est ce par quoi quelque chose existe ; c’est pourquoi ce n’est pas à proprement parler la forme qui devient ; ce qui devient, c’est ce à quoi il appartient d’exister ; devenir n’est pas autre chose en effet qu’être en voie d’exister. - Il est manifeste que ce qui est fait est semblable à celui qui le fait, puisque tout agent accomplit un être semblable à lui-même. C’est pourquoi ce qui réalise les choses naturelles est semblable au composé qu’il produit, soit parce qu’il est lui-même composé, comme le feu engendre le feu ; soit parce que tout le composé, matière et forme, préexiste virtuellement en lui, ce qui est le propre de Dieu. Ainsi donc, toute production de forme dans la matière vient ou bien immédiatement de Dieu, ou bien d’un agent corporel, mais non immédiatement d’un ange[4434].

Solutions :

1. Notre âme est unie au corps comme sa forme ; il n’est donc pas surprenant qu’elle puisse par sa conception opérer en lui des changements de forme ; surtout parce que les mouvements de l’appétit sensitif, qui entraînent des changements corporels, sont soumis au commandement de la raison. Il n’en va pas de même pour l’ange à l’égard des corps naturels. L’argument ne vaut donc pas.

2. Oui, tout ce que peut une puissance inférieure, une puissance supérieure le peut, mais sous un mode plus élevé ; ainsi l’intelligence connaît les réalités sensibles, mais beaucoup mieux que le sens. De même, l’ange transforme la matière corporelle d’une façon qui surpasse celle des agents corporels, en agissant sur ces agents corporels comme une cause supérieure à eux.

3. Rien n’empêche que, la puissance des anges réalise dans les choses naturelles des effets que les agents corporels seraient incapables de produire. Mais cela ne signifie pas que la matière obéisse à l’ange sans aucune résistance ; de même que la matière n’est pas soumise totalement au cuisinier parce que celui-ci est capable de produire, en réglant son feu avec art, des résultats que le feu n’accomplirait pas lui-même. Conduire la matière jusqu’à l’actuation d’une forme substantielle ne dépasse pas la puissance d’un agent corporel, puisque le semblable est apte à produire un semblable à soi-même.

 

            Article 3 — Les anges peuvent-ils immédiatement, par leur vertu, déplacer les corps ?

Objections :

1. Il semble que les corps ne soient pas soumis aux anges dans leur mouvement local. En effet le mouvement local des corps résulte de leurs formes. Or les anges ne produisent pas les formes des corps naturels, on l’a dit précédemment. Donc, ils ne peuvent pas non plus produire en eux un mouvement local.

2. Aristote prouve que " le mouvement local est le premier des mouvements". Mais les anges ne sont pas capables de causer les autres mouvements en changeant la forme de la matière. Ils ne peuvent donc pas non plus produire le mouvement local.

3. Les membres du corps obéissent aux conceptions de l’âme dans leurs mouvements locaux, en tant qu’ils ont en eux-mêmes un principe de vie. Mais dans les corps naturels il n’y a pas de principe de vie. Ils ne peuvent donc être soumis aux anges dans leurs mouvements locaux.

En sens contraire, S. Augustin dit que " les anges se servent de semences corporelles pour produire certains effets ". Mais cela ne leur est possible qu’en réalisant des mouvements locaux. Donc les corps leur obéissent dans ces mouvements locaux.

Réponse :

Denys affirme : " La sagesse divine fait se rejoindre ce qu’il y a de plus élevé dans les ordres inférieurs avec ce qu’il y a de moins élevé dans les ordres supérieurs. " La nature corporelle est donc en contact, en ce qu’elle a de plus élevé, avec la nature qui lui est supérieure. Mais la nature corporelle est au-dessous de la nature spirituelle. Parmi tous les mouvements corporels, le plus parfait est le mouvement local, comme le prouvent les Physiques. Voici pourquoi : ce qui peut être mû localement n’est pas, en tant que tel, en puissance à quelque chose d’intrinsèque, mais seulement à quelque chose d’extrinsèque : le lieu. C’est pourquoi la nature corporelle est apte à être mue immédiatement par la nature spirituelle, d’un mouvement local. C’est ainsi que les philosophes ont soutenu que les corps les plus élevés étaient mus localement par les substances spirituelles ; nous voyons en effet que l’âme meut le corps d’abord et principalement d’un mouvement local.

Solutions :

1. Dans les corps nous observons des mouvements locaux qui ne résultent pas de leur essence ; le flux et le reflux de la mer ne dépendent pas de la forme substantielle de l’eau, mais de l’action de la lune. Il est donc possible, à plus forte raison, que des mouvements locaux puissent être produits par la puissance dés substances spirituelles.

2. Les anges, en réalisant pour commencer des mouvements locaux, peuvent à travers eux provoquer d’autres mouvements, en utilisant les agents corporels pour produire ces effets, de même que le forgeron se sert du feu pour ramollir le fer.

3. Les anges ont une puissance moins réduite que la puissance motrice de l’âme. Celle-ci est restreinte au corps qui lui est uni, qui est vivifié par elle, et grâce auquel elle peut mouvoir d’autres choses. Mais la puissance de l’ange n’est pas limitée à un corps ; elle peut donc en mouvoir localement d’autres qui ne lui sont pas unis.

 

            Article 4 — Les anges, bons ou mauvais, peuvent-ils faire des miracles ?

Objections :

1. Il semble que oui, d’après ce texte de S. Grégoire : " On nomme Vertus les esprits par lesquels les signes et les miracles s’accomplissent le plus souvent. "

2. S. Augustin dit aussi : " Les magiciens accomplissent des miracles en vertu de pactes personnels, les bons chrétiens, grâce à leur justice publique ; les mauvais chrétiens, par des signes extérieurs de justice publique. " Mais les magiciens accomplissent des miracles parce qu’ils " sont exaucés par les démons ", dit-il dans le même livre. Donc les démons peuvent faire des miracles. À bien plus forte raison les bons anges.

3. S. Augustin dit aussi dans le même livre : " Tout ce qui s’accomplit visiblement, il n’est pas absurde de croire que les puissances inférieures de l’air sont capables de l’accomplir. " Mais, quand un effet de causes naturelles est réalisé en dehors de l’ordre naturel de sa cause, nous disons que c’est un miracle ; par exemple quand quelqu’un est guéri de la fièvre sans l’intervention de la nature. Donc les anges et les démons peuvent faire des miracles.

4. Une puissance supérieure n’est pas soumise aux règles d’une cause inférieure. La nature corporelle est inférieure à l’ange. L’ange peut donc agir en dehors de l’ordre des agents corporels. Ce qui est faire des miracles.

En sens contraire, il est dit de Dieu dans le Psaume (136, 4) : " Lui seul fait de grandes merveilles ! "

Réponse :

Il y a miracle à proprement parler quand quelque chose est produit en dehors de l’ordre de la nature. Mais il ne suffit pas pour qu’il y ait miracle que ce soit accompli en dehors de l’ordre de la nature de telle créature particulière ; car alors, quand on lance une pierre en l’air, on ferait un miracle, puisque cela est étranger à l’ordre naturel de la pierre. Donc, un fait est un miracle s’il se produit en dehors de toute la nature créée. Cela, Dieu seul peut le faire : tout ce que fait un ange ou n’importe quelle autre créature par sa propre puissance, il le fait selon l’ordre de la nature créée : ce n’est pas un miracle. Il reste donc que Dieu seul peut faire des miracles.

Solutions :

1. On peut dire que certains anges font des miracles soit parce que Dieu fait des miracles désirés par eux, comme on dit que les saints font des miracles, soit parce qu’ils apportent un certain concours à la réalisation d’un miracle, par exemple en rassemblant la poussière des morts à la résurrection finale, ou en faisant quelque chose d’analogue.

2. Les miracles proprement dits consistent, nous venons de le dire, dans l’accomplissement de choses en dehors de l’ordre de toute la nature créée. Mais, puisque nous ne connaissons pas toute la puissance de la nature créée, quand quelque chose se produit en dehors de l’ordre de cette nature telle que nous la connaissons, c’est un miracle par rapport à nous. Ainsi, quand les démons accomplissent quelque chose par la puissance de leur nature, on appelle cela un miracle, non absolument parlant, mais par rapport à nous. C’est de cette manière que les magiciens réalisent des miracles grâce aux démons ; et l’on dit qu’ils les font " en vertu de pactes personnels ", car toute la puissance d’une créature dans l’univers est comparable à celle d’une personne privée dans la cité. C’est pourquoi, quand le magicien fait quelque chose en vertu d’un pacte conclu avec le démon, cela se fait comme par un contrat individuel. Mais la justice divine dans tout l’univers est comparable à la loi publique dans la cité. C’est pourquoi les bons chrétiens qui accomplissent des miracles par la justice divine sont considérés comme faisant des miracles en vertu de la justice publique. Tandis que les mauvais chrétiens le font par simulacre de la justice publique, par exemple en invoquant le nom du Christ ou en employant quelque sacrement.

3. Les puissances spirituelles peuvent accomplir ce qui se fait visiblement en ce monde, en employant les semences corporelles par le mouvement local qu’elles leur donnent.

4. Bien que les anges puissent réaliser des effets qui dépassent l’ordre de la nature corporelle, ils ne peuvent pourtant pas en produire au-dessus de l’ordre de toute créature, comme cela est requis pour un vrai miracle, comme nous l’avons dit.

 

 

L’ACTION DES ANGES SUR LES HOMMES,

Considérons maintenant l’action des anges sur les hommes. Nous rechercherons premièrement s’ils peuvent agir sur eux par leur force naturelle (Q. 1 1 1) ; puis, comment ils sont envoyés par Dieu au service des hommes (Q. 112) ; enfin, comment ils protègent les hommes (Q. 113).

 

 

QUESTION 111 — L’ACTION NATURELLE DES ANGES SUR LES HOMMES

1. L’ange peut-il illuminer l’intelligence de l’homme ? - 2. Peut-il modifier la volonté de l’homme ? - 3. Peut-il modifier son imagination ? - 4. Peut-il agir sur ses sens ?

            Article 1 — L’ange peut-il illuminer l’intelligence de l’homme

Objections :

1. Il semble que non. Car l’homme est illuminé par la foi, et Denys attribue l’illumination au baptême, qui est le sacrement de la foi. Mais la foi vient immédiatement de Dieu, comme dit S. Paul (Ep 2, 8) : " Vous êtes sauvés par la grâce, au moyen de la foi, et non par vous-mêmes ; car elle est un don de Dieu. " Donc l’homme n’est pas illuminé par l’ange, mais immédiatement par Dieu.

2. La Glose ordinaire, commentant ce passage de l’épître aux Romains (1, 19) : " Dieu leur manifesta... ", dit que " non seulement la raison naturelle fut utile en manifestant aux hommes les choses divines mais qu’en outre Dieu fit aux hommes une révélation par son œuvre ", c’est-àdire par les créatures. Mais l’une et l’autre, raison naturelle et créatures, viennent immédiatement de Dieu. Donc, Dieu illumine l’homme sans intermédiaire.

3. Tout être qui est illuminé a conscience de l’être. Or les hommes n’ont pas conscience d’être illuminés par les anges. Donc ils ne le sont pas.

En sens contraire, Denys prouve que les révélations des choses divines parviennent aux hommes par le ministère des anges. Ces révélations sont des illuminations, comme nous l’avons vu. Les hommes sont donc illuminés par les anges.

Réponse :

Puisque l’ordre de la providence divine soumet les créatures inférieures à l’action des créatures supérieures, comme nous l’avons dit plus haut, de même que les anges inférieurs sont illuminés par les anges supérieurs, ainsi les hommes qui sont inférieurs aux anges, sont illuminés par eux. Mais la manière dont se produisent ces illuminations est en partie semblable et en partie différente. Or, nous avons vu plus haut que l’illumination, qui est une manifestation de la vérité divine, peut comporter deux aspects : soit que l’intelligence inférieure se trouve renforcée par l’action de l’intelligence supérieure, soit que celle-ci propose à l’intelligence inférieure des espèces intelligibles qu’elle possède, afin que l’intelligence inférieure puisse les saisir. C’est ce qui se passe chez les anges, quand un ange supérieur adapte une vérité universelle à la capacité d’un ange inférieur, comme nous l’avons vu. Mais l’esprit humain ne peut saisir la vérité intelligible dans sa nudité, parce qu’il lui est connaturel de comprendre en se tournant vers les images, comme nous l’avons dit. C’est pourquoi les anges proposent aux hommes la vérité intelligible sous des représentations sensibles ; Denys fait observer à ce sujet qu’il " est impossible pour nous de voir briller un rayon divin s’il n’est tamisé par divers voiles sacrés ". D’autre part, l’esprit humain, qui est inférieur à l’intelligence angélique, est fortifié par son action. C’est de ces deux manières que se réalise l’illumination de l’homme par l’ange.

Solutions :

1. Deux choses concourent à la foi. Premièrement, un habitus de l’intelligence qui la rend apte à obéir à la volonté tendant vers la vérité divine. L’intelligence, en effet, donne son assentiment à la vérité de foi, non en tant que convaincue par la raison, mais comme sous le commandement de la volonté. " Nul ne croit sans vouloir " dit S. Augustin. Sous cet aspect, la foi vient de Dieu seul. - Secondement, la foi requiert que les vérités à croire soient proposées au croyant. Cela est accompli par l’homme en tant que " la foi vient de ce qu’on entend ", comme dit S. Paul (Rm 10, 17), mais aussi par les anges à titre de principes, parce qu’ils révèlent aux hommes les choses divines. Par là, les anges contribuent à l’illumination de la foi. Cependant, les hommes sont illuminés par les anges, non seulement dans l’ordre de la foi, mais encore dans celui de l’action.

2. La raison naturelle, qui vient immédiatement de Dieu, peut être renforcée par l’ange, comme nous venons de le voir. Et, semblablement, des espèces reçues des créatures émane une vérité intelligible d’autant plus élevée que l’intelligence humaine est plus vigoureuse. Ainsi l’homme est aidé par l’ange pour parvenir à une plus parfaite connaissance du divin à partir des créatures.

3. L’opération intellectuelle et l’illumination peuvent être considérées à deux points de vue. D’une part, du point de vue de la chose connue ; et alors tout esprit qui connaît, ou est illuminé, sait qu’il connaît ou est illuminé, puisqu’il prend conscience de l’objet qui lui est manifesté. D’autre part, du point de vue du principe de la connaissance ; en ce cas, il ne suffit pas de connaître quelque vérité pour savoir ce qu’est l’intelligence, principe de l’opération intellectuelle. De même, on peut être illuminé par un ange sans savoir que c’est un ange qui procure cette lumière.

            Article 2 — L’ange peut-il changer la volonté de l’homme ?

Objections :

1. Cela semble possible. La Glose, commentant la lettre aux Hébreux (1, 7) : " Lui qui fait de ses anges des esprits, et de ses ministres une flamme brûlante ", déclare : " Les anges sont du feu parce que leur esprit est fervent et qu’ils brûlent nos vices. " Mais cela ne se ferait pas s’ils ne changeaient pas la volonté. Les anges en sont donc capables.

2. Bède dit, à propos de ce passage de S. Matthieu (15, 2) : " Ce qui procède de la bouche... ", que " le diable n’envoie pas les mauvaises pensées, mais les excite. " S. Damascène dit qu’il les envoie aussi. Il ajoute que " les démons ont le pouvoir non seulement d’imaginer toute malice et les passions immondes, mais encore de les introduire dans l’homme ". De même, les bons anges introduisent dans l’homme de bonnes pensées et les excitent. Mais ils ne peuvent le faire sans modifier notre volonté. C’est donc qu’ils en sont capables.

3. L’ange, comme nous l’avons vu, illumine l’intelligence de l’homme au moyen d’images sensibles. Mais de même que l’imagination, qui est au service de l’intelligence, peut être modifiée par l’ange, ainsi l’appétit sensible, qui est au service de la volonté ; car lui aussi est une faculté liée à un organe corporel. Donc, comme l’ange illumine l’intelligence, il peut changer la volonté.

En sens contraire, changer la volonté est le propre de Dieu, selon les Proverbes (21, 1) : " Le cœur du roi est dans la main du Seigneur. Il l’incline comme il veut. "

Réponse :

La volonté peut être modifiée de deux manières. Premièrement de l’intérieur. À ce point de vue, puisque le mouvement de la volonté n’est pas autre chose que son inclination vers l’objet voulu, Dieu seul peut changer ainsi la volonté, lui qui donne à la nature intellectuelle le pouvoir de s’incliner de la sorte. Comme l’inclination naturelle ne vient que de Dieu, qui donne la nature, ainsi l’inclination de la volonté ne vient que de Dieu, qui cause la volonté.

D’un autre point de vue, la volonté est mue de l’extérieur ; ce qui chez l’ange se réalise uniquement sous l’action du bien connu par son intelligence. Dans la mesure où quelqu’un est cause de ce qu’un autre appréhende quelque chose comme un bien désirable, on peut dire qu’il agit sur la volonté. Dieu seul peut mouvoir efficacement une volonté de cette façon ; mais l’ange et l’homme peuvent le faire par persuasion, on l’a dit précédemment. - Mais il y a encore une autre façon dont la volonté de l’homme est mue de l’extérieur : à l’aide d’une passion suscitée dans l’appétit sensible ; ainsi, par le désir intense ou la colère, la volonté est inclinée à vouloir telle ou telle chose. Ainsi encore les anges, en tant qu’ils peuvent exciter ces passions, peuvent mouvoir la volonté. Une telle motion n’est cependant pas contraignante, car la volonté demeure toujours libre de consentir à la passion ou de lui résister[4435].

Solutions :

1. Les ministres de Dieu, hommes ou anges, brûlent les vices ou enflamment les vertus par mode de persuasion.

2. Les démons ne peuvent pas introduire en nous des pensées en les produisant à l’intérieur de nous, puisque l’usage de notre pouvoir de penser est soumis à la volonté. Mais on dit que le diable attise des pensées en tant qu’il nous excite à penser, ou à désirer l’objet de certaines pensées, soit en usant de persuasion, soit en excitant une passion. C’est cette excitation que S. Damascène appelle " introduire " une pensée, parce que cette influence pénètre en nous. Mais les bonnes pensées relèvent d’un principe plus élevé, Dieu, même si elles ont été fournies par le ministère des anges.

3. L’esprit humain, dans notre état présent, ne peut pas connaître sans se tourner vers les images ; mais la volonté humaine peut vouloir quelque chose d’après le jugement de la raison, sans suivre une passion de l’appétit sensible. Aussi ce parallèle est sans valeur.

 

            Article 3 — L’ange peut-il modifier l’imagination de l’homme ?

Objections :

1. Aristote dit que l’image " est un mouvement réalisé par le sens en tant qu’il est en acte ". Si elle était l’effet d’une modification opérée par un ange, elle ne proviendrait plus du sens en tant qu’il est en acte. Il serait donc contraire à la nature même de l’image qu’elle soit produite par l’action d’un ange.

2. Les formes qui sont dans l’imagination, puisqu’elles sont spirituelles, sont plus nobles que les formes réalisées dans la matière sensible. Mais l’ange ne peut pas introduire de formes dans la matière sensible. Il ne peut donc pas introduire de formes dans l’imagination qu’il modifierait.

3. S. Augustin écrit : " Par l’union avec un autre esprit, il est possible qu’un esprit lui communique les choses qu’il connaît lui-même, grâce à des images, soit en les lui faisant connaître lui-même, soit en faisant qu’elles lui soient dévoilées par un autre. " Mais il ne semble pas que l’ange puisse s’unir à l’imagination de l’homme, ni que l’imagination puisse saisir les idées intelligibles que l’ange possède. Il paraît donc impossible que l’ange modifie l’imagination.

4. Dans la vision imaginative, l’homme adhère à des représentations des choses comme aux choses elles-mêmes. En cela il est trompé de quelque manière. Comme il est impossible qu’un ange bon cause une tromperie, il ne semble pas qu’il puisse produire une vision imaginative en agissant sur l’imagination.

En sens contraire, ce qui apparat dans les songes est une vision imaginative. Or les anges révèlent parfois des choses dans les songes, comme cela s’est produit pour S. Joseph à qui un ange est apparu en songe (Mt 1, 20 ; 2, 3.19). Donc l’ange peut agir sur l’imagination.

Réponse :

L’ange bon ou mauvais peut, en vertu de sa nature, agir sur l’imagination de l’homme. On peut l’envisager ainsi. Nous avons dit que la nature corporelle est soumise à l’ange quant au mouvement local. Donc, tout ce qui peut résulter du mouvement local d’êtres corporels est soumis à la puissance naturelle des anges. Or, il est manifeste que des apparitions imaginatives sont parfois l’effet, chez nous, d’un déplacement des esprits et des humeurs des corps. C’est pourquoi Aristote recherchant la cause des apparitions en songe, dit que " quand un animal dort, tandis que le sang afflue dans le principe sensitif, en même temps affluent des mouvements ", c’est-à-dire des impressions laissées par les sensations, qui sont conservées dans la sensibilité, et qui " agissent sur le principe sensitif " ; ainsi se produit une apparition, qui donne l’impression que le principe sensitif est influencé par les choses extérieures elles-mêmes. Le choc produit dans les esprits et les humeurs peut être tel que de pareilles apparitions arrivent parfois même à des personnes éveillées, comme cela arrive chez les épileptiques et ceux qui leur ressemblent. Puisque c’est l’effet d’un mouvement naturel des humeurs, et parfois de la volonté d’un homme qui imagine volontairement ce qu’il avait d’abord perçu, cela peut se produire aussi par l’action d’un ange bon ou mauvais, soit avec aliénation des sens corporels, soit sans cette aliénation.

Solutions :

1. Le principe premier de l’imagination, c’est le sens en acte. Car nous ne pouvons pas imaginer ce que nous n’avons aucunement senti, soit dans sa totalité, soit partiellement : l’aveugle de naissance ne peut pas imaginer la couleur. Mais parfois l’imagination est impressionnée par des images qui surgissent des impressions antérieures conservées en elle, comme on vient de le dire.

2. L’ange agit sur l’imagination non pas en y imprimant des formes imaginatives qui ne seraient aucunement passées auparavant par les sens (il ne pourrait point par exemple faire imaginer les couleurs à un aveugle de naissance), mais il agit en exerçant une motion locale sur les esprits et les humeurs, on vient de le dire.

3. L’union de l’esprit de l’ange avec l’imagination de l’homme ne s’opère pas par une union essentielle, mais l’influence exercée sur l’imagination, comme nous venons de l’expliquer ; l’ange lui fait voir ce qu’il connaît lui-même, mais non à la manière dont il le connaît.

4. L’ange qui réalise une vision imaginative, parfois illumine en même temps l’intelligence pour lui faire connaître la vraie signification de ces images ; alors il n’y a aucune tromperie ; d’autres fois, l’ange fait seulement apparaître des images dans l’imagination ; mais alors l’illusion ne vient pas de l’ange mais de la déficience de l’intelligence chez le témoin de ces apparitions. De même, le Christ n’était pas cause d’erreur partie qu’il a proposé sous forme de paraboles bien des choses qu’il n’a pas exposées autrement aux foules.

            Article 4 — L’ange peut-il agir sur les sens de l’homme ?

Objections :

1. Il semble que non, car toute action des sens est une action vitale. Or une telle opération ne peut provenir d’un principe extrinsèque. Donc l’ange ne peut agir sur les sens de l’homme.

2. La puissance sensitive est supérieure à la puissance nutritive. Mais l’ange ne paraît pas pouvoir agir sur la puissance nutritive, pas plus que sur les autres formes naturelles. Donc il ne peut pas non plus modifier la puissance sensitive.

3. Le sens, par nature, est mû par un objet sensible. Mais l’ange ne peut pas changer l’ordre de la nature, on l’a dit récemment. Donc l’ange ne peut modifier le sens, car c’est toujours par l’objet sensible que le sens est modifié.

En sens contraire, la Genèse (19, 11) affirme que les anges qui détruisirent Sodome frappèrent les Sodomites d’aveuglement, afin qu’ils ne puissent trouver la porte de leur maison. Nous voyons un fait analogue à propos des Syriens qu’Élisée conduisit en Samarie (2 R 6, 18).

Réponse :

Le sens est impressionné de deux manières. Soit par un objet extérieur, par exemple par une réalité sensible ; soit de l’intérieur. Nous voyons en effet que si les esprits et les humeurs sont troublés, le sens est modifié. La langue du malade, si elle est imprégnée de bile, trouve tout amer ; il en va de même pour les autres sens. L’ange peut impressionner le sens de l’homme de ces deux manières, en vertu de sa puissance naturelle. L’ange peut en effet présenter extérieurement au sens un objet sensible, qu’il soit déjà formé par la nature, ou qu’il le forme lui-même à nouveau ; comme quand il revêt un corps, nous l’avons vu. Il est aussi capable de troubler intérieurement les esprits et les humeurs, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, en provoquant ainsi des impressions diverses dans les sens.

Solutions :

1. Le principe de l’opération sensible ne peut exister sans le principe intérieur, qui est la puissance sensitive. Mais ce principe intérieur peut être ébranlé de multiples façons par un principe extérieur, comme nous venons de le dire.

2. En ébranlant intérieurement les esprits et les humeurs, l’ange peut réaliser une modification de l’acte de la puissance nutritive, et, tout aussi bien, de la puissance appétitive ou sensitive, et de toute autre puissance liée à un organe corporel.

3. L’ange ne peut rien réaliser en dehors de l’ordre de toute la création ; mais il peut accomplir quelque chose qui soit en dehors de l’ordre de telle nature particulière, puisqu’il n’est pas soumis lui-même à cet ordre. C’est pourquoi il peut, d’une manière exceptionnelle, modifier les sens en dehors du mode commun de sensation.

 

 

 

QUESTION 112 — LA MISSION DES ANGES

1. Certains anges sont-ils envoyés pour un ministère ? - 2. Tous sont-ils envoyés ? - 3. Les anges envoyés en ministère demeurent-ils auprès de Dieu ? - 4. A quel ordre d’anges appartiennent ceux qui sont envoyés ?

 

            Article 1 — Certains anges sont-ils envoyés pour un ministère ?

Objections :

1. Toute mission envoie à un lieu déterminé. Mais les opérations intellectuelles ne requièrent pas un lieu déterminé, puisque l’intelligence fait abstraction du lieu et du temps. Étant donné que les actions des anges sont intellectuelles, il ne semble pas qu’ils doivent être envoyés pour les accomplir.

2. Le ciel empyrée est le lieu qui convient à la dignité des anges. S’ils nous sont envoyés en mission de ministère, il semble que leur dignité y perde ; et cela ne convient pas.

3. Une occupation extérieure est un obstacle à la contemplation de la sagesse. Ce qui fait dire à l’Ecclésiastique (38,24) : " Celui qui restreint son activité acquerra la sagesse. " Donc, si quelques anges sont envoyés pour accomplir des ministères extérieurs, il semble que cela paralyse leur contemplation. Mais toute leur béatitude consiste en la contemplation de Dieu. S’ils étaient envoyés, leur béatitude diminuerait. Et cela ne convient pas.

4. Servir est un signe d’infériorité. Aussi est-il dit en S. Luc (22, 27) : " Qui est plus grand, celui qui demeure à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui demeure à table ? " Les anges nous sont supérieurs par nature. Ils ne doivent donc pas être envoyés à notre service.

En sens contraire, Dieu dit dans l’Exode (23, 20) : " Voici que j’enverrai mon ange qui te précédera. "

Réponse :

De ce que nous avons dit, il résulte évidemment que Dieu peut envoyer quelques anges pour accomplir un ministère. Comme nous disions à propos de la mission des Personnes divines, on appelle envoyé celui qui, de quelque manière, procède d’un autre, de telle sorte qu’il commence à être là où il n’était pas auparavant, ou bien là où il se trouvait auparavant, mais d’une autre manière. Le Fils ou l’Esprit Saint est dit être envoyé en tant qu’il procède du Père par son origine ; et il commence à être d’une nouvelle manière, c’est-à-dire par la grâce ou par la nature qu’il assume, là où il se trouvait auparavant par la présence de sa Déité. C’est en effet le propre de Dieu d’être présent partout. Car, étant l’agent universel, sa puissance atteint tous les êtres ; il existe donc en toutes choses, comme on l’a vu précédemment.

Mais la puissance de l’ange, puisqu’il est un agent particulier, n’atteint pas tout l’univers ; il atteint certaines choses sans en atteindre d’autres. Et voilà pourquoi il est à tel endroit sans être dans un autre. Or il est manifeste, selon ce que nous avons dite, que la créature corporelle est régie par les anges. Donc, puisque certaines choses doivent être accomplies par tel ange au sujet de telle créature corporelle, cet ange est à nouveau mis en relation par sa puissance avec tel corps, et c’est ainsi qu’il commence à se trouver à nouveau dans tel endroit. Tout cela procède du commandement divin. C’est donc par Dieu, comme nous l’avons dit plus haut, que l’ange est envoyé. - Mais l’action, que l’ange envoyé exerce, procède de Dieu comme de son principe premier, par l’ordre et l’autorité de qui les anges opèrent ; et cette action s’achève en Dieu comme en sa fin ultime. Et l’ange fait cela en tant que ministre. Car le ministre est comme un instrument intelligent : l’instrument est mû par un autre, et son action est ordonnée à une fin autre que lui-même. C’est pour cela qu’on appelle ministères les actions des anges, et qu’on dit ceux-ci envoyés en ministères.

Solutions :

1. Une action peut être dite intellectuelle de deux manières. Premièrement, en ce sens qu’elle existe dans l’intelligence elle-même, comme la contemplation ; une telle opération ne requiert pas un lieu spécial. Au contraire, S. Augustin peut dire : " Même nous, quand nous goûtons par l’Esprit quelque chose d’éternel, nous ne sommes plus en ce monde. " Secondement, une action peut être dite intellectuelle parce qu’elle est réglée et commandée par telle intelligence ; et ainsi, il est clair que les opérations intellectuelles ont parfois un lieu déterminé.

2. Le ciel empyrée est attribué à la dignité des anges en vertu d’une certaine convenance, car il convient que le lieu corporel le plus élevé soit attribué à ces êtres dont la nature est au-dessus de tous les corps. Mais l’ange ne reçoit pas une dignité nouvelle du fait d’être dans le ciel empyrée ; c’est pourquoi, quand il n’y est plus en acte, rien n’est enlevé à sa dignité, pas plus qu’à la dignité du roi quand il ne siège pas en fait sur le trône royal.

3. Chez nous, une opération extérieure trouble la pureté de notre contemplation, parce que nous nous livrons à cette action avec nos forces sensibles, dont les actes, quand nous y prêtons attention, paralysent les actes de notre puissance intellectuelle. Mais l’ange dirige ses actes extérieurs par sa seule opération intellectuelle. Ces actes n’empêchent donc en rien la contemplation, car si une action est la règle et la raison de l’autre, celle-ci n’empêche pas la première, mais elle l’aide à se réaliser. C’est pourquoi S. Grégoire dite que " les anges qui vont au dehors ne sont pas privés des joies de la contemplation intérieures ".

4. Les anges, dans leurs actions extérieures, servent principalement Dieu, et secondairement nous-mêmes ; non pas que nous leur soyons supérieurs d’une façon absolue, mais parce que tout homme ou tout ange, en tant qu’il adhère à Dieu, devient spirituellement un avec Dieu, et comme tel est supérieur à toute créature. S. Paul dit aux Philippiens (2, 3) : " Estimez les autres supérieurs à vous-mêmes. "

 

            Article 2 — Tous les anges sont-ils envoyés en ministère ?

Objections :

1. Il est dit dans la lettre aux Hébreux (1, 14) : " Tous sont des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service. "

2. Parmi les ordres des anges, le plus élevé est celui des Séraphins, nous l’avons montré. Mais un Séraphin fut envoyé pour purifier les lèvres du prophète Isaïe (6, 6). Donc à plus forte raison les anges inférieurs sont envoyés.

3. Les Personnes divines dépassent infiniment tous les ordres des anges. Or elles sont envoyées. Donc bien plus encore les anges même les plus élevés.

4. Si les anges supérieurs n’étaient pas envoyés à un ministère extérieur, ce serait seulement parce qu’ils exerceraient les ministères divins par l’intermédiaire des anges inférieurs. Mais, puisque tous les anges sont inégaux, on l’a dit, chaque ange, sauf le dernier d’entre eux, a un ange qui lui est inférieur. Donc seul le dernier des anges serait envoyé dans le ministère. Ceci est contraire à ce que dit Daniel (7, 10) : " Des milliers de milliers le servaient. "

En sens contraire, S. Grégoire, commentant une sentence de Denys déclare : " Les armées célestes les plus élevées n’exercent aucunement un ministère extérieurs. "

Réponse :

Comme nous l’avons montré, il est conforme à l’ordre de la providence divine que, non seulement chez les anges mais même dans tout l’univers, les êtres inférieurs soient gouvernés par les êtres supérieurs. Dans les choses corporelles, il y a quelquefois, par suite d’une volonté divine, une dérogation à cette règle, pour réaliser un plan supérieur, c’est-à-dire en vue d’une manifestation de grâce. Que l’aveugle de naissance ait recouvré la vue, que Lazare ait été ressuscité, cela fut accompli directement par Dieu, sans aucune intervention des corps célestes. Les anges bons et mauvais peuvent réaliser quelque chose dans les êtres corporels en dehors de l’action des corps célestes, par exemple en condensant les nuages pour faire pleuvoir, ou en faisant d’autres choses de ce genre. Par ailleurs, il n’est pas douteux que Dieu puisse révéler des choses aux hommes sans passer par l’intermédiaire des anges, et que les anges supérieurs puissent le faire sans passer par l’intermédiaire d’anges inférieurs. Cette considération a fait dire à certains que, selon la loi commune, les êtres supérieurs ne sont pas envoyés, mais seulement les inférieurs ; les êtres supérieurs ne seraient envoyés qu’exceptionnellement, par une décision divine.

Cette opinion ne paraît pas raisonnable, parce que c’est le degré de leur grâce qui constitue les anges dans leur ordre. Or l’ordre de la grâce ne connaît pas d’ordre supérieur auquel il pourrait être soumis, comme l’ordre de la nature est soumis à l’ordre de la grâce. - Remarquons en outre que l’ordre de la nature, dans l’accomplissement des miracles, est l’objet d’une exception en vue de confirmer la foi. Or il ne servirait à rien de faire une exception pour l’ordre angélique, puisque cela échapperait à notre connaissance. D’ailleurs, il n’y a rien de si grand parmi les ministères divins, qui ne puisse être accompli par les ordres inférieurs. S. Grégoire dit que les anges qui annoncent les plus grandes choses sont appelés archanges. C’est pour cela que l’archange Gabriel fut envoyé à la Vierge Marie, ce qui fut le plus élevé de tous les ministères divins. Il faut donc dire absolument avec Denys que " les anges supérieurs ne sont jamais envoyés pour un ministère extérieur ".

Solutions :

1. Parmi les missions des Personnes divines, il en est de visibles, qui ont pour objet des créatures corporelles, il en est d’invisibles, dont l’effet est spirituel. De même pour les missions des anges ; il en est d’extérieures qui comportent un ministère à l’égard des choses corporelles, et, tous les anges ne sont pas envoyés pour de pareilles missions. Mais il en est d’intérieures, dont les effets sont spirituels, par exemple si un ange en éclaire un autre ; et de cette manière tous les anges sont envoyés 7. On pourrait dire aussi que S. Paul, dans le texte cité, veut prouver que le Christ est supérieur aux anges qui avaient apporté l’ancienne Loi ; et ainsi il montre l’excellence de la nouvelle Loi par rapport à l’ancienne. Ce texte ne viserait donc que le ministère des anges qui ont apporté la Loi.

2. Selon Denys, l’ange qui fut envoyé pour purifier les lèvres du prophète fut un ange inférieur. On l’appellerait Séraphin, autrement dit brûlant, d’une manière impropre, parce qu’il était venu pour enflammer les lèvres du prophète. On pourrait dire aussi que les anges supérieurs communiquent leurs dons propres, desquels ils tirent leur nom, par la médiation d’anges inférieurs. C’est ainsi qu’on dirait qu’un Séraphin a purifié par le feu les lèvres du prophète, non parce qu’il l’aurait fait lui-même directement, mais parce qu’un ange inférieur l’aurait fait par un pouvoir reçu de lui. On dit de même que le pape absout quelqu’un, même s’il donne l’absolution par l’intermédiaire d’un autre.

3. Les Personnes divines ne sont pas envoyées en ministère ; c’est improprement qu’on dit qu’elles sont envoyées, comme nous venons de le dire.

4. Parmi les ministères divins il y a de multiples degrés. Rien n’empêche donc que des anges inégaux soient envoyés directement pour ces divers ministères, les anges supérieurs étant envoyés aux ministères plus élevés, les inférieurs aux ministères moins élevés.

 

            Article 3 — Les anges envoyés en ministère demeurent-ils auprès de Dieu ?

Objections :

1. S. Grégoire a dit : " Les anges sont envoyés et demeurent auprès de Dieu ; car, bien que l’esprit angélique soit circonscrit, l’Esprit suprême qui est Dieu n’est pas circonscrit. "

2. L’ange de Tobie fut envoyé en mission. Il dit pourtant (Th 12, 15) : " je suis l’ange Raphaël, un des sept qui nous tenons devant Dieu. " Donc les anges envoyés continuent à se tenir en présence de Dieu.

3. Tout ange bienheureux est plus proche de Dieu que Satan. Or Satan se tient en présence de Dieu d’après Job (1, 6) : " Tandis que les fils de Dieu se tenaient devant Dieu, parmi eux il y avait aussi Satan. " Donc, à plus forte raison, les anges envoyés en mission demeurent auprès de Dieu.

4. Si les anges inférieurs ne demeuraient pas devant Dieu, ce serait parce qu’ils ne reçoivent pas directement les illuminations divines, mais à travers les anges supérieurs. Or tout ange ne reçoit les illuminations divines qu’à travers un ange supérieur, sauf celui des anges qui les surpasse tous. Donc, seul cet ange suprême se tiendrait en présence de Dieu. Et cela est contraire à ce passage de Daniel (7, 10) - " Des dizaines de milliers, des centaines de milliers siégeaient devant lui. " Donc, même ceux qui sont dans le ministère siègent devant Dieu.

En sens contraire, S. Grégoire, commentant ce texte de Job (25, 3) " Peut-on dénombrer ses troupes ? " dit " Auprès de lui demeurent les puissances qui ne sortent pas pour aller annoncer des choses aux hommes. "

Donc, ceux qui sont envoyés en ministère ne siègent pas.

Réponse :

Les anges se répartissent en assistants et en administrateurs, à la ressemblance des familiers d’un roi. Parmi ceux-ci, il en est qui l’assistent toujours et entendent directement ses préceptes. Les autres reçoivent les préceptes royaux grâce à ceux qui se tiennent toujours près du roi ; c’est le cas de ceux qui dirigent l’administration des villes ; ceux-là sont appelés ministres, mais non assistants. Nous devons donc penser que tous les anges voient immédiatement l’essence divine ; à ce point de vue, nous dirons que tous, même ceux qui sont dans le ministère, se tiennent devant Dieu. C’est pourquoi S. Grégoire dit que "ceux qui sont envoyés dans le ministère extérieur pour notre salut peuvent toujours siéger et voir la face du Père". Mais tous les anges ne peuvent pas percevoir les secrets des mystères divins dans la clarté même de l’essence divine, car cela est réservé aux anges supérieurs par lesquels ces secrets sont annoncés aux inférieurs. D’après cela, seuls, les anges supérieurs, qui sont de la première hiérarchie, sont dits siéger devant Dieu, eux dont c’est le propre, selon Denys, d’être illuminés directement par Dieu.

Solutions :

1 et 2. Tout cela donne la solution aux deux premières objections, qui se réfèrent au premier mode d’assistance.

3. Ce texte de Job ne signifie pas que Satan ait siégé devant Dieu, mais seulement qu’il se trouvait au milieu de ceux qui siégeaient, parce que, comme dit S. Grégoire, " bien qu’il ait perdu la béatitude, il n’a pas perdu sa nature, semblable à celle des anges ".

4. Tous ceux qui siègent devant Dieu voient certaines choses dans la clarté de l’essence divine. C’est pourquoi l’on dit qu’il appartient en propre à tous les membres de la première hiérarchie d’être illuminés directement par Dieu. Mais les plus élevés parmi eux perçoivent plus que les inférieurs, et illuminent ceux-ci, de même que, parmi les assistants d’un roi, certains connaissent ses secrets plus que d’autres.

            Article 4 — A quel ordre d’anges appartiennent ceux qui sont envoyés ?

Objections :

1. Il semble que tous les anges de la deuxième hiérarchie sont envoyés. En effet, selon Daniel (7, 10), tous les anges ou siègent devant Dieu, ou sont envoyés en ministère. Or les anges de la deuxième hiérarchie ne siègent pas ; ils sont en effet illuminés par les anges de la première hiérarchie, selon Denys. Donc ils sont tous envoyés en mission.

2. S. Grégoire, assure que les anges qui sont envoyés en mission sont plus nombreux que ceux qui siègent. Cela ne serait pas si les anges de la deuxième hiérarchie n’étaient pas envoyés. Donc ils le sont tous.

En sens contraire, Denys affirme : " Les Dominations sont au-dessus de toute sujétion. " Être envoyé en ministère relève d’une sujétion. Donc les Dominations ne sont pas envoyées en ministère.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, c’est le propre de l’ange d’être envoyé dans le ministère extérieur, du fait que par le commandement divin il s’occupe de quelque créature corporelle ; c’est requis pour l’exécution du ministère divin. Les actions propres des anges nous sont manifestées par leur nom, selon Denys. C’est pourquoi les anges envoyés dans le ministère extérieur sont ceux dont le nom indique qu’ils sont chargés de l’exécution de quelque mission. Or le nom de Dominations n’implique pas une exécution, mais seulement la disposition prise et le commandement donné en vue de l’exécution. Au contraire, les noms d’anges inférieurs nous donnent à entendre l’exécution. En effet " anges " et " archanges " indiquent une annonce, tandis que " Vertus " et " Puissances " marquent un rapport avec quelque action. C’est le propre du Prince, dit S. Grégoire, " de se trouver le premier parmi d’autres réalisateurs ". C’est donc que l’envoi pour un ministère extérieur appartient à ces cinq ordres, mais non aux quatre ordres supérieurs.

Solutions :

1. Les Dominations sont comptées parmi les anges de ministère, non en tant qu’elles exécutent elles-mêmes ce ministère, mais en tant qu’elles disposent et ordonnent ce qui doit être fait par d’autres, tout comme les architectes ne mettent pas eux-mêmes la main aux constructions, mais seulement disposent et commandent ce que les autres doivent réaliser.

2. Au sujet du nombre de ceux qui sont assistants et de ceux qui vont en ministère, on peut considérer deux points de vue différents. S. Grégoire dit qu’il y a plus de ministres que d’assistants. Il estime en effet que l’expression " des milliers de milliers étaient ses ministres " ne doit pas être prise au sens de multiplication, mais d’une division, comme on dirait " des milliers parmi les milliers " ; en ce cas, le nombre des ministres est indéfini pour signifier qu’il est fort élevé, tandis que le nombre des assistants est limité, puisqu’on ajoute : " et des dizaines de milliers, des centaines de milliers l’assistaient ". Et cela suit le raisonnement des platoniciens qui disaient que plus les choses sont proches d’un seul principe premier, plus leur nombre est réduit, de même que plus un nombre est proche de l’unité, moins il est élevé. Cette opinion serait sauvegardée quant au nombre des ordres, puisque six sont ministres et trois assistants. Mais Denys établit que la multitude des anges dépasse toute multitude matérielle. Ainsi, de même que les corps supérieurs transcendent les corps inférieurs par leur grandeur, immensément, de même les natures incorporelles supérieures transcendent par leur multitude toutes les natures corporelles. Car Dieu recherche et multiplie davantage ce qui est meilleur. Selon ce principe, puisque les assistants sont supérieurs aux ministres, les assistants seront plus nombreux que les ministres. " Des milliers de milliers " devrait alors se comprendre au sens d’une multiplication, comme si l’on disait " mille fois mille ". Et puisque dix fois cent fait mille, si l’on disait des dizaines de centaines de mille, on donnerait à entendre qu’il y a autant d’assistants que de ministres. Mais puisqu’il est dit " des dizaines de milliers de centaines de mille ", il y aurait beaucoup plus d’assistants que de ministres. Cependant cela ne signifie pas qu’il y ait exactement autant d’anges, et pas davantage, mais bien plutôt que leur nombre dépasse toute multitude matérielle, ce qu’on veut signifier par la multiplication des chiffres les plus élevés, à savoir, des dizaines, des centaines, des milliers, comme dit Denys.

Étudions maintenant le rôle des anges gardiens ; et nous étudierons ensuite les attaques des anges mauvais (Q. 114).

 

 

QUESTION 113 — LES ANGES GARDIENS

1. Les hommes sont-ils gardés par des anges ? - 2. Y a-t-il un ange particulier chargé de garder chaque homme ? - 3. Ce rôle est-il réservé au dernier ordre des anges ? - 4. Tout homme doit-il avoir un ange gardien ? - 5. A quel moment l’ange gardien commence-t-il sa mission ? - 6. L’ange gardien garde-t-il l’homme continuellement ? - 7. L’ange souffre-t-il de voir périr son protégé ? - 8. Y a-t-il conflit entre les anges en raison de cette garde ?

            Article 1 — Les hommes sont-ils gardés par des anges ?

Objections :

1. On donne des gardiens à des personnes, soit parce quelles ne savent pas, soit qu’elles ne peuvent pas se garder elles-mêmes, comme les enfants et les infirmes. Mais l’homme peut se garder lui-même grâce au libre arbitre, et il sait comment, grâce à sa connaissance naturelle de la loi naturelle. Donc l’homme n’est pas gardé par un ange.

2. Il semble superflu d’avoir un gardien plus faible quand on en possède un plus fort. Mais les hommes sont gardés par Dieu, selon le Psaume (121, 4) " Il ne dormira ni ne sommeillera, celui qui garde Israël. " Il n’est donc pas nécessaire que l’homme soit gardé par un ange.

3. La perte de celui qui est gardé retombe sur la négligence du gardien. Nous lisons au 1er livre des Rois, (20, 39) : " Garde cet homme, s’il vient à tomber, ta vie sera pour la sienne. " Mais beaucoup d’hommes périssent chaque jour en tombant dans le péché, alors que les anges auraient pu les secourir par une apparition, un miracle ou quelque moyen semblable. Donc les anges seraient négligents, s’il était vrai que les hommes sont confiés à leur garde. Les anges ne sont donc pas les gardiens des hommes.

En sens contraire, le Psaume (91, 11) affirme : " Il a ordonné à ses anges de te garder en toutes tes voies. "

Réponse :

Selon le plan de la providence divine, nous constatons en toutes choses que les êtres mobiles et variables sont mus et réglés par des êtres immobiles et invariables ; c’est ainsi que tous les êtres corporels sont guidés par les substances spirituelles et immobiles, et les corps inférieurs par les corps supérieurs, qui sont invariables dans leur substance. Nous-mêmes, nous sommes amenés à des conclusions sur lesquelles nous pouvons penser de diverses façons, grâce à des principes que nous observons invariablement. Or, quand il s’agit de la conduite, il est clair que la connaissance et les sentiments de l’homme peuvent de mille façons différer et s’écarter du bien. C’est pour cela qu’il fut nécessaire de désigner des anges pour garder les hommes, afin de les diriger et de les pousser au bien.

Solutions :

1. Grâce au libre arbitre, l’homme peut plus ou moins éviter le mal, mais insuffisamment, car son amour du bien est affaibli par les multiples passions de l’âme. Pareillement, la connaissance universelle de la loi naturelle, qui appartient naturellement à l’homme, le dirige un peu vers le bien, mais insuffisamment ; car, en appliquant les principes universels du droit aux actions particulières, il arrive que l’homme dévie de bien des façons. C’est pourquoi la Sagesse dit (Sg 9, 14) : " Les pensées des mortels sont timides, et nos prévisions sont incertaines. " L’homme a donc besoin d’être gardé par un ange.

2. Pour accomplir le bien, deux conditions sont requises. D’abord, que le sentiment soit incliné vers le bien, ce qui se réalise en nous par l’habitus de la vertu morale. Secondement, que la raison découvre les voies convenables pour accomplir le bien vertueux, et c’est le rôle qu’Aristote attribue à la prudence. Quant à la première condition, Dieu garde lui-même directement l’homme comme un maître universel, dont l’enseignement est donné à l’homme à travers les anges, comme nous l’avons établi.

3. De même que les hommes s’écartent de leur instinct naturel du bien à cause de la passion pécheresse, de même s’écartent-ils des directives que les bons anges leur donnent invisiblement, en les illuminant pour qu’ils agissent bien. Donc, si les hommes périssent, on ne doit pas l’attribuer à la négligence des anges, mais à la malice des hommes. Que parfois, en dehors de la loi commune, les anges apparaissent aux hommes, cela vient d’une grâce spéciale de Dieu, comme les miracles accomplis en dehors de l’ordre de la nature.

 

            Article 2 — Y a-t-il un ange particulier chargé de garder chaque homme ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car l’ange est plus puissant que l’homme. Or, un seul homme suffit pour en garder beaucoup d’autres. Donc, à plus forte raison un ange peut garder beaucoup d’hommes.

2. Les créatures inférieures sont ramenées à Dieu par les créatures supérieures à travers des intermédiaires, selon Denys. Mais puisque tous les anges sont inégaux, comme on l’a dit antérieurement, il n’y a qu’un seul ange qui ne possède pas d’intermédiaire entre lui et l’homme. Il n’y a donc qu’un seul ange qui garde les hommes sans intermédiaire.

3. Les anges plus élevés reçoivent les charges supérieures. Mais ce n’est pas une charge supérieure que de garder tel homme plutôt qu’un autre, puisque tous les hommes sont égaux par nature. Puisque parmi tous les anges chacun est plus élevé qu’un autre, selon Denys, il semble que les divers hommes ne soient pas gardés par divers anges.

En sens contraire, S. Jérôme, dans son commentaire sur S. Matthieu (18, 10) : " Leurs anges dans les cieux, etc. " nous dit : " Elle est grande la dignité des âmes, puisque chacune reçoit à sa naissance un ange désigné pour sa garde. "

Réponse :

Pour la garde de chaque homme un ange particulier est désigné. Car la garde des anges accomplit la providence divine à l’égard des hommes. La providence de Dieu est différente selon qu’il s’agit des hommes ou des autres créatures corruptibles, parce qu’ils ont un rapport différent avec l’incorruptibilité. Les hommes ne sont pas seulement incorruptibles selon l’essence commune à l’espèce, mais aussi dans la forme propre à chacun d’eux, l’âme rationnelle. On ne peut pas en dire autant des autres êtres corruptibles. Or, il est évident que la providence de Dieu s’attache à titre premier aux êtres qui demeurent toujours, tandis que les êtres qui passent sont ordonnés par Dieu aux réalités perpétuelles. Ainsi donc, la providence de Dieu se comporte à l’égard de chaque homme comme elle se comporte à l’égard des genres et des espèces des choses corruptibles. Mais, selon S. Grégoire, " les divers ordres d’anges sont délégués pour divers genres d’affaires, par exemple les Puissances pour éloigner les démons, les Vertus pour accomplir des miracles d’ordre matériel ". Et il est probable que pour les diverses espèces de choses, ce sont divers anges du même ordre qui sont désignés. C’est pourquoi il est raisonnable de penser que des anges différents sont chargés de garder des hommes divers.

Solutions :

1. Qu’un gardien soit chargé de la garde d’un homme, cela peut se faire de deux façons. Ce peut être en tant que l’homme à garder est un individu ; et alors pour chaque homme il faudra un gardien, parfois même plusieurs. Ce peut être aussi en tant qu’il fait partie d’un groupe ; en ce cas un seul homme peut être préposé à la garde de tout le groupe ; il lui appartient alors de veiller sur ce qui regarde chaque homme dans ses relations avec tout le groupe, et cela concerne les actes extérieurs, au sujet desquels on est édifié ou scandalisé. Mais la garde des anges porte aussi sur les choses invisibles et cachées, qui ont trait au salut de chaque homme considéré en lui-même. C’est pourquoi pour la garde de chaque homme il y a un ange spécial.

2. Comme nous l’avons dit , les anges de la première hiérarchie sont tous illuminés directement par Dieu au sujet de certaines choses ; mais il y a des lumières que les plus élevés seulement d’entre eux reçoivent directement de Dieu pour les révéler aux autres. On observe la même loi dans les ordres inférieurs. En effet, un ange du dernier degré est illuminé pour certaines choses par un ange très élevé, et pour d’autres par un ange qui lui est seulement immédiatement supérieur. Il est donc possible aussi qu’un ange illumine directement un homme tout en ayant au-dessous de lui des anges qu’il illumine.

3. Bien que les hommes soient égaux par nature, il y a pourtant entre eux une inégalité, du fait que la providence divine en appelle certains à de grandes choses, d’autres à de petites, comme dit l’Ecclésiastique (33, 11.12) : " Dans sa grande sagesse, le Seigneur a diversifié leurs conditions. Il en a bénis et exaltés, il en a maudits et humiliés. " Ce peut donc être une charge plus grande de garder un homme plutôt qu’un autre.

            Article 3 — La garde des hommes est-elle réservée au dernier ordre des anges ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la garde des hommes n’appartienne qu’au dernier ordre des anges. S. Chrysostome dit que le texte de S. Matthieu " leurs anges dans les cieux, etc. " s’applique non pas à n’importe quel ange, mais aux anges les plus éminents. C’est donc que ceux-ci gardent les hommes.

2. L’Apôtre (He 1, 14) dit que " les anges sont envoyés dans le ministère à cause de ceux qui héritent le salut ". Il semble donc que la mission des anges soit ordonnée à la garde des hommes. Mais cinq ordres d’anges sont envoyés en ministère, on l’a dit plus haut. C’est donc que les anges de ces cinq ordres sont affectés à la garde des hommes.

3. Pour garder les hommes il semble tout à fait nécessaire de dominer les démons, ce qui appartient surtout aux Puissances selon S. Grégoire et de faire des miracles, ce qui appartient aux Vertus. Donc, ces deux ordres aussi sont délégués pour la garde des hommes, et non seulement le dernier.

En sens contraire, dans le Psaume 91 la garde des hommes est attribuée aux anges, dont l’ordre est le plus bas, d’après Denys.

Réponse :

La garde des hommes, nous l’avons vu, peut être considérée de deux manières. Premièrement, en tant que garde personnelle, en ce sens qu’à chaque homme est assigné un ange spécial. Et cette garde appartient au dernier ordre des anges, dont c’est le rôle, selon S. Grégoire -, d’annoncer les choses les moins importantes. Or il semble que ce soit la moins importante parmi les charges des anges, que de procurer ce qui concerne le salut d’un seul homme. La seconde garde est universelle, et elle se multiplie selon les divers ordres ; en effet, plus un agent est universel, plus il est élevé. Ainsi, la garde des multitudes humaines appartient à l’ordre des Principautés ou peut-être des Archanges, que l’on nomme les Princes des anges. C’est pourquoi l’on dit de Michel, que nous appelons Archange, qu’il est " un des Princes " (Dn 10, 13). Puis ce sont les Vertus qui ont la garde de toutes les natures corporelles. Puis les Puissances ont la garde des démons. Et enfin les Principautés ou les Dominations exercent la garde des esprits bons, selon S. Grégoire.

Solutions :

1. Ce mot de S. Chrysostome peut être compris en tant qu’il parle des plus élevés dans l’ordre le plus bas des anges, puisque, selon Denys, dans chaque ordre il y a les premiers, ceux du milieu et les derniers. Mais il est probable que les anges supérieurs sont chargés de la garde des hommes élus par Dieu pour un plus grand degré de gloire.

2. Tous les anges envoyés ne sont pas chargés de garder spécialement chaque homme ; mais certains autres ont une garde plus ou moins universelle, nous venons de le dire.

3. Même les anges inférieurs remplissent les charges des plus élevées, en tant qu’ils participent de leurs dons et qu’ils sont comme les exécutants de leur pouvoir ; de cette manière, même les anges de l’ordre le plus bas peuvent dominer les démons et faire des miracles.

            Article 4 — Tout homme doit-il avoir un ange gardien ?

Objections :

1. Il semble que tous les hommes n’aient pas des anges chargés de les garder. On dit en effet du Christ (Ph 2, 7) qu’ " il est devenu semblable aux hommes et se comportant comme un homme ". Donc, si tous les hommes avaient un ange désigné pour les garder, le Christ lui-même aurait dû en avoir. Mais cela ne semble pas convenir, puisque le Christ est plus grand que tous les anges. Les anges ne sont donc pas envoyés pour la garde de tous les hommes.

2. Le premier de tous les hommes fut Adam. Mais il ne lui convenait pas d’avoir un ange gardien, du moins dans l’état d’innocence, puisqu’alors il n’était menacé d’aucun danger. Les anges ne sont donc pas chargés de la garde de tous les hommes.

3. Les anges sont chargés de garder les hommes pour les conduire à la vie éternelle, les inciter à bien agir et les défendre contre les assauts des démons. Mais les hommes destinés à la damnation ne parviendront jamais à la vie éternelle. Les infidèles, même s’ils font parfois de bonnes œuvres, ne les accomplissent pas bien, parce qu’ils ne les font pas avec une intention droite : car c’est la foi qui dirige l’intention, dit S. Augustin. Enfin " la venue de l’Antichrist sera marquée par l’influence de Satan " (2 Th 2, 9). C’est donc que les anges ne sont pas chargés de garder tous les hommes.

En sens contraire, il y a l’autorité de S. Jérôme déjà alléguée plus haut : " Toute âme a un ange chargé de la garder. "

Réponse :

L’homme, durant cette vie terrestre, est établi comme sur une route pour atteindre la patrie. Sur cette route de nombreux périls le menacent, du dedans et de dehors, selon le Psaume (142, 4) : " Sur la route où je marchais, ils m’ont caché un piège. " Et c’est pourquoi, comme on donne une garde aux hommes qui parcourent une route peu sûre, ainsi tout homme dans l’état de voyageur reçoit la garde d’un ange. Mais quand l’homme sera parvenu au terme du voyage, il n’aura plus d’ange gardien ; s’il est au ciel, il aura son ange régnant avec lui ; s’il est en enfer, il aura un démon pour le châtier.

Solutions :

1. Le Christ en tant qu’homme était dirigé immédiatement par le Verbe de Dieu. Il n’avait donc pas besoin de la garde des anges. En outre, dans son âme il voyait Dieu directement, mais par la possibilité de son corps il était encore voyageur. De ce point de vue, il n’avait pas besoin d’un ange gardien supérieur à lui, mais plutôt d’un serviteur inférieur à lui. C’est pourquoi S. Matthieu (4, 11) dit que " les anges s’approchèrent, et ils le servaient ".

2. L’homme dans l’état d’innocence ne courait aucun danger venant du dedans, car à l’intérieur de lui tout était bien ordonné, comme nous l’avons dit antérieurement. Mais il était menacé par un danger venant de l’extérieur, à cause des pièges des démons, comme l’événement l’a montré. Il avait donc besoin de la garde des anges.

3. Les futurs damnés, les infidèles, et même l’Antichrist ne sont pas dépourvus du secours intérieur de la raison naturelle ; de même ils ne sont pas privés du secours extérieur accordé divinement à toute la nature humaine, qui est la garde des anges. Si celle-ci ne réussit pas à leur faire mériter la vie éternelle par les bonnes œuvres, elle réussit du moins à leur faire éviter certains actes mauvais qui pourraient nuire à eux-mêmes ou aux autres. En effet les démons eux-mêmes sont empêchés par les bons anges de nuire autant qu’ils le voudraient. De même l’Antichrist ne nuira pas autant qu’il le voudra.

            Article 5 — A quel moment l’ange gardien commence-t-il sa mission ?

Objections :

1. Il semble que l’ange ne soit pas chargé de garder l’homme dès la naissance de celui-ci. Car les anges sont envoyés en ministère " à cause de ceux qui héritent le salut ", dit la lettre aux Hébreux (1, 14). Or les hommes ne commencent à recevoir l’héritage du salut que quand ils sont baptisés. L’ange n’est donc chargé de la garde de l’homme qu’à partir du baptême et non dès la naissance.

2. Les hommes sont gardés par les anges en tant que ceux-ci les illuminent en leur enseignant la doctrine. Mais les enfants nouveau-nés ne sont pas capables de recevoir un enseignement, puisqu’ils n’ont pas l’usage de la raison. Ils ne sont donc pas confiés à des anges gardiens.

3. Les enfants dans le sein maternel ont à un certain moment une âme rationnelle semblable à celle qu’ils ont après leur naissance. Mais tant qu’ils sont dans le sein maternel, les anges ne sont pas chargés de les garder, semble-t-il, puisque même les ministres de l’Église ne leur donnent pas les sacrements. Ce n’est donc pas aussitôt après la naissance que les hommes sont confiés à la garde des anges.

En sens contraire, S. Jérôme dit que " chaque âme, dès sa naissance, a un ange chargé de la garder ".

Réponse :

Origène commentant S. Matthieu dit que sur ce sujet, il y a deux opinions. Certains affirment que l’ange est désigné pour la garde de l’homme depuis son baptême ; d’autres dès la naissance. Cette dernière opinion est appuyée par S. Jérôme, et c’est avec raison. Car les bienfaits de Dieu qui sont donnés à l’homme du fait qu’il est chrétien, ne commencent qu’au moment du baptême, comme la réception de l’Eucharistie, etc. Mais les bienfaits destinés par Dieu à l’homme en tant qu’il a une nature rationnelle, lui sont accordés dès que par la naissance il acquiert cette nature. La garde des anges est un de ces bienfaits, comme cela apparaît clairement d’après ce qui précède. C’est pourquoi l’homme reçoit dès la naissance un ange chargé de le garder.

Solutions :

1. Les anges sont envoyés en ministère efficace pour ceux-là seuls " qui héritent le salut ", si l’on considère le dernier effet de leur garde, qui est l’obtention de cet héritage ; cependant, le ministère des anges n’est pas retiré aux autres hommes, bien que chez eux il n’ait pas cette efficacité consistant à conduire au salut. Ce ministère des anges, pourtant, est efficace à leur égard, en tant qu’il éloigne d’eux beaucoup de maux.

2. La charge de la garde angélique est ordonnée à l’illumination doctrinale comme à son but dernier et principal. Elle a pourtant bien d’autres effets, qui intéressent les enfants, comme de dominer les démons et d’empêcher d’autres dommages corporels ou spirituels.

3. L’enfant, tant qu’il est dans le sein maternel, n’est pas totalement séparé de sa mère, mais par une sorte de lien il est de quelque manière quelque chose d’elle, comme le fruit que porte l’arbre est quelque chose de l’arbre. C’est pourquoi on peut dire de façon probable que l’ange gardien de la mère garde aussi l’enfant dans le sein maternel. Mais à la naissance, quand l’enfant est séparé de la mère, un ange est chargé de le garder, selon S. Jérôme.

 

            Article 6 — L’ange gardien garde-t-il l’homme continuellement ?

Objections :

1. Il semble que l’ange gardien quitte parfois l’homme dont il est chargé, puisque Jérémie (51, 9) fait dire aux anges : " Nous avons soigné Babylone, mais elle n’est pas guérie ; abandonnons-la. " De même, Isaïe (5, 5) : " J’enlèverai sa clôture pour qu’on la piétine. " La Glose interlinéaire dit qu’il s’agit d’enlever la garde des anges.

2. La garde de Dieu est plus importante que celle des anges. Mais Dieu abandonne parfois l’homme. Le Psaume 22, 2 dit : " Mon Dieu, mon Dieu, regarde-moi. Pourquoi m’as-tu abandonné ? " Donc, à plus forte raison, l’ange gardien abandonne l’homme.

3. S. Jean Damascène dit : " Les anges, quand ils sont ici avec nous, ne sont pas au ciel. " Mais ils y sont parfois. Donc ils nous quittent parfois.

En sens contraire, les démons ne cessent de nous attaquer, selon S. Pierre (1 P 5, 8) : " Votre adversaire le diable, comme un lion rugissant, rôde en cherchant qui dévorer. " Donc, à plus forte raison, les bons anges nous gardent toujours.

Réponse :

La garde exercée par l’ange, comme nous l’avons montré w. accomplit la providence divine à l’égard des hommes. Mais il est manifeste que ni l’homme ni aucune autre chose ne peuvent échapper totalement à la providence divine. Car, en tant qu’une chose participe de l’être, elle est soumise à la providence universelle à l’égard de tous les êtres. Mais on dit que Dieu abandonne l’homme selon l’ordre de sa providence en tant qu’il permet que l’homme souffre de quelque défaut, de peine ou de péché. De même encore, nous devons dire que l’ange gardien n’abandonne jamais totalement l’homme ; mais il l’abandonne parfois partiellement, en ce sens qu’il ne l’empêche pas d’être soumis à quelque épreuve, ou même de tomber dans le péché, selon l’ordination des jugements divins. En ce sens on dit que Babylone et la maison d’Israël sont abandonnées par les anges, car leurs anges gardiens n’ont pas empêché qu’elles subissent des malheurs.

Solutions :

1 et 2. Cela résout la première et la deuxième objections.

3. L’ange, même si parfois il abandonne localement l’homme, ne l’abandonne pas quant aux effets de sa garde, car, même quand il est au ciel, il sait ce qui se passe au sujet de l’homme. Il n’a pas besoin de délai pour se déplacer et il peut être présent à l’homme instantanément.

 

            Article 7 — L’ange souffre-t-il de voir périr son protégé ?

Objections :

1. On lit dans Isaïe (33, 7) : " Les anges de paix pleureront amèrement. " Or les pleurs sont le signe de la douleur et de la tristesse. Donc les anges sont attristés par les maux des hommes qu’ils gardent.

2. S. Augustin dit que la tristesse naît " des choses qui arrivent contre notre volonté ". Or la perte de l’homme qu’il garde va contre la volonté de l’ange gardien. Les anges s’attristent donc de la perte des hommes.

3. De même que la tristesse s’oppose à la joie, ainsi le péché s’oppose à la pénitence. Mais les anges se réjouissent de ce que le pécheur fait pénitence, d’après Luc (15, 7). Ils s’attristent donc de voir le juste tomber dans le péché.

4. La Glose ordinaire d’Origène, commentant ce passage des Nombres (18,12) : " Tout ce qu’ils offrent de prémices... ", déclare : " Les anges seront traduits en jugement pour savoir si c’est à cause de leur négligence ou à cause de l’indolence des hommes, que ceux-ci sont tombés. " Mais tout homme souffre à juste titre des maux pour lesquels il est traduit en jugement. Les anges souffrent donc des péchés des hommes.

En sens contraire, il n’y a pas de bonheur parfait là où l’on trouve de la tristesse et de la douleur. L’Apocalypse dit du ciel (21, 4) : " Il n’y aura plus de mort, de pleurs, de cri, ni de peine. " Les anges, qui sont parfaitement bienheureux, ne souffrent donc plus de rien.

Réponse :

Les anges ne souffrent ni des péchés ni des peines des hommes. Car la tristesse et la douleur, selon S. Augustin proviennent uniquement de ce qui est contraire à la volonté. Or, rien n’arrive dans le monde qui contrarie la volonté des anges et des autres bienheureux, puisque leur volonté adhère pleinement à l’ordination de la justice divine. Et rien ne se produit dans le monde qui ne soit accompli ou permis par elle. Donc, absolument parlant, rien n’arrive dans le monde contre la volonté des bienheureux. Selon Aristote, on dit d’une chose qu’elle est volontaire de façon absolue en ce sens que quelqu’un la veut dans un cas particulier, telle qu’elle se présente alors, en considérant toutes les circonstances, bien que, considérée en elle-même d’une manière générale, il ne la voudrait pas ; par exemple, le navigateur ne veut pas, s’il considère la chose en soi et d’une manière générale, jeter ses marchandises à la mer ; mais menacé par le danger de mort, il le veut. Ce geste est donc plutôt volontaire qu’involontaire. Ainsi donc, les anges, à parler d’une manière générale et absolue, ne veulent pas les péchés et les peines des hommes. Mais ils veulent qu’à ce sujet soit observé l’ordre de la justice divine, selon laquelle certains sont soumis à des peines et leurs péchés sont tolérés6.

Solutions :

1. Cette parole d’Isaïe peut être appliquée aux anges, c’est-à-dire aux messagers d’Ézéchias, qui pleurèrent à cause des paroles du prophète, selon le sens littéral. Au sens allégorique, les anges de paix sont les apôtres et les prédicateurs qui pleurent à cause des péchés des hommes. Mais si, selon le sens anagogique, on applique ce texte aux bons anges, il s’agit d’une métaphore pour signifier que les anges veulent universellement le salut des hommes. C’est de cette manière qu’on attribue à Dieu et aux anges ces sortes de passions.

2. Cette objection est résolue par notre Réponse.

3. Aussi bien dans la pénitence des hommes que dans leur péché, les anges gardent un motif de joie : l’accomplissement de l’ordre voulu par la providence divine.

4. Les anges sont traduits en jugement pour les péchés des hommes, non comme coupables, mais comme témoins, pour convaincre les hommes de leur négligence.

 

            Article 8 — Y a-t-il conflit entre les anges gardiens ?

Objections :

1. Cela ne paraît pas possible : car on lit dans Job (25, 2) : " Il fait régner la concorde dans les hauteurs. " Mais la lutte s’oppose à la concorde. Donc parmi les anges il n’y a pas de lutte.

2. Il ne peut y avoir de lutte là où règne la charité parfaite et une autorité juste. Mais tout cela existe chez les anges. Il n’y a donc pas de lutte chez eux.

3. Si les anges luttaient entre eux pour ceux qu’ils gardent, il serait nécessaire qu’un ange soutienne une partie et un autre l’autre partie. Mais si un parti tient une position juste, il est clair que l’autre tient une position injuste. Il s’ensuivrait qu’un ange bon soutiendrait l’injustice, ce qui ne convient pas. Il n’y a donc pas de lutte entre les bons anges.

En sens contraire, le livre de Daniel (10, 13) fait dire à l’archange Gabriel : " Le Prince du royaume des Perses m’a résisté vingt-et-un jours. " Mais ce Prince des Perses était l’ange chargé de la garde du royaume perse. Donc un ange résiste à un autre, et ainsi il y a lutte entre eux.

Réponse :

Cette question est soulevée à l’occasion des paroles du livre de Daniel citées plus haut. S. Jérôme explique a que le Prince du royaume des Perses était l’ange qui s’opposa à la libération du peuple israélite, pour lequel Daniel priait, pendant que Gabriel présentait ses prières à Dieu. Cette résistance fut possible parce qu’un prince des démons voulait entraîner dans le péché des juifs amenés en Perse, ce qui faisait obstacle à la prière de Daniel intercédant pour ce peuple. Mais, selon S. Grégoire " le Prince du royaume des Perses était le bon ange de la garde de ce royaume ". Pour voir comment on peut dire qu’un ange résiste à un autre, il faut songer que les jugements divins s’appliquent, par les anges, à des royaumes et à des hommes divers. Dans leurs actions, les anges sont réglés par la volonté divine. Il arrive parfois que dans ces divers royaumes et ces divers hommes se trouvent des mérites et des démérites qui s’opposent, de sorte que l’un est inférieur ou supérieur à l’autre. Les anges ne peuvent connaître l’ordre de la sagesse divine à ce sujet que si Dieu le leur révèle ; ils doivent donc consulter la sagesse de Dieu. Ainsi, tandis qu’ils consultent la volonté divine au sujet de mérites contraires et s’opposant les uns aux autres, on dit qu’ils résistent l’un à l’autre ; non qu’ils aient des volontés contraires (puisque tous sont d’accord pour accomplir la volonté de Dieu), mais parce que les choses au sujet desquelles ils consultent Dieu sont contraires entre elles. Cela résout les Objections.

 

 

QUESTION 114 — LES ATTAQUES DES DÉMONS

1. Les hommes sont-ils attaqués par les démons ? - 2. Tenter est-il l’action propre du diable ? - 3. Tous les péchés des hommes proviennent-ils de l’attaque ou de la tentation des démons ? - 4. Les démons peuvent-ils faire de vrais miracles pour nous séduire ? - 5. Les démons vaincus par les hommes sont-ils empêchés de les attaquer de nouveau ?

 

            Article 1 — Les hommes sont-ils attaqués par les démons ?

Objections :

1. Les anges sont chargés par Dieu de garder les hommes. Mais les démons ne sont pas envoyés par Dieu, puisqu’ils ont l’intention de perdre les âmes, tandis que Dieu veut les sauver. Les démons ne sont donc pas envoyés pour attaquer les hommes.

2. Ce n’est pas une juste condition de combat que d’exposer à la guerre le faible contre le fort, l’ignorant contre l’homme rusé. Or les hommes sont faibles et ignorants, tandis que les démons sont puissants et rusés. Donc Dieu, qui est l’auteur de toute justice, ne doit pas permettre qu’ils soient attaqués par les démons.

3. Pour exercer les hommes il suffit qu’ils luttent contre la chair et le monde. Mais Dieu permet que ses élus combattent pour leur exercice. Il ne semble donc pas nécessaire qu’ils luttent contre les démons.

En sens contraire, S. Paul dit (Ep 6, 12) : " Ce n’est pas contre des adversaires de chair et de sang que nous avons à lutter, mais contre les Principautés et les Puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal, qui habitent les espaces célestes. "

Réponse :

Au sujet des attaques des démons, nous devons considérer deux choses, c’est-à-dire les attaques elles-mêmes et leur place dans le plan divin. L’attaque elle-même procède de la malice des démons, qui par envie s’efforcent d’empêcher le progrès des hommes, et à cause de leur orgueil ils usurpent la ressemblance du pouvoir divin, envoyant des ministres désignés pour attaquer les hommes, comme les anges de Dieu sont envoyés comme ministres pour certaines fonctions favorables au salut des hommes. Mais ces attaques sont finalement soumises à l’ordre de Dieu qui sait se servir du mal selon son plan, en l’ordonnant au bien. Quand il s’agit des bons anges, c’est aussi bien leur action protectrice que l’ordination de celle-ci au but final qui se ramènent à Dieu comme à leur premier auteur.

Solutions :

1. Les mauvais anges assaillent les hommes de deux manières. Premièrement en les poussant au péché. Et de la sorte ils ne sont pas envoyés par Dieu pour attaquer, mais ils y sont parfois autorisés selon les justes jugements de Dieu. Mais parfois, ils attaquent les hommes pour les punir ; dans ce cas ils sont envoyés par Dieu, comme par exemple un esprit menteur fut envoyé pour punir Achab, roi d’Israël (1 R 22, 20). Le châtiment, en effet, revient à Dieu comme à son premier auteur ; pourtant, les démons envoyés pour punir le font avec une autre intention que celle pour laquelle ils sont envoyés ; car eux-mêmes punissent par haine ou par envie, alors que Dieu les envoie pour accomplir sa justice.

2. Pour que les conditions de la lutte ne soient pas inégales, l’homme reçoit en compensation principalement le secours de la grâce divine, secondement la protection des anges. C’est pourquoi Élisée dit à son serviteur (2 R 6, 16) : " Ne crains pas : il y a plus d’alliés avec nous qu’avec eux. "

3. Étant donné la faiblesse de l’homme, il suffirait qu’il soit attaqué par la chair et le monde. Mais cela ne suffit pas à la malice des démons, qui se servent de l’un et de l’autre pour assaillir les hommes. Cependant, grâce au plan divin, cela augmente la gloire des élus.

 

            Article 2 — Tenter est-il le propre du diable ?

Objections :

1. On dit que Dieu tente (Gn 22, 1) : " Dieu tenta Abraham. " La chair et le monde tentent aussi. On dit même que l’homme tente Dieu, et qu’il tente l’homme. Tenter n’est donc pas le propre du démon.

2. Tenter est l’acte d’un ignorant. Mais les démons savent ce qui arrivera au sujet des hommes. Donc ils ne tentent pas.

3. La tentation conduit au péché. Or le péché consiste en un acte de volonté. Puisque nous avons dit que les démons ne peuvent pas modifier la volonté de l’homme, il semble qu’il ne leur appartient pas de tenter.

En sens contraire, S. Paul dit (1 Th 3, 5) " Pourvu que le tentateur ne vous ait pas tentés ! " Et la Glose interlinéaire ajoute : " C’est le diable, dont le rôle est de tenter. "

Réponse :

Tenter, au sens propre du mot, c’est faire une expérience sur un autre. Si on agit ainsi, c’est pour découvrir quelque chose à son sujet. La fin immédiate de tout être qui tente est donc l’acquisition d’un savoir. Mais parfois, au-delà de ce savoir, on cherche quelque autre fin, bonne ou mauvaise. Bonne, quand on veut savoir où en est quelqu’un au point de vue de la science ou de la vertu, afin de le faire progresser ; mauvaise, quand on veut savoir cela pour le tromper ou le pervertir. On comprend ainsi comment on peut attribuer diversement le rôle de tentateur. En effet, on dit parfois de l’homme qu’il tente, seulement parce qu’il cherche à savoir ; tenter Dieu est appelé un péché, parce que l’homme, comme s’il doutait, veut expérimenter la force de Dieu. D’autres fois, l’homme tente pour aider, d’autres fois pour nuire. Le diable au contraire ne tente que pour nuire en précipitant dans le péché. Sous cet aspect, on dit que son rôle propre est de tenter. En effet, si l’homme tente quelquefois ainsi, il le fait en tant que serviteur du diable. Quant à Dieu, on dit qu’il tente pour savoir, mais c’est pour signifier qu’il veut faire connaître quelque chose à d’autres. Le Deutéronome (1 3, 1) dit donc : " C’est le Seigneur votre Dieu, qui vous tente afin de manifester que vous l’aimez. " Quant à la chair et au monde on dit qu’ils tentent en ce qu’ils fournissent l’instrument ou la matière de la tentation, en tant qu’on peut connaître ce qu’est un homme selon qu’il suit les convoitises de la chair ou leur résiste, et en tant qu’il méprise : les réussites ou les adversités du monde ; le diable aussi s’en sert pour tenter.

Solutions :

1. Cela résout la première objection.

2. Les démons savent ce qui se passe à l’extérieur des hommes ; mais la condition intérieure dans laquelle se trouve l’homme est connue de Dieu seul, " qui pèse les esprits " (Pr 16, 2). C’est elle qui rend les hommes plus portés à tel vice qu’à tel autre. C’est pourquoi le diable tente en explorant les dispositions intérieures de l’homme, afin de le tenter par le vice auquel il est le plus enclin.

3. Bien que le démon ne puisse pas modifier la volonté, il peut agir de quelque manière, comme nous l’avons dit a, sur les forces intérieures de l’homme ; celles-ci, sans forcer la volonté, l’inclinent cependant.

 

            Article 3 — Tous les péchés des hommes proviennent-ils de l’attaque ou de la tentation des démons ?

Objections :

1. C’est ce qu’il semble. Denys dit en effet : " La multitude des démons est la cause de tous les maux pour eux et pour les autres ", et S. Jean Damascène déclare : " Toute malice et toute impureté ont été conçues par le diable. " 2. On peut dire de tout pécheur ce que le Seigneur dit des juifs (Jn 8, 44) : " Vous avez pour père le diable. " Cela signifie qu’ils péchaient sous la suggestion du diable.

3. Les anges sont chargés de garder les hommes, et les démons de les attaquer. Mais tous les actes bons que nous accomplissons procèdent de la suggestion des bons anges, puisque les dons de Dieu nous sont apportés par leur entremise. Donc, tous les actes mauvais que nous accomplissons proviennent de la suggestion du diable.

En sens contraire, il est dit dans le livre des Dogmes Ecclésiastiques : " Nos mauvaises pensées ne sont pas toutes suscitées par le diable, mais elles surgissent parfois de notre libre arbitre. "

Réponse :

Une chose peut être causée par une autre de deux manières : directement ou indirectement. Indirectement, quand un agent, en produisant une certaine disposition à l’égard de quelque effet, est appelé occasionnellement et indirectement cause de cet effet ; si par exemple on dit que celui qui coupe le bois est cause de sa combustion. De cette manière on doit dire que le diable est la cause de tous nos péchés, parce qu’il a poussé le premier homme à pécher, ce qui a produit dans tout le genre humain une certaine inclination à l’égard de tous les péchés. C’est ainsi que nous devons entendre les paroles citées du Damascène et de Denys. Directement, une chose est cause d’une autre parce qu’elle agit directement pour produire cet effet ; en ce sens le diable n’est pas la cause de tout péché. En effet, tous les péchés ne sont pas commis à l’instigation du diable, mais certains viennent de la liberté de notre arbitre et de la corruption de notre chair. Comme dit Origène " même s’il n’y avait pas de diable, les hommes subiraient l’attrait des aliments, des plaisirs sexuels, etc. ", au sujet desquels un grand désordre règne si leurs désirs ne sont pas réfrénés par la raison, surtout si l’on tient compte de la corruption de la nature. Réfréner et ordonner ces appétits dépend du libre arbitre. Il n’est donc pas nécessaire que tous les péchés proviennent de l’impulsion du diable.

Si pourtant certains proviennent de cette impulsion dans leur accomplissement " les hommes sont trompés maintenant par la flatterie du diable, comme nos premiers parents ", comme dit S. Isidore.

Solutions :

1. Cela donne la réponse à la première objection.

2. Si des péchés s’accomplissent sans l’impulsion du diable, cependant les hommes deviennent par eux fils du diable, en tant qu’ils imitent celui qui a péché le premier.

3. L’homme peut par lui-même tomber dans le péché, mais il ne peut augmenter son mérite que par le secours divin, qui lui est procuré par le ministère des anges. C’est pourquoi les anges coopèrent à toutes nos bonnes œuvres. Mais tous nos péchés ne procèdent pas de la suggestion des démons, bien que tout genre de péché puisse provenir parfois de la suggestion des démons.

 

            Article 4 — Les démons peuvent-ils faire de vrais miracles pour nous séduire ?

Objections :

1. Il semble que les démons ne peuvent pas séduire les hommes par de vrais miracles. L’intervention des démons se développera surtout dans les œuvres de l’Antichrist. Mais, dit S. Paul (2 Th 2, 9) : " Son avènement sera marqué par l’influence de Satan, en toutes espèces d’œuvres puissantes, de signes et de prodiges mensongers. " Donc, à plus forte raison dans les autres temps, les démons n’accomplissent que des miracles mensongers.

2. Les vrais miracles s’opèrent par une transformation des corps. Mais les démons ne peuvent pas modifier la nature d’un corps, dit S. Augustin : " je ne crois pas que le corps humain puisse pour aucun motif être transformé, par l’art ou le pouvoir des démons, en des membres d’animaux. " Les démons ne peuvent donc pas produire de vrais miracles.

3. Un argument qui vaut aussi bien pour la thèse contraire n’est pas efficace. Si les miracles authentiques peuvent être accomplis par les démons pour engendrer la fausseté, ils ne vaudront plus pour confirmer la vérité de la foi. Et cela ne convient pas puisqu’il est dit en S. Marc (16, 20) : " Le Seigneur coopérant avec eux et confirmant la parole par les signes qui l’accompagnaient. "

En sens contraire, S. Augustin assure que " par les artifices des magiciens s’accomplissaient des miracles qui sont la plupart du temps semblables à ceux qu’opèrent les serviteurs de Dieu ".

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, le miracle proprement dit ne peut pas être l’œuvre des démons, ni d’autre créature, mais de Dieu seul ; parce que le miracle proprement dit est ce qui s’accomplit au-dessus de l’ordre de toute la nature créée, ordre qui contient toute puissance créée. On appelle cependant parfois miracle, au sens large, ce qui dépasse la faculté et la connaissance humaine. Et ainsi les démons peuvent faire des miracles qui provoquent l’étonnement des hommes, parce qu’ils dépassent le pouvoir et la connaissance des hommes. En effet, déjà quand un homme réalise quelque chose qui est au-dessus du pouvoir et de la science d’un autre, il provoque chez celui-ci l’admiration au point de sembler avoir accompli un miracle. Nous devons savoir cependant que, bien que ces œuvres des démons qui nous paraissent miraculeuses n’atteignent pas à la vraie raison de miracle, ce sont pourtant parfois des faits authentiques. C’est ainsi que les magiciens du Pharaon, par la puissance des démons, produisirent de vrais serpents et de vraies grenouilles. Et quand le feu descendit du ciel et consuma d’un seul coup la famille de Job avec ses troupeaux (c’était l’œuvre de Satan), il ne s’agissait pas d’apparence seulement, selon S. Augustin.

Solutions :

1. Comme dit S. Augustin, les œuvres de l’Antichrist peuvent être appelées des signes du mensonge, " soit parce que les sens mortels seront trompés par des apparences illusoires, de telle sorte qu’il semblera faire ce qu’il ne fera pas réellement, soit parce que tout en étant de vrais prodiges, ces œuvres entraîneront dans le mensonge ceux qui y croiront ".

2. Comme nous l’avons dit, la matière corporelle n’obéit pas aux anges bons ou mauvais de façon absolue, de telle sorte que par leur puissance les démons pourraient faire passer la matière d’une forme à l’autre. Mais ils peuvent employer des sortes de germes qui se trouvent dans les éléments du monde, afin de produire de tels effets, dit S. Augustin. Nous devons donc dire que toutes les transformations de réalités corporelles qui peuvent être accomplies par des forces naturelles, auxquelles appartiennent ces germes, peuvent être accomplies par l’opération des démons employant ces sortes de germes, par exemple quand certaines réalités sont changées en serpents ou en grenouilles, qui peuvent être engendrées par la putréfaction. Au contraire, les transformations de réalités corporelles qui dépassent tout pouvoir de la nature ne peuvent pas être accomplies par l’action des démons d’une manière authentique ; par exemple qu’un corps humain soit changé en celui d’une bête, ou que le corps d’un homme mort revienne à la vie. Et si parfois un phénomène semblable parait résulter de l’action des démons, c’est qu’il n’est pas réel, mais seulement apparent.

Cela peut se produire de deux manières. D’abord, de l’intérieur, en tant que le démon peut modifier l’imagination de l’homme et même ses sens corporels, de telle sorte qu’il voit une chose autrement qu’elle n’est, nous l’avons dit plus haut. Et l’on dit que cela se réalise parfois sous l’action de certaines substances corporelles. D’autre part, cela peut se produire d’une façon extérieure à l’homme. En effet, puisque le démon est capable de façonner un corps, avec de l’air, en n’importe quelle forme et figure, de telle sorte qu’en s’en emparant il puisse apparaître visiblement, il peut, au même titre, entourer n’importe quelle réalité corporelle de n’importe quelle autre forme corporelle, pour quelle prenne cette apparence à nos yeux. C’est ce que dit S. Augustin : " Le produit de l’imagination de l’homme qui, en songeant ou en rêvant, se diversifie dans un genre innombrable de choses, apparent aux sens trompés comme quelque chose qui prend corps sous l’image de quelque animal. " On ne doit pas l’entendre en ce sens que la puissance imaginative de l’homme ou son image apparaîtrait elle-même comme matérialisée aux sens d’un autre homme ; mais en ce sens que le démon qui forme une image dans l’imagination d’un homme, est capable d’offrir lui-même une image semblable aux sens d’un autre homme.

3. Comme dit S. Augustin " quand les magiciens font des miracles semblables à ceux des saints, ils le font dans un but différent et par une autre autorité. Les magiciens le font en cherchant leur propre gloire ; les saints en cherchant la gloire de Dieu. Les magiciens agissent pour quelques profits privés, les saints pour l’avantage public et par ordre de Dieu, à qui toutes les créatures sont soumises ".

 

            Article 5 — Les démons vaincus par les hommes sont-ils empêchés de les attaquer de nouveau ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le démon qui est dominé par quelqu’un soit à cause de cela empêché de l’attaquer. En effet, le Christ a très efficacement vaincu le tentateur. Cependant, celui-ci l’a encore attaqué ensuite, en poussant les Juifs à le tuer. Il n’est donc pas vrai que le démon vaincu cesse d’attaquer.

2. Infliger une souffrance à celui qui a le dessous dans le combat, c’est l’exciter à combattre plus violemment. Cela ne convient pas à la miséricorde de Dieu. Donc, les démons vaincus ne sont pas empêchés d’attaquer.

En sens contraire, on lit dans Matthieu (4, 11) : " Alors le diable le laissa. " Il s’agit du Christ victorieux.

Réponse :

Certains disent que le démon vaincu ne peut plus ensuite tenter aucun homme, soit pour le même péché, soit pour un autre. D’autres disent qu’il peut encore tenter d’autres hommes, mais non le même. Cette opinion semble plus probable, du moins si on l’entend d’un certain laps de temps. C’est pourquoi S. Luc dit que, " toute tentation étant épuisée, le diable s’éloigna du Christ jusqu’au temps fixé ". Il y a pour cela deux motifs : le premier est la clémence divine, parce que, dit S. Jean Chrysostome, commentant S. Matthieu : " Le diable ne tente pas les hommes autant qu’il veut, mais autant que Dieu permet ; car s’il lui permet de tenter un peu, il le repousse ensuite à cause de la faiblesse de notre nature. " Le second motif est l’astuce du diable : S. Ambroise dit, sur S. Luc, que "le diable craint d’insister, parce qu’il répugne habituellement à être vaincu". Que parfois il revienne à celui qu’il a quitté, cela apparaît bien dans ce texte de S. Matthieu (12, 44) : "Je reviendrai dans la maison dont j’étais sorti."

Ainsi se trouvent résolues les Objections.

 

 

 

QUESTION 115 — L’ACTION DE LA CRÉATURE CORPORELLE

Considérons maintenant l’action de la créature corporelle (Q. 115) ; nous étudierons ensuite le destin, qui dépendrait de certains corps (Q. 116).

1. Un corps peut-il être actif ? - 2. Y a-t-il dans les corps des raisons séminales ? - 3. Les corps célestes sont-ils la cause de ce qui se passe dans les corps ici-bas ? - 4. Sont-ils la cause des actes humains ? - 5. Les démons sont-ils soumis à leur action ? - 6. Les corps célestes rendent-ils nécessaire ce qui est soumis à leur action ?

            Article 1 — Un corps peut-il être actif ?

Objections :

1. S. Augustin dit que parmi les êtres, on en trouve certains qui sont produits et n’agissent pas, comme les corps ; un autre qui agit et n’est pas produit, c’est Dieu, et d’autres qui agissent et sont produits, comme les substances spirituelles.

2. Tout être qui agit, sauf le premier agent, a besoin dans son action d’un sujet qui puisse recevoir cette action. Mais, au-dessous de la substance corporelle, il n’y a pas d’autre substance qui puisse recevoir son action, puisqu’elle tient le dernier rang parmi les êtres. Donc aucune substance corporelle n’est active.

3. Toute substance corporelle est limitée par la quantité. Mais la quantité empêche la substance de se mouvoir et d’agir, puisqu’elle l’enferme et que la substance est noyée en elle, comme l’air chargé de nuages ne peut recevoir la lumière. Nous constatons d’ailleurs que plus la quantité d’un corps augmente, plus il est pesant et difficile à mouvoir. Donc aucune substance corporelle n’est active.

4. Tout agent reçoit sa puissance d’action de sa proximité avec le premier agent. Mais les corps, qui sont très composés, sont très éloignés du premier agent, qui est simple au maximum. Donc aucun corps n’est actif.

5. Si un corps est actif, son action produit soit une forme substantielle, soit une forme accidentelle. Ce ne peut être une forme substantielle, puisqu’il n’y a pas dans les corps d’autre principe d’action qu’une certaine qualité active qui leur est accidentelle. Or l’accident ne peut être la cause d’une forme substantielle, puisque la cause doit être supérieure à l’effet. Ce ne peut être non plus une forme accidentelle, puisque l’accident ne peut s’étendre au-delà de son sujet, selon S. Augustin. Donc aucun corps n’est actif

En sens contraire, Denys, énumérant les propriétés du feu corporel, dit que, " actif et puissant il manifeste sa propre grandeur dans les matières qu’il pénètre ".

Réponse :

Il apparaît aux sens que certains corps sont actifs. Mais au sujet des actions des corps, les philosophes ont émis trois opinions erronées. Certains exclurent totalement l’action des corps ; c’est l’opinion d’Avicébron dans son livre De la source de Vie. Il s’efforce d’y prouver par les arguments cités que nul corps n’agit : toutes les actions qui semblent provenir des corps seraient l’effet d’une puissance spirituelle qui pénétrerait tous les corps ; selon lui, ce n’est pas le feu qui chauffe, c’est une puissance spirituelle qui exerce son action à travers lui. Cette opinion semble dériver de celle de Platon. Car Platon affirma que toutes les formes qui sont dans la matière corporelle sont participées, déterminées et limitées à cette matière, tandis que les formes séparées sont absolues et quasi universelles. Aussi affirmait-il que ces formes séparées étaient les causes des formes qui sont dans la matière. Donc, puisque la forme qui est dans une matière corporelle est déterminée à cette matière, individuée par la quantité, Avicébron disait que la forme corporelle est retenue et enfermée par la quantité en tant que celle-ci est principe d’individuation, de telle sorte qu’elle ne peut s’étendre, par son action, à une autre matière. Seule la forme spirituelle et immatérielle, qui n’est pas restreinte par la quantité, peut influencer un autre être par son action.

Cet argument ne permet pas de conclure que la forme corporelle ne soit pas active, mais seulement qu’elle n’est pas agent universel. En tant qu’elle participe de quelque chose, il est nécessaire qu’elle participe de ce qui est propre à cette chose ; par exemple, ce qui participe de la lumière participe de la visibilité. Agir, qui n’est pas autre chose que faire quelque chose en acte, est le propre de l’acte en tant qu’acte ; c’est pourquoi tout agent produit un semblable à lui-même. Ainsi donc, du fait qu’une chose est une forme non délimitée par la matière soumise à la quantité, cette chose sera un agent indéterminé et universel. Si au contraire une chose est délimitée par telle matière, ce sera un agent restreint et particulier. Par conséquent, si le feu était une forme séparée, comme l’affirmèrent les platoniciens, il serait de quelque manière cause de toute combustion. Mais nous voyons que la forme du feu qui se trouve dans telle matière corporelle est cause de telle combustion déterminée, produite par tel corps dans tel corps.

Cependant, cette opinion d’Avicébron va plus loin que celle de Platon. En effet, Platon ne reconnaissait pas d’autres formes séparées que les formes substantielles. Il réduisait les accidents à des principes matériels, le grand et le petit, qu’il présentait comme premiers principes contraires, ainsi que d’autres présentaient le rare et le dense. C’est pourquoi aussi bien Platon qu’Avicenne, qui le suivait sur ce point, disaient que les agents corporels agissent selon les formes accidentelles, en disposant la matière à recevoir la forme substantielle ; mais la perfection ultime, par l’introduction de la forme substantielle, vient d’un principe immatériel. C’est la deuxième opinion au sujet de l’action des corps, dont nous avons parlé en traitant de la création.

La troisième opinion est celle de Démocrite, qui pensait que l’action vient de l’émission des atomes par le corps qui agit, et que la modification subie vient de la réception de ces atomes dans les pores du corps du patient. Aristote attaque cette opinions : il en résulterait en effet que le corps ne subirait pas l’action par tout lui-même, et que la quantité du corps agissant diminuerait du fait de son action ; ce qui est manifestement faux.

On doit donc dire que le corps agit, en tant qu’il est en acte, sur un autre corps en tant que celui-ci est en puissance.

Solutions :

1. Ce mot de S. Augustin doit être entendu de toute la nature corporelle considérée dans son ensemble ; comme telle, elle n’a pas au-dessous d’elle de nature inférieure, sur laquelle elle pourrait agir, comme la nature spirituelle sur la nature corporelle et la nature incréée sur la créature. Au contraire, tel corps est inférieur à tel autre en tant qu’il est en puissance à ce que l’autre corps possède en acte.

2. De là découle la solution de la deuxième objection. On doit cependant savoir que quand Avicébron argumente ainsi : " Il y a quelque chose qui meut sans être mû, à savoir le premier producteur des choses ; donc il doit y avoir à l’opposé quelque chose qui est mû et patient sans agir ", on doit le lui concéder. Mais il s’agit de la matière première, qui est pure puissance, comme Dieu est acte pur. Le corps est composé de puissance et d’acte ; comme tel, il est à la fois agent et patient.

3. La quantité n’empêche pas tout à fait la forme corporelle d’agir, nous venons de le dire ; elle l’empêche d’être agent universel, en tant que la forme est indivisible et liée à une matière soumise à la quantité. La preuve qu’on apporte sur le poids des corps est étrangère au sujet. Premièrement, parce que l’addition de la quantité ne cause pas la gravité, comme cela est prouvé dans le traité Du Ciel. Deuxièmement, parce qu’il est faux que le poids retarde le mouvement. Tout au contraire : plus un corps est lourd plus il se meut de son propre mouvement. Troisièmement, parce que l’action ne se fait pas par mouvement local, comme disait Démocrite, mais par le fait que quelque chose passe de la puissance à l’acte.

4. Le corps n’est pas ce qui est le plus éloigné de Dieu : en effet il participe en quelque chose d’une ressemblance avec l’être divin, par la forme qu’il a. Ce qui est le plus distant de Dieu, c’est la matière première, qui n’agit en aucune manière, puisqu’elle est seulement en puissance.

5. Le corps agit pour produire des formes accidentelles et des formes substantielles. En effet, une qualité active, comme la chaleur, bien qu’accidentelle, agit pourtant en vertu d’une forme substantielle à titre d’instrument ; elle peut donc produire une forme substantielle ; c’est ainsi que la chaleur naturelle, en tant qu’instrument de l’âme, agit dans la génération de la chair ; elle produit au contraire un accident par sa propre puissance. - Et il n’est pas contraire à la raison d’accident qu’il dépasse son sujet dans l’action, mais seulement qu’il le dépasse en son essence ; à moins d’imaginer qu’un accident numériquement identique passe de l’agent dans le patient, comme le supposait Démocrite, qui pensait que l’action se réalisait par un flux d’atomes.

 

            Article 2 — Y a-t-il dans le corps des raisons séminales ?

Objections :

1. Il semble que dans la matière corporelle il n’y ait pas de raisons séminales. Le mot " raison " implique une existence spirituelle. Mais dans la matière corporelle rien n’existe spirituellement ; tout existe selon le mode de la matière, où existe l’être corporel. Il n’y a donc pas de raisons séminales dans la matière corporelle.

2. S. Augustin dit que les démons réalisent certaines œuvres en utilisant, par des mouvements occultes, certaines semences qu’ils connaissent dans les éléments. Mais les choses qu’on utilise grâce au mouvement local sont des corps, non des raisons. Il est donc illogique de dire qu’il y a dans la matière corporelle des raisons séminales.

3. La semence est un principe actif. Mais, dans la matière corporelle, il n’y a pas de principe actif, puisqu’il n’appartient pas à la matière d’agir par elle-même, on l’a dit. Il n’y a donc pas de raisons séminales dans la matière corporelle.

4. On dit que dans la matière corporelle il y a des raisons causales, qui semblent suffisantes pour expliquer la production des choses. Mais les raisons séminales diffèrent des raisons causales, puisque les miracles sont accomplis en dépassant les raisons séminales, non les raisons causales. Il est donc incohérent de dire que dans la matière corporelle il y a des raisons séminales.

En sens contraire, S. Augustin affirme : " De toutes les choses qui naissent corporellement et visiblement, il existe des semences occultes, cachées dans les éléments corporels de notre monde. "

Réponse :

Les dénominations se font habituellement à partir des choses les plus parfaites, dit Aristote. Mais dans toute la nature corporelle les corps vivants sont les plus parfaits. Aussi est-ce à partir des choses vivantes qu’on prend les noms attribués à toutes les choses naturelles. En effet, le nom même de "nature", dit Aristote, fut d’abord employé pour signifier la génération des vivants, qu’on appelle "native". Et puisque les vivants sont engendrés par un principe conjoint, comme le fruit par l’arbre, et le fœtus par la mère à laquelle il est uni, on a appliqué le nom de nature à tout principe de mouvement existant en celui qui se meut. Il est manifeste que le principe actif et le principe passif de la génération des êtres vivants sont les semences par lesquelles les vivants sont engendrés. C’est donc à juste titre que S. Augustin appelle "raisons séminales" toutes les puissances actives et passives qui sont les principes des générations et des mouvements naturels.

On peut observer de pareilles puissances actives et passives en des ordres multiples. En effet, dit S. Augustin . elle sont d’abord principalement, et originellement dans le Verbe de Dieu lui-même, en tant que raisons idéales. Deuxièmement, elles sont dans les éléments du monde où elles ont été produites ensemble dès le commencement, dans leurs causes universelles. Troisièmement, elles sont dans les êtres qui sont produits au cours des temps par les causes universelles, comme dans telle plante et tel animal, en tant que causes particulières. Quatrièmement, elles sont dans les semences produites par les animaux et les plantes qui, dans la production des autres effets particuliers, jouent le rôle des causes primordiales universelles produisant les premiers effets.

Solutions :

1. Ces puissances actives et passives des choses naturelles, s’il est vrai qu’on ne peut les appeler raisons en tant qu’elle sont dans la matière corporelle, peuvent cependant être dénommées ainsi par rapport à leur origine, en tant qu’elles procèdent de raisons idéales.

2. Ces puissances actives et passives se trouvent dans certaines parties corporelles ; et quand les démons s’en servent pour accomplir quelques effets, grâce au mouvement local, on dit que ce sont des semences employées par les démons.

3. La semence du mâle est le principe actif de la génération de l’animal ; mais on peut aussi appeler semence ce qui vient de la femelle, et qui est le principe passif. Sous ce terme de semence on peut donc comprendre des forces actives et passives.

4. Par ces paroles de S. Augustin au sujet de ces raisons séminales, on peut suffisamment comprendre que ces raisons séminales elles-mêmes sont aussi des raisons causales, comme la semence est aussi une sorte de cause. Car S. Augustin dit encore, au même livre : " De même que les mères portent leurs fœtus, de même le monde porte des causes de ce qui va naître. " Pourtant, les raisons idéales peuvent être dites causales, mais non proprement séminales, parce que la semence n’est pas un principe séparé, et parce qu’il n’y a pas de miracle qui échappe aux " raisons idéales ". De même, il n’y en a pas qui transgresse les puissances passives inscrites dans la créature, de telle sorte que puisse s’accomplir en elle tout ce que Dieu commandera. Mais on dit que des miracles s’accomplissent au-dessus des puissances actives naturelles et des puissances passives qui leur sont ordonnées, quand on affirme qu’ils dépassent le pouvoir des raisons séminales.

 

            Article 3 — Les corps célestes sont-ils la cause de ce qui se passe dans les corps d’ici-bas ?

Objections :

1. S. Jean Damascène déclare : " Nous disons que les corps célestes ne sont pas la cause de quelqu’une des choses qui se font, ni de la corruption de celles qui se défont, ils sont plutôt les signes des pluies et du changement de l’atmosphère. "

2. Pour accomplir quelque chose, il suffit qu’il y ait un principe actif et la matière. Mais dans les corps inférieurs nous trouvons la matière passive, et aussi des principes actifs contraires, la chaleur et le froid, etc. Il n’est donc pas nécessaire pour causer les choses qui arrivent ici-bas, de faire appel à la causalité des corps célestes.

3. Tout principe actif produit un être semblable à lui. Mais nous voyons que tout ce qui se fait dans notre monde inférieur s’accomplit parce que les choses sont chauffées ou refroidies, humectées ou desséchées, et subissent d’autres modifications du même genre. Cela ne se trouve pas dans les corps célestes. Ceux-ci ne sont donc pas la cause de ce qui arrive ici-bas.

4. Selon S. Augustin " rien n’est plus corporel que le sexe du corps. " Mais celui-ci n’est pas causé par les corps célestes, comme nous en voyons la preuve dans le fait que, de deux jumeaux nés sous une même constellation, l’un est mâle, l’autre femelle. Donc les corps célestes ne sont pas la cause des êtres corporels qui se font ici-bas.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Les corps lourds et inférieurs sont réglés dans un certain ordre par les corps plus subtils et plus puissants. " Et Denys : " La lumière du soleil contribue à la génération des corps sensibles, elle exerce une impulsion sur la vie, la nourrit, l’augmente et la perfectionne. "

Réponse :

Puisque d’une part toute multiplicité procède de l’unité, et que d’autre part, ce qui est immobile n’a qu’une manière d’être, tandis que ce qui se meut en possède de multiples, on observe dans toute la nature que tout mouvement procède d’un être immobile. C’est pourquoi, plus certains êtres sont immobiles, plus ils sont la cause des êtres les plus mobiles. Or, parmi tous les autres corps, les corps célestes sont les plus immobiles ; en effet, ils ne se meuvent que par mouvement local. C’est pourquoi les mouvements des corps inférieurs, qui sont variés et multiples, se ramènent au mouvement des corps célestes comme à leur cause.

Solutions :

1. La parole de S. Jean Damascène doit être prise en ce sens que les corps célestes ne sont pas la cause première de la génération et de la corruption des choses d’ici-bas, comme le disaient ceux pour qui les corps célestes étaient des dieux.

2. Les principes actifs dans les corps inférieurs ne se rencontrent que dans les qualités actives des éléments, qui sont la chaleur, le froid, etc. Si les formes substantielles des corps inférieurs ne se diversifiaient que d’après ces accidents auxquels d’anciens physiciens ont attribué pour principes le rare et le dense, il ne faudrait pas supposer d’autre principe actif au-dessus de ces corps inférieurs : ils suffiraient pour agir. Mais, si l’on observe bien, il apparaît que ces accidents se comportent comme des dispositions matérielles aux formes substantielles des corps naturels. Mais la matière ne suffit pas pour agir. Et c’est pourquoi l’on doit poser un autre principe actif au-dessus de ces dispositions matérielles.

Aussi les platoniciens affirmèrent-ils l’existence d’espèces séparées. Ce serait en participant d’elles que les corps inférieurs obtiennent leurs formes substantielles. Mais cela ne semble pas suffire. Car les espèces séparées se comporteraient toujours de la même manière, puisqu’elles sont supposées immobiles. Et il s’ensuivrait qu’il n’y aurait aucune variation dans la génération et la corruption des corps inférieurs ; or il est clair que c’est faux.

C’est pourquoi, selon Aristote, il est nécessaire de reconnaître l’existence d’un principe actif mobile, qui par sa présence et son absence cause une variation dans la génération et la corruption des corps inférieurs. Ce principe, ce sont les corps célestes. C’est pourquoi tout ce qui engendre dans les corps inférieurs, meut vers une espèce déterminée, comme étant l’instrument du corps céleste ; d’où l’axiome, d’Aristote : " Ce qui engendre l’homme, c’est l’homme et le soleil. "

3. Les corps célestes ne sont pas semblables aux corps inférieurs par une similitude d’espèce, mais en tant que, par une puissance universelle, ils contiennent en eux tout ce qui est engendré dans les corps inférieurs ; de la même manière, nous disons que toutes choses sont semblables à Dieu.

4. Les actions des corps célestes sont reçues dans les corps inférieurs de manière diverse, selon la disposition diverse de la matière. Il arrive parfois que la matière de la conception humaine n’est pas disposée totalement en vue du sexe masculin ; alors elle forme en partie un mâle, en partie une femelle. S. Augustin introduit cet argument pour réfuter la divination par les astres : car les effets des astres varient aussi dans les choses corporelles selon la disposition diverse de la matière.

 

            Article 4 — Les corps célestes sont-ils la cause des actes humains ?

Objections :

1. Il semble que oui. En effet, les corps célestes, quand ils sont mus par les substances spirituelles, comme on l’a dit plus haute, agissent sous leur impulsion comme des instruments. Mais ces substances spirituelles sont supérieures à nos âmes. Il semble donc qu’elles puissent agir sur nos âmes, et, de la sorte, causer nos actes humains.

2. Tout ce qui est multiforme se ramène à un principe uniforme. Or les actes humains sont variés et multiformes. Il semble donc qu’ils se ramènent aux mouvements uniformes des corps célestes comme à leurs principes.

3. Les astrologues annoncent fréquemment la vérité au sujet de déclarations de guerres et d’autres actes humains, dont les principes sont l’intelligence et la volonté ; ils ne pourraient pas le faire si les corps célestes n’étaient pas la cause des actes humains.

En sens contraire, S. Jean Damascène dit que " les corps célestes ne sont aucunement la cause des actes humains ".

Réponse :

Les corps célestes agissent directement et par eux-mêmes sur les êtres corporels, mais seulement indirectement et par accident sur les puissances de l’âme, lesquelles sont les actes des organes corporels ; car les actes de ces puissances sont nécessairement empêchés par ce qui empêche le jeu des organes, ainsi par exemple, l’œil trouble ne voit pas bien. Si l’intelligence et la volonté étaient des puissances liées à des organes corporels (comme l’ont affirmé certains qui prétendaient que l’intelligence ne diffère pas du sens), il s’ensuivrait nécessairement que les corps célestes seraient la cause des choix et des actes humains. Et il en résulterait que l’homme serait poussé à ses actes par un instinct naturel, comme les autres animaux, chez lesquels il n’y a que des puissances liées à des organes corporels. En effet, ce qui s’accomplit dans ces vivants inférieurs à la suite de l’impulsion des corps célestes s’accomplit naturellement. Il s’ensuivrait que l’homme ne posséderait pas le libre arbitre, mais que ses actes seraient déterminés comme ceux des êtres naturels, ce qui est manifestement faux, et contraire au comportement humain.

Mais on doit admettre que les impulsions des corps célestes peuvent agir indirectement et par accident sur l’intelligence et la volonté, en tant que l’intelligence aussi bien que la volonté sont plus ou moins tributaires des puissances inférieures qui sont liées à des organes. Mais sur ce point l’intelligence et la volonté se comportent différemment. En effet, l’intelligence est nécessairement tributaire des puissances inférieures de connaissance ; c’est pourquoi son activité est nécessairement troublée si les puissances de l’imagination, de la cogitative ou de la mémoire le sont elles-mêmes. Tandis que la volonté ne suit pas fatalement l’inclination de l’appétit inférieur. Car, bien que les passions de l’irascible et du concupiscible exercent une certaine pression pour incliner la volonté, celle-ci garde le pouvoir de les suivre ou d’y résister. C’est pourquoi l’impulsion des corps célestes, capable de modifier les puissances inférieures, influence moins la volonté, qui est la cause immédiate des actes humains, qu’elle n’influence l’intelligence.

Affirmer que les corps célestes sont la cause des actes caractérise donc ceux qui disent que l’intelligence ne diffère pas du sens. C’est pourquoi certains d’entre eux disaient que " la volonté chez les hommes est telle que l’a mise au jour le père des hommes et des dieux ". Donc, puisqu’il est clair que l’intelligence et la volonté ne sont pas les actes d’organes corporels, il est impossible que les corps célestes soient la cause des actes humains.

Solutions :

1. Les substances spirituelles qui meuvent les corps célestes agissent sur les êtres corporels par l’intermédiaire des corps célestes ; elles agissent sur l’intelligence sans intermédiaire, en l’éclairant. Mais elles ne peuvent pas modifier la volonté, comme nous l’avons vue.

2. De même que la multitude des formes des mouvements corporels se ramène à l’uniformité des mouvements célestes comme à sa cause, ainsi la multitude des actes produits par l’intelligence et la volonté remonte au principe uniforme qui est l’intelligence et la volonté de Dieu.

3. Le plus grand nombre des hommes suivent leurs passions, qui sont des mouvements de l’appétit sensible auxquels peuvent coopérer les corps célestes ; mais un petit nombre sont des sages qui résistent à ces passions. C’est pourquoi les astrologues peuvent prédire l’avenir dans le plus grand nombre des cas, surtout d’une façon générale. Mais non pour des cas spéciaux, car rien n’empêche qu’un homme résiste aux passions par son libre arbitre. C’est pourquoi les astrologues eux-mêmes disent que l’homme sage domine les astres, en tant qu’il domine ses passions.

 

            Article 5 — Les démons sont-ils soumis à l’action des corps célestes ?

Objections :

1. Il semble que les corps célestes puissent exercer une action sur les démons eux-mêmes. En effet, les démons tourmentent, selon les phases de la lune, certains hommes, qu’on appelle à cause de cela des lunatiques, comme on le voit chez S. Matthieu (4, 24 et 17, 14) : Mais cela ne serait pas s’ils n’étaient pas soumis aux corps célestes. Les démons sont donc soumis à l’action de ces corps célestes.

2. Les nécromanciens observent certaines constellations pour invoquer les démons. Ils ne les invoqueraient pas à partir des corps célestes, si les démons ne leur étaient pas soumis.

3. Les corps célestes sont plus puissants que les corps inférieurs. Mais les démons sont soumis à certains corps inférieurs ; comme " des herbes, des pierres, des animaux, certains sons, des formules déterminées, des figures ou des images " selon le mot de Porphyre cité par S. Augustin. A plus forte raison les démons sont-ils soumis à l’action des corps célestes.

En sens contraire, les démons, selon l’ordre de la nature, sont supérieurs aux corps célestes. Or, l’agent est supérieur au patient, comme dit S. Augustin. Les démons ne sont donc pas soumis à l’action des corps célestes.

Réponse :

Au sujet des démons, il y eut trois opinions. Premièrement, celle des péripatéticiens, qui nièrent l’existence des démons, et qui attribuèrent à la puissance des corps célestes ce qu’on attribue au démon selon l’art de la nécromancie. De là cette sentence de Porphyre rapportée par S. Augustin : " Des hommes réalisent sur terre des puissances capables de produire les divers effets attribués aux astres. " Mais cette opinion est manifestement fausse. L’expérience enseigne que beaucoup de choses sont accomplies par les démons, alors que la puissance des corps célestes n’y suffirait en aucune façon ; par exemple, que les possédés parlent une langue inconnue, qu’ils récitent des vers et des sentences qu’ils n’ont jamais apprises, que les nécromanciens fassent parler et se mouvoir des statues, etc.

Ces faits poussèrent les platoniciens à affirmer que les démons sont " des animaux au corps aérien et à l’esprit passif ", comme S. Augustin le dit en citant Apulée. Telle est la seconde opinion, selon laquelle on pourrait dire que les démons sont soumis aux corps célestes, comme nous l’avons dit des hommes.

Mais cette opinion, d’après ce que nous avons dit antérieurement, est fausse. Nous disons en effet que les démons sont des substances intellectuelles non unies à des corps. Il est donc évident qu’ils ne sont pas soumis à l’action des corps célestes, ni par eux-mêmes ni par accident, ni directement ni indirectement.

Solutions :

1. Que les démons tourmentent les hommes selon certaines phases de la lune, cela provient de deux causes. Premièrement, parce qu’ils veulent " jeter le discrédit sur une créature de Dieu ", la lune, disent S. Jérôme et S. Jean Chrysostome. Secondement, parce que, ne pouvant agir qu’au moyen des puissances naturelles, ils tiennent compte dans leurs œuvres des aptitudes des corps à l’égard des effets cherchés. Or, il est manifeste que le cerveau est la plus humide de toutes les parties du corps, comme dit Aristote, et donc qu’il est davantage soumis à l’action de la lune, dont la propriété est de mouvoir les humeurs. C’est dans le cerveau que les forces animales atteignent leur perfection ; c’est pourquoi les démons troublent l’imagination de l’homme selon certaines phases de la lune, quand ils estiment que le cerveau y est plus disposé.

2. Les démons qu’on appelle sous certaines constellations viennent pour deux causes : d’abord, pour entraîner les hommes dans cette erreur de croire qu’il y a quelque chose de divin dans les étoiles ; ensuite, parce qu’ils observent que sous certaines constellations la matière corporelle est plus disposée aux effets pour lesquels on fait appel à eux.

3. Comme dit S. Augustin, " les démons sont attirés par divers genres de pierres, d’herbes, de bois, d’animaux, de chants, de rites, non comme les animaux sont attirés par les aliments, mais comme les esprits sont attirés par certains signes ", en tant que ces choses leur sont offertes en signe d’honneur divin, ce dont ils sont avides.

 

            Article 6 — Les corps célestes rendent-ils nécessaire ce qui est soumis à leur action ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car, lorsque la cause suffisante est posée, l’effet suit nécessairement. Mais les corps célestes sont cause suffisante de leurs effets. Donc, puisque les corps célestes, avec leurs mouvements et leurs dispositions, sont posés comme des êtres nécessaires, il semble que leurs effets suivent nécessairement.

2. L’effet d’un agent aboutit nécessairement dans la matière quand la puissance de l’agent est telle qu’elle peut se soumettre toute la matière. Mais toute la matière des corps inférieurs est soumise à la puissance des corps célestes qui les dépasse en excellence. C’est donc nécessairement que l’efficacité des corps célestes est reçue dans la matière corporelle.

3. Si l’effet du corps céleste ne se produisait pas nécessairement, ce serait parce qu’une cause l’empêcherait. Mais toute cause corporelle qui pourrait empêcher l’effet d’un corps céleste doit nécessairement être ramenée à quelque principe céleste, puisque les corps célestes sont la cause de tout ce qui se produit. Donc, puisque ce principe céleste est lui-même nécessaire, il s’ensuit que l’effet de l’autre corps céleste sera empêché nécessairement ; et ainsi tout ce qui arrive ici-bas arrive en vertu de la nécessité.

En sens contraire, Aristote dit qu’ " il n’est pas exclu que beaucoup de choses ne se produisent pas malgré les signes célestes qui sont dans les corps, et les eaux et les vents ". C’est donc que les effets des corps célestes ne se réalisent pas tous nécessairement.

Réponse :

Cette question est en partie résolue par ce que nous avons déjà dit, mais elle présente encore une certaine difficulté. Nous avons montré que, malgré certaines inclinations produites dans la nature corporelle par l’impulsion des corps célestes, la volonté ne suit pas nécessairement ces inclinations. Il n’est donc pas impossible que l’action volontaire empêche l’effet des corps célestes, non seulement dans l’homme lui-même, mais aussi dans les autres domaines auxquels s’étend l’activité des hommes.

Mais dans les êtres naturels on ne trouve aucun principe semblable, qui ait la liberté de suivre ou non les impulsions célestes. Il semble donc que, dans ces êtres au moins, tout arrive par nécessité, selon l’antique opinion de ceux qui, supposant que tout ce qui existe a une cause, et que la cause étant posée l’effet suit nécessairement, concluaient que toutes choses arrivent par nécessité. Aristote rejette cette opinion en repoussant deux suppositions de ses tenants.

Premièrement, en effet, il n’est pas vrai que, n’importe quelle cause étant posée, il est nécessaire que l’effet suive ; il y a des causes qui sont ordonnées à leurs effets non nécessairement, mais la plupart du temps, et qui parfois échouent par exception. Mais, puisque ces causes échouent par exception uniquement parce qu’une autre cause les empêche, il semble que l’inconvénient susdit n’est pas évité, puisque l’obstacle opposé à ces causes arrive en vertu de la nécessité.

Il faut donc dire, secondement, que tout ce qui est par soi a une cause, tandis que ce qui arrive par accident n’a pas de cause, parce qu’il n’est pas un véritable être, n’étant pas vraiment un. En effet, le fait d’être blanc a sa cause, comme le fait d’être musicien a la sienne ; mais l’assemblage de ces deux qualités n’a pas de cause parce qu’il n’est pas vraiment un être, ni vraiment un.

Il est manifeste que la cause qui empêche l’action d’une autre cause, ordonnée à son effet dans la plupart des cas, concourt avec elle seulement par accident ; ce concours n’a donc pas de cause réelle, puisqu’il est seulement accidentel. Et voilà pourquoi ce qui est le résultat de ce concours ne provient pas d’une cause préexistante, dont il sortirait nécessairement. Ainsi, si un corps terrestre enflammé est produit dans la partie supérieure de l’air et s’il en tombe, la cause en est une puissance céleste. Et de même, si sur la surface de la terre il y a une matière combustible, cela peut se ramener à quelque principe céleste. Mais si le feu tombant du ciel rencontre cette matière combustible, cela n’a pas pour cause un corps céleste, mais ne se réalise que par accident. Il est donc évident que les effets des co s célestes ne sont pas tous soumis à la nécessités.

Solutions :

1. Les corps célestes sont cause des effets inférieurs par l’intermédiaire de causes particulières inférieures, qui peuvent échouer par exception.

2. La puissance du corps céleste n’est pas infinie. Il requiert donc, pour réaliser son effet, des dispositions déterminées de la matière, quant à la distance locale et à d’autres dispositions. C’est pourquoi, de même que la distance locale empêche l’effet du corps céleste (en effet le soleil ne produit le pas la même chaleur en Dacie qu’en Éthiopie), de même la grossièreté de la matière, ou sa froideur, ou sa chaleur, ou d’autres dispositions similaires, peuvent empêcher l’effet du corps céleste.

3. La cause qui empêche l’effet d’une autre peut se ramener à quelque corps céleste comme à sa source ; pourtant, la conjonction de ces deux causes, puisqu’elle est accidentelle, ne remonte pas à une cause céleste, comme nous venons de le dire.

 

 

 

QUESTION 116 — LE DESTIN

1. Le destin existe-t-il ? - 2. Où se trouve-t-il ? - 3. Est-il immuable ? - 4. Tout lui est-il soumis ?

 

            Article 1 — Le destin existe-t-il ?

Objections :

1. S. Grégoire dit dans une homélie de l’Épiphanie : " Que jamais les cœurs des fidèles n’aillent dire que le destin est quelque chose. " 2. Les choses qui sont menées par le destin ne sont pas imprévues. Car, dit S. Augustin : " Nous savons que le mot "destin" (fatum) vient de parler (fari), c’est-à-dire de ce qui est exprimé par la parole. " Aussi dit-on accomplies par le destin les choses qui ont été prédites auparavant par quelqu’un qui les détermine. Or les choses prévues ne sont pas fortuites ni accidentelles. Donc, si les choses étaient menées par le destin, le hasard et la bonne fortune en seraient exclus.

En sens contraire, ce qui n’existe pas est indéfinissable. Mais Boèce définit ainsi le destin : " Une disposition inhérente aux choses changeantes, par laquelle la Providence soumet tout à ses ordres. " Le destin est donc une réalité.

Réponse :

Dans les choses inférieures nous voyons que certaines proviennent de la fortune ou du hasard. Mais il arrive parfois qu’une chose provenant de causes inférieures est fortuite ou accidentelle, alors que, rattachée à une cause supérieure, elle apparaît comme voulue pour elle-même. Si par exemple deux serviteurs d’un mettre sont envoyés par lui dans le même lieu à leur insu, la rencontre de ces deux serviteurs, si on la réfère à eux, est fortuite, puisqu’elle se produit en dehors de leur intention ; mais si l’on considère le maître qui avait préparé cette rencontre, elle n’est pas fortuite, mais voulue pour elle-même.

Certains penseurs ne voulurent pas rattacher à une cause supérieure les choses fortuites qui arrivent dans les êtres inférieurs. Ceux-là nièrent le destin et la Providence, comme S. Augustin le rapporte de Cicéron, ce qui est contraire à ce que nous avons dit antérieurement de la Providence.

D’autres voulurent rapporter à une cause supérieure, qui serait les corps célestes, tout ce qui arrive de fortuit et d’accidentel dans les êtres inférieurs, soit dans la nature, soit chez les hommes. Selon cette opinion, le destin ne serait pas autre chose qu’une disposition des astres sous lesquels chacun a été conçu ou est né.

Mais cela ne tient pas pour deux raisons. Premièrement, au sujet des choses humaines. Nous avons montré en effet - que les actes humains ne sont soumis à l’action des corps célestes que par accident et indirectement. Or une cause fatale, puisqu’elle détermine les choses qui sont accomplies par destin, doit être directement et par elle-même la cause de ce qui se réalise. Secondement, au sujet de toutes les choses qui arrivent par accident, nous avons ditf que ce qui arrive par accident n’est à proprement parler ni être ni un. Mais l’action de toute nature a pour terme quelque chose d’un. Il est donc impossible que ce qui existe par accident soit, par soi, l’effet de quelque principe naturel actif. Il n’y a en effet aucun être de la nature qui puisse par lui-même faire que quelqu’un qui veut creuser une tombe découvre un trésor. Mais il est manifeste que tout corps céleste agit à la manière d’un principe naturel ; ses effets dans notre monde sont donc naturels. Donc, il est impossible qu’une puissance active d’un corps céleste soit la cause des choses qui arrivent par accident, soit par hasard, soit par bonne fortune.

Il faut donc dire que ce qui arrive ici-bas par accident, soit dans le domaine naturel, soit dans le domaine humain, se ramène à une cause préordinatrice qui est la Providence divine. Car rien ne s’oppose à ce que l’être par accident soit considéré comme un par quelque intelligence. Sinon l’intelligence ne pourrait pas construire cette proposition : celui qui creuse un tombeau trouve un trésor. Et de même que l’esprit peut saisir cela, il peut le réaliser ; si par exemple quelqu’un, sachant en quel lieu se trouve caché un trésor, pousse un paysan qui l’ignore à creuser là une tombe. Rien n’empêche donc que ce qui arrive ici par accident, comme étant fortuit ou l’effet du hasard, se ramène à une cause organisatrice, et qui agit par intelligence, surtout si c’est l’intelligence divine. En effet, Dieu seul peut modifier la volonté, comme nous l’avons vu. C’est pourquoi l’ordonnance des actes humains, dont le principe est la volonté, doit être attribuée à Dieu seul.

Ainsi donc, en tant que les choses qui arrivent ici-bas sont soumises à la Providence divine qui les préordonne et en quelque sorte les dit d’avance, nous pouvons admettre le destin. Cependant les Pères ont refusé d’employer ce mot, à cause de ceux qui s’en servaient abusivement pour désigner la vertu attribuée à la position des astres. C’est pourquoi S. Augustin dit : " Si quelqu’un attribue au destin les choses humaines parce qu’il désigne sous ce nom la volonté et la puissance de Dieu, qu’il garde sa pensée, mais corrige son expression. " C’est en ce sens que S. Grégoire nie l’existence du destin.

Solutions :

1. Cela résout la première objection.

2. Rien n’empêche que certaines choses soient fortuites ou accidentelles par rapport à leurs causes prochaines, et ne le soient pas par rapport à la Providence divine, car c’est ainsi, dit S. Augustin que " rien n’arrive par hasard dans le monde ".

            Article 2 — Où le destin se trouve-t-il ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas dans les choses créées. S. Augustin dit en effet : " On désigne par le mot de destin la volonté même ou le pouvoir de Dieu. " Or, la volonté et le pouvoir de Dieu ne sont pas dans les créatures, mais en Dieu. Le destin n’est donc pas dans les choses créées, mais en Dieu.

2. Par rapport aux choses accomplies par le destin, celui-ci est considéré comme leur cause, ainsi que le démontre notre manière même de nous exprimer. Mais la cause universelle, par soi, des choses qui arrivent ici-bas par accident, c’est Dieu seul. Le destin est donc en Dieu et non dans les choses créées.

3. Si le destin est dans les créatures, il doit être substance ou accident. Qu’il soit l’une ou l’autre, il doit être multiplié selon la multitude des créatures. Puisque, au contraire, le destin semble être unique, il ne doit pas être dans les créatures, mais en Dieu.

En sens contraire, Boèce dit que " le destin est une disposition inhérente aux choses mobiles ".

Réponse :

Comme nous l’avons vu, la Providence divine accomplit son œuvre par des causes intermédiaires. La disposition de ses effets peut donc être considérée de deux manières. D’abord en tant qu’elle est en Dieu même ; et alors l’ordination de ses effets s’appelle la Providence. Mais en tant que l’on considère cette ordonnance dans les causes intermédiaires, ordonnées par Dieu pour produire certains effets, alors elle constitue le destin. C’est à cela que fait allusion Boèce - : " Ou bien le destin est réalisé par des esprits qui sont au service de la Providence divine : soit l’âme, soit toute la nature, soumise à Dieu. Ou bien la série des fatalités est tissée par les mouvements célestes des astres, ou la puissance angélique, ou les agissements variés des démons, soit quelques-uns seulement, soit tous. " Nous avons parlé de tout cela en détail précédemment. Il est donc manifeste que le destin est dans les causes créées elles-mêmes, en tant qu’elles sont ordonnées par Dieu à produire certains effets.

Solutions :

1. L’ordonnance des causes secondes que S. Augustin appelle " enchaînement des causes ", ne constitue pas le destin, sauf en tant qu’elle dépend de Dieu. C’est pourquoi l’on peut dire que, comme causes, la puissance et la volonté de Dieu peuvent être appelées destin. Mais le destin est essentiellement cette disposition ou enchaînement, qui est l’ordre des causes secondes.

2. Le destin a raison de cause autant que les causes secondes dont l’organisation est appelée destin.

3. Le destin est appelé disposition, non comme celle qui est dans le genre qualité, mais en tant que la disposition désigne un ordre qui n’est pas une substance, mais une relation. Cet ordre, si nous le référons à son principe, est un : on dira ainsi que le destin est un. Mais si nous le considérons en relation avec ses effets ou avec les causes intermédiaires, alors il est multiple ; ce qui faisait dire à Virgile : " Tes destins t’entraînent. "

            Article 3 — Le destin est-il immuable ?

Objections :

1. Le destin ne semble pas immuable, car Boèce dit : " Ce qu’est le raisonnement par rapport à l’intelligence, ce qui est engendré par rapport à ce qui est, le temps par rapport à l’éternité, le cercle par rapport au point central, tel est l’enchaînement mobile du destin par rapport à la simplicité stable de la Providence. "

2. Comme dit Aristote : " Si nous changeons, les choses qui sont en nous changent aussi. " Mais le destin est " une disposition inhérente aux choses mobiles ", dit Boèce. Il est donc changeant.

3. Si le destin est immuable, les choses qui lui sont soumises arrivent immuablement et par nécessité. Mais il semble que ce sont surtout les choses contingentes qui se trouvent dans ce cas et qui sont attribuées au destin. Il n’y a donc rien de contingent dans les choses, mais tout se produit en vertu d’une nécessité.

En sens contraire, Boèce dit que " le destin est une disposition immuable ".

Réponse :

Cette disposition des causes secondes que nous nommons destin peut être considérée de deux manières : d’une part dans les causes secondes elles-mêmes, qui se trouvent ainsi disposées ou ordonnées ; d’autre part dans leur relation avec le principe premier qui ordonne toutes choses, Dieu. Certains affirment donc que l’enchaînement même ou disposition des causes était par lui-même nécessaire, de telle sorte que toutes choses se produiraient par nécessité, puisque tout effet a une cause et que, celle-ci étant posée, l’effet suivrait nécessairement. Mais d’après ce que nous avons dit, cela est manifestement faux. D’autres au contraire affirmèrent que le destin est mobile, même en tant qu’il dépend de la Providence divine. C’est pour cela que les Égyptiens disaient qu’on pouvait changer le destin par certains sacrifices, comme le rapporte S. Grégoire de Nysse. Mais nous avons précédemment Il rejeté cette thèse qui contredit l’immutabilité de la Providence divine.

On doit donc dire que le destin, considéré dans les causes secondes, est sujet au changement ; mais, en tant qu’il est soumis à la Providence divine, il est doté d’immutabilité par une nécessité non pas absolue mais conditionnelle. Ainsi disons-nous que cette proposition conditionnelle est vraie ou nécessaire : si Dieu a prévu que cela arrivera, cela se fera. C’est pourquoi, quand Boèce eut dit que l’enchaînement du destin était mobile, il a ajouté un peu plus loin : " Mais quand il découle des décrets de la divine Providence, il est nécessaire qu’il devienne immuable. "

Solutions :

Tout cela répond aux Objections.

            Article 4 — Tout est-il soumis au destin ?

Objections :

1. Il semble bien, car Boèce dit " L’enchaînement du destin meut le ciel et les astres ; il équilibre l’action réciproque des éléments, et les transforme par des modifications successives, il renouvelle toutes les choses qui naissent ou qui meurent, par les progrès semblables des embryons et des semences ; il enserre les actes et les fortunes des hommes par la connexion indissoluble des causes. " Il semble donc que rien ne fasse exception et n’échappe à l’enchaînement du destin.

2. S. Augustin dit que " le destin est quelque chose en tant qu’il se rattache à la volonté et à la puissance de Dieu ". Mais la volonté de Dieu est la cause de tout ce qui se fait, comme dit le même saints. Tout est donc soumis au destin.

3. Le destin, selon Boèce, " est une disposition inhérente aux réalités mobiles ". Mais toutes les créatures sont mobiles, et Dieu seul est vraiment immuable, nous l’avons vu antérieurement. Le destin est donc dans toutes les créatures.

En sens contraire, Boèce dit que " certaines choses placées sous l’action de la Providence surpassent l’enchaînement du destin ".

Réponse :

Comme nous l’avons dit, le destin est l’ordonnance des causes secondes à l’égard des effets préparés par Dieu. Donc tout ce qui est soumis aux causes secondes est soumis aussi au destin. Mais, s’il y a des choses qui sont accomplies par Dieu sans intermédiaire, parce qu’elles ne sont pas soumises aux causes secondes, elles ne le sont pas non plus au destin : telles sont la création du monde, la glorification des substances spirituelles, etc. C’est dans ce sens que Boèce Il dit que " les choses proches de la divinité et fixées avec stabilité par elle, dépassent l’ordre de la mutabilité fatale ". Il en résulte évidemment que " plus une chose s’éloigne de la pensée première, plus elle est enchaînée par les liens puissants du destin ", car elle est davantage soumise à la nécessité des causes secondes.

Solutions :

1. Tout ce qui se touche ici-bas est accompli par Dieu à travers les causes secondes ; c’est donc enfermé dans l’enchaînement du destin. Mais cela ne vaut pas pour toutes les autres choses, comme nous venons de le dire.

2. Le destin se ramène à la volonté et à la puissance de Dieu comme à son premier principe. Il n’est donc pas nécessaire que tout ce qui est soumis à la volonté et au pouvoir de Dieu soit soumis au destin, comme nous l’avons dit.

3. Bien que toutes les créatures soient à certain point de vue mobiles, cependant quelques-unes d’entre elles ne procèdent pas de choses créées mobiles. Elles ne sont donc pas soumises au destin, comme nous venons de le dire.

Nous devons étudier maintenant ce qui concerne l’action de l’homme, qui est une créature composée d’esprit et de matière.

Nous considérerons d’abord l’action de l’homme (Q. 117) ; puis la propagation de celui-ci (Q. 118).

 

 

 

QUESTION 117 — CE QUI CONCERNE L’ACTION DE L’HOMME

1. Un homme peut-il instruire un autre homme, en causant chez lui la science ? - 2. Un homme peut-il instruire un ange ? - 3. L’homme peut-il par la puissance de son âme modifier la matière corporelle ? - 4. L’âme humaine séparée peut-elle imprimer aux corps un mouvement local ?

            Article 1 — Un homme peut-il instruire un autre homme, en produisant en lui la science ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Le Seigneur dit en effet (Mt 23, 8) : " Ne vous faites pas appeler maîtres. " Et on lit dans la Glose de S. Jérôme : " N’attribuez pas aux hommes un honneur divin. " Être maître concerne donc proprement l’honneur divin. Or instruire est le propre du maître. L’homme ne peut donc pas instruire : c’est le propre de Dieu.

2. Si un homme en instruit un autre, c’est seulement parce qu’il agit par sa science pour causer la science chez l’autre. Mais la qualité par laquelle quelqu’un agit pour produire quelque chose de semblable à lui est une qualité active. Il s’ensuit que la science est une qualité active, comme la chaleur.

3. L’acquisition de la science requiert une lumière intelligible, et l’espèce de la chose connue : Mais l’homme ne peut produire chez un autre ni l’une ni l’autre. L’homme ne peut donc pas, en enseignant, produire la science chez un autre.

4. Le docteur ne peut faire plus, pour son disciple, que de lui proposer certains signes, en exprimant quelque chose par des mots ou par des gestes. Mais, en proposant ces signes, on ne peut pas instruire un autre en causant en lui la science ; en effet, on lui propose des signes ou bien de choses déjà connues, ou bien de choses inconnues. S’il s’agit de choses déjà connues, celui à qui les signes sont présentés possède déjà la science ; il ne la reçoit donc pas du maître. S’il s’agit de choses inconnues, il n’apprend rien grâce à ces signes ; imaginons que l’on propose à un latin des mots grecs, dont celui-ci ignore la signification : par cette méthode on ne pourrait rien lui apprendre. L’homme ne peut donc en aucune manière en instruire un autre en causant en lui la science.

En sens contraire, S. Paul dit (1 Tm 2, 7) : " Dans le Christ, j’ai été établi prédicateur et Apôtre, docteur des nations pour la foi et la vérité. "

Réponse :

A ce sujet il y a eu diverses opinions. Averroès affirma qu’il n’y avait qu’un seul intellect pour tous les hommes, nous en avons déjà parlé ; il s’ensuivrait que tous les hommes ont les mêmes espèces intelligibles. Averroès en concluait qu’un homme ne peut causer dans un autre, par son enseignement, une autre science que la sienne propre ; il ne peut que communiquer la science qu’il possède lui-même, en portant l’autre à ordonner les images dans son âme afin qu’elles soient convenablement disposées en vue de l’appréhension intelligible. Cette opinion a ceci de vrai que c’est la même science qui se trouve chez le disciple et chez le maître, si nous situons l’identité dans l’unicité de la chose connue : c’est bien la même vérité réelle qui est connue par le disciple et par le maître. Mais cette opinion est fausse lorsqu’elle affirme qu’il existe un seul intellect pour tous les hommes, et les mêmes espèces intelligibles, qui différeraient seulement par la diversité des images ; nous avons vu cela antérieurement.

Les platoniciens tenaient une autre opinion pour eux, la science, dès l’origine, est dans nos âmes, par participation des formes séparées, comme nous l’avons vu. Mais l’âme est empêchée, par son union avec le corps, de considérer librement les choses dont elle possède la science. A ce compte, le disciple n’acquiert pas une science nouvelle qui lui viendrait de son maître, mais celui-ci l’excite à considérer les choses dont il a déjà la connaissance ; apprendre ne serait donc pas autre chose que se rappeler. Ils affirmaient ainsi que les agents naturels nous disposent seulement à recevoir les formes que la matière corporelle acquiert en participant aux espèces séparées (ou idées subsistantes). Mais nous avons montré, au contraire, que l’intellect possible de l’âme humaine est en puissance pure par rapport aux choses intelligibles, selon Aristote.

Aussi faut-il parler autrement, et dire que l’enseignant cause la science chez l’enseigné, en le faisant passer de la puissance à l’acte, comme dit encore Aristote. Pour en être persuadés, nous devons observer que, parmi les effets dérivant d’un principe extérieur, il y en a qui dérivent seulement de ce principe ; ainsi la forme d’une maison est produite dans la matière uniquement par l’art de l’architecte. Mais il y a un effet qui dépend tantôt d’un principe extérieur, tantôt d’un principe intérieur ; ainsi la santé est causée chez le malade tantôt par un principe extérieur, qui est l’art médical, tantôt par un principe intérieur, comme lorsqu’on est guéri par la force de la nature. Dans de pareils effets il faut observer deux points. D’abord, que l’art imite la nature dans sa manière d’agir ; en effet, la nature guérit le malade en altérant, en digérant, ou en expulsant la matière qui cause la maladie ; c’est ainsi que l’art médical opère. Ensuite, il faut observer que le principe extérieur, c’est-à-dire l’art, n’agit pas de la même manière que l’agent principal, mais comme un auxiliaire qui seconde cet agent principal (le principe intérieur) en le fortifiant, et en lui procurant les instruments et les secours dont la nature se sert pour produire ses effets ; c’est ainsi que le médecin fortifie la nature et lui procure les aliments et les remèdes quelle emploie pour atteindre sa fin.

L’homme acquiert la science et par un principe intérieur, comme on le constate chez celui qui acquiert la science par découverte personnelle ; et par un principe extérieur, comme on le voit chez celui qui reçoit l’enseignement. En tout homme, en effet, il y a un principe de science : la lumière de l’intellect agent, par laquelle l’homme connaît dès l’origine, naturellement, quelques principes universels de toutes les sciences. Mais lorsqu’il applique ces principes universels à des réalités particulières, dont il reçoit par les sens le souvenir et l’expérience, il acquiert par sa propre découverte la science de ce qu’il ignorait : il va du connu à l’inconnu. C’est pourquoi le docteur, partant de ce que connaît son disciple, le conduit à la connaissance des choses qu’il ignorait, selon ce que dit Aristote : " Tout enseignement et toute discipline se fait à partir d’une connaissance préalable. "

Le maître conduit son disciple du connu à la connaissance de l’inconnu de deux manières. D’une part, en lui proposant des aides ou des instruments, afin que son intelligence s’en serve pour acquérir la science ; par exemple lorsqu’il lui expose quelques propositions moins universelles, que l’élève peut juger en vertu de ce qu’il sait déjà, ou quand il lui propose quelques exemples sensibles, ou semblables ou opposés, ou d’autres moyens par lesquels l’intelligence de l’élève est conduite à la connaissance de la vérité inconnue. D’autre part il fortifie l’intelligence du disciple non pas en lui communiquant une vertu active, comme s’il avait une nature supérieure (nous l’avons dit plus haut en parlant de l’illumination des anges, car toutes les intelligences humaines sont du même degré dans l’ordre de la nature), mais en montrant au disciple l’ordre entre les principes et les conclusions. Car, par lui-même, le disciple n’aurait peut-être pas une puissance de raisonnement suffisante pour déduire les conclusions de leurs principes. C’est pourquoi Aristote dit : "La démonstration est un syllogisme qui engendre la science." C’est par cette méthode d’exposition que l’on rend savant l’auditeur.

Solutions :

1. Comme nous venons de le dire, l’homme qui enseigne n’exerce qu’un ministère extérieur, comme le médecin qui soigne ; mais, de même que la nature intérieure est la cause principale de la guérison, de même la lumière de l’intelligence est la cause principale de la science. L’une et l’autre viennent de Dieu. C’est pourquoi, de même qu’on dit de Dieu (Ps 103, 3) "qu’il guérit toutes nos infirmités", de même on dit de lui (Ps 94, 10) "qu’il enseigne aux hommes la science", en tant que (Ps 4, 7) "la lumière de son visage brille sur nous" par laquelle toute chose est manifestée.

2. Le maître ne cause pas la science de son disciple à la manière d’un agent naturel, comme l’objecte Averroès. Il n’est donc pas nécessaire que sa science soit une qualité active ; elle est le principe qui dirige l’élève dans son travail.

3. Le maître ne produit pas la lumière intelligible dans son disciple, ni ne lui communique directement les espèces intelligibles ; mais par son enseignement il pousse son disciple à former lui-même par la puissance de son esprit les conceptions intelligibles dont le maître lui propose des signes extérieurs.

4. Les signes que le maître communique à son disciple sont ceux de choses connues d’une manière universelle et de façon confuse, mais qui demeurent inconnues en ce qui concerne le détail et une distinction précise. C’est pourquoi, quand un homme acquiert la science par lui-même, on ne peut pas dire qu’il enseigne à lui-même ou qu’il est son propre maître, parce que ce qui préexiste en lui n’est pas une science complète comme celle qui est requise du maître.

 

            Article 2 — Les hommes peuvent-ils instruire les anges ?

Objections :

1. Il semble que oui. S. Paul dit en effet (Ep 3, 10) : "Que les Principautés et les Puissances célestes aient maintenant connaissance, par le moyen de l’Église, de la sagesse infinie en ressources déployée par Dieu." Or l’Église, c’est l’assemblée des hommes croyants. Les anges apprennent donc certaines choses grâce aux hommes.

2. Les anges supérieurs, qui sont illuminés par Dieu sans intermédiaires sur les choses divines, peuvent instruire les anges inférieurs, nous l’avons vu. Mais il y a quelques hommes qui sont instruits, au sujet des choses divines, immédiatement par le Verbe de Dieu, surtout les Apôtres, comme dit la lettre aux Hébreux (1, 1) : " Tout récemment, de nos jours, Dieu a parlé par son Fils. " Donc quelques hommes ont pu enseigner certains anges.

3. Les anges inférieurs sont instruits par les anges supérieurs. Mais il y a des hommes qui sont supérieurs à certains anges, puisque, selon S. Grégoire, des hommes sont élevés jusqu’aux ordres supérieurs des anges. Il y a donc des anges inférieurs qui peuvent être instruits des choses divines par certains hommes.

En sens contraire, Denys assure que " toutes les illuminations divines parviennent aux hommes par l’intermédiaire des anges ".

Réponse :

Comme nous l’avons vu précédemment, les anges inférieurs peuvent bien parler aux anges supérieurs ; c’est-à-dire qu’ils leur font connaître ce qu’ils pensent ; mais les anges supérieurs ne sont jamais éclairés par les inférieurs sur les choses divines. Or il est manifeste que les hommes les plus élevés sont au-dessous des anges, même les plus bas, de la même manière que les anges inférieurs sont au-dessous des anges supérieurs. Cela résulte en effet de ce que dit le Seigneur (Mt 11, 11) : " Parmi les enfants des femmes, il n’en est pas apparu de plus grand que Jean-Baptiste ; mais le moindre de ceux qui sont dans le royaume des cieux est plus grand que lui. " Ainsi donc les anges ne sont jamais éclairés par les hommes au sujet des choses divines. Mais les hommes peuvent manifester aux anges les pensées de leur cœur par mode de langage, puisque Dieu seul connaît les secrets des cœurs.

Solutions :

1. Voici comment S. Augustin explique ce passage de S. Paul. L’Apôtre avait dit d’abord (Ep 3, 8) : "A moi, le moindre de tous les saints, a été confiée cette grâce d’éclairer tous les hommes au sujet de la dispensation du mystère caché depuis des siècles en Dieu." "Caché, écrit S. Augustin mais de telle sorte que la sagesse de Dieu, infinie en ressources, était connue des Principautés et des Puissances dans les cieux, grâce à l’Église." Comme s’il disait : Ce mystère était caché aux hommes, de telle sorte cependant qu’il était connu "depuis des siècles, non avant les siècles, par l’Église céleste qui réside dans les Principautés et les Puissances, parce que l’Église se trouvait primitivement, là où, après la Résurrection, notre Église de la terre, l’Église des hommes, sera rassemblée."

On pourrait dire autrement : "Ce qui est caché n’est pas seulement révélé, en Dieu, aux anges, mais cela leur apparaît aussi ici-bas, quand cela s’accomplit et devient visible à tous", comme S. Augustin l’ajoute dans ce même passage. Et ainsi, tandis que les Apôtres réalisaient les mystères du Christ et de l’Église, certains éléments de ces mystères apparurent aux anges, alors qu’ils leur étaient auparavant cachés. De cette manière on peut comprendre la parole de S. Jérôme : "Quand les Apôtres prêchèrent, les anges connurent certains mystères", parce que, grâce à la prédication des Apôtres, ces mystères s’accomplissaient dans la réalité même ; ainsi, tandis que l’Apôtre Paul prêchait, les nations se convertissaient ; c’est de cela que l’Apôtre parle ici.

2. Les Apôtres étaient instruits immédiatement par le Verbe de Dieu, non selon sa Divinité, mais en tant que son humanité leur parlait. Donc l’objection ne porte pas.

3. Certains hommes sont plus grands que certains anges, même dans l’état de la vie terrestre, non pas en acte, mais en puissance ; en tant qu’ils possèdent une telle force de charité qu’ils pourraient mériter un degré de béatitude supérieur à celui que possèdent certains anges. Comme si nous disions que la semence d’un grand arbre est plus grande en puissance qu’un petit arbre, bien qu’elle soit bien moindre en acte

 

            Article 3 — L’homme peut-il par la puissance de son âme modifier la matière corporelle ?

Objections :

1. Cela paraît possible. S. Grégoire dit en effet : " Les saints accomplissent des miracles tantôt par leurs prières, tantôt par leur puissance ; comme S. Pierre qui ressuscita par sa prière Tabitha morte, mais livra à la mort, par un reproche violent, Ananie et Saphire, qui mentaient. " Or, dans l’accomplissement des miracles se réalise une transformation de la matière corporelle. Les hommes peuvent donc modifier la matière corporelle par la puissance de leur âme.

2. Au sujet du texte de S. Paul aux Galates (3, 1 Vg) : " Qui vous a fascinés au point de vous détourner de la vérité ? " la Glose ordinaire dit que " certains ont des yeux brûlants qui, par leur seul regard, transpercent les autres, surtout les enfants ". Cela ne serait pas possible si la puissance de l’âme n’était pas capable de modifier la matière corporelle. Donc les hommes peuvent, par la puissance de leur âme, modifier la matière corporelle.

3. Le corps humain est plus noble que les autres corps inférieurs. Mais par la simple perception de l’âme humaine, le corps humain peut s’échauffer ou se refroidir, comme on le voit chez les hommes en proie à la colère ou à la peur. Parfois même cette altération va jusqu’à la maladie et à la mort. Donc, à plus forte raison l’âme de l’homme peut-elle, par sa puissance, modifier la matière corporelle.

En sens contraire, S. Augustin dit que " la matière corporelle n’est entièrement soumise qu’à Dieu ".

Réponse :

Comme nous l’avons dit, la matière corporelle n’est modifiée pour recevoir sa forme que par un agent composé de matière et de forme ; ou bien par Dieu lui-même, en qui la matière et la forme préexistent virtuellement, comme dans la cause primordiale de l’une et l’autre. C’est pourquoi nous avons dit au sujet des anges qu’ils ne peuvent pas modifier la matière corporelle par leur puissance naturelle, sauf en utilisant des agents corporels pour produire certains effets. A plus forte raison l’âme est-elle incapable, par sa puissance naturelle, de modifier la matière corporelle, sauf par l’intermédiaire de quelques corps.

Solutions :

1. Quand on dit que les saints opèrent des miracles, c’est par la puissance de la grâce, non par celle de la nature. Cela est mis en évidence par cette parole de S. Grégoire au même endroit : " Quoi d’étonnant à ce que ceux qui ont la puissance de fils de Dieu, selon S. Jean, aient le pouvoir d’accomplir des miracles ? "

2. La cause de cette fascination, selon Avicenne, réside en ce que la matière corporelle est faite pour obéir à la substance spirituelle plutôt qu’aux agents contraires de la nature. C’est pourquoi, quand l’âme a une forte imagination, la matière corporelle change pour s’y conformer. Et il dit que la fascination du regard s’explique ainsi. Mais nous avons montré précédemment que la matière corporelle n’est totalement soumise à aucune autre substance spirituelle qu’au seul Créateur. Il est donc préférable de dire que, par suite d’une forte puissance imaginative de l’âme, les esprits du corps qui lui est uni, sont modifiés. Cette modification s’opère surtout dans les yeux, où parviennent les esprits les plus subtils. Mais les regards infectent l’air jusqu’à une distance déterminée. C’est pour cela que, d’après Aristote x. les miroirs, s’ils sont neufs et purs contractent une certaine impureté sous le regard de la femme qui a ses règles.

Ainsi donc, quand une âme est fortement poussée au mal, comme cela arrive davantage chez les vieilles sorcières, le regard devient venimeux et nuisible, surtout pour les enfants, qui ont un corps délicat et impressionnable. Il est possible aussi que, par la permission de Dieu, ou à la suite d’un événement caché, la malignité des démons, avec qui les vieilles magiciennes ont fait un pacte, y contribue.

3. L’âme s’unit au corps humain comme sa forme, et l’appétit sensitif, qui obéit plus ou moins à la raison, est l’acte d’un organe corporel, nous l’avons dit antérieurement. C’est pourquoi il est forcé qu’une perception de l’âme humaine ébranle l’appétit sensitif et s’accompagne d’un certain mouvement corporel. Mais, pour modifier des corps extérieurs, la perception de l’âme humaine ne suffit pas, à moins qu’elle ne soit accompagnée de quelque modification de son propre corps, comme nous venons de le dire.

 

            Article 4 — L’âme humaine séparée peut-elle imprimer aux corps un mouvement local ?

Objections :

1. Il semble que l’âme humaine séparée puisse mouvoir des corps, au moins localement. En effet, le corps obéit naturellement à la substance spirituelle pour le mouvement local, comme nous l’avons vu. Mais l’âme séparée est une substance spirituelle. Elle peut donc à son commandement mouvoir des corps extérieurs.

2. Dans " l’Itinéraire de Clément ", il est dit, dans un récit de Nicétas à S. Pierre, que Simon le Magicien retenait dans son corps, par des opérations magiques, l’âme d’un enfant qu’il avait tué, et par laquelle il accomplissait des œuvres magiques. Mais cela ne pouvait pas se réaliser sans quelque transformation des corps, au moins localement. L’âme séparée du corps a donc le pouvoir de mouvoir localement les corps.

En sens contraire, Aristote dit que " l’âme ne peut mouvoir aucun corps en dehors du sien propre ".

Réponse :

L’âme séparée ne peut, par sa puissance naturelle, mouvoir un corps. Évidemment, quand l’âme est unie au corps, elle ne peut le mouvoir que s’il est vivifié. C’est pourquoi, si un membre du corps meurt, il n’obéit plus à l’âme pour le mouvement local. Or, il est évident qu’aucun corps n’est vivifié par une âme séparée. Aussi aucun corps ne lui obéit-il pour le mouvement local par la puissance de sa nature ; seule la vertu divine peut lui conférer un pouvoir supérieur.

Solutions :

1. Il y a des substances spirituelles dont les pouvoirs ne sont pas limités à certains corps ; tels les anges, qui sont, par nature, démunis de corps. C’est pourquoi divers corps peuvent leur obéir quant au mouvement. Si pourtant la puissance motrice de quelque substance séparée est naturellement ordonnée à mouvoir tel corps, cette substance ne pourra pas en mouvoir un plus grand, mais seulement un moindre ; c’est ainsi que, selon les philosophes, le moteur du ciel inférieur ne pourrait pas mouvoir le ciel supérieur. Aussi, puisque l’âme, par sa nature, est déterminée à mouvoir le corps dont elle est la forme, elle ne peut mouvoir aucun autre corps par sa puissance naturelle.

2. Comme disent S. Augustin et S. Jean Chrysostome,. les démons se firent souvent passer pour les âmes des morts afin de confirmer l’erreur des païens qui avaient cette croyance. C’est pourquoi on peut croire que Simon le Magicien était trompé par quelque démon qui se faisait passer pour l’âme de l’enfant tué par lui.

Nous devons maintenant étudier comment l’homme provient de l’homme (Q. 118). Et d’abord quant à l’âme ; ensuite quant au corps (Q. 119).

 

 

 

QUESTION 118 — D’OÙ PROVIENT L’ÂME DE L’HOMME ?

1. L’âme sensitive est-elle transmise avec la semence ? - 2. Et l’âme intellective ? - 3.Toutes les âmes ont-elles été créées ensemble ?

            Article 1 — L’âme sensitive est-elle transmise avec la semence ?

Objections :

1. Il semble que l’âme sensitive ne soit pas transmise avec la semence, mais qu’elle vienne de Dieu par création. En effet, toute substance parfaite qui n’est pas composée de matière et de forme, si elle commence à exister ce n’est pas par génération, mais par création. Or, l’âme sensitive est une substance parfaite, sinon elle ne pourrait pas mouvoir le corps ; elle n’est pas composée de matière et de forme, puisqu’elle est la forme du corps. Donc, elle ne commence pas d’exister par génération, mais par création.

2. Le principe de la génération dans les êtres vivants est la puissance génératrice, qui, lorsqu’on la classe parmi les puissances de l’âme végétale, est inférieure à l’âme sensitive. Elle ne produit rien au-delà de son espèce. Donc l’âme sensitive ne peut pas être produite par la puissance génératrice de l’animal.

3. Tout être qui engendre, engendre un être semblable à lui. Il faut donc que l’être engendré soit en acte dans ce qui est la cause de sa génération. Mais l’âme sensitive n’est pas en acte dans la semence, ni elle-même, ni une partie d’elle-même, car chaque partie de l’âme sensitive est dans une partie déterminée du corps. Or, dans la semence il n’y a pas une parcelle du corps, parce qu’il n’y a pas de parcelle du corps qui ne provienne de la semence et de sa puissance.

4. Si dans la semence se trouve quelque principe actif de l’âme sensitive, ou bien ce principe demeure quand l’animal est engendré, ou bien il disparaît. Mais il ne peut pas demeurer. Car, ou bien il serait la même chose que l’âme sensitive de l’animal engendré, et cela est impossible, puisqu’alors l’engendrant et l’engendré seraient une même chose, comme aussi celui qui fait et ce qui est fait. Ou bien ce principe serait autre chose que l’âme sensitive. Mais cela aussi est impossible, car nous avons vu plus haut a que dans un même animal il ne peut y avoir qu’un seul principe formel, qui est l’âme unique. Si ce principe disparaît, nous rencontrons une autre impossibilité, car dans ce cas un agent agirait pour sa propre destruction, ce qui est impossible. L’âme sensitive ne peut donc pas être engendrée par la semence.

En sens contraire, la puissance de la semence se comporte à l’égard des animaux engendrés par elle comme la puissance qui existe dans les éléments du monde se comporte à l’égard des animaux produits par ces éléments, comme par exemple les êtres vivants engendrés par la putréfaction. Mais dans ces animaux les âmes sont produites par une puissance qui réside dans ces éléments, selon la Genèse (1, 20) : " Que les eaux produisent un foisonnement d’âmes vivantes. " Donc, les âmes des animaux engendrés par la semence proviennent d’une puissance qui est dans la semence.

Réponse :

Certains ont affirmé que les âmes sensitives des animaux étaient créées par Dieu. Cette opinion serait soutenable si l’âme sensitive était une réalité subsistante, possédant par elle-même son existence et son action. Car ainsi, de même qu’elle posséderait par elle-même son existence et son action, c’est également à elle-même que devrait se terminer son devenir. Et comme une chose simple et subsistante ne peut devenir que par création, il s’ensuivrait que l’âme sensitive arriverait à l’existence par voie de création. Mais cette prémisse est fausse, d’après ce que nous avons vu, car alors elle ne serait pas détruite lorsque le corps est détruit. C’est pourquoi, n’étant pas une forme subsistante, elle se comporte à l’égard de l’existence comme les autres formes corporelles auxquelles l’être n’appartient qu’en tant qu’un composé existe par elles. Aussi est-ce à ces composés eux-mêmes qu’il appartient de devenir. Et puisque celui qui engendre est semblable à l’engendré, il est nécessaire que, naturellement, l’âme sensitive et aussi les autres formes du même genre soient amenées à l’existence par des agents corporels qui font passer la matière de la puissance à l’acte par une puissance corporelle qui est en eux.

Plus un agent est puissant, plus il peut étendre à distance son action. C’est ainsi que plus un corps est chaud, plus il peut chauffer loin. Les corps non vivants, qui sont inférieurs dans l’ordre de la nature, produisent par eux-mêmes sans intermédiaire, un être semblable à eux. C’est par lui-même que le feu engendre le feu. Mais les corps vivants, parce que plus puissants, peuvent engendrer un semblable à eux, soit sans intermédiaire, soit par intermédiaire. Ils le font sans intermédiaire dans la fonction de la nutrition, par laquelle la chair engendre de la chair ; ils le font avec intermédiaire dans l’acte de la génération, car une certaine puissance active dérive de l’âme du générateur dans la semence de l’animal ou de la plante, de même qu’une certaine force motrice dérive de l’agent principal dans l’instrument. Et de même qu’on peut dire indifféremment que quelque chose est mû par un instrument ou par l’agent principal, ainsi peut-on dire indifféremment que l’âme de l’engendré vient de celle du générateur, ou qu’elle vient d’une puissance dérivée d’elle, qui est dans la semence.

Solutions :

1. L’âme sensitive n’est pas une substance parfaite subsistant par elle-même. Nous n’avons pas à répéter ici ce que nous avons dit précédemment.

2. La puissance génératrice n’engendre pas seulement par sa vertu propre, mais par celle de toute l’âme dont elle est une puissance. C’est pourquoi la puissance génératrice de la plante engendre une plante, tandis que celle de l’animal engendre un animal. Car plus l’âme est parfaite, plus sa puissance génératrice est ordonnée à un effet parfait.

3. La vertu active qui est dans la semence, dérivée de l’âme même du générateur, est une sorte de motion de l’âme même du générateur. Elle n’est ni l’âme, ni une partie de l’âme, sinon virtuellement ; de même que la scie ou la hache n’est pas la forme du lit, mais seulement l’instrument d’une motion ordonnée à cette forme. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que cette forme active ait un organe en acte, mais elle est incluse dans l’esprit même qui se trouve dans la semence, qui est spumeuse, comme le manifeste sa blancheur. Et dans cet esprit il y a une chaleur qui provient de la puissance des corps célestes, puissance par laquelle les agents inférieurs visent à reproduire leur espèce, comme nous l’avons dit. Et puisque dans cet esprit la puissance de l’âme collabore avec celle du corps céleste, on dite que " ce qui engendre l’homme, c’est l’homme, et le soleil ". Mais la chaleur élémentaire joue le rôle d’instrument par rapport à l’âme, comme le dit Aristote pour la puissance nutritive.

4. Chez les animaux parfaits, qui sont engendrés par suite de l’union charnelle, la puissance active est dans la semence du mâle, selon Aristote, mais la matière du fœtus est procurée par la femelle. Dans cette matière il y a dès le début une âme végétative, non pas en acte second, mais en acte premier, de même que l’âme sensitive chez ceux qui dorment. Mais quand cette âme commence à se nourrir, alors elle opère en acte. Cette matière fournie par la femelle est transformée par la vertu qui est dans la semence du mâle, jusqu’à ce qu’elle parvienne à être en acte l’âme sensitive ; non pas en ce sens que la force même qui était dans la semence deviendrait l’âme sensitive, car alors le générateur et l’engendré seraient une même chose, et ainsi nous nous trouverions plutôt devant un cas de nutrition et de croissance que devant celui de la génération, dit Aristote h. Mais quand, par la vertu du principe actif qui était dans la semence, une âme sensitive a été produite dans l’engendré jusqu’à un certain stade de développement, alors cette âme sensitive de l’enfant commence à réaliser l’achèvement de son propre corps par la nutrition et la croissance. Alors, la vertu active qui était dans la semence cesse d’exister, celle-ci étant détruite, ainsi que l’esprit qui s’y trouvait contenu. Et cela n’est pas anormal, car cette vertu n’est pas l’agent principal, mais seulement l’instrument : le mouvement de l’instrument s’arrête lorsque l’effet est venu à Inexistence.

            Article 2 — L’âme intellective est-elle transmise avec la semence ?

Objections :

1. Il semble que oui. La Genèse (46, 26) dit en effet : " Toutes les âmes issues de Jacob, au nombre de soixante-six... " Mais rien n’est issu d’un homme sinon comme un effet de la semence. L’âme intellective est donc causée par la semence.

2. Comme on l’a montré, dans l’homme il n’y a qu’une seule et même âme substantielle : intellective, sensitive et nutritive. Mais l’âme sensitive est engendrée chez l’homme par la semence, comme chez les autres animaux ; c’est pourquoi Aristote dit que " l’homme et l’animal ne se forment pas en même temps, mais d’abord se forme l’animal ayant une âme sensitive ". Donc, l’âme intellective est causée elle aussi par la semence.

3. Il n’y a qu’un seul et même agent dont l’action s’achève dans la forme et la matière ; sinon, de la forme et de la matière ne résulterait pas un seul être. Mais l’âme intellective est la forme du corps humain, qui est produite par la puissance de la semence. Donc cette âme elle-même est causée par la puissance de la semence.

4. L’homme engendre un être semblable à lui-même selon l’espèce. Mais l’espèce humaine est constituée par l’âme raisonnable. Celle-ci vient donc de l’homme qui engendre.

5. Il est choquant de dire que Dieu coopère avec les pécheurs. Mais, si les âmes rationnelles étaient créées par Dieu, celui-ci coopérerait parfois avec les adultères, puisqu’il arrive qu’un enfant naisse de leur union illicite. Les âmes rationnelles ne sont donc pas créées par Dieu.

En sens contraire, on lit dans le livre des Dogmes Ecclésiastiques que " les âmes rationnelles ne sont pas semées par l’union charnelle ".

Réponse :

Il n’est pas possible que la puissance active qui est dans la matière étende son action jusqu’à produire un effet immatériel. Or il est manifeste que la puissance intellectuelle de l’homme est un principe qui transcende la matière ; car elle a des activités auxquelles le corps ne coopère pas. Il est donc impossible que la puissance qui est dans la semence produise un principe intellectuel. En outre, la puissance qui est dans la semence agit en vertu de l’âme du père selon que l’âme du père est l’acte du corps, et qu’elle emploie le corps lui-même pour atteindre son effet. Mais dans son opération propre l’intelligence ne communique pas avec le corps. La puissance du principe intellectuel, en tant que tel, ne peut donc se transmettre à la semence. C’est pourquoi Aristote dit : " Il reste que l’intelligence seule vient d’ailleurs. " De même, l’âme intellectuelle, puisqu’elle exerce une opération vitale sans le corps, est subsistante, nous l’avons vu antérieurement ; et c’est elle qui est proprement le sujet de l’être et du devenir. Et puisqu’elle est une substance immatérielle, elle ne peut être produite par la génération, mais seulement par création divine. Affirmer que l’âme intellectuelle est causée par celui qui engendre, ce serait affirmer qu’elle n’est pas subsistante, et par conséquent qu’elle se corrompt avec le corps. Il est donc hérétique de dire que l’âme intellectuelle est transmise avec la semence.

Solutions :

1. Dans ce texte, on désigne, par synecdoque, la partie pour le tout, c’est-à-dire l’âme pour l’homme tout entier.

2. Certains disent que les opérations vitales qui se manifestent dans l’embryon ne proviennent pas de son âme, mais de celle de la mère, ou d’une puissance formatrice qui résiderait dans la semence. Ces deux hypothèses sont fausses. Car les opérations vitales : sentir, se nourrir, croître ne peuvent pas provenir d’un principe extérieur. C’est pourquoi il faut dire que l’âme préexiste dans l’embryon ; elle y est d’abord nutritive, puis sensitive, et enfin intellective. Certains disent qu’à l’âme végétative qui se trouvait d’abord dans l’embryon viendrait s’ajouter une autre âme, qui est sensitive puis une autre encore qui est l’âme intellective. Et ainsi il y aurait dans l’homme trois âmes dont l’une serait en puissance par rapport à l’autre. Nous avons repoussé précédemment cette thèse.

C’est pourquoi d’autres disent que cette même âme qui fut d’abord végétative, sera ensuite amenée, par l’action de la vertu de la semence, jusqu’à devenir elle-même sensitive, et ensuite à devenir intellective, non plus par la vertu active de la semence, mais grâce à la vertu d’un agent supérieur, Dieu, qui l’éclairera du dehors. C’est pourquoi Aristote dito que l’intelligence vient du dehors. Mais cela ne tient pas : 1° parce qu’une forme substantielle ne peut comporter de plus ou de moins : l’addition d’une plus grande perfection crée une autre espèce, de même que l’addition d’une unité change l’espèce dans les nombres. Et il n’est pas possible qu’une seule et même forme appartienne à des espèces différentes. 2° parce qu’il s’ensuivrait que la génération de l’animal serait un mouvement continu passant peu à peu de l’imparfait au parfait, comme cela arrive dans une altération. 3° parce qu’il en résulterait que la génération de l’homme ou de l’animal ne serait pas une génération proprement dite, puisque son sujet serait un être déjà en acte. En effet si, dès le début, dans la matière du fœtus il y avait une âme végétale, qui peu à peu parviendrait jusqu’à l’homme parfait, il y aurait toujours addition d’une perfection sans la destruction de la perfection précédente. Cela est contraire à la notion de génération proprement dite. 4° ou bien ce qui est produit par l’action de Dieu est quelque chose de subsistant (et alors il doit différer par son essence de la forme précédente, qui n’était pas subsistante, et nous revenons alors à l’opinion de ceux qui reconnaissent plusieurs âmes dans le corps), ou bien ce n’est pas quelque chose de subsistant, mais seulement une perfection ajoutée à l’âme précédente, et alors il s’ensuit nécessairement que l’âme intellectuelle est détruite quand le corps est détruit ; ce qui est impossible.

Selon d’autres opinions, il n’y a qu’un seul intellect pour tous, ce que nous avons déjà réfuté.

C’est pourquoi il faut dire ceci : puisque la génération d’un être cause toujours la destruction d’un autre être, il est nécessaire de dire que, aussi bien chez l’homme que chez les autres animaux, quand une forme plus parfaite est produite, la précédente disparaît. Cependant, la forme nouvelle possède tout ce que contenait la précédente, et quelque chose de plus. Ainsi, par plusieurs générations et destructions successives, on parvient à la dernière forme substantielle, chez l’homme comme chez les autres animaux. Et cela se révèle à nos sens dans le cas des animaux engendrés par la putréfaction. On doit donc dire que l’âme intellective est créée par Dieu au terme de la génération humaine, et qu’elle est à la fois sensitive et nutritive, les formes précédentes ayant disparu.

3. Cet argument vaut pour des agents divers qui ne sont pas ordonnés l’un à l’autre. Mais s’il y a une série d’agents ordonnés l’un à l’autre, rien n’empêche que la puissance de l’agent supérieur atteigne jusqu’à la forme ultime, tandis que les puissances des agents inférieurs parviennent seulement à une certaine disposition de la matière. Ainsi, dans la génération de l’animal, la semence, par sa vertu propre, dispose la matière, tandis que l’âme, par la sienne, donne la forme. Il ressort manifestement de ce que nous avons vu, que toute la nature corporelle agit en tant qu’instrument de la puissance spirituelle, et surtout de Dieu. C’est pourquoi rien ne s’oppose à ce que la formation du corps provienne d’une puissance corporelle, tandis que l’âme intellectuelle vient de Dieu seul.

4. L’homme engendre un semblable à lui-même en tant que, par la vertu de sa semence, la matière est disposée à recevoir telle forme.

5. Dans l’action des adultères, ce qui est conforme à la nature est bon, et Dieu y coopère. Ce qui est mauvais, c’est la volupté désordonnée, à quoi Dieu ne coopère pas.

 

            Article 3 — Toutes les âmes ont-elles été créées ensemble ?

Objections :

1. La Genèse dit (2, 2) : " Dieu cessa de travailler à toute l’œuvre qu’il avait accomplie. " Ce ne serait pas vrai si Dieu créait chaque jour de nouvelles âmes. Toutes les âmes furent donc créées ensemble.

2. Ce sont les substances spirituelles qui concourent le plus à la perfection de l’univers. Si les âmes étaient créées en même temps que les corps, d’innombrables substances spirituelles s’ajouteraient chaque jour à la perfection de l’univers, et celui-ci au début aurait été imparfait, ce qui est contraire à la Genèse : " Dieu acheva toute son œuvre. "

3. La fin d’une chose correspond à son commencement. Or l’âme intellectuelle demeure après la destruction du corps. Elle a donc commencé avant lui.

En sens contraire, on lit dans le livre des Dogmes Ecclésiastiques : " L’âme est créée en même temps que le corps. "

Réponse :

Certains, ont affirmé qu’il est accidentel pour l’âme intellectuelle d’être unie au corps, estimant qu’elle est dans la même condition que les substances spirituelles qui ne sont pas unies à un corps. Ils disent donc que les âmes des hommes furent créées dès le début avec les anges. Mais cette opinion est fausse. Premièrement, dans sa base même. En effet, s’il était seulement accidentel pour l’âme d’être unie au corps, il s’ensuivrait que l’homme constitué par cette union serait un être par accident, ou que l’âme serait l’homme ; ce qui est faux, comme nous l’avons montré’. De plus, que l’âme humaine ne soit pas de la même nature que celle des anges, cela ressort de leur manière différente de connaître telle que nous l’avons exposéeu ; car l’homme reçoit des sens sa connaissance, et en se tournant vers les images, nous l’avons montré. Son âme a donc besoin d’être unie au corps pour les opérations des sens, et on ne peut en dire autant des anges.

Secondement, la fausseté de cette opinion résulte encore de son énoncé lui-même. S’il est naturel pour l’âme d’être unie au corps, être sans corps serait contraire à la nature, et une âme qui existerait sans corps ne posséderait pas la perfection de sa nature. Mais il ne convenait pas que Dieu commence son œuvre par des créatures imparfaites, et par des êtres étrangers à l’ordre de la nature ; il n’a pas produit d’abord un homme sans main et sans pied, qui sont des membres naturels à l’homme. À plus forte raison n’a-t-il pas produit une âme sans corps.

Si quelqu’un affirme qu’il n’est pas naturel pour l’âme d’être unie au corps, il faut rechercher alors pour quel motif elle lui serait unie. Elle le serait soit en vertu d’un acte de sa volonté, soit par l’effet d’une autre cause. Si c’est à la suite de son vouloir, cela ne semble pas cohérent. 1° parce que ce vouloir serait déraisonnable : si l’âme n’a pas besoin du corps, pourquoi voudrait-elle lui être unie ? Car si elle en avait besoin, c’est qu’il lui serait naturel de lui être unie, puisque la nature ne prive jamais un être du nécessaire. 2° parce qu’on ne voit aucun motif pour lequel les âmes créées depuis le commencement du monde attendraient si longtemps avant d’être unies maintenant à un corps. Car la substance spirituelle est au-dessus du temps, parce qu’elle échappe aux révolutions des astres. 3° parce qu’il semblerait que telle âme est unie à tel corps par le fait du hasard, puisqu’il faudrait pour cela le concours de deux volontés, c’est-à-dire de l’âme qui descend dans le corps, et de l’homme qui engendre. Mais, si c’est sans le vouloir qu’ere est unie au corps, et en dehors de sa nature, c’est que cela lui est imposé par une cause qui lui fait violence, et alors, c’est pour elle une chose pénible et triste. Cela rejoint l’erreur d’Origène, pour qui les âmes ont un corps en châtiment du péché. Comme tout cela est inadmissible., il faut absolument reconnaître que les âmes ne sont pas créées avant les corps, mais qu’elles sont créées au moment où elles sont infusées dans les corps.

Solutions :

1. On dit que Dieu a cessé son œuvre le septième jour, non en ce sens qu’il a cessé toute activité, puisque notre Seigneur dit (Jn 5, 17) : " Mon Père travaille jusqu’à présent ", mais en ce sens qu’il a cessé de fonder de nouveaux genres ou de nouvelles espèces de choses qui ne seraient pas préexistantes de quelque manière dans ses premières œuvres. Ainsi les âmes qui sont créées maintenant ont préexisté selon leur modèle spécifique dans les premières œuvres parmi lesquelles l’âme d’Adam fut créée.

2. La perfection de l’univers peut croître chaque jour par l’augmentation du nombre des individus, mais non quant à l’augmentation du nombre des espèces.

3. Le fait que l’âme subsiste sans son corps résulte de la destruction des corps, qui est la suite du péché. Il ne convient donc pas que Dieu commence par là son œuvre. En effet, comme dit la Sagesse (1, 13.16) : " Dieu n’a pas fait la mort, ce sont les impies qui l’ont introduite par les œuvres de leurs mains et leurs paroles. "

 

 

QUESTION 119 — LA PROPAGATION CORPORELLE DE L’HOMME

1. Une partie des aliments se transforme-t-elle en la réalité de la nature humaine ? - 2. La semence, principe de la génération humaine, provient-elle du superflu de la nourriture ?

            Article 1 — Une part des aliments se transforme-t-elle en la réalité de la nature humaine ?

Objections :

1. Il semble que rien de ce qui compose les aliments ne se convertisse dans la réalité de la nature humaine. Car on lit dans S. Matthieu (1 5, 17) : " Tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre pour être éliminé. " Ce qui est éliminé ainsi ne passe pas dans la réalité de la nature humaine. Donc, rien des aliments ne pénètre dans la réalité de la nature humaine.

2. Aristote distingue notre chair selon l’espèce et notre chair selon la matière, et dit que la chair, considérée comme matière, arrive, puis s’en va. Or, ce qui est engendré par l’aliment arrive, puis s’en va. Donc ce que devient l’aliment, c’est la chair considérée comme matière et non comme espèce. Mais ce qui appartient à l’espèce de la nature humaine appartient à sa réalité. Donc les aliments ne se transforment pas en cette réalité de notre nature.

3. La réalité de la nature humaine semble inclure l’humidité radicale qui, si elle se perd, ne peut pas être restituée, disent les médecins. Mais cet élément pourrait être restitué si les aliments pouvaient se convertir en lui. L’aliment ne se transforme donc pas en la réalité de la nature humaine.

4. Si l’aliment passait dans la réalité de la nature humaine, tout ce que l’homme perd pourrait être restauré. Mais la mort de l’homme n’arrive que par déperdition. L’homme pourrait donc, en s’alimentant, se préserver perpétuellement de la mort.

5. Si les aliments passaient dans la réalité de la nature humaine, il n’y aurait rien dans l’homme qui ne pourrait y revenir et être réparé. Car ce qui chez l’homme est engendré à partir de l’aliment, peut revenir et être réparé. Donc, si l’homme vivait longtemps, il s’ensuivrait que rien de ce qui existait matériellement en lui au début de son existence n’y resterait finalement. Et ainsi il ne serait plus individuellement le même homme durant toute sa vie, à le considérer matériellement ; car, pour qu’il soit individuellement le même homme, il faut que subsiste son identité matérielle. Mais cela est incompatible. C’est donc que les aliments ne passent pas dans la réalité de la nature humaine.

En sens contraire, S. Augustin affirme : " Les aliments charnels, en perdant leur forme propre, passent dans la constitution de nos membres. " Mais la formation des membres appartient à la réalité de la nature humaine. Donc, les aliments pénètrent dans la réalité de cette nature.

Réponse :

Selon Aristote " le rapport d’une chose à sa vérité est le même que son rapport à son être. " Appartient donc à la vérité de la nature d’un être ce qui fait partie de sa constitution même. Mais la nature peut être envisagée de deux manières : en tant qu’elle est commune à tous les sujets de l’espèce, ou en tant qu’elle est réalisée dans tel individu. À la vérité d’une nature considérée en commun, appartiennent la forme et la matière prises en général. Mais à la vérité de la nature considérée dans tel sujet particulier appartient telle matière, marquée individuellement, et telle forme individuée par telle matière. Ainsi l’âme humaine et le corps appartiennent en commun à la vérité de la nature humaine ; mais telle âme et tel corps appartiennent à la réalité de la nature humaine considérée chez Pierre ou Martin.

Or, il y a des êtres dont les formes ne peuvent se maintenir que dans une matière déterminée ; ainsi la forme du soleil ne peut se maintenir que dans la matière qui est contenue en acte par cette forme. En ce sens certains affirment que la forme de l’homme ne peut se maintenir que dans une certaine matière déterminée, celle qui à l’origine fut revêtue de telle forme dans le premier homme. De la sorte, tout ce qui en dehors de cela aurait été ajouté ensuite à ce qui a été transmis par le premier père à ses descendants, n’appartiendrait pas à la réalité de la nature humaine, et pour ainsi dire ne recevrait pas véritablement la forme de la nature humaine. C’est la matière qui, dans le premier homme, a reçu la forme humaine qui se multiplierait ensuite sous cette forme, et de cette façon, la multitude des corps humains dériverait du corps du premier homme. Selon ces penseurs, les aliments ne seraient pas transformés en la réalité de la nature humaine ; ils disent que les aliments sont absorbés à la manière d’un combustible de notre nature, c’est-à-dire pour qu’elle résiste à l’action de la chaleur naturelle, afin que celle-ci ne consume pas notre humidité radicale ; de même qu’on ajoute du plomb ou de l’étain à l’argent, pour éviter que celui-ci soit consumé par le feu.

Mais cette position est déraisonnable à plusieurs points de vue.

1. Parce que c’est une seule et même chose pour une forme de pouvoir se réaliser dans une autre matière, et quitter sa matière propre. C’est pourquoi tout ce qui peut être engendré est corruptible, et vice versa. Or il est manifeste que la forme humaine peut quitter la matière qui lui est soumise, sinon le corps humain ne serait pas corruptible. Elle peut donc passer dans une autre matière, si quelque autre chose passe dans la vérité de la nature humaine.

2. Dans tous les êtres où la matière se trouve tout entière dans un seul individu, il n’existe qu’un seul individu de cette espèce, comme nous le constatons avec le soleil et la lune et autres choses du même genre. Il n’y aurait alors qu’un seul individu de l’espèce humaine.

3. Parce qu’il n’est pas possible que la multiplication de la matière se produise autrement : ou bien selon la quantité, comme cela arrive dans les êtres susceptibles de raréfaction, dont la matière prend de plus grandes dimensions quand la densité diminue ; ou bien selon la substance de la matière. Mais si la même substance de la matière demeure seule, on ne peut pas dire qu’elle est multipliée ; car le même, considéré en soi, ne peut pas constituer une multitude, puisque toute multitude comporte nécessairement une division. Il est donc nécessaire qu’une nouvelle substance de la matière survienne, ou bien par création, ou bien par conversion d’autre chose en elle-même.

Il reste donc qu’une matière ne peut pas se multiplier sauf par raréfaction, comme quand l’eau devient vapeur, ou par addition d’autre chose, comme le feu se multiplie quand on ajoute des bûches, ou enfin par création de matière. Mais il est manifeste que la multiplication de la matière dans les corps humains ne se réalise pas par raréfaction, car alors les corps des hommes d’âge mûr seraient plus imparfaits que ceux des enfants. Ni non plus par création de matière nouvelle, car, selon S. Grégoire, " toutes choses ont été créées en même temps, quant à la substance de la matière de ces choses, mais non selon l’espèce de leur forme ". Il n’y a donc pas d’autre solution : la multiplication des corps humains ne s’opère pas autrement que par la conversion des aliments en la réalité du corps humain.

4. L’opinion citée plus haut n’est pas raisonnable parce que, l’homme ne différant pas des animaux et des plantes selon son âme végétative, il en résulterait que même les corps des animaux et des plantes ne se multiplieraient pas par transformation des aliments au corps qu’ils nourrissent, mais par une certaine multiplication. Celle-ci ne pourrait pas être naturelle, puisque la matière, selon la nature, ne s’étend pas au-delà d’une certaine quantité, et que, de plus, on ne voit pas comment une chose peut croître naturellement sinon par raréfaction, ou par transformation en elle-même de quelque chose d’autre. Ainsi, toute l’action de la puissance génératrice et nutritive, qui sont des facultés naturelles, serait miraculeuse, ce qui est tout à fait inadmissible.

Aussi d’autres penseurs disent-ils que la forme humaine peut se réaliser à nouveau dans une autre matière, si l’on considère la nature humaine en général ; mais non si on la considère dans tel individu chez qui la forme humaine demeure attachée à telle matière déterminée, dans laquelle elle a été introduite d’abord par la génération de cet individu ; de telle sorte qu’elle n’abandonnera jamais cette matière jusqu’à la corruption finale de cet individu. Et ils affinent que cette matière originelle appartient à titre de principe à la vérité de la nature humaine. Mais, puisque cette matière ne suffit pas pour la quantité voulue, il est requis qu’une autre matière s’y ajoute par la transformation de l’aliment en la substance de celui qui l’absorbe, autant qu’il en faut pour l’augmentation nécessaire. Et ils disent que cette matière appartient secondairement à la réalité de la nature humaine, parce qu’elle n’est pas requise pour l’existence première de l’individu, mais seulement pour sa quantité. De sorte que, si quelque autre chose s’ajoute, provenant des aliments, cela n’appartient pas à proprement parler, à la vérité de la nature humaine.

Cette opinion aussi est à rejeter : 1° parce qu’elle juge la matière des corps vivants comme celle des corps inanimés ; dans ceux-ci, bien qu’il y ait un pouvoir de produire un être semblable à soi-même spécifiquement, il n’y a pourtant pas de puissance capable de produire quelque chose de semblable à soi-même individuellement. Or, cette puissance se trouve dans les corps vivants ; c’est la puissance nutritive. Rien ne s’ajouterait aux corps vivants par la puissance nutritive, si les aliments n’étaient pas transformés en la vérité de leur nature. 2° parce que la vertu active qui est dans la semence est une sorte d’impulsion qui provient de l’âme de l’engendrant, nous l’avons dit récemment. Cette impulsion ne peut pas être plus puissante dans son action que l’âme dont elle émane. Si donc, par la puissance de la semence, une matière peut recevoir la forme de la nature humaine, à bien plus forte raison l’âme pourra, par la puissance nutritive, imprimer dans l’aliment qui lui est uni la vraie forme de la nature humaine. 3° la nutrition n’est pas indispensable seulement pour la croissance (sinon elle cesserait d’être nécessaire après achèvement de celle-ci), mais aussi pour la restauration de ce que la chaleur naturelle nous fait perdre. Il n’y aurait pas restauration si ce qui est apporté par les aliments ne remplaçait pas ce qui se perd. C’est pourquoi, de même que ce qui existait auparavant faisait partie de la vérité de la nature humaine, ainsi, ce qui provient de la nourriture.

C’est pourquoi, selon d’autres auteurs, on doit dire que les aliments se transforment véritablement en la vérité de la nature humaine en tant qu’ils reçoivent vraiment la nature de la chair et des os et des autres parties du corps. C’est ce qu’affirme Aristote : " L’aliment nourrit en tant qu’il est de la chair en puissance. "

Solutions . 1. Le Seigneur ne dit pas que tout ce qui pénètre dans la bouche est nécessairement évacué, mais il est nécessaire que, dans tout aliment, ce qui est impur soit évacué. On pourrait dire ainsi que tout ce qui est engendré par les aliments peut être dissous par la chaleur naturelle, puis éliminé par des circuits cachés, selon le commentaire de S. Jérôme sur S. Matthieu.

2. Certains ont compris que " la chair selon l’espèce " est ce qui reçoit en premier l’espèce humaine, qui vient de l’engendrant ; et ils disent qu’elle dure toujours, tant que l’individu existe. Quant à " la chair selon la matière " c’est, disent-ils, la chair engendrée par l’aliment ; et ils ajoutent que celle-là ne demeure pas toujours, mais qu’elle s’en va comme elle est venue. Mais ceci est contraire à la pensée d’Aristote. Il dit en effet, au même endroit : " De même que dans tout être ayant une espèce qui se réalise dans la matière, comme le bois et la pierre, ainsi dans la chair une chose est selon l’espèce et l’autre selon la matière. " Mais il est manifeste que cette distinction n’a pas sa place chez les êtres inanimés, qui ne sont pas engendrés par la semence, et ne s’alimentent pas. En outre, puisque ce qui est engendré par l’aliment s’ajoute au corps qui s’en nourrit à la manière d’un mélange, comme l’eau se mêle au vin, selon l’exemple donné à cet endroit par Aristote, il ne peut plus y avoir de différence de nature entre ce qui est absorbé et ce qui absorbe, puisque, par un vrai mélange, il n’y a plus désormais qu’un seul être. Il n’y a donc aucun motif pour que l’un soit consumé par la chaleur naturelle, tandis que l’autre demeurerait. C’est pourquoi on doit dire que cette distinction d’Aristote ne porte pas sur des chairs diverses, mais sur la même chair considérée de diverses manières. En effet, si nous considérons la chair selon son espèce, c’est-à-dire selon ce qui est formel en elle, alors elle demeure toujours, puisque la nature de la chair et sa disposition naturelle subsistent. Mais si nous considérons la chair selon sa matière, alors elle ne demeure pas, mais peu à peu elle se consume et elle est restaurée ; comme nous le constatons dans le feu du foyer, dont la forme demeure, tandis que la matière se consume peu à peu et qu’une autre matière la remplace.

3. On considère que tout ce qui fonde la vertu même de l’espèce appartient à l’humidité radicale. Si cet élément disparaît, il ne peut plus être restitué, comme si l’on ampute la main, ou le pied, ou quelque autre membre. Mais l’humidité entretenue par la nourriture est ce qui n’est pas encore parvenu jusqu’à l’acquisition parfaite de la nature de l’espèce, mais s’achemine vers elle, comme le sang et d’autres éléments analogues. Donc, si de tels éléments sont enlevés, la vertu de l’espèce demeure radicalement et n’est pas supprimée.

4. Toute puissance active dans un corps passible s’affaiblit par suite de son action continuelle, puisque de tels agents sont en même temps patients. C’est pourquoi la puissance d’absorption est si forte au début qu’elle peut assimiler, non seulement ce qui suffit à restaurer les pertes, mais encore ce qui contribue à la croissance. Ensuite, elle ne peut plus assimiler que ce qui suffit pour restaurer les pertes, et alors la croissance s’arrête. Puis, elle ne le peut plus, et alors commence la diminution. Enfin, cette puissance disparaissant totalement, l’animal meurt. De même que la puissance du vin pour convertir en lui l’eau qu’on y mélange s’affaiblit peu à peu, et finalement il n’est plus que de l’eau, selon l’exemple que donne Aristote.

5. Comme dit Aristote, quand une matière prend feu d’elle-même, on dit que le feu est engendré à nouveau. Si cette matière est absorbée par le feu qui existe déjà, on dit qu’elle nourrit ce feu. Si toute cette matière perd en même temps cette forme de feu, tandis qu’une autre matière se transforme en feu, on dit qu’il y a numériquement un autre feu. Mais si, peu à peu, tandis qu’une bûche se consume, on lui en substitue une autre, et ainsi de suite jusqu’à ce que les premières bûches se consument totalement, on est toujours en face du même feu numériquement ; car tout ce qu’on ajoute passe dans le premier feu. Il en va de même dans les corps vivants, où la nutrition restaure ce qui est consumé par la chaleur naturelle.

 

            Article 2 — La semence, principe de la génération humaine, provient-elle du superflu de nourriture ?

Objections :

1. Il semble que la semence ne provienne pas du superflu des aliments, mais de la substance de l’engendrant. S. Damascène dit en effet que " la génération est l’œuvre de la nature qui, avec la substance de l’engendrant, produit ce qui est engendré ". Mais ce qui est engendré vient de la semence. Celle-ci est donc issue de la substance du père.

2. Le fils ressemble au père parce qu’il reçoit quelque chose de lui. Mais si la semence par laquelle on est engendré provenait du superflu de nourriture, le fils ne recevrait rien de son grand-père ni des ancêtres précédents en qui cette nourriture ne s’est jamais trouvée. Il ne ressemblerait donc pas plus à son grand-père ni aux autres ancêtres qu’aux autres hommes.

3. La nourriture de l’homme qui engendre provient parfois du bœuf, du porc ou d’autres animaux. Si la semence provenait du superflu de nourriture, l’homme engendré par cette semence aurait davantage d’affinité avec le bœuf et le porc qu’avec son père et ses autres parents.

4. S. Augustin dit que nous existions en Adam " non seulement par une raison séminale, mais même par la substance corporelle ". Cela ne serait pas si la semence provenait du superflu de nourriture. La semence ne provient donc pas de ce superflu.

En sens contraire, Aristote prouve par de multiples arguments que " la semence est le superflu de nourriture ".

Réponse :

Cette question dépend en quelque manière de ce que nous avons exposé déjàn. S’il existe dans la nature humaine une puissance capable de communiquer sa forme à une matière étrangère, non seulement au-dehors, mais aussi en soi-même, il est manifeste que l’aliment qui au début est dissemblable, à la fin devient semblable par la forme qui lui est communiquée. Il est conforme à l’ordre naturel qu’une chose soit réduite graduellement de la puissance à l’acte. C’est pourquoi, dans les êtres engendrés, nous constatons que chacun est d’abord imparfait, puis qu’il se perfectionne. Mais il est clair que l’élément commun se comporte, à l’égard de ce qui est propre et déterminé, comme l’imparfait à l’égard du parfait. C’est pourquoi nous voyons que dans la génération de l’animal il se forme d’abord un animal puis un homme ou un cheval. De même, l’aliment reçoit d’abord une sorte de participation commune à toutes les parties du corps, et finalement il est déterminé pour telle ou telle partie.

Mais il n’est pas possible que ce qui est déjà résolu et transformé en la substance des membres devienne la semence. De deux choses l’une, en effet. Ou bien la semence ainsi produite ne garderait pas la nature de l’être d’où elle proviendrait, et elle s’éloignerait alors de la nature de l’engendrant au point d’être en voie de corruption. Elle n’aurait donc plus le pouvoir de transformer un autre être en une nature semblable. Ou bien elle garderait la nature de l’être d’où elle vient, alors elle serait réduite à cette partie déterminée du corps, et n’aurait plus le pouvoir de produire la nature de tout le corps, mais seulement la nature d’une partie. Mais peut-être, dira-t-on, qu’elle était originaire de toutes les parties du corps, et qu’elle garde donc la nature de toutes ces parties ? Ainsi la semence serait une sorte de petit animal en acte, et la génération de l’animal ne se produirait que par division, comme un morceau de terre vient de la terre, et comme cela se passe pour certains animaux qui, coupés en morceaux, continuent à vivre. Mais cela ne tient pas debout.

Concluons donc que la semence n’est pas détachée de ce qui était le tout en acte, mais qu’elle est plutôt le tout en puissance, ayant le pouvoir de produire tout le corps, pouvoir dérivé de l’âme du père, comme nous l’avons vu précédemment. Ce qui est en puissance à tout l’organisme est ce qui est engendré par l’aliment avant qu’il ne se transforme en la substance des membres. Aussi est-ce de cela que provient la semence. Dans cette ligne, on dit que la puissance nutritive sert à la puissance générative, parce que ce qui a été transformé par la puissance nutritive est pris comme semence par la puissance générative. Et Aristote en donne comme signe que les animaux dont le corps est grand et qui ont donc besoin d’une nourriture abondante n’ont que peu de semence par rapport à la masse de leur corps, et ont peu d’enfants. Et de même que les hommes gros ont peu de semence, pour la même cause.

Solutions :

1. La génération vient de la substance de celui qui engendre, chez les animaux et les plantes, puisque la semence reçoit sa vertu de la forme de celui qui la produit, et est en puissance par rapport à sa substance.

2. La ressemblance du père et du fils n’est pas due à la matière, mais à la forme de l’agent qui engendre un semblable à lui. Il n’est donc pas nécessaire, pour que quelqu’un ressemble à son grand-père, que la matière de la semence se soit trouvée dans le grand-père ; il suffit qu’il y ait dans la semence quelque pouvoir dérivé de l’âme du grand-père à travers le père.

3. La même réponse vaut pour la troisième objection, car l’affinité ne vient pas de la matière, mais d’une influence de la forme.

4. Cette parole de S. Augustin ne doit pas être prise en ce sens qu’en Adam il y aurait eu en acte une raison séminale prochaine de tel homme ou sa substance corporelle. Mais l’une et l’autre étaient en Adam par l’origine. En effet, la matière corporelle qui est fournie par la mère, et que S. Augustin appelle substance corporelle, vient, à l’origine, d’Adam, et semblablement la puissance active qui existe dans la semence du père, et qui est la raison séminale prochaine de tel homme.

Mais pour le Christ, on dit qu’il existait en Adam selon la substance corporelle, non seulement la raison séminale. Parce que la matière de son corps, qui fut fournie par la Vierge Mère, venait bien d’Adam, tandis que la puissance active ne venait pas d’Adam, parce que son corps n’a pas été formé par la vertu de la semence virile, mais par l’opération du Saint-Esprit. Un tel enfantement convenait en effet à celui qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans les siècles. Amen.

 

 

 

 

IA IIAE — LA MORALE GÉNÉRALE

 

 

PROLOGUE

Puisque, selon S. Jean Damascène, l’homme a été créé à l’image de Dieu, ce qui signifie qu’il est doué d’intelligence, de libre arbitre et d’un pouvoir autonome, après avoir traité de l’Exemplaire, qui est Dieu, et des êtres qui ont procédé de sa puissance conformément à sa volonté, il faut maintenant considérer son image, c’est-à-dire l’homme, car lui aussi est le principe de ses propres actes parce qu’il possède le libre arbitre et la maîtrise de ses actes.

Ce que nous avons d’abord à considérer, c’est la fin ultime de la vie humaine. On devra se demander ensuite par quels moyens l’homme parvient à cette fin ou s’en détourne (Q. 6) ; car c’est d’après la fin qu’on doit se faire une idée des moyens qui y conduisent. Et puisqu’on admet que la fin ultime de la vie humaine est la béatitude, nous avons à étudier d’abord la fin ultime en général, puis la béatitude (Q. 2-5).

 

QUESTION 1 — LA FIN ULTIME DE LA VIE HUMAINE

1. Appartient-il à l’homme d’agir pour une fin ? - 2. Cela est-il propre à la nature raisonnable ? - 3. Les actes de l’homme reçoivent-ils leur espèce de leur fin ? - 4. Y a-t-il une fin ultime de la vie humaine ? - 5. Le même homme peut-il avoir plusieurs fins ultimes ? - 6. L’homme ordonne-t-il toutes choses à sa fin ultime ? - 7. La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ? - 8. Toutes les autres créatures se rejoignent-elles dans cette fin ultime ?

 

            Article 1 — Appartient-il à l’homme d’agir pour une fin ?

Objections :

1. Il semble que non ; car la cause précède naturellement son effet. Au contraire la fin répond à l’idée de chose ultime, comme le mot même de “ fin ” l’indique. Donc la fin ne peut pas être considérée comme une cause. Cependant l’homme agit pour ce qui est cause de son action, car cette préposition “ pour ” désigne un rapport de causalité. Donc il n’appartient pas à l’homme d’agir pour une fin.

2. Ce qui est soi-même fin ultime n’est pas en vue d’une fin. Or il est des cas où les actions sont fin ultime, comme on le voit dans l’Éthique d’Aristote. Donc l’homme ne fait pas tout en vue d’une fin.

3. L’homme paraît agir en vue d’une fin quand il délibère. Or il fait beaucoup de choses sans délibération et sans même y songer, comme quelqu’un qui balance le pied ou remue la main en pensant à autre chose, ou qui se frotte la barbe. On ne fait donc pas tout pour une fin.

En sens contraire, tout ce qui est compris dans un genre dérive du principe de ce genre. Or, c’est la fin qui est le principe des actes accomplis par l’homme, comme le montre Aristote. Donc il convient à l’homme de tout faire en vue d’une fin.

Réponse :

Parmi les actions accomplies par l’homme, celles-là seules sont appelées proprement “ humaines ” qui appartiennent en propre à l’homme selon qu’il est homme. Et l’homme diffère des créatures privées de raison en ce qu’il est maître de ses actes. D’où il suit qu’il faut appeler proprement humaines les seules actions dont l’homme est le maître. Mais c’est par sa raison et sa volonté que l’homme est le maître de ses actes, ce qui fait que le libre arbitre est appelé “ une faculté de la volonté et de la raison ”. Il n’y a donc de proprement humaines que les actions qui procèdent d’une volonté délibérée. S’il est d’autres actions qui conviennent à l’homme, on pourra les appeler des actions de l’homme, mais non pas des actions proprement humaines, puisqu’elles ne procèdent pas de l’homme en tant qu’homme. Or, il est manifeste que toute action procédant d’une puissance est produite par cette puissance selon le caractère de son objet et l’objet de la volonté c’est la fin et le bien. Il est donc nécessaire que toutes les actions humaines soient faites pour une fin.

Solutions :

1. Si la fin est dernière dans l’exécution, elle est première dans l’intention de l’agent, et c’est ainsi qu’elle joue le rôle de cause.

2. Si une action humaine est fin ultime, il faut qu’elle soit volontaire, sans quoi elle ne serait pas humaine, ainsi qu’on vient de le dire. Mais une action est dite volontaire de deux façons : ou bien il s’agit d’une action commandée par la volonté, comme marcher ou parler ; ou bien d’une action émise par la volonté, comme le fait même de vouloir. Or il est impossible que l’acte même émis par la volonté soit une fin ultime. En effet, la fin est l’objet même de la volonté de la même manière que la couleur est l’objet de la vue. Or, il est impossible d’attribuer à l’acte même de voir le caractère de première chose visible, car tout acte de ce genre s’adresse d’abord à un objet, à ce qui se voit ; ainsi est-il impossible que le désirable premier, qui est la fin, se confonde avec le vouloir même. Il reste donc que si une action humaine est une fin ultime, il s’agit d’une action commandée par la volonté. Et ainsi, même dans ce cas, il demeure au moins un acte, l’acte de vouloir, qui est en vue d’une fin. Donc, quoi que l’homme fasse, il est vrai de dire qu’il agit pour une même quand il accomplit l’action -qui est sa fin ultime.

3. Ces actions machinales ne sont pas propre ment humaines, car elles ne procèdent pas d’un délibération de la raison, principe propre des acte humains. Ces actes ont une fin si l’on veut, mais une fin en quelque sorte factice, non assignée par la raison.

 

            Article 2 — Agir pour une fin est-il propre à la nature raisonnable ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car l’homme à qui il appartient d’agir pour une fin, n’agit jamais pour une fin qu’il ignore. Mais il y a beaucoup d’êtres qui ne connaissent pas de fin, soit qu’ils manquent tout à fait de connaissance, comme les créatures insensibles, soit que l’idée de fin leur échappe, comme c’est le cas des bêtes. Il semble donc propre à la créature raisonnable d’agir en vue d’une fin.

2. Agir en vue d’une fin, c’est diriger son action vers cette fin, et cela est œuvre de raison, de telle sorte qu’on ne peut l’attribuer aux êtres sans raison.

3. Le bien, la fin, est un objet de volonté, et la volonté est dans la raison, dit Aristote Donc agir en vue d’une fin n’appartient qu’à une créature raisonnable.

En sens contraire, le Philosophe, prouve que “ non seulement l’intellect, mais encore la nature agit en vue d’une fin ”.

Réponse :

Tout ce qui agit doit nécessairement agir pour une fin. En effet, quand les causes sont ordonnées entre elles, si la première disparaît, il est nécessaire que les autres aussi disparaissent. Or la première entre toutes les causes est la cause finale. En voici la raison. La matière ne revêt une forme que dans la mesure où elle est mue par l’agent, car rien ne se réduit de soi-même de la puissance à l’acte. Mais l’agent ne meut à son tour qu’en visant une fin. Car si un agent n’était pas déterminé à quelque effet, il ne réaliserait pas plus ceci que cela ; pour qu’il produise un effet déterminé, il est donc nécessaire qu’il soit lui-même déterminé à quelque chose de fixe qui a raison de fin. Cette détermination, qui chez les natures raisonnables se fait par l’appétit rationnel appelé volonté, se produit chez les autres créatures par une inclination naturelle qu’on appelle un appétit de nature.

Il faut cependant remarquer qu’une chose, dans son action ou son mouvement, tend vers une fin de deux manières : ou bien comme se mouvant soi-même vers la fin, et c’est le cas de l’homme ; ou bien par une impulsion étrangère ; ainsi la flèche va au but grâce à l’archer qui dirige son mouvement vers la fin. Les êtres doués de raison se meuvent eux-mêmes vers la fin parce qu’ils gouvernent leurs actes par le libre arbitre, “ faculté de volonté et de raison ”. Au contraire, les êtres privés de raison tendent à leur fin par leur inclination naturelle, mus ainsi par un autre, non par eux-mêmes puisqu’ils n’ont pas l’idée de fin et qu’ils ne peuvent donc rien diriger vers une fin, mais seulement être dirigés par un autre vers leur fin. En effet, toute la nature sans raison est à l’égard de Dieu dans le rapport d’un instrument à l’agent principal, ainsi que nous l’avons établi antérieurement. Il est donc propre à la nature raisonnable de tendre vers une fin comme agent autonome et comme se portant d’elle-même vers cette fin, tandis qu’il appartient aux êtres sans raison d’être mus et dirigés par autrui vers une fin qu’ils perçoivent comme les animaux, ou qu’ils ne perçoivent pas comme les êtres entièrement démunis de connaissance".

Solutions :

1. Quand l’homme agit de lui-même pour une fin, il connaît cette fin ; mais quand il est mis en action ou dirigé par autrui, comme lorsqu’il agit par ordre ou sous une impulsion étrangère, il n’est pas nécessaire qu’il connaisse la fin. Et c’est le cas des créatures sans raison.

2. Ordonner à une fin appartient à celui qui se dirige lui-même vers une fin. Mais à celui qui est dirigé vers une fin par un autre, il appartient d’être ordonné à la fin. Et ce peut être le cas de la créature sans raison, mais sous la motion d’un agent raisonnable.

3. L’objet de la volonté c’est la fin et le bien sous leur aspect universel. Aussi ne peut-il y avoir de volonté chez les êtres démunis de raison et d’intelligence. Mais il y a en eux un appétit naturel, sensitif, déterminé à un bien particulier. Or, il est manifeste que les causes particulières sont mues par la cause universelle. Ainsi le gouverneur de la cité, qui vise le bien commun, meut par son commandement tous les fonctionnaires spécialisés de la cité. C’est pourquoi il est nécessaire que tous les êtres privés de raison soient mus vers leurs fins particulières par une volonté raisonnable embrassant le bien universel, volonté qui est celle de Dieu.

 

            Article 3 — Les actes humains reçoivent-ils leur espèce de leur fin ?

Objections :

1. Vraisemblablement non. La fin est un principe extrinsèque. Or toute chose prend son espèce d’un principe intrinsèque.

2. Ce qui donne l’espèce doit exister en premier. Or la fin ne vient que la dernière à l’existence.

3. Une même chose ne peut appartenir qu’à une seule espèce. Mais il arrive que le même acte, pris numériquement, soit dirigé vers diverses fins. Ce n’est donc pas la fin qui donne leur espèce aux actes humains.

En sens contraire, on lit dans S. Augustin “ Selon que leur fin est coupable ou louable, nos actions sont coupables ou louables. ”

Réponse :

Chaque chose a son espèce selon l’acte et non selon la puissance ; ce qui fait que les êtres composés de matière et de forme sont constitués dans leur espèce par leur forme propre. Or la même considération doit s’appliquer aux mouvements propres. En effet, dans le mouvement, on peut distinguer d’une certaine manière l’action et la passion, et l’une et l’autre prennent leur espèce de l’acte : l’acte qui est le principe officient s’il s’agit de l’action, et, s’il s’agit de la passion, l’acte qui est le terme de notre mouvement. Ainsi l’échauffement comme action n’est autre chose qu’une certaine motion procédant de la chaleur, et l’échauffement comme passion n’est autre chose qu’un mouvement vers la chaleur ; or c’est la définition qui manifeste l’idée de l’espèce. C’est de ces deux façons, qu’ils soient considérés comme action ou comme passion, que les actes humains reçoivent leur espèce de la fin. Ils peuvent en effet être envisagés sous ce double rapport, du fait que l’homme se meut lui-même et est mû par lui-même. On a dit plus haut que nos actes sont appelés humains selon qu’ils procèdent d’une volonté délibérée ; or l’objet de la volonté est le bien ou la fin ; il est donc manifeste que le principe des actes humains selon qu’ils sont humains, c’est la fin. Elle est également leur terme ; car l’aboutissement de l’acte humain est identique à ce que la volonté se propose comme fin, de même que dans la génération naturelle, la forme de l’engendré est conforme à celle de l’engendrant. Et puisque, selon la remarque de S. Ambroise, “ les mœurs sont à proprement parler chose humaine ”, on doit dire que les actes moraux se caractérisent par leur fin, car actes moraux ou actes humains c’est une seule et même chose.

Solutions :

1. La fin n’est pas entièrement extrinsèque à l’acte, puisqu’elle est d’une part son principe et de l’autre son terme. Et cela même appartient à la notion de l’acte d’avoir, pour ce qui est de l’action, tel principe, et pour ce qui est de la passion, tel terme.

2. La fin est première dans l’ordre d’intention, on l’a déjà dit, et c’est ainsi qu’elle appartient à la volonté. Et c’est de cette façon qu’elle donne son espèce à l’acte humain, ou moral.

3. Un seul et même acte, procédant de l’agent à un même moment, ne peut avoir qu’une seule fin prochaine, qui lui donne son espèce ; mais il peut avoir plusieurs fins éloignées, dont l’une est la fin de l’autre. Cependant, il est possible qu’un acte unique, considéré dans son espèce naturelle, soit dirigé vers diverses fins volontaires ; par exemple le fait de tuer un homme, acte unique selon son espèce naturelle, peut avoir pour fin soit le maintien de la justice, soit la satisfaction de la colère. De ce fait on aura des actes moraux spécifiquement distincts, puisque l’un est vertueux et que l’autre est un crime. C’est que le mouvement ne reçoit pas son espèce de ce qui n’est son terme que par accident, mais de ce qui est son terme par soi. Or les fins morales sont accidentelles aux choses naturelles, et en retour les fins de la nature sont accidentelles à la moralité. Rien ne s’oppose donc à ce que les actes identiques en nature revêtent des espèces morales diverses, et réciproquement.

 

            Article 4 — Y a-t-il une fin ultime de la vie humaine ?

Objections :

1. On peut penser que la vie humaine n’a pas de fin ultime, mais qu’on peut aller à l’infini dans la série des fins. En effet, par son essence même, le bien tend à se répandre, comme l’enseigne Denys. Donc, si ce qui procède du bien est lui-même un bien, ce bien devra répandre un autre bien, et ainsi sans terme. Or tout bien a le caractère d’une fin. Donc on peut procéder à l’infini dans les fins.

2. Ce qui est l’objet de raison peut se multiplier à l’infini ; ainsi les quantités mathématiques peuvent toujours s’augmenter et même les espèces du nombre peuvent croître à l’infini, car un nombre quelconque étant donné, vous pouvez toujours en imaginer un de plus grand. Mais le désir de la fin suit l’appréhension de la raison. Donc il semble que l’on peut, dans les fins, procéder à l’infini.

3. Le bien ou la fin est objet de volonté. Or la volonté peut se retourner indéfiniment sur elle-même ; car je puis vouloir quelque chose, et vouloir le vouloir, et ainsi de suite. Donc dans les fins de la volonté humaine on peut procéder à l’infini, et il n’y a pas de fin ultime de la volonté humaine.

En sens contraire, Aristote écrit : “ Ceux qui admettent l’infini détruisent la nature du bien. ” Or c’est le bien qui a raison de fin. Il est donc contraire à la raison même de fin de procéder à l’infini, et ainsi il est nécessaire de concevoir une seule fin ultime.

Réponse :

A parler de façon absolue, il est impossible, dans la série des fins, de procéder à l’infini, en quelque sens que l’on prenne la série. En effet, dans toute série essentiellement coordonnée, il est inévitable que le premier terme ôté, se trouvent ôtés aussi ceux qui s’y réfèrent. Ainsi Aristote démontre-t-il que “ l’on ne saurait aller à l’infini dans les causes motrices ”, car il n’y aurait plus alors de premier moteur et, ce premier écarté, les autres ne peuvent plus mouvoir, vu qu’ils ne meuvent qu’en étant mus eux-mêmes par ce premier. S’agit-il maintenant des fins, on peut y trouver une double coordination, celle de l’intention et celle de l’exécution, et dans les deux il doit y avoir un terme premier. Car ce qui est premier dans l’ordre de l’intention, c’est ce qui sert en quelque sorte de principe moteur à l’égard de l’appétit, si bien que, ce principe ôté, l’appétit ne serait mû par rien. En exécution, ce qui est principe, c’est ce qui commence l’opération, et ce principe ôté, personne ne commencerait d’agir. Or, le principe premier dans l’ordre de l’intention, c’est la fin ultime, et le principe de l’exécution, c’est le premier des moyens qui conduisent à la fin. Donc sous aucun rapport il n’est possible de procéder à l’infini ; car s’il n’y avait pas de fin dernière, on ne désirerait rien ; aucune action n’arriverait à son terme, et l’intention de l’agent ne pourrait se reposer. Si d’autre part il n’y avait pas de premier terme dans ce qui conduit à la fin, personne ne commencerait d’agir, et le conseil ne pourrait arriver à une conclusion, mais devrait continuer sans fin.

Observons cependant, que là où il n’y a pas de coordination entre les causes prises comme telles mais une simple conjonction par accident, rien n’empêche d’admettre l’infini ; car les cause accidentelles sont indéterminées. Et de cette façon il arrive qu’il y ait infinité accidentelle dans le fins et dans les moyens qui y mènent.

Solutions :

1. Il est de la nature du bien que quelque chose découle de lui ; mais non que lui-même découle de quelque chose. C’est pour quoi, le bien, ayant raison de fin, et le premier bien étant l’ultime fin, la raison mise en avant ne prouve pas l’absence d’une fin ultime ; elle tend à ceci seulement que, la fin première étant supposée, on peut procéder à l’infini en descendant vers les moyens qui procurent cette fin. En effet, il devrait en être ainsi, à ne considérer que la vertu du bien premier qui est infinie. Mais comme la diffusion de ce bien se réalise par l’intelligence, et qu’il appartient à l’intelligence de produire ses effets sous une forme déterminée, une mesure déterminée se fait aussi reconnaître dans l’écoulement des biens à partir du premier bien ; et c’est par lui que tous les autres biens participent de ce pouvoir de diffusion. De la sorte, l’écoulement des biens ne va pas à l’infini ; mais, comme il est écrit (Sg 11, 21) : “ Dieu a tout disposé avec nombre, poids et mesure. ”

2. Là où les conceptions dépendent l’une de l’autre par une coordination essentielle, la raison procède à partir de principes connus par nature, et progresse à partir de là jusqu’à tel ou tel terme. Aussi Aristote prouve-t-il que dans les démonstrations scientifiques on ne peut aller à l’infini ; car dans les démonstrations les idées se coordonnent selon un ordre essentiel à la preuve, et où l’accident n’est pas de mise. Mais là où se produit une liaison accidentelle, rien ne s’oppose à ce que la raison aille sans terme. Ainsi, il est indifférent à une quantité ou à un nombre préexistant, pris comme tels, qu’on y ajoute une quantité ou une unité nouvelle, et c’est pourquoi dans de telles choses la raison peut procéder à l’infini.

3. Quant à cette multiplication des actes par une volonté réfléchissant sur elle-même, elle aussi est accidentelle et sans effet par rapport à l’ordre des fins. Ce qui le montre à l’évidence, c’est qu’à l’égard d’un seul et même acte, la volonté peut indifféremment réfléchir sur elle-même une ou plusieurs fois.

 

            Article 5 — Le même homme peut-il avoir plusieurs fins ultimes ?

Objections :

1. Il semble possible que la volonté d’un seul homme se porte à la fois sur plusieurs objets comme sur ses fins ultimes. S. Augustin dit en effet que certains ont placé la fin ultime de l’homme en quatre choses : “ la volupté, le repos, les biens de la nature et la vertu ”.

2. Les choses qui ne s’opposent pas l’une à l’autre ne s’excluent pas ; or il se trouve autour de nous bien des choses qui ne sont pas opposées entre elles. Donc si l’une est prise pour fin ultime de la volonté, les autres ne sont pas exclues pour autant.

3. Du fait qu’elle met sa fin ultime en quelque chose, la volonté ne perd pas sa libre puissance. Mais avant de mettre sa fin ultime en cela, par exemple le plaisir, elle avait pu la mettre en autre chose, par exemple les richesses. Donc, même après avoir mis sa fin ultime dans le plaisir, elle peut en même temps mettre sa fin ultime dans les richesses. Donc il est possible que la volonté d’un seul homme se porte simultanément sur des objets divers, pris pour fins ultimes.

En sens contraire, l’objet en lequel un homme se repose comme dans sa fin ultime domine ses affections, car il en reçoit des règles pour toute sa vie. C’est pourquoi il est dit de ceux qui s’adonnent à la gourmandise : “ Ils se font un Dieu de leur ventre ” (Ph 3, 19) parce que dans les délices de ce genre ils mettent leur fin dernière. Or Jésus nous dit (Mt 6, 24) : “ Nul ne peut servir deux maîtres ”, qui ne seraient pas subordonnés l’un à l’autre. Donc il est impossible qu’un homme ait plusieurs fins dernières non subordonnées l’une à l’autre.

Réponse :

Il est impossible que la volonté d’un même homme se dirige en même temps vers divers objets comme vers des fins ultimes, et l’on peut en donner trois raisons. La première est que chaque être tendant à son propre accomplissement, un homme doit prendre pour fin dernière ce qu’il désire au titre de bien parfait et d’achèvement de son être, ce qui fait dire à S. Augustin : “ Nous appelons fin de l’homme non ce qui se détruit pour ne plus être, mais ce qui s’achève pour être pleinement. ” Il faut donc que la fin dernière comble tellement le désir de l’homme qu’elle ne laisse rien à désirer en dehors d’elle. Ce qui est impossible si quelque chose d’étranger est encore requis à sa perfection. Il est par conséquent impossible que le désir se porte à la fois vers deux choses comme si l’une et l’autre étaient son bien parfait.

Deuxième raison. Dans la démarche de la raison, le principe est un objet naturellement connu ; ainsi dans la démarche de l’appétit rationnel, ou volonté, le principe doit être ce qui est naturellement désiré. Mais cela ne peut être qu’un ; car la nature ne tend qu’à l’un. Et puisque le principe, dans la démarche de l’appétit rationnel, est la fin dernière, il faut que l’objet adopté par la volonté comme une fin dernière soit quelque chose d’un.

Troisième raison. Nous avons démontré plus hauts, que les actions volontaires prennent leur espèce de la fin. De la fin ultime, qui est commune, elles doivent donc prendre leur genre, de même que les choses naturelles sont classées dans leur genre par l’élément de définition qu’elles ont en commun. Donc, puisque tout ce que désire la volonté, pris comme tel, appartient au même genre, il faut que la fin ultime soit une, surtout si l’on considère qu’en chaque genre de choses il y a toujours un unique principe premier, et que c’est la fin qui joue le rôle de principe premier, ainsi qu’on l’a dit. D’autre part, le rapport est le même, de la fin dernière de l’homme en général à tout le genre humain, et de la fin dernière de tel homme à l’égard de cet homme. Ainsi, la nature donnant à l’ensemble des hommes une unique fin ultime, il faut que la volonté de tel homme en particulier s’établisse aussi en une fin dernière unique.

Solutions :

1. Tous ces biens multiples étaient englobés dans la raison d’un seul bien parfait qu’ils constituaient, pour ceux qui mettaient en eux leur fin dernière.

2. Sans doute on peut trouver plusieurs choses n’ayant entre elles aucune opposition ; mais il est opposé au bien parfait qu’il y ait en dehors de lui, pour le sujet, une perfection quelconque 3. Le pouvoir de la volonté ne va pas jusqu’à faire que les contraires existent ensemble, ce qui aurait lieu, on l’a vu, si la volonté tendait à divers objets disparates comme à des fins ultimes.

 

            Article 6 — L’homme ordonne-t-il toutes choses à sa fin ultime ?

Objections :

1. Ce n’est pas, semble-t-il, tout ce que l’homme veut, qu’il veut en vue de sa fin ultime. En effet, ce qu’on dirige vers une fin suprême, c’est ce qu’on appelle les choses sérieuses, ainsi nommées parce qu’elles sont utiles. Mais on en distingue ce qui n’est que jeu. Donc, ce que l’homme fait par jeu, il ne l’ordonne pas à la fin ultime.

2. Aristote dit que les sciences spéculatives sont recherchées pour elles-mêmes. On ne peut cependant pas dire que chacune d’elles soit une fin ultime. Donc l’homme ne désire pas tout ce qu’il désire en vue de la fin ultime.

3. Celui qui dirige une action vers une fin songe à cette fin. Mais l’homme ne songe pas toujours à la fin ultime en tout ce qu’il entreprend ou désire. Donc on ne désire et on ne fait pas tout en vue de la fin ultime.

En sens contraire, S. Augustin écrit “ Notre bien suprême est celui pour lequel tout le reste est aimé, tandis que lui est aimé pour lui-même. ”

Réponse :

Tout ce que l’homme veut ou désire, il est nécessaire que ce soit pour sa fin ultime, et deux raisons le montrent. D’abord, tout ce que l’homme désire, il le désire comme un bien, et si ce n’est comme le bien parfait, qui est la fin ultime, il faut que ce soit comme tendant au bien parfait ; car toujours le commencement d’une chose incline vers son achèvement, comme on le voit dans les ouvrages de la nature et dans ceux de l’art. Ainsi, tout commencement de perfection se dirige vers la perfection consommée, réalisée par la fin ultime.

En second lieu, la fin dernière se comporte, dans le mouvement qu’elle imprime à notre appétit, comme fait le premier moteur dans les motions d’un autre genre. Or il est manifeste que les causes secondes motrices n’exercent leur action qu’en étant mues elles-mêmes par le premier moteur. Ainsi, le désirable second ne peut mouvoir l’appétit qu’en raison de son rapport avec le désirable premier, qui est la fin ultime.

Solutions :

1. Si ces jeux ne se proposent pas de fin extrinsèque, ils tendent au bien du sujet, qui y trouve un plaisir ou un repos. Or le bien de l’homme porté à la perfection, c’est sa fin ultime.

2. De même, la science spéculative est recherchée comme un bien pour celui qui la pratique, compris dans le bien complet et parfait qu’est la fin ultime.

3. Il n’est pas nécessaire pour cela qu’on ait sans cesse à l’esprit la fin ultime, quand on désire ou fait quelque chose. L’influence active d’une intention première visant la fin ultime persiste en chaque mouvement de l’appétit en toute matière, alors même qu’actuellement on ne songe pas à l’ultime fin. Un homme en chemin ne pense pas au terme du voyage à chacun de ses pas.

 

            Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

Objections :

1. Il semble que non. Car la fin ultime semble être surtout le bien immuable de l’homme. Or certains se détournent du bien immuable par le péché. Tous les hommes n’ont donc pas la même fin ultime.

2. Toute la vie de l’homme se règle sur la fin ultime. Donc, si tous les hommes n’avaient qu’une seule fin ultime, il s’ensuivrait qu’il n’y aurait pas dans la vie des hommes différents centres d’intérêts, ce qui est évidemment faux.

3. La fin est le terme de l’action, et les actions sont le fait des individus. Or, si tous les hommes ont une même nature spécifique, ils diffèrent cependant par tout ce qui est propre à l’individu. Ils ne peuvent donc avoir tous une même fin ultime.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Tout les hommes se rejoignent dans le désir d’une fin ultime, qui est la béatitude. ”

Réponse :

On peut parler de deux façons de la fin ultime, suivant que l’on considère la raison de fin ultime, ou l’objet qui réalise pour nous cette raison. S’il est question de la raison même, tous les hommes se rejoignent dans le désir de la fin ultime ; car tous souhaitent voir se réaliser leur propre accomplissement, et telle est la raison de fin ultime, nous venons de le dire. Mais quant à l’objet dans lequel cette raison se trouve, les hommes ne sont plus d’accord touchant la fin ultime. Les uns désirent comme bien suprême la richesse, d’autres la volupté, ou quoi que ce soit d’autre. Ainsi une saveur douce est agréable à tous les palais ; mais les uns préfèrent la douceur du vin, d’autres du miel ou de quelque autre substance. Toutefois, la douceur qu’on doit juger absolument parlant la plus délectable est celle où se complaît l’homme de meilleur goût. De même, on doit considérer comme le bien le plus achevé celui que prend pour suprême fin l’homme dont l’affectivité est bien réglée.

Solutions :

1. Sans doute le pécheur s’écarte de l’objet qui réalise vraiment la raison de fin dernière ; mais il n’en garde pas moins l’intention de cette fin, qu’il cherche à tort dans d’autres choses.

2. Il y a dans la vie différents centres d’intérêts, à cause des objets divers dans lesquels on recherche la raison de souverain bien.

3. Si les actions sont le fait des individus, pourtant le principe premier de l’action est donné par la nature, qui tend à l’un, ainsi que nous l’avons dit.

 

            Article 8 — Toutes les autres créatures se rejoignent-elles dans cette fin ultime ?

Objections :

1. On pourrait croire que la fin de toutes les créatures coïncide avec la fin humaine ; car la fin répond au principe, et Dieu, principe de l’homme, est aussi le principe de tout le reste.

2. Denys écrit : “ Dieu ramène à lui toutes choses comme vers leur fin ultime. ” Or, lui-même est la fin de l’homme appelé à ne jouir que de Dieu. Donc, la fin ultime de l’homme est commune à toutes les autres créatures.

3. La fin ultime de l’homme est objet de volonté. Or l’objet de la volonté est le bien universel, fin commune de tous les êtres.

En sens contraire, la fin ultime de l’homme est la béatitude, que tous désirent, selon S. Augustin. Mais, dit-il aussi, “ il n’appartient pas aux animaux privés de raison de goûter la béatitude ” : c’est donc que les autres créatures n’ont pas en commun la fin ultime de l’homme.

Réponse :

D’après le Philosophe, la fin s’envisage sous un double aspect : comme objet et comme acte, c’est-à-dire quant à la chose en laquelle se réalise la raison de bien, et quant à l’acquisition ou l’usage qu’on en fait. Ainsi l’on dira que la fin du mouvement, pour le corps lourd, est le lieu bas comme réalité atteinte, ou, comme usage, le fait d’être en bas. Ou bien encore que la fin de l’avare, c’est l’argent, comme chose, ou la possession de l’argent, comme usage. Donc, si nous parlons de la fin ultime de l’homme quant à la réalité même qui est sa fin, alors tous les autres êtres rejoignent l’homme dans la même fin ultime ; car Dieu, fin ultime de l’homme, l’est aussi de tous les autres êtres. Mais si nous parlons de la fin ultime quant à l’obtention de cette fin, en ce cas les créatures privées de raison ne participent pas à la fin humaine. Car l’homme et les autres créatures raisonnables atteignent leur fin ultime par la connaissance et l’amour de Dieu, ce qui n’appartient pas aux créatures inférieures. Celles-ci parviennent à leur fin ultime en participant, chacune à sa manière, d’une certaine ressemblance avec Dieu[4436], pour autant qu’elles existent, qu’elles vivent, ou même sont douées de connaissance.

Par là devient évidente la réponse aux objections ; car le mot béatitude signifie proprement l’acquisition de la fin ultime.

LA BÉATITUDE DE L’HOMME

Il faut traiter maintenant de la béatitude. I. En quels biens consiste-t-elle (Q. 2) ? - II. Quelle est son essence (Q. 3-4) ? III. Comment pouvons-nous l’acquérir (Q. 5) ?

 

 

QUESTION 2 — EN QUELS BIENS CONSISTE LA BÉATITUDE ?

1. La béatitude consiste-t-elle dans les richesses ? - 2. Dans les honneurs ? - 3. Dans la renommée ou la gloire ? - 4. Dans la puissance ? - 5. Dans quelque bien du corps ? - 6. Dans le plaisir ? - 7. Dans quelque bien de l’âme ? - 8. Dans quelque bien créé ?

 

            Article 1 — La béatitude consiste-t-elle dans les richesses ?

Objections :

1. On pourrait penser que la béatitude de l’homme consiste dans les richesses. En effet, la béatitude étant la fin ultime de l’homme, elle doit consister en ce qui occupe le premier rang dans ses désirs. Or telles sont les richesses, car “ à l’argent tout obéit ”, dit l’Ecclésiaste (10, 19).

2. D’après Boèce la béatitude est “ un état parfait grâce au rassemblement de tous les biens ”. Mais il semble qu’on puisse tout posséder avec de l’argent. Le Philosophe le suggère quand il dit que la monnaie a été inventée comme une caution pour avoir tout ce que l’homme veut.

3. Le désir du souverain bien, qui n’abdique jamais, semble être infini. Or ceci appartient éminemment aux richesses ; car il est dit dans l’Ecclésiaste (5, 9) : “ Celui qui aime l’argent ne sera pas rassasié par l’argent. ”

En sens contraire, le bien de l’homme doit consister à conserver la béatitude plutôt qu’à la laisser échapper. Or, dit Boèce, “ les richesses brillent davantage à se répandre qu’à s’entasser ; car l’avarice rend les riches odieux, et la générosité les rend illustres ”. Donc la béatitude ne consiste pas dans les richesses.

Réponse :

Le Philosophe distingue deux sortes de richesses : les richesses naturelles et les richesses artificielles. Les premières servent à l’homme pour subvenir aux besoins de sa nature : tels sont les aliments, les vêtements, les moyens de transport, les habitations, etc. Par les secondes, comme les monnaies, la nature ne reçoit directement aucun secours ; mais l’ingéniosité humaine les a créées pour la facilité des échanges, de telle sorte qu’elles servent à évaluer les biens qui se vendent.

Or il est manifeste que les richesses naturelles ne sauraient constituer la béatitude de l’homme, car elles ne sont recherchées que pour le soutien de la nature et ne peuvent donc prétendre être sa fin ultime. Bien plutôt, ce sont elles qui sont ordonnées à l’homme comme à leur propre fin. Aussi, dans l’ordre de la nature, tous les biens de ce genre sont-ils au-dessous de l’homme et créés pour lui, selon ces paroles du Psaume (8, 8) : “ Tu as tout placé sous ses pieds. ”

Quant aux richesses artificielles, on ne les recherche qu’en vue des richesses naturelles ; on ne les rechercherait pas, si l’on ne se proposait d’acheter grâce à elles ce qui est nécessaire à la vie. Moins encore peuvent-elles donc avoir le caractère d’une fin ultime. Il est donc impossible que la béatitude, qui est la fin suprême de l’homme, consiste dans les richesses.

Solutions :

1. Toutes les choses corporelles obéissent à l’argent, du moins pour la multitude des sots, qui ne connaissent rien en dehors de ces biens corporels qu’ils peuvent acquérir par leur argent. Or, on ne doit pas chercher un jugement sur les biens de l’homme auprès des sots, mais auprès des sages, de même que l’on consulte, pour juger des saveurs, ceux qui ont le goût juste.

2. On dit que l’argent procure tout : oui, ce qui peut se vendre ; mais les choses spirituelles ne peuvent pas se vendre. “ Que sert-il à l’insensé d’avoir des richesses, dit l’Écriture (Pr 17, 16), puisqu’il ne peut acheter la sagesse ? ”

3. L’appétit des richesses naturelles n’est pas infini car, dans une mesure limitée, elles suffisent à la nature. Mais l’appétit des richesses artificielles n’a pas de bornes, car il est au service d’une convoitise désordonnée, qui est sans mesure, comme l’observe le Philosophe. Autre est néanmoins le désir infini des richesses, autre celui du souverain bien. Plus celui-ci est possédé, plus il est aimé et plus tout le reste est méprisé, car en le possédant davantage on le connaît mieux, selon cette parole de l’Ecclésiastique (24, 21) : “ Ceux qui se nourrissent de moi auront encore faim. ” Mais pour l’appétit des richesses et de tous les biens temporels, c’est le contraire : dès qu’on les possède, on les méprise et on désire autre chose. C’est le sens de cette parole du Seigneur (Jn 4, 13) : “ Celui qui boit de cette eau ”, symbole des biens temporels, “ aura encore soif ”. Et cela parce que l’on connaît mieux leur insuffisance lorsqu’on les possède. Ce fait même montre leur imperfection, et que le souverain bien ne se trouve pas là.

 

            Article 2 — La béatitude consiste-t-elle dans les honneurs ?

Objections :

1. Il semble que oui, car “ la béatitude ou félicité, est, d’après le Philosophe la récompense de la vertu ”. Or, toujours d’après le Philosophe “ c’est l’honneur qui semble être la plus digne récompense de la vertu ”. C’est donc dans l’honneur que consiste principalement la béatitude.

2. Ce qui convient à Dieu et aux êtres les plus parfaits, voilà ce qui semble bien être la béatitude, puisque celle-ci est un bien parfait. Or tel est l’honneur, au témoignage du Philosophe et aussi de l’Apôtre, disant : “ A Dieu seul l’honneur et la gloire ” (1 Tm 1, 17).

3. Ce qui est désiré souverainement par les hommes, c’est la béatitude. Or rien ne paraît plus désirable que l’honneur, car les hommes souffrent la perte de tous les autres biens, plutôt qu’une atteinte à leur honneur. C’est donc qu’ils y voient la béatitude.

En sens contraire, la béatitude est dans le bienheureux. Or, dit le Philosophe, l’honneur n’est pas dans l’homme honoré, mais plutôt dans celui qui l’honore et lui rend hommage. Donc la béatitude ne consiste pas dans l’honneur.

Réponse :

Il est impossible que la béatitude consiste dans l’honneur. Car celui-ci est accordé à quelqu’un en raison de quelque supériorité qu’il possède, et ainsi il est un signe et comme un témoignage de l’excellence qui se trouve dans l’être honoré. Or la supériorité humaine, c’est la béatitude même, qui est le bien parfait de l’homme ou quelqu’une de ses participations. Il s’ensuit que l’honneur peut bien découler de la béatitude, mais ne saurait la constituer comme étant son principe.

Solutions :

1. L’honneur n’est pas la récompense en vue de quoi les hommes vertueux agissent ; mais l’honneur leur vient des hommes parce que ceux-ci ne peuvent leur offrir rien de meilleur. Quant à la vraie récompense de la vertu, c’est la béatitude même, et c’est pour cette fin-là que les hommes vertueux agissent. S’ils agissaient en vue de l’honneur, ils feraient acte d’ambition et non de vertu.

2. L’honneur est dû à Dieu et aux êtres excellents ; mais comme un témoignage, et ce n’est pas l’honneur même qui les rend excellents.

3. Si les hommes désirent tellement être honorés, comme on l’observe justement, cela tient au désir qu’ils ont naturellement de la béatitude elle-même, dont l’honneur est le signe. Aussi veulent-ils être honorés surtout des sages, dont le jugement les rassure touchant leur excellence et leur félicité.

 

            Article 3 — La béatitude consiste-t-elle dans la renommée ou la gloire ?

Objections :

1. Il semble bien, car la béatitude paraît consister en ce que les saints reçoivent la récompense des épreuves qu’ils souffrent en ce monde. Telle est leur gloire, selon l’Apôtre (Rm 8, 18) : “ Les souffrances d’ici-bas ne sont pas comparables à la gloire future qui se révélera en nous. ” Donc la béatitude consiste dans la gloire.

2. D’après Denys le bien a tendance à se répandre ; or c’est principalement par la gloire, que le bien humain se répand et parvient à la connaissance des autres ; car la gloire, dit S. Ambroise, n’est rien d’autre qu’une “ notoriété éclatante accompagnée de louange ”. C’est donc que la béatitude consiste en la gloire.

3. La béatitude étant le plus stable des biens, est apparentée, de ce fait, à la renommée et à la gloire, qui confèrent aux hommes une sorte d’éternité. “ Vous semblez, écrit Boèce, agrandir votre immortalité, quand vous songez à votre renommée dans le siècle futur. ”

En sens contraire, la béatitude est pour l’homme un bien véritable ; or il arrive que la renommée ou la gloire soit fausse. “ Plusieurs, dit encore Boèce, attachent souvent aux fausses opinions du vulgaire la gloire d’un grand nom. Et que peut-on concevoir de plus honteux ? Car ceux qui sont ainsi faussement célébrés ne se sentent-ils pas forcés de rougir eux-mêmes des louanges ? ” La béatitude ne peut donc consister dans la renommée et la gloire de l’homme.

Réponse :

Il est impossible que la béatitude consiste en la renommée ou la gloire. Car si la gloire se définit, comme le veut S. Ambroise, “ une notoriété éclatante accompagnée de louange ”, il convient d’observer qu’une chose connue est dans un rapport tout différent avec la connaissance humaine et avec la connaissance divine. En effet, la connaissance humaine est causée par les choses connues ; au contraire, la connaissance divine est la cause des choses connues. Il s’ensuit que la perfection du bien humain, appelée béatitude, ne peut être causée par la connaissance humaine ; c’est bien plutôt la connaissance humaine relative à la béatitude de quelqu’un qui découle de cette béatitude, commencée ou parfaite, et qui est d’une certaine façon causée par elle. Ce n’est donc pas dans la renommée ou la gloire qu’on peut faire consister la béatitude.

Mais le bien de l’homme dépend, comme de sa cause, de la connaissance que Dieu a de lui. C’est pourquoi, de la gloire que l’homme possède en Dieu, sa béatitude dépendra comme de sa cause, selon le Psaume (91, 15) : “ je le délivrerai et le glorifierai ; je le rassasierai de longs jours et je lui ferai voir mon salut. ”

Il faut en outre observer que la connaissance humaine se trompe souvent, surtout quant aux faits singuliers et contingents, comme sont les actes humains. Aussi la gloire humaine est-elle souvent trompeuse. Comme Dieu, au contraire, ne peut se tromper, la gloire qu’il confère est toujours vraie, ce qui fait dire à l’Apôtre (2 Co 10, 18) : “ Celui-là est un homme éprouvé, que le Seigneur recommande. ”

Solutions :

1. L’Apôtre ne parle pas là de la gloire que confèrent les hommes, mais de celle que Dieu accorde en présence de ses anges. C’est ce qui est dit aussi dans S. Marc (8, 38) : “ Le Fils de l’homme lui rendra témoignage quand il viendra dans la gloire de son Père en présence de ses anges. ”

2. Il est vrai que, par la renommée et la gloire, le bien de tel humain se répand dans la connaissance de beaucoup d’autres ; mais si cette connaissance est vraie, elle dérive du bien qui existe chez cet homme lui-même, et ainsi elle présuppose, loin de la constituer, la béatitude parfaite ou commencée. Si cette connaissance est fausse, elle ne concorde pas avec la réalité, et il n’y a donc pas de bien dans celui que l’on célèbre de la sorte. D’aucune façon la renommée ne peut rendre l’homme heureux.

3. Quant à la stabilité, chacun sait que la renommée n’en a aucune et qu’une fausse rumeur suffit à la détruire. Si parfois elle demeure stable, c’est par accident. Mais la béatitude est stable par elle-même et toujours.

 

            Article 4 — La béatitude consiste-t-elle dans la puissance ?

Objections :

1. Il semble que oui, car toutes choses tendent à s’assimiler à Dieu, comme à leur fin ultime et à leur principe premier. Or les hommes qui exercent le pouvoir semblent offrir, du fait de ce pouvoir, un trait de ressemblance particulière avec Dieu, tellement que l’Écriture les appelle des dieux, disant, en parlant des princes du peuple (Ex 22, 27 Vg) : “ Tu ne rabaisseras pas les dieux. ” Donc la béatitude consiste en la puissance.

2. La béatitude est un bien parfait ; or il appartient à une éminente perfection de pouvoir régir même les autres, comme c’est le cas de ceux qui sont constitués en puissance.

3. Du fait qu’elle est éminemment désirable, la béatitude doit être le contraire de ce que les hommes ont avant tout à redouter. Or les hommes redoutent plus que tout l’esclavage, à l’opposé de la puissance. C’est donc que la béatitude consiste en la puissance.

En sens contraire, la béatitude est un bien parfait, et la puissance est chose souverainement imparfaite. Comme dit Boèce : “ La puissance humaine ne peut éviter ni la morsure des soucis, ni l’aiguillon des craintes. ” Et il ajoute : “ Le trouves-tu puissant, celui qui s’entoure de gardes et qui, devant les gens qu’il terrifie, est apeuré plus qu’eux ? ”

Réponse :

Deux raisons s’opposent à ce que la béatitude consiste en la puissance. La première est que la puissance a raison de principe, selon le Philosophe, et que la béatitude a raison de fin ultime. La seconde est que la puissance se rapporte indifféremment au bien et au mal, alors que la béatitude est le bien propre et parfait de l’homme. Donc, la béatitude pourrait consister dans le bon usage de la puissance, qui est l’effet de la vertu, plutôt que dans la puissance elle-même.

En généralisant, on peut avancer quatre raisons pour lesquelles la béatitude ne peut consister en aucun des biens extérieurs mis jusqu’ici en cause. 1° La béatitude, souverain bien de l’homme, ne souffre le mélange d’aucun mal. Or les biens mentionnés peuvent se rencontrer chez les hommes bons et chez les hommes mauvais. - 2° La béatitude ayant pour caractère essentiel d’être un bien “ suffisant par soi-même ”, d’après Aristote il est nécessaire, une fois la béatitude possédée, que l’homme ne manque d’aucun bien nécessaire. Or, qu’on obtienne les biens mentionnés, beaucoup d’autres biens nécessaires pourront encore manquer, par exemple la sagesse, la santé corporelle, etc. - 3° La béatitude étant un bien parfait ne peut être pour personne la cause d’un mal, et ce n’est pas le cas des biens susdits, car il est dit dans l’Ecclésiaste (5, 12) que les richesses “ sont parfois conservées pour le malheur de leur maître ”. Et il en est de même des trois autres. - 4° L’homme doit être dirigé vers la béatitude par des principes inhérents à sa nature, puisque c’est naturellement qu’il s’y oriente. Or les biens mentionnés sont l’effet de causes extérieures, et le plus souvent de la fortune, ce qui les fait appeler précisément les biens de la fortune. Il est donc évident que d’aucune façon ces biens-là ne peuvent constituer la béatitude.

Solutions :

1. La puissance nous assimile à Dieu d’une certaine manière ; mais il y a une différence essentielle. La puissance divine est identique à sa bonté, en raison de quoi l’emploi que Dieu fait de sa puissance est nécessairement bon. Mais cela ne se trouve pas chez les hommes, et c’est pourquoi il ne suffit pas à la béatitude des hommes qu’ils soient assimilés à Dieu par la puissance, s’ils ne lui sont en outre assimilés par la bonté.

2. Autant il est excellent d’user bien de la puissance dans le gouvernement d’un grand nombre, autant il est mauvais d’en user mal. C’est ainsi que la puissance peut conduire indifféremment au bien ou au mal.

3. Quant à la servitude, les hommes la fuient naturellement parce qu’elle est un empêchement au bon usage de la puissance, mais non pas dans ce sentiment que la puissance soit un souverain bien.

 

            Article 5 — La béatitude consiste-t-elle en quelque bien du corps ?

Objections :

1. Il semble que oui, car il est dit dans l’Ecclésiastique (30, 16) : “ Il n’y a pas de richesse préférable à la santé du corps. ” Mais la béatitude consiste dans ce qui est le meilleur. Donc elle consiste en la santé du corps.

2. D’après Denys, exister est meilleur que vivre, et vivre meilleur que tout ce qui s’ensuit. Or, pour exister et pour vivre, il faut sauver son corps. Donc, puisque la béatitude est le souverain bien de l’homme, il semble que la santé du corps appartienne souverainement à la béatitude.

3. Plus une chose est commune, plus élevé est le principe auquel elle se rattache, car une cause supérieure étend toujours ses effets plus loin. D’autre part, si la causalité efficiente s’exerce par influence, la causalité finale s’exerce en vertu de l’appétit. Donc, puisque la première cause efficiente est celle qui influe sur tous les êtres, ainsi la fin ultime est celle qui est désirée par tous les êtres. Or l’existence est ce qui est souverainement désiré de tous les êtres ; donc la béatitude de l’homme consiste principalement dans ce qui a rapport à l’existence de l’homme, comme la santé de son corps.

En sens contraire, quant à la béatitude, l’homme est supérieur à tous les autres animaux. Mais quant aux biens du corps il est dépassé par beaucoup d’entre eux, en longévité par l’éléphant, en force par le lion, en vitesse par le cerf, etc. La béatitude de l’homme ne peut donc pas consister dans les biens du corps.

Réponse :

Pour deux raisons il est impossible que la béatitude de l’homme consiste dans les biens du corps. Tout d’abord, quand une chose est ordonnée à une autre comme à sa fin, il est impossible que la fin ultime de cette même chose soit sa propre conservation dans l’être. Aussi le pilote n’a-t-il pas pour but dernier la conservation de son navire, celui-ci étant fait pour une autre fin, qui est de naviguer. Or, de même que le navire est remis à la direction du pilote, ainsi l’homme est-il confié à sa propre raison et à sa volonté, selon l’Ecclésiastique (15, 14) : “ Au commencement, Dieu a créé l’homme et l’a laissé dans la main de son conseil. ” Mais il est évident que l’homme a une autre fin que lui-même, n’étant pas le souverain bien. Il est donc impossible que la fin ultime de la raison et de la volonté humaines ne consiste qu’en la conservation de l’être humain.

Ensuite, en admettant que la fin de la raison et de la volonté humaines ne consiste qu’en la conservation de l’être humain, on ne pourrait pas dire pour autant que la fin de l’homme est un bien du corps. L’être humain, en effet, consiste à la fois dans l’âme et dans le corps, et bien que l’être du corps dépende de l’âme, l’être de l’âme ne dépend pas du corps, ainsi que nous l’avons fait voir précédemment. En outre, le corps est fait pour l’âme comme la matière est faite pour la forme et les instruments pour leur moteur, afin que par cette matière et ces instruments elle exerce ses opérations à elle. Ainsi, tous les biens du corps ont pour fin les biens de l’âme, et il est donc impossible que la béatitude, fin ultime de l’homme, consiste dans les biens du corps.

Solutions :

1. De même que le corps est ordonné à l’âme comme à sa fin, de même les biens extérieurs au bien du corps. Et c’est pourquoi il est raisonnable que le bien du corps soit préféré aux biens extérieurs, symbolisés par l’argent, de même que le bien de l’âme est préféré à tous les biens du corps.

2. L’être pris absolument, comme incluant en soi toute perfection de l’existence, est évidemment supérieur à la vie et à tout ce qui peut la suivre, puisqu’en ce sens-là l’être possède d’avance en lui-même tout ce qu’on dit venir après lui. Or c’est en ce sens-là que Denys en parle. Mais si l’on considère l’être quant à ses participations en telle ou telle réalité particulière, où ne se trouve pas rassemblée toute la perfection de l’être, mais qui ont un être imparfait, comme celui de toute créature, alors il est clair que l’être dont on parle, si l’on y ajoute une perfection nouvelle, devient supérieur. Aussi Denys affirme-t-il dans le même passage que les vivants sont meilleurs que les simples existants, et les êtres intelligents meilleurs que les vivants.

3. Il est vrai que la fin répond au principe et que par là on peut prouver que la fin ultime de toutes choses est le premier principe des êtres, en qui réside toute perfection d’existence. Et de cet être premier tous les autres poursuivent la ressemblance, chacun selon son degré de perfection, les uns quant à l’existence seulement, d’autres selon qu’ils ont la vie, d’autres enfin sous la forme d’un être vivant, intelligent et bienheureux. Et c’est le fait d’un petit nombre.

 

            Article 6 — La béatitude consiste-t-elle dans le plaisir ?

Objections :

1. Il semble bien, car la béatitude étant une fin dernière, elle n’est pas recherchée pour autre chose, mais tout le reste à cause d’elle. Or cela convient éminemment au plaisir, tellement qu’Aristote a pu écrire : “ Il est ridicule de demander à quelqu’un pourquoi il veut avoir du plaisir. ” Donc la béatitude consiste surtout dans le plaisir et la délectation.

2. Il est dit au livre Des Causes que la cause première s’imprime dans son effet avec plus de puissance que la cause seconde. Or l’influence de la fin s’exerce par le désir qu’on en a. Donc cela semble avoir raison de fin ultime, qui actionne davantage l’appétit. C’est le cas du plaisir, et le signe en est que la délectation absorbe à ce point la volonté et la raison de l’homme, qu’elle lui fait mépriser tous les autres biens. Donc il apparaît que la fin ultime de l’homme, qui est la béatitude, consiste surtout dans le plaisir.

3. Le désir concernant le bien, ce que tous les êtres désirent semble être le meilleur. Or tous les êtres désirent la jouissance : les sages, les insensés, et aussi les êtres sans raison. La jouissance est donc ce qu’il y a de meilleur, et c’est en elle que le souverain bien consiste.

En sens contraire, Boèce écrit : “ Les voluptés ont toujours de tristes fins, et quiconque voudra se souvenir de ses propres passions le comprendra. S’il était en leur pouvoir de nous rendre bienheureux, il n’y aurait pas de raison pour ne pas dire bienheureuses les bêtes elles-mêmes. ”

Réponse :

Il faut remarquer que “ si les délectations corporelles ont accaparé pour ainsi dire le nom de voluptés ”, c’est, comme l’observe Aristote, “ parce qu’elles sont à la portée du grand nombre ”, alors que d’autres délectations sont pourtant bien supérieures. Mais en celles-ci non plus, on ne saurait faire consister principalement la béatitude.

En chaque chose, il faut distinguer ce qui appartient à son essence, et ce qui est son accident propre. Ainsi, chez l’homme, autre est sa qualité d’animal raisonnable mortel, autre la faculté de rire. Or toute délectation est comme l’accident propre consécutif à la béatitude ou à quelqu’une de ses parties intégrantes. En effet, on éprouve de la délectation parce qu’on est gratifié de quelque bien qui convient et qu’on possède soit en réalité, soit en espérance, ou tout au moins en mémoire. Or un bien qui convient, s’il est parfait, coïncide avec la béatitude ; s’il est imparfait, il en est une participation, ou prochaine, ou éloignée, ou tout au moins apparente. Il est par là manifeste que même la délectation consécutive au bien parfait ne peut constituer l’essence même de la béatitude ; elle est quelque chose de dérivé, par manière d’accident inséparable et propre.

Quant à la volupté corporelle, même de cette façon elle ne peut découler du bien parfait. Elle résulte en effet d’un bien qu’appréhende le sens, faculté de l’âme qui utilise le corps. Or un bien relatif au corps, un bien appréhendé par le sens ne peut être le bien humain parfait ; car l’âme raisonnable dépasse en ampleur la matière corporelle, et la part de l’âme qui est indépendante de tout organe corporel a une sorte d’infinité par rapport au corps et aux parties de l’âme liées au corps. C’est ainsi que les réalités invisibles sont quasi infinies au regard des réalités matérielles. Et la raison en est que la forme est en quelque sorte contractée et réduite par la matière, de telle sorte qu’une forme dégagée de la matière est d’une certaine manière infinie. De là vient que le sens, faculté corporelle, a pour objet de connaissance le singulier, qui est limité par la matière. Au contraire, l’intellect, activité dégagée de la matière, connaît l’universel qui est lui-même abstrait de la matière et qui tient sous sa dépendance une infinité de singuliers.

Il est ainsi évident que le bien qui convient au corps et qui, par l’appréhension des sens, cause la délectation corporelle, n’est pas le bien parfait de l’homme, mais quelque chose d’infime par rapport au bien de l’âme. C’est pourquoi, selon la Sagesse (7, 9), “ tout l’or du monde n’est qu’un peu de sable en comparaison de la sagesse ”. On le voit donc, dans la volupté corporelle on ne peut découvrir ni la béatitude, ni même un accident propre de la béatitude.

Solutions :

1. C’est pour la même raison qu’on désire le bien et qu’on désire la délectation, qui n’est autre chose que le repos de l’appétit dans le bien ; ainsi la même propriété naturelle porte le corps lourd en bas et le fait s’y tenir en repos. Donc, de même que le bien est désiré pour lui-même, la délectation est aussi désirée pour elle-même et non pour autre chose, si le mot “ pour ” désigne la cause finale. Mais s’il désigne une cause formelle, ou plus encore, une cause agente , alors la délectation est désirée pour autre chose, à savoir le bien qui est l’objet de la délectation, par suite de son principe, et qui lui donne sa forme. Car si la délectation est désirée, elle le tient de ce qu’elle est un repos dans le bien désiré.

2. L’appétit violent de délectations sensibles provient de ce que les opérations des sens, point de départ de notre connaissance, sont pour ce motif plus perceptibles. C’est pour cela aussi que les délectations des sens sont recherchées du grand nombre.

3. Tous recherchent la délectation de la façon dont ils désirent le bien. Et pourtant, ils désirent la délectation en raison du bien, et non inversement, ainsi que nous l’avons dit. Il ne s’ensuit donc pas que la délectation soit le plus grand des biens, et soit un bien en soi ; mais que chaque délectation accompagne un certain bien, et qu’une certaine délectation accompagne ce qui est par soi le plus grand des biens.

 

            Article 7 — La béatitude consiste-t-elle dans quelque bien de l’âme ?

Objections :

1. Cela semble évident, car la béatitude est un bien de l’homme. Or le bien de l’homme se divise en trois : les biens extérieurs, les biens du corps et les biens de l’âme. Puisqu’il a été démontré que la béatitude ne consiste ni dans les biens extérieurs, ni dans les biens du corps, il ne reste que les biens de l’âme.

2. Nous aimons l’être à qui nous souhaitons un bien plus que nous n’aimons ce bien lui-même ; ainsi aimons-nous l’ami à qui nous souhaitons de l’argent plus que nous n’aimons l’argent. Mais chacun se souhaite à soi-même tout bien ; donc il se préfère à tous les autres biens. Or la béatitude est aimée par-dessus tout, puisque c’est à cause d’elle que tout le reste est aimé et désiré. Donc la béatitude consiste en quelque bien de l’homme lui-même, et puisque ce n’est pas dans les biens du corps, il faut que ce soit dans les biens de l’âme.

3. La perfection est quelque chose qui appartient à l’être perfectionné. Or la béatitude est une perfection de l’homme. Elle est donc quelque chose de l’homme. N’étant pas quelque chose du corps, comme on l’a montré, elle est nécessairement quelque chose de l’âme. Et ainsi la béatitude consiste dans les biens de l’âme.

En sens contraire, S. Augustin nous dit : “ Ce qui constitue la vie bienheureuse doit être aimé pour soi-même. ” Or l’homme ne doit pas être aimé pour lui-même, mais tout ce qui est dans l’homme doit être aimé pour Dieu. Donc la béatitude ne consiste en aucun bien de l’âme.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, le mot fin comporte deux acceptions. On peut appeler ainsi la chose même que nous désirons obtenir, ou bien l’usage, l’obtention ou la possession de cette chose. Donc, si nous parlons de la fin ultime de l’homme quant à la chose même que nous désirons comme fin ultime, il est impossible que la fin ultime de l’homme soit l’âme elle-même ou quelque chose de l’âme. En effet, l’âme elle-même, considérée en soi, est une nature en puissance, puisqu’elle passe de la puissance de savoir à l’acte de savoir, de la puissance vertueuse à l’acte vertueux. Et comme la puissance existe en vue de l’acte qui lui apporte son achèvement, il est impossible que ce qui n’existe par soi-même qu’en puissance ait raison de fin ultime. Il est donc impossible que l’âme elle-même soit la fin ultime d’elle-même. Mais pas davantage quelque chose d’elle, que ce soit une puissance, un habitus ou un acte. En effet, le bien qui est la fin ultime est un bien parfait et comblant notre appétit de bien. D’autre part, chez l’homme, l’appétit que nous appelons volonté a pour objet le bien universel. Or, tout bien, parmi ceux qui sont inhérents à l’âme, est un bien participé et en conséquence particularisé. Il est donc impossible que l’un de ses biens soit la fin ultime de l’homme.

Si maintenant nous parlons de la fin humaine en comprenant par là l’obtention, la possession ou un usage quelconque de ce qui est désiré comme fin, alors il y a quelque chose de l’âme humaine qui appartient à la fin dernière, car c’est bien par l’âme que l’homme atteint sa béatitude Ainsi, la chose même qui est désirée comme fin est ce qui constitue la béatitude et qui rend son possesseur bienheureux, tandis que la conquête de cette chose est appelée béatitude. Concluons donc : la béatitude est quelque chose de l’âme, mais ce qui la constitue est quelque chose hors de l’âme.

Solutions :

1. Si, sous cette division, on entend ranger tous les biens qui se présentent à l’homme comme désirables, on doit appeler biens de l’âme non seulement la puissance, l’habitus ou l’acte, mais encore leur objet, qui est en dehors d’elle. Et en ce sens, rien n’empêche de dire que ce qui constitue la béatitude est quelque chose de l’âme.

2. En ce qui concerne notre propos, il faut dire que la béatitude est aimée par-dessus tout, comme un bien que l’on désire. Un ami au contraire est aimé comme une personne en faveur de qui l’on désire du bien, et de cette façon aussi l’homme s’aime lui-même. Mais on voit que la nature de l’amour n’est pas la même dans les deux cas. Quant à savoir si d’un amour d’amitié l’homme aime quelque chose plus que lui-même, c’est ce qu’il y aura lieu de nous demander quand nous traiterons de la charité.

3. La béatitude elle-même étant la perfection de l’âme, est un bien inhérent à l’âme. Mais ce en quoi la béatitude consiste, c’est-à-dire ce qui rend bienheureux, cela est hors de l’âme.

 

            Article 8 — La béatitude consiste-t-elle en quelque bien créé ?

Objections :

1. Il semble bien, car, d’après Denys la sagesse divine a “ conjoint les extrémités des premiers êtres aux principes des seconds ”, d’où l’on peut tirer que la suprême élévation de la nature inférieure est d’atteindre au plus bas de la nature supérieure. Or le bien suprême de l’homme est la béatitude. Donc, puisque l’ange est au-dessus de l’homme dans l’ordre de la nature, ainsi qu’on l’a vu dans la première Partie, il semble que la béatitude de l’homme consiste en ce que d’une certaine façon il atteigne à l’ange.

2. La fin ultime de chaque chose est dans ce qui la parfait, d’où il suit que la partie existe en vue du tout comme en vue de sa fin. Mais toute 1’universalité des créatures, qu’on appelle le “ macrocosme ”, est, par rapport à l’homme, appelé “ microcosme ” par Aristote, comme le parfait par rapport à l’imparfait. Donc la béatitude de l’homme consiste en 1’universalité des créatures.

3. Ce qui rend l’homme heureux, c’est l’objet où son désir naturel trouve le repos. Mais le désir de l’homme ne s’étend pas à un bien plus grand que celui qu’il peut embrasser. Donc, puisque l’homme n’a pas une capacité à l’égard du bien qui excède les limites de toute créature, il semble qu’il puisse trouver son bonheur dans un bien créé.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ De même que l’âme est la vie de la chair, ainsi Dieu est la vie heureuse de l’homme ”, et le Psaume (144, 15) : “ Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu. ”

Réponse :

Il est impossible que la béatitude de l’homme consiste en un bien créé. En effet, la béatitude est un bien parfait, capable d’apaiser entièrement le désir, sans quoi, et s’il restait encore quelque chose à désirer, elle ne pourrait être la fin ultime. Or l’objet de la volonté, faculté du désir humain, est le bien universel, de même que l’objet de l’intellect est le vrai universel. D’où il est évident que rien ne peut apaiser la volonté humaine hors le bien universel. Celui-ci ne se trouve réalisé en aucune créature, mais seulement en Dieu ; car toute créature ne possède qu’une bonté participée- Ainsi Dieu seul peut combler la volonté de l’homme, selon ces paroles du Psaume (103, 5) : “ C’est lui qui rassasie tes désirs en te comblant de biens. ” C’est donc en Dieu seul que consiste la béatitude de l’homme.

Solutions :

1. Le plus haut état de l’homme touche au plus bas degré de la nature angélique par une certaine ressemblance ; mais l’homme ne s’arrête pas là comme dans sa fin ultime ; il remonte jusqu’à la source universelle du bien, qui est le commun objet de béatitude de tous les bienheureux, au titre de bien infini et parfait.

2. Si un tout n’est pas une fin ultime, mais est ordonné à une fin ultérieure, la fin ultime de l’une de ses parties ne peut pas être ce tout, mais quelque chose d’autre. Or 1’universalité des créatures, à laquelle l’homme se rapporte comme la partie au tout, n’est pas une fin ultime, mais elle est ordonnée à Dieu comme à sa fin ultime. Donc le bien que représente l’univers n’est pas l’ultime fin de l’homme, celle-ci est Dieu lui-même.

3. Le bien créé n’est pas moindre que le bien dont l’homme est capable comme d’un bien intérieur à lui et inhérent à son être. Mais il est moindre que le bien dont l’homme est capable à titre d’objet, car celui-ci est infini, alors que le bien participé par l’ange ou par l’univers entier est un bien fini et restreint.

Demandons-nous maintenant ce qu’est la béatitude (Q. 3) ; puis quels compléments lui sont indispensables (Q. 4).

 

QUESTION 3 — QU’EST-CE QUE LA BÉATITUDE ?

1. La béatitude est-elle une réalité incréée ? - 2. Si elle est une réalité créée, est-elle une activité ? - 3. Est-elle une activité de la partie sensible de l’âme, ou seulement de sa partie intellectuelle ? - 4. Si elle est une activité de la partie intellectuelle, est-elle une activité de l’intellect ou bien de la volonté ? - 5. Est-elle une opération de l’intellect spéculatif ou de l’intellect pratique ? - 6. Si elle est une activité de l’intellect spéculatif, consiste-t-elle dans l’étude des sciences spéculatives ? - 7. Consiste-t-elle dans la connaissance des substances séparées, c’est-à-dire des anges ? - 8. Consiste-t-elle en la seule contemplation de Dieu, par laquelle il est vu dans son essence ?

 

            Article 1 — La béatitude est-elle une réalité incréée ?

Objections :

1. Il semble que oui, puisque Boèce a écrit : “ Il faut nécessairement reconnaître que Dieu est la béatitude même. ”

2. La béatitude est le souverain bien. Or être le souverain bien, cela convient à Dieu, et puisqu’il ne peut y avoir plusieurs souverains biens, il semble que la béatitude soit identique à Dieu.

3. La béatitude est la fin ultime à laquelle la volonté humaine tend naturellement comme à sa fin. Mais la volonté humaine ne doit tendre comme à sa fin à rien d’autre que Dieu, de qui seul nous devons jouir, dit S. Augustin. Donc la béatitude est identique à Dieu.

En sens contraire, rien de ce qui est fait est incréé. Or la béatitude de l’homme est quelque chose qui se fait, comme on le voit dans ces paroles de S. Augustin : “ Nous devons jouir de ces choses qui nous font bienheureux. ” Donc la béatitude n’est pas quelque chose d’incréé.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, le mot “ fin ” se prend en deux sens. On peut entendre par là l’objet même que nous souhaitons obtenir ; ainsi l’argent est une fin pour l’avare ; et d’autre part ce mot peut désigner l’atteinte ou la possession, l’usage ou la jouissance de l’objet désiré, comme si l’on dit que la possession de l’argent est la fin de l’avare, et la jouissance d’un objet voluptueux la fin de l’intempérant. Dans le premier sens, la fin dernière de l’homme est un bien incréé, puisque c’est Dieu, qui seul, par sa bonté infinie, peut combler parfaitement la volonté de l’homme. Dans le second sens, la béatitude de l’homme est quelque chose de créé qui existe en lui, qui n’est autre chose que l’acquisition ou la jouissance de la fin ultime. Or, c’est la fin ultime qui est appelée béatitude. Donc, si la béatitude de l’homme est considérée dans sa cause ou son objet, elle est quelque chose d’incréé ; si au contraire on l’envisage quant à son essence même de béatitude, elle est quelque chose de créé.

Solutions :

1. Dieu est béatitude par son essence même ; et en effet il n’est pas heureux par l’acquisition ou la participation de quelque chose d’autre, il l’est par son essence. Mais les hommes, comme Boèce le dit dans le même passage, sont heureux par participation, comme ils sont dits des dieux par participation. Or, cette participation même de la béatitude, selon laquelle l’homme est déclaré heureux, est bien quelque chose de créé.

2. La béatitude est appelée souverain bien de l’homme parce qu’elle consiste en l’acquisition ou la jouissance du souverain bien.

3. On dit que la béatitude est fin ultime en entendant par là l’obtention de la fin.

 

            Article 2 — Si la béatitude est une réalité créée, est-elle une activité ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la béatitude soit une activité, car l’Apôtre dit (Rm 6, 22) : “ Vous avez pour fruit la sainteté, et pour fin la vie éternelle. ” Or la vie n’est pas une activité, mais l’être même des vivants.

2. Boèce appelle la béatitude “ un état parfait grâce au rassemblement de tous les biens ” ; or un état ne désigne pas une activité.

3. La béatitude étant l’ultime perfection de l’homme, on doit entendre par là quelque chose qui existe dans l’homme heureux. Or une activité ne signifie pas quelque chose qui existe dans le sujet qui opère, mais plutôt quelque chose qui en procède.

4. La béatitude est en permanence dans le bienheureux, tandis que l’activité est passagère.

5. Il n’y a pour un homme qu’une seule béatitude, mais ses activités sont multiples.

6. La béatitude est inhérente au sujet heureux sans interruption. Mais l’activité humaine est fréquemment interrompue, que ce soit par le sommeil, par une occupation différente ou par le repos. La béatitude n’est donc pas une activité.

En sens contraire, le Philosophe assure que “ la félicité est une activité procédant d’une vertu parfaite ”.

Réponse :

Puisque la béatitude de l’homme est quelque chose de créé qui existe en lui, il faut nécessairement dire que la béatitude est une activité. Elle est en effet l’ultime perfection de l’homme. Or une chose est parfaite dans la mesure où elle est en acte ; car une puissance privée de son acte est imparfaite. Il faut donc que la béatitude de l’homme consiste dans son acte ultime. Or il est manifeste que l’activité est l’acte ultime d’un être actif, en raison de quoi Aristote l’appelle son acte second. En effet, l’être en possession de sa forme active peut n’être encore opérant qu’en puissance, comme l’homme qui possède la science est en puissance par rapport à la considération de ce qu’il sait. De là vient qu’en ce qui concerne toutes les autres choses, Aristote dit que “ chacune existe en vue de sa propre opération ”. Il est donc nécessaire que la béatitude de l’homme soit une activité.

Solutions :

1. Le mot vie a deux sens. On dit la vie, pour désigner l’existence même du vivant, et dans ce sens la béatitude n’est pas une vie, puisqu’il a été démontrée que l’existence d’un homme, quelle qu’elle soit, ne saurait être sa béatitude. Chez Dieu seul la béatitude est identique à l’existence. Mais dans un autre sens, le mot vie désigne l’activité par laquelle le principe de vie qui existe dans le vivant passe à l’acte. C’est dans ce sens que nous parlons de vie active, de vie contemplative, de vie voluptueuse. C’est ainsi que la fin ultime est appelée vie éternelle. On le voit à ces paroles du Christ en S. Jean (17, 3) : “ La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu. ”

2. Boèce, dans la définition qu’on rappelle, n’a considéré que la notion générale de béatitude. Prise ainsi en général, elle désigne le bien commun parfait, et c’est ce que Boèce a exprimé en disant que la béatitude est “ un état parfait grâce au rassemblement de tous les biens ”, ce qui ne dit rien d’autre que ceci : le bienheureux est dans un état de bien parfait. Mais Aristote a exprimé l’essence même de la béatitude, montrant par quoi l’homme est dans cet état : par une certaine activité. Aussi montre-t-il lui-même que “ la béatitude est le bien parfait ”.

3. Il faut se rappeler qu’il y a, selon Aristote deux sortes d’action. L’une passe du sujet opérant dans une matière extérieure, comme brûler ou couper. Et la béatitude ne peut être une activité de ce genre, car une telle opération n’est pas l’acte et la perfection de l’agent, mais plutôt du patient, comme on le voit au même endroit. Mais il est une autre action qui demeure dans l’agent lui-même, comme sentir, comprendre ou vouloir. Une telle action est la perfection et l’acte de l’agent, et la béatitude peut donc être une activité de cette sorte.

4. La béatitude impliquant une certaine perfection ultime, selon les degrés divers auxquels peuvent parvenir les êtres capables de béatitude, la béatitude aussi présente divers caractères. En Dieu se trouve la béatitude par essence, car son être même est identique à son activité, par laquelle il jouit de lui-même et non d’un autre. Chez les anges, la béatitude est la perfection ultime réalisée par une activité qui les unit au bien incréé ; et en eux cette activité est unique et perpétuelle. Chez les hommes, dans l’état de la vie présente, la perfection ultime est acquise par une activité qui unit l’homme à Dieu ; mais cette activité ne peut être ni continue, ni par conséquent unique, car l’activité se multiplie par ses interruptions. Pour ce motif, dans l’état de vie présente, la béatitude parfaite ne saurait être possédée par l’homme. Aussi le Philosophe-, plaçant la béatitude de l’homme en cette vie, la dit-il imparfaite, concluant après de longs développements : “ Nous les appelons bienheureux, comme le sont des hommes. ” Mais Dieu nous promet la béatitude parfaite, quand nous serons, selon l’Évangile (Mt 22, 30) “ comme des anges dans le ciel ”.

Donc, si l’on parle de cette béatitude parfaite, l’objection tombe ; car dans cet état bienheureux, l’esprit de l’homme sera uni à Dieu par une activité unique, continue et perpétuelle. En ce qui concerne la vie présente, autant nous y sommes éloignés de la béatitude parfaite, autant nous sommes loin de l’unité et de la continuité d’une telle activité. Toutefois, il nous reste une certaine participation de la béatitude, et d’autant mieux que notre activité pourra être plus continue et plus une. C’est pourquoi la vie active, qui comporte de nombreuses occupations, est moins apparentée à la béatitude que la vie contemplative, tournée vers un seul objet, qui est la contemplation de la vérité. Si parfois l’homme n’exerce pas en acte une telle activité, il est toujours à même de l’accomplir ; et comme il ordonne à elle cela même qui l’interrompt, comme le sommeil ou une quelconque occupation de la nature, l’activité semble être continuelle.

5. 6. Cela donne la réponse aux dernières objections.

 

            Article 3 — La béatitude est-elle une activité de la partie sensible de l’âme, ou seulement de sa partie intellectuelle ?

Objections :

1. Il semble que la béatitude doive consister aussi en une activité des sens. En effet, aucune activité de l’homme n’est plus noble que celle des sens, sauf l’activité intellectuelle. Mais celle-ci dépend en nous de l’activité des sens, puisque nous ne pouvons penser sans images, selon Aristote. Donc la béatitude consiste aussi en une activité sensible.

2. La béatitude est, définie par Boèce, “ un état parfait grâce au rassemblement de tous les biens ”. Or il y a des biens sensibles que nous atteignons par l’activité des sens. Il semble donc que celle-ci soit requise pour la béatitude.

3. La béatitude est un bien parfait, comme le prouve Aristote. Or cela ne serait pas si l’homme n’était perfectionné par elle selon toutes les parties de son être. Or les activités de l’ordre sensible perfectionnent certaines parties de l’âme. Donc l’activité sensible est requise pour la béatitude.

En sens contraire, les bêtes ont en commun avec nous les activités sensibles, et non la béatitude. Donc la béatitude ne consiste pas en de telles opérations.

Réponse :

Une chose peut avoir rapport à la béatitude de trois manières - essentiellement, à titre d’antécédent, et à titre de conséquent. En ce qui concerne l’essence, l’opération sensitive ne peut appartenir à la béatitude ; car la béatitude de l’homme consiste essentiellement dans son union avec le bien incréé, qui est sa fin ultime, nous l’avons montré, et à ce bien-là l’homme ne peut être uni par une activité des sens. De même, nous savons que la béatitude humaine ne consiste pas dans les biens corporels, les seuls pourtant que nous puissions atteindre par les sens.

Mais les activités sensibles peuvent avoir rapport à la béatitude soit comme antécédents, soit à titre de conséquence. Comme antécédents, en ce qui concerne la béatitude imparfaite telle qu’on peut la posséder en cette vie, pour cette raison que l’activité de l’intellect exige celle des sens. A titre de conséquence, dans la parfaite béatitude qui est attendue dans le ciel, parce que, après la résurrection, ainsi que l’explique S. Augustin, la béatitude de l’âme refluera pour ainsi dire sur le corps et sur les sens corporels pour rendre leurs activités plus parfaites. C’est ce qu’on verra plus clairement quand nous traiterons de la résurrection. Mais dans cet état, l’activité par laquelle l’esprit de l’homme sera uni à Dieu ne dépendra pas des sens.

Solutions :

1. Cette objection prouve que l’activité des sens est nécessaire, à titre d’antécédent, à la béatitude imparfaite telle qu’on peut la posséder en ce monde.

2. La béatitude parfaite, telle que les anges la possèdent, réalise la plénitude de tous les biens par l’union à leur source de tout bien, sans qu’il soit besoin de biens singuliers. Mais dans notre béatitude imparfaite nous avons besoin d’un ensemble de biens qui nous suffisent pour l’activité la plus parfaite de cette vie.

3. La béatitude parfaite doit parfaire tout l’homme ; mais ce sera grâce à une répercussion de la partie supérieure sur l’inférieure. Dans la béatitude imparfaite de la vie présente, c’est l’inverse qui a lieu : le perfectionnement de la partie inférieure contribue à celui de la partie supérieure.

 

            Article 4 — Si la béatitude est une activité de la partie intellectuelle, est-elle une activité de l’intellect ou de la volonté ?

Objections :

1. Il semble que la béatitude consiste en un acte de la volonté. En effet, S. Augustin écrit : “ La béatitude de l’homme consiste dans la paix ”, selon ces mots du Psaume (147, 14) : “ Il a fait de tes frontières un séjour de paix. ” Or la paix relève de la volonté.

2. La béatitude est le souverain bien. Or le bien est l’objet de la volonté.

3. Au premier moteur correspond la fin ultime, de même que la victoire, fin dernière de toute l’armée, est la fin du chef qui meut l’armée tout entière. Or le premier moteur de toute l’opération est en nous la volonté, car c’est elle qui actionne nos autres facultés, comme on le dira par la suite. Donc la béatitude relève de la volonté.

4. Si la béatitude est une opération, ce doit être l’opération humaine la plus noble. Or l’amour de Dieu, qui est un acte de la volonté, est plus noble que la connaissance, opération intellectuelle, comme le montre l’Apôtre dans sa première épître aux Corinthiens (chap. 13).

5. S. Augustin écrit : “ Celui-là est bienheureux qui a tout ce qu’il veut, et ne veut rien pour le mal. ” Et peu après : “ Celui-là est proche d’être heureux qui veut selon le bien tout ce qu’il veut ; car ce sont des biens qui rendent heureux, et un tel homme a déjà une part de ces biens, qui est sa propre bonne volonté. Donc la béatitude consiste en un acte de volonté. ”

En sens contraire, le Seigneur dit (Jn 17, 3) “ La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu. ” Or la vie éternelle est notre fin ultime, nous l’avons dit. Donc la béatitude de l’homme consiste dans la connaissance de Dieu, qui est un acte intellectuel.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, deux choses sont requises pour la béatitude : l’une qui est son essence même, l’autre qui est en quelque sorte son accident propre : la délectation qui s’y ajoute. Je dis donc qu’en ce qui concerne l’essence même de la béatitude, il est impossible qu’elle consiste en un acte de volonté. Il est clair en effet, d’après ce qui précède, que la béatitude est l’entrée en possession de notre fin ultime. Or l’entrée en possession de la fin ne consiste pas dans un acte de volonté. Car la volonté se porte vers la fin, soit absente lorsqu’elle la désire, soit présente lorsque s’y reposant elle y trouve son plaisir. Or il est évident que le désir de la fin n’en est pas l’acquisition, c’est un mouvement vers la fin. Quant au plaisir, il échoit à la volonté lorsque la fin est présente ; mais on ne peut pas dire, réciproquement, que quelque chose soit rendu présent du fait que la volonté y prend plaisir. Il faut donc qu’il y ait quelque chose d’autre, en dehors de l’acte de la volonté, par quoi la fin elle-même soit rendue présente à la volonté.

Cela apparaît clairement quand on l’applique à des fins sensibles. Si l’on pouvait acquérir de l’argent par un acte de volonté, le cupide serait en possession de cet argent dès le moment où il veut l’avoir. Mais au départ l’argent lui manque ; il l’acquiert en y portant la main ou autrement, et alors il trouve son plaisir dans l’argent qu’il possède. Ainsi en est-il en ce qui concerne notre fin intelligible. Au départ, nous voulons obtenir cette fin intelligible ; nous l’obtenons du fait qu’elle nous devient présente par un acte intellectuel ; et alors notre volonté se repose avec plaisir dans la fin maintenant possédée.

Ainsi donc, l’essence de la béatitude consiste en un acte intellectuel ; mais la délectation consécutive à la béatitude appartient à la volonté ; ce qui fait dire à S. Augustin : “ La béatitude est la joie de la vérité ”. Parce que la joie est la consommation de la béatitude.

Solutions :

1. La paix ressortit à la fin dernière de l’homme ; mais elle n’en est pas l’essence ; elle n’est à son égard qu’un antécédent et une conséquence. Un antécédent en ce que tout élément perturbateur et tout obstacle sont écartés de la fin ultime. Une conséquence, parce que désormais l’homme en possession de sa fin ultime demeure apaisé, son désir ayant trouvé le repos.

2. Le premier objet de la volonté n’est pas son acte à elle, comme le premier objet de la vue n’est pas la vision, mais le visible. Ainsi, du fait que la béatitude concerne la volonté comme son premier objet, il résulte qu’elle ne se confond pas avec son acte même.

3. Si la fin est appréhendée d’abord par l’intelligence, le mouvement vers la fin commence dans la volonté. Et c’est pour cela que nous attribuons à la volonté le dernier effet produit par l’acquisition de la fin, qui est la délectation ou jouissance.

4. L’amour surpasse la connaissance quand il s’agit d’imprimer le mouvement. Mais la connaissance précède l’amour quant au fait d’atteindre la fin ; car ainsi que l’observe S. Augustin, on n’aime que ce qui est déjà connu. Pour cette raison, nous atteignons d’abord notre fin intelligible par une action de l’intellect, de même que nous atteignons d’abord par les sens une fin de l’ordre sensible.

5. Celui qui a tout ce qu’il veut est bienheureux du fait même qu’il a ce qu’il veut ; mais s’il l’a, c’est par autre chose qu’un acte de volonté. Quant à ne vouloir rien de mal, c’est là une prédisposition nécessaire à la béatitude. Enfin la bonne volonté est placée par S. Augustin au rang des biens qui rendent bienheureux, en ce sens qu’elle est une sorte d’inclination vers ces biens. C’est ainsi que le mouvement rentre dans le genre auquel appartient son terme, et l’altération dans le genre de la qualité qui en sera le résultat.

 

            Article 5 — La béatitude est-elle une activité de l’intellect spéculatif ou de l’intellect pratique ?

Objections :

1. Il semble que la béatitude consiste en une activité de l’intellect pratique. En effet, la fin ultime de toute créature consiste dans son assimilation à Dieu. Or l’homme ressemble plus à Dieu par l’intellect pratique, cause des choses qu’il connaît, que par l’intellect spéculatif, qui reçoit sa connaissance des choses.

2. La béatitude est le bien parfait de l’homme, et l’intellect pratique s’ordonne davantage au bien que l’intellect spéculatif, qui s’ordonne au vrai. Aussi est-ce pour la perfection de notre intellect pratique que nous sommes appelés bons, et non pour la perfection de notre intellect spéculatif, qui nous fait appeler savants ou intelligents.

3. La béatitude est un bien de l’homme lui-même ; or l’intellect spéculatif s’occupe surtout de ce qui est extérieur à l’homme, et l’intellect pratique de ce qui concerne l’homme, comme ses activités et ses passions. Donc la béatitude de l’homme consiste davantage en l’activité de l’intellect pratique qu’en celle de l’intellect spéculatif.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Une contemplation nous est promise, qui est la fin de toutes les actions et l’éternelle perfection des joies. ”

Réponse :

La béatitude consiste dans l’activité de l’intellect spéculatif plus que dans celle de l’intellect pratique, et cela se prouve de trois façons.

1° Si la béatitude de l’homme est une activité, il faut qu’elle soit son activité la plus parfaite. Or l’activité heureuse la plus parfaite est celle de la faculté la plus élevée s’appliquant à l’objet le plus élevé. Mais la faculté la plus élevée de l’homme est l’intellect, et son objet le plus élevé est le bien divin, objet de l’intellect spéculatif, non de l’intellect pratique. C’est donc dans une activité de ce genre, dans la contemplation du divin, que consiste surtout la béatitude. Et comme, selon Aristote, “ chaque être paraît s’identifier à ce qu’il y a en lui de meilleur ”, une telle activité est éminemment propre à l’homme, et la plus délectable.

2° La contemplation est recherchée avant tout pour elle-même. Or l’acte de l’intellect pratique n’est pas recherché pour lui-même, mais en vue de l’action, et les actions à leur tour sont ordonnées vers quelque fin. Il est donc manifeste que la fin dernière ne peut pas consister dans la vie active, qui ressortit à l’intellect pratique.

3° Par la vie contemplative, l’homme entre en communication avec ce qui le dépasse, avec Dieu et les anges, auxquels il est assimilé par la béatitude. Mais ce qui regarde la vie active, les autres animaux l’ont en commun avec l’homme, bien qu’imparfaitement.

Voilà pourquoi l’ultime et parfaite béatitude qui nous est promise dans la vie future consiste tout entière dans la contemplation comme dans son principe. Quant à la béatitude imparfaite, telle qu’on peut l’avoir ici-bas, elle consiste d’abord et principalement dans la contemplation, mais aussi, secondairement, dans l’opération de l’intellect pratique dirigeant les actions et les passions humaines, comme dit Aristote.

Solutions :

1. On dit que l’activité de l’intellect pratique nous assimile à Dieu créateur. Oui ; mais cette assimilation a un caractère de pure proportionnalité ; elle signifie que l’intellect pratique est avec son œuvre dans le même rapport que Dieu avec la sienne. Au contraire, l’assimilation réalisée par l’intellect spéculatif se fait par union ou par information, ce qui est une assimilation beaucoup plus parfaite. Cependant, on peut observer qu’à l’égard de son objet principal de connaissance, qui est son essence même, Dieu n’a pas de connaissance pratique, mais seulement spéculatives.

2. Il est vrai que l’intellect pratique vise un bien qui est en dehors de lui ; mais l’intellect spéculatif porte son bien en lui-même, par la contemplation de la vérité. Et si ce bien est parfait, par lui tout homme est rendu parfait et en devient bon, ce qu’on ne peut pas dire de l’intellect pratique, qui ne fait qu’ordonner à ce but.

3. Cet argument serait valable si l’homme lui-même était sa fin ultim ; car alors la considération et la mise en ordre de ses actions et de ses passions serait sa béatitude. Mais puisque la fin ultime de l’homme est un bien différent et extrinsèque, à savoir Dieu même, que nous atteignons par l’activité de l’intellect spéculatif, il en résulte que la béatitude de l’homme consiste davantage dans l’opération de l’intellect spéculatif que dans celle de l’intellect pratique.

 

            Article 6 — La béatitude consiste-t-elle dans la considération des sciences spéculatives ?

Objections :

1. Il semble bien. En effet, d’après Aristote “ la félicité est une opération procédant d’une vertu parfaite ”. Puis, lorsqu’il distingue les vertus, il n’en reconnaîtg que trois spéculatives : la science, la sagesse et l’intellect, qui toutes trois ont rapport à l’étude des sciences spéculatives. Donc la béatitude dernière de l’homme consiste dans l’étude des sciences spéculatives.

2. La béatitude ultime de l’homme doit être un objet que tous désirent naturellement, et désirent pour lui-même. Or telle est l’étude des sciences spéci.ilatives, car, selon Aristote, “ tous les hommes désirent naturellement savoir ”, et il ajoute que les sciences spéculatives sont recherchées pour elles-mêmes. Donc la béatitude consiste dans l’exercice de ces sciences.

3. La béatitude est la perfection ultime de l’homme, et chaque être se perfectionne selon qu’il passe de la puissance à l’acte. Or l’intellect humain passe de la puissance à l’acte par l’étude des sciences spéculatives. C’est donc dans cette étude que consiste la béatitude ultime de l’homme.

En sens contraire, on lit dans Jérémie (9, 22) “ Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse ”, et le prophète parle de la sagesse des sciences spéculatives. Ce n’est donc pas dans l’étude de ces sciences que consiste la béatitude ultime de l’homme.

Réponse :

Comme nous l’avons dit récemment, on distingue deux sortes de béatitude, l’une parfaite et l’autre imparfaite. Il faut entendre par béatitude parfaite celle qui atteint à la vraie et pleine notion de la béatitude, alors que la béatitude imparfaite ne va pas jusque-là, mais participe seulement d’une certaine ressemblance partielle de la béatitude. C’est ainsi que la prudence parfaite se trouve chez l’homme qui possède la claire notion de ses actes, tandis que la prudence imparfaite est le fait de ces animaux qui sont régis par des instincts spécialisés pour accomplir des actions qui ressemblent à celles de la prudence.

Donc la béatitude parfaite ne saurait consister en l’étude des sciences spéculatives. Pour l’établir, il faut observer que l’étude d’une science spéculative ne s’étend pas plus loin que la portée de ses principes ; car dans les principes d’une science la science tout entière est virtuellement contenue. Or les premiers principes des sciences spéculatives sont reçus par les sens, comme le démontre le Philosophe. Il s’ensuit que toute l’étude des sciences spéculatives ne peut s’étendre au-delà de ce que nous apprend la connaissance sensible. Or, la connaissance des choses sensibles ne peut pas constituer la béatitude ultime de l’homme, qui est sa perfection suprême. En effet, rien n’est perfectionné par ce qui lui est inférieur, à moins que cela ne participe d’une réalité supérieure. Or il est bien évident que la forme d’une pierre, par exemple, ou de toute autre réalité accessible aux sens, est inférieure à l’homme. Il s’ensuit que la forme de la pierre ne perfectionne pas l’intellect par le fait qu’il s’agit d’une pierre, mais parce qu’il y a dans cette forme une participation de quelque chose qui est au-dessus de l’intelligence, à savoir la lumière intelligible ou quelque chose de semblable.

Mais tout ce qui se produit en vertu d’autre chose se ramène à ce qui existe par soi. Il faut donc que la perfection ultime de l’homme soit procurée par la connaissance d’une réalité supérieure à l’intellect humain. Or on a montré antérieurement que par les choses sensibles on ne peut s’élever à la connaissance des substances séparées, qui sont au-dessus de l’intelligence humaine. Il reste donc que la béatitude ultime de l’homme ne saurait consister dans l’étude des sciences spéculatives. Toutefois, de même que dans les formes sensibles est participée une certaine similitude des substances séparées, ainsi l’étude des sciences spéculatives offre une certaine participation de la vraie et parfaite béatitude.

Solutions :

1. Le Philosophe parle là de la béatitude imparfaite, telle qu’elle peut se réaliser en cette vie, ainsi que nous venons de le dire.

2. Tout le monde désire savoir ; mais il ne s’ensuit pas que le savoir soit la béatitude parfaite, car le désir ne vise pas uniquement la béatitude parfaite ; on désire naturellement aussi une similitude ou une participation quelconque de cette béatitude.

3. Par l’étude des sciences spéculatives notre intellect est amené d’une certaine manière à son acte, mais non pas à son acte ultime et parfait.

 

            Article 7 — La béatitude consiste-t-elle dans la connaissance des substances séparées, c’est-à-dire des anges ?

Objections :

1. Il semble que oui, car S. Grégoire l’a dit dans une homélie : “ Il ne sert à rien d’assister aux fêtes des hommes, si l’on ne peut se mêler à celles des anges ”, par quoi il désigne la béatitude finale. Mais nous pouvons participer aux fêtes des anges en contemplant ceux-ci. Il semble donc que la béatitude ultime de l’homme consiste dans la contemplation des anges.

2. Chaque être trouve son ultime perfection dans l’union avec son principe, ce qui a fait appeler le cercle une figure parfaite, parce qu’il a une fin identique à son principe. Mais le principe de la connaissance humaine vient des anges, s’il est vrai, comme l’assure Denys, qu’ils nous illuminent. La perfection de l’intellect humain est donc dans la contemplation des anges.

3. Chaque nature est parfaite quand elle rejoint, pour s’y unir, la nature qui lui est supérieure ; ainsi la perfection ultime de la nature corporelle est de s’unir à la nature spirituelle. Mais au-dessus de l’intellect humain se trouvent placés les anges, selon l’ordre de la nature. Donc l’ultime perfection de l’intellect humain est d’être uni aux anges par la contemplation.

En sens contraire, Jérémie nous dit (9, 29) “ Celui qui veut se glorifier, qu’il mette sa gloire en ceci : avoir de l’intelligence et me connaître. ” Donc la gloire suprême, la béatitude de l’homme ne consiste que dans la connaissance de Dieu.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, la parfaite béatitude de l’homme ne consiste pas dans ce qui est la perfection de l’intellect, selon qu’il participe d’un autre être, mais bien dans ce qui est tel dans son essence même. Or il est évident qu’une chose ne peut perfectionner une puissance que dans la mesure où ce qui caractérise l’objet lui appartient. Mais l’objet propre de l’intellect est le vrai. Ainsi l’objet qui ne représente qu’une vérité participée ne peut, quand on le contemple, perfectionner l’intellect en lui donnant sa perfection ultime. Et puisque, selon Aristote, la condition des choses est la même par rapport à l’être et par rapport à la vérité, tout ce qui est être par participation est vrai aussi par participation. Or les anges ont un être participé puisqu’en Dieu seul il y a identité de l’existence et de l’essence, comme nous l’avons montré dans la première Partie. Il reste donc que Dieu seul est la vérité par essence et que sa contemplation rend parfaitement heureux. Rien n’empêche toutefois de trouver quelque béatitude imparfaite dans la contemplation des anges, et même plus élevée que dans l’étude des sciences spéculatives.

Solutions :

1. Nous participerons aux fêtes angéliques non seulement en contemplant les anges, mais en contemplant Dieu avec eux.

2. Dans l’opinion de ceux qui attribuent aux anges la création des âmes humaines, il est assez logique de dire que la béatitude de l’homme consiste en la contemplation des anges, puisqu’ainsi l’homme serait uni à son principe. Mais cette théorie est erronée, comme nous l’avons fait voir dans la première Partie. Il s’ensuit que l’ultime perfection de l’intellect humain n’est obtenue que par l’union à Dieu, principe premier à la fois de la création de l’âme et de son illumination. L’ange illumine seulement comme ministre, nous l’avons reconnu dans la première Partie, et ainsi, par son ministère, il aide l’homme à conquérir sa béatitude, mais il n’en est pas l’objet.

3. Le fait, pour une nature inférieure, de rejoindre la supérieure, peut se réaliser de deux façons. D’abord, par rapport au degré de la faculté participante, et ainsi la dernière perfection de l’homme consiste en ce qu’il arrive à contempler comme les anges contemplent. Ensuite, quant à l’objet qui est atteint par la faculté ; et de cette manière la perfection ultime de n’importe quelle puissance consiste à atteindre ce qui réalise pleinement la raison de son objet.

 

            Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

Objections :

1. Il ne semble pas ; car selon Denys, le suprême effort de l’intelligence consiste à s’unir à Dieu comme à un être totalement inconnu. Or ce qui est vu dans son essence n’est pas totalement inconnu. Donc, la perfection ultime de l’intelligence, ou béatitude, ne consiste pas à voir l’essence divine.

2. Ensuite, la perfection d’une nature supérieure est elle-même supérieure. Or c’est la perfection propre de l’intellect divin de voir sa propre essence. Donc la perfection ultime de l’intellect humain n’y atteint pas ; elle demeure au-dessous.

En sens contraire, on lit dans S. Jean (1 Jn 3, 2) : “ Lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui et nous le verrons tel qu’il est. ”

Réponse :

La béatitude ultime et parfaite ne peut être que dans la vision de l’essence divine. Pour le prouver, il faut considérer deux choses. La première est que l’homme ne saurait être parfaitement heureux tant qu’il lui reste quelque chose à désirer et à chercher. La seconde est que la perfection d’une faculté doit être appréciée d’après la nature de son objet. Or “ l’objet de l’intelligence est "ce qu’est" la chose, son essence ”, dit Aristote. D’où il résulte que la perfection de l’intellect se mesure à sa connaissance de l’essence d’une chose. Donc, si un intellect connaît dans son essence un certain effet, mais de telle sorte que par cet effet il ne puisse parvenir à la connaissance de la cause dans son essence même et savoir d’elle “ ce qu’elle est ”, on ne peut pas dire que cet intellect atteigne purement et simplement à l’essence de la cause, bien que, par l’effet envisagé, il sache de cette cause “ qu’elle est ”. Voilà pourquoi l’homme garde naturellement le désir, quand il connaît un effet et l’existence de sa cause, de savoir en outre, au sujet de cette cause, “ ce qu’elle est ”. Et c’est là un désir d’admiration ou d’étonnement qui provoque la recherche, comme dit Aristote au début de sa Métaphysique. Par exemple quelqu’un, voyant une éclipse de soleil, comprend qu’elle doit avoir une cause, et parce qu’il ignore ce qu’elle est, s’étonne, et son étonnement le pousse à chercher. Et son investigation n’aura pas de repos avant qu’il soit parvenu à connaître l’essence de cette cause.

Donc, si l’intellect humain, connaissant l’essence d’un effet créé, ne connaît de Dieu rien d’autre que son existence, il n’est pas assez parfait pour atteindre véritablement à la cause première ; mais il garde le désir naturel de découvrir cette cause. Aussi n’est-il pas encore parfaitement heureux. Il est donc requis pour la parfaite béatitude que l’intellect atteigne à l’essence même de la cause première. Et ainsi il possédera la perfection en s’unissant à Dieu comme à son objet, en qui seul consiste la béatitude, comme nous l’avons dit récemment.

Solutions :

1. Ce texte de Denys concerne la connaissance de Dieu chez ceux qui sont sur le chemin de cette vie et tendent à la béatitude.

2. Nous l’avons déjà dit, le mot “ fin ” se prend en deux sens. Il signifie la réalité même qui est désirée, et en ce cas la fin est la même pour la nature supérieure et pour la nature inférieure, voire pour tous les êtres, comme on l’a établi précédemment. Mais la fin se prend aussi pour l’entrée en possession de la réalité désirée, et alors la fin est différente chez la nature supérieure et chez la nature inférieure, à cause du rapport différent qu’elles entretiennent avec cette réalité. C’est ainsi que Dieu, du fait qu’il saisit pleinement sa propre essence par son intellect, a une béatitude plus haute que l’homme ou l’ange, qui voit cette essence, mais ne la saisit pas pleinement.

 

 

QUESTION 4 — LES CONDITIONS REQUISES POUR LA BÉATITUDE

1. La délectation est-elle requise pour la béatitude ? - 2. Quel est le principal dans la béatitude : la délectation ou la vision ? - 3. La compréhension est-elle requise ? - 4. La rectitude de la volonté est-elle requise ? - 5. Le corps est-il requis pour la béatitude de l’homme ? - 6. Et la perfection du corps ? - 7. Et certains biens extérieurs ? - 8. La société d’amis est-elle requise ?

 

            Article 1 — La délectation est-elle requise pour la béatitude ?

Objections :

1. La délectation, ou plaisir, ne semble pas requise pour la béatitude. En effet, S. Augustin écrit : “ La vision est toute la récompense de la foi. ” Or la récompense ou le salaire de la vertu, c’est la béatitude, dit le Philosophe. Donc rien d’autre n’est requis pour la béatitude si ce n’est la seule vision.

2. “ La béatitude est un bien éminemment suffisant par lui-même ”, dit Aristote. Or ce qui a besoin d’autre chose n’est pas suffisant par soi. Donc, puisque l’essence de la béatitude consiste en la vision de Dieu, nous l’avons montré, il semble que la délectation ne soit pas requise pour la béatitude.

3. Le Philosophe nous dit encore que “ l’activité en laquelle consiste la félicité ou béatitude doit être à l’abri de tout empêchement ”. Or la délectation entrave l’action de l’intelligence, puisqu’elle “ corrompt l’estimation de la prudence ”, selon Aristote. Donc la délectation n’est pas requise pour la béatitude.

En sens contraire, S. Augustin nous dit : “ La béatitude est la joie qui nous vient de la vérité. ”

Réponse :

Une chose peut être requise pour une autre de quatre manières.

1° Comme condition préliminaire et préparation ; ainsi l’étude est nécessaire à la science.

2° Comme apportant un certain achèvement, et ainsi l’âme est requise pour la vie du corps.

3° Comme auxiliaire ou adjuvant extérieur, à la façon dont le concours des amis est requis pour certaines œuvres.

4° Enfin par concomitance, comme si nous disons que la chaleur est requise pour accompagner le feu. C’est ainsi que la délectation est requise pour la béatitude. En effet, la délectation a pour cause le repos de l’appétit dans le bien une fois acquis. Comme la béatitude n’est autre chose que l’acquisition du souverain bien, elle ne saurait subsister sans délectation concomitante.

Solutions :

1. Du fait que le salaire est attribué à qui le mérite, la volonté méritante s’y repose, et c’est cela se délecter. Ainsi la délectation est incluse dans la raison même du salaire acquitté.

2. De la vision même découle la délectation, et celui qui voit Dieu ne peut donc pas être privé de celle-ci.

3. La délectation qui accompagne l’activité intellectuelle non seulement ne l’entrave pas, mais la renforce, comme dit Aristote. En effet, ce que nous faisons avec plaisir, nous le faisons avec plus d’attention et de persévérance. C’est la délectation étrangère à l’opération qui l’entrave parfois parce qu’elle distrait notre attention, puisque, nous venons de le dire, nous nous intéressons davantage à ce qui nous délecte ; et tandis que nous nous intéressons passionnément à cela, notre attention se détourne fatalement du reste. Parfois, il y a aussi contrariété, et c’est ce qui arrive quand la délectation des sens est contraire à la raison. Elle empêche alors l’estimation de la prudence, plus qu’elle ne met obstacle au jugement de l’intellect spéculatif.

 

            Article 2 — Quel est le principal dans la béatitude — la délectation ou la vision ?

Objections :

1. Il semble que, dans la béatitude, la délectation soit plus primordiale que la vision. Car, au dire d’Aristote, “ la délectation est la perfection de l’activité ”. Or ce qui perfectionne est supérieur à ce qui est perfectionné. Donc la délectation est plus importante que l’activité de la vision.

2. Ce qui rend une chose désirable est supérieur à cette chose. Or les opérations sont désirées à cause des délectations qu’elles procurent ; c’est pourquoi la nature, lorsqu’il s’agit d’opérations nécessaires à la conservation de l’individu et de l’espèce, y a attaché la délectation, afin que ces activités ne soient pas négligées par les êtres animés.

3. La vision correspond à la foi, et la délectation ou fruition à la charité. Or la charité est supérieure à la foi, dit l’Apôtre (1 Co 13, 13). Donc la délectation ou fruition est supérieure à la vision.

En sens contraire, la cause est supérieure à l’effet. Mais la vision est la cause de la délectation ; donc la vision est supérieure à la délectation.

Réponse :

Cette question a été soulevée par Aristote au livre X de son Éthique, et il l’a laissée pendante. Mais si l’on y regarde de près, on reconnaîtra nécessairement que l’activité de l’intellect, la vision, prévaut sur la délectation. En effet, la délectation consiste en un certain repos de la volonté. Or, si la volonté se repose en quelque chose, c’est uniquement parce qu’elle trouve un bien dans l’objet de son repos. Donc, si la volonté trouve son repos dans une activité, c’est à cause de la bonté de celle-ci. Et il ne faut pas dire que la volonté cherche le bien en vue du repos ; car alors l’acte même de la volonté serait sa fin, ce que nous avons déclaré impossible ; mais la volonté cherche à se reposer dans cette activité parce que celle-ci est son bien. Il est évident que le bien le plus primordial est ici l’opération dans laquelle la volonté se repose, plutôt que le repos de la volonté dans ce bien.

Solutions :

1. Selon Aristote au même endroit, la délectation parfait l’opération vitale à la manière dont la grâce parfait la jeunesse, grâce qui est un effet de la jeunesse elle-même. Il en découle que la délectation est une certaine perfection accompagnant la vision, et non une perfection qui rende la vision parfaite dans son espèce.

2. La perception sensible n’atteint pas à la raison générale du bien, mais à un bien particulier qui se présente comme délectable. C’est pourquoi en ce qui regarde l’appétit sensible des animaux, les activités sont recherchées en vue de la délectation. L’intellect, au contraire, saisit la raison universelle du bien, dont la possession engendre la délectation. Pour cette raison, il se propose le bien à titre premier, plutôt que la jouissance. De là vient aussi que l’intellect divin, en instituant la nature, a attaché les délectations aux activités dans l’intérêt de celles-ci. Or il ne convient pas de porter sur les choses une appréciation décisive au niveau de l’appétit sensible, mais au niveau de l’appétit intellectuel.

3. La charité ne recherche pas le bien aimé en vue de la délectation. C’est par voie de conséquence qu’elle se délecte dans la possession du bien qu’elle aime. Et ainsi ce n’est pas la délectation qui correspond à la charité comme étant sa fin, mais plutôt la vision, par laquelle d’abord cette fin lui est rendue présente.

 

            Article 3 — La compréhension est-elle requise pour la béatitude ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, S. Augustin écrit : “ Atteindre Dieu par l’esprit est une grande béatitude ; quant à le comprendre, c’est impossible. ”

2. La béatitude est la perfection de l’homme quant à sa partie intellectuelle, partie qui ne se compose que de l’intellect et de la volonté, comme on l’a dit dans la première Partie. Or l’intellect est suffisamment perfectionné par la vision de Dieu, et la volonté par la délectation qu’elle y trouve. Il est donc inutile de requérir la compréhension comme une troisième condition.

3. La béatitude consiste dans une activité, et celles-ci se caractérisent par leurs objets. Comme d’autre part il n’y a que deux objets généraux, le vrai et le bien, le vrai correspond à la vision et le bien à la délectation. La compréhension n’est donc pas requise comme une troisième opération.

En sens contraire, S. Paul écrit (1 Co 9, 24) : “ Courez de façon à remporter le prix ” (ut comprehendatis). Mais la course spirituelle a pour terme la béatitude, ce qui fait dire encore à l’Apôtre (2 Tm 4, 7) : “ J’ai combattu le bon combat, j’ai terminé ma course, j’ai conservé la foi ; il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice. ” Donc la saisie ou compréhension est requise pour la béatitude.

Réponse :

Puisque la béatitude consiste dans l’obtention de la fin ultime, ce qui est requis pour la béatitude doit être envisagé selon le rapport de l’homme avec cette fin. Or l’homme est ordonné à la fin intelligible en partie par son intellect, en partie par sa volonté. Par l’intellect, en tant que préexiste en cet intellect une connaissance imparfaite de la fin. Par la volonté, en premier lieu du fait de l’amour, qui est le premier mouvement de la volonté vers un objet, ensuite par une relation réelle entre l’être aimant et l’être aimé.

Ce rapport peut être triple. Parfois l’être aimé est présent à l’être aimant ; dès lors il n’y a pas de recherche. Parfois il n’est pas présent, mais on ne peut l’obtenir ; dans ce cas encore il n’y a pas de recherche. Parfois enfin il est possible de l’acquérir, mais il est élevé au-dessus du pouvoir de son acquéreur, si bien qu’il ne peut être atteint aussitôt ; telle est la relation de celui qui espère à l’objet de son espérance, relation qui seule provoque la recherche de la fin.

Or, quelque chose correspond dans la béatitude à chacun de ces trois modes. La connaissance parfaite de la fin correspond à la connaissance imparfaite ; la présence de la fin correspond à la relation d’espérance, et la délectation qui naît de la présence est le résultat de la dilection, ainsi que nous l’avons expliqué.

C’est pourquoi la béatitude exige le concours de ces trois choses : la vision, qui est une connaissance parfaite de notre fin intelligible ; la compréhension, qui implique la présence de cette même fin, et la délectation ou fruition, qui implique le repos de l’être aimant dans la possession de l’être aimé.

Solutions :

1. Le mot “ compréhension ” peut être entendu de deux manières. Il peut signifier que ce qui est compris est renfermé dans ce qui le comprend, et en ce cas ce qui est compris par un être fini est fini, de telle sorte que Dieu ne peut être “ compris ” par l’intellect d’aucune créature. En second lieu, comprendre peut signifier simplement tenir dans ses prises l’objet qui désormais est possédé et rendu présent. Ainsi un homme qui en poursuit un autre est dit l’appréhender quand une fois il le tient, et c’est ce genre de compréhension qui est requis pour la béatitude.

2. De même que l’espérance et l’amour ressortissent à la volonté, parce qu’il appartient au même sujet d’aimer un objet et d’y tendre lorsqu’il manque ; ainsi appartiennent à la volonté la compréhension et la délectation, parce qu’il appartient au même sujet de posséder quelque chose et de se reposer en lui.

3. La compréhension n’est pas une opération extérieure à la vision, mais une relation à la fin possédée. C’est pourquoi la vision même, ou la chose vue en tant qu’elle est maintenant présente, est l’objet de la compréhension.

 

            Article 4 — La rectitude de la volonté est-elle requise pour la béatitude ?

Objections :

1. Il semble que non. Car, nous l’avons dit, la béatitude consiste essentiellement dans une opération de l’intellect. Or la perfection de l’intellect n’exige pas la rectitude de la volonté qui fait dire que les hommes sont purs. Or S. Augustin écrit : “ je n’approuve pas ce que j’ai dit dans une prière : "O Dieu qui n’avez voulu faire connaître la vérité qu’aux âmes pures." On peut en effet répondre que beaucoup, parmi ceux qui ne sont pas purs, connaissent pourtant beaucoup de vérités. ” Donc la droiture de la volonté n’est pas requise pour la béatitude.

2. Ce qui précède ne dépend pas de ce qui suit. Or l’activité de l’intellect précède celle de la volonté. Donc la béatitude, activité parfaite de l’intellect, ne dépend pas de la rectitude de la volonté

3. Ce qui est ordonné à quelque chose comme à sa fin n’est plus nécessaire après l’obtention de cette fm, comme le navire une fois qu’on est au port. Mais la rectitude de la volonté, qui est le fait de la vertu, est ordonnée à la béatitude comme à sa fin. Donc, la béatitude une fois obtenue, la rectitude de la volonté n’est plus nécessaire.

En sens contraire, on lit dans Matthieu (5, 8) : “ Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ceux-là verront Dieu. ” Et dans l’épître aux Hébreux (12, 14) : “ Conservez la paix avec tous, et la sainteté, sans laquelle personne ne verra le Seigneur. ”

Réponse :

La rectitude de la volonté est requise pour la béatitude et à titre d’antécédent et par concomitance. A titre d’antécédent, car ce qui rend droite la volonté c’est son juste rapport à la fin ultime. Or la fin, à l’égard de ce qui est ordonné à elle, joue le même rôle que la forme à l’égard de la matière. De même donc qu’une matière ne peut obtenir une forme si elle n’y est convenablement disposée, ainsi rien ne peut parvenir à sa fin sans être dans un juste rapport avec elle. Et c’est pourquoi nul ne peut parvenir à la béatitude à moins d’avoir une volonté droite.

Cette rectitude est également requise par concomitance ; car, comme nous l’avons dit, la suprême béatitude consiste dans la vision de l’essence divine, qui est l’essence même du bien. Et ainsi la volonté de celui qui voit Dieu par essence aime nécessairement par référence à Dieu tout ce qu’elle aime. Ainsi la volonté de celui qui ne voit pas l’essence divine aime nécessairement tout ce qu’elle aime sous la raison générale de bien, qu’elle connaît. Or c’est cela même qui rend une volonté droite. Il est donc évident que la béatitude ne peut exister sans la droiture de la volonté.

Solutions :

1. S. Augustin parle en ce passage de la connaissance d’une vérité qui n’est pas en même temps l’essence de la bonté.

2. On dit avec raison que tout acte de volonté est précédé par quelque acte d’intelligence ; cependant que tel acte de volonté précède tel acte d’intelligence. C’est ainsi que la volonté tend vers cet acte final de l’intelligence qu’est la béatitude. C’est pourquoi la rectitude de la volonté est exigée préalablement comme une trajectoire correcte est exigée de la flèche pour qu’elle frappe la cible.

3. Tout ce qui est ordonné à une fin ne cesse pas d’exister lorsque survient cette fin. Cela seul disparaît qui a un caractère d’inachèvement et d’imperfection, comme le mouvement. C’est pourquoi tout ce qui ne sert qu’au mouvement n’a plus de raison d’être lorsqu’on a rejoint la fin ; mais la rectitude de l’ordre à l’égard de ce terme est toujours nécessaire.

 

            Article 5 — Le corps est-il requis pour la béatitude de l’homme ?

Objections :

1. Il semble que le corps soit requis pour la béatitude de l’homme. En effet, la perfection de la vertu et de la grâce présuppose la perfection de la nature. Mais la béatitude est la perfection de la vertu et de la grâce. Or, une âme sans corps ne possède pas la perfection de sa nature, puisqu’elle est naturellement une partie de la nature humaine, et qu’une partie hors de son tout est imparfaite. Donc l’âme sans le corps ne peut pas être bienheureuse.

2. La béatitude est une activité parfaite, nous l’avons dit. Or l’activité parfaite suit à l’être parfait, car rien n’opère sinon en tant qu’il est un être en acte. Ainsi donc, l’âme séparée du corps n’ayant pas son être parfait, comme toute partie séparée de son tout, il semble qu’elle ne puisse être ainsi bienheureuse.

3. La béatitude est la perfection de l’homme ; mais une âme sans le corps n’est pas l’homme. Donc il ne peut y avoir de béatitude dans l’âme, sans le corps.

4. Selon le Philosophe, “ l’opération de la félicité, en quoi consiste la béatitude, n’a pas d’empêchement ”. Or l’opération de l’âme séparée a un empêchement ; car, dit S. Augustin, “ l’âme a comme un appétit naturel de régir le corps, et par cet appétit elle est arrêtée en quelque sorte dans son élan vers le ciel suprême ”, c’est-à-dire vers la vision de l’essence divine. Donc l’âme sans le corps ne peut être bienheureuse.

5. La béatitude est un bien pleinement suffisant, et qui apaise tous les désirs. Or cela ne convient pas à l’âme séparée, car elle désire toujours s’unir à son corps, comme S. Augustin le rappelle.

6. Du fait de la béatitude, l’homme est l’égal des anges ; or, selon S. Augustin, l’âme séparée n’est pas l’égale des anges ; donc elle n’a pas la béatitude.

En sens contraire, on lit dans l’Apocalypse (14, 13) : “ Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur. ”

Réponse :

Il y a deux sortes de béatitudes : l’une imparfaite et telle que nous pouvons l’avoir dans la vie présente, l’autre parfaite et qui consiste dans la vision de Dieu. Il est bien évident que pour la béatitude de cette vie, le corps est nécessaire. En effet, la béatitude de la vie présente est une activité de l’intellect soit spéculatif, soit pratique. Or l’opération de l’intellect, en cette vie, ne peut avoir lieu sans images, lesquelles ne naissent que dans un organe corporel, comme nous l’avons montré dans la première partie. Et ainsi la béatitude qu’on peut avoir en cette vie dépend en quelque manière du corps.

Quant à la béatitude parfaite, qui consiste dans la vision de Dieu, quelques-uns ont pensé qu’elle ne peut non plus être accordée à l’âme qui existe sans corps, et ils disent que les âmes des saints, étant séparées de leurs corps, ne peuvent parvenir à la béatitude avant le jour du jugement, quand elles reprendront leur corps.

Mais cela est faux soit au point de vue de l’autorité soit à celui de la raison. Au point de vue de l’autorité, car l’Apôtre écrit (2 Co 5, 6) : “ Aussi longtemps que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur ”, et voulant montrer de quelle nature est cet éloignement, il ajoute : “ car nous marchons par la foi et non par la vue ”. Cela montre que tout le temps où l’on marche par la foi et non par la vue, n’ayant pas la vision de l’essence divine, on n’est pas encore en la présence de Dieu. Or les âmes des saints qui sont séparées de leurs corps sont présentes à Dieu, ce qui fait que l’Apôtre ajoute : “ Nous sommes donc pleins de hardiesse, et nous aimons mieux déloger de ce corps et habiter auprès du Seigneur. ” Il est donc évident que les âmes des saints séparées de leurs corps “ marchent par la vue ”, c’est-à-dire voient l’essence de Dieu, ce qui constitue la vraie béatitude.

La raison le montre aussi. Car notre intellect n’a besoin du corps pour son activité qu’en raison des images sensibles, en lesquelles il voit, en même temps que ces images, la vérité intelligible qu’elles lui représentent, nous l’avons dit dans la première Partie. Or il est évident que l’essence divine ne peut pas être contemplée au moyen d’images, nous l’avons démontré dans la première Partie. Aussi, puisque la béatitude parfaite de l’homme consiste dans la vision de l’essence divine, cette béatitude ne peut dépendre du corps, et ainsi, même sans corps, l’âme peut être bienheureuse.

Toutefois, il faut savoir qu’une chose peut appartenir de deux façons à la perfection d’une autre. D’abord pour constituer son essence meme, ainsi l’âme est-elle nécessaire à la pleine constitution de l’homme. Ensuite, est requis à la perfection d’une chose ce qui ressortit à son être le meilleur ; c’est ainsi que la beauté corporelle ou la promptitude d’esprit appartiennent à la perfection de l’homme. Bien que le corps ne se rattache pas de la première manière à la perfection de la béatitude humaine, il s’y rattache de la seconde manière. En effet, puisque l’opération d’un être dépend de sa nature, plus la nature de l’âme sera parfaite, plus parfaite aussi sera sa propre opération, en laquelle consiste sa béatitude. C’est pourquoi S. Augustin s’étant demandé “ si les âmes des morts peuvent sans leurs corps acquérir la suprême béatitude ” répond : “ Elles ne peuvent voir la substance immuable comme les saints anges la voient, soit pour une raison plus cachée, soit parce qu’il y a en elles un désir naturel de gérer leur corps. ”

Solutions :

1. La béatitude est la perfection de l’âme du côté de l’intellect, par où l’âme s’élève au-dessus des organes corporels, et non pas selon que l’âme est la forme naturelle du corps. Il S’ensuit que l’âme séparée garde la perfection de nature selon laquelle la béatitude lui est due, bien qu’elle n’ait plus sa perfection de nature en tant que forme du corps.

2. La relation de l’âme avec l’existence est différente de celle des autres parties de l’homme. Car l’être du tout n’appartient à aucune de ses parties ; de là vient que, le tout étant détruit, la partie cesse d’être, comme les parties qui composent l’animal lorsque celui-ci est détruit ; ou bien, si les parties demeurent, elles ont un être en acte qui est différent ; ainsi une partie de ligne a un être différent de celui de la ligne entière. Mais l’âme humaine, après la destruction du corps, conserve l’être même du composé, et cela parce qu’il n’y a qu’un seul et même être de la matière et de la forme, et que cet être est celui du composé. Or l’âme subsiste en raison de son être propre, ainsi que nous l’avons démontré dans la première Partie. Il reste donc qu’après sa séparation d’avec le corps l’âme garde son être parfait, et qu’elle peut ainsi avoir une opération parfaite, bien qu’elle n’ait plus la perfection de sa nature spécifique.

3. La béatitude appartient à l’homme quant à son intelligence. C’est pourquoi, tant que son intelligence demeure, il est capable de béatitude, tout comme les dents de l’Éthiopien, selon lesquelles il est appelé blanc, peuvent continuer d’être blanches même une fois arrachées.

4. Une chose peut être empêchée par une autre de deux manières. D’abord par manière de contrariété, comme le froid empêche l’action de la chaleur ; et un tel empêchement de l’activité s’oppose à la béatitude. En second lieu, du fait d’un certain manque, en ce sens que la chose empêchée n’aura pas tout ce qui est requis à sa pleine et entière perfection ; et un empêchement de ce genre ne s’oppose pas à l’opération béatifiante, mais seulement à sa perfection pleine et entière. Aussi dit-on que la séparation de l’âme d’avec son corps la retarde, en l’empêchant de tendre de tout son élan vers la vision de l’essence divine. En effet, l’âme désire jouir de Dieu de telle manière que sa jouissance dérive par une sorte de rejaillissement vers le corps lui-même, selon qu’il en est capable. C’est pourquoi, tant qu’elle jouit de Dieu sans son corps, son appétit se repose en Dieu de telle sorte qu’elle désire toujours voir son corps parvenir lui aussi à la participation de ce bien.

5. Le désir de l’âme séparée est totalement en repos du côté de l’objet désiré. Car elle a ce qui suffit à son appétit. Mais elle n’est pas pleinement en repos en ce qui la concerne elle-même, qui désire ; car elle ne possède pas son bien de toutes les manières dont elle voudrait le posséder. C’est pourquoi, à la reprise de son corps, sa béatitude augmente, non pas en intensité, mais en extension.

6. Que “ les âmes des morts ne voient pas Dieu de la même manière que les anges ”, il ne faut pas l’entendre dans le sens d’une inégalité quantitative ; car même maintenant, certaines âmes bienheureuses sont élevées aux ordres supérieurs du monde angélique, et voient Dieu plus clairement que les anges inférieurs. Il faut comprendre qu’il y a ici une inégalité de proportion, en ce sens que les anges, même inférieurs, ont toute la perfection de béatitude qu’ils doivent jamais avoir, ce qui n’est pas vrai des âmes des saints séparées de leur corps.

 

            Article 6 — La perfection du corps est-elle requise pour la béatitude ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la perfection du corps est un bien corporel, et on a établi plus haut que la béatitude ne consiste pas dans les biens du corps.

2. La béatitude de l’homme consiste dans la vision de l’essence divine, on l’a montré. Mais à une telle activité le corps n’apporte aucun concours, nous l’avons dit. Donc aucune disposition corporelle n’est requise à la béatitude.

3. Plus l’intellect est dégagé du corps, plus il comprend parfaitement. Or la béatitude consiste dans la plus parfaite opération de l’intellect. Il faut donc pour cela que l’âme soit de toutes manières dégagée de son corps. Aucune disposition corporelle n’est donc requise pour la béatitude.

En sens contraire, la béatitude est la récompense de la vertu, conformément à ces paroles (Jn 13, 17) : “ Vous serez heureux si vous faites cela. ” Or, Dieu promet aux saints comme récompense non seulement la vision et la délectation qu’elle procure, mais aussi la bonne disposition du corps, selon ces paroles d’Isaïe (66, 14) : “ A cette vue votre cœur sera dans la joie, et vos os reprendront vigueur comme l’herbe. ”

Réponse :

Si nous parlons de la béatitude de l’homme, telle qu’on peut l’obtenir dans la vie présente, il est évident que la bonne disposition du corps y est nécessairement requise. En effet, cette béatitude consiste, selon le Philosophe, “ dans l’opération de la vertu parfaite ”. Or, il est évident que le mauvais état du corps peut entraver toute manifestation de la vertu humaine. Mais si nous parlons de la béatitude parfaite, quelques-uns ont pensé que cette béatitude n’exigeait aucune disposition corporelle, et même que l’âme devait être entièrement dégagée du corps. Aussi S. Augustin cite ces paroles de Porphyre : “ Pour que l’âme soit heureuse, il faut fuir tout ce qui est corporel. ” Mais cela est inadmissible. Car puisqu’il est dans la nature de l’âme d’être unie à un corps, il n’est pas possible que la perfection de l’âme exclue ce qui lui est une perfection naturelle.

Voilà pourquoi il faut dire que pour une béatitude absolument parfaite, une certaine perfection corporelle est requise et comme condition préalable, et comme conséquence. Comme condition préalable, car, dit S. Augustin, “ si le corps est d’une administration difficile et pénible, comme une chair qui se corrompt et appesantit l’âme, l’esprit est détourné de la vision du ciel suprême ”. Aussi conclut-il qu’“ au temps où ce corps ne sera plus un corps animal, mais un corps spirituel, l’âme sera égalée aux anges et ce qui lui était un fardeau lui deviendra une gloire ”.

A titre de conséquence également, la bonne disposition du corps est appelée par la béatitude ; car le bonheur de l’âme rejaillira sur le corps de telle sorte que lui aussi jouisse de la perfection qui est la sienne, ce qui fait dire à S. Augustin : “ Dieu a fait l’âme d’une nature si puissante, que la plénitude de sa félicité fera rejaillir sur la nature inférieure une force d’incorruption. ”

Solutions :

1. La béatitude ne consiste pas dans un bien corporel comme dans son objet ; mais un bien corporel peut contribuer en quelque sorte à la splendeur et à la perfection de la béatitude.

2. Bien que le corps n’apporte rien à l’activité de l’intellect par laquelle on voit l’essence divine, il pourrait néanmoins y faire obstacle. Et c’est pourquoi la perfection du corps est requise afin que ce corps ne s’oppose pas à l’ascension de l’âme.

3. Il est vrai que pour la parfaite activité de l’intellect est requise l’abstraction de ce corps corruptible qui appesantit l’âme, mais nullement du corps spirituel qui sera totalement soumis à l’esprit. De celui-ci nous traiterons dans la troisième Partie de cet ouvrage.

 

            Article 7 — Certains biens extérieurs sont-ils requis pour la béatitude ?

Objections :

1. Il semble que des biens extérieurs aussi soient requis pour la béatitude. Car ce qui est promis en récompense aux élus appartient à la béatitude. Or on promet aux saints des biens extérieurs, comme la nourriture et la boisson, la richesse et la royauté. Car on lit en S. Luc (22, 30) : “ Vous mangerez et boirez à ma table dans mon royaume... ”. En S. Matthieu (6, 20) : “ Amassez-vous des trésors dans le ciel ”, et encore (25, 34) : “ Venez les bénis de mon Père, prenez possession du royaume... ”

2. Selon Boèce, la béatitude est “ un état parfait grâce au rassemblement de tous les biens ”. Or les choses extérieures comptent parmi les biens de l’homme, quoiqu’elles en soient les moindres, observe S. Augustin.

3. Le Seigneur dit en S. Matthieu (5, 12) “ Votre récompense est grande dans les cieux. ” Mais être dans les cieux signifie être dans un lieu. Donc, pour le moins, un lieu extérieur est requis à la béatitude.

En sens contraire, on lit dans le Psaume (73, 25) : “ Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel, et qu’ai-je voulu sur la terre ? ” Comme s’il disait : je ne veux rien, si ce n’est ce qui suit : “ Pour moi, être uni à Dieu, voilà mon bien. ” Donc aucun autre bien que Dieu n’est requis pour la béatitude.

Réponse :

Pour la béatitude imparfaite, telle qu’on peut la posséder dans la vie présente, des biens extérieurs sont requis, non comme faisant partie de l’essence de la béatitude, mais comme des instruments au service de cette béatitude, “ qui consiste dans l’opération de la vertu ”, selon le Philosophe. En effet, l’homme, en cette vie, a besoin de ce qui est nécessaire au corps, tant pour l’activité de la vertu contemplative que pour celle de la vertu active, laquelle, d’ailleurs, requiert encore plusieurs autres conditions pour accomplir ses œuvres.

Pour la béatitude parfaite, au contraire, celle qui consiste en la vision de Dieu, de tels biens ne sont nullement requis. La raison en est que tous ces biens ne sont requis que pour entretenir la vie animale ; ou pour certaines opérations s’exerçant par le moyen du corps, mais qui caractérisent la vie humaine. Or la parfaite béatitude, qui consiste dans la vision de Dieu, ou bien est le fait d’une âme sans corps, ou bien d’une âme unie à un corps non plus animal, mais spirituel. C’est pourquoi les biens extérieurs, qui sont ordonnés à la vie animale, ne sont en aucune façon requis pour cette béatitude. Et puisque, en cette vie, le bonheur de la contemplation a plus de ressemblance que celui de l’action avec cette béatitude parfaite, car il est aussi plus semblable à Dieu, comme le fait comprendre tout ce que nous avons dit ; pour cette raison la vie contemplative a moins besoin de cette sorte de biens, selon le Philosophe.

Solutions :

1. Toutes les promesses de biens corporels qu’on trouve dans les Saintes Écritures doivent être entendues d’une manière métaphorique, l’Écriture ayant coutume de nous représenter les choses spirituelles sous l’image des corporelles, afin que, dit S. Grégoire, “ au moyen de ce qui nous est connu, nous nous élevions au désir de ce qui nous est inconnu ”. Ainsi, par la nourriture et la boisson, il faut entendre la délectation qui accompagne la béatitude ; par les richesses, la surabondance où vit l’homme à qui Dieu suffit ; par la royauté, l’exaltation de l’homme jusqu’au commerce de la Divinité.

2. Ces biens, qui servent à la vie animale, ne conviennent plus à la vie spirituelle, en laquelle consiste la béatitude parfaite. Et toutefois, dans cette même béatitude se trouve le rassemblement de tous les biens ; car tout ce qui se trouve de bon en eux sera possédé dans la source suprême de tous les biens.

3. Quant au lieu de la béatitudes selon S. Augustin, “ la récompense des saints n’est pas dite située dans les cieux corporels, mais par les cieux il faut entendre l’élévation des biens spirituels ”. Toutefois, un lieu corporel, à savoir le ciel empyrée, sera le séjour des bienheureux, non que ce lieu soit nécessaire à la béatitude, mais par un simple rapport de convenance et de beauté.

 

            Article 8 — Une société d’amis est-elle requise pour la béatitude ?

Objections :

1. Il semble que des amis soient nécessaires à la béatitude. En effet, la béatitude est souvent désignée dans les Écritures par le mot “ gloire ”. Or la gloire consiste en ce que le bien de l’homme arrive à la connaissance de beaucoup. Donc la société d’amis est requise pour la béatitude.

2. Boèce dit que “ la possession d’un bien est sans joie, si elle n’est partagée ”. Or la délectation est nécessaire à la béatitude. Donc aussi une société d’amis.

3. La charité trouve sa perfection dans la béatitude. Mais elle s’étend à l’amour de Dieu et du prochain. Il semble donc qu’une société d’amis est requise pour la béatitude.

En sens contraire, on lit au livre de la Sagesse (7, 11) : “ Tous les biens à la fois me sont venus avec elle ”, c’est-à-dire avec la sagesse divine qui consiste en la contemplation de Dieu. Et ainsi, rien d’autre n’est requis pour la béatitude.

Réponse :

Si nous parlons de la félicité dans la vie présente, il faut dire avec le Philosophe, que “ l’homme heureux a besoin d’amis ”, non pour son utilité, car il se suffit à lui-même ; ni pour sa délectation, puisqu’il possède en soi, du fait de l’activité vertueuse, la délectation parfaite ; mais pour le bien de son action, c’est-à-dire pour avoir la possibilité de leur faire du bien, pour trouver du plaisir en voyant le bien qu’ils accomplissent, et pour être aidé par eux dans le bien que lui-même accomplit. L’homme a besoin en effet, pour agir vertueusement, du concours des amis, tant dans les œuvres de la vie active que dans celles de la vie contemplative.

Mais si nous parlons de la béatitude parfaite que nous posséderons dans la patrie, la société des amis n’y est pas nécessairement requise ; car l’homme trouve en Dieu la plénitude de sa perfection. Toutefois, cette société amicale concourt à l’heureux épanouissement de la béatitude, ce qui fait dire à S. Augustin : “ La créature spirituelle ne reçoit, pour être bienheureuse, que l’aide intérieure qui lui vient de l’éternité, de la vérité, de la charité du Créateur. Si l’on doit dire qu’elle reçoit une aide extérieure, peut-être la reçoit-elle seulement en ce sens que les élus se voient mutuellement et se réjouissent de former une société. ”

Solutions :

1. La gloire essentielle à la béatitude n’est pas celle dont jouit l’homme auprès de l’homme, mais auprès de Dieu.

2. Cette parole doit s’entendre des biens qui n’ont pas en eux-mêmes une pleine suffisance. Cela ne s’applique pas à notre propos, puisque l’homme trouve en Dieu la plénitude de tous les biens.

3. La perfection de la charité est essentielle à la béatitude quant à l’amour de Dieu, non quant à l’amour du prochain. De sorte que, n’y eût-il qu’une seule âme jouissant de la possession de Dieu, elle serait bienheureuse, sans avoir de prochain à aimer. Mais, étant donné le prochain, l’amour que l’on a pour lui découle du parfait amour de Dieu. Aussi est-ce une relation de concomitance qui unit l’amitié à la béatitude parfaite.

 

 

QUESTION 5 — L’OBTENTION DE LA BÉATITUDE

1. L’homme peut-il obtenir la béatitude ? - 2. Un homme peut-il avoir plus de béatitude qu’un autre ? - 3. Un homme peut-il être bienheureux en cette vie ? - 4. La béatitude une fois possédée peut-elle être perdue ? - 5. L’homme peut-il acquérir la béatitude par ses forces naturelles ? - 6. L’homme obtient-il la béatitude par l’action d’une créature supérieure ? - 7. Certaines actions humaines sont-elles requises pour que l’homme obtienne de Dieu la béatitude ? - 8. Tout homme désire-t-il la béatitude ?

 

            Article 1 — L’homme peut-il obtenir la béatitude ?

Objections :

1. Il semble que la béatitude soit hors de nos prises. En effet, de même que la nature rationnelle est au-dessus de la nature sensible, ainsi la nature intellectuelle est au-dessus de la nature rationnelle, comme l’explique fréquemment Denys. Or les animaux sans raison, qui n’ont qu’une nature sensible, ne peuvent parvenir à la fin de la créature rationnelle. Donc l’homme non plus, étant de nature rationnelle, ne peut parvenir à la fin de la nature intellectuelle, qui est la béatitude.

2. La vraie béatitude consiste dans la vision de Dieu, qui est la vérité pure. Or il est dans la nature de l’homme de ne voir la vérité que dans les choses matérielles, si bien qu’il “ puise ses espèces intelligibles dans les images ”, dit Aristote. Donc il ne peut parvenir à la béatitude.

3. La béatitude consiste dans l’obtention du bien suprême. Or nul ne peut s’élever jusu’à ce qui est suprême sans dépasser les degrés intermédiaires. Donc comme entre Dieu et la nature humaine se trouve placée la nature angélique, que l’homme ne peut dépasser, il semble que celui-ci ne puisse parvenir à la béatitude.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (94, 12) : “ Bienheureux l’homme que tu as instruit, Seigneur. ”

Réponse :

Le mot béatitude désigne la possession du bien parfait. Quiconque est capable du bien parfait peut donc parvenir à la béatitude. Or, que l’homme soit capable du bien parfait, on le voit à ce que son intellect peut embrasser le bien universel et parfait, et sa volonté le désirer. C’est pourquoi l’homme peut obtenir la béatitude.

Cela résulte également de ce que l’homme est capable de voir l’essence divine, comme nous l’avons dit dans la première Partie et nous avons dit que la parfaite béatitude consiste dans cette vision de Dieu.

Solutions :

1. C’est d’une autre manière que la nature rationnelle dépasse la nature sensible, et que la nature intellectuelle dépasse la nature rationnelle. La nature rationnelle dépasse la nature sensible quant à l’objet de la connaissance, car le sens ne peut nullement connaître l’universel, qui est l’objet de la raison. Mais la nature intellectuelle dépasse la nature rationnelle quant au mode de connaître la vérité intelligible ; car la nature intellectuelle saisit aussitôt la vérité à laquelle la nature rationnelle ne s’élève que par l’enquête du raisonnement, comme nous l’avons expliqué dans la première Partie. Et c’est pourquoi la raison n’aboutit que par une sorte de mouvement à ce que l’intellect saisit. Aussi la nature rationnelle peut-elle acquérir la béatitude en laquelle consiste la perfection de la nature intellectuelle, mais autrement que les anges. En effet, les anges ont possédé cette béatitude aussitôt après leur premier établissement ; les hommes n’y arrivent qu’avec le temps. Quant à la nature sensible, elle ne peut s’élever jusqu’à cette fin en aucune manière.

2. Sans doute il est naturel à l’homme, dans l’état de la vie présente, de connaître la vérité intelligible au moyen des images ; mais dans l’état qui suit cette vie, il y a un autre mode de connaître également naturel, nous l’avons dit dans la première Partie.

3. Il est vrai que l’homme ne peut pas dépasser le niveau des anges en ce qui concerne la nature, de telle sorte qu’il leur devienne supérieur en nature ; mais il peut les dépasser par l’activité de l’intellect, en ce qu’il conçoit l’existence, au-dessus des anges, d’un objet qui béatifie les hommes, objet dont la parfaite possession fera son parfait bonheur.

 

            Article 2 — Un homme peut-il avoir plus de béatitude qu’un autre ?

Objections :

1. Il semble qu’un homme ne peut pas avoir plus de béatitude qu’un autre. En effet, d’après le Philosophe “ la béatitude est la récompense de la vertu ”. Or un salaire égal est accordé à toutes les œuvres de la vertu, puisque l’Évangile nous dit (Mt 20, 10) “ Tous ceux qui travaillèrent à la vigne reçurent chacun un denier ”, ce qui signifie, d’après S. Grégoire : “ Ils ont reçu de façon égale la vie éternelle en récompense. ”

2. La béatitude est le bien suprême. Mais rien ne peut être supérieur à ce qui est suprême. Donc un homme ne peut avoir une béatitude supérieure à celle d’un autre.

3. La béatitude étant un bien parfait et pleinement suffisant, elle apaise le désir de l’homme.

Mais le désir de l’homme n’est pas apaisé s’il lui manque un bien qu’on puisse lui fournir. Mais s’il ne lui manque rien de tel, il ne pourra pas y avoir de bien plus grand. Donc, ou bien l’homme n’est pas bienheureux, ou, s’il est bienheureux, il ne peut y avoir une autre béatitude plus grande que la sienne.

En sens contraire, le Seigneur dit dans S. Jean (14, 2) : “ Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures. ” Et ces demeures correspondent, d’après S. Augustin “ aux différents degrés de mérite de ceux qui sont dans la vie éternelle ”. Or le degré de vie éternelle qui est accordé au mérite est la béatitude elle-même. Donc il y a différents degrés dans la béatitude, et elle n’est pas égale chez tous.

Réponse :

Comme nous l’avons déjà expliqué, l’idée de béatitude inclut deux aspects : d’abord la fin ultime elle-même, qui est le souverain bien ; puis l’obtention ou la jouissance de ce bien. En ce qui concerne le bien même qui est l’objet de la béatitude, il ne peut y avoir une béatitude plus grande qu’une autre, puisqu’il n’y a qu’un souverain bien, qui est Dieu, dont la possession rend les hommes bienheureux. Mais quant à l’obtention ou jouissance de ce bien, l’un peut avoir plus de béatitude que l’autre ; car plus on jouit de ce bien, plus on est bienheureux. Or il arrive qu’un homme jouisse de Dieu plus parfaitement qu’un autre, parce qu’il est mieux disposé ou mieux ordonné à cette jouissance. Et c’est ainsi que l’un peut avoir plus de béatitude que l’autre.

Solutions :

1. L’égalité du salaire d’un denier signifie que la béatitude est unique du côté de l’objet. Mais la diversité des demeures signifie la diversité de la béatitude selon les divers degrés de jouissance.

2. On dit que la béatitude est le souverain bien en tant qu’elle est la parfaite possession ou jouissance du souverain bien.

3. Aucun bienheureux ne manque d’un bien qu’il puisse désirer, puisqu’il possède le bien infini, qui est “ le bien de tout bien ”, comme dit S. Augustin. Mais on dit l’un plus heureux que l’autre en raison d’une participation différente de ce même bien. Et l’addition d’autres biens ne saurait augmenter la béatitude, ce qui fait dire à S. Augustin : “ Celui qui te connaît et connaît en même temps les autres choses, n’est pas rendu plus heureux à cause d’elles, mais il est bienheureux à cause de toi seul. ”

 

            Article 3 — Un homme peut-il être bienheureux en cette vie ?

Objections :

1. Cela semble possible car le Psaume 119 commence ainsi : “ Bienheureux les hommes, intègres dans leurs voies, qui marchent suivant la loi du Seigneur. ” Or, c’est en cette vie que cela arrive. Donc on peut être bienheureux en cette vie.

2. Une participation imparfaite du souverain bien n’exclut pas l’essence même de la béatitude ; sans cela il serait impossible que l’un possède la béatitude plus qu’un autre. Or les hommes peuvent, dès cette vie, participer du souverain bien en connaissant et en aimant Dieu, bien que d’une manière imparfaite. Donc l’homme peut avoir la béatitude en cette vie.

3. Ce qui est affirmé par tous ne saurait être entièrement faux, car ce qui est le fait du plus grand nombre semble être naturel, et la nature n’est jamais complètement défaillante. Or le grand nombre place la béatitude en cette vie, comme on le voit par cette parole du Psaume (144, 15) : “ Bienheureux le peuple qui possède ces biens ”, ceux de la vie présente. Donc on peut être bienheureux en cette vie.

En sens contraire, on trouve dans le livre de Job (1 4, 1), ces paroles : “ L’homme né de la femme vit peu de temps, et sa vie est remplie de misères. ” Mais la béatitude exclut la misère. Donc, en cette vie, l’homme ne peut être bienheureux.

Réponse :

Une certaine participation de la béatitude peut être obtenue en cette vie, mais non la béatitude vraie et parfaite. C’est ce qu’on peut établir par une double considération.

Tout d’abord en se fondant sur la notion générale de béatitude. Car la béatitude, étant un bien parfait et qui se suffit à lui-même, exclut tout mal et comble tout désir. Or il n’est pas possible d’écarter tous les maux dans la vie présente : cette vie est soumise à beaucoup de maux inévitables, comme l’ignorance du côté de l’intellect, les affections désordonnées du côté de l’appétit et, en ce qui touche le corps, un grand nombre d’afflictions, comme S. Augustin le relève avec tant de soin dans la Cité de Dieu. Pareillement, le désir du bien ne peut être rassasié en cette vie ; car il est naturel à l’homme de désirer la permanence du bien qu’il possède. Or les biens de cette vie sont transitoires comme la vie ellemême, que nous désirons elle aussi, et voudrions voir durer toujours, car l’homme par nature a horreur de la mort. Il est donc impossible que la vraie béatitude se trouve dans la vie présente.

En second lieu, on arrive à la même conclusion en considérant ce qui constitue spécialement la béatitude, et qui est la vision de l’essence divine, vision que l’homme ne peut obtenir dans la vie présente, comme on l’a montré dans la première Partie. Il est évident, d’après tout cela, que nul ne peut, dans cette vie, obtenir la vraie et parfaite béatitude.

Solutions :

1. Certains hommes sont appelés bienheureux en cette vie, ou bien à cause de l’espoir qu’ils ont d’acquérir la béatitude dans la vie future, conformément à cette parole (Rm 8, 24) : “ C’est en espérance que nous sommes sauvés ” ; ou bien en raison d’une certaine participation de la béatitude qui les fait jouir plus ou moins du souverain bien.

2. La béatitude comporte deux genres d’imperfections. D’abord du côté de l’objet même de la béatitude, qui n’est pas vu selon son essence. Et cette imperfection-là supprime la raison de vraie béatitude. En second lieu, la béatitude peut être imparfaite du côté de celui qui en participe. Sans doute, il atteint l’objet même de la béatitude, Dieu, tel que cet objet est en lui-même, mais imparfaitement, par comparaison avec la manière dont Dieu jouit de lui-même. Et une telle imperfection ne supprime pas la vraie raison de béatitude ; car la béatitude étant un certain genre d’activité, comme on l’a dit, sa vraie nature se prend de l’objet qui pose l’acte dans son espèce, et non pas du sujet.

3. Si les hommes se persuadent qu’il y a ici-bas quelque béatitude, c’est parce qu’ils y trouvent quelque ressemblance avec la béatitude véritable, et ainsi leur jugement n’est pas entièrement en défaut.

 

            Article 4 — La béatitude une fois possédée peut-elle être perdue ?

Objections :

1. Il semble bien, car la béatitude est une certaine perfection. Or toute perfection inhère à son sujet selon le mode de ce sujet. Et puisque l’homme est de nature changeante, il semble que la béatitude ne soit participée par lui que de manière sujette au changement, de telle sorte qu’il puisse la perdre.

2. La béatitude consiste en une opération de l’intelligence, et l’intelligence est soumise à la volonté. Or la volonté est capable des contraires. Donc elle peut abandonner l’opération par laquelle l’homme est rendu bienheureux.

3. La fin correspond au commencement. Or la béatitude de l’homme a un commencement, puisque l’homme n’a pas toujours été bienheureux ; il semble donc qu’elle doive avoir une fin.

En sens contraire, il est dit en Matthieu (25, 46) que les justes “ iront dans la vie éternelle ”, vie qui n’est autre, comme nous l’avons ditp, que la béatitude des saints. Or ce qui est étemel ne disparaît pas. Donc la béatitude ne peut pas être perdue.

Réponse :

Si par béatitude on entend cette béatitude imparfaite qu’on peut avoir ici-bas, elle peut être perdue. Et cela est bien évident en ce qui concerne la félicité qui se trouve dans la contemplation : elle se perd soit par oubli, soit par une maladie qui détruit la science, soit par des occupations qui distraient complètement de la contemplation. La même chose apparaît en ce qui concerne la félicité de la vie active ; car la volonté de l’homme peut changer ; elle peut déchoir de la vertu, dont l’exercice est au principe de la félicité. Si la vertu demeure intacte, des changements extérieurs peuvent troubler une pareille béatitude en entravant beaucoup d’activités vertueuses. Cependant ils ne peuvent l’enlever entièrement, car il reste toujours une activité vertueuse lorsque l’homme supporte dignement ses malheurs. Du fait que la béatitude de cette vie peut ainsi se perdre, ce qui paraît contraire à la raison même de béatitude, le Philosophe a été amené à dire que certains hommes peuvent être bienheureux en cette vie non absolument, mais comme des hommes dont la nature est sujette au changement.

Si au contraire nous parlons de la béatitude parfaite que nous espérons après cette vie, il faut savoir qu’Origène, adoptant l’erreur de certains platoniciens, a prétendu que l’homme peut tomber dans le malheur après avoir acquis la béatitude ultime.

Mais cela apparaît manifestement faux pour deux motifs. Tout d’abord d’après la notion même de béatitude. En effet, la béatitude étant un bien parfait et pleinement suffisant, elle doit apaiser le désir de l’homme et exclure tout mal. Or l’homme désire naturellement retenir le bien qu’il possède et se sentir assuré de le retenir ; sans cela, il est fatal que la crainte de perdre ce bien et plus encore la douloureuse certitude de le perdre le jettent dans la tristesse. La véritable béatitude exige donc que l’homme ait la conviction ferme de ne perdre jamais le bien qu’il possède. Si cette conviction est vraie, il s’ensuivra qu’il ne perdra jamais sa béatitude. Et si cette conviction est fausse, c’est déjà un mal que d’avoir ainsi une fausse conviction ; car le faux est le mal de l’intelligence autant que le vrai est son bien, dit Aristote. Il n’y aura donc pas de vraie béatitude pour celui en qui subsiste quelque mal.

La même conclusion s’impose si l’on considère la raison de béatitude dans ce qu’elle a de particulier. Nous avons montré que la parfaite béatitude de l’homme consiste dans la vision de l’essence divine. Or il est impossible qu’en voyant l’essence divine on veuille ne plus la voir. Car tout bien que l’on possède et dont on veut se défaire, ou bien se présente comme insuffisant, et l’on cherche à sa place un objet qui puisse suffire ; ou il se trouve joint à quelque contrariété qui le fait prendre en dégoût. Mais la vision de l’essence divine comble l’âme de tous les biens en l’unissant à la source de toute bonté, ce qui fait dire au Psalmiste (17, 15 Vg) : “ je serai rassasié lorsqu’apparaîtra ta gloire ”, et au Sage (Sg 7, 11) : “ Tous les biens me sont venus avec elle ”, c’est-à-dire avec la contemplation de la sagesse. De même, la vision de l’essence divine n’entraîne aucune contrariété, car il est dit encore, sur la contemplation de la sagesse (Sg 8, 16) : “ Sa société ne cause pas d’amertume et son commerce ne donne pas d’ennui. ” On voit donc clairement par là que le bienheureux ne peut de sa propre volonté renoncer à la béatitude.

Pareillement, il ne peut la perdre parce que Dieu la lui retirerait. Car le retrait de la béatitude étant une peine, il ne peut être infligé par Dieu, le juste juge, que pour une faute ; mais celui qui voit l’essence de Dieu ne peut pas tomber dans la faute, puisque cette vision entraîne nécessairement la rectitude de la volonté, comme nous l’avons fait voir.

Pareillement, aucun autre agent ne peut soustraire un tel bien. Car l’âme unie à Dieu se trouve élevée au-dessus de tout le reste, et par suite aucun agent ne peut l’arracher à une pareille union. Il paraît donc de toute manière insoutenable que je ne sais quelles vicissitudes des temps fassent passer de la béatitude à la misère, et inversement. Ces sortes de vicissitudes n’appartiennent qu’à ce qui est soumis au temps et au mouvement.

Solutions :

1. La béatitude est une perfection consommée, qui exclut tout défaut chez le bienheureux. Aussi est-elle attribuée hors de toute mutabilité, grâce à la vertu divine qui élève l’homme à la participation de son éternité, au-dessus de tout changement.

2. La volonté est capable des contraires à l’égard des moyens ordonnés à la fin ; mais par nature elle est ordonnée de façon nécessaire à la fin ultime. C’est évident du fait que l’homme ne peut pas ne pas vouloir être bienheureux.

3. Si la béatitude a un commencement, c’est en raison de la condition de l’homme qui en participe, et si elle ne doit pas avoir de fin, la raison en est dans la condition du bien dont la participation rend bienheureux. Ainsi y a-t-il une cause pour que la béatitude ait un commencement, et une autre pour qu’elle n’ait pas de fin.

 

            Article 5 — L’homme peut-il acquérir la béatitude par ses forces naturelles ?

Objections :

Il semble que l’homme puiss obtenir la béatitude par ses forces naturelles. Car la nature ne fait pas défaut dans les choses nécessaires. Mais rien n’est plus nécessaire à l’homme que ce qui lui fait obtenir sa fin ultime. Donc cela ne fait pas défaut à la nature humaine, et l’homme par ses forces naturelles, peut obtenir la béatitude. L’homme étant supérieur aux créature privées de raison doit pouvoir se suffire mieux qu’elles. Or ces créatures peuvent parvenir à leurs fins par leurs forces naturelles. Donc l’homme, bien davantage, peut obtenir la béatitude par ses forces naturelles.

2. L’homme étant supérieur aux créatures privées de raison doit pouvoir se suffire mieux qu’elles. Or ces créatures peuvent parvenir à leurs fins par leurs forces naturelles. Donc l’homme, bien davantage, peut obtenir la béatitude par ses forces naturelles.

3. “ La béatitude est une activité parfaite ”, selon l’expression du Philosophe. Or il appartient à la même cause de commencer et de parfaire. Donc, puisque l’opération imparfaite qui est au point de départ de l’activité humaine est soumise au pouvoir naturel de l’homme, qui le rend maître de ses actes, il semble que par ce pouvoir naturel l’homme puisse parvenir à l’activité parfaite qu’est la béatitude.

En sens contraire, l’homme est naturellement principe de ses actes par l’intelligence et la volonté. Or la dernière béatitude promise aux saints dépasse l’intelligence et la volonté de l’homme, ce qui fait dire à l’Apôtre (1 Co 2, 9) : “ L’œil de l’homme n’a pas vu, son oreille n’a pas entendu et son cœur n’a pas imaginé ce que Dieu prépare pour ceux qui l’aiment. ” Donc l’homme, -par ses force naturelles, ne peut acquérir la béatitude.

Réponse :

La béatitude imparfaite que l’on peut avoir ici-bas peut être acquise par l’homme avec ses seules forces naturelles, de la même manière que la vertu dont l’opération constitue cette béatitude, ce dont nous aurons à parler plus loin. Mais la béatitude parfaite de l’hommè consiste, comme il a été dit dans la vision de l’essence divine. Or, voir Dieu dans son essence dépasse non seulement la nature de l’homme, mais celle de toute créature, comme nous l’avons montré dans la première Partie. En effet, la connaissance naturelle de chaque créature est conforme à la modalité de sa substance, ce qui a fait dire de l’intelligence, dans le livre Des Causes, “ qu’elle connaît ce qui est au-dessus d’elle Selon le mode de sa substance ”. Or toute connaissance réduite au mode de la substance créée est impuissante à voir l’essence divine, puisque celle-ci dépasse infiniment toute substance créée. Donc ni l’homme ni aucune créature ne peut acquérir la suprême béatitude par ses forces naturelles.

Solutions :

1. Sans doute la nature ne fait pas défaut à l’homme dans les choses nécessaires ; pourtant elle ne l’a pas pourvu d’armes et de vêtements comme elle l’a fait pour les autres animaux ; mais elle lui a donné une raison et des mains qui lui permettent d’acquérir ces choses. De même la nature ne fait pas défaut à l’homme dans les choses nécessaires en ne lui donnant pas le moyen d’obtenir par lui-même la béatitude, car cela était impossible ; mais elle lui a donné le libre arbitre, par lequel il peut se tourner vers Dieu qui le rendra bienheureux. Comme dit Aristote : “ Ce que nous pouvons par nos amis, c’est par nous-mêmes, en quelque sorte, que nous le pouvons. ”

2. Une nature qui peut acquérir le bien parfait, quoique ayant besoin Pour cela d’un secours extérieur, est d’une condition supérieure à celle de la nature qui ne peut pas obtenir ce bien parfait, mais qui obtient un bien imparfait sans avoir besoin pour cela d’un secours étranger, selon Aristote. Ainsi, celui qui peut obtenir une parfaite santé, mais avec l’aide de la médecine, est dans une meilleure condition de santé que celui qui peut obtenir seulement une santé imparfaite, tout en se passant du secours de la médecine. Voilà pourquoi la créature rationnelle, pouvant conquérir le bien parfait de la béatitude, en ayant besoin pour cela du secours divin, est supérieure à la créature privée de raison qui n’est pai capable d’un tel bien, mais obtient un bien imparfait par les seules forces de sa nature.

3. L’imparfait et le parfait procèdent du même pouvoir s’ils sont de même espèce. Cela ne s’impose plus quand ils sont d’espèce différente. En effet, tout ce qui peut disposer une matière ne peut lui procurer la perfection. Or l’action imparfaite qui est soumise au pouvoir naturel de l’homme n’est pas de la même espèce que cette activité parfaite qui constitue la béatitude, puisque l’espèce de l’activité dépend de son objet. C’est pourquoi l’objection ne porte pas.

 

            Article 6 — L’homme obtient-il la béatitude par l’action d’une créature supérieure ?

Objections :

1. Il semble que l’homme puisse être rendu bienheureux par l’action d’une créature supérieure, c’est-à-dire d’un ange. En effet, il existe deux sortes d’ordre dans les choses : un ordre qui relie entre elles les diverses parties de l’univers, et un ordre qui rattache par un juste rapport tout l’univers à un bien qui lui est extérieur. Le premier de ces ordres dépend du second comme de sa fin, dit Aristote, de la même manière que l’ordre des éléments d’une armée a pour fin le rapport de l’armée elle-même à l’égard du chef. Mais l’ordre mutuel des parties de l’univers s’exerce en tant que les créatures supérieures agissent sur les inférieures comme nous l’avons dit dans la première Partie, et la béatitude consiste dans le juste rapport de l’homme au bien qui est extérieur à l’univers, et qui est Dieu. Donc c’est par l’action d’une créature supérieure, celle de l’ange sur l’homme, que celui-ci est rendu bienheureux.

2. Ce qui est tel en puissance peut être amené à l’acte par ce qui est lui-même tel en acte, et par exemple ce qui est chaud en puissance devient chaud en acte par l’action de ce qui est lui-même chaud en acte. Or l’homme est bienheureux en puissance. Donc il peut être rendu bienheureux en acte par l’ange qui est lui-même actuellement bienheureux.

3. La béatitude consiste, nous l’avons dit dans une activité de l’intellect. Or nous avons dit également, dans la première Partie, que l’ange peut éclairer l’intellect de l’homme : donc l’ange peut rendre l’homme bienheureux.

En sens contraire, on lit dans le Psaume (84, 12) : “ Le Seigneur donnera la grâce et la gloire. ”

Réponse :

Puisque toute créature est soumise aux lois de la nature comme ayant une vertu et une action limitées, ce qui dépasse la nature créée ne peut donc pas être réalisé par la vertu d’une créature. Par conséquent, s’il faut réaliser quelque chose qui dépasse la nature, cela est fait par Dieu sans intermédiaire, comme la résurrection d’un mort, le retour d’un aveugle à la vue, etc. Or nous avons montré que la béatitude est un bien supérieur à toute nature créée. Il est donc impossible que la béatitude soit procurée à l’homme par l’action d’une créature. C’est par l’action de Dieu seul que l’homme est rendu bienheureux, si nous parlons de la béatitude parfaite. Mais si nous parlons de la béatitude imparfaite, il en est d’elle comme de la vertu dont l’acte constitue cette béatitude.

Solutions :

1. Ce qui arrive le plus souvent, quand des puissances actives réalisent un ordre, c’est qu’il appartient à la puissance la plus élevée de conduire l’objet commun à sa fin ultime, alors que les puissances inférieures aident à ce résultat en créant les dispositions favorables. Ainsi l’art de la navigation, qui préside à l’art des constructions navales, est chargé d’utiliser le navire construit à cet effet. Ainsi, dans l’ordre universel, l’homme est aidé par les anges à atteindre sa fin ultime quant à certaines conditions qui l’y préparent ; mais il obtient la fin ultime elle-même par l’action du premier agent, qui est Dieu.

2. Quand une forme existe en acte dans un sujet selon son être parfait et naturel, cette forme peut être un principe d’action à l’égard d’un autre sujet, ainsi un corps chaud échauffe grâce à sa chaleur. Mais si la forme n’existe dans le sujet qu’imparfaitement et non pas selon son être naturel, elle ne peut être un principe de communication au profit d’un autre. Ainsi la représentation de la couleur qui est dans la pupille n’a pas le pouvoir de blanchir. Et il n’est pas vrai que tout ce qui est clair ou chaud puisse éclairer ou échauffer autre chose ; de cette façon en effet l’éclairement ou l’échauffement se perpétueraient à l’infini. Or la lumière de gloire par laquelle on voit Dieu, est bien en Dieu d’une manière parfaite et selon son être naturel ; mais dans une créature elle n’existe qu’imparfaitement, par ressemblance ou participation. De là vient que nulle créature bienheureuse ne peut communiquer sa béatitude à une autre.

3. L’ange, du sein de la béatitude, peut éclairer intellect de l’homme, et aussi celui d’un ange inférieur, en ce qui concerne certains aspects des œuvres divines ; mais non pas quant à la vision de l’essence divine, comme nous l’avons montré dans la première partie. Pour obtenir cette vision, tous sont immédiatement illuminés par Dieu.

 

            Article 7 — Certaines actions humaines sont-elles requises pour que l’homme obtienne de Dieu la béatitude ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, Dieu, étant un agent d’une puissance infinie, n’a pas besoin, pour son action, d’une matière préalable ou de disposition de cette matière, il peut tout produire instantanément. Or, puisque les œuvres de l’homme ne sont pas requises pour la béatitude au titre de causes efficientes, nous venons de le montrer, elles ne peuvent y être requises qu’à titre de dispositions. Donc Dieu, qui n’a pas besoin de dispositions antérieures pour agir, confère la béatitude sans œuvres préalables.

2. Dieu produit immédiatement la béatitude comme il a institué immédiatement la nature. Or, dans la première institution de la nature, Dieu a produit les créatures sans aucune disposition antérieure, sans aucune action d’un agent créé, mais a créé aussitôt chaque être parfait dans son espèce. Il semble donc que Dieu confère à l’homme la béatitude sans aucune opération préalable.

3. L’Apôtre écrit aux Romains (4, 6) : “ Bienheureux l’homme à qui Dieu attribue la justice indépendamment des œuvres. ”

En sens contraire, on lit en S. Jean (13, 17) “ Sachant cela, bienheureux serez-vous si vous le faites. ” C’est donc par l’action que nous parvenons à la béatitude.

Réponse :

Nous avons dit déjà que la rectitude de la volonté est requise à la béatitude, puisqu’elle n’est pas autre chose qu’une juste disposition de la volonté dirigée vers la fin ultime, disposition qui n’est pas moins nécessaire à cette fin que la bonne disposition de la matière à la réception de la forme. A vrai dire, il n’est pas prouvé par là qu’une certaine activité de l’homme doive précéder sa béatitude ; car Dieu pourrait créer du même coup une volonté orientée vers sa fin et entrant en possession de cette fin, comme il dispose parfois la matière en même temps qu’il lui donne sa forme. Mais l’ordre de la sagesse divine exige qu’il n’en soit pas ainsi. En effet, dit Aristote “ parmi les êtres qui sont aptes à posséder le bien parfait, celui-ci le possède sans aucun mouvement, d’autres au moyen de plusieurs ”. Or posséder le bien parfait sans aucun mouvement appartient à celui qui le possède par nature. Et posséder la béatitude par nature est le fait de Dieu seul. A lui seul donc il appartient de ne pas y être conduit par une opération antérieure. Mais puisque la béatitude dépasse toute la nature créée, une simple créature ne peut logiquement obtenir la béatitude sans le mouvement de l’activité par laquelle cette créature y tend. L’ange, étant par nature supérieur à l’homme, a obtenu le bien suprême, selon l’ordre de la sagesse divine, par un seul mouvement d’activité méritoire, comme on l’a exposé dans la première Partie. Quant aux hommes, ils l’obtiennent par de multiples mouvements d’activité qu’on appelle mérites. Aussi, aux yeux du Philosophe lui-même “ la béatitude est la récompense des activités vertueuses ”.

Solutions :

1. Si l’action de l’homme est exigée préalablement à l’acquisition de la béatitude, ce n’est pas parce que la vertu divine qui béatifie serait insuffisante, c’est pour que l’ordre des choses soit observé.

2. Dieu a produit aussitôt les premières créatures à l’état parfait, sans aucune disposition ou opération préalable de la créature, car c’est ainsi qu’il a institué les premiers individus des espèces, chargés de transmettre la nature spécifique à leur postérité. Pareillement, la béatitude devait découler, par le Christ Dieu et homme, vers les autres hommes, selon l’épître aux Hébreux (2, 10) : “ Il devait conduire à la gloire un grand nombre de fils. ” Et c’est pourquoi son âme, dès le premier instant de sa conception et sans aucune œuvre méritoire antérieure a été bienheureuse. Mais cela n’appartient qu’à lui seul ; chez les enfants même, quand on les baptise, les mérites du Christ concourent à l’octroi de la béatitude, car si en ce cas les mérites propres du sujet font défaut, ces enfants sont devenus membres du Christ par le baptême.

3. L’Apôtre évoque la béatitude de l’espérance, qui est communiquée au chrétien par la grâce qui le justifie, et qui n’est pas donnée en raison des œuvres qui précèdent. En effet, elle n’a pas pour rôle de terminer le mouvement, comme la béatitude, elle est plutôt le principe du mouvement par lequel on tend à la béatitude.

 

            Article 8 — Tout homme désire-t-il la béatitude ?

Objections :

1. Il semble bien que tous ne désirent pas la béatitude. Nul, en effet, ne peut désirer ce qu’il ignore, puisque c’est le bien perçu qui est l’objet de la volonté, dit Aristote. Or beaucoup ne savent pas ce que c’est que la béatitude, ce qui se voit, observe S. Augustin à ce que “ les uns mettent la béatitude dans les voluptés du corps, d’autres dans la vertu de l’âme, d’autres dans autre chose ”. Donc tous les hommes ne désirent pas la béatitude.

2. L’essence de la béatitude consiste, a-t-on dit, dans la vision de l’essence divine. Mais certains jugent impossible que Dieu soit vu ainsi par l’homme dans son essence même : ils ne le désirent donc pas.

3. S. Augustin écrit : “ Celui-là est heureux qui a tout ce qu’il veut, et ne veut rien pour le mal. ” Or tout le monde ne veut pas ainsi, car il en est qui veulent certaines choses pour le mal ; et qui entendent pourtant bien les vouloir. Donc tous ne veulent pas la béatitude.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Si le bouffon avait dit : "Vous voulez tous être heureux, vous ne voulez pas être malheureux" ; il aurait dit quelque chose que chacun de ses auditeurs aurait reconnu dans sa volontés. ”

Réponse :

La béatitude peut être envisagée de deux manières. En premier lieu selon la raison commune de béatitude, et à ce titre il est nécessaire que tout homme la veuille. En effet, la raison commune de béatitude consiste, avons-nous dit, en ce qu’elle est un bien parfait. Et puisque le bien est l’objet de la volonté, le bien parfait est celui qui satisfait pleinement la volonté. Désirer la béatitude, ce n’est pas autre chose que désirer l’assouvissement de sa volonté, et cela tout le monde le veut.

En second lieu, nous pouvons considérer la béatitude selon sa raison spéciale, quant à ce qui la constitue. Et sous ce rapport tous ne connaissent pas la béatitude, parce qu’ils ne savent pas à quelle réalité s’applique la raison générale qu’ils en ont. Dans ce sens, il est vrai de dire que tous ne la désirent pas.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. Puisque la volonté suit l’appréhension de l’intelligence ou de la raison, il arrive qu’une chose identique dans la réalité soit diverse selon la façon dont la raison l’envisage ; ainsi arrive-t-il qu’en étant réellement identique, une chose soit désirée sous un certain rapport, et ne le soit pas sous un autre. Donc la béatitude peut être envisagée sous la raison de bien final et parfait, ce qui est la notion commune de béatitude ; en ce cas, naturellement et nécessairement, la volonté tend vers elle, nous l’avons ditp. Mais la béatitude peut aussi être envisagée sous des aspects particuliers, soit du côté de l’activité qui la constitue, soit du côté de la faculté qui agit, soit du côté de l’objet dans lequel elle consiste, et alors la volonté n’y tend pas nécessairement.

3. Quant à la définition qui a été adoptée par quelques-uns : “ Bienheureux celui qui a tout ce qu’il veut ” ou : “ celui qui a tout réussi à souhait ”, cette définition, entendue en un certain sens, peut être regardée comme bonne et suffisante, mais dans un autre sens elle est incomplète. Si en effet on l’entend absolument de tout ce que l’homme veut en vertu de son désir naturel, alors il est vrai que celui qui a tout ce qu’il veut est heureux ; car rien ne rassasie l’appétit naturel de l’homme, si ce n’est le bien parfait, qui est la béatitude. Mais si l’on entend par là ce que l’homme désire d’après l’appréhension de sa raison, alors avoir certaines choses que l’on veut n’a plus de rapport avec la béatitude, mais bien plutôt avec la misère, parce que leur possession empêche l’homme d’obtenir ce qu’il désire naturellement, comme il arrive parfois que la raison tienne pour vrai ce qui fait obstacle à la connaissance de la vérité. Voilà pourquoi S. Augustin ajoute, comme condition de la parfaite béatitude, qu’on ne veuille rien de mal, quoique la première formule, bien comprise eût pu suffire : “ Bienheureux celui qui possède tout ce qu’il veut. ”

Puisque certains actes sont nécessaires pour parvenir à la béatitude, il faut étudier maintenant les actes humains, pour savoir quels sont ceux qui nous la font atteindre et ceux qui nous en interdisent l’accès. Mais puisqu’il n’y a d’opérations et d’actes qu’à l’égard des réalités individuelles, les sciences relatives à l’action ne peuvent trouver leur achèvement que dans une étude particulière. C’est ainsi que l’étude morale des actes humains doit être générale d’abord (I-II), et particulière ensuite (II-II).

L’étude générale des actes humains comprend deux considérations, celle des actes humains eux-mêmes (Q. 6-21), et celle de leurs principes (Q. 22-114). Mais, parmi les actes humains, certains sont propres à l’homme, d’autres lui sont communs avec les animaux. Et puisque la béatitude est le bien propre de l’homme, les actes proprement humains s’en rapprochent plus que les autres. Nous traiterons donc d’abord des actes qui sont propres à l’homme (Q. 6-21), puis de ceux qui sont communs à l’homme et aux autres animaux et qu’on appelle les passions de l’âme (Q. 22-48).

Sur le premier point deux choses sont à envisager : la nature des actes humains et leur distinction. Comme les actes humains ne méritent à proprement parler ce titre que s’ils sont volontaires, la volonté étant un appétit rationnel qui est propre à l’homme, c’est de ce point de vue du volontaire qu’il nous faut les considérer. Ainsi traiterons-nous en premier lieu du volontaire et de l’involontaire en général (Q. 6) ; puis des actes qui sont volontaires comme émanant de la volonté elle-même, tenant ainsi immédiatement leur existence de cette faculté - actes élicites (Q. 8-16) ; enfin de ceux qui sont volontaires comme étant commandés par la volonté et qui procèdent d’elle par l’intermédiaire d’autres puissances - actes impérés (Q. 17).

Et parce que les actes humains comportent certaines circonstances selon lesquelles on les distingue, après avoir traité du volontaire et de l’involontaire nous étudierons les circonstances de ces actes qui impliquent volontaire et involontaire (Q. 7).

 

QUESTION 6 — LE VOLONTAIRE ET L’INVOLONTAIRE

1. Trouve-t-on du volontaire dans les actes humains ? - 2. En trouve-t-on chez les bêtes ? - 3. Le volontaire peut-il exister sans aucun acte ? - 4. Peut-on faire violence à la volonté ? - 5. La violence est-elle cause d’involontaire ? - 6. La crainte ? - 7. La convoitise ? - 8. L’ignorance ?

 

            Article 1 — Trouve-t-on du volontaire dans les actes humains ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Au dire de S. Grégoire de Nysse, de S. Jean Damascène et d’Aristote “ est volontaire ce qui procède d’un principe intérieur ”. Or le principe des actes humains n’est pas dans l’homme, mais en dehors de lui ; car son appétit est déterminé à agir par un objet désirable qui lui est extérieur et le meut, comme “ un moteur qui lui-même n’est pas mû ”. On ne trouve donc pas de volontaire dans les actes humains.

2. Aristote démontre qu’il n’y a chez les animaux aucun mouvement nouveau qui ne soit précédé par quelque mouvement extérieur. Or toutes les actions de l’homme sont nouvelles, aucune d’elles en effet n’étant éternelle. Donc le principe de tous les actes humains est extérieur et en conséquence on n’y trouve pas de volontaire.

3. Qui agit volontairement a le pouvoir d’agir par soi. Mais ceci ne convient pas à l’homme, car il est dit en S. Jean (15, 5) : “ Sans moi vous ne pouvez rien faire. ” Donc le volontaire ne se trouve pas dans les actes humains.

En sens contraire, le Damascène déclare : “ Le volontaire appartient à l’acte qui est une opération rationnelle. ” On y trouve donc du volontaire.

Réponse :

Il y a du volontaire dans les actes humains. Pour s’en persuader, il faut considérer que le principe de certains actes est dans l’agent, ou dans ce qui est en mouvement. Et il y a des mouvements et des actes dont le principe est extérieur. Par exemple si une pierre se meut vers le haut, c’est en raison d’un principe qui lui est extérieur ; si au contraire elle se meut vers le bas, c’est à cause d’un principe intrinsèque.

Parmi les êtres dont le mouvement vient du dedans, certains se meuvent eux-mêmes, et d’autres non. En effet tout agent, tout être mû, agit ou est mû en raison d’une fin, comme on l’a établi précédemment. Seront donc mus de manière parfaite, par un principe intrinsèque, les êtres où l’on trouve un principe intrinsèque tel que, non seulement ils soient mus, mais qu’ils soient mus vers une fin. Or, pour que quelque chose se fasse pour une fin, il faut qu’il y ait une certaine connaissance de la fin. Donc tout ce qui agit ou est mû de l’intérieur, en ayant connaissance de la fin, possède en soi le principe de son acte, non seulement pour agir, mais pour agir en vue d’une fin. Mais ce qui n’a aucune connaissance de la fin, eût-il en soi le principe de son acte ou de son mouvement, n’a pas en soi le principe d’agir ou d’être mû en vue d’une fin, mais ce principe est dans un autre qui l’imprime en lui. Aussi ne dit-on pas que de tels êtres se meuvent eux-mêmes, mais qu’ils sont mus par d’autres. En revanche, ceux qui ont la connaissance de la fin sont dits se mouvoir eux-mêmes, précisément parce qu’ils ont en eux, non seulement de quoi agir, mais de quoi agir en vue d’une fin. Ainsi, parce que l’une et l’autre de ces conditions viennent d’un principe intrinsèque (qu’ils agissent, et qu’ils agissent pour une fin), les actes et les mouvements de ces êtres sont dits volontaires, cette appellation impliquant qu’actes et mouvements procèdent d’une inclination propre. C’est pourquoi, dans la définition d’Aristote, de S. Grégoire de Nysse et de S. Jean Damascène on appelle volontaire, non seulement “ ce qui procède d’un principe intérieur ”, mais en y ajoutant “ de science ”.

Aussi, puisque l’homme excelle à connaître la fin de son œuvre et à se mouvoir lui-même, c’est dans ses actes que l’on trouve le plus haut degré de volontaire.

Solutions :

1. Tout principe n’est pas un principe premier. Procéder d’un principe intérieur appartient sans doute à la notion de volontaire. Cependant, il ne lui est pas contraire que ce principe soit à son tour causé par un principe extérieur. Car il n’est pas essentiel au volontaire que son principe intérieur soit un principe premier. Il peut arriver toutefois qu’un certain principe de mouvement, tout en étant premier dans son genre, ne le soit pas absolument. Par exemple, dans le genre des choses susceptibles d’altération, le principe premier d’altération est le corps céleste, qui cependant n’est pas un premier moteur, car il est lui-même localement mû par un moteur supérieur. Ainsi donc le principe intrinsèque de l’acte volontaire, qui est la puissance de connaissance et d’appétition, est un principe premier dans l’ordre du mouvement appétitif, quoiqu’il soit mû par une motion extérieure pour d’autres espèces de mouvement.

2. Un mouvement nouveau chez l’animal est précédé par un mouvement extérieur de deux façons :

l° Selon que par un mouvement de ce genre se trouve présenté au sens de l’animal un objet sensible qui, étant perçu, meut lui-même l’appétit ; c’est ainsi qu’un lion voyant, à cause même de son mouvement, un cerf qui s’approche, commence à s’avancer vers lui.

2° Selon que, par ce mouvement extérieur se produisent dans le corps de l’animal certains changements physiologiques, comme il arrive par exemple sous l’action du froid ou de la chaleur ; le corps étant ainsi modifié, l’appétit sensible qui est un pouvoir lié à un organe corporel est à son tour impressionné incidemment ; ainsi en est-il quand cet appétit se met à convoiter quelque chose par suite d’une altération corporelle. Mais il n’y a rien là, comme on vient de le dire, qui soit contraire à la notion de volontaire, car ces motions extérieures sont d’une autre sorte.

3. Dieu meut l’homme à agir non seulement en proposant à ses sens un objet désirable, ou en impressionnant son corps, mais encore en mouvant sa volonté elle-même, car tout mouvement aussi bien de la volonté que de la nature procède de Dieu comme du premier moteur. Et de même qu’il n’est pas contraire à la notion de nature de procéder ainsi de Dieu comme d’un premier moteur, en tant qu’elle est une sorte d’instrument que Dieu actionne, de même il n’est pas contraire à la notion de l’acte volontaire qu’il vienne de Dieu en tant que la volonté est mue par lui. Toutefois, il appartient également au mouvement naturel et au mouvement volontaire de procéder d’un principe intrinsèque.

 

            Article 2 — Trouve-t-on du volontaire chez les bêtes ?

Objections :

1. Il semble que non. Car le volontaire reçoit son nom de la volonté. Mais cette faculté étant dans la raison, selon Aristote, ne peut évidemment se trouver chez les bêtes. On n’y trouve donc pas non plus de volontaire.

2. C’est dans la mesure où ses actes sont volontaires que l’homme est dit maître de ses actes. Or les bêtes n’ont pas la maîtrise de leurs actes ; “ elles sont agies plutôt qu’elles n’agissent ”, dit S. Jean Damascène. Il n’y a donc pas chez elles de volontaire.

3. Pour S. Jean Damascène “ les actes volontaires entraînent la louange ou le blâme ”. Mais on ne doit ni louer ni blâmer les bêtes. Il n’y a donc pas chez elles de volontaire.

En sens contraire, Aristote estime “ qu’enfants et animaux sans raison participent du volontaire ”. S. Jean Damascène et Grégoire de Nysse sont du même avis.

Réponse :

Nous avons vu que pour être volontaire un acte doit procéder d’un principe intérieur, avec une certaine connaissance de la fin. Mais il y a deux manières de connaître une fin : l’une parfaite, l’autre imparfaite. Une fin est connue parfaitement lorsqu’est appréhendée non seulement la chose qui est fin, mais encore la “ raison ” même de fin, et les rapports que soutiennent avec elle les réalités qui y sont ordonnées ; une telle connaissance appartient uniquement à la nature raisonnable. La connaissance imparfaite de la fin est celle qui comporte seulement l’appréhension de la fin, abstraction faite de sa raison de fin et de la relation de l’acte à sa fin. C’est ce qu’on remarque chez les bêtes, qui appréhendent la fin par le moyen des sens et de leur estimative naturelle.

La connaissance parfaite de la fin engendre le volontaire dans sa pleine acception ; en ce sens, ayant pris connaissance d’une fin et en ayant délibéré, ainsi que des moyens propres à la procurer, on peut se porter ou ne pas se porter vers elle. La connaissance imparfaite engendre un volontaire imparfait ; c’est ce qui se produit lorsque, ayant aperçu une fin, on se porte vers elle d’une façon subite et sans délibérer. Ainsi le volontaire selon sa parfaite acception appartient-il seulement à la créature raisonnable ; mais le volontaire imparfait convient aussi aux animaux dépourvus de raison.

Solutions :

1. La volonté désigne l’appétit rationnel ; elle ne peut donc se trouver dans les êtres dépourvus de raison. Le volontaire, quant à lui, reçoit sa dénomination de la volonté ; et sa signification peut être étendue aux choses où l’on rencontre une certaine participation de la volonté selon un certain accord avec cette faculté. C’est en ce sens que le volontaire peut être attribué aux animaux, pour autant qu’ils sont mus par une certaine connaissance de la fin.

2. C’est parce qu’il délibère sur ses actes que l’homme en est le maître ; en effet le pouvoir de juger des opposés permet à la volonté de choisir entre eux. En ce sens il n’y a pas de volontaire chez les animaux, comme on vient de le dire.

3. Louange et blâme ne conviennent qu’aux actes parfaitement volontaires, tels qu’on n’en trouve pas chez les animaux.

 

            Article 3 — Le volontaire peut-il exister sans aucun acte ?

Objections :

1. Il semble bien que non. En effet on appelle volontaire ce qui procède de la volonté. Or rien ne peut procéder de la volonté que par un acte, tout au moins un acte de volonté. Il ne peut donc y avoir de volontaire sans acte.

2. On dit que quelqu’un veut par un acte de volonté ; de même, cet acte cessant, on dit qu’il ne veut pas par un acte de volonté. Mais ne pas vouloir cause l’involontaire qui est opposé au volontaire. Donc il ne peut y avoir de volontaire si l’acte de volonté vient à s’interrompre.

3. Nous l’avons dit, la connaissance appartient à la notion de volontaire. Mais la connaissance vient d’un acte. Donc il ne peut y avoir de volontaire sans aucun acte.

En sens contraire, on appelle volontaire ce dont nous sommes maîtres. Mais nous sommes maîtres d’agir et de ne pas agir, de vouloir et de ne pas vouloir. Donc, de même qu’agir et vouloir sont volontaires, ainsi en est-il de l’abstention de ces actes.

Réponse :

On appelle volontaire ce qui procède de la volonté. Mais il y a deux façons pour une chose de procéder d’une autre : directement, c’est-à-dire comme un être procède d’un agent, comme l’échauffement procède de la chaleur. Ou bien indirectement, du fait même qu’il n’y a pas d’action, comme le naufrage du navire est attribué au pilote parce qu’il a cessé de gouverner. Toutefois, il est à remarquer que les conséquences d’une absence d’acte ne doivent pas toujours être attribuées, comme à leur cause, à l’agent du seul fait qu’il n’agit pas, mais seulement lorsqu’il peut et doit agir. Ainsi le pilote qui n’aurait pas eu les moyens de diriger le navire ou auquel sa direction n’aurait pas été confiée, ne serait-il pas rendu responsable d’un naufrage qui résulterait de l’absence du pilote.

Donc, puisque la volonté peut, en voulant et en agissant, s’interdire de ne pas vouloir et de ne pas agir, et puisque parfois elle le doit, ne pas vouloir et ne pas agir lui est imputé comme venant d’elle. De cette façon le volontaire peut exister sans acte ; tantôt sans acte extérieur mais avec un acte intérieur comme lorsqu’on veut ne pas agir, tantôt même sans acte intérieur comme lorsqu’on ne veut pas.

Solutions :

1. La dénomination de volontaire ne convient pas seulement à ce qui procède directement de la volonté en tant qu’elle est agissante, mais encore à ce qui résulte indirectement d’elle en tant qu’elle n’agit pas.

2. L’expression “ ne pas vouloir ” (non velle) peut être entendue en deux sens. Ou bien comme si c’était un seul mot, c’est-à-dire comme l’infiniti du verbe “ je ne veux pas ” (nolo) ; de même que l’expression “ je ne veux pas lire ” (nolo legere) signifie “ je veux ne pas lire ” (volo non legere), ainsi “ ne pas vouloir lire ” (non velle legere) signifie “ vouloir ne pas lire ” (velle non legere) ; en ce sens “ ne pas vouloir ” est cause d’involontaire. - Ou bien “ ne pas vouloir ” est pris comme un terme complexe, auquel cas il n’y a pas affirmation d’acte de volonté, et un tel “ non vouloir ” ne cause pas d’involontaire.

3. L’acte de connaissance est requis pour le volontaire à la même condition que l’acte de volonté : qu’on ait effectivement le pouvoir de considérer, comme de vouloir et d’agir. Et alors, de même que “ ne pas vouloir ” et “ ne pas agir ”, lorsque c’était le moment, est volontaire, ainsi en est-il pour “ ne pas considérer ”.

 

            Article 4 — Peut-on faire violence à la volonté ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. On peut toujours être contraint par plus puissant que soi. Mais il y a un être plus puissant que la volonté humaine : c’est Dieu. Donc celle-ci peut être contrainte au moins par lui.

2. Toute puissance passive est contrainte par le principe actif correspondant lorsqu’elle est modifiée par lui. Or, la volonté est une puissance passive, puisqu’elle est “ un moteur mû ” d’après Aristote. Donc, puisqu’elle est parfois mue par son principe actif, il apparaît qu’elle est parfois contrainte.

3. Le mouvement violent est celui qui va contre la nature. Mais le mouvement de la volonté lui est parfois contraire comme c’est clair, dit S. Jean Damascène, dans le cas du péché, qui est contre nature. Le mouvement de la volonté peut donc être contraint.

En sens contraire, S. Augustin affirme que si l’on fait quelque chose volontairement, on ne le fait pas nécessairement. Or tout ce qui est contraint est fait nécessairement. Donc ce qui est fait par la volonté ne peut être contraint. Donc la volonté ne peut être forcée à agir.

Réponse :

La volonté comporte deux actes : l’un qui procède immédiatement d’elle, étant comme émis par cette faculté ; cet acte dit “ élicite ”, c’est le vouloir. L’autre acte est celui qu’elle commande et qui suppose la médiation d’une autre puissance, par exemple marcher et parler : ce sont des actes que la volonté commande et qui sont exécutés par l’intermédiaire de la puissance motrice. S’il s’agit des actes “ impérés ”, c’est-à-dire commandés, la volonté peut souffrir violence ; les membres extérieurs peuvent en effet être empêchés par violence d’exécuter le commandement de la volonté. Mais dans son acte propre, élicite, la volonté ne peut être affectée par aucune violence.

La raison en est que l’acte de volonté n’est rien d’autre qu’une inclination qui procède d’un principe intérieur doué de connaissance, de même que l’appétit naturel est une inclination qui procède aussi d’un principe intérieur, mais dépourvu de connaissance. Or ce qui est contraint et violent vient d’un principe extérieur. Il est donc contraire à l’acte même de la volonté d’être contraint ou violenté, comme d’ailleurs aussi à toute inclination ou mouvement naturel. Rien n’empêche en effet qu’une pierre soit jetée vers le haut par violence, mais que ce mouvement violent procède de son inclination naturelle, voilà ce qui est impossible. Pareillement, on peut traîner un homme par force, mais que cela vienne de sa volonté est contraire à la notion même de violence.

Solutions :

1. Dieu, qui est plus puissant que la volonté humaine, peut la mouvoir, selon cette parole des Proverbes (21,1) : “ Le cœur du roi est dans les mains de Dieu, qui l’incline à son gré. ” Mais si cela était fait par violence, ce ne serait pas alors avec un acte de volonté, et ce qui serait mû ne serait pas la volonté, mais quelque chose qui lui est contraire.

2. La modification d’une puissance passive par le principe actif correspondant n’est pas toujours un mouvement violent. Il faut pour cela que cette modification aille contre l’inclination intérieure de la puissance passive ; sans quoi, toutes les altérations et générations des corps simples seraient non naturelles et violentes. Or, elles sont bien naturelles en raison de l’aptitude intérieure naturelle de la matière ou du sujet à la disposition en question. Il en va pareillement de la volonté lorsqu’elle est mue par son objet, conformément à son inclination propre ; alors que son mouvement n’est pas violent, mais volontaire.

3. Ce que la volonté poursuit dans le péché, bien qu’en réalité ce soit mauvais et contraire à la nature raisonnable, est cependant appréhendé comme étant un bien, et conforme à cette nature, en tant que convenant à l’homme selon telle jouissance sensuelle ou tel habitus corrompu.

 

            Article 5 — La violence est-elle cause d’involontaire ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Volontaire et involontaire sont relatifs à la volonté. Or nous venons de montrer qu’il ne peut être fait violence à cette faculté. Donc la violence ne peut être cause d’involontaire.

2. L’involontaire, au dire de saint Jean Damascène et d’Aristote, s’accompagne de tristessse. Or il arrive que l’on souffre violence sans en être attristé. La violence ne cause donc pas l’involontaire.

3. Ce qui procède de la volonté ne peut être involontaire. Or certains actes violents peuvent être volontaires, ainsi monter avec un corps pesant, ou fléchir ses membres contrairement à leur disposition naturelle. La violence n’entraîne donc pas l’involontaire.

En sens contraire, Aristote et le Damascène soutiennent qu’il y a de l’involontaire par violence.

Réponse :

La violence s’oppose directement au volontaire, comme aussi au naturel. Car il est commun au volontaire et au naturel de procéder d’un principe intérieur, tandis que la violence a sa cause à l’extérieur. Donc, de même que, dans les choses privées de connaissance, la violence agit contre la nature, ainsi dans celles qui sont douées de connaissance agit-elle contre la volonté. Et comme ce qui est contre la nature est qualifié de non naturel, ce qui va contre la volonté est dénommé involontaire. La violence est donc cause d’involontaire.

Solutions :

1. L’involontaire s’oppose au volontaire. Or, on vient de le dire, on appelle volontaire non seulement l’acte qui procède immédiatement de la volonté, mais encore celui qui est commandé par elle. Quant au premier de ces actes, nous le savons, la volonté ne peut souffrir de violence. Mais relativement à l’acte commandé, la volonté peut souffrir violence, et la violence est alors cause d’involontaire.

2. On donne le nom de volontaire à tout ce qui est conforme à l’inclination d ela volonté comme on appelle naturel tout ce qui correspond à l’inclination de la nature. Mais il y a deux façons pour une chose d’être naturelle : soit parce qu’elle vient de la nature comme de son principe actif, ainsi chauffer est naturel au feu ; soit au titre de principe passif, selon qu’il y a dans la nature une disposition à recevoir son action d’un principe extérieur ; ainsi le mouvement du ciel est-il dit naturel en raison de l’aptitude naturelle du corps céleste à ce mouvement, bien que le moteur reste volontaire. Pareillement, il y a deux façons pour une chose d’être volontaire : soit activement, comme lorsque l’on veut faire quelque chose ; soit passivement, lorsque l’on veut subir l’action d’un autre. En conséquence, lorsque l’action vient de l’extérieur mais que celui qui la subit garde la volonté de la subir, il n’y a pas, absolument parlant, de violence. Car celui qui subit, bien qu’il ne coopère pas en agissant, coopère cependant en voulant subir.

3. Selon Aristote, lorsqu’un animal se meut contre l’inclination naturelle de son corps, ce mouvement, bien qu’il ne soit pas naturel à son corps, est en quelque sorte naturel à l’animal, car il lui est naturel d’être mû conformément à son appétit. Il n’y a pas alors de violence absolue mais seulement violence relative. Il en va de même si quelqu’un fléchit ses membres contrairement à leur disposition naturelle ; c’est de la violence relative, par rapport au membre particulier ; mais ce n’est pas de la violence absolue par rapport à l’homme lui-même.

 

            Article 6 — La crainte est-elle cause d’involontaire ?

Objections :

1. Il semble que la crainte cause de l’involontaire de façon absolue. En effet, la crainte est, vis-à-vis d’un mal à venir qui s’oppose à la volonté, dans le même rapport que la violence vis-à-vis de ce qui contrarie présentement la volonté. Or la violence cause absolument l’involontaire. Donc la crainte pareillement.

2. Ce qui est par soi demeure tel, quoi qu’on y ajoute. Ainsi, ce qui est chaud par soi demeure chaud, quelle que soit la chose à laquelle on l’associe. Or, pris en soi, l’acte accompli par crainte est involontaire. Donc il le reste quand intervient la crainte.

3. Ce qui est tel sous condition est tel de façon relative, alors que ce qui est tel sans condition est tel de façon absolue ; de même, ce qui est nécessaire sous condition est nécessaire de façon relative, tandis que ce qui est nécessaire absolument est nécessaire purement et simplement. Mais ce qui est fait par crainte est involontaire absolument ; ce n’est volontaire que sous condition : pour que soit évité le mal que l’on redoute. Donc ce qui est fait par crainte est purement et simplement involontaire.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse et Aristote disent tous deux que ce qui est fait sous l’empire de la crainte est plus volontaire qu’involontaire.

Réponse :

Avec ces deux auteurs, il faut reconnaître que ce qui est fait par crainte est “ mêlé de volontaire et d’involontaire ”. Car ce qu’on fait par crainte, si on le considère en soi, n’est pas volontaire ; mais cela le devient par la circonstance : on veut éviter un mal que l’on craint.

Mais, tout bien pesé, de telles actions sont plus volontaires qu’involontaires ; elles sont volontaires absolument, et involontaires de façon relative. Car on dit qu’une chose existe de façon absolue selon qu’elle est en acte ; si elle n’est que dans la connaissance, elle n’existe que de façon relative. Or, une chose accomplie par crainte est en acte pour autant qu’elle se réalise. Comme, d’autre part, les actions sont relatives aux singuliers et que ceux-ci en tant que tels sont déterminés dans l’espace et le temps, il en résulte que ce qui se réalise est en acte pour autant qu’il est situé dans l’espace et le temps, et dans les autres conditions qui l’individualisent. Ainsi donc, ce que l’on accomplit par crainte est volontaire en tant que cet acte existe concrètement et que, dans cette circonstance donnée, il empêche le mal plus grand que l’on craignait. Par exemple jeter des marchandises à la mer devient volontaire pendant une tempête à cause de la crainte du danger. Il est clair qu’il s’agit de volontaire pur et simple, et que la qualité propre de volontaire convient à cet acte, car son principe est intérieur. Si l’on considère au contraire ce qui est fait par crainte en dehors de tel cas concret et comme contraire à la volonté, cela n’existe que pour l’esprit. Aussi est-ce involontaire de façon relative, en tant que l’acte est détaché de ses circonstances particulières.

Solutions :

1. Les actions que l’on fait par crainte ou par violence ne diffèrent pas seulement par les circonstances du temps, présent et futur, mais par une autre raison. Dans ce qui est fait par violence, la volonté ne consent pas, et l’on va absolument contre son mouvement ; mais ce que l’on fait par crainte devient volontaire, car alors le mouvement de la volonté se porte vers cette chose, non à la vérité pour elle-même, mais pour une autre : pour repousser un mal que l’on redoute. (Il suffit en effet à la notion de volontaire qu’il se rapporte à un autre ; car le volontaire n’est pas seulement ce que nous voulons pour lui-même comme fin, mais encore ce que nous voulons pour autre chose que nous prenons pour fin.) Il apparaît donc clairement que, dans ce qui est fait par violence, la volonté intérieure n’agit en rien, tandis qu’elle intervient activement dans ce qui est fait par crainte. Aussi, selon la remarque de Grégoire de Nysse, pour exclure dans la définition du violent ce qui est fait par crainte, on ne dit pas seulement : “ le violent est ce dont le principe est à l’extérieur ”, mais on ajoute : “ le patient ne prêtant en rien son concours ”, car la volonté de celui qui craint contribue en quelque façon à l’acte accompli par crainte.

2. Ce qui est qualifié de manière absolue, comme le chaud et le blanc, demeure tel quoi qu’on y ajoute ; mais ce qui est qualifié de façon relative varie selon qu’on le rapporte à diverses choses ; ainsi ce qui est grand par rapport à une chose est petit comparé à une autre. Or, une chose est dite volontaire non seulement pour elle-même, de façon absolue, mais encore pour autre chose, de façon relative. Rien n’empêche donc que ce qui n’était pas volontaire par rapport à une chose le devienne si on le compare à une autre.

3. Ce qui se fait par crainte est volontaire sans condition, c’est-à-dire si l’on agit effectivement ; mais c’est involontaire sous condition, c’est-à-dire si une telle crainte n’était pas été menaçante. Pour cette raison on peut donc conclure le contraire.

 

            Article 7 — La convoitise est-elle cause d’involontaire ?

Objections :

1. Il semble que oui. Comme la crainte la convoitise est une certaine passion. Mais la crainte cause de quelque façon l’involontaire. Donc aussi la convoitise.

2. De même que le timide agit par crainte contre ce qu’il se proposait, ainsi l’incontinent en raison de la convoitise. Or la crainte cause d’une certaine façon l’involontaire. Donc également la convoitise.

3. Le volontaire requiert la connaissance ; or celle-ci se trouve corrompue par la convoitise ; Aristote dit que “ le plaisir, ou la convoitise du plaisir, corrompt le jugement de la prudence ”. Donc la convoitise cause de l’involontaire.

En sens contraire, S. Jean Damascène nous dit : “ Ce qui est involontaire est digne d’indulgence ou de miséricorde, et s’accomplit avec tristesse. ” Mais rien de cela ne convient à l’acte accompli par la convoitise. Cette passion ne cause donc pas l’involontaire.

Réponse :

Bien loin de causer de l’involontaire, la convoitise contribue plutôt à rendre l’acte volontaire. On qualifie en effet une chose de volontaire du fait que la volonté s’y porte. Or, sous l’influence de la convoitise, la volonté est inclinée à vouloir ce qu’elle convoite. C’est pourquoi la convoitise rend l’acte volontaire, bien plutôt qu’involontaire.

Solutions :

1. La crainte a pour objet le mal, tandis que la convoitise regarde le bien. Or le mal, considéré en soi, s’oppose à la volonté, alors que le bien s’y accorde. Il s’ensuit que la crainte est plus apte à causer l’involontaire que la convoitise.

2. Chez celui qui agit par crainte demeure la répugnance de la volonté à ce qu’il fait selon qu’il le considère en soi. Au contraire, chez celui qui agit par convoitise, tel l’incontinent, la volonté antérieure, par laquelle il répudiait ce qu’il convoite, ne demeure pas, mais elle se trouve changée pour vouloir maintenant ce que d’abord elle répudiait. Ainsi ce qui est fait par crainte est involontaire de quelque façon, mais ce qui est fait par convoitise ne l’est aucunement. Car l’incontinent pris de convoitise agit contre ce qu’il se proposait antérieurement, mais non pas contre ce qu’il veut maintenant ; tandis que le craintif, lui, agit en s’opposant à cela même qu’il veut maintenant de façon absolue.

3. Si la convoitise venait à abolir totalement la connaissance, comme cela se produit chez ceux qu’elle rend fous, le volontaire se trouverait supprimé. En ce cas, d’ailleurs, il n’y aurait pas non plus à proprement parler d’involontaire, parce que chez ceux qui n’ont pas l’usage de la raison, il n’y a ni volontaire ni involontaire. Mais parfois chez ceux qui agissent par convoitise, la connaissance n’est pas totalement abolie, parce que la puissance de connaître n’est pas supprimée, mais seulement l’attention actuelle à telle action particulière. De tels actes cependant sont volontaires, pour autant que l’on dénomme ainsi ce qui est au pouvoir de la volonté, comme “ ne pas agir ” et “ ne pas vouloir ”, et semblablement “ ne pas considérer ”. Car la volonté peut résister à la passion, comme on le dira plus loin.

 

            Article 8 — L’ignorance est-elle cause d’involontaire ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. “ Ce qui est involontaire, remarque S. Jean Damascène, mérite le pardon. ” Or il arrive qu’une action faite par ignorance ne le mérite pas. Comme dit S. Paul (1 Co 14, 38) : “ Si quelqu’un ignore, il sera ignoré. ” Ainsi donc l’ignorance ne cause pas l’involontaire.

2. En tout péché il y a de l’ignorance, selon les Proverbes (14, 22) : “ Ceux qui font le mal se trompent. ” Donc, si l’ignorance causait l’involontaire, il s’ensuivrait que tout péché serait involontaire. Mais ce serait contraire à la parole de S. Augustin disant : “ Tout péché est volontaire. ”

3. Nous avons déjà noté avec S. Jean Damascène que “ ce qui est involontaire s’accompagne de tristesse ”. Mais certaines actions se font dans l’ignorance et sans tristesse, par exemple si l’on tue un ennemi qu’on cherchait bien à tuer, mais en croyant tuer un cerf. L’ignorance ne cause donc pas l’involontaire.

En sens contraire, S. Jean Damascène et Aristote disent tous deux “ qu’il y a de l’involontaire par ignorance ”.

Réponse :

L’ignorance, avons-nous dit, peut causer de l’involontaire pour cette raison qu’elle prive de la connaissance requise pour le volontaire. Toutefois, cette privation n’est pas le résultat d’une ignorance quelconque. Car l’ignorance peut se rapporter à l’acte de connaissance de trois manières, selon qu’elle lui est concomitante, conséquence ou antécédente.

1° Concomitante, l’ignorance porte sur ce qui se fait, mais de telle sorte que, si l’on savait, on ne l’en ferait pas moins. Dans ce cas l’ignorance n’incline pas à vouloir que la chose s’accomplisse, mais c’est par accident qu’on l’accomplit et on l’ignore à la fois, comme dans l’exemple cité de celui qui a l’intention de tuer un ennemi et le tue sans le savoir, en croyant tuer un cerf. Une telle ignorance n’est pas cause d’involontaire d’après Aristote puisqu’elle ne produit rien qui contrarie la volonté ; mais elle est cause de “ non volontaire ”, car on ne peut vouloir en acte ce que l’on ignore.

2° L’ignorance est conséquente par rapport à la volonté en tant qu’elle est volontaire. Or cela peut se faire de deux façons selon les deux modes de volontaire que nous avons distingué. - Ou bien l’acte de volonté se porte sur l’ignorance elle-même, par exemple lorsque quelqu’un veut ignorer pour avoir une excuse à son péché ou pour n’en être pas détourné, selon cette parole du livre de Job (21, 14) : “ Nous ne voulons pas connaître tes voies. ” C’est ce qu’on appelle l’ignorance affectée. - D’une autre façon, on appelle ignorance volontaire celle de quelqu’un qui peut et doit savoir ; c’est ainsi, nous l’avons dit plus haut, que “ ne pas agir ” et “ ne pas vouloir ” sont appelés du volontaire. Cette ignorance-là peut se produire, soit qu’on ne considère pas en acte ce qu’on peut et doit considérer, et c’est une ignorance de mauvais choix, qui a sa source dans la passion ou l’habitude ; soit qu’on ne se soucie pas d’acquérir la connaissance qu’on peut et doit avoir ; c’est de cette manière que l’ignorance des propositions universelles du droit, que l’on est tenu de connaître, est appelée volontaire comme provenant de la négligence. Etant involontaire de l’une ou de l’autre de ces façons, l’ignorance ne peut être cause d’involontaire absolu ; elle cause alors cependant de l’involontaire relatif, en tant qu’elle précède un mouvement de la volonté orienté vers l’action, mouvement qui ne se serait pas produit s’il y avait eu connaissance.

3° Est antécédente enfin par rapport à la volonté, l’ignorance qui, tout en n’étant pas volontaire, porte cependant à vouloir ce qu’on ne voudrait pas autrement. Ainsi lorsqu’un homme ignore telle circonstance d’un acte qu’il n’était pas tenu de connaître et, à cause de cela, fait ce qu’il n’eût pas accompli s’il l’avait sue. C’est le cas de celui qui, malgré les précautions prises, ignore que quelqu’un marche sur la route et lance une flèche qui le tue. Cette ignorance-là est cause pure et simple d’involontaire.

Solutions :

La réponse aux objections ressort clairement de ce qui vient d’être dit.

1. La première procédait de l’ignorance des choses que l’on est tenu de savoir.

2. La deuxième de l’ignorance du choix qui, on l’a dit, est d’une certaine manière volontaire.

3. La troisième enfin, de l’ignorance concomitante à la volonté.

 

 

QUESTION 7 — LES CIRCONSTANCES DES ACTES HUMAINS

1. Qu’entend-on par circonstances ? - 2. Le théologien doit-il prêter attention aux circonstances des actes humains ? - 3. Combien y en a-t-il ? - 4. Quelles sont les plus fondamentales ?

 

            Article 1 — Qu’entend-on par circonstances ?

Objections :

1. Il semble que la circonstance n’est pas un accident de l’acte humain, car, pour Cicéron, une circonstance est “ ce que l’art oratoire ajoute à l’autorité et à la solidité d’une argumentation ”. Mais l’art oratoire fortifie l’argumentation en s’appuyant sur ce qui se rapporte à la substance même de la chose, comme la définition, le genre, l’espèce, etc. C’est à partir de cela que l’orateur, doit argumenter, dans l’enseignement de Cicéron. Une circonstance n’est donc pas un accident de l’acte humain.

2. Le propre de l’accident est d’inhérer. Ce qui entoure une chose n’y est pas inhérent mais plutôt extérieur. Les circonstances ne sont donc pas des accidents des actes humains.

3. Un accident n’a pas d’accidents. Or les actes humains eux-mêmes sont des accidents. Donc les circonstances ne sont pas les accidents des actes.

.En sens contraire, les conditions particulières d’une chose singulière sont appelées des accidents individuant cette chose ; or Aristote nomme les circonstances des particularités, c’est-à-dire des conditions particulières des actes singuliers. Donc, les circonstances sont des accidents individuels des actes humains.

Réponse :

Puisque les noms sont, d’après Aristote, “ les signes de nos pensées ”, il est nécessaire que l’ordre des dénominations se conforme à celui de la connaissance intellectuelle. Or celle-ci va du plus connu au moins connu. Voilà pourquoi, chez nous, les noms sont aussi transférés du plus connu au moins connu. C’est ainsi, dit Aristote, que le mot de distance qui concerne d’abord une situation locale, est employé pour désigner n’importe quel contraire. Pareillement, nous employons des mots relatifs au mouvement local pour désigner d’autres mouvements, car ce que nous connaissons le mieux, ce sont les corps, que le lieu circonscrit. De là vient que le mot de circonstance est passé d’objets situés dans le lieu, aux actes humains.

Or, en matière de lieu, on dit qu’une chose en circonscrit une autre (circumstare) quand, tout en étant une réalité extérieure à elle, elle la touche ou l’approche localement. De même appelle-t-on circonstances (circumstantiae) des conditions qui, tout en étant en dehors de la substance de l’acte humain, le touchent cependant en quelque façon. Et parce qu’on appelle accident tout ce qui se trouve en dehors de la substance d’une chose, tout en se rapportant à elle, il faut dire pareillement que les circonstances des actes humains sont pour ces actes des accidents.

Solutions :

1. L’art oratoire donne solidité à une argumentation principalement lorsqu’il se fonde sur la substance de l’acte, mais aussi de façon secondaire en se référant aux circonstances. Ainsi quelqu’un est-il passible d’accusation parce qu’il a commis un homicide, mais secondairement parce qu’il l’a fait avec ruse ou par cupidité, ou en temps et lieu sacrés, ou dans d’autres circonstances de ce genre. Aussi Cicéron déclare-t-il expressément qu’en s’appuyant sur les circonstances, l’art oratoire “ ajoute ” de la solidité à l’argumentation, à titre secondaire.

2. Une chose peut être dite l’accident d’une autre de deux façons. Soit qu’elle lui inhère ; ainsi la blancheur est-elle un accident de Socrate. Soit qu’elle se rencontre simultanément avec cette chose dans un même sujet ; en ce sens on dit que la blancheur se rapporte accidentellement à la qualité de musicien, du fait que ces deux choses se rencontrent, et en quelque manière se touchent, dans un même sujet. C’est à ce dernier titre que les circonstances sont appelées un accident des actes.

3. On vient de le dire, un accident devient celui d’un autre accident à cause de leur rencontre dans le sujet. Mais cela arrive de deux manières. Soit que deux accidents se rapportent à un même sujet sans qu’il y ait d’ordre entre eux, telle la blancheur et la qualité de musicien chez Socrate ; soit qu’ils s’y rapportent de façon ordonnée, ainsi lorsque le sujet reçoit un accident par l’intermédiaire de l’autre, comme le corps par exemple reçoit la couleur par l’intermédiaire de la surface. C’est de cette façon qu’un accident est dit inhérer à un autre ; nous disons en effet que la couleur est sur la surface. Or des circonstances peuvent se rapporter à des actes de ces deux manières : certaines d’entre elles déterminent l’agent sans que l’acte intervienne, comme le lieu ou la condition de la personne, tandis que d’autres le font par l’intermédiaire de l’acte, comme la manière d’agir.

 

            Article 2 — Le théologien doit-il prêter attention aux circonstances des actes humains ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Car le théologien considère les actes humains seulement en tant qu’ils sont qualifiés, c’est-à-dire bons ou mauvais. Or les circonstances ne semblent pas pouvoir faire que des actes humains soient tels, car rien ne peut être formellement qualifié par ce qui est en dehors de soi, mais seulement par ce qui est au-dedans. Les circonstances des actes, en conséquence n’ont pas à être considérées par le théologien.

2. Les circonstances sont les accidents des actes. Mais les accidents, en un seul sujet, peuvent être en nombre infini. C’est pourquoi, remarque Aristote “ aucun art ou science ne prend comme objet l’être par accident, à l’exception de la sophistique ”. Le théologien n’a donc pas à tenir compte des circonstances des actes.

3. L’examen des circonstances revient au rhéteur. Or la rhétorique n’est pas une partie de la théologie. Le théologien n’a donc pas à s’occuper des circonstances.

En sens contraire, pour S. Jean Damascène et S. Grégoire de Nysse, l’ignorance des circonstances cause de l’involontaire. Mais l’involontaire excuse la faute, dont l’étude appartient au théologien. Donc la considération des circonstances est de son ressort.

Réponse :

Les circonstances doivent être prises en considération par le théologien pour trois raisons.

1° Il considère les actes humains en tant qu’ils ordonnent l’homme à la béatitude. Mais tout ce qui est ordonné à une fin doit lui être proportionné. Or les actes humains sont proportionnés à leur fin selon une certaine mesure qui précisément résulte de justes circonstances. L’étude des circonstances regarde donc bien le théologien.

2° Le théologien considère les actes humains en tant qu’on y trouve du bien et du mal, du meilleur et du pire ; or nous verrons que cette diversité tient aux circonstances.

3° Le théologien considère les actes humains en tant qu’ils sont méritoires ou déméritoires, propriétés qui conviennent à ces actes et qui supposent qu’ils sont volontaires. Mais, comme on l’a dit, un acte humain est jugé volontaire ou involontaire du fait de la connaissance ou de l’ignorance des circonstances. Pour toutes ces raisons, la considération des circonstances incombe au théologien.

Solutions :

1. Le bien qui est ordonné à une fin est appelé utile, ce qui implique une certaine relation ; c’est pourquoi Aristote affirme que “ dans le genre relation, le bien est l’utile ”. Mais dans les choses qui sont dites de façon relative, il n’y a pas seulement dénomination par ce qui est intrinsèque, mais aussi par ce qui s’ajoute du dehors, comme il apparaît pour la droite et la gauche, l’égal et l’inégal, etc. C’est pourquoi, si les actes sont bons en tant qu’ils sont utiles à une fin, rien n’empêche de les déclarer bons ou mauvais d’après leurs rapports à certaines choses qui s’ajoutent à eux du dehors.

2. Les accidents totalement accidentels sont, en raison de leur incertitude et de leur infinité, laissés de côté par les arts. Mais les circonstances ne sont pas des accidents de ce genre, car, si elles sont extérieures à l’acte, elles le touchent cependant, étant ordonnées à lui. Les accidents propres, en revanche, sont du domaine de l’art.

3. L’examen des circonstances revient aussi bien au moraliste, au politique et au rhéteur. Au moraliste, pour autant qu’en raison des circonstances on atteint ou non le juste milieu de la vertu dans les actes humains et les passions. Au politique et au rhéteur selon que par les circonstances les actes deviennent louables ou blâmables, excusables ou condamnables, mais de façon diverse, car là où le rhéteur persuade, le politique tranche. Enfin au théologien à qui tous les autres arts sont subordonnés, cet examen revient à tous ces titres. Car il rejoint le moraliste pour considérer les actes comme vertueux ou vicieux ; et il considère les actes selon qu’ils méritent châtiment ou récompense, en accord avec le rhéteur et le politique.

 

            Article 3 — Combien y a-t-il de circonstances ?

Objections :

1. Il semble que leur énumération au livre III de l’Éthique d’Aristote soit inadaptée. En effet, on appelle circonstance d’un acte ce qui lui est extérieur. Tels sont le temps et le lieu. Il n’y a donc que ces deux circonstances-là.

2. En raison des circonstances on juge qu’une chose se fait bien ou mal ; mais cela tient au mode d’agir ; toutes les circonstances se ramènent en conséquence à une seule qui est le mode d’agir.

3. Les circonstances ne font pas partie de la substance d’un acte ; or les causes d’un acte paraissent bien se rapporter à la substance. Il faut donc exclure de l’énumération des circonstances “ qui ”, “ pourquoi ”, “ au sujet de quoi ”, car “ qui ” ressortit à la cause efficiente ; “ pourquoi ” à la cause finale, “ autour de quoi ” à la cause matérielle.

En sens contraire, il y a l’autorité d’Aristote à cet endroit.

Réponse :

Cicéron énumère sept circonstances qu’il énonce dans un vers latin : “ Qui, quoi, où, par quels moyens, pourquoi, comment, quand. ” Dans un acte, en effet, il faut considérer qui l’a fait, par quels moyens ou instruments il l’a fait, ce qu’il a fait, où, pourquoi, comment, quand il l’a fait. Mais Aristote en ajoute une autre : “ au sujet de quoi ”, que Cicéron avait comprise dans le “ quoi ”.

Voici comment on peut justifier cette énumération. On donne le nom de circonstance à ce qui, existant en dehors de la substance d’un acte, l’atteint cependant en quelque manière. Or ceci peut avoir lieu de trois façons : ou c’est l’acte lui-même qui est atteint, ou c’est sa cause, ou c’est son effet. Si c’est l’acte, la circonstance peut être mesurante, comme le “ temps ” et le “ lieu ”, ou qualifiante comme la “ manière d’agir ”. Si c’est l’effet, on considère “ quoi ”, ce que quelqu’un a fait. Si c’est la cause de l’acte, on a du côté de la cause finale “ pourquoi ”, du côté de la cause matérielle ou de l’objet “ au sujet de quoi ”, du côté enfin de la cause agente “ qui ” pour la cause principale, et “ par quels moyens ” pour la cause instrumentale.

Solutions :

1. Temps et lieu enveloppent l’acte par mode de mesure ; les autres circonstances l’enveloppent en l’affectant de quelque autre manière, tout en demeurant en dehors de sa substance.

2. La modalité de bien et de mal n’est pas une circonstance, mais découle de toutes les circonstances. Au contraire le mode, qui est relatif à la qualité de l’acte, est une circonstance particulière ; ainsi le fait de marcher vite ou lentement, de frapper fort ou doucement, etc.

3. Ce qu’on appelle circonstance n’est pas la condition de la cause dont dépend la substance même de l’acte, mais quelque autre condition surajoutée. Ainsi, en ce qui concerne l’objet, le fait qu’il s’agit d’un bien d’autrui n’est pas une circonstance du vol, cela appartient à son essence même ; mais c’en est une que ce bien soit grand ou petit. Il en va pareillement des circonstances relatives aux autres causes. Ce n’est pas la fin spécifiant l’acte qui est circonstance, mais une fin surajoutée ; si, par exemple, celui qui est fort agit fortement en raison du bien propre de la force, ce n’est pas une circonstance, mais c’en est une s’il agit fortement pour la libération de la cité ou du peuple chrétien, ou pour un autre motif de ce genre. De même pour le “ quoi ” : verser de l’eau sur quelqu’un pour le laver, ce n’est pas une circonstance de l’ablution ; mais qu’en le lavant on le refroidisse ou on le réchauffe, on le guérisse ou on lui nuise, voilà des circonstances.

 

            Article 4 — Parmi les circonstances, lesquelles sont les plus fondamentales ?

Objections :

1. Il ne semble pas que les circonstances fondamentales soient “ pourquoi ” et “ en quoi consiste l’opération ”, comme l’affirme Aristote. En effet, le temps et le lieu paraissent bien constituer “ ce en quoi ” l’opération s’effectue. Or, du fait qu’elles sont les plus extérieures à l’acte, ces circonstances ne semblent pas être fondamentales. Donc “ ce en quoi ” ne constitue pas les circonstances les plus fondamentales.

2. La fin est extrinsèque à la chose. Elle ne semble donc pas être la plus fondamentale des circonstances.

3. Ce qui est le plus fondamental dans une chose, c’est sa cause et sa forme. Or la cause de l’acte humain est la personne qui l’accomplit, et sa forme est son mode. Ces deux circonstances paraissent être les plus fondamentales.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse affirme que les circonstances les plus fondamentales sont “ ce pourquoi l’on agit ” et “ ce qui est fait ”.

Réponse :

Les actes sont appelés proprement humains, nous l’avons dit, dans la mesure où ils sont volontaires. Or la volonté a la fin pour motif et pour objet. C’est pourquoi la circonstance la plus fondamentale est celle qui atteint l’acte du point de vue de sa fin, c’est-à-dire “ ce pourquoi ” ; vient ensuite celle qui atteint la substance même de l’acte à savoir “ ce qu’il a fait ”. Quant aux autres circonstances, leur importance se mesure à la proximité plus ou moins grande qu’elles ont avec ces deux-là.

Solutions :

1. “ Ce en quoi ” l’opération s’effectue ne signifie pas ici pour Aristote le temps et le lieu, mais ce qui s’ajoute à l’acte lui-même. C’est pourquoi, expliquant en quelque sorte le dire du Philosophe, S. Grégoire de Nysse met “ ce qui est fait ” au lieu de “ ce en quoi l’opération s’effectue ”.

2. La fin, bien qu’elle n’appartienne pas à la substance de l’acte, en est toutefois la cause la plus fondamentale, du fait qu’elle pousse l’agent à agir ; d’où vient que l’acte moral est spécifié surtout par sa fin.

3. La personne qui agit est cause de l’acte pour autant qu’elle est mue par la fin, et c’est sous ce rapport qu’elle est fondamentalement ordonnée à l’acte ; quant aux autres conditions de la personne, elles ne sont pas ordonnées à l’acte de façon aussi fondamentale. Le mode dont il est question ici ne se confond pas avec la forme substantielle de l’acte (celle-ci en effet résulte dans l’acte de l’objet et du terme ou de la fin), il n’en est qu’une sorte de qualité accidentelle.

Considérons maintenant les actes volontaires en particulier. Premièrement, ceux qui procèdent immédiatement de la volonté parce qu’ils sont émis par elle (actes élicites (Q. 8-16)) ; deuxièmement, les actes commandés (impérés) par la volonté (Q. 17).

Mais la volonté se porte et vers la fin et vers les moyens. Ainsi étudierons-nous d’abord les actes par lesquels la volonté se meut vers la fin (Q. 17) ; et ensuite ceux par lesquels elle se meut vers les moyens.

Les actes relatifs à la fin semblent être trois : le vouloir (Q. 8), la jouissance (Q. 11), l’intention (Q. 12) ; nous les étudierons dans cet ordre.

Le premier de ces actes, à son tour, donne lieu à trois considérations qui concernent : 1. l’objet de la volonté (Q. 8) ; 2. ce qui la meut (Q. 9) ; 3. le mode de cette motion (Q. 10).

 

 

QUESTION 8 — L’OBJET DU VOULOIR

1. La volonté n’a-t-elle pour objet que le bien ? - 2. La volonté porte-t-elle seulement sur la fin, ou aussi sur les moyens ? - 3. Si la volonté se porte d’une certaine manière sur les moyens, est-ce d’un seul mouvement qu’elle se porte vers la fin et vers les moyens ?

 

            Article 1 — La volonté n’a-t-elle pour objet que le bien ?

Objections :

1. Il semble que non. Car les opposés relèvent de la même puissance ; ainsi le blanc et le noir relèvent tous deux de la vue. Or le bien et le mal sont des opposés. La volonté n’a donc pas seulement pour objet le bien, mais aussi le mal.

2. C’est le propre des puissances rationnelles, selon Aristote, d’être relatives aux opposés. Or la volonté du fait qu’elle est “ dans la raison ” est une puissance rationnelle. Donc elle est relative aux opposés : non seulement à vouloir le bien, mais aussi le mal.

3. Le bien et l’être sont convertibles. Or notre vouloir peut porter non seulement sur des êtres, mais aussi sur des non-êtres. Nous voulons parfois en effet ne pas marcher et ne pas parler ; nous voulons encore de temps en temps des choses futures, qui ne sont pas des êtres en acte. La volonté n’a donc pas seulement pour objet le bien.

En sens contraire, Denys affirme que “ le mal est en dehors du vouloir ” et que “ toutes choses désirent le bien ”.

Réponse :

La volonté est un appétit rationnel. Or il n’y a d’appétit que du bien, car un appétit n’est rien d’autre que l’inclination d’un être vers quelque chose. Or, rien n’est incliné sinon vers ce qui lui ressemble ou lui convient. Donc, puisque toute chose est un certain bien en tant qu’elle est être et substance, il est nécessaire que toute inclination tende vers le bien. D’où la parole du Philosophe “ Le bien est ce que tous les êtres désirent. ”

Il est à remarquer toutefois, puisque toute inclination fait suite à une forme, que l’appétit naturel fait suite à une forme existant réellement, tandis que l’appétit sensitif ou l’appétit rationnel, qu’on appelle volonté, est consécutif à une forme appréhendée. Donc, alors que le bien vers lequel tend l’appétit naturel est un bien réel, celui vers lequel tend l’appétit sensitif ou volontaire est un bien appréhendé. Ainsi, il n’est pas requis qu’il s’agisse d’un bien réel pour que la volonté se porte vers une chose, mais seulement que cette chose soit appréhendée comme étant un bien. Voilà pourquoi Aristote nous dit que “ la fin est un bien, ou un bien apparent ”.

Solutions :

1. Il est vrai de dire que les opposés relèvent de la même puissance, mais celle-ci ne se rapporte pas de la même manière aux deux. Ainsi la volonté est-elle relative et au bien et au mal, mais au bien en le désirant, et au mal en le fuyant. C’est pourquoi l’appétit actuel du bien est appelé volonté, au sens où ce mot désigne l’acte même de la volonté, et c’est ainsi que nous parlons maintenant de volonté. Au contraire, pour la fuite du mal il faut dire plutôt “ nolonté ” en sorte que la “ nolonté ” ait pour objet le mal, comme la volonté a pour objet le bien.

2. Une puissance rationnelle ne se porte pas vers n’importe quels opposés, mais seulement vers ceux qui sont contenus dans l’objet qui lui convient ; car aucune puissance ne poursuit autre chose que l’objet qui lui est approprié. Or l’objet de la volonté est le bien. La volonté ne pourra donc se porter que vers des opposés inclus dans le bien, comme se mouvoir et se reposer, parler ou se taire, etc. Car la volonté se porte vers l’un et l’autre sous la raison de bien.

3. Ce qui n’est pas un être dans la réalité est saisi comme un être dans la raison, d’où vient que les négations et les privations sont appelées des êtres de raison. C’est encore de cette façon que les choses futures sont des êtres en tant qu’elles sont appréhendées. Mais en tant qu’elles sont de tels êtres, elles sont appréhendées sous la raison de bien, et ainsi la volonté tend vers elles. C’est pourquoi Aristote a pu dire qu’“ être exempt de mal a raison de bien ”.

 

            Article 2 — La volonté porte-t-elle seulement sur la fin, ou aussi sur les moyens ?

Objections :

1. Il semble que la volonté n’ait pas les moyens pour objet, mais seulement la fin. Aristote dit en effet que “ le vouloir porte sur la fin, tandis que le choix concerne les moyens ”.

2. Nous lisons également dans son Éthique : “ A des réalités de genre différent correspondent des puissances de l’âme différentes. ” Or, fin et moyen n’appartiennent pas au même genre de bien, car la fin, qui est de l’ordre du bien honnête ou délectable, est dans le genre qualité, action ou passion ; tandis que le bien “ utile, qui est celui des moyens, appartient à la catégorie relation ”. Donc, si la volonté a la fin pour objet, elle n’aura pas pour objet les moyens.

3. Les habitus sont proportionnés aux puissances, puisqu’ils les perfectionnent. Or nous constatons que, dans les arts techniques, les habitus qui se rapportent à la fin et ceux qui concernent les moyens ne sont pas les mêmes. C’est ainsi que par exemple l’utilisation d’un navire, c’est-à-dire sa fin, relève du pilotage, tandis que sa construction qui est de l’ordre des moyens, est affaire de construction navale. Par conséquent la volonté, qui a pour objet la fin, n’aura pas pour objet les moyens.

En sens contraire, dans les choses naturelles c’est en vertu de la même puissance qu’un être passe par des intermédiaires pour aboutir à un terme. Or les moyens sont comme les intermédiaires par lesquels on parvient à la fin comme à un terme. Donc si la volonté a la fin pour objet, elle aura aussi pour objet les moyens.

Réponse :

On appelle volonté tantôt la puissance même par laquelle nous voulons, et tantôt l’acte de volonté. S’il s’agit de la puissance, la volonté s’étend à la fin et aux moyens, car une puissance s’étend à tous les êtres où se rencontre de quelque manière la raison de son objet ; c’est ainsi que la vue concerne à la fois tout ce qui participe de la couleur. Or la raison de bien, qui est l’objet de la puissance volontaire, ne se trouve pas seulement dans la fin, mais aussi dans les moyens.

Si au contraire nous parlons de la volonté selon qu’elle nomme proprement l’acte, alors la volonté, à strictement parler, ne concerne que la fin. Tout acte en effet qui reçoit son nom de la puissance qui le produit signifie l’acte simple de cette puissance ; ainsi intelligere désigne l’acte simple de l’intelligence (intellectus), et un tel acte se rapporte à ce qui est proprement l’objet de la puissance. Or ce qui est bon et voulu pour soi-même est la fin. Et l’objet propre de la volonté est la fin. Les moyens, au contraire, ne sont pas voulus pour eux-mêmes mais pour leur relation à la fin. De ce fait, la volonté ne se porte vers eux qu’en vertu de son élan vers la fin, et ainsi ce qu’elle veut en eux c’est la fin. De même, on parle au sens propre d’intelligere par rapport à ce qui est connu par soi, c’est-à-dire les principes ; une telle dénomination ne peut s’appliquer à ce qui est connu par les principes que dans la mesure où on y considère les principes eux-mêmes, car, dit Aristote, “ la fin, dans l’ordre des choses désirables, joue le même rôle que les principes par rapport aux choses intelligibles ”.

Solutions :

1. Aristote parle ici de la volonté au sens où ce mot désigne l’acte simple de la volonté, et non la faculté elle-même.

2. A des êtres de genres différents, mais égaux, sont ordonnées des puissances différentes ; ainsi le son et la couleur sont des genres de sensibles différents, auxquels sont ordonnées l’ouïe et la vue. Mais l’utile et l’honnête ne sont pas à égalité, mais dans le rapport entre absolu et relatif Or, de telles choses se rapportent toujours à la même puissance ; c’est ainsi que la vue perçoit et la couleur, et la lumière qui fait voir la couleur.

3. Ce qui est principe de différenciation pour un habitus ne l’est pas nécessairement pour la puissance, car les habitus sont des déterminations des puissances pour certains actes spéciaux. Cependant chacun des arts techniques s’occupe également de la fin et des moyens. Ainsi l’art du pilotage considère la fin comme ce qu’il réalise lui-même, et les moyens comme ce qu’il commande ; à l’inverse la construction navale prend les moyens comme objet de son activité, et la fin comme le terme auquel elle ordonne ce qu’elle réalise. En outre, en chaque art, il y a une fin propre et des moyens qui conviennent proprement à cet art.

 

            Article 3 — Est-ce d’un seul mouvement que la volonté se porte vers la fin et vers les moyens ?

Objections :

1. Il semble que ce soit par un même acte. “ Là où une chose existe en vue d’une autre, dit Aristote, il n’y en a qu’une seule. ” Or, la volonté ne veut les moyens qu’en vue de la fin. C’est donc par un même acte que la volonté se porte vers les deux.

2. La fin est la raison de vouloir les moyens, comme la lumière de voir les couleurs. Or il n’y a qu’un seul acte de vision pour la lumière et les couleurs. Donc c’est par un même mouvement de volonté que l’on veut la fin et les moyens.

3. Un mouvement naturel qui tend vers son terme en passant par des intermédiaires demeure numériquement le même. Or les moyens sont à la fin comme des intermédiaires par rapport au terme. C’est donc dans un même mouvement que la volonté se porte vers la fin et vers les moyens.

En sens contraire, les actes se différencient selon leurs objets ; or la fin et les moyens, que l’on appelle l’utile, sont des biens d’espèces différentes. Donc la volonté ne peut les atteindre à la fois par un même acte.

Réponse :

Puisque la fin est voulue pour elle-même et que les moyens, considérés comme tels, ne sont voulus qu’à cause d’elle, il est clair que la volonté peut se porter vers la fin en tant que telle sans se porter vers les moyens ; mais elle ne peut se porter vers les moyens en tant que tels sans se porter vers la fin. Ainsi y a-t-il pour cette faculté deux façons de se porter vers la fin.

1° Absolument, pour elle-même.

2° Comme raison de vouloir les moyens. Il est donc manifeste que par un seul et même mouvement la volonté se porte vers la fin comme raison des moyens, et vers ceux-ci ; mais c’est par un autre acte qu’elle tend vers la fin de façon absolue. Et parfois cet acte est premier dans le temps ; ainsi on veut d’abord la guérison, puis, en se demandant comment elle peut être obtenue, on se décide à faire venir le médecin pour être guéri. C’est ce qui arrive pour l’intelligence : on saisit d’abord les principes en eux-mêmes, puis dans un second temps on les appréhende dans les conclusions, pour autant qu’on approuve celles-ci à cause des principes.

Solutions :

1. Cette objection est valable selon que la volonté tend vers la fin en tant qu’elle est la raison de vouloir les moyens.

2. Chaque fois que l’on voit une couleur, on voit par le même acte la lumière ; cependant on peut voir la lumière sans voir la couleur. De même, chaque fois que l’on veut les moyens, on veut la fin par le même acte, l’inverse n’étant pas vrai.

3. Dans l’exécution d’une œuvre, les moyens se comportent bien comme des intermédiaires et la fin comme un terme, de sorte qu’il arrive qu’on mette en œuvre des moyens sans atteindre la fin, comme dans un mouvement naturel on peut s’arrêter en chemin sans aller jusqu’au bout. Mais dans l’ordre du vouloir, c’est l’inverse qui se produit, car c’est par la fin que la volonté se porte à vouloir les moyens, comme l’intelligence parvient à la conclusion par les principes, qui sont alors appelés des moyens. Et de même que l’intelligence peut connaître ces moyens sans aboutir à la conclusion, ainsi la volonté peut vouloir la fin sans aller jusqu’à vouloir les moyens.

La solution de la difficulté En sens contraire ressort de ce qui a été dit car l’utile et l’honnête ne sont pas des espèces distinctes mais à égalité, étant entre eux dans le rapport de l’absolu et du relatif. C’est pourquoi l’acte de volonté peut se porter sur l’un des deux sans aller vers l’autre ; l’inverse toutefois n’est pas vrai.

 

QUESTION 9 — LE PRINCIPE MOTEUR DE LA VOLONTÉ

1. La volonté est-elle mue par l’intelligence ? - 2. Par l’appétit sensitif ? - 3. Est-ce qu’elle se meut elle-même ? - 4. Est-elle mue par un principe extérieur ? - 5. Par un corps céleste ? - 6. Par Dieu seul en qualité de principe extérieur ?

 

            Article 1 — La volonté est-elle mue par l’intelligence ?

Objections :

1. Il semble que non. Car S. Augustin, sur les paroles du Psaume (119, 20) : “ Mon âme se consume à désirer tes jugements ” donne ce commentaire : “ L’intelligence vole en avant, et l’affectivité ne suit qu’avec retard ou pas du tout ; nous avons la connaissance du bien, et nous n’aimons pas agir. ” Or ceci ne serait pas si la volonté était mue par l’intelligence, car le mouvement du mobile suit la motion du moteur. L’intelligence ne meut donc pas la volonté.

2. Le rôle de l’intelligence envers la volonté est de lui montrer ce qui est désirable, comme fait l’imagination pour l’appétit sensitif Mais l’imagination en exerçant cette fonction ne meut pas l’appétit sensitif ; il arrive même que nous nous comportions vis-à-vis de ce que nous imaginons comme en face d’objets peints qui ne nous meuvent pas, comme le remarque Aristote. Donc l’intelligence non plus ne meut pas la volonté.

3. On ne peut pas être à la fois moteur et mû par rapport au même être ; or la volonté meut l’intelligence, car nous faisons acte d’intelligence quand nous le voulons. Donc l’intelligence ne meut pas la volonté.

En sens contraire, Aristote dit : “ Si l’objet du désir saisi par l’intelligence est un moteur non mû, la volonté, elle, est un moteur mû. ”

Réponse :

Un être a besoin d’être mû par un autre dans la mesure où il est en puissance à plusieurs choses ; car ce qui est en puissance ne peut être réduit à l’acte que par un être en acte, et mouvoir, c’est cela[4437]. Or il y a deux façons pour une faculté de l’âme d’être ainsi en puissance à plusieurs choses : quant au fait d’agir ou de ne pas agir, et quant au fait de faire ceci ou cela. Ainsi pour la vue : tantôt elle voit en acte, et tantôt elle ne voit pas ; tantôt elle voit du blanc, et tantôt elle voit du noir. La faculté a donc besoin d’un moteur pour deux fins : pour l’exercice ou l’usage de l’acte, et pour la détermination de celui-ci. Le premier de ces moteurs est du côté du sujet, qui tantôt est agissant, et tantôt ne l’est pas ; le second est du côté de l’objet, d’où vient la spécification de l’acte.

La motion du sujet lui-même vient d’un agent. Et comme un agent n’exerce son activité que pour une fin ainsi qu’on l’a montré, le principe de cette motion vient lui-même de la fin. C’est pourquoi l’art qui s’occupe de la fin meut par son commandement celui qui ne concerne que les moyens, comme pour Aristote, “l’art de la navigation commande à celui de la construction navale ”. - Mais le bien en général qui a raison de fin, est l’objet de la volonté. Et c’est pourquoi, sous ce rapport, la volonté meut à leurs actes les autres puissances ; nous les utilisons en effet lorsque nous le voulons. Car les fins et les perfections de toutes les autres puissances sont comprises sous l’objet de la volonté, comme des biens particuliers. Or un art ou une puissance qui a une fin universelle détermine toujours l’activité d’un art ou d’une puissance ayant une fin particulière comprise sous cette fin universelle. C’est ainsi qu’un chef d’armée chargé du bien commun, c’est à dire de l’ordre de toute l’armée, meut par son commandement l’un des tribune qui n’est chargé que d’un seul bataillon.

Au contraire, l’objet meut en déterminant l’acte, à la manière du principe formel d’où l’action, dans les choses naturelles, reçoit sa spécification, comme par exemple l’action de chauffer est spécifié par la chaleur. Or, au premier rang de ces principes formels, il faut placer l’être et le vrai universels, objet de l’intelligence. C’est donc selon ce type de motion que l’intelligence meut la volonté, c’est-à-dire en lui présentant son objet.

Solutions :

1. On ne peut conclure de ce texte que l’intelligence ne meut pas la volonté, mais qu’elle ne la meut pas de façon nécessaire.

2. Comme l’image d’un objet ne peut mouvoir l’appétit sensible que si cet objet est estimé convenable ou nuisible, ainsi la connaissance du vrai ne peut-elle être motrice que dans la mesure où celui-ci apparaît sous la raison de bon et de désirable. Ce n’est donc pas l’intellect spéculatif qui meut, mais l’intellect pratique, remarque Aristote.

3. La volonté meut l’intelligence quant à l’exercice de l’acte, parce que le vrai lui-même, qui est la perfection de l’intelligence, est contenu dans le bien universel comme un certain bien particulier. Mais quant à la détermination de l’acte, laquelle vient de l’objet, c’est l’intelligence qui meut la volonté. Car le bien lui-même est saisi sous une certaine raison particulière comprise sous la raison universelle de vrai. Il est donc clair que ce n’est pas ici le même être qui est moteur et mû sous le même rapport.

 

            Article 2 — La volonté est-elle mue par l’appétit sensitif ?

Objections :

1. Il semble que ce soit impossible, car S. Augustin affirme que “ le moteur et l’agent l’emportent en excellence sur le patient ”. Or l’appétit sensitif est inférieur à la volonté, qui est un appétit intellectuel, comme le sens est inférieur à l’intellect. L’appétit sensitif ne meut donc pas la volonté.

2. Aucune vertu particulière ne peut produire d’effet universel. Or l’appétit sensitif est une vertu particulière, car il fait suite à l’appréhension particulière du sens. Il ne peut donc être cause du mouvement de la volonté qui est universel, comme consécutif à l’appréhension universelle de l’intellect.

3. Aristote a démontré qu’un moteur n’est pas mû par celui qu’il meut, en sorte qu’il y ait motion réciproque. Or la volonté meut l’appétit sensitif en tant que celui-ci obéit à la raison. L’appétit sensitif ne peut donc mouvoir la volonté.

En sens contraire, selon S. Jacques (1, 14) “ Chacun est tenté par sa propre concupiscence, qui l’attire et le séduit. ” Or cela ne serait pas si l’appétit sensitif, siège de la concupiscence, n’entraînait pas la volonté. Donc l’appétit sensitif meut la volonté.

Réponse :

Nous avons établi que tout ce qui peut être appréhendé comme bon et adéquat meut la volonté à titre d’objet. Or, qu’une chose soit vue de cette façon peut tenir à deux causes : à la condition de ce qui est proposé, et à la condition de celui à qui cette chose est proposée. Ce qui est adéquat en effet implique relation et, à ce titre, dépend des deux extrêmes. Ainsi le goût, selon qu’il est diversement disposé, ne perçoit pas de la même manière une chose comme adéquate ou non. C’est ce qui faisait dire à Aristote que “ chacun juge de la fin suivant ce qu’il est lui-même ”.

Or il est évident que les dispositions d’un homme sont modifiées selon la passion subie par son appétit sensible. Un homme pris par une passion juge ainsi qu’une chose lui convient, alors qu’il penserait autrement s’il était étranger à cette passion. Ainsi ce qui semble bon à l’homme en colère ne le semble pas à l’homme tranquille. C’est de cette façon que, du point de vue de l’objet, l’appétit sensitif meut la volontés.

Solutions :

1. Rien n’interdit que ce qui de soi et absolument parlant est supérieur, ne soit à certains égards plus faible. Ainsi, considérée de façon absolue, la volonté prévaut sur l’appétit sensitif, mais chez l’homme dominé par la passion, c’est cet appétit qui a le dessus.

2. Les actes et les choix des hommes concernent des choses individuelles. Étant une puissance particulière, l’appétit sensitif a donc une efficacité toute spéciale pour influencer les hommes dans leurs jugements sur de telles choses.

3. La raison, qui englobe la volonté, remarque Aristote, meut par son commandement l’irascible et le concupiscible, non “ de façon despotique ” comme l’esclave est mû par son maître, mais “ selon un pouvoir royal et politique ”, à la manière dont les hommes libres sont conduits par leur gouvernant, tout en gardant la faculté d’agir En sens contraire. De là vient que le concupiscible et l’irascible ont le pouvoir de mouvoir contrairement à la volonté. Et ainsi rien n’empêche que la volonté soit parfois mue par eux.

 

            Article 3 — Est-ce que la volonté se meut elle-même ?

Objections :

1. Il semble que non. Tout moteur en effet, en tant que tel, est en acte ; au contraire, ce qui est mû est en puissance, car “ le mouvement est l’acte de ce qui existe en puissance en tant que tel ”. Mais une même chose ne peut pas être en puissance et en acte sous le même rapport. Donc rien ne se meut soi-même, et il est impossible que la volonté se meuve elle-même.

2. Un mobile se meut quand son moteur est présent. Mais la volonté est toujours présente à elle-même. Donc, si elle se mouvait elle-même, elle serait toujours mue, ce qui est manifestement faux.

3. Nous avons dit que la volonté est mue par l’intelligence. Donc, si elle se meut elle-même, il s’ensuit qu’une même chose est mue en même temps de façon immédiate par deux moteurs, ce qui paraît contradictoire. Donc la volonté ne se meut pas elle-même.

En sens contraire, la volonté est maîtresse de son acte et il dépend d’elle de vouloir et de ne pas vouloir. Ce ne serait pas le cas si elle n’avait pas la possibilité de se mouvoir elle-même. Donc elle se meut elle-même.

Réponse :

Nous avons établi - qu’il appartient à la volonté de mouvoir les autres puissances en raison de la fin qui est son objet propre. Mais la fin, a-t-on dit, joue par rapport aux objets de l’appétit le même rôle qu’un principe vis-à-vis des intelligibles. Or il et clair que l’intelligence, du fait qu’elle connaît un principe, se réduit elle-même de la puissance à l’acte pour connaître la conclusion ; et ainsi elle se meut elle-même. De même la volonté, du fait qu’elle veut la fin, se meut elle-même à vouloir les moyens.

Solutions :

1. Ce n’est pas sous le même rapport que la volonté meut et est mue, ni par conséquent qu’elle est en acte et en puissance. Mais en tant qu’elle veut en acte la fin, elle se réduit de la puissance à l’acte relativement aux moyens, afin de les vouloir en acte.

2. Comme puissance, la volonté est toujours présente à elle-même ; mais l’acte par lequel elle veut une fin donnée n’est pas toujours en elle. Or, c’est par cet acte qu’elle se meut elle-même. On ne peut donc pas conclure qu’elle se meut toujours elle-même.

3. Ce n’est pas de la même façon que la volonté est mue par l’intelligence et par elle-même. Par l’intelligence elle est mue en raison de l’objet ; par elle-même elle est mue quant à l’exercice de l’acte, en raison de la fin.

 

            Article 4 — La volonté est-elle mue par un principe extérieur ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car le mouvement de la volonté est volontaire ; or il appartient à ce qui est volontaire comme à ce qui est naturel de procéder d’un principe intérieur ; le mouvement de la volonté ne peut donc venir du dehors.

2. Nous avons vu que la volonté ne peut souffrir violence ; or justement est violent “ ce dont le principe est au-dehors ”. Donc la volonté ne peut être mue par un principe extérieur.

3. Ce qui est mû suffisamment par un seul moteur n’a pas besoin d’être mû par un autre. Or la volonté suffit à se mouvoir elle-même. Elle n’est donc pas mue de l’extérieur.

En sens contraire, la volonté, nous l’avons dit, est mue par son objet ; or celui-ci peut être une réalité extérieure offerte aux sens ; donc la volonté peut être mue par un principe extérieur.

Réponse :

En tant qu’elle est mue par son objet, la volonté est manifestement mue par un principe extérieur. Mais, sous le rapport de la motion à l’exercice de l’acte, il est encore nécessaire d’admettre que la volonté est mue par un principe extérieur. - En effet, tout ce qui est agent tantôt en acte, tantôt en puissance, a besoin d’un moteur pour se mouvoir. Or il est évident que la volonté commence à vouloir quelque chose, puisque auparavant elle ne le voulait pas. Il est donc nécessaire que quelque chose la pousse à vouloir. A vrai dire, comme nous venons de le montrer, c’est elle-même qui se meut lorsque, du fait qu’elle veut une fin, elle se détermine à vouloir les moyens qui y mènent. Mais elle ne peut le faire que par l’intermédiaire d’une délibération. Par exemple, si quelqu’un veut guérir, il se met à réfléchir sur la manière dont cela peut se faire, et il en vient à penser que ce sera par les soins d’un médecin, et c’est cela qu’il veut. Mais parce qu’il n’a pas toujours voulu guérir, il a fallu qu’il ait commencé à vouloir guérir, et cela requérait un moteur. Et dans le cas où la volonté eût été elle-même cause de ce mouvement, ce n’a pu être que par la médiation d’une délibération, supposant elle-même une volonté antérieure. On ne peut cependant remonter ainsi à l’infini. Aussi est-il nécessaire de reconnaître que la volonté s’élance vers son premier mouvement sous l’instinct d’un moteur extérieur, ce qui est la conclusion d’Aristote.

Solutions :

1. Il appartient à la notion même de volontaire que le principe en soit intérieur ; mais il ne s’impose pas que ce principe intérieur soit un premier principe non mû par un autre. Aussi le mouvement volontaire peut bien avoir son principe prochain à l’intérieur, il a néanmoins son principe premier au-dehors. Il en est comme du mouvement naturel dont le premier principe est à l’extérieur : c’est ce qui meut la nature.

2. Il ne suffit pas, pour qu’on puisse parler de violence, que le principe soit à l’extérieur, mais il faut ajouter cette condition : “ que le patient n’y prête en rien son concours ”. Cela n’arrive pas à la volonté lorsqu’elle est mue par un agent extérieur, car c’est bien elle qui veut, tout en étan mue par un autre. Un pareil mouvement serait violent s’il était contraire au mouvement de la volonté. Cela ne peut exister dans ce cas, car alors le même voudrait et ne voudrait pas.

3. La volonté suffit à se mouvoir pour une certaine fin et dans son ordre, mais elle ne peut se mouvoir elle-même sous tous les rapports, comme on l’a montré. Elle a donc besoin d’être mue par un autre au titre de premier moteur.

 

            Article 5 — La volonté est-elle mue par un corps céleste ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car tous les mouvements variés et multiformes se ramènent au mouvement uniforme comme à leur cause, mouvement qui est celui du ciel, comme le prouve Aristote. Or les mouvements humains sont variés et multiformes, puisqu’ils commencent après n’avoir pas existé. Donc ils se ramènent comme à leur cause au mouvement du ciel qui, lui, est par nature uniforme.

2. “ Les corps inférieurs, dit S. Augustin, sont mus par les corps supérieurs. ” Mais les mouvements du corps humain qui dépendent de la volonté ne pourraient avoir pour cause le mouvement du ciel, si la volonté elle aussi n’était mue par le ciel. Donc le ciel meut la volonté humaine.

3. Par l’observation des corps célestes, les astrologues font des prévisions exactes concernant des actes humains futurs qui dépendent de la volonté. Or cela ne serait pas si des corps ne pouvaient mouvoir la volonté de l’homme. Donc la volonté humaine est mue par les corps célestes.

En sens contraire, S. Jean Damascène affirme que “ les corps célestes ne sont pas causes de nos actes ”. Or ils le seraient si la volonté, principe des actes humains, était mue par eux. Donc la volonté n’est pas mue par les corps célestes.

Réponse :

Du point de vue de sa motion par un objet extérieur, il est manifeste que la volonté peut être mue par les corps célestes ; et cela pour autant que les corps extérieurs - qui, proposés aux sens, meuvent la volonté - et les organes mêmes des puissances sensitives dépendent des mouvements des corps célestes.

Mais, sur la façon dont la volonté est mue par un agent extérieur pour l’exercice de l’acte, certains ont prétendu que les corps célestes agissent directement sur la volonté humaine. Mais cela est impossible, car “ la volonté est dans la raison ”, selon Aristote. Or la raison est une puissance de l’âme qui n’est pas liée à un organe corporel. De ce fait, la volonté est elle-même une puissance absolument immatérielle et incorporelle. Or il est évident qu’un corps ne peut agir sur une réalité incorporelle ; c’est plutôt l’inverse qui a lieu, du fait que les réalités incorporelles et immatérielles ont une vertu plus formelle et plus universelle que n’importe quelle réalité corporelle. Il est donc impossible que les corps célestes agissent directement sur l’intelligence ou la volonté. C’est pourquoi l’opinion de ceux pour qui “ la volonté des hommes est telle que la fait le Père des dieux et des hommes ” (c’est-à-dire Jupiter, qui représente à leurs yeux tout le ciel), cette opinion est attribuée par Aristote à ceux qui prétendaient que l’intelligence ne diffère pas des sens. Toutes les facultés sensitives en effet, puisqu’elles sont les actes d’organes corporels, peuvent recevoir par accident la motion des corps célestes, lorsque ceux-ci meuvent les organes corporels dont les facultés sont les actes.

Toutefois, puisqu’on a dit que l’appétit intellectif est d’une certaine manière mû par l’appétit sensitif, il y a indirectement une répercussion des mouvements des corps célestes sur la volonté, dans la mesure où celle-ci peut être mue par les passions de l’appétit sensible.

Solutions :

1. Les mouvements multiformes de la volonté humaine se ramènent à une certaine cause uniforme, mais qui est supérieure à l’intelligence et à la volonté. Or cela ne peut se dire d’un corps, mais seulement d’une substance immatérielle. Ainsi ne faut-il pas que les mouvements de la volonté soient ramenés au mouvement du ciel comme à leur cause.

2. Les mouvements du corps humain se ramènent comme à leur cause aux mouvements du corps céleste de trois façons : en tant que la disposition même des organes est adaptée aux opérations des corps célestes ; en tant que l’appétit sensitif est lui aussi mis en mouvement par l’impression de ces corps ; enfin en tant que les corps extérieurs sont mus selon le mouvement des corps célestes, à la suite de quoi la volonté se met à vouloir quelque chose ou à ne pas vouloir : c’est ainsi qu’à la venue du froid on se met à faire du feu. Mais cette motion de la volonté vient de l’objet présenté extérieurement, non d’une impulsion intérieure.

3. L’appétit sensitif est l’acte d’un organe corporel, on l’a dit. Aussi rien n’empêche que, par l’influence des corps célestes, certains soient enclins à la colère, à la concupiscence ou à quelque autre passion de ce genre, comme ils le sont en raison de leur complexion naturelle. Or beaucoup d’hommes obéissent à leurs passions, auxquels les sages seuls résistent. C’est pourquoi le plus souvent on vérifie ce qui est prédit d’après l’observation des astres au sujet des actions humaines. Mais, dit Ptolémée, “ le sage règne sur les autres ” car, en résistant à ses passions, il neutralise les influences des corps célestes par sa volonté libre et nullement sujette aux mouvements du ciel ; il est devenu l’un de ces corps célestes.

Ou bien il faut reconnaître avec S. Augustin que “ lorsque les astrologues disent la vérité, ils le font en vertu d’une inspiration occulte que l’esprit humain reçoit sans s’en rendre compte. Puisqu’elle cherche à tromper les hommes, elle est I’œuvre des esprits séducteurs ”.

 

            Article 6 — La volonté est-elle mue par Dieu seul en qualité de principe extérieur ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne soit pas le seul à mouvoir la volonté comme par un principe extérieur. En effet, il est naturel à un inférieur d’être mû par son supérieur, comme les corps inférieurs le sont par les corps célestes. Mais la volonté de l’homme a quelqu’un qui, après Dieu, lui est supérieur, et c’est l’ange. Elle peut donc être mue aussi par celui-ci à titre de principe extérieur.

2. L’acte de volonté est consécutif à l’acte d’intelligence. Mais, selon Denys, l’intelligence de l’homme n’est pas seulement actuée par Dieu, mais aussi par les illuminations de l’ange. Cela vaut donc aussi pour la volonté.

3. Dieu ne peut être cause que de choses bonnes, car la Genèse (1, 31) dit : “ Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et c’était très bon. ” Donc si la volonté de l’homme n’était mue que par Dieu, jamais elle ne serait portée au mal, alors que, selon l’expression de S. Augustin, elle est à la fois “ ce par quoi l’on pèche et par quoi l’on mène une vie droite ”.

En sens contraire, l’Apôtre a déclaré (Ph 2, 13) : “ C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire. ”

Réponse :

Le mouvement de la volonté procède de l’intérieur, comme le mouvement naturel. Or, bien qu’un être puisse mouvoir une réalité naturelle sans être cause de sa nature, cependant, pour causer un mouvement naturel, il faut qu’il soit en quelque manière cause de la nature elle-même. En effet, la pierre est mue vers le haut par un homme qui ne cause pas la nature de la pierre, mais ce mouvement n’est pas naturel à la pierre, car son mouvement naturel n’est causé que par l’auteur de la nature. C’est pourquoi Aristote dit que l’engendrant meut localement les corps lourds et légers. Ainsi l’homme, qui possède une volonté, peut parfois être mû par un être qui n’est pas sa cause ; mais que son mouvement volontaire ait pour principe un être extérieur qui ne soit pas la cause de sa volonté, est impossible.

Or rien ne peut être cause de la volonté sinon Dieu. Et cela est doublement évident. D’abord parce que la volonté est une puissance de l’âme raisonnable, laquelle, comme on l’a dit dans la première Partie, n’est causée par création que par Dieu seul. En second lieu parce que la volonté est ordonnée au bien universel. Cela fait que nul autre que Dieu, bien universel, ne peut être cause de la volonté. Tout autre bien n’est que participé et n’est donc qu’un bien particulier ; or une cause particulière ne donne pas une inclination universelle. Ainsi, la matière première, en puissance à toutes les formes, ne peut pas non plus être l’effet d’aucun agent particulier.

Solutions :

1. L’ange n’est pas supérieur à l’homme en ce sens qu’il serait cause de sa volonté comme les corps célestes sont causes des formes naturelles, auxquelles font suite les mouvements des corps naturels.

2. L’intellect humain est mû par l’ange, de la part de l’objet qui est proposé à sa connaissance, en vertu d’une illumination angélique. Et c’est de cette façon que la volonté peut être également mue par une créature extérieure, comme on l’a dit.

3. Dieu meut la volonté de l’homme en qualité de moteur universel vers l’objet universel de la volonté qui est le bien. Sans cette motion universelle l’homme ne peut vouloir quelque chose. Mais par sa raison il se détermine à vouloir ceci ou cela, vrai bien ou bien apparent. Cependant Dieu meut parfois certains de façon spéciale à vouloir avec détermination quelque chose de bon ; ainsi ceux qu’il meut par la grâce, comme on le dira plus loin.

 

QUESTION 10 — LE MODE DE L’ACTIVITÉ VOLONTAIRE

1. La volonté est-elle mue vers quelque chose par nature ? - 2. Est-elle mue de façon nécessaire par son objet ? - 3. Par l’appétit inférieur ? - 4. Par un moteur extérieur qui est Dieu ?

 

            Article 1 — La volonté est-elle mue vers quelque chose par nature ?

Objections :

1. Apparemment non. Car l’agent naturel se caractérise par son opposition à l’agent volontaire, d’après Aristote. Donc la volonté n’est pas mue par nature vers quelque chose.

2. Ce qui est naturel à une chose lui est toujours inhérent, ainsi être chaud pour le feu. Mais aucun mouvement n’est toujours inhérent à la volonté ; donc aucun mouvement ne lui est naturel.

3. La nature est de soi déterminée de façon unique, alors que la volonté est en puissance aux opposés. Donc la volonté ne veut rien par nature.

En sens contraire, le mouvement de la volonté fait suite à un acte d’intelligence ; or l’intelligence connaît naturellement certaines choses. Donc la volonté aussi en veut certaines par nature.

Réponse :

Selon Boèce et Aristote, le mot nature a plusieurs sens. Tantôt il désigne un principe intrinsèque dans les êtres susceptibles de mouvement, la nature étant alors soit la matière, soit la forme matérielle. Tantôt le mot nature signifie toute substance ou tout genre d’être. De ce point de vue on appellera naturel à une chose ce qui lui convient selon sa substance, et c’est ce qui par soi inhère à la chose. Mais, en tout être, ce qui ne lui inhère pas par soi se ramène à son principe, à ce qui inhère par soi. C’est pourquoi il est nécessaire, lorsqu’on entend “ nature ” en ce sens, que le principe de ce qui convient à la chose soit naturel. C’est évidemment le cas pour l’intelligence, car les principes de la connaissance intellectuelle sont connus naturellement. Il faut pareillement que le principe des mouvements volontaires soit quelque chose de naturellement voulu.

Tel est précisément le bien en général, vers quoi la volonté tend naturellement comme toute puissance vers son objet ; et aussi la fin ultime qui joue, à l’égard des choses désirables, un rôle semblable à celui des premiers principes de la démonstration dans le domaine des réalités intelligibles ; on peut en dire autant, sans exception, de tout ce qui convient par nature à celui qui veut. En effet, nous ne désirons pas seulement par notre volonté ce qui concerne cette puissance, mais nous désirons aussi ce qui se rapporte à chacune des puissances, et à l’homme lui-même tout entier. Ainsi, par nature, l’homme ne veut pas seulement l’objet de la volonté, mais encore tout ce qui convient aux autres puissances, par exemple la connaissance de la vérité qui est affaire d’intelligence, être, vivre, etc., qui concerne la cohésion naturelle de notre vie. Tout cela est compris dans l’objet de la volonté à titre de biens particuliers.

Solutions :

1. L’opposition entre volonté et nature est celle d’une cause avec une autre. Car certaines opérations sont naturelles, et d’autres volontaires. Or le mode de causalité propre à la volonté, maîtresse de ses actes, est autre que celui de la nature, laquelle est déterminée à une seule opération. Mais parce que la volonté a son fondement dans une nature, il est nécessaire que le mouvement propre à la nature se trouve participé sous un certain rapport par la volonté, comme ce qui est d’une cause plus élevée est participé par une cause d’ordre inférieur. Dans chaque chose en effet l’être même, qui existe par nature, est antérieur au vouloir qui est effet de la volonté. Voilà pourquoi la volonté veut quelque chose par nature.

2. Dans les choses naturelles, ce qui est naturel en conséquence de la forme seule est toujours présent en acte, comme la chaleur est inhérente au feu. Au contraire, ce qui est naturel en raison de la matière n’y est pas toujours en acte mais parfois seulement en puissance. Cela tient à ce que la forme est acte, tandis que la matière est puissance. Or le mouvement est “ l’acte de ce qui existe en puissance ”. C’est pourquoi ce qui tient au mouvement ou lui fait suite n’est pas toujours présent ; c’est ainsi que le feu n’est pas toujours porté vers le haut, mais seulement s’il est en dehors de son lieu propre. De même, il n’est pas nécessaire que la volonté, qui passe de la puissance à l’acte lorsqu’elle veut quelque chose, veuille toujours en acte, mais seulement lorsqu’elle se trouve dans une disposition déterminée. Mais la volonté de Dieu, acte pur, est toujours en acte de vouloir.

3. A une nature correspond toujours quelque chose d’un, qui est toutefois proportionné à cette nature. Ainsi, à une nature considérée comme genre, correspond quelque chose de génériquement un ; à une nature considérée comme espèce, quelque chose de spécifiquement un ; à une nature individuelle, quelque chose d’individuellement un.

Donc, puisque la volonté est comme l’intelligence une faculté immatérielle, il lui correspond naturellement quelque chose d’un, qui est général : le bien ; comme à l’intelligence correspond également quelque chose d’un, qui est général : le vrai, ou l’être, ou l’essence. Mais le bien considéré en général comprend une foule de biens particuliers, vis-à-vis desquels la volonté n’est pas déterminée.

 

            Article 2 — La volonté est-elle mue de façon nécessaire par son objet ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car l’objet de la volonté est avec elle dans le rapport du moteur au mobile comme le montre Aristote. Or un moteur, s’il est suffisant, meut le mobile de façon nécessaire. Donc la volonté peut être mue de façon nécessaire par son objet.

2. Comme la volonté, l’intelligence est une faculté immatérielle, et ces deux puissances sont ordonnées à un objet universel, on l’a vu. Or l’intelligence est mue de façon nécessaire par son objet. Donc la volonté l’est aussi par le sien.

3. Ce que l’on veut ne peut être que fin ou moyens. Mais la fin, on la veut nécessairement, à ce qu’il paraît ; parce qu’elle est comparable aux principes de l’ordre spéculatif, auxquels nous donnons nécessairement notre assentiment. Et la fin est la raison de vouloir ce qui la procure ; ainsi il paraît également que nous voulons les moyens de façon nécessaire. Donc c’est nécessairement que la volonté est mue par son objet.

En sens contraire, les puissances rationnelles, selon Aristote, sont relatives aux opposés. Or la volonté, qui est “ dans la raison ” est une puissance rationnelle. Elle est donc relative aux opposés. Donc elle ne peut être mue de façon nécessaire vers l’un ou l’autre d’entre eux.

Réponse :

La volonté est mue de deux manières : quant à l’exercice de l’acte, et quant à sa spécification, qui vient de l’objet. Du côté de l’exercice, la volonté n’est mue de façon nécessaire par aucun objet : on peut en effet ne penser à aucun objet, et par conséquent ne pas le vouloir en acte.

Quant au second mode de mouvement, qui concerne la spécification, la volonté est mue par un objet de façon nécessaire, et non par un autre. Car dans le mouvement qu’une puissance reçoit de son objet, il faut considérer par quelle raison l’objet meut la puissance. C’est ainsi qu’un être visible meut la puissance sous la raison de couleur visible en acte. Donc, si une couleur se trouve proposée à la vue, elle la meut nécessairement, à moins qu’on ne détourne le regard, mais cela concerne l’exercice de l’acte. Au contraire, si l’on proposait à la vue un objet qui ne serait pas une couleur en acte sous tous les rapports, mais seulement de façon partielle, un tel objet ne serait pas vu nécessairement ; on pourrait en effet porter son attention sur l’aspect de l’objet qui n’est pas coloré en acte, et ainsi on ne le verrait pas.

De même que l’être coloré en acte est l’objet de la vue, de même le bien est l’objet de la volonté. Si on lui propose un objet qui soit bon universellement et sous tous les rapports, elle tendra vers lui nécessairement - si du moins elle veut quelque chose - car elle ne pourrait vouloir le contraire. Si au contraire on lui propose un objet qui ne soit pas bon à tous les points de vue, elle ne se portera pas vers lui nécessairement. Et parce que le défaut d’un bien quelconque a raison de non-bien, seul le bien parfait et auquel rien ne manque s’imposera nécessairement à la volonté ; telle est la béatitude. Tous les autres biens particuliers, parce qu’ils manquent de quelque bien, peuvent être considérés comme n’étant pas bons, et de ce point de vue ils pourront être rejetés ou acceptés par la volonté, qui peut se porter vers une même chose en la considérant sous différents points de vues.

Solutions :

1. Pour une puissance le seul moteur suffisant est l’objet qui possède en toute sa plénitude la “ raison ” de moteur. S’il est en défaut sur un point, il ne mouvra pas nécessairement, comme on vient de le dire.

2. L’intelligence est mue nécessairement par un objet qui est vrai toujours et de façon nécessaire, non par celui qui peut être vrai ou faux, c’est-à-dire qui est contingent, comme on vient de le dire au sujet du bien.

3. La fin ultime meut nécessairement la volonté, car elle est un bien parfait ; il en va pareillement des biens qui lui sont ordonnés et sans lesquels elle ne pourrait être atteinte, comme exister, vivre, etc. Quant aux autres biens dont on peut se passer pour atteindre la fin, celui qui veut la fin ne les veut pas nécessairement ; de même que celui qui croit aux principes ne croit pas de façon nécessaire aux conclusions sans lesquelles les principes peuvent être vrais.

 

            Article 3 — La volonté est-elle mue de façon nécessaire par l’appétit inférieur ?

Objections :

1. Il semble que la volonté soit mue de façon nécessaire par les passions de cet appétit. Car S. Paul dit aux Romains (7, 9) : “ je ne fais pas le bien que je veux et je fais le mal que je hais. ” Il dit cela à propos de la convoitise qui est une passion. Donc la volonté est mue nécessairement par les passions.

2. Comme dit Aristote : “ La fin apparaît à chacun selon ce qu’il est lui-même. ” Mais il n’est pas au pouvoir de la volonté de rejeter immédiatement une passion, et donc de ne pas vouloir l’objet vers lequel cette passion l’incline.

3. Une cause universelle ne s’applique à un effet particulier que par l’intermédiaire d’une cause particulière ; ainsi la raison, puissance universelle, ne peut-elle mouvoir que par l’intermédiaire de l’estimative particulière, selon Aristote. Mais ce rapport entre la raison et l’estimative particulière se retrouve entre la volonté et l’appétit sensible. Donc la volonté n’est mue à vouloir un bien particulier que par l’intermédiaire de l’appétit sensitif. Donc, si celui-ci est orienté en un certain sens par une passion, la volonté ne pourra se mouvoir En sens contraire.

En sens contraire, on lit dans la Genèse (4, 7 Vg) : “ Ton appétit sera sous toi et tu le domineras. ” Donc la volonté de l’homme n’est pas mue de façon nécessaire par l’appétit inférieur.

Réponse :

On l’a dit plus haut , la passion de l’appétit sensible agit sur la volonté du point de vue où cette faculté est mue par l’objet, c’est-à-dire en tant que l’homme, plus ou moins modifié par la passion, juge convenable et bonne une chose qu’il apprécierait autrement en dehors de la passion. Cette transformation par la passion peut revêtir deux formes.

Il peut arriver que la raison soit totalement paralysée, au point qu’on n’en ait plus l’usage, comme cela se produit chez ceux qui, par suite d’une colère ou de désirs violents, deviennent furieux ou fous. De telles passions en effet sont toujours accompagnées de transformations physiques. Et ceux qui sont dans cet état doivent être assimilés aux animaux sans raison qui suivent fatalement l’impulsion de leurs passions ; en effet on ne trouve en eux aucune trace de raison, ni par conséquent de volonté.

D’autres fois la raison n’est pas totalement absorbée par la passion et conserve une certaine liberté de jugement. En ce cas il subsiste encore quelque chose du mouvement de la volonté. Donc, dans la mesure où la raison demeure libre et non soumise à la passion, ce qui subsiste en ce mouvement n’obéit pas de façon nécessaire à la passion.

Ainsi, ou bien il n’y a en l’homme aucun mouvement de la volonté, et la passion seule domine ; ou bien, s’il y a un mouvement de la volonté, il ne suivra pas la passion de façon nécessaire.

Solutions :

1. La volonté ne peut empêcher que ne surgissent des mouvements de sensualité dont l’Apôtre dit (Rm 7, 19) “ Le mal que je hais, je le fais ”, c’est-à-dire je le désire. Cependant la volonté peut ne pas vouloir convoiter, ou ne pas consentir à la convoitise. Et ainsi elle ne suit pas de façon nécessaire l’impulsion de la convoitise.

2. Il y a en nous deux natures, intellectuelle et sensitive. De ce fait il y aura parfois uniformité dans toute l’âme : soit que la partie sensitive se trouve parfaitement soumise à la raison comme chez les vertueux ; soit au contraire que la raison soit totalement absorbée par la passion comme chez les fous. Mais parfois, même si la raison est obnubilée par la passion, on conserve encore une certaine liberté d’esprit. Dans cet état on peut, ou bien repousser totalement la passion ; ou tout au moins se retenir pour ne pas la suivre. Dans ce cas, l’homme étant diversement disposé dans le diverses parties de son âme, juge différemment selon la raison et selon la passion.

3. La volonté n’est pas mue seulement par le bien universel que la raison appréhende, mais encore par le bien que le sens appréhende. C’est pourquoi elle peut être portée vers un bien particulier sans qu’il y ait de passion dans l’appétit sensible. Il y a en effet beaucoup de choses que nous voulons et que nous faisons sans passion et par seul choix, comme on le voit surtout chez les hommes en qui la raison résiste à la passion.

 

            Article 4 — La volonté est-elle mue de façon nécessaire par un moteur extérieur qui est Dieu ?

Objections :

1. Il semble bien que la volonté est mue par Dieu de façon nécessaire. En effet, tout agent auquel on ne peut résister meut de façon nécessaire. Or c’est ce qui arrive dans le cas de Dieu, car sa puissance est infinie, selon cette parole de l’Apôtre (Rm 9, 19) : “ Qui résiste à sa volonté ? ” Donc Dieu meut la volonté de façon nécessaire.

2. La volonté est mue nécessairement vers ce qu’elle veut par nature, on l’a déjà dit. Or, selon S. Augustin : “ Pour chaque chose, ce que Dieu opère en elle lui est naturel. ” Donc la volonté veut nécessairement ce vers quoi Dieu la meut.

3. Le possible est ce qui, étant posé, n’entraîne pas l’impossible. Or, si l’on pose que la volonté ne veut pas ce vers quoi Dieu la meut, il en résulte cette impossibilité qu’à ce compte, l’opération de Dieu serait inefficace. Il est donc impossible que la volonté ne veuille pas ce vers quoi Dieu la meut.

En sens contraire, il est écrit dans l’Ecclésiastique (15, 14) : “ Au commencement Dieu a fait l’homme et il l’a laissé à son conseil. ” Donc il ne meut pas nécessairement sa volonté.

Réponse :

D’après Denys : “ Il n’appartient pas à la Providence divine de détruire la nature des choses, mais de la conserver. ” Elle meut donc tous les êtres selon leur condition, de telle sorte que, sous la motion divine, des causes nécessaires produisent leurs effets de façon nécessaire, et des causes contingentes produisent leurs effets de façon contingente. Donc, puisque la volonté est un principe actif non déterminé de façon unique, mais ouvert indifféremment à plusieurs effets, Dieu la meut sans la déterminer nécessairement à une seule chose ; son mouvement demeure ainsi contingent et non nécessaire, sauf à l’égard des biens vers lesquels elle est mue par nature.

Solutions :

1. La volonté divine ne tend pas seulement à la réalisation d’un effet par la chose qu’elle meut, mais à ce que le mode de cette réalisation soit conforme à la nature de cette chose... C’est pourquoi si la volonté était mue de façon nécessaire, ce qui ne répond pas à sa nature, ce serait plus contraire à la motion divine que d’être mue de façon libre, comme il convient à sa nature.

2. Ce qui est naturel à chaque être, c’est ce que Dieu opère en lui pour que cela lui soit naturel. C’est ainsi que quelque chose convient à chacun, parce que Dieu veut que cela lui convienne. Mais il ne veut pas que tout ce qu’il opère dans les êtres soit naturel pour eux, par exemple que les morts ressuscitent. Ce qu’il veut pour chaque chose comme lui étant naturel, c’est qu’elle soit soumise à la puissance divine.

3. Si Dieu meut notre volonté vers une chose, il est alors impossible que notre volonté ne tende pas vers cette chose, mais ce n’est pas impossible absolument. Il n’en résulte donc pas que notre volonté soit mue par Dieu de façon nécessaire.

 

QUESTION 11 — LA JOUISSANCE, ACTE DE LA VOLONTÉ

1. Jouir est-il un acte de la puissance appétitive ? - 2. Cet acte convient-il à la seule créature raisonnable, ou aussi aux bêtes ? - 3. Ne jouit-on que de la fin ultime ? - 4. N’y a-t-il jouissance que si la fin est possédée ?

 

            Article 1 — Jouir est-il un acte de la puissance appétitive ?

Objections :

1. Il semble bien que non. Le mot “ jouir ” en effet, d’après son étymologie (frui) paraît ne signifier rien d’autre que cueillir un fruit ( fructum capere). Mais c’est l’intelligence qui saisit ce fruit de la vie humaine qu’est la béatitude, laquelle consiste, on l’a montré, en un acte de cette intelligence. L’acte de jouir relève donc de l’intelligence et non de l’appétit.

2. Chaque puissance a une fin propre qui est sa perfection ; comme pour la vue apercevoir ce qui est visible, pour l’ouïe, entendre des sons, et de même pour les autres puissances. Or la fin d’une chose, c’est son fruit. L’acte de jouir convient donc à toutes les puissances, et pas seulement à celle de l’appétit.

3. L’acte de jouir comporte une certaine délectation. Mais la délectation sensible relève du sens qui se délecte en son objet ; et, pour la même raison, la délectation intellectuelle relève de l’intelligence. Donc jouir est le lot de la puissance de connaître et non de l’appétit.

En sens contraire, S. Augustin affirme “ jouir, c’est adhérer par amour à une chose pour elle-même. ” Or l’amour relève de la puissance appétitive. Il doit donc en être de même pour l’acte de jouir.

Réponse :

Les mots “ fruition ” (jouissance) et fruit semblent se rapporter à une même chose et dériver l’un de l’autre. Peu nous importe d’ailleurs l’ordre de cette dérivation, sauf qu’il apparaît plus probable que l’on ait désigné en premier ce qui est le plus manifeste. Or ce sont les choses les plus proches des sens qui nous frappent d’abord. Il semble donc que le mot “ fruition ” vient des fruits que l’on perçoit par les sens. D’autre part un fruit sensible est ce que l’on attend de l’arbre en dernier et que l’on cueille avec un certain plaisir. Aussi semble-t-il que la fruition se rapporte à l’amour ou à la délectation que l’on éprouve à l’égard du terme dernier de son attente qui est la fin. Or la fin est, comme le bien, l’objet de la puissance appétitive. Il est donc évident que jouir est un acte de cette puissance.

Solutions :

1. Rien n’empêche qu’une seule et même réalité, envisagée sous différents aspects, se rapporte à des puissances différentes. Ainsi la vision même de Dieu, en tant que vision, est un acte d’intelligence ; mais, du point de vue où elle constitue un bien et une fin, elle est l’objet de la volonté et, à ce titre, elle est sa fruition. Ainsi l’intelligence atteint cette fin au titre de puissance agissante, tandis que la volonté l’atteint comme ce qui meut vers la fin, et ce qui jouit de la fin une fois obtenue.

2. Nous avons déjà dit que la perfection et la fin des puissances autres que l’appétit sont contenues sous l’objet de celui-ci comme ce qui est propre sous ce qui est commun. Par suite la perfection et la fin de n’importe quelle puissance, en tant qu’elles sont un certain bien, relèvent de l’appétit. C’est la raison pour laquelle l’appétit applique les autres puissances à leur fin particulière, et parvient lui-même à la sienne quand chacune des autres ont atteint leur fin propre.

3. La délectation comporte deux éléments : la perfection de ce qui convient, laquelle appartient à la puissance de connaître ; et la complaisance en ce qui est présenté comme convenant au sujet. Ce dernier élément relève de la puissance appétitive dans laquelle la délectation trouve son accomplissement.

 

            Article 2 — Jouir est-il propre à la seule créature raisonnable ou aussi aux bêtes ?

Objections :

1. Jouir paraît être réservé aux hommes. Car S. Augustin écrit : “ C’est à nous, hommes, qu’il appartient de jouir et d’user. ” Les autres animaux ne peuvent donc pas jouir.

2. On jouit de la fin dernière. Or les bêtes ne peuvent atteindre une telle fin. Il ne leur appartient donc pas de jouir.

3. L’appétit naturel est subordonné à l’appétit sensible, comme celui-ci l’est à la volonté. Donc si jouir appartient à l’appétit sensible, il semble qu’il puisse au même titre appartenir à l’appétit naturel. Or cela est faux, car cet appétit est sans délectation. Donc jouir ne se rencontre pas dans l’appétit sensible et de ce fait, ne convient pas aux bêtes.

En sens contraire, S. Augustin remarque “ Il n’est pas absurde de penser que les animaux eux-mêmes jouissent de la nourriture et de tout autre plaisir corporel. ”

Réponse :

Il résulte de ce qui a été établi précédemment que jouir n’est pas l’acte de la puissance qui atteint la fin en l’exécutant, mais de celle qui commande l’exécution ; on a dit en effet que c’est l’acte de la puissance appétitive. Or, chez les êtres dépourvus de connaissance on trouve bien une puissance qui obtient la fin comme exécutrice, par exemple celle qui fait que les corps pesants tombent et que les corps légers s’élèvent. Mais on ne trouve pas chez eux la puissance qui commande ; celle-ci a son siège dans une nature supérieure qui par ses ordres meut la nature tout entière, de la manière dont l’appétit, dans les êtres doués de connaissance, applique les autres puissances à leurs actes. Il est donc manifeste que les êtres dépourvus de connaissance, tout en parvenant à leur fin, n’en jouissent pas ; c’est un privilège réservé aux êtres qui possèdent la connaissance.

Mais la connaissance de la fin est double parfaite et imparfaite. Parfaite, elle n’implique pas seulement la connaissance de ce qui est fin et bien, mais encore de la raison universelle de la fin et du bien ; une telle connaissance est le privilège des êtres doués de raison. La connaissance imparfaite de la fin porte sur la fin et le bien envisagés de façon particulière, et cette connaissance est le fait des bêtes. Chez elles les facultés appétitives, en outre, ne commandent pas librement ; elles sont mues par une impulsion naturelle vers les objets qu’elles appréhendent. Ainsi donc la jouissance convient à la nature raisonnable dans toute l’acception du terme, aux animaux de façon imparfaite, et en aucune manière aux autres créatures.

Solutions :

1. S. Augustin parle ici de la jouissance parfaite.

2. Il n’est pas nécessaire que la jouissance concerne la fin ultime considérée en soi, mais ce que chacun tient pour tel.

3. L’appétit sensible fait suite à une connaissance, ce qui n’est pas le cas pour l’appétit naturel, surtout chez ceux qui sont dépourvus de connaissance.

4. Dans l’argument en sens contraire, S. Augustin entend parler de la jouissance imparfaite, comme le montre la façon dont il s’exprime ; il dit en effet : “ Il n’est pas tellement absurde de penser que les animaux jouissent ”, alors qu’il serait tout à fait absurde de dire qu’ils utilisent.

 

            Article 3 — Ne jouit-on que de la fin ultime ?

Objections :

1. Il semble bien que non. Car l’Apôtre écrivait à Philémon (20 Vg) : “ Frère, donne-moi cette jouissance dans le Seigneur. ” Or, il est évident qu’il n’avait pas mis sa fin ultime dans un homme. C’est donc que la jouissance ne se limite pas à cette fin.

2. Le fruit est ce dont on jouit. Or, dit S. Paul (Ga 5, 22) : “ Le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix ”, etc., qui n’ont pas raison de fin ultime. La jouissance n’est donc pas réservée à la fin ultime.

3. Les actes de la volonté peuvent réfléchir sur eux-mêmes ; ainsi je veux vouloir et j’aime aimer. Or jouir est un acte de la volonté ; cette faculté est en effet, au dire de S. Augustin, “ ce par quoi nous jouissons ”. Il en résulte que l’on peut jouir de sa jouissance. Mais celle-ci n’est pas la fin ultime de l’homme, qui est seulement le bien incréé, c’est-à-dire Dieu. Jouir ne se limite donc pas à la fin ultime.

En sens contraire, S. Augustin affirme : “ On ne jouit pas si ce dont s’empare la volonté est voulu pour autre chose. ” Or, la fin ultime seule échappe à cette condition. Il n’y a donc de jouissance que de la fin ultime.

Réponse :

La notion de fruit, nous venons de le dire, implique deux choses : qu’il s’agisse d’un acte ultime et que l’appétit s’y repose avec une certaine douceur et délectation. Mais il y a deux façons d’être ultime : absolument, c’est-à-dire sans se rapporter à autre chose, et de façon relative, n’étant ultime que pour certaines choses. Donc ce qui est ultime de façon absolue, en quoi on se délecte comme en sa fin ultime, c’est cela qu’on appelle proprement fruit ; et c’est de cela qu’à proprement parler on jouit.

Au contraire, ce qui n’est pas délectable en soi mais est désiré seulement pour autre chose, comme une potion amère en vue de la santé, ne peut aucunement s’appeler fruit. Quant aux choses qui comportent en elles-mêmes une certaine délectation et auxquelles se rapportent certaines autres choses préalables, on pourra bien les dénommer en quelque façon des fruits mais on ne dira pas qu’on jouit d’elles selon la pleine signification du mot jouir (frui). C’est pourquoi S. Augustin dit : “ Nous jouissons des objets que nous connaissons, en lesquels la volonté se repose avec délices. ” Or elle ne se repose absolument qu’en ce qui est ultime, car aussi longtemps qu’on attend quelque chose, son mouvement demeure en suspens, bien qu’elle soit déjà parvenue à un certain point. C’est comme dans le mouvement local, où le milieu de la distance, bien qu’il soit un commencement et une fin, ne peut être considéré comme une fin en acte que lorsque l’on s’y repose.

Solutions :

1. Comme le remarque S. Augustin, “ Si Paul avait dit : "Donne-moi cette jouissance", sans ajouter : "dans le Seigneur", il aurait paru mettre en Philémon la fin de sa délectation. Mais du fait qu’il a ajouté "dans le Seigneur" il a signifié qu’il mettait sa fin en celui-ci. ” Ainsi a-t-il voulu dire qu’il jouissait de son frère, non comme d’un terme, mais d’un intermédiaire.

2. On compare différemment le fruit à l’arbre qui le produit, et à l’homme qui en jouit. Par rapport à l’arbre, il est un effet dont l’arbre est la cause ; par rapport à l’homme qui en jouit il est un terme ultime attendu et délectable. Les biens que l’Apôtre énumère ici sont appelés des fruits parce qu’ils sont des effets de l’Esprit Saint en nous (ce pourquoi on les appelle fruits de l’Esprit), mais non parce que nous en jouirions au titre de fin ultime. A moins que l’on dise avec S. Ambroise qu’on les appelle fruits “ parce qu’ils doivent être demandés pour eux-mêmes ”, non certes en évitant de les rattacher à la béatitude mais parce qu’ils ont en eux-mêmes de quoi rendre heureux.

3. La fin, comme on l’a dit, peut désigner deux choses : la réalité elle-même, et la prise de possession de cette réalité ; cela ne constitue pas à la vérité deux fins, mais une seule fin, considérée en elle-même, et appliquée à une autre. Dieu est donc la fin ultime au titre de réalité recherchée en damier lieu, et la jouissance est fin ultime comme prise de possession de cette même fin. Donc, de même que Dieu et la jouissance qu’on a de lui ne constituent pas deux fins, pareillement c’est sous la même raison de jouissance que nous jouissons de Dieu et de la jouissance divine. Il faut en dire autant de la béatitude créée, qui consiste dans la jouissance.

 

            Article 4 — N’y a-t-il jouissance que si la fin est possédée ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car S. Augustin écrit : “ Jouir consiste à user avec joie non de l’espoir d’une chose, mais déjà de la chose elle-même. ” Or, aussi longtemps qu’on ne possède pas une chose, celle-ci ne donne pas de la joie, mais seulement de l’espoir. Il n’y a donc jouissance que d’une fin possédée.

2. Il n’y a proprement jouissance que de la fin ultime, on vient de le dire, car seule une telle fin donne repos à l’appétit. Or celui-ci ne peut se reposer que lorsque la fin est obtenue. Il ne peut donc y avoir de jouissance au sens propre qu’à l’égard de la fin possédée.

3. Jouir, c’est cueillir le fruit, mais cela n’est possible que lorsque la fin est déjà obtenue ; il n’y a donc pas de jouissance sans cette possession.

En sens contraire, S. Augustin dit encore : “ Jouir c’est adhérer par amour à une chose pour elle-même. ” Or ceci peut avoir lieu même avec un objet qu’on ne possède pas. Donc, on peut jouir aussi d’une fin non encore atteinte.

Réponse :

Jouir implique un certain rapport de la volonté à la fin ultime, dans la mesure où la volonté tient quelque chose pour sa fin ultime. Mais on peut posséder une fin de deux façons : parfaitement, si on la possède non seulement en intention mais réellement ; imparfaitement, au cas où on ne la possède qu’en intention. Il y a donc jouissance parfaite de la fin déjà réellement possédée. Mais il y a encore jouissance imparfaite, si la fin n’est pas possédée réellement, mais seulement en intention.

Solutions :

1. S. Augustin parle de la jouissance parfaite.

2. Le repos de la volonté est doublement empêché ; soit du côté de l’objet, parce qu’il n’est pas la fin ultime mais est ordonné à quelque chose d’autre ; soit de la part de celui qui veut la fin, s’il ne l’a pas encore atteinte. Or, c’est l’objet qui donne à un acte son espèce, tandis que la manière d’agir qui fait que l’acte est parfait ou imparfait tient à la condition de l’agent. Il n’y a jouissance qu’impropre, comme réalisant incomplètement l’idée spécifique de jouissance. Tandis qu’à l’égard de la fin ultime non possédée, il y a jouissance au sens propre, mais imparfaite à cause de la façon imparfaite dont cette fin ultime est possédée.

3. On dit que quelqu’un reçoit ou possède la fin quand il le fait non seulement en réalité, mais même lorsqu’il le fait en intention, on vient de le dire.

 

QUESTION 12 — L’INTENTION

1. L’intention est-elle un acte de l’intelligence, ou de la volonté ? - 2. Porte-t-elle seulement sur la fin ultime ? - 3. Peut-on porter son intention sur deux choses à la fois ? - 4. L’intention de la fin et le vouloir des moyens sont-ils un seul et même acte ? - 5. L’intention convient-elle aux bêtes ?

 

            Article 1 — L’intention est-elle un acte de l’intelligence, ou de la volonté ?

Objections :

1. Il semble bien qu’elle est un acte de l’intelligence et non de la volonté, car on lit en S. Matthieu (6, 22) : “ Si ton œil est simple, ton corps tout entier sera dans la lumière ”, l’œil, signifiant ici l’intention, selon S. Augustin. Mais l’œil, du fait qu’il est l’instrument de la vue, désigne une puissance de connaître. L’intention n’est donc pas un acte de la puissance appétitive, mais de la puissance de connaître.

2. S. Augustin affirme au même endroit que l’intention est appelée lumière par le Seigneur quand il dit (Mt 6, 23) : “ Si la lumière qui est en toi est ténèbre... ” Or la lumière est affaire de connaissance, donc aussi l’intention.

3. L’intention désigne une certaine ordination à une fin ; mais ordonner est le fait de la raison ; l’intention n’appartient donc pas à la volonté mais à la raison.

4. L’acte de volonté ne porte que sur la fin, ou sur les moyens. Par rapport à la fin, cet acte est nommé volonté ou jouissance, et à l’égard des moyens, il est appelé choix ; or l’intention ne se confond avec aucun de ces actes ; elle n’est donc pas un acte de la volonté.

En sens contraire, S. Augustin dit : “ L’intention de la volonté unit à la vue le corps qui est vu ; et pareillement elle unit l’idée existant dans la mémoire à la fine pointe de l’esprit qui médite intérieurement. ” L’intention est donc un acte de la volonté.

Réponse :

Intention, comme le nom même l’indique, signifie tendre vers quelque chose, c’est l’action du moteur et le mouvement du mobile. Mais le fait que le mouvement du mobile tend vers quelque chose procède de l’action du moteur. De la sorte, l’intention appartient premièrement et comme à son principe à ce qui meut vers la fin. C’est pourquoi nous disons que l’architecte et tous ceux qui dirigent meuvent les autres par leur commandement vers la fin dont ils ont eux-mêmes l’intention. Or, mouvoir ainsi vers leur fin les autres puissances de l’âme revient à la volonté, on l’a montré. Il est donc manifeste que l’intention est proprement un acte de volonté.

Solutions :

1. C’est par métaphore que l’intention est appelée œil, non parce qu’elle serait affaire de connaissance, mais parce qu’elle présuppose cette connaissance grâce à laquelle se présente à la volonté la fin vers laquelle elle meut, comme notre œil nous fait voir d’avance le but vers lequel nous devons tendre par notre corps.

2. L’intention est appelée lumière parce qu’elle est manifeste pour celui qui l’exerce. De même les œuvres sont appelées ténèbres du fait que l’homme sait vers quoi il tend, mais ignore ce qui résultera de son action. C’est l’explication de S. Augustin sur ce passage.

3. Ce n’est pas la volonté qui met en ordre, mais elle tend vers quelque chose selon l’ordre de la raison ; ainsi le mot intention désigne-t-il un acte de volonté, mais présuppose une ordination par la raison de quelque chose vers une fin.

4. L’intention est un acte de la volonté à l’égard de la fin. Mais il y a trois façons pour la volonté de se rapporter à la fin. Absolument : on donne alors à l’acte le nom de volonté, pour autant que nous voulons absolument la santé ou tel autre bien de ce genre. Dans le deuxième cas on considère la fin comme un terme où l’on se repose : c’est ainsi que la jouissance se rapporte à la fin. Troisièmement, on peut regarder la fin comme le terme d’une chose qui lui est ordonnée, et c’est en ce sens que l’intention regarde la fin. Ce n’est pas en effet simplement parce que nous la voulons que nous somme dits tendre vers la santé, mais parce que nous voulons l’atteindre par le moyen de quelque chose d’autre.

 

            Article 2 — L’intention porte-t-elle seulement sur la fin ultime ?

Objections :

1. Il semble qu’il en soit ainsi. Comme il est écrit au livre des Sentences de S. Prosper : “ Le cri poussé vers Dieu est l’intention du cœur. ” Or Dieu est la fin ultime du cœur humain. C’est donc toujours cette fin qui est visée par l’intention.

2. L’intention vise la fin selon qu’elle est un terme, comme on l’a dit. Mais un terme a raison de fin ultime. L’intention porte donc toujours sur la fin ultime.

3. Comme l’intention, la jouissance concerne la fin ; mais la jouissance porte toujours sur la fin ultime ; donc également l’intention.

En sens contraire, nous l’avons dit, il y a pour toutes les volontés humaines une seule fin ultime : la béatitude. S’il n’y avait donc d’intention que pour la fin ultime, il ne pourrait y avoir chez les hommes des intentions diverses, ce qui est évidemment faux.

Réponse :

L’intention, nous l’avons dit, regarde la fin selon qu’elle est le terme du mouvement de la volonté. Or on peut parler de terme dans un mouvement de deux façons ; comme d’un terme ultime en lequel on se repose et qui termine tout le mouvement, ou comme d’un terme intermédiaire qui est commencement d’une partie du mouvement, et fin d’une autre. Par exemple dans le mouvement qui va de A à C par B, C représente le terme ultime, B étant aussi un terme, mais non le terme ultime. Et l’intention peut porter sur les deux. Donc, bien qu’elle concerne toujours une fin, il ne s’impose pas que ce soit toujours la fin ultime.

Solutions :

1. L’intention du cœur est dite “ un cri poussé vers Dieu ”, non que Dieu soit toujours son objet, mais parce qu’il connaît les intentions ou encore parce que, quand nous prions, nous dirigeons vers lui notre intention qui a la force d’un cri.

2. Terme a sans doute raison de fin ultime, mais pas nécessairement par rapport au tout, car il peut se faire que ce soit par rapport à une partie.

3. La jouissance implique un repos dans la fin ce qui ne vaut que pour la fin ultime. Mais l’intention implique un mouvement vers la fin et non un repos. La comparaison n’est donc pas valable.

 

            Article 3 — Peut-on porter son intention sur deux choses à la fois ?

Objections :

1. Il semble qu’il soit impossible d’avoir simultanément l’intention de plusieurs choses. L’homme, dit S. Augustin, ne peut prendre en même temps comme objet d’intention Dieu et un avantage corporel ; ni, pour la même raison, deux autres choses quelconques.

2. L’intention désigne le mouvement de la volonté vers son terme. Mais un mouvement ne peut avoir plusieurs termes sous le même rapport. Donc la volonté ne peut tendre à la fois vers plusieurs choses.

3. L’intention présuppose un acte de la raison ou de l’intelligence. Or, selon Aristote, il n’est pas possible de comprendre en même temps plusieurs choses ; on ne peut donc pas non plus avoir une intention portant simultanément sur plusieurs fins.

En sens contraire, l’art imite la nature ; or, il arrive que la nature poursuive deux utilités avec un seul instrument : “ par exemple la langue sert pour le goût et pour la parole ”, remarque Aristote. Pareillement, l’art ou la raison peuvent ordonner simultanément une même chose à deux fins, et ainsi on peut avoir à la fois l’intention de plusieurs choses.

Réponse :

L’existence de deux choses peut être envisagée de deux manières : comme ordonnées entre elles ou non. Dans le premier cas, il est évident, d’après ce qui a été dit, que l’on peut avoir simultanément l’intention de plusieurs choses. En effet, l’intention porte non seulement sur la fin ultime, mais encore sur la fin intermédiaire, et c’est simultanément que l’on tend vers l’une et vers l’autre, par exemple vers la confection d’un remède et vers la santé.

Si, au contraire, il s’agit de choses non ordonnées entre elles, on peut encore tendre vers plusieurs en même temps. Cela est manifeste du fait que l’on peut choisir une chose de préférence à une autre, parce qu’elle est meilleure. Or, entre autres conditions qui rendent une chose meilleure, il y a qu’elle puisse servir à plusieurs fins, ce qui justifie le choix dont elle peut être l’objet. Il est donc évident que l’homme tend vers plusieurs choses à la fois.

Solutions :

1. S. Augustin veut dire ici que l’homme ne peut vouloir à la fois Dieu et les avantages temporels comme des fins ultimes, parce qu’il ne peut y en avoir plusieurs pour un seul homme, comme on l’a déjà montré.

2. Il peut y avoir plusieurs termes pour un seul mouvement, d’un même point de vue, si l’un d’eux est ordonné à l’autre ; mais deux termes non ordonnés entre eux ne peuvent, d’un même point de vue, avoir un seul mouvement. Toutefois, il faut prendre garde que ce qui n’a pas d’unité dans la réalité peut être accepté par la raison comme ne faisant qu’un. Or l’intention est un mouvement de la volonté vers quelque chose, mouvement qui est préordonné dans la raison, nous l’avons déjà dit - C’est pourquoi des choses réellement distinctes peuvent constituer un seul terme d’intention, en tant qu’elle sont acceptées par la raison comme ne faisant qu’un ; soit parce que deux choses concourent pour assurer l’intégrité d’une autre, par exemple le chaud et le froid unis en juste proportion concourent à la santé ; soit parce que ces choses sont comprises sous un terme commun qui peut devenir objet d’intention. Par exemple l’acquisition de vin et de vêtements est comprise dans la notion commune de profit ; rien n’empêche en effet celui qui vise le profit de viser simultanément ces deux biens.

3. Comme on l’a dit dans la première Partie, il arrive que notre intelligence comprenne simultanément plusieurs objets, en tant qu’ils ont une certaine unité.

 

            Article 4 — L’intention de la fin et la volonté des moyens sont-ils un seul et même acte ?

Objections :

1. Il semble bien que non. Car S. Augustin nous dit : “ La volonté de regarder une fenêtre a pour fin la vue de la fenêtre ; mais regarder les passants par la fenêtre est une autre volonté. ” Or cette volonté-là concerne l’intention, tandis que la première se rapporte aux moyens. L’intention de la fin est donc un mouvement de volonté différent de la volonté des moyens.

2. Les actes se distinguent par leurs objets ; or fin et moyens constituent des objets différents, par conséquent l’intention q.ui porte vers la fin est un mouvement de volonté distinct du vouloir des moyens.

3. Le vouloir des moyens porte le nom de choix ; mais intention et choix ne se confondent pas ; l’intention de la fin et le vouloir des moyens ne sont donc pas un même mouvement.

En sens contraire, le moyen est à la fin ce que le milieu est au terme. Or, dans les choses naturelles, c’est un même mouvement qui pass par le milieu pour aboutir au terme. Donc, dan la volonté, intention de la fin et vouloir des moyen sont un même mouvement.

Réponse :

On peut considérer le mouvement de la volonté vers la fin et vers les moyens de deux façons. Ou bien selon que la volonté vers ces deux objets se porte absolument et par soi, et alors on a deux mouvements de volonté distincts. Ou bien selon qu’elle tend vers les moyens en vue de la fin, et alors on a un seul mouvement de volonté quant au sujet, portant à la fois sur la fin et sur les moyens. En effet, quand je dis : “ je veux ce remède pour ma santé ”, je ne signifie qu’un mouvement de volonté. L’explication en est que la fin apparaît comme la raison de vouloir les moyens. Or c’est par un même acte qu’on saisit un objet et la raison de cet objet, comme c’est dans une même vision que l’on perçoit la couleur et la lumière, comme nous l’avons dit plus haut. Et il en va de même pour l’intelligence : si je considère en eux-mêmes un principe et une conclusion, j’aurai des actes de connaissance distincts ; mais si je donne mon assentiment à une conclusion à cause des principes, ce sera en un seul acte d’intelligence.

Solutions :

1. S. Augustin parle ici de la vision de la fenêtre et de celle des passants par la fenêtre, comme d’objets vers lesquels la volonté se porte de façon absolue.

2. La fin, si on la considère comme une certaine réalité, est un autre objet de volonté que les moyens ; mais envisagée comme raison de vouloir ceux-ci, elle constitue avec eux un seul et même objet.

3. Un mouvement qui est un par son sujet peut, rapporté à son principe et à son terme, comporter une distinction de raison, comme la montée et la descente, selon Aristote. Ainsi en est-il du mouvement de la volonté : considéré comme portant sur les moyens en tant qu’ils sont ordonnés à la fin, il est le choix, l’élection ; envisagé au contraire comme portant sur la fin en tant qu’elle est obtenue par les moyens, il est l’intention. La preuve en est que l’intention d’une fin peut exister avant même qu’on ait déterminé les moyens sur lesquels porte le choix.

 

            Article 5 — L’intention convient-elle aux bêtes ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car la nature des êtres dépourvus de connaissance est plus éloignée de celle des êtres raisonnables que la nature sensitive, qui est celle des animaux. Or il a été prouvé que, même chez ceux qui n’ont pas la connaissance, la nature tend vers une fin. A plus forte raison donc en est-il ainsi chez les bêtes.

2. L’intention comme la jouissance concerne la fin. Mais nous avons dit que la jouissance convient aux bêtes. Donc l’intention aussi.

3. Avoir l’intention d’une fin est le fait de celui qui agit pour une fin, car avoir l’intention ne signifie rien d’autre que tendre vers une autre chose. Or les bêtes agissent pour une fin, puisqu’elles se mettent en mouvement pour chercher leur nourriture ou pour quelque chose de semblable. Donc elles ont l’intention d’une fin.

En sens contraire, l’intention d’une fin implique ordination à une fin, ce qui est 1’œuvre de la raison. Donc, puisque les bêtes n’ont pas la raison, il apparaît qu’elles n’ont pas l’intention d’une fin.

Réponse :

Nous l’avons dit : avoir l’intention, c’est tendre vers autre chose ; et cela est le fait à la fois du vouloir et du mobile. Donc, si ce qui est mû vers la fin par un autre est dit avoir l’intention de la fin, on peut dire que la nature a l’intention de la fin en tant qu’elle est mue vers sa fin par Dieu, comme la flèche par l’archer. En ce sens, même les bêtes ont l’intention de la fin, en tant qu’elles sont mues vers quelque chose par une impulsion naturelle.

Dans un autre sens, l’intention de la fin est le fait de celui qui imprime le mouvement, en tant qu’il ordonne - le sien ou celui d’un autre - vers la fin. Cela n’appartient qu’à la raison. Ainsi, en ce sens, les bêtes n’ont pas l’intention de la fin, au sens premier et fondamental du mot intention, comme on l’a dit.

Solutions :

1. Cette objection concerne le cas où l’intention est le fait de ce qui est mû vers une fin.

2. La jouissance ne comporte pas comme l’intention l’ordination d’un être à quelque chose, mais le repos absolu dans la fin.

3. Les bêtes se meuvent vers une fin sans envisager qu’elles peuvent l’atteindre par leur mouvement, ce qui est le propre de l’intention ; mais en la convoitant par un instinct naturel, comme si elles étaient mues par un autre, à la manière de tous les êtres qui sont mus par la nature.

Il faut maintenant considérer les actes de la volonté en relation avec les moyens. Et ils sont trois : le choix, le consentement, l’usage. Mais, comme le choix suppose lui-même la délibération, nous serons amenés à étudier successivement : le choix (Q. 13), la délibération (Q. 14), le consentement (Q. 15), l’usage (Q. 16).

 

QUESTION 13 — LE CHOIX, ACTE DE LA VOLONTÉ A L’ÉGARD DES MOYENS

1. De quelle puissance le choix est-il l’acte : de la volonté, ou de la raison ? - 2. Convient-il aux bêtes ? - 3. Porte-t-il seulement sur les moyens ou quelquefois aussi sur la fin ? - 4. Ne porte-t-il que sur les actions accomplies par nous ? - 5. Ne porte-t-il que sur des choses possibles ? - 6. L’homme choisit-il de façon nécessaire, ou librement ?

 

            Article 1 — Le choix est-il un acte de la volonté, ou de la raison ?

Objections :

1. Il semble que le choix ne soit pas un acte de la volonté, mais de la raison. Le choix suppose en effet une sorte de comparaison qui fait préférer une chose à une autre ; mais c’est la raison qui compare. Donc le choix appartient à la raison.

2. C’est la même puissance qui construit le syllogisme et le conclut. Or, construire un syllogisme en matière d’action est le fait de la raison. Donc, puisque, selon Aristote, le choix est une sorte de conclusion dans l’action, il semble être lui aussi affaire de raison.

3. L’ignorance n’est pas le fait de la volonté mais de la puissance cognitive. Or, selon Aristote, il existe une “ ignorance du choix ”. Il semble donc bien que le choix ne ressortisse pas à la volonté mais à la raison.

En sens contraire, pour Aristote “ le choix est un désir des choses qui sont en notre pouvoir ”. Mais le désir est un acte de volonté. Donc aussi le choix.

Réponse :

Le mot “ choix ” implique quelque chose qui relève de la raison ou de l’intelligence, et quelque chose qui relève de la volonté. Car Aristote affirme que “ le choix est une intelligence qui désire, ou un désir intelligent ”. Or, quand deux éléments concourent pour constituer une seule réalité, l’un d’eux joue le rôle de forme par rapport à l’autre. D’où cette déclaration de S. Grégoire de Nysse : “ Le choix n’est en lui-même ni un désir, ni une simple délibération, mais un composé des deux, comme nous disons que l’animal est composé d’un corps et d’une âme, alors qu’il n’est ni un corps seul ni une âme seule, mais l’un et l’autre ; ainsi en est-il du choix. ” Or, dans les actes de l’âme, il faut remarquer que l’acte qui appartient essentiellement à une puissance ou à un habitus, reçoit sa forme et son espèce de la puissance ou de l’habitus supérieur, selon le principe suivant lequel l’inférieur est ordonné par le supérieur. Si quelqu’un par exemple accomplit un acte de la vertu de force pour l’amour de Dieu, ce sera matériellement un acte de force, mais formellement un acte de charité. Or, il est évident que d’une certaine manière la raison précède la volonté et ordonne son acte, en ce sens que la volonté tend vers son objet selon l’ordre de la raison, puisqu’il appartient à une faculté de connaissance de présenter son objet à une faculté appétitive. Ainsi donc cet acte par lequel la volonté tend vers quelque chose qui lui est présenté comme bon relève rnatériellement de la volonté et formellement de la raison, du fait qu’il est ordonné par la raison à une fin. Or dans un tel cas la substance de l’acte est comme la matière par rapport à l’ordre qui lui est imposé par la puissance supérieure. Voilà pourquoi le choix n’est pas en sa substance acte de la raison, mais de la volonté ; il trouve en effet son achèvement dans un certain mouvement de l’âme vers le bien qui est choisi. C’est donc de façon évidente un acte de la puissance appétitive.

Solutions :

1. Sans doute n’y a-t-il pas de choix sans une comparaison préalable, mais l’essence du choix n’est pas cette comparaison.

2. La conclusion du syllogisme relatif à l’action appartient aussi à la raison sous l’appellation de sentence ou de jugement, que suit le choix ; c’est pourquoi la conclusion elle-même semble appartenir au choix comme à sa conséquence.

3. Si l’on parle d’une ignorance de choix, ce n’est pas parce que le choix serait lui-même une science, mais parce qu’on ignore ce qu’il faut choisir.

 

            Article 2 — Le choix convient-il aux bêtes ?

Objections :

1. Il semble que le choix convient aux bêtes, car il est, d’après Aristote, “ un désir d’une certaine chose en vue d’une fin ”. Or les bêtes désirent certaines choses en vue d’une fin ; elles agissent en effet pour une fin et c’est à la suite d’un désir. Elles sont donc capables de choix.

2. Le choix, selon la signification même du mot, semble impliquer qu’on préfère une chose à une autre. Or ceci se remarque chez les animaux, par exemple chez la brebis qui mange telle herbe et se détourne de telle autre. Donc il y a du choix chez les bêtes.

3. Comme dit Aristote “ Il ressortit à la prudence de bien choisir les moyens. ” Mais la prudence convient aux bêtes. Aussi Aristote appelle-t-il “ prudentes sans l’avoir appris, toutes celles qui ne sont pas capables d’entendre les sons, comme les abeilles ”. Et cela est manifeste sur le plan sensible : des animaux comme les abeilles, les araignées et les chiens montrent dans leur activité une sagacité étonnante. Un chien, par exemple, qui poursuit un cerf, arrivé à un carrefour de trois chemins, explore avec son odorat afin de se rendre compte si le cerf ne serait pas passé par le premier ou le deuxième de ces chemins ; et s’il trouve qu’il n’y est pas passé, il s’élance sans hésitation et sans avoir eu besoin d’exercer son flair, sur le troisième ; comme s’il faisait un syllogisme disjonctif, par lequel il conclurait que le cerf, n’ayant pris aucun des deux autres chemins, s’est engagé dans celui-là, puisqu’il n’y en a plus d’autre. Il semble donc que le choix convienne aux animaux.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse remarque : “ Les enfants et les êtres sans raison, s’ils agissent volontairement, ne choisissent pas pour autant. ” Il n’y a donc pas de choix chez les bêtes.

Réponse :

Puisque le choix consiste à préférer une chose à une autre, il ne peut s’exercer qu’à l’égard de plusieurs réalités susceptibles d’être choisies. C’est pourquoi il n’y a pas de choix possible chez les êtres entièrement déterminés à une seule chose. D’après ce que nous avons établi, il y a cette différence, entre l’appétit sensible et la volonté, que le premier tend de manière déterminée vers un bien particulier, conformément à l’ordre de la nature, tandis que la volonté, tout en étant elle aussi déterminée selon l’ordre de la nature vis-à-vis d’un seul objet commun, le bien, demeure cependant indéterminée par rapport aux biens particuliers. En conséquence, c’est proprement à la volonté qu’il appartient de choisir, et non à l’appétit sensible, le seul qui existe chez les bêtes. Celles-ci sont donc incapables de choix.

Solutions :

1. On ne donne pas le nom de choix à n’importe quel désir d’un moyen en vue d’une fin, mais à celui qui comporte un certain discernement des moyens ; or celui-ci ne peut exister que là où l’appétit peut se porter vers plusieurs choses.

2. L’animal préfère une chose à une autre parce que son appétit se trouve déterminé à son égard par la nature. De là, sitôt que les sens ou l’imagination lui présentent un bien vers lequel il est incliné naturellement, il s’y porte sans avoir à choisir, à la manière du feu qui, sans faire aucun choix, monte et ne descend pas.

3. “ Le mouvement, selon la définition d’Aristote, est l’acte du mobile produit par le moteur. ” Il ressort de cette définition que la force du moteur se montre dans le mobile et en conséquence que, dans tous les êtres que meut la raison, même s’ils ne sont pas doués de raison, l’ordre de la raison apparaît. C’est ainsi que la flèche va droit au but sous l’impulsion de l’archer, comme si elle-même avait une raison qui la dirige. Et il en va de même dans les mouvements des horloges et de toutes les autres inventions réalisées par l’art de l’homme. Or les êtres de la nature sont à l’art divin ce que sont à l’art humain les œuvres qu’il produit. On retrouve donc un ordre chez ceux qui sont mus par nature, comme chez ceux que meut la raison, comme le remarque Aristote. Cela explique que dans le comportement des animaux se manifestent certaines sagacités qui tiennent à ce qu’ils ont une inclination naturelle à des processus merveilleusement agencés, puisqu’ils sont ordonnés par l’art suprême. C’est pour cela aussi que certains animaux sont dits prudents ou industrieux, et non parce qu’ils seraient doués de raison ou capables de choix. La preuve en est que tous ceux qui ont une même nature agissent de façon semblable.

 

            Article 3 — Le choix porte-t-il seulement sur les moyens ou quelquefois aussi sur la fin ?

Objections :

1. Il semble bien que le choix ne concerne pas seulement les moyens. Car Aristote, affirme : “ C’est la vertu qui rend correct le choix ; mais tout ce que l’on peut faire pour le réaliser relève non pas de la vertu, mais d’une autre puissance. ” Or ce pourquoi on fait quelque chose est la fin. Le choix porte donc sur la fin.

2. Dans tout choix il y a une préférence. Mais, de même que, parmi plusieurs moyens, l’un peut être préféré à l’autre, ainsi en est-il pour des fins diverses. Il peut donc y avoir choix pour la fin comme pour les moyens.

En sens contraire, Aristote affirme : “ Tandis que le vouloir est relatif à la fin, le choix, lui, porte sur les moyens. ”

Réponse :

Le choix, nous venons de le dire, fait suite à la sentence ou au jugement qui, dans le syllogisme pratique, tient la place de la conclusion. En conséquence, tout ce qui, dans une telle opération, joue le rôle de conclusion tombera sous le choix. Mais ce n’est pas le cas de la fin qui, en matière d’action, a rang non de conclusion mais de principe, dit Aristote. Toutefois, comme dans l’ordre spéculatif rien n’interdit que le principe d’une démonstration ou d’une science soit la conclusion d’une autre - mis à part le cas du premier principe indémontrable qui, lui, ne peut être en aucune façon conclusion - il peut arriver que ce qui est fin d’une action soit à son tour ordonné à une autre fin et devienne ainsi l’objet d’un choix. En médecine par exemple, la santé a valeur de fin, et elle n’a pas à être choisie par le médecin, qui au contraire la suppose comme un principe. Mais la santé du corps est ordonnée au bien de l’âme en sorte que, pour celui qui a soin du salut de l’âme, santé et maladie peuvent devenir objet d’un choix. L’Apôtre dit en effet (2 Co 12, 10) : “ C’est lorsque je suis faible que je suis fort. ” Mais la fin ultime échappe absolument à notre choix.

Solutions :

1. Les fins propres des vertus sont ordonnées à la béatitude comme à la fin ultime, et à ce titre elles peuvent devenir objet de choix.

2. Nous l’avons dit, la fin ultime est unique. Aussi, partout où se présentent plusieurs fins, peut-il y avoir choix entre elles, selon leur ordre à la fin ultime.

 

            Article 4 — Le choix ne porte-t-il que sur les actions accomplies par nous ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Car le choix a pour objet les moyens ; or “ les moyens ne sont pas seulement des actions mais aussi des instruments ”, remarque Aristote. Donc le choix ne concerne pas seulement les actes humains.

2. L’action se distingue de la contemplation. Mais le choix intervient aussi dans la contemplation, selon qu’une opinion est préférée à une autre. Donc le choix ne concerne pas seulement les actes humains.

3. Des hommes sont choisis pour certains offices séculiers ou ecclésiastiques par des hommes qui n’agissent en rien à leur égard. Donc le choix n’est pas relatif seulement aux actes humains.

En sens contraire, Aristote affirme . “ Nul ne choisit que ce qu’il croit pouvoir faire par lui-même. ”

Réponse :

De même que l’intention porte sur la fin, le choix est relatif aux moyens. Or la fin peut être une action ou une réalité quelconque. Dans ce dernier cas il est nécessaire qu’une action humaine intervienne, soit pour produire la réalité, comme le médecin produit la santé qui est son but (c’est en effet sa raison d’être de médecin), soit pour s’en servir ou en jouir, comme l’avare dont la fin est l’argent ou la possession de l’argent. On doit en dire autant des moyens. Car il est nécessaire que le moyen soit ou bien une action, ou bien une réalité avec intervention d’une action qui produit le moyen ou qui l’utilise. De cette manière, le choix porte toujours sur des actes humains.

Solutions :

1. Les instruments sont ordonnés à une fin, en tant que l’homme les utilise en vue de la fin.

2. Dans la contemplation elle-même il y a un acte d’assentiment de l’intelligence à telle ou telle opinion ; c’est l’action extérieure qui s’oppose à la contemplation.

3. Celui qui élit un évêque ou un chef choisit effectivement de l’élever à cette dignité. Autrement, si son action était sans efficacité pour produire ce résultat, le choix ne lui en reviendrait pas. Il faut en dire autant de toute préférence d’une chose par rapport à une autre : il y a toujours là une opération de la part de celui qui choisit.

 

            Article 5 — Le choix ne porte-t-il que sur des choses possibles ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Car nous avons dit que le choix est un acte de volonté. Or la volonté, d’après Aristote, “ porte sur du possible et sur de l’impossible ”. Donc aussi le choix.

2. Le choix, nous venons de le voir, concerne nos actions. Peu importe donc à notre choix qu’il porte sur ce qui est impossible en soi ou sur ce qui l’est par rapport à nous ; le fait est que souvent nous ne pouvons pas accomplir ce que nous avons choisi. On peut donc choisir des choses impossibles.

3. L’homme n’essaie d’agir qu’en faisant un choix. Or S. Benoît nous dit que, si un prélat commande quelque chose d’impossible, il faut tenter de le faire. Le choix peut donc porter sur l’impossible.

En sens contraire, Aristote affirme : “ Le choix ne vise pas l’impossible. ”

Réponse :

Nous venons de le dire : nos choix se rapportent toujours à nos actions. Or ce que nous réalisons est évidemment possible pour nous. Il est donc nécessaire de le reconnaître : il n’y a de choix que du possible. De même, nous ne choisissons tel moyen que parce qu’il nous conduit à une fin ; or on n’atteint pas une fin par des moyens impossibles ; le signe en est que dans une délibération, lorsque des hommes aboutissent à ce qui est impossible pour eux, on se sépare, comme si l’on ne pouvait aller plus loin.

Cela ressort encore avec évidence de la manière dont procède la raison avant le choix. En effet, le moyen sur quoi porte le choix a le même rapport avec la fin qu’une conclusion avec son principe. Or il est clair qu’une conclusion impossible ne peut découler d’un principe possible. Aussi la fin ne peut-elle être possible que si le moyen l’est aussi. Mais personne ne se meut vers de l’impossible. Par conséquent personne ne tendrait vers une fin s’il ne croyait que le moyen pour l’atteindre est possible. L’impossible ne tombe donc pas sous le choix.

Solutions :

1. La volonté est intermédiaire entre l’intelligence et l’action extérieure, car l’intelligence propose à la volonté son objet, et la volonté elle-même produit l’action extérieure. Ainsi donc on découvre le principe du mouvement de la volonté dans l’intelligence qui perçoit une chose sous son aspect général de bien. Mais le terme ou l’achèvement de l’acte volontaire est considéré selon la relation à l’opération, par laquelle on tend à prendre possession de la chose ; car le mouvement de la volonté va de l’âme aux choses. C’est pourquoi il n’y a acte parfait de volonté que si l’action se présente comme un bien. Or celui-ci est possible. Et c’est pourquoi le volontaire achevé ne peut concerner que le possible, qui est un bien pour celui qui veut. Mais une volonté inachevée, que certains appellent velléité, se rattache à l’impossible : on voudrait cela, si c’était possible. Mais le choix désigne un acte de volonté déjà déterminé par rapport à ce que l’on doit faire. Et c’est pourquoi il ne peut en aucune façon se porter à autre chose qu’à du possible.

2. Il faut juger de l’objet de la volonté d’après la façon dont il est perçu, puisque cet objet est le bien appréhendé par l’intelligence. Par conséquent, de même qu’il peut y avoir vouloir d’une chose appréhendée comme bonne, alors qu’elle ne l’est pas réellement, ainsi peut-il y avoir choix d’une chose qui est vue comme possible, et qui pourtant ne l’est pas.

3. S. Benoît parle ainsi parce qu’il ne revient pas au subordonné de juger si une chose est possible ; mais il doit s’en remettre chaque fois au jugement de son supérieur.

 

            Article 6 — L’homme choisit-il de façon nécessaire, ou librement ?

Objections :

1. Il semble que l’homme choisisse de façon nécessaire. La fin est à l’objet du choix ce que le principe est aux conclusions, dit Aristote. Mais les conclusions sont déduites nécessairement des principes. C’est donc nécessairement qu’à partir des conclusions quelqu’un est porté à choisir.

2. Le choix, nous l’avons dit, découle d’un jugement de la raison sur ce qu’il faut faire. Or, par suite de la nécessité des prémisses, la raison juge parfois de façon nécessaire. Il semble donc que le choix lui aussi suive nécessairement.

3. Placé devant deux biens absolument égaux, un homme ne se portera pas plus vers l’un que vers l’autre ; ainsi un affamé qui serait mis en présence de deux nourritures également appétissantes et placées en deux endroits pareillement éloignés de lui, ne sera pas porté davantage vers l’une que vers l’autre, comme le remarque Platon qui entend par là donner la raison de l’immobilité de la Terre au centre du monde. A plus forte raison ne pourra-t-on choisir ce qui apparaîtra moins bon. Donc, face à deux ou plusieurs biens dont l’un apparaît plus grand, il n’est pas possible qu’on en choisisse un autre. Donc, de façon nécessaire, on choisit ce qui paraît l’emporter. Or le choix concerne toujours ce qui semble de quelque façon meilleur. Donc tout choix est accompli par nécessité.

En sens contraire, le choix est l’acte d’une puissance rationnelle ; or une telle puissance est pour Aristote relative aux opposés.

Réponse :

L’homme ne choisit pas de façon nécessaire. Et cela parce que, quand il est possible qu’une chose ne soit pas, son existence n’est pas nécessaire. Or, qu’il soit possible de choisir ou de ne pas choisir, cela se trouve expliqué par le double pouvoir que possède l’homme. Il peut en effet vouloir et ne pas vouloir, agir et ne pas agir ; et il peut également vouloir ceci ou cela, faire une chose ou une autre. Cela tient au pouvoir même de la raison. Tout ce que celle-ci peut appréhender comme bon, la volonté peut y tendre. Or la raison peut appréhender comme bon non seulement de vouloir ou d’agir, mais encore de ne pas vouloir et de ne pas agir. Au surplus, dans tous les biens particuliers, elle peut considérer ce qui leur vaut d’être bon ou ce qui leur manque de bien, ce qui a raison de mal ; à ce point de vue elle peut appréhender chacun de ces biens ou comme digne de choix, ou comme appelant la fuite. Seul le bien parfait, la béatitude, ne peut être appréhendé par la raison sous la raison de mal ou d’un défaut quelconque. C’est pourquoi l’homme veut nécessairement la béatitude et ne peut vouloir être malheureux ou misérable. Mais nous avons vu que le choix concerne les moyens et non la fin ; il ne peut donc avoir pour objet le bien parfait ou la béatitude, mais seulement les biens particuliers. Voilà pourquoi l’homme ne choisit pas de façon nécessaire, mais librement.

Solutions :

1. Une conclusion ne découle pas toujours nécessairement des principes, mais seulement au cas où les principes ne peuvent être vrais si la conclusion ne l’est pas. De même, il n’est pas toujours nécessaire que le vouloir d’une fin entraîne le choix des moyens, soit parce que tous les moyens ne sont pas tels que sans eux la fin ne puisse être atteinte, soit, s’ils le sont, qu’on ne les considère pas toujours sous cet angle.

2. En matière d’action, la sentence ou jugement de la raison se rapporte à des réalités contingentes qui sont en notre pouvoir ; les conclusions ne découlent pas alors nécessairement de principes nécessaires d’une nécessité absolue, mais seulement de principes nécessaires sous condition, comme lorsqu’on dit : “ S’il court, il se meut. ”

3. Rien n’empêche, quand deux choses sont proposées comme égales sous un certain point de vue, qu’on ne puisse à propos de l’une d’elles s’arrêter à quelque condition qui la fasse paraître meilleure, et qu’ainsi la volonté incline plutôt vers cette chose que vers l’autre.

 

QUESTION 14 — LA DÉLIBÉRATION QUI PRÉCÈDE LE CHOIX

1. La délibération est-elle une enquête ? - 2. A-t-elle pour objet la fin, ou seulement les moyens ? - 3. Ne porte-t-elle que sur les actions accomplies par nous ? - 4. Porte-t-elle sur toutes nos actions ? - 5. Procède-t-elle par voie d’analyse ? - 6. Procède-t-elle à l’infini ?

 

            Article 1 — La délibération est-elle une enquête ?

Objections Il semble que non. S. Jean Damascène a dit en effet : “ Le conseil (ou délibération) est un appétit. ” Mais un appétit n’a pas à enquêter. Donc la délibération n’est pas une enquête.

2. C’est à l’intelligence discursive qu’il appartient de faire des enquêtes ; ainsi Dieu, dont la connaissance n’est pas discursive (on l’a vu dans la première Partiel), n’enquête pas. Cependant on lui attribue le conseil ou délibération, car S. Paul affirme (Ep 1, 11) : “ Il fait toutes choses selon le conseil de sa volonté. ” La délibération n’est donc pas une enquête.

3. Une enquête porte sur ce qui est douteux, alors qu’on donne un conseil à propos de biens certains, selon cette autre parole de l’Apôtre (1 Co 7, 25) : “ En ce qui concerne les vierges, je n’ai pas de préceptes du Seigneur, mais je vous donne un conseil. ” La délibération n’est donc pas une enquête.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse nous dit : “ Tout conseil est une question, mais toute question n’est pas une délibération. ”

Réponse :

Dans l’ordre de l’action, nous l’avons vu, le choix fait suite à un jugement de la raison. Mais dans l’ordre de l’action règne une grande incertitude, car nos actions ont rapport aux singuliers contingents qui, en raison de leur variabilité, sont incertains. Or, en matière douteuse et incertaine, la raison ne prononce pas de jugement sans délibération et enquête préalable. C’est pourquoi une enquête de la raison est nécessaire avant le jugement sur ce qu’il faudra choisir, et cette enquête est appelée conseil, ou délibération. C’est pourquoi le Philosophe dit que “ le choix est le désir de ce dont on a d’abord délibéré ”.

Solutions :

1. Quand les actes de deux puissances sont ordonnés l’un à l’autre, on retrouve en chacun la marque de l’autre puissance ; ainsi est-il possible de les désigner tous les deux d’après le nom de chaque puissance. Or il est clair qu’il existe une ordination réciproque entre l’acte de la raisons qui préside à la recherche des moyens, et l’acte de la volonté qui tend vers les moyens sous la direction de la raison. Il s’ensuit que dans l’acte de volonté qu’est le choix on trouve un élément rationnel, l’ordre ; et pareillement dans la délibération, acte de la raison, apparaît un élément volontaire, qui joue le rôle de matière de la délibération, puisque celle-ci porte sur ce que l’homme se propose de faire ; et il est comme un moteur puisque c’est en raison du vouloir d’une fin qu’on s’applique à délibérer sur les moyens. C’est pourquoi Aristote dit que “ le choix est une intelligence qui désire ” pour montrer que ces deux éléments concourent au choix, et le Damascène dit que “ la délibération est un désir qui enquête ” pour montrer que d’une certaine manière la délibération se rapporte et à la volonté, objet et matière de l’enquête, et à la raison qui cherche.

2. Ce que nous disons de Dieu, nous devons le lui attribuer sans aucun des défauts qui se trouvent en nous. Ainsi, la science est en nous l’effet d’une démarche discursive qui va de la cause aux effets ; mais en Dieu la science signifie une connaissance certaine de tous les effets dans la cause première, sans aucun cheminement discursif Pareillement, le conseil ou délibération est attribué à Dieu quant à la certitude de la sentence ou jugement qui résulte en nous de l’enquête du conseil. Mais une telle enquête ne trouve pas place en Dieu ; sous ce rapport on ne peut donc parler en lui de conseil. De là ce mot du Damascène disant que “ Dieu ne tient pas conseil, parce que c’est là le fait d’un ignorant ”.

3. Rien n’empêche que certaines choses soient des biens absolument certains selon le jugement des sages et des hommes spirituels alors qu’elles ne le sont pas selon le jugement du plus grand nombre et des hommes charnels. C’est pourquoi en pareille matière on donne des conseils.

 

            Article 2 — La délibération a-t-elle pour objet la fin, ou seulement les moyens ?

Objections :

1. Il semble que la délibération ne concerne pas seulement les moyens, mais aussi la fin. Car tout ce qui comporte un doute peut faire l’objet d’une enquête. Or, quand il s’agit d’œuvres humaines, le doute peut porter non seulement sur les moyens mais encore sur la fin. Donc, puisque l’enquête sur ce qu’on peut faire est une délibération, il apparaît que celle-ci peut porter sur la fin.

2. La matière de la délibération, ce sont les activités humaines ; or quelques-unes sont des fins, comme le remarque Aristote ; il est donc possible qu’il y ait délibération à propos d’une fin.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse affirme : “Le conseil ne porte pas sur la fin mais seulement sur les moyens.”

Réponse :

Dans les actions humaines la fin a raison de principe, car les motifs qui justifient les moyens sont tirés de la fin. Or on ne met pas un principe en question, mais en toute enquête il faut partir des principes. Il s’ensuit que la délibération, qui est une enquête, ne porte pas sur la fin mais seulement sur les moyens. Toutefois il arrive qu’une réalité qui, dans un ordre donné, a valeur de fin, soit elle-même subordonnée à une autre fin, comme le principe d’une démonstration peut être la conclusion d’une autre. C’est pourquoi ce qui, dans une enquête donnée, joue le rôle de fin peut, dans une autre enquête, devenir un moyen, et par là même l’objet d’une délibération.

Solutions :

1. Ce qui est pris comme fin est déjà déterminé. Aussi, tant qu’il y a doute à son sujet, on ne le considère pas comme fin. De la sorte, si cela devient l’objet d’une délibération, ce ne sera pas à titre de fin mais de moyen.

2. Quand des activités humaines sont l’objet d’un conseil, c’est en leur qualité de moyens. Si l’une d’elles est une fin, elle ne peut, en tant que telle, être l’objet d’une délibération.

 

            Article 3 — La délibération ne porte-t-elle que sur les actions accomplies par nous ?

Objections :

1. Il semble bien que la délibération ne porte pas seulement sur ce que nous faisons. Un conseil en effet implique une certaine mise en commun. Mais on peut aussi discuter à plusieurs sur des réalités immuables qui échappent à notre action, par exemple sur la nature des choses. La délibération ne porte donc pas seulement sur ce que nous faisons.

2. Des hommes tiennent parfois conseil sur ce qui est statué par la loi, d’où le nom de jurisconsultes qu’on leur donne. Ce n’est cependant pas eux qui font les lois. La délibération n’a donc pas seulement pour matière ce qui est fait par nous.

3. On dit aussi que certains donnent des consultations sur des événements futurs, qui ne sont pourtant pas en notre pouvoir. La délibération ne concerne donc pas seulement ce que nous faisons.

4. S’il n’y avait délibération que sur ce que nous faisons nous-mêmes, personne ne tiendrait conseil sur ce qui doit être fait par d’autres ; or cela est manifestement faux. Il n’y a donc pas délibération seulement sur ce que nous faisons nous-mêmes.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse dit : “ Nous tenons conseil sur ce qui se fait en nous et qui peut être fait par nous. ”

Réponse :

La délibération ou conseil implique, au sens propre, une mise en commun entre plusieurs personnes. Le nom même le dit. Consilium (conseil) est un mot voisin de considium : réunion de gens qui “ siègent ” pour délibérer ensemble. Il faut remarquer qu’en matière particulière et contingente, pour connaître quelque chose avec certitude, il faut envisager des conditions ou des circonstances multiples qu’il n’est pas facile à un seul individu de considérer ; mais elles sont connues plus sûrement par plusieurs, du fait que l’un aperçoit ce qui échappe à l’autre. Au contraire, en matière universelle et nécessaire, la démarche de la pensée est plus absolue et plus simple, de telle sorte qu’en principe un seul peut davantage y suffire. C’est pourquoi l’enquête du conseil a son domaine propre dans les contingents singuliers. Or, la connaissance de la vérité en ce domaine ne présente pas une valeur telle qu’elle soit désirable pour elle-même comme la connaissance des choses universelles et nécessaires, mais on la désire dans la mesure où elle est utile à l’action qui précisément concerne les contingents singuliers. Ainsi la délibération a-t-elle proprement pour objet ce qui est fait par nous.

Solutions :

1. La délibération n’est pas une mise en commun quelconque, mais celle qui porte sur ce qu’il faut faire.

2. Ce qui est statué par la loi, bien que n’étant pas l’œuvre de celui qui tient conseil, n’en dirige pas moins son action, car une des raisons de faire quelque chose est justement la prescription légale.

3. La délibération n’a pas seulement pour objet nos actes mais tout ce qui s’y réfère ; c’est pourquoi on va consulter au sujet des événements futurs, en tant que leur connaissance nous dirige quand il s’agit de faire ou d’éviter quelque chose.

4. Si nous délibérons sur ce que font les autres, c’est pour autant qu’ils ne font qu’un avec nous, soit par l’affection - ainsi un ami s’intéresse-t-il aux affaires de son ami comme aux siennes propres - soit à titre d’instrument, l’agent principal et l’instrument étant comme une seule cause, du fait que l’un agit par l’intermédiaire de l’autre ; c’est ainsi que le maître tient conseil sur ce qui doit être fait par son serviteur.

 

            Article 4 — La délibération porte-t-elle sur toutes nos actions ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Le choix, nous l’avons dit, est “ le désir de ce dont on a d’abord délibéré ”. Mais le choix s’étend à tout ce que nous faisons, donc également la délibération.

2. La délibération comporte une enquête de la raison. Or, en tout ce que nous faisons sans avoir été entraînés par la passion, nous commençons par une telle enquête. Il y a donc délibération en tout ce que nous faisons.

3. “ Si une chose, note Aristote, peut être réalisée par plusieurs moyens, on cherche par délibération lequel est le plus aisé et le meilleur ; s’il n’y en a qu’un seul, on se demande comment le mettre en œuvre. ” Or tout se fait ainsi par un ou plusieurs moyens. Donc la délibération s’étend à tout ce que nous faisons.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse affirme : “ Il n’y a pas conseil pour ce qui se fait selon les normes d’une science ou d’un art. ”

Réponse :

La délibération, nous l’avons vu, est une sorte d’enquête. Or on a coutume de s’enquérir de ce qui est douteux ; c’est pourquoi la raison qui recherche et qu’on appelle argument est ce qui persuade au sujet d’une chose douteuse. Mais qu’il n’y ait pas de doute dans les entreprises humaines peut tenir à deux motifs : ou bien on prend des voies déterminées pour parvenir à des fins également déterminées, comme dans les arts qui ont des méthodes fixées ; par exemple un copiste ne délibère pas sur la façon de tracer des lettres, car c’est déterminé par son art. Ou bien il est peu important qu’on agisse de telle ou telle manière, ce qui est le cas des choses infimes qui n’apportent qu’une aide ou un obstacle minime à la réalisation d’une fin ; la raison compte en effet pour rien ce qui est peu de chose. Ainsi, dit Aristote, il existe deux sortes de choses dont nous ne délibérons pas, encore qu’elles soient ordonnées à une fin : les petites choses et celles dont le mode de réalisation est déterminé, comme il arrive dans les œuvres des arts, dit Grégoire de Nysse, hormis ceux qui, laissent place à des conjectures comme la médecine, le négoce, etc.

Solutions :

1. Le choix présuppose la délibération en raison du jugement ou sentence qu’il implique. Aussi, quand le jugement ou sentence est évident sans enquête, il n’y a pas besoin de délibération.

2. Dans les cas manifestes, la raison n’enquête pas et juge de façon immédiate ; il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait délibération pour tout ce que fait la raison.

3. Quand il n’y a qu’un moyen de faire une chose mais plusieurs manières de procéder, on peut hésiter, comme dans le cas de plusieurs moyens, et donc il faut une délibération. Celle-ci au contraire est inutile si, non seulement le moyen, mais aussi son mode se trouve déterminé.

 

            Article 5 — La délibération procède-t-elle par voie d’analyse ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. La délibération se rapporte en effet à ce que nous faisons. Or nos actes procèdent moins par mode d’analyse que de façon synthétique, c’est-à-dire en allant des éléments simples aux réalités complexes. Donc la délibération ne procède pas toujours analytiquement.

2. La délibération est une enquête de la raison. Or la raison, selon l’ordre qui paraît le plus logique, va de ce qui est antérieur à ce qui est postérieur. Donc, puisque ce qui est passé est antérieur à ce qui est présent, et ce qui est présent antérieur à ce qui est futur, il semble que dans la délibération on doit ainsi procéder de ce qui est présent et passé à ce qui est futur, mais ce n’est pas l’ordre analytique. Donc ce n’est pas l’ordre qu’on observe dans la délibération.

3. La délibération ne prend pour objet que ce qui est possible pour nous, remarque Aristote. Mais qu’une chose soit possible ou non, cela se juge d’après ce qu’effectivement nous pouvons ou ne pouvons pas faire pour la réaliser. Dans l’enquête du conseil, il faut donc commencer par les réalités présentes.

En sens contraire, Aristote affirme : “ Celui qui tient conseil semble chercher et analyser. ”

Réponse :

En toute enquête il faut partir d’un principe. Si celui-ci, étant antérieur dans l’ordre de la connaissance, l’est aussi dans l’ordre de l’être, le procédé ne sera pas analytique mais plutôt synthétique ; aller des causes aux effets est une démarche de cet ordre, car les causes sont plus simples que les effets. Au contraire, si ce qui est antérieur dans l’ordre de la connaissance est postérieur dans celui de l’être, on a un procédé analytique, comme lorsque nous jugeons d’effets manifestes en les réduisant à leurs causes simples. Or, dans l’enquête de la délibération, c’est la fin qui joue le rôle de principe, et, toute première qu’elle soit dans l’intention, elle est dernière dans l’exécution. Pour cette raison, l’enquête de la délibération doit procéder analytiquement, en partant de ce qu’on veut atteindre dans le futur pour en venir à ce qu’il convient de faire présentement.

Solutions :

1. La délibération porte bien sur nos actes. Mais le motif de ceux-ci vient de la fin. C’est pourquoi l’ordre du raisonnement relatif à nos actes est contraire à l’ordre de l’action elle-même.

2. La raison part de ce qui est premier selon la raison, mais non pas toujours de ce qui est premier dans le temps.

3. Nous ne nous demanderions pas si un moyen d’atteindre une fin est possible, dans le cas où il ne conviendrait pas pour cette fin. C’est pourquoi, avant de nous demander s’il est possible, il faut chercher s’il est propre à nous conduire à la fin.

 

            Article 6 — La délibération procède-t-elle à l’infini ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car la délibération consiste dans une enquête relative aux choses particulières qui sont le domaine de l’action. Or les singuliers sont en nombre infini. L’enquête de la délibération est donc infinie.

2. Cette enquête n’a pas seulement pour objet ce qu’il faut faire, mais encore la manière d’écarter les obstacles. Or toute action humaine peut être empêchée, et l’obstacle peut être écarté par quelque raison. C’est donc à l’infini qu’il y a lieu de s’enquérir des obstacles à écarter.

3. Dans l’enquête d’une science rigoureusement démonstrative on ne procède pas à l’infini, parce qu’on aboutit à des principes connus par euxmêmes, qui engendrent une certitude absolue. Mais une telle certitude ne se rencontre pas en matière de singuliers contingents qui sont changeants et incertains. Donc l’enquête du choix procède à l’infini.

En sens contraire, d’après Aristote, “ nul ne se met en mouvement vers un terme qu’il lui est impossible d’atteindre ”. Mais il est impossible de traverser un espace infini. Donc, si l’enquête de la délibération était infinie, personne ne commencerait à délibérer, ce qui est évidemment faux.

Réponse :

L’enquête de la délibération est finie en acte dans les deux sens : du côté du principe et du côté du terme. Car dans cette enquête on utilise deux types de principes. L’un est propre, appartenant à l’ordre de l’action ; c’est la fin, dont on ne délibère pas mais que le conseil suppose, nous l’avons dit. L’autre est en quelque sorte emprunté à un autre ordre, comme cela se fait dans les sciences démonstratives où une science prend comme postulat des éléments d’une autre science, sans les discuter. Les principes de ce dernier genre sont, dans l’enquête de la délibération, les données des sens, par exemple que ceci est du pain ou du fer ; ou encore les vérités universelles connues par une science spéculative ou pratique, par exemple que l’adultère est défendu par Dieu, ou que l’homme ne peut vivre sans une nourriture appropriée. De tout cela il n’y a pas lieu de délibérer.

Quant au terme de la délibération, il est constitué par ce qu’il est en notre pouvoir de faire immédiatement. De même en effet que la fin a raison de principe, le moyen en vue de la fin a raison de conclusion. En sorte que c’est bien ce qui s’offre à nous comme devant être accompli tout d’abord qui constitue l’ultime conclusion à quoi se termine l’enquête.

Rien n’empêche d’ailleurs que la délibération soit en puissance un processus infini, pour autant que des objets de délibération peuvent se présenter à l’infini.

Solutions :

1. Les singuliers ne sont pas infinis en acte mais seulement en puissance.

2. Bien qu’une action humaine puisse être empêchée, elle n’a pas toujours un empêchement en face d’elle. Il n’est donc pas toujours nécessaire de s’enquérir des obstacles à écarter.

3. En matière singulière et contingente on peut considérer une chose comme certaine, sinon de façon absolue, du moins dans sa condition actuelle, selon qu’elle est engagée dans l’action. Ainsi il n’est pas nécessaire que Socrate soit assis, mais s’il est assis il l’est nécessairement. D’une telle chose on peut avoir la certitude.

 

QUESTION 15 — LE CONSENTEMENT, ACTE DE LA VOLONTÉ À L’ÉGARD DES MOYENS

1. Le consentement est-il l’acte d’une puissance appétitive ou cognitive ? - 2. Convient-il aux bêtes ? - 3. Porte-t-il sur la fin ou sur les moyens ? - 4. Le consentement à l’acte appartient-il seulement à la partie supérieure de l’âme ?

 

            Article 1 — Le consentement est-il l’acte d’une puissance appétitive ou cognitive ?

Objections :

1. Il semble que le consentement ne concerne que la partie connaissante de l’âme. Car S. Augustin a l’attribue à la raison supérieure, puissance cognitive.

2. “ Consentir ” équivaut à “ sentir en même temps ”. Mais sentir est un acte d’une faculté cognitive ; donc également consentir.

3. Comme assentir, consentir signifie l’application de l’intelligence à un certain objet. Mais assentir se rapporte à l’intelligence qui est une puissance de connaître ; donc pareillement consentir.

En sens contraire, S. Jean Damascène affirme que “ si quelqu’un juge sans aimer, il n’y a pas de sentence ”, c’est-à-dire de consentement. Mais aimer est un acte de l’appétit ; donc aussi consentir.

Réponse :

Consentir implique l’application d’un sens à un objet. Or connaître les choses présentes est le propre des sens, car l’imagination perçoit l’image des corps même en leur absence ; et l’intelligence considère les raisons universelles indépendamment du fait que les choses dont elles sont les similitudes sont présentes ou absentes. Et puisque l’acte de la puissance appétitive est une certaine inclination vers la chose elle-même selon une certaine ressemblance, l’application de cette puissance à cette chose qui la fait y adhérer, reçoit elle-même par analogie le nom de sens comme si, du fait qu’elle se complaît en elle, la puissance acquérait une certaine expérience de cette chose. D’où cette parole du livre de la Sagesse (1, 1 Vg) : “ Expérimentez le Seigneur dans l’amour. ” En ce sens consentir est un acte qui relève de l’appétit.

Solutions :

1. La volonté, pour Aristote, est dans la raison. Ainsi, lorsque S. Augustin attribue le consentement à la raison, il prend la raison dans le sens où elle inclut la volonté.

2. Sentir au sens propre est affaire de connaissance. Mais selon une certaine similitude au plan de l’expérience, cet acte se rapporte à l’appétit, comme on vient de le dire.

3. “ Assentir ” - sentir relativement à autre chose - implique une certaine distance de l’objet ; au contraire consentir - sentir simultanément suppose une certaine union avec lui. C’est pourquoi la volonté, qui par nature tend vers la réalité elle-même, sera dite plutôt consentir. En revanche, l’opération de l’intelligence n’est pas un mouvement vers la chose. C’est plutôt l’inverse, comme nous l’avons dit dans la première Partie, C’est pourquoi on parle plutôt d’assentiment pour l’intelligence ; cependant l’usage permet d’employer un mot pour l’autre. On peut dire aussi que l’intelligence assentit en tant qu’elle est mue par la volonté.

 

            Article 2 — Le consentement convient-il aux bêtes ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. En effet le consentement suppose que l’appétit est déterminé à une seule chose ; or c’est ce qui a lieu chez les bêtes. Donc on trouve chez elles du consentement.

2. Si l’on supprime l’antécédent, on supprime le conséquent. Or le consentement précède l’exécution de I’œuvre. S’il n’y avait pas de consentement chez les bêtes, il n’y aurait pas non plus d’œuvre exécutée, ce qui est évidemment faux.

3. On estime que les hommes consentent parfois à agir sous l’influence d’une passion, convoitise ou colère par exemple ; mais c’est aussi le cas des animaux sans raison. Donc le consentement leur convient.

En sens contraire, S. Jean Damascène, remarque : “ Après le jugement, l’homme arrête et aime ce qu’il a décidé en conseil, c’est-à-dire la sentence. ” Mais il n’y a pas de conseil chez les bêtes, ni par conséquent de consentement.

Réponse :

A proprement parler, le consentement n’existe pas chez les bêtes. La raison en est que le consentement comporte l’application du mouvement de l’appétit à une action. Or cela appartient à celui qui est maître de ce mouvement. Ainsi toucher une pierre est le fait du bâton, mais faire toucher la pierre par le bâton revient à celui qui peut mouvoir le bâton. Or les bêtes n’ont pas la maîtrise des mouvements appétitifs qui, chez elles, dépendent de l’instinct naturel. Elles peuvent donc bien avoir des mouvements de l’appétit, mais elles ne les appliquent pas elles-mêmes a un objet. Voilà pourquoi on ne dit pas proprement qu’elles consentent, on le dit seulement de la nature raisonnable qui a en son pouvoir le mouvement de l’appétit et peut l’appliquer ou ne pas l’appliquer à ceci ou à cela.

Solutions :

1. On trouve chez les bêtes une détermination de l’appétit à pâtir ; mais le consentement implique une détermination de l’appétit non seulement à pâtir, mais plus encore à agir.

2. Si l’on supprime l’antécédent, on supprime le conséquent dans le cas où celui-ci découle exclusivement de celui-là. Mais si le conséquent pouvait être consécutif à plusieurs facteurs, il ne serait pas supprimé du fait qu’un seul des antécédents le serait. Si par exemple le durcissement d’un corps peut être provoqué et par la chaleur et par le froid - les briques en effet durcissent par l’action du feu, et l’eau qui gèle durcit par le froid - il n’est pas forcé que, la chaleur étant supprimée, le durcissement le soit. L’exécution d’une œuvre peut avoir pour cause non seulement le consentement mais encore un mouvement impulsif de l’appétit, tel qu’il y en a chez les bêtes.

3. Les hommes qui agissent sous l’effet d’une passion ont le pouvoir d’y résister, ce qui n’est pas vrai des bêtes. La comparaison est donc boiteuse.

 

            Article 3 — Le consentement porte-t-il sur la fin ou sur les moyens ?

Objections :

1. Il semble que le consentement porte sur la fin. Car en toute chose ce pourquoi on agit est ce qu’il y a de plus fort. Or nous consentons aux moyens à cause de la fin ; nous consentons donc davantage à celle-ci.

2. L’acte de l’intempérant est sa fin, comme l’acte du vertueux est la sienne ; or l’intempérant consent à l’acte qui lui est propre ; c’est donc que le consentement peut porter sur la fin.

3. Le mouvement de l’appétit qui correspond aux moyens est le choix, nous l’avons dit. Donc, si le consentement ne portait que sur les moyens, il ne différerait en rien du choix. Mais cela est évidemment faux car, selon S. Jean Damascène “ après la disposition (qu’il avait appelée sentence) il y a le choix ”. Le consentement ne se rapporte donc pas seulement aux moyens.

En sens contraire, S. Jean Damascène déclare au même endroit : “ Il y a sentence ” - c’est-à-dire consentement - “ quand quelqu’un arrête et aime ce qu’il a décidé après délibération ” ; mais la délibération ou conseil concerne uniquement les moyens, donc aussi le consentement.

Réponse :

Le consentement désigne l’application du mouvement de l’appétit à quelque chose qui préexiste, application faite par celui qui en a le pouvoir. Or, dans l’ordre de l’action, il faut d’abord connaître la fin ; puis vient l’appétit de la fin ; ensuite la délibération qui regarde les moyens ; enfin le désir de ceux-ci. L’appétit tend naturellement vers la fin ultime, de sorte que l’application du mouvement de la volonté vers la fin appréhendée n’est pas un consentement, mais un simple vouloir. Ce qui vient après, si on le considère comme ordonné à la fin, est du domaine de la délibération et peut devenir ainsi objet de consentement, en tant que le mouvement de l’appétit est appliqué à ce qui a été jugé en vertu de la délibération. (Le mouvement de l’appétit vers la fin, au contraire, n’est pas appliqué à la délibération, c’est plutôt la délibération qui se rapporte à lui parce qu’elle présuppose le désir de la fin. Mais le désir des moyens présuppose la détermination du conseil.) Le consentement consiste donc, à proprement parler, dans l’application du mouvement de l’appétit à ce qui a été déterminé par la délibération et, comme celle-ci ne concerne que les moyens, le consentement lui aussi, à proprement parler, ne se rapporte qu’à eux.

Solutions :

1. De même que nous connaissons les conclusions par les principes et que de ceux-ci cependant il n’y a pas science, mais quelque chose de plus élevé : l’intelligence, de même nous consentons aux moyens en vue de la fin pour laquelle il n’y a pas consentement mais quelque chose de plus grand : la volonté.

2. C’est pour le plaisir qui résulte de son acte plutôt que pour l’acte lui-même que l’intempérant donne son consentement à ce dernier.

3. Le choix ajoute au consentement un certain rapport à celui des moyens qui a été choisi de préférence ; c’est pourquoi il y a encore place pour le choix après le consentement. Il peut arriver en effet que la délibération découvre plusieurs moyens propres à conduire à une fin ; du moment que chacun plaît, il y a consentement pour chacun ; mais en choisissant nous donnons notre préférence à l’un d’eux seulement. Mais si un seul moyen plaît, consentement et choix ne sont pas alors deux actes distincts réellement, mais seulement pour la raison : en tant qu’on décide de l’accomplir, il est appelé consentement ; en tant qu’il marque une préférence par rapport à ce qui ne plaît pas, il est appelé choix.

 

            Article 4 — Le consentement à l’acte appartient-il seulement à la partie supérieure de l’âme ?

Objections :

1. Il semble bien que non. Aristote dit en effet “ La délectation découle de l’acte et le parfait, comme la grâce est naturelle à la jeunesse. ” Or, selon S. Augustin, le fait de consentir à la délectation appartient à la raison inférieure. Donc le consentement à l’acte ne se trouve pas seulement dans la partie supérieure de l’âme.

2. On donne le nom de volontaire à l’action consentie. Mais il appartient à plusieurs puissances de produire des actes volontaires. Donc la raison supérieure n’est pas seule à consentir à l’acte.

3. “ La raison supérieure, dit S. Augustin, tend vers les choses éternelles pour les contempler et se régler sur elles. ” Or il arrive très souvent que l’homme consente à agir non pour des raisons éternelles mais pour des motifs temporels, ou même pour satisfaire certaines passions. Le consentement à l’acte ne se trouve donc pas seulement dans la raison supérieure.

En sens contraire, S. Augustin affirme également : “ Il n’est pas possible que l’esprit se décide efficacement à accomplir un péché si cette intention de l’esprit, qui a le pouvoir souverain de mouvoir les membres ou de les retenir, ne cède pas à l’attrait d’une action mauvaise et ne s’en fait pas l’esclave. ”

Réponse :

La sentence finale appartient toujours au supérieur, à celui qui est chargé de juger les autres ; car, aussi longtemps que ce que l’on propose n’est pas jugé, on ne donne pas encore la sentence finale. Or il est évident que c’est la raison supérieure qui doit juger toutes choses ; en effet nous jugeons les choses sensibles par la raison ; quant à celles qui relèvent des raisons humaines, nous en jugeons par les raisons divines, lesquelles appartiennent à la raison supérieure. C’est pourquoi, tant qu’on se demande, au regard des raisons divines, si l’on doit résister ou non, aucun jugement de la raison n’a le caractère d’une sentence définitive. Or une telle sentence en matière d’action est le consentement à l’acte ; celui-ci relève donc de la raison supérieure, mais selon la volonté qui est incluse dans la raison, comme on l’a dit plus haut.

Solutions :

1. Le consentement à la délectation d’une œuvre appartient à la raison supérieure au même titre que le consentement à 1’œuvre ; tandis que le consentement à la délectation d’une réflexion appartient à la raison inférieure, comme fi lui appartient de réfléchir. Cependant, si l’on envisage comme une certaine action le fait de réfléchir ou de ne pas le faire, le jugement relève de la raison supérieure ainsi que la délectation qui en résulte. Mais le fait même de réfléchir ou non, considéré comme ordonné à une autre action, ressortit à la raison inférieure, car ce qui est ainsi ordonné à autre chose ressortit à un art ou à une puissance inférieurs à la fin à laquelle c’est ordonné ; aussi appelle-t-on architectonique, ou principal, l’art qui concerne la fin.

2. Du fait que nos actions sont appelées volontaires parce que nous y consentons, il ne suit pas que le consentement appartienne à n’importe quelle puissance, mais qu’il appartient à la volonté d’où procède le volontaire, et celle-ci est dans la raison, comme nous l’avons dit.

3. On dit que la raison supérieure consent non seulement parce qu’elle meut toujours à l’action selon les raisons éternelles, mais encore parce qu’elle ne marque pas de désaccord selon ces mêmes raisons.

 

QUESTION 16 — L’USAGE, QUI EST L’ACTE DE LA VOLONTÉ RELATIVEMENT AUX MOYENS

1. L’usage est-il un acte de la volonté ? - 2. Convient-il aux bêtes ? - 3. Porte-t-il sur les moyens seulement, ou aussi sur la fin ? - 4. Quel rapport y a-t-il entre l’usage et le choix ?

 

            Article 1 — L’usage est-il un acte de la volonté ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Car, pour S. Augustin, “ user c’est référer ce dont on a l’usage à autre chose que l’on veut obtenir ”. Mais référer une chose à une autre relève de la raison, dont le propre est précisément de comparer et d’ordonner. L’usage n’est donc pas un acte de la volonté mais de la raison.

2. Le Damascène dit : “ L’homme se jette dans l’action et l’on appelle cela l’élan, puis il use et

l’on parle d’usage. ” Mais l’action est le fait de la puissance d’exécution ; or l’acte de la volonté ne peut faire suite à l’acte de cette puissance d’exécution, car celle-ci vient en dernier ; l’usage n’est donc pas un acte de volonté.

3. “ Tout ce qui a été créé, déclare S. Augustin, l’a été pour l’usage de l’homme, parce que la raison use de toutes choses en jugeant ce qui a été donné à l’homme. ” Mais juger ainsi des choses créées par Dieu relève de la raison spéculative ; or celle-ci apparaît totalement séparée de la volonté, principe des actes humains. L’usage n’est donc pas un acte de la volonté.

En sens contraire, S. Augustin dit aussi “ Faire usage d’une chose, c’est s’en emparer au gré de sa volonté. ”

Réponse :

L’usage d’une chose comporte l’application de cette chose à une opération ; par suite on appelle l’opération elle-même l’usage de cette chose : ainsi faire de l’équitation c’est user d’un cheval, battre c’est user d’un bâton. Or nous appliquons à nos opérations soit nos principes intérieurs d’action, c’est-à-dire les puissances de l’âme ou les membres du corps - par exemple l’intelligence pour comprendre, l’œil pour voir soit aussi les choses extérieures comme le bâton pour battre. Toutefois nous n’utilisons ces choses extérieures pour nos opérations que par l’intermédiaire des principes intérieurs, c’est-à-dire des puissances de l’âme ou de leurs habitus, ou encore des organes qui sont membres du corps. Mais, comme nous avons montrée qu’il revient à la volonté de déterminer les puissances de l’âme à l’action, autrement dit de les appliquer à leurs opérations, il est manifeste que l’usage convient d’abord et comme à son principe à la volonté comme au premier moteur, à la raison comme à la puissance dirigeante ; mais l’usage s’empare des autres puissances à titre d’agents d’exécution, puisque les rapports de ces puissances avec la volonté qui les détermine à agir sont ceux d’un instrument avec l’agent principal. Et comme ce n’est pas à l’instrument mais à l’agent principal que l’action est attribuée (construire est attribué au maçon et non à ses outils), il apparaît clairement que l’usage est proprement un acte de la volonté.

Solutions :

1. Sans doute est-ce la raison qui rapporte une chose à une autre mais c’est la volonté qui tend vers la chose ainsi mise en relation. En ce sens on peut dire que l’usage consiste à rapporter une chose à une autre.

2. S. Jean Damascène parle ici de l’usage en tant qu’il appartient aux puissances d’exécution.

3. Même la raison spéculative est appliquée à son activité d’intellection ou de jugement par la volonté. Et c’est pourquoi l’on peu dire que l’usage revient à l’intellect spéculatif, comme aux autres puissances d’exécution, en tant qu’il est mû par la volonté, comme les autres puissances d’exécution.

 

            Article 2 — L’usage convient-il aux bêtes ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car la jouissance est quelque chose de plus noble que l’usage. S. Augustin dit en effet : “ Nous usons de ce que nous rapportons à d’autres choses dont il y a lieu de jouir. ” Mais, comme nous l’avons vu, la jouissance existe chez les animaux. Donc à plus forte raison l’usage.

2. Appliquer ses membres à agir, c’est en faire usage. Mais c’est ce que font les animaux, par exemple lorsqu’ils se servent de leur pattes pour marcher ; l’usage leur convient donc.

En sens contraire, S. Augustin affirme : “ Nul ne peut user, sinon l’animal raisonnable. ”

Réponse :

Comme nous l’avons dit, user, c’est appliquer à une action un certain principe d’action, de même que consentir consiste à appliquer le mouvement de l’appétit à désirer quelque chose. Or, appliquer une chose appartient seulement à celui qui en est maître, c’est-à-dire à celui qui sait référer une chose à une autre, ce qui est œuvre de raison. C’est pourquoi l’animal raisonnable seul consent et use.

Solutions :

1. La jouissance comporte un mouvement absolu de l’appétit vers son objet, tandis que Pusage ne comporte un mouvement de l’appétit vers une chose que par rapport à une autre. Donc, si l’on compare ces deux actes quant à leurs objets, jouir apparaît plus noble qu’user, car ce qui est désirable absolument est meilleur que ce qui ne l’est que par rapport à un autre. Mais si on les compare du point de vue de la puissance de connaître qui précède, l’usage requiert une plus grande noblesse, car ordonner une chose à une autre appartient à la raison tandis que le sens lui-même est capable d’appréhender l’objet de façon absolue.

2. Les animaux agissent par leurs membres en vertu d’une impulsion de nature, et non parce qu’ils connaissent la relation de leurs membres à ces opérations. Aussi ne dit-on pas, à proprement parler, qu’ils appliquent leurs membres à agir, ni qu’ils en ont l’usage.

 

            Article 3 — L’usage porte-t-il sur les moyens seulement, ou aussi sur la fin ?

Objections :

1. Il semble qu’il puisse y avoir usage même de la fin ultime, car selon S. Augustin : “ Celui qui jouit d’une chose en use. ” Or on jouit de la fin ultime. Donc on en use.

2. Il dit au même endroit : “ Faire usage d’une chose, c’est s’en emparer au gré de sa volonté. ” Or il n’y a rien dont la volonté s’empare autant que de la fin ultime ; il peut donc y avoir usage de celle-ci.

3. S. Hilaire dit : “ L’éternité est dans le Père, la similitude dans l’Image, c’est-à-dire dans le Fils, et l’usage dans le Don, autrement dit le Saint-Esprit. ” Mais étant Dieu, le Saint-Esprit est notre fin dernière.

En sens contraire, S. Augustin déclare “ Personne ne peut user de Dieu légitimement. ” Mais Dieu seul est la fin ultime ; on ne peut donc user de celle-ci.

Réponse :

User, avons-nous dit, comporte l’application d’une chose à une autre. Mais ceci implique la notion de moyen, et c’est pourquoi l’usage est toujours relatif aux moyens. C’est la raison pour laquelle on appelle utile ce qui est adapté à une fin, l’utilité étant elle-même nommée parfois usages.

Mais la fin ultime peut avoir une double signification suivant qu’on la considère absolument, ou dans son rapport à telle personne. Comme la fin, nous l’avons déjà vu, peut désigner soit la réalité elle-même soit la possession de cette réalité - ainsi pour un avare la fin est l’argent ou la possession de l’argent -, il est manifeste qu’à parler absolument, la fin ultime est la réalité elle-même ; car la possession de l’argent ne peut être bonne que parce que celui-ci est bon. Mais du point de vue de la personne intéressée, c’est la possession de l’argent qui constitue la fin ultime ; l’avare ne recherche l’argent que pour le posséder. Donc, à parler proprement et absolument, un homme jouit de l’argent, car il a mis sa fin ultime en lui ; mais en tant qu’il rapporte cet argent à la possession elle-même, il faut dire qu’il en use.

Solutions :

1. S. Augustin parle ici de l’usage de façon générale, au sens où il implique un ordre de la fin à la jouissance qu’elle comporte et qu’on cherche en elle.

2. La volonté assume la fin pour s’y reposer ; ainsi le repos dans la fin, qui est la jouissance, est-il de ce point de vue appelé usage de la fin. Mais la volonté assume les moyens, non seulement en vue de l’usage qu’on peut en faire, mais par rapport à une autre réalité dans laquelle la volonté trouve son repos.

3. S. Hilaire identifie l’usage avec le repos dans la fin ultime de la même façon que l’on dit en langage courant qu’on use de la fin pour l’obtenir, comme nous l’avons dit . Aussi S. Augustin remarque-t-il que “ cette détermination, cette félicité ou béatitude, S. Hilaire les appelle usage ”.

 

            Article 4 — Quel rapport y a-t-il entre l’usage et le choix ?

Objections :

1. Il semble que l’usage précède le choix, car après le choix il n’y a plus que l’exécution ; il précède donc également le choix.

2. L’absolu est antérieur au relatif. Donc le moins relatif précède ce qui l’est davantage. Or le choix comporte deux relations : l’une du moyen choisi à la fin, et l’autre de ce moyen à un autre moyen auquel il a été préféré. Or, l’usage comporte la seule relation à la fin ; il a donc priorité sur le choix.

3. La volonté use des autres puissances en tant qu’elle les meut. Mais, nous l’avons vuo, elle se meut aussi elle-même en s’appliquant à agir. Or c’est ce qu’elle fait lorsqu’elle consent. Le consentement contient donc l’usage et, puisqu’il précède le choix, comme nous l’avons dits, il faut en dire autant de l’usage.

En sens contraire, selon S. Jean Damascène “ après le choix, la volonté s’élance dans l’action et ensuite vient l’usage ”. L’usage fait donc suite au choix.

Réponse :

La volonté peut avoir une double relation avec l’objet voulu. L’une selon que cet objet est en quelque sorte présent en elle, du fait d’une certaine proportion ou ordre de la faculté à l’objet voulu. C’est pourquoi l’on dit des choses naturellement proportionnées à leur fin qu’elles en ont le désir par nature. Mais posséder ainsi une fin, c’est la posséder d’une façon imparfaite. Or, tout ce qui est imparfait tend à la perfection. Et c’est pourquoi, aussi bien l’appétit naturel que l’appétit volontaire tendent à la possession réelle de leur fin, qui est sa possession parfaite. Telle est la seconde relation de la volonté à l’objet voulu.

Mais cet objet voulu n’est pas seulement la fin, il est aussi le moyen. Or, à l’égard du moyen l’acte ultime touchant la première relation de la volonté est le choix, car c’est en lui que s’achève l’adaptation de la volonté, en ce qu’elle veut complètement le moyen. Mais l’usage se rapporte déjà à la seconde relation de la volonté, par laquelle celle-ci tend à prendre effectivement possession de la chose. Il apparaît donc clairement que l’usage fait suite au choix, si du moins on entend par usage le fait pour la volonté d’user de sa puissance d’exécution en la mettant en mouvement. Mais, comme la volonté d’une certaine façon meut aussi la raison et use d’elle, on peut comprendre l’usage des moyens selon qu’il se réalise dans la considération de la raison qui les ordonne à la fin ; en ce sens l’usage précède le choix.

Solutions :

1. La motion de la volonté qui pousse à exécuter une œuvre précède l’exécution ellemême, mais elle suit le choix. Ainsi, puisque l’usage se rapporte à cette motion, il occupe une position intermédiaire entre le choix et l’exécution.

2. Ce qui est relatif par essence est postérieur à ce qui est absolu ; mais il n’en va pas de même du sujet auquel sont attribuées des relations ; au contraire, plus une cause est élevée, plus elle a de relations avec un grand nombre d’effets.

3. Le choix précède l’usage, si tous deux ont rapport à un même objet. Mais rien n’empêche que l’usage d’une chose précède le choix d’une autre. Et parce que les actes de volonté réfléchissent sur eux-mêmes, on peut trouver en chacun d’eux et le consentement et le choix et l’usage ; par exemple si l’on dit que la volonté consent à choisir et consent à consentir, et use de soi pour consentir et choisir. Dans tous les cas ce seront les actes ordonnés à ce qui est antérieur qui seront eux-mêmes antérieurs.

Il nous faut maintenant étudier les actes commandés par la volonté (actes impérés).

 

QUESTION 17 — LES ACTES COMMANDÉS PAR LA VOLONTÉ

1. Le commandement est-il un acte de la volonté ou bien de la raison ? - 2. Appartient-il aux bêtes ? - 3. Quel est son rapport avec l’usage ? - 4. Le commandement et l’acte commandé sont-ils un seul acte, ou des actes différents ? - 5. L’acte de la volonté est-il commandé ? - 6. L’acte de la raison ? - 7. L’acte de l’appétit sensible ? - 8. L’acte de l’âme végétative ? - 9. L’acte des membres extérieurs ?

 

            Article 1 — Le commandement est-il un acte de la volonté ou bien de la raison ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas un acte de la raison, mais de la volonté. Car commander est une façon de mouvoir. Avicenne dit en effet qu’il y a quatre sortes de moteurs : “ Celui qui perfectionne, celui qui dispose, celui qui commande, celui qui conseille. ” Or c’est à la volonté qu’il appartient de mouvoir les autres puissances, comme on l’a dit. Commander est donc un acte de la volonté.

2. De même qu’être commandé appartient à ce qui est en état de sujétion, faire acte de commandement semble appartenir à ce qui est le plus libre. Or la racine de la liberté est surtout dans la volonté. C’est donc à la volonté de commander.

3. Le commandement est aussitôt suivi de l’acte. Or ce n’est pas ce qui arrive pour l’acte de la raison ; car celui qui juge devoir faire quelque chose ne passe pas aussitôt à l’exécution. Commander n’est donc pas un acte de la raison, mais de la volonté.

En sens contraire, Grégoire de Nysse et aussi Aristote disent que “ l’appétit obéit à la raison ”. C’est donc à la raison qu’il revient de commander.

Réponse :

Le commandement est un acte de la raison, mais auquel est présuppose un acte de la volonté. Pour s’en convaincre, il faut considérer que les actes de la volonté et de la raison peuvent réagir l’un sur l’autre, la raison en raisonnant sur le vouloir, la volonté en voulant raisonner. Il arrive ainsi que l’acte de la volonté soit devancé par celui de la raison, et réciproquement. Et parce que le dynamisme du premier acte persiste dans l’acte suivant, il arrive parfois qu’il y ait un acte de la volonté dans lequel persiste par son dynamisme quelque chose de l’acte de la raison, comme nous l’avons dit au sujet de 1’usage et du choix ; et réciproquement, il y a un acte de la raison dans lequel persiste par son dynamisme quelque chose de l’acte de la volonté.

Or, commander est essentiellement un acte de la raison. Car celui qui commande “ ordonne ” le sujet de son commandement à faire une certaine action qu’il lui révèle et lui signifie. Or une telle ordination est I’œuvre de la raison. Mais la raison peut révéler et signifier de deux façons. La première est donnée dans l’absolu, et cette révélation s’exprime par le verbe à l’indicatif, par exemple si l’on dit à quelqu’un : “ Voilà ce que tu dois faire. ” Mais parfois la raison communique son ordre à quelqu’un en le poussant à agir, et cela s’exprime par un verbe à l’impératif, comme lorsque l’on dit à quelqu’un : “ Fais cela. ”

Or, parmi les facultés de l’âme, le premier moteur à l’exercice de l’acte est la volonté, nous l’avons dit. Donc, puisque le moteur second ne meut qu’en vertu du premier, il s’ensuit que la motion exercée par la raison lorsqu’elle commande, lui vient du dynamisme de la volonté. Cela nous oblige à conclure que commander est un acte de la raison, qui présuppose un acte de la volonté, en vertu duquel la raison meut par son commandement à l’exercice de l’acte.

Solutions :

1. Commander n’est pas mouvoir n’importe comment, mais sous la forme d’une intimation qui indique à un autre ce qu’il faut faire ; cela vient de la raison.

2. La racine de la liberté est la volonté à titre de sujet, mais à titre de cause, c’est la raison. Car si la volonté peut se porter librement vers les objets divers, c’est parce que la raison peut concevoir le bien de diverses façons. C’est pourquoi les philosophes définissent la liberté : “ un jugement libre de la raison ”, comme si la raison était cause de liberté.

3. Cet argument prouve bien que le commandement n’est pas simplement un acte de la raison mais un acte qui suppose une certaine motion, nous venons de le dire.

 

            Article 2 — Le commandement appartient-il aux bêtes ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Avicenne soutient en effet que “ la force qui commande le mouvement réside dans l’appétit, et celle qui exécute, dans les muscles et les nerfs ”. Mais ces deux forces appartiennent aux bêtes. Donc on trouve chez elles le commandement.

2. Etre commandé appartient à la notion d’esclave. Or, dit Aristote, le corps peut être comparé à l’âme comme l’esclave à son maître. L’âme exerce donc sur lui son commandement, même chez les bêtes qui sont composées d’un corps et d’une âme.

3. Par le commandement l’homme s’élance dans l’action. Mais cet élan vers l’action se rencontre aussi chez les bêtes, remarque le Damascène. On trouve donc aussi chez elles le commandement.

En sens contraire, le commandement, on vient de le démontrer, est un acte de la raison. Or, il n’y a pas de raison chez les bêtes. Il n’y a donc pas non plus de commandement.

Réponse :

Commander n’est pas autre chose qu’ordonner quelqu’un à une certaine action avec motion impérative. Mais ordonner est l’acte propre de la raison. Il est donc impossible que les animaux dépourvus de raison puissent commander.

Solutions :

1. On dit que la puissance appétitive commande le mouvement en tant qu’elle meut la raison qui commande. Mais cela n’a lieu que chez l’homme. Chez les bêtes, la puissance appétitive ne commande pas impérativement, à moins qu’on n’entende commander au sens large de mouvoir.

2. Chez les bêtes le corps a bien de quoi obéir, mais l’âme n’a pas de quoi commander, car elle n’est pas capable d’ordonner ; il n’y a donc pas ici d’être qui commande et d’être qui soit commandé, mais seulement moteur et mobile.

3. Les bêtes et l’homme n’ont pas la même façon de se lancer dans l’action. Les hommes le font par une ordination de la raison ; la poussée qui est en eux a ainsi raison de commandement. Les bêtes le font en vertu d’une impulsion naturelle : leur appétit, dès qu’elles ont connaissance de ce qui leur convient ou non, est naturellement porté à le rechercher ou à le fuir. C’est donc par un autre et non par elles-mêmes qu’elles sont ordonnées à l’action ; elles ont l’élan mais non le commandement.

 

            Article 3 — Quel est le rapport du commandement avec l’usage ?

Objections :

1. Il semble que l’usage précède le commandement. Celui-ci, nous venons de le voir, est un acte de la raison qui présuppose un acte de la volonté. Or l’usage, nous le savons, est un acte de la volonté. Donc il précède le commandement.

2. Le commandement figure parmi les moyens ordonnés à une fin. Mais l’usage concerne les moyens. Donc il semble que l’usage précède le commandement.

3. Tout acte d’une puissance mue par la volonté est appelé usage, car cette faculté use des autres puissances, comme on l’a dit. Or, on l’a dit également, le commandement est un acte de la raison en tant qu’elle est mue par la volonté ; il est donc un certain usage. Mais ce qui est commun est antérieur à ce qui est particulier. L’usage précède donc le commandement.

En sens contraire, S. Jean Damascène affirme que l’élan vers l’acte précède l’usage. Mais cet élan résulte du commandement. Donc celui-ci a priorité sur l’usage.

Réponse :

L’usage des moyens, si on l’entend de la démarche de la raison rapportant les moyens à leur fin, précède le choix, nous l’avons dit, et à plus forte raison le commandement. Mais si l’on veut parler de l’usage des moyens qui est subordonné à la puissance d’exécution, un tel usage suit le commandement, car l’usage de celui qui use est lié à l’acte de l’instrument qu’on utilise ; car on n’use pas d’un bâton avant d’avoir agi par lui. Mais le commandement ne coïncide pas avec l’acte de celui à qui l’on commande, il lui est antérieur par nature et parfois aussi selon le temps. Il est donc clair que le commandement précède l’usage.

Solutions :

1. Ce n’est pas n’importe quel acte de la volonté qui précède cet acte de la raison qu’est le commandement ; de fait, il y en a un qui le précède, le choix, et un autre qui le suit, l’usage. En effet après la détermination du conseil, qui est un jugement de la raison, la volonté fait son choix, puis la raison commande à qui doit réaliser ce qui a été choisi. enfin la volonté se met à user, en exécutant le commandement de la raison : c’est tantôt la volonté d’un autre, si le commandement s’adresse à un autre, et tantôt la volonté de celui-là même qui commande, dans le cas où l’on se commande à soi-même.

2. Comme les actes sont antérieurs aux puissances, ainsi les objets sont-ils antérieurs aux actes. Or les moyens sont l’objet de l’usage. Du fait que le commandement, lui, est relatif à la fin, il faut conclure qu’il est antérieur à l’usage, plutôt que l’inverse.

3. De même que l’acte de la volonté qui use de la raison pour commander précède le commandement lui-même, ainsi peut-on dire pareillement qu’un certain commandement de la raison précède cet usage de la volonté ; cela tient à ce que les actes de ces facultés se répercutent réciproquement les uns sur les autres.

 

            Article 4 — Le commandement et l’acte commandé sont-ils un seul acte, ou des actes différents ?

Objections :

1. Il semble que ce ne soit pas un seul acte. A des puissances différentes correspondent en effet des actes différents. Mais l’acte commandé et le commandement ne viennent pas de la même puissance, car ce n’est pas la même puissance qui commande et qui obéit ; on ne saurait donc les identifier.

2. Des choses qui peuvent être séparées l’une de l’autre sont diverses, car rien n’est séparé de soi-même. Or le commandement et l’acte commandé sont séparables, par exemple lorsque le commandement n’est pas suivi de l’acte commandé. Donc le commandement est un autre acte que l’acte commandé.

3. Là où il y a avant et après, il y a diversité. Or le commandement précède par nature l’acte commandé. Donc ce sont des actes divers.

En sens contraire, Aristote nous avertit que “ là où une chose est en raison d’une autre, il n’y en a qu’une en réalité ” ; or c’est bien le cas de l’acte commandé qui a sa raison d’être dans le commandement. Donc ils ne font qu’un.

Réponse :

Rien n’empêche que des choses soient multiples sous un point de vue, et ne fassent qu’un sous un autre point de vue. Bien plus, toutes les choses multiples ne font qu’un sous un certain point de vue, selon Denys. Toutefois, il faut bien faire la différence entre ce qui est multiple absolument et un relativement, et à l’inverse entre ce qui est un absolument et multiple relativement. En ce dernier cas, il en va de l’un comme de l’être. Or l’être envisagé absolument est substance, tandis que s’il est envisagé de façon relative, il n’est qu’accident ou même être de raison. C’est pourquoi tout ce qui est un substantiellement est absolument un, et relativement multiple. Par exemple un tout substantiel composé de ses parties intégrales ou essentielles est absolument un ; car ce tout est être et substance absolument, alors que ses parties ne sont être et substance que dans le tout. Au contraire, des êtres substantiellement différents et un accidentellement sont divers absolument et un relativement ; ainsi une multitude d’hommes constitue-t-elle un seul peuple, et un grand nombre de pierres un seul tas, l’unité étant alors une unité de composition et d’ordre. Pareillement un grand nombre d’individus, qui ne font qu’un sous le rapport du genre et de l’espèce, sont multiples absolument et un relativement, car l’unité générique ou spécifique est une unité de raison.

Or, de même que dans la nature il existe un tout composé de matière et de forme, par exemple l’homme composé d’une âme et d’un corps, qui ne constitue qu’un seul être naturel malgré la multiplicité de ses parties, ainsi, dans les actes humains, l’acte d’une puissance inférieure se comporte comme une matière par rapport à l’acte d’une puissance supérieure, en tant que la partie inférieure agit sous l’influence de la puissance supérieure qui la meut ; c’est aussi de cette manière que l’acte d’une cause principale se comporte comme une forme à l’égard de l’acte d’un instrument. Il est donc clair que commandement et acte commandé ne font qu’un acte humain, à la manière d’un tout qui comme tel est un, bien que multiple en raison de ses parties.

Solutions :

1. Si des puissances différentes ne sont pas subordonnées entre elles, leurs actes sont purement et simplement différents ; mais quand une puissance est motrice d’une autre, les actes correspondants ne font qu’un d’une certaine manière, car, dit Aristote, “ l’acte du moteur et celui du mobile ne font qu’un ”.

2. Du fait que commandement et acte commandé sont séparables l’un de l’autre, il résulte qu’ils sont multiples au titre des parties, comme les parties de l’être humain peuvent être séparées, bien qu’elles soient unifiées dans le tout.

3. Rien n’empêche dans les êtres qui sont multiples en raison de leurs parties, et un en raison du tout, qu’il y ait priorité d’une partie sur l’autre, comme l’âme a une certaine priorité sur le corps, et le cœur sur les autres membres.

 

            Article 5 — L’acte de la volonté est-il commandé ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. “ L’esprit, dit S. Augustin, commande à l’esprit de vouloir, et cependant celui-ci ne le fait pas. ” Or vouloir es un acte de la volonté. Donc l’acte de la volont n’est pas commandé.

2. Il ne convient d’être commandé qu’à celui qui comprend le commandement. Or ce n’est pas le cas de la volonté, car elle diffère de l’intelligence à laquelle il revient en propre de comprendre. L’acte de la volonté ne peut donc être commandé.

3. S’il y a un seul acte de la volonté qui soi commandé, tous le seront au même titre. Mais alors on ira à l’infini car, on l’a vu, l’acte de la raison qui commande est précédé par un acte de volonté ; mais si à son tour cet acte de volonté est commandé, il y aura un autre acte de raison qui le précédera, et ainsi de suite à l’infini. Or il est inadmissible de procéder à l’infini. L’acte de la volonté n’est donc pas commandé.

En sens contraire, tout ce qui est en notre pouvoir est soumis à notre commandement. Mais les actes de la volonté sont plus que tous en notre pouvoir ; car tous nos actes sont en notre pouvoir dans la mesure où ils sont volontaires. Les actes de volonté tombent donc sous le commandement.

Réponse :

Le commandement, avons-nous dit, n’est pas autre chose qu’un acte de la raison ordonnant quelque chose à une action, avec une certaine impulsion. Or, il est clair que cette ordination de la raison peut porter sur l’acte de la volonté ; de même en effet que cette faculté peut juger qu’il est bon de vouloir quelque chose, de même elle peut ordonner de façon impérative qu’on veuille effectivement. Cela montre bien que l’acte de la volonté peut être commandé.

Solutions :

1. Quand l’esprit se commande à lui-même de vouloir parfaitement, remarque au même endroit S. Augustin, alors il veut aussitôt. S’il arrive qu’il commande et ne veuille pas, c’est qu’il n’a pas commandé parfaitement. Cette imperfection du commandement se produit lorsque la raison poussée de divers côtés ne sait si elle doit commander ou non. Alors elle hésite entre les deux, et commande imparfaitement.

2. De même que dans le corps chacun des membres agit non pour lui seul mais pour le corps tout entier - comme l’œil voit pour tout le corps - ainsi en va-t-il des puissances de l’âme. L’intelligence en effet comprend, et la volonté veut, non chacune pour soi seule, mais pour le compte de toutes les puissances. Et c’est pourquoi l’homme se commande à lui-même un acte de volonté, en tant qu’il est un être intelligent et volontaire.

3. Le commandement étant un acte de la raison, seuls sont commandés les actes soumis à la raison. Or le premier acte de la volonté ne résulte pas d’une ordination de la raison, mais d’une impulsion naturelle ou d’une cause supérieure, nous l’avons dit. Il n’y a donc pas lieu ici de procéder à l’infini.

 

            Article 6 — L’acte de la raison peut-il être commandé ?

Objections :

1. C’est impossible. Car il semble contradictoire de commander quelque chose à soi-même. Or, nous l’avons vu, c’est la raison qui commande. Donc son acte n’est pas commandé.

2. Ce qui est par essence diffère de ce qui est par participation. Or la puissance dont l’acte est commandé par la raison, est raison par participation, dit Aristote. L’acte de la puissance qui est raison par essence ne peut donc être commandé.

3. Nous ne commandons que les actes qui sont en notre pouvoir. Or il n’est pas toujours en notre pouvoir de connaître le vrai ou d’en juger, ce qui est un acte de la raison ; l’acte de cette faculté ne peut donc être commandé.

En sens contraire, ce que nous faisons par notre libre arbitre, nous pouvons le commander. Or l’acte de la raison est dans ce cas ; S. Jean Damascène dit en effet : “ C’est librement que l’homme cherche, scrute, juge et dispose. ” Donc les actes de la raison peuvent être commandés.

Réponse :

Du fait qu’elle réfléchit sur elle-même, la raison peut ordonner son propre acte, comme elle ordonne les actes des autres puissances ; c’est pourquoi son acte aussi peut être commandé.

Mais il faut prendre garde ici qu’un acte de la raison peut être envisagé de deux façons. D’abord au point de vue de son exercice. Sous ce rapport l’acte de raison peut toujours être commandé, par exemple lorsqu’on invite quelqu’un à faire attention et à user de sa raison. Ensuite, au point de vue de son objet, et à cet égard deux actes de la raison doivent être envisagés. Le premier consiste à saisir de façon simple la vérité. Et cela n’est pas en notre pouvoir, car cela se produit par la vertu d’une certaine lumière naturelle ou surnaturelle. C’est pourquoi, de ce point de vue, l’acte de la raison n’est pas en notre pouvoir et ne peut être commandé. Il y a un autre acte de la raison qui est de donner son assentiment aux choses qu’elle appréhende. Si ce sont des vérités telles que l’intelligence y adhère naturellement, comme les premiers principes, l’assentiment que nous donnons ou refusons n’est pas en notre pouvoir, il dépend de l’ordre naturel et alors, à proprement parler, il échappe à notre commandement. Mais il y a des vérités saisies par nous qui ne convainquent pas l’esprit au point qu’il peut donner ou refuser son assentiment, ou tout au moins suspendre son jugement pour un motif quelconque. Dans ce dernier cas l’assentiment ou le désaccord sont en notre pouvoir et tombent sous notre commandement.

Solutions :

1. La raison se commande alors à elle-même comme la volonté se meut elle-même, nous l’avons dit plus haut ; cela tient à ce que chacune de ces puissances réfléchit sur son acte, allant de l’un à l’autre.

2. A cause de la diversité des objets qui sont soumis à l’acte de la raison, rien n’empêche celle-ci de participer d’elle-même ; c’est ainsi que la connaissance des conclusions participe de la connaissance des principes.

3. La réponse à cette objection ressort de ce qu’on a dit.

 

            Article 7 — L’acte de l’appétit sensible peut-il être commandé ?

Objections :

1. Il semble que non. L’Apôtre dit en effet (Rm 7, 15) : “ je ne fais pas le bien que je veux ”, c’est-à-dire, explique la Glose, que l’homme veut ne pas convoiter, et cependant il convoite. Mais convoiter est un acte de l’appétit sensible. Donc son acte échappe à notre commandement.

2. Nous avons vu dans la première Partie que, dans ses mutations de formes, la matière corporelle obéit à Dieu seul. Or les actes de l’appétit sensible comportent certaines mutations corporelles de ce genre, selon la chaleur ou le froid. Ces actes ne sont donc pas soumis au commandement de l’homme.

3. Le moteur propre de l’appétit sensible c’est ce qu’appréhendent le sens ou l’imagination. Mais une telle appréhension n’est pas toujours en notre pouvoir. Donc l’acte de l’appétit sensible n’est pas soumis au commandement de notre raison.

En sens contraire, Grégoire de Nysse a dit “ Ce qui obéit à la raison se divise en deux pouvoirs, le concupiscible et l’irascible ”, qui appartiennent à l’appétit sensible. L’acte de cet appétit est donc soumis au commandement de la raison.

Réponse :

Un acte est soumis à notre commandement dans la mesure où il est en notre pouvoir, avons-nous dit. Dès lors, pour comprendre la façon dont les actes de l’appétit sensible sont soumis aux ordres de la raison, il nous faut considérer de quelle façon ils sont en notre pouvoir.

Il faut savoir qu’à la différence de l’appétit intellectif ou volonté, l’appétit sensitif est une vertu liée à un organe corporel. Or les actes d’une vertu utilisant un organe corporel ne dépendent pas seulement de la puissance de l’âme, mais aussi de la disposition de l’organe ; la vision par exemple dépend à la fois de la puissance visuelle et de la qualité de I’œil qui la facilite ou l’empêche. Aussi l’acte de l’appétit sensible ne dépend pas seulement de la puissance de l’âme, mais aussi de la disposition du corps. Or ce qui vient de la puissance de l’âme est consécutif à une appréhension. Celle de l’imagination, étant particulière, est réglée par l’appréhension de la raison, qui est universelle, ainsi qu’une faculté active particulière réglée par une faculté active universelle. C’est pourquoi, de ce côté, l’acte de l’appétit sensible est soumis au commandement de la raison. Mais la qualité ou la disposition du corps n’y est pas soumise. C’est pourquoi, de ce côté, il y a empêchement à ce que les mouvements sensitifs soient totalement soumis au commandement de la raison.

Il peut arriver aussi que le mouvement de l’appétit sensible se déclenche subitement sous l’impression d’une image ou d’une sensation ; ce mouvement échappe alors au commandement de la raison bien que celle-ci, si elle l’eût prévu, eût pu l’empêcher. D’où la parole d’Aristote : “ A l’égard du concupiscible et de l’irascible, la raison n’exerce pas le pouvoir despotique ”, celui du maître sur l’esclave, “ mais un pouvoir politique ”, celui qui s’adresse aux hommes libres non totalement soumis au commandements.

Solutions :

1. Le fait que l’homme, tout en ayant la volonté de résister aux convoitises, leur cède cependant, tient aux dispositions du corps qui empêchent l’appétit sensible d’être totalement soumis aux ordres de la raison ; aussi l’Apôtre ajoute-t-il (Rm 7, 23) : “ J’aperçois dans mes membres une autre loi qui lutte contre celle de mon esprit. ” Cela peut également tenir aux mouvements subits de concupiscence dont nous venons de parler.

2. Une qualité corporelle peut avoir une double relation avec l’acte de l’appétit sensible. Ou elle le précède, comme chez celui qui est prédisposé corporellement à telle ou telle passion. Ou elle le suit, par exemple lorsque quelqu’un s’échauffe sous le coup de la colère. La qualité qui précède échappe au contrôle de la raison, car elle vient ou bien de la nature, ou bien d’une motion antérieure qui ne peut être arrêtée aussitôt. Mais une qualité postérieure à l’acte de l’appétit sensible suit le commandement de la raison parce qu’elle est en dépendance du mouvement local du cœur qui se meut diversement suivant les divers actes de l’appétit sensible.

3. Comme nos sensations supposent la présence d’un objet extérieur, il n’est en notre pouvoir de percevoir quelque chose par nos sens que si un tel objet est effectivement présent, ce qui ne dépend pas toujours de nous. Cette condition réalisée, nous pouvons utiliser nos sens comme nous l’entendons, sauf empêchement du côté de l’organe. Quant à la perception imaginative, elle est soumise à l’ordination de la raison pour autant que la force ou la débilité de l’imagination le permet. Qu’un homme en effet ne puisse imaginer ce que sa raison considère, cela peut provenir ou de ce qu’il s’agit de choses qu’on ne peut imaginer, telles les réalités incorporelles, ou de ce que son imagination est trop faible, ce qui tient à une mauvaise disposition organique.

 

            Article 8 — L’acte de l’âme végétative est-il commandé ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car les puissances sensibles sont plus nobles que celles de l’âme végétative ; or les premières sont soumises au commandement de la raison, donc bien davantage les secondes.

2. L’homme est appelé un microcosme parce que “ l’âme est dans le corps à la manière dont Dieu est dans le monde ”. Or Dieu est dans le monde en sorte que tout ce qui s’y trouve obéit à son commandement. Donc tout ce qui est dans l’homme obéit au commandement de la raison, même les puissances de l’âme végétative.

3. On ne loue et on ne blâme que les actes soumis au pouvoir de la raison. Or il peut y avoir louange et blâme, vertu et vice au sujet des actes de la puissance de nutrition et de génération, comme c’est manifeste pour la gourmandise, la luxure et les vertus opposées. Donc les actes de ces puissances sont soumis au commandement de la raison.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse affirme : “ Les puissances nutritive et générative n’écoutent pas la raison. ”

Réponse :

Parmi nos actes, certains procèdent de l’appétit naturel et d’autres de l’appétit animal ou intellectuel, car tout agent désire en quelque manière sa fin. Or l’appétit naturel ne suppose pas de connaissance préalable comme l’appétit animal et intellectuel. Mais la raison commande par mode de puissance connaissante. C’est pourquoi les actes qui procèdent de l’appétit intellectuel ou animal peuvent être commandés par la raison, mais non les actes qui procèdent de l’appétit naturel. Car ils sont les actes de l’âme végétative, ce qui faisait dire à S. Grégoire de Nysse que “ l’on appelle naturel ce qui relève des pouvoirs génératif et nutritif ” ; de tels actes ne sont donc pas soumis au commandement de la raison.

Solutions :

1. Plus un acte est immatériel, plus il est noble et plus il est soumis au commandement de la raison. Le fait même que les puissances végétatives n’obéissent pas à la raison montre bien leur infériorité.

2. La similitude n’est ici que relative. L’âme meut le corps comme Dieu meut le monde. Mais pas pour tout, car l’âme n’a pas créé le corps de rien, comme Dieu a créé le monde ; c’est pourquoi celui-ci est totalement soumis à son commandement.

3. Vertu et vice, louange et blâme, ne se rapportent pas ici aux actes mêmes des puissances génératives et nutritives, qui sont la digestion et la formation du corps humain, mais aux actes de la partie sensitive de l’âme qui se réfèrent à ces actes comme le fait de désirer le plaisir de la nourriture ou des actes sexuels, et d’en user comme on le doit, ou non.

 

            Article 9 — Les actes des membres extérieurs sont-ils commandés ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car ces membres sont plus éloignés de la raison que les forces de l’âme végétative ; or celles-ci n’obéissent pas à la raison, on vient de le dire. Donc bien moins encore les membres du corps.

2. C’est dans le cœur que le mouvement animal a son principe. Mais le mouvement du cœur n’est pas soumis au commandement de la raison : “ Son battement n’écoute pas la raison ”, remarque S. Grégoire de Nysse. Donc les mouvements des membres ne sont pas commandés par la raison.

3. S. Augustin écrit que les mouvements des membres génitaux “ se produisent de façon inopportune quand rien ne les a sollicités ; il peut se faire aussi qu’ils déçoivent celui qui brûle de désirs ; alors que l’âme brûle de convoitise, le corps demeure froid ”. Donc les mouvements corporels n’obéissent pas à la raison.

En sens contraire, S. Augustin dit aussi “ L’âme commande à la main de se mouvoir, et elle le fait avec une telle facilité qu’on distingue à peine le commandement de son exécution. ”

Réponse :

Les membres du corps sont comme les organes des puissances de l’âme. Ils obéissent à la raison de la même manière que les puissances de l’âme. Donc, puisque les facultés sensibles sont soumises au pouvoir de la raison mais non les facultés naturelles, il s’ensuit que le mouvement des membres qui dépend des puissances sensibles est lui aussi soumis à la raison, mais que celui qui résulte des puissances naturelles n’est pas soumis à la raison.

Solutions :

1. Les membres ne se meuvent pas eux-mêmes ; ils sont mus par les puissances de l’âme dont certaines sont plus proches de la raison que les forces de l’âme végétative.

2. Dans tout ce qui appartient au domaine de l’intelligence et de la volonté on trouve en premier lieu ce qui est de la nature, d’où tout le reste découle ; ainsi par exemple de la connaissance des principes naturellement connus découle la connaissance des conclusions, et du vouloir de la fin naturellement désirée découle le choix des moyens. De même encore, dans les mouvements. Corporels, le principe est conforme à la nature. Leur principe vient du mouvement du cœur. Aussi le mouvement du cœur est-il naturel et non volontaire. Ce mouvement est consécutif à la vie, laquelle provient de l’union entre l’âme et le corps. Il est comme son accident propre. C’est ainsi que le mouvement des corps lourds et légers fait suite à leur forme substantielle, ce qui fait dire à Aristote qu’ils sont mus par celui qui les a engendrés. Pour cette raison le mouvement du cœur est appelé mouvement vital. Aussi Grégoire de Nysse a-t-il pu affirmer que ce mouvement -qu’il appelle “ pulsatif ” parce qu’il se manifeste dans la pulsation des veines, n’obéit pas plus à la raison que ceux de la génération et de la nutrition.

3. Le fait que le mouvement des membres génitaux n’obéit pas à la raison vient pour S. Augustin de la peine due au péché : l’âme, en raison de sa désobéissance à Dieu, subit la peine de la désobéissance en ce membre surtout par lequel le péché originel est transmis aux descendants.

Mais du fait que, par le péché de nos premiers parents, comme on le dira plus loin, notre nature fut abandonnée à elle-même privée de ce don surnaturel qui avait été conféré par Dieu à l’homme, il y a lieu de rechercher un motif naturel de l’insoumission particulière de ces membres à la raison. Aristote en donne l’explication là où il dit : “ Les mouvements du cœur et des membres génitaux sont involontaires. ” Cela tient à ce que ces membres sont mus à la suite d’une certaine appréhension ; l’intelligence et l’imagination représentent certains objets qui déterminent des mouvements passionnels, lesquels à leur tour amènent les mouvements de ces membres. Toutefois il ne faut pas croire qu’ils sont mus par un ordre de la raison ou de l’intelligence, car pour de tels mouvements une altération naturelle est requise qui n’est pas soumise au commandement de la raison, à savoir le chaud et le froid. Que cela se présente surtout en ces deux membres, cela tient à ce que chacun d’eux est en quelque sorte un animal indépendant, en tant qu’il est un principe de vie et qu’un principe est le tout en puissance. En effet, le cœur est le principe des sens, et la vertu séminale, qui est tout l’animal en puissance, sort des membres génitaux. Donc, comme ces principes doivent être naturels, ainsi qu’on l’a dit, les mouvements propres de ces membres le sont aussi.

LA BONTÉ ET LA MALICE DES ACTES HUMAINS

Nous examinerons d’abord comment une action humaine est bonne ou mauvaise (Q. 18-20). Ensuite, ce qui résulte de cette bonté ou malice, c’est-à-dire le mérite ou le démérite, le péché et la faute (Q. 21).

Sur le premier point, l’étude sera triple : I. La bonté et la malice des actes humains en général (Q. 18). - II. La bonté et la malice des actes intérieurs (Q. 19). - III. La bonté et la malice des actes extérieurs (Q. 20).

 

QUESTION 18 — LA BONTÉ ET LA MALICE DES ACTES HUMAINS EN GÉNÉRAL

1. Toute action est-elle bonne, ou y en a-t-il qui soient mauvaises ? - 2. La bonté ou la malice de l’action humaine lui vient-elle de son objet ? - 3. Vient-elle des circonstances ? - 4. Vient-elle de la fin ? - 5. Y a-t-il des actions humaines qui soient bonnes ou mauvaises selon leur espèce ? - 6. Cette spécification en bien ou en mal vient-elle de la fin ? - 7. L’espèce qui vient de la fin est-elle subordonnée comme à un genre à celle qui vient de l’objet, ou est-ce le contraire ? - 8. Y a-t-il des actes humains indifférents selon leur espèce ? - 9. Y a-t-il des actes humains individuels qui soient indifférents ? - 10. Y a-t-il des circonstances qui puissent rendre un acte moral spécifiquement bon ou mauvais ? - 11. Toute circonstance qui augmente la bonté ou la malice d’un acte moral, le range-t-elle dans une nouvelle espèce de bien ou de mal ?

 

            Article 1 — Tout action humaine est-elle bonne, ou y en a-t-il qui soient mauvaises ?

Objections :

1. Toute action humaine semble bonne. En effet, Denys affirme : “ Le mal n’agit que par la vertu du bien. ” Mais par la vertu du bien il ne se fait rien de mauvais. Donc aucune action n’est mauvaise.

2. Nul être n’agit sinon en tant qu’il est en acte. Or, aucun être n’est mauvais en tant qu’il est en acte ; il est mauvais en tant qu’il n’est qu’en puissance et privé de l’acte ; et il est bon en tant que la puissance est perfectionnée par l’acte, selon Aristote. Donc aucun être n’agit en tant que mauvais, mais seulement en tant que bon. Donc toute action est bonne et il n’y en a aucune de mauvaise.

3. Le mal ne peut être causé que par accident, comme le montre Denys. Mais toute action produit par soi quelque effet. Donc il n’y a aucune action mauvaise, toutes les actions sont bonnes.

En sens contraire, le Seigneur dit, en S. Jean (3, 20) : “ Quiconque agit mal hait la lumière. ” Donc il y a des actions de l’homme qui sont mauvaises.

Réponse :

Il en est du bien et du mal dans les actions comme du bien et du mal dans les êtres, parce que tout être produit une action conforme à sa nature. Or le bien dans les êtres est proportionné à leur être, puisque le bien et l’être sont convertibles entre eux, comme nous l’avons dit dans la première Partie. Or Dieu seul possède la plénitude de son être dans l’unité et la simplicité ; tout autre être possède la plénitude qui lui convient, dans la diversité. De là vient que certains êtres, quoique possédant une certaine mesure d’être, ne possèdent cependant pas la plénitude que demande leur nature. Ainsi, la plénitude de l’être humain requiert qu’il soit composé d’une âme et d’un corps, et qu’il possède toutes les puissances et organes de connaissance et de mouvement réclamés par sa nature ; de sorte qu’un homme à qui il manque quelqu’une de ces choses, ne possède pas la plénitude qui convient à son être. Donc, autant il aura d’être, autant il aura de bonté ; mais en tant qu’il lui manque quelque chose de ce qu’exige la plénitude de son être, il y a en lui défaut de bonté, défaut qui prend le nom de mal ; ainsi un aveugle a cela de bon qu’il vit, mais c’est un mal pour lui d’être privé de la vue. Si une chose, au contraire, ne possédait aucun degré d’être ou de bonté, on ne pourrait lui attribuer ni bien ni mal. Mais parce que la plénitude d’être entre dans la nature du bien, un être auquel il manquera quelque chose de la plénitude qui lui convient, ne sera pas simplement bon ; il ne l’est que dans un certain sens, en tant qu’il est être. Il pourra néanmoins être appelé simplement être, et, dans un certain temps seulement, non-être, comme nous l’avons dit dans la première Partie. Donc toute action aura autant de bonté qu’elle aura d’être ; et autant elle s’éloignera de la plénitude qui convient à l’action humaine, autant elle s’éloignera de la bonté et deviendra mauvaise ; ce qui arrive lorsqu’il lui manque soit la mesure conforme à la raison, ou le bien convenable, ou autre chose semblable.

Solutions :

1. Le mal agit effectivement en vertu d’un bien, mais d’un bien défectueux. Sans bien d’aucune sorte, il ne pourrait y avoir ni être, ni action. S’il n’y avait pas de défaut dans le bien, il n’y aurait pas de mal. L’action ainsi causée n’est donc qu’un bien défectueux ; elle est un bien sous un certain rapport, mais absolument elle est un mal.

2. Rien n’empêche qu’un être soit en acte sous un rapport, et puisse donc agir ; tandis que sous un autre rapport il est privé de l’acte, et ne produit par suite qu’une action défectueuse. Ainsi un aveugle possède en acte la faculté de se mouvoir, en vertu de laquelle il peut marcher ; mais n’ayant pas la vue pour diriger ses pas, sa marche est défectueuse et il ne va qu’à tâtons.

3. Une action mauvaise peut par elle-même produire un effet par ce qu’elle a de bonté et d’être ; ainsi l’adultère cause la génération parce qu’il comporte l’union de l’homme et de la femme, mais non en tant qu’il déroge à l’ordre de la raison.

 

            Article 2 — La bonté ou la malice de l’action humaine lui vient-elle de son objet ?

Objections :

1. Il semble que non. Les êtres sont en effet les objets des actions. Or, le mal, d’après S. Augustin, ne vient pas des êtres, mais de l’usage qu’en font les pécheurs. Donc la bonté ou la malice des actions humaines ne vient pas de leur objet.

2. L’objet tient lieu de matière par rapport à l’action. Or, la bonté d’un être ne vient pas de la matière, mais plutôt de la forme qui en est l’acte. Donc les actions ne tirent pas leur bonté ou leur malice de leur objet.

3. L’objet d’une puissance active est à l’action ce que l’effet est à la cause. Or, la bonté de la cause ne dépend pas de l’effet, mais c’est plutôt le contraire. Donc l’action humaine ne tire pas sa bonté ou sa malice de son objet.

En sens contraire, il est écrit dans Osée (9,10) : “ Ils sont devenus abominables comme les choses qu’ils ont aimées. ” Or, l’homme devient abominable devant Dieu par la malice de ses actes. Donc la malice de ses actes résulte du mal qui est dans les objets de son amour ; et il en est de même de leur bonté.

Réponse :

Ainsi que nous venons de le dire, le bien et le mal dans l’action résultent, comme dans les autres domaines, de la présence ou de l’absence de la plénitude d’être qui lui convient. Or, le premier élément qui semble appartenir à la plénitude d’un être est ce qui lui donne son espèce. Les êtres naturels tirent leur espèce de leur forme, et l’action la reçoit de son objet, de même que le mouvement la reçoit de son terme. C’est pourquoi, de même que la bonté première d’un être naturel provient de la forme qui le spécifie, de même la bonté première d’un acte moral résulte de l’objet qui lui convient ; aussi cette bonté est-elle appelée par certains auteurs bonté générique ; elle consiste, par exemple, à user de ce qu’on possède. Dans l’ordre de la nature, le premier mal consiste en ce que la chose engendrée n’atteint pas sa forme spécifique, lorsque, par exemple, ce n’est pas un homme qui est engendré, mais autre chose à sa place. De même le premier mal dans les actions morales vient-il de leur objet, par exemple prendre le bien d’autrui. C’est le mal qu’on appelle communément générique, en donnant au mot genre le sens du mot espèce, de la même manière que nous donnons à toute l’espèce humaine le nom de genre humain.

Solutions :

1. Quoique les réalités extérieures soient bonnes en elles-mêmes, elles ne sont pas toujours dans une proportion voulue avec telle ou telle action. Aussi, considérées comme objet de ces actions, ne sont-elles pas réputées bonnes.

2. L’objet n’est pas la matière dont l’action est faite, mais la matière que l’action concerne ; et cet objet a, d’une certaine façon, raison de forme, en ce qu’il détermine l’espèce de l’acte.

3. L’objet de l’action de l’homme n’est pas toujours l’objet d’une puissance active. Car la puissance appétitive est passive en quelque manière, en tant qu’elle est mue par son objet désirable, et pourtant elle est le principe des actes humains. De même, les objets des puissances actives ne doivent pas toujours être considérés comme leurs effets, mais seulement lorsqu’ils ont été transformés par elles ; ainsi l’aliment transformé est un effet de la puissance nutritive ; non encore transformé, il n’est que la matière sur laquelle cette puissance s’exerce. Or, du fait que l’objet est, d’une certain manière, l’effet de la puissance active, il suit qu’il est le terme de l’action ; et, par suite, qu’il lui donne sa forme et son espèce, le mouvement étant spécifié par son terme. Et quoique la bonté d’une action ne résulte pas de la bonté de son effet, toutefois on l’appelle bonne parce qu’elle peut produire un effet bon ; et ainsi la proportion de l’action avec son effet est la raison de sa bonté.

 

            Article 3 — La bonté ou la malice des actions humaines leur vient-elle des circonstances ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Les circonstances, a-t-on dit, accompagnent l’acte, tout en existant en dehors de lui. Or, le bien et le mal sont dans les choses elles-mêmes, selon Aristote. Donc l’action ne devient pas bonne ou mauvaise suivant les circonstances.

2. La bonté ou le malice des actes est le sujet principal de la doctrine morale. Or les circonstances, étant des accidents par rapport aux actes, sont en dehors de la considération de l’art, car “ aucun art ne considère ce qui arrive seulement par accident ”, dit Aristote. Donc la bonté ou la malice des actes ne dépend pas des circonstances.

3. Ce qui convient à une chose considérée dans sa substance ne lui est pas attribué par un accident. Or, le bien et le mal conviennent à une action prise dans sa substance, parce que l’action, en son genre, peut être bonne ou mauvaise, comme on vient de le dire. Donc il ne dépend pas des circonstances que les actions soient bonnes ou mauvaises.

En sens contraire, le Philosophe dit que “ l’homme vertueux fait ce qu’il faut, quand il le faut, et dans les circonstances voulues ”. A l’opposé, l’homme vicieux, selon son vice particulier, agit quand il ne faut pas, là où il ne le faut pas. Donc les actions humaines peuvent être bonnes ou mauvaises suivant les circonstances.

Réponse :

La plénitude et la perfection qui conviennent aux êtres naturels ne résultent pas seulement de la forme substantielle qui les spécifie, mais viennent aussi, pour une bonne part, des accidents surajoutés ; ce sera, pour l’homme, par exemple, la figure, la couleur, et autres choses semblables ; et si quelqu’un de ces accidents, requis pour que son état soit convenable, vient à faire défaut, il en résulte un mal. Il en est de même dans l’action. Car la plénitude de bonté qui lui convient ne consiste pas seulement dans son espèce ; elle reçoit un supplément de bonté des accidents qui lui adviennent. Et tel est le cas des circonstances requises. D’où, s’il manque quelqu’une de ces circonstances, l’action sera mauvaise.

Solutions :

1. Les circonstances sont extérieures à l’action en tant qu’elles ne lui sont pas essentielles ; elles sont en elle comme ses accidents. Il en est d’elles comme des accidents des substances naturelles, qui sont eux aussi en dehors de l’essence.

2. Tous les accidents ne sont pas purement accidentels par rapport à leur sujet ; il y en a qui lui sont liés de soi, et ceux-là sont envisagés par l’art. C’est ainsi que la morale considère les circonstances.

3. Puisque le bien est convertible avec l’être, et que l’être peut s’entendre de la substance et de l’accident, le bien est attribué dans ces deux sens aux choses naturelles comme aux actions morales.

 

            Article 4 — La bonté ou la malice de l’action humaine lui vient-elle de la fin ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Selon Denys “ personne n’agit en vue du mal ”. Donc si la fin rendait les actions bonnes ou mauvaises, il n’y en aurait aucune de mauvaise ; ce qui est évidemment faux.

2. La bonté d’un acte lui est intrinsèque. Or la fin est une cause extrinsèque. Donc elle ne peut rendre une action bonne ou mauvaise.

3. Des actions bonnes sont quelquefois rapportées à une fin mauvaise, lorsque, par exemple, on fait l’aumône par vaine gloire. Réciproquement des actions mauvaises sont rapportées à une fin bonne, lorsque, par exemple, on vole pour donner à un pauvre. Donc la fin ne rend pas l’action bonne ou mauvaise.

En sens contraire, Boèce dit : “ Une chose est bonne si la fin en est bonne ”, et mauvaise si la fin est mauvaise.

Réponse :

Il en est de la bonté des êtres comme de leur existence même. Il y en a dont l’existence ne dépend d’aucun autre, et qu’il suffit, par suite, de considérer absolument. Il y en a aussi dont l’existence dépend d’un autre être et donc doit être envisagée dans son rapport avec la cause dont il dépend. Or, de même que l’existence d’une chose dépend de l’agent et de la forme, de même sa bonté dépend de la fin. C’est pourquoi, dans les personnes divines, dont la bonté ne dépend pas d’autrui, cette bonté n’est pas considérée par rapport à une fin. Mais dans les actes humains et les autres êtres qui dépendent de certaines causes, outre la bonté absolue qui est en eux, il faut voir encore la bonté qu’ils empruntent à la fin dont ils dépendent.

Ainsi donc, on peut envisager une quadruple bonté de l’action humaine. D’abord une bonté générique, qui lui convient en tant qu’action, car, nous l’avons dit, elle a autant de bonté qu’elle a d’être. Deuxièmement, une bonté spécifique qui résulte de l’objet approprié. En troisième lieu, une bonté qui résulte des circonstances, qui sont comme les accidents de l’acte. En quatrième lieu, une bonté qui résulte de la fin, comme de son rapport avec la cause de la bonté.

Solutions :

1. Le bien qu’on se propose pour fin n’est pas toujours un vrai bien ; quelquefois il est réel, quelquefois il n’est qu’apparent, et dans ce dernier cas, la fin peut rendre l’action mauvaise.

2. Quoique la fin soit une cause extrinsèque, néanmoins la proportion voulue et le rapport qu’elle a avec l’action sont intrinsèques à l’action même.

3. Rien n’empêche qu’une action, dotée d’une des bontés que nous avons énumérées, manque des autres. En ce sens, il arrive qu’une action bonne dans son espèce ou dans ses circonstances soit rapportée à une fin mauvaise, ou inversement. Néanmoins elle n’est absolument bonne que si ces diverses sortes de bonté concourent à sa perfection, car “ n’importe quel défaut produit le mal, mais le bien ne provient que d’une cause parfaite ”, dit Denys.

 

            Article 5 — Y a-t-il des actions humaines qui soient bonnes ou mauvaises selon leur espèce ?

Objections :

1. Il semble que non. Le bien et le mal des actes sont conformes à ceux des êtres, on l’a dit. Or, dans les êtres, le bien et le mal ne diversifient pas l’espèce ; car un homme bon est de la même espèce qu’un homme mauvais. Donc le bien et le mal ne diversifient pas l’espèce des actes.

2. Le mal, étant une privation, est un non-être. Mais le non-être ne peut constituer une différence, d’après le Philosophe. Donc, puisque la différence constitue l’espèce, il semble qu’un acte ne rentre pas dans une espèce nouvelle du fait qu’il est mauvais. Par suite, le bien et le mal ne diversifient pas l’espèce des actes humains.

3. A des actes spécifiquement divers correspondent des effets divers. Or, un même effet peut résulter de deux actes dont l’un est bon et l’autre mauvais ; ainsi la génération résulte de l’adultère comme du mariage. Donc les actes bons et les actes mauvais ne diffèrent pas quant à l’espèce.

4. Le bien et le mal résultent quelquefois des circonstances. Or la circonstance, étant un accident, ne peut donner à l’acte son espèce. Donc les actes humains ne diffèrent pas en espèce selon leur bonté ou leur malice.

En sens contraire, d’après le Philosophe, “ des habitus semblables produisent des actes semblables ”. Or, les habitus bons et mauvais diffèrent spécifiquement, comme la libéralité et la prodigalité. Donc les actes bons et mauvais diffèrent par leur espèce.

Réponse :

Tout acte, nous l’avons dit, est spécifié par son objet. Il suit de là qu’une certaine diversité dans les objets constitue parmi les actes une diversité d’espèce. Il faut aussi considérer que la différence de l’objet peut faire la différence de l’espèce dans les actes en tant qu’ils sont rapportés à un principe actif, alors que cette différence ne spécifie nullement les actes en tant qu’ils sont rapportés à un autre principe actif. Car l’espèce ne résulte pas d’une relation accidentelle, mais d’une relation essentielle par rapport à un principe actif, et accidentelle par rapport à un autre ; ainsi la connaissance de la couleur et celle du son diffèrent essentiellement par rapport aux sens, et ne diffèrent pas par rapport à l’intellect.

Dans les actes humains, le bien et le mal sont déterminés par le rapport à la raison, parce que, comme dit Denys, le bien de l’homme consiste dans la conformité, et le mal dans la contrariété à l’égard de la raison. En effet, le bien d’un être est ce qui convient à sa forme[4438], et le mal ce qui est en opposition avec elle. Il est donc clair que la différence du bien et du mal considérée dans l’objet entretient un rapport essentiel avec la raison, selon que l’objet convient à celle-ci ou non. Or, nos actes sont appelés humains ou moraux en tant qu’ils sont l’œuvre de la raison. Il en résulte clairement que le bien et le mal diversifient les espèces des actes moraux, puisque les différences essentielles diversifient les espèces.

Solutions :

1. Même dans les êtres naturels les espèces sont diversifiées par le bien et le mal, c’est-à-dire par ce qui est conforme ou contraire à la nature. Un corps mort, en effet, et un corps vivant ne sont pas de la même espèce. De même le bien qui résulte de la conformité à la raison, et le mal qui résulte de la non-conformité, changent l’espèce des actes moraux.

2. Le mal implique une privation, non absolue, mais relative à telle ou telle puissance. Un acte, en effet, est mauvais dans son espèce, non parce qu’il n’a aucun objet, mais parce qu’il a un objet contraire à la raison, comme, par exemple, prendre le bien d’autrui. D’où il suit que l’objet, étant une réalité positive, peut constituer l’espèce qu’est l’acte mauvais.

3. L’acte conjugal et l’adultère, par rapport à la raison, diffèrent spécifiquement, et produisent aussi des effets d’espèce différente ; car l’un mérite louange et récompense, l’autre, blâme et châtiment. Mais sous le rapport de la génération, ils ne diffèrent pas d’espèce, et ils ont par conséquent un même résultat spécifique.

4. Les circonstances sont prises quelquefois comme constituant la différence essentielle d’un objet, en tant qu’on les compare à la raison ; et, dans ce cas, elles peuvent spécifier l’acte moral. Cela arrive nécessairement toutes les fois qu’elles changent un acte bon en un acte mauvais ; ce qu’elles ne peuvent faire que par leur opposition à la raison.

 

            Article 6 — Cette spécification en bien ou en mal vient-elle de la fin ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Les actes sont spécifiés par leur objet. Or, la fin diffère de l’objet. Donc le bien et le mal qui viennent de la fin, ne diversifient pas l’espèce des actes.

2. Ce qui n’est qu’accident ne détermine pas l’espèce, on vient de le dire. Or, le rapport d’un acte avec telle fin est souvent accidentel, par exemple faire l’aumône par vaine gloire. Donc le bien et le mal qui viennent de la fin ne diversifient pas l’espèce des actes.

3. Des actes spécifiquement divers peuvent être rapportés à une même fin ; ainsi la vaine gloire peut être la fin de plusieurs vertus et de plusieurs vices. Donc le bien et le mal qui résultent de la fin ne diversifient pas l’espèce des actes.

En sens contraire, nous avons montré plus haut que les actes humains étaient spécifiés par la fin. Donc ils le sont par le bien et le mal qui dépendent de la fin.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, on appelle humains certains actes parce qu’ils sont volontaires. Or, l’acte volontaire se compose de deux actes, l’un intérieur, l’autre extérieur, qui ont chacun leur objet propre. La fin est l’objet propre de l’acte intérieur, celui de l’acte extérieur est ce sur quoi il porte. De même donc que l’objet sur lequel s’exerce l’acte extérieur spécifie cet acte, ainsi l’acte intérieur est-il spécifié par la fin comme par son objet propre. Mais ce qui provient de la volonté est comme la forme de ce que réalise l’acte extérieur, parce que nos membres sont les instruments dont la volonté se sert pour agir ; et les actes extérieurs ne sont moraux que dans la mesure où ils sont volontaires. C’est pourquoi l’espèce des actes moraux résulte formellement de la fin, et matériellement de l’objet de l’acte extérieur. De là cette parole du Philosophe : “ Celui qui vole pour commettre un adultère, est plutôt adultère que voleurs. ”

Solutions :

1. La fin, on l’a vu, peut être également considérée comme objet.

2. Quoique l’acte extérieur soit accidentellement rapporté à telle fin, il n’en est pas de même de l’acte intérieur qui est la forme de l’acte extérieur.

3. Lorsque plusieurs actes spécifiquement divers sont rapportés à une même fin, il y a bien diversité d’espèce dans les actes extérieurs ; mais il y a unité spécifique du côté de l’acte intérieur.

 

            Article 7 — L’espèce qui vient de la fin est-elle subordonnée à celle qui vient de l’objet comme à un genre, ou est-ce le contraire ?

Objections :

1. Il semble bien que la bonté spécifique qui vient de la fin soit subordonnée à la bonté spécifique qui vient de l’objet, comme l’espèce est subordonnée à son genre ; ainsi, par exemple, si quelqu’un veut voler pour faire l’aumône. Car l’acte tire son espèce de l’objet, on vient de le dire. Or, il est impossible qu’une chose soit renfermée dans une espèce différente de la sienne et qui ne soit pas subordonnée à celle-ci, car une même chose ne peut appartenir à des espèces différentes et indépendantes. Donc l’espèce qui vient de la fin est renfermée dans celle qui vient de l’objet.

2. Toujours la différence ultime constitue l’espèce la plus particulière. Or. la différence qui vient de la fin est postérieure à celle qui vient de l’objet, car la fin a qualité de terme ultime. Donc l’espèce qui vient de la fin est renfermée dans celle qui vient de l’objet, comme étant plus particulière que celle-ci.

3. Plus une différence est formelle, plus elle est particulière, parce que la différence est au genre ce que la forme est à la matière. Or, nous venons de voir que l’espèce qui vient de la fin est plus formelle que celle qui vient de l’objet. Donc l’espèce qui vient de la fin est renfermée dans celle qui vient de l’objet, comme l’espèce dans son genre.

En sens contraire, tout genre a des différences déterminées. Or, les actes appartenant à l’espèce qui vient de l’objet, peuvent être rapportés à une infinité de fins : ainsi le vol peut avoir pour fin une foule de biens et de maux. Donc l’espèce qui vient de la fin n’est pas subordonnée à celle qui vient de l’objet, comme à son genre.

Réponse :

L’objet d’un acte extérieur peut avoir deux sortes de rapports avec la fin déterminée par la volonté. Il peut lui être rapporté de soi ; ainsi, combattre courageusement a, de sa nature, un rapport direct avec la victoire. Il peut aussi ne lui être rapporté qu’accidentellement ; lorsque, par exemple, on prend le bien d’autrui pour faire l’aumône. Or, d’après le Philosophe, les différences qui divisent un genre et forment ses espèces doivent le diviser de soi ; si elles ne le font que par accident, la division n’est pas correcte. Si l’on disait par exemple que, parmi les animaux, les uns sont raisonnables, les autres sont privés de raison, et que, parmi ces derniers, les uns ont des ailes, les autres en sont dépourvus ; ces derniers qualités, en effet, ne déterminent pas de soi la nature de l’animal privé de raison. Mais il faudrait ainsi diviser les animaux : les uns ont des pieds, les autres n’en ont pas ; et parmi les premiers, les uns en ont deux, les autres quatre, d’autres un plus grand nombre. Cette division détermine de soi la première différence établie.

Ainsi donc, quand l’objet n’est pas par lui-même rapporté à la fin, la différence spécifique qui vient de l’objet n’est pas propre à déterminer celle qui vient de la fin, ni réciproquement. D’où il suit que ces espèces ne rentrent pas l’une dans l’autre, et qu’alors l’acte moral est comme renfermé dans deux espèces disparates. Aussi disons-nous que celui qui vole pour commettre la fornication commet deux fautes en un seul acte. Mais si l’objet est par lui-même rapporté à la fin, l’une des différences détermine l’autre, et, par suite, l’une est renfermée dans l’autre.

Reste à examiner quelle différence dépend de l’autre. Pour le déterminer clairement, il faut considérer ces principes. D’abord, plus la forme qui cause la différence est particulière, plus cette différence est spécifique. En second lieu, plus un agent est universel, et plus sa forme l’est aussi. En troisième lieu, à une fin éloignée correspond un agent plus universel ; ainsi la victoire, qui est la fin de l’armée, est ce que se propose le général en chef ; mais la disposition de tel ou tel bataillon est la fin que se proposent les officiers inférieurs.

Il découle de là que la différence spécifique venant de la fin est plus générale, et que celle qui vient d’un objet par lui-même rapporté à cette fin est spécifique par rapport à la première. Car la volonté, dont l’objet propre est la fin, est le moteur universel des autres puissances de l’âme, qui ont en propre les objets des actes particuliers.

Solutions :

1. Considérée en elle-même, une chose ne peut pas appartenir à deux espèces indépendantes ; mais ses accidents peuvent la ranger dans des espèces différentes ; ainsi la couleur d’un fruit le range dans la classe des objets blancs, et son parfum dans la classe des objets odorants. De même un acte qui, pris en lui-même, appartient à telle espèce, pourra, à cause de conditions morales adventices, être rangé dans deux espèces, comme on l’a dit.

2. La fin vient en dernier lieu dans l’exécution, mais elle est première dans l’intention de la raison, qui détermine les espèces des actes moraux.

3. La différence est au genre ce que la forme est à la matière, en tant qu’elle fait passer le genre à l’acte ; mais le genre est aussi plus formel que l’espèce, comme étant plus absolu et moins restreint. Aussi les parties d’une définition se résolvent-elles dans le genre de la cause formelle, dit le Philosophe ; et, sous ce rapport, le genre est la cause formelle de l’espèce, et d’autant plus formel qu’il est plus commun.

 

            Article 8 — Y a-t-il des actes humains indifférents selon leur espèce ?

Objections :

1. Il semble que non. Le mal, d’après S. Augustin, est la privation d’un bien. Or la privation et l’habitus sont en opposition immédiate, d’après le Philosophe. Donc il n’y a pas d’acte spécifiquement indifférent, et existant comme un intermédiaire entre le bien et le mal.

2. Les actes humains, on l’a dit, sont spécifiés par leur fin ou leur objet. Or, tout objet et toute fin a raison de bien ou de mal. Donc tout acte humain est bon ou mauvais, et aucun n’est indifférent dans son espèce.

3. Ainsi qu’on l’a vu, l’acte bon est celui qui a la perfection qui lui convient, et l’acte mauvais celui qui ne l’a pas. Or, nécessairement, tout acte a ou n’a pas la plénitude de bonté qui lui convient. Donc nécessairement tout acte est bon ou mauvais dans son espèce et aucun n’est indifférent.

En sens contraire, S. Augustin dit qu’il y certaines actions moyennes “ qui peuvent être faites avec une bonne ou une mauvaise intention et dont il est téméraire de juger. Donc il y a de actes indifférents dans leur espèce.

Réponse :

Tout acte, comme nous l’avons vu, est spécifié par son objet, et l’acte humain appelé acte moral est spécifié par l’objet considéré dan son rapport avec le principe des actes humains qui est la raison. Si l’objet d’un acte renferme quelque chose de conforme à l’ordre voulu par la raison, cet acte sera spécifiquement bon ; par exemple, faire l’aumône à un indigent. S’il renferme, au contraire, quelque chose que la raison réprouve, il sera spécifiquement mauvais par exemple, voler, c’est-à-dire prendre le bien d’autrui. Mais quelquefois l’objet d’un acte ne renferme rien qui touche à l’ordre de la raison ; par exemple, ramasser un brin de paille, aller à la campagne, etc., et ces actes sont indifférents dans leur espèce.

Solutions :

1. Il y a deux sortes de privation. L’une consiste dans un état de privation totale, qui ne laisse rien, mais enlève tout ; telles sont la cécité par rapport à la vue, la complète obscurité par rapport à la lumière, la mort par rapport à la vie ; entre une privation de ce genre et l’habitus, il ne peut y avoir de moyen terme. Il y a une autre privation qui est limitée : ainsi la maladie est la privation de la santé, non qu’elle la détruise totalement, mais parce qu’elle est la voie qui conduit à la destruction totale opérée par la mort. Cette privation-là, laissant subsister quelque chose, n’est pas toujours en opposition radicale avec l’habitus contraire. C’est en ce sens que le mal est la privation du bien, comme dit Simplicius ; car il n’enlève pas tout le bien, mais en laisse une partie. D’où il suit qu’il peut y avoir un milieu entre le bien et le mal.

2. Tout objet et toute fin ont une bonté ou une malice au moins naturelle, mais non toujours une bonté ou une malice morale, laquelle résulte de leur rapport avec la raison ; c’est de celle-ci qu’il s’agit maintenant.

3. Tout ce qui est dans un acte n’appartient pas à son espèce. De ce fait, quoique son espèce ne renferme pas tout ce qui convient à la plénitude de la bonté qui lui est propre, un acte n’est pas pour cela spécifiquement mauvais, ni bon non plus ; de même que l’homme, selon son espèce, n’est ni vertueux ni vicieux.

 

            Article 9 — Y a-t-il des actes individuels qui soient indifférents ?

Objections :

1. Il semble que oui. Il n’y a aucune espèce qui ne renferme ou ne puisse renfermer quelque individu. Or, il y a des actes indifférents dans leur espèce, comme on vient de le voir. Donc un acte individuel peut être indifférent.

2. “ Les actes individuels produisent des habitus qui leur sont semblables ”, selon Aristote. Or il y a des habitus indifférents, car selon lui certains, en particulier des gens indolents et des prodigues, ne sont pas mauvais ; cependant il est clair qu’ils ne sont pas bons, car ils s’écartent de la vertu ; et ainsi leur manière d’être est indifférente. Donc il y a des actes individuels qui sont indifférents.

3. Le bien moral appartient à la vertu, et le mal moral au vice. Or quelquefois l’homme ne rapporte pas un acte, de sa nature indifférent, à une fin vertueuse ou vicieuse. Donc il y a des actes individuels qui sont indifférents.

En sens contraire, S. Grégoire dit, dans une de ses homélies : “ La parole oiseuse est celle qui n’est ni utile à la vertu, ni nécessaire aux yeux de la raison. ” Or, les paroles oiseuses sont mauvaises, puisque les hommes doivent en rendre compte au jour du jugement, selon S. Matthieu (12, 36). Mais si elles sont dictées par une juste nécessité ou une utilité pieuse, ces paroles sont bonnes. Donc toute parole que nous disons est bonne ou mauvaise, et par la même raison, tout acte est bon ou mauvais. Donc aucun acte individuel n’est indifférent.

Réponse :

Il arrive qu’un acte soit indifférent dans son espèce, alors qu’il est bon ou mauvais pris individuellement. Cela résulte de ce que l’acte moral, comme nous l’avons dit, reçoit sa bonté non seulement de l’objet qui le spécifie, mais encore des circonstances qui en sont comme les accidents ; ainsi telle chose convient comme accident à un homme particulier, qui ne convient pas à l’homme pris selon son espèce. Il faut même que tout acte individuel ait quelque circonstance tirée au moins de la fin, objet de l’intention, qui le rende bon ou mauvais. En effet, la raison ayant pour objet de disposer adéquatement les actes délibérés, tout acte, par cela seul qu’il n’est pas rapporté à la fin voulue, contredit la raison et devient mauvais. S’il est rapporté à la fin voulue, il est conforme à la raison, et par conséquent doté de bonté morale. Or, tout acte est nécessairement rapporté, ou non, à la fin requise. Donc tout acte individuel provenant d’une délibération de la raison est nécessairement bon ou mauvais. S’il ne provient pas d’une délibération antérieure mais de l’imagination - par exemple, se frotter la barbe, remuer la main ou le pied - cet acte n’est pas à proprement parler un acte moral et humain, puisque c’est la raison qui donne aux actes cette qualité ; il est indifférent, en ce sens qu’il est étranger au genre des actes moraux.

Solutions :

1. Qu’un acte soit spécifiquement indifférent, cela peut arriver de plusieurs manières. D’abord l’indifférence d’un acte pourrait être requise par son espèce même, et c’est ce que suppose l’objection. Mais aucun acte n’est indifférent de cette manière, car il n’y a aucun objet des actes humains qui, soit par la fin, soit par les circonstances, ne puisse être rendu bon ou mauvais. Un acte peut encore être dit spécifiquement indifférent, lorsque par sa nature il n’est ni bon ni mauvais, mais peut toutefois devenir tel d’une autre manière. Ainsi l’homme n’est ni blanc ni noir par son espèce, mais celle-ci ne s’oppose pas à ce qu’il soit l’un ou l’autre ; la blancheur et la noirceur chez l’homme peuvent, en effet, résulter d’autres principes que ceux qui caractérisent son espèce.

2. Le Philosophe appelle proprement mauvais celui qui nuit aux autres hommes ; en ce sens il dit que le prodigue n’est pas mauvais, parce qu’il ne nuit à aucun autre qu’à lui-même ; et il en est ainsi de tous ceux qui ne nuisent pas à leur prochain. Mais nous, nous appelons généralement mal tout ce qui est contraire à la droite raison ; et, en ce sens, tout acte individuel, comme on l’a vu, est bon ou mauvais.

3. Toute fin que l’homme se propose en vertu d’une délibération de la raison se rapporte au bien d’une vertu ou au mal d’un vice. Ainsi, ce que l’on fait comme il le faut pour l’entretien ou le repos du corps appartient à la vertu, si l’on fait servir son corps à la vertu. Et ainsi pour le reste.

 

            Article 10 — Y a-t-il des circonstances qui puissent rendre un acte moral spécifiquement bon ou mauvais ?

Objections :

1. Il ne semble pas. L’acte est spécifié par l’objet. Or les circonstances diffèrent de l’objet ; donc elles ne spécifient pas l’acte.

2. Les circonstances sont des accidents par rapport à l’acte moral, on l’a dit. Or, les accidents ne constituent pas les espèces de bien et de mal.

3. Une seule chose ne peut appartenir à plusieurs espèces. Or, un seul acte peut renfermer plusieurs circonstances. Donc les circonstances ne rendent pas un acte bon ou mauvais.

En sens contraire, le lieu est une circonstance. Or, le lieu peut spécifier la malice de l’acte moral, car voler dans un lieu saint est sacrilège. Donc une circonstance peut rendre un acte moral spécifiquement bon ou mauvais.

Réponse :

De même que les espèces des êtres naturels sont constituées par les formes naturelles, de même les espèces des actes moraux résultent des formes telles que la raison les conçoit, nous l’avons vu plus haut. Mais la nature ayant un objet unique et déterminé, et ne pouvant procéder à l’infini, il faut nécessairement arriver à une forme dernière qui fournit la différence spécifique, et au-delà de laquelle il ne saurait y en avoir d’autre. De là vient que les accidents, dans les êtres naturels, ne peuvent fournir la différence constitutive d’une espèce. Mais la raison, dans sa marche, n’est pas déterminée à un seul objet et peut, après un terme donné, aller toujours au-delà. C’est pourquoi ce qui, dans un acte, est considéré comme une circonstance surajoutée à l’objet qui spécifie cet acte, peut ensuite être considéré comme une des conditions principales de l’objet qui détermine l’espèce de l’acte. Ainsi prendre le bien d’autrui est spécifié par sa qualité de bien dérobé, et cet acte est pour cela rangé dans l’espèce du vol ; si à partir de là on considère le temps et le lieu, on les envisagera comme des circonstances. Mais comme la raison peut aussi régler le temps, le lieu, etc., la condition du lieu, par rapport à l’objet, peut être contraire à l’ordre voulu par la raison, qui interdit par exemple de profaner un lieu saint. Par suite, voler quelque chose dans un lieu saint ajoute à l’acte une opposition spéciale avec l’ordre de la raison. Le lieu, considéré d’abord comme une circonstance, devient alors une des conditions principales de l’objet dans son opposition à la raison. Et de cette façon, toutes les fois qu’une circonstance est conforme ou contraire à l’ordre spécial de la raison, elle donne nécessairement à l’acte un caractère spécifique de bonté ou de malice.

Solutions :

1. La circonstance qui donne à l’acte son espèce est considérée comme une condition particulière et une différence spécifique de l’objet, on vient de le dire.

2. La circonstance qui reste proprement telle et garde sa nature d’accident, ne spécifie pas l’acte ; elle le spécifie en tant qu’elle se transforme pour devenir une condition principale de l’objet.

3. Toute circonstance ne rend pas l’acte moral spécifiquement bon ou mauvais, parce qu’elle ne comporte pas toujours conformité ou opposition à la raison. Il n’est donc pas vrai qu’un acte ayant plusieurs circonstances, doive appartenir à plusieurs espèces, bien qu’il ne soit pas absurde, comme nous l’avons montré, qu’un seul acte moral se situe dans plusieurs espèces, même disparates.

 

            Article 11 — Toute circonstance qui augmente la bonté ou la malice d’un acte moral le range-t-elle dans une nouvelle espèce de bien ou de mal ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Le bien et le mal forment les différences spécifiques des actes moraux. Donc, ce qui établit une différence dans la bonté ou la malice d’un acte lui donne une différence spécifique, c’est-à-dire le range dans une espèce différente. Mais ce qui augmente la bonté ou la malice d’un acte établit évidemment une différence dans sa malice ou sa bonté, et le range par là même dans une espèce différente. Donc toute circonstance qui augmente la bonté ou la malice de l’acte constitue une nouvelle espèce.

2. Ou bien la circonstance qui survient renferme quelque bonté ou quelque malice, ou bien elle n’en renferme pas. Si elle n’en renferme pas, elle ne peut ajouter à la bonté ou à la malice de l’acte, parce que ce qui n’est pas bien ne peut augmenter un bien, et ce qui n’est pas mal ne peut aggraver un mal. Si elle a quelque bonté ou quelque malice, elle a par cela seul une espèce de bien ou de mal. Donc toute circonstance qui augmente la bonté ou la malice d’un acte forme une nouvelle espèce de bien ou de mal.

3. D’après Denys, “ le mal résulte de tous les défauts particuliers ”. Or, toute circonstance qui ajoute à la malice d’un acte constitue un défaut particulier ; elle introduit donc une nouvelle espèce de péché. Pour la même raison, si une circonstance augmente la bonté de l’acte, elle introduira une nouvelle espèce de bonté : de même que toute unité ajoutée à un nombre donné produit une nouvelle espèce de nombre ; le bien, en effet, résulte du nombre, du poids et de la mesure.

En sens contraire, le plus et le moins ne diversifient pas les espèces. Or, le plus et le moins constituent une circonstance qui augmente la bonté ou la malice d’un acte. Donc toute circonstance qui augmente la bonté ou la malice d’un acte moral ne constitue pas une nouvelle espèce de bien ou de mal.

Réponse :

La circonstance, nous l’avons dit, ne spécifie le bien ou le mal d’un acte moral que par un rapport spécial avec l’ordre voulu par la raison. Or, quelquefois, une circonstance n’est en rapport de bien ou de mal avec la raison que par l’intermédiaire d’une autre circonstance qui spécifie déjà la bonté ou la malice de l’acte moral. Ainsi, prendre quelque chose en grande ou petite quantité n’est en rapport de bien et de mal avec l’ordre de la raison que présupposée une autre condition qui rend l’acte bon ou mauvais, par exemple que l’objet appartienne à autrui, ce qui met l’acte en opposition avec la raison. Par suite, prendre une petite ou une grande quantité ne constitue pas des espèces différentes de péchés, quoique le péché puisse en être aggravé ou diminué. Il en est de même des autres maux et des autres biens. D’où il résulte que toute circonstance qui augmente la bonté ou la malice d’un acte ne diversifie pas pour cela son espèce.

Solutions :

1. Dans les choses susceptibles d’une intensité plus ou moins grande, une différence de cet ordre ne diversifie pas l’espèce ; ainsi deux objets qui diffèrent par le degré de blancheur n’appartiennent pas pour cela à deux espèces différentes d’objets colorés. De même, les actes moraux qui ne diffèrent entre eux que par le degré de bien ou de mal, n’appartiennent pas pour cela à des espèces différentes.

2. Les circonstances qui augmentent la bonté ou la malice d’un acte ne sont pas toujours bonnes ou mauvaises en elles-mêmes ; elles peuvent l’être uniquement par leur rapport avec une autre condition de l’acte, nous venons de le dire. C’est pourquoi elles n’introduisent pas une nouvelle espèce de bonté ou de malice mais augmentent celle qui provient de cette autre condition.

3. Toute circonstance n’entraîne pas par elle-même un défaut particulier ; elle ne peut le faire, tout comme elle n’ajoute une nouvelle perfection, que par son rapport avec une autre condition de l’acte ; et, quoiqu’elle augmente d’autant la bonté ou la malice de l’acte, elle ne change pas alors l’espèce du bien ou du mal.

 

QUESTION 19 — LA BONTÉ ET LA MALICE DE L’ACTE INTÉRIEUR DE LA VOLONTÉ

1. La bonté de la volonté dépend-elle de l’objet ? - 2. Ne dépend-elle que de cet objet ? - 3. Dépend-elle aussi de la raison ? - 4. Dépend-elle de la loi éternelle ? - 5. La raison erronée oblige-t-elle ? - 6. La volonté qui, suivant la raison erronée, va contre la loi de Dieu, est-elle mauvaise ? - 7. La bonté de la volonté, relativement aux moyens, dépend-elle de l’intention de la fin ? - 8. La mesure de la bonté et de la malice de la volonté suit-elle la mesure du bien et du mal qui sont dans l’intention ? - 9. La bonté de la volonté dépend-elle de sa conformité à la volonté divine ? - 10. Pour que la volonté humaine soit bonne, est-il nécessaire qu’elle se conforme à la volonté divine quant à l’objet voulu ?

 

            Article 1 — La bonté de la volonté dépend-elle de l’objet ?

Objections :

1. Il semble bien que non. La volonté ne peut se porter que vers un bien ; car, d’après Denys, “ le mal est en dehors de l’intention volontaire ”. Donc, si la bonté de la volonté était jugée sur son objet, toute volonté serait bonne et aucune ne serait mauvaise.

2. Le bien se trouve d’abord dans la fin, considérée en elle-même, donc indépendante de toute autre chose. Or, d’après le Philosophe, “ la bonne action est la fin du vouloir, quoique l’exécution ne le soit jamais ”, car l’exécution est toujours rapportée à la chose exécutée comme à sa fin. Donc la bonté de l’acte de la volonté ne dépend pas de son objet.

3. Tel est un être, tel il rend celui sur lequel il agit. Or, l’objet de la volonté est bon d’une bonté naturelle. Donc il ne peut communiquer à la volonté une bonté morale. La bonté morale de la volonté ne dépend donc pas de l’objet.

En sens contraire, le Philosophe dit que “ c’est par la justice qu’on veut des choses justes ”. Et au même titre, la vertu est ce par quoi la volonté se porte vers les choses bonnes. Or, la volonté bonne est celle qui agit selon la vertu. Donc la bonté de la volonté résulte de ce qu’elle se porte vers le bien.

Réponse :

De soi, le bien et le mal distinguent les actes de la volonté. Car de soi le bien et le mal se rattachent à la volonté, comme le vrai et le faux se rattachent à l’intelligence, dont ils distinguent les actes, selon qu’une opinion peut être dite vraie ou fausse. Aussi un vouloir bon et un vouloir mauvais sont-ils des actes spécifiquement différents. Or nous avons vu que la différence spécifique des actes vient de leurs objets. Donc c’est aussi l’objet qui donne proprement aux actes de la volonté leur bonté ou leur malice.

Solutions :

1. La volonté n’a pas toujours pour objet un bien véritable ; quelquefois ce bien n’est qu’apparent, et quoiqu’il soit un bien sous quelque rapport, il n’est pas simplement le bien qu’il convient de désirer. Voilà pourquoi tel acte volontaire n’est pas toujours bon, mais parfois mauvais.

2. Quoiqu’un acte puisse être d’une certaine façon la fin ultime de l’homme, ce ne peut être un acte de la volonté, nous l’avons dite.

3. C’est par la raison que le bien est présenté à la volonté comme un objet ; et, en tant qu’il y a un rapport avec l’ordre rationnel, il devient moral et produit une bonté morale dans l’acte de la volonté ; car nous avons déjà ditf que la raison est le principe des actes humains et moraux.

 

            Article 2 — La bonté de la volonté ne dépend-elle que de l’objet ?

Objections :

1. Il ne semble pas. La fin est plus apparentée à la volonté qu’à toute autre puissance. Or, les actes des autres puissances reçoivent leur bonté non seulement de l’objet, mais encore de la fin, comme nous l’avons dit. Donc l’acte de la volonté ne reçoit pas seulement sa bonté de l’objet, mais encore de la fin.

2. Comme on l’a vu, la bonté de l’acte ne dépend pas seulement de l’objet, mais aussi de circonstances. Or, la diversité des circonstances introduit une diversité de bonté et de malice dans les actes de la volonté lorsque, par exemple, ces actes ont lieu dans le temps, le lieu, la mesure et la manière requis ou non. Donc la bonté de la volonté ne dépend pas seulement de l’objet, mais aussi des circonstances.

3. Comme on l’a vu, l’ignorance des circonstances excuse parfois le mal de la volonté. Or, cela ne se produirait pas si la bonté et la malice de la volonté ne dépendaient pas des circonstances. Par conséquent la bonté et la malice de la volonté dépendent des circonstances, et pas seulement de l’objet.

En sens contraire, nous avons vu que les circonstances, comme telles, ne donnent pas son espèce à l’acte. Or, le bien et le mal sont des différences spécifiques de l’acte de la volonté, nous l’avons dit. Donc la bonté et la malice de la volonté ne dépendent pas des circonstances, mais de l’objet seulement.

Réponse :

Dans chaque genre, ce qui est plus primitif est plus simple et comporte moins d’éléments ; ainsi les corps premiers sont-ils simples. Et c’est pourquoi nous constatons que les choses qui, dans un genre, ont priorité sur les autres, sont simples dans une certaine mesure, et sont uniques. Or, le principe premier de la bonté et de la malice des actes humains est l’acte de la volonté. C’est pourquoi la bonté et la malice de la volonté peuvent être ramenées à l’unité, tandis que celles des autres actes peuvent dépendre d’éléments divers. Cet élément unique qui, dans chaque genre, tient lieu de principe, n’est pas accidentel ; il est essentiel, parce que l’accidentel se ramène à l’essentiel comme à son principe. Par suite, la bonté de la volonté dépend uniquement de ce qui contribue de soi à la bonté de l’acte, c’est-à-dire de l’objet, et non des circonstances qui sont, par rapport à l’acte, des accidents.

Solutions :

1. La fin est l’objet de la volonté, mais non des autres puissances. Aussi, dans l’acte de la volonté, la bonté qui vient de l’objet ne diffère pas de celle qui vient de la fin, comme dans les actes des autres puissances ; à moins que ce ne soit d’une manière accidentelle, selon qu’une fin dépend d’une autre, et une volonté d’une autre volonté.

2. Supposé que la volonté se porte vers le bien, aucune circonstance ne peut la rendre mauvaise. Quant à cette affirmation : on veut quelquefois un bien où et quand il ne convient pas de le vouloir, elle peut être entendue de deux manières. D’abord, en tant que ces circonstances se rapportent à l’objet voulu ; et dans ce cas la volonté n’a pas le bien pour objet, parce que vouloir faire une chose quand on ne doit pas la faire, ce n’est pas vouloir le bien. En second lieu, selon que ces circonstances se rapportent à l’acte de la volonté ; et en ce sens, il est impossible que l’homme veuille le bien quand il ne doit pas, puisqu’il doit toujours le vouloir, si ce n’est peut-être par accident, ce qui arriverait si, par exemple, la volonté d’un bien empêchait d’en vouloir un autre qui serait nécessaire. En ce cas, le mal résulterait non de ce qu’on voudrait le premier bien, mais de ce qu’on ne voudrait pas l’autre. Il en est de même des autres circonstances.

3. L’ignorance des circonstances excuse le mal de la volonté lorsqu’elles appartiennent à l’objet voulu, en tant que la volonté ignore les circonstances de l’acte qu’elle veut.

 

            Article 3 — La bonté de la volonté dépend-elle de la raison ?

Objections :

1. Il semble que non. Une chose qui a la priorité sur une autre ne peut dépendre de celle-ci. Or, le bien appartient à la volonté avait d’appartenir à la raison, nous l’avons montré. Donc le bien de la volonté ne dépend pas de la raison.

2. D’après le Philosophe, “ la bonté de l’intellect pratique est le vrai conforme à l’appétit droit ”. Or, l’appétit droit est la volonté bonne. Donc la bonté de la raison pratique dépend de la bonté de la volonté, plutôt que l’inverse.

3. Le moteur ne dépend pas de ce qu’il meut, tout au contraire. Or, on a vu que la volonté meut la raison et les autres puissances. Donc la bonté de la volonté ne dépend pas de la raison.

En sens contraire, S. Hilaire dit : “ Toute persistance de la volonté dans ses réSolutions est immodérée lorsque la volonté n’est pas soumise à la raison. ” Or, la bonté de la volonté consiste à n’être pas immodérée. Donc la bonté de la volonté dépend de sa soumission à la raison.

Réponse :

Nous venons de voir que la bonté de la volonté dépend proprement de l’objet. Or, l’objet de la volonté lui est présenté par la raison. Le bien saisi par la raison est en effet l’objet proportionné à la volonté, tandis que le bien saisi par les sens ou par l’imagination n’est pas proportionné à la volonté, mais à l’appétit sensible ; car la volonté peut tendre vers le bien universel que lui propose l’intelligence, mais l’appétit sensible ne tend que vers les biens particuliers q.ue perçoivent les sens. C’est pourquoi la bonté de la volonté dépend de la raison de la même manière qu’elle dépend de l’objet.

Solutions :

1. Le bien considéré comme tel, c’est-à-dire comme objet de l’appétit, appartient plutôt à la volonté qu’à la raison. Mais il appartient plutôt à la raison comme vrai qu’à la volonté comme bien, parce que la volonté ne peut se porter vers le bien si celui-ci n’est d’abord saisi par la raison.

2. Le Philosophe parle ici de l’intellect pratique considéré comme délibérant et raisonnant au sujet des moyens propres à nous faire atteindre la fin ; dans ce cas, il est perfectionné par la prudence. Or les moyens sont conformes à la droite raison lorsqu’ils sont proportionnés au désir de la fin requise ; désir qui présuppose toutefois la connaissance vraie de cette fin, qui nous vient de la raison.

3. La volonté meut la raison d’une manière, et la raison meut la volonté d’une autre manière, en lui présentant son objet, comme nous l’avons dit plus haut.

 

            Article 4 — La bonté de la volonté dépend-elle de la loi éternelle ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. A un seul objet suffit une seule règle ou mesure. Or, la règle de la volonté humaine, dont la bonté dépend, est la raison droite. Donc la bonté de la volonté ne dépend pas de la loi éternelle.

2. “ La mesure est du même ordre que l’objet auquel on l’applique ”, selon Aristote. Or, la loi éternelle n’est pas du même ordre que la volonté humaine. Donc la loi éternelle ne peut pas être la mesure de la volonté humaine, en sorte que la bonté de celle-ci dépende d’elle.

3. Une mesure doit être absolument certaine. Or la loi éternelle nous est inconnue. Donc elle ne peut être la mesure de notre volonté, au point que sa bonté en dépende.

En sens contraire, S. Augustin, définit le péché comme “ une action, une parole, un désir contraires à la loi éternelle ”. Or, la malice de la volonté est la racine du péché. Donc, la malice étant l’opposé de la bonté, la bonté de la volonté dépend de la loi éternelle.

Réponse :

Dans les causes subordonnées entre elles, l’effet dépend de la cause première plus encore que de la cause seconde, celle-ci n’agissant que par la vertu de celle-là. Or, si la raison humaine sert de règle et de mesure à la volonté et détermine sa bonté, elle le tient de la loi éternelle, qui est la raison divine. De là ces paroles du Psaume (4, 7 Vg) : “ Beaucoup demandent : "Qui nous fera voir le bien ?" La lumière de ton visage s’est imprimée sur nous, Seigneur. ” C’est comme s’il disait : la lumière de la raison qui est en nous peut nous montrer le bien et régler notre volonté, dans la mesure où elle est la lumière de ton visage, c’est-à-dire qui émane de celui-ci. Il est évident par là que la bonté de la volonté humaine dépend de la loi éternelle beaucoup plus que de la raison humaine, et que là où celle-ci fait défaut, il faut recourir à celle-là.

Solutions :

1. Une seule chose ne peut avoir plusieurs mesures prochaines, mais elle peut en avoir plusieurs, subordonnées entre elles.

2. C’est la mesure prochaine qui est du même ordre que l’objet mesuré, non la mesure éloignée.

3. Quoique la loi éternelle nous soit inconnue en tant qu’elle est dans l’intelligence divine, elle nous est connue d’une certaine façon, soit par la raison naturelle qui en découle comme sa propre image, soit par une révélation surajoutée.

 

            Article 5 — La raison erronée oblige-t-elle ?

Objections :

1. Il semble que la volonté qui se sépare de la raison erronée ne soit pas mauvaise. En effet, la raison, nous venons de le dire, règle la volonté humaine en tant qu’elle découle de la loi éternelle. Or, la raison qui se trompe ne découle pas de la loi éternelle, et, par suite, ne peut être la règle de la volonté humaine. Donc la volonté n’est pas mauvaise lorsqu’elle est en opposition avec la raison qui se trompe.

2. D’après S. Augustin, le précepte d’un pouvoir inférieur n’oblige pas s’il est contraire au précepte d’un pouvoir supérieur ; lorsque, par exemple, un proconsul ordonne ce que défend l’empereur. Or la raison qui se trompe propose une action interdite par le précepte d’un supérieur, qui est Dieu, le Maître suprême. Donc le commandement de la raison n’oblige pas lorsqu’elle se trompe. La volonté n’est donc pas mauvaise lorsqu’elle refuse de suivre la raison erronée.

3. Toute volonté mauvaise appartient à une espèce de malice. Or, la volonté qui ne suit pas une raison erronée ne peut être rangée dans une espèce de malice. Par exemple, si l’erreur de la raison consiste à commander la fornication, la volonté de celui qui s’y refuse ne peut être rangée dans aucune espèce de malice. Donc la volonté qui n’obéit pas à la raison erronée n’est pas mauvaise.

En sens contraire, comme on l’a vu dans la première Partie, la conscience n’est que l’application de la science aux actes. Or, la science appartient à la raison. Donc la volonté qui s’écarte de la raison erronée va contre la conscience. Mais une volonté de ce genre est mauvaise ; car il est dit dans l’épître aux Romains (14, 23) : “ Tout ce qui ne vient pas de la bonne foi est péché ”, c’est-à-dire ce qui est contre la conscience. Donc la volonté en opposition avec la raison erronée est mauvaise.

Réponse :

La conscience étant en quelque manière le décret de la raison, puisque l’on a vu dans la première Partie qu’elle est l’application de la science à l’acte, cela revient au même de chercher si la volonté qui s’écarte de la raison erronée est mauvaise, ou de chercher si la conscience oblige lorsqu’elle se trompes. A ce propos, certains auteurs ont distingué trois genres d’actes : les actes bons en soi, les actes indifférents, et les actes mauvais en soi. Ils disent donc que, lorsque la raison ou la conscience commande de faire une chose bonne en soi, il n’y a point là d’erreur. Il en est de même si elle commande de ne pas faire une chose mauvaise en soi, car c’est en vertu d’un même principe que le bien est commandé et le mal interdit. Mais si la raison ou la conscience dit à quelqu’un qu’il est tenu de faire, en vertu d’un précepte, ce qui est mauvais en soi, ou qu’il lui est défendu de faire ce qui est bon en soi, cette raison ou cette conscience sera erronée. Il en sera de même si la raison suggère à quelqu’un qu’il lui est enjoint ou défendu de faire un acte indifférent par nature, comme de ramasser par terre un brin de paille.

Ces auteurs disent donc que la raison ou la conscience, qui se trompe en ordonnant ou interdisant des choses indifférentes, oblige ; en sorte que la volonté qui ne lui obéit pas est mauvaise et tombe dans le péché. Mais elle n’oblige pas, si elle se trompe en ordonnant des choses mauvaises en soi, ou en prohibant celles qui sont bonnes en soi et nécessaires au salut ; d’où il suit que dans ce cas la volonté en opposition avec la raison n’est pas mauvaise.

Mais cette opinion n’est pas fondée en raison. En effet, dans les matières indifférentes, la volonté qui refuse d’obéir à la raison ou à la conscience qui se trompe, devient mauvaise à cause de l’objet dont dépend sa bonté ou sa malice ; non à cause de l’objet pris en lui-même, mais tel qu’il est saisi accidentellement par la raison, comme un mal à faire ou à éviter. Or, comme l’objet de la volonté, nous l’avons vu, est ce que lui propose la raison, dès que celle-ci présente un objet comme mauvais, la volonté devient elle-même mauvaise si elle se porte vers lui. Ceci n’a pas seulement lieu pour les choses indifférentes, mais également lorsqu’il s’agit de choses bonnes ou mauvaises en soi. Car les choses indifférentes ne sont pas les seules qui peuvent devenir bonnes ou mauvaises par accident ; les choses bonnes peuvent devenir mauvaises et les choses mauvaises bonnes, selon la façon dont la raison les envisage. Par exemple, éviter la fornication est un bien ; cependant la volonté ne l’accepte pour un bien que si la raison le lui propose comme tel. Donc si la raison erronée lui représente cette abstention comme un mal, elle l’adoptera sous la raison de mal. Aussi deviendra-t-elle mauvaise, parce qu’elle veut le mal ; non ce qui est mal en soi, mais ce qui est mal par accident, à cause du jugement de la raison. De même, croire en Jésus Christ est bon par soi et nécessaire au salut ; mais la volonté ne s’y porte que sur la proposition de la raison. Donc, si cette foi est présentée comme un mal par la raison, la volonté s’y portera comme vers un mal, non qu’elle soit mauvaise par soi, mais seulement par accident, d’après l’idée que la raison s’en est faite. De là cette parole du Philosophe : “ A proprement parler, celui-là est incontinent qui ne suit pas la raison droite ; mais, par accident, celui-là l’est aussi, qui ne suit pas une raison fausse. ” Il résulte donc de tout cela que, de soi, toute volonté qui n’obéit pas à la raison, que celle-ci soit droite ou dans l’erreur, est toujours mauvaise.

Solutions :

1. Sans doute, lorsque la raison se trompe, son jugement ne dérive pas de Dieu ; néanmoins elle le propose comme vrai, et, par suite, comme dérivé de Dieu, source de toute vérité.

2. La parole de S. Augustin est vraie quand on sait que le pouvoir inférieur ordonne une chose défendue par un pouvoir supérieur. Mais si quelqu’un croyait que le commandement du proconsul est celui de l’empereur, en méprisant ce commandement il mépriserait celui de l’empereur lui-même. Pareillement, si un homme croyait que la raison humaine enjoint une chose contraire à l’ordre de Dieu, il ne devrait pas suivre sa raison ; dans ce cas d’ailleurs, la raison ne serait pas complètement dans l’erreur. Mais lorsque par erreur elle propose quelque chose comme prescrit par Dieu, le mépriser serait mépriser Dieu lui-même.

3. Lorsque la raison saisit une chose comme mauvaise, elle voit toujours en elle un côté mauvais, soit parce qu’elle s’oppose à un commandement de Dieu, soit à cause du scandale, ou pour tout autre motif semblable. Et alors cette volonté mauvaise se ramène à l’espèce de malice perçue par la raison.

 

            Article 6 — La volonté qui, suivant la raison erronée, va contre la loi de Dieu, est-elle mauvaise ?

Objections :

1. Il semble que la volonté qui se conforme à la raison erronée, soit bonne. En effet, de même que la volonté qui n’obéit pas à la raison se porte vers un objet que celle-ci juge mauvais, de même la volonté qui obéit se porte vers un objet que la raison juge bon. Or, la volonté qui n’obéit pas à la raison, même lorsqu’elle se trompe, est mauvaise. Donc celle qui lui obéit, même lorsqu’elle se trompe, est bonne.

2. La volonté qui est conforme au commandement de Dieu et à la loi éternelle, est toujours bonne. Or la loi éternelle et les commandements de Dieu nous sont proposés par la raison, même quand celle-ci se trompe. Donc la volonté qui suit la raison quand celle-ci se trompe, est bonne.

3. La volonté qui ne suit pas la raison erronée est mauvaise. Si la volonté qui la suit est mauvaise aussi, toute volonté de l’homme ayant une raison erronée sera donc mauvaise. Un tel homme sera dans l’impasse et péchera nécessairement, ce qui est inadmissible. Donc la volonté qui suit la raison erronée, est bonne.

En sens contraire, la volonté de ceux qui tuaient les Apôtres était mauvaise. Néanmoins, elle s’accordait avec leur raison erronée, selon cette parole en S. Jean (16, 2) : “ L’heure vient où quiconque vous mettra à mort, croira obéir à Dieu. ” Donc la volonté qui suit la raison lorsqu’elle se trompe, peut être mauvaise.

Réponse :

De même que la question précédente revenait à celle-ci : la conscience erronée oblige-t-elle ? - ainsi la question présente revient à dire : la conscience erronée excuse-t-elle ? Cette question dépend de ce que nous avons dit sur l’ignorance. Car nous avons vu que l’ignorance produit parfois l’involontaire, et parfois ne le produit pas. Et parce que le bien et le mal moral dépendent du caractère volontaire de l’acte, comme nous l’avons montré, il est évident que l’ignorance qui rend un acte involontaire lui enlève sa valeur de bien et de mal moral, mais non l’ignorance qui ne le rend pas involontaire. Nous avons vu aussi que l’ignorance voulue dans une certaine mesure, directement ou indirectement, ne rend pas l’acte involontaire. J’appelle ignorance directement volontaire, celle sur laquelle porte l’acte de volonté ; et ignorance indirectement volontaire, celle qui résulte d’une négligence, si l’on ne veut pas apprendre ce que l’on est tenu de savoir, comme on l’a vu plus haut.

Donc, si la raison ou la conscience se trompe volontairement, soit directement, soit indirectement, par une erreur portant sur ce qu’on est tenu de savoir, une telle erreur n’excuse pas du mal la volonté qui agit conformément à cette raison ou conscience erronée. Mais, si l’erreur qui cause l’involontaire provient de l’ignorance d’une circonstance quelconque, sans qu’il y ait eu négligence, cette erreur excuse du mal. Par exemple, si la raison erronée disait à un homme qu’il est tenu de s’approcher de la femme de son prochain, la volonté qui se conforme à cette raison erronée est mauvaise parce que l’erreur provient de l’ignorance de la loi de Dieu, qu’on est tenu de connaître. Mais si l’erreur consiste en ce que cet homme prend pour son épouse une femme qui ne l’est pas, et veut s’approcher d’elle lorsqu’elle le sollicite, sa volonté est excusée du mal, parce que l’erreur provient de l’ignorance d’une circonstance, qui excuse et cause l’involontaire.

Solutions :

1. Comme dit Denys : “ Le bien est produit par une cause parfaite, tandis que le mal résulte de n’importe quel défaut. ” Par suite, pour qu’on dise que l’objet vers lequel se porte la volonté est mauvais, il suffit qu’il soit tel de sa nature, ou que la raison le considère comme tel ; mais pour être bon, il est nécessaire qu’il soit bon sous ce double rapport.

2. La loi éternelle ne peut se tromper, mais la raison humaine le peut. C’est pourquoi la volonté qui suit la raison humaine n’est pas toujours droite ni conforme à la loi éternelle.

3. De même que, dans un raisonnement, une proposition fausse étant donnée, des conclusions fausses en résultent nécessairement, de même, en morale, une faute étant admise, d’autres s’ensuivent inévitablement. Ainsi, lorsque quelqu’un cherche la vaine gloire, soit qu’il écrit par ce motif ce qu’il est tenu de faire, soit qu’il y renonce, il péchera toujours. Il n’est pas toutefois dans l’impasse, car il peut renoncer à sa mauvaise intention. Pareillement, si l’on suppose une erreur de la raison ou de la conscience procédant d’une ignorance coupable, il doit s’ensuivre nécessairement un mal pour la volonté. Dans ce cas, néanmoins, on n’est pas dans l’impasse, car on peut s’éloigner de l’erreur, puisque l’ignorance reste corrigible et volontaire.

 

            Article 7 — La bonté de la volonté, relativement aux moyens, dépend-elle de l’intention de la fin ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. On a vu plus haut que cette bonté ne dépend que de l’objet. Or, dans les moyens, autre est l’objet de la volonté, autre est la fin qu’elle se propose. Donc la bonté de la volonté, dans ce cas, ne dépend pas de l’intention de la fin.

2. Vouloir garder les commandements de Dieu relève d’une volonté bonne. Or, cette volonté peut être rapportée à une fin mauvaise, par exemple la vaine gloire ou la cupidité, comme lorsqu’on veut obéir à Dieu en vue de certains avantages temporels. Donc la bonté de la volonté ne dépend pas de l’intention de la fin.

3. Le bien et le mal diversifient la fin, comme ils diversifient la volonté. Or, la malice de la volonté ne dépend pas de la malice de la fin proposée ; car la volonté de celui qui vole pour faire l’aumône est mauvaise, quoique sa fin soit bonne. Donc la bonté de la volonté ne dépend pas de l’intention de la fin.

En sens contraire, S. Augustin dit que Dieu récompense l’intention. Or, le bien seul est récompensé par Dieu. Donc la bonté de la volonté dépend de l’intention de la fin.

Réponse :

L’intention peut se rapporter de deux manières à la volonté : elle la précède ou elle l’accompagne. Elle la précède comme cause, lorsque nous voulons une chose en vertu d’une intention déterminée. Et alors le rapport avec la fin constitue la bonté de l’objet voulu ; si quelqu’un, par exemple, veut jeûner en l’honneur de Dieu, son jeûne devient bon, parce qu’il est fait pour Dieu. Par suite, parce que la bonté de la volonté dépend de la bonté de ce que l’on veut, comme on l’a Vue elle doit nécessairement dépendre de l’intention de la fin.

Mais l’intention suit la volonté, lorsqu’elle survient quand la volonté existe déjà ; lorsque quelqu’un, par exemple, veut d’abord faire une chose, et la rapporte ensuite à Dieu. Dans ce cas, la bonté de la première volonté ne dépend pas de l’intention qui la suit, à moins qu’avec celle-ci l’acte de volonté ne soit réitéré.

Solutions :

1. Quand l’intention est cause de la volonté, le rapport qu’elle a avec la fin communique sa bonté à l’objet, nous venons de le dire.

2. La volonté ne peut être dite bonne si elle a pour cause une intention mauvaise. En effet, celui qui veut faire l’aumône par vaine gloire veut d’une façon mauvaise une chose bonne en elle-même ; telle qu’il la veut, elle est donc mauvaise et rend mauvaise la volonté elle-même. Mais si la volonté a précédé l’intention, elle a pu être bonne, et l’intention ne corrompt l’acte que si celui-ci est réitéré.

3. Comme nous l’avons dit, le mal résulte d’un défaut quelconque, tandis que le bien exige une cause parfaite et entière. Ainsi, soit que la volonté ait pour objet une chose mauvaise en soi qu’elle veut pour un bien, ou une chose bonne qu’elle veut pour un mal, la volonté sera toujours elle-même mauvaise. Mais pour qu’elle soit une volonté bonne, il faut que son objet soit le bien sous la raison de bien, c’est-à-dire qu’elle veuille le bien, et en vue du bien.

 

            Article 8 — La mesure de la bonté et de la malice de la volonté suit-elle la mesure du bien et du mal qui sont dans l’intention ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Sur ces paroles en S. Matthieu (12, 35) : “ L’homme de bien tire le bien du trésor qu’il a dans son cœur ”, la Glose s’exprime ainsi : “ On fait le bien selon l’intention que l’on a. ” Or l’intention rend bon non seulement l’acte extérieur, mais aussi l’acte intérieur comme on l’a dit. Donc la bonté de la volonté est proportionnée à celle de l’intention.

2. Quand la cause augmente, l’effet augmente aussi. Or, la bonté de l’intention est cause de la bonté de la volonté. Donc la bonté de la volonté est proportionnée à celle de l’intention.

3. Dans les choses mauvaises, le péché est proportionné à l’intention ; car, si quelqu’un se proposait, en jetant une pierre, de commettre un homicide, il serait coupable de ce crime. Donc, pour la même raison, la bonté de la volonté, dans les choses bonnes est proportionnée à la bonté de l’intention.

En sens contraire, l’intention peut être bonne et l’acte de volonté mauvais. Donc, la bonté de l’intention peut également être plus grande que celle de l’acte de volonté.

Réponse :

A l’égard de l’acte et de l’intention, on peut distinguer deux sortes de grandeurs : l’une se prend de l’objet, parce qu’on veut ou on fait un plus grand bien ; l’autre concerne l’intensité de l’acte ; parce qu’on veut ou on agit avec plus d’intensité, ce qui dépend de celui qui agit. Si l’on considère chez l’un et l’autre la grandeur qui se prend de l’objet, il est évident que le degré de l’acte ne suit pas toujours le degré de l’intention. Cela se vérifie de deux façons pour l’acte extérieur. Premièrement parce que l’objet qu’on rapporte à une fin n’est pas proportionné à cette fin ; si quelqu’un, par exemple voulait avec dix livres acheter un objet valant cent livres, il ne pourrait réaliser son intention. En second lieu, parce que les empêchements peuvent s’opposer à un acte extérieur sans que nous puissions les écarter ; ainsi, on a l’intention d’aller à Rome, et on rencontre des empêchements qui font renoncer à ce voyage.

Mais quant à l’acte intérieur de la volonté, cette disposition n’est possible que d’une seule manière, car les actes intérieurs de la volonté sont en notre pouvoir, et non les actes extérieurs. Mais la volonté peut se porter vers un objet qui n’est pas proportionné à la fin voulue, et en ce cas la bonté de la volonté qui se porte vers l’objet considéré absolument, n’est pas proportionnée à celle de l’intention. Mais parce que l’intention elle-même, d’une certaine façon, fait partie de l’acte de la volonté, dont elle est la raison d’être, sa bonté se communique à la volonté dans la mesure où celle-ci se propose comme fin un bien considérable, quoique le moyen par lequel elle veut l’atteindre ne soit pas à sa hauteur.

Si nous comparons à présent l’intention et l’acte d’après leur intensité, nous voyons l’intention communiquer son intensité à l’acte intérieur et extérieur de la volonté, parce que, comme on l’a vu plus haut, l’intention peut, d’une certaine manière, jouer le rôle de forme à leur égard. Cependant, prise matériellement, l’intention droite peut avoir un degré d’intensité supérieur à celui de l’acte intérieur et de l’acte extérieur ; ainsi, par exemple, lorsqu’on veut prendre un remède avec moins d’intensité qu’on ne veut recouvrer la santé. Cependant cette intention intense qui se porte sur la santé communique son intensité, sur le plan formel, à la volonté de prendre le remède.

Il faut encore ajouter que l’intensité de l’acte intérieur ou extérieur peut aussi devenir l’objet de l’intention ; par exemple, lorsqu’on se propose de vouloir ou d’exécuter une chose avec énergie. Malgré cela, on peut ne pas y parvenir, parce que, comme on vient de le voir, la bonté de l’acte intérieur ou extérieur n’est pas toujours proportionnée à la bonté de l’objet qu’on se propose. De là vient qu’on ne mérite pas toujours autant qu’on le voudrait, parce que le degré de mérite dépend, comme on le verra, de l’intensité de l’acte.

Solutions :

1. La Glose parle ici du jugement que Dieu porte, et qui a principalement égard à l’intention ; aussi une autre Glose ajoute-t-elle que le trésor du cœur est l’intention d’après laquelle Dieu juge les œuvres. En effet, la bonté de l’intention se communique dans une certaine mesure, on vient de le voir, à la volonté qui rend l’acte extérieur lui-même méritoire devant Dieu.

2. La bonté de l’intention n’est pas la seule cause de la bonté de la volonté ; par suite, l’argument ne porte pas.

3. La malice de l’intention suffit à produire la malice de la volonté ; c’est pourquoi le degré de celle-ci est proportionné au degré de celle-là. Mais il n’en est pas de même de la bonté, comme nous venons de le montrer.

 

            Article 9 — La bonté de la volonté dépend-elle de sa conformité à la volonté divine ?

Objections :

1. Il semble que non. Il est impossible que la volonté humaine soit conforme à la volonté divine, suivant ces paroles d’Isaïe (55, 9) : “ Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies le sont au-dessus de vos voies, mes pensées au-dessus de vos pensées. ” Donc, si la bonté de la volonté humaine exigeait la conformité avec la volonté divine, il serait impossible à l’homme d’avoir une volonté bonne, ce qui est inadmissible.

2. Comme notre volonté découle de la volonté divine, notre science découle de la science de Dieu. Or, il n’est pas requis que notre science soit conforme à la science divine, car Dieu sait beaucoup de choses que nous ignorons. Donc il n’est pas nécessaire que notre volonté soit conforme à sa volonté.

3. La volonté est le principe de l’action. Or, notre action ne peut être semblable à celle de Dieu. Donc notre volonté ne doit pas se conformer à sa volonté.

En sens contraire, on peut citer les paroles du Christ, en S. Matthieu (26, 39) : “ Non comme je veux, mais comme tu veux ”, exprimant par là, selon S. Augustin, sa volonté que l’homme soit droit et se dirige vers Dieu. Or, la rectitude de la volonté constitue sa bonté. Donc la bonté de la volonté dépend de sa conformité à la volonté divine.

Réponse :

La bonté de la volonté dépend, comme on l’a dit, de l’intention de la fin. Or, la fin dernière de la volonté humaine, c’est le souverain bien qui est Dieu, nous l’avons dit. Pour être bonne, la volonté humaine doit donc être ordonnée au souverain bien. Ce bien se rapporte premièrement et directement à la volonté divine, comme étant son objet propre. Or, ce qui est premier dans un genre est la mesure et la raison de tout ce que ce genre renferme. Comme une chose n’est droite et bonne que si elle atteint la mesure qui lui est propre, la volonté humaine, pour être bonne, doit donc être conforme à la volonté divine.

Solutions :

1. La volonté humaine ne peut se conformer à la volonté divine au point de l’égaler, mais elle peut s’y conformer par imitation. C’est ainsi que la science de l’homme se conforme à la science divine par la connaissance de la vérité, et que l’action de l’homme se conforme à l’action divine tant qu’elle convient à la nature de celui qui agit ; il n’y a pas là égalité, mais imitation.

2. 3. Cela donne clairement la solution des autres objections.

 

            Article 10 — Pour que la volonté humaine soit bonne, est-il nécessaire qu’elle se conforme à la volonté divine quant à l’objet voulu ?

Objections :

1. Il ne semble pas que ce soit toujours nécessaire. Nous ne pouvons vouloir ce que nous ignorons, car l’objet de la volonté c’est le bien que l’on connaît. Or, nous ignorons la plupart du temps ce que Dieu veut. Donc la volonté humaine ne peut se conformer à la volonté divine quant à l’objet voulu.

2. Dieu veut damner celui dont il prévoit qu’il mourra en état de péché mortel. Donc si l’homme était tenu de conformer sa volonté à celle de Dieu, quant à l’objet, il devrait éventuellement vouloir sa propre damnation, ce qui est inadmissible.

3. Nul n’est tenu de vouloir une chose opposée à la piété. Or, si la volonté de l’homme était conforme à celle de Dieu, elle serait quelquefois opposée à la piété ; si, par exemple, Dieu voulant la mort d’un père, son fils la voulait également. Donc l’homme n’est pas tenu de conformer sa volonté à celle de Dieu quant à l’objet voulu.

En sens contraire, sur ces paroles du Psaume (33, 1) : “ La louange convient aux hommes droits ”, la Glose dit : “ Il a le cœur droit, celui qui veut ce que Dieu veut. ” Or, chacun est tenu d’avoir le cœur droit. Donc chacun doit vouloir ce que Dieu veut.

2. La forme de la volonté, comme de tout acte, vient de l’objet. Donc si l’homme est tenu de conformer sa volonté à celle de Dieu, ce doit être quant à l’objet.

3. Le conflit des volontés provient de ce que des hommes veulent des choses différentes. Or, quiconque a une volonté en conflit avec celle de Dieu a par cela même une volonté mauvaise. Donc la volonté qui n’est pas conforme à la volonté divine quant à l’objet, est mauvaise.

Réponse :

On a vu précédemmenti que la volonté se porte vers l’objet tel qu’il lui est présenté par la raison. Or la raison peut considérer un même être sous des rapports différents, en sorte qu’il soit bon sous un rapport, et ne le soit pas sous un autre. C’est pourquoi celui qui voudra cet être en tant qu’il est bon, et celui qui ne le voudra pas en tant qu’il est mauvais, auront l’un et l’autre une volonté bonne. Ainsi la volonté du juge est bonne lorsqu’il veut la mort d’un bandit parce qu’elle est juste ; et la volonté de l’épouse ou du fils de ce bandit est bonne également lorsqu’ils ne veulent pas sa mort, parce que cette mise à mort est un mal selon la nature.

Or, puisque la volonté suit la perception de la raison ou de l’intelligence, plus l’idée d’un bien perçu par la raison est générale, plus le bien embrassé par la volonté sera général, comme on le voit dans l’exemple cité : le juge a la charge du bien commun, c’est-à-dire de la justice, et c’est pourquoi il veut l’exécution du bandit, laquelle à raison de bien en relation avec l’ordre social ; tandis que l’épouse du bandit doit considérer le bien privé de la famille, et pour cette raison elle veut que son mari ne soit pas exécuté.

Or, le bien de tout l’univers est celui que considère Dieu, son créateur et gouverneur ; aussi tout ce que Dieu veut, il le veut sous la raison du bien commun, qui est sa bonté, laquelle est le bien de tout l’univers. Tandis que la créature ne saisit, selon sa nature, qu’un bien particulier qui lui est proportionné. Or, il arrive que telle chose soit un bien sous une raison particulière, et ne le soit pas sous la raison universelle, et inversement. Cela explique qu’une volonté particulière est bonne lorsqu’elle veut une chose considérée sous un rapport particulier, alors que Dieu qui la considère à un plan universel, ne la veut pas, ou inversement. De là vient aussi que les volontés de plusieurs hommes peuvent être bonnes, même si elles s’opposent par leurs objets parce qu’elles veulent que ceci soit ou ne soit pas selon des rapports différents et particuliers.

Néanmoins la volonté qui se porte vers un bien particulier n’est droite qu’à la condition de le rapporter au bien commun comme à sa fin, ainsi qu’il est naturel à la partie de désirer le bien du tout et de s’y ordonner. Or, c’est la fin qui fournit la raison formelle de vouloir tout ce qui est ordonné à cette fin. Par suite, la volonté d’un bien particulier, pour être droite, doit avoir pour objet matériel ce bien particulier, et pour objet formel le bien commun voulu par Dieu. La volonté humaine est donc tenue de se conformer formellement à la volonté divine quant à l’objet, car elle est tenue de vouloir le bien commun et divin ; mais non matériellement, pour le motif que nous venons de dire. Toutefois la volonté humaine se conforme sous ces deux rapports à la volonté divine d’une certaine manière ; en se conformant à la volonté divine dans une raison de vouloir commune, elle lui est conforme quant à la fin ultime ; et alors même qu’elle ne se conforme pas à la volonté divine quant à l’objet considéré matériellement, elle se rapporte à elle comme à sa cause efficiente ; car cette inclination particulière qui résulte de sa nature ou de l’appréhension de la chose vers laquelle elle se porte, elle la tient de Dieu comme de sa cause efficiente. De là cette maxime : la volonté de l’homme se conforme à la volonté divine parce qu’elle veut ce que Dieu veut qu’elle veuille.

Il y a encore une autre espèce de conformité sous l’angle de la cause formelle, lorsque par exemple la charité porte un homme à vouloir comme Dieu veut. Cette conformité rentre dans la conformité formelle qui résulte du rapport qu’elle introduit avec la fin ultime, rapport qui est l’objet propre de la charité.

Solutions :

1. Nous pouvons connaître d’une manière générale quel est l’objet de la volonté divine. Car nous savons que Dieu veut toute chose sous la raison de bien. Par suite, quiconque veut un objet sous n’importe quelle raison de bien a une volonté conforme à celle de Dieu quant au motif de le vouloir. Mais nous ne savons pas d’une manière particulière ce que Dieu veut ; et, sous ce rapport, nous ne sommes pas tenus de conformer notre volonté à la sienne. Dans la gloire cependant, tous verront en chacune de leurs volontés particulières l’ordre que Dieu établit entre ce qu’ils veulent et ce qu’il veut lui-même. Et c’est pourquoi ils conformeront en tout leur volonté à cane de Dieu, non seulement formellement, mais aussi matériellement.

2. Dieu ne veut pas la damnation de quelqu’un pour la damnation elle-même, ni la mort de quelqu’un en tant qu’elle est mort, car lui-même “ veut que tous les hommes soient sauvés ” (1 Tm 2, 4), mais il veut cela sous la raison de justice. Aussi suffit-il en ce domaine que l’homme veuille observer la justice de Dieu et l’ordre de la nature.

3. Cela donne la réponse à la troisième objection.

Réponse aux objections en sens contraire. Celui qui conforme sa volonté à celle de Dieu, quant à la raison de l’objet voulu, veut davantage ce que Dieu veut que celui qui n’y conforme la sienne que quant à l’objet pris matériellement, car la volonté se porte davantage vers la fin que vers les moyens.

2. L’espèce et la forme de l’acte lui sont donnés par ce qu’il y a de formel dans l’objet, plutôt que par cet objet pris matériellement.

3. Il n’y a pas contradiction entre plusieurs volontés qui veulent des choses différentes pour des raisons différentes. Il n’y en a que dans le cas où pour la même raison et sous le même rapport, quelqu’un veut ce qu’un autre ne veut pas ; ce n’est pas ce dont il est question ici.

 

QUESTION 20 — LA BONTÉ ET LA MALICE DES ACTES HUMAINS EXTÉRIEURS

1. La bonté et la malice sont-elles d’abord dans l’acte de la volonté, ou dans l’acte extérieur ? - 2. La bonté et la malice de l’acte extérieur dépendent-elles entièrement de celle de la volonté ? - 3. La bonté et la malice de l’acte extérieur sont-elles les mêmes que celles de l’acte intérieur ? - 4. L’acte extérieur ajoute-t-il quelque chose à la bonté ou à la malice de l’acte intérieur ? - 5. L’événement ajoute-t-il quelque chose à la bonté et à la malice de l’acte extérieur ? - 6. Le même acte extérieur peut-il être à la fois bon et mauvais ?

 

            Article 1 — La bonté et la malice sont-elles d’abord dans l’acte de la volonté, ou dans l’acte extérieur ?

Objections :

1. Le bien et le mal semblent résider plutôt dans l’acte extérieur que dans l’acte de la volonté. On a vu que la volonté tire sa bonté de l’objet. Or l’acte extérieur est l’objet de l’acte intérieur de la volonté ; car nous disons : vouloir voler, vouloir faire l’aumône. Donc le bien et le mal sont plutôt dans l’acte extérieur que dans l’acte de la volonté.

2. Le bien convient premièrement à la fin, parce que les moyens ne sont bons que par leur rapport à la fin. Or, l’acte de la volonté ne peut tenir lieu de fin comme on l’a vu , tandis que les actes des autres puissances le peuvent. Donc le bien se trouve plutôt dans l’acte d’une autre puissance que dans l’acte de la volonté.

3. On a dit précédemment c que l’acte de la volonté était la forme de l’acte extérieur. Or, la forme est postérieure à la matière, puisqu’elle s’ajoute à elle. Donc le bien et le mal sont dans l’acte extérieur avant d’être dans l’acte de la volonté.

En sens contraire, S. Augustin nous dit “ C’est par la volonté que l’on pèche, et que l’on vit honnêtement. ” Donc le bien et le mal moral consistent avant tout dans l’acte de la volonté.

Réponse :

Les actes extérieurs peuvent être dits bons ou mauvais de deux façons. D’abord dans leur genre et dans leurs circonstances considérées en elles-mêmes ; ainsi on appelle bonne l’action de faire l’aumône, lorsque les circonstances requises sont observées. On appelle encore une chose bonne ou mauvaise à cause de son rapport avec la fin ; ainsi faire l’aumône par vaine gloire est une action mauvaise. La fin étant l’objet propre de la volonté, il est évident que cette qualité de bien et de mal que l’acte extérieur tire de son rapport avec la fin se trouve premièrement dans l’acte de la volonté, et découle de celui-ci dans l’acte extérieur. Mais la bonté ou la malice que l’acte extérieur a par lui-même, à cause de la matière et des circonstances requises, ne découle pas de la volonté, mais plutôt de la raison. Par suite, si l’on considère la bonté de l’acte extérieur selon qu’elle est ordonnée par la raison, elle a priorité sur la bonté de l’acte de la volonté ; mais si on la considère dans l’accomplissement de l’œuvre, elle suit au contraire la bonté de la volonté qui est son principe.

Solutions :

1. L’acte extérieur est l’objet de la volonté en tant que la raison le présente à celle-ci comme un bien conçu et ordonné par elle ; et dans ce sens il a la priorité sur l’acte de la volonté. Mais en tant qu’il consiste dans l’exécution d’une œuvre, il est un effet de la volonté et il la suit.

2. La fin est première dans l’intention, mais dans l’exécution elle vient en dernier lieu.

3. En tant que reçue dans la matière, la forme est postérieure à celle-ci dans l’ordre de la génération, quoique par nature elle passe avant elle. Mais en tant qu’elle se trouve dans la cause agissante, elle a priorité sous tous les rapports. Or, la volonté est cause efficiente de l’acte extérieur. Par suite, la bonté de l’acte de la volonté est la forme de l’acte extérieur, comme faisant partie de la cause agissante.

 

            Article 2 — La bonté et la malice de l’acte extérieur dépendent-elles entièrement de celles de la volonté ?

Objections :

1. Il semble bien que oui. Il est dit en S. Matthieu (7, 18) : “ Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, et un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits. ” Or, d’après la Glose, l’arbre désigne la volonté, et les fruits représentent les œuvres. Donc la volonté ne peut être bonne tandis que l’acte extérieur est mauvais, ni le contraire.

2. S. Augustin dit qu’on ne pèche que par la volonté. Donc, s’il n’y a pas de péché dans la volonté, il n’y en aura pas dans l’acte extérieur. Par suite la bonté et la malice de l’acte extérieur dépendent entièrement de la volonté.

3. Le bien et le mal dont nous parlons différencient les actes moraux. Or, les différences essentielles divisent par elles-mêmes les genres, selon le Philosophe. Donc, l’acte étant moral parce qu’il est volontaire, le bien et le mal d’un acte semblent s’établir uniquement par rapport à la volonté.

En sens contraire, S. Augustin a dit “ Il y a des actions que ni la bonté de la fin, ni celle de la volonté, ne peuvent rendre bonnes. ”

Réponse :

Comme nous l’avons dit précédemment, on peut considérer dans l’acte extérieur deux sortes de bonté ou de malice : l’une résulte de la matière requise et des circonstances ; l’autre du rapport de l’acte avec la fin. Celle-ci dépend entièrement de la volonté. Mais celle qui tient à la matière requise ou aux circonstances dépend de la raison, et la bonté de la volonté en dépendra aussi, dans la mesure où la volonté obéit à la raison.

Il faut toutefois considérer que le mal, d’après ce qu’on a déjà dit, résulte d’un seul défaut particulier ; tandis que le bien, pour exister absolument, exige, non seulement un bien particulier, mais une bonté intégrale. Donc, si la volonté est bonne et dans son objet et dans sa fin, l’acte extérieur sera bon. Pour cela il ne suffit donc pas que l’acte extérieur soit bon de la bonté de l’intention de la fin. Mais si la volonté est mauvaise, soit quant à la fin qu’elle se propose, soit quant à l’acte qu’elle détermine, l’acte extérieur devient par cela même mauvais.

Solutions :

1. La volonté bonne, qui est signifiée par le bon arbre, doit s’entendre de la volonté bonne dans l’acte voulu et dans la fin.

2. La volonté pèche, non seulement en se proposant une fin mauvaise, mais encore en voulant un acte mauvais.

3. On appelle volontaire non seulement l’acte intérieur de la volonté, mais encore les actes extérieurs, en tant qu’ils procèdent de la raison et de la volonté. C’est pourquoi les uns et les autres peuvent être divisés en actes bons et mauvais.

 

            Article 3 — La bonté et la malice de l’acte extérieur sont-elles les mêmes que celles de l’acte intérieur ?

Objections :

1. Non, il ne semble pas. Le principe de l’acte intérieur est une force intérieure de l’âme appréhensive ou appétitive ; tandis que le principe de l’acte extérieur est la puissance qui exécute le mouvement. Or, à divers principes d’action correspondent des actes divers ; et c’est l’acte qui est le sujet de la bonté ou de la malice. Or un même accident ne peut se trouver dans des sujets divers. Donc il ne peut y avoir une même bonté pour l’acte extérieur et pour l’acte intérieur.

2. “ La vertu est ce qui rend bon l’homme qui la possède, et qui rend bonne son œuvre ”, selon le Philosophe. Or, autre est la vertu intellectuelle de la puissance qui commande, et autre la vertu morale de la puissance commandée, comme le Philosophe le prouve. Donc, autre est la bonté de l’acte intérieur qui appartient à la puissance qui commande, et autre celle de l’acte extérieur qui appartient à la puissance commandée.

3. Une chose ne peut être en même temps cause et effet, car rien n’est cause de soi-même. Or la bonté de l’acte intérieur est cause de la bonté de l’acte extérieur ou inversement, comme on vient de le dire 1. Ces actes ne peuvent donc avoir la même bonté.

En sens contraire, nous avons montré que l’acte de la volonté est la forme de l’acte extérieur. Or, la matière et la forme constituent un seul être. La bonté de l’acte intérieur et de l’acte extérieur est donc une.

Réponse :

On a vu plus haut que l’acte extérieur et l’acte intérieur de la volonté sont un, au plan moral. Or, un acte qui est un par son sujet, peut avoir plusieurs raisons de bonté ou de malice ; il peut aussi n’en avoir qu’une. On devra donc dire que la bonté ou la malice de l’acte intérieur et celle de l’acte extérieur sont parfois la même, et parfois différentes. En effet, ces deux bontés ou malices sont subordonnées entre elles, nous l’avons dit. Or, parmi les choses ainsi ordonnées l’une à l’autre, l’une, quelquefois, n’est bonne que par suite de son rapport à l’autre ; une potion amère, par exemple, n’est bonne que parce qu’elle rend la santé ; aussi n’y a-t-il pas une bonté différente de la potion et de la santé ; c’est une seule et même bonté. Parfois au contraire la chose qui est ordonnée à une autre possède, outre la bonté de ce rapport, une raison de bien qui lui est propre ; ainsi un remède agréable au goût a cette bonne qualité, outre celle de guérir. Donc, lorsque la bonté ou la malice de l’acte extérieur ne provient que de son rapport avec la fin, il y a identité parfaite entre la bonté ou la malice de l’acte intérieur de volonté qui vise la fin par lui-même, et de l’acte extérieur qui vise la fin par l’intermédiaire de l’acte de la volonté. Mais quand l’acte extérieur est bon ou mauvais par lui-même, dans sa matière ou dans ses circonstances, autre est la bonté de l’acte extérieur, et autre la bonté que la volonté tire de la fin. Cependant, la bonté que la volonté tire de la fin rejaillit sur l’acte extérieur, et la bonté que l’acte extérieur tire de sa matière ou de ses circonstances rejaillit aussi sur l’acte de la volonté, comme on l’a déjà dit.

Solutions :

1. L’argument prouve que l’acte extérieur et l’acte intérieur sont divers dans l’ordre de la nature, mais ces deux actes concourent à former un seul acte dans l’ordre moral, comme nous l’avons vu.

2. Selon le Philosophe, les vertus morales sont ordonnées à leurs actes comme à leur fin ; la prudence, elle, qui est dans la raison, est ordonnée aux moyens ; c’est pourquoi il faut des vertus différentes. Mais la droite raison qui a pour objet la fin des vertus elles-mêmes, n’a pas d’autre bonté que celle de la vertu, en tant que toutes les vertus participent à la bonté de la raison.

3. Lorsqu’une qualité se communique d’un sujet à un autre comme à partir d’une cause agissante univoque, elle se différencie dans ses sujets ; ainsi lorsqu’un objet en réchauffe un autre, la chaleur du premier est distincte numériquement de la chaleur du second, quoique leur espèce soit la même. Au contraire, quand une qualité se communique d’un objet à un autre selon une certaine analogie ou proportion, elle reste numériquement une ; ainsi la santé, qui se trouve dans le corps animé peut aussi qualifier ensuite la médecine et l’urine ; cependant c’est une même santé que possède le corps, que cause la médecine, que manifeste l’urine. C’est en ce sens que la bonté de la volonté se communique à l’acte extérieur, et inversement, suivant le rapport de l’un à l’autre.

 

            Article 4 — L’acte extérieur ajoute-t-il quelque chose à la bonté ou à la malice de l’acte intérieur ?

Objections :

1. Il semble que non. S. Jean Chrysostome dit : “ C’est la volonté qui est récompensée pour le bien, ou condamnée pour le mal. ” Or, les œuvres sont témoins de la volonté. Donc Dieu ne demande pas des œuvres pour lui-même, pour savoir comment il jugera, mais pour les autres, afin que tous comprennent qu’il est juste. Mais on doit estimer le bien et le mal d’après le jugement de Dieu plutôt que d’après celui des hommes. Donc l’acte extérieur n’ajoute rien à la bonté de l’acte intérieur.

2. Il y a une seule et même bonté de l’acte intérieur et de l’acte extérieur, on vient de le dire à l’article précédent. Mais tout accroissement se fait par addition d’une chose à une chose autre. Donc l’acte extérieur n’ajoute ni bonté ni malice à celle de l’acte intérieur.

3. La bonté de la création entière n’ajoute rien à la bonté de Dieu, parce qu’elle en découle entièrement. Or, la bonté de l’acte extérieur découle quelquefois tout entière de l’acte intérieur, et quelquefois c’est l’inverse, comme on l’a vu. Donc la bonté ou la malice de l’un n’ajoute rien à celle de l’autre.

En sens contraire, tout agent se propose d’atteindre le bien et d’éviter le mal. Donc, si l’acte extérieur n’ajoutait rien à la bonté ni à la malice de l’acte intérieur, celui qui a une bonne ou une mauvaise volonté ferait une bonne œuvre ou s’abstiendrait de faire le mal sans aucun résultat, ce qui est inadmissible.

Réponse :

Si l’on parle de la bonté que l’acte extérieur tire du vouloir de la fin, cet acte n’ajoute rien à la bonté de l’acte intérieur, à moins qu’il ne contribue à rendre la volonté meilleure dans le bien, ou pire dans le mal. Ce qui peut arriver de trois manières.

l° Quant au nombre ; lorsque par exemple quelqu’un veut faire une action pour une fin bonne ou mauvaise, mais ne l’accomplit pas aussitôt ; peu de temps après, il la veut de nouveau et l’accomplit ; dans ce cas, l’acte de la volonté a été répété, et il y a ainsi double bien ou double mal.

2° Quant à l’extension ; lorsque par exemple quelqu’un, voulant d’abord atteindre une fin bonne ou mauvaise, y renonce à cause d’un obstacle qui est survenu, tandis qu’un autre continue de vouloir jusqu’à ce qu’il exécute son dessein ; il est évident que la volonté de ce dernier persévère plus longtemps dans le bien ou dans le mal, et qu’elle est ainsi meilleure ou pire.

3° Quant à l’intensité ; il y a, en effet, des actes qui, agréables ou pénibles de leur nature, augmentent ou affaiblissent l’énergie de la volonté, et celle-ci, suivant le degré d’intensité avec lequel elle se porte vers le bien ou le mal, devient évidemment meilleure ou pire.

Si l’on parle, au contraire, de la bonté que l’acte extérieur tire de sa matière et des circonstances requises, cet acte devient alors terme et fin par rapport à la volonté. Et, de cette manière, il augmente la bonté ou la malice de celle-ci, parce que la perfection de toute inclination et de tout mouvement consiste à atteindre sa fin ou son terme. Il en résulte que la volonté n’est parfaite que si elle est décidée à agir quand l’occasion se présente. Mais si elle n’a pas la possibilité d’agir, quoiqu’elle soit parfaitement décidée à le faire si cela devient possible, le défaut de perfection qui provient de l’acte extérieur est purement involontaire. Or, de même que l’involontaire ne mérite, à cause du bien ou du mal qu’il produit, ni châtiment ni récompense, de même il n’ôte rien à la peine ou à la récompense méritée, si c’est de façon tout involontaire qu’on n’a pas accompli le bien ou le mal.

Solutions :

1. S. Jean Chrysostome parle ici d’une volonté consommée, et qui ne s’abstient parfois d’agir que dans l’impuissance de le faire.

2. Cet argument considère la bonté que l’acte extérieur tire du vouloir de la fin. Or, celle qu’il tire de sa matière et des circonstances est différente de la bonté que la volonté tire de sa fin ; mais elle n’est pas différente de la bonté que la volonté tire de l’acte voulu, dont elle est, en quelque façon, la raison et la cause, comme nous l’avons dit.

3. Ceci donne clairement la solution de la troisième objection.

 

            Article 5 — L’événement qui suit ajoute-t-il quelque chose à la bonté ou à la malice de l’acte extérieur ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. L’effet existe virtuellement dans la cause. Or les événements suivent les actes comme les effets suivent la cause. Donc, ils préexistent virtuellement dans les actes. Mais la bonté ou la malice s’estime d’après la vertu de chacun, car c’est la vertu qui rend bon celui qui la possède, selon Aristote. Donc les événements ajoutent quelque chose à la bonté ou à la malice de l’acte.

2. Le bien que font les auditeurs est un effet consécutif à la prédication du docteur qui les a enseignés, et il contribue à son mérite, d’après ces paroles de S. Paul (Ph 4, 1) : “ Frères très chers et tant désirés, ma joie et ma couronne... ” Donc l’événement qui suit ajoute quelque chose à la bonté ou à la malice de l’acte.

3. La peine n’est augmentée qu’en proportion de la faute, selon ces paroles du Deutéronome (25, 2) : “ Le nombre de coups sera proportionné à la faute. ” Or, l’événement qui suit fait ajouter quelque chose à la peine, car il est dit dans l’Exode (21, 29) : “ Mais si le taureau donnait déjà de la corne depuis quelque temps, et que son propriétaire, dûment averti, ne l’ait pas enfermé, ce taureau, s’il cause la mort d’un homme ou d’une femme, sera lapidé, et son propriétaire sera mis à mort. ” Celui-ci ne serait pas mis à mort si le taureau, même non enfermé, n’avait pas tué quelqu’un. Donc l’événement qui suit ajoute quelque chose à la bonté ou à la malice de l’acte.

4. Celui qui introduit une cause de mort, soit en donnant des coups, soit en portant une sentence, mais sans que la mort s’ensuive, ne contracte pas d’irrégularité ; or, il deviendrait irrégulier si la mort avait lieu. Donc l’événement qui suit ajoute quelque chose à la bonté ou à la malice de l’acte.

En sens contraire, l’événement qui suit ne rend pas bon un acte qui était mauvais, ni mauvais un acte qui était bon. Si quelqu’un, par exemple, fait l’aumône à un pauvre, l’abus qu’en fait celui-ci pour pécher n’ôte rien au mérite de l’aumône ; et de même la patience avec laquelle quelqu’un supporte une injustice ne diminue en rien la faute de celui qui l’a commise. Donc l’événement qui suit n’ajoute rien à la bonté ou à la malice de l’acte.

Réponse :

L’événement qui suit est prévu ou non. S’il est prévu, il ajoute évidemment quelque chose à la bonté ou à la malice de l’acte ; car chez l’homme qui prévoit qu’une foule de maux résulteront de son action et ne s’en abstient pas, la volonté se montre par là d’autant plus désordonnée. Si l’événement qui suit n’a pas été prévu, il faut encore distinguer. S’il suit cet acte par soi et le plus souvent, il ajoute quelque chose à la bonté ou à la malice de l’acte. En effet, il est évident qu’un acte est meilleur de sa nature, quand il peut amener un plus grand nombre de bons résultats, et que celui-là est pire, dont il résulte normalement un plus grand nombre de maux. Mais s’il n’arrive que par accident et très rarement, l’événement qui suit n’ajoute rien à la bonté ou à la malice de l’acte, parce qu’on ne juge pas une chose d’après ce qui lui est accidentel, mais d’après ce qui lui appartient de soi.

Solutions :

1. La vertu de la cause s’apprécie d’après ses effets essentiels, et non d’après ses effets accidentels.

2. Le bien que font les auditeurs est de soi un effet de la prédication ; c’est pourquoi il toume au mérite du prédicateur, surtout quand celui-ci a eu cette intention.

3. L’événement qui fait infliger un tel châtiment suit par soi la cause posée, et en outre il est prévu ; c’est pour cela qu’il est l’objet d’un châtiment particulier.

4. Cet argument serait valable si l’irrégularité venait de la faute. Or elle ne vient pas de la faute, mais d’un fait qui provoque un empêchement sacramentel.

 

            Article 6 — Le même acte extérieur peut-il être bon et mauvais ?

Objections :

1. Il semble que oui. “ Le mouvement continu est un ”, dit Aristote. Or, un même mouvement continu peut être bon et mauvais ; lorsque quelqu’un, par exemple, allant à l’église, se propose d’abord la vaine gloire, puis le service de Dieu. Donc un même acte peut être bon et mauvais.

2. D’après le Philosophe, “ l’action et la passion sont un même acte ”. Or la passion peut être bonne, par exemple, celle du Christ, et l’action mauvaise, par exemple celle des juifs. Donc un même acte peut être bon et mauvais.

3. L’esclave étant comme l’instrument du maître, l’action de l’un est l’action de l’autre, comme s’identifient l’action de l’outil et celle de l’artisan. Or, il peut arriver que cette action procède d’une volonté bonne chez le maître et d’une volonté mauvaise chez l’esclave, et qu’ainsi elle soit bonne d’un côté, et mauvaise de l’autre. Donc un même acte peut être bon et mauvais.

En sens contraire, les contraires ne peuvent exister dans un même sujet. Or le bien et le mal sont contraires. Donc un même acte ne peut être bon et mauvais.

Réponse :

Rien n’empêche qu’une chose soit une si on la rapporte à tel genre, et multiple si on la rapporte à tel autre ; ainsi une surface continue est une, considérée comme quantité, et multiple, considérée sous le rapport de la couleur, si elle est en partie blanche et en partie noire. De cette manière, rien n’empêche qu’un acte soit un, si on le considère dans sa réalité physique, et ne le soit pas, si on le considère dans sa réalité morale, et inversement, comme on l’a vu. Ainsi, une promenade continue ne forme physiquement qu’un seul acte ; moralement, elle peut en former plusieurs, si la volonté du promeneur, qui est le principe des actes moraux, vient à changer. Donc, si l’on considère un acte sous l’angle moral, il est impossible qu’il soit doué à la fois de bonté et de malice morale. S’il n’a qu’une unité physique et pas d’unité morale, il pourra être bon et mauvais.

Solutions :

1. Le mouvement continu inspiré par diverses intentions a bien l’unité physique, mais il n’a pas d’unité morale.

2. L’action et la passion relèvent de la morale dans la mesure où elles sont volontaires. Elles formeront donc deux actes moraux divers, lorsqu’elles procéderont de volontés différentes ; l’une pourra ainsi être bonne, tandis que l’autre sera mauvaise.

3. L’acte de l’esclave, en tant que procédant de sa volonté, n’est pas l’acte du maître, sinon en tant qu’il procède du commandement de celui-ci. Sous cet aspect, il n’est pas rendu mauvais par la volonté mauvaise de l’esclave.

 

QUESTION 21 — LES CONSÉQUENCES DES ACTES HUMAINS RELATIVEMENT À LEUR BONTÉ ET À LEUR MALICE

1. L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, a-t-il raison de rectitude ou de péché ? - 2. Est-il louable ou blâmable ? - 3. Entraîne-t-il mérite ou démérite ? - 4. En est-il ainsi devant Dieu ?

 

            Article 1 — L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, a-t-il raison de rectitude ou de péché ?

Objections :

1. Il semble que non. Selon le Philosophe, “ les monstres sont des péchés dans l’ordre de la nature ”. Or, les monstres ne sont pas des actes, mais des êtres engendrés contrairement à l’ordre de la nature ; et, comme il est dit au même endroit, l’art et la raison imitent la nature. Donc l’acte, du fait qu’il est désordonné et mauvais, n’est pas un péché.

2. Le péché, selon le Philosophe, se produit accidentellement, dans la nature et dans l’art, lorsqu’on ne parvient pas à la fin visée. Mais la bonté ou la malice de l’acte humain consiste principalement dans l’intention et la poursuite de la fin. Donc la malice d’un acte ne lui donne pas raison de péché.

3. Si la malice d’un acte lui donnait raison de péché, partout où il y aurait mal, il y aurait péché. Or cela est faux ; car le châtiment, qui est un mal véritable, n’est pas péché. De ce qu’un acte est mauvais, il ne s’ensuit donc pas qu’il soit un péché.

En sens contraire, nous avons montré plus haut que la bonté de l’acte humain dépend principalement de la loi éternelle, et que, par suite, la malice consiste à s’écarter de celle-ci. Or, c’est en cela que consiste le péché, dit S. Augustin : “ Le péché est toute action, toute parole, tout désir contraire à la loi éternelle. ” Donc tout acte humain, du fait qu’il est mauvais, a raison de péché.

Réponse :

Le mal est plus vaste que le péché, de même que le bien est plus vaste que la rectitude. En effet, toute privation de bien est un mal chez tout être ; tandis que le péché consiste proprement dans un acte exécuté pour une fin avec laquelle il n’est pas dans l’ordre requis. Or, la relation requise avec la fin est réglée selon une mesure déterminée. Chez les êtres qui agissent par nature, cette mesure se confond avec la vertu naturelle qui les incline vers leur fin. Donc, quand l’acte procède d’une vertu naturelle suivant son inclination naturelle à la fin, la rectitude est observée dans l’acte, parce que le juste milieu ne sort pas des extrêmes : c’est-à-dire que l’acte ne sort pas du rapport qui unit le principe actif à la fin. Mais quand l’acte s’écarte de cette rectitude, survient la raison de péché.

Dans les actes accomplis par la volonté, la règle prochaine est la raison humaine ; la règle suprême est la loi éternelle. Toutes les fois, par conséquent, que l’acte se porte vers une fin suivant l’ordre voulu par la raison et par la loi éternelle, il est droit ; toutes les fois qu’il dévie de cette rectitude, il devient péché. Or, il est évident, d’après ce que nous avons dit, que tout acte volontaire est mauvais parce qu’il s’éloigne de l’ordre voulu par la raison et la loi éternelle, et qu’il est bon lorsqu’il y est conforme. Il faut en conclure que tout acte humain, du fait qu’il est bon ou mauvais, reçoit la qualité de rectitude ou de péché.

Solutions :

1. On appelle les monstres des péchés parce qu’ils proviennent d’un péché existant dans la nature.

2. La fin est de deux sortes : ultime et prochaine. Dans le péché d’ordre naturel, l’acte s’écarte de la fin ultime qui consiste dans la perfection de l’être engendré, mais il ne manque pas toute la fin prochaine, car toute action de la nature produit quelque chose. De même, dans le péché de la volonté, l’acte s’écarte toujours de la fin ultime, parce que nul acte volontaire mauvais ne peut être rapporté à la béatitude, qui est la fin ultime. Toutefois il ne s’écarte pas de la fin prochaine que la volonté vise et atteint. Et comme cette intention elle-même est rapportée à la fin ultime, on peut trouver en elle la rectitude ou le péché.

3. C’est l’acte qui ordonne un être à sa fin ; c’est pourquoi le péché qui est une déviation de l’ordre qui mène à la fin consiste proprement dans un acte. Mais le châtiment regarde la personne qui pèche, comme on l’a dit dans la première Partie.

 

            Article 2 — L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, est-il louable ou coupable ?

Objections Il semble que non. Selon le Philosophe, “ le péché se trouve même dans les actions régies par la nature ”. Or, ces actions n’entraînent ni louange, ni culpabilité, dit Aristote. Donc un acte humain, du fait qu’il est mauvais ou péché, n’a pas raison de faute et de même il n’est pas louable du fait qu’il est bon.

2. Le péché se rencontre dans les œuvres de l’art comme dans les actes moraux. En effet, dit le Philosophe, “ le grammairien qui n’écrit pas correctement et le médecin qui ne prescrit pas une bonne potion pèchent également ”. Mais on ne juge pas coupable un artisan du fait que son ouvrage est mauvais, car l’habileté réside en ce domaine à faire bien ou mal quand on le veut. Donc un acte moral n’est pas coupable non plus du fait qu’il est mauvais.

3. Denys dit que “ le mal est faible et impuissant ”. Or, la faiblesse et l’impuissance excusent de la faute, en tout ou en partie. Donc un acte humain n’est pas coupable du fait qu’il est mauvais.

En sens contraire, le Philosophe appelle louables les actions vertueuses, et blâmables ou coupables les actions opposées. Or les actes bons sont des actes vertueux, car “ la vertu rend bon celui qui la possède et rend son œuvre bonne ”, si bien que les actes opposés sont mauvais. Donc l’acte humain est louable ou coupable.

Réponse :

De même que le mal est plus vaste que le péché, le péché à son tour est plus vaste que l’acte coupable. Un acte est dit coupable ou louable du fait qu’il est imputé à l’agent ; car louer ou blâmer n’est rien d’autre qu’imputer à quelqu’un la bonté ou la malice de son acte. Car l’acte est imputé à l’agent lorsqu’il est en son pouvoir de telle sorte qu’il le maîtrise. C’est le cas dans tous les actes volontaires, parce que la volonté confère à l’homme la maîtrise de ses actes, comme nous l’avons dit. Il s’ensuit que dans les seuls actes volontaires, le bien et le mal constituent la raison de louange et de culpabilité ; dans ces actes, le mal, le péché et l’acte coupable sont une même chose.

Solutions :

1. Les actes naturels ne sont pas au pouvoir de l’agent, parce que sa nature est entièrement déterminée. C’est pourquoi, s’il y a du péché dans ces actes, il n’y a pas là de faute.

2. Dans le domaine de l’art la raison ne joue pas le même rôle que dans celui de la morale. En art, la raison s’ordonne à une fin particulière qu’elle a inventée ; en morale, elle s’ordonne à la fin générale de la vie humaine. Et la fin particulière est ordonnée à la fin générale. Comme il y a péché lorsqu’on s’écarte de l’ordre qui unit l’acte à la fin, nous l’avons dit -, il peut y avoir dans l’art deux sortes de péchés. L’un consiste dans la déviation par rapport à la fin particulière que s’est proposée l’artisan, et celui-là est propre à l’art ; par exemple, lorsqu’un artisan voulant bien faire une chose l’exécute mal, ou fait bien ce qu’il voulait faire mal. L’autre péché consiste dans une déviation par rapport à la fin générale de la vie humaine. En ce sens, l’artisan péchera s’il veut exécuter, et s’il exécute en effet un mauvais ouvrage qui trompera un autre homme. Mais ce péché n’est pas propre à l’artisan comme tel ; il lui appartient comme homme ; en sorte que dans le premier cas, c’est l’artisan comme artisan qui pèche, dans le second, c’est l’homme comme homme. Mais dans la morale, qui met la raison en rapport avec la fin générale de la vie humaine, le péché et le mal résultent toujours de la déviation à l’égard de cette fin ; et, dans ce cas, l’homme pèche en tant qu’il est homme et agent moral. De là cette déclaration du Philosophe : “ Dans l’art il vaut mieux pécher volontairement, mais il n’en est pas de même par rapport à la prudence ” et aux autres vertus morales que la prudence gouverne.

3. La faiblesse qui se trouve dans le mal volontaire est soumise au pouvoir de l’homme ; par suite, elle n’enlève ni ne diminue la culpabilité.

 

            Article 3 — L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, entraîne-t-il mérite ou démérite ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. On parle de mérite et de démérite par rapport à une rétribution qui ne joue que dans la relation à autrui. Or tous les actes humains bons ou mauvais ne sont pas relatifs à autrui ; il y en a qui sont relatifs à soi-même. Donc tout acte humain bon ou mauvais n’entraîne pas mérite ou démérite.

2. Personne ne mérite une peine ou une récompense parce qu’il dispose à son gré d’une chose dont il est le maître ; ainsi un homme qui détruit ce qui lui appartient, n’est pas puni comme s’il détruisait le bien d’autrui. Or, l’homme est maître de ses biens. Donc, du fait qu’il en dispose bien ou mal, il ne mérite ni peine ni récompense.

3. De ce qu’on acquiert un bien, on ne mérite pas un bienfait supplémentaire de la part d’autrui, et il en est de même pour le mal. Or, l’acte bon est en quelque façon le bien et la perfection de l’agent, et l’acte désordonné est son mal. Donc l’homme ne mérite ni ne démérite dans ses actes bons ou mauvais.

En sens contraire, nous lisons dans Isaïe (3, 10.11) : “ Bénissez le juste, car il se nourrira du fruit de ses œuvres ; maudissez l’impie, car il sera traité selon I’œuvre de ses mains. ”

Réponse :

Le mérite et le démérite sont relatifs à une rétribution conforme à la justice. Une pareille rétribution n’a lieu que lorsque quelqu’un favorise ou lèse les droits d’autrui. Pour comprendre cela, il faut considérer que tout homme vivant dans une société est, dans une certaine mesure, partie et membre de toute la société. Par suite, quiconque fait du bien ou du mal à un individu vivant dans une société, fait du bien ou du mal à cette société elle-même ; de même que celui qui blesse la main d’un homme, blesse l’homme lui-même. Donc, lorsqu’on fait du bien ou du mal à une personne particulière, on acquiert un double mérite ou démérite. D’abord en ce qu’on acquiert un droit à une rétribution de la part de la personne aidée ou lésée. Ensuite de la part de la société tout entière. Et lorsqu’on ordonne directement son acte au bien ou au mal de toute une collectivité, on a droit à une rétribution, premièrement et par principe de la part de cette collectivité, et en second lieu de la part de chacun de ses membres. D’autre part, lorsqu’on se fait du bien ou du mal à soi-même, on a droit à une rétribution, parce que, comme on fait partie d’une collectivité, ce bien ou ce mal rejaillissent sur elle ; cependant on n’a pas de mérite à l’égard de la personne particulière affectée par ce bien et ce mal, car cette personne n’est autre que soi ; à moins que l’on ne dise par analogie qu’on doit se faire justice à soi-même.

De tout ce qui précède, il résulte que tout acte bon ou mauvais est louable ou blâmable selon qu’il est au pouvoir de la volonté ; qu’il est droit ou qu’il est un péché selon son rapport avec la fin ; et qu’il entraîne mérite ou démérite selon la rétribution conforme à la justice envers autrui.

Solutions :

1. Quoique les actes bons et mauvais ne soient pas toujours ordonnés au bien ou au mal d’une autre personne particulière, ils concernent toujours le bien ou le mal d’un autre, qui est la communauté elle-même.

2. Ayant la maîtrise de ses actes, l’homme, en tant qu’il est soumis à la communauté dont il fait partie, mérite ou démérite selon qu’il dispose ses actions en bien ou en mal, comme lorsqu’il administre bien ou mal les biens qui sont au service de la communauté.

3. Le bien et le mal qu’on se fait par ses actions rejaillit sur la communauté, comme on vient de le dire.

 

            Article 4 — L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, entraîne-t-il mérite ou démérite devant Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non. On a dit précédemment que le mérite et le démérite désignent une rétribution pour le profit ou pour le dommage causé à autrui. Or, le bien ou le mal que peut faire l’homme ne cause aucun profit ni aucun dommage à Dieu, d’après ces paroles de Job (35, 6.7) : “ Si tu pèches, quel dommage lui feras-tu ? Si tu observes la justice, que lui donneras-tu ? ” Donc les actes bons ou mauvais n’ont pas de mérite ni de démérite par rapport à Dieu.

2. L’instrument ne mérite ni ne démérite rien auprès de celui qui s’en sert, parce que toute l’action de l’instrument vient de l’agent. Or, l’homme, dans ses actes, est l’instrument de la puissance divine qui est son moteur principal ; aussi Isaïe dit-il (9, 15) : “ La hache se glorifie-t-elle aux dépens de celui qui la brandit ? La scie s’élève-t-elle contre celui qui la met en mouvement ? ” Dans ce passage l’homme est évidemment comparé à un instrument. Donc l’homme, en agissant bien ou mal, ne mérite ni ne démérite devant Dieu.

3. L’acte humain entraîne mérite ou démérite en tant qu’il est ordonné à autrui. Or, tous les actes humains ne sont pas ordonnés à Dieu. Donc tous les actes humains bons ou mauvais n’ont pas de mérite ou de démérite devant Dieu.

En sens contraire, il est dit à la fin de l’Ecclésiaste (12, 14) : “ Tout ce qui se fait, soit bien, soit mal, Dieu le soumettra à son jugement. ” Or, le jugement implique la rétribution, qui suppose elle-même le mérite et le démérite. Donc tout acte humain, bon ou mauvais, comporte mérite ou démérite devant Dieu.

Réponse :

Comme on l’a vu, les actes de l’homme ont mérite ou démérite en ce qu’ils sont ordonnés à un autre homme, soit en raison de lui-même, soit en raison de la communauté dont il fait partie. Or nos actes bons et mauvais acquièrent mérite ou démérite auprès de Dieu de ces deux manières. Ils ont rapport à Dieu lui-même en tant qu’il est la fin ultime de l’homme ; car tous nos actes doivent être rapportés à leur fin ultime, comme on l’a vu. Aussi celui qui commet une mauvaise action qui ne peut être rapportée à Dieu ne rend pas à Dieu l’honneur qu’il lui doit comme à la fin ultime. Mais du point de vue de la communauté universelle, nos actes ont aussi rapport à Dieu. Car dans toute communauté, celui qui gouverne est chargé de veiller au bien commun ; c’est donc à lui qu’il appartient de récompenser le bien et de punir le mal qui se font dans la communauté. Or, Dieu est le gouverneur et le chef de l’univers, nous l’avons vu dans la première Partie, et en particulier des créatures raisonnables. Par suite, il est évident que les actes humains entraînent mérite ou démérite devant lui, sinon il faudrait conclure que Dieu se désintéresse des actions humaines.

Solutions :

1. Les actes de l’homme ne peuvent rien enlever ni donner à Dieu, absolument parlant. Toutefois, l’homme lui donne et lui enlève quelque chose, autant qu’il est en son pouvoir, en observant ou non l’ordre instauré par Dieu.

2. L’homme est mû par Dieu comme un instrument, mais de manière à pouvoir se mouvoir lui-même à l’aide de son libre arbitre, comme on l’a montré plus haut. C’est pourquoi ses actes ont un mérite ou un démérite devant Dieu.

3. L’homme n’est pas ordonné dans tout son être et dans tous ses biens à la communauté politique ; c’est pourquoi tous ses actes n’ont pas forcément mérite ou démérite envers cette communauté. Mais tout ce qu’il est, tout ce qu’il a, et tout ce qu’il peut, l’homme doit l’ordonner à Dieu ; c’est pourquoi tout acte humain bon ou mauvais a un mérite ou un démérite devant Dieu, autant qu’il réalise la notion d’acte.

Après avoir traité des actes humains, il faut étudier les passions de l’âme ; d’abord, en général ; puis chacune en particulier (Q. 26). L’étude générale peut se diviser en quatre parties ; l° le siège des passions (Q. 22) ; 2° leurs caractères distinctifs (Q. 23) ; 3° leurs rapports mutuels (Q. 25) ; 4° leur malice et leur bonté (Q. 24).

 

QUESTION 22 — LE SIÈGE DES PASSIONS

1. Y a-t-il des passions dans l’âme ? - 2. Dans sa partie appétitive, plutôt que dans sa partie cognitive ? - 3. Dans l’appétit sensible, plutôt que dans l’appétit intellectuel, appelé volonté ?

 

            Article 1 — Y a-t-il des passions dans l’âme ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait aucune passion dans l’âme. Car pâtir est le propre de la matière. Mais l’âme n’est pas composée de matière et de forme, nous l’avons établi dans la première Partie. Donc il n’y a aucune passion dans l’âme.

2. La passion étant un mouvement, selon Aristote, ne peut exister dans l’âme, qui n’est pas susceptible de mouvement, d’après le même Philosophe.

3. La passion est un acheminement à la corruption, selon le mot d’Aristote : “ Toute passion, lorsqu’elle grandit, détruit la substance. ” Or l’âme est incorruptible. Elle n’est donc le sujet d’aucune passion.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 7, 5) “ Lorsque nous étions dans la chair, les passions de péché, excitées par la loi, travaillaient dans nos membres. ” Or le péché réside, à proprement parler, dans l’âme ; c’est donc en elle que se trouvent ces passions, dites “ passions de péché ”.

Réponse :

Le mot “ pâtir ” se prend dans trois sens : au sens large, selon que toute réception est un pâtir, même si le sujet récepteur n’y perd rien ; on dit ainsi que l’air pâtit quand il reçoit la lumière. C’est là être perfectionné plutôt que pâtir. - Au sens propre, on parle de pâtir quand il y a réception avec rejet d’autre chose. Mais cela se produit de deux manières. Quelquefois ce qui est rejeté ne convenait pas au sujet ; ainsi dit-on que le corps d’un animal pâtit quand il recouvre la santé avec expulsion de la maladie. D’autres fois c’est l’inverse qui a lieu : tomber malade est aussi pâtir, du fait qu’on subit le mal, avec perte de la santé. Cette dernière façon de pâtir définit la passion au sens le plus propre du terme. En effet, pâtir, c’est être attiré vers ce qui agit sur vous ; et on ne l’est jamais davantage que lorsqu’on doit s’éloigner de ce qui vous convenait. Aristote écrit de même que l’on parle de génération pure et simple, et de corruption relative, quand un corps plus noble est engendré d’un autre qui l’est moins, tandis que c’est l’inverse quand l’être moins noble est engendré du plus noble.

Or la passion peut se trouver dans l’âme aux trois sens que nous venons de distinguer. En tant que réception, sans plus, on dit : “ Sentir et comprendre sont un certain pâtir. ” Quant à la passion qui implique rejet, elle ne peut se produire que par transmutation corporelle ; ce qui fait que la passion proprement dite ne regarde l’âme qu’accidentellement, c’est-à-dire en tant que le composé lui-même pâtit. Mais là aussi il faut distinguer : quand la transmutation va vers le pire, elle vérifie mieux la définition de la passion que lorsqu’elle va vers le meilleur. C’est ainsi que la tristesse est une passion, à proprement parler, plus que la joie.

Solutions :

1. La passion qui comporte rejet et transmutation ressortit à la seule matière, aussi ne la trouve-t-on que dans les composés de matière et de forme. Mais celle qui est pure réception n’appartient pas nécessairement à la matière, et peut exister chez tout ce qui est en puissance. Or l’âme, bien qu’elle ne soit pas composée de matière et de forme, implique une certaine potentialité, qui lui permet de recevoir et de pâtir, au sens où, selon Aristote, “ comprendre est un certain pâtir ”.

2. S’il est vrai que la passion et le mouvement ne sauraient convenir à l’âme en elle-même, celle-ci en est bien pourtant le sujet, mais par accident, selon Aristote.

3. L’argument vaut pour la passion avec transmutation physiologique détériorante, qui ne peut s’attribuer à l’âme que par accident ; de soi et directement, elle convient au composé, qui est corruptible.

 

            Article 2 — Les passions sont-elles dans la partie appétitive de l’âme, plutôt que dans sa partie cognitive ?

Objections :

1. Il semble que les passions soient plutôt dans la partie cognitive car, selon Aristote, “ ce qui est premier en n’importe quel genre l’emporte sur tous les êtres de ce genre et en est la cause ”. Or c’est le pouvoir de perception qui est affecté le plus par la passion ; la passion de l’appétit ne vient qu’ensuite, et ne saurait donc prétendre à la primauté.

2. Ce qui est plus actif apparaît donc moins passif, car l’action s’oppose à la passion. Mais la partie appétitive est plus active que la partie appréhensive. Donc il semble que la passion se trouve davantage dans cette dernière.

3. De même que l’appétit sensitif est une faculté située dans un organe corporel, de même la faculté qui connaît selon les sens. Mais la passion de l’âme, à proprement parler, est accompagnée d’une transmutation corporelle. Donc la passion ne se trouve pas plus dans l’appétit sensible que dans la connaissance sensible.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Les mouvements de l’âme que les Grecs nomment pathè, certains des nôtres, comme Cicéron, les appellent troubles ; d’autres, affections ou sentiments ; d’autres enfin, et avec plus de rigueur, les appellent passions, comme les Grecs. ” Ce texte montre bien que passions de l’âme et affections sont identiques. Or les affections appartiennent manifestement à l’appétit et non au pouvoir de connaître ; il en va donc de même pour les passions.

Réponse :

Le mot “ passion ”, nous l’avons dit, implique que le patient est attiré vers ce qui agit sur lui. Or l’âme est attirée vers les choses bien plus par ses tendances appétitives que par son pouvoir de connaître. Car ces tendances l’orientent vers les choses elles-mêmes selon qu’elles sont en elles-mêmes ; ce qui fait dire au Philosophe que “ le bien et le mal ”, objets de l’appétit, “ sont dans les choses elles-mêmes ”. Au contraire, la faculté de perception n’est pas attirée par les choses selon qu’elles sont en elles-mêmes, mais elle les connaît selon leur représentation, qu’elle détient en elle-même ou qu’elle reçoit, selon son propre mode d’exister : “ Le vrai et le faux ”, qui regardent la connaissance, “ ne sont pas dans les choses mais dans l’esprit ”, dit au même endroit Aristote. Il est donc manifeste que la notion de passion se réalise mieux dans la partie affective de l’âme que dans la partie appréhensive.

Solutions :

1. Dans le domaine de ce qui est parfait et dans celui où il y a un manque, les choses sont en sens contraire. Car, dans le domaine du parfait, l’intensité se définit par la proximité plus ou moins grande envers un premier et unique principe ; ainsi une source lumineuse est plus ou moins intense selon qu’elle est plus ou moins proche de la lumière parfaite. Au contraire, dans le domaine de ce qui manque, l’intensité se détermine non par approche d’un summum, mais par éloignement de ce qui est parfait, car c’est en cela que consiste la privation et le manque. Et donc, moins on s’éloigne du premier principe et moins le manque est grand ; et c’est pourquoi, au principe, il est toujours minime, mais il grandit à mesure qu’on avance. Or, qui dit passion dit un certain manque, car la passion appartient à un être selon qu’il est en puissance. C’est ce qui explique que chez les êtres plus proches de la perfection suprême, c’est-à-dire de Dieu, on trouve peu de potentialité et de passion ; et davantage chez les autres. De même, dans la première puissance de l’âme, qui est la puissance appréhensive, la raison de passion se vérifie moins bien.

2. On dit que la faculté appétitive est plus active parce qu’elle est davantage principe des actes extérieurs. Elle l’est précisément pour la même raison qui la rend plus passive : sa référence aux choses telles qu’elles sont en elles-mêmes ; l’action extérieure, en effet, tend à nous mettre en possession des choses.

3. Comme nous l’avons vu dans la première Partie, un organe de l’âme peut être sujet de transmutation à un double titre ; 1° la transmutation est spirituelle ; l’organe ne reçoit que la représentation de la chose. C’est ce qui se produit essentiellement dans l’acte de la faculté sensible de perception ; l’œil est modifié par l’objet visible, en ce sens qu’il reçoit l’image de la couleur, non la couleur elle-même ; - 2° il y a une autre transmutation, physique, de l’organe qui est alors modifié dans ses dispositions de nature : il s’échauffe ou se refroidit, ou se modifie de quelque manière. Cette sorte de transmutation est accidentelle par rapport à l’acte de la faculté de connaissance sensible ; telles sont la fatigue de l’œil quand il se fixe intensément, ou les lésions que lui inflige une lumière trop vive. Au contraire, dans l’acte de l’appétit sensitif, cette dernière transmutation est essentielle. C’est pourquoi, dans la définition des mouvements de la partie affective, entre à titre matériel une certaine modification naturelle de l’organe ; ainsi la colère est définie comme “ l’échauffement du sang dans la région du cœur ”. Il est donc évident que l’idée de passion se vérifie mieux dans l’acte de l’appétit sensitif que dans celui de la faculté de connaissance sensible, bien que l’un et l’autre soient les actes d’un organe corporel.

 

            Article 3 — Les passions sont-elles dans l’appétit sensible plutôt que dans l’appétit intellectuel appelé volontés ?

Objections :

1. Il semble que la passion ne réside pas davantage dans l’appétit sensible que dans l’appétit intellectuel. En effet, Denys affirme que Hiérothée “ est instruit par une sorte d’inspiration divine : il n’apprend pas seulement le divin, il l’expérimente en le subissant ”. Mais cette expérimentation du divin ne peut ressortir à l’appétit sensible dont l’objet est le bien présenté aux sens. Donc la passion existe dans l’appétit intellectuel comme dans l’appétit sensible.

2. La passion est d’autant plus forte que la cause agente est plus puissante. Or l’objet de l’appétit intellectuel, qui est le bien universel, agit plus puissamment que le bien particulier, objet de l’appétit sensible. La passion est donc plutôt dans l’appétit intellectuel.

3. La joie et l’amour sont des passions ; mais on les trouve aussi bien dans l’appétit intellectuel que dans l’appétit sensible ; sans cela l’Écriture ne les attribuerait pas à Dieu et aux anges.

En sens contraire, S. Jean Damascène décrit en ces termes les passions de l’âme : “ La passion est un mouvement de l’appétit sensible se portant sur le bien ou sur le mal présenté par l’imagination. ” Et encore : “ La passion est un mouvement de l’âme irrationnelle qui soupçonne le bien ou le mal. ”

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, il y a passion au sens propre lorsque se produit une transmutation corporelle. Cette transmutation existe dans les actes de l’appétit sensible ; elle n’est pas spirituelle seulement, comme dans la perception sensible, elle est naturelle aussi. Or l’acte de l’appétit intellectuel ne requiert pas de transmutation corporelle, parce que cet appétit n’est la faculté d’aucun organe. On voit ainsi que la notion de passion se vérifie, en un sens plus strict, dans l’acte de l’appétit sensible que dans celui de l’appétit intellectuel, comme le disent clairement les définitions de S. Jean Damascène que nous avons citées.

Solutions :

1. La passion par laquelle on expérimente le divin selon Denys, c’est l’attachement et l’union au divin produit par l’amour ; mais cela se fait sans transmutation corporelle.

2. La grandeur de la passion ne dépend pas. seulement de la puissance de l’agent, mais aussi de la passibilité du patient ; les êtres très sensibles pâtissent beaucoup, même sous l’action de causes faibles. Donc, bien que l’objet de l’appétit intellectuel soit plus actif que celui de l’appétit sensible, c’est celui-ci qui est le plus passif.

3. Lorsque l’on attribue l’amour, la joie et autres sentiments semblables, à Dieu, aux anges, ou aux hommes en tant que doués d’appétit intellectuel, on entend signifier l’acte simple de la volonté, qui produit des effets semblables, mais sans passion. Ce qui fait dire à S. Augustin : “ Les saints anges punissent sans colère et nous secourent sans compasssion pour notre misère. Et pourtant, le langage courant leur attribue aussi ces passions, non qu’ils soient sujets à cette faiblesse, mais à cause d’une certaine ressemblance dans les œuvres. ”

 

QUESTION 23 — COMMENT LES PASSIONS SE DISTINGUENT ENTRE ELLES

1. Les passions du concupiscible diffèrent-elles des passions de l’irascible ? - 2. L’opposition de contrariété entre les passions de l’irascible est-elle une contrariété selon le bien et le mal ? - 3. Y a-t-il une passion qui n’ait pas de contraire ? - 4. Y a-t-il dans la même puissance des passions d’espèce différente qui ne soient pas contraires entre elles ?

 

            Article 1 — Les passions du concupiscible diffèrent-elles des passions de l’irascible ?

Objections :

1. Il semble qu’il y ait les mêmes passions dans l’irascible et dans le concupiscible. En effet, Aristote écrit que les passions de l’âme “ sont suivies de joie et de tristesse ”. Or, joie et tristesse sont dans le concupiscible. Donc toutes les passions sont dans le concupiscible, et non pas les unes dans l’irascible et les autres dans le concupiscible.

2. Sur S. Matthieu (13, 33) : “ Le Royaume des Cieux est comparable à du levain ”, la glose de S. Jérôme nous dit : “ Ayons dans notre raison la prudence ; dans l’irascible, la haine des vices ; dans le concupiscible, le désir des vertus. ” Or la haine est dans le concupiscible, comme l’amour son contraire. Une même passion se trouve donc dans le concupiscible et dans l’irascible.

3. Les passions et les actes diffèrent spécifiquement en raison de leurs objets. Or les objets des passions de l’irascible et du concupiscible sont les mêmes, à savoir le bien et le mal. C’est donc que les passions de l’irascible et du concupiscible sont aussi les mêmes.

En sens contraire, les actes de puissances diverses, comme la vision et l’audition, ne sont pas de même espèce. Or l’irascible et le concupiscible sont deux puissances qui se partagent l’appétit sensitif, comme nous l’avons vu dans la première Partie. Donc, puisque les passions sont des mouvements de l’appétit sensitif, comme nous l’avons dit, celles qui sont dans l’irascible différeront spécifiquement de celles du concupiscible.

Réponse :

Les passions de l’irascible ne sont pas de même espèce que celles du concupiscible. En effet, puisque les puissances diverses ont des objets divers comme nous l’avons dit dans la première Partie, il est nécessaire que les passions de ces puissances se réfèrent à des objets divers. A plus forte raison les passions de ces puissances diverses seront-elles différentes spécifiquement ; il faut, en effet, pour diversifier l’espèce des puissances, une plus grande différence dans l’objet que pour diversifier l’espèce des passions ou des actes. Car, dans le monde de la nature, la diversité des genres vient de la diversité potentielle de la matière, et la diversité des espèces vient de la diversité des formes dans une même matière ; de même, dans les actes de l’âme, ceux qui appartiennent à des puissances diverses diffèrent non seulement au point de vue de l’espèce, mais aussi à celui du genre.

Pour savoir alors quelles sont les passions de l’irascible et celles du concupiscible, il faut donc considérer l’objet de ces deux puissances. Nous avons vu dans la première Partie que l’objet de la puissance concupiscible est le bien ou le mal sensible purement et simplement, qu’il soit agréable ou douloureux. Mais il est nécessaire que l’âme souffre parfois difficulté et combat pour atteindre quelqu’un de ces biens ou fuir quelqu’un de ces maux, parce que cela dépasse en quelque sorte l’exercice facile de son pouvoir d’être animé ; c’est pourquoi ce bien ou ce mal, en tant qu’il présente un caractère ardu ou difficile, constitue l’objet de l’irascible. Donc, toute passion qui regarde le bien ou le mal de façon absolue appartient au concupiscible ; ainsi la joie, la tristesse, l’amour, la haine, etc. Et toute passion qui regarde le bien ou le mal en tant qu’il est ardu, c’est-à-dire en tant qu’il y a difficulté à l’atteindre ou à l’éviter, appartient à l’irascible, comme l’audace, la crainte, l’espérance, etc.

Solutions :

1. Nous l’avons vu dans la première Partie, l’irascible a été donné aux animaux pour vaincre les obstacles qui empêchent le concupiscible de tendre vers son objet, parce que le bien est difficile à atteindre, ou le mai difficile à vaincre. C’est pourquoi toutes les passions de l’irascible se terminent dans celles du concupiscible. C’est en ce sens que les passions de l’irascible sont suivies par la joie ou la tristesse, qui sont dans le concupiscible.

2. S. Jérôme attribue la haine des vices à l’irascible, non pas en raison de la haine elle-même, qui appartient strictement au concupiscible, mais à cause de l’agressivité qu’elle implique et qui relève de l’irascible.

3. Le bien, en tant que délectable, meut le concupiscible. Mais si le bien à atteindre présente quelque difficulté, il comporte une opposition à ce concupiscible. Il fallait donc qu’il y eût une autre puissance pour tendre vers le bien ; et il en va de même pour le mal. Cette puissance est précisément l’irascible, dont les passions ne sont donc pas de la même espèce que celles du concupiscible.

 

            Article 2 — L’opposition de contrariété entre les passions de l’irascible est-elle une contrariété selon le bien et le mal ?

Objections :

1. Il semble qu’elle ne puisse venir que de là, car, nous l’avons dit, les passions de l’irascible sont ordonnées à celles du concupiscible. Mais celles-ci ne sont contraires l’une à l’autre qu’en raison de la contrariété du bien et du mal ; ainsi de l’amour et de la haine, de la joie et de la tristesse. Donc les passions de l’irascible s’opposent de la même façon.

2. Les passions diffèrent selon leurs objets comme les mouvements selon leurs termes. Or il n’y a de contrariété dans les mouvements qu’en fonction de la contrariété des termes, selon Aristote. Donc, dans les passions aussi, il n’y a de contrariété que selon la contrariété des objets. Mais l’objet de l’appétit est le bien ou le mal. Donc en aucune puissance affective il ne peut exister de contrariété entre les passions, si ce n’est à cause de la contrariété du bien et du mal.

3. “ Toute passion de l’âme, dit Avicenne, se définit selon l’approche ou l’éloignement. ” Or l’approche est produite par le bien en tant que tel, et l’éloignement par le mal en tant que tel, puisque “ le bien est ce que tous les êtres désirent ”, d’après Aristote, et le mal, ce que tous les êtres fuient. La contrariété dans les passions de l’âme ne peut donc exister que par référence au bien et au mal.

En sens contraire, la crainte et l’audace sont des contraires, comme on le voit dans l’Éthique. Or ces passions ne diffèrent pas en fonction du bien et du mal, puisque toutes deux regardent certains maux. Donc toute contrariété entre les passions de l’irascible n’est pas déterminée par la contrariété du bien et du mal.

Réponse :

Comme dit la Physique d’Aristote, “ la passion est un certain mouvement ”. La contrariété dans les passions devra donc s’entendre comme celle des mouvements ou des changements. Or, il y a dans ces derniers deux sortes de contrariétés, comme l’explique le même Philosophe. La première se prend du même terme, selon qu’on s’en approche ou qu’on s’en éloigne ; elle se vérifie au sens propre dans les changements, c’est-à-dire dans la génération, - changement qui aboutit à l’être -, et dans la corruption, changement qui en éloigne. La seconde contrariété est déterminée par la contrariété des termes ; elle joue à proprement parler dans l’ordre des mouvements ; comme le blanchiment, mouvement du noir au blanc, s’oppose au noircissement, qui est le mouvement du blanc vers le noir.

Ainsi donc, dans les passions de l’âme, nous trouverons une double contrariété : l’une selon la contrariété des objets, c’est-à-dire du bien et du mal ; l’autre, selon l’approche et l’éloignement par rapport à un même terme. Dans les passions du concupiscible on ne trouve que la première sorte de contrariété, celle qui vient des objets ; mais dans les passions de l’irascible on trouve les deux. La raison en est que l’objet du concupiscible, comme nous l’avons vu, est le bien ou le mal sensible pris absolument. Or le bien, en tant que bien, n’est pas un terme dont on pourrait s’éloigner, un terme a quo (à partir duquel), mais seulement ad quem (vers lequel) on se porte, car rien ne fuit le bien, en tant que bien ; tout, au contraire, le désire. De même, rien ne désire le mal, comme mal, mais tout le fuit ; c’est pourquoi le mal ne peut avoir raison de terme dont on s’approche, mais seulement dont on s’éloigne. Ainsi donc, toute passion du concupiscible qui regarde le bien est tendance vers lui, comme l’amour, le désir et la joie ; toute passion du même concupiscible qui a pour objet le mal est éloignement de lui, comme la haine, la fuite ou l’aversion et la tristesse. Il ne saurait donc y avoir, dans les passions du concupiscible, de contrariété définie par accès et éloignement relatifs à un même objet.

Mais l’objet de l’irascible est le bien ou le mal sensible, non pas pris absolument, mais en tant que difficile ou ardu, comme nous l’avons montré. Or le bien ardu ou difficile a de quoi motiver, en tant que bien, une tendance vers lui, qui sera l’espoir ; en tant que difficile à atteindre ou ardu, il explique qu’on s’éloigne de lui, et c’est la passion qu’on appelle désespoir. De même, le mal ardu, en tant que mal, est un objet dont on ne peut que se détourner, et cela ressortit à la passion de la crainte ; il a aussi de quoi fonder un tendance vers lui, comme chose ardue qui permette d’échapper à l’emprise du mal, et c’est ainsi que l’audace tend vers ce mal.

Dans les passions de l’irascible se vérifie donc une première contrariété, fonction de la contrariété du bien et du mal - comme entre l’espoir et la crainte - et une autre contrariété selon l’approche ou l’éloignement d’un même terme, comme entre l’audace et la crainte.

Tout cela donne la réponse aux objections.

 

            Article 3 — Y a-t-il une passion qui n’ait pas de contraire ?

Objections :

1. Toute passion doit avoir son contraire, car elle est passion du concupiscible ou de l’irascible. Or, dans ces deux domaines, se vérifie toujours quelque contrariété, comme nous venons de le dire.

2. Toute passion a pour objet le bien ou le mal, qui englobent l’ensemble des objets de l’appétit. Mais à la passion dont l’objet est le bien s’oppose celle qui regarde le mal. Toute passion a donc son contraire.

3. Les passions impliquent approche ou éloignement, on vient de le dire ; mais à toute approche s’oppose l’éloignement, et réciproquement. Il n’est donc pas de passion qui n’ait son contraire.

En sens contraire, la colère est bien une passion de l’âme. Or, au dire d’Aristote, il n’y a pas de passion qui lui soit contraire. Toutes les passions n’ont donc pas de contraire.

Réponse :

C’est un fait unique que la colère ne puisse avoir de passion contraire, ni au point de vue de l’approche et de l’éloignement, ni selon la contrariété du bien et du mal. La colère en effet, est causée par la présence immédiate d’un mal difficile. Cette présence impose nécessairement à l’appétit ou bien de s’incliner, et alors il ne sort pas des limites de la tristesse, qui est une passion du concupiscible ; ou bien de s’insurger contre le mal qui le blesse, ce qui ressortit à la colère. Un mouvement de fuite est impossible, puisque le mal est alors présent ou passé. C’est ainsi qu’il n’est pas de passion contraire au mouvement de la colère, d’une contrariété par approche et éloignement.

Il en va de même pour la contrariété selon le bien et le mal. Au mal immédiatement présent s’oppose le bien effectivement atteint, lequel ne saurait dès lors avoir un caractère ardu ou difficile. Et lorsque la possession du bien est réalisée, il n’y a plus d’autre mouvement dans l’appétit que le repos dans le bien possédé ; et cela ressortit à la joie, qui est une passion du concupiscible.

Le mouvement de la colère ne saurait donc avoir de mouvement de l’âme qui lui soit contraire. On ne peut lui opposer que la cessation du mouvement, selon le mot d’Aristote : “ S’adoucir est l’opposé de se mettre en colère ” ; mais c’est là une opposition négative ou privative, et non de contrariété.

Tout cela donne la réponse aux objections.

 

            Article 4 — Y a-t-il dans la même puissance des passions d’espèce différente qui ne soient pas contraires entre elles ?

Objections :

1. Cela semble impossible. Car les passions de l’âme diffèrent selon leurs objets, qui sont le bien et le mal, et dont la contrariété entraîne celle des passions. Il n’est donc pas, dans une même puissance, de passions qui soient spécifiquement différentes sans être contraires entre elles.

2. La différence spécifique est une différence selon la forme. Or toute différence de cette sorte se réalise par quelque contrariété, dit Aristote. Sans contrariété entre elles, les passions d’une même puissance ne peuvent donc être d’espèce différente.

3. Puisque toute passion consiste à s’approcher ou à s’éloigner du bien ou du mal, la différence entre les passions viendra, ou de la différence entre le bien et le mal, ou de la différence selon l’approche et l’éloignement, ou enfin selon que l’on s’approche ou que l’on s’éloigne plus ou moins. Or les deux premières différences entraînent la contrariété entre les passions, nous venons de le voir. Quant à la troisième différence, elle ne change pas l’espèce ; sinon il y aurait un nombre infini d’espèces de passions. Il est donc impossible que des passions appartenant à une même puissance soient d’espèce différente sans être contraires entre elles.

En sens contraire, l’amour et la joie, passions du concupiscible, diffèrent spécifiquement. Et pourtant elles ne sont pas contraires l’une à l’autre ; bien plus, l’une est cause de l’autre. Il y a donc des passions appartenant à la même puissance, qui diffèrent quant à l’espèce et ne sont pas contraires entre elles.

Réponse :

Les passions diffèrent selon leurs principes actifs ou moteurs, qui sont leurs objets. Or la différence des moteurs peut être considérée à un double point de vue : au point de vue de l’espèce ou de la nature des moteurs eux-mêmes, comme lorsque l’on distingue le feu de l’eau, ou bien au point de vue de leur puissance active. De plus, la différence des causes actives ou motrices quant à la puissance de mouvoir, peut être comparée, quand il s’agit des passions de l’âme, à celles qui existent dans les agents naturels. En effet, tout moteur attire à lui le patient en quelque sorte, ou le rejette. Quand il l’attire, il produit en lui trois effets : 1° Il communique une inclination vers lui ou une aptitude à tendre vers lui ; ainsi un corps léger qui se trouve en haut, donne au corps qu’il engendre la légèreté par laquelle celui-ci a une inclination ou une aptitude à être en haut. 2° Si le corps engendré est hors de son lieu propre, le moteur lui donne de se mouvoir vers ce lieu. 3° Il lui donne de se reposer lorsqu’il est parvenu à son lieu ; car c’est en vertu de la même cause qu’on se repose en son lieu et qu’on était en mouvement vers lui. Il en va symétriquement de même pour une cause de répulsion.

Or, dans les mouvements de l’appétit, le bien possède comme une force attractive, et le mal comme une force répulsive. Donc : 1° Le bien produit dans la puissance affective une sorte d’inclination ou d’aptitude au bien, une connaturalité avec lui ; c’est la passion de l’amour, qui a pour contraire la haine du côté du mal. 2° Si le bien n’est pas encore possédé, il donne à l’appétit du mouvement pour lui faire atteindre le bien qu’il aime, et cela ressortit à la passion du désir ou convoitise. A l’opposé, dans l’ordre du mal, on aura la fuite ou aversion. 3° Lorsque le bien est obtenu, il donne à l’appétit un certain repos en lui, qui a nom délectation ou joie. A quoi s’opposent, du côté du mal, la douleur ou tristesse.

Dans les passions de l’irascible est présupposé l’aptitude ou inclination à poursuivre le bien ou à fuir le mal, laquelle appartient au concupiscible, qui vise le bien ou le mal considérés absolument. A l’égard du bien non encore atteint, nous avons l’espoir et le désespoir ; à l’égard du mal non encore présent, la crainte et l’audace. Il n’y a pas, dans l’irascible, de passion qui ait rapport au bien possédé, car ce bien, nous l’avons dit, ne présente plus de difficulté. Mais le mal immédiatement présent déclenche la passion de colère.

On voit ainsi que, dans le concupiscible, il existe trois couples de passions : l’amour et la haine, le désir et l’aversion, la joie et la tristesse. Il y a aussi trois groupes dans l’irascible : l’espoir et le désespoir, la crainte et l’audace, enfin la colère, qui n’a pas de passion contraire. En tout, onze passions d’espèces différentes : six dans le concupiscible et cinq dans l’irascible. En dehors de ces onze, il n’y a pas d’autre passion de l’âme.

Tout cela donne la réponse aux objections.

 

QUESTION 24 — LE BIEN ET LE MAL DANS LES PASSIONS

1. Peut-on trouver du bien ou du mal dans les passions ? - 2. Toute passion est-elle mauvaise moralement ? - 3. Toute passion augmente-t-elle ou diminue-t-elle la bonté ou la malice de l’acte ? - 4. Existe-t-il une passion qui soit bonne ou mauvaise par son espèce ?

 

            Article 1 — Peut-on trouver du bien ou du mal moral dans les passions ?

Objections :

1. Il semble qu’aucune passion ne soit bonne ou mauvaise au point de vue moral. Car le bien et le mal moral n’appartiennent qu’à l’homme ; comme dit S. Ambroise : “ Les mœurs sont humaines, à proprement parler. ” Or les passions ne sont pas propres à l’homme ; elles lui sont communes avec les autres animaux. Donc aucune d’entre elles n’est moralement bonne ou mauvaise.

2. Le bien et le mal de l’homme, écrit Denys “ c’est ce qui est conforme ou étranger à la raison ”. Or les passions ne sont pas dans la raison, mais dans l’appétit sensitif, on l’a déjà dit. Elles n’intéressent donc pas le bien de l’homme, qui est le bien moral.

3. Aristote dit que “ ce ne sont pas nos passions qui nous méritent louanges ou reproches ”, lesquels pourtant se rapportent à notre vie morale. Donc les passions ne sont ni bonnes ni mauvaises au jugement de la morale.

En sens contraire, S. Augustin écrit au sujet des passions “ Elles sont mauvaises, si l’amour est mauvais, bonnes, s’il est bon. ”

Réponse :

Les passions de l’âme peuvent être envisagées à un double point de vue : en elles-mêmes et en tant qu’elles dépendent de l’emprise de la raison et de la volonté. Donc, si on les considère en elles-mêmes, c’est-à-dire comme mouvements de l’appétit irrationnel, il n’y a en elles ni bien ni mal moral, car cela dépend de la raison, comme nous l’avons vu. Mais si on les considère selon qu’elles relèvent de l’emprise de la raison et de la volonté, alors il y a en elles bien ou mal moral. En effet, l’appétit sensitif est plus proche de la raison elle-même et de la volonté que nos membres extérieurs, dont cependant les mouvements et les actes sont bons ou mauvais en tant qu’ils sont volontaires. Donc, à plus forte raison, les passions elles-mêmes en tant que volontaires, pourront être dites bonnes ou mauvaises moralement. Et on les dit volontaires, ou bien parce qu’elles sont commandées par la volonté, ou bien parce que la volonté n’y fait pas obstacle.

Solutions :

1. Ces passions, considérées en elles-mêmes, sont communes aux hommes et aux animaux ; mais en tant que commandées par la raison, elles sont propres à l’homme.

2. Les forces affectives inférieures sont dites rationnelles, elles aussi, selon qu’“ elles participent de la raison en quelque mesure ”, dit Aristote.

3. Le Philosophe dit qu’on ne nous donne ni louange ni blâme pour nos passions considérées en elles-mêmes ; mais il ne nie pas qu’elles puissent devenir louables ou condamnables par référence à l’ordre de la raison. Aussi ajoute-t-il : “ On ne loue ni ne blâme celui qui craint ou se fâche, mais celui qui a une certaine manière de le faire ”, c’est-à-dire conformément ou non à la raison.

 

            Article 2 — Toute passion est-elle mauvaise moralement ?

Objections :

1. S. Augustin semble l’affirmer : “ Certains appellent les passions de l’âme : maladies ou troubles. ” Mais toute maladie ou trouble de l’âme est un mal au point de vue moral. Donc toute passion est moralement mauvaise.

2. S. Jean Damascène écrit : “ L’opération est mouvement selon la nature ; la passion, en marge de la nature. ” Or ce qui est en marge de la nature dans les mouvements de l’âme a raison de péché et de mal moral : le diable “ passa de ce qui est selon la nature à ce qui ne l’est pas ”, écrit ailleurs le même saint. De telles passsions sont donc moralement mauvaises.

3. Tout ce qui induit au péché a raison de mal. Mais de telles passions induisent au péché, si bien que S. Paul (Rm 7, 5) les appelle “ passions pécheresses ”. Il semble donc qu’elles soient moralement mauvaises.

En sens contraire, S. Augustin écrit “ Un amour droit maintient toutes ces passions dans la rectitude. On craint, en effet, de pécher, on désire persévérer, on s’afflige de ses fautes et on se réjouit de ses bonnes œuvres. ”

Réponse :

Sur cette question, stoïciens et péripatéticiens ont pensé différemment. Les premiers disaient que toutes les passions sont mauvaises ; les seconds, que les passions bien réglées sont bonnes. Cette divergence d’opinion, si grande qu’elle paraisse dans les termes, est nulle au fond, ou du moins légère, si l’on veut bien considérer ce qu’entendent les uns et les autres. Les stoïciens ne distinguaient pas entre le sens et l’intelligence ni, par suite, entre l’appétit intellectuel et l’appétit sensible. Ils ne pouvaient donc distinguer les passions de l’âme des mouvements de la volonté, selon que les passions se trouvent dans l’appétit sensible, et les mouvements simples de la volonté dans l’appétit intellectuel. Tout mouvement rationnel de la partie affective, ils l’appelaient alors volonté ; et passion, tout mouvement qui sortait des limites de la raison. C’est ainsi que Cicéron, à leur suite, appelle toutes les passions des maladies de l’âme. Il raisonne ainsi : “ Ceux qui sont malades, ne sont pas sains ; et ceux qui ne sont pas sains, sont insensés. ” Et de fait, on parle de l’“ insanité ” des insensés.

Quant aux péripatéticiens, ils appellent passions tous les mouvements de l’appétit sensitif. Ils les estiment bonnes quand elles sont réglées par la raison, et mauvaises quand elles ne le sont pas. Cicéron a donc tort quand il attaque la position des péripatéticiens sur la “ médiocrité ” ou juste milieu des passions, et quand il écrit au même livre : “ Tout mal, même médiocre, doit être évité ; car, de même que le corps qui n’est que médiocrement malade n’est pas sain, ainsi cette médiocrité des maladies ou passions de l’âme n’est pas saine. ” En effet les passions ne sont maladies ou troubles de l’âme que lorsqu’elles échappent au gouvernement de la raison.

Solutions :

1. On a répondu par là à la première objection.

2. Dans toute passion, il y a accélération ou ralentissement des mouvements naturels du cœur, selon que celui-ci bat plus ou moins fort, par diastole ou systole ; et c’est en cela que se vérifie la notion de passion. Mais il n’est pas fatal que la passion entraîne toujours hors de l’ordre naturel.

3. En tant qu’elles s’émancipent de l’ordre rationnel, les passions inclinent au péché, mais, dans la mesure où elles sont réglées par la raison, elles relèvent de la vertu.

 

            Article 3 — Toute passion augmente-t-elle ou diminue-t-elle la bonté ou la malice de l’acte ?

Objections :

1. Il semble que oui, et toujours. Car tout ce qui gêne le jugement de la raison, fondement de la bonté de l’acte moral, diminue cette bonté par voie de conséquence. Or toutes les passions, au dire de Salluste, gênent le jugement de la raison : “ Ceux qui délibèrent en matière délicate doivent être dénués de haine, de colère, d’amitié ou de pitié. ”

2. Plus l’acte humain ressemble à Dieu et plus il a de valeur : “ Soyez les imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés ”, dit l’Apôtre (Ep 5, 1). Or “ Dieu et les saints anges punissent, mais sans colère, et c’est sans compassion pour notre misère qu’il nous secourent ”, écrit S. Augustin. Il est donc mieux d’accomplir ces œuvres bonnes sans passion qu’avec passion.

3. Si le mal moral implique un rapport à la raison, il en est de même du bien. Or le mal moral est atténué du fait de la passion : celui qui pèche par passion est moins coupable que celui qui pèche par calcul. Ainsi celui qui fait le bien sans passion agit mieux que celui qui le fait avec passion.

En sens contraire, S. Augustin écrit que la passion de miséricorde “ est au service de la raison quand on l’exerce de telle sorte que la justice n’est pas offensée, soit que l’on donne à l’indigent ou qu’on pardonne au pénitent ”. Or rien de ce qui est au service de la raison ne diminue le bien moral. Donc la passion ne diminue pas celui-ci.

Réponse :

Les stoïciens, considérant toutes les passions comme mauvaises, devaient conclure que toute passion diminue la bonté de l’acte humain car le bien, par son mélange avec le mal, disparaît complètement ou s’affaiblit. Cela est vrai si les passions ne sont que des mouvements désordonnés de l’appétit sensitif, c’est-à-dire des troubles et des maladies. Mais si nous appelons passion, sans plus, tous les mouvements de l’appétit sensible, alors la perfection du bien humain comporte que les passions, elles aussi, soient réglées par la raison. Puisque le bien de l’homme se fonde sur la raison comme sur sa racine, il sera d’autant plus parfait qu’il se communiquera à plus de choses convenant à l’homme. Personne ne doute qu’il importe au bien moral de l’homme que les actes extérieurs de ses membres soient dirigés selon la règle de la raison. Aussi, puisque l’appétit sensible peut obéir à la raison, comme nous l’avons vu, il appartient à la perfection du bien moral ou humain que les passions de l’âme elles-mêmes soient réglées par la raison.

Donc, de même qu’il est meilleur que l’homme veuille le bien et le réalise extérieurement, ainsi la perfection du bien moral requiert que l’homme ne soit pas mû au bien par sa volonté seulement, mais aussi par son appétit sensible, selon cette parole du Psaume (84, 3) - “ Mon cœur et ma chair ont exulté dans le Dieu vivant ”, le “ cœur ” étant ici l’appétit intellectuel, et la “ chair ” l’appétit sensible.

Solutions :

1. Les passions peuvent soutenir un double rapport avec le jugement de la raisons. Parfois elles le précèdent. Dans ce cas, elles obscurcissent le jugement, qui conditionne la bonté de l’acte moral, et, par suite, elles diminuent la bonté de cet acte ; il est plus digne de louange d’accomplir une œuvre de charité par jugement de raison que par la seule passion de pitié. D’autres fois, les passions sont consécutives au jugement. Ce peut être d’une double manière : 1° Par manière de rejaillissement lorsque, la partie supérieure de l’âme se portant intensément vers une chose, la partie inférieure suit aussi son mouvement. Dans ce cas, la passion provoquée dans l’appétit sensible témoigne de l’intensité de la volonté et donc d’une bonté morale plus grande. - 2° Par manière de choix : on choisit, par un jugement rationnel, d’être affecté de telle passion afin d’agir plus vite, avec l’aide de l’appétit sensible. La passion ajoute alors à la bonté de l’acte.

2. Dieu et les anges n’ont ni appétit sensible ni membres corporels ; aussi le bien, pour eux, ne consiste pas dans un ordre imposé aux passions ou aux actes physiques, comme il en va pour nous.

3. La passion qui tend au mal en devançant le jugement de la raison diminue le péché, mais si elle le suit de l’une ou l’autre manière que nous avons dite, elle augmente le péché ou témoigne de son accroissement.

 

            Article 4 — Existe-t-il une passion qui soit bonne ou mauvaise par son espèce ?

Objections :

1. Il semble qu’aucune passion ne soit moralement bonne ou mauvaise par son espèce. En effet, le bien et le mal moral se définissent par rapport à la raison. Or les passions sont dans l’appétit sensible ; ce qui appartient à la raison leur est accidentel, et, par suite, n’entre pas dans leur détermination spécifique.

2. Actes et passions sont spécifiés par leur objet. Donc, si quelque passion était bonne ou mauvaise spécifiquement, il faudrait que les passions dont l’objet est bon soient bonnes par leur espèce, comme l’amour, le désir et la joie ; tandis que les passions qui portent sur le mal seraient spécifiquement mauvaises, comme la haine, la crainte et la tristesse. Or ceci est faux. Donc il n’y a pas de passion spécifiquement bonne ou mauvaise.

3. Toutes les espèces de passions se retrouvent dans le monde animal. Or le bien moral n’existe que chez l’homme. Donc aucune passion n’est bonne ou mauvaise spécifiquement.

En sens contraire, S. Augustin dit que “ la miséricorde relève de la vertu ”. Aristote écrit aussi que la pudeur est une passion digne de louange. Il y a donc des passions qui sont bonnes ou mauvaises par leur espèce même.

Réponse :

Ce que nous avons dit des actes, il semble que nous devons le dire des passions, à savoir que l’espèce d’un acte ou d’une passion peut être considérée à un double point de vue. 1° En tant qu’elle appartient à l’ordre naturel des choses - en ce sens, l’espèce de l’acte ou de la passion est étrangère au bien ou au mal moral. 2° En tant qu’elle relève de l’ordre de la moralité, c’est-à-dire qu’elle participe du volontaire et du jugement de la raison. L’espèce de la passion, ainsi entendue, peut relever de l’ordre moral, selon que l’objet de la passion implique ou non un accord avec la raison ; on le voit clairement pour la pudeur, qui est la crainte d’une chose laide, et pour l’envie, qui est la tristesse du bien d’autrui. C’est en ce sens que le bien et le mal moral sont en relation avec l’espèce des actes extérieurs.

Solutions :

1. L’objection se rapporte à l’espèce naturelle des passions, en tant qu’elles appartiennent au seul appétit sensible. Cependant, dans la mesure où cet appétit obéit à la raison, le bien et le mal moral ne sont plus en lui accidentellement, mais essentiellement et par soi.

2. Les passions qui tendent au bien sont bonnes, si c’est un vrai bien ; de même celles qui éloignent d’un vrai mal. Au contraire, les passions qui consistent à s’éloigner du bien ou à s’approcher du mal sont mauvaises.

3. Chez les bêtes l’appétit sensible n’obéit pas à la raison. Et pourtant, selon qu’il est dirigé par une certaine “ estimative ” naturelle, relevant d’une raison supérieure, qui est la raison divine, on peut parler chez les animaux d’une ressemblance de bien moral dans leurs passions.

 

QUESTION 25 — L’ORDRE DES PASSIONS ENTRE ELLES

1. L’ordre des passions de l’irascible par rapport à celles du concupiscible. - 2. L’ordre des passions du concupiscible entre elles. - 3. L’ordre des passions de l’irascible entre elles. - 4. Les quatre passions principales.

 

            Article 1 — L’ordre des passions de l’irascible par rapport à celles du concupiscible

Objections 1. Il semble que les passions de l’irascible aient la priorité. Car l’ordre des passions correspond à l’ordre des objets. Or l’objet de l’irascible est le bien difficile, qui est, semble-t-il, le plus élevé de tous les biens. Les passions de l’irascible doivent donc être premières.

2. Le moteur précède le mobile. Or l’irascible est avec le concupiscible dans le rapport de moteur à mobile ; il a été donné aux animaux pour surmonter les obstacles qui empêchent le concupiscible de jouir de son objet, comme on l’a dit plus haut ; et, d’après Aristote “ ce qui supprime l’empêchement est une sorte de moteur ”. Les passions de l’irascible précèdent donc celles du concupiscible.

3. La joie et la tristesse sont des passions du concupiscible ; or elle sont consécutives à celles de l’irascible, selon ce mot du Philosophe : “ La punition calme l’impétuosité de la colère, et la tristesse fait place à la joie. ” Les passions du concupiscible sont donc postérieures à celles de l’irascible.

En sens contraire, tandis que les passions du concupiscible regardent le bien pris absolument, celles de l’irascible ont pour objet un bien restreint : le bien difficile. Et donc, puisque le bien pur et simple est premier par rapport au bien restreint, il semble que les passions du concupiscible précèdent celles de l’irascible.

Réponse :

1. Les passions du concupiscible s’étendent à un plus grand domaine que les passions de l’irascible. En effet, il y en a en elles quelque chose qui se rattache au mouvement, comme le désir ; et quelque chose qui se rattache au repos, comme la joie et la tristesse. Mais dans les passions de l’irascible on ne trouve rien qui regarde le repos, tout se rapporte au mouvement. La raison en est que l’objet du repos ne présente pas ce caractère difficile ou ardu qui est l’objet de l’irascible.

Or le repos, étant la fin du mouvement, est premier dans l’ordre d’intention, quoique dernier dans l’ordre d’exécution. Donc, si l’on compare les passions de l’irascible à celles du concupiscible qui signifient repos dans le bien, manifestement les passions de l’irascible précèdent, dans l’ordre d’exécution, ces passions du concupiscible ; ainsi l’espoir précède-t-il la joie et peut donc la causer, selon le mot de l’Apôtre (Rm 12, 12) : “ Dans la joie de l’espérance. ” Quant à la passion du concupiscible qui implique repos dans le mal, et qui est la tristesse, elle occupe le milieu entre deux passions de l’irascible. Elle est consécutive à la crainte (la tristesse se produit quand arrive le mal que l’on craignait). Mais elle précède le mouvement de colère, parce que lorsqu’on se dresse pour se venger de la tristesse qui a précédé, cela ressortit au mouvement de la colère. Et parce que rendre le mal qu’on a reçu fait figure de bien, quand l’homme irrité y parvient, il est dans la joie. On voit donc avec évidence que toute passion de l’irascible aboutit à une passion du concupiscible relative au repos : joie ou tristesse.

Mais si l’on compare les passions de l’irascible aux passions du concupiscible qui impliquent mouvement, ce sont manifestement les passions du concupiscible qui sont premières, pour cette raison que les passions de l’irascible ajoutent aux passions du concupiscible, comme l’objet de l’irascible ajoute un caractère ardu ou difficile à l’objet du concupiscible. Car l’espoir ajoute au désir un certain effort et une certaine tension de l’âme en vue du bien difficile à obtenir. Et de même la crainte ajoute à la fuite ou aversion une certaine dépression de l’âme, causée par la difficulté d’un mal à repousser.

Ainsi donc, les passions de l’irascible sont intermédiaires entre les passions du concupiscible qui impliquent mouvement vers le bien ou vers le mal, et celles qui signifient repos dans le bien ou dans le mal. On voit donc que les passions de l’irascible ont leur principe dans celles du concupiscible et se terminent à elles.

Solutions :

1. Cet argument vaudrait si, dans l’idée même de l’objet du concupiscible, il y avait quelque opposition au caractère de difficulté, comme il entre dans la notion même de l’objet de l’irascible d’être difficile. Mais parce que l’objet du concupiscible est le bien sans plus, il précède naturellement l’objet de l’irascible, comme ce qui est commun précède ce qui est propre.

2. Ce qui enlève l’obstacle ne meut pas par soi mais par accident. Or nous parlons de l’ordre essentiel des passions. De plus, l’irascible enlève ce qui empêche le repos du concupiscible dans son objet. Tout ce qu’on est obligé d’en conclure, c’est que les passions de l’irascible ont priorité sur les passions du concupiscible qui se rattachent au repos.

3. La troisième objection a les mêmes bases que la deuxième.

 

            Article 2 — L’ordre des passions du concupiscible entre elles

Objections :

1. Il semble que l’amour ne soit pas la première parmi les passions du concupiscible. Car la faculté concupiscible tire son nom de la concupiscence, passion identique au désir. Or la “ dénomination se fait d’après ce qui est le plus important ”, dit Aristote. Donc la concupiscence l’emporte sur l’amour.

2. L’amour implique une certaine union ; c’est une “ force qui unit et rassemble ”, selon l’expression de Denys. Or concupiscence ou désir est mouvement vers l’union désirée. Donc il est antérieur à l’amour.

3. La cause précède son effet ; or le plaisir est parfois cause de l’amour : “ Certains aiment à cause du plaisir ”, écrit Aristote. Donc le plaisir est antérieur à l’amour.

En sens contraire, S. Augustin dit que toutes les passions sont des effets de l’amour : “ L’amour qui brûle de posséder son objet est désir ; il est joie quand il le possède et en jouit. ” L’amour est donc la première des passions du concupiscible.

Réponse :

L’objet du concupiscible, c’est le bien et le mal. Or, selon l’ordre naturel des choses, le bien précède le mal, qui est la privation du bien. Aussi toutes les passions dont l’objet est le bien sont-elles naturellement premières par rapport à celles qui ont le mal pour objet, chacune l’étant par rapport à son contraire ; c’est en effet parce qu’on recherche le bien qu’on repousse le mal opposé.

Or le bien a raison de fin ; et cette fin est première dans l’ordre d’intention, quoique dernière dans l’ordre d’exécution. On peut donc considérer l’ordre des passions du concupiscible par rapport à l’intention ou par rapport au déroulement de l’exécution. A ce point de vue, est premier ce qui se réalise d’abord dans le moyen qui tend vers la fin. Or il est manifeste que tout ce qui tend vers une fin a premièrement une aptitude ou proportion à cette fin, car rien ne tend vers une fin non proportionnée ; deuxièmement, il se meut vers la fin, et troisièmement, il se repose en elle après l’avoir atteinte. Or cette aptitude elle-même ou proportion de l’appétit au bien, c’est l’amour, qui n’est autre chose que la complaisance dans le bien ; le mouvement vers le bien, c’est le désir ou convoitise ; enfin le repos dans le bien, c’est la joie ou le plaisir. Ainsi donc, dans cet ordre de l’exécution, l’amour précède le désir, et celui-ci le plaisir.

Mais, selon l’ordre d’intention, c’est l’inverse qui a lieu : le plaisir escompté cause le désir et l’amour. Le plaisir est, en effet, jouissance dans le bien ; et c’est là une fin, d’une certaine manière, on l’a dit précédemment.

Solutions :

1. Nous désignons les choses comme nous les connaissons, selon le Philosophe : “ Les mots sont les signes de nos concepts. ” Or. le plus souvent, c’est par l’effet que nous connaissons la cause. L’effet de l’amour, quand il possède ce qu’il aime, c’est le plaisir ; quand il ne le possède pas, c’est le désir ou convoitise. Mais “ cet amour, on l’éprouve davantage, quand l’indigence le met en relief ”, dit S. Augustin. C’est pourquoi, de toutes les passions du concupiscible, la concupiscence est la plus sensible, ce qui lui a valu de donner son nom à cette puissance de l’âme.

2. Il y a deux sortes d’unions de l’aimé à l’aimant. La première est réelle et unit à l’aimé lui-même. Elle implique la joie ou plaisir, qui est consécutive au désir. L’autre union est une union affective, dans l’ordre de l’adaptation ou proportion, selon que par l’adaptation à un autre et l’inclination vers lui, on participe déjà de lui en quelque chose. En ce sens l’amour implique union, et cette union précède le mouvement du désir.

3. Le plaisir cause l’amour selon qu’il est premier dans l’ordre d’intention.

 

            Article 3 — L’ordre des passions de l’irascible entre elles

Objections :

Il semble que l’espoir ne soit pas la première parmi les passions de l’irascible, car l’irascible tire son nom de la colère (ira). Ce privilège de la colère donne à penser qu’elle est plus importante que l’espoir.

2. Le difficile est l’objet de l’irascible. Mais il semble plus difficile de s’efforcer par l’audace de surmonter le mal futur qui menace, ou par la colère celui qui est déjà présent, que de faire effort pour acquérir simplement quelque bien. Et de même il paraît plus difficile de s’attaquer au mal présent qu’au mal à venir. La colère est donc plus importante que l’audace, et celle-ci plus importante que l’espoir, qui n’est donc pas la passion principale.

3. Dans le mouvement vers la fin, l’éloignement d’un terme précède l’accès à l’autre terme. Or la crainte et le désespoir impliquent éloignement, tandis que l’audace et l’espoir tendent vers quelque chose. Donc la crainte et le désespoir précèdent l’espoir et l’audace.

En sens contraire, plus on est proche de ce qui est premier, plus on a la priorité. Or l’espoir est la passion la plus proche de l’amour qui est la première des passions. L’espoir est donc la première passion de l’irascible.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, toutes les passions de l’irascible impliquent un mouvement vers quelque chose. Or ce mouvement tendanciel peut être causé dans l’irascible de deux manières : soit par le fait de la seule adaptation ou proportion à la fin que recherche l’amour ou la haine ; soit par la présence du bien ou du mal lui-même, source de tristesse ou de joie. La présence du bien ne déclenche aucune passion dans l’irascible, nous l’avons dit ; mais de la présence du mal naît la passion de la colère.

Et parce que, dans le processus de la génération ou de l’exécution, la proportion ou adaptation à la fin précède son obtention, il en résulte que la colère est, de toutes les passions de l’irascible, la demière dans l’ordre de génération. Parmi toutes les autres passions de l’irascible qui impliquent un mouvement causé par l’amour du bien ou la haine du mal, il faut mettre au premier rang, à considérer l’ordre de nature, les passions qui ont le bien pour objet, comme l’espoir et le désespoir ; celles qui sont relatives au mal, comme l’audace et la crainte, ne viennent qu’après. De telle sorte cependant que l’espoir précède le désespoir, parce qu’il est un mouvement vers le bien selon sa raison de bien, car le bien, par définition, attire. Par suite l’espoir est un mouvement vers le bien par soi. Au contraire, le désespoir éloigne du bien, ce qui ne convient pas au bien en tant que tel, mais à cause d’un élément étranger, et donc comme par accident. Pour la même raison, la crainte qui fait fuir le mal est première par rapport à l’audace.

Que l’espoir et le désespoir précèdent naturellement la crainte et l’audace, on le voit clairement au fait que, de même que l’appétit du bien est la raison d’éviter le mal, ainsi l’espoir et le désespoir sont la raison de la crainte et de l’audace : l’audace, en effet, naît de l’espoir de vaincre, et la crainte, du désespoir de vaincre. Quant à la colère, elle vient de l’audace, car nul ne s’irrite ni ne cherche à se venger s’il n’a l’audace de le faire, selon la parole d’Avicenne.

Il est donc manifeste que l’espoir est la première de toutes les passions de l’irascible. - Si nous voulons alors déterminer l’ordre de toutes les passions dans le processus de leur génération, le voici : 1° L’amour et la haine ; 2° le désir et l’aversion ; 3° l’espoir et le désespoir ; 4° la crainte et l’audace ; 5° la colère ; 6° la joie et la tristesse, qui sont l’aboutissement de toutes les passions, dit Aristote. L’amour toutefois précède la haine ; le désir précède l’aversion ; l’espoir précède le désespoir ; la crainte, l’audace ; et la joie a priorité sur la tristesse, comme on peut le conclure de ce que nous venons de dire.

Solutions :

1. C’est parce que la colère (ira) est causée par les autres passions, comme un effet par ses causes antécédentes, et qu’elle est ainsi plus apparente, que la puissance irascible en tire son nom.

2. Le motif d’accéder ou de désirer est le bien, non le caractère ardu. C’est pourquoi l’espoir, qui regarde plus directement le bien, est premier, quoique l’audace, ou même la colère, soient parfois aux prises avec des difficultés plus grandes.

3. L’appétit immédiatement et par soi se meut vers le bien, comme vers son objet propre ; et c’est par là qu’il s’éloigne du mal. En effet, le mouvement de l’appétit est comparable non au mouvement de la nature mais à son intention, laquelle vise la fin plus qu’elle ne repousse son contraire, ce qu’elle ne fait d’ailleurs que pour atteindre la fin.

 

            Article 4 — Les quatre passions principales

Objections :

1. Les quatre passions principales ne sont pas la joie et la tristesse, l’espoir et la crainte, car S. Augustin dans son énumération des passions ne parle pas de l’espoir, mais le remplace par la cupidité.

2. Il y a deux ordres dans les passions : l’ordre d’intention et celui de réalisation ou de génération. Ou bien donc les principales passions sont considérées selon l’ordre d’intention et alors la joie et la tristesse, auxquelles tout aboutit, seront passions principales. Ou bien on envisage l’ordre de réalisation ou de génération, et alors c’est l’amour qui est la passion principale. Les quatre passions dont il est question ne doivent donc pas être appelées principales.

3. La crainte vient du désespoir, comme l’audace vient de l’espoir. Ou bien donc l’espoir et le désespoir doivent être donnés comme les passions principales, en tant que causes ; ou bien, ce sont l’espoir et l’audace, en tant que très proches l’une de l’autre.

En sens contraire, énumérant les quatre passions principales, Boèce écrit : “ Chasse la joie, bannis la crainte, repousse l’espoir, n’admets pas la douleur. ”

Réponse :

Ces quatre passions sont tenues communément pour les passions principales 1. Les deux premières, la joie et la tristesse, sont dites principales parce que toutes les autres passions s’accomplissent et se terminent en elles, purement et simplement : elles sont l’aboutissement de toutes les passions, dit Aristote dans l’Éthique. Quant à la crainte et à l’espoir, elles sont passions principales parce qu’elles ont raison de complément non pas purement et simplement, mais seulement dans l’ordre du mouvement de l’appétit vers quelque chose ; car, relativement au bien, le mouvement commence par l’amour, se poursuit dans le désir et s’achève dans l’espoir ; par rapport au mal, il commence dans la haine, se prolonge dans l’aversion et se termine dans la crainte. C’est pourquoi on a coutume d’énumérer ces quatre passions selon la différence du présent et du futur ; en effet, le mouvement regarde le futur, tandis que l’on prend son repos dans un être présent. Par rapport au bien présent, il y a donc joie, et par rapport au mal présent, tristesse. L’espoir vise le bien à venir, et la crainte, le mal futur.

Toutes les autres passions, qui ont pour objet le bien ou le mal, soit présent, soit futur, se ramènent à ces quatre et à leur achèvement. C’est aussi à cause de cette généralité qu’elles sont parfois appelées principales. Appellation juste, si l’on désigne par espoir et crainte le mouvement global de l’appétit tendant à désirer ou à fuir quelque chose.

Solutions :

1. S. Augustin remplace l’espoir par le désir ou la cupidité en tant qu’ils paraissent se référer à la même fin, qui est le bien futur.

2. Ces passions sont appelées principales dans l’ordre d’intention et d’achèvement. Et bien que la crainte et l’espoir ne soient pas des passions ultimes d’une manière pure et simple, elles le sont cependant dans le genre des passions qui tendent vers autre chose en tant que futur. Il n’y aurait d’instance possible qu’au sujet de la colère. On ne peut pourtant pas la tenir pour une passion principale, puisqu’elle est un effet de l’audace, laquelle ne peut elle-même être passion principale, comme nous allons le voir.

3. Le désespoir implique l’éloignement du bien, mais c’est comme par accident ; l’audace implique l’accès au mal, mais c’est aussi par accident. Ces deux passions ne peuvent donc être principales ; car ce qui est par accident ne peut être dit principal. Et pas davantage la colère ne peut être dite passion principale, puisqu’elle est consécutive à l’audace.

LES PASSIONS EN PARTICULIER

Logiquement, il faut traiter maintenant des passions en particulier des passions du concupiscible, d’abord (Q. 26-39) ; puis des passions de l’irascible (Q. 40). La première section comprend trois parties : 1. l’amour et la haine (Q. 26-29) ; 2. la convoitise et l’aversion (Q. 30) ; 3. le plaisir et la tristesse (Q. 31).

Au sujet de l’amour, nous étudierons : 1. l’amour lui-même (Q. 26) ; 2. sa cause (Q. 27) ; 3. ses effets (Q. 28).

 

QUESTION 26 — L’AMOUR

1. L’amour est-il dans le concupiscible ? - 2. Est-il une passion ? - 3. Est-il identique à la dilection ? - 4. A-t-on raison de distinguer amour d’amitié, et amour de convoitise

 

            Article 1 — L’amour est-il dans le concupiscible ?

Objections :

1. Il semble que non, car on lit dans la Sagesse (8, 2) : “ je l’ai aimée (la Sagesse) et je l’ai recherchée dès ma jeunesse. ” Mais le concupiscible qui fait partie de l’appétit sensitif, ne peut tendre vers la sagesse, que le sens ne peut saisir. L’amour n’est donc pas dans le concupiscible.

2. L’amour semble s’identifier avec toutes les autres passions. S. Augustin écrit en effet : “ L’amour qui brûle de posséder ce qu’il aime est désir ; quand il le possède et en jouit, il est joie ; il est crainte quand il fuit ce qui lui est contraire ; et lorsque cela se produit et qu’il l’éprouve, l’amour devient tristesse. ” Or toutes ces passions de l’âme ne sont pas dans le concupiscible ; ainsi la crainte, qu’on vient pourtant de nommer, se trouve dans l’irascible. On ne peut donc dire, sans plus, que l’amour est dans le concupiscible.

3. Denys nous parle d’un certain “ amour naturel ”. Mais l’amour naturel semble relever plutôt des forces naturelles, qui appartiennent à l’âme végétative. Donc l’amour n’est pas purement et simplement dans le concupiscible.

En sens contraire, le Philosophe écrit “ L’amour est dans le concupiscible. ”

Réponse :

L’amour est relatif à l’appétit, puisque leur objet commun est le bien. Il s’ensuit que l’amour se différenciera comme l’appétit lui-même. Car il y a un appétit qui n’est pas consécutif à la perception de celui qui désire, mais à la connaissance d’un autre, et il se nomme appétit naturel. En effet, les êtres naturels désirent ce qui convient à leur nature, non qu’ils le perçoivent eux-mêmes, mais selon la connaissance de celui qui a institué la nature, comme nous l’avons dit dans la première Partie. - Il y a un autre appétit, consécutif à la perception du sujet, mais qui la suit nécessairement et non en vertu d’un libre jugement. C’est l’appétit sensible des bêtes. Chez l’homme, cependant, il participe quelque peu de la liberté, dans la mesure où il obéit à la raison. - Enfin il existe un autre appétit consécutif à une connaissance du sujet et procédant selon un jugement libre. C’est l’appétit rationnel ou intellectuel, que l’on nomme volonté.

En chacun de ces appétits, on appelle amour le principe du mouvement qui tend vers la fin aimée. Dans l’appétit naturel, le principe de ce mouvement est la connaturalité du sujet avec l’objet de sa tendance ; on peut l’appeler amour naturel. C’est ainsi que la connaturalité même d’un corps lourd avec le lieu qui lui convient en vertu de la pesanteur peut être appelée amour naturel. Pareillement, l’adaptation de l’appétit sensible ou de la volonté à quelque bien, c’est-à-dire la complaisance même pour le bien, est appelée amour sensible, ou amour intellectuel, rationnel. L’amour sensible est donc dans l’appétit sensible comme l’amour intellectuel dans l’appétit intellectuel. Et il relève du concupiscible, car il se définit relativement au bien absolu et non au bien ardu, qui est l’objet de l’irascible.

Solutions :

1. Le texte cité parle de l’amour intellectuel ou rationnel.

2. L’amour est appelé crainte, joie, désir et tristesse, non par identité avec ces passions, mais en tant qu’il est leur cause.

3. L’amour naturel n’existe pas seulement dans les puissances de l’âme végétative mais dans toutes les puissances de l’âme, et même dans toutes les parties du corps et universellement en toute chose : “ Le beau et le bien sont aimés par tous les êtres ”, écrit Denys, toutes choses étant en connaturalité avec ce qui convient à leur nature.

 

            Article 2 — L’amour est-il une passion ?

Objections :

1. Il semble que non, car aucune vertu n’est une passion. Or, d’après Denys tout amour est “ une certaine vertu ”.

2. L’amour est une union, un lien, dit S. Augustin. Or l’union, le lien, n’est pas une passion mais plutôt une relation.

3. S. Jean Damascène écrit que “ la passion est un certain mouvement ”. Or l’amour n’est pas un mouvement de l’appétit, comme le désir : il n’en est que le principe. Donc l’amour n’est pas une passion.

En sens contraire, selon Aristote, “l’amour est une passion”.

Réponse :

La passion est l’effet de la cause agente dans le patient. Or un agent naturel produit un double effet dans le patient. D’abord, il lui donne une forme ; en outre, il lui donne le mouvement consécutif à cette forme. C’est ainsi que la cause génératrice donne au corps engendré la pesanteur, et le mouvement que celle-ci entraîne. Cette pesanteur elle-même, principe et cause du mouvement vers le lieu connaturel, peut être appelée d’une certaine manière amour naturel. De la même façon, l’objet du désir donne à l’appétit, d’abord une certaine adaptation envers lui, qui consiste à se complaire en lui, et d’où procède le mouvement vers cet objet désirable. Car “ le mouvement de l’appétit se fait en cercle ”, dit Aristote : le désirable meut l’appétit, s’imprimant en quelque sorte dans son intention, et l’appétit tend vers le désirable pour le posséder réellement ; ainsi le mouvement se termine là où il avait commencé. La première modification de l’appétit par son objet est appelée amour, ce qui n’est rien d’autre que la complaisance dans l’objet du désir ; de cette complaisance dérive le mouvement vers l’objet, qui est désir, et enfin le repos, qui est joie. Ainsi donc, puisque l’amour consiste dans une certaine modification de l’appétit sous l’influence du désirable, il est évident que c’est une passion ; au sens propre, selon qu’il se trouve dans le concupiscible ; dans un sens plus général, et par extension du mot, en tant qu’il est dans la volonté.

Solutions :

1. Le mot vertu signifie le principe du mouvement ou de l’action ; c’est pourquoi l’amour, en tant que principe du mouvement de l’appétit, est appelé vertu par Denys.

2. L’union se rapporte à l’amour en tant que, par la complaisance de son affectivité, l’aimant se comporte à l’égard de ce qu’il aime comme à l’égard de soi-même ou de quelque chose de soi. Et par suite, il est évident que l’amour n’est pas la relation d’union elle-même, mais que l’union procède de l’amour. Ce qui fait dire à Denys que l’amour est une “ force unitive ”, et au Philosophe que “ l’union est l’œuvre de l’amour ”.

3. L’amour ne désigne pas le mouvement de l’appétit tendant vers son objet ; cependant il désigne le mouvement par lequel l’appétit est modifié par l’objet désirable de façon à se complaire en lui.

 

            Article 3 — L’amour est-il identique à la dilection ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car l’amour et la dilection sont entre eux “ comme quatre et deux fois deux, comme le rectiligne et ce qui a des lignes droites ”, au dire de Denys. Mais ce sont là des synonymes. Donc amour et dilection ont la même signification.

2. Les mouvements de l’appétit diffèrent par leurs objets. Mais dilection et amour ont le même objet. Ils sont donc identiques.

3. S’ils diffèrent, c’est surtout parce que “ la dilection est relative au bien, et l’amour, au mal comme certains l’ont dit ”, d’après S. Augustin. Or ils ne diffèrent pas pour cette raison, puisque l’Écriture les emploie tous deux pour le mal et pour le bien. S. Augustin conclut au même endroit “ Il n’y a aucune différence entre parler d’amour et parler de dilection. ”

En sens contraire, nous avons ce texte de Denys “ Il a paru à certains saints que le nom d’amour était plus divin que celui de dilection. ”

Réponse :

Il existe quatre noms plus ou moins relatifs à la même réalité : amour, dilection, charité et amitié. Ils diffèrent cependant, car d’après Aristote, l’amitié est comme un habitus ; l’amour et la dilection sont désignés à la manière d’un acte ou d’une passion ; quant à la charité, elle peut se prendre dans les deux sens.

L’acte signifié par ces trois derniers termes ne l’est pourtant pas selon la même acception. L’amour est le plus commun ; car toute dilection ou charité est amour ; mais l’inverse n’est pas vrai. Car la dilection, comme le mot l’indique, ajoute à l’amour l’idée d’un choix, d’une “élection” antécédente. Ce qui fait que la dilection ne se trouve pas dans le concupiscible mais seulement dans la volonté, et dans la seule nature rationnelle. Enfin la charité ajoute à l’amour une certaine perfection, car ce qu’on aime de charité est estimé d’un grand prix, comme l’indique le nom même de charité.

Solutions :

1. Denys parle de l’amour et de la dilection selon qu’ils se trouvent dans la volonté ; en ce sens ils sont identiques.

2. L’objet de l’amour est plus commun que celui de la dilection, car l’amour s’étend à plus de choses, on vient de le dire.

3. L’amour et la dilection ne diffèrent pas selon le bien et le mal, mais de la façon qu’on vient de dire. Au plan de l’appétit intellectuel, ils s’identifient. Et c’est en ce sens que S. Augustin parle de l’amour, ajoutant peu après que “ la volonté droite est un amour bon, et la volonté perverse un amour mauvais ”. Toutefois, parce que l’amour, qui est une passion du concupiscible, entraîne au mal beaucoup d’hommes, on en a pris occasion pour les distinguer comme le fait l’objection.

4. En sens contraire. Certains ont pensé que le mot amour, même appliqué à la volonté, était plus divin que celui de dilection, parce que l’amour, et surtout l’amour sensible, implique une certaine passion, tandis que la dilection présuppose un jugement de raison. Or l’homme peut tendre mieux vers Dieu par l’amour, - attiré passivement en quelque sorte par Dieu luimême -, que par la conduite de sa propre raison, ce qui ressortit à la dilection, comme nous venons de le dire. C’est pour ce motif que l’amour est plus divin que la dilection.

 

            Article 4 — A-t-on raison de distinguer amour d’amitié, et amour de convoitise ?

Objections :

1. Cette division semble malheureuse, car selon Aristote : “ L’amour est une passion ; l’amitié est un habitus. ” Mais un habitus ne peut faire partie d’une passion. Donc la division de l’amour en amour d’amitié et amour de convoitise est à rejeter.

2. Ce qui fait nombre avec une chose ne divise pas cette chose : homme ne fait pas nombre avec “ animal ”. Or la convoitise et l’amour font deux, comme une passion et une autre passion. L’amour ne peut donc pas être divisé par la convoitise.

3. D’après Aristote, l’amitié peut être “ utile, agréable ou honnête ”. Or l’amitié utile et l’amitié agréable comportent de la convoitise. Celle-ci ne doit donc pas s’opposer à l’amitié dans une même division.

En sens contraire, on nous attribue l’amour de certaines choses parce que nous les convoitons ; d’après le Philosophe, “ on dit de quelqu’un qu’il aime le vin quand il en convoite la douceur ”. Or nous n’avons pas d’amitié pour le vin ou autre choses semblables, dit Aristote. Donc l’amour d’amitié et l’amour de convoitise sont différents.

Réponse :

Comme dit Aristote : “Aimer, c’est vouloir du bien à quelqu’un.” Le mouvement de l’amour tend donc vers deux termes : vers le bien que l’on veut à quelqu’un - soi ou un autre - et vers celui à qui l’on veut ce bien. A l’égard du bien que l’on veut à un autre, il y a amour de convoitise ; à l’égard de celui à qui nous voulons du bien, il y a amour d’amitié.

Cette division implique priorité et postériorité. Car ce qui est aimé d’un amour d’amitié est aimé purement et simplement, et pour lui-même ; ce que l’on aime d’un amour de convoitise n’est pas aimé purement et simplement et pour lui-même, mais pour un autre. De même, en effet, que l’être pur et simple est ce qui a l’être, tandis que l’être relatif est ce qui existe dans un autre ; ainsi le bien qui s’identifie avec l’être est, à parler absolument, ce qui possède en soi la bonté ; mais ce qui est le bien d’un autre n’est bon que relativement. Par conséquent, l’amour dont on aime quelqu’un quand on lui veut du bien est l’amour pur et simple ; et l’amour que l’on porte à une chose pour qu’elle devienne le bien d’un autre est un amour relatif.

Solutions :

1. L’amour ne se divise pas en amitié et convoitise, mais en amour d’amitié et amour de convoitise. Car un ami, au sens propre, est celui à qui nous voulons du bien ; et l’on parle de convoitise à l’égard de ce que nous voulons pour nous.

2. Cela résout la deuxième objection.

3. Dans l’amitié utile et l’amitié agréable, on veut sans doute du bien à son ami, et à cet égard la raison d’amitié est sauvegardée. Mais ce bien de l’autre, on le veut en définitive pour son plaisir et son avantage propres. En conséquence, l’amitié utile et agréable, dans la mesure où elle penche vers l’amour de convoitise, ne réalise pas pleinement la véritable amitié.

 

QUESTION 27 — LA CAUSE DE L’AMOUR

1. Le bien est-il la seule cause de l’amour ? - 2. La connaissance est-elle cause de l’amour ? 3. La ressemblance ? - 4. Quelque autre passion ?

 

            Article 1 — Le bien est-il la seule cause de l’amour ?

Objections :

Il semble que le bien ne soit pas la seule cause de l’amour. En effet, le bien n’est cause de l’amour que parce qu’il est aimé. Or il arrive que le mal aussi soit aimé, selon le Psaume (11, 6 Vg) : “ Qui aime l’iniquité hait son âme. ” Autrement tout amour serait bon. Donc le bien n’est pas la seule cause de l’amour.

2. Aristote écrit que “ nous aimons ceux qui disent le mal qui est en eux ”. Il semble donc que le mal est cause de l’amour.

3. D’après Denys “ non seulement le bien mais aussi le beau est aimable à tous ”.

En sens contraire, S. Augustin écrit “ Assurément il n’y a que le bien qui soit aimé. ” Le bien est donc la cause unique de l’amour.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit : l’amour relève de la puissance appétitive, qui est une force passive. Aussi son objet lui est-il rattaché comme étant la cause de son mouvement et de son acte. La cause propre de l’amour doit donc être l’objet même de l’amour. Or l’objet propre de l’amour est le bien parce que, nous l’avons dit, l’amour implique une certaine connaturalité ou complaisance entre l’aimant et l’aimé ; et d’autre part, pour chacun, le bien est ce qui lui est connaturel et proportionné. Il faut donc conclure que le bien est la cause propre de l’amour.

Solutions :

1. Le mal n’est jamais aimé que sous sa raison de bien, c’est-à-dire en tant qu’il est un bien relatif que l’on prend pour un bien pur et simple. De sorte que tel amour est mauvais parce qu’il tend vers ce qui n’est pas absolument le vrai bien. C’est en ce sens que l’homme “ aime l’iniquité ” en tant que par elle il obtient certains biens comme le plaisir, l’argent, etc.

2. Ceux qui disent le mal qui est en eux ne sont pas aimés à cause de ce mal, mais parce qu’ils disent ce mal ; en effet dire le mal qui est en eux, a raison de bien, en tant que cela exclut le mensonge ou la simulation.

3. Le beau est identique au bien ; leur seule différence procède d’une vue de la raison. Le bien étant ce que “ tous les êtres désirent ”, il lui appartient, par sa raison de bien, d’apaiser le désir, tandis qu’il appartient à la raison de beau d’apaiser le désir qu’on a de le voir ou de le connaître. C’est pourquoi les sens les plus intéressés par la beauté sont ceux qui procurent le plus de connaissances, comme la vue et l’ouïe mises au service de la raison ; nous parlons, en effet, de beaux spectacles et de belles musiques. Les objets des autres sens n’évoquent pas l’idée de beauté : on ne parle pas de belles saveurs ou de belles odeurs. Cela montre bien que le beau ajoute au bien un certain rapport à la puissance connaissante ; le bien est alors ce qui plaît à l’appétit purement et simplement ; le beau, ce qu’il est agréable d’appréhender.

 

            Article 2 — La connaissance est-elle cause de l’amour ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car si l’on recherche un être, c’est un effet de l’amour. Or on recherche certaines choses comme les sciences qui sont pourtant ignorées ; à leur égard en effet, dit S. Augustin “ c’est une seule et même chose que posséder et connaître ”. Donc, si on les connaissait, on les posséderait et on ne les rechercherait pas. La connaissance n’est donc pas cause de l’amour.

2. C’est au même titre que l’on aime ce qui est inconnu, et que l’on aime plus qu’on ne connaît. Or on aime certaines choses plus qu’on ne les connaît : ainsi Dieu qui, en cette vie, peut être aimé en lui-même, et non être connu en lui-même. Donc la connaissance n’est pas cause de l’amour.

3. Si la connaissance était cause de l’amour, là où la connaissance est absente on ne trouverait pas d’amour. Or il y a de l’amour partout, dit Denys, alors qu’il n’y a pas partout de la connaissance. Donc la connaissance n’est pas cause de l’amour.

En sens contraire, S. Augustin démontre que “ nul ne peut aimer quelque chose d’inconnu ”.

Réponse :

Le bien, avons-nous dit, est cause de l’amour par manière d’objet. Or le bien est objet de l’appétit dans la mesure où il est connu. C’est pourquoi l’amour requiert une certaine perception du bien que l’on aime. Ce qui fait dire au Philosophe que “ la vision corporelle est le principe de l’amour sensible ”. Et de même, la contemplation de la beauté ou de la bonté spirituelle est le principe de l’amour spirituel.

Ainsi donc la connaissance est cause de l’amour au même titre que le bien, qui ne peut être aimé que s’il est connu.

Solutions :

1. Celui qui recherche la science ne l’ignore pas totalement ; il la connaît déjà sous quelque aspect, soit en général, soit par l’un ou l’autre de ses effets, ou bien parce qu’il entend faire son éloge, remarque S. Augustin. Mais la connaître ainsi n’est pas la posséder ; pour cela il faut la connaître à la perfection.

2. Il faut davantage pour la perfection de la connaissance que pour celle de l’amour. En effet, la connaissance relève de la raison, dont le rôle est de distinguer ce qui ne fait qu’un dans la réalité, et de rapprocher les éléments divers en les comparant. C’est pourquoi la connaissance parfaite implique que l’on sache dans le détail tout ce qui appartient à une réalité : ses parties, ses puissances, ses propriétés. Mais l’amour, lui, est relatif à la puissance affective, qui s’adresse à la chose selon qu’elle est en elle-même. De sorte qu’il suffit pour la perfection de l’amour que la chose soit aimée selon qu’elle est atteinte en elle-même. Il arrive alors qu’une chose est aimée plus qu’elle n’est connue : on peut l’aimer parfaitement sans la connaître parfaitement. C’est ce qu’on voit nettement pour les sciences que certains aiment, bien qu’ils n’en aient qu’une connaissance sommaire : ils savent, par exemple, que la rhétorique est la science qui permet de persuader, et c’est cela qu’ils aiment en elle. Il faut en dire autant de l’amour de Dieu.

3. Même l’amour naturel, qui existe en toute chose, est causé par une certaine connaissance, qui n’est pas à la vérité dans les choses naturelles elles-mêmes, mais en celui qui a institué la nature, nous l’avons dit récemment.

 

            Article 3 — La ressemblance est-elle cause de l’amour ?

Objections :

1. Il semble que non. Car l’identité n’est pas cause des contraires, tandis que la ressemblance est cause de haine : “ Les orgueilleux sont toujours à se quereller ”, dit l’Écriture (Pr 13, 10) ; et “ les potiers se disputent ”, remarque Aristote. Donc la ressemblance n’est pas cause de l’amour.

2. S. Augustin écrit “ On aime en autrui ce dont on ne voudrait pas pour soi ; ainsi on aime un acteur sans vouloir être acteur soi-même. ” Mais cela n’arriverait pas si la ressemblance était la cause propre de l’amour, car alors on aimerait en autrui ce que l’on a soi-même ou que l’on désire avoir.

3. Tout homme aime ce dont il a besoin, même s’il ne le possède pas ; le malade aime la santé ; le pauvre, les richesses. Or, en tant qu’on a besoin de ces choses et qu’on en manque, on n’a pas de ressemblance avec elles, au contraire ; de sorte que la dissemblance est aussi cause de l’amour.

4. D’après le Philosophe, “ nous aimons ceux qui sont généreux à nous aider pécuniairement et à nous sauver ; et de même, ceux qui gardent une uùtié fidèle pour les morts sont aimés de tous ”. Or tous les hommes ne sont pas ainsi ; c’est donc que l’amour n’implique pas nécessairement ressemblance.

En sens contraire, “ Tout être vivant aime son semblable ”, dit l’Écriture (Si 10, 15).

Réponse :

La ressemblance est à proprement parler cause de l’amour. Mais il faut remarquer qu’elle peut se vérifier à un double titre. D’abord du fait que les deux termes de la ressemblance possèdent en acte une même réalité, comme on dit semblables deux êtres qui ont une même blancheur. Ensuite parce que l’un possède en acte ce que l’autre possède en puissance et par une sorte d’inclination ; en ce sens nous dirions qu’un corps lourd situé hors de son lieu naturel a de la ressemblance avec un corps lourd qui se trouve dans le sien. Ou encore selon que la puissance a une ressemblance avec l’acte lui-même ; car dans la puissance elle-même l’acte existe d’une certaine façon.

Le premier genre de ressemblance est cause de l’amour d’amitié ou de bienveillance. Deux êtres étant semblables, et n’ayant pour ainsi dire qu’une seule forme, ils sont un, en quelque manière, dans cette forme ; deux hommes ne font qu’un dans l’espèce humaine, et deux êtres blancs dans la même blancheur. De sorte que l’affectivité de l’un tend vers l’autre comme vers un même être que soi, et lui veut le même bien qu’à soi. - Mais le deuxième genre de ressemblance est cause de l’amour de convoitise ou de l’amitié utile et agréable. Car tout être en puissance, en tant que tel, désire son acte, et, lorsqu’il l’a obtenu, il s’en réjouit, s’il est doué de sentiment et de connaissance.

Or dans l’amour de convoitise, avons-nous dit, c’est lui-même, à proprement parler, que l’aimant aime, quand il veut ce bien qu’il convoite. D’autre part, chacun s’aime plus que les autres, car on ne fait qu’un avec soi, substantiellement, tandis qu’avec un autre il n’y a ressemblance que selon telle ou telle forme. C’est pourquoi, si l’on est empêché dans l’acquisition du bien que l’on aime, du fait qu’un autre vous est semblable par participation d’une même forme, celui-ci vous devient odieux, non parce qu’il vous ressemble, mais parce qu’il empêche votre propre bien. Il n’y a pas d’autres raisons aux “ rixes entre potiers ” ; ils se gênent mutuellement dans leurs affaires ; et si “ les orgueilleux se querellent ”, c’est aussi parce qu’ils se gênent dans la conquête de la supériorité qu’ils convoitent pour eux-mêmes.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. Le fait qu’on aime chez autrui ce qu’on n’aimerait pas pour soi signale encore une certaine ressemblance selon la proportionnalité ; car le prochain est, par rapport à ce que nous aimons en lui, ce que nous sommes nous-mêmes par rapport à ce que nous aimons en nous ; ainsi, qu’un bon chantre aime un bon calligraphe, il y a là ressemblance de proportion, en tant que chacun possède ce qui lui convient dans la ligne de son art.

3. Celui qui aime ce dont il manque ressemble à ce qu’il aime comme ce qui est en puissance ressemble à son acte, nous venons de le dire.

4. Selon la même ressemblance de la puissance avec l’acte, celui qui n’est pas libéral aime celui qui l’est, en tant qu’il attend de l’autre ce qu’il désire. Il en est de même de celui qui persévère dans l’amitié à l’égard de celui qui n’y persévère pas. Dans les deux cas l’amitié semble être utilitaire. - On peut répondre aussi : bien que tous les hommes ne possèdent pas les vertus par manière d’habitus parfait, ils les possèdent cependant comme en germe dans leur raison, de telle sorte que celui qui n’est pas vertueux aime celui qui l’est, en tant que celui-ci est conforme à sa nature rationnelle.

 

            Article 4 — Y a-t-il une autre passion qui soit cause de l’amour ?

Objections :

1. Il semble que certaines autres passions peuvent être causes d’amour. Car d’après Aristote certains sont aimés à cause du plaisir. Voilà donc une passion qui serait cause de l’amour.

2. Le désir est une passion. Or nous aimons certains êtres parce que, comme on le voit dans toute amitié utilitaire, nous désirons quelque chose que nous attendons d’eux.

3. Selon S. Augustin, “ celui qui n’a pas en soi l’espoir d’obtenir une chose, c’est qu’il l’aime avec tiédeur, ou qu’il ne l’aime pas du tout, si belle d’ailleurs qu’elle lui paraisse ”. Donc l’espoir aussi est cause d’amour.

En sens contraire, comme dit S. Augustin, toutes les autres affections de l’âme ont l’amour pour cause.

Réponse :

Toute autre passion présuppose un certain amour. La raison en est que toute autre passion de l’âme implique mouvement vers quelque chose ou repos en quelque chose. Or tout mouvement vers quelque chose, ou tout repos en quelque chose, procède d’une certaine connaturalité ou harmonie, qui rejoint la définition de l’amour. Il est donc impossible qu’une autre passion de l’âme soit la cause universelle de l’amour. Il peut arriver cependant que telle autre passion soit la cause d’un amour particulier comme un bien peut être la cause d’un autre bien.

Solutions :

1. Lorsqu’on aime quelque chose pour le plaisir, il est vrai que cet amour-là est causé par le plaisir ; mais ce plaisir même vient d’un autre amour qui le précède, car nul ne prend plaisir qu’à ce qu’il aime en quelque façon.

2. Le désir d’une chose présuppose toujours l’amour de cette chose. Mais le désir de telle chose peut provoquer l’amour d’une autre chose : ainsi celui qui désire de l’argent aime pour cette raison celui qui lui en donne.

3. L’espoir éveille ou augmente l’amour, en raison du plaisir d’abord, parce qu’il produit du plaisir ; et aussi en raison du désir, parce qu’il le fortifie ; notre désir, en effet, ne se porte pas aussi intensément sur ce que nous n’espérons pas. Cependant l’espoir lui-même a pour objet un bien qu’on aime.

 

QUESTION 28 — LES EFFETS DE L’AMOUR

1. L’union est-elle un effet de l’amour ? - 2. L’inhabitation mutuelle ? - 3. L’extase ? - 4. La jalousie ? - 5. L’amour est-il une passion qui blesse celui qui aime ? - 6. L’amour est-il la cause de tout ce qu’on fait quand on aime ?

 

            Article 1 — L’union est-elle un effet de l’amour ?

Objections :

1. Il semble que non. Car l’absence s’oppose à l’union. Mais l’amour est compatible avec l’absence, selon ce mot de l’Apôtre (Ga 4, 18) parlant de lui-même d’après la Glose : “ Il est bien d’être l’objet d’une affection quand c’est dans le bien, toujours et non pas seulement quand je suis présent parmi vous. ” L’union n’est donc pas un effet de l’amour.

2. Toute union se réalise ou bien selon l’essence : c’est ainsi que la forme est unie à la matière, l’accident au sujet, la partie au tout ou à une autre partie pour constituer le tout ; ou bien par similitude de genre, d’espèce ou d’accident. Or l’amour ne produit pas l’union selon l’essence ; sinon l’amour ne se porterait jamais sur des êtres séparés par leur essence. Quant à l’union de ressemblance, elle ne vient pas de l’amour, c’est plutôt elle qui en est la cause, on l’a dit récemment. L’union n’est donc pas un effet de l’amour.

3. Le sens en acte devient le sensible lui-même en acte, et l’intelligence en acte s’identifie avec Pobjet intelligible en acte ; mais celui qui aime, dans l’exercice même de son amour ne fait pas un avec l’objet aimé en acte. C’est donc que l’union est plutôt un effet de la connaissance que de l’amour.

En sens contraire, Denys affirme que tout amour est une “ force unitive ”.

Réponse :

Il y a deux formes d’union de l’aimant à l’objet aimé. La première se fait dans la réalité, lorsque l’aimé est présent à l’aimant. L’autre est une union affective, qui doit être analysée en fonction de la connaissance antécédente, car tout mouvement de l’appétit fait suite à une connaissance. Les deux amours, celui de convoitise et celui d’amitié, procèdent l’un et l’autre d’une certaine connaissance de l’unité entre l’aimant et l’aimé. En effet, lorsqu’on aime quelque chose par convoitise, on le considère comme appartenant à la perfection de son être propre. Et de même, lorsqu’on aime quelqu’un d’un amour d’amitié, on lui veut du bien comme on en veut à soi-même ; c’est donc qu’on l’appréhende comme un autre soi-même, en tant qu’on lui veut du bien comme à soi. C’est pourquoi on appelle l’ami “un autre soi-même”. Et S. Augustin écrit : “Il a bien parlé de son ami, celui qui l’a appelé la moitié de son âme.”

La première espèce d’union, l’amour la produit par manière de cause efficiente, car il pousse à désirer et à rechercher la présence de l’aimé en tant qu’il lui convient et lui appartient. La seconde espèce d’union est causée par l’amour selon une causalité formelle, car l’amour lui-même est cette union ou ce lien. Ce qui fait dire à S. Augustin que l’amour est “ comme une sorte de vie unissant deux êtres ou cherchant à les unir : l’aimant et l’objet de son amour ”. Le mot “ unissant ” se rapporte à l’union affective, sans laquelle il n’est point d’amour, et ces mots : “ cherchant à les unir ” visent l’union réelle.

Solutions :

1. L’objection se rapporte à l’union réelle. C’est elle que le plaisir requiert, comme sa cause. Le désir, au contraire, implique l’absence réelle de l’aimé ; quant à l’amour, il existe et dans l’absence et dans la présence.

2. L’union soutient avec l’amour une triple relation. Une certaine union est cause de l’amour. C’est une union substantielle, quand il s’agit de l’amour qu’on se porte à soi-même ; une union de ressemblance, quand on parle de l’amour qu’on a pour les autres, nous venons de le dire.

Mais telle autre union est essentiellement l’amour lui-même. C’est l’union qui se fait par adaptation affective. On l’assimile à l’union substantielle, en tant que l’aimant considère l’aimé, dans l’amour d’amitié, comme un autre soi-même et, dans l’amour de convoitise, comme quelque chose de soi.

Enfin une troisième union est un effet de l’amour. C’est l’union réelle que l’aimant recherche avec ce qu’il aime. Elle répond aux exigences de l’amour ; comme le rapporte Aristote : “ Aristophane disait que ceux qui s’aiment, de deux qu’ils sont voudraient ne faire qu’un ” ; mais parce que “ ce serait alors la disparition des deux ou de l’un des deux ”, ils recherchent la seule union qui convienne : celle de la vie en commun, de la conversation et autres relations semblables.

3. La connaissance s’achève du fait que l’être connu s’unit au connaissant par sa ressemblance. Mais l’amour fait que la réalité aimée elle-même est unie en quelque manière à celui qui aime. Aussi l’amour est-il plus unifiant que la connaissance.

 

            Article 2 — L’inhabitation mutuelle est-elle un effet de l’amour ?

Objections :

1. Il semble que l’amour ne cause pas cette inhabitation mutuelle, par laquelle l’aimé serait dans l’aimant, et réciproquement. En effet, exister dans un autre, c’est être contenu en lui. Mais on ne peut à la fois contenir et être contenu. Donc l’amour ne peut créer l’inhabitation mutuelle par laquelle l’aimé serait dans l’aimant, et réciproquement.

2. On ne peut pénétrer à l’intérieur d’un tout sans le diviser. Or diviser ce qui est un dans la réalité n’appartient pas à l’appétit, siège de l’amour, mais à la raison. L’inhabitation mutuelle n’est donc pas un effet de l’amour.

3. Si, en vertu de l’amour, l’aimant est dans l’aimé et réciproquement, il s’ensuivra que l’aimé est uni à l’aimant comme celui-ci l’est à l’aimé. Mais l’union est elle-même identique à l’amour, on vient de le voir. Il s’ensuivrait que l’aimant serait toujours aimé par celui qui l’aime : ce qui est évidemment faux. Donc l’inhabitation mutuelle n’est pas l’effet de l’amour.

En sens contraire, il est écrit dans S. Jean (1 Jn 4, 16) : “ Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui. ” Or la charité, c’est l’amour de Dieu. Donc, pour la même raison, tout amour réalise cette inhabitation mutuelle de l’aimant et de l’aimé.

Réponse :

Que l’aimant soit dans l’aimé, et réciproquement, cela peut s’entendre au double point de vue de la connaissance et de l’appétit. Au premier point de vue, on dit que l’aimé est dans l’aimant en tant qu’il demeure dans la connaissance de celui-ci, selon ces mots de l’Apôtre (Ph 1, 17) : “ je vous porte dans mon cœur. ” - Mais on dit que l’aimant est dans l’aimé par la connaissance en tant qu’il ne se satisfait pas d’une connaissance superficielle de l’aimé mais s’efforce d’explorer à fond tout ce qui le concerne, et de pénétrer ainsi dans son intimité. C’est le sens de ces mots appliqués à l’Esprit Saint, qui est l’Amour de Dieu : “ Il scrute même les profondeurs de Dieu ” (1 Co 2, 10).

Mais au point de vue de la puissance appétitive, on dit que l’aimé est dans l’aimant en tant qu’il est dans le cœur de celui-ci par une sorte de complaisance ; si bien qu’il se délecte de l’aimé ou de ses biens, quand ils sont présents ; s’ils sont absents, son désir se porte vers l’aimé lui-même par l’amour de convoitise, ou vers les biens qu’il lui veut par l’amour d’amitié. Et ce n’est pas pour quelque motif extrinsèque comme lorsque l’on désire une chose à cause d’une autre, ou que l’on veut du bien à quelqu’un en vue d’autre chose, mais à cause de la complaisance pour l’aimé enracinée dans le cœur. C’est pour cela que l’on situe l’amour au fond du cœur et que l’on parle des “ entrailles de la charité ”.

Réciproquement, l’aimant est dans l’aimé, mais différemment selon qu’il y a amour de convoitise ou amour d’amitié. En effet, l’amour de convoitise ne se repose dans aucune possession ou jouissance extérieure et superficielle de l’aimé, mais a cherche à le posséder parfaitement et à le joindre, pour ainsi dire, en son plus intime. Dans l’amour d’amitié, au contraire, l’aimant est dans l’aimé en ce sens qu’il considère les biens ou les maux de son ami comme les siens, et la volonté de son ami comme la sienne propre, de telle sorte qu’il parait recevoir et éprouver lui-même en son ami les biens et les maux. C’est pour cela que, d’après Aristote, le trait caractéristique des amis est de “ vouloir les mêmes choses, avoir les mêmes peines et les mêmes joies ”. Ainsi donc, en tant qu’il considère comme sien ce qui est à son ami, l’aimant semble exister en celui qu’il aime et être comme identifié à lui. Au contraire, en tant qu’il veut et agit pour son ami comme pour soi-même, le considérant comme un avec soi, c’est l’aimé qui est dans l’aimant.

Il y a une troisième manière d’entendre cette mutuelle inhabitation par l’amour d’amitié ; c’est celle de l’amour qui répond à l’amour : les amis s’aiment l’un l’autre, se veulent et se font mutuellement du bien.

Solutions :

1. L’aimé est contenu dans celui qui aime, en tant qu’il est gravé dans son cœur par une sorte de complaisance. Réciproquement, l’aimant est contenu dans l’aimé, en ce sens qu’il rejoint en quelque sorte l’intimité de son ami. Rien n’empêche en effet que l’on contienne et que l’on soit contenu à des titres divers ; c’est ainsi que le genre est contenu dans l’espèce, et réciproquement.

2. La saisie de la raison précède le mouvement de l’amour. Aussi, de même que la raison fait son enquête, l’affection de l’amour s’insinue au cœur de l’aimé, comme on vient de le dire.

3. Cette objection est tirée du troisième genre d’inhabitation mutuelle, qui ne se vérifie pas en tout amour.

 

            Article 3 — L’extase est-elle un effet de l’amour ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’extase semble comporter une sorte d’aliénation, que l’amour ne produit pas toujours, car ceux qui s’aiment gardent parfois la possession d’eux-mêmes. Donc l’amour ne produit pas l’extase.

2. L’aimant désire que l’aimé lui soit uni. Donc il l’attire à soi, plutôt qu’il ne va vers lui en sortant de soi.

3. L’amour unit l’aimé à l’aimant, on vient de le dire. Donc, si l’aimant se tend hors de soi pour rejoindre l’aimé, il s’ensuit qu’il aime toujours l’autre plus que soi-même, ce qui est manifestement faux. Donc l’extase n’est pas l’effet de l’amour.

En sens contraire, Denys écrit que “ l’amour divin produit l’extase ”, et que “ Dieu lui-même est sorti de soi par amour ”. Donc, puisque tout amour est une certaine ressemblance participée de l’amour divin, comme il l’explique au même endroit, il semble que tout amour soit cause d’extase.

Réponse :

On dit de quelqu’un qu’il est en extase lorsqu’il est mis hors de soi. Cela peut arriver dans l’ordre de l’appréhension et dans celui de l’appétit. Dans l’ordre de l’appréhension, on dit de quelqu’un qu’il se met hors de soi quand il est entraîné hors de la connaissance qui lui est propre. Ce peut être parce qu’il est introduit à une connaissance plus haute, comme élevé à la compréhension de certaines choses dépassant la portée de ses sens et de sa raison, et dont on dit qu’il est en extase parce qu’il est transporté hors de la perception naturelle de sa raison et de ses sens. Ou bien ce peut être parce qu’il est profondément déprimé, et lorsque quelqu’un tombe dans le délire ou la folie, on dit qu’il a une extase. - Dans l’ordre de l’appétit on dit qu’il y a extase lorsque l’appétit d’un homme se porte sur un autre en sortant de soi pour ainsi dire.

C’est l’amour qui produit la première sorte d’extase par mode de disposition, en tant qu’il fait méditer sur ce qu’on aime, comme nous l’avons dit à l’article précédent, et la méditation intense d’une chose fait oublier toutes les autres. - Quant à la seconde extase, l’amour en est la cause directe : purement et simplement dans l’amour d’amitié, et d’une certaine manière seulement dans l’amour de convoitise. Car, dans l’amour de convoitise, l’aimant se porte en quelque sorte hors de soi, parce que, non content de jouir du bien qu’il possède, il cherche à jouir de quelque chose en dehors de lui-même. Mais ce bien extérieur, il cherche à l’avoir pour soi, il ne sort pas à vrai dire de soi ; aussi, une telle affection, en fin de compte, le referme sur lui-même. Mais dans l’amour d’amitié, l’affection sort absolument d’elle-même, car on veut du bien à son ami et on y travaille, comme si l’on était chargé de pourvoir à ses besoins et cela en vue de l’ami lui-même.

Solutions :

1. L’objection ne vaut que pour la première sorte d’extase.

2. La raison vaut pour l’amour de concupiscence qui ne produit pas l’extase au sens pur et simple.

3. Celui qui aime sort de soi dans la mesure où il veut le bien de son ami et le réalise. Mais il ne veut pas le bien de son ami plus que le sien propre ; il ne s’ensuit donc pas qu’il aime l’autre plus que lui-même.

 

            Article 4 — La jalousie est-elle un effet de l’amour ?

Objections :

1. Il semble que non, car la jalousie est une source de dispute, comme on le voit par ces mots de S. Paul (1 Co 3, 3) : “ Puisqu’il y a parmi vous de la jalousie et des disputes. ” Il n’est donc pas un effet de l’amour, lequel fuit les disputes.

2. L’objet de l’amour est le bien, qui tend à se communiquer. Or la jalousie s’oppose à la communication ; elle ne souffre aucun partage dans l’objet de son amour, ainsi dit-on que les hommes sont jaloux de leurs épouses qu’ils ne veulent pas avoir en commun avec d’autres. La jalousie ne vient donc pas de l’amour.

3. La jalousie ne va pas sans haine, comme elle ne va pas sans amour, car il est écrit dans le Psaume (73, 3) : “ J’étais jaloux des orgueilleux. ” On ne doit donc pas dire que la jalousie est un effet de l’amour plutôt que de la haine.

En sens contraire, d’après Denys : “ Dieu est appelé jaloux à cause du grand amour qu’il a pour ce qui existe. ”

Réponse :

La jalousie, en quelque sens qu’on la prenne, vient de l’intensité de l’amour. Il est manifeste en effet que plus une force se porte intensément vers quelque chose, plus elle repousse avec vigueur ce qui lui est contraire ou opposé. Or l’amour, dit S. Augustin, est “ une sorte de mouvement qui tend vers l’aimé ” : un amour ardent cherchera donc à exclure tout ce qui s’oppose à lui.

Mais cela se produit différemment dans l’amour de convoitise et dans l’amour d’amitié. Car dans l’amour de convoitise, celui qui désire ardemment quelque chose s’emporte contre tout ce qui l’empêche d’obtenir ce qu’il aime ou d’en jouir tranquillement. C’est en ce sens que l’on parle de la jalousie des maris pour leurs femmes : ils ne veulent pas que ce qu’ils cherchent d’unique auprès d’elles soit empêché par la compagnie des autres. Et de même, ceux qui sont avides de supériorité s’élèvent contre ceux qui leur paraissent supérieurs, comme s’ils empêchaient leur propre supériorité : c’est la jalousie envieuse, dont il est écrit (Ps 37, 1) : “ Ne sois pas jaloux des méchants ; ne porte pas envie à ceux qui font le mal. ”

Dans l’amour d’amitié, au contraire, on cherche le bien de l’ami et, quand l’amour est intense, il dresse celui qui aime contre tout ce qui s’oppose au bien de son ami. On dit alors de quelqu’un qu’il est jaloux de son ami quand il s’applique à éloigner les paroles ou les actes qui vont contre le bien de celui-ci. C’est aussi de cette jalousie que l’on est animé pour Dieu quand on fait son possible pour empêcher ce qui est contraire à son honneur ou à sa volonté, selon cette parole du livre des Rois (1 R 19, 1 0) : “ je suis rempli d’un zèle jaloux pour le Seigneur des armées. ” Sur ce texte de S. Jean (2, 19) : “ l’amour jaloux de ta maison me dévore ”, la Glose dit également : “ Il est dévoré d’une bonne jalousie, celui qui s’efforce de corriger tout ce qu’il voit de mal et qui, s’il ne peut y réussir, le supporte en gémissant. ”

Solutions :

1. L’Apôtre parle à cet endroit de la jalousie envieuse, qui provoque en effet des disputes, non certes contre la chose aimée, mais en sa faveur et contre ce qui lui fait obstacle.

2. Le bien est aimé en tant qu’il peut se communiquer à celui qui aime. C’est pourquoi tout ce qui empêche la perfection de cette communication est considéré comme odieux. Et en ce cas la jalousie est causée par l’amour du bien. Mais il arrive que, par insuffisance de bonté, certains biens de peu de valeur ne peuvent être possédés simultanément et intégralement par plusieurs. C’est l’amour de tels biens qui engendre la jalousie envieuse. Il n’en va pas de même, à proprement parler, quand il s’agit de ces biens que plusieurs peuvent posséder pleinement : nul n’est envieux d’autrui pour sa connaissance de la vérité, que plusieurs peuvent acquérir intégralement. On peut seulement être jaloux de celui qui la possède de façon supérieure.

3. Le fait même que l’on déteste ce qui s’oppose à l’ami procède de l’amour. C’est pourquoi la jalousie est dite, en rigueur de termes, un effet de l’amour plutôt que de la haine.

 

            Article 5 — L’amour est-il une passion qui blesse celui qui aime ?

Objections :

1. Il semble que oui, car la langueur est une sorte de blessure. Or l’amour cause la langueur, selon ces mots du Cantique (2, 5) : “ Soutenez-moi avec des fleurs, fortifiez-moi avec des pommes, car je languis d’amour. ” L’amour est donc une passion qui blesse.

2. La liquéfaction est une sorte de décomposition. Or l’amour liquéfie, car il est écrit (Ct 5, 6) : “ Mon âme s’est liquéfiée lorsque mon bien-aimé a parlé. ” C’est donc que l’amour décompose, détruit et blesse.

3. La ferveur désigne un certain excès de chaleur, capable de détruire. Or la ferveur est causée par l’amour ; en effet Denys signale parmi les propriétés de l’amour des Séraphins qu’il est “ chaud, pénétrant et plus que fervent ”. Dans le Cantique (8,6), il est dit aussi de l’amour que “ ses ardeurs sont des ardeurs de feu et de flamme ”. L’amour est donc une passion qui blesse et qui détruit.

En sens contraire, Denys écrit que “ tous les êtres s’aiment d’un amour qui maintient ”, c’est-à-dire qui conserve. L’amour n’est donc pas une passion qui blesse, mais plutôt qui conserve et perfectionne.

Réponse :

Nous l’avons dit, l’amour signifie une certaine adaptation de la puissance affective à un bien. Or aucun être n’est blessé pour s’être adapté à ce qui lui convient ; il s’accomplit plutôt, si c’est possible, et en devient meilleur. Au contraire, ce qui veut s’adapter à ce qui ne lui convient pas en est blessé et détérioré. Donc, l’amour du bien qui convient perfectionne et améliore celui qui aime ; l’amour du bien qui ne convient pas blesse et détériore. C’est pour cela que l’homme est perfectionné et rendu meilleur surtout par l’amour de Dieu, tandis qu’il est blessé et détérioré par l’amour du péché, selon ces mots d’Osée (9, 10) : “ Ils sont devenus abominables comme l’objet de leur amour. ”

Cela doit s’entendre de l’amour au point de vue de ce qu’il y a de formel en lui, c’est-à-dire de l’appétit. Quant à l’aspect matériel de la passion de l’amour, à savoir une certaine modification corporelle, il arrive que l’amour blesse, à cause d’un certain excès, comme cela arrive dans l’activité sensorielle, et en tout acte d’une puissance de l’âme qui s’exerce avec modification de l’organe corporel.

Solutions :

Aux trois objections il faut répondre que l’on peut attribuer à l’amour quatre effets immédiats : la liquéfaction, la jouissance, la langueur et la ferveur. Le premier de tous est la liquéfaction, qui s’oppose à la congélation. Ce qui est congelé, en effet, est resserré en soi-même, au point que rien ne peut facilement y pénétrer. Au contraire, l’amour dispose l’appétit à accueillir le bien qu’il aime, de sorte que l’aimé est dans l’aimant, comme nous l’avons vu. On voit donc que la congélation ou dureté du cœur est une disposition qui s’oppose à l’amour, tandis que la liquéfaction implique un certain attendrissement qui permet au cœur de s’offrir à la pénétration de l’aimé. Donc, si l’aimé est présent et possédé, c’est la joie ou jouissance ; s’il est absent, il en résulte deux autres passions : la tristesse de l’absence ou langueur (c’est pourquoi Cicéron qualifie de maladie la tristesse plus que le reste), et un désir intense d’obtenir ce qu’on aime, qui s’appelle ferveur. - Ces quatre effets sont produits par l’amour considéré formellement, selon le rapport de la puissance appétitive à son objet. Mais dans la passion de l’amour, d’autres effets s’ensuivent, proportionnés aux premiers, et constitués par une modification organique.

 

            Article 6 — L’amour est-il la cause de tout ce qu’on fait quand on aime ?

Objections :

1. Il semble que non car, on l’a vu, l’amour est une passion. Mais tout ce que l’homme fait, il ne le fait pas par passion ; il fait certaines choses par choix et d’autres par ignorance, dit Aristote. Donc tout ce que l’on fait, on ne le fait pas par amour.

2. L’appétit est le principe du mouvement et de l’action chez tous les animaux, comme le montre Aristote. Donc, si l’on fait tout par amour, les autres passions de l’appétit sont superflues.

3. Rien ne vient à la fois de causes contraires. Or il est des choses qui se font par haine. Tout ne se fait donc pas par amour.

En sens contraire, Denys écrit : “ C’est par amour du bien que tous les êtres font tout ce qu’ils font. ”

Réponse :

Tout agent agit pour une fin, nous l’avons dit. Or la fin est le bien désiré et aimé par chacun. Il est donc manifeste que tout agent, quel qu’il soit, accomplit toutes ses actions en vertu d’un amour.

Solutions :

1. Cette objection se fonde sur l’amour qui est une passion existant dans l’appétit sensitif. Or nous parlons ici de l’amour au sens large, selon qu’il englobe l’amour intellectuel, l’amour rationnel, l’amour animal et l’amour naturel. Car c’est ainsi que Denys parle de l’amour.

2. De l’amour, nous l’avons déjà dit, naissent le désir, la tristesse et le plaisir, et par suite toutes les autres passions. Il s’ensuit que toute action qui procède d’une passion quelconque, procède aussi de l’amour comme de sa cause première. Les autres passions ne sont donc pas superflues : ce sont des causes prochaines.

3. La haine elle-même est causée par l’amour, comme nous le dirons bientôt.

 

QUESTION 29 — LA HAINE

1. Le mal est-il la cause et l’objet de la haine ? - 2. La haine est-elle causée par l’amour ? - 3. La haine est-elle plus forte que l’amour ? - 4. Peut-on se haïr soi-même ? - 5. Peut-on haïr la vérité ? - 6. Peut-on haïr quelque chose de façon universelle ?

 

            Article 1 — Le mal est-il la cause et l’objet de la haine ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car tout ce qui est, en tant qu’il est, est bon. Donc, si l’objet de la haine est le mal, il s’ensuit qu’aucune chose ne pourra être prise en haine, mais seulement tel défaut d’une chose. Ce qui est manifestement faux.

2. Il est digne de louange de haïr le mal. L’Écriture le donne à entendre (2 M 3, 1) : “ Les lois étaient fidèlement gardées, grâce à la piété du pontife Onias et à ceux qui haïssaient le mal. ” Donc, si le mal seul est objet de haine, il en résulte que toute haine est louable. Ce qui est manifestement faux.

3. Une même chose ne peut être à la fois bonne et mauvaise. Or une même chose peut être haïssable pour les uns et aimable pour les autres. Donc la haine a pour objet non seulement le ma4 mais aussi le bien.

En sens contraire, la haine est le contraire de l’amour. Or l’objet de l’amour est le bien, comme nous l’avons vu. Donc l’objet de la haine est le mal.

Réponse :

L’appétit naturel découle d’une certaine connaissance, bien que celle-ci ne soit pas dans le sujet. C’est pourquoi, il semble que l’on puisse assimiler son inclination à celle de l’appétit animal, lequel est consécutif à une connaissance appartenant au sujet, nous l’avons déjà dit. Or, dans l’appétit naturel ceci est évident : de même que tout être se trouve en consonance ou harmonie naturelle avec ce qui lui convient (ce qui est l’amour naturel), de même, à l’égard de ce qui s’oppose à lui et le détruit, tout être manifeste une dissonance naturelle, qui est la haine naturelle.

Ainsi donc, dans l’appétit animal ou dans l’appétit intellectuel, l’amour est une espèce de consonance de l’appétit avec ce qui est saisi comme lui convenant ; la haine, au contraire, est une sorte de dissonance de l’appétit à l’égard de ce qui est perçu comme opposant et nuisible. Or tout ce qui convient, en tant que tel, a raison de bien ; pareillement, tout ce qui s’oppose, en tant que tel, a raison de mal. Par conséquent, de même que le bien est l’objet de l’amour, ainsi le mal est-il l’objet de la haine.

Solutions :

1. L’être, en tant qu’être, n’exprime rien de contraire, mais plutôt de consonant, car toutes choses s’harmonisent dans l’être ; mais l’être, en tant que tel être déterminé, se trouve en contrariété avec un autre être déterminé. A ce point de vue, un être est haïssable pour un autre, et mauvais, non en soi, mais par rapport à cet autre.

2. De même qu’une chose peut être considérée comme bonne alors qu’elle ne l’est pas, ainsi peut-on juger mauvais ce qui n’est pas un vrai mal. C’est pourquoi il arrive parfois que ni la haine du mal ni l’amour du bien ne soient choses bonnes.

3. Une seule et même chose peut être aimable ou haïssable pour des êtres différents, selon l’appétit naturel, du fait qu’elle convient à la nature de l’un et s’oppose à la nature de l’autre : par exemple la chaleur convient au feu, et s’oppose à l’eau. Dans le domaine de l’appétit animal, la cause de cette diversité est que la même réalité est appréhendée par l’un sous la raison de bien, et par l’autre sous la raisorï de mal.

 

            Article 2 — La haine est-elle causée par l’amour ?

Objections :

1. Il semble que non : “ Les choses qui se distinguent par opposition, cœxistent naturellement ”, écrit Aristote. Or l’amour et la haine, étant contraires, se distinguent par opposition. Ils sont donc cœxistants selon la nature. Donc l’amour n’est pas cause de haine.

2. Un contraire n’est pas cause de l’autre. Or l’amour et la haine sont contraires. Donc l’amour n’est pas cause de haine.

3. Ce qui suit n’est pas cause de ce qui précède. Or la haine précède l’amour. Elle implique en effet qu’on s’éloigne du mal, et l’amour qu’on s’approche du bien.

En sens contraire, S. Augustin affirme que toutes les émotions sont causées par l’amour. Donc aussi la haine, qui est une émotion de l’âme.

Réponse :

L’amour, avons-nous dit à l’article précédent, consiste en une certaine convenance de l’aimant et de l’aimé, et la haine, en une sorte d’opposition ou dissonance. Or, en toute chose, il faut considérer ce qui s’accorde avant de considérer ce qui s’oppose ; car si une chose s’oppose à une autre, c’est parce qu’elle est de nature à détruire ou empêcher ce qui s’accorde. Il s’ensuit nécessairement que l’amour précède la haine et que rien ne peut être objet de haine sinon parce qu’il est contraire au bien que l’on aime. C’est ainsi que toute haine est causée par l’amour.

Solutions :

1. Parmi les choses qui se distinguent en s’opposant, il en est qui cœxistent naturellement et dans la réalité et dans l’esprit ; ainsi deux espèces d’animaux ou deux espèces de couleurs. D’autres se correspondent à titre égal au point de vue de la raison, mais, dans la réalité, l’une précède et cause l’autre, comme on le voit pour les espèces des nombres, des figures et des mouvements. D’autres enfin ne cœxistent ni dans la réalité ni dans l’esprit, ainsi la substance et l’accident ; en effet la substance est réellement cause de l’accident et, au point de vue de la raison, l’être se dit à titre premier de la substances puis de l’accident, car on ne l’attribue à celui-ci qu’en tant qu’il existe dans la substance. - Or l’amour et la haine, par nature, existent ensemble au point de vue de la raison, mais non dans la réalité. Rien n’empêche donc que l’amour soit cause de la haine.

2. L’amour et la haine sont contraires quand ils portent sur le même objet. Mais quand ils ont des objets contraires, ils ne sont plus contraires, ils sont corrélatifs et s’engendrent l’un l’autre : aimer une chose et haïr son contraire relèvent d’un même principe. Ainsi l’amour d’une chose cause la haine de son contraire.

3. Dans l’ordre d’exécution, s’éloigner d’un terme précède l’accès à l’autre terme. Mais dans l’ordre d’intention, c’est l’inverse : si l’on s’éloigne, c’est parce que l’on veut accéder à autre chose. Or les mouvements de l’appétit relèvent plutôt de l’ordre intentionnel que de l’ordre d’exécution. Puisque l’amour et la haine sont deux mouvements de l’appétit, c’est donc l’amour qui est premier.

 

            Article 3 — La haine est-elle plus forte que l’amour ?

Objections :

1. Il semble bien, car S. Augustin écrit : “ Il n’est personne qui ne fuie la douleur plus qu’il ne cherche le plaisir. ” Mais fuir la douleur relève de la haine, tandis que la recherche du plaisir appartient à l’amour. Donc la haine est plus forte que l’amour.

2. Le plus faible est vaincu par le plus fort. Or l’amour est vaincu par la haine, quand l’amour se change en haine.

3. Les affections de l’âme se font connaître par leurs effets. Or l’homme s’applique plus à repousser ce qu’il déteste qu’à rechercher ce qu’il aime ; comme aussi les bêtes s’abstiennent de ce qui leur plaît par peur des coups, dit S. Augustin. Donc la haine est plus forte que l’amour.

En sens contraire, le bien est plus fort que le mal, car “ le mal n’agit que par la vertu du bien ”, selon Denys. Or la haine et l’amour diffèrent selon que le bien et le mal sont différents. Donc l’amour est plus fort que la haine.

Réponse :

Il est impossible qu’un effet soit plus fort que sa cause. Or toute haine procède de quelque amour comme de sa cause, nous venons de le dire. Il est donc impossible que la haine soit plus forte que l’amour, purement et simplement.

Mais il faut aller plus loin et dire que l’amour, à parler absolument, est plus fort que la haine. En effet, un mobile se meut vers la fin avec plus de force que vers le moyen ordonné à la fin. Or l’éloignement du mal est ordonné à l’obtention du bien comme à sa fin. Par conséquent, à parler purement et simplement, le mouvement de l’âme est plus fort vers le bien qu’il ne l’est à l’égard du mal.

Cependant, il semble que la haine soit parfois plus forte que l’amour ; et cela, pour deux raisons.

l° Parce que la haine est plus sensible que l’amour. Puisque la perception du sens consiste en un changement, quand celui-ci s’est produit, la sensation est moindre que pendant le changement. De là vient que la chaleur de la fièvre continue, bien qu’elle soit plus grande, n’est pourtant pas aussi sensible que celle de la fièvre tierce, parce qu’elle est déjà passée en une sorte d’état naturel. C’est pour cela aussi que l’amour se fait sentir davantage en l’absence de l’aimé, selon la remarque de S. Augustin : “ L’amour est moins sensible lorsque la privation ne le fait pas connaître. ” Cette même raison explique que la disconvenance avec l’objet de la haine provoque un sentiment plus vif que la convenance avec ce que l’on aime.

2° La haine paraît plus forte que l’amour parce que l’on ne compare pas la haine à l’amour qui lui correspond. En effet, la diversité des amours selon la grandeur et la faiblesse répond à la diversité des biens ; et à ces amours divers s’opposent des haines proportionnées. Il s’ensuit que la haine corrélative à un amour plus grand touche davantage qu’un amour moindre.

Solutions :

1. Cela donne la réponse à la première objection. L’amour du plaisir est moindre que l’amour de notre conservation, auquel correspond la fuite de la douleur. C’est pourquoi on fuit la douleur plus qu’on n’aime le plaisir.

2. Jamais la haine ne vaincrait l’amour sans un plus grand amour, correspondant à la haine. C’est ainsi que l’homme s’aime lui-même plus qu’il n’aime son ami ; et, parce qu’il s’aime lui-même, il peut en venir à haïr même son ami, si celui-ci s’oppose à lui.

3. Si l’on s’applique avec plus d’ardeur à repousser ce qui déplaît, c’est parce que la haine est plus sensible.

 

            Article 4 — Peut-on se haïr soi-même ?

Objections :

1. Il semble bien, car on dit dans la Psaume (11, 6 Vg) : “ Celui qui aime l’iniquité, hait son âme. ” Or ils sont nombreux ceux qui aiment l’iniquité, et donc ceux qui se haïssent eux-mêmes.

2. Nous haïssons celui à qui nous voulons et faisons du mal. Or il arrive qu’on veuille se faire et qu’on se fasse du mal à soi-même ; par exemple ceux qui se donnent la mort. Donc, il y a des hommes qui se haïssent eux-mêmes.

3. D’après Boèce : “ L’avarice rend les hommes odieux. ” D’où l’on peut inférer que tout homme hait l’avare. Or certains sont avares, et donc se haïssent eux-mêmes.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Ep 5, 29) “ Personne n’a jamais eu de haine pour sa propre chair. ”

Réponse :

Il est impossible que quelqu’un se haïsse soi-même, à considérer la chose en elle-même. En effet tout être désire naturellement son bien, et nul ne peut se vouloir quelque chose sinon à titre de bien ; car “ le. mal est au-delà du vouloir ”, comme dit Denys. Or, aimer quelqu’un, c’est lui vouloir du bien, comme nous l’avons vu. Chacun s’aime donc nécessairement soi-même, et il est impossible que l’on se haïsse, à prendre la chose en elle-même.

Toutefois il arrive accidentellement qu’on se haïsse soi-même. Et cela sous un double rapport. D’abord, à partir du bien qu’on se veut à soi-même. Car il arrive parfois ; que l’on désire comme bon à un certain point de vue quelque chose qui est mauvais purement et simplement ; alors, par accident, on se veut du mal, et pour autant on se hait. - En second lieu, à partir de soi-même, à qui l’on veut du bien. En effet tout être est surtout ce qu’il y a de principal en lui : on dit ainsi que la cité fait ce que fait le roi, comme si le roi était la cité tout entière. Or il est manifeste que l’homme est surtout ce qu’est son esprit. Or il arrive que certains pensent être surtout ce qu’ils sont au point de vue de la nature corporelle et sensible. Ils s’aiment donc selon ce qu’ils croient être, mais ils haïssent ce qu’ils sont en réalité, puisqu’ils veulent ce qui est contraire à la raison. De ces deux manières, celui qui aime l’iniquité hait non seulement son âme mais encore soi-même.

Solutions :

1. Cela donne la réponse à la première objection.

2. Nul ne se veut ou ne se fait du mal sinon parce qu’il perçoit ce mal sous la raison de bien. Car même ceux qui se donnent la mort considèrent celle-ci comme un bien, pour autant qu’elle met un terme à une misère ou à une douleur.

3. L’avare hait quelque chose qui est en lui un accident, mais pour autant il ne se hait pas lui-même- ; c’est ainsi que le malade déteste sa maladie, en vertu même de l’amour qu’il se porte. - On peut répondre aussi que l’avarice rend odieux aux autres, mais non à soi-même. Bien plus, elle a pour cause l’amour désordonné de soi qui fait rechercher les biens temporels plus qu’il ne faut.

 

            Article 5 — Peut-on haïr la Vérité ?

Objections :

1. Cela semble impossible, car le bien, l’être et le vrai ne sont qu’une même chose, et personne ne peut haïr le bien.

2. “ Tous les hommes désirent naturellement savoir ”, remarque Aristote. Or la science n’a pour objet que le vrai. Donc la vérité est naturellement désirée et aimée. Mais ce qui est naturel ne peut disparaître. Par conséquent, nul ne peut haïr la vérité.

3. Le même Philosophe dit que “ les hommes aiment les gens sincères ”. Or ce ne peut être qu’à cause de la vérité. L’homme aime donc naturellement la vérité et ne peut la haïr.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Ga 4, 16) “ Suis-je devenu votre ennemi parce que je vous ai dit la vérité ? ”

Réponse :

Le bien, le vrai et l’être ne sont qu’une même réalité, mais ils diffèrent au point de vue de la raison. Le bien, en effet, a raison de chose désirable - ce que n’ont pas l’être ou le vrai -, le bien étant “ ce que toutes choses désirent ”. Par conséquent le bien, sous la raison de bien, ne peut être objet de haine, ni en général, ni en particulier. - Quant à l’être et au vrai, on ne peut assurément les haïr en général, car c’est la dissonance qui est cause de la haine tandis que l’accord est cause de l’amour ; et, d’autre part, l’être et le vrai sont communs à toutes choses. Cependant, en particulier, rien n’empêche qu’on haïsse tel être ou certaine vérité, en tant qu’ils se présentent comme contraires ou hostiles : la contrariété, en effet, et l’hostilité ne s’opposent pas à la notion de bien.

Or, c’est d’une triple manière qu’une vérité particulière peut être contraire ou opposée au bien que l’on aime. D’abord, selon que la vérité est dans les choses elles-mêmes comme dans sa cause et sa source. A ce titre, il arrive que l’homme haïsse une vérité en tant qu’il voudrait que ce qui est vrai ne le fût pas. - D’autre part, il y a opposition selon que la vérité est dans l’esprit de l’homme lui-même, où elle l’empêche de poursuivre ce qu’il aime. C’est le cas de ceux qui voudraient ne pas connaître la vérité de la foi pour pécher librement, et qui disent à Dieu dans le livre de Job (21, 14) : “ Nous refusons la science de tes voies. ” - Enfin, une vérité particulière est objet de haine, en tant qu’opposée, selon qu’elle se trouve dans l’intelligence d’un autre. Par exemple, celui qui veut que son péché reste ignoré, hait que l’on sache la vérité sur ce péché. C’est en ce sens que S. Augustin nous dit : “ Les hommes aiment la lumière de la vérité, mais ils haïssent ses reproches. ”

Solutions :

1. Cela donne la réponse à la première objection.

2. Connaître la vérité est en soi chose aimable ; c’est pour cela que S. Augustin dit que les hommes “ aiment sa lumière ”. Mais, d’une façon accidentelle, la connaissance de la vérité peut devenir objet de haine, dans la mesure où elle empêche d’obtenir ce qu’on désire.

3. Si l’on aime les hommes sincères, c’est parce que connaître la vérité est chose aimable en soi, et que les hommes sincères la manifestent.

 

            Article 6 — Peut-on haïr quelque chose de façon universelle ?

Objections :

1. Cela semble impossible, car la haine est une passion de l’appétit sensitif, lequel est mû par une connaissance sensible. Or le sens ne peut saisir l’universel. La haine ne peut donc pas porter sur un objet universel.

2. La haine est causée par une certaine dissonance, qui s’oppose à la communauté. Or la communauté relève de 1’universalité. La haine ne peut donc se porter sur quelque objet de façon universelle.

3. L’objet de la haine est le mal. Or “ le mai est dans les choses, non dans l’esprit ”, dit Aristote. Puisque l’universel existe seulement dans l’esprit, qui le dégage du particulier par l’abstraction, il semble donc que la haine ne puisse s’élever jusqu’à un objet universel.

En sens contraire, le Philosophe écrit : “ La colère a toujours pour objet le particulier ; mais la haine porte aussi sur un objet en général : chacun, en effet, déteste les voleurs et les calornniateurs. ”

Réponse :

On peut parler de l’universel de deux façons, selon que l’on vise son caractère même d’universalité, ou bien la nature à laquelle est attribué ce caractère ; en effet la considération de l’homme universel est différente de la considération de l’homme en tant qu’homme. Si l’on prend l’universel au premier sens, il n’est aucune puissance de la partie sensible - ni puissance cognitive ni puissance appétitive - qui atteigne à l’universel, car l’universel s’obtient par abstraction de la matière individuelle, où s’enracine toute faculté sensitive.

Toutefois, une puissance sensible de connaissance ou d’appétit peut se porter sur un objet pris universellement. Ainsi nous disons que l’objet de la vue est la couleur en général, non pas que la vue atteigne la couleur sous son aspect universel, mais parce que, si la couleur est connaissable par le sens de la vue, ce n’est pas en tant que telle couleur, mais en tant que couleur, purement et simplement.

Ainsi donc, la haine, même celle de la partie sensible, peut porter sur quelque chose de façon universelle, parce que c’est à cause de sa nature commune qu’un être déterminé peut s’opposer à un animal - ainsi le loup à la brebis et non seulement parce qu’il est tel ou tel : aussi la brebis déteste-t-elle le loup en général. - Mais la colère naît toujours d’un fait particulier, car elle suppose un acte qui nous a blessé, et les actes sont des faits particuliers. C’est ce qui fait dire au Philosophe : “ La colère a toujours pour objet une chose particulière, tandis que la haine peut porter sur quelque chose en général. ”

Quant à la haine qui se trouve dans la partie intellectuelle puisqu’elle est consécutive à la connaissance universelle de l’intelligence, elle peut atteindre l’universel, dans les deux sens du mot.

Solutions :

1. Le sens ne perçoit pas l’universel, en tant qu’universel, mais il perçoit certaines choses auxquelles l’abstraction confère 1’universa lité.

2. Ce qui est commun à tous ne peut être une raison de haine. Mais rien n’empêche qu’une chose soit commune à plusieurs hommes, et se trouve pourtant en dissonance avec d’autres hommes, pour lesquels elle devient alors un objet de haine.

3. Cette objection est tirée de l’universel pris sous sa raison d’universel ; nous accordons qu’à ce titre il ne tombe pas sous la perception ou l’appétit sensibles.

 

QUESTION 30 — LA CONVOITISE

1. La convoitise est-elle seulement dans l’appétit sensible ? - 2. Est-elle une passion spéciale ? - 3. Y a-t-il des convoitises naturelles et des convoitises qui ne le sont pas ? - 4. La convoitise est-elle infinie ?

 

            Article 1 — La convoitise est-elle seulement dans l’appétit sensible ?

Objections :

1. Il semble que la convoitise n’existe pas seulement dans l’appétit sensible car il existe une convoitise de la sagesse selon l’Écriture (Sg 6, 20) : “ La convoitise de la sagesse conduit au royaume éternel. ” Or l’appétit sensible ne peut se porter sur la sagesse. Donc la convoitise n’est pas seulement dans cette sorte d’appétit.

2. Le désir des commandements de Dieu ne se trouve pas dans l’appétit sensible ; bien plus l’Apôtre dit (Rm 7, 18) : “ Le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair. ” Or le désir des commandements de Dieu est une sorte de désir sensible ou “ convoitise ”, selon cette parole du Psaume (119, 20) : “ Mon âme a convoité ardemment tes décisions. ” La convoitise n’est donc pas dans le seul appétit sensible.

3. Pour toute puissance, son bien propre est objet de convoitise. Celle-ci se trouve donc en chaque puissance de l’âme, et non seulement dans l’appétit sensible.

En sens contraire, S. Jean Damascène dit : “ L’irrationnel qui obéit à la raison et se laisse persuader par elle, se divise en convoitise et colère. Or il s’agit de la partie irrationnelle de l’âme, passive et appétitive. ” La convoitise est donc dans l’appétit sensible.

Réponse :

“ La convoitise, dit le Philosophe, est l’appétit de ce qui plaît. ” Or, nous le verrons plus loin, il y a deux sortes de plaisirs : l’un se trouve dans le bien intelligible, qui est le bien de la raison ; l’autre, dans le bien d’ordre sensible. Il semble que la première sorte de plaisirs n’appartienne qu’à l’âme. La seconde relève de l’âme et du corps, car le sens est la faculté d’un organe corporel, de telle sorte que le bien sensible est le bien de tout le composé humain. Or c’est d’un tel plaisir que la convoitise semble être l’appétit, appartenant solidairement à l’âme et au corps, comme l’indique le mot même de convoitise ou concupiscence. Par conséquent, la concupiscence, au sens propre, se trouve dans l’appétit sensible, et plus précisément dans la partie concupiscible, qui en tire son nom.

Solutions :

1. L’appétit de la sagesse ou des autres biens spirituels est appelé parfois convoitise, soit à cause d’une certaine ressemblance entre appétit supérieur et appétit inférieur ; soit à cause de l’intensité de l’appétit supérieur qui rejaillit sur l’inférieur ; alors celui-ci tend à sa manière vers le bien spirituel à la suite de l’appétit supérieur, et le corps lui-même se met au service des réalités spirituelles. Comme il est écrit dans le Psaume (84, 3) : “ Mon cœur et ma chair crient de joie vers le Dieu vivant. ”

2. Le désir, à proprement parler, ne relève pas seulement de l’appétit inférieur, mais aussi du supérieur. En effet, il n’implique pas, comme la convoitise, une certaine complexité dans le désir mais un mouvement simple vers la chose désirée.

3. Il appartient à chacune des puissances de l’âme de désirer son bien propre d’un désir naturel, non consécutif à une connaissance. Mais désirer le bien d’un désir conjoint à une connaissance, comme en ont les animaux, cela n’appartient qu’à la puissance appétitive. Quant à désirer une chose en tant qu’elle est un bien délectable d’ordre sensible, c’est le propre de la convoitise, qui appartient à la puissance concupiscible.

 

            Article 2 — La convoitise est-elle une passion spéciale ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la convoitise soit une passion spéciale de la puissance concupiscible. Car les passions se distinguent selon leurs objets. Or l’objet du concupiscible est le délectable d’ordre sensible, qui est aussi, d’après le Philosophe, l’objet de la convoitise. Donc celle-ci n’est pas une passion spéciale du concupiscible.

2. S. Augustin écrit que “ la cupidité est l’amour des choses qui passent ”. Elle n’est donc pas distincte de l’amour. Or, toutes les passions spéciales se distinguent entre elles. Donc la convoitise n’est pas une passion spéciale.

3. A toute passion du concupiscible s’oppose, a-t-on dit, une passion spéciale dans ce même appétit. Or, aucune passion spéciale ne s’oppose à la convoitise dans le concupiscible. S. Jean Damascène dit en effet : “ Le bien attendu fait naître la convoitise ; le bien présent, la joie ; et de même, le mal auquel on s’attend provoque la crainte ; le mal présent, la tristesse. ” D’où il semble que la crainte s’oppose à la convoitise comme la tristesse à la joie. Or la crainte n’est pas dans le concupiscible, mais dans l’irascible. Donc la convoitise n’est pas une passion spéciale du concupiscible.

En sens contraire, la convoitise est causée par l’amour et tend au plaisir, passions du concupiscible. Elle se distingue donc des autres passions du concupiscible comme une passion spéciale.

Réponse :

Nous avons dit que le bien délectable pour le sens était l’objet commun du concupiscible. Il s’ensuit que les différences de cet objet feront la diversité des passions du concupiscible. Or la diversité de l’objet peut être considérée soit quant à la nature de l’objet lui-même, soit en fonction de sa puissance d’agir. La diversité de l’objet agissant qui se prend de la nature de la chose produit une différence matérielle entre les passions. Mais la diversité venant de la puissance active cause une différence formelle de distinction spécifique entre les passions.

Or la raison de puissance motrice qui appartient à la fin elle-même, ou au bien, est tout autre selon que ce bien est présent réellement ou qu’il est absent ; car lorsqu’il est présent, il fait qu’on se repose en lui ; lorsqu’il est absent, il fait qu’on se meut vers lui.

Ainsi, l’objet délectable d’ordre sensible, en tant qu’il adapte en quelque sorte l’appétit et le conforme à lui-même, cause l’amour ; en tant qu’absent, il l’attire à lui, il cause la convoitise ; en tant que présent, il lui donne de se reposer en lui, il cause la délectation ou plaisir. On voit ainsi que la convoitise est une passion spécifiquement différente et de l’amour et de la délectation ou plaisir. - Quant au fait de désirer tel objet agréable ou tel autre, il n’entraîne dans les convoitises qu’une diversité numérique.

Solutions :

1. Le bien agréable n’est pas l’objet du désir de façon absolue, mais seulement en tant qu’il est absent ; tout comme le sensible n’est objet de la mémoire que sous la raison de passé. En effet de telles conditions particulières diversifient l’espèce des passions, et même l’espèce des puissances de la partie sensible, qui regarde les objets particuliers.

2. Cette attribution est faite au titre de la cause, non de l’essence ; la cupidité, en soi, n’est pas l’amour, mais un effet de l’amour. - On peut dire aussi que S. Augustin prend le mot “ cupidité ” au sens large, pour désigner tout mouvement de l’appétit se portant sur un bien à venir. En ce sens la cupidité englobe l’amour et l’espoir.

3. La passion qui s’oppose directement à la convoitise n’a pas reçu de nom ; c’est celle qui soutient avec le mal le même rapport que la convoitise avec le bien. Mais parce qu’elle a pour objet le mal absent, comme la crainte, on la désigne quelquefois par ce dernier mot, de même qu’on parle de cupidité au lieu d’espoir. Un bien ou un mal de peu d’importance est considéré comme rien ; c’est pourquoi tout mouvement de l’appétit vers le bien ou vers le mal à venir est appelé espoir ou crainte, ces deux passions ayant pour objet le bien et le mal présentant un caractère de difficulté.

 

            Article 3 — Y a-t-il des convoitises naturelles et des convoitises qui ne le sont pas ?

Objections :

1. Il ne semble pas que certaines convoitises soient naturelles, quand d’autres ne le seraient pas. Car la convoitise relève de l’appétit animal, on l’a dit. Or l’appétit naturel se distingue de l’appétit animal. Donc aucune convoitise n’est naturelle.

2. La diversité matérielle ne cause pas une diversité spécifique, mais seulement une diversité numérique, qui échappe à toute considération philosophique. Or, s’il est des convoitises naturelles et non naturelles, elles ne diffèrent qu’en raison de leurs objets divers, c’est-à-dire d’une différence uniquement matérielle et numérique. Il n’y a donc pas lieu de distinguer entre convoitises naturelles et non naturelles.

3. La raison se distingue de la nature comme on le voit dans Aristote. Donc, s’il y a dans l’homme une convoitise non naturelle, c’est qu’elle est d’ordre rationnel. Or cela est impossible, car la convoitise dont nous parlons, étant une passion, appartient à l’appétit sensible et non à la volonté, qui est un appétit rationnel.

En sens contraire, le Philosophe affirme qu’il y a des convoitises naturelles, et des convoitises non naturelles.

Réponse :

La convoitise, avons-nous dit, est l’appétit du bien délectable. Or une chose peut être délectable à un double titre. D’abord parce qu’elle est en harmonie avec la nature de l’animal, comme manger, boire, etc. Cette convoitise du délectable est dite naturelle. Ou bien la chose est délectable parce qu’elle convient à l’animal selon la connaissance qu’il en a ; ainsi une chose est appréhendée comme bonne et adaptée : il en résulte qu’on s’y délecte. La convoitise de ces derniers objets est dite non naturelle, et, couramment, est plutôt appelée cupidité.

Les premières de ces convoitises, celles qui sont naturelles, sont communes aux hommes et aux animaux ; aux uns et aux autres certaines choses sont adaptées et délectables au point de vue naturel. Et tous les hommes en sont d’accord. Aussi le Philosophe appelle-t-il ces convoitises : communes et nécessaires-. - Quant aux autres convoitises, elles sont propres à l’homme, à qui il appartient de se représenter que telle chose lui est bonne et lui convient, en dehors de ce que la nature requiert. C’est pourquoi le même Philosophe dit que les premières convoitises sont “ irrationnelles ”, et les secondes “ accompagnées de raison ”. Et parce que tous ne raisonnent pas de la même façon, ces dernières sont appelées par Aristote : “ propres et surajoutées ”, par rapport aux convoitises naturelles.

Solutions :

1. Cela même qui fait l’objet de l’appétit naturel peut devenir aussi objet de l’appétit animal quand il a été perçu. C’est ainsi que la nourriture, la boisson, etc., que l’on désire par inclination de nature, peuvent faire l’objet d’une convoitise animale.

2. La distinction entre convoitises naturelles et non naturelles n’est pas seulement matérielle mais formelle d’une certaine manière, en tant qu’elle procède d’une diversité dans l’objet qui meut l’appétit. Car l’objet de celui-ci, étant le bien appréhendé, la diversité de la perception fait partie de la diversité du principe actif : une chose est alors perçue comme bonne par une connaissance absolue, d’où procèdent les convoitises naturelles que le Philosophe appelle irrationnelles, ou bien elle est perçue avec délibération, et provoque les désirs non naturels, appelés, pour ce motif, accompagnés de raison.

3. Dans l’homme il n’y a pas seulement la raison universelle, qui appartient à la partie intellective, mais aussi la raison particulière qui appartient à la partie sensible, comme nous l’avons dit dans la première Partie . A ce titre, même la convoitise accompagnée de raison peut relever de l’appétit sensible. - De plus, l’appétit sensible peut être mû également par la raison universelle utilisant l’imagination particulière.

 

            Article 4 — La convoitise est-elle infinie ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car l’objet de la convoitise est le bien, lequel a raison de fin. Or, qui parle d’infini exclut toute fin, dit Aristote. La convoitise ne peut donc pas être infinie.

2. La convoitise porte sur un bien adapté au sujet, puisqu’il procède de l’amour. Or l’infini, étant hors de proportion, ne peut être adapté au sujet.

3. L’infini ne se traverse pas : on ne parvient jamais à un terme. Or la convoitise obtient la délectation lorsqu’elle atteint son but ultime. Donc, si la convoitise était infinie, la délectation ne se réaliserait jamais.

En sens contraire, “ la convoitise étant infinie, les hommes désirent à l’infini ”, écrit Aristote.

Réponse :

Nous l’avons dit à l’article précédent, il y a deux sortes de convoitises : l’une est naturelle, et l’autre non. La convoitise naturelle ne peut être infinie en acte, car elle porte sur ce que la nature requiert. Or celle-ci tend toujours vers ce qui est fini et déterminé. Aussi bien ne voit-on jamais l’homme convoiter un mets infini, ou une boisson infinie. - Mais, de même que l’infini potentiel se trouve dans la nature de manière successive, ainsi arrive-t-il que cette convoitise soit infinie d’une manière successive : après avoir mangé, on veut un autre mets ou tout autre chose dont la nature a besoin ; car ces biens corporels, quand ils nous adviennent, ne demeurent pas toujours, mais disparaissent. Ce qui fait dire au Seigneur, s’adressant à la Samaritaine (Jn 4, 13) : “ Celui qui boira de cette eau aura encore soif. ”

Quant à la convoitise non naturelle, elle est absolument infinie. En effet, elle procède de la raison, comme nous l’avons dit, et le propre de la raison est de s’avancer à l’infini. De sorte que celui qui convoite les richesses, peut les convoiter non pas jusqu’à telle limite déterminée, mais pour être riche de façon absolue autant qu’il est en son pouvoir.

On peut, d’après le Philosophe, assigner une autre raison pour laquelle certaine convoitise est finie, et telle autre infinie. La convoitise de la fin est toujours infinie ; car la fin - la santé, par exemple - est convoitée pour elle-même ; ce qui fait qu’une santé meilleure est convoitée davantage, et ainsi à l’infini ; de même, puisque le blanc a pour propriété de dilater la pupille, plus il y a de blancheur, plus la dilatation est grande. Au contraire, la convoitise portant sur les moyens n’est pas infinie, mais on désire dans la mesure où cela convient à la fin. Ainsi ceux qui mettent leur fin dans les richesses les convoitent à l’infini ; mais ceux qui les désirent pour subvenir aux nécessités de la vie ne désirent que des richesses limitées, dit le Philosophe au même endroit. Et il en va de même pour la convoitise de tout le reste.

Solutions :

1. Tout ce qui est convoité est considéré comme quelque chose de fini, ou bien parce qu’il est fini en réalité, pour autant qu’il constitue l’objet d’un seul acte, ou bien parce qu’il est fini en tant que connu. Il ne peut, en effet, être atteint sous la raison d’infini, car “ l’infini, dit Aristote, est ce dont il est toujours possible, quelque partie qu’on en prenne, d’en prendre encore de nouvelles ”.

2. La raison est, en un sens, d’une vertu infinie, en tant qu’elle peut considérer quelque chose à l’infini, comme on le voit dans l’addition des nombres et des lignes. Aussi l’infini, envisagé d’une certaine manière, est-il proportionné à la raison. Car l’universel objet de la raison, est infini en quelque sorte, selon qu’il contient en puissance un nombre infini d’individus.

3. Il n’est pas nécessaire pour qu’il y ait délectation qu’on obtienne tout ce que l’on convoite ; tout objet convoité, quand on l’obtient, donne de la délectation.

LE PLAISIR

Nous abordons maintenant l’étude du plaisir ou délectation (Q. 31-34), et de la tristesse (Q. 35-39). Au sujet du plaisir nous examinerons quatre points : l° le plaisir en lui-même : (Q.31) ; 2° les causes du plaisir (Q. 32) ; 3° ses effets (Q. 33) ; 4° sa bonté et sa malice (Q. 34).

 

QUESTION 31 — LE PLAISIR EN LUI-MÊME

1. Le plaisir est-il une passion ? 2. Est-il dans le temps ? - 3. Diffère-t-il de la joie ? - 4. Est-il dans l’appétit intellectuel - 5. Comment classer les plaisirs de l’appétit supérieur et ceux de l’appétit inférieur ? - 6. Comment classer les plaisirs sensibles ? - 7. Y a-t-il un plaisir qui ne soit pas naturel ? - 8. Un plaisir peut-il être contraire à un autre ?

 

            Article 1 — Le plaisir est-il une passion ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Jean Damascène distingue l’opération et la passion, quand il dit : “ L’opération est un mouvement selon la nature ; la passion est un mouvement contre la nature. ” Or la délectation est une opération, au jugement d’Aristote. Elle n’est donc pas une passion.

2. De plus, “ pâtir, c’est être mû ”, dit encore Aristote. Or le plaisir ne consiste pas à être mû mais à l’avoir été ; en effet, il a pour cause la présence du bien possédé maintenant. Il n’est donc pas une passion.

3. Le plaisir consiste dans une certaine perfection de celui qui s’en délecte : “ il parfait l’opération ”, lisons-nous dans l’Éthique. Or la perfection n’est ni passion, ni altération, comme l’explique Aristote. Donc le plaisir n’est pas une passion.

En sens contraire, S. Augustin range le plaisir, autrement dit, la joie ou l’allégresse, parmi les passions de l’âme.

Réponse :

Un mouvement de l’appétit sensible s’appelle proprement passion, nous l’avons vu. Et toute affection qui procède d’une perfection sensible est un mouvement de l’appétit sensible. Or cela s’applique nécessairement au plaisir. Le Philosophe le définit, en effet : “ Un certain mouvement de l’âme et la constitution simultanée d’un tout sensible dans la nature existante. ”

Pour comprendre cette définition, il faut prendre garde à ce fait : si l’on voit dans le monde de la nature certains êtres réaliser leur perfection naturelle, cela se rencontre aussi chez les animaux. Et bien que le mouvement vers la perfection ne soit pas un tout simultané, cependant la réalisation même d’une perfection naturelle constitue cette sorte de tout. Il y a seulement cette différence entre les animaux et les autres êtres de la nature que ceux-ci, quand ils sont établis dans ce qui leur convient selon la nature, ne le sentent pas, tandis que les animaux le sentent. De cette sensation naît un certain mouvement de l’âme dans l’appétit sensible ; et ce mouvement, c’est le plaisir. En disant donc que le plaisir est “ un mouvement de l’âme ”, on lui assigne son genre. Quand on ajoute qu’il est “ une constitution dans la nature existante ”, c’est-à-dire dans ce qui existe selon la réalité des choses, on marque la cause du plaisir : la présence du bien connaturel. La précision : “ formant un tout simultané ”, montre que cette constitution ne doit pas se prendre au sens d’une constitution en train de se faire, mais d’une réalité déjà accomplie et comme au terme de son mouvement ; en effet, le plaisir n’est pas une génération, comme le pensait Platon, mais plutôt une chose faite, acquise, au dire d’Aristote. Enfin le mot “ sensible ” exclut les perfections des êtres privés de connaissance qui sont incapables de plaisir. On voit donc ainsi que le plaisir parce qu’il est un mouvement de l’appétit animal consécutif à une appréhension sensible, est bien une passion de l’âme.

Solutions :

1. L’opération connaturelle non empêchée est une perfection seconde, comme le montre Aristote. C’est pourquoi, quand l’être est constitué dans sa propre opération connaturelle non empêchée, il en résulte le plaisir, qui réalise un accomplissement, comme nous venons de le dire. On voit alors que si le plaisir est appelé opération, ce n’est pas pour désigner l’essence de cette opération, mais sa cause.

2. Dans l’animal on peut considérer un double mouvement : l’un concerne l’intention de la fin et appartient à l’appétit ; l’autre, regarde l’exécution et se rapporte à l’opération extérieure. Et donc, bien que le mouvement exécutif orienté vers la fin s’arrête chez celui qui a déjà obtenu le bien dans lequel il se complaît, le mouvement de la partie appétitive ne cesse pas pour autant. Elle désirait auparavant le bien qu’elle n’avait pas ; elle s’en délecte maintenant qu’elle le possède. Assurément le plaisir est une sorte de repos de l’appétit, si l’on considère la présence du bien agréable qui le satisfait ; cependant la modification de l’appétit sous l’action de son objet demeure, et c’est ce qui fait que le plaisir est aussi un mouvement.

3. S’il est vrai que le nom de passion convienne plus proprement aux passions qui détruisent et qui tendent au mal, comme les maladies physiques et, dans l’âme, la tristesse et la crainte, il y a pourtant certaines passions qui sont corrélatives au bien, nous l’avons dit. C’est dans ce sens que le plaisir est appelé une passion.

 

            Article 2 — Le plaisir est-il dans le temps ?

Objections :

1. Il semble bien car, d’après le Philosophe, “ le plaisir est un certain mouvement ”. Comme tous les mouvements, il est donc dans le temps.

2. On dit d’une chose qu’elle dure ou qu’elle est “ morose ”, en fonction du temps. Or il y a des délectations qu’on appelle moroses. Donc le plaisir ou délectation est dans le temps.

3. Toutes les passions de l’âme appartiennent au même genre. Or certaines d’entre elles sont dans le temps. Donc aussi la délectation.

En sens contraire, le Philosophe écrit : “ Nul n’assignera quelque durée au plaisir. ”

Réponse :

Une chose peut se trouver dans le temps d’une double manière : par elle-même ou par autre chose, et comme accidentellement. En effet, le temps est le nombre du successif ; aussi, sur ce qui implique dans son concept succession ou quelque chose qui se rattache à la succession, comme le mouvement, le repos, la parole, etc., on dit que tout cela est dans le temps par soi-même. Nous disons au contraire qu’un être est dans le temps pour une raison extérieure et non pas par soi-même, quand la succession n’appartient pas à sa définition, mais qu’il est subordonné à une réalité successive. Etre homme, par exemple, n’implique essentiellement rien de successif, car ce n’est pas un mouvement, mais le terme d’un mouvement, ou d’un changement, qui est la génération de cet homme ; cependant, parce que l’être humain est soumis à des causes qui le font changer, on dit encore que le fait d’être homme est dans le temps.

Nous dirons ainsi que le plaisir, de soi, n’est pas dans le temps ; car il existe dans le bien possédé, qui est comme le terme du mouvement. Mais si ce bien possédé est soumis au changement, le plaisir sera dans le temps par accident. En revanche, si le bien est absolument immuable, le plaisir ne sera dans le temps ni par soi ni par accident.

Solutions :

1. D’après Aristote, le mouvement se prend en deux acceptions. En premier lieu, comme “ acte de ce qui est imparfait ”, c’est-à-dire “ de ce qui est en puissance, en tant que tel ” ; un tel mouvement est successif et dans le temps. D’autre part, le mouvement est “ acte du parfait ” ; c’est-à-dire “ de ce qui est en acte ” : par exemple, comprendre, sentir, vouloir, etc., et aussi éprouver du plaisir. Et un tel mouvement n’est pas successif ni, par soi, situé dans le temps.

2. On dit que la délectation dure longtemps, ou est “ morose ”, selon qu’elle est accidentellement dans le temps.

3. Les autres passions n’ont pas, comme le plaisir, le bien possédé pour objet. Aussi ont-elles davantage raison de mouvement imparfait, et, par suite, il convient mieux au plaisir qu’à elles de n’être pas dans le temps.

 

            Article 3 — Le plaisir diffère-t-il de la joie ?

Objections :

1. Il semble que ce soit absolument identique, car les passions de l’âme diffèrent selon leurs objets. Or la joie et le plaisir ont le même objet, qui est le bien possédé. Donc la joie se confond totalement avec le plaisir.

2. Un même mouvement n’aboutit pas à deux termes. Or c’est le même mouvement de convoitise qui aboutit à la joie et au plaisir. Joie et plaisir sont donc absolument identiques.

3. Si la joie est différente du plaisir, il semble que, pour la même raison, l’allégresse, l’exultation et l’enjouement signifient également autre chose que le plaisir. Nous aurions alors autant de passions diverses : ce qui semble faux. Donc la joie ne diffère pas du plaisir.

En sens contraire, à propos des bêtes, nous ne parlons pas de joie. Mais nous leur attribuons du plaisir. Joie et plaisir ne sont donc pas la même chose.

Réponse :

La joie, dit Avicenne, est une certaine espèce de plaisir. Nous avons distingué les convoitises naturelles de celles qui ne le sont pas ; de même y a-t-il des plaisirs naturels et d’autres qui ne le sont pas, et qui accompagnent la raison. Ou bien, comme disent S. Jean Damascène et S. Grégoire de Nysse, “ il y a des plaisirs corporels et des plaisirs de l’âme ”, ce qui revient au même. En effet, nous éprouvons du plaisir dans les choses que nous désirons naturellement, quand nous les avons obtenues ; comme aussi dans celles que nous désirons selon la raison. Mais le mot de joie ne s’emploie que pour les plaisirs consécutifs à la raison ; aussi n’attribuons-nous pas aux bêtes la joie, mais seulement le plaisir. Tout ce que nous désirons d’un désir naturel, nous pouvons le convoiter et nous en réjouir rationnellement aussi ; tandis que l’inverse n’est pas vrai. De sorte que tout objet de plaisir peut être objet de joie pour les êtres doués de raison. Pourtant on ne se réjouit pas de tout ; parfois on éprouve dans son corps certains plaisirs dont on ne se réjouit pas selon la raison. On voit par là que le plaisir a plus d’ampleur que la joie.

Solutions :

1. Puisque l’objet de l’appétit d’un être doté de sensation est le bien appréhendé, la diversité de l’appréhension entraîne en quelque sorte la diversité de l’objet. C’est pourquoi les plaisirs de l’âme ou plaisirs rationnels, que l’on appelle aussi joies, se distinguent des plaisirs corporels appelés seulement plaisirs, comme nous l’avons dit précédemment au sujet des convoitises.

2. Une différence analogue se vérifie dans les convoitises ; de sorte que le plaisir répond à la convoitise sensible, et la joie à la convoitise spirituelle, celle où intervient la raison. A la différence des mouvements répond alors celle des repos.

3. Les autres noms qui se rattachent au plaisir proviennent de ses effets : “ allégresse ” (laetitia) vient de la dilatation ou élargissement (latitia) du cœur ; “ exultation ” se dit des signes extérieurs du plaisir intérieur, lequel devient visible en tant que la joie intérieure se traduit par des bondissements (saltus) du corps ; “ enjouement ” se dit de certains signes ou effets particuliers de l’allégresse. Et pourtant on constate que tous ces noms s’appliquent à la joie, car nous les employons seulement à propos des natures douées de raison.

 

            Article 4 — Le plaisir est-il dans l’appétit intellectuel ?

Objections :

1. Il semble que non, car Aristote écrit : “ Le plaisir est un certain mouvement sensible. ” Or le mouvement sensible n’est pas dans l’appétit intellectuel.

2. Le plaisir est une passion, et toute passion se trouve dans l’appétit sensible.

3. Le plaisir est commun aux hommes et aux bêtes. Il est donc nécessairement dans la partie qui nous est commune avec elles.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (37, 4) : “ Prends ton plaisir dans le Seigneur. ” Or l’appétit sensible ne peut s’étendre jusqu’à Dieu, mais seulement l’appétit intellectuel. Le plaisir peut donc se trouver dans celui-ci.

Réponse :

Nous l’avons dit à l’article précédent : certain plaisir, ou délectation, est consécutif à l’appréhension de la raison. Or celle-ci n’ébranle pas seulement l’appétit sensible, par application à un objet particulier, mais aussi l’appétit intellectuel, que l’on appelle volonté. Ainsi y a-t-il dans l’appétit intellectuel, ou volonté, une délectation qu’on appelle joie, mais non une délectation physique.

Il y a toutefois cette différence entre le plaisir des deux appétits que le plaisir de l’appétit sensible s’accompagne d’une modification corporelle, tandis que celui de l’appétit intellectuel n’est qu’un simple mouvement de volonté. C’est en ce sens que S. Augustin écrit : “ La cupidité et l’allégresse ne sont rien d’autre que la volonté lorsqu’elle consent à ce que nous voulons. ”

Solutions :

1. Dans cette définition du Philosophe, le mot “ sensible ” désigne l’appréhension en général. Car le même Philosophe dit ailleurs : “ Il y a plaisir selon chacun des sens, et aussi selon l’intelligence et la spéculation. ” - On peut dire aussi qu’il définit en cet endroit le plaisir de l’appétit sensible.

2. Le plaisir a proprement raison de passion pour autant qu’il comporte une modification corporelle. Ce n’est pas ainsi qu’il se trouve dans l’appétit intellectuel, mais comme un simple mouvement ; et c’est ainsi qu’il existe même chez Dieu et chez les anges. Aussi Aristote écrit-il : “ Dieu se réjouit dans une opération simple et unique. ” Et Denys : “ Les anges ne sont pas capables de nos plaisirs sensibles, mais ils se réjouissent avec Dieu dans une allégresse incorruptible. ”

3. En nous, il n’y a pas seulement ce plaisir qui nous est commun avec les bêtes, mais aussi celui qui nous est commun avec les anges. Aussi Denys peut-il écrire que “ les hommes saints participent souvent aux joies angéliques ”.

C’est ainsi qu’il y a chez nous du plaisir non seulement dans l’appétit sensible, commun avec les bêtes, mais aussi dans l’appétit intellectuel, commun avec les anges.

 

            Article 5 — Comment classer les plaisirs de l’appétit supérieur par rapport à ceux de l’appétit inférieur ?

Objections :

1. Il semble que les délectations ou plaisirs physiques et sensibles l’emportent sur les plaisirs spirituels et intellectuels. Car “ tous les hommes recherchent un plaisir ”, dit le Philosophe. Or la plupart recherchent de préférence les plaisirs sensibles ; c’est donc que ceux-ci l’emportent sur les spirituels.

2. On reconnaît la grandeur d’une cause à ses effets. Or les plaisirs corporels produisent de plus grands effets : “ Ils bouleversent le corps, et parfois jusqu’à la folie ”, dit Aristote.

3. On est obligé de modérer et de refréner les plaisirs sensibles à cause de leur véhémence. Mais ce n’est pas nécessaire pour les délectations spirituelles. Donc les corporelles sont plus intenses.

En sens contraire, on dit à Dieu dans le Psaume (1 19, 103) : “ Que tes paroles sont douces à mon palais, plus que le miel à ma bouche ! ” Et Aristote nous dit : “ Le plaisir le plus grand est celui qui accompagne l’œuvre de la sagesse. ”

Réponse :

Nous l’avons déjà dit : le plaisir a pour cause l’union avec le bien qui convient, quand elle est sentie ou connue. Or, dans les opérations de l’âme, et surtout de l’âme sensitive et intellectuelle, il faut considérer que, ne passant pas dans une matière extérieure, ces opérations sont les actes ou perfections de celui qui agit, comme comprendre, sentir, vouloir, etc. Les actions passant dans une manière extérieure sont plutôt les actes et perfections de la matière transformée, car le mouvement est l’acte du mobile imprimé par le moteur. Ainsi donc, ces actions de l’âme sensitive et intellectuelle sont elles-mêmes un certain bien pour celui qui agit, et en outre elles sont connues par les sens ou par l’intelligence. Aussi le plaisir naît-il aussi d’elles-mêmes, et pas seulement de leurs objets.

Donc, si l’on compare les plaisirs intellectuels aux plaisirs sensibles, en tant que nous nous délectons dans les opérations elles-mêmes, - par exemple, dans la connaissance des sens ou de l’intelligence, - il n’est pas douteux que les joies intellectuelles l’emportent de beaucoup sur les plaisirs sensibles. L’homme, en effet, se réjouit bien plus de connaître avec son intelligence qu’avec ses sens. C’est parce que la connaissance intellectuelle est plus parfaite ; de plus elle est mieux connue parce que l’intelligence réfléchit davantage sur son acte que ne font les sens. Cette connaissance intellectuelle est aussi plus aimée : il n’est personne qui ne préférerait, dit S. Augustin, être privé de la vision physique que de la vision intellectuelle, dont les bêtes et les insensés sont privés.

Mais si l’on compare les plaisirs intellectuels de l’esprit aux plaisirs sensibles du corps, alors à parler d’une façon absolue et selon la nature des choses, les plaisirs spirituels l’emportent. On le voit par la considération des trois facteurs requis pour le plaisir : le bien présent, ce à quoi il est uni, et l’union elle-même. En effet, le bien spirituel est plus grand que le bien corporel ; il est aussi plus aimé. La preuve en est que les hommes s’abstiennent même des plus grandes voluptés charnelles pour ne pas perdre l’honneur, qui est un bien d’ordre intellectuel. - De même, la partie intellectuelle elle-même est beaucoup plus noble, et plus apte à connaître que la partie sensible. - Quant à l’union du bien et de la puissance, elle est plus intime, plus parfaite et plus ferme. Plus intime, parce que le sens s’arrête aux accidents extérieurs de l’être, tandis que l’intelligence pénètre jusqu’à l’essence, car son objet est ce que la chose est. Plus parfaite parce que l’union du sensible et du sens est accompagnée d’un mouvement, acte imparfait. C’est pourquoi les plaisirs sensibles ne se réalisent pas pleinement tous ensemble ; il y a en eux quelque chose qui passe, et quelque chose dont on attend la consommation, comme c’est évident pour les plaisirs de la table et du sexe. Les réalités intellectuelles, au contraire, excluent le mouvement, de sorte que les plaisirs de ce genre se réalisent pleinement tous ensemble. Enfin l’union spirituelle est plus ferme, car les sources du plaisir corporel sont corruptibles et disparaissent rapidement ; les biens spirituels, au contraire, sont incorruptibles.

Cependant, à considérer les plaisirs corporels par rapport à nous, il faut reconnaître qu’ils sont plus véhéments et cela pour trois raisons : 1. Parce que les valeurs sensibles sont plus connues de nous que les valeurs de l’esprit. - 2. Parce que les plaisirs sensibles, étant des passions de l’appétit sensitif, comportent une certaine modification corporelle qui ne se produit pas dans le plaisir spirituel, sinon par une sorte de rejaillissement des tendances supérieures sur les inférieures. - 3. Parce que les plaisirs corporels sont recherchés comme une sorte de remède aux défaillances et aux accablements du corps qui entraînent certaines tristesses. Aussi les plaisirs physiques, survenant après ces tristesses, sont-ils ressentis davantage et par suite plus appréciés, que les joies spirituelles, qui n’ont pas de tristesses contraires, comme nous le verrons plus loin.

Solutions :

1. La plupart des hommes recherchent les plaisirs du corps parce que les biens sensibles sont mieux connus et de plus de gens. Et aussi parce que les hommes ont besoin des plaisirs comme remèdes à quantités de souffrances et de tristesses ; la plupart, ne pouvant atteindre aux délectations de l’esprit, qui sont le propre des hommes vertueux, il en résulte qu’ils s’abaissent aux plaisirs corporels.

2. Si la modification corporelle provient davantage des plaisirs sensibles, c’est parce que ce sont des passions de l’appétit sensitif

3. Les plaisirs corporels relèvent de la partie sensible de l’âme, qui est réglée par la raison ; c’est pourquoi ils ont besoin d’être tempérés et refrénés par elle. Mais les délectations spirituelles sont du domaine de l’esprit, qui est lui-même la règle ; aussi bien sont-elles par elles-mêmes sobres mesurées.

 

            Article 6 — Comment classer les plaisirs sensibles ?

Objections :

1. Il semble que les plaisirs du toucher ne sont pas plus grands que ceux des autres sens. Car le plaisir le plus grand est, semble-t-il, celui dont la disparition fait cesser toute joie. Or tel est le plaisir qui vient de la vue. Il est écrit, en effet, au livre de Tobie (5, 1 0 Vg) : “ Quelle joie pourrai-je avoir, moi qui suis assis dans les ténèbres et ne vois pas la lumière du ciel ? ” Donc le plaisir donné par la vue est le plus grand de tous les plaisirs sensibles.

2. “ Chacun trouve agréable ce qu’il aime ”, dit Aristote. Or le sens de la vue est le plus aimé de tous. Le plaisir de voir est donc le plus grand.

3. Le principe des jouissances qu’on trouve dans l’amitié est surtout de se voir. Or une telle amitié a pour but le plaisir. C’est donc par la vue que viennent les plus grands plaisirs.

En sens contraire, le Philosophe écrit que les plus grands plaisirs sont ceux du toucher.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, les choses nous sont agréables dans la mesure où elles sont aimées. Or les sens, comme il est dit au début de la Métaphysique, nous sont chers pour deux raisons : la connaissance et l’utilité. Aussi y aura-t-il un double plaisir selon les sens. Mais, parce qu’il est propre à l’homme d’appréhender la connaissance elle-même comme un certain bien, les premiers plaisirs des sens, ceux qui viennent de la connaissance, sont propres à l’homme ; les autres, ceux qui sont relatifs à l’amour que nous avons pour nos sens à cause de leur utilité, sont communs à tous les animaux.

Donc, si nous parlons du plaisir sensible au point de vue de la connaissance, il est manifeste que la vue est source d’un plus grand plaisir que tout autre sens. Mais si nous parlons du plaisir qui relève de l’utilité, alors le plus grand plaisir vient du touchera En effet, l’utilité des réalités sensibles se mesure par rapport à la conservation de la vie naturelle. Or les objets sensibles au toucher sont ceux qui rendent le plus de services utiles, car le toucher perçoit ce qui fait la consistance même de l’animal : le chaud et le froid, l’humide et le sec, etc. C’est pourquoi, dans cette ligne, les plaisirs qui viennent du toucher l’emportent sur les autres, comme étant plus proches de la fin. C’est pour cela aussi que les autres animaux, qui n’ont de plaisir sensible qu’en raison de l’utilité, n’éprouvent de plaisir selon les autres sens que par rapport aux objets du toucher : “ Les chiens n’ont pas de plaisir à flairer les lièvres mais à les manger ; ni le lion à entendre mugir le bœuf, mais à le dévorer ”, est-il dit dans l’Éthique.

Puisque le plaisir du toucher est donc le plus grand au point de vue de l’utilité, et celui de la vue le plus grand au point de vue de la connaissance, si nous voulons les comparer nous trouvons que le plaisir du toucher l’emporte absolument sur celui de la vue, du fait que celui-ci se tient dans les limites du plaisir sensible. Car il est évident que ce qui est naturel en toute chose est le plus fort. Et c’est à ces plaisirs du toucher que sont ordonnés les désirs naturels de la nourriture, de la sexualité, etc. - Mais si nous considérons les plaisirs de la vue en tant que la vue est au service de l’intelligence, alors ils l’emportent pour cette raison que les joies intelligibles l’emportent sur les plaisirs sensibles.

Solutions :

1. La joie, nous l’avons vu, désigne le plaisir de l’âme ; et celui-ci dépend surtout de la vue. Le plaisir naturel, lui, relève principalement du toucher.

2. Si la vue est tant aimée, c’est “ à cause de la connaissance, parce qu’elle nous montre les nombreuses différences des choses ”, comme il est dit au même endroit.

3. Ce n’est pas au même titre que le plaisir et la vue sont causes de l’amour charnel. Car le plaisir, et surtout celui qui vient du toucher, est cause de l’amitié de jouissance par manière de fin ; la vue, au contraire, est cause de cet amour par manière de principe de mouvement, en tant que la vue de l’objet aimable imprime l’image qui provoque à l’aimer et à convoiter le plaisir d’en jouir.

 

            Article 7 — Y a-t-il un plaisir qui ne soit pas naturel ?

Objections :

1. On ne voit pas comment un plaisir pourrait n’être pas naturel. Car le plaisir, parmi les affections de l’âme, répond au repos dans le monde des corps. Or la tendance d’un corps physique ne trouve son repos que dans son lieu naturel. Donc, le repos de l’appétit animal, qui est le plaisir, ne peut se trouver que dans quelque lieu qui lui est connaturel. Donc il n’y a aucun plaisir qui ne soit pas naturel.

2. Ce qui est contraire à la nature est violent. Or “ tout ce qui est violent attriste ”, selon Aristote. Rien de ce qui est contraire à la nature ne peut donc être cause de plaisir.

3. Le fait d’être constitué en sa propre nature, quand on le perçoit, cause le plaisir, selon la définition d’Aristote déjà citée. Or, être constitué en sa nature est pour tout être chose naturelle, car le mouvement naturel est celui qui a un terme naturel. Donc tout plaisir est naturel.

En sens contraire, le Philosophe écrit que certains plaisirs sont “ morbides et contraires à la nature ”.

Réponse :

On appelle naturel ce qui est selon la nature, d’après Aristote. Or la nature, dans l’homme, peut se prendre de deux manières.

D’abord selon que l’intelligence et la raison sont par excellence la nature de l’homme, car c’est par elles que l’homme est constitué dans son espèce. A ce point de vue, on peut appeler naturels les plaisirs humains qui se trouvent en ce qui convient à l’homme selon la raison ; ainsi est-il naturel à l’homme de se délecter dans la contemplation de la vérité et dans l’exercice des vertus. - En outre, on parle de nature selon que la nature se distingue contradictoirement de la raison ; elle désigne alors ce qui est commun à l’homme et aux autres êtres, et surtout ce qui n’obéit pas à la raison. De ce point de vue, ce qui appartient à la conservation du corps, ou quant à l’individu, comme la nourriture, la boisson, le sommeil, etc. ; ou quant à l’espèce, comme les actes sexuels, tout cela est cause de plaisir naturel pour l’homme.

Or, dans l’un et l’autre genre de plaisirs, il en est qui, à parler absolument, ne sont pas naturels, alors qu’ils sont connaturels à certains égards. Il arrive en effet qu’en tel individu un principe naturel de l’espèce se trouve dénaturé ; et alors, ce qui est contre la nature de l’espèce devient accidentellement naturel pour cet individu, comme il est naturel, par exemple à cette eau échauffée de communiquer sa chaleur. Ainsi donc il peut arriver que ce qui est contre la nature de l’homme, au point de vue de la raison, ou au point de vue de la conservation du corps, devienne connaturel pour tel homme particulier, en raison de quelque corruption de la nature qui est la sienne. Cette corruption peut venir du corps, soit par maladie - la fièvre fait trouver doux ce qui est amer, et inversement soit à cause d’une mauvaise complexion du corps : c’est ainsi que certains trouvent du plaisir à manger de la terre, du charbon, etc. ; elle peut venir aussi de l’âme, comme pour ceux qui, par coutume, trouvent du plaisir à manger leurs semblables, à avoir des rapports avec les bêtes ou des rapports homosexuels, et autres choses semblables, qui ne sont pas selon la nature humaine.

Ainsi se trouvent résolues les objections.

 

            Article 8 — Le plaisir peut-il être contraire au plaisir ?

Objections :

1. Il semble que le plaisir ne soit pas contraire au plaisir, car les passions de l’âme reçoivent leur espèce et leur contrariété de leurs objets. Or l’objet du plaisir est le bien. Donc, puisque le bien n’est pas contraire au bien, mais que, dit Aristote, “ le bien est contraire au mal et le mal, au mal ”, il semble que le plaisir n’est pas contraire au plaisir.

2. Pour chaque chose il n’y a qu’un contraire, démontre Aristote. Or le plaisir est contraire à la tristesse. Donc il n’est pas contraire au plaisir.

3. Si le plaisir est contraire au plaisir, ce ne peut être qu’en raison de la contrariété des objets. Or cette différence est matérielle, tandis que la contrariété est une différence formelle, comme il est dit dans la Métaphysique.

En sens contraire, “ les choses qui s’empêchent naturellement, quand elles appartiennent au même genre sont contraires ”, d’après le Philosophe. Or certains plaisirs s’empêchent ainsi l’un l’autre, comme il le dit. Il y a donc des plaisirs qui sont contraires entre eux.

Réponse :

Le plaisir, pour les affections de l’âme, correspond, nous l’avons dit, au repos pour les corps naturels. Or deux repos sont dits contraires quand ils ont pour objet des termes contraires, comme “ le repos qui est en haut par rapport à celui qui est en bas ”, selon l’exemple du Philosophe. Aussi arrive-t-il, dans les affections de l’âme, que deux plaisirs soient contraires.

Solutions :

1. Cette parole du Philosophe doit d’entendre du bien et du mal dans les vertus et dans les vices, car on trouve bien deux vices contraires entre eux, mais pas de vertu contraire à une vertu. Dans les autres domaines, rien n’empêche que deux biens soient contraires entre eux, comme le chaud et le froid, dont l’un est bon par rapport au feu, l’autre par rapport à l’eau.

C’est de cette manière que le plaisir peut être contraire au plaisir. Mais cela ne peut se produire entre les biens de la vertu, parce que le bien de la vertu n’existe que par conformité à un seul principe, qui est la raison.

2. Le plaisir est, pour les affections de l’âme, ce qu’est le repos pour les corps ; il a pour objet ce qui convient et est, en quelque sorte, connaturel. La tristesse, au contraire, est comme un repos forcé ou violent, car ce qui attriste contredit l’appétit naturel. Or, au repos naturel, s’opposent et le repos forcé du même corps, et le repos naturel d’un autre corps, dit Aristote. C’est ainsi qu’au plaisir s’opposent et le plaisir et la tristesse.

3. Les objets de nos plaisirs sont non seulement principe de différence matérielle, mais aussi de différence formelle si le motif de plaisir est différent. Nous avons vu en effet que la diversité dans l’évaluation de l’objet cause une diversité spécifique dans les actes ou les passions.

 

QUESTION 32 — LA CAUSE DU PLAISIR

1. L’action est-elle la cause propre du plaisir ? - 2. Le mouvement est-il cause de plaisir ? - 3. L’espoir et le souvenir... ? - 4. La tristesse... ? - 5. Les actions des autres sont-elles pour nous cause de plaisir ? - 6. Faire du bien à autrui est-il une cause de plaisir ? - 7. La ressemblance est-elle cause de plaisir ? - 8. Et l’étonnement... ?

 

            Article 1 — L’action est-elle la cause propre du plaisir ?

Objections :

1. Il ne semble pas que l’action soit la cause propre et première du plaisir ou délectation. Car, selon Aristote, “ le plaisir consiste en ce que le sens subit quelque chose ”. Nous avons vu en effet qu’il n’y a pas de plaisir sans connaissance. Or les objets des actions sont connus avant les actions elles-mêmes. L’action n’est donc pas la cause propre du plaisir.

2. Le plaisir consiste par excellence dans la possession de la fin ; c’est cela, en effet, que l’on désire par-dessus tout. Or l’action n’est pas toujours la fin ; celle-ci est parfois I’œuvre effectuée elle-même. L’action n’est donc pas par elle-même la cause propre du plaisir.

3. Le loisir et le repos impliquent la cessation de l’action. Or ce sont choses délectables, dit Aristote. L’action n’est donc pas la cause du plaisir ou délectation.

En sens contraire, le Philosophe dit que “ le plaisir est l’action connaturelle non empêchée ”.

Réponse :

Nous avons vu plus haut que deux choses sont requises pour le plaisir : l’obtention du bien qui convient, et la connaissance de cette obtention. Or ces deux choses consistent en une certaine action, car la connaissance en acte est une action ; de même, c’est par une action que nous atteignons le bien qui nous convient. De plus, l’action appropriée est elle-même un certain bien qui convient. Il faut donc que tout plaisir provienne d’une action.

Solutions :

1. Les objets eux-mêmes des actions ne sont délectables que dans la mesure où ils nous sont unis, soit par la seule connaissance, comme lorsque nous prenons plaisir à considérer ou à observer certaines choses ; soit de toute autre manière, conjointement avec la connaissance, comme lorsqu’on se complaît dans la pensée que l’on possède tel ou tel bien, par exemple les richesses, l’honneur, etc. Ces biens ne sont cause de plaisir que dans la mesure où ils sont connus comme étant en notre possession. En effet, selon le Philosophe : “ Il y a grand plaisir à penser qu’une chose nous est propre ; ce plaisir procède de l’amour naturel que chacun a pour soi-même. ” D’autre part, posséder ces sortes de choses n’est rien d’autre que d’en user ou de pouvoir en user. Ce qui se fait par une action. Il est donc manifeste que tout plaisir se ramène à une action comme à sa cause.

2. Même en ces choses où ce ne sont pas les actions qui sont les fins, mais les œuvres effectuées, ces œuvres sont délectables en tant que possédées ou effectuées ; ce qui se rapporte à quelque usage ou action.

3. Les actions sont délectables dans la mesure où elles sont proportionnées et connaturelles à celui qui agit. Or, puisque les forces humaines sont limitées, l’action leur est proportionnée dans une certaine mesure. Par suite, si l’action excède cette mesure, elle ne leur sera plus proportionnée, ni par suite délectable, mais plutôt pénible et fastidieuse. C’est pour cela que le loisir et le jeu, et tout ce qui a trait au repos, est délectable en tant que cela enlève la tristesse qui naît du labeur.

 

            Article 2 — Le mouvement est-il cause de plaisir ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car ce qui est cause de plaisir, c’est le bien réellement possédé comme on l’a vu. Aussi le Philosophe dit-il que le plaisir ne se compare pas à un engendrement, mais à l’action d’un être déjà existant. Or, ce qui se meut vers autre chose ne le possède pas encore, mais se trouve, pour ainsi dire, en voie d’engendrement par rapport à lui, selon que tout mouvement entraîne génération et corruption, comme on le voit dans la Physique. Le mouvement n’est donc pas cause de plaisir.

2. Le mouvement introduit surtout peine et lassitude dans l’activité. Or, dès que celle-ci devient laborieuse et fatigante, elle n’est plus délectable mais plutôt éprouvante. Le mouvement n’est donc pas cause de plaisir.

3. Le mouvement comporte une sorte de nouveauté, qui s’oppose à l’habitude. Or “ ce qui est habituel nous est délectable ”, dit Aristote. Le mouvement n’est donc pas cause de plaisir.

En sens contraire, S. Augustin écrit dans ses Confessions : “ Qu’est-ce que cela signifie, Seigneur, mon Dieu ? C’est toi, oui toi, qui es ta joie éternelle, et certains êtres qui sont autour de toi se réjouissent sans cesse à cause de toi. Pourquoi cette partie-ci de tes créatures trouve-telle sa joie dans une alternance de chutes et de progrès, de discordances et d’harmonies ? ” Ce qui donne à entendre que les hommes trouvent de la joie et du plaisir à certaines alternances. Ainsi le mouvement semble-t-il être cause de plaisir.

Réponse :

Trois choses sont requises au plaisir ou délectation : le bien qui délecte, l’union délectable, et une troisième qui est la connaissance de cette union. Le mouvement, considéré en chacun de ces trois éléments, devient délectable comme dit le Philosophe dans l’Éthique et dans la Rhétorique. Car en nous, qui goûtons le plaisir, le changement devient délectable parce que notre nature est changeante. C’est pourquoi ce qui nous convient maintenant ne nous conviendra plus ensuite ; ainsi se chauffer près du feu convient à l’homme en hiver, mais non plus en été. - Si l’on considère le bien délectable qui nous est conjoint, le changement nous plaît également. Car l’action prolongée d’une cause accroît l’effet ; ainsi, plus on reste longtemps près du feu, plus on se réchauffe et plus on se sèche. Or l’harmonie naturelle consiste en une certaine mesure. C’est pourquoi, lorsque la présence prolongée de l’objet délectable dépasse la mesure de cette harmonie, on a plaisir à la voir cesser. - Enfin, du côté de la connaissance elle-même, le mouvement est délectable parce que l’homme désire connaître en totalité et en perfection. Donc, puisque certaines choses ne peuvent être appréhendées toutes ensemble, leur mobilité est ressentie comme agréable, car une partie succédant à l’autre, le tout peut être connu ainsi. C’est ce que note S. Augustin dans ses Confessions : “ Vous ne voulez certainement pas que s’arrête la syllabe, mais qu’elle s’envole, et que d’autres la remplacent, pour que vous entendiez le tout. Il en est toujours ainsi pour ces choses qui n’en forment qu’une, et qui n’existent pas toutes en même temps : l’ensemble plaît plus que les parties, quand il est possible de l’embrasser. ”

Donc, s’il y a un être dont la nature ne soit pas soumise au changement, et dont l’harmonie naturelle ne puisse éprouver d’excès par la présence prolongée de ce qui lui plaît ; qui, de plus, soit capable de saisir d’un seul regard tout l’objet de sa joie, pour cet être le changement ne sera pas délectable. Quant aux autres plaisirs, plus ils se rapprochent de celui que nous venons de dire, et plus ils pourront se prolonger.

Solutions :

1. Ce qui se meut, bien qu’il ne possède pas encore parfaitement le but de son mouvement, commence cependant d’en posséder déjà quelque chose ; à ce point de vue, le mouvement lui-même participe du plaisir. Il n’atteint cependant pas à la perfection du plaisir ; car les plaisirs les plus parfaits ont pour objet les réalités immuables. Le mouvement est agréable aussi, en tant qu’il réalise une harmonie qui n’existait pas auparavant ou qui avait cessé d’exister, nous venons de le dire.

2. Le mouvement produit peine et lassitude lorsqu’il excède le régime normal de la nature. Alors il n’est plus agréable ; il ne l’est que dans la mesure où il éloigne ce qui est contraire à l’harmonie naturelle.

3. Ce que nous faisons par habitude devient délectable en tant qu’il devient naturel, car l’habitude est comme une seconde nature. Or le mouvement est délectable, non pas en tant qu’il s’éloigne de l’habitude, mais plutôt parce qu’il empêche la destruction de l’harmonie naturelle, qui pourrait provenir de la persistance d’une même opération. C’est donc pour la même raison de connaturalité que l’habitude et le mouvement deviennent l’un et l’autre délectables.

 

            Article 3 — L’espoir et le souvenir sont-ils cause de plaisir ?

Objections :

Il ne semble pas, car le plaisir naît du bien présent selon S. Jean Damascène. Or le souvenir et l’espoir portent sur ce qui est absent : le passé, pour le souvenir ; l’avenir, pour l’espoir. Ils ne causent donc pas de plaisir.

2. Une même chose ne peut avoir des effets contraires. Or l’espoir est cause d’affliction, d’après les Proverbes (13, 12) : “ L’espoir différé afflige l’âme. ”

3. Si l’espoir se rencontre avec le plaisir en ce qu’ils portent tous deux sur le bien, il en va de même pour la convoitise et pour l’amour. Donc on ne doit pas désigner l’espoir comme cause de délectation, de préférence à la convoitise et à l’amour.

En sens contraire, il est écrit dans l’épître aux Romains (12, 12) : “ Ayez la joie de l’espérance ”, et dans le Psaume (77, 4 Vg) : “ je me suis souvenu de Dieu et je me suis réjoui. ”

Réponse :

Le plaisir vient de la présence du bien qui convient, selon qu’elle est perçue par le sens ou autrement. Or une chose nous est présente de deux façons : d’une façon, par la connaissance, en tant que la chose connue est dans le connaissant selon sa ressemblance ; d’une autre façon, par son être même, en tant qu’elle nous est unie dans la réalité, en acte ou en puissance, de quelque manière que ce soit. Et parce que l’union selon la réalité l’emporte sur l’union par ressemblance, qui est une union de connaissance, et aussi parce que l’union réelle en acte l’emporte sur l’union en puissance, il en résulte que le plaisir le plus grand est celui qui vient des sens parce qu’il requiert la présence de la chose sensible. Au second rang vient le plaisir de l’espoir, dans lequel l’union agréable ne se fait pas seulement selon la connaissance, mais aussi selon la faculté ou le pouvoir d’atteindre le bien délectable. La délectation du souvenir tient la troisième place, car elle ne comporte que l’union de connaissance.

Solutions :

1. Il est vrai que l’espoir et le souvenir portent sur ce qui est absent purement et simplement ; mais cela est présent sous un certain rapport, soit par la connaissance seule, soit selon la connaissance et le pouvoir, au moins dans l’estimation du sujet.

2. Rien n’empêche qu’une même chose, sous des aspects différents, soit cause d’effets contraires. Ainsi l’espoir est cause de plaisir dans la mesure où l’on est actuellement persuadé de pouvoir atteindre un bien futur ; en tant que l’espoir est privé de la présence de ce bien, il cause l’affliction.

3. L’amour et la convoitise causent du plaisir. Car tout ce qui est aimé est délectable pour celui qui aime, du fait que l’amour est une sorte d’union ou de connaturalité de l’aimant et de l’aimé. De même, tout objet de convoitise est agréable à celui qui convoite, la convoitise étant surtout l’appétit du plaisir. Cependant l’espoir, parce qu’il comporte une certaine assurance de la présence réelle du bien agréable qu’on ne trouve ni dans l’amour ni dans la convoitise, est dit cause de plaisir plus que celle-ci. Et même, plus que le souvenir, tourné vers ce qui a déjà passé.

 

            Article 4 — La tristesse est-elle cause de plaisir ?

Objections :

1. Il semble que non, car un contraire n’est pas cause de son contraire, et la tristesse est le contraire du plaisir.

2. Les contraires ont des effets contraires. Or le souvenir des choses délectables cause du plaisir ; celui des choses tristes sera donc cause de douleur et non de délectation.

3. La tristesse est, avec le plaisir, dans le même rapport que la haine avec l’amour. Or la haine ne cause pas l’amour : c’est plutôt l’inverse, on l’a déjà dit. La tristesse n’est donc pas cause de plaisir.

En sens contraire, il est écrit dans le Psaume (42, 4) : “ Mes larmes ont été ma nourriture jour et nuit. ” Or, par nourriture il faut entendre le réconfort de la délectation. C’est donc que les larmes qui naissent de la tristesse peuvent être cause de délectation.

Réponse :

La tristesse peut être envisagée à deux points de vue : selon qu’elle existe en acte, et selon qu’elle est objet de souvenir.

A ces deux titres, la tristesse peut être cause de plaisir. En effet, la tristesse existant en acte est cause de plaisir en tant qu’elle fait se souvenir de la chose aimée, dont l’absence attriste, mais dont la seule évocation réjouit. - Quant au souvenir de la tristesse, il est aussi source de plaisir, à cause de la délivrance qui a suivi. Car manquer d’un mal est considéré comme un bien ; aussi, savoir qu’on a échappé à des choses tristes et douloureuses ajoute-t-il à nos motifs de joie. C’est ainsi que S. Augustin écrit : “ Souvent, dans la joie, nous nous souvenons de choses tristes, et, dans la santé, de choses douloureuses, mais sans en souffrir, et nous en sommes plus heureux et plus reconnaissants. ” Et ailleurs : “ Plus le péril dans le combat fut grand, et plus la joie sera grande dans le triomphe. ”

Solutions :

1. Il arrive qu’un contraire soit par accident cause de son contraire : “ Ainsi le froid produit parfois de la chaleur ”, dit Aristote. Et de même la tristesse est cause de plaisir par accident, en tant qu’elle donne lieu à la perception d’une chose agréable.

2. Les choses tristes qu’on se remémore ne causent pas de plaisir en tant que tristes contraires aux choses agréables, mais en tant qu’on en est délivré. Pareillement le souvenir de choses agréables peut causer de la tristesse, en tant qu’on les a perdues.

3. La haine aussi peut provoquer l’amour par accident ; il y a des gens qui s’aiment parce qu’ils se rencontrent dans la haine d’un seul et même être.

 

            Article 5 — Les actions des autres sont-elles pour nous cause de plaisir ?

Objections :

1. Il nous semble que non, car la cause du plaisir est l’union avec notre propre bien. Or les actions d’autrui ne nous sont pas unies. L’action est le bien propre de celui qui agit. Donc, si les actions des autres sont pour nous cause de plaisir, tout autre bien, pour la même raison, nous causera du plaisir. Ce qui est manifestement faux.

3. L’action est agréable en tant qu’elle procède d’un habitus inné. Aristote écrit en effet : “ Le signe qu’un habitus est engendré, c’est le plaisir qui accompagne l’action. ” Or l’activité des autres ne procède pas de nos habitus personnels, mais parfois d’habitus qui sont en eux. C’est donc à eux et non à nous que cette activité est agréable.

En sens contraire, S. Jean écrit (2 Jn 4) : “ J’ai eu bien de la joie à rencontrer de tes enfants qu vivent dans la vérité. ”

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit, deux choses sont requises pour le plaisir : atteindre son propre bien, et savoir qu’on l’a atteint. C’est donc de trois manières que l’action d’un autre peut nous étre une cause de plaisir.

1° En tant qu’elle nous procure quelque bien. A ce point de vue, l’activité de ceux qui nous font du bien nous est agréable, car il est agréable de subir pour son bien l’action d’autrui.

2° Selon que l’action des autres nous apporte quelque connaissance ou estimation de notre propre valeur. C’est pour cela que les hommes ont du plaisir à être loués ou honorés par les autres, car ils estiment par là qu’il y a en eux-mêmes quelque bien. Et, parce que cette estime est fortifiée par le témoignage de gens vertueux et sages, c’est dans les louanges et les honneurs décernés par de tels hommes que l’on trouve le plus de délectation. Les flatteries elle-mêmes sont agréables à certains parce que la flatterie ressemble à la louange. Et puisque l’amour a pour objet le bien, et l’admiration la grandeur, être aimé et admiré des autres est agréable, parce que l’homme se persuade ainsi de sa propre bonté ou grandeur, en lesquelles il se délecte.

3° Les actions d’autrui nous font plaisir quand elles sont bonnes, en tant que ces actions elles-mêmes, nous les considérons comme notre propre bien par la force de l’amour qui fait estimer un ami comme un autre soi-même. Et la haine, qui nous fait estimer le bien d’un autre comme contraire à nous-mêmes, nous rend agréable l’action mauvaise d’un ennemi. Ce qui fait dire à S. Paul (1 Co 13, 6) que la charité “ ne prend pas plaisir à l’injustice, mais se réjouit de la vérité ”.

Solutions :

1. Les actions d’autrui peuvent être unies à moi ou par leurs effets, comme dans le premier cas ; ou par la connaissance, comme dans le deuxième ; ou par l’affection, comme dans le dernier.

2. Cet argument ne vaut que pour la troisième manière, selon laquelle les actions des autres nous sont cause de joie.

3. Les actions des autres, bien qu’elles ne procèdent pas d’habitus qui sont en moi, produisent cependant en moi quelque chose de délectable ; soit qu’elles me lassent apprécier ou reconnaître mon propre habitus ; soit qu’elles procèdent de l’habitus de quelqu’un qui est un avec moi par l’amour.

 

            Article 6 — Faire du bien à autrui est-il une cause de plaisir ?

Objections :

1. Il semble que non, car la délectation ou plaisir, est causée par l’obtention de notre propre bien, comme on l’a dit récemment. Mais faire du bien à autrui n’est pas obtenir son propre bien, c’est plutôt le dissiper. C’est donc une cause de tristesse plutôt que de joie.

2. Le Philosophe écrit : “ Le manque de libéralité est plus naturel à l’homme que la prodigalité. ” Or la prodigalité vise à la bienfaisance, tandis que le manque de libéralité éloigne de celle-ci. Puisqu’il n’y a que l’action connaturelle à chacun qui lui soit agréable, comme il est dit dans l’Éthique, il semble que la bienfaisance envers autrui ne soit pas cause de plaisir.

3. Les effets contraires procèdent de causes contraires. Or certaines choses qui consistent à faire du mal sont agréables pour la nature humaine, comme de vaincre, de reprendre ou de gronder les autres, et même de punir quand on est en colère, d’après Aristote. Faire du bien à autrui est donc plutôt cause de tristesse que de plaisir.

En sens contraire, le Philosophe affirme “ Faire des largesses et porter secours à des amis ou à des étrangers est ce qu’il y a de plus délectable. ”

Réponse :

Faire du bien à autrui peut être cause de plaisir à un triple point de vue.

1° Par rapport à l’effet, qui est le bien produit chez l’autre. A ce titre, et selon que nous considérons comme nôtre le bien d’autrui à cause de l’amour qui nous unit, nous nous délectons du bien que nous faisons à autrui, surtout à nos amis, comme de notre bien propre.

2° Par rapport à la fin ; ainsi quand on espère, parce que l’on fait du bien à un autre, obtenir pour soi-même quelque bien, ou de Dieu ou d’un homme. L’espoir, en effet, est cause de délectation.

3° Par rapport au principe. Dans cette perspective, faire du bien à autrui peut être agréable par rapport à trois principes. Le premier est le pouvoir de faire du bien ; à ce titre, faire du bien est agréable en tant que l’on se persuade qu’on doit être riche de bien, puisqu’on peut en communiquer aux autres. C’est ainsi que les hommes se complaisent dans leurs enfants et dans leurs œuvres personnelles, comme en ce qui reçoit communication de leur propre bien. Le second principe est l’habitus qui incline à agir, et qui rend connaturel à quelqu’un de faire du bien - ainsi les hommes généreux trouvent du plaisir à donner aux autres. Le troisième principe est le motif pour lequel on agit ; par exemple quand on est amené à faire du bien à un autre par amour pour un ami ; en effet, tout ce que nous faisons ou souffrons pour un ami nous est agréable, car l’amour est la cause par excellence de la délectation.

Solutions :

1. Donner son bien est agréable, en tant que cela témoigne de notre propre richesse. Mais pour autant que cela diminue notre bien, ce peut être affligeant ; par exemple si on le fait sans mesure.

2. La prodigalité répand le bien sans mesure, et cela est contraire à la nature. C’est en ce sens que la prodigalité est dite contraire à la nature.

3. Vaincre, reprendre et punir n’est pas agréable en tant que cela vise le mal de l’autre, mais en tant que cela ressortit à notre bien propre, que chacun aime plus qu’il ne hait le mal d’autrui. Vaincre, en effet, est délectable pour la nature, en tant que cela donne au vainqueur l’estime de sa propre excellence. C’est pour cela que tous les jeux où il y a compétition et possibilité de vaincre sont particulièrement agréables ; et en général toutes les compétitions, parce qu’elles impliquent l’espoir de vaincre. - Reprendre et gronder peuvent être cause de plaisir à un double titre. D’abord, en ce que cela donne à l’homme le sentiment de sa sagesse et de son excellence propres, car gronder et corriger appartient aux sages et aux supérieurs. Ensuite, parce que celui qui gronde ou reprend fait du bien à autrui ; ce qui est agréable, nous venons de le dire. - Enfin l’homme en colère a du plaisir à punir parce qu’il a l’impression de faire disparaître ainsi l’infériorité apparente que lui donnait le dommage subi. En effet, quand un homme a été lésé par quelqu’un, il semble, de ce fait, être mis par lui en état d’infériorité, et c’est pourquoi il cherche à se libérer de cette humiliation en rendant blessure pour blessure. - On voit ainsi que faire du bien à autrui peut être de soi agréable, tandis que lui faire du mal est agréable seulement si cela semble contribuer au bien propre.

 

            Article 7 — La ressemblance est-elle cause de plaisir ?

Objections :

1. Il semble que non, car commander et présider implique une certaine dissemblance. Or “ commander et présider est délectable pour la nature ”, dit Aristote. Donc la dissemblance est cause de plaisir plutôt que la ressemblance.

2. Rien n’est plus dissemblable du plaisir que la tristesse. Or ceux qui sont dans la tristesse sont le plus portés au plaisir, d’après le même Philosophe. La dissemblance est donc, plus que la ressemblance, cause de plaisir.

3. Ceux qui sont comblés de plaisirs n’y trouvent plus de délectation, mais en sont plutôt dégoûtés, comme c’est évident chez ceux qui sont gavés de nourriture. La ressemblance n’est donc pas cause de plaisir.

En sens contraire, nous l’avons dit : la ressemblance est cause de l’amour. Et l’amour est cause de plaisir. Donc la ressemblance est cause de plaisir.

Réponse :

La ressemblance est une certaine unité par conséquent ce qui est semblable, en tant qu’il est un avec nous, est délectable, comme il est aimable, nous l’avons dit plus haut. Et si ce qui est semblable ne détruit pas notre bien personnel mais l’accroît, il est agréable purement et simplement : par exemple, un homme pour l’homme, deux jeunes gens l’un pour l’autre. - Mais si l’être semblable est nuisible à notre bien propre, il devient par accident cause de dégoût et de tristesse, non en tant que semblable et un avec nous, mais parce qu’il détruit ce qui est le plus un.

Or, qu’il détruise le bien propre, cela peut arriver pour deux raisons. D’abord, parce que le semblable détruit par une sorte d’excès la mesure du bien propre ; en effet, le bien, et surtout le bien corporel, comme la santé, consiste en une certaine harmonie. C’est pourquoi la surabondance de nourriture ou de tout autre plaisir corporel engendre le dégoût. - Puis, parce que le semblable est directement contraire au bien propre ; les potiers détestent les autres potiers, non parce qu’ils sont potiers, mais parce qu’ils leur font perdre leur supériorité ou leur gain, désirés comme leur bien propre.

Solutions :

1. Entre le chef et le sujet il y a une certaine communication, et par suite une certaine ressemblance. Selon une certaine supériorité toutefois, du fait que commander et présider relèvent du bien propre ; ce sont en effet les sages et les meilleurs qui commandent et qui président. Et cela permet à l’homme de concevoir sa propre bonté. On peut dire aussi que commander et présider, c’est faire du bien aux autres, ce qui est agréable.

2. Ce qui délecte l’homme triste n’est pas une ressemblance avec sa tristesse, mais avec l’homme attristé. Parce que les tristesses sont contraires au bien propre de celui qui est triste. Et c’est pourquoi le plaisir est désiré par ceux qui sont dans la tristesse selon qu’il contribue à leur bien propre comme remède à la peine contraire. C’est la cause pour laquelle les plaisirs physiques, auxquels s’opposent certaines tristesses, sont plus recherchés que les joies intellectuelles, qui ne comportent pas de tristesse contraire, comme nous le verrons bientôt. Cela explique aussi que tous les animaux désirent naturellement le plaisir, car l’animal est toujours en quête de sensation et de mouvement. C’est pour cela aussi que les jeunes gens désirent extrêmement le plaisir, à cause des multiples changements qui se font en eux au temps de la croissance. Et encore les mélancoliques désirent ardemment les plaisirs afin de chasser la tristesse, parce que “ leur corps est comme rongé par une humeur maligne ”, est-il dit dans l’Éthique.

3. Les biens physiques comportent une certaine mesure, de sorte que l’excès de choses semblables corrompt le bien propre et devient, en tant que contraire à ce bien, fastidieux et affligeant.

 

            Article 8 — L’étonnement est-il cause de plaisir ?

Objections :

1. Il semble que non, car le fait de s’étonner est le propre d’une nature ignorante, dit S. Jean Damascène. Or ce n’est pas l’ignorance qui est agréable, mais plutôt la science. L’étonnement n’est donc pas source de plaisir.

2. L’étonnement est le principe de la sagesse et comme la voie qui mène à la recherche de la vérité, d’après Aristote. Or “ il y a plus de plaisir à contempler ce que l’on sait déjà qu’à rechercher ce qu’on ignore ”, selon le même Philosophe parce que la recherche comporte des difficultés et des obstacles, absents de la contemplation. Et, d’après l’Éthique, la délectation naît de l’action non empêchée. Par conséquent, l’étonnement ne cause pas le plaisir, mais l’empêche plutôt.

3. Chacun trouve du plaisir en ce qui lui est habituel : c’est ainsi que les actions procédant d’habitus acquis par l’accoutumance sont délectables. Or ce qui est habituel n’est pas objet d’étonnement, dit S. Augustin. L’étonnement est donc contraire à la cause du plaisir.

En sens contraire, le Philosophe dit que l’étonnement est cause de plaisir.

Réponse :

Prendre possession de ce qu’on désirait est chose délectable, avons-nous dit. Et c’est pourquoi, plus le désir de ce qu’on aime augmente, plus le désir de le posséder sera grand. Dans l’accroissement même du désir, le plaisir augmente encore, pour autant que le désir s’accompagne de l’espoir de la chose aimée ; nous avons déjà vu que le désir lui-même est agréable, à cause de l’espoir. - Or l’étonnement est un certain désir de savoir qui surgit en l’homme quand il voit un effet sans connaître sa cause, ou quand la cause de tel effet déterminé dépasse sa connaissance ou son pouvoir de connaître. L’étonnement est alors source de plaisir, en tant qu’il comporte l’espoir d’atteindre à la connaissance de ce qu’on désire savoir. - C’est la raison pour laquelle tout ce qui provoque l’étonnement est agréable, comme les choses rares, et toutes les représentations, même de choses qui en soi ne sont pas délectables ; car l’esprit prend plaisir à comparer une chose ou une autre, et comparer ainsi les choses est l’acte propre et connaturel de la raison, dit le Philosophe. C’est pour cela aussi que “ d’avoir échappé à de grands périls est chose particulièrement agréable, car cela frappe d’étonnement ”, dit encore le même Philosophe.

Solutions :

L’étonnement cause le plaisir du fait qu’il implique, non l’ignorance mais le désir de connaître la cause, et parce que l’homme qui s’étonne apprend quelque chose de nouveau, à savoir que la réalité est telle qu’il ne l’imaginait pas.

2. Le plaisir comprend deux éléments : le repos dans le bien, et la perception de ce repos. Au point de vue du repos dans le bien, comme il est plus parfait de contempler une vérité connue que de rechercher une vérité qu’on ignore, la contemplation de ce qu’on sait est, de soi, plus agréable que la recherche de choses inconnues. Cependant, par accident, et en raison du second élément du plaisir, il arrive que la recherche soit plus intéressante, parce qu’elle procède d’un désir plus intense, excité par la conscience de notre ignorance. C’est pourquoi l’homme éprouve un très grand plaisir à découvrir ou à apprendre du nouveau.

3. On fait avec plaisir des choses dont on a l’habitude parce qu’elles nous sont devenues comme naturelles. Cependant les choses rares peuvent aussi causer du plaisir ; ou bien au point de vue de la connaissance, parce qu’on veut acquérir la science de ces choses étonnantes ; ou bien au point de vue de l’action, parce que, “ à cause de son désir, l’esprit est porté avec plus d’intensité vers les choses nouvelles ”, comme il est dit dans l’Éthique ; car une activité plus parfaite cause un plaisir plus grand.

 

QUESTION 33 — LES EFFETS DU PLAISIR

1. Le plaisir est-il cause de dilatation ? - 2. Cause-t-il la soif ou le désir de lui-même ? - 3. Empêche-t-il l’exercice de la raison ? - 4. Perfectionne-t-il l’action ?

 

            Article 1 — Le plaisir est-il cause de dilatation ?

Objections :

1. Il semble que non, car la dilatation semble se rapporter mieux à l’amour, selon ces paroles de l’Apôtre (2 Co 6, 11) : “ Notre cœur s’est dilaté. ” Aussi le Psaume (119, 96) dit-il au sujet du précepte de la charité : “ Ton commandement est très large. ” Or plaisir et amour ne sont pas la même passion. La dilatation n’est donc pas l’effet du plaisir.

2. Du fait qu’elle se dilate, une chose devient plus capable de recevoir. Or recevoir concerne le désir, qui porte sur ce qu’on n’a pas encore. Donc la dilatation semble se rattacher au désir plutôt qu’au plaisir.

3. Le resserrement s’oppose à la dilatation. Or le resserrement semble lié au plaisir, car nous serrons ce que nous voulons fortement retenir, et c’est une disposition de l’appétit que l’on a par rapport à ce qui plaît. La dilatation ne se rattache donc pas au plaisir.

En sens contraire, il est dit dans Isaïe (60, 5) pour donner l’idée de la joie : “ Tu verras, et tu seras dans l’abondance ; ton cœur tressaillira et se dilatera. ” - En outre, le plaisir tire de “ dilatation ” l’un de ses noms latins, celui de laetitia, allégresse, comme nous l’avons vu déjà.

Réponse :

La largeur est l’une des dimensions de la grandeur corporelle ; aussi ne peut-on parler que par métaphore quand il s’agit des affections de l’âme. Or la dilatation est comme un mouvement vers la largeur, lequel convient au plaisir, à considérer les deux éléments qu’il requiert. L’un relève de la faculté de connaître, qui appréhende l’union au bien qui convient. Cette appréhension fait connaître à l’homme qu’il a atteint une certaine perfection qui est une grandeur spirituelle ; et à ce point de vue on dit que par le plaisir l’âme de l’homme s’est agrandie ou dilatée. L’autre élément du plaisir vient de la faculté appétitive, qui donne son assentiment à la réalité agréable et s’y repose, s’offrant à lui en quelque sorte pour le saisir intérieurement. Ainsi l’affectivité de l’homme est dilatée par le plaisir, quand elle se livre, en quelque sorte, pour retenir en elle la chose qui la délecte.

Solutions :

1. Rien n’empêche, quand on parle métaphoriquement, d’attribuer la même qualité à plusieurs choses selon des similitudes diverses. Ainsi la dilatation est attribuée à l’amour en raison d’une certaine expansion, en tant que l’activité de celui qui aime s’étend aux autres, en prenant soin non seulement de son bien propre mais aussi du leur. Cette même dilatation est attribuée au plaisir, en tant qu’il produit un élargissement de l’appétit en lui-même, pour le rendre capable de recevoir davantage.

2. Sans doute, le désir réalise une certaine dilatation lorsque l’on imagine l’objet du désir ; mais bien davantage par la présence de la chose possédée dans la joie. Car l’âme s’ouvre davantage à ce qui lui plaît présentement qu’à l’objet de son désir, qu’elle ne tient pas encore, puisque le plaisir est l’aboutissement du désir.

3. Sans doute, celui qui se délecte étreint l’objet de son plaisir quand il adhère fortement à lui, mais il dilate aussi son cœur pour jouir parfaitement de l’objet délectable.

 

            Article 2 — Le plaisir cause-t-il la soif ou le désir de lui-même ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, tout mouvement cesse quand il arrive au repos qui est son terme. Or le plaisir est comme un repos du mouvement du désir, on l’a vu. Le mouvement du désir cesse donc quand il est parvenu au plaisir. Donc le plaisir ne cause pas le désir.

2. Si deux choses sont opposées, l’une n’est pas cause de l’autre. Or le plaisir est d’une certaine manière, et à considérer son objet, l’opposé du désir ; car le désir porte sur un bien non possédé, et le plaisir sur un bien présent. Donc le plaisir ne cause pas le désir de lui-même.

3. Le dégoût est contraire au désir. Or le plaisir engendre généralement le dégoût. Il ne provoque donc pas le désir de lui-même.

En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (4, 13) : “ Celui qui boira de cette eau aura soif de nouveau ” ; or l’eau, d’après S. Augustin, désigne le plaisir physique.

Réponse :

Le plaisir peut être considéré de deux façons : d’abord, selon qu’il est en acte ; puis, selon qu’il est à l’état de souvenir. De même la soif, ou le désir, peut se prendre en deux sens : au sens propre, selon qu’elle signifie l’appétit de ce qu’on ne possède pas ; ou bien en un sens général, qui implique l’exclusion du dégoût.

De soi, selon qu’il est en acte, le plaisir ne donne pas le désir ou la soif de lui-même, mais seulement par accident. Cependant, si, par soif ou désir, on entend l’appétit de ce qu’on ne possède pas, alors le plaisir ne cause pas de soi la soif ou désir, car le plaisir est une affection de l’appétit portant sur une réalité présente. Mais il arrive que la chose présente ne soit pas possédée à la perfection. Ce qui peut venir, ou de la chose elle-même, ou de celui qui la possède. Cela vient de la chose qu’on possède, parce qu’elle n’existe pas toute en même temps ; de ce fait, elle est accueillie successivement, et au moment où on se délecte de ce que l’on possède, on désire s’emparer de ce qui reste ; ainsi celui qui entend la première partie d’un vers et y trouve du plaisir, dési entendre l’autre partie, selon une comparaison de S. Augustin. C’est ainsi que presque tous les désirs du corps donnent soif d’eux-mêmes jusqu’à ce qu’ils soient épuisés, parce que de tels plaisirs dépendent de quelque mouvement, comme on le voit pour les plaisirs de la table.

Le plaisir cause le désir, à partir de celui qui possède, par exemple lorsqu’on ne possède pas parfaitement du premier coup une chose parfaite en elle-même, mais qu’on l’acquiert progressivement. Ainsi, en ce monde, nous trouvons du plaisir à une connaissance imparfaite des choses divines, et ce plaisir lui-même excite en nous la soif ou le désir d’une connaissance parfaite, selon le sens que l’on peut reconnaître à ce mot de l’Écriture (Si 24, 2 1) : “ Ceux qui me boiront auront encore soif. ”

Cependant si, par soif ou désir on entend seulement l’intensité d’une affection excluant le dégoût, alors les plaisirs spirituels causent au plus haut point la soif ou le désir d’eux-mêmes. En effet, les plaisirs du corps, par leur accroissement ou leur seule prolongation, passent la limite de l’équilibre naturel et deviennent fastidieux, comme on le voit pour le plaisir de manger. C’est pourquoi, lorsqu’on est parvenu à la perfection dans les plaisirs corporels, on s’en dégoûte et, parfois, on en désire d’autres.

Mais les plaisirs spirituels ne dépassent jamais l’équilibre naturel ; au contraire, ils perfectionnent la nature. Aussi, lorsqu’on parvient au sommet de ces plaisirs, c’est alors qu’ils sont le plus agréables ; sauf peut-être par accident, du fait que l’activité contemplative met en œuvre des facultés physiques qui sont fatiguées par la prolongation de leur activité. On peut aussi comprendre de la sorte le texte cité : “ Celui qui me boira aura encore soif. ” Car, même au sujet des anges, qui ont de Dieu une connaissance parfaite et délectable, il est écrit (1 P 1, 12 Vg) qu’ils “ désirent ardemment le contempler ”.

Toutefois, si nous considérons le plaisir à l’état de souvenir et non plus dans sa réalité actuelle, alors, de soi, il est de nature à causer la soif ou le désir de lui-même, en ce sens que l’on revient à la disposition dans laquelle on trouvait agréable ce qui est passé. Cependant, si l’on n’est plus dans cette disposition, le souvenir du plaisir ne cause plus de plaisir mais du dégoût ; comme le souvenir d’un repas à un homme gavé.

Solutions :

1. Quand le plaisir est parfait, il implique un repos absolu, et le mouvement du désir vers ce qu’on n’avait pas disparaît alors. Mais quand le plaisir est imparfait, ce mouvement du désir ne cesse aucunement.

2. Ce qui est imparfaitement possédé est possédé en partie, et en partie ne l’est pas. Cela peut donc être l’objet à la fois du désir et du plaisir.

3. Ce n’est pas de la même manière que les plaisirs causent le dégoût et le désir.

 

            Article 3 — Le plaisir empêche-t-il l’exercice de la raison ?

Objections :

1. Non, apparemment ; car le repos est essentiel au bon fonctionnement de la raison, selon Aristote : “ Arrêt et repos rendent l’âme savante et prudente ”, et l’Écriture (Sg 8, 16) : “ Rentré dans ma maison, je me reposerai auprès d’elle ” (la sagesse). Or le plaisir est un certain repos. Donc il n’empêche pas, mais facilite plutôt l’exercice de la raison.

2. Les choses qui n’existent pas dans le même sujet, même si elles sont contraires, ne se font pas obstacle. Or le plaisir se trouve dans la partie appétitive de l’âme, et l’usage de la raison dans la partie cognitive. Donc le plaisir n’empêche pas l’exercice de la raison.

3. Ce qui est empêché par une chose semble être comme transformé par elle. Or l’exercice de la faculté de connaître est plutôt moteur par rapport au plaisir que mû par lui, car il est cause de plaisir. Donc le plaisir ne gêne pas l’exercice de la raison.

En sens contraire, le Philosophe écrit dans l’Éthique “ Le plaisir détruit le jugement de la prudence. ”

Réponse Comme il est dit dans l’Éthique : “ Le plaisir propre à chaque activité favorise cette activité ; le plaisir étranger la gêne. ” Or il y a un plaisir qui vient de l’activité même de la raison, par exemple celui de contempler ou de raisonner. Un tel plaisir ne gêne pas l’exercice de la raison ; il l’aide au contraire, car nous faisons avec plus d’attention ce qui nous plaît, et l’attention facilite l’action.

Mais les plaisirs du corps empêchent l’exercice de la raison de trois manières.

1° Parce qu’ils distraient. En effet, nous l’avons déjà dit, nous sommes très attentifs à ce qui nous plaît ; or, lorsque l’attention est fortement absorbée par quelque chose, elle est affaiblie pour tout le reste, ou même elle s’en détourne totalement. Et donc, si le plaisir corporel est grand, ou bien il empêche complètement l’exercice de la raison en tirant à lui les forces de l’âme ou il le gêne beaucoup.

2° Le plaisir gêne l’exercice de la raison en le contrariant. En effet, certains plaisirs, surtout ceux qui sont très excessifs, vont contre l’ordre de la raison. C’est ainsi que pour le Philosophe “ les plaisirs du corps faussent le jugement prudentiel, mais non le jugement spéculatif (auquel ils ne sont pas contraires) : par exemple, cette affirmation que le triangle a la somme de ses angles égale à deux droits ”. Mais selon la première manière, la distraction les empêche l’un et l’autre.

3° L’exercice de la raison est empêché par une sorte de ligature ; c’est-à-dire que le plaisir entraîne une certaine modification corporelle, plus grande même que dans les autres passions, et d’autant plus que la véhémence de l’appétit est plus accusée à l’égard d’une chose présente que d’une chose absente. Or ces perturbations du corps empêchent l’exercice de la raison, comme on le voit pour les hommes ivres, dont la raison est liée ou entravée.

Solutions :

1. Le plaisir corporel implique assurément le repos de l’appétit dans ce qui délecte, mais ce repos est parfois contraire à la raison, et du côté du corps il y a toujours modification. A ce double titre, le plaisir empêche l’exercice de la raison.

2. Les facultés appétitive et cognitive sont, en effet, des parties diverses de l’âme, mais d’une même âme. C’est pourquoi lorsque l’intention de l’âme est appliquée avec véhémence à l’acte de l’une de ces facultés, elle se trouve empêchée par rapport à un acte contraire de l’autre faculté.

3. L’exercice de la raison requiert un bon usage de l’imagination et des autres puissances sensibles, qui utilisent un organe corporel. C’est ainsi que l’exercice de la raison est empêché par la modification corporelle, parce que celle-ci empêche l’acte de l’imagination et des autres puissances sensibles.

 

            Article 4 — Le plaisir perfectionne-t-il l’action ?

Objections :

1. Il semble que non, car toute action humaine dépend de l’exercice de la raison. Mais le plaisir gêne cet exercice, on vient de le dire. Donc le plaisir ne perfectionne pas mais affaiblit l’action humaine.

2. Rien ne se perfectionne soi-même ou ne perfectionne sa propre cause. Or Aristote répète que le plaisir est une action ; ce qui ne peut s’entendre que comme affirmant son exercice ou sa cause. Le plaisir ne peut donc perfectionner l’action.

3. Si le plaisir perfectionne l’action, ce ne peut être qu’à titre de fin, ou à titre de forme, ou à titre de cause agente. Or ce n’est pas à titre de fin, car les actions ne sont pas recherchées pour le plaisir, mais c’est plutôt l’inverse, on l’a dit ; ni à titre de cause efficiente, car c’est plutôt l’action qui est cause de plaisir ; ni enfin à titre de forme, car, d’après Aristote, “ le plaisir ne perfectionne pas l’action comme une sorte d’habitus ”. Donc le plaisir ne perfectionne pas l’action.

En sens contraire, le Philosophe dit au même endroit : “ Le plaisir perfectionne l’action. ”

Réponse :

Le plaisir perfectionne l’action d’une double manière.

1° Par mode de fin ; non pas au sens où la fin est ce pour quoi une chose existe, mais au sens où l’on peut appeler fin tout bien qui survient à un être pour le compléter. C’est ainsi que l’entend Aristote dans ce texte : “ Le plaisir perfectionne l’action comme une fin qui s’y ajoute. ” C’est-à-dire qu’à ce bien de l’action vient s’ajouter un autre bien, qui est le plaisir, impliquant le repos de l’appétit dans le bien présupposé.

2° Le plaisir perfectionne l’action par manière de cause agente. Non pas directement, car le Philosophe dit que “ le plaisir parfait l’action, non pas comme le médecin, mais la santé parfait le malade ”. Mais indirectement, en tant que l’agent, du fait qu’il prend plaisir à son action, y prête une attention plus vive, et l’accomplit avec plus de diligence. C’est en ce sens qu’Aristote écrit : “ Les plaisirs propres à chaque activité favorisent cette activité ; les plaisirs étrangers la gênent. ”

Solutions :

1. Ce n’est pas n’importe quel plaisir qui empêche l’acte de la raison, mais le plaisir corporel. Ce plaisir n’est pas consécutif à l’acte rationnel mais à l’acte du concupiscible, acte qui est renforcé par le plaisir. Quant au plaisir consécutif à l’acte de la raison, il fortifie l’exercice de cette dernière.

2. Comme dit Aristote, il arrive que deux causes le soient l’une de l’autre réciproquement : ainsi l’une sera efficiente, et l’autre, cause finale de la première. De cette manière, l’action cause le plaisir en tant que cause efficiente, et le plaisir perfectionne l’action par manière de fin.

3. La réponse découle de ce que nous avons dit.

 

QUESTION 34 — BONTÉ ET MALICE DES PLAISIRS

1. Tout plaisir est-il mauvais ? - 2. Étant admis que non, tout plaisir est-il bon ? - 3. Y a-t-il un plaisir optimal ? - 4. Le plaisir est-il la mesure ou la règle selon laquelle on juge du bien ou du mal moral ?

 

            Article 1 — Tout plaisir est-il mauvais ?

Objections :

1. Il semble que oui, car ce qui détruit la prudence et entrave l’exercice de la raison paraît être mauvais en soi, puisque le bien de l’homme consiste “ à être selon la raison ”, au témoignage de Denys. Or le plaisir fait tout cela, et d’autant plus qu’il est plus fort. C’est ainsi que “ dans le plaisir charnel ”, qui est le plus intense, “ il est impossible de faire acte d’intelligence ”, dit Aristote. Et S. Jérôme écrit aussi que “ dans l’acte conjugal, la présence de l’Esprit Saint n’est pas donnée, même si celui qui remplit son devoir de procréer paraît être un prophète ”. Donc, le plaisir est mauvais en soi. Donc tout plaisir est mauvais.

2. Ce que l’homme vertueux évite, et que l’homme sans vertu recherche, semble être mauvais en soi et à rejeter, puisque selon Aristote, “ l’homme vertueux est comme la mesure et la règle des actes humains ” et que l’Apôtre écrit (1 Co 2, 15) : “ L’homme spirituel juge de tout. ” Or les enfants et les bêtes, qui sont dénués de vertu, recherchent les délectations, tandis que le tempérant les rejette. Donc ces plaisirs sont mauvais en soi et on doit les fuir.

3. “ La vertu et l’art portent sur ce qui est difficile et bon ”, écrit Aristote. Or aucun art n’est ordonné au plaisir. Donc le plaisir n’est pas quelque chose de bon.

En sens contraire, il est écrit dans le Psaume (37, 4) : “ Prends ton plaisir dans le Seigneur. ” Mais puisque l’autorité divine ne saurait induire au mal, il semble que tout plaisir ne soit pas mauvais.

Réponse :

Comme le rapporte l’Éthique, certains ont affirmé que tous les plaisirs sont mauvais. La raison en est, semble-t-il, qu’ils visaient seulement les plaisirs sensibles et corporels qui sont les plus apparents ; car, dans les autres domaines, les anciens philosophes ne distinguaient pas l’intelligible du sensible, ni l’intelligence des sens, comme dit le traité De l’Ame. Or ils estimaient qu’il fallait déclarer mauvais tous les plaisirs, pour amener les hommes enclins aux plaisirs excessifs à s’en écarter pour parvenir au juste milieu de la vertu. Mais cette appréciation n’était pas heureuse. Puisque personne, en effet, ne peut vivre sans quelque délectation sensible et corporelle, si ceux-là mêmes qui enseignent que tous les plaisirs sont mauvais sont surpris à s’en accorder quelques-uns, les hommes seront poussés davantage au plaisir par l’exemple de leur conduite, étrangère à la lettre de leur enseignement. Car, lorsqu’il s’agit d’actions et de passions humaines, où l’expérience a plus de force, les exemples sont plus entraînants que les paroles.

Il faut donc dire que certains plaisirs sont bons, et d’autres mauvais. Le plaisir, en effet, est le repos de la puissance appétitive dans un bien aimé, et il est consécutif à une opération. De sorte que nous pouvons donner deux motifs de cette assertion.

1° L’un d’eux découle du bien dans lequel on se repose avec plaisir. Car le bien et le mal, en morale, se déterminent par convenance ou désaccord avec la raison, nous l’avons dit plus haut ; c’est ainsi que, dans le monde de la nature, une chose est dite naturelle du fait qu’elle est conforme à la nature, et non naturelle quand elle est en désaccord avec elle. Donc, de même que dans l’ordre de la nature il y a un repos naturel qui convient à la nature, comme celui d’un corps lourd qui trouve son repos en bas ; et un repos non naturel contraire à la nature, comme celui d’un corps lourd qui se reposerait en haut : ainsi, en morale, il y a un plaisir qui est bon du fait que l’appétit supérieur ou inférieur se repose en ce qui convient à la raison ; et un plaisir mauvais, du fait qu’il est en désaccord avec la raison et avec la loi de Dieu.

2° On peut tirer un autre motif des actions dont certaines sont bonnes et les autres mauvaises. Or les plaisirs ont plus d’affinité avec les actions puisqu’ils les accompagnent, que les désirs, qui les précèdent dans le temps. Aussi, puisque les désirs des bonnes actions sont bons, et ceux des mauvaises actions, mauvais, à plus forte raison les plaisirs des bonnes actions seront-ils bons, et ceux des mauvaises actions seront-ils mauvais.

Solutions :

1. Comme on l’a dit récemment, les plaisirs qui ont pour objet l’acte de la raison n’entraînent pas la raison ni ne détruisent la prudence, comme les plaisirs du corps. Ces plaisirs entravent l’exercice de la raison, nous l’avons dit, d’abord parce qu’ils sont contraires à l’appétit, qui se repose en ce qui contredit la raison ; et de ce fait le plaisir est moralement mauvais. En outre, ils produisent une certaine ligature de la raison ; c’est ainsi que le plaisir de l’acte conjugal, bien que son objet soit conforme à la raison, empêche cependant l’exercice de celle-ci, à cause du bouleversement physique qui l’accompagne. Mais ce plaisir ne contracte pas pour autant une malice morale ; pas plus que le sommeil, où l’exercice de la raison est lié, n’est moralement mauvais s’il est pris selon la raison ; car la raison elle-même prescrit que l’exercice de la raison soit interrompu quelquefois. - Nous disons cependant que cette ligature de la raison résultant du plaisir de l’acte conjugal, bien qu’il ne revête pas un caractère de malice morale, puisqu’il n’est un pêché ni mortel ni véniel, provient cependant d’une certaine malice morale, celle du péché de notre premier père, car cela n’aurait pas existé dans l’état d’innocence, comme nous l’avons montré dans la première Partie.

2. L’homme tempérant ne fuit pas tous les plaisirs mais ceux qui sont excessifs et ne conviennent pas à la raison. Que les enfants et les bêtes recherchent les délectations, cela ne prouve pas que celles-ci soient universellement mauvaises, car il y a chez eux un appétit naturel venant de Dieu qui les pousse vers ce qui leur convient.

3. Toute espèce de bien ne relève pas de l’art, mais seulement les œuvres extérieures, nous le verrons plus loin. Quant aux actions et aux passions qui sont en nous, elles relèvent plutôt de la prudence et de la vertu que de l’art. Et pourtant il y a un art qui produit la délectation ; c’est “ celui du cuisinier et du parfumeur ”, comme dit l’Éthique

 

            Article 2 — Étant admis que non, tout plaisir est-il bon ?

Objections :

1. Il semble que oui, car, nous l’avons vu dans la première Partie, le bien se divise en bien honnête, utile et délectable ; or tout bien honnête est bon moralement, et aussi tout bien utile. Donc tout plaisir est bon.

2. Le bien par soi est celui qui n’est pas recherché pour autre chose, dit l’Éthique. Or le plaisir n’est pas recherché pour autre chose ; il semble ridicule en effet de demander à quelqu’un pourquoi il veut avoir du plaisir. Le plaisir est donc bon par soi. Or ce qu’on attribue à une chose, pour elle-même, lui convient universellement. C’est donc que tout plaisir est bon.

3. Il semble que ce qui est désiré par tous soit bon en soi, car “ le bien est ce que tous les êtres désirent ”, dit l’Éthique. Or tous désirent quelque plaisir, même les enfants et les bêtes. Le plaisir est donc bon en soi. Donc tout plaisir est bon.

En sens contraire, les Proverbes (2, 14) parlent de ceux “ qui se réjouissent de faire le mal et mettent leur plaisir dans les perversités ”.

Réponse :

Certains stoïciens avaient dit que tous les plaisirs étaient mauvais ; pareillement les épicuriens affirmèrent que le plaisir était bon par lui-même, et par conséquent que tous les plaisirs étaient bons. Or ce qui paraît les avoir trompés, c’est qu’ils ne distinguaient pas entre ce qui est bon purement et simplement, et ce qui est bon par rapport à tel sujets. Est bon purement et simplement ce qui est bon en soi. Or il arrive que ce qui n’est pas bon en soi soit bon pour tel sujet ; et cela pour deux motifs. D’abord parce que telle chose lui convient en raison de la disposition dans laquelle il se trouve maintenant, et qui cependant n’est pas naturelle ; ainsi, pour un lépreux, il est quelquefois bon de manger des substances vénéneuses, qui ne conviennent pas purement et simplement au tempérament de l’homme. Ensuite, parce qu’on juge adapté quelque chose qui ne l’est pas. Et parce que le plaisir est un repos de l’appétit dans le bien, si le bien dans lequel se repose l’appétit est un bien pur et simple, le plaisir sera bon purement et simplement. Au contraire, si le bien n’est pas un bien purement et simplement, mais pour tel sujet, alors le plaisir n’est pas purement et simplement un plaisir, mais seulement pour telle personne, et il n’est pas bon purement et simplement, mais sous un certain rapport ou en apparence seulement.

Solutions :

1. L’honnête et l’utile se disent par rapport à la raison, et, par suite, il n’est rien d’honnête ou d’utile qui ne soit bon. Mais le délectable se dit par rapport à l’appétit, qui tend parfois vers ce qui ne convient pas à la raison. Et donc tout bien délectable n’est pas bon de la bonté morale que l’on apprécie selon la raison.

2. Le plaisir n’est pas recherché pour autre chose, parce qu’il est un repos dans la fin. Mais la fin peut être bonne ou mauvaise, bien qu’elle ne soit jamais une fin que si elle est un bien pour tel individu. Il en va de même du plaisir.

3. Tous les êtres désirent le plaisir de la même façon qu’ils désirent le bien, le plaisir n’étant que le repos de l’appétit dans le bien. Mais il arrive que tous les biens que l’on désire ne soient pas des biens en soi et selon la vérité ; de même tout plaisir n’est-il pas bon en soi et en vérité.

 

            Article 3 — Existe-t-il un plaisir optimal ?

Objections :

1. Il semble qu’aucun plaisir ne soit optimal, car aucune génération ne peut être fin ultime. Mais le plaisir est consécutif à la génération, car on trouve du plaisir à être constitué dans sa nature, nous l’avons dit plus haut. Donc aucun plaisir ne peut être optimal.

2. Ce qui est optimal ne peut être amélioré par aucune addition. Or, le plaisir est amélioré par l’addition de la vertu, car le plaisir est plus grand avec la vertu que sans elle. Donc le plaisir n’est pas optimal.

3. Ce qui est optimal est universellement bon comme étant bon par soi. Car ce qui existe par soi est antérieur et supérieur à ce qui existe par accident. Or le plaisir n’est pas universellement bon, nous venons de le dire. Il n’est donc pas optimal.

En sens contraire, la béatitude est optimale, parce qu’elle est la fin de la vie humaine. Or, la béatitude ne va pas sans délectation, car on dit dans le Psaume (16, 11) : “ Ton visage me comblera d’allégresse ; à ta droite, éternité de délices ”

Réponse :

Platon n’a pas affirmé que tous les plaisirs sont mauvais, comme les stoïciens ; ni qu’ils sont tous bons, comme les épicuriens ; mais que certains sont bons et d’autres mauvais, de telle sorte cependant qu’aucun ne soit le souverain bien, ni soit optimal. Mais autant que l’on puisse comprendre ses arguments, il est en défaut sur deux points. D’abord, remarquant que les plaisirs sensibles et physiques consistent en un mouvement et une génération, comme on le voit dans le fait de manger, par exemple, il en conclut que tous les plaisirs se rattachent à la génération et au mouvement. Aussi, parce que la génération et le mouvement sont des actes imparfaits, le plaisir n’aurait pas raison de perfection ultime. - Or ceci apparaît manifestement faux pour les plaisirs intellectuels. Car on ne se réjouit pas seulement dans la génération de sa science, par exemple quand on apprend ou que l’on s’étonne, comme on l’a dit plus haut, mais aussi dans la contemplation, selon la science que l’on possède déjà. D’autre part, Platon appelait optimal ce qui est purement et simplement le souverain bien, c’est-à-dire le bien lui-même dégagé de tout, pour ainsi dire, et non participé, comme Dieu lui-même est le souverain bien. Mais nous, nous parlons de ce qui est le meilleur dans les choses humaines. Or, en toute chose, ce qui est optimal est sa fin ultime. Mais la fin, nous venons de le dire, s’entend d’une double manière : ou bien c’est la chose elle-même, ou bien c’est l’usage de cette chose ; ainsi la fin de l’avare est ou bien l’argent ou bien la possession de l’argent. Et en ce sens on peut appeler fin ultime de l’homme ou Dieu lui-même, qui est le souverain bien purement et simplement, ou la jouissance de Dieu, qui implique une certaine délectation dans cette dernière. De cette façon, on peut dire qu’un certain plaisir de l’homme est optimal parmi les biens humains.

Solutions :

1. Tout plaisir n’est pas lié à la génération, mais certains plaisirs résultent d’opérations parfaites, nous venons de le dire. Et c’est pourquoi rien n’empêche que tel plaisir soit ce qu’il y a de meilleur, bien que tout plaisir ne le soit pas.

2. Cet argument se rapporte au meilleur absolu, en participation de quoi tout est bon, si bien que nulle addition ne peut le rendre meilleur. Mais, pour ce qui regarde les autres biens, il est universellement vrai que tout bien devient meilleur par l’addition d’un autre. - On pourrait répondre aussi que le plaisir n’est pas quelque chose d’extérieur à l’acte de vertu, mais qieil l’accompagne, comme dit l’Éthique.

3. Le plaisir n’est pas optimal du fait qu’il est plaisir, mais parce qu’il est parfait repos dans l’être le meilleur. Il n’est donc pas nécessaire que tout plaisir soit optimal, ou même bon. Ainsi telle science est optimale, mais non pas toute science.

 

            Article 4 — Le plaisir est-il la mesure ou la règle selon laquelle on juge du bien ou du mal moral ?

Objections :

1. Il semble que non, car selon Aristote : “ Toutes choses sont mesurées par ce qui est premier dans leur genre. ” Or le plaisir n’est pas premier dans l’ordre moral, car l’amour et le désir le précèdent. Il n’est donc pas la règle de la bonté et de la malice morales.

2. La mesure et la règle ne doivent pas varier : c’est ainsi que le mouvement le plus uniforme mesure et règle tous les autres mouvements, d’après Aristote. Or le plaisir est varié et multiforme, puisque certains plaisirs sont bons et d’autres mauvais. Le plaisir n’est donc pas la mesure et la règle de la moralité.

3. Le jugement de l’effet par la cause est plus certain que le jugement inverse. Or la bonté ou la malice de l’opération cause la bonté ou la malice du plaisir ; en effet, il est dit dans l’Éthique : “ Les plaisirs bons sont ceux qui découlent des actions bonnes, les mauvais, des actions mauvaises. ” Les plaisirs ne sont donc pas la règle et la mesure de la bonté et de la malice en morale.

En sens contraire, lorsqu’il commente (Ps 8, 10) : “ Dieu scrute les reins et les cœurs ”, S. Augustin écrit : “ Le but des soucis et des pensées est le plaisir auquel l’homme s’efforce de parvenir. ” Et le Philosophe écrit : “ Le plaisir est la fin architectonique ”, c’est-à-dire principale, “ d’après laquelle nous jugeons tout et disons telle chose mauvaise et telle autre bonne purement et simplement ”.

Réponse :

La bonté ou la malice morale consiste principalement dans la volonté, nous l’avons vu plus haut-. Or, que la volonté soit bonne ou mauvaise, on le sait surtout par la fin. D’autre part, on considère comme fin ce en quoi la volonté se repose. Or le repos de la volonté et de tout appétit dans le bien, c’est le plaisir. Voilà pourquoi l’homme est jugé bon ou mauvais surtout d’après les plaisirs de sa volonté ; car celui-là est bon et vertueux qui trouve sa joie dans les activités des vertus ; et mauvais celui qui se complaît dans les œuvres mauvaises.

Les plaisirs de l’appétit sensible ne sont pas la règle de la bonté ou de la malice morale ; on voit par exemple que la nourriture est également agréable selon l’appétit sensible aux bons et aux mauvais. Mais la volonté des bons ne se réjouit dans ces plaisirs que s’ils sont conformes à la raison ; ce qui ne préoccupe pas la volonté des méchants.

Solutions :

1. L’amour et le désir précèdent le plaisir dans l’ordre de la génération. Mais le plaisir est premier selon la raison de fin, qui, dans le domaine de l’action, a raison de principe ; et c’est surtout du principe, comme d’une règle et d’une mesure, que l’on déduit le jugement.

2. Tout plaisir est uniforme, en cela du moins qu’il est repos en quelque bien ; et à ce titre il peut être règle ou mesure. Car celui-là est bon dont la volonté se repose dans le vrai bien, et mauvais celui dont la volonté se repose dans le mal.

3. Parce que le plaisir parachève l’action par mode de fin, comme nous l’avons dit, cette action ne peut être parfaitement bonne s’il n’y a pas aussi plaisir dans le bien, car la bonté d’une chose dépend de sa fin. C’est ainsi que la bonté du plaisir cause d’une certaine manière la bonté de l’action.

LA DOULEUR OU TRISTESSE

Nous avons à traiter maintenant de la douleur ou tristesse. A ce sujet, nous étudierons : 1° La tristesse ou douleur en elle-même (Q. 35) ; - 2° ses causes (Q. 36) ; - 3° ses effets (Q. 37) ; - 4° ses remèdes (Q. 38) ; - 5° sa bonté ou sa malice (Q. 39).

 

QUESTION 35 — LA DOULEUR OU TRISTESSE EN ELLE-MÊME

1. La douleur est-elle une passion de l’âme ? - 2. La tristesse est-elle identique à la douleur ? - 3. La tristesse ou douleur est-elle contraire au plaisir ? - 4. Toute tristesse est-elle contraire à tout plaisir ? - 5. Y a-t-il une tristesse contraire au plaisir de la contemplation ? 6. Faut-il fuir la tristesse plus que désirer le plaisir ? - 7. La douleur extérieure est-elle plus grande que la douleur intérieure ? - 8. Les espèces de tristesse.

 

            Article 1 — La douleur est-elle une passion de l’âme ?

Objections :

1. Il semble que non, car aucune passion de l’âme n’est dans le corps. Or la douleur peut être dans le corps, selon ces mots de S. Augustin : “ La douleur que l’on attribue au corps est la disparition soudaine du bon état de cet être que l’âme, par son mauvais usage, a exposé à la destruction. ” Donc la douleur n’est pas une passion de l’âme.

2. Toute passion de l’âme appartient à la faculté appétitive. Or la douleur relève plutôt de la faculté de connaissance, selon ces mots de S. Augustin : “ La résistance des sens à un corps plus puissant produit la douleur du corps. ”

3. Toute passion appartient à l’appétit animal. Or la douleur appartient plutôt à l’appétit naturel. Car S. Augustin écrit : “ Si aucun bien n’était demeuré dans la nature, personne n’éprouverait comme un châtiment d’avoir perdu un bien. ” Donc la douleur n’est pas une passion de l’âme.

En sens contraire, S. Augustin met la douleur parmi les passions de l’âme, en citant ce vers de Virgile : “ De là, crainte et désir, douleur et allégresse. ”

Réponse :

De même que le plaisir requiert à la fois l’union avec un bien et la perception de cette union ; de même deux conditions sont-elles requises pour la douleur : l’union avec un certain mal (mal parce qu’il prive d’un certain bien), et la perception de cette union. Mais tout ce qui est uni, s’il n’a pas raison de bien ou de mal pour l’autre terme de l’union, ne peut causer plaisir ou douleur. On voit ainsi que c’est sous la raison de bien ou de mal qu’une chose est objet de plaisir ou de douleur. Or le bien et le mal, en tant qu tels, sont objets de l’appétit. Il est donc manifeste que le plaisir et la douleur se rapportent à l’appétit.

De plus, tout mouvement de l’appétit, ou inclination consécutive à une perception, se rapporte à l’appétit intellectuel ou à l’appétit sensible, car l’appétit naturel n’est pas lié à une appréhension du sujet lui-même, mais à celle d’un autre, nous l’avons dit dans la première Partie. Donc, puisque le plaisir et la douleur présupposent dans le même sujet la sensation ou une appréhension quelconque, il est évident que la douleur, comme le plaisir, se trouve dans l’appétit, intellectuel ou sensible.

Or tout mouvement de l’appétit sensible est appelé passion, nous l’avons dit plus haut, surtout quand ce mouvement implique quelque déficience. Aussi la douleur, quand elle existe dans l’appétit sensible, est-elle appelée passion au sens le plus strict, de même que tout ce qui afflige le corps est appelé proprement passion du corps. C’est ainsi que S. Augustin appelle spécialement la douleur du nom de “ maladie ”.

Solutions :

1. On parle de douleur du corps parce que la cause de la douleur est dans le corps, comme lorsque nous subissons quelque chose de nuisible pour le corps. Mais le mouvement de la douleur est toujours dans l’âme, car “ le corps ne peut souffrir que si l’âme souffre ”, dit S. Augustin.

2. On dit que la douleur appartient à la sensation, non parce qu’elle serait l’acte de la puissance sensitive, mais parce que cette perception est requise pour la douleur corporelle comme pour le plaisir.

3. La douleur d’avoir perdu un bien prouve la bonté de la nature ; non parce que la douleur serait un acte de l’appétit naturel, mais parce que la nature désire telle chose comme un bien, et quand on éprouve que cette chose nous est enlevée, il en résulte la passion de la douleur dans l’appétit sensible.

 

            Article 2 — La tristesse est-elle identique à la douleur ?

Objections :

1. Il semble que non, car “ on parle de douleur au sujet du corps ”, selon S. Augustin, tandis que la tristesse s’entend plutôt de l’âme. Donc tristesse et douleur ne sont pas identiques.

2. La douleur ne porte que sur le mal présent. Mais la tristesse peut se rapporter au passé et au futur : le regret est une tristesse concernant le passé, et l’anxiété une tristesse concernant l’avenir. Tristesse et douleur sont donc complètement différentes.

3. La douleur semble ne dépendre que de la sensation du toucher. La tristesse, au contraire, peut venir de tous les sens. La tristesse n’est donc pas la douleur, mais elle a un domaine plus vaste.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 9, 2) : “ J’éprouve une grande tristesse et j’ai au cœur une douleur continuelle ”, employant les mots tristesse et douleur comme des synonymes.

Réponse :

Le plaisir et la douleur peuvent être causés par une double connaissance : celle des sens extérieurs, et une connaissance intérieure, de l’intelligence ou de l’imagination. Or l’appréhension intérieure s’étend à plus de choses que l’autre, parce que tout ce qui tombe sous la première tombe aussi sous la seconde, mais non réciproquement. C’est ainsi que le plaisir causé par une connaissance intérieure est seul appelé joie, comme nous l’avons dit plus hauti. Pareillement, la douleur qui vient d’une connaissance intérieure est seule appelée tristesse. Et de même que ce plaisir produit par une connaissance extérieure est appelé plaisir et non joie, ainsi la douleur venant d’une connaissance extérieure est appelée douleur mais non tristesse. La tristesse est donc une espèce de douleur, comme la joie est une espèce de plaisir.

Solutions :

1. S. Augustin parle en cet endroit selon l’usage courant du mot ; douleur s’emploie davantage pour les douleurs corporelles, qui sont davantage perçues, que pour les douleurs spirituelles.

2. Le sens extérieur ne perçoit que ce qui est présent ; mais la puissance intérieure de connaissance peut percevoir le présent, le passé et le futur. Et c’est pourquoi la tristesse peut se porter sur le présent, le passé et le futur ; mais la douleur corporelle, consécutive à la perception du sens extérieur, ne peut porter que sur du présent.

3. Les objets du toucher sont douloureux non seulement en tant que disproportionnés à la faculté de perception, mais aussi en tant que contraires à la nature. Les objets des autres sens peuvent bien être disproportionnés à la faculté de perception, ils ne sont cependant pas contraires à la nature, sauf dans la mesure où ils impliquent le sens du toucher. C’est ainsi que l’homme, animal parfait du point de vue de la connaissance, est le seul qui éprouve du plaisir dans l’exercice des autres sens considérés en eux-mêmes ; les autres animaux n’y trouvent du plaisir que dans la mesure où ils se réfèrent à l’objet du toucher, comme dit l’Éthique. C’est pourquoi, à propos des autres sens que le toucher, on ne parle pas de la douleur, qui s’oppose au plaisir naturel, mais plutôt de la tristesse, qui s’oppose à la joie de l’âme. Donc, si l’on entend la douleur de la douleur corporelle, ce qui est le plus fréquent, la douleur s’oppose à la tristesse selon la distinction entre connaissance intérieure et connaissance extérieure, bien que le plaisir ait un domaine plus étendu que la douleur corporelle. Mais si l’on prend la douleur dans un sens banal, elle est le genre dont la tristesse est une espèce, comme nous venons de le dire.

 

            Article 3 — La tristesse ou douleur est-elle contraire au plaisir ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’un des contraires n’est pas cause de l’autre. Or la tristesse peut être cause de plaisir, selon ces mots de l’Évangile (Mt 5, 5) : “ Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. ” La tristesse et le plaisir ne sont donc pas contraires.

2. Un des contraires ne donne pas son nom à l’autre. Or, en certains cas, la douleur elle-même, ou la tristesse est agréable : S. Augustin dit en effet que la douleur plaît, au spectacle, et que “ les larmes sont chose amère, qui plaisent quelquefois ”. La douleur n’est donc pas contraire au plaisir.

3. Un des contraires n’est pas la matière de l’autre, car des contraires ne peuvent pas cœxister. Or la douleur peut être matière à plaisir, comme dit S. Augustin : “ Que le pénitent soit toujours dans la douleur, et qu’il se réjouisse de sa douleur. ” Aristote dit aussi qu’à l’inverse “ le méchant s’attriste d’avoir été dans le plaisir ”. Il n’y a donc pas contrariété entre plaisir et douleur.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ La joie, c’est la volonté en accord avec ce que nous voulons ; et la tristesse, c’est la volonté en désaccord avec ce que nous ne voulons pas. ” Or accord et refus sont des contraires. Donc la joie et la tristesse sont contraires.

Réponse :

“ La contrariété, dit le Philosophe, est une différence selon la forme. ” Or la forme ou espèce de la passion et du mouvement est déterminée par l’objet ou le terme. Ainsi, puisque les objets du plaisir et de la tristesse ou douleur sont contraires, à savoir le bien présent et le mal présent, il en résulte que la douleur et le plaisir sont contraires.

Solutions :

1. Rien n’empêche que l’un des contraires soit cause de l’autre par accident. Et c’est ainsi que la tristesse peut être cause de plaisir. D’abord, en tant que la tristesse causée par l’absence de quelque bien, ou par la présence d’un contraire, fait rechercher avec plus d’ardeur un sujet de plaisir comme remède à la tristesse que l’on subit ; ainsi l’homme assoiffé recherche le plaisir de boire avec plus d’ardeur, comme un remède contre la tristesse dont il souffre. D’autre part, la tristesse peut causer le plaisir parce que l’on désire tellement un certain plaisir qu’on ne refuse pas de supporter des tristesses pour y parvenir. De ces deux manières les larmes de la vie présente conduisent à la consolation de la vie future. En effet, par cela même qu’il pleure à cause de ses péchés ou du retardement de la gloire, l’homme mérite la consolation éternelle. De même il la mérite aussi du fait que, pour y atteindre, il ne refuse pas de supporter les travaux et les angoisses.

2. La douleur elle-même peut être agréable par accident, en tant qu’elle est accompagnée d’admiration, comme dans les spectacles ; ou en tant qu’elle rappelle le souvenir de l’être aimé et rend plus sensible l’amour de celui dont l’absence nous afflige. Parce que l’amour est agréable, la douleur et tout ce qui procède de l’amour est agréable, selon que l’amour s’y fait sentir. C’est pour cela aussi que les douleurs peuvent être agréables dans les spectacles, en tant qu’on y éprouve un amour imaginaire pour les héros que l’on y célèbre.

3. La volonté et la raison font retour sur leurs actes en tant que ces actes eux-mêmes de la volonté et de la raison sont considérés sous la raison de bien ou de mal. De cette manière, la tristesse peut donner matière à délectation ou inversement, non de soi mais d’une façon accidentelle, en tant que l’une ou l’autre est considérée sous la raison de bien ou de mal.

 

            Article 4 — Toute tristesse est-elle contraire à tout plaisir ?

Objections :

1. C’est bien ce qu’il semble, car le plaisir et la tristesse sont des espèces contraires de passions de l’âme, comme la blancheur et la noirceur sont des espèces contraires dans le genre couleur. Or la blancheur et la noirceur s’opposent entre elles universellement. Il en est donc de même du plaisir et de la tristesse.

2. Les remèdes emploient des contraires. Or tout plaisir est un remède contre n’importe quelle tristesse, comme on le voit dans l’Éthique. Tout plaisir est donc contraire à toute tristesse.

3. Les contraires, par définition, s’empêchent mutuellement. Or toute tristesse empêche tout plaisir, d’après Aristote. Toute tristesse est donc contraire à tout plaisir.

En sens contraire, les contraires n’ont pas la même cause. Or un habitus est cause qu’on se réjouisse d’une chose et qu’on s’attriste de son contraire : ainsi la charité invite à “ se réjouir avec ceux qui sont dans la joie et à pleurer avec ceux qui pleurent ”, dit l’Apôtre (Rm 12, 15). Ce n’est donc pas toute tristesse qui est contraire à tout plaisir.

Réponse :

Comme on le voit dans la Métaphysique, la contrariété est une différence selon la forme. Or la forme est générale ou spéciale. Aussi arrive-t-il que certaines choses soient contraires selon leur forme générique, comme la vertu et le vice ; et selon leur forme spécifique, comme la justice et l’injustice.

Mais il faut remarquer que certaines choses sont spéciales par des formes absolues, comme les substances et les qualités ; et que d’autres le sont par rapport à quelque chose d’extérieur, comme les passions et les mouvements, qui reçoivent leur espèce de leurs termes ou de leurs objets. Donc, s’il s’agit de choses dont les espèces sont considérées selon des formes absolues, il arrive que des espèces contenues sous des genres contraires ne soient pas contraires sous leur raison spécifique ; mais cela ne fait pas qu’elles aient entre elles quelque affinité ou convenance. Ainsi l’intempérance et la justice, qui appartiennent à des genres contraires, la vertu et le vice, ne sont pas contraires entre elles selon la raison propre de leur espèce ; pour autant elles n’ont pas d’affinité ou de convenance mutuelle. Au contraire, lorsque l’espèce est déterminée par rapport à quelque chose d’extrinsèque, il arrive que les espèces de genres contraires non seulement ne sont pas contraires entre elles mais qu’elles ont, en outre, une certaine convenance ou affinité. En effet, se comporter de la même manière à l’égard de contraires amène un rapport de contrariété, comme d’accéder au blanc et d’accéder au noir ; mais se comporter de manière contraire à l’égard de contraires présente une raison de ressemblance, comme de s’éloigner du blanc et d’accéder au noir. Cela apparaît surtout dans la contradiction, qui est le principe de l’opposition ; car l’opposition consiste dans l’affirmation et la négation d’une même chose, par exemple : blanc et non blanc ; mais dans l’affirmation de l’un des opposés et la négation de l’autre se vérifie un rapprochement et une ressemblance, comme lorsque je dis noir et non blanc.

Or la tristesse et le plaisir, étant des passions, sont spécifiées par leurs objets. Au point de vue générique, ils sont contraires, car l’un dit recherche et l’autre fuite, lesquelles “ sont dans l’appétit ce que sont l’affirmation et la négation dans la raison ”, dit Aristote dans l’Éthique. C’est pourquoi la tristesse et le plaisir portant sur le même objet sont opposés mutuellement au point de vue spécifique. Au contraire, la tristesse et le plaisir qui portent sur des objets divers quand ces objets divers ne sont pas opposés mais disparates - ne sont pas opposés entre eux au point de vue de l’espèce, mais sont également disparates : ainsi la tristesse de la mort d’un ami et la joie de la contemplation. Mais si ces objets divers sont contraires, le plaisir et la tristesse non seulement ne sont pas contraires selon leur raison spécifique, mais en outre ils ont une harmonie et une affinité, comme la joie du bien et la tristesse du mal.

Solutions :

1. La blancheur et la noirceur ne sont pas spécifiées par rapport à quelque chose d’extérieur comme le plaisir et la tristesse. La comparaison ne vaut donc pas.

2. Le genre est pris de la matière, selon la Métaphysique. Or, quand il s’agit d’accidents, le sujet tient lieu de matière. D’autre part, nous venons de dire que le plaisir et la tristesse sont contraires au point de vue du genre. C’est pourquoi toute tristesse implique dans le sujet une disposition contraire à la disposition que crée tout plaisir ; en effet, en tout plaisir, l’appétit est dans une attitude d’acceptation envers ce qu’il a ; en toute tristesse, au contraire, il est dans une attitude de fuite. Et c’est pourquoi, au point de vue du sujet, tout plaisir est un remède contre n’importe quelle tristesse, et toute tristesse empêche n’importe quel plaisir ; mais surtout quand le plaisir est contraire à la tristesse également au point de vue de l’espèce.

3. L’objection est résolue par ce qui précède. On peut répondre encore que si toute tristesse n’est pas contraire à tout plaisir quant à l’espèce, il y a cependant contrariété au point de vue de l’effet ; car la nature de l’animal est fortifiée par le plaisir, tandis qu’elle est comme accablée par la tristesse.

 

            Article 5 — Y a-t-il une tristesse contraire au plaisir de la contemplation ?

Objections :

1. Il semble que certaine tristesse contrarie le plaisir de la contemplation. Car S. Paul écrit (2 Co 7, 10) : “ La tristesse selon Dieu produit un repentir salutaire qu’on ne regrette pas. ” Or se tourner vers Dieu relève de la raison supérieure, dont l’office est de vaquer à la contemplation, d’après S. Augustin. Donc la tristesse s’oppose au plaisir de la contemplation.

2. Les effets des contraires sont eux-mêmes contraires. Donc, si la contemplation de l’un des contraires est source de plaisir, celle de l’autre sera cause de tristesse.

3. L’objet du plaisir est le bien, et celui de la tristesse, le mal. Or la contemplation peut avoir raison de mal, selon ces mots du Philosophe : “ Il y a des choses auxquelles il n’est pas bon de penser. ” Ainsi donc il existe une tristesse qui peut être contraire au plaisir de contempler.

4. Toute activité qui ne rencontre pas d’obstacle est cause de plaisir, dit Aristote. Or l’activité contemplative peut être empêchée de multiples façons, elle peut être totalement supprimée, ou se faire avec difficulté. Donc il peut y avoir dans la contemplation une tristesse contraire au plaisir.

5. L’affliction de la chair est cause de tristesse. Or, comme il est écrit (Qo 12, 12) : “ La méditation fréquente est affliction pour la chair. ” La contemplation comporte donc une tristesse contraire au plaisir.

En sens contraire, il est dit dans la Sagesse (8, 16) : “ Sa société (celle de la sagesse) ne cause pas d’amertume, ni son commerce, d’ennui, mais l’allégresse et la joie. ” Or la société de la sagesse et son commerce consistent dans la contemplation. Il n’existe donc pas de tristesse qui soit contraire à la joie de la contemplation.

Réponse :

Le plaisir de la contemplation peut s’entendre en un double sens. D’abord en ce sens que la contemplation est cause du plaisir, non son objet. Ainsi le plaisir ne porte pas sur la contemplation elle-même, mais sur la réalité contemplée. Or il arrive que l’on contemple quelque chose qui nuit et qui afflige, comme aussi quelque chose qui plaît et qui délecte. Si l’on prend en ce sens le plaisir de la contemplation, rien n’empêche qu’une tristesse lui soit contraire.

Mais on peut parler du plaisir de la contemplation en ce sens que celle-ci est à la fois l’objet et la cause du plaisir : ainsi quand on se réjouit du fait même de contempler. En ce sens, dit S. Grégoire de Nysse : “ Aucune tristesse ne s’oppose au plaisir qui vient de la contemplation ” ; et Aristote affirme la même chose à différentes reprises. Toutefois, il faut entendre cela des choses en soi. La raison en est que la tristesse s’oppose, de soi, au plaisir qui porte sur l’objet contraire, comme la tristesse produite par le froid est contraire au plaisir que cause la chaleur. Or il n’y a rien de contraire à l’objet de la contemplation, car les essences des contraires, en tant que saisies par l’esprit, ne sont pas contraires entre elles, puisque, justement, un contraire est la raison de connaître l’autre. Par conséquent, à considérer les choses en soi, il ne peut y avoir de tristesse qui soit contraire au plaisir de la contemplation.

Ce plaisir n’a pas non plus de tristesse qui lui soit attachée, comme dans les plaisirs sensibles qui servent de remèdes à certaines afflictions. C’est ainsi que l’on a plaisir à boire quand on souffre de la soif, mais le plaisir cesse quand la soif est étanchée. En effet, le plaisir de la contemplation ne vient pas de ce qu’elle exclut quelque ennui, mais de ce qu’elle est délectable en elle-même ; car elle ne consiste pas dans une génération mais dans une opération parfaite, nous l’avons dit.

La tristesse peut se mêler accidentellement au plaisir de connaître. Et cela pour deux raisons : du côté de l’organe, et à cause des obstacles à la connaissance. Du côté de l’organe, la tristesse ou la douleur se mêle à la connaissance directement dans les facultés de perception sensible, lesquelles ont un organe corporel ; ou bien parce que l’objet du sens est contraire à l’équilibre normal de l’organe, comme lorsqu’on goûte un aliment amer ou que l’on sent une odeur fétide ; ou bien à cause de la présence trop insistante d’un objet sensible pourtant proportionné qui à la longue excède les capacités naturelles comme nous l’avons dit récemment, et finit par rendre odieuse la perception qui était d’abord délectable. - Ces deux cas ne peuvent se présenter directement dans la contemplation de l’esprit, car l’esprit n’a pas d’organe corporel. C’est pourquoi le texte de la Sagesse que nous avons cité peut dire que la contemplation de l’esprit n’a ni amertume ni ennui. Cependant, parce que l’esprit humain doit utiliser les facultés sensibles de perception, dont l’exercice amène la fatigue, une certaine affliction ou douleur se mêle indirectement à la contemplation.

Mais la tristesse liée par accident à la contemplation n’est contraire à sa joie en aucune de ces deux manières. Car la tristesse qui vient des obstacles à la contemplation n’est pas contraire à sa délectation ; elle est plutôt en affinité et en harmonie avec elle, comme nous l’avons montré. Quant à la tristesse ou affliction produite par la fatigue corporelle, elle n’est pas du même genre, elle est donc absolument disparate. Il apparaît ainsi avec évidence qu’à la délectation née de la contemplation elle-même ne s’oppose aucune tristesse, et que nulle tristesse ne l’accompagne, sinon par accident.

Solutions :

1. Cette tristesse selon Dieu n’a pas pour objet la contemplation elle-même, mais une réalité que l’esprit contemple : le péché, qu’il envisage comme contraire à l’amour de Dieu.

2. Les choses qui sont contraires dans la réalité ne le sont pas dans l’esprit. Car les notions des contraires ne sont pas contraires entre elles ; un contraire est plutôt la raison de connaître l’autre. C’est pourquoi il n’y a qu’une science pour les contraires.

3. La contemplation n’est jamais mauvaise en elle-même, n’étant autre que la contemplation de la vérité, qui est le bien de l’intelligence. Elle ne peut l’être que par accident, en ce sens que la contemplation d’une chose médiocre empêche celle d’un objet plus relevé ; ou bien, du côté de la chose contemplée, parce que l’appétit s’y attache de façon désordonnée.

4. La tristesse qui vient des obstacles à la contemplation n’est pas contraire à la délectation de contempler, mais lui est apparentée, nous venons de le dire.

5. L’aflliction de la chair n’a qu’un rapport accidentel et indirect avec la contemplation de l’esprit, nous venons de le dire.

 

            Article 6 — Faut-il fuir la tristesse plus que désirer le plaisir ?

Objections :

1. Il semble bien que oui, car d’après S. Augustin : “ Tout homme fuit la douleur plus qu’il ne recherche le plaisir. ” Or, un point sur lequel tout le monde est d’accord apparaît comme un fait de nature. Donc il est naturel et juste de fuir la tristesse plus que de rechercher le plaisir.

2. L’action d’un contraire rend le mouvement plus rapide et plus intense : ainsi “ l’eau chaude se congèle plus vite et plus fortement ”, dit Aristote. Or on fuit la tristesse parce que son objet contrarie notre volonté ; tandis que l’appétit du plaisir n’est causé par rien de contraire, mais plutôt parce que l’objet du plaisir est à notre convenance. La fuite de la tristesse est donc plus vive que l’appétit du plaisir.

3. Celui qui résiste selon la raison à la passion la plus forte est l’homme le plus digne de louange et le plus vertueux, car “ la vertu s’exerce en ce qui est difficile et bon ”, comme on le voit dans l’Éthique. Or l’homme fort qui résiste au mouvement de fuite à l’égard de la douleur est plus vertueux que le tempérant qui résiste à l’attrait du plaisir : le Philosophe dit en effet que “ les forts et les justes sont les plus honorés ”. Donc le mouvement de fuite à l’égard de la tristesse est plus véhément que celui de l’appétit du plaisir.

En sens contraire, le bien est plus fort que le mal, comme le montre Denys. Or le plaisir est désirable à cause du bien, qui est son objet, tandis que la fuite de la tristesse est causée par le mal. Donc l’appétit du plaisir est plus fort que la fuite de la tristesse.

Réponse :

A proprement parler et par soi, le désir du plaisir est plus fort que la fuite de la tristesse. La raison en est que la cause du plaisir est le bien qui nous convient ; la cause de la douleur ou tristesse est un mal qui nous contrarie. Or il arrive qu’un bien agrée sans aucune dissonance, mais il ne peut exister un mal total, qui contrarie sans agréer en quoi que ce soit. Aussi le plaisir peut-il être entier et parfait ; la tristesse est toujours partielle. Par suite, l’appétit du plaisir est naturellement plus grand que la fuite de la tristesse. Voici une autre raison : le bien, objet du plaisir, est désiré pour lui-même, tandis que le mal, objet de la tristesse, est cause d’éloignement en ce qu’il prive d’un bien. Or ce qui existe par soi l’emporte sur ce qui existe par un autre. - On découvre un signe de cette vérité dans les mouvements naturels. En effet, tout mouvement naturel est plus intense à la fin, quand il approche du terme qui convient à sa nature, qu’au commencement, quand il s’éloigne du terme qui ne lui convient pas ; comme si la nature tendait plus fortement vers ce qui lui convient qu’elle ne fuit ce qui lui est contraire. Aussi l’inclination de la puissance appétitive, à proprement parler et de soi, tend-elle vers le plaisir avec plus d’intensité qu’elle ne fuit la tristesse.

Cependant il arrive par accident que l’on fuie la tristesse plus qu’on ne désire le plaisir. Et cela, pour trois raisons :

1° En raison de la connaissance. S. Augustin fait remarquer que “ l’on sent davantage l’amour, lorsque la privation le fait connaître ”. Or la tristesse naît de la privation de ce qu’on aime, soit que l’on ait perdu un bien aimé, soit que l’on subisse l’assaut d’un mal contraire. Mais le plaisir n’implique pas de privation, car il est repos dans la possession du bien que l’on aime. Donc, puisque l’amour est cause et de plaisir et de tristesse, on fuira d’autant plus la tristesse que l’amour est rendu plus sensible par ce qui le contrarie.

2° A considérer la cause de la tristesse ou de la douleur, si elle s’oppose à un bien plus aimé que celui où nous trouvons du plaisir. En effet, nous préférons l’équilibre naturel de notre corps au plaisir de la nourriture. C’est pourquoi, par crainte de la douleur venant des châtiments corporels qui s’opposent au bon équilibre du corps, nous abandonnons des plaisirs comme ceux de la table.

3° A considérer l’effet : en tant que la tristesse n’empêche pas seulement un plaisir, mais tous les plaisirs.

Solutions :

1. Cette parole de S. Augustin : “ On fuit la douleur plus qu’on ne recherche le plaisir ” est vraie par accident, mais non essentiellement. Cela ressort de ce qu’il dit ensuite : “ Nous voyons parfois les bêtes, même les plus féroces, s’abstenir des plus grands plaisirs par crainte de la douleur ”, laquelle est contraire à la vie, aimée par-dessus tout.

2. Il en va différemment pour le mouvement qui vient de l’intérieur, et pour celui qui vient de l’extérieur. Le premier tend vers ce qui convient plus intensément qu’il ne fuit son contraire, comme nous l’avons dit tout à l’heure du mouvement naturel. Mais le mouvement dont le principe est extérieur s’intensifie par sa contrariété même, car tout être s’efforce de résister comme il peut à ce qui lui est contraire, de même qu’il lutte pour sa propre conservation. C’est pourquoi le mouvement qui fait violence à la nature est plus intense au début, et se ralentit à la fin. - Or, le mouvement de la partie appétitive procède de l’intérieur, puisqu’il va de l’âme aux choses. Et donc, essentiellement, on désire le plaisir plus qu’on ne fuit la tristesse. Quant au mouvement de la partie sensitive, il vient de l’extérieur, puisqu’il va des choses à l’âme. C’est pourquoi l’on perçoit mieux ce qui est plus contraire. Et ainsi encore, par accident, en tant que la perception sensible est requise pour le plaisir et la tristesse, On fuit cette dernière plus qu’on ne recherche le plaisir.

3. On ne loue pas l’homme fort d’avoir dominé par la raison une douleur ou tristesse quelconque, mais celle qui se rencontre dans des périls mortels. Cette tristesse, on la fuit plus qu’on ne recherche les plaisirs de la table ou de l’amour, qui relèvent de la tempérance ; de même on préfère la vie à la nourriture ou à l’union charnelle. Mais on loue davantage l’homme tempérant de ne pas rechercher les plaisirs du toucher que de ne pas fuir les tristesses contraires, comme on le voit dans l’Éthique.

 

            Article 7 — La douleur extérieure est-elle plus grande que la douleur intérieure ?

Objections :

1. Il le semble bien, car la douleur extérieure est causée par ce qui nuit au bon état du corps, dans lequel réside la vie ; la douleur intérieure est causée par la représentation du mal. Puisque nous aimons la vie plus qu’un bien imaginé, il semble, d’après ce qui précède, que la douleur extérieure soit plus grande que la douleur intérieure.

2. La réalité touche plus que son image. Or la douleur extérieure provient de la conjonction réelle avec son contraire, tandis que la douleur intérieure vient de ce qu’on perçoit l’image d’un contraire. La douleur extérieure est donc plus grande que la douleur intérieure.

3. On connaît la cause par ses effets. Or la douleur extérieure a des effets plus puissants, car l’homme meurt plus facilement du fait de douleurs extérieures que d’une douleur intérieure. Donc la douleur extérieure est plus forte, et on la fuit davantage.

En sens contraire, il est écrit dans l’Ecclésiastique (25, 17 Vg) : “ La pire blessure est la tristesse du cœur, et rien n’est pire qu’une femme méchante. ” Donc, de même que la méchanceté de la femme est la pire de toutes, d’après ce texte, de même la tristesse du cœur l’emporte sur toute blessure extérieure.

Réponse :

La douleur intérieure et la douleur extérieure ont un point commun, mais présentent deux différences. Leur point commun, c’est que toutes deux sont, comme nous l’avons dit, un mouvement de la faculté appétitive. Mais elles diffèrent quant aux deux conditions qui sont requises pour la tristesse et pour le plaisir : la cause, qui est le bien ou le mal lié à ce mouvement ; et la perception de ce bien ou de ce mal. En effet, la cause de la douleur extérieure est le mal conjoint qui contrarie le corps ; la cause de la douleur intérieure est le mal conjoint qui contrarie l’appétit. De plus, la douleur extérieure est consécutive à la perception des sens, et spécialement du toucher ; la douleur intérieure est consécutive à l’appréhension intérieure, celle de l’imagination ou même de la raison.

Donc, si nous comparons la cause de la douleur intérieure à celle de la douleur extérieure, on voit que la douleur intérieure se réfère de soi à l’appétit dans lequel résident l’une et l’autre douleur ; la douleur extérieure ne s’y réfère que par un intermédiaire. Car la douleur intérieure se produit parce qu’une chose s’oppose à l’appétit lui-même ; la douleur extérieure, parce qu’une chose s’oppose à l’appétit en raison de son opposition au corps. Or ce qui est par soi l’emporte toujours sur ce qui est par un autre. Et donc, de ce côté, la douleur intérieure l’emporte sur la douleur extérieure. Elle l’emporte aussi du côté de la perception, car l’imagination et la raison perçoivent plus profondément que le sens du toucher. - Par conséquent, à parler absolument et essentiellement, la douleur intérieure l’emporte sur la douleur extérieure. Nous en avons pour signe que l’on prend volontiers sur soi des douleurs extérieures pour éviter une douleur intérieure. Et dans la mesure où la douleur extérieure ne s’oppose pas à l’appétit intérieur, elle devient, d’une certaine façon, délectable et joyeuse par la joie intérieure.

Il arrive toutefois que la douleur extérieure soit accompagnée de douleur intérieure, et alors la douleur augmente. Car non seulement la douleur intérieure est plus grande que l’extérieure, mais elle est aussi plus universelle. Tout ce qui s’oppose au corps peut s’opposer à l’appétit intérieur, et tout ce que le sens perçoit peut être atteint par l’imagination et par la raison ; mais l’inverse n’est pas vrai. C’est pourquoi il est dit expressément dans le texte scripturaire allégué : “ La pire blessure est la blessure du cœur ”, parce que les douleurs des blessures extérieures sont englobées dans la tristesse intérieure du cœur.

Solutions :

1. La douleur intérieure peut porter aussi sur ce qui est contraire à la vie. De sorte que l’on ne doit pas comparer la douleur extérieure selon les divers maux qui causent la douleur, mais selon la diversité de relation entre l’appétit et cette cause de douleur.

2. La tristesse intérieure n’a pas pour cause la représentation de l’objet ; car on ne s’attriste pas antérieurement de la représentation elle-même, mais de l’objet qu’elle représente. Et cet objet est perçu d’autant plus parfaitement par une représentation que celle-ci est plus immatérielle et plus abstraite. Et c’est pourquoi la douleur intérieure, à parler formellement, est plus grande, étant relative à un plus grand mal, et cela parce que le mal est mieux connu par l’appréhension intérieure.

3. La douleur extérieure produit de plus grandes modifications corporelles pour deux raisons : parce que la cause de la douleur extérieure est un élément destructeur uni au corps, ce qui est exigé par la perception du toucher ; et aussi parce que le sens extérieur est plus corporel que le sens intérieur, comme l’appétit sensible est plus corporel que l’appétit intellectuel. C’est pour cela, avons-nous dit, que le corps est modifié davantage par le mouvement de l’appétit sensitif. Et de même il est modifié par la douleur extérieure plus que par la douleur intérieure.

 

            Article 8 — Les espèces de tristesse

Objections :

1. Il semble que S. Jean Damascène énumère maladroitement quatre espèces de tristesse : l’acédie, l’accablement (ou anxiété, d’après S. Grégoire de Nysse), la miséricorde et l’envie. En effet, la tristesse est opposée au plaisir, et pourtant on ne distingue pas d’espèces dans le plaisir. Donc il n’y a pas à attribuer des espèces à la tristesse.

2. Le regret est une espèce de tristesse, et de même, l’indignation et la jalousie, dit Aristote. Or elles ne figurent pas dans les espèces en question ; cette division n’est donc pas complète.

3. Toute division doit se faire par termes opposés. Or ces quatre espèces ne sont pas opposées l’une à l’autre. D’après S. Grégoire en effet “ l’acédie est une tristesse qui coupe la parole ; l’anxiété, une tristesse qui appesantit ; l’envie, une tristesse du bien d’autrui ; la miséricorde, une tristesse du mal d’autrui ”. Or il arrive qu’on s’attriste et du mal et du bien d’autrui, et qu’en même temps on se sente le cœur lourd, et que la voix vous manque. Cette division n’est donc pas appropriée.

En sens contraire, elle a pour elle deux autorités, celle de S. Grégoire de Nysse et celle de S. Jean Damascène.

Réponse :

La raison d’espèce se réalise par addition au genre. Or on peut ajouter au genre de deux manières. D’abord, en ajoutant ce qui, de soi, lui appartient et est contenu virtuellement en lui : c’est ainsi qu’on ajoute raisonnable à animal. Une telle addition constitue les véritables espèces d’un genre, comme on le voit dans la Métaphysique d’Aristote. - On peut encore ajouter au genre quelque chose d’étranger à son essence : comme si, à animal, on ajoutait blanc ou quelque chose de semblable. Une telle addition ne forme pas de véritables espèces de genre au sens où l’on parle couramment de genre et d’espèce. Parfois cependant une chose est appelée espèce d’un genre en ce sens qu’elle contient un élément étranger à quoi l’on applique la notion de genre ; ainsi le charbon et la flamme sont appelés des espèces de feu par application de la nature du feu à une matière étrangère. Selon la même manière de parler, l’astronomie et la science de la perspective sont dites des espèces de mathématique, en ce sens que les principes mathématiques y sont appliqués à une matière d’ordre physique.

C’est selon cette manière de parler que sont distribuées ici les espèces de tristesse, par application de la raison de tristesse à un élément extrinsèque. Celui-ci peut se prendre du côté de la cause, de l’objet, ou du côté de l’effet. L’objet propre de la tristesse est le mal personnel du sujet. De sorte que l’objet extrinsèque de la tristesse peut être pris selon l’un de ces deux termes seulement : c’est un mal, mais non le mal du sujet ; et nous avons ainsi la miséricorde, qui est la tristesse du mal d’autrui, considéré cependant comme un mal personnel. - Ou bien, selon les deux termes, si la tristesse ne porte pas sur le mal du sujet, ni même sur le mal, mais sur le bien d’autrui, tenu cependant pour le propre mal du sujet : à ce titre nous avons l’envie. - L’effet propre de la tristesse consiste en ce que l’appétit est poussé à fuir. Aussi l’élément étranger par rapport à l’effet de la tristesse pourra alors être pris quant à l’un des termes seulement, en ce sens que la fuite devient impossible : et nous aurons l’anxiété qui appesantit tellement l’âme qu’elle ne voit plus où fuir, aussi bien l’appelle-t-on d’un autre nom : l’angoisse. Si cet appesantissement va jusqu’à paralyser les membres extérieurs et les empêcher d’agir - ce qui constitue l’acédie - l’élément extrinsèque se vérifiera par rapport aux deux termes, car il n’y aura de fuite ni en réalité ni en désir. On parle spécialement de la suppression de la voix dans l’acédie, parce que la voix, plus que tous les mouvements extérieurs, exprime la pensée et les sentiments, non seulement chez les hommes, mais aussi chez les animaux, comme il est dit dans la Politique.

Solutions :

1. Le plaisir a pour cause le bien, qui ne se dit que d’une seule manière. C’est pourquoi il n’y a pas d’espèces de plaisir, comme il y en a pour la tristesse, car celle-ci est causée par le mal qui “ se produit de multiple manières ”, selon le mot de Denys.

2. Le regret porte sur le mal personnel du sujet, qui est, de soi, l’objet de la tristesse. Elle n’appartient donc pas aux espèces considérées. - Quant à la jalousie et à l’indignation, elles sont comprises sous l’envie, comme nous le verrons.

3. Cette division n’est pas déterminée selon l’opposition des espèces, mais selon la diversité des éléments extérieurs auxquels s’applique la notion de tristesse, nous venons de le dire.

 

QUESTION 36 — LES CAUSES DE LA TRISTESSE OU DOULEUR

1. La cause de la douleur est-elle le bien perdu, ou plutôt le mal conjoint ? - 2. La convoitise est-elle cause de douleur ? - 3. L’appétit de l’unité ? - 4. Le pouvoir auquel on ne peut résister ?

 

            Article 1 — La cause de la douleur est-elle le bien perdu, ou plutôt le mal conjoint ?

Objections :

1. C’est plutôt le bien perdu, semble-t-il, car S. Augustin dit que la douleur vient de la perte des biens temporels. Donc, pour la même raison, toute douleur a pour cause la perte d’un bien.

2. Nous avons dit que la douleur, qui est contraire au plaisir, porte sur le même objet que lui. Or le plaisir a le bien pour objet, nous l’avons dit. La douleur vient donc principalement de la perte du bien.

3. L’amour, d’après S. Augustin, est cause de la tristesse, comme aussi de toutes les autres affections de l’âme. Or l’objet de l’amour est le bien. Donc la douleur ou tristesse regarde le bien perdu plutôt que le mal conjoint.

En sens contraire, S. Jean Damascène dit que “ le mal auquel on s’attend provoque la crainte le mal présent, la tristesse ”.

Réponse :

Si les privations étaient dans l’appréhension de l’âme ce qu’elles sont dans la réalité, cette question paraîtrait sans importance. En effet, le mal, comme nous l’avons vu dans la première Partie, est la privation du bien ; or la privation, dans la réalité des choses, n’est rien d’autre que le manque de la possession opposée ; de sorte que ce serait la même chose de s’attrister du bien perdu et du mal présent. Mais la tristesse est un mouvement de l’appétit consécutif à une connaissance. Or, la privation elle-même se présente à l’esprit comme un certain être, si bien qu’on l’appelle “ être de raison ”. Ainsi le mal, étant une privation, se comporte comme un contraire. Et par suite, ce n’est pas la même chose, eu égard au mouvement de l’appétit, de se demander s’il regarde principalement le mal conjoint ou le bien perdu.

Et parce que le mouvement de l’appétit sensible joue, dans les opérations de l’âme, le même rôle que les mouvements naturels dans les choses de la nature, l’observation de tels mouvements peut nous faire trouver la vérité. Considérons, en effet, dans les mouvements naturels, l’approche et l’éloignement ; l’approche regarde essentiellement ce qui convient à la nature ; l’éloignement regarde essentiellement ce qui lui est contraire : c’est ainsi que, par lui-même, le corps lourd s’éloigne d’un lieu élevé et s’approche, en vertu de sa nature, du lieu inférieur. Mais si nous considérons la cause de ces deux mouvements, qui est la pesanteur, celle-ci incline vers le lieu inférieur plutôt qu’elle n’éloigne du lieu élevé ; ce qu’elle ne fait que pour tendre vers le bas.

Ainsi donc, la tristesse, dans les mouvements de l’appétit, se présente par mode de fuite ou d’éloignement, et le plaisir par mode de poursuite ou d’approche. C’est pourquoi, de même que le plaisir regarde d’abord le bien possédé comme son objet propre, de même la tristesse regarde le mal conjoint à titre premier. Mais la cause du plaisir et de la tristesse, qui est l’amour, regarde le bien avant de regarder le mal. Ainsi donc, en ce sens où l’objet est cause de la passion, le mal conjoint est plus proprement cause de la tristesse ou de la douleur que le bien perdu.

Solutions :

1. La perte du bien elle-même est appréhendée sous la raison de mal, comme la cessation du mal est appréhendée sous la raison de bien. C’est pour cela que S. Augustin dit que la douleur vient de la perte des biens temporels.

2. Le plaisir et la douleur qui lui est contraire regardent le même objet, mais sous une raison contraire, car le plaisir implique la présence d’une chose, et la tristesse, son absence. Or dans l’un des contraires est incluse la privation de l’autre, comme on le voit dans la Métaphysique. De là vient que la tristesse, qui porte sur un contraire, porte en un sens sur la même chose, mais sous une raison contraire.

3. Lorsque plusieurs mouvements procèdent de la même cause, il n’est pas nécessaire que tous regardent principalement ce que la cause regarde ainsi - sauf le premier. Chacun des autres regarde plus spécialement ce qui lui convient selon sa raison propre.

 

            Article 2 — La convoitise est-elle cause de douleur ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la convoitise soit cause de douleur. Car la tristesse concerne essentiellement le mal, nous venons de le dire. Or, la convoitise est un mouvement de l’appétit vers le bien. D’autre part, le mouvement vers l’un des contraires n’est pas cause du mouvement qui concerne l’autre. Donc la convoitise n’est pas cause de douleur.

2. La douleur, d’après S. Jean Damascène, a pour objet le présent, tandis que la convoitise porte sur le futur. Donc la convoitise ne cause pas la douleur.

3. Ce qui est essentiellement délectable ne cause pas de douleur. Or la convoitise est essentiellement délectable, selon la remarque du Philosophe. Elle n’est donc pas cause de douleur ou de tristesse.

En sens contraire, S. Augustin écrit “ Lorsque s’introduisent en nous l’ignorance de ce qu’il faut faire et la convoitise de ce qui fait du mal, l’erreur et la douleur se glissent à leur suite. ” Or l’ignorance est cause d’erreur ; donc la convoitise est cause de douleur.

Réponse :

La tristesse est un mouvement de l’appétit sensible. Or le mouvement de cet appétit ressemble, avons-nous dit, à l’appétit naturel. On peut assigner deux causes à celui-ci : l’une par mode de fin ; l’autre, en vertu du principe du mouvement. Ainsi la cause, par mode de fin, de la chute d’un corps lourd est le lieu inférieur ; le principe du mouvement est l’inclination naturelle venant de la pesanteur.

Or la cause du mouvement de l’appétit par mode de fin, c’est son objet. Ainsi, nous l’avons dit plus haut, la cause de la douleur ou de la tristesse est le mal conjoint. La cause, par manière de principe à l’origine d’un tel mouvement, est l’inclination intérieure de l’appétit. Celui-ci est incliné premièrement vers le bien, et, par voie de conséquence, à répudier le mal contraire. C’est pourquoi le premier principe de ce mouvement de l’appétit est l’amour, qui est la première inclination de l’appétit à poursuivre le bien ; le second principe est la haine, qui est la première inclination de l’appétit à fuir le mal. Mais parce que la convoitise ou cupidité est le premier effet de l’amour, en lequel nous trouvons le plus de plaisir, comme nous l’avons vu plus haut, S. Augustin parle souvent de cupidité ou de convoitise au lieu d’amour, nous l’avons dit aussi. C’est en ce sens qu’il donne la convoitise comme cause universelle de la douleur.

Mais la convoitise elle-même, considérée selon sa raison propre, est parfois cause de douleur. En effet, tout ce qui empêche un mouvement de parvenir à son terme est contraire à ce mouvement. Et ce qui est contraire au mouvement de l’appétit produit de la tristesse. Par voie de conséquence, la convoitise devient cause de tristesse en tant que nous nous attristons du retard du bien désiré ou de sa disparition complète. Mais elle ne peut être la cause universelle de la douleur, car nous souffrons davantage de la perte des biens présents, qui nous donnent déjà du plaisir, que des biens futurs que nous convoitons.

Solutions :

1. L’inclination de l’appétit à obtenir le bien est la cause de l’inclination à fuir le mal, nous venons de le dire. C’est pour cela que les mouvements de l’appétit qui regardent le bien sont donnés comme la cause des mouvements de l’appétit qui regardent le mal.

2. Ce que nous désirons, bien que futur dans la réalité, est cependant présent d’une certaine manière, en tant qu’objet d’espoir. - On peut dire aussi - quoique le bien désiré soit futur, il y a cependant un obstacle présent qui cause la douleur.

3. La convoitise est délectable tant qu’on garde l’espoir d’atteindre ce qu’on désire. Mais lorsqu’un obstacle survient, qui enlève l’espoir, la convoitise cause de la douleur.

 

            Article 3 — Le désir de l’unité est-il cause de douleur ?

Objections :

1. Il semble que non, car d’après le Philosophe “ cette opinion ” - que la plénitude est cause de plaisir, et la séparation cause de tristesse - “ paraît viser les plaisirs et les tristesses qui se rapportent à la nourriture ”. Or tout plaisir et toute tristesse ne sont pas de cette sorte. L’appétit de l’unité n’est donc pas cause universelle de douleur, puisque la plénitude ressortit à l’unité, et la séparation à la multiplicité.

2. Toute séparation s’oppose à l’unité. Donc, si la douleur venait du désir de l’unité, aucune séparation ne serait agréable. Ce qui est manifestement faux quand il s’agit de se séparer de tout ce qu’on a de trop.

3. C’est pour la même raison que nous désirons la conjonction avec le bien et l’éloignement du mal. Or, de même que la conjonction ressortit à l’unité, puisque c’est une sorte d’union, ainsi la séparation est contraire à l’unité. Donc le désir de l’unité ne doit, pas plus que le désir de la séparation, être considéré comme cause de la douleur.

En sens contraire, S. Augustin écrit “ A la douleur qu’éprouvent les bêtes, on reconnaît assez, dans leur manière de conduire et d’animer leur corps, combien les âmes sont avides de l’unité. Qu’est-ce que la douleur, en effet, sinon un certain sens qui ne supporte ni la division ni la destruction ? ”

Réponse :

L’appétit ou l’amour de l’unité doit être considéré comme une cause de douleur de la même manière que le désir ou cupidité du bien. En effet, le bien de toute chose consiste en une certaine unité, selon que chaque chose tient unis en soi les éléments de sa perfection ; c’est ainsi que les platoniciens affirmaient que l’un était principe, comme le bien. Par suite, tout être désire naturellement l’unité comme il désire la bonté. C’est pour cela que l’amour ou l’appétit de l’unité est cause de douleur, comme l’amour ou l’appétit du bien.

Solutions :

1. Ce n’est pas n’importe quelle union qui accomplit la raison de bien, mais seulement celle d’où dépend l’existence parfaite de la chose. C’est pour cela aussi que le désir de n’importe quelle unité n’est pas cause de douleur ou de tristesse, comme certains le pensaient. Dans le texte cité, le Philosophe réfute cette opinion en disant que certaines plénitudes ne donnent pas de plaisir ; ainsi ceux qui sont gavés de nourriture n’ont pas de plaisir à manger. Une telle plénitude ou union s’opposerait à la perfection de l’être plus qu’elle ne la constituerait. Aussi la douleur n’est-elle pas causée par le désir de n’importe quelle unité, mais de celle qui constitue la perfection voulue par la nature.

2. La séparation peut être agréable, ou bien parce qu’elle supprime ce qui est contraire à la perfection de la chose, ou bien parce qu’elle est accompagnée de quelque union, par exemple celle du sensible avec le sens.

3. On désire la séparation d’avec ce qui nuit et détruit en tant que cela supprime l’unité requise. Aussi l’appétit de cette séparation n’est-elle pas la première cause de la douleur ; c’est plutôt le désir de l’unité.

 

            Article 4 — Le pouvoir auquel on ne peut résister est-il cause de douleur ?

Objections :

1. Il semble qu’une puissance supérieure ne doive pas être donnée comme une cause de douleur. Car ce qui appartient à la puissance d’une cause agente n’est pas encore présent, mais futur. Or la douleur porte sur le mal présent. Une puissance supérieure n’est donc pas cause de douleur.

2. La cause de la douleur, c’est le dommage produit. Or un dommage peut être causé aussi par un pouvoir inférieur. On ne doit donc pas dire qu’un pouvoir supérieur est cause de douleur.

3. Les causes des mouvements de l’appétit sont les inclinations intérieures de l’âme. Or la puissance supérieure est quelque chose d’extérieur. Elle n’est donc pas cause de la douleur.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Dans l’âme, ce qui cause la douleur, c’est la volonté qui résiste à un pouvoir supérieur ; dans le corps, c’est le sens qui résiste à un corps plus puissant. ”

Réponse :

Le mal conjoint, avons-nous dit, est cause de douleur ou de tristesse par manière d’objet. Ce qui est cause de la conjonction avec le mal doit donc être considéré comme cause de douleur ou de tristesse. Or, il est manifestement contraire à l’inclination de l’appétit d’être lié à un mal présentement. Mais ce qui est contraire à l’inclination d’un être ne lui arrive jamais que par l’action d’un être plus fort. C’est pourquoi S. Augustin affirme qu’un pouvoir supérieur est cause de douleur.

Il faut savoir pourtant que si le pouvoir plus fort s’accroît tellement qu’il transforme l’inclination contraire en inclination propre, il n’y aura plus opposition ou violence ; c’est ce qui arrive quand un agent plus fort, par la désagrégation d’un corps lourd, lui enlève l’inclination qui le faisait tendre vers le bas. Alors, d’être porté vers le haut ne lui est plus violent, mais naturel. Ainsi donc, si un pouvoir supérieur s’accroît à ce point qu’il supprime l’inclination de la volonté ou de l’appétit sensible, il n’est pas source de douleur ou de tristesse ; cela n’arrive que lorsque persiste l’inclination contraire de l’appétit. C’est ce qui fait dire à S. Augustin que la volonté “ qui résiste à un pouvoir supérieur est cause de douleur ”. En effet, si elle ne résistait pas, mais cédait en consentant, il n’y aurait pas douleur mais plaisir.

Solutions :

1. Un pouvoir supérieur est cause de douleur, non pas en tant qu’il est actif en puissance, mais en tant qu’il est actif en acte, c’est-à-dire quand il opère effectivement la conjonction avec le mal destructeur.

2. Rien n’empêche un pouvoir qui n’est pas supérieur purement et simplement de l’être sous un certain rapport. Et comme tel, il peut nuire. Mais s’il n’était supérieur en rien, il ne pourrait nuire d’aucune façon. Aussi ne pourrait-il être cause de douleur.

3. Les agents extérieurs peuvent être cause de l’appétit en tant qu’ils réalisent la présence de l’objet. C’est en ce sens qu’un pouvoir plus grand est cause de douleur.

 

QUESTION 37 — LES EFFETS DE LA DOULEUR OU TRISTESSE

1. La douleur supprime-t-elle la faculté d’apprendre ? - 2. L’accablement de l’esprit est-il un effet de la tristesse ou douleur ? - 3. La tristesse ou douleur affaiblit-elle toute activité ? - 4. La tristesse nuit-elle au corps plus que les autres passions de l’âme ?

 

            Article 1 — La douleur supprime-t-elle la faculté d’apprendre ?

Objections :

1. Il semble que non, puisqu’il est écrit dans Isaïe (26, 9) : “ Lorsque tu rendras tes jugements sur la terre, tous les habitants du monde apprendront la justice. ” Et plus loin (v. 16 Vg) : “ Dans la tribulation qui les faisait murmurer, tu les as instruits. ” Or les jugements de Dieu et la tribulation engendrent douleur ou tristesse dans le cœur des hommes. Donc la douleur ne supprime pas mais plutôt accroît la faculté d’apprendre.

2. Isaïe dit encore (28, 9) “ A qui enseignera-t-il la science ? et à qui fera-t-il comprendre la leçon ? A des enfants à peine sevrés, à peine éloignés de la mamelle ”, c’est-à-dire des plaisirs. Or c’est surtout la douleur et la tristesse qui chassent les plaisirs : la tristesse, en effet, rend impossible tout plaisir, dit Aristote ; et dans l’Ecclésiastique (11, 27) il est écrit que “ une heure de misère fait oublier les plus grandes jouissances ”. La douleur ne supprime donc pas mais donne plutôt la faculté d’apprendre.

3. La tristesse intérieure l’emporte sur la douleur extérieure, nous l’avons vu. Or, l’homme qui est dans la tristesse peut encore apprendre. A plus forte raison le peut-il dans la douleur corporelle.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ J’étais torturé ces derniers jours par un mal de dents très douloureux, et je ne pouvais bien réfléchir sinon à des connaissances antérieures. Mais j’étais absolument incapable d’apprendre du nouveau : il m’aurait fallu pour cela toutes les forces de mon esprit. ”

Réponse :

Parce que toutes les puissances s’enracinent dans la même essence de l’âme, lorsque la vigueur de celle-ci est violemment sollicitée par l’activité d’une puissance, elle se dérobe nécessairement à l’activité d’une autre, car une même âme ne peut avoir qu’un seul objectif. C’est pourquoi, si un seul but concentre sur lui toute la vigueur de l’âme, ou sa plus grande part, il ne tolère pas à côté de lui quelque chose qui demande beaucoup d’attention.

Or, il est évident que la douleur sensible absorbe très fortement le dynamisme de l’âme parce que, par nature, chaque être tend de toutes ses forces à repousser ce qui lui est contraire, comme on le voit dans le monde de la nature. De même, il est évident que pour apprendre quelque chose de nouveau, il faut de l’étude et des efforts avec beaucoup d’application, comme on le voit par ce texte des Proverbes (2, 4) : “ Si tu cherches la Sagesse comme de l’argent, et si tu la creuses comme pour découvrir un trésor, alors tu trouveras la connaissance. ” De sorte que si la douleur est intense, l’homme se trouve dans l’incapacité d’apprendre. Et même, cette douleur peut devenir tellement vive que, pendant sa présence, l’homme ne peut même pas fixer son esprit sur ses acquisitions antérieures. - Toutefois les cas sont différents selon la diversité de l’amour qui porte à apprendre ou à étudier, parce que plus cet amour est grand, plus il empêche le dynamisme de l’esprit de s’abandonner complètement à la douleur.

Solutions :

1. Une tristesse modérée, qui empêche la dispersion de l’esprit, peut aider à accueillir un enseignement, surtout si celui-ci nous fait espérer la délivrance de notre tristesse. C’est de cette manière que, “ dans la tribulation qui fait murmurer ”, les hommes reçoivent mieux l’enseignement de Dieu.

2. Aussi bien le plaisir que la douleur, dans la mesure où ils absorbent le dynamisme de l’âme, empêchent l’exercice de la raison ; ainsi lit-on dans l’Éthique “ Il est impossible de réfléchir à quelque chose dans la jouissance sexuelle. ” Cependant la douleur absorbe davantage le dynamisme de l’âme que ne fait le plaisir. On voit aussi dans le monde de la nature que l’action d’un corps est plus intense à l’égard de son contraire ; l’eau échauffée subit davantage l’action du froid, au point qu’elle se congèle avec plus de force. Donc, si la douleur ou tristesse est modérée, elle peut accidentellement faciliter l’étude, en tant qu’elle supprime l’excès des plaisirs. Mais, de soi, elle entrave l’étude et, si elle s’intensifie, elle l’empêche totalement.

3. La douleur extérieure provient d’une lésion corporelle : aussi est-elle, plus que la douleur intérieure, accompagnée d’une modification organique. Cette douleur intérieure est cependant plus grande au point de vue de l’élément formel de la douleur lequel relève de l’âme. C’est pourquoi la douleur corporelle empêche davantage la contemplation, qui exige le calme parfait. Et pourtant, même la douleur intérieure, quand elle devient intense, absorbe tellement l’attention que l’on ne peut rien apprendre de nouveau. C’est cette tristesse qui obligea S. Grégoire à interrompre ses commentaires sur Ézéchiel.

 

            Article 2 — L’accablement de l’esprit est-il un effet de la tristesse ou douleur ?

Objections :

1. Il ne semble pas que l’accablement de l’esprit soit un effet de la tristesse. Car l’Apôtre écrit (2 Co 7, 11) : “ Voyez ce qu’elle a produit chez vous, cette tristesse selon Dieu. Quel empressement ! Quelles excuses ! Quelle indignation ! ” etc. Mais l’empressement et l’indignation marquent un certain sursaut de l’esprit, qui s’oppose à l’accablement. Celui-ci n’est donc pas un effet de la tristesse.

2. La tristesse s’oppose au plaisir. Or un effet du plaisir est la dilatation, à laquelle s’oppose non pas l’accablement mais la contraction. On ne doit donc pas considérer l’accablement comme un effet de la tristesse.

3. La tristesse absorbe, selon l’Apôtre (2 Co 2,7) “ De peur qu’un tel homme ne soit absorbé par une tristesse excessive. ” Or celui qui est accablé n’est pas absorbé ; il est plutôt écrasé sous son fardeau ; mais ce qui est absorbé est enfermé dans ce qui l’absorbe. Donc l’accablement ne doit pas être donné comme un effet de la tristesse.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse et S. Jean Damascène parlent d’“ une tristesse qui accable ”.

Réponse :

Les effets des passions de l’âme sont parfois désignés métaphoriquement par ressemblance avec les corps sensibles, parce que les mouvements de l’appétit animal sont semblables aux inclinations de l’appétit naturel. C’est ainsi que la ferveur est attribuée à l’amour, la dilatation au plaisir, et l’accablement à la tristesse. On dit en effet qu’un homme est accablé lorsqu’un poids entrave son mouvement propre. Or il est clair, d’après ce que nous avons dit, que la tristesse arrive à cause d’un mal présent. Celui-ci, du fait même qu’il s’oppose au mouvement de la volonté, accable l’esprit en l’empêchant de jouir de ce qu’il veut. Si la violence du mal qui attriste n’est pas assez forte pour enlever tout espoir d’y échapper, bien que l’esprit soit accablé du fait qu’il ne peut jouir présentement de ce qu’il veut, il garde encore cependant la faculté de se mouvoir pour repousser le mal qui l’attriste. Mais si la violence du mal s’accroît au point d’enlever tout espoir d’y échapper, alors, même le mouvement intérieur de l’esprit angoissé est absolument empêché, si bien qu’il n’a plus la force de se détourner d’un côté ou d’un autre. Et parfois c’est jusqu’au mouvement extérieur du corps qui se trouve empêché : l’homme reste alors immobile et frappé de stupeur.

Solutions :

1. Ce sursaut de l’âme est produit par la tristesse selon Dieu, parce qu’une telle tristesse est accompagnée par l’espoir de voir ses péchés pardonnés.

2. Pour ce qui regarde le mouvement de l’appétit, contraction et accablement reviennent au même : du fait que l’esprit est accablé au point de ne pouvoir se porter librement au-dehors, il se retire en lui-même comme s’il se contractait.

3. On dit que la tristesse absorbe l’homme quand la violence du mal affecte l’esprit si totalement qu’elle lui enlève tout espoir de libération. Et ainsi elle accable et absorbe du même coup. Il y a en effet certaines choses qui s’impliquent mutuellement quand on parle par métaphore, alors qu’elles sont incompatibles si on les prend à la lettre.

 

            Article 3 — La tristesse ou douleur affaiblit-elle toute activité ?

Objections :

1. Il semble que la tristesse n’empêche pas toute activité. En effet, l’empressement est un effet de la tristesse, selon le texte de l’Apôtre cité à l’article précédent. Or cet empressement aide à bien agir, comme on le voit par ce texte du même Apôtre (2 Tm 2, 15) : “ Efforce-toi de te présenter à Dieu comme un ouvrier sans reproche. ” La tristesse ne gêne donc pas l’activité, elle aide plutôt à bien agir.

2. La tristesse provoque la convoitise chez beaucoup, dit l’Éthique. Car la convoitise intensifie l’activité. Donc aussi la tristesse.

3. Certaines actions sont propres à ceux qui sont dans la joie ; d’autres, à ceux qui sont dans la tristesse, comme de pleurer. Or toute chose s’accroît de ce qui lui convient. Il est donc des actions que la tristesse ne gêne pas, qu’elle améliore, au contraire.

En sens contraire, le Philosophe dit dans l’Éthique : “ Le plaisir parachève l’action ” et inversement “ la tristesse l’entrave ”.

Réponse :

Nous avons déjà dit que la tristesse n’accable pas toujours l’esprit ni ne l’absorbe au point d’empêcher tout mouvement intérieur ou extérieur ; mais certains mouvements sont quelquefois produits par la tristesse elle-même. L’action peut donc avoir avec la tristesse un double rapport. D’abord, un rapport avec l’objet de la tristesse. Dans ce cas la tristesse entrave toute activité, car jamais nous ne faisons aussi bien ce que nous faisons avec tristesse que ce que nous faisons avec plaisir, ou du moins sans tristesse. La raison en est que la volonté est la cause de l’activité humaine, de sorte que si l’action se porte sur quelque chose d’attristant, il arrive nécessairement qu’elle en est affaiblie.

L’action peut aussi avoir rapport à la tristesse comme à son principe et sa cause. Une telle action ne peut être qu’intensifiée du fait de la tristesse. C’est ainsi que plus une chose nous attriste, plus on s’efforce de repousser cette tristesse, pourvu que l’on garde l’espoir d’y parvenir ; autrement aucun mouvement, aucune action ne sortirait de la tristesse.

Tout cela donne réponse aux objections.

 

            Article 4 — La tristesse nuit-elle au corps plus que les autres passions de l’âme ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la tristesse a une existence spirituelle dans l’âme. Or les réalités purement spirituelles n’amènent pas de modification corporelle, comme on le voit pour l’être intentionnel des couleurs, qui est dans l’air mais ne colore aucun corps. Donc la tristesse ne produit pas de nuisance corporelle.

2. Si la tristesse nuit au corps en quelque manière, c’est seulement en tant qu’elle s’accompagne d’une modification organique. Or cette modification existe pour toutes les passions de l’âme, on l’a dit précédemment . La tristesse ne nuit donc pas au corps plus que les autres passions.

3. Le Philosophe écrit dans l’Éthique que “ la colère et les convoitises rendent fous certains hommes ” : ce qui paraît être la plus grave des nuisances, puisque la raison est ce qu’il y a de plus excellent dans l’homme. Le désespoir aussi semble plus nocif que la tristesse, puisqu’il en est cause. La tristesse ne nuit donc pas au corps plus que les autres passions.

En sens contraire, il est écrit dans les Proverbes (17, 22) : “ Cœur joyeux donne santé florissante ; esprit attristé dessèche les os. ” Et encore (25, 20 Vg) : “ Comme la teigne abîme le vêtement, et le ver ronge le bois, ainsi la tristesse nuit au cœur de l’homme. ” Et enfin dans l’Ecclésiastique (38, 18) : “ La tristesse fait accourir la mort. ”

Réponse :

La tristesse, plus que toutes les autres passions de l’âme, est nuisible au corps. La raison en est que la tristesse est opposée à la vie humaine par la spécificité même de son mouvement, et non seulement au point de vue de sa mesure ou de sa quantité comme font les autres passions de l’âme. La vie humaine en effet consiste dans une certaine motion qui, du cœur, se diffuse dans les autres membres ; cette motion convient à la nature humaine selon une certaine mesure déterminée. Donc, si elle vient à dépasser la mesure voulue, elle s’opposera à la vie humaine selon sa quantité, non selon son caractère spécifique. Mais si le développement de cette motion est empêché, la vie sera contrariée en ce qui la spécifie.

Or il faut remarquer que, dans toutes les passions de l’âme, la modification corporelle, qui est l’élément matériel, est conforme et proportionné au mouvement de l’appétit, qui constitue, lui, l’élément formel ; comme en toutes choses, la matière est proportionnée à la forme. Les passions de l’âme qui impliquent un mouvement de l’appétit vers quelque chose à obtenir ne s’opposent donc pas au mouvement vital selon leur espèce, mais elles peuvent s’opposer selon la quantité ; ainsi l’amour, la joie, le désir, etc. C’est pourquoi ces passions, à considérer leur espèce, profitent à la nature du corps, mais peuvent nuire par leur excès. - Quant aux passions qui impliquent un mouvement de l’appétit dans le sens de la fuite ou d’un certain retrait, elles s’opposent au mouvement vital non seulement selon la quantité, mais aussi selon l’espèce du mouvement, et à ce titre, elles nuisent purement et simplement ; ainsi la crainte et le désespoir, et par-dessus tout la tristesse, qui accable l’âme en raison d’un mal présent, qui impressionne plus fortement que le mal futur.

Solutions :

1. Parce que l’âme meut naturellement le corps, le mouvement spirituel de l’âme cause naturellement la modification corporelle. Il n’en va pas de même des “ intentions ” spirituelles, qui ne sont pas par nature ordonnées à mouvoir d’autres corps, lesquels ne sont pas disposés par nature à être mus par l’âme.

2. Les autres passions comportent une transmutation corporelle conforme, selon le point vue spécifique, au mouvement vital : mais la tristesse comporte une transmutation contraire, nous l’avons dit.

3. L’exercice de la raison est empêché par des causes plus légères que celles qui détruisent la vie, puisque nous voyons que de nombreuses maladies font perdre la raison, mais non la vie. Et pourtant la crainte et la colère nuisent beaucoup au corps à cause de la tristesse qui s’y mêle et qui vient de l’absence de ce qu’on désire. D’ailleurs la tristesse elle-même fait perdre quelquefois la raison, comme on le voit chez ceux qui, sous le coup de la douleur, tombent dans la dépression ou la folie.

 

QUESTION 38 — LES REMÈDES À LA TRISTESSE OU DOULEUR

1. La douleur ou la tristesse est-elle atténuée par n’importe quel plaisir ? - 2. Par les larmes ? - 3. Par la compassion de nos amis ? - 4. Par la contemplation de la vérité ? - 5. Par le sommeil et par les bains ?

 

            Article 1 — La douleur ou tristesse est-elle atténuée par n’importe quel plaisir ?

Objections :

1. Il semble que non, car le plaisir atténue la tristesse uniquement parce qu’il lui est contraire. Car “ les remèdes opèrent par les contraires ”, dit l’Éthique. Or tout plaisir n’est pas contraire à toute tristesse, nous l’avons vu plus haut. Ce n’est donc pas n’importe quel plaisir qui atténue n’importe quelle tristesse.

2. Ce qui cause de la tristesse n’atténue pas la tristesse. Or certains plaisirs causent de la tristesse, selon l’Éthique : “ Le méchant s’attriste d’avoir éprouvé du plaisir. ” Tout plaisir n’atténue donc pas la tristesse.

3. S. Augustin écrit dans ses Confessions qu’il quitta lui-même sa patrie, où il avait eu l’habitude de converser avec son ami maintenant disparu, “ car ses yeux le cherchaient moins, là où il n’avait pas coutume de le voir ”. On peut en déduire ceci : ce qui nous a fait communier avec nos amis nous devient pénible maintenant que nous pleurons leur mort ou leur absence. Or c’est surtout dans le plaisir que nous avons communié avec eux. Les plaisirs eux-mêmes nous sont donc pénibles lorsque nous sommes affligés. Et ainsi ce n’est pas n’importe quel plaisir qui atténue n’importe quelle tristesse.

En sens contraire, le Philosophe dit : “ Le plaisir chasse la tristesse, qu’il lui soit contraire ou sans rapport avec elle, pourvu qu’il soit fort. ”

Réponse :

Comme il ressort de ce que nous avons dit, le plaisir est un certain repos de l’appétit dans le bien qui lui convient ; la tristesse, au contraire, a pour cause ce qui est contraire à l’appétit. Ainsi le plaisir est-il à la tristesse, dans les mouvements de l’appétit, ce que le repos est à la fatigue dans les mouvements corporels, fatigue qui provient de que que transmutation non naturelle ; car la tristesse elle-même implique une certaine fatigue ou maladie de la faculté appétitive. Donc, de même que n’importe quel repos du corps porte remède à n’importe quelle fatigue, provenant de n’importe quelle cause non naturelle, ainsi tout plaisir est un remède qui atténue toute tristesse, quelle qu’en soit l’origine.

Solutions :

1. Bien que tout plaisir ne soit pas contraire à toute tristesse au point de vue spécifique, il l’est cependant au point de vue du genre, nous l’avons dit. Et c’est pourquoi, à considérer les dispositions du sujet, toute tristesse peut être atténuée par n’importe quel plaisir.

2. Les plaisirs des méchants ne leur causent pas de tristesse sur le moment, mais plus tard, en ce sens qu’ils se repentent des maux qui leur ont donné de la joie. Et c’est à cette tristesse que l’on remédie par des plaisirs contraires.

3. Lorsque deux causes inclinent à des mouvement contraires, toutes deux s’empêchent mutuellement ; et pourtant celle qui finit par vaincre est la plus forte et la plus tenace. Or, chez celui qui s’attriste de ce qui lui donnait du plaisir avec son ami, maintenant mort ou absent, il y a deux causes qui poussent en sens contraire. Car la pensée de la mort ou de l’absence incline à la douleur ; au contraire, le bien présent incline au plaisir. Ainsi chacune de ces causes est freinée par l’autre. Néanmoins, parce que le sentiment du présent est plus fort que le souvenir du passé, et l’amour de soi demeure plus longtemps que l’amour d’autrui, finalement c’est le plaisir qui chasse la tristesse. C’est pourquoi S. Augustin ajoute peu après que “ sa douleur cédait devant les mêmes plaisirs qu’autrefois ”.

 

            Article 2 — La douleur ou tristesse est-elle atténuée par les larmes ?

Objections :

1. Non, sans doute, car nul effet ne diminue sa cause ; or les larmes ou les gémissements sont l’effet de la tristesse.

2. Les larmes ou les gémissements sont l’effet de la tristesse, comme le rire est l’effet de la joie. Mais le rire ne diminue pas la joie. Donc les lamines n’atténuent pas la tristesse.

3. Quand on pleure, on se représente le mal qui nous attriste. Mais cette image augmente la tristesse, comme celle d’une chose délectable augmente la joie. Il semble donc que pleurer n’atténue pas la tristesse.

En sens contraire, S. Augustin écrit dans ses Confessions que, lorsqu’il se désolait de la mort de son ami, “ il ne trouvait un peu de repos que dans les gémissements et les larmes ”.

Réponse :

Les larmes et les gémissements atténuent naturellement la tristesse. Et cela pour une double raison. - 1° Parce que tout ce qui nuit, si on le garde pour soi, est plus affligeant parce que l’attention de l’âme s’y concentre davantage ; au contraire, lorsqu’on l’extériorise, l’attention de l’âme se trouve en quelque sorte dispersée au-dehors et la douleur intérieure en est diminuée. C’est pourquoi, lorsque des hommes plongés dans la tristesse la manifestent par des pleurs, des gémissements ou même des paroles, cette tristesse en est atténuée. 2° Parce que l’activité qui convient à l’homme selon sa disposition du moment est toujours agréables. Or les larmes et les gémissements sont des actions qui conviennent bien à celui qui est dans la tristesse ou la douleur. Et c’est pourquoi ils lui donnent du plaisir. Donc, puisque tout plaisir atténue quelque peu la tristesse ou douleur, comme on vient de le voir, il s’ensuit que les pleurs et les gémissements atténuent la tristesse.

Solutions :

1. Le rapport même de la cause avec son effet est contraire au rapport de ce qui contraste avec le contrasté. Car tout effet est en harmonie avec sa cause et lui est par suite agréable ; mais ce qui contraste est contraire au contrasté. Et c’est pourquoi l’effet de la tristesse se trouve avec le contristé dans un rapport contraire à celui que soutient ce dernier avec l’objet contrastant. Ce qui fait que la tristesse est adoucie par l’effet de la tristesse, en raison de l’opposition de contrariété que nous avons dite.

2. Le rapport d’effet à cause est semblabe au rapport d’un bien délectable avec celui qui s’en délecte ; de part et d’autre, il y a convenance et harmonie. Or tout semblable accroît ce qui lui est semblable. C’est pourquoi le rire et les autres effets de la joie augmentent celle-ci, sauf par accident, lorsqu’il y a excès.

3. La représentation de ce qui attriste est de nature, par elle-même, à accroître la tristesse ; mais du fait même que l’homme se représente qu’il fait ce qui convient à son état, il en résulte pour lui un certain plaisir. Pour la même raison, s’il échappe à quelqu’un de rire quand il lui semble qu’il devrait pleurer, il en est peiné, comme s’il.faisait une chose inconvenante, remarque Cicéron.

 

            Article 3 — La douleur ou tristesse est-elle atténuée par la compassion des amis ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la douleur d’un ami compatissant adoucisse la tristesse. En effet, les contraires ont des effets contraires. Or dit S. Augustin : “ Quand on se réjouit ensemble, la joie de chacun en est augmentée ; car on y excite son ardeur et on s’enflamme mutuellement ”. Donc, au même titre, lorsque plusieurs s’attristent ensemble, il semble que la tristesse de chacun s’accroît.

2. Comme le dit S. Augustin dans le même ouvrage, l’amitié exige la réciprocité. Or l’ami qui compatit souffre de la tristesse de son ami. Donc cette tristesse même de l’ami compatissant est cause d’une nouvelle tristesse pour celui qui s’affligeait déjà de son propre mal. Ainsi, la douleur étant doublée, il semble que la tristesse augmente.

3. Tout mal d’un ami contraste comme un mal personnel, car “ un ami est un autre soi-même ”. Or la douleur est un mal. Par suite, la douleur d’un ami compatissant augmente la tristesse de l’ami à qui l’on compatit.

En sens contraire, le Philosophe écrit dans l’Éthique : “ Un ami compatissant consolation dans la tristesse. ”

Réponse :

Il est naturel qu’un ami compatissant à notre tristesse nous soit une consolation. Le Philosophe, dans l’Éthique, en signal deux raisons. La première est que la tristesse ayant pour effet d’accabler, est une sorte de poids dont celui qui le supporte essaie de s’alléger. Donc, lorsqu’on voit d’autres personnes attristées de notre tristesse, on imagine qu’elles portent avec nous notre fardeau et tâchent pour ainsi dire de l’alléger, et le poids de la tristesse en est diminué ; c’est ce qui arrive aussi pour les fardeaux corporels. - La seconde raison est meilleure : du fait que des amis s’attristent avec nous, nous prenons conscience d’être aimé d’eux ; et cela, nous l’avons dit, est agréable. Donc, puisque tout plaisir adoucit la tristesse comme nous l’avons vu, il s’ensuit que la compassion d’un ami l’adoucit également.

Solutions :

1. Il y a manifestation d’amitié les deux cas : quand on se réjouit avec celui qui est dans la joie, et quand on compatit à celui qui est triste. C’est pourquoi ces deux choses sont agréables, en raison de leur cause.

2. La peine de l’ami envisagée en elle-même contristerait, mais la pensée de ce qui la cause, et qui est l’amour, donne beaucoup de plaisir.

3. Cela répond à la troisième objection.

 

            Article 4 — La douleur ou tristesse est-elle atténuée par la contemplation de la vérité ?

Objections :

1. Il semble que non, car on lit dans l’Ecclésiastique (1, 18) : “ Qui augmente sa science, ajoute à sa douleur. ” Or la science se rattache à la contemplation de la vérité. Donc celle-ci n’adoucit pas la douleur.

2. La contemplation de la vérité ressortit à l’intelligence spéculative. Or “ l’intellect spéculatif ne meut pas ”, comme il est dit dans le traité De l’Ame. Puisque la joie et la douleur sont des mouvements de l’âme, il semble que la contemplation de la vérité ne peut rien pour adoucir la douleur.

3. Il faut appliquer le remède là où se trouve le mal. Or la contemplation de la vérité est dans l’intelligence. Donc elle n’adoucit pas la douleur corporelle, qui se trouve dans le sens.

En sens contraire, S. Augustin écrit dans les Soliloques : “ Il me semblait que si cette lumière fulgurante de la vérité s’était manifestée à nos esprits, je n’aurais plus senti ma douleur, ou en tout cas que je l’aurais supportée comme rien. ”

Réponse :

Dans la contemplation de la vérité on trouve le plus grand plaisir, nous l’avons dit. Or tout plaisir, nous l’avons vu aussi, atténue la douleur. C’est pourquoi la contemplation de la vérité adoucit la tristesse ou la douleur, et d’autant plus que l’on aime davantage la sagesse. Aussi la contemplation des choses de Dieu et de la béatitude à venir est-elle cause de joie dans les tribulations, selon S. Jacques (1, 2) : “ Ne voyez qu’un sujet de joie, mes frères, dans les épreuves de toute sorte qui tombent sur vous. ” Et, ce qui est plus fort, on trouve cette joie même dans les supplices ; c’est ainsi que le “ martyr Tiburce, comme il marchait pieds nus sur des charbons ardents, disait : "Il me semble que je marche sur des roses, au nom de Jésus Christ" ”.

Solutions :

1. “ Celui qui augmente sa science ajoute à sa douleur ”, c’est vrai à cause de la difficulté et des échecs que l’on rencontre dans la recherche de la vérité ou bien parce que la science fait connaître à l’homme beaucoup de choses contraires à sa volonté. Ainsi, du côté des objets de connaissance, la science engendre la douleur, mais du côté de la contemplation de la vérité, elle engendre le plaisir.

2. L’intellect spéculatif ne meut pas l’âme du côté de l’objet de spéculation, mais du côté de la spéculation elle-même, qui est un bien de l’homme, et agréable par nature.

3. Les puissances supérieures de l’âme rejaillissent sur les inférieures. Et c’est ainsi que la joie de contempler, qui se trouve dans la partie supérieure, rejaillit sur la sensibilité pour atténuer aussi la douleur qui l’affecte.

 

            Article 5 — La douleur ou tristesse est-elle adoucie par le sommeil ou les bains ?

Objections :

1. Il semble que non, car la tristesse est dans l’âme : le sommeil et le bain concernent le corps. Donc ils n’ont aucune efficacité pour adoucir la tristesse.

2. Le même effet ne semble pas pouvoir venir de causes contraires. Or ces choses, étant corporelles, s’opposent à la contemplation de la vérité, qui pourtant, nous venons de le dire, adoucit la tristesse. Donc de telles pratiques n’atténuent pas la tristesse.

3. La tristesse et la douleur consistent, du fait qu’elles appartiennent au corps, en un certain ébranlement du cœur. Or de tels remèdes semblent intéresser les sens extérieurs et les membres plutôt que la disposition intérieure du cœur. Donc ils ne peuvent adoucir la tristesse.

En sens contraire, S. Augustin écrit dans ses Confessions : “ J’avais entendu dire que le mot bain venait de ce que celui-ci chassait l’anxiété de l’âme. ” Et plus loin : “ je dormis, et je m’éveillai : je trouvai que ma douleur en était adoucie. ” Il rapporte aussi ces mots d’une hymne ambrosienne : “ Le repos restitue au travail les membres las, allège les esprits fatigués et dissout les angoisses. ”

Réponse :

La tristesse, avons-nous dit, s’oppose de façon spécifique à la motion vitale du corps. Et par suite, ce qui ramène la nature corporelle à l’état naturel normal de cette motion vitale s’oppose à la tristesse et l’atténue. - Du fait aussi que ces sortes de remèdes ramènent la nature à son état normal, ils sont cause de plaisir ; nous avons vu plus haut en effet, que c’est cela même qui cause du plaisir. Aussi ces remèdes corporels adoucissent-ils la tristesse, puisque c’est l’effet du plaisir.

Solutions :

1. La disposition normale du corps, pour autant qu’elle est perçue, est source de plaisir, et, par conséquent, atténue la tristesse.

2. Nous avons dit qu’un plaisir empêche l’autre, et pourtant tout plaisir adoucit la tristesse. Il n’est donc pas illogique que la tristesse soit atténuée du fait de causes qui se gênent entre elles.

3. Toute bonne disposition du corps rejaillit en quelque manière sur le cœur, comme sur le principe et la fin des mouvements corporels, ainsi qu’on le voit dans le livre De la cause du mouvement des animaux.

 

QUESTION 39 — BONTÉ ET MALICE DE LA TRISTESSE OU DOULEUR

1. Toute tristesse est-elle un mal ? - 2. Peut-elle être un bien honnête ? - 3. Peut-elle être un bien utile ? - 4. La douleur corporelle est-elle le souverain mal ?

 

Article 1 — Toute tristesse est-elle un mal ?

Objections :

1. ilsemble bien, car S. Grégoire de Nysse écrit : “ Toute tristesse est un mal par sa nature même. ” Or ce qui est un mal par nature est un mal partout et toujours. Donc toute tristesse est mauvaise.

2. Ce que fuient tous les hommes, même vertueux, est un mal. Or tout le monde fuit la tristesse, même les vertueux, selon cette remarque de l’Éthique : “ Bien que l’homme prudent ne cherche pas le plaisir, il cherche pourtant à éviter la tristesse. ” La tristesse est donc un mal.

3. Le mal corporel est objet et cause de la douleur corporelle ; de même le mal spirituel est-il objet et cause de la tristesse spirituelle. Or toute douleur corporelle est un mal pour le corps. Toute tristesse spirituelle est donc un mal pour l’âme.

En sens contraire, la tristesse du mal s’oppose au plaisir du mal. Or le plaisir du mal est mauvais ; d’où ce blâme des Proverbes (2, 14) : “ Ils trouvent leur joie à faire le mal. ” Donc la tristesse du mal est bonne.

Réponse :

Qu’une chose soit bonne ou mauvaise, cela peut s’entendre de deux manières.

1° D’une manière absolue et par soi-même. En ce sens toute tristesse est un mal : que l’appétit de l’homme soit affligé par la présence d’un mal, cela même a raison de mal, puisque cela empêche le repos de cette faculté dans le bien.

2° Une chose est dite bonne ou mauvaise, telle condition étant supposée. Ainsi la pudeur est un bien, à supposer que l’on ait commis quelque chose de honteux, comme il est dit dans l’Éthique. Ainsi donc, dans la supposition de quelque chose d’attristant ou de douloureux, il est bon que l’on s’attriste d’un mal présent ou que l’on en souffre. Car si on ne le faisait pas, ce serait seulement parce qu’on ne sentirait ou ne jugerait pas que ce mal nous est contraire, et chacun de ces deux manques est manifestement un mal. Il est donc bon que, la présence du mal étant donnée, la tristesse ou douleur s’ensuive. S. Augustin le dit bien dans son Commentaire littéral de la Genèse : “ C’est encore un bien que l’on souffre la perte d’un bien, car si aucun bien ne restait dans la nature, aucune souffrance d’avoir perdu un bien n’entrerait dans le châtiment. ” - Or les discussions en morale portent sur le singulier où s’exercent les actions ; ce qui est bon dans le cas concret où intervient une autre condition doit donc être jugé bon, de même que ce qui est volontaire étant donnée telle circonstance est considéré comme volontaire, ainsi qu’il est dit dans l’Éthique, et que nous l’avons établi antérieurement.

Solutions :

1. S. Grégoire de Nysse parle de la tristesse au point de vue du mal qui afflige, mais non au point de vue de celui qui perçoit le mal, et qui le repousse. C’est aussi au premier point de vue que tous fuient la tristesse en tant qu’ils fuient le mal ; mais ils ne fuient pas la perception du mal et son refus. Il faut en dire autant de la douleur corporelle, car la perception et le refus du mal corporel attestent la bonté de la nature.

2.3. Cela donne la réponse à ces objections.

 

            Article 2 — La tristesse peut-elle être un bien honnête ?

Objections :

1. Il semble que la tristesse n’ait pas raison de bien honnête. Car ce qui conduit aux enfers s’oppose au bien honnête. Or, dit S. Augustin : “ Jacob semble avoir craint d’être accablé d’une tristesse si grande qu’elle le conduirait non au repos des bienheureux mais à l’enfer des pécheurs. ” La tristesse n’a donc pas valeur de bien honnête.

2. Le bien honnête est digne de louange et de mérite. Or la tristesse diminue la valeur de louange et de mérite, selon l’Apôtre (2 Co 9, 7) : “ Que chacun donne comme il l’a décidé dans son cœur, non avec tristesse ou par contrainte. ” 3. Au dire de S. Augustin, “ la tristesse a pour objet ce qui nous arrive sans que nous le voulions ”. Or, ne pas vouloir ce qui se réalise présentement, c’est avoir une volonté opposée au gouvernement divin, dont la providence régit tout ce qui se fait. Donc, puisque la conformité de la volonté humaine à ia volonté divine est requise à la rectitude de notre volonté, nous l’avons vu, il semble que la tristesse soit contraire à rectitude de la volonté. Ainsi n’a-t-elle pas raison de bien honnête.

En sens contraire, tout ce qui mérite la récompense de la vie éternelle a raison de bien honnête. Or la tristesse est de cette sorte, comme on le voit par cette parole (Mt 5, 5) : “ Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. ” La tristesse est donc un bien honnête.

Réponse :

Dans le sens où la tristesse est un bien, elle peut être un bien honnête. Nous avons dit, en effet, que la tristesse est un bien en tant que connaissance et refus du mal. Ces deux choses, dans la douleur corporelle, attestent la bonté de la nature ; c’est à cause d’elle que le sens perçoit et que la nature fuit l’objet qui la blesse, cause de douleur. Quant à la tristesse intérieure, la connaissance du mal s’y trouve quelquefois par un jugement droit de la raison, et son refus par une volonté bien disposée et détestant le mal. Or tout bien honnête procède de ces deux principes : la rectitude de la raison et celle de la volonté. Il est donc manifeste que la tristesse peut avoir raison de bien honnête.

Solutions :

1. Toutes les passions de l’âme doivent être réglées selon la règle de la raison, qui est la racine du bien honnête. Or cette règle est outrepassée par la tristesse excessive dont parle S. Augustin ; c’est pourquoi une telle tristesse n’a plus raison de bien honnête.

2. De même que la tristesse du mal procède d’une volonté et d’une raison droites qui détestent le mal, ainsi la tristesse du bien vient à une raison et d’une volonté perverses qui détestent le bien. C’est pour cela qu’une telle tristesse supprime la louange ou le mérite du bien honnête, par exemple quand on fait l’aumône avec tristesse.

3. Certaines choses arrivent présentement, qui n’ont pas Dieu pour auteur mais qu’il permet, comme les péchés. Aussi une volonté qui déteste le péché, en soi ou chez autrui, n’est-elle pas en désaccord avec la volonté divine. Quant au mal de peine qui nous touche présentement, il est voulu par Dieu. Mais il n’est pas requis, pour que la volonté soit droite, que l’on veuille ce mal en lui-même ; il suffit qu’on ne se dresse pas contre l’ordre de la justice divine comme nous l’avons dit.

 

            Article 3 — La tristesse peut-elle être un bien utile ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car il est écrit dans l’Ecclésiastique (30, 23) : “ La tristesse en a fait mourir beaucoup, et elle n’a pas d’utilité. ” 2. Le choix porte sur ce qui est utile pour une fin. Or la tristesse n’est pas objet de choix. Bien plus, “ il vaut mieux choisir une chose qui ne cause pas de tristesse que la même chose quand elle doit attrister ” comme il est dit dans les Typiques. La tristesse n’est donc pas un bien utile.

3. “ Toute chose est pour son opération ”, dit Aristote ; et encore : “ La tristesse empêche l’opération. ” La tristesse n’a donc pas raison de bien.

En sens contraire, le sage ne cherche que ce qui est utile. Or, dit l’Ecclésiaste (7, 4) : “ Le cœur des sages est dans la maison de la tristesse ; le cœur des insensés dans la maison de la joie. ” C’est donc que la tristesse est utile.

Réponse :

Le mal présent fait surgir un double mouvement dans l’appétit. Le premier oppose l’appétit au mai présent. Et, à ce point de vue, la tristesse n’est d’aucune utilité, car ce qui est présent ne peut pas ne pas être présent.

Un second mouvement s’élève dans l’appétit pour fuir ou pour repousser le mal qui attriste. Et, à ce titre, la tristesse est utile, si elle porte sur ce qu’il faut fuir. En effet, on doit fuir une chose pour deux motifs : d’abord, en raison d’elle-même, parce qu’elle est contraire au bien, comme le péché. Aussi la tristesse du péché est-elle utile pour amener l’homme à fuir le péché, selon ces mots de l’Apôtre (2 Co 7, 9) : “ je me réjouis, non de ce que vous avez été attristés, mais parce que votre tristesse vous a portés à la pénitence. ” D’autre part, on doit fuir quelque chose non parce que c’est mauvais en soi, mais parce que c’est une occasion de mal, parce que l’on s’y attache trop par amour, ou même parce que, à cause de cela, on se précipite dans quelque mal, comme on le voit bien dans le domaine des biens temporels. A ce titre, la tristesse qui porte sur les biens temporels peut être utile. Et, comme dit l’Ecclésiaste (7, 2) : “ Mieux vaut aller à la maison du deuil qu’à la maison du festin, car dans la première on est averti de la fin de tout homme. ” La tristesse est donc utile chaque fois qu’une chose est à fuir, parce qu’elle ajoute un nouveau motif de fuite. En effet, le mal lui-même, en soi, est à fuir ; et tous fuient la tristesse pour elle-même, comme tous désirent le bien et le plaisir dans le bien. De même donc que le plaisir qui vient du bien fait qu’on recherche celui-ci avec plus d’ardeur, ainsi la tristesse qui vient du mal le fait fuir avec plus d’énergie.

Solutions :

1. Ce texte doit s’entendre de la tristesse immodérée, qui absorbe l’esprit. En effet elle immobilise l’esprit et empêche la fuite du mal, comme nous l’avons vu.

2. De même que tout objet de choix attire moins notre choix à cause de la tristesse, ainsi tout objet de fuite excite davantage à le fuir à cause de la tristesse. A ce point de vue la tristesse est utile.

3. La tristesse qui a pour objet une activité empêche cette activité, mais la tristesse qui porte sur la cessation de l’activité fait agir avec plus d’ardeur.

 

            Article 4 — La douleur corporelle est-elle le souverain mal ?

Objections :

1. Il semble que oui, car “ au meilleur s’oppose le pire ”, selon Aristote, et d’autre part, il y a un plaisir qui est le meilleur : celui de la félicité. Il y a donc une tristesse qui est le souverain mal.

2. La béatitude est le souverain bien de l’homme, car elle est sa fin ultime. Or la béatitude consiste en ce que l’homme “ a tout ce qu’il veut et ne veut rien de mal ”, on l’a dit précédemment. Le souverain bien de l’homme est donc l’accomplissement de sa volonté. Mais la tristesse consiste en ce qu’il arrive quelque chose de contraire à la volonté, dit S. Augustin. La tristesse est donc le mal souverain de l’homme.

3. S. Augustin apporte cet argument dans les Soliloques : “ Nous sommes composés de deux parties, d’une âme et d’un corps, et la partie la moins noble est le corps. Le souverain bien est ce qu’il y a de meilleur dans la meilleure partie ; le souverain mal, ce qu’il y a de pire dans la partie la moins noble. Or ce qu’il y a de meilleur dans l’esprit, c’est la sagesse ; dans le corps, ce qu’il y a de pire, c’est la douleur. Le bien suprême de l’homme est donc d’aimer la sagesse ; le mal suprême, de souffrir. ”

En sens contraire, la coulpe est un mal plus grand que la peine, comme nous l’avons vu dans la première Partie. Or la tristesse ou douleur relève de la peine du péché, comme jouir de ce qui passe est le mal de coulpe. S. Augustin dit en effet : “ Qu’est-ce que la douleur, celle qu’on attribue à l’esprit, sinon le manque des choses changeantes dont on jouissait ou dont on espérait pouvoir jouir ? Et c’est là tout ce qu’on appelle mal : le péché et la peine du péché. ” Donc, la tristesse ou douleur n’est pas le souverain mal de l’homme.

Réponse :

Il est impossible qu’une tristesse ou douleur quelconque soit le souverain mal de l’homme. En effet, toute tristesse ou douleur a pour objet un vrai mal, ou quelque mal apparent, qui est un vrai bien. Or la tristesse qui porte sur un vrai mal ne peut être le souverain mal, car il y a quelque chose de pire, à savoir ne pas estimer mauvais ce qui l’est vraiment, ou encore ne pas le repousser. Quant à la tristesse ou douleur qui porte sur un mal apparent, lequel est un vrai bien, elle ne peut être le souverain mal, car il serait pire d’être complètement éloigné du vrai bien. Il est donc impossible qu’une tristesse ou douleur soit le souverain mal de l’homme.

Solutions :

1. Deux biens sont communs au plaisir et à la tristesse : un jugement vrai du bien et du mal, et le bon ordre de la volonté, qui approuve le bien et repousse le mal. On voit ainsi que dans la douleur ou la tristesse se trouve un bien dont la privation pourrait produire un plus grand mal. Mais il n’y a pas toujours dans le plaisir un mal dont l’éloignement entraînerait quelque chose de meilleur. Aussi un certain plaisir peut-il être le souverain bien de l’homme, au sens que nous avons précisé plus haut ; mais la tristesse ne peut être le souverain mal de l’homme.

2. Que la volonté repousse le mal, cela même est un certain bien. Et c’est pourquoi la tristesse ou douleur ne peut être le souverain mal, car elle est mêlée de bien.

3. Ce qui nuit au meilleur est pire que ce qui nuit au moins bon. Or le mal est précisément “ ce qui nuit ”, dit S. Augustin. Par suite le mal de l’âme est un plus grand mal que le mal du corps. L’argument avancé par S. Augustin n’est pas valable ; et il ne le donne pas comme exprimant son sentiment, mais celui d’un autre.

LES PASSIONS DE L’IRASCIBLE

Nous arrivons logiquement aux passions de l’irascible. Nous étudierons d’abord l’espoir et le désespoir (Q. 40) ; puis, la crainte et l’audace (Q. 41-45) ; enfin la colère (Q. 46-48).

 

QUESTION 40 — L’ESPOIR ET LE DÉSESPOIR

1. L’espoir est-il la même chose que le désir ou avidité ? - 2. Est-il dans la faculté de la connaissance ou dans celle de l’appétit ? - 3. Existe-t-il chez les bêtes ? - 4. A-t-il pour contraire le désespoir ? - 5. L’expérience est-elle une cause d’espoir ? - 6. Abonde-t-il chez les jeunes et chez les gens ivres ? - 7. Le rapport entre l’espoir et l’amour. - 8. L’espoir aide-t-il à l’action ?

 

            Article 1 — L’espoir est-il la même chose que le désir ou avidité ?

Objections :

1. Il semble que oui. L’espoir, en effet, compte pour l’une des quatre passions principales. Or S. Augustin, énumérant ces quatre passions, met l’avidité à la place de l’espoir. Donc l’espoir est identique à l’avidité ou désir.

2. Les passions diffèrent selon leur objet. Or l’objet de l’espoir et de l’avidité ou désir est le même, c’est le bien à venir. Donc espoir et désir sont identiques.

3. Si l’on dit que l’espoir ajoute au désir la possibilité d’atteindre le bien à venir, nous répondons que ce qui est accidentel à l’objet ne change pas l’espèce de la passion. Or la qualité de possible est accidentelle par rapport au bien futur, objet du désir et de l’espoir. Donc l’espoir n’est pas une passion différente du désir ou avidité.

En sens contraire, à puissances diverses correspondent des passions d’espèces diverses. Or l’espoir est dans l’irascible ; le désir et l’avidité dans le concupiscible. L’espoir diffère donc spécifiquement du désir ou avidité.

Réponse :

L’espèce de la passion est déterminée par son objet. Or, dans l’objet de l’espoir, nous pouvons considérer quatre conditions. 1° Ce doit être un bien : il n’y a espoir, à proprement parler, que du bien. C’est ce qui distingue l’espoir de la crainte, qui a pour objet le mal. - 2° Il doit être futur, car on n’espère pas ce que l’on possède déjà. En cela l’espoir diffère de la joie, qui a pour objet un bien présent. - 3° Il faut que l’objet de l’espoir soit quelque chose d’ardu, qui ne s’obtienne que difficilement en effet, on n’espère pas une chose de peu d’importance, qu’on peut avoir immédiatement à sa discrétion. Ce caractère distingue l’espoir du désir ou avidité, qui porte de façon absolue sur un bien futur ; c’est pourquoi il ressortit au concupiscible, tandis que l’espoir ressortit à l’irascible. - 4° Cet objet ardu, il faut qu’on puisse l’atteindre : on n’espère pas ce qu’on ne peut absolument pas obtenir. Et par là l’espoir diffère du désespoir.

On voit donc ainsi que l’espoir diffère du désir comme les passions de l’irascible diffèrent de celles du concupiscible. De sorte que l’espoir présuppose le désir, comme toutes les passions de l’irascible présupposent celles du concupiscible, nous l’avons déjà dit.

Solutions :

1. S. Augustin remplace l’espoir par l’avidité pour cette raison que tous deux s’adressent au bien à venir, et que le bien qui n’est pas difficile à atteindre est considéré comme peu de chose ; de sorte que l’avidité paraît tendre surtout vers le bien difficile, vers lequel l’espoir tend aussi.

2. L’objet de l’espoir n’est pas le bien futur recherché de façon absolue, mais quelque chose d’ardu et de difficile à obtenir, on vient de le dire.

3. Ce qui définit l’objet de l’espoir par rapport à l’objet du désir, ce n’est pas seulement qu’il soit possible, mais qu’il comporte une difficulté. Par là l’espoir se rattache à cette autre puissance qu’est l’irascible qui vise un but difficile, comme on l’a vu dans la première Partie. Le possible et l’impossible, cependant, ne sont pas tout à fait une condition accidentelle par rapport à l’objet de la puissance affective. Car l’appétit est principe de mouvement, et rien ne se meut vers un objet sinon sous la raison de possible ; car personne ne se meut vers ce qu’il estime impossible à obtenir. Et pour ce motif, l’espoir diffère du désespoir selon la différence entre le possible et l’impossible.

 

            Article 2 — L’espoir est-il dans la faculté de la connaissance, ou dans celle de l’appétit ?

Objections :

1. Il semble que l’espoir appartienne à la faculté de connaissance, car il paraît être une sorte d’attente. Et l’Apôtre écrit (Rm 8, 25) : “ Espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec constance. ” Or l’attente semble relever de la faculté de connaissance : attendre, en latin ex-spectare, c’est regarder au loin.

2. L’espoir et la confiance sont une seule et même chose, semble-t-il ; aussi bien disons-nous confiants ceux qui espèrent, comme si l’on pouvait employer l’un pour l’autre “ avoir confiance ” et “ espérer ”. Or la confiance, comme la foi, semble relever de la faculté de connaître. Il en est donc de même pour l’espoir.

3. La certitude est une propriété de la faculté de connaissance. Or la certitude est attribuée à l’espoir. Donc il appartient à cette faculté.

En sens contraire, l’espoir a pour objet le bien, nous venons de le dire. Or le bien, en tant que tel, n’est pas objet de la faculté cognitive mais de la faculté appétitive. L’espoir n’appartient donc pas à la faculté cognitive mais à la faculté appétitive.

Réponse :

Puisque l’espoir implique une certaine extension de l’appétit vers le bien, il appartient manifestement à la faculté appétitive, car le mouvement vers la réalité concerne proprement l’appétit. Or l’action de la faculté de connaître s’accomplit non selon le mouvement du connaissant vers les choses, mais plutôt selon que les choses connues sont dans le connaissant. Mais, parce que la faculté de connaître meut l’appétit en lui présentant son objet, des mouvements divers en résultent dans cet appétit selon les divers aspects de l’objet perçu. En effet, le mouvement qui résulte dans l’appétit de l’appréhension du bien est différent de celui qui vient de l’appréhension du mal ; et de même, les mouvements consécutifs à l’appréhension du présent et du futur, de l’absolu et du difficile, du possible et de l’impossible. Ainsi l’espoir est un mouvement de la faculté appétitive consécutif à l’appréhension d’un bien futur difficile, mais qu’il est possible d’atteindre ; c’est l’extension de l’appétit vers cet objet.

Solutions :

1. Puisque l’espoir a pour objet le bien possible, c’est d’une double manière que son mouvement s’élève dans le cœur de l’homme, comme c’est à un double titre qu’une chose lui est possible : en raison de ses propres moyens, et en raison du pouvoir d’un autre. Ce qu’on espère atteindre par ses propres moyens, on ne dit pas qu’on l’attend, mais seulement qu’on l’espère. On attend, à proprement parler, ce qu’on espère du secours d’une force étrangère ; attendre, expectare, c’est comme ex alio spectare, “ regarder vers un autre ” de qui l’on attend, en ce sens que la faculté de connaître, qui intervient la première, ne regarde pas seulement vers le bien à atteindre mais aussi vers celui dont la puissance fonde son espoir, selon la parole de l’Ecclésiastique (51,7) : “ je cherchais du regard un homme secourable. ” Le mouvement d’espoir est donc appelé quelquefois attente, expectative, à cause du regard antécédent de la faculté de connaître.

2. Ce qu’on désire et estime pouvoir atteindre, on croit qu’on l’atteindra ; c’est à cause de cette foi qui, dans la faculté connaissante, précède le mouvement de l’appétit qu’on donne à celui-ci le nom de confiance. Le mouvement de l’appétit a pris le nom de la connaissance qui précède, comme un effet prend le nom de sa cause quand celle-ci est mieux connue ; car la faculté d’appréhension connaît mieux son acte propre que celui de l’appétit.

3. La certitude est attribuée non seulement au mouvement de l’appétit sensible mais aussi à celui de l’appétit naturel ; c’est ainsi qu’on dit d’une pierre qu’elle tend avec certitude vers le bas. Et cela en raison de l’infaillibilité qui lui vient de la connaissance certaine précédant le mouvement de l’appétit sensible, ou même de l’appétit naturel.

 

            Article 3 — L’espoir existe-t-il chez les bêtes ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’espoir porte sur le bien à venir, dit S. Jean Damascène. Or il n’appartient pas aux bêtes de connaître l’avenir, car elles n’ont que la connaissance sensible qui ne s’étend pas à l’avenir.

2. L’objet de l’espoir est le bien qu’il est possible d’atteindre. Or le possible et l’impossible sont des différences du vrai et du faux, “ qui ne peuvent être que dans l’esprit ”, selon Aristote. Les bêtes, n’ayant pas d’esprit ne peuvent donc espérer.

3. S. Augustin écrit : “ Les animaux se meuvent d’après ce qu’ils voient. ” Or l’espoir ne porte pas sur ce qui se voit - “ Car ce qu’on voit, comment l’espérer ? ”, dit S. Paul (Rm 8, 24). Les bêtes n’espèrent donc pas.

En sens contraire, l’espoir est une passion de l’irascible. Or l’irascible existe chez les bêtes ; donc aussi l’espoir.

Réponse :

Les passions intérieures des animaux peuvent se découvrir par leurs mouvements extérieurs. Ce sont eux qui manifestent l’existence de l’espoir chez les bêtes. En effet, si le chien voit un lièvre, ou l’épervier un oiseau, qui sont trop éloignés, ils ne font vers eux aucun mouvement, comme s’ils n’estimaient pas pouvoir les atteindre ; mais si leur proie est à proximité, ils s’élancent, comme dans l’espoir de l’atteindre. Ainsi qu’on l’a dit plus haute, l’appétit sensible des bêtes dépourvues de raison, et, de même, l’appétit naturel des choses insensibles est consécutif à l’appréhension faite par une intelligence, tout comme l’appétit de la nature intellectuelle, que l’on nomme volonté. La différence consiste en ce que la volonté entre en mouvement du fait d’une appréhension intellectuelle qui lui est conjointe, tandis que le mouvement de l’appétit naturel est consécutif à l’appréhension de l’intelligence séparée qui a créé la nature ; il en va de même pour l’appétit sensitif des bêtes, qui agissent aussi par une sorte d’instinct naturel. Aussi voyons-nous dans les actions des bêtes et des autres êtres de la nature un mode d’agir semblable aux œuvres de l’art. C’est de cette manière qu’il y a espoir et désespoir chez les bêtes.

Solutions :

1. Bien que les bêtes ne connaissent pas le futur, cependant leur instinct les pousse vers quelque chose de futur comme si elles le voyaient d’avance. C’est que cet instinct a été mis en elles par l’intelligence divine, qui prévoit l’avenir.

2. L’objet de l’espoir n’est pas le possible en tant qu’il est une différence du vrai ; car c’est ainsi qu’on peut qualifier le rapport d’un prédicat à son sujet. L’objet de l’espoir est le possible considéré par rapport à une puissance. Ce sont deux sens de “ possible ” distingués par Aristote.

3. Bien que ce qui est futur ne tombe pas sous le regard, ce que l’animal voit présentement meut son appétit vers quelque réalité future, à poursuivre ou à éviter.

 

            Article 4 — L’espoir a-t-il pour contraire le désespoir ?

Objections :

1. Il semble que non, car “ il n’y a qu’un contraire pour chaque chose ”, dit Aristote. Or la crainte est déjà contraire à l’espoir.

2. Les contraires semblent se rapporter à la même chose. Or ce n’est pas le cas de l’espoir et du désespoir, car l’espoir regarde le bien, et le désespoir vient d’un mal qui empêche l’acquisition du bien. Ces deux passions ne sont donc pas contraires.

3. Un mouvement a pour contraire un mouvement, tandis que le repos s’oppose au mouvement comme une privation. Or le désespoir semble impliquer plutôt immobilité que mouvement. Il n’est donc pas contraire à l’espoir, qui implique un mouvement d’expansion vers le bien espéré.

En sens contraire, le désespoir est ainsi nommé comme contraire à l’espoir.

Réponse :

Nous avons dit précédemment que, dans les mouvements de mutation, les contraires peuvent se distinguer selon deux points de vue. Dans certains cas, la contrariété des termes vers lesquels on tend fait l’opposition des mouvements ; c’est la seule façon dont les passions du concupiscible peuvent être contraires, comme on le voit pour l’amour et la haine. En d’autres cas, il s’agit d’approche et d’éloignement à l’égard du même terme. Cette dernière sorte de contrariété se vérifie dans les passions de l’irascible, on l’a dit plus haut. Or l’objet de l’espoir, qui est un bien difficile, se présente comme attirant si l’on juge possible de l’atteindre ; l’espoir qui nous porte vers lui implique donc une certaine approche. Mais, dans la mesure où l’on découvre qu’il est impossible de l’obtenir, ce même objet nous repousse en arrière, car “ s’ils butent à quelque chose d’impossible, les hommes abandonnent ”, dit Aristote. Or tel est l’objet du désespoir. Celui-ci implique donc, relativement à son objet, un mouvement d’éloignement. Il est le contraire de l’espoir, comme s’éloigner est le contraire d’approcher.

Solutions :

1. La crainte et l’espoir sont contraires en raison de la contrariété de leurs objets, qui sont le bien et le mal. Cette contrariété existe en effet dans les passions de l’irascible, en tant qu’elles dérivent des passions du concupiscible. Mais le désespoir lui est contraire seulement au point de vue de l’approche et de l’éloignement.

2. Le désespoir ne regarde pas le mal sous la raison de mal ; mais, par accident, il regarde parfois le mal en tant qu’il rend impossible l’obtention du bien. Le désespoir peut aussi venir du seul excès du bien.

3. Le désespoir n’implique pas seulement privation de l’espoir, mais aussi un certain éloignement à l’égard de l’objet désiré, parce qu’on estime impossible de l’atteindre. Le désespoir, comme aussi l’espoir, suppose donc le désir, car ce qui ne tombe pas sous notre désir n’est objet ni d’espoir ni de désespoir. C’est pour cela aussi que l’un et l’autre se rapportent au bien, qui est l’objet du désir.

 

            Article 5 — L’expérience est-elle une cause d’espoir ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’expérience est affaire de connaissance, ce qui fait dire au Philosophe : “ La vertu intellectuelle a besoin d’expérience et de temps. ” Or l’espoir, nous venons de le dire, n’est pas dans la faculté cognitive, mais dans la faculté appétitive. L’expérience n’est donc pas cause d’espoir.

2. Le Philosophe écrit que “ les vieillards ont peine à espérer, à cause de leur expérience ” : ce qui semble indiquer que l’expérience détruit l’espoir. Or une même chose ne peut causer des effets opposés. Donc l’expérience n’est pas cause d’espoir.

3. Le Philosophe dit encore : “ Vouloir se prononcer sur tout, sans exception, est quelquefois un signe de sottise. ” Or, qu’un homme veuille tout essayer semble indiquer un grand espoir ; d’autre part, la sottise vient de l’inexpérience. Il semble donc que l’inexpérience soit cause d’espoir plutôt que l’expérience.

En sens contraire, le Philosophe écrit “ Certains ont bon espoir pour avoir triomphé souvent et de beaucoup de gens ” ; ce qui concerne l’expérience. Donc celle-ci est cause d’espoir.

Réponse :

L’objet de l’espoir, avons-nous dit, est un bien futur, difficile, mais qu’il est possible d’atteindre. Peut donc être cause d’espoir ce qui nous procure certaine possibilité, ou encore ce qui nous donne la persuasion de pouvoir aboutir. De la première manière, est cause d’espoir tout ce qui accroît la puissance de l’homme - richesse, force, et autres moyens, parmi lesquels l’expérience. Car l’homme expérimenté est capable de faire les choses avec aisance, et il en retire de l’espoir. Ce qui fait dire à Végèce : “ Nul ne craint de faire ce qu’il est sûr d’avoir bien appris. ” De la seconde manière, est cause d’espoir tout ce qui fait estimer à quelqu’un qu’une chose lui est possible. Le savoir, et toute espèce de persuasion, peuvent à ce titre causer l’espoir. L’expérience de même, dans la mesure où, par expérience, quelqu’un juge possible pour lui ce qu’auparavant il estimait impossible. Mais de la même manière, l’expérience peut également être cause d’un manque d’espoir, car si l’expérience peut faire estimer possible ce que l’on croyait impossible, il arrive aussi à l’inverse qu’elle fasse juger impossible ce qu’on avait cru d’abord possible. Ainsi donc, l’expérience engendre l’espoir de deux manières et ne l’empêche que d’une seule. On peut donc voir en elle plutôt une cause d’espoir.

Solutions :

1. L’expérience en matière d’action ne cause pas seulement la science mais aussi, du fait de l’accoutumance, elle engendre un certain habitus, qui rend l’opération plus facile. Mais la vertu intellectuelle elle-même contribue à nous faire agir avec aisance, car elle montre la possibilité de certaines choses, et ainsi elle est cause d’espoir.

2. Les vieillards manquent d’espoir du fait de l’expérience, en tant que celle-ci permet d’estimer ce qui est impossible. Aristote ajoute que pour eux “ bien des choses ont tourné au pire ”.

3. La sottise et l’inexpérience peuvent être cause d’espoir comme par accident, c’est-à-dire en éloignant la science qui ferait estimer à juste titre que telle entreprise n’est pas possible. L’inexpérience est alors cause d’espoir, de la manière dont l’expérience est cause du manque d’espoir.

 

            Article 6 — Les jeunes et les gens ivres regorgent-ils d’espoir ?

Objections :

1. Il semble que la jeunesse et l’ébriété ne soient pas cause d’espoir. L’espoir, en effet, implique certitude et constance, ce qui le fait comparer à une ancre (He 6, 19). Or les jeunes et les gens ivres manquent de constance, ils ont l’esprit facilement changeant. La jeunesse et l’ébriété ne sont donc pas cause d’espoir.

2. C’est surtout ce qui augmente la puissance qui est cause d’espoir, comme nous venons de le dire. Or la jeunesse et l’ébriété s’accompagnent de faiblesse.

3. Nous avons dit que l’expérience est cause d’espoir. Or les jeunes n’ont pas d’expérience.

En sens contraire, le Philosophe écrit dans l’Éthique que “ les gens ivres ont bon espoir ”. Et dans la Rhétorique “ Les jeunes ont beaucoup d’espoir. ”

Réponse :

Comme dit le Philosophe, la jeunesse est cause d’espoir pour trois raisons, qui peuvent se rattacher aux trois conditions du bien objet de cette passion : qu’il est futur, difficile et possible, nous l’avons dit. En effet, les jeunes ont beaucoup d’avenir et peu de passé. Et, parce que la mémoire porte sur le passé, tandis que l’espoir regarde l’avenir, ils ont peu de mémoire, mais beaucoup d’espoir. - De plus, les jeunes gens, à cause de leur chaleur naturelle, abondent en esprits vitaux, ce qui donne à leur cœur beaucoup d’ouverture. Or c’est la dilatation du cœur qui fait tendre aux choses difficiles. C’est pourquoi les jeunes sont entreprenants et pleins d’espoir. - De même aussi, ceux qui n’ont pas essuyé de revers ni rencontré d’obstacles dans leurs efforts s’imaginent facilement que telle chose leur est possible. C’est ainsi que les jeunes gens, à défaut de l’expérience des obstacles et de leurs propres lacunes, croient facilement pouvoir réussir et sont donc pleins d’espoir.

Deux de ces causes se vérifient également pour les gens ivres : la chaleur et la multiplication des esprits vitaux produites par le vin ; et aussi l’irréflexion sur les dangers et sur leurs manques personnels. - Cette dernière raison explique de même que tous les sots et ceux qui ne réfléchissent pas ont toutes les audaces et sont remplis d’espoir.

Solutions :

1. Bien que les jeunes et les gens ivres ne soient pas constants en réalité, ils le sont cependant à leur avis, car ils estiment qu’ils obtiendront certainement ce qu’ils espèrent.

2. De même, s’il est vrai que les jeunes et les gens ivres sont faibles, ils n’en sont pas moins persuadés de leur pouvoir, car ils ignorent leurs déficiences.

3. Ce n’est pas seulement l’expérience mais aussi l’inexpérience qui est cause d’espoir d’une certaine manière, nous l’avons dit.

 

            Article 7 — Le rapport entre l’espoir et l’amour

Objections :

1. Il semble que l’espoir ne soit pas cause d’amour, car, selon S. Augustin, la première des affections de l’âme est l’amour. Or l’espoir est une certaine affection de l’âme. Il est donc précédé par l’amour, et n’en est pas la cause.

2. Le désir précède l’espoir. Or le désir, a-t-on dit, vient de l’amour. L’espoir est donc aussi postérieur à l’amour et ne le cause pas.

3. On dit plus haut que l’espoir cause du plaisir. Or le plaisir n’a pour objet que ce qui est aimé. L’amour précède donc l’espoir.

En sens contraire, sur ce texte (Mt 1,2) : “ Abraham engendra Isaac ; Isaac engendra Jacob ”, la Glose explique : “ C’est-à-dire que la foi engendre l’espérance, et l’espérance la charité. ” Or la charité est l’amour, qui est donc causé par l’espoir.

Réponse :

L’espoir peut regarder deux choses. Son objet tout d’abord : le bien qu’on espère. Mais parce que ce bien espéré est difficile et accessible, il arrive parfois qu’il soit accessible non par nous mais par d’autres. C’est pourquoi l’espoir regarde en outre le moyen qui nous donne cette possibilité.

En tant que l’espoir regarde le bien espéré, l’espoir est donc causé par l’amour ; car on n’espère que le bien qu’on désire et qu’on aime. Mais dans la mesure où l’espoir regarde celui qui nous rend une chose accessible, c’est l’amour qui est causé par l’espoir, et non inversement. Car du fait que nous espérons pouvoir obtenir des biens par un intermédiaire, nous sommes portés vers lui comme vers notre bien, et nous nous mettons à l’aimer. Mais du simple fait que nous aimons quelqu’un, nous n’espérons pas en lui, sinon par accident, dans la mesure pù nous croyons à la réciprocité de son amour. Etre aimé de quelqu’un nous fait donc espérer en lui ; mais c’est l’espoir que nous mettons en lui qui nous conduit à l’aimer.

Voilà ce qui répond aux objections.

 

            Article 8 — L’espoir aide-t-il à l’action ?

Objections :

1. Il semble que l’espoir n’aide pas à l’action, mais l’empêche. En effet, la sécurité se rattache à l’espoir. Or, la sécurité entraîne la négligence, laquelle empêche l’action.

2. La tristesse, a-t-on dit, gêne l’action. Or l’espoir cause parfois de la tristesse, selon les Proverbes (13,12) : “ L’espoir différé afflige l’âme. ” Donc l’espoir entrave l’action.

3. Le désespoir est contraire à l’espoir, on l’a dit. Or le désespoir, surtout à la guerre, favorise l’action, car il est écrit (2 S 2,26 Vg) : “ Le désespoir est chose dangereuse. ” Donc l’espoir produit un effet contraire, c’est-à-dire empêche l’action.

En sens contraire, “ Celui qui laboure doit le faire dans l’espoir de la récolte ”, dit S. Paul (1 Co 9,10). Il en va de même pour toutes les autres entreprises.

Réponse :

L’espoir, de soi, aide à l’action en l’intensifiant. Et cela à un double titre. D’abord, en raison de son objet, qui est un bien difficile mais accessible. Le sentiment de la difficulté provoque l’attention, et, d’autre part, la persuasion de pouvoir aboutir ne ralentit pas l’effort. De là vient que l’on agit intensément à cause de l’espoir. La seconde raison tient aux effets de l’espoir. Car, nous l’avons déjà dit, il produit le plaisir, qui favorise l’action, on l’a dit. De là vient que l’espoir soutient l’action.

Solutions :

1. L’espoir regarde un bien qu’on voudrait obtenir ; la sécurité concerne un mal à éviter. La sécurité semble plutôt s’opposer à la crainte que se rattacher à l’espoir. Et pourtant, si la sécurité entraîne la négligence, c’est seulement dans la mesure où elle affaiblit le sentiment de la difficulté ; par là l’espoir perd son motif. En effet, les entreprises dans lesquelles l’homme ne craint aucun empêchement ne paraissent plus présenter de difficultés.

2. L’espoir, de soi, cause du plaisir, mais, par accident, il cause de la tristesse, nous l’avons dit.

3. A la guerre le désespoir devient dangereux, à cause de l’espoir qui l’accompagne. En effet, ceux qui désespèrent de s’échapper en sont paralysés dans leur fuite, mais espèrent venger leur mort. Dans cet espoir, ils luttent avec plus d’énergie et se rendent ainsi dangereux pour leurs ennemis.

LA CRAINTE

Nous devons traiter à présent de la crainte, puis de l’audace (Q. 45). Au sujet de la crainte, Nous considérerons : 1. La crainte en elle-même (Q. 41) ; 2. son objet (Q. 42) ; 3. sa cause (Q. 43) ; 4. son effet (Q. 44).

 

QUESTION 41 — LA CRAINTE EN ELLE-MÊME

1. Est-elle une passion de l’âme ? -2. Est-elle une passion spéciale ? -3. Ya-t-il une crainte naturelle ? - 4. Les espèces de la crainte.

 

            Article 1 — La crainte est-elle une passion de l’âme ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Jean Damascène écrit : “ La crainte est une vertu procédant par systole ”, c’est-à-dire par contraction, “ et qui recherche l’essence ”. Or aucune vertu n’est une passion, comme il est prouvé dans l’Éthique. Donc la crainte n’est pas une passion.

2. La passion est un effet produit par la présence d’un agent. Or la crainte ne vise pas le présent mais l’avenir d’après S. Jean Damascène. Elle n’est donc pas une passion.

3. Toute passion de l’âme est un mouvement de l’appétit sensible, consécutif à l’appréhension des sens. Or les sens n’appréhendent pas le futur, mais le présent. Puisque la crainte porte sur le mal futur, il semble qu’elle ne soit pas une passion de l’âme.

En sens contraire, S. Augustin énumère la crainte avec les autres passions de l’âme.

Réponse :

Parmi les mouvements de l’âme, la crainte est, après la tristesse, celui où se reconnaît le mieux ce qui définit la passion. Ce qui caractérise celle-ci, c’est d’abord, on l’a dite , le mouvement d’une puissance passive qui se rattache à son objet comme au principe actif de la motion subie, du fait que la passion est l’effet d’un principe actif. A ce point de vue, même l’activité des sens et de l’intelligence constitue un pâtir. Ensuite le mot “ passion ” désigne de façon plus appropriée le mouvement de la puissance appétitive. Et, de façon plus propre encore, le mouvement de l’appétit lié à un organisme corporel, quand il implique une modification physique. Enfin, le mot a le maximum de propriété quand on entend par passion un mouvement où l’on subit quelque dommage.

Or il est évident que la crainte, étant relative à un mal, relève de la puissance appétitive qui, par soi, regarde le bien et le mal. Or, elle appartient à l’appétit sensible, car elle s’accompagne d’une certaine transformation, cette “ contraction ” dont parle le Damascène. Et elle comporte encore un rapport au mal, en tant que ce mal triomphe plus ou moins d’un bien. De telle sorte que la raison de passion lui convient au sens le plus vrai. Moins cependant que dans le cas de la tristesse, qui concerne le mal présent ; la crainte, elle, porte sur un mal à venir, et cela touche moins.

Solutions :

1. Le mot vertu nomme n’importe quel principe d’action ; et c’est pourquoi, en tant que les mouvements intérieurs de la puissance appétitive sont principes d’actes extérieurs on les appelle des vertus. Ce que nie Aristote, c’est que la passion soit une vertu au sens d’habitus.

2. De même que la passion d’un corps naturel provient de la présence corporelle d’un agent, ainsi la passion de l’âme provient de la puissance psychique d’un agent, sans qu’il soit présent corporellement ou réellement, c’est-à-dire en tant que le mal, qui est futur dans la réalité, est présent dans l’appréhension de l’âme.

3. Les sens n’appréhendent pas le futur mais, du fait qu’il appréhende le présent, l’animal est mû par son instinct à espérer un bien futur ou à craindre un mal à venir.

 

            Article 2 — La crainte est-elle une passion spéciale ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car S. Augustin écrit : “ Celui qui n’est pas abattu par la crainte n’est pas non plus ravagé par l’avidité ; il n’est pas miné par la maladie ”, c’est-à-dire par la tristesse, “ ni agité par une joie vaine et débordante ”. il semble en résulter que si l’on écarte la crainte, toutes les autres passions s’éloignent. La crainte n’est donc pas une passion spéciale mais générale.

2. Le Philosophe dit que “ le désir et la fuite sont dans l’appétit ce que sont dans l’intelligence l’affirmation et la négation ”. Or la négation n’est rien de spécial dans l’intelligence, non plus que l’affirmation, mais un élément commun à beaucoup de choses. Il en est donc de même pour la fuite dans l’appétit. Or la crainte n’est rien d’autre qu’une certaine fuite du mal. Elle n’est donc pas une passion spéciale.

3. Si la crainte était une passion spéciale, elle serait surtout dans l’irascible. Or la crainte est aussi dans le concupiscible. Le Philosophe dit en effet que “ la crainte est une sorte de tristesse ”, et S. Jean Damascène que “ la crainte est une force de désir ”. Or la tristesse et le désir sont dans le concupiscible, comme nous l’avons dit plus haut. La crainte n’est donc pas une passion spéciale, puisqu’elle appartient à diverses puissances.

En sens contraire, la crainte se distingue des autres passions de l’âme, selon S. Jean Damascène.

Réponse :

Les passions de l’âme tirent leur espèce de leurs objets. Une passion spéciale est donc celle qui a un objet spécial. Or la crainte a un objet spécial, comme l’espoir. De même en effet que l’objet de l’espoir est le bien futur difficile, mais qu’il est possible d’atteindre, ainsi l’objet de la crainte est le mal futur, difficile, auquel on ne peut résister. La crainte est donc une passion spéciale de l’âme.

Solutions :

1. Toutes les passions de l’âme découlent d’un même principe . l’amour, dans lequel elles sont connexes. C’est à cause de cette connexion que la disparition de la crainte entraîne celle des autres passions de l’âme, et non pas parce qu’elle serait une passion générale.

2. Tout mouvement de fuite, dans l’appétit n’est pas la crainte, mais celui-là seulement qui a l’objet déterminé que nous venons de dire. Que la fuite soit une notion générale n’empêche pas que la crainte soit une passion spéciale.

3. La crainte n’est d’aucune manière dans le concupiscible ; en effet, elle ne regarde pas le mal de façon absolue, mais ce mai qui est ardu et difficile et auquel on peut difficilement résister. Mais, parce que les passions de l’irascible dérivent des passions du concupiscible et se terminent en elles, comme nous l’avons dit plus haut, on attribue à la crainte ce qui appartient au concupiscible. On dit en effet que la crainte est une tristesse en tant que l’objet de la crainte contrasterait s’il était présent ; c’est pourquoi le Philosophe dit au même endroit que la crainte procède “ de l’imagination d’un mal futur qui détruit ou qui attriste ”. De même, S. Jean Damascène attribue le désir à la crainte parce que, de même que l’espoir naît du désir d’un bien, la crainte provient de la fuite d’un mal, qui suppose elle-même le désir d’un bien, comme on le voit d’après les exposés précédents.

 

            Article 3 — Y a-t-il une crainte naturelle ?

Objections :

1. Il semble que oui, d’après cette parole de S. Jean Damascène : “ Il est une certaine crainte naturelle, l’âme ne voulant pas être séparée du corps. ”

2. La crainte, avons-nous dit, naît de l’amour. Or il existe un certain amour naturel, selon Denys. Il y a donc aussi une certaine crainte naturelle.

3. Nous avons vu précédemment que la crainte s’oppose à l’espoir. Or il y a un certain espoir de la nature, comme on le voit par ce qui est écrit d’Abraham dans l’épître aux Romains (4,18) : “ Contre l’espoir ” de la nature, “ il se confia dans l’espoir ” de la grâce. Il y a donc aussi une certaine crainte naturelle.

En sens contraire, ce qui est naturel se trouve pareillement chez les êtres animés et inanimés. Or la crainte n’existe pas dans les êtres inanimés. La crainte n’est donc pas chose naturelle.

Réponse :

On dit qu’un mouvement est naturel parce que la nature y incline. Cela arrive de deux manières. De la première, tout est accompli par la nature, sans aucune opération d’une faculté de connaissance ; ainsi se porter vers le haut est un mouvement naturel du feu, et croître est un mouvement naturel des animaux et des plantes. - D’une autre manière, on dit naturel le mouvement auquel incline la nature mais qui ne s’accomplit qu’avec le concours de la connaissance ; nous avons dit en effet plus haut u que les mouvements des puissances de connaître et d’aimer se ramènent à la nature comme à leur principe premier. En ce sens, même les actes de la puissance de connaître, comme comprendre, sentir, se souvenir, et aussi les mouvements de l’appétit de l’âme, sont appelés parfois naturels.

C’est dans cette dernière acception que l’on peut parler de crainte naturelle. Elle se distingue de la crainte non naturelle par une différence d’objet. Il y a, en effet, une crainte qui a pour objet, d’après Aristote, “ le mal destructeur ”, que la nature repousse à cause du désir naturel d’exister : cette crainte est appelée naturelle. Mais il y a en outre la crainte du “ mal attristant ”, lequel s’oppose non à la nature mais aux inclinations de l’appétit ; ce n’est pas là une crainte de nature. Nous rejoignons la distinction établie plus haut, de l’amour, de la convoitise et du plaisir qui peuvent être naturels et non naturels.

Mais à prendre le mot “ naturel ” dans son premier sens, il faut savoir que certaines des passions sont appelées quelquefois naturelles, comme l’amour, le désir et l’espoir ; mais pour d’autres, c’est impossible. Et ceci parce que l’amour et la haine, le désir et la fuite impliquent une certaine inclination à poursuivre le bien et à fuir le mal, inclination qui appartient aussi à l’appétit naturel. C’est ainsi qu’il existe un certain amour naturel ; et l’on peut, en un sens, parler aussi de désir et d’espoir même à propos des êtres naturels dépourvus de connaissance. - Mais les autres passions de l’âme impliquent certains mouvements pour lesquels l’inclination naturelle est absolument insuffisante. Soit parce que ces passions ne peuvent se concevoir sans perception des sens ou connaissance, comme on l’a ditx à propos du plaisir et de la douleur. Aussi ne peut-on dire, des êtres dépourvus de connaissance, qu’ils jouissent ou qu’ils souffrent. Soit parce que leur mouvement contrarie l’ordre des inclinations naturelles : par exemple, le désespoir nous détourne d’un bien en cédant à la difficulté, et la crainte refuse de s’insurger contre un mal nuisible, alors que l’inclination naturelle y porterait. C’est pourquoi ces sortes de passions ne sont en aucune manière attribuées aux êtres inanimés.

Cela donne la réponse aux objections.

 

            Article 4 — Les espèces de la crainte

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse accepter la division de la crainte en six espèces, proposée par S. Jean Damascène. Ce sont : “ la paresse, la honte, la pudeur, l’étonnement, la stupeur et l’angoisse ”. Car le Philosophe écrie que “ la crainte a pour objet le mal qui attriste ”. Les espèces de crainte devraient donc répondre aux espèces de tristesse. Or il y a quatre espèces de tristesse, on l’a dit. Il ne doit donc y avoir que quatre espèces de crainte qui leur correspondent.

2. Ce qui relève de notre activité est soumis à notre pouvoir. Or la crainte, a-t-on dit, a pour objet le mal qui dépasse notre pouvoir. On ne doit donc pas classer dans les espèces de la crainte, la paresse, la honte et la pudeur, qui concernent notre action.

3. La crainte a rapport au futur ; or “ la pudeur a pour objet la laideur d’un acte déjà commis ”, dit S. Grégoire de Nysse. Elle n’est donc pas une espèce de la crainte.

4. La crainte ne porte que sur le mal. Or l’étonnement et la stupeur ont pour objet ce qui est grand et inaccoutumé, en bien ou en mal. Donc elles ne sont pas des espèces de la crainte.

5. Les philosophes ont été poussés par l’étonnement à rechercher la vérité, comme il est dit dans la Métaphysique. Or la crainte ne pousse pas à chercher mais plutôt à fuir. L’étonnement n’est donc pas une espèce de crainte.

En sens contraire, les textes de S. Jean Damascène et de S. Grégoire de Nysse font autorité.

Réponse :

La crainte, avons-nous dit, porte sur le mal à venir, surpassant le pouvoir du sujet au point qu’on ne peut lui résister. Or le mal de l’homme, comme son bien, peut être envisagé ou dans ses actes ou dans les choses extérieures. S’il s’agit des actes de l’homme, on peut y craindre un double mal. D’abord, le travail qui pèse à la nature ; il donne lieu à la paresse qui se refuse à agir par crainte d’un travail excessif. - Puis, l’infamie qui porte atteinte à la réputation. Si l’on craint cette infamie dans un acte à commettre, c’est une sorte de honte ; s’il s’agit au contraire, d’un acte déjà commis, c’est la pudeur.

Quant au mal existant dans les choses extérieures, il peut dépasser la résistance de l’homme de trois manières. 1° En raison de sa grandeur : on considère quelque grand mal dont on ne peut envisager l’issue. Il y a alors étonnement.

2° En raison de son caractère insolite : un mal inhabituel s’offre à notre attention, et ainsi il tire sa grandeur de notre appréciation. Il donne lieu à la stupeur produite par une image insolite.

3° En raison de son imprévisibilité, parce qu’on est incapable d’y pourvoir : ainsi craint-on les infortunes que l’avenir nous réserve. Une telle crainte est appelée angoisse.

Solutions :

1. Les espèces de la tristesse dont parle l’objection ne sont pas prises de la diversité de leurs objets, mais en fonction de leurs effets et selon des points de vue particuliers. Aussi n’est-il pas nécessaire que ces espèces de la tristesse correspondent aux espèces de la crainte dont il s’agit ici, et qui sont déterminées par division propre de l’objet même de la crainte.

2. Le sujet est maître de son action pour autant qu’il l’exerce. Mais quelque circonstance de cette action peut sembler dépasser les capacités du sujet et motiver son refus d’agir. C’est à ce point de vue qu’on fait de la paresse, de la honte et de la pudeur des espèces de la crainte.

3. Au sujet d’un acte passé on peut craindre les reproches ou l’opprobre à venir. C’est pour, cela que la pudeur est une espèce de crainte.

4. Ce n’est pas n’importe quel étonnement et n’importe quelle stupeur qui sont des espèces de la crainte, mais l’étonnement relatif à la grandeur dans le mal, et la stupeur au sujet d’un mal insolite. Ou bien on peut répondre que, de même que la paresse fuit le labeur de l’activité extérieure, ainsi l’étonnement et la stupeur fuient la difficulté de considérer quelque chose de grand ou d’insolite, soit en bien soit en mal ; de telle sorte que l’étonnement et la stupeur soient à l’acte de l’esprit ce que la paresse est à l’acte extérieur.

5. Celui qui est dans l’étonnement se refuse au moment même à donner son jugement sur ce qui le frappe, dans la crainte de se tromper, mais il s’enquiert de l’avenir. Au contraire, celui qui est dans la stupeur craint à la fois de juger au moment même et de s’enquérir de l’avenir. C’est pourquoi l’étonnement est le principe de la recherche philosophique, tandis que la stupeur y fait obstacle.

 

QUESTION 42 — L’OBJET DE LA CRAINTE

1. Est-ce le bien qui est l’objet de la crainte, ou le mal ? - 2. Le mal de nature est-il objet de crainte ? - 3. La crainte porte-t-elle sur le mal du péché ? - 4. Peut-on craindre la crainte elle-même ? - 5. Craint-on davantage les maux imprévus ? - 6. Craint-on davantage les maux irrémédiables ?

 

            Article 1 — Est-ce le bien qui est l’objet de la crainte, ou le mal ?

Objections :

1. Il semble que le bien soit l’objet de la crainte, car S. Augustin écrit : “ Nous ne craignons rien si ce n’est, pour ce que nous aimons, de le perdre quand nous le possédons, ou de ne pas l’obtenir quand nous l’espérons. ” Or ce que nous aimons, c’est le bien ; la crainte regarde donc le bien comme son objet propre.

2. “ Le pouvoir est chose redoutable, dit Aristote, et aussi de s’appuyer sur autrui. ” Mais ce sont là des biens. Le bien est donc objet de la crainte.

3. En Dieu, il ne peut exister rien de mal. Or il nous est commandé de craindre Dieu, selon cette parole du Psaume (34,10) : “ Craignez le Seigneur, vous, les saints. ” Donc la crainte aussi porte sur le bien.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit que la crainte a pour objet le mal à venir.

Réponse :

La crainte est un mouvement de l’appétit. Or, selon Aristote, cette puissance comporte un double mouvement : de poursuite et de fuite. C’est le bien que l’on poursuit ; c’est le mal que l’on fuit. Tout mouvement de la puissance appétitive impliquant une poursuite aura donc pour objet un bien ; tout mouvement de fuite aura pour objet un mal. Aussi, puisque la crainte implique qu’on fuit quelque chose, c’est le mal que, premièrement et de soi, elle regarde comme son objet propre.

Cependant, elle peut aussi viser le bien, pour autant qu’il a lui-même rapport au mal. Cela peut arriver de deux façons.

Selon la première, le mal nous prive d’un bien. C’est précisément en cette privation que le mal consiste. Fuir le mal, dans sa raison propre de mal, c’est donc le fuir à cause du bien dont il nous prive et que l’amour nous fait rechercher. C’est en ce sens que S. Augustin disait : on n’a qu’un motif de crainte, c’est la perte du bien qu’on aime.

D’une autre façon, on rattache le bien au mal en tant qu’il en est la cause, c’est-à-dire que tel bien peut avoir une influence préjudiciable à ce que nous aimons. Nous avons dit que l’espoir regarde deux objets : le bien à quoi il tend, et l’intermédiaire de qui il espère obtenir l’objet de son désir. De même pour la crainte : elle regarde deux objets : le mal qu’elle fuit, et ce bien qui peut par sa puissance infliger un mal. C’est en ce sens que l’on craint Dieu, pour le châtiment spirituel ou corporel qu’il peut infliger. Ainsi craint-on également les puissants, surtout quand on les a blessés ou qu’ils sont injustes, car ils ont tout pouvoir de nuire. On craint aussi de “ s’appuyer sur autrui ”, c’est-à-dire d’être en son pouvoir parce qu’il peut nous nuire. C’est ainsi que le criminel craint qu’on ne révèle son crime.

Cela donne la réponse aux objections.

 

            Article 2 — Le mal de nature est-il objet de crainte ?

Objections :

1. Il semble que non car, selon le Philosophe “ la crainte conduit à délibérer ”. Or, dit-il lui-même, nous ne délibérons pas sur les événements naturels. La crainte ne porte donc pas sur le mal de nature.

2. L’homme est constamment sous la menace es maux naturels comme la mort. Donc, si de tels maux étaient objet de crainte, il faudrait que l’on soit toujours sous le coup de la crainte.

3. La nature ne se contredit pas. Or certains maux viennent d’elle. Donc la crainte qu’ils nous inspirent ne peut être le fait de la nature. Une crainte naturelle ne peut donc correspondre, malgré les apparences, à un mal naturel.

En sens contraire, le Philosophe écrit que “ la mort est le plus terrible de tous les maux ” ; et la mort est un mal de nature.

Réponse :

La crainte, au dire d’Aristote, provient de “ la représentation d’un mal futur, destructif ou affligeant ”. Affligeant quand il contrarie la volonté ; destructif quand il contrarie la nature ; tel est le mal de nature, qui peut donc être objet de crainte.

Mais il faut remarquer ceci : le mal de nature (ou physique) provient parfois d’une cause naturelle. Il mérite alors doublement ce nom, car non seulement il s’attaque à la nature, mais il est un effet de la nature ; ainsi la mort naturelle, et autres maux semblables. Il arrive aussi que le mal physique soit produit par une cause non naturelle : telle la mort violente infligée par un persécuteur. Dans l’un et l’autre cas, le mal physique ou naturel est objet de crainte à un certain point de vue, et ne l’est pas à un autre. La crainte provient, nous dit Aristote, de la “ représentation d’un mal futur ”. Tout ce qui écarte cette représentation d’un malheur à venir, éloigne du même coup la crainte. Or nous pouvons croire qu’un mal n’est pas futur pour deux motifs. Ou bien c’est un mal éloigné et à longue échéance ; à cause de cet éloignement, on ne se représente pas qu’il doive arriver. On ne le craint guère ou pas du tout. “ Ce qui est très éloigné, dit le Philosophe, n’inspire pas la crainte ; tous savent qu’ils mourront, mais comme ce n’est pas imminent, on ne s’en inquiète pas. ” Ou encore, ce mal futur nous ne le considérons pas comme tel, parce que sa fatalité nous le fait considérer comme présent. C’est ce que dit encore Aristote : “ Ceux qu’on va décapiter, ce n’est pas de la crainte qu’ils éprouvent ” - ils voient bien qu’il leur faut mourir tout de suite - “ pour éprouver la crainte, il faut qu’il reste un espoir de salut ”.

C’est ainsi que les maux naturels n’engendrent pas de crainte, faute de prendre place dans nos perspectives d’avenir. Mais si ce mal de nature, qui est destructeur, est estimé tout proche, mais avec un espoir d’y échapper, c’est alors que nous le craindrons.

Solutions :

1. Le mal physique n’est pas toujours produit par la nature, nous venons de le dire. Et même quand il en vient, si l’on ne peut l’éviter totalement, on peut du moins le retarder. Dans cet espoir, on peut délibérer sur le moyen de s’y soustraire.

2. Le mal de nature, bien qu’il soit toujours menaçant, ne l’est pourtant pas toujours immédiatement. Ainsi ne le craint-on pas continuellement.

3. La mort et les autres maux naturels sont causés par la nature générale ; pourtant la nature particulière s’y oppose autant q.u’elle peut. C’est l’inclination de la nature particulière qui provoque la douleur et la tristesse relatives à ces maux, quand ils sont présents, et la crainte quand ils sont dans un avenir proche.

 

            Article 3 — La crainte peut-elle avoir pour objet le mal du péché ?

Objections :

1. “ La crainte chaste, dit S. Augustin, fait redouter la séparation d’avec Dieu. ” Mais il n’y a que le péché qui nous sépare de Dieu, selon Isaïe (59, 2) : “ Ce sont vos péchés qui ont creusé un abîme entre vous et votre Dieu. ” La crainte peut donc porter sur le mal du péché.

2. Cicéron écrit : “ Ce que nous craignons en envisageant l’avenir est ce qui, présent, nous attriste. ” Or on peut s’affliger ou s’attrister de ce mal qu’est le péché. On peut donc craindre également le mal du péché.

3. L’espoir s’oppose à la crainte. Or l’espoir peut porter sur le bien de la vertu, d’après Aristote, et d’après S. Paul, qui écrit (Ga 5,10) : “ J’ai cette confiance en vous dans le Seigneur, que vous ne penserez pas autrement. ” Donc la crainte peut avoir pour objet le mal du péché.

4. La pudeur est une espèce de la crainte, nous l’avons dit récemment. Or elle concerne un fait honteux qui est ce mal du péché. Donc la crainte également.

En sens contraire, d’après Aristote, “ tous les maux ne sont pas à craindre : ainsi on ne craint pas d’être injuste ou lent d’esprit ”.

Réponse :

De même, avons-nous dit que l’objet de l’espoir est le bien futur et difficile auquel il est possible d’atteindre, de même l’objet de la crainte est le mal dont on prévoit qu’il ne sera pas facile de l’éviter. Concluons-en que ce qui est totalement en notre pouvoir et ne dépend que de notre volonté n’a pas de quoi nous effrayer. Cela seul peut susciter la crainte qui dépend d’une cause extérieure à nous. Or le mal du péché a pour cause propre la volonté humaine ; il n’est donc pas proprement objet de crainte.

Mais parce que la volonté humaine peut subir une influence extérieure, si celle-ci dispose d’un grand pouvoir pour nous entraîner à mal faire, nous pouvons craindre de pécher, dans la mesure où ce mal est le fait d’une cause extérieure ; par exemple on craint de demeurer dans la compagnie des méchants, de peur qu’ils ne nous induisent à pécher. Mais à proprement parler, ce que l’on craint dans cette situation, c’est la force de l’entraînement plus que l’aspect propre du péché car, en tant qu’il est volontaire, celui-ci ne laisse pas de place à la crainte.

Solutions :

1. La séparation d’avec Dieu est une certaine peine consécutive au péché ; et toute peine provient en quelque manière d’une cause extérieure.

2. La tristesse et la crainte se rencontrent en un point : elles ont toutes deux le mal pour objet. Mais elles diffèrent à un double titre. D’abord en ce que la tristesse regarde le mal présent ; la crainte, le mal à venir. Puis, du fait que la tristesse étant dans le concupiscible, elle se rapporte au mal pris absolument, si bien qu’elle peut concerner n’importe quel mal, grand ou petit ; la crainte, au contraire, passion de l’irascible, a pour objet le mal ardu et difficile, difficulté qui disparaît dans la mesure où la chose est au pouvoir de notre volonté. C’est pourquoi nous ne craignons pas tous les maux à venir, dont nous nous affligeons lorsqu’ils sont là, mais certains d’entre eux : ceux qui sont difficiles à éviter.

3. L’espoir a pour objet un bien accessible. On y atteint de soi-même, ou par le secours d’autrui. C’est pourquoi l’espoir peut porter sur un acte de vertu, lequel est en notre pouvoir. Mais la crainte a pour objet un mal qui échappe à notre pouvoir. Aussi le mal que l’on craint suppose-t-il toujours une cause extérieure à nous. Tandis que le bien qu’on espère peut dépendre soit de nous, soit d’une cause extérieure.

4. La pudeur n’est pas une crainte portant sur l’acte même du péché, mais sur la honte ou le mépris qui s’ensuit, et qui a une cause extérieure.

 

            Article 4 — Peut-on craindre la crainte elle-même ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse craindre la crainte. Car, tout ce que l’on craint, on veille par la crainte à ne pas le perdre : ainsi, celui qui craint de perdre la santé la garde grâce à cette crainte. Donc, si l’on craint la crainte, on se gardera d’elle par la crainte. Ce qui est contradictoire.

2. La crainte est une sorte de fuite. Mais rien ne se fuit soi-même. Donc la crainte ne craint pas la crainte.

3. La crainte porte sur le futur. Or celui qui craint est déjà dans la crainte. Il ne peut donc craindre la crainte.

En sens contraire, on peut aimer l’amour, et s’attrister de sa tristesse. Pour la même raison, on peut donc craindre la crainte.

Réponse :

Nous venons de dire à l’article précédent que cela seul a raison d’objet à craindre, qui vient d’une cause extrinsèque, et non ce qui dépend de notre volonté. Or, la crainte pour une part dépend de causes extérieures, et pour une part est soumise à la volonté. Elle dépend d’une cause extérieure en tant qu’elle est une passion consécutive à l’image d’un péril menaçant. Et, à cet égard, on peut craindre d’avoir peur : c’est redouter de ne pouvoir échapper à la crainte, devant l’approche d’un mal considérable. Mais la crainte est soumise à la volonté en tant que l’appétit inférieur obéit à la raison ; on peut donc refouler la crainte. A ce point de vue, S. Augustin a raison de dire que la crainte ne peut se faire craindre. Mais comme on pourrait utiliser ses arguments à montrer que la crainte n’est aucunement à craindre, il faut y répondre.

Solutions :

1. On ne craint pas uniformément toutes chose ; la crainte elle-même se diversifie selon ses objets. Rien n’empêche donc qu’une crainte ne préserve d’une autre et que la précaution qu’elle inspire nous garde d’éprouver cette autre crainte.

2. La crainte d’un mal imminent se distingue de la crainte par laquelle on craint cette crainte. Il ne s’ensuit pas qu’un être se fuie soi-même ou qu’il s’identifie à la fuite de soi-même.

3. Selon cette distinction entre diverses craintes, on peut craindre présentement une crainte future.

 

            Article 5 — Craint-on davantage les maux imprévus ?

Objections :

1. L’extraordinaire et l’imprévu n’ont rien, semble-t-il, qui doive nous effrayer particulièrement. Car la crainte est au mal ce que l’espoir est au bien. Or l’expérience accroît l’espoir du bien. Donc elle agit aussi pour accroître la crainte du mal.

2. D’après Aristote, ce que l’on craint davantage, “ ce ne sont pas les colères violentes, mais la douceur et la fourberie ”. Or il est évident que les coléreux ont davantage d’emportements imprévus. Donc ce qui est soudain est moins redoutable.

3. Ce qui arrive subitement permet moins de réflexion. Or certaines choses sont d’autant plus redoutables qu’on y réfléchit davantage. Ce qui fait dire au Philosophe : “ Certains paraissent courageux à cause de leur ignorance ; quand ils constatent l’inexactitude de leurs conjectures, ils prennent la fuite. ” On craint donc moins ce qui arrive soudainement.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ La crainte redoute les assauts insolites et soudains contre les êtres qu’elle aime et dont elle veut protéger la sécurité. ”

Réponse :

L’objet de la crainte, nous l’avons déjà dit, est un mal dont la menace ne peut être écartée facilement. Cela pour deux raisons : l’ampleur du péril, et la faiblesse de celui qui le craint. A cette double difficulté contribue le caractère insolite et soudain de l’événement.

D’abord il donne au mal menaçant une apparence plus considérable. Car plus on réfléchit, plus on tient pour peu de choses les biens et les maux corporels. S’il est vrai que, le mal une fois présent, sa durée adoucit la douleur, comme le montre Cicéron, la crainte du mal à venir diminue quand on a le loisir d’y penser à l’avance. Ensuite l’insolite et l’imprévu augmentent la faiblesse chez celui qui craint, en tant qu’ils lui retirent l’usage des remèdes qu’on peut préparer pour repousser un mal futur ; car ceux-ci sont impuissants quand le mal surgit à l’improviste.

Solutions :

1. L’objet de l’espoir est le bien que l’on peut atteindre. Donc, tout ce qui augmente le pouvoir de l’homme est de nature à augmenter l’espoir et, pour la même raison, à diminuer la crainte, puisque la crainte a pour objet le mal auquel on peut difficilement résister. Par suite, l’expérience diminue la crainte, comme elle augmente l’espoir, parce qu’elle rend l’homme plus capable d’agir.

2. Ceux dont la colère est violente ne la cachent pas, et c’est pourquoi les dommages qu’ils peuvent causer ne sont pas tellement soudains qu’on ne puisse les prévoir. Mais les hommes doux et fourbes dissimulent leur colère ; le mal qu’ils s’apprêtent à faire ne peut être prévu et arrive à l’improviste. C’est pour cela, dit le Philosophe, qu’on les craint davantage.

3. A prendre les choses en soi, biens et maux corporels paraissent plus importants au début. La raison en est dans ce fait que les apparences se trouvent toujours rehaussées par la juxtaposition de leur contraire. Passe-t-on sans gradation de la pauvreté à la richesse, le contraste donne plus de prix à ce nouvel état. A l’opposé, le riche soudainement ruiné trouve la pauvreté plus horrible. C’est pourquoi la soudaineté du malheur accroît la crainte qu’il suscite ; l’impression de mal est plus forte. Mais il peut arriver qu’on ne voie pas du premier coup toute l’ampleur d’un mal ; par exemple quand l’ennemi s’embusque traîtreusement. Il est vrai alors qu’une vue plus exacte des choses fait paraître le mal plus redoutable.

 

            Article 6 — Craint-on davantage les maux irrémédiables ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne le faut pas. En effet, pour qu’il y ait crainte, il faut que subsiste quelque espoir de salut, nous l’avons dit à l’article 2. Donc de tels maux n’inspirent aucune crainte.

2. Au mal de la mort, il n’y a pas de remède ; les forces naturelles ne peuvent ramener de la mort à la vie. Et pourtant la mort n’est pas ce que l’on craint le plus, au dire d’Aristote. L’irrémédiable n’est donc pas redouté davantage que le reste.

3. Selon Aristote, “ un bien qui se prolonge n’est pas davantage un bien que le bien d’un seul jour ; le bien n’est pas plus le bien, qu’il dure toujours ou non ”. Cela vaut aussi pour le mal. Or les maux sans remède ne semblent différer des autres que par la durée ou la perpétuité. Ils n’en sont donc pas pires, ou plus à craindre.

En sens contraire : “ Ce qu’il y a de plus redoutable dans ce qui suscite la crainte, dit Aristote, ce sont les fautes irréparables, les situations pour lesquelles on ne trouve pas de secours, ou difficilement. ”

Réponse :

L’objet de la crainte, c’est le mal. Tout ce qui contribue à le rendre pire accroît la crainte. Or le mal peut être rendu plus grand , non seulement en ce qui le spécifie comme tel , mais du fait des circonstances, comme on l’a dit précédemment. Entre toutes, la durée, ou encore la perpétuité sont celles qui paraissent davantage aggraver le mal. Ce qui est dans le temps se mesure en effet, à certains égards, par sa durée ; si c’est un mal de souffrir une chose pendant un temps donné, l’endurer deux fois plus longtemps nous paraît double mal. Subir indéfiniment le même mal, ou subir une douleur perpétuelle, c’est, pour la même raison, ne plus voir de limites à l’accroissement du mal. Quand surviennent des maux auxquels on ne peut plus remédier, ou très difficilement, on les tient pour installés à jamais, ou pour longtemps. Et c’est pourquoi on les craint par-dessus tout.

Solutions :

1. Il y a deux sortes de remèdes au mal. L’un est préventif ; quand il est impossible, l’espoir disparaît et, par suite, la crainte. Ce n’est donc pas de ce remède que nous parlons. - L’autre remède est celui qui chasse le mal déjà présent ; c’est de lui qu’il s’agit ici.

2. Bien que la mort soit un mal irrémédiable, on ne la craint pas, parce qu’elle n’est pas imminente, nous l’avons dit.

3. Dans ce texte, le Philosophe parle du bien en soi, dans sa spécificité propre. Ainsi ne devient-il pas meilleur parce qu’il se prolonge ou se perpétue, mais à cause de sa nature de bien.

 

QUESTION 43 — LA CAUSE DE LA CRAINTE

1. L’amour cause-t-il la crainte ? - 2. L’insuffisance cause-t-elle la crainte ?

 

            Article 1 — L’amour cause-t-il la crainte ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car ce qui introduit une chose en est cause. Or “ la crainte introduit l’amour de charité ”, dit S. Augustin. C’est donc la crainte qui est cause de l’amour, et non l’inverse.

2. Le Philosophe écrit que “ l’on craint surtout ceux dont on attend quelque mal ”. Or, du fait que nous attendons du mal de quelqu’un, nous sommes plus provoqués à le haïr qu’à l’aimer. La crainte a donc pour cause la haine plutôt que l’amour.

3. On a déjà dit que ce qui vient de nous-même n’est pas objet de crainte. Or ce qui est inspiré par l’amour vient du plus intime de notre cœur. La crainte n’est donc pas causée par l’amour.

En sens contraire, S. Augustin écrit “ Personne ne doute qu’il n’y a pas d’autre raison de craindre que celle de perdre ce que nous aimons quand nous le possédons, ou ne pouvoir l’obtenir quand nous l’espérons. ” Toute crainte vient donc de ce que nous aimons quelque chose. Donc l’amour est cause de la crainte.

Réponse :

Les objets des passions ont le même rapport avec elles que les formes avec les réalités de la nature ou de l’art. C’est de leurs objets qu’elles reçoivent leur spécification, comme les œuvres de la nature et de l’art sont spécifiées par leurs formes. Donc, si tout ce qui produit la forme constitutive d’une réalité est cause de celle-ci, la passion dépendra de même de toute causalité exercée, de quelque manière que ce soit, par son objet. Il peut s’agir alors d’une causalité ou de type efficient, ou s’exerçant par mode de disposition matérielle. Prenons l’objet du plaisir. C’est un bien, qu’on reconnaît tel, en harmonie avec le sujet, uni à lui. Sa cause efficiente est ce qui réalise l’union, ou ce qui est source de convenance ou de bonté, ou de ce qui paraît tel. Quant à la causalité dispositive, elle tient à un habitus du sujet, ou à toute disposition grâce à laquelle s’établit, entre lui et le bien qui lui est uni, un rapport de convenance réelle ou apparente.

Ainsi donc, dans notre cas, l’objet de la crainte est ce qu’on reconnaît comme un mal, futur et prochain, auquel on pourra difficilement résister. Ce qui peut susciter un tel mal cause effectivement l’objet de la crainte, et par conséquent la crainte elle-même. Ce qui nous dispose de telle sorte que ce mal nous apparaisse ainsi, cause la crainte et son objet par mode de disposition matérielle. C’est de cette manière que l’amour engendre la crainte. Qui aime trouve mauvais ce qui pourrait le priver de son bien, et par conséquent le craint comme un mal.

Solutions :

1. A titre essentiel et premier, nous l’avons dit, la crainte est relative au mal qu’elle nous fait fuir et qui s’oppose au bien qu’on aime. De soi, la crainte naît donc de l’amour. Mais, secondairement, elle regarde, pour le craindre, ce qui peut causer un tel dommage. C’est ainsi que, par accident, la crainte introduit l’amour : celui qui craint que Dieu le punisse, observe ses commandements, commence ainsi d’espérer, et s’ouvre par là même à l’amour, comme en l’a dit plus haut.

2. Celui dont on attend du mal, on éprouve d’abord pour lui de la haine, mais dès qu’on commence à espérer de lui quelque bien, on commence à l’aimer. Quant au bien opposé au mal que l’on craint, il était aimé dès le début.

3. L’objection vient de ce que l’on n’envisage que la causalité efficiente. Or c’est par mode de causalité dispositive que l’amour est cause de la crainte, on vient de le dire.

 

            Article 2 — L’insuffisance cause-t-elle la crainte ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car on craint surtout ceux qui sont puissants. Or l’insuffisance s’oppose à la puissance ; elle n’est donc pas cause de crainte.

2. Le condamné qu’on va exécuter est au maximum de l’insuffisance. Mais il ne connaît pas la crainte, dit Aristote.

3. Combattre est signe de courage non d’insuffisance. Or “ les antagonistes se craignent mutuellement ”, dit encore Aristote. Donc l’insuffisance n’est pas cause de crainte.

En sens contraire, les contraires ont des causes contraires. Or “ la richesse, la force, le grand nombre d’amis et le pouvoir chassent la crainte ”, selon Aristote. Donc l’insuffisance de tout cela cause la crainte.

Réponse :

Nous l’avons dit dans l’article précédent, on peut distinguer une double cause de crainte : l’une agit par manière de disposition matérielle, du côté de celui qui craint ; l’autre par manière de cause efficiente, du côté de celui que l’on craint. Au premier point de vue, l’insuffisance est, de soi, cause de crainte ; car l’insuffisance de force ne nous permet pas de repousser facilement le mal qui nous menace. Cependant, pour causer la crainte, il faut une insuffisance d’une certaine proportion. L’insuffisance qui cause la crainte d’un mal à venir est moins grave que celle qui vient du mal présent, objet de la tristesse. Et l’insuffisance serait plus grande encore si elle enlevait totalement le sens du mal ou l’amour du bien dont on craint le contraire.

Au second point de vue, c’est la puissance et la force qui, de soi, engendrent la crainte. Si ce que nous percevons comme nuisible est puissant, nous ne pourrons guère en repousser les effets. Par accident, pourtant, il peut se faire que nous ayons à craindre les résultats d’une insuffisance de l’adversaire, quand il lui arrive de vouloir nuire : par injustice, ou bien parce qu’il a été lésé, ou redoute de l’être.

Solutions :

1. L’argument n’envisage la crainte que du point de vue de sa cause efficiente.

2. Ceux que l’on va décapiter souffrent un mal présent. Leur insuffisance est sans commune mesure avec la crainte.

3. Au combat, la crainte procède non de la force que l’on met à se battre, mais de son insuffisance éventuelle, qui fait douter de la victoire.

 

QUESTION 44 — LES EFFETS DE LA CRAINTE

1. La crainte a-t-elle un effet de contraction ? - 2. Pousse-t-elle à délibérer ? - 3. Fait-elle trembler ? - 4. Empêche-t-elle l’action ?

 

            Article 1 — La crainte a-t-elle un effet de contraction ?

Objections :

1. Il semble que non, car la contraction ramène au dedans la chaleur et les esprits vitaux. Il en résulte une dilatation du cœur qui pousse à attaquer avec audace, comme on le voit chez les gens en colère. Or, dans la crainte, c’est le contraire qui arrive, elle ne provoque donc pas de contraction.

2. L’accumulation intérieure de la chaleur et des esprits vitaux par la contraction fait pousser des cris ; c’est évident chez ceux qui souffrent. Or dans la crainte on ne donne pas de voix, on devient plutôt taciturne. Donc la crainte ne produit pas de contraction.

3. La pudeur est une des espèces de la crainte, on l’a dit. Or Cicéron et Aristote notent que “ la pudeur fait rougir ”. Mais la rougeur du visage n’est pas un signe de contraction, au contraire. La contraction n’est donc pas un effet de la crainte.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit que “ la crainte a un effet de systole ”, c’est-à-dire de contraction.

Réponse :

Nous avons dit précédemment que dans les passions de l’âme le mouvement même de la puissance appétitive est comme l’élément formel, et la modification organique, l’élément matériel. Il y a correspondance de l’un à l’autre. D’où une ressemblance entre les caractéristiques des mouvements de l’appétit et la modification physique qui s’ensuit. Sur le plan sensible la crainte implique une contraction. C’est parce qu’elle provient de la représentation d’un mal menaçant, qu’il est difficile de repousser. Cette difficulté vient elle-même de notre manque de force. On a dit tout cela. Or, plus cette faiblesse est grande, plus notre champ d’action se rétrécit. De là vient que l’appréciation d’où procède la crainte produit une contraction dans la puissance appétitive. Nous voyons même, chez les mourants, la puissance vitale se retirer au-dedans, par l’affaiblissement de son énergie ; et quand, dans une cité, les habitants ont peur, ils quittent les faubourgs et se réfugient autant que possible vers le centre. A l’image de cette contraction qui ressortit à l’appétit sensible, la crainte produit dans l’organisme cette contraction qui ramène à l’intérieur la chaleur naturelle et les esprits vitaux.

Solutions :

1. D’après Aristote, bien que dans la crainte les esprits se retirent de l’extérieur vers l’intérieur, leur mouvement n’est cependant pas le même que dans la colère. Dans la colère, les esprits sont chaleureux et subtils, par suite du désir de vengeance, ils ont donc tendance à monter. Ainsi se rassemblent-ils dans la région du cœur, ce qui rend les gens en colère prompts et audacieux pour attaquer. Mais dans la crainte, à cause de l’envahissement du froid, les esprits ont tendance à descendre, ce froid venant de ce qu’on se représente son insuffisance. Loin de se rassembler dans la région du cœur, la chaleur et les esprits s’enfuient loin du cœur. Et c’est pourquoi ceux qui ont peur tardent à attaquer, et prennent plutôt la fuite.

2. Il est naturel à un être qui souffre, homme ou bête, de mettre tout en œuvre pour repousser le mal présent qui cause sa douleur ; ainsi voyons-nous les animaux qui souffrent mordre ou donner des coups de corne. Or dans la vie animale la chaleur et les esprits sont d’un très grand secours pour tout. Aussi dans la douleur la nature conserve-t-elle la chaleur et les esprits à l’intérieur, afin de les utiliser à repousser le mal. Cette chaleur et ces esprits accumulés finissent par s’échapper, dit Aristote sous forme de cris ou de paroles. C’est pourquoi ceux qui souffrent ne peuvent s’empêcher de crier. - Mais chez ceux qui ont peur, le mouvement intérieur de la chaleur et des esprits va du cœur aux régions inférieures, comme nous venons de le dire. De sorte que la crainte s’oppose à la formation de la voix, produite par l’émission des esprits vers les parties supérieures et vers la bouche. De là vient que la crainte rend muet, et aussi, qu’elle “ rend tremblant ”, dit Aristote.

3. Les périls de mort ne sont pas seulement contraires à l’appétit animal, mais aussi à la nature. C’est pourquoi, quand on les craint, la contraction n’est pas seulement le fait de l’appétit, mais une réaction corporelle de la nature. L’être aimé, parce qu’il imagine sa mort, éprouve une contraction de la chaleur vers le dedans, semblable à celle qui se produit naturellement à l’approche de la mort. “ La crainte de la mort fait pâlir ”, remarque Aristote. - Quant au mal qui est objet de crainte dans la pudeur, il ne s’oppose pas à la nature, mais seulement à l’appétit. Aussi la contraction procède-t-elle de celui-ci, sans réaction d’origine proprement physique. C’est de l’âme que tout vient plutôt : contractée en quelque sorte sur elle-même, elle libère les esprits et la chaleur, qui se répandent vers les extrémités. C’est pourquoi la pudeur fait rougir.

 

            Article 2 — La crainte pousse-t-elle à délibérer ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car ce qui empêche la délibération ne peut être ce qui la favorise. Or la crainte empêche la délibération, car toute passion trouble le calme requis au bon emploi de la raison.

2. Le conseil est un acte de la raison méditant et délibérant sur les choses à venir. Or il y a une crainte “ qui chasse les pensées et fait sortir l’esprit de lui-même ”, selon Cicéron. Donc la crainte ne favorise pas la délibération, elle l’empêche.

3. On ne délibère pas seulement pour éviter des maux, mais aussi pour obtenir des biens. Mais de même que la crainte regarde les maux à éviter, l’espérance regarde les biens à obtenir. Donc la crainte ne favorise pas la délibération plus que ne fait l’espoir.

En sens contraire, le Philosophe écrit : “ La crainte dispose au conseil. ”

Réponse :

On peut être jugé disposé au conseil de deux manières. 1° Par la volonté ou le souci de recourir au conseil. En ce sens la crainte dispose au conseil. Car, selon le Philosophe, “ nous prenons conseil au sujet des choses importantes où nous nous défions en quelque sorte de nous-même. ” Or ce qui provoque la crainte n’est pas le mal pur et simple, mais le mal d’une certaine importance, du fait qu’il nous apparaît comme difficile à repousser et aussi qu’il se présente comme tout proche, nous l’avons déjà dit. Aussi est-ce surtout sous le coup de la crainte que les hommes cherchent à prendre conseil.

2° On est disposé au conseil en ce sens que l’on a la faculté de bien délibérer. Ni la crainte ni une autre passion ne favorise l’exercice de cette faculté. Car l’homme affecté de quelque passion voit les choses plus grandes ou plus petites qu’elles ne sont en réalité : celui qui aime voit ce qu’il aime en mieux ; celui qui craint croit les choses plus terribles qu’elles ne sont. De sorte que toute passion, autant qu’il est en elle, par le défaut de rectitude dans le jugement gêne la faculté de bien délibérer.

Solutions :

1. Cela donne la réponse à la première objection.

2. Plus une passion est forte, et plus celui qui en est affecté se trouve empêché par elle. Et c’est pourquoi, quand la crainte est intense, on veut assurément délibérer, mais on est troublé à tel point dans ses pensées qu’on ne peut prendre aucun parti. Cependant si la crainte est faible, provoquant le souci de la réflexion et ne troublant pas beaucoup la raison, elle peut aussi contribuer à la rectitude de la délibération, à cause de la préoccupation qu’elle produit.

3. L’espoir aussi dispose au conseil car, pour Aristote, “ personne ne délibère au sujet de ce dont il désespère ”, ni au sujet d’entreprises impossibles. Cependant la crainte porte davantage à délibérer que l’espoir car, tandis que l’espoir porte sur le bien en tant que nous pouvons l’atteindre, la crainte porte sur le mal en tant qu’il est difficilement évitable, de sorte que la crainte a plus de rapport que l’espoir avec la difficulté. Or, c’est dans les difficultés, surtout celles où nous nous défions de nous-même, que nous prenons conseil, comme nous venons de le dire.

 

            Article 3 — La crainte fait-elle trembler ?

Objections :

1. Il ne semble pas car, d’une part, le tremblement vient du froid (nous voyons en effet trembler ceux qui ont froid) et, d’autre part, la crainte ne semble pas provoquer le froid, mais plutôt la chaleur qui dessèche : sous le coup de la crainte on a soif, surtout dans les grandes craintes, comme on le voit chez ceux que l’on conduit à la mort. La crainte ne fait donc pas trembler.

2. L’éjection d’éléments superflus provient de la chaleur ; aussi, le plus souvent, les remèdes laxatifs sont-ils chauds. Or ces sortes d’éjections arrivent fréquemment sous le coup de la peur. Celle-ci semble donc causer la chaleur et non le tremblement.

3. Dans la crainte, la chaleur est ramenée de la périphérie à l’intérieur. Donc, si c’est à cause de ce retrait de la chaleur que l’homme tremble dans ses membres extérieurs, il semble qu’il devrait trembler pareillement de peur dans tous ses membres extérieurs. Or cela ne se produit pas. Le tremblement du corps n’est donc pas un effet de la crainte.

En sens contraire, Cicéron écrit que le “ tremblement, la pâleur, le claquement des dents sont un effet de la peur ”.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, la crainte amène une certaine contraction de l’extérieur vers l’intérieur ; d’où le froid aux extrémités. Et c’est cela qui produit le tremblement. Celui-ci a pour cause la faiblesse de l’énergie qui maintient la cohésion des membres. Cet affaiblissement a pour cause principale la perte de la chaleur dont l’âme a besoin pour imprimer son mouvement, selon Aristote.

Solutions :

1. Lorsque la chaleur est rappelée de la périphérie à l’intérieur, elle s’accumule au-dedans et surtout dans les régions inférieures, c’est-à-dire dans les organes de la nutrition. De sorte que l’élément humide est consumé et que la soif se fait sentir. Il arrive aussi que le ventre se relâche, qu’il y a éjection d’urine et parfois même de sperme. A moins que cela ne provienne, dit Aristote, de la contraction des entrailles et des testicules.

2. Cela donne la réponse à la deuxième objection.

3. Dans la crainte, la chaleur abandonne le cœur et descend dans les régions inférieures. C’est pour cela que le cœur surtout est saisi de tremblement, et aussi les membres qui ont quelque liaison avec la poitrine, où se trouve le cœur. Aussi voit-on ceux qui craignent trembler surtout de la voix, à cause de la proximité de la trachée-artère avec le cœur. La lèvre inférieure tremble aussi et toute la mâchoire inférieure, en raison de leur continuité avec le cœur, ce qui amène le claquement des dents. Pour la même raison, les bras et les mains se mettent à trembler. - On peut répondre aussi que ces sortes de membres sont plus mobiles. C’est ainsi que les genoux tremblent dans la crainte, selon cette parole d’Isaïe (35,3) : “ Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux tremblants. ”

 

            Article 4 — La crainte empêche-t-elle d’agir ?

Objections :

1. Apparemment oui, car ce qui empêche surtout d’agir c’est le trouble de la raison, directrice de l’action. Or la crainte trouble la raison. Donc elle empêche d’agir.

2. Quand on fait quelque chose avec crainte, on manque plus facilement son affaire ; il est difficile d’avancer sans tomber, sur une poutre haut placée, parce qu’on prend peur ; on ne tomberait pas si l’on marchait sur la même poutre placée par terre, car la crainte aurait disparu.

3. La paresse, ou indolence, est une forme de crainte. Or elle empêche d’agir.

En sens contraire, “ Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement ”, écrit S. Paul (Ph 2, 12). Il ne parlerait pas ainsi si la crainte empêchait de bien agir.

Réponse :

Notre activité extérieure procède de l’âme comme principe moteur, et des membres comme instruments. Or il arrive qu’une opération puisse être gênée dans son exercice par une défectuosité soit de l’instrument soit du moteur principal. Du point de vue des organes corporels, la crainte, en ce qui dépend d’elle, est toujours de nature à gêner l’activité extérieure par la perte de chaleur qu’elle entraîne dans les membres. Mais du point de vue de l’âme, s’il s’agit d’une crainte modérée qui ne trouble pas beaucoup la raison, elle aide à bien agir, car elle donne du souci et rend plus attentif dans la délibération et dans l’action. Mais si la crainte prend de telles proportions qu’elle bouleverse complètement la raison, elle empêche d’agir, même au point de vue de l’âme. Mais ce n’est pas le cas envisagé par S. Paul.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. Ceux qui tombent d’une poutre élevée ont leur imagination troublée par la crainte d’une chute que cette faculté leur représente.

3. Tous ceux qui craignent fuient ce qu’ils craignent. C’est pourquoi la paresse, craignant l’activité elle-même, en tant qu’elle est laborieuse, entrave l’activité parce qu’elle en éloigne la volonté. Cependant, quand la crainte porte sur d’autres objets, elle favorise l’activité en tant qu’elle pousse la volonté à agir pour éviter ce qui est craint.

 

QUESTION 45 — L’AUDACE

1. L’audace est-elle contraire à la crainte ? - 2. Quel rapport a-t-elle avec l’espoir ? - 3. La cause de l’audace. - 4. Son effet.

 

            Article 1 — L’audace est-elle contraire à la crainte ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car S. Augustin écrit que “ l’audace est un vice ”. Or le vice est contraire à la vertu. La crainte n’étant pas une vertu, mais une passion, il semble que l’audace ne lui soit pas contraire.

2. Les contraires s’opposent un à un. Or la crainte a déjà son contraire : l’espoir.

3. Toute passion exclut la passion opposée. Or ce qui est exclu par la crainte, c’est la sécurité. S. Augustin dit en effet que “ la crainte empêche la sécurité ”. La sécurité et donc contraire à la crainte, et non l’audace.

En sens contraire, le Philosophe écrit “ L’audace s’oppose à la crainte. ”

Réponse :

Ce qui définit les contraires, c’est qu’il y a entre eux le maximum de différence, dit Aristote. Or rien n’est plus éloigné de la crainte que l’audace. Car la crainte est la fuite d’un mal à venir, parce qu’il doit vaincre celui qui craint ; tandis que l’audace affronte le péril imminent pour en être vainqueur. Manifestement l’audace est contraire à la crainte.

Solutions :

1. Colère et audace, comme les noms de toutes les passions, peuvent se prendre en deux sens. D’abord selon qu’ils disent simplement un mouvement de l’appétit sensible vers quelque objet bon ou mauvais ; et alors ils désignent les passions. Ou bien selon qu’ils impliquent, avec ce mouvement, un écart par rapport à l’ordre rationnel ; à ce titre, ils désigent des vices. C’est en ce dernier sens que S. Augustin parle de l’audace ; mais nous en parlons ici dans le premier sens.

2. Une même chose ne peut avoir plusieurs contraires sous un même rapport, mais rien ne s’y oppose quand il s’agit de points de vue différents. Ainsi avons-nous déjà noté que les passions de l’irascible connaissent une contrariété de deux sortes. La première vient de l’opposition du bien et du mal : la crainte est alors le contraire de l’espoir. L’autre vient de l’opposition des mouvements d’approche et d’éloignement. Et ainsi la crainte a pour contraire l’audace ; l’espoir a pour contraire le désespoir.

3. Sécurité ne signifie pas un contraire de la crainte, mais seulement son exclusion. On dit en sûreté celui qui ne craint pas. Aussi la sécurité s’oppose-t-elle à la crainte comme à sa privation, et à l’audace comme à son contraire. Et de même que le contraire inclut en soi la privation, de même l’audace inclut la sécurité.

 

            Article 2 — Quel rapport l’audace a-t-elle avec l’espoir ?

Objections :

1. Il ne semble pas que l’audace soit un effet de l’espoir, car l’audace regarde les maux redoutables, d’après Aristote. Or l’espoir regarde le bien, nous l’avons vu. Ces deux passions ont donc des objets divers et n’appartiennent pas au même ordre.

2. De même que l’audace est contraire à la crainte, le désespoir est contraire à l’espoir. Or la crainte ne vient pas du désespoir ; bien plus, le désespoir exclut la crainte, dit Aristote. L’audace ne vient donc pas de l’espoir.

3. L’audace vise un certain bien, qui est la victoire. Or tendre vers un bien difficile ressortit à l’espoir. L’audace se confond donc avec l’espoir, et n’en dérive pas.

En sens contraire, le Philosophe écrit “ Ceux qui ont bon espoir sont audacieux. ” Il semble donc que l’audace dérive de l’espoir.

Réponse :

Comme nous l’avons dit déjà plusieurs fois, toutes ces passions de l’âme appartiennent à la puissance appétitive. Et tous les mouvements de cette puissance se ramènent à la poursuite ou à la fuite. D’autre part, on poursuit quelque objet ou on le fuit, pour un motif essentiel ou pour un motif accidentel. Essentiellement, c’est le bien que l’on poursuit, le mal que l’on fuit. Mais par accident on peut rechercher un mal à cause d’un bien qui lui est lié, et se détourner d’un bien à cause d’un mal qui lui est lié. Or ce qui existe par accident suppose ce qui existe par soi, et en dépend. On ne poursuit un mal qu’afin de poursuivre un bien, comme on ne fuit un bien que pour fuir un mal. Ce quadruple comportement va caractériser autant de passions : poursuivre un bien appartient à l’espoir ; fuir le mal, à la crainte ; se porter vers un mal redoutable pour l’affronter, à l’audace ; fuir un bien, au désespoir. Il suit de là que l’audace est une conséquence de l’espoir. C’est parce qu’on espère surmonter un péril menaçant qu’on l’affronte avec audace. Le désespoir, lui, est la conséquence de la crainte. On désespère parce qu’on redoute la difficulté entourant le bien que nous devons espérer.

Solutions :

1. L’objection vaudrait si le bien et le mal étaient des objets non ordonnés entre eux. Mais parce que le mal a un certain rapport avec le bien (car il est postérieur au bien, comme la privation l’est à la possession), l’audace, qui poursuit le mal, vient après l’espoir, qui poursuit le bien.

2. Encore que le bien soit absolument premier par rapport au mal, la fuite est imposée par le mal avant de l’être par le bien, de même que la recherche est attirée par le bien avant de l’être par le mal. C’est pourquoi, de même que l’espoir est antérieur à l’audace, la crainte est antérieure au désespoir. D’ailleurs le désespoir ne suit pas toujours la crainte ; il faut pour cela qu’elle soit intense. De même l’espoir n’est pas toujours suivi d’audace ; il faut pour cela qu’il soit véhément.

3. L’audace concerne le mal auquel est lié le bien de la victoire, estimé tel par l’audacieux ; néanmoins, c’est le bien lié au mal que l’espoir regarde. De même, le désespoir regarde directement le bien qu’il fuit ; quant au mal qui est joint, il est l’objet de la crainte. C’est pourquoi, à proprement parler, l’audace n’est pas une partie de l’espoir, mais son effet, de même que le désespoir n’est pas une partie de la crainte, mais en dérive. Et c’est encore pour cela que l’audace ne peut être une passion principale.

 

            Article 3 — La cause de l’audace

Objections :

1. Il semble que certaine déficience soit cause de l’audace car, selon Aristote, “ les amis du vin sont courageux et audacieux ”. Mais le vin produit l’abaissement de l’ivresse. C’est donc une déficience qui produit l’audace.

2. Aristote dit encore : “ Ceux qui n’ont pas l’expérience du danger sont audacieux. ” Mais l’inexpérience est une déficience.

3. Ceux qui ont souffert l’injustice sont communément plus audacieux, de même, dit Aristote, “ que les bêtes qu’on frappe ”. Mais souffrir l’injustice ressortit à une déficience. Donc l’audace est causée par un défaut.

En sens contraire, Aristote explique ainsi la cause de l’audace : “ C’est quand nous imaginons avec espoir que notre salut est proche, et que les périls à craindre n’existent pas, ou sont encore loin. ” Or ce qui concerne une déficience, c’est que le salut est éloigné ou que les dangers effrayants sont proches. Donc rien de ce qui implique une déficience ne peut causer l’audace.

Réponse :

Nous venons de le voir, l’audace vient de l’espoir et s’oppose à la crainte. Tout ce qui est de nature à causer l’espoir ou à éliminer la crainte sera donc cause d’audace. Puisque la crainte, l’espoir et même l’audace sont des passions, elles comportent un mouvement de l’appétit et une modification organique. C’est à ce double point de vue qu’on pourra envisager ce qui cause l’audace, soit en provoquant l’espoir, soit en éliminant la crainte.

Le mouvement de l’appétit est consécutif à une appréhension. L’espoir d’où résulte l’audace est alors provoqué par ce qui nous fait estimer possible de remporter la victoire ; soit par nos propres moyens : vigueur du corps, expérience du danger, abondance de ressources, etc. ; soit par la puissance d’autrui : grand nombre d’amis ou d’auxiliaires, et surtout confiance dans le secours divin. “ Ceux qui sont en bons termes avec la divinité sont plus audacieux ”, dit Aristote. Au même point de vue, la crainte est exclue par ce qui écarte toute menace prochaine ; par exemple, on n’a pas d’ennemis, on n’a fait de tort à personne, on ne voit aucun danger à l’horizon ; car ceux qui ont nui aux autres semblent particulièrement exposés au danger.

Au point de vue de la modification organique, l’audace est causée par l’éveil de l’espoir et le rejet de la crainte, c’est-à-dire par ce qui donne chaud au cœur. D’où la remarque d’Aristote : “ Ceux qui ont un cœur de petites dimensions sont plus audacieux, et les animaux qui ont un cœur de grande dimension sont craintifs. Car la chaleur naturelle ne peut réchauffer un gros cœur autant qu’un petit, de même qu’on ne peut réchauffer une grande maison à l’égal d’une petite. ” Et il écrit ailleurs : “ Ceux qui ont le poumon sanguin sont plus audacieux, à cause de la chaleur du cœur qui en résulte. ” Et au même endroit : “ Les amis du vin sont plus audacieux, parce que le vin échauffe. ” C’est ce qui nous a fait dire précédemment que l’ivresse contribue à donner bon espoir : la chaleur au cœur bannit la crainte, et éveille l’espoir en étendant cet organe et en le dilatant.

Solutions :

1. L’ivresse est cause d’audace, non parce qu’elle est une déficience, mais du fait de la dilatation du cœur, et également parce qu’elle donne des idées de grandeur.

2. Ceux qui n’ont pas l’expérience du danger sont plus audacieux, non parce qu’ils manquent de quelque chose, mais par une conséquence accidentelle de ce défaut ; leur manque d’expérience les empêche de connaître leur faiblesse et la présence du danger. C’est en supprimant la cause de la crainte que l’inexpérience produit l’audace.

3. Comme dit Aristote : “ Ceux qui ont subi l’injustice en deviennent plus audacieux, dans la persuasion que Dieu secourt les victimes de l’injustice. ”

Il apparaît ainsi que si un manque quelconque rend audacieux, ce ne peut être que par accident, c’est-à-dire pour autant qu’il est lié à quelque valeur, vraie ou supposée, chez le sujet ou chez un autre.

 

            Article 4 — L’effet de l’audace

Objections :

1. Il semble que les audacieux ne sont pas plus actifs au début qu’au milieu des dangers. Car le tremblement est l’effet de la crainte, qui, avons-nous dit, est le contraire de l’audace. Or Aristote remarque que les audacieux commencent parfois par trembler. Ils ne sont donc pas plus agressifs en allant au combat qu’au sein du péril.

2. La passion augmente à proportion que son objet s’accroît : le bien se fait aimer d’autant plus qu’il est plus grand. Mais l’audace a pour objet la difficulté. Elle grandit donc avec elle. Mais le danger devient plus rude et plus difficile quand il est présent. C’est donc alors que l’audace doit se déployer davantage.

3. Les blessures reçues provoquent la colère. Mais c’est là une source d’audace. “ La colère fait oser ”, dit Aristote. C’est donc quand on est en plein danger, et qu’on reçoit les coups qu’on devient plus audacieux.

En sens contraire, on peut lire chez Aristote, que “ les audacieux sont empressés et décidés avant les périls ; dans les périls ils abandonnent ”.

Réponse :

Puisqu’elle est un mouvement de l’appétit sensible, l’audace suit à une appréhension sensible de son objet. Or la faculté de connaissance sensible ne procède pas par mode discursif, en discutant ou en s’enquérant de chacune des circonstances. Son jugement est immédiat. Or il arrive qu’à première vue on ne puisse pas toujours discerner tout ce qui fait difficulté dans une affaire. D’où la naissance d’un mouvement d’audace qui fait partir à l’assaut du danger. Mais quand on expérimente celui-ci, on découvre qu’on avait sous-estimé la difficulté. Et, pour ce motif, on se dérobe.

La raison, au contraire, passe en revue toutes les difficultés que peut présenter une affaire. Ainsi les courageux, qu’une décision rationnelle mène au danger, semblent mous au départ, car ils n’attaquent pas sous le coup de la passion, mais après la délibération requise. Quand ils sont au fort du danger, ils n’y découvrent rien d’imprévu et constatent parfois qu’il est moindre qu’ils ne l’avaient imaginé. Si bien qu’ils tiennent mieux. - On peut dire aussi que la bonté de la vertu les pousse à affronter le danger, et que cette volonté du bien persiste en eux, quelle que soit l’étendue des périls. Les audacieux, eux, n’ont d’autre motif que le jugement qui soutient leur esprit et dissipe leurs craintes, nous l’avons dit à l’article précédent.

Solutions :

1. Le tremblement se produit aussi chez les audacieux, à cause du rappel de la chaleur de la périphérie à l’intérieur, comme il en va pour ceux qui ont peur. Mais, chez les audacieux, la chaleur est ramenée au cœur ; pour ceux qui ont peur, aux régions inférieures.

2. L’objet de l’amour est le bien considéré en lui-même, absolument : quand il augmente, l’amour augmente purement et simplement. Mais l’objet de l’audace est composé de bien et de mal, et le mouvement de l’audace vers le mal présuppose celui de l’espoir vers le bien. De sorte que si la difficulté du danger augmente tellement qu’elle décourage l’espoir, le mouvement de l’audace ne suit pas, mais diminue. - Cependant si ce mouvement de l’audace persiste, plus le danger est grand et plus l’audace est jugée grande.

3. Les blessures ne provoquent la colère que si quelque espoir est supposé, comme nous le dirons plus loin. Et donc si le danger est si grand qu’il dépasse tout espoir de vaincre, la colère ne suit pas. - Mais si la colère suit, il est vrai que l’audace grandira.

LA COLERE

Étudions maintenant la colère. D’abord la colère elle même (Q. 46) ; puis la cause qui la provoque, et ses remèdes (Q. 47) ; enfin ses effets (Q. 48).

 

QUESTION 46 — LA COLÈRE ELLE-MÊME

1. La colère est-elle une passion spéciale ? - 2. L’objet de la colère est-il le bien, ou le mal ? - 3. La colère est-elle dans le concupiscible ? - 4. Est-elle accompagnée de raison ? - 5. Est-elle plus naturelle que la convoitise ? - 6. Est-elle plus impitoyable que la haine ? - Vise-t-elle seulement ceux auxquels nous lie la justice ? - 8. Les espèces de la colère.

 

            Article 1 — La colère est-elle une passion spéciale ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la puissance irascible tire son nom de la colère, ira. Cette puissance n’est pas le sujet d’une seule passion mais de plusieurs. La colère n’est donc pas une passion spéciale.

2. Toutes les passions spéciales ont leur contraire, comme on le voit pour chacune. Or la colère n’a pas de passion qui lui soit contraire, on l’a dit plus haut. La colère n’est donc pas une passion spéciale.

3. Une passion spéciale n’en comprend pas d’autres. Or la colère comprend plusieurs passions, car elle s’accompagne de tristesse, de plaisir et d’espoir, comme le montre Aristote. La colère n’est donc pas une passion spéciale.

En sens contraire, S. Jean Damascène considère la colère comme une passion spéciale. Et de même Cicéron.

Réponse :

On peut dire qu’une chose est générale de deux manières : 1° Par attribution, comme genre : à tous les êtres animés on peut attribuer le terme général d’animal.

2° Par causalité : le soleil est cause générale de tout ce qui, ici-bas, est produit par génération, selon Denys. De même en effet que le genre peut se différencier de façon multiple, selon une sorte de potentialité matérielle, la cause efficiente enferme en sa puissance active de multiples effets distincts. - Mais il arrive qu’un effet soit produit par le concours de causes diverses, et comme toute cause demeure en quelque sorte dans l’effet qui dépend d’elle, on peut dire, en un troisième sens, qu’une chose résultant effectivement d’une convergence de causalités a une sorte de généralité, en tant qu’elle contient plusieurs causes plus ou moins en acte.

La colère n’est pas une passion générale, au premier sens du mot. A ce point de vue, on l’énumère parmi les autres passions, nous l’avons dit plus haut - Pas davantage au deuxième sens, car elle n’est pas cause des autres passions. C’est l’amour qui, à ce point de vue, peut être appelé une passion générale, comme le montre S. Augustin. L’amour, avons-nous dit, est la racine première de toutes les passions. - Mais, au troisième sens, on peut parler de la généralité de la colère, pour autant que de nombreuses passions concourent à la produire. Le mouvement de la colère se produit uniquement parce qu’on nous a infligé de la tristesse, et il exige le désir et l’espoir de la revanche. Comme dit Aristote : “ L’homme en colère a l’espoir de punir, et il désire que la vengeance soit à sa portée. ” De là vient que si l’auteur du dommage a une supériorité considérable, il ne s’ensuit pas de colère, comme le remarque Avicenne, mais seulement de la tristesse.

Solutions :

1. Si la puissance irascible tire son nom de la colère, ira, ce n’est pas que tous ses mouvements soient de la colère, mais parce que tous ont pour terme la colère, qui est le plus éclatant de tous.

2. Du fait que la colère est causée par des passions contraires (l’espoir qui regarde le bien, et la tristesse qui regarde le mal), elle porte en elle-même la contrariété ; ce qui explique qu’elle n’a pas de contraire en dehors d’elle. C’est ainsi que les couleurs intermédiaires n’ont d’autres contraires que ceux des couleurs simples dont elles sont composées.

3. La colère contient plusieurs passions, non à la manière dont le genre contient ses espèces, mais plutôt selon l’inclusion de la cause dans ses effets.

 

            Article 2 — L’objet de la colère est-il le bien, ou le mal ?

Objections :

1. Il semble que ce soit le mal, car S. Grégoire de Nysse dit que la colère est comme “ l’écuyer qui porte les armes de la convoitise ”, en tant qu’elle combat ce qui gêne celle-ci. Or toute gêne se présente comme un mal. C’est donc le mal que la colère a pour objet.

2. La colère et la haine ont un effet commun, qui est de nuire à autrui. Or la haine a pour objet le mal, comme on l’a dit. Donc de même la colère.

3. La colère est causée par la tristesse. D’où cette parole du Philosophe : “ L’action de la colère est accompagnée de tristesse. ” Mais la tristesse a pour objet le mal. Donc aussi la colère.

En sens contraire, S. Augustin écrit que “ la colère aspire à la vengeance ”. Or le désir de la vengeance est le désir d’un bien, puisque la vengeance relève de la vertu de justice. C’est donc que l’objet de la colère est le bien.

2. La colère implique toujours de l’espoir : aussi est-elle source de plaisir, selon Aristote. Or l’objet de l’espoir et du plaisir est le bien. La colère porte donc également sur le bien.

Réponse :

Le mouvement de la puissance appétitive succède à l’acte de la puissance cognitive. Or celle-ci saisit les choses de deux manières. Soit par manière d’objet simple, quand par exemple nous concevons ce qu’est l’homme ; soit par mode de composition, quand par exemple nous lions les idées d’homme et de blancheur. C’est donc de ces deux manières que la puissance appétitive pourra tendre au bien et au mal.

C’est d’un mouvement simple et non composé que l’appétit poursuit le bien et s’y attache, ou fuit le mal quand il vise le bien ou le mal pris absolument. Tels sont les mouvements de désir et d’espoir, de plaisir et de tristesse, etc. C’est d’un mouvement composé qu’il se porte vers son objet, quand il désire qu’un bien ou un mal s’établisse chez un autre ou à son égard, que ce mouvement soit de recherche ou de fuite. C’est bien clair dans le cas de l’amour et de la haine. Aimer quelqu’un, c’est vouloir que tel bien soit en lui ; haïr quelqu’un, c’est lui vouloir du mal. Il en va de même pour la colère. Celui qui s’irrite cherche à se venger de quelqu’un. Le mouvement de colère a donc une double direction : vers la vengeance elle-même, désirée et espérée comme un bien, et de là vient qu’on trouve plaisir à se venger, - et aussi vers celui dont on cherche à se venger comme d’un être opposé et nuisible, ce qui le range dans la catégorie du mal.

Il y a toutefois une double différence à considérer quand on compare la colère avec la haine et avec l’amour. La première, c’est que l’objet de la colère se dédouble toujours, tandis que l’amour et la haine n’ont parfois qu’un objet simple : c’est ainsi qu’on parle d’aimer ou de détester le vin, par exemple. La deuxième différence, c’est que les deux termes objectifs de l’amour sont l’un et l’autre un bien. Celui qui aime veut du bien à quelqu’un avec qui il s’accorde. Mais l’un et l’autre des objets visés par la haine a raison de mal : celui qui hait veut du mal à quelqu’un comme n’ayant rien de commun avec lui. Mais la colère voit un bien dans la vengeance qu’elle désire et un mal dans l’homme nuisible sur qui elle veut prendre sa revanche. Nous avons donc ici une passion composée en quelque sorte de mouvements affectifs contraires.

Et cela donne réponse aux objections.

 

            Article 3 — La colère est-elle dans le concupiscible ?

Objections :

1. Il semble que oui puisque Cicéron l’appelle, dans les Tusculanes, une certaine concupiscence et que celle-ci se trouve dans le concupiscible.

2. S. Augustin dit dans sa “ Règle ” que “ la colère en grandissant devient de la haine ”, et Cicéron, dans l’ouvrage cité ci-dessus que “ la haine est une colère invétérée ”. Or la haine, comme l’amour, est dans le concupiscible. Donc aussi la colère.

3. S. Jean Damascène et S. Grégoire de Nysse disent que “ la colère est un composé de tristesse et de désir ”. Or chacune de ces passions a pour siège le concupiscible.

En sens contraire, la puissance concupiscible est autre que l’irascible. Donc, si la colère était dans le concupiscible elle ne donnerait pas son nom à l’irascible.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, les passions de l’irascible diffèrent de celles du concupiscible en ce que l’objet des passions de ce dernier est le bien et le mal pris absolument, tandis que l’objet des passions de l’irascible est le bien et le mal caractérisés par une certaine élévation ou difficulté. Or nous venons de dire que la colère regarde un double objet : la vengeance qu’elle désire, et celui dont elle cherche à se venger. L’un et l’autre objet de la colère doivent présenter quelque difficulté, car le mouvement de colère ne surgit que si tous deux impliquent quelque chose de grand, puisque, selon le Philosophe, “ nous tenons pour indigne d’intérêt ce dont la valeur est nulle ou insignifiante ”. Il est donc évident que la colère n’est pas dans le concupiscible mais dans l’irascible.

Solutions :

1. Cicéron appelle libido le désir de tout bien futur, sans distinction de bien difficile ou facile. C’est ainsi qu’il place la colère dans la concupiscence, en tant qu’elle est désir de vengeance. A la prendre en ce sens, la concupiscence est commune à l’irascible et au concupiscible.

2. Quand on dit que la colère s’accroît jusqu’à la haine, on ne doit pas l’entendre de l’évolution d’une seule et même passion, comme si la colère devenait de la haine en vieillissant ; il s’agit de la causalité d’une passion sur l’autre. En durant, la colère engendre la haine.

3. On dit que la colère se compose de tristesse et de désir non comme étant ses parties, mais comme étant ses causes. Or on a dit précédemment que les passions du concupiscible engendrent celles de l’irascible.

 

            Article 4 — La colère s’accompagne-t-elle de raison ?

Objections :

Il ne semble pas. En effet la colère, étant une passion, se trouve dans l’appétit sensitif. Or cet appétit ne suit pas l’appréhension de la raison mais celle de la partie sensible.

2. Les bêtes sont dépourvues de raison et cependant on trouve chez elles de la colère. La colère n’implique donc pas la raison.

3. L’ivresse lie la raison et favorise la colère. Colère et raison ne vont donc pas ensemble.

En sens contraire, le Philosophe écrit : “ La colère suit la raison en quelque mesure. ”

Réponse :

Nous avons dit que la colère est un appétit de vengeance. Or la vengeance comporte une relation entre la peine qu’on veut infliger et le dommage subi. “ Celui qui en conclut qu’il doit riposter, s’emporte aussitôt ”, dit Aristote. Comparer et déduire est le propre de la raison. La colère implique donc un certain accompagnement de la raison.

Solutions :

1. Le mouvement de l’appétit peut comporter une double intervention de la raison. D’une part, la raison commande : c’est ainsi que la volonté accompagne la raison et porte le nom d’appétit rationnel. - D’autre part, la raison fait connaître : c’est en ce sens qu’elle intervient dans la colère. Aristote le dit : “ Il y a de la raison dans la colère, non point que la raison commande, mais ellë met en lumière l’injustice. ” En effet, l’appétit sensitif n’est pas soumis à la raison directement, mais par l’intermédiaire de la volonté.

2. Les bêtes possèdent un instinct de nature qui a été mis en elles par la raison divine ; c’est lui qui leur donne des mouvements intérieurs et extérieurs semblables aux mouvements de la raison, nous l’avons déjà vu.

3. Selon Aristote, “ la colère, dans une certaine mesure écoute la raison ”, car celle-ci lui notifie qu’on lui a fait du tort ; “ mais elle ne l’écoute qu’imparfaitement ” car elle n’observe pas la loi de la raison en déployant sa vengeance. Il est donc indispensable à la colère d’être actionnée par la raison et d’être entravée par elle. D’où la remarque d’Aristote concernant les gens ivres. S’ils le sont au point de n’avoir plus la moindre faculté de juger, ils ne se mettent pas en colère. Mais quand ils le sont légèrement, ils se mettent en colère car ils jouissent du jugement de la raison, mais celui-ci est entravé.

 

            Article 5 — La colère est-elle plus naturelle que la convoitise ?

Objections 1. Il semble que non, car on dit que le propre de l’homme est d’être un animal doux par nature. Mais “ la douceur s’oppose à la colère ”, dit Aristote. La colère n’est donc pas plus naturelle que la convoitise, mais semble absolument contraire à la nature de l’homme.

2. On distingue en les opposant la raison et la nature. Car nous n’appelons pas conformes à la nature les actions dirigées par la raison. Mais “ la colère implique la raison, alors que la convoitise est un mouvement irrationnel ”, dit Aristote. La convoitise est donc plus naturelle que la colère.

3. La colère est un appétit de vengeance, tandis que la convoitise est surtout l’appétit de ce qui est agréable au toucher, c’est-à-dire les plaisirs de la table et de l’amour. Or ces choses sont plus naturelles à l’homme que la vengeance. La convoitise est donc plus naturelle que la colère.

En sens contraire, le Philosophe écrit que “ la colère est plus naturelle que la convoitise ”.

Réponse :

On appelle naturel ce qui est.causé par la nature, comme on le voit chez Aristote. De sorte qu’on ne peut savoir si une passion est plus ou moins naturelle qu’en considérant sa cause. Or la cause d’une passion, avons-nous dit plus haut, peut être envisagée à un double point de vue : du côté de l’objet et du côté du sujet. Si nous considérons la cause de la colère et de la convoitise du côté de l’objet, la convoitise, principalement celle de la nourriture et des jouissances charnelles, est plus naturelle que la colère, car ces objets appartiennent davantage à la nature que la vengeance.

Considérons-nous au contraire la cause de la colère dans le sujet, la colère est plus naturelle sous un rapport, et la convoitise l’est davantage sous un autre. En effet, on peut envisager la nature d’un homme selon sa nature générique, selon sa nature spécifique, ou selon sa complexion individuelle. Si nous considérons sa nature générique, qui est la nature de cet homme en tant qu’il est animal, la convoitise est plus naturelle que la colère car, par la nature commune elle-même, l’homme a une certaine inclination à rechercher ce qui conserve sa vie, tant au point de vue de l’espèce qu’à celui de l’individu. Si nous considérons la nature de l’homme au point de vue spécifique, c’est-à-dire en tant qu’il est raisonnable, alors la colère est plus naturelle à l’homme que la convoitise, en ce sens que la colère implique la raison plus que ne le fait la convoitise. Ce qui fait dire au Philosophe qu’“ il est plus humain de punir ” - ce qui regarde la colère - “ que d’être doux ”, car tout être se dresse naturellement contre ce qui lui est contraire et nuisible.

Enfin, si nous considérons la nature de tel individu au point de vue de son tempérament particulier, la colère est plus naturelle que la convoitise, car elle suit plus spontanément que tout autre passion le penchant résultant de la constitution physique. C’est le tempérament bilieux, en effet, qui prédispose à la colère. Or la bile est de toutes les humeurs celle qui se met en mouvement avec le plus de rapidité : on la compare au feu. Celui qui par tempérament est enclin à la colère s’emporte donc avec plus de facilité que ne cède à la convoitise celui qui y est prédisposé. C’est pour cela, dit Aristote, que la colère se transmet des parents aux enfants plus que la convoitise.

Solutions :

1. On peut considérer dans l’homme sa complexion physique bien équilibrée par nature, et la raison. Au point de vue de sa complexion physique, il est naturel à l’homme, en raison de son espèce propre, d’être sans rien d’excessif, ni pour la colère, ni pour aucune autre passion, à cause de l’équilibre de sa complexion. Les autres animaux manquent de cet équilibre constitutionnel, si bien que leur organisation va toujours vers quelque extrême, et par suite leur donne une disposition naturelle à l’excès dans une passion, comme l’audace pour le lion, la colère pour les chiens, la crainte pour le lièvre, etc. - Du point de vue de la raison, colère et douceur sont également naturelles à l’homme. Car si la raison cause la colère en nous signalant les motifs d’irritation, c’est également son rôle de la calmer, au moins en partie, puisque l’homme en colère n’écoute qu’imparfaitement son commandement, avons-nous dit.

2. La raison elle-même appartient à la nature de l’homme. Donc le fait même que la colère s’accompagne de raison, implique que, dans une certaine mesure, la colère est naturelle à l’homme. 3. L’argument vaut pour la colère et la convoitise du point de vue de leur objet.

 

            Article 6 — La colère est-elle plus impitoyable que la haine ?

Objections :

1. Il semble bien. Car il est dit dans les Proverbes (27,4) : “ La colère, de même que la fureur impétueuse, ignore la miséricorde. ” Or la haine admet parfois de la miséricorde. Donc la colère est plus impitoyable que la haine.

2. Il est pire de subir le mal et d’en souffrir que de le subir seulement. Celui qui a de la haine se contente de ce que son ennemi subisse le mal. Mais cela ne suffit pas à l’homme en colère : il veut que l’adversaire connaisse son mal et en souffre, dit le Philosophe. Donc la colère est plus impitoyable que la haine.

3. Un être paraît avoir d’autant plus de stabilité qu’un plus grand nombre de causes concourent à sa constitution. C’est ainsi qu’un habitus est d’autant plus durable qu’il est causé par des actes plus nombreux. Mais la colère est causée par le concours de plusieurs passions, on vient de le voir, ce qui n’est pas le cas pour la haine. Donc la colère est plus constante et plus impitoyable que la haine.

En sens contraire, S. Augustin, dans sa “ Règle ”, compare la haine à la poutre, et la colère à la paille de la parabole.

Réponse :

C’est à son objet qu’on apprécie ce qui spécifie une passion et la définit. Or la colère et la haine ont matériellement le même objet ; car dans la haine on veut du mal à celui que l’on déteste ; dans la colère, à celui contre qui l’on s’irrite. Mais l’objet formel est différent ; le mal de l’ennemi détesté est voulu par celui qui hait en tant qu’il est un mal. Au contraire, l’homme en colère désire le mal de son adversaire non en tant que c’est du mal, mais en tant qu’il a une certaine valeur de bien, c’est-à-dire qu’il considère ce mal comme juste, en tant qu’il y trouve sa vengeance. C’est pourquoi on a dit plus haut que la haine consiste à vouloir du mal au mauvais tandis que la colère veut du bien au mauvais. Or il est évident que vouloir le mal en l’identifiant avec ce qui est juste est moins mauvais que vouloir simplement le mal de quelqu’un. En effet, vouloir le mal de quelqu’un pour être juste peut être conforme à la vertu de justice, si l’on obéit au précepte de la raison ; tandis que la colère a pour seul défaut de ne pas obéir au précepte de la raison lorsqu’elle se venge. On en conclut que la haine est bien pire et bien plus impitoyable que la colère.

Solutions :

1. Deux choses sont à considérer dans la colère et la haine : ce que l’on désire et l’intensité du désir. Quant à ce que l’on désire, la colère accepte plus de miséricorde que la haine. Car celle-ci, désirant le mal d’autrui sans autre considération, ne met pas de bornes à son assouvissement ; ce qui est objet de désir en soi-même est désiré sans mesure. C’est ainsi remarque Aristote, que l’avare désire les richesses. D’où cette parole de l’Ecclésiastique (12, 16) : “ L’ennemi, s’il en trouve l’occasion, ne pourra se rassasier de sang. ” - Mais la colère ne veut le mal que sous l’aspect d’une juste revanche. Donc, quand un homme en colère constate que le mal qu’il a infligé dépasse la mesure de la justice, il éprouve de la pitié. “ L’homme en colère, dit Aristote s’apitoie en maintes circonstances, celui qui hait, jamais. ” Mais si l’on considère l’intensité du désir, la colère laisse moins de place à la pitié que ne fait la haine, car le mouvement de la colère est plus impétueux à cause de l’inflammation de la bile. L’écrivain sacré a donc raison d’ajouter au texte cité par l’objection : “ Qui pourra soutenir la violence d’un esprit excité ? ”

2. L’homme en colère, nous venons de le dire, veut le mal d’autrui dans la mesure où il y voit une juste revanche. Cette vindicte s’accomplit par l’application d’une peine. Or il est de la nature de la peine qu’elle contrarie la volonté, qu’elle la fasse souffrir, et qu’elle soit infligée pour une faute. C’est pourquoi l’homme en colère veut que celui à qui fi fait du mal perçoive le dommage qu’il subit, en souffre, et se reconnaisse responsable par sa propre injustice de ce qui lui arrive. Mais celui qui hait n’a cure de tout cela : il veut le mal d’autrui purement et simplement. - Au reste, il n’est pas vrai que ce dont on s’attriste soit pire qu’autre chose. “ L’injustice et l’imprudence, remarque Aristote, sont des maux ” mais, étant volontaires, “ ils n’attristent aucunement ceux chez qui on les trouve. ”

3. La multiplication des causes rend l’effet plus constant quand les causes sont de même nature : mais une cause unique peut avoir plus de force que beaucoup d’autres. Or la haine provient d’une cause plus durable que celle de la colère. Car celle-ci vient d’un ébranlement de l’âme provoqué par un outrage, tandis que la haine vient d’un certain état d’âme qui nous fait tenir pour contraire ou nuisible l’objet détesté. C’est pourquoi, de même qu’une passion se dissipe plus vite qu’une disposition habituelle, de même la colère passe plus vite que la haine, bien que celle-ci, provenant de la disposition que nous avons dite, soit quand même une passion. Aristote le dit bien : “ La haine est plus incurable que la colère. ”

 

            Article 7 — La colère vise-t-elle seulement ceux auxquels nous lie la justice ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car il n’y a pas de rapport de justice entre l’homme et les êtres sans raison ; et pourtant l’homme s’irrite quelquefois contre ces êtres, ainsi l’écrivain qui, de colère, jette sa plume ; le cavalier qui frappe son cheval.

2. “ Il n’est pas question de justice à l’égard de soi-même, concernant ce qui nous appartient ”, dit Aristote. Mais on s’irrite parfois contre soi-même, tel le pénitent conscient de son péché. Ce qui fait dire au Psaume (4,5 Vg) ; “ Mettez-vous en colère et ne péchez pas. ”

3. Justice et injustice peuvent se rencontrer dans les rapports d’un individu avec toute une classe de personnes ou l’ensemble d’une communauté ; quand une ville, par exemple, a lésé une personne. Or, remarque Aristote, la colère ne s’élève pas contre un ensemble “ mais contre quelqu’un en particulier ”. L’objet propre de la colère et celui de la justice ne co’incident donc pas.

En sens contraire, nous avons l’autorité d’Aristote.

Réponse :

Répétons que la colère désire le mal en tant qu’il a valeur de juste revanche. Ceux contre qui elle s’insurge sont donc des gens avec qui nous avons des rapports qualifiés par la justice et son contraire. Infliger la vengeance relève de la justice ; faire du tort à quelqu’un relève de l’injustice. Donc, tant du côté de la cause qui est le tort infligé par autrui, que du côté de la revanche recherchée par l’homme irrité, il est évident que la colère concerne ceux avec qui nous sommes en relation de justice et d’injustice.

Solutions :

1. Comme nous l’avons déjà dit, bien que la colère s’accompagne de raison, elle peut se trouver aussi chez les bêtes du fait de l’instinct qui les pousse, par le moyen de l’imagination, à des activités ayant quelque ressemblance avec des activités raisonnables. Puisque l’homme possède à la fois raison et imagination, le mouvement de la colère peut surgir en lui de deux façons. De la première façon, la représentation du dommage subi existe uniquement dans l’imagination. C’est ainsi qu’on se met en colère même contre les êtres dépourvus de raison ou contre des choses inanimées, à l’imitation de ces mouvements qui jettent les animaux contre tout ce qui leur nuit. De la seconde façon, c’est la raison qui nous avertit du tort qu’on nous a fait. Alors, dit Aristote, “ la colère ne peut en aucune façon s’élever contre les choses insensibles, ni contre les morts ”. D’abord parce qu’ils ne souffrent pas, ce que les gens irrités recherchent avant tout chez les victimes de leur colère. Ensuite parce qu’on ne peut pas se venger de gens à qui on ne peut faire aucun mal.

2. “ Par métaphore, on parle de justice et d’injustice à l’égard de soi-même ”, dit Aristote, en tant que la raison gouverne l’irascible et le concupiscible. En ce sens également on parle de tirer vengeance de soi-même, et par conséquent de s’irriter contre soi. Mais, à parler proprement, et selon la nature des choses, on ne s’irrite pas contre soi-même.

3. Aristote établit ici une distinction entre la haine et la colère : “ La haine peut être générale à l’égard de toute une catégorie de gens ainsi détestons-nous toute espèce de voleurs mais quand on se met en colère, c’est contre quelqu’un en particulier ! ” La raison en est que la haine est engendrée par la constatation d’un désaccord qui oppose telle manière d’être à nos propres dispositions. Ce peut être une manière d’être commune à plusieurs, ou au contraire individuelle. La colère, elle, est causée par l’acte de quelqu’un qui nous a lésé. Mais tout acte est un fait individuel. La colère est donc toujours particularisée. Et si c’est toute une ville qui nous a lésé, nous comptons toute la ville comme un seul individu.

 

            Article 8 — Les espèces de la colère

Objections :

1. On ne peut admettre la distinction de S. Jean Damascène entre trois espèces de colère : “ le fiel, la rage et la fureur ”. On ne tire pas une distinction spécifique de ce qui est accidentel, comme c’est le cas ici où “ l’on appelle fiel la colère commençante, rage la colère qui dure, fureur celle qui attend le moment de se venger ”.

2. “ L’emportement, dit Cicéron, porte en grec le nom de thymosis ; c’est une colère qui naît tout d’un coup et disparaît de même. ” Mais dans la langue du Damascène thymosis et fureur sont identiques. Donc la fureur ne cherche pas le temps de se venger, puisqu’elle s’évanouit avec le temps.

3. S. Grégoire distingue trois degrés dans la colère. Il y a “ la colère sans voix, la colère qui s’accompagne de cris, et la colère qui s’exprime en paroles ”. Ce qui correspond à l’enseignement du Seigneur qui distingue, selon S. Matthieu (5,22) ces trois degrés de colère - “ Celui qui se met en colère contre son frère ” ; c’est la colère muette. “ Celui qui dira à son frère "Raca" : c’est la colère qui se manifeste par des cris plus que par des paroles vraiment formulées. Et enfin : “ Celui qui dira à son frère : "Fou" : c’est la colère qui se traduit en un langage parfaitement expressif. La division du Damascène est donc insuffisante, puisqu’elle ne tient pas compte de la voix.

En sens contraire, nous avons les autorités de S. Jean Damascène et de Grégoire de Nysse.

Réponse :

Les trois espèces de colère mentionnées par ces Pères de l’Église tirent leur distinction de ce qui donne à la colère un certain développement. Or il y a là trois principes différents. C’est d’abord la brusquerie du mouvement ; on appelle fiel une colère qui s’enflamme subitement. Ensuite la tristesse, qui entretient la colère et dont le souvenir se prolonge, se rattache à la rage qui tourne en manie, du verbe latin manere, demeurer. Enfin l’objet du désir, la revanche, se rattache à la fureur qui ne s’apaise qu’en punissant. C’est ainsi qu’Aristote parlant des gens en colère appelle vifs ceux qui s’emportent soudain, amers ceux qui gardent longtemps leurs colères, implacables ceux que la vengeance seule apaise.

Solutions :

1. Toutes ces nuances qui affinent la notion de colère ne lui sont pas absolument accidentelles. Et c’est pourquoi rien n’empêche qu’on ne tire d’elles les différences entre les espèces de la colère.

2. L’emportement mentionné par Cicéron se rapporte mieux à la première espèce de colère, caractérisée par sa brusquerie, qu’à la fureur. Mais rien n’empêche que le mot thymosis, que traduit le latin furor, n’ait lui-même un sens plus large, désignant à la fois la promptitude à s’irriter et la ferme volonté de punir.

3. Ces degrés dans la colère sont distingués selon les effets de celle-ci, et non selon la diversité de plénitude dans le mouvement même de la colère.

 

QUESTION 47 — LA CAUSE EFFECTIVE DE LA COLÈRE ET SES REMÈDES

1. Le motif de la colère est-il toujours une action faite contre celui qui s’irrite ? - 2. Le seul motif de la colère est-il la mésestime ou le mépris ? - 3. La cause de la colère chez celui qui s’irrite. - 4. La cause de la colère chez celui qui la subit.

 

            Article 1 — Le motif de la colère est-il toujours une action faite contre celui qui s’irrite ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne s’irrite pas toujours de quelque action hostile. En effet, l’homme, en péchant, ne peut rien faire contre Dieu, car on lit dans Job (35,6) : “ Si tu multiplies tes offenses, lui fais-tu quelque mal ? ” Et pourtant on dit bien que Dieu s’irrite contre les hommes à cause de leurs péchés, selon le Psaume (106,40) : “ La colère du Seigneur s’alluma contre son peuple. ” Ce n’est donc pas toujours pour une action hostile que l’on s’irrite.

2. La colère est un désir de vengeance. Or on désire aussi se venger de choses faites contre d’autres. Le motif de la colère n’est donc pas toujours ce qu’on fait contre nous.

3. Comme dit Aristote, les hommes s’irritent surtout contre ceux “ qui méprisent ce qui les intéresse le plus eux-mêmes ; ainsi ceux qui s’appliquent à la philosophie s’irritent contre ceux qui la méprisent ”, et il en est de même pour le reste. Or mépriser la philosophie n’est pas nuire à celui qui s’y intéresse. Ce n’est donc pas toujours à cause de ce qui est fait contre nous que nous nous mettons en colère.

4. Celui qui se tait quand on l’injurie excite davantage la colère de l’autre, dit S. Jean Chrysostome. Or en se taisant il ne fait rien contre lui.

En sens contraire, le Philosophe écrit : “ La colère a toujours pour cause ce qui nous concerne ; mais l’inimitié peut exister sans cela : supposons qu’une personne a telle ou telle caractéristique, et c’est assez pour que nous la haïssions. ”

Réponse :

La colère, avons-nous dit, est un désir de nuire à autrui en raison d’une juste vengeance. Or la vengeance implique une injustice préalable. Mais toute injustice ne provoque pas à la vengeance, mais seulement celle qui concerne l’homme qui veut se venger. Car, de même que chacun cherche par nature son bien propre, ainsi est-ce par nature que chacun repousse le mal qui lui est propre. Or pour qu’une injustice nous concerne, il faut que l’agresseur ait fait quelque chose qui, d’une manière ou d’une autre, nous soit hostile. Nous en concluons que le motif de la colère est toujours quelque chose qui a été fait contre celui qui s’en irrite.

Solutions :

1. Quand on attribue la colère à Dieu, ce n’est pas comme une passion sensible, mais comme une détermination de sa justice, en tant qu’il veut que le péché soit vengé. Certes le pécheur, dans son acte, ne peut pas nuire effectivement à Dieu. Mais pour autant que cela dépend de lui, il agit doublement contre Dieu. Tout d’abord, il l’offense en méprisant ses commandements. Secondement, par le dommage qu’il se cause à lui-même ou à autrui, le pécheur nuit à un homme qui est l’objet de la providence et de la protection de Dieu.

2. Nous nous mettons en colère contre ceux qui font du mal aux autres, et nous voulons tirer vengeance de leur injustice, parce que leurs victimes nous sont liées de quelque manière : par parenté, par amitié, ou simplement par communauté de nature.

3. Ce qui est l’objet de tous nos soins, nous en faisons vraiment notre bien. Si on le méprise, nous nous jugeons méprisés nous aussi, et nous nous sentons blessés.

4. Celui qui se tait provoque la colère de celui qui lui fait tort, quand ce silence parâit causé par un mépris qui déprécie la colère de l’autre. Mais ce mépris lui-même est un acte.

 

            Article 2 — Le mépris ou la mésestime est-il le seul motif de la colère ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car d’après S. Jean Damascène : “ Ce qui nous met en colère, c’est le tort que nous avons subi ou croyons avoir subi. ” Mais on peut nous faire tort sans qu’il y ait pour autant mésestime ou mépris.

2. Rechercher l’estime et s’attrister du mépris cela revient au même. Mais les bêtes n’ont pas de point d’honneur et le mépris ne les touche donc pas. Pourtant “ la colère s’allume en elles quand on les blesse ”, dit Aristote. Il y a donc d’autres motifs de colère que le mépris.

3. Aristote énumère bien d’autres causes de colère, par exemple : “ l’oubli, la joie dans le malheur d’autrui, les fâcheuses nouvelles, l’obstacle à l’accomplissement de notre volonté ”. Donc la mésestime n’est pas seule à provoquer la colère.

En sens contraire, le Philosophe écrit que la colère est “ un désir de punir, accompagné de tristesse, à cause de la mésestime qu’on semble nous montrer sans raison ”.

Réponse :

Toutes les causes de la colère se ramènent au mépris. On fait peu de cas de vous : ce qui peut prendre, selon Aristote. trois aspects spécifiques, qu’il nomme le dédain, la vexation (qui met obstacle à nos desseins) et l’outrage : tous les motifs de colère se ramènent à ceux-là. En voici la double raison.

1° La colère veut le mal d’autrui au titre d’une juste vengeance. Elle recherche donc la vengeance dans la mesure où elle la croit juste ; mais pour qu’elle le soit, il faut qu’une injustice ait été commise. Le motif qui provoquera la colère sera donc toujours quelque chose qu’on tiendra pour injuste. “ Si l’on pense, dit Aristote, que ceux qui ont causé du tort ont souffert justement, on ne se met pas en colère contre ce qui est juste. ” Or on peut nuire à quelqu’un de trois manières : par ignorance, par passion, ou par choix. Car on commet la plus grande injustice quand on nuit par choix, par calcul, ou par méchanceté voulue, remarque encore Aristote. Aussi éprouve-t-on de la colère surtout à l’égard de ceux dont nous pensons qu’ils nous ont fait du tort par calcul. Si nous mettons leur façon d’agir sur le compte de l’ignorance ou de la passion, nous ne leur en voulons pas, ou du moins notre colère est minime. Car l’ignorance et la passion atténuent l’injustice et appellent d’une certaine manière la miséricorde et le pardon. Tandis que ceux qui nuisent par calcul semblent coupables de mépris, et c’est contre eux que nous nous irritons le plus. Comme dit Aristote : “ Contre ceux qui ont agi par colère, nous n’éprouvons pas de colère, ou très peu, car ils ne semblent pas l’avoir fait par mépris. ”

2° Mépriser quelqu’un, c’est nier sa valeur. “ Ce que l’on tient pour nul et sans mérite, on le méprise ”, dit Aristote. Or nous demandons à tous nos biens de nous procurer une certaine valeur. C’est pourquoi tout ce qui nous fait tort porte atteinte à notre valeur et nous paraît inspiré par le mépris.

Solutions :

1. On se trouve moins lésé quand le dommage subi a une autre cause que le mépris. Seul le mépris ou mésestime augmente le motif de s’irriter. C’est pourquoi il est essentiellement cause de colère.

2. La bête n’a pas de point d’honneur au sens propre du mot, mais une certaine valeur naturelle que son instinct la porte à défendre avec colère contre toute atteinte.

3. Tous ces cas se ramènent à une certaine mésestime. L’oubli en est un signe évident, car ce que nous jugeons important, nous le gravons plus fortement dans notre mémoire. De même, c’est mésestimer la tristesse d’autrui que de ne pas craindre de lui en causer en lui annonçant de mauvaises nouvelles : c’est paraître tenir pour négligeable son bien ou son mal. De même encore celui qui met obstacle aux projets d’autrui, sans qu’un avantage personnel puisse expliquer sa conduite, ne semble pas faire grand cas de son amitié. C’est donc par le mépris qu’elles expriment que toutes ces attitudes provoquent la colère.

 

            Article 3 — La cause de la colère chez celui qui s’irrite

Objections :

1. Il semble que la valeur de celui qui s’irrite facilement ne soit pas la cause de sa colère, car Aristote écrit : “ Il y a des gens qui s’irritent très facilement quand on les contraste, comme les malades, les nécessiteux, ceux qui n’ont pas ce qu’ils désirent. ” Tout cela implique quelque déficience. On est donc plus porté à la colère par un manque que par une valeur.

2. Le Philosophe dit encore : “ Certains s’irritent surtout quand on méprise en eux des qualités dont on peut soupçonner qu’ils ne les possèdent pas, ou à un faible degré ; mais quand ils estiment posséder à un haut degré ce qui les fait mépriser, ils ne s’en soucient pas. ” Or, le soupçon en question tient à un manque. Donc la cause de la colère est ce qui nous manque, plutôt que les avantages où nous excellons.

3. C’est surtout ce qui concourt à leur valeur qui rend les hommes joyeux et pleins d’espoir. Mais le Philosophe dit que “ dans le jeu, la gaieté, la fête, la prospérité, la réussite, le plaisir honnête et le noble espoir ” les hommes ne se mettent pas en colère. Donc la valeur n’est pas cause de colère.

En sens contraire, le Philosophe dit que les hommes s’indignent à cause de leur valeur.

Réponse :

La cause de la colère, chez l’homme irrité, peut être envisagée à un double point de vue.

1° Dans son rapport avec le motif de la colère. La valeur d’un individu est ainsi la cause de promptes colères. Car un motif de la colère est l’injuste mépris, comme on vient de le dire. Or il est clair que plus grande est la valeur d’un homme, plus injuste est la mésestime de ses qualités éminentes. Ceux qui excellent en quelque chose s’irritent au plus haut point si on les déprécie : voyez le riche dont on rabaisse la fortune, l’orateur dont on n’apprécie pas l’éloquence, etc.

2° On peut considérer la cause de la colère, chez celui qui s’irrite, comme une disposition laissée en lui par un motif de colère. Or il est évident que rien ne pousse davantage à la colère qu’un préjudice attristant. Et rien n’es plus attristant que ce qui nous met en état d’infériorité. Les gens souffrant de quelque insuffisance sont plus vulnérables. Voilà pourquoi les malades, ou ceux qui subissent d’autres épreuves, sont plus facilement irritables : c’est qu’ils sont davantage sujets à la tristesse.

Solutions :

1. Cela donne la réponse à la première objection.

2. Celui qui est méprisé sur le terrain où il excelle de façon évidente, n’estime pas en subir de dommage, et donc il ne s’attriste pas : de ce côté il est moins porté à la colère. Mais d’un autre côté, plus il est injustement méprisé, plus il a motif de s’irriter. A moins qu’il n’attribue pas l’envie ou la dérision au mépris, mais plutôt à l’ignorance ou à un autre motif de ce genre.

3. Tout cela empêche la colère en empêchant la tristesse. Mais d’un autre côté, cela est de nature à provoquer la colère en rendant le mépris plus injustifié.

 

            Article 4 — La cause de la colère chez celui qui la subit

Objections Il ne semble pas qu’on s’irrite facilement contre quelqu’un à cause de ses manques. En effet, Aristote déclare : “ Envers ceux qui avouent, se repentent et s’humilient, nous ne nous irritons pas, nous nous apaisons plutôt. C’est ainsi que les chiens ne mordent pas ceux qui restent sur place. ” Or cela témoigne d’une petitesse et d’un manque. Donc la petitesse de quelqu’un est cause d’une moindre colère.

2. Il n’y a pas de plus grand dénuement que la mort. Or devant les morts la colère tombe. Les déficiences de quelqu’un ne provoquent donc pas de colère contre lui.

3. Nous n’estimons pas que quelqu’un soit diminué par le fait qu’il est notre ami. Et pourtant quand nos amis nous offensent, ou ne nous aident pas, nous nous sentons plus atteints. “ Si un ennemi m’insultait, je pourrais le supporter ”, dit le Psaume (55,13). Ce n’est donc pas l’indigence de quelqu’un qui nous porte à la colère contre lui.

En sens contraire : “ Le riche, dit Aristote, s’irrite contre le pauvre s’il en est méprisé ; le chef, contre son subordonné. ”

Réponse :

Nous l’avons dit, le mépris injustifié est ce qui par-dessus tout provoque la colère. Les indigences ou la bassesse de notre adversaire soulèvent d’autant plus de colère qu’elles rendent son mépris plus scandaleux. S’il est vrai en effet qu’une plus grande supériorité rend le mépris plus indigne, plus un être est bas, moins il a le droit de mépriser autrui. De là vient la colère des nobles quand ils sont méprisés par des rustres, des sages par des imbéciles, des maîtres par leurs serviteurs.

Mais, si la bassesse ou l’indigence diminue l’indignité du mépris, au lieu d’augmenter la colère, elle la diminue. De cette façon ceux qui se repentent de leurs torts, reconnaissent avoir mal agi, s’humilient et demandent pardon, ceux-là apaisent celui qu’ils ont courroucé. “ Une Réponse douce calme la colère ”, est-il dit dans les Proverbes (15,1). Car on voit qu’en se comportant ainsi ils ne méprisent pas, mais plutôt ils honorent ceux devant qui ils s’humilient.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. La colère cesse devant les morts pour deux raisons. D’abord parce qu’ils ne souffrent plus et ne ressentent rien ; la colère perd donc son principal objectif Ensuite parce qu’ils semblent être parvenus au comble du malheur. Aussi la colère cesse-t-elle également envers tous ceux qui sont grièvement frappés, quand le mal qui les atteint dépasse la mesure d’une juste sanction.

3. Le mépris qui vient de nos amis nous semble, lui aussi, particulièrement indigne. Et c’est pourquoi nous nous irritons particulièrement contre eux s’ils nous méprisent, soit en nous nuisant, soit en ne nous aidant pas, comme nous nous irritons contre nos inférieurs.

 

QUESTION 48 — LES EFFETS DE LA COLÈRE

1. La colère cause-t-elle du plaisir ? - 2. Cause-t-elle plus qu’autre chose l’effervescence du cœur ? - 3. Empêche-t-elle plus qu’autre chose l’usage de la raison ? - 4. Rend-elle taciturne ?

 

            Article 1 — La colère cause-t-elle du plaisir ?

Objections :

1. Il semble que non, car la tristesse exclut le plaisir. Or la colère est toujours accompagnée de tristesse, car “ quiconque agit sous l’impulsion de la colère ressent de la peine ”, comme dit Aristote. Donc la colère ne cause pas de plaisir.

2. “ La punition, dit Aristote, calme l’emportement de la colère, faisant succéder le plaisir à la tristesse. ” Ce qui veut dire que l’homme en colère tire plaisir de la punition de son adversaire, et que la punition élimine la colère. Donc lorsque survient le plaisir, la colère disparaît. Elle n’est donc pas un effet lié au plaisir.

3. Nul effet n’entrave sa cause, puisqu’il lui ressemble. Or les plaisirs empêchent la colère, dit Aristote. Donc le plaisir n’est pas un effet de la colère.

En sens contraire, le Philosophe cite ce proverbe : “ La colère qui monte dans le cœur de l’homme est beaucoup plus douce que le miel qui coule goutte à goutte. ”

Réponse :

Selon l’enseignement d’Aristote, les plaisirs, surtout les plaisirs sensibles et corporels, remédient à la tristesse. Aussi, plus la tristesse et l’anxiété dont ils nous guérissent est profonde, plus le bienfait qu’ils apportent est ressenti : on a plus de plaisir à boire quand on a soif. Or il est évident, d’après ce que nous avons dit, que le mouvement de la colère est provoqué par un tort qu’on nous a fait et qui nous attriste. C’est à cette tristesse qu’on remédie par la vengeance. C’est pourquoi celle-ci apporte avec elle un plaisir, lui-même d’autant plus grand que la tristesse avait été plus forte. Donc, si la vengeance est présente réellement, il y a plaisir parfait, excluant complètement la tristesse et par là calmant le mouvement de la colère. Mais avant que la vengeance soit présente réellement, elle devient présente d’une double manière à celui qui est en colère. D’abord par l’espoir, car nul ne s’irrite s’il n’espère se venger, comme nous l’avons vu plus haut. Ensuite par une pensée continuelle. Il est agréable en effet à quiconque éprouve un désir, de demeurer dans la pensée de ce qu’il désire ; c’est pour cela d’ailleurs que les imaginations de nos rêves nous sont agréables. Et donc, quand l’homme irrité se repaît continuellernent de la pensée de sa vengeance, il en éprouve du plaisir. Toutefois ce plaisir n’est pas parfait au point de bannir la tristesse et, par voie de conséquence, la colère.

Solutions :

1. Ce n’est pas de la même chose que l’homme en colère s’attriste et se réjouit ; il s’attriste du tort qu’il a subi ; il se réjouit à la pensée de la vengeance qu’il espère. De sorte que la tristesse est comme le principe de la colère, tandis que le plaisir en est l’effet ou le terme.

2. Cette objection vaut pour le plaisir causé par la présence effective de la vengeance, qui supprime totalement la colère.

3. Les plaisirs antécédents empêchent que la tristesse ne suive, et par suite préviennent la colère. Mais le plaisir de la vengeance suit celle-ci.

 

            Article 2 — La colère cause-t-elle plus qu’autre chose l’effervescence du cœur ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la ferveur, a-t-on dit, appartient à l’amour. Or l’amour est le principe et la cause de toutes les passions. Puisque la cause est plus forte que l’effet, il semble donc que la colère ne produise pas spécialement la ferveur.

2. Ce qui, de soi, excite la ferveur, augmente avec le temps, comme l’amour se fortifie par la durée. Or la colère s’affaiblit par la durée, selon la parole du Philosophe h : “ Le temps apaise la colère. ” Celle-ci n’est donc pas la cause propre de la ferveur.

3. La ferveur ajoutée à la ferveur cause une ferveur plus grande. Or, pour le Philosophe : “ Une plus grande colère survenant calme la première colère. ” La colère ne cause donc pas la ferveur.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit : “ La colère est une chaleur du sang dans la région du cœur, provenant de l’évaporation du fiel. ”

Réponse :

Nous avons vu que la modification corporelle qu’impliquent les passions de l’âme est proportionnée au mouvement de l’appétit. Or il est manifeste que tout appétit, même naturel, tend plus fortement à s’opposer à ce qui lui est contraire, si cet objet lui est présent : nous voyons l’eau chauffée se congeler davantage, comme par une action plus énergique du froid contre la chaleur. Or la colère, mouvement de l’appétit suscité par le tort qu’on nous a fait, réagit sous le coup d’un contraire. Aussi l’appétit tend-il avec la plus grande force à repousser l’injure en désirant la vengeance, ce qui communique au mouvement de la colère une véhémence et une impétuosité considérables. Et parce qu’il ne s’agit pas d’un mouvement de contraction, à quoi correspond le froid, mais bien plutôt d’un bondissement, mouvement correspondant à la chaleur, la colère cause une certaine effervescence du sang et des esprits dans la région du cœur, organe des passions de l’âme. C’est ce grand trouble du cœur qui explique que les gens en colère trahissent au plus haut point leur passion par certains symptômes que montrent leurs membres extérieurs. Voici ce qu’en dit S. Grégoire : “ Sous l’aiguillon de la colère, le cœur palpite, le corps tremble, la langue s’embarrasse, le visage s’enflamme, les yeux lancent des éclairs, et l’on ne reconnaît plus ses proches ; la bouche profère des cris, mais on ne sait plus ce que l’on dit. ”

Solutions :

1. “ L’amour n’est jamais aussi fortement ressenti que lorsque la pauvreté le révèle ”, dit S. Augustin. Aussi, quand on fait tort à un bien que nous aimons, notre amour devient plus sensible ; et c’est pourquoi le cœur s’émeut d’une ardeur nouvelle pour repousser l’obstacle opposé à ce que nous aimons, et ainsi la ferveur de l’amour est excitée par la colère, qui la rend plus sensible.

Cependant la chaleur produit une effervescence d’un caractère différent dans l’amour et la colère. Celle de l’amour s’accompagne de douceur et de suavité ; elle se porte en effet sur le bien qu’on aime. Aussi a-t-elle les caractères de la chaleur de l’air et du sang ; c’est pourquoi les sanguins sont plus portés à l’amour : et c’est en ce sens qu’on dit que “ le foie porte à aimer ” car il s’y fait une certaine production de sang. Quant à l’effervescence de la colère, elle s’accompagne d’amertume et elle est dévorante ; car elle tend au châtiment de ce qui la contrarie. Aussi l’assimile-t-on à la chaleur du feu et de la bile : ce qui fait dire à S. Jean Damascène qu’elle “ procède de l’évaporation du fiel, et est appelée fielleuse ”.

2. Tout ce dont le temps affaiblit la cause doit s’atténuer de même avec le temps. Or il est manifeste que le temps efface le souvenir ; les choses anciennes nous sortent facilement de la mémoire. D’autre part, la colère est causée par le souvenir d’un tort qui nous a été fait. Sa cause s’amenuise donc peu à peu avec le temps, jusqu’à disparaître totalement. - Disons aussi que le tort paraît plus grand dans la première impression qu’il nous fait, et que cette appréciation se modifie peu à peu, à mesure qu’on s’éloigne du choc immédiatement ressenti. - Ajoutons qu’il en va de même dans l’amour, si l’objet qui le suscite ne demeure présent qu’à notre souvenir. “ Si l’absence de l’ami se prolonge, remarque Aristote, elle semble faire oublier l’amitié. ” Mais l’ami reste-t-il présent, le temps ne fait qu’accroître l’amitié en en multipliant la cause. Ce serait le cas de la colère, si sa cause, entretenue sans cesse, se trouvait ainsi renforcée.

Il reste que le fait même que la colère s’épuise rapidement atteste la violence de son bouillonnement. De même qu’un grand feu s’éteint vite, plus rien ne restant à brûler, la colère, par sa véhémence même, disparaît rapidement.

3. Toute force en se divisant et se dispersant s’amoindrit. Qu’un homme déjà en colère contre quelqu’un s’emporte contre un autre, sa première colère en est diminuée. Surtout si le second adversaire l’irrite davantage ; car en comparaison de ce nouveau tort qu’il estime plus grave, le premier lui semblera peu de chose ou rien.

 

            Article 3 — La colère empêche-t-elle plus qu’autre chose l’usage de la raison ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, la colère ne met pas d’entrave à la raison, car celle-ci ne peut trouver obstacle en ce qui l’accompagne : “ la colère est accompagnée de raison ”, dit Aristote.

2. Plus la raison est empêchée, moins on y voit clair. Or, dit le Philosophe, “ l’homme en colère ne fait pas ses coups en dessous, mais agit au grand jour ”. La colère ne semble donc pas contraire à la claire raison, comme la convoitise, qui poursuit insidieusement ses desseins, dit-il au même endroit.

3. Le jugement de la raison s’éclaire par un effet de contraste : la confrontation des contraires les met en meilleure lumière. Or cela fait aussi grandir la colère. “ On s’irrite davantage, dit Aristote, quand la situation précédente fait contraste : quand par exemple des gens honorés tombent dans le déshonneur. ” Ce qui augmente la colère est donc aussi ce qui nous aide à mieux juger. Donc la colère n’entrave pas le jugement de la raison.

En sens contraire, S. Grégoire écrit que “ la colère retire la lumière de l’intelligence, lorsqu’elle trouble l’esprit en l’agitant ”.

Réponse :

L’esprit ou la raison, n’emploie pas un organe corporel pour son acte propre. Elle a cependant besoin, pour cet acte, de certaines facultés sensibles dont le fonctionnement est entravé par les perturbations du corps. Celles-ci par une conséquence nécessaire, empêchent donc également la raison d’exercer son jugement ; l’ivresse et le sommeil le prouvent. Or, nous avons dit que la colère surtout cause un tel trouble physiologique dans la région du cœur qu’il retentit jusque dans les membres extérieurs. La colère est donc, de toutes les passions, celle qui le plus manifestement trouble le jugement de la raison : “ Mon œil est troublé par la colère ”, dit le Psalmiste (31,10 Vg).

Solutions :

1. Le principe de la colère vient de la raison, quant au mouvement de l’appétit qui en est l’élément formel. Mais cette passion prévient le jugement complet de la raison, parce qu’elle ne l’écoute pas jusqu’au bout, à cause de l’ébranlement brutal provoqué par la chaleur, qui est l’élément matériel de la colère. C’est par là que celle-ci entrave le jugement de la raison.

2. Quand on dit de l’homme en colère qu’il agit au grand jour, cela ne veut pas dire qu’il voit clairement ce qu’il doit faire, mais qu’il ne cherche pas à cacher ce qu’il fait. Cela tient pour une part au trouble qui empêche sa raison de discerner ce qu’il faudrait dissimuler ou découvrir, ou même de trouver les moyens de dissimuler. Pour une autre part, cela tient à ce que la colère gonfle le cœur de cette même dilatation que connaît la magnanimité, et qui fait dire à Aristote que le grand cœur “ montre ouvertement ses haines et ses amours, parle et agit au grand jour ”. De la convoitise, au contraire, on dit qu’elle est secrète et tortueuse, parce que le plus souvent les plaisirs convoités ont quelque chose de honteux et d’amollissant, que l’on veut cacher. Tandis que dans les situations où l’énergie et la valeur sont en jeu, comme la vengeance, on cherche à se montrer.

3. Le mouvement de la colère a son point de départ, nous venons de le dire, dans la raison. C’est donc au même titre que la juxtaposition des contraires aide la raison à mieux juger, et accroît la colère. Qu’un homme riche et honoré soit atteint dans sa fortune ou son honneur, le dommage apparaît plus grand, soit par le contraste, soit par l’imprévu de la chose. C’est la cause d’une tristesse plus grande, de même qu’un grand bonheur cause plus de joie quand il survient à l’improviste. Et si la tristesse préalable augmente, la colère augmente en conséquence.

 

            Article 4 — La colère rend-elle taciturne ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car le mutisme s’oppose à la parole. Or quand la colère grandit, elle en vient aux paroles, comme on le voit par les degrés de la colère que le Seigneur distingue en S. Matthieu quand il dit (Mt 5, 22) : “ Celui qui s’irrite contre son frère ”, et : “ Celui qui dit à son frère "Raca " ”, et enfin : “ Celui qui dit à son frère "Fou". ” La colère ne rend donc pas taciturne.

2. C’est faute du contrôle de la raison que l’on éclate en paroles désordonnées. “ Une ville ouverte et sans remparts, voilà l’homme qui ne peut se contenir quand il parle ”, disent les Proverbes (25,28 Vg). Or, plus que tout, la colère empêche le jugement de la raison, on vient de le dire. C’est donc elle surtout qui se répand en paroles désordonnées.

3. “ La bouche parle de l’abondance du cœur ”, est-il écrit (Mt 12,34). Mais c’est la colère surtout qui agite le cœur, et donc, plus que tout, fait parler.

En sens contraire, S. Grégaire dit : “ La colère enfermée par le silence bouillonne avec plus de véhémence au fond de l’esprit. ”

Réponse :

Nous savons déjà que la colère et s’accompagne de raison et entrave la raison. C’est à l’un et l’autre titre qu’elle peut rendre taciturne. Cela arrive, du côté de la raison, quand le jugement garde assez de vigueur pour maîtriser la langue et retenir les paroles désordonnées, bien qu’il ne puisse contenir l’appétit dans son désir désordonné de vengeance. “ Parfois, dit S. Grégoire, la colère, dans une âme troublée, impose le silence par une sorte de jugement ”. D’autre part, lorsque la colère entrave la raison, comme nous l’avons dit, son ébranlement atteint jusqu’aux membres extérieurs, principalement ceux où s’exprime plus clairement l’état du cœur, comme les yeux, le visage, la langue ; d’où ces paroles déjà citées : “ La langue s’embarrasse, le visage s’enflamme, les yeux lancent des éclairs. ” Le trouble de la colère peut donc être si grand qu’il empêche complètement l’usage de la parole. C’est alors le mutisme.

Solutions :

1. L’accroissement de la colère va quelquefois jusqu’à empêcher la raison de retenir la langue. Parfois il va encore plus loin et empêche le mouvement de la langue et des autres membres extérieurs.

2. Cela donne la réponse à la deuxième objection.

3. Le trouble du cœur peut être parfois tellement désordonné que le mouvement des membres extérieurs en est empêché. Cela produit alors le mutisme, l’immobilité des membres extérieurs, et parfois même la mort. - Mais si le trouble n’est pas si grand, ce qu’il a pourtant d’excessif pousse à parler.

Après les actes et les passions, il faut étudier les principes des actes humains. D’abord de leurs principes intrinsèques. Ensuite de leurs principes extrinsèques.

Le principe intrinsèque c’est la puissance de l’habitus. Mais puisqu’il a été question des puissances dans la première Partie, il reste maintenant à traiter des habitus. En premier lieu des habitus en général (Q. 49-54) ; mais en second lieu des vertus et des vices ainsi que des autres habitus du même genre qui sont les principes des actes humains (Q. 55-89).

En ce qui concerne les habitus en général, il faut considérer : l° la nature des habitus (Q. 49) 2° leur sujet (Q. 50) ; 3° la cause de leur génération, de leur croissance et de leur disparition (Q. 51-53) ; 4° leur distinction (Q. 54).

 

QUESTION 49 — LA NATURE DES HABITUS

1. L’habitus est-il une qualité ? - 2. Est-il une espèce déterminée de la qualité ? - 3. Implique-t-il une tendance à l’action ? - 4. La nécessité des habitus.

 

            Article 1 — L’habitus est-il une qualité ?

Objections :

1. D’après S. Augustin, il ne semble pas. En effet il dit que “ ce substantif habitus vient du verbe habere, avoir, posséder ”. Or posséder ne se rapporte pas seulement à l’ordre de la qualité mais à bien d’autres genres ; nous disons que nous avons ou possédons quantité de choses, de l’argent, etc. L’habitus n’est donc pas une qualité.

2. Le Philosophe montre au livre des Prédicaments que l’habitus est un de ceux-ci. Mais un prédicament ne rentre pas dans un autre. L’habitus n’est donc pas la qualité.

3. Le Philosophe dit au même livre que “ tout habitus est une disposition ”. Mais une disposition c’est “ l’arrangement d’un être composé de plusieurs parties ”. Or ceci se rapporte au prédicament situs non à la qualité.

En sens contraire, le Philosophe affirme dans les Prédicaments “ que l’habitus est une qualité qui ne change pas facilement ”.

Réponse :

Ce nom d’habitus est tiré du verbe habere, avoir. Il en dérive de deux manières,

1° au sens où l’on dit qu’on possède quelque chose on, c’est-à-dire l’homme ou quelque autre réalité

2° au sens où une réalité en quelque sorte se possède, en elle-même ou à l’égard d’autre chose.

Dans la première acception il faut considérer que le fait d’avoir ou de posséder, selon qu’il est appliqué à n’importe quel objet de possession est commun à divers genres. Aussi le Philosophe le range-t-il parmi ces choses dites “ postprédicamentales ”. c’est-à-dire consécutives aux différents prédicaments, comme sont les oppositions, l’avant et l’après, etc. - Mais pour ce qui est des choses qu’on a en sa possession, il semble y avoir entre elles la distinction que voici. Il y a des cas où rien d’intermédiaire n’existe entre le possesseur et la réalité possédée : ainsi entre un sujet et sa qualité ou sa quantité il n’y a aucun intermédiaire. Dans d’autres cas au contraire il y a bien entre le possesseur et ce qu’il possède quelque chose d’intermédiaire, mais c’est seulement une relation, comme on dit de quelqu’un qu’il a un compagnon ou un ami. Entre d’autres choses enfin une réalité intermédiaire existe : elle n’est pas à vrai dire action ou passion, mais elle se présente par manière d’action ou de passion, c’est-à-dire qu’on a d’un côté quelque chose qui orne ou qui couvre, et de l’autre quelque chose qui est orné ou couvert ; ce qui fait dire au Philosophe que “ cet habitus est pour ainsi dire une adaptation entre celui qui possède et ce qu’il possède ”, comme pour les objets que nous avons sur nous et autour de nous. Et c’est là précisément ce qui donne lieu à un genre spécial de réalités qu’on appelle le prédicament habitus, dont le Philosophe dit que “ entre celui qui a un vêtement et le vêtement qu’il a, il existe l’intermédiaire d’un habitus ”.

Mais, si posséder est pris dans le sens où l’on dit qu’une réalité en quelque sorte se possède, en elle-même ou à l’égard d’autre chose, comme cette façon de posséder suppose de la qualité, c’est là un habitus qui est de l’ordre de la qualité. Et c’est de celui-là que le Philosophe dit : “ On appelle habitus l’arrangement suivant lequel un être est bien ou mal disposé, ou par rapport à soi ou à l’égard d’autre chose ; ainsi la santé est un habitus. ” Et c’est en ce sens que nous parlons maintenant de l’habitus. Il faut donc conclure que l’habitus est une qualité.

Solutions :

1. Cette objection prend “ posséder ” dans son acception générale ; en ce sens, c’est en effet chose commune à plusieurs catégories, comme on vient de le dire.

2. Cet argument est valable pour l’habitus entendu comme quelque chose d’intermédiaire entre possédant et possédé ; c’est même alors un prédicament à part, nous venons de le dire.

3. Il est vrai que la disposition implique toujours l’arrangement d’un être composé de parties. Mais cela peut se faire de trois façons, ajoute aussitôt le Philosophe : “ selon le lieu, en puissance, ou selon l’espèce ”. “ En quoi, dit Simplicius, il comprend toutes les sortes de dispositions. Les corporelles, dans ces mots : "selon le lieu" - et c’est là le prédicament situs, qui est l’ordre des parties dans l’espace. - Par ces mots : "en puissance", il comprend les dispositions qui consistent dans les préparations et aptitudes à l’état encore imparfait - telles que la science et la vertu commençantes. - Enfin par ces mots : "selon l’espèce", il comprend les dispositions parfaites appelées habitus - comme la science et la vertu achevées. ”

 

            Article 2 — L’habitus est-il une espèce déterminée de la qualité ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Car s’il est vrai, comme on vient de le dire, que l’habitus en tant que qualité est “ l’état suivant lequel un être est bien ou mal disposé ”, cela arrive en n’importe quel genre de qualité : même par la figure on peut être en bon ou mauvais état, pareillement pour le froid et le chaud, etc. L’habitus n’est donc pas une espèce à part de la qualité.

2. Le Philosophe dit que le froid et le chaud sont des dispositions ou habitus au même titre que la maladie et la santé. Mais la chaleur et le froid sont dans la troisième espèce de qualité. L’habitus, pas plus que la disposition, ne se distingue donc des autres espèces de qualités.

3. Le fait de “ changer difficilement ” n’est pas une différence de l’ordre de la qualité, mais se rapporte plutôt au mouvement ou à la passion. Or aucun genre n’est déterminé à une espèce par une différence tirée d’un autre genre ; il faut au contraire, dit le Philosophe, que les différences s’ajoutent de soi au genre. Donc, dire que l’habitus est “ la-qualité-qui-ne-change-pas-facilement ” ne suffit pas, semble-t-il, à en faire une espèce déterminée de qualité.

En sens contraire, le Philosophe affirme “ qu’une espèce de qualité, c’est l’habitus et la disposition ”.

Réponse :

Le Philosophe dans ses Prédicaments met au premier rang des quatre espèces de qualités la disposition et l’habitus. Et Simplicius dans son commentaire définit en ces termes la différence des quatre espèces : “ Parmi les qualités, certaines sont naturelles : celles qu’on a par nature et toujours ; mais certaines sont adventices : celles qui viennent du dehors et peuvent être perdues. Ces dernières (les adventices) sont les habitus et les dispositions qui diffèrent selon qu’elles sont chose facile ou difficile à perdre. Quant aux qualités naturelles, certaines sont l’indice que quelque chose est en puissance, et c’est la deuxième espèce de qualité. Certaines au contraire sont l’indice que quelque chose est en acte, et cela, soit en profondeur soit en surface. En profondeur, c’est la troisième espèce de qualité ; en surface, c’est la quatrième, la figure des choses et la forme qui est la figure des êtres animés. ” - Mais cette distinction des espèces de qualité ne semble pas bonne, car il y a beaucoup de figures et aussi beaucoup de qualités de la même espèce, dites “ de passibilité ”, qui ne sont pas naturelles, mais adventices ; comme il y a beaucoup de dispositions, santé, beauté, etc., qui ne sont pas adventices mais naturelles. En outre, ce n’est pas là une bonne façon de ranger des espèces ; ce qui est plus naturel doit toujours passer en premier.

Voilà pourquoi il faut s’y prendre autrement pour distinguer les dispositions et habitus d’avec les autres qualités. Proprement, en effet, une qualité c’est une modalité de la substance. Or une modalité, dit S. Augustin, c’est “ ce qui est délimité avec mesure ”. Une qualité, c’est donc une certaine détermination mesurée. Aussi, de même que ce qui détermine la puissance de la matière dans l’ordre substantiel de l’existence s’appelle une qualité, qui fait la différence spécifique de la substance ; de même, ce qui détermine la puissance du sujet dans l’ordre accidentel de l’existence s’appelle une qualité parmi les accidents, qualité qui constitue aussi une sorte de différence, comme le montre Aristote.

Mais la modalité ou détermination du sujet dans l’ordre accidentel peut être prise, soit par rapport à la nature même du sujet ; soit sur le plan de l’action et de la passion, qui sont deux effets consécutifs à ces principes de la nature que constituent la matière et la forme, soit sur le plan de la quantité. - S’il s’agit d’une détermination relative à la quantité, on a ainsi la quatrième espèce de qualité. Et comme la quantité est de soi en dehors du mouvement, en dehors aussi de la notion du bien et du mal, il n’appartient pas à cette quatrième espèce de qualité que cela soit bien ou mal, que cela passe vite ou lentement. - Pour ce qui est de la détermination sur le plan de l’action et de la passion, elle s’observe dans la deuxième et la troisième espèce de qualité, et c’est pourquoi dans l’une comme dans l’autre on considère que c’est de formation facile ou difficile, que c’est transitoire ou durable ; mais là encore il n’est question de rien qui se rapporte à la notion du bien et du mal, parce que les mouvements et les passions ne sont pas en eux-mêmes une fin, et que le bien comme le mal se définit par sa relation à une fin.

Mais si la détermination ou la modalité du sujet est en fonction de la nature même, on a cette première espèce de qualité qui n’est autre que l’habitus et la disposition. Parlant en effet des habitus de l’âme et du corps, le Philosophe dit que ce sont “ dans un être parfait des dispositions au meilleur ; quand je dis parfait, cela s’entend de l’état de la nature ”. Cette fois, parce que “ la forme même d’une chose, sa nature, est réellement une fin et la cause pour laquelle la chose existe ”, inévitablement dans cette première espèce de qualité on regarde le bien et le mal ; et aussi, puisqu’une nature est la fin d’une génération et d’un changement, on regarde si c’est facilement ou difficilement changeant. De là cette définition donnée par le Philosophe : “ L’habitus est l’état suivant lequel on est en bonne ou mauvaise disposition ” ; et celle-ci : “ Les habitus sont ce qui nous fait réagir bien ou mal dans les passions. ” En effet, quand c’est un mode d’être qui s’accorde avec la nature de la réalité, alors il a raison de bien ; mais quand il ne s’accorde pas, alors il a raison de mal. Et parce que la nature est ce que l’on regarde en premier lieu dans une réalité, il s’ensuit que l’habitus constitue la première espèce de qualité.

Solutions :

1. Une disposition avons-nous dit, c’est une mise en ordre. On n’est donc jamais disposé, au moyen de la qualité, que dans une mise en ordre pour quelque chose. Et si l’on ajoute “ bien ou mal ”, ce que demande la notion de l’habitus, il faut qu’il s’agisse d’une mise en ordre par rapport à la nature qui est sa fin. C’est pourquoi, quant à la figure extérieure ou quant à la température, on ne dit pas de quelqu’un qu’il est en bon ou mauvais état, sinon par rapport à sa nature, selon que son état lui convient ou non. De là vient que même la figure d’un être et ses qualités dites de passibilité en tant qu’on les regarde comme convenant ou non à sa nature, se rattachent aux habitus ou dispositions ; car un aspect et un teint en harmonie avec la nature contribuent à la beauté ; un état bien équilibré de température, contribue à la santé. Voilà comment le Philosophe met le chaud et le froid dans la première espèce de qualité.

2. On voit ainsi comment se résout la seconde objection, bien que certains la résolvent autrement, à la manière de Simplicius.

3. Cette différence, le “ difficilement changeant ”, distingue l’habitus non pas des autres espèces de qualité mais de la disposition. Disposition a une double acception ; tantôt c’est le genre dont fait partie l’habitus puisque, dans la Métaphysique, la disposition entre dans la définition de l’habitus ; tantôt c’est quelque chose qui se distingue de l’habitus et qui s’y oppose. Et cette opposition entre la disposition proprement dite et l’habitus peut s’entendre de deux façons.

1° Comme le parfait et l’imparfait dans la même espèce ; c’est-à-dire qu’on retient le nom commun de disposition quand la qualité existe à l’état imparfait, de telle sorte qu’on la perd facilement ; mais on l’appelle habitus quand elle existe à l’état parfait au point de n’être pas facilement perdue. Dans ce sens, la disposition devient habitus comme l’enfant devient homme.

2° Comme espèces différentes dans un genre en gradation ; de sorte qu’on donnera le nom de disposition à ces qualités de la première espèce auxquelles il appartient essentiellement d’être faciles à perdre parce qu’elles ont des causes changeantes - telles sont la maladie et la santé ; tandis qu’on appelle habitus ces qualités dont l’essence veut qu’il ne soit pas facile de les perdre, leurs causes n’étant pas changeantes : telles sont les sciences et les vertus. En cette dernière acception, la disposition ne devient pas habitus. Et ceci paraît être plus conforme à la pensée d’Aristote. De là vient qu’il invoque pour prouver cette distinction, le langage courant : même des qualités par elles-mêmes facilement changeantes, si par accident elles sont rendues difficilement changeantes, on les appelle et elles deviennent des habitus ; et l’on fait l’inverse pour des qualités par elles-mêmes difficiles à changer, car si quelqu’un possède imparfaitement une science au point de pouvoir facilement la perdre, on dit qu’il a des dispositions pour cette science ; on ne dit pas qu’il la possède. Par là il est évident que le terme d’habitus, mais non celui de disposition, implique une certaine durée.

Le fait que ce trait d’être “ facilement et difficilement changeant ” se rattache à la passion et au mouvement, et non au genre qualité, n’empêche pas qu’on ne tire de là des différences spécifiques. Car de telles différences, bien qu’elles paraissent ne se rapporter à la qualité que par accident, désignent cependant entre les qualités des différences qui sont propres et essentielles. De même, dans le genre substance, on prend souvent des différences accidentelles au lieu de différences substantielles, en tant qu’elles font connaître des principes essentiels.

 

            Article 3 — L’habitus implique-t-il une tendance à l’action ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Chaque être agit dans la mesure où il est en acte. “ Mais, dit le Philosophe, quand on devient savant par habitus, on l’est encore en puissance, bien que d’une autre manière qu’avant de commencer ses études. ” L’habitus n’implique donc pas la relation d’un principe à l’acte.

2. Ce qui sert à définir une chose lui convient essentiellement. Mais être principe d’action, cela entre dans la définition de la puissance, d’après Aristote. Cela lui convient donc essentiellement. Or ce qui existe par soi est premier dans n’importe quel genre. Donc, si l’habitus aussi est principe d’action, il ne l’est qu’après la puissance. Et ainsi la première espèce de qualité ne sera pas l’habitus ni la disposition.

3. La santé est quelquefois à l’état d’habitus et pareillement la maigreur et la beauté. Mais il n’y a rien en cela qui signifie une tendance à l’action. Il n’est donc pas essentiel à l’habitus d’être principe d’action.

En sens contraire, S. Augustin dite que “ l’habitus est ce qui fait agir quand besoin est ”. Le Commentateur d’Aristote dit de son côté : “ L’habitus est ce qui permet d’agir quand on veut. ”

Réponse :

Avoir tendance à l’action peut convenir à l’habitus, et comme habitus et en raison du sujet dans lequel il se trouve. - Déjà, par définition il convient à tout habitus d’avoir en quelque manière tendance à l’action. Il lui est essentiel en effet d’impliquer une certaine relation ordonnée à la nature du sujet, selon que telle chose convient ou non. Mais une nature, fin de la génération, est ordonnée à son tour à une autre fin qui est tantôt une opération, tantôt le résultat de l’opération. Aussi l’habitus implique-t-il non seulement un ordre à la nature même d’une réalité mais aussi, par voie de conséquence, à l’opération qui est la fin de cette nature ou qui achemine à cette fin. Et c’est pourquoi Aristote dit dans la définition de l’habitus que c’est “ l’état selon lequel on est bien ou mal disposé, ou en soi ” c’est-à-dire dans sa nature, “ ou à l’égard d’autre chose ” c’est-à-dire par rapport à une fin.

Mais il y a certains habitus qui impliquent d’abord et principalement tendance à l’acte en raison du sujet qui les possède. Et c’est encore parce que l’habitus, comme nous venons de le dire, implique premièrement et par soi une adaptation à la nature d’une chose. Donc, si cette nature dotée d’habitus consiste elle-même en une tendance à l’action, il s’ensuit que l’habitus implique principalement, lui aussi, tendance à l’action. Or il est évident que la nature et l’essence d’une puissance c’est d’être principe d’action. Dès lors tout habitus qui a pour sujet une puissance implique principalement tendance à l’action.

Solutions :

1. Comme qualité, l’habitus est un acte, et à ce titre il peut être principe d’opération. Mais il est en puissance par rapport à l’opération. D’où le nom d’“ acte premier ” pour l’habitus, et d’“ acte second ” pour l’opération.

2. Il n’appartient pas à la notion d’habitus de regarder la puissance, mais la nature. Et parce que la nature précède l’action que vise la puissance, il convient que la première espèce de qualité soit l’habitus plutôt que la puissance.

3. La santé est habitus ou disposition habituelle par rapport à une nature, comme nous l’avons expliqué. Néanmoins, en tant que cette nature est principe d’action, la santé implique par conséquent tendance à l’acte. De là cette phrase du Philosophe : “ On dit qu’un homme ou un membre est sain quand il peut avoir l’activité de celui qui est sain. ” Et pour les autres états habituels c’est pareil.

 

            Article 4 — La nécessité des habitus

Objections :

1. On ne voit pas bien cette nécessité. L’habitus est ce par quoi un être est bien ou mal disposé à quelque chose, nous l’avons dit. Mais par sa forme il est déjà bien ou mal disposé, car c’est par elle qu’il est bon, comme c’est par elle qu’il est être. Donc aucune nécessité d’avoir des habitus.

2. L’habitus implique tendance à l’action. Mais la puissance est déjà suffisamment principe d’activité, puisque, même en dehors des habitus, les puissances naturelles sont principes d’actes. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait des habitus.

3. De même que la puissance est capable du bien et du mal, l’habitus aussi ; et de même que la puissance n’agit pas toujours, l’habitus non plus. Donc, puisqu’il existe des puissances, il est superflu qu’il y ait des habitus.

En sens contraire, les habitus sont des perfections, dit le Philosophe. Mais la perfection est ce qu’il y a de plus nécessaire à une réalité, puisqu’elle a raison de fin. Il était donc nécessaire qu’il y eût des habitus.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, l’habitus est une certaine disposition ordonnée à la nature d’une chose, et à l’opération ou la fin de cette chose, disposition qui fait qu’on est bien ou mal adapté à cela. Mais pour qu’une chose ait besoin d’être adaptée à une autre il faut trois conditions.

1° Que ce qui s’adapte soit autre que ce à quoi il s’adapte et se trouve ainsi envers lui dans le rapport de puissance à acte. Par suite, s’il y a un être dont la nature ne soit pas composée de puissance et d’acte, en qui la substance se confonde avec l’opération et qui soit à lui-meme sa fin, l’habitus ou disposition n’y a pas de place, comme c’est évidemment le cas en Dieu.

2° Il est requis que l’être en puissance à autre chose puisse être déterminé de plusieurs manières et à diverses choses. Par suite, s’il y a un être en puissance à autre chose, mais de telle façon qu’il ne soit en puissance qu’à cela, habitus et disposition n’y ont pas de place, puisqu’un tel sujet possède par sa nature même la relation qu’il doit avoir à un tel acte ; ainsi, bien que le corps céleste soit composé de matière et de forme, comme cette matière n’est pas en puissance à une autre forme, la disposition ou habitus n’y a pas de place, ni pour une forme ni même pour une opération, puisque la nature du corps céleste n’est en puissance qu’à un seul mouvement déterminé.

3° Il est requis que plusieurs facteurs concourent à adapter le sujet à l’une de ces choses auxquelles il est en puissance, et que ces facteurs puissent s’harmoniser de plusieurs façons de manière à s’adapter, bien ou mal, à la forme ou à l’opération. Aussi, les qualités simples des éléments, qui s’accordent avec la nature de ceux-ci et suivant un mode unique et déterminé, nous ne les appelons pas dispositions ou habitus mais simples qualités ; nous appelons dispositions ou habitus la santé, la beauté et les autres qualités qui impliquent un certain état d’harmonisation entre plusieurs parties pouvant s’harmoniser diversement. C’est pourquoi le Philosophe dit que “ l’habitus est une disposition ”, et la disposition est “ l’arrangement d’un être composé de parties, arrangement selon le lieu, ou selon les puissances, ou selon l’espèce ”, comme nous l’avons dit plus haut.

Donc, puisqu’il y a beaucoup d’êtres dont la nature et l’opération exigent le concours de plusieurs facteurs pouvant s’harmoniser de diverses manières, il est nécessaire qu’il y ait des habitus.

Solutions :

1. La nature d’une réalité est achevée par la forme, mais comme préparation à la forme elle-même il faut que le sujet soit dans une certaine disposition. - Cependant, la forme à son tour est orientée vers l’opération qui est soit une fin, soit l’acheminement vers une fin. Et si la forme n’a qu’une seule opération déterminée, aucune autre disposition n’est requise pour celle-ci en dehors de la forme elle-même. Mais si la forme est telle qu’elle puisse opérer diversement, comme c’est le cas de l’âme, il faut qu’elle soit adaptée à ses opérations par des habitus.

2. La puissance se prête parfois à beaucoup de réalisations ; et à cause de cela il faut qu’elle soit déterminée en vertu de quelque chose d’autre. Mais s’il y a une puissance qui ne se prête pas à beaucoup de réalisations, elle n’a pas besoin, avons-nous dit, d’un habitus qui la détermine. Et c’est pour cela que les forces de la nature n’accomplissent pas leurs opérations au moyen d’habitus, puisqu’elles sont déterminées par elles-mêmes dans un seul sens.

3. Ce n’est pas le même habitus, on le verra plus loin qui se porte au bien et au mal. Mais c’est la même puissance ; et voilà précisément pourquoi les habitus sont nécessaires : afin que les puissances soient déterminées au bien.

 

QUESTION 50 — LE SIÈGE DES HABITUS

1. Y a-t-il des habitus dans le corps ? - 2. L’âme est-elle le siège d’habitus dans son essence, ou dans une puissance ? - 3. Peut-il y avoir des habitus dans les puissances sensibles ? - 4. Y en a-t-il dans l’intelligence elle-même ? - 5. Dans la volonté ? - 6. Dans les substances séparées ?

 

            Article 1 — Y a-t-il des habitus dans le corps ?

Objections :

1. Aucun, semble-t-il. Comme dit le Commentateur sur le livre III De l’Ame “ l’habitus est ce par quoi l’on agit quand on veut ”. Mais les actions corporelles ne sont pas soumises à la volonté, puisqu’elles sont naturelles. Il ne peut donc y avoir aucun habitus dans le corps.

2. Toutes les dispositions corporelles sont facilement changeantes. Mais l’habitus est la qualité difficilement changeante. Donc aucune disposition corporelle ne peut être un habitus.

3. Toutes les dispositions corporelles sont sujettes à l’altération. Mais celle-ci ne se trouve que dans la troisième espèce de qualité, laquelle s’oppose à l’habitus. Aucun habitus n’est donc dans le corps.

En sens contraire, le Philosophe dit qu’on nomme habitus la santé du corps ou une maladie incurable.

Réponse :

L’habitus, avons-nous dit, est la disposition d’un sujet qui n’est qu’en puissance soit à une forme, soit à une opération. - Donc, en tant que l’habitus implique disposition à une opération, aucun ne se trouve principalement dans le corps comme dans son sujet. L’activité corporelle, en effet, vient toujours ou d’une qualité naturelle du corps, ou de l’âme qui le meut. Donc, pour ce qui est des opérations provenant de la nature, le corps n’est pas disposé par un habitus, puisque les énergies naturelles sont déterminées à une seule opération ; or nous avons dit qu’une disposition habituelle est requise là où le sujet est en puissance à beaucoup de choses. Quant aux opérations provenant de l’âme par le moyen du corps, elles viennent principalement de l’âme, mais secondairement du corps lui-même. Or les habitus sont exactement proportionnés aux opérations, d’où ce mot dans l’Éthique : “ Des actes semblables causent des habitus semblables ” ; c’est pourquoi les dispositions à de telles opérations sont, elles aussi, principalement dans l’âme. Mais elles peuvent être secondairement dans le corps, en tant qu’il est préparé et habilité à servir promptement les activités de l’âme.

Si au contraire nous parlons de la préparation du sujet à une forme, alors la disposition habituelle peut résider dans le corps, puisqu’il est avec l’âme dans le rapport d’un sujet à une forme. Et c’est de cette façon que la santé, la beauté, etc. sont appelées des états habituels. Cependant ils ne réalisent pas parfaitement la nature de l’habitus, parce que leurs causes sont par nature facilement changeantes.

Mais Alexandre a soutenu qu’un habitus ou une disposition de la première espèce ne réside en aucune façon dans le corps. C’est Simplicius qui le dit dans le “ Commentaire des Prédicaments ”. Toutefois Alexandre pensait que la première espèce de qualité se rapporte uniquement à l’âme et que si Aristote allègue à ce proposg la santé et la maladie, c’est par manière d’exemple, et non point comme si elles appartenaient à la première espèce de qualité. De sorte que le sens serait celui-ci : de même que la maladie et la santé peuvent être facilement ou difficilement changeantes, de même aussi ces qualités de la première espèce qu’on appelle l’habitus et la disposition.

- Mais ceci est évidemment contraire à la pensée d’Aristote. D’abord parce qu’il parle de la même façon lorsqu’il emploie l’exemple de la santé et de la maladie ou celui de la vertu et de la science ; et aussi parce que, dans la Physique, il compte expressément parmi les habitus la beauté et la santé.

Solutions :

1. Cette objection tient compte de l’habitus en tant que celui-ci dispose à l’opération, et des actes du corps qui proviennent de la nature ; mais elle néglige ceux qui proviennent de l’âme et dont le principe est la volonté.

2. Les dispositions corporelles ne sont pas de façon absolue difficilement changeantes à cause de la mobilité des causes corporelles. Cependant elles peuvent l’être par rapport à tel sujet, en ce sens qu’elles ne peuvent être écartées tant que durera ce sujet ; ou bien parce qu’elle sont difficilement changeantes par rapport aux autres dispositions. Mais les qualités de l’âme sont difficilement changeantes de façon absolue, en raison de la non-mobilité de leur sujet. Voilà pourquoi le Philosophe ne dit pas qu’un état de santé même difficile à perdre soit de façon pure et simple un habitus ; il dit que c’est “ une manière d’habitus ”, selon le texte grec. Au contraire, les qualités de l’âme sont dites purement et simplement des habitus.

3. Les dispositions corporelles qui sont dans la première espèce de qualité diffèrent des qualités de la troisième espèce, comme certains l’ont prétendu, en ce que celles-ci sont comme en devenir et comme en mouvement ; d’où leur nom de passions ou de qualités passives. Mais dès qu’elles sont parvenues au point de perfection qui est leur espèce, elles sont alors dans la première sorte de qualité. Mais Simplicius n’approuve pas cette explications parce que dans ce cas l’action de chauffer serait dans la troisième sorte de qualité, tandis que la chaleur serait dans la première, alors qu’Aristote la met dans la troisième.

Aussi Porphyre affirme-t-il, comme le rapporte encore Simplicius à cet endroit, que la passion ou qualité passive diffère, dans les corps, de la disposition et de l’habitus d’après le degré d’intensité ou de relâchement. Quand un corps ne reçoit la chaleur que pour être chauffé, mais sans pouvoir lui-même chauffer, alors c’est de la passion si c’est tout à fait passager, ou de la qualité passive si c’est permanent. Mais, dès que le corps est élevé à un tel degré qu’il peut en chauffer un autre, alors c’est une disposition. Si ultérieurement pareil état se confirme au point d’être difficile à changer, alors ce sera un habitus. De sorte que la disposition serait le degré intensif et parfait de la passion ou de la qualité passive, l’habitus celui de la disposition. - Mais Simplicius désapprouve aussi cela, parce que tel ou tel degré d’intensité et de relâchement n’implique pas une diversité dans la forme elle-même, mais dans la participation du sujet à cette forme ; les espèces de qualités ne seraient pas diversifiées ainsi.

Il faut donc parler autrement. L’équilibre des qualités passives elles-mêmes, considéré dans son harmonie avec une nature donnée, constitue véritablement une disposition. Voilà pourquoi, lorsqu’une altération se produit dans ces qualités-là, qui sont le chaud et le froid, le sec et l’humide, elle entraîne aussi une altération dans l’état de maladie et de santé. Mais premièrement et par soi il n’y a pas d’altération dans ces sortes d’habitus et de dispositions.

 

            Article 2 — L’âme est-elle le siège d’habitus dans son essence, ou dans une puissance ?

Objections :

Il semble que les habitus doivent être dans l’âme plutôt selon l’essence que selon les puissances. Car dispositions et habitus se définissent par rapport à une nature, on l’a dit. Or la nature se découvre par l’essence de l’âme plus que par les puissances, puisque c’est par son essence que l’âme est la nature de tel corps, et la forme de ce corps. Donc les habitus sont dans l’essence et non dans une puissance de l’âme.

2. Un accident n’est pas sujet d’un accident. Mais les puissances de l’âme sont aussi dans la catégorie des accidents, on l’a vu dans la première Partie. Donc les habitus ne sont pas dans l’âme en raison d’une de ses puissances.

3. Le sujet est antérieur à ce qui est en lui. Mais comme l’habitus appartient à la première espèce de qualité, il est antérieur à la puissance qui appartient à la seconde espèce. Ce n’est donc pas la puissance qui est le sujet de l’habitus.

En sens contraire, le Philosophe place les divers habitus dans les diverses facultés de l’âme.

Réponse :

L’habitus, comme nous l’avons dit plus haut, comporte une disposition qui l’ordonne à une nature ou à une opération. Si l’on considère l’habitus en tant qu’il est ordonné à la nature, il ne peut être dans l’âme, si cependant nous parlons de la nature humaine, parce que l’âme est elle-même la forme destinée à parachever cette nature humaine. S’il peut y avoir sous ce rapport habitus ou disposition, c’est plutôt dans le corps par rapport à l’âme que dans l’âme par rapport au corps. Mais si nous parlons d’une nature supérieure de laquelle l’homme peut participer, selon S. Pierre (2P 1,4), “ pour que nous soyons participants de la nature divine ”, en ce cas rien n’empêche que l’âme soit, dans son essence même, le sujet d’un habitus qui est la grâce, comme nous le dirons plus loin.

En revanche, s’il s’agit d’habitus ordonnés à l’opération, c’est surtout dans l’âme qu’il s’en trouve, étant donné que l’âme n’est pas déterminée à une seule opération mais se prête à un grand nombre ; et c’est cela qui est requis pour un habitus. Et puisque l’âme est principe d’opérations au moyen de ses puissances, il en résulte qu’à cet égard les habitus sont dans l’âme selon ses puissances.

Solutions :

1. L’essence de l’âme appartient à la nature humaine non comme un sujet qui doit être disposé à quelque chose d’autre, mais comme une forme et une nature à laquelle on est disposé.

2. Par soi un accident ne peut être le sujet d’un accident. Mais parce qu’il y a un ordre même entre les accidents, dès lors qu’une chose est le sujet d’un accident, on comprend qu’elle le soit aussi d’un autre. Ainsi dit-on qu’un accident est le sujet d’un autre, comme la surface supporte la couleur. De cette façon la puissance peut être le sujet de l’habitus.

3. Si l’habitus est antérieur à la puissance, c’est en tant qu’il implique disposition à une nature ; tandis qpe la puissance implique toujours ordre à l’opération ; et celle-ci vient ensuite, puisque la nature en est le principe. Or l’habitus qui a son siège dans une puissance n’est pas ordonné à la nature mais à l’opération. Il est donc postérieur à la puissance. - Ou bien on peut dire que l’habitus passe avant la puissance comme l’achevé avant l’inachevé, comme l’acte avant la puissance. Car l’acte est premier dans l’ordre de la nature, bien que la puissance soit première dans l’ordre de la génération et du temps, comme dit Aristote.

 

            Article 3 — Peut-il y avoir des habitus dans les puissances sensibles ?

Objections :

1. Apparemment non, car la puissance sensible est irrationnelle au même titre que la puissance nutritive. Or dans celle-ci on ne place aucun habitus. Donc on ne doit en placer aucun dans les puissances sensibles.

2. Les puissances sensibles nous sont communes avec les bêtes. Mais les bêtes n’ont pas d’habitus, parce qu’elles n’ont pas la volonté qui fait partie de la définition même de l’habitus, on l’a vu récemment. Donc il n’y a pas d’habitus dans la sensibilité.

3. Les habitus de l’âme, ce sont les sciences et les vertus ; et comme la science ressortit à la faculté de connaissance, la vertu ressortit à la faculté appétitive. Mais dans les puissances sensibles, il n’y a pas de sciences, puisque celles-ci ont pour objet l’universel, que les puissances sensibles ne peuvent saisir. Donc les habitus des vertus ne peuvent pas non plus résider dans les puissances sensibles.

En sens contraire, le Philosophe affirme qu’il y a des vertus, la tempérance et la force, dans la partie non rationnelle de l’âme.

Réponse :

Les puissances sensibles peuvent être considérées de deux façons, suivant qu’elles agissent par l’instinct de la nature, ou par le commandement de la raison. En tant qu’elles agissent par l’instinct de la nature, elles n’ont qu’une seule tendance, comme la nature. Aussi, de même qu’il n’y a pas d’habitus dans les puissances de la nature, il n’y en a pas davantage dans les puissances sensibles en tant qu’elles agissent par l’instinct de la nature. - Au contraire, selon qu’elles agissent sous le commandement de la raison, elles peuvent être orientées vers des buts variés. Ainsi peut-il y avoir entre elles des habitus qui les y disposent bien ou mal.

Solutions :

1. La puissance nutritive n’est pas destinée par nature à obéir au commandement de la raison, et c’est pourquoi il n’y a pas en elle d’habitus. Mais les puissances sensibles le sont, et c’est pourquoi il peut y avoir en elles des habitus, car, dans la mesure où elles obéissent à la raison, on les dit en quelque sorte raisonnables, dit l’Éthique.

2. Chez les bêtes les puissances sensibles n’agissent pas sous l’empire de la raison mais sous l’impulsion de la nature, si les animaux sont laissés à eux-mêmes. Ainsi il n’y a pas en eux d’habitus ordonnés à des opérations. Il y a cependant chez eux des dispositions ordonnées à la nature, comme la santé et la beauté. - Mais parce que les bêtes sont dressées à des opérations particulières par l’entraînement que leur impose la raison de l’homme, on peut en ce sens leur attribuer des habitus. D’où cette parole de S. Augustin : “ Nous voyons les bêtes les plus sauvages se détourner de leurs plus grandes voluptés par la peur de souffrir ; et lorsque cela est devenu pour elles une habitude, on les dit domptées et apprivoisées. ” Néanmoins, pour que cela mérite le nom d’habitus il y manque l’usage de la volonté : les animaux ne sont pas maîtres de l’exercer ou non, ce qui semble pourtant essentiel à l’habitus, et c’est pourquoi à proprement parler il ne peut y avoir en eux d’habitus.

3. L’appétit sensible est fait pour être mû par l’appétit rationnel, d’après Aristote, mais les facultés raisonnables de connaissance sont alimentées par les facultés sensibles. C’est pourquoi les habitus sont plus à leur place dans les facultés sensibles d’appétit que dans les facultés sensibles de connaissance, puisqu’il n’y a d’habitus dans les facultés appétitives sensibles que si elles agissent sous l’empire de la raisons. - Pourtant, il peut aussi y avoir place pour les habitus dans les facultés sensibles intérieures de connaissance. Ils font qu’on a bonne mémoire, bonne cogitative ou bonne imagination ; d’où ce mot du Philosophe : “ L’habitude contribue beaucoup à la bonne mémoire. ” Car même ces facultés-là sont poussées à agir sous l’empire de la raison. Quant aux facultés sensibles extérieures, comme la vue, l’ouïe, etc., elles ne sont pas susceptibles d’habitus mais, suivant la disposition de leur nature, elles sont ordonnées à des actes déterminés, chacune au sien. Les membres du corps sont dans le même cas ; les habitus ne sont pas en eux, mais plutôt dans les puissances qui leur impriment le mouvement.

 

            Article 4 — Y a-t-il des habitus dans l’intelligence elle-même ?

Objections :

1. Il semble bien que non. Car les habitus, a-t-on dit, sont conformes aux opérations. Mais les opérations de l’homme sont communes à l’âme et au corps, comme il est dit au traité De l’Ame. Donc aussi les habitus. Or, comme il est dit dans ce même traité que l’intelligence n’est pas l’acte du corps, elle n’est donc pas le siège d’un habitus.

2. Tout ce qui est dans un être s’y trouve selon le mode de cet être. Mais l’être qui est forme sans matière est seulement acte ; celui qui est composé de matière et de forme possède à la fois puissance et acte. Donc quelque chose qui soit à la fois en puissance et en acte ne peut exister dans l’être qui est pure forme, mais uniquement dans celui qui est composé de matière et de forme. Or l’intelligence est forme sans matière. Donc l’habitus qui possède puissance et acte tout ensemble, puisqu’il se tient pour ainsi dire entre les deux, ne peut exister dans l’intelligence, mais seulement dans l’être conjoint, composé d’âme et de corps.

3. L’habitus est “ la disposition d’après laquelle on est bien ou mal disposé à quelque chose ”, dit le Philosophe. Mais que l’on soit bien ou mal disposé à l’acte de l’intelligence, cela provient d’un état du corps ; de là encore ce mot du Philosophe : “ Ceux qui ont une chair délicate, nous leur voyons un esprit très doué. ” Les habitus de connaissance ne sont donc pas dans l’intelligence qui est d’un ordre à part, mais elles sont dans une puissance qui est l’acte d’une partie de l’organisme.

En sens contraire, le Philosophe place la science, la sagesse et cette intelligence qui est l’habitus des principes, dans la partie intellectuelle de l’âme.

Réponse :

Sur cette question des habitus de connaissance il y a eu diversité d’opinion. Ceux qui prétendent qu’il n’y a qu’un seul intellect passif chez tous les hommes ont été forcés de soutenir que les habitus de connaissance ne sont pas dans l’intelligence elle-même, mais dans les facultés sensibles internes. De toute évidence en effet, les hommes sont divers dans leurs habitus ; on ne peut donc supposer que les habitus de connaissance soient directement dans ce qui, étant numériquement un, leur est commun à tous. Donc si l’intellect passif est numériquement un pour tous les hommes, les habitus de sciences qui les rendent différents ne pourront avoir leur siège dans cet intellect ; ils seront dans les facultés internes de sensibilité qui varient suivant les individus.

Mais, 1° cette thèse est certainement contraire à la pensée d’Aristote. Car évidemment les facultés sensibles ne sont pas rationnelles par essence mais seulement par participation, comme il est dit dans l’Éthique ; or le Philosophe met les vertus intellectuelles, de sagesse, de science et d’intelligence dans ce qui est rationnel par essence. Elles ne sont donc pas dans la sensibilité, mais bien dans l’intelligence elle-même. Du reste il dit expressément au livre III du traité De l’Ame : l’intellect passif, “ lorsqu’il devient toutes choses ”, c’est-à-dire lorsqu’il en arrive à être mentalement chacune d’elles au moyen des espèces intelligibles, “ passe alors sur le plan de l’acte, à la manière dont on dit que celui qui sait est réellement en acte, ce qui a lieu chez quelqu’un lorsqu’il a la capacité d’opérer par lui-même ”, entendez de pouvoir considérer l’objet de sa science. “ Sans doute, même alors, l’intellect est encore en puissance d’une certaine façon, mais non pas comme il l’était avant d’avoir appris ou découvert ce qu’il sait. ” C’est donc bien l’intellect passif lui-même qui est le siège de cet habitus de science par lequel il a la capacité de considérer un objet, même quand il ne le fait pas.

2° En outre, cette thèse est contre la vérité des choses. Car il en est de l’habitus comme de la puissance : il appartient à qui appartient l’opération. Or comprendre et penser est l’acte propre de l’intelligence. Donc l’habitus par lequel on pense est proprement dans l’intelligence même.

Solutions :

1. Certains ont prétendu, d’après Simplicius, que si toute opération chez l’homme appartient en quelque sorte “ au conjoint ” comme dit le Philosophe, un habitus n’est jamais un habitus de l’âme seule, mais du conjoint. Il en découle qu’il n’y a aucun habitus dans l’intelligence puisque l’intelligence est “ séparée ”, ce qui fondait l’objection. Mais cet argument ne s’impose pas. Cet habitus n’est pas une disposition de l’objet à la puissance, mais plutôt une disposition de la puissance à l’objet ; il faut donc que l’habitus soit dans la puissance même qui est le principe de l’acte, mais non pas dans ce qui fait fonction d’objet à l’égard de la puissance. Or, pour l’acte même de comprendre, si l’on dit qu’il est commun à l’âme et au corps, c’est uniquement en raison de l’image, comme il est dit au livre I du traité De l’Ame. Mais il est clair que l’image est à l’égard de l’intellect passif comme un objet, selon le livre III du traité De l’Ame. Il reste donc que l’habitus intellectuel réside principalement du côté de l’intelligence elle-même, et non pas du côté de l’image, qui est commune à l’âme et au corps. Voilà pourquoi il faut dire que l’intellect passif est le siège de l’habitus : être sujet de l’habitus appartient en effet à ce qui est en puissance à beaucoup de choses, et cela convient particulièrement à l’intellect passif. C’est donc bien lui qui est le siège des habitus intellectuels.

2. Il appartient à l’intellect passif d’être en puissance à l’être intelligible, comme il appartient à la matière corporelle d’être en puissance à l’être sensible. Aussi, rien n’empêche qu’il y ait des habitus dans l’intellect passif, l’habitus étant le milieu entre la pure puissance et l’acte parfait.

3. Les facultés internes de connaissance préparent pour l’intellect passif son objet propre. C’est pourquoi le bon état de ces facultés, auquel contribue le bon état du corps, facilite l’exercice de l’intelligence. C’est ainsi que l’habitus intellectuel peut résider dans ces facultés à titre secondaire. Mais à titre principal il se trouve dans l’intellect passif.

 

            Article 5 — Y a-t-il des habitus dans la volonté ?

Objections :

1. Cela ne semble pas possible. Car les espèces intelligibles, au moyen desquelles l’intelligence accomplit son acte, appartiennent à l’habitus qui se trouve dans l’intelligence. Or la volonté n’agit pas au moyen d’espèces. Elle n’est donc pas le siège d’un habitus.

2. Il n’y a pas de place pour un habitus dans l’intellect agent comme dans l’intellect passif, parce que l’intellect agent est une puissance active. Mais la volonté l’est au plus haut degré, puisque c’est elle qui meut toutes les puissances vers leurs actes, nous l’avons vu antérieurement. Il n’y a donc pas de place en elle pour un habitus.

3. Dans les puissances naturelles il n’y a pas d’habitus, parce que ces puissances sont déterminées par nature à quelque chose. Mais la volonté est ordonnée elle aussi par sa nature à tendre vers le bien qu’ordonne la raison. Il n’y a donc pas d’habitus chez elle.

En sens contraire, la justice est un habitus. Or elle est dans la volonté, car elle est l’habitus de vouloir et de faire des choses justes. Donc la volonté est le siège d’un habitus.

Réponse :

Toute puissance qui peut être ordonnée diversement à l’action a besoin d’un habitus qui la dispose bien à son acte. Or la volonté, parce qu’elle est puissance rationnelle, peut être ordonnée à l’action de la façon la plus diverse. Il faut donc supposer chez elle un habitus qui la prépare bien à son acte. - Du reste, la notion même de l’habitus fait voir qu’il est principalement ordonné à la volonté ; l’habitus, avons-nous dit, est “ ce dont on peut se servir quand on veut ”.

Solutions :

1. De même qu’il y a dans l’intelligence des espèces qui sont la similitude de l’objet, de même faut-il qu’il y ait dans la volonté, comme dans toute faculté appétitive, quelque chose qui l’incline vers son objet, puisque l’acte d’une puissance de cette sorte n’est autre chose qu’une inclination, nous l’avons dit. Donc, à l’égard des objets vers lesquels l’appétit est suffisamment incliné par la nature de la puissance elle-même, il n’a pas besoin qu’une qualité se surajoute pour l’y incliner. Mais la fin de la vie humaine exige que notre appétit ait une inclination à quelque chose de bien déterminé ; or une pareille inclination n’est pas dans la nature d’une puissance qui d’elle-même se porte à beaucoup de choses diverses. Il est donc nécessaire qu’il y ait dans la volonté, comme dans les autres facultés d’appétit, des qualités qui donnent cette inclination. Ces qualités s’appellent des habitus.

2. L’intellect agent est uniquement actif et nullement passif. Mais la volonté, comme toute autre puissance appétitive, est “ un moteur qui est mû ” selon Aristote. Aussi ne peut-on raisonner pareillement dans les deux cas, car ce qui est de quelque façon en puissance est normalement susceptible d’habitus.

3. Par la nature même de la puissance, la volonté incline au bien de la raison. Mais parce que ce bien se diversifie de beaucoup de façons, il est nécessaire, pour que la volonté soit inclinée vers un bien déterminé de la raison, qu’elle le soit au moyen d’un habitus afin d’avoir ensuite une plus prompte opération.

 

            Article 6 — Y a-t-il des habitus dans les substances séparées ?

Objections :

1. “ Il n’y a pas moyen de penser, dit Maxime, un commentateur de Denys, qu’il y ait dans ces divines intelligences (les anges) des vertus intellectuelles (entendez : spirituelles) sous forme d’accidents comme elles sont chez nous, c’est-à-dire à la manière dont une chose est dans une autre comme dans son sujet ; car tout accident est banni de ce monde-là. ” Or l’habitus est toujours un accident. Donc chez les anges il n’y a pas d’habitus.

2. “ Les dispositions saintes des essences célestes, dit Denys, participent plus que tout à la bonté de Dieu. ” Mais ce qui est par soi est antérieur et supérieur à ce qui est par un autre. Donc les essences angéliques tiennent d’elles-mêmes ce qui les rend parfaitement conformes à Dieu. Par conséquent elles ne l’ont pas au moyen d’habitus, et cela semble être la pensée de Maxime lorsqu’il ajoute au même endroit : “ Si les anges avaient leur perfection par des habitus, il est certain que leur essence ne demeurerait pas en possession d’elle-même et n’aurait pas pu être déifiée par soi, autant du moins que cela se pouvait. ”

3. L’habitus est une disposition, dit le Philosophe. La disposition est l’ordre d’un être composé de parties. Puisque les anges sont des substances simples, il apparaît qu’il n’y a chez eux ni disposition ni habitus.

En sens contraire, Denys déclare que les anges de la première hiérarchie “ se nomment Foyers brûlants, Trônes, Effusion de sagesse, parce que telle est la manifestation déiforme de leurs habitus ”.

Réponse :

Certains ont soutenu que chez les anges il n’y a pas d’habitus, mais que tout ce que l’on dit d’eux est dit d’une manière essentielle. De là cette parole de Maxime après celle que nous avons déjà citée : “ Leurs manières d’être et les vertus qui sont en eux sont essentielles, à cause de l’immatérialité. ” Simplicius dit : “ La sagesse, dans une âme, est un habitus ; dans un esprit, une substance. Car tout ce qui est divin se suffit par soi-même, et existe en soi-même. ”

C’est une thèse qui a une part de vrai et une part de faux. Il est évident en effet, d’après ce que nous avons dit. que le sujet d’un habitus n’est jamais que de l’être en puissance. C’est pourquoi les commentateurs qu’on vient de nommer, considérant que les anges sont des substances immatérielles et que la puissance de la matière n’existe pas en eux, en ont, par là même, exclu l’habitus et tout accident. Mais, bien que la puissance matérielle n’existe pas chez les anges, il y a cependant chez eux de la puissance, car il n’appartient qu’à Dieu d’être acte pur. C’est pourquoi il peut se rencontrer en eux des habitus dans la mesure même où il s’y trouve de la puissance. Toutefois, comme la puissance de la matière et celle de la substance spirituelle ne sont pas la même chose, il faut en tirer cette conséquence que l’habitus n’est pas non plus de même sorte de part et d’autre. De là cette parole de Simplicius : “ Les habitus de la substance intellectuelle ne sont pas pareils à ceux que nous avons ici-bas, mais ressemblent plutôt aux espèces simples et immatérielles que cette substance contient en elle-même. ”

En ce qui concerne cependant cette sorte d’habitus, l’intelligence angélique se comporte tout autrement que l’intelligence humaine. Celle-ci en effet, puisqu’elle est au degré le plus bas dans l’ordre des intelligences, est en puissance à tout l’intelligible, comme la matière première à toutes les formes sensibles, et c’est pourquoi, afin de tout comprendre, notre esprit a besoin d’un habitus. Au contraire, l’intelligence angélique ne se présente pas comme une pure puissance dans le domaine de l’intelligible, mais comme un certain acte ; non certes comme un acte pur, car cela est réservé à Dieu, mais avec un mélange de puissance. Et moins cette intelligence a de potentialité, plus elle est supérieure. C’est pourquoi, comme nous l’avons dit dans la première Partie, l’ange a besoin, dans la mesure où il est en puissance, d’être perfectionné d’une manière habituelle au moyen d’espèces intelligibles en vue de son opération propre ; mais, dans la mesure où il est en acte, il peut par son essence même saisir quelques objets, au moins lui-même, et d’autres encore, selon le mode de sa propre substance, ainsi qu’il est dit au livre Des Causes, et d’autant plus parfaitement qu’il est plus parfait.

Toutefois, parce qu’aucun ange n’atteint à la perfection de Dieu, mais qu’ils en sont infiniment éloignés, pour atteindre Dieu lui-même par l’intelligence et la volonté, ils ont besoin d’habitus. Ils sont comme des êtres en puissance en face de cet acte pur. Aussi Denys dit-il que “ leurs habitus sont déiformes ”, en ce sens qu’ils les rendent conformes à Dieu.

Quant aux habitus qui sont des dispositions à l’existence naturelle, il n’y en a pas chez les anges, puisqu’ils sont immatériels.

Solutions :

1. La parole de Maxime doit s’entendre des habitus et accidents matériels.

2. Les anges n’ont pas besoin d’habitus pour ce qui leur convient en vertu de leur essence. Mais, parce qu’ils ne sont pas existants par soi au point de n’avoir pas à participer de la sagesse et de la bonté divines, dans la mesure même où ils ont besoin de participer d’une réalité extérieure, il est nécessaire de supposer en eux des habitus.

3. Chez les anges, l’essence ne se divise pas ; mais il y a des parties au point de vue de la puissance, en tant que leur intelligence s’accomplit par plusieurs espèces, et que leur volonté peut se porter vers plusieurs fins.

LA CAUSE DES HABITUS

Étudions maintenant la cause des habitus, l° quant à leur génération (Q. 51), 2° quant à leur croissance (Q. 52), 3° quant à leur diminution et disparition (Q. 53).

 

QUESTION 51 — LA GÉNÉRATION DES HABITUS

1. Y a-t-il des habitus engendrés par la nature ? - 2. Y en a-t-il qui soient causés par des actes ? - 3. Un habitus peut-il être engendré par un seul acte ? - 4. Y a-t-il des habitus infusés dans l’homme par Dieu ?

 

            Article 1 — Y a-t-il des habitus engendrés par la nature ?

Objections :

1. Aucun, semble-t-il, car l’usage de ce qui vient de la nature n’est pas soumis à la volonté, tandis que “ l’habitus est ce dont on use quand on veut ”, dit le Commentateur d’Aristote.

2. La nature ne réalise pas par deux moyens ce qu’elle peut réaliser par un seul. Or les puissances de l’âme viennent de la nature. Donc, si les habitus des puissances en venaient aussi, l’habitus et la puissance seraient une seule et même chose.

3. Dans ce qui est nécessaire la nature n’est jamais en défaut. Or les habitus sont nécessaires pour bien agir, on l’a vu. Par conséquent, si la nature en produisait quelques-uns, il semble qu’elle ne manquerait pas de produire tous ceux qui sont nécessaires. Or cela est évidemment faux. Donc les habitus ne viennent pas de la nature.

En sens contraire, selon Aristote, on compte parmi les habitus l’intelligence des principes ; or elle nous vient de la nature, et c’est pourquoi l’on dit que les premiers principes sont connus naturellement.

Réponse :

Quelque chose peut être naturel à un être à un double titre. Ce peut être dans la nature de l’espèce, comme il est naturel à l’homme de pouvoir rire et à la flamme de s’élever. Ou bien cela peut être dans la nature de l’individu, comme il est naturel à Socrate ou à Platon d’être, par complexion personnelle, en bonne ou en mauvaise santé. - De plus, dans chacun de ces deux cas, quelque chose peut être dit naturel de deux manières, soit parce que cela vient entièrement de la nature, soit parce que cela vient en partie de la nature et en partie d’un principe extérieur. Ainsi, lorsque quelqu’un guérit par lui-même, toute sa santé lui vient de la nature ; mais lorsque quelqu’un guérit à l’aide de la médecine, sa santé provient partiellement de la nature et partiellement d’un principe extérieur.

Ainsi donc, si nous parlons de l’habitus en tant qu’il est une disposition du sujet envers une forme ou nature, il lui arrive d’être naturel de toutes les façons que nous venons de dire. Il y a en effet des dispositions naturelles qui sont dues à l’espèce humaine et en dehors desquelles il ne se rencontrerait aucun être humain : ce sont là des dispositions qui sont dans la nature même de l’espèce. - Mais, comme de telles dispositions comportent une certaine latitude, il arrive qu’elles se réalisent à divers degrés chez les divers individus suivant la nature particulière de chacun. - Enfin ces sortes de dispositions peuvent provenir, soit totalement de la nature, soit en partie de la nature et en partie d’un principe extérieur, comme on l’a dit de ceux qui sont guéris par l’art médical.

Mais l’habitus est une aptitude à l’action et a pour siège, ainsi que nous l’avons dit, une puissance de l’âme ; il peut encore être et dans la nature de l’espèce, et dans celle de l’individu. Dans la nature de l’espèce en tant que cet habitus se rattache à l’âme qui, puisqu’elle est la forme du corps, constitue le principe spécifique ; dans la nature de l’individu, en tant qu’elle dépend du corps qui est principe matériel. - Cependant, ni d’une manière ni de l’autre, ces habitus ne peuvent être naturels en nous au point de nous venir entièrement de la nature. Chez les anges la chose arrive, parce qu’il y a en eux des idées qui leur sont innées, ce qui n’a pas lieu pour l’âme humaine, ainsi que nous l’avons dit dans la première Partie.

Donc il existe en nous quelques habitus naturels. Ils proviennent partiellement de la nature, et partiellement d’un principe extérieur. Différemment, il est vrai, suivant qu’ils sont dans les facultés de connaissance ou dans celles d’appétit. Dans les facultés de connaissance en effet il peut y avoir à l’état d’ébauche un habitus qui soit naturel et selon l’individu et selon l’espèce. - Selon la nature de l’espèce, c’est ce qui tient à l’âme même ; ainsi dit-on que l’intelligence des principes est un habitus naturel. Effectivement il convient à la nature même de l’âme intelligente que, dès que l’on connaît ce qu’est un tout et ce qu’est une partie, on sache aussitôt que le tout est plus grand que la partie ; et ainsi pour le reste. Mais savoir ce que c’est que le tout et ce que c’est que la partie, on ne peut le faire qu’au moyen des espèces intelligibles puisées dans les images. C’est pourquoi le Philosophe montre que la connaissance des principes nous vient des sens. - D’autre part, un habitus de connaissance est dans la nature de l’individu en ce sens qu’un tel, vu ses dispositions organiques, est plus apte qu’un autre à faire œuvre d’intelligence, dans la mesure où nous avons besoin pour cela de facultés sensibles.

Dans les puissances appétitives il n’y a pas d’habitus naturel à l’état d’ébauche, du côté de l’âme et quant à la substance même de l’habitus ; il n’y a que les principes de l’habitus, comme on dit que les grands axiomes du droit sont les germes des vertus. Et la raison de ce fait, c’est que l’inclination à des objets propres, qui semble être l’ébauche d’un habitus, n’est pas ici affaire d’habitus mais se rattache plutôt à l’essence même des puissances. - En revanche, à prendre la chose du côté du corps et selon la nature de l’individu, il y a des habitus appétitifs à l’état d’ébauche, qui sont naturels. Il y a en effet des gens qui, par leur complexion corporelle, sont prédisposés à la chasteté, à la douceur, etc.

Solutions :

1. Cette objection se fonde sur la nature en tant qu’elle s’oppose à la raison et à la volonté, alors que ces puissances font elles-mêmes partie de la nature de l’homme.

2. Quelque chose, même naturellement, peut être surajouté à une puissance, sans cependant faire partie de la puissance même. Ainsi, chez les anges, il ne peut pas appartenir à la puissance même de leur esprit d’être par soi capable de tout connaître, parce qu’il faudrait pour cela qu’elle fût en acte toutes choses, ce qui est le fait de Dieu seul. En effet, ce qui fait connaître quelque chose doit être en acte la similitude de l’objet connu ; il suit de là que si la puissance de l’ange connaissait tout par elle-même, elle serait la similitude et l’acte de toutes choses. Il faut donc qu’à la puissance intellectuelle de l’ange soient surajoutées des espèces intelligibles qui sont la similitude des réalités pensées ; car la pensée de l’ange peut alors, par participation de la sagesse divine et non par son essence propre, être en acte ce à quoi elle pense. Il est évident par cet exemple que ce qui fait partie d’un habitus de nature peut ne pas appartenir entièrement à la puissance.

3. La nature n’a pas une force égale dans la production de toutes les variétés d’habitus. Le fait est que certains peuvent être causés par la nature, et d’autres non, comme nous venons de le dire. Voilà pourquoi, si quelques habitus sont naturels, il ne s’ensuit pas que tous le soient.

 

            Article 2 — Y a-t-il des habitus qui soient causés par des actes ?

Objections :

1. Aucun, semble-t-il. L’habitus est une qualité. Or une qualité est produite chez un sujet dans la mesure où il est récepteur. Donc, puisqu’un agent, du fait même qu’il agit, n’est pas récepteur mais plutôt émetteur, il ne paraît pas possible que ses propres actes engendrent chez lui un habitus.

2. Le sujet dans lequel est produite une qualité est mû vers cette qualité, comme on le voit dans les choses qu’on fait chauffer ou refroidir ; tandis que l’agent dont l’acte produit la qualité donne le mouvement, comme on le voit dans ce qui est calorifique ou frigorifique. Donc, si quelqu’un pouvait causer en soi-même, par sa propre activité, un habitus, il faudrait qu’il fût tout ensemble celui qui donne et celui qui reçoit le mouvement, l’agent et le patient. Ce qui est impossible, d’après Aristote.

3. L’effet ne peut pas être plus noble que sa cause. Mais l’habitus est évidemment plus noble que l’acte qui le précède, puisqu’il rend les actes plus nobles. Donc il ne peut pas avoir pour cause l’acte qui le précède.

En sens contraire, le Philosophe enseigne que les habitus des vertus et des vices sont causés par des actes.

Réponse :

Parfois l’agent contient en lui uniquement le principe actif de ses actes ; ainsi le feu est source purement active de chaleur. Chez un tel agent, sa propre activité ne peut causer en lui aucun habitus ; de là vient que les choses de la nature, selon Aristote, ne peuvent ni s’accoutumer à quelque chose ni s’en désaccoutumer. - Mais on trouve des agents qui ont en eux à la fois le principe actif et le principe passif de leurs actes. C’est ce qui se voit dans les actes humains.

En effet, les actes de la faculté appétitive procèdent de celle-ci dans la mesure où elle est mue par la faculté de connaissance qui rend l’objet présent ; et celle-ci à son tour, dans la mesure où elle raisonne sur les conclusions, a pour principe actif les propositions évidentes par elles-mêmes. Aussi des actes de telle sorte peuvent-ils engendrer chez celui qui les émet des habitus, non quant au tout premier principe actif, mais quant au principe d’activité qui meut tout en étant mû. Car tout ce qui est passif et mû par un autre reçoit une disposition par l’activité de l’agent. Aussi les actes, en se multipliant, engendrent-ils dans la puissance qui est passive et mue, une certaine qualité qu’on nomme habitus. C’est ainsi que les habitus des vertus morales sont causés dans les puissances appétitives selon qu’elles sont mues par la raison, et les habitus des sciences dans l’intellect selon qu’il est mû par les principes premiers.

Solutions :

1. L’agent en tant que tel n’est pas récepteur. Mais en tant qu’il agit sous la motion d’un autre, il est récepteur, et c’est ainsi que l’habitus est causé.

2. Un même être ne peut pas être, sous le même rapport, ce qui donne et ce qui reçoit le mouvement. Mais rien n’empêche qu’un même être puisse se donner à soi-même le mouvement lorsque c’est à des titres divers, comme Aristote le prouve dans la Physique.

3. L’acte précédant l’habitus, en tant qu’il dérive du principe actif, procède de quelque chose qui est plus noble que ne sera l’habitus engendré ; ainsi la raison elle-même est-elle un principe plus noble que ne peut l’être l’habitus de la vertu morale qu’aura engendré dans la faculté appétitive l’habitude des actes ; et l’intelligence des principes est plus noble que la science des conclusions.

 

            Article 3 — Un habitus peut-il être engendré par un seul acte ?

Objections :

1. Il semble bien. Une démonstration, en effet, est un acte de la raison. Or une seule démonstration suffit à produire la science, qui est l’habitus d’une conclusion. Donc l’habitus peut être produit par un seul acte.

2. De même qu’une activité peut croître en se multipliant, elle peut croître aussi en s’intensifiant. Mais en se multipliant les actes engendrent l’habitus. Donc, même un seul acte, s’il s’intensifie beaucoup, pourra être une cause génératrice d’habitus.

3. La santé et la maladie sont des habitus. Or on peut par un seul acte tomber malade ou guérir. Un seul acte peut donc causer un habitus.

En sens contraire, “ une seule hirondelle, dit le Philosophe, ne fait pas le printemps, un seul jour non plus ; ainsi, à coup sûr, ce n’est pas assez d’un jour ni d’un peu de temps pour faire la béatitude ni le bonheur ”. Mais “ la béatitude, dit-il encore, est l’activité commandée par l’habitus de la parfaite vertu ”. C’est avouer qu’un seul acte ne fait pas l’habitus de la vertu ni, pour la même raison, aucun autre habitus.

Réponse :

Comme nous l’avons dit à l’article précédent, l’habitus est engendré par l’acte en tant que la puissance passive est mue par un principe actif. Mais pour qu’une qualité soit produite dans un sujet passif, il faut que l’élément actif domine complètement l’élément passif. Ainsi voyons-nous que le feu, parce qu’il ne peut vaincre totalement la matière combustible, ne parvient pas à l’enflammer tout de suite, mais peu à peu en rejette les dispositions contraires afin de vaincre complètement cette matière pour y imprimer sa forme.

Or il est évident que ce principe actif qu’est la raison ne peut dans un seul acte vaincre complètement la puissance appétitive, parce que celle-ci se prête de bien des manières à beaucoup de choses ; mais en un seul acte la raison juge qu’une chose est à rechercher pour des raisons et dans des circonstances déterminées. Par conséquent ce seul acte n’est pas suffisant pour que la puissance appétitive soit complètement dominée au point de se porter vers un même objet, au moins le plus souvent, comme par nature, ce qui appartient à l’habitus vertueux. Et voilà pourquoi celui-ci ne peut être causé par un seul acte, mais par beaucoup.

Dans les facultés de connaissance il faut considérer qu’il y a une double passivité, celle de l’intellect passif lui-même, et une autre dans cette puissance qu’Aristote nomme encore intellect passif et qui est la raison particulière, c’est-à-dire la faculté cogitative avec mémoire et imagination. - A l’égard de la première passivité, il peut y avoir un élément actif qui par un seul acte soit complètement maître de tout ce qu’il y a de puissance dans son élément passif ; ainsi une seule proposition évidente par soi arrive à convaincre l’intelligence de donner avec fermeté son assentiment à la conclusion ; ce que ne fait assurément pas une proposition probable. Par conséquent, même du point de vue de l’intellect passif, il faut beaucoup d’actes de la raison pour engendrer un habitus en matière d’opinion ; mais il est possible qu’un habitus de science se produise, pour ce qui regarde au moins l’intellect, à la suite d’un seul acte de la raison. - Mais, pour ce qui est des facultés inférieures de connaissance, il est nécessaire de répéter plusieurs fois les mêmes actes, si l’on veut imprimer fermement une chose dans la mémoire. De là ce mot du Philosophe “ La méditation affermit la mémoire. ”

Quant aux habitus corporels, il est possible qu’ils soient causés par un seul acte, lorsque l’élément actif aura été d’une grande énergie. Ainsi une forte médecine ramène parfois instantanément la santé.

Solutions :

Tout cela donne la réponse aux objections.

 

            Article 4 — Y a-t-il des habitus infusés dans l’homme par Dieu ?

Objections :

1. Aucun, à ce qu’il semble. Car Dieu se conduit envers nous tous d’une manière égale. Donc, s’il versait, dans l’âme de certains, quelques habitus, il le ferait pour tous. Ce qui évidemment est faux.

2. Dieu agit dans tous les êtres de la manière convenable à leur nature. Car Denys affirme n : “ Il appartient à la Providence divine de maintenir la nature. ” Or, chez l’homme, il est conforme à la nature que les habitus soient causés par les actes, nous l’avons dit. Dieu ne produit donc pas d’habitus en nous sans nos actes.

3. Si Dieu infuse un habitus, l’homme peut produire beaucoup d’actes grâce à lui. Mais “ ces actes font naître un habitus qui leur ressemble ”, dit Aristote. Il suit de là qu’il y a dans le même sujet deux habitus de même espèce, l’un acquis, et l’autre infus. Ce qui semble impossible, car deux formes d’une même espèce ne peuvent pas exister dans le même sujet. Donc aucun habitus n’est infusé en l’homme par Dieu.

En sens contraire, il est écrit dans l’Ecclésiastique (15,5 Vg) : “ Le Seigneur l’a rempli de l’esprit de sagesse et d’intelligence. ” Mais la sagesse et l’intelligence sont des habitus. Il y a donc des habitus infusés à l’homme par Dieu.

Réponse :

C’est pour deux raisons que des habitus sont infusés à l’homine par Dieu. La première, c’est qu’il y a des habitus par lesquels nous sommes adaptés à une fin qui dépasse la capacité de la nature humaine et qui est cependant l’ultime et parfaite béatitude de l’homme, comme nous l’avons dit précédemment. Et, parce qu’il faut que les habitus soient proportionnés à l’objet même auquel ils nous adaptent, il est nécessaire que les habitus qui nous préparent à cette fin dépassent, eux aussi, la capacité de la nature humaine. Voilà pourquoi de tels habitus ne peuvent jamais être dans l’homme que par infusion divine. C’est le cas de toutes les vertus données par grâce.

L’autre raison, c’est que Dieu peut produire les effets des causes secondes en se passant d’elles, nous l’avons vu dans la première Partie. Donc, de même que parfois, pour montrer sa force, il donne la santé en dehors des causes naturelles, alors que la nature eût pu y suffire, de même aussi parfois, pour montrer sa force, il infuse dans l’âme même des habitus qui peuvent être causés par la nature. Ainsi a-t-il donné aux Apôtres la science des Écritures et celle de toutes les langues, connaissance que les hommes peuvent acquérir par l’étude ou par l’usage, mais sans parvenir à la même perfection.

Solutions :

1. Dieu se comporte d’une manière égale envers tous pour ce qui est de leur nature. Mais, suivant en cela l’ordre de sa sagesse, selon un plan déterminé, il donne à quelques-uns des choses qu’il n’accorde pas à d’autres.

2. Le fait que Dieu agit dans tous les êtres selon leurs modalités n’empêche pas qu’il fasse certaines choses impossibles à la nature. Cela prouve seulement qu’il ne fait rien contre ce qui convient à la nature.

3. Les actes produits par habitus infus ne causent pas un habitus mais confirment un habitus préexistant. C’est ainsi que des remèdes appliqués à celui qui a déjà la santé par nature ne produisent pas de la santé, mais renforcent celle qu’il possédait auparavant.

 

QUESTION 52 — LA CROISSANCE DES HABITUS

1. Les habitus s’accroissent-ils ? - 2. S’accroissent-ils par addition ? - 3. Est-ce que n’importe quel acte accroît l’habitus ?

 

            Article 1 — Les habitus s’accroissent-ils ?

Objections :

1. Cela ne paraît pas possible, car l’accroissement est une affaire de quantité. Or les habitus ne sont pas dans la catégorie de la quantité mais dans celle de la qualité.

2. “ L’habitus est une certaine perfection ”, dit Aristote. Mais la perfection implique un achèvement et un terme, et ne semble donc pas susceptible de plus et de moins. Donc l’habitus ne peut pas augmenter.

3. Dans ce qui est susceptible de plus et de moins, se produit l’altération : subir une altération c’est passer du moins chaud au plus chaud par exemple. Or Aristote prouve qu’il n’y a pas d’altération dans le domaine des habitus ; c’est donc qu’ils ne peuvent s’accroître.

En sens contraire, la foi est un habitus, et pourtant elle s’accroît ; d’où la demande des disciples du Seigneur (Lc 17, 5) : “ Seigneur, augmente en nous la foi. ” Donc les habitus s’accroissent.

Réponse :

L’accroissement, ainsi que les autres choses se rapportant à la quantité, est une notion que nous transférons de l’ordre quantitatif des corps à l’ordre intelligible des réalités spirituelles, à cause de la connaturalité qu’il y a entre notre esprit et les réalités corporelles qui, elles, tombent sous l’imagination. Or, dans l’ordre quantitatif des corps, on dit qu’une chose est grande lorsqu’elle est amenée à la parfaite quantité qu’elle doit avoir ; ainsi y a-t-il des dimensions qu’on estime grandes pour l’homme et qui ne le sont pas pour l’éléphant. De là, dans l’ordre des formes, on dit que quelque chose est grand dès lors que c’est parfait. Et, comme la perfection c’est le bien, ainsi s’explique la parole de S. Augustin : “ Dans ce qui n’est pas grand par la masse, être plus grand c’est être meilleur. ”

Mais la perfection d’une forme peut être considérée de deux manières, selon la forme elle-même, et selon la façon dont le sujet participe de cette forme. Si l’on a en vue l’état parfait de la forme en elle-même, alors on dit qu’elle est petite ou grande, on parlera d’une grande ou petite santé, d’une grande ou petite science. Mais si l’on considère la perfection de la forme dans le sujet, on parle alors de plus et de moins ; on dit par exemple que c’est plus ou moins blanc, plus ou moins sain. D’ailleurs une pareille distinction ne signifie pas que la forme ait une existence en dehors de la matière ni du sujet, mais elle signifie que c’est différent de considérer une forme sous son aspect spécifique, et de la considérer dans la façon dont elle est participée par le sujet.

A cet égard, en ce qui concerne l’intensité et le relâchement des habitus et des formes, quatre opinions ont divisé les philosophes. Simplicius en fait l’exposé. Plotin et les autres platoniciens prétendaient que même les qualités et les habitus se trouvaient susceptibles de plus et de moins, pour cette raison qu’ils étaient matériels et qu’ils gardaient de ce fait une certaine indétermination à cause du caractère indéfini de la matière. - D’autres prétendaient au contraire que les qualités et les habitus n’étaient pas par eux-mêmes susceptibles de plus et de moins : ce sont les choses qualifiées dont on parle ainsi suivant les divers degrés de participation. Ainsi on ne dit pas que la justice est plus ou moins, mais qu’une chose est plus ou moins juste. Aristote touche un mot de cette opinion dans ses Prédicaments. - La troisième fut celle des stoïciens. Elle tient le milieu entre les deux premières. Ils ont soutenu en effet qu’il y a des habitus, comme les arts, qui sont susceptibles de plus et de moins ; mais d’autres non, comme les vertus. - La quatrième opinion consistait à dire que les qualités et formes immatérielles ne sont pas susceptibles de plus et de moins, mais que les matérielles le sont.

Pour manifester ce qu’il y a de vrai dans tout cela, il faut donc considérer que ce qui sert à délimiter une espèce doit être quelque chose de fixe et de stable, et comme un point indivisible ; tout ce qui arrive à ce point est contenu dans l’espèce, mais tout ce qui s’en éloigne, soit en plus soit en moins, appartient à une autre espèce ou plus parfaite ou moins parfaite. De là le mot du Philosophe : “ Les espèces sont comme les nombres ” ; si l’on augmente un nombre ou qu’on le diminue, on en change l’espèce. Donc, si une forme ou une réalité quelconque obtient par elle-même ou par quelque chose d’elle-même, la raison d’espèce, il est nécessaire que, prise en soi, elle ait une essence très déterminée dont elle ne puisse s’éloigner ni en plus par excès ni en moins par défaut. De cette sorte sont la chaleur, la blancheur et les autres qualités du même genre, qui ne se définissent pas par rapport à autre chose ; telle est, beaucoup plus encore, la substance qui est de l’être par soi. - En revanche, les choses qui reçoivent leur espèce du terme auquel elles sont ordonnées peuvent varier en elles-mêmes soit en plus soit en moins, et rester malgré cela dans la même espèce à cause de l’unité du terme auquel elles tendent et duquel elles reçoivent leur spécification. Ainsi, un mouvement est en soi plus intense ou plus relâché, tout en demeurant néanmoins de même espèce à cause de l’unité du but. Et l’on peut remarquer la même chose dans la santé, car le corps arrive à avoir véritablement la santé lorsqu’il est dans les dispositions convenables à la nature de l’animal ; mais comme cettc nature peut s’accommoder de dispositions diverses, celles-ci peuvent varier en plus ou en moins, et cependant c’est toujours la santé. De là cette parole du Philosophe : “ L’état de santé est susceptible de plus et de moins, car l’équilibre des humeurs n’est pas le même chez tous ni toujours pareil chez un seul et même individu ; mais une santé diminuée est encore jusqu’à un certain point la santé. ” Or ces divers états de santé se tiennent par degrés, les uns dépassant, les autres dépassés, de sorte que si l’on ne donnait le nom de mté qu’à l’équilibre le plus parfait, alors on ne pourrait jamais dire que la santé fût plus grande ou qu’elle fût moindre. - Ainsi l’on voit bien de quelle manière une qualité ou forme peut en soi augmenter ou diminuer, et de quelle manière elle ne le peut pas.

Si maintenant nous considérons la qualité ou forme d’après la participation du sujet, en ce cas il se trouve aussi que certaines qualités et formes connaissent le plus et le moins, et certaines non. Et Simplicius attribue cette différence à la raison suivante. La substance en elle-même ne peut connaître le plus et le moins, puisqu’elle est de l’être par soi. C’est pourquoi toute forme dont un sujet participe substantiellement ne peut avoir ni tension ni relâchement ; aussi, dans le genre substance ne parle-t-on pas de plus et de moins. Et puisque la quantité est toute proche de la substance, et que la figure à son tour est consécutive à la quantité, il s’ensuit que dans ces catégories-là il n’est pas question non plus de degrés. D’où cette pensée du Philosophe : lorsqu’une chose prend forme et figure, on ne dit pas qu’elle est en voie de s’altérer mais plutôt de devenir et de se former. Quant aux autres qualités qui sont plus éloignées de la substance et conjointes aux actions et passions, elles ont du plus et du moins selon la participation du sujet.

Mais on peut encore donner de cette différence une meilleure explication. Ainsi qu’on vient de le dire, ce qui donne son espèce à une chose doit demeurer fixe et stable en un point indivisible. Donc il peut arriver de deux manières que la participation d’une forme ne comporte pas de plus et de moins. - D’abord, parce que le sujet participant est spécifié selon cette forme même. De là vient qu’on ne participe jamais plus ou moins d’une forme substantielle. Et c’est pourquoi le Philosophe dit : “ De même qu’un nombre n’a pas de plus et de moins, la substance n’en a pas non plus selon qu’elle représente l’espèce ”, entendez : quant à la participation de la forme spécifique ; “ mais si elle est unie à la matière ” : c’est-à-dire que c’est en raison des dispositions matérielles qu’il se trouve du plus et du moins dans la substance. - L’autre façon dont on peut s’expliquer l’absence de degrés dans la participation d’une forme tient à ce que l’indivisibilité même est essentielle à cette forme ; d’où il faut que, si un sujet participe de cette forme, il y participe en ce qu’elle a d’essentiellement indivisible. De là vient que dans les nombres il n’est pas question de plus et de moins ; chaque espèce y est constituée par une unité indivisible. Et il en est de même dans la quantité continue, lorsque les espèces y sont établies selon un système numérique, telle une grandeur de deux coudées, de trois coudées. De même dans les relations, par exemple le double et le triple. De même aussi pour les figures, par exemple trigone et tétragone. Et c’est là précisément la raison que donne Aristote au livre des Prédicaments, lorsque voulant indiquer la raison pour laquelle une figure ne connaît pas de plus et de moins, il dit : “ Les choses qui réalisent la notion de triangle et celle de cercle sont toutes au même degré des triangles et des cercles ” ; parce que l’indivisibilité est de leur essence même, si bien que tout ce qui participe de cette essence doit en participer indivisiblement.

Il ressort donc avec évidence de tout ceci que, comme les habitus et les dispositions se définissent par rapport à quelque chose, il peut y avoir pour eux intensité et relâchement de deux façons : 1° en eux-mêmes, comme quand on parle d’une plus ou moins bonne santé, ou lorsqu’on dit qu’une science est plus ou moins grande parce qu’elle s’étend à plus ou moins de choses ; 2° dans la participation du sujet, et cela veut dire qu’une science égale, ou une égale santé, est reçue plus profondément chez un individu que chez un autre, suivant une diversité d’aptitude résultant de la nature ou de l’habitus. Car ce n’est pas l’habitus et la disposition qui donnent au sujet son espèce, et ce ne sont pas non plus des formes impliquant dans leur notion même l’indivisibilité.

Quant à la façon dont la chose se passe dans les vertus, nous le dirons plus loin.

Solutions :

1. De même que la notion de grandeur passe de l’ordre corporel de la quantité à l’ordre intelligible de la perfection des formes, de même aussi la notion de croissance, puisque le terme de l’accroissement est la grandeur.

2. Sans doute l’habitus est une perfection, mais non une perfection qui soit le terme de son sujet, comme si elle lui donnait par exemple son existence spécifique. Elle n’inclut pas non plus un terme dans sa notion même, comme le fait chaque espèce de nombre. Par conséquent, rien n’empêche qu’elle ait du plus et du moins.

3. L’altération est d’abord dans les qualités de la troisième espèce, mais elle peut se trouver dans les qualités de la première espèce par voie de conséquence ; changez l’état de la température, et l’animal en devient malade ou bien portant ; pareillement, que changent les passions de l’appétit sensible ou les impressions des facultés sensibles de connaissance, et l’état des sciences et des vertus en est modifié, dit Aristote.

 

            Article 2 — Les habitus s’accroissent-ils par addition ?

Objections :

1. Il semble bien. En effet, le mot même d’accroissement, nous venons de le dire, indique un transfert des quantités corporelles au domaine des formes. Or dans les quantités corporelles il n’y a pas d’accroissement sans addition : “ Accroître, c’est ajouter à une grandeur préexistante ”, dit Aristote. Donc, dans les habitus aussi, tout accroissement se fait par addition.

2. L’habitus ne s’accroît que par l’influence d’un agent. Mais tout agent produit quelque effet dans le sujet patient : ce qui chauffe produit réellement la chaleur dans ce qui est chauffé. Il ne peut donc y avoir d’accroissement sans que se produise une addition.

3. De même que ce qui n’est pas blanc est en puissance à devenir blanc, ainsi ce qui et moins blanc est en puissance à être plus blanc. Mais ce qui n’est pas blanc ne le devient qu’en acquérant la blancheur. Donc ce qui est moins blanc ne devient plus blanc que par une autre blancheur ajoutée à la première.

En sens contraire, “ un corps chaud devient plus chaud, dit le Philosophe, sans qu’il se produise dans la matière aucune chaleur qui n’existât déjà lorsque le corps était moins chaud ”. Donc, au même titre, dans les autres formes, lorsqu’elles augmentent, il n’y a non plus aucune addition.

Réponse :

La solution de cette question dépend de ce qui précède. On vient de dire en effet que, dans des formes qui s’intensifient et se relâchent, l’accroissement et la diminution ont une manière de se produire qui tient non pas à la forme elle-même considérée en soi, mais à ce que le sujet en participe diversement. C’est pourquoi cet accroissement des habitus et des autres formes n’a pas lieu par addition de forme à forme, mais se produit par le fait que le sujet participe plus ou moins parfaitement d’une seule et même formes. Et de même, lorsqu’un corps devient chaud en acte sous l’influence d’un agent qui est lui-même chaud en acte, il commence à participer nouvellement de cette forme sans pourtant que la forme elle-même commence à exister ; ainsi lorsque, sous l’action interne de l’agent lui-même, le corps devient plus chaud, c’est comme participant plus parfaitement de la forme, et ce n’est pas parce que quelque chose vient s’ajouter à cette forme.

Si en efet on entend par addition un tel accroissement dans les formes, cela ne pourrait avoir lieu que du côté de la forme ou du côté du sujet. Si cela avait lieu du côté de la forme, nous l’avons déjà dit, l’addition alors, ou la soustraction, changerait l’espèce, comme l’espèce de couleur peut varier lorsqu’une chose passe du pâle au blanc. - Si l’addition devait s’entendre du côté du sujet, ce pourrait être seulement parce qu’une partie de celui-ci reçoit la forme qu’il n’avait pas encore, comme lorque nous disons que le froid nous gagne si nous avions déjà froid dans une partie du corps, et que maintenant nous ayons froid en plusieurs ; ou ce serait parce qu’un autre sujet vient s’ajouter au premier pour participer de la même forme, comme lorsqu’un corps chaud vient se joindre à un corps chaud, ou du blanc à du blanc. Mais, dans les deux cas, on ne dit pas que c’est plus blanc ou plus chaud, on dit que ce l’est en plus grande quantité.

Toutefois, comme il y a des accidents qui s’accroissent en eux-mêmes ainsi que nous l’avons dit plus haut, dans certains d’entre eux il peut y avoir accroissement par addition. Un mouvement s’accroît par tout ce qui s’y ajoute, quant au temps qu’il dure, ou quant au chemin par où il passe ; et cependant, à cause de l’unité du terme, c’est toujours la même espèce de mouvement. Néanmoins un mouvement augmente aussi en intensité selon la participation du sujet, c’est-à-dire en tant que le même mouvement peut se faire d’une manière plus ou moins aisée ou prompte. - Pareillement, la science aussi peut avoir de l’accroissement en elle-même par addition ; ainsi lorsque quelqu’un apprend un plus grand nombre de conclusions de géométrie, l’habitus s’accroît en lui, tout en appartenant à la même science quant à son espèce. Néanmoins, la science augmente aussi en intensité chez quelqu’un selon la participation du sujet, c’est-à-dire à la manière dont un individu possède plus de clarté et plus d’aisance qu’un autre pour considérer les mêmes conclusions.

D’ailleurs, dans les habitus corporels on ne voit pas qu’il y ait beaucoup d’accroissement par addition. Car on ne dit pas qu’un animal soit véritablement sain ou beau s’il ne l’est dans toutes ses parties. S’il arrive à un équilibre plus parfait, c’est par modification des qualités élémentaires qui le composent, et ces qualités n’augmentent qu’en intensité en raison du sujet participant.

Quant à la façon dont cela se passe dans les vertus, il en sera question plus loin.

Solutions :

1. Même dans la grandeur corporelle il peut y avoir accroissement de deux façons. L’une par addition de matière à matière comme il arrive dans la croissance des êtres vivants. L’autre sans aucune addition et uniquement par intensification comme dans les matières qui font explosion.

2. La cause qui accroît l’habitus produit bien toujours quelque chose dans le sujet, mais non une forme nouvelle. Elle fait seulement que le sujet participe plus parfaitement de la forme qui préexiste, ou que cette forme prend une plus ample extension.

3. Ce qui n’est pas encore blanc est en puissance à la forme même de blancheur, comme ne la possédant pas encore, et c’est pour cela que agent cause réellement dans le sujet une forme nouvelle. Mais ce qui est moins chaud ou moins blanc n’est plus en puissance à la forme puisqu’il la possède déjà en acte ; il est seulement en puissance au mode parfait de participation, et il obtient cela sous l’influence de l’agent.

 

            Article 3 — Est-ce que n’importe quel acte accroît l’habitus ?

Objections :

1. Vraisemblablement oui, car en multipliant la cause on multiplie l’effet. Or les actes sont causes de quelques-uns des habitus, nous l’avons déjà dit. Donc, si les actes se multiplient, l’habitus augmente.

2. On porte le même jugement sur les cas semblables. Or les actes procédant d’un même habitus se ressemblent tous. Donc, si quelques-uns d’entre eux font grandir l’habitus, n’importe lequel le fera aussi.

3. Le semblable s’accroît par son semblable. Mais un acte ressemble toujours à l’habitus dont il procède. Donc n’importe quel acte accroît l’habitus.

En sens contraire, le même être ne peut causer des effets contraires. Or le Philosophe fait remarquer, que des actes procédant pourtant d’un habitus le diminuent : c’est, dit-il, lorsqu’ils sont faits négligemment. Ce n’est donc pas n’importe quel acte qui augmente l’habitus.

Réponse :

Selon Aristote, “ les actes semblables causent des habitus semblables ”. Mais ressemblance et dissemblance ne tiennent pas seulement à une qualité identique ou diverse, mais aussi à un degré de participation semblable ou divers. Le noir ne ressemble pas au blanc, mais le même blanc ne ressemble pas non plus au plus blanc puisque passer de l’un à l’autre est aussi un changement, comme le passage d’un opposé à un opposé, dit la Physique.

Mais puisque l’exercice des habitus est entièrement dans notre volonté, comme nous l’avons montré, il arrive à celui qui a un habitus de ne pas s’en servir, ou même d’agir en sens contraire ; de même il peut lui arriver de se servir de l’habitus pour des actes qui ne sont pas proportionnés à l’intensité de celui-ci. Donc, si l’intensité des actes est proportionnée à celle de l’habitus ou même la dépasse, n’importe lequel de ces actes ou accroît l’habitus ou lui prépare un accroissement, pour parler de cette croissance des habitus comme on ferait de celle des animaux. En effet l’absorption de tout aliment ne fait pas grandir l’animal sur-le-champ, pas plus que toute goutte qui tombe ne creuse la pierre ; mais quand l’alimentation s’est répétée, la croissance enfin se produit. Ainsi également quand les actes se répètent, l’habitus se développe. - Mais si l’intensité de l’acte reste proportionnellement inférieure à celle de l’habitus, un tel acte ne prépare pas un accroissement de l’habitus, mais plutôt sa diminution.

Solutions :

Tout cela donne la réponse aux objections.

 

QUESTION 53 — LA DIMINUTION ET LA DESTRUCTION DES HABITUS

1. L’habitus peut-il disparaître ? - 2. Peut-il diminuer ? - 3. La manière dont il peut disparaître ou diminuer.

 

            Article 1 — L’habitus peut-il disparaître ?

Objections :

1. Pas plus que la nature, semble-t-il. Car l’habitus est en nous comme une nature, d’où le caractère délectable des opérations dont on a l’habitus. Or la nature n’est pas détruite tant que demeure son sujet. Donc l’habitus ne peut pas périr non plus tant que le sujet demeure.

2. Toute destruction d’une forme est causée soit par la destruction du sujet, soit par l’apparition d’une forme contraire. Ainsi la maladie disparaît-elle lorsque l’animal meurt, ou bien lorsque survient la santé. Mais la science, qui est un habitus, ne peut disparaître par destruction du sujet, puisque l’intellect, où elle a son siège, “ est une substance et ne se corrompt pas ”, ainsi qu’il est dit au livre I du traité de De l’Ame. De même la science ne peut pas être détruite par une réalité contraire, car les espèces intelligibles ne sont pas contraires les unes aux autres, d’après Aristote. Donc un habitus de science ne peut être détruit d’aucune manière.

3. Toute destruction s’opère par un mouvement. Mais les habitus de science qui sont dans l’âme ne peuvent être détruits par un mouvement de l’âme en elle-même, car de soi l’âme ne connaît pas le mouvement. Elle se meut il est vrai, en subissant les mouvements du corps. Mais aucune modification organique ne semble pouvoir détruire les espèces intelligibles, puisque leur existence est liée à l’intellect, et que cet intellect est par lui-même le lieu des idées, indépendamment du corps ; d’où cette affirmation que les habitus ne peuvent être détruits ni par la vieillesse ni par la mort. La science ne peut donc être détruite. Ni par conséquent l’habitus de la vertu puisqu’elle est aussi dans l’âme raisonnable et que “ les vertus, d’après le Philosophe, sont plus durables que les savoirs ”.

En sens contraire, le Philosophe affirme aussi que “ la science est détruite par l’oubli ou par l’erreur ”. On perd aussi la vertu par le péché. Et Aristote dit encore que des actes contraires engendrent et détruisent les vertus.

Réponse :

Il faut dire qu’une forme est détruite en soi par son contraire ; et par accident si son sujet est détruit. Donc, s’il y a des habitus dont le sujet soit destructible et dont la cause ait son contraire, ils pourront se perdre des deux manières, comme on le voit pour les habitus corporels, la santé et la maladie. En revanche, les habitus dont le sujet n’est pas destructible ne peuvent se perdre par accident. Il y a cependant des habitus qui, tout en existant principalement dans un sujet indestructible, sont pourtant secondairement dans un sujet destructible. Ainsi l’habitus de science puisque, s’il réside principalement dans l’intellect passif, il réside secondairement dans les facultés sensibles de connaissance, nous l’avons vu. Et c’est pourquoi, du côté de l’intellect passif, l’habitus de science ne peut être détruit, mais seulement du côté des facultés inférieures de connaissance sensible.

Il faut donc examiner si les habitus de cette sorte peuvent se perdre par eux-mêmes. Il faudrait donc pour cela qu’il y eût un habitus ayant un contraire soit de son côté, soit du côté de sa cause ; mais s’il n’a pas de contraire, il ne pourra se détruire par lui-même. Or il est évident qu’une espèce intelligible ayant son existence dans l’intellect passif n’a pas de contraire, et que sa cause, l’intellect agent, ne peut pas en avoir non plus. Par conséquent, s’il y a dans l’intellect passif un habitus qui soit immédiatement causé par l’intellect agent, un tel habitus est indestructible et par soi et par accident. Les habitus des premiers principes, tant spéculatifs que pratiques, sont de cette sorte : aucun oubli ni aucune erreur ne peuvent les détruire. Le Philosophe le dit de la prudence : “ L’oubli ne la fait pas perdre ”. - Mais il y a dans l’intellect passif un habitus causé par la raison, c’est l’habitus des conclusions que l’on appelle la science. Or, la cause de cet habitus peut rencontrer doublement quelque chose de contraire : l° dans les propositions mêmes à partir desquelles se fait le raisonnement, car à cette affirmation “ le bien est le bien ” s’oppose celle-ci, dit le Philosophe, “ le bien n’est pas le bien ” ; 2° dans le processus même du raisonnement, comme quand un syllogisme qui est un sophisme s’oppose au syllogisme dialectique ou démonstratif. Il est donc évident que l’on peut détruire un argument faux par l’habitus d’une opinion vraie ou même d’une science. Aussi le Philosophe dit-il que “ l’erreur est la destruction de la science ”.

Pour ce qui est des vertus, celles qui sont intellectuelles ont leur siège dans la raison même, et il faut faire à leur égard le même raisonnement que pour la science ou l’opinion. - Mais il y en a qui résident dans les facultés appétitives, ce sont les vertus morales, et il en est de même des vices opposés. Or les habitus de ces facultés appétitives sont causés par le fait que la raison est faite pour mouvoir la faculté appétitive. Voilà pourquoi l’habitus de la vertu ou du vice peut être détruit par le jugement de la raison lorsque celle-ci imprime un mouvement En sens contraire, de quelque manière que ce soit, c’est-à-dire ou par ignorance, ou par passion, ou même par libre choix.

Solutions :

1. L’habitus ressemble à la nature, cependant il lui est inférieur. Et c’est pourquoi, alors que la nature ne peut nullement se perdre, l’habitus ne se perd que difficilement.

2. Bien qu’il n’y ait à proprement parler rien de contraire aux espèces intelligibles, il peut y avoir pourtant quelque chose de contraire, comme nous venons de le dire, aux affirmations et à la marche de la raison.

3. Un mouvement corporel n’écarte pas la science en atteignant la racine même de l’habitus, mais seulement en empêchant l’acte dans la mesure où l’intellect a besoin dans son acte des facultés sensibles où la modification organique vient jeter le trouble. Mais une modification de la raison, d’ordre intellectuel, peut corrompre un habitus de science jusque dans sa racine. Et un habitus de vertu peut être détruit pareillement. - Quand on dit cependant que “ la vertu est plus durable que le savoir ”, cela doit s’entendre non du sujet ni de la cause, mais des actes ; car les vertus sont d’un usage continu durant toute la vie, mais non pas les disciplines de l’esprit.

 

            Article 2 — L’habitus peut-il diminuer ?

Objections :

1. Il semble que non. L’habitus, en effet, est une qualité, une forme simple. Or une chose simple, ou on l’a tout entière, ou on la perd tout entière. Donc, bien qu’un habitus puisse se perdre, il ne peut diminuer.

2. Tout ce qui convient à un accident lui convient en raison de lui-même ou en raison de son sujet. Or de soi un habitus n’a ni intensité ni relâchement ; autrement nous aurions là une espèce qui serait attribuée à ses individus selon le plus et le moins. Si c’est la participation du sujet qui rend la diminution possible, c’est donc que l’habitus a quelque chose de propre qu’il ne partage pas avec son sujet. Mais chaque fois qu’une forme a quelque chose de propre en dehors de son sujet, c’est que c’est une forme séparable, comme il est dit au livre 1 du traité de De l’Ame : il s’ensuivrait que l’habitus serait une forme séparable, ce qui est impossible.

3. La raison et la nature de l’habitus, comme de n’importe quel accident, tient dans l’union concrète à un sujet, de sorte que tout accident se définit par son sujet. Donc, si l’habitus en lui-même n’est ni intense ni relâché, il ne pourra non plus être diminué par son union concrète au sujet. Ainsi, d’aucune manière il ne connaîtra de diminution.

En sens contraire, par nature les contraires se produisent dans le même sujet. Or l’accroissement et la diminution sont des contraires. Puisque l’habitus peut augmenter, il semble qu’il peut aussi diminuer.

Réponse :

Il ressort de ce que nous avons dit plus haut que les habitus diminuent comme ils augmentent, de deux manières. Et de même que la cause qui les fait naître est aussi celle qui les fait grandir, de même la cause qui les détruit est celle qui les fait diminuer ; car la diminution d’un habitus l’achemine à sa destruction, comme à l’inverse la génération de l’habitus est le fondement de sa croissance.

Solutions :

1. L’habitus considéré en lui-même est une forme simple, et à cet égard il ne lui arrive pas de diminuer. Mais cela lui arrive suivant les divers modes de participation, diversité qui provient de l’indétermination de la puissance du sujet participant et signifie que cette puissance peut participer en diverses manières d’une même forme, ou qu’elle peut s’étendre à plus ou moins de choses.

2. Ce raisonnement serait concluant si l’essence même de l’habitus ne subissait aucune sorte de diminution. Mais nous disons seulement qu’il y a dans l’essence de l’habitus une certaine diminution qui a son principe non dans l’habitus mais dans le sujet participant.

3. De quelque façon qu’on s’exprime, l’accident est toujours conçu essentiellement dans la dépendance du sujet, cependant de façons différentes. Si l’on s’exprime dans l’abstrait, l’accident implique à l’égard du sujet un rapport qui commence par l’accident et se termine au sujet ; on dit que la blancheur est “ ce par quoi une chose est blanche ”. Et c’est pourquoi, lorsque l’on définit un accident dans l’abstrait, on ne prend pas comme sujet cette première partie de la définition qui est le genre, mais la seconde partie qui est la différence : nous définissons le fait d’être camus par “ la dépression du nez ”. Mais dans le concret tout part du sujet et se termine à l’accident : on appelle blanc “ ce qui possède la blancheur ” ; et c’est pourquoi lorsqu’on définit un accident concrètement, on prend le sujet comme genre, c’est-à-dire comme première partie de la définition : nous définissons l’homme camus par son nez déprimé.

Ainsi donc, ce qui convient aux accidents, d’après leur sujet mais non d’après leur raison d’accident, ne leur est pas attribué dans l’abstrait, mais dans le concret. Tel est, en quelques-uns d’entre eux, le degré d’intensité et de relâchement : ainsi on ne dit pas que la blancheur est plus ou moins blancheur, mais qu’une chose est plus ou moins blanche. Et le même point de vue se présente dans les habitus et dans les autres qualités, sauf que certains habitus augmentent ou diminuent par une sorte d’addition, comme nous l’avons vu plus haut.

 

            Article 3 — La manière dont l’habitus peut disparaître ou diminuer

Objections :

1. Il ne semble pas que l’habitus soit détruit ou diminué par simple cessation de l’acte. On voit en effet par tout ce qui a été dit que les habitus sont plus durables que les qualités de passibilité. Mais celles-ci ne sont pas détruites ni diminuées parce qu’elles cessent d’exercer leur action ; une blancheur n’est pas diminuée si elle n’impressionne aucun organe visuel, ni une chaleur si elle n’a rien à réchauffer. Donc, les habitus, eux non plus, ne se détruisent ni ne diminuent en cessant d’agir.

2. Destruction et diminution sont des changements. Mais rien ne change que sous la motion d’une cause. Puisque la cessation d’activité n’implique pas une motion de ce genre, il ne semble pas qu’elle puisse diminuer ou détruire l’habitus.

3. Les habitus de science et de vertu sont dans l’âme intelligente, laquelle est au-dessus du temps. Mais ce qui est au-dessus du temps n’est ni détruit ni diminué par la longueur du temps. Donc ces sortes d’habitus ne sont pas non plus détruits ni diminués du seul fait qu’on reste longtemps sans les exercer.

En sens contraire, le Philosophe dit que “ ce qui détruit la science ce n’est pas seulement l’erreur, c’est encore l’oubli ”. Ailleurs il dit que beaucoup d’amitiés se perdent simplement parce qu’on ne se voit plus. Et pour la même raison d’autres habitus de vertus sont diminués ou supprimés parce qu’on a cessé d’en faire usage.

Réponse :

On sait qu’il y a, pour Aristote, deux façons de mouvoir. Une chose peut mouvoir par soi, c’est-à-dire en raison de sa forme propre, comme le feu chauffe. Elle peut mouvoir par accident, comme fait tout ce qui écarte l’obstacle. C’est de cette seconde manière que la cessation d’exercice cause la destruction ou la diminution des habitus, dans la mesure où l’on écarte l’activité qui préservait l’habitus des causes de destruction ou d’amoindrissement. Nous l’avons dit en effet, les habitus par soi se détruisent ou s’affaiblissent par le fait d’un agent contraire. Aussi tous les habitus ont des contraires qui surgissent peu à peu au cours du temps, et qu’il faut supprimer par l’acte qui procède de l’habitus ; car ces habitus s’affaiblissent ou même disparaissent tout à fait, parce que pendant longtemps leur activité a cessé de s’exercer. Cela se voit et pour la science et pour la vertu.

De toute évidence l’habitus de la vertu morale nous rend prompt à choisir le juste milieu dans nos opérations et dans nos passions. Or, quand quelqu’un ne se sert pas de son habitus vertueux pour modérer ses propres passions ou opérations, nécessairement beaucoup d’entre elles se produisent en dehors de la mesure de la vertu, sous l’influence de l’appétit sensible et d’autres pressions venues de l’extérieur. Ainsi la vertu se détruit ou s’affaiblit, par absence d’activité. - Il en est de même des habitus intellectuels, selon lesquels on devient prompt à bien juger de ce qu’on a dans l’imagination. Donc, lorsque l’on cesse de faire usage d’un habitus intellectuel, des imaginations étrangères surgissent, et parfois elles conduisent à des positions contraires. C’est au point que si le fréquent usage de l’habitus intellectuel ne parvient pas à couper en quelque sorte ou à comprimer des imaginations, on est rendu moins apte à juger correctement, et parfois on est tout à fait disposé au parti contraire. Et ainsi, par absence d’activité, un habitus intellectuel s’affaiblit ou même se détruit.

Solutions :

1. On verrait même la chaleur se détruire en cessant de chauffer, si cela augmentait le froid, élément corrupteur du chaud.

2. La cessation d’activité mène à la perte ou à la diminution comme tout ce qui supprime un empêchement.

3. La partie intellectuelle de l’âme est de soi au-dessus du temps ; mais la partie sensible est soumise au temps. C’est pourquoi, au cours du temps elle se modifie quant aux passions de l’appétit et même quant aux facultés de connaissance. Ce qui fait dire au Philosophe 1 que le temps est cause d’oubli.

 

QUESTION 54 — LA DISTINCTION DES HABITUS

1. Peut-il exister plusieurs habitus dans une seule puissance ? - 2. Les habitus se distinguent-ils d’après leurs objets ? - 3. Se distinguent-ils selon le bien et le mal ? - 4. Un habitus est-il constitué de plusieurs ?

 

            Article 1 — Peut-il exister plusieurs habitus dans une seule puissance ?

Objections :

1. Cela ne semble pas possible. Quand des choses ont un même principe de distinction, tout ce qui multiplie l’une multiplie l’autre. Or la puissance et l’habitus se distinguent d’une manière identique, c’est-à-dire d’après leurs actes et leurs objets. Donc ils se multiplient pareillement, et il ne peut exister plusieurs habitus dans une seule puissance.

2. Une puissance est une énergie simple. Or dans un sujet, lorsqu’il est simple, il ne peut y avoir diversité d’accidents, parce que le sujet est cause de l’accident et que d’une cause simple on ne voit découler qu’un seul effet. Donc dans une puissance ne peuvent exister plusieurs habitus.

3. De même que le corps prend forme par sa figure extérieure, ainsi la puissance est formée par l’habitus. Mais un seul corps ne peut être formé par diverses figures en même temps. Ni par conséquent une puissance par des habitus divers. Il ne peut donc exister plusieurs habitus en même temps dans une seule puissance.

En sens contraire, l’intelligence est une seule faculté, et pourtant il y a en elle des habitus scientifiques divers.

Réponse :

Ainsi qu’on l’a dit plus haut, les habitus sont, dans un être en puissance, des dispositions à quelque chose qui est soit la nature même, soit l’activité ou la finalité de la nature. Pour les habitus qui sont des dispositions à la nature, il est évident qu’ils peuvent être nombreux dans un seul sujet, car les différentes parties d’un sujet peuvent s’agencer selon des arrangements divers, qu’on appelle précisément des habitus. Ainsi, dans le corps humain, l’équilibre des humeurs tel que le demande la nature humaine donne l’habitus ou la disposition de santé ; l’adaptation à la nature des parties semblables de l’organisme, telles que les nerfs, les os et les chairs, donne force ou maigreur ; la conformation des membres, des mains, des pieds, etc., si elle est conforme à la nature, constitue la beauté. Et ainsi il y a plusieurs habitus ou dispositions dans un même sujet.

Si maintenant nous parlons des habitus qui sont des dispositions à l’action, habitus qui appartiennent proprement aux puissances, alors il arrive aussi à une seule puissance d’en avoir plusieurs. La raison en est que le sujet de l’habitus est une puissance passive, nous l’avons déjà dit, car une puissance purement active n’est pas sujet d’un habitus. Or, une puissance passive est par rapport à un acte d’une espèce bien déterminée comme la matière par rapport à la forme. Car, de même que la matière est déterminée à une forme lorsqu’elle est sous l’influence d’un seul agent, de même la puissance passive, lorsqu’elle est sous l’impression formelle d’un objet, est déterminée à un acte bien spécifié. Par suite, comme plusieurs objets peuvent mouvoir une seule puissance passive, ainsi une puissance passive peut être le sujet de différents actes ou de différents perfectionnements bien spécifiés. Or les habitus sont précisément des qualités ou formes inhérentes à la puissance pour l’incliner à des actes d’une espèce bien déterminée. Par là plusieurs habitus peuvent appartenir à une seule puissance, tout comme plusieurs actes d’espèces différentes.

Solutions :

1. De même que dans les choses de la nature la diversité des espèces dépend de la forme, celle des genres dépend de la matière, selon Aristote ; car les êtres dont la matière est différente ont des genres différents ; ainsi encore, dans l’ordre des objets, la différence de genre entraîne la distinction des puissances, d’où ce mot du Philosophe : “ Pour des visées d’un autre genre, on a aussi une tout autre âme. ”

Mais la différence d’espèce entraîne la diversité spécifique des actes et, par suite, celle des habitus. Or tout ce qui est divers par le genre, l’est aussi par l’espèce ; mais l’inverse n’est pas vrai. Voilà pourquoi, si les puissances sont diverses, les actes et les habitus sont certainement d’espèces différentes ; mais si les habitus sont divers, il n’est pas nécessaire que les puissances le soient, et il peut y avoir plusieurs habitus dans une seule puissance. Et de même qu’il y a des genres de genres et des espèces d’espèces, ainsi il se rencontre également des espèces diverses d’habitus et de puissances.

2. Bien qu’une puissance soit simple selon son essence, elle est multiple dans sa virtualité en ce sens qu’elle s’étend à de nombreux actes d’espèces différentes. C’est pourquoi rien n’empêche qu’une seule puissance soit le siège de beaucoup d’habitus d’espèces différentes.

3. Le corps reçoit sa forme de la figure comme de ce qui le détermine dans ses contours extérieurs, tandis que l’habitus ne vient pas terminer la puissance, mais la disposer à l’acte comme au terme ultime. Voilà pourquoi il ne peut exister dans une puissance plusieurs actes en même temps, à moins qu’ils ne soient compris l’un dans l’autre, pas plus qu’il ne peut y avoir plusieurs figures pour un corps sauf si l’une existe dans l’autre comme le triangle dans le carré. L’intelligence ne peut saisir en acte beaucoup de choses en même temps. Elle peut cependant savoir par habitus beaucoup de choses en même temps.

 

            Article 2 — Les habitus se distinguent-ils d’après leurs objets ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Car des contraires appartiennent à des espèces différentes. Mais le même habitus de science s’occupe des contraires, comme la médecine de ce qui est sain et de ce qui est malade. Ce n’est donc pas la différence d’espèce dans les objets qui distingue les habitus.

2. Des sciences diverses sont des habitus divers. Pourtant le même objet de savoir ressortit à des sciences diverses ; le physicien comme l’astronome démontre que la terre est ronde. Les objets ne permettent donc pas de distinguer les habitus.

3. Un même acte a un même objet. Mais le même acte peut se rapporter à divers habitus de vertus s’il se réfère à diverses fins : donner de l’argent, si c’est pour l’amour de Dieu, est affaire de charité ; si c’est pour acquitter une dette, affaire de justice. Donc un même objet peut aussi se rapporter à divers habitus, et la diversité des habitus ne répond pas à celle des objets.

En sens contraire, nous avons établi que la différence spécifique des actes dépend de la diversité des objets. Or les habitus sont des dispositions aux actes. Donc eux aussi se distinguent d’après les objets.

Réponse :

L’habitus, c’est une certaine forme, et c’est aussi l’habitus. On peut donc, pour la distinction spécifique des habitus, faire attention, soit à la manière commune dont les formes se distinguent spécifiquement, soit à la manière qui est propre à distinguer les habitus. - Car les formes se distinguent entre elles d’après la diversité des principes actifs, du fait qu’un agent produit toujours quelque chose de semblable à soi quant à l’espèce. - Pour ce qui est de l’habitus, il implique un rapport à quelque chose. Mais toutes les réalités qui se définissent par rapport à quelque chose se distinguent comme les choses mêmes en fonction desquelles on les définit. Or l’habitus est une préparation à deux choses : à une nature et à l’opération consécutive à cette nature.

En somme donc, les habitus se distinguent spécifiquement d’après trois critères : d’après les principes actifs qui les font tels, d’après la nature à laquelle ils sont ordonnés ; d’après les réalités d’espèces différentes qu’ils ont pour objets. Tout cela sera expliqué par les réponses qui suivent.

Solutions :

1. Dans la distinction des puissances comme aussi dans celle des habitus, il ne faut pas considérer l’objet matériellement, mais l’aspect formel sous lequel il se présente avec ses différences d’espèce ou même de genre. Or il peut y avoir des choses qui dans la réalité soient d’espèces contraires et qui cependant se présentent à la connaissance sous le même aspect, l’une étant connue par l’autre. C’est ce qui fait qu’à ce titre elles appartiennent à un seul habitus de connaissance.

2. Le physicien a un moyen de démontrer que la terre est ronde, l’astronome en a un autre ; l’astronome fait sa démonstration par des moyens termes d’ordre mathématique, comme les figures des ellipses, etc. ; le physicien par des moyens termes observés dans la nature, tels que la chute des graves vers un centre, et autres faits de même sorte. Or toute la force de la démonstration “ qui est un syllogisme engendrant la science ” d’après Aristote, dépend du moyen terme employé. Voilà pourquoi des moyens termes différents sont comme autant de principes actifs d’après lesquels se diversifient les habitus des sciences.

3. Comme dit le Philosophe, “ ce qu’est le principe en matière de démonstration, la fin l’est en matière d’action ”. C’est pourquoi la diversité des fins fait la diversité des vertus, comme si c’était une diversité des principes actifs. En outre, les fins sont elles-mêmes des objets pour les actes intérieurs, qui appartiennent le plus fortement aux vertus, comme le montre tout ce qui précède.

 

            Article 3 — Les habitus se distinguent-ils selon le bien et le mal ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car le bien et le mal sont des contraires. Mais nous avons vu que des contraires peuvent faire l’objet d’un même habitus. Les habitus ne se distinguent donc pas selon le bien et le mal.

2. Le bien est convertible avec l’être : à ce titre il est commun à tout, et ne peut donc être pris comme une différence spécifique de quelque chose, selon le Philosophe. De même, le mal, comme il est privation et non-être, ne peut rien différencier. Ce n’est donc ni par le bien ni par le mal que les habitus peuvent se distinguer en espèces.

3. A l’égard d’un même objet il peut y avoir divers habitus mauvais, comme l’intempérance et l’insensibilité en matière de convoitises. Semblablement il peut y avoir aussi plusieurs habitus bons : la vertu humaine et celle que le Philosophe appelle héroïque ou divine. Les habitus ne se distinguent donc pas d’après le bien et le mal.

En sens contraire, l’habitus bon est contraire à l’habitus mauvais comme la vertu est contraire au vice. Mais les contraires ne sont pas de même espèce. Il y a donc entre les habitus une différence spécifique fondée sur la différence du bien et du mal.

Réponse :

Les habitus, nous l’avons vu, ne se distinguent pas en espèces seulement d’après les objets ni d’après les principes actifs. Ils se distinguent aussi en fonction de la nature à laquelle ils se rapportent. Ce qui a lieu de deux façons :

l° Selon qu’ils sont en harmonie avec la nature ou bien en dysharmonie avec elle. De cette manière se distinguent spécifiquement l’habitus bon et l’habitus mauvais. Car on appelle bon l’habitus qui dispose à des actes en harmonie avec la nature de l’agent, mauvais celui qui dispose à des actes en dysharmonie avec cette nature. Ainsi les actes des vertus conviennent à la nature humaine, du fait qu’ils sont selon la raison ; ceux des vices au contraire, du fait qu’ils sont contre la raison, sont en dysharmonie avec cette nature. Il est donc évident que la distinction spécifique des habitus est celle du bien et du mal.

2° Les habitus se distinguent d’après la nature d’une autre façon : du fait que l’un dispose à des actes en harmonie avec une nature inférieure tandis que l’autre dispose à des actes en harmonie avec une nature supérieure. Ainsi, la vertu humaine qui dispose à des actes conformes à la nature humaine se distingue de la vertu divine ou héroïque qui dispose à des actes conformes à une nature supérieure.

Solutions :

1. Des contraires peuvent être l’objet d’un seul habitus en tant qu’ils se rejoignent sous une même raison formelle. jamais cependant des habitus contraires ne se rencontrent dans une même espèce, car l’opposition des habitus suppose précisément des raisons formelles contraires les unes aux autres. De sorte que, si les habitus se distinguent suivant le bien et le mal, cela vient de ce que l’un est bon et l’autre mauvais, mais non pas précisément de ce que l’un a pour objet le bien, et l’autre le mal.

2. Ce n’est pas le bien commun à tout être qui est la différence constituant l’espèce d’un habitus ; c’est un bien déterminé en accord avec une nature déterminée, la nature humaine. Et semblablement le mal qui est la différence constitutive d’un habitus n’est pas une pure privation, mais quelque chose de déterminé qui s’oppose à une nature déterminée.

3. Plusieurs habitus bons ayant un objet de même espèce se distinguent selon leur conformité avec des natures diverses, nous venons de le dire. Mais plusieurs habitus mauvais se distinguent, au sujet de la même action selon leurs oppositions diverses à ce qui est conforme à la nature ; c’est ainsi qu’à une vertu unique s’opposent des vices divers concernant la même matière.

 

            Article 4 — Un habitus est-il constitué de plusieurs ?

Objections :

Il semble qu’un habitus soit constitué de plusieurs. En effet, un être dont la génération ne s’accomplit pas d’un seul coup mais successivement, par plusieurs actes, semble constitué de plusieurs parties. Or la génération d’un habitus n’a pas lieu tout d’un coup mais successivement par plusieurs actes, comme on l’a dit plus haut. Donc un habitus est constitué de plusieurs habitus.

2. Avec des parties on fait un tout. Or on assigne beaucoup de parties à un habitus : Cicéron en met beaucoup dans la force, dans la tempérance et dans les autres vertus. Donc un habitus est constitué par plusieurs.

3. D’une seule conclusion on peut faire une science en acte ou en habitus. Mais beaucoup de conclusions appartiennent à une science totale, comme la géométrie ou l’arithmétique. Donc un seul habitus est constitué par beaucoup.

En sens contraire, puisque l’habitus est une qualité, il est une forme simple. Mais aucune réalité simple n’est faite de plusieurs. Donc un habitus n’est pas composé de plusieurs habitus.

Réponse :

L’habitus ordonné à l’action (celui qu’à présent nous avons principalement en vue) est une perfection de la puissance. Or une perfection est toujours proportionnée au sujet apte à la recevoir. Voilà pourquoi, de même que la puissance, tout unique quelle est, s’étend à beaucoup de choses si ces choses se rejoignent dans l’unité, c’est-à-dire sous un objet formel commun, de même l’habitus s’étend à beaucoup de choses lorsque celles-ci sont ordonnées à un but unique, qui sera, ou un objet formel spécial, ou une nature, ou un principe, d’après ce que nous venons de voir.

Donc, si nous considérons l’habitus dans les réalités auxquelles il s’étend, nous trouverons en lui une certaine multiplicité. Mais, parce que cette multiplicité s’ordonne à quelque chose d’unique que l’habitus vise principalement, il s’ensuit que l’habitus est une qualité simple et qu’il n’est pas composé de plusieurs habitus, même s’il s’étend à beaucoup de réalités. Un habitus, en effet, ne s’étend à beaucoup de choses qu’en vue d’une seule, dont il tient son unité.

Solutions :

1. Dans la génération d’un habitus, la succession ne vient pas de ce qu’une partie de l’habitus est engendrée après l’autre, mais du fait que le sujet n’acquiert pas aussitôt la disposition ferme et difficilement changeante qui fait l’habitus, et du fait que celui-ci commence par exister dans le sujet d’une manière imparfaite pour arriver peu à peu à se parfaire, comme cela se passe aussi pour les autres qualités.

2. Les parties assignées à chacune des vertus cardinales ne sont pas des parties intégrantes servant à constituer un tout, mais des parties subjectives ou potentielles, comme on le montrera plus loin.

3. Celui qui, dans une discipline scientifique, acquiert par démonstration la science d’une seule conclusion, possède bien l’habitus mais imparfaitement. Lorsqu’il acquiert par quelque démonstration la science d’une autre conclusion, un autre habitus ne vient pas s’engendrer en lui ; mais l’habitus engendré le premier devient plus parfait comme s’étendant à plus de choses, du fait que les conclusions et les démonstrations d’une science s’enchaînent suivant un ordre, et dérivent l’une de l’autre.

LA VERTU

Il faut étudier maintenant les habitus en détail. Et puisque, on vient de le dire, ils se distinguent selon le bien et le mal, il faut parler en premier lieu des habitus bons qui sont les vertus et ce qui s’y rattache : les dons (Q. 68), les béatitudes (Q. 69) et les fruits (Q. 70) en second lieu, des habitus mauvais c’est-à-dire des vices et des péchés (Q. 71-89).

En ce qui conceme les vertus il faut considérer : 1° l’essence de la vertu (Q. 55) ; 2° son siège (Q. 56) ; 3° la division des vertus (Q. 57-62) ; 4° la cause de la vertu (Q. 63) ; 5° certaines propriétés de la vertu (Q. 64-67).

 

QUESTION 55 — L’ESSENCE DE LA VERTU

1. La vertu humaine est-elle un habitus ? - 2. Est-elle un habitus d’action ? - 3. Est-elle un habitus bon ? - 4. Sa définition.

 

             Article 1 — La vertu humaine est-elle un habitus ?

Objections :

1. Il semble que non. Car, pour le Philosophe, “ la vertu est l’ultime degré de la puissance ”. Or l’ultime degré d’une chose se ramène toujours au genre même de cette chose, comme le point fait partie de la ligne. Donc la vertu se ramène au genre de la puissance et non à celui de l’habitus.

2. S. Augustin dit que “ la vertu est le bon usage du libre arbitre ”. Mais l’usage du libre arbitre est un acte. La vertu n’est donc pas un habitus mais un acte.

3. Ce n’est pas par les habitus que nous méritons, mais par les actes ; autrement on mériterait d’une façon continue, même en dormant. Cependant c’est par les vertus que nous méritons. Les vertus ne sont donc pas des habitus, mais des actes.

4. S. Augustin dit encore que “ la vertu est l’ordre de l’amour ”, et il explique ailleurs que “ cette mise en ordre consiste à jouir de ce dont il faut jouir et à user de ce dont il faut user ”. Mais qui dit ordre ou mise en ordre dit soit un acte soit une relation. La vertu n’est donc pas autre chose qu’un acte ou une relation.

5. Comme il se rencontre des vertus humaines, il y a aussi des vertus naturelles. Or celles-ci ne sont pas des habitus mais des puissances. Les vertus humaines ne sont donc pas non plus des habitus.

En sens contraire, le Philosophe affirme que la science et la vertu sont des habitus.

Réponse :

Ce mot de vertu désigne une certaine perfection de la puissance. Or on considère toujours la vertu d’une chose principalement par rapport à sa fin. Mais la fin, pour une puissance, c’est l’acte. Par conséquent on dit qu’une puissance est parfaite suivant qu’elle est déterminée à son acte.

Or il y a des puissances qui sont par elles-mêmes déterminées à leurs actes. Telles sont les puissances naturelles actives. C’est pourquoi l’on dit qu’elles sont par elles-mêmes des vertus. - Mais les puissances raisonnables, qui sont les puissances propres de l’homme, ne sont pas déterminées à une seule chose ; elles se prêtent de façons indéterminées à beaucoup de choses. Or c’est par moyen des habitus qu’elles sont déterminées à certains actes, comme nous l’avons montré. Et voilà pourquoi les vertus humaines sont des habitus.

Solutions :

1. On appelle parfois vertu ce qui est le but, c’est-à-dire ce qui est soit l’objet soit l’acte de la vertu. Ainsi on appelle foi tantôt ce qui est cru, tantôt le fait même de croire, et tantôt l’habitus même par lequel on croit. Aussi, quand on dit que la vertu est le terme ultime de la puissance, on prend pour la vertu ce qui en est l’objet. La vertu d’un être se définit, en effet, par rapport à ce point ultime que peut atteindre la puissance : si quelqu’un peut porter cent livres et pas davantage, sa vertu se mesure à cent livres, non à soixante. L’objection, au contraire, raisonnait comme si la vertu était essentiellement le point ultime de la puissance.

2. On dit que la vertu consiste dans le bon usage du libre arbitre pour la même raison, c’est-à-dire que la vertu est ordonnée à cela comme à son acte propre. L’acte de la vertu n’est pas autre chose en effet que le bon usage du libre arbitre.

3. Dire qu’on mérite par quelque chose peut avoir deux sens. Soit le mérite lui-même, comme quand je dis que je cours parce que je suis en train de courir ; c’est ainsi que nous méritons par les actes. Soit le principe du mérite, comme quand je dis que je cours parce que j’ai la puissance motrice de le faire, et c’est ainsi que l’on dit mériter par les vertus et les habitus.

4. On dit que la vertu est l’ordre ou la mise en ordre de l’amour parce que c’est à cela qu’elle tend ; c’est par elle en effet que l’amour trouve en nous son ordre.

5. Les puissances naturelles sont de soi déterminées à une seule chose, non les puissances rationnelles ; c’est pourquoi le cas n’est pas pareil, nous venons de le dire.

 

            Article 2 — La vertu humaine est-elle un habitus d’action ?

Objections :

1. Il ne semble pas que ce soit de l’essence même de la vertu humaine. Cicéron dit en effet que la vertu est pour l’âme comme la santé et la beauté pour le corps. Or ce ne sont pas là des habitus d’action. Donc la vertu ne l’est pas davantage.

2. Dans les choses de la nature il se trouve de la vertu non seulement pour agir mais aussi pour être. Le Philosophe montre que certaines réalités ont assez de vertu pour exister toujours, tandis que d’autre n’en ont que pour exister pendant un temps déterminé. Or, il en est de la vertu humaine dans les êtres raisonnables comme de la vertu naturelle dans les êtres de la nature. La vertu humaine n’est donc pas seulement dans l’ordre de l’agir, mais aussi dans celui de l’existence.

3. Le Philosophe dit que la vertu est “ dans l’être parfait la disposition au meilleur ”. Or ce meilleur auquel il faut que l’homme se dispose par la vertu, c’est Dieu même, comme le prouve S. Augustin, Dieu auquel l’âme s’adapte en se rendant semblable à lui. Il semble donc qu’on appelle vertu une certaine qualité qui ordonne l’âme à Dieu en la rendant semblable à lui, mais ne l’ordonne pas à l’opération. La vertu n’est donc pas un habitus d’action.

En sens contraire, le Philosophe dit que “ la vertu de tout être est ce qui rend son œuvre bonne ”.

Réponse :

La vertu, le nom même le veut, implique, avons-nous dit. une perfection de la puissance. Aussi, puisqu’il y a double sorte de puissance : puissance à exister et puissance à agir, on donne le nom de vertu à la perfection de l’une et de l’autre. Mais la puissance à exister se tient du côté de la matière qui est de l’être en puissance ; la puissance à agir, du côté de la forme qui est principe d’action, du fait que chacun agit dans la mesure où il est en acte. - Or, dans la constitution de l’homme, le corps est comme la matière, l’âme comme la forme. Quant au corps, l’homme a quelque chose de commun avec les autres animaux ; et pareillement quant aux facultés qui sont communes à l’âme et au corps. Seules les facultés qui sont propres à l’âme, c’est-à-dire les facultés raisonnables appartiennent à l’homme uniquement. Voilà pourquoi la vertu humaine, celle dont nous parlons, ne peut pas se rapporter au corps, mais uniquement à ce qui est propre à l’âme. Ainsi n’implique-t-elle pas ordre à exister, mais plutôt à agir. Et voilà pourquoi il appartient à l’essence de la vertu humaine d’être un habitus d’action.

Solutions :

1. La modalité de l’action suit la disposition de l’agent ; car chacun agit selon ce qu’il est. Voilà pourquoi, puisque la vertu est le principe d’une certaine activité, il faut que dans l’être agissant préexiste à l’état de vertu une disposition favorable. Or la vertu est ce qui donne à l’action d’être ordonnée. Voilà comment elle est elle-même dans l’âme une disposition bien ordonnée, en ce sens que les puissances propres à l’âme sont dans un certain ordre par rapport les unes aux autres et par rapport aux réalités extérieures. C’est ce qui permet d’assimiler la vertu, en tant qu’elle représente une disposition favorable de l’âme, à la santé et à la beauté qui sont le bon état du corps. Mais on n’exclut pas par là que la vertu soit aussi un principe d’activité.

2. La vertu qui est ordonnée à l’existence n’est pas propre à l’homme, mais seulement la vertu ordonnée aux œuvres de la raison, lesquelles sont propres à l’homme.

3. Comme la substance de Dieu s’identifie à son action, la suprême ressemblance de l’homme avec Dieu se réalise dans son action. De là vient, comme nous l’avons dit antérieurement -, que la félicité ou béatitude par laquelle l’homme atteint le suprême degré de conformité avec Dieu, et qui est la fin de la vie humaine consiste dans une activité.

 

            Article 3 — La vertu humaine est-elle un habitus bon ?

Objections :

1. Cela ne semble pas essentiel à la vertu. Car le péché est toujours pris en mauvaise part. Or, il y a de la vertu jusque dans le péché : “ La vertu du péché, dit l’Apôtre (1 Co 15,56) c’est la loi. ” Donc la vertu n’est pas toujours un habitus bon.

2. Vertu et puissance s’équivalent. Or on est puissant non seulement pour le bien mais aussi pour le mal selon ce texte d’Isaïe (5,22) : “ Malheur à vous qui êtes puissants pour boire le vin et qui êtes forts pour vous enivrer. ” Il y a donc aussi de la vertu prête au bien et au mal.

3. Selon l’Apôtre (2 Co 12,9) : “ La vertu montre sa plénitude dans la faiblesse. ” Mais la faiblesse est un mal. La vertu n’est donc pas seulement dans le bien mais aussi dans le mal.

En sens contraire, “ personne ne doutera, dit S. Augustin , que la vertu rende l’âme aussi bonne que possible ”. - “ C’est elle, dit de son côté le Philosophe, qui rend bon celui qui la possède et qui rend bonne son œuvre. ”

Réponse :

La vertu implique, avons-nous dit, la perfection de la puissance. Aussi “ la vertu d’une chose se détermine ”, selon Aristote, “ par rapport au point ultime auquel cette chose peut atteindre ”. Mais il faut bien que le point ultime auquel atteint le pouvoir d’une puissance soit bon, car tout mal implique un défaut, ce qui fait dire à Denys que “ tout mal est faiblesse ”. Et c’est pourquoi il faut que la vertu d’une chose se définisse par rapport au bien. Aussi la vertu humaine, qui est un habitus d’action, est-elle un habitus foncièrement bon et qui opère le bien.

Solutions :

1. C’est par métaphore qu’on parle de perfection et de bonté dans le mal ; on parle d’un voleur ou d’un brigand parfait, comme on parle d’un bon voleur ou d’un bon brigand ; le mot est du Philosophe. De la même manière il est donc aussi question, métaphoriquement, de “ vertu ” dans le mal. Ainsi dit-on que la loi est la vertu du péché, ce qui signifie qu’à l’occasion de la loi, le péché s’est trouvé accru et est parvenu en quelque sorte à son pouvoir maximal.

2. Le mal de l’ivresse et de l’excès de boisson consiste à perdre la règle de la raison. Mais ce défaut de raison peut être accompagné d’un certain pouvoir d’ordre inférieur, et ce pouvoir peut être parfait dans son genre, malgré l’opposition ou la défaillance de la raison. Mais la perfection de cette sorte de pouvoir, comme elle comporte la défaillance de la raison, ne pourrait être appelée vertu humaine.

3. La raison se montre d’autant plus parfaite qu’elle peut davantage surmonter ou supporter les infirmités du corps et des facultés inférieures. Et c’est pourquoi l’on dit que la vertu humaine, celle qui est attribuée à la raison, “ montre sa plénitude dans la faiblesse ”, non certes de la raison, mais du corps et des facultés inférieures.

 

            Article 4 — définition de la vertu

Objections :

1. On ne peut accepter la définition courante qui est celle-ci : “ La vertu est la bonne qualité de l’esprit, qui assure une vie droite, dont nul ne fait mauvais usage, que Dieu opère en nous sans nous. ” En effet, la vertu est la bonté de l’homme, car c’est elle qui rend bon celui qui la possède. Mais il ne semble pas qu’elle soit bonne, de même que la blancheur n’est pas blanche. Il est donc illogique d’appeler la vertu une bonne qualité.

2. La différence spécifique n’est jamais plus générale que le genre auquel elle appartient et qu’elle divise. Or le bien est plus commun que la qualité, puisqu’il est convertible avec l’être. Il ne doit donc pas être mis dans une définition de la vertu pour différencier la qualité.

3. Comme dit S. Augustin : “ Dès qu’il se rencontre quelque chose qui ne nous est pas commun avec les bêtes, cela relève de l’esprit. ” Mais il y a des vertus même dans les facultés irrationnelles, comme l’observe le Philosophe. Toute vertu n’est donc pas une bonne qualité de l’esprit.

4. La rectitude est affaire de justice, si bien que les mêmes gens sont appelés justes et droits. Mais la justice est une espèce de la vertu. Il est donc illogique de faire entrer la vie droite dans la définition de la vertu.

5. S’enorgueillir d’une chose, c’est en faire un mauvais usage. Mais il y a beaucoup de gens qui s’enorgueillissent de la vertu : “ L’orgueil, dit S. Augustin, se glisse insidieusement dans les bonnes œuvres pour les détruire. ” Il est donc faux qu’on ne puisse faire mauvais usage de la vertu.

6. On est justifié grâce à la vertu. Or en commentant le texte de S. Jean (14,12) : “ Il fera des œuvres plus grandes ”, S. Augustin affirme : “ Celui qui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans toi. ” Il est donc inadmissible de dire que Dieu opère en nous la vertu sans nous.

En sens contraire, il y a l’autorité de S. Augustin : la définition que l’on critique est composée de paroles prises surtout à son traité Du Libre Arbitre.

Réponse :

Cette définition embrasse parfaitement tout ce qui est essentiel à la vertu. La notion parfaite d’une réalité récapitule toutes ses causes. Or notre définition comprend toutes les causes de la vertu.

La cause formelle de la vertu, comme de n’importe quelle réalité, est tirée d’un genre et d’une différence, quand on dit que c’est une “ bonne qualité ”. Le genre de la vertu, c’est la qualité ; la différence, c’est le bien. La définition serait cependant plus juste si, au lieu de la qualité, on mettait l’habitus, qui est le genre prochain.

La vertu, d’autre part, n’a pas une matière “ de quoi ” elle soit extraite, pas plus que les autres accidents ; mais elle a une matière “ sur quoi ” elle s’exerce, et une matière “ en quoi ” elle réside c’est-à-dire un sujet. La matière “ sur quoi ”, c’est l’objet de la vertu ; on n’a pas pu le mettre dans la définition pour cette raison que, par l’objet, la vertu se trouve délimitée dans une espèce, alors qu’on donne ici une définition de la vertu en général. On se borne donc à mentionner, en guise de cause matérielle, le sujet de la vertu, quand on dit qu’elle est une bonne qualité “ de l’esprit ”.

Quant à la fin de la vertu, puisqu’il s’agit d’habitus actif, elle consiste dans l’activité même.

Mais il faut remarquer que parmi les habitus actifs quelques-uns sont toujours pour le mal, les habitus vicieux ; quelques autres, tantôt pour le bien et tantôt pour le mal, l’opinion par exemple va au vrai et au faux ; mais la vertu est un habitus qui se porte toujours vers le bien. Aussi, pour discerner la vertu des habitus qui se portent toujours vers le mal, on dit “ qu’elle assure une vie droite ”, et pour la distinguer de celles qui se portent tantôt vers le bien et tantôt vers le mal, on dit que “ nul n’en fait mauvais usage ”.

La cause efficiente de la vertu infuse, laquelle est visée par notre définition, c’est Dieu. Voilà pourquoi l’on dit que “ Dieu l’opère en nous sans nous ”. Si vous ôtez ce membre de phrase, le reste de la définition sera commun à toutes les vertus acquises et infuses.

Solutions :

1. L’être est ce qui vient à l’esprit en premier lieu ; aussi, dès qu’une réalité est appréhendée par nous, nous lui attribuons l’être, puis, par suite, l’unité et le bien, qui sont convertibles avec l’être. De là, nous disons que l’essence est de l’être et qu’elle est une et qu’elle est bonne, que l’unité aussi est de l’être et qu’elle est une et bonne, et pareillement la bonté. Mais cela n’a pas lieu lorsqu’il s’agit de formes spéciales comme la blancheur et la santé, car tout ce que nous appréhendons ne nous apparaît pas sous l’aspect de blancheur et de santé. - Cependant il faut remarquer ceci. De même que les accidents et les formes subsistantes portent le nom d’être, non parce qu’elles possèdent elles-mêmes l’être mais parce que par elles quelque chose est, de même elles sont dites bonnes ou unes, non certes par quelque autre bonté ou unité, mais parce que par elles quelque chose est un ou bon. C’est donc ainsi que la vertu est dite bonne, parce que par elle quelque chose est bon.

2. Le bien qui entre dans la définition de la vertu, ce n’est pas le bien en général, qui est convertible avec l’être et qui a plus d’extension que la qualité, mais le bien de la raison, selon ce que dit Denys : “ Le bien de l’âme, c’est de suivre la raison. ”

3. La vertu ne peut être dans la partie irrationnelle de l’âme si ce n’est en tant que cette partie de l’âme participe de la raison, selon Aristote. Et voilà pourquoi la raison, ou esprit, est le sujet propre de la vertu humaine.

4. La rectitude est propre à la justice lorsqu’elle s’établit dans les choses extérieures qui sont à l’usage de l’homme et constituent, ainsi que nous le verrons b . la matière propre de la justice. Mais lorsque la rectitude n’est pas autre que la subordination aux fins qu’on doit avoir et à la loi divine qui est, avons-nous dite, la règle de la volonté humaine, elle est commune à toute vertu.

5. On peut mal user de la vertu à titre d’objet, par exemple lorsqu’on la juge mal, qu’on la déteste, ou qu’on s’en enorgueillit. Mais à titre de principe, on ne peut en faire mauvais usage en ce sens que l’acte de vertu serait mauvais.

6. La vertu infuse est causée en nous par Dieu sans que nous agissions, non pas cependant sans que nous consentions ; et c’est ainsi qu’il faut entendre les mots “ que Dieu opère en nous sans nous ”. Au contraire, ce qui est fait par nous, c’est bien Dieu qui le cause en nous, mais non pas sans que nous agissions ; c’est lui en effet qui opère dans toute volonté comme dans toute nature.

 

QUESTION 56 — LE SIÈGE DE LA VERTU

1. La vertu a-t-elle pour siège une puissance de l’âme ? -2. Une seule vertu peut-elle résider dans plusieurs puissances ? - 3. L’intelligence peut-elle être le siège de la vertu ? - 4. L’irascible et le concupiscible ? - 5. Les facultés de connaissance sensible ? - 6. La volonté ?

 

            Article 1 — La vertu a-t-elle pour siège une puissance de l’âme ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la vertu ait pour siège une puissance de l’âme, car, selon S. Augustin, “ la vertu est ce qui assure une vie droite. ” Or on ne vit pas par une puissance de l’âme, mais par son essence. C’est donc dans l’essence de l’âme que réside la vertu.

2. Selon le Philosophe, “ la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et rend son œuvre bonne ”. Mais, de même que l’essence se réalise par la puissance, l’homme vertueux se réalise par l’essence de l’âme. La vertu n’appartient donc pas plus aux puissances de l’âme qu’à son essence.

3. La puissance se range dans la seconde espèce de qualité. La vertu est aussi une qualité, nous l’avons vu. Or il n’existe pas une qualité de la qualité. Donc la vertu ne siège pas dans une puissance de l’âme.

En sens contraire, selon le Philosophe, “ la vertu est le point ultime de la puissance ”. Mais le point ultime d’une chose est encore en elle. Donc la vertu est dans les puissances de l’âme.

Réponse :

Que la vertu appartienne aux puissances de l’âme, c’est un point qui peut être rendu évident par trois raisons. l° Par la notion même de vertu qui implique la perfection d’une puissance. 2° Par le fait que la vertu est un habitus actif : toute activité vient de l’âme par le moyen d’une puissance. 3° Par le fait que la vertu est une disposition au meilleur ; or, le meilleur, c’est la fin qui est soit l’activité même d’un être, soit le résultat obtenu par l’activité émanant de la puissance. La vertu humaine a donc bien pour siège les puissances de l’âme.

Solutions :

1. Vivre se prend en deux sens. Tantôt on appelle ainsi l’existence même du vivant, et à cet égard vivre appartient à l’essence de l’âme, car c’est là qu’est pour le vivant le principe de l’existence. Dans un autre sens on appelle vivre l’activité du vivant, et c’est ainsi que la vertu assure une vie droite en tant qu’elle fait agir droitement.

2. Ou le bien se confond avec la fin, ou l’on appelle bien ce qui est ordonné à la fin. C’est pourquoi, puisque le bien de celui qui agit consiste à agir, le fait même que la vertu rend bon celui qui agit se réfère du même coup à l’action et par suite à la puissance.

3. Dire qu’un accident est dans un autre comme dans son sujet, ce n’est pas dire qu’un accident puisse être par lui-même le soutien d’un autre accident, mais c’est dire qu’un accident est inhérent à la substance par l’intermédiaire d’un autre accident, comme la couleur est inhérente au corps moyennant la surface, ce qui fait dire que la surface est le siège de la couleur. C’est de cette manière que la puissance de l’âme est appelée siège de la vertu.

 

            Article 2 — Une seule vertu peut-elle résider dans plusieurs puissances ?

Objections :

1. Il semble qu’une vertu puisse résider en deux puissances. Car les habitus sont connus par les actes. Or un seul acte peut émaner à des titres divers de facultés diverses ; ainsi une promenade procède à la foi de la raison qui la dirige, de la volonté qui donne l’impulsion, et de la faculté motrice qui exécute. Donc un seul habitus peut exister aussi dans plusieurs puissances.

2. Le Philosophe dit que trois choses sont requises pour la vertu : “ Savoir, vouloir et agir avec constance ”. Mais savoir appartient à l’intelligence, et vouloir à la volonté. Donc la vertu peut résider dans plusieurs puissances.

3. La prudence est dans la raison puisqu’elle est “ la droite règle de l’action ”, comme il est dit dans l’Éthique. Elle est aussi dans la volonté, puisqu’elle ne peut exister avec une volonté perverse, comme dit le même livre. Une seule vertu peut donc résider en deux puissances.

En sens contraire, la vertu réside dans la puissance de l’âme comme dans son siège. Or le même accident ne peut avoir son siège dans plusieurs sujets. Une seule vertu ne peut donc exister dans plusieurs puissances de l’âme.

Réponse :

Qu’une chose existe en deux sujets, cela peut se présenter de deux façons. 1° De telle façon qu’elle soit à titre égal dans l’un et l’autre. En ce sens, il est impossible qu’une vertu unique soit en deux puissances, parce que la diversité des puissances dépend de la condition générale des objets, la diversité des habitus de leur condition spéciale, de sorte que partout où il y a diversité de puissances il y a diversité d’habitus, mais non pas inversement. 2° Une chose peut être en deux ou plusieurs sujets d’une autre façon, quand c’est non à titre égal mais suivant un ordre. En ce sens une vertu peut appartenir à plusieurs puissances, de telle sorte qu’elle soit dans l’une à titre principal, et s’étende aux autres par mode de diffusion ou par mode de préparation, selon qu’une faculté est mue par une autre, et selon qu’une faculté est tributaire d’une autre.

Solutions :

1. Le même acte ne peut pas à titre égal et au même degré appartenir à diverses puissances, mais il le peut si c’est sous divers aspects et selon des relations différentes.

2. Savoir est exigé préalablement à la vertu morale en tant que celle-ci agit selon la droite raison. Mais essentiellement la vertu morale réside dans l’appétit.

3. La prudence est réellement dans la raison comme dans son siège ; mais elle présuppose comme un principe la droiture de la volonté comme on le dira plus loin.

 

            Article 3 — L’intelligence peut-elle être le siège de la vertu ?

Objections :

1. Il semble que non, car pour S. Augustin toute vertu est amour. Or le siège de l’amour n’est pas l’intelligence, mais uniquement la faculté appétitive. Il n’y a donc aucune vertu dans l’intelligence.

2. D’après ce qui a été dit il est évident que la vertu est ordonnée au bien. Or le bien n’est pas l’objet de l’intelligence mais de la faculté appétitive. Le siège de la vertu n’est donc pas l’intelligence mais la faculté appétitive.

3. Selon le Philosophe, la vertu rend bon celui qui la possède. Mais les habitus qui assurent la perfection de l’intelligence ne rendent pas bon celui qui les possède, car on ne dit pas qu’un homme est bon parce qu’il possède une science ou un art. L’intelligence n’est donc pas le sujet de la vertu.

En sens contraire, ce qu’on appelle l’esprit, c’est surtout l’intelligence. Or il résulte de la définition donnée plus haut que le siège de la vertu est précisément l’esprit. Donc l’intelligence est bien le siège de la vertu.

Réponse :

Nous l’avons dit, la vertu est l’habitus dont on use bien. Or l’habitus est ordonné à l’acte bon de deux manières. l° En tant qu’on acquiert par cet habitus une capacité pour bien faire, comme l’habitus de la grammaire donne la capacité de bien parler. La grammaire ne fait pourtant pas qu’on s’exprime toujours correctement, car un grammairien peut faire des barbarismes ou des solécismes. Et il en est de même dans les autres branches des sciences et des arts. 2° D’autre part, l’habitus est ordonné à l’acte bon quand il donne la faculté d’agir, mais quand il fait aussi qu’on use droitement de cette faculté ainsi, la justice ne fait pas seulement qu’on a une volonté prête à accomplir des œuvres justes, mais elle fait aussi qu’on agit justement.

Or le bien, comme l’être, ne s’attribue pas sans réserves à un être en tant qu’il est en puissance, mais en tant qu’il est en acte. Aussi est-ce par des habitus de ce genre qu’on dit de façon absolue qu’un homme fait le bien, et qu’il est bon, par exemple parce qu’il est juste ou tempérant. Et ainsi des autres vertus. Et parce que la vertu est ce qui rend bon l’homme vertueux et rend bonne son œuvre, des habitus de ce genre sont appelés de façon absolue des vertus, parce qu’ils rendent bonne I’œuvre en acte, et rendent absolument bons celui qui les a. Au contraire, les habitus de la première sorte ne sont pas appelés vertus de façon absolue parce qu’ils ne rendent pas les œuvres bonnes, si ce n’est par une certaine capacité, et parce qu’ils n’assurent pas non plus d’une manière absolue le bien de celui qui les possède. On ne dit pas en effet de façon absolue qu’un homme est bon par le fait qu’il est un savant ou un artisan ; on dit seulement qu’il est bon sous un certain rapport, par exemple un bon grammairien ou un bon ouvrier. C’est pour cela que le plus souvent on oppose la science et l’art à la vertu, et parfois pourtant on les appelle vertus, comme cela se voit dans l’Éthique.

Donc un habitus qui est appelé vertu dans un sens relatif peut avoir son siège dans l’intelligence, non seulement dans l’intellect pratique, mais aussi dans l’intellect spéculatif en dehors de tout rapport à la volonté. Ainsi le Philosophe prétend au même endroit que la science, la sagesse, l’intelligence et même l’art sont des vertus intellectuelles. Au contraire, le siège de l’habitus qui est appelé vertu dans le sens absolu ne peut être que la volonté, ou une autre puissance en tant qu’elle est mue par la volonté. La raison en est que la volonté meut à leurs actes toutes les autres puissances qui de quelque manière sont rationnelles, comme on l’a vu. C’est pourquoi, lorsque, en acte, on agit bien, cela vient de ce qu’on a une volonté bonne. Aussi, lorsqu’une vertu porte à bien agir en acte, c’est qu’on ne l’a pas seulement comme une capacité ; il faut qu’on l’ait ou dans la volonté elle-même, ou dans une puissance en tant que cette puissance est mue par la volonté.

Or il arrive que l’intelligence est mue par la volonté, comme les autres puissances ; en effet on pense à certaines choses d’une manière actuelle du fait même qu’on le veut. Voilà comment l’intelligence en tant qu’elle est ordonnée à la volonté peut être le siège de ce qu’on appelle absolument parlant la vertu. C’est ainsi que l’intellect spéculatif ou raison est le siège de la vertu de foi, car pour donner son assentiment aux choses de la foi, l’intelligence est mue par le commandement de la volonté : on ne croit que si l’on a la volonté de croire. L’intellect pratique, de son côté, est le siège de la prudence. La prudence étant en effet la droite règle de l’action, il est requis à cette vertu qu’on soit dans une bonne attitude à l’égard de ces principes de nos raisons d’agir que sont les fins humaines ; cette bonne attitude à l’égard des fins se prend par la rectitude de la volonté, de même qu’à l’égard des principes de l’ordre spéculatif elle a lieu par la lumière naturelle de l’intellect agent. C’est pourquoi, de même que la science, qui est la droite règle de la spéculation, a pour siège un intellect spéculatif ordonné à l’intellect agent, de même la prudence a pour siège un intellect pratique ordonné à une volonté droite.

Solutions :

1. Cette parole de S. Augustin doit s’entendre de la vertu prise au sens absolu ; elle ne signifie pas que toute vertu de cette sorte soit purement et simplement amour, mais qu’elle dépend en quelque manière de l’amour, dans la mesure où elle dépend de la volonté dont la première affection, nous l’avons dito. est l’amour.

2. Le bien de tout être, c’est sa fin. Aussi, comme le vrai est la fin de l’intelligence, connaître le vrai est le bon exercice de l’intelligence. C’est pourquoi l’habitus qui assure la perfection de cette puissance pour la connaissance du vrai, soit dans la spéculation soit dans la pratique, est appelée vertu.

3. L’argument est valable s’il s’agit de la vertu prise absolument.

 

            Article 4 — L’irascible et le concupiscible peuvent-ils être le siège de la vertu ?

Objections :

1. C’est impossible, semble-t-il. Car ce sont là des énergies communes à nous et aux bêtes, tandis que nous parions maintenant de la vertu en tant qu’elle est propre à l’homme, et à ce titre appelée vertu humaine. Donc la vertu humaine ne peut pas avoir pour siège l’irascible et le concupiscible qui sont des fonctions de l’appétit sensible, nous l’avons vu dans la première Partie.

2. L’appétit sensible est une énergie qui se sert d’organes corporels. Or le bien de la vertu ne peut pas résider dans le corps de l’homme, car S. Paul a dit (Rm 7,18) : “ je sais que le bien n’habite pas dans ma chair. ” Donc l’appétit sensible ne peut être le siège de la vertu.

3. S. Augustin prouve que la vertu ne réside pas dans le corps mais dans l’âme du seul fait que le corps est gouverné par l’âme ; par suite, si quelqu’un fait bon usage de son corps, cela est entièrement rapporté à l’âme ; “ de même, si c’est en m’obéissant que le cocher mène bien les chevaux qu’il dirige, c’est à moi qu’en revient tout le mérite ”. Mais, de même que l’âme régit le corps, c’est ainsi que la raison régit l’appétit sensible. Donc, si l’irascible et le concupiscible sont conduits dans le droit chemin, tout cela est dû à la partie raisonnable de l’âme. Or la vertu, avons-nous dit plus haut, est ce qui assure une vie droite. Par conséquent, elle n’est ni dans l’irascible ni dans le concupiscible, mais uniquement dans la partie rationnelle.

4. “ L’acte principal de la vertu morale c’est le choix ”, dit Aristote. Or le choix n’est pas un acte de l’irascible ni du concupiscible, mais de la raison, on l’a dit précédemment. La vertu morale est donc dans la raison.

En sens contraire, on place la force dans l’irascible, la tempérance dans le concupiscible, ce qui fait dire au Philosophe que “ ce sont les vertus des parties irrationnelles ”.

Réponse :

L’irascible et le concupiscible peuvent être considérés de deux façons. En soi, en tant qu’ils sont des fonctions de l’appétit sensible. A cet égard il ne leur appartient pas d’être sièges de la vertu. Mais ils peuvent aussi être considérés en tant qu’ils participent de la raison, parce qu’il leur est naturel de lui obéir. A ce point de vue, l’irascible, comme le concupiscible, peut être le siège de la vertu humaine, car ces puissances sont le principe de l’action humaine dans la mesure où elles participent de la raison. Et dans ces puissances il est nécessaire de mettre des vertus.

Qu’il y en ait effectivement, c’est évident. En effet, l’acte qui sort d’une puissance en tant qu’elle est mue par une autre ne peut être un acte parfait si les deux puissances n’y sont pas bien disposées ; ainsi l’activité de l’artisan ne peut être une réussite si lui-même n’est pas bien disposé à agir, et l’instrument aussi. Par conséquent, dans les domaines où opèrent l’irascible et le concupiscible sous l’impulsion de la raison, il est nécessaire que l’habitus qui assure la perfection de leur acte soit non seulement dans la raison mais aussi en eux. Et parce que la bonne disposition d’une puissance qui meut tout en étant mue dépend de sa conformité avec la puissance qui la meut, la vertu qui est dans l’irascible et le concupiscible n’est pas autre chose que la conformité, acquise par l’habitus, de ces puissances avec la raison.

Solutions :

1. L’irascible et le concupiscible pris en soi et comme appartenant à l’appétit sensible sont communs à nous et aux bêtes ; mais dans la mesure où ils sont raisonnables par participation comme obéissant à la raison, ils sont propres à l’homme et de cette manière peuvent être le sujet de la vertu humaine.

2. De même que la chair de l’homme, si elle ne possède pas par soi-même le bien de la vertu, devient cependant l’instrument de l’activité vertueuse lorsque, sous l’impulsion de la raison, “ nous mettons nos membres au service de la justice ” (Rm 6,19), de même l’irascible et le concupiscible n’ont certes pas par eux-mêmes le bien de la vertu, mais sont plutôt un foyer de corruption. Et pourtant, dans la mesure où ils se conforment à la raison, le bien de la vertu morale prend racine en eux.

3. C’est selon une raison différente que le corps est régi par l’âme, et que l’irascible et le concupiscible le sont par la raison. Le corps obéit à l’âme immédiatement et sans résistance là où il lui est naturel d’être mû par elle. De là ce mot du Philosophe : “ L’âme régit le corps avec un pouvoir despotique ”, c’est-à-dire comme un meure son esclave. C’est pourquoi tout le mouvement du corps est rapporté à l’âme, et la vertu ne réside pas dans le corps mais seulement dans l’âme. Au contraire, l’irascible et le concupiscible n’obéissent pas immédiatement à la raison mais gardent leurs mouvements propres qui, de temps en temps, s’opposent à la raison. D’où le mot du Philosophe dans le même livre : “ La raison régit l’irascible et le concupiscible avec un pouvoir politique ”, c’est-à-dire comme on gouverne des hommes libres, qui gardent en certaines choses leur volonté propre. A cause de cela, il faut qu’il y ait jusque dans ces puissances des vertus qui les préparent bien à leur activité.

4. Dans le choix il y a deux choses : l’intention de la fin, qui appartient à la vertu morale, et l’examen préalable des moyens, qui appartient à la vertu de prudence, dit Aristote. Or, quand on a une intention droite de la fin au sujet des passions, cela vient d’une bonne disposition de l’irascible et du concupiscible. Et voilà pourquoi les vertus morales en matière de passions se trouvent dans ces deux facultés. Mais la prudence à son siège dans la raison.

 

            Article 5 — Les facultés de connaissance sensible peuvent-elles être le siège de la vertu ?

Objections :

1. Il semble qu’il peut y avoir de la vertu à l’intérieur des facultés sensibles de connaissance. En effet, l’appétit sensible peut être le sujet de la vertu en tant qu’il obéit à la raison. Or les facultés internes de la connaissance sensible obéissent à la raison : imagination, cogitative, mémoire sont aux ordres de la raison. Donc la vertu peut résider dans ces facultés.

2. De même que l’appétit raisonnable qu’est la volonté peut être empêché ou même aidé dans son acte par l’appétit sensible, de même l’intelligence ou raison peut être empêchée ou même aidée par les facultés en question. De même donc que la vertu peut exister dans les facultés sensibles d’appétit, de même dans celles de connaissance.

3. La prudence est une vertu dont la mémoire fait partie, selon Cicéron. Il peut donc y avoir de la vertu dans la mémoire, et pour la même raison dans les autres facultés intérieures de connaissance.

En sens contraire, toutes les vertus, dit le Philosophe, sont ou intellectuelles ou morales. Or les vertus morales sont toutes dans les facultés d’appétit ; les intellectuelles, dans l’intelligence ou raison, comme le montre Aristote. Il n’y a donc aucune vertu dans les facultés internes de connaissance sensible.

Réponse :

Dans ces facultés il y a des habitus. C’est rendu évident surtout par cette observation du Philosophe : “ Pour mémoriser une chose après une autre, l’habitude agit, car elle est comme une nature. ” Or, l’habitus, né de l’habitude, n’est pas autre chose qu’une habitude acquise au point de devenir naturelle. Ce qui fait dire à Cicéron que la vertu “ est l’habitus de se conformer à la raison comme par nature ”. Chez l’homme cependant, ce qui s’acquiert par habitude dans la mémoire et dans les autres facultés de connaissance sensible n’est pas par soi uli habitus mais une annexe des habitus de l’intelligence, nous l’avons dit plus haut.

S’il y a des habitus dans ces sortes de facultés, on ne peut cependant pas dire que ce sont des vertus. Car la vertu est un habitus parfait par lequel on ne peut que bien agir. Il faut donc que la vertu soit dans la puissance même qui est capable de bien agir jusqu’au bout. Or la connaissance du vrai ne s’achève pas dans les facultés sensibles, mais ces facultés sont en quelque sorte préparatoires à la connaissance intellectuelle. Voilà pourquoi ce n’est pas dans ces facultés que résident les vertus par lesquelles on connaît le vrai, mais plutôt dans l’intelligence ou raison.

Solutions :

1. L’appétit sensible, dans son rapport à l’appétit de raison qu’est la volonté, est comme mû par lui. Et c’est pourquoi I’œuvre des facultés appétitives s’achève dans l’appétit sensible. A cause de cela, celui-ci est le siège de la vertu. Mais les facultés sensibles de connaissance sont plutôt motrices à l’égard de l’intelligence, puisque les images sont pour l’âme intelligente, dit le livre III du traité De l’Ame. comme les couleurs pour la vue. Voilà pourquoi I’œuvre de la connaissance se termine dans l’intellect. Et à cause de cela les vertus de connaissance sont dans l’intelligence ou dans la raison elle-même.

2. Cela donne la solution de la deuxième objection.

3. On ne fait pas de la mémoire une partie de la prudence comme une espèce est une partie du genre ; ce serait faire de la mémoire elle-même une vertu par soi. Mais on veut dire qu’une des choses requises pour la prudence, c’est une bonne mémoire, de sorte que celle-ci se présente en quelque sorte comme une partie intégrante de la vertu.

 

            Article 6 — La volonté peut-elle être le siège de la vertu ?

Objections :

1. Apparemment, non. Car un habitus n’est pas requis pour ce qui convient à une puissance par son essence même. Or puisque, d’après le Philosophe, la volonté réside dans la raison et que chaque être recherche naturellement son bien propre, il appartient à son essence de tendre à ce qui est bon selon la raison. Mais toute vertu est ordonnée à cela, car, pour Cicéron “ la vertu est l’habitus de se conformer à la raison comme par nature ”. La volonté n’est donc pas la siège de la vertu.

2. Toute vertu est intellectuelle ou morale. Or la vertu intellectuelle a son siège dans l’intelligence ou raison, mais non dans la volonté. La vertu morale a le sien dans l’irascible et dans le concupiscible, qui sont encore de la raison participée. Aucune vertu n’a donc son siège dans la volonté.

3. Tous les actes humains, auxquels sont ordonnées les vertus, sont volontaires. Donc, si à l’égard de quelques-uns d’entre eux il y a une vertu dans la volonté, il y en aura également pour tous. Donc, ou bien il n’y aura de vertu dans aucune autre puissance, ou bien deux vertus seront ordonnées au même acte, ce qui ne semble pas admissible. Donc la volonté ne peut être le sujet de la vertu.

En sens contraire, il faut une plus grande perfection dans ce qui meut que dans ce qui est mû. Or, la volonté meut l’irascible et le concupiscible. Il doit donc y avoir beaucoup plus de vertu en elle qu’en ceux-ci.

Réponse :

Comme l’habitus est ce qui perfectionne la puissance pour agir, la puissance a besoin qu’un habitus lui apporte ce perfectionnement pour bien agir - et c’est cet habitus qui est la vertu -, chaque fois que sa propre essence n’y suffit pas. Or on envisage toujours l’essence propre d’une puissance par son ordre à l’objet. Aussi, puisque l’objet de la volonté, nous l’avons dit, est le bien de la raison proportionné à nos vouloirs, la volonté n’a pas besoin que la vertu vienne la parfaire. Mais s’il arrive que nous ayons à vouloir un bien qui dépasse la proportion de nos vouloirs soit quant à l’espèce humaine tout entière, le bien divin par exemple qui transcende les limites de notre nature, soit quant à l’individu, le bien du prochain par exemple, alors la volonté a besoin de la vertu. Et c’est pourquoi ces sortes de vertus, charité, justice, etc., qui ordonnent l’affection de l’homme vers Dieu ou vers le prochain, ont réellement leur siège dans la volonté.

Solutions :

1. Ce raisonnement est valable s’il s’agit des vertus qui tendent au bien propre de celui-là même qui veut, comme la tempérance et la force qui ont pour matière les passions humaines, et les autres de même sorte, comme cela ressort de ce que nous avons diti.

2. Le raisonnable par participation, ce n’est pas seulement l’irascible et le concupiscible, c’est en général, dit Aristote. tout ce qui touche l’appétit. Or celui-ci englobe la volonté. C’est pourquoi, s’il y a quelque vertu dans la volonté, cette vertu sera morale, à moins qu’elle ne soit théologale comme on le verra plus loin.

3. Il y a des vertus qui sont adaptées au bien que représente l’usage modéré de la passion, et c’est là le bien propre de tel ou tel homme en particulier ; aussi en pareil cas il n’est pas nécessaire qu’il y ait une vertu dans la volonté, étant donné que la nature de la puissance y suffit. Cela est nécessaire uniquement dans les vertus qui sont ordonnées à un bien extrinsèque.

Examinons maintenant la distinction des vertus : l° quant aux vertus intellectuelles (Q. 57) ; 2° quant aux vertus morales (Q. 58-61) ; quant aux vertus théologales (Q. 62).

 

 

 

QUESTION 57 — LES VERTUS INTELLECTUELLES

1. Les habitus intellectuels spéculatifs sont-ils des vertus ? - 2. Sont-ils au nombre de trois : la sagesse, la science et la simple intelligence ? - 3. Cet habitus intellectuel qu’est l’art est-il une vertu ? - 4. La prudence est-elle une vertu distincte de l’art ? - 5. La prudence est-elle une vertu nécessaire à l’homme ? - 6. Le bon conseil, le bon sens et l’équité sont-ils des vertus annexes de la prudence ?

 

            Article 1 — Les habitus intellectuels spéculatifs sont-ils des vertus ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la vertu est un habitus d’action, nous l’avons dit. Or les habitus spéculatifs ne sont pas pour l’action, puisque l’ordre spéculatif se distingue précisément du pratique, qui est pour l’action.

2. La vertu a pour objet ce qui met l’homme en possession de sa félicité ou béatitude puisqu’au dire du Philosophe “ la félicité est la récompense de la vertu ”. Mais les habitus intellectuels ne considèrent pas les actes humains ni les autres biens humains par lesquels on obtient la béatitude, ils considèrent plutôt les choses de la nature ou de Dieu. On ne peut donc pas dire que ce sont des vertus.

3. La science est un habitus spéculatif. Or le Philosophe fait bien voir que science et vertu sont distinctes comme deux genres qui ne s’emboîtent pas l’un dans l’autre.

En sens contraire, seuls les habitus spéculatifs traitent du nécessaire, où les choses ne peuvent pas être autrement qu’elles ne sont. Or le Philosophe met des vertus intellectuelles dans la partie de l’âme qui considère le nécessaire. Donc les habitus spéculatifs sont des vertus.

Réponse :

Puisque toute vertu se définit par rapport au bien, comme on l’a dite . un habitus est appelé vertu de deux manières : tantôt parce qu’il donne la faculté de bien agir, tantôt parce qu’avec la faculté il donne aussi le bon usage. Et cela, nous l’avons dit, appartient uniquement aux habitus qui regardent la puissance appétitive de l’âme, laquelle nous donne l’exercice de toutes nos puissances et habitus.

Donc, puisque les habitus intellectuels spéculatifs ne perfectionnent pas la partie appétitive, et même ne la regardent en aucune façon mais regardent seulement la partie intellectuelle de l’âme, on peut bien les appeler des vertus en tant qu’elles donnent la faculté de cette bonne opération qui consiste à considérer le vrai, car c’est là le bon ouvrage de l’intelligence ; on ne dira cependant pas que ce sont des vertus de la seconde manière, comme celles qui donnent le bon usage d’une puissance ou d’un habitus. En effet, de ce qu’on a l’habitus d’une science spéculative, on n’est pas incliné à en faire usage, on est seulement capable de contempler le vrai dans ces choses dont on a la science ; mais l’usage que l’on fait de cette science est mû par la volonté. Et c’est pourquoi la vertu qui perfectionne la volonté, comme la charité ou la justice, fait aussi qu’on se sert bien de ces habitus spéculatifs qui ne perfectionnent que l’intelligence. Et c’est par là que même dans les actes de ces habitus il peut y avoir du mérite s’ils sont accomplis par charité, comme S. Grégoire dit que “ la vie contemplative a plus de mérite que la vie active ”.

Solutions :

1. Il y a deux sortes d’œuvres, l’œuvre extérieure et l’œuvre intérieure. L’œuvre pratique ou active, qui s’oppose à 1’œuvre spéculative, est quelque chose d’extérieur, et ce n’est pas pour elle qu’est fait l’habitus spéculatif. Cependant celui-ci est ordonné à l’œuvre intérieure de l’esprit, qui consiste à contempler le vrai, et à cet égard il est un habitus actif.

2. Le domaine de la vertu est double. D’une première manière, selon ses objets. Et de ce point de vue les vertus spéculatives ne s’occupent pas des réalités par lesquelles l’homme devient bienheureux à moins que le mot “ par ” ne désigne la cause efficiente et l’objet de la complète béatitude qu’est Dieu, souveraine réalité à contempler. - Le domaine de la vertu comprend aussi des actes. Et de ce côté les vertus intellectuelles s’attachent à ce qui rend bienheureux, parce que leurs actes peuvent être méritoires, comme on vient de le dire, et aussi parce qu’ils sont un commencement de la parfaite béatitude, qui consiste, avons-nous dit, dans la contemplation de la vérité.

3. Science et vertu s’opposent si l’on parle de la vertu au second sens, celle qui ressortit à la puissance appétitive.

 

            Article 2 — Y a-t-il trois habitus intellectuels spéculatifs — la sagesse, la science et la simple intelligence ?

Objections :

1. C’est là, semble-t-il, une mauvaise division. On ne doit pas opposer une espèce à un genre. Or la sagesse est une espèce de science, d’après le Philosophe. On ne doit donc pas l’opposer à la science dans le dénombrement des vertus intellectuelles.

2. Dans la distinction des puissances et des actes, qui se fait d’après les objets, l’attention se porte principalement sur ce qu’il y a de formel en ceux-ci, comme nous l’avons montré précédemment. On ne doit donc pas distinguer les habitus par l’objet matériel mais par la raison formelle de cet objet. Or le principe de la démonstration est la raison formelle qui donne la science des conclusions. Nous ne devons donc pas placer dans l’intelligence des principes un habitus ou une vertu différents de la science des conclusions.

3. Une vertu est appelée intellectuelle lorsqu’elle réside dans ce qui est essentiellement en nous la raison. Mais la raison, même spéculative, raisonne aussi bien par syllogismes dialectiques que par syllogismes démonstratifs. Donc, si la science, fruit du syllogisme démonstratif, est une vertu intellectuelle spéculative, l’opinion en est une aussi.

En sens contraire, le Philosophe ne compte que ces trois vertus intellectuelles spéculatives sagesse, science et intelligence.

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit, la vertu intellectuelle spéculative est celle qui perfectionne l’intellect spéculatif dans la connaissance du vrai, car c’est là son œuvre bonne. Or le vrai peut être envisagé de deux façons : comme connu par soi, et comme connu par autre chose. Connu par soi, il se présente comme un principe et il est immédiatement perçu par l’intelligence. C’est pourquoi l’habitus qui perfectionne l’esprit dans cette façon de connaître le vrai est appelé simple intelligence, et il est l’habitus des principes.

Quand le vrai est connu par autre chose, il n’est pas perçu immédiatement par l’intelligence mais par une enquête de la raison, et il se présente comme un terme. Ce qui peut signifier ou qu’il est ultime dans un genre donné, ou qu’il l’est par rapport à toute connaissance humaine. Et comme “ les choses qui sont connues en dernier lieu par rapport à nous sont premières et plus connues selon la nature ”, il s’ensuit que ce qui est ultime par rapport à toute connaissance humaine, c’est ce qu’il y a de premier et de plus connaissable par nature. Et c’est à cela que s’applique “ la sagesse qui considère les causes les plus hautes ”. Aussi convient-il qu’elle juge et règle tout, parce qu’un jugement définitif et universel ne peut avoir lieu qu’en remontant aux causes premières. - Quant à ce qui est ultime en tel ou tel genre de connaissance, c’est la science qui parfait l’intelligence. Et voilà pourquoi les sciences comportent autant d’habitus différents qu’il y a de genres différents dans les choses à savoir, alors qu’il n’y a cependant qu’une seule sagesse.

Solutions :

1. La sagesse est une science en ce qu’elle possède ce qui est commun à toutes les sciences : une démonstration des conclusions à partir des principes. Mais parce qu’elle a quelque chose de plus que les autres sciences, en tant qu’elle porte un jugement sur tout, et pas seulement sur les conclusions mais aussi sur les principes, elle est par là même une vertu essentiellement plus parfaite que la science.

2. Quand un objet formel est rattaché par un seul et même acte que l’objet matériel à une puissance ou à un habitus, alors il n’y a plus à tenir compte, pour distinguer celles-ci, d’objet formel et d’objet matériel ; ainsi, à la même puissance de vision il appartient de voir les couleurs, et aussi la lumière, puisque celle-ci est la raison formelle de voir les couleurs et qu’elle est vue en même temps qu’elles. Mais les principes de la démonstration peuvent être considérés à part, sans que les conclusions le soient. Ils peuvent aussi être considérés en même temps que les conclusions, puisque c’est eux que l’on conduit jusqu’aux conclusions. Donc, envisager les principes de cette seconde manière est affaire de science, puisque la science va jusqu’aux conclusions, mais les envisager en eux-mêmes est affaire de simple intelligence. - Par conséquent, si l’on y réfléchit bien, ce sont là trois vertus qui se distinguent les unes des autres non à titre égal mais suivant un ordre, comme il arrive dans ce qu’on appelle “ un tout potentiel ” dont une partie est plus parfaite qu’une autre ; ainsi l’âme raisonnable est plus parfaite que l’âme sensible, et celle-ci que l’âme végétative. De cette manière en effet la science dépend de la simple intelligence comme d’un principe supérieur, et l’une comme l’autre dépendent de la sagesse comme du principe suprême, puisque la sagesse contient au-dessous d’elle et l’intelligence et la science, ayant qualité pour juger des conclusions des sciences et de leurs principes.

3. Nous l’avons dit plus haut, l’habitus vertueux est toujours déterminé au bien, jamais au mal. Or le bien de l’intelligence, c’est le vrai ; son mal, c’est le faux. C’est pourquoi on n’appelle vertus intellectuelles que les habitus qui permettent de dire toujours le vrai, jamais le faux. Mais l’opinion et le soupçon peuvent porter sur le vrai et sur le faux ; aussi ce ne sont pas des vertus intellectuelles, selon Aristote.

 

            Article 3 — Cet habitus intellectuel qu’est l’art, est-il une vertu ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car S. Augustin dit que personne ne fait mauvais usage de la vertu. Or certains font de l’art un mauvais usage, car un artisan peut utiliser les ressources de son art pour agir mal.

2. Il n’y a pas une vertu de la vertu ; or, selon le Philosophe “ il y a une vertu de l’art ”. Donc l’art n’est pas une vertu.

3. Les arts libéraux sont plus excellents que les arts mécaniques. Mais, de même que les arts mécaniques, les arts libéraux sont spéculatifs. Donc, si l’art était une vertu intellectuelle, il devrait être compté au nombre des vertus spéculatives.

En sens contraire, le Philosophe fait de l’art une vertu ; mais il ne le compte pourtant pas avec les vertus spéculatives qui ont, d’après lui, leur siège dans la partie de l’âme faite pour la science.

Réponse :

L’art n’est pas autre chose que la droite règle des ouvrages à faire. Cependant leur bien ne consiste pas dans telle ou telle disposition de l’appétit humain, mais en ce qui rend bon en soi l’ouvrage que l’on fait. Car l’éloge de l’artisan en tant que tel ne dépend pas de la volonté qu’il apporte à son ouvrage, mais de la qualité de cet ouvrage. Ainsi donc, à proprement parler, l’art est un habitus opérati£ - Et cependant sur un point il rencontre les habitus spéculatifs, puisque ces habitus concernent l’état de la réalité considérée, non l’état de l’appétit humain envers elle. Pourvu que le géomètre démontre bien ce qui est vrai, peu importe qu’il soit, quant à sa puissance appétitive, joyeux ou irrité ; pas plus que cela n’a d’importance chez un artisan, comme on vient de le dire. Et c’est pourquoi l’art est une vertu au même titre que les habitus spéculatifs, c’est-à-dire en ce que ni l’art ni l’habitus spéculatif ne rendent l’œuvre bonne quant à l’usage qu’on en fait ; cela revient en propre à la vertu qui perfectionne l’appétit ; ils se contentent de donner le pouvoir de bien agir.

Solutions :

1. Lorsqu’un artiste fait de mauvais ouvrages, ce n’est pas l’œuvre de l’art ; bien plus, c’est contre l’art. De même, si quelqu’un qui sait la vérité fait un mensonge, ce qu’il dit n’est pas selon la science. Aussi, de même que la science est toujours tournée vers le bien, l’art aussi, et c’est en cela qu’on l’appelle vertu. Néanmoins il n’atteint pas à la parfaite notion de vertu parce qu’il n’assure pas le bon usage ; pour cela quelque chose d’autre est requis, encore que ce bon usage ne puisse avoir lieu sans l’art.

2. Pour faire bon usage de l’art que l’on possède, une volonté bonne est requise, et celle-ci est perfectionnée par la vertu morale. C’est pourquoi le Philosophe dit qu’il y a une vertu de l’art, une vertu morale s’entend, puisque pour le bon usage de l’art une vertu morale est requise. Il est évident en effet que la justice, en rectifiant la volonté, incline l’artisan à faire un travail consciencieux.

3. Même dans le domaine spéculatif il y a comme un travail à faire, par exemple construire convenablement un syllogisme ou un discours approprié, compter, mesurer. C’est pourquoi toutes les opérations ordonnées à ces travaux de la raison sont appelées des arts, à cause d’une certaine similitude, mais des arts libéraux, à la différence de ceux qui sont ordonnés aux travaux du corps, travaux en quelque sorte serviles, si l’on considère que le corps est soumis à l’âme comme un esclave, et que c’est par l’âme que l’on est libre. Quant aux sciences qui n’ont rien à voir avec aucune œuvre de ce genre, elles sont simplement appelées sciences, mais non arts. Et si les arts libéraux sont plus nobles, ce n’est pas à dire qu’ils soient des arts plus que les autres.

 

            Article 4 — La prudence est-elle une vertu distincte de l’art ?

Objections :

1. En apparence non, puisque l’art est la droite règle des ouvrages. Or ce n’est pas la différence des ouvrages qui peut faire perdre à une chose sa qualité d’art, car il y a des arts différents dans des œuvres extrêmement diverses. Donc, puisque la prudence est la droite règle des ouvrages, il semble qu’on doive l’appeler un art, elle aussi.

2. La prudence se rapproche de l’art plus que les habitus spéculatifs, puisque tous deux “ s’exercent de façon différente en matière contingente ”. Or, certains habitus spéculatifs sont appelés des arts. Donc la prudence mérite encore davantage ce nom.

3. “ Il appartient à la prudence de donner le bon conseil ”, dit Aristote. Mais d’après lui c’est aussi le rôle de certains arts, comme l’art militaire, l’art de gouverner, l’art médical. La prudence n’est donc pas distincte de l’art.

En sens contraire, c’est le Philosophe qui fait cette distinction.

Réponse :

Là où se trouvent des caractéristiques diverses de vertus, il faut les distinguer. Or, nous l’avons dit plus haut, il y a des habitus qui ne sont des vertus que par cela seul qu’ils confèrent une capacité pour de bons ouvrages ; mais il y en a qui ont ce titre du fait qu’ils procurent non seulement une aptitude à de bonnes œuvres, mais aussi l’usage de cette aptitude. Pour ce qui est de l’art, il ne confère que la capacité de bien faire, puisqu’il n’a rien à voir avec l’appétit. La prudence au contraire confère non seulement la capacité de bien faire, mais aussi l’usage de cette capacité ; en effet, elle concerne l’appétit, étant donné précisément qu’elle en présuppose la rectitude.

Le motif de cette différence, c’est que l’art est la droite règle dans les choses à fabriquer, tandis que la prudence est la droite règle dans l’action. C’est toute la différence entre faire et agir selon la Métaphysique -- ; le premier est un acte qui passe dans une matière extérieure, comme bâtir, tailler, etc. ; le second un acte qui demeure dans l’agent lui-même, comme voir, vouloir, etc. Ainsi donc, la prudence se comporte à l’égard de cette activité humaine qu’est l’usage des puissances et des habitus comme l’art à l’égard des fabrications extérieures ; de part et d’autre, c’est la raison qui est parfaite dans les choses auxquelles elle s’applique.

Or la perfection et rectitude de la raison en matière spéculative dépend des principes à partir desquels elle fait ses déductions ; aussi la science dépend-elle, avons-nous dit, de cette simple intelligence qu’est l’habitus des principes, et le présuppose. Mais dans les actes humains les fins ont le même rôle que les principes dans la spéculation, dit le Philosophe. Et c’est pourquoi la prudence, qui est la droite règle de l’action exige qu’on soit bien disposé à l’égard des fins. Cela suppose un appétit réglé. Et voilà pourquoi la prudence exige la vertu morale, puisque c’est par la vertu morale que l’appétit est rectifié.

Mais dans les œuvres d’art le bien n’est pas celui de la puissance appétitive de l’artisan, mais celui des œuvres elles-mêmes. Et c’est pourquoi l’art ne présuppose pas de sentiments droits. De là vient qu’on félicitera beaucoup plus l’artisan qui fait des fautes exprès que celui qui en fait sans le vouloir ; en revanche, il est beaucoup plus contraire à la prudence de pécher exprès que de pécher sans le faire exprès, parce que la rectitude de la volonté est essentielle à la prudence et non à l’art. - Il est donc par là même évident que la prudence est une vertu distincte de l’art.

Solutions :

1. Les divers genres d’œuvres d’art sont tous à l’extérieur de l’homme, et c’est pour cela que le titre de vertu y reste le même. Mais la prudence est la droite règle des actes humains eux-mêmes ; de là, comme nous l’avons dit, un titre de vertu tout différent.

2. La prudence se rapproche plus de l’art que les habitus spéculatifs, par son siège en nous et par sa matière, car ils sont tous deux dans la région de l’âme où se trouve l’opinion, et ils sont en matière contingente. Mais de ce que nous venons de dire il résulte que, comme vertu, l’art se rapproche plus des habitus spéculatifs que de la prudence.

3. La prudence est bonne conseillère en ce qui concerne la totalité de la conduite et la fin ultime de la vie humaine. Le conseil, dans quelques-uns des arts, se rapporte à ce qui intéresse les fins propres de ces arts-là. De là vient que certains, en tant qu’ils sont gens de bon conseil dans les affaires de la guerre ou de la navigation, sont appelés des chefs prudents ou de prudents navigateurs, mais non pas tout simplement des hommes prudents ; on ne donne ce nom qu’à ceux qui sont de bon conseil dans les choses qui importent à la totalité de la vie.

 

            Article 5 — La prudence est-elle une vertu nécessaire à l’homme ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la prudence soit une vertu nécessaire pour bien vivre. En effet, ce qu’est l’art pour la fabrication des choses dont il est la droite règle, la prudence l’est pareillement pour la conduite de vie, car elle en est, comme il est dit dans l’Éthique, la droite règle. Mais l’art n’est nécessaire dans les objets à fabriquer que pour qu’ils soient fabriqués ; il ne l’est plus après qu’ils l’ont été. La prudence n’est donc pas non plus nécessaire pour bien vivre, une fois qu’on est vertueux, mais peut-être l’est-elle uniquement lorsqu’il s’agit de le devenir.

2. La prudence est la vertu par laquelle nous délibérons avec rectitude. Or on peut agir non seulement par son bon conseil, mais aussi par celui des autres. Il n’est donc pas nécessaire pour bien vivre d’avoir soi-même la prudence, mais il suffit de suivre les conseils de ceux qui l’ont.

3. La vertu intellectuelle est ce qui permet de dire toujours le vrai et jamais le faux. Mais ceci ne paraît pas réalisable en fait de prudence, car il n’est pas humain, lorsqu’on délibère en matière de conduite, de ne jamais se tromper, étant donné que l’agir humain est tout à fait contingent. D’où cette parole de la Sagesse (9,14) : “ Les pensées des mortels sont timides, et nos prévisions, incertaines. ” Il semble donc qu’on ne doit pas placer la prudence parmi les vertus intellectuelles.

En sens contraire, au livre de la Sagesse (8,7) la prudence est comptée parmi d’autres vertus nécessaires à la vie humaine, quand il est dit de la sagesse divine : “ Elle enseigne la sobriété et la prudence, la justice et la force, et dans la vie rien n’est plus utile aux hommes. ”

Réponse :

La prudence est la vertu la plus nécessaire à la vie humaine. Bien vivre consiste en effet à bien agir. Or pour bien agir, il faut non seulement faire quelque chose, mais encart comme il faut, c’est-à-dire qu’il faut agir un choix bien réglé et non seulemi impulsion ou passion. Mais, comme le choix porte sur des moyens en vue d’une fin, sa rectitude exige deux choses : la fin qui est due, et des moyens adaptés à cette fin. Pour ce qui est de la fin qui est due, on y est justement disposé par la vertu qui perfectionne la partie appétitive de l’âme, dont l’objet est le bien et la fin. Mais, pour ce qui est des moyens ordonnés à cette fin, il faut qu’on y soit directement préparé par un habitus de la raison, car délibérer et choisir, qui sont les opérations relatives aux moyens, sont des actes de la raison. Et c’est pourquoi il est nécessaire qu’il y ait dans la raison une vertu intellectuelle qui lui donne assez de perfection pour bien se comporter à l’égard des moyens à prendre. Cette vertu est la prudence. Aussi la prudence est-elle une vertu nécessaire pour bien vivre.

Solutions :

1. On ne regarde pas le bien de l’art dans l’ouvrier, mais plutôt dans l’œuvre ellemême, puisque l’art est la droite règle des choses à fabriquer. En effet la fabrication, qui se réalise dans une matière extérieure, n’est pas la perfection du fabricant mais de l’objet fabriqué, comme le mouvement est l’acte et la perfection du mobile ; or l’art a pour matière des objets fabriqués. Mais le bien de la prudence est considéré chez celui qui agit et qui trouve sa perfection dans son agir même, car la prudence est la droite règle de l’action, comme on l’a dit

Aussi, pour l’art, en n’exige pas que l’ouvrier se conduise bien, mais qu’il fasse un bon ouvrage. C’est plutôt de l’œuvre elle-même qu’on exigerait qu’elle se conduise bien, comme on demanderait au couteau de bien couper ou à la scie de bien scier, s’il leur appartenait en propre d’agir et non plutôt d’être “ agis ”, du fait qu’ils n’ont pas la maîtrise de leurs actes. Voilà pourquoi l’art n’est pas nécessaire à l’artisan pour bien vivre, mais seulement pour faire un bon ouvrage et pour le conserver. Mais la prudence est nécessaire à l’homme pour bien vivre et pas seulement pour devenir bon.

2. Lorsqu’on fait le bien non par sa propre raison mais mû par le conseil d’un autre, c’est qu’on n’a pas encore une conduite qui soit absolument parfaite ni quant à la raison qui la dirige, ni quant à l’appétit qui la met en mouvement. D’où il suit que si cette conduite est bonne, ce n’est cependant pas à ce titre pur et simple de bien qui est le bien-vivre.

3. Le vrai de l’intellect pratique se prend autrement que celui de l’intellect spéculatif, dit l’Éthique. Le vrai de l’intellect spéculatif dépend de la conformité de l’intelligence avec la réalité. Et comme cette conformité ne peut avoir lieu d’une manière infaillible dans les choses contingentes, mais seulement dans les choses nécessaires, il s’ensuit qu’un habitus spéculatif n’est jamais une vertu intellectuelle en matière contingente, elle ne l’est qu’en matière nécessaire. - Mais le vrai de l’intellect pratique dépend de la conformité avec l’appétit rectifié. Et c’est là une conformité qui n’a pas de place dans les choses nécessaires, puisqu’elles ne sont pas le fait de la volonté humaine. Cette conformité n’a lieu que dans les choses contingentes qui peuvent être faites par nous, soit qu’il s’agisse de la conduite à tenir nous-mêmes, soit qu’il s’agisse d’objets extérieurs à fabriquer. Et voilà comment il n’y a de vertu de l’intellect pratique qu’en matière contingente ; en matière de fabrication, c’est l’art ; en matière de conduite, la prudence.

 

            Article 6 — Le bon conseil, le bon sens, l’équité sont-ils des vertus annexes de la prudence ?

Objections :

1. On a tort, semble-t-il, de les annexer à la prudence. Le bon conseil est l’habitus qui nous rend bons conseillers d’après l’Éthique. Mais bien conseiller relève de la prudence. Donc ce n’est pas là une vertu annexe de la prudence, c’est plutôt la prudence même.

2. Il appartient au supérieur de juger les inférieurs. Donc la vertu suprême, semble-t-il, est celle dont l’acte est le jugement. Mais le bon sens a pour fonction de bien juger. Il n’est donc pas une vertu annexe, c’est plutôt lui qui est la vertu principale.

3. La matière du jugement est aussi variée que celle du conseil. Mais pour celle-ci on met en tout une seule vertu, le bon conseil. Donc pour bien juger en matière d’action il ne faut pas supposer à côté du bon sens une autre vertu, comme serait l’équité.

4. Cicéron assigne à la prudence trois autres parties : “ la mémoire du passé, l’intelligence du présent, la prévoyance de l’avenir ”. Macrobe à son tour en suppose encore quelques autres : la circonspection, la docilité, etc.

En sens contraire, Il y a l’autorité du Philosophe, qui fait de ces trois vertus des annexes de la prudence.

Réponse :

Toutes les fois que des puissances sont liées entre elles, la principale est celle qui est ordonnée à l’acte le plus important. Or dans l’action humaine on trouve trois actes de la raison, dont le premier est de délibérer, le second de juger, le troisième de commander. Les deux premiers répondent aux actes de l’intellect spéculatif qui consistent à enquérir et à juger, car la délibération ou conseil est une enquête. Mais le troisième acte est propre à l’intellect pratique en tant que cet intellect est fait pour l’action, car la raison n’a pas à commander ce qui ne peut pas être réalisé par l’homme. Or il est évident que dans les choses faites par l’homme, l’acte principal est de commander, et tous les autres lui sont ordonnés. C’est pourquoi à cette vertu du bon gouvernement qu’est la prudence, comme à une vertu principale, s’adjoignent comme vertus secondaires le bon conseil, qui aide à bien délibérer, puis le bon sens et l’équité qui intéressent le jugement et dont on va discuter la distinctions.

Solutions :

1. Si la prudence est bonne conseillère, ce n’est pas à dire que le bon conseil soit immédiatement son acte, mais c’est parce qu’elle accomplit cet acte au moyen d’une vertu qui lui est soumise, la vertu de bon conseil.

2. Le jugement dans l’action est ordonné à quelque chose d’ultérieur ; il arrive en effet que quelqu’un juge bien d’une action à accomplir, et cependant ne l’exécute pas comme il faudrait. Mais on atteint l’ultime complément dès que la raison commande d’agir bien.

3. Il n’y a jugement d’une chose que par les principes qui lui sont propres. L’enquête ne se fait pas encore par les principes propres car, si on les avait, il n’y aurait plus besoin d’enquête mais la chose aurait déjà été découverte. Voilà pourquoi il n’y a qu’une vertu de bon conseil, tandis qu’il y en a deux de bon jugement ; il n’y a pas lieu à distinction dans les principes communs, mais dans les principes propres. Aussi, même en matière spéculative, il n’y a qu’une dialectique pour enquêter sur toutes choses, tandis que les sciences démonstratives qui portent des jugements sont aussi diverses que leurs objets. Le bon sens et l’équité se distinguent d’après les diverses règles suivant lesquelles on juge, car le bon sens fait juger de l’action suivant la loi ordinaire, et l’équité fait juger suivant la raison naturelle elle-même, dans les cas où la loi ordinaire ne suffit plus, comme on le verra amplement plus loin.

4. Mémoire, intelligence, prévoyance, et de même circonspection, docilité, etc. ne sont pas des vertus différentes de la prudence, mais d’une certaine façon s’y rattachent comme parties intégrantes, dans la mesure où tout cela est requis pour la perfection de la prudence. Il y a d’ailleurs aussi des parties subjectives de la prudence ou, si l’on veut, des espèces : prudence domestique, prudence d’État, etc. Mais les trois vertus en question sont comme des parties potentielles de la prudence, étant liées à elle comme le secondaire au principal. Et il sera question de cela plus loin.

LES VERTUS MORALES

Nous allons étudier les vertus morales, 1° en les distinguant des vertus intellectuelles (Q. 58), 2° en les distinguant les unes des autres suivant la matière propre à chacune (Q. 59-60), 3° en distinguant des autres les vertus principales ou cardinales (Q. 61).

 

QUESTION 58 — LA DISTINCTION ENTRE VERTUS MORALES ET VERTUS INTELLECTUELLES

1. Toute vertu est-elle une vertu morale ? - 2. La vertu morale est-elle distincte de la vertu intellectuelle ? - 3. Suffit-il de distinguer vertu intellectuelle et vertu morale ? - 4. La vertu morale peut-elle exister sans vertu intellectuelle ? - 5. Et inversement, la vertu intellectuelle peut-elle exister sans vertu morale ?

 

            Article 1 — Toute vertu est-elle une vertu morale ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il, puisque morales vient de mores qui signifie habitudes de vie, et que nous pouvons nous habituer aux actes de toutes les vertus.

2. Le Philosophe dit que “ la vertu morale est l’habitus du choix qui s’établit dans le juste milieu de la raison ”. Mais toute vertu, semble-t-il, est un habitus de cette sorte, puisque nous pouvons faire par choix les actes de n’importe quelle vertu. Toute vertu consiste aussi dans un certain milieu rationnel comme on le verra plus loin. Donc toute vertu est morale.

3. Cicéron dit que la vertu est “ l’habitus, devenu naturel, qui se conforme à la raison ”. Mais, comme toute vertu a pour but le bien de l’homme, il faut qu’elle soit conforme à la raison, car le bien de l’homme consiste à vivre selon la raison, d’après Denys. Toute vertu est donc une vertu morale.

En sens contraire, “ quand nous parlons de mœurs, dit le Philosophe, nous ne disons pas que l’homme est sage ou intelligent, mais qu’il est doux ou sobre ”. C’est donc que la sagesse et l’intelligence ne sont pas d’ordre moral. Et pourtant ce sont des vertus, avons-nous dit. La vertu n’est donc pas toujours d’ordre moral.

Réponse :

Pour éclaircir cette question il faut considérer ce que c’est que les mœurs, car c’est ainsi que nous pourrons savoir ce qu’est une vertu morale. Or le mot mœurs signifie deux choses. Tantôt, une coutume : “ Si vous n’êtes circoncis selon l’usage (les mœurs) venu(es) de Moïse, est-il dit dans les Actes (15,1), vous ne pourrez être sauvés. ” Tantôt une inclination naturelle ou quasi naturelle vers quelque action ; et dans ce sens, même pour les animaux on parle de mœurs, d’où dans le deuxième livre des Maccabées (11,11) : “ Se jetant sur l’ennemi à la manière (avec les mœurs) des lions, ils l’ont terrassé. ” C’est aussi dans ce sens que le mot est pris dans le Psaume (68,7 Vg) où il est dit : “ C’est lui qui fait habiter sous un même toit ceux qui ont les mêmes mœurs. ” Et ce sont là deux sens qui chez les Latins ne se distinguent en rien quant au vocable. Mais dans le grec ils se distinguent, car le mot ethos que nous traduisons par mœurs, tantôt a sa première lettre longue et s’écrit avec la lettre grecque Eta, tantôt a sa première lettre brève et s’écrit avec un Epsilon.

Or le nom de vertu morale vient de mœurs au sens d’inclination naturelle ou quasi naturelle à une action. De cette signification l’autre est du reste toute proche, celle qui veut dire coutume, car la coutume devient en quelque sorte une nature, et produit un penchant qui ressemble à une inclination naturelle. Or il est évident que l’inclination à l’acte appartient en propre à la puissance appétitive puisque c’est elle qui met toutes nos puissances en action, comme nous l’avons déjà montré. Voilà pourquoi ce n’est pas toute vertu qui est appelée morale, mais seulement celle qui réside dans la Puissance appétitive.

Solutions :

1. Cette objection est valable si l’on prend le mot mœurs dans le sens de coutume.

2. Tout acte de vertu peut se faire par choix ; mais seule la vertu qui réside dans la partie appétitive de l’âme donne au choix toute sa droiture, car, on l’a dit plus haut, choisir est un acte de l’appétit. De là vient que l’habitus du choix, celui-là même qui est au principe de nos choix, c’est uniquement l’habitus qui perfectionne la puissance appétitive, bien que les actes des autres habitus puissent être dépendants de notre choix.

3. “ La nature est le principe du mouvement ”, dit Aristote. Mais le mouvement dans l’action, c’est proprement l’appétit qui le donne. Voilà pourquoi le fait d’être porté comme par nature à s’accorder avec la raison appartient proprement aux vertus qui sont dans la puissance appétitive.

 

            Article 2 — La vertu morale est-elle distincte de la vertu intellectuelle ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, puisque “ la vertu, au dire de S. Augustin, est l’art de vivre bien ”, et que l’art est une vertu intellectuelle.

2. La plupart des auteurs mettent le mot science dans la définition des vertus morales. Ainsi certains définissent la persévérance comme “ la science ou l’habitus des choses auxquelles il faut s’arrêter ou ne pas s’arrêter ”, que la sainteté est “ la science qui fait les fidèles et les observateurs des devoirs envers Dieu ”. Or la science est une vertu intellectuelle. La vertu morale ne doit donc pas se distinguer de la vertu intellectuelle.

3. S. Augustin dit encore que “ la vertu est la droite et parfaite raison ”. Mais cela ressortit à la vertu intellectuelle. Donc la vertu morale ne s’en distingue pas.

4. Jamais une chose ne se distingue de ce qui fait partie de sa définition. Or la vertu intellectuelle sert à définir la vertu morale. Le Philosophe dit en effet - que “ la vertu morale est l’habitus du choix qui s’établit dans le juste milieu déterminé par la raison, tel que le sage le fixera ”. Mais cette droite raison fixant le juste milieu de la vertu morale, appartient à la vertu intellectuelle, selon l’Éthique. La vertu morale n’est donc pas distincte de la vertu intellectuelle.

En sens contraire, il est dit dans l’Éthique : “ Les vertus se définissent suivant la différence que voici : il en est que nous appelons intellectuelles et il en est que nous appelons morales. ”

Réponse :

Dans toutes les œuvres humaines, le principe premier est la raison, et tous les autres principes qu’on y trouve, quels qu’ils soient, obéissent d’une certaine manière à la raison, mais de façon diverse. Car il y en a qui obéissent à la raison absolument, au moindre signe et sans opposition, comme les membres du corps s’ils sont en bon état ; aussitôt que la raison commande, la main ou le pied se met à l’œuvre. Cela fait dire au Philosophe que l’âme régit le corps par un pouvoir despotique, comme un mâitre son esclave, sans que celui-ci ait le droit de résister. Certains ont donc soutenu que les principes actifs qui sont en nous se comportent de cette manière envers la raison. Si cela était vrai, il suffirait pour bien agir que la raison fût parfaite. Aussi, puisque la vertu est l’habitus qui nous perfectionne pour nous faire bien agir, il s’ensuivrait qu’elle serait uniquement dans la raison, et ainsi il n’y aurait de vertu qu’intellectuelle. Ce fut l’opinion de Socrate qui soutint que “ toutes les vertus sont des prudences ”. Aussi affirmait-il que l’homme doté de science ne peut pas pécher, et que quiconque pèche le fait par ignorance.

Mais cela part d’un présupposé qui est faux. La puissance appétitive n’obéit p.as à la raison tout à fait au moindre signe mais avec quelque résistance ; ce qui fait dire au Philosophe que “ la raison commande à la puissance appétitive par un pouvoir politique ”, celui qu’on a sur les êtres libres qui gardent un certain droit de contredire. D’où cette parole de S. Augustin : “ Parfois l’intelligence marche la première et le sentiment tarde à suivre, ou ne suit pas du tout. ” Cela tient à ce que parfois les passions ou les habitus de la puissance appétitive réussissent à empêcher dans un cas particulier l’usage de la raison. Et à ce point de vue ce qu’a dit Socrate est vrai de quelque manière ; tant que la science est présente, on ne pèche pas ; mais à condition que cette présence s’étende jusqu’à l’usage de la raison dans le cas d’un choix à faire en particulier.

Ainsi donc, pour bien agir, il est requis que non seulement la raison soit bien disposée par l’habitus de la vertu intellectuelle, mais aussi que l’appétit le soit par l’habitus de la vertu morale. Donc, de même que l’appétit se distingue de la raison, de même la vertu morale se distingue de la vertu intellectuelle. Aussi, de même que l’appétit est le principe de l’acte humain dans la mesure où cet appétit participe en quelque chose de la raison, ainsi l’habitus moral a la qualité de vertu humaine en tant qu’il se conforme à la raison.

Solutions :

1. S. Augustin prend l’art dans un sens général, pour n’importe quelle droite règle. Et ainsi l’art englobe même la prudence, puisqu’elle est la droite règle de l’action comme l’art est la droite règle des choses à fabriquer. Dans ce sens-là, ce qu’il dit, que la vertu est l’art de bien vivre, s’applique à la prudence essentiellement, mais aux vertus par mode de participation, en tant qu’elles sont dirigées selon la prudence.

2. De telles définitions, quels que soient ceux qui ont pu les donner, sont venues de l’opinion de Socrate et elles sont à interpréter comme on l’a fait pour l’art.

3. Même réponse.

4. Cette droite raison qui se conforme à la prudence entre dans la définition de la vertu morale non comme une partie essentielle, mais comme quelque chose de participé dans toutes les vertus morales, en tant que la prudence les dirige toutes.

 

            Article 3 — Suffit-il de distinguer vertu intellectuelle et vertu morale ?

Objections :

1. Cette distinction ne parait pas suffisante, car la prudence semble bien être un intermédiaire entre vertu morale et vertu intellectuelle ; en effet, le Philosophe la compte au nombre des vertus intellectuelles ; et tout le monde la compte aussi parmi les quatre vertus cardinales qui sont morales, ainsi qu’on le verra plus loin. Il n’est donc pas suffisant de partager la vertu en vertu intellectuelle et en vertu morale, comme si c’était évident.

2. La continence, la persévérance et aussi la patience ne sont pas comptées parmi les vertus intellectuelles. Et ce ne sont pas non plus des vertus morales, puisqu’elles ne tiennent pas le juste milieu dans les passions mais que celles-ci y trouvent une grande place. Il y a donc autre chose que es vertus intellectuelles et des vertus morales.

3. La foi, l’espérance, et la charité sont des vertus. Cependant ce ne sont pas des vertus intellectuelles, puisque celles-ci ne sont qu’au nombre de cinq : la science, la sagesse, l’intelligence, la prudence et l’art. Ce ne sont pas non plus des vertus morales, car elles n’ont pas pour objet les passions qui sont la matière principale de la vertu morale. Donc la division de la vertu en vertu intellectuelle et vertu morale n’est pas suffisante.

En sens contraire, le Philosophe affirme “ la vertu est double, l’une est intellectuelle, l’autre est morale ”.

Réponse :

La vertu humaine est un habitus qui perfectionne l’homme pour le faire agir bien. Mais il n’y a dans l’homme, au principe de ses actes, que deux choses, l’intelligence ou raison, et l’appétit. Ce sont là, est-il dit au livre De l’Ame, les deux forces qui font agir l’homine. Il faut donc que toute vertu humaine perfectionne l’un de ces principes. Si c’est une vertu qui donne à l’intellect spéculatif ou pratique la perfection voulue pour bien accomplir son acte humain, elle sera vertu intellectuelle ; si elle assure la perfection de la puissance appétitive, elle sera vertu morale. Il reste donc que toute vertu humaine est ou intellectuelle ou morale.

Solutions :

1. La prudence est une vertu intellectuelle par son essence. Mais par sa matière elle rejoint les vertus morales, car elle est, avons-nous dit, la droite règle de l’action, et à ce titre elle est au nombre des vertus morales.

2. La continence et la persévérance ne sont pas des états parfaits de l’appétit sensible. C’est évident parce que, si l’on doit se contenir et persévérer, c’est qu’on a encore en soi surabondance de passions déréglées ; ce qui ne serait pas si l’appétit sensible avait toute la perfection d’un habitus le conformant à la raison. La continence est néanmoins, aussi bien qae la persévérance, une perfection de la partie raisonnable de l’homme, laquelle résiste aux passions pour ne pas être entraînée. Il lui manque cependant quelque chose pour être vraiment une vertu. C’est que la vertu intellectuelle qui donne à la raison de bien se comporter moralement, présuppose un appétit bien réglé de nos fins pour pouvoir être elle-même en possession des principes d’où elle tire ses raisons d’agir, principes qui ne sont autres que les fins ; et c’est ce qui manque au continent et au persévérant. - En outre, une opération, lorsqu’elle découle de deux puissances, ne peut être parfaite si l’une et l’autre ne le sont également par l’habitus que chacune doit avoir ; de même que si quelqu’un agit par un instrument, son action ne peut être parfaite si l’instrument n’est pas en bon état et quelle que soit la perfection de l’agent principal. Par suite, si l’appétit sensible que meut la partie rationnelle de l’âme n’est pas parfait, si grande que soit la perfection de cette partie rationnelle, l’action qui en dérive ne sera pas parfaite. Aussi le principe de cette action ne sera-t-il pas une vertu. A cause de cela, la retenue dans les plaisirs et l’endurance dans les tristesses ne sont pas des vertus mais quelque chose d’inférieur à la vertu, dit le Philosophe.

3. La foi, l’espérance et la charité sont au-dessus des vertus humaines ; ce sont les vertus de l’homme en tant qu’il est devenu participant de la grâce divine.

 

            Article 4 — La vertu morale peut-elle exister sans vertu intellectuelle ?

Objections :

1. Il y a toute apparence que oui. Cicéron dit que la vertu morale “ est l’habitus devenu naturel, qui se conforme à la raison ”. Mais une nature peut se conformer à une raison supérieure qui la meut sans que cette raison doive être jointe à cette nature dans le même être ; la chose est évidente dans les réalités naturelles dépourvues de raison. Il peut donc y avoir dans l’homme une vertu morale par manière de nature, inclinant cet homme à consentir à la raison, quoique la raison de cet homme ne soit pas perfectionnée par une vertu intellectuelle.

2. Par la vertu intellectuelle l’homme acquiert le parfait usage de la raison. Mais il arrive parfois que des gens chez qui l’exercice de la raison n’est guère vigoureux, sont pourtant vertueux et agréables à Dieu. Il semble donc que la vertu morale puisse exister sans vertu intellectuelle.

3. La vertu morale donne une inclination à bien agir. Mais certains ont cette inclination par nature, sans recourir au jugement de la raison. Donc les vertus morales peuvent exister sans vertu intellectuelle.

En sens contraire, S. Grégoire affirme que “ les autres vertus, si elles ne font prudemment ce qu’elles désirent faire, ne sont plus aucunement des vertus ”. Mais la prudence est une vertu intellectuelle. Donc les vertus morales ne peuvent exister sans les vertus intellectuelles.

Réponse :

La vertu morale peut bien exister sans certaines vertus intellectuelles, par exemple sans la sagesse ni la science ni l’art ; mais elle ne peut exister sans l’intelligence ni la prudence. Sans prudence il ne peut vraiment pas y avoir de vertu morale, car la vertu morale est l’habitus de faire de bons choix. Or, pour qu’un choix soit bon, il faut deux choses : 1° qu’on ait à l’égard de la fin l’intention requise, et cela est l’œuvre de la vertu morale qui incline l’appétit vers un bien en harmonie avec la raison, qui est la fin requise ; 2° qu’on prenne correctement les moyens en vue de la fin, et cela ne peut se faire qu’au moyen d’une raison qui sache bien conseiller, juger et commander, ce qui est l’œuvre de la prudence et des vertus annexes. Donc la vertu morale ne peut exister sans la prudence. Ni par conséquent sans intelligence. C’est en effet par simple intelligence que sont connus les principes naturellement évidents, tant dans l’ordre spéculatif que dans l’ordre pratique. Aussi, de même que la droite règle en matière spéculative, en tant qu’elle découle des principes connus naturellement, présuppose l’intelligence de ceux-ci, de même la prudence, qui est la droite règle de l’action.

Solutions :

1. L’inclination de nature chez les êtres dépourvus de raison se fait sans choix, et c’est pour cela qu’une telle inclination ne requiert pas nécessairement la raison. Mais l’inclination de la vertu morale s’accompagne de choix, et c’est à cause de cela qu’elle a besoin pour sa propre perfection que la raison soit perfectionnée par la vertu intellectuelle.

2. Chez le vertueux il n’est pas nécessaire que l’usage de la raison soit vigoureux dans tous les domaines, mais uniquement dans celui de la vertu. Et c’est bien ce qui a lieu chez tous ceux qui sont vertueux. Aussi, même ceux qui ont l’air simples parce qu’ils sont dépourvus de l’astuce du monde, peuvent être prudents, selon le mot de l’Évangile (Mt 10,16) : “ Soyez prudents comme les serpents et simples comme les colombes. ”

3. L’inclination naturelle au bien de la vertu est un commencement de vertu, mais n’est pas la vertu parfaite. En effet, cette sorte d’inclination, plus elle est forte, plus elle peut être dangereuse, s’il ne s’y joint une droite règle pour aboutir à un juste choix de ce qui convient à la fin qu’on doit poursuivre ; ainsi un cheval qui court, s’il est aveugle, heurte et se blesse d’autant plus fortement qu’il court plus fort. C’est pourquoi, bien que la vertu morale ne s’identifie pas avec la droite règle elle-même, comme le voulait Socrate, cependant elle n’est pas seulement “ à la suite de la droite règle ” en ce sens qu’elle incline à ce qui est conforme à cette règle, comme l’ont dit les platoniciens, mais il faut en outre qu’elle soit “ accompagnée de la droite règle ”, comme le veut Aristote.

 

            Article 5 — La vertu intellectuelle peut-elle exister sans vertu morale ?

Objections :

1. Oui, dirait-on. Car la perfection d’une chose qui en précède une autre ne dépend pas de la perfection de cette dernière. Mais la raison précède l’appétit sensible, et c’est elle qui le meut. Donc la vertu intellectuelle, perfection de la raison, ne dépend pas de la vertu morale, perfection de l’appétit. Elle peut donc exister sans elle.

2. Les choses de la vie morale sont la matière de la prudence comme les objets à façonner sont la matière de l’art. Mais l’art peut n’avoir plus sa matière propre et exister quand même ; le forgeron peut n’avoir plus de fer à travailler. La prudence peut donc se trouver, elle aussi, sans vertus morales à gouverner, et pourtant, de toutes les vertus intellectuelles, c’est elle qui semble le plus unie aux vertus morales.

3. La prudence est la vertu du bon conseil, dit le Philosophe. Mais il y a beaucoup de gens qui sont de bon conseil et à. qui pourtant les vertus morales font défaut. On peut donc avoir de la prudence sans vertu morale.

En sens contraire, faire le mal exprès est chose directement opposée à la vertu morale, mais n’est pas opposé à un état d’où la vertu morale peut être absente. Or il est dit dans l’Éthique que pécher exprès est chose opposée à la prudence. C’est donc que la prudence ne peut exister sans la vertu morale.

Réponse :

Les autres vertus intellectuelles peuvent exister sans la vertu morale, mais non la prudence. La cause en est que la prudence est la droite règle de l’action, et non seulement en général mais aussi dans les cas particuliers, où s’exerce l’action. Or une droite règle exige préalablement des principes, et c’est d’eux qu’elle découle. Mais il faut que la raison descende jusqu’aux cas particuliers, non seulement à partir des principes généraux mais aussi de principes particuliers. A l’égard des principes généraux de l’action on est conforme à la règle tout naturellement par l’intelligence des premiers principes, qui nous dit qu’il ne faut jamais faire le mal, et en outre par une certaine connaissance pratique. Mais ce n’est pas suffisant pour bien raisonner dans les cas particuliers. Parfois en effet il arrive qu’un principe général de cette sorte, reconnu par simple intelligence ou par connaissance soit faussé dans un cas particulier par une passion ; c’est ainsi que l’homme qui convoite, au moment où sa convoitise triomphe, estime bon de convoiter ainsi, bien que cela s’oppose au jugement universel de sa raison. Voilà pourquoi, de même qu’on est disposé à bien se comporter dans les grands principes, par simple intelligence naturelle ou par habitus de connaissance, de même pour bien se comporter dans les principes particuliers de la vie qui sont pour nous de véritables fins, il faut avoir une perfection donnée par des habitus : par ceux-ci il deviendra d’une certaine manière connaturel à l’homme de juger droitement la fin. Et ceci est 1’œuvre de la vertu morale, car il faut être vertueux pour avoir un jugement droit sur ce qui constitue la fin de la vertu, d’après cet axiome du Philosophe : “ La fin apparaît à chacun selon ce qu’il est en lui-même. ” Et c’est pourquoi la droite règle de l’action, qui est la prudence, requiert que l’homme possède la vertu morale.

Solutions :

1. La raison, en tant qu’elle prend connaissance de la fin, précède l’appétit de la fin, mais celui-ci précède la raison dans les raisonnements qu’elle fait pour choisir les moyens, ce qui est 1’œuvre de la prudence. De même, en matière spéculative, l’intelligence des principes est à l’origine de la raison qui fait les syllogismes.

2. En matière d’art nous n’apprécions pas les principes en bien ou en mal d’après les dispositions de notre appétit comme nous le faisons pour les fins qui sont les principes de la vie morale. Nous ne jugeons les principes d’art que du point de vue de la raison, et c’est pour cela que l’art n’exige pas une vertu perfectionnant l’appétit, comme l’exige la prudence.

3. La prudence non seulement conseille bien, mais encore juge bien et commande bien. Ce qui est impossible si l’on n’écarte pas l’obstacle des passions qui viennent corrompre le jugement et le commandement de la prudence ; et cela est l’œuvre de la vertu morale.

LA DISTINCTION DES VERTUS MORALES SELON LEURS RAPPORTS AVEC LA PASSION

Il faut voir maintenant en quoi les vertus morales se distinguent les unes des autres. Et puisque ces vertus, qui ont pour matière les passions, se distinguent d’après la diversité de celles-ci, il faut d’abord comparer en général vertu et passion, ensuite distinguer les différentes vertus morales d’après les passions.

 

QUESTION 59 — LES RELATIONS ENTRE LES VERTUS MORALES ET LA PASSION

1. La vertu morale est-elle la passion ? - 2. Peut-elle être accompagnée de passion ? - 3. Peut-elle être accompagnée de tristesse ? - 4. Est-ce que toute vertu morale concerne une passion ? - 5. Une vertu morale peut-elle exister sans passion ?

 

            Article 1 — La vertu morale est-elle la passion ?

Objections :

1. On pourrait le croire, car un milieu est du même genre que les extrêmes. Or la vertu morale est un milieu entre des passions.

2. La vertu et le vice, étant deux contraires, sont dans le même genre. Or il y a des passions, comme l’envie et la colère, dont on dit qu’elles sont des vices. Il y en a donc aussi qui sont des vertus.

3. La miséricorde est une passion ; elle est, avons-nous dit, la tristesse que nous cause le mal d’autrui. Or “ Cicéron, fameux styliste, n’a pas hésité, dit S. Augustin, à l’appeler vertu ”. Donc la passion peut être une vertu morale.

En sens contraire, d’après le Philosophe, “ les passions ne sont ni des vertus ni des méchancetés ”.

Réponse :

La vertu morale ne peut pas s’identifier avec la passion. Cela ressort d’une triple raison.

1° La passion est un mouvement de l’appétit sensible nous l’avons vu. Or, la vertu morale n’est pas un mouvement mais plutôt le principe d’un mouvement appétitif, existant à l’état d’habitus.

2° Les passions par elles-mêmes ne sont ni bonnes ni mauvaises, car le bien ou le mal de l’homme dépend de la raison ; aussi, considérées en elles-mêmes, les passions sont en rapport avec le bien ou avec le mai selon qu’elles peuvent s’accorder ou non avec la raison. Or rien de tel ne peut arriver à la vertu, car elle est uniquement tournée vers le bien, comme nous l’avons dit.

3° A supposer qu’une passion soit tournée de quelque façon uniquement vers le bien ou uniquement vers le mal, cependant le mouvement de la passion en tant que passion a toujours son principe dans l’appétit lui-même, et son terme dans la raison à laquelle l’appétit essaie de se conformer. Mais le mouvement de la vertu est en sens inverse, puisqu’il a son principe dans la raison, et son terme dans l’appétit selon que celui-ci est mû par la raison. Aussi Aristote a-t-il mis dans la définition de la vertu morale qu’elle est “ l’habitus du choix qui s’établit dans le juste milieu déterminé par la raison, tel que le sage le fixera ”.

Solutions :

1. Ce n’est pas dans son essence que la vertu est un milieu entre des passions, mais dans son effet, c’est-à-dire qu’elle a pour effet de r un juste milieu parmi les passions.

2. Si l’on appelle vice l’habitus de mal agir, il est évident qu’aucune passion n’est un vice. Mais si l’on appelle vice le péché, c’est-à-dire l’acte vicieux, rien n’empêche que la passion ne soit du vice. Et en ce sens contraire, rien n’empêche la passion de concourir à l’acte vertueux. C’est selon qu’elle est contre la raison ou qu’elle en suit la direction.

3. On dit que la miséricorde est une vertu, entendez l’acte d’une vertu, dans la mesure où “ ce mouvement du cœur se met au service de la raison, c’est-à-dire quand la miséricorde s’exerce de telle manière que la justice soit sauvegardée, soit que l’on donne à un indigent ou que l’on pardonne à un pénitent ”, dit S. Augustin au même endroit. Si pourtant on donne le nom de miséricorde à un habitus qui perfectionne en vue d’une pitié conforme à la raison, rien n’empêche que la miséricorde ainsi entendue ne soit une vertu. Et il en est de même des passions semblables.

 

            Article 2 — La vertu morale peut-elle être accompagnée de passion ?

Objections :

1. Il semble que non. “ L’homme indulgent, dit le Philosophe dans les Topiques est celui qui ne subit plus la passion ; l’homme patient est celui qui la subit encore, mais ne se laisse plus mener par elle. ” Et c’est la même chose pour toutes les autres vertus morales. Donc toute vraie vertu morale est sans passion.

2. La vertu morale est un bon état de l’âme, pareil à la santé du corps, est-il dit dans la Physique. De là le mot de Cicéron : “ La vertu paraît être la santé de l’âme. ” Or dans le même livre Cicéron dit que les passions sont des maladies de l’âme. Mais la santé n’est pas compatible avec la maladie. La vertu ne l’est donc pas non plus avec la passion.

3. La vertu morale exige le parfait usage de la raison jusque dans les cas particuliers. Mais c’est à quoi les passions font obstacle. “ Les plaisirs, dit le Philosophe, détruisent le jugement de la prudence. ” “ L’esprit, dit Salluste, n’aperçoit plus facilement le vrai lorsque les passions lui bouchent la vue. ”

En sens contraire, S. Augustin dit ceci - “ Si la volonté est perverse, on aura des mouvements de passions qui le seront aussi ; mais si la volonté est droite, non seulement ces mouvements ne seront pas coupables, mais ils seront même louables. ” Mais rien de louable n’est exclu par la vertu morale. Celle-ci n’exclut donc pas les passions mais peut exister avec elles.

Réponse :

En cela il y a eu désaccord entre les stoïciens et les péripatéticiens comme le rapporte S. Augustin dans la Cité de Dieu. Les stoïciens ont soutenu que les passions de l’âme ne peuvent exister chez le sage ou le vertueux. Les péripatéticiens, dont la secte fut instituée par Aristote, dit S. Augustin au même endroit, ont soutenu que des passions peuvent cœxister avec la vertu morale, mais si elles sont amenées à un juste milieu.

Cette divergence, note S. Augustin au même endroit, était plutôt dans les mots que dans le fond des pensées. En effet, puisque les stoïciens ne distinguaient pas entre l’appétit intellectuel qui n’est autre que la volonté, et l’appétit sensible qui se divise entre irascible et concupiscible, ils n’arrivaient pas à distinguer les passions de l’âme des autres affections humaines, parce que les passions sont des mouvements de l’appétit sensible, tandis que les autres affections, qui ne sont pas des passions, sont des mouvements de cet appétit intellectuel qu’on appelle la volonté. Les péripatéticiens ont fait cette distinction. Mais la seule que lissent les stoïciens consistait à donner le nom de passions à toutes les affections opposées à la raison. Si de telles affections sont délibérées, elles ne peuvent exister chez le sage ou le vertueux. Mais si elles naissent subitement, cela peut arriver chez le vertueux, car, suivant un.texte d’Aulu-Gelle cité par S. Augustin, “ ces visions intérieures qu’on appelle imaginations, on ne peut empêcher qu’elles ne tombent quelquefois dans l’esprit ; et alors il est inévitable, si elles représentent des choses terrifiantes, que le sage en soit ému intérieurement, au point d’être pendant un peu de temps tremblant de peur ou saisi de tristesse comme sous le coup de passions qui devancent l’intervention de la raison ; et cependant on n’approuve pas ces choses et on n’y consent pas ”.

Donc, si l’on appelle passions les affections désordonnées, il ne peut y en avoir chez le vertueux en ce sens qu’il y serait donné consentement après délibération ; c’est ce qu’ont soutenu les stoïciens. Mais si l’on appelle passions n’importe quels mouvements de l’appétit sensible, ils peuvent exister chez le vertueux dans la mesure où ils sont réglés par la raison. Et c’est ce qui fait dire à Aristote que “ ce n’est pas donner une bonne définition de la vertu que de la concevoir comme une impassibilité et un repos, car c’est s’exprimer d’une manière trop simpliste ” ; mais on devrait dire que la vertu est un repos à l’abri de passions qui sont ressenties “ comme il ne faut pas et quand il ne faut pas ”.

Solutions :

1. Le Philosophe amène cet exemple, comme il en amène beaucoup d’autres dans ses livres de logique, non d’après sa propre opinion mais d’après celle des autres. Or ce fut l’opinion des stoïciens que les vertus étaient exclusives des passions. Le Philosophe écarte cette opinion lorsqu’il dit que “ la vertu n’est pas l’impassibilité ”. Cependant, lorsqu’il dit que l’homme indulgent ne subit pas de passion, on doit comprendre qu’il s’agit d’une passion désordonnée.

2. Cet argument et les considérations semblables que Cicéron apporte à l’appui dans ses Tusculanes sont valables pour les passions au sens d’affections désordonnées.

3. Lorsqu’une passion devance le jugement de la raison, si elle vient à prévaloir dans l’âme au point que l’on consente, elle empêche en effet la délibération et le jugement. Mais si elle suit, étant pour ainsi dire commandée par la raison, elle aide à exécuter les ordres de celle-ci.

 

            Article 3 — La vertu morale peut-elle être accompagnée de tristesse ?

Objections :

1. Cela ne semble pas possible. Car les vertus sont des effets de la sagesse ; c’est dit au livre du même nom (8,7) : “ Elle enseigne sobriété et justice, prudence et vertu. ” Mais le même livre ajoute : “ Sa société ne cause pas d’amertume. ” Donc les vertus ne peuvent s’accompagner de tristesse.

2. Le Philosophe montre que la tristesse empêche d’agir. Mais ce qui empêche une bonne action s’oppose à la vertu. Par conséquent la tristesse s’oppose à la vertu.

3. La tristesse est une maladie de l’âme, comme l’appelle Cicéron. Elle est donc le contraire de la vertu qui est un heureux état de l’âme, et elle ne peut exister en même temps.

En sens contraire, le Christ fut d’une vertu parfaite. Néanmoins il y eut en lui de la tristesse d’après S. Matthieu (26,38) : “ Mon âme est triste jusqu’à la mort. ” La tristesse peut donc accompagner la vertu.

Réponse :

Comme le rapporte S. Augustin, “ les stoïciens ont voulu qu’il y eût dans l’âme du sage, au lieu de trois troubles, trois eupathies, c’est-à-dire trois bonnes passions : la volonté au lieu de la cupidité, la joie au lieu de l’allégresse, la circonspection au lieu de la crainte ; mais à la place de la tristesse ils ont nié qu’il pût y avoir quelque chose dans l’âme du sage ”. Cela pour deux raisons.

Première raison. La tristesse a pour objet le mai lorsqu’il s’est déjà produit. Or ils estiment qu’il ne peut arriver aucun mal au sage. Ils ont cru en effet que le seul bien de l’homme étant la vertu, les biens corporels étant au contraire pour lui de nulle valeur, ainsi le seul mal de l’homme est ce qui déshonore, et qui ne peut exister chez le vertueux. - Mais cela est déraisonnable. Car 1° l’homme étant composé de l’âme et du corps, ce qui contribue à lui conserver la vie du corps est un bien pour lui. Mais non le plus grand, puisqu’on peut en user mal : donc, même chez le sage, un mal contraire à ce bien peut se présenter et amener une tristesse modérée. 2° Bien que les gens vertueux puissent être sans péché grave, il ne s’en trouve pourtant aucun dont la conduite soit exempte de légers péchés selon la 1° épître de S. Jean (1,8) : “ Si nous prétendons n’avoir pas de péché nous nous égarons nous-mêmes. ” 3° Même si le vertueux n’a plus de péché, peut-être en a-t-il eu parfois et il fait bien de s’en affliger selon la deuxième épître aux Corinthiens (7,10) : “ La tristesse selon Dieu produit pour le salut un repentir durable. ” 4° On peut aussi, d’une manière fort louable, s’affliger du péché d’autrui. - La vertu morale, par conséquent, de la même façon qu’elle est compatible avec d’autres passions modérées par la raison, l’est aussi avec la tristesse.

Seconde raison. Les stoïciens étaient motivés par ce fait que la tristesse a pour objet un mal présent, et la crainte un mal futur, comme le plaisir a pour objet un bien présent, et le désir un bien futur. Or il peut être vertueux de jouir du bien qu’on a, de souhaiter celui qu’on n’a pas, et même se garder d’un mal futur. Mais avoir l’esprit accablé par un mal présent, ce qui est le fait de la tristesse, paraît absolument contraire à la raison et ne peut donc cœxister avec la vertu. - Mais cela non plus n’est pas raisonnable. Car il y a du mal, nous venons de le dire, qui peut être présent à l’homme vertueux. Ce mal, la raison le déteste. Par conséquent, l’appétit sensible ne fait que suivre la détestation de la raison lorsqu’il s’attriste de cette sorte de mal, modérément pourtant selon le jugement de la raison. Or, que l’appétit sensible se conforme à la raison, c’est là précisément la vertu, avons-nous dit. Donc, s’attrister modérément là où il y a lieu de s’attrister, c’est de la vertu, comme le dit aussi le Philosophe. Et c’est même utile pour éviter des maux, car, de même que nous cherchons le bien avec plus de promptitude à cause du plaisir, nous fuyons plus énergiquement les maux à cause de la tristesse.

Ainsi donc il faut conclure que la tristesse pour des choses qui s’accordent avec la vertu ne peut cœxister avec celle-ci parce que la vertu trouve son plaisir dans ce qui lui est propre. Mais tout ce qui s’oppose de quelque manière à la vertu attriste celle-ci avec mesure.

Solutions :

1. Il ressort de cette autorité que le sage n’a pas à s’attrister de la sagesse. Il s’attriste cependant de ce qui fait obstacle à la sagesse. Et c’est pourquoi dans les bienheureux, chez qui il ne peut y avoir aucun obstacle à la sagesse, il n’y a plus de place pour la tristesse.

2. La tristesse entrave l’action qui nous rend tristes, mais elle aide à exécuter plus promptement ce qui permet de fuir la tristesse.

3. La tristesse immodérée est une maladie de l’âme mais la tristesse modérée fait partie du bon équilibre de l’âme dans l’état de la vie présente.

 

            Article 4 — Est-ce que toute vertu morale concerne une passion ?

Objections :

1. Oui toujours, semble-t-il, puisque, au dire du Philosophe, “ les plaisirs et les tristesses sont la matière même de la vertu morale ” et que ce sont des passions.

2. La région du raisonnable par participation est en nous le siège des vertus morales. Mais c’est aussi dans cette partie de l’âme que sont les passions. Donc toute vertu conceme les passions.

3. Dans toutes les vertus morales on trouve une passion. Donc, ou bien toutes concernent les passions, ou bien aucune. Mais il y en a qui concernent les passions comme la vertu de force et celle de tempérance. Donc toutes les vertus morales concernent les passions.

En sens contraire, le Philosophe dit que la justice, qui est une vertu morale, ne concerne pas les passions.

Réponse :

La vertu morale perfectionne la puissance appétitive de l’âme en l’ordonnant au bien de la raison. Mais ce bien est ce qui est modéré et ordonné selon la raison. Aussi, dans tout ce qui se trouve être ordonné et modéré par la raison, il se trouve de la vertu morale. Or, la raison ne met pas seulement de l’ordre dans les passions de l’appétit sensible, elle en met aussi dans les opérations de cet appétit intellectuel qui est la volonté, laquelle n’est pas, nous l’avons dit, le siège de la passion. Et voilà pourquoi les vertus morales n’ont pas toutes pour matière les passions, mais certaines les passions, certaines les opérations.

Solutions :

1. Toute vertu morale ne regarde pas les plaisirs et les tristesses comme sa matière propre, mais comme quelque chose de consécutif à son acte propre. Car tout être vertueux se plaît dans l’acte de la vertu, et s’attriste dans le contraire. De là ce mot du Philosophe à la suite de ceux que cite l’objection : “ Les vertus ont bien pour matière les actions et les passions, mais toute passion, comme toute action, laisse après elle plaisir et tristesse, et à cause de cela la vertu s’étendra aux plaisirs et aux tristesses ”, comme à ce qui s’ensuit.

2. La région en nous du raisonnable par participation, ce n’est pas seulement l’appétit sensible, siège des passions ; c’est aussi la volonté, où il n’y a pas de passions, nous l’avons dit.

3. Les passions sont la matière propre de certaines vertus, mais non pas de certaines autres. Aussi ne peut-on raisonner de même pour toutes, comme nous le montrerons plus loin.

 

            Article 5 — Une vertu morale peut-elle exister sans passion ?

Objections :

1. C’est vraisemblable. Plus la vertu morale est parfaite, plus elle surmonte les passions. A son plus haut degré de perfection, elle est donc tout à fait en dehors des passions.

2. Quand une chose est éloignée de son contraire et de ce qui y porte, c’est alors qu’elle est parfaite. Mais les passions portent au péché qui est le contraire de la vertu ; l’Apôtre les nomme “ des passions de péchés ” (Rm 7,5). La vertu parfaite est donc tout à fait en dehors de la passion.

3. S. Augustin montre que par la vertu nous devenons conformes à Dieu. Mais Dieu fait tout sans passion. Donc la vertu la plus parfaite est en dehors de toute passion.

En sens contraire, il est dit dans l’Éthique qu’il n’est “ aucun juste qui ne se réjouisse de son action ”. Mais la joie est une passion. La justice ne peut donc exister sans passion. Et beaucoup moins les autres vertus.

Réponse :

Si nous appelons passions les affections désordonnées, comme l’ont fait les stoïciens, alors il est évident que la vertu parfaite est en dehors des passions. Mais si nous appelons passions tous les mouvements de l’appétit sensible, alors il est clair que les vertus qui concernent les passions comme leur propre matière ne peuvent exister sans passions. On comprend bien pourquoi. Si cela se produisait, la vertu morale aurait pour effet de rendre l’appétit sensible entièrement inactif. Or la vertu ne consiste pas en ce que les forces soumises à la raison s’abstiendraient de leurs actes propres, mais en ce qu’elles exécutent les ordres de la raison en accomplissant leurs actes propres. De même donc que la vertu ordonne les membres du corps aux actes extérieurs qu’ils doivent accomplir, de même elle ordonne l’appétit sensible à avoir ses propres mouvements bien réglés.

Quant aux vertus morales qui ont pour matière non les passions mais les opérations (et la justice est une vertu de cette sorte), elles peuvent exister sans les passions, puisque ces vertus appliquent la volonté à son acte propre qui n’est pas une passion. Cependant, l’acte de justice entraîne à sa suite, au moins dans la volonté, une joie qui n’est pas une passion. Pourtant, si cette joie se multiplie par la perfection de la justice, il se produira un rejaillissement de joie jusque dans l’appétit sensible, selon que les facultés inférieures suivent le mouvement des facultés supérieures, comme nous l’avons dit plus haut . Et ainsi, grâce à un tel rejaillissement, plus la vertu sera parfaite, plus elle causera de passion.

Solutions :

1. Les passions désordonnées, la vertu les surmonte ; les modérées, elle les suscite.

2. Si elles sont désordonnées, les passions induisent à pécher ; mais non si elles sont modérées.

3. En tout être, le bien est envisagé selon la condition de sa nature. Or en Dieu et dans les anges il n’y a pas comme chez nous d’appétit sensible. C’est pourquoi leur bonne action se passe tout à fait de la passion comme du corps, tandis que la nôtre s’accompagne de passion et recourt aux services du corps.

 

QUESTION 60 — LA DISTINCTION ENTRE LES VERTUS MORALES

1. N’y a-t-il qu’une seule vertu morale ? - 2. Les vertus morales qui concernent les opérations se distinguent-elles de celles qui concernent les passions ? - 3. Concernant les opérations, n’y a-t-il qu’une seule vertu morale ? - 4. Concernant les différentes passions, y a-t-il différentes vertus morales ? - 5. Les vertus morales se distinguent-elles selon les différents objets des passions ?

 

            Article 1 — N’y a-t-il qu’une seule vertu morale ?

Objections :

1. C’est ce qu’il semble, car dans la vie morale la direction appartient à la raison, siège des vertus intellectuelles ; de même l’inclination appartient à la puissance appétitive, siège des vertus morales. Mais il n’y a qu’une seule vertu intellectuelle de direction pour tous les actes de la vie morale : c’est la prudence. Donc il n’y a également qu’une seule vertu morale qui nous influence dans tous ces actes.

2. Les habitus ne se distinguent pas selon leurs objets matériels, mais selon leurs objets formels. Or la raison formelle du bien auquel est ordonnée la vertu morale est unique : c’est la mesure de raison. Il semble donc qu’il n’y ait qu’une vertu morale.

3. Les réalités morales, avons-nous dit, reçoivent leur espèce de leur fin. M ais la fin commune de toutes les vertus morales est unique, c’est la félicité ; quant aux fins propres et prochaines, elles sont infinies. Or les vertus morales ne sont pas infinies. C’est donc l’indice qu’il n’y a qu’une seule vertu morale.

En sens contraire, il n’est pas possible, avons-nous dit, qu’un seul habitus ait son siège en différentes puissances. Mais le sujet des vertus morales est la partie appétitive de l’âme qui, comme nous l’avons dit dans la première Partie, se distingue en différentes puissances. Il n’est donc pas possible qu’il y ait une seule vertu morale.

Réponse :

Les vertus morales, avons-nous dit, sont des habitus de la partie appétitive de l’âme. Or les habitus, avons-nous dit aussi . diffèrent d’espèce selon les différences spécifiques des objets. Mais l’espèce d’un objet désirable, comme du reste celui de n’importe quelle réalité, dépend de la forme spécifique, laquelle à son tour dépend de l’agent.

Or il est à remarquer que la matière du patient s’offre à l’agent de deux façons. Parfois elle reçoit de lui la forme sous le même aspect, tel que cette forme est dans l’agent, comme c’est le cas de toutes les causes univoques. Et il est nécessaire alors, si l’agent est d’une seule espèce, que la matière reçoive une forme d’une seule espèce ; ainsi le feu n’engendre univoquement qu’une réalité existant dans l’espèce du feu. - Mais parfois la matière reçoit de l’agent la forme autrement que sous la raison où elle existe chez lui ; cela se voit dans le cas des générations qui ne sont pas univoques, comme lorsqu’un animal est engendré par le soleil. Et alors les formes reçues dans la matière sous l’influence du même agent ne sont pas d’une seule espèce mais se diversifient suivant les diverses dispositions que peut avoir la matière à recevoir l’influx de l’agent ; ainsi voyons-nous que sous l’action unique du soleil s’engendrent dans une matière en putréfaction et suivant ses diverses aptitudes, des animaux d’espèces différentes.

Or, dans la vie morale, il est évident que la raison a le rôle de commander et de mouvoir, la puissance appétitive celui d’être commandée et d’être mue. L’appétit ne reçoit cependant pas l’impression de la raison d’une manière univoque, puisqu’il ne devient pas du rationnel par essence, mais par participation, selon le mot de l’Éthique. De là vient que les objets de notre appétit, selon le mouvement imprimé par la raison, se constituent en espèces différentes selon la diversité de leurs rapports avec la raison. Et il en découle que les vertus morales sont d’espèces variées et qu’il n’y a pas qu’une seule vertu morale.

Solutions :

1. L’objet de la raison c’est le vrai. Mais il n’y a qu’une sorte de vrai dans toutes les réalités morales, puisque celles-ci ne sont que des actions contingentes. Donc il n’y a en elles qu’une seule vertu directrice, qui est la prudence. - Mais l’objet de l’appétit c’est le bien désirable. Or ce bien se présente sous des aspects divers, selon la diversité même du rapport à la raison directrice.

2. Cet aspect formel des objets a une unité générique, à cause de l’unité de l’agent ; mais une diversité spécifique, à cause de l’aptitude différente des sujets récepteurs, nous venons de le dire.

3. Dans les réalités morales l’espèce dépend non de la fin ultime mais des fins les plus proches ; et, s’il est vrai que ces fins sont infinies en nombre, elles ne sont pas infinies en espèce.

 

            Article 2 — Les vertus morales qui concernent les opérations se distinguent-elles de celles qui concernent les passions ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y a pas là de quoi distinguer les vertus les unes des autres. Le Philosophe dit que la vertu morale est “ faite pour opérer dans les plaisirs et dans les tristesses ce qu’il y a de meilleur ”. Mais les plaisirs et les tristesses sont des passions. Donc la même vertu qui concerne les passions concerne aussi les opérations, car elle existe pour agir.

2. Les passions sont les principes des opérations extérieures. Donc, s’il y a des vertus qui rectifient les passions, il faut qu’elles rectifient aussi par voie de conséquence les opérations. Ce sont donc les mêmes vertus pour les unes que pour les autres.

3. A toute opération extérieure correspond un mouvement de l’appétit sensible, bon ou mauvais. Mais les mouvements de l’appétit sensible sont des passions. Donc les mêmes vertus qui regardent les opérations regardent aussi les passions.

En sens contraire, le Philosophe attribue la justice aux opérations ; la tempérance, la force et la douceur, à certaines passions.

Réponse :

L’opération et la passion peuvent se rattacher à la vertu de deux façons :

1° Comme son effet. En ce sens, toute vertu morale a quelques activités bonnes qu’elle produit, et elle engendre du plaisir ou de la tristesse, qui sont des passions.

2° L’opération peut être rattachée à la vertu morale comme la matière que celle-ci concerne. Et de ce point de vue, il faut des vertus morales concernant les opérations, différentes de celles qui concernent les passions. La raison en est que réellement, dans certaines opérations, le bien et le mal dépendent des opérations elles-mêmes, quels que soient les sentiments qu’on y apporte ; c’est-à-dire que dans ces cas-là le bien comme le mal est pris selon une raison de juste adaptation à autrui. Et dans ces conditions, il faut qu’il y ait une vertu capable de diriger pour elles-mêmes des opérations comme l’achat et la vente, et toutes celles du même genre où l’on tient compte de ce qui est dû ou non, à soi ou à autrui. C’est pour cela que la justice et ses différentes parties sont appliquées à juste titre à des opérations comme à leur matière propre. - En revanche, dans certaines opérations, le bien, comme le mal, dépend uniquement d’une juste adaptation à celui qui opère. Et c’est pourquoi il faut alors considérer le bien et le mal d’après les dispositions affectives bonnes ou mauvaises qu’on y apporte. A cause de cela aussi, il faut que les vertus en pareille matière soient occupées principalement de ces affections intérieures qu’on appelle les passions de l’âme, comme on le voit pour la tempérance, la force et les autres du même genre.

Il peut se faire d’ailleurs que dans les opérations concernant autrui, le bien de la vertu soit mis de côté à cause d’une passion déréglée qu’on porte en soi. Et alors, en tant que l’équilibre de l’opération extérieure est détruit, il y a destruction de la justice ; mais en tant qu’est détruit l’équilibre des passions intérieures, il y a destruction d’une autre vertu. Ainsi, quand on frappe quelqu’un par colère, les coups injustifiés détruisent la justice tandis que l’excès de colère détruit la douceur. Et la même chose se voit pour d’autres vertus.

Solutions :

Par là on voit la réponse aux objections. Car la première prend l’opération comme effet de la vertu. Les deux autres partent de ce fait que l’opération et la passion concourent à une même œuvre. Mais dans certains cas la vertu est principalement appliquée à l’opération, dans certains à la passion, pour la raison que nous venons de dire.

 

            Article 3 — Concernant les opérations, n’y a-t-il qu’une seule vertu morale ?

Objections :

1. On le dirait car, dans toutes les opérations extérieures, la rectitude paraît être affaire de justice. Mais il n’y a qu’une seule vertu de justice, donc une seule vertu concemant les opérations.

2. Les opérations qui diffèrent le plus entre elles sont, semble-t-il, celles qui sont ordonnées au bien de l’individu, et celles qui sont ordonnées au bien de la multitude. Mais cette diversité même ne diversifie pas les vertus morales. Le Philosophe affirme en effet que la justice légale qui ordonne les actes des hommes au bien commun n’est pas différente, si ce n’est par une distinction de raison, de la vertu qui ordonne les actes de l’homme à un seul bien. Donc la diversité des opérations ne cause pas celle des vertus morales.

3. Si les vertus morales étaient aussi diverses que les opérations, il faudrait qu’à la diversité de celles-ci correspondît parfaitement la diversité de celles-là. Mais c’est évidemment faux, car il appartient à la justice, comme on le voit dans l’Éthique d’établir la rectitude dans les échanges de toutes sortes et aussi dans les distributions. Donc la diversité des vertus ne répond pas à celle des opérations.

En sens contraire, la religion est une autre vertu que la piété filiale, et pourtant toutes les deux sont appliquées à des opérations.

Réponse :

Toutes les vertus morales concernant des opérations se rejoignent dans une certaine raison générale de justice, envisagée par rapport à la dette envers autrui ; mais elles se distinguent selon les diverses raisons spéciales à chacune. Et le motif en est que dans les opérations extérieures l’ordre de raison s’établit, comme nous l’avons dit, non point en proportion des affections du sujet mais d’après ce qui est proportionné à la réalité en elle-même ; exigences sur lesquelles est fondée la notion de dette d’où dérive celle de justice ; car le rôle de la jutice, semble-t-il, est que chacun s’acquitte de ce qu’il doit. Aussi toutes ces vertus concernant des opérations extérieures ont-elles d’une certaine manière raison de justice. Mais ce qu’on doit n’a pas la même raison pour toutes. On doit autrement à un égal, autrement à un supérieur, autrement à un inférieur ; autrement par suite d’un pacte, ou d’une promesse, ou d’un bienfait reçu. Et ces différents titres de dette donnent lieu à différentes vertus. Ainsi la religion est la vertu par laquelle nous rendons ce qui est dû à Dieu ; la piété filiale, celle par laquelle nous rendons ce qui est dû aux parents et à la patrie ; la gratitude, la vertu par laquelle nous rendons ce qui est dû aux bienfaiteurs, et ainsi des autres vertus.

Solutions :

1. La justice proprement dite est une vertu spéciale, fondée sur la parfaite raison de dette, celle qui peut être acquittée suivant une exacte équivalence. Cependant, on donne aussi par extension le nom de justice à tout acquittement d’une dette, et en ce sens la justice n’est plus une vertu spéciale.

2. La justice qui vise le bien commun est une autre vertu que la justice ordonnée au bien particulier d’un individu, d’où la distinction entre droit commun et droit privé ; et Cicéron fait de la piété qui nous conforme au bien de la patrie, une vertu spéciale. - Toutefois, la justice qui ordonne l’homme au bien commun est générale par l’empire qu’elle exerce, puisqu’elle ordonne tous les actes des vertus vers ce qui est sa fin, c’est-à-dire vers le bien commun. Or une vertu, selon qu’elle est commandée par une telle justice, reçoit aussi le nom de justice. Et en ce sens elle ne diffère de la justice légale que par une distinction de raison entre la vertu qui opère par elle-même, et celle qui opère en obéissant à une autre.

3. Dans toutes les opérations se rapportant à la justice spéciale, le titre de la dette est le même. Et c’est pourquoi la vertu de justice est la même, principalement en matière d’échange. En effet, la justice distributive est peut-être d’une autre espèce que la justice commutative, mais c’est une question qui se posera plus tard.

 

            Article 4 — Concernant les différentes passions, y a-t-il différentes vertus morales ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la diversité des passions entraîne celle des vertus morales. En effet, pour des choses qui ont même principe et même fin, il n’y a qu’un seul habitus, comme cela se voit surtout dans les sciences. Mais toutes les passions n’ont qu’un seul principe, l’amour ; et toutes se terminent à la même fin, le plaisir ou la tristesse, comme on l’a vu précédemment. Il n’y a donc pour elles toutes qu’une seule vertu morale.

2. Si à la diversité des passions répondait celle des vertus, il y aurait par suite autant de vertus morales que de passions. Mais cela est évidemment faux puisque, concernant les passions opposées, il y a une seule et même vertu morale, comme la force dans les audaces et dans les craintes, la tempérance dans les plaisirs et dans les tristesses. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait correspondance entre les diversités des passions et celles des vertus morales.

3. L’amour, la convoitise et le plaisir sont, comme nous l’avons établi plus haut, des passions d’espèces différentes. Mais pour elles toutes il y a une vertu unique, la tempérance. Donc les vertus morales ne sont pas diversifiées par les passions.

En sens contraire, il est dit dans l’Ethique que la force concerne les craintes ; la tempérance, les convoitises ; la douceur, les colères.

Réponse :

On ne peut pas dire qu’il y ait une seule vertu morale pour toutes les passions, car il y a des passions qui se rapportent à des puissances différentes, et en effet celles de l’irascible sont différentes de celles du concupiscible. Et cependant cela n’entraîne pas que toute diversité de passions suffise à diversifier les vertus morales :

1° Parce qu’il y a des passions qui sont opposées entre elles comme de véritables contraires : joie et tristesse, crainte et audace, et d’autres encore. Et à l’égard des passions opposées de cette façon il faut qu’il y ait une seule et même vertu. En effet, puisque la vertu morale consiste dans un certain équilibre, le juste milieu entre des passions contraires s’établit selon une même raison, comme dans les choses de la nature c’est le même milieu qui se trouve entre les contraires, par exemple entre le blanc et le noir.

2° Parce qu’il se trouve des passions diverses qui s’opposent à la raison de la même manière, par exemple en donnant de l’impulsion vers ce qui est contraire à la raison ou de l’éloignement pour ce qui est conforme à la raison. Et c’est pour cela que les différentes passions de la convoitise ne se rapportent pas à des vertus morales différentes, parce que leurs mouvements s’enchaînent les uns aux autres suivant un certain ordre, du fait qu’ils sont ordonnés au même but, c’est-à-dire à la poursuite du bien ou à la fuite du mal ; ainsi de l’amour découle la convoitise, et de la convoitise on en vient à la délectation. Et l’enchaînement est le même pour les mouvements opposés ; la haine est suivie d’éloignement ou de répulsion, qui conduit à la tristesse. Mais les passions de l’irascible ne font pas partie d’un ordre unique. Elles sont ordonnées à des buts différents ; la crainte et l’audace à un grand danger ; l’espoir et le désespoir à un bien ardu ; la colère à surmonter quelque chose de contraire qui nous a nui. Et c’est pourquoi ce sont des vertus diverses qui mettent de l’ordre dans ces passions : la tempérance aux passions du concupiscible ; la force aux craintes et aux audaces ; la magnanimité à l’espoir et au désespoir ; la douceur aux colères.

Solutions :

1. Les passions se rencontrent toutes dans l’unité d’un principe et d’une fin communes, mais non dans l’unité d’un principe ni d’une fin propre. Ainsi ce genre de rapprochement ne suffit-il pas pour réduire à l’unité la vertu morale.

2. Dans les réalités de la nature le même principe permet de passer d’un extrême à l’autre ; et dans le domaine de la raison, les contraires appartiennent au même genre. De même aussi la vertu morale qui obéit à la raison à la manière d’une nature, est la même en face de passions opposées.

3. Ces trois passions-là sont ordonnées au même objet suivant un certain ordre, on vient de le dire. Et c’est pourquoi elles se rattachent à la même vertu morale.

 

            Article 5 — Les vertus morales se distinguent-elles selon les différents objets des passions ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, les passions ont leurs objets comme les opérations ont les leurs. Mais les vertus morales concernant les opérations ne se distinguent pas d’après les objets de celles-ci ; car il appartient à la même vertu de justice d’acheter aussi bien que de vendre une maison aussi bien qu’un cheval. Donc les vertus morales concernant les passions ne se diversifient pas davantage d’après les objets de celles-ci.

2. Les passions sont des actes ou des mouvements de l’appétit sensible. Mais il faut une plus grande diversité pour distinguer des habitus que pour distinguer des actes. Par conséquent, des objets qui ne constituent pas des espèces diverses de passions ne constitueront pas des espèces diverses dans une vertu morale. C’est ainsi qu’il y aura pour tout ce qui est objet de délectation une seule vertu morale, et pareillement pour les autres objets des passions.

3. Le plus et le moins ne diversifient pas l’espèce. Mais les divers objets de délectation diffèrent uniquement selon le plus et le moins. Ils se rattachent donc tous à une seule espèce de vertu. Il en est de même de tous les objets de crainte, et semblablement des autres. La vertu morale ne se distingue donc pas d’après les objets des passions.

4. De même que la vertu est capable de faire le bien, elle est capable aussi d’empêcher le mal. Mais pour les convoitises des biens il y a des vertus diverses : la tempérance pour celles qui regardent les plaisirs du toucher, l’eutrapélie dans les plaisirs du jeu. Donc pour les craintes des maux il doit y avoir aussi des vertus diverses.

En sens contraire, la chasteté concerne les plaisirs sexuels ; l’abstinence, les plaisirs de la table ; et l’eutrapélie, les plaisirs du jeu.

Réponse :

La perfection de la vertu dépend de la raison ; celle de la passion, de l’appétit sensible lui-même. Il faut donc que les vertus soient diversifiées selon leur ordre à la raison, les passions selon leur ordre à l’appétit. Donc les objets des passions, selon qu’ils sont ordonnés diversement à l’appétit sensible, causent diverses espèces de passions ; mais selon qu’ils se rattachent diversement à la raison, ils causent diverses espèces de vertus. Or le mouvement de la raison n’est pas le même que celui de l’appétit sensible. C’est pourquoi rien n’empêche qu’une différence d’objets ne cause une diversité de passions sans causer une diversité de vertus, comme lorsqu’il y a une seule vertu pour plusieurs passions, nous venons de le dire ; et rien n’empêche non plus qu’une différence d’objets ne cause une diversité de vertus sans causer une diversité de passions, comme lorsque plusieurs vertus sont ordonnées à une même passion, la délectation par exemple.

Et parce que les diverses passions, en se rapportant à différentes puissances, se rapportent toujours, avons-nous dit, à des vertus différentes, la diversité des objets, lorsqu’elle intéresse précisément les puissances, diversifie toujours les espèces de vertus ; ainsi la différence entre ce qui est bon de façon absolue et ce qui est bon en présentant de la difficulté. - En outre, parce que la raison gouverne dans un certain ordre les facultés inférieures et s’étend même aux réalités extérieures, il s’ensuit qu’un même objet de passion, selon qu’il est perçu par les sens ou par l’imagination ou encore par la raison, et aussi selon qu’il appartient à l’âme, au corps ou aux réalités extérieures, présente un rapport différent à la raison, et par conséquent est de nature à diversifier les vertus. Donc, le bien de l’homme, qui est tour à tour objet d’amour, de convoitise et de plaisir, peut être pris soit comme se rapportant aux sensations du corps, ou aux perceptions intérieures de l’âme. Et cela, qu’il soit ordonné au bon développement de l’homme en lui-même quant au corps ou quant à l’âme, ou qu’il soit ordonné au bien de l’homme par rapport à autrui. De telles diversités, parce qu’elles représentent des différences dans la subordination à la raison, font toujours des différences dans la vertu.

Ainsi donc, s’il s’agit d’un bien perçu par le toucher et intéressant le maintien de la vie humaine dans l’individu ou dans l’espèce, comme sont les plaisirs de la table et les plaisirs sexuels, il se rattachera à la vertu de tempérance. Pour ce qui est des plaisirs des autres sens, comme ils ne sont pas violents, ils ne mettent pas la raison en difficulté, et c’est pourquoi ils ne font l’objet d’aucune vertu, la vertu portant toujours, comme l’art, sur quelque chose de difficile, selon l’Éthique.

Quant au bien perçu non par la sensation mais par une faculté intérieure, s’il intéresse seulement l’individu en lui-même, c’est quelque chose comme l’argent et l’honneur ; de soi l’argent a pour but le bien du corps, tandis que dans l’honneur réside une prise de conscience de l’âme. Et ces biens-là peuvent être envisagés soit absolument, ce qui les rattache au concupiscible, soit sous un aspect ardu, ce qui les rattache à l’irascible. Distinction qu’il n’y a pas lieu de faire dans les biens qui sont l’objet des plaisirs du toucher, parce que ceux-ci sont du niveau le plus bas et qu’ils conviennent à l’homme en ce qu’il a de commun avec les bêtes. - Donc, en matière d’argent, si l’on prend ce bien absolument en tant qu’il est simple objet de convoitise ou de plaisir ou d’amour, il y a libéralité. Mais, si l’on prend cette sorte de bien sous son aspect ardu, en tant qu’il est objet d’espérance, il est l’objet de la magnificence. - D’autre part, en matière d’honneur, si le bien est pris absolument, comme simple objet d’amour, il y a une vertu qui a nom la “ philotimie ”, ou l’amour de l’honneur. Si au contraire ce bien est considéré sous son aspect ardu, comme objet d’espérance, il y a ainsi matière à magnanimité. De sorte que nous mettons la libéralité et la “ philotimie ” dans le concupiscible, au lieu que la magnificence et la magnanimité sont dans l’irascible.

Quant au bien qui ordonne à autrui, il n’a pas aspect de bien ardu, mais il est accueilli comme un bien pris absolument, pour autant qu’il est l’objet des passions du concupiscible. Ce peut être effectivement pour quelqu’un un véritable plaisir que de se donner soi-même à autrui, tantôt dans les affaires sérieuses de la vie, c’est-à-dire dans les actions ordonnées par la raison en vue d’une fin à laquelle on est obligé ; tantôt dans ce qui se fait par jeu, c’est-à-dire dans les actions ordonnées uniquement au plaisir, et qui n’ont pas avec la raison le même rapport. Dans les affaires sérieuses, quelqu’un a deux manières de se livrer aux autres. L’une consiste à se montrer agréable par la politesse des paroles et des procédés, et ceci se rapporte à une certaine vertu qu’Aristote nomme “ l’amitié ” ; on peut aussi l’appeler amabilité. L’autre manière consiste à se montrer franchement dans ce qu’on dit et dans ce qu’on fait, et cela appartient à une autre vertu que le Philosophe nomme “ la vérité ”. On est en effet plus près de la raison par la franchise que par l’affabilité. De même, on est plus près de la raison par le sérieux de la vie que par le jeu. De là vient que les plaisirs du jeu sont matière à une vertu, que le Philosophe nomme “ eutrapélie ”.

Ainsi on voit que, d’après Aristote, il y a dix vertus morales en matière de passions : la force, la tempérance, la libéralité, la magnificence, la magnanimité, la philotimie, l’affabilité, l’amitié, la vérité et l’eutrapélie. Et ces vertus se distinguent selon la diversité des matières, soit d’après celle des passions, soit d’après celle des objets. - Donc, si vous ajoutez la justice, qui est la vertu concernant les opérations, les vertus morales seront onze en tout.

Solutions :

1. Dans une même espèce d’opération, tous les objets ont le même rapport à la raison ; mais non tous les objets d’une même espèce de passion ; c’est parce que les opérations ne s’opposent pas à la raison comme les passions.

2. Les passions, nous l’avons dit, se diversifient à un autre titre que les vertus.

3. Le plus et le moins ne diversifient pas l’espèce, à moins qu’ils ne marquent un rapport différent avec la raison.

4. Le bien est plus fort pour mouvoir que le mal, puisque le mal n’agit que par la force du bien, selon Denys. C’est pourquoi le mal ne fait pas à la raison de difficulté spéciale exigeant une vertu, à moins qu’il ne soit vraiment exceptionnel, ce qui n’a lieu qu’une fois, semble-t-il, dans chaque genre de passion. Aussi, concernant les colères, on ne met qu’une vertu, la mansuétude ; et pareillement concernant les audaces, une seule vertu, la force. - Mais le bien, lui, apporte sa difficulté qui exige la vertu, même s’il ne représente pas ce qu’il y a de plus élevé dans le genre de telle ou telle passion. C’est pour cela que diverses vertus morales concernent les convoitises, nous venons de le dire.

 

QUESTION 61 — LES VERTUS CARDINALES

1. Les vertus morales doivent-elles être appelées cardinales ou principales ? - 2. Leur nombre. - 3. Quelles sont-elles ? - 4. Diffèrent-elles les unes des autres ? - 5. Peut-on admettre leur division en vertus sociales, vertus purgatives, vertus d’âme purifiée, vertus exemplaires ?

 

            Article 1 — Les vertus morales doivent-elles être appelées cardinales ou principales ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car il est dit au livre des Prédicaments que “ les choses qui s’opposent dans une division sont ensemble dans la réalité ”, et ainsi aucune n’est plus primordiale qu’une autre. Mais toutes les vertus divisent leur genre en s’opposant. Donc aucune d’entre elles ne doit être appelée principale.

2. La fin est plus primordiale que les moyens. Mais les vertus théologales regardent la fin ; les vertus morales, les moyens. Si des vertus doivent être dites principales ou cardinales, ce ne sont donc pas les vertus morales, mais plutôt les théologales.

3. Ce qui existe par essence est plus primordial que ce qui existe par participation. Mais les vertus intellectuelles appartiennent à ce qui est rationnel par essence ; les vertus morales à ce q.ui est rationnel par participation, on l’a dit plus haut. Ce ne sont donc pas les vertus morales qu’on doit appeler principales, mais plutôt les vertus intellectuelles.

En sens contraire, “ nous savons bien, dit S. Ambroise, qu’il y a quatre vertus cardinales : la tempérance, la justice, la prudence et la force ”. Or ce sont là des vertus morales. Donc il y a des vertus morales qui sont cardinales.

Réponse :

Quand nous parlons de la vertu sans plus, il est entendu que nous parlons de la vertu humaine. Or on appelle vertu humaine dans la parfaite acception du terme, avons-nous dit d . celle qui requiert la rectitude de l’appétit ; en effet, cette vertu-là ne produit pas seulement la faculté de bien agir, mais elle cause aussi l’exercice même de l’œuvre bonne. Au contraire, dans le sens imparfait du mot, on appelle vertu celle qui ne requiert pas la rectitude de l’appétit, parce qu’elle produit seulement la faculté de bien agir, mais ne cause pas l’exercice même de l’œuvre bonne.

Or il est certain que le parfait est plus primordial que l’imparfait. Voilà pourquoi les vertus qui assurent la rectitude de l’appétit sont appelées principales. Mais telles sont les vertus morales ; et parmi les vertus intellectuelles, la prudence seule, parce qu’elle aussi est en quelque façon une vertu morale par sa matière, comme on l’a montré plus haut. C’est donc parmi les vertus morales que se placent à juste titre celles qu’on appelle principales ou cardinales.

Solutions :

1. Quand c’est un genre univoque qui est partagé en ses espèces, alors les membres de la division sont ex aequo dans la notion du genre, bien que dans la réalité des choses une espèce soit plus primordiale et plus parfaite, comme l’homme par rapport aux autres animaux. Mais quand c’est un analogue qu’on divise, en l’attribuant de façon inégale à plusieurs réalités, alors rien n’empêche que l’une soit plus primordiale qu’une autre, même selon la raison commune, comme la substance est appelée être à un titre plus primordial que l’accident. Telle est précisément la division des vertus dans les divers genres où elles se distribuent, du fait que le bien de la raison ne se rencontre pas en toutes selon le même ordre.

2. Nous l’avons déjà dit les vertus théologales sont au-dessus de l’homme. C’est pourquoi elles sont dites non pas proprement humaines mais surhumaines ou divines.

3. Les vertus intellectuelles, autres que la prudence, sont plus primordiales que les vertus morales quant à leur sujet, mais non quant à la raison de vertu puisque celle-ci regarde le bien qui est l’objet de l’appétit.

 

            Article 2 — Le nombre des vertus cardinales

Objections :

1. Il ne semble pas qu’il y en ait quatre. La prudence est en effet la vertu qui a la direction des autres vertus morales. Or ce qui a la direction des autres est plus primordial. Donc la prudence est la seule vertu principale.

2. Les vertus principales sont morales en quelque manière. Mais nous sommes ordonnés aux activités morales par la raison pratique et un appétit bien réglé, selon Aristote. Il n’y a donc que deux vertus cardinales.

3. Même parmi les vertus autres que ces quatre, l’une est plus primordiale que l’autre. Mais pour qu’une vertu soit appelée piàncipale par rapport à toutes les autres, il suffit qu’elle le soit par rapport à quelques-unes. Il semble donc qu’il y a un nombre beaucoup plus grand de vertus principales.

En sens contraire, S. Grégoire dit que “ sur ces quatre vertus se dresse tout l’édifice d’une œuvre bonne ”.

Réponse :

Le nombre de certaines choses peut être établi soit d’après les principes formels soit d’après les sujets. D’une manière comme de l’autre on trouve quatre vertus cardinales.

Le principe formel de la vertu dont nous parlons pour le moment, c’est le bien de la raison. Bien qui peut être envisagé de deux façons. 1° Selon qu’il consiste dans l’application même de la raison ; et on a ainsi une vertu principale qui s’appelle la prudence. - 2° Selon qu’il y a dans une matière donnée un ordre de raison. Et cela, soit en matière d’opérations, et ainsi c’est la justice ; soit en matière de passions, et à cet égard il est nécessaire qu’il y ait deux vertus. Car, pour mettre un ordre de raison dans les passions, il est nécessaire de considérer leur opposition envers la raison. Cette opposition peut exister de deux manières : selon que la passion pousse à quelque chose de contraire à la raison ; alors il est nécessaire que la passion soit réprimée, de là vient le nom de la tempérance ; ou selon que la passion éloigne de ce qui est dicté par la raison, comme fait la peur du péril ou de la peine ; dans ce cas il est nécessaire qu’on soit bien affermi dans ce qui convient à la raison, pour ne pas s’en éloigner ; et de là vient le nom de la force.

Pareillement, d’après les sujets, on trouve le même nombre. Car il n’y a pas moins de quatre sujets à cette vertu dont nous parlons. Ce sont le rationnel par essence, dont la perfection est assurée par la prudence ; et le rationnel par participation qui se divise en trois, c’est-à-dire en volonté, siège de la justice ; en concupiscible, siège de la tempérance ; et en irascible, siège de la force.

Solutions :

1. La prudence est absolument principale par rapport à toutes les vertus. Mais les autres tiennent une place principale, chacune dans son genre.

2. Le rationnel par participation se divise en trois, comme on vient de le dire.

3. Toutes les autres vertus dont l’une est plus primordiale q,u’une autre, se ramènent à ces quatre vertus, et quant au sujet, et quant aux objets formels.

 

            Article 3 — Quelles sont les vertus cardinales ?

Objections :

1. Il semble que d’autres vertus mériteraient davantage d’être appelées principales. Car ce qu’il y a de plus grand dans chaque genre, c’est là le principal, semble-t-il. Mais, comme il est dit dans l’Éthique, “ la magnanimité met de la grandeur en toute vertu ”. Elle doit donc au plus haut degré être appelée vertu principale.

2. Ce qui donne de la fermeté aux autres vertus semble bien être par excellence la vertu principale. Mais telle est l’humilité, car S. Grégoire affirme : “ Celui qui amasse les autres vertus sans l’humilité, c’est comme s’il portait de la paille au vent. ” L’humilité semble donc être au plus haut point la vertu principale.

3. Le plus parfait semble bien être le principal. Mais le plus parfait c’est la patience ; selon l’épître de S. Jacques (1,4), “ la patience fait une œuvre parfaite ”. Elle doit donc être comptée comme vertu principale.

En sens contraire, Cicéron dans sa Rhétorique ramène toutes les autres à ces quatre vertus.

Réponse :

Comme on vient de le dire à l’article précédent, ces quatre vertus cardinales sont prises selon quatre aspects qui sont vraiment formels dans la vertu dont nous parlons. Or, il est certain qu’il y a des actes ou des passions où ces aspects formels se rencontrent d’une manière principale. Ainsi, le bien qui consiste dans l’attention prêtée à la raison se rencontre principalement dans le commandement même de la raison, mais non dans le conseil ni dans le jugement, comme nous l’avons dit plus haut. Pareillement, le bien de raison tel qu’il a sa place dans les opérations sous l’aspect de rectitude et de dû, se rencontre à titre principal dans les échanges ou dans les distributions, parce que ce sont là des opérations qui s’adressent à autrui dans l’égalité. Le bien qu’il y a à réfréner les passions se trouve principalement dans celles qui sont le plus difficiles à réprimer, c’est-à-dire dans les plaisirs du toucher. Le bien qu’il y a dans la fermeté à tenir au bien de la raison contre l’assaut des passions, se rencontre surtout dans les périls de mort contre lesquels il est très difficile de tenir bon.

Ainsi donc nous pouvons considérer de deux manières ces quatre vertus. D’abord, en prenant les aspects formels dans un sens très général. De ce point de vue, elles sont appelées principales comme s’étendant généralement à toutes les vertus, en ce sens que toute vertu qui fait le bien en prêtant attention à la raison, sera appelée prudence ; que toute vertu qui met dans les opérations la perfection de ce qui est dû et de ce qui est droit, sera appelée justice ; que toute vertu qui contient les passions et les apaise, sera appelée tempérance ; que toute vertu qui met dans l’âme de la fermeté contre n’importe quelle passion, sera appelée force. C’est ainsi que beaucoup parlent de ces vertus-là, tant parmi les saints docteurs que parmi les philosophes. Et de la sorte les autres vertus sont englobées dans celles-là. - Ainsi tombent toutes les Objections.

Mais on peut prendre les choses autrement, selon que ces vertus tirent leur dénomination de ce qu’il y a de plus important dans chaque matière. En ce sens, ce sont des vertus spéciales, bien distinctes des autres. Cependant on les appelle principales par rapport aux autres, à cause du caractère primordial de leur matière : la prudence est appelée ainsi pour sa fonction de direction ; la justice parce qu’eue concerne les actions qui sont dues entre égaux ; la tempérance parce qu’elle réprime les convoitises des plaisirs du touchera ; la force parce qu’elle rend très ferme contre les périls de mort. - Et ainsi tombent également les Objections, parce que d’autres vertus peuvent avoir quelques autres supériorités, mais celles-là sont appelées primordiales en raison de la matière, dans le sens que nous venons de dire.

 

            Article 4 — Les vertus cardinales diffèrent-elles les unes des autres ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’elles soient des vertus diverses, et distinctes les unes des autres. S. Grégoire dit en effet : “ La prudence n’est pas véritable si elle n’est pas juste, tempérante et forte ; ni la tempérance n’est parfaite, si elle n’est pas forte, juste et prudente ; ni la force n’est complète si elle n’est pas prudente, tempérante et juste ; ni la justice n’est véritable si elle n’est pas prudente, forte et tempérante. ” Or ceci n’arriverait pas si ces quatre vertus étaient distinctes entre elles, car les diverses espèces d’un même genre ne se dénomment pas les unes par les autres. Donc ces vertus ne se distinguent pas entre elles.

2. Lorsque des choses sont bien distinctes entre elles, ce qui appartient à l’une n’est pas attribué à l’autre. Mais ce qui appartient à la tempérance est attribué à la force. S. Ambroise écrit en effet : “ Quand quelqu’un arrive à se vaincre et qu’aucune séduction ne l’amollit ni ne le fait fléchir, à juste titre on appelle cela de la force. ” De la tempérance encore il dit “ qu’elle garde la mesure et l’ordre dans tout ce que nous estimons devoir faire ou dire ”. Il semble donc que ces vertus ne sont pas distinctes entre elles.

3. Le Philosophe dit que tout ceci est requis pour la vertu : “ Premièrement, si l’on sait ce qu’on fait ; ensuite, si l’on choisit de le faire et si l’on choisit pour tel but ; troisièmement, si l’on s’y tient fermement et immuablement et qu’on le fasse. ” Mais de ces exigences la première se rapporte, semble-t-il, à la prudence qui est la droite règle de l’action ; la deuxième, choisir, appartient à la tempérance, qui fait agir non par passion mais par choix, après avoir réfréné les passions ; la troisième, agir effectivement en vue du devoir, englobe une rectitude qui semble bien se rapporter à la justice ; quant à l’autre élément, fermeté et immutabilité, il appartient à la force. Donc n’importe laquelle de ces vertus est commune à toutes les vertus. Donc elles ne se distinguent pas les unes des autres.

En sens contraire, S. Augustin assure que “ la vertu est nommée de quatre manières d’après la variété qu’il y a dans le sentiment même de l’amour ”. et aussitôt après il parle de ces vertus. Donc ces quatre vertus sont distinctes les unes des autres.

Réponse :

Comme on vient d’en faire la remarque, ces quatre vertus sont prises dans une double acception par différents auteurs.

Certains, en effet, les considèrent comme signifiant des conditions générales de l’âme humaine qui se retrouvent dans toutes les vertus ; en ce sens, la prudence ne serait rien d’autre qu’une certaine rectitude de discernement dans n’importe quels actes ou n’importe quelles matières ; la justice serait la rectitude par laquelle on fait ce qu’on doit en toute matière ; la tempérance serait la disposition qui impose une mesure à toutes les sortes de passions et d’opérations, pour éviter qu’elles ne soient emportées au-delà de ce qui est dû ; la force enfin serait la disposition d’âme par laquelle on est affermi dans ce qui est conforme à la raison, en résistant à l’assaut des passions et aux fatigues de l’activité. Ainsi distinguées, ces quatre dispositions n’impliquent pas une diversité d’habitus vertueux quant à la justice, à la tempérance et à la force. Car toute vertu morale du fait qu’elle est un habitus, doit avoir une certaine fermeté pour n’être pas ébranlée par ce qui lui est contraire ; cela, on l’a dit, ressortit à la force. Mais du fait qu’elle est une vertu, il lui appartient d’être ordonnée au bien qui implique la raison de rectitude et de dette ; et l’on disait que cela ressortit à la justice. Et du fait qu’elle est une vertu morale participant de la raison, il lui appartient de garder en tout la mesure de la raison et de ne pas s’étendre au-delà ; on disait que cela ressortit à la tempérance. Mais le fait d’observer du discernement, qu’on attribuait à la prudence, était le seul principe de distinction à l’égard des trois autres vertus, en tant que par essence cela relève de la raison ; au contraire les trois autres domaines de vertu impliquent une participation de la raison par son application aux passions ou aux activités. Ainsi donc, selon cette position, la prudence serait bien une vertu distincte des trois autres ; mais celles-ci ne se distingueraient pas entre elles, car il est évident qu’une seule et même vertu est tout ensemble habitus, vertu, et vertu morale.

Mais d’autres, et leur position est meilleure, considèrent ces quatre vertus en tant que déterminées à des matières spéciales. Chacune d’elles a une seule matière où l’on admire à titre principal cette condition générale dont on a dit ci-dessus que la vertu tire son nom. Dans ce sens il est évident que ces vertus sont des habitus divers qui se distinguent d’après la diversité de leurs objets.

Solutions :

1. S. Grégoire parle de ces quatre vertus selon la première acception. - Ou bien l’on peut dire que ces quatre tirent une dénomination les unes des autres grâce à une sorte de rejaillissement. En effet, ce qui appartient à la prudence rejaillit sur les autres vertus en tant que ceUes-ci sont dirigées par elle. Chacune de celles-ci de son côté rejaillit sur les autres pour cette raison que celui qui peut le plus difficile peut donc le moins difficile. Aussi, celui qui peut réfréner les convoitises dans les plaisirs du toucher en les empêchant de dépasser la mesure, ce qui est extrêment difficile, est rendu plus habile, par le fait même, à réfréner l’audace dans les périls de mort pour l’empêcher de s’aventurer outre mesure, ce qui est beaucoup plus facile ; c’est d’après cela que la force est dite tempérée. La tempérance à son tour est dite forte par rejaillissement sur elle de la force, dans la mesure où celui qui, par sa force, a l’âme affermie contre les périls de la mort, ce qui est le plus difficile, est plus apte à garder la fermeté d’âme contre l’emportement des plaisirs, parce que, dit Cicéro’, “ il n’est pas logique que celui qui n’est pas brisé par la crainte le soit par la cupidité ; ni que celui qui s’est montré invaincu par le labeur soit vaincu par la volupté ”.

2. Cela donne encore la réponse à la deuxième objection. Car si la tempérance garde la mesure en tout, et si la force garde l’âme inflexible contre l’attrait des voluptés, ou bien c’est dans la mesure où ces vertus qualifient certaines conditions communes aux vertus, ou bien c’est grâce au rejaillissement dont on vient de parler.

3. Ces quatre conditions communes aux vertus, telles que le Philosophe les expose, ne sont pas propres aux vertus en question, mais peuvent leur être appropriées de la manière que nous venons de dire.

 

            Article 5 — Peut-on admettre la division des vertus cardinales en vertus sociales, vertus purifiantes, vertus d’âme purifiée, vertus exemplaires ?

Objections :

1. Une pareille division ne convient pas du tout, semble-t-il, aux quatre vertus cardinales. En effet, selon Macrobe, “ les vertus exemplaires sont celles qui se trouvent dans la pensée divine elle-même ”. Mais le Philosophe dit qu’il est “ ridicule d’attribuer à Dieu la justice, la force, la tempérance et la prudence ”. Donc ces vertus ne peuvent pas être exemplaires.

2. On appelle vertus de l’âme purifiée celles qui sont en dehors des passions. Macrobe dit en effet au même endroit : “ Il appartient à la tempérance d’une âme purifiée, non pas de réprimer les cupidités terrestres, mais de les oublier totalement ; à la force, d’ignorer les passions, non de les surmonter. ” Or nous avons dit plus haut, que ces vertus ne peuvent exister sans passions. C’est donc qu’elles ne peuvent être les vertus d’une âme purifiée.

3. Macrobe appelle purifiantes les vertus de ceux “ qui par une certaine fuite des choses humaines s’intéressent uniquement aux divines ”. Mais c’est là, semble-t-il, une attitude vicieuse, car, dit Cicéron, “ ceux qui prétendent mépriser ce que la plupart des gens admirent, le pouvoir et les magistratures, je ne pense pas que ce soit à leur éloge, je crois même qu’il faut prendre cela pour du vice ”. Il n’y a donc pas de vertus purifiantes.

4. Macrobe appelle vertus sociales celles “ par lesquelles les bons citoyens s’adonnent au bien public et défendent leurs villes ”. Mais seule la justice légale est ordonnée au bien commun, selon le Philosophe. Les autre vertus ne doivent donc pas être appelées vertus sociales.

En sens contraire, Macrobe dit au même endroit : “ Plotin, qui est avec Platon le prince des professeurs de philosophie, affirme qu’il y a quatre classes de vertus quaternaires. Les premières sont appelées vertus de société, les deuxièmes, vertus purifiantes, les troisièmes, vertus d’âme déjà purifiée, les quatrièmes, vertus exemplaires. ”

Réponse :

“ Il faut, dit S. Augustin, que l’âme suive un modèle pour que la vertu puisse se former en elle ; ce modèle c’est Dieu : si nous le suivons, nous vivons bien. ” Il est donc évident que le modèle de la vertu humaine préexiste en Dieu, comme préexistent aussi en lui les raisons de toutes choses. Ainsi donc, la vertu peut, à titre de modèle, être considérée telle qu’elle est en Dieu. Et c’est en ce sens qu’on parle de vertus exemplaires. C’est-à-dire qu’on appelle prudence, en Dieu, l’intelligence divine elle-même : tempérance, l’intention divine par laquelle il ramène tout à soi, comme en nous on appelle tempérance ce qui rend le concupiscible conforme à la raison ; quant à la force de Dieu, c’est son immutabilité, tandis que sa justice c’est l’observation de la loi éternelle dans toutes ses œuvres, comme l’a dit Plotin.

Et, parce que l’homme est aussi par nature un animal sociable, ces vertus telles qu’elles existent chez lui dans les conditions propres à sa nature, sont appelées vertus sociales, ce qui signifie qu’en se conformant à ces vertus on se conduit correctement dans la gestion des affaires humaines. Ce qui est le sens dans lequel jusqu’ici nous avons parlé de ces vertus.

Mais il appartient encore à l’homme de se rapprocher du divin autant qu’il le peut, comme dit même le Philosophe et comme cela nous est recommandé dans la Sainte Écriture de multiples façons, comme avec cette parole (Mt 5,48) : “ Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. ” Aussi est-il nécessaire de supposer des vertus intermédiaires entre les vertus sociales, qui sont des vertus humaines, et les vertus exemplaires, qui sont des vertus divines. Ces vertus intermédiaires se distinguent à leur tour comme se distinguent un mouvement et son terme. C’est-à-dire que certaines sont les vertus de ceux qui sont en marche et en tendance vers la ressemblance divine. Et ce sont ces vertus-là qu’on appelle purifiantes. Si bien que la prudence veut mépriser par la contemplation des réalités divines toutes les choses de ce monde et diriger toutes les pensées de l’âme uniquement vers le divin. La tempérance pousse à délaisser, autant que la nature le supporte, ce que réclame le soin du corps. La force veut enlever à l’âme la frayeur d’avoir à quitter le corps pour accéder aux choses d’en haut ; enfin, la justice vise à ce que, de toute son âme, on consente à s’engager dans cette voie. - Il y a d’autre part les vertus de ceux qui atteignent déjà à la ressemblance divine. Ce sont elles qu’on appelle vertus de l’âme déjà purifiée. Elles sont telles que la prudence ne voit plus que le divin ; que la tempérance ne sait plus rien des cupidités terrestres ; que la force ignore les passions ; que la justice a partie liée perpétuellement avec l’intelligence divine par son application à l’imiter. Nous disons que ces vertus sont celles des bienheureux, ou de ceux qui, dans cette vie, sont très avancés en perfection.

Solutions :

1. Le Philosophe traite de ces vertus selon qu’elles concement les réalités humaines ; ainsi la justice regarde les achats et les ventes, la force s’occupe des craintes, la tempérance des convoitises. Dans ce sens il est ridicule en effet de les attribuer à Dieu.

2. Quand on dit que les vertus humaines ont pour matière les passions, cela s’entend des vertus de ceux qui vivent en ce monde. Mais les vertus de ceux qui sont arrivés à la pleine béatitude sont en dehors des passions. C’est pourquoi Plotin dit à propos des passions : “ Les vertus sociales les adoucissent ”, c’est-à-dire les ramènent au juste milieu ; “ les deuxièmes ”, c’est-à-dire les purifiantes, “ les font disparaître ” ; “ les troisièmes ”, c’est-à-dire celles de l’âme purifiée, “ les font oublier ” ; enfin “ dans les quatrièmes ”, c’est-à-dire dans les vertus exemplaires, “ il n’est plus permis de les nommer ”. Mais on peut dire aussi qu’à cet endroit il est question des passions en tant qu’elles désignent des mouvements désordonnés.

3. Déserter les affaires humaines là où leur nécessité s’impose, c’est du vice ; autrement, c’est de la vertu. C’est pourquoi un peu plus haut Cicéron dit ceci : “ A ceux qui ne s’occupent pas du bien public il ne faut peut-être pas tenir rigueur, quand l’excellence de leur esprit les a fait s’adonner à l’enseignement, et aussi quand par un empêchement venant de la faiblesse de leur santé ou d’une cause plus grave, ils se sont retirés des affaires publiques, laissant à d’autres le pouvoir et la gloire de les administrer. ” Ce qui est en harmonie avec ce que dit S. Augustin : “ La charité de la vérité cherche la sainte oisiveté ; la nécessité de la charité accueille la juste activité. Ceci est un fardeau ; si personne ne l’impose, il faut mettre ses soins à découvrir et à contempler la vérité ; mais s’il s’impose, il faut l’accepter par nécessité de charité. ”

4. Seule la justice légale regarde directement le bien commun ; mais par son commandement elle tire vers lui toutes les autres vertus, dit le Philosophe. Car il est à remarquer que les vertus sociales, sur le plan où nous en traitons ici, ont comme rôle non seulement de bien travailler pour la communauté, mais aussi de bien travailler pour les parties de la communauté, à savoir une famille ou même une personne particulière.

 

QUESTION 62 — LES VERTUS THÉOLOGALES

1. Y a-t-il des vertus théologales ? - 2. Sont-elles distinctes des vertus intellectuelles et des vertus morales ? - 3. Quel est leur nombre et leur nature ? - 4. Leur ordre.

 

            Article 1 — Y a-t-il des vertus théologales ?

Objections :

1. Il ne semble pas possible qu’il y en ait, car il est dit dans les Physiques : “ La vertu est dans l’être parfait la disposition au meilleur, mais j’entends par l’être parfait celui qui est dans les bonnes dispositions de sa nature. ” Or ce qui est divin est au-dessus de la nature de l’homme. Les vertus théologales ne sont donc pas des vertus de l’homme.

2. Les vertus théologales sont pour ainsi dire des vertus divines. Mais les vertus divines sont celles que nous venons d’appeler exemplaires ; ce n’est pas en nous qu’elles existent, c’est en Dieu.

3. Nous appelons vertus théologales celles par lesquelles nous sommes ordonnés à Dieu principe premier et fin ultime. Mais l’homme, par la nature même de sa raison et de sa volonté, est ordonné au principe premier et à la fin ultime. Les habitus des vertus théologales ne sont donc pas nécessaires pour que la raison et la volonté soient ordonnées à Dieu.

En sens contraire, les préceptes de la loi portent sur des actes de vertus. Or il y a des préceptes donnés dans la loi divine pour les actes de foi, d’espérance et de charité. L’Ecclésiastique dit en effet (2,8.10 Vg) : “ Vous qui craignez Dieu, croyez en lui ”, de même “ espérez en lui ” ; de même “ aimez-le ”. Donc la foi, l’espérance et la charité sont des vertus qui nous ordonnent à Dieu. Elles sont donc théologales.

Réponse :

La vertu perfectionne l’homme pour les actes par lesquels il s’achemine vers la béatitude, nous l’avons montré antérieurement. Or il y a pour l’homme, avons-nous dit d . une double béatitude ou félicité. L’une est proportionnée à la nature humaine, c’est-à-dire que l’homme peut y parvenir par les principes mêmes de sa nature. L’autre est une béatitude qui dépasse la nature de l’homme ; il ne peut y parvenir que par une force divine, moyennant une certaine participation de la divinité, conformément à ce qui est dit dans la deuxième épître de S. Pierre (1,4), que par le Christ nous avons été faits “ participants de la nature divine ”. Et parce que c’est là une béatitude qui dépasse les capacités de la nature humaine, les principes naturels, à partir desquels l’homme réussit à bien agir selon sa mesure, ne suffisent pas à l’ordonner à cette autre béatitude.

Aussi faut-il que Dieu surajoute à l’homme des principes par lesquels il soit ordonné à la béatitude surnaturelle, de même qu’il est ordonné vers sa fin connaturelle au moyen de principes naturels qui n’excluent pas les secours divins. Ces principes surajoutés sont appelés vertus théologales, d’abord parce qu’elles ont Dieu pour objet en ce sens que nous sommes grâce à elles bien ordonnés à lui, et aussi parce qu’elles sont infusées en nous par lui seul, et enfin parce qu’elles sont portées à notre connaissance uniquement par la révélation divine dans la Sainte Écriture.

Solutions :

1. Une nature peut être attribuée à une réalité de deux manières. D’une manière essentielle, et en ce sens les vertus théologales dépassent la nature de l’homme. En vertu d’une participation, comme un morceau de bois qui a pris feu participe de la nature du feu, et c’est ainsi que l’homme devient participant en quelque sorte de la nature divine, comme on vient de le rappeler. En ce sens, ces vertus-là conviennent à l’homme suivant la nature dont il participe.

2. Ces vertus sont appelées divines, non comme si elles rendaient Dieu vertueux, mais comme nous rendant vertueux par lui et par rapport à lui. Ce ne sont donc pas des vertus exemplaires, mais des vertus tirées de l’exemplaire.

3. La raison et la volonté sont ordonnées vers Dieu par nature, en tant qu’il est principe et fin de la nature, toutefois dans les limites de la nature. Mais en tant qu’il est l’objet de la béatitude surnaturelle, la raison et la volonté, par leur propre nature, ne lui sont pas ordonnées suffisamment.

 

            Article 2 — Les vertus théologales sont-elles distinctes des vertus intellectuelles et des vertus morales ?

Objections :

1. Il semble que non. Car, si elles sont dans l’âme humaine, il faut qu’elles la perfectionnent ou dans sa partie intellectuelle ou dans sa partie appétitive. Dans un cas ce sont des vertus intellectuelles, dans l’autre des vertus morales. Donc les vertus théologales ne se distiguent pas de ces deux sortes de vertus.

2. On appelle vertus théologales celles qui nous ordonnent à Dieu. Mais parmi les vertus intellectuelles, il en est une qui nous ordonne à lui, c’est la sagesse qui concerne le divin, puisqu’elle considère la cause suprême. Donc les vertus théologales ne se distinguent pas des vertus intellectuelles.

3. S. Augustin fait bien voir pour les quatre vertus cardinales qu’elles constituent “ l’ordre de l’amour ”. Mais l’amour, c’est la charité, qu’on met parmi les vertus théologales. Donc les vertus morales ne se distinguent pas des théologales.

En sens contraire, ce qui est au-dessus de la nature de l’homme est distinct de ce qui est selon cette nature. Mais les vertus théologales sont au-dessus de notre nature, tandis que les vertus intellectuelles et les vertus morales s’accordent avec elle, on l’a montré plus haut. Elles sont donc bien distinctes.

Réponse :

D’après ce que nous avons dit précédemment, les habitus se distinguent spécifiquement selon la différence formelle des objets. Or l’objet des vertus théologales, c’est Dieu même, fin ultime des choses, en tant qu’il dépasse la connaissance de notre raison. Au contraire, l’objet des vertus intellectuelles et des vertus morales, c’est quelque chose que la raison humaine peut saisir. Par conséquent les vertus théologales sont spécifiquement distinctes des vertus morales et des vertus intellectuelles.

Solutions :

1. Les vertus intellectuelles et les vertus morales perfectionnent l’intelligence et l’appétit de l’homme dans les limites de la nature humaine ; mais les vertus théologales, surnaturellement.

2. La sagesse, dont le Philosophe fait une vertu intellectuelle, considère les choses divines selon qu’elles se prêtent aux investigations de la raison humaine. Mais la vertu théologale les regarde selon qu’elles dépassent la raison humaine.

3. Bien que la charité soit un amour, tout amour n’est pourtant pas charité. Donc, quand on dit que toute vertu est l’ordre dans l’amour, cela peut s’entendre ou de l’amour en général ou de l’amour de charité. Si c’est de l’amour en général, alors on dira que n’importe quelle vertu est l’ordre de l’amour , dans la mesure où n’importe laquelle des vertus cardinales requiert une affection ordonnée ; or la racine et le principe de toute affection, nous l’avons dit, c’est l’amour. - Mais si cela s’entend de l’amour de charité, on ne donne pas par là à penser que n’importe quelle autre vertu soit essentiellement charité, mais que toutes les autres vertus dépendent de la charité en quelque manière, comme il apparaîtra par la suite.

 

            Article 3 — Quel est le nombre et la nature des vertus théologales ?

Objections :

1. Il semble déplacé d’admettre trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité. En effet les vertus théologales ont la même relation avec la béatitude divine que l’inclination de nature avec la fin qui lui est connaturelle. Mais parmi les vertus ordonnées à la fin connaturelle, il n’y en a qu’une que nous ayons naturellement, c’est l’intelligence des principes. On ne doit donc admettre qu’une seule vertu théologale.

2. Les vertus théologales sont plus parfaites que les vertus intellectuelles et morales. Mais parmi les vertus intellectuelles on ne met pas la foi, car elle est quelque chose d’inférieur à la vertu, puisqu’elle est une connaissance imparfaite. Pareillement, parmi les vertus morales, on ne met pas non plus l’espérance ; elle est inférieure à la vertu, puisqu’elle est une passion. Foi et espérance doivent donc beaucoup moins encore être comptées comme vertus théologales.

3. Les vertus théologales ordonnent à Dieu l’âme de l’homme. Mais celle-ci ne peut être ordonnée à Dieu que dans sa partie spirituelle où se trouvent l’intelligence et la volonté. Donc il ne doit y avoir que deux vertus théologales, l’une qui perfectionne l’intelligence, l’autre qui perfectionne la volonté.

En sens contraire, l’Apôtre dit (1 Co 13,13) “ Présentement demeurent la foi, l’espérance et la charité, ces trois choses. ”

Réponse :

Comme nous venons de le dire, les vertus théologales ordonnent l’homme à la béatitude surnaturelle de la même manière qu’une inclination naturelle l’ordonne à la fin qui lui est connaturelle. Or cela se fait d’une double façon. 1° Par le moyen de la raison ou intelligence, en tant qu’elle contient les premiers principes généraux qui nous sont connus à la lumière naturelle de l’intellect et d’où procède la raison tant en matière de spéculation qu’en matière d’action. 2° Par la rectitude de la volonté qui tend naturellement au bien de la raison.

Mais cette double adaptation est inférieure à la béatitude surnaturelle, selon le mot de l’Apôtre (1 Co 2,9) : “ L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, et le cœur de l’homme n’a pas découvert ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. ” Aussi a-t-il fallu que sur ces deux points quelque chose fût surnaturellement ajouté à l’homme pour l’ordonner à sa fin surnaturelle. D’abord, pour ce qui est de l’intelligence, certains principes surnaturels sont ajoutés à l’homme, qui sont saisis dans une lumière divine, et c’est la matière à croire, sur laquelle porte la foi. Ensuite, la volonté est ordonnée à la fin surnaturelle, et quant au mouvement d’intention qui tend vers cette fin comme vers une chose possible à obtenir : c’est l’affaire de l’espérance ; et quant à une certaine union spirituelle par laquelle la volonté est en quelque sorte transformée en cette fin, ce qui se fait par la charité. Car en toute chose l’appétit a par nature ce mouvement et cette tendance vers la fin qui lui est connaturelle[4439], et ce mouvement provient lui-même d’une certaine conformité de la chose avec sa fin.

Solutions :

1. L’intellect a besoin d’espèces intelligibles pour pouvoir faire œuvre d’intelligence, et c’est pourquoi il faut supposer en lui un habitus surajouté à la puissance. Mais la volonté, par sa nature même, suffit à ordonner naturellement à sa fin, soit pour l’intention de la fin, soit pour la conformité à elle. Mais, par rapport à ce qui est au-dessus de la nature, la nature de nos puissances ne suffit à rien de tout cela. Et c’est pourquoi il faut qu’il y ait sur un point comme sur l’autre le surcroît d’un habitus surnaturel.

2. La foi et l’espérance impliquent une certaine imperfection parce que la foi a pour objet ce qu’on ne voit pas, et l’espérance ce qu’on ne possède pas. C’est pourquoi, avoir la foi et l’espérance au sujet de ce qui est soumis à la puissance humaine, est inférieur à la raison de vertu. Mais les avoir pour ce qui est au-dessus de la capacité de la nature humaine, dépasse toute vertu à la mesure de l’homme, selon S. Paul (1 Co 1, 25) : “ La faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes. ”

3. Deux choses relèvent de l’appétit : le mouvement vers la fin et la conformité avec elle par l’amour. Ainsi faut-il qu’il y ait dans l’appétit humain deux vertus théologales, l’espérance et la charité.

 

            Article 4 — L’ordre des vertus théologales

Objections :

1. Il ne semble pas qu’on puisse admettre l’ordre des vertus théologales qui place la foi avant l’espérance, et l’espérance avant la charité. En effet, la racine est antérieure à ce qui en sort. Mais la charité est la racine de toutes les vertus selon l’expression de l’Apôtre (Ep 3,17) : “ Enracinés et fondés dans la charité. ” Donc la charité passe avant les autres.

2. S. Augustin dit : “ On ne peut aimer une chose tant qu’on n’a pas cru qu’elle existe. Mais si l’on croit et si l’on aime, en agissant bien on arrive aussi à espérer. ” Il semble donc que la foi précède la charité, et que celle-ci précède l’espérance.

3. L’amour, a-t-on dit, est le principe de toute affection. Mais l’espérance désigne une affection, puisque nous avons vu qu’elle est une passion. Donc la charité, qui est un amour passe avant l’espérance.

En sens contraire, il y a l’affirmation de l’Apôtre (1 Co 13,13) : “ Maintenant donc demeurent la foi, l’espérance et la charité. ”

Réponse :

Il y a deux ordres, celui de la génération et celui de la perfection. - Par l’ordre de la génération, la matière est antérieure à la forme, et l’imparfait antérieur au parfait dans un seul et même sujet. C’est ainsi que la foi précède l’espérance ; et l’espérance, la charité ; si l’on regarde les actes, car les habitus sont infusés simultanément. Car un mouvement de l’appétit ne peut tendre à quelque chose, soit en l’espérant, soit en l’aimant, s’il ne l’a pas perçu par le sens ou par l’intelligence. Or c’est par la foi que l’esprit perçoit ce qu’il espère et ce qu’il aime. Par conséquent il faut que dans l’ordre de la génération, la foi précède l’espérance et la charité. -

Pareillement, nous aimons une chose du fait que nous l’apercevons comme bonne pour nous. Or, par le fait même que noua espérons pouvoir obtenir pour nous de quelqu’un une chose bonne, nous estimons que celui en qui nous avons espoir est lui aussi un bien pour nous. C’est pourquoi de ce qu’on met de l’espoir en quelqu’un, on en vient à l’aimer. De sorte que, dans l’ordre de la génération, si l’on regarde les actes, l’espérance précède la charité.

Mais, dans l’ordre de la perfection, la charité précède la foi et l’espérance, du fait que la foi, aussi bien que l’espérance, est formée par la charité et acquiert ainsi sa perfection de vertu. C’est ainsi en effet que la charité est la mère de toutes les vertus et leur racine, en tant qu’elle est leur forme à toutes comme on le dira plus loin.

Solutions :

1. Cela donne la réponse à la première objection.

2. S. Augustin parle de l’espérance par laquelle en raison des mérites que l’on a déjà, on espère qu’on parviendra à la béatitude : c’est là de l’espérance “ formée ”, qui suit la charité. Mais quelqu’un peut espérer avant même d’avoir la charité : il espère non d’après les mérites qu’il a déjà, mais d’après ceux qu’il espère avoir.

3. Comme nous l’avons dit lorsqu’il s’est agi des passions, l’espérance regarde deux choses. L’une comme objet principal, c’est le bien espéré. Et à cet égard, l’amour précède toujours l’espérance ; jamais en effet un bien n’est espéré s’il n’est désiré et aimé. - L’espérance regarde aussi celui de qui on espère pouvoir obtenir le bien. Et à cet égard il est certain qu’en premier lieu l’espérance précède l’amour, bien qu’ensuite l’espérance soit accrue par la force même de l’amour. Par là même en effet qu’on estime pouvoir se procurer un bien grâce à quelqu’un, on commence à aimer ce quelqu’un lui-même, et du fait qu’on l’aime, on en vient ensuite à espérer plus fortement en lui.

 

QUESTION 63 — LA CAUSE DES VERTUS

1. La vertu est-elle en nous par nature ? - 2. Quelque vertu est-elle causée en nous par la répétition des actes ? - 3. Certaines vertus morales sont-elles en nous par infusion ? - 4. La vertu que nous acquérons par habitude est-elle de même espèce que la vertu infuse ?

 

            Article 1 — La vertu est-elle en nous par nature ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car S. Jean Damascène dit : “ Les Vertus sont naturelles et existent également chez tous. ” S. Antoine dit dans un sermon aux moines : “ Si la volonté change la nature, c’est perversité ; qu’elle en garde la condition, alors c’est vertu. ” Et sur “ Jésus circulait ” (Mt 4,23), la Glose dit ceci : “ Il enseigne les vertus naturelles, c’est-à-dire la chasteté, la justice, l’humilité, que l’homme possède naturellement. ”

2. D’après ce qu’on a dit, le bien de la vertu c’est d’être conforme à la raison. Mais ce qui est conforme à la raison est naturel à l’homme, puisque la raison est la nature de l’homme. La vertu est donc en lui par nature.

3. On dit qu’une chose nous est naturelle lorsque nous l’avons de naissance. Mais certaines vertus sont en nous de naissance, car on lit au livre de Job (31,18 Vg) : “ Dès l’enfance la miséricorde a grandi avec moi, elle est sortie du sein en même temps que moi. ”

En sens contraire, ce qui existe dans l’homme par nature est commun à tous, et n’est pas enlevé par le péché, puisque même chez les démons les biens naturels demeurent, d’après Denys. Mais la vertu n’existe pas chez tous les hommes, et elle est détruite par le péché. Elle n’est donc pas dans l’homme par nature.

Réponse :

En ce qui concerne les formes corporelles, certains ont prétendu qu’elles sont totalement d’origine intrinsèque : ils supposent pour ainsi dire un état latent des formes. - Certains ont prétendu au contraire qu’elles viennent totalement du dehors ; ils supposent que les formes corporelles reçoivent l’existence de quelque cause séparée. - Enfin il y en a qui pensent qu’elles viennent partiellement du dedans en tant qu’elles préexistent en puissance dans la matière, et partiellement du dehors en tant qu’elles sont réduites à l’acte par l’agent.

Il en est de même pour les sciences et les vertus. Certains ont prétendu qu’elles sont entièrement d’origine intrinsèque, c’est-à-dire que toutes les vertus comme toutes les sciences préexistent naturellement dans l’âme ; mais par l’enseignement et l’exercice leurs empêchements sont enlevés, empêchements qui viennent à l’âme de la lourdeur du corps ; c’est ainsi qu’en limant le fer on le rend brillant. Ce fut l’opinion des platoniciens. - A l’opposé, d’autres ont dit que la science et la vertu viennent entièrement du dehors, c’est-à-dire de l’influence de l’intellect agent. C’est ce que soutient Avicenne. - D’autres enfin ont prétendu que les sciences et les vertus sont en nous par nature à l’état d’aptitude mais non à l’état de perfection, comme dit le Philosophe. Et cela est plus vrai.

Pour le faire comprendre, il faut considérer qu’une chose est naturelle à un homme de deux façons : par la nature de l’espèce, et par celle de l’individu. Et, parce que chaque être a son espèce d’après sa forme, tandis qu’il est individué d’après la matière ; parce que d’autre part la forme de l’homme est l’âme raisonnable, et sa matière, le corps ; ce qui convient à quelqu’un selon l’âme rationnelle lui est naturel en raison de l’espèce, tandis que ce qui lui convient d’après la complexion déterminée du corps est naturel chez lui à titre individuel. En effet, ce qui est naturel à l’homme du côté du corps, à titre spécifique, on le rapporte à l’âme d’une certaine manière, en tant que tel corps est proportionné à telle âme.

Or, d’une manière comme de l’autre, la vertu nous est naturelle à l’état initial. Elle est dans la nature de l’espèce, en tant que nous avons naturellement dans la raison certains principes naturellement connus, dans l’ordre du savoir comme dans l’ordre de l’action, principes qui sont les germes des vertus intellectuelles et des vertus morales ; et en tant qu’il y a dans la volonté un appétit naturel du bien conforme à la raison. D’autre part, la vertu est dans la nature de l’individu, en tant que certains, par l’état même de leur corps, sont prédisposés mieux ou plus mal à certaines vertus ; c’est-à-dire que certaines facultés sensibles étant fonctions de certains organes du corps, la disposition de ces organes favorise ou empêche ces facultés dans leurs actes et, par voie de conséquence, les facultés rationnelles auxquelles obéissent ces facultés sensibles. C’est ainsi que l’un a une aptitude naturelle à la science, un autre à la force, un autre à la tempérance. Et de cette façon, les vertus aussi bien intellectuelles que morales sont en nous par nature, comme un commencement d’aptitude. - Mais non pas dans leur état accompli. Car la nature est déterminée à une seule chose. Or, cet accomplissement des vertus ne se produit pas selon un seul mode d’action mais selon des modes divers, d’après la diversité des matières où elles opèrent, et d’après la diversité des circonstances.

Ainsi donc il est évident que les vertus sont en nous par nature à l’état d’aptitude et de commencement, mais non à l’état de perfection, sauf les vertus théologales qui nous viennent totalement du dehors.

Solutions :

On voit par là la réponse à faire aux objections. Car les deux premiers arguments sont valables si l’on considère que nous avons en nous par nature des germes de vertus en tant que nous sommes doués de raison. Quant au troisième argument, il est valable si l’on admet que par une disposition naturelle appartenant au corps dès sa naissance, l’un possède une aptitude à s’apitoyer, un autre à vivre avec tempérance, un autre à quelque autre vertu.

 

            Article 2 — Quelque vertu est-elle causée en nous par la répétition des actes ?

Objections :

1. La chose ne semble pas possible. Sur ce mot de l’Apôtre (Rm 14, 23) “ Tout ce qui ne vient pas de la foi est péché ”, la Glose de S. Augustin dit ceci : “ Toute la vie des infidèles est péché ; et il n’y a rien de bien sans le souverain bien. Là où manque la connaissance de la vérité, il n’y a que fausse vertu, même dans les meilleures mœurs. ” Mais la foi ne peut s’acquérir par les œuvres, elle est causée en nous par Dieu, selon le mot de l’Apôtre (Ep 2,8) : “ C’est par grâce que vous êtes sauvés au moyen de la foi. ” Donc, aucune vertu ne peut être acquise en nous par l’habitude des œuvres.

2. Puisque le péché est le contraire de la vertu, il n’est pas compatible avec elle. Mais on ne peut éviter le péché que par la grâce de Dieu, selon la Sagesse (8,21 Vg) : “ J’ai appris que je ne puis être continent que par un don de Dieu. ” Il n’y a donc pas de vertu qui puisse être causée en nous par l’exercice répété des œuvres ; elles ne peuvent l’être que par un don de Dieu.

3. Des actes qui sont en tendance à la vertu n’ont pas encore la perfection de la vertu. Mais l’effet ne peut être plus parfait que la cause. La vertu ne peut donc être produite par les actes précédant la vertu.

En sens contraire, Denys assure que le bien a plus de force que le mal. Mais par des actes mauvais sont produits des habitus vicieux. Donc, beaucoup plus encore des habitus vertueux peuvent être produits par des actes bons.

Réponse :

On a parlé précédemment de la génération des habitus par les actes d’une façon générale. Mais il faut étudier maintenant la question sous l’aspect particulier de la vertu, et prendre garde à ceci. Comme il a été dit précédemment, la vertu vient parfaire l’homme en vue du bien. Or le bien consiste essentiellement, dit S. Augustin, dans “ la mesure, la beauté et l’ordre ”, ou, selon la Sagesse (11,20), dans “ le nombre, le poids et la mesure ”. Il faut donc que le bien de l’homme soit envisagé d’après une règle. Cette règle est double, avons-nous dit, c’est la raison humaine et c’est la loi divine. Et comme la loi divine est une règle supérieure, elle s’étend par là à plus de choses, de sorte que tout ce qui est réglé par la raison humaine, l’est aussi par la Idi divine, mais non pas réciproquement.

Donc la vertu de l’homme ordonnée au bien qui est mesuré selon la règle de la raison humaine, peut être causée par des actes humains, en tant que ces actes procèdent de la raison sous le pouvoir et la règle de laquelle se réalise le bien envisagé. - Au contraire, la vertu qui ordonne l’homme au bien mesuré par la loi divine et non plus par la raison humaine, cette vertu ne peut être causée par des actes humains, dont le principe est la raison ; mais elle est causée en nous uniquement par l’opération divine. Et c’est pour définir cette sorte de vertu que S. Augustin a mis dans sa définition de la vertu : “ Dieu l’opère en nous sans nous. ”

Solutions :

1. C’est aussi à la vertu de cette demière sorte que s’applique le premier argument.

2. Une vertu divinement infusée, surtout si on la considère dans son état parfait, n’est pas compatible avec un péché mortel. Mais une vertu humainement acquise est compatible avec un acte de péché, même mortel : parce que l’exercice en nous d’un habitus est soumis, avons-nous dit, à notre volonté ; or un seul acte de péché ne fait pas perdre l’habitus d’une vertu acquise, car ce qui s’oppose directement à un habitus ce n’est pas un acte, mais un habitus. Voilà pourquoi, bien que sans la grâce on ne puisse éviter le péché mortel au point de ne jamais pécher mortellement, rien n’empêche qu’on puisse acquérir l’habitus d’une vertu et que par cette vertu l’on s’abstienne, du moins le plus souvent, des œuvres mauvaises, surtout de celles qui sont tout à fait contraires à la raison. - Il y a du reste certains péchés mortels qu’on ne peut sans la grâce nullement éviter : ce sont ceux qui sont directement opposés aux vertus théologales, lesquelles sont en nous par le don de la grâce. Mais cela deviendra plus clair par la suite.

3. Comme nous l’avons dit, il préexiste en nous, selon la nature, des germes ou principes des vertus acquises. Ces principes sont plus nobles que les vertus qu’on acquiert par la vertu qui est en eux ; ainsi, l’intelligence des principes en matière spéculative est plus noble que la science des conclusions, et la rectitude naturelle de la raison est plus noble que la rectification des appétits qui se fait par participation de la raison, rectification qui relève de la vertu morale. Ainsi donc les actes humains, en tant qu’ils découlent de principes plus élevés, peuvent causer les vertus humaines acquises.

 

            Article 3 — Certaines vertus morales sont-elles en nous par infusion ?

Objections :

1. En dehors des vertus théologales, il ne semble pas qu’il y en ait d’autres qui soient infusées en nous par Dieu. En effet, ce qui peut être produit par les causes secondes ne l’est pas par Dieu immédiatement si ce n’est quelquefois miraculeusement, car selon Denys, “ c’est une loi de la divinité de conduire les choses ultimes par des intermédiaires ”. Mais nous venons de direo que les vertus intellectuelles et morales peuvent être causées en nous par nos actes. Il n’est donc pas logique qu’elles le soient par infusion.

2. Dans les œuvres de Dieu il y a beaucoup moins de superflu que dans celles de la nature. Mais, pour nous ordonner au bien surnaturel, il suffit des vertus théologales. Il n’y a donc pas d’autres vertus surnaturelles qui doivent être causées en nous par Dieu.

3. La nature ne fait pas par deux moyens ce qu’elle peut faire par un seul, et Dieu beaucoup moins encore. Mais Dieu a semé dans notre âme, dit la Glose, des germes de vertus. Il n’a donc pas à produire d’autres vertus en nous par infusion.

En sens contraire, au dire de la Sagesse (8,7), celle-ci “ enseigne la sobriété et la justice, la prudence et la vertu ”.

Réponse :

Il faut que les effets soient proportionnés à leurs causes et principes. Or, toutes les vertus, tant intellectuelles que morales, qui sont acquises par nos actes découlent, comme nous l’avons dits, de certains principes naturels qui préexistent en nous. C’est à la place de ces principes naturels que nous sont conférées par Dieu les vertus théologales par lesquelles, avons-nous dit, nous sommes ordonnés à notre destinée sumaturelle. Il faut donc qu’à ces vertus théologales correspondent aussi de façon proportionnée d’autres habitus divinement causés en nous, qui soient par rapport aux vertus théologales comme sont les vertus morales et intellectuelles par rapport aux principes naturels des vertus.

Solutions :

1. Il y a certes des vertus morales et intellectuelles qui peuvent être causées en nous par nos actes ; cependant elles ne sont pas proportionnées aux vertus théologales. C’est pourquoi il faut que d’autres, proportionnées à celles-ci, soient causées immédiatement par Dieu.

2. Les vertus théologales suffisent pour commencer à nous ordonner à la fin surnaturelle, c’est-à-dire à Dieu lui-même immédiatement. Mais il faut qu’au moyen d’autres vertus infuses, l’âme soit perfectionnée en ce qui concerne les autres réalités, par rapport à Dieu cependant.

3. La vertu de ces principes qui sont déposés en nous naturellement, ne s’étend pas au-delà des limites de la nature. Et c’est pourquoi, par rapport à la fin surnaturelle, l’homme a besoin d’être perfectionné par d’autres principes surajoutés.

 

            Article 4 — La vertu que nous acquérons par la répétition des actes est-elle de même espèce que la vertu infuse ?

Objections :

1. Il semble que les vertus infuses ne sont pas d’une autre espèce que les vertus acquises. En effet, d’après ce qu’on vient de dire, la vertu acquise et la vertu infuse ne diffèrent, semble-t-il, que par rapport à la fin ultime. Or les habitus et les actes humains ne reçoivent pas leur espèce de la fin ultime, mais de la fin prochaine. Les vertus morales ou intellectuelles infuses ne diffèrent donc pas spécifiquement des vertus acquises.

2. Les habitus sont connus par les actes. Mais l’acte de la tempérance infuse est le même que celui de la tempérance acquise ; c’est l’acte de se modérer dans les convoitises du toucher. Donc il n’y a pas une différence d’espèce.

3. Entre la vertu acquise et la vertu infuse il y a la différence entre ce qui a été fait immédiatement par Dieu, et par la créature. Mais l’homme que Dieu a formé est de même espèce que celui qu’engendre la nature ; et I’œil qu’il a donné à l’aveugle-né est de même espèce que celui d’une formation naturelle. Il semble donc que la vertu acquise est de même espèce que la vertu infuse.

En sens contraire, si l’on change n’importe quelle différence dans une définition, l’espèce n’est plus la même. Mais dans la définition de la vertu infuse on met, avons-nous dit plus haut, que “ Dieu l’opère en nous sans nous ”. Puisque cela ne convient pas à la vertu acquise, c’est donc qu’elle n’est pas de la même espèce que la vertu infuse.

Réponse :

Il y a deux façons de distinguer spécifiquement les habitus. L’une, comme on l’a dit, consiste à distinguer d’après les aspects spéciaux et formels de leurs objets. Or l’objet de toute vertu, c’est le bien considéré dans une matière appropriée ; ainsi l’objet de la tempérance, c’est le bien dans les plaisirs que recherchent les convoitises du toucher. Dans cet objet, l’aspect formel vient de la raison qui établit une mesure dans ces convoitises, et l’aspect matériel est ce qui vient de la convoitise. Or il est évident que la mesure imposée dans ces sortes de convoitises est d’une autre essence lorsqu’elle est conforme à la règle de la raison humaine, et lorsqu’elle est conforme à la règle divine. Ainsi dans la nourriture, la raison humaine établit pour mesure qu’elle ne nuise pas à la santé du corps et n’empêche pas l’exercice de la raison ; mais la règle de la loi divine demande “ que l’on châtie son corps et qu’on le réduise en servitude ” (1 Co 9,27) par l’abstinence du boire, du manger, etc. D’où il est évident que la tempérance infuse et la tempérance acquise sont d’espèce différente. Et il en est de même pour les autres vertus.

D’une autre façon, les habitus se distinguent spécifiquement, d’après le but auquel ils sont ordonnés. La santé de l’homme n’est pas de même espèce que celle du cheval, à cause de la diversité des natures auxquelles elles sont ordonnées. De la même manière, le Philosophe dit que les vertus des citoyens sont différentes suivant qu’elles s’adaptent bien aux différents régimes civiques. C’est précisément de cette façon aussi quc les vertus morales infuses diffèrent spécifiquement des autres. Par ches, les hommes sont bien ordonnés à être “ concitoyens des saints et membres de la famille de Dieu ” (Ep 2, 9) ; par les autres vertus acquises, l’homme est bien ordonné aux affaires humaines.

Solutions :

1. La vertu infuse et la vertu acquise diffèrent, non seulement par rapport à la fin ultime, mais aussi par rapport à leurs objets propres, on vient de le dire.

2. La tempérance acquise modifie les convoitises des choses agréables au toucher, selon un autre motif, nous venons de le dire, que la tempérance infuse. Elles n’ont donc pas le même acte.

3. L’œil de l’aveugle-né, Dieu l’a fait pour le même acte que les autres yeux formés par la nature, et c’est pourquoi ce fut un œil de même espèce. Et il en serait de même si Dieu voulait causer miraculeusement dans l’homme des vertus comme ceues qui sont acquises par les actes. Mais, on vient de le dire, ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

Étudions maintenant les propriétés des vertus. l° Le juste milieu des vertus (Q. 64) ; 2° leur connexion (Q. 65) ; 3° leur égalité (Q. 66) ; 4° leur durée (Q. 67).

 

QUESTION 64 — LE JUSTE MILIEU DES VERTUS

1. Les vertus morales se tiennent-elles dans un juste milieu ? - 2. Ce juste milieu de la vertu morale est-il réel ou de raison ? - 3. Les vertus intellectuelles consistent-elles dans un juste milieu ? - 4. Et les vertus théologales ?

 

            Article 1 — Les vertus morales consistent-elles dans un juste milieu ?

Objections :

1. Apparemment non. Ce qui est ultime répugne en effet à la notion même de milieu. Mais l’ultime est pourtant de l’essence de la vertu puisqu’elle est, au dire du Philosophe, “ le point ultime de la puissance ”. Donc la vertu morale ne consiste pas dans un milieu.

2. Le maximum n’est pas le milieu. Mais il y a des vertus morales qui tendent à un maximum : la magnanimité concerne les plus grands honneurs, et la magnificence, les plus grandes dépenses, d’après Aristote. Donc toute vertu morale n’est pas dans un milieu.

3. S’il est de l’essence de la vertu morale d’être dans un milieu, elle ne doit pas trouver sa perfection mais plutôt sa destruction, si elle tend à l’extrême. Mais il y a des vertus morales qui y trouvent leur perfection, comme la virginité qui s’abstient de tout plaisir charnel est ainsi à l’extrême, et réalise la plus parfaite chasteté ; de même, donner tout aux pauvres est ce qu’il y a de plus parfait comme miséricorde ou comme libéralité. Il semble donc qu’il ne soit pas essentiel à la vertu morale d’être dans un milieu.

En sens contraire, le Philosophe affirme que “ la vertu morale est l’habitus de choisir en demeurant dans un juste milieu ”.

Réponse :

Il ressort de ce qui a été dit que toute vertu, par son essence même, ordonne l’homme au bien. Le propre de la vertu morale est d’assurer la perfection de la partie appétitive de l’âme dans une matière déterminée. Or un mouvement appétitif a pour mesure et pour règle à l’égard de ses objets la raison elle-même. Et le bien de tout ce qui est mesuré et réglé consiste en ce qu’il soit conforme à sa règle, comme le bien dans les œuvres d’art est qu’elles suivent les règles de l’art. Par conséquent, en ce domaine, le mal c’est au contraire d’être en désaccord avec sa règle ou mesure. Ce qui lui arrive, ou parce qu’elle va au-delà de la mesure, ou parce qu’elle reste en deçà, comme cela saute aux yeux dans tout ce qui se règle et se mesure. Et par là on voit nettement que le bien de la vertu morale consiste dans un ajustement à la mesure de raison. - Or il est clair qu’ajustement ou conformité est un milieu entre l’excès et le défaut. Cela montre clairement que la vertu morale consiste dans un milieu.

Solutions :

1. La vertu morale tire sa bonté de la règle de raison ; mais pour matière ene a les passions ou les opérations. Donc, si on la confronte à la raison, en ce cas, selon qu’elle reçoit de la raison, elle se tient essentiellement à un extrême, à savoir la conformité ; au contraire l’excès comme le défaut, représente essentiellement l’autre extrême, à savoir la difformité. Mais si l’on considère la vertu morale dans sa matière, alors elle se tient essentiellement dans un milieu en tant qu’elle ramène la passion à la règle de raison. D’où cette définition du Philosophe : “ Dans sa substance la vertu est un milieu ”, en tant qu’elle applique une règle de vertu à une matière appropriée ; “ mais dans ce qu’elle a de mieux et dans sa perfection, elle est un extrême ”, c’est-à-dire dans la conformité à la raison.

2. Dans les actions et les passions, le milieu et les extrêmes varient selon les circonstances. Aussi rien n’empêche que dans une vertu quelque chose soit à l’extrême suivant une circonstance, et cependant au milieu selon les autres, en conformité avec la raison. Et il en est ainsi dans la magnificence et dans la magnanimité. Car si l’on considère dans sa grandeur absolue à quoi tend le magnifique comme le magnanime, on dira que c’est une chose extrême et un maximum ; mais si l’on considère cette chose relativement aux autres circonstances, alors elle a raison de milieu, puisque ces sortes de vertus tendent à cela d’après une règle de raison, c’est-à-dire où il faut, quand il faut, et pour le motif qu’il faut. C’est un excès de tendre au maximum quand il ne faut pas, ou bien là où il ne faut pas, ou encore pour un motif qu’il ne faut pas ; mais c’est un défaut de ne pas tendre à ce maximum là où il faut et quand il faut. C’est bien ce que dit le Philosophe que “ le magnanime est extrême assurément dans la grandeur, mais, parce que c’est comme il faut, il reste dans le juste milieu ”.

3. Il en est de la virginité et de la pauvreté comme de la magnanimité. La virginité s’abstient en effet de tous les plaisirs sexuels, et la pauvreté de toutes les richesses, pour le motif qu’il faut et comme il faut, c’est-à-dire selon le commandement de Dieu et pour la vie éternelle. Mais si la chose se fait comme il ne faut pas, c’est-à-dire selon un culte illicite, ou encore pour une vaine gloire, ce sera pratique superflue. Si au contraire elle ne se fait pas quand il le faut ou comme il le faut, c’est du vice par défaut, comme cela est clair chez ceux qui transgressent leur vœu de virginité ou de pauvreté.

 

            Article 2 — Ce juste milieu de la vertu morale est-il réel ou de raison ?

Objections :

Il n’est pas un milieu de raison, semble-t-il, mais un milieu réel. Être dans un milieu, c’est le bien de la vertu morale. Or le bien, dit le livre VI des Métaphysiques, est dans les choses mêmes. Donc le milieu en vertu morale est un milieu réel.

2. La raison est une faculté de connaissance. Or la vertu morale ne consiste pas dans un milieu entre des connaissances, mais plutôt entre des opérations et des passions. Ce n’est donc pas un milieu de raison mais un milieu réel.

3. Quand un milieu est calculé d’après une proportion arithmétique ou géométrique, c’est un milieu réel. Or tel est le cas pour la justice, comme il est dit dans l’Éthique. Le milieu de la vertu morale est donc affaire non de raison mais de réalité.

En sens contraire, au dire du Philosophe, “ la vertu morale consiste dans un juste milieu relatif à nous, fixé par la raison ”.

Réponse :

“ Milieu de raison ” peut s’entendre en deux sens. En tant qu’il est établi dans l’acte même de la raison, cet acte même étant pour ainsi dire ramené à un milieu. En ce sens, comme la vertu morale ne parfait pas l’acte de la raison, mais celui de la faculté appétitive, son milieu n’est pas un milieu de raison. - Dans un autre sens, on peut donner ce nom à ce qui est établi par la raison en quelque matière. En ce sens, le milieu de la vertu morale est toujours un milieu de raison, puisque la vertu morale, avons-nous dit, consiste par définition dans un milieu en conformité avec la droite raison.

Mais il arrive parfois que le milieu de raison est aussi un milieu réel, et il faut alors que le milieu de la vertu morale soit un milieu réel : c’est le cas pour la justice. Parfois, au contraire, le milieu de raison n’est pas un milieu réel mais se prend par rapport à nous ; il en est ainsi dans toutes les autres vertus morales. La raison en est que la justice concerne les opérations, et que celles-ci ont lieu dans des réalités extérieures à nous, où ce qui est droit doit être établi d’une façon absolue et pour soi-même, comme on l’a dit plus haut. Voilà pourquoi le milieu de raison dans la justice s’identifie avec le milieu réel, dans la mesure précisément où le rôle de la justice est de donner à chacun son dû, ni plus ni moins. Les autres vertus morales concernent au contraire les passions intérieures, où ce qui est droit ne peut être établi d’une manière uniforme parce que les hommes se comportent très diversement dans les passions ; c’est pourquoi il faut que la rectitude de la raison soit établie dans les passions par rapport à nous qui sommes atteints par elles.

Solutions :

On voit ainsi la réponse aux objections. Car les deux premiers arguments font penser au milieu de raison tel qu’il se rencontre effectivement dans l’acte même de la raison. Quant au troisième, il vaut pour le milieu en matière de justice.

 

            Article 3 — Les vertus intellectuelles consistent-elles dans un juste milieu ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. En effet, les vertus morales consistent dans un juste milieu en tant qu’elles se conforment à la règle de la raison. Mais les vertus intellectuelles sont dans la raison même, et ainsi elles n’ont pas, semble-t-il, de règle au-dessus d’elles. Elles ne consistent donc pas dans un juste milieu.

2. Le milieu de la vertu morale est déterminé par la vertu intellectuelle. Il est dit en effet dans l’Éthique que “ la vertu consiste dans un juste milieu, fixé par la raison, selon l’avis du sage ”. Donc, si la vertu intellectuelle à son tour consiste dans un milieu, il faut qu’il soit déterminé par une autre vertu. Et ainsi on ira à l’infini dans les vertus.

3. “ Un milieu est proprement entre les contraires ”, comme le Philosophe le montre. Mais dans l’intelligence la contrariété, à ce qu’il semble, n’existe pas, puisque même les contraires en tant qu’ils sont dans l’intelligence ne sont pas des contraires, mais sont pensés en même temps, comme blanc et noir, sain et malade. Il n’y a donc pas de milieu dans les vertus intellectuelles.

En sens contraire, on dit bien au livre VI de l’Éthique, que l’art est une vertu intellectuelle ; et pourtant au livre II, on dit qu’il y a dans l’art un juste milieu. Donc même la vertu intellectuelle consiste en un milieu.

Réponse :

Le bien d’une chose consiste dans un milieu selon qu’il se conforme à une règle ou mesure qu’il est possible de dépasser et de ne pas atteindre, nous l’avons dit plus haut. Or la vertu intellectuelle, nous l’avons dit aussi, est ordonnée au bien, comme la vertu morale. Par conséquent, selon que le bien de la vertu intellectuelle est en rapport avec la mesure, il est en rapport avec la notion de milieu. Mais le bien de la vertu intellectuelle, c’est le vrai : le vrai au sens absolu, s’il s’agit de vertu spéculative ; et, s’il s’agit de vertu pratique, le vrai en conformité avec un appétit correct.

Or le vrai de notre intelligence, considéré au sens absolu, est comme mesuré par la réalité. La réalïté est en effet la mesure de notre intelligence, disent les Métaphysique ; d’après ce que la réalité est ou n’est pas, il y a vérité dans l’opinion et dans le discours. C’est ainsi que le bien de la vertu intellectuelle consiste en un juste milieu par conformité avec la réalité même, en tant qu’on dit être ce qui est et n’être pas ce qui n’est pas. En cela consiste essentiellement le vrai. L’excès réside dans l’affirmation fausse par laquelle on dit être ce qui n’est pas. Le défaut se prend dans la négation fausse par laquelle on dit n’être pas ce qui est.

Quant au vrai de la vertu intellectuelle pratique, si on le rapporte à la réalité, il se présente comme mesuré. Et à cet égard le milieu s’entend par conformité avec la réalité de la même manière dans les vertus intellectuelles pratiques que dans les spéculatives. - Mais par rapport à l’appétit, il se présente comme une règle et comme une mesure. Aussi le milieu de la vertu morale est-il identique à celui de la prudence elle-même, à savoir la rectitude de la raison ; mais ce müieu appartient à la prudence en tant qu’elle règle et mesure, à la vertu morale en tant qu’ene est réglée et mesurée. Pareillement, l’excès et le défaut ne se prennent pas de la même manière de part et d’autre.

Solutions :

1. Même la vertu intellectuelle a sa mesure, nous venons de le dire, et le juste milieu est pris chez elle par conformité à cette mesure.

2. Il n’est pas nécessaire d’aller à l’infini dans les vertus, parce que la mesure et la règle de la vertu intellectuelle, ce n’est pas un autre genre de vertu, mais la réalité elle-même.

3. Les choses qui sont contraires dans la réalité ne gardent pas dans l’âme leur contrariété puisque l’une est la raison de connaître l’autre. Il y a toutefois dans l’intelligence la contrariété de l’affirmation et de la négation, et, comme dit Aristote, ce sont là des contraires. Car, bien que l’être et le non-être ne soient pas des contraires, ils s’opposent contradictoirement, si l’on considère ces expressions telles qu’elles existent dans les choses, puisque l’un est de l’être existant, et l’autre est pur non-être. Néanmoins, si on les rapporte à l’acte de l’âme, l’un comme l’autre dit quelque chose de positif. Ainsi être et non-être sont des contradictoires ; mais l’opinion par laquelle nous pensons que “ le bien est le bien ” est contraire à l’opinion par laquelle nous pensons “ que le bien n’est pas le bien ”. Et le milieu entre ces contraires c’est la vertu intellectuelle.

 

            Article 4 — Les vertus théologales consistent-elles dans un juste milieu ?

Objections :

1. Apparemment, oui. Car c’est là le bien des autres vertus. Or la vertu théologale dépasse en bonté les autres vertus. Donc elle est beaucoup plus encore dans un milieu.

2. Le milieu dans la vertu morale s’entend selon que l’appétit est réglé par la raison ; celui de la vertu intellectuelle, selon que notre intelligence est réglée par la réalité. Mais la vertu théologale, avons-nous dit plus haut, parfait tout ensemble l’intelligence et la volonté. Donc la vertu théologale, elle aussi, consiste dans un milieu.

3. L’espérance, qui est une vertu théologales est un milieu entre le désespoir et la présomption. Pareillement, la foi s’avance aussi, comme dit Boèce, “ dans un juste milieu entre les hérésies contraires ”. Confesser dans le Christ une seule personne et deux natures, c’est un milieu entre l’hérésie de Nestorius qui affirme deux personnes et deux natures, et celle d’Eutychès qui affirme une seule personne et une seule nature. La vertu théologale consiste donc bien en un milieu.

En sens contraire, partout où la vertu consiste en un milieu, on peut pécher par excès comme par défaut. Mais envers Dieu, qui est l’objet de la vertu théologale, on ne peut pécher par excès car il est écrit dans l’Ecclésiastique (43,30) : “ Vous qui bénissez Dieu, exaltez-le tant que vous pouvez, car il est au-dessus de toute louange. ” La vertu théologale ne se tient donc pas dans un milieu.

Réponse :

La vertu trouve son juste milieu, avons-nous dit, dans la conformité à sa règle ou mesure, parce qu’il peut lui arriver ou de la dépasser ou de ne pas l’atteindre. Or pour la vertu théologale on peut prendre une double mesure. Il y en a une dans l’essence même de la vertu. En ce sens la mesure, la règle de la vertu théologale est Dieu même ; notre foi en effet est réglée sur la vérité divine, notre charité sur la bonté de Dieu, notre espérance sur la grandeur de sa toute-puissance et de sa miséricorde. Et c’est là une mesure qui dépasse toute capacité humaine ; aussi ne peut-on jamais aimer Dieu autant qu’il doit être aimé, ni croire ou espérer en lui autant qu’on le doit. Aussi peut-on encore beaucoup moins y mettre de l’excès. Ainsi le bien d’une telle vertu ne consiste pas en un milieu, mais est d’autant meilleur qu’on s’approche davantage du summum.

Mais il y a pour la vertu théologale une autre règle ou mesure prise de notre côté. Car, bien que nous ne puissions nous porter vers Dieu autant que nous le devons, nous devons cependant être portés vers lui en croyant, en espérant et en aimant à la mesure de notre condition. Aussi peut-on, par accident, considérer dans la vertu théologale un milieu et des extrêmes de notre côté.

Solutions :

1. Le bien des vertus intellectuelles et morales consiste dans un milieu réalisé en conformité avec une règle ou mesure qu’il arrive de dépasser. Ce qui n’est pas possible, avons-nous dit, dans les vertus théologales, à parler formellement.

2. Les vertus morales et intellectuelles perfectionnent notre intelligence et notre appétit en les subordonnant à une mesure, à une règle créée ; les vertus théologales, en les subordonnant à une mesure et règle incréée. La comparaison n’est donc pas valable.

3. L’espérance tient le milieu entre la présomption et le désespoir, de notre côté, c’est-à-dire que quelqu’un est taxé de présomption lorsqu’il espère de Dieu un bien qui dépasse sa propre condition ; ou de désespoir s’il n’espère pas le bien que sa condition lui permettrait d’espérer. Mais du côté de Dieu, puisque sa bonté est infinie, il ne peut pas y avoir surabondance d’espoir. Semblablement, la foi aussi est dans un milieu entre des hérésies contraires, non par rapport à l’objet puisque cet objet est Dieu qu’on ne saurait trop croire ; mais en tant que notre manière humaine de penser tient le milieu entre des pensées contraires, comme on le voit d’après l’exemple donné ci-dessus.

 

QUESTION 65 — LA CONNEXION DES VERTUS

1. Les vertus morales sont-elles connexes ? - 2. Peuvent-elles exister sans la charité ? - 3. La charité peut-elle exister sans elles ? - 4. La foi et l’espérance peuvent-elles exister sans la charité ? - 5. La charité peut-elle exister sans la foi et l’espérance ?

 

            Article 1 — Les vertus morales sont-elles connexes ?

Objections :

1. Elles ne sont pas, à ce qu’il semble, dans une connexion nécessaire. Parfois en effet les vertus morales sont causées par l’exercice et la répétition des actes, comme il est prouvé au livre II de l’Éthique. Mais on peut être exercé dans les actes d’une vertu sans l’être dans les actes d’une autre. On peut donc avoir une vertu morale sans l’autre.

2. La magnificence et la magnanimité sont des vertus morales. Mais quelqu’un peut avoir les autres vertus morales sans avoir ces deux-là. Le Philosophe dit en effet que “ le pauvre ne peut pas être magnifique ”, alors qu’il peut avoir d’autres vertus. Le Philosophe dit encore que “ celui qui n’est digne que de petites choses et sait y montrer de la dignité, est un homme tempéré, mais n’est pas un magnanime ”. Les vertus morales ne sont donc pas connexes.

3. De même que les vertus morales perfectionnent la partie appétitive de l’âme, ainsi les vertus intellectuelles en perfectionnent la partie intellectuelle. Mais les vertus intellectuelles ne sont pas connexes ; car quelqu’un peut posséder une science sans en posséder une autre. Les vertus morales ne sont donc pas davantage connexes.

4. Si les vertus morales sont connexes, c’est seulement parce qu’elles ont un lien dans la prudence. Mais cela ne suffit pas pour la connexion des vertus morales. Il semble en effet qu’un homme pourrait être prudent quant aux actions qui relèvent d’une vertu, sans l’être en ce qui concerne une autre vertu. Ainsi peut-on posséder l’art pour une certaine fabrication, sans le posséder pour d’autres. Or la prudence est la droite règle de l’action. Donc il n’est pas nécessaire que les vertus morales soient connexes.

En sens contraire, S. Ambroise dit ceci : “ Les vertus sont connexes entre elles, et si enchaînées que celui qui en a une semble en avoir plusieurs. ” S. Augustin dit également que “ les vertus qui sont dans l’âme humaine ne sont nullement séparées les unes des autres ”. S. Grégoire dit à son tour qu’ “ une vertu sans les autres, est tout à fait nulle ou imparfaite ”. Et Cicéron affirme : “ Si tu avoues que tu ne possèdes pas une vertu, nécessairement tu n’en auras aucune. ”

Réponse :

La vertu morale peut s’entendre soit à l’état parfait soit à l’état imparfait. - A l’état imparfait, la vertu morale, comme la tempérance ou la force, n’est en nous qu’une inclination à entreprendre quelque chose dans la catégorie du bien, qu’une telle inclination existe en nous par nature, ou par entraînement. Si on les entend de cette façon, les vertus morales ne sont pas connexes ; nous voyons en effet quelqu’un qui, par tempérament ou par habitude, est prêt aux œuvres de la libéralité, et ne l’est cependant pas aux œuvres de la chasteté.

Mais, à l’état parfait, la vertu morale est un véritable habitus qui incline à bien accomplir l’œuvre bonne. Dans cette acception, il faut dire que les vertus morales sont connexes, comme c’est admis par presque tout le monde. A cela une double raison est assignée, selon qu’on distingue d’une manière différente les vertus cardinales.

Certains en effet, nous l’avons dit, les distinguent comme autant de conditions communes aux vertus, en ce sens que tout discemement ressortit à la prudence, toute rectitude à la justice, toute modération à la tempérance, toute fermeté d’âme à la force, en quelque domaine que l’on considère ces choses. A ce point de vue, la raison de la connexion apparaît manifestement : on ne peut pas reconnaître de la vertu dans la fermeté si elle ne s’accompagne pas de modération, de rectitude, de discernement ; et il en est de même des autres conditions. C’est ce motif que S. Grégoire assigne à la connexion des vertus lorsqu’il dit que “ si elles sont disjointes, elles ne peuvent être parfaites en tant que vertus, parce que la prudence n’est pas véritable si elle n’est pas juste, tempérante et forte ”. Et il continue ainsi à propos des autres vertus. S. Augustin, au livre VI sur la Trinité, donne une raison semblable.

D’autres au contraire distinguent ces vertus d’après leurs matières. A ce point de vue la raison de la connexion est indiquée par Aristote au livre VI de l’Éthique. Elle est dans ce fait, expliqué plus haut. qu’on ne peut avoir aucune vertu morale sans la prudence. Car le propre de la vertu morale, puisqu’elle est l’habitus du choix, c’est de faire de bons choix. Or, pour un bon choix, il ne suffit pas seulement d’une inclination à la fin requise, ce qui est directement recherché par l’habitus de la vertu morale ; mais en outre on devra choisir les justes moyens, ce qui est l’œuvre de la prudence, laquelle a pour fonction de discuter, juger et commander les moyens en vue de la fin. - Pareillement, on ne peut pas non plus avoir la prudence sans avoir les vertus morales. Car la prudence est la droite règle de l’action. Cette règle de raison découle, comme de ses principes, des fins mêmes de la conduite humaine. Et si l’on est bien disposé à l’égard de ces fins, c’est grâce aux vertus morales. Aussi, pas plus qu’on ne peut avoir une science spéculative sans l’intelligence des principes, ne peut-on avoir la prudence sans les vertus morales. Il s’ensuit manifestement que les autres vertus morales sont connexes.

Solutions :

1. Parmi les vertus morales, certaines perfectionnent l’homme selon l’état commun, c’est-à-dire quant aux choses qu’on doit faire cornrnunément, en toute vie humaine. Voilà pourquoi il faut que l’homme soit exercé dans les matières de toutes les vertus morales à la fois. Et à coup sûr, s’il s’exerce en tous ces domaines par des actes bien conduits, il acquerra les habitus de toutes ces vertus. Si au contraire il s’applique à bien se conduire dans une matière et non dans une autre, par exemple à bien se posséder dans les colères, mais non dans les convoitises, il acquerra un habitus pour refréner les colères, mais cet habitus n’aura pas raison de vertu, parce qu’il lui manque la prudence, faussée à l’égard des convoitises. De même, des inclinations naturelles n’ont pas parfaitement raison de vertu, si la prudence fait défaut.

En revanche, il y a des vertus morales qui perfectionnent l’homme selon un état éminent, comme la magnificence et la magnanimité. Aussi, parce que chacun n’a pas couramment l’occasion de s’exercer dans le domaine de ces vertus, quelqu’un peut avoir d’autres vertus morales sans posséder d’une manière actuelle l’habitus de celles-là, pour parler de vertus acquises. Mais s’il a acquis d’autres vertus, il possède celles-ci en puissance prochaine. En effet, lorsqu’un individu s’est acquis par l’exercice l’habitus de la libéralité avec des dons et des dépenses modestes, s’il lui survient une grosse fortune, il lui suffira d’un peu d’exercice pour acquérir l’habitus de la magnificence ; de même un géomètre acquiert par un peu d’application la science d’une conclusion à laquelle il n’avait encore jamais pensé. Or, on dit qu’on a déjà ce qu’on est sur le point d’avoir, selon ce mot du Philosophe, “ Quand il manque peu de chose, il semble qu’il ne manque rien. ”

2. Cela donne la réponse à la deuxième objection.

3. Les vertus intellectuelles concernent des matières variées, sans lien entre elles, comme le montre la diversité des sciences et des arts. C’est pourquoi on n’y trouve pas la connexion qui se rencontre dans les vertus morales concernant les passions et les opérations, lesquelles ont manifestement un lien entre elles. Car toutes les passions découlent de quelques-unes qui sont premières, à savoir l’amour et la haine, pour se terminer à quelques autres, à savoir la délectation et la tristesse. Et pareillement, toutes les opérations qui sont matière de la vertu morale ont un lien entre elles et aussi avec les passions. Et c’est pourquoi toute la matière des vertus morales tombe sous une seule raison de prudence. - Cependant, tous les objets intelligibles ont un lien avec les premiers principes. C’est par là que toutes les vertus intellectuelles dépendent de l’intelligence des principes, au même titre, avons-nous dit, que la prudence dépend des vertus morales. Mais les principes universels, objet de simple inteuigence, ne dépendent pas des conclusions dont s’occupent les autres vertus intellectuelles, comme les vertus morales dépendent de la prudence, du fait que d’une certaine manière l’appétit meut la raison et la raison l’appétit, comme nous l’avons dit plus haut.

4. Les choses auxquelles inclinent les vertus morales sont pour la prudence comme des principes, tandis que pour l’art les choses à fabriquer ne sont pas des principes, mais seulement une matière. Or il est évident que la raison peut bien être droite dans une partie de sa matière et non dans une autre, mais on ne peut aucunement parler de raison droite si l’on est en défaut sur un principe quelconque. Par exemple, si quelqu’un se trompait sur ce principe “ le tout est plus grand que la partie ”, il ne pourrait avoir aucune science de la géométrie, parce qu’il ne ferait que s’éloigner de la vérité dans les corollaires. - En outre, comme nous venons de le dire, les objets de l’action sont liés entre eux, non les objets de la fabrication. C’est pourquoi le défaut de prudence dans une seule partie du domaine de l’action mettrait aussi en défaut sur tous les autres points. Ce qui n’arrive pas dans le domaine de la fabrication.

 

            Article 2 — Les vertus morales peuvent-elles exister sans la charité ?

Objections :

1. Oui, sans doute. On lit en effet au livre des Sentences de Prosper que “ toute vertu, à l’exception de la charité, peut être commune aux bons et aux méchants ”. Mais il est dit au même endroit que “ la charité ne peut exister que chez les bons ”. C’est donc qu’on peut avoir les autres vertus sans elle.

2. Les vertus morales peuvent s’acquérir par les actes humains, dit le Philosophe. Mais on n’a la charité que par infusion, selon la parole de l’Apôtre (Rm 5,5) : “ L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. ” Donc on peut avoir les autres vertus sans la charité.

3. Les vertus morales sont liées entre elles en tant qu’elles dépendent de la prudence. Mais la charité ne dépend pas de la prudence ; bien plus, elle la dépasse, selon le mot de l’Apôtre (Ep 3,19) : “ L’amour du Christ surpasse toute connaissance. ” Les vertus morales ne sont donc pas en connexion avec la charité, mais peuvent exister sans elle.

En sens contraire, on lit en S. Jean (1 Jn 3,14) : “ Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. ” Mais ce sont les vertus qui parfont la vie spirituelle ; car c’est par elles “ que l’on vit d’une manière droite ”, dit S. Augustin. Elles ne peuvent donc exister sans la direction de la charité.

Réponse :

On l’a dit plus haut, tant que les vertus morales sont réalisatrices d’une perfection en harmonie avec une fin qui ne dépasse pas la capacité naturelle de l’homme, elles peuvent être acquises par des œuvres humaines. Acquises de la sorte, elles peuvent exister sans la charité, comme elles ont existé en fait chez beaucoup de paîens. - Mais dans la mesure où elles sont réalisatrices du bien ordonné à la fin ultime surnaturelle, alors elles ont pleinement et véritablement raison de vertu et ne peuvent être acquises par des actes humains mais sont infusées par Dieu. Et ces vertus morales ne peuvent exister sans la charité. En effet, nous l’avons dit plus haut, pour les autres vertus morales, elles ne peuvent exister sans la prudence ; mais la prudence ne peut exister non plus sans elles, en tant que ce sont elles qui font qu’on est bien disposé à l’égard de certaines fins d’où procède la raison de prudence. Or, pour que cette raison de prudence soit droite, il est encore davantage requis que l’on soit bien disposé à l’égard de la fin ultime, ce qui se fait par la charité, que de l’être à l’égard des autres fins, ce qui se fait par les vertus morales. De même, la droite raison en matière spéculative a surtout besoin de ce premier principe indémontrable, que les contradictoires ne sont pas vraies en même temps. Ainsi est-il évident que ni la prudence infuse ne peut exister sans la charité, ni en conséquence les autres vertus morales puisqu’elles ne peuvent exister sans la prudence.

Il est donc évident, d’après ce qu’on vient de dire, que seules les vertus infuses sont vraiment parfaites et doivent être appelées absolument vertus, parce qu’elles ordonnent bien l’homme à la fin absolument ultime. Quant aux autres, c’est-à-dire les vertus acquises, elles sont vertus relativement mais non pas absolument, car elles ordonnent bien l’homme en vue d’une fin ultime dans un genre, mais non en vue de la fin ultime absolument. De là, sur le passage de l’Apôtre (Rm 14,23) “ Tout ce qui ne vient pas de la foi est péché ”, la Glose de S. Augustin commente : “ Là où manque la connaissance de la vérité, il n’y a que fausse vertu, même avec de bonnes mœurs. ”

Solutions :

1. Les vertus sont entendues ici selon une raison imparfaite de vertu. Autrement, si la vertu morale est entendue selon la raison parfaite de vertu, elle rend bon celui qui la possède, et par suite elle ne peut exister chez les méchants.

2. L’argument est valable pour ce qui est des vertus morales acquises.

3. Bien que la charité dépasse la science et la prudence, la prudence dépend de la charité comme nous venons de le dire. Et par conséquent, toutes les verms morales infuses.

 

            Article 3 — La charité peut-elle exister sans les vertus morales ?

Objections :

1. On pourrait le penser. Si un moyen suffit pour atteindre son but, on ne doit pas en disposer plusieurs. Or à elle seule la charité suffit pour accomplir toutes les œuvres de vertu, comme on le voit dans le passage de la première épître aux Corinthiens (13, 4) : “ La charité est patiente, elle est douce, etc. ” Il semble donc que lorsqu’on a la charité, les autres vertus soient superflues.

2. Celui qui possède un habitus vertueux en accomplit facilement les œuvres, et ces œuvres lui plaisent par elles-mêmes ; aussi “ le signe même d’un habitus est le plaisir que l’on prend à agir ” dit l’Éthique. Mais beaucoup ont la charité, puisqu’ils sont sans péché mortel, qui cependant souffrent difficulté dans les œuvres vertueuses, et à qui ces œuvres ne plaisent pas par elles-mêmes mais uniquement selon qu’elles se réfèrent à la charité. Donc beaucoup ont la charité sans avoir les autres vertus.

3. La charité se trouve chez tous les saints. Mais il y en a pourtant parmi eux qui manquent de quelques vertus. Bède dit que les saints s’humilient bien plus au sujet des vertus qu’ils n’ont point, qu’ils ne se glorifient des vertus qu’ils ont. Il n’est donc pas nécessaire que celui qui possède la charité possède toutes les vertus morales.

En sens contraire, c’est par la charité que l’on accomplit toute la loi selon S. Paul (Rm 13, 6) : “ Qui aime le prochain a de ce fait accompli la loi. ” Mais la loi ne peut être accomplie entièrement qu’au moyen de toutes les vertus morales, puisque ses préceptes portent sur tous les actes de vertus, selon Aristote. Donc celui qui a la charité a toutes les vertus morales. - S. Augustin dit aussi dans une lettre que la charité englobe toutes les vertus cardinales.

Réponse :

Avec la charité sont infusées à la fois toutes les vertus morales. La raison en est que Dieu n’opère pas avec moins de perfection dans les œuvres de la grâce que dans celles de la nature. Or, dans les œuvres de la nature, nous voyons que le principe de quelques œuvres ne se trouve jamais chez un être sans qu’on trouve en lui ce qui est nécessaire au parfait accomplissement de ces œuvres. Ainsi les animaux ont les organes qui leur permettent d’accomplir parfaitement les œuvres pour lesquelles ils ont dans l’âme une capacité d’agir. Or il est manifeste que la charité, en tant qu’elle ordonne l’homme à la fin ultime, est le principe de toutes les œuvres bonnes qui peuvent être ordonnées à cette fin. Aussi faut-il qu’avec la charité soient infusées toutes les vertus morales qui permettent à l’homme d’accomplir toutes les sortes d’œuvres bonnes.

Ainsi est-il évident que les vertus morales infuses ont une connexion entre elles non seulement à cause de la prudence, mais aussi à cause de la charité ; et que celui qui perd la charité par le péché mortel, perd toutes les vertus morales infuses.

Solutions :

1. Pour que l’acte d’une puissance inférieure soit parfait, il faut qu’il y ait perfection non seulement dans la puissance supérieure mais aussi dans la puissance inférieure : quand bien même en effet l’agent principal se comporterait comme il faut, l’action parfaite ne s’ensuivrait pas si l’instrument n’était pas bien disposé. Aussi faut-il, pour être en mesure de bien agir dans ce qui mène à une fin, non seulement avoir la vertu par laquelle on est bien disposé envers la fin, mais encore les vertus par lesquelles on est bien disposé envers les moyens ; car la vertu concernant la fin joue le rôle de principe et de moteur à l’égard de celles qui regardent les moyens. Voilà pourquoi il est nécessaire d’avoir aussi les vertus morales avec la charité.

2. Il arrive parfois qu’ayant un habitus, on éprouve de la difficulté à agir, et par suite qu’on ne ressente pas de plaisir ni de complaisance dans l’acte, à cause de quelque empêchement survenant du dehors. Ainsi, celui qui est en possession d’un habitus de science éprouve parfois de la difficulté à penser, à cause du sommeil qui l’envahit ou de quelque malaise. Pareillement, les habitus des vertus morales infuses éprouvent parfois une difficulté à agir, à cause de dispositions contraires laissées par des actes précédents. C’est une difficulté qui n’arrive pas au même degré dans les vertus morales acquises, parce que l’exercice répété des actes, qui les font acquérir, fait disparaître même les dispositions contraires.

3. Quand on dit que des saints n’ont pas certaines vertus, c’est en tant qu’ils éprouvent de la difficulté dans les actes de ces vertus, pour la raison qu’on vient de dire, mais ils n’en possèdent pas moins les habitus de toutes les vertus.

 

            Article 4 — La foi et l’espérance peuvent-elles exister sans la charité ?

Objections :

1. Il semble que non. Car, étant vertus théologales, elles sont apparemment plus dignes que les vertus morales, même infuses. Mais les vertus morales infuses ne peuvent pas exister sans la charité. Donc ni la foi et l’espérance.

2. “ Nul ne croit sans le vouloir ”, dit S. Augustin. Or la charité est dans la volonté comme la perfection du vouloir, nous l’avons dit précédemment. La foi ne peut donc exister sans la charité.

3. S. Augustin dit encore “ que l’espérance ne peut exister sans amour ”. Donc l’espérance ne peut exister sans la charité.

En sens contraire, il est dit dans la Glose que “ la foi engendre l’espérance, et l’espérance la charité ”. Mais l’engendrant existe avant l’engendré et peut exister sans lui. Donc la foi peut exister sans l’espérance, et l’espérance sans la charité.

Réponse :

La foi et l’espérance, comme les vertus morales, peuvent être considérées de deux façons : dans un certain état initial, puis dans un état achevé de vertu. En effet, puisque la vertu est ordonnée à l’accomplissement de l’œuvre bonne, une vertu est appelée parfaite lorsqu’elle est capable d’une œuvre parfaitement bonne ; ce qui a lieu lorsque ce qui est fait, non seulement est bon, mais aussi est bien fait. Autrement, si ce qui est fait est bon mais n’est pas bien fait, l’œuvre ne sera pas parfaitement bonne ; par suite, l’habitus qui est le principe d’une telle œuvre ne réalisera pas non plus parfaitement la raison de vertu. Ainsi, quand quelqu’un fait des choses justes, il fait une bonne chose ; mais ce ne sera pas l’œuvre d’une vertu achevée, s’il ne la fait pas bien, c’est-à-dire d’après un choix droit, qui est 1’œuvre de la prudence ; et c’est pourquoi la justice sans la prudence ne peut être une vertu parfaite.

Ainsi donc la foi et l’espérance peuvent exister de quelque manière sans la charité ; mais sans la charité elles n’ont pas raison de vertu parfaite. En effet, puisque l’œuvre de la foi, c’est de croire Dieu, et que croire c’est, de son propre vouloir, donner son assentiment à quelqu’un, si l’on ne met pas dans son vouloir toute la mesure qu’on devrait, l’œuvre de la foi ne sera pas parfaite. Or la mesure qu’on doit mettre dans le vouloir est donnée par la charité qui vient parfaire la volonté ; car tout mouvement qui est droit dans la volonté procède, dit S. Augustin, d’un amour droit. Ainsi donc la foi existe sans la charité, mais non comme vertu parfaite ; elle est pareille à la force ou à la tempérance sans la prudence. - Et il faut dire la même chose de l’espérance. Car l’acte de l’espérance c’est attendre de Dieu la béatitude future. Assurément cet acte est parfait s’il s’appuie sur les mérites que l’on a, ce qui ne peut avoir lieu sans la charité. Mais, si cette attente se fonde sur des mérites qu’on n’a pas mais qu’on se propose d’acquérir à l’avenir, ce sera un acte imparfait, et qui peut exister sans la charité. - Voilà pourquoi la foi et l’espérance peuvent exister sans la charité, mais sans elle ce ne sont pas à proprement parler des vertus, puisqu’il est essentiel à la vertu que grâce à elle non seulement nous fassions quelque bien mais que nous le fassions bien, comme dit Aristote.

Solutions :

1. Les vertus morales dépendent de la prudence ; or la prudence infuse ne peut rien garder de la raison de prudence en dehors de la charité, puisqu’il n’y a plus alors de rapport au premier principe qui est la fin ultime. Mais la foi et l’espérance selon leurs raisons propres ne dépendent ni de la prudence ni de la charité. Et c’est pourquoi elles peuvent exister sans la charité bien que, nous venons de le dire, elles ne soient pas des vertus sans la charité.

2. Cet argument est valable pour la foi se présentant à l’état de vertu parfaite.

3. S. Augustin parle ici de l’espérance où l’attente de la béatitude future s’appuie sur des mérites qu’on a déjà ; ce qui n’a pas lieu sans la charité.

 

            Article 5 — La charité peut-elle exister sans la foi et l’espérance ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car la charité, c’est l’amour de Dieu. Mais nous pouvons aimer Dieu naturellement, même sans présupposé la foi, ni l’espérance de la béatitude future. Donc la charité peut exister sans la foi ni l’espérance.

2. La charité est la racine de toutes les vertus, selon la parole de l’Apôtre (Ep 3,17) : “ Enracinés et fondés dans la charité. ” Mais la racine existe parfois sans les rameaux. Donc la charité peut exister sans la foi ni l’espérance ni les autres vertus.

3. Il y eut dans le Christ une charité parfaite. Il n’eut cependant ni la foi ni l’espérance, puisqu’il fut, comme nous le dirons plus loind, parfait “ compréhenseur ”. La charité peut donc exister sans la foi ni l’espérance.

En sens contraire, “ sans la foi, dit l’Apôtre (He 11,6), il est impossible de plaire à Dieu ” ; plaire à Dieu est surtout évidemment affaire de charité, selon le mot des Proverbes (8,17) : “ J’aime ceux qui m’aiment. ” L’espérance est également, comme on l’a dit plus haut, la vertu qui mène à la charité. On ne peut donc avoir celle-ci sans la foi et l’espérance.

Réponse :

La charité ne signifie pas seulement l’amour de Dieu, mais encore une certaine amitié avec lui ; cere-ci ajoute à l’amour la réciprocité dans l’amour, avec une certaine communion mutuelle, comme il est expliqué au livre VIII de l’Éthique Que telles soient les conditions de la charité, on le voit bien par ce qui est écrit dans la première épître de S. Jean (4,16) : “ Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui ”, et dans la première épître aux Corinthiens (1,9). “ Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils. ” Or, cette communion de l’homme avec Dieu, qui est un certain commerce familier avec lui, c’est par la grâce qu’ici-bas dès à présent elle commence, mais c’est dans la gloire qu’elle se consommera à l’avenir. Cette double réalité, nous la possédons par la foi et l’espérance. De même donc que l’on ne pourrait avoir d’amitié avec quelqu’un si l’on n’avait soi-même m croyance ni espérance de pouvoir posséder quelque communauté de vie ou commerce familier avec lui, de même personne ne peut avoir avec Dieu cette amitié qu’est la charité s’il n’a pas la foi pour croire à cette sorte de société et de commerce de l’homme avec Dieu, et s’il n’espère pas appartenir lui-même à cette société.

De sorte que la charité ne peut aucunement exister sans la foi et l’espérance.

Solutions :

1. La charité n’est pas un amour quelconque de Dieu, mais l’amour par lequel nous chérissons Dieu comme cet objet de béatitude auquel nous ordonnons la foi et l’espérance.

2. La charité est la racine de la foi et de l’espérance en tant qu’elle leur communique la perfection de la vertu. Mais la foi et l’espérance dans leur essence propre sont présupposées à la charité, nous l’avons dit plus hautg, de telle sorte que la charité ne peut exister sans elles.

3. Le Christ n’a pas eu la foi et l’espérance à cause de ce qu’il y a d’imperfection en elles. Mais à la place de la foi il eut la vision à découvert ; et à la place de l’espérance, la pleine compréhension. Et c’est ainsi que la charité fut parfaite en lui.

 

QUESTION 66 — L’ÉGALITÉ DES VERTUS

1. La vertu peut-elle être plus ou moins grande ? - 2. Toutes les vertus existant en même temps chez le même individu sont-elles égales ? - 3. Comparaison des vertus morales avec les vertus intellectuelles. - 4. Comparaison des vertus morales entre elles. - 5. Des vertus intellectuelles entre elles. - 6. Des vertus théologales entre elles.

 

            Article 1 — La vertu peut-elle être plus ou moins grande ?

Objections :

1. Cela ne paraît pas possible. On lit en effet dans l’Apocalypse (21,16) que la cité de Jérusalem a quatre côtés égaux. Or d’après la Glose, ces côtés symbolisent les vertus. Donc celles-ci sont toutes égales et il ne peut y en avoir une plus grande qu’une autre.

2. Toutes les fois qu’une chose consiste par définition en un maximum, elle ne peut pas être plus ou moins grande. Mais la vertu consiste par définition dans un maximum, car elle est, pour le Philosophe, “ le point ultime de la puissance ”. Et S. Augustin dit que “ les vertus sont les plus grands biens, dont nul ne peut faire mauvais usage ”. Il semble donc impossible que la vertu soit plus ou moins grande.

3. La grandeur de l’effet se mesure à la force de l’agent. Mais les vertus parfaites, qui sont les vertus infuses, viennent de Dieu, dont la force est uniforme et infinie. Une vertu ne peut donc pas, semble-t-il, être plus grande qu’une autre.

En sens contraire, partout où il peut y avoir accroissement et surabondance, il peut y avoir inégalité. Or on trouve cela dans les vertus, puisqu’il est dit en S. Matthieu (5,20) : “ Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux ” ; et dans les Proverbes (15,5 Vg) : “ Dans l’abondance de la justice la vertu est à son comble. ” Il paraît donc que la vertu peut être plus ou moins grande.

Réponse :

Quand on cherche si une vertu peut être plus grande qu’une autre, la question peut s’entendre de deux façons.

1° Elle peut s’entendre de vertus d’espèces différentes. A ce point de vue, il est évident qu’une vertu est plus grande qu’une autre. Car la cause est toujours supérieure à son effet, et parmi les effets ce qui est le plus proche de la cause est le plus excellent. Or il est manifeste par ce qui a été dite que la cause et la racine du bien humain, c’est la raison. Voilà pourquoi la prudence, qui parfait la raison, l’emporte en perfection sur les vertus morales, qui perfectionnent la puissance appétitive en tant qu’elle participe de la raison. Et parmi ces vertus aussi, l’une est meilleure que l’autre dans la mesure où elle est plus proche de la raison. Aussi la justice qui réside dans la volonté est-elle préférée aux autres vertus morales, et la force qui est dans l’irascible, est-elle préférée à la tempérance qui est dans le concupiscible lequel participe moins de la raison, ainsi qu’on le voit au livre VII de l’Éthique.

2° La question peut s’entendre d’une vertu de la même espèce. Et à cet égard, selon ce qui a été dit plus haut lorsqu’il s’est agi de l’intensité des habitus, on peut dire qu’une vertu est plus ou moins grande de deux manières, en elle-même ou du côté du sujet participant. - Si l’on considère la vertu en elle-même, sa grandeur ou sa petitesse est mesurée par les objets auxquels elle s’étend. Or celui qui possède une vertu, par exemple la tempérance, la possède pour toutes les choses à quoi s’étend la tempérance. Ce qui n’arrive pas dans le cas de la science ni de l’art : tout grammairien ne sait pas toujours tout ce qui relève de la grammaire. Et à ce point de vue les stoïciens ont eu raison de dire, comme le rapporte Simplicius, que la vertu n’admet pas de degrés comme la science ou l’art, parce que la vertu consiste par déflnition en un degré maximum.

Mais si l’on considère la vertu du côté du sujet participant, il arrive qu’elle est plus grande ou plus petite, soit selon divers moments dans le même individu, soit selon les divers individus. Car, pour atteindre dans la vertu à ce juste milieu qui est conforme à la droite raison, un individu est mieux disposé qu’un autre, soit à cause d’une plus grande habitude, soit à cause d’une meilleure disposition de la nature ou d’un jugement de raison plus perspicace, ou même à cause d’un don plus grand de la grâce, puisque celle-ci est accordée à chacun “ selon que le Christ a mesuré ses dons ”, dit S. Paul aux Éphésiens (4,7). Et sur ce point les stoïciens étaient en défaut lorsqu’ils estimaient que personne ne doit être appelé vertueux, sinon celui qui aura été élevé au plus haut degré dans les dispositions à la vertu. En effet, il n’est pas exigé, pour qu’on réalise l’essence de la vertu, d’atteindre le milieu de la droite raison en un point indivisible, comme le pensaient les stoïciens, mais il suffit d’être près du milieu comme dit le Philosophe. Quand plusieurs visent le même but, fût-il indivisible, l’un peut l’atteindre avec plus d’adresse qu’un autre et de plus près ; on voit cela chez les archers qui tirent pourtant sur un but précis.

Solutions :

1. Cette égalité doit s’entendre non pas selon la grandeur absolue de chaque vertu mais suivant une proportion entre toutes ; effectivement, comme nous le dirons à l’article suivant, toutes les vertus grandissent en nous d’une manière proportionnée.

2. Ce point ultime qui relève de la vertu peut représenter dans le bien du plus ou du moins selon les modalités que nous venons d’envisager, puisque ce point ultime n’est pas un indivisible, comme on vient de le dire.

3. Dieu n’opère pas suivant une nécessité de nature, mais suivant l’ordre de sa sagesse ; c’est ainsi qu’il accorde aux hommes diverses mesures de vertu, selon cette parole adressée aux Éphésiens (4,7) : “ A chacun de vous la grâce a été accordée selon que le Christ a mesuré ses dons. ”

 

            Article 2 — Toutes les vertus existant en même temps chez le même individu sont-elles égales ?

Objections :

1. Il semble bien qu’elles n’ont pas toutes dans un seul et même individu une égale intensité. S. Paul dit en effet (1 Co 7,7) : “ Chacun reçoit de Dieu son don particulier, celui-ci d’une manière, celui-là d’une autre. ” Or aucun don ne serait plus qu’un autre propre à quelqu’un si chacun possédait d’une manière égale toutes les vertus qui sont infusées par Dieu. Il semble donc qu’elles ne sont pas toutes égales dans le même individu.

2. Si toutes les vertus étaient également intenses chez un seul et même homme, il s’ensuivrait qu’en dépassant quelqu’un dans une vertu on le dépasserait dans toutes les autres. Mais cela est évidemment faux, puisque les différents saints sont loués principalement pour des vertus différentes, Abraham pour sa foi, Moïse pour sa mansuétude, Job pour sa patience. Aussi, à propos de n’importe quel confesseur, chante-t-on dans l’Église : “ Il ne s’en est pas trouvé de pareil à lui pour bien garder la loi du Très-Haut ” (Si 44,20 Vg), chacun d’eux ayant eu effectivement la prérogative de quelque vertu. Toutes ne sont donc pas égales dans le seul et même homme.

3. Plus un habitus est intense, plus on a d’agrément et de promptitude à le mettre en activité. Mais à l’expérience on voit bien qu’un homme opère avec plus d’agrément et de promptitude l’acte d’une vertu que celui d’une autre. Toutes les vertus ne sont donc pas égales chez un seul et même individu.

En sens contraire, S. Augustin déclare que “ tous ceux qui sont égaux en force le sont aussi en prudence et en tempérance ”, et ainsi des autres vertus. Or ce ne serait pas le cas si toutes les vertus d’un individu n’étaient égales. Donc elles le sont toutes.

Réponse :

La grandeur de la vertu, d’après ce que nous avons dit, peut s’entendre de deux façons. - Elle peut s’entendre selon la raison même de son espèce. Et ainsi il n’est pas douteux qu’une vertu soit chez quelqu’un plus grande qu’une autre, comme la charité est plus grande que la foi et l’espérance. - Autrement, elle peut être envisagée selon la participation du sujet, c’est-à-dire selon qu’elle est chez lui intense ou relâchée. A ce point de vue, toutes les vertus d’un homme sont égales d’une certaine égalité de proportion en tant qu’elles croissent chez lui d’une manière égale, comme les doigts de la main qui sont inégaux en grandeur mais sont égaux en proportion, puisque leur croissance se fait d’une manière proportionnée.

Quant à la raison de cette sorte d’égalité, il faut l’entendre comme celle de la connexion des vertus, car l’égalité dans les vertus est une espèce de connexion dans l’ordre de la quantité. Or on a dit plus hauti que la raison de la connexion des vertus peut être précisée de deux manières. D’abord, selon la pensée de ceux qui entendent par ces quatre vertus quatre conditions d’ensemble dont chacune se rencontre en même temps que les autres dans n’importe quelle matière. Et ainsi, en quelque matière que ce soit, il ne peut être question d’égalité dans une vertu, si celle-ci n’a pas toutes ces conditions en quantité égale. Tel est le motif d’égalité que donne S. Augustin lorsqu’il écrit : “ Si vous dites que des gens sont de force égale mais que l’un d’eux l’emporte par la prudence, il s’ensuit que la force de l’autre devient moins prudente. Et, par là même, vos gens ne sont plus de force égale, dès lors que la force de l’un est plus prudente. Et vous trouverez la même chose pour les autres vertus si vous les parcourez toutes à ce même point de vue. ”

Le motif de la connexion des vertus a été indiqué d’une autre manière, d’après ceux qui pensent que ces sortes de vertus ont des matières déterminées. Sous cet aspect, le motif de la connexion des vertus morales est tiré de la prudence, et de la charité quant aux vertus infuses ; mais elle ne vient pas, avons-nous dit, de l’inclination qu’il y a du côté du sujet. Ainsi donc, la raison de l’égalité des vertus peut être tirée de la prudence, quant à ce qu’il y a de formel dans toutes les vertus morales : en effet lorsque la raison existe avec une perfection égale chez le même individu, il faut que le juste milieu conforme à la droite raison s’établisse proportionnellement dans toute la matière des vertus.

Mais si l’on regarde ce qu’il y a de matériel dans les vertus morales, à savoir l’incfination même à l’acte vertueux, un individu peut être plus prompt à l’acte d’une vertu qu’à celui d’une autre, soit par nature, soit par habitude, soit même par don de la grâce.

Solutions :

1. La phrase de l’Apôtre peut s’entendre des dons de la grâce gratuitement donnée ; ceux-là ne sont pas communs à tous, ni tous égaux dans le même individu. - Ou bien l’on peut dire qu’elle se réfère à la mesure de la grâce qui rend agréable (à Dieu), mesure d’après laquelle l’un abonde plus qu’un autre en toutes les vertus parce qu’il possède plus abondamment la prudence, ou même la charité, dans laquelle sont connexes toutes les vertus infuses.

2. Un saint est loué principalement pour une vertu, un autre pour une autre, à cause de leur plus excellente promptitude à l’acte d’une vertu qu’à celui d’une autre.

3. Cela donne aussi la réponse à la troisième objection.

 

            Article 3 — Comparaison des vertus morales avec les vertus intellectuelles

Objections :

1. Il semble que les vertus morales l’emportent sur les vertus intellectuelles. En effet, ce qui est plus nécessaire et plus permanent est meilleur. Mais les vertus morales sont “ plus permanentes même que les disciplines de l’esprit ” qui ne sont autres que les vertus intellectuelles, et elles sont également plus nécessaires à la vie humaine. Elles sont donc supérieures aux vertus intellectuelles.

2. Il est de l’essence de la vertu de “ rendre bon celui qui la possède ”. Or, selon les vertus morales l’homme est qualifié de bon, mais non selon les vertus intellectuelles, sauf peut-être selon la prudence uniquement. La vertu morale vaut donc mieux que la vertu intellectuelle.

3. La fin est plus noble que les moyens. Mais, comme dit le Philosophe, “ la vertu morale rectifie l’intention de la fin, tandis que la prudence rectifie le choix des moyens ”. Donc la vertu morale vaut mieux que la prudence, qui est vertu intellectuelle en matière morale.

En sens contraire, la vertu morale réside dans le rationnel par participation, la vertu intellectuelle dans le rationnel par essence, comme dit l’Éthique. Mais le rationnel par essence est plus noble que le rationnel par participation. Donc la vertu intellectuelle est plus noble que la vertu morale.

Réponse :

Quelque chose peut être dit plus ou moins grand de deux manières : absolument et relativement. Car rien n’empêche que quelque chose soit meilleur absolument, comme “ philosopher vaut mieux que s’enrichir ”, sans que ce soit meilleur relativement, ainsi “ pour le nécessiteux ”.

Or, on envisage chaque chose d’une manière absolue quand on l’envisage selon la raison propre de son espèce. Mais la vertu, nous l’avons dit, est spécifiée par l’objet. Dès lors, à parler absolument, la vertu la plus noble est celle qui a l’objet le plus noble. Or, il est évident que l’objet de la raison est plus noble que celui de l’appétit ; car la raison saisit quelque chose dans l’universel, tandis que l’appétit se porte vers les réalités qui ont une existence particulière. Aussi, à parler absolument, les vertus intellectuelles qui perfectionnent la raison sont plus nobles que les vertus morales qui perfectionnent l’appétit.

Mais si l’on considère la vertu par rapport à l’acte, alors la vertu morale est plus noble, puisqu’elle perfectionne l’appétit, auquel il appartient de porter à l’acte les autres puissances, nous l’avons dit. Et, comme la vertu reçoit son nom du fait qu’elle est le principe d’un acte, parce qu’elle est la perfection de la puissance, il suit de là également que la raison formelle de vertu convient davantage aux vertus morales qu’aux vertus intellectuelles, bien que celles-ci soient de façon absolue des habitus plus nobles.

Solutions :

1. Les vertus morales sont plus permanentes que les intellectuelles, à cause de l’usage qu’on en fait dans le courant de la vie. Mais si l’on considère l’objet, celui des disciplines de l’esprit, puisqu’il est le nécessaire et se présente toujours de la même façon, est plus permanent que celui des vertus morales, lequel est une certaine chose à faire en particulier.

Quant à ce fait que les vertus morales sont plus nécessaires à la vie humaine, il ne montre pas qu’elles sont plus précieuses absolument, mais de ce point de vue. Qui plus est, les vertus intellectuelles spéculatives, par cela même qu’elles sont ordonnées à autre chose, comme un bien utile est ordonné à une fin, sont plus dignes. C’est en effet ce qui a lieu puisque grâce à elles la béatitude est en quelque sorte commencée en nous, cette béatitude qui consiste, avons-nous dit, dans la connaissance de la vérité.

2. On dit que l’homme est bon absolument grâce aux vertus morales, et non grâce aux vertus intellectuelles, pour ce motif que c’est l’appétit qui porte les autres puissances à leurs actes, comme nous l’avons dit précédemment. Aussi on ne prouve rien par là, si ce n’est que la vertu morale est meilleure relativement.

3. La prudence dirige les vertus morales non seulement en élisant les moyens pour la fin, mais aussi en désignant la fin. Chaque vertu morale a pour fin d’atteindre le juste milieu dans sa matière propre, et précisément ce milieu est déterminé d’après la droite règle de la prudence.

 

            Article 4 — Comparaison des vertus morales entre elles

Objections :

1. Il semble que la justice ne soit pas la principale des vertus morales. En effet, il est plus grand de donner à quelqu’un de son propre bien que de rendre à quelqu’un ce qui lui est dû. Mais le premier point regarde la libéralité, le second la justice. Il semble donc que la libéralité est une vertu plus grande que la justice.

2. Ce qu’il y a de plus parfait en chaque chose est, semble-t-il, ce qu’il y a de plus grand en elle. Mais, S. Jacques dit (1,4) : “ La patience fait œuvre parfaite. ” Il paraît donc qu’elle est plus grande que la justice.

3. “ La magnanimité, dit le Philosophe, agit grandement dans toutes les vertus. ” Donc ene magnifie même la justice. Elle est donc plus grande que la justice.

En sens contraire, le Philosophe affirme que “ la justice est la plus éclatante des vertus ”.

Réponse :

Une vertu peut être appelée, selon son espèce, plus grande ou plus petite, soit absolument, soit relativement.

Absolument, une vertu est appelée plus grande selon que se reflète en elle un plus grand bien de la raison, comme nous l’avons dit. Et à cet égard la justice est la première en excellence parmi toutes les vertus morales, comme étant plus proche de la raison. C’est évident et par le sujet et par l’objet. Par le sujet, puisqu’elle a son siège dans la volonté et que celle-ci est l’appétit rationnel, nous l’avons dit. Par l’objet ou matière, puisqu’elle concerne les opérations par lesquelles on est ordonné non seulement en soi-même mais encore envers autrui. D’où le mot de l’Éthique : “ La justice est la plus éclatante des vertus. ” - Parmi les autres vertus morales, lesquelles concernent les passions, le bien de la raison se reflète d’autant plus en chacune que le mouvement appétitif est soumis à la raison en de plus grandes choses. Or ce qu’il y a de plus grand pour l’homme, c’est la vie, de laquelle tout le reste dépend. Voilà pourquoi la force qui soumet le mouvement appétitif à la raison dans les affaires de vie et de mort, tient la première place parmi les vertus morales en matière de passions, tout en étant placée au-dessous de la justice. D’où cette affirmation d’Aristote : “ Les plus grandes vertus sont nécessairement celles qui sont le plus en honneur chez autrui, puisque la vertu est une puissance bienfaisante. C’est pourquoi on honore surtout ceux qui sont forts et ceux qui sont justes, car cette force est grondement utile à la guerre, et cette justice, à la guerre comme en temps de paix. ” Après la force, on range la tempérance qui assujettit l’appétit à la raison dans les matières qui sont immédiatement ordonnées à la vie de l’homme, soit dans son identité individuelle, soit dans son identité spécifique, c’est-à-dire dans la nourriture et dans la sexualité. Et c’est ainsi que ces trois vertus, conjointement avec la prudence, sont qualifiées de principales, même en dignité.

Relativement, une vertu est appelée plus grande selon qu’elle fournit un appui ou un ornement à une vertu principale. De même, la substance a plus de dignité absolue que l’accident, mais un accident est parfois plus précieux relativement que la substance, en raison de la perfection qu’il assure à cere-ci dans quelque mode d’être accidentel.

Solutions :

1. Il faut que l’acte de la libéralité soit fondé sur celui de la justice, car, dit Aristote, “ on ne ferait pas un cadeau libéral si l’on ne donnait de son propre bien ”. C’est pourquoi la libéralité ne pourrait exister sans la justice qui sépare ce qui lui appartient de ce qui ne lui appartient pas. Mais la justice peut exister sans la libéralité. Aussi est-elle plus grande absolument que la libéralité, comme étant plus commune et le fondement de celle-ci. En revanche, la libéralité est plus grande relativement, puisqu’elle est un ornement de la justice et son supplément.

2. On dit que la patience fait “ œuvre parfaite ” dans l’endurance des maux : là elle exclut non seulement la vengeance injuste, qu’exclut aussi la justice, non seulement la haine, ce que fait la charité, non seulement la colère, ce que fait la mansuétude ; mais elle exclut même la tristesse immodérée qui est la racine de tout ce qu’on vient de dire. C’est pourquoi elle est plus parfaite et plus grande, en ce qu’elle extirpe une racine en cette matière. - Mais elle n’est pas plus parfaite absolument que toutes les autres vertus. Car la force ne se borne pas, comme fait la patience, à supporter sans trouble les difficultés, elle va même les affronter s’il en est besoin. C’est pourquoi tout homme fort est patient, mais non réciproquement, car la patience est une partie de la force.

3. La magnanimité ne peut exister que si les autres vertus préexistent, dit le Philosophe. Aussi est-elle pour les autres comme leur ornement. Et de la sorte, elle est plus grande qu’elles toutes relativement, mais non absolument.

 

            Article 5 — Comparaison des vertus intellectuelles entre elles

Objections :

1. Il semble que la sagesse ne soit pas la plus grande des vertus intellectuelles. Car celui qui commande est plus grand que celui à qui l’on commande. Mais il paraît bien que la prudence commande à la sagesse. En effet, d’après l’Éthique, “ C’est elle qui ordonne d’avance quelles sont les disciplines à cultiver dans les cités, par chacun, et jusqu’où ”. Il s’agit de la politique qui relève de la prudence, selon le même ouvrage. Donc, puisque parmi les disciplines de l’esprit on compte aussi la sagesse, il s’ensuit que la prudence est plus grande que la sagesse.

2. Il est essentiel à la vertu d’ordonner l’homme à la félicité : la vertu est en effet “ dans l’être parfait la disposition au meilleur ”, dit le Philosophe. Or la prudence est la droite règle de l’action qui conduit l’homme à la félicité ; la sagesse, au contraire, ne s’occupe pas des actes humains par lesquels pourtant on parvient à la béatitude. Donc la prudence est une plus grande vertu que la sagesse,

3. Plus une connaissance est parfaite, plus elle a de grandeur, semble-t-il. Mais nous pouvons avoir une plus parfaite connaissance des réalités humaines, objet de la science, que des réalités divines, objet de la sagesse, selon la distinction empruntée à S. Augustin. Le fait est que le divin est incompréhensible selon la parole de job (36,26) : “ Dieu est si grand qu’il dépasse notre savoir. ” La science est donc une plus grande vertu que la sagesse.

4. La connaissance des principes a plus de prix que celle des conclusions. Or, tout comme les autres sciences, la sagesse tire des conclusions à partir de principes indémontrables qui sont objet de simple intelligence. Cette simple intelligence est donc une plus grande vertu que la sagesse.

En sens contraire, le Philosophe dit que “ la sagesse est comme la tête des vertus intellectuelles. ”

Réponse :

Comme nous l’avons dit, c’est par l’objet que l’on mesure la grandeur spécifique d’une vertu. Or, parmi les objets de toutes les vertus intellectuelles, celui de la sagesse est le premier en excellence. Elle considère en effet la cause la plus haute qui est Dieu, comme il est affirmé au début des Métaphysiques. Et parce qu’on juge des effets par la cause, et des causes inférieures par la cause supérieure, il revient à la sagesse de juger de toutes les autres vertus intellectuelles il lui revient de les organiser toutes, et elle a pour ainsi dire un rôle d’architecte à l’égard de toutes.

Solutions :

1. Puisque la prudence regarde leà réalités humaines alors que la sagesse a pour objet la cause la plus haute, il est impossible que la première soit une plus grande vertu que la seconde, sauf comme il est dit au livre VI de l’Éthique, “ si l’homme était tout ce qu’il y a de plus grand au monde. ” Il faut donc reconnaître, comme on le fait au même livre, que “ la prudence ne commande pas à la sagesse ”, mais plutôt l’inverse, puisque “ l’homme spirituel juge de tout et lui-même n’est jugé par personne ”, dit l’Apôtre (1 Co 2,15). En effet, la prudence n’a pas à se mêler des réalités très élevées qui sont l’objet de la sagesse ; mais elle commande pour tout ce qui ordonne à la sagesse ; autrement dit, elle prescrit aux hommes comment ils doivent parvenir à la sagesse. De sorte qu’elle est en cela au service de la sagesse ; même s’il s’agit de la prudence politique ; la prudence introduit auprès de la sagesse en préparant les entrées chez elle comme fait l’huissier chez le roi.

2. La prudence considère ce qui mène à la félicité, mais la sagesse considère l’objet même de la félicité, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus élevé dans l’ordre intelligible. Et si ce regard de la sagesse sur son objet était dans sa perfection, à coup sûr on trouverait dans l’acte de cette vertu la félicité parfaite. Mais parce qu’en cette vie l’acte de la sagesse est imparfait en face du principal objet qui est Dieu, à cause de cela il constitue un commencement ou une participation de la félicité future. Même ainsi il se tient plus près de la félicité que ne fait la prudence.

3. Comme dit le Philosophe, “ une connaissance est préférée à une autre, tantôt parce que l’objet en est plus noble, tantôt parce que la certitude en est plus grande ”. Donc, avec une matière égale en perfection et en noblesse, la vertu qui offre le plus de certitude sera la plus grande. Mais la connaissance, même moins certaine et moins exacte, portant sur des objets plus élevés et plus grands est préférée à la connaissance plus exacte portant sur des réalités inférieures. C’est pourquoi le Philosophe dit qu’il y a de la grandeur à pouvoir conneitre quelque chose des réalités célestes, même par des raisons faibles et simplement topiques. Et ailleurs il avoue “ qu’il y a plus d’agrément à connaître quelque petite chose sur des réalités plus nobles, qu’à connaître beaucoup de choses sur des réalités plus modestes ”. Donc la sagesse, à laquelle il appartient de connaître Dieu, ne peut advenir à l’homme, surtout en l’état de cette vie, d’une manière parfaite au point d’être pour ainsi dire sa possession, mais c’est là, dit le Philosophe, “ une chose qui est à Dieu seul ”. Cependant cette modique connaissance que l’on peut avoir de Dieu par la sagesse est préférable à tout autre savoir.

4. La vérité et la connaissance des principes indémontrables dépend de la raison de leurs termes ; quand on sait ce qu’est le tout et ce qu’est la partie, on saisit aussitôt que le tout est toujours plus grand que sa partie. Or, bien connaître les notions d’être et de non-être, de tout et de partie, et des autres propriétés consécutives à l’être, toutes choses qui entrent comme termes dans la constitution des principes indémontrables, c’est du ressort de la sagesse, parce que l’être en général est l’effet propre de la plus haute cause, c’est-à-dire de Dieu. Et c’est pourquoi la sagesse fait usage des principes indémontrables, objet de la simple intelligence, non seulement pour en tirer des conclusions comme font les autres sciences, mais aussi pour juger de ces principes et les défendre contre ceux qui les nient. Il suit de là que la sagesse est une vertu plus grande que la simple intelligence.

 

            Article 6 — Comparaison des vertus théologales entre elles

Objections :

1. Il semble que la charité ne soit pas la plus grande des vertus théologales. En effet puisque la foi est dans l’intelligence et que l’espérance et la charité sont dans les facultés appétitives, nous l’avons dit, il semble que la foi soit avec l’espérance et la charité dans le même rapport que la vertu intellectuelle avec la vertu morale. Mais nous avons vu que la vertu intellectuelle est plus grande que la vertu morale. Donc la foi est plus grande que l’espérance et la charité.

2. Ce qui se présente par addition à une autre chose paraît avoir plus de grandeur que celle-ci. Mais, à ce qu’il semble, l’espérance se présente par addition à la charité, car l’espérance présuppose l’amour, dit S. Augustin ; elle y ajoute un certain mouvement de tension vers la réalité aimée. L’espérance est donc plus grande que la charité.

3. La cause est supérieure à l’effet. Mais la foi et l’espérance sont cause de la charité. La Glose dit expressément que “ la foi engendre l’espérance, et celle-ci la charité ”. Ces deux vertus sont donc plus grandes que la charité.

En sens contraire, il y a cette parole de l’Apôtre (1 Co 13,13) : “ Maintenant demeurent la foi, l’espérance, la charité ; elles sont trois, mais la plus grande d’entre elles est la charité. ”

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit, on envisage la grandeur spécifique d’une vertu à partir de son objet. Or les trois vertus théologales regardent Dieu comme leur objet propre. Si l’on dit l’une d’elles plus grande qu’une autre, cela ne peut donc venir de ce qu’elle concerne un objet plus grand, mais de ce qu’elle se tient plus près qu’une autre de cet objet. C’est de cette manière que la charité est plus grande que les autres. Car celles-ci comportent dans leur notion même une certaine distance à l’égard de l’objet ; en effet, la foi porte sur des réalités qu’on ne voit pas, l’espérance sur des réalités qu’on n’a pas. Mais l’amour de charité a pour objet ce que l’on a déjà ; d’une certaine manière en effet, l’objet aimé est dans celui qui aime, et de son côté celui-ci est entraîné par son affection à ne faire qu’un avec l’aimé ; c’est pourquoi S. Jean dit dans sa première épître (4,16) : “ Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui. ”

Solutions :

1. La foi ni l’espérance n’ont pas avec la charité la même relation que la prudence avec la vertu morale. Et cela pour deux raisons :

1° Parce que les vertus théologales ont un objet qui est au-dessus de l’âme humaine, alors que la prudence et les vertus morales s’occupent de ce qui est au-dessous de l’homme. Or, s’il s’agit de ce qui est au-dessus de nous, la direction a plus de prix que la connaissance. Car la connaissance est parfaite selon que l’objet connu, est dans le connaissant ; la direction, au contraire, selon que celui qui aime est entraîné vers la réalité aimée. Or ce qui nous est supérieur est plus noble en soi-même qu’en nous, parce que chaque fois qu’un être est dans un autre, c’est en empruntant le mode d’être de celui en qui il est. Mais c’est l’inverse quand il s’agit de ce qui est au-dessous de nous.

2° Parce que la prudence modère les mouvements appétitifs qui appartiennent aux vertus morales ; mais la foi ne modère pas le mouvement appétitif de tendance vers Dieu qui appartient aux vertus théologales ; elle se borne à en montrer l’objet.

Quant au mouvement appétitif vers cet objet, il déborde la connaissance humaine, selon ce mot de l’Apôtre (Ep 3,19) sur “ la charité du Christ qui surpasse toute connaissance ”.

2. L’espérance présuppose l’amour de ce qu’on espère se procurer. C’est là de l’amour de convoitise, par lequel, convoitant un bien, on s’aime soi-même plus qu’autre chose. Mais la charité implique un amour d’amitié auquel, comme nous l’avons dit, l’espérance aide à parvenir.

3. La cause qui perfectionne est supérieure à l’effet ; mais non celle qui prépare. Car en ce cas la chaleur du feu serait supérieure à l’âme, puisqu’elle prépare une matière pour celle-ci ; conclusion évidemment fausse. Or c’est ainsi que la foi engendre l’espérance et que l’espérance engendre la charité, c’est-à-dire en tant que l’une est une préparation à l’autre.

 

QUESTION 67 — LA DURÉE DES VERTUS APRÈS CETTE VIE

1. Les vertus morales demeurent-elles après cette vie ? - 2. Et les vertus intellectuelles ? - 3. Et la foi ? - 4. L’espérance demeure-t-elle ? - 5. Demeure-t-il quelque chose de la foi, ou de l’espérance ? - 6. La charité demeure-t-elle ?

 

            Article 1 — Les vertus morales demeurent-elles après cette vie ?

Objections :

1. Selon toute apparence, non. Car dans l’état de la gloire future les hommes seront semblables aux anges, comme il est dit en S. Matthieu (22,30). Mais il est ridicule de supposer chez les anges des vertus moralesa. Il n’y en aura donc pas non plus chez les hommes après cette vie.

2. Les vertus morales perfectionnent l’homme dans la vie active. Mais la vie active ne demeure pas après cette vie : “ Les œuvres de la vie active, dit S. Grégoire, passent avec le corps. ” Donc les vertus morales ne demeurent pas après la vie présente.

3. La tempérance et la force qui sont des vertus morales appartiennent aux fonctions non rationnelles de l’âme, dit le Philosophe. Or ces fonctions disparaissent avec le corps, puisqu’elles sont les actes d’organes corporels. Il semble donc que les vertus morales ne demeurent pas après cette vie.

En sens contraire, il est écrit dans la Sagesse (1,15) que “ la justice est perpétuelle et immortelle ”.

Réponse :

Selon S. Augustin, Cicéron a estimé que les quatre vertus cardinales n’existent plus après cette vie, mais que dans l’autre vie les hommes “ sont heureux uniquement par la connaissance de cette nature en laquelle on ne peut rien trouver qui soit meilleur et plus aimable ”, sous-entendu : “ que cette nature même qui a créé toutes les natures ”, comme S. Augustin le dit en cet endroit. Mais lui-même après cela définit que ces quatre vertus existent encore dans la vie future, cependant sous un autre mode.

Pour y voir clair, il faut savoir que dans ces vertus il y a quelque chose de formel, et quelque chose qui tient lieu de matière. Leur côté matériel, c’est le penchant des appétits vers les passions ou vers les opérations, selon une certaine mesure. Mais puisque cette mesure est déterminée par la raison, il s’ensuit que, dans toutes les vertus, le formel est l’ordre même de la raison.

Ainsi donc, il faut affirmer que ces vertus morales ne demeurent pas dans la vie future quant à ce qu’elles ont de matériel. Car les convoitises et les plaisirs relatifs à la nourriture et aux activités sexuelles n’auront pas place dans la vie future ; ni non plus les craintes et les audaces relatives aux périls de mort ; ni non plus les distributions et les échanges appelés par la pratique de la vie présente. Mais quant à ce qu’elles ont de formel, ces vertus subsisteront après cette vie chez les bienheureux à leur plus haut degré de perfection ; c’est-à-dire que la raison de chacun sera dans la plus grande rectitude selon son état, et que l’appétit sera mû entièrement selon l’ordre de la raison pour tout ce qui ressortit à cet état. D’où, ces réflexions de S. Augustin dans le même passage : “ La prudence sera là sans aucun péril d’erreur ; la force, sans l’ennui des maux à supporter ; la tempérance sans l’opposition des mauvais désirs. La prudence sera de ne préférer ni égaler à Dieu aucun bien ; la force, d’être attaché à lui avec la plus grande fermeté ; la tempérance, de se délecter sans aucune défaillance coupable. Quant à la justice, il est encore plus évident que l’acte qu’elle aura là-haut ce sera d’être soumis à Dieu ”, parce que même en cette vie il appartient à la justice qu’on soit soumis à son supérieur.

Solutions :

1. Le Philosophe parle là de nos vertus morales en ce qu’elles ont de matériel ; ainsi, à propos de la justice, il pense aux “ échanges, ventes et achats ” ; à propos de la force, aux “ choses qui font peur et aux périls ” ; à propos de la tempérance, aux “ convoitises dépravées ”.

2. Il faut en dire autant pour la seconde objection. Les choses de la vie active sont pour les vertus comme le côté matériel.

3. Nous aurons deux états après cette vie : l’un avant la résurrection, quand les âmes seront séparées de leurs corps ; l’autre après la résurrection, quand les âmes seront de nouveau unies à leurs corps. - En cet état de résurrection, il y aura des puissances non rationnelles dans les organes du corps comme il y en a maintenant. De sorte qu’il pourra y avoir de la force dans l’irascible, et de la tempérance dans le concupiscible, en tant que l’une et l’autre puissance seront parfaitement disposées à obéir à la raison. - Mais dans l’état précédant la résurrection, les fonctions non rationnelles ne seront pas dans l’âme d’une manière actuelle, elles n’y seront que par leur racine dans l’essence de l’âme elle-même, comme on l’a dit dans la première Partie. Aussi les vertus de cette sorte n’existeront pas non plus d’une manière actuelle, si ce n’est en leur racine, c’est-à-dire dans la raison et dans la volonté où il y a, avons-nous dit, des germes de ces vertus. Toutefois, la justice qui réside dans la volonté subsistera même d’une manière actuelle ; c’est pourquoi on a dit d’elle spécialement qu’elle est “ perpétuelle et immortelle ”, tant en raison du sujet, puisque la volonté est une faculté qui ne peut périr, qu’à cause aussi de la similitude de l’acte qui est le même, comme nous venons de le dire, en cette vie et en l’autre.

 

            Article 2 — Les vertus intellectuelles demeurent-elles après cette vie ?

Objections :

1. Il semble que non. L’Apôtre écrit en effet que “ la science sera détruite ”, et la raison en est que nous avons là une “ connaissance partielle ” (1 Co 13,8.9). Mais, si la connaissance de science est partielle, c’est-à-dire imparfaite, il en est de même des autres vertus intellectuelles, aussi longtemps que dure cette vie. Toutes ces vertus cesseront donc après cette vie.

2. Le Philosophe dit que la science, puisqu’elle est un habitus, est une qualité difficilement changeante ; en effet, elle ne se perd pas facilement, si ce n’est par quelque forte modification organique ou par maladie. Mais il n’y a pas de modification du corps humain aussi grande que celle qui se fait par la mort. Ni la science ni les autres vertus intellectuelles ne demeurent donc après cette vie.

3. Les vertus intellectuelles perfectionnent l’intelligence pour le bon accomplissement de son acte propre. Mais cet acte, semble-t-il, n’existe plus après cette vie du fait que “ l’âme n’a plus aucune pensée sans image ”, d’après Aristote ; or les images ne subsistent pas après cette vie puisqu’elles n’existent que dans des organes corporels. Les vertus intellectuelles ne subsistent donc pas non plus après cette vie.

En sens contraire, la connaissance de l’universel et du nécessaire est plus ferme que celle du particulier et du contingent. Mais il demeure en l’homme après cette vie une connaissance de choses particulières contingentes, par exemple de ce qu’il a fait et souffert, selon cette parole de S. Luc (16,25) : “ Souviens-toi que tu as reçu des biens pendant ta vie et que Lazare a reçu des maux. ” Donc la connaissance de l’universel et du nécessaire, objet de la science et des autres vertus intellectuelles, demeure bien davantage.

Réponse :

Ainsi que nous l’avons dit dans la première Partie, certains ont soutenu que les espèces intelligibles ne sont pas en permanence dans l’intellect passif si ce n’est lorsqu’il fait acte d’intelligence ; en dehors de la pensée actuelle, il n’y aurait pas la moindre conservation d’espèces, si ce n’est dans les facultés sensibles qui sont les actes d’organes corporels, c’est-à-dire dans l’imagination et dans la mémoire. Or ce sont là des facultés qui disparaissent avec le corps. Aussi, dans cette position, la science ne restera d’aucune manière après cette vie, une fois le corps détruit ; ni non plus aucune autre vertu intellectuelle.

Mais cette opinion contredit la pensée d’Aristote qui affirme au livre III du traité De l’Ame que “ l’intellect passif est en acte du fait qu’il devient chaque chose en la connaissant, alors qu’il n’est cependant qu’en puissance à y penser d’une manière actuelle ”. - Cette opinion contredit aussi la raison, car les espèces intelligibles sont reçues dans l’intellect passif de façon immuable selon le mode du récepteur. C’est pourquoi cet intellect est appelé “ le lieu des espèces ”, étant pour ainsi dire le conservatoire des espèces intelligibles.

Toutefois, il est bien vrai, comme nous l’avons dit dans la première Partie, que l’homme en cette vie pense à condition de regarder les images pour y appliquer les espèces intelligibles. Or les images sont détruites avec le corps. Donc, quant à ces images qui sont pour ainsi dire le matériel des vertus intellectuelles, on peut dire que ces vertus sont détruites avec le corps. Mais quant aux espèces intelligibles qui résident dans l’intellect passif, les vertus intellectuelles demeurent ; or de telles espèces sont comme le formel de ces vertus. Aussi celles-ci demeurent-elles après cette vie par leur côté formel, mais non par leur côté matériel, comme nous l’avons dit à propos des vertus morales.

Solutions :

1. La parole de l’Apôtre doit s’entendre de ce qu’il y a de matériel dans la science, et aussi du mode de penser. Le fait est qu’une fois le corps détruit les images ne subsisteront pas, et que l’usage de la science ne se fera plus par recours aux images.

2. Par la maladie l’habitus de science est détruit dans ce qu’il a de matériel, c’est-à-dire dans les images, mais non dans les espèces intelligibles, qui ont leur siège dans l’intellect passif.

3. L’âme séparée possède après la mort, comme nous l’avons dit dans la première Partie, une autre manière de penser que par recours aux images. Et ainsi la science demeure, non pas cependant selon la même manière d’opérer, comme nous l’avons aussi remarqué pour les vertus morales.

 

            Article 3 — La foi demeure-t-elle après cette vie ?

Objections :

1. Il semble que la foi demeure après cette vie, car elle est plus noble que la science, et nous venons de voir que celle-ci demeure. Donc la foi aussi.

2. “ Personne, dit l’Apôtre (1 Co 3,11), ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, qui est le Christ Jésus ”, c’est-à-dire la foi au Christ Jésus. Mais, le fondement enlevé, il ne reste rien de ce qui est bâti dessus. Donc, si la foi ne demeurait pas après cette vie, aucune autre vertu ne demeurerait.

3. Connaissance de foi et connaissance de gloire diffèrent comme le parfait et l’imparfait. Mais une connaissance imparfaite peut cœxister avec une connaissance parfaite ; ainsi, chez l’ange, il peut y avoir la connaissance du soir en même temps que celle du matin ; et un homme peut avoir sur la même conclusion une science par syllogisme démonstratif et une opinion par syllogisme dialectique. Donc la foi aussi peut exister après cette vie en même temps que la connaissance de gloire.

En sens contraire, l’Apôtre dit (2 Co 5,6) “ Tant que nous sommes dans notre corps, nous sommes en exil loin du Seigneur, car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. ” Mais ceux qui sont dans la gloire ne sont plus en exil loin du Seigneur, ils lui sont présents. C’est donc que la foi ne demeure pas après cette vie quand on est dans la gloire.

Réponse :

Ce qui fait l’essentiel et la cause propre d’une opposition, c’est que les opposés s’excluent l’un l’autre au point qu’il y ait toujours entre eux l’opposition entre affirmation et négation. Or, en certains cas, l’opposition se rencontre bien selon des formes contraires, comme le blanc et le noir dans les couleurs. Mais, en d’autres cas, elle se fait selon des degrés de parfait et d’imparfait ; c’est ainsi que dans les changements par altération, le plus et le moins sont pris comme des contraires, par exemple quand une chose passe du moins chaud au plus chaud, selon Aristote. Et parce que le parfait et l’imparfait s’opposent, il est impossible qu’il y ait en même temps dans le même sujet perfection et imperfection.

Il faut néanmoins remarquer que parfois l’imperfection est essentielle à une chose et fait partie de l’espèce même, comme le manque de raison fait partie de la notion spécifique du cheval ou du bœuf. Et. comme une réalité ne peut jamais être transférée d’une espèce à une autre tout en restant numériquement la seule et même réalité, il s’ensuit que si l’on enlève à une chose cette imperfection qui lui est essentielle, on change l’espèce : un bœuf, par exemple, ou un cheval, ne serait plus ni bœuf ni cheval s’il devenait un être raisonnable. - Parfois en revanche l’imperfection n’appartient pas à la raison spécifique, mais elle est un accident déterminé, chez un individu, par quelque chose d’étranger à l’espèce ; c’est ainsi qu’il arrive à un homme d’être privé de la raison en tant que le sommeil, l’ivresse, ou un autre accident semblable l’empêche d’exercer sa raison. Mais il est clair que si l’on éloigne une telle imperfection, la substance de la chose n’en demeure pas moins.

Or, il est évident que l’imperfection de la connaissance est essentielle à la foi. Elle est dans sa définition : la foi est “ la substance des choses à espérer, la conviction de ce qui ne se voit pas ”, selon l’épître aux Hébreux (11,1) ; et S. Augustin affirme : “ Qu’est-ce que la foi ? C’est croire à ce que tu ne vois pas. ” Mais qu’une connaissance existe ainsi sans l’apparition ni la vision de l’objet, c’est pour elle une imperfection. Et ainsi l’imperfection de la connaissance est essentielle à la foi. D’où il est manifeste que la foi ne peut devenir une connaissance parfaite tout en restant numériquement identique.

Mais il faut aller plus loin, pour savoir si elle peut exister en même temps qu’une connaissance parfaite. Il faut donc remarquer que la connaissance peut être imparfaite de trois manières : du côté de l’objet à connaître, du côté du moyen de connaître, du côté du sujet.

- Du côté de l’objet à connaître, la connaissance du matin et celle du soir chez les anges diffèrent comme le parfait et l’imparfait, car la connaissance du matin regarde les choses en tant qu’elles ont leur existence dans le Verbe, celle du soir les regarde selon qu’elles ont l’existence dans leur propre nature, ce qui est imparfait en comparaison de la première existence.

- Du côté du moyen, ce qui diffère comme le parfait et l’imparfait, c’est la connaissance qu’on a d’une conclusion par un moyen démonstratif, et celle qu’on a par un moyen probable.

- Du côté du sujet enfin, ce qui diffère comme parfait et imparfait, c’est l’opinion, la foi, la science. Car il est essentiel à l’opinion de prendre un parti avec la crainte que le parti opposé ne soit vrai ; aussi n’a-t-elle pas d’adhésion ferme. Au contraire, il est essentiel à la science d’avoir une ferme adhésion avec la vision intellectuelle, car elle a une certitude qui découle de l’intelligence des principes. Quant à la foi, elle tient le milieu ; en ce qu’elle a une ferme adhésion, elle dépasse l’opinion ; mais en ce qu’eue n’a pas la vision, elle est au-dessous de la science.

Évidemment, le parfait et l’imparfait ne peuvent exister en même temps sous un même aspect. Mais les choses qui diffèrent selon le parfait et l’imparfait sur un certain point, peuvent exister ensemble identiquement sur un autre point. Ainsi donc, une connaissance parfaite et une connaissance imparfaite du côté de l’objet ne peuvent aucunement avoir en commun le même objet. Elles peuvent cependant avoir en commun le même moyen terme et le même sujet. Rien n’empêche en effet qu’un homme ait en même temps et du même coup, par un seul et même moyen terme, la connaissance de deux objets dont l’un est parfait et l’autre imparfait, comme la santé et la maladie, le bien et le mal. - Pareillement, il est impossible aussi qu’une connaissance parfaite et une connaissance imparfaite du côté du moyen terme se rejoignent dans un seul moyen. Mais rien n’empêche qu’elles se rejoignent dans un seul objet et dans un seul sujet ; car le même homme peut connaître une même conclusion par un moyen terme probable, et par un moyen terme démonstratif. - Enfin, il est pareillement impossible qu’une connaissance parfaite et une connaissance imparfaite, du côté du sujet, existent ensemble dans le même sujet. Or, la foi implique dans sa raison même cette imperfection subjective : que le croyant ne voit pas ce qu’il croit ; la béatitude au contraire a dans sa notion même cette perfection, que le bienheureux voit ce qui le béatifie. Aussi est-il évidemment impossible que la foi demeure en même temps que la béatitude dans le même sujet.

Solutions :

1. La foi est plus noble que la science du côté de l’objet, parce que celui-ci est la vérité première. Mais la science a un mode de connaître plus parfait, qui ne s’oppose pas à la perfection de la béatitude, c’est-à-dire à la vision, comme s’y oppose le mode de la foi.

2. La foi est un fondement quant à ce qu’eue possède de connaissance. C’est pourquoi, quand il y aura une connaissance plus parfaite, il y aura un fondement plus parfait.

3. La solution ressort ici de ce que nous venons de dire.

 

            Article 4 — L’espérance demeure-t-elle après cette vie ?

Objections :

1. Il semble bien. Car l’espérance perfectionne l’appétit humain plus noblement que ne le font les vertus morales. Mais les vertus morales demeurent après cette vie, comme le montre S. Augustin. Donc l’espérance à plus forte raison.

2. La crainte s’oppose à l’espérance. Mais la crainte subsiste après cette vie : chez les bienheureux, la crainte filiale qui demeure à jamais ; chez les damnés, la crainte des châtiments. Donc l’espérance, à titre égal, peut demeurer.

3. Comme l’espérance a pour objet un bien à venir, de même le désir. Mais il y a chez les bienheureux un désir des biens à venir, et quant à la gloire du corps à laquelle, dit S. Augustin, aspirent les âmes des bienheureux, et même quant à la gloire de l’âme selon cette parole de l’Ecclésiastique (24,21) : “ Ceux qui me mangent auront encore faim et ceux qui me boivent auront encore soif ”, et le mot de S. Pierre sur “ celui en qui les anges désirent plonger leur regard ” (1 P 1,12). Il semble donc que l’espérance puisse exister après cette vie chez les bienheureux.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 8,24) : “ Voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer. ” Mais les bienheureux voient ce qui fait l’objet de leur espérance, c’est-à-dire Dieu. Donc ils n’espèrent plus.

Réponse :

Ainsi que nous venons de le dire pour la foi, quand une chose implique par définition une imperfection du sujet, elle ne peut rester dans un sujet qui possède parfaitement la perfection opposée. Ainsi, il est évident que le mouvement implique de soi une imperfection du sujet, puisqu’on le définit “ l’acte d’un être en puissance en tant que tel ”. Aussi, quand cette puissance est réduite en acte, le mouvement cesse : lorsqu’une chose est déjà devenue blanche, elle n’a pas à blanchir encore. Or l’espérance implique un mouvement vers ce qu’on n’a pas, comme on peut le voir par tout ce que nous avons dit plus haut sur la passion d’espérance. C’est pourquoi quand on sera en possession de ce qu’on espère, c’est-à-dire lorsqu’on jouira de Dieu, il ne pourra plus y avoir d’espérance.

Solutions :

1. L’espérance est plus noble que les vertus morales quant à l’objet qui est Dieu. Mais les actes des vertus morales, sauf peut-être par ce côté matériel qui ne subsiste pas dans l’autre vie, ne s’opposent pas à la perfection de la béatitude comme fait l’acte de l’espérance. En effet la vertu morale perfectionne l’appétit non pas seulement en vue de ce qu’on n’a pas encore, mais aussi par rapport à ce qu’on a présentement en sa possession.

2. Comme nous le dirons plus loin, il y a deux craintes, la crainte servile et la crainte filiale. La crainte servile est la peur du châtiment, qui ne pourra plus exister dans la gloire puisqu’il ne restera aucune possibilité de subir une peine. - Quant à la crainte filiale, elle a deux actes : révérer Dieu, et quant à cet acte elle demeure ; puis, craindre d’être séparé de lui, et quant à cet acte elle ne demeure pas. En effet, être séparé de Dieu, c’est un mal ; or aucun mal ne sera plus à craindre là-haut, selon la parole des Proverbes (1,33 Vg) : “ On jouira abondamment, la crainte du mal ayant disparu. ” Pour ce qui est de l’opposition entre la crainte et l’espérance, elle se fonde, avons-nous dit, sur l’opposition entre le bien et le mal : aussi la crainte qui restera dans la gloire n’est-elle pas en opposition avec l’espérance.

Chez les damnés, au contraire, la crainte du châtiment peut exister plus que chez les bienheureux l’espérance de la gloire. C’est que chez les damnés les peines se présenteront les unes après les autres, et ainsi elles auront toujours l’aspect d’une chose à venir, qui est l’objet forme de la crainte. Mais la gloire des saints ne se réalise pas d’une manière successive : elle participe de l’éternité, où il n’y a ni passé ni futur mai uniquement le présent. Et pourtant, même chez les damnés la crainte à proprement parler n’existe pas. Car elle n’est jamais, avons-nous dit, sans quelque espoir d’évasion ; or cet espoir chez les damnés n’existera aucunement. Par conséquent la crainte non plus, si ce n’est dans le sens tout à fait général où l’on donne le nom de crainte à n’importe quelle attente d’un mal à venir.

3. Quant à la gloire de l’âme, il ne peut y avoir, pour la raison que nous venons de dire, un véritable désir chez les bienheureux sous l’aspect où le désir regarde le futur. On dit que la faim et la soif existent là-haut, pour écarter l’idée qu’on s’ennuierait. C’est pour la même raison qu’on dit que le désir existe chez les anges. - Mais par rapport à la gloire du corps, dans les âmes des saints il peut bien y avoir un désir, mais non une espérance à proprement parler ; ni au sens précis où elle est vertu théologale, car alors son objet est Dieu et non un bien créé ; ni au sens où elle est prise en général. Parce que l’objet de l’espérance est quelque chose d’ardu, avons-nous dit. Or, aussitôt que nous possédons la cause inéluctable d’un bien il ne se présente plus à nous sous un aspect ardu. Ainsi, lorsque quelqu’un a de l’argent, et qu’il y a des choses qu’il peut acheter tout de suite, on ne dit pas à proprement parler qu’il espère les avoir. Et pareillement, ceux qui possèdent la gloire de l’âme, on ne dit pas à proprement parler qu’ils espèrent la gloire du corps ; on dit seulement qu’ils la désirent.

 

            Article 5 — Demeure-t-il quelque chose de la foi, ou de l’espérance ?

Objections :

1. Il semble qu’il en demeure quelque chose dans la gloire. En effet, écartez ce qui est propre, il demeure ce qui est commun. On lit ainsi au livre Des Causes : “ Une fois écarté l’être raisonnable, il reste le vivant ; et une fois écarté le vivant, il reste l’être. ” Mais la foi a quelque chose de commun avec la béatitude, à savoir la connaissance même ; elle a d’autre part quelque chose qui lui est propre, à savoir l’énigme : elle est en effet une “ connaissance en énigme ”. Donc, une fois écarté le caractère énigmatique de la foi, il reste encore la connaissance même de la foi.

2. La foi est dans l’âme une lumière spirituelle, selon l’Apôtre (Ep 1,18) : “ Que les yeux de votre cœur soient illuminés pour la connaissance de Dieu. ” Mais cette lumière est imparfaite par rapport à la lumière de gloire dont il est dit dans le Psaume (36,10) : “ Dans ta lumière nous verrons la lumière. ” Or une lumière imparfaite demeure même quand survient la lumière parfaite : un cierge ne s’éteint pas quand survient la clarté du soleil. Il semble donc que la lumière de foi demeure avec la lumière de gloire.

3. On n’enlève pas sa substance à un habitus du fait qu’on lui ôte sa matière ; on peut garder l’habitus de la libéralité même après qu’on a perdu son argent, mais on ne peut plus en avoir l’acte. Or la foi a pour objet la vérité première non vue. Une fois cette matière enlevée par le fait même de la vision de la vérité première, il peut donc y avoir encore l’habitus même de la foi.

En sens contraire, la foi est un habitus simple. Or une chose simple ou disparaît tout entière ou demeure tout entière. Donc, puisque la foi ne peut pas demeurer entièrement mais, comme nous l’avons dit, est vidée de ce qui la définit, il semble qu’elle soit totalement enlevée.

Réponse :

Pour certains, l’espérance disparaît tout à fait, tandis que la foi disparaît en partie, c’est-à-dire quant à l’énigme, et demeure en partie, c’est-à-dire quant à la substance de la connaissance. Si l’on entend par là qu’elle reste, non dans une identité numérique mais dans une identité générique, c’est tout à fait vrai, car la foi s’accorde avec la vision de la patrie dans un genre, celui de la connaissance. L’espérance, au contraire, ne s’accorde pas avec la béatitude dans un genre ; en effet, l’espérance est comparée à la jouissance de la béatitude, comme le mouvement est comparé au repos que l’on goûte en arrivant au terme.

Mais si l’on veut dire que la connaissance qu’on a dans la foi reste numériquement la même dans la patrie, c’est tout à fait impossible. Car lorsqu’on enlève la différence constitutive d’une espèce, la substance du genre ne reste plus numériquement la même ; ainsi, quand vous ôtez ce qui fait la blancheur, la substance de la couleur ne demeure pas numériquement la même, de sorte qu’une couleur numériquement la même serait tantôt le blanc et tantôt le noir. Le genre, en effet, ne se compare pas à la différence spécifique comme la matière à la forme, au point que la substance du genre puisse rester identique numériquement, même après qu’on a changé la différence, comme la substance de la matière demeure identique numériquement, même quand la forme a changé. Le genre et la différence ne sont pas des parties de l’espèce ; autrement, on n’en ferait pas des prédicats de l’espèce. Mais, de même que l’espèce signifie le tout, c’est-à-dire le composé de matière et de forme dans les réalités matérielles, de même la différence représente le tout, et pareillement le genre ; mais le genre désigne le tout par ce qui en est pour ainsi dire la matière, tandis que la différence le désigne par ce qui en est pour ainsi dire la forme ; mais l’espèce le désigne par l’un et l’autre côté. Ainsi, dans l’homme, la nature sensible se présente matériellement par rapport à la nature intellectuelle ; on appelle animal ce qui a la nature sensible ; raisonnable, ce qui a la nature intellectuelle ; homme enfin, ce qui est en possession des deux. C’est bien le même tout qui est signifié par ces trois choses, mais non du même point de vue.

De toute évidence par conséquent, puisque la différence ne fait que préciser le genre, si l’on écarte la différence, la substance du genre ne peut rester la même, car ce n’est pas la même animalité qui demeure si c’est une autre sorte d’âme qui constitue l’animal. - Par conséquent il n’est pas possible qu’une connaissance qui a existé d’abord sous forme d’énigme, devienne ensuite une vision à découvert en demeurant numériquement la même. Ainsi est-il évident que rien de ce qui est dans la foi ne demeure dans la patrie, identique numériquement ou spécifiquement ; ce n’est identique que génériquement.

Solutions :

1. Otez le raisonnable, le vivant ne demeure plus le même numériquement, mais par le genre, nous venons de le montrer.

2. L’imperfection de la lumière d’un cierge ne s’oppose pas à la perfection de la lumière solaire, parce qu’il ne s’agit pas du même sujet. Mais l’imperfection de la foi et la perfection de la gloire s’opposent entre elles et regardent le même sujet. Elles ne peuvent donc exister ensemble, pas plus que dans l’air la clarté ne peut cœxister avec l’obscurité.

3. Celui qui perd de l’argent ne perd pas la possibilité d’en avoir, et c’est pourquoi il peut très bien garder l’habitus de la libéralité. Mais dans l’état de gloire non seulement on perd en acte l’objet de foi, c’est-à-dire ce qu’on ne voit pas ; mais on perd jusqu’à la possibilité de le recouvrer, étant donné la stabilité de la béatitude. Aussi un tel habitus demeurerait pour rien.

 

            Article 6 — La charité demeure-t-elle après cette vie ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car, dit l’Apôtre (1 Co 13,10), “ quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel (c’est-à-dire imparfait) disparaîtra ”. Mais la charité de l’homine voyageur est imparfaite. Donc elle disparaîtra lorsqu’adviendra la perfection de la gloire.

2. Habitus et actes se distinguent d’après les objets. Mais l’objet de l’amour est le bien appréhendé. Comme on appréhende tout autrement dans la vie présente et dans la vie future, il semble donc que la charité ne doive pas rester la même des deux côtés.

3. Dans les choses qui sont d’une même essence, l’imparfait peut s’élever au niveau de la perfection par un accroissement continu. Mais la charité dans l’état de voyage, quelle que soit sa croissance, ne peut jamais parvenir à égaler la charité dans la patrie. Il semble donc que la charité du voyage ne demeure pas dans la patrie.

En sens contraire, l’Apôtre assure (1 Co 13,8) : “ La charité ne disparaîtra jamais. ”

Réponse :

Quand l’imperfection d’une chose, avons-nous dit, n’appartient pas à la définition de son espèce, rien n’empêche qu’en demeurant identique numériquement, ce qui fut d’abord imparfait ne devienne ensuite parfait, comme l’homme se perfectionne par croissance, et la blancheur par intensification. Or la charité est un amour. Il n’est aucune imperfection qui soit essentielle à l’amour ; il peut avoir pour objet aussi bien ce qu’on possède que ce qu’on ne possède pas, ce qu’on voit que ce qu’on ne voit pas. Aussi la charité ne disparaît pas par la perfection même de la gloire, mais elle reste numériquement la même.

Solutions :

1. L’imperfection de la charité lui advient par accident ; l’imperfection n’est pas essentielle à l’amour. Or, quand on ôte ce qui est accidentel, il reste néanmoins la substance de la réalité. Dès lors l’imperfection de la charité est supprimée, la charité elle-même ne l’est pas.

2. La charité n’a pas pour objet la connaissance même ; dans ce cas en effet, elle ne serait pas la même dans le voyage et dans la patrie. Mais elle a pour objet la réalité connue qui, elle, reste identique, à savoir Dieu même.

3. Si la charité du voyage ne peut parvenir par accroissement à égaler celle de la patrie, cela tient à une différence du côté de la cause ; la vision est en effet une cause de l’amour, dit Aristote. Or Dieu est d’autant plus parfaitement aimé qu’il est plus parfaitement connu.

 

QUESTION 68 — LES DONS DU SAINT-ESPRIT

1. Les dons diffèrent-ils des vertus ? - 2. La nécessité des dons. - 3. Sont-ils des habitus ? 4. Quels sont-ils, et combien ? - 5. Sont-ils connexes ? - 6. Demeurent-ils dans la patrie ? 7. Leurs rapports mutuels. - 8. Leur rapport avec les vertus.

 

            Article 1 — Les dons sont-ils différents des vertus ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Sur ce passage de Job (1,2) : “ Sept fils lui sont nés ”, S. Grégoire dit en effet : “ Sept fils nous naissent quand, par la conception des bonnes pensées, les sept vertus du Saint-Esprit germent en nous. ” Et il cite alors ce passage d’Isaïe (11, 2) : “ Sur lui reposera l’esprit d’intelligence, etc. ”, où sont énumérés les sept dons du Saint-Esprit. Donc ces sept dons sont des vertus.

2. S. Augustin exposant le passage qu’on lit en S. Matthieu (12,45) : “ Alors il s’en va et prend avec lui sept autres esprits ”, dit ceci : “ Ce sont là sept vices contraires aux sept vertus du Saint-Esprit ”, c’est-à-dire aux sept dons. Or ces sept vices sont contraires à ce qu’on appelle communément des vertus. C’est la preuve que les dons ne se distinguent pas de ce qu’on appelle communément les vertus.

3. Si des choses ont la même définition, c’est que ce sont les mêmes choses. Mais la définition de la vertu convient aux dons ; chaque don est effectivement “ la bonne qualité d’esprit par laquelle on a une vie droite, etc. ”. Pareillement, la définition du don convient aux vertus infuses : le don est en effet, selon le Philosophe, “ le cadeau qu’on ne peut rendre ”. Par conséquent vertus et dons ne se distinguent pas.

4. Plusieurs choses énumérées parmi les dons sont des vertus. Car, on l’a dit plus haut, la sagesse, l’intelligence et la science sont des vertus intellectuelles ; le conseil appartient à la prudence ; la piété est une espèce de justice ; la force est une vertu morale. Il semble donc qu’il n’y a pas de distinction entre les vertus et les dons.

En sens contraire, S. Grégoire distingue les sept dons, qu’il dit symbolisés par les sept fils de Job, d’avec les trois vertus théologales, qu’il dit symbolisées par les trois filles de Job. Puis, il distingue les mêmes sept dons d’avec les quatre vertus cardinales, qu’il dit symbolisées par les quatre angles de la maison.

Réponse :

Si nous parlons du don et de la vertu d’après leur définition nominale, ils n’ont aucune opposition l’un à l’autre. Car le concept de vertu est pris de ce qu’elle perfectionne l’homme pour le faire agir bien, comme on l’a dit plus haut, tandis que la notion du don est prise par rapport à la cause d’où il vient. Or rien n’empêche ce qui vient d’un autre à titre de don, d’être chez quelqu’un principe de perfection pour agir bien d’autant plus, nous l’avons dit plus haut, qu’il y a des vertus infusées en nous par Dieu. Aussi, à ce titre, le don ne peut-il se distinguer de la vertu. Et c’est pourquoi certains ont soutenu qu’il n’y avait pas à distinguer les dons des vertus. - Mais il leur reste une difficulté qui n’est pas moindre, c’est de dire pour quelle raison certaines vertus sont appelées dons, et non pas toutes ; et pourquoi certaines choses sont comptées parmi les dons et ne le sont pas parmi les vertus, comme c’est flagrant pour la crainte.

Aussi d’autres ont-ils affirmé qu’il y avait lieu de distinguer les dons d’avec les vertus, mais ils n’ont pas assigné à la distinction une cause appropriée, c’est-à-dire qui fût à ce point commune aux vertus qu’elle ne dût aucunement s’appliquer aux dons, ou inversement. Certains, en effet, considérant qu’entre les sept dons quatre se rapportent à la raison : sagesse, science, intelligence et conseil ; et trois à l’appétit : force, piété et crainte, ont prétendu que les dons perfectionnaient le libre arbitre selon qu’il est faculté de raison ; les vertus au contraire, selon qu’il est faculté de volonté, parce qu’ils n’ont trouvé que deux vertus, foi et prudence, qui fussent dans la raison ou intelligence, tandis qu’ils ont mis les autres dans la faculté d’appétit ou d’affectivité. Mais il faudrait, si cette distinction était juste, que toutes les vertus fussent dans la faculté appétitive, et tous les dons dans la raison.

D’autre part, considérant ce que dit S. Grégoire, que “ le don du Saint-Esprit qui forme la tempérance, la prudence, la justice et la force dans l’esprit qui lui est soumis, le prémunit aussi par les sept dons contre chaque tentation ” certains ont prétendu que les vertus sont ordonnées à bien agir, les dons au contraire à résister aux tentations. Mais ce n’est pas là encore une distinction suffisante, parce que même les vertus résistent aux tentations lorsque celles-ci induisent à des péchés qui sont contraires aux vertus ; chaque être en effet résiste naturellement à son contraire, ce qui est surtout évident pour la charité dont il est dit dans le Cantique (8,7) : “ Les grandes eaux ne pourraient éteindre la charité. ”

D’autres, considérant que ces dons sont révélés dans l’Écriture selon qu’ils furent dans le Christ, comme on le voit en Isaïe (11,2), ont affirmé que les vertus sont ordonnées absolument à bien agir ; mais que les dons sont faits pour que nous puissions grâce à eux nous conformer au Christ, principalement dans ce qu’il a eu à souffrir, parce que c’est surtout dans sa passion que ces dons ont resplendis. - Mais cela non plus ne semble pas suffisant. Car c’est surtout selon l’humilité et la douceur que le Seigneur lui-même nous engage à la conformité avec lui : “ Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ” (Mt 11,29) ; et aussi selon la charité : “ Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ” (Jn 15,12). Et ce sont là aussi les vertus qui ont brillé surtout dans la passion du Christ.

Voilà pourquoi, si nous voulons distinguer les dons d’avec les vertus nous devons suivre la manière de parler de l’Écriture. Or, les dons nous sont révélés non pas sous ce nom-là mais plutôt sous celui d’esprits. C’est ainsi qu’il est dit en Isaïe (11,2) : “ Sur lui reposera l’esprit de sagesse et d’intelligence, etc. ”. De telles paroles donnent manifestement à entendre que ces sept choses sont énumérées là en tant qu’elles sont en nous par inspiration divine. Or l’inspiration signifie une motion venant du dehors. Il faut en effet considérer qu’il y a dans l’homme deux principes de mouvement : l’un intérieur qui est la raison, l’autre extérieur qui est Dieu, avons-nous dit plus hauti ; et le Philosophe dit la même chose au chapitre de la Bonne Fortune.

Mais il est évident que tout ce qui est mû doit nécessairement être proportionné à ce qui le meut ; et la perfection du mobile en tant que tel, c’est d’être bien disposé à se laisser mouvoir par son moteur. Donc, dans la mesure où le moteur est élevé, il est nécessaire que le mobile lui soit proportionné par une disposition plus parfaite ; ainsi voyons-nous que l’élève doit être préparé plus parfaitement pour recevoir de son maître un enseignement plus élevé. Or il est manifeste que les vertus humaines perfectionnent l’homme en tant qu’il est apte par nature à être mû par la raison dans ses actes intérieurs ou extérieurs. Il faut donc qu’il y ait en lui des perfections plus hautes qui le disposent à être mû par Dieu. Et ces perfections sont appelées des dons, non seulement parce qu’elles sont infusées par Dieu, mais parce que, grâce à elles l’homme est disposé à subir promptement l’impulsion de l’inspiration divine. C’est ce qui est écrit en Isaïe (50,5) : “ Le Seigneur m’a ouvert l’oreille ; et moi je n’ai pas résisté, je ne me suis pas dérobé. ” Le Philosophe dit encore que les hommes mus par un instinct divin ne doivent pas délibérer selon la raison humaine, mais suivre leur instinct intérieur, parce qu’ils sont mus par un principe meilleur que la raison humaine. Et c’est ce que disent certains : les dons perfectionnent l’homme pour des actes plus élevés que les actes des vertus.

Solutions :

1. Ces dons sont parfois appelés vertus au sens général du mot. Ils possèdent cependant quelque chose qui dépasse la notion commune de vertu : ce sont des vertus divines qui perfectionnent l’homme en tant qu’il est mû par Dieu. Si bien que le Philosophe place au-dessus de la vertu commune une vertu héroïque ou divine d’après laquelle on dit de quelques-uns qu’ils sont des hommes divins.

2. Les vices, en tant qu’ils sont contraires au bien de la raison, s’opposent aux vertus ; mais en tant qu’ils sont contraires à l’instinct divin, ils s’opposent aux dons. Car on s’oppose en même temps à Dieu et à la raison, dont la lumière vient de Dieu.

3. Nous avons là une définition de la vertu dans ce qu’elle a de commun. Dès lors, si nous voulons restreindre la définition aux vertus en tant qu’elles se distinguent des dons, nous dirons que cette clause “ par quoi on mène une vie droite ” doit s’entendre de la rectitude de vie entendue selon la règle de raison. - Pareillement le don, en tant qu’il se distingue de la vertu infuse, peut se définir ce qui est donné par Dieu à l’homme en vue de le mouvoir, parce qu’ainsi Dieu lui fait suivre aisément ses impulsions.

4. La sagesse est appelée vertu intellectuelle selon qu’elle procède du jugement de la raison ; mais elle est appelée don selon qu’elle opère par une impulsion divine. Et il faut dire la même chose des autres dons.

 

            Article 2 — La nécessité des dons

Objections :

1. Il ne semble pas que les dons soient nécessaires à l’homme pour son salut. En effet ils sont ordonnés à une perfection qui est au-delà de la perfection commune des vertus. Or, il n’est pas nécessaire pour le salut d’atteindre à une perfection de ce genre, qui est au-delà de l’état commun de la vertu ; car cette sorte de perfection ne tombe pas sous le précepte mais sous le conseil. Les dons ne sont donc pas nécessaires à l’homme pqur le salut.

2. Pour le salut il suffit que l’on se comporte bien dans le domaine divin et dans le domaine humain. Mais par les vertus théologales on se comporte bien dans le domaine divin, et par les vertus morales dans le domaine humain. Les dons ne sont donc pas nécessaires au salut.

3. S. Grégoire dit que le Saint-Esprit donne la sagesse contre la sottise, l’intelligence contre la stupidité, le conseil contre la précipitation, la force contre la crainte, la science contre l’ignorance, la piété contre la dureté, la crainte contre l’orgueil. Mais un remède suffisant pour enlever tous ces maux peut être fourni par les vertus. Les dons ne sont donc pas nécessaires pour le salut.

En sens contraire, parmi les dons, la sagesse paraît être le plus haut ; la crainte le plus bas. Or l’un comme l’autre est nécessaire au salut. De la sagesse il est écrit (Sg 7,28) : “ Dieu n’aime que celui qui habite avec la sagesse. ” De la crainte il est écrit (Si 1,28 Vg) : “ Celui qui ignore la crainte ne pourra être justifié. ” Par conséquent les autres dons intermédiaires sont nécessaires aussi au salut.

Réponse :

Comme on vient de le dire, les dons sont pour l’homme des perfections qui le disposent à bien suivre l’impulsion divines. Aussi, dans les choses où l’impulsion de la raison ne suffit pas, mais où celle du Saint-Esprit est nécessaire, le don est nécessaire par voie de conséquence.

Or la raison de l’homme reçoit de Dieu une double perfection : une qui est naturelle, c’est-à-dire conforme à la lumière naturelle de la raison, une autre qui est surnaturelle, au moyen des vertus théologales, comme on l’a dit plus haut. Et bien que cette seconde perfection soit plus grande que la première, cependant la première est plus parfaitement en notre possession que la seconde, car on a la première comme en pleine possession, la seconde comme en possession imparfaite : en effet, c’est imparfaitement que nous aimons Dieu et le connaissons. Or, c’est évident, chaque fois qu’un être possède parfaitement une nature ou forme, ou une vertu, il peut par lui-même agir d’après elle, sans exclure cependant l’opération de Dieu qui, en toute nature et en toute volonté, opère au-dedans. Mais l’être qui possède imparfaitement une nature ou forme, ou une vertu, ne peut opérer par lui-même à moins d’être mû par un autre. Ainsi le soleil, parce qu’il est un foyer parfait de lumière, peut illuminer par lui-même ; mais la lune, dans laquelle la lumière n’existe qu’à l’état imparfait, n’éclaire que si elle est éclairée. De même, un médecin qui connaît parfaitement l’art de la médecine peut opérer par lui-même ; mais son élève, qui n’est pas encore pleinement instruit, ne peut opérer par lui-même à moins que le maître ne l’instruise.

Ainsi donc, pour les choses qui sont soumises à la raison humaine, c’est-à-dire en rapport avec la fin qui lui est connaturelle, l’homme peut agir par le jugement de la raison. Si cependant, même en cela, il est aidé par Dieu au moyen d’une inspiration spéciale, ce sera l’effet d’une bonté surabondante ; aussi, selon les philosophes, quiconque avait les vertus morales acquises n’avait pas de ce fait les vertus héroïques ou divines. Mais dans l’ordination à la fin ultime surnaturelle, à laquelle la raison meut selon qu’elle est quelque peu et imparfaitement formée par les vertus théologales, cette motion de la raison ne suffit pas si l’instinct et l’impulsion supérieure de l’Esprit Saint n’intervient pas, selon S. Paul (Rm 8,14.17) : “ Ceux qui sont menés par l’Esprit de Dieu sont fils et donc héritiers de Dieu. ” Et l’on dit dans le Psaume (143,10) : “ Que ton Esprit bon me conduise sur une terre unie. ” C’est-à-dire que nul ne peut parvenir à hériter cette terre des bienheureux s’il n’est mû et conduit par l’Esprit Saint. Et voilà pourquoi il est nécessaire à l’homme, pour atteindre cette fin, d’avoir le don du Saint-Esprit.

Solutions :

1. Les dons dépassent la perfection commune des vertus, non quant au genre d’œuvres, de la manière dont les conseils dépassent les préceptes, mais quant à la manière d’agir, selon qu’on est mû par un principe plus élevé.

2. Par les vertus théologales et morales l’homme n’est pas perfectionné à l’égard de la fin ultime à ce point qu’il n’ait pas toujours besoin d’être mû par une impulsion supérieure du Saint-Esprit, pour la raison déjà dite.

3. Tout n’est pas connu par la raison humaine, et tout ne lui est pas possible, soit qu’on la prenne dans la perfection de son développement naturel, soit qu’on la prenne dans la perfection que lui donnent les vertus théologales. Aussi ne peut-elle sur tous les points repousser la sottise ni les autres maux du même genre dont le texte allégué fait mention. Mais Dieu, à la science et au pouvoir de qui tout est soumis, nous met à l’abri, par sa motion, de toute sottise, ignorance, hébétude, dureté, etc. Et c’est pourquoi les dons du Saint-Esprit, qui nous aident à suivre l’impulsion que cet Esprit nous communique, sont présentés comme des dons qui remédient à ces défauts.

 

            Article 3 — Les dons du Saint-Esprit sont-ils des habitus ?

Objections :

1. Vraisemblablement non. L’habitus est une qualité qui demeure dans l’homme, “ une qualité difficile à changer ” comme il est dit au livre des Catégories. Mais il est propre au Christ que les dons du Saint-Esprit reposent sur lui, dit Isaïe (11,2). Et en S. Jean (1,33) on lit aussi : “ Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et sur lequel il demeure, c’est lui qui baptise, etc. ” ce que S. Grégoire commente en disant : “ Le Saint-Esprit vient dans tous les fidèles, mais c’est seulement dans le Médiateur qu’il demeure toujours, à titre unique. ” Les dons du Saint-Esprit ne sont donc pas des habitus.

2. Les dons du Saint-Esprit perfectionnent l’homme selon qu’il est conduit par l’Esprit de Dieu, avons-nous dit. Mais l’homme, en tant qu’il est conduit par l’Esprit de Dieu, se comporte en quelque sorte comme un instrument par rapport à lui. Or il ne convient pas à l’instrument, mais à l’agent principal, d’être perfectionné par un habitus.

3. Comme les dons du Saint-Esprit, le don de prophétie provient de l’inspiration divine. Mais la prophétie n’est pas un habitus car, dit S. Grégoire “ l’esprit de prophétie n’est pas toujours présent aux prophètes ”. Donc les dons du Saint-Esprit ne sont pas davantage des habitua.

En sens contraire, le Seigneur dit à ses disciples en parlant du Saint-Esprit (Jn 14,17 Vg) : “ Il demeurera chez vous et il sera en vous. ” Or le Saint-Esprit n’est pas chez les hommes sans ses dons. Ceux-ci demeurent donc dans les hommes. Par conséquent ils ne sont pas seulement des actes ou des passions, ils sont encore des habitus permanents.

Réponse :

Les dons, avons-nous dit, sont des perfections qui disposent l’homme à bien suivre l’impulsion du Saint-Esprit. Or il est évident, d’après ce qui a été dit précédemment, que les vertus morales perfectionnent la faculté appétitive selon qu’elle participe en quelque manière de la raison, c’est-à-dire en tant qu’il lui est naturel d’être mue par le commandement de celle-ci. Ainsi donc, les dons du Saint-Esprit ont pour l’homme par rapport au Saint-Esprit le même rôle que remplissent les vertus morales pour la faculté appétitive par rapport à la raison. Or, les vertus morales sont des habitus par lesquels nos facultés appétitives sont disposées à obéir promptement à la raison. Par suite, les dons du Saint-Esprit sont eux aussi des habitus par lesquels on est parfaitement adapté à obéir promptement au Saint-Esprit.

Solutions :

1. S. Grégoire résout la difficulté au même endroit, lorsqu’il dit : “ Pour les dons sans lesquels on ne peut parvenir à la vie éternelle, le Saint-Esprit demeure toujours en tous les élus, tandis que pour les autres dons il n’est pas toujours à demeure. ” Or les sept dons, avons-nous dit à l’article précédent, sont nécessaires au salut. Aussi, quant à ceux-là, le Saint-Esprit demeure toujours dans les saints.

2. Cette raison est valable pour un instrument auquel il appartient non pas d’agir mais seulement d’“ être agi ”. Or l’homme n’est pas un instrument de cette sorte, mais il “ est agi ” par le Saint-Esprit de telle manière qu’il agit aussi, en tant qu’il garde son libre arbitre. C’est pourquoi il a besoin d’un habitus.

3. La prophétie fait partie de ces dons qui sont utiles à la manifestation du Saint-Esprit, mais non pas nécessaires au salut. Aussi n’est-ce pas pareil.

 

            Article 4 — Quels sont les dons et combien sont-ils ?

Objections :

1. L’énumération des sept dons du Saint-Esprit ne se justifie pas. En effet, dans cette énumération on met quatre dons se rapportant aux vertus intellectuelles : sagesse, intelligence, science et conseil, lequel se rapporte à la prudence ; mais on ne met rien qui se rapporte à l’art, lequel est pourtant la cinquième vertu intellectuelle. De même, on met bien quelque chose qui se rapporte à la justice, savoir la piété, et quelque chose qui se rapporte à la force, savoir le don de force ; mais on ne met rien qui se rapporte à la tempérance.

2. La piété est une partie de la justice. Mais au sujet de la force, on ne met pas comme don une partie de la force mais la force elle-même. On ne devrait donc pas énumérer la piété, mais la justice elle-même.

3. Ce sont les vertus théologales qui nous ordonnent surtout à Dieu. Puisque les dons perfectionnent l’homme selon qu’il est mû par Dieu, il semble qu’on aurait dû énumérer quelques dons relatifs aux vertus théologales.

4. De même qu’on craint Dieu, on l’aime aussi, on espère en lui et on se délecte de lui. Or l’amour, l’espérance et la délectation sont d’autres passions que la crainte. Donc, de même que la crainte est comptée comme un don, de même ces trois autres passions doivent l’être aussi.

5. A l’intelligence est jointe la sagesse qui la régit ; à la force, le conseil ; à la piété, la science. Il eût donc fallu ajouter aussi à la crainte un don qui pût la diriger. Ce n’est donc pas assez des sept.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture avec Isaïe (11,2).

Réponse :

Les dons, avons-nous dit, sont des habitus qui perfectionnent l’homme pour qu’il suive promptement l’impulsion du Saint-Esprit, de même que les vertus morales disposent les facultés appétitives à obéir à la raison. Or, de même qu’il est naturel pour les facultés appétitives d’être mues par le commandement de la raison ; de même il est naturel pour toutes les facultés humaines d’être mues par l’impulsion de Dieu comme par une puissance supérieure. Voilà pourquoi, dans toutes les facultés de l’homme qui peuvent être principes d’actes humains (c’est-à-dire dans la raison et dans la faculté d’appétit), de même qu’il y a des vertus, il y a des dons.

Mais la raison est spéculative et pratique. Et d’un côté comme de l’autre, il y a une saisie de la vérité qui est affaire de découverte, puis de jugement sur cette vérité. Pour la saisie de la vérité, la raison spéculative est donc perfectionnée par le don d’intelligence, la raison pratique par celui de conseil. Pour bien juger, la raison spéculative est perfectionnée par la sagesse, la raison pratique par la science. - Quant à la puissance appétitive, en ce qui regarde autrui elle est perfectionnée par la piété ; en ce qui regarde le sujet lui-même elle est perfectionnée par la force contre la terreur des périls, et contre la convoitise désordonnée des choses agréables elle est perfectionnée par la crainte, selon le mot des Proverbes (15,27 Vg) : “ Par la crainte du Seigneur tout homme s’éloigne du mal ”, et dans le Psaume (118,120) : “ Que ta crainte transperce ma chair, car j’ai eu la crainte de tes commandements. ” Ainsi est-il clair que ces dons s’étendent à toutes les choses auxquelles s’étendent également les vertus tant intellectuelles que morales.

Solutions :

1. Les dons du Saint-Esprit perfectionnent l’homme dans ce qui a trait au bien-vivre. Ce n’est pas à cela que l’art est ordonné, mais aux choses extérieures à fabriquer : l’art est droite règle non de la conduite à tenir mais de la chose à fabriquer, comme il est dit au livre VI de l’Éthique. Cependant, si l’on considère l’infusion des dons, on peut dire qu’il y a là tout un art ; cet art appartient au Saint-Esprit qui est moteur à titre principal, mais non point aux hommes qui sont pour l’Esprit des instruments, tout le temps qu’ils sont mus par lui. - A la tempérance répond d’une certaine manière le don de crainte. De même en effet qu’il appartient à la vertu de tempérance, selon sa raison propre, d’éloigner quelqu’un des plaisirs mauvais à cause du bien de la raison, de même il appartient au don de crainte de l’en éloigner à cause de la crainte de Dieu.

2. Le nom de justice est donné d’après la rectitude de raison : aussi convient-il mieux pour nommer une vertu que pour nommer un don. Mais le nom de piété rappelle la révérence que nous avons pour notre père et notre patrie ; et, parce que Dieu est notre père à tous, le culte même que nous avons pour lui se nomme piété, comme dit S. Augustin. Voilà pourquoi le don par lequel quelqu’un agit bien envers tout le monde en raison de la révérence qu’il porte à Dieu se nomme très justement piété.

3. L’esprit de l’homme n’est pas mû par le Saint-Esprit sans lui être uni de quelque manière, comme l’instrument n’est pas mû par l’artiste si ce n’est au moyen d’un contact ou d’un autre mode d’union. Or la première union de l’homme à Dieu se fait par la foi, l’espérance et la charité. C’est pourquoi ces vertus sont présupposées aux dons : elles sont comme les racines des dons. De là vient que tous les dons se rapportent à ces trois vertus ils en sont pour ainsi dire des dérivations.

4. L’amour, l’espérance et la délectation ont pour objet le bien. Or, le souverain bien c’est Dieu : de là vient que les noms de ces passions sont transférés aux vertus théologales par lesquelles l’âme est unie à Dieu. La crainte, au contraire, a pour objet le mal, qui d’aucune manière ne s’applique à Dieu ; elle n’implique donc pas l’union à Dieu, mais plutôt l’éloignement de certaines choses par révérence pour Dieu ; aussi n’est-elle pas un nom de vertu théologale mais de don, le nom de ce don qui nous retire du mal, bien plus puissamment que la vertu morale.

5. La sagesse dirige à la fois et l’intellectualité de l’homme et son affectivité. C’est pourquoi on met deux dons comme en correspondance avec les directions de la sagesse : du côté de l’intellectualité, le don d’intelligence ; du côté de l’affection, le don de crainte. En effet, le motif pour craindre Dieu se tire surtout de la considération de l’excellence divine, objet de la sagesse.

 

            Article 5 — Les dons du Saint-Esprit sont-ils connexes ?

Objections :

1. L’Apôtre (1 Co 12,8) n’a pas l’air de le dire : “ L’un reçoit de l’Esprit la parole de sagesse ; l’autre la parole de science selon le même Esprit. ” Mais sagesse et science sont comptées parmi les dons du Saint-Esprit. Donc ceux-ci sont donnés à des individus divers et, chez le même, ils ne sont pas en connexion les uns avec les autres.

2. S. Augustin assure que “ la plupart des fidèles ne brillent pas par la science, bien qu’ils brillent beaucoup par la foi ”. Mais la foi s’accompagne de quelque don, au moins celui de crainte. Il semble donc que les dons ne soient pas nécessairement connexes dans un seul et même individu.

3. S. Grégoire affirme : “ Bien petite est la sagesse, si elle manque d’intelligence ; et tout à fait inutile est l’intelligence, si elle ne s’appuie pas sur la sagesse. Le conseil est mesquin, lorsque l’œuvre de la force lui fait défaut, et la force est tout à fait détruite, si elle n’est pas soutenue par le conseil. Nulle est la science, si elle n’a pas l’utilité de la piété, et tout à fait inutile est la piété, si elle manque du discernement de la science. Si la crainte elle-même n’est pas accompagnée de ces vertus, on ne verra surgir aucune entreprise généreuse. ” Il semble d’après cette manière de parler qu’on puisse avoir un don sans un autre. Par conséquent les dons du Saint-Esprit ne sont pas connexes.

En sens contraire, S. Grégoire dit d’abord “ Dans ce repas en commun des enfants, il semble qu’il y ait lieu d’approfondir qu’ils s’invitent mutuellement à manger. ” Or ces enfants de Job dont il parle, symbolisent les dons du Saint-Esprit. Donc ceux-ci sont liés entre eux, par cela même qu’ils se restaurent mutuellement.

Réponse :

On peut facilement d’après ce qui précède établir sur ce point la vérité. En effet, comme on l’a dit plus haut, de même que les facultés d’appétit sont, par les vertus morales, bien disposées dans leur rapport avec le gouvernement de la raison, de même toutes les facultés de l’âme sont, par les dons, bien disposées par rapport au Saint-Esprit qui les meut. Or, selon l’Apôtre (Rrn 5,5) : “ L’amour de Dieu s’est répandu dans nos cœurs grâce au Saint-Esprit qui nous a été donné ” ; si le Saint-Esprit habite en nous, c’est par la charité ; de même que si notre raison est rendue parfaite, c’est par la prudence. Ainsi, comme les vertus morales sont liées entre elles dans la prudence, ainsi les dons du Saint-Esprit sont-ils liés entre eux dans la charité ; ce qui revient à dire que celui qui a la charité a tous les dons du Saint-Esprit et qu’on ne peut en avoir aucun sans la charité.[4440]

Solutions :

1. La sagesse et la science peuvent d’abord être considérées comme grâces gratuitement données. On veut dire par là que quelqu’un abonde tellement dans la connaissance des réalités divines et humaines qu’il puisse et instruire les fidèles et réfuter les adversaires. Et dans les textes cités, l’Apôtre parle de la sagesse et de la science en ce sens-là, c’est pourquoi il est fait mention expressément de “ parole de sagesse ” et de “ parole de science ”. - Mais la sagesse et la science peuvent être envisagées autrement, comme dons du Saint-Esprit. A ce point de vue, elles ne sont pas autre chose que des perfections de l’esprit humain par lesquelles celui-ci est préparé à suivre l’impulsion du Saint-Esprit dans la connaissance des choses divines ou humaines. Et sous cet aspect il est clair que de tels dons existent chez tous ceux qui possèdent la charité.

2. S. Augustin parle de science en commentant l’autorité de l’Apôtre qu’on vient de lire ; aussi parle-t-il de la science dans le sens que nous venons de dire - de grâce “ gratuitement donnée ”. On le voit bien par ce qu’il ajoute : “ Une chose est de savoir seulement ce que l’on doit croire pour obtenir cette vie bienheureuse, qui n’est autre que la vie éternelle ; autre chose est de savoir en faire profiter les fidèles et la défendre contre les infidèles : c’est là, semble-t-il, ce que l’Apôtre appelle proprement la science. ”

3. De même q.u’on prouve la connexion des vertus cardinales par ce fait que chacune d’elles vient en quelque sorte se parfaire dans une autre comme on l’a dit plus haut, ainsi S. Grégoire veut prouver de la même manière la connexion des dons par ce fait qu’aucun d’eux ne peut être achevé sans un autre. De là cette phrase qui précède le passage allégué : “ Chaque vertu s’effondre si elle n’est pas étayée par une autre. ” Ce texte ne donne donc pas à entendre qu’un don puisse exister sans un autre, mais que l’intelligence, si elle était sans la sagesse, ne serait pas un don, de même que la tempérance, si elle était sans la justice, ne serait pas une vertu.

 

            Article 6 — Les dons du Saint-Esprit demeurent-ils dans la patrie ?

Objections :

1. Il semble bien que non. Car S. Grégoire affirme : “ Par les sept dons, le Saint-Esprit forme notre esprit à résister à chacune des tentations de la vie. ” Mais dans la pauie il n’y aura plus de ces épreuves, selon la parole d’Isaïe (11,9) : “ On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma sainte montagne. ” Les dons du Saint-Esprit n’existeront donc plus dans la patrie.

2. Ces dons sont, avons-nous dit, des habitus. Or c’est bien inutilement qu’il y aurait des habitus s’il ne peut plus y avoir d’actes. Mais les actes de certains dons ne peuvent avoir lieu dans la patrie. S. Grégoire dit en effet “ L’intelligence fait pénétrer ce qu’on entend, le conseil empêche la précipitation, la force empêche de craindre l’adversité, la piété emplit le fond du cœur d’œuvres de miséricorde. ” Or tout cela ne convient pas à l’état de la patrie. Donc ces dons n’existeront plus dans l’état de gloire.

3. Parmi les dons, les uns, comme la sagesse et l’intelligence, perfectionnent l’homine dans la vie contemplative ; les autres, comme la piété et la force, le perfectionnent dans la vie active. Mais, dit S. Grégoire : “ La vie active se termine avec la vie présente. ” Donc dans l’état de gloire il n’y aura pas tous les dons du Saint-Esprit.

En sens contraire, S. Ambroise écrit dans son livre sur le Saint-Esprit : “ La cité de Dieu, la Jérusalem céleste, n’est pas arrosée par le cours d’un fleuve terrestre ; mais le Saint-Esprit qui découle de la fontaine de vie, dont une petite gorgée nous contente, semble jaillir avec plus d’abondance dans les esprits célestes, bouillonnant à plein dans le canal des sept vertus qui émanent de lui. ”

Réponse :

Nous pouvons parler des dons de deux manières. - 1° En les considérant dans leur essence même. A ce point de vue, ils existeront dans la patrie à leur degré le plus parfait, comme le fait voir l’autorité de S. Ambroise qu’on vient de citer. La raison en est que les dons du Saint-Esprit perfectionnent l’âme humaine pour lui faire suivre la motion du Saint-Esprit ; ce qui aura lieu surtout dans la patrie quand Dieu sera “ tout en tous ” comme dit l’Apôtre (1 Co 15,28) et que l’homme sera totalement soumis à Dieu. - 2° On peut aussi considérer les dons quant à la matière sur laquelle ils s’exercent. A cet égard ils ont à s’exercer présentement dans une matière qui aura disparu dans l’état de gloire. Et à ce point de vue ils ne demeureront pas dans la patrie, ainsi que nous l’avons dit auparavant à propos des vertus cardinales.

Solutions :

1. S. Grégoire parle là des dons selon qu’ils conviennent à l’état présent ; c’est bien par eux en effet que nous sommes protégés contre les tentations des maux de cette vie. Mais dans l’état de gloire, tous les maux ayant cessé, les dons du Saint-Esprit serviront encore à nous parfaire dans le bien.

2. S. Grégoire met en chacun des dons quelque chose qui passe avec l’état présent, et quelque chose q ui demeure dans la vie future. Il dit en effet que “ la sagesse rassasie l’âme par l’espérance et la certitude des biens éternels ”. De ces deux choses, l’espérance passe, mais la certitude demeure. - De l’intelligence il dit “ qu’elle pénètre l’enseignement entendu, et par là même en éclaire les ténèbres en nous rassasiant le cœur ”. De ces deux choses, l’enseignement entendu passe, puisque “ l’homme n’aura plus à enseigner son frère ” comme il est écrit en Jérémie (31,34) mais l’illumination de l’esprit demeurera. - Du conseil, il dit qu’il “ empêche la précipitation ”, ce qui est nécessaire dans la vie présente, et en outre, qu’il “ remplit l’âme de raison ”, ce qui est nécessaire même dans la vie future. - De la force il dit qu’elle “ ne craint pas l’adversité ”, ce qui est nécessaire à présent, et en outre, qu’elle “ nourrit la confiance ”, ce qui demeure même à l’avenir. - Pour la science il est vrai qu’il mentionne une seule chose, qu’elle “ surmonte le jeûne de l’ignorance ”, ce qui appartient à l’état présent. Mais ce qu’il ajoute : “ dans le ventre de l’esprit ”, peut au figuré s’entendre d’une plénitude de connaissance, ce qui demeure même dans l’état futur. - Pour la piété il dit qu’elle “ remplit les entrailles du cœur d’œuvres de miséricorde ”. C’est là une chose qui littéralement n’appartient qu’à l’état présent. Mais ce sentiment profond à l’égard du prochain, que désigne le mot “ entrailles ”, appartient aussi à l’état futur, où la piété ne se répandra plus en œuvres de miséricorde mais en gratitude réciproque. - A propos de la crainte, il dit qu’elle “ abaisse l’esprit pour l’empêcher de s’enorgueillir du présent ”, ce qui est bien pour le présent ; il dit aussi qu’“ au sujet des réalités futures, elle le réconforte en le nourrissant d’espérance ”. C’est encore pour maintenant, quant à l’espérance ; mais ce peut être aussi pour l’état à venir, quant au réconfort que procurent ces réalités espérées ici-bas et obtenues là-haut.

3. Cette raison est valable si l’on regarde la matière des dons. Car les œuvres de la vie active ne seront plus la matière des dons. Mais tous exerceront leurs actes sur les choses de cette vie contemplative qu’est la vie bienheureuse.

 

            Article 7 — Les rapports mutuels entre les dons

Objections :

Il semble que la dignité des dons ne soit pas à envisager selon leur énumération par Isaïe (11,2). En effet, ce qui semble le plus important dans les dons, c’est ce que Dieu requiert de l’homme par-dessus tout. Or c’est la crainte, car il est écrit au Deutéronome (10,12) : “ Et maintenant, Israël, que te demande le Seigneur ton Dieu, sinon que tu craignes le Seigneur ton Dieu ? ” Et en Malachie (1,6) : “ Si c’est moi le Seigneur, où est la crainte qui M’est due ? ” Il semble donc que la crainte, qui est énumérée en dernier, n’est pas le plus infime des dons mais le plus grand.

2. La piété semble être un bien universel. L’Apôtre dit (1 Tm 4,8) qu’elle est “ utile à tout ”. Mais un bien universel l’emporte sur les biens particuliers. Donc la piété, que l’énumération met l’avant-dernière, paraît être le plus excellent des dons.

3. La science parfait le jugement de l’homme, tandis que le conseil se rapporte à l’investigation. Mais le jugement est supérieur à celle-ci. La science est donc un don plus excellent que le conseil, alors qu’elle est cependant énumérée après lui.

4. La force se rapporte à la faculté d’appétit ; la science, à la raison. Mais la raison est supérieure à la faculté d’appétit. Donc la science est un don supérieur à la force, qui pourtant est énumérée avant elle. Donc la dignité des dons ne correspond pas à l’ordre dans lequel ils sont énumérés.

En sens contraire, S. Augustin dit dans son commentaire du Sermon sur la montagne : “ Il me semble que l’opération septiforme du Saint-Esprit, dont parle Isaïe, s’accorde bien à ces degrés et à ces sentences (dont il est fait mention en Matthieu 5,3) ; mais il y a une différence d’ordre. Là (c’est-à-dire en Isaïe), l’énumération commence par ce qui est plus excellent, ici, par ce qui est moindre. ”

Réponse :

La dignité des dons peut être considérée de deux façons : de façon absolue, c’est-à-dire par rapport à leurs actes propres tels qu’ils découlent de leurs principes ; et relativement, c’est-à-dire par rapport à leur matière.

A parler de la dignité des dons de façon absolue, le titre de comparaison est le même en eux que dans les vertus, puisqu’ils perfectionnent l’homme dans tous les actes des puissances de l’âme pour lesquels les vertus le perfectionnent aussi, comme nous l’avons dit plus hautn. Aussi, de même que les vertus intellectuelles l’emportent sur les vertus morales, et que parmi les vertus intellectuelles elles-mêmes, les vertus contemplatives l’emportent sur les vertus actives, comme la sagesse, l’intelligence et la science l’emportent sur la prudence et l’art, de sorte que pourtant la sagesse l’emporte sur l’intelligence, et l’intelligence sur la science, comme la prudence et le bon sens l’emportent sur le bon conseil ; pareillement, parmi les dons, la sagesse et l’intelligence, la science et le conseil l’emportent sur la piété, la force et la crainte ; et parmi ceux-ci encore, la piété l’emporte sur la force, et la force sur la crainte, comme la justice l’emporte sur la force et celle-ci sur la tempérance.

Mais si l’on regarde la matière, la force et le conseil sont supérieurs à la science et à la piété, pour cette raison que la force et le conseil interviennent dans les affaires ardues, tandis que la piété et même la science interviennent dans les affaires courantes. Ainsi donc, la dignité des dons répond à l’ordre dans lequel ils sont énumérés. En partie, de façon absolue, les dons de sagesse et d’intelligence étant supérieurs à tous. En partie, selon l’ordre de la matière, les dons de conseil et de force étant, selon cet ordre, supérieurs à ceux de science et de piété.

Solutions :

1. La crainte est requise par-dessus tout comme élément primordial dans le développement des dons parce que “ le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur ”, et non pour ce motif qu’elle serait plus digne que tout le reste. Et en effet, à suivre l’ordre de génération, quelqu’un doit en premier lieu s’éloigner du mal, ce qui se fait par la crainte comme il est écrit dans les Proverbes (16,6), avant de s’engager dans le bien, ce qui se fait par les autres dons.

2. La piété est comparée dans le texte de l’Apôtre non pas à tous les dons de Dieu mais uniquement “ aux exercices du corps ”, dont il vient de dire qu’ils sont “ utiles à peu de chose ”.

3. Bien que la science soit supérieure au conseil par son lien avec le jugement, le conseil lui est supérieur en raison de la matière : car il n’intervient que dans les affaires ardues, comme dit Aristote, alors que le jugement de science intervient en toutes choses.

4. Les dons qui ont un rôle directeur, et qui appartiennent à la raison, sont plus dignes que les dons d’exécution, si on les considère par rapport aux actes tels qu’ils émanent des puissances : en effet, la raison est au-dessus de l’appétit, comme le régulateur est au-dessus de ce qu’il règle. Mais en raison de la matière, le conseil est adjoint à la force comme le dirigeant à l’exécutant, et semblablement la science à la piété ; cela parce que le conseil et la force interviennent dans les affaires ardues, tandis que la science et la piété interviennent même dans la vie courante. C’est pourquoi le conseil est énuméré en même temps que la force, en raison de la matière, avant la science et la piété.

 

            Article 8 — Le rapport des dons avec les vertus

Objections :

1. Il semble qu’on doive faire passer les vertus avant les dons. S. Augustin dit en effet, parlant de la charité : “ Rien n’est plus excellent que ce don de Dieu. Il est seul à séparer les fils du royaume éternel d’avec ceux de la perdition éternelle. D’autres présents sont encore donnés par le Saint-Esprit mais sans la charité ils ne sont d’aucun profit. ” Or la charité est une vertu. Donc la vertu est supérieure aux dons du Saint-Esprit.

2. Il semble que les choses qui sont premières par nature sont les plus importantes. Or les vertus sont antérieures aux dons du Saint-Esprit. En effet, S. Grégoire nous dit : “ Le don du Saint-Esprit qui, dans l’âme soumise, forme avant toute autre vertu la justice, la prudence, la force et la tempérance, équilibre bientôt cette âme par les sept vertus (entendez les dons). Contre la sottise elle lui donne la sagesse, contre la stupidité l’intelligence, contre la précipitation le conseil, contre la crainte la force, contre l’ignorance la science, contre la dureté la piété, contre l’orgueil la crainte. ” Donc les vertus sont plus importantes que les dons.

3. “ Des vertus, dit S. Augustin r . nul ne peut faire mauvais usage. ” Or on peut mal user des dons. S. Grégoire dit en effet’ : “ Nous immolons l’hostie de notre prière de peur que la sagesse ne nous élève ; de peur que l’intelligence, dans ses démarches subtiles, nous égare ; que le conseil en se compliquant nous embrouille ; que la force, en nous donnant de l’assurance, nous fasse tomber ; que la science ne nous enfle si nous connaissons sans aimer ; que la piété en nous écartant de la rigueur, fausse notre jugement ; que la crainte, en nous faisant trembler plus que de raison, nous jette dans le désespoir. ” Donc les vertus sont plus dignes que les dons du Saint-Esprit.

En sens contraire, les dons sont accordés pour aider les vertus contre les défaillances, comme on le voit dans les textes qui viennent d’être avancés. Ainsi voit-on qu’ils perfectionnent ce que les vertus ne peuvent perfectionner. Donc, ils sont supérieurs aux vertus.

Réponse :

D’après ce qui a été dit plus haut les vertus se partagent en trois genres : théologales, intellectuelles, morales. Les vertus théologales sont celles par lesquelles l’âme humaine est unie à Dieu. Les vertus intellectuelles sont celles par lesquelles la raison est perfectionnée en elle-même. Les vertus morales sont celles par lesquelles l’appétit est perfectionné pour obéir à la raison. Quant aux dons du Saint-Esprit, c’est eux qui rendent toutes les facultés de l’âme capables de se soumettre à la motion divine.

Ainsi donc on découvre le même rapport entre les dons et les vertus théologales par lesquelles l’homme est uni au Saint-Esprit qui le meut, et entre les vertus morales et les vertus intellectuelles par lesquelles est perfectionnée la raison qui est motrice des vertus morales. C’est pourquoi, de même que les vertus intellectuelles l’emportent sur les vertus morales et les règlent, de même les vertus théologales l’emportent sur les dons du Saint-Esprit et les règlent. D’où la remarque de S. Grégoire : “ Les sept fils (c’est-à-dire les sept dons) ne peuvent atteindre la perfection du chiffre dix, si tout ce qu’ils font n’est pas accompli dans la foi, l’espérance et la charité. ”

Mais, si nous comparons les dons aux autres vertus intellectuelles ou morales, ils leur sont supérieurs, car ils perfectionnent les facultés de l’âme dans leur rapport au Saint-Esprit qui les meut, tandis que les vertus perfectionnent, ou la raison elle-même, ou les autres facultés dans leur subordination à la raison. Or il est évident qu’à l’égard d’un moteur plus élevé le mobile a besoin d’être disposé par une perfection plus grande. Par conséquent, les dons sont plus parfaits que les vertus.

Solutions :

1. La charité est une vertu théologale, nous concédons qu’elle est supérieure aux dons.

2. Une réalité est antérieure à une autre de deux façons. Soit dans l’ordre de perfection et de dignité, comme l’amour de Dieu passe avant l’amour du prochain. A cet égard, les dons passent avant les vertus intellectuelles et les vertus morales, mais après les vertus théologales. Soit dans l’ordre de génération ou de disposition, comme l’amour du prochain précède l’amour de Dieu quant aux actes. A cet égard les vertus morales et les vertus intellectuelles passent avant les dons ; car du fait que l’homme se comporte bien selon sa propre raison, il est disposé à bien se comporter dans la subordination à Dieu.

3. La sagesse, l’intelligence, etc. sont des dons du Saint-Esprit en tant qu’informés par la charité qui, selon l’Apôtre (1 Co 13,4) “ ne fait de mal à personne ”. Et c’est pourquoi personne ne fait mauvais usage de la sagesse, de l’intelligence, etc. selon que ce sont des dons du Saint-Esprit. Mais, pour qu’ils ne s’écartent pas de la perfection de la charité, l’un est aidé par l’autre. Et c’est ce que S. Grégoire veut dire.

 

QUESTION 69 — LES BÉATITUDES

1. Les béatitudes se distinguent-elles des dons et des vertus ? - 2. Les récompenses des béatitudes appartiennent-elles à cette vie ? - 3. Le nombre des béatitudes. - 4. La convenance des récompenses attribuées aux béatitudes.

 

            Article 1 — Les béatitudes se distinguent-elles des dons et des vertus ?

Objections :

1. Apparemment non. Car S. Augustin attribue les béatitudes énumérées en S. Matthieu aux dons du Saint-Esprit. S. Ambroise attribue celles de S. Luc aux quatre vertus cardinales. Donc les béatitudes ne sont distinctes ni des vertus ni des dons.

2. Pour la volonté humaine il n’y a qu’une double règle : la raison et la loi éternelle, comme on l’a établi plus haute. Mais il résulte de ce que nous venons de dire que les vertus perfectionnent l’homme en l’ordonnant à la raison, et les dons en l’ordonnant à la loi éternelle du Saint-Esprit. Donc il ne peut rien exister d’autre, concernant la rectitude de la volonté humaine, en dehors des vertus et des dons. Les béatitudes ne s’en distinguent donc pas.

3. Dans l’énumération des béatitudes il y a la douceur, la justice, la miséricorde, qu’on dit être des vertus. Donc les béatitudes ne se distinguent pas des vertus et des dons.

En sens contraire, certaines choses sont énumérées parmi les béatitudes, qui ne sont ni des vertus ni des dons, comme la pauvreté, l’affliction, la paix. C’est donc que les béatitudes diffèrent des vertus et des dons.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, la béatitude est la fin ultime de la vie humaine. Or on dit qu’un homme possède déjà une fin à cause de son espoir de l’obtenir. De là cette affirmation du Philosophe : “ Les enfants sont appelés bienheureux à cause de leur espérance. ” Et celle-ci de l’Apôtre (Rm 8,24) : “ C’est en espérance que nous avons été sauvés.” Mais l’espoir d’une fin à conquérir surgit du fait qu’on est mis comme il faut en mouvement vers elle et qu’on en approche ce qui suppose une certaine action. Or, vers cette fin qu’est la béatitude, on est mis en mouvement et on approche d’elle par l’activité des vertus ; et surtout par l’activité provenant des dons, si nous parlons de la béatitude éternelle, puisque pour elle la raison ne suffit pas, mais que le Saint-Esprit y introduit ; et ce sont ses dons qui nous perfectionnent pour nous permettre de lui obéir et de le suivre. Voilà pourquoi les béatitudes se distinguent des vertus et des dons, non comme des habitus distincts d’eux, mais comme les actes se distinguent des habitus.

Solutions :

1. S. Augustin et S. Ambroise attribuent les béatitudes aux dons et aux vertus comme on attribue les actes aux habitus. Or les dons, avons-nous dit, sont supérieurs aux vertus cardinales. C’est pourquoi S. Ambroise, qui commente les béatitudes proposées aux foules, les attribue aux vertus cardinales ; tandis que S. Augustin, qui commente les béatitudes proposées aux disciples sur la montagne comme à de plus parfaits, les attribue aux dons du Saint-Esprits.

2. Cet argument prouve qu’effectivement, en dehors des vertus et des dons, il n’y a pas d’autres habitus rectifiant la vie humaine.

3. La douceur est prise pour l’acte de la mansuétude, et il faut dire la même chose de la justice et de la miséricorde. Et, bien qu’elles paraissent des vertus, elles sont cependant attribuées aux dons, parce que, comme nous l’avons dit, même les dons perfectionnent l’homme sur tous les points où les vertus le perfectionnent aussi.

 

            Article 2 — Les récompenses des béatitudes appartiennent-elles à cette vie ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Certains sont appelés bienheureux, on vient de le dire, parce qu’ils espèrent des récompenses. Mais l’objet de l’espérance, c’est la béatitude future. Donc ces récompenses sont pour la vie future.

2. En S. Luc, par opposition aux béatitudes il y a des peines, lorsqu’il est dit (6,25) : “ Malheur à vous qui êtes rassasiés, parce que vous aurez faim. Malheur à vous qui nez maintenant, parce que vous serez dans l’affliction et dans les larmes. ” Mais ces peines ne s’entendent pas de cette vie puisque fréquemment les gens n’y sont pas punis et, selon la parole de Job (21,13), “ coulent leurs jours dans le bien-être ”. Donc les récompenses des béatitudes ne sont pas non plus pour cette vie.

3. Le royaume des cieux, récompense de la pauvreté, c’est la béatitude céleste ; S. Augustin le dit dans la Cité de Dieu . De même, le plein rassasiement n’est possédé que dans la vie future, selon le Psaume (16,15) : “ je serai rassasié lorsque ta gloire m’aura été révélée. ” De même, la vue de Dieu et la manifestation de notre filiation divine appartiennent à la vie future selon S. Jean (I, 3,2) : “ Maintenant nous sommes enfants de Dieu et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsque cela aura été Manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons comme il est. ” Ces récompenses sont donc bien pour la vie future.

En sens contraire, S. Augustin écrit “ Ce sont là des choses qui peuvent être accomplies en cette vie, comme nous croyons qu’elles l’ont été chez les Apôtres. Car cette transformation totale, ce changement en une forme angélique qui est promis après cette vie, il n’est aucune parole qui puisse en faire l’exposé. ”

Réponse :

Au sujet de ces récompenses, les commentateurs de la Sainte Écriture se sont exprimés diversement. Certains disent qu’elles appartiennent toutes à la béatitude future : S. Ambroise par exemples. S. Augustin au contraire dit qu’elles sont pour la vie présente. S. Jean Chrysostome dans ses “ Homélies ” dit que certaines appartiennent à la vie future et certaines à la vie présente.

Pour éclaircir cela il faut considérer que l’espérance de la béatitude future peut se trouver en nous pour deux motifs : 1° du fait d’une certaine préparation ou disposition à cette béatitude, ce qui a lieu par mode de mérite ; 2° comme un certain commencement imparfait de cette béatitude future chez les saintes gens, même en cette vie. En effet, l’espérance de voir l’arbre fructifier se présente différemment à l’époque de la frondaison verdoyante, et lorsque déjà commencent d’apparaître les prémices des fruits.

Ainsi donc, tout ce qui, dans les béatitudes, est présenté comme du mérite prépare ou dispose à la béatitude, soit achevée, soit commencée. Mais tout ce qui fait partie des récompenses peut être ou la béatitude achevée, et alors il s’agit de la vie future ; ou quelque commencement de la béatitude, comme cela existe chez les parfaits, et alors les récompenses appartiennent à la vie présente. En effet, lorsque quelqu’un commence à avancer dans les actes des vertus et des dons, on peut espérer qu’il parviendra et à la perfection du voyage et à celle de la patrie.

Solutions :

1. L’espérance porte sur la béatitude future comme sur la fin ultime ; mais elle peut aussi porter sur le secours de la grâce comme sur un moyen qui mène à la fin, selon la parole du Psaume (28,7) : “ Mon cœur a espéré en Dieu et j’ai été secouru. ”

2. Les méchants, bien que parfois ils ne souffrent pas en cette vie de peines temporelles, en souffrent cependant de spirituelles. D’où cette affirmation de S. Augustin : “ Tu as ordonné, Seigneur, et il en est ainsi, qu’une âme en désordre soit à elle-même son châtiment. ” Et le Philosophe dit des méchants : “ Leur âme se débat, ceci la tire d’un côté, cela d’un autre ” ; après quoi il conclut : “ S’il est à ce point misérable d’être méchant, il faut fuir la méchanceté de toutes ses forces. ” - Pareillement, en sens inverse, les bons, bien que parfois ils ne possèdent pas en cette vie les récompenses corporelles, ne manquent cependant jamais des spirituelles même en cette vie, selon cette parole en S. Matthieu (19,29) et en S. Marc (10,30) : “ Vous recevrez le centuple même en ce monde. ”

3. Toutes ces récompenses seront parfaitement consommées dans la vie future ; mais en attendant, même en cette vie, certains commencent d’y avoir part. Car le royaume des cieux peut s’entendre, au dire de S. Augustin, du commencement de la parfaite sagesse, selon lequel, chez eux, l’esprit commence à régner. De même, la possession de la terre signifie la bonne affection d’une âme qui se repose en désir dans la stabilité de l’héritage éternel, symbolisé par la terre. Ils sont consolés dès cette vie en participant au Saint-Esprit, appelé le Paraclet c’est-à-dire le Consolateur. Ils sont encore rassasiés en cette vie par cette nourriture dont le Seigneur dit (Jn 4,34) : “ Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père. ” En cette vie, ils obtiennent la miséricorde de Dieu. En cette vie également, lorsque le regard est purifié par le don d’intelligence, Dieu peut être vu d’une certaine manière. Pareillement, même en cette vie, ceux qui pacifient les mouvements de leur âme, s’approchant ainsi de la ressemblance avec Dieu sont appelés fils de Dieu. - Cependant tous ces biens existeront avec plus de perfection dans la patrie ".

 

            Article 3 — Le nombre des béatitudes

Objections :

1. Il semble que l’énumération des béatitudes soit maladroite. Car les béatitudes sont attribuées aux dons, avons-nous dit. Mais parmi les dons, certains se rapportent à la vie contemplative, ceux de sagesse et d’intelligence. Or aucune béatitude n’est située dans l’acte de la contemplation, mais toutes se rattachent à la vie active. L’énumération en est donc insuffisante.

2. A la vie active se rapportent non seulement les dons d’exécution, mais aussi certains dons de direction comme la science et le conseil. Or on ne met rien parmi les béatitudes qui semble se rapporter directement à l’acte de la science ou du conseil. Les béatitudes sont donc présentées de façon insuffisante.

3. Parmi les dons d’exécution dans la vie active, la crainte est mise en rapport avec la pauvreté ; quant à la piété, elle semble se rapporter à la béatitude de la miséricorde. Mais rien n’est mis directement en rapport avec la force. Donc l’énumération des béatitudes est insuffisante.

4. La Sainte Écriture allègue beaucoup d’autres béatitudes. Dans Job (5,17) : “ Bienheureux l’homme qui est corrigé par le Seigneur. ” Dans le Psaume (1,1) : “ Bienheureux l’homme qui n’est pas allé au conseil des impies. ” Dans les Proverbes (3,13) : “ Bienheureux l’homme qui a trouvé la sagesse. ” Donc l’énumération des béatitudes est insuffisante.

En sens contraire, il semble qu’il y ait du superflu dans cette énumération. Il y a en effet sept dons du Saint-Esprit. Or on présente huit béatitudes.

En outre, en S. Luc il n’y a que quatre béatitudes. Il y a donc du superflu dans les sept ou huit énumérées en S. Matthieu.

Réponse :

Ces béatitudes sont énumérées de la manière la plus satisfaisante. Pour éclaircir cette question, il faut considérer que l’on a parlé d’une triple béatitude : les uns ont mis la béatitude dans la vie voluptueuse, d’autres l’ont placée dans la vie active, d’autres dans la vie contemplative. Or ces trois béatitudes ont un rapport très différent avec la béatitude future, dont l’espérance fait que nous sommes appelés dès à présent bienheureux. Car la béatitude voluptueuse, parce qu’elle est fausse et contraire à la raison, est un obstacle à la béatitude future. La béatitude de la vie active dispose à la béatitude future. Quant à la béatitude contemplative, si elle est parfaite, elle constitue essentiellement la béatitude future elle-même ; si elle est imparfaite, elle en est un commencement.

Voilà pourquoi le Seigneur a placé en premier lieu certaines béatitudes, parce qu’elles écartent l’obstacle de la béatitude voluptueuse. En effet la vie voluptueuse consiste en deux choses : Dans l’abondance des biens extérieurs, soit les richesses, soit les honneurs. De cela l’homme est détourné par la vertu, de façon à faire de ces biens un usage modéré ; mais par le don, d’une manière plus excellente, jusqu’à les mépriser totalement. D’où la première béatitude : “ Bienheureux les pauvres en esprit ” ; ce qui peut se rapporter soit au mépris des richesses, soit au mépris des honneurs par le moyen de l’humilité. - Mais la vie voluptueuse consiste aussi à suivre ses passions, celles de son appétit irascible, ou celles de son appétit concupiscible. La vertu nous retient de suivre les passions de l’irascible, en nous empêchant, selon la règle de la raison, de nous laisser déborder par elles. Le don y parvient d’une manière plus excellente en rendant l’homme, confbrmément à la volonté divine, tout à fait tranquille à l’égard de ces passions. D’où la deuxième béatitude : “ Bienheureux les doux. ” La vertu nous retient de suivre les passions du concupiscible en les utilisant avec mesure. Mais le don, en les rejetant totalement si c’est nécessaire ; qui plus est, en faisant, si c’est nécessaire, qu’on accepte volontairement l’aflliction. D’où la troisième béatitude : “ Bienheureux ceux qui pleurent. ”

Quant à la vie active, elle consiste principalement dans les services que nous rendons au prochain, soit au titre d’une dette, soit au titre d’un bienfait spontané. - Pour le premier point, la vertu nous dispose à ne pas refuser de rendre au prochain ce que nous lui devons, ce qui ressortit à la justice. Mais le don nous induit à le faire avec plus de sentiment pour que nous accomplissions les œuvres de la justice avec un désir fervent, comme celui qui a faim et qui a soif aspire ardemment à manger et à boire. D’où la quatrième béatitude : “ Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice. ” - En ce qui concerne les dons spontanés, la vertu parfaite nous fait donner à ceux à qui la raison nous prescrit de donner, les amis par exemple et les autres personnes qui nous sont unies, ce qui ressortit à la vertu de libéralité. Mais le don du Saint-Esprit, à cause de la révérence qu’il nous inspire envers Dieu, ne regarde que la nécessité chez ceux à qui il procure des bienfaits tout gratuits. D’où cette parole en S. Luc (14,12) : “ Quand tu offres à dîner ou à souper, n’invite pas tes amis ou tes frères... mais invite des pauvres, des estropiés, etc. ”, ce qui est le propre de la miséricorde. Voilà pourquoi on trouve, comme cinquième béatitude : “ Bienheureux les miséricordieux. ”

Quant à ce qui se rapporte à la vie contemplative, ou bien c’est la béatitude finale elle-même, ou bien c’en est le commencement ; et c’est pourquoi on ne le met pas dans les béatitudes à titre de mérite, mais à titre de récompense. Mais on propose comme des mérites les effets de la vie active, par lesquels on se dispose à la vie contemplative. - Or, l’effet de la vie active, quant aux vertus et aux dons par lesquels l’homme est perfectionné en lui-même, c’est la pureté du cœur, qui fait que l’âme en nous n’est plus souillée par les passions. D’où la sixième béatitude : “ Bienheureux ceux qui ont le cœur pur. ” - Quant aux vertus et aux dons par lesquels on est rendu parfait à l’égard du prochain, l’effet de la vie active est la paix selon Isaïe (32,17) : “ L’œuvre de la justice, c’est la paix. ” Et c’est pourquoi l’on donne comme septième béatitude : “ Bienheureux les pacifiques. ”

Solutions :

1. L’activité des dons qui ont rapport à la vie active est exprimée dans les mérites mêmes, mais l’activité des dons qui ont rapport à la vie contemplative est exprimée dans les récompenses pour la raison qu’on vient de dire. Voir Dieu correspond en effet au don d’intelligence, et se conformer à Dieu par une filiation adoptive appartient au don de sagesse.

2. Dans la vie active, la connaissance n’est pas recherchée pour elle-même mais pour l’action, au dire même du Philosophe. Et c’est pourquoi, puisque la béatitude implique quelque chose d’ultime, on ne compte pas parmi les béatitudes les actes des dons qui dirigent la vie active, du moins les actes qu’ils émettent eux-mêmes, comme délibérer est l’acte du conseil et juger est l’acte de la science ; mais, en fait de béatitudes, on attribue plutôt à ces dons les actes qu’ils dirigent ; ainsi on attribue les larmes au don de science, et la miséricorde au don de conseil.

3. Dans l’attribution des béatitudes aux dons, on peut considérer deux points. Le premier est la conformité de la matière. A ce point de vue, les cinq premières béatitudes peuvent toutes être attribuées à la science et au conseil, comme aux dons qui dirigent. Mais elles se répartissent entre les dons qui exécutent, c’est-à-dire que la faim et la soif de justice, et aussi la miséricorde, se rapportent à la piété, qui a en effet pour fonction de parfaire l’homme dans les actes envers autrui ; tandis que la douceur se rattache à la force, S. Ambroise dit : “ C’est à la force de vaincre la colère et de retenir l’indignation ” ; en effet, la force concerne les passions de l’irascible, mais la pauvreté et les larmes se rattachent au don de crainte, puisque c’est par lui que l’on s’éloigne des cupidités et des délectations du monde. - Sous un autre aspect, nous pouvons dans ces béatitudes considérer les motifs qui les inspirent ; alors certains d’entre eux obligent à une autre attribution. En effet, ce qui meut surtout la mansuétude, c’est la révérence envers Dieu, qui se rattache au don de piété. Ce qui porte aux larmes, c’est principalement la science, par laquelle l’homme connaît ses propres défauts et ceux des choses de ce monde, selon le mot de l’Ecclésiaste (1,18) : “ Qui ajoute de la science ajoute aussi de la douleur. ” C’est surtout la force de l’âme qui pousse à avoir faim des œuvres de la justice. C’est surtout le conseil de Dieu qui pousse à la pitié, selon la parole de Daniel (4,24) : “ Que mon conseil plaise au roi : Rachète tes péchés par des aumônes, et tes iniquités par les miséricordes que tu fais aux pauvres. ” C’est ce mode d’attribution que suit S. Augustin dans son livre commentant le Sermon du Seigneur sur la montagne.

4. Il est nécessaire que toutes les béatitudes énoncées dans la Sainte Écriture se ramènent à celles-ci, soit quant aux mérites, soit quant aux récompenses, puisqu’il est nécessaire que toutes se rapportent de quelque façon ou à la vie active ou à la vie contemplative. C’est pourquoi, dire “ Bienheureux l’homme que le Seigneur corrige ” appartient à la béatitude des larmes. “ Bienheureux l’homme qui n’est pas allé au conseil des impies ”, appartient à la pureté de cœur. Mais quand on dit “ Bienheureux l’homme qui a trouvé la sagesse ”, c’est la récompense de la septième béatitude. Et il en est évidemment de même pour tous les autres textes qu’on peut apportera

5. En sens contraire, la huitième béatitude est une confirmation et une explication de toutes celles qui précèdent. Car, du fait qu’un homme est confirmé dans la pauvreté d’esprit, dans la douceur et dans toute la suite des béatitudes, il en résulte qu’aucune persécution ne l’éloigne de ces biens. Aussi la huitième béatitude se rapporte-t-elle d’une certaine manière aux sept précédentes.

6. D’après le récit de S. Luc, le sermon du Seigneur a été adressé aux foules. C’est pourquoi les béatitudes y sont énumérées selon la capacité des foules, qui ne connaissent que la béatitude voluptueuse, temporelle et terrestre. Aussi le Seigneur se borne à exclure par quatre béatitudes les quatre choses qui semblent appartenir à cette béatitude-là. La première est l’abondance des biens extérieurs ; il l’exclut en disant : “ Bienheureux les pauvres. ” La deuxième est le bien-être du corps dans la nourriture, la boisson etc., il l’exclut par cette deuxième parole : “ Bienheureux vous qui avez faim. ” La troisième est le bien-être quant à la joie du cœur ; il l’exclut en troisième lieu par ces mots : “ Bienheureux vous qui pleurez maintenant. ” La quatrième est la faveur publique : il l’exclut en quatrième lieu par les mots : “ Bienheureux serez-vous quand les hommes vous haïront- ” Et, comme dit S. Ambroise : “ La pauvreté se rattache à la tempérance, qui ne cherche pas les biens trompeurs ; la faim se rattache à la justice, parce que celui qui a faim est compatissant et, compatissant, se montre généreux ; les larmes se rapportent à la prudence, à qui il appartient de pleurer ce qui est périssable ; souffrir la haine des hommes appartient à la force. ”

 

            Article 4 — La convenance des récompenses attribuées aux béatitudes

Objections :

1. Il semble que les récompenses des béatitudes soient énumérées de façon malheureuse. Car le Royaume des cieux, qui est la vie éternelle, contient tous les biens. Après l’avoir proposé, il ne fallait pas proposer d’autres récompenses.

2. Le royaume des cieux est placé comme récompense et dans la première béatitude et dans la huitième. On devait donc au même titre le mettre dans toutes.

3. Dans les béatitudes on suit, dit S. Augustin, une marche ascendante. Dans les récompenses au contraire la marche parait être descendante, car la possession de la terre est inférieure au royaume des cieux. Il n’y a donc pas là un bon catalogue des récompenses.

En sens contraire, il y a l’autorité du Seigneur lui-même qui les propose de cette manière.

Réponse :

Ces récompenses sont désignées de la manière la plus appropriée si l’on considère la condition des béatitudes d’après les trois espèces de béatitude que nous venons de cataloguer.

En effet, les trois premières béatitudes se caractérisent par l’éloignement de ce qui procure la béatitude voluptueuse. L’homme désire cette béatitude en cherchant ce qui est l’objet naturel du désir non là où il doit le chercher, c’est-à-dire en Dieu, mais dans les réalités temporelles et périssables. Et c’est pourquoi les récompenses des trois premières béatitudes sont caractérisées d’après ces biens mêmes que certains vont chercher dans la béatitude terrestre. Effectivement, dans les biens extérieurs, les richesses et les honneurs, les hommes recherchent une certaine excellence et une certaine abondance ; or, le royaume des cieux implique l’une et l’autre puisqu’il procure l’excellence et l’abondance des biens en Dieu. C’est pourquoi le Seigneur a promis à ceux qui sont pauvres en esprit le royaume des cieux. Ce que cherchent au moyen de procès et de guerres les hommes féroces et sans douceur, c’est d’acquérir pour eux-mêmes la sécurité en détruisant leurs ennemis. Aussi le Seigneur a-t-il promis aux doux la possession sûre et tranquille de cette terre des vivants qui symbolise la solidité des biens éternels. Ce que cherchent les hommes dans les désirs et dans les plaisirs du monde, c’est d’avoir de la consolation contre les peines de la vie présente. Et c’est pourquoi le Seigneur a promis la consolation à ceux qui pleurent.

Après quoi deux autres béatitudes se rapportent aux œuvres de la béatitude active. Ce sont celles des vertus qui ordonnent l’homme à son prochain. De ces œuvres certains sont détournés par un amour désordonné de leur bien propre. Aussi le Seigneur attribue-t-il comme récompenses à ces béatitudes les choses mêmes à cause desquelles les hommes s’éloignent des bonnes œuvres. Il y en a, en effet, qui s’éloignent des œuvres de justice, ne rendant pas ce qu’ils doivent, mais plutôt volant ce qui ne leur appartient pas, afin de se rassasier de biens temporels. Voilà pourquoi, à ceux qui sont affamés de justice, le Seigneur a promis un rassasiement. Il y en a encore qui s’éloignent des œuvres de miséricorde pour ne pas se mêler des misères d’autrui. Voilà pourquoi, aux miséricordieux le Seigneur a promis une miséricorde qui puisse les délivrer de toute misère.

Quant aux deux dernières béatitudes, elles se rapportent à la félicité ou béatitude de la contemplation. Aussi les récompenses y sont-elles accordées en conformité avec les dispositions qu’on trouve dans le mérite. Car la pureté de I’œil consiste à voir clair ; aussi les cœurs purs reçoivent-ils la promesse de la vision de Dieu. Quant au fait d’établir la paix ou en soi-même ou entre les autres, il manifeste que l’on est imitateur de Dieu, le Dieu d’unité et de paix. Aussi le pacifique reçoit-il en récompense la gloire de cette filiation divine qui consiste en la parfaite union à Dieu par une sagesse consommée.

Solutions :

1. Comme dit S. Jean Chrysostome, toutes ces récompenses ne sont en réalité qu’une seule chose : la vie éternelle, que l’intelligence humaine ne saisit pas. C’est pourquoi il a fallu les lui décrire par les différents biens qui nous sont connus, en ayant soin de les mettre en harmonie avec les mérites auxquels les récompenses sont attachées.

2. Comme la huitième béatitude est une sorte de confirmation de toutes les béatitudes, les récompenses de toutes les béatitudes lui sont dues. Voilà pourquoi on revient au début pour faire comprendre que lui sont attribuées logiquement toutes les récompenses. - Ou encore, selon S. Ambroise, le royaume des cieux est promis aux pauvres en esprit quant à la gloire de l’âme, mais à ceux qui souffrent persécution dans leur corps, le royaume est promis quant à la gloire du corps.

3. Les récompenses aussi s’enchaînent selon une progression. Car posséder la terre du royaume des cieux est plus que d’avoir simplement le royaume ; il y a beaucoup de choses en effet que nous avons sans les posséder fermement et pacifiquement. De même être consolé dans le royaume, c’est plus que d’avoir et de posséder ; il y a en effet bien des choses que nous possédons dans la douleur. De même, être rassasié est plus que d’être simplement consolé, car le rassasiement implique l’abondance de la consolation. Quant à la miséricorde, elle dépasse le rassasiement, elle signifie qu’on reçoit plus qu’on ne mérite, plus même qu’on ne pouvait désirer. Mais c’est encore une plus grande chose de voir Dieu, de même que celui-là est plus grand qui est admis non seulement à manger à la cour du roi, mais aussi à le voir face à face. Toutefois, la souveraine dignité dans la maison du roi, c’est au fils du roi qu’elle appartient.

 

QUESTION 70 — LES FRUITS DU SAINT-ESPRIT

1. Les fruits du Saint-Esprit sont-ils des actes ? - 2. Diffèrent-ils des béatitudes ? - 3. Leur nombre. - 4. Leur opposition aux œuvres de la chair.

 

            Article 1 — Les fruits du Saint-Esprit sont-ils des actes ?

Objections :

1. Ce que l’Apôtre dans son épître aux Galates appelle les fruits du Saint-Esprit ne semble pas consister en des actes. En effet, ce qui a un fruit ne doit pas être appelé fruit : ce serait aller à l’infini. Or nos actes ont du fruit. Il est écrit dans la Sagesse (3,15 Vg) : “ Le bon labeur a un fruit glorieux ” ; et en S. Jean (4,36) : “ Celui qui moissonne reçoit la récompense et ramasse du fruit pour la vie éternelle. ” Donc nos actes eux-mêmes ne sont pas appelés fruits.

2. S. Augustin dit : “ Nous jouissons des choses que nous connaissons dès que la volonté se repose avec délectation dans ces choses pour elles-mêmes. ” Mais notre volonté ne doit pas se reposer dans nos actes pour eux-mêmes. Nos actes ne doivent donc pas être appelés des fruits.

3. Entre les fruits du Saint-Esprit l’Apôtre énumère des vertus : charité, mansuétude, foi et chasteté. Or les vertus ne sont pas des actes mais des habitus, avons-nous dit. Donc les fruits ne sont pas des actes.

En sens contraire, il est dit en S. Matthieu (12,33) : “ L’arbre se reconnaît à ses fruits ”, ce qui signifie, comme les Pères l’expliquent à cet endroit : “ On connaît l’homme à ses œuvres. ” Ce sont donc les actes humains eux-mêmes qui sont appelés des fruits.

Réponse :

Ce nom de fruit a été transposé du corporel au spirituel. Or, dans les réalités corporelles, on appelle fruit ce que produit une plante parvenue à son point de perfection et ce qui a en soi une certaine douceur. Ce fruit a une double relation : à l’arbre qui le produit, et à l’homme qui le prend à l’arbre. Ainsi donc, dans le domaine spirituel, nous pouvons entendre ce mot de fruit dans une double acception. Dans un sens on dira “ le fruit de l’homme ”, comme si l’homme était l’arbre qui le produit. Dans l’autre sens on appellera “ fruit de l’homine ” ce que l’homme obtient.

Or, tout ce que l’homme obtient n’a pas raison de fruit, mais seulement ce qui est ultime et comporte de la délectation. En effet l’homme possède le champ et l’arbre : ce n’est pas eux qu’on appelle des fruits, mais seulement ce qui est ultime, ce que l’homme entend recevoir du champ et de l’arbre. En ce sens, on appelle fruit de l’homme sa fin ultime, dont il doit avoir la jouissance.

Si l’on appelle fruit de l’homme ce qui est produit par lui, alors ce sont les actes humains eux-mêmes qui sont appelés fruits. L’action est en effet l’acte second de celui qui agit, et elle comporte de la délectation si elle lui convient. Donc, si l’activité de l’homme émane de lui selon la capacité de sa raison, on dit qu’elle est le fruit de la raison. Mais si elle procède de lui selon une vertu plus haute, celle du Saint-Esprit, on dit que l’action de l’homme est le fruit du Saint-Esprit, comme d’une semence divine, car il est écrit dans la première épître de Jean (3,9) : “ Quiconque est né de Dieu ne commet pas le péché parce que la semence de Dieu demeure en lui. ”

Solutions :

1. Puisque le fruit a, d’une certaine manière, raison de réalité ultime et de fin, rien n’empêche qu’un fruit ait un autre fruit, ainsi qu’une fin est ordonnée à une fin. Donc nos œuvres, en tant qu’elles sont des effets du Saint-Esprit opérant en nous, ont raison de fruits ; mais, en tant qu’elles sont ordonnées à leur fin qui est la vie éternelle, elles ont plutôt raison de fleurs, d’où le mot de l’Ecclésiastique (24,17 Vg) : “ Mes fleurs sont des fruits d’honneur et d’honnêteté. ”

2. Quand on dit que la volonté se délecte d’une réalité à cause de la réalité même, cela peut se comprendre de deux façons. Ou “ à cause de ” s’entend de la cause finale, et ainsi on ne se délecte d’une réalité pour elle-même que si c’est la fin ultime. Ou bien “ à cause de ” désigne une cause formelle, et alors quelqu’un peut trouver à se délecter de la chose même en tout ce qui est délectable selon sa forme. Il est évident par exemple que le malade se délecte de la santé pour elle-même comme en une fin ; dans le remède, si celui-ci est doux, on trouve aussi du plaisir, non comme en une fin, mais comme en une chose qui a un goût agréable ; mais, si le remède est amer, le malade n’y prend aucun plaisir d’aucune sorte pour la chose en soi, mais uniquement en vue d’autre chose. Ainsi donc il faut dire qu’on doit se délecter en Dieu à cause de lui-même comme à cause d’une fin ultime ; dans les actes vertueux, au contraire, on doit se délecter non pas comme s’ils étaient une fin, mais à cause de l’honnêteté qu’ils renferment et qui est agréable à leurs auteurs. Ce qui fait dire à S. Ambroise : “ Les œuvres des vertus sont appelés des fruits parce qu’elles procurent à leurs possesseurs la réfection d’une sainte et pure délectation ”.

3. Les noms des vertus sont pris parfois pour les actes de ces vertus, comme S. Augustin dit que “ la foi est l’acte de croire ce que vous ne voyez pas ”, ete “ la charité, un mouvement d’âme pour aimer Dieu et le prochain ”. C’est de cette manière qu’on emploie aussi des noms de vertus dans l’énumération des fruits.

 

            Article 2 — Les fruits diffèrent-ils des béatitudes ?

Objections :

1. Il semble que non. Car les béatitudes sont attribuées aux dons, on l’a dit plus haut. Mais les dons perfectionnent l’homme pour qu’il se laisse mouvoir par le Saint-Esprit. Les béatitudes sont donc elles-mêmes des fruits du Saint-Esprit.

2. Le rapport du fruit de la vie éternelle à la béatitude future, qui est une possession réelle, se retrouve entre les fruits de la vie présente et la béatitude de la vie présente, qui viennent de l’espérance. Mais le fruit de la vie éternelle, c’est la béatitude de la vie éternelle elle-même. Donc les fruits de la vie présente, ce sont aussi les béatitudes elles-mêmes.

3. La raison de fruit comporte qu’il soit quelque chose d’ultime et de délectable. Mais, on l’a dit plus haut, cela appartient aussi à la raison de béatitude. Le fruit et la béatitude ont une raison identique. Donc ils ne doivent pas être distingués l’un de l’autre.

En sens contraire, quand les espèces ne sont pas les mêmes, les choses non plus ne sont pas les mêmes. Mais les fruits d’une part, les béatitudes de l’autre, se répartissent sur des espèces qui ne sont pas les mêmes, comme on le voit par leurs dénombrements respectifs. Donc les fruits diffèrent des béatitudes.

Réponse :

On exige plus pour la raison de béatitude que pour celle de fruit. Car, pour la raison de fruit, il suffit qu’on ait quelque chose d’ultime et de délectable. Mais la raison de béatitude exige en outre que ce soit quelque chose de parfait et d’excellent. Ainsi toutes les béatitudes peuvent-elles être appelées des fruits, mais non inversement. En effet, toutes les œuvres vertueuses dans lesquelles on trouve de la délectation sont des fruits. Mais on appelle béatitudes uniquement les œuvres parfaites qui, en raison même de leur perfection, sont attribuées plutôt aux dons qu’aux vertus, comme on l’a dit ci-dessus.

Solutions :

1. Cet argument prouve que les béatitudes sont des fruits, mais non que tous les fruits soient des béatitudes.

2. Le fruit de la vie éternelle est ultime et parfait absolument, et c’est pourquoi il n’est distinct en rien de la béatitude éternelle à venir. Mais dans la vie présente les fruits ne sont pas ultimes ni parfaits absolument, et c’est pourquoi ils ne sont pas tous des béatitudes.

3. Il y a quelque chose de plus, nous venons de le dire, dans ia raison de béatitude que dans celle de fruit.

 

            Article 3 — Le nombre des fruits

Objections :

1. Il semble que l’Apôtre ait eu tort d’en compter douze dans l’épître aux Galates (5,22). Ailleurs, en effet, dans l’épître aux Romains (6,22), il dit qu’il n’y a qu’un seul fruit pour la vie présente : “ Vous avez votre fruit dans la sanctification. ” Et en Isaïe (27,9) il est écrit : “ Tel sera tout le fruit qu’il recueillera en renonçant à son péché. ” Il n’y a donc pas à énumérer douze fruits.

2. Le fruit est ce qui sort, avons-nous dit, d’une semence spirituelle. Mais le Seigneur (Mt 13,23) présente un triple fruit provenant d’une semence semée en bonne terre : cent, soixante et trente pour un. Il n’y a donc pas à présenter douze fruits.

3. La raison de fruit implique qu’il soit chose ultime et délectable. Mais cette raison ne se trouve pas dans tous les fruits énumérés par l’Apôtre : la patience et la longanimité semblent bien exister dans les choses affligeantes ; la foi n’a pas raison de chose ultime, mais plutôt de premier fondement. Il y a donc quelque chose de trop dans l’énumération des fruits.

En sens contraire, il semble au contraire que cette énumération n’est pas suffisante et qu’il y manque quelque chose. Nous avons dit en effet que toutes les béatitudes peuvent être appelées des fruits ; mais toutes ne sont pas énumérées ici. Il n’y a rien non plus qui se rapporte à l’acte de la sagesse, ni de beaucoup d’autres vertus.

Réponse :

Ce nombre de douze fruits énumérés par l’Apôtre est justifié. On peut même en voir le symbole dans ces douze fruits dont il est parlé à la fin de l’Apocalypse (22,2) : “ Des deux côtés du fleuve l’arbre de vie portant douze fruits. ” Mais puisqu’on donne ce nom de fruit à ce qui sort d’un principe comme d’une semence ou d’ une racine, on devra tenir compte de la distinction de ces fruits d’après les différents progrès du SaintEsprit en nous. Ces progrès consistent en ce que l’homme spirituel est bien ordonné, premièrement en lui-même ; deuxièmement par rapport à ce qui est à côté de lui ; troisièmement par rapport à ce qui est au-dessous de lui.

L’homme spirituel est bien disposé en lui-même quand il se possède parfaitement dans la prospérité comme dans l’adversité. Or à l’égard du bien, la première disposition de l’esprit humain se fait par l’amour, lequel est la première des affections, la racine de toutes, comme nous l’avons dit. C’est pourquoi parmi les fruits de l’esprit, on met en premier lieu la charité, en laquelle le Saint-Esprit est donné d’une manière spéciale, comme en sa propre ressemblance, puisque lui-même aussi est amour. Aussi l’Apôtre dit-il (Rm 5,5) : “ L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. ” Mais l’amour de charité entrâine nécessairement la joie. Toujours en effet celui qui aime se réjouit d’être uni à l’aimé. Or la charité a toujours présent le Dieu qu’elle aime, selon S. Jean (1, 4,16) : “ Qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui. ” C’est pourquoi la joie est une conséquence de la charité. Or, la perfection de la joie c’est la paix. La paix à deux points de vue :

1° Quant au repos, à l’abri des causes extérieures de trouble. En effet, on ne peut se réjouir parfaitement du bien qu’on aime, si sa jouissance est troublée par les autres. Au contraire, celui qui a le cœur parfaitement pacifié dans un unique objet, ne peut être importuné par rien d’autre, parce qu’il tient pour rien tout le reste, d’où cette parole du Psaume (119,165) : “ Grande paix pour ceux qui aiment ta loi, et il n’y a pas pour eux de scandale ”, c’est-à-dire que les choses du dehors ne les troublent pas dans leur jouissance de Dieu.

2° La paix est aussi la perfection de la joie en ce qu’elle calme les remous du désir, car il ne possède pas la joie parfaite, celui à qui l’objet de sa joie ne suffit pas. Or la paix comporte ces deux éléments : que du dehors rien ne nous trouble, et que nos désirs se reposent en un objet unique. C’est pourquoi après la charité et la joie on met en troisième lieu la paix. - A l’égard des maux, l’esprit est en parfaite possession de lui-même sur deux points : que l’imminence des maux ne parvienne pas à le troubler ce qui est 1’œuvre de la patience ; ni l’attente prolongée des biens, ce qui est l’affaire de la longanimité, car “ être privé d’un bien, comme il est dit dans 1’Ethique a raison de mal ”.

Par rapport à ce qui est à côté de lui, c’est-à-dire le prochain, l’homme spirituel est en de bonnes dispositions, 1° quant à la volonté de bien faire, et à cela se rapporte la bonté ; 2° quant à la bienfaisance effective, et à cela se rapporte la bénignité ; car on attribue celle-ci aux hommes qu’un “ bon feu d’amour ” enflamme à faire du bien au prochain ; 3° quant à l’égalité d’âme pour supporter les maux infligés par les proches, et c’est à cela que se rapporte la mansuétude, qui refrène les colères ; 4° quant au fait de ne nuire aucunement au prochain, non seulement par colère, mais non plus par fraude ou par ruse, et à cela s’applique la foi, prise au sens de fidélité. Mais si nous la prenons au sens de la foi par laquelle on croit en Dieu, alors, par cette foi, l’homme est ordonné à ce qui est au-dessus de lui, c’est-à-dire à soumettre à Dieu son intelligence et, par voie de conséquence, tout ce qui est à lui.

Mais par rapport à ce qui est au-dessous de lui l’homme est en de bonnes dispositions, 1° quant aux actions extérieures, grâce à la modestie qui garde la mesure en tout ce qu’on dit et tout ce qu’on fait. 2° Quant aux convoitises intérieures, grâce à la continence et à la chasteté, soit que l’on distingue ces deux choses par ce fait que la chasteté refrène ce qui est illicite, tandis que la continence refrène même ce qui est licite ; soit qu’on les distingue par ce fait que le continent éprouve les convoitises mais n’est pas entraîné par elles, tandis que le chaste ni ne les éprouve ni n’est entraîné par elles.

Solutions :

1. La sanctification provient de toutes les vertus, qui enlèvent aussi les péchés. C’est pourquoi, aux endroits cités, le fruit est nommé au singulier en raison de l’unité de genre. Genre qui se partage en de multiples espèces d’après lesquelles sont désignés les multiples fruits.

2. Les fruits ne sont pas différenciés par cent, soixante, et trente, d’après les diverses espèces d’actes vertueux, mais d’après les divers degrés de perfection, même dans une seule vertu. Ainsi, on dit que la continence dans le mariage est symbolisée par le fruit à trente pour un, celle du veuvage par le fruit à soixante, tandis que celle de la virginité est représentée par le cent pour un. - Les Pères ont aussi d’autres façons de distinguer dans ces trois fruits évangéliques comme trois degrés dans la vertu. Et l’on suppose trois degrés parce que, en tout domaine, la perfection se présente selon un commencement, un milieu et une fin.

3. Le fait même de ne pas être troublé dans les tristesses de la vie se présente comme un fruit délectable. La foi aussi, même si on la prend en tant qu’elle est le fondement de la vie spirituelle, possède un certain aspect de chose ultime et délectable selon qu’elle contient une certitude. D’où ce commentaire de la Glose : “ La foi, c’est-à-dire la certitude de l’invisible. ”

4. En sens contraire, comme dit S. Augustin dans son commentaire de l’épître aux Galates, “ l’Apôtre n’a pas adopté ce chiffre pour enseigner combien il y a d’œuvres de la chair ou de fruits de l’esprit, mais pour montrer dans quelle genre de choses celles-là sont à éviter, ceux-ci à rechercher ”. Aussi auraient-ils pu être énumérés en nombre plus ou moins grand. Et cependant, tous les actes des dons et des vertus peuvent, selon une certaine convergence, se ramener à ces fruits selon que toutes les vertus et tous les dons ordonnent nécessairement l’âme selon l’une des modalités qu’on vient de dire. Aussi les actes de la sagesse, et ceux de tous les dons qui nous ordonnent au bien, se ramènent-ils à la charité, à la joie et à la paix. Néanmoins, si Paul a donné cette énumération plutôt qu’une autre, c’est parce que les fruits énumérés ici impliquent davantage soit une jouissance des biens, soit un adoucissement des maux : ce qui, semble-t-il, appartient à la raison de fruit.

 

            Article 4 — L’opposition des fruits aux œuvres de la chair

Objections :

1. L’Apôtre énumère aussi les œuvres de la chair (Ga 5,19). A ce qu’il semble, les fruits ne leur sont pas contraires. Les contraires sont dans un même genre. Mais on ne dira pas que les œuvres de la chair sont des fruits. Donc les fruits de l’esprit ne leur sont pas contraires.

2. Une chose est contraire à une autre. Or l’Apôtre énumère plus d’œuvres de la chair que de fruits de l’esprit. Donc fruits de l’esprit et œuvres de la chair ne sont pas des contraires.

3. Au premier rang des fruits de l’esprit on met la charité, la joie, la paix, auxquelles ne correspondent pas les œuvres de la chair énumérées en premier, qui sont la fornication, l’impureté, l’impudicité. Donc les fruits de l’esprit ne sont pas contraires aux œuvres de la chair.

En sens contraire, l’Apôtre dit dans le même passage que “ la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair ”.

Réponse :

Œuvres de la chair et fruits de l’esprit peuvent être pris dans une double acception : 1° Sous un aspect général. En ce sens les fruits du Saint-Esprit sont, dans l’ensemble, contraires aux œuvres de la chair. Le Saint-Esprit meut en effet l’esprit humain vers ce qui est selon la raison, ou plutôt vers ce qui est au-dessus de la raison. L’appétit de la chair, qui est l’appétit sensible, entraîne vers les biens sensibles, qui sont au-dessous de l’homme. Aussi, de même que dans la nature un mouvement vers le haut et un mouvement vers le bas sont contraires, de même dans les œuvres humaines les œuvres de la chair et les œuvres de l’esprit.

2° On peut considérer autrement les fruits énumérés sous l’aspect qui est propre à chacun d’eux, et pareillement les œuvres de la chair. En ce sens, il n’est pas nécessaire qu’ils se fassent opposition un par un, parce que, comme nous l’avons dit, l’Apôtre n’a pas l’intention d’énumérer toutes les œuvres spirituelles ni toutes les œuvres charnelles. Pourtant, avec une certaine ingéniosité, S. Augustin oppose un par un les actes de la chair aux fruits de l’esprit. “ La fornication est la passion d’assouvir les désirs charnels en dehors d’une union légitime : c’est l’opposé de la charité, par laquelle l’âme est unie à Dieu, et en laquelle se trouve aussi la vraie chasteté. Quant aux impuretés, ce sont tous les troubles que fait naître la fornication, à quoi s’oppose la joie de la tranquillité. La servitude des idoles mène la guerre contre l’évangile de Dieu ; son opposé est la paix. Aux maléfices, aux inimitiés, disputes et rivalités, aux animosités et dissensions, s’oppose la longanimité pour supporter les misères des hommes chez qui l’on vit, la bénignité pour y porter remède, et la bonté pour pardonner. Aux hérésies s’oppose la foi ; à l’envie la mansuétude ; aux excès du boire et du manger, la continence. ”

Solutions :

1. Ce qui vient d’un arbre contrairement à sa nature, on ne dit pas que c’en est le fruit, on dit plutôt que c’en est la corruption. Aussi, comme les œuvres des vertus sont connaturelles à la raison alors que les œuvres des vices lui sont contraires, on donne à celles-là le nom de fruits mais pas à celles-ci.

2. “ Le bien arrive d’une seule manière, dit Denys ; le mal de beaucoup de façons n ” : de là vient qu’à une seule vertu s’opposent plusieurs vices. Et c’est pourquoi il n’est pas étonnant que l’on compte plus d’œuvres de la chair que de fruits de l’esprit.

3. Ce qu’on vient de dire donne la solution.

LES VICES ET LES PÉCHÉS

Après l’étude des vertus vient celle des vices et des péchés. Et à ce propos six grandes sortes de considération se présentent : 1° Les vices et les péchés en eux-mêmes (Q. 71) ; 2° la distinction des péchés (Q. 72) ; 3° leurs relations mutuelles (Q. 73) ; 4° le sujet du péché (Q. 74) ; 5° sa cause (Q. 75-84) ; 6° ses effets (Q. 85-89).

 

QUESTION 71 — LA NATURE DU PÉCHÉ

1. Le vice est-il le contraire de la vertu ? - 2. Est-il contraire à la nature ? - 3. Quel est le pire : le vice, ou l’acte vicieux ? - 4. L’acte vicieux peut-il cœxister avec la vertu ? - 5. En tout péché y a-t-il un acte ? - 6. La définition donnée par S. Augustin : “ Le péché est tout ce qui est dit, fait ou désiré contre la loi éternelle. ”

 

            Article 1 — Le vice est-il le contraire de la vertu ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car une chose, dit le Philosophe, n’a qu’un contraire. Or le contraire de la vertu c’est le péché et sa malice. Ce n’est donc pas le vice, qui se dit d’ailleurs de toutes sortes de choses, par exemple d’un organisme aux membres mal conformés.

2. La vertu dénote la perfection d’une puissance. Mais le vice ne dénote rien qui se rattache à la puissance.

3. Cicéron dit que la vertu est la santé de l’âme. Le contraire de la santé est l’indisposition ou la maladie plutôt que le vice.

En sens contraire, S. Augustin dit que “ le vice est la qualité par laquelle une âme est mauvaise ”. Or la vertu est la qualité qui rend bon celui qui la possède. Vertu et vice sont donc deux contraires.

Réponse :

Il y a deux choses à considérer dans la vertu : son essence et son but. Et dans l’essence de la vertu on peut considérer ce qui se présente directement et ce qui est une conséquence. Directement, la vertu est la disposition d’un être à bien se comporter conformément à sa nature. D’où cette définition du Philosophe : “ La vertu est chez l’être parfait la disposition au meilleur. J’appelle parfait ce qui est disposé selon sa nature. ” Conséquemment, la vertu est une bonté, car la bonté consiste pour chacun à se réaliser adéquatement dans le sens de sa nature. Quant au but de la vertu, c’est de faire accomplir de bonnes actions, nous l’avons déjà montré.

D’après cela, trois choses vont donc se trouver en opposition avec la vertu. L’une est le péché, qui s’oppose à elle du côté de son but, car le péché nomme à proprement parler l’action désordonnée, au lieu que l’action vertueuse est celle qui est dans l’ordre et dans le devoir. La deuxième chose contraire à la notion de vertu en tant que celle-ci est une certaine bonté, c’est la malice. Enfin, sur le point qui lui est directement essentiel, la vertu a pour opposé le vice. Car le vice de toute chose, c’est bien, semble-t-il, de ne pas être dans les dispositions qui conviennent à sa nature. Ce qui fait dire à S. Augustin : “ Ce que vous voyez manquer à la perfection d’une nature, vous pouvez dire que c’est du vice. ”

Solutions :

1. Péché, malice et vice, ce sont là trois choses contraires à la vertu, mais à des points de vue différents. Le péché contrarie la vertu dans son aptitude à bien agir, la malice dans sa bonté, le vice dans sa qualité propre de vertu.

2. La vertu n’implique pas seulement la perfection de la puissance qui est au principe de l’acte, elle implique aussi la bonne disposition du sujet dont elle est la vertu ; et cela parce que chacun agit conformément à ce qu’il est en acte. Il est donc requis, pour être en mesure de bien agir, que l’on ait en soi de bonnes dispositions. C’est par là que le vice s’oppose à la vertu.

3. Selon Cicéron au même endroit : “ La maladie et les indispositions acheminent à un état vicié de tout l’organisme : il y a d’abord la maladie, la fièvre par exemple, qui indique que le corps est en mauvais état ; puis viennent l’indisposition et la maladie qui épuisent les forces ; enfin il y a vice quand les organes sont en désaccord. ” Parfois, le corps est malade sans être paralysé, par exemple lorsqu’on est mal disposé intérieurement, sans être empêché de vaquer extérieurement à ses activités habituelles. Cependant, Cicéron le dit lui-même, en ce qui concerne l’esprit, on ne peut distinguer ces deux états que par la pensée. Lorsque l’on est intérieurement mal disposé, cela vient nécessairement d’une affection désordonnée qui nous rend incapables d’accomplir nos devoirs ; c’est ce que dit l’Évangile (Mt 12,33) : “ On reconnaît l’arbre à son fruit ”, c’est-à-dire l’homme à ses œuvres. Quant au “ vice de l’âme ”, Cicéron explique dans ce même passage que “ c’est, dans toute la vie, une décomposition des habitus et des affections, une sorte de désagrégation interne ”. Et cela peut se présenter même en dehors d’un état de maladie ou d’incapacité, par exemple lorsque l’on pèche par faiblesse ou passion. Il résulte donc de tout cela que le vice dit quelque chose de plus que la maladie ou l’incapacité, de même que la vertu dit quelque chose de plus que la santé ; car la santé n’est d’après Aristote qu’une certaine vertu. C’est pourquoi il vaut mieux opposer le vice à la vertu plutôt que la maladie ou l’incapacité.

 

            Article 2 — Le vice est-il contraire à la nature ?

Objections :

1. Cela ne parait pas possible. On vient de voir que le vice est le contraire de la vertu. Mais la vertu ne nous est pas naturelle, elle est chez nous infuse ou acquise. Les vices ne sont donc pas contraires à la nature.

2. On ne peut pas s’accoutumer à ce qui est contraire à la nature : “ Une pierre ne s’accoutume jamais à monter en l’air ” dit Aristote. Or il y a des gens qui s’accoutument aux vices. Ceux-ci ne sont donc pas contraires à la nature.

3. Ce qu’il y a de plus commun chez ceux qui ont une nature ne saurait être contraire à la nature. Or le vice est ce qu’il y a de plus commun parmi les hommes, suivant la parole de l’Évangile (Mt 7,13) : “ La route qui mène à la perdition est large, et il y passe beaucoup de monde. ” Donc le vice n’est pas contre la nature.

4. D’après ce que nous avons dit ii le péché se rattache au vice comme l’acte à l’habitus. Mais le péché est défini par S. Augustin comme “ une parole, un acte ou un désir contraire à la loi de Dieu ”. Or la loi de Dieu est au-dessus de la nature. Il vaut donc mieux dire aussi que le vice est contre la loi plutôt que contre la nature.

En sens contraire, S. Augustin affirme “ Tout vice, du fait qu’il est un vice, est contraire à la nature. ”

Réponse :

Le vice est le contraire de la vertu, nous venons de le dire. Or la vertu consiste pour chacun à être dans les bonnes dispositions qui conviennent à sa nature, nous l’avons dit précédemment. Il faut donc appeler vice, en quelque réalité que ce soit, le fait que celle-ci est dans des dispositions contraires à sa nature. C’est bien en pareil cas qu’il y a lieu de vitupérer, ce qui fait croire, dit S. Augustin, que “le mot vitupération dérive du mot vice”.

Mais il faut remarquer que la nature d’une chose c’est avant tout sa forme, qui lui donne l’espèce. Or ce qui fait l’espèce humaine c’est l’âme raisonnable. Voilà pourquoi tout ce qui est contre l’ordre de la raison est proprement contre la nature de l’homme considéré en tant qu’homme, et ce qui est selon la raison est selon la nature de l’homme en tant qu’homme : “Le bien de l’homme, dit Denys, est de se conformer à la raison, et son mal est de s’en écarter.” Par conséquent, la vertu humaine, celle qui rend l’homme bon, et son œuvre aussi, est en conformité avec la nature humaine dans la mesure même où elle est en harmonie avec la raison, et le vice est contre la nature humaine dans la mesure où il est contre l’ordre de la raison.

Solutions :

1. Les vertus ne sont pas causées par la nature, du moins en leur état parfait. Cependant elles nous inclinent dans le sens de la nature, autrement dit de la raison. Cicéron dit en effet que “ la vertu est l’habitus qui se conforme à la raison comme naturellement ”. C’est ainsi que la vertu est appelée conforme à la nature, et le vice, tout à l’opposé, contraire à la nature.

2. Le Philosophe parle là de ce qui est contraire à la nature dans le sens où cela s’oppose à ce qui est un effet de la nature ; non en ce sens où contraire à la nature s’oppose à ce qui est conforme à la nature. C’est ainsi qu’on dit les vertus conformes à la nature en tant qu’elles inclinent à ce qui convient à la nature.

3. Il y a dans l’homme une double nature, raisonnable et sensible. Et puisque c’est par l’activité des sens que l’on parvient à celle de la raison, il y a plus de gens à suivre les inclinations de la nature sensible qu’il y en a à suivre l’ordre de la raison ; car il se trouve toujours plus de monde pour commencer une chose que pour la finir. Or les vices et les péchés proviennent justement chez les hommes de ce qu’on suit le penchant de la nature sensible contre l’ordre de la raisons.

4. C’est la même chose de pécher contre une œuvre d’art et de pécher contre l’art dont elle est le produit. Or la loi éternelle est dans le même rapport avec l’ordre de la raison humaine que l’art avec l’œuvre d’art. Aussi est-ce au même titre que le vice et le péché s’opposent à l’ordre de la raison humaine, et qu’ils s’opposent à la loi éternelle. Ce qui explique cette affirmation de S. Augustin : “ Dieu donne à toutes les natures d’être ce qu’elles sont. Et elles deviennent vicieuses dans la mesure où elles s’éloignent de l’art de celui qui les a créées. ”

 

            Article 3 — Quel est le pire — le vice ou l’acte vicieux ?

Objections :

1. Il semble que le vice, qui est un habitus mauvais, soit pire que le péché, qui est un acte mauvais. En effet, l’acte passe et l’habitus demeure. Or, si un bien est meilleur lorsqu’il est plus durable, le mal qui se prolonge est pire. Or l’habitus vicieux est plus durable que les actes vicieux, qui passent aussitôt. Donc l’habitus vicieux est pire que l’acte vicieux.

2. Plusieurs maux sont plus à redouter qu’un seul. Or un habitus mauvais est virtuellement la source de beaucoup de mauvaises actions. Donc l’habitus du vice est pire que son acte.

3. Une cause est plus puissante que son effet. Or l’habitus est la cause qui donne à l’acte toute sa bonté comme toute sa malice. L’habitus est donc plus puissant que l’acte, dans le bien comme dans le mal.

En sens contraire, on est puni pour un acte vicieux et c’est justice, tandis qu’on ne l’est pas pour un habitus, si cet habitus ne passe pas à l’acte. C’est donc que dans le vice l’acte est pire que l’habitus.

Réponse :

L’habitus tient le milieu entre la puissance et l’acte. Or il est évident que l’acte l’emporte sur la puissance dans le bien comme dans le mal ; il est mieux de bien agir que de pouvoir bien agir, et semblablement plus blâmable de mal agir que de pouvoir mal agir. Par suite, l’habitus doit tenir dans le bien comme dans le mal un rang intermédiaire entre la puissance et l’acte ; ce qui revient à dire que si le bon ou le mauvais habitus ont plus de bonté ou de malice que la puissance, ils en ont moins que l’acte.

C’est du reste visible dans le fait que l’habitus n’est qualifié bon ou mauvais que parce qu’il incline à l’acte bon ou à l’acte mauvais. Aussi est-ce la bonté ou la malice de l’acte qui fait la qualité de l’habitus. Et ainsi, l’acte est plus chargé de bonté ou de malice que l’habitus ; car en toute chose ce pourquoi on agit est ce qu’il y a de plus fort.

Solutions :

1. Rien n’empêche qu’une chose soit plus importante qu’une autre absolument, et moins importante relativement. On juge supérieur absolument ce qui l’emporte quant à ce qui est considéré essentiellement chez les deux êtres que l’on compare ; et supérieur relativement ce qui se rattache par accident à ces deux êtres. Or nous venons de montrer d’après l’essence même des deux êtres, que l’acte l’emporte sur l’habitus dans le bien comme dans le mal. Que l’habitus soit plus durable que l’acte, c’est accidentel, et cela vient de ce que l’un et l’autre se trouvent dans une nature qui ne peut agir toujours et dont l’action consiste en un mouvement passager. Ainsi donc l’acte a une supériorité absolue dans le bien comme dans le mal, mais l’habitus a une supériorité relative.

2. Un habitus n’est pas absolument parlant plusieurs actes ; il les contient virtuellement, c’est-à-dire d’une manière toute relative. On ne peut donc conclure de cet argument que l’habitus soit absolument plus fort que l’acte en bonté ou en malice.

3. L’habitus est pour l’acte une cause efficiente, mais l’acte est pour l’habitus une cause finale. Or c’est de la cause finale que dépend la raison de bien et de mal. Et c’est pour cela que l’acte l’emporte sur l’habitus dans le bien et dans le mal.

 

            Article 4 — L’acte vicieux peut-il cœxister avec la vertu ?

Objections :

1. Apparemment non, puisque les contraires ne peuvent cœxister dans le même être. Or le péché, nous venons de le voir, est contraire à la vertu. Il ne peut donc cœxister avec elle.

2. Le péché est pire que le vice, c’est-à-dire que l’acte mauvais est pire que l’habitus mauvais. Mais le vice ne peut cœxister avec la vertu dans le même sujet. Donc le péché pas davantage.

3. Le péché arrive dans les choses de la volonté comme il arrive dans celles de la nature, dit Aristote. Or le péché n’arrive jamais dans les choses naturelles que par une désorganisation de la vertu naturelle ; c’est ainsi, dit-il, “ que les monstres se produisent lorsqu’un principe a été détruit dans la semence ”. Dans les choses volontaires aussi, le péché n’arrive que par la destruction d’une vertu de l’âme. Ainsi donc le péché et la vertu ne peuvent cœxister dans le même individu.

En sens contraire, le Philosophe affirme que la vertu s’engendre et se détruit par des causes contraires. Mais un seul acte vertueux ne fait pas la vertu, nous l’avons vu. Donc un seul acte ne l’enlève pas non plus. Donc vertu et péché peuvent cœxister dans le même sujet.

Réponse :

Le péché se compare à la vertu comme l’acte mauvais à l’habitus bon. Or un habitus dans l’âme se comporte autrement que la forme dans une réalité naturelle. Une forme naturelle produit nécessairement l’acte qui lui convient, aussi ne peut-elle cœxister avec l’acte d’une forme contraire ; ainsi l’acte de refroidissement ne peut cœxister avec la chaleur, un mouvement de descente avec la légèreté, à moins de subir la violence d’une poussée extérieure. Mais dans l’âme un habitus ne produit pas nécessairement son acte, on s’en sert comme on veut. Cela explique que tout en ayant un habitus on puisse ne pas s’en servir, ou même agir en sens contraire. Et c’est ainsi qu’en ayant de la vertu on peut faire un acte de péché.

L’acte de péché, considéré par rapport à l’habitus vertueux, n’a pas de quoi le détruire s’il reste unique ; car, de même qu’un seul acte n’engendre pas un habitus, un seul acte ne le fait pas perdre. Mais si l’acte de péché est considéré par rapport à la cause des vertus, il est possible alors que des vertus soient détruites par un seul acte. En effet, tout péché mortel s’oppose à la charité, qui est la racine de toutes les vertus infuses en tant que vertus ; c’est donc assez d’un seul acte de péché mortel, qui a exclu la charité, pour exclure toutes les vertus infuses, en tant que vertus. Je mets cette précision à cause de la foi et de l’espérance qui restent après le péché mortel, mais à l’état d’habitus informes, et ainsi ne sont plus des vertus. - Le péché véniel n’étant pas, lui, contraire à la charité, ne la fait pas perdre, ni les autres vertus non plus. Quant aux vertus acquises, elles ne sont enlevées par un seul acte d’aucun péché. Ainsi donc le péché mortel ne peut cœxister avec les vertus infuses ; il peut cependant cœxister avec les vertus acquises

Solutions :

1. Le péché ne s’oppose pas à la vertu en elle-même, mais dans son acte. C’est pourquoi le péché ne peut cœxister avec l’acte vertueux, mais peut cœxister avec l’habitus vertueux.

2. Le vice s’oppose directement à la vertu, comme le péché à l’acte vertueux. Et c’est pourquoi le vice exclut l’acte de la vertu.

3. Les vertus de la nature agissent par nécessité ; c’est ce qui explique que si elles sont intègres on ne puisse y trouver de péché en acte. Mais les vertus de l’âme ne produisent pas leurs actes par nécessité. Le cas n’est donc pas le même.

 

            Article 5 — En tout péché y a-t-il un acte ?

Objections :

1. Vraisemblablement oui. Car ce qu’est le mérite par rapport à la vertu, le péché l’est par rapport au vice. Or il n’y a pas de mérite sans acte. Donc pas de péché non plus.

2. S. Augustin fait observer que “ tout péché est tellement volontaire que ce qui n’est pas volontaire n’est pas péché ”. Mais on ne peut avoir quelque chose de volontaire si ce n’est par un acte de volonté. Donc tout péché comporte un acte.

3. Si le péché existait sans aucun acte, il s’ensuivrait qu’on pécherait du seul fait de cesser l’acte que l’on doit faire. Or celui qui ne fait jamais son devoir cesse continuellement d’agir comme il devrait. Donc il pécherait continuellement, ce qui est faux. Il n’est donc pas vrai qu’on puisse pécher sans accomplir d’acte.

En sens contraire, nous lisons en S. Jacques (4,17) : “ Celui qui sait faire le bien et ne le fait pas commet un péché. ” Mais cela ne comporte aucun acte. Donc il peut y avoir péché sans aucun acte.

Réponse :

C’est principalement le péché d’omission qui soulève cette question. Sur la nature de ce péché les opinions sont partagées. Certains disent que dans tout péché de cette sorte il y a un acte, soit intérieur, soit extérieur. Acte intérieur, par exemple lorsqu’on veut ne pas aller à l’église quand on y est tenu. Acte extérieur, par exemple lorsqu’à l’heure d’aller à l’église ou même avant, on se livre à des occupations qui vont empêcher d’y aller. Ce dernier cas ne paraît pas d’ailleurs si différent du premier, car vouloir une chose lorsqu’elle est incompatible avec une autre, c’est vouloir positivement se passer de cette autre ; sauf peut-être si l’on ne mesure pas que ce que l’on veut faire empêche ce que l’on est tenu de faire, ce qui peut être jugé une négligence coupable. - D’autres disent au contraire qu’il n’y a pas nécessairement un acte dans le péché d’omission ; ne pas faire ce qu’on doit, c’est pécher.

Ces deux opinions ont une part de vrai. Si l’on ne comprend en effet, dans le péché d’omission, que ce qui appartient essentiellement à la raison de péché, alors il y suffit parfois d’un acte intérieur, comme vouloir ne pas se rendre à l’église ; mais il peut même quelquefois se passer d’acte, aussi bien intérieur qu’extérieur, comme il arrive à celui qui à l’heure d’aller à l’église ne songe à rien, pas plus à y aller qu’à ne pas y aller. - Si au contraire on comprend aussi dans le péché d’omission les motifs ou les occasions d’omettre, il faut nécessairement qu’il y ait un acte dans le péché d’omission. Il n’y a en effet péché d’omission que lorsqu’on laisse de côté une chose qu’on peut faire ou ne pas faire. Si l’on en vient à ne pas faire ce qu’on pourrait faire ou non, il faut qu’il y ait à cela une cause ou une occasion, soit sur le moment, soit précédemment. Et même s’il s’agit d’une cause qui ne dépen pas de nous, l’omission n’a pas raison de péché, par exemple quand on ne va pas à l’église pour cause de maladie. Mais si la cause ou l’occasion dépend de la volonté, l’omission a raison de péché ; et alors il faut toujours que cette cause, en tant qu’elle est volontaire, contienne un acte au moins intérieur de volonté.

Cet acte de volonté porte parfois directement sur l’omission même ; par exemple lorsqu’on veut ne pas aller à l’église pour éviter un effort. Un tel acte est essentiellement péché d’omission, car la volonté que l’on met à un péché, quel qu’il soit, c’est cela même qui fait le péché, puisque l’acte volontaire appartient à la raison de péché. - D’autres fois l’acte de volonté porte directement sur autre chose qui empêche de faire ce qu’on doit ; soit que la chose se présente au moment même, comme il arrive à qui veut a ler au eu quand le devoir serait d’aller à l’église ; soit qu’elle ait lieu auparavant, comme lorsqu’on s’obstine à veiller tard le soir et qu’après cela on ne puisse aller à l’église de bon matin. Alors, cet acte intérieur ou extérieur n’est une omission que par accident, car l’omission se produit sans qu’on en ait eu l’intention, ce qui définit l’action accidentelle pour Aristote. Il est donc évident que le péché d’omission dans ce cas-là est toujours accompagné ou précédé d’un acte, mais que cet acte pourtant lui demeure accidentel. Or, on doit juger des choses d’après ce qui leur est essentiel et non d’après ce qui leur est accidentel. Aussi peut-on dire avec plus de vérité qu’il peut y avoir un péché en dehors de tout acte. Sans quoi il faudrait pareillement rapporter à l’essence des autres péchés actuels les actes et occasions qui ne sont que des circonstances.

Solutions :

1. Il faut plus de choses pour le bien que pour le mal, puisque “ le bien est produit, dit Denys, par une cause parfaite, et le mal par n’irnporte quel défaut ”. C’est pourquoi il peut y avoir péché, soit à faire ce qu’on ne doit pas, soit à ne pas faire ce qu’on doit ; mais il n’y a mérite que si l’on fait volontairement tout ce qu’on doit. Et voilà pourquoi le mérite ne peut exister sans acte, tandis que le péché le peut.

2. Une chose est volontaire, est-il dit dans les Éthiques, non seulement parce qu’elle est l’objet d’un acte de volonté, mais parce qu’il est en notre pouvoir qu’elle soit ou ne soit pas. Aussi le fait même de ne pas vouloir peut être dit volontaire, puisqu’il est au pouvoir de l’homme de vouloir et de ne pas vouloir.

3. Le péché d’omission s’oppose au précepte positif qui oblige toujours mais non à tout moment. Aussi est-ce un péché qui existe seulement quand on cesse d’agir au moment où le précepte affirmatif oblige.

 

            Article 6 — La définition du péché par S. Augustin — “ Une parole, un acte ou un désir contraire à la loi éternelle. ”

Objections :

1. Cette définition est inexacte, car elle implique toujours un acte. Or nous venons de voir que tous les péchés n’impliquent pas d’acte. Donc cette définition n’englobe pas tous les péchés.

2. S. Augustin définit le péché dans un autre livre : “ La volonté de retenir ou d’acquérir ce que la justice interdit. ” Mais cette volonté, c’est une convoitise, c’est le désir au sens le plus large du mot. Il eût donc suffi de dire : “ Le péché est un désir contraire à la loi éternelle ”, et il ne fallait pas ajouter “ une parole ou un acte ”.

3. Le péché consiste proprement à se détourner de sa fin ; car le bien et le mal sont envisagés à titre principal par rapport à la fin, on l’a montré.

De là vient que S. Augustin le définit aussi par rapport à la fin, en disant que “ pécher n’est autre chose que négliger les réalités étemelles pour s’attacher aux réalités temporelles ”. Et dans un autre livre, il dit que “ toute la perversité humaine consiste à se servir de ce dont on devrait jouir, et à jouir de ce dont on devrait se servir ”. Or la définition soumise à notre examen ne fait aucune mention de cet éloignement de la fin obligée. Elle n’est donc pas suffisante pour définir le péché.

Dire qu’une chose est contraire à la loi, c’est dire qu’elle est défendue. Mais tous les péchés ne sont pas mauvais parce qu’ils sont défendus, il y en a qui sont défendus parce qu’ils sont mauvais. C’est donc une erreur de définir en général le péché comme contraire à la loi de Dieu.

5. Le péché, a-t-on dit, c’est l’acte humain mauvais. Or le mal de l’homme, dit Denys , c’est d’aller contre la raison. Il eût donc mieux valu définir que le péché est contre la raison plutôt que le dire contraire à la loi éternelle.

En sens contraire, l’autorité de S. Augustin s’impose.

Réponse :

Le péché, d’après ce que nous avons dit, n’est rien d’autre que l’acte humain mauvais. - Un acte est humain dès lors qu’il est volontaire ou émanant de la volonté, comme le fait même de vouloir ou de choisir ; ou de façon impérée, comme l’activité extérieure de parole ou d’action. - Un acte humain est mauvais du fait qu’il manque de mesure. Or une chose est mesurée si elle s’ajuste à une règle, et démesurée si elle s’écarte de la règle. La volonté humaine a une double règle, l’une toute proche et homogène qui est la raison humaine elle-même ; l’autre qui sert de règle suprême et c’est la loi éternelle, la raison de Dieu en quelque sorte.

Voilà pourquoi S. Augustin a mis dans la définition du péché deux parties. L’une concerne la substance de l’acte humain, et c’est pour ainsi dire le matériel du péché, que désignent ces mots “ action, parole ou désir ”. L’autre se rapporte à ce qu’il y a de mal dans l’acte, et c’est pour ainsi dire le formel du péché, qui tient dans les mots “ contraire à la loi éternelle ”.

Solutions :

1. Affirmation et négation sont du même genre, comme le dit S. Augustin au sujet de l’engendré et de l’inengendré dans la Trinité. C’est pourquoi il faut entendre comme identiques ce qui est dit et non dit, ce qui est fait et non fait.

2. La cause première du péché est dans la volonté, qui commande tous les actes volontaires, les seuls dans lesquels on trouve du péché. Voilà pourquoi S. Augustin le définit quelquefois uniquement par la volonté. Mais comme les actes extérieurs, en outre, appartiennent à la substance du péché, puisqu’ils sont mauvais en eux-mêmes, nous l’avons dit, il était nécessaire de mettre dans la définition quelque chose qui se rapportât à eux.

3. La loi éternelle, premièrement et à titre principal, ordonne l’homme à sa fin, mais conséquemment elle lui ordonne de bien se comporter dans l’usage des moyens. Aussi, dire que le péché est contraire à la loi éternelle, cela touche à l’éloignement de la fin et à tous les autres désordres.

4. Lorsque l’on dit que tout péché n’est pas mauvais parce que défendu, cela s’entend d’une défense portée par le droit positif. Car, si l’on se réfère au droit naturel contenu premièrement dans la loi éternelle et secondairement dans la faculté de juger naturelle à la raison humaine, alors on peut dire que le péché est toujours mauvais parce que défendu ; car ce qui n’est pas dans l’ordre s’oppose par le fait même au droit naturel.

5. Les théologiens considèrent le péché principalement comme une offense contre Dieu ; le philosophe moraliste y voit un acte contraire à la raison. S. Augustin a donc mieux fait de le définir par opposition à la loi éternelle que par opposition à la raison. D’autant plus que la loi éternelle nous servira de règle sur beaucoup de points qui dépassent la raison humaine, par exemple en tout ce qui relève de la foi.

 

QUESTION 72 — LA DISTINCTION ENTRE LES PÉCHÉS

1. Les péchés se distinguent-ils spécifiquement par leurs objets ? - 2. La distinction entre péchés de l’esprit et péchés de la chair. - 3. Se distinguent-ils d’après leurs causes ? - 4. D’après les personnes qu’ils visent ? - 5. D’après la diversité de leur dette de peine ? - 6. Selon omission et commission ? - 7. Selon leurs divers degrés de réalisation ? - 8. Selon excès ou défaut ? - 9. Selon des circonstances diverses ?

 

            Article 1 — Les péchés se distinguent-ils spécifiquement par leurs objets ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car les actes humains sont dits bons ou mauvais surtout par rapport à leur fin, on l’a montré plus haut. Mais le péché n’est pas autre chose qu’un acte humain mauvais, on l’a dit aussi. Il semble donc qu’on doive distinguer spécifiquement les péchés d’après leurs fins plutôt que d’après leurs objets.

2. Le mal, étant une privation, se distingue spécifiquement d’après les diverses espèces de réalité auxquelles il s’oppose. Or le péché, c’est le mal dans le genre des actes humains. La distinction des péchés dépend donc des réalités auxquelles ils s’opposent plutôt que de leurs objets.

3. Si la différence venait ici des objets, il serait impossible de rencontrer un péché de même espèce avec des objets différents. Et pourtant cela se rencontre : ainsi l’orgueil existe dans le domaine spirituel et dans le domaine matériel, selon S. Grégoire ; l’avarice existe également en des domaines divers. La distinction spécifique ne tient donc pas aux objets.

En sens contraire, “ le péché est action, parole ou désir contraire à la loi de Dieu ”. Mais ce sont là des actes, et les actes se distinguent spécifiquement par leurs objets, nous l’avons vud. Donc les péchés aussi.

Réponse :

Deux éléments, avons-nous dit, concourent à la raison de péché : l’acte volontaire et le désordre qui lui vient de son éloignement de la loi divine. Mais de ces deux éléments le pécheur n’a directement en vue que le premier, car il a l’intention d’accomplir en telle matière tel acte volontaire ; l’autre élément, c’est-à-dire le désordre de l’acte, ne se relie que par accident à l’intention du pécheur ; car, selon Denys, “ nul n’agit en portant son intention au mal ”. Or il est évident qu’une espèce se tire toujours de ce qui est essentiel et non de ce qui est accidentel, parce que ce qui est accidentel est extérieur à la notion de l’espèce. Et c’est pourquoi la distinction entre les péchés se fait du côté des actes volontaires plutôt que du désordre qui y est impliqué. Mais les actes volontaires, comme nous l’avons montré dans les traités précédents, se distinguent spécifiquement par leurs objets. Il en découle que la distinction proprement spécifique entre les péchés se fait selon leurs objets.

Solutions :

1. C’est la fin qui, à titre de principe, a raison de bien ; et c’est pourquoi elle se rattache à l’acte volontaire, qui est primordial en tout péché, comme étant son objet. Aussi cela revient-il au même, que les péchés se distinguent selon les objets ou selon les fins.

2. Le péché n’est pas pure privation, mais un acte privé de l’ordre qu’il devrait avoir. Et c’est pourquoi on distingue les péchés selon les objets que ces actes poursuivent, plutôt que par leurs opposés. D’ailleurs c’est aux vertus qu’ils s’opposent, et s’il fallait les distinguer par là, cela reviendrait au même, puisque les vertus se distinguent, elles aussi, par leurs objets, nous l’avons vu précédemment.

3. Rien n’empêche de trouver, en des réalités d’espèce ou de genre différents, un seul et même objet formel d’où le péché reçoit sa note spécifique. C’est ainsi qu’en des domaines divers l’orgueil cherche uniquement l’excellence, et l’avarice, au contraire, une certaine abondance de ce qui facilite la vie.

 

            Article 2 — La distinction entre péchés de l’esprit et péchés de la chair

Objections :

1. Cette distinction semble inadéquate. Car l’Apôtre dit aux Galates (5,19.21) “ On sait bien tout ce que produit la chair fornication, impureté, débauche, idolâtrie, magie ”, etc. On voit par là que tous les genres de péché sont les œuvres de la chair. Il n’y a donc pas à distinguer les péchés charnels des péchés spirituels.

2. Celui qui pèche se conduit selon la chair, d’après l’épître aux Romains (8,13) : “ Si vous vivez selon la chair, vous mourrez. Mais si, par l’esprit, vous faites mourir les œuvres de la chair, vous vivrez. ” Mais vivre ou se conduire selon la chair semble appartenir à la raison de péché charnel. Donc tous les péchés sont charnels et il n’y a pas à distinguer les péchés charnels des spirituels.

3. La partie supérieure de l’âme qui est la raison est appelée esprit selon ce texte de la lettre aux Éphésiens (4,23) : “ Renouvelez-vous par une transformation de votre esprit ”, où “ esprit ” est synonyme de raison, selon la Glose. Mais tout péché découle de la raison par le consentement ; car c’est l’œuvre de la raison supérieure de consentir à l’acte du péché, comme on le verra plus loin. Donc les mêmes péchés sont charnels et spirituels, ils ne doivent donc pas être distingués.

4. Si certains péchés sont spécialement charnels, on doit surtout l’entendre de ces péchés par lesquels on pèche contre son propre corps. Mais comme dit l’Apôtre (1 Co 6,18) : “ Tout péché que l’homme peut commettre est extérieur à son corps ; celui qui commet la fornication pèche contre son propre corps. ” Donc la fornication serait le seul péché charnel, alors que dans l’épître aux Éphésiens (5,3), l’Apôtre range l’avarice parmi les péchés de la chair.

En sens contraire, S. Grégoire dit que sur les sept péchés capitaux il y en a cinq qui sont des péchés de l’esprit, et deux qui sont des péchés de la chair.

Réponse :

Les péchés, comme nous l’avons dit, sont spécifiés par leurs objets. Or tout péche consiste dans l’appétit d’un bien périssable que l’on désire de façon désordonnée et dans la possession duquel, par conséquent, on se délecte d’une manière déréglée. Mais nous avons vu antérieurement qu’il y a deux sortes de délectations. Une délectation d’âme qui se consomme dans la seule idée d’une chose désirée et possédée ; on peut dire que c’est là un plaisir spirituel, celui que l’on prend par exemple à la louange humaine ou à quelque chose d’analogue. Et puis il y a la délectation corporelle ou naturelle qui s’achève dans le toucher et qu’on peut aussi appeler plaisir charnel. Ainsi donc les péchés qui s’achèvent dans les plaisirs spirituels sont appelés péchés de l’esprit, tandis que ceux qui s’achèvent dans le plaisir charnel sont appelés péchés de la chair : la gourmandise par exemple, qui s’accomplit dans le plaisir de manger, et la luxure, qui s’accomplit dans les plaisirs sexuels. D’où cette recommandation de l’Apôtre (2 Co 7,1) : “ Purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit. ”

Solutions :

1. Comme la Glose l’explique, ces vices sont appelés des œuvres de la chair, mais non parce que tous s’achèveraient dans le plaisir charnel. La chair ici désigne l’homme : tant qu’il a la prétention de vivre à sa guise, on peut affirmer qu’il vit selon la chair, dit S. Augustin. Cela vient de ce que toute défaillance de la raison humaine provient en quelque manière d’une cause charnelle.

2. Cela donne aussi la réponse à la deuxième objection.

3. Il y a jusque dans les péchés de la chair un acte spirituel : l’acte de la raison. Mais si l’on nomme ainsi ces péchés, c’est parce qu’ils cherchent leur fin dans le plaisir de la chair.

4. La Glose dit que d’une manière spéciale, dans le péché de fornication, l’âme devient l’esclave du corps, “ à ce point qu’elle n’est plus capable sur le moment de songer à rien d’autre ”. Le plaisir de la gourmandise, bien que charnel aussi, n’absorbe pas à ce point la raison. On pourrait dire encore qu’il y a dans ce péché une injustice envers le corps, du fait qu’on le souille d’une façon contraire à l’ordre ; cela explique que l’on attribue à cette faute-là uniquement de “ pécher contre son propre corps ”. - Quant à l’avarice, si elle est comptée parmi les péchés de la chair, c’est qu’elle est prise pour l’adultère où l’on s’empare injustement de la femme d’un autre. Ou bien on peut encore remarquer que le bien dont l’avare se délecte est quelque chose de corporel et à ce titre son péché est charnel. Mais le plaisir qu’il y prend ne ressortit pas à la chair mais à l’esprit, et c’est pourquoi selon S. Grégoire l’avarice est un péché spirituel.

 

            Article 3 — Les péchés se distinguent-ils d’après leurs causes ?

Objections :

1. Il y a des raisons de le penser. Une chose reçoit son espèce de cela même qui la fait exister. Or les péchés tiennent l’existence de leurs causes. C’est donc aussi d’elles qu’ils tirent leur espèce. Ils diffèrent donc d’espèce selon la diversité de leurs causes.

2. Entre toutes, la cause qui importe le moins à l’espèce, semble-t-il, c’est la cause matérielle. Mais dans le péché l’objet fait fonction de cause matérielle. Donc, si l’on peut distinguer les péchés selon leurs objets, à plus forte raison selon les autres causes.

3. S. Augustin, commentant le Psaume (80,17) : “ la vigne détruite, incendiée ”, dit que “ tout péché vient ou bien d’une crainte qui inspire un abattement mauvais, ou bien d’un amour qui donne une ferveur mauvaise ”. En effet, on lit dans la première épître de S. Jean (2,16) : “ Tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux ou orgueil de la vie. ” Il est dit que quelque chose “ est dans le monde ” à cause du péché, selon que “ le mot monde signifie ceux qui aiment le monde ”, dit S. Augustin. En outre, S. Grégoire distingue tous les péchés selon les sept vices capitaux. Or toutes ces divisions concernent les causes des péchés. Il semble donc que les péchés diffèrent en espèce selon la diversité des causes.

En sens contraire, d’après ce principe, tous les péchés seraient d’une seule espèce, n’ayant au fond qu’une seule cause. On lit en effet dans l’Ecclésiastique (10,15 Vg) que “ l’orgueil est le commencement de tout péché ”, et dans la première épître à Timothée (6,10) que “ la cupidité est la racine de tous les maux ”. Et pourtant il y a manifestement diverses espèces de péchés. Cette diversité ne vient donc pas des causes.

Réponse :

Comme il y a quatre genres de causes, l’attribution s’en fait diversement à diverses choses. La cause formelle et la cause matérielle concernent proprement la substance, et c’est pourquoi les substances se classent par espèces et par genres d’après la forme et la matière. La cause efficiente et la cause finale concernent directement le mouvement et l’action, et c’est pourquoi les mouvements et les actions sont caractérisés par ces causes ; mais non toujours de la même manière.

Les principes actifs de la nature sont toujours déterminés aux mêmes actes ; c’est pourquoi les espèces diverses dans les actions de la nature sont envisagées non seulement selon les objets, qui sont des fins ou des termes, mais encore selon les principes actifs. Ainsi, chauffer et refroidir se distinguent selon le chaud et le froid qui sont au principe. - Mais dans les actes volontaires comme sont les péchés, les principes actifs ne sont pas déterminés nécessairement à un seul effet. Aussi un seul principe ou motif d’action peut-il conduire à différentes espèces de péchés : la mauvaise crainte par exemple, qui abat et démoralise, peut pousser un homme à voler, à tuer, à abandonner le troupeau dont il a la garde ; et les mêmes effets peuvent également venir de l’amour. Il est évident par là que la différence d’espèce entre les péchés ne s’explique pas par la diversité des causes qui sont principes ou motifs d’action, mais uniquement par la diversité de la cause finale. C’est la fin qui est l’objet de la volonté ; car on l’a montré précédemment : c’est d’elle que les actes humains tirent leur espèce.

Solutions :

1. Dans les actes volontaires, comme le principe actif n’est pas déterminé à un seul effet, on peut dire qu’il n’est pas suffisant pour la production d’un acte humain. Il faut que la volonté soit déterminée à une chose par l’intention de la fin, selon Aristote. Aussi est-ce la fin qui l’accomplit dans son existence et son espèce.

2. Pour l’acte extérieur, l’objet est la matière sur laquelle il s’exerce ; mais pour l’acte intérieur de volonté, il est une fin, et c’est par là qu’il donne une espèce à l’action. Comme matière de l’acte extérieur l’objet est le terme du mouvement et lui donne son espèce, d’après Aristote. Cependant, ce n’est une espèce morale que dans la mesure où ces termes du mouvement ont eux-mêmes raison de fin.

3. Ce sont là des classifications qui n’ont pas pour but de distinguer les espèces des péchés, mais de manifester leurs causes diverses.

 

            Article 4 — Les péchés se distinguent-ils d’après les personnes qu’ils visent ?

Objections :

1. La distinction entre péchés contre Dieu, contre le prochain et contre soi-même, semble inadéquate. En effet, ce qui est commun à tout péché ne doit pas entrer à titre de partie dans la division du péché. Or il est commun à tout péché de s’opposer à la loi de Dieu puisque, nous l’avons vu, cela fait partie de la division même du péché. Être commis contre Dieu ne doit donc pas être donné comme formant une catégorie dans la distinction des péchés.

2. Les membres d’une division doivent toujours s’opposer les uns aux autres. Mais ces trois catégories de péchés ne s’opposent pas ; car celui qui pèche contre le prochain, pèche aussi contre lui-même. Cette division en trois termes n’est donc pas bonne.

3. Ce qui est extérieur ne confère pas l’espèce. Mais Dieu et le prochain sont extérieurs à nous. Ils ne sauraient donc servir à une distinction spécifique des péchés.

En sens contraire, S. Isidore en distinguant les péchés dit que l’homme pèche contre luimême, contre Dieu et contre le prochain.

Réponse :

Nous avons dit que le péché est un acte désordonné. Or il doit y avoir dans l’homme trois sortes d’ordre. L’un selon la référence à la règle de raison, en tant que toutes nos actions et passions doivent être mesurées selon la règle de raison. Un autre ordre se réfère à la règle de la loi divine, qui doit diriger l’homme en tout. Et si l’homme était par nature un animal solitaire, cet ordre double suffirait. Mais parce que “ l’homme est par nature un animal politique et social ”, comme le prouve Aristote, il doit nécessairement exister un troisième ordre pour ordonner l’homme à ses semblables avec lesquels il doit vivre.

De ces différents ordres, le premier contient le deuxième et le dépasse. Car tout ce qui est contenu sous l’ordre de la raison l’est aussi sous celui de Dieu même ; mais parmi les choses contenues sous l’ordre de Dieu même, il y en a qui dépassent la raison humaine, telles les choses de la foi et tout ce qui n’est dû qu’à Dieu. Aussi celui qui pèche en ces matières est dit pécher contre Dieu, comme l’hérétique, le sacrilège, le blasphémateur. Pareillement, le deuxième ordre contient le troisième et le dépasse. Il faut en effet que dans tous nos devoirs envers le prochain nous soyons gouvernés par la raison ; mais la raison nous gouverne en outre dans certaines choses qui ne regardent que nous et non le prochain. Et quand il y a faute en ces matières, on dit que c’est pécher contre soi-même ; c’est le cas du gourmand, du luxurieux, du prodigue. - Quand, au contraire, on fait une faute dans l’ordre des devoirs envers le prochain, on dit que c’est pécher contre le prochain ; tel est le cas du voleur et de l’homicide.

C’est d’ailleurs par des réalités diverses que l’homme s’ordonne à Dieu, à son prochain et à lui-même. De sorte que nous avons là entre péchés une distinction d’après les objets. Et comme c’est par les objets que se diversifient les espèces, cette distinction dénote proprement une diversité d’espèces. - Car les vertus aussi, auxquelles s’opposent les péchés, se distinguent spécifiquement selon cette différence. Il est clair en effet que par les vertus théologales l’homme s’ordonne envers Dieu, par la force et la tempérance envers lui-même, par la justice envers le prochain.

Solutions :

1. Pécher contre Dieu, en tant que notre ordre à Dieu englobe tout ordre humain, est commun à tout péché. Mais en tant que l’ordre de Dieu dépasse les deux autres, le péché contre Dieu constitue un genre spécial.

2. Lorsqu’on distingue des choses incluses l’une dans l’autre, la distinction s’entend évidemment d’après ce qui fait non que l’une est dans l’autre, mais selon que l’une dépasse l’autre. Cela se voit clairement dans la division des figures et des nombres ; lorsqu’on veut par exemple distinguer un triangle d’un carré, on ne regarde pas ce qu’il peut y avoir de l’un dans l’autre, mais ce qu’il y a de plus dans l’un que dans l’autre.

3. Dieu et le prochain sont extérieurs au pécheur mais non au péché ; ils sont rattachés à cet acte comme étant ses objets propres.

 

            Article 5 — Les péchés se distinguent-ils d’après la diversité de leur dette de peine ?

Objections :

1. La division des péchés selon leur dette de peine semble spécifique, par exemple quand on les divise entre péchés mortels et péchés véniels. En effet, quand des choses diffèrent à l’infini, c’est qu’elles ne sont ni d’une seule espèce ni même d’un seul genre. Or péché mortel et péché véniel diffèrent à l’infini. Car le péché véniel encourt une peine temporelle, le péché mortel une peine éternelle ; car la mesure de la peine répond à l’importance de la culpabilité, selon le Deutéronome (25,2) : “ Le nombre de coups sera proportionné au délit. ” Donc péché véniel et péché mortel ne sont pas du même genre, et encore moins de la même espèce.

2. Il y a des péchés qui sont mortels par nature comme l’homicide et l’adultère, et d’autres qui sont véniels comme les paroles oiseuses et superflus. Donc il y a une différence d’espèce entre le péché mortel et le péché véniel.

3. Ce que la récompense est à l’acte vertueux, la peine l’est au péché. Mais la récompense est la fin de l’acte vertueux. Donc la peine est aussi la fin du péché. Or nous avons dit que les péchés se distinguent spécifiquement par leurs fins. C’est dire qu’ils se distinguent aussi par leur dette de peine.

En sens contraire, ce qui concerne l’espèce, comme la différence spécifique, vient toujours en premier. Mais la peine suit la faute comme l’effet de cette faute. Les péchés ne trouveront donc pas une différence spécifique dans leur dette de peine.

Réponse :

Entre des réalités qui ne sont pas de même espèce on trouve deux sortes de différences. Il y en a une qui est constitutive des espèces. Celle-là, on ne peut jamais la rencontrer que dans des réalités d’espèces diverses : ainsi le rationnel et l’irrationnel, ce qui est animé et ce qui est inanimé. - Il y a une autre différence qui est seulement consécutive à la diversité des espèces. Cette sorte de différence, bien qu’elle soit en certains êtres une conséquence de leur diversité spécifique, peut cependant se rencontrer ailleurs chez des individus de même espèce. Ainsi le blanc et le noir sont pour le cygne et le corbeau la conséquence d’une diversité spécifique, et cependant c’est une différence qui se retrouve chez les hommes qui forment une même espèce.

Il faut donc dire que la différence entre péché mortel et péché véniel, ou toute autre différence prise à la dette de peine, ne peut constituer une diversité spécifique. Jamais en effet ce qui existe par accident n’est constitutif. Or ce qui a lieu en dehors des intentions de celui qui agit, est accidentel, dit le Philosophe. Évidemment, la peine est en dehors des intentions du pécheur. Du côté du pécheur elle est donc accidentelle au péché. - Pourtant, de l’extérieur, elle est ordonnée au péché par la justice du juge qui proportionne exactement les différentes peines aux différents péchés. De sorte que la différence entre les péchés qui provient de leur dette de peine peut être consécutive à leur diversité spécifique, mais elle ne constitue pas cette diversité.

La différence entre péché mortel et péché véniel est une différence consécutive à la diversité du désordre qui achève la raison de péché. Il y a en effet deux sortes de désordres : l’un consiste à ôter à l’ordre son principe ; l’autre, sans toucher au principe, s’attaque à ce qui vient après lui. De même, dans l’organisme, le désordre va parfois jusqu’à la destruction du principe vital, et c’est la mort ; mais parfois, ce principe étant sauf, le trouble n’est que dans les humeurs, et alors c’est la maladie. Or le principe de tout l’ordre moral est la fin ultime qui joue dans l’action le rôle du principe indémontrable dans la spéculation. C’est pourquoi, lorsqu’une âme est déréglée par le péché jusqu’à être détournée de sa fin ultime, c’est-à-dire de Dieu, à qui nous sommes unis par la charité, alors la faute est mortelle ; au contraire, quand le désordre se produit en deçà de cette séparation d’avec Dieu, alors la faute est vénielle. En effet, de même que, dans l’organisme, la mort provoque, en s’attaquant au principe même de la vie, un désordre irréparable par la nature ; mais il y a toujours moyen de réparer le désordre de la maladie, parce que le principe vital est sauf ; ainsi en est-il dans l’âme. Car, dans la spéculation, celui qui se trompe sur les principes ne peut être ramené à la vérité ; mais celui qui se trompe en sauvegardant les principes peut être ramené par ces principes mêmes. Pareillement, en matière d’action, celui qui en péchant se détourne de la fin ultime, par la nature de son péché, fait une chute irréparable, et c’est pourquoi l’on dit qu’il pèche mortellement et qu’il aura à expier éternellement. Au contraire, celui qui pèche en deçà de la séparation d’avec Dieu est dans un désordre que la nature même du péché rend réparable parce que le principe est sauf ; aussi assure-t-on que celui-ci pèche véniellement, ce qui revient à dire qu’il n’est pas coupable au point de mériter une peine interminable.

Solutions :

1. Péché mortel et péché véniel diffèrent à l’infini quant à l’aversion, mais non pas quant à la conversion, laquelle regarde l’objet d’où péché tire son espèce. Aussi rien n’empêche de rencontrer dans la même espèce un péché mortel et un péché véniel ; ainsi, en fait d’adultère, il y a de premiers mouvements qui sont péchés véniels ; et des paroles oiseuses qui sont ordinairement vénielles, peuvent aussi être mortelles.

2. Du fait qu’on rencontre un péché qui est mortel par sa catégorie, et un autre véniel par sa catégorie, il s’ensuit qu’une telle différence est la conséquence d’une diversité spécifique des péchés, mais non pas qu’elle en soit la cause. Or une telle différence peut aussi se rencontrer, nous venons de le dire, dans des réalités de même espèce.

3. La récompense se rattache à l’intention de celui qui mérite ou agit vertueusement. La peine n’entre pas dans l’intention de celui qui pèche, elle est plutôt contre sa volonté. Aussi la comparaison ne vaut pas.

 

            Article 6 — Les péchés se distinguent-ils selon omission et commission ?

Objections :

1. Il semble que ce soit une différence spécifique. En effet l’épître aux Éphésiens (2,1) distingue délits et péchés en disant : “ Vous étiez morts par vos délits et vos péchés. ” La Glose explique : par vos délits “ en ne faisant pas ce qui est prescrit ” ; par vos péchés “ en faisant ce qui est interdit ”. Il est évident que le délit désigne la faute d’omission, et le péché la faute de commission. Il y a donc là une différence spécifique, distinguant des contraires.

2. Il est essentiel au péché d’être contraire à la loi de Dieu : c’est dans sa définition même, nous l’avons vu. Mais dans la loi de Dieu, autres sont les préceptes affirmatifs auxquels s’oppose le péché d’omission, et les préceptes négatifs auxquels s’oppose le péché de commission. Il y a donc entre eux une différence d’espèce.

3. Omission et commission diffèrent comme affirmation et négation. Mais l’affirmation et la négation ne peuvent pas être de la même espèce parce que la négation n’a pas d’espèce ; “ dans le non-être, dit le Philosophe, il n’y a ni espèces ni différences ”. Impossible donc que commission et omission se rangent dans une seule espèce.

En sens contraire, nous les rencontrons dans une même espèce de péché. Voyez l’avare ; il pille le bien des autres, ce qui est un péché de commission, et ne leur donne pas ce qu’il doit leur donner, ce qui est un péché d’omission. Donc omission et commission ne sont pas des différences spécifiques.

Réponse :

Il y a entre les péchés une double différence, l’une matérielle, et l’autre formelle. La différence matérielle est envisagée selon l’espèce naturelle des actes ; la différence formelle selon leur ordre à une fin propre, qui est leur objet propre. Cela fait que des actes qui sont matériellement d’espèces différentes appartiennent pourtant formellement à la même espèce de péché parce qu’ils sont ordonnés au même but. Ainsi, égorger, lapider, poignarder ressortissent à la même espèce, l’homicide, bien que ces actes par leur nature soient spécifiquement différents. Donc, si nous prenons le péché d’omission et le péché de commission matériellement, ils diffèrent d’espèce, en prenant toutefois l’espèce dans une large acception où la négation, comme la privation, peut avoir une espèce. Mais si nous considérons ces deux sortes de péchés formellement, alors ils ne diffèrent pas d’espèce, parce qu’ils sont ordonnés au même but et procèdent du même motif. Ainsi, c’est toujours pour amasser de l’argent que l’avare pille les autres et ne donne pas ce qu’il doit donner. De même, c’est pour satisfaire sa gloutonnerie que le gourmand mange trop et qu’il omet les jeûnes prescrits. Et ainsi en tout ; car en fait, une négation est toujours fondée sur une affirmation qui est en quelque façon sa cause ; aussi dans la nature est-ce pour le même motif que le feu produit la chaleur et non du froid.

Solutions :

1. Cette division n’est pas prise selon diverses espèces formelles, mais matérielles seulement, on vient de le dire.

2. Il fut nécessaire dans la loi de Dieu de formuler divers préceptes affirmatifs et négatifs pour amener graduellement les hommes à la vertu, d’abord par l’abstention du mal, à quoi nous induisent les préceptes négatifs, puis par la pratique du bien, à quoi nous induisent les préceptes affirmatifs. Ainsi les préceptes affirmatifs et les préceptes négatifs ne se rapportent pas à des vertus diverses mais à divers degrés dans la vertu. Et par conséquent il ne faut pas non plus les opposer à des péchés d’espèces différentes. En outre, le péché n’est pas caractérisé spécifiquement du côté de l’aversion puisqu’il est de ce côté négation ou privation, mais il l’est du côté de la conversion aux choses périssables, parce que c’est en cela qu’il est un acte. De là vient que les péchés ne sont pas diversifiés spécifiquement d’après la diversité des préceptes de la loi divine.

3. Cette objection s’appuie sur la diversité matérielle des espèces. Encore faut-il savoir que si la négation n’est pas à proprement parler dans une espèce, elle s’y trouve placée cependant parce qu’elle se ramène à l’affirmation dont elle est la suite.

 

            Article 7 — Les péchés se distinguent-ils selon leurs divers degrés de réalisation ?

Objections :

1. Il semble inadéquat de distinguer entre péché du cœur, de bouche et d’action. Car S. Augustin reconnaît trois degrés dans le péché : le premier existe “ lorsque le sens charnel insinue sa séduction ”, ce qui est le péché de pensée ; le deuxième degré est “ quand on se contente du seul plaisir de l’imagination ” ; le troisième “ quand on décide d’agir en donnant son consentement ”. Mais tout cela est dans le cœur : c’est le péché de pensée. Il n’y a donc pas de raison de faire de ce péché comme une catégorie spéciale.

2. S. Grégoire distingue quatre degrés dans la faute : d’abord elle se cache dans le cœur ; ensuite elle se manifeste extérieurement ; puis elle s’affermit par l’habitude ; enfin elle conduit au désespoir. Là on ne distingue pas entre péché d’action et péché de parole, et on ajoute deux autres degrés à la division proposée au début, qui est donc inadéquate.

3. Il ne peut y avoir péché de parole ou d’action s’il n’y a d’abord péché dans le cœur. Ce ne sont donc pas là différentes espèces de péchés ; et elles ne doivent pas être opposées les unes aux autres.

En sens contraire, S. Jérôme assure que “ le genre humain est sujet à trois grandes sortes de péchés : par pensée, parole ou action ”.

Réponse :

Il y a deux façons de trouver que des choses ne sont pas de la même espèce. Ou bien chacune a son espèce achevée : ainsi le bœuf et le cheval diffèrent d’espèce. Ou bien l’on prend pour autant d’espèces les divers degrés d’une chose en voie de formation ou d’évolution. Ainsi, dans le bâtiment, il y a la maison complètement finie, mais il y a également, comme autant d’espèces inachevées selon Aristote, les travaux de fondation, puis le gros œuvre. Et on peut parler de même dans la génération des animaux. - Telle est précisément la division du péché par pensée, parole et action. Il ne s’agit pas de trois espèces parfaites car, le péché n’étant vraiment consommé que dans l’action, seul le péché par action représente une espèce parfaite. Mais sa première ébauche, ses travaux de fondation en quelque sorte, sont dans le cœur ; son deuxième degré d’avancement est sur les lèvres ; en ce sens que l’homme explose facilement pour manifester les sentiments qu’il nourrit dans son cœur ; le troisième degré enfin, c’est l’action où la faute est consommée. Ce sont donc bien là trois choses qui diffèrent comme autant de degrés dans le péché. Il est clair pourtant que ces trois choses ne font qu’une seule espèce complète, puisqu’elles procèdent du même motif : c’est en effet par soif de vengeance que le coléreux est d’abord troublé dans son cœur, puis éclate en paroles injurieuses, et finalement en arrive à des actions violentes ; et il en est de même dans la luxure et dans tout autre péché.

Solutions :

1. Tous les péchés gardés dans le cœur ont pour trait commun de rester secrets. C’est en cela qu’ils constituent un premier degré dans la faute. Degré qui pourtant se subdivise en trois : pensée, complaisance et consentement.

2. Le péché par parole et le péché par action ont tous deux le caractère d’une manifestation, et c’est pour cela que S. Grégoire les range dans une seule catégorie. S. Jérôme les distingue pour cette raison que dans le péché de parole il y a simplement et avant tout la manifestation, dans le péché d’action au contraire, avant tout la mise à exécution de ce qu’on a dans le cœur, mais la manifestation y est aussi par voie de conséquence. Quant à l’habitude et au désespoir, ce sont des degrés qui viennent après que le péché a atteint son espèce parfaite, de même que l’adolescence et la jeunesse arrivent après que la génération est tout à fait achevée.

3. Le péché de pensée et le péché de parole ne sont pas distincts du péché d’action quand ils se produisent en même temps que lui, mais lorsque l’un d’entre eux se trouve isolé. De même une partie du mouvement ne se distingue pas du mouvement total quand celui-ci est continu mais seulement quand il s’arrête au milieu de son cours.

 

            Article 8 — Les péchés se distinguent-ils selon excès ou défaut ?

Objections :

1. Ce n’est jamais que la différence du plus et du moins. Il ne semble pas qu’elle soit spécifique.

2. Il y a faute dans l’action du fait que l’on s’écarte de la rectitude de la raison ; de même qu’il y a fausseté dans la spéculation du fait qu’on s’écarte de la vérité des choses. Mais la fausseté n’est pas spécifique par le fait qu’on affirme plus ou moins qu’il n’y a en réalité. Donc pas davantage l’espèce du péché ne vient de ce qu’on s’écarte de la rectitude de la raison en plus ou en moins.

3. “ Avec deux espèces on ne forme pas une espèce ”, dit Porphyre. Or l’excès et le défaut s’unissent dans un même péché : il y a des gens qui sont prodigues tout en manquant de libéralité, ce qui est pécher d’un côté par excès, de l’autre par défaut. Ce n’est donc pas là une différence spécifique.

En sens contraire, les contraires diffèrent d’espèce, car leur contrariété tient à la forme, selon Aristote. Or l’excès et le défaut sont des contraires dans le vice : le manque de libéralité est le contraire de la prodigalité. Ils diffèrent donc quant à l’espèce.

Réponse :

Il y a deux éléments dans le péché l’acte lui-même, et le désordre de cet acte en tant qu’il s’écarte de l’ordre de la raison et de la loi divine ; mais on n’envisage pas l’espèce du péché à partir du désordre, qui n’est pas voulu par le pécheur, on l’a dit précédemment ; mais il faut faire attention surtout à l’acte lui-même, voir à quoi il se termine et vers quel objet se porte l’intention du pécheur. Aussi, chaque fois qu’il y a dans l’intention un motif différent de mal faire, il y a une espèce différente de péché. Or il est évident qu’il n’y a pas le même motif de mal faire dans les péchés par excès que dans les péchés par défaut ; bien plus, il y a des motifs contraires ; le motif de l’intempérance est l’amour des plaisirs du corps, celui de l’insensibilité est la haine de ces plaisirs. C’est pourquoi des péchés de cette sorte ne sont pas seulement différents quant à l’espèce, ils sont en outre contraires les uns aux autres.

Solutions :

1. Bien que le plus et le moins ne soient pas cause d’une diversité spécifique, ils en sont pourtant parfois la conséquence, en tant qu’ils proviennent de formes diverses, comme quand on dit que le feu est plus léger que l’air. Ainsi, à ceux qui ne veulent pas admettre que les amitiés soient de plusieurs espèces, sous le prétexte qu’elles ne diffèrent entre elles que par le plus et le moins, le Philosophe fait observer que ce n’est pas là un indice suffisant. Dans ce même sens, aller au-delà ou rester en deçà de ce qui est raisonnable indique des péchés d’espèces diverses en tant qu’ils sont consécutifs à des motifs divers.

2. Le pécheur n’a pas l’intention de s’écarter de la raison, et c’est pourquoi le péché par excès et le péché par défaut n’ont pas la même raison d’être, alors qu’ils s’éloignent de la même rectitude raisonnable. Mais celui qui dit une fausseté peut avoir l’intention de cacher la vérité ; à cet égard peu importe qu’il affirme plus ou moins. Cependant, s’il n’a pas proprement l’intention de s’écarter de la vérité, alors il est évident que des causes diverses le portent soit à dire plus, soit à dire moins qu’il n’y a en réalité, et il y a par là même diverses espèces de faussetés. C’est clair chez le vantard qui parle faussement par exagération pour se faire valoir ; et chez le fraudeur qui diminue sa dette pour avoir moins à rembourser. Ainsi certaines opinions fausses sont-elles contraires les unes aux autres.

3. Quelqu’un peut être prodigue et mesquin, quand ce n’est pas pour la même chose . on sera mesquin dans ses exigences, et prodigue dans ses dons. Rien n’empêche que des contraires se rencontrent dans le même sujet quand ce n’est pas sur le même point.

 

            Article 9 — Les péchés se distinguent-ils selon des circonstances diverses ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car Denys affirme : “ Le mal résulte de n’importe quel défaut. ” Or les défauts particuliers tiennent au mauvais état de circonstances particulières. Donc chaque circonstance malheureuse donne lieu à des péchés d’espèce différente.

2. Les péchés sont des actes humains et, nous l’avons vu, l’acte humain reçoit parfois son espèce des circonstances. Donc les péchés diffèrent d’espèce selon l’état fâcheux des circonstances diverses.

3. On distingue diverses espèces de gourmandise, selon les termes condensés dans un vers latin : “ Précipitation, raffinement, excès, avidité, recherche. ” Tout cela concerne des circonstances diverses, car il y a précipitation à manger avant qu’il ne faut, excès à manger plus qu’il ne faut, etc. Donc les espèces du péché se distinguent selon les diverses circonstances.

En sens contraire, le Philosophe fait observer que dans chaque vice le tort qu’on a, c’est d’agir quand il ne faut pas, plus qu’il ne faut, et ainsi de suite pour toutes les autres circonstances. Ce n’est donc pas par les circonstances que les vices se diversifient.

Réponse :

Nous venons de le dire : chaque fois qu’il se présente un autre motif de mal faire, il y a une autre espèce de péché, pour cette raison que le motif de mal faire c’est la fin, l’objet. Or il arrive parfois que diverses circonstances sont mauvaises pour un même motif. L’avare, dont le vice s’oppose à la libéralité, n’a qu’un seul et même motif pour prendre quand il ne le faut pas, où il ne faut pas, plus qu’il ne faut, et ainsi de suite ; il agit ainsi par désir immodéré de l’argent. Dans ces cas-là, les diverses circonstances mauvaises ne font pas différentes espèces de péchés, mais se rapportent à une seule et même espèce. Parfois au contraire, si diverses circonstances sont mauvaises, cela provient de motifs divers. La gourmandise en est un exemple. Si l’on mange avec précipitation, cela peut venir de ce qu’étant facilement épuisé on ne saurait souffrir le moindre retard dans les repas. Recherche-t-on au contraire une nourriture trop abondante, cela peut venir de ce qu’ayant un fort tempérament on est capable d’assimiler beaucoup. Mais si l’on recherche les mets délicats, c’est pour le plaisir de la table. Voilà par conséquent des cas où les diverses circonstances mauvaises amènent diverses espèces de péchés.

Solutions :

1. Le mal en tant que tel est une privation ; et à cet égard, comme toutes les autres privations, il se diversifie d’après les choses dont on est privé. Mais le péché, nous l’avons dit, n’est pas déterminé spécifiquement par la privation ou l’aversion, mais par la conversion vers l’objet de son acte.

2. Une circonstance ne change l’espèce d’un acte que quand il y a un autre motif.

3. Dans les diverses espèces de gourmandise, il y a des motifs différents, on vient de le dire.

 

QUESTION 73 — LA COMPARAISON DES PÉCHÉS ENTRE EUX

1. Tous les péchés et les vices sont-ils connexes ? - 2. Tous sont-ils égaux ? - 3. Leur gravité est-elle évaluée selon leurs objets ? - 4. Selon la dignité des vertus auxquelles ils s’opposent ? - 5. Les péchés de la chair sont-ils plus graves que ceux de l’esprit ? - 6. La gravité des péchés est-elle évaluée selon leur cause ? - 7. Selon les circonstances ? - 8. Selon l’importance de leur nocivité ? - 9. Selon la condition de la personne contre qui l’on pèche ? - 10. Le péché est-il aggravé par la haute situation du pécheur ?

 

            Article 1 — Tous les péchés et les vices sont-ils connexes ?

Objections :

1. S. Jacques (2,10) semble le dire : “ Quiconque aura observé toute la loi, s’il vient à pécher contre un seul commandement, devient coupable sur tous les points. ” Etre coupable sur tous les préceptes de la loi, c’est avoir tous les péchés ; car, dit S. Ambroise : “ Le péché est une transgression de la loi divine et une désobéissance aux commandements du ciel. ” Quiconque par conséquent tombe en un seul péché est sujet à tous les autres.

2. Tout péché exclut la vertu contraire. Mais celui qui manque d’une seule vertu n’a pas les autres, d’après ce que nous savons de leur connexion. Donc celui qui commet un seul péché est dépouillé de toutes les vertus. Mais n’avoir pas une vertu c’est avoir le vice contraire. Donc avoir un seul péché c’est les avoir tous.

3. Il a été établi précédemment que toutes les vertus sont connexes lorsqu’elles ont en commun un même principe. Mais les péchés aussi ont en commun un même principe. Car, de même que l’amour de Dieu qui édifie la cité de Dieu est le principe et la racine de toutes les vertus, de même l’amour de soi qui édifie la cité de Babylone est la racine de tous les péchés, comme le montre S. Augustin dans la Cité de Dieu. Donc tous les vices et péchés, eux aussi, sont connexes, à tel point qu’en avoir un, c’est les avoir tous.

En sens contraire, certains vices sont contraires entre eux, comme le montre Aristote. Or il est impossible que des contraires existent ensemble dans le même sujet. Il est donc impossible que tous les vices et les péchés soient en connexion.

Réponse :

L’intention de celui qui agit par vertu cherche à suivre la raison tout autrement que l’intention du pécheur ne tend à s’en écarter. Car tout homme qui agit par vertu a l’intention de suivre la règle de raison, et c’est pourquoi l’intention de toutes les vertus tend à la même fin. Aussi toutes les vertus sont-elles connexes entre elles dans la droite règle de l’action qui est la prudence, nous l’avons dit. Mais chez le’pécheur, l’intention n’est pas de s’écarter de ce qui est raisonnable, elle est plutôt de tendre à un bien désirable, et c’est ce bien qui la caractérise spécifiquement. Or ces biens vers lesquels l’intention du pécheur se dirige en s’écartant de la raison, sont divers et sans aucune connexion entre eux ; bien plus, ils sont même parfois contraires les uns aux autres. Comme c’est de l’objet de leur attachement que les vices et les péchés reçoivent leur espèce, il est évident que cet élément qui achève de les caractériser spécifiquement ne leur donne aucune connexion entre eux. Commettre le péché ne consiste pas en effet à passer de la multitude à l’unité, comme c’est le cas pour les vertus lorsqu’elles sont connexes, mais plutôt à s’éloigner de l’unité vers la multiplicité.

Solutions :

1. S. Jacques parle du péché non pas sous l’angle de la conversion par laquelle les péchés se distinguent, nous l’avons dit ; il en parle sous l’angle de l’aversion, en tant que l’homme en péchant s’éloigne du précepte de la loi. Or tous les commandements de la loi n’ont qu’un seul et même auteur, comme il le dit lui-même à cet endroit, et c’est le même Dieu que l’on méprise en tout péché. Par là aussi il est permis de dire que “ celui qui pèche sur un point devient coupable de tous ”, puisque, en commettant un seul péché, il encourt la dette de peine du fait qu’il méprise Dieu, mépris qui engendre la culpabilité de tout péché.

2. Comme nous l’avons déjà dit, tout acte de péché ne détruit pas la vertu contraire : le péché véniel ne détruit aucune vertu. Le péché mortel détruit la vertu infuse parce qu’il détourne de Dieu. Mais un seul acte, même de péché mortel, ne détruit pas l’habitus de la vertu acquise. Seulement, si les actes se multiplient au point d’engendrer un habitus contraire, l’habitus de la vertu acquise est éliminé. Avec lui est éliminée aussi la prudence, car lorsqu’un homme agit contre une vertu quelconque, il agit contre la prudence, puisque sans celle-ci aucune vertu morale ne peut exister, nous l’avons vu. Avec la prudence sont exclues par conséquent toutes les autres vertus morales, du moins quant à cette existence parfaite et formelle de vertu qu’elles possèdent en participant de la prudence. Il reste cependant des inclinations aux actes vertueux, lesquelles n’ont pas formellement raison de vertu. - Mais il ne s’ensuit pas que l’on encoure tous les vices ni tous les péchés. D’abord, parce qu’à une vertu s’opposent plusieurs vices, de sorte que la vertu puisse être éliminée par un seul d’entre eux, même si un autre n’est pas là. Ensuite, parce que le péché s’oppose directement à l’inclination de la vertu vers son acte, nous l’avons dit. On ne peut donc pas affirmer, tant qu’il reste quelques inclinations vertueuses, que l’homme ait les vices ou les péchés contraires.

3. L’amour de Dieu rassemble les affections humaines en les ramenant du multiple à l’un, et c’est pour cela que les vertus causées par l’amour de Dieu sont en connexion les unes avec les autres. Mais l’amour de soi disperse les affections humaines dans la diversité, car, en s’aimant lui-même, l’homme recherche pour lui les biens de ce monde, qui sont variés et divers ; c’est pourquoi les vices et les péchés que cause l’amour de soi ne sont pas connexes.

 

            Article 2 — Tous les péchés et les vices sont-ils égaux ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car pécher, c’est faire ce qui n’est pas permis. Mais cette désobéissance est reprochée à tous de la même manière, donc de même les péchés. Par conséquent l’un n’est pas plus grave que l’autre.

2. Tout péché consiste à transgresser la règle de la raison qui joue auprès des actes humains le rôle d’un instrument de règle linéaire dans le domaine corporel. Pécher c’est donc en quelque sorte déborder un tracé. Mais qu’on s’éloigne beaucoup du tracé ou qu’on en reste assez près, c’est toujours pareil : dans les privations il n’y a pas de plus et de moins. Donc tous les péchés sont égaux.

3. Les péchés s’opposent aux vertus. Mais toutes les vertus sont égales, dit Cicéron. Donc tous les péchés sont égaux.

En sens contraire, le Seigneur dit à Pilate (Jn 19,11) : “ Celui qui m’a livré à toi se charge d’un plus grand péché. ” Et il est bien évident pourtant que Pilate a péché. Donc un péché est plus grand qu’un autre.

Réponse :

Ce sont les stoïciens et Cicéron à leur suite qui ont estimé toutes les fautes égales. De là dérive aussi l’erreur de certains hérétiques qui, admettant l’égalité de tous les péchés, admettent de même l’égalité de toutes les peines de l’enfer. Autant qu’on peut s’en rendre compte par ce que dit Cicéron, ce qui conduisait les stoïciens à cette opinion, c’est qu’ils ne considéraient dans la faute que la privation, c’est-à-dire l’éloignement de ce qui est raisonnable ; aussi, jugeant absolument qu’aucune privation ne saurait avoir de plus ou de moins, ils ont soutenu que tous les péchés sont égaux.

Mais si l’on réfléchit bien, on trouvera qu’il y a deux sortes de privations. Il y a la privation pure et simple qui consiste pour ainsi dire dans un état de complète destruction. C’est ainsi que la mort est la privation de la vie, et les ténèbres la privation de la lumière. De telles privations ne supportent pas le plus et le moins, puisqu’il ne reste rien de l’état opposé. On n’est pas moins mort le premier, le troisième ou le quatrième jour, qu’on ne l’est au bout d’un an quand le cadavre est décomposé. Pareillement, une maison n’est pas plus obscure lorsque vous en avez bouché la fenêtre avec plusieurs tentures que si vous l’avez fait avec une seule qui intercepte déjà totalement la lumière.

A côté de cela, il y a une autre sorte de privation. Ce n’est plus la privation pure et simple. Elle retient quelque chose de l’état opposé, si bien qu’elle est un acheminement vers la destruction plutôt qu’un état de destruction complète. Tel est le cas de la maladie qui fait perdre le bon équilibre des humeurs, de manière pourtant qu’il en reste quelque chose, sans quoi l’animal ne serait plus en vie. Tel est pareillement le cas de la laideur et des états analogues. Or, de telles privations, par ce qui reste de la disposition qu’elles détruisent, sont susceptibles de plus et de moins. Il importe beaucoup en effet à la maladie ou à la laideur de s’écarter plus ou moins du bon équilibre des humeurs et de la juste proportion des membres. Et il faut dire la même chose des vices et des péchés. Car s’ils font perdre le bon équilibre de la raison, ce n’est pas au point d’abolir entièrement l’ordre de la raison. Autrement, si le mal était intégral, il se détruirait lui-même, comme il est dit au livre IV des Éthiques ; en effet il ne pourrait rien subsister de la substance d’un acte ni des affections de celui qui agit s’il ne gardait rien de l’ordre conforme à la raison. Et c’est pourquoi il importe beaucoup à la gravité du péché qu’on s’éloigne plus ou moins de la rectitude raisonnable. Et ainsi faut-il dire que tous les péchés ne sont pas égaux.

Solutions :

1. S’il n’est pas permis de commettre les péchés, c’est à cause du désordre qu’ils comportent. Donc ceux qui contiennent un plus grand désordre sont plus illicites que les autres, et par conséquent plus graves.

2. On raisonne là à propos du péché comme s’il s’agissait d’une privation pure et simple.

3. Les vertus sont proportionnellement égales chez un seul et même individu. Et pourtant, l’une en précède une autre en dignité, selon son espèce. En outre, dans la même espèce de vertu, un individu est plus vertueux qu’un autre, nous l’avons déjà dit. Cependant, même si les vertus étaient égales, il ne s’ensuivrait pas que les vices fussent égaux, car il y a connexion entre les vertus, mais non entre les vices et les péchés.

 

            Article 3 — La gravité des péchés et des vices est-elle évaluée selon leurs objets ?

Objections :

1. Il semble que non. Car la gravité du péché ressortit à son mode ou à sa qualité ; mais l’objet est la matière du péché lui-même. Donc la gravité des péchés ne varie pas selon divers objets.

2. La gravité du péché, c’est l’intensité de sa malice. Or, le péché n’a pas raison de malice sous l’angle de la conversion à son propre objet, qui est un bien désirable, mais plutôt sous l’angle de l’aversion. Donc la gravité du péché ne varie pas selon ses objets.

3. Ayant des objets divers, les péchés sont de genres divers. Mais lorsque les choses sont ainsi de divers genres, elles ne sont plus comparables, comme le prouve Aristote. Ce ne sont donc pas les objets qui permettent de comparer la gravité d’un péché à celle d’un autre.

En sens contraire, les péchés sont spécifiés par leurs objets, on l’a montré. Mais de deux péchés l’un est plus grave que l’autre par son espèce ; ainsi l’homicide est plus grave que le vol. Donc la gravité des péchés diffère selon les objets.

Réponse :

D’après ce que nous avons vu plus haut, la différence de gravité se présente pour les péchés comme pour les maladies. De même que le bien de la santé consiste dans un certain équilibre des humeurs en rapport avec la nature de l’animal, de même le bien de la vertu consiste dans un certain équilibre de l’acte humain en harmonie avec la règle de la raison. Or il est évident qu’une maladie est d’autant plus grave que le bon équilibre est rompu à l’égard d’un principe plus fondamental ; ainsi, une maladie du cœur, principe de la vie, ou de la région du cœur, est la plus dangereuse. Il faut donc qu’un péché soit d’autant plus grave qu’il porte le désordre sur un principe de plus grande importance dans le gouvernement de la raison. Mais en matière d’action, la raison gouverne tout d’après la fin. Voilà pourquoi le péché est d’autant plus grave qu’il provient, dans les actes humains, d’une fin plus élevée.

Or nous avons vu que les objets des actes sont leurs fins. C’est ce qui fait qu’à la diversité des objets correspond celle de la gravité des péchés. Ainsi est-il évident que les réalités extérieures sont ordonnées à l’homme comme à leur fin ; et l’homme à son tour est ordonné à Dieu comme à la sienne. C’est pourquoi le péché qui s’attaque à la substance même de l’homme, par exemple l’homicide, est plus grave que celui qui s’attaque aux biens extérieurs, comme le vol ; et plus grave encore est le péché qui est commis immédiatement contre Dieu, comme l’infidélité, le blasphème, etc. Enfin dans chacune de ces catégories un péché est plus ou moins grave selon qu’il porte sur un point plus ou moins fondamental. Et puisque les péchés sont déterminés spécifiquement par leurs objets, la différence de gravité qui résulte de ces objets est vraiment première et principale, comme consécutive à l’espèce même.

Solutions :

1. Sans doute l’objet est la matière à laquelle se termine l’acte. Cependant il a raison de fin en tant que l’intention de l’agent porte sur lui, nous l’avons dit récemment. Or nous avons montré que la forme d’un acte moral dépend de sa fin.

2. La conversion illégitime à un bien périssable engendre l’aversion du bien impérissable, en laquelle s’accomplit la raison de mal. C’est pourquoi il faut que la diversité des choses auxquelles on s’attache entraîne une gravité différente dans la malice du péché.

3. Il y a un ordre entre tous les objets des actes humains. Ainsi tous les actes humains se rejoignent d’une certaine façon en un seul genre par leur ordination à la fin ultime. C’est pourquoi rien n’empêche que tous les péchés soient comparables.

 

            Article 4 — La gravité des péchés est-elle évaluée selon la dignité des vertus auxquelles ils s’opposent ?

Objections :

1. Il semble que non, car alors à la vertu la plus haute s’opposerait le péché le plus grave. Or c’est le contraire qui est vrai, semble-t-il. Selon les Proverbes (15,5 Vg), c’est quand la justice abonde que la vertu a son maximum. Mais le Seigneur affirme en S. Matthieu (5,20) que, lorsque la justice abonde, elle arrête la colère, péché bien moindre que l’homicide, qu’une plus faible justice suffit à empêcher. Donc le plus petit péché s’oppose à la plus grande vertu.

2. Il est dit au livre II des Éthiques que la vertu a pour matière un bien difficile. D’après cela il semble qu’une vertu plus grande doive avoir pour matière une chose plus difficile. Mais pour le péché c’est l’inverse : le péché est d’autant moins grave que la chose offre plus de difficulté. Donc à une vertu plus grande s’oppose un moindre péché.

3. La charité est une plus grande vertu que la foi et l’espérance, d’après S. Paul (1 Co 13,13). Pourtant la haine qui s’oppose à la charité n’est pas un péché aussi grave que l’infidélité ou le désespoir, qui s’opposent à la foi et à l’espérance. Donc à une plus grande vertu s’oppose un péché moindre.

En sens contraire, le Philosophe déclare que “ le meilleur a pour contraire le pire ”. Or en morale ce qu’il y a de meilleur, c’est la plus grande vertu, et ce qu’il y a de pire, c’est le péché le plus grave. Donc le péché le plus grave s’oppose à la plus grande vertu.

Réponse :

Un péché s’oppose à la vertu de deux façons. L’opposition fondamentale et directe est celle où le péché et la vertu ont le même objet, car alors ce sont vraiment deux contraires au même point de vue. Et de cette façon il faut qu’à une vertu plus grande s’oppose un péché plus grave. C’est en effet l’objet qui donne plus de gravité à la faute, comme il donne plus de dignité à la vertu, car dans un cas comme dans l’autre il détermine l’espèce, nous l’avons montré Il. Il faut par suite que le plus grand péché soit directement à l’opposé de la plus grande vertu, comme les deux extrêmes du même genre. - L’autre sorte d’opposition entre la vertu et le péché est fondée sur la répression de celui-ci par le développement de celle-là. Car plus une vertu grandit, plus elle éloigne l’homme du péché contraire, au point qu’elle met obstacle non seulement au péché lui-même mais encore à tout ce qui peut y conduire. Et ainsi il est évident que plus une vertu grandit, plus elle empêche jusqu’aux moindres péchés, de même que plus une santé s’améliore, plus elle élimine jusqu’aux moindres malaises. De cette manière-là, il est vrai qu’à une plus grande vertu s’oppose un moindre péché sous l’angle de l’effet.

Solutions :

1. Cet argument se fonde sur la seconde sorte d’opposition, celle qui se fait par répression du péché car c’est en ce sens qu’une justice abondante arrête jusqu’à de menues fautes.

2. Si une vertu est plus grande parce qu’elle vise à un bien plus difficile, elle a directement pour contraire le péché qui vise à un mal plus difficile. Dans les deux cas on trouve une certaine supériorité, du fait que la volonté s’y révèle plus fortement engagée dans le bien ou dans le mal, par cela même que la difficulté ne l’a pas abattue.

3. La charité n’est pas un amour quelconque, mais l’amour de Dieu. Aussi ce qui s’oppose directement à la charité, ce n’est pas une haine quelconque, mais la haine de Dieu, laquelle est bien le plus grave de tous les péchés.

 

            Article 5 — Les péchés de la chair sont-ils plus graves que ceux de l’esprit ?

Objections :

1. Il ne paraît pas qu’ils soient moins coupables. Les Proverbes disent (6,30.32) : “ Ce n’est pas une grande faute de voler... Mais l’adultère, par la folie de son cœur, perdra son âme. ” Pourtant le vol tient à l’avarice, péché de l’esprit, l’adultère à la luxure, péché de la chair. Donc les péchés de la chair sont plus coupables.

2. S. Augustin nous assure que le diable se réjouit surtout des péchés de luxure et d’idolâtrie. Mais il se réjouit davantage des fautes les plus grandes. Comme la luxure est un péché charnel, il semble donc que ces péchés sont parmi les fautes les plus grandes.

3. Le Philosophe prouve qu’il “ est plus honteux de ne pouvoir contenir sa convoitise que de ne pouvoir contenir sa colère ”. Or, selon S. Grégoire, la colère est un péché spirituel, tandis que la convoitise ressortit aux péchés charnels. Le péché de la chair est donc plus grave que celui de l’esprit.

En sens contraire, S. Grégoire affirme a que les péchés de la chair sont moins coupables et plus infamants que ceux de l’esprit.

Réponse :

Les péchés spirituels sont plus coupables que les péchés charnels. Ce qui ne veut pas dire que n’importe lequel des premiers soit plus coupable que n’importe lequel des seconds, mais que, toutes choses égales d’ailleurs, si l’on considère uniquement cette différence de l’esprit et de la chair, les péchés de l’esprit sont plus graves. Trois raisons à cela.

- 1. A cause du sujet du péché. Les péchés spirituels relèvent de l’esprit, par lequel on se tourne vers Dieu, par lequel aussi on se détourne de lui. Au contraire, les péchés charnels se consomment dans les plaisirs de l’appétit sensible, auquel il appartient surtout de s’attacher aux biens corporels. C’est pourquoi le péché charnel en tant que tel présente plus de conversion, et à cause de cela aussi, plus d’attachement aux choses ; mais le péché spirituel comporte plus de cette aversion d’où procède la raison de faute, et c’est pourquoi le péché spirituel comme tel est une faute plus grande.

- 2. A cause de celui contre qui l’on pèche. Car le péché de la chair en tant que tel offense le corps, lequel n’est pas à aimer dans l’ordre de la charité autant que Dieu et le prochain, qui sont offensés par les péchés de l’esprit. C’est pourquoi ceux-ci comme tels sont plus coupables.

- 3. A cause du motif. Plus l’homme est fortement poussé à pécher, moins il pèche gravement, nous le verrons tout à l’heure. Or, les péchés de la chair comportent une impulsion plus forte, cette convoitise qui nous est innée. Et c’est pourquoi les péchés de l’esprit, comme tels, sont plus coupables.

Solutions :

1. L’adultère n’est pas seulement un péché de luxure, il est aussi un péché d’injustice. Et par là il peut être rattaché à l’avarice. Comme dit la Glose : “ Tout fornicateur est ou impur ou avare. ” Et alors l’adultère est plus grave que le vol, dans la mesure où l’on aime son épouse plus que ses richesses.

2. Si, dit-on, le diable se réjouit extrêmement de la luxure, c’est que dans ce péché l’attachement est extrême, et qu’il est difficile à l’homme de s’y arracher ; car “ l’appétit de jouir ”, dit le Philosophe, “ est insatiable ”.

3. Comme dit le Philosophe “ Il est plus honteux de ne pouvoir retenir sa concupiscence que de ne pouvoir retenir sa colère ”, parce que celle-ci participe moins de la raison. Et c’est pour cela qu’il dit aussi que les péchés d’intempérance sont les plus exécrables, parce qu’ils ont pour objet les plaisirs qui nous sont communs avec les bêtes, et que de tels péchés font de l’homme une brute. De là vient aussi l’affirmation de S. Grégoire, que ces fautes sont plus infamantes.

 

            Article 6 — La gravité des péchés est-elle évaluée selon leur cause ?

Objections :

1. Il ne paraît pas que la gravité soit en proportion de la cause. Plus la cause est forte plus elle pousse violemment au péché, et plus il est difficile d’y résister. Mais si la résistance est plus difficile, le péché en est diminué ; en effet, c’est une marque de faiblesse chez le pécheur de ne pouvoir facilement résister au péché ; or le péché de faiblesse est jugé plus léger. Le péché ne tire donc pas sa gravité de sa cause.

2. La convoitise est une cause générale de péché. D’où (sur Rm 7,7 : “ J’avais ignoré la convoitise... ”), ce commentaire de la Glose : “ La loi est bonne puisqu’en prohibant la convoitise, elle prohibe tout mal. ” Mais la faute est d’autant moindre que l’on a été vaincu par une convoitise plus forte. La gravité du péché est donc diminuée par la grandeur de la cause.

3. De même que la rectitude de la raison est cause de l’acte vertueux, de même, semble-t-il, la défaillance de la raison est cause du péché. Or, plus cette défaillance est grande, moindre est le péché, tellement que celui qui est privé de l’usage de la raison est tout à fait excusé, et que celui qui pèche par ignorance pèche plus légèrement. La gravité de la faute n’est donc pas accrue par la grandeur de la cause.

En sens contraire, multiplier la cause c’est multiplier l’effet. Donc si un péché a une cause plus grande, il sera plus grave.

Réponse :

Dans le péché, comme en tout autre genre de chose, il peut y avoir une double cause.

D’abord la cause essentielle et propre, qui n’est autre ici que la volonté même de pécher, car cette volonté est à l’acte du péché comme l’arbre à son fruit, dit la Glose (sur Mt 7,18 : “ Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits. ”) Cette sorte de cause, plus elle se sera développée, plus la faute sera grave, car un homme pèche d’autant plus gravement qu’il aura déployé plus de volonté à mal faire.

A côté de cela, il y aura d’autre causes, en quelque sorte extrinsèques et éloignées, qui inclinent la volonté à pécher. Entre elles il faut faire une distinction. Les unes induisent la volonté à pécher dans le sens même de sa nature : la fin par exemple, objet propre de la volonté. Et avec une telle cause la faute se trouve accrue, car on pèche plus gravement lorsque la volonté se propose intensément une fin plus mauvaise. Il y a d’autres causes, au contraire, qui inclinent la volonté à pécher en dehors de sa nature et de son ordre propres, alors qu’il lui est naturel de se mouvoir d’elle-même en toute liberté selon le jugement de la raison. Ce sont les causes qui diminuent le jugement de la raison, comme l’ignorance, ou celles qui diminuent le libre mouvement de la volonté, comme l’infirmité, la violence, la crainte, etc. De telles causes diminuent le péché comme elles diminuent le volontaire, tellement que si l’acte devient tout à fait involontaire, il n’a plus raison de péché.

Solutions :

1. Cette objection procède de la cause efficiente extrinsèque, qui diminue le volontaire ; l’accroissement de cette cause diminue le péché, on vient de le dire.

2. Si sous le nom de convoitise on comprend même le mouvement de la volonté, dans ce cas, là où règne une plus grande convoitise, il y a un plus grand péché. Mais si l’on appelle ainsi cette passion qui est le mouvement du concupiscible, alors une plus grande convoitise, devançant le jugement de la raison et le mouvement de la volonté, diminue la faute ; parce que celui qui pèche sous l’aiguillon d’une plus grande convoitise succombe à une tentation plus grave, ce qui le rend moins responsable. Si, au contraire, cette convoitise suit le jugement de la raison et le mouvement de la volonté, alors on peut dire que là où elle est plus grande, la faute est plus grave ; parfois en effet le mouvement de convoitise surgit avec plus de force, du fait que la volonté tend vers son objet sans aucun frein.

3. Cet argument vaut pour la cause qui produit de l’involontaire ; et celle-là diminue le péché, on vient de le voir.

 

            Article 7 — La gravité des péchés et des vices est-elle évaluée selon les circonstances ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car le péché tire sa gravité de son espèce. Or l’espèce ne dépend nullement d’une circonstance, celle-ci n’étant qu’un accident. Donc la gravité du péché n’est pas envisagée à partir de la circonstance.

2. Ou la circonstance est mauvaise, ou elle ne l’est pas. Si elle est mauvaise, c’est elle-même qui détermine l’espèce du mal. Si elle n’est pas mauvaise, elle n’a pas de quoi augmenter le mal. Donc la circonstance n’augmente d’aucune manière la malice du péché.

3. La malice du péché dépend de l’aversion, tandis que les circonstances sont la conséquence de la conversion aux biens terrestres. Les circonstances n’augmentent donc pas la malice du péché.

En sens contraire, l’ignorance d’une circonstance diminue le péché ; car celui qui pèche par ignorance d’une circonstance mérite le pardon, assure le Philosophe. Donc la circonstance aggrave le péché.

Réponse :

Chaque chose reçoit naturellement sa croissance du principe même qui la cause. Le Philosophe en fait la remarque à propos de l’habitus vertueux. Or il est évident que le péché a pour cause quelque circonstance défectueuse ; car s’éloigner de l’ordre raisonnable, c’est agir sans observer les circonstances voulues. Il est donc par là même évident que le péché est ainsi fait qu’une simple circonstance l’aggrave.

Mais cela peut se présenter de trois manières.

1° La circonstance change le genre du péché. Ainsi la fornication consiste à s’approcher d’une femme qui n’est pas à soi. Si l’on ajoute cette circonstance que c’est la femme d’un autre, alors on passe à un autre genre de péché, à une injustice, en tant qu’on usurpe le bien d’autrui. C’est ce qui rend l’adultère plus grave que la fornication.

2° Mais parfois la circonstance aggrave le péché non en le faisant pour ainsi dire changer de nature, mais en multipliant seulement sa raison de mal. Ainsi, lorsqu’un prodigue fait des largesses quand il ne le doit pas et à qui il ne le doit pas, il donne à son péché, dans le même genre, plus d’étendue que s’il se borne à faire ses largesses à qui il ne le doit pas. Et de ce fait la faute devient plus grave, comme une maladie devient plus grave lorsqu’elle infecte plus profondément l’organisme. D’où cette sentence de Cicéron “ Il y a dans le parricide des péchés multiples car c’est porter atteinte à qui vous a engendré, nourri, instruit, à qui vous a fait une place dans l’existence, dans la famille et dans l’Etat. ”

3° La circonstance aggrave le péché en ajoutant à la difformité morale provenant d’une autre circonstance. Ainsi prendre le bien d’autrui constitue le vol. S’il s’y ajoute cette circonstance de prendre en grande quantité le bien d’autrui, la faute sera plus grave, quoique le fait de prendre peu ou beaucoup ne signale pas de lui-même la raison de bien ou de mal.

Solutions :

1. Nous avons vui qu’en morale l’espèce d’un acte dépend quelquefois d’une circonstance. Cependant, la circonstance qui n’est pas spécifique peut aggraver le péché. Parce que, comme la bonté d’une chose n’est pas appréciée uniquement d’après son espèce mais aussi d’après certains traits accidentels, de même la malice d’un acte n’est pas estimée seulement d’après l’espèce de l’acte, mais encore d’après les circonstances.

2. La circonstance peut aggraver la faute de deux façons. Elle le peut si elle est mauvaise, et il n’est même pas nécessaire pour cela qu’elle constitue une nouvelle espèce de péché ; il suffit, comme nous venons de le dire, qu’elle ajoute une nouvelle raison de malice dans la même espèce. Si la circonstance n’est pas mauvaise, elle peut quand même aggraver la faute en contribuant à la malice d’une autre circonstance.

3. La raison doit régler l’acte non seulement quant à l’objet, mais encore dans toutes les circonstances. Et c’est pourquoi l’aversion envers la règle de la raison révèle le caractère mauvais de n’importe quelle circonstance ; par exemple si l’on agit là où il ne faut pas, ou bien quand il ne faut pas. Cette aversion suffit à la raison de mal. Mais cette aversion entraîne la séparation d’avec Dieu, car c’est en suivant la droite raison que l’homme doit s’unir à lui.

 

            Article 8 — La gravité des péchés et des vices est-elle évaluée selon l’importance de leur nocivité ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car la nocivité produit un événement consécutif au péché. Mais l’événement qui vient après un acte n’ajoute ni à la bonté ni à la malice de l’acte, on l’a vu antérieurement.

2. C’est surtout dans les péchés contre le prochain qu’on trouve de la nocivité, car personne ne veut se nuire à soi-même, et personne ne peut nuire à Dieu, selon ce texte de Job (35,6.8) : “ Si tu multiplies tes iniquités, que feras-tu contre lui ? C’est à tes semblables que nuira ton impiété. ” Donc, si la gravité était en proportion du dommage, il s’ensuivrait que le péché contre le prochain serait plus grave que le péché commis contre Dieu ou contre soi-même.

3. On nuit davantage à quelqu’un en le privant de la vie de la grâce, qu’en le privant de la vie de la nature ; parce que la vie de la grâce est meilleure que la vie naturelle, tellement qu’on doit mépriser celle-ci pour ne pas perdre celle-là. Mais l’homme qui incite une femme à la fornication lui fait perdre, autant qu’il est en lui, la vie de la grâce en la poussant au péché mortel. Donc, si la gravité était en proportion de la nocivité, la fornication simple serait plus grave que l’homicide ; ce qui et manifestement faux. Donc le péché n’est pas plus grave parce qu’il nuit davantage.

En sens contraire, S. Augustin dit ceci “ Parce que le vice s’oppose à la nature, tout ce qui est retranché à l’intégrité de la nature est ajouté à la malice des vices. ” Mais ce qui est retranché à l’intégrité de la nature, c’est ce qui lui nuit. Donc le péché est d’autant plus grave que sa nocivité est plus grande.

Réponse :

Le dommage causé par le péché peut se rattacher à lui de trois façons : 1° Il est prévu et voulu, par exemple lorsque l’on agit avec le dessein de nuire, comme fait l’homicide ou le voleur : en ce cas la grandeur du dommage augmente directement la gravité de la faute puisqu’alors le dommage est par soi l’objet du péché. 2° Le dommage est prévu mais non voulu. C’est le cas de l’individu qui coupe à travers champs pour aller plus vite à ses débauches ; il nuit à ce qui est ensemencé dans les champs, sciemment, bien que sans dessein de nuire. Alors, la quantité du dommage aggrave aussi la faute, mais indirectement ; c’est-à-dire que la volonté fortement inclinée à pécher fait qu’on n’hésite pas à nuire à soi-même ou à d’autres ce qu’on ne voudrait pas de volonté absolue. 3° Le dommage n’a été ni prévu ni voulu. Si c’est par accident qu’il découle du péché, il ne l’aggrave pas directement. Néanmoins, pour sa négligence à envisager les conséquences nuisibles de ses actes, on impute au châtiment du responsable des méfaits qui arrivent sans qu’il l’ait fait exprès, si du moins il se livrait à une activité illicite. Si au contraire le dommage est par lui-même une suite du péché, bien qu’il ne soit ni prévu ni voulu, il aggrave directement la faute ; parce que tout ce qui est par soi une conséquence du péché ressortit d’une certaine manière à l’espèce même de ce péché. Par exemple, si un individu commet une fornication en public, c’est un scandale pour beaucoup, et il y a là un dommage qui, bien que l’auteur lui-même ne le veuille, ni peut-être ne le prévoie, aggrave directement sa faute.

Pourtant, il semble en être autrement lorsque le dommage a le caractère d’une peine encourue par le pécheur lui-même. Un dommage de cette sorte, si c’est par accident qu’il se rattache à l’acte du péché, et s’il n’est ni prévu ni voulu n’aggrave pas le péché et n’est pas une conséquence de son aggravation ; tel est le cas de celui qui heurte un obstacle et se blesse le pied en courant commettre un meurtre. Si au contraire ce genre de dommage est une conséquence essentielle de l’acte du péché, bien qu’il ne soit peut-être ni prévu ni voulu, son importance n’augmente pas la gravité de la faute ; mais inversement la gravité de la faute entraîne celle du dommage. C’est ainsi qu’un infidèle, qui n’a jamais entendu parler des peines de l’enfer, y sera puni plus sévèrement pour un homicide que pour un vol, et cela à cause même des fautes ; en effet, parce qu’il n’a ni voulu ni prévu le châtiment, son péché n’en est pas aggravé comme cela peut arriver chez le fidèle, qui semble pécher plus gravement du fait qu’il méprise de plus grands châtiments pour assouvir sa volonté de mal faire ; au contraire, dans la supposition que nous faisons, c’est uniquement la gravité du péché qui cause celle du dommage.

Solutions :

1. Comme on l’a déjà dit précédemment, lorsqu’il s’agissait de la bonté et de la malice des actes extérieurs, l’événement postérieur au péché ajoute à la bonté ou à la malice de l’acte s’il a été prévu et voulu.

2. Quoique le dommage aggrave le péché, il ne s’ensuit pas cependant qu’il soit seul à l’aggraver. Et même, si un péché est plus grave, on peut dire que c’est par lui-même, à cause du désordre qu’il renferme, comme nous l’avons dit dans les articles précédents. C’est pourquoi le dommage lui-même aggrave le péché dans la mesure où il rend l’acte plus désordonné. Il ne s’ensuit pas que, si le dommage a lieu surtout dans les péchés contre le prochain, ce soient là les fautes les plus graves ; car il y a un désordre beaucoup plus grave dans les péchés contre Dieu et même dans quelques-uns des péchés contre soi-même. - Cependant on peut dire ceci. Bien que personne ne puisse nuire à la substance même de Dieu, on peut cependant tenter de nuire à ce qui appartient à Dieu, en ruinant la foi par exemple, en violant les choses saintes ; ce sont là des péchés très graves. De même on peut sciemment et volontairement se faire du tort à soi-même : c’est le cas des suicidés, bien qu’ils rapportent cela à une fin qui est un bien apparent, comme de se délivrer d’une angoisse.

3. Cette objection n’est pas concluante pour deux raisons : 1° L’homicide veut directement le préjudice du prochain, tandis que le fornicateur qui séduit une femme ne cherche pas à nuire mais à trouver son plaisir. 2° L’homicide est par lui-même et de façon suffisante cause de la mort corporelle, tandis que nul ne peut être pour un autre cause de mort spirituelle par lui-même et de façon suffisante, car personne ne meurt spirituellement si ce n’est en péchant volontairement lui-même.

 

            Article 9 — La gravité des péchés est-elle évaluée selon la condition de la personne contre qui l’on pèche ?

Objections :

1. Il semble que le péché ne soit pas aggravé par la condition de la personne contre qui l’on pèche. Car s’il en était ainsi, le péché serait particulièrement aggravé d’être commis contre un homme juste et saint. Mais cela n’aggrave pas le péché, car l’homme vertueux est moins atteint par l’injustice, qu’il supporte d’une âme égale, que d’autres qui en outre souffrent intérieurement le scandale. Donc la condition de la personne contre qui l’on pèche n’aggrave pas le péché.

2. S’il en était ainsi, la proche parenté aggraverait le péché au maximum car, dit Cicéron n “ Si c’est pécher une fois que de tuer son esclave, c’est pécher plusieurs fois que de tuer son père ”. Et pourtant la proche parenté ne semble pas si aggravante ; en cffet, on n’a rien de plus proche que soi-même ; or il est moins grave de se faire tort à soi-même que de nuire à autrui, moins grave par exemple d’abattre son propre cheval que celui d’un autre, dit le Philosophe. La proche parenté n’aggrave donc pas la faute.

3. Si la condition de celui qui commet le péché est une circonstance aggravante, c’est surtout en raison de la dignité de la personne en cause ou de sa science selon la Sagesse (6,7 Vg) : “ Les puissants seront puissamment châtiés ”, et cette parole du Seigneur en S. Luc (12,47) : “ Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, ne l’aura pas accomplie, recevra un grand nombre de coups. ” Donc, par une raison semblable, en ce qui concerne celui envers qui l’on pèche, la dignité ou la science de l’offensé devraient aggraver la faute. Mais il ne paraît pas plus grave d’être injuste envers quelqu’un qui est plus riche et plus puissant que de l’être envers un pauvre ; parce “ Dieu ne fait pas de différence entre les hommes ” (Rm 2,11), et c’est à son jugement que doit être examinée la gravité du péché. Donc la condition de la personne offensée n’ajoute rien à la gravité de l’offense.

En sens contraire, la Sainte Écriture blâme spécialement le péché contre les serviteurs de Dieu (1 R 19,14) : “ Ils ont détruit tes autels et tué tes prophètes par le glaive. ” Elle blâme aussi très fort le péché contre les proches selon Michée (7,6) : “ Le fils insulte son père, la fille se dresse contre sa mère. ” Elle blâme également d’une manière spéciale le péché commis envers les personnes constituées en dignité : “ Celui qui traite le roi d’apostat, et les chefs d’imp’les... ” (Jb 34,8). Donc la condition personnelle de l’offensé aggrave la faute.

Réponse :

La personne envers laquelle est commis le péché, en est en quelque sorte l’objet. Or nous avons dit plus haut que c’est l’objet qui fait la gravité première de la faute. De là vient que le péché est d’autant plus grave qu’il a pour objet une fin plus essentielle. Les fins fondamentales des actes humains sont Dieu, l’homme lui-même et le prochain. Quoi que nous fassions en effet nous le faisons pour l’un de ces objets, encore qu’il y ait une subordination de l’un à l’autre. On peut donc, eu égard à ces trois objets, voir dans le péché plus ou moins de gravité suivant la condition de la personne offensée.

1° On est d’autant plus uni à Dieu qu’on est plus vertueux ou plus consacré à lui. C’est pourquoi l’injustice faite à une personne de cette qualité rejaillit davantage sur Dieu, selon Zacharie (2,12) : “ Qui vous touche, me touche à la pupille de l’œil. ” Aussi un péché devient-il plus grave par le fait qu’il est commis envers une personne plus unie à Dieu soit par sa vertu soit par sa fonction.

2° A l’égard de soi-même, il est évident qu’on est d’autant plus coupable que l’on offense une personne à laquelle on est uni par des liens plus étroits de parenté, de bienfaits, ou par quelque autre lien, car alors on a l’air de pécher davantage contre soi-même, et pour autant l’on pèche plus gravement suivant l’Ecclésiastique (14,5) : “ Celui qui est mauvais envers lui-même, envers qui sera-t-il bon ? ”

3° A l’égard du prochain, la faute est d’autant plus grave qu’elle touche un plus grand nombre. C’est pourquoi un péché commis envers un personnage public, roi ou prince par exemple, qui représente toute une multitude en sa personne, est plus grave qu’un péché commis envers une personne privée. D’où ce précepte spécial de l’Exode (22,27) : “ Tu ne maudiras pas le prince de ton peuple. ” Pareillement, une injustice commise envers quelqu’un de grand renom, du fait qu’elle a pour un très grand nombre un retentissement de scandale et de trouble, paraît être plus grave.

Solutions :

1. Celui qui offense le vertueux fait bien tout ce qui dépend de lui pour troubler cet homme, intérieurement et extérieurement. Que le vertueux n’en soit pas ému intérieurement, c’est le résultat de sa perfection, laquelle ne diminue en rien le péché de l’offenseur.

2. Le dommage qu’un individu se fait à lui-même dans les choses qui sont de son domaine propre, dans ses biens par exemple, est moins coupable que le tort fait à un autre, parce que si l’on agit ainsi c’est qu’on le veut bien. Mais dans ce qui n’est pas du domaine de la volonté, comme les biens naturels et les biens spirituels, il est plus grave de se nuire à soi-même ; en effet, il est plus grave de se suicider que de tuer autrui. Pour le dommage causé aux biens de nos proches, étant donné que ce bien n’est pas soumis à notre volonté, on ne saurait soutenir qu’en pareille matière la faute soit moins grave, à moins que peut-être nos proches n’y consentent ou ne la ratifient.

3. Si Dieu punit plus gravement celui qui pèche contre des personnes plus éminentes, ce n’est pas parce qu’il fait des différences entre les hommes ; il fait cela parce qu’il y a une faute qui nuit à plus de gens.

 

            Article 10 — Le péché est-il aggravé par la haute situation du pécheur ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’homme est d’autant plus grand qu’il adhère davantage à Dieu, selon l’Ecclésiastique (25,10) : “ Qu’il est grand, celui qui a trouvé la sagesse et la science 1 Mais personne ne surpasse celui qui craint le Seigneur. ” Or, plus quelqu’un adhère à Dieu, moins on lui impute de péché. Car on lit au 2° livre des Chroniques (30,18) : “ Le Seigneur, dans sa bonté, pardonnera à tous ceux qui cherchent de tout leur cœur le Seigneur Dieu de leurs pères, et ne leur reprochera pas d’être insuffisamment sanctifiés. ” Donc le péché n’est pas aggravé par la haute situation du pécheur.

2. “ Dieu ne fait pas de différence entre les hommes ” ; lisons-nous dans l’Épître aux Romains (2,11). Il ne va donc pas, pour le même péché, punir celui-ci plus que celui-là.

3. Nul ne doit tirer désavantage de ce qu’il a de bon. C’est pourtant ce qui arriverait si les actes étaient imputés plus sévèrement à un personnage éminent. Donc la grandeur du pécheur n’aggrave pas le péché.

En sens contraire, S. Isidore affirme : “ plus le pécheur est haut placé, plus on donne d’importance à son péché ”.

Réponse :

Il y a deux sortes de péchés. L’un d’eux est commis par surprise, à cause de la faiblesse naturelle de l’homme. Un tel péché est moins reproché à celui qui est le plus avancé dans la vertu, parce qu’il néglige moins qu’un autre de réprimer de tels péchés que la faiblesse humaine ne peut totalement éviter.

Les autres péchés sont commis de propos délibéré. Ils sont imputés d’autant plus gravement au pécheur que celui-ci est haut placé. Et cela peut se justifier par quatre raisons.

1° Il y a chez les grands, ainsi chez ceux qui se distinguent par la science et par la vertu, plus de facilité pour résister au péché. C’est à propos d’eux que le Seigneur déclare en S. Luc (12,47) : “ Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, ne l’aura pas accomplie, recevra un grand nombre de coups. ”

2° Il y a de l’ingratitude dans le péché des grands ; car tout ce qui donne de la grandeur à l’homme est un bienfait de Dieu, et celui qui pèche contre lui est un ingrat. A cet égard n’importe quelle grandeur, même temporelle, aggrave le péché selon la Sagesse (6,7 Vg) : “ Les puissants seront puissamment châtiés. ”

3° Il y a parfois une particulière contradiction entre l’acte du péché et la grandeur de la personne, comme lorsque le prince se met à violer la justice, lui qui en est le gardien ; ou lorsque le prêtre se livre à la fornication, lui qui a fait vœu de chasteté.

4° Il y a la raison de l’exemple ou du scandale. Comme le fait remarquer S. Grégoire : “ La faute déploie un exemple bien plus entraînant, quand la situation du pécheur le met à l’honneur. ” Car les péchés des grands sont connus par plus de gens, et l’on s’en indigne davantage.

Solutions :

1. L’autorité alléguée parle des négligences arrachées par surprise à la faiblesse humaine.

2. Dieu ne fait pas de différence entre les hommes quand il punit davantage les grands, parce que leur grandeur contribue à la gravité de la faute, nous venons de le dire.

3. L’homme éminent ne tire pas désavantage du bien qu’il a reçu, mais du mauvais usage qu’il en fait.

 

QUESTION 74 — LE SIÈGE DU PÉCHÉ

1. La volonté peut-elle être le siège du péché ? - 2. Elle seule ? - 3. La sensualité peut-elle être le siège du péché ? - 4. Du péché mortel ? - 5. La raison peut-elle être le siège du péché ? - 6. Est-ce dans la raison inférieure que réside la délectation prolongée (morose) ou non ? - 7. Est-ce dans la raison supérieure que réside le consentement à l’acte ? - 8. La raison inférieure peut-elle être le siège du péché mortel ? - 9. La raison supérieure peut-elle être le siège du péché véniel ? - 10. Peut-il y avoir péché véniel dans la raison supérieure, quand il s’agit de son objet propre ?

 

            Article 1 — La volonté peut-elle être le siège du péché ?

Objections :

1. Cela semble impossible. Denys dit en effet que le mal se tient en dehors de la volonté et de l’intention. Mais le péché, c’est le mal. Donc il ne peut pas être dans la volonté.

2. La volonté se porte toujours au bien ou à un bien apparent. Si c’est réellement le bien qu’elle veut, elle n’est pas en faute. Si elle veut un bien apparent qui n’est pas vraiment un bien, cela dénote plutôt, semble-t-il, un défaut d’intelligence qu’un défaut de volonté. Donc ni d’une manière ni de l’autre le péché n’est dans la volonté.

3. La même faculté ne peut à la fois être le sujet du péché et sa cause efficiente. Car le sujet du péché, c’est en réalité sa cause matérielle. Et il n’y a pas coïncidence de la cause matérielle et de la cause efficiente, dit le Philosophe. Or la volonté est la cause efficiente du péché : elle en est, dit S. Augustin, la cause première. Elle n’en est donc pas le sujet.

En sens contraire, S. Augustin dit aussi “ C’est par la volonté que l’on pèche, et que l’on vit vertueusement. ”

Réponse :

Nous avons dit que le péché est un acte. Parmi les actes, il y en a, comme brûler ou couper, qui sont transitifs. Ces actes-là ont pour matière et pour sujet la chose dans laquelle passe l’action. Le Philosophe dit en ce sens, au livre III des Physiques que “ le mouvement est l’acte transmis au mobile par le moteur ”. Il y a au contraire d’autres actes qui ne passent pas dans une matière extérieure, mais qui demeurent dans l’agent, comme désirer et connaître ; tels sont tous les actes moraux, aussi bien ceux des vertus que ceux des péchés. Aussi faut-il qu’un acte de péché ait pour sujet propre la faculté qui en est le principe propre. Mais comme c’est le propre des actes moraux d’être volontaires, on l’a vu précédemment, il s’ensuit que la volonté, principe des actes volontaires, bons et mauvais, est le principe des péchés. C’est pourquoi le péché est dans la volonté comme dans son siège.

Solutions :

1. On dit que le mal est en dehors de la volonté, parce que la volonté ne tend pas vers lui sous sa raison de mal. Mais parce que certain mal a l’apparence du bien, la volonté désire parfois un mal. Et ainsi le péché est dans la volonté.

2. Si la défaillance de la connaissance ne dépendait nullement de la volonté, il n’y aurait faute ni dans la volonté ni dans l’intelligence, comme cela se voit dans les cas d’ignorance invincible. C’est pourquoi il faut conclure que même une défaillance de l’intelligence qui dépend de la volonté, est imputée à péché.

3. Ce raisonnement est vrai lorsqu’il s’agit des causes efficientes dont l’action passe dans une matière extérieure ; ces causes ne se meuvent pas elles-mêmes, elles meuvent autre chose. Dans le cas de la volonté, c’est le contraire. L’argument est donc sans portée.

 

            Article 2 — La volonté seule est-elle le siège du péché ?

Objections :

1. Oui semble-t-il. Car, dit S. Augustin, “ on ne pèche que par la volonté ”. Or le péché a pour siège la puissance d’où il émane. Donc la volonté seule est le siège du péché.

2. Le péché est un mal contraire à la raison. Mais le bien et le mal qui se rapportent à la raison sont objet de la seule volonté. Celle-ci est donc seule le siège du péché.

3. Tout péché est un acte volontaire ; car, dit S. Augustin, “ il est tellement volontaire, que s’il n’y a plus rien de volontaire, il n’y a plus de péché ”. Or les actes des autres facultés ne sont volontaires que dans la mesure où c’est la volonté qui les met en mouvement. Cela ne suffit pas pour qu’elles soient le siège du péché. Car, dans ces conditions, même les membres extérieurs, puisque la volonté les fait mouvoir, seraient le siège du péché : ce qui est évidemment faux. La volonté est donc seule le siège du péché.

En sens contraire, le péché est le contraire de la vertu, et les contraires portent sur le même point. Mais les vertus siègent dans l’âme en d’autres facultés que la volonté, nous l’avons dit, donc les péchés aussi.

Réponse :

Il résulte de ce que nous avons dit que le péché a pour siège toute faculté qui est le principe d’un acte volontaire. Or les actes volontaires ne sont pas seulement les actes émanés de la volonté mais aussi les actes impérés par elle, comme nous l’avons dit au traité de l’acte volontaire. Par conséquent ce n’est pas seulement la volonté qui peut être le siège du péché, mais toutes les facultés dont la volonté peut mouvoir ou arrêter les actes. Et ces mêmes facultés seront aussi le siège des habitus moraux, bons ou mauvais, parce que l’acte et l’habitus ont la même origine.

Solutions :

1. Le péché n’existe en effet que si la volonté en est le premier moteur. Mais d’autres facultés s’y trouvent engagées comme recevant le mouvement de la volonté.

2. Le bien et le mal ressortissent à la volonté comme étant ses objets essentiels. Mais les autres puissances ont un bien et un mal déterminés. Et c’est en raison de quoi il peut y avoir dans ces facultés, pour autant qu’elle participent de la volonté et de la raison, vertu, vice et péché.

3. Les membres du corps ne sont pas les principes, mais seulement les organes des actes humains ; aussi sont-ils pour l’âme qui les meut, comme l’esclave qui est mené et qui ne mène pas. Mais les facultés intérieures de désir sont comme les enfants de la maison qui, d’une certaine manière, mènent et sont menés, comme l’explique le livre I des Politiques. - En outre, les actes des membres extérieurs sont des actions transitives, par exemple l’action de frapper dans un péché d’homicide. Et c’est pour cela qu’on ne peut pas raisonner pour les membres extérieurs comme pour les facultés intérieures.

 

            Article 3 — La sensualité peut-elle être le siège du péché ?

Objections :

1. Cela semble impossible. Car le péché est propre à l’homme qui est par ses actes digne de louange ou de blâme. La sensualité au contraire est commune à nous et aux bêtes. Le péché ne peut donc résider en elle.

2. “ Nul ne pèche, dit S. Augustin, dans les choses qu’il ne peut éviter. ” Mais on ne peut éviter que la sensualité ait des actes désordonnés, car elle est dans une perpétuelle dépravation tant que nous sommes en cette vie mortelle, et à cause de cela S. Augustin la représente sous le symbole du serpent. Les mouvements désordonnés de la sensualité ne sont donc pas des péchés.

3. Ce que l’homme ne fait pas lui-même ne lui est pas imputé à péché. Mais nous ne sommes vraiment nous-mêmes, semble-t-il, que dans ce que nous faisons avec délibération de la raison, comme dit le Philosophe. Donc le mouvement de la sensualité, qui surgit sans délibération de la raison, n’est pas imputé à péché.

En sens contraire, il est dit dans l’épître aux Romains (7,15) : “ je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais. ” S. Augustin l’interprète du mal de la convoitise, lequel est toujours un mouvement de sensualité. Donc il y a un péché dans la sensualité.

Réponse :

D’après ce que nous venons de dire, on peut trouver le péché dans toute faculté dont l’acte peut être volontaire et désordonné, car c’est en cela que consiste la raison de péché. Or il est évident qu’un acte de sensualité peut être volontaire puisqu’il est naturel à la sensualité, autrement dit appétit sensible - de se laisser mouvoir par la volonté. Il reste donc que le péché puisse se trouver dans la sensualité.

Solutions :

1. Certaines facultés sensibles, bien que communes à nous et aux bêtes, possèdent cependant une certaine excellence du fait qu’elles sont unies à la raison. C’est ainsi que notre connaissance sensible se distingue de celle des autres animaux, ainsi que nous l’avons dit dans la première Partie, par la cogitative et la réminiscence. Tel se présente aussi chez nous l’appétit sensible ; il a quelque chose de plus que chez les autres animaux : il lui est naturel d’obéir à la raison. C’est par là qu’il peut être le principe d’un acte volontaire, et partant le siège du péché.

2. Par cette perpétuelle dépravation de la sensualité il ne faut pas entendre autre chose que le foyer de corruption qui nous vient du péché originel et, en effet, ne disparaît jamais complètement durant cette vie ; car ce péché originel a une culpabilité qui passe et une activité qui demeure. Mais ce foyer persistant de mal n’empêche pas que l’homme ne puisse par sa volonté raisonnable réprimer, s’il les sent venir, chacun des mouvements désordonnés de la sensualité, par exemple en détournant sa pensée vers autre chose. Mais il peut se faire, pendant qu’on détourne ainsi sa pensée sur autre chose, qu’un mouvement désordonné s’élève aussi sur ce point-là. Lorsqu’un individu, voulant éviter des mouvements de convoitise, détache sa pensée des plaisirs de la chair pour l’appliquer aux spéculations de la science, ceci peut faire naître un mouvement de vaine gloire qui n’était pas prémédité. Voilà pourquoi l’homme ne peut éviter tous ces mouvements désordonnés qui procèdent du foyer que nous avons dit ; mais il suffit pour qu’il y ait vraiment faute volontaire, qu’il puisse les éviter un à un.

3. Ce que l’homme fait sans délibération de la raison, ce n’est pas parfaitement lui qui le fait, parce que rien n’agit alors de ce qui est principal en lui. Aussi n’est-ce pas parfaitement un acte humain. Et par là ce ne peut être un acte achevé de vertu ou de vice, mais quelque chose d’inachevé dans le genre. Aussi un tel mouvement de sensualité, lorsqu’il devance la raison, est-il péché véniel, c’est-à-dire quelque chose d’inachevé dans le genre péché.

 

            Article 4 — La sensualité peut-elle être le siège du péché mortel ?

Objections :

1. Il semble bien. Car l’acte se connaît à l’objet. Or il y a des objets de sensualité, les jouissances de la chair par exemple, qui sont matière à pécher mortellement. Donc l’acte de sensualité peut être péché mortel. Et ainsi le péché mortel se trouve dans la sensualité.

2. Le péché mortel est le contraire de la vertu. Mais la vertu peut résider dans la sensualité ; la tempérance et la force sont en effet “ les vertus des puissances non raisonnables de l’âme ”, dit le Philosophe. Ainsi, les contraires étant faits pour se porter sur le même point, il peut donc y avoir péché mortel dans la sensualité.

3. Le péché véniel est une disposition au péché mortel. Mais disposition et habitus se tiennent dans la même puissance. Si le péché véniel se tient dans la sensualité comme on vient de le dire, le péché mortel pourra donc s’y tenir aussi.

En sens contraire, on lit chez S. Augustin, ce qu’on trouve dans la Glose, que “ le mouvement déréglé de la convoitise, qui n’est autre que le péché de sensualité, peut exister même chez ceux qui sont en état de grâce ”. Pourtant il n’y a pas en eux de péché mortel. Le mouvement déréglé de la sensualité n’est donc pas un péché mortel.

Réponse :

De même que le désordre qui attaque le principe de la vie corporelle cause la mort corporelle, de même celui qui attaque ce principe de vie spirituelle qu’est la fin ultime cause, avons-nous dit, cette mort spirituelle qu’est le péché mortel. Or il appartient non à la sensualité mais uniquement à la raison d’ordonner les choses à leur fin ; pareillement, de les en détourner. C’est la preuve que le péché mortel ne peut pas exister dans la sensualité, mais seulement dans la raison.

Solutions :

1. L’acte de sensualité peut concourir au péché mortel. Mais l’acte même du péché mortel ne reçoit pas cependant son caractère mortel de ce qu’il vient de la sensualité ; il le tient de ce qu’il appartient à la raison, chargée d’ordonner toutes choses à leur fin. Et c’est pourquoi le péché mortel n’est pas attribué à la sensualité, mais à la raison.

2. L’acte de la vertu ne reçoit pas sa perfection de la sensualité seulement, mais bien davantage de la raison et de la volonté, parce que ce sont elles qui donnent la faculté de choisir, et qu’il n’y a pas d’acte de la vertu morale sans choix. De là vient qu’il y a toujours, avec l’acte de la vertu morale qui vient parfaire la puissance appétitive, un acte de la prudence qui vient parfaire la puissance rationnelle. Et il en est encore de même pour le péché mortel, nous venons de le dire.

3. Une disposition se présente de trois façons par rapport à la chose à laquelle elle prépare. C’est parfois la même chose dans la même puissance, comme une science à ses débuts est la disposition à une science parfaite. Parfois, c’est encore dans le même sujet, mais ce n’est pas la même chose, comme la chaleur dispose à la forme qu’est le feu. Parfois enfin ce n’est ni la même chose ni dans la même puissance, ainsi qu’il arrive pour les réalités qui ont entre elles un tel rapport qu’on peut passer de l’une à l’autre, comme une bonne qualité d’imagination est une disposition à la science qui réside dans l’intelligence. Voilà de quelle façon le péché véniel, qui est dans la sensualité, est une disposition au péché mortel, qui est dans la raison.

 

            Article 5 — La raison peut-elle être le siège du péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car le péché d’une puissance est un défaut de cette puissance. Mais si la raison fait défaut, ce n’est pas un péché, c’est plutôt une excuse ; car on excuse quelqu’un d’avoir péché quand il l’a fait par ignorance. Donc il ne peut y avoir de péché dans la raison.

2. On a dit que le premier siège du péché est la volonté. Mais la raison passe devant la volonté, puisqu’elle dirige celle-ci. Donc le péché ne peut se trouver dans la raison.

3. Il ne peut y avoir de péché que dans les choses qui dépendent de nous. Or il ne dépend pas de nous d’avoir beaucoup de raison ou d’en manquer ; cela vient de la nature. Par conséquent le péché ne réside pas dans la raison.

En sens contraire, S. Augustin affirme que le péché réside dans la raison inférieure comme dans la raison supérieure.

Réponse :

Il ressort de ce que nous avons dit que le péché d’une puissance quelconque consiste dans l’acte même de cette puissance. Or la raison a deux actes, l’un tout intime et relatif à son objet propre, qui est de connaître le vrai ; l’autre qui est de diriger les autres facultés. De deux façons par conséquent, le péché peut se loger dans la raison : en premier lorsqu’il y a erreur dans la connaissance du vrai, erreur ou ignorance qui sont coupables chaque fois qu’il s’agit d’une chose que la raison peut et doit savoir ; en second lieu, lorsqu’elle commande les mouvements désordonnés des facultés inférieures, ou que, même après avoir délibéré, elle ne les maîtrise pas.

Solutions :

1. Cette objection est valable s’il s’agit d’un défaut de la raison dans son acte propre face à son objet propre ; et cela sur un point que l’individu ne peut pas savoir et n’est pas tenu de savoir. Alors, l’absence de raison n’est pas un péché mais une excuse, comme cela est évident dans les actes commis par des fous. Mais si le manque de raison se produit sur un point que l’homme peut et doit savoir, il n’est pas complètement excusé, et le défaut de raison lui-même est imputé à péché. - Quant à ce manque de raison, lorsqu’il s’agit seulement de diriger les autres facultés, il est toujours coupable, parce que c’est là une défaillance à laquelle la raison peut remédier par sa propre activité.

2. Nous l’avons expliqué précédemment, en traitant des actes de la volonté et de la raison : d’une manière la volonté meut la raison et la précède, et d’une certaine manière, la raison meut et précède la volonté ; si bien que le mouvement de la volonté peut être rationnel, et l’acte de la raison peut être dit volontaire. Et ainsi le péché se trouve dans la raison : soit parce que la défaillance de celle-ci est volontaire, soit parce que l’acte de la raison est le principe d’un acte de la volonté.

3. Ce que nous avons dit donne la réponse.

 

            Article 6 — Est-ce dans la raison inférieure que réside la délectation prolongée ou non ?

Objections :

1. Le péché de délectation morose ou prolongée, ne semble pas résider dans la raison. Car, nous l’avons dit, la délectation implique un mouvement de l’appétit, et l’appétit est distinct de la raison qui est une faculté de connaissance.

2. L’objet permet de reconnaître à quelle puissance appartient l’acte qui ordonne la puissance à l’objet. Or la délectation s’attarde parfois aux biens sensibles sans se soucier de ceux de la raison. C’est la preuve que le péché de délectation morose n’est pas dans la raison.

3. S’attarder implique longueur de temps. Mais la longueur de temps n’est pas une raison pour qu’un acte appartienne à une puissance. Donc la délectation prolongée ne relève pas de la raison.

En sens contraire, S. Augustin estime que “ si l’acquiescement aux mauvais attraits ne va pas plus loin que la pensée de la délectation, c’est que la femme est encore seule à avoir mangé le fruit défendu ”. Mais la femme, S. Augustin l’explique au même endroit, c’est la raison inférieure. Donc le péché de délectation morose est dans la raison.

Réponse :

Le péché, avons-nous dit, réside parfois dans la raison, non seulement lorsqu’elle procède à son acte propre, mais parfois aussi en tant qu’elle dirige les autres actes humains. Or il est évident qu’elle n’a pas seulement la direction des actes extérieurs, mais aussi celle des passions intérieures. C’est pourquoi, lorsqu’elle est en défaut dans ce gouvernement des passions, on dit que le péché est dans la raison, comme aussi lorsqu’elle est en défaut dans la direction des actes extérieurs. Or, elle a deux manières d’être en défaut dans le gouvernement des passions. La première, c’est de commander des passions illicites comme celui qui provoque en soi délibérément un mouvement de colère ou de convoitise ; la seconde, c’est de ne pas réprimer un mouvement illicite de passion, comme celui qui, après s’être rendu compte que le mouvement passionné qui surgit est désordonné, s’y arrête néanmoins et ne le chasse pas. En ce sens on dit que le péché de délectation prolongée réside dans la raison.

Solutions :

1. La délectation est bien dans l’appétit comme en son principe prochain, mais elle est dans la raison comme en son moteur premier, suivant ce que nous avons dit plus haut des actions immanentes, qui ont pour sujet le principe même d’où elles émanent.

2. La raison a un acte propre portant sur son objet propre, et qui peut être illicite. Mais elle a aussi une direction à exercer sur tous les objets des facultés inférieures soumises à son gouvernement. C’est ainsi que même la délectation se rapportant aux biens sensibles relève de la raison.

3. La délectation est appelée “ morose ” non pas à cause de sa prolongation (mora), mais du fait que la raison délibérante s’y attarde (immoratur), au lieu de la repousser. Comme dit S. Augustin : “ On retient et on rumine avec plaisir ce qu’on aurait dû rejeter aussitôt que l’esprit en a été frôlé. ”

 

            Article 7 — Est-ce dans la raison supérieure que réside le consentement à l’acte ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car consentir est un acte de l’appétit, on l’a vu au traité des actes humains. Mais la raison est une faculté de connaissance.

2. La raison supérieure est celle qui, selon S. Augustin “ s’applique à pénétrer et à consulter les raisons éternelles ”. Or il lui arrive parfois de consentir à l’acte sans avoir consulté les raisons éternelles, car l’homme ne pense pas toujours aux réalités divines lorsqu’il consent à un acte. Ce péché n’est donc pas toujours dans la raison supérieure.

3. Les raisons éternelles, de même qu’elles peuvent être pour l’homme la règle des actes extérieurs, peuvent être aussi la règle des délectations et autres passions intérieures. Or, le fait de consentir à la délectation “ sans avoir le dessein de passer à l’acte ”, selon S. Augustin, est un acte de la raison inférieure. Donc la faute de consentir à l’acte du péché doit être attribuée de temps à autre à la raison inférieure.

4. La raison supérieure est au-dessus de la raison inférieure, comme la raison est au-dessus de l’imagination. Or, il arrive à l’homme d’agir sous l’impression de son imagination sans aucune délibération de la raison, comme lorsqu’on fait machinalement un mouvement de la main ou du pied. Pareillement, il peut donc arriver à la raison inférieure de consentir à un acte de péché, indépendamment de la raison supérieure.

En sens contraire, S. Augustin dit, plus loin dans le même livre : “ Si l’acquiescement au mauvais usage du corps et des sens est tellement décidé qu’on est prêt à aller jusqu’au bout si l’on peut, cela signifie que la femme a donné le fruit défendu à l’homme ” qui symbolise la raison supérieure. C’est donc à la raison supérieure qu’il appartient de consentir à l’acte du péché.

Réponse :

Le consentement implique un jugement sur le point où l’on consent ; car la raison pratique rend jugement et sentence en matière d’action, comme la raison spéculative en matière de pensée. Or il faut remarquer qu’en tout jugement la sentence définitive est réservée à la plus haute instance judiciaire ; de même nous le voyons en matière spéculative : on n’est définitivement fixé sur une proposition que si on la ramène aux premiers principes. En effet, tant qu’il reste un principe supérieur, à la lumière duquel la question peut être encore examinée, on peut dire que le jugement demeure en suspens, parce que la sentence finale n’est pas encore rendue. Or, il est évident que les actes humains peuvent être soumis à la règle de la raison humaine, règle tirée des réalités créées telles que l’homme les connaît naturellement ; et en outre, à la règle de la loi divine, ainsi qu’il a été dit au traité des actes humains. puisque cette règle de la loi divine est la règle supérieure, il faut en conclure que la sentence ultime, celle qui met fin au jugement, appartient à la raison supérieure, c’est-à-dire à celle qui s’applique aux réalités éternelles. - D’autre part, lorsqu’il y a plusieurs choses à juger, le jugement doit se clore sur celle qui vient en dernier lieu. Or ce qui vient en dernier lieu dans les actions humaines, c’est l’acte lui-même ; la délectation, qui induit à l’acte, est comme le préambule. Voilà pourquoi il appartient en propre à la raison supérieure de consentir à l’acte ; au contraire, à la raison inférieure dont le jugement est moins élevé, il appartient de rendre ce jugement préliminaire qui concerne la délectation. Toutefois, la raison supérieure peut juger même de la délectation, du fait que tout ce qui est soumis au jugement de l’inférieur l’est aussi au jugement du supérieur, mais ce n’est pas réciproque.

Solutions :

1. Consentir est un acte de l’appétit, non absolument toutefois, mais, comme nous l’avons dit en son lieu, c’est un acte de la volonté consécutif à un acte de la raison délibérant et jugeant. Le consentement s’achève en effet dans l’adhésion de la volonté à ce qui est désormais jugé par la raison. De là vient que l’on peut attribuer le consentement et à la volonté et à la raison.

2. De fait que la raison supérieure ne dirige pas les actions humaines selon la loi divine en empêchant l’acte du péché, on dit qu’elle consent, qu’elle songe ou qu’elle ne songe pas à la loi éternelle. Car lorsqu’elle songe à la loi de Dieu, elle la méprise effectivement. Mais lorsqu’elle n’y songe pas, il y a dans cette omission une négligence. De toute façon par conséquent, le fait de consentir à l’acte du péché provient de la raison supérieure parce que, selon S. Augustin, “ on ne peut décréter efficacement en son esprit de perpétrer efficacement le péché, sans que cette intention de l’esprit, qui a tout pouvoir pour mettre les membres à l’œuvre ou les en détourner, abdique devant la mauvaise action ou y contribue ”.

3. La raison supérieure peut, par la considération de la loi éternelle, diriger ou arrêter l’acte extérieur, et de même la délectation intérieure. Cependant, avant qu’on en vienne au jugement de la raison supérieure, dès que la sensualité propose la délectation, la raison inférieure, délibérant avec des motifs temporels, accepte parfois cette délectation ; c’est alors que le consentement appartient à la raison inférieure. Si au contraire, même après avoir réfléchi aux raisons éternelles, l’homme persévère dans ce même consentement, celui-ci appartiendra à la raison supérieure.

4. La connaissance par l’imagination est subite et non délibérée ; c’est pourquoi elle peut faire naître un acte avant que la raison, supérieure ou inférieure, ait le temps de délibérer. Au contraire, le jugement de la raison inférieure ne va pas sans délibération, et cette délibération demande du temps, pendant lequel la raison supérieure peut délibérer elle aussi. Par suite, si par sa délibération elle n’empêche pas l’acte du péché, cet acte lui est imputé.

 

            Article 8 — La raison inférieure peut-elle être le siège du péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que le consentement à la délectation ne soit pas un péché mortel. En effet, ce consentement est un acte de la raison inférieure, qui n’a pas à s’appliquer aux raisons éternelles ou à la loi divine, ni par conséquent à s’en détourner. Or, tout péché mortel provient de l’aversion à l’égard de la loi divine, comme on le voit par la définition de S. Augustin placée en tête de ce traité.

2. Consentir à une chose n’est mauvais que parce que la chose à laquelle on consent est mauvaise. Mais c’est un principe qu’en toute chose, ce pourquoi on agit est ce qu’il y a de plus fort ; en tout cas ce ne peut être moindre. Ce à quoi l’on consent ne peut donc être moins mauvais que le consentement. Or la délectation sans l’action n’est pas péché mortel, mais seulement véniel. Donc le consentement à la délectation n’est pas péché mortel.

3. Le Philosophe enseigne que la différence morale des délectations correspond à celle des opérations. Or la pensée, acte intérieur, est une tout autre opération que l’acte extérieur, celui de la fornication par exemple. Donc la délectation qui s’attache à l’acte de la pensée diffère moralement de celle qui s’attache à la fornication, autant qu’une pensée intérieure diffère d’un acte extérieur. Et par conséquent la même différence se retrouve aussi dans le fait de consentir à ces deux délectations. Mais l’acte intérieur de pensée n’est pas un péché mortel, pas davantage le consentement qu’on y donne, ni non plus par conséquent celui qu’on donne à sa délectation.

4. L’acte extérieur de la fornication ou de l’adultère n’est pas un péché mortel en raison de la délectation, puisque celle-ci se trouve aussi bien dans l’acte du mariage, mais en raison du désordre de l’acte même. Or celui qui consent à la délectation ne consent pas pour autant au désordre de l’acte. Il semble donc qu’il ne pèche pas mortellement.

5. Le péché d’homicide est plus grave que celui de fornication simple. Or, le fait de consentir à la délectation qui s’attache à la pensée de l’homicide, n’est pas un péché mortel. Donc beaucoup moins encore le fait de consentir à la délectation qui s’attache à la pensée de la fornication.

6. S. Augustin dit que l’oraison dominicale se récite chaque jour pour la rémission des péchés véniels. Or il enseigne que le consentement à la délectation est une faute que doit effacer l’oraison dominicale. Il affirme en effet : “ Il est beaucoup moins grave de se délecter ainsi dans la pensée du péché que d’être décidé à l’accomplir en réalité, et c’est pour ces sortes de mauvaises pensées qu’il faut demander pardon, se frapper la poitrine, et dire : "Pardonnez-nous nos offenses. ” Donc ce consentement à la délectation est péché véniel.

En sens contraire, S. Augustin ajoute : “ L’homme sera damné tout entier si par la grâce du Médiateur il n’obtient pas la rémission de ces sortes de fautes qui, parce qu’on n’a pas la volonté de les commettre mais qu’on a cependant la volonté de s’y délecter en esprit, ne sont que des péchés de pensée. ” Mais l’on n’est damné que pour le péché mortel. Le consentement à la délectation est donc péché mortel.

Réponse :

Sur ce point les avis sont partagés. Les uns ont dit : ce consentement n’est que véniel. Les autres ont dit : il est mortel. L’opinion de ces derniers est plus commune et plus vraisemblable.

Il faut en effet considérer que toute délectation, selon la doctrine des Éthiques, découle d’une opération. Et puisque toute délectation a un objet, on peut toujours mettre une délectation en relation avec deux choses : l’opération qu’elle accompagne, et l’objet qui lui plaît. Or, on peut lui donner pour objet une opération tout comme on lui donnerait autre chose, car il est possible de trouver dans l’opération elle-même un bien et une fin où l’on se délecte et où l’on se repose. Et parfois même, c’est la propre opération à laquelle se rattache la délectation qui devient l’objet de celle-ci, dans la mesure où l’appétit auquel il appartient de se délecter fait retour sur l’opération elle-même, ainsi que sur une bonne chose ; c’est le cas de celui qui pense et qui se délecte à penser parce que sa pensée lui plaît. Parfois au contraire, la délectation attachée à une opération, à une pensée par exemple, a pour objet une autre opération qui est comme la réalité à laquelle on pense ; alors une telle délectation provient de ce qu’on a de l’inclination non pas précisément pour la pensée, mais pour l’opération vers laquelle se porte la pensée.

Ainsi donc, celui qui pense à la fornication peut se délecter de deux choses : sa propre pensée, ou l’acte auquel il pense. La délectation que lui donne cette pensée fait suite à son inclination affective pour cette pensée. Or la pensée n’est pas en soi un péché mortel. Elle peut être un péché simplement véniel, par exemple quand on retient inutilement une pensée comme celle qu’on vient de dire. Mais elle peut aussi être tout à fait exempte de péché, quand il est utile de la garder, par exemple lorsqu’on veut prêcher ou discuter là-dessus. Voilà pourquoi l’inclination et la délectation que l’on éprouve ainsi pour une pensée de fornication ne sont pas matière à péché mortel ; c’est parfois péché véniel, et parfois ce n’est pas péché du tout. Le consentement à cette délectation n’est donc pas non plus péché mortel, et à cet égard la première opinion est dans le vrai.

Mais si celui qui pense à la fornication se délecte dans l’acte même auquel il pense, cela vient de ce que son cœur incline déjà à cet acte, et partant le fait de consentir à cette sorte de délectation n’est pas autre chose que de consentir à aimer la fornication, car on ne se délecte que dans ce qui est conforme à son désir. Or choisir délibérément d’aimer ce qui est matière à péché mortel, c’est péché mortel. Aussi ce consentement à une délectation qui a pour objet un péché mortel, est lui-même péché mortel, comme le veut la seconde opinion.

Solutions :

1. Le consentement à la délectation est le fait non seulement de la raison inférieure, mais aussi de la raison supérieure, nous venons de le dire. Et pourtant la raison inférieure elle-même peut être détournée des raisons éternelles. Car, si elle n’a pas à s’occuper de gouverner d’après elles, ce qui est le propre de la raison supérieure, elle veut cependant être gouvernée selon elles, ce qui fait qu’en se détournant d’elles, elle peut pécher mortellement. Car il n’est pas jusqu’aux actes des facultés inférieures et même des membres, qui ne puissent être des péchés mortels lorsqu’ils ne sont pas soumis aux ordres de la raison supérieure les réglant selon les raisons éternelles.

2. Consentir à un péché qui est véniel par nature, c’est un péché véniel. Et ainsi l’on peut conclure que le consentement donné à la délectation qui n’a pour objet que la vaine pensée de la fornication, est péché véniel. Mais la délectation, qui a pour objet l’acte même de la fornication, est péché mortel par nature. S’il arrive qu’il y ait avant le consentement un péché véniel seulement, c’est par accident, uniquement à cause de l’inachèvement de l’acte. Cet inachèvement disparaît dès que survient le consentement délibéré. Aussi, de ce fait, le péché est amené à sa nature de péché mortel.

3. Cet argument vaut pour la délectation qui a la pensée pour objet.

4. La délectation qui a pour objet l’acte extérieur ne peut exister sans complaisance pour et acte tel qu’il est en soi, même si l’on n’est pas décidé à l’accomplir, à cause d’une interdiction supérieure. Aussi l’acte devient-il désordonné, et par conséquent la délectation sera désordonnée.

5. Le consentement donné à la délectation qui provient d’une complaisance dans la pensée d’un projet homicide est péché mortel. Ce qui n’en est pas un, c’est le consentement donné à la délectation qui provient d’une complaisance dans des pensées sur la question de l’homicide.

6. L’oraison dominicale est à réciter non seulement contre les péchés véniels mais aussi contre les péchés mortels.

 

            Article 9 — La raison supérieure peut-elle être le siège du péché véniel ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas place pour le péché véniel dans la raison supérieure en tant que celle-ci dirige les facultés inférieures, c’est-à-dire en tant qu’elle consent à l’acte du péché.

En effet, S. Augustin dit que la raison supérieure “ s’attache aux raisons éternelles ”. Mais on pèche mortellement par aversion des raisons éternelles. Il semble donc qu’il ne puisse y avoir dans la raison supérieure d’autre péché que le péché mortel.

2. La raison supérieure est dans la vie spirituelle comme un principe, ainsi que le cœur dans la vie corporelle. Or les maladies du cœur sont mortelles. Donc les péchés de la raison supérieure sont mortels.

3. Le péché véniel devient mortel s’il est fait par mépris. Mais pécher de propos délibéré, même véniellement, ne paraît pas exempt de mépris. Donc, puisque le consentement de la raison supérieure s’accompagne toujours de délibération sur la loi divine, il semble qu’elle ne peut pécher que mortellement, par mépris de la loi divine.

En sens contraire, le consentement à l’acte du péché appartient, nous l’avons dit, à la raison supérieure. Or le consentement à l’acte de péché véniel est lui-même péché véniel. Il peut donc y avoir péché véniel dans la raison supérieure.

Réponse :

Comme dit S. Augustin, la raison supérieure s’attache à pénétrer et à consulter les raisons éternelles. A les pénétrer en regardant leur vérité, à les consulter en jugeant et en réglant tout le reste à la lumière de ces raisons éternelles. Et c’est en délibérant à cette lumière que la raison supérieure consent à un acte ou s’y oppose. Or il arrive que le désordre de l’acte auquel on consent, parce qu’il ne marque aucun éloignement de la fin ultime, ne soit pas contraire aux raisons éternelles comme l’est un acte de péché mortel ; il est seulement en dehors d’elles, comme l’acte du péché véniel. Par conséquent, lorsque la raison supérieure consent à un acte de péché véniel, elle ne se détourne pas des raisons éternelles. Aussi ne pèche-t-elle pas mortellement mais véniellement.

Solutions :

1. Cela donne réponse à la première objection.

2. Il y a deux sortes de maladies du cœur. L’une atteint l’organe dans sa substance même et en modifie la constitution naturelle : cette maladie est toujours mortelle. L’autre sorte de maladie provient d’un désordre dans le mouvement du cœur ou dans la région du cœur, et cela n’est pas toujours mortel. Il en est de même dans la raison supérieure : il y a toujours péché mortel quand disparaît totalement son ordination à son propre objet par les raisons éternelles. Mais quand le désordre est extérieur, le péché n’est pas mortel, il est véniel.

3. Le consentement délibéré au péché ne montre pas toujours du mépris pour la loi divine mais seulement quand le péché est contraire à celle-ci.

 

            Article 10 — Peut-il y avoir péché véniel dans la raison supérieure, quand il s’agit de son acte (objet) propre ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’il y ait place pour le péché véniel dans la raison supérieure lorsqu’il s’agit d’elle-même, c’est-à-dire lorsqu’elle pénètre les raisons éternelles. En effet, l’acte d’une puissance n’est en défaut que parce qu’il est déréglé par rapport à son objet. Or, la raison supérieure a pour objet les raisons étemelles à l’égard desquelles on ne peut être déréglé sans péché mortel. Donc la raison supérieure ne peut avoir par elle-même de péché véniel.

2. Puisque la raison est la faculté délibérante, son acte s’accompagne toujours de délibération. Mais en ce qui concerne Dieu, tout mouvement désordonné, s’il s’accompagne de délibération, est péché mortel. Donc, dans la raison supérieure considérée en elle-même, il n’y a jamais de péché véniel.

3. Un péché de surprise peut parfois être véniel. Mais un péché délibéré est mortel, du fait que la raison qui délibère recourt à quelque bien supérieur, et que celui qui agit contre ce bien pèche plus gravement ; ainsi, lorsqu’en délibérant sur un acte agréable qui est désordonné, la raison comprend qu’il est contraire à la loi de Dieu, son consentement est plus grave que si elle considérait seulement cet acte comme contraire à la vertu morale. Mais la raison supérieure ne peut avoir recours à quelque chose qui soit plus élevé que son objet. Donc, si le mouvement imprévu n’est pas péché mortel, la délibération survenant ne pourra faire qu’il le soit : ce qui est évidemment faux. Donc, dans la raison supérieure prise en elle-même, il ne peut y avoir de péché véniel.

En sens contraire, un mouvement imprévu d’infidélité est péché véniel. Mais il appartient à la raison supérieure selon ce qu’elle a de propre. Donc il y a place en elle, selon ce qu’elle a de propre, pour le péché véniel.

Réponse :

La raison supérieure se porte différemment vers son objet, et vers les objets des facultés qu’elle a sous sa direction. En effet, elle ne se porte vers les objets des autres facultés que pour consulter à leur sujet les raisons éternelles, ce qui ne peut se faire que par manière de délibération. Or un consentement délibéré en matière de péché mortel est lui-même péché mortel. C’est pourquoi la raison supérieure pèche toujours mortellement si les actes des facultés inférieures auxquels elle consent sont des péchés mortels.

Mais à l’égard de son objet propre elle a deux actes : la simple intuition, et la délibération lorsqu’elle en vient à consulter même sur son objet propre les raisons éternelles. Or, dans la simple intuition elle peut éprouver par rapport aux choses divines un mouvement désordonné, un soudain mouvement d’infidélité par exemple. Alors, bien que l’infidélité soit mortelle de sa nature, ce brusque mouvement n’est cependant que véniel. Puisqu’un péché mortel n’existe que s’il est contraire à la loi de Dieu, un point de foi peut se présenter brusquement à l’esprit sous un tout autre aspect, avant que l’on consulte ou que l’on puisse même consulter à son sujet la raison éternelle, c’est-à-dire la loi de Dieu. Tel est le cas de celui qui voit soudain la résurrection des morts comme impossible à la nature et qui, à cette pensée, se relâche, avant d’avoir le temps de se rappeler que cela nous a été donné à croire, selon la loi divine. Mais si après une pareille délibération, le mouvement d’infidélité persiste, il y a un péché mortel.

C’est pourquoi, à l’égard de son objet propre, et même lorsqu’il y a matière à péché mortel, la raison supérieure peut pécher véniellement par des mouvements imprévus, ou bien mortellement s’il y a consentement délibéré. Mais dans le gouvernement des facultés inférieures, elle pèche toujours mortellement lorsqu’il y a matière à péché mortel, non lorsqu’il y a matière à péché véniel.

Solutions :

1. Le péché contraire aux raisons éternelles, bien que mortel de sa nature, peut cependant être véniel à cause de l’imperfection de l’acte soudain.

2. Dans l’action, la raison à laquelle appartient la délibération doit avoir aussi l’intuition simple des principes d’où procède la délibération ; de même, dans la spéculation, c’est à la raison de faire les syllogismes et aussi de formuler les propositions. C’est pourquoi la raison aussi peut avoir un mouvement soudain.

3. Une seule et même réalité peut offrir plusieurs aspects, dont l’un est plus élevé que l’autre. Ainsi, l’existence de Dieu peut être considérée soit comme une réalité connaissable à la raison humaine, soit comme un objet de la révélation divine, ce qui est un aspect plus élevé. C’est pourquoi, bien que l’objet de la raison supérieure soit ce qu’il y a de plus élevé au plan de la nature, il peut donner lieu à une considération plus élevée. Et pour cette raison, ce qui n’est pas péché mortel, à cause de la soudaineté du mouvement, devient péché mortel, comme nous venons de l’exposer, parce que la délibération l’a fait passer sur un plan plus élevé.

Nous devons étudier à présent les causes du péché, d’abord en général (Q. 75), puis en particulier (Q. 76-84).

 

QUESTION 75 — LES CAUSES DU PÉCHÉ CONSIDÉRÉES EN GÉNÉRAL

1. Le péché a-t-il une cause ? - 2. A-t-il une cause intérieure ? - 3. A-t-il une cause extérieure ? - 4. Le péché est-il cause de péché ?

 

            Article 1 — Le péché a-t-il une cause ?

Objections :

1. Il ne paraît pas qu’il en ait une, car le péché, avons-nous dit, a raison de mal, et Denys nous assure que le mal n’a pas de cause.

2. Une cause est ce qui est nécessairement suivi d’effet. Mais ce qui arrive nécessairement n’est pas péché, semble-t-il, puisque tout péché est volontaire. Le péché n’a donc pas de cause.

3. S’il en a une, ou c’est le bien ou c’est le mal. Ce n’est pas le bien, car le bien ne produit que le bien, et “ un bon arbre ne peut pas donner de mauvais fruits ” (Mt 7,18). Mais ce n’est pas le mal non plus, car le mal de peine est une suite du péché, et le mal de coulpe est la même chose que le péché. Donc le péché n’a pas de cause.

En sens contraire, tout ce qui se produit a une cause : “ Rien sur la terre n’arrive sans cause ”, est-il écrit au livre de Job (5,6 Vg). Or le péché se produit : c’est “ tout ce qui est dit ou fait ou convoité contre la loi de Dieu ”. Donc le péché a une cause.

Réponse :

Le péché est un acte désordonné. Donc, du côté de l’acte il peut avoir par soi une cause, comme tout autre acte ; mais comme désordre il a une cause à la façon dont une négation ou privation peut avoir une cause. Or une négation peut s’expliquer de deux façons. 1° La négation d’une cause est cause de négation par elle-même ; en effet l’absence de cause explique l’absence d’effet : ainsi la cause de l’obscurité est l’absence de soleil. 2° La cause de l’affirmation suivie d’une négation est par accident cause de la négation qui s’ensuit ; ainsi le feu, en causant de la chaleur, ce qui est son effet fondamental, cause par suite l’absence de froid.

De ces deux explications la première peut suffire s’il s’agit d’une simple négation. Mais le désordre du péché, comme d’ailleurs n’importe quel mal, n’est pas une simple négation, c’est la privation de ce qu’un être doit naturellement avoir. Il est donc nécessaire qu’un tel désordre s’explique de la deuxième manière, c’est-à-dire ait une cause agissant par accident ; car ce qui doit naturellement être présent ne serait jamais absent s’il n’y avait une cause l’empêchant d’exister. Aussi est-ce d’après cela qu’on a coutume de dire que le mal, puisqu’il consiste dans une véritable privation, a une cause, cause défaillante, ou cause agissant par accident.

Mais toute cause accidentelle se ramène à une cause essentielle. Donc, puisque le péché en tant que désordre a une cause agissant par accident, il a en tant qu’acte une cause essentielle ; il s’ensuit que le désordre du péché est consécutif à la cause même de l’acte. Ainsi donc, c’est la volonté qui, n’étant plus dirigée par la règle de la raison ni par celle de la loi divine, et recherchant un bien périssable, cause l’acte du péché directement et par soi ; mais elle cause aussi le désordre de l’acte par accident et en dehors de toute intention ; en effet, le manque d’ordre dans l’acte provient du manque de direction dans la volonté.

Solutions :

1. Le péché ne signifie pas seulement cette privation de bien qu’est le manque d’ordre, mais il signifie l’acte affecté de cette privation, laquelle a raison de mal. Comment cela a une cause, nous venons de le dire.

2. Si l’on veut que cette définition de la cause soit vraie dans tous les cas, il faut l’entendre de la cause suffisante et non empêchée. Car il y a des cas où une chose est la cause suffisante d’une autre, et cependant l’effet ne suit pas nécessairement, à cause d’un empêchement qui survient. Sans cela, il faudrait dire que tout advient nécessairement, dit Aristote. Ainsi donc, bien que le péché ait une cause, il ne s’ensuit pas que ce soit une cause nécessaire puisque l’effet peut être empêché.

3. Comme nous venons de le dire, la cause du péché c’est la volonté agissant indépendamment de la règle de raison ou de la loi divine. Or cette indépendance n’a pas par soi raison de mal, ni de peine ni de coulpe, avant qu’on ne passe à l’acte. Aussi, de cette façon, la cause du premier péché n’a pas pour cause un mal, mais un bien auquel manque un autre bien.

 

            Article 2 — Le péché a-t-il une cause intérieure ?

Objections :

1. Il semble que non, car ce que l’on a en soi, on l’a toujours. Donc si l’homme avait en lui-même une cause de péché il pécherait toujours, puisque, si vous posez la cause, vous posez l’effet.

2. Une même chose n’est pas à elle-même sa cause. Or des mouvements intérieurs de l’homme sont du péché. Ils n’en sont donc pas la cause.

3. Tout ce qui est intérieur à l’homme est ou naturel ou volontaire. Mais ce qui est naturel ne peut pas être une cause de péché, puisque le péché est contre nature, selon le Damascène. Quant à ce qui est volontaire, si c’est déréglé c’est déjà du péché. Rien d’intérieur par conséquent ne peut être cause de péché.

En sens contraire, S. Augustin affirme : “ La volonté est la cause du péché. ”

Réponse :

Comme nous venons de le dire, il faut trouver la cause essentielle du péché du côté de l’acte lui-même. Or l’acte humain peut avoir en nous une cause médiate et une cause immédiate. Sa cause immédiate est la raison et la volonté, par lesquelles nous avons le libre arbitre. Sa cause éloignée, ce sont les connaissances sensibles et aussi l’appétit sensible ; car de même que le jugement de la raison porte la volonté à quelque chose de raisonnable, de même les connaissances sensibles donnent une inclination à l’appétit sensible. Cette inclination elle-même, nous le verrons plus loin, entraîne parfois la volonté et la raison. Ainsi donc on peut assigner au péché une double cause intérieure : l’une prochaine, du côté de la raison et de la volonté ; l’autre éloignée, du côté de l’imagination ou de l’appétit sensible.

Mais nous avons dit que la cause du péché se compose du motif d’un bien apparent, avec l’absence du motif obligé, qui est la règle de la raison ou de la loi divine ; aussi, le bien apparent, motif de l’acte, ressortit à la connaissance et à l’appétit sensible. Mais l’absence de la règle obligée ressortit à la raison, puisque c’est la raison qui a pour fonction de considérer cette règle. Mais l’achèvement même de ce qu’il y a de volontaire dans l’acte du péché ressortit à la volonté, de sorte que l’acte même de cette puissance, dans les conditions que nous avons énoncées, est déjà un péché.

Solutions :

1. Ce qu’on a en soit comme faculté naturelle, on l’a toujours ; mais ce qu’on a en soi comme acte intérieur de connaissance ou d’appétit, on ne l’a pas toujours. Or c’est la faculté de la volonté qui est la cause potentielle du péché. Mais elle est amenée à l’acte par les mouvements précédents, d’abord ceux de la partie sensible, et conséquemment ceux de la raison. Car du fait qu’une réalité s’offre aux sens comme désirable et que l’appétit sensible se porte vers elle, la raison cesse parfois de considérer la règle obligée ; et c’est ainsi que la volonté produit l’acte du péché. Et puisque ces mouvements qui le précèdent ne sont pas toujours en acte, il faut conclure que le péché n’est pas non plus toujours en acte.

2. Les mouvements intérieurs de l’âme ne sont pas tous de la substance même du péché, qui consiste fondamentalement dans l’acte de volonté ; mais certains précèdent et d’autres suivent le péché lui-même.

3. Ce qui est cause du péché, la puissance qui en produit l’acte, est chose naturelle. Le mouvement même de la puissance sensible dont le péché est la suite est parfois naturel, comme quand on pèche parce qu’on a faim. Mais ce qui fait que le péché n’est pas naturel, c’est qu’il lui manque la règle naturelle à laquelle l’homme selon sa nature doit veiller.

 

            Article 3 — Le péché a-t-il une cause extérieure ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car le péché est un acte volontaire, et les choses volontaires sont de celles qui sont en nous et ainsi n’ont pas de causes extérieures.

2. Au même titre que la nature, la volonté est un principe intérieur. Or, dans les choses de la nature, le péché n’arrive jamais que par une cause intérieure ; l’enfantement d’un monstre par exemple provient de la destruction d’un principe intérieur. Donc, en morale non plus, le péché ne peut arriver que par une cause intérieure.

3. Multiplier la cause, c’est multiplier l’effet. Mais plus les provocations extérieures au péché sont nombreuses et considérables, moins le dérèglement des actes est imputable à péché. Donc rien d’extérieur ne peut être cause du péché.

En sens contraire, nous lisons dans les Nombres (31,16) : “ Ce sont ces femmes-là qui ont séduit les enfants d’Israël et vous ont fait renier le Seigneur, en plus du crime de Péor. ” Donc quelque chose d’extérieur peut être une cause qui fait pécher.

Réponse :

La cause intérieure du péché, on vient de le dire, c’est tout ensemble la volonté qui accomplit l’acte, la raison qui le laisse sans la règle obligée, et l’appétit sensible avec son penchant. Ainsi donc, une réalité extérieure pourrait être cause de péché de trois façons : soit qu’elle puisse mouvoir immédiatement la volonté elle-même, soit qu’elle puisse mouvoir la raison, ou encore l’appétit sensible. Mais la volonté, nous l’avons dit précédemment, Dieu seul peut la mouvoir intérieurement ; et Dieu, nous allons le montrer plus loin, ne peut pas être cause de péché. Par conséquent il reste qu’aucune réalité extérieure ne peut être cause de péché si ce n’est dans la mesure où elle peut mouvoir la raison, comme l’homme ou le démon qui pousse au péché ; ou bien mouvoir l’appétit sensible, comme font certains objets sensibles extérieurs à nous. Mais la persuasion venant du dehors ne peut pas, en matière d’action, mouvoir la raison de façon nécessaire ; l’attrait extérieur des choses ne peut pas non plus mouvoir l’appétit sensible de façon nécessaire, sauf peut-être quand cet appétit se trouve en de certaines dispositions ; et cependant, même alors, l’appétit sensible ne meut pas la raison ni la volonté. Par conséquent une réalité extérieure peut bien être une cause qui porte à pécher, sans pourtant suffire à y entraîner ; car la cause suffisante de l’accomplissement du péché, c’est uniquement la volonté.

Solutions :

1. Du fait même que les excitations extérieures n’induisent pas d’une manière suffisante et nécessitante à pécher, il s’ensuit que pécher et ne pas pécher demeure en notre pouvoir.

2. Attribuer au péché une cause intérieure n’exclut pas une cause extérieure ; car ce qui est à l’extérieur n’est cause de péché que par l’intermédiaire de la cause intérieure, on vient de le dire.

3. Multiplier les causes extérieures qui inclinent au péché, c’est multiplier les actes de péché, puisqu’elles inclinent le plus souvent à de tels actes. Mais la culpabilité en est diminuée car elle consiste en ce que la faute soit volontaire et vienne vraiment de nous.

 

            Article 4 — Le péché est-il cause de péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car il y a quatre genres de causes, dont aucun ne peut expliquer que le péché soit cause du péché. En effet, la fin a raison de bien ; cela ne convient pas au péché qui par définition est un mal. Pour la même raison il ne peut être cause efficiente, car “ le mal n’est pas une cause agissante mais quelque chose d’infirme et d’impuissant ”, selon Denys. Quant à la cause matérielle et à la cause formelle, elles n’existent que dans les composés naturels de matière et de forme. Donc le péché ne peut avoir de cause matérielle et formelle.

2. “ Produire un être semblable à soi ” appartient à une réalité parfaite, dit Aristote. Mais le péché par définition est imparfait. Donc le péché ne peut être cause de péché.

3. Si la cause de tel péché est un autre péché, pour la même raison la cause de celui-ci sera encore un autre péché, et ainsi à l’infini, ce qui n’est pas possible. Donc le péché ne peut être cause de péché.

En sens contraire, S. Grégoire affirme “ Le péché qui n’est pas promptement effacé par la pénitence est péché et cause de péché. ”

Réponse :

Puisque c’est comme acte que le péché a une cause, un seul péché pourrait être cause d’un autre à la manière dont un seul acte humain peut être cause d’un autre acte. C’est ce qui arrive selon les quatre genres de cause. -. 1° Selon le mode de la cause efficiente ou motrice, le péché cause le péché par soi et aussi par accident. Il est cause accidentelle comme l’est celle qui supprime un empêchement. En effet, quand, par un seul acte de péché, on perd la grâce, la charité, la pudeur, ou tout ce qui éloigne du péché, on tombe dans un autre péché ; et ainsi le premier est cause du second par accident. Le péché est cause par soi lorsque, par un seul acte de péché, on se dispose à commettre facilement un autre acte semblable ; en effet les actes causent des dispositions et des habitus inclinant à des actes semblables. - 2° Dans le genre de la cause matérielle, un péché est cause d’un autre en tant qu’il prépare à celui-ci sa matière ; ainsi la cupidité prépare une matière à la dispute, qui vient le plus souvent du désir de s’enrichir. - 3° Selon le genre de la cause finale, un péché est cause d’un autre lorsque, pour atteindre la fin d’un péché, on en commet un autre : par exemple la simonie pour satisfaire son ambition, ou la fornication pour voler. - 4° Et puisqu’en morale c’est la fin qui donne la forme, il suit de là qu’un péché peut être également cause formelle d’un autre : ainsi, dans cet acte de fornication commis en vue d’un vol, la fornication est en quelque sorte l’élément matériel, le vol l’élément formel.

Solutions :

1. Comme désordre, le péché a raison de mal ; mais comme acte, il a pour fin un bien au moins apparent. Ainsi peut-il être, en tant qu’acte, cause à la fois finale et efficiente d’un autre péché, bien qu’il ne le puisse pas en tant que désordre. Par ailleurs, le péché a une matière non pas d’où on le tire, mais sur laquelle il porte, et une forme qui lui vient de sa fin. Et c’est pourquoi, selon les quatre causes, il peut être dit lui-même cause de péché.

2. L’imperfection du péché est une imperfection morale qui tient à son aspect de désordre. Mais comme acte, le péché peut avoir une perfection de nature, et c’est par là qu’il peut être cause.

3. La cause du péché n’est pas toujours un péché. Aussi n’y a-t-il pas lieu de remonter à l’infini, d’un péché à un autre ; on peut au contraire parvenir à un premier péché dont la cause n’est pas un autre péché.

Nous passons maintenant à l’étude détaillée des causes du péché 1° des causes intérieures (Q. 76-78) ; 2° des causes extérieures (Q. 79-83) ; 3° des péchés qui sont causes d’autres péchés (Q. 84).

L’étude des causes intérieures comprendra trois parties conformément aux prémisses posées, car il sera question : 1° de l’ignorance qui est cause du péché du fait de la raison (Q. 76) ; 2° de la faiblesse ou passion, qui est cause du péché du fait de l’appétit sensible (Q. 77) ; 3° de la malice qui est cause du péché du fait de la volonté (Q. 78).

 

QUESTION 76 — LE PÉCHÉ D’IGNORANCE

1. L’ignorance est-elle cause de péché ? - 2. Est-elle un péché ? - 3. Excuse-t-elle complètement du péché ? - 4. Diminue-t-elle le péché ?

 

            Article 1 — L’ignorance est-elle cause de péché ?

Objections :

1. Cela ne paraît pas possible, car ce qui n’est pas n’est cause de rien. Or l’ignorance est un non-être, puisque c’est une privation de science. Donc elle n’est pas cause de péché.

2. Les causes du péché doivent être tirées de la conversion qu’il comporte, on l’a déjà dit. Mais l’ignorance paraît regarder l’aversion. On ne doit donc pas la ranger parmi les causes du péché.

3. Tout péché, avons-nous dit , se tient dans la volonté. Or la volonté ne se porte qu’à une chose connue : le bien perçu est son objet. Donc l’ignorance ne peut être cause de péché.

En sens contraire, S. Augustin dit que certains pèchent par ignorance.

Réponse :

Il y a, d’après le Philosophe, deux sortes de causes motrices : l’une est essentielle, l’autre accidentelle. La cause essentielle est celle qui meut par sa vertu propre, comme le principe générateur des éléments est la cause de leurs mouvements vers le bas ou vers le haut. La cause par accident est celle qui éloigne l’obstacle ou qui est elle-même l’éloignement de l’obstacle. C’est de cette manière que l’ignorance peut être cause de l’acte de péché ; elle est en effet une privation de la science qui perfectionne la raison, laquelle empêche le péché en tant qu’elle dirige les actes humains.

Mais il faut remarquer que la raison dirige les actes humains selon une double science : la science de l’universel, et la science du particulier. En effet, celui qui raisonne sur ce qu’il faut faire emploie un syllogisme dont la conclusion est un jugement, c’est-à-dire un choix et finalement une action ; or une action est toujours un cas singulier. Aussi la conclusion du syllogisme pratique est-elle une proposition singulière. Mais on ne peut conclure de l’universel au singulier que par l’intermédiaire d’une proposition singulière. Ainsi, un homme s’interdit le parricide parce qu’il sait qu’on ne doit pas tuer son père, et parce qu’il sait que cet homme est son père. L’ignorance de l’une de ces deux propositions peut donc devenir une cause de parricide, c’est-à-dire l’ignorance du principe général, qui est une règle de la raison, et l’ignorance de la circonstance singulière.

Aussi voit-on clairement que ce n’est pas n’importe quelle ignorance dans l’esprit du pécheur qui est cause de péché, mais celle-là seulement qui supprime chez lui une science prohibant l’acte du péché. De la sorte, si un homme avait sa volonté disposée de façon à ne pas s’interdire le parricide, même au cas où il reconnaîtrait son père, la méconnaissance de son père ne serait pas la cause du péché, mais accompagnerait le péché. Un tel homme, dit Aristote “ ne pèche pas parce qu’il ignore, mais pèche tout en ignorant ”.

Solutions :

1. Le non-être ne peut pas être la cause essentielle de quelque chose, mais peut en être la cause accidentelle, comme la suppression d’un facteur prohibant.

2. De même que le savoir, que l’ignorance supprime, intéresse le péché dans ce qui regarde la conversion, de même aussi l’ignorance, en ce qui regarde l’aversion, est cause de péché comme supprimant l’obstacle.

3. Si une chose est ignorée de tous points, la volonté ne peut nullement s’y porter. Mais si une chose est connue en partie et en partie ignorée, la volonté peut la vouloir. Et c’est ainsi qu’une ignorance est cause de péché ; par exemple on sait qu’on tue quelqu’un mais on ne sait pas qu’on tue son père ; ou bien on sait qu’un acte est délectable, cependant on ignore que c’est un péché.

 

            Article 2 — L’ignorance est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. Car le péché, nous l’avons vu, est “ une parole, un acte ou un désir contraire à la loi de Dieu ”. Or l’ignorance n’implique aucun acte, ni intérieur ni extérieur. Donc elle n’est pas un péché.

2. Le péché est plus directement opposé à la grâce qu’à la science. Or la privation de la grâce n’est pas un péché, c’est plutôt une peine consécutive au péché. Donc l’ignorance, qui est la privation de la science, n’est pas un péché.

3. Si l’ignorance est un péché, c’est seulement en tant qu’elle est volontaire. Mais alors il semble que le péché soit plutôt dans l’acte de volonté que dans l’ignorance. Donc celle-ci ne sera pas un péché mais plutôt une suite du péché.

4. Tout péché est enlevé par la pénitence, et aucun péché dont la culpabilité est passée n’a une activité qui demeure, sinon uniquement le péché originel. Or l’ignorance n’est pas enlevée par la pénitence, mais elle demeure active après que la pénitence a fait disparaître toute culpabilité. L’ignorance n’est donc pas un péché, à moins que ce ne soit peut-être le péché originel.

5. Si l’ignorance était un péché, aussi longtemps qu’elle resterait dans l’homme, il pécherait en acte. Mais c’est continûment que l’ignorance est chez l’ignorant. Celui-ci serait donc continûment dans le péché. Ce qui est évidemment faux, car l’ignorance serait ainsi ce qu’il y a de plus grave. Donc elle n’est pas un péché.

En sens contraire, il n’y a que le péché qui mérite une peine. Mais l’ignorance mérite une peine selon l’Apôtre (1 Co 14,38) : “ Celui qui ignore sera ignoré (de Dieu). ” Donc l’ignorance est un péché.

Réponse :

L’ignorance n’est pas simplement l’absence de science, qui est une simple négation. Chaque fois qu’il y a des choses qu’un esprit ne sait pas, on peut dire qu’il y a chez lui absence de science ; Denys affirme que cela existe chez les anges. L’ignorance au contraire implique une privation de science, qui a lieu lorsqu’on ne sait pas des choses qu’on est naturellement apte à savoir. - Or, parmi ces choses, il y en a qu’on est tenu de savoir, celles sans la connaissance desquelles on ne peut faire correctement son devoir. Ainsi tout le monde est tenu de savoir en général les vérités de la foi et les préceptes universels du droit, et chacun en particulier est tenu de savoir ce qui regarde son état ou sa fonction. Au contraire, il y a des choses qu’on n’est pas tenu de savoir, bien qu’il soit tout naturel qu’on les sache, comme les théorèmes de la géométrie et, sauf en certains cas, les événements contingents.

Évidemment, quiconque néglige d’avoir ou de faire ce qu’il est tenu d’avoir ou de faire, pèche par omission. Aussi, à cause d’une négligence de cette sorte, l’ignorance des choses qu’on est tenu de savoir est un péché. Mais on ne peut imputer à négligence de ne pas savoir ce qu’on ne peut pas savoir. Dans ce cas, l’ignorance est dite invincible parce qu’aucune étude ne peut la vaincre. Et comme une telle ignorance n’est pas volontaire, puisqu’il n’est pas en notre pouvoir de la chasser, elle n’est pas un péché. Il est clair par là que l’ignorance invincible n’est jamais un péché, mais l’ignorance qu’on peut vaincre en est un, si elle porte sur ce qu’on est tenu de savoir, non si elle porte sur ce qu’on n’est pas tenu de savoir.

Solutions :

1. Nous avons fait observer qu’en définissant le péché comme une parole, un acte ou un désir il fallait l’entendre également de toutes les négations opposées, selon quoi l’omission a raison de péché. C’est comme négligence que l’ignorance est un péché, et à ce titre elle rentre dans la définition en tant qu’on omet de dire, de faire ou de désirer ce qu’il faudrait pour acquérir la science qu’on devrait avoir.

2. Bien que la privation de grâce ne soit pas en soi un péché, cependant, parce qu’on a négligé de se préparer à la grâce, cette privation peut se présenter comme un péché, au même titre que l’ignorance. Et pourtant le cas n’est pas le même : l’homme peut acquérir de la science par ses propres actes, tandis que la grâce ne s’acquiert pas par nos actes, elle est un don de Dieu.

3. De même que pour le péché de transgression, la faute n’est pas seulement dans l’acte de la volonté, mais aussi dans l’acte voulu, c’est-à-dire commandé par la volonté, de même pour le péché d’omission, ce n’est pas seulement l’acte de la volonté qui est une faute, c’est aussi l’omission elle-même en tant qu’elle est de quelque façon volontaire. De cette façon il y a péché dans la négligence à savoir, ou encore dans l’inattention à ce qu’on sait.

4. Il est vrai que, malgré l’effacement de la culpabilité par le moyen de la pénitence, l’ignorance demeure en tant que privation de science : cependant, il ne demeure plus cette négligence qui fait que l’ignorance est appelée un péché.

5. Il en est des péchés d’ignorance comme des autres péchés d’omission : l’homme ne pèche effectivement qu’au moment où un précepte positif oblige. En effet, l’ignorant ne pèche pas continûment d’une façon actuelle, mais seulement lorsque c’est le moment pour lui d’acquérir la science qu’il est tenu d’avoir.

 

            Article 3 — L’ignorance excuse-t-elle complètement du péché ?

Objections :

1. Il le semble, car S. Augustin affirme : “ Tout péché est volontaire. ” Mais l’ignorance rend l’acte involontaire, nous venons de le voir. Donc l’ignorance excuse totalement le péché.

2. Ce qu’on fait sans en avoir l’intention, on le fait par accident. Mais on ne peut avoir l’intention de faire ce qu’on ignore. Donc tout ce que l’homme fait par ignorance est accidentel aux actes humains. Et ce qui existe par accident n’est pas spécifique. Donc, rien de ce qui est fait par ignorance ne doit être jugé vertueux ou vicieux dans les actes humains.

3. L’homme est sujet à la vertu comme au vice, en tant qu’il participe de la raison. Or l’ignorance exclut la science, qui perfectionne la raison. Elle excuse donc totalement du péché.

En sens contraire, S. Augustin dit : “ On a raison de désapprouver certaines choses faites par ignorance. ” Mais on ne désapprouve que les péchés. Donc certains actes accomplis par ignorance sont des péchés. Donc l’ignorance n’excuse pas totalement du péché.

Réponse :

L’ignorance a par elle-même pour effet de rendre involontaire l’acte qu’elle cause. Mais l’acte qu’elle cause, nous l’avons déjà dit, c’est celui que prohibait la science en s’y opposant. Et ainsi, éclairé par cette science, l’acte serait contraire à la volonté, ce qu’implique le mot “ involontaire ”. Au contraire, si cette science, empêchée par l’ignorance, n’interdisait pas l’acte, à cause du penchant que la volonté a pour lui, cette ignorance ne fait pas qu’on est l’auteur involontaire de l’acte, mais simplement l’auteur sans le vouloir, comme dit le Philosophe. Et une telle ignorance, n’étant pas cause de l’acte de péché, nous l’avons dit, puisqu’elle ne le rend pas involontaire, n’excuse pas du péché. La même raison s’applique à toute ignorance qui n’est pas vraiment cause, mais qui est consécutive ou concomitante. Mais l’ignorance qui est cause de l’acte a par elle-même, parce qu’elle le rend involontaire, de quoi excuser du péché, puisqu’il est essentiel au péché d’être volontaire.

Il peut arriver néanmoins de deux côtés que l’ignorance n’excuse pas complètement.

1° Du côté de la chose ignorée. L’ignorance excuse en effet le péché que dans la mesure où on ignore qu’il y a péché. Or il peut arriver ceci : on ignore une circonstance du péché ; si on la connaissait on s’écarterait du péché, que cette constance contribue ou non à la raison de péché ; et cependant on sait encore assez de choses pour comprendre que ce qu’on fait est un péché. Par exemple, lorsqu’un homme en frappe un autre, cela suffit à la raison de péché ; et cependant il ignore que cet homme est son père, ce qui est une circonstance qui change l’espèce du péché ; ou peut-être ignore-t-il que la victime en se défendant va rendre les coups ; cela n’ajoute rien à la faute mais, s’il le savait, il ne frapperait pas. Dans ces cas-là par conséquent, bien que l’individu pèche réellement par ignorance, il n’est pas complètement excusé puisqu’il lui reste encore la connaissance du péché.

2° Du côté de l’ignorance elle-même, la même chose peut arriver, parce que l’ignorance est voulue, soit directement, comme lorsqu’on tient volontairement à ne pas savoir certaines choses pour pécher plus librement ; soit indirectement, comme lorsqu’on néglige à cause de son travail ou de ses autres occupations d’apprendre ce qui retiendrait de pécher. Une telle négligence en effet rend l’ignorance elle-même volontaire et en fait un péché, du moment qu’elle porte sur ce qu’on est tenu de savoir, et qu’on peut savoir. C’est pourquoi une telle ignorance n’excuse pas complètement du péché. S’il s’agit au contraire d’une ignorance tout à fait involontaire, soit parce qu’elle est invincible, soit parce qu’elle porte sur un point qu’on n’est pas tenu de savoir, elle excuse tout à fait du péché.

Solutions :

1. Comme nous l’avons rappelé, ce n’est pas toute ignorance qui rend l’acte involontaire, aussi n’est-ce pas toute ignorance qui excuse totalement du péché.

2. Dans la mesure où il demeure du volontaire chez l’ignorant, il demeure dans son péché quelque chose d’intentionnel, et par là ce péché ne sera pas commis par accident.

3. Si l’ignorance était telle qu’elle vînt exclure totalement l’usage de la raison, elle excuserait tout à fait la faute, comme on le voit chez les idiots et chez les fous. Mais l’ignorance cause de péché n’est pas toujours telle : Et c’est pourquoi elle n’excuse pas toujours complètement.

 

            Article 4 — L’ignorance diminue-t-elle le péché ?

Objections :

Il semble que non, car ce qui est commun à tout péché ne diminue pas le péché. Or l’ignorance est commune à tout péché, puisque le Philosophe assure que “ tout méchant est un ignorant ”. Donc l’ignorance ne diminue pas le péché.

2. Un péché ajouté à un péché fait un plus grand péché. Or l’ignorance elle-même est un péché, nous venons de le dire. Donc elle ne diminue pas le péché.

3. Cela même qui aggrave le péché ne peut pas le diminuer. Mais l’ignorance aggrave le péché car, sur le texte de l’Apôtre (Rm 2,4) : “ Ignores-tu que la bonté de Dieu... ” S. Ambroise affirme : “ Tu pèches d’une manière extrêmement grave, si tu ignores. ”

4. S’il y a une ignorance qui diminue le péché, il semble que ce soit surtout celle qui supprime totalement l’usage de la raison. Et pourtant cette sorte d’ignorance ne diminue pas la faute mais l’augmente, car le Philosophe affirme : “ Celui qui est ivre mérite double châtiment. ”

En sens contraire, tout ce qui est un motif de remettre le péché allège celui-ci. Ainsi en est-il de l’ignorance, au témoignage de l’Apôtre (1 Tm 1,13) - “ J’ai obtenu Miséricorde parce que j’ignorais ce que je faisais. ” Donc l’ignorance diminue ou allège le péché.

Réponse :

Puisque tout péché est volontaire, l’ignorance peut ie diminuer dans la mesure où elle en diminue le caractère volontaire ; sans cela, elle ne le diminue pas du tout. Évidemment, l’ignorance qui excuse complètement du péché parce qu’elle lui ôte tout caractère volontaire, ne diminue pas le péché mais le supprime totalement. Quant à celle qui n’est pas la cause mais l’accompagnement du péché, elle ne le diminue ni ne l’augmente. La seule ignorance q.ui peut le diminuer est celle qui le cause, et cependant n’en excuse pas entièrement.

Or il arrive parfois qu’une telle ignorance est voulue directement et par soi comme lorsqu’on ignore quelque chose de son plein gré, pour pécher plus librement. Pareille ignorance accroît, semblet-il, le volontaire et le péché ; car l’intention volontaire de pécher fait que l’on veut subir l’inconvénient de l’ignorance pour avoir la liberté de pécher. - Parfois l’ignorance cause du péché n’est pas directement volontaire, mais indirectement et par accident ; par exemple chez celui qui est ignorant pour n’avoir pas voulu travailler durant ses études, ou celui qui veut boire trop de vin, ce qui entraîne l’ivresse et l’inconscience. Cette ignorance diminue le volontaire et par conséquent le péché. En effet, lorsqu’un acte n’est pas reconnu comme péché, on ne peut pas dire que la volonté se porte directement et d’elle-même vers le péché : elle s’y porte par accident ; aussi y a-t-il un moindre mépris et par suite moindre péché.

Solutions :

1. Cette ignorance à cause de laquelle tout méchant est un ignorant n’est pas une cause du péché, mais quelque chose de consécutif à la cause, c’est-à-dire une suite de la passion ou de l’habitus qui incline au péché.

2. Un péché ajouté à un péché fait un plus grand nombre de péchés mais ne fait pas toujours un péché plus grand, parce que peut-être cela ne se ramène pas à un même péché mais donne lieu à plusieurs. Et il peut arriver, si le premier diminue le second, que tous les deux ensemble ne soient pas aussi graves qu’un seul. Ainsi l’homicide est plus grave s’il est commis par un homme sobre que par un homme ivre, bien qu’il y ait dans ce dernier cas deux péchés, parce que l’ébriété diminue le péché qui la suit en lui enlevant plus de gravité qu’elle n’en a elle-même.

3. Cette parole de S. Ambroise peut s’entendre de l’ignorance absolument voulue ; ou bien d’une espèce d’ingratitude, le comble de l’ingratitude étant en effet de ne pas savoir reconnaître les bienfaits reçus. Ou enfin, de l’ignorance d’infidélité, qui ruine par la base tout l’édifice spirituel.

4. L’homme ivre mérite bien d’être châtié deux fois pour les deux péchés qu’il commet, celui d’ivresse et celui qui en découle. Et pourtant l’ivresse, en raison de l’ignorance qui s’y joint, diminue le péché qu’elle fait faire ; peut-être même lui enlève-t-elle, nous venons de le dire, plus de gravité qu’elle n’en comporte elle-même. - On peut dire encore que la réflexion du Philosophe est inspirée d’une ordonnance du législateur Pittacus, statuant que “ ceux qui se mettraient à frapper en état d’ivresse devraient être plus fortement punis, sans égard pour ce qu’il peut y avoir de pardonnable dans leur cas, mais par mesure d’ utilité publique et pour parer à ce fait que les hommes sont beaucoup plus querelleurs une fois qu’ils sont ivres que lorsqu’ils sont sobres ”. Nous le savons par Aristote.

Étudions à présent la part de l’appétit sensible comme cause du péché : la passion est-elle cause de péché ?

 

QUESTION 77 — LE PÉCHÉ DE PASSION

1. La passion de l’appétit sensible peut-elle mouvoir ou incliner la volonté ? - 2. Peut-elle dominer la raison contre le savoir de celle-ci ? - 3. Le péché qui vient de la passion est-il un péché de faiblesse ? - 4. Cette passion qu’est l’amour de soi est-elle cause de tous les péchés ? - 5. Les trois causes énoncées par S. Jean : “ Convoitise des yeux, convoitise de la chair, orgueil de la vie ”. - 6. La passion qui est cause du péché, le diminue-t-elle ? - 7. Excuse-t-elle entièrement ? - 8. Le péché de passion peut-il être mortel ?

 

            Article 1 — La passion de l’appétit sensible peut-elle mouvoir ou incliner la volonté ?

Objections :

1. Il semble que la volonté ne puisse être mue par une passion de l’appétit sensible. Car aucune puissance passive n’est jamais mue que par son objet. Or la volonté est une puissance active et passive tout ensemble : “ Elle meut et elle est mue ”, comme le Philosophe le dit de toutes les facultés d’appétit. Donc, puisque l’objet de la volonté n’est pas la passion mais plutôt le bien de la raison, il semble que la passion ne meut pas la volonté.

2. Le moteur supérieur n’est pas mû par l’inférieur ; ainsi l’âme n’est pas mue par le corps. Or la volonté, appétit rationnel, est pour l’appétit sensible un moteur supérieur ; elle le meut comme une sphère céleste meut la sphère située au-dessous d’elle, selon le Philosophe. Donc la volonté ne peut être mue par la passion de l’appétit sensible.

3. Rien d’immatériel ne peut être mû par ce qui est matériel. Or la volonté est une puissance immatérielle ; ayant son siège “ dans la raison ”, elle n’a pas besoin d’organe corporel, dit encore le Philosophe. L’appétit sensible est une faculté matérielle qui doit être fondée sur un organe corporel. Donc une passion de l’appétit sensible ne peut pas mouvoir l’appétit de l’âme intellectuelle.

En sens contraire, il est dit en Daniel (13,56) : “ La passion a perverti ton cœur. ”

Réponse :

La passion ne peut pas directement attirer ou mouvoir la volonté. Mais elle le peut indirectement et cela de deux façons :

1° Par une sorte de détournement des énergies de l’âme. En effet, parce que toutes les puissances de l’âme sont enracinées dans une même essence, quand l’une a un acte intense, il faut nécessairement qu’une autre soit relâchée dans le sien ou même tout à fait empêchée. D’abord, parce que toute énergie lorsqu’elle est dispersée s’amoindrit, ce qui fait qu’inversement, lorsqu’elle est concentrée sur un point, elle est moins capable de se disperser sur d’autres. Et aussi parce que les œuvres de l’âme exigent une tension qui, fortement appliquée à une chose, ne peut s’appliquer fortement à une autre. Ainsi, par une sorte de détournement, lorsque le mouvement de l’appétit sensible s’engage avec force dans une passion quelconque, le mouvement de l’appétit rationnel ou volonté doit nécessairement se relâcher ou même s’arrêter tout à fait.

2° Du côté de l’objet de la volonté, qui est le bien appréhendé par la raison. En effet, le jugement et la connaissance de la raison sont paralysés par des apports violents et désordonnés de l’imagination, et par le jugement de l’estimative, comme on le voit clairement chez les fous. Or il est évident que la passion de l’appétit sensible détermine la connaissance de l’imagination et le jugement de l’estimative, comme l’état de la langue détermine le jugement du goût. Aussi voyons-nous que les hommes engagés dans une passion ne détournent pas facilement leur imagination des choses auxquelles ils sont attachés. La conséquence, c’est que la raison ne fait le plus souvent que suivre la passion, et que la volonté fait de même, puisque sa nature est de suivre toujours le jugement de la raison.

Solutions :

1. La passion fait modifier, on vient de le dire, le jugement qu’on porte sur l’objet de la volonté, bien qu’elle ne soit pas elle-même directement l’objet de la volonté.

2. Le supérieur n’est pas mû par l’inférieur directement ; mais il peut l’être indirectement d’une certaine manière, comme nous venons de le dire.

3. Même réponse pour cette objection.

 

            Article 2 — La passion peut-elle dominer la raison contre le savoir de celle-ci ?

Objections :

1. Cela ne semble pas possible. Le plus fort n’est pas vaincu par le plus faible. Mais la science, à cause de sa certitude, est ce qu’il y a de plus fort en nous. Elle ne peut donc être surpassée par la passion qui est “ débile et passagère ”.

2. Il n’y a de volonté que pour le bien ou le bien apparent. Lorsque la passion attire la volonté vers ce qui est vraiment du bien, elle n’incline pas la raison à l’encontre du vrai savoir. Lorsqu’elle attire la volonté vers ce qui semble du bien et n’en est pas, elle l’attire vers ce qui paraît tel à la raison ; or ce qui paraît à la raison fait partie de son savoir. Donc la passion n’incline jamais la raison contre son savoir.

3. Si l’on dit que la passion amène la raison à juger dans un cas particulier de façon contraire à ce qu’elle sait en général, nous objectons ceci : Une proposition universelle et une proposition particulière ne peuvent s’opposer que contradictoirement, comme le oui et le non ; or deux opinions qui sont contradictoires sont contraires aussi selon Aristote. Donc, si quelqu’un jugeait dans un cas particulier à l’opposé de ce qu’il sait en général, il aurait en lui en même temps deux opinions contraires, ce qui est impossible.

4. Tout homme qui sait une chose d’une manière universelle la sait aussi en particulier, dans les applications qu’il en voit ; ainsi, pour emprunter l’exemple cité par le Philosophe, celui qui sait que toutes les mules sont stériles, sait que cet animal est stérile, dès qu’il discerne que c’est une mule. Mais si l’on connaît une chose de façon universelle, on en reconnaît tout naturellement les applications particulières ; quand on sait qu’il ne faut jamais commettre aucune fornication, on discerne parfaitement que tel acte est un cas de fornication. Il semble donc que le savoir s’étende tout naturellement du général au particulier.

5. Les mots sont les signes de la pensée, dit Aristote. Or l’homme qui vit dans la passion avoue souvent que ce qu’il choisit est mal, même dans le cas particulier. Il sait donc ce qu’il faut savoir, même dans le cas particulier. Par conséquent il ne semble pas que les passions puissent entraîner la raison à contredire ce qu’elle sait en général, puisqu’il n’est pas possible de savoir une chose en général, et de penser le contraire dans un cas particulier.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 7,23) “ je vois une autre loi dans mes membres qui s’oppose à la loi de mon esprit et m’emprisonne sous la loi du péché. ” Cette loi qui est dans les membres, c’est la convoitise, dont l’Apôtre avait parlé plus haut. Puisque la convoitise est une passion, il semble que la passion attire la raison à contredire même ce qu’elle sait.

Réponse :

Au témoignage du Philosophe, l’opinion de Socrate fut que jamais la science ne pourrait être dominée par la passion ; aussi Socrate faisait-il de toute vertu une science et de tout péché une ignorance. En cela il y a du vrai. La volonté étant la faculté du bien, au moins apparent, elle ne se porte jamais au mal sans que la raison y voie quelque apparence de bien, et c’est pour cela que la volonté ne tendrait jamais au mal s’il n’y avait, du côté de la raison, ignorance ou erreur. D’où la parole des Proverbes (14,22) : “ Ils sont dans l’erreur, ceux qui font le mal. ” - Mais c’est un fait d’expérience que beaucoup agissent contrairement à ce qu’ils savent. Ce fait est même confirmé par l’autorité divine, dans le passage de S. Luc (12,47) sur “ le serviteur qui a connu la volonté de son maître et n’en a rien fait ”, et dans celui de S. Jacques (4,17) : “ Celui qui sait faire le bien et ne le fait pas, commet un péché. ” Ce que dit Socrate n’est donc pas absolument vrai, et il faut faire à ce sujet plusieurs distinctions, comme l’enseigne le Philosophe au livre VII des Éthiques.

En effet, pour bien se conduire, l’homme a besoin d’une double science : universelle et particulière. Un défaut de l’une ou de l’autre suffit à empêcher, comme nous l’avons dit plus haut, la rectitude de la volonté et celle de l’action. Il peut donc arriver à quelqu’un d’avoir la science au plan universel, par exemple de savoir qu’il ne faut jamais commettre la fornication, et de ne pas savoir cependant que dans le cas particulier il ne faut pas faire cet acte qui est une fornication. Et cela suffit déjà pour que la volonté ne suive pas la science universelle de la raison. - Il faut encore remarquer que rien n’empêche une chose d’être sue par habitus et pourtant de ne pas être considérée en acte. Si bien qu’il peut arriver qu’on sache parfaitement ce qu’il faut faire non seulement en règle universelle mais aussi dans le cas particulier, et que cependant on ne l’ait pas actuellement présent à l’esprit. Et alors il ne semble pas difficile de comprendre qu’on puisse agir en dehors d’une pensée qu’on n’a pas présente actuellement.

Quant au fait même de ne pas être attentif dans un cas particulier à ce que l’on sait par habitus, il vient parfois uniquement du manque d’application, comme quand un bon géomètre ne prend pas garde à des conclusions de géométrie qui devraient lui sauter aux yeux ; parfois cela vient de quelque empêchement, par exemple d’une occupation extérieure ou d’une infirmité.

Et c’est ainsi que l’homme pris par la passion en arrive à ne plus avoir présent à l’esprit dans les cas particuliers ce qu’il sait pourtant bien d’une manière universelle, en tant que la passion l’empêche d’y porter son attention.

Cet empêchement se produit de trois façons 1° par cette sorte de détournement d’énergie que nous avons exposée plus haut ; 2° par opposition directe, du fait que la passion incline le plus souvent à l’opposé des principes universels que l’on connaît ; 3° par la modification qu’elle provoque dans l’organisme, et par laquelle la raison est comme liée au point de ne pouvoir librement passer à l’acte. Le sommeil ou l’ivresse produisent de ces troubles organiques et en arrivent à lier aussi l’usage de la raison. Que cela ait lieu dans les passions, c’est évident par le fait que parfois, lorsqu’elles sont extrêmement intenses, l’homme perd totalement l’usage de la raison ; beaucoup, par excès d’amour et par excès de colère, ont versé dans la folie. Et ainsi la passion entraîne la raison à juger dans les cas particuliers à l’opposé des principes universels qu’elle possède.

Solutions :

1. Dans l’action, la science de l’universel, qui est très certaine, n’a pas le rôle principal, qui revient plutôt à la science du particulier, du fait que l’action est toujours un cas singulier. Il n’est donc pas étonnant qu’en matière d’action la passion agisse à l’opposé de principes généraux qui d’ailleurs ne sont pas présents à l’esprit dans les cas particuliers.

2. Le fait même que la raison puisse dans un cas particulier trouver bien ce qui ne l’est pas, vient de quelque passion. Pourtant, ce jugement particulier va contre la science universelle de la raison.

3. Il ne pourrait pas arriver qu’on eût dans l’esprit d’une manière actuelle une science ou une opinion vraie qui serait une affirmation universelle, en même temps qu’une opinion fausse qui serait d’une manière actuelle une négative particulière, ou inversement. Mais il peut fort bien arriver qu’on ait d’une manière habituelle une vraie science soutenant une affirmative universelle, et d’une manière actuelle une opinion fausse soutenant une négative particulière, car un acte ne s’oppose pas directement à un habitus, mais à un autre acte.

4. Celui qui a la science universelle est empêché par la passion de s’y soumettre et de parvenir ainsi à la conclusion ; mais il place son action sous un autre principe universel, que lui suggère l’inclination à la passion et d’après lequel il conclut. C’est pourquoi le Philosophe dit que le syllogisme pratique de celui qui ne se maîtrise pas comprend en réalité quatre propositions, deux particulières et deux universelles. De celles-ci, une est le fait de la raison, par exemple : il ne faut commettre aucune fornication ; l’autre, le fait de la passion, par exemple : il faut chercher son plaisir. Donc la passion lie la raison pour qu’elle ne fasse aucune application et ne tire aucune conclusion du premier de ces principes ; aussi, tout le temps que dure la passion, la raison procède et conclut selon le second principe.

5. De même que l’homme ivre peut parfois proférer des paroles profondes qu’il est cependant bien incapable d’apprécier, parce que l’ivresse l’en empêche, de même celui qui est dans la passion, encore qu’il profère des lèvres que ce qu’il fait n’est pas à faire, sent bien dans son for intérieur ce qu’il faut faire.

 

            Article 3 — Le péché qui vient de la passion est-il un péché de faiblesse ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la passion est un mouvement véhément de l’appétit sensible. Or la véhémence d’un mouvement témoigne de sa force plus que de sa faiblesse. Donc le péché qui vient de la passion ne doit pas être appelé péché de faiblesse.

2. On envisage la faiblesse de l’homme surtout à partir de ce qu’il y a en lui de plus fragile. Or c’est la chair, ce qui fait dire au Psaume (78,39) : “ Il s’est souvenu qu’ils n’étaient que chair. ” Donc, s’il y a un péché de faiblesse, c’est celui qui vient d’une défaillance du corps plutôt que d’une passion de l’âme.

3. A l’égard de ce qui est soumis à sa volonté, on ne peut pas dire que l’homme soit faible. Or il dépend bien de la volonté de l’homme de faire ou de ne pas faire ce à quoi la passion le porte, selon la parole de la Genèse (4,7 Vg) : “ Tu auras au-dessous de toi tes appétits et tu les domineras. ” Le péché de passion n’est donc pas un péché de faiblesse.

En sens contraire, Cicéron appelle les passions de l’âme des maladies. Or les maladies s’appellent aussi des faiblesses. Le péché de passion doit donc être appelé péché de faiblesse.

Réponse :

La cause propre du péché vient de l’âme, où le péché a son principe. Mais on peut parler d’une faiblesse de l’âme par ressemblance avec une infirmité du corps. Or, on dit que le corps de l’homme est faible quand il est débilité ou entravé dans l’exécution de ses propres activités par quelque dérèglement de l’organisme, si bien que les humeurs et les membres n’obéissent plus à l’énergie faite pour les régir et les mouvoir. Ainsi dit-on qu’un membre est faible quand il ne peut plus accomplir l’activité d’un membre sain, comme l’œil quand il ne voit plus clair, dit Aristote. Aussi dit-on pareillement que l’âme est faible quand elle est entravée dans son activité propre à cause du dérèglement de ses facultés. Et de même que les différentes parties du corps sont dites déréglées quand elles ne suivent plus l’ordre de la nature, de même les facultés de l’âme quand elles n’obéissent plus à la raison, la raison étant en effet la faculté qui doit tout régir dans l’âme.

Ainsi donc, lorsque le concupiscible ou l’irascible sont affectés d’une passion qui les fait sortir de l’ordre rationnel, et que cela met obstacle, de la manière expliquée plus haut. à la façon dont l’action humaine doit s’accomplir, on dit qu’il y a péché de faiblesse. Et c’est pourquoi le Philosophe compare celui qui ne sait pas se contenir au paralytique qui n’est plus maître de ses mouvements.

Solutions :

1. De même qu’il y a dans le corps une faiblesse d’autant plus grande que le mouvement en dehors de l’ordre naturel aura été plus fort, de même dans l’âme la faiblesse est d’autant plus grande que le mouvement de passion se sera manifesté plus fortement en dehors de l’ordre de raison.

2. Le péché consiste fondamentalement dans l’acte de la volonté. Or cet acte n’est pas entravé par la faiblesse du corps : on peut être faible de corps et avoir une volonté très prompte à agir. Mais il est, avons-nous dit, entravé par la passion. Aussi, quand on parle du péché de faiblesse, ce doit être par référence à la faiblesse de l’âme plutôt qu’à celle du corps. Cependant, même la faiblesse de l’âme peut s’appeler faiblesse de la chair, en tant que notre condition charnelle explique que des passions s’élèvent en nous, parce que l’appétit sensible est une faculté qui emploie un organe corporel.

3. Il est bien au pouvoir de la volonté d’adhérer ou non aux inclinations de la passion, et pour autant on peut dire que nous dominons nos appétits. Mais cette acceptation ou ce refus de la volonté est empêché par la passion de la manière que nous avons dite.

 

            Article 4 — Cette passion qu’est l’amour de soi est-elle cause de tous les péchés ?

Objections :

1. Il semble que non, car ce qui est de soi un bien et un devoir n’est pas la cause propre du péché. Mais l’amour de soi-même est de soi un bien et un devoir ; aussi est-il prescrit (Lv 19,18) d’aimer le prochain comme soi-même.

2. S. Paul affirme (Rm 7,8) : “ Saisissant l’occasion, le péché par le moyen du précepte produit en moi toute espèce de convoitise. ” Là-dessus la Glose explique que la loi est bonne puisqu’en prohibant la convoitise elle prohibe tout mal. Mais la convoitise est une autre passion que l’amour, nous l’avons vu. Donc l’amour de soi n’est pas la cause de tous les péchés.

3. Sur ces mots du Psaume (80,17) : “ Notre vigne a été incendiée et ravagée ”, S. Augustin écrit : “ Tout péché vient de la flamme d’un amour mauvais, ou de l’abattement d’une crainte mauvaise. ” Donc l’amour de soi n’est pas la seule cause de péché.

4. De même que l’homme pèche parfois par un amour désordonné de lui-même, de même il pèche aussi de temps en temps par un amour désordonné du prochain. L’amour de soi n’est donc pas la cause de tous les péchés.

En sens contraire, S. Augustin déclare “ L’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu fait la cité de Babylone. ” Mais tout péché nous fait appartenir à la cité de Babylone. L’amour de soi est donc la cause de tous les péchés.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, ce qui est proprement et par soi cause du péché doit être cherché du côté de la conversion aux biens périssables. Or à cet égard tout acte de péché provient de l’appétit désordonné d’un bien temporel. Mais cet appétit provient de l’amour désordonné de soi, car c’est aimer quelqu’un que de lui vouloir du bien. Aussi est-il évident que tout péché a pour cause l’amour désordonné de soi-même.

Solutions :

1. L’amour bien ordonné de soi-même est obligatoire et naturel, en ce sens qu’on doit se vouloir à soi-même le bien qui est juste. Mais l’amour désordonné de soi-même poussé jusqu’au mépris de Dieu, S. Augustin en fait la cause du péché.

2. La convoitise par laquelle on désire pour soi-même du bien se ramène à l’amour de soi comme à sa cause, nous venons de le dire.

3. On a l’amour à la fois du bien que l’on souhaite pour soi, et de soi-même à qui l’on souhaite du bien. Donc l’amour du bien que l’on souhaite pour soi, par exemple l’amour du vin ou de l’argent, peut avoir pour cause la crainte, qui se rattache à la fuite du mal. Tout péché provient donc effectivement soit de l’appétit désordonné d’un bien, soit de la fuite désordonnée d’un mal. Mais l’un et l’autre se ramène à l’amour de soi-même, car si l’homme désire les biens ou fuit les maux, c’est parce qu’il s’aime soi-même.

4. Un ami est comme un autre soi-même. C’est pourquoi pécher pour l’amour d’un ami c’est encore pécher pour l’amour de soi-même.

 

            Article 5 — Les trois causes énoncées par S. Jean — “ Convoitise des yeux, convoitise de la chair, orgueil de la vie. ”

Objections :

1. Cette énumération des causes du péché par S. Jean ne semble pas acceptable. Car selon S. Paul (1 Tm 6,10) : “ La racine de tous les maux, c’est la cupidité. ” Or l’orgueil de la vie ne rentre pas dans la cupidité. On ne doit donc pas le compter parmi les causes de péchés.

2. C’est surtout par les yeux que s’excite la convoitise de la chair : “ La beauté t’a séduit ”, dit Daniel (13,56). On ne doit donc pas séparer la convoitise des yeux de celle de la chair.

3. La convoitise, avons-nous dit au traité des passions, est l’appétit de ce qui délecte. Or les délectations ne viennent pas seulement par la vue, mais aussi par les autres sens. On devrait donc parler aussi de la convoitise de l’ouïe et des autres sens.

4. Nous venons de dire que si l’homme est induit à pécher par la recherche désordonnée du bien, il l’est aussi par la fuite désordonnée du mal. Or rien ne fait allusion à cette fuite dans l’énumération des trois convoitises. Les causes des péchés n’y sont donc pas complètement présentées.

En sens contraire, on lit dans la 1° épître de S. Jean (2,16) : “ Tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux, orgueil de la vie. ” Or on dit : “ Tout ce qui est dans le monde ”, à cause du péché, car S. Jean dit dans la même épître (5,19) : “ Le monde entier est au pouvoir du mauvais. ” Donc les trois termes cette énumération sont les causes des péchés.

Réponse :

Comme nous l’avons dit tout à l’heure, l’amour désordonné de soi-même est la cause de tous les péchés. Mais dans cet amour de soi est inclus l’appétit désordonné du bien, car on désire toujours du bien à celui qu’on aime. D’où il est évident que l’appétit désordonné du bien est aussi la cause de tous les péchés. Or, le bien est de deux façons l’objet de cet appétit sensible où se trouvent les passions, causes du péché : comme chose bonne absolument, ce qui en fait l’objet du concupiscible ; et comme chose difficile, ce qui en fait l’objet de l’irascible, on l’a vu antérieurement.

Or, il y a une double convoitise, on l’a vu précédemment. L’une est naturelle et elle convoite tout ce qui peut physiquement sustenter le corps, soit pour la conservation de l’individu, nourriture, boisson, etc., soit pour la conservation de l’espèce, comme les actes sexuels. L’appétit désordonné de tout cela s’appelle “ convoitise de la chair ”. L’autre convoitise tient à l’âme, c’est-à-dire qu’elle convoite des choses qui ne se présentent pas aux sens pour l’entretien et le plaisir de la chair, mais qui plaisent à l’imagination, ou qu’on est content d’avoir en sa possession, comme l’argent, le luxe vestimentaire, etc. Cette sorte de convoitise est appelée “ convoitise des yeux ”. Soit qu’on l’entende du besoin même de voir et qu’on la rattache ainsi à la curiosité, comme l’explique S. Augustin, soit qu’on l’entende, comme d’autres, du désir de tout ce qui flatte la vue et qu’on la rattache ainsi à la cupidité. Quant à l’appétit désordonné du bien difficile, c’est lui qui donne lieu à “ l’orgueil de la vie ”, l’orgueil étant une recherche déréglée de la supériorité, comme nous le dirons plus loin.

Ainsi est-il évident qu’on peut ramener à ces trois sortes de convoitises toutes les passions qui sont cause de péché. Aux deux premières se ramènent toutes les passions de l’appétit concupiscible. A la troisième, toutes les passions de l’irascible, et il n’y a pas ici à diviser en deux, parce que toutes les passions de l’irascible se présentent sous la seconde forme de la convoitise.

Solutions :

1. La cupidité, dans son acception la plus générale, comporte le désir de n’importe quel bien ; en ce sens elle comprend même l’orgueil de la vie. Comme vice spécial, elle se nomme l’avarice et nous dirons plus loin comment elle peut être, même sous cet aspect, la racine de tous les péchés.

2. La convoitise des yeux ne signifie pas ici la convoitise de toutes les choses qu’on peut voir de ses yeux, mais seulement la convoitise de celles où l’on cherche non le plaisir charnel du toucher, mais uniquement le plaisir des yeux, compris comme désignant toute faculté de connaissance.

3. La vue est le plus excellent de tous les sens et celui qui s’étend au plus grand nombre d’objets, comme il est dit au livre I des Métaphysiques. C’est pourquoi l’on prête le nom de ce sens à tous les autres et même aux facultés internes de connaissance comme le dit S. Augustin.

4. La fuite du mal est causée par l’appétit du bien, nous l’avons déjà dit. Aussi parlons-nous uniquement des passions qui poussent à rechercher le bien, les considérant comme les causes de celles qui poussent d’une manière déréglée à fuir le mal.

 

            Article 6 — La passion qui est cause du péché, le diminue-t-elle ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’accroissement de la cause accroît aussi l’effet. Or la passion est une cause de péché. Donc, plus elle devient intense, plus le péché grandit. La passion ne diminue donc pas le péché mais l’augmente.

2. Une passion mauvaise est avec le péché dans le même rapport qu’une passion bonne avec le mérite. Or une passion bonne augmente le mérite ; car on a, semble-t-il, d’autant plus de mérite à secourir les pauvres qu’on le fait avec plus de miséricorde. Donc une mauvaise passion aggrave le péché plus qu’elle ne l’atténue.

3. Un péché paraît d’autant plus grave qu’on le commet avec une volonté plus intense. Or la passion, par l’impulsion qu’elle donne à la volonté, la fait se porter avec plus de véhémence à l’acte du péché. Donc elle aggrave le péché.

En sens contraire, cette passion qu’est la convoitise de la chair, on l’appelle la tentation de la chair. Or lorsqu’on est terrassé par une tentation plus forte, on pèche d’autant moins, selon S. Augustin. Donc la passion diminue le péché.

Réponse :

Le péché consiste essentiellement dans un acte du libre arbitre, “ faculté de volonté et de raison ”. La passion est un mouvement de l’appétit sensible. Or l’appétit sensible peut tantôt devancer le libre arbitre, et tantôt le suivre. Il le devance lorsque la passion attire ou incline la raison ou la volonté, comme nous l’avons dit plus haut. Il suit lorsque le mouvement des facultés supérieures est assez fort pour se répercuter dans les facultés inférieures ; car la volonté ne peut se porter intensément à quelque chose sans qu’une passion soit excitée dans l’appétit sensible.

Donc, s’il s’agit de la passion en tant qu’elle précède l’acte du péché, nécessairement elle diminue la faute. En effet, un acte est un péché dans la mesure où il est volontaire et où il est en nous. Or c’est par la raison et par la volonté que quelque chose est en nous. Aussi, plus la raison et la volonté agissent d’elles-mêmes et non par impulsion de la passion, plus l’acte est volontaire et réellement nôtre. Et à cet égard la passion diminue la faute dans la mesure où elle en diminue le caractère volontaire. Quant à la passion qui suit l’acte, elle ne diminue pas le péché mais plutôt l’augmente, ou plus exactement elle est le signe de sa gravité, c’est-à-dire qu’elle démontre la forte tendance de la volonté à l’acte du péché. Et en ce sens il est vrai de dire que le péché est d’autant plus grand qu’on pèche avec plus de désir sensuel ou convoitise.

Solutions :

1. La passion est cause du péché sur le plan de la conversion. Mais la gravité du péché est envisagée surtout au plan de l’aversion, qui découle de la conversion par accident, c’est-à-dire sans intention chez le pécheur. Or les causes qui s’accroissent par accident n’augmentent pas les effets, mais seulement les causes propres.

2. Une passion bonne accroît le mérite si elle suit le mouvement de la raison. Mais si elle le précède de telle sorte qu’on soit poussé à bien agir plus par le mouvement de la passion que par le jugement de la raison, alors la passion diminue ce qu’il y a de bon et de louable dans l’acte.

3. Bien que le mouvement de la volonté soit plus intense une fois qu’il est excité par la passion, il n’appartient plus aussi proprement à la volonté que s’il était poussé à pécher par la raison seule.

 

            Article 7 — La passion excuse-t-elle entièrement ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car tout ce qui rend l’acte involontaire excuse entièrement du péché. Ainsi fait la convoitise de la chair, qui est une passion, selon S. Paul (Ga 5,17) : “ La chair convoite contre l’esprit, si bien que vous ne faites pas ce que vous voudriez. ”

2. On a vu que la passion cause une certaine ignorance dans un cas particulier. Mais l’ignorance du cas particulier excuse entièrement du péché, comme on l’a établie.

3. La faiblesse de l’âme est plus grave que celle du corps. Or cette dernière excuse totalement du péché, comme on le voit chez les fous furieux. La passion qui est une maladie de l’âme excuse donc bien davantage.

En sens contraire, si l’Apôtre peut parler de “ passions de péchés ” (Rm 7,5) c’est uniquement parce que les passions sont des causes de péchés. Ce qui ne serait pas si elles excusaient totalement.

Réponse :

Lorsqu’un acte est foncièrement mauvais, ce qui peut en excuser tout à fait, c’est uniquement ce qui le rend tout à fait involontaire. Donc, si la passion est telle qu’elle rende complètement involontaire l’acte qu’elle entraîne, elle excuse complètement du péché ; autrement elle n’en excuse pas complètement.

Là-dessus il y a deux choses à considérer, semble-t-il. 1° Un acte peut être volontaire, ou en soi, quand la volonté s’y porte directement, ou dans sa cause, lorsque c’est vers la cause et non vers l’effet que la volonté se porte, ainsi qu’on le voit chez celui qui s’enivre volontairement ; de ce fait, on lui impute comme un acte volontaire ce qu’il commet par ivresse. 2° Quelque chose est volontaire directement ou indirectement : directement si la volonté porte à cela ; indirectement si c’est une chose que la volonté a pu empêcher et qu’elle n’empêche pas. - Voici donc d’après cela les distinctions qu’il faut faire. La passion est parfois si forte qu’elle enlève complètement l’usage de la raison, comme il arrive chez ceux que l’amour ou la colère rend fous. Alors, si une telle passion a été volontaire dans son principe, ses actes sont imputés à péché parce qu’ils sont volontaires dans leur cause, comme on vient de le dire pour l’ivresse ; si au contraire la cause n’a pas été volontaire mais naturelle, comme lorsque c’est par maladie, ou par une autre cause de ce genre que quelqu’un tombe dans une passion telle qu’il en perd tout à fait la raison, l’acte est rendu complètement involontaire et par conséquent complètement excusé de péché. Mais lorsque la passion n’est pas tellement forte qu’elle interrompe totalement l’usage de la raison, alors la raison peut l’éloigner en détournant l’esprit vers d’autres pensées, ou du moins elle peut empêcher la passion de produire son effet, puisque les membres extérieurs ne s’appliquent à leurs actes que par le consentement de la raison, comme on l’a vu antérieurement. Aussi une telle passion n’excuse-t-elle pas complètement du péché.

Solutions :

1. Quand on dit : “ Vous ne faites pas ce que vous voudriez ”, cela doit être rapporté non aux actes extérieurs mais au mouvement intérieur de la convoitise : on voudrait en effet ne jamais convoiter le mal. C’est encore expliqué par S. Paul (Rm 7,5) : “ Je fais le mal que je hais. ” Ou bien, cela peut être rapporté aux mouvements de volonté qui précèdent la passion, comme on en voit chez ceux qui ne savent pas se contenir, et que leur convoitise fait agir contre leur bon propos.

2. L’ignorance particulière qui excuse complètement est celle qui porte sur une circonstance de fait qu’avec tout le zèle voulu il n’y a pas moyen de connâltre. Mais l’ignorance causée par la passion porte sur une application particulière d’un point de droit, c’est-à-dire que la passion empêche d’appliquer à un acte particulier ce que l’on sait pourtant être vrai en général. Toutefois la raison peut chasser cette passion, nous venons de le dire.

3. La faiblesse du corps est involontaire. Ce serait pareil s’il s’agissait d’une faiblesse volontaire, comme nous l’avons dit pour l’ivresse, qui est bien une infirmité corporelle.

 

            Article 8 — Le péché de passion peut-il être mortel ?

Objections :

1. Il semble que non, car le péché véniel s’oppose au mortel. Mais le péché de passion est véniel, puisqu’il a en lui-même la cause du pardon. Donc, puisque le péché de passion est un péché de faiblesse, il semble qu’il ne puisse pas être mortel.

2. La cause est plus forte que l’effet. Mais la passion ne peut pas être péché mortel, puisque nous avons vu qu’il n’y a pas de péché mortel dans la sensualité. Le péché qui vient de la passion ne peut donc pas être mortel.

3. Il résulte de ce que nous avons dit que la passion détourne de la raison. Mais c’est à la raison qu’il appartient de se tourner vers Dieu ; ou de se détourner de Dieu, ce qui définit le péché mortel. Le péché venu de la passion ne peut donc pas être mortel.

En sens contraire, on lit chez l’Apôtre (Rm 7,5) : “ Les passions de péchés produisent en nos membres des fruits de mort. ” Or il est propre au péché mortel de fructifier pour la mort. Donc le péché qui vient de la passion peut être mortel.

Réponse :

Le péché mortel, nous l’avons dit précédemment, consiste à se détourner de la fin dernière qui est Dieu. Cette aversion est le fait de la raison délibérante, à laquelle il appartient aussi d’ordonner toutes choses à leur fin. Donc, s’il peut arriver que l’inclination de l’âme à un acte contraire à la fin ultime ne soit pas péché mortel, c’est uniquement parce que la raison délibérante ne peut pas intervenir, ce qui arrive avec des mouvements subits. Mais lorsqu’un individu en vient par passion à l’acte du péché ou au consentement délibéré, ce ne peut être subitement. Aussi la raison délibérante a-t-elle la possibilité d’intervenir : elle peut en effet, comme nous l’avons dit, exclure ou du moins entraver la passion. Si elle n’intervient pas, il y a péché mortel ; nous voyons que beaucoup d’homicides et beaucoup d’adultères sont commis par passion.

Solutions :

1. Un péché peut être dit véniel à plusieurs titres. A raison de sa cause, c’est-à-dire lorsqu’il a en lui une cause qui diminue le péché, et c’est ainsi que le péché d’ignorance et le péché de faiblesse sont dits véniels. A raison de ce qui le suit : par la pénitence toute faute peut devenir vénielle, c’est-à-dire obtenir le pardon. Enfin le péché est appelé véniel à cause de son genre : les paroles oiseuses par exemple. C’est seulement dans ce dernier sens que véniel s’oppose à mortel, alors que l’objection est fondée sur le premier sens.

2. La passion cause dans le péché la conversion aux biens périssables. Or ce qui le rend mortel, c’est son aversion ; et celle-ci résulte par accident de la conversion, nous l’avons dit. Aussi l’objection ne porte pas.

3. La raison n’est pas toujours complètement empêchée dans son acte par la passion. Il lui reste donc assez de libre arbitre pour pouvoir se détourner de Dieu, ou se tourner vers lui. Si cependant l’usage de la raison se trouvait entièrement aboli, il n’y aurait plus alors de péché, ni mortel ni véniel.

 

QUESTION 78 — LE PÉCHÉ DE MALICE

1. Peut-on pécher par malice volontaire, autrement dit par calcul ? - 2. Celui qui pèche par habitus pèche-t-il par malice volontaire ? - 3. Celui qui pèche par malice volontaire pèche-t-il par habitus ? - 4. Celui qui pèche par malice volontaire pèche-t-il plus gravement que par passion ?

 

            Article 1 — Peut-on pécher par malice volontaire, autrement dit par calcul ?

Objections :

1. Personne, semble-t-il, ne peut pécher par calcul ou malice volontaire. Car l’ignorance s’oppose au calcul ou à la malice volontaire. Or, d’après le Philosophe “ tout méchant est un ignorant ”, et il est écrit dans les Proverbes (14,22) : “ Ils se trompent, ceux qui font le mal. ” Donc personne ne pèche par malice volontaire.

2. Denys dit que “ personne ne fait le mal par intention ”. Or, pécher par malice, cela semble bien être vouloir le mal par son péché. Car ce qui échappe à l’intention a valeur d’accident et ne qualifie pas l’acte. Donc personne ne pèche par malice.

3. La malice elle-même, c’est le péché. Si c’est aussi une cause du péché, il s’ensuivra que le péché sera cause du péché à l’infini, ce qui est inadmissible. Donc personne ne pèche par malice.

En sens contraire, il est écrit au livre de Job (34,27) : “ Ils se sont éloignés de Dieu par calcul et n’ont pas voulu comprendre ses voies. ” S’éloigner de Dieu, c’est pécher. Il y en a donc qui pèchent par calcul, autrement dit, par malice volontaire.

Réponse :

Comme toute autre réalité, l’homme a naturellement l’appétit du bien. Lorsque son appétit se détourne vers le mal, cela vient d’une corruption ou d’une désorganisation dans l’un de ses principes ; car c’est ainsi qu’on trouve du péché dans les activités de la nature. Les principes des actes humains, ce sont l’intelligence et l’appétit : appétit rationnel ou volonté, et appétit sensible. Donc le péché s’introduit parfois dans les actes humains par une défaillance de l’intelligence, comme quand on pèche par ignorance ; par une défaillance de l’appétit sensible, comme lorsqu’on pèche par passion ; de même encore par une défaillance de la volonté, c’est-à-dire par un désordre chez celle-ci.

Le désordre de la volonté, c’est d’aimer davantage ce qui est un moindre bien. Il s’ensuit qu’on choisit de laisser perdre le bien qu’on aime moins, pour s’emparer de celui qu’on aime davantage ; par exemple, on veut bien, même très sciemment, endurer la perte d’un membre pour conserver la vie, qu’on aime davantage. De cette façon, lorsqu’une volonté déréglée aime un bien temporel, comme les richesses ou la volupté, plus que l’ordre de la raison ou de la loi divine, plus que l’amour de Dieu ou toute autre chose du même genre, la volonté veut bien perdre un bien spirituel pour posséder un bien temporel. Or le mal n’est pas autre chose que la privation d’un bien. Ainsi, on veut sciemment un mal spirituel, qui est un mal absolu, par lequel on se prive du bien spirituel, pour posséder un bien temporel. C’est ce qu’on appelle pécher par malice volontaire, ou par calcul, parce qu’on choisit sciemment le mal.

Solutions :

1. Parfois l’ignorance exclut la science par laquelle on sait, dans l’absolu, que ce qu’on fait est mal : c’est alors qu’on parle de péché par ignorance. Parfois elle exclut la science par laquelle on sait que ceci est maintenant le mal, comme lorsqu’on pèche par passion. Parfois l’ignorance exclut la science, par laquelle on sait que ceci est un mal qu’on ne doit pas accepter pour obtenir ce bien-là ; mais on sait, dans l’absolu, que c’est mal. C’est en ce sens qu’on attribue de l’ignorance à celui qui pèche par malice volontaire.

2. On ne peut vouloir le mal pour lui-même. On peut cependant le vouloir pour éviter un autre mal, ou pour se procurer un autre bien, nous venons de le dire. Et dans ce dernier cas, on préférerait se procurer le bien qu’on veut pour lui-même, sans avoir à en perdre un autre ; le débauché voudrait bien pouvoir jouir de ses plaisirs sans offenser Dieu, mais ayant à choisir entre les deux, il aime mieux offenser Dieu par le péché que se priver de plaisir.

3. Quand on dit de quelqu’un qu’il pèche par malice, cela peut s’entendre d’une malice habituelle : c’est ainsi que le Philosophe appelle malice l’habitus mauvais, comme il appelle vertu l’habitus bon. Et à ce point de vue pécher par malice c’est pécher par un penchant habituel. - Mais cela peut s’entendre aussi d’une malice actuelle. Soit qu’on désigne par là le parti pris de mal faire, et en ce sens on dit que quelqu’un pèche par malice dans la mesure où il agit par véritable choix du mal. Soit qu’on parle d’une faute précédente qui est à l’origine d’une faute subséquente, comme lorsqu’un individu, par jalousie de ses frères, entre en lutte avec la grâce d’en haut. Dans ces deux derniers cas, la même faute n’est pas à elle-même sa propre cause, mais un acte intérieur est cause de l’acte extérieur. Et un péché est cause d’un autre péché, mais non pas à l’infini, car on en arrive, comme nous l’avons dit, à un premier péché qui n’est pas causé par un péché antérieur.

 

            Article 2 — Celui qui pèche par habitus pèche-t-il par malice volontaire ?

Objections :

1. Il ne paraît pas que celui qui pèche par habitus y mette toujours une malice volontaire. Le péché de malice volontaire est toujours très grave. Or il peut arriver que l’on commette par habitus une faute légère, comme de dire une parole oiseuse. Tout péché d’habitus n’est donc pas un péché de malice volontaire.

2. Les actes issus d’un habitus sont pareils à ceux qui l’engendrent. Or les actes antérieurs à l’habitus vicieux ne viennent pas d’une malice volontaire. Les péchés qui proviennent de cet habitus ne viennent donc pas d’une malice volontaire.

3. Celui qui fait quelque chose par malice volontaire se réjouit de l’avoir fait : les Proverbes (2,14) parlent de ces gens “ qui mettent leur joie à faire le mal et se complaisent dans la perversité ”.

Cela vient de ce que chacun trouve délectable d’obtenir ce qu’il recherche et de faire ce qui lui est en quelque sorte devenu connaturel par habitus. Mais au contraire, ceux qui pèchent par habitus, “ les méchants ” c’est-à-dire ceux qui ont un habitus vicieux “ sont bourrelés de remords ”, dit Aristote. Donc les péchés commis par habitus ne viennent pas d’une malice volontaire.

En sens contraire, on appelle péché de malice volontaire celui qui vient de ce qu’on a choisi le mal. Mais chacun choisit ce qui est dans le sens son propre habitus, comme le Philosophe le fait remarquer à propos de l’habitus vertueux. Le péché de malice volontaire est donc bien celui qui vient d’un habitus.

Réponse :

Pécher en ayant un habitus et pécher en vertu de cet habitus, ce n’est pas la même chose. Car l’usage d’un habitus n’est pas fatal, mais soumis à la volonté de celui qui le possède, et c’est pourquoi l’habitus est défini comme un principe intérieur qu’on emploie quand on veut. Aussi peut-il arriver à celui qui a un habitus vicieux, de produire brusquement un acte de vertu pour ce motif que le mauvais habitus ne détruit pas totalement la raison mais laisse subsister en elle quelque chose d’intègre, permettant ainsi au pécheur de faire encore de bonnes actions. Et de même peut-il arriver qu’un homme ayant un habitus vicieux, agisse de temps à autre sous le coup de la passion ou même par ignorance, sans que son habitus y soit pour rien. Mais chaque fois qu’il se sert de cet habitus, nécessairement il pèche par malice volontaire. En effet, celui qui possède un habitus trouve préférable en soi tout ce qui est conforme à son propre habitus ; cela lui devient en quelque sorte connaturel, dans la mesure où l’accoutumance et l’habitus finissent par être comme une seconde nature. Or ce qui agrée à quelqu’un selon son habitus vicieux est exclusif du bien spirituel. Il s’ensuit que l’homme choisit le mal spirituel pour obtenir le bien qui lui agrée selon son habitus mauvais. Cela, c’est pécher par malice volontaire. Il est donc évident que quiconque pèche par habitus pèche par malice volontaire.

Solutions :

1. Les péchés véniels n’excluent pas ce bien spirituel qu’est la grâce de Dieu, ou la charité. Aussi ne les appelle-t-on pas mauvais de façon absolue, mais sous un certain rapport. C’est pourquoi leurs habitus ne peuvent être appelés mauvais absolument, mais seulement de façon relative.

2. Les actes qui procèdent des habitus sont bien de même espèce que ceux qui engendrent les habitus. Ils en diffèrent cependant comme le parfait diffère de l’imparfait. Et c’est précisément la différence entre le péché de malice volontaire et le péché de passion.

3. Celui qui pèche par habitus, tant qu’il agit par son habitus se réjouit toujours de ce qu’il fait grâce à lui. Mais il peut ne pas employer son habitus et, par sa raison qui n’est pas complètement viciée, il peut méditer autre chose. Alors il arrive parfois que, n’exerçant pas son habitus, il regrette ce que celui-ci lui a fait commettre. - Cependant, le plus souvent, des pécheurs s’attristent du péché, non que le péché en lui-même leur déplaise, mais à cause d’un dommage que le péché leur fait encourir.

 

            Article 3 — Celui qui pèche par malice volontaire pèche-t-il par habitus ?

Objections :

1. Il semble bien qu’en péchant par malice volontaire on pèche toujours par habitus. En effet, le Philosophe dit que commettre des injustices à la manière de l’homme injuste, c’est-à-dire par choix, n’est pas le fait de n’importe qui mais seulement de celui qui en a l’habitus. Mais ce choix du mal, c’est le péché de malice, on vient de le dire. Donc le péché de malice volontaire est réservé à celui qui a un habitus.

2. Selon Origène : “ On ne tombe pas soudainement, mais il a fallu se laisser aller progressivement et par chutes partielles. ” Or il semble que la chute grave consiste à pécher par malice volontaire. Donc, ce n’est pas dès le début, mais par une longue accoutumance qui permet la naissance des habitus, qu’on en arrive à pécher par malice volontaire.

3. Chaque fois que quelqu’un pèche par malice volontaire, il faut que sa volonté d’elle-même se porte au mal, puisqu’elle le choisit. Or, par la nature de cette faculté, l’homme n’est pas porté au mal mais plutôt au bien. S’il choisit le mal, il faut donc que quelque chose soit survenu, qui est la passion ou l’habitus. Or, quand on pèche par passion, on ne pèche pas par malice, mais par faiblesse, nous l’avons diti. Donc chaque fois qu’un homme pèche par malice volontaire, ce ne peut être que par habitus.

En sens contraire, l’habitus mauvais fait choisir le mal comme l’habitus bon fait choisir le bien. Mais parfois, sans avoir l’habitus de la vertu, on choisit ce qui est bon selon la vertu. Donc pareillement, sans avoir l’habitus du vice, on peut quelquefois choisir le mal, et c’est là pécher par malice volontaire.

Réponse :

La volonté n’a pas la même relation avec le bien et avec le mal. En effet, sa nature l’incline vers le bien de la raison comme vers son objet propre, et c’est pourquoi l’on dit que tout péché est contraire à la nature. Pour qu’elle en arrive à choisir un mal, il faut donc que cela lui vienne d’ailleurs. Parfois, cela vient d’une défaillance de la raison comme dans le péché d’ignorance, et parfois de l’impulsion de l’appétit sensible comme dans le péché de passion. Mais ce n’est pas là pécher par malice volontaire. On ne pèche par malice volontaire que lorsque, d’elle-même, la volonté se porte au mal. Ce qui peut arriver de deux façons : 1° Parce qu’il y a dans l’homme une disposition faussée qui l’incline au mal, si bien que, par cette disposition, ce mal devient pour l’homme quelque chose qui lui agrée et qui lui ressemble ; et en raison de cet accord, la volonté y tend comme vers un bien, car tout être tend de lui-même à ce qui lui est accordé. Or une telle disposition faussée, ou bien est quelque habitus acquis par accoutumance et passé à l’état de nature ; ou bien un état maladif du corps qui fait qu’un individu est naturellement prédisposé à certaines fautes par sa nature vicieuse. 2° Il arrive aussi que la volonté tende d’elle-même vers le mal parce que ce qui l’arrêtait a été enlevé, qu’il n’y a plus rien qui l’arrête. Par exemple quelqu’un est arrêté, non parce que le péché en soi lui déplaît, mais parce qu’il espère la vie éternelle ou parce qu’il craint l’enfer. Si le désespoir lui enlève cette espérance, ou si la présomption lui enlève cette crainte, il en vient, n’ayant pour ainsi dire aucun frein, à pécher par malice volontaire.

En somme, il résulte de tout cela que le péché de malice volontaire présuppose toujours dans l’homme un désordre, qui cependant n’est pas toujours un habitus. Il n’est pas nécessaire par conséquent que tout péché de malice volontaire soit un péché venant d’un habitus.

Solutions :

1. Commettre une injustice à la manière de l’homme injuste, c’est le faire non seulement par malice volontaire, mais aussi par plaisir et sans opposition sérieuse de la raison. Cela est uniquement le fait de celui qui a un habitus.

2. On ne tombe pas tout d’un coup dans le péché de malice volontaire ; il est précédé par quelque chose qui cependant n’est pas toujours un habitus, nous l’avons dit.

3. Ce qui incline la volonté au mal ce n’est pas toujours l’habitus ou la passion, c’est quelquefois autre chose, nous l’avons dit.

4. On ne peut pas faire le même raisonnement pour le choix du bien et pour le choix du mal. Car le mal n’existe jamais sans qu’il y ait un bien naturel, mais le bien peut exister sans le mal d’une faute tonnelle.

 

            Article 4 — Celui qui pèche par malice volontaire pèche-t-il plus gravement que par passion ?

Objections :

1. Il n’est pas plus grave, semble-t-il de pécher par malice que de pécher par passion. En effet, l’ignorance excuse le péché en tout ou en partie. Or l’ignorance est plus grande chez celui qui pèche par malice volontaire que chez celui qui pèche par passion. Car celui qui pèche par malice volontaire souffre de l’ignorance du principe, qui est la plus grave, selon Aristote ; en effet il juge mal de la fin, qui joue le rôle de principe dans l’action. Donc celui qui pèche par malice volontaire est plus excusable que celui qui pèche par passion.

2. Le péché est d’autant moins grave que l’impulsion au mal a été plus forte, comme on le voit chez celui qui a été jeté dans le péché par un mouvement de passion plus violent. Or celui qui pèche par malice est poussé par l’habitus, dont l’impulsion est plus forte que celle de la passion. Donc, celui qui pèche par habitus est moins coupable que celui qui pèche par passion.

3. Le péché de malice volontaire vient de ce qu’on choisit le mal. Mais dans le péché de passion aussi on choisit le mal. Il n’y a donc pas moins de gravité dans l’un que dans l’autre.

En sens contraire, le péché commis par calcul mérite une peine plus grave par cela même. Il est écrit au livre de Job (34,26 Vg) : “ Dieu a frappé aux yeux de tous, comme des impies, ceux qui se sont retirés de lui par calcul. ” Mais on n’augmente un châtiment qu’en raison de la gravité de la faute. Donc le péché est aggravé du fait qu’il y entre du calcul, c’est-à-dire de la malice volontaire.

Réponse :

Le péché de malice volontaire est plus grave que le péché de passion pour trois raisons : 1° Comme le péché consiste principalement dans la volonté, il est d’autant plus grave, toutes choses égales d’ailleurs, que son mouvement appartient davantage en propre à la volonté. Or, quand on pèche par malice volontaire, le mouvement appartient plus proprement à la volonté qui se porte d’elle-même au mal, que si l’on pèche par passion, la volonté étant alors poussée à mal faire comme par une force extérieure. Aussi, par cela même que l’on pèche par malice, le péché devient plus grave, et d’autant plus que la malice aura été plus violente ; au contraire, lorsqu’il est fait par passion, il est atténué, et d’autant plus que la passion aura été plus violente. 2° La passion qui incline la volonté à pécher passe vite, et ainsi l’homme revient vite au bon propos en regrettant son péché. Mais l’habitus qui fait pécher par malice dure davantage. Aussi le Philosophe compare-t-il l’intempérant, qui pèche par malice, à l’infirme dont le mal est continu ; et l’incontinent, qui pèche par passion, à celui dont le mal est intermittent. 3° Celui qui pèche par malice volontaire est dans de mauvaises dispositions envers la fin elle-même, laquelle est principe en matière d’action. Et ainsi sa défaillance est bien plus dangereuse que la défaillance de celui qui pèche par passion. Ce dernier garde le bon propos de tendre à la fin véritable, encore que ce bon propos soit temporairement interrompu à cause de la passion. Or la défaillance portant sur le principe est toujours la pire. Il est donc évident que le péché de malice est plus grave que le péché de passion.

Solutions :

1. L’objection part de l’ignorance qui accompagne le choix. Mais c’est là, nous l’avons dit plus haut-, une ignorance qui n’excuse ni ne diminue le péché. Donc lorsqu’elle est plus grande, elle ne rend pas le péché plus petit.

2. L’impulsion qui vient de la passion est pour ainsi dire extérieure par rapport à la volonté. Mais celle que la volonté reçoit de l’habitus lui vient de l’intérieur. Ce n’est donc pas pareil.

3. Pécher en faisant un choix est une chose, pécher par choix en est une autre. Celui qui pèche par passion fait un choix, et cependant il ne pèche pas par choix ; le choix n’est pas chez lui le principe premier du péché, c’est la passion qui l’induit à choisir ce qu’il ne choisirait pas S’il était étranger à la passion. Mais celui qui pèche par malice volontaire choisit le mal en lui-même de la manière que nous avons dite ; C’est pourquoi chez lui le choix est le principe du péché, et à cause de cela on dit qu’il pèche par choix.

LES CAUSES EXTÉRIEURES DU PÉCHÉ

Après les causes intérieures il faut étudier les causes extérieures du péché : 1° Du côté de Dieu (Q. 79). - 2° Du côté du diable (Q. 80). - 3° Du côté de l’homme (Q. 81-89).

 

QUESTION 79 — LA CAUSE DU PÉCHÉ DU CÔTÉ DE DIEU

1. Dieu est-il cause du péché ? - 2. L’acte du péché vient-il de Dieu ? - 3. Dieu est-il cause de l’aveuglement et de l’endurcissement de certains ? - 4. Cet aveuglement et cet endurcissement sont-ils ordonnés au salut des pécheurs ?

 

            Article 1 — Dieu est-il cause du péché ?

Objections :

1. Il semble que oui, car l’Apôtre (Rm 1,28) dit de certains hommes : “ Dieu les a livrés à leur jugement pervers pour qu’ils fassent ce qui ne convient pas. ” Et la Glose précise : “ Dieu agit dans le cœur des hommes, inclinant leur volonté à tout ce qu’il veut, en bien comme en mal. ” Faire ce qui ne convient pas, avoir dans la volonté une inclination au mal, c’est le péché. Dieu est donc pour les hommes, cause de péché.

2. Il est écrit dans la Sagesse (14,11) : “ Les créatures de Dieu ont été faites en haine des hommes et pour la tentation de leurs âmes. ” Or, on appelle ordinairement tentation tout ce qui provoque à pécher. Puisque les créatures n’ont été faites que par Dieu, comme on l’a vu dans la première Partie, il semble qu’il provoque lui-même au mal et qu’il est ainsi une cause du péché.

3. La cause d’une cause est aussi la cause de l’effet. Or Dieu est la cause du libre arbitre, lequel est la cause du péché. Dieu est donc la cause du péché.

4. Tout mal s’oppose au bien. Malgré cela, il n’est pas contraire à la bonté divine que Dieu soit l’auteur du mal de peine. C’est de ce mal en effet que parle Isaïe, lorsqu’il dit (45,7) que “ Dieu en est le créateur ”, et Amos, lorsqu’il dit (3,6) : “ Y a-t-il dans la cité un malheur que Dieu n’ait pas envoyé ? ” Il n’est donc pas plus contraire à la bonté divine que Dieu soit l’auteur du mal de faute.

En sens contraire, il est écrit au livre de la Sagesse (11,25) : “ Tu ne hais rien de ce que tu as fait. ” Or Dieu hait le péché, puisqu’il est dit au même livre (14,9) : “ Dieu déteste l’impie avec son impiété. ” Dieu n’est donc pas la cause du péché.

Réponse :

L’homme peut être de deux manières cause de péché, du sien ou de celui d’autrui. D’une manière directe, s’il incline sa volonté ou celle d’autrui à pécher. D’une manière indirecte, lorsqu’en certains cas il ne retire pas les autres du péché. C’est pourquoi, dans Ezéchiel (3,18) il est dit au veilleur : “ Si tu ne dis pas à l’impie : "Tu mourras",... c’est à toi que je demanderai compte de son sang. ” - Mais Dieu ne peut pas être directement cause du péché, ni pour lui ni pour autrui. Car tout péché se fait par éloignement de l’ordre qui a Dieu pour fin. Or Dieu, au contraire, incline et ramène tout à soi comme à l’ultime fin, selon Denys. Il est donc impossible qu’il soit cause d’éloignement, pour lui-même ou pour d’autres, d’un ordre qui est tout orienté vers lui. Il ne peut donc être directement cause du péché.

Indirectement, pas davantage. Car il lui arrive de ne pas donner à certains le secours dont ils auraient besoin pour éviter des péchés ; s’il le leur accordait, ils ne pécheraient pas. Mais Dieu fait cela selon l’ordre de sa sagesse et de sa justice, puisqu’il est lui-même sagesse et justice. On ne peut donc nullement lui imputer, comme s’il en était cause, le péché de personne. Le pilote n’est vraiment rendu responsable du naufrage d’un navire que s’il quitte le gouvernail au moment où il a le pouvoir et le devoir d’y être. Ainsi, de toute évidence, Dieu n’est en aucune manière cause du péché.

Solutions :

1. Pour ce qui est des paroles de l’Apôtre, la solution ressort du texte même. Si Dieu livre certains à leur sens réprouvé, c’est donc qu’ils ont déjà ce sens pour faire ce qui ne convient pas. Dire que Dieu les livre à ce sens pervers, c’est dire qu’il ne les empêche pas de le suivre, comme on peut dire que nous exposons ceux que nous ne protégeons pas. Quant au passage de S. Augustin d’où la Glose a été tirée, il faut l’entendre ainsi : Dieu incline directement la volonté vers le bien ; quant au mal, Dieu se borne à ne pas l’empêcher, comme nous venons de le dire ; et cela même n’a lieu que parce que des fautes antérieures l’ont mérité.

2. Dans ce passage de la Sagesse la préposition “ pour ” indique non pas une causalité mais une conséquence. Car Dieu n’a pas fait les créatures pour le mal des hommes, mais la chose est arrivée par suite de leur folie. Aussi le texte ajoute-t-il que les créatures sont tendues “ comme un piège aux insensés ”, c’est-à-dire à ceux qui par leur propre folie font des créatures un autre usage que celui auquel elles ont été destinées.

3. Lorsqu’une cause intermédiaire produit son effet en se soumettant à la cause première, l’effet remonte jusqu’à celle-ci. Mais si la cause intermédiaire produit son effet en se soustrayant au plan de la cause première, cet effet n’est plus rapporté à celle-ci. Ainsi, quand un serviteur agit contre les ordres de son maître, on ne rapporte pas cette action au mâître comme à sa cause. Pareillement, le péché que le libre arbitre commet contre le commandement divin ne se rapporte pas à Dieu comme à sa cause.

4. La peine est le mal qui s’oppose au bien de celui qui est puni en le privant d’un bien quelconque. Mais la faute s’oppose au bien de l’ordre ayant Dieu pour fin ; c’est pourquoi elle s’oppose directement à la bonté divine. A cause de cela, on ne peut pas raisonner sur la faute par analogie avec la peine.

 

            Article 2 — L’acte du péché vient-il de Dieu ?

Objections :

1. S. Augustin dit que l’acte du péché n’est pas une réalité. Or tout ce qui vient de Dieu est réalité. Donc l’acte du péché ne vient pas de Dieu.

2. L’homme est dit cause du péché uniquement parce qu’il est cause de l’acte du péché ; car, selon Denys “ nul ne fait le mal en voulant le mal ”. Mais nous venons de dire que Dieu n’est pas cause du péché. Donc il n’est pas cause de l’acte du péché.

3. Il y a des actes qui sont par leur espèce des maux et des péchés. Or tout ce qui est cause d’un être est cause de ce qui le caractérise spécifiquement. Donc, si Dieu était cause de l’acte du péché, il serait par suite cause du péché lui-même. Mais nous avons montré que ce n’est pas vrai. Donc Dieu n’est pas cause de l’acte du péché.

En sens contraire, l’acte du péché est un mouvement du libre arbitre. Mais, selon S. Augustin “ la volonté de Dieu est cause de tous les mouvements ”. Elle est donc cause de l’acte du péché.

Réponse :

L’acte du péché est à la fois être et action ; à ce double titre il a de quoi dépendre de Dieu. En effet tout être, de quelque façon que ce soit, doit dériver du premier être, selon Denys. De même, toute action est causée par un être existant en acte, car aucun être n’agit sinon dans la mesure où il est en acte ; or tout être en acte se ramène à l’acte premier, c’est-à-dire à Dieu, comme à la cause qui est acte par son essence. Il faut conclure que Dieu est la cause de toute action, en tant qu’elle est action.

Mais le péché qualifie un être et une action affectés d’un défaut. Or, ce défaut vient d’une cause créée, le libre arbitre, en tant qu’il manque à l’ordre voulu par la première cause, Dieu. Aussi un tel défaut ne se ramène pas à Dieu comme à sa cause, mais au libre arbitre, de même que le fait de boiter est attribué à la déformation de la jambe, et non à la faculté motrice, de laquelle vient cependant tout ce qu’il y a encore de mouvement dans la démarche boiteuse. Ainsi Dieu est cause de l’acte du péché, et cependant n’est pas cause du péché parce qu’il n’est pas cause qu’il y ait un défaut dans l’acte.

Solutions :

1. Par réalité S. Augustin entend ce qui est réalité au sens absolu, c’est-à-dire la substance. Car c’est en ce sens que l’acte du péché n’est pas une réalité.

2. Il faut attribuer à l’homme, à titre de cause, non seulement l’acte mais encore le défaut qui est dans l’acte ; car il ne se soumet pas à qui il doit se soumettre, bien que ce ne soit pas là son intention première. Et c’est pourquoi l’homme est cause du péché. Mais Dieu est cause de l’acte de telle manière qu’il n’est nullement cause du défaut concomitant, et voilà pourquoi il n’est pas la cause du péché.

3. Comme nous l’avons dit plus haut, l’acte et l’habitus ne sont pas caractérisés spécifiquement par la privation même dans laquelle réside le mal, mais par un objet auquel se trouve jointe cette privation. Et ainsi, ce défaut dans l’acte, qu’on dit ne pas être de Dieu, est consécutif à l’espèce de l’acte mais ne la constitue pas comme ferait une différence spécifique.

 

            Article 3 — Dieu est-il cause de l’aveuglement et de l’endurcissement de certains ?

Objections :

1. Il semble que non. Car S. Augustin affirme : “Dieu n’est pas cause qu’un homme se dégrade.” Or l’aveuglement et l’endurcissement dégradent l’homme. Dieu ne peut donc pas en être la cause.

2. S. Fulgence affirme : “Dieu ne tire pas vengeance d’un être dont il est l’auteur”. Mais Dieu tire vengeance du cœur endurci, selon l’Ecclésiastique (3,17) : “Le cœur dur connaîtra le malheur au dernier iour.” Dieu n’est donc pas la cause de son endurcissement.

3. Le même effet ne peut pas être attribué à des causes contraires. Or la cause de l’aveuglement c’est la malice de l’homme, d’après la Sagesse (2,21) : “Leur malice les aveugle” ; et c’est aussi le diable d’après S. Paul (2 Co 4,4) : “Le dieu de ce monde a aveuglé l’entendement des incrédules.” ce sont là des causes qui apparaissent comme contraires à Dieu. Dieu n’est donc pas cause d’aveuglement et d’endurcissement.

En sens contraire, nous lisons en Isaïe (6,10) : “Aveugle le cœur de ce peuple et endurcis ses oreilles.” Et dans l’épître aux Romains (9,18) : “Dieu prend pitié de qui il veut, et il endurcit qui il veut.”

Réponse :

L’aveuglement et l’endurcissement impliquent deux choses. Un mouvement de l’âme humaine qui adhère au mal et se détourne de la lumière divine. A cet égard, Dieu n’est pas la cause de l’aveuglement et de l’endurcissement, comme il n’est pas la cause du péché. En outre, aveuglement et endurcissement comportent une soustraction de grâce à la suite de quoi l’esprit n’est plus éclairé par Dieu pour bien voir, ni le cœur attendri pour bien vivre. Et à cet égard, Dieu est cause de l’aveuglement et de l’endurcissement.

Il faut considérer que Dieu est la cause universelle de l’illumination des âmes, selon S. Jean (1,9) : “Il était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde”, comme le soleil est la cause universelle de l’illumination des corps. Avec des différences cependant, car le soleil répand sa lumière par nécessité de nature, tandis que Dieu agit volontairement et suivant le plan de sa sagesse. Le soleil, autant que cela dépend de lui, éclaire bien tous les corps ; néanmoins, s’il en était un où il rencontre un obstacle, il le laisse dans l’obscurité, par exemple une maison dont les fenêtres sont demeurées closes. Et pourtant, la cause de cette obscurité n’est nullement le soleil puisque ce n’est pas par son propre jugement qu’il ne pénètre pas dans la maison ; la cause est uniquement celui qui tient les volets fermés. Pour Dieu au contraire, s’il n’envoie plus les rayons de grâce dans les âmes où il trouve un obstacle, c’est par son propre jugement. Aussi la cause de cette soustraction de grâce n’est-elle pas seulement celui qui présente l’obstacle, mais encore Dieu qui par son jugement n’offre plus la grâce. De cette manière, Dieu est vraiment cause qu’on ne voit plus, qu’on n’entend plus, et que le cœur est endurci. - Ces effets se distinguent comme ceux de la grâce elle-même. Car, en même temps qu’elle perfectionne l’intelligence par le don de sagesse, elle amollit le cœur au feu de la charité. Et servie par deux sens, la vue qui aide à découvrir, et l’ouïe à apprendre, il s’ensuit que l’on parle de cécité pour la vue, de surdité pour l’ouïe, et d’endurcissement pour le cœur.

Solutions :

1. L’aveuglement et l’endurcissement, par le côté où ils supposent une soustraction de la grâce, sont des peines ; à cet égard ce ne sont pas eux qui dégradent l’homme. C’est lui qui, dégradé par sa faute, encourt par elle ces châtiments et tous les autres.

2. L’objection est valable si l’on considère l’endurcissement comme une faute.

3. La malice est une cause méritoire de l’aveuglement, comme la faute est cause de la peine. Et de même on dit aussi que le diable aveugle les esprits en tant qu’il induit à la faute.

 

            Article 4 — L’aveuglement et l’endurcissement sont-ils ordonnés au salut des pécheurs ?

Objections :

1. Oui, toujours, semble-t-il. S. Augustin dit en effet : “ Dieu, comme il est souverainement bon, ne permettrait aucun mal si de chaque mal il ne pouvait faire sortir un bien. ” A plus forte raison doit-il donc ordonner au bien le mal dont lui-même est la cause. Or il est la cause, on vient de le dire, de l’aveuglement et de l’endurcissement. Ces maux sont donc ordonnés par lui au salut de ceux qui les subissent.

2. Il est dit dans la Sagesse (1,13 Vg) : “ Dieu ne prend pas plaisir à la perte des impies. ” Or il semblerait y prendre plaisir s’il ne tournait pas à leur bien l’aveuglement dont il les frappe, de même qu’un médecin aurait l’air de prendre plaisir à faire souffrir son malade si la médecine amère qu’il lui donne à boire n’avait pas pour but de lui rendre la santé. Donc Dieu fait tourner leur aveuglement au bien de ceux qu’il aveugle.

3. Dieu ne fait pas acception de personnes, est-il dit au livre des Actes (10,34). Or il y a des cas où Dieu aveugle pour sauver. Ce fut, au témoignage même des Actes (2,37) et selon le commentaire qu’en donne S. Augustin, le cas de quelques-uns des Juifs : Dieu les avait aveuglés pour qu’ils ne croient pas au Christ et que, ne croyant pas en lui, ils le mettent à mort afin qu’après cela, tout contrits, ils se convertissent, comme on le voit dans les Actes (2,37) et comme l’expose S. Augustin. Donc Dieu fait tourner l’aveuglement de tous à leur salut.

En sens contraire, “ il ne faut pas faire le mal pour qu’il en sorte le bien ”, est-il dit dans l’épître aux Romains (3,8). Mais l’aveuglement est un mal. Donc Dieu n’aveugle pas des âmes pour leur bien.

Réponse :

L’aveuglement est comme un prélude au péché. Or le péché est ordonné à deux fins : par lui-même à la damnation ; mais à d’autres effets par la miséricorde et la providence de Dieu : à la guérison, en ce sens que Dieu permet que certains tombent dans le péché afin, dit S. Augustin, que reconnaissant leur faute ils s’humilient et se convertissent. Aussi l’aveuglement spirituel, de sa propre nature, mène à la damnation, et c’est pourquoi on y voit même un signe de réprobation ; mais par la divine miséricorde il est ordonné temporairement, comme un traitement médicinal, au salut de ceux qui sont aveuglés. Néanmoins cette miséricorde n’est pas accordée à tous, mais uniquement aux prédestinés, chez qui “ tout concourt au bien ”, comme dit l’Apôtre (Rm 8,28). De sorte que pour les uns l’aveuglement aboutit à la guérison, mais pour d’autres à la damnation, selon S. Augustin.

Solutions :

1. Tous les maux que Dieu fait ou permet sont destinés à quelque bien ; pas toujours cependant au bien de celui chez qui est le mal, mais quelquefois au bien d’un autre, ou encore au bien de tout l’univers. C’est ainsi qu’il ordonne la faute des tyrans au bien des martyrs, et la peine des damnés à la gloire de sa justice.

2. Dieu ne prend pas plaisir à la perte des hommes pour le plaisir même de les perdre, mais en raison de sa justice, ou pour le bien qui découle de leur châtiment.

3. Que Dieu ordonne l’aveuglement de certains à leur salut, cela vient de sa miséricorde ; qu’il ordonne l’aveuglement des autres à leur damnation, cela vient de sa justice. Qu’il fasse miséricorde à certains et non à tous, ce n’est point chez lui acception de personnes, nous l’avons montré dans la première Partie.

4. En sens contraire. Il ne faut pas faire le mal de faute pour qu’il en sorte du bien ; mais le mal de peine, il faut l’infliger pour le bien.

 

QUESTION 80 — LA CAUSE DU PÉCHÉ DU COTÉ DU DIABLE

1. Le diable est-il directement cause du péché ? - 2. Induit-il à pécher par suggestion intérieure ? - 3. Peut-il mettre dans la nécessité de pécher ? - 4. Tous les péchés proviennent-ils de la suggestion du diable ?

 

            Article 1 — Le diable est-il directement cause du péché ?

Objections :

1. Il semble bien. Car le péché consiste directement dans une affection. Or S. Augustin nous dit : “ Le diable inspire à ses alliés ses affections mauvaises. ” S. Bède : “ Le diable attire l’âme à aimer le mal. ” Et S. Isidore : “ Le diable remplit le cœur de l’homme de désirs cachés. ” Donc le diable est directement cause du péché.

2. Pour S. Jérôme, de même que Dieu accomplit le bien, de même le diable accomplit le mal. Mais Dieu est directement la cause de notre bien. Le diable est donc directement cause de notre mal.

3. Le Philosophe, dans un chapitre de la Morale à Eudème, prétend qu’il faut à la délibération humaine un principe extrinsèque. Or l’homme délibère non seulement sur le bien mais aussi sur le mal. Donc, de même que Dieu pousse aux bonnes réSolutions et, par là, est la cause directe du bien, de même le diable pousse l’homme aux mauvaises et, par conséquent, est directement la cause du péché.

En sens contraire, S. Augustin prouve que “ l’esprit de l’homme ne devient esclave de la concupiscence que par sa propre volonté ”. Or l’homme ne devient esclave de la concupiscence que par le péché. Donc la cause de celui-ci ne peut être le diable, mais seulement la volonté de l’homme.

Réponse :

Le péché est un acte. On peut donc être cause directe du péché comme on est cause directe d’un acte, ce qui n’arrive que si l’on met en mouvement le principe propre de l’acte. Puisque tout péché est volontaire, le principe propre de l’acte du péché, c’est la volonté. Rien par conséquent ne peut être directement cause du péché, si ce n’est ce qui peut pousser la volonté à l’action. Or la volonté, nous l’avons dit, peut être mue par deux causes : d’une part l’objet, et en ce sens on dit qu’une chose désirable et saisie comme telle meut l’appétit ; et, d’autre part, ce qui du dedans incline la volonté à vouloir. Et ce ne peut être, nous l’avons montré, que la volonté elle-même ou bien Dieu. Mais Dieu ne peut pas être cause du péché, nous l’avons dit ii il reste que, de ce côté, la volonté de l’homme est la seule cause directe de son péché.

Du côté de l’objet, la cause capable de mouvoir la volonté peut s’entendre de trois façons. 1° De l’objet proposé lui-même ; en ce sens, nous disons qu’un mets donne envie de manger. 2° De celui qui propose ou offre un objet de cette sorte. 3° De celui qui persuade que l’objet proposé a raison de bien, car celui-là, en un sens, offre à la volonté son objet propre qui est le bien tel que le voit la raison, vrai ou apparent. - Ainsi donc, selon le premier mode, les réalités sensibles telles qu’elles se présentent extérieurement portent la volonté de l’homme à pécher. Mais, selon le deuxième et le troisième modes, le diable et même l’homme ont le pouvoir d’inciter à pécher, soit en offrant à la sensation quelque chose de désirable, soit en persuadant la raison. Néanmoins, selon aucun de ces trois modes il ne peut y avoir une cause directe de péché, parce que la volonté n’est mue nécessairement par aucun objet autre que la fin ultime, nous l’avons dit antérieurement ; par conséquent, ni la réalité offerte extérieurement, ni celui qui la propose, ni celui qui persuade ne sont une cause suffisante du péché. Il s’ensuit donc que le diable n’est pas cause du péché d’une manière directe ou suffisante, mais uniquement à la façon de quelqu’un qui persuade, ou à la façon de quelqu’un qui propose une chose désirable.

Solutions :

1. Il faut rapporter toutes ces autorités, et les autres qu’on pourrait trouver, à ce fait que le diable par ses suggestions ou par la présentation d’objets désirables, induit à l’amour du péché.

2. Le rapprochement est à retenir en ce que le diable est d’une certaine façon cause de nos péchés, comme Dieu est d’une certaine façon cause de nos bonnes actions. Il n’y a pourtant rien semblable quant à la manière d’être cause, car Dieu cause le bien en mouvant intérieurement la volonté, ce qu’on ne peut attribuer au diable.

3. Dieu est le principe universel de tous les mouvements intérieurs de l’homme ; mais que la volonté humaine se détermine à un mauvais dessein, cela vient directement de cette volonté même, et du diable par mode de persuasion ou de proposition.

 

            Article 2 — Le diable induit-il à pécher par suggestion intérieure ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’il ait ce pouvoir. En effet, les mouvements intérieurs de l’âme sont des activités vitales ; or les activités vitales, même celles de la vie végétative qui sont les plus élémentaires, ne peuvent jamais venir que d’un principe intrinsèque. Donc le diable n’a pas le pouvoir de s’insinuer dans les mouvements intérieurs de l’homme pour l’inciter au mal.

2. Tous ces mouvements intérieurs, si l’on suit l’ordre de la nature, ont leur origine dans les sens extérieurs. Or il n’appartient qu’à Dieu de faire quelque chose en dehors de l’ordre de la nature, on l’a dit dans la première Partie. Donc le diable ne peut rien faire dans les mouvements intérieurs de l’homme, si ce n’est par le moyen de ce qui frappe les sens extérieurs.

3. Les actes intérieurs de l’âme sont l’acte de comprendre et celui d’imaginer. Or sur aucun des deux le diable ne peut rien. Car, on l’a établi dans la première Partie, le diable ne peut rien imprimer dans l’intelligence humaine. Même sur l’imagination il semble bien qu’il ne peut rien non plus, car les formes qui s’impriment dans l’imagination sont d’ordre plus élevé, étant plus spirituelles, que celles qui sont dans la matière sensible et sur lesquelles pourtant le diable ne peut rien, comme nous l’avons vu dans la première Partie. Le diable ne peut donc pas utiliser les mouvements intérieurs de l’homme pour l’induire à pécher.

En sens contraire, d’après cela le diable ne pourrait jamais tenter l’homme qu’à condition d’apparaître visiblement, ce qui est évidemment faux.

Réponse :

L’âme en son intimité est intellectuelle et sensible. Intellectuelle, elle contient l’intelligence et la volonté. Pour ce qui est de la volonté, nous venons de dire comment le diable se comporte envers elle. Quant à l’intelligence, elle est mise en mouvement par ce qui lui apporte de la lumière pour la connaissance de la vérité. Or ce n’est pas cela que le diable cherche à faire chez l’homme ; il cherche plutôt à obscurcir sa raison pour le faire consentir au péché. Et comme cet obscurcissement provient de l’imagination et de l’appétit sensible, il semble que toute l’action intérieure du diable concerne ces deux facultés. C’est en les agitant l’une et l’autre qu’il peut induire au péché, car il peut faire que des formes imaginaires se présentent à l’imagination. Il peut faire également que l’appétit sensible soit excité à quelque passion.

Nous avons dit en effet dans la première Partie que le monde des corps obéit naturellement à celui des esprits pour ce qui est mouvement local. Par conséquent le diable a le pouvoir de causer dans ce monde inférieur tout ce qui peut provenir du mouvement local, à moins d’être retenu par la puissance divine. Or le fait que des formes se présentent à l’imagination est parfois la suite d’un mouvement local. Le Philosophe dit, au livre sur le Sommeil et la Veille, que “lorsqu’un animal s’est endormi, si le sang afflue en abondance aux organes sensoriels, y affluent en même temps les mouvements”, c’est-à-dire les empreintes laissées par les objets extérieurs et conservées dans les images sensibles ; et ces empreintes agissent sur le principe de connaissance, en lui apparaissant comme si le principe sensible était modifié alors par la présence des réalités extérieures. Il y a donc là un mouvement local, simple déplacement d’humeurs ou d’esprits animaux, qui peut être provoqué par les démons chez l’homme soit endormi soit éveillé, et qui influe sur son imagination.

Pareillement, l’appétit sensible est excité à des passions par des mouvements déterminés du cœur et des esprits animaux. Aussi le diable peut-il également coopérer à cela. Et du fait que des passions sont ainsi excitées dans l’appétit sensible, il s’ensuit que l’imagination perçoit plus vivement l’impression sensible ramenée en elle de la manière que nous avons dite, pour cette raison notée par le Philosophe dans le même livre : “Ceux qui aiment sont portés à retrouver dans la moindre ressemblance l’image de ce qu’ils aiment.” Il arrive en outre, la passion étant ainsi excitée, que ce qui s’offre à l’imagination, on juge devoir le poursuivre, parce que celui qui est pris par une passion trouve bon tout ce qui est dans le sens de sa passion. Et voilà de quelle façon le diable induit intérieurement à pécher.

Solutions :

1. Les activités vitales viennent toujours d’un principe intrinsèque ; cependant un principe actif extérieur peut y concourir aussi. C’est ainsi que, même pour les activités de la vie végétative, la chaleur ambiante apporte son concours en facilitant la digestion des aliments.

2. Cette apparition de formes dans l’imagination ne se fait pas tout à fait en dehors de l’ordre de la nature, ni non plus au seul commandement de la volonté ; mais elle se fait, avons-nous dit, par l’intermédiaire du mouvement local.

3. C’est ce qui permet de répondre à la troisième objection, car ces formes tirent leur origine de la sensation.

 

            Article 3 — Le diable peut-il mettre dans la nécessité de pécher ?

Objections :

1. Il semble qu’il ait ce pouvoir sur l’homme, comme une puissance plus grande sur une plus petite. Au livre de Job (41,25) il est écrit du diable : “ Il n’y a pas une puissance sur terre qui puisse lui être comparée. ” L’homme qui est terrestre peut donc être mis par le diable dans la nécessité de faire le mal.

2. La raison humaine ne peut être mue que par ce qui est d’abord proposé aux sens extérieurs, puis représenté à l’imagination, car toute notre connaissance vient des sens et nous ne saurions penser sans image, d’après Aristote. Or le diable peut mouvoir l’imagination, nous l’avons dit. Il peut aussi mouvoir les sens extérieurs puisque S. Augustin assure que “ ce mal qui vient du diable se glisse par l’ouverture de toutes les sensations, se communique à la figure des choses, s’allie aux couleurs, se colle aux sons, s’infuse dans les saveurs ”. Par tous ces moyens il n’est pas douteux que le diable puisse nécessiter la raison humaine à pécher.

3. Selon S. Augustin “ il y a péché quand la chair convoite contre l’esprit ”. Or le diable peut causer la convoitise charnelle, comme il peut causer les autres passions, de la manière que nous avons décrite. Il peut donc contraindre l’homme à pécher.

En sens contraire, S. Pierre dit (1 P 5,8) “ Votre ennemi le diable, pareil à un lion rugissant, rôde autour de vous, cherchant qui dévorer. Résistez-lui, fermes dans la foi. ” Un pareil avertissement serait inutile si l’homme devait nécessairement succomber. Donc le diable ne met pas l’homme dans la nécessité de pécher.

Réponse :

Le diable, par sa propre puissance, peut, si Dieu ne l’arrête, amener nécessairement quelqu’un à faire des actes qui sont matériellement des péchés, mais il ne peut pas lui imposer la nécessité de pécher. C’est évident du fait qu’à un motif de pécher l’homme ne résiste que par la raison. Le diable peut arrêter complètement l’usage de la raison en troublant l’imagination et l’appétit sensible, comme cela se voit chez les possédés. Mais alors, quoi que l’homme puisse faire, si sa raison est liée de la sorte, l’acte ne lui est pas imputé à péché. Si au contraire la raison n’est pas complètement liée, elle peut, par ce qu’elle a de libre, résister au péché, comme il a été dit plus haut. Ainsi est-il clair que le diable ne peut aucunement nécessiter l’homme à pécher.

Solutions :

1. Ce n’est pas n’importe quelle puissance supérieure à l’homme qui peut mouvoir la volonté, mais uniquement Dieu, nous l’avons vu.

2. Ce qui est appréhendé par le sens ou l’imagination ne meut pas la volonté de façon nécessitante, si l’homme a l’usage de sa raison, et cet usage n’est pas toujours lié par ces sortes d’appréhensions sensibles.

3. La convoitise de la chair contre l’esprit, quand la raison y oppose une résistance actuelle, n’est pas péché, mais matière à exercer la vertu. D’autre part, que la raison ne lui résiste pas, ce n’est pas au pouvoir du diable. C’est pourquoi celui-ci ne peut mettre personne dans la nécessité de pécher.

 

            Article 4 — Tous les péchés proviennent-ils de la suggestion du diable ?

Objections :

1. Il le semble bien. Car Denys : “ La multitude des démons est la cause de tous les maux, pour eux-mêmes et pour les autres. ”

2. Celui qui pèche mortellement devient l’esclave du diable, comme il est dit en S. Jean (8,34) : “ Celui qui commet le péché devient esclave du péché. ” Mais selon S. Pierre (2 P 2,19) : “ On est esclave de ce qui vous domine. ” Commettre le péché, c’est donc être dominé par le diable.

3. Si la faute du diable est irréparable, c’est parce que, dit S. Grégoire, il est tombé de lui-même et sans que personne lui ait suggéré de pécher. Donc, si des hommes péchaient en pleine liberté et sans que personne le leur suggère, leur péché serait irrémédiable ; ce qui est évidemment faux. Tous les péchés des hommes se font donc à la suggestion du diable.

En sens contraire, il est dit au livre des Croyances ecclésiastiques : “ Ce n’est pas toujours le diable qui éveille en nous les mauvaises pensées ; elles surgissent quelquefois par le mouvement de notre libre arbitre. ”

Réponse :

Occasionnellement et indirectement, le diable est la cause de tous nos péchés, puisque c’est lui qui a induit le premier homme à pécher et qu’à la suite de son péché la nature humaine a été tellement viciée que nous sommes tous maintenant enclins au mal ; comme si l’on disait que, si le bois brûle, c’est à cause de celui qui l’a fait sécher, puisque c’est une fois sec qu’il s’enflamme facilement. - Mais, directement, le diable n’est pas la cause de toutes les fautes des hommes, au point de nous faire consentir à chacun de nos péchés. Origène le prouve par le fait que, même si le diable n’existait pas, les hommes auraient l’appétit de la nourriture, des plaisirs sexuels, etc. ; appétit qui pourrait être désordonné sans la régulation de la raison, ce qui est au pouvoir du libre arbitre.

Solutions :

1. La multitude des démons est en effet la cause de tous nos maux dans leur première origine, comme nous venons de le dire.

2. On ne devient pas l’esclave de quelqu’un seulement quand on est dominé par lui mais encore lorsqu’on se soumet volontairement à lui. Et c’est ainsi que celui qui pèche de son propre mouvement devient l’esclave du diable.

3. Le péché du diable a été irrémédiable parce qu’il l’a commis sans que personne le lui eût suggéré et sans avoir un penchant au mal causé par une suggestion antérieure. On ne peut en dire autant d’aucun péché de l’homme.

LA CAUSE DU PÉCHÉ DU COTÉ DE L’HOMME

Étudions maintenant la part de l’homme comme cause du péché. Or, bien que l’homme soit pour un autre homme une cause du péché du fait qu’il le lui suggère de l’extérieur comme fait aussi le diable, il a une manière spéciale de porter le péché chez les autres, qui est de le leur transmettre originellement. Aussi faut-il traiter du péché originel 1. Et, par rapport à ce péché, il y a trois choses à considérer : 1° sa transmission (Q. 81) ; 2° son essence (Q. 82) ; 3° son sujet (Q. 83).

 

QUESTION 81 — LA TRANSMISSION DU PÉCHÉ ORIGINEL

1. Le premier péché de l’homme se transmet-il à la postérité par voie d’origine ? - 2. Tous les autres péchés du premier père, ou même d’autres ancêtres, se transmettent-ils à la postérité par voie d’origine ? - 3. Le péché originel est-il transmis à tous ceux qui descendent charnellement d’Adam ? - 4. Serait-il transmis à ceux qui seraient miraculeusement formés d’une partie du corps humain ? - 5. Si la femme avait péché, mais non pas l’homme, y aurait-il eu transmission du péché originel ?

 

            Article 1 — Le premier péché de l’homme se transmet-il à la postérité par voie d’origine ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le premier péché du premier père puisse, par une telle voie, se transmettre à d’autres. Il est dit en Ézéchiel (18, 20) : “ Le fils ne portera pas l’iniquité du père. ” Or il la porterait s’il recevait de lui l’iniquité. Personne donc ne reçoit d’aucun de ses ancêtres, par son origine, un péché quelconque.

2. Un accident ne se transmet pas par voie d’origine, sinon par la transmission du sujet, car l’accident ne passe pas de sujet en sujet. Mais l’âme rationnelle qui est le siège de la faute ne se transmet pas héréditairement, nous l’avons montré dans la première Partie. Donc la faute ne peut se transmettre par voie d’origine.

3. Tout ce qui se transmet par origine humaine est produit par la semence. Or celle-ci ne peut pas produire le péché, n’ayant pas en elle cette âme raisonnable qui seule peut être cause du péché. Donc nul ne peut contracter un péché du fait de son origine.

4. Ce qui est d’une nature plus parfaite a plus de force pour agir. Or, la chair humaine parfaitement formée n’a pas le pouvoir d’infecter l’âme qui lui est unie ; sans quoi cette âme ne pourrait être purifiée de la faute originere tant qu’elle reste unie à la chair. La semence a donc encore moins de pouvoir pour infecter l’âme.

5. Selon le Philosophe : “ Nul ne blâme ceux qui sont laids par nature, mais on blâme ceux qui le sont par fainéantise et négligence. ” Mais nous appelons laids par nature ceux qui le sont précisément par leur origine. Donc rien de ce qui est originel n’est blâmable et n’est péché.

En sens contraire, l’Apôtre dit (Rm 5, 12) “ Le péché est entré dans le monde par un seul homme. ” Cela ne peut s’entendre d’une simple influence d’exemple ou d’excitation, comme quand la Sagesse (2, 14) dit : “ C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde. ” Reste donc que le péché soit entré dans le monde du fait du premier homme et par voie d’origine.

Réponse :

Selon la foi catholique, il faut tenir que le premier péché du premier homme passe à la postérité par voie d’origine. C’est pour cela que les enfants sont portés au baptême aussitôt après leur naissance, comme devant être lavés de la mouillure d’une faute. C’est le contraire de l’hérésie pélagienne, comme on le voit par S. Augustin dans un très grand nombre de ses livres.

Lorsqu’il s’est agi de découvrir comment le péché du premier père peut originellement passer à sa postérité, divers auteurs s’y sont diversement essayés. Les uns, considérant que le sujet du péché est l’âme raisonnable, ont soutenu que cette âme se transmet avec la semence, de manière que les âmes infectées semblent dériver d’une âme infectée. D’autres, au contraire, rejetant cela comme une erreur, se sont efforcés de montrer comment une faute de l’âme des parents se transmet aux enfants sans même qu’il y ait transmission d’âme, et par cela seul que les défauts du corps sont transmis par les parents à leurs enfants ; de même un lépreux engendre un lépreux, et un goutteux engendre un goutteux, à cause d’une corruption de la semence qui n’est pourtant ni la lèpre ni la goutte. Puisque le corps est proportionné à l’âme et que les défauts de l’âme se répercutent sur le corps, et réciproquement, on dit de la même façon que le défaut coupable de l’âme passe à l’enfant par la transmission de la semence, bien que la semence ne soit pas en acte le siège de la faute.

Tous ces essais sont pourtant insuffisants. Car, en admettant que des défauts corporels passent de père en fils par le seul fait de l’origine, et même certains défauts de l’âme par voie de conséquence, en raison du mauvais état du corps, comme il y a de temps à autre des idiots engendrés par des idiots ; il n’en reste pas moins que ce fait même de tenir un défaut de son origine paraît exclure toute idée de faute, puisqu’il est essentiel à la faute d’être volontaire. Aussi, à supposer même que l’âme raisonnable serait transmise, la souillure, dès lors qu’elle ne serait pas dans la volonté de l’enfant, perdrait le caractère spécifique d’une faute obligeant à une peine : “ Personne, dit le Philosophe, ne blâmera un aveugle-né, on le plaindra plutôt. ”

Il faut donc essayer une autre voie, en disant que tous les hommes qui naissent d’Adam, nous pouvons les considérer comme un seul homme. En effet, ils ont la même nature reçue du premier père : et c’est ainsi que dans la cité tous les membres d’une même communauté sont considérés comme un seul corps, et leur communauté tout entière comme un seul homme. Porphyre lui-même dit que “ par leur participation à l’espèce, plusieurs hommes n’en font qu’un ”. Ainsi donc, les multiples humains dérivés d’Adam sont comme autant de membres d’un seul corps. - Or dans le corps, si l’acte d’un membre, comme de la main, est volontaire, il n’est pas volontaire par la volonté de la main elle-même, mais par celle de l’âme, de l’âme qui est la première à mouvoir ce membre. C’est pourquoi l’homicide que commet une main ne lui serait pas imputé à péché si on la considérait comme séparée du corps ; mais il lui est imputé en tant qu’elle est quelque chose de l’homme et qu’elle reçoit le mouvement de ce qui est dans l’homme le premier principe moteur.

C’est donc ainsi que le désordre qui se trouve dans cet individu engendré par Adam, est volontaire non par sa volonté à lui fils d’Adam, mais par celle de son premier père, lequel imprime le mouvement, dans l’ordre de la génération, à tous ceux de sa race, comme fait la volonté de l’âme à tous les membres dans l’ordre de l’action. Aussi appelle-t-on originel ce péché qui rejaillit du premier père sur sa postérité, comme on appelle actuel le péché qui rejaillit de l’âme sur les membres du corps. Le péché actuel, qui est commis par un membre, n’est le péché de tel membre que dans la mesure où ce membre est quelque chose de l’homme lui-même, et on le nomme à cause de cela péché de la personne humaine. De même, le péché originel n’est le péché de telle personne en particulier que dans la mesure où elle reçoit sa nature du premier père, et il est appelé à cause de cela péché de la nature, au sens où l’Apôtre dit (Ep 2, 3) : “ Nous étions par nature fils de colère. ”

Solutions :

1. On doit dire que le fils ne porte pas le péché de son père, parce qu’il n’est puni pour le péché de son père que si réellement il participe de sa faute. Et c’est précisément ce qui arrive dans le cas du péché originel, car la faute passe du père au fils par origine, comme le péché actuel passe d’un homme à l’autre par imitation.

2. L’âme n’est pas transmise, parce que la semence ne peut causer une âme raisonnable. Elle la prépare cependant de façon diapositive. Aussi est-ce vraiment par l’activité séminale que la nature humaine est transmise de père en fils, et, en même temps que la nature, le mal dont elle est infectée. En effet, celui qui naît à la vie humaine est associé à la faute du premier père du fait qu’il reçoit de lui la nature humaine par le flux des générations.

3. Bien que la faute originelle n’existe pas en acte dans la semence, elle y est cependant en vertu de la nature humaine qu’une telle faute accompagne toujours.

4. La semence est le principe de la génération, et celle-ci est l’acte propre de la nature, au service de sa propagation. C’est pourquoi l’âme est infectée davantage par la semence que par la chair complètement formée, qui est dès lors celle d’une personne déterminée.

5. Il n’y a pas à reprocher à celui qui vient au monde ce qu’il tient de son origine, si on ne regarde que lui. Mais, si l’on considère cet individu par rapport à quelque principe, alors on peut lui reprocher ce qu’il a de naissance. C’est ainsi que quelqu’un peut avoir à souffrir de la déchéance de sa race, causée par la faute d’un de ses ancêtres.

 

            Article 2 — Tous les autres péchés du premier père, ou même d’autres ancêtres, se transmettent-ils à la postérité par voie d’origine ?

Objections :

1. Il semble bien que les autres péchés, soit du premier père lui-même, soit des autres ancêtres les plus proches, se transmettent à leurs descendants. Car la peine n’est jamais due qu’à la faute. Or certains sont punis, par sentence divine, pour une faute de leurs ancêtres les plus proches, suivant l’Exode (20, 5) : “ je suis un Dieu jaloux, poursuivant l’iniquité des pères dans leurs fils jusqu’à la troisième et quatrième génération. ” Et de même, par sentence humaine, dans le crime de lèse-majesté, des fils sont déshérités pour la faute de leurs parents. Donc même la faute des proches parents passe à leur postérité.

2. On peut plus efficacement transférer à autrui ce qu’on a par soi-même que ce qu’on tient d’un autre ; pour chauffer, le feu a plus d’action que l’eau chaude. Or l’homme communique à sa race par voie d’origine le péché qu’il tient d’Adam. Donc à plus forte raison celui qu’il a commis lui-même.

3. Si nous contractons le péché originel du fait de notre premier père, c’est parce que nous étions réellement en lui comme dans le principe même d’une nature que lui-même a corrompue. Mais nous étions pareillement dans nos ancêtres les plus proches comme en certains principes d’une nature qui, bien que déjà corrompue, peut l’être encore davantage par le péché. Les fils contractent donc, par voie d’origine, les péchés de leurs ancêtres les plus proches, comme ils contractent celui de leur premier père.

En sens contraire, le bien a, plus que le mal, tendance à se répandre. Mais les mérites des ancêtres les plus proches ne sont pas transmis aux descendants. Les péchés le sont donc beaucoup moins.

Réponse :

S. Augustin agite cette question dans son Enchiridion et la laisse sans solution. Mais si l’on y réfléchit bien, il est impossible qu’aucun péché de nos ancêtres les plus proches, ou de notre plus lointain ancêtre, autre que le premier péché, se transmette par voie d’origine. Et la raison en est que l’homme engendre bien un autre lui-même quant à l’espèce, mais non pas quant à l’individu. C’est pourquoi tout ce qui est strictement individuel, comme les actes personnels et ce qui s’y rapporte, n’est pas transmis par les parents aux enfants ; un grammairien ne transmet pas à son fils la science de la grammaire qu’il a acquise par son travail personnel. Au contraire, ce qui est spécifique se transmet des parents aux enfants, à moins d’une défaillance de la nature ; ainsi quelqu’un qui a bonne vue engendre des enfants qui ont bonne vue, si sa nature n’est pas en défaut. Et si la nature est vigoureuse, il y a même quelques traits individuels qui se transmettent aux enfants à titre de dispositions naturelles : agilité du corps, souplesse d’esprit, etc. ; jamais pourtant ce qui est purement personnel, comme on vient de le dire.

Par ailleurs, de même que la personne possède quelque chose d’elle-même et quelque chose par don gratuit, de même aussi la nature peut avoir quelque chose par elle-même, c’est-à-dire venant de ses propres principes, et quelque chose par don gratuit. Tel fut précisément le cas de la justice originelle, nous l’avons dit dans la première Partie : elle était un don gracieux fait par Dieu à la nature humaine tout entière en la personne du premier père. Le premier homme a perdu ce don par le premier péché. Aussi, de même que la justice eût été transmise aux descendants en même temps que la nature, de même maintenant le désordre opposé à cette justice. - Quant aux autres péchés actuels du premier père ou des autres ancêtres, ils ne gâtent pas ce qu’il y a de naturel dans la nature, mais seulement ce qu’il y a de personnel, c’est-à-dire le penchant à l’acte ; aussi ces autres péchés ne se transmettent pas.

Solutions :

1. S’il s’agit d’une peine spirituelle, explique S. Augustin, les fils ne sont jamais punis pour leurs pères, à moins qu’ils n’aient participé à leur faute, soit par origine, soit par imitation ; car toutes les âmes, comme il est écrit en Ézéchiel (18, 4), viennent immédiatement de Dieu. Mais s’il s’agit d’une peine corporelle, de temps à autre, par sentence divine ou humaine, les fils sont punis pour leurs pères dans la mesure où corporellement le fils est quelque chose du père.

2. Ce qu’on a par soi-même, on peut en effet le transmettre plus efficacement, pourvu que ce soit transmissible. Or les péchés actuels de nos ancêtres les plus proches ne sont pas transmissibles parce qu’ils sont, on vient de le dire, purement personnels.

3. Le premier péché a corrompu la nature humaine d’une corruption qui affectait la nature ; mais les autres péchés la corrompent d’une corruption qui affecte seulement la personne.

 

            Article 3 — Le péché originel est-il transmis à tous ceux qui descendent charnellement d’Adam ?

Objections :

1. Il semble que le péché d’Adam ne passe pas, par voie d’origine, à tous les hommes. En effet la mort est la peine consécutive au péché originel. Or elle ne frappera pas, semble-t-il, tous les descendants d’Adam puisque l’Apôtre (1 Th 4, 14) paraît dire que ceux qui seront trouvés vivants à l’avènement du Seigneur ne mourront jamais. Donc ceux-là ne contractent pas le péché originel.

2. On ne donne pas à autrui ce qu’on n’a pas soi-même. Mais le baptisé n’a plus le péché originel. Il ne le transmet donc pas à sa lignée.

3. Le don du Christ est plus grand que le péché d’Adam dit l’Apôtre (Rm 5, 15). Pourtant le don du Christ ne passe pas à tous les humains. Donc le péché d’Adam non plus.

En sens contraire, l’Apôtre affirme (Rm 5, 12 Vg) : “ La mort a passé sur tous, dans la personne de celui en qui tous ont péché. ”

Réponse :

Selon la foi catholique, il faut tenir fermement qu’à la seule exception du Christ, tous les humains dérivés d’Adam contractent par Adam le péché originel. Sans quoi tous n’auraient pas besoin de la rédemption qui se fait par le Christ, ce qui est une erreur.

On peut en rendre raison par ce que nous avons dit plus haut h : par le péché du premier père, la faute originelle est transmise à la postérité de la même manière que par la volonté de l’âme le péché actuel est transmis à tous les membres auxquels il appartient d’être mus par la volonté. Or il est évident que le péché actuel peut être transmis à tous les membres qui sont naturellement sous la motion de la volonté. Par conséquent, la faute originelle est transmise, elle aussi, à tous ceux dont la génération dépend de la motion d’Adam.

Solutions :

1. Il est plus probable et plus logique de penser que tous ceux qui seront encore vivants à l’avènement du Seigneur, mourront et ressusciteront peu après, ainsi que nous l’exposerons plus complètement dans la troisième Partie. Si pourtant il est vrai que ceux-là n’auront pas à mourir, comme d’aucuns le pensent - S. Jérôme rapporte à ce sujet les opinions de plusieurs - il faut répondre ceci à l’objection : Bien que ces gens ne meurent pas, ils sont cependant astreints à la mort, mais Dieu leur remet cette peine, lui qui peut même remettre les peines des péchés actuels.

2. Par le baptême le péché originel est enlevé quant à la culpabilité, et l’âme dans sa partie spirituelle retrouve la grâce. Cependant, le péché originel reste en activité dans ce foyer qu’est le désordre des facultés inférieures de l’âme et celui du corps lui-même. Or c’est par le corps que l’homme engendre, et non par l’esprit. Voilà pourquoi les baptisés transmettent le péché originel ; car les parents n’engendrent pas en tant qu’ils ont été renouvelés par le baptême, mais en tant qu’ils gardent encore quelque chose de la vétuste du premier péché.

3. De même que le péché d’Adam est transmis à tous ceux qui sont engendrés corporellement par Adam, de même la grâce du Christ est transmise à tous ceux qui sont engendrés spirituellement par lui, au moyen de la foi et du baptême ; et ce n’est pas seulement pour éloigner la faute du premier père, mais aussi pour écarter les péchés actuels et faire accéder à la gloire.

 

            Article 4 — Le péché originel serait-il transmis à ceux qui seraient miraculeusement formés d’une partie du corps humain ?

Objections :

1. Il semble que si quelqu’un était miraculeusement formé de chair humaine, il contracterait le péché originel. En effet, une certaine Glose affirme, au sujet du chapitre 4 de la Genèse : “ Toute la postérité d’Adam a été totalement corrompue dans sa puissance génératrice, car elle a commencé à se distinguer de lui non au paradis de vie, mais plus tard sur la terre d’exil. ” Mais si un homme était formé miraculeusement comme on l’a dit, sa chair se distinguerait de celle d’Adam sur la terre d’exil. Donc il contracterait le péché originel.

2. C’est l’infection de l’âme par la chair qui cause en nous le péché originel. Mais la chair de l’homme est tout entière infectée. Quelle que soit donc la portion de cette chair dont l’homme serait formé, son âme serait infectée du mal originel.

3. Le péché originel du premier père nous atteint tous dans la mesure où tous étaient en lui lorsqu’il pécha. Or, ceux mêmes qui seraient formés de chair humaine auraient existé en Adam. Donc ils contracteraient le péché originel.

En sens contraire, ils n’auraient pas existé en Adam comme dans un principe séminal ; or cela seulement cause la transmission du péché originel, d’après S. Augustin.

Réponse : On vient de le dire, le péché originel est transmis par le premier père à ses descendants dans la mesure où ils reçoivent de lui l’influence de la génération, comme les membres sont mus par l’âme à commettre le péché actuel. Or il n’y a réellement de génération que par le moyen de la vertu active qui s’y emploie. Aussi, ceux-là seuls contractent le péché originel qui descendent du premier homme par la vertu dérivée d’Adam, à l’origine, dans l’acte de la génération ; c’est ainsi qu’on descend de lui par le principe séminal ; car celui-ci n’est rien d’autre que la vertu à l’œuvre dans la génération. Or, si quelqu’un était formé de chair humaine par une vertu divine, il est manifeste que ce ne serait pas par une force active venue d’Adam. Aussi cet homme ne contracterait pas le péché originel, pas plus que la main n’aurait part au péché de la personne, si cette main était mise en mouvement non par la volonté de la personne, mais par une force extérieure.

Solutions :

1. Adam n’a été dans le lieu d’exil qu’après son péché. Ce n’est donc pas parce qu’il est en exil mais parce qu’il a péché, que la faute originelle est transmise à tous ceux qui ont vraiment été engendrés par son action.

2. L’âme n’est infectée par la chair que dans la mesure où celle-ci est le principe actif servant à la génération, nous venons de le dire.

3. Celui qui serait formé simplement de la chair humaine serait issu de la substance corporelle, mais non du principe séminal du premier homme, et c’est pourquoi il ne contracterait pas le péché originel.

 

            Article 5 — Si la femme avait péché, mais non pas l’homme, y aurait-il transmission du péché originel ?

Objections :

1. Selon toute apparence, oui. Car nous recevons de nos parents le péché originel dans la mesure où nous avons existé en eux, selon le mot de l’Apôtre (Rm 5, 12 Vg) : “ Celui en qui tous ont péché. ” Mais l’homme ne préexiste pas moins dans sa mère que dans son père. Il contracterait donc le péché originel à partir du péché de sa mère, comme il le contracte à partir du péché de son père.

2. Si Ève avait péché mais non pas Adam, les enfants naîtraient cependant passibles et mortels, puisque “ dans la génération c’est la mère qui donne la matière ”, dit le Philosophe ; la mort, comme toute passibilité, provient de l’exigence de la matière. Mais la passibilité et la nécessité de mourir sont la peine du péché originel. Donc si Ève avait péché et non pas Adam, les enfants contracteraient le péché originel.

3. Le Damascène dit que “ l’Esprit Saint a prévenu cette faute chez la Vierge ” et l’en a purifiée, afin que le Christ pût naître de Marie sans la souillure originelle. Mais une telle purification n’aurait pas été nécessaire si la souillure ne venait pas aussi de la mère. Donc l’infection du péché originel se communique par la mère. Ainsi le péché d’Ève eût fait dériver sur ses enfants la faute originelle, même si Adam n’avait pas péché.

En sens contraire, d’après l’Apôtre (Rm 5, 12) : “ Par un seul homme le péché est entré dans le monde. ” Si la femme avait transmis à sa descendance le péché originel, il aurait mieux valu dire “ par deux ”, puisque tous deux ont péché ; ou plutôt “ par la femme ”, puisqu’elle a péché la première. Donc les enfants ne reçoivent pas le péché originel de la mère mais du père.

Réponse :

La solution de ce problème ressort de ce qui précède. Nous avons dit en effet n que le péché originel est transmis par le premier père dans la mesure où c’est vraiment lui qui contribue à la génération de ses descendants. Voilà pourquoi, avons-nous dit, si quelqu’un n’était fils d’Adam que matériellement et par la chair, il ne contracterait pas le péché originel. Or il est évident, d’après ce que disent les philosophes que dans la génération le principe actif vient du père et que la mère fournit la matière. C’est pourquoi le péché originel ne vient pas de la mère mais du père ; de sorte que si Ève avait péché et non pas Adam, les enfants ne contracteraient pas le péché originel, tandis que ce serait le contraire si Adam avait péché et non pas Ève.

Solutions :

1. Le fils préexiste en son père comme dans un principe actif, en sa mère comme dans un principe matériel et passif. Aussi la comparaison ne vaut pas.

2. Certains pensent que si Ève avait péché et non Adam, les enfants auraient été exempts de la faute, mais auraient eu à endurer la nécessité de mourir et les autres possibilités de souffrir qui proviennent des exigences de la matière, puisque c’est la mère qui fournit la matière, non à titre de peine mais avec les limites qui lui viennent de la nature. - Mais cela ne parait pas cohérent. L’immortalité et l’impassibilité de l’état primitif ne dépendaient pas des conditions de la matière, comme nous l’avons dit dans la première Partie mais bien de la justice originelle, par laquelle le corps était soumis à l’âme aussi longtemps que l’âme serait soumise à Dieu. Or, l’absence de cette justice originelle, c’est le péché originel. Donc si, Adam ne péchant pas, le péché d’Ève n’eût pas suffi à transmettre le péché originel à ses enfants, il est évident qu’il n’y aurait pas eu chez ceux-ci absence de justice originelle ni, par suite, passibilité d’aucune sorte ou nécessité de mourir.

3. Cette purification prévenante en faveur de la Bienheureuse Vierge n’était pas requise pour empêcher la transmission du péché originel, mais parce qu’il fallait que la Mère de Dieu brillât d’une pureté extrême. Car rien n’est digne d’être la demeure de Dieu, sans la pureté, selon le Psaume (93, 5) : “ La sainteté convient à ta maison, Seigneur. ”

 

QUESTION 82 — LE PÉCHÉ ORIGINEL — SON ESSENCE

1. Le péché originel est-il un habitus ? - 2. N’y a-t-il en chaque homme qu’un seul péché originel ? - 3. Est-il la convoitise ? - 4. Existe-t-il également chez tous ?

 

            Article 1 — Le péché originel est-il un habitus ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet le péché originel est l’absence de justice originelle, d’après S. Anselme. Ainsi, c’est une privation. Mais la privation s’oppose à l’habitus. Donc le péché originel n’est pas un habitus.

2. Le péché actuel a plus de culpabilité que le péché originel parce qu’il a davantage raison de volontaire. Mais l’habitus du péché n’a pas de culpabilité ; autrement l’homme qui dort serait coupable de péché. Donc aucun habitus originel n’a raison de faute.

3. Dans le mal, l’acte précède toujours l’habitus ; en effet l’habitus mauvais n’est jamais infus ; il est acquis. Mais aucun acte ne précède le péché originel. Celui-ci n’est donc pas un habitus.

En sens contraire, S. Augustin affirme que par suite du péché originel, les petits enfants ont déjà une aptitude à la convoitise bien qu’ils n’en aient pas encore l’acte. Mais l’aptitude correspond à un habitus. Le péché originel est donc bien un habitus.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, il y a deux sortes d’habitus. Il y a celui qui incline la puissance à agir ; les sciences et les vertus sont des habitus de cette sorte ; non le péché originel. - L’habitus est aussi, dans une nature composée de plusieurs éléments, une disposition bonne ou mauvaise à l’égard de quelque chose, et surtout quand cette disposition est pour ainsi dire passée à l’état de nature : tel est le cas de la maladie et de la santé. Et en ce sens le péché originel est un habitus. Il est en effet une certaine disposition désordonnée provenant de la rupture de cette harmonie qu’était la justice originelle, de même que la maladie est une disposition déréglée du corps, laquelle détruit l’équilibre qu’est la santé. Aussi le péché originel est-il appelé “ une langueur de la nature ”.

Solutions :

1. De même qu’une maladie du corps est une privation, parce qu’elle détruit l’équilibre de la santé, et a quelque chose de positif : les humeurs qui sont mal réglées, de même le péché originel comporte la privation de la justice originelle, et avec cela le dérèglement des différentes parties de l’âme. Ce péché n’est donc pas pure privation mais un habitus faussé.

2. Le péché actuel est un désordre de l’acte, tandis que le péché originel, étant le péché de la nature, est une disposition déréglée de la nature elle-même ; cette disposition a raison de faute en tant qu’elle découle du premier père comme on l’a dit. Or, dans cette nature, une disposition désordonnée de cette sorte a raison d’habitus, tandis que la disposition désordonnée de l’acte n’a pas raison d’habitus. C’est pourquoi le péché originel peut être un habitus, mais non le péché actuel.

3. Cette objection se fonde sur l’habitus qui incline la puissance à l’acte. Le péché originel n’est pas un habitus de cette sorte, bien qu’il entraîne après lui un penchant à des actes désordonnés ; il ne le fait pas directement mais indirectement, c’est-à-dire en éloignant cet obstacle que la justice originelle opposait aux mouvements déréglés ; de même aussi une maladie organique entraîne indirectement à sa suite la propension à des mouvements corporels déréglés. - On ne doit pas dire non plus que le péché originel est un habitus infus ; ni un habitus acquis par l’acte, à moins qu’on ne veuille dire l’acte du premier père, et non celui de telle ou telle personne. C’est un habitus inné, dû à notre origine viciée.

 

            Article 2 — N’y a-t-il en chaque homme qu’un seul péché originel ?

Objections :

1. Il semble qu’il y en ait plusieurs, puisqu’on dit dans le Psaume (51, 7) : “ Voici que j’ai été conçu dans les iniquités, dans les péchés ma mère m’a conçu. ” Mais ce péché dans lequel l’homme est conçu, c’est le péché originel. Donc il y en a plusieurs dans un seul homme.

2. Un seul et même habitus n’incline pas à des choses contraires, car un habitus incline à la manière de la nature, qui ne tend jamais qu’à une seule chose. Or le péché originel, même en un seul homme, incline à des péchés divers et contraires. Il n’est donc pas un seul habitus, mais plusieurs.

3. Le péché originel infecte toutes les parties de l’âme. Or les diverses parties de l’âme sont, comme nous l’avons vu . les sujets divers du péché. Mais puisqu’un même péché ne peut exister en divers sujets, il semble donc que le péché originel n’est pas unique mais multiple.

En sens contraire, il est dit en S. Jean (1, 29) : “ Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève le péché du monde. ” La Glose explique que l’on dit “ le péché du monde ” au singulier parce qu’il s’agit du péché originel, qui est unique.

Réponse :

Il n’y a qu’un seul péché originel dans un homme. Et l’on peut trouver à cela une double raison.

1° La cause de ce péché. Nous l’avons dit, il n’y a que la première faute du premier père qui soit transmise à la postérité. Par suite, le péché originel en chaque homme est numériquement un, et chez tous les hommes proportionnellement un ; par référence à son principe premier.

2° L’essence même du péché originel. En effet, dans toute disposition désordonnée, l’unité spécifique dépend de la cause ; l’unité numérique, du sujet. Ainsi les diverses espèces de maladies sont celles qui procèdent de causes diverses, par exemple d’un excès de chaud ou de froid, d’une lésion du foie ou du poumon ; et une maladie spécifiquement une ne peut donner lieu, chez un individu, qu’à une maladie numériquement une. Or, cette mauvaise disposition qui s’appelle le péché originel n’a qu’une cause : la privation de la justice originelle, par laquelle a été supprimée la soumission de l’esprit humain à Dieu. A cause de cela, le péché originel est spécifiquement un et, chez un individu, ne peut être que numériquement un. Chez les divers individus, il est un spécifiquement et proportionnellement, mais se diversifie numériquement.

Solutions :

1. Le pluriel “ dans les péchés ” est conforme à cet usage de la Sainte Écriture d’employer fréquemment le pluriel pour le singulier, ainsi en Matthieu (2, 20) : “ Ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant. ” Ou bien parce que tous les péchés actuels préexistent virtuellement dans le péché originel comme dans un principe, ce qui confère à ce péché une multiplicité virtuelle. Ou bien encore parce qu’il y eut dans ce péché du premier père transmis par origine plusieurs difformités morales : orgueil, désobéissance, gourmandise, etc. Ou enfin parce que de multiples parties de l’âme sont infectées par le péché originel.

2. Un seul habitus ne peut incliner par lui-même et directement, autrement dit par sa forme propre, à des choses contraires. Mais il le peut indirectement et par accident, c’est-à-dire en éloignant l’obstacle. Ainsi, une fois détruite l’harmonie d’un corps mixte, les éléments s’en vont en sens contraire. Et pareillement, une fois détruite l’harmonie de la justice originelle, les diverses puissances de l’âme se portent à des objets divers.

3. Le péché originel infecte les diverses parties de l’âme selon qu’elles constituent un tout, de même que la justice originelle les contenait toutes dans l’unité. C’est pourquoi il n’y a qu’un seul péché originel. De même il n’y a qu’une fièvre dans un individu, bien que diverses parties du corps en soient incommodées.

 

            Article 3 — Le péché originel est-il la convoitise ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Le Damascène dit que tout péché est contre la nature. Or la convoitise est conforme à la nature puisqu’elle est l’acte du concupiscible qui est une puissance naturelle. La convoitise n’est donc pas le péché originel.

2. Par le péché originel s’installe en nous ce que l’Apôtre appelle “ les passions des péchés ” (Rm 7, 5). Mais il y a beaucoup d’autres passions que la convoitise. Le péché originel n’est donc pas plus celle-là qu’une autre.

3. Par le péché originel toutes les parties de l’âme sont déréglées, a-t-on dit. Mais ce qu’il y a de plus élevé dans l’âme, au dire du Philosophe, c’est l’intelligence. Le péché originel est donc l’ignorance plutôt que la convoitise.

En sens contraire, S. Augustin déclare : “ La convoitise est la rançon du péché originel. ”

Réponse :

Tout être est déterminé spécifiquement par sa forme. D’autre part, nous venons de dire que ce qui détermine spécifiquement le péché originel, c’est sa cause. Il faut donc que ce qu’il y a de formel en lui soit défini par sa cause. Mais comme des choses opposées ont des causes opposées, il y a lieu de définir la cause du péché originel par celle de la justice originelle qui en est l’opposé. Or tout le plan de la justice originelle tient à ceci : que la volonté de l’homme était soumise à Dieu. Cette soumission se faisait avant tout et principalement par la volonté, parce que c’est à elle qu’il appartient, nous le savons, de mouvoir à leur fin toutes les autres parties de l’âme. Aussi est-ce la volonté qui, en se détournant de Dieu, a amené le désordre dans toutes les autre facultés. Ainsi donc, la privation de cette justice par laquelle la volonté demeurait soumise à Dieu est ce qu’il y a de formel dans le péché originel et tout autre désordre dans les facultés de l’âme se présente en ce péché comme l’élément matériel. - Mais ce qui constitue ce désordre des autres facultés, c’est surtout qu’elles sont tournées outre mesure vers les biens périssables. Et c’est là le désordre auquel on peut donner le nom général de convoitise. Ainsi le péché originel est matériellement la convoitise, mais formellement l’absence de justice originelle.

Solutions :

1. Ce qui est naturel chez l’homme, c’est que le concupiscible soit régi par la raison ; c’est pourquoi les actes de convoitise ne sont vraiment naturels chez nous que dans la mesure où ils sont subordonnés à la raison ; s’ils sortent des limites de la raison, c’est, pour l’homme, contre la nature. Telle est précisément la convoitise dans le péché originel.

2. Ainsi que nous l’avons dit en parlant des passions, celles de l’irascible se ramènent aux passions du concupiscible comme aux plus fondamentales. Et parmi celles-ci la convoitise, avons-nous dit, agit avec plus de violence et est plus vivement sentie. C’est pourquoi le désordre originel lui est attribué comme une passion majeure, dans laquelle toutes les autres sont en quelque sorte incluses.

3. De même que dans le bien l’intelligence et la raison ont la primauté, de même dans le mal c’est au contraire la partie inférieure de l’âme qui se trouve au premier rang, parce que c’est elle qui obscurcit la raison et l’entraîne, nous l’avons dit. Voilà pourquoi nous disons que le péché originel, c’est plutôt la convoitise que l’ignorance, bien que l’ignorance soit aussi comprise dans ces défauts qui sont la matière du péché originel.

 

            Article 4 — Le péché originel existe-t-il également chez tous ?

Objections :

1. En apparence non, puisque tout le monde n’est pas également enclin à la convoitise, et que le péché originel n’est pourtant pas autre chose. Donc le péché originel n’existe pas également chez tous.

2. Le péché originel est un mauvais état de l’âme comme la maladie est un mauvais état du corps. Mais il y a du plus et du moins dans la maladie. Donc aussi dans le péché originel.

3. S. Augustin dit que “ c’est le désir charnel qui transmet le péché originel aux descendants. ” Or, il arrive que ce désir est plus fort chez l’un que chez l’autre dans les actes de la génération. Le péché originel peut donc être plus grand chez l’un que chez l’autre.

En sens contraire, le péché originel est le péché de la nature, nous l’avons dito. Mais, la nature étant égale chez tous, ce péché l’est aussi.

Réponse :

Dans le péché originel il y a deux choses - l’absence de la justice originelle, et le rapport de cette absence avec le péché du premier père, dont elle découle par le vice même des origines. Quant à la première chose, le péché originel n’admet pas de plus et de moins, car le don de la justice originelle a disparu tout entier ; il y a là une de ces privations absolues, comme sont la mort et les ténèbres, qui n’admettent pas, avons-nous dit, le plus et le moins. Et il en est de même quant à la seconde chose ; tous en effet nous avons la même relation avec ce principe premier de nos origines viciées d’Où le péché originel a reçu sa raison de faute ; car les relations n’admettent pas le plus et le moins. Il est donc évident que le péché originel ne peut pas être plus chez l’un que chez l’autre.

Solutions :

1. La justice originelle était le lien qui maintenait dans l’ordre toutes les facultés de l’âme. Chacune d’elles, une fois ce lien brisé, tendra à son propre mouvement avec d’autant plus de véhémence qu’elle aura eu plus de force. Mais ü arrive que des facultés de l’âme soient plus fortes chez l’un que chez l’autre, à cause de la diversité des complexions. Donc, le fait qu’un homme soit plus qu’un autre enclin à la convoitise, n’est pas en raison du péché originel, puisque le lien de la justice originelle est également brisé chez tous, et que chez tous également les parties inférieures de l’âme sont abandonnées à elles-mêmes ; mais le fait se produit, nous l’avons dit, à cause d’une diversité dans la disposition des puissances.

2. La maladie corporelle, même si elle est d’une même espèce, n’a pas chez tous une cause égale. Supposons qu’il s’agisse de la fièvre putride provoquée par le choléra ; l’état de décomposition peut être plus ou moins avancé, et plus proche ou plus éloigné du principe de la vie. Tandis que la cause du péché originel est égale chez tous. Ce n’est donc pas comparable.

3. Le désir charnel qui transmet le péché originel à la descendance, ce n’est pas le désir actuel ; car, supposé même que par le secours divin il fût accordé à quelqu’un de ne ressentir dans l’acte de la génération aucun désir déréglé, il transmettrait encore à sa descendance le péché originel. Ce désir charnel doit s’entendre d’un désir qui est un habitus, du fait que l’appétit sensible n’est plus contenu sous l’empire de la raison parce que le lien de la justice originelle est défait. Et un tel désir est égal chez tous.

 

 

QUESTION 83 — LE PÉCHÉ ORIGINEL — SON SIÈGE EN NOUS

1. Le siège du péché originel est-il d’abord la chair ou bien l’âme ? -2. Est-il dans l’essence de l’âme avant d’être dans ses puissances ? - 3. Est-ce la volonté avant les autres puissances ? - 4. Quelques-unes de ces puissances - la puissance générative, l’appétit concupiscible et le sens du toucher - sont-elles spécialement infectées ?

 

            Article 1 — Le sujet du péché originel est-il d’abord la chair, ou bien l’âme ?

Objections :

1. Il semble que le péché originel soit dans la chair plutôt que dans l’âme. En effet, l’opposition de la chair à l’égard de l’esprit provient de la corruption du péché originel. Mais la racine de cette opposition, se situe dans la chair ; car l’Apôtre dit (Rm 7, 23) : “ je vois dans mes membres une autre loi, qui s’oppose à celle de mon esprit. ”

2. Il y a toujours plus dans la cause que dans l’effet, plus de chaleur par exemple dans le feu qui chauffe que dans l’eau qui est chauffée. Or, si l’âme est infectée de la tache originelle, c’est par la semence, qui est charnelle. Donc le péché originel est davantage dans la chair que dans l’âme.

3. Nous contractons ce péché du fait de notre premier père, selon que nous étions en lui dans le principe séminal. Or il n’y avait pas là notre âme, mais seulement notre chair. Le péché originel n’est donc pas dans l’âme mais dans la chair.

4. L’âme raisonnable est créée par Dieu et infusée par lui à un corps. Donc, si elle était infectée par le péché originel, sa souillure serait le résultat de sa création, ou bien de son infusion dans la chair, et Dieu serait ainsi la cause du péché, puisqu’il est l’auteur de la création comme de l’infusion de l’âme.

5. Aucun homme sage ne verserait une liqueur précieuse dans un vase infecté, en sachant que la liqueur en serait infectée elle-même. Mais l’âme rationnelle est plus précieuse que toute liqueur. Si par son union avec le corps elle pouvait être infectée de la souillure originelle, Dieu qui est la sagesse même, n’opérerait jamais une telle infusion dans le corps. Il l’opère pourtant. Donc l’âme n’est pas souillée par la chair, et le péché originel n’est pas dans l’âme, mais dans la chair.

En sens contraire, le sujet de la vertu est le même que celui de son contraire, le vice ou le péché. Or la chair ne peut pas être le sujet de la vertu. Car l’Apôtre dit aux Romains (7, 18) : “ je sais que le bien n’habite pas en moi, je veux dire dans ma chair. ” Donc ce n’est pas la chair mais l’âme seulement qui peut être le sujet du péché originel.

Réponse :

Une chose peut se trouver dans une autre à double titre : comme dans sa cause principale ou instrumentale, ou comme dans son siège. Ainsi le péché originel de tous les hommes a existé dans le premier homme comme dans sa cause première et principale, Adam étant, selon l’Apôtre (Rm 5, 12 Vg), “ celui en qui tous ont péché ”. Dans la semence corporelle, le péché originel existe comme dans une cause instrumentale car c’est par la vertu active de la semence que le péché est transmis à la postérité avec la nature humaine. Mais, pour ce qui est de son siège, le péché originel ne peut nullement exister dans la chair, il ne peut exister que dans l’âme.

La raison en est que le péché originel se transmet de la volonté du premier père à la postérité par le mouvement de la génération, de la même manière, avons-nous dit, que le péché actuel découle de la volonté d’un individu sur les autres parties de sa personne. En cette dérivation on peut précisément observer que tout ce qui provient de la motion de la volonté pécheresse pour atteindre une partie de l’être humain capable d’avoir part elle-même au péché d’une manière quelconque, soit comme sujet, soit comme instrument du péché, tout cela a raison de faute ; ainsi, une volonté de gourmandise communique à l’appétit concupiscible la convoitise de la nourriture, aux mains et à la bouche l’acte de l’absorber, et toutes ces facultés, dans la mesure où la volonté les porte à mal faire, sont des instruments du péché. Au contraire, ce qui se propage après coup dans la faculté de nutrition et dans les organes intéressés qui ne sont pas de nature à être mus par la volonté, tout cela n’a pas raison de faute.

Ainsi donc, puisque l’âme peut être le siège de la faute, la chair n’a rien en elle pour l’être. Tout ce que la corruption du premier péché apporte à l’âme, a raison de faute. Tout ce qu’elle apporte à la chair n’a pas raison de faute, mais de peine. Ainsi donc c’est l’âme qui est le siège du péché originel et non la chair.

Solutions : 1. Comme le fait remarquer S. Augustin, l’Apôtre parle là de l’homme déjà racheté, qui a été délivré de la faute mais demeure soumis à la peine ; c’est à ce titre que le péché est dit habiter dans la chair. Il ne s’ensuit donc pas que la chair ait à porter une faute, mais seulement une peine.

2. Le péché originel est causé par la semence à titre de cause instrumentale. Or il n’est pas nécessaire qu’il y ait davantage dans la cause instrumentale que dans l’effet. C’est seulement dans la cause principale qu’il doit y avoir davantage. Tel a été le cas du péché originel : il a existé plus fortement chez Adam puisqu’il a été en lui sous forme de péché actuel.

3. Nos âmes, par la voie du principe séminal, n’étaient pas en Adam au moment de son péché comme dans une cause effective mais comme dans une cause dispositive ; en effet, la semence corporelle n’a pas la vertu de produire une âme raisonnable, mais de disposer à sa venue.

4. L’infection du péché originel n’est nullement causée par Dieu, mais uniquement par le péché du premier père, au moyen de la génération charnelle. Voilà pourquoi, comme la création met l’âme en rapport avec Dieu seul, on ne peut pas dire que nos âmes soient souillées du fait de leur création. - Mais leur infusion la met en rapport, d’une part avec Dieu auteur de cette infusion, d’autre part avec la chair dans laquelle l’âme est infusée. C’est pourquoi, si l’on regarde du côté de Dieu qui opère cette infusion, on ne peut pas dire qu’ele soit pour l’âme la cause de la souillure originelle ; il faut regarder pour cela uniquement du côté du corps auquel l’âme est infusée.

5. Le bien commun passe avant le bien particulier. Aussi Dieu dans sa sagesse ne va pas abandonner l’ordre général des choses qui veut que telle âme soit infusée en tel corps, afin d’éviter l’infection de cette âme particulière. D’autant plus que la nature de l’âme humaine comporte qu’elle commence à exister uniquement dans un corps, comme on l’a vu dans la première Parties. D’ailleurs il vaut encore mieux pour elle exister ainsi, suivant la nature, que de ne pas exister du tout ; surtout quand on sait qu’elle peut, par la grâce, échapper à la damnation.

 

            Article 2 — Le péché originel est-il dans l’essence de l’âme avant d’être dans ses puissances ?

Objections :

1. Il semble que le péché originel ne réside pas dans l’essence de l’âme avant de résider dans ses puissances. En effet, l’âme est par nature sujet du péché quant à ce qui peut être mû par la volonté. Or la volonté ne peut pas mouvoir l’âme jusqu’en son essence, elle ne peut la mouvoir que dans ses puissances. Le péché originel réside donc seulement dans les puissances.

2. Le péché originel s’oppose à la justice originelle. Mais la justice originelle existait dans une puissance de l’âme, celle où siège la vertu. Le péché originel est donc, lui aussi, dans la puissance plus que dans l’essence de l’âme.

3. De même que le péché originel découle de la chair jusque dans l’âme, de même il découle de l’essence de l’âme jusqu’aux puissances. Mais le péché originel est dans l’âme plus que dans la chair. Donc il est aussi dans les puissances de l’âme plus que dans l’essence.

4. Le péché originel, avons-nous dit, c’est la convoitise. Mais celle-ci se tient dans les puissances de l’âme. Donc le péché originel aussi.

En sens contraire, nous avons dit que le péché originel est appelé péché naturel. Or c’est par son essence et non par ses puissances que l’âme est la forme du corps et lui donne sa nature. On l’a vu dans la première Partie. C’est donc principalement dans son essence que l’âme est le siège du péché originel.

Réponse :

Dans l’âme, ce qui est le siège primordial d’un péché, c’est ce qui se rattache en premier lieu à la cause effective du péché. Si cette cause est le plaisir des sens par exemple, ce plaisir appartenant à la faculté concupiscible comme son objet propre, c’est là que doit être le siège propre de ce péché. Or il est manifeste que la cause du péché originel est causée par notre origine même. Par suite, la partie de l’âme qui est la première atteinte par l’origine humaine est le premier siège du péché originel. Mais au terme de la génération, l’origine atteint l’âme en tant qu’elle est la forme du corps, et ce rôle, avons-nous dit dans la première Partie revient à ce qui est proprement l’essence. C’est donc dans son essence que l’âme est le siège premier du péché originel.

Solutions :

1. De même que la motion de la volonté chez un particulier s’étend aux puissances de l’âme mais ne va pas jusqu’à l’essence, de même la motion de la volonté du premier homme qui a engendré va d’abord à l’essence de l’âme, par la voie de la génération, ainsi que nous venons de le dire.

2. La justice originelle, elle aussi, se rapportait de façon primordiale à l’essence de l’âme ; elle était en effet le don accordé par Dieu à la nature humaine, et c’est l’essence de l’âme que vise cette nature, avant les puissances. Car celles-ci semblent se rapporter plutôt à la personne, étant les principes des actes personnels. Aussi sont-elles proprement le siège des péchés actuels, qui sont des péchés personnels.

3. Le corps est par rapport à l’âme comme la matière par rapport à la forme ; celle-ci, bien qu’étant la dernière dans l’ordre de la génération, est cependant la première dans l’ordre de la perfection et de la nature. Mais l’essence de l’âme est par rapport aux puissances comme sont les sujets par rapport à leurs accidents propres : ces derniers sont postérieurs à leurs sujets et dans l’ordre de la génération et dans celui de la perfection. On ne peut donc pas faire le même raisonnement dans les deux cas.

4. La convoitise n’a qu’un rôle matériel dans le péché originel et s’y présente comme une conséquence, nous l’avons dit récemment.

 

            Article 3 — Le péché originel a-t-il pour siège la volonté avant les autres puissances ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car tout péché appartient fondamentalement à la puissance qui le cause par son acte. Mais le péché originel est causé par l’acte de la puissance d’engendrer. C’est donc à cette puissance entre toutes les autres qu’il semble plutôt appartenir.

2. Le péché originel se transmet par la semence charnelle. Mais il y a d’autres puissances de l’âme qui sont plus proches de la chair que la volonté ; c’est évident pour les puissances sensibles puisqu’elles se servent d’un organe corporel. C’est donc là plutôt que dans la volonté que se tient le péché originel.

3. L’intelligence passe avant la volonté, puisqu’il n’y a de volonté que pour un bien saisi intellectuellement. Donc si le péché originel infecte toutes les puissances de l’âme, il semble qu’il doive commencer par l’intelligence, puisqu’elle est la première.

En sens contraire, S. Anselme dith que la justice originelle est la rectitude de la volonté. C’est dire qu’elle regarde d’abord la volonté. Son contraire, le péché originel, regarde donc aussi la volonté avant toute autre puissance.

Réponse :

Dans l’infection originelle il y a deux aspects à considérer. D’abord son inhérence à un sujet, et de ce côté elle regarde, comme nous l’avons dit, l’essence de l’âme. Ensuite, il faut considérer son inclination à l’acte, et de cette façon elle regarde les puissances de l’âme. Il faut donc qu’elle regarde avant tout celle des facultés qui est la première dans l’inclination à pécher. Or d’après ce que nous avons dit plus haut, c’est la volonté. Donc le péché originel regarde d’abord la volonté.

Solutions :

1. Ce qui cause le péché originel dans l’homme, ce n’est pas la faculté d’engendrer qui est en puissance chez l’enfant, mais celle qui est en acte chez le père. Il n’est donc pas nécessaire que la puissance d’engendrer soit chez l’enfant le premier siège du péché originel.

2. Il y a dans le péché originel un double processus, un de la chair à l’âme, l’autre de l’essence de l’âme aux puissances. Le premier est selon l’ordre de la génération, mais le second selon l’ordre de la perfection. Et c’est pourquoi, bien que d’autres puissances, les puissances sensibles, soient plus proches de la chair, cependant, parce que la volonté est, comme puissance supérieure, plus proche de l’essence de l’âme, c’est à elle que parvient en premier lieu l’infection du péché originel.

3. D’une certaine manière l’intelligence précède la volonté en tant qu’elle lui propose son objet. Mais d’une autre manière la volonté précède l’intelligence dans l’ordre de la motion à l’acte, et c’est cette motion qui intéresse le péché.

 

            Article 4 — Quelques-unes de ces puissances - la puissance génératrice, l’appétit concupiscible et le sens du toucher - sont-elles spécialement infectées ?

Objections :

1. Il semble qu’elles ne soient pas plus infectées que les autres puissances. En effet, l’infection du péché originel semble concerner davantage la partie de l’âme qui peut être avant toute autre le sujet du péché. Or c’est la partie raisonnable de l’âme, et principalement la volonté. C’est donc elle qui est le plus infectée par le péché originel.

2. Aucune puissance de l’âme n’est infectée par une faute, si ce n’est dans la mesure où elle peut obéir à la raison. Or le Philosophe fait remarquer que la puissance d’engendrer ne peut pas obéir à la raison. Elle n’est donc pas la puissance la plus infectée par le péché originel.

3. La vue est plus spirituelle que les autres sens, et plus proche de la raison, en ce qu’elle “ découvre plus de différences entre les choses ”, d’après Aristote. Mais l’infection d’une faute est premièrement dans la raison. La vue est donc plus infectée que le toucher.

En sens contraire, S. Augustin dit que “ l’infection du péché originel apparaît surtout dans le mouvement des organes génitaux, lesquels ne sont pas soumis à la raison ”. Ces organes sont précisément au service de la puissance d’engendrer, et celle-ci s’exerce dans l’union des sexes, où le plaisir du toucher excite extrêmement la convoitise. Donc l’infection de la faute originelle s’attache surtout à ces trois choses : la puissance d’engendrer, l’appétit concupiscible et le sens du toucher.

Réponse :

Ce qu’on a coutume d’appeler infection, c’est la corruption qui est de nature à se communiquer ; aussi est-ce le nom que l’on donne aux maladies contagieuses comme la lèpre, la gale, etc. Mais si la corruption du péché originel se communique, c’est, nous l’avons dit,, par l’acte de la génération. Par conséquent, ce sont surtout les puissances qui concourent à cet acte que l’on peut dire infectées. Or cet acte est, d’une part, au service de la puissance d’engendrer, en tant qu’elle est ordonnée à la génération. D’autre part, il comporte en lui-même une délectation du toucher, laquelle est l’objet majeur de l’appétit concupiscible. Voilà pourquoi, bien que l’on doive dire que toutes les parties de l’âme ont été corrompues par le péché originel, on dit que les trois qui viennent d’être nommées sont dites spécialement corrompues et infectées.

Solutions :

1. Par le côté où il incline aux péchés actuels, le péché originel s’attache principalement à la volonté, nous venons de le dire. Mais par le côté où il se transmet à la descendance, il se rattache de façon toute proche aux puissances en question, et à la volonté de façon éloignée.

2. L’infection de la faute actuelle n’intéresse que les puissances qui sont mues par la volonté du pécheur. Mais l’infection de la faute originelle ne vient pas de la volonté de celui qui la contracte, elle découle de la nature par la voie même des origines, auxquelles s’emploie la puissance d’engendrer. Voilà pourquoi l’infection du péché originel est dans cette puissance.

3. La vue n’intéresse l’acte de la génération que comme préparation éloignée, dans ce sens qu’elle nous montre l’apparence de ce qui est désirable. Mais la délectation s’achève dans le toucher. C’est pourquoi l’infection originelle est attribuée au toucher plus qu’à la vue.

 

QUESTION 84 — LES PÉCHÉS CAPITAUX

Dans cette recherche des causes du péché il faut enfin examiner comment un péché peut être cause d’un autre.

1. La cupidité est-elle la racine de tous les péchés ? - 2. L’orgueil est-il le commencement de tout péché ? - 3. En dehors de l’orgueil et de l’avarice, y a-t-il d’autres péchés spéciaux qui doivent être appelés vices capitaux ? - 4. Combien y en a-t-il, et quels sont-ils ?

 

            Article 1 — La cupidité est-elle la racine de tous les péchés ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car la cupidité, le désir immodéré des richesses, s’oppose à la vertu de libéralité. Or la libéralité n’est pas la racine de toutes les vertus. La cupidité n’est donc pas la racine de tous les vices.

2. Le désir des moyens procède du désir de la fin. Or les richesses, objet de la cupidité, ne sont désirées que comme des moyens utiles à une certaine fin, d’après Aristote. Donc la cupidité n’est pas la racine de tout péché, mais avant elle il y a une autre racine d’où elle sort.

3. Il se trouve fréquemment que l’avarice, nommée aussi cupidité, a son origine en d’autres péchés ; par exemple, on désire l’argent par ambition ou pour satisfaire la gourmandise. L’avarice n’est donc pas la racine de tous les péchés.

En sens contraire, l’Apôtre affirme (1 Tm 6, 10) : “ La racine de tous les maux, c’est la cupidité. ”

Réponse :

Selon certains, le mot cupidité peut être pris en trois sens. 1° Le désir désordonné des richesses. A ce titre, c’est un péché spécial. 2° La recherche déréglée d’un bien temporel quelconque, et à cet égard c’est l’élément générique de tout péché, puisqu’il y a en tout péché, comme on sait , une conversion désordonnée au bien périssable. 3° On emploie encore le mot pour signifier cette inclination de la nature corrompue à rechercher de façon désordonnée les biens corruptibles. Et c’est à ce titre que l’on appelle la cupidité, la racine de tous les péchés ; elle ressemble à la racine par laquelle l’arbre tire son aliment du sol, car c’est de l’amour des choses temporelles que provient tout péché.

Assurément tout cela est vrai. Cependant il ne semble pas que ce soit conforme à la pensée de l’Apôtre lorsqu’il dit que la cupidité est la racine de tous les péchés. Manifestement en effet il parle à cet endroit (1 Tm 6, 9) contre ceux qui “ pour vouloir devenir riches, tombent dans les tentations et dans le piège du diable... du fait que la racine de tous les maux est la cupidité ”. Il est donc évident qu’il parle de la cupidité comme du désir immodéré des richesses. Et c’est en ce sens qu’il faut dire que la cupidité, comme péché spécial, est appelée la racine de tous les péchés, à la manière d’une racine qui fournit de la nourriture à l’arbre tout entier. Nous voyons en effet que l’homme acquiert avec la richesse la faculté de perpétrer n’importe quel péché et celle d’en avoir le désir, du fait que l’argent peut aider à se procurer les biens de ce monde quels qu’ils soient, selon le mot de l’Ecclésiaste (10, 19 Vg) : “ A l’argent tout obéit. ” C’est évidemment par là que la cupidité des richesses est la racine de tous les péchés.

Solutions :

1. La vertu n’a pas la même origine que le péché. Le péché a son origine dans l’appétit des biens périssables ; c’est pourquoi le désir de ce qui aide à obtenir tous les biens de ce monde est appelé la racine des péchés. La vertu au contraire a son origine dans l’appétit des biens impérissables ; c’est pourquoi la charité, qui est l’amour de Dieu, se place à la racine des vertus, selon l’expression de l’Apôtre (Ep 3, 17) “ Enracinés et fondés dans la charité. ”

2. On dit que le désir de l’argent est la racine des péchés, non pas que les richesses soient recherchées pour elles-mêmes comme une fin dernière, mais parce qu’elles sont très recherchées comme utiles à toutes les fins temporelles. Et parce qu’un bien universel est plus désirable qu’un bien particulier, l’argent excite la convoitise plus que ne font certains biens particuliers, parce qu’avec lui on peut avoir des biens en même temps que beaucoup d’autres.

3. Dans les choses naturelles on ne cherche pas ce qui se fait toujours, mais ce qui arrive le plus souvent, parce qu’il est dans la nature des choses corruptibles de pouvoir être empêchées, si bien qu’elles n’agissent pas toujours de la même manière. De même, en morale, on considère ce qui existe la plupart du temps, mais non ce qui existe toujours, parce que la volonté n’agit pas de façon nécessaire. L’avarice n’est donc pas appelée la racine de tous les maux au point de n’avoir pas quelquefois un autre mal pour racine ; mais parce que c’est d’elle que sortent le plus souvent les autres maux pour la raison que nous venons de dire.

 

            Article 2 — L’orgueil est-il le commencement de tout péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car la racine est le commencement de l’arbre. Mais nous venons de dire que la cupidité est la racine de tous les péchés. C’est donc elle aussi, et non l’orgueil, qui en est le commencement.

2. Il est dit dans l’Ecclésiastique (11, 12) que “ le commencement de l’orgueil, c’est d’abandonner Dieu ”. Or cette apostasie est un péché très déterminé. Il y a donc un péché qui est le commencement de l’orgueil, et l’orgueil n’est pas le commencement de tout péché.

3. Le péché qui est le commencement de tous les autres, c’est, semble-t-il, celui qui les fait accomplir tous. Or tel est “ l’amour désordonné de soi-même, qui fait la cité de Babylone ”, comme dit S. Augustin. C’est donc l’amour de soi qui est le commencement de tout péché, mais non pas l’orgueil.

En sens contraire, il est dit dans l’Ecclésiastique (10, 13 Vg) : “ Le commencement de tout péché, c’est l’orgueil. ”

Réponse :

Certains prétendent que le mot orgueil signifie trois choses. - 1° L’appétit désordonné de sa propre excellence. Et c’est alors un péché spécial - 2° Un certain mépris actuel de Dieu, manifesté par la non-soumission à ses commandements. On dit alors que c’est un péché général. - 3° Un certain penchant de la nature corrompue à cette sorte de mépris. C’est en ce sens-là, disent-ils, que l’orgueil est le commencement de tout péché. Il diffère de la cupidité, car la cupidité regarde dans le péché la conversion au bien périssable où le péché trouve en quelque sorte sa nourriture et son entretien, et c’est pourquoi on parle de “ racine ”. Mais l’orgueil regarde le péché sous l’angle de l’aversion à l’égard de Dieu, au précepte de qui l’homme refuse de se soumettre ; c’est pourquoi l’orgueil est appelé un “ commencement ”, parce que c’est dans cette aversion que commence à se réaliser la raison de mal.

Certes, tout cela est vrai. Cependant ce n’est pas la pensée du Sage lorsqu’il dit : “ Le commencement de tout péché, c’est l’orgueil. ” Manifestement en effet il parle de l’orgueil comme de l’appétit désordonné de la propre excellence, ainsi qu’on le voit clairement par ce qui suit (10, 15) : “ Dieu a renversé de leur place les chefs orgueilleux. ” C’est de cela du reste que parle l’auteur à cet endroit dans presque tout le chapitre. Voilà pourquoi il faut dire que l’orgueil, même en tant que péché spécial, est le commencement de tout péché. - Il faut bien se rendre compte, en effet, que dans les actes volontaires, comme sont les péchés, il y a deux ordres : l’ordre d’intention, et l’ordre d’exécution. Dans l’ordre d’intention, c’est la fin qui a raison de principe, comme nous l’avons maintes fois répété. Or la fin de l’homme, dans l’acquisition de tous les biens temporels, c’est d’obtenir par ce moyen une perfection et une excellence particulières. Aussi à cet égard l’orgueil, qui est la recherche de l’excellence, est donné comme le commencement de tout péché. Mais dans l’ordre d’exécution, ce qu’il y a de premier c’est ce qui fournit le moyen de contenter tous les mauvais désirs, ce qui est comme une racine nourricière, à savoir les richesses. Voilà pourquoi l’avarice est supposée être, de ce côté, la racine de tous les maux, dans le sens que nous avons dit à l’article précédent.

Solutions :

1. Cela répond clairement à la première objection.

2. L’apostasie est appelée le commencement de l’orgueil, du côté de l’aversion à l’égard de Dieu. Car du fait que l’homme ne veut pas se soumettre à Dieu, il est amené à vouloir démesurément sa propre supériorité dans les choses de ce monde. De sorte que dans ce passage l’apostasie n’est pas prise comme un péché spécial, mais plutôt comme une condition générale de tout péché, celle qui consiste à se détourner du bien impérissable. - On peut encore dire qu’apostasier Dieu est appelé le commencement de l’orgueil, parce que c’en est la forme première. Car le propre de l’orgueil est de ne vouloir se soumettre à aucun supérieur, et principalement de ne pas vouloir se soumettre à Dieu. De là vient que l’homme s’élève indûment au-dessus de lui-même selon toutes les autres espèces d’orgueil.

3. L’homme s’aime lui-même en ce qu’il veut son excellence, car c’est une même chose de s’aimer et de se vouloir du bien. Aussi revient-il au même de supposer au commencement de tout péché l’orgueil, ou l’amour de soi.

 

            Article 3 — En dehors de l’orgueil et de l’avarice, y a-t-il d’autres péchés spéciaux qui doivent être appelés vices capitaux ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car, selon Aristote “ la tête semble avoir les mêmes fonctions chez les animaux que la racine dans les plantes ” ; car les racines sont comme la bouche de la plante. Donc, si la cupidité est appelée “ racine de tous les maux ”, elle seule semble devoir être appelée aussi le vice capital, à l’exclusion d’aucun autre péché.

2. La tête représente un certain ordre dans tout le corps, puisque c’est elle qui en quelque sorte distribue à tous les membres la sensibilité et le mouvement. Au contraire, qui dit péché, dit privation d’ordre. Donc un péché n’a pas raison de tête. Ainsi, on ne doit pas soutenir l’existence de péchés capitaux.

3. On donne ce nom aux crimes qui sont frappés de la peine capitale. Or il s’en trouve en chaque genre de faute. S’il y a des péchés capitaux, ce ne sont donc pas des espèces déterminées.

En sens contraire, S. Grégoire énumère certains vices spéciaux qu’il dit être péchés capitaux.

Réponse :

Capital vient de caput, qui veut dire tête. Or la tête, au sens propre, est cet organe qui est le principe et qui a la direction de l’organisme tout entier. De là, métaphoriquement, le nom de tête donné à tout ce qui est principe et exerce une direction. Ainsi, des hommes qui dirigent les autres et les gouvernent, on dit qu’ils sont à la tête des autres. (On parle aussi de vice appelé “ capital ” au sens propre du mot : c’est celui que l’on paye de la peine capitale, c’est-à-dire de sa tête. Mais ce n’est pas dans ce sens-là que nous voulons parler maintenant de péchés capitaux.) Nous prenons le mot au figuré en tant qu’il désigne une faute qui est le principe et qui a la direction d’autres fautes. Et ainsi on appelle vice capital celui qui donne naissance à d’autres vices, principalement en qualité de cause finale, puisque c’est là, avons-nous dit, ce qu’il y a de formel en fait d’origine. C’est pourquoi le vice capital n’est pas seulement le principe d’autres vices, mais encore il les dirige et en quelque sorte les guide ; toujours, en effet, l’art ou l’habitus qui visent à une fin exercent un rôle de principe et de commandement pour les moyens de cette fin. Aussi S. Grégoire compare-t-il ces sortes de péchés capitaux à des chefs d’armées.

Solutions :

1. Capital vient en effet de tête, toutefois par une sorte de dérivation ou participation, comme une chose ayant quelques-unes des propriétés de la tête, mais n’étant pas la tête absolument parlant. C’est pourquoi les vices appelés capitaux ne sont pas seulement ceux qui constituent la première origine des péchés, comme l’avarice qui est dénommée la racine du mal, et l’orgueil qui en est appelé le commencement, mais ce sont aussi ceux qui constituent une origine prochaine à l’égard de plusieurs autres péchés.

2. Le péché est privé d’ordre au plan de l’aversion ; c’est par là en effet qu’il a raison de mal ; or, selon S. Augustin, “ le mal est une privation de mesure, d’ordre et de beauté ”. Mais en ce qui concerne la conversion, le péché regarde un certain bien. Aussi à cet égard peut-on dire qu’il a un ordre.

3. Cet argument est fondé sur la faute qui est dite capitale en raison de la peine encourue, mais ce n’est pas de cela que nous parlons ici.

 

            Article 4 — Combien y a-t-il de péchés capitaux, et quels sont-ils ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’on puisse dire qu’il y a sept péchés capitaux, qui sont : la vaine gloire, l’envie, la colère, l’avarice, la tristesse, la gourmandise, la luxure. En effet, les péchés s’opposent aux vertus. Or les vertus principales sont, on l’a dit, au nombre de quatre. Donc les vices principaux ou capitaux ne sont que quatre.

2. Les passions de l’âme sont des causes de péché, on l’a dit. Or les passions principales sont au nombre de quatre. Deux d’entre elles ne sont pas mentionnées dans cette liste : l’espoir et la crainte. Or, on énumère des vices auxquels se rattachent la délectation et la tristesse, car la délectation ressortit à la gourmandise et à la luxure, la tristesse à l’acédie et à l’envie. Donc cette énumération des péchés principaux est mauvaise.

3. La colère n’est pas une passion principale on ne devrait donc pas la mettre parmi les vices principaux.

4. De même que la cupidité ou avarice est la racine des fautes, l’orgueil en est, avons-nous dit’. le commencement. Si l’on compte l’avarice au rang des péchés capitaux, on devrait donc aussi compter l’orgueil.

5. On commet des péchés qui ne peuvent être causés par aucun de ceux-ci, comme se tromper par ignorance, ou faire une faute avec une bonne intention, par exemple, voler pour faire l’aumône. Le dénombrement des péchés capitaux n’est donc pas suffisant.

En sens contraire, cette énumération a pour elle l’autorité de S. Grégoire.

Réponse :

On appelle vices capitaux, avons-nous dit, ceux qui donnent naissance à d’autres, principalement selon la raison de cause finale. Or cette origine peut être considérée de deux façons. 1° D’après la condition du pécheur : il est attaché au maximum à une fin, à partir de laquelle il passe le plus souvent à d’autres péchés. Mais cette origine ne peut faire la matière d’une technique, parce que les dispositions particulières des individus varient à l’infini. 2° D’après la nature même des choses et le rapport des fins entre elles. A ce point de vue, un vice sort le plus souvent d’un autre vice, ce qui fait que ce mode d’origine peut être l’objet d’une connaissance technique.

D’après cela donc, on appelle vices capitaux ceux dont les fins présentent certaines raisons primordiales de mouvoir l’appétit. La distinction de ces raisons permet de distinguer les péchés capitaux. Or, un objet peut mouvoir l’appétit de deux manières. 1° Directement et par lui-même ; c’est ainsi que le bien nous incite à le poursuivre, et que le mal, pour la même raison, nous incite à le fuir. 2° Indirectement et par l’intermédiaire d’autre chose ; ainsi lorsque nous recherchons un mal à cause d’un bien qui s’y trouve joint, ou que nous fuyons un bien à cause d’un mal qui y est annexé.

Or il y a pour l’homme trois espèces de biens. D’abord, un certain bien de l’âme, celui dont l’attrait tient uniquement à l’idée qu’on se fait de la chose : ainsi, l’excellence que confèrent la louange ou les honneurs. C’est ce bien que la vaine gloire poursuit d’une manière désordonnée. Puis, il y a le bien du corps ; tantôt il regarde la conservation de l’individu, comme le boire et le manger, et c’est lui que la gourmandise poursuit d’une manière déréglée ; tantôt, la conservation de l’espèce, comme l’union des sexes, et c’est à cela que s’ordonne la luxure. Enfin, il y a les biens extérieurs, les richesses, et c’est à cela que s’ordonne l’avarice. Et ces quatre mêmes vices capitaux fuient d’une manière désordonnée les quatre sortes de maux contraires aux biens qu’on vient de dire.

Autre justification. Le bien excite surtout la convoitise lorsqu’il participe de l’essence ou de quelqu’une des propriétés de la félicité que tout le monde désire naturellement. Or, pour réaliser cette félicité, il faut d’abord une certaine perfection, car la félicité est le bien parfait ; et c’est à quoi visent l’excellence ou l’éclat, que recherchent l’orgueil ou la vaine gloire. Il faut en second lieu une suffisance de ressources ; c’est elle que l’avarice recherche dans les richesses qui la promettent. En troisième lieu, la condition pour être heureux c’est le plaisir ; sans lui pas de félicité, dit le Philosophe ; or c’est le plaisir que recherchent la gourmandise et la luxure.

Pour ce qui est de fuir le bien à cause d’un mal qui s’y trouve annexé, cela se produit de deux façons. Tantôt c’est à l’égard de son bien propre, et alors c’est l’acédie qui est une tristesse provoquée par le bien spirituel à cause du labeur corporel qui s’y joint. Tantôt c’est à propos du bien des autres : si on le fuit sans le combattre, c’est l’envie, qui consiste à s’attrister du bien d’autrui dans la mesure où il est de nature à empêcher l’excellence personnelle ; si l’on se dresse contre le bien d’autrui dans un mouvement de revanche, alors c’est la colère. - Ajoutons qu’il appartient à ces mêmes vices de poursuivre le mal contraire aux biens qu’ils fuient.

Solutions :

1. L’origine des vertus ne s’explique pas comme celle des vices, car les vertus sont causées par la subordination du désir à la raison, voire au bien impérissable, qui est Dieu, tandis que les vices naissent de l’appétit du bien périssable. Il n’est donc pas nécessaire que les principaux vices s’opposent aux principales vertus.

2. La crainte et l’espoir sont des passions de l’irascible. Or, toutes les passions de l’irascible naissent des passions du concupiscible, lesquelles sont toutes ordonnées au plaisir et à la tristesse. Voilà pourquoi le plaisir et la tristesse sont énumérées en tête des péchés capitaux, comme étant les plus fondamentales des passions, nous l’avons dit antérieurement.

3. La colère n’est pas une passion principale. Cependant, elle a une raison d’être spéciale dans le mouvement affectif ; elle fait qu’on s’attaque au bien d’autrui sous couleur d’honnêteté, c’est-à-dire de juste vindicte. Voilà pourquoi la colère a un rôle distinct parmi les autres vices capitaux.

4. Si l’on dit que l’orgueil est le commencement de tous les péchés, c’est parce qu’il a raison de fin, comme nous l’avons expliqué. Et pour la même raison on le met au premier rang des vices capitaux. Aussi l’orgueil n’est pas compté au nombre des autres vices comme une sorte de vice universel, mais il est placé à leur tête à tous plutôt comme leur roi, selon le mot de S. Grégoire. Quant à l’avarice, si elle est appelée la racine de tous les maux, c’est sous un autre aspect, nous l’avons dit.

5. Tous ces vices sont appelés capitaux parce que la plupart du temps ils donnent naissance à d’autres. Rien n’empêche par conséquent que de temps en temps il y ait des péchés sortant d’autres causes. On peut dire cependant que tous les péchés qui proviennent de l’ignorance peuvent se ramener à l’acédie, puisque c’est à ce vice que se rattache la négligence par laquelle on refuse d’acquérir les biens spirituels à cause du labeur que cela coûte ; en effet, l’ignorance qui peut être cause de péché vient de la négligence comme nous l’avons dit plus haut 1. Pour ce qui est de commettre un péché par une bonne intention, c’est affaire d’ignorance, semble-t-il, car c’est ignorer qu’il ne faut pas faire le mal pour qu’arrive le bien.

 

LES EFFETS DU PÉCHÉ.

Il faut traiter maintenant des effets du péché : 1° La corruption du bien de la nature (Q. 85) 2° la souillure de l’âme (Q. 86) ; 3° la dette de peine (Q. 87-89).

 

QUESTION 85 — LA CORRUPTION DU BIEN DE LA NATURE

1. Le bien de la nature est-il diminué par le péché ? - 2. Peut-il être totalement supprimé ? - 3. Les quatre blessures qui, selon Bède, ont frappé la nature humaine à cause du péché. - 4. La privation de mesure, de beauté et d’ordre est-elle l’effet du péché ? - 5. La mort et les autres défauts corporels sont-ils des effets du péché ? - 6. Ces défauts sont-ils de quelque manière naturels à l’homme ?

 

            Article 1 — Le bien de la nature est-il diminué par le péché ?

Objections :

1. Vraisemblablement non. En effet, le péché de l’homme n’est pas plus grave que celui du démon. Or Denys affirme que, chez les démons, les biens naturels demeurent entiers après le péché. Donc le péché ne diminue pas non plus le bien de la nature humaine.

2. En changeant ce qui vient en second, on ne change pas ce qui vient en premier : les accidents ont beau se modifier, la substance reste la même. Or, la nature préexiste à l’action volontaire. Donc, après que le péché a causé du désordre dans l’action volontaire, la nature ne se trouve pas pour cela modifiée au point d’être diminuée dans son bien.

3. Pécher c’est agir, diminuer c’est pâtir. Or un agent n’a jamais à pâtir du fait même de son agir ; tout ce qui peut lui arriver, c’est d’agir d’un côté et de pâtir d’un autre. Donc, celui qui pèche, ce n’est pas par le péché qu’il diminue le bien de sa nature.

4. Aucun accident n’agit sur son sujet, car pour pâtir il faut être en puissance ; or ce qui sert de sujet à un accident est déjà en acte par rapport à cet accident. Mais le péché vient s’insérer dans le bien de la nature comme un accident dans un sujet. Donc le péché est sans action sur le bien de la nature et par conséquent ne le diminue pas, car diminuer un être, c’est agir.

En sens contraire, l’homme dont il est question en S. Luc (10, 30), “ qui descend de Jérusalem à Jéricho ”, c’est celui qui tombe dans le désordre du péché et qui est de ce fait “ dépouillé des dons de la grâce et blessé dans ceux de la nature ”, comme l’explique S. Bèdeb. Le péché diminue donc le bien de la nature.

Réponse :

Sous ce nom de bien de la nature on peut comprendre trois sortes de choses : 1° Les principes constitutifs de la nature elle-même, avec les propriétés qui en découlent, comme les puissances de l’âme et autres réalités du même genre. 2° Puisque la nature donne à l’homme de l’inclination à la vertu dans le sens que nous avons dit plus haut, cette inclination à la vertu est un bien de nature. 3° On peut même appeler bien de nature ce don de la justice originelle qui fut, en la personne du premier homme, accordé à l’humanité tout entière. - Ainsi donc, de ces biens de nature, le premier n’est ni enlevé ni diminué par le péché. Le troisième, au contraire, a été totalement enlevé par la faute du premier père. Mais celui du milieu, l’inclination naturelle à la vertu, est diminué par le péché. En effet, les actes humains engendrent un penchant aux actes semblables, comme nous l’avons vu précédemment. Mais du fait qu’on est incliné à l’un des contraires, l’inclination à l’autre est diminuée. Aussi, puisque le péché est contraire à la vertu, du fait que l’homme pèche ce bien de nature qu’est l’inclination à la vertu se trouve diminué.

Solutions :

1. Denys parle de la première catégorie des biens de nature : l’être, la vie, l’intelligence. La chose est évidente si l’on regarde attentivement son texte.

2. La nature, bien qu’antérieure à l’action volontaire, a cependant de l’inclination vers elle. Aussi les variations de l’action volontaire ne font pas varier le fond même de la nature, mais elles font varier l’inclination elle-même dans son orientation vers son terme.

3. L’action volontaire procède de puissances diverses, les unes actives, les autres passives. Par là il arrive à l’homme de s’ajouter ou de s’ôter à lui-même quelque chose, au moyen des actions volontaires dont il est l’auteur ; nous avons dit cela à propos de la génération des habitus.

4. Un accident n’a aucune action sur son sujet comme cause efficiente. Il en a cependant une comme cause formelle, selon cette manière de parler qui fait dire que la blancheur rend une chose blanche. De cette façon rien n’empêche que le péché diminue le bien de la nature, de manière pourtant que cette sorte de diminution se rapporte au désordre de l’acte. - Mais pour ce qui est du désordre de l’agent, il faut dire qu’il est causé par le fait qu’il y a dans les actes de l’âme quelque chose d’actif et quelque chose de passif ; ainsi l’objet sensible meut l’appétit sensible, celui-ci à son tour entraîne la volonté et la raison comme nous l’avons dit plus haut, et c’est ce qui cause le désordre. Il n’y a pas là d’accident agissant sur son propre sujet, mais un objet agissant sur une puissance, et une puissance agissant sur une autre et la déréglant.

 

            Article 2 — Le bien de la nature peut-il être totalement supprimé par le péché ?

Objections :

Il semble bien, car la nature humaine étant finie, son bien l’est aussi. Or une chose finie se consume si on lui enlève quelque chose sans discontinuer. Le bien de la nature pouvant être diminué continûment par le péché, il semble donc qu’il puisse aussi être consumé entièrement.

2. Chez les êtres qui ont la même nature, le tout et les parties ont la même raison : on voit cela dans l’air, l’eau, la chair et dans tous les corps homogènes. Mais le bien de la nature est un tout homogène. Donc, s’il est vrai qu’une partie de ce bien peut être enlevée par le péché, il semble que le tout peut l’être aussi.

3. Le bien naturel qui est diminué par le péché, c’est l’aptitude à la vertu. Or il en est chez qui cette aptitude a totalement disparu par suite du péché, par exemple les damnés, qui ne peuvent pas plus être rétablis dans la vertu qu’un aveugle ne peut recouvrer la vue. Le péché peut donc ôter entièrement le bien de la nature.

En sens contraire, S. Augustin dit que “ le mal ne peut exister que dans un bien ”. Mais le mal de faute ne peut pas exister dans le bien de la vertu ou de la grâce, puisque c’en est le contraire. Il faut donc qu’il existe dans le bien de la nature. Donc il ne détruit pas complètement ce bien.

Réponse :

Comme nous venons de le dire, le bien de la nature qui peut être diminué par le péché, c’est l’inclination naturelle à la vertu. Cette inclination convient à l’homme du fait qu’il est un être rationnel : c’est cela en effet qui lui permet d’agir selon la raison, ce qui est agir selon la vertu. Or, le péché ne peut pas complètement enlever à l’homme cette qualité d’être rationnel, puisque ce serait le rendre incapable de péché. Il n’est pas possible par conséquent que ce bien de nature soit totalement enlevé.

Comme il arrive pourtant que cette sorte de bien est continûment diminué par le péché, certains ont voulu l’expliquer au moyen d’un exemple où l’on trouve qu’une chose finie diminue à l’infini sans pourtant jamais s’épuiser entièrement. Le Philosophe dit en effet que si d’une grandeur finie on ôte constamment quelque chose selon la même quantité, au bout du compte elle sera réduite à rien ; par exemple, lorsque j’aurai constamment retranché d’une longueur quelconque la valeur d’une palme ; tandis que si la soustraction se fait, non pas selon la même quantité, mais selon la même proportion, elle pourra continuer indéfiniment ; par exemple, si une quantité est partagée en deux et que de la moitié on retranche la moitié, on pourra ainsi avancer indéfiniment, de manière cependant que ce qui est retranché la seconde fois sera toujours moindre que ce qui l’était la première. - Mais ceci n’a pas lieu dans le cas qui nous occupe ; car le péché suivant ne diminue pas le bien de la nature moins que ne faisait le péché précédent ; peut être même, s’il est plus grave, le diminue-t-il davantage.

Il faut donc parler autrement. L’inclination dont nous parlions se conçoit comme un milieu entre deux extrêmes ; elle a un fondement, une sorte de racine, dans la nature rationnelle, et elle tend au bien de la vertu comme à un terme et à une fin. Par conséquent, la diminution peut se concevoir de deux façons : du côté de la racine, et du côté du terme. Du côté de la racine, le péché ne produit aucune diminution puisque, nous l’avons dit, il ne diminue pas la nature elle-même. Mais, de la seconde manière, il y a une diminution, c’est-à-dire qu’il y a empêchement d’aboutir au terme. S’il y a diminution par la racine, nécessairement l’inclination à la vertu serait parfois totalement consumée, la nature rationnelle ayant été totalement consumée elle-même. Mais, puisqu’il y a diminution du côté de l’obstacle posé pour empêcher d’atteindre le terme, il est évident que cela peut aller à l’infini, car on peut mettre indéfiniment des obstacles, en ce sens que l’homme peut ajouter indéfiniment péché sur péché ; cependant l’inclination ne peut pas être complètement consumée puisqu’il en reste toujours la racine. On a un exemple de cela dans le corps diaphane qui, du fait même qu’il est diaphane, a une inclination à recevoir la lumière ; cette inclination ou aptitude est diminuée par les nuages qui surviennent, bien qu’elle subsiste toujours à la racine de la nature.

Solutions :

1. Cette objection porte quand il y a diminution par soustraction. Mais ici il y a diminution par apposition d’obstacle, ce qui n’enlève ni ne diminue, nous venons de le dire, la racine de l’inclination naturelle.

2. L’inclination naturelle est assurément un tout homogène ; elle a cependant rapport et à un principe et à un terme ; et selon cette diversité elle est diminuée d’une manière, et de l’autre elle ne l’est pas.

3. Même chez les damnés, il demeure une inclination naturelle à la vertu ; autrement il n’y aurait pas en eux de remords de conscience. Mais si cette inclination ne passe pas à l’acte, cela vient de ce que, par un dessein de la justice divine, la grâce fait défaut. Ainsi, même chez l’aveugle, il demeure encore à la racine de la nature une aptitude à voir, en tant qu’il est un vivant ayant naturellement la vue ; mais cette aptitude ne passe pas à l’acte, faute de la cause qui pouvait l’y amener en formant l’organe nécessaire à la vision.

 

            Article 3 — Les quatre blessures qui, selon Bède, ont frappé la nature humaine à cause du péché

Objections :

1. L’énumération de ces quatre blessures affectant la nature en conséquence du péché - faiblesse, ignorance, malice et convoitise - est maladroite. Car ce qui est l’effet d’une chose ne peut pas en être la cause. Or il y a là, d’après ce qu’on a dit, des causes de péchés. Nous ne devons donc pas mettre cela au rang des effets.

2. La malice est le nom d’un péché. Il n’y a donc pas à la compter comme un effet du péché.

3. La convoitise est chose naturelle, puisque c’est l’acte de la faculté concupiscible. Mais on ne doit pas prendre ce qui est naturel pour une blessure de la nature.

4. Pécher par faiblesse et pécher par passion, on a dit que c’était la même chose. Mais la convoitise est une passion. Il n’y a donc pas à la distinguer de la faiblesse.

5. S. Augustin met dans l’âme pécheresse un double effet pénal : l’ignorance et la difficulté, qui engendrent à leur tour l’erreur et le tourment. Ces effets ne concordent pas avec les quatre en question. Il semble donc que d’un côté ou de l’autre le classement est inadapté.

En sens contraire, ce classement a en sa faveur l’autorité de Bède.

Réponse :

Par la justice originelle la raison maîtrisait parfaitement les facultés inférieures de l’âme, et elle-même trouvait la perfection dans sa soumission à Dieu. Or, cette justice originelle a été soustraite, comme nous l’avons dit, par le péché du premier père. Et c’est pourquoi toutes les facultés de l’âme demeurent en quelque manière dépouillées de leur ordre propre, qui les porte naturellement à la vertu. Et ce dépouillement est appelé une blessure infligée à la nature. Mais il y a dans l’âme quatre puissances qui peuvent être, comme nous l’avons dit, le sujet des vertus : la raison où réside la prudence, la volonté où réside la justice, l’irascible où se trouve la force, le concupiscible où se trouve la tempérance. Donc, en tant que la raison est dépouillée de son adaptation au vrai, il y a blessure d’ignorance ; en tant que la volonté est dépouillée de son adaptation au bien, il y a blessure de malice ; en tant que l’irascible est dépouillé de son adaptation à ce qui est ardu, il y a blessure de faiblesse ; en tant que le concupiscible est dépouillé de son adaptation à des plaisirs modérés par la raison, il y a blessure de convoitise. - Ce sont donc bien là les quatre blessures infligées à toute la nature humaine par le péché du premier père. Mais, parce que l’inclination au bien de la vertu est diminuée en chaque homme par le péché actuel, d’après ce que nous avons dit, ces quatre blessures sont en outre consécutives aux autres péchés. C’est-à-dire que par le péché, la raison se trouve hébétée, surtout en matière d’action, et la volonté endurcie à l’égard du bien, cependant que s’accroît la difficulté de bien agir et que la convoitise s’enflamme davantage.

Solutions :

1. Rien n’empêche que ce qui est l’effet d’un péché soit la cause d’un autre. De ce que l’âme est déréglée par une faute précédente, elle est en effet plus facilement inclinée à pécher.

2. Nous ne prenons pas ici la malice pour le péché du même nom, mais pour une certaine propension de la volonté au mal, selon le mot de la Genèse (8, 21) : “ Les desseins du cœur de l’homme sont portés au mal dès l’adolescence. ”

3. Comme nous l’avons dit, la convoitise est naturelle à l’homme dans la mesure où elle est soumise à la raison ; mais, qu’elle sorte des limites de la raison, c’est pour l’homme contre nature.

4. On peut appeler communément faiblesse toute passion, en tant qu’elle débilite la force de l’âme et entrave la raison. Mais Bède a pris le mot dans le sens strict où la faiblesse s’oppose à la force, laquelle appartient à l’irascible.

5. La difficulté qui est un des effets supposés par S. Augustin, comprend ces trois choses qui se rapportent aux puissances affectives : la malice, la faiblesse, la convoitise ; ce sont en effet ces trois choses qui font qu’on n’a pas de facilité pour tendre au bien. Quant à l’erreur et à la douleur, ce sont des blessures qui sont les suites des autres ; on s’attriste en effet de se sentir si faible en face de l’objet de ses convoitises.

 

            Article 4 — La privation de mesure, de beauté et d’ordre est-elle l’effet du péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le péché ait pour effet de nous priver de ces trois choses “ Partout où elles sont grandes, dit S. Augustin, le bien est grand ; là où elles sont petites, le bien est petit ; là où elles sont nulles, le bien est nul. ” Or le péché ne rend pas nul le bien de la nature. Donc il ne prive pas de mesure, de beauté et d’ordre.

2. Rien n’est cause de soi-même. Mais S. Augustin, définit le péché comme “ la privation de mesure, de beauté et d’ordre ”. Donc cette privation n’est pas un effet du péché.

3. Des péchés divers ont des effets divers. Mais la mesure, la beauté, l’ordre sont précisément choses diverses. Elles supposent donc, semble-t-il, des privations diverses, suites de divers péchés, et l’on ne peut pas dire que la privation de mesure, de beauté et d’ordre soit l’effet de n’importe quel péché.

En sens contraire, le péché est dans une âme comme la maladie dans un corps, selon la parole du Psaume (6, 3) : “ Pitié pour moi, Seigneur, je suis sans force. Guéris-moi. ” Or la maladie prive le corps de son équilibre, de sa beauté et de son ordre. Donc le péché inflige à l’âme les mêmes privations.

Réponse :

Comme nous l’avons dit dans la première Partie, la mesure, la beauté, l’ordre sont partout les suites du bien créé en tant que tel, et même de tout être. Toujours en effet, l’être qui est le bien se manifeste par une forme de laquelle il tire sa beauté. D’autre part, la forme de chaque chose, quelle qu’elle soit, forme substantielle ou forme accidentelle, est conforme à une mesure ; c’est pourquoi il est dit au livre VIII des Métaphysiques que les formes des choses sont comme les nombres, et cela représente un certain mode d’être qui est affaire de mesure. Enfin, par sa forme, chaque être est ordonné à autre chose.

Ainsi, aux divers degrés de biens correspondent divers degrés de mesure, de beauté et d’ordre. Il y a donc un bien constituant le fond même de la nature qui a sa mesure, sa beauté, son ordre ; celui-là n’est ni enlevé ni diminué. Il y a encore un autre bien, celui de l’inclination de la nature : ce bien a aussi son mode, sa beauté, son ordre, et le péché a pour effet, nous l’avons dit, de le diminuer mais non de le supprimer totalement. Enfin il y a encore un bien, celui de la vertu et de la grâce, qui a également son mode, sa beauté et son ordre ; et celui-là est totalement supprimé par le péché mortel. Il y a encore le bien de l’acte lui-même, lorsque cet acte est parfaitement ordonné ; ce bien aussi a sa mesure, sa beauté, son ordre ; et la privation de ce bien est essentiellement le péché. De sorte qu’on voit clairement comment le péché est lui-même une privation de mesure, de beauté et d’ordre, et comment il entraîne après lui une privation et une diminution de mesure de beauté et d’ordre.

Solutions :

1 et 2. Cela donne la réponse.

3. La mesure, la beauté et l’ordre se suivent et s’enchaînent, nous venons de le montrer. Aussi est-ce simultanément qu’ils disparaissent ou diminuent.

 

            Article 5 — La mort et les autres défauts corporels sont-ils des effets du péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car à égalité de cause il devrait y avoir égalité d’effet. Or ces sortes de défauts n’existent pas également chez tous, mais plus abondamment chez certains ; pourtant, le péché originel est égal chez tous, et c’est surtout de lui que semblent provenir ces défauts. Ils ne sont donc pas l’effet du péché.

2. La suppression de la cause amène celle de l’effet. Or la suppression de tout péché par le baptême ou par la pénitence n’entraîne pas celle des défauts en question. Donc ils ne sont pas les effets du péché.

3.Il y a plus de culpabilité dans le péché actuel que dans le péché originel. Pourtant le péché actuel ne change pas en défaut les choses qui sont naturelles au corps. Donc, beaucoup moins encore, le péché originel. Par conséquent, la mort et les autres défauts du corps ne sont pas les effets du péché.

En sens contraire, l’Apôtre dit (Rm 5, 12) “ Par un seul homme le péché est entré en ce monde, et par le péché, la mort. ”

Réponse :

Une chose est cause d’une autre de deux façons : proprement et par soi, ou bien par accident. Elle est par soi cause d’une autre lorsque c’est en vertu même de sa nature ou de sa forme qu’elle produit son effet ; d’où il suit que l’effet est directement cherché par la cause. Manifestement, ce n’est pas le cas, car la mort et les défauts de même sorte sont en dehors des intentions du pécheur ; le péché n’est donc pas par soi la cause de ces défauts.

Par accident, une chose est cause d’une autre si elle supprime l’obstacle : qui secoue la colonne, dit le Philosophe, remue par accident la pierre qui la surmonte. C’est de cette manière que le péché du premier père est cause de la mort et de toutes les déficiences analogues de la nature humaine, en tant que le péché du premier père a supprimé la justice originelle ; or, par cette justice, non seulement les facultés inférieures de l’âme étaient maîtrisées par la raison qui les préservait de tout désordre, mais le corps tout entier était préservé par l’âme de tout défaut, comme nous l’avons dit dans la première Partie. Aussi, une fois supprimée cette justice originelle par le péché du premier père, de même que la nature humaine a été blessée quant à l’âme par le dérèglement des puissances, de même le corps a été rendu corruptible par son propre dérèglement. Or, la soustraction de la justice originelle a raison de peine, comme la soustraction de la grâce. Aussi la mort et toutes les faiblesses du corps sont, elles aussi, la peine du péché originel. Et bien qu’elles ne soient pas voulues par le pécheur, elles sont ordonnées par Dieu comme des châtiments de sa justice.

Solutions :

1. Avec la cause propre, à égalité de cause il y a égalité d’effet ; augmenter ou diminuer la cause essentielle, c’est augmenter ou diminuer l’effet. Mais l’égalité de la cause par accident, celle qui enlève l’obstacle, n’appelle pas l’égalité de l’effet. Si d’une secousse égale vous renversez deux colonnes, il ne s’ensuit pas que les pierres qui les surmontent doivent avoir un mouvement égal : celle-là tombera plus vite, qui sera plus lourde par sa nature à laquelle elle se trouve abandonnée lorsque l’obstacle est enlevé. Ainsi, la justice originelle étant enlevée, la nature du corps humain est abandonnée à elle-même ; et, par suite de la diversité des complexions naturelles, il est, chez certains, sujet à plus de faiblesses, chez d’autres à moins, bien que le péché originel existe chez tous également.

2. Celui qui enlève la faute originelle et la faute actuelle est aussi celui qui enlève tous les défauts de la nature, selon la parole de l’Apôtre (Rm 8, 11) : “ Il vivifiera vos corps mortels par l’habitation en vous de son Esprit. ” Mais les deux choses se font suivant l’ordre de la sagesse divine, au temps convenable. Il faut en effet, pour parvenir à l’immortalité et à l’impassibilité de cette gloire qui a commencé dans le Christ et nous a été acquise par le Christ, que nous soyons d’abord devenus conformes à ses souffrances. Il faut donc que la passibilité elle-même demeure en nos corps pour que nous méritions l’impassibilité de la gloire conformément au Christ.

3. Dans le péché actuel nous pouvons considérer deux choses : la substance même de l’acte, et la raison de faute. Par la substance de l’acte le péché actuel peut fort bien amener la faiblesse du corps ; il y en a qui sont malades et qui meurent d’avoir trop mangé. Mais du côté de la faute, le péché actuel fait perdre la grâce ; or celle-ci est donnée à l’homme pour redresser les actes de l’âme, mais non pour empêcher les déficiences du corps, comme faisait la justice originelle. C’est pourquoi le péché actuel n’est pas cause de ces sortes de faiblesses au même titre que le péché originel.

 

            Article 6 — Ces défauts sont-ils de quelque manière naturels à l’homme ?

Objections :

1. Il semble bien. “ Corruptible et incorruptible constituent, selon Aristote, deux genres d’êtres différents. ” Or l’homme est du même genre que les autres animaux, qui sont naturellement corruptibles. Donc l’homme aussi est corruptible par nature.

2. Tout ce qui est composé d’éléments contraires est corruptible par nature, ayant pour ainsi dire en soi la cause même de sa corruption. Mais le corps humain est de cette sorte.

3. Il est naturel que la chaleur consume l’humidité. Or la vie de l’homme se conserve par le chaud et l’humidité. Donc, puisque les opérations vitales s’accomplissent par une dépense de chaleur, d’après Aristote, il semble que la mort et les faiblesses analogues soient naturelles à l’homme.

En sens contraire, 1. Tout ce qui est naturel à l’homme, c’est Dieu qui l’a fait dans l’homme. Or il est dit dans la Sagesse (1, 13) : “ Dieu n’a pas fait la mort. ” Donc elle n’est pas naturelle à l’homme.

2. Ce qui est selon la nature ne peut être appelé ni peine ni mal, parce qu’il y a convenance entre une chose et ce qui lui est naturel. Or la mort et les déficiences analogues sont, avons-nous dit, la peine du péché originel. Elles ne sont donc pas naturelles à l’homme.

3. La matière est proportionnée à la forme, et chaque chose à sa fin. Or la fin de l’homme est la béatitude perpétuelle, nous l’avons dit. La forme du corps humain est l’âme rationnelle, laquelle est incorruptible, nous l’avons vu dans la première Partie. Donc le corps humain est incorruptible par nature.

Réponse :

De chaque réalité corruptible nous pouvons parler de deux façons : du point de vue de la nature en général, et du point de vue d’une nature particulière. - Une nature particulière est la vertu active propre à chaque chose et travaillant à conserver cette chose. Par rapport à elle, toute corruption et toute privation sont contre nature, dit le Philosophe, puisqu’il y a une vertu qui cherche l’existence et la conservation de l’être en qui elle existe.

La nature universelle au contraire est la vertu active qui réside en quelque grand principe de l’univers, par exemple dans l’un des corps célestes ou dans l’une des substances supérieures ; c’est ainsi que Dieu est appelé par certains “ la nature naturante ”. Cette grande force cherche le bien et la conservation de l’univers, ce qui exige alternance de génération et de corruption dans les choses. De ce point de vue, la corruption et les privations sont naturelles aux choses, non certes d’après les tendances de la forme, qui est principe d’existence et de perfection, mais d’après celles de la matière, laquelle est attribuée à telle et telle forme suivant une certaine proportion distributive que règlent les grands agents de l’univers. Et, bien que toute forme cherche, autant qu’elle peut, à exister perpétuellement, aucune cependant dans l’ordre des réalités corruptibles ne peut obtenir la perpétuité de son être. Sauf l’âme rationnelle, parce qu’elle n’est pas entièrement soumise comme les autres formes au monde de la matière et qu’elle a en propre, bien au contraire, une activité immatérielle, on l’a établi dans la première Partie e. Il résulte de là que, du côté de sa forme, la non-corruption est chose plus naturelle à l’homme qu’elle ne l’est aux autres réalités corruptibles. Mais, parce que cette forme a elle-même une matière composée d’éléments contraires, la corruptibilité du tout est un effet de l’inclination de la matière. Ainsi, l’homme est naturellement corruptible suivant la nature d’une matière laissée à elle-même, mais non point suivant la nature de sa forme.

Or les trois premières objections données ci-dessus sont tirées des exigences de la matière ; les trois autres, en sens contraire, des exigences de la forme. Par conséquent, pour les résoudre, il faut considérer que la forme de l’homme, qui est l’âme rationnelle, a été, par son incorruptibilité, bien proportionnée à sa fin qui est la béatitude perpétuelle. Mais le corps humain, qui est corruptible si on le considère dans sa nature, a été proportionné à sa forme d’une certaine façon, et non d’une autre façon. On peut en effet tenir compte d’une double condition dans une matière : celle qui répond au choix de l’agent, et celle qui n’a pas été choisie par lui mais dépend de la nature même de la matière. Ainsi le coutelier choisit pour faire des couteaux une matière à la fois dure et ductile, qui puisse s’aiguiser pour être apte à couper, et l’acier qui remplit cette condition est une matière bien adaptée à la coutellerie ; mais, que ce métal soit cassant et prenne la rouille, c’est une conséquence de sa composition naturelle, et l’artisan ne la choisit pas ; il la refuserait plutôt s’il le pouvait. Aussi y a-t-il là une disposition matérielle qui n’est proportionnée ni au dessein de l’artisan ni à celui de son art. Le corps humain est quelque chose de semblable à cela. Il est une matière que la nature a choisie comme étant de bonne complexion pour pouvoir être l’organe le plus convenable du toucher et des autres facultés de sensation et de mouvement. Mais qu’il soit corruptible, cela tient aux conditions de la matière, et n’a pas été choisi par la nature, laquelle choisirait plutôt au contraire une matière incorruptible, si elle pouvait. Mais Dieu, à qui toute nature est soumise, suppléa dans la création même de l’homme au défaut de la nature et accorda au corps, par le don de la justice originelle, une certaine incorruptibilité, comme nous l’avons dit dans la première Partie. C’est pourquoi il est dit que “ Dieu n’a pas fait la mort ” et qu’elle est la peine du péché.

Solutions : On vient évidemment de répondre aux objections.

 

QUESTION 86 — LA TACHE DU PÉCHÉ

1. La tache de l’âme est-elle un effet du péché ? - 2. Cette tache demeure-t-elle dans l’âme après l’acte du péché ?

 

            Article 1 — La tache de l’âme est-elle un effet du péché ?

Objections :

1. La chose ne paraît pas possible. Une nature supérieure ne peut pas être souillée par le contact d’une nature inférieure : “ Le rayon de soleil, dit S. Augustin, ne se salit pas au contact des corps les plus fétides. ” Or, l’âme humaine est d’une nature bien supérieure aux réalités périssables vers lesquelles elle se tourne lorsqu’elle pèche. Donc ces réalités ne lui font pas contracter une tache par le péché.

2. Le péché est fondamentalement dans la volonté, nous l’avons dit. Mais pour Aristote “ la volonté est dans la raison ”. Or la raison, ou intelligence, ne se souille pas, mais plutôt se perfectionne, à considérer les choses, quelles qu’elles soient. Donc la volonté ne se souille pas par le péché.

3. Si le péché produit une tache, ou la tache est quelque chose de positif, ou elle est une pure privation. Si elle est quelque chose de positif, ce ne peut être qu’une disposition ou un habitus ; car un acte ne laisse pas autre chose dans l’âme. Or ce n’est ni une disposition ni un habitus, car il arrive que l’un ou l’autre ayant disparu, la tache demeure encore. Cela se voit chez celui qui a péché mortellement par prodigalité, et qui après cela pèche encore mortellement, mais en changeant son habitus pour le vice opposé. La tache ne met donc pas dans l’âme quelque chose de positif.

Pareillement, elle n’est pas pure privation. Puisqu’à cet égard tous les péchés se rejoignent dans l’aversion loin de Dieu et la privation de la grâce, il s’ensuivrait que pour tous les péchés la tache serait unique. Donc la tache n’est pas l’effet du péché.

En sens contraire, l’Ecclésiastique (47, 20) dit à Salomon : “ Tu as fait une tache à ta gloire ” ; et l’Apôtre aux Éphésiens (5, 17) : “ Il voulait se présenter à lui-même une Église éclatante, n’ayant ni tache ni ride. ” Dans un passage comme dans l’autre on parle de la tache du péché. Donc la tache est l’effet du péché.

Réponse :

Le mot tache se dit à proprement parler des choses matérielles, quand un corps brillant, costume, objet d’or, d’argent, etc. perd son éclat au contact d’un autre corps. Dans le domaine spirituel “ tache ” doit avoir une signification analogue. Or l’âme de l’homme possède un double éclat : le premier lui vient du resplendissement de la lumière naturelle de la raison ; c’est par cette clarté qu’il se dirige dans la vie. Un autre éclat lui vient du resplendissement d’une lumière divine, la sagesse et la grâce, et par ce surcroît de lumière on a toute la perfection qu’il faut pour agir bien et avec beauté. D’autre part, l’âme a comme un contact avec les réalités quand elle s’y attache par amour. Or, lorsqu’elle pèche, elle adhère à quelque chose contrairement aux lumières de la raison et de la loi divine. C’est pourquoi la diminution d’éclat provenant d’un tel contact s’appelle métaphoriquement la tache de l’âme.

Solutions :

1. Les réalités inférieures n’ont pas la vertu de salir l’âme comme si elles avaient une véritable action sur elle. C’est plutôt l’inverse : l’âme se salit elle-même par son action, en s’attachant d’une façon déréglée aux réalités inférieures, contrairement aux lumières de la raison et de la loi divine.

2. L’acte intellectuel est perfectionné dans la mesure où les réalités intelligibles sont dans l’intelligence suivant le mode de l’intelligence elle-même ; et c’est pourquoi l’intelligence n’est pas salie mais perfectionnée par elles. Au contraire, l’acte volontaire consiste dans un mouvement vers les choses mêmes, au point que l’amour colle une âme à l’objet aimé ; et c’est par là que l’âme se salit, lorsqu’elle s’attache d’une manière désordonnée, selon le mot d’Osée (9, 10) : “ Ils sont devenus abominables, comme les objets qu’ils ont aimés. ”. La tache n’est pas quelque chose de positif dans l’âme. Elle ne signifie pas non plus privation pure et simple ; elle signifie une privation d’éclat dans l’âme relativement à sa cause qui est le péché. C’est pourquoi la diversité des péchés amène la diversité des taches. Il en est comme d’une tache d’ombre qui est privation de lumière provenant de ce qu’il y a un corps par-devant : la diversité des corps qui sont ainsi devant la lumière produit la diversité des ombres.

 

            Article 2 — Cette tache demeure-t-elle dans l’âme après l’acte du péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Après l’acte, il ne reste rien dans l’âme, si ce n’est l’habitus ou la disposition. Or, nous l’avons vu, la tache n’est ni un habitus ni une disposition. Donc, elle ne reste pas dans l’âme après l’acte du péché.

2. Nous venons de voir qu’un péché fait une tache comme un corps fait de l’ombre. Mais, lorsque le corps passe, l’ombre ne reste pas. Donc, quand l’acte du péché passe, lui aussi, la tache ne reste pas.

3. Tout effet dépend de sa cause. Or la tache a pour cause l’acte du péché. Une fois que cet acte s’est éloigné, il ne reste donc plus de tache dans l’âme.

En sens contraire, il est écrit au livre de Josué (22, 17) : “ N’est-ce donc rien pour vous d’avoir péché à Béelphegor, quand la tache de ce crime demeure en vous jusqu’aujourd’hui ? ”

Réponse :

La tache du péché demeure dans l’âme, même si l’acte du péché vient à passer. La raison en est que la tache, avons-nous dit, comporte un manque d’éclat parce qu’on s’est éloigné des lumières de la raison ou de la loi divine. C’est pourquoi aussi longtemps qu’un homme reste en dehors de ces lumières, la tache du péché demeure en lui ; mais, dès qu’il revient à la lumière de la raison et à la lumière divine, ce qui se fait à l’aide de la grâce, alors la tache cesse. Or, bien que l’homme mette fin à l’acte par lequel il s’est éloigné des lumières de la raison ou de la loi divine, il ne revient pas aussitôt à l’état où il se trouvait auparavant, mais il a besoin pour cela d’un mouvement de volonté contraire au premier. De même que, si un homme est éloigné d’un autre à la suite d’un mouvement, il ne se rapprochera pas de lui aussitôt que son mouvement cesse ; il faut qu’il se rapproche en revenant par un mouvement contraire.

Solutions :

1. Après l’acte du péché, il ne reste rien positivement dans l’âme que des dispositions ou des habitus ; négativement, il reste cependant quelque chose : l’absence d’union à la lumière divine.

2. Quand l’obstacle qui faisait de l’ombre a passé, le corps diaphane demeure envers celui qui donne la lumière dans la même proximité et le même rapport qu’auparavant, et c’est pourquoi l’ombre passe aussitôt. Mais, quand l’acte du péché a été écarté, l’âme ne se retrouve plus dans le même état vis-à-vis de Dieu ; aussi le cas n’est-il pas le même.

3. L’acte du péché crée une distance de Dieu qui est suivie par la perte de la lumière, de la même manière que le mouvement local crée la distance dans l’espace. Aussi, le mouvement local cessant, la distance ne disparaît pas ; de même il ne suffit pas de cesser l’acte du péché pour que la tache disparaisse.

LA DETTE DE PEINE

Il faut considérer la dette de peine, 1° en elle-même (Q. 87) puis, 2° la question du péché mortel et du péché véniel, qui se distinguent l’un de l’autre d’après cette dette (Q. 88-89).

 

QUESTION 87 — LA DETTE DE PEINE, EN ELLE-MÊME

1. La dette de peine est-elle un effet du péché ? - 2. Un péché peut-il être la peine d’un autre ? - 3. Y a-t-il un péché qui rende passible d’une peine éternelle ? - 4. D’une peine infinie en grandeur ? - 5. Tout péché rend-il passible d’une peine éternelle et infinie ? - 6. La dette de peine peut-elle demeurer après le péché ? - 7. Toute peine est-elle infligée pour un péché ? - 8. Quelqu’un peut-il être tenu à une peine pour le péché d’autrui ?

 

            Article 1 — La dette de peine est-elle un effet du péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car ce qui arrive par accident à un être, ne parait pas être son effet propre. Mais la dette de peine a un rapport accidentel avec le péché, puisqu’elle est en dehors de l’intention du pécheur. Elle n’est donc pas l’effet du péché.

2. Le mal n’est pas la cause du bien. Or la peine est un bien, puisqu’elle est juste et vient de Dieu. Elle n’est donc pas l’effet du péché qui est un mal. S. Augustin affirme : “ Une âme qui est dans le désordre est à elle-même sa peine. ” Or une peine n’entraîne pas l’obligation à une autre peine, car on irait ainsi à l’infini. Donc le péché n’entraîne pas la dette de la peine.

En sens contraire, l’Apôtre affirme (Rm 2, 9) “ Il y a tribulation et angoisse pour toute âme qui fait le mal. ” Faire le mal, c’est pécher. Le péché amène donc cette peine, désignée sous le nom de tribulation et d’angoisse.

Réponse :

C’est un fait, qui des réalités de la nature passe à celles de l’humanité, que tout ce qui s’élève contre une chose doit en recevoir du dommage. Nous voyons en effet dans la nature un élément agir avec plus de force s’il vient à rencontrer son contraire ; c’est pour cela que “ l’eau chauffée gèle plus fort ”, comme dit le livre I des Météores. Aussi rencontre-t-on chez les hommes cette inclination naturelle : chacun rabaisse celui qui s’insurge contre lui. Mais il est manifeste que tous les êtres englobés dans un ordre ne font qu’un en quelque sorte dans leur relation au principe de cet ordre. Par conséquent, tout ce qui s’insurge contre un ordre de choses doit normalement être réprimé par cet ordre et par son principe. Et puisque le péché est un acte désordonné, il est manifeste que quiconque pèche agit contre un ordre. C’est pourquoi il est normal qu’il soit réprimé par cet ordre même. Et cette répression, c’est la peine.

De là, selon les trois ordres auxquels est soumise la volonté humaine, le triple régime de peines par lequel l’homme peut être châtié. En effet, la nature humaine est premièrement subordonnée à l’ordre de sa propre raison ; deuxièmement à l’ordre extérieur de ceux qui gouvernent, au spirituel et au temporel, dans la cité ou dans la famille ; troisièmement à l’ordre universel du gouvernement divin. Or, il n’est aucun de ces trois ordres qui ne soit renversé par le péché, puisque celui qui pèche agit tout à la fois contre la raison, contre la loi humaine et contre la loi divine. D’où la triple peine encourue par lui : l’une lui vient de lui-même : le remords de conscience ; une autre des hommes ; une troisième de Dieu.

Solutions :

1. La peine suit le péché dans la mesure où il est un mal en raison de son désordre. Par suite, de même que, dans l’acte, le mal est accidentel et hors des intentions du pécheur, de même la dette de peine.

2. Il est certain que la peine peut être juste et qu’elle peut avoir été infligée par Dieu et par les hommes ; aussi n’est-elle pas elle-même directement l’effet du péché ; le péché dispose seulement à la peine. Il fait que l’homme est passible de peine, et c’est là qu’est le mal. Denys dit en effet : “ Subir la peine n’est pas un mal ; le mal est de la mériter. ” Par conséquent, la dette de la peine se présente directement comme l’effet du péché.

3. Cette peine d’une âme en désordre est due au péché parce qu’il trouble l’ordre de la raison. Mais il est passible d’une autre peine encore, du fait qu’il trouble l’ordre des lois divines et humaines.

 

            Article 2 — Un péché peut-il être la peine d’un autre ?

Objections :

1. Apparemment non, puisque les peines ont été introduites, selon le Philosophe, pour ramener les hommes à la vertu. Or le péché ne ramène pas l’homme à la vertu, mais à l’opposé. Le péché n’est donc pas la peine du péché.

2. Les justes châtiments sont de Dieu, comme l’explique S. Augustin ; tandis que le péché n’est pas de Dieu et est chose injuste. Le péché ne peut donc pas être le châtiment du péché.

3. Il est de l’essence d’une peine de s’opposer à la volonté. Le péché, au contraire, vient de la volonté, nous l’avons montré plus haut, Il ne peut donc pas être une peine du péché.

En sens contraire, S. Grégoire affirme “ Certains péchés sont des punitions du péché. ”

Réponse :

Quand nous parlons du péché, nous pouvons le considérer en ce qu’il a d’essentiel et en ce qu’il a d’accidentel. Par soi le péché ne peut être d’aucune manière la peine du péché. Ainsi considéré, en effet, il est un acte sortant de la volonté, car c’est à cette condition qu’il a raison de faute. Or. comme nous l’avons établi dans la première Partie, il est essentiel à la peine de contrarier la volonté. Il est donc évident qu’à parler formellement le péché ne peut d’aucune manière être la peine du péché.

Mais par accident il peut l’être, de trois façons. - 1° Comme cause écartant un obstacle. Passions, tentations du diable, sont en effet des causes qui inclinent au péché. Ces causes rencontrent un obstacle dans le secours de la grâce divine, laquelle est enlevée par le péché. Comme cette soustraction de grâce est elle-même une peine, et voulue par Dieu, nous l’avons dit, il s’ensuit que par accident le péché qui en est la suite est, lui aussi, une peine. L’Apôtre parle en ce sens quand il dit (Rm 1, 24) : “ ... C’est pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leur cœur. ” Ces désirs, ce sont les passions ; car les hommes, abandonnés par le secours de la grâce divine, sont vaincus par les passions. De cette façon le péché est toujours la peine d’un péché antérieur. - 2° D’une autre manière, le péché peut être une peine, par la substance même de son acte, à cause de l’affliction qu’il apporte ; soit l’acte intérieur, comme cela se voit dans la colère et l’envie ; soit l’acte extérieur, comme c’est évident chez certains lorsque, pour accomplir l’acte du péché, ils sont accablés de travaux et de difficultés, selon ce mot de la Sagesse (6, 7 Vg) : “ Nous nous sommes fatigués sur le chemin de l’iniquité. ” - 3° Un péché peut encore être une peine par ses effets ; il sera dit tel à raison de ses conséquences. Et selon ces deux dernières façons, un péché n’est pas seulement la peine d’un péché précédent, il est à lui-même sa propre peine.

Solutions :

1. Quand Dieu punit certains en permettant qu’ils se laissent aller à des péchés, c’est en réalité pour le bien de la vertu. C’est même quelquefois pour le bien des pécheurs eux-mêmes, lorsque après le péché ils se relèvent plus humbles et plus prudents. Mais c’est toujours pour l’amendement des autres, afin que ceux qui voient des gens tomber ainsi de faute en faute redoutent davantage de pécher. - Quant aux deux autres cas que nous avons dis, il est évident que la peine y est ordonnée à l’amendement ; ainsi le fait même de subir des travaux et des dommages en commettant le mal est de nature à détourner les hommes du péché.

2. Cet argument tient compte du péché en soi.

3. Même réponse.

 

            Article 3 — Y a-t-il un péché qui rende passible d’une peine éternelle ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’aucun péché puisse avoir de pareilles suites. Une peine, pour être juste, doit être égale à la faute, car la justice est une égalité ; d’où ce mot d’Isaïe (27, 8 Vg) : “ Mesure pour mesure, en rejetant [cette nation] tu ne feras que lui rendre justice. ” Or le péché est temporel. Il n’engage donc pas la dette d’une peine éternelle.

2. “ Les peines sont des remèdes ”, dit le Philosophe. Or un remède ne doit jamais être infini, puisqu’il est ordonné à une fin et que ce qui est ordonné à une fin, selon le Philesophe, n’est pas infini. Donc nulle peine ne doit être infinie.

3. Nul ne fait une chose s’il n’y trouve pour soi-même un plaisir. Or, la Sagesse (1, 13) assure que “ Dieu ne prend pas plaisir à la perdition des hommes ”. Il ne les punira donc pas d’un châtiment éternel.

4. Rien de ce qui existe par accident n’est infini. Or la peine existe par accident, puisqu’elle n’est pas conforme à la nature de celui qui en est frappé. Elle ne peut donc pas durer à l’infini.

En sens contraire, il est dit en S. Matthieu (25, 46) : “ Ils s’en iront au supplice éternel ” ; et en S. Marc (3, 29) : “ Celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit n’aura jamais de rémission, mais sera coupable d’une faute éternelle. ”

Réponse :

Nous venons de le dire : le péché entraîne une dette de peine du fait qu’il bouleverse un ordre. Or. la cause persistant, l’effet demeure. Par conséquent, il est nécessaire que la dette de peine demeure aussi longtemps que demeure le bouleversement de l’ordre. Or, lorsque quelqu’un bouleverse l’ordre, parfois c’est réparable, mais parfois c’est irréparable. En effet, le mal est toujours irréparable s’il ôte à l’ordre son principe. Si, au contraire, le principe reste sauf, les autres défauts peuvent être réparés par sa vertu. Ainsi, lorsque la vue est corrompue dans son principe même, il n’y a plus moyen de la recouvrer, sinon uniquement par la vertu divine ; si, au contraire, le principe de la vue restant sauf, il survient seulement quelque gêne dans la vision, la nature ou l’art sont capables d’y remédier. Or, tout ordre comporte un principe ; et c’est en se rattachant à ce principe qu’on devient participant de cet ordre. C’est pourquoi, si le péché détruit dans son principe l’ordre par lequel la volonté de l’homme est soumise à Dieu, le désordre sera de soi irréparable, encore qu’il puisse être réparé par la vertu divine. Or, le principe, en cet ordre de choses, c’est la fin ultime à laquelle on adhère par la charité. C’est pourquoi tous les péchés qui détournent de Dieu en faisant perdre la charité, entraînent, autant qu’il est en eux, l’obligation à une peine éternelle.

Solutions :

1. Aussi bien dans les jugements de Dieu que dans celui des hommes, la peine est, quant à sa rigueur, proportionnée au péché. Mais, comme le dit S. Augustin, dans aucun jugement n’est requis que la peine soit égale à la faute quant à la durée. Car, parce que l’adultère ou l’homicide se commettent en un moment, ce n’est pas une raison de les châtier par une peine d’un moment. Au contraire, on les punit quelquefois de prison perpétuelle ou d’exil, quelquefois même de mort. Et, dans cette peine de mort, on ne regarde pas le temps qu’il faut pour l’exécuter, mais plutôt le fait que le coupable sera retranché à tout jamais de la société des vivants : ainsi, cette peine représente à sa manière l’éternité du châtiment divin. - “ Il est pourtant juste, selon S. Grégoire, que l’homme ayant, dans son éternité, péché contre Dieu, trouve son châtiment dans l’éternité de Dieu. ” Or, on dit de quelqu’un qu’il a péché dans son éternité, non seulement lorsqu’il a continué l’acte durant toute sa vie d’homme, mais par le fait que, s’il met sa fin dernière dans le péché, c’est qu’il a la volonté de le faire éternellement. Aussi S. Grégoire ajoute-t-il : “ Les méchants auraient voulu vivre sans fin pour pouvoir demeurer sans fin dans leurs iniquités. ”

2. La peine, même celle qu’infligent les lois humaines, n’est pas toujours médicinale pour celui qu’elle frappe. Parfois, elle l’est seulement pour les autres. Ainsi, lorsqu’un bandit est pendu, ce n’est pas pour son propre amendement, mais à cause des autres afin qu’au moins la crainte du châtiment arrête leurs méfaits, selon la parole des Proverbes (19, 25) : “ Flagellez les êtres pernicieux, et les sots seront plus sages. ” C’est donc de cette manière que les peines éternelles des réprouvés, infligées par Dieu, sont médicinales : pour ceux qui s’abstiennent des péchés par la pensée de ces grands châtiments. Selon ce passage du Psaume (60, 6) : “ Tu as fait signe à ceux qui te craignent d’éviter le trait qui frappe, pour sauver tes bien-aimés. ”

3. Dieu ne prend pas plaisir aux châtiments pour eux-mêmes ; mais il prend plaisir à l’ordre de sa justice, qui les exige.

4. Bien que la peine ne soit ordonnée à la nature que par accident, elle est ordonnée de soi à la privation d’ordre et à la justice de Dieu. C’est pourquoi la peine dure toujours aussi longtemps que le désordre.

 

            Article 4 — Y a-t-il un péché qui rende passible d’une peine infinie en grandeur ?

Objections :

1. Il semble bien, car on lit en Jérémie (10, 24) : “ Corrige-moi, Seigneur, mais que ce soit pourtant dans ta justice et non dans ta fureur, de crainte que tu ne me réduises à néant. ” La colère de Dieu ou sa fureur signifie par métaphore la vindicte de la justice divine. Quant à être réduit à rien, c’est une peine infinie, de même que faire quelque chose de rien est d’une puissance infinie. Donc, selon la vindicte divine, le péché est puni d’une peine infinie en grandeur.

2. A la grandeur de la faute correspond celle de la peine. Selon le Deutéronome (25, 2) : “ On fouettera le coupable à la mesure de son péché. ” Mais le péché commis contre Dieu est infini. Car un péché est d’autant plus grave que la personne contre laquelle il est commis est plus grande ; ainsi est-il plus grave de frapper le prince que de frapper un particulier. Or la grandeur de Dieu est infinie. Il faut donc une peine infinie pour le péché commis contre Dieu.

3. Une chose est infinie de deux manières, en durée et en grandeur. Or en durée, la peine est infinie. Elle l’est donc aussi en grandeur.

En sens contraire, s’il en était ainsi, la peine serait égale pour tous les péchés mortels, car il n’y a pas d’infini plus grand que l’infini.

Réponse :

La peine est proportionnée au péché. Or dans le péché il y a deux choses. L’aversion à l’égard d’un bien impérissable, qui est infini ; à cet égard, par conséquent, le péché est infini. D’autre part, la conversion désordonnée au bien périssable ; de ce côté le péché est fini, non seulement parce que le bien périssable est lui-même fini, mais encore parce que l’attachement est fini, lui aussi, car les actes de la créature ne peuvent être infinis. Ainsi donc, ce qui correspond à l’aversion de Dieu dans le péché, c’est la peine du dam, laquelle est infinie comme cette aversion, puisqu’elle est la perte d’un bien infini, c’est-à-dire de Dieu. Mais ce qui correspond dans le péché à la conversion désordonnée, c’est la peine du sens, laquelle aussi est finie.

Solutions :

1. Il ne convient pas à la justice de Dieu que le pécheur soit tout à fait réduit à néant, parce que ce serait contraire à la perpétuité de la peiné, qu’exige, avons-nous dit, la justice divine. Mais de celui qui est privé des biens spirituels, on dit qu’il est réduit à rien : “ Si je n’ai pas la charité, je ne suis rien ”, dit l’Apôtre (1 Co 13, 2).

2. Cet argument est valable si l’on considère le péché sous l’angle de l’aversion ; car ainsi l’homme pèche contre Dieu.

3. La durée de la peine répond à la durée de la faute, en tenant compte non pas de l’acte mais de la tache qu’il laisse dans l’âme ; la dette de peine dure aussi longtemps que cette tache. Mais la rigueur de la peine répond à la gravité de la faute ; or, si la faute est de soi irréparable, elle a de quoi durer à perpétuité, et c’est pourquoi une peine éternelle lui est due. Mais sous l’angle de la conversion, elle ne comporte pas l’infinité, elle n’est pas tenue, de ce fait, à une peine infinie en grandeur.

 

            Article 5 — Tout péché rend-il passible d’une peine éternelle et infinie ?

Objections :

1. Il semble que tout péché conduise à cela. Nous venons de dire que la peine est proportionnée à la faute. Or, il y a une différence infinie entre une peine éternelle et une peine temporelle ; tandis qu’entre un péché et un autre la différence, semble-t-il, n’est jamais infinie puisque tout péché est un acte humain et que l’acte humain ne peut être infini. Donc, étant admis qu’il y a des péchés auxquels une peine éternelle est due, il semble qu’il n’y en ait pas auquel soit due seulement une peine temporelle.

2. Le péché originel est le moindre des péchés. Aussi, selon S. Augustin, “ la peine la plus douce est réservée à ceux qui sont punis pour le seul péché originel ”. Or, c’est déjà une peine perpétuelle. Jamais, en effet, les enfants morts sans baptême, avec le péché originel, ne verront le royaume de Dieu, comme cela ressort de ce que dit le Seigneur (Jn 3, 3) : “ Nul, s’il ne renaît de nouveau, ne peut voir le royaume de Dieu. ” Par conséquent, à plus forte raison, pour tous les autres péchés la peine sera éternelle.

3. Un péché ne mérite pas une peine plus grande du fait d’être uni à un autre péché, chacun des deux ayant son propre châtiment taxé selon la justice divine. Or le péché véniel est frappé d’une peine éternelle s’il se trouve uni au péché mortel chez un damné, puisqu’il ne peut y avoir de rémission en enfer. Donc le péché véniel mérite purement et simplement une peine éternelle et à aucun péché n’est due une peine temporelle.

En sens contraire, S. Grégoire dit que “ certaines fautes plus légères sont remises après cette vie ”. Tous les péchés ne sont donc pas punis d’une peine éternelle.

Réponse :

Le péché cause, avons-nous dit, l’obligation à une peine éternelle dans la mesure où il contrarie d’une manière irréparable l’ordre de la justice divine en s’opposant au principe même de l’ordre, c’est-à-dire de la fin ultime. Or il est évident qu’en certains péchés, s’il y a quelque désordre, ce n’est cependant pas par opposition à la fin ultime, mais seulement dans les moyens d’y atteindre, en tant qu’on s’applique à ces moyens plus ou moins qu’on ne devrait, mais en préservant l’ordre à la fin ultime. C’est ce qui arrive, par exemple, lorsqu’un homme trop épris d’une réalité temporelle ne voudrait pourtant pas à cause d’elle offenser Dieu en faisant quoi que ce soit contre son commandement. Le péché, dans ce cas-là, n’expose donc pas à une peine éternelle, mais à une peine temporelle.

Solutions :

1. Il n’y a pas une différence infinie entre les péchés sous l’angle de la conversion au bien périssable, conversion en quoi consiste la substance de l’acte. Mais il y a différence infinie sous l’angle de l’aversion, car il y a des péchés que l’on commet par aversion de la fin ultime, et il y en a au contraire qui supposent un désordre dans les moyens qui y conduisent. Or, entre la fin ultime et les moyens d’y atteindre, la différence est infinie.

2. Le péché originel ne mérite pas une peine éternelle en raison de sa gravité, mais en raison de la condition du sujet, c’est-à-dire de l’homme, qui se trouve sans la grâce, alors que c’est seulement par la grâce que se fait la rémission de la peine.

3. Il faut dire la même chose du péché véniel. L’éternité de la peine, en effet, ne répond pas à la grandeur de la faute mais, comme nous l’avons dit, à sa nature irrémissible.

 

            Article 6 — La dette de peine peut-elle demeurer après le péché ?

Objections :

1. La chose ne paraît pas possible, car écarter la cause c’est écarter l’effet. Or le péché est cause de la dette de peine ; donc, s’il est écarté, la dette de peine cesse.

2. Le péché est écarté par là même que l’on revient à la vertu. Mais lorsqu’on est vertueux, on n’encourt plus de peine, on mérite plutôt la récompense. Donc, le péché étant écarté, il n’y a plus dette de peine.

3. “ Les peines sont des remèdes ”, dit le Philosophe. Mais, une fois que quelqu’un est guéri de la maladie, on ne lui donne plus de remède. Donc si l’on est guéri du péché, la dette de peine ne subsiste pas.

En sens contraire, nous lisons au 2e livre de Samuel (12, 13.14) que David dit à Nathan : “ J’ai péché devant le Seigneur ”, et Nathan répond à David : “ Le Seigneur pardonne ton péché, tu ne mourras pas ; cependant, parce que tu as été cause que les ennemis du Seigneur ont blasphémé son nom, le fils qui t’est né va mourir. ” Voilà donc quelqu’un que Dieu punit même après que son péché lui est remis. Ainsi, la dette de peine subsiste après que le péché a été écarté.

Réponse : Dans le péché nous pouvons considérer deux choses, l’acte de la faute, et la tache qui en est la suite.

Pour ce qui est de l’acte, il est clair que dans tous les péchés actuels, l’acte cessant, la dette de peine demeure. L’acte du péché, en effet, rend un homme passible de la peine dans la mesure où cet homme transgresse l’ordre de la justice divine ; il ne rentre dans l’ordre que par la compensation de la peine.

Celle-ci rétablit la juste égalité ; elle fait que celui qui a cédé plus qu’il ne devait à sa propre volonté en agissant contre le commandement de Dieu, se rend aux exigences de la justice divine en subissant, de bon cœur ou par force, quelque chose qui contrarie sa volonté. Ce point est observé même dans les injustices faites aux hommes : on vise à rétablir intégralement la juste égalité par la compensation de la peine. Aussi est-il évident que, pour le péché comme pour l’injustice commise, lorsque l’acte cesse, la dette de peine subsiste encore.

Mais, si nous parlons de l’effacement de la tache, alors il est manifeste que la tache du péché ne peut être effacée de l’âme que lorsque celle-ci se retrouve unie à Dieu, puisque c’est en s’éloignant de lui qu’elle venait à perdre son propre éclat, ce qui est la tache, comme nous l’avons expliqué plus haut. Or, l’homme s’unit à Dieu par la volonté. C’est pourquoi la tache du péché ne peut être enlevée à l’homme sans que sa volonté accepte l’ordre de la justice divine ; ce qui signifie, ou que lui-même spontanément prendra sur lui de se punir en compensation de la faute passée, ou encore qu’il supportera patiemment la peine que Dieu lui envoie ; dans les deux cas, en effet, la peine a un caractère de satisfaction. Mais une peine satisfactoire enlève quelque chose à la raison de peine, car il est essentiel à la peine d’être contre la volonté. Or la peine satisfactoire, bien qu’elle soit dans l’absolu opposée à la volonté, ne l’est cependant pas dans le concret ; de ce fait elle est volontaire. Somme toute, elle est purement et simplement volontaire, encore qu’involontaire à un certain égard, selon ce que nous avons dit plus haut sur la qualité volontaire ou involontaire des actes. Donc il faut conclure que, la tache de la faute étant effacée, il peut subsister quand même une dette de peine ; ce n’est plus toutefois une peine au sens absolu, mais une peine satisfactoire.

Solutions :

1. De même que, l’acte cessant, la tache demeure comme nous l’avons dit plus haut, de même la dette peut demeurer aussi. Mais la tache s’effaçant, la dette ne subsiste plus avec le même caractère, comme nous venons de le dire.

2. A l’homme vertueux la peine ne doit plus être appliquée de façon absolue, mais elle peut lui être due comme peine satisfactoire, parce que ceci même appartient à la vertu : chercher à satisfaire pour tout ce qui offense Dieu ou les hommes.

3. Une fois la tache effacée, on peut considérer comme guérie la blessure que le péché faisait à la volonté. Mais la peine est encore requise pour la guérison des autres facultés de l’âme que la faute passée avait déréglées, si bien qu’il faut maintenant les soigner par un traitement contraire. La peine est requise aussi pour rétablir l’équilibre de la justice, et pour écarter le scandale des autres ; il importe que l’expiation édifie ceux que la faute a scandalisés ; c’est ce qui se voit dans l’exemple de David, allégué ci-dessus.

 

            Article 7 — Toute peine est-elle infligée pour un péché ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Il est dit en S. Jean (9, 2.3) au sujet de l’aveugle-né : “ Ni lui ni ses parents n’ont péché, pour qu’il soit né aveugle. ” Nous voyons pareillement beaucoup d’enfants, même baptisés, souffrir des peines graves ; fièvres, vexations des démons, et quantité d’afflictions, alors que pourtant il n’y a plus de péché en eux après qu’ils ont été baptisés. Et avant qu’ils aient été baptisés, il n’y avait pas plus de péché chez eux que chez d’autres enfants qui n’ont pas eu a souffrir ainsi. Toute peine n’est donc pas pour un péché.

2. Il y a la même raison, semble-t-il, à ce que des pécheurs soient dans la prospérité et des innocents dans la peine. Or nous rencontrons fréquemment l’un et l’autre dans la vie des hommes. A propos des pécheurs, le Psaume (73, 5) dit en effet : “ Ils n’ont pas le tracas des autres hommes ; ils ne seront pas châtiés avec tout le monde. ” Et Job (21, 7) : “ Les impies sont bien vivants, ils ont eu le soulagement et le réconfort de leurs richesses. ” Habacuc (1, 13) dit aussi : “ Pourquoi regarder les perfides et te taire quand l’impie foule aux pieds un plus juste que lui ? ” Donc toute peine n’est pas infligée pour une faute.

3. S. Pierre (1 P 2, 22) dit du Christ : “ Il n’a pas commis de faute, il n’y a pas eu de mensonge dans sa bouche ”, et pourtant il ajoute au même endroit : “ Il a souffert pour nous. ” Donc la peine n’est pas toujours infligée par Dieu pour une faute.

En sens contraire, nous lisons au livre de Job (4, 7-9) : “ Quel est l’innocent qui a jamais péri ? Ou quand les gens de bien ont-ils été rayés de ce monde ? N’ai-je pas vu plutôt périr au soufre de Dieu ceux qui commettent l’iniquité ? ” Et S. Augustin affirme que toute peine est juste, et qu’elle est administrée pour un péché.

Réponse :

La peine, on vient de le dire, peut être considérée de deux manières : de façon absolue, et comme une peine satisfactoire.

La peine satisfactoire est en quelque sorte volontaire. Et, comme il arrive que des gens très différemment passibles de la peine ne fassent qu’un par la volonté dans l’amour qui les unit, il suit de là que parfois quelqu’un qui n’a pas péché supporte volontairement une peine pour autrui, de même que dans les affaires humaines nous voyons aussi que quelqu’un peut endosser la dette d’un autre.

Mais si nous parlons de la peine considérée absolument, en tant qu’elle a raison de peine, alors elle est toujours ordonnée à une faute propre ; mais tantôt à une faute actuelle, comme lorsqu’on est puni par Dieu ou par les hommes pour le mal qu’on a commis ; tantôt, au contraire, la peine est ordonnée à la faute originelle, et cela, soit à titre de principe, soit à titre de conséquence. A titre de principe, la peine du péché originel est que la nature humaine se trouve abandonnée à elle-même, étant destituée du secours de la justice originelle ; de là viennent toutes les misères qui tombent sur l’humanité par suite de la déchéance de la nature.

Il faut cependant savoir que parfois certaines choses paraissent être des peines, qui pourtant n’ont pas absolument raison de peine. En effet, la peine est une espèce de mal, nous l’avons dit dans la première Partie ; et le mal est une privation de bien. Mais, comme les biens de l’homme sont de plusieurs sortes, ceux de l’âme, ceux du corps, et les biens extérieurs, il arrive parfois que, si l’on subit préjudice dans un bien moindre, c’est pour grandir dans un bien meilleur ; ainsi quand on subit une perte d’argent pour soigner sa santé, ou une perte à la fois d’argent et de santé pour le salut de son âme et pour la gloire de Dieu. De telles pertes ne sont pas alors pour l’homme un mal absolu mais un mal relatif. Elles n’ont donc pas absolument raison de peines, mais de remèdes, car les médecins eux aussi font prendre des potions amères aux malades afin de leur rendre la santé. Et puisque de pareilles épreuves n’ont pas proprement raison de peine, elles ne se ramènent pas à des fautes comme à leur cause, sinon dans la mesure où cette nécessité même d’appliquer des peines médicinales à la nature humaine provient de la corruption de cette nature, châtiment du péché originel. Dans l’état d’innocence, en effet, il n’y aurait pas eu besoin d’amener personne à progresser dans la vertu par le moyen d’exercices pénibles. C’est pourquoi ce qu’il y a de réellement pénible en cela se rattache à la faute originelle comme à sa cause.

Solutions :

1. Ces défauts que l’on a de naissance ou encore dès l’enfance sont l’effet et le châtiment du péché originel, on l’a dit. Ils demeurent même après le baptême, pour la raison rapportée plus haut. Qu’ils n’existent pas également chez tous, cela tient aux diversités d’une nature qui est abandonnée à elle-même, comme nous l’avons expliqué. - Ces défauts cependant sont dans le plan providentiel ordonnés au salut des hommes : soit de ceux qui les subissent, soit des autres pour qui ils sont un avertissement. Ils sont ordonnés aussi à la gloire de Dieu.

2. Les biens temporels et corporels sont assurément des biens pour l’homme, mais de petits biens ; au contraire, les biens spirituels sont les grands biens de l’homme. Il appartient donc à la justice divine d’accorder aux gens vertueux des biens spirituels, et de leur donner, en fait de biens temporels, ce qui suffit à la vertu. Comme dit Denys en effet “ ce n’est pas à la justice divine d’amollir la force des meilleurs par l’abondance des choses matérielles ”. Quant aux autres, le fait même que les biens temporels leur sont donnés, tourne à leur détriment spirituel ; de là cette conclusion du Psaume (73, 6) : “ C’est par là que l’orgueil s’est emparé d’eux. ”

3. Le Christ a enduré une peine satisfactoire, non point pour ses péchés mais pour les nôtres.

 

            Article 8 — Quelqu’un peut-il être tenu à une peine pour le péché d’autrui ?

Objections :

1. Il semble que cela arrive puisqu’on lit dans l’Exode (20, 5) : “ Je suis un Dieu jaloux, poursuivant l’iniquité des pères dans les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération pour ceux qui me haïssent. ” En S. Matthieu (23, 35) nous lisons : “ Que retombe sur vous tout le sang des justes qui a été versé sur la terre. ”

2. La justice humaine dérive de la justice divine. Or suivant la justice humaine les fils sont quelquefois punis pour leurs parents, par exemple, dans le crime de lèse-majesté. Donc, suivant la justice divine aussi, quelqu’un est puni pour le péché d’autrui.

3. Si l’on objectait qu’un fils n’est pas puni pour le péché de son père, mais pour son propre péché en tant qu’il imite la malice paternelle, on ne le dirait pas davantage des fils que des étrangers qui sont punis de la même peine que ceux dont ils imitent les péchés. Il ne semble donc pas que les fils soient punis pour leurs propres péchés, mais pour les péchés de leurs parents.

En sens contraire, il est écrit en Ézéchiel (18, 20) : “ Le fils ne portera pas l’iniquité du père. ”

Réponse :

Si nous parlons de la peine satisfactoire, celle qui est assumée volontairement, il arrive que quelqu’un la porte pour un autre en tant qu’ils sont un en quelque sorte, nous l’avons déjà dit. - Si nous parlons de la peine infligée pour le péché en tant qu’elle a raison de peine, alors chacun est puni uniquement pour sa propre faute, parce que l’acte du péché est quelque chose de personnel. Si nous parlons de la peine à caractère médicinal, il arrive à quelqu’un d’être puni pour le péché d’autrui. Nous avons dit en effetf que la perte des biens du corps, ou encore celle du corps lui-même, sont des peines médicinales ordonnées au salut de l’âme. Rien n’empêche, par conséquent, que quelqu’un soit frappé de peines de cette nature, par Dieu ou par les hommes, pour le péché d’un autre, comme les fils pour leurs pères et les sujets pour leurs seigneurs, en tant qu’ils font partie de leur avoir. Cependant, si le fils participe à la faute de son père ou le sujet à celle de son seigneur, ce genre d’épreuve a raison de peine des deux côtés, c’est-à-dire visant celui qui est puni comme celui pour qui il est puni. Si, au contraire, le fils et le sujet ne participent pas à la faute, l’épreuve a le caractère d’un châtiment à l’adresse de ceux pour qui ils sont punis ; tandis qu’elle a seulement, chez ceux qui sont punis, le caractère d’un remède, sauf par accident, en tant qu’ils consentent au péché d’autrui ; car, s’ils supportent patiemment cette épreuve, elle est ordonnée au bien de leur âme. Mais, pour ce qui est des châtiments spirituels, ils ne sont pas seulement des remèdes, parce que le bien de l’âme n’est pas ordonné à un bien meilleur. C’est pourquoi nul ne subit de dommage dans les biens de l’âme sans faute personnelle. C’est pourquoi S. Jérôme dit dans une de ses lettres que par de telles peines personne n’est puni pour autrui parce que, quant à l’âme, le fils n’appartient pas au père. Le Seigneur dit pourquoi en Ézéchiel (18, 4) “ Toutes les âmes sont à moi. ”

Solutions :

1. Ces deux passages doivent être rapportés aux peines temporelles ou corporelles ; on y considère les enfants comme le bien des parents, les héritiers comme le bien de leurs devanciers. Autrement, si l’on applique ces textes aux peines spirituelles, ils signifient qu’il y a imitation dans la faute, d’où cette addition dans l’Exode : “ Ceux qui me haïssent ”, et dans S. Matthieu : “ Vous comblez la mesure de vos pères. ” - On dit que les péchés des parents sont punis chez leurs enfants, parce que les enfants élevés dans les péchés de leurs parents sont encore plus enclins à pécher, tant à cause de l’habitude qu’ils ont prise que de l’exemple que leur a fait suivre l’autorité de leurs parents. Et les enfants méritent même d’être châtiés plus que les parents, si la vue des peines infligées à ceux-ci n’a pas réussi à les corriger eux-mêmes. Le texte de l’Exode dit encore : “ jusqu’à la troisième et quatrième génération ”, parce que d’ordinaire les hommes vivent suffisamment pour voir la troisième et quatrième génération ; et ainsi, mutuellement, les enfants peuvent voir les péchés des parents pour les imiter, et les parents, les peines de leurs enfants pour s’en attrister.

2. Ce sont des peines corporelles et temporelles que la justice humaine inflige à quelqu’un pour le péché d’autrui. Ce sont des remèdes ou médecines contre les fautes suivantes, soit en punissant les coupables, soit en détournant les autres d’imiter leur exemple.

3. Lorsqu’il s’agit de punitions pour les péchés des autres, les proches sont punis plus que les étrangers, d’abord parce que la peine qui frappe les proches rejaillit en quelque sorte sur ceux qui ont fait le mal, étant donné que le fils est, comme nous venons de l’expliquer, un avoir du père ; et aussi parce que les exemples comme les châtiments touchent davantage quand ils sont dans la famille ; de là vient que lorsqu’un enfant a été élevé dans les mauvais exemples des parents, il les suit avec plus de force ; et, si les peines de ceux-ci ne l’ont pas effrayé, c’est qu’il apparaît plus obstiné qu’eux, et mérite par là même un châtiment plus grand.

PÉCHÉ VÉNIEL ET PÉCHÉ MORTEL

La distinction entre péché mortel et péché véniel étant fondée sur la dette de peine, c’est maintenant qu’il faut traiter de ces deux sortes de péchés. Et d’abord du péché véniel comparé au péché mortel (Q. 88). Puis, du péché véniel considéré en lui-même (Q. 89).

 

QUESTION 88 — LE PÉCHÉ VÉNIEL COMPARÉ AU PÉCHÉ MORTEL

1. Convient-il d’opposer péché véniel à péché mortel ? - 2. Se distinguent-ils par le genre ? - 3. Le péché véniel est-il une disposition au péché mortel ? - 4. Peut-il devenir mortel ? - 5. Une circonstance aggravante peut-elle faire d’un péché véniel un péché mortel ? - 6. Le péché mortel peut-il devenir véniel ?

 

            Article 1 — Convient-il d’opposer péché véniel à péché mortel ?

Objections :

1. Cette opposition n’est pas fondée car S. Augustin nous a dit : “ Le péché est une parole, un acte ou un désir contraire à la loi éternelle. ” Mais être contraire à la loi éternelle fait que le péché est mortel. Donc tout péché est mortel et il n’y a pas lieu d’opposer péché véniel à péché mortel.

2. “ Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, ou quelque autre chose que vous fassiez, dit l’Apôtre (1 Co 10, 31), faites tout pour la gloire de Dieu. ” Mais quiconque pèche va contre ce précepte, car un péché n’est jamais pour la gloire de Dieu. Et, comme c’est un péché mortel d’aller contre un précepte, il apparaît qu’on ne peut jamais pécher que mortellement.

3. Quiconque s’attache par amour à une chose, s’y attache, au dire de S. Augustin, soit comme quelqu’un qui en jouit, soit comme quelqu’un qui en use. Or le pécheur ne s’attache jamais au bien périssable comme quelqu’un qui en use seulement, car il ne rapporte pas ce bien à celui qui nous béatifie, ce qui est proprement user des choses, ainsi que S. Augustin l’explique au même endroit. Pécher, c’est donc toujours jouir du bien périssable. Mais “ jouir des choses quand il faudrait seulement s’en servir, c’est la perversité humaine ”, selon S. Augustin. Comme la perversité qualifie le péché mortel, cela revient à dire semble-t-il, que quiconque pèche, pèche mortellement.

4. S’approcher d’un terme, c’est par le fait même s’éloigner d’un autre. Or quiconque pèche s’approche du bien périssable. Donc il s’éloigne du bien impérissable. Donc il pèche mortellement. Donc la distinction entre péché véniel et péché mortel est sans valeur.

En sens contraire, S. Augustin qualifie de criminel ce qui mérite la damnation, mais de véniel ce qui ne la mérite pas. Or le crime désigne le péché mortel. Donc le péché véniel est à juste titre opposé au péché mortel.

Réponse :

Il y a des choses qui prises au sens propre ne paraissent pas être opposées, mais qui se trouvent l’être si on les prend au sens figuré. Ainsi, rire ne s’oppose pas à se dessécher ; mais dès que l’on dit métaphoriquement d’une prairie qu’elle est riante à cause de son aspect verdoyant et fleuri, c’est tout l’opposé d’une prairie qui se dessèche. De même, mortel, pris au sens propre et par référence à la mort corporelle, ne semble pas être en opposition avec véniel ni appartenir au même genre. Mais au sens figuré, qu’on emploie en parlant des péchés, mortel s’oppose à véniel.

Puisque le péché est une maladie de l’âme, comme nous l’avons vu, on dit qu’un péché est mortel comme on dit qu’une maladie est mortelle du fait qu’en s’attaquant à un principe elle introduit dans l’organisme un mal irréparable, nous l’avons dit Or, le principe de la vie spirituelle, conforme à la vertu, c’est l’ordre de la fin ultime, nous l’avons dit précédemmentg. Si cet ordre est détruit, on ne peut le restaurer par un principe intrinsèque, mais seulement par la vertu divine, nous l’avons dit déjà. Car, si le désordre est seulement dans les moyens, la fin le répare, comme la vérité des principes corrige l’erreur si celle-ci ne tombe que sur les conclusions. Par conséquent le désordre relatif à la fin ultime ne peut être réparé par rien d’autre qui soit plus fondamental que lui, pas plus que ne peut être redressée l’erreur qui porte sur les principes. C’est pourquoi les péchés de cette sorte sont appelés mortels, comme étant irréparables.

Pour ce qui est, au contraire, des péchés qui représentent un désordre dans les moyens, ils sont réparables, tant qu’on garde le sens de la fin ultime. Et ce sont eux qu’on appelle véniels, car un péché obtient le pardon (venia), lorsqu’il n’entraîne plus aucune dette de peine, et nous avons dit comment pouvait cesser cette dette après que le péché lui-même avait cessé. - Il résulte donc de tout cela que mortel et véniel s’opposent comme irréparable et réparable. Quand je dis irréparable, j’entends par un principe intérieur, mais non par référence à la vertu divine, qui peut remédier à toute maladie, corporelle et spirituelle. Et c’est pourquoi on a raison d’opposer péché véniel à péché mortel.

Solutions :

1. Cette division du péché n’est pas celle d’un genre en autant d’espèces, participant à titre égal de la nature du genre, mais le partage d’une réalité analogique qu’on attribue selon des degrés divers. C’est pourquoi la parfaite raison de péché, définie par S. Augustin convient au péché mortel. Le péché véniel est appelé péché selon une raison imparfaite et par référence au péché mortel, de même que l’accident est appelé être par référence à la substance et selon une raison imparfaite de l’être. En effet, le péché véniel n’est pas contre la loi, parce que celui qui pèche véniellement ne fait pas ce que la loi prohibe et n’omet pas, non plus, ce à quoi elle oblige par précepte ; mais il agit en dehors de la loi, parce qu’il n’observe pas la mesure raisonnable que la loi a en vue.

2. Ce précepte de l’Apôtre est affirmatif ; aussi n’oblige-t-il pas à tout moment, de sorte qu’on ne va pas contre ce précepte chaque fois qu’on ne rapporte pas, d’une manière actuelle, à la gloire de Dieu, tout ce que l’on fait. Il suffit donc que quelqu’un, d’une manière habituelle, rapporte à Dieu sa personne et tous ses biens, pour qu’il ne commette pas un péché mortel toutes les fois qu’un acte de sa vie n’est pas rapporté à la gloire de Dieu d’une manière actuelle. Or le péché véniel n’exclut pas la référence habituelle de l’acte humain à la gloire de Dieu ; il exclut seulement la référence actuelle, car il n’exclut pas la charité, qui oriente d’une manière habituelle vers Dieu. Il ne s’ensuit donc pas que celui qui pèche véniellement pèche mortellement.

3. Celui qui pèche véniellement s’attache aux biens temporels, non comme quelqu’un qui en jouit, puisqu’il n’y met pas sa fin, mais comme quelqu’un qui en use, les rapportant à Dieu non en acte, mais par habitus.

4. Le bien périssable, à moins qu’on ne fasse de lui une fin, ne se présente pas comme un terme s’opposant au bien périssable, car il est un moyen et le moyen n’a pas raison de fin.

 

            Article 2 — Le péché mortel et le péché véniel se distinguent-ils par le genre ?

Objections :

1. Il ne semble pas que péché véniel et péché mortel diffèrent par le genre en ce sens que certain péché serait mortel par son genre, et un autre véniel par son genre. Car le genre bon et mauvais se prend, dans les actes humains, par rapport à la matière ou à l’objet, nous l’avons dit. Mais en n’importe quel objet ou quelle matière, il arrive de pécher mortellement et véniellement ; n’importe quel bien périssable, l’homme peut en effet l’aimer soit moins que Dieu, ce qui est pécher véniellement, soit plus que Dieu, ce qui est pécher mortellement. Il n’y a donc pas entre péché véniel et péché mortel une différence de genre.

2. Comme nous l’avons dit, on appelle péché mortel celui qui est irréparable, péché véniel celui qui est réparable. Or, être irréparable convient au péché de malice, que certains appellent irrémissible ; être réparable convient au péché commis par faiblesse ou par ignorance, que l’on appelle rémissible. Il y a donc entre le péché mortel et le péché véniel la même différence qu’entre le péché de malice et celui de faiblesse ou d’ignorance. Or ce n’est pas là une différence de genre mais de cause, ainsi qu’il a été dit précédemment. Donc il n’y a pas de différence générique entre péché véniel et péché mortel.

3. On dit plus haut - que les mouvements imprévus, aussi bien de sensualité que de raison sont des péchés véniels. Or les mouvement imprévus se rencontrent en n’importe quel genre de péché. Il n’y a donc pas de péchés véniels par leur genre.

En sens contraire, S. Augustin énumère, dans un sermon sur le purgatoire, certains genres de péchés véniels et certains genres de péché mortels.

Réponse :

Véniel vient de venia, qui veut dire pardon. Par conséquent, un péché peut être appelé véniel en plusieurs sens. 1° Parce qu’il aura effectivement obtenu le pardon : c’est ainsi, pour S. Ambroise, que tout péché devient véniel par la pénitence ; et c’est là un péché véniel par son issue. 2° Autrement, un péché est appelé véniel parce qu’il n’est pas tel, en soi, qu’il ne puisse obtenir le pardon, totalement ou en partie. En partie, lorsqu’il y a en lui quelque chose qui diminue la faute, par faiblesse ou ignorance ; on l’appelle véniel par sa cause. Mais il est véniel en totalité, lorsqu’il ne supprime pas l’ordre à la fin dernière et que, par suite, il ne mérite pas une peine éternelle mais une peine temporelle ; et c’est cette sorte de véniel qui nous intéresse en ce moment.

Il est avéré en effet que les deux premières manières ne représentent pas un genre déterminé. Mais ce qui est appelé véniel de la troisième manière peut avoir un genre déterminé, à tel point qu’on pourra parler, en fait de péché, d’un genre véniel et d’un genre mortel, dans le sens où le genre d’un acte, comme son espèce, est déterminé par l’objet. - En effet, lorsque la volonté se porte à une chose qui, de soi, s’oppose à la charité par laquelle on est ordonné à la fin ultime, le péché, par son objet même, a de quoi être mortel. Il est par conséquent d’un genre mortel ; qu’il soit contre l’amour de Dieu, comme le blasphème, le parjure, etc. ou contre l’amour du prochain, comme l’homicide, l’adultère, etc. Ce sont donc là des péchés mortels par leur genre même. En revanche, la volonté du pécheur se porte quelquefois à quelque chose qui contient en soi un désordre mais n’est pas cependant contraire à l’amour de Dieu et du prochain, tel que parole oiseuse, rire superflu, etc. ; de tels péchés sont, véniels par leur genre, comme nous l’avons dit plus haut.

Mais les actes moraux reçoivent leur raison de bien ou de mal non seulement de l’objet, mais aussi, comme nous l’avons établi en son lieu, de certaine disposition de l’agent ; il arrive donc parfois que ce qui est un péché du genre véniel en raison de son objet devient mortel en raison de l’agent. Ou bien parce que celui-ci y met sa fin ultime, ou bien parce qu’il se dispose par là à quelque chose qui est du genre péché mortel, par exemple quand un individu tient des propos oiseux en vue de commettre l’adultère. De même encore, du fait de l’agent, il arrive qu’un péché dont le genre est mortel devient véniel parce que l’acte est inachevé, c’est-à-dire non délibéré par la raison, laquelle est le principe propre de l’acte mauvais ; c’est ce que nous avons expliqué plus haut à propos des mouvements imprévus d’infidélité.

Solutions :

1. Du fait que quelqu’un choisit ce qui contredit la charité divine, il est convaincu de le préférer à celle-ci et par conséquent de l’aimer plus que Dieu. Voilà pourquoi, si des péchés sont d’un tel genre qu’ils contredisent de soi la charité, c’est qu’il y a en eux quelque chose qui est aimé au-dessus de Dieu. Et ainsi, ils sont mortels par leur genre même.

2. Cet argument est valable pour le péché qui est véniel par sa cause.

3. Cet argument vaut pour le péché qui est véniel par inachèvement de l’acte.

 

            Article 3 — Le péché véniel est-il une disposition au péché mortel ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car un des termes opposés ne dispose pas à l’autre. Or le péché véniel et le péché mortel se distinguent en s’opposant, on vient de le dires. Donc le péché véniel ne dispose pas au péché mortel.

2. Un acte dispose à quelque chose qui lui ressemble dans la même espèce : ainsi, dit le Philosophe, la répétition d’actes semblables engendre des dispositions ou habitus semblables. Mais nous venons de dire que péché mortel et péché véniel ne sont ni dans le même genre ni dans la même espèce. Donc le péché véniel ne dispose pas au péché mortel.

3. Si l’on appelle péché véniel ce qui prépare au péché mortel, il faudra que tout ce qui prépare au péché mortel soit péché véniel. Or toutes les bonnes œuvres sont dans ce cas, puisque S. Augustin dit dans sa “ Règle ” que “ l’orgueil s’insinue dans les bonnes œuvres, pour les détruire ”. Donc, même les bonnes œuvres seront des péchés véniels, ce qui est absurde.

En sens contraire, il est dit dans l’Ecclésiastique (29, 1 Vg) : “ Celui qui méprise les petites choses, se perd peu à peu. ” Or celui qui pèche véniellement semble bien mépriser les petites choses. Donc peu à peu il se prépare à tomber tout à fait par le péché mortel.

Réponse :

La disposition est en quelque manière une cause. Aussi y a-t-il deux sortes de dispositions, comme il y a deux sortes de causes. Il y a une cause qui meut directement à l’effet, comme ce qui est chaud donne de la chaleur. Il y a une cause qui meut indirectement en écartant l’obstacle : celui qui remue la colonne, on dit qu’il remue la pierre posée dessus. D’après cela, l’acte du péché a deux façons de disposer à un résultat. 1° Il a une manière directe, qui est de disposer à un acte de même espèce. De cette manière, premièrement et par soi, un péché du genre véniel ne prépare pas à un péché du genre mortel, puisqu’ils ne sont pas de même espèce. Mais de cette manière pourtant le péché véniel peut déjà disposer, suivant un certain enchaînement, à un péché qui soit mortel par le fait de l’agent ; en effet, si la disposition ou habitus s’est accrue par des actes répétés de péchés véniels, le désir de pécher peut croître dans une telle proportion que celui qui pèche mettra sa fin dans le péché véniel ; car, lorsque quelqu’un a un habitus, toute sa fin consiste à agir suivant cet habitus, de sorte qu’en multipliant ainsi les péchés véniels on se dispose au péché mortel. 2° L’acte humain a une autre manière de disposer à quelque chose, c’est d’écarter l’obstacle. De cette manière un péché de genre véniel peut fort bien disposer à un péché de genre mortel. En effet, celui qui pèche dans le genre véniel transgresse un ordre et, par le fait même qu’il s’accoutume à ne pas soumettre sa volonté dans les petites choses, à l’ordre voulu, il se dispose à ne pas la soumettre non plus aux exigences de la fin ultime, en faisant un choix qui sera un péché mortel.

Solutions :

1. Péché véniel et péché mortel ne s’opposent pas comme deux espèces d’un même genre, mais comme un accident vis-à-vis de la substance. Aussi, de même qu’un accident peut être une disposition à une forme substantielle, de même le péché véniel au péché mortel.

2. Le péché véniel ne ressemble pas au péché mortel par son espèce. Cependant, ce sont deux genres qui se ressemblent en tant qu’ils comportent liun et l’autre, bien que différemment, l’absence de l’ordre voulu.

3. Une bonne œuvre n’est pas par soi une disposition au péché mortel ; cependant elle peut en être par accident la matière ou l’occasion. Mais le péché véniel, nous l’avons dit, dispose par soi au péché mortel.

 

            Article 4 — Le péché véniel peut-il devenir mortel ?

Objections :

Il semble bien. S. Augustin commentant S. Jean : “ Celui qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie ”, déclare : “ Les péchés moindres (ou véniels) si on les néglige, en viennent à tuer. ” Mais on appelle péché mortel celui qui tue l’âme spirituellement. Donc le péché véniel peut devenir mortel.

2. Le mouvement de sensualité qui précède le consentement de la raison est péché véniel ; mais celui qui suit ce consentement est péché mortel, on l’a dit. Donc un péché véniel peut devenir mortel.

3. Péché véniel et péché mortel diffèrent comme maladie curable et maladie incurable, nous l’avons dit. Or une maladie curable peut devenir incurable. Donc le péché véniel peut devenir mortel.

4. Une disposition peut se transformer en habitus. Or le péché véniel est une disposition au péché mortel, on vient de le dire. Il peut donc se transformer en péché mortel.

En sens contraire, des choses qui diffèrent à l’infini ne sauraient être transformées l’une en l’autre. Or tel est, d’après ce que nous avons dit, le cas du péché mortel et du péché véniel. Donc le péché véniel ne peut pas devenir mortel.

Réponse :

Que le péché véniel devienne mortel, cela peut s’entendre de trois manières. 1° Dans ce sens qu’un acte numériquement identique serait d’abord péché véniel et ensuite mortel. Cela n’est pas possible, parce que le péché, comme tout acte moral, consiste principalement dans un acte de la volonté ; ce qui fait que si la volonté change, on ne peut plus dire qu’il y a moralement un seul acte, bien ue l’action dans son être naturel soit continue ; et, si la volonté ne change pas, il n’est pas possible de passer du péché véniel au péché mortel. 2° On peut vouloir dire que ce qui est véniel en son genre devient mortel. La chose est possible lorsque l’on met sa fin dans le péché véniel, ou qu’on le rapporte à un péché mortel comme à une fin, nous l’avons dit. 3° On peut vouloir dire que beaucoup de péchés véniels font un péché mortel. Si l’on entend par là qu’avec de nombreux péchés véniels on pourrait constituer un seul péché mortel dans son entier, c’est faux.

Car tous les péchés véniels du monde ne peuvent être passibles de peine autant qu’un seul péché mortel. Quant à la durée, c’est évident, puisque le péché mortel est passible d’une peine éternelle, et le péché véniel d’une peine temporelle. Quant à la peine du dam, c’est évident aussi, puisque le péché mortel encourt la privation de la vision divine, à quoi nul autre châtiment ne peut être comparé, dit S. Jean Chrysostome. Quant à la peine du sens, c’est évident aussi en ce qui concerne le ver rongeur de la conscience, bien que pour la peine du feu les châtiments ne soient peut-être pas sans proportion. Mais, si l’on veut dire que la multiplication des péchés véniels prédispose à un péché mortel, alors c’est vrai, comme nous l’avons montré dans les deux sens où le péché véniel dispose au péché mortel.

Solutions :

1. S. Augustin parle en ce sens que la multiplication des péchés véniels prédispose au péché mortel.

2. Le même mouvement de sensualité qui a devancé le consentement de la raison ne deviendra jamais un péché mortel. Il y faut l’acte de la raison consentante.

3. La maladie corporelle n’est pas un acte mais une disposition permanente ; aussi, tout en demeurant la même, elle peut changer. Tandis que le péché véniel est un acte qui passe et ne peut être repris. A cet égard il n’y a donc pas de ressemblance.

4. La disposition qui devient un habitus est comme une chose inachevée qui s’achève dans la même espèce ; ainsi, une science imparfaite, lorsqu’elle arrive à se parfaire, devient un habitus. Mais le péché véniel est une disposition d’un autre genre ; elle aboutit au péché mortel comme un accident aboutit à une forme substantielle, sans jamais se transformer en elle.

 

            Article 5 — Une circonstance aggravante peut-elle faire d’un péché véniel un péché mortel ?

Objections :

1. Apparemment oui. S. Augustin dit en effet que “ la colère, si elle dure, et l’ivresse, si elle devient fréquente, passe au nombre des péchés mortels ”. Or la colère et l’ivresse, par leur genre même, ne sont pas des péchés mortels mais des péchés véniels ; sans quoi ce seraient toujours des péchés mortels. Donc la circonstance fait que le péché véniel est mortel.

2. Le Maître des Sentences dit, de son côté, que “ la délectation, si on la prolonge, est péché mortel, et si on ne la prolonge pas, péché véniel ”. Mais la prolongation n’est qu’une circonstance. Donc, la circonstance fait d’un péché véniel un péché mortel.

3. Il y a plus de différence entre le mal et le bien qu’entre le péché véniel et le péché mortel, qui sont tous les deux dans le genre mal. Or une circonstance fait d’un acte bon un acte mauvais, comme quand on donne l’aumône par vaine gloire. Elle peut donc, bien plus encore, faire d’un péché véniel un péché mortel.

En sens contraire, puisque la circonstance est un accident, sa grandeur ne peut dépasser la grandeur de l’acte lui-même, celle qu’il tient de son genre, car le sujet l’emporte toujours sur l’accident dont il est affecté. Donc, si l’acte est péché véniel par son genre, il ne pourra, par suite d’une circonstance, devenir péché mortel, puisque le péché mortel dépasse en quelque sorte à l’infini la grandeur du péché véniel, nous l’avons montré.

Réponse :

Ainsi que nous l’avons dit en traitant des circonstances la circonstance comme telle est l’accident de l’acte moral. Cependant il peut arriver qu’elle se présente comme la différence spécifique de l’acte ; elle perd alors la qualité de circonstance et constitue l’espèce morale. Or cela se produit dans les péchés lorsque la circonstance ajoute une laideur ou difformité d’un genre nouveau ; ainsi lorsque quelqu’un s’approche d’une femme qui n’est pas à lui, l’acte a toute la laideur opposée à la chasteté ; mais, s’il s’approche d’une femme qui n’est pas la sienne et qui est l’épouse d’un autre, c’est une nouvelle laideur, opposée à la justice, puisqu’il est contraire à la justice de s’emparer du bien d’autrui ; et dans ce cas une circonstance comme celle-là constitue une nouvelle espèce de péché, appelée l’adultère.

Or il est impossible qu’une circonstance fasse d’un péché véniel un péché mortel si elle n’apporte pas une laideur d’un autre genre. En effet, nous avons dit que la laideur du péché véniel consiste en ce qu’il comporte un désordre dans les moyens ; alors que la laideur du péché mortel implique un désordre à l’égard de la fin ultime. Manifestement donc, la circonstance ne peut faire d’un péché véniel un péché mortel lorsqu’elle demeure une circonstance, mais seulement lorsqu’elle fait passer dans une autre espèce l’acte moral et qu’elle en devient en quelque sorte la différence spécifique.

Solutions :

1. La longueur de temps n’est pas une circonstance qui entraîne dans une autre espèce, pas plus que la fréquence ou l’assiduité, à moins que ce ne soit par accident, à cause d’un élément supplémentaire. En effet, une chose n’acquiert pas une nouvelle espèce du fait qu’elle se multiplie ou se prolonge, à moins que dans l’acte prolongé ou multiplié quelque élément ne survienne qui change l’espèce, par exemple de la désobéissance, du mépris ou quelque chose de ce genre.

Pour la colère donc, comme elle est un mouvement de l’âme qui porte à nuire au prochain, voici ce qu’il faut dire. Si la nuisance vers laquelle tend le mouvement de colère est telle que par Son genre même elle soit péché mortel, homicide ou vol par exemple, une pareille colère est par son genre péché mortel. Pour qu’elle soit péché véniel, il faut qu’elle reste inachevée dans son acte en tant qu’elle est un mouvement soudain de sensualité. Mais, si elle se prolonge, c’est qu’il y a consentement de la raison, et le mouvement revient alors à ce qu’il est naturellement dans son genre. Si, au contraire, la nuisance vers laquelle tend le mouvement de colère est vénielle en son genre, comme lorsqu’on se fâche contre quelqu’un et qu’on veut lui dire une parole vive et moqueuse pour le blesser un peu, cette colère, si prolongée qu’elle soit, ne sera pas péché mortel, sauf peut-être par accident, comme s’il devait en sortir un grave scandale, ou pour quelque motif de cette sorte.

Pour l’ivresse, il faut dire qu’elle est, par son essence même, péché mortel. Qu’un homme, sans nécessité, se rende impuissant à se servir de sa raison, de cette raison par laquelle l’homme s’ordonne à Dieu et se soustrait à de multiples occasions de pécher, qu’il fasse cela uniquement pour le plaisir de boire, c’est expressément contraire à la vertu. S’il n’y a là parfois que péché véniel, c’est par ignorance ou par faiblesse ; tel est le cas de celui qui ne sait pas la force du vin, ou ne connaît pas sa propre faiblesse, et ne pense donc pas qu’il va s’enivrer ; alors, en effet, on ne lui reproche pas précisément de s’être enivré mais seulement d’avoir trop bu. Mais l’homme qui s’enivre souvent ne peut s’excuser par cette ignorance ; on voit plutôt que sa volonté préfère subir l’ivresse que s’abstenir de trop boire ; aussi le péché revient-il alors à sa propre nature.

2. Nous ne prétendons pas que la délectation à laquelle on s’est arrêté soit péché mortel, si ce n’est dans les matières qui, par leur genre même, sont des péchés mortels. Et dans ces matières, si la délectation à laquelle on ne s’est pas arrêté n’est que péché véniel, cela tient à l’inachèvement de l’acte, ainsi qu’on vient de le dire à propos de la colère. On parle, en effet, de colère durable et de délectation prolongée ou “ morose ”, à cause de l’approbation donnée par la raison délibérante.

3. La circonstance ne fait d’un acte bon un acte mauvais que si elle constitue l’espèce du péché ; nous l’avons établi en son lieu.

 

            Article 6 — Le péché mortel peut-il devenir véniel ?

Objections :

1. Il semble bien, car la distance entre péché véniel et péché mortel est la même dans le sens contraire. Or le péché véniel devient mortel, nous venons de le dire. Donc le péché mortel peut aussi devenir véniel.

2. De péché véniel à péché mortel nous plaçons la différence en ce que l’homme qui pèche mortellement aime la créature plus que Dieu, tandis que celui qui pèche véniellement aime la créature moins que Dieu. Or, il arrive que, tout en faisant une chose qui dans son genre est péché mortel, quelqu’un aime cependant la créature moins que Dieu ; c’est le cas de l’individu qui, ne sachant pas que la fornication simple est péché mortel, et contraire à l’amour divin, la commet, de telle manière pourtant qu’il serait prêt à y renoncer, pour l’amour de Dieu, s’il savait qu’en faisant cela il agit contre cet amour. Donc il péchera véniellement, et c’est ainsi qu’un péché mortel peut devenir véniel.

3. On l’a dit, il y a plus de différence entre le bien et le mal qu’entre le péché véniel et le t)éché mortel. Or un acte qui de soi est mauvais peut devenir bon ; ainsi, l’homicide peut devenir un acte de justice, comme on le voit chez le juge qui exécute un criminel. Donc, bien davantage un péché mortel peut devenir véniel.

En sens contraire, l’éternel ne peut jamais devenir temporel. Or le péché mortel mérite une peine éternelle, le péché véniel une peine temporelle. Donc, jamais le péché mortel ne peut devenir véniel.

Réponse :

Véniel et mortel diffèrent, nous l’avons dit, comme parfait et imparfait dans le genre péché. Or l’imparfait peut par addition venir à la perfection. C’est pourquoi ce qui est véniel est rendu mortel par le fait même qu’il s’y ajoute une difformité morale appartenant au genre péché mortel, comme lorsqu’on dit des paroles oiseuses afin de commettre la fornication. Mais ce qui est déjà parfait ne peut pas devenir imparfait par addition. Et c’est pourquoi le péché mortel ne devient pas véniel par le fait qu’il s’y ajoute quelque difformité appartenant au genre péché véniel ; le péché de celui qui commet la fornication pour dire des paroles oiseuses, n’est pas diminué mais plutôt aggravé par cette laideur qui s’y ajoute.

Cependant, ce qui est mortel en son genre peut être véniel à cause de l’imperfection de l’acte, parce que cet acte, ainsi qu’il ressort de ce que nous avons dit, ne parvient pas à réaliser parfaitement la raison même de l’acte moral, du fait qu’il n’est pas délibéré mais imprévu. Et cela se produit par une certaine soustraction, un manque de raison délibérée. Et parce que c’est la raison délibérée qui donne son espèce à l’acte moral, il s’ensuit qu’une terre soustraction dissout l’espèce morale.

Solutions :

1. Véniel diffère de mortel comme l’imparfait du parfait, comme l’enfant de l’adulte. Or, d’enfant on devient adulte, mais non l’inverse. Aussi l’argument ne porte pas.

2. Si l’ignorance est telle qu’elle excuse entièrement la faute, comme chez le furieux ou le dément, alors celui qui commet la fornication par suite d’une ignorance pareille ne pèche ni véniellement ni mortellement. Mais si l’ignorance n’est pas invincible, alors elle est elle-même un péché et contient un manque d’amour de Dieu, puisque l’homme néglige d’apprendre ce par quoi il peut demeurer dans l’amour divin.

3. Comme dit S. Augustin, “ les actes mauvais en eux-mêmes ne peuvent être rendus bons par aucune fin ”. Or l’homicide est le meurtre d’un innocent, et d’aucune manière on ne peut faire que cela soit bon. Mais “ le juge qui fait mourir le bandit, ou le soldat qui tue l’ennemi de l’État, on ne les appelle pas des homicides ”, dit encore S. Augustin.

 

QUESTION 89 — LE PÉCHÉ VÉNIEL EN LUI-MÊME

1. Le péché véniel produit-il une tache dans l’âme ? - 2. La caractéristique du péché véniel figurée par “ le bois, le foin et la paille ” (1 Co 3, 12). - 3. Dans l’état d’innocence, l’hornme aurait-il pu pécher véniellement ? - 4. L’ange, bon ou mauvais, le peut-il ? - 5. Les premiers mouvements des infidèles sont-ils des péchés véniels ? - 6. Le péché véniel peut-il cœxister avec le péché originel seul ?

 

            Article 1 — Le péché véniel produit-il une tache dans l’âme ?

Objections :

1. Il semble que oui, car S. Augustin affirme : “ Si les péchés véniels se multiplient, ils ravagent à tel point notre beauté qu’ils nous privent des embrassements de l’époux céleste. ” Or, la tache n’est pas autre chose que cette perte de la beauté. Donc, les péchés véniels produisent une tache dans l’âme.

2. Le péché mortel produit une tache dans l’âme à cause du dérèglement qu’il cause dans les actes et dans les affections du pécheur. Or, dans le péché véniel il y a un certain dérèglement des actes et des affections. Donc il produit une tache dans l’âme.

3. La tache de l’âme vient de son contact, par l’amour, avec une réalité temporelle, on l’a déjà dit. Or, dans le péché véniel, ce contact existe, par un amour désordonné. Donc, le péché véniel introduit dans l’âme une tache.

En sens contraire, lorsque le Seigneur a voulu, comme dit l’Apôtre (Ep 5, 25), “ se présenter à lui-même une Église éclatante n’ayant ni tache ni ride ”, cela veut dire, d’après la Glose, “ n’ayant rien de criminel ”. C’est donc, semble-t-il, le propre du péché mortel de produire une tache dans l’âme.

Réponse :

Nous l’avons dit, cette tache est une perte d’éclat par suite d’un contact, comme on le voit dans les choses matérielles, d’où le mot est passé par comparaison avec les choses de l’âme. Or, le corps a un double éclat : l’un qui provient du bon état intrinsèque des membres et du teint ; l’autre du rayonnement extérieur qui vient s’y ajouter. De même, il y a aussi dans l’âme un double éclat, l’un qui est dans les habitus et comme intrinsèque, l’autre qui est dans les actes comme un rayonnement extérieur. Or, le péché véniel empêche bien l’éclat des actes, mais non celui des habitus, car il n’exclut ni ne diminue, ainsi que nous le verrons par la suite, l’habitus de la charité et des autres vertus ; il en empêche seulement les actes. - D’autre part, une tache étant quelque chose qui reste sur l’objet taché se rapporte plutôt, semble-t-il, à la perte de l’éclat habituel qu’à celle de l’éclat actuel. Donc, à proprement parler, le péché véniel ne fait pas de tache dans l’âme. Et, si on le dit quelquefois, c’est en ce sens tout à fait relatif qu’il empêche l’éclat provenant de l’activité des vertus.

Solutions :

1. S. Augustin veut parler du cas où les péchés véniels prédisposent au péché mortel. Autrement, ils ne rendraient pas indigne des embrassements de l’époux céleste.

2. Le dérèglement de l’acte détruit l’habitus de la vertu dans le péché mortel, mais non dans le péché véniel.

3. Dans le péché mortel, l’âme s’applique par amour à une réalité temporelle comme à une fin, et par là l’influx de la lumière de grâce est totalement arrêté, puisqu’il rejoint ceux qui adhèrent à Dieu comme à leur fin ultime, par la charité. Mais dans le péché véniel l’homme n’adhère pas à la créature comme à sa fin ultime. Ce n’est donc pas pareil.

 

            Article 2 — La caractéristique du péché véniel figurée par “ le bois, le foin et la paille ” (1 Co 3, 12)

Objections :

1. Cette caractéristique est inexacte. Car l’Apôtre en cet endroit (3, 12) parle de ceux qui bâtissent avec ces matériaux sur un fondement spirituel. Or les péchés véniels sont en dehors de l’édifice spirituel, tout comme les opinions fausses sont en dehors de la science. Donc les matériaux en question désignent mal les péchés véniels.

2. Celui qui bâtit avec du bois, du foin et de la paille, on dit qu’il “ sera sauvé comme à travers le feu ”. Mais quelquefois celui qui commet des péchés véniels ne sera pas sauvé du tout, même par le feu ; ainsi, lorsque les péchés véniels se rencontrent chez celui qui meurt avec le péché mortel. Donc le texte s’applique mal aux péchés véniels.

3. D’après l’Apôtre, il y en a d’autres qui bâtissent avec “ de l’or, de l’argent et des pierres précieuses ”, c’est-à-dire l’amour de Dieu, l’amour du prochain et les bonnes œuvres ; et d’autres qui bâtissent avec “ du bois, du foin et de la paille ”. Or, même ceux qui aiment Dieu et le prochain et qui font de bonnes œuvres, commettent des péchés véniels, car il est écrit dans la 1e épître de S. Jean (1, 8) : “ Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous abusons. ” Donc, les trois choses en question ne désignent pas exactement les péchés véniels.

4. Il y a dans les péchés véniels beaucoup plus de trois différences ou degrés. On ne peut donc pas dire que tous les péchés véniels soient compris sous ces trois mots.

En sens contraire, l’Apôtre dit de celui qui bâtit avec du bois, du foin et de la paille, qu’il “ sera sauvé comme par le feu ”, c’est-à-dire qu’il subira une peine, mais qui ne sera pas éternelle. Or, l’obligation à une peine temporelle appartient en propre au péché véniel. Donc ces trois mots signifient bien les péchés véniels.

Réponse :

Certains ont pensé que le fondement dont il s’agit ici, c’est la foi informe, sur laquelle les uns élèvent de bonnes œuvres, que figurent l’or, l’argent et les pierres précieuses, tandis que d’autres élèvent des péchés, même des péchés mortels, que représentent le bois, le foin et la paille. Mais S. Augustin n’approuve pas cette interprétation. L’Apôtre dit, en effet, dans l’épître aux Galates (5, 21) : “ Celui qui accomplit les œuvres de la chair, n’obtiendra pas le royaume de Dieu ”, qui est le salut. Et, par ailleurs, il assure que “ celui qui bâtit avec du bois, du foin et de la paille, sera sauvé, comme à travers le feu ”. On ne peut donc pas comprendre par là les péchés mortels.

Aussi certains disent-ils qu’on doit entendre par là les bonnes œuvres, celles qui font vraiment partie de l’édifice spirituel, mais auxquelles se mêlent cependant des péchés véniels. Ainsi un homme a le souci de sa famille, ce qui est une bonne chose, mais il mêle à ce souci un trop grand amour de sa femme, de ses enfants ou de ses biens, tout en étant cependant soumis à Dieu, au point que, même pour eux, il ne voudrait rien faire contre Dieu.

Mais ce n’est pas encore là, semble-t-il, la bonne explication. Manifestement, en effet, toutes les bonnes œuvres se réfèrent à la charité pour Dieu et le prochain. Elles font songer, par conséquent, à l’or, à l’argent, aux pierres précieuses ; nullement au bois, au foin ni à la paille.

Il faut donc entendre par ces choses les péchés véniels eux-mêmes, tels qu’ils se mélangent aux soucis terrestres. Car, de même que ces sortes de matériaux s’entassent dans une maison sans appartenir à la substance même de l’édifice, et peuvent être brûlés alors que l’édifice subsiste, de même, les péchés véniels peuvent aussi se multiplier dans l’homme, tandis que l’édifice spirituel subsiste. Et c’est pour ces péchés-là que l’homme doit endurer la purification par le feu, soit le feu de l’épreuve temporelle en cette vie, soit celui du purgatoire après cette vie, et il obtient cependant le salut éternel.

Solutions :

1. Lorsqu’on dit que les péchés véniels s’élèvent sur le fondement spirituel, ce n’est pas comme s’ils y étaient directement superposés ; mais ils y sont juxtaposés : c’est ainsi que le Psaume (137, 1) dit : “ Sur les fleuves de Babylone ”, pour dire : A côté d’eux. De fait, les péchés véniels ne détruisent pas l’édifice spirituel, nous venons de le dire.

2. On ne dit pas de tous ceux qui bâtissent avec du bois, du foin et de la paille, qu’ils sont sauvés comme à travers le feu ; on le dit seulement de celui “ qui bâtit sur le fondement ”, lequel n’est pas, comme quelques-uns le croyaient, la foi informe, mais la foi informée par la charité, selon l’Apôtre (Ep 3, 17) : “ Enracinés et fondés dans la charité. ” Donc, celui qui meurt avec un péché mortel et des péchés véniels a bien dans sa construction du bois, du foin et de la paille ; mais ces matériaux ne sont pas bâtis sur le fondement spirituel, et c’est pourquoi cet homme-là ne sera pas sauvé, même comme par le feu.

3. Ceux qui sont dégagés du soin des choses temporelles, bien que parfois ils pèchent véniellement, ne commettent cependant que de légers péchés véniels, et s’en purifient très fréquemment par la ferveur de leur charité. Aussi ceux-là ne bâtissent pas avec des péchés véniels, parce qu’ils gardent ceux-ci peu longtemps. Au contraire, les péchés véniels de ceux qui sont occupés aux affaires terrestres restent plus longtemps parce qu’ils ne peuvent avoir aussi fréquemment la ressource d’effacer ces péchés véniels par la ferveur de la charité.

4. Comme dit le Philosophe, “ toutes choses se résument en trois : le commencement, le milieu et la fin ”. D’après cela, tous les degrés de péchés véniels se ramènent à ces trois éléments : le bois qui dure plus longtemps dans le feu ; la paille dont on est plus vite débarrassé ; et le foin qui est quelque chose d’intermédiaire. En effet, selon que les péchés véniels présentent plus ou moins d’adhérence ou de gravité, le feu les purifie plus ou moins vite.

 

            Article 3 — Dans l’état d’innocence, l’homme aurait-il pu pécher véniellement ?

Objections :

Apparemment oui. Sur un passage de la 1re épître à Timothée (2, 14) : “ Ce n’est pas Adam qui s’est laissé séduire ”, la Glose commente : “ N’ayant pas fait l’expérience de la sévérité divine, il a pu se tromper au point de croire véniel l’acte qu’il avait commis. ” Mais il ne l’aurait pas cru s’il n’avait pas pu pécher véniellement. Donc il aurait pu pécher véniellement, sans pécher mortellement.

2. S. Augustin dit, dans son Commentaire littéral de la Genèse : “ Il ne faut pas penser que le tentateur eût fait tomber l’homme, si celui-ci n’avait auparavant dans l’âme un mouvement d’élévation, qu’il aurait dû réprimer. ” Ce mouvement d’élévation, précédant une chute dans le péché mortel, n’a pu être qu’un péché véniel. Pareillement, dans le même livre, S. Augustin dit encore : “ Adam, quand il vit que sa femme n’était pas morte d’avoir mangé le fruit défendu, fut fortement agité d’un violent désir de faire l’expérience. ” Il semble aussi qu’il y eut chez Eve un mouvement d’infidélité ; elle a douté de la parole du Seigneur, comme on le voit par ses paroles : “ De crainte que peut-être nous ne mourions. ” Or, ce désir chez l’homme, ce doute chez la femme, sont péchés véniels, semble-t-il. Le premier homme a donc pu pécher véniellement, avant de pécher mortellement.

3. Le péché mortel est plus opposé que le péché véniel à l’intégrité de l’état primitif. Or l’homme a pu pécher mortellement, nonobstant l’intégrité de son premier état. Donc il a pu aussi pécher véniellement.

En sens contraire, tout péché rend passible d’une peine. Or une peine n’a pu exister dans l’état d’innocence, d’après S. Augustin. L’homme n’a donc pu commettre un péché qui ne l’exclût pas de cet état d’intégrité. Or le péché véniel ne change pas l’état de l’homme. Donc celui-ci n’a pas pu pécher véniellement.

Réponse :

Il est communément admis que l’homme dans l’état d’innocence n’a pas pu pécher véniellement. Mais la chose ne doit pas s’entendre en ce sens que ce qui est véniel pour nous, si le premier homme l’avait commis, eût été mortel pour lui à cause de la grandeur de son état. Car la dignité de la personne est une circonstance qui aggrave le péché, mais elle n’en change pas l’espèce, sauf peut-être quand survient une difformité spéciale, provenant d’une désobéissance, d’un vœu ou de quelque chose de semblable, ce qui ne peut être allégué dans le cas en question. Donc, ce qui de soi est véniel n’a pas pu être transformé en péché mortel à cause de la dignité de l’état primitif. Donc, il faut comprendre que le premier homme n’a pas pu pécher véniellement parce qu’il n’a pas pu commettre quelque chose qui de soi fût péché véniel, avant d’avoir perdu par un acte de péché mortel l’intégrité du premier état.

La raison en est que le péché véniel, chez nous, se produit soit parce que l’acte est imparfait dans le genre de péché mortel comme le sont des impressions soudaines ; soit parce que le désordre s’affirme seulement dans les moyens, en gardant l’ordre obligatoire à la fin. Or ces deux conditions se réalisent, l’une comme l’autre, par un manque d’ordre résultant de ce qu’en nous l’élément inférieur n’est pas fermement maintenu sous la dépendance de l’élément supérieur. En effet, qu’un mouvement subit de sensualité s’élève en notre âme, cela vient de ce que cette puissance n’est pas entièrement soumise à la raison. Qu’un mouvement subit s’élève dans la raison elle-même, cela provient chez nous de ce que l’exécution même des actes de la raison n’est pas soumise à la délibération, qui s’inspire d’un bien plus élevé, nous l’avons dit précédemment. Que l’esprit humain soit déréglé dans le choix des moyens tout en gardant l’ordre à la fin, cela vient de ce qu’il ne sait pas infailliblement plier les moyens à la fin, laquelle tient, nous l’avons dit, la place suprême d’un principe parmi les choses désirables.

Or, dans l’état d’innocence, comme nous l’avons vu dans la première Partie, régnait solidement un ordre infaillible ; grâce à lui l’inférieur y serait toujours maintenu par le supérieur aussi longtemps que la partie suprême de l’homme se garderait soumise à Dieu, comme dit encore S. Augustin. Voilà pourquoi il est impossible que le désordre s’introduise chez l’homme à moins de commencer par une insubordination de la partie suprême de l’homme à l’égard de Dieu, ce qui est le fait d’un péché mortel. D’où il est évident que l’homme dans l’état d’innocence n’a pas pu pécher véniellement avant d’avoir péché mortellement.

Solutions :

1. Véniel n’est pas pris là dans le sens où nous en parlons maintenant : il veut dire ce qui est facilement rémissible.

2. Ce mouvement d’élévation qui a pris les devants dans l’esprit de l’homme, ce fut son premier péché mortel. Quand on dit qu’il a précédé la chute, on veut dire la chute dans l’acte extérieur du péché. A la suite de cette coupable élévation, se sont produits, et le violent désir chez l’homme de tenter l’expérience, et le doute chez la femme. Celle-ci, du reste, s’est jetée de son côté dans un mouvement d’élévation du seul fait qu’elle a prêté l’oreille au serpent qui lui parlait du précepte, comme si elle refusait de s’y soumettre.

3. Le péché mortel s’oppose tellement à l’intégrité de l’état primitif qu’il la détruit, ce que le péché véniel ne peut faire. Et s’il est vrai qu’aucun désordre n’est possible en même temps que cet état d’intégrité, il s’ensuit que le premier homme ne pouvait pas pécher véniellement avant d’avoir péché mortellement.

 

            Article 4 — L’ange, bon ou mauvais, peut-il pécher véniellement ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car, dans cette partie supérieure de l’âme, appelée esprit, l’homme se rencontre avec les anges. Comme dit S. Grégoire : “ L’homme est intelligent avec les anges. ” Or l’homme, par la partie supérieure de l’âme, peut pécher véniellement. Donc, l’ange aussi.

2. Qui peut le plus peut le moins. Or l’ange a pu aimer le bien créé plus que Dieu, ce qu’il a fait en péchant mortellement. Donc il a pu aussi aimer le bien créé au-dessous de Dieu, de façon désordonnée cependant, en péchant véniellement.

3. Les mauvais anges semblent faire certaines choses qui sont, dans leur genre, péchés véniels, comme provoquer les hommes au rire et aux autres légèretés de même sorte. Or, nous savons 0 que la circonstance ne fait pas d’une faute vénielle une faute mortelle, sauf s’il survient une prohibition spéciale, ce qui n’est pas le cas. Donc, l’ange peut pécher véniellement.

En sens contraire, la perfection de l’ange est plus grande que ne l’était celle de l’homme dans le premier état. Or, dans le premier état, l’homme n’a pas pu pécher véniellement. L’ange le peut donc beaucoup moins.

Réponse :

L’intelligence de l’ange, comme nous l’avons vu dans la première Partie, n’est pas discursive, c’est-à-dire qu’elle ne passe pas des principes aux conclusions en les comprenant séparément, comme il arrive chez nous. Par conséquent, chaque fois que l’ange considère une conclusion, il faut qu’il la voie telle qu’elle est dans les principes. Or, dans le domaine du désir, nous l’avons dit maintes fois, les fins sont comme des principes, les moyens comme des conclusions. C’est pourquoi l’esprit de l’ange ne se porte vers les moyens que selon qu’ils sont commandés par la fin. A cause de cela, la nature même des anges exige qu’il ne puisse y avoir en eux de désordre à l’égard des moyens, s’il n’y a en même temps du désordre à l’égard de la fin elle-même, ce qui a lieu par le péché mortel. Or, les bons anges ne se portent à des moyens qu’en vue de la fin qu’on doit avoir, qui est Dieu ; et, à cause de cela, tous leurs actes sont des actes de charité. Ainsi ne peut-il y avoir chez eux de péché véniel. Les mauvais anges, au contraire, ne se portent à rien que pour la fin de leur péché d’orgueil. Et voilà comment, en tout, ils pèchent mortellement, quoi qu’ils fassent, du moins lorsque c’est par leur volonté propre. Il en est d’ailleurs autrement lorsque c’est par l’appétit naturel du bien, appétit qui est en eux, comme nous l’avons expliqué au traité des anges.

Solutions :

1. L’homme se rencontre bien avec les anges par l’esprit ou intelligence ; mais il diffère d’eux, nous venons de le dire, dans la manière d’être intelligent.

2. Il n’est pas possible que l’ange ait aimé une créature moins que Dieu sans l’avoir en même temps rapportée comme à une fin ultime, soit à Dieu, soit à une fin désordonnée et cela pour la raison que nous venons de dire.

3. Les démons s’emploient à toutes ces choses qui nous paraissent vénielles pour attirer les hommes dans leur familiarité et les amener ainsi au péché mortel. En tout cela donc, les démons pèchent mortellement, à cause de la fin qu’ils se proposent.

 

            Article 5 — Les premiers mouvements des infidèles sont-ils des péchés véniels ?

Objections :

1. Il semble que ce soient des péchés mortels. S. Paul dit en effet (Rm 8, 1) : “ Il n’y a plus maintenant de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus... qui ne se conduisent pas selon la chair. ” Et l’on voit par ce qui précède, qu’il parle à cet endroit des convoitises sensuelles. Ainsi donc, la cause pour laquelle un mouvement de convoitise n’est pas condamnable chez ceux qui ne se conduisent pas selon la chair, c’est-à-dire chez ceux qui ne vont pas jusqu’à consentir à la convoitise, c’est qu’ils sont dans le Christ Jésus. Mais les infidèles ne sont pas dans le Christ Jésus. Donc chez eux cela est condamnable ; par suite, leurs premiers mouvements sont péchés mortels.

2. S. Anselme dit : “ Ceux qui ne sont pas dans le Christ, dès qu’ils éprouvent des sentiments charnels, encourent la damnation, même s’ils n’ont pas une conduite charnelle. ” Or la damnation n’est due qu’au péché mortel. Comme les impressions charnelles se font sentir avec le premier mouvement de convoitise, il semble donc que ce premier mouvement, chez les infidèles, soit péché mortel.

3. S. Anselme dit encore au même endroit “ L’homme a été ainsi fait qu’il ne devrait pas éprouver la convoitise. ” Il semble que cette obligation soit remise par la grâce baptismale, que les infidèles n’ont pas. Chaque fois donc qu’un infidèle éprouve la convoitise, même s’il ne consent pas, il pèche mortellement, puisqu’il agit contre son devoir.

En sens contraire, il est écrit dans les Actes (10, 34) : “ Dieu ne fait pas acception des personnes. ” Par conséquent, ce qu’il n’impute pas à l’un pour sa damnation, il ne l’impute pas non plus à l’autre. Or, aux fidèles il n’impute pas leurs premiers mouvements pour leur damnation. Donc aux infidèles non plus.

Réponse :

Il n’est pas raisonnable de dire que, chez les infidèles, les premiers mouvements soient péchés mortels, s’ils n’y consentent pas. Et c’est doublement évident. 1° Parce que la sensualité elle-même ne peut être le siège du péché mortel, ainsi que nous l’avons établi plus haut. Or, la nature de la sensualité est la même chez les infidèles et chez les fidèles. Il n’est donc pas possible qu’un mouvement de sensualité, à lui seul, soit un péché mortel chez un infidèle. 2° La chose est encore rendue évidente par l’état du pécheur. Jamais en effet, la dignité de la personne ne diminue le péché ; de ce que nous avons dit plus haut, il ressort plutôt qu’elle l’augmente. Par conséquent, le péché n’est pas moins grave chez le fidèle que chez l’infidèle, mais bien davantage. Car, d’une part, l’ignorance dans laquelle se trouvent les infidèles rend leurs péchés plus dignes de pardon comme S. Paul le dit (1 Tm 1, 13) : “ J’ai obtenu miséricorde, parce que j’ai agi par ignorance, n’ayant pas encore la foi. ” D’autre part, la grâce des sacrements reçus rend plus graves les péchés des fidèles, selon l’épître aux Hébreux (10, 29) : “ Ne pensez-vous pas qu’il méritera de pires supplices, celui qui aura profané le sang de l’Alliance qui l’avait sanctifié ? ”

Solutions :

1. L’Apôtre parle de la condamnation due au péché originel, laquelle, en effet, nous est enlevée par la grâce de jésus Christ, bien que le foyer de la convoitise demeure. Aussi, que les fidèles éprouvent de la convoitise n’est plus chez eux, comme ce l’est chez les infidèles, le signe de la condamnation du péché originel.

2. Et c’est aussi de cette manière qu’il faut entendre la parole de S. Anselme.

3. Ce devoir de ne pas convoiter tenait à la justice originelle. Aussi, ce qui est en opposition avec un tel devoir ne se rattache pas au péché actuel mais au péché originel.

 

            Article 6 — Le péché véniel peut-il cœxister avec le péché originel seul ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car la disposition précède l’habitus. Or le péché véniel est une disposition au péché mortel, nous l’avons vu. Donc, chez un infidèle à qui le péché originel n’est pas remis, on trouve le péché véniel avant le péché mortel. Ainsi les infidèles ont-ils quelquefois des péchés véniels avec le péché originel sans avoir de péchés mortels.

2. Il y a moins de connexion et de rapprochement entre péché véniel et péché mortel qu’entre péché mortel et péché mortel. Or, l’infidèle soumis au péché originel peut commettre tel péché mortel et non tel autre. Donc il peut aussi commettre un péché véniel et non un péché mortel.

3. On peut fixer le temps où l’enfant commence à pouvoir être l’auteur d’un péché actuel. Lorsqu’il est parvenu à ce temps-là, il peut se tenir, au moins pendant un court intervalle, sans pécher mortellement, puisque cela arrive même chez les plus grands scélérats. Or, dans cet intervalle, si court soit-il, l’enfant peut pécher véniellement. Donc, le péché véniel peut cœxister avec le péché originel et sans le péché mortel.

En sens contraire, pour le péché originel, les humains sont punis dans le limbe des enfants, où n’existe pas la peine du sens, ainsi que nous le dirons dans la suite. Quant à l’enfer, les hommes y sont précipités uniquement à cause du péché mortel. Il n’y aura donc pas d’endroit où puisse être puni celui qui a le péché véniel avec le péché originel seulement.

Réponse :

Il est impossible que le péché véniel existe chez quelqu’un avec le péché originel et sans péché mortel. Et voici pourquoi. Avant que l’homme parvienne à l’âge de discrétion, le défaut des années, en empêchant en lui l’usage de la raison, l’excuse de péché mortel, et par conséquent l’excuse beaucoup plus encore de péché véniel, s’il vient à commettre un acte qui soit tel par son genre. Au contraire, une fois que l’homme a commencé à avoir l’usage de la raison, il n’est pas tout à fait excusé de la culpabilité dcs péchés tant véniels que mortels. Mais la première chose qui doit se présenter à sa réflexion, c’est de délibérer sur lui-même. Et si réellement il s’est ordonné à la fin voulue, il obtiendra par la grâce la rémission du péché originel. Tandis que, s’il ne s’oriente pas vers la bonne fin, autant qu’à cet âge-là il est capable de la discerner, il péchera mortellement, ne faisant pas tout son possible. Et dès lors, il n’y aura plus chez lui péché véniel sans péché mortel, si ce n’est après que tout lui aura été remis par la grâce.

Solutions :

1. Le péché véniel n’est pas une disposition qui précède le péché mortel de façon nécessaire, mais de façon contingente. C’est ainsi que parfois la fatigue prédispose à la fièvre, mais non pas comme l’élévation de chaleur prédispose à la forme du feu.

2. Ce qui empêche le péché véniel de cœxister avec le péché originel seul, ce n’est pas leur éloignement ou leur convergence, c’est l’absence d’usage de la raison, on vient de le dire.

3. L’enfant qui commence à avoir l’usage de la raison peut pendant quelque temps s’abstenir des autres péchés mortels, mais il n’est pas exempt de ce péché d’omission que nous venons de dire, s’il ne se tourne vers Dieu le plus tôt qu’il peut. Car ce qui s’impose en premier à l’homme qui a le discernement, c’est de réfléchir sur lui-même, et tout le reste est ordonné à cela comme à sa fin, laquelle a la primauté dans l’ordre d’intention. Aussi, est-ce à ce moment qu’il tombe sous l’obligation du précepte affirmatif proclamé par le Seigneur (Za 1, 3) : “ Revenez à moi, et je reviendrai à vous. ”

 

Il faut étudier maintenant les principes externes des actes humains. Le principe extérieur qui porte à l’acte mauvais, c’est le diable ; nous avons parlé de sa tentation dans la première partie. Le principe externe qui nous fait bien agir, c’est Dieu, soit qu’il nous instruise par sa loi, soit qu’il nous soutienne par sa grâce. Aussi convient-il d’examiner successivement la loi (Q. 90-108), puis la grâce (Q. 109-114).

Au sujet de la loi, il faut d’abord l’étudier en elle-même d’une manière générale (Q. 90-97) ; il faudra ensuite en considérer les parties (Q. 98-108). Quant à la loi considérée en général, il y a lieu d’étudier trois points : premièrement son essence, deuxièmement la diversité des lois (Q. 91) ; troisièmement les effets de la loi (Q. 92-97).

 

QUESTION 90 — L’ESSENCE DE LA LOI

1. La loi est-elle œuvre de raison ? - 2. La fin de la loi. - 3. Sa cause. - 4. Sa promulgation.

 

            Article 1 — La loi est-elle œuvre de raison ?

Objections :

1. Il semble que la loi ne relève pas de la raison. S. Paul écrit en effet aux Romains (7, 23) : “ je vois une autre loi dans mes membres, etc. ” Mais rien de ce qui est de la raison ne se trouve dans les membres ; la raison n’utilise en effet aucun organe corporel. Donc la loi n’est pas œuvre de raison.

2. Dans la raison il n’y a que la puissance, l’habitus et l’acte. La loi n’est pas la raison elle-même ; elle n’est pas non plus un habitus rationnel ; car les habitus de raison sont les vertus intellectuelles dont nous avons parlé plus haut. Elle n’est pas davantage un acte de raison, puisqu’en ce cas la loi n’existerait plus lorsque l’acte de la raison serait suspendu, par exemple chez ceux qui dorment. Donc la loi n’est pas œuvre de la raison.

3. La loi fait agir correctement ceux qui lui sont soumis. Or faire agir relève proprement de la volonté, comme on l’a montré précédemment. Donc la loi ne relève pas de la raison, mais plutôt de la volonté ; aussi Justinien déclare-t-il : “ C’est ce qu’a décidé le prince qui a force de loi. ”

En sens contraire, c’est à la loi qu’il appartient de commander et d’interdire. Mais commander relève de la raison, comme on l’a vu e. Donc la loi relève de la raison.

Réponse :

La loi est une règle d’action, une mesure de nos actes, selon laquelle on est sollicité à agir ou au contraire on en est détourné. Le mot loi vient du verbe qui signifie lier par ce fait que la loi oblige à agir, c’est-à-dire qu’elle lie l’agent à une certaine manière d’agir. Or, ce qui règle et mesure les actes humains, c’est la raison, qui est le principe premier des actes humains, comme nous l’avons montré précédemment. C’est en effet à la raison qu’il appartient d’ordonner quelque chose en vue d’une fin ; et la fin est le principe premier de l’action, selon le Philosophe. Mais dans tout genre d’êtres, ce qui est principe est à la fois règle et mesure de ce genre ; comme l’unité dans le genre nombre et le premier mouvement dans le genre mouvement. Il suit de là que la loi relève de la raison.

Solutions :

1. Puisque la loi est une règle et une mesure, elle peut être considérée sous deux aspects. D’abord en celui qui pose la règle ou établit la mesure. Ces opérations étant propres à la raison, la loi se trouve en ce cas être dans la raison seule. Ensuite, la loi peut être considérée en celui qui est soumis à la règle et à la mesure. Ainsi la loi se rencontre-t-elle en tous les êtres qui subissent une inclination par le fait d’une loi. Et puisque toute inclination à agir suppose une loi, elle peut être appelée elle-même une loi, non point à titre essentiel, mais à titre de participation. C’est de cette façon que les appétits de nos membres corporels peuvent être appelés “ la loi des membres ”.

2. Dans nos actes qui se manifestent extérieurement, il y a lieu de distinguer l’opération elle-même, et l’œuvre réalisée, par exemple l’action de construire, et l’édifice ; de même dans les opérations intellectuelles, il y a lieu de distinguer l’action elle-même de la raison qui est la pensée et le raisonnement, et d’autre part ce qui est le résultat produit par cette activité. Dans l’ordre spéculatif, ce résultat s’appelle la définition, puis la proposition, enfin le syllogisme et la démonstration. Et la raison pratique utilise également le syllogisme pour son activité, comme nous l’avons vu, selon l’enseignement d’Aristote. C’est pourquoi il est normal de trouver dans la raison pratique quelque chose qui joue, par rapport aux opérations à effectuer, le rôle que remplit le principe par rapport aux conclusions dans la raison spéculative. Et ces propositions universelles de la raison pratique ordonnées aux actions ont raison de loi. Ces propositions tantôt sont considérées de façon actuelle, et tantôt conservées par la raison à l’état d’habitus.

3. La raison tient de la volonté son pouvoir de mettre en mouvement, comme il a été déjà dit. C’est en effet parce qu’on veut la fin que la raison impose les moyens de la réaliser. Mais la volonté, pour avoir raison de loi quant aux commandements qu’elle porte, doit être elle-même réglée par une raison. On comprend ainsi que la volonté du prince a force de loi ; sinon sa volonté serait plutôt une iniquité qu’une loi.

 

            Article 2 — La fin de la loi

Objections :

1. Il semble que la loi ne soit pas toujours ordonnée au bien commun comme à sa fin. C’est à la loi qu’il revient de prescrire et de prohiber. Or les préceptes sont ordonnés à certains biens particuliers. Donc le but de la loi n’est pas toujours le bien commun.

2. La loi imprime à l’homme une direction en vue de l’action. Mais les actions humaines ne se réalisent que dans les faits particuliers. Donc la loi est ordonnée à quelque bien particulier.

3. Isidore de Séville écrit : “ Si la loi est constituée par la raison, sera loi tout ce que la raison établira. ” Mais la raison établit ce qui est ordonné au bien privé tout autant que ce qui est ordonné au bien commun. Donc la loi n’est pas ordonnée seulement au bien commun, mais aussi au bien privé.

En sens contraire, Isidore de Séville déclare “ La loi n’est écrite pour l’avantage d’aucun particulier, mais pour l’utilité commune des citoyens. ”

Réponse :

On vient de le dire : la loi relève de ce qui est le principe des actes humains, puisqu’elle en est la règle et la mesure. Mais de même que la raison est le principe des actes humains, il y a en elle quelque chose qui est principe de tout le reste. Aussi est-ce à cela que la loi doit se rattacher fondamentalement et par-dessus tout. Or, en ce qui regarde l’action, domaine propre de la raison pratique, le principe premier est la fin ultime. Et la fin ultime de la vie humaine, c’est la félicité ou la béatitude, comme on l’a vu précédemment Il faut par conséquent que la loi traite surtout de ce qui est ordonné à la béatitude.

En outre, chaque partie est ordonnée au tout, comme l’imparfait est ordonné au parfait ; mais l’individu est une partie de la communauté parfaite. Il est donc nécessaire que la loi envisage directement ce qui est ordonné à la félicité commune. C’est pourquoi le Philosophe, dans sa définition des lois, fait mention de la félicité et de la solidarité politique. Il dit en effet que “ nous appelons justes les dispositions légales qui réalisent et conservent la félicité ainsi que ce qui en fait partie, par la solidarité politique ”. Car, pour lui la société parfaite c’est la cité.

En n’importe quel genre le terme le plus parfait est le principe de tous les autres, et ces autres ne rentrent dans le genre que d’après leurs rapports avec ce terme premier ; ainsi le feu qui est souverainement chaud, est cause de la chaleur dans les corps composés qui ne sont appelés chauds que dans la mesure où ils participent du feu. En conséquence, puisque la loi ne prend sa pleine signification que par son ordre au bien commun, tout autre précepte visant un acte particulier ne prend valeur de loi que selon son ordre à ce bien commun. C’est pourquoi toute loi est ordonnée au bien communs.

Solutions :

1. Le précepte implique l’application de la loi aux actes réglés par elle. L’ordre au bien commun, qui relève de la loi, est applicable aux fins particulières. C’est en ce sens que sont portés des préceptes relatifs à certains cas particuliers.

2. Les actions ne se réalisent que dans des cas particuliers ; mais ces cas particuliers peuvent être rapportés au bien commun, non point en ce sens qu’ils seraient classés sous le même genre ou sous la même espèce que ce qui regarde essentiellement le bien commun, mais parce qu’ils sont considérés comme des moyens de contribuer au bien commun ; en ce sens, le bien général est appelé la fin commune.

3. Rien n’est ferme et certain dans le domaine de la raison spéculative que si on le ramène aux premiers principes indémontrables. De même, rien n’est fermement établi par la raison pratique que si l’on saisit son rapport avec la fin ultime qui est le bien commun. C’est précisément ce qui est établi de cette manière par la raison, qui a valeur de loi.

 

            Article 3 — La cause de la loi

Objections :

1. Il semble que la raison de n’importe qui puisse faire la loi. Car l’Apôtre déclare (Rm 2, 14) : “ Les païens qui n’ont pas de loi, quand ils accomplissent par nature ce qui fait l’objet de la loi, sont à eux-mêmes leur loi. ” Or ces paroles s’appliquent universellement à tous. Donc tout individu peut se faire à lui-même la loi.

2. Le Philosophe remarque : “ Le but du législateur est d’amener l’homme à la vertu. ” Mais n’importe quel individu peut inciter son semblable à la vertu. Donc la raison de tout homme est capable de faire loi.

3. De même que le chef de la cité en est le gouverneur, ainsi le père de famille pour sa maison. Or le chef de la cité légifère pour la cité. Donc tout père de famille peut faire la loi dans sa maison.

En sens contraire, Isidore de Séville écrit, dans ses Étymologies, et son texte se retrouve dans les Décrets : “ La loi est une constitution du peuple selon laquelle les nobles, de concert avec les plébéiens, ont sanctionné quelque décision. ” Il n’appartient donc pas à tout le monde de faire la loi.

Réponse :

Rappelons-nous que la loi vise premièrement et à titre de principe l’ordre au bien commun. Ordonner quelque chose au bien commun revient au peuple tout entier ou à quelqu’un qui représente le peuple. C’est pourquoi le pouvoir de légiférer appartient à la multitude tout entière ou bien à un personnage officiel qui a la charge de toute la multitude. C’est parce que, en tous les autres domaines, ordonner à la fin revient à celui dont la fin relève directement.

Solutions :

1. Il a été dit précédemment que la loi existe chez quelqu’un non seulement comme dans l’auteur de la règle, mais aussi d’une façon participée comme dans le sujet de cette règle. C’est ainsi que chacun est à soi-même sa loi, en tant qu’il participe de l’ordre établi par celui qui a posé la règle. C’est pourquoi S. Paul précise au même endroit : “ Ceux-ci montrent la réalité de cette loi écrite dans leurs cœurs. ”

2. Un personnage privé ne peut induire efficacement à la vertu. Il peut seulement conseiller, mais si son conseil n’est pas reçu, il ne dispose d’aucun moyen de cœrcition, ce que la loi doit comporter, pour amener efficacement ses sujets à la pratique du bien, dit Aristote. Cette force contraignante appartient à la société ou à celui qui dispose de la force publique pour imposer des sanctions, comme on l’expliquera plus loin.

C’est donc à celui-là seul qu’il appartient de légiférer.

3. Si l’homme est partie d’une famille, la famille elle-même est partie de la société politique, et c’est cette dernière qui constitue la société parfaite, selon le livre I des Politiques. C’est pourquoi, de même que le bien d’un seul individu n’est pas la fin ultime mais est ordonné au bien commun ; de même encore le bien d’une famille est ordonné au bien de la cité, qui est la société parfaite. Aussi, celui qui gouverne une famille peut bien faire des prescriptions et des statuts, ceux-ci n’auront pas raison de loi.

 

            Article 4 — La promulgation de la loi

Objections :

1. Il semble que la promulgation ne soit pas une partie essentielle de la loi. La loi qui mérite le plus ce nom est la loi naturelle. Mais la loi naturelle n’a pas besoin de promulgation. Il n’est donc pas essentiel à la loi d’être promulguée.

2. C’est un attribut propre de la loi que d’obliger à faire ou ne pas faire quelque chose. Or tous sont obligés de se soumettre à la loi, non seulement ceux qui sont présents à sa promulgation mais encore les autres. Donc la promulgation n’est pas essentielle à la loi.

3. L’obligation porte même sur l’avenir, puisque “ les lois imposent leur contrainte aux affaires futures ”, selon le Droit. Or la promulgation ne touche que les personnes présentes. Elle n’est donc pas essentielle à la loi.

En sens contraire, il est dit dans les Décrets “ Les lois sont instituées lorsqu’elles sont promulguées. ”

Réponse :

La loi, avons-nous dit, est imposée aux autres par manière de règle et de mesure. La règle et la mesure s’imposent du fait qu’on les applique à ce qui est réglé et mesuré. Aussi, pour que la loi obtienne force obligatoire, ce qui est le propre de la loi, il faut qu’elle soit appliquée aux hommes qui doivent être réglés par elle. Or, une telle application se réalise par le fait que la loi est portée à la connaissance des intéressés par la promulgation même. La promulgation est donc nécessaire pour que la loi ait toute sa force.

Des quatre articles qui précèdent, on peut ainsi condenser la définition de la loi : Une ordonnance de raison en vue du bien commun, promulguée par celui qui a la charge de la communauté.

Solutions :

1. La promulgation de la loi naturelle existe par le fait même que Dieu l’a introduite dans l’esprit des hommes de telle manière qu’elle soit connaissable naturellement.

2. Ceux devant qui la loi n’est pas immédiatement promulguée sont soumis aux obligations qu’elle comporte dans la mesure où la connaissance des dispositions légales leur parvient par des intermédiaires, ou tout au moins peut leur parvenir, en raison même de la promulgation.

3. La promulgation présente s’étend à l’avenir, par la fixité de l’écrit qui la promulgue en quelque sorte toujours. Aussi Isidore de Séville écrit-il : “ La loi prend son étymologie du verbe lire parce qu’elle est écrite. ”

 

QUESTION 91 — LES DIVERSES ESPÈCES DE LOIS

1. Existe-t-il une loi éternelle ? - 2. Une loi naturelle ? - 3. Une loi humaine ? - 4. Une loi divine ? - 5. Existe-t-il une seule loi divine, ou davantage ? - 6. Existe-t-il une loi de péché ?

 

            Article 1 — Existe-t-il une loi éternelle ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas de loi éternelle. Toute loi s’impose à des sujets. Or il n’y a pas eu de toute éternité un sujet auquel la loi ait pu s’imposer, car Dieu seul est éternel. Donc aucune loi n’est éternelle.

2. La promulgation est essentielle à la loi. Or aucune promulgation n’a pu exister de toute éternité, parce qu’il n’y avait de toute éternité aucun sujet auquel cette promulgation ait pu être faite. Donc aucune loi ne peut être éternelle.

3. La notion de loi implique ordre à une fin. Mais rien n’est éternel dans l’ordre des moyens, puisque seule la fin ultime est éternelle. Donc aucune loi n’est éternelle.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ La loi qui s’appelle la raison suprême est forcément considérée par quiconque en saisit la notion, comme immuable et éternelle. ”

Réponse :

On a vu que la loi n’est pas autre chose qu’une prescription de la raison pratique chez le chef qui gouverne une communauté parfaite. Il est évident par ailleurs - étant admis que le monde est régi par la providence divine -, que toute la communauté de l’univers est gouvernée par la raison divine. C’est pourquoi la raison, principe du gouvernement de toutes choses, considérée en Dieu comme dans le chef suprême de l’univers, a raison de loi. Et puisque la raison divine ne conçoit rien dans le temps mais a une conception éternelle, comme disent les Proverbes (8, 23), il s’ensuit que cette loi doit être déclarée éternelle.

Solutions :

1. Les choses qui n’existent pas en elles-mêmes existent déjà chez Dieu en tant qu’elles sont connues et ordonnées à l’avance par lui, selon l’épître aux Romains (4, 17) : “ Il appelle les choses qui ne sont pas comme celles qui sont déjà. ” C’est ainsi que la conception éternelle de la loi divine a raison de loi éternelle, parce qu’elle est ordonnée par Dieu au gouvernement des choses qu’il connaît d’avance.

2. La promulgation peut se faire par parole et par écrit. Des deux façons, la loi éternelle reçoit sa promulgation : d’abord de Dieu son promulgateur ; car le Verbe divin est éternel, et ce qui est écrit au livre de vie est éternel. Toutefois, du côté de la créature qui entend ou regarde, il ne peut y avoir de promulgation éternelle.

3. La notion de loi comporte une orientation active vers une fin, puisque son rôle est d’y ordonner certains moyens ; non d’une façon passive, en ce sens que la loi elle-même serait ordonnée à une fin extérieure, à moins que, par accident, elle soit faite par un gouvernement qui a sa fin en dehors de lui-même. Dans ce cas il ordonnerait nécessairement la loi à cette fin. La fin que poursuit le gouvernement divin est Dieu lui-même, et sa loi n’est pas autre chose que lui-même. Aussi la loi éternelle n’est nullement ordonnée à une autre fin qu’elle-même.

 

            Article 2 — Existe-t-il une loi naturelle ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas en nous de loi naturelle. Car l’homme est suffisamment gouverné par la loi éternelle. S. Augustin écrit en effet : “ La loi éternelle est celle par laquelle il est juste que toutes choses soient parfaitement ordonnées. ” Mais la nature ne multiplie pas les êtres superflus, pas plus qu’elle n’est insuffisante en ce qui est nécessaire. Il n’y a donc pas de loi naturelle pour l’homme.

2. C’est par la loi que l’homme est ordonné à sa fin par ses actions. Mais l’ordination des actes humains à leur fin ne vient pas de la nature, comme c’est le cas des créatures sans raison qui n’agissent pour une fin qu’en raison d’un instinct naturel ; l’homme agit pour une fin par raison et volonté. Donc il n’y a pas pour l’homme de loi naturelle.

3. Plus on est libre, moins on est soumis à une loi. Or l’homme est le plus libre de tous les vivants, en raison du libre arbitre qu’il possède par privilège sur tous les autres animaux. Donc, si les autres animaux ne sont pas soumis à une loi naturelle, l’homme ne doit pas l’être.

En sens contraire, nous lisons dans l’épître aux Romains (2, 14) : “ Les païens qui n’ont pas de loi, accomplissent par nature ce qui est l’objet de la loi. ” Et la Glose précise : “ S’ils n’ont pas de loi écrite, ils ont cependant la loi naturelle selon laquelle chacun prend conscience de ce qui est bien et de ce qui est mal. ”

Réponse :

On a dit tout à l’heure que la loi, étant une règle et une mesure, peut se trouver en quelqu’un d’une double manière : tout d’abord comme en celui qui établit la règle et la mesure ; et en second lieu comme en celui qui est soumis à celle-ci, puisque ce dernier est réglé et mesuré pour autant qu’il participe en quelque manière de la règle et de la mesure. Par conséquent, comme tous les êtres qui sont soumis à la providence divine sont réglés et mesurés par la loi éternelle (selon les explications données), il est évident que ces êtres participent en quelque façon de la loi éternelle par le fait qu’en recevant l’impression de cette loi en eux-mêmes, ils possèdent des inclinations qui les poussent aux actes et aux fins qui leur sont propres.

Or, parmi tous les êtres, la créature raisonnable est soumise à la providence divine d’une manière plus excellente par le fait qu’elle participe elle-même de cette providence en pourvoyant à soi-même et aux autres. En cette créature, il y a donc une participation de la raison éternelle selon laquelle elle possède une inclination naturelle au mode d’agir et à la fin qui sont requis. C’est une telle participation de la loi éternelle qui, dans la créature raisonnable, est appelée loi naturelle. Aussi, quand le Psaume (4, 6) disait : “ Offrez un sacrifice de justice ”, il ajoutait, comme pour ceux qui demandaient quelles sont ces œuvres de justice : “ Beaucoup disent : qui nous montrera le bien ? ” et il leur donnait cette réponse : “ Seigneur, nous avons la lumière de ta face imprimée en nous ”, c’est-à-dire que la lumière de notre raison naturelle, nous faisant discerner ce qui est bien et ce qui est mal, n’est rien d’autre qu’une impression en nous de la lumière divine. Il est donc évident que la loi naturelle n’est pas autre chose qu’une participation de la loi éternelle dans la créature raisonnable.

Solutions :

1. L’argument porterait si la loi naturelle était quelque chose de différent de la loi éternelle ; mais elle n’en est qu’une sorte de participation, nous venons de le dire.

2. Toute opération de raison et de volonté dérive en nous de ce qui est conforme à notre nature, on l’a déjà dit, car tout raisonnement se fonde sur des principes connus naturellement, et tout vouloir portant sur les moyens qui concourent à une fin dérive de l’attrait naturel pour la fin ultime. Ainsi faut-il aussi que l’orientation première de nos actes vers leur fin soit assurée par la loi naturelle.

3. Les animaux sans raison participent eux-mêmes, comme la nature raisonnable, de la pensée éternelle, mais à leur façon. Et parce que la créature raisonnable possède cette participation sous un mode intelligent et rationnel, il s’ensuit que la participation de la loi éternelle en la créature raisonnable mérite proprement le nom de loi ; car la loi relève de la raison, comme il a été dit précédemment. Dans la créature privée de raison, la participation n’existe pas sous un mode rationnel ; aussi ne peut-elle être appelée loi que par analogie.

 

            Article 3 — Existe-t-il une loi humaine ?

Objections :

1. Il semble que non. La loi naturelle, en effet, est une participation de la loi éternelle, on vient de le montrer. Mais, en vertu de la loi éternelle, “ toutes choses sont parfaitement ordonnées ”, affirme S. Augustin. La loi naturelle suffit donc à ordonner toutes choses humaines, et donc il n’est pas nécessaire qu’il y ait une loi humaine.

2. La notion de loi inclut celle de mesure, on l’a dit. Mais la raison humaine n’est nullement la mesure des choses ; c’est plutôt le contraire selon le livre X des Métaphysiques. Donc aucune loi ne peut procéder de la raison humaine.

3. Une mesure doit être aussi sûre que possible, selon le même ouvrages. Or la prescription de la raison humaine relative à ce qu’il faut faire est incertaine, selon cette parole de la Sagesse (9, 14) : “ Les pensées des mortels sont hésitantes, et nos prévisions incertaines. ” Donc aucune loi ne peut émaner de la raison humaine.

En sens contraire, S. Augustin distingue deux lois : l’une est éternelle et l’autre, temporelle, et c’est cette dernière qu’il appelle loi humaine.

Réponse :

Nous savons par ce qui a été exposé, que la loi est une prescription de la raison pratique. Or, on peut trouver un processus semblable dans la raison pratique et dans la raison spéculative. Toutes deux, en effet, progressent à partir de quelques principes pour aboutir à certaines conclusions, nous l’avons déjà établi. Ainsi donc, il faut dire ceci : de même que dans la raison spéculative les conclusions des diverses sciences sont les conséquences de principes indémontrables, la connaissance de ces conclusions n’étant pas innée en nous, mais étant le fruit de l’activité de notre esprit, - de même il est nécessaire que la raison humaine, partant des préceptes de la loi naturelle qui sont comme des principes généraux et indémontrables, aboutissent à certaines dispositions plus particulières. Ces dispositions particulières découvertes par la raison humaine sont appelées lois humaines, du moment que nous retrouvons en elles les autres conditions qui intègrent la notion de loi, selon les explications déjà données. C’est pourquoi Cicéron déclare : “ L’origine première du droit est produite par la nature ; puis, certaines dispositions passent en coutumes, la raison les jugeant utiles ; enfin ce que la nature avait établi et que la coutume avait confirmé, la crainte et la sainteté des lois l’ont sanctionné. ”

Solutions :

1. La raison humaine ne peut participer de la raison divine selon la plénitude de son autorité, mais à sa manière et selon un mode imparfait. C’est pourquoi, dans le domaine de la raison spéculative, il y a en nous par une participation naturelle de la sagesse divine, la connaissance de certains principes généraux, mais non la connaissance propre de n’importe quelle vérité qui se trouve dans la sagesse divine. De même encore, dans le domaine de la raison pratique, l’homme participe naturellement de la loi éternelle selon certains principes généraux, non toutefois par une science détaillée des prescriptions particulières visant les cas concrets, bien que ces prescriptions soient contenues dans la loi éternelle. Aussi est-il en outre nécessaire que la raison humaine aboutisse à des dispositions légales visant les cas particuliers.

2. La raison humaine n’est pas, par elle-même, la règle des choses ; mais les principes innés en elle sont les règles et les mesures universelles de tout ce que l’homme doit faire. De cette action humaine la raison naturelle est règle et mesure ; elle ne l’est pas vis-à-vis de ce qui est œuvre de nature.

3. La raison pratique a pour objet l’action humaine, qui est particulière et contingente, non les réalités nécessaires dont s’occupe la raison spéculative. C’est pourquoi les lois humaines ne peuvent pas posséder l’infaillibilité dont jouissent les conclusions démonstratives des sciences. Il n’est pas requis, du reste, que toute mesure soit absolument infaillible et certaine ; il suffit que ce soit possible selon son genre.

 

            Article 4 — Existe-t-il une loi divine ?

Objections :

1. Il semble qu’une loi divine ne soit pas nécessaire. La loi naturelle, nous l’avons dit, est une participation de la loi éternelle. Or la loi éternelle, c’est la loi divine. Donc il n’est pas requis qu’outre la loi naturelle et les lois humaines qui en découlent, il y ait une loi divine.

2. Il est écrit, dans l’Ecclésiastique (15, 14) “ Dieu a laissé l’homme à son propre conseil. ” Or le conseil est un acte de raison, nous le savons ". Donc l’homme a été remis au gouvernement de sa propre raison. Mais la sentence de la raison humaine, c’est la loi humaine. Il ne faut donc pas que l’homme soit gouverné par une autre loi qui serait divine.

3. La nature humaine se suffit à elle-même de façon plus parfaite que les créatures sans raison. Or les créatures sans raison n’ont d’autre loi divine que l’inclination naturelle innée en elles. Donc la créature raisonnable doit moins encore avoir une loi divine, outre sa loi naturelle.

En sens contraire, David demande à Dieu de lui donner une loi (Psaume 119, 33) : “ Donne-moi ta loi, Seigneur, sur la route de ta justice. ”

Réponse :

Il était nécessaire à la direction de la vie humaine qu’il y eût une loi divine, outre la loi naturelle et la loi humaine. Il y a quatre raisons à cela :

1° C’est par la loi que l’homme est guidé pour accomplir ses actes propres en les ordonnant à la fin ultime. Donc, si l’homme n’était ordonné qu’à une fin proportionnée à sa capacité naturelle, il n’aurait pas besoin de recevoir, du côté de sa raison, un principe directeur supérieur à la loi naturelle et à la loi humaine qui en découle. Mais, parce que l’homme est ordonné à la fin de la béatitude éternelle qui dépasse les ressources naturelles des facultés humaines, comme on l’a dit, il était nécessaire qu’au-dessus de la loi naturelle et de la loi humaine il y eût une loi donnée par Dieu pour diriger l’homme vers sa fin.

2° Le jugement humain est incertain, principalement quand il s’agit des choses contingentes et particulières ; c’est pourquoi il arrive que les jugements portés sur les actes humains soient divers, et que, par conséquent, ces jugements produisent des lois disparates et opposées. Pour que l’homme puisse connaître sans aucune hésitation ce qu’il doit faire et ce qu’il doit éviter, il était donc nécessaire qu’il fût dirigé, pour ses actes propres, par une loi donnée par Dieu ; car il est évident qu’une telle loi ne peut contenir aucune erreur.

3° L’homme ne peut porter de loi que sur ce dont il peut juger. Or le jugement humain ne peut porter sur les mouvements intérieurs qui sont cachés, mais seulement sur les actes extérieurs qui se voient. Pourtant il est requis pour la perfection de la vertu que l’homme soit rectifié dans ses actes aussi bien intérieurs qu’extérieurs. C’est pourquoi la loi humaine ne pouvait réprimer et ordonner efficacement les actes intérieurs ; et c’est ce qui rend nécessaire l’intervention d’une loi divine.

4° S. Augustin déclare que la loi humaine ne peut punir ni interdire tout ce qui se fait de mal ; car, en voulant extirper tout le mal, elle ferait disparaître en même temps beaucoup de bien, et s’opposerait à l’avantage du bien commun, nécessaire à la communication entre les hommes. Aussi, pour qu’il n’y eût aucun mal qui demeurât impuni et non interdit, il était nécessaire qu’une loi divine fût surajoutée en vue d’interdire tous les péchés.

Il est fait allusion à ces quatre motifs dans le Psaume (19, 8) où il est écrit : “ La loi du Seigneur est immaculée ”, c’est-à-dire ne tolérant aucune souillure de péché ; “ convertissant les âmes ” parce qu’elle rectifie non seulement les actions extérieures mais encore les actes intérieurs, “ témoignage fidèle du Seigneur ”, à cause de la certitude de sa vérité et de sa droiture ; “ apportant la sagesse aux petits ”, en tant qu’elle ordonne l’homme à sa fin surnaturelle et divine.

Solutions :

1. Par la loi naturelle, la loi éternelle est participée selon la capacité de la nature humaine. Mais il faut que l’homme soit dirigé vers sa fin ultime surnaturelle selon un mode supérieur. C’est pourquoi la loi divine a été surajoutée, et par elle la loi éternelle est participée selon ce mode supérieur.

2. Le conseil est une sorte de recherche ; il faut donc qu’il parte de quelques principes. Il ne suffit pas qu’il parte de principes naturellement innés, tels que les principes de la loi naturelle, on vient de le dire. Il faut encore que d’autres principes soient surajoutés, à savoir les préceptes de la loi divine.

3. Les créatures privées de raison ne sont pas ordonnées à une fin supérieure à celle qui est proportionnée à leurs ressources naturelles. C’est pourquoi la comparaison ne porte pas.

 

            Article 5 — Existe-t-il une seule loi divine ou davantage ?

Objections :

1. Il semble que la loi divine soit unique. Dans un royaume, en effet, et pour un seul roi il n’y a qu’une loi. Mais le genre humain tout entier peut être considéré dans ses rapports avec Dieu comme si celui-ci en était le seul roi, selon le Psaume (47, 8) : “ Dieu est le roi de toute la terre. ” Donc il n’y a qu’une seule loi divine.

2. Toute loi est établie en vue de la fin que le législateur se propose pour ceux auxquels il impose la loi. Mais c’est un seul et même but que Dieu se propose pour tous les hommes, selon cette parole de S. Paul (1 Tm 2, 4) : “ Il veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. ” Il n’y a donc qu’une seule loi divine.

3. La loi divine semble se rapprocher davantage de la loi éternelle qui est une, que la loi naturelle, d’autant que la révélation de grâce est supérieure à la connaissance de nature. Or la loi naturelle est unique pour tous les hommes. Donc à plus forte raison la loi divine.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (He 7, 12) : “ Le sacerdoce ayant été changé, il est nécessaire que la loi le soit aussi. ” Mais le sacerdoce est double, comme il est dit au même endroit : le sacerdoce lévitique, et le sacerdoce du Christ. Donc la loi divine aussi est double : loi ancienne et loi nouvelle.

Réponse :

Il a été dit dans la première Partie, que la distinction est cause du nombre. Or, on trouve deux manières dont les choses peuvent être distinctes. La première est celle qui porte sur les choses totalement diversifiées par leur espèce, telles que le cheval et le bœuf. La seconde peut se rencontrer entre ce qui est parfait, et ce qui est imparfait dans la même espèce, comme l’homme et l’enfant. C’est ainsi que la loi divine se divise en loi ancienne et loi nouvelle. Voilà pourquoi dans l’épître aux Galates (3, 24), S. Paul compare l’état de la loi ancienne à celui d’un enfant qui se trouve encore soumis à un surveillant, tandis qu’il assimile l’état de la loi nouvelle à celui d’un homme parfait qui n’est plus sous la tutelle du surveillant.

Or on peut envisager un triple état de perfection selon les trois fonctions de la loi que nous avons signalées précédemment.

1° La loi doit être ordonnée au bien commun comme à sa fin. Cela se réalise à deux niveaux. Celui du bien sensible et terrestre ; c’est celui auquel la loi ancienne ordonnait directement ; aussi voit-on dès le début de la Loi mosaïque (Ex 3, 3-17) le peuple invité tout d’abord à s’emparer du royaume terrestre des Cananéens. Et il y a le bien commun spirituel et céleste ; c’est celui auquel ordonne la loi nouvelle. C’est pourquoi dès le début de sa prédication, le Christ a invité les hommes au Royaume des cieux, quand il disait : “ Faites pénitence, le Royaume des cieux approche ” (Mt 4, 17). C’est pourquoi S. Augustin nous dit : “ Les promesses des biens temporels sont contenues dans l’Ancien Testament, qui est appelé ancien pour cette raison ; mais la promesse de la vie éternelle appartient au Nouveau Testament. ”

2° C’est à la loi qu’il revient de régir les actes humains, selon l’ordre de la justice. A ce point de vue, la loi nouvelle l’emporte sur l’ancienne, parce qu’elle rectifie même les actes internes du cœur, selon ces paroles en S. Matthieu (5, 20) : “ Si votre justice n’est pas supérieure à celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. ” Aussi dit-on que la loi ancienne est un frein pour la main, et la loi nouvelle pour l’esprit.

3° C’est à la loi qu’il appartient de conduire les hommes à l’observation des commandements. La loi ancienne le faisait par la crainte des châtiments ; la loi nouvelle le fait par l’amour qui est infusé en nos cœurs par la grâce du Christ ; celle-ci est donnée par la loi nouvelle, elle n’était que figurée par la loi ancienne. C’est pourquoi S. Augustin dit encore : “ La différence est petite entre la Loi et l’Évangile, c’est : crainte (timor) et amour (amor). ”

Solutions :

1. De même que le père de famille, dans sa maison, porte des commandements différents pour les enfants et pour les adultes ; de même Dieu, seul roi de son unique royaume, a donné une loi pour les hommes encore imparfaits, et une autre loi plus parfaite pour ceux qui avaient déjà été conduits par la première loi à une plus grande capacité de divin.

2. Le salut des hommes ne pouvait être assuré que par le Christ, selon les Actes des Apôtres (4, 12) : “ Il n’a pas été donné aux hommes d’autre nom en lequel nous devions être sauvés. ” C’est pourquoi la loi qui conduit tout le monde de façon parfaite au salut n’a pu être donnée qu’après la venue du Christ. Auparavant, il fallut donner au peuple dont le Christ devait naître une loi qui le prépare à accueillir le Christ, et cette loi devait comprendre certains premiers éléments de la justice qui les sauverait.

3. La loi naturelle dirige les hommes selon certains préceptes communs, vis-à-vis desquels parfaits et imparfaits sont à égalité ; aussi cette loi est-elle unique pour tous. Mais la loi divine dirige l’homme également selon certaines dispositions particulières vis-à-vis desquels parfaits et imparfaits ne se comportent pas de la même façon. C’est pourquoi il fallait que la loi divine fût double, comme nous venons de l’expliquer.

 

            Article 6 — Existe-t-il une loi du péché ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas de loi de convoitise. S. Isidore écrit, en effet : “ La loi est œuvre de raison. ” Mais la convoitise n’est pas œuvre de raison, elle est plutôt une déviation de la raison. Donc la convoitise n’a pas raison de loi.

2. Toute loi est obligatoire, de telle sorte que ceux qui ne l’observent pas sont appelés transgresseurs. Mais le foyer de convoitise ne rend pas quelqu’un transgresseur du fait qu’il ne lui obéit pas ; il le deviendrait plutôt en lui obéissant. Le foyer de convoitise n’a donc pas raison de loi.

3. La loi est ordonnée au bien commun, on l’a démontrée. Or ce foyer n’incline pas au bien commun mais plutôt au bien particulier. Il n’a donc pas raison de loi.

En sens contraire, S. Paul constate (Rm 7, 23) : “ je vois en mes membres une autre loi qui s’oppose à la loi de ma raison. ”

Réponse :

On l’a dit précédemment, la loi se trouve essentiellement en celui qui établit la règle ou la mesure ; et de façon participée en celui auquel s’applique cette règle ou cette mesure. C’est pourquoi toute inclination ou ordination qu’on trouve dans les êtres soumis à une loi, est appelée loi par participation. Mais dans les êtres qui sont soumis à une loi, il peut y avoir une inclination provenant du législateur, d’une double manière. D’abord, ce législateur peut incliner directement ses sujets à un but ; et il arrive qu’il impose des actes divers à des sujets divers : ainsi peut-on dire que la loi est différente pour les soldats et pour les marchands. Il y a une seconde manière indirecte d’imposer une inclination ; elle vient de ce que le législateur destitue un de ses sujets d’une dignité et par suite le fait passer à un ordre nouveau et comme à une nouvelle loi ; par exemple si un soldat est démobilisé, il passe sous la loi des paysans ou des marchands.

Ainsi, sous le gouvernement de Dieu législateur, les créatures diverses ont diverses inclinations naturelles, en sorte que ce qui pour l’une joue en quelque sorte le rôle de la loi, est pour une autre contraire à sa loi ; comme si je disais que devenir furieux est en quelque sorte la loi du chien, tandis que c’est contraire à la loi de la brebis ou d’un autre animal pacifique. Donc la loi de l’homme qu’il reçoit de l’ordonnance divine, adaptée à la condition qui lui est propre, est qu’il agisse selon la raison. Cette loi fut si puissante dans l’état originel que rien ne pouvait surprendre l’homme, qui échappât à sa raison ou lui fût contraire. Mais quand l’homme s’est éloigné de Dieu, il est tombé en cet état où il est emporté par la fougue de sa sensualité ; et cela arrive à chacun d’entre nous en particulier dans la mesure où il ne suit plus la raison, et où il est en quelque sorte assimilé aux animaux qui sont emportés par l’ardeur de la sensualité, selon le Psaume (49, 21) : “ L’homme comblé n’a pas eu l’intelligence ; il a été mis au rang des bêtes sans raison, il leur est devenu semblable. ”

En résumé, l’inclination de la sensualité, que l’on appelle foyer de convoitise, a chez les autres animaux raison de loi, dans toute l’acception du terme, au sens pourtant où en eux on peut l’appeler loi, parce qu’elle les incline directement. Mais, en cette acception, elle n’a pas raison de loi chez les hommes ; ce serait plutôt une déviation de la loi de raison. Mais comme, par la justice divine, l’homme est destitué de la justice originelle et de la vigueur de sa raison, cette ardeur de sensualité qui le mène a raison de loi, en ce sens qu’elle est une loi pénale que la loi divine inflige à l’homme en le destituant de sa dignité propres.

Solutions :

1. L’argument est valable pour le foyer de convoitise considéré en lui-même, selon qu’il incline au mal. Car en ce sens il n’a pas raison de loi, on vient de le dire, mais selon qu’il procède, par justice, de la loi divine. Comme si l’on attribuait à une loi qu’un noble, pour avoir commis une faute, puisse être astreint à des travaux serviles.

2. Cette objection procède de la notion de loi considérée comme règle et mesure. Ceux qui s’écartent de la loi prise en ce sens deviennent des transgresseurs. Mais précisément, le foyer de convoitise n’est pas une loi entendue de cette manière ; il ne mérite ce nom que par une certaine participation, nous venons de le dire.

3. Cet argument procède de la notion de foyer de convoitise considéré quant à son inclination propre, et non quant à son origine. Toutefois, si l’on envisage l’attrait sensuel tel qu’il se rencontre chez les animaux autres que l’homme, il est ordonné au bien commun, c’est-à-dire à la conservation de la nature de chaque être dans l’espèce comme chez l’individu. Et cela même existe chez l’homme, en tant que sa sensualité est soumise à la raison. Mais précisément on parle de “ foyer ” selon que la convoitise échappe à l’ordre de la raison.

 

QUESTION 92 — LES EFFETS DE LA LOI

1. La loi a-t-elle pour effet de rendre les hommes bons ? - 2. Les effets de la loi sont-ils de “ commander, interdire, permettre et punir ”, comme dit Justinien ?

 

            Article 1 — La loi a-t-elle pour effet de rendre les hommes bons ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, les hommes sont bons quand ils sont vertueux ; car “ la vertu rend bon celui qui la possède ”, selon les Éthiques. Mais la vertu est en l’homme l’œuvre de Dieu seul : lui-même “ la met en nous, sans nous ”, comme on l’a établi dans la définition de la vertu. Donc ce n’est pas la loi qui rend les hommes bons.

2. La loi n’est utile à l’homme que s’il lui obéit. Mais le fait même d’obéir à la loi vient de la bonté ; celle-ci doit donc précéder la loi chez l’homme. Ce n’est donc pas la loi qui rend les hommes bons.

3. La loi est faite en vue du bien commun, on l’a dit plus haut. Mais il y a des gens qui se comportent bien en ce qui regarde le bien commun, et non dans leur vie privée. Ce n’est donc pas à la loi qu’il appartient de rendre les hommes bons.

4. Certaines lois sont tyranniques, dit le Philosophe. Or le tyran ne vise pas la bonté de ses sujets, mais seulement son utilité personnelle. Ce n’est donc pas la loi qui rend les hommes bons.

En sens contraire, le Philosophe écrite que “ la volonté de tout législateur est de rendre bons les citoyens ”.

Réponse :

Nous avons dit précédemment que la loi n’est pas autre chose qu’une prescription de raison en celui qui commande, par laquelle les sujets sont gouvernés. Or, c’est la vertu propre d’un subordonné que d’être bien soumis à celui qui le gouverne ; de même constatons-nous que la vertu propre de l’irascible et du concupiscible consiste en ce qu’ils obéissent bien à la raison. Et de cette manière “ la vertu, pour n’importe quel sujet, consiste à être bien soumis à celui qui commande ”, dit le Philosophe. Or toute loi est ordonnée à être obéie de ses sujets. Aussi est-il évident que le propre de la loi est d’amener ses sujets à ce qui constitue leur vertu propre. Donc, puisque la vertu est définie : “ ce qui rend bon celui qui la possède ”, il s’ensuit que l’effet propre de la loi sera de rendre bons ceux auxquels elle est donnée, cette bonté pouvant être absolue ou relative. Si, en effet, l’intention du législateur tend au vrai bien, qui est le bien commun réglé conformément à la justice divine, il s’ensuit que par la loi les hommes sont rendus bons de façon absolue. Si, au contraire, l’intention du législateur se porte vers quelque chose qui n’est pas le bien absolu, mais qui est utile ou agréable, ou contraire à la justice divine, alors la loi ne rend pas les hommes bons absolument mais relativement, c’est-à-dire par rapport à un régime politique donné. C’est ainsi que l’on trouve du bien même dans les choses intrinsèquement mauvaises ; comme on parle d’un bon voleur, parce qu’il opère d’une manière appropriée à son but.

Solutions :

1. La vertu se présente sous deux formes : acquise et infuse, comme on l’a vu précédemment. Pour chacune d’elles, la répétition des actes joue son rôle, mais de façon diverse. Elle est cause de la vertu acquise ; mais elle dispose à la vertu infuse ; puis, une fois celle-ci possédée, elle la conserve et la développe. Puisque la loi est donnée pour diriger les actes humains dans la mesure même où ceux-ci coopèrent à la vertu, dans cette même mesure elle rend les hommes bons. Aussi le Philosophe dit-il que “ les législateurs rendent bons par les habitudes qu’ils donnent ”.

2. On n’obéit pas toujours à la loi selon la perfection de bonté qui convient à la vertu, mais parfois par crainte du châtiment ; parfois aussi par le seul motif de la raison, ce qui est un principe de vertu, nous l’avons dit.

3. La bonté d’une partie s’apprécie d’après son rapport avec le tout ; c’est pourquoi S. Augustin écrit que “ toute partie est difforme quand elle n’est pas accordée à son tout ”. Donc, puisque tout homme est une partie de la cité, il est impossible qu’un homme soit bon s’il n’est pas proportionné au bien commun. Et le tout lui-même ne peut être bien constitué, sinon par des parties qui lui sont proportionnées. C’est pourquoi il est impossible que le bien commun d’une cité se réalise bien si les citoyens ne sont pas vertueux, tout au moins ceux à qui revient le commandement. Il suffit toutefois au bien de la communauté que les autres soient vertueux dans la mesure où ils obéissent aux ordres des chefs. C’est pourquoi Aristote dit que “ la vertu du chef est identique à celle de l’homme bon ; mais ce n’est pas vrai d’un citoyen quelconque ”.

4. La loi tyrannique n’étant pas conforme à la raison n’est pas une loi à proprement parler. Elle est plutôt une perversion de la loi. Toutefois, dans la mesure où elle possède quelque chose de la raison de loi, elle est ordonnée à rendre les citoyens bons. Car elle n’a pas raison de loi sinon en tant qu’elle est une prescription du chef à l’égard de ses sujets, et elle tend à ce que les sujets soient bien obéissants. Ce qui revient à dire qu’ils sont bons non pas d’une façon absolue, mais relativement à un tel régime politique.

 

            Article 2 — Les effets de la loi sont-ils de “ commander, interdire, permettre et punir ”, comme dit Justinien ?

Objections :

1. Cette énumération ne semble pas convenir car, d’après Justinien, “ la loi est toute ordonnance générale ”. Or commander est synonyme d’ordonner. Les trois autres actes sont donc superflus.

2. L’effet de la loi est de conduire les sujets au bien, nous venons de le dire. Mais le conseil porte sur un bien supérieur à celui du précepte. Il appartient donc davantage à la loi de conseiller que de commander.

3. De même qu’un homme est incité par les châtiments à bien agir, il l’est également par les récompenses. Donc, si l’on met parmi les effets de la loi celui de punir, il faut également y mettre l’acte de récompenser.

4. Le but du législateur est de rendre les hommes bons, comme on vient de le dire. Mais celui qui n’obéit aux lois que par crainte des châtiments, n’est pas bon. En effet : “ Si l’on agit par crainte servile, c’est-à-dire par crainte du châtiment, alors même que l’on ferait le bien, on n’accomplirait pas bien cette œuvre ”, dit S. Augustin. Il ne semble donc pas que punir soit le propre de la loi.

En sens contraire, Isidore de Séville écrit “ Toute loi ou bien permet, par exemple : "que l’homme courageux sollicite une récompense". Ou bien elle défend, par exemple : "il n’est permis à personne de demander en mariage une vierge consacrée". Ou bien elle punit, par exemple : celui qui aura commis un meurtre sera puni de mort". ”

Réponse :

De même que la phrase est une sentence de la raison sous forme dénonciation, de même la loi est une sentence de la raison émise sous forme de précepte. Or le propre de la raison est de partir d’une donnée pour amener à un autre point. C’est pourquoi, de même que dans les sciences de démonstration, la raison procède de manière à faire admettre une conclusion au moyen de certains principes, ainsi procède-t-elle pour faire adhérer au précepte de la loi par un moyen terme.

Or, les préceptes de la loi portent sur les actes humains, puisque c’est eux que la loi dirige, comme nous l’avons dit. Or il y a trois catégories différentes d’actes humains. Quelques-uns sont bons selon leur genre, et ce sont les actes des vertus ; à leur égard, on dit que la loi prescrit ou commande, car elle prescrit tous les actes des vertus, selon Aristote. D’autres actes sont mauvais, selon leur genre, comme les actes vicieux que la loi a pour rôle d’interdire. D’autres actes enfin sont indifférents selon leur genre ; la loi a pour rôle de les permettre. On pourrait classer parmi ces actes indifférents ceux qui sont légèrement bons ou légèrement mauvais. Enfin, c’est par la crainte du châtiment que la loi amène ses sujets à obéir ; et sous ce rapport l’effet de la loi est de punir.

Solutions :

1. De même que cesser de faire le mal a raison de bien, de même l’interdiction a raison de précepte. Ainsi, en prenant le mot précepte au sens large, on dit d’une manière générale que la loi est un précepte.

2. Conseiller n’est pas l’acte propre de la loi, mais peut être aussi le fait d’une personne privée qui n’a pas à porter une loi. Aussi S. Paul, en donnant un conseil (1 Co 7, 12), déclare-t-il : “ C’est moi qui le dis, non le Seigneur. ” C’est pourquoi le conseil n’est pas nommé parmi les effets de la loi.

3. N’importe qui peut récompenser ; mais punir n’appartient qu’au ministre de la loi, par l’autorité duquel la peine est infligée. C’est pourquoi récompenser n’est pas mis parmi les actes de la loi, mais seulement punir.

4. Du fait que quelqu’un commence à s’accoutumer, par crainte du châtiment, à éviter le mal et à faire le bien, il se trouve parfois amené à agir ainsi avec plaisir et de son plein gré. De cette façon la loi, même par ses châtiments, conduit les hommes à devenir bons.

Il faut maintenant étudier chaque loi en particulier : la loi éternelle (Q. 93), la loi naturelle (Q. 94), la loi humaine (Q. 95-97), la loi ancienne (Q. 98-105), et la loi nouvelle qui est la loi de l’Évangile (Q. 106-108). Quant à la sixième loi qui est la loi du foyer de convoitise, il suffit de se rapporter à ce qui a été dit au traité du péché originel (Q. 81-83).

 

QUESTION 93 — LA LOI ÉTERNELLE

1. Qu’est-ce que la loi éternelle ? - 2. Est-elle connue de tous ? - 3. Toute loi en découle-t-elle ? - 4. Les êtres nécessaires lui sont-ils soumis ? - 5. Les êtres naturels et contingents lui sont-ils soumis ? - 6. Toutes les choses humaines lui sont-elles soumises ?

 

            Article 1 — Qu’est-ce que la loi éternelle ?

Objections :

1. Il semble que la loi éternelle ne soit pas la raison suprême existant en Dieu. Car la loi éternelle est unique. Au contraire, les idées des choses, telles qu’elles existent dans la pensée divine, sont multiples. S. Augustin dit que “ Dieu a fait chacune des créatures selon les idées qui lui sont propres ”. Donc il ne semble pas que la loi éternelle soit identique à la raison qui existe dans la pensée divine.

2. Il appartient à la raison de loi d’être promulguée par la parole, comme on l’a dit plus haut. Mais, en Dieu, le Verbe est désigné comme personne, nous l’avons dit dans la première Partie ; la raison, au contraire, est considérée comme appartenant à l’essence. La loi éternelle n’est donc pas la même chose que la raison divine.

3. S. Augustin écrit : “ Il apparaît qu’au-dessus de notre esprit se trouve une loi qui est appelée vérité. ” La loi qui existe au-dessus de notre esprit est la loi éternelle. Donc la vérité est la loi éternelle. Mais les notions de vérité et de raison ne sont pas identiques. Donc la loi éternelle n’est pas la même chose que la loi suprême.

En sens contraire, S. Augustin déclare : “ La loi éternelle est la raison suprême à laquelle il faut toujours se soumettre. ”

Réponse :

De même qu’en tout artisan préexiste une idée des objets créés par son art, ainsi faut-il qu’en tout gouvernant préexiste l’idée d’un ordre pour les actes qui doivent être accomplis par ses sujets. Or, de même que l’idée des objets à faire s’appelle proprement l’art, ou encore le modèle des choses fabriquées ; de même la raison du chef qui règle la conduite de ses sujets a valeur de loi, sans oublier toutefois les autres conditions que nous avons précédemment déclarées requises à la raison de loi. Or, c’est par sa sagesse que Dieu est créateur de toutes choses, pour lesquelles il peut être comparé à un artisan à l’égard de ses œuvres, comme nous l’avons dit dans la première Partie. Mais Dieu est aussi celui qui gouverne tous les actes et tous les mouvements que l’on remarque en chaque créature, comme nous l’avons dit encore dans la première Partie. Aussi de même que la raison de la sagesse divine, par laquelle toutes choses ont été créées, a raison d’art, de modèle exemplaire ou d’idée, de même la raison de la sagesse divine qui meut tous les êtres à la fin requise a-t-elle raison de loi. Et, à ce titre, la loi éternelle n’est pas autre chose que la pensée de la Sagesse divine, selon que celle-ci dirige tous les actes et tous les mouvements.

Solutions :

1. S. Augustin parle dans ce passage des raisons idéales relatives aux natures propres des choses particulières ; c’est pourquoi on y trouve une diversité et une pluralité, selon leurs rapports divers aux réalités, comme on l’a expliqué dans la première Partie. Mais nous avons dit! que la loi a un rôle de direction pour ordonner nos actes au bien commun. Or les choses qui sont diverses en elles-mêmes sont considérées comme faisant un seul être en tant qu’elles sont ordonnées à quelque chose de commun. C’est pourquoi la loi éternelle est une, parce qu’elle est la raison de cet ordre.

2. Au sujet d’une parole quelconque, on peut considérer soit la parole elle-même, soit les réalités qu’elle exprime. La parole extérieure, en effet, est proférée par les lèvres de l’homme ; mais toutes les choses signifiées par les mots humains sont exprimées par cette parole. Il en va de même du verbe mental de l’homme qui est quelque chose de conçu par l’esprit et par quoi l’homme exprime mentalement ce qu’il pense. Ainsi donc, en Dieu, le Verbe lui-même, qui est la conception de l’intelligence du Père, est signifié comme une personne ; mais toutes les choses qui sont comprises dans la science du Père, qu’elles soient essentielles ou personnelles, ou qu’elles soient même des œuvres de Dieu, sont exprimées par ce Verbe, comme S. Augustin l’a montré. Or, parmi tout ce qui est exprimé par ce Verbe, se trouve la loi éternelle elle-même. Il ne s’ensuit pourtant pas que la loi éternelle soit appelée une personne en Dieu. Toutefois, elle est appropriée au Fils, à cause de la parenté entre la raison et la parole.

3. La raison de l’intellect divin n’est pas dans le même rapport avec les choses que celle de l’intellect humain. Car l’intellect humain est mesuré par les choses, en ce sens que la pensée de l’homme n’est pas vraie par elle-même ; elle n’est dite vraie que par son accord avec la réalité ; en effet, “ de ce que la chose existe ou n’existe pas, l’opinion elle-même est vraie ou fausse ”. Au contraire, l’intellect divin est la mesure des réalités, en ce sens que chaque chose ne réalise en elle-même la vérité que dans la mesure où elle reproduit le modèle conçu par l’intellect divin, comme on l’a expliqué dans la première Partie. C’est pourquoi l’intellect divin est vrai par lui-même ; par conséquent sa conception est la vérité elle-même.

 

            Article 2 — La loi éternelle est-elle connue de tous ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car l’Apôtre écrit (1 Co 2, 11) : “ Personne ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. ” Mais la loi éternelle est une idée existant dans la pensée divine. Donc elle est inconnue de tout le monde, sauf de Dieu seul.

2. S. Augustin écrit “ Par la loi éternelle, il convient que toutes choses soient parfaitement ordonnées. ” Mais tout le monde ne peut connaître comment toutes choses sont parfaitement ordonnées. Donc tout le monde ne connaît pas la loi éternelle.

3. S. Augustin écrit encore “ La loi éternelle est celle dont les hommes ne peuvent pas juger. ” Mais on lit dans les Éthiques : “ Chacun juge bien ce qu’il connaît. ” Donc la loi éternelle ne nous est pas connue.

En sens contraire, S. Augustin déclare : “ La connaissance de la loi éternelle a été imprimée en nous. ”

Réponse :

On peut connaître une chose d’une double manière : soit en elle-même, soit dans l’effet qu’elle produit, où l’on retrouve quelque ressemblance de sa cause. C’est ainsi que quelqu’un ne voyant pas le soleil dans sa substance, le connaît cependant dans son rayonnement. C’est en ce sens qu’il faut dire que nul ne peut connaître la loi éternelle telle qu’elle est en elle-même, sauf Dieu et les bienheureux qui voient Dieu par son essence. Mais toute créature raisonnable connaît cette loi éternelle selon le rayonnement, plus ou moins grand, de cette loi. En effet, toute connaissance de la vérité est un rayonnement et une participation de la loi éternelle qui est, elle-même, vérité immuable, dit S. Augustin. La vérité, tous les hommes la connaissent quelque peu, tout au moins quant aux principes premiers de la loi naturelle. Pour le reste, les uns participent davantage, d’autres moins à la connaissance de la vérité ; et par suite, connaissent plus ou moins la loi éternelle.

Solutions :

1. Les choses qui sont en Dieu ne peuvent être connues par nous en elles-mêmes ; mais elles nous sont manifestées dans leurs effets, selon l’épître aux Romains (1, 20) : “ Les mystères invisibles de Dieu sont perçus par notre intelligence à travers les créatures. ”

2. Bien que chacun connaisse la loi éternelle selon sa capacité, de la façon qu’on vient de dire, personne ne peut la saisir dans toute sa compréhension. Elle ne peut pas, en effet, se manifester intégralement par ses effets. C’est pourquoi connaître la loi éternelle de cette façon n’exige pas que l’on connaisse tout l’ordre des choses selon lequel toutes les créatures sont parfaitement ordonnées.

3. On peut concevoir de deux manières le fait de porter un jugement. D’une part, à la manière dont une faculté de connaissance juge de son objet propre selon ce qui est dit au livre de Job (12, 11) : “ L’oreille ne juge-t-elle pas les paroles, et le palais de celui qui mange ne juge-t-il pas la saveur ? ” C’est selon ce mode que le Philosophe déclare que “ chacun juge bien ce qu’il connaît ”, c’est-à-dire en jugeant si ce qui est proposé est vrai. D’autre part, un supérieur porte sur un inférieur une sorte de jugement pratique pour savoir si celui-ci doit ou non se comporter de telle manière. Évidemment nul ne peut juger de cette façon la loi éternelle.

 

            Article 3 — Toute loi découle-t-elle de la loi éternelle ?

Objections :

1. Il semble que non. Nous avons établi, en effet, qu’il y avait une loi du foyer de convoitises. Or celle-ci ne découle pas de la loi divine qui est la loi éternelle ; c’est en effet de la convoitise que relève la prudence de la chair dont l’Apôtre dit (Rm 8, 7) : “ Elle ne peut pas être soumise à la loi de Dieu. ” Toute loi ne procède donc pas de la loi éternelle.

2. De la loi éternelle rien d’inique ne peut découler ; car, comme on l’a dit : “ Par la loi éternelle il convient que toutes choses soient parfaitement ordonnées. ” Or, certaines lois sont iniques, selon Isaïe (10, 1) : “ Malheur à ceux qui portent des lois iniques. ” Par conséquent toute loi ne procède pas de la loi éternelle.

3. S. Augustin remarque que “ la loi qui est écrite pour régir le peuple, permet à juste titre beaucoup de choses qui sont punies par la providence divine ”. Donc même toute loi juste ne procède pas de la loi éternelle.

En sens contraire, au livre des Proverbes (6,15), la Sagesse divine déclare : “ C’est par moi que les rois règnent et que les législateurs portent de justes lois. ” Mais les principes de la Sagesse divine constituent la loi éternelle, comme nous l’avons dit ci-dessus. Donc toutes les lois procèdent de la loi éternelle.

Réponse :

Nous avons dit précédemment que la loi comportait une raison qui dirige les actes à leur fin. Or, en toute série ordonnée de moteurs, il convient que la force d’un moteur second lui vienne d’un moteur premier, puisque celui qui meut comme agent second ne meut que dans la mesure où il reçoit lui-même le mouvement du premier. Nous voyons la même chose chez tous les gouvernants : le programme de gouvernement se transmet du chef suprême aux gouvernants en second ; par exemple le plan qui doit être réalisé dans la cité est communiqué par le roi à ses subalternes sous forme de précepte. De même encore, dans le domaine des arts techniques, les procédés de fabrication sont communiqués par l’ingénieur aux artisans subalternes qui travaillent de leurs mains. Donc, puisque la loi éternelle est le programme du gouvernement chez le gouverneur suprême, il est nécessaire que tous les plans de gouvernement, qui existent dans les gouvernants subalternes, dérivent de la loi éternelle. Il s’ensuit que toutes les lois, quelles qu’elles soient, dérivent de la loi éternelle dans la mesure où elles procèdent de la raison droite. C’est pourquoi S. Augustin dit que “ dans la loi temporelle, il n’est rien de juste ni de légitime que les hommes n’aient tiré de la loi éternelle ”.

Solutions :

1. Le foyer de convoitise a raison de loi dans l’homme en tant qu’il est une peine imposée par la justice divine ; et de ce fait, il est évident qu’il découle de la loi éternelle. Toutefois, en tant qu’il incline au péché, il est contraire à la loi de Dieu, et n’a pas raison de loi, ce qui ressort des explications précédentes.

2. La loi humaine a raison de loi en tant qu’elle est conforme à la raison droite ; à ce titre il est manifeste qu’elle découle de la loi éternelle. Mais dans la mesure où elle s’écarte de la raison, elle est déclarée une loi inique, et dès lors n’a plus raison de loi, elle est plutôt une violence. Toutefois, dans une loi inique, en tant qu’elle garde une apparence de loi, à raison de l’ordre émanant de l’autorité qui la porte, il y a encore une dérivation de la loi éternelle. Car “ toute autorité vient du Seigneur Dieu ” selon S. Paul (Rm 13, 1).

3. Lorsqu’on dit que la loi humaine permet certaines choses, ce n’est pas toujours qu’elle les approuve, mais plutôt parce qu’elle est impuissante à les redresser. La loi divine, elle, impose sa direction à beaucoup de faits qui échappent au pouvoir de la loi humaine. Il y a en effet plus de choses soumises à la cause supérieure qu’aux causes subalternes. Aussi le fait que la loi humaine ne se mêle pas des choses qu’elle est incapable de régenter, cela même provient de la loi éternelle. Il en serait autrement si elle approuvait ce que la loi éternelle interdit. Il ne s’ensuit donc pas que la loi humaine ne découle pas de la loi éternelle, mais seulement qu’elle ne peut coïncider parfaitement avec elle.

 

            Article 4 — Les êtres nécessaires sont-ils soumis à la loi éternelle ?

Objections :

1. Ce qui est nécessaire et éternel est soumis, semble-t-il à la loi éternelle. En effet, tout ce qui est raisonnable est soumis à la raison. Or la volonté divine est raisonnable, puisqu’elle est juste. Elle est donc soumise à la loi éternelle. Mais la loi éternelle, c’est la raison divine. Donc la volonté de Dieu est soumise à la loi éternelle ; et comme elle-même est une réalité éternelle, on peut conclure que même les choses nécessaires et éternelles sont soumises à la loi éternelle.

2. Tout ce qui est soumis au roi est soumis à la loi du roi. Or le Fils de Dieu, dit la 1e épître aux Corinthiens (15, 24.28), “ sera soumis à son Père quand il lui remettra son règne ”. Donc le Fils, qui est éternel, est soumis à la loi éternelle.

3. La loi éternelle est la raison de la providence divine. Or beaucoup de réalités nécessaires sont soumises à la providence divine : par exemple les éléments immuables des substances incorporelles et des corps célestes. Donc, même ce qui est nécessaire est soumis à la loi éternelle.

En sens contraire, ce qui est nécessaire ne peut se comporter différemment et n’a donc pas besoin d’en être détourné. Si la loi, au contraire, est imposée aux hommes, c’est pour qu’ils soient détournés du mal nous l’avons vu. Donc ce qui est nécessaire n’est pas soumis à la loi.

Réponse :

Nous avons démontré que la loi éternelle est la raison, le plan, du gouvernement divin. Donc, tout ce qui est soumis au gouvernement divin est soumis aussi à la loi éternelle ; et ce qui échappe au gouvernement éternel, échappe aussi à la loi éternelle. Cette distinction peut être éclairée par un exemple emprunté à ce qui nous concerne. C’est seulement ce que l’homme peut faire qui est soumis au gouvernement humain ; mais ce qui relève de la nature même de l’homme échappe à ce gouvernement, par exemple que l’homme ait une âme, des pieds et des mains. Ainsi donc, est soumis à la loi éternelle tout ce qui se trouve dans les êtres créés par Dieu, qu’il s’agisse de réalités nécessaires ou contingentes. Mais ce qui se rapporte à la nature ou à l’essence divine, n’est pas sujet de la loi éternelle ; c’est en réalité cette loi éternelle elle-même.

Solutions :

1. Il y a deux manières d’envisager la volonté divine. D’abord en elle-même, et alors la volonté de Dieu s’identifie avec son essence, et n’est donc pas soumise au gouvernement divin ni à la loi éternelle : elle s’identifie avec cette loi. D’une autre manière, nous pouvons envisager la volonté divine par rapport aux effets que Dieu veut dans les créatures ; ces effets créés sont soumis à la loi éternelle, en tant que leur raison existe dans la sagesse divine. C’est en fonction de ces effets que la volonté de Dieu est dite raisonnable. En elle-même, elle devrait plutôt être appelée la raison.

2. Le Fils de Dieu n’est pas fait par Dieu. Il est engendré naturellement par lui. C’est pourquoi il n’est pas soumis à la providence divine ni à la loi éternelle ; il est plutôt la loi éternelle par appropriation, comme l’établit S. Augustin. On dit pourtant qu’il est soumis au Père, eu égard à la nature humaine qu’il a assumée, et de ce point de vue on dit également que le Père est plus grand que lui (Jn 14, 28).

3. Nous acceptons l’objection, parce qu’elle porte sur les êtres nécessaires qui sont créés.

4. (Argument en sens contraire.) Le Philosophe écrit : “ Certaines réalités nécessaires ont une cause de leur nécessité ” ; et c’est ainsi que l’impossibilité même de se comporter différemment, elles la tiennent d’un autre. Leur nécessité est une sorte d’empêchement souverainement efficace qu’elles subissent. De fait, tout être qui est empêché l’est dans la mesure où il ne peut se comporter autrement qu’on en a disposé pour lui.

 

            Article 5 — Les êtres naturels et contingents sont-ils soumis à la loi éternelle ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, la promulgation est essentielle à la loi, on nous l’a dit. Mais la promulgation ne peut être faite qu’à des créatures raisonnables auxquelles on peut édicter quelque chose. Seules, par conséquent, les créatures douées de la raison sont soumises à la loi éternelle, non les êtres naturels contingents.

2. “ Ce qui obéit à la raison participe de quelque manière de la raison ”. dit le livre 1 des Éthiques. Mais la loi éternelle est la raison suprême, nous venons de le dire. Puisque les réalités naturelles contingentes ne participent de la raison en aucune façon, et sont entièrement irrationnelles, il semble qu’elles ne soient pas soumises à la loi éternelle.

3. La loi éternelle est souverainement efficace. Or, c’est dans les réalités naturelles contingentes que se produisent des déficiences. Ces réalités ne sont donc pas soumises à la loi éternelle.

En sens contraire, il est écrit au livre des Proverbes (8, 29) : “ Quand Dieu assignait à l’océan ses limites et qu’il imposait aux flots la loi de ne pas dépasser leurs rives... ”

Réponse :

Il faut parler différemment de la loi de l’homme, et de la loi éternelle qui est la loi de Dieu. En effet, la loi de l’homme ne s’étend qu’aux créatures raisonnables qui sont soumises à l’homme. La raison en est que la loi imprime une direction aux actes qui conviennent aux sujets d’un gouvernement quelconque ; c’est pourquoi nul à proprement parler n’impose de loi à ses propres actes. Or, tout ce que l’on fait dans l’usage des créatures irrationnelles soumises à l’homme, se fait par l’action de l’homme lui-même qui meut de tels êtres ; car les créatures sans raison ne se conduisent pas par elles-mêmes, mais sont conduites par d’autres, nous l’avons dit antérieurement. C’est pourquoi l’homme ne peut pas imposer de loi aux êtres sans raison, quel que soit leur état de dépendance envers lui. Quant aux êtres raisonnables qui lui sont soumis, il peut leur imposer une loi, en tant que par son précepte ou par quelque déclaration il imprime en leur pensée une règle qui devient leur principe d’action. Or, de même que l’homme imprime, par son ordre ainsi déclaré, une sorte de principe interne d’action chez un autre homme qui lui est soumis, Dieu aussi imprime à toute la nature les principes de ses actes propres. C’est pourquoi l’on dit que Dieu commande de cette façon à tout nature selon cette parole du Psaume (148, 6) : “ Il a posé une loi qui ne disparaîtra pas. ” Pour ce motif aussi tous les mouvements et tous les actes de la nature entière sont soumis à la loi éternelle : Cependant les créatures sans raison sont soumises à la loi éternelle d’une manière particulière, en ce qu’elles sont mues par la providence divine et non plus par l’intelligence du précepte divin, comme c’est le cas des créatures raisonnables.

Solutions :

1. L’impression du principe interne d’action dans les êtres de la nature, joue le même rôle que la promulgation de la loi à l’égard des hommes ; car la promulgation de la loi imprime dans les hommes une sorte de principe de direction des actes humains, nous venons de le dire.

2. Les créatures sans raison ne participent pas de la raison humaine et ne lui obéissent pas ; elles participent cependant de la raison divine en y obéissant. La puissance de la raison divine s’étend plus loin, en effet, que celle de la raison humaine. Et de même que les membres du corps humain se meuvent au commandement de la raison, sans toutefois participer de cette raison, parce qu’ils n’ont pas en eux-mêmes une connaissance d’ordre rationnel, de même les créatures non raisonnables sont mues par Dieu sans être pour autant dotées de raison.

3. Les déficiences qui se produisent dans les êtres de nature sont certes étrangères à l’ordre des causes particulières, mais non des causes universelles, et de la cause première, qui est Dieu, à la providence de qui rien ne peut échapper comme nous l’avons dit dans la première Partie, et puisque la loi éternelle est la raison, le plan de la providence divine, comme nous l’avons dit, les déficiences des êtres de nature sont soumises à la loi éternelle.

 

            Article 6 — Toutes les choses humaines sont-elles soumises à la loi éternelle ?

Objections :

1. Il ne semble pas. S. Paul écrit en effet (Ga 5, 18) : “ Si vous êtes conduits par l’esprit de Dieu, vous n’êtes plus sous la loi. ” Mais les hommes justes qui sont enfants de Dieu par adoption sont conduits par l’Esprit de Dieu, selon l’épître aux Romains (8, 14) : Donc les hommes ne sont pas tous sous la loi éternelle.

2. S. Paul écrit encore (Rm 8, 7) : “ La prudence de la chair est ennemie de Dieu ; elle n’est donc pas soumise à la loi de Dieu. ” Or, nombreux sont les hommes qui se laissent dominer par la prudence de la chair. Donc tous les hommes ne sont pas soumis à la loi éternelle qui est la loi de Dieu.

3. S. Augustin remarquait que “ la loi éternelle est celle d’après laquelle les méchants méritent le malheur, et les bons la vie bienheureuse ”. Or les hommes qui sont maintenant bienheureux ou damnés ne sont pas en état de mériter. Donc ils ne sont pas soumis à la loi éternelle.

En sens contraire, S. Augustin écrit aussi “ Rien n’échappe, aucunement, aux lois du Créateur et de l’ordonnateur suprême qui assure la paix de l’univers. ”

Réponse :

Il y a deux manières pour une chose d’être soumise à la loi éternelle, comme nous l’avons dit à l’article précédent. Ou bien la loi éternelle est participée par mode de connaissance, ou bien par mode d’action et de passion, en tant que participée sous forme de principe interne d’activité. C’est de cette seconde manière que les créatures sans raison sont soumises à la loi éternelle, comme nous venons de l’établir. Mais la créature raisonnable, en possédant ce qui est commun avec toutes les créatures, a cependant en propre cet élément d’être dotée de raison. C’est pourquoi elle se trouve soumise à la loi éternelle à double titre : d’abord, parce qu’elle a une certaine connaissance de la loi éternelle, nous l’avons dit ; ensuite, parce qu’il existe en toute créature raisonnable un penchant naturel vers ce qui est conforme à la loi éternelle, car “ de naissance nous sommes enclins à être vertueux ”, dit Aristote.

Cependant, ces deux modes existent d’une façon imparfaite et comme décomposée chez les pécheurs. En eux l’inclination naturelle à la vertu est faussée par l’habitus vicieux. De plus, leur connaissance naturelle du bien est obscurcie par les passions et la facilité à pécher. Chez les bons, ce double mode se réalise d’une manière plus parfaite parce que la connaissance de foi et de sagesse s’ajoute en eux à la connaissance naturelle du bien ; et au penchant naturel vers le bien, s’ajoute antérieurement l’impulsion de la grâce et de la vertu.

Ainsi donc, les bons sont parfaitement soumis à la loi éternelle, puisqu’ils agissent toujours en s’y conformant. Quant aux pécheurs, ils sont soumis à la loi éternelle, mais d’une manière imparfaite en ce qui regarde leurs actes, puisque c’est d’une façon imparfaite qu’ils connaissent le bien et sont inclinés vers lui. Toutefois, ce qui est déficient dans leur activité est compensé du côté de la passivité ; nous voulons dire que les méchants subissent la peine que leur fixe la loi éternelle, en proportion de ce qu’ils ont négligé de faire pour être conformes aux exigences de cette loi. Aussi S. Augustin dit-il : “ J’estime que les justes agissent selon la loi éternelle ”, et ailleurs : “ Dieu sait ramener à l’ordre les âmes qui l’abandonnent et, par leur misère bien méritée, fournir aux parties inférieures de sa création des lois parfaitement appropriées. ”

Solutions :

1. Cette parole de S. Paul peut être comprise de deux façons. D’abord “ être sous la loi ” peut s’entendre de celui qui est soumis contre son gré à l’obligation légale comme à un fardeau. Aussi la Glose précise-t-elle que “ celui-là est sous la loi qui s’abstient d’une œuvre mauvaise non point par amour de la justice, mais par crainte du châtiment dont la loi le menace ”. En ce sens, les hommes spirituels ne sont pas sous la loi, car sous l’influx de la charité que l’Esprit Saint répand dans leur cœur, ils accomplissent de bon gré ce que la loi prescrit. On peut aussi entendre la parole de l’Apôtre en ce sens que les œuvres de celui qui agit sous l’influx de l’Esprit Saint, sont dites œuvres de l’Esprit Saint plutôt que de l’homme lui-même. Et puisque l’Esprit Saint n’est pas soumis à la loi, pas plus que le Fils, comme on l’a montré précédemment, il s’ensuit que ces œuvres, en tant qu’elles sont attribuées à l’Esprit Saint, ne sont pas soumises à la loi. Cela est attesté par l’Apôtre lorsqu’il dit (2 Co 3, 17) : “ Où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. ”

2. La prudence de la chair ne peut être soumise à la loi de Dieu dans le domaine de l’action, puisqu’elle incline à des actes contraires à la loi de Dieu. Elle est cependant soumise à la loi de Dieu en ce qui regarde la passivité, parce qu’elle mérite de subir une peine selon la loi de la justice divine. Néanmoins, la prudence humaine n’est prédominante en aucun homme au point que le bien intégral de sa nature soit détruit. C’est pourquoi demeure chez l’homme un penchant à agir selon la loi éternelle. Car nous avons établi précédemment que le péché ne détruit pas tout bien de la nature.

3. C’est le même principe qui maintient une réalité orientée vers la fin et qui la meut vers cette fin ; par exemple, la pesanteur qui précipite le corps lourd vers le sol, l’y fait aussi demeurer au repos. Semblablement la même loi éternelle selon laquelle certains méritent la béatitude ou le châtiment, les maintient également dans cette béatitude ou ce châtiment. En ce sens, les bienheureux et les damnés sont soumis à la loi éternelle.

 

QUESTION 94 — LA LOI NATURELLE

1. Qu’est-ce que la loi naturelle ? - 2. Quels sont les préceptes de la loi naturelle ? - 3. Tous les actes des vertus relèvent-ils de la loi naturelle ? - 4. La loi naturelle est-elle unique chez tous ? - 5. Cette loi est-elle sujette au changement ? - 6. Cette loi peut-elle être effacée de l’âme de l’homme ?

 

            Article 1 — Qu’est-ce que la loi naturelle ?

Objections :

1. Il semble que la loi naturelle soit un habitus. Car le Philosophe dit : “ Il y a trois choses dans l’âme : la puissance, l’habitus et la passion. ” Mais la loi naturelle n’est pas une des puissances de l’âme, ni l’une des passions ; on peut s’en convaincre en énumérant celles-ci. La loi naturelle est donc un habitus.

2. S. Basile dit que la “ conscience morale, ou syndérèse, est la loi de notre intelligence ”, ce qui ne peut s’entendre que de la loi naturelle. Mais la syndérèse est un habitus, comme nous l’avons vu dans la première Partie. Donc la loi naturelle est un habitus.

3. La loi naturelle demeure toujours dans l’homme, comme nous le montrerons. Or la raison de l’homme, dont la loi relève, ne pense pas toujours à la loi naturelle. La loi naturelle n’est donc pas un acte mais un habitus.

En sens contraire, S. Augustin définit l’habitus : “ Ce qui permet d’agir quand on en a besoin. ” Or la loi naturelle n’est pas ainsi ; elle existe en effet chez les petits enfants et chez les damnés, qui ne peuvent pas agir par elle. Donc la loi naturelle n’est pas un habitus.

Réponse :

Une réalité peut être appelée habitus de deux façons. D’abord au sens propre et essentiel ; et en ce sens la loi naturelle n’est pas un habitus. En effet, il a été dit précédemment que la loi naturelle est établie par la raison, de même qu’une proposition est aussi l’œuvre de la raison. Mais ce que l’on fait et ce qui sert à le faire n’est pas identique ; car l’habitus de la grammaire permet de réaliser un discours correct. Donc, puisque l’habitus est ce qui permet d’agir, il est impossible qu’une loi soit un habitus au sens propre et essentiel.

Cependant, on peut désigner par le mot habitus ce qui est possédé grâce à l’habitus ; ainsi appelle-t-on “ foi ” ce qui est l’objet de la foi. Si l’on prend en ce sens le mot habitus, on peut dire que la loi naturelle est un habitus. Car les préceptes de la loi naturelle sont tantôt l’objet d’une considération actuelle de la raison, et tantôt sont en elle seulement à l’état “ habituel ”, mais non conscient. C’est dans cette acception que la

loi naturelle peut être qualifiée d’habitus de la même manière que les principes indémontrables des sciences spéculatives, qui ne s’identifient pas avec l’habitus des premiers principes, mais constituent son objet, son contenu.

Solutions :

1. Aristote veut ici rechercher à quel genre d’être se rattache la vertu ; et puisqu’il est évident que la vertu est un principe d’action, il limite son énumération aux réalités qui sont principes des actes humains, à savoir les puissances, les habitus et les passions. Cela n’empêche nullement qu’il y ait dans l’âme autre chose, par exemple un certain acte, comme le vouloir est en celui qui veut, ou la connaissance en celui qui connaît ; ou les propriétés naturelles de l’âme qui existent en elle, comme l’immortalité, etc.

2. En appelant la syndérèse la loi de notre intelligence, on la conçoit comme un habitus dont l’objet comprend les préceptes de la loi naturelle, qui sont les principes premiers de l’action humaine.

3. Cet argument prouve que la loi naturelle demeure dans l’homme sous forme habituelle ; nous le concédons.

Quant à l’objection En sens contraire, il y a lieu de remarquer que parfois, en raison de quelque empêchement, on ne peut user de ce qu’on possède pourtant sous forme habituelle. Ainsi l’homme ne peut pas faire usage de la science qu’il possède, au moment où il est pris par le sommeil ; de même un enfant, en raison de son trop jeune âge, ne peut se servir de l’habitus des premiers principes de l’intelligence, ni même de la loi naturelle qui pourtant réside en lui à l’état d’habitus.

 

            Article 2 — Quels sont les préceptes de la loi naturelle ?

Objections :

1. Il semble que la loi naturelle ne contienne pas plusieurs préceptes, mais un seul. La loi, en effet, rentre dans le genre du précepte, comme on l’a établi. Donc, s’il y avait de nombreux préceptes de la loi naturelle, il s’ensuivrait qu’il y aurait aussi de nombreuses lois naturelles.

2. La loi naturelle est une conséquence de la nature humaine. Mais la loi humaine est une dans sa totalité, bien qu’elle soit multiple en ses parties. Par conséquent, ou bien il n’existe qu’un seul précepte de la loi naturelle, à cause de l’unité de l’ensemble ; ou bien il y a de nombreux préceptes selon la multiplicité des parties de la nature humaine. Et en ce cas, il faudra que même ce qui se rattache au penchant de la convoitise, appartienne à la loi naturelle.

3. La loi relève de la raison, on l’a dit. Or la raison est unique chez l’homme. Donc le précepte de la loi naturelle doit également être unique.

En sens contraire, les préceptes de la loi naturelle jouent dans l’homme le même rôle à l’égard de l’action que les principes premiers dans la démonstration. Or les premiers principes indémontrables de la pensée sont multiples. Donc les principes de la loi naturelle sont également multiples.

Réponse :

Nous avons dit précédemment que les préceptes de la loi naturelle étaient, par rapport à la raison pratique, ce que les principes premiers de la démonstration sont par rapport à la raison spéculative ; les uns et les autres sont en effet des axiomes évidents par eux-mêmes. Or un axiome peut être dit évident par lui-même de deux façons : d’abord, selon son contenu ; puis, par rapport à nous. Toute proposition est dite connue en elle-même, si l’attribut appartient à la définition du sujet ; il arrive toutefois que pour celui qui ignore la définition de ce sujet, une telle proposition ne soit pas évidente par elle-même. Ainsi cette proposition : “ L’homme est doué de raison ” est évidente en elle-même d’après la nature même de l’homme, car qui dit “ homme ” dit “ raisonnable ” ; et cependant pour celui qui ignore ce qu’est l’homme, cette proposition n’est pas évidente par elle-même. Il s’ensuit, selon Boèce, qu’il y a certaines phrases ou propositions qui sont connues en elles-mêmes par tous les hommes, comme ces propositions dont les termes sont connus de tous ; par exemple : “ Un tout quelconque est plus grand que l’une de ses parties ” ; ou encore : “ Les choses égales à une même chose sont égales entre elles. ” Mais d’autres propositions ne sont connues que des sages qui saisissent la signification des termes qui les composent. Ainsi, pour celui qui sait qu’un ange n’a pas de corps, il apparaît évident de soi qu’un tel être n’est pas circonscrit dans un lieu : ce qui n’est pas manifeste pour tous les esprits peu cultivés qui ne saisissent pas cela.

Il y a un ordre entre les vérités qui ne tombent pas sous le sens de tout le monde. En effet, ce qui est saisi en premier lieu, c’est l’être, dont la notion est incluse dans tout ce que l’on conçoit. Et c’est pourquoi le premier axiome indémontrable est que “ l’on ne peut en même temps affirmer et nier ”, ce qui se fonde sur la notion d’être et de non-être ; et c’est sur ce principe que toutes les autres vérités sont fondées, comme dit le livre IV des Métaphysiques. Mais de même que l’être est en tout premier lieu objet de connaissance proprement dite, de même le bien est la première notion saisie par la raison pratique qui est ordonnée à l’action. En effet, tout ce qui agit le fait en vue d’une fin qui a raison de bien. C’est pourquoi le principe premier de la raison pratique est celui qui se fonde sur la raison de bien, et qui est : “ Le bien est ce que tous les êtres désirent. ” C’est donc le premier précepte de la loi qu’il faut faire et rechercher le bien, et éviter le mal. C’est sur cet axiome que se fondent tous les autres préceptes de la loi naturelle : c’est dire que tout ce qu’il faut faire ou éviter relève des préceptes de la loi naturelle ; et la raison pratique les envisage naturellement comme des biens humains.

Mais parce que le bien a raison de fin, et le mal raison du contraire, il s’ensuit que l’esprit humain saisit comme des biens, et par suite comme dignes d’être réalisées toutes les choses auxquelles l’homme se sent porté naturellement ; en revanche, il envisage comme des maux à éviter les choses opposées aux précédentes. C’est selon l’ordre même des inclinations naturelles que se prend l’ordre des préceptes de la loi naturelle. En effet, l’homme se sent d’abord attiré à rechercher le bien correspondant à sa nature, en quoi il est semblable à toutes les autres substances, en ce sens que toute substance recherche la conservation de son être, selon sa nature propre. Selon cette inclination, ce qui assure la conservation humaine et tout ce qui empêche le contraire, relèvent de la loi naturelle.

En second lieu, il y a dans l’homme une inclination à rechercher certains biens plus spéciaux, conformes à la nature qui lui est commune avec les autres animaux. Ainsi appartient à la loi naturelle ce que “ la nature enseigne à tous les animaux ”, par exemple l’union du mâle et de la femelle, le soin des petits, etc.

En troisième lieu, on trouve dans l’homme un attrait vers le bien conforme à sa nature d’être raisonnable, qui lui est propre ; ainsi a-t-il une inclination naturelle à connaître la vérité sur Dieu et à vivre en société. En ce sens, appartient à la loi naturelle tout ce qui relève de cet attrait propre : par exemple que l’homme évite l’ignorance, ou ne fasse pas de tort à son prochain avec lequel il doit vivre, et toutes les autres prescriptions qui visent ce but.

Solutions :

1. Tous ces préceptes de la loi naturelle appartiennent à une seule loi naturelle parce qu’ils se réfèrent tous à un seul précepte premier.

2. Toutes les inclinations relatives à quelque partie que ce soit de la nature humaine, par exemple celles du concupiscible et de l’irascible, appartiennent à la loi naturelle en tant qu’elles sont réglées par la raison. Aussi les préceptes de la loi naturelle sont-ils multiples, si on les considère chacun en particulier ; mais ils ont une seule racine communes.

3. Si la raison est unique en elle-même, elle est pourtant le principe d’ordre de tout ce qui regarde l’homme. C’est pourquoi tout ce qui peut être réglé par la raison est contenu dans la loi de la raison.

 

            Article 3 — Tous les actes des vertus relèvent-ils de la loi naturelle ?

Objections :

1. Il semble que les actes des vertus ne relèvent pas tous de la loi de nature. On a dit en effet que le propre de la loi est d’ordonner au bien commun. Or certains actes des vertus assurent le bien particulier de tel ou tel individu, ce qui est surtout évident pour les actes de tempérance. Donc, les actes des vertus ne sont pas tous ordonnés par la loi naturelle.

2. Tous les péchés s’opposent à certains actes vertueux. Donc, si tous les actes des vertus relevaient de la loi naturelle, il semble que tous les péchés seraient contre nature. Cependant on ne dit cela que de certains péchés.

3. Tout le monde s’entend sur ce qui est conforme à la nature. Or, au sujet des actes de ces vertus, cette entente universelle n’existe pas, car l’un considère comme vertueux ce qu’un autre estime vicieux. Donc les actes des vertus ne relèvent pas tous de la loi de nature.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit que “ les vertus sont naturelles ”. Donc les actes de ces vertus sont eux aussi soumis à la loi naturelle.

Réponse :

Nous pouvons parler des actes des vertus de deux façons : en tant qu’ils sont vertueux ; et en tant qu’ils sont tels actes déterminés par leur espèce propre. Si nous parlons des actes vertueux en tant que vertueux, ils relèvent tous de la loi naturelle. Nous avons prouvé en effet n que relèvent de la loi naturelle toutes les inclinations que l’homme tient de sa nature. Mais chacun est incliné naturellement à l’activité qui convient à sa forme, comme le feu est incliné à chauffer. Aussi, puisque l’âme raisonnable est la forme propre de l’homme, il y a en tout humain une inclination naturelle à agir selon la raison. A ce point de vue, par conséquent, les actes des vertus sont tous régis par la loi naturelle ; la raison de chacun édicte en effet qu’il faut agir vertueusement. Mais, si nous parlons des actes des vertus considérés en eux-mêmes, dans leur espèce particulière, alors ces actes ne relèvent pas tous de la loi naturelle. Il y a en effet beaucoup de choses qui se font selon la vertu, auxquelles pourtant la nature ne donne de prime abord aucune inclination. C’est par une investigation de la raison que les hommes les découvrent, et les reconnaissent utiles pour vivre bien.

Solutions :

1. La tempérance a pour objet les convoitises naturelles dans le boire, le manger et les actes sexuels, qui sont ordonnées au bien commun de la nature comme les autres lois sont ordonnées au bien commun de la moralité.

2. On peut appeler nature de l’homme ou bien celle qui est propre à l’homme ; et en ce sens tous les péchés, en tant qu’ils sont contraires à la raison, sont contraires à la nature, comme le montre S. Jean Damascène ; ou bien on appelle nature de l’homme celle qui est commune à l’homme et aux autres animaux ; et en ce sens on appelle contre nature certains péchés spéciaux, par exemple contre l’union du mâle et de la femelle, qui est commune à tous les animaux, l’accouplement entre mâles, qu’on appelle spécialement le vice contre naturel.

3. Cet argument est valable pour les actes considérés en eux-mêmes. Aussi, à cause de la diversité des conditions humaines, certains actes peuvent être vertueux pour certaines personnes, parce qu’ils leur sont proportionnés et leur conviennent, tandis que ces mêmes actes seront vicieux pour d’autres, parce qu’ils ne leur sont pas proportionnés.

 

            Article 4 — La loi naturelle est-elle unique chez tous ?

Objections :

1. Il semble que non. Il est dit en effet dans les Décrets que “ le droit naturel est celui qui est contenu dans la Loi et dans l’Évangile ”. Mais cette loi n’est pas commune à tous ; puisqu’il est dit dans l’épître aux Romains (10, 16) : “ Tous n’obéissent pas à l’Évangile. ” La loi naturelle n’est donc pas unique chez tous.

2. “ Ce qui est conforme à la loi est déclaré juste ”, selon le livre des Éthiques. Mais dans le même livrer on affirme que rien n’est juste pour tous au point d’exclure toute diversité. Par conséquent, la loi naturelle n’est pas la même chez tous.

3. Tout ce à quoi l’homme est incliné selon sa nature relève de la loi naturelle, nous l’avons dit. Mais des hommes différents sont inclinés par nature à des fins différentes : ceux-ci à la convoitise, ceux-là à la recherche des honneurs, d’autres enfin à d’autres choses. Donc la loi naturelle n’est pas unique chez tous.

En sens contraire, Isidore de Séville écrit “ Le droit naturel est commun à toutes les nations. ”

Réponse :

Nous l’avons dit précédemment, tout ce vers quoi l’homme est incliné par nature relève de la loi naturelle ; et il est propre à l’homme d’être incliné à agir selon la raison. Mais il appartient à la raison de procéder des principes communs aux conclusions propres, selon le livre I des Physiques. Toutefois la raison spéculative et la raison pratique se comportent différemment sur ce point. En effet, la raison spéculative s’occupe principalement des choses nécessaires, où il est impossible qu’il en soit autrement ; aussi la vérité se rencontre-t-elle sans aucune défaillance dans les conclusions particulières comme dans les principes généraux.

La raison pratique, au contraire, s’occupe de réalités contingentes qui comprennent les actions humaines. C’est pourquoi, bien que dans les principes généraux il y ait quelque nécessité, plus on aborde les choses particulières, plus on rencontre de défaillances. Ainsi donc, dans les sciences spéculatives, la vérité est identique pour tous, tant dans les principes que dans les conclusions. Pourtant, cette vérité n’est pas connue de tous les esprits dans les conclusions, mais seulement dans les principes que l’on appelle “ les axiomes universels ”. Dans le domaine de l’action, au contraire, la vérité ou la rectitude pratique n’est pas la même pour tous dans les applications particulières, mais uniquement dans les principes généraux ; et chez ceux pour lesquels la rectitude est identique dans leurs actions propres, elle n’est pas également connue de tous.

Il est donc évident que dans les principes communs de la raison spéculative ou pratique, la vérité ou la rectitude est unique pour tous, et connue également de tous. Quant aux conclusions propres de la raison spéculative, la vérité est la même pour tous, mais elle n’est pas connue également de tous ; ainsi est-il vrai pour tous que le triangle a trois angles égaux à deux droits, encore que ce ne soit pas connu de tous. Mais la vérité ou la rectitude n’est pas la même pour tous quand on arrive aux conclusions propres de la raison pratique, et même là où se réalise l’identité, elle n’est pas également connue de tous. Par exemple, il est vrai et droit aux yeux de tous que l’on agisse selon la raison. De ce principe il s’ensuit comme une conclusion propre qu’il faut rendre ce qu’on a reçu en dépôt. Et ceci est vrai dans la plupart des cas ; mais il peut se faire qu’en certains cas il devienne nuisible et par conséquent déraisonnable de restituer un dépôt : par exemple si quelqu’un le réclame en vue de combattre la patrie. Et ici, plus on descend aux détails, plus les exceptions se multiplient ; par exemple lorsqu’on stipule que les dépôts doivent être restitués avec telle caution ou de telle façon. Plus on ajoute de conditions particulières, plus les exceptions peuvent se multiplier et se diversifier pour qu’il soit injuste ou de restituer, ou de ne pas le faire.

Ainsi donc, il faut dire que la loi de nature est identique pour tous dans ses premiers principes généraux, tout autant selon sa rectitude objective que selon la connaissance qu’on peut en avoir. Quant à certaines applications propres qui sont comme les conclusions des principes généraux, elle est identique pour tous dans la plupart des cas, et selon sa rectitude et selon sa connaissance ; toutefois, dans un petit nombre de cas, elle peut comporter des exceptions, d’abord dans sa rectitude, à cause d’empêchements particuliers (de la même façon que les natures soumises à la génération et à la corruption manquent leurs effets dans un petit nombre de cas, à cause d’empêchements) ; elle comporte encore des exceptions quant à sa connaissance ; c’est parce que certains ont une raison faussée par la passion, par une coutume mauvaise ou par une mauvaise disposition de la nature. Ainsi jadis, chez les peuples germains, le pillage n’était pas considéré comme une iniquité, alors qu’il est expressément contraire à la loi naturelle, comme le rapporte Jules César dans son livre sur “ la guerre des Gaules ”.

Solutions :

1. Cette phrase ne doit pas être comprise en ce sens que tout ce qui est compris dans la Loi mosaïque et dans l’Évangile relève de la loi naturelle, puisque beaucoup de leurs enseignements sont au-dessus de la nature ; mais en ce sens que tout ce qui relève de la loi de nature s’y trouve pleinement enseigné. Aussi Gratien, après avoir dit que “ le droit naturel est celui qui est contenu dans la Loi et l’Évangile ”, ajoute immédiatement cet exemple : “ On y ordonne à chacun de faire à autrui ce qu’il veut qu’on fasse à lui-même. ”

2. La parole du Philosophe doit s’entendre de ce qui est juste naturellement, non pas à titre de principes généraux, mais comme les conclusions dérivées de ces principes ; dans la plupart des cas elles sont justes, mais plus rarement elles sont défectueuses.

3. De même que la raison domine chez l’homme, et commande aux autres puissances, ainsi faut-il que toutes les inclinations naturelles qui relèvent des autres puissances soient ordonnées selon la raison. C’est pourquoi tout le monde convient généralement que toutes les inclinations humaines doivent être dirigées par la raison.

 

            Article 5 — La loi de nature est-elle sujette au changement ?

Objections :

1. Il semble que la loi de nature puisse être changée. En effet l’Ecclésiastique dit (17, 11) : “ Il leur donna en outre la connaissance et la loi de vie ”, la Glose commente : “ Il a voulu que la Loi fût écrite pour corriger la loi naturelle. ” Mais ce que l’on corrige est changé. Donc la loi naturelle peut être changée.

2. Le meurtre d’un innocent et aussi l’adultère et le vol sont des actes contraires à la loi naturelle. Mais on voit que cela a été changé par Dieu, par exemple lorsqu’il prescrivit à Abraham de tuer son fils innocent (Gn 22, 2), ou lorsqu’il commanda aux juifs de subtiliser les vases empruntés aux Égyptiens (Ex 12, 35) ; ou enfin quand il ordonna à Osée de prendre une femme de prostitution (Os 1, 2). Donc la loi naturelle peut être changée.

3. S. Isidore écrit que “ la possession commune de tous les biens et la même liberté pour tous sont de droit naturel ”. Mais nous voyons que l’une et l’autre ont été modifiées par les lois humaines. Il semble donc que la loi naturelle puisse subir des modifications.

En sens contraire, il est dit dans les Décrets : “ Le droit naturel date de l’origine de la créature raisonnable ; il ne change pas avec le temps, mais il demeure immuable. ”

Réponse :

Que la loi naturelle soit changée peut se comprendre de deux manières. D’une part, on peut y ajouter. Et en ce sens rien n’empêche que la loi naturelle soit changée, car on a ajouté à la loi naturelle - soit par la loi divine, soit par les lois humaines -, beaucoup de choses qui sont utiles à la vie humaine. D’autre part, on peut concevoir un changement dans la loi naturelle par mode de suppression, en ce sens qu’une prescription disparaisse de la loi naturelle, alors qu’elle en faisait partie auparavant. De cette manière, la loi de nature est absolument immuable quant à ses principes premiers. Quant à ses préceptes seconds, dont nous avons dit à l’article précédent qu’ils étaient comme des conclusions propres, toutes proches des premiers principes, la loi naturelle ne change pas, sans que son contenu cesse d’être juste dans la plupart des cas. Toutefois il peut y avoir des changements en tel cas particulier, et rarement, en raison de causes spéciales qui empêchent d’observer ces préceptes, comme on l’a dit à l’article précédent.

Solutions :

1. Si la loi écrite est présentée comme correctif de la loi de nature, c’est parce qu’elle complétait ce qui manquait à celle-ci ; ou parce que la loi de nature était sur certains points si dénaturée dans le cœur de certains hommes que ceux-ci considéraient comme un bien ce qui était un mal en soi ; une telle corruption exigeait un redressement.

2. Tous les hommes, tant coupables qu’innocents, meurent de mort naturelle. Cette mort est voulue par la puissance divine, à cause du péché originel, selon le 1er livre de Samuel (2, 6) : “ C’est Dieu qui fait mourir et qui fait vivre. ” C’est pourquoi la mort peut être infligée sans aucune injustice par ordre de Dieu, à n’importe quel homme, coupable ou innocent. Semblablement l’adultère consiste à s’unir avec la femme d’autrui ; mais la femme que prit Osée lui avait été destinée selon la loi de Dieu qui lui fut divinement révélée. Il s’ensuit que le fait de s’unir à telle ou telle femme, sur l’ordre de Dieu, n’est ni un adultère, ni un acte de débauche. Le même raisonnement vaut pour le vol qui consiste à prendre le bien d’autrui. Car tout ce qu’un homme prend sur l’ordre de Dieu, maître de toutes choses, il ne le prend pas sans la volonté du maître, ce qui serait voler. D’ailleurs, ce n’est pas seulement dans le domaine des choses humaines que tout ce qui est commandé par Dieu est par le fait même obligé ; mais même dans le domaine de la nature, tout ce que Dieu fait est naturel de quelque manière, ainsi qu’il a été dit dans notre première Partie.

3. Une chose est dite de droit naturel de deux façons. D’une part, parce que la nature y incline, par exemple : “ Il ne faut pas faire de tort à autrui. ” D’autre part, parce que la nature ne suggère pas le contraire : ainsi pourrions-nous dire qu’il est de droit naturel que l’homme soit nu, parce que la nature ne l’a pas doté d’un vêtement ; c’est une invention de l’art. En ce sens on dit que “ la possession commune de tous les biens et la liberté identique pour tous ” y sont de droit naturel ; c’est-à-dire que la distinction des possession et la servitude ne sont pas suggérées par la nature, mais par la raison des hommes pour le bien de la vie humaine. Et même en cela, la loi de nature n’est pas modifiée, sinon par addition.

 

            Article 6 — La loi de nature peut-elle être effacée de l’âme humaine ?

Objections :

1. Il semble bien, car on parle dans l’épître aux Romains (2, 4) “ des païens qui n’ont pas de loi ”, et la Glose explique : “ Dans l’intime de l’homme renouvelé par la grâce, est inscrite la loi de justice que la faute avait effacée. ” Mais la loi de justice est la loi naturelle. Donc la loi de nature peut être effacée.

2. La loi de grâce est plus efficace que la loi de nature. Or la loi de grâce est effacée par le péché. Donc à plus forte raison la loi de nature peut-elle être effacée.

3. Ce qui est établi par la loi est proposé comme juste. Mais il y a beaucoup de choses établies par les hommes qui sont contraires à la loi de nature. Par conséquent la loi de nature peut être effacée du cœur des hommes.

En sens contraire, S. Augustin confesse “ Ta loi, Seigneur, est inscrite dans le cœur des hommes et aucune iniquité ne l’en efface. ” Or la loi écrite dans le cœur des hommes est la loi naturelle. Donc la loi naturelle ne peut pas être effacée.

Réponse :

Nous avons établi dans les articles précédents qu’appartiennent à la loi naturelle d’abord quelques principes plus généraux qui sont connus de tous ; ensuite quelques préceptes secondaires, plus particuliers, qui sont comme des conclusions proches de ces principes. Quant aux principes généraux, la loi naturelle ne peut d’aucune façon être effacée du cœur des hommes, de façon universelle. Elle est cependant effacée dans une activité particulière parce que la raison est empêchée d’appliquer le principe général au cas particulier dont il s’agit à cause de la convoitise ou d’une autre passion.

Quant aux préceptes secondaires, la loi naturelle peut être effacée du cœur des hommes, soit en raison de propagandes perverses, de la façon dont les erreurs se glissent dans les sciences spéculatives au sujet de conclusions nécessaires ; soit comme conséquences de coutumes dépravées et d’habitus corrompus. C’est ainsi que certains individus ne considéraient pas le brigandage comme un péché, ni même les vices contre nature, comme le dit encore S. Paul (Rm 1, 24).

Solutions :

1. Le péché efface la loi de la nature, non dans sa teneur générale, mais en particulier ; à moins toutefois qu’il ne s’agisse de préceptes secondaires de la loi de nature, de la façon que nous venons de dire.

2. Bien que la grâce soit plus efficace que la nature, celle-ci est cependant plus essentielle à l’homme et partant, plus durable.

3. Cet argument procède de la considération des préceptes seconds de la loi naturelle, contre lesquels quelques législateurs ont édicté des prescriptions iniques.

Étudions maintenant ce qu’est la loi humaine. Il faut d’abord étudier la loi en elle-même (Q. 95) ; puis quel est son pouvoir (Q. 96) ; enfin, se demander si elle peut être changée (Q. 97).

 

QUESTION 95 — LA LOI HUMAINE

1. Son utilité. - 2. Son origine. - 3. Sa qualité. - 4. Ses divisions.

 

            Article 1 — L’utilité de la loi humaine

Objections :

1. Il ne semble pas utile que les hommes légifèrent. L’intention de quiconque porte une loi, en effet, est que par elle les hommes deviennent bons, comme on l’a dit. Mais les hommes sont amenés par des conseils à vouloir le bien, plutôt qu’en étant contraints par des lois. Donc il n’était pas nécessaire de légiférer.

2. Aristote écrit : “ Les hommes recourent au juge comme au droit vivant. ” Or la justice vivante est supérieure à la justice inanimée telle qu’elle est contenue dans les lois. Donc il eût été mieux que l’exécution de la justice fût confiée à la décision des juges plutôt que d’être réalisée par une législation.

3. Toute loi exerce un rôle de direction sur les actes humains, comme il ressort des articles précédents. Or les actes humains portent sur des cas particuliers, qui sont en nombre infini ; il est donc impossible de soumettre à un examen suffisant ce qui concerne la conduite humaine sinon en confiant cet examen à quelque sage qui examine les cas particuliers. Il eût donc été préférable que les actes humains fussent dirigés par le jugement des sages plutôt que par une législation. Il n’était donc pas nécessaire de porter des lois humaines.

En sens contraire, S. Isidore écrit : “ Les lois ont été faites afin que, par crainte de leurs sanctions, l’audace humaine fût réprimée, que l’innocence fût en sûreté au milieu des malfaiteurs, et que chez les méchants eux-mêmes la faculté de nuire fût refrénée par la crainte du châtiment. ” Mais tout cela est nécessaire au genre humain. Donc il fut nécessaire de porter des lois humaines.

Réponse :

Il ressort de ce qui précède qu’il y a dans l’homme une certaine aptitude à la vertu ; mais quant à la perfection même de la vertu, il faut qu’elle soit donnée à l’homme par un enseignement. Ainsi voyons-nous que c’est aussi par son ingéniosité que l’homme pourvoit à ses besoins, par exemple pour la nourriture et le vêtement. La nature lui en fournit les premiers éléments, à savoir la raison et les mains, mais non l’utilisation parfaite, ainsi qu’elle le fait pour les autres animaux, auxquels elle a procuré de manière suffisante vêtement et nourriture. Mais quant à cet enseignement dont il vient d’être question, l’homme ne saurait aisément se suffire à lui-même. De fait, la perfection de la vertu consiste surtout à éloigner l’homme des plaisirs défendus, auxquels l’humanité est principalement portée, en particulier la jeunesse, pour laquelle l’enseignement est plus efficace. C’est pourquoi il faut que les hommes reçoivent d’autrui cette sorte d’éducation par laquelle on peut arriver à la vertu. Certes, pour les jeunes gens qui sont portés à être vertueux par une heureuse disposition naturelle ou par l’habitude, et surtout par la grâce divine, il suffit d’une éducation paternelle qui s’exerce par les conseils. Mais, parce qu’il y a des hommes pervers et portés au vice, qui ne peuvent guère être aisément touchés par des paroles, il a été nécessaire que ceux-ci fussent contraints par la force et la crainte à s’abstenir du mal, de telle sorte qu’au moins en s’abstenant de mal agir, ils garantissent aux autres une vie paisible. Et puis, pour eux-mêmes, ils se voient amenés par une telle accoutumance à accomplir de bon gré ce qu’ils ne faisaient auparavant que par crainte ; et ainsi ils deviennent vertueux. Cette éducation qui corrige par la crainte du châtiment est donnée par les lois. Aussi fut-il nécessaire pour la paix des hommes et leur vertu de porter des lois. Parce que, dit le Philosophe, “ l’homme, s’il est parfaitement vertueux, est le meilleur des animaux ; mais s’il est privé de loi et de justice il est le pire de tous ” ; car l’homme possède les armes de la raison, dont les autres animaux sont dépourvus, pour assouvir ses convoitises et ses fureurs.

Solutions :

1. Les hommes bien disposés sont plus aisément amenés à la vertu par des conseils qui font appel à leur volonté, que par la contrainte ; mais ceux qui sont mal disposés ne sont amenés à la pratique de la vertu qu’en y étant forcés.

2. Le Philosophe écrit “ Il est préférable de tout régler par la loi plutôt que de tout abandonner à la décision des juges. ” Il y a trois motifs à cela. - 1° Il est plus aisé de trouver quelques sages qui suffisent à porter de justes lois que d’en trouver un grand nombre pour juger droitement les cas particuliers. - 2° Les législateurs considèrent longtemps à l’avance ce qu’il faut établir par la loi, tandis que les jugements portés sur les faits particuliers s’inspirent de cas soulevés à l’improviste. Or l’homme peut voir plus aisément ce qui est juste à la lumière de nombreuses expériences qu’en face d’un cas unique. - 3° Les législateurs jugent pour l’ensemble des cas et en vue de l’avenir ; tandis que dans les tribunaux, les juges décident de cas actuels, vis-à-vis desquels ils sont influencés par l’amour, la haine, la cupidité. C’est ainsi que leur jugement est faussé.

Donc la justice vivante qu’est le juge ne se rencontre pas chez beaucoup d’hommes, et elle est changeante. C’est pourquoi il a été nécessaire de déterminer par la loi ce qu’il fallait juger dans le plus grand nombre de cas possible et de laisser peu de place à la décision des hommes.

3. Il faut confier aux juges certains cas individuels qui ne peuvent être prévus par la loi, selon le Philosophe ; par exemple, savoir ce qui a été fait ou n’a pas été fait, et d’autres choses semblables.

 

            Article 2 — L’origine de la loi humaine

Objections :

1. Il ne semble pas que toutes les lois humaines dérivent de la loi naturelle. Aristote écrit en effet : “ On appelle juste légal ce que, au début, on pouvait indifféremment faire d’une manière ou d’une autre. ” Mais dans ce qui vient du droit naturel, il est différent d’agir d’une manière ou d’une autre. Par conséquent, tout ce qui est établi par les lois humaines ne dérive pas de la loi naturelle.

2. Le droit positif se distingue du droit naturel, comme il ressort des analyses de S. Isidore dans son livre des Étymologies et d’Aristote dans les Éthiques. Mais ce qui dérive à titre de conclusions des principes généraux de la loi naturelle, relève de la loi de nature, on l’a vu. En conséquence, ce qui relève de la loi humaine ne dérive pas de la loi naturelle.

3. La loi de nature est la même pour tous. Le Philosophe dit en effet : “ Le droit naturel est celui qui a partout le même pouvoir. ” Donc, si les lois humaines dérivaient de la loi naturelle, il s’ensuivrait qu’elles seraient, elles aussi, identiques chez tous. Ce qui est évidemment faux.

4. Tout ce qui découle de la loi naturelle, répond à une raison. Mais “ on ne peut pas toujours rendre raison de toutes les lois établies par nos aînés ”, dit Justinien. Par conséquent toutes les lois humaines ne dérivent pas de la loi naturelle.

En sens contraire, Cicéron écrit : “ Ce sont les réalités nées de la nature et éprouvées par la coutume qu’ont sanctionnées la crainte et le respect des lois. ”

Réponse :

S. Augustin déclare : “ Il ne semble pas qu’elle soit une loi, celle qui ne serait pas juste. ” C’est pourquoi une loi n’a de valeur que dans la mesure où elle comporte de la justice. Or, dans les affaires humaines, une chose est dite juste du fait qu’elle est droite, conformément à la règle de la raison. Mais la règle première de la raison est la loi de nature, comme il ressort des articles précédents. Aussi toute loi portée par les hommes n’a raison de loi que dans la mesure où elle dérive de la loi de nature. Si elle dévie en quelque point de la loi naturelle, ce n’est plus alors une loi, mais une corruption de la loi.

Il faut savoir cependant qu’il y a une double dérivation de la loi naturelle : d’une part, comme des conclusions par rapport aux principes ; d’autre part, comme des déterminations de règles générales. Le premier mode ressemble à celui des sciences, où les conclusions démonstratives se déduisent des principes. Quant au second mode, il ressemble à ce qui se passe dans les arts, quand les modèles communs sont déterminés à une réalisation spéciale ; tel est le cas de l’architecte qui doit préciser la détermination de la forme générale de maison à telle ou telle structure d’habitation. Donc, certaines dispositions légales dérivent des principes généraux de la loi naturelle à titre de conclusions ; ainsi le précepte : “ Il ne faut pas tuer ” peut dériver comme une conclusion du principe : “ Il ne faut pas faire le mal. ” Mais certaines dispositions légales dérivent des mêmes principes à titre de détermination ; ainsi la loi de nature prescrit que celui qui commet une faute soit puni ; mais qu’il soit puni de telle peine, est une détermination de la loi de nature.

On retrouve donc ces deux sortes de dispositions légales dans la loi humaine. Mais celles qui relèvent du premier mode ne sont pas seulement contenues dans la loi humaine comme prescrites par cette loi ; mais elles tiennent de la loi naturelle une partie de leur pouvoir. Quant à celles qui répondent au deuxième mode, elles tiennent leur pouvoir de la loi humaine seule.

Solutions :

1. Aristote parle de ce qui est prescrit par la loi sous forme de détermination ou de spécification des préceptes de la loi de nature.

2. Cet argument est valable pour ce qui dérive de la loi de nature à titre de conclusion.

3. Les principes généraux de la loi de nature ne peuvent pas s’appliquer à tous les cas d’une façon identique, à cause de la grande variété des affaires humaines. C’est de là que vient la diversité de la loi positive chez les peuples divers.

4. Il faut entendre cette parole de Justinien des dispositions légales introduites par les anciens relativement aux déterminations particulières de la loi naturelle ; envers ces déterminations, le jugement des experts et des hommes prudents se comporte comme envers les principes généraux, en ce sens qu’ils voient aussitôt ce qu’il faut déterminer le plus opportunément dans un cas particulier. C’est pourquoi Aristote dit qu’en de telles matières “ il faut tenir compte des avis indémontrables et des opinions des experts, des anciens et des hommes prudents, non moins que des vérités démontrées ”.

 

            Article 3 — La qualité de la loi humaine

Objections :

1. Il semble que S. Isidore ait décrit de manière inexacte le caractère de la loi positive quand il a dit : “ La loi sera honnête, juste, réalisable selon la nature et la coutume du pays ; adaptée au temps et au lieu ; nécessaire, utile ; elle sera claire aussi, afin qu’elle ne contienne rien qui soit trompeur en raison de son obscurité ; écrite non pas en vue d’un intérêt privé, mais pour l’utilité commune des citoyens. ” Auparavant il avait défini le caractère de la loi par trois conditions, en disant : “ La loi sera tout ce que la raison établira, pourvu que cela soit en harmonie avec la religion, s’accorde avec la discipline des mœurs, favorise le bien public. ” Il semble donc superflu que dans la suite il ait multiplié les caractéristiques de la loi.

2. La justice, d’après Cicéron, est une partie de l’honnêteté. Il était donc superflu d’ajouter le mot “ juste ” après avoir écrit le mot “ honnête ”.

3. Selon S. Isidore lui-même, la loi écrite s’oppose à la coutume. Dans la définition de la loi, on ne devait donc pas dire qu’elle serait conforme à la coutume du pays.

4. On dit qu’une chose est nécessaire de deux manières. Il y a le nécessaire absolu quand il est impossible qu’il en soit autrement ; le nécessaire ainsi entendu échappe au jugement des hommes ; et c’est pourquoi une nécessité de cette sorte ne relève pas de la loi humaine. Mais le nécessaire peut aussi s’entendre par rapport à une fin à réaliser ; et cette nécessité se confond avec l’utilité. Par conséquent il est superflu de mettre l’un et l’autre, - “ nécessaire ” et “ utile ” - dans cette définition.

En sens contraire, l’autorité de S. Isidore doit suffire.

Réponse :

Tout être qui est un moyen pour une fin doit avoir une forme déterminée en proportion avec cette fin : par exemple, la forme de la scie la rend capable de couper, dit Aristote. Et toute chose soumise à la règle et à la mesure doit posséder une forme proportionnée à cette règle et à cette mesure. Or, la loi humaine remplit cette double condition : elle est un moyen ordonné à une fin ; et elle est une sorte de règle et de mesure, réglée elle-même par une mesure supérieure, laquelle est double : la loi divine et la loi de nature, selon ce que nous avons dit plus haut x. Le but de la loi humaine, c’est l’utilité des hommes, comme l’affirme Justinien. C’est pourquoi, en décrivant les caractéristiques de la loi, S. Isidore a posé d’abord trois éléments : “ qu’elle soit en harmonie avec la religion ”, en ce sens qu’elle soit conforme à la loi divine ; “ qu’elle s’accorde avec la discipline des mœurs ”, en ce sens qu’elle soit conforme à la loi de nature ; enfin “ qu’elle favorise le salut public ”, en ce sens qu’elle soit adaptée à l’utilité des hommes.

Toutes les autres conditions qui suivent se ramènent à ces trois chefs. Que la loi humaine doive être honnête, cela revient à dire qu’elle soit en harmonie avec la religion. Si l’on ajoute : qu’elle soit juste, réalisable selon la nature et la coutume du pays, adaptée au temps et au lieu, cela signifie que la loi devra être adaptée à la discipline des mœurs. La discipline humaine, en effet, se définit : 1° par rapport à l’ordre de la raison, et c’est ce qu’on exprime en disant que la loi est juste. - 2° par rapport aux facultés de ceux qui agissent. Car une éducation doit être adaptée à chacun selon sa capacité, en tenant compte également des possibilités de la nature humaine (ainsi ne doit-on pas imposer aux enfants ce qu’on impose à des hommes faits) ; elle doit enfin être adaptée aux usages, car un individu ne peut pas vivre comme un solitaire dans la société, sans se conformer aux mœurs d’autrui. - 3° La discipline doit être en rapport avec telles circonstances données, d’où : la loi sera adaptée au temps et au lieu. Les autres qualités de la loi qui sont ensuite énumérées, sous les vocables : nécessaire, utile, etc., reviennent à dire que la loi doit favoriser le salut public. La nécessité vise l’éloignement des maux ; l’utilité, l’acquisition des biens ; la clarté, le soin d’exclure le dommage qui pourrait provenir de la loi elle-même. Enfin que la loi soit ordonnée au bien commun, comme on l’a dit plus haut, c’est ce que montre la dernière partie de l’analyse.

Solutions :

Cela répond aux objections.

 

            Article 4 — Les divisions de la loi humaine

Objections :

1. Il semble que la division des lois humaines ou du droit humain proposée par S. Isidore ne soit pas juste. Sous cette notion de droit, en effet, il comprend “ le droit des gens ” ainsi nommé, comme lui-même le reconnaît, “ parce que presque toutes les nations en font usage ”. Mais il dit lui-même que le droit naturel “ est commun à toutes les nations ”. Donc le droit des gens ne fait pas partie du droit positif humain, mais plutôt du droit naturel.

2. Tout ce qui possède un pouvoir identique ne semble pas différer par la forme, mais seulement par la matière. Or les lois, les plébiscites, les sénatus-consultes et tout ce qu’Isidore énumère en ce genre ont tous même force, et ne doivent donc différer que selon la matière. D’autre part, dans le domaine de l’art, on ne tient pas compte d’une telle distinction, car elle peut se multiplier à l’infini. Donc il ne convient pas d’introduire une telle division dans les lois humaines.

3. De même qu’il y a dans la cité des princes, des prêtres et des soldats, il y a aussi d’autres fonctions réparties entre les citoyens. Il semble donc qu’à côté du “ droit militaire ” et du “ droit public ” qui est l’affaire “ des prêtres et des magistrats ”, il faudrait aussi faire mention d’autres droits, relatifs aux autres fonctions de la cité.

4. Ce qui existe par accident doit être laissé de côté. Or, il est accidentel à la loi d’être portée par un homme ou par un autre. Il est donc anormal de distinguer les lois par les noms des législateurs, en les appelant loi Cornelia, Falcidia, etc.

En sens contraire, l’autorité de S. Isidore doit suffire.

Réponse :

Tout être peut prêter à une division, selon l’essentiel et d’après ce qui est contenu dans sa raison même. Ainsi, dans la notion d’“ animal ” on comprend l’âme, qui est raisonnable ou non ; c’est pourquoi le genre animal se divise à titre propre et essentiel, en raisonnable et non raisonnable ; il ne se diviserait pas selon le blanc et le noir, car cela est absolument étranger à sa notion propre. Or, il y a beaucoup d’éléments dans la notion de la loi humaine, et selon n’importe lequel d’entre eux cette loi peut prêter à une division qui lui soit propre et essentielle.

1° C’est un caractère essentiel de la loi humaine de dériver de la loi de nature, nous l’avons dit. De ce point de vue, le droit positif se divise en droit des gens et en droit civil, selon les deux modes de dérivation de la loi naturelle que nous avons décrits. Car au droit des gens se rattache ce qui découle de la loi de nature à la manière de conclusions venant des principes, par exemple les achats et ventes justes, et autres choses de ce genre, sans lesquelles les hommes ne peuvent vivre en communauté ; et cela est de droit naturel parce que “ l’homme est par nature un animal social ”, comme le prouve Aristote. Quant à ce qui dérive de la loi de nature à titre de détermination particulière, cela relève du droit civil, selon que chaque cité détermine ce qui lui est le mieux adapté.

2° Il est essentiel à la notion de loi, d’avoir pour objet le bien commun de la cité. De ce point de vue, la division de la loi humaine peut se prendre de la diversité de ceux qui contribuent spécialement par leur labeur au bien commun : tels sont les prêtres qui prient Dieu pour le peuple, les magistrats qui le gouvernent, et les soldats qui combattent pour son salut. C’est pourquoi les législations spéciales sont adaptées à ces catégories de citoyens.

3° Il est essentiel à la loi humaine d’être instituée par celui qui gouverne l’ensemble de la cité. De ce point de vue, on distingue les lois humaines d’après les régimes politiques différents. Selon la description d’Aristote, l’un de ces régimes est la monarchie, la cité étant sous le gouvernement d’un chef unique ; en ce cas on parle des constitutions des princes. Un autre régime est l’aristocratie, qui est le gouvernement par une élite d’hommes supérieurs ; on parle alors de sentences des sages et aussi de sénatus-consultes. Un autre régime est l’oligarchie qui est le gouvernement de quelques hommes riches et puissants ; alors on parle de droit prétorien qui est appelé aussi honorariat. Un autre régime est celui du peuple tout entier ou démocratie ; et on parle alors de plébiscites. Un autre régime est la tyrannie, régime totalement corrompu ; aussi ne comporte-t-il pas de loi. Il y a enfin un régime mixte, composé des précédents, et celui-là est le meilleur ; et en ce cas, on appelle loi “ ce que les anciens, d’accord avec le peuple, ont décidé ”, dit S. Isidore.

4° Il est essentiel à la loi humaine de diriger les actes humains. De ce point de vue, on distingue les lois suivant leurs objets ; et parfois en ce cas on leur donne les noms de leurs auteurs ; par exemple, on dit la loi Julia, sur les adultères ; la loi Cornelia, sur les tueurs, et ainsi de suite, non pas pour leurs auteurs, mais bien plutôt pour leur matière.

Solutions :

1. Le droit des gens est de quelque manière naturel à l’homme, en tant que celui-ci est un être raisonnable, parce que ce droit dérive de la loi naturelle comme une conclusion qui n’est pas très éloignée des principes. C’est pourquoi les hommes sont facilement tombés d’accord à son sujet. Toutefois, il se distingue du droit naturel strict, surtout de celui qui est commun à tous les animaux.

2.3.4. Ce que nous avons dit répond aux autres objections.

 

QUESTION 96 — LE POUVOIR DE LA LOI HUMAINE

1. La loi humaine doit-elle être portée en termes généraux ? - 2. Doit-elle réprimer tous les vices ? - 3. Doit-elle ordonner les actes de toutes les vertus ? - 4. S’impose-t-elle à l’homme de façon nécessaire dans le for de sa conscience ? - 5. Tous les hommes sont-ils soumis à la loi humaine ? - 6. Chez ceux qui sont soumis à la loi, est-il permis d’agir en dehors des termes de la loi ?

 

            Article 1 — La loi humaine doit-elle être portée en termes généraux ?

Objections :

1. Il semble que non, mais qu’elle doit viser plutôt les cas particuliers. Le Philosophe dit en effet que “ l’ordre légal s’étend à tous les cas particuliers visés par la loi, et même aux sentences des juges ”, lesquelles sont évidemment particulières puisque relatives à des actes particuliers. Donc la loi ne doit pas seulement statuer en général, mais aussi en particulier.

2. La loi dirige les actes humains, avons-nous dit précédemment. Mais les actes humains se réalisent dans des cas particuliers. Donc les lois humaines ne doivent pas être portées de façon universelle, mais plutôt particulière.

3. Nous avons vu que la loi est règle et mesure des actes humains. Mais une mesure doit être très précise, dit le livre X des Métaphysiques. Donc, puisque, dans les actes humains, l’universel n’est jamais tellement précis qu’il ne souffre quelque exception dans les cas particuliers, il semble nécessaire que la loi soit portée non de façon universelle mais pour les cas particuliers.

En sens contraire, Justinien dit : “ On doit établir le droit en fonction de ce qui arrive le plus souvent et non pas en fonction de ce qui peut arriver une fois par hasard. ”

Réponse :

Ce qui existe en vue d’une fin doit être proportionné à cette fin. Or la fin de la loi est le bien commun ; puisque, selon S. Isidore : “ Ce n’est pour aucun avantage privé, mais pour l’utilité générale des citoyens que la loi doit être écrite. ” Il s’ensuit que les lois humaines doivent être adaptées au bien commun. Or le bien commun est le fait d’une multitude, et quant aux personnes, et quant aux affaires, et quant aux époques. Car la communauté de la cité est composée de nombreuses personnes, et son bien se réalise par des actions multiples ; et il n’est pas institué pour peu de temps, mais pour se maintenir à travers la succession des citoyens, dit S. Augustin dans le livre XXII de la Cité de Dieu.

Solutions :

1. Aristote divise en trois parties le droit légal, qui est identique au droit positif. Il y a en effet certaines dispositions qui sont portées absolument en général. Ce sont les lois générales. A leur sujet, Aristote écrit : “ Est légal ce qui, à l’origine, ne marque aucune différence entre ce qui doit être ainsi ou autrement ; mais quand la loi est établie, cette différence existe ; par exemple, que les captifs soient rachetés à un prix fixé. Il y a également certaines dispositions qui sont générales sous un certain rapport, et particulières sous un autre. Tels sont les privilèges qui sont comme des lois privées, parce qu’ils visent des personnes déterminées, et toutefois leur pouvoir s’étend à une multitude d’affaires. C’est en faisant allusion à cela qu’Aristote ajoute : “ Et en outre, tout ce qu’on règle par la loi au sujet de ces cas particuliers. ” On appelle enfin certaines choses “ légales ” parce qu’elles sont non des lois, mais plutôt une application des lois générales à quelques cas particuliers ; c’est le cas des sentences qui sont considérées comme équivalentes au droit. C’est à ce titre qu’Aristote ajoute : “ le contenu des sentences ”.

2. Ce qui a le pouvoir de diriger doit l’exercer sur plusieurs choses ; ainsi Aristote dit-il que tout ce qui fait partie d’un genre, est mesuré par quelque chose d’un qui est premier dans ce genre. Si en effet il y avait autant de règles et de mesures qu’il y a de choses réglées et mesurées, règle et mesure perdraient leur raison d’être, puisque leur utilité est précisément de faire connaître beaucoup de choses par un moyen unique. Ainsi l’utilité de la loi serait nulle si elle ne s’étendait qu’à un acte singulier. Pour diriger les actes singuliers, il y a les préceptes individuels des hommes prudents, mais la loi est un précepte général, nous l’avons dit précédemment.

3. Il ne faut pas exiger “ une certitude identique en toutes choses ”, dit Aristote. Par conséquent, dans les choses contingentes, telles que les réalités naturelles ou les activités humaines, il suffit d’une certitude telle qu’on atteigne le vrai dans la plupart des cas, malgré quelques exceptions possibles.

 

            Article 2 — La loi humaine doit-elle réprimer tous les vices ?

Objections :

1. Il semble qu’il appartienne à la loi humaine de réprimer tous les vices. S. Isidore dit en effet : “ Les lois sont faites pour que, par la crainte qu’elles inspirent, l’audace soit réprimée. ” Or cette audace ne serait pas efficacement réprimée si tout mal n’était pas refréné par la loi. La loi humaine doit donc réprimer tout mal.

2. L’intention du législateur est de rendre les citoyens vertueux. Mais l’on ne peut être vertueux si l’on ne maîtrise pas tous les vices. Donc il appartient à la loi humaine de réprimer tous les vices.

3. La loi humaine dérive de la loi naturelle, on l’a dit. Or tous les vices s’opposent à la loi naturelle. Donc la loi humaine doit réprimer tous les vices.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Il me semble juste que cette loi qui est écrite pour régir le peuple, permette ces choses, et que la providence divine en tire vengeance. ” Mais celle-ci ne tire vengeance que des vices. C’est donc à juste titre que la loi humaine tolère quelques vices sans les réprimer.

Réponse :

Nous avons déjà dit que la loi est établie comme une règle et une mesure des actes humains. Or la mesure doit être homogène au mesuré, dit le livre X des Métaphysiques ; il faut en effet des mesures diverses pour des réalités diverses. Il s’ensuit que les lois, elles aussi, doivent être imposées aux hommes suivant la condition de ceux-ci. S. Isidore le déclare : “ La loi doit être possible, et selon la nature, et selon la coutume du pays. ” Or, la puissance ou faculté d’agir procède d’un habitus ou d’une disposition intérieure ; car la même chose n’est pas possible pour celui qui ne possède pas l’habitus de la vertu, et pour le vertueux ; pareillement, une même chose n’est pas possible pour l’enfant et pour l’homme fait. C’est pourquoi on ne porte pas une loi identique pour les enfants et pour les adultes ; on permet aux enfants beaucoup de choses que la loi punit ou blâme chez les adultes. Et pareillement, on permet aux hommes imparfaits beaucoup de choses que l’on ne doit pas tolérer chez les hommes vertueux.

Or la loi humaine est portée pour la multitude des hommes, et la plupart d’entre eux ne sont pas parfaits en vertu. C’est pourquoi la loi humaine n’interdit pas tous les vices dont les hommes vertueux s’abstiennent, mais seulement les plus graves, dont il est possible à la majeure partie des gens de s’abstenir ; et surtout ceux qui nuisent à autrui. Sans l’interdiction de ces vices-là, en effet, la société humaine ne pourrait durer ; aussi la loi humaine interdit-elle les assassinats, les vols et autres choses de ce genre.

Solutions :

1. L’audace se réfère à l’attaque d’autrui. Aussi concerne-t-elle surtout ce genre de fautes par lesquelles on fait tort au prochain ; précisément ce genre de fautes est prohibé par la loi humaine, nous venons de le dire.

2. La loi humaine a pour but d’amener les hommes à la vertu, non d’un seul coup mais progressivement. C’est pourquoi elle n’impose pas tout de suite à la foule des gens imparfaits ce qui est l’apanage des hommes déjà parfaits : s’abstenir de tout mal. Autrement les gens imparfaits, n’ayant pas la force d’accomplir des préceptes de ce genre, tomberaient en des maux plus graves, selon les Proverbes (30, 33) : “ Qui se mouche trop fort, fait jaillir le sang. ” Et il est dit dans S. Matthieu (9, 17) que “ si le vin nouveau ”, c’est-à-dire les préceptes d’une vie parfaite, “ est mis dans de vieilles outres ” c’est-à-dire en des hommes imparfaits, “ les outres se rompent et le vin se répand ”, c’est-à-dire que les préceptes tombent dans le mépris, et par le mépris les hommes tombent en des maux plus graves.

3. La loi naturelle est une sorte de participation de la loi éternelle en nous ; mais la loi humaine est imparfaite par rapport à la loi éternelle. S. Augustin l’exprime nettement : “ Cette loi qui est portée pour régir les cités tolère beaucoup de choses et les laisse impunies, alors que la providence divine les châtie. Mais parce qu’elle ne réalise pas tout, on ne peut dire pour autant que ce qu’elle réalise soit à réprouver. ”

C’est pourquoi la loi humaine ne peut pas défendre tout ce que la loi de nature interdit.

 

            Article 3 — La loi humaine doit-elle ordonner les actes de toutes les vertus ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Aux actes des vertus, en effet, s’opposent les actes vicieux. Or la loi humaine n’interdit pas tous les vices, on vient de le dire. Donc elle ne prescrit pas non plus les actes de toutes les vertus.

2. L’acte vertueux procède de la vertu. Mais la vertu est la fin de la loi, et de telle sorte que ce qui émane de la vertu ne peut tomber sous le précepte de la loi. Donc la loi humaine ne prescrit pas les actes de toutes les vertus.

3. La loi est ordonnée au bien commun, on l’a dit. Or certains actes des vertus ne sont pas ordonnés au bien commun, mais au bien privé. Donc la loi ne prescrit pas les actes de toutes les vertus.

En sens contraire, Aristote écrit : “ La loi prescrit d’accomplir les actes de l’homme fort, ceux de l’homme tempérant et ceux de l’homme doux ; de même pour les autres vertus et vices, elle prescrit les uns et prohibe les autres. ”

Réponse :

Les espèces des vertus se distinguent d’après leurs objets, nous l’avons vu précédemment. Or tous les objets des vertus peuvent se référer soit au bien privé d’une personne, soit au bien commun de la multitude ; ainsi peut-on exercer la vertu de force, soit pour le salut de la patrie, soit pour défendre les droits d’un ami ; et il en va de même pour les autres vertus.

Or la loi, nous l’avons dit, est ordonnée au bien commun. C’est pourquoi il n’y a aucune vertu dont la loi ne puisse prescrire les actes. Toutefois, la loi humaine ne commande pas tous les actes de toutes les vertus ; mais seulement ceux qui peuvent être ordonnés au bien commun, soit immédiatement, par exemple quand certains actes sont directement accomplis en vue du bien commun ; soit médiatement, par exemple quand le législateur porte certaines prescriptions ayant trait à la bonne discipline qui forme les citoyens à maintenir le bien commun de la justice et de la paix.

Solutions :

1. La loi humaine n’interdit pas tous les actes vicieux par l’obligation d’un précepte, de même qu’elle ne prescrit pas tous les actes vertueux. Toutefois elle prohibe quelques actes de certains vices déterminés ; et elle commande de la même manière certains actes de vertus déterminées.

2. Un acte est appelé vertueux de deux manières. D’une part lorsqu’un homme accomplit des actions vertueuses ; ainsi, c’est un acte de justice que de respecter le droit, et c’est un acte de force que de manifester du courage. Et c’est ainsi que la loi prescrit certains actes de vertus. D’autre part, on parle d’un acte de vertu lorsque quelqu’un accomplit des actions vertueuses selon le mode d’agir de l’homme vertueux. Et un tel acte procède toujours de la vertu, mais il ne tombe plus sous le précepte de la loi ; il est plutôt la fin à laquelle le législateur veut amener.

3. Il n’y a pas, on vient de le dire, de vertu dont les actes ne puissent être ordonnés au bien général, soit médiatement, soit immédiatement.

 

            Article 4 — La loi humaine s’impose-t-elle à l’homme de façon nécessaire dans le for de sa conscience ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, une puissance subalterne ne peut pas imposer de loi qui ait valeur au jugement d’une puissance supérieure. Or la puissance de l’homme qui porte la loi humaine est inférieure à la puissance divine. Donc la loi humaine ne peut imposer de loi au jugement divin, qui est le jugement de la conscience.

2. Le jugement de la conscience dépend principalement des commandements divins. Cependant il arrive que les commandements divins soient annulés par les lois humaines, selon ces paroles de S. Matthieu (15, 6) : “ Vous avez annulé le précepte divin au nom de votre tradition. ” Donc la loi humaine n’impose pas sa nécessité à la conscience de l’homme.

3. Les lois humaines imposent souvent aux hommes calomnie et injustice, selon Isaïe (10, 1.2) : “ Malheur à ceux qui établissent des lois iniques et qui prescrivent des injustices afin d’opprimer les pauvres dans les procès et de faire violence au droit des humbles de mon peuple. ” Or il est permis à chacun de repousser l’oppression et la violence. Donc la loi humaine ne s’impose pas de façon nécessaire à la conscience de l’homme.

En sens contraire, S. Pierre écrit (1 P 2, 19) “ C’est une grâce de supporter, par motif de conscience, des peines que l’on souffre injustement. ”

Réponse :

Les lois que portent les hommes sont justes ou injustes. Si elles sont justes, elles tiennent leur force d’obligation, au for de la conscience, de la loi éternelle dont elles dérivent, selon les Proverbes (8, 15) : “ C’est par moi que les rois règnent et que les législateurs décrètent le droit. ” Or, on dit que les lois sont justes, soit en raison de leur fin, quand elles sont ordonnées au bien commun, soit en fonction de leur auteur, lorsque la loi portée n’excède pas le pouvoir de celui qui la porte ; soit en raison de leur forme, quand les charges sont réparties entre les sujets d’après une égalité de proportion en étant ordonnées au bien commun. En effet, comme l’individu est une partie de la multitude, tout homme, en lui-même et avec ce qu’il possède, appartient à la multitude ; de même que toute partie, en ce qu’elle est, appartient au tout. C’est pourquoi la nature elle-même nuit à une partie pour sauver le tout. Selon ce principe, de telles lois qui répartissent proportionnellement les charges, sont justes, elles obligent au for de la conscience et sont des lois légitimes.

Mais les lois peuvent être injustes de deux façons. D’abord par leur opposition au bien commun en s’opposant à ce qu’on vient d’énumérer, ou bien par leur fin, ainsi quand un chef impose à ses sujets des lois onéreuses qui ne concourent pas à l’utilité commune, mais plutôt à sa propre cupidité ou à sa propre gloire ; soit du fait de leur auteur, qui porte par exemple une loi en outrepassant le pouvoir qui lui a été confié ; soit encore en raison de leur forme, par exemple lorsque les charges sont réparties inégalement dans la communauté, même si elles sont ordonnées au bien commun. Des lois de cette sorte sont plutôt des violences que des lois, parce que “ une loi qui ne serait pas juste ne paraît pas être une loi ”, dit S. Augustin. Aussi de telles lois n’obligent-elles pas en conscience, sinon peut-être pour éviter le scandale et le désordre ; car pour y parvenir on est tenu même à céder son droit, selon ces paroles en S. Matthieu (6, 40) : “ Si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, accompagne-le encore deux mille pas ; et si quelqu’un te prend ta tunique, donne-lui aussi ton manteau. ”

Les lois peuvent être injustes d’une autre manière : par leur opposition au bien divin ; telles sont les lois tyranniques qui poussent à l’idolâtrie ou à toute autre conduite opposée à la loi divine. Il n’est jamais permis d’observer de telles lois car, “ il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes ” (Ac 5, 29).

Solutions :

1. Comme le dit S. Paul (Rm 13, 1) “ Toute puissance humaine vient de Dieu... c’est pourquoi celui qui résiste au pouvoir ”, dans le choses qui relèvent de ce pouvoir, “ résiste l’ordre de Dieu. ” A ce titre, il devient coupable en conscience.

2. Cet argument vaut pour les lois humaines qui sont ordonnées contre le commandement de Dieu. Et le domaine de la puissance humaine ne s’étend pas jusque-là. Il ne faut donc pas obéir à de telles lois.

3. Cet argument vaut pour la loi qui opprime injustement ses sujets ; là aussi le domaine de la puissance accordée par Dieu ne s’étend pas jusque-là. Aussi, dans des cas semblables, l’homme n’est pas obligé d’obéir à la loi, si sa résistance n’entraîne pas de scandale ou d’inconvénient majeur.

 

            Article 5 — Tous les hommes sont-ils soumis à la loi humaine ?

Objections :

1. Il semble que non. Ceux-là seuls, en effet, sont soumis à la loi qui en sont les destinataires. Or S. Paul écrit (1 Tm 1, 9) : “ La loi n’a pas été instituée pour le juste. ” Donc les justes ne sont pas soumis à la loi humaine.

2. Le pape Urbain déclare ceci, qui est inséré dans les Décrets : “ Celui qui est conduit par une loi privée, aucun motif n’exige qu’il soit contraint par une loi publique. ” Mais c’est par la loi privée du Saint-Esprit que sont conduits tous les hommes spirituels qui sont fils de Dieu, selon l’épître aux Romains (8, 14) : “ Ceux qui sont menés par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. ” Donc les hommes ne sont pas tous soumis à la loi humaine.

3. Justinien dit que “ le prince est dégagé des lois ”. Mais celui qui est dégagé de la loi ne lui est plus soumis. Donc tous ne sont pas soumis à la loi.

En sens contraire, S. Paul demande (Rm 13, 1) : “ Que chacun soit soumis au pouvoir supérieur. ” Mais celui-là ne semble guère soumis au pouvoir qui n’est pas soumis à la loi portée par ce pouvoir. Donc tous les hommes doivent être soumis à la loi humaine.

Réponse :

Comme il ressort des explications précédentes, la notion de loi comporte deux éléments : elle est la règle des actes humains, et elle a une force de cœrcition. L’homme pourra donc être soumis à la loi de deux manières.

D’abord, comme ce qui est réglé par rapport à la règle. De cette façon, tous ceux qui sont soumis à un pouvoir sont soumis à la loi portée par ce pouvoir. Qu’on ne soit pas soumis à ce pouvoir peut arriver de deux façons. En premier lieu, parce qu’on est purement et simplement exempt de sa juridiction. Ainsi ceux qui font partie d’une cité ou d’un royaume, ne sont pas soumis aux lois du chef d’une autre cité ou d’un autre royaume, pas plus qu’ils ne sont soumis à son autorité. En second lieu, on peut échapper à un pouvoir parce qu’on est régi par une loi plus haute. Par exemple, si l’on est soumis à un proconsul, on doit subir la règle de son commandement, sauf toutefois dans les affaires où l’on aurait obtenu une dispense de l’empereur ; dans ce domaine, en effet, on n’est plus astreint à l’obéissance envers le subalterne, puisqu’on est dirigé immédiatement par un commandement supérieur. A cet égard, il peut arriver que l’on soit soumis en principe à une loi, et cependant qu’on soit exempté de quelque disposition particulière de cette loi, étant sur ce point régi directement par une loi supérieure.

On peut encore être soumis à la loi d’une autre manière : lorsqu’on subit une contrainte imposée. C’est en ce sens que les hommes vertueux et justes ne sont pas soumis à la loi, mais seulement les mauvais. En effet, ce qui est imposé par la contrainte et la violence est contraire à la volonté. Or la volonté des bons s’accorde avec la loi ; c’est la volonté des mauvais qui s’y oppose. En ce sens, ce ne sont pas les bons qui sont sous la loi, mais uniquement les mauvais.

Solutions :

1. Cet argument vaut pour la sujétion qui s’exerce sous forme de contrainte. En ce sens, “ la loi n’est pas instituée pour le juste ” ; parce que “ ceux-là sont à eux-mêmes leur propre loi montrant la réalité de la loi écrite dans leur cœur ”, comme S. Paul le dit dans l’épître aux Romains (2, 14). A leur égard la loi n’exerce pas sa contrainte comme elle le fait vis-à-vis des hommes injustes.

2. La loi de l’Esprit Saint est supérieure à toute loi portée par les hommes. C’est pourquoi les hommes spirituels, dans la mesure même où ils sont conduits par la loi de l’Esprit Saint, ne sont pas soumis à la loi en tout ce qui s’opposerait à cette conduite du Saint-Esprit. Toutefois cela même rentre dans la conduite de l’Esprit Saint, que les hommes spirituels se soumettent aux lois humaines, selon ces paroles de S. Pierre (1 P 2, 13) : “ Soyez soumis à toute créature humaine à cause de Dieu. ”

3. Si l’on dit que le prince est dégagé de la loi, c’est quant à sa force contraignante ; en effet, personne n’est contraint, à proprement parler, par soi-même ; et la loi n’a force de contrainte que par la puissance du chef. C’est de cette manière que le prince est dit dégagé de la loi, parce que nul ne peut porter de condamnation contre soi-même au cas où il agirait contre la loi. C’est pourquoi sur ce passage du Psaume (51, 6) “ Contre toi seul j’ai péché ”, la Glose déclare “ Le roi ne connaît pas d’homme qui juge ses actes. ” Au contraire, s’il s’agit du rôle de direction exercé par la loi, le prince doit s’y soumettre de son propre gré selon ce qui est écrit dans les Décrétales de Grégoire IX : “ Quiconque fixe un point de droit pour autrui, doit s’appliquer ce droit à soi-même. ” Et l’autorité du Sage déclare : “ Supporte toi-même la loi que tu as établie. ” Un reproche, du reste, est adressé par le Seigneur “ à ceux qui parlent et ne font pas ; qui imposent aux autres de lourds fardeaux qu’ils ne veulent pas même remuer du doigt ”, selon Matthieu (23, 3). C’est pourquoi, devant le jugement de Dieu, le prince n’est pas dégagé de la loi, quant à sa puissance de direction ; il doit exécuter la loi de plein gré et non par contrainte. Le prince est enfin au-dessus de la loi en ce sens que, s’il le juge expédient, il peut modifier la loi ou en dispenser suivant le lieu et le temps.

 

            Article 6 — Chez ceux qui sont soumis à la loi, est-il permis d’agir en dehors des termes de la loi ?

Objections :

1. Il semble que non. S. Augustin dit en effet : “ Quant aux lois temporelles, bien que les hommes en jugent au moment où ils les établissent, toutefois lorsqu’elles auront été instituées et confirmées, il ne sera plus permis de les juger ; il faudra plutôt juger d’après elles. ” Or, si l’on passe outre aux termes de la loi, en prétendant respecter l’intention du législateur, on semble juger la loi. Donc il n’est pas permis à celui qui est soumis à la loi d’agir en dehors de ses termes pour respecter l’intention du législateur.

2. Il appartient d’interpréter les lois à celui-là seul qui est chargé de les établir. Or ce n’est pas aux sujets qu’il revient de porter des lois. Ce n’est donc pas à eux qu’il appartient d’interpréter l’intention du législateur ; ils doivent toujours agir selon les termes de la loi.

3. Tout homme sage sait expliquer son intention par ses paroles. Or les législateurs doivent être rangés parmi les sages. La Sagesse dit en effet (Pr 8, 15) : “ C’est par moi que les rois gouvernent et que les législateurs décrètent le droit. ” Donc on ne peut juger l’intention du législateur que d’après les termes de la loi.

En sens contraire, S. Hilaire écrit : “ Le sens des mots doit se prendre des motifs qui les ont dictés ; car ce n’est pas la réalité qui doit être soumise au langage, mais le langage à la réalité. ” Donc, il faut davantage prendre garde au motif qui a inspiré le législateur qu’aux termes mêmes de la loi.

Réponse :

Toute loi, avons-nous dit, est ordonnée au salut commun des hommes, et c’est seulement dans cette mesure qu’elle acquiert force et raison de loi ; dans la mesure, au contraire, où elle y manque, elle perd de sa force d’obligation. Aussi Justinien dit-il que “ ni le droit ni la bienveillance de l’équité ne souffre que ce qui a été sainement introduit pour le salut des hommes, nous le rendions sévère par une interprétation plus dure, au détriment du salut des hommes ”. Or il arrive fréquemment qu’une disposition légale utile à observer pour le salut public, en règle générale, devienne, en certains cas, extrêmement nuisible. Car le législateur, ne pouvant envisager tous les cas particuliers, rédige la loi en fonction de ce qui se présente le plus souvent, portant son intention sur l’utilité commune. C’est pourquoi, s’il surgit un cas où l’observation de telle loi soit préjudiciable au salut commun, celle-ci ne doit plus être observée. Ainsi, à supposer que dans une ville assiégée on promulgue la loi que les portes doivent demeurer closes, c’est évidemment utile au salut commun en règle générale ; mais s’il arrive que les ennemis poursuivent des citoyens dont dépend la survie de la cité, il serait très préjudiciable cette ville de ne pas leur ouvrir ses portes. C’est pourquoi, en ce cas, il faudrait ouvrir ses portes contre la lettre de la loi, afin de sauvegarder l’intérêt général que le législateur avait en vue.

Il faut toutefois remarquer que si l’observation littérale de la loi n’offre pas un danger immédiat, auquel il faille s’opposer aussitôt, il n’appartient pas à n’importe qui d’interpréter ce qui est utile ou inutile à la cité. Cela revient aux princes, qui ont autorité pour dispenser de la loi en des cas semblables. Cependant, si le danger est pressant, ne souffrant pas assez de délai pour qu’on puisse recourir au supérieur, la nécessité même entraîne avec elle la dispense ; car nécessité n’a pas de loi.

Solutions :

1. Celui qui, en cas de nécessité, agit indépendamment du texte de la loi, ne juge pas la loi elle-même, mais seulement un cas singulier où il voit qu’on ne doit pas observer la lettre de la loi.

2. Celui qui se conforme à l’intention du législateur n’interprète pas la loi de façon absolue, mais seulement dans ce cas où il est manifeste, par l’évidence du préjudice causé, que le législateur avait une autre intention. S’il y a doute, il doit ou bien agir selon les termes de la loi, ou bien consulter le supérieur.

3. La sagesse d’aucun homme n’est si grande qu’il puisse imaginer tous les cas particuliers ; et c’est pourquoi il ne peut pas exprimer d’une façon suffisante tout ce qui conviendrait au but qu’il se propose. A supposer même que le législateur puisse envisager tous les cas, il vaudrait mieux qu’il ne les exprime pas, pour éviter la confusion ; il devrait légiférer selon ce qui arrive la plupart du temps.

 

QUESTION 97 — LE CHANGEMENT DES LOIS HUMAINES

1. La loi humaine est-elle sujette au changement ?-2. Doit-elle toujours être changée quand il se présente quelque chose de meilleur ? - 3. Est-elle abolie par la coutume, et celle-ci acquiert-elle force de loi ? - 4. L’application de la loi humaine doit-elle être modifiée par la dispense des gouvernants ?

 

            Article 1 — La loi humaine est-elle sujette au changement ?

Objections :

1. Il semble que la loi humaine doit être absolument immuable. Elle dérive en effet de la loi naturelle, on l’a dit. Or la loi naturelle demeure immuable. Donc la loi humaine également doit demeurer immuable.

2. “ Une mesure doit être absolument fixe ”, dit Aristote. Or la loi humaine est la mesure des actes humains. Donc elle doit demeurer immuablement.

3. La notion même de loi comporte que celle-ci soit juste et droite, comme on l’a exposée. Or ce qui est droit une fois est toujours droit. Donc ce qui est la loi une fois doit toujours être la loi.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ La loi temporelle, bien qu’elle soit juste, peut être modifiée selon la justice au cours des temps. ”

Réponse :

Nous avons dite que la loi est une sentence de raison qui dirige les actes humains.

A cet égard, il y a un double motif à ce que la loi humaine soit modifiée à juste titre : du côté de la raison, et du côté des hommes dont les actes sont réglés par la raison. Je dis bien du côté de la raison parce qu’il semble naturel à la raison humaine de parvenir progressivement de l’imparfait au parfait. Ainsi dans les sciences spéculatives voyons-nous que les premiers philosophes n’ont transmis que des résultats imparfaits. Ceux-ci, dans la suite, ont été enseignés par les successeurs de façon plus parfaite. Il en va de même dans les techniques. Les premiers qui ont cherché à découvrir ce qui pourrait être utile à la communauté humaine, incapables de tout envisager par eux-mêmes, se sont contentés d’établir des outils imparfaits, insuffisants sur beaucoup de points. Ceux qui sont venus dans la suite ont apporté des changements, en créant des procédés moins souvent inférieurs à l’intérêt commun.

Du côté des hommes dont les actes sont réglés par la loi, cette loi peut être modifiée à juste titre, en raison des changements survenus dans la condition des hommes, auxquels des instruments différents sont adaptés selon la diversité des situations. S. Augustin en donne un exemple : “ Si le peuple est bien police, sérieux et gardien très vigilant de l’intérêt public, il est juste de porter une loi qui permette à un tel peuple de se donner à lui-même des magistrats qui administrent l’État. Toutefois si, devenu peu à peu dépravé, ce peuple vend son suffrage et confie le gouvernement à des hommes infâmes et scélérats, il est juste qu’on lui enlève la faculté de conférer les honneurs publics et qu’on revienne à la décision prise par un petit nombre de bons citoyens. ”

Solutions :

1. La loi naturelle est une participation de la loi éternelle, nous l’avons dit. C’est pourquoi elle demeure sans changement ; elle tient ce caractère de l’immutabilité et de la perfection de la raison divine qui a constitué la nature. Mais la raison humaine est changeante et imparfaite. Et c’est pourquoi la loi est modifiable. En outre, la loi naturelle ne contient que quelques préceptes universels qui demeurent toujours ; au contraire, la loi établie par l’homme contient des préceptes particuliers, selon les divers cas qui se présentent.

2. Une mesure doit être fixe dans la mesure du possible. Dans les choses changeantes, il ne peut pas y avoir quelque chose d’absolument immuable. C’est pourquoi la loi humaine ne peut pas être absolument immuable.

3. Ce qui est droit dans le domaine des choses corporelles est dit tel de façon absolue ; aussi cela demeure-t-il toujours droit, pour ce qui dépend de lui. La rectitude de la loi, en revanche, est relative à l’utilité commune, à laquelle une chose unique et identique n’est pas toujours adaptée, nous venons de le dire. Aussi la rectitude entendue en ce dernier sens peut-elle changer.

 

            Article 2 — La loi humaine doit-elle toujours être changée quand il se présente quelque chose de meilleur ?

Objections :

1. Il semble que l’on doive toujours modifier la loi humaine quand il se présente quelque chose de meilleur. En effet, les lois humaines sont, comme les autres arts, découvertes par la raison humaine. Mais dans les autres arts, on change ce qu’on avait d’abord établi, si quelque chose de meilleur se présente. Il faut donc faire de même pour les lois humaines.

2. D’après l’enseignement du passé, on peut pourvoir à l’avenir. Or, si les lois humaines n’avaient pas été modifiées quand sont survenus des procédés meilleurs, de multiples inconvénients s’en seraient suivis, car les lois anciennes contiennent beaucoup d’éléments grossiers. Il semble donc que les lois doivent être changées toutes les fois qu’il se présente quelque chose de meilleur à prescrire.

3. Les lois humaines sont établies pour régler des cas particuliers. Or dans le domaine des choses particulières, nous ne pouvons acquérir de connaissance parfaite que par l’expérience : “ ce qui exige du temps ”, selon Aristote. Il semble donc qu’au cours des temps un meilleur statut puisse se présenter.

En sens contraire, il est dit dans les Décrets “ C’est une honte ridicule et pleine d’impiété que nous laissions violer les traditions reçues jadis de nos pères. ”

Réponse :

Nous avons dit à l’article précédent qu’une loi humaine était changée à juste titre dans la mesure où son changement profitait au bien public. Or la modification même de la loi, en tant que telle, nuit quelque peu au salut commun. Car pour assurer l’observation des lois, l’accoutumance a une puissance incomparable, à ce point que ce qu’on fait contre l’habitude générale, même s’il s’agit de choses de peu d’importance, paraît très grave. C’est pourquoi lorsque la loi est changée, la force cœrcitive de la loi diminue dans la mesure où l’accoutumance est abolie. C’est pourquoi on ne doit jamais modifier la loi humaine, à moins que l’avantage apporté au bien commun contrebalance le tort qui lui est porté de ce fait. Ce cas se présente quand une utilité très grande et absolument évidente résulte d’un statut nouveau, ou encore quand il y a une nécessité extrême résultant de ce que la loi usuelle contient une iniquité manifeste, ou que son observation est très nuisible. Ainsi est-il noté par Justinien i que “ dans l’établissement d’institutions nouvelles, l’utilité doit être évidente pour qu’on renonce au droit qui a été longtemps tenu pour équitable ”.

Solutions :

1. Dans les choses de l’art, c’est la raison seule qui est efficace ; et c’est pourquoi partout où une meilleure raison se présente, il faut modifier ce qu’on avait établi auparavant. Mais les lois tirent leur plus grande force de l’habitude, selon le Philosophe. C’est pourquoi il ne faut pas les changer facilement.

2. Cet argument conclut que les lois doivent être changées, non pas toutefois par n’importe quelle amélioration, mais pour une grande utilité ou nécessité comme on vient de le dire.

3. Même réponse.

 

            Article 3 — La loi humaine est-elle abolie par la coutume, et celle-ci acquiert-elle force de loi ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la coutume puisse acquérir force de loi, ni faire disparaître la loi. La loi humaine, en effet, dérive de la loi naturelle et de la loi divine. Or la coutume des hommes ne peut changer ni la loi de nature, m la loi divine. Elle ne peut donc pas davantage changer la loi humaine.

2. De plusieurs choses mauvaises ne peut résulter une chose bonne. Or celui qui commence le premier à agir contrairement à la loi, agit mal. Donc la multiplication d’actes semblables ne produira aucun bien. Mais la loi est un bien, puisqu’elle est la règle des actes humains. Donc la loi ne peut pas être évincée par la coutume de telle sorte que la coutume acquière force de loi.

3. Porter des lois appartient aux pouvoirs publics chargés de gouverner la multitude ; aussi les personnes privées ne peuvent-elles pas faire de loi. Or la coutume tire sa valeur des actions de personnes privées. Donc la coutume ne peut pas obtenir force de loi en sorte que la loi serait abrogée.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ La coutume du peuple et les institutions des anciens doivent être tenues pour des lois. Et de même que les prévaricateurs des lois divines, les contempteurs des coutumes ecclésiastiques doivent être réprimés. ”

Réponse :

Toute loi émane de la raison et de la volonté du législateur ; la loi divine et la loi naturelle, de la volonté raisonnable de Dieu ; la loi humaine, de la volonté de l’homme réglée par la raison. Mais de même que la raison et la volonté de l’homme se manifestent par la parole pour les choses à faire, ainsi se manifestent-elles par des actes, car chacun semble choisir comme un bien ce qu’il réalise par ses œuvres. Or, il est évident que par le moyen de la parole, en tant qu’elle manifeste le mouvement intérieur et les conceptions de la raison humaine, la loi peut être changée et aussi expliquée. Aussi, par le moyen des actes, très multipliés, qui créent une coutume, la loi peut être changée, voire expliquée ; et même des pratiques peuvent s’établir qui obtiennent force de loi du fait que, par

des actes extérieurs multipliés, on exprime d’une façon très efficace et le mouvement intérieur de la volonté, et la conception de la raison ; car lorsqu’un acte se répète un grand nombre de fois, cela paraît bien émaner d’un jugement délibéré de la raison. De ce fait, la coutume a force de loi, abolit la loi et interprète la loi.

Solutions :

1. La loi naturelle et divine procède de la volonté divine, nous venons de le dire. Par conséquent, elle ne peut être changée par une coutume émanée de la volonté de l’homme, mais uniquement par l’autorité divine. Il s’ensuit qu’aucune coutume ne peut prévaloir contre la loi divine ou la loi naturelle. S. Isidore demande en effet “ que l’usage s’incline devant l’autorité ; et que la pratique irrégulière soit vaincue par la loi et la raison ”.

2. Nous avons accordé plus haut que les lois humaines sont en certains cas insuffisantes ; il est donc possible d’agir indépendamment de la loi dans le cas où la loi se trouve en défaut, sans que cette manière d’agir soit mauvaise. Lorsque des cas semblables se multiplient, en raison d’un changement dans la situation des hommes, il est alors manifesté par la coutume que la loi n’est plus utile. La même évidence éclaterait si une loi contraire était promulguée. Mais si le même motif qui faisait l’utilité de la première loi demeure, ce n’est pas la coutume qui évince la loi, mais la loi qui évince la coutume ; à moins que peut-être la loi semble inutile pour cette unique raison qu’elle n’est plus applicable selon la coutume du pays, ce qui était une des conditions de la loi. De fait, il est difficile de détruire la coutume du grand nombre.

3. Le peuple dans lequel une coutume s’introduit peut se trouver en deux états. S’il s’agit d’une société libre capable de faire elle-même sa loi, il faut compter davantage sur le consentement unanime du peuple pour faire observer une disposition rendue manifeste par la coutume, que sur l’autorité du chef qui n’a le pouvoir de faire des lois qu’au titre de représentant de la multitude. C’est pourquoi, bien que les individus ne puissent pas faire de loi, cependant le peuple tout entier peut légiférer. S’il s’agit maintenant d’une société qui ne jouit pas du libre pouvoir de se faire à elle-même la loi, ni de repousser une loi posée par son chef, la coutume elle-même qui prévaut dans ce peuple obtient force de loi en tant qu’elle est tolérée par ceux à qui il appartient d’imposer la loi à la multitude. De ce fait même, ils semblent approuver la nouveauté introduite par la coutume.

 

            Article 4 — L’application de la loi doit-elle être modifiée par la dispense des gouvernants ?

Objections :

1. Il semble que les gouvernants ne puissent pas accorder de dispense dans les lois humaines. Car la loi est établie “ pour l’utilité générale ”, dit S. Isidore. Or l’utilité générale ne doit pas être suspendue pour l’avantage privé d’un individu, puisque “ le bien du peuple est plus divin que celui d’un individu ”, dit Aristote. Il semble donc qu’on ne doive pas accorder de dispense à quelqu’un pour qu’il agisse contre la loi générale.

2. Le Deutéronome (1, 17) prescrit à ceux qui exercent l’autorité : “ Vous entendrez le petit comme le grand et vous ne ferez pas acception de personnes, car la sentence est à Dieu. ” Mais concéder à l’un ce qu’on refuse d’une manière générale à tous semble bien faire acception de personnes. Donc ceux qui gouvernent le peuple ne peuvent pas accorder de telles dispenses, parce que c’est contraire à la loi divine.

3. La loi humaine, pour être juste, doit être conforme à la loi naturelle et à la loi divine ; sinon “ elle ne serait plus en harmonie avec la religion et ne s’accorderait plus avec la discipline des mœurs ”, ce qui est exigé de la loi d’après S. Isidore. Or, aucun homme ne peut dispenser de la loi divine et naturelle. Donc pas davantage de la loi humaine.

En sens contraire, S. Paul déclare (1 Co 9, 17 Vg) : “ Le droit de dispense m’a été confié. ”

Réponse :

A proprement parler, le mot “ dispense ” signifie une distribution mesurée d’un bien commun à des besoins particuliers ; ainsi celui qui gouverne une maison est appelé “ dispensateur ” en tant qu’il attribue à chacun des membres de la famille, avec discernement et mesure, le travail à faire et les denrées nécessaires à la vie. Ainsi donc, en toute société, on dit que quelqu’un “ dispense ”, parce qu’il règle de quelle manière un précepte général sera accompli par chacun des individus. Or, il arrive parfois qu’un précepte adapté, dans la plupart des cas, au bien du peuple, ne convienne pas à telle personne, ou dans tel cas donné, soit parce qu’il empêcherait un bien supérieur, soit même parce qu’il entraînerait quelque mal, comme nous l’avons montré précédemment. Or, il serait dangereux qu’une telle situation fût soumise au jugement privé de n’importe qui ; sauf peut-être à cause d’un danger évident et subit, nous l’avons déjà dit. Voilà pourquoi celui qui est chargé de gouverner le peuple a le pouvoir de dispenser de la loi humaine, qui dépend de son autorité : afin qu’il accorde la permission de ne pas observer la loi, aux personnes et dans les cas où la loi n’atteint pas sa fin.

Toutefois, s’il accorde cette permission sans ce motif, et uniquement par un caprice de sa volonté, il sera infidèle à son rôle de dispensateur, ou bien il sera imprudent ; infidèle, s’il n’a pas en vue le bien commun ; imprudent, s’il ignore le motif de la dispense. C’est pourquoi le Seigneur demande en Luc (12, 42) : “ Quel est, penses-tu, le dispensateur fidèle et prudent que le Seigneur a établi sur sa maison ? ”

Solutions :

1. Quand on accorde à quelqu’un une dispense pour ne pas observer la loi commune, ce ne doit pas être au préjudice de l’intérêt général, mais dans l’intention de favoriser cet intérêt.

2. Il n’y a pas acception des personnes si l’on prend des mesures inégales pour des personnes de situation inégale. Aussi, lorsque la condition exceptionnelle d’une personne exige raisonnablement de prendre une disposition spéciale à son égard, il n’y a pas acception des personnes si on lui accorde une faveur particulière.

3. La loi naturelle, comprenant les préceptes généraux qui ne sont jamais en défaut, ne peut pas être l’objet de dispense. Mais les hommes peuvent parfois dispenser des autres préceptes, qui sont comme les conclusions des premiers principes : par exemple, de ne pas restituer un dépôt à celui qui a trahi la patrie, ou autre chose du même genre. Quant à la loi divine, tout homme se trouve à son égard comme une personne privée vis-à-vis de la loi publique à laquelle elle est soumise. Aussi, de même que nul ne peut dispenser de la loi publique humaine, sinon le législateur dont la loi tire son autorité, ou celui auquel il a confié ce soin ; de même aussi, dans les préceptes de droit divin édictés par Dieu, nul ne peut accorder de dispense, sinon Dieu ou celui à qui Dieu en remettrait spécialement le soin.

Voici maintenant le traité de la loi ancienne, considérée d’abord en elle-même (Q. 98), puis dans ses préceptes (Q. 99).

 

QUESTION 98 — LA LOI ANCIENNE EN ELLE-MÊME

Au sujet de la loi ancienne considérée en elle-même, six questions se posent : 1. Est-elle bonne ? - 2. Vient-elle de Dieu ? - 3. Par l’intermédiaire des anges ? - 4. Est-elle donnée à tous ? - 5. Oblige-t-elle tout le monde ? - 6. Fut-elle donnée au moment opportun ?

 

            Article 1 — La loi ancienne était-elle bonne ?

Objections :

1. “ Je leur ai donné, dit le Seigneur, des préceptes qui ne sont pas bons, des ordonnances selon lesquelles ils ne pourront pas vivre ” (Ez 20, 25). Si une loi n’est dite bonne qu’en raison des bons préceptes qu’elle contient, la loi ancienne n’était pas bonne.

2. Suivant S. Isidore, une loi bonne doit être avantageuse à la communauté. Or la loi ancienne ne fut pas avantageuse, mais plutôt meurtrière et funeste. S. Paul l’affirme : “ Sans la loi, le péché était mort tandis que moi je vivais jadis sans la loi. Mais, venu le précepte, le péché a repris vie tandis que moi je suis mort ” (Rm 7, 8 s). Ou encore : “ La loi est intervenue pour que la faute se multiplie ” (Rm 5, 20). La loi ancienne n’était donc pas bonne.

3. Si une loi est bonne, les hommes doivent pouvoir l’observer, compte tenu de leur nature et de leurs coutumes. Ce ne fut pas le cas de la loi ancienne : “ Pourquoi cherchez-vous, demande Pierre, à placer sur les épaules des disciples un joug que ni nous ni nos pères n’avons pu porter ? ” (Ac 15, 10). Par où l’on voit que la loi ancienne n’était pas bonne.

En sens contraire, dit S. Paul, “ la loi est sainte, le commandement est saint, juste et bon ” (Rm 7, 12).

Réponse :

Indubitablement la loi ancienne était bonne. De même en effet qu’on montre la vérité d’une doctrine par son accord avec la raison droite, de même la bonté d’une loi quelconque se manifeste en ce qu’elle s’accorde avec la raisons. Et c’était le cas de la loi ancienne. Elle réprimait la convoitise qui s’oppose à la raison : “ Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain ”, prescrit l’Exode (20, 17). Elle interdisait même tous les péchés, lesquels sont contraires à la raison. Sa bonté est donc manifeste et c’est bien l’avis de l’Apôtre : “ Selon l’homme intérieur je me complais dans la loi de Dieu ” ; et encore : “ je suis d’accord avec la loi, tenant qu’elle est bonne ” (Rm 7, 22. 16).

Notons toutefois avec Denys que le bien comporte plusieurs degrés : il y a un bien parfait et un bien imparfait. Ce qui est ordonné à une fin est parfaitement bon si l’on y trouve tout ce qu’il faut pour mener à la fin ; est imparfaitement bon ce qui contribue à l’obtention de la fin sans être cependant en mesure d’y aboutir. Ainsi le remède parfait est celui qui guérit, le remède imparfait celui qui est utile mais qui cependant ne peut guérir le malade. Or on sait que la fin de la loi humaine et celle de la loi divine ne se confondent pas. Pour la loi humaine, c’est la tranquillité de la cité dans le temps présent ; la loi y parvient en refrénant les actes extérieurs, dans la mesure où leur malice peut troubler la paix de la cité. Mais la fin de la loi divine c’est de conduire l’homme à sa fin, la félicité éternelle. Or tout péché fait obstacle à cette fin, non seulement les actes extérieurs, mais aussi les actes intérieurs. Il peut donc suffire à la perfection de la loi humaine qu’elle interdise le péché et le punisse, mais cela ne suffit pas pour la loi divine qui doit mettre l’homme pleinement en état de participer à l’éternité bienheureuse. En vérité, pareille tâche exige la grâce de l’Esprit Saint, par qui “ est répandue dans nos cœurs la charité ” qui accomplit la loi. “ La grâce de Dieu est vie éternelle ”, dit en effet l’épître aux Romains (6, 23). Or cette grâce, la loi ancienne ne pouvait la conférer, cela était réservé au Christ : “ La loi a été donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont le fait de jésus Christ ” (Jn 1, 17). Il s’ensuit que la loi ancienne était bonne, mais imparfaite, comme l’indique l’épître aux Hébreux (7, 19) : “ La loi n’a rien conduit à la perfection. ”

Solutions :

1. Dans le texte allégué, le Seigneur parle des préceptes cérémoniels. Ils ne sont pas “ bons ”, parce qu’ils ne conféraient pas la grâce qui eût purifié les hommes du péché, alors que dans ces rites mêmes les hommes se déclaraient pécheurs. De là cette notation : “ Et des ordonnances selon lesquelles ils ne pouvaient pas vivre ”, c’est-à-dire obtenir la vie de la grâce. Et plus loin : “ je les ai souillés par leurs offrandes ” (autrement dit, j’ai manifesté leurs souillures), “ tandis qu’ils m’offraient leurs premiers-nés à cause de leurs pêchés ”.

2. On dit que la loi “ tuait ”. Non certes qu’elle causât la mort effectivement, mais elle en fournissait l’occasion du fait de son imperfection, en tant qu’elle ne conférait pas la grâce qui eût permis aux hommes d’accomplir ce qu’elle prescrivait ou d’éviter ce qu’elle interdisait. En ce sens, l’occasion ne leur avait pas été donnée, mais les hommes s’en étaient saisis. D’où le mot de l’Apôtre à l’endroit cité : “ Le péché prenant occasion du précepte m’a séduit et par lui m’a donné la mort ” (Rm 7, 11). On entend dans le même sens : “ La loi est intervenue pour que la faute se multiplie ” ; “ pour que ” marque ici un rapport de conséquence, non un rapport de causalité ; autrement dit, les hommes prenant occasion de la loi, péchèrent davantage parce que, d’une part, le péché fut plus grave lorsqu’il eut été prohibé par la loi et parce que, d’autre part, la convoitise s’accrut, s’il est vrai que nous convoitons davantage ce qui nous est interdit.

3. Le joug de la loi ne pouvait être porté sans l’aide de la grâce que la loi ne fournissait pas : “ Cela ne dépend pas de celui qui veut ou de celui qui court (à savoir le fait de vouloir et de courir selon les préceptes divins), mais de Dieu qui fait miséricorde ” (Rm 9, 16). Et le psalmiste avait dit : “ J’ai couru dans la voie de tes commandements, lorsque tu as dilaté mon cœur ”, entendons : dilaté par le don de la grâce et de la charité (Ps 1 19, 32).

 

            Article 2 — La loi ancienne venait-elle de Dieu ?

Objections :

1. “ Les œuvres de Dieu sont parfaites ”, dit le Deutéronome (32, 4). Puisque la loi ancienne était imparfaite, comme on vient de l’établir, elle ne pouvait venir de Dieu.

2. “ J’ai appris que toutes les œuvres de Dieu demeurent à jamais ”, lit-on dans l’Ecclésiaste (3, 14). Or tel n’est pas le cas de la loi ancienne, puisque S. Paul déclare : “ Voici abolie la première ordonnance, en raison de son impuissance et de son inutilité ” (He 7, 18). Elle n’était donc pas l’œuvre de Dieu.

3. Une sage législation ne se contente pas d’extirper le mal, elle en écarte aussi les occasions. Or, on l’a dit, la loi ancienne était occasion de péché. Dieu “ n’ayant pas d’égal parmi les législateurs ” (Jb 36, 22), n’avait rien à voir avec une telle législation.

4. On vient de dire que la loi ancienne n’avait pas de quoi assurer le salut des hommes. Or, “ Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ” (1 Tm 2, 4). Une telle loi ne pouvait donc venir de Dieu.

En sens contraire, le Seigneur s’adresse en ces termes aux Juifs à qui avait été donnée la loi ancienne : “ Au nom de vos traditions, vous avez rendu inefficace le commandement de Dieu ” (Mt 15, 6). Or il s’agissait du précepte d’honorer ses père et mère, précepte qui se trouve, à n’en pas douter, dans la loi ancienne. La loi ancienne vient donc de Dieu.

Réponse :

La loi ancienne a été donnée par le Dieu bon, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle orientait en effet les hommes vers le Christ. Et doublement : d’abord elle rendait témoignage au Christ comme il l’a déclaré lui-même : “ Il faut que soit accompli tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi, les Psaumes et les Prophètes ” (Lc 24, 44). Et encore - “ Si vous aviez foi en Moïse, peut-être croiriez-vous aussi en moi, car c’est de moi qu’il a écrit ” (Jn 5, 46). D’autre part, à sa façon, la loi ancienne préparait les hommes au Christ, en les arrachant à l’idolâtrie et en les tenant soumis au culte du Dieu unique qui, par le Christ, devait sauver le genre humain. Ce qui fait dire à l’Apôtre : “ Avant que vînt la foi, nous étions sous la garde de la Loi, enfermés dans l’attente de la foi qui devait être révélée ” (Ga 3, 23). Mais préparer les voies et mener au but, c’est le fait d’un seul et même auteur, entendez son fait personnel ou le fait de ses gens. Bref, ce n’est pas le diable, lui que le Christ allait expulser, qui aurait institué une législation propre à mener les hommes vers le Christ : “ Si Satan expulse Satan, son royaume est divisé ” (Mt 12, 26). Par conséquent c’est le même Dieu qui est l’auteur de la loi ancienne et qui a réalisé le salut des hommes par la grâce du Christ.

Solutions :

1. Pourquoi, sans être parfaite absolument, une réalité ne posséderait-elle pas la perfection qui lui convient à un moment donné ? Ainsi dit-on d’un enfant qu’il est parfait, non absolument, mais comme son âge le comporte. De même, les préceptes que l’on fait aux enfants, s’ils ne sont pas parfaits absolument, sont parfaits cependant si l’on tient compte de ceux à qui ils s’adressent. Tel fut le cas des préceptes de la loi, celle-ci étant, selon l’expression de l’Apôtre, “ notre pédagogue dans le Christ ” (Ga 3, 24).

2. “ Les œuvres divines qui demeurent à jamais ”, ce sont celles que Dieu destine à demeurer à jamais, c’est-à-dire les œuvres parfaites. Si la loi ancienne est repoussée au moment où la grâce est venue à sa perfection, ce n’est pas comme mauvaise, mais comme “ impuissante et inutile ” désormais, puisque, le texte le mentionne, “ la loi n’a rien conduit à la perfection ”. Ce qui revient à dire avec S. Paul : “ Du moment que la foi est venue, nous ne sommes plus soumis au pédagogue ” (Ga 3, 25).

3. On sait que Dieu permet parfois le péché pour l’humiliation du pécheur. De même aussi voulut-il donner aux hommes une loi qu’ils ne pussent observer par leurs propres forces ; par là, dans leur présomption, ils se connaîtraient pécheurs, et dans leur humiliation, ils recourraient à l’aide de la grâce.

4. Certes la loi ancienne n’avait pas de quoi sauver l’homme. Mais celui-ci, en même temps que la loi, recevait de Dieu un autre secours qui pouvait le sauver : c’était la foi au médiateur, par laquelle les Pères de l’Ancien Testament étaient justifiés, comme nous le sommes aussi. Ainsi Dieu ne manquait pas de fournir aux hommes les secours nécessaires au salut.

 

            Article 3 — La loi ancienne fut-elle donnée par l’intermédiaire des anges ?

Objections :

1. Il semble plutôt que Dieu l’ait donnée sans intermédiaire. Ange veut dire messager ; le nom évoque l’idée de service et non celle de seigneurie : “ Bénissez le Seigneur, vous tous ses anges, ses serviteurs ” (Ps 103, 20). Or la loi ancienne a été communiquée par le Seigneur, d’après le livre de l’Exode (20, 21) : “ Le Seigneur a dit les paroles que voici ” ; et un peu plus loin : “ je suis le Seigneur ton Dieu ”, formule reprise fréquemment dans l’Exode et dans la suite des livres de la loi. La loi a donc été donnée par Dieu sans intermédiaire.

2. D’après S. Jean, “ la loi a été donnée par Moïse ” (Jn 1, 17). Mais Moïse la tenait immédiatement de Dieu comme il ressort de ce passage : “ Le Seigneur s’entretenait avec Moïse face à face, comme un homme parle avec son ami ” (Ex 33, 11). La communication a donc été immédiate.

3. Seul le souverain a compétence pour légiférer, avons-nous dit. Mais dans l’ordre du salut des âmes l’autorité souveraine n’appartient qu’à Dieu, les anges étant “ des esprits qui servent ” (He 1, 14). La loi ancienne, destinée au salut des âmes, ne pouvait donc être donnée par des anges.

En sens contraire, S. Paul dit de la loi qu’elle “ fut donnée par les anges avec le concours d’un médiateur ” (Ga 3, 19) ; et S. Étienne rappelle aux Juifs : “ Vous avez reçu la loi par le ministère des anges ” (Ac 7, 53).

Réponse :

C’est bien par le ministère des anges que Dieu a donné la loi. Outre cette raison générale empruntée à Denys qui veut que “ les réalités divines soient présentées aux hommes par la médiation des anges ”, une raison spéciale imposait que la loi ancienne fût donnée de la sorte. Cette loi, on le sait, était imparfaite, mais elle préparait pour le genre humain la perfection du salut qui devait se réaliser par le Christ. Ainsi, nous voyons, en tout ordre de pouvoirs et de techniques, que le maître se réserve la direction et l’achèvement, tandis qu’il fait exécuter par des sous-ordres les opérations qui précèdent et préparent l’accomplissement ultime. Par exemple, le constructeur de navires exécute lui-même le travail d’assemblage, mais fait préparer les pièces par les ouvriers à son service. C’est pourquoi la loi parfaite du Nouveau Testament devait être donnée immédiatement par Dieu lui-même, fait homme, tandis que la loi ancienne devait parvenir aux hommes par les serviteurs de Dieu, ses anges. Telle est précisément la preuve que fournit l’Apôtre de la supériorité de la loi nouvelle sur l’autre : “ Dans le Nouveau Testament, Dieu nous a parlé en son Fils, dans l’Ancien sa parole s’est produite par le moyen des anges ” (He 1, 2 ; 2, 2).

Solutions :

1. “ L’Ange qui apparut à Moïse, écrit S. Grégoire, est désigné tantôt comme un ange, tantôt comme le Seigneur. C’est un ange, puisqu’il exerçait le ministère extérieur de la parole, mais il est appelé Seigneur, à cause de l’autorité intérieure qui rendait le discours efficace. ” De là vient aussi que l’ange, en parlant, tenait pour ainsi dire la place du Seigneur.

2. Le verset de l’Exode : “ le Seigneur parla à Moïse face à face... ” est suivi bientôt de celui-ci : “ Montre-moi ta gloire ” (Ex 33, 11 et 18). S. Augustin, qui fait le rapprochement, conclut : “ Moïse connaissait donc l’objet qu’il voyait, et ce qu’il ne voyait pas il le désirait. ” Il ne voyait donc pas l’essence même de Dieu, et ainsi Dieu ne l’instruisait pas immédiatement. Mais ne lui parlait-il pas “ face à face ” ? L’Écriture adopte ce langage pour se conformer à l’opinion populaire qui croyait que Moïse parlait à Dieu en tête à tête, alors que Dieu lui parlait et lui apparaissait sous les espèces d’une créature, ange ou nuée. - A moins que cette vision faciale ne signifie quelque contemplation sublime et intime, inférieure toutefois à la vision de l’essence divine.

3. Seul le souverain, de sa propre autorité, établit une loi, mais il lui arrive de promulguer par intermédiaires la loi qu’il a établie. C’est ainsi que la loi ancienne, instituée par l’autorité même de Dieu, a été promulguée par des anges.

 

            Article 4 — La loi ancienne a-t-elle été donnée à tous ?

Objections :

1. Ce n’est pas seulement aux juifs, c’est à toutes les nations que devait parvenir le salut auquel disposait la loi ancienne, et que le Christ allait apporter. “ C’est peu que tu me serves en réveillant les tribus de Jacob, en ramenant les restes d’Israël ; je t’ai établi lumière des nations pour être mon salut jusqu’aux extrémités de la terre ” (Is 49, 6). Ainsi la loi ancienne devait être donnée à toutes les nations et non à un seul peuple.

2. “ Dieu ne fait pas acception des personnes ” lit-on au livre des Actes (10, 34), “ en toute nation celui qui le craint et vit dans la justice lui est agréable. ” Il ne devait donc pas ouvrir la voie du salut à un peuple particulier, de préférence aux autres.

3. Les services des anges, dont on vient de parler, ce n’est pas aux seuls juifs, c’est à toutes les nations que Dieu les a toujours assurés : “ A la tête de chaque nation, affirme l’Ecclésiastique (17, 14), Dieu a placé un chef. ” Toutes les nations ont reçu aussi de Dieu des biens temporels, qui ont à ses yeux moins d’importance que les biens spirituels. La loi également devait donc être donnée à tous les peuples.

En sens contraire, S. Paul se demandant “ Quel est donc l’avantage des Juifs ? ” répond “ Il est grand à tous égards : d’abord les oracles de Dieu leur ont été confiés ” (Rm 3, 1). On lit (Ps 147) : “ Dieu n’a pas agi de la sorte avec toutes les nations, il ne leur a pas fait connaître ses ordonnances. ”

Réponse :

Que la loi ait été donnée au peuple juif plutôt qu’aux autres, on pourrait en chercher la raison dans le fait que seul le peuple juif est resté fidèle au culte du Dieu unique, alors que les autres peuples tombant dans l’idolâtrie n’étaient pas dignes de recevoir la loi, puisque ce qui est saint ne doit pas être donné aux chiens. Mais cette explication n’est pas satisfaisante, car le peuple juif, lui aussi, tomba dans l’idolâtrie et même après l’établissement de la loi, ce qui aggrave son cas. Nous en avons la preuve soit dans l’Exode (32), soit dans Amos (5, 25 s) : “ M’avez-vous offert des sacrifices et des oblations dans le désert pendant quarante ans, maison d’Israël ? Vous portiez la tente de votre dieu Moloch et vos images idolâtriques et l’étoile de votre dieu, que vous vous êtes fabriquées ! ”

En outre, il est dit expressément dans le Deutéronome (9, 6) : “ Sache que ce n’est pas à cause de tes œuvres justes que le Seigneur ton Dieu t’a donné cette terre en propriété, car tu es un peuple à la nuque raide. ” Mais la vraie raison est fournie : “ C’est pour accomplir la parole que le Seigneur a jurée à tes pères Abraham, Isaac et Jacob ” (v. 5).

Quelle fut cette promesse, l’Apôtre le dit : “ Les promesses ont été faites à Abraham et à sa descendance, non pas au pluriel : à ses descendants, mais au singulier : à sa descendance, qui est le Christ ” (Ga 3, 16). Ainsi donc à ce peuple Dieu accorda la loi et d’autres bienfaits spéciaux parce qu’il avait promis à leurs pères que le Christ naîtrait d’eux. Il convenait en effet que le peuple qui devait donner le jour au Christ se distinguât par une sainteté particulière : “ Soyez saints comme je suis saint ” (Lv 19, 2). Ce n’est pas non plus le mérite d’Abraham qui explique la promesse qui lui fut faite, à savoir que le Christ naîtrait de sa race : il y va d’un choix et d’un appel gratuits : “ Qui a suscité le juste de l’Orient et l’a appelé à sa suite ? ” (Is 41, 2).

D’où il ressort clairement que les Pères ont reçu la promesse, et que le peuple de leur lignage a reçu la loi en vertu seulement d’un choix gratuit : “ Vous avez entendu ses paroles du milieu du feu, lisons-nous au Deutéronome (4, 36), parce qu’il a aimé vos pères et a choisi leur postérité après eux. ” - Si l’on insiste en demandant pourquoi Dieu a choisi ce peuple et non un autre pour donner le jour au Christ, il conviendra de répondre avec S. Augustin : “ Pourquoi attire-t-il celui-ci et non celui-là, ne prétends pas en décider, si tu ne veux pas errer. ”

Solutions :

1. Toutes les nations devaient bien avoir accès au salut réalisé par le Christ, mais celui-ci ne pouvait naître que d’un peuple déterminé, d’où découlent pour ce peuple des prérogatives exclusives : “ A eux, écrit S. Paul, c’est-à-dire aux juifs, appartient l’adoption des fils de Dieu, à eux l’alliance, à eux la loi et les patriarches ; c’est d’eux que le Christ naquit selon la chair ” (Rm 9, 4).

2. On peut parler d’acception des personnes quand il y a obligation de donner, mais non pas à propos de libres dispositions à titre gratuit. Donner libéralement de son bien à celui-ci plutôt qu’à celui-là, ce n’est pas faire acception des personnes ; ce serait le cas si l’on avait à répartir des biens communs et qu’on ne réglât pas équitablement la distribution selon les titres de chacun. Mais le bienfait du salut, Dieu ne l’accorde au genre humain que par sa grâce ; il ne fait donc pas acception des personnes s’il en gratifie les uns de préférence aux autres : “ Tous ceux que Dieu instruit, c’est par miséricorde qu’il les instruit ; ceux qu’il n’instruit pas, c’est par une juste sentence ”, nous dit encore S. Augustin ; c’est là, en effet, une suite de la condamnation du genre humain pour la faute de notre premier père.

3. La faute prive l’homme des dons de la grâce, mais ne lui enlève pas ceux de la nature. Or le ministère des anges fait partie de ces derniers ; c’est en effet l’ordre naturel des êtres, qui veut que les plus humbles soient gouvernés par des agents de rang intermédiaire, et que même les secours corporels ne soient pas réservés par Dieu aux hommes, mais procurés aussi aux animaux sans raison : “ Seigneur, tu sauves les hommes et les bêtes ” (Ps 36, 7).

 

            Article 5 — Tous les hommes étaient-ils obligés d’observer la loi ancienne ?

Objections :

1. Tous les sujets d’un roi sont soumis à ses lois ; or Dieu, auteur de la loi ancienne, “ est le roi de toute la terre ” (Ps 47, 8). Tous les habitants de la terre étaient donc tenus d’observer la loi.

2. S’ils n’observaient pas la loi ancienne, les Juifs ne pouvaient se sauver : “ Maudit soit celui qui s’écarte des paroles de cette loi et ne les met pas en pratique ” (Dt 27, 26). Donc, si le reste de l’humanité avait pu faire son salut sans observer la loi ancienne, la position des juifs eût été plus défavorable que celle des autres.

3. Les païens avaient accès au rite judaïque et aux pratiques de la loi : “ Si un étranger veut séjourner chez vous et célébrer la Pâque, tout mâle de sa maison sera d’abord circoncis ; alors il pourra célébrer selon la loi comme un enfant de votre pays ” (Ex 12, 48). Mais pourquoi Dieu aurait-il décidé d’admettre les étrangers aux pratiques légales si celles-ci n’avaient pas été nécessaires à leur salut ? C’est donc que nul ne pouvait être sauvé, à moins d’observer la loi.

En sens contraire, Denys affirme que “ nombre de païens ont été ramenés à Dieu par des anges ”. Comme les païens, évidemment, n’observaient pas la loi, on pouvait donc être sauvé sans cela.

Réponse :

La loi ancienne mettait en lumière les préceptes de la loi naturelle en y ajoutant quelques préceptes propres. Quant aux prescriptions qu’elle empruntait à la loi naturelle, tous les hommes étaient tenus de les observer non pas au titre de la loi ancienne, mais par l’autorité de la loi naturelle. Quant à ce qu’elle y ajoutait, la loi ancienne n’y obligeait que le peuple juif.

En effet, on sait que la loi ancienne a été accordée au peuple juif pour lui conférer une prééminence de sainteté, par respect pour le Christ, qui devait naître de ce peuple. Or, toutes les fois qu’un statut est édicté en vue de mettre certaines personnes dans un état spécial de sainteté, il n’oblige que ces personnes ; il y a par exemple des obligations particulières qui concernent les clercs, attachés au service de Dieu, et qui ne pèsent pas sur les laïcs ; de même les religieux sont obligés par profession à certaines œuvres de perfection auxquelles ne sont pas tenus les séculiers. Ainsi le peuple de Dieu avait des devoirs particuliers que les autres peuples ne connaissaient pas : “ Tu seras parfait et sans tache près du Seigneur ton Dieu ”, dit le Deutéronome (18, 13) qui signale même, un peu plus loin, l’usage d’une sorte de profession : “ Je professe aujourd’hui en présence du Seigneur ton Dieu ” etc. (26, 3).

Solutions :

1. Lorsqu’un roi commande indifféremment à tous ses sujets l’observance d’une loi, celle-ci les oblige tous. Mais, s’il prescrit aux gens de sa maison des pratiques particulières, les autres n’y sont pas tenus.

2. Le mieux, pour l’homme, c’est d’être plus étroitement uni à Dieu. Aussi, parmi les autres peuples, le peuple juif l’emportait en dignité dans la mesure même où il était attaché davantage au culte divin : “ Est-il une autre nation aussi fameuse qui ait nos rites, nos justes ordonnances et l’ensemble de notre loi ? ” (Dt 4, 8). De ce point de vue pareillement, la condition des clercs est préférable à celle des laïcs, et celle des religieux à celle des séculiers.

3. Les païens étaient admis à l’observance de la loi parce que ce régime leur permettait de se sauver plus parfaitement et plus sûrement que celui de la seule loi naturelle. De même aujourd’hui voyons-nous des laïcs entrer dans la cléricature, des séculiers entrer en religion, alors qu’ils pourraient se sauver autrement.

 

            Article 6 — L’époque de Moïse convenait-elle à l’établissement de la loi ?

Objections :

1. Puisque la loi ancienne préparait les voies au salut que le Christ devait accomplir, c’est donc tout de suite après le péché, dès que se révéla la nécessité de ce remède salutaire, que la loi aurait dû être donnée.

2. Ou alors dès le temps d’Abraham, car la loi ancienne avait pour but de sanctifier ceux qui devaient être les ancêtres du Christ ; or c’est à Abraham que fut faite, pour la première fois, la promesse de “ cette descendance ”, qui est le Christ (Gn 12, 7).

3. Si dans toute la postérité de Noé, seul le lignage issu d’Abraham à qui fut faite la promesse donna naissance au Christ, de même le Christ est né, à l’exclusion des autres descendants d’Abraham, du seul lignage issu de David, à qui la promesse fut renouvelée : “ Paroles de l’homme (David) à qui un pacte fut garanti au sujet du Christ (l’Oint) du Dieu de Jacob ” (2 S 23, 1). Ainsi la loi ancienne devait être donnée après David tout autant qu’après Abraham.

En sens contraire, selon S. Paul, “ la loi a été établie en vue des transgressions, jusqu’à ce que int le lignage auquel a été faite la promesse, proposée par le ministère des anges, avec le concours d’un médiateur ”. “ Proposée, commente la Glose, donc donnée à propos ” (Ga 3, 19). Ainsi convenait-il que la loi ancienne fût offerte à ce moment du temps.

Réponse :

L’époque de Moïse était on ne peut plus convenable pour l’institution de la loi ancienne. On s’en rend compte si l’on considère les deux catégories de personnes auxquelles toute loi s’applique : les indociles et les orgueilleux d’une part, que la loi contraint et assujettit ; d’autre part, les honnêtes gens, qui s’aident des lumières de la loi pour accomplir leurs bons desseins. Donc, pour réduire l’orgueil des hommes, la loi ancienne se présentait au moment favorable. Deux choses, en effet, entretenaient cet orgueil : la science et la puissance. La science d’abord, par l’idée que la raison naturelle suffisait au salut de l’homme ; en vue de réduire son orgueil à cet égard, l’homme fut livré au gouvernement de sa raison sans le secours d’une loi écrite, et l’expérience lui fit connaître la précarité de sa raison lorsque, vers l’époque d’Abraham, l’humanité sombra dans l’idolâtrie et les vices les plus abjects. Et dès lors se fit jour la nécessité d’une loi écrite donnée en remède à l’ignorance humaine car, dit l’Apôtre, “ c’est par la loi qu’on connaît le péché ” (Rm 3, 20). - Une fois éclairé par la loi, c’est de faiblesse que fut convaincu l’homme orgueilleux, incapable qu’il était de réaliser ce qu’il savait. Voilà pourquoi, conclut l’Apôtre, “ ce que ne pouvait faire la loi, rendue impuissante du fait de la chair, Dieu a envoyé son Fils, pour que la justice de la loi fût accomplie en nous ” (Rm 8, 3).

Quant aux honnêtes gens, l’aide de la loi leur devint surtout nécessaire au moment où la loi naturelle commençait de s’obscurcir sous une profusion de péchés. Mais il fallait encore que ce secours fût accordé selon un certain plan, menant pour ainsi dire les hommes par la main et par degrés progressifs jusqu’à la perfection. Aussi la loi ancienne devait-elle se présenter entre la loi naturelle et la loi de grâce.

Solutions :

1. Immédiatement après le péché du premier homme, le moment n’était pas favorable à la réception de la loi ancienne. D’une part l’homme n’en avait pas encore reconnu la nécessité, parce qu’il se confiait en sa raison. D’autre part l’habitude du péché n’avait pas encore étouffé la voix de la loi naturelle.

2. Une loi ne peut être donnée qu’à un peuple, puisque c’est un précepte général, comme on l’a établi. Au temps d’Abraham il y eut donc des préceptes domestiques, d’ordre privé en quelque sorte, adressés par Dieu aux hommes. Mais la race d’Abraham s’étant ensuite multipliée jusqu’à constituer un peuple, celui-ci, une fois sorti d’esclavage, fut à même de recevoir une loi. Aristote enseigne en effet que “ le peuple ou la cité, capable de recevoir une loi, ne comprend pas les esclaves. ”

3. La loi, devant être reçue par un Peuple, ne fut pas donnée aux seuls ascendants directs du Christ, mais au peuple tout entier, marqué au sceau de la circoncision, signe de la promesse qui fut faite à Abraham et crue par lui, comme S. Paul l’explique aux Romains (4, 11). Pour cette même raison, un tel peuple une fois rassemblé devait recevoir la loi, sans attendre l’époque de David.

Dans cette étude des préceptes de la loi ancienne, il faut d’abord établir un classement (Q. 99), puis examiner chaque catégorie de préceptes en particulier (Q. 100 et suivantes).

 

QUESTION 99 — LE CLASSEMENT DES PRÉCEPTES DE LA LOI ANCIENNE

1. Y a-t-il dans la loi ancienne plusieurs préceptes, ou un seul ? - 2. Contient-elle des préceptes moraux ? - 3. Des préceptes cérémoniels ? - 4. Et des préceptes judiciaires ? - 5. Outre ces trois catégories de préceptes, en contient-elle d’autres ? - 6. Comment invitait-elle à observer ces préceptes ?

 

            Article 1 — Y a-t-il dans la loi ancienne plusieurs préceptes ou un seul ?

Objections :

1. Une loi n’est pas autre chose qu’un précepte, on l’a vu. Puisqu’il n’y a qu’une seule loi ancienne, elle ne contient qu’un seul précepte.

2. “ Tout précepte quel qu’il soit, dit l’Apôtre, revient à ce commandement : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ” (Rm 13, 9). C’est là un commandement unique. Donc la loi ancienne ne contient qu’un seul commandement.

3. On lit aussi en S. Matthieu (7, 12) : “ Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le vous-mêmes pour eux ; c’est la loi et les prophètes. ” La loi ancienne, qui est toute contenue dans la loi et les prophètes, se réduit donc à un seul précepte.

En sens contraire, l’Apôtre parle de Notre Seigneur “ abolissant la loi des commandements par ses ordonnances ” (Ep 2,15). La Glose explique que ce passage vise la loi ancienne ; celle-ci contient donc plus d’un commandement.

Réponse :

Le précepte légal, étant obligatoire, prescrit une chose à faire. Or, si une chose est à faire, cela tient à l’exigence d’une fin. Il est donc, on le voit, essentiel au précepte de se rapporter à une fin, de manière à prescrire ce qui est nécessaire ou avantageux à l’égard de cette fin. Mais, par rapport à une fin donnée, bien des choses peuvent se présenter comme nécessaires ou favorables. Ainsi, divers préceptes peuvent être portés en des matières diverses, considérées dans leur rapport à une fin unique. Concluons donc que tous les préceptes de l’ancienne loi ne font qu’un, à l’égard de leur fin unique, mais sont aussi nombreux et divers que sont les objets ordonnés à cette fin.

Solutions :

1. Disons que la loi ancienne est une, comme relevant d’une fin unique ; elle n’en contient pas moins des préceptes divers, selon la distinction des objets qu’elle touche en vue de cette fin. De même, l’art de la construction tient son unité de sa fin, qui est la maison à construire ; mais il comporte des prescriptions diverses à cause des opérations diverses qu’il combine à cet effet.

2. “ La fin du précepte, c’est la charité ” affirme S. Paul (1 Tm 1, 5). Toute loi, en effet, vise à fonder une amitié entre les hommes, ou entre l’homme et Dieu. C’est pourquoi ce commandement unique d’aimer le prochain comme soi-même, qui se présente comme la fin de tous les commandements, contient toute la loi en plénitude, car l’amour du prochain, si nous aimons le prochain pour Dieu, implique l’amour de Dieu. S. Paul ne mentionne donc ici que ce précepte qui tient lieu des deux préceptes de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, dont le Seigneur déclare que “ dépendent la loi et les prophètes ” (Mt 22, 40).

3. Aristote remarque que “ l’amitié qu’on a pour autrui vient de l’amitié qu’on a pour soi-même ”, du fait qu’on se comporte envers autrui comme envers soi-même. Le verset allégué de S. Matthieu donne donc sous forme explicite la règle de l’amour du prochain, fournie implicitement par l’autre formule : “ Tu aimeras ton prochain comme toi-même. ” Ce n’est donc qu’une explicitation de ce commandement.

 

            Article 2 — La loi ancienne contient-elle des préceptes moraux ?

Objections :

1. Les préceptes moraux regardent la loi naturelle. Les rattacher à la loi ancienne ce serait confondre les deux lois.

2. C’est au moment où la raison humaine ne suffit plus que la loi divine doit venir au secours de l’homme. On le voit en matière de foi, où la raison est dépassée. Mais les préceptes moraux sont à la mesure de la raison humaine ; ils ne relèvent donc pas de cette loi divine qu’est la loi ancienne.

3. Selon S. Paul, la loi ancienne est une “ lettre qui tue ” (2 Co 3, 6). Mais les préceptes moraux ne tuent pas, ils donnent la vie : “ Je n’oublierai jamais tes ordonnances car par elles tu me donnes la vie ” (Ps 119, 93). Les préceptes moraux n’appartiennent donc pas à la loi ancienne.

En sens contraire, l’Ecclésiastique (17, 9) dit du Seigneur : “ Il leur communiqua sa discipline, il leur donna en héritage la loi de vie. ” Or, la discipline est affaire de mœurs si on la définit, avec la Glose (sur He 12, 11), “ l’éducation des mœurs par des chemins raboteux ”. La loi donnée par Dieu contenait donc des préceptes moraux.

Réponse :

Quand on lit dans l’Exode (20, 13. 15) : “ Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas de vol ”, on voit bien que la loi ancienne contenait des préceptes moraux. Et cela se comprend. Tandis que la loi humaine a principalement en vue l’établissement d’une amitié entre les hommes, la loi divine vise à fonder principalement une amitié entre l’homme et Dieu. Mais l’amour a toujours pour cause une ressemblance : “ Tout être vivant aime son semblable ”, dit l’Ecclésiastique (13, 19). Il ne peut donc y avoir d’amitié entre l’homme et Dieu, qui est souverainement bon, sans que les hommes soient rendus bons : “ Vous serez saints, parce que je suis saint ” (Lv 19, 2). Or, la bonté de l’homme, c’est la vertu “ qui rend bon celui qui la possède ”. Voilà pourquoi dans la loi ancienne il fallait aussi des préceptes relatifs aux actes des vertus ; ce sont les préceptes moraux de cette loi.

Solutions :

1. Sans lui être absolument étrangère, la loi ancienne se distingue de la loi naturelle en ce qu’elle lui ajoute quelque chose. Comme la grâce présuppose la nature, la loi divine présuppose nécessairement la loi naturelle.

2. Ce n’est pas seulement là où la raison est impuissante, c’est aussi là où la raison humaine rencontre de fait un obstacle, que la loi divine devait prendre soin de l’humanité. En ce qui touche les préceptes moraux, la raison humaine ne pouvait se tromper sur les préceptes les plus généraux de la loi naturelle dans leur teneur universelle, bien que l’accoutumance au péché troublât son regard dans le détail de l’action. Sur les autres préceptes moraux qui dérivent, à la manière de conclusions, des principes généraux de la loi naturelle, beaucoup d’esprits tombaient dans l’erreur au point de considérer comme licite ce qui est essentiellement mauvais. Contre ces deux sortes de défaillances l’homme devait être secouru par la garantie de la loi divine. De même, parmi les objets proposés à notre foi, s’il y a des articles inaccessibles à la raison, comme la Trinité, il y en a d’autres auxquels la saine raison peut parvenir, comme l’unité de Dieu, de façon à prémunir la raison humaine contre une erreur où elle tombe fréquemment.

3. S. Augustin l’a montrée on peut dire que, même dans ses préceptes moraux, la lettre de la loi est meurtrière occasionnellement, en ce sens que, pour accomplir le bien qu’elle prescrit, elle ne fournit pas le secours de la grâce.

 

            Article 3 — La loi ancienne contient-elle des préceptes cérémoniels ?

Objections :

1. Toute loi qui s’adresse à des hommes entend diriger les actes humains. Or les actes humains sont ceux que nous avons appelés moraux. La loi ancienne, s’adressant à des hommes, devait donc contenir uniquement des préceptes moraux.

2. Les préceptes qu’on appelle cérémoniels doivent se rapporter au culte divin. Mais celui-ci est le fait d’une vertu, la vertu de religion, qui, selon Cicéron, “ offre à la divinité culte et cérémonies ”. Donc, puisque les actes des vertus relèvent des préceptes moraux comme on l’a dit, on ne peut en distinguer les préceptes cérémoniels.

3. On dira que les préceptes cérémoniels se distinguent par leur signification figurative. Néanmoins, selon S. Augustin “ ce sont les paroles qui possèdent principalement, dans la société humaine, le pouvoir de signifier ”. La présence de préceptes cérémoniels portant sur des gestes figuratifs ne s’imposait donc pas dans la loi ancienne.

En sens contraire, on lit au Deutéronome (4, 13) : “ Les dix paroles, il les a écrites sur deux tables de pierre, et alors il m’a chargé de vous enseigner les cérémonies et les ordonnances que vous devrez observer. ” Les dix paroles, ce sont les préceptes moraux. Outre ceux-là, il y en a donc d’autres : les préceptes cérémoniels.

Réponse :

Nous savons que la loi divine est instituée avant tout pour régler les rapports des hommes avec Dieu, alors que la loi humaine l’est d’abord pour régler les rapports des hommes entre eux. C’est donc dans la mesure où le bien de la communauté humaine y était intéressé que les lois humaines se sont attachées à l’organisation du culte divin ; ainsi s’explique le fait, évident chez les païens, qu’elles ont pris quantité de dispositions en matière religieuse selon qu’elles le jugeaient avantageux pour le bien des mœurs. A l’inverse, la loi divine a réglé les rapports des hommes entre eux selon les exigences de sa visée principale, qui était d’aménager leurs rapports avec Dieu. Or l’homme n’entre pas en rapport avec Dieu par les seuls actes intérieurs de l’esprit : croire, espérer, aimer ; il le fait aussi par des activités extérieures, par lesquelles il reconnaît qu’il est au service de Dieu. Ces œuvres-là, elles appartiennent au culte et on leur donne le nom de “ cérémonies ”. Ce mot viendrait de Cereris munia, dons de Cérès, la déesse de la terre, parce que c’étaient primitivement les fruits de la terre qu’on offrait à Dieu ; - à moins que, selon Valère Maxime, ce terme ne se soit introduit chez les Latins du fait qu’après la prise de Rome par les Gaulois, c’est dans une ville voisine, du nom de Céré, que les objets sacrés des Romains furent transportés et entourés de vénération. En tout cas, dans la loi, ce sont les préceptes relatifs au culte divin qui sont spécialement appelés cérémoniels.

Solutions :

1. Le domaine des actes humains inclut aussi le culte de Dieu. Voilà pourquoi la loi ancienne, qui s’adressait à des hommes, connaît des préceptes de cette sorte.

2. Rappelons que les préceptes de la loi naturelle sont des préceptes généraux, et demandent à être déterminés. Ils le sont par la loi humaine ou par la loi divine. Les déterminations apportées par la loi humaine ne sont plus appelées de loi naturelle mais de droit positif ; et celles qu’apporte la loi divine ne se confondent pas davantage avec les préceptes moraux de la loi naturelle. Rendre un culte à Dieu, c’est assurément un acte de vertu qui relève d’un précepte moral ; mais les précisions ajoutées à ce précepte, comme honorer Dieu par telles victimes et telles offrandes, relèvent de préceptes cérémoniels. On voit ainsi q ue les deux domaines sont distincts.

3. Denys rappelle que le divin ne peut se manifester aux hommes que sous des similitudes sensibles. Cependant ces similitudes touchent l’âme davantage si, outre leur expression verbale, elles s’adressent aussi aux sens. C’est pourquoi dans l’Écriture les communications divines ne se transmettent pas seulement en similitudes formulées verbalement, telles que les discours métaphoniques, mais encore en représentations réelles qui frappent les yeux. Tel est le domaine des préceptes cérémoniels.

 

            Article 4 — La loi ancienne contient-elle, en outre, des préceptes judiciaires ?

Objections :

1. S. Augustin observait que “ dans la loi ancienne il y a des préceptes touchant la vie qu’il faut mener, et des préceptes concernant la vie qu’il faut signifier ”. Voilà, respectivement, les préceptes moraux et les préceptes cérémoniels. Il n’y a pas lieu, en conséquence, de leur adjoindre dans la loi d’autres préceptes, dits judiciaires.

2. Commentant le verset 102 du Psaume 119 “ je ne me suis pas écarté de tes jugements ”, la Glose explique : “ de ce que tu as établi comme règle de vie ”. Règle de vie, entendons préceptes moraux. Les préceptes judiciaires ne s’en distinguent donc pas.

3. Le jugement est un acte de la vertu de justice : “ Le jugement sera conforme à la justice ” (Ps 94, 15). Comme les actes de toutes les vertus, sans excepter ceux de la justice, relèvent des préceptes moraux, ceux-ci incluent donc les préceptes judiciaires qui n’en doivent pas être distingués.

En sens contraire, nous lisons au Deutéronome (6, 1) : “ Voici les préceptes, les cérémonies et les jugements. ” Ici, les préceptes désignent par excellence les préceptes moraux. Il existe donc des préceptes judiciaires, en plus des préceptes moraux et cérémoniels.

Réponse :

Il appartient à la loi divine, répétons-le, de régler les rapports des hommes entre eux et à l’égard de Dieu. Cette double compétence, quant à son principe général, est du ressort de la loi naturelle et à cela correspondent les préceptes moraux. Mais quant à son double domaine, elle demande à être déterminée par la loi divine ou la loi humaine. En effet, les principes connus naturellement sont toujours généraux, tant dans l’ordre spéculatif que dans l’ordre pratique. Donc, de même que la détermination du précepte général de rendre un culte à Dieu est assurée par les préceptes cérémoniels, de même la détermination du précepte général d’observer la justice parmi les hommes est assurée par les préceptes judiciaires.

Dès lors, nous pouvons distinguer trois catégories de préceptes dans la loi ancienne : les préceptes moraux, où s’expriment les exigences de la loi naturelle ; les préceptes cérémoniels, déterminations du culte divin ; les préceptes judiciaires, déterminations touchant la pratique de la justice parmi les hommes. C’est pourquoi S. Paul, après avoir dit : “ La loi est sainte ”, ajoute que “ le commandement est juste, bon et saint ” (Rm 7, 12). La justice vise les préceptes judiciaires ; la sainteté évoque les préceptes cérémoniels, car est saint ce qui est consacré à Dieu ; quant à la bonté, c’est-à-dire l’honnêteté, elle désigne les préceptes moraux.

Solutions :

1. Les préceptes judiciaires, aussi bien que les préceptes moraux, intéressent la rectitude de la vie humaine ; les uns et les autres constituent donc ensemble le premier membre de la division augustinienne, les préceptes touchant “ la vie qu’il faut mener ”.

2. Le jugement est une mise en œuvre de la justice, ce qui suppose une application déterminée de la raison à des objets particuliers. Les préceptes judiciaires ont donc en commun avec les préceptes moraux qu’ils découlent de la raison, et avec les préceptes cérémoniels qu’ils sont des déterminations de principes généraux. Voilà pourquoi les textes désignent à la fois sous le nom de “ jugements ” tantôt les préceptes judiciaires et moraux, comme dans le Deutéronome (5, 1) : “ Écoute, Israël, les cérémonies et les jugements ” ; tantôt les préceptes judiciaires et cérémoniels, comme au Lévitique (18, 4) : “ Vous accomplirez mes jugements et vous observerez mes préceptes. ” Par préceptes, ici, entendez préceptes moraux ; et par jugements, les préceptes cérémoniels et judiciaires.

3. Aux préceptes moraux appartient l’acte de justice en général ; aux préceptes judiciaires, la détermination spécifique de cet acte.

 

            Article 5 — Outre ces trois catégories, la loi ancienne contient-elle encore d’autres préceptes ?

Objections :

1. Aux préceptes judiciaires reviennent les rapports sociaux, pour y mettre en œuvre la justice ; aux préceptes cérémoniels, le culte divin, acte de la vertu de religion. Mais il y a encore bien d’autres vertus : la tempérance, la force, la libéralité, et toutes celles qu’on trouve énumérées ailleurs. Quantité d’autres préceptes doivent donc prendre place dans la loi ancienne.

2. “ Aime le Seigneur ton Dieu (Dt 11, 1), et observe ses préceptes, ses cérémonies, ses jugements, ses commandements. ” Si, par préceptes, on entend les préceptes moraux, il reste une quatrième catégorie : les commandements.

3. Nous lisons encore (Dt 6, 17) : “ Garde les préceptes du Seigneur ton Dieu et les témoignages et les cérémonies que je t’ai prescrits. ” A la liste précédente, il faut donc ajouter les témoignages.

4. Enfin on lit dans le Psaume (119, 93) “ Jamais je n’oublierai tes justifications. ” Par quoi, nous dit la Glose, le psalmiste vise la loi. La loi ancienne comportait donc encore des “ justifications ”.

En sens contraire, on lit dans le Deutéronome (6, 1) : “ Voici les préceptes, les cérémonies et les jugements que commande le Seigneur. ” Cette division qui figure tout au début de la loi semble exhaustive.

Réponse :

Il y a dans une loi des dispositions qui ont le caractère de préceptes, et des dispositions destinées à faire observer les préceptes. Les préceptes prescrivent la conduite à tenir. Pour engager l’homme à s’y conformer il y a deux sortes de considérations : d’une part l’autorité du législateur ; d’autre part l’avantage qu’on trouve à les observer, soit qu’on se procure ainsi quelque bien, profit, agrément ou honneur, ou qu’on évite un mal opposé. Il fallait donc que la loi ancienne contint des formules mettant en relief l’autorité divine du législateur, comme par exemple (Dt 6, 4) : “ Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu ” ; ou bien, au début de la Genèse : “ Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. ” Voilà ce qu’on appelle des témoignages. - Il fallait aussi promettre certaines récompenses à qui observerait la loi, certains châtiments à qui la transgresserait. Nous en trouvons un exemple dans le Deutéronome (28, 1) : “ Si tu écoutes la voix du Seigneur ton Dieu, il t’élèvera plus haut que toutes les nations, etc. ” Ce sont là les justifications, car Dieu fait justice à ceux qu’il récompense ou punit.

Pour ce qui est de la conduite à tenir, seul tombe sous le précepte ce qui est dû à un certain titre. Mais il faut distinguer un double dû : l’un réglé par la raison, l’autre par la détermination de la loi, c’est-à-dire, pour prendre les termes d’Aristote le droit moral et le droit légal.

1° Le dû moral à son tour est de deux sortes quand une conduite est prescrite par la raison, ce peut être à cause de sa nécessité, si l’ordre vertueux n’est pas réalisable autrement, ou à cause de son utilité en vue de mieux assurer cet ordre. Partant, certaines prescriptions ou interdictions morales sont à entendre strictement dans la loi, comme : Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas. Ce sont les préceptes proprement dits. Tandis que d’autres prescriptions ou interdictions ne s’imposent pas avec ce caractère de dû rigoureux, mais comme avantageuses. C’est ce qu’on peut appeler des commandements, à cause de leur valeur d’incitation et de recommandation. Par exemple, l’Exode (22, 26) recommande à qui a reçu un vêtement en gage, de le rendre avant le coucher du soleil. De telles dispositions faisaient dire à S. Jérôme que “ dans les préceptes brille la justice, et dans les commandements la charité ”.

2° Quant au dû que la loi détermine, dans le domaine humain il relève des préceptes judiciaires, dans le domaine religieux des préceptes cérémoniels.

A moins que l’on ne convienne d’appeler témoignages les dispositions relatives aux peines et aux récompenses, où s’affirme la justice divine ; tandis que les préceptes de la loi dans leur ensemble recevraient le nom de justifications, comme réalisations de la justice légale. - On pourrait encore avancer une autre distinction entre préceptes et commandements, en nommant préceptes ce que Dieu a prescrit par lui-même, et commandements ce qui a été prescrit au nom de Dieu par ses mandataires ; la similitude des mots y invite. - En tout cas, il est clair que tous les préceptes de la loi sont compris dans les trois catégories de préceptes moraux, cérémoniels et judiciaires ; le reste se présente, non au titre de préceptes, mais comme un dispositif en vue de l’observation des préceptes.

Solutions :

1. Parmi les vertus, seule la justice se fonde sur l’idée de dû. Aussi les préceptes moraux ne peuvent-ils être déterminés par une loi que dans la mesure où ils tiennent à la justice. Et la religion, au dire de Cicéron, est elle-même une partie de la justice. Il ne peut donc y avoir de droit légal en dehors des préceptes cérémoniels et judiciaires.

2-3-4. La solution des autres objections ressort clairement de ce qui précède.

 

            Article 6 — Comment la loi ancienne invitait-elle à observer ces préceptes ?

Objections :

1. Il semble qu’elle n’aurait pas dû le faire par des promesses et des menaces temporelles. En effet, l’intention de la loi divine n’est autre que de soumettre l’homme à Dieu par la crainte et l’amour. C’est ce que nous lisons au Deutéronome (10, 12) : “ Et maintenant, Israël, que demande de toi le Seigneur ton Dieu, sinon que tu craignes le Seigneur ton Dieu, que tu marches dans ses voies et que tu l’aimes ? ” Or la convoitise des biens temporels ne peut qu’éloigner de Dieu : “ Le venin qui tue la charité, c’est la convoitise ”, au jugement de S. Augustin. Promesses et menaces temporelles vont donc à l’encontre de l’intention du législateur, ce qui, selon Aristote, est une tare évidente pour une loi.

2. La loi divine est d’un rang plus élevé que la loi humaine. Or, dans les sciences, nous voyons que les sciences supérieures usent de moyens d’autant plus parfaits qu’elles sont plus parfaites. Du moment que la loi humaine use de menaces ou de promesses temporelles pour amener les hommes au bien, la loi divine ne pouvait rester à ce niveau, mais user de procédés plus nobles.

3. Ce qui échoit indifféremment aux bons et aux méchants ne peut ni récompenser la justice ni punir la faute. Or l’Ecclésiaste (9, 2) remarque à propos des biens et des maux temporels : “ Tout arrive également à tous, au juste et à l’impie, au bon et au méchant, à celui qui est pur et à celui qui ne l’est pas, à celui qui sacrifie et à celui qui méprise les sacrifices. ” La loi divine a donc eu tort de les introduire dans ses dispositions au titre de récompenses ou de châtiments.

En sens contraire, Dieu dit aux Israélites “ Si vous voulez bien m’écouter vous mangerez les produits de la terre ; mais si vous résistez, si vous provoquez ma colère, vous serez dévorés par le glaive ” (Is 1, 19).

Réponse :

Dans les sciences spéculatives, on est conduit à admettre les conclusions grâce aux moyens termes syllogistiques ; pareillement, quelque loi que l’on considère, c’est par des récompenses et des peines que les sujets sont amenés à en obsever les préceptes. Nous voyons aussi que dans les sciences spéculatives il faut présenter les moyens termes au disciple en tenant compte de son niveau actuel ; de là vient qu’il faut, dans les sciences, procéder méthodiquement pour que l’enseignement débute en partant de ce qui est plus connu. De même, si l’on veut amener quelqu’un à observer des préceptes, on doit mettre en avant les motifs auxquels il est sensible ; c’est ainsi qu’on offre à des enfants, pour les inciter à agir, telles récompenses proportionnées à leur âge. Or nous savons que la loi ancienne était une disposition préparatoire au Christ, comme l’imparfait à l’égard du parfait. Le peuple à qui elle s’adressait était encore imparfait, en comparaison de la perfection qu’allait réaliser le Christ, ce qui permet à S. Paul de comparer ce peuple à un enfant placé sous la férule d’un pédagogue (Gal 3, 24). Si la perfection pour l’homme consiste à mépriser les biens temporels pour s’attacher aux biens spirituels, selon l’enseignement de S. Paul : “ J’oublie ce qui est derrière moi, je me porte vers ce qui est en avant... Nous tous les parfaits, ayons ces mêmes sentiments ” (Ph 3, 13-15), en revanche les imparfaits désirent les biens temporels, sans perdre Dieu de vue toutefois, tandis que les méchants s’y arrêtent comme à leur fin. La loi ancienne était donc bien dans son rôle en conduisant à Dieu des sujets imparfaits par les motifs temporels capables de les toucher.

Solutions :

1. Le venin mortel pour la charité, c’est la convoitise qui pousse l’homme à placer sa fin dans les biens temporels. Mais obtenir les biens temporels que les imparfaits désirent en vue de Dieu, cela les achemine vers l’amour de Dieu. Entendons en ce sens la parole du Psaume (49, 10) : “ Il te louera pour les biens dont tu l’auras comblé. ”

2. Les peines et récompenses, sanctions de la loi humaine, sont administrées par des hommes ; la loi divine, elle, prévoit des peines et des récompenses qui doivent être appliquées par Dieu. Ainsi la loi divine conserve-t-elle la supériorité des moyens.

3. A lire l’histoire de l’ancienne alliance on constate que sous la loi la situation générale du peuple était toujours prospère tant que la loi était observée ; mais à peine s’écartaient-ils des préceptes de la loi qu’une foule de calamités fondaient sur eux. Toutefois, en certains cas, des particuliers qui observaient la justice de la loi subissaient certaines épreuves ; c’est que, déjà spiritualisés, ils ne s’en détachaient que mieux des sollicitudes temporelles et voyaient leur vertu ainsi confirmée ; à moins qu’il ne s’agisse, sous l’écorce des œuvres de la loi parfaitement observées, de ces cœurs tout entiers attachés au temporel et éloignés de Dieu. Ce sont ces derniers que condamne Isaïe (29, 13) : “ Ce peuple m’honore en paroles, mais son cœur reste loin de moi. ”

Il faut considérer maintenant chaque catégorie des préceptes de la loi ancienne, c’est-à-dire les préceptes moraux (Q. 100), les préceptes cérémoniels (Q. 101-103) et les préceptes judiciaires (Q. 104-105).

 

QUESTION 100 — LES PRÉCEPTES MORAUX DE LA LOI ANCIENNE

1. Tous les préceptes moraux de la loi ancienne appartiennent-ils à la loi naturelle ? - 2. Portent-ils sur des actes de toutes les vertus ? - 3. Tous les préceptes se ramènent-ils aux dix préceptes du décalogue ? - 4. La division des préceptes du décalogue. - 5. Leur dénombrement. - 6. Leur ordre. - 7. Leur présentation. - 8. Souffrent-ils dispense ? - 9. La modalité vertueuse de l’acte tombe-t-elle sous le précepte ? - 10. Et cette modalité que donne la charité ? - 11. Peut-on distinguer d’autres préceptes moraux ? - 12. Les préceptes moraux de la loi ancienne justifient-ils ?

 

            Article 1 — Tous les préceptes moraux de la loi ancienne appartiennent-ils à la loi naturelle ?

Objections :

1. L’Ecclésiastique (17, 9) interdit de l’affirmer : “ Il leur communique sa discipline, il leur donna en héritage la loi de vie. ” Or la discipline ne se confond pas avec la loi de nature qui ne s’enseigne pas, puisqu’on la possède par instinct de nature. Tous les préceptes moraux ne relèvent donc pas de la loi naturelle.

2. La loi divine est plus parfaite que la loi humaine. Or celle-ci fait à la loi naturelle des additions concernant les bonnes mœurs ; on n’en peut douter puisque, la loi naturelle étant la même chez tous, les institutions morales varient ici et là. A bien plus forte raison la loi divine devait-elle donc, touchant les bonnes mœurs, ajouter quelque chose à la loi naturelle.

3. La raison naturelle invite à une certaine bonté morale, mais aussi la foi qui, selon S. Paul, (Ga 5, 6) “ agit par l’amour ”. Or la foi ne dépend pas de la loi naturelle, car son objet dépasse la raison. Tous les préceptes moraux de la loi divine ne relèvent donc pas de la loi naturelle.

En sens contraire, S. Paul écrit aux Romains (2, 14) : “ Les païens qui n’ont pas la loi observent naturellement ses prescriptions. ” Et cela s’entend des prescriptions morales. Tous les préceptes moraux de la loi appartiennent donc à la loi de nature.

Réponse :

Les préceptes moraux, à la différence des préceptes cérémoniels et judiciaires, sont ceux qui de soi concernent les bonnes mœurs. Or les mœurs humaines se définissent par rapport à la raison, principe propre des actes humains, de sorte qu’on appelle bonnes les mœurs qui s’accordent avec la raison, et mauvaises celles qui s’y opposent. Or, comme tout jugement de la raison spéculative dérive de la connaissance naturelle des premiers principes, tout jugement de la raison pratique dérive, lui aussi, comme on l’a vu, de quelques principes naturellement connus. Mais, selon les cas, le jugement peut procéder différemment. Car il y a dans la conduite humaine des choses si claires qu’un peu d’attention révèle aussitôt, grâce à ces principes premiers et généraux, s’il faut les approuver ou les blâmer. Il en est d’autres en revanche qui ne peuvent être jugées qu’en faisant grande attention aux circonstances particulières ; et il n’est pas donné à tout le monde, mais seulement aux sages, de se livrer à cette étude attentive, de même qu’il n’appartient pas au vulgaire, mais seulement au philosophe, d’examiner les conclusions particulières du savoir. Il y en a enfin que l’homme ne peut discerner sans l’aide d’une révélation divine, comme il arrive en matière de foi.

Étant donc admis que les préceptes moraux concernent les bonnes mœurs, que celles-ci s’accordent avec la raison et que tout jugement de la raison humaine dérive en quelque façon de la raison naturelle, il est clair que tous les préceptes moraux appartiennent à la loi naturelle. Mais ici on distinguera. Tantôt la raison naturelle de chacun, par ses propres moyens, discerne immédiatement ce qu’il faut faire ou ne pas faire ; ainsi : Tu honoreras tes père et mère, tu ne tueras point, tu ne commettras pas de vol ; les préceptes de cette sorte appartiennent purement et simplement à la loi naturelle. Tantôt une étude plus pénétrante permet aux sages de discerner ce qu’il y a lieu de faire : ces derniers préceptes, bien qu’ils appartiennent à la loi de nature, exigent toutefois que les simples en soient instruits par l’enseignement des sage ; ainsi : “ Lève-toi devant une tête blanche et honore la personne du vieillard ” (Lv 19, 32), et d’autres préceptes analogues. Il y a enfin des jugements que la raison humaine ne peut porter si elle n’est instruite par Dieu, notre maître en choses divines ; par exemple : Tu ne feras pas d’image taillée ni de représentation, tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu.

Tout cela donne la réponse aux objections.

 

            Article 2 — Les préceptes moraux de la loi ancienne portent-ils sur les actes de toutes les vertus ?

Objections :

1. L’observation des préceptes de la loi ancienne porte le nom de justification ; le Psaume (119) l’entend en ce sens : “ Je garderai tes justifications. ” Mais ce terme signifie : mise en œuvre de la justice. Les préceptes moraux portent donc exclusivement sur des actes de justice.

2. Tout ce qui tombe sous le précepte est à considérer comme dû. Or l’idée de dû ne met pas en cause les autres vertus, mais la seule justice, dont c’est l’acte propre de rendre à chacun son dû. Les préceptes moraux de la loi portent donc uniquement sur les actes de la justice et nullement sur les actes d’autres vertus.

3. S. Isidore dit que toute législation a pour but le bien commun. Mais, selon Aristote, parmi les vertus, seule la justice regarde le bien commun. Les préceptes moraux ne concernent donc que les actes de la justice.

En sens contraire, S. Ambroise définit le péché : “ Une transgression de la loi divine, une désobéissance aux ordres du ciel. ” Comme les péchés s’opposent aux actes de toutes les vertus, la loi divine connaît donc des actes de toutes les vertus.

Réponse :

Il a été établi plus haut, que les préceptes de la loi se rapportent au bien commun. Il s’ensuit que les préceptes d’une loi doivent se différencier selon les types de communauté : aussi Aristote enseigne-t-il que la législation ne doit pas être la même si la cité est gouvernée par un roi, ou par le peuple, ou par un certain nombre de citoyens importants. Or ce n’est pas au même type de communauté que se réfèrent la loi humaine et la loi divine. La loi humaine vise une communauté civile, celle qui s’établit entre les hommes par le moyen d’activités extérieures, puisque c’est par de tels actes que les hommes entrent en rapports les uns avec les autres. Les rapports de cette sorte sont du ressort de la justice, spécialement qualifiée pour l’organisation des rapports sociaux parmi les hommes. C’est pourquoi les préceptes proposés par la loi humaine n’intéressent que les actes de justice ; si des actes d’autres vertus sont prescrits, c’est dans la mesure seulement où ces actes revêtent un caractère de justice, ainsi que l’explique Aristote.

Mais, avec la loi divine, la communauté en cause est celle des hommes envers Dieu, soit dans la vie présente soit dans la vie future ; aussi les préceptes que cette loi propose ne négligent rien de ce qui peut disposer l’humanité à ces bons rapports avec Dieu. Et comme c’est par la raison, faculté spirituelle où s’inscrit l’image divine, que l’homme entre en communication avec Dieu, les préceptes de la loi divine embrassent toutes les dispositions propres à mettre la raison humaine en cette condition favorable. Or c’est le fait des actes de toutes les vertus : les vertus intellectuelles dirigent la raison dans ses activités propres, et les vertus morales dirigent l’activité rationnelle dans le domaine des passions intérieures et des opérations extérieures. Il est donc évident que les préceptes posés par la loi divine doivent s’occuper des actes de toutes les vertus. Observons toutefois que certaines dispositions, indispensables au maintien de l’ordre vertueux, c’est-à-dire de l’ordre de raison, tombent sous l’obligation du précepte, tandis que d’autres dispositions, intéressant le parfait développement de la vertu, relèvent des exhortations du conseil.

Solutions :

1. Même si les préceptes de la loi mettent en œuvre les autres vertus, le fait de les observer mérite le nom de justifications, car c’est justice pour l’homme d’obéir à Dieu, et c’est justice aussi, pour tout ce qui est dans l’homme, d’être soumis à la raison.

2. La justice proprement dite considère la dette d’un homme à l’égard d’un autre homme ; mais les autres vertus considèrent toutes ce que les puissances inférieures doivent à la raison. Aristote tenait compte de cette dette lorsqu’il mentionnait une sorte de justice métaphorique.

3. La réponse est claire : on vient de dire qu’il y a différents types de communauté.

 

            Article 3 — Tous les préceptes moraux de la loi ancienne se ramènent-ils aux dix préceptes du décalogue ?

Objections :

1. L’évangile selon S. Matthieu (22, 37) dit que les premiers et principaux préceptes de la loi sont : “ Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ” et “ Tu aimeras ton prochain ”. Or ces préceptes, qui sont bien deux préceptes moraux, ne figurent pas dans le décalogue.

2. Les préceptes moraux ne se ramènent pas aux préceptes cérémoniels, c’est plutôt l’inverse. Or il y a dans le décalogue un précepte cérémoniel : “ Souviens-toi de sanctifier le sabbat. ” Donc les préceptes moraux ne se ramènent pas à tous les préceptes du décalogue.

3. Les préceptes moraux s’étendent à tous les actes vertueux. Mais que l’on passe en revue tous les préceptes du décalogue, on n’y trouvera que des préceptes touchant les actes de la justice. Les préceptes du décalogue n’embrassent donc pas tous les préceptes moraux.

En sens contraire, à propos du texte de S. Matthieu (5, 11) : “ Bienheureux serez-vous quand on vous maudira ”, la Glose explique que “ Moïse propose dix préceptes, pour les développer ensuite en détail. ” Ainsi tous les préceptes de la loi détaillent en quelque sorte les préceptes du décalogue.

Réponse :

Les préceptes du décalogue diffèrent des autres préceptes en ce que, lisons-nous, Dieu les a présentés lui-même au peuple, tandis qu’il a présenté les autres par l’interinédiaire de Moïse. Appartiennent donc au décalogue les préceptes dont l’homme reçoit lui-même de Dieu la connaissance. Or c’est le cas de ceux qu’après une brève réflexion on peut conclure des premiers principes généraux, et aussi de ceux que nous fait immédiatement connaître la foi infusée par Dieu. Il y a donc deux sortes de préceptes qui ne figurent pas au décalogue : d’une part les préceptes premiers et généraux, qui n’ont pas besoin d’être déclarés autrement que par leur insertion dans la raison naturelle au titre de connaissance immédiate, comme de ne faire tort à personne, et autres du même genre ; et d’autre part ceux dont la convenance rationnelle se découvre aux sages après une étude attentive, car c’est à travers l’enseignement des sages que ces préceptes parviennent de Dieu au peuple.

Cependant l’on peut dire que ces deux catégories de préceptes sont contenues dans le décalogue, chacune à sa manière : les préceptes premiers et généraux s’y trouvent comme les principes dans leurs conclusions prochaines ; les préceptes connus par l’intermédiaire des sages y sont contenus, inversement, comme les conclusions dans leurs principes.

Solutions :

1. Ces deux grands préceptes sont les préceptes premiers et généraux de la loi naturelle, que la raison humaine connaît iminédiatement, par la nature ou par la foi. Et ainsi tous les préceptes du décalogue se rapportent à ces deux-là comme les conclusions aux principes généraux.

2. Le précepte du sabbat est à certains égards un précepte moral, en ce qu’il prescrit à l’homme de vaquer un certain temps aux choses de Dieu : “ Arrêtez et voyez que je suis Dieu. ” (Ps 46, 11) C’est par là qu’il prend rang dans les préceptes du décalogue et non par le fait qu’il fixe un temps déterminé ; à cet égard, en effet, c’est un précepte cérémoniel.

3. Dans les autres vertus l’idée de dette ne ressort pas avec la même évidence que dans la justice ; aussi, pour le peuple, les préceptes qui concernent leurs actes ne s’imposent pas au même degré que ceux qui concernent les actes de la justice. Voilà pourquoi ce sont précisément ces derniers qui relèvent des préceptes du décalogue, premiers éléments de la loi.

 

            Article 4 — La division des préceptes du décalogue ?

Objections :

1. Religion et foi sont deux vertus distinctes, réclamant deux préceptes puisque les préceptes portent sur les actes des vertus. Or la clause initiale du décalogue, où S. Augustin ne reconnaît qu’un précepte, touche d’abord la fou. “ Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi ” puis le culte, c’est-à-dire la religion : “ Tu ne feras pas d’image taillée etc. ” Il y a là en réalité deux préceptes.

2. Les préceptes affirmatifs comme : Honore ton père et ta mère, et les préceptes négatifs comme : Tu ne tueras point, sont distingués dans la loi. Or, toujours au début du décalogue, une affirmation : “ je suis le Seigneur ton Dieu ”, est réunie à une disposition négative : “ Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi ”. Cela fait deux préceptes, alors que S. Augustin n’en compte qu’un.

3. “ Je n’aurais pas connu la convoitise, écrit S. Paul aux Romains (7, 7), si la loi n’avait édicté : “ Tu ne convoiteras pas. ” Ce précepte se présente donc comme unique. Alors il ne fallait pas distinguer deux préceptes au sujet de la convoitise.

En sens contraire, s’impose l’autorité de S. Augustin qui compte trois préceptes regardant Dieu et sept préceptes regardant le prochain.

Réponse :

Suivant les auteurs, les préceptes du décalogue se répartissent de manières différentes. Hésychius, à propos de ce passage du Lévitique (26, 26) : “ Dix femmes boulangeront dans un seul four ”, estime que le précepte du sabbat n’appartient pas au décalogue parce qu’il ne doit pas être observé, au sens littéral, en tout temps. Il n’en distingue pas moins quatre préceptes à l’égard de Dieu : 1. “ je suis le Seigneur ton Dieu ”. 2. “ Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi ” (cette division des deux premiers préceptes est admise également par S. Jérôme). 3. “ Tu ne te feras pas d’image taillée ”. 4. “ Tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu ”. Après quoi il distingue six préceptes regardant le prochain : 1. “ Honore ton père et ta mère ”. 2. “ Tu ne tueras point ”. 3. “ Tu ne commettras pas d’adultère ”. 4. “ Tu ne déroberas point ”. 5. “ Tu ne porteras pas de faux témoignages ”. 6. “ Tu ne convoiteras point ”.

Mais cette répartition offre un double inconvénient : le précepte relatif à l’observance du sabbat ne doit pas figurer dans le décalogue s’il lui est étranger. De plus, comme “ nul ne peut servir deux maîtres ” (Mt 6, 24), les clauses : “ je suis le Seigneur ton Dieu ”, et : “ Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi ”, expriment une seule et même idée et relèvent d’un unique précepte. Aussi Origène -, qui distingue lui aussi quatre préceptes à l’égard de Dieu, ne voit-il là qu’un seul précepte. Pour lui, les trois suivants seraient : “ Tu ne feras pas d’image taillée. Tu ne prendras pas le nom de ton Dieu en vain ” et : “ Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat ”. Quant aux six derniers préceptes, il les détaille comme Hésychius.

Toutefois les images taillées et les représentations sont interdites uniquement pour éviter qu’on les révère comme des dieux (car, dans le tabernacle, Dieu fit placer des images de Séraphins) ; S. Augustin était donc fondé à réunir sous un seul précepte les clauses : “ Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi ”, et : “ Tu ne feras pas d’image taillée ”. D’autre part, il dédouble l’interdiction de la convoitise en deux préceptes relatifs à la convoitise du bien d’autrui et à celle de la femme d’autrui : en effet, cette dernière relève de la convoitise de la chair, dans l’ordre de la génération, tandis que la convoitise des autres biens qui sont désirés en vue de la possession relève de la convoitise des yeux. On obtient, en suivant S. Augustin, un classement plus juste, avec trois préceptes envers Dieu et sept relatifs au prochain.

Solutions :

1. Le culte n’étant qu’une sorte de protestation de foi, il n’y a pas lieu de donner séparément les préceptes en matière de religion et les préceptes en matière de foi. Cependant, les préceptes de religion doivent être donnés de préférence à ceux de la foi parce que le précepte de la foi, comme celui de la dilection, est présupposé aux préceptes du décalogue. De même en effet que les premiers préceptes généraux de la loi de nature sont évidents pour tout être raisonnable et ne demandent aucune promulgation, de même croire en Dieu est une vérité première et évidente pour qui a la foi : “ Celui qui s’approche de Dieu doit croire que Dieu existe ”, dit l’épître aux Hébreux (11, 6). Il n’est pas besoin pour cela d’autre promulgation que le don divin de la foi.

2. Les préceptes affirmatifs se distinguent des négatifs quand l’un n’est pas inclus dans l’autre ; par exemple, honorer ses parents n’inclut pas qu’on ne tuera personne, ni inversement. Mais si l’affirmatif est contenu dans le négatif ou réciproquement, il n’y a pas matière à préceptes distincts. Ainsi le précepte de ne pas voler implique celui de respecter le bien d’autrui ou d’en faire restitution. Pour la même raison, cela ne fait pas deux préceptes différents de croire en Dieu et de ne pas croire en d’autres dieux.

3. L’Apôtre peut parler au singulier d’un précepte relatif à la convoitise, parce qu’il y a une idée générale commune qui se retrouve en toute convoitise. Mais dans le détail il existe des types différents de convoitise, ce qui amène S. Augustin à distinguer plusieurs préceptes en cette matière ; la diversité des actes et des objets, selon le Philosophe, fonde en effet des espèces différentes de convoitise.

 

            Article 5 — Le dénombrement des préceptes du décalogue est-il satisfaisant ?

Objections :

1. “ Transgresser la loi divine, désobéir aux ordres du ciel ”, c’est ainsi que S. Ambroise définit le péché. Or on distingue les péchés suivant qu’on les commet contre Dieu, contre le prochain ou contre soi-même. L’énumération des préceptes du décalogue n’est donc pas suffisante, puisque, s’il s’y trouve des préceptes relatifs à Dieu et au prochain, on n’en trouve aucun pour diriger l’homme envers soi-même.

2. Le culte divin appelait, tout autant que l’observance du sabbat, celle des autres fêtes, ainsi que l’offrande des sacrifices. Le décalogue mentionne l’observance du sabbat, mais aurait dû comporter quelques préceptes relatifs aux autres fêtes et aux sacrifices rituels.

3. Contre Dieu, on pèche non seulement par le parjure, mais encore par le blasphème, voire par toute fausseté s’opposant à l’enseignement divin. A côté du précepte interdisant le parjure “ Tu ne prendras pas le nom de ton Dieu en vain ”, le décalogue devait donc, par des préceptes spéciaux, interdire les péchés de blasphème et d’enseignement hétérodoxe.

4. L’homme chérit naturellement ses parents, mais aussi ses enfants ; d’ailleurs la charité embrasse le prochain dans son ensemble. Puisque les préceptes du décalogue sont ordonnés à la charité, selon le mot de S. Paul : “ La charité est la fin du précepte ” (1 Tm 1, 5), outre celui qui concerne les parents, il en fallait aussi touchant les enfants et les autres catégories de prochain.

5. En toute espèce de péché, on peut pécher par pensée et par action. Or voici des espèces de péchés, le vol et l’adultère, qui font l’objet d’une double interdiction, l’une portant sur le péché d’action : “ Tu ne commettras pas d’adultère, Tu ne déroberas pas ”, l’autre portant sur le péché de pensée : “ Tu ne convoiteras pas le bien d’autrui, Tu ne désireras pas sa femme. ” Il fallait en faire autant pour le péché d’homicide et de faux témoignage.

6. Le péché peut naître d’un désordre de l’irascible aussi bien que d’un désordre du concupiscible. Puisqu’il y a des préceptes pour mettre en garde contre une convoitise désordonnée, il devait aussi y en avoir pour empêcher le désordre de l’irascible. Bref, on a le sentiment que ce nombre de dix pour les préceptes du décalogue n’est pas satisfaisant.

En sens contraire, il est écrit au Deutéronome (4, 13) : “ Dieu vous a fait connaître son alliance qu’il vous a commandé d’observer, et les dix paroles qu’il a écrites sur deux tables de pierre. ”

Réponse :

On l’a dit plus haut, de même que les préceptes de la loi humaine disposent l’homme en vue d’une société humaine, de même les préceptes de la loi divine disposent l’homme en vue d’une sorte de société ou de cité des hommes soumise à Dieu. Or deux conditions sont requises si l’on veut vivre des jours heureux dans une société : d’abord se comporter comme il faut envers celui qui exerce l’autorité, ensuite être en règle avec les autres membres et compagnons engagés dans cette société. Il faut donc que la loi divine édicté d’abord certains préceptes qui règlent les rapports de l’homme avec Dieu, puis d’autres préceptes qui règlent les rapports de chacun avec ceux qui, comme lui et près de lui, vivent sous l’autorité de Dieu.

Au chef de la société, l’homme doit fidélité, respect et service. La fidélité au maître empêche essentiellement que l’hommage de souveraineté soit accordé à aucun autre ; telle est la signification du premier précepte : “ Tu n’auras pas d’autres dieux. ” - Le respect du maître veut qu’on s’abstienne à son égard de toute attitude offensante et c’est l’objet du second précepte : “ Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu. ” - Le maître a droit au service, en contrepartie des bienfaits qu’il dispense à ses sujets, et le troisième précepte y pourvoit, par la sanctification du sabbat en mémoire de la création.

Les justes rapports avec le prochain supposent deux conditions. A un titre spécial, il faut s’acquitter de ce que l’on doit envers ceux dont on a reçu : ici se place le précepte touchant le respect des parents. - A un titre général, envers tous sans exception, ne léser personne, ni de fait, ni en parole, ni en pensée. Par voie de fait, on nuit au prochain dans sa personne même, par atteinte à l’intégrité de son être, d’où suit la clause prohibitive : “ Tu ne tueras point ”, - ou dans la personne qui lui est conjointe aux fins de la procréation, et cela est interdit par le précepte : “ Tu ne commettras pas d’adultère ” ; - ou dans les biens qu’il possède et qui servent les deux buts susdits, ce qui est écarté par le précepte : “ Tu ne déroberas pas ”. Enfin la prohibition du faux témoignage réprime le péché de parole, et celle de la convoitise le péché de pensée.

On pourrait aussi appliquer cette division aux trois préceptes qui regardent Dieu. Le premier concerne l’action : “ Tu ne feras pas d’image taillée ” ; le second la parole : “ Tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu ”, le troisième regarde les pensées, car la sanctification du sabbat, entendue comme un précepte moral, veut que la pensée se repose en Dieu. - S. Augustin dit encore autrement que, par le premier précepte, nous révérons l’unité du principe premier, par le second la vérité divine, et par le troisième la bonté de Dieu qui nous sanctifie et en qui nous trouvons le repos comme en notre fin.

Solutions :

1. La première difficulté comporte une double réponse. 1° Les préceptes du décalogue sont relatifs aux préceptes de la charité ; or, s’il était nécessaire de prescrire à l’homme d’aimer Dieu et le prochain, la loi naturelle ayant été en cela obnubilée par le péché, cela n’était pas nécessaire en ce qui regarde l’amour de soi-même, parce que sur ce point la loi naturelle gardait sa force ; - ou encore parce que l’amour de soi est inclus dans l’amour de Dieu et du prochain, vu que s’aimer vraiment, c’est se rapporter à Dieu. C’est encore une raison pour que le décalogue ne contienne de préceptes que relativement au prochain et à Dieu. - 2° Les préceptes du décalogue sont ceux que le peuple a reçus de Dieu sans intermédiaire ; le Deutéronome (10, 4) le dit expressément : “ Dieu a écrit sur les tables ce qu’il avait déjà écrit, les dix paroles que le Seigneur vous a adressées. ” C’est donc une nécessité pour les préceptes du décalogue de pouvoir être compris immédiatement de tous les esprits. Or l’idée de précepte évoque essentiellement celle d’une dette ; et que l’on soit tenu d’une dette envers Dieu ou envers le prochain, c’est ce que l’on comprend aisément, surtout si l’on a la foi ; mais que l’homme soit tenu d’une dette rigoureuse envers soi-même et non envers autrui, cela ne saute pas aux yeux, car de prime abord chacun se sent libre dans les affaires qui ne concernent que soi. Aussi les préceptes qui interdisent à l’homme de se manquer à soi-même sont-ils communiqués au peuple par l’intermédiaire des sages qui l’instruisent, et ils ne relèvent pas du décalogue.

2. Toute les fêtes de la loi ancienne ont été instituées pour commémorer un bienfait de Dieu reçu dans le passé, ou pour préfigurer un bienfait à venir. Et c’est aux mêmes intentions que répondaient toutes les offrandes de sacrifices. Or, parmi tous les bienfaits divins dignes d’être commémorés le premier et le principal était celui de la création ; c’est lui qui est rappelé dans la célébration du sabbat, puisque le fondement de ce précepte, selon l’Exode (20, 11), c’est que “ Dieu fit le ciel et la terre en six jours ”. Quant aux bienfaits à venir qui devaient être préfigurés, celui qui dépasse et achève tous les autres était le repos de l’âme en Dieu, ici-bas par la grâce, au jour futur par la gloire ; cela aussi était représenté par la célébration du sabbat au sens où l’entendait Isaïe (58, 13) : “ Si tu évites de fouler aux pieds le sabbat, de suivre ton penchant en mon samt jour ; si tu l’appelles sabbat de délices, et vénérable le jour saint du Seigneur. ” A ces bienfaits-là tous les cœurs, surtout s’ils ont la foi, accordent le premier rang et une importance suprême ; tandis que les bienfaits célébrés au cours des autres solennités n’avaient qu’un caractère partiel et provisoire : ainsi le rite pascal rappelait un bienfait passé, la délivrance d’Égypte, et annonçait la passion du Christ, cet événement qui s’est accompli à un moment du temps et qui nous fit entrer dans le repos d’un sabbat spirituel. On comprend donc que le sabbat, à l’exclusion de toute autre solennité et des sacrifices, soit seul mentionné parmi les préceptes du décalogue.

3. “ Les hommes, dit l’épître aux Hébreux (6, 16), jurent par plus grand qu’eux, et toute contestation se termine par la garantie du serment. ” On voit que tout le monde peut être amené à faire un serment, et donc qu’un précepte spécial du décalogue devait, en cette matière, exclure tout désordre. Mais le péché de fausseté dans la doctrine n’étant le fait que de quelques-uns, le décalogue n’avait pas à en faire état. Du reste, ce péché se trouve interdit, en un certain sens, par le précepte : “ Tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu ”, qu’une glose éclaire par cet exemple : Ne pas dire que le Christ serait une créature.

4. Ne léser personne est une requête immédiate de la raison naturelle, et les préceptes qui interdisent de nuire s’adressent à tout le monde. Mais intervenir positivement en faveur d’autrui, cela n’est pas dicté aussitôt par la raison naturelle, sauf s’il s’agit d’une dette. Or le devoir du fils à l’égard du père est si manifeste qu’il échappe à toute discussion, le père étant principe dans l’ordre de la génération et de l’existence, de l’éducation et de l’instruction. C’est pourquoi, en dehors des parents, nul précepte du décalogue ne prescrit de servir ou d’honorer qui que ce soit. Les parents, en revanche, au titre des bienfaits reçus, seraient plutôt les créanciers que les débiteurs de leurs enfants. - De plus, l’enfant est quelque chose de son père, remarque Aristote et “ les pères aiment leurs enfants comme une part d’eux-mêmes ”. Les raisons qui font que le décalogue n’impose à l’homme aucun précepte envers soi-même valent aussi touchant l’amour de ses enfants.

5. La délectation de l’adultère, l’avantage des richesses sont intrinsèquement désirables, à raison de leur caractère délectable ou utile ; il fallait donc, ici, exclure non seulement l’acte, mais le désir. Au contraire, le prochain et la vérité étant naturellement objet d’amour, il y a quelque chose de si répugnant en soi dans le meurtre et le mensonge, qu’il faut, pour les désirer, quelque autre motif ; par conséquent il suffisait à leur sujet de prohiber l’acte, sans mentionner le désir.

6. On sait que toutes les passions de l’irascible dérivent des passions du concupiscible. Dans ces premiers éléments de la loi que sont les préceptes du décalogue on n’avait donc pas à faire état des premières, mais seulement des secondes.

 

            Article 6 — L’ordre des dix préceptes dans le décalogue est-il satisfaisant ?

Objections :

1. L’amour du prochain précède l’amour de Dieu, le prochain nous étant plus connu que Dieu : “ Comment, demande S. Jean dans sa première épître (4, 20), peut-on aimer Dieu qu’on ne voit pas, si l’on n’aime pas son frère que l’on voit ? ” Or les préceptes relatifs à l’amour de Dieu occupent les trois premières places dans le décalogue, et les préceptes relatifs à l’amour du prochain les sept autres. L’ordre des préceptes dans le décalogue n’est donc pas satisfaisant.

2. Les préceptes affirmatifs commandent l’exercice des vertus, et les préceptes négatifs interdisent les actes vicieux. S’il est vrai, comme le pense Boèce, qu’il faille extirper les vices avant d’implanter les vertus, il fallait, dans la liste des préceptes relatifs au prochain, faire passer les préceptes négatifs avant les préceptes affirmatifs.

3. Dans l’activité humaine dont s’occupent les préceptes de la loi, il y a priorité de la pensée sur la parole et sur l’action extérieure. C’est donc à tort que les préceptes interdisant la convoitise, préceptes qui visent des péchés de pensée, obtiennent la dernière place.

En sens contraire, “ ce qui vient de Dieu est ordonné ”, dit S. Paul (Rm 13, 1). Les préceptes du décalogue ont été donnés immédiatement par Dieu, comme on l’a vu. Ils sont donc dans l’ordre qui convient.

Réponse :

Nous savons déju que les préceptes du décalogue formulent des données immédiatement accessibles à l’esprit humain. Or il paraît bien qu’une donnée est d’autant plus accessible à la raison que son contraire y est opposé davantage et plus gravement . Et comme c’est dans la fin que l’ordre de la raison trouve son principe, ce qui par-dessus tout s’oppose à la raison, c’est le dérèglement au regard de la fin. Or la fin de la vie et de la société humaine est Dieu. Le décalogue devait donc, dans ses premiers préceptes, organiser les rapports de l’homme avec Dieu, puisque ce les contrarie est le plus grave de tous les maux. Il en va de même dans une armée où le chef, à l’instar d’une fin, joue un rôle ordonnateur : avant tout, le soldat doit être soumis au chef, si bien que la faute suprême serait l’insubordination ; ensuite le soldat doit entretenir avec les autres les rapports qui conviennent.

Parmi les préceptes qui règlent nos rapports avec Dieu, nous trouvons en premier lieu que l’homme lui soit fidèlement soumis, sans aucune collusion avec ses ennemis. Ensuite, que l’homme lui témoigne de la révérence, et enfin qu’il s’applique à le servir. Dans une armée aussi il est plus grave pour un soldat de pécher par traîtrise en pactisant avec l’ennemi que de manquer de respect envers le chef, et ceci est plus grave qu’une certaine insuffisance dans le service du chef.

Passons aux préceptes qui règlent les rapports avec le prochain. Sans conteste, il est plus contraire à la raison et c’est un péché plus grave de manquer à ce que l’on doit à l’égard des personnes envers qui l’on est le plus obligé. Et ainsi vient en tête de ces préceptes celui qui regarde les parents. Mais les autres se classent aussi selon la gravité des péchés. Il est plus grave, plus contraire à la raison, de pécher par action que par parole, et de pécher par parole que par pensée. Et parmi les péchés en action, l’homicide qui supprime une vie humaine déjà existante est plus grave que l’adultère qui rend incertaine une filiation ; et l’adultère est plus grave que le vol, qui ne s’en prend qu’à des biens extérieurs.

Solutions :

1. Suivant les lois de la connaissance sensible, le prochain nous est connu plus que Dieu ; néanmoins, nous verrons au traité de la charité que l’amour de Dieu est la raison de l’amour du prochain . L’ordre des préceptes s’en trouve justifié.

2. Comme Dieu est principe d’être pour tout l’univers, le père est aussi un principe d’être pour le fils ; on conçoit donc bien que le précepte relatif aux parents fasse suite aux préceptes qui regardent Dieu. Quant à l’argument allégué, il ne vaut que si les préceptes affirmatifs et les préceptes négatifs se rapportent à une seule et même catégorie d’actes. Et même en ce cas il ne vaut pas absolument, car si dans l’ordre de réalisation il est vrai que l’on doive extirper les vices avant d’implanter les vertus, comme le suggère le Psaume (34, 15) : “ Détourne-toi du mal et fais le bien ”, et Isaïe (1, 16 s) : “ Cessez de mal faire et apprenez à faire le bien ”, il reste que dans l’ordre de la connaissance la vertu précède le péché, parce que, selon l’observation d’Aristote, “ ce qui est droit fait connaître ce qui est tordu ”. Et au dire de S. Paul aux Romains (3, 20), “ c’est la loi qui donne la connaissance du péché ”. Ce serait donc un argument pour donner la priorité aux préceptes affirmatifs. Pourtant telle n’est pas la raison, mais bien celle qu’on a donnée ci-dessus, qui explique l’ordre des préceptes. Parmi les préceptes de la première table, qui regardent Dieu, c’est le précepte affirmatif qui vient en dernier lieu, parce que sa transgression entraîne une moindre culpabilité.

3. Bien que le péché en pensée soit le premier dans l’exécution, son interdiction ne vient qu’ensuite à notre esprit.

 

            Article 7 — La présentation des préceptes du décalogue ?

Objections :

1. Elle ne semble pas heureuse. Les préceptes affirmatifs prescrivent les actes vertueux, et les préceptes négatifs interdisent les actes vicieux ; mais cette opposition du vice à la vertu se vérifie en tout domaine, et donc c’est en tout domaine réglé par les préceptes du décalogue qu’il y avait lieu de poser un précepte négatif. Quelques échantillons de chaque espèce ne suffisent pas.

2. Pour S. Isidore “ toute loi se fonde sur une raison ”. Cette raison devait être exprimée non seulement à propos du premier et du troisième préceptes, mais à propos de tous les préceptes du décalogue puisque tous appartiennent à la loi divine.

3. En observant les préceptes, on mérite de Dieu une récompense, et les récompenses sont l’objet de promesses divines. Une promesse devait donc accompagner chacun des préceptes, et non pas seulement le premier et le quatrième.

4. La loi ancienne s’appelle loi de crainte parce qu’elle faisait observer les préceptes sous la menace de châtiments. Comme tous les préceptes du décalogue appartiennent à la loi ancienne, tous devraient être assortis d’une telle menace, et pas seulement le premier et le deuxième.

5. Tous les préceptes de Dieu doivent être gravés dans la mémoire : “ Inscris-les, lit-on dans les Proverbes (3, 3), sur les tablettes de ton cœur. ” Il est donc anormal qu’on ne fasse appel à la mémoire que pour le troisième précepte. Tout cela donne à penser que les préceptes du décalogue sont mal présentés.

En sens contraire, le livre de la Sagesse (11, 21) assure que “ Dieu a tout fait avec nombre, poids et mesure ”. Quand il formulait les préceptes de sa loi il a dû tout spécialement procéder d’une manière appropriée.

Réponse :

Une sagesse sans défaut habite les préceptes de la loi divine, ce qui fait dire au Deutéronome (4, 6) : “ C’est là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des nations. ” Comme le propre du sage est de tout disposer comme il faut et avec ordre, la présentation des préceptes de la loi est évidemment satisfaisante.

Solutions :

1. Toute affirmation entraîne la négation de son contraire, mais la négation d’un terme n’entraîne pas toujours l’affirmation du terme opposé. Ainsi, qu’une chose soit blanche, il s’ensuit qu’elle n’est pas noire ; mais de ce qu’elle ne soit pas noire, il ne s’ensuit pas qu’elle est blanche, car la négation a plus d’extension que l’affirmation. Ainsi, ne faire tort à personne est un précepte négatif qui, suivant la dictée première de la raison, s’étend à plus de personnes que l’obligation de rendre un service ou d’intervenir effectivement en faveur de quelqu’un. Mais la première dictée de la raison prescrit à l’homme qu’il doit service ou bienfait à ceux dont il a reçu, jusqu’à ce qu’il se trouve quitte. Or il y a deux êtres, Dieu et le père, dont les bienfaits sont tels que nul n’est jamais quitte à leur endroit, comme l’a noté Aristote. Il suffisait donc de deux préceptes affirmatifs, l’un d’honorer les parents, l’autre de célébrer le sabbat en mémoire des bienfaits de Dieu.

2. Les préceptes qui sont purement moraux n’ont pas besoin qu’on en exprime le motif, celui-ci étant évident. Mais parfois au précepte s’ajoute un élément cérémonial, ou encore une détermination du précepte moral universel. C’est le cas du premier précepte : “ Tu ne feras pas d’image taülée ”, et du troisième où le jour du sabbat est déterminé. Dans l’un et l’autre cas il y avait donc lieu de marquer le motif du précepte.

3. Les hommes n’agissent le plus souvent que dans leur intérêt. C’est pourquoi il fallait assortir d’une promesse de récompense les préceptes qui pouvaient paraître sans profit ou même onéreux. Or les parents sont sur le déclin, on n’attend plus rien d’eux ; aussi une promesse est-elle attachée au précepte de les honorer. Il en va de même pour l’interdiction de l’idolâtrie, précepte qui semblait empêcher les avantages apparents que l’on escompte d’un pacte avec les démons.

4. Les peines sont nécessaires surtout pour retenir ceux qui sont enclins au mal, explique Aristote. Les préceptes de la loi ne se présentent donc que dans les domaines où l’on constate une pente vers le mal. Ainsi la pratique générale des nations païennes invitait à l’idolâtrie, et l’on était exposé au parjure par la fréquence même des serments : les deux préceptes correspondants furent donc accompagnés d’une menace.

5. Le précepte du sabbat étant commémoratif d’un bienfait passé, il lui appartenait de faire appel à la mémoire. - On pourrait dire aussi qu’à ce précepte est annexée une détermination qui ne relève pas de la loi naturelle et qu’à ce titre il méritait spécialement d’être gravé dans la mémoire.

 

            Article 8 — Les préceptes du décalogue souffrent-ils dispense ?

Objections :

1. Les préceptes du décalogue sont du droit de nature ; mais ce droit, constate Aristote, est, comme la nature même de l’homme, sujet à des changements et à des défaillances. Or quand une loi est en défaut touchant certains cas particuliers, on sait qu’il y a lieu d’en dispenser.

2. Ce que l’homme peut à l’égard de la loi humaine, Dieu le peut à l’égard de la loi divine. Puisque l’homme peut dispenser des préceptes d’une loi établie par l’homme, Dieu qui a établi les préceptes du décalogue peut en dispenser ; et puisque les supérieurs tiennent sur terre la place de Dieu, selon ce mot de S. Paul (2 Co 2, 10) : “ Si j’ai accordé quelque chose, je l’ai fait pour vous au nom du Christ ”, il s’ensuit que les supérieurs peuvent aussi dispenser des préceptes du décalogue.

3. L’interdiction de l’homicide est un précepte du décalogue dont les hommes dispensent manifestement : selon les dispositions de la loi humaine il est légitime de mettre à mort certains hommes, malfaiteurs ou ennemis. C’est la preuve que l’on peut dispenser des préceptes du décalogue.

4. La célébration du sabbat, autre précepte du décalogue, a fait l’objet de dispense. Le fait est relaté dans le livre premier des Maccabées (2, 4 1) : “ Ils prirent en ce jour-là cette décision : Tout homme qui viendra guerroyer contre nous le jour du sabbat, nous combattrons contre lui. ” Donc les préceptes du décalogue sont susceptibles de dispense.

En sens contraire, Isaïe (24, 5) réprimande ceux qui “ ont violé les lois, rompu l’alliance éternelle ”, ce qui s’entend avant tout des préceptes du décalogue. Il n’est donc pas permis d’y porter atteinte par la dispense.

Réponse :

On l’a dit, il faut dispenser d’un précepte lorsqu’il se présente un cas particulier où l’application littérale de la loi irait contre l’intention du législateur. Or l’intention de tout législateur vise en premier lieu et principalement le bien commun, secondairement un ordre de justice et de vertu qui garantit ce bien commun et qui permet d’y atteindre. Si donc il existe des préceptes impliquant précisément la sauvegarde du bien commun ou l’ordre de justice et de vertu, ces préceptes contiennent l’intention du législateur et excluent toute dispense. Supposons par exemple dans une cité le précepte interdisant de renverser l’État, ou de livrer la ville aux ennemis, ou de faire quoi que ce soit d’injuste et de mauvais : ces dispositions ne souffriraient aucune dispense. Mais s’il était porté d’autres préceptes, ordonnés aux premiers et déterminant telles conduites particulières, ici la dispense serait possible, pourvu que dans les cas considérés elle ne porte aucun préjudice aux préceptes précédents qui contiennent l’intention du législateur. Si par exemple, dans une ville assiégée, on décidait pour la sécurité publique de confier la défense à des vignes recrutés dans chaque quartier, certaines dispenses individuelles seraient admissibles en vue d’un avantage plus grand.

Or les préceptes du décalogue expriment justement l’intention de Dieu, le législateur. Ceux de la première table, relatifs à Dieu, énoncent pour lui-même l’attachement au bien commun et final qui est Dieu ; ceux de la seconde table énoncent l’ordre juste qui doit régner entre les hommes, nul tort n’étant fait à personne et chacun recevant son dû. C’est en ce sens qu’il faut entendre les préceptes du décalogue, et c’est pourquoi ils

ne souffrent aucune sorte de dispense.

Solutions :

1. A cet endroit, Aristote ne parle pas de ce droit de nature qui exprime précisément l’ordre de justice ; il n’y a en effet jamais d’exception au devoir d’observer la justice. Il fait allusion à telles manières déterminées d’observer la justice qui peuvent parfois être mises en échec.

2. S. Paul dit aussi (2 Tm 2, 13) : “ Dieu demeure fidèle et ne peut se renier. ” Il se renierait si l’ordre même de la justice était aboli par lui, puisqu’il est, lui, la justice même. Dieu ne peut donc dispenser l’homme ni d’être en règle avec lui ni de se soumettre à l’ordre de sa justice même dans les matières qui concernent le commerce des hommes entre eux.

3. Le décalogue interdit l’homicide en tant qu’acte indu ; en ce sens le précepte inclut l’idée même de justice. Or la loi humaine ne peut permettre qu’un homme soit tué injustement. Mais il n’est pas injuste de tuer les malfaiteurs ou les ennemis de l’État, et cela ne va pas contre le précepte du décalogue. L’acte de tuer, dans ces conditions, diffère de l’homicide prohibé par le décalogue au jugement de S. Augustin. De même, dépouiller quelqu’un de ce qui était à lui, si c’est à bon droit qu’on le lui ôte, ce n’est pas vol ou rapine prohibés par le précepte du décalogue. - Par conséquent, lorsque les enfants d’Israël, sur l’ordre de Dieu, emportèrent les dépouilles des Égyptiens, ce ne fut pas un vol ; elles leur étaient dues par sentence divine. - Et lorsque Abraham accepta de tuer son fils, il ne consentit pas à un homicide : Dieu, qui est maître de la vie et de la mort l’ayant ordonnée, cette mort était de droit. C’est Dieu en effet qui inflige à tous, justes et injustes, cette peine de mort, à cause du péché du premier père ; et l’homme divinement mandaté pour exécuter cette sentence ne sera pas un homicide, pas plus que Dieu. - De même, les relations d’Osée avec une prostituée ou avec une famine adultère ne constituaient ni une fornication ni un adultère, parce que cette femme était sienne par l’ordre de Dieu qui a fondé l’institution du mariage.

Ainsi les préceptes du décalogue, quant à la raison de justice qu’ils impliquent, sont invariables. Mais dans l’application aux cas d’espèce, telle détermination, par exemple que tel ou tel acte soit ou non un homicide, un vol ou un adultère, cela n’est pas immuable. Tantôt le changement procède exclusivement de l’autorité de Dieu, pour ce qui tient à la seule institution divine, comme le mariage ; tantôt intervient l’autorité humaine, dans les matières confiées à la juridiction des hommes. A cet égard, les hommes agissent au nom de Dieu, mais non dans tous les cas.

4. Cette décision fut moins une dispense qu’une interprétation du précepte. Le Christ a montré (Mt 12, 3) qu’on n’est pas coupable de violer le sabbat quand on exerce une activité indispensable à la vie humaine.

 

            Article 9 — La modalité vertueuse de l’acte tombe-t-elle sous le précepte ?

Objections :

1. La modalité vertueuse de l’acte consiste à faire selon la justice les actes de justice, à faire avec force les actes de force, et ainsi de suite pour toutes les vertus. Or le Deutéronome (16, 20) prescrit : “ Exerce le droit en rigueur de justice. ” Donc la modalité vertueuse tombe sous le précepte.

2. Ce qui tombe d’abord sous le précepte, c’est ce qu’a en vue le législateur. Mais, Aristote assure que l’intention principale du législateur est de rendre les hommes vertueux. Si le propre du vertueux est d’agir vertueusement, cette circonstance n’est pas étrangère au précepte.

3. Si l’on admet que la modalité vertueuse de l’acte consiste précisément en ce qu’il est accompli volontiers et avec plaisir, cela tombe sous le précepte de la loi divine : “ Servez le Seigneur dans la joie ” (Ps 100, 2) ; et S. Paul (2 Co 9, 7) : “ Non pas à contrecœur et par contrainte, car Dieu aime qui donne avec joie. ” Ce dernier texte est ainsi commenté par la Glose : “ Le bien que tu fais, fais-le dans la joie et tu le feras bien ; si tu le fais de mauvais gré, il se fait à tes dépens mais tu ne le fais pas. ” Preuve que la modalité vertueuse tombe sous le précepte de la loi.

En sens contraire, pour agir à la manière du vertueux il faut être soi-même vertueusement qualifié, explique Aristote. Et comme d’autre part quiconque enfreint un précepte légal mérite d’être puni, on en viendrait à conclure que celui qui n’est pas vertueux, quoi qu’il fasse, mérite d’être puni. Or telle n’est pas l’intention de la loi ; elle entend conduire les hommes à la vertu en les accoutumant à faire des actes bons. Le mode de la vertu ne tombe donc pas sous le précepte.

Réponse :

Le précepte légal ayant, comme nous le savons4 une force contraignante, ce qui tombe directement sous le précepte tombe sous la contrainte légale, et comme la contrainte légale a pour moyen la menace de la peine, au jugement d’Aristote, ce qui tombe proprement sous le précepte c’est ce qui est légalement sanctionné par une peine. Mais dans l’organisation des peines la loi divine et la loi humaine procèdent différemment. En effet, toute peine légale procédant d’un jugement, le législateur ne peut en édicter que dans les matières qui sont de son ressort. Or le législateur humain n’a compétence que pour juger des actes extérieurs, car les hommes “ ne voient que ce qui paraît ” (1 S 16, 7). Dieu seul, auteur de la loi divine, peut juger les mouvements intimes de la volonté, lui qui “ sonde les reins et les cœurs ” (Ps 7, 10).

Cela posé, on peut dire que la modalité vertueuse, en un premier sens, est visée tant par la loi divine que par la loi humaine ; en un autre sens, qu’elle est visée par la seule loi divine, et en un troisième sens, qu’elle échappe à la loi divine comme à la loi humaine. Car il y a trois éléments à considérer selon Aristote dans la modalité vertueuse. Le premier est un élément de connaissance dans l’action, et celui-là est pris en considération tant par la loi divine que par la loi humaine, car agir sans savoir ce que l’on fait, ce n’est pas proprement agir. Ainsi, compte tenu de ce qui tient à la seule institution divine, comme le mariage ; tantôt intervient l’autorité humaine, dans les matières confiées à la juridiction des hommes. A cet égard, les hommes agissent au nom de Dieu, mais non dans tous les cas.

4. Cette décision fut moins une dispense qu’une interprétation du précepte. Le Christ a montré (Mt 12, 3) qu’on n’est pas coupable de violer le sabbat quand on exerce une activité indispensable à la vie humaine.

 

            Article 10 — La modalité que donne la charité tombe-t-elle sous le précepte de la loi divine ?

Objections :

1. On lit en S. Matthieu (19, 17) “ Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements. ” Il suffit donc d’observer les commandements pour être introduit dans la vie. Or les bonnes œuvres n’y suffisent que si elles sont faites par charité, comme l’Apôtre l’écrit (1 Co 13, 3) : “ Quand je distribuerais tous mes biens pour nourrir les pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. ” Il s’ensuit que la pratique des commandements inclut le mode de la charité.

2. Ce mode, en somme, consiste à faire tout en vue de Dieu ; mais cela tombe sous un précepte : “ Faites tout, dit l’Apôtre dans la même épître (10, 31), pour la gloire de Dieu. ”

3. Sinon, on pourrait accomplir les préceptes de la loi sans avoir la charité, donc sans avoir la grâce, celle-ci étant toujours liée à la charité. Or c’est là une erreur pélagienne, dénoncée par S. Augustin. Donc le mode de la charité est de précepte.

En sens contraire, si le mode de la charité tombait sous le précepte, tout acte ne procédant pas de la charité constituerait un manquement au précepte, c’est-à-dire un péché mortel. Ainsi quiconque serait privé de la charité et par conséquent incapable d’agir sous ce mode, ne pourrait que pécher mortellement, quoi qu’il fasse, même dans l’ordre du bien. Ce qui est contradictoire.

Réponse :

Deux opinions opposées ont été soutenues à ce sujet. Pour les uns, le mode de la charité est purement et simplement de précepte. Il ne s’ensuit pas que celui qui n’a pas la charité soit incapable d’observer ce précepte, puisqu’il lui est loisible de se disposer de façon que la charité lui soit infusée par Dieu ; ni qu’il pèche mortellement quoi qu’il fasse dans l’ordre du bien, puisque le précepte qui enjoint d’agir par charité est affirmatif, donc n’exige pas un accomplissement ininterrompu, mais oblige aussi longtemps qu’on a la charité. - Pour les autres, d’aucune façon, le mode de la charité ne tombe sous le précepte.

Il y a du vrai dans l’une et l’autre opinion. L’acte de la charité peut en effet être considéré de deux manières. D’abord, comme un acte déterminé, pris à part ; ainsi entendu, il tombe sous le précepte légal qui en est expressément donné : “ Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ” (Dt 6, 5), et : “ Tu aimeras ton prochain ” (Lv 19, 18). En ce sens la première opinion est dans le vrai, car il n’est pas impossible d’observer ce précepte qui impose l’acte de charité ; l’homme peut se disposer à recevoir la charité, et il peut l’exercer quand il l’a reçue.

D’autre part, on peut considérer l’acte de charité en tant qu’il imprime un mode aux actes des autres vertus du fait que ceux-ci sont ordonnés à la charité, “ fin du précepte ”. On a vu déjà que l’intention de la fin affecte d’une modalité typique l’acte ordonné à cette fin. Et en ce sens la seconde opinion dit bien que le mode de charité ne tombe pas sous le précepte, entendez tel précepte particulier ; celui-ci par exemple : “ Honore ton père ”, n’oblige pas à honorer le père par charité, mais strictement à l’honorer. Ainsi celui qui honore son père, tout en étant dépourvu de charité, n’enfreint pas ce précepte-là, quand même il enfreindrait le précepte concernant l’acte de charité et mériterait d’être puni pour cette transgression.

Solutions :

1. Le Seigneur n’a pas dit : “ Si tu veux entrer dans la vie, observe un commandement ”, mais “ tous les commandements ”, y compris celui de l’amour de Dieu et du prochain.

2. La teneur du précepte de la charité est d’aimer Dieu de tout son cœur, ce qui implique qu’on rapporte tout à Dieu ; autrement il n’y a pas moyen d’observer le précepte de la charité. Ainsi, lorsqu’on honore ses parents, on est tenu de le faire par charité, mais cela ne relève pas du précepte : “ Honore tes parents ”, cela découle du précepte : “ Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. ” Et comme ce sont là deux préceptes affirmatifs qui n’obligent pas de manière ininterrompue, il n’est pas nécessaire qu’ils obligent simultanément. Ainsi peut-il arriver qu’on accomplisse le précepte de la piété filiale sans enfreindre en même temps par omission le précepte relatif au mode de la charité.

3. Il est impossible à l’homme d’observer tous les préceptes de la loi sans accomplir le précepte de la charité. Comme cela ne va pas sans la grâce, il est impossible de soutenir avec Pélage que l’homme pourrait sans la grâce accomplir la loi.

 

            Article 11 — Peut-on distinguer dans la loi, d’autres préceptes moraux ?

Objections :

1. En S. Matthieu (22, 40), le Seigneur enseigne que “ des deux préceptes de l’amour dépendent toute la loi et les prophètes ”. Ces deux préceptes étant développés dans les dix préceptes du décalogue, il n’est pas besoin d’autres préceptes moraux.

2. Aux préceptes moraux s’opposent, avons-nous dit, les préceptes judiciaires et les préceptes cérémoniels, où des déterminations sont apportées aux préceptes généraux de la moralité. Quant à ces préceptes généraux de la moralité, ils appartiennent au décalogue ou même lui sont présupposés. Il n’y a donc pas lieu de formuler d’autres préceptes moraux en plus du décalogue.

3. Ces préceptes moraux, on l’a dit, concernent les actes de toutes les vertus. Ainsi donc, de même qu’il y a dans la loi, en plus du décalogue, des préceptes moraux relatifs à la religion, à la libéralité, à la miséricorde, à la chasteté, il devrait y en avoir touchant les autres vertus, comme la force, la sobriété. Or on ne trouve rien de tel. C’est donc que l’articulation des autres préceptes moraux de la loi, en dehors du décalogue, n’est pas correcte.

En sens contraire, “ la loi du Seigneur est sans tache, elle convertit les âmes ” (Ps 19, 8). Or les autres prescriptions morales qui s’ajoutent au décalogue, elles aussi, aident l’âme à éviter la tache du péché et à se convertir à Dieu. Il revenait donc à la loi de formuler aussi ces autres préceptes moraux.

Réponse :

Nous l’avons dit, en matière judiciaire et cérémonielle, un précepte ne vaut que parce qu’il a été institué, c’est-à-dire qu’auparavant on pouvait indifféremment faire ceci ou cela. Mais en matière morale, les préceptes empruntent leur force au verdict de la raison naturelle, même s’ils ne sont jamais imposés par une loi. Or on distingue trois degrés parmi ces préceptes. Il en est qui sont absolument universels et d’une évidence telle qu’ils ne requièrent aucune promulgation, par exemple les commandements relatifs à l’amour de Dieu et du prochain ou d’autres analogues, avons-nous ditp, qui jouent le rôle de fins par rapport aux préceptes, en sorte qu’à leur endroit nul ne risque de se tromper s’il juge selon sa raison. Il en est de plus déterminés, tels que le premier venu, fût-il sans instruction, en reconnaît aisément le bien-fondé, mais qui ont besoin d’être promulgués parce que, exceptionnellement, il arrive à certains esprits de n’en pas juger correctement : tels sont les préceptes du décalogue. Il en est enfin dont le bien-fondé n’apparaît pas ainsi à tous les yeux mais seulement aux yeux du sage : et ce sont les préceptes moraux ajoutés au décalogue et que Dieu a communiqués au peuple par le ministère de Moïse et d’Aaron.

Mais, comme on part de ce qui est clairement connu pour connaître le reste, ces autres préceptes moraux ajoutés au décalogue se ramènent à ses préceptes dont ils sont en quelque sorte le complément. Considérons en effet le premier précepte du décalogue ; il interdit le culte des dieux étrangers ; en renfort voici d’autres préceptes prohibant ce qui se rattache au culte idolâtrique : “ Que nul chez toi ne fasse passer son fils ou sa fille par le feu, ne pratique les maléfices ou les incantations, ne consulte les devins ou les sorciers ou n’interroge les morts ” (Dt 18, 10 s.). - Le second précepte, prohibant le parjure, se complète par l’interdiction du blasphème (Lv 24), et de l’enseignement hétérodoxe (Dt 13). - Au précepte du sabbat sont annexées toutes les dispositions cérémonielles. - Au quatrième précepte, touchant l’honneur dû aux parents, s’ajoute le précepte sur les égards envers les vieillards (Lv 19, 32) : “ Devant une tête blanchie lève-toi et honore la personne du vieillard ”, et encore, d’une manière générale, tous ceux qui prescrivent le respect des supérieurs et les bons procédés envers les égaux et les inférieurs. - La prohibition de l’homicide par le cinquième précepte se développe en interdiction de la haine et de toute entreprise contre le prochain (Lv 19, 16) : “ Tu ne te dresseras

pas contre le sang de ton prochain ”, comme aussi de la haine fraternelle : “ Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur ” (v. 17). - Le sixième précepte, qui condamne l’adultère, se complète par les préceptes interdisant la prostitution 16 (Dt 23, 17) : “ Il n’y aura pas de courtisane chez les filles d’Israël, ni de prostitué parmi les fils d’Israël ” ; ou le vice contre nature : “ Tu n’auras pas de rapports honteux avec un garçon, tu n’iras avec aucune bête ” (Lv 18, 22 s.). - Au septième précepte, contre le vol, se rattachent le précepte prohibant l’usure : “ Tu prêteras à ton frère sans intérêt ” (Dt 23, 19), celui qui prohibe la fraude : “ Tu n’auras pas dans ton sac plusieurs sortes de poids ” (Dt 25, 13) et, en général, tous ceux qui condamnent mauvaise foi et rapine. - Le huitième précepte, qui porte interdiction du faux témoignage, se complète par la prohibition du faux jugement : “ Tu ne t’écarteras pas de la vérité dans le jugement, pour suivre le sentiment du grand nombre ” (Ex 23, 2) ; par la prohibition du mensonge : “ Tu fuiras le mensonge ” (v. 7) et par celle de la diffamation : “ Tu ne sèmeras pas les accusations et les insinuations parmi le peuple ” (Lv 19, 16). - Quant aux deux derniers préceptes, il n’y a rien à y ajouter, puisqu’ils interdisent toute convoitise mauvaise sans exception.

Solutions :

1. Tous les préceptes moraux se rattachent à l’amour de Dieu et du prochain ; seulement le caractère obligatoire est manifeste dans les préceptes du décalogue, tandis qu’il est moins apparent dans les autres.

2. Si les préceptes judiciaires et cérémoniels apportent aux préceptes du décalogue certaines déterminations, celles-ci doivent leur force au fait qu’elles ont été posées, mais non à l’impulsion de la nature, comme pour les préceptes moraux complémentaires.

3. C’est en référence au bien commun que s’organisent les préceptes de la loi. Or les vertus qui règlent les rapports avec autrui intéressent directement le bien commun, et il en va de même de la chasteté, l’œuvre de chair concourant au bien commun de l’espèce. Aussi, relativement à ces vertus, les préceptes sont donnés directement, dans le décalogue ou dans ses annexes. Mais le précepte concernant l’exercice de la force doit être proposé par ceux qui conduisent le peuple et l’encouragent dans les combats entrepris pour le bien commun ; le Deutéronome (20, 3) confie ce rôle au prêtre : “ Ne faiblissez pas, ne reculez pas. ” De même la répression de la gourmandise, vice contraire au bien commun domestique, relève des avertissements paternels comme le montre ce passage du Deutéronome (21, 20) qui met en scène des parents : “ Il refuse d’écouter nos avis, il passe son temps dans la débauche, les plaisirs et les banquets. ”

 

            Article 12 — Les préceptes moraux de la loi ancienne justifiaient-ils ?

Objections :

1. Il semble bien. “ Ce ne sont pas, dit l’Apôtre (Rm 2, 13), ceux qui écoutent lire la loi qui sont justes aux yeux de Dieu ; ceux-là seront justifiés qui la mettent en pratique. ” Mettre la loi en pratique, c’est en observer les préceptes ; par conséquent l’observation des préceptes de la loi procurait la justification.

2. De même (Lv 18, 5) : “ Vous observerez mes lois et mes ordonnances, dit le Seigneur ; en les accomplissant l’homme vivra par elles. ” Or c’est par la justice qu’on vit spirituellement ; donc l’observation des préceptes justifiait.

3. Enfin la loi humaine justifie, car il y a une sorte de justice à en pratiquer les préceptes. La loi divine étant plus efficace que la loi humaine, ses préceptes justifiaient donc.

En sens contraire, l’Apôtre déclare dans la seconde aux Corinthiens que “ la lettre tue ” (3, 6) ; ce qu’il faut entendre, avec S. Augustin, même des préceptes moraux. C’est donc que ceux-ci ne justifiaient pas.

Réponse :

Est sain, en premier lieu et au sens propre, l’être qui possède la santé ; ensuite, secondairement, ce qui entretient la santé ou qui en est la manifestation. Analogiquement, au sens premier et propre, le mot justification veut dire réalisation de la justice ; ensuite, selon une acception dérivée et moins stricte, il peut s’entendre soit de ce qui signifie la justice, soit de ce qui y dispose, et il n’est pas douteux qu’à le prendre ainsi les préceptes de la loi justifiaient : en ce sens qu’ils disposaient les hommes à la grâce du Christ qui justifie et même qu’ils la signifiaient puisque, de l’avis de S. Augustin “ la vie même de ce peuple avait un caractère prophétique et préfigurait le Christ ”.

Mais nous parlons de la justification au sens propre. Alors il y a lieu de remarquer que la justice peut être considérée comme une qualité qu’on a, ou comme un caractère de l’acte, ce qui donne un double sens à la justification. Ou bien l’on veut dire que l’homme est rendu juste, obtenant l’habitus de justice ; ou bien que l’homme fait des œuvres de justice, en sorte que la justification ne soit rien d’autre que la mise en œuvre de la justice.

1° La justice, comme toutes les vertus, peut s’entendre, on le sait, d’une qualité acquise aussi bien qu’infuse. Ce sont les œuvres qui causent la justice acquise, mais la justice infuse n’a d’autre cause que Dieu par sa grâce, et telle est la véritable justice dont il est ici question, celle qui permet de qualifier quelqu’un de juste devant Dieu, selon le langage de S. Paul (Rm 4, 2) : “ Si Abraham a été justifié par les œuvres de la loi, il a de quoi se glorifier. Mais non au regard de Dieu. ” Les préceptes moraux qui concernent des actes humains ne pouvaient donc pas causer cette sorte de justice et, en ce sens, les préceptes moraux ne pouvaient justifier en causant la justice.

2° Si maintenant on entend par justification la mise en œuvre de la justice, alors les préceptes de la loi justifiaient, en tant qu’ils contenaient quelque chose de juste en soi ; mais ces sacrements de la loi ancienne ne conféraient pas la grâce comme la confèrent les sacrements de la loi nouvelle, dont on dit, à cause de cela, qu’ils justifient, mais à des titres divers. Dans leur intention générale, il est vrai, comme contribution au culte divin, les préceptes cérémoniels incluaient essentiellement la justice ; mais dans le détail de leurs dispositions ils ne contenaient pas essentiellement la justice, sinon par la seule détermination de la loi divine. Aussi admet-on que ces préceptes ne justifiaient qu’en vertu de la dévotion et de l’obéissance de ceux qui les pratiquaient. - Quant aux préceptes moraux et judiciaires, dans leur signification générale, mais aussi dans leurs dispositions spécifiques, ils exprimaient ce qui était essentiellement juste ; avec cette différence toutefois que le juste essentiel impliqué dans les préceptes moraux relevait de la justice générale qui rejoint toute vertu, selon Aristote, tandis que les préceptes judiciaires relevaient de cette justice particulière dont le domaine se circonscrit aux engagements réciproques qui se nouent entre les hommes dans une société policée.

Solutions :

1. Dans le texte allégué, l’Apôtre entend la justification comme la mise en œuvre de la justice.

2. Celui qui accomplissait les préceptes de la loi, on peut dire qu’il vivait par eux, car il échappait à la peine de mort que la loi édictait contre les délinquants. La formule est alléguée en ce sens par S. Paul (Ga 3, 12).

3. Les préceptes de la loi humaine justifient selon la justice acquise ; mais celle-ci ne nous intéresse pas pour le moment, et c’est sur la justice devant Dieu que nous nous interrogeons.

LES PRÉCEPTES CÉRÉMONIELS

Il faut d’abord les étudier en eux-mêmes (Q. 101). Ensuite étudier leur raison d’être (Q. 102). Enfin leur durée (Q. 103).

 

QUESTION 101 — LEUR NATURE

1. Que faut-il entendre par préceptes cérémoniels ? -2. Sont-ils figuratifs ? -3. Devaient-ils être nombreux ? - 4. Leur classification.

 

            Article 1 — Que faut-il entendre par préceptes cérémoniels ?

Objections :

1. Leur nature ne semble pas consister en ce qu’ils ressortissent au culte divin. En effet, la loi ancienne fait précepte aux Juifs de s’abstenir de certains aliments, comme on le voit dans le Lévitique et aussi de certains vêtements comme fait le même livre (19, 19) qui interdit l’usage des tissus faits de deux espèces de fils, ou les Nombres (15, 38) qui exigent des houppes aux pans des manteaux. De tels préceptes ne sont pas des préceptes moraux, puisqu’ils furent abrogés par la loi nouvelle. Pas davantage des préceptes judiciaires, car ils n’ont rien à voir avec l’instauration du droit parmi les hommes. Ce sont donc des préceptes cérémoniels ; mais ils n’ont rien à voir avec le culte de Dieu.

2. On a prétendu que ces préceptes sont tenus pour “ cérémoniels ” parce qu’ils traitent des fêtes, où l’on brûle beaucoup de “ cire ” (cera). Mais si le culte divin comporte des fêtes, il comporte bien d’autres choses. Le rapport des préceptes au culte divin ne justifie donc pas leur qualification de cérémoniels.

3. Selon d’autres, on les appelle cérémoniels parce qu’ils sont normes ou règles de salut, le mot “ salut ” se disant chaire en grec. Mais tous les préceptes de la loi sont règles de salut et non seulement ceux qui gouvernent le culte divin. Alors, pourquoi réserver à ceux-ci l’épithète de cérémoniels ?

4. Maïmonide entend par cérémoniels “ les préceptes dont la justification n’est pas manifeste ”. Mais il y a en matière de culte divin beaucoup de préceptes qui s’expliquent sans peine comme l’observance du sabbat, la célébration de la Pâque ou de la fête des Tentes et beaucoup d’autres, dont l’explication est expressément donnée dans la loi. Bref, les préceptes cérémoniels ne doivent pas se définir par leur caractère cultuel.

En sens contraire, on lit dans l’Exode (18, 19-20) : “ Assiste le peuple pour tout ce qui regarde Dieu..., montre-lui les cérémonies et les rites religieux. ”

Réponse :

Rappelons que les préceptes cérémoniels ajoutent aux préceptes moraux certaines déterminations en vue des rapports avec Dieu, comme font les préceptes judiciaires en vue des rapports avec le prochain. Or les rapports avec Dieu s’instituent dans le culte requis et c’est pourquoi les préceptes cérémoniels sont proprement ceux qui concernent le culte divin. Cette expression a été justifiée précédemment, lorsqu’on a distingué des autres les préceptes cérémoniels.

Solutions :

1. Le culte divin ne comporte pas seulement les sacrifices et autres rites, dont le rapport avec Dieu se révèle immédiat, mais aussi la préparation de ceux qui s’adonnent au service de Dieu. C’est une règle universelle que la science est la même qui porte sur une fin et porte sur les voies et moyens requis à cette fin. Or cette catégorie de préceptes qu’on trouve dans la loi et qui portent, entre autres choses, sur le vêtement et la nourriture des serviteurs de Dieu, tendent à préparer ceux-ci à leur ministère même, en les rendant propres au culte divin. Ceux qui sont affectés au service d’un roi observent également une étiquette particulière. Tout cela se range donc sous la rubrique des préceptes cérémoniels.

2. Cette explication étymologique offre peu de vraisemblance, d’autant que la loi n’est guère explicite sur l’emploi de cierges allumés à l’occasion des fêtes. C’étaient des lampes à huile d’olive qui étaient prévues, même sur le chandelier (Lv 24, 2). Toutefois, on peut admettre que toutes les prescriptions rituelles étaient observées avec plus d’exactitude et de diligence au cours des solennités et, par suite, que toutes les prescriptions cérémonielles sont sous-entendues dans la célébration des fêtes.

3. Encore une explication étymologique dénuée de vraisemblance, puisque le mot “ cérémonie ” est d’origine latine et non grecque. D’ailleurs rien n’empêche de faire remarquer que le salut de l’homme vient de Dieu et donc que les préceptes réglant les rapports avec Dieu se présentent tout spécialement comme des règles de salut. L’argument justifie donc leur qualification de cérémoniels.

4. L’idée de Maïmonide est plausible dans une certaine mesure. Certes, ce n’est pas la difficulté d’expliquer ces préceptes qui leur vaut le nom de cérémoniels, mais les deux choses ne sont pas sans rapport. Si en effet la raison d’être de ces préceptes est quelque peu obscure, c’est parce que, comme nous verrons tout de suite, les préceptes relatifs au culte divin doivent être figuratifs.

 

            Article 2 — Les préceptes cérémoniels sont-ils figuratifs ?

Objections :

1. Le devoir de celui qui enseigne, d’après S. Augustin, est de s’exprimer de manière à être facilement compris. Cette règle s’impose évidemment d’abord au législateur, les préceptes de la loi étant formulés à l’intention du peuple. C’est pourquoi S. Isidore veut que “ la loi soit claire ”. Si tous les préceptes cérémoniels ont été institués dans l’intention de figurer quelque chose, Moïse a eu tort de les dicter sans expliquer ce qu’ils figuraient.

2. Dans la mise en œuvre du culte divin, tout doit être empreint de la plus grande dignité. Or faire certains gestes en vue de représenter autre chose, cela sent le théâtre ou la littérature ; sur la scène on évoquait jadis certaines actions, qu’on faisait mimer par d’autres personnes. Il semble bien qu’on ne puisse admettre de telles pratiques dans le culte divin. Or les préceptes cérémoniels sont ordonnés au culte divin, on l’a dit. Donc ils ne doivent pas être figuratifs.

3. C’est surtout “ par la foi, l’espérance et la charité, dit S. Augustin, que l’on rend un culte à Dieu ”. Comme il n’y a rien de figuratif dans les préceptes relatifs à ces vertus, il doit en être de même pour les préceptes cérémoniels.

4. Selon la parole du Seigneur en S. Jean (4,24) : “ Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et vérité. ” Mais entre la vérité elle-même et sa figure, il y a une différence, voire une opposition. Ainsi les préceptes cérémoniels, qui ont trait au culte de Dieu, ne sauraient être figuratifs.

En sens contraire, S. Paul écrit (Col 2, 16) : “ Que personne ne vous juge à propos de nourriture ou de boisson, en matière de fête, de nouvelle lune ou de sabbat : ce n’est là que l’ombre de réalités à venir. ”

Réponse :

On a réservé la qualification de cérémoniels aux préceptes qui concernent le culte de Dieu. Or ce culte revêt une double forme : culte intérieur et culte extérieur. L’homme étant composé d’une âme et d’un corps, il convient que l’un et l’autre s’appliquent au culte divin, l’âme au culte intérieur, le corps au culte extérieur, ce qu’insinue le Psaume (84, 3) : “ Mon cœur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant. ” Et comme le corps est soumis à Dieu par l’âme, de même le culte extérieur est soumis au culte intérieur qui consiste pour l’âme à s’unir à Dieu par l’intelligence et par le cœur. C’est pourquoi, s’il y a plusieurs manières pour le fidèle de s’unir à Dieu comme il faut, par l’intelligence et par le cœur, il y aura pour lui autant de manières différentes d’engager ses actes extérieurs dans le culte divin.

Dans l’état de la béatitude future, l’intelligence de l’homme contemplera la vérité divine elle-même dans son essence propre, et donc le culte extérieur ne comportera aucune figure, mais consistera simplement à louer Dieu sous l’impulsion intérieure de la connaissance et de l’amour selon la prophétie d’Isaïe (51, 3) : “ On y trouvera joie et allégresse, action de grâce et chant de louange. ”

Mais la condition de notre vie présente ne nous permet pas de contempler en elle-même la vérité divine, et sa lumière, au dire de Denys, ne peut rayonner à nos yeux que sous certaines figures sensibles ; encore faut-il tenir compte des différents états de la connaissance humaine. Sous la loi ancienne, non seulement la vérité divine essentielle était inaccessible en elle-même, mais “ la voie même qui devait y conduire n’était pas encore ouverte ” (He 9, 8) ; aussi, sous ce régime, le culte extérieur devait-il figurer non seulement la réalité future qu’on découvrira dans la patrie, mais encore le Christ, voie qui mène à cette réalité de la patrie. Sous le régime de la loi nouvelle, cette voie est désormais dévoilée et il ne faut plus la préfigurer comme à venir, mais la commémorer comme une réalité passée ou présente ; il ne faut plus préfigurer que la gloire, réalité à venir qui n’est pas encore dévoilée. Telle est la pensée de l’épître aux Hébreux (10, 1) : “ La loi n’a que l’ombre des biens à venir et non l’image même des réalités ” ; une ombre en effet est moins qu’une image, et ici l’image appartient à la loi nouvelle, l’ombre à la loi ancienne.

Solutions :

1. Les choses de Dieu ne doivent être révélées aux hommes que dans la mesure où ils en sont capables ; autrement, cela leur donnerait l’occasion de tomber par le mépris de ce qui les dépasse. Il était donc avantageux que les mystères divins fussent proposés à un peuple grossier sous le voile de figures ; ainsi du moins pouvait-on les connaître implicitement, en se vouant à leur service pour l’honneur de Dieu.

2. Tandis que les œuvres d’imagination échappent à la raison humaine par le défaut de réalité qui les caractérise, les choses de Dieu ne peuvent être bien saisies par la raison humaine parce que leur réalité dépasse celle-ci. Dans les deux cas, il est besoin d’une représentation par des figures sensibles.

3 et 4. Le mot de S. Augustin vise le culte intérieur auquel nous voulons que le culte extérieur soit soumis. Et le texte de S. Jean a le même sens, le Christ ayant introduit les hommes à un culte spirituel plus parfait.

 

            Article 3 — Les préceptes cérémoniels devaient-ils être nombreux ?

Objections :

1. Il n’en fallait qu’un petit nombre. Car il doit y avoir proportion entre la fin et le dispositif qui s’y rapporte ; or on a admis que le dispositif des préceptes cérémoniels tend à réaliser le culte divin et à figurer le Christ. Comme “ il n’y a qu’un seul Dieu de qui tout procède, et un seul Seigneur Jésus Christ par qui tout procède ” (1 Co 8, 6), les dispositions cérémonielles ne devaient pas être multipliées.

2. Les préceptes cérémoniels étant très nombreux, on était exposé à les transgresser, selon l’aveu de S. Pierre : “ Pourquoi tenter Dieu et poser sur les épaules des disciples un fardeau que ni nous ni nos pères n’avons pu porter ? ” (Ac 15, 10). Comme les hommes compromettent leur salut en transgressant les préceptes et que toute loi, dit S. Isidore, “ doit contribuer au salut des hommes ”, les préceptes cérémoniels auraient dû être peu nombreux.

3. Ces préceptes, a-t-on dit, concernaient le culte extérieur et corporel. Or la loi aurait dû réduire l’élément corporel du culte divin, puisqu’elle conduisait à celui qui nous a appris à honorer Dieu en esprit et vérité. Donc la multiplication des préceptes cérémoniels devait être évitée.

En sens contraire, on lit au livre d’Osée (8,12) : “ je légiférerai pour eux à profusion ” ; et au livre de Job (1 1, 6) : “ Puisse-t-il te révéler les secrets de sa sagesse et toutes les complexités de sa loi. ”

Réponse :

On sait que la loi est toujours donnée à un peuple déterminé. Or. il y a deux sortes de gens dans un peuple : il y a ceux qui sont enclins au mal et qui ont besoin d’être contraints par les préceptes de la loi, comme on l’a exposé précédemment ; et il y a ceux qui du fait de leur bon naturel, ou par accoutumance ou mieux par grâce, possèdent un penchant vers le bien et n’attendent du précepte légal qu’une instruction et une incitation au mieux. Donc, que l’on considère l’une ou l’autre catégorie, il était bon, sous le régime de la loi ancienne, que les préceptes cérémoniels fussent nombreux. Il y avait en effet dans certains individus une tendance à l’idolâtrie que les préceptes cérémoniels devaient réprimer au profit du culte de Dieu ; et comme il y avait mille manières de se livrer à l’idolâtrie, il y avait, pour les refréner toutes, quantité de règlements à leur opposer. En outre, à ces gens-là, il fallait imposer une multitude de prescriptions et pour ainsi dire les accabler tellement de prestations relatives au culte de Dieu qu’ils n’aient plus le loisir de se livrer à l’idolâtrie.

La multiplicité des préceptes cérémoniels ne s’imposait pas moins du point de vue des personnes inclinées au bien : d’une part, elles y trouvaient autant de façons différentes de se rattacher spirituellement à Dieu et d’une manière plus assidue ; d’autre part, le mystère du Christ, signifié par ces cérémonies, a valu au monde des bienfaits de toute sorte, dont les multiples aspects devaient être figurés au moyen de rites variés.

Solutions :

1. A fin unique, dispositif unique, pourvu que le dispositif en vue de cette fin soit à lui seul capable d’y mener ; ainsi un remède efficace suffit parfois à ramener la santé, et alors il n’y a pas lieu de compliquer le traitement. Mais on y est contraint par la faiblesse et l’imperfection du dispositif, et pour guérir un malade on lui administre plusieurs remèdes si un seul ne suffit pas. Or, les cérémonies de la loi ancienne n’avaient ni la force ni la perfection voulues pour représenter l’excellence singulière du caractère chrétien et pour courber les âmes devant Dieu. L’Apôtre s’en explique ainsi (He 7, 18) : “ La première ordonnance est écartée à cause de son impuissance et de son inefficacité, car la loi n’a rien mené à sa perfection. ” Ainsi se justifie cette multitude de cérémonies.

2. Un sage législateur passe sur les petites transgressions pour en éviter de plus grandes. Donc, s’il est vrai que la multiplicité des préceptes cérémoniels devait donner facilement aux Juifs l’occasion d’y manquer, Dieu pourtant n’a pas omis de leur en imposer un grand nombre, en vue de les prémunir contre l’idolâtrie, et pour éviter qu’ils ne s’enorgueillissent intérieurement pour leur exacte observance de tous les préceptes.

3. Sur bien des points la loi ancienne a restreint l’élément corporel du culte. Notamment elle a décidé que les sacrifices ne seraient pas offerts n’importe où et par n’importe qui, et il y a bien d’autres exemples en ce sens, observe Maïmonide. Mais il ne fallait pas exténuer l’élément corporel du culte divin au point d’exposer le peuple à se rabattre sur le culte des démons.

 

            Article 4 — La classification des préceptes cérémoniels

Objections :

1. Leur division en sacrifices, sacrements, réalités sacrées et observances est inadéquate. En effet les observances de la loi ancienne figuraient le Christ ; or cette signification était réservée aux sacrifices, figures du sacrifice où le Christ “ s’offrit à Dieu en offrande et en victime ”, selon l’expression de S. Paul aux Éphésiens (5, 2). Tout le cérémonial se réduit donc aux sacrifices.

2. La loi ancienne était ordonnée à la loi nouvelle, selon laquelle le sacrement de l’autel s’identifie au sacrifice même. Ces deux éléments cérémoniels ne devaient donc pas davantage être distingués sous le régime ancien.

3. On appelle “ réalités sacrées ” ce qui est voué à Dieu, à la façon dont on disait que le temple et son mobilier étaient consacrés ou rendus saints. Mais toutes les cérémonies étant destinées au culte de Dieu, elles méritent toutes, et non pas seulement une catégorie d’entre elles, le nom de “ réalités sacrées ”.

4. De même, pourquoi distinguer, dans les cérémonies, une catégorie d’observances ? Le mot d’“ observance ”, vient du verbe “ observer ” et tous les préceptes de la loi devaient être observés, suivant la recommandation du Deutéronome (8, 11) : “ Garde-toi d’oublier jamais le Seigneur ton Dieu et observe sans faute ses commandements, ses coutumes et ses cérémonies. ”

5. Enfin, parmi les cérémonies il faut compter aussi la célébration des fêtes, “ ombre de ce qui devait venir ” (Col 2, 16) ; et encore les offrandes et les dons, comme le signale l’épître aux Hébreux (9, 9). On ne voit pourtant pas comment tout cela entre dans la division proposée ; celle-ci est donc insuffisante.

En sens contraire, la loi ancienne donne à chacun de ces éléments le nom de cérémonies9. Pour les sacrifices, on peut consulter le livre des Nombres (15, 24) : “ L’assemblée offrira un jeune taureau en holocauste, avec une oblation et sa libation, comme l’exige le cérémonial. ” Pour le sacrement de l’ordre, le livre du Lévitique (7, 35) : “ Telle est fonction d’Aaron et de ses fils pour les cérémonies. ” A propos des choses saintes, l’Exode (38, 21) : “ Tels sont les ustensiles de la tente du Témoignage pour les cérémonies des Lévites. ” Quant aux observances, le premier livre des Rois (9, 6) : “ Si vous vous détournez de moi, sans me suivre et sans observer les cérémonies que je vous ai prescrites... ”

Réponse :

Rappelons que les préceptes cérémoniels ont trait au culte de Dieu, où il y a lieu de considérer distinctement le culte lui-même, ceux qui le pratiquent et les objets employés au culte. Le culte proprement dit consiste spécialement à offrir des sacrifices en l’honneur de Dieu. - Les objets servant au culte, comme le tabernacle, les ustensiles et autres choses analogues, appartiennent à la catégorie des réalités sacrées. - Ceux qui exercent le culte, qu’il s’agisse du peuple ou des ministres, sont d’abord établis dans cette fonction par une certaine consécration, ce qui est le rôle des sacrements ; ils doivent ensuite se distinguer par leur comportement particulier de ceux qui sont étrangers au culte de Dieu, ce qui relève des observances, notamment en matière d’aliments et de vêtements.

Solutions :

1. Les sacrifices devaient bien être offerts quelque part et par des personnes déterminées, et tout cela touche au culte divin. Dès lors, comme les sacrifices représentent le Christ immolé, les sacrements et les réalités sacrées représentaient les sacrements et les réalités sacrées de la loi nouvelle, et leurs observances préfiguraient la manière de vivre du peuple sous le régime nouveau. Tout cela est en rapport avec le Christ.

2. L’Eucharistie, sacrifice de la loi nouvelle, contient proprement le Christ qui est l’auteur de notre sanctification, selon l’épître aux Hébreux (13, 12) : “ Il a sanctifié le peuple par son sang. ” Ainsi ce sacrifice est en même temps un sacrement. Les sacrifices de la loi ancienne, eux, figuraient le Christ, mais ne le renfermaient pas et donc ne méritaient pas le nom de sacrements. Pour marquer cette différence, il y avait à part, dans la loi ancienne, certains sacrements qui préfiguraient une consécration à venir. Il est vrai que des sacrifices intervenaient à l’occasion de certaines consécrations.

3. Sacrifices et sacrements étaient aussi des réalités sacrées. Mais il y avait des choses consacrées au culte de Dieu, donc des réalités sacrées, qui n’étaient ni sacrifices ni sacrements et qui retenaient le nom générique de réalités sacrées.

4. Tout ce qui, dans la manière de vivre du peuple fidèle, n’entrait pas dans les catégories précédentes, recevait le nom générique d’observances. On ne les appelait pas réalités sacrées puisqu’elles ne se rapportaient pas immédiatement au culte divin comme le tabernacle et ses ustensiles ; elles n’en avaient pas moins un caractère cérémonial, en quelque sorte dérivé, en tant qu’elles préparaient le peuple au culte de Dieu.

5. Les sacrifices n’étaient pas seulement offerts en un lieu déterminé, mais aussi en des temps déterminés, ce qui permet de compter aussi les fêtes au nombre des réalités sacrées. - Quant aux oblations et aux dons, on les range avec les sacrifices, car c’est à Dieu qu’on les offrait, comme dit l’épître aux Hébreux (5, 1) : “ Tout grand prêtre, pris d’entre les hommes, est constitué en faveur des hommes, en ce qui a rapport à Dieu, afin d’offrir oblations et sacrifices. ”

 

QUESTION 102 — LES RAISONS D’ÊTRE DES PRÉCEPTES CÉRÉMONIELS

1. Ont-ils une raison d’être ? - 2. Une raison littérale ou seulement figurative ? - 3. Quelle est la raison d’être des sacrifices ? - 4. Celle des sacrements ? - 5. Celle des réalités sacrées ? - 6. Celle des observances rituelles ?

 

            Article 1 — Les préceptes cérémoniels ont-ils une raison d’être ?

Objections :

1. Sur la parole de S. Paul (Ep 2, 15) à propos du Christ “ qui anéantit par ses décrets la loi des commandements ”, la Glose observe ceci : “ La loi est anéantie dans ses observances charnelles par les décrets, entendez par les préceptes évangéliques qui sont fondés en raison. ” Si les observances de la loi ancienne avaient été fondées en raison, on ne leur aurait pas substitué les prescriptions raisonnables de la loi nouvelle. C’est donc que les observances cérémonielles de la loi ancienne n’étaient pas fondées en raison de quelque manière.

2. La loi ancienne a succédé à la loi naturelle. Or, sous le régime de celle-ci, il y eut un précepte qui n’avait pour motif que d’éprouver l’obéissance de l’homme, comme dit S. Augustin, à propos de la prohibition concernant l’arbre de Vie. A son tour, la loi ancienne devait donc comporter des préceptes destinés à éprouver l’obéissance et dépourvus de toute raison intrinsèque.

3. Dans l’activité humaine, les actes sont dits moraux selon qu’ils procèdent de la raison. Si donc les préceptes cérémoniels avaient quelque fondement rationnel, ils ne se distingueraient en rien des préceptes moraux. Donc ils n’ont pas de raison d’être.

En sens contraire, “ le précepte du Seigneur est lumineux, il éclaire les yeux ” (Ps 19, 9). Cela concerne aussi les préceptes cérémoniels qui viennent de Dieu. Or ils ne pourraient être lumineux s’ils n’avaient pas un fondement raisonnable. Ils ont donc une raison d’être.

Réponse :

On dit au premier livre de la Métaphysique d’Aristote que l’ordre est proprement 1’œuvre du sage ; de son côté, l’Apôtre dit aux Romains (13, 1) que tout ce qui procède de la divine sagesse est nécessairement ordonné. Mais l’ordre implique deux conditions : il faut d’abord que la réalité considérée se rapporte à la fin requise, la fin étant toujours principe d’ordre en matière d’action ; en effet, quand un événement se produit fortuitement et sans rapport avec la fin visée, ou quand on n’agit pas sérieusement mais pour rire, on appelle désordonnée une telle conduite. De plus, il faut que la conduite conçue en vue d’une fin soit proportionnée à celle-ci. Il en découle que tout dispositif conçu en vue d’une fin prend motif de cette fin, comme par exemple la configuration particulière qu’on donne à une scie se justifie par la finalité de cet outil qui est de couper, selon Aristote. Or il est clair que les préceptes cérémoniels, comme tous les préceptes de la loi ancienne, ont été établis par la sagesse divine : “ Ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des nations ” (Dt 4, 6). On conclura nécessairement que les préceptes cérémoniels ont été organisés en vue d’une fin et que chacun d’eux trouve en cette fin son explication motivée.

Solutions :

1. On peut dire que les observances de la loi ancienne étaient sans fondement rationnel en ce sens que ces pratiques manquaient de justification intrinsèque : pourquoi par exemple un vêtement ne serait-il pas confectionné de laine et de lin ? Mais elles pouvaient se motiver sous un autre rapport, notamment si telle manière de faire figurait autre chose ou au contraire le niait. En revanche, les décrets de la loi nouvelle sont conformes à la raison par leur nature même, puisqu’ils consistent principalement en des actes de foi et d’amour de Dieu.

2. L’arbre de la science du bien et du mal ne comportait en lui-même rien de mauvais qui motivât l’interdiction dont il fut l’objet ; mais le fait de l’interdiction était fondé, à l’égard d’une autre réalité, car précisément c’était une figure. De même les préceptes cérémoniels de la loi ancienne ont un motif par référence à autre chose.

3. Les préceptes moraux se justifient en raison de leur contenu même, comme : Tu ne tueras point, tu ne déroberas point. Mais on vient de voir que les préceptes cérémoniels ont un motif par le fait qu’ils sont ordonnés à autre chose.

 

            Article 2 — La raison d’être des préceptes cérémoniels est-elle littérale ou uniquement figurative ?

Objections :

1. Il semble que les préceptes cérémoniels n’aient pas eu de raison d’être littérale. En effet, la circoncision, l’immolation de l’agneau pascal, c’est-à-dire les préceptes cérémoniels les plus importants, n’avaient d’autre raison que de figurer, puisque c’est comme signes qu’ils ont été proposés : “ Vous circoncirez la chair de votre prépuce ”, lit-on dans la Genèse (17, 11), “ et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. ” Quant à la célébration de la Pâque, il est écrit dans l’Exode (13, 9) qu’elle “ sera un signe sur ta main et un mémorial devant tes yeux ”. Bien davantage encore sera exclusivement figurative la raison d’être des autres prescriptions cérémonielles.

2. Il y a proportion entre l’effet et la cause. Tous les préceptes cérémoniels étant figuratifs, leur raison d’être, qui est leur cause, ne peut avoir un caractère différent.

3. Quand il est de soi indifférent qu’on agisse de telle ou telle manière, il n’y a pas de place, semble-t-il, pour une explication littérale. Or, c’est ce qui se vérifie pour de nombreux préceptes cérémoniels, touchant par exemple le nombre des animaux à offrir ou tels menus détails du même genre. Les préceptes cérémoniels ne s’expliquent donc pas littéralement.

En sens contraire, le Christ était figuré non seulement par les préceptes cérémoniels, mais encore par les événements historiques de l’ancienne alliance, comme le dit S. Paul (1 Co 10, 11) : “ Tout leur arrivait par mode de figure. ” Or tout, dans l’histoire de l’ancienne alliance, outre sa signification mystique ou figurative, s’entend aussi littéralement. Il en va donc de même des préceptes cérémoniels qui, outre leurs raisons d’être figuratives, comportaient aussi des raisons d’être littérales.

Réponse :

Rappelons que c’est la fin qui rend compte du dispositif qui s’y rapporte. Or la fin des préceptes cérémoniels est double : le culte divin à organiser selon les besoins de ce temps, et le Christ à préfigurer. Les oracles des prophètes, eux aussi, avaient une valeur pour leur temps tout en présageant l’avenir, selon l’explication donnée par S. Jérôme à propos d’Osée. De sorte que les préceptes cérémoniels de l’ancienne loi se prêtent à deux types d’explications. D’une part, celles qui tiennent compte du culte divin tel qu’il fallait alors l’assurer ; c’est ce qu’on appelle l’explication littérale, qu’il s’agisse de fuir l’idolâtrie, de célébrer certains bienfaits de Dieu, de donner une idée de l’excellence divine, ou encore de fixer l’attitude spirituelle qui dès cette époque s’imposait dans l’exercice du culte divin. - D’autre part, on peut leur assigner comme raison d’être la préfiguration du Christ et alors ils comportent des explications figuratives et mystiques : du type allégorique si on les rapporte à la personne du Christ et à l’Église ; du type moral si elles concernent la vie du peuple chrétien ; du type anagogique si on les rapporte à l’état de gloire à venir, pour autant que nous y sommes introduits par le Christ.

Solutions :

1. De même qu’une locution métaphorique dans l’Écriture a un sens littéral si la formule employée dit précisément ce qu’elle veut dire, de même, quand une cérémonie légale rappelle le bienfait de Dieu qui est à l’origine de son institution, ou évoque quelque autre réalité intéressant ce régime, ces significations ne sortent pas du cadre des explications littérales. Par conséquent, que la célébration de la Pâque signifie la sortie d’Égypte, ou que la circoncision signifie le pacte conclu par Dieu avec Abraham, cela relève de l’explication littérale.

2. L’argument vaudrait si les préceptes cérémoniels étaient donnés uniquement en vue de figurer l’avenir et sans rapport avec le culte divin actuel.

3. On a ditf à propos des lois humaines qu’elles sont fondées en raison, si on les considère dans leur ensemble mais non point dans le détail de leurs dispositions spécifiques, parce que celles-ci dépendent de la libre décision du législateur. De même beaucoup de prescriptions particulières, dans les cérémonies de la loi ancienne, n’ont pas de raison d’être littérale, mais seulement figurative ; c’est prises dans leur ensemble qlu’eres ont aussi une raison d’être littérale.

 

            Article 3 — Quelle est la raison d’être des sacrifices ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse donner une explication satisfaisante des cérémonies ressortissant aux sacrifices. Par exemple ce qu’on offrait en sacrifice, c’étaient les éléments nécessaires à l’entretien de la vie humaine, pain et viandes. Mais Dieu n’a que faire de ces nourritures, comme le rappelle le Psaume (50) : “ Vais-je manger la viande des taureaux, vais-je boire le sang des boucs ? ” L’offrande de tels sacrifices à Dieu ne convenait pas.

2. On n’offrait en sacrifice à Dieu que des quadrupèdes de trois espèces, des bœufs, des brebis et des chèvres et, parmi les oiseaux, normalement la tourterelle et la colombe, sauf pour la purification d’un lépreux qui comportait l’offrande de passereaux. On ne voit pas pourquoi se limiter à ces sortes d’animaux, alors qu’il y en a beaucoup de plus nobles que ceux-là, et qu’il faut offrir à Dieu ce qu’il y a de meilleur.

3. L’autorité que Dieu a donnée à l’homme s’étend aux oiseaux et aux animaux terrestres, mais aussi aux poissons. Il était donc illogique de les exclure du sacrifice.

4. Les prescriptions cérémonielles mettent sur le même plan tourterelle et colombe. Puisque l’offrande des petits de la colombe est prescrite, on aurait dû prescrire celle des petits de la tourterelle.

5. Le premier chapitre de la Genèse nous fait voir en Dieu l’auteur de la vie, tant humaine qu’animale. La mort étant opposée à la vie, ce sont des animaux vivants et non pas des animaux abattus qu’il eût fallu offrir à Dieu, d’autant qu’aux Romains (12, 1) S. Paul enseigne “ d’offrir notre corps en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu ”.

6. Si vraiment il ne fallait offrir à Dieu en sacrifice que des animaux abattus, peu importait la manière de les mettre à mort, et on ne voit pas pourquoi le Lévitique (1, 15) a minutieusement prescrit la manière de les immoler, en particulier pour les oiseaux.

7. Tout défaut, chez l’animal, n’est qu’une étape vers la corruption et la mort. Puisqu’on offrait à Dieu des animaux morts, il était illogique d’exclure l’offrande d’un animal défectueux, boiteux, aveugle ou autrement taré.

8. Ceux qui offrent à Dieu des victimes doivent y avoir part, au jugement de S. Paul (1 Co 10, 18) : “ Ceux qui mangent les victimes ne participent-ils pas à l’autel ? ” C’est donc à tort que certaines parties des victimes étaient soustraites à ceux qui les offraient, notamment le sang et la graisse, la poitrine et la cuisse droite.

9. A côté des holocaustes, on offrait à la gloire de Dieu des sacrifices pacifiques et des offrandes expiatoires. Or, pour l’holocauste, les animaux femelles étaient exclus mais on offrait des quadrupèdes et des oiseaux. On voit mal pourquoi dans les sacrifices pacifiques et expiatoires on pouvait offrir des femelles, et en revanche pourquoi les oiseaux étaient exclus des sacrifices pacifiques.

10. Toutes les victimes des sacrifices pacifiques constituant évidemment un seul et même genre, il n’y avait pas lieu de diviser ce genre en interdisant de manger certaines d’entre elles le lendemain, et en le permettant pour d’autres, selon ce qui ressort du Lévitique (7, 15).

11. Tous les péchés ont ceci de commun qu’ils éloignent de Dieu. Il fallait donc, quel que fût le péché, un seul et même type de sacrifice offert pour la réconciliation avec Dieu.

12. Tous les animaux offerts en sacrifice l’étaient dans le même état, c’est-à-dire préalablement mis à mort. On ne voit donc pas pour quelle raison les produits de la terre étaient offerts sous des formes différentes : tantôt sous forme d’épis, tantôt à l’état de farine, ou encore de pain, et celui-ci suivant les cas devait être cuit au four, ou dans la graisse, ou sur le gril. On se demande pourquoi.

13. Tout ce qui est à notre usage, nous devons y reconnaître un don de Dieu. Il paraît donc anormal qu’en dehors des animaux on n’offrît à Dieu que le pain, le vin, l’huile, l’encens et le sel.

14. Les sacrifices corporels expriment le sacrifice intérieur du cœur par quoi l’homme offre à Dieu son esprit. Mais le sacrifice intérieur a plus d’affinité avec la douceur, représentée par le miel, qu’avec l’âcreté représentée par le sel. Il est écrit en effet dans l’Ecclésiastique (24, 27) : “ Mon esprit est plus doux que le miel. ” On ne comprend donc pas l’interdiction d’offrir du miel en sacrifice, ainsi que du levain, alors que celui-ci donne au pain sa saveur ; et il était requis d’y apporter du sel, principe d’âcreté, et de l’encens, substance à la saveur amère. Il y a donc lieu de penser que les prescriptions cérémonielles relatives aux sacrifices ne peuvent s’expliquer raisonnablement.

En sens contraire, nous lisons dans le Lévitique (2, 13) : “ Le prêtre fera fumer toutes les offrandes sur l’autel et ce sera un holocauste d’une odeur très agréable au Seigneur. ” Et nous lisons aussi au livre de la Sagesse (7, 28) : “ Dieu n’aime que celui qui habite avec la Sagesse. ” On peut en inférer que tout ce qui est agréé par Dieu est accompagné de sagesse et donc que ces rites sacrificiels étaient sages, autrement dit fondés en raison.

Réponse :

On vient de le direg, les cérémonies de la loi ancienne comportaient une double raison d’être : littérale, en tant qu’elles réglaient le culte de Dieu, et figurative, ou mystique, en tant qu’elles étaient destinées à figurer le Christ. Des deux points de vue, il est possible de dégager une explication satisfaisante des cérémonies relatives aux sacrifices. En tant que les sacrifices contribuaient au culte divin, on peut les expliquer de deux façons :

1° Comme expression d’une juste attitude de l’esprit envers Dieu, attitude à laquelle était incité celui qui offrait le sacrifice. Mais cette juste attitude de l’âme envers Dieu requiert de l’homme qu’il reconnaisse tenir de Dieu tout ce qu’il possède, comme du principe premier, et qu’il le rapporte à Dieu comme à sa fin ultime. Telle était la signification des offrandes et des sacrifices, lorsque l’homme prenant de ses biens et reconnaissant par là qu’il les tenait de Dieu, les offrait à l’honneur de Dieu. C’est la prière de David au premier livre des Chroniques (29, 14) : “ Toutes choses t’appartiennent, et ce que nous te donnons nous l’avons reçu de ta main. ” De cette façon, en offrant un sacrifice, l’homme attestait que Dieu est le premier principe créateur de toutes choses et la fin dernière à quoi tout doit être rapporté.

2° Mais la juste attitude de l’âme envers Dieu exige en outre que l’âme humaine ne reconnaisse en dehors de Dieu aucun autre auteur premier des choses et ne place en nul autre que lui sa fin dernière. Voilà pourquoi la loi interdisait d’offrir un sacrifice à personne d’autre qu’à Dieu, selon les termes de l’Exode (22, 20) : “ Celui qui sacrifie aux dieux, et non au seul Seigneur, périra. ” Ce qui permet de dégager cette seconde raison pour expliquer le cérémonial des sacrifices, qui est de détourner les hommes des sacrifices idolâtriques. C’est même pour cela que les préceptes concernant les sacrifices ne furent pas donnés au peuple juif avant qu’il eût versé dans l’idolâtrie en adorant le veau d’or, comme si ces sacrifices n’avaient été institués que pour engager ce peuple, d’ailleurs enclin aux sacrifices, à en offrir à Dieu plutôt qu’aux idoles. “ je n’ai rien dit à vos pères, lisons-nous en jérémie (7, 22), et je ne leur ai rien

prescrit, le jour où je les ai tirés du pays d’Égypte, en matière d’holocaustes et de sacrifices. ”

D’autre part, de tous les dons que Dieu a faits au genre humain après sa chute dans le péché, le tout premier en dignité est celui qu’il fit de son Fils : “ Dieu a tant aimé le monde, écrit S. Jean (3, 16), qu’il lui a donné son Fils unique, afin que tous ceux qui croient en lui ne périssent pas, mais obtiennent la vie éternelle. ” C’est pourquoi le sacrifice le plus excellent est celui où le Christ en personne “ s’est offert lui-même à Dieu en victime d’agréable odeur ”, selon l’expression de S. Paul aux Éphésiens (5, 2). Et tous les sacrifices de l’ancienne loi étaient offerts en figure de ce sacrifice unique et excellent, comme l’imparfait figure le parfait. Dans cette perspective, l’épître aux Hébreux (10, 11) enseigne que le prêtre de la loi ancienne “ offrait plusieurs fois les mêmes victimes qui ne parvenaient jamais à ôter les péchés ; tandis que le Christ, pour les péchés, n’en offrit qu’une et pour toujours ”. Et parce que l’explication de la figure se trouve dans la réalité qu’elle représente, c’est à la lumière du vrai sacrifice du Christ qu’il faut interpréter le sens des sacrifices figuratifs de l’ancienne loi.

Solutions :

1. En exigeant ces offrandes sacrificielles, ce n’est pas aux offrandes elles-mêmes que Dieu s’intéressait, comme s’il en avait besoin ; ne dit-il pas par la bouche d’Isaïe (1, 11) : “ Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux et le sang des jeunes taureaux, des boucs et des agneaux, je n’en veux pas. ” Il voulait qu’on lui offrît tout cela, répétons-le, pour détourner de l’idolâtrie, pour exprimer la juste soumission à Dieu de l’homme spirituel et pour figurer le mystère du Christ rachetant l’humanité.

2. Il faut faire appel aux mêmes raisons pour comprendre que certains animaux devaient être offerts et d’autres non.

1° Pour faire obstacle à l’idolâtrie, on écartait tous les animaux que les idolâtres offraient à leurs divinités ou employaient à leurs opérations magiques ; on admettait au contraire ceux que les Egyptiens, chez qui les Hébreux avaient vécu, n’offraient pas en sacrifice à leurs dieux, estimant qu’il était funeste de les tuer. Qu’on se rappelle ce verset de l’Exode (8, 26) : “ Les sacrifices que nous offrirons au Seigneur notre Dieu sont des sacrilèges pour les Égyptiens. ” En effet, ceux-ci rendaient un culte aux moutons, ils vénéraient les boucs, d’autant que les démons leur apparaissaient sous cette forme, et ils employaient les bœufs pour la culture des champs, considérée par eux comme un rite sacré.

2° Ces dispositions favorisaient l’attitude spirituelle envers Dieu à laquelle nous faisions allusion et cela d’une double manière : a) Les animaux licites appartiennent aux espèces éminemment convenables à l’alimentation humaine ; de plus ils sont remarquables par leur propreté, eux et leur nourriture. Les autres sont de nature sauvage et généralement réfractaires au service de l’homme ; ou s’ils sont domestiqués, ils se repaissent d’immondices comme le porc et la poule ; or il ne faut présenter à Dieu rien que de pur. Quant aux oiseaux, ceux qu’on a cités étaient tout désignés pour l’offrande, car il y en avait beaucoup au pays de la promesse. b) La pureté spirituelle s’exprime dans l’immolation de ces animaux, comme l’explique la Glose sur le Lévitique : “ Nous offrons un jeune taureau, lorsque nous domptons une chair rebelle ; un agneau, lorsque nous redressons des passions déraisonnables ; un bouc, lorsque nous triomphons d’une licence effrontée ; une tourterelle, quand nous gardons la chasteté ; des pains azymes, lorsque nous célébrons la Pâque avec les azymes de l’intégrité. ” Enfin, manifestement, la colombe exprime la charité et la simplicité du cœur.

3° Il convenait que ces animaux fussent immolés en figure du Christ, comme il ressort du même passage de la Glose : “ Le Christ est évoqué dans l’offrande du veau, pour la puissance de sa croix ; avec l’agneau, à cause de son innocence ; avec le bélier, parce qu’il est le chef du troupeau ; avec le bouc, parce qu’il a revêtu une chair semblable à la chair pécheresse. L’union des deux natures était mise en évidence dans la tourterelle et la colombe (ou si l’on préfère, la tourterelle représente la chasteté et la colombe la charité). La fleur de farine figurait l’aspersion de l’eau baptismale sur les fidèles. ”

3. Vivant dans l’eau, les poissons ne sont pas aussi familiers à l’homme que les autres animaux qui comme lui vivent à l’air. En outre ils périssent dès qu’ils sont tirés de leur élément et ils ne pouvaient donc être offerts au Temple comme les autres animaux.

4. Chez les tourterelles, l’adulte a plus de valeur que le petit, tandis que pour les colombes c’est l’inverse. Ainsi Maïmonide explique l’offrande des tourterelles et des petits de la colombe, car c’est toujours ce qu’il y a de meilleur qu’il faut réserver à Dieu.

5. Les animaux offerts en sacrifice étaient mis à mort parce que Dieu les a donnés à l’homme comme une nourriture et que c’est en cet état qu’ils sont consommés. Pour la même raison ils étaient rôtis, la cuisson les rendant propres à la consommation humaine. D’autre part, leur mise à mort signifiait la destruction du péché et donnait aussi à entendre que les hommes, pour leurs péchés, méritaient la mort, comme si les animaux mourant à leur place signifiaient l’expiation du péché. Enfin la mise à mort des animaux représentait la mort du Christ.

6. La loi fixait la manière de tuer les victimes, afin d’exclure d’autres procédés en usage chez les idolâtres. On peut noter aussi, avec Maïmonide, que “ la loi a fait choix, pour tuer les oiseaux, du procédé qui les fait le moins souffrir ”, celui qui, par conséquent, abîmait le moins les victimes et gardait les offrants d’une cruauté inhumaine.

7. Les animaux tarés sont d’ordinaire peu estimés, même selon l’estimation vulgaire, ils ne pouvaient donc pas être offerts en sacrifice à Dieu. Pour une raison analogue il était interdit “ d’apporter à la maison de Dieu le gain d’une prostituée ou le salaire d’un chien ” (Dt 23, 18), ou même d’offrir des animaux ayant moins de six jours, car jusqu’à cet âge on les considérait comme des avortons, manquant de fermeté et encore mal constitués.

8. On connaissait trois sortes de sacrifices L’holocauste, d’un mot grec voulant dit “ entièrement brûlé ”, où la victime était intégralement consumée, était offert à Dieu spécialement en signe de révérence envers sa majesté, et d’amour pour sa bonté. Il correspondait à l’état de perfection dans l’accomplissement des conseils. Tout était consumé afin de montrer que, comme la victime s’élevait vers le ciel intégralement réduite en fumée, de même l’homme tout entier avec tout ce qui lui appartient est soumis au domaine divin et doit être offert à Dieu.

En second lieu, le sacrifice pour le péché, ou sacrifice expiatoire, était offert à Dieu lorsqu’un péché avait besoin d’être remis ; il correspondait à l’état des pénitents qui satisfont pour leurs péchés. On y distinguait deux parts, l’une qui était brûlée, l’autre qui était affectée à la consommation des prêtres, pour faire voir que Dieu purifiait des péchés par le ministère des prêtres. Toutefois, lorsque ce sacrifice était offert pour une faute du peuple dans son ensemble, ou pour la faute particulière du prêtre, tout était consumé, car il ne devait rien revenir au prêtre des offrandes faites pour son péché ; autrement quelque chose du péché, fût demeuré en lui ; et d’ailleurs cela n’eût pas satisfait pour le péché, parce que, si ceux qui sacrifiaient pour le péché avaient bénéficié de ce qu’ils offraient, c’eût été comme s’ils ne l’avaient pas offert.

Enfin on appelait victime pacifique le sacrifice offert à Dieu en action de grâce, ou pour le salut et la prospérité de ceux qui l’offraient, c’est-à-dire au titre d’un bienfait reçu ou à recevoir. Il correspondait à l’état des progressants dans la pratique des commandements. Et cette victime se divisait en trois parts : l’une était brûlée en l’honneur de Dieu, une autre affectée à la consommation des prêtres, et la troisième remise à la disposition des offrants. Cela signifiait que le salut descend de Dieu aux hommes, sous la direction des ministres de Dieu, et avec le concours de ceux-là mêmes qui sont sauvés.

En règle générale, le sang et la graisse n’étaient mis à la disposition ni des prêtres ni des offrants : le sang était versé sur la base de l’autel en l’honneur de Dieu et la graisse brûlée dans le feu. On en peut donner plusieurs raisons : 1° Ce fut d’abord pour écarter le risque d’idolâtrie, car les sectateurs des idoles buvaient le sang et mangeaient la graisse des victimes, comme il ressort du Deutéronome (32, 38) : “ Ils mangeaient la graisse des victimes et buvaient le vin des libations. ” 2° Cela contribuait à l’honnêteté des mœurs. Il leur était interdit de boire le sang, afin de les détourner de verser le sang humain, comme on le lit dans la Genèse (9, 4) où Dieu dit à Noé . “ Vous ne mangerez pas la chair avec le sang, et le sang de vos vies à vous, j’en demanderai compte. ” La consommation des graisses leur était interdite pour les garder de toute sensualité : “ Vous mettiez à mort ce qui était gras ”, leur reproche Ézéchiel (34, 3). 3° La révérence envers Dieu l’exigeait, parce que le sang est ce qu’il y a de plus nécessaire à la vie, aussi dit-on que l’âme est dans le sang ; quant à la graisse, elle dénote un surplus de matières nutritives. Aussi on répandait le sang et on brûlait la graisse en l’honneur de Dieu, pour marquer que de lui nous vient la vie, avec l’abondance des biens. 4° Enfin cette pratique préfigurait l’effusion du sang du Christ et la succulence de la charité avec laquelle il s’offrit à Dieu pour nous.

Dans les sacrifices pacifiques, le prêtre recevait pour sa consommation le poitrail et la cuisse droite, pour éviter certaines formes de divination qu’on appelle spatulomancie -et qui mettait en œuvre les omoplates des victimes ainsi que l’os de la poitrine. Ces parties n’étaient donc pas remises aux offrants. En même temps cette poitrine, signe du cœur qui l’habite, montrait que la sagesse du cœur était indispensable au prêtre pour instruire le peuple, tandis que la cuisse droite évoquait la force qui lui était nécessaire pour corriger les défauts.

9. Parce que l’holocauste était le plus parfait des sacrifices, l’offrande d’un mâle y était de rigueur, car la femelle est un animal imparfait. L’offrande de tourterelles et de colombes était autorisée chez les pauvres qui ne pouvaient offrir des animaux plus importants. Et l’on conçoit que ces oiseaux n’étaient jamais offerts en victimes pacifiques, celles-ci étant toujours offertes spontanément sans qu’on y fût obligé, mais bien en holocauste ou pour le péché, sacrifices obligatoires en certains cas. Ajoutons que les hauteurs où ces oiseaux prennent leur essor s’accordent à la sublimité de l’holocauste, et que le caractère plaintif de leur chant convient à des victimes offertes en sacrifice pour le péché.

10. Parmi les victimes offertes en sacrifice, l’holocauste a la première place : il était intégralement consumé en l’honneur de Dieu et rien n’en était mangé. La victime offerte en sacrifice pour le péché tenait le second rang en sainteté : elle était mangée mais seulement dans l’enceinte du temple, par les prêtres et le jour même du sacrifice. En troisième lieu venaient les victimes pacifiques d’action de grâce, mangées le jour même, mais dans toute la ville de Jérusalem. Au dernier rang se tenaient les victimes pacifiques offertes en sacrifice votif, et qui pouvaient être mangées le lendemain. Cet ordre n’est pas sans raison : car l’homme est premièrement lié envers Dieu à cause de la majesté divine, ensuite à cause des péchés qu’il a commis, puis à cause des bienfaits qu’il a reçus et enfin à cause des bienfaits qu’il espère.

11. La gravité du péché dépend de la condition du pécheur, on le sait. Aussi était-il prescrit d’offrir une victime différente pour le péché d’un prêtre et d’un prince, ou pour celui d’un simple particulier. Remarquons toutefois avec Maïmonide que “ plus le péché était grave, plus l’animal offert était de vile espèce ; et il explique que pour l’idolâtrie, crime le plus grave, on offrait une chèvre, le plus vil des animaux ; que si un prêtre avait péché par ignorance, il offrait un jeune taureau, et qu’un prince ayant péché par négligence offrait un bouc.

12. La loi a voulu tenir compte de la pauvreté de ceux qui offraient des sacrifices en décidant que celui qui ne pourrait disposer d’un quadrupède offrirait du moins un oiseau, à défaut d’oiseau au moins un pain, et à défaut de pain au moins de la farine ou des épis. Le sens figuratif de ces dispositions est que le pain signifie le Christ, appelé “ pain de vie ” dans S. Jean (6, 41.51) ; au temps de la loi naturelle, le Christ était encore caché dans la foi des Pères comme le grain dans l’épi ; il était comme en farine dans l’enseignement des prophètes de la loi ; ce pain fut façonné lorsque fut assumée la nature humaine et subit l’action du feu, successivement cuit au four, c’est-à-dire formé par le Saint-Esprit dans les entrailles virginales, cuit à la poêle par les peines qu’il endura ici-bas, et consumé en quelque sorte sur le gril par la crucifixion.

13. Certains produits de la terre entrent dans la consommation humaine au titre d’aliments : cette catégorie était représentée dans les offrandes par le pain. D’autres comme boissons, catégorie représentée par le vin. Les condiments fournissaient aux sacrifices l’huile et le sel. On offrait enfin l’encens qui est utilisé en médecine pour ses propriétés aromatiques et astringentes. Or le pain représente la chair du Christ, le vin son sang, instrument de notre rédemption ; la grâce du Christ est figurée par l’huile, sa science par le sel, sa prière par l’encens.

14. Le miel ne paraissait pas dans les sacrifices offerts à Dieu, parce qu’il était d’usage courant dans les sacrifices idolâtriques, et aussi parce que ceux qui veulent offrir un sacrifice à Dieu doivent s’abstenir de toute douceur ou plaisir sensible. Pas de levain non plus, à cause du danger de corruption et peut-être, ici encore, parce qu’on en offrait d’ordinaire dans les sacrifices idolâtriques. On offrait le sel qui empêche la putréfaction, puisque les sacrifices divins doivent être sans tache ; d’ailleurs le sel signifie le discernement de la sagesse et aussi la mortification de la chair. - Quant à l’encens, on l’offrait pour marquer la dévotion du cœur, nécessaire à qui offre un sacrifice, et pour désigner aussi le parfum d’une bonne réputation : car l’encens est onctueux et odoriférant. Si l’on n’offrait pas d’encens dans le sacrifice de jalousie, c’est que celui-ci ne s’inspirait pas de la dévotion, mais du soupçon.

 

            Article 4 — Peut-on assigner une raison d’être certaine à ce qui relève des réalités sacrées ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse assigner une raison d’être suffisante à ce qui dans l’ancienne loi, concernait les réalités sacrées. S. Paul dit, dans le livre des Actes (17, 24) : “ Dieu qui a fait le monde et tout ce qu’il renferme, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite pas dans des temples faits de main d’homme. ” La loi ancienne a donc eu tort d’établir un tabernacle ou un temple pour le culte de Dieu.

2. Il était réservé au Christ de modifier le régime de la loi ancienne. Si donc ce régime était symbolisé par la tente (ou le tabernacle), c’était le modifier indûment que de bâtir un temple.

3. La loi divine doit avant tout engager les hommes à rendre un culte à Dieu. Mais ce culte ne peut se développer que si l’on multiplie les autels et les temples, comme on le voit sous la loi nouvelle. Il semble donc que la loi ancienne n’aurait pas dû admettre un seul temple ou un seul tabernacle, mais un grand nombre.

4. Le tabernacle ou le temple étaient ordonnés au culte de Dieu. Mais en Dieu il faut vénérer avant tout l’unité et la simplicité. On ne voit donc pas pourquoi il convenait que le temple ou le tabernacle fussent divisés par des voiles.

5. La puissance du premier moteur qui est Dieu, fait sa première apparition du côté de l’orient, où commence le premier mouvement. Si le tabernacle était institué pour adorer Dieu, il devait donc être tourné vers l’orient plutôt que vers l’occident.

6. Aux termes de l’Exode (20, 4), le Seigneur avait interdit “ de faire aucune image taillée ou autre représentation ” ; il ne convenait donc pas qu’il y eût dans le tabernacle ou dans le temple des images sculptées de chérubins, sans compter l’arche et le propitiatoire, le chandelier, la table et les deux autels, car leur présence n’avait aucun motif raisonnable.

7. Selon l’Exode (20, 24), le Seigneur avait dit : “ Vous me ferez un autel de terre... et vous n’y monterez pas par des marches. ” Or un peu plus loin la loi demande que l’autel soit fait de bois lamé d’or ou d’airain et elle le prévoit d’une hauteur telle qu’on ne puisse y accéder que par des degrés : “ Tu me feras un autel de bois d’acacia, il aura cinq coudées de long, autant de large et trois coudées de haut, et tu le recouvriras d’airain ” (Ex 27, 1) ; et plus loin : “ Tu feras un autel de bois d’acacia et tu le recouvriras d’or fin ” (Ex 30, 1).

8. Il ne doit y avoir rien de superflu dans les œuvres de Dieu, puisqu’il en est déjà ainsi dans les œuvres de la nature. Or une tente ou une maison n’exige qu’une couverture. Il n’y avait donc pas besoin, pour le tabernacle (qui est une tente), de plusieurs revêtements superposés, en lin, en poil de chèvre, en peaux de bélier teintes en rouge et en peaux de dauphin.

9. La consécration extérieure signifie la sainteté intérieure qui a son siège dans l’âme. Il ne convenait donc pas que l’on consacrât le tabernacle et ses fournitures, qui sont des objets inanimés.

10. On lit dans le Psaume (34, 2) “ Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange est à tout moment dans ma bouche. ” Il ne convenait donc pas de réserver à certains jours déterminés la célébration des fêtes qui ont pour objet de louer Dieu. Tout cela donne à penser que les dispositions cérémonielles relatives aux réalités sacrées ne comportent pas d’explication satisfaisante.

En sens contraire, on dit dans l’épître aux Hébreux (8, 4 s) : “ Ceux qui offrent des oblations selon la loi effectuent le service d’une copie et d’une ombre des réalités célestes, selon la réponse donnée à Moïse lorsqu’il dut confectionner le tabernacle : "Regarde, lui dit Dieu, et fais tout suivant le modèle qui t’a été présenté sur la montagne." ” Exprimer l’image des réalités célestes 21 est éminemment raisonnable ; par conséquent les prescriptions dont nous nous occupons étaient raisonnablement fondées.

Réponse :

L’ensemble du culte extérieur a pour principale raison d’être d’inculquer aux hommes la révérence envers Dieu. Or le cœur humain est ainsi fait qu’il a moins d’égard pour ce qui se tient dans l’ordre commun et ordinaire, mais qu’il est pénétré d’étonnement et de respect devant une supériorité qui tranche sur le reste. C’est si vrai que l’usage s’est instauré partout, pour inspirer aux sujets le respect des princes et des rois, de revêtir ceux-ci d’ornements plus précieux et de mettre à leur disposition des demeures plus vastes et plus belles. Telle est la raison pour laquelle furent affectés au culte de Dieu certains temps déterminés, une tente spéciale, une vaisselle spéciale et des ministres spéciaux. Ainsi les esprits seraient-ils incités envers Dieu à plus de révérence. - D’autre part, on l’a dit, le régime de la loi ancienne avait été fondé pour figurer le mystère du Christ. Or il faut bien que ce qui doit figurer quelque chose comporte un élément caractéristique par lequel il en éveille précisément l’idée. Il fallait donc qu’il y eût certaines dispositions particulières en matière de culte divin.

Solutions :

1. Le culte divin intéresse à la fois Dieu qui est honoré, et les hommes qui honorent Dieu. Dieu, à qui s’adresse le culte, n’est enclos dans aucun lieu corporel, et ce n’est nullement à cause de lui qu’il fallut un tabernacle ou un temple. Mais les hommes qui rendent le culte sont dotés d’un corps, et c’est pour eux qu’il fallut installer un tabernacle ou un temple spécial pour le culte divin. Tout d’abord afin que les gens qui se rassembleraient dans un tel lieu y apportent une dévotion plus grande à la pensée qu’il était affecté au culte de Dieu ; et ensuite parce que l’aménagement même de ce temple ou de ce tabernacle pourrait évoquer par certains traits l’excellence de la divinité ou de l’humanité du Christ.

C’est ce que veut dire Salomon (1 R 8, 27) “ Si le ciel et la terre ne peuvent te contenir, que dire de cette demeure que je t’ai édifiée ? ” Et il ajoute : “ jette les yeux sur cette maison dont tu as dit : "Là sera mon nom", et exauce la supplication de ton serviteur et de ton peuple Israël. ” Cela montre que le sanctuaire n’a pas été instauré comme la demeure où Dieu serait contenu, comme s’il l’habitait corporellement, mais pour que “ le nom de Dieu y réside ”, c’est-à-dire pour qu’à la lumière de ce qu’on y dirait ou ferait, Dieu y soit connu,, et aussi pour que, le caractère sacré du lieu excitant la dévotion, les prières qui y seraient faites soient plus dignes d’être exaucées.

2. Le statut de la loi ancienne ne fut pas modifié avant le Christ en ce qui touche l’accomplissement de la loi, car le Christ seul l’a accomplie ; mais il connut des changements en ce qui concerne la situation du peuple soumis à la loi. Le peuple vécut d’abord dans le désert, sans demeure fixe ; il soutint ensuite une série de guerres avec les nations voisines ; c’est à la fin, aux temps de David et de Salomon, que ce peuple a joui d’une paix véritable. Et c’est alors pour la première fois que le temple fut bâti, à l’endroit que, sur l’indication divine, Abraham avait marqué pour le sacrifice. On lit en effet dans la Genèse (22, 2) que le Seigneur ordonna à Abraham d’offrir son fils en holocauste “ sur celle des montagnes que je t’indiquerai ” ; après quoi Abraham “ appela ce lieu : "Le Seigneur voit" ”, comme si Dieu avait d’avance jeté les yeux sur cet endroit pour l’affecter au culte divin. Aussi le Deutéronome (12, 5) dit-il : “ Vous viendrez au lieu que le Seigneur votre Dieu aura choisi et vous y offrirez vos holocaustes et vos victimes. ”

Si ce lieu n’avait pas pu être marqué par la construction d’un temple avant l’époque royale, Maïmonide en donne trois raisons : ce lieu ne devait pas tomber au pouvoir des païens, il ne devait pas non plus être ravagé par les païens, et enfin il ne fallait pas qu’une des tribus voulût posséder ce lieu sur son territoire, ce qui eût provoqué contestations et disputes. Le temple ne fut donc construit que lorsque le peuple eut un roi capable d’apaiser ces contestations. Auparavant le culte divin utilisait le tabernacle, une tente que l’on transportait d’un endroit à l’autre, si bien qu’apparemment il n’existait encore aucun lieu déterminé pour le culte divin. Et voilà ce qui explique au sens littéral la différence du tabernacle et du temple.

Mais on peut discerner de cette dualité une raison figurative dans le symbolisme des deux statuts. Le tabernacle mobile signifie la condition changeante de la vie humaine, tandis que le temple, fixé et stable, signifie la condition de la vie future qui exclut tout changement. A quoi se rattache le fait que, dans la construction du temple, “ on n’entendit aucun bruit de marteau ou de hache ”, ce qui signifie qu’aucun trouble ou tumulte n’affectera la vie future. - D’une autre façon, le tabernacle représente le régime de la loi ancienne, et le temple de Salomon celui de la loi nouvelle, car les Juifs ont travaillé seuls à la construction du tabernacle, tandis que les païens, venus de Tyr et de Sidon, prirent part à l’édification du temple.

3. L’unité du sanctuaire se justifie par une raison littérale, et par une raison figurative. La raison littérale était d’exclure l’idolâtrie. Or les païens élevaient pour chacun de leurs dieux des temples différents ; donc, pour affermir dans les âmes la foi en l’unité divine, Dieu voulut que les sacrifices lui fussent offerts en un lieu unique. De plus, cette règle donnait à entendre que le culte corporel n’avait pas de valeur par lui-même, et elle détournait le peuple de sacrifier n’importe quand et n’importe où. Au contraire, le culte de la loi nouvelle, où le sacrifice contient la grâce spirituelle, a valeur par lui-même aux yeux de Dieu, et la multiplication des autels et des temples est agréée dans la loi nouvelle. Quant au culte spirituel consistant dans l’enseignement de la loi et des prophètes, dès la loi ancienne divers lieux lui étaient affectés, où l’on se réunissait pour louer Dieu : on les appelait synagogues, comme aujourd’hui on appelle églises les lieux où le peuple chrétien se rassemble pour louer Dieu. On voit par là que nos églises ont succédé et au Temple et aux synagogues, parce que le sacrifice de l’Église est spirituel et qu’il n’y a plus sujet pour nous de distinguer le lieu du sacrifice et le lieu de l’instruction. - La raison figurative de l’unité du sanctuaire pouvait être de signifier l’unité de l’Église militante ou triomphante.

4. Alors que l’unité du temple ou du tabernacle représentait l’unité de Dieu ou celle de l’Église, les divisions du temple ou du tabernacle représentaient les différentes catégories d’être soumis à Dieu et que nous utilisons comme degrés pour nous élever à la révérence due à Dieu. Le tabernacle était distribué en deux parties : l’une, vers le couchant, s’appelait le Saint des saints ; l’autre, vers l’orient, le Saint, précédé lui-même d’un vestibule. Or cette distribution comporte une double explication.

- Dans la première, on considère le tabernacle selon qu’il est ordonné au culte divin. En ce sens, ses différentes parties représentaient les différentes parties de l’univers : le Saint des saints figurait la région supérieure des substances spirituelles, et le Saint représentait le monde corporel. Le Saint était donc séparé du Saint des saints par un voile de quatre couleurs désignant les quatre éléments : le lin blanc, né de la terre, représente celle-ci ; le pourpre désigne l’eau, car elle est extraite de coquillages qu’on trouve dans la mer ; l’hyacinthe symbolise l’air par sa couleur azurée ; le cramoisi teint deux fois évoque le feu. Et tout cela parce que la matière des quatre éléments est comme un voile qui nous cache les substances spirituelles. - Le grand prêtre était donc seul à entrer, une fois l’an, dans l’intérieur du tabernacle, c’est-à-dire dans le Saint des saints, pour marquer que l’accès à ces régions supérieures constitue la perfection finale de l’homme. Mais dans le tabernacle extérieur, c’est-à-dire dans le Saint, les prêtres entraient tous les jours, tandis que le peuple n’avait accès qu’au vestibule : car le vulgaire peut bien percevoir les réalités corporelles, mais seuls les sages parviennent à la contemplation de leurs raisons profondes.

Passant à l’interprétation figurative, par le tabernacle extérieur, ou Saint, on symbolise le statut de la loi ancienne, comme il ressort de l’épître aux Hébreux (9,6 s), puisque “ les prêtres y entraient constamment pour exercer leur fonction de sacrificateurs ”. Au contraire, le tabernacle intérieur, ou Saint des saints, signifie la gloire du ciel, ou encore la condition spirituelle de la nouvelle loi, qui est comme le prélude de la gloire future, et le Christ nous en a ouvert l’entrée, ce que figurait l’entrée du grand prêtre, seul, une fois l’an, dans le Saint des saints. - Pour le voile, il figurait le mystère des sacrifices spirituels cachés sous les sacrifices antiques. Quant à son quadruple coloris, le lin blanc désignait la pureté de la chair, la pourpre le martyre enduré pour Dieu par les saints, le cramoisi teint deux fois la double charité envers Dieu et envers le prochain, l’hyacinthe la méditation des réalités célestes. - Mais dans la loi ancienne, autre était la condition du peuple, autre celle des prêtres. Le peuple apercevait les sacrifices corporels offerts dans le vestibule, mais les prêtres apercevaient le sens des sacrifices car ils possédaient une foi plus explicite dans les mystères du Christ. C’est pourquoi ils entraient dans le tabernacle extérieur. Un rideau séparait celui-ci du vestibule, car certains aspects du mystère chrétien, cachés aux yeux du peuple, étaient connus des prêtres sans toutefois leur être aussi pleinement révélés qu’ils le furent plus tard sous la nouvelle alliance, comme il ressort de l’épître aux Éphésiens (3, 5).

5. La règle de se tourner vers l’occident pour adorer fut introduite dans la loi pour combattre l’idolâtrie, vu que tous les païens adoraient le soleil en se tournant vers l’orient. Ézéchiel (8, 16) dénonce certains individus “ qui avaient tourné le dos au temple du Seigneur et, la face vers l’orient, adoraient le soleil à son lever ”. Pour éviter cette pratique, le Saint des saints occupait la partie occidentale du tabernacle, et l’on adorait dans cette direction.

On peut aussi admettre une raison figurative tout le régime ancien du tabernacle tendait à figurer la mort du Christ, symbolisée par le coucher du soleil à quoi fait allusion le Psaume (68,5) : “ Celui qui s’élève au-dessus du couchant, celui-là s’appelle le Seigneur. ”

6. Si nous considérons les objets qui se trouvaient dans le tabernacle, nous pouvons en donner une double raison : littérale et figurative.

1° La raison littérale se rapporte au culte de Dieu.

a) Nous venons de voir que le tabernacle intérieur, ou Saint des saints, représentait le monde supérieur des substances spirituelles ; il contenait donc trois objets : l’arche d’alliance, dans laquelle se trouvait une urne d’or renfermant de la manne, le bâton d’Aaron qui avait fleuri et les tables où étaient écrits les dix commandements de la loi. L’arche était placée entre deux chérubins qui se faisaient face, et sur l’arche se trouvait une sorte de table appelée “ propitiatoire ”, posée sur les ailes des chérubins et comme portée par eux, si bien qu’on se la représentait comme le trône de Dieu, du haut duquel, à la prière du grand prêtre, il se rendait “ propice ” au peuple, ce qui explique son nom. Il semblait donc que Dieu fût porté par les chérubins comme par des serviteurs, et l’arche d’alliance se présentait comme l’escabeau de celui qui était assis sur le propitiatoire. - Or, ces trois objets désignent trois sortes de réalités qui appartiennent au monde supérieur. Dieu d’abord, qui est au-dessus de tout et qui dépasse la compréhension de toute créature. Et c’est pourquoi il n’y avait de Dieu aucune représentation, afin de signifier qu’il est invisible ; mais on représentait son siège, car la créature, qui, efie, peut être saisie, est soumise à Dieu comme le siège l’est à celui qui y est assis. Il y a en second lieu dans ce monde supérieur les substances spirituelles, qu’on appelle les anges, représentés par les deux chérubins ; ils se font vis-à-vis, pour marquer l’harmonie qui règne entre eux, comme on le lit au livre de Job (25, 2) : “ Dieu fait régner l’harmonie dans les hautes demeures. ” Et l’on ne pouvait se contenter d’un seul chérubin pour cette autre raison que la multitude des esprits célestes devait être évoquée, détournant ainsi de leur vouer un culte ceux qui avaient appris à vénérer le Dieu unique. Enfin, dans ce monde intelligible, sont de quelque façon enfermées, comme la raison de l’effet dans sa cause et la raison de l’œuvre dans la pensée de l’artiste, les raisons de tous les êtres qui se réalisent dans ce monde. Et telle était la signification de l’arche, car les trois objets qu’elle renfermait représentent les trois grandeurs suprêmes de l’ordre humain : la sagesse évoquée par les tables de l’alliance, le pouvoir signifié par le bâton d’Aaron, la vie figurée par la manne qui en fut le soutien. - Ou bien ces trois objets signifiaient trois attributs divins, si l’on voit dans les tables la sagesse, dans le bâton la puissance, et dans la manne la bonté (à cause de son goût agréable, et parce que Dieu l’avait donnée à son peuple par miséricorde, si bien qu’on en conservait pour rappeler la miséricorde divine). - Cette triple figure se retrouve dans la vision d’Isaïe qui, en effet, “ vit le Seigneur assis sur un trône haut et élevé ”, et “ des Séraphins qui l’entouraient ”, et “ la maison toute remplie de la gloire de Dieu ”, ce qui faisait dire aux Séraphins : “ Toute la terre est remplie de sa gloire. ” - On le voit, les Séraphins n’étaient pas là pour être adorés, car le premier précepte l’interdisait, mais, comme on vient de le dire, pour signifier leur qualité de serviteurs.

b) Le tabernacle extérieur, qui représentait le monde où nous sommes, contenait aussi trois objets : l’autel des parfums, juste en face de l’arche ; la table où étaient posés les douze pains de proposition, vers le nord ; le chandelier, vers le sud. Ils correspondaient aux trois objets renfermés dans l’arche, mais leur symbolisme était plus apparent. En effet, pour que la sagesse humaine, personnifiée par les prêtres accédant au tabernacle, parvienne à saisir les raisons des choses, ces raisons doivent en venir à se révéler plus clairement qu’elles ne font dans la pensée de Dieu ou des anges. Et donc le chandelier désignait, à la manière d’un signe sensible, la sagesse exprimée en termes intelligibles dans les tables de la loi. L’autel des parfums signifiait le ministère des prêtres à qui il appartient de mener le peuple à Dieu, ce qui était aussi la signification du bâton d’Aaron : sur cet autel en effet on brûlait un encens de bonne odeur qui représentait la sainteté d’un peuple agréable à Dieu, selon l’Apocalypse (8,4) qui compare la fumée des parfums aux bonnes œuvres de saints. Et ce n’est pas sans raison que la dignité sacerdotale était signifiée dans l’arche par le bâton et dans le tabernacle extérieur par l’autel des parfums, car le prêtre, médiateur entre Dieu et le peuple, gouverne d’une part celui-ci au nom de l’autorité divine, ce qui est marqué par le bâton, et d’autre part fait monter vers Dieu, comme sur l’autel des parfums, l’offrande des fruits de son ministère, c’est-à-dire la sainteté du peuple. - La table des pains, comme la manne, représente l’aliment de la vie, mais le pain est une nourriture plus ordinaire et plus grossière, la manne est plus savoureuse et plus délicate. - Il convenait que le chandelier fût placé au sud et la table au nord, s’il est vrai que le midi est la partie droite et le nord la partie gauche de l’univers, comme le pense Aristote ; car la sagesse ainsi que les autres biens spirituels méritent d’être à droite et la nourriture temporelle à gauche, suivant le mot des Proverbes (3, 16) : “ A sa gauche sont la richesse et la gloire. ” Quant au pouvoir sacerdotal, il occupe le milieu entre les biens temporels et la sagesse spirituelle, parce qu’il dispense celle-ci comme ceux-là.

On peut d’ailleurs donner de tous ces objets une explication plus littérale encore. L’arche renfermait les tables de la loi, pour éviter que la loi ne tombât dans l’oubli, selon l’Exode (24, 12) : “ Dieu dit à Moïse : je te donnerai deux tables de pierre avec la loi et les dix commandements que j’ai écrits, et tu en instruiras les fils d’Israël. ” - Le bâton d’Aaron y était placé pour réprimer au sein du peuple tout dissentiment relatif au sacerdoce d’Aaron, comme nous lisons dans les Nombres (17,10) : “ Replace, dit encore Dieu à Moïse, le bâton d’Aaron dans le tabernacle du témoignage, pour qu’il soit gardé en signe de la rébellion des fils d’Israël. ” - La manne, à son tour, était conservée dans l’arche pour rappeler le bienfait accordé par le Seigneur à son peuple dans le désert, comme il est raconté dans l’Exode (16,32) : “ Emplis de manne un gromor, et qu’on le garde à l’avenir pour que les générations futures sachent de quel pain je vous ai nourris dans le désert. ” - Le chandelier était destiné à l’ornementation du tabernacle, un brillant éclairage contribuant à la splendeur d’une maison. Au dire de Josèphe ses sept branches évoquaient les sept planètes qui éclairent l’univers. C’est pourquoi le chandelier était placé au sud, vu que pour nous la course des planètes commence de ce côté. - L’autel des parfums était destiné à entretenir constamment dans le tabernacle un nuage d’agréable odeur, tant à cause de la vénération due au lieu que pour combattre une puanteur rendue inévitable par le sang versé et les bêtes immolées. Ce qui sent mauvais, on le repousse en effet comme de l’ordure, tandis qu’on attache un prix spécial à ce qui sent bon. - La table était là pour signifier que les prêtres affectés au service du temple devaient trouver dans le temple leur subsistance, c’est pourquoi les douze pains qu’elle portait, en mémoire des douze tribus, ne devaient être consommés que par les prêtres, comme dit S. Matthieu (12,4). La table n’était pas placée en plein milieu devant le propitiatoire, car il fallait exclure un rite idolâtrique : dans leurs fêtes en l’honneur de la lune, les païens avançaient une table en face de leur idole ce qui faisait dire à Jérémie (7, 18) : “ Les femmes pétrissent la pâte pour faire des galettes à la reine du ciel. ”

c) Dans le vestibule enfin, en dehors du tabernacle, se trouvait l’autel des holocaustes où l’on offrait à Dieu en sacrifice certains biens appartenant au peuple. Le peuple qui les offrait à Dieu par le ministère des prêtres avait donc accès au vestibule, tandis que seuls les prêtres, à qui il appartenait d’offrir le peuple à Dieu pouvaient s’approcher de l’autel intérieur où l’on offrait à Dieu précisément la dévotion et la sainteté du peuple. Mais cet autel était placé dans le vestibule, en dehors du tabernacle, pour écarter le culte idolâtrique, car les païens, pour sacrifier aux idoles, dressaient leurs autels à l’intérieur des temples.

2° Le sens figuratif de toutes ces prescriptions peut se dégager du rapport que le tabernacle soutient avec le Christ qu’il figurait. Mais observons que plusieurs sortes de figures ont été voulues dans le temple pour symboliser le Christ, afin de marquer ainsi l’insuffisance des figures légales. Le Christ est en effet désigné par le propitiatoire, parce qu’il est, selon l’expression de S. Jean dans sa première épître (2,2), “ propitiation pour nos péchés ”. - Ce propitiatoire est à juste titre porté par les chérubins, parce qu’il est écrit dans l’épître aux Hébreux (1,6) : “ Que tous les anges l’adorent. ” - Il est aussi désigné par l’arche, confectionnée de bois précieux, comme le corps du Christ était constitué de membres très purs ; et toute couverte d’or, comme le Christ était rempli de sagesse et de charité, ce que symbolise l’or. On trouvait dans l’arche une urne d’or, c’est-à-dire une âme sainte, contenant la manne, c’est-à-dire “ toute la plénitude de la divinité ” (Col 2, 9). On y trouvait aussi le bâton d’Aaron, emblème du pouvoir sacerdotal, parce que le Christ a été fait “ prêtre pour l’éternité ” (He 6, 20) ; les tables de l’alliance, indiquant que le Christ est lui-même législateur. - Le Christ encore, lui qui a dit : “ je suis la lumière du monde ”, est représenté par le chandelier, dont les sept lampes représentent les sept dons du Saint-Esprit. La table à son tour figure le Christ, nourriture spirituelle, lui qui a dit : “ je suis le pain de vie ”, tandis que les douze pains de proposition désignent les douze Apôtres ou les articles qu’ils ont enseignés. On pourrait aussi voir dans le chandelier et dans la table la doctrine et la foi de l’Église, qui dispense aussi lumière et réfection spirituelle. - Et c’est encore le Christ qui est représenté par les deux autels des holocaustes et des parfums, car c’est par lui que nous devons offrir à Dieu toutes nos œuvres vertueuses, soit celles qui mortifient notre chair en une offrande qui évoque l’autel des holocaustes, soit celles que, à un degré supérieur de perfection et par leurs désirs spirituels, les âmes avancées offrent à Dieu dans le Christ comme sur l’autel des parfums, selon l’exhortation de l’épître aux Hébreux (13, 15) : “ Offrons donc à Dieu par lui un sacrifice perpétuel de louange. ”

7. Le Seigneur ordonna de construire un autel pour l’offrande des sacrifices et des dons, en vue de l’honneur de Dieu et pour la subsistance des ministres affectés au service du tabernacle. Or la construction de l’autel fut de la part du Seigneur l’objet de deux ordonnances. L’une est présentée par l’Exode au début de la loi (20, 24 s) : Dieu y ordonne de faire un autel de terre, ou au moins de pierres brutes, et de ne pas le faire si élevé qu’on doive y monter par des degrés. Il s’agissait par là de repousser une pratique du culte idolâtrique, les païens construisant des autels ornés et fort élevés, où ils croyaient que résidait quelque chose de la sainteté et de la majesté divine. Pour un motif du même ordre, Dieu ordonna aussi selon le Deutéronome (16, 21) : “ Tu ne planteras pas de bois sacré ni aucun arbre près de l’autel du Seigneur ton Dieu ”, car les idolâtres sacrifiaient volontiers sous des arbres, pour l’agrément du site ombragé. - Mais ces prescriptions comportaient aussi une raison figurative : le Christ est notre autel et selon son humanité il nous faut confesser que sa nature charnelle est véritable, ce qui est faire un autel de terre ; et selon sa divinité nous devons confesser qu’il est l’égal du Père, ce qui est ne pas monter à l’autel par des degrés. Et, de plus, auprès du Christ nous ne devons pas accueillir l’enseignement des païens qui porte au libertinage.

Mais une fois établi ce tabernacle pour l’honneur de Dieu, ces risques d’idolâtrie n’étaient plus à redouter. Aussi le Seigneur commanda-t-il de fabriquer en airain l’autel des holocaustes, exposé à la vue du peuple, et en or l’autel des parfums, visible aux seuls prêtres. L’airain n’est pas tellement précieux que le peuple pût de ce fait être tenté d’idolâtrie.

Cependant, à l’appui de ce précepte : “ Tu ne monteras pas à mon autel par des degrés ”, l’Exode (20, 26) ajoute ce motif : “ afin que ta nudité ne soit pas découverte ”. On doit observer que cette prescription tendait, elle aussi, à combattre l’idolâtrie, car dans les cultes priapiques les païens découvraient leurs parties honteuses aux yeux du peuple. Ultérieurement il fut enjoint aux prêtres de revêtir des caleçons qui les couvraient, et il n’y eut plus d’inconvénient à établir cet autel élevé où les prêtres, au moment d’offrir le sacrifice, montaient par des gradins de bois, non pas fixes, mais mobiles.

8. Le gros œuvre du tabernacle était constitué de panneaux posés de chant et recouverts intérieurement de certaines tentures où se mariaient quatre couleurs : de lin retors, de violet, de pourpre et de cramoisi teint deux fois. Ces tentures ne revêtaient que les parois, et le plafond était tendu d’un premier revêtement en peaux de dauphin violettes, puis d’un second revêtement en peaux de bélier teintes en rouge, et enfin d’un troisième en couvertures de poil de chèvre qui non seulement couvraient le dessus du tabernacle, mais retombaient jusqu’à terre en dissimulant extérieurement les panneaux du tabernacle. De tous ces revêtements, la raison littérale commune était de décorer et de protéger le tabernacle afin d’en inspirer le respect. Dans le détail, si l’on en croit certains auteurs, les tentures représentaient le ciel astral tout diapré d’étoiles diverses ; les peaux de chèvre, les eaux qui sont au-dessus du firmament ; les peaux teintes en rouge, le ciel empyrée où résident les anges ; les peaux de teinte violette, le ciel de la sainte Trinité.

La raison figurative consiste à voir dans les panneaux qui formaient le tabernacle le symbole des fidèles du Christ qui constituent l’édifice de l’Église. Ces panneaux étaient antérieurement recouverts de tentures en quatre couleurs, à cause des quatre vertus qui décorent antérieurement les fidèles ; car, au dire de la Glose, “ le lin retors signifie la chair brillant de chasteté ; le violet, l’âme avide des biens célestes ; la pourpre, la chair soumise aux tortures ; le cramoisi teint deux fois, l’âme qui à travers les tourments rayonne d’amour pour Dieu et pour le prochain ”. Les revêtements du toit désignent les prélats et les docteurs en qui doivent briller des mœurs célestes, figurées par les peaux violettes ; l’empressement au martyre, que figurent les peaux teintes en rouge ; l’austérité de vie et le support des adversités, qui sont signifiés par les couvertures en poil de chèvre, exposées, comme l’explique la Glose, aux vents et à la pluie.

9. La consécration du tabernacle et de ses accessoires avait littéralement pour motif de leur attirer plus de respect, cette consécration les affectant au culte divin. - Au sens figuratif, elle signifiait la consécration spirituelle du tabernacle vivant, c’est-à-dire des fidèles qui constituent l’Église du Christ.

10. Il ressort du livre des Nombres (28 et 29) que la loi ancienne connaissait sept solennités revenant à date fixe, et une solennité ininterrompue. Il y avait en effet une fête continuelle, car tous les jours, soir et matin, on immolait un agneau et, par cette célébration ininterrompue du sacrifice perpétuel, était symbolisée la perpétuité de la béatitude divine.

Parmi les fêtes périodiques, il y avait d’abord celle qui se renouvelait chaque semaine ; C’était la solennité du sabbat, célébrée comme nous l’avons dit pour rappeler le souvenir de la création. - Une autre revenait chaque mois, c’était la néoménie, dont la célébration rappelait l’action du gouvernement divin, car en ce bas monde la plupart des changements sont liés à des mouvements lunaires. Et si l’on célébrait cette fête à la nouvelle lune et non pas à la pleine lune, c’était pour s’opposer au culte idolâtrique dont les sectateurs sacrifiaient à la lune en son plein. - Les deux bienfaits en question intéressant tout le genre humain, ces fêtes devaient revenir fréquemment.

Les cinq autres se célébraient une fois l’an et rappelaient le souvenir de bienfaits octroyés spécialement à ce peuple. La fête de Pâque, célébrée au premier mois, rappelait la délivrance de l’esclavage d’Égypte ; la Pentecôte, cinquante jours plus tard, le don de la loi. Les trois dernières se célébraient toutes au cours du septième mois, qui comme le septième jour se passait chez les juifs presque entièrement en fêtes. Donc, le premier jour de ce mois avait lieu la fête des Trompettes, en souvenir de la délivrance d’Isaac au moment où Abraham aperçut un bélier pris par les cornes ; celles-ci étaient évoquées par les cornes utilisées comme trompettes. - Mais cette fête des Trompettes n’était guère qu’une invitation à se préparer pour la suivante, la fête de l’Expiation, qui avait lieu le dixième jour du mois. Le bienfait qu’elle rappelait était qu’après l’adoration du veau d’or, Dieu, sur la prière de Moïse, avait fait grâce au peuple pour son péché. - Celui que rappelait la fête suivante, dite des Tentes, ou Scénopégie, et qui durait sept jours, était que Dieu avait protégé et guidé son peuple dans le désert, où l’on avait vécu sous la tente. Il fallait durant cette fête se munir du fruit d’un des plus beaux arbres, le citronnier, et d’une plante à l’épaisse frondaison, le myrte, tous deux dégageant un fort parfum ; ainsi que de branches de palmiers et de saules du torrent, l’un et l’autre toujours verts et qui d’ailleurs pousseraient dans la terre promise. On signifiait par là qu’à travers un pays désert Dieu avait conduit son peuple vers une terre de délices. - Une autre fête, celle de l’Assemblée et de la Collecte, se célébrait le huitième jour, pendant laquelle on demandait au peuple de réunir toutes les ressources nécessaires aux dépenses du culte divin, ce qui représentait le bienfait de l’unité et de la paix assuré au peuple dans la terre promise.

Ces fêtes ont aussi une explication figurative. Le sacrifice quotidien symbolise la perpétuité du Christ, Agneau de Dieu, selon l’épître aux Hébreux (13,8) : “ Jésus Christ est le même hier, aujourd’hui et dans tous les siècles ”. - Le sabbat désigne le repos spirituel qui nous est procuré par le Christ, comme le dit ailleurs (4,1-11) la même épître. - La Néoménie, qui marque le début d’une phase nouvelle de la lune représente les débuts de l’Église illuminée par le Christ lorsqu’il prêchait et faisait des miracles. - La fête de la Pentecôte désigne la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres. - La fête des Trompettes signifie la prédication apostolique. - La fête de l’Expiation, le peuple chrétien purifié de ses péchés par le Christ. La fête des Tentes montre ce peuple pérégrinant en ce monde, où il avance par le progrès dans les vertus. La fête de l’Assemblée et de la Collecte évoque le rassemblement des fidèles dans le Royaume des cieux, et c’est pourquoi cette fête était qualifiée de très sainte. D’autre part, ces trois dernières fêtes se suivaient sans interruption parce que, dès que les vices sont expiés, il faut croître dans la vertu jusqu’à ce qu’on parvienne à la vision de Dieu, comme il ressort du Psaume (84,8).

 

            Article 5 — Quelle est la raison d’être des sacrements de la loi ancienne ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse leur donner une raison d’être satisfaisante. En effet, les rites du culte divin ne doivent pas ressembler aux pratiques des idolâtres, car nous lisons (Dt 12,31) : “ Tu n’agiras pas ainsi avec le Seigneur ton Dieu : ce que les nations faisaient en l’honneur de leurs dieux, c’étaient toutes les abominations que le Seigneur a en horreur. ” Mais les sectateurs des idoles, au cours de leurs cérémonies, se faisaient des incisions jusqu’à l’effusion du sang, comme on peut le lire au premier livre des Rois (18, 28) : “ Ils s’entaillaient selon leur coutume, avec des épées et avec des lances, jusqu’à être couverts de sang. ” C’est pour cela que le Seigneur a prescrit (Dt 14,l) : “ Ne vous faites pas d’incisions et ne vous tondez pas pour un décès. ” La loi prescrivant la circoncision n’était donc pas admissible.

2. Le déroulement du culte divin doit être empreint de noblesse et de gravité, selon le Psaume (35, 18) : “ je te rendrai grâce dans la grande assemblée. ” C’est au contraire une manifestation de légèreté que de manger à la hâte, et l’on ne peut approuver le précepte (Ex 12, 11) qui enjoint de manger ainsi l’agneau pascal, sans compter beaucoup d’autres prescriptions alimentaires qui paraissent totalement dénuées de raison.

3. Les sacrements de la loi ancienne sont la figure des sacrements de la loi nouvelle. Donc, si l’agneau pascal représente le sacrement de l’eucharistie, comme il ressort de la première aux Corinthiens (5, 7) : “ Le Christ, notre Pâque, a été immolé ”, on s’attendrait à trouver aussi dans la loi des sacrements préfigurant les autres sacrements de la loi nouvelle, comme la confirmation, l’extrême onction, le mariage, etc.

4. On ne conçoit raisonnablement de purification que s’il y a mouillure. Mais aux yeux de Dieu rien de corporel n’est à considérer comme impur, puisque tout corps est une créature de Dieu et que, selon S. Paul (1 Tm 4, 4), “ toute créature est bonne et il ne faut rien rejeter de ce qui est reçu avec action de grâce ”. Il n’y avait donc aucune raison de se purifier pour avoir touché un cadavre ou toute autre impureté d’ordre physique.

5. - “ L’impur, que peut-il purifier ? ” lisons-nous dans l’Ecclésiastique (34, 4). Or la cendre d’une vache rousse consumée par le feu était impure, puisqu’elle communiquait l’impureté ; car le prêtre qui immolait la bête était souillé jusqu’au soir, de même celui qui la brûlait, et aussi celui qui en recueillait les cendres, comme dit le livre des Nombres (19,7 s.). On ne comprend donc pas le précepte de répandre cette cendre sur ceux qui sont souillés, pour les purifier.

6. Non seulement rien d’impur ne peut purifier l’homme, mais le péché n’est pas une réalité corporelle que l’on puisse transporter d’un lieu à un autre. Il est dès lors étrange de voir, pour l’expiation des péchés du peuple, le prêtre imposer les péchés des fils d’Israël à un bouc qui devait les emporter dans le désert ; d’autant qu’on était souillé et qu’on devait laver dans l’eau son corps et ses vêtements, lorsque dans le rite des purifications on avait brûlé un autre bouc, en dehors du camp, en même temps qu’un veau.

7. Ce qui est déjà pur n’a plus besoin d’être purifié. Il est donc anormal, quand on a purifié la lèpre d’un homme ou d’une maison, de prescrire une autre purification (Lv 14).

8. Ce n’est pas une ablution corporelle ni le fait de raser des poils qui peut purifier d’une souillure spirituelle. On ne s’explique pas que le Seigneur ait ordonné de confectionner un bassin d’airain avec sa base, où les prêtres se laveraient les mains et les pieds au moment d’entrer dans le tabernacle, selon l’Exode (30) ; ou ce qui est demandé par le livre des Nombres (8, 7) : que les lévites dussent être aspergés d’eau lustrale et rasés par tout le corps.

9. Le supérieur ne reçoit pas sa sainteté de l’inférieur. La consécration des prêtres et des grands prêtres telle que la décrit le Lévitique (8) ou celle des lévites telle que la présentent les Nombres (8, 5), ne pouvait donc raisonnablement se faire par des onctions corporelles ni par des sacrifices ou offrandes matérielles.

10. “ L’homme, lisons-nous au premier livre de Samuel (16, 7), considère ce qui paraît, mais Dieu pénètre le cœur. ” Or l’état du corps, ou les vêtements, ce sont choses qui paraissent extérieurement. Il n’y avait donc pas lieu de réserver aux prêtres de tout grade certains vêtements déterminés, dont le détail se trouve dans l’Exode (28). Il n’y avait non plus aucune raison d’interdire à quelqu’un le sacerdoce à cause d’une infirmité corporelle, comme le veut le Lévitique (21, 17) : “ Aucun homme d’entre les familles de la race n’offrira les pains à son Dieu s’il a quelque tare, s’il est aveugle, boîteux, etc. ” Bref, les sacrements de la loi ancienne semblent dénués de tout fondement raisonnable.

En sens contraire, il est écrit au Lévitique (20, 8) : “ C’est moi, le Seigneur, qui vous sanctifie. ” Mais rien de ce que Dieu fait n’est fait sans raison, comme le dit le Psaume (104, 24) : “ Tu as fait toutes choses avec sagesse. ” Donc, dans les sacrements de la loi ancienne, qui étaient destinés à la sanctification des hommes, rien ne manquait de motif raisonnable.

Réponse :

On l’a dit précédemment, le nom de “ sacrements ” appartient proprement aux rites consécratoires dont la vertu députait en quelque façon au culte divin. Or le culte divin regardait bien, d’une manière générale, le peuple tout entier, mais il regardait à un titre spécial les prêtres et les lévites, en qualité de ministres du culte. Il y avait donc, parmi les sacrements de la loi ancienne dont nous nous occupons, ceux qui intéressaient tout le peuple, et ceux qui étaient réservés aux ministres. Les uns et les autres satisfaisaient à une triple exigence. Il fallait d’abord mettre le sujet en état de rendre un culte à Dieu. En général et pour tous, cela se faisait par la circoncision, sans laquelle nul n’était admis à aucun des rites de la loi ; et pour les prêtres, par la consécration sacerdotale. - En second lieu, il fallait exercer les actes caractéristiques du culte divin : c’était pour le peuple la manducation de l’agneau pascal, à quoi nul incirconcis n’était admis, comme le précise l’Exode (12, 43), et pour les prêtres c’était l’oblation des victimes et la consommation des pains de propositions et des autres dons qui leur revenaient. - Enfin, il fallait écarter tout ce qui pouvait leur interdire l’accès au culte divin, c’est-à-dire les impuretés. A cela répondait pour l’ensemble du peuple l’institution de purifications touchant certaines souillures extérieures, et les rites d’expiation des péchés ; et pour les prêtres et lévites la règle de se laver les mains et les pieds et de se raser le poil.

Tout cela avait son explication raisonnable, soit littérale, en rapport avec le culte divin de l’époque, soit figurative, en rapport avec le Christ. On s’en convaincra en examinant le détail de ces dispositions.

Solutions :

1. La circoncision eut pour principale cause littérale d’être une protestation de la foi en un seul Dieu . Et parce que Abraham fut le premier à se séparer des infidèles en quittant sa maison et sa parenté, il fut le premier à recevoir la circoncision. Telle est la raison marquée par l’Apôtre (4, 9) : “ Abraham reçut le signe de la circoncision, sceau de la justice de la foi qu’il reçut incirconcis. ” Comment cela ? Il est écrit : “ Sa foi lui fut comptée à justice ” du fait que, “ espérant contre l’espérance ”, c’est-à-dire par une espérance fondée sur la grâce contre une espérance fondée sur la nature, “ il crut qu’il deviendrait le père de beaucoup de nations ”, alors qu’il était un vieillard et que sa femme était âgée et stérile. Pour que cette protestation de foi d’Abraham et le désir de l’imiter fussent ancrés au cœur des Juifs, ils reçurent dans leur chair un signe qu’ils ne pourraient oublier : “ Mon alliance, dit Dieu, selon la Genèse (17, 13), sera dans votre chair une alliance éternelle. ” La circoncision se pratiquait le huitième jour, parce que plus tôt l’enfant est encore fragile, qu’on aurait pu le blesser grièvement et qu’il n’était pas encore considéré comme pleinement constitué. L’offrande des animaux ne se faisait pas non plus avant le huitième jour. Mais on ne pratiquait pas plus tard le signe de la circoncision, parce que d’aucuns s’y seraient dérobés par crainte de la souffrance et que les parents auraient été tentés d’y soustraire leurs enfants, car ils ont pour eux plus d’affection à mesure qu’ils les voient grandir et qu’ils ont vécu davantage avec eux. - Une autre raison pouvait être d’affaiblir la concupiscence dans l’organe intéressé. - Une troisième de tourner en dérision les cultes de Venus et de Priape, qui vénéraient cette partie du corps. - Au reste, les entailles interdites par le Seigneur sont celles qui intervenaient dans les cultes idolâtriques et on ne peut leur assimiler la circoncision.

Selon le sens figuratif, la circoncision signifiait que le Christ devait supprimer toute corruption, ce qui sera complètement achevé au huitième âge du monde, celui de la résurrection. Et comme toute corruption de coulpe et de peine dérive en nous, par voie d’origine charnelle, du péché de notre premier père, la circoncision devait se faire au membre qui sert à la génération. C’est ainsi que l’entend S. Paul (Col. 2, 11) : “ Vous avez été circoncis dans le Christ, d’une circoncision où la main de l’homme n’est pour rien, et qui vous a dépouillés du corps charnel : telle est la circoncision de notre Seigneur jésus Christ. ”

2. Le repas pascal avait pour raison littérale de, rappeler ce bienfait divin que fut la sortie d’Égypte, et ceux qui célébraient ce repas faisaient ainsi profession d’appartenir au peuple que Dieu s’était choisi en le tirant d’Égypte. Lors de cette délivrance, il fut prescrit aux Hébreux de frotter du sang d’un agneau le linteau des portes de leurs demeures, par quoi ils se désolidarisaient explicitement du rite des Égyptiens qui vénéraient le bélier. Et par suite, grâce au sang de l’agneau répandu ou frotté sur les linteaux, ils furent préservés de l’extermination qui allait frapper les Égyptiens.

L’exode d’Égypte offrait deux particularités : la hâte des partants, pressés par les Égyptiens de s’en aller au plus vite, comme le raconte le chapitre 12 de l’Exode, et le danger, pour celui qui ne se serait pas hâté de partir avec le gros du peuple, d’être tué par les Égyptiens. Cette hâte était désignée d’abord par la nature même des mets ; il était prescrit de manger des pains sans levain, pour signifier que la pâte n’avait pu lever, les Égyptiens précipitant le départ ; de manger la viande rôtie, manière la plus rapide de l’accommoder, et sans en briser un seul os, vu qu’on n’en avait pas le loisir. Le comportement des convives trahit aussi cette hâte : “ les reins ceints, les sandales aux pieds, le bâton à la main, vous mangerez rapidement ” ; ce qui révèle à l’évidence des voyageurs sur le départ. Une autre prescription va dans le même sens : “ Vous mangerez dans la maison même, et vous ne porterez pas de morceaux au-dehors ”, parce que l’urgence ne laissait pas le loisir d’échanger des politesses entre voisins. - L’autre trait de la sortie d’Égypte rappelé par ce repas, les amertumes dont ils avaient été abreuvés dans ce pays, était signifié par les herbes amères.

La raison figurative de la Pâque se découvre aisément : l’immolation de l’agneau représentait l’immolation du Christ, selon la formule de S. Paul : “ Le Christ notre Pâque a été immolé ” (1 Co 5, 7). Le sang de l’agneau, qui préservait de l’extermination ceux qui en avaient marqué le linteau de leur porte, signifie la foi en la passion du Christ dans le cœur et la bouche des croyants, foi qui nous délivre du péché et de la mort, comme le dit S. Pierre dans sa première lettre (1, 18) : “ Vous avez été rachetés par le sang précieux de l’Agneau sans tache. ” Ces viandes qu’on mangeait signifiaient la manducation du Corps du Christ dans le Sacrement. On les mangeait rôties au feu, pour symboliser la passion ou la charité du Christ ; avec du pain sans levain, pour représenter la pureté de vie des fidèles qui prennent le Corps du Christ, selon le mot de S. Paul (1 Co 5, 8) : “ Célébrons la Pâque avec les azymes de la pureté et de la vérité. ” On y ajoutait les herbes amères, pour marquer qu’il est nécessaire à ceux qui prennent le Corps du Christ de se repentir de leurs péchés. Les reins doivent être ceints de la ceinture de chasteté. Les sandales aux pieds sont les exemples des Pères qui ont vécu autrefois. Les bâtons tenus à la main symbolisent la vigilance pastorale. Enfin, il est prescrit de manger l’agneau pascal dans la maison, c’est-à-dire dans l’Église catholique et non dans les conventicules des hérétiques.

3. Un certain nombre de sacrements de la loi nouvelle eurent dans la loi ancienne leur correspondant figuratif. La circoncision correspond au baptême, sacrement de la foi : “ Vous avez reçu la circoncision de Notre Seigneur jésus Christ, ensevelis avec lui par le baptême ” (Col 2, 11). Le repas de l’agneau pascal a pour pendant le sacrement de l’eucharistie dans la loi nouvelle. A l’ensemble des purifications de la loi ancienne répond maintenant le sacrement de pénitence, et à la consécration des pontifes et des prêtres le sacrement de l’ordre.

Mais le sacrement de la confirmation, signe de la plénitude de la grâce, ne pouvait avoir aucun correspondant parmi les sacrements de la loi ancienne ; ce n’était pas encore le temps de la plénitude, puisque, dit l’épître aux Hébreux (7, 19), “ la loi n’a amené personne à la perfection ”. Pas davantage le sacrement de l’extrême-onction, parce qu’il dispose immédiatement à entrer dans la gloire et que sous la loi ancienne le prix n’était pas encore payé qui devait en ouvrir l’accès. - Quant au mariage, il existait bien sous la loi ancienne en tant que fonction de nature, mais non comme sacrement de l’union du Christ et de l’Église, cette union n’étant pas encore réalisée. C’est si vrai que la loi ancienne admettait l’acte de répudiation, ce qui contredit le sens même du sacrement.

4. Au sujet des purifications de la loi ancienne, on a vu dans la réponse qu’elles étaient destinées à écarter les empêchements à l’exercice du culte divin. Mais il y a deux sortes de culte : le culte spirituel qui consiste dans le don de l’esprit à Dieu et le culte corporel qui réside dans les sacrifices, offrandes, etc. L’empêchement au culte spirituel, c’est le péché par quoi les hommes étaient réputés souillés, comme par l’idolâtrie, l’homicide, l’adultère et l’inceste. De ces souillures les hommes se purifiaient au moyen de certains sacrifices offerts officiellement au nom de toute la collectivité, ou encore pour les péchés de simples particuliers. Non que ces sacrifices charnels eussent par eux-mêmes la vertu d’expier le péché, mais ils signifiaient l’expiation des péchés qui serait réalisée par le Christ, et à laquelle participaient déjà les anciens quand ils protestaient de leur foi au Rédempteur sous la figure des sacrifices.

Quant au culte extérieur, l’empêchement venait d’un certain nombre d’impuretés corporelles, qui pouvaient affecter les hommes, mais aussi, secondairement, les maisons, les vêtements, les animaux et les ustensiles. Les hommes pouvaient être réputés impurs pour une raison personnelle, ou par suite d’un contact avec des choses impures. Du premier point de vue, on considérait comme impur tout ce qui était déjà touché par la corruption ou qui en était menacé ; il s’ensuit qu’un cadavre humain était considéré comme impur, car la mort est une corruption. De même, la lèpre étant provoquée par une corruption des humeurs qui s’échappent du corps et répandent une contagion, les lépreux étaient réputés impurs. Et de même les femmes, lorsqu’elles avaient un écoulement de sang, qu’il s’agisse d’une manifestation morbide ou d’un phénomène naturel comme lors de leurs règles ou de l’accouchement. Et pour la même raison étaient réputés impurs les hommes qui avaient un flux spermatique, que ce fût par maladie, ou dans une pollution nocturne ou dans l’acte générateur, car toute émission de liquide dans ces conditions entachait l’homme d’une sorte d’impureté. - En outre l’homme en contractait une s’il touchait quoi que ce fût d’impur.

Cette première catégorie d’impuretés avait une signification littérale aussi bien que figurative. Au sens littéral, elles accentuaient le respect dû au culte divin. En effet, on ne manie pas volontiers les objets précieux quand on est malpropre ; en outre, les choses saintes étaient d’autant plus vénérées qu’on s’en approchait moins souvent, car, parvenant rarement à éviter tant d’occasions de souillure, on se trouvait rarement à même d’entrer en contact avec des réalités du culte divin et ainsi, quand cela arrivait, on le faisait avec plus de respect et d’un cœur plus humble. - Dans certains cas il y avait une autre raison littérale : éviter que certains ne soient écartés du culte divin parce qu’ils fuiraient la compagnie des lépreux ou d’autres malades du même genre, dont l’affection est horrible et contagieuse. - La raison, parfois encore, était d’évincer le culte idolâtrique, parce que les païens, dans le rituel de leurs sacrifices, usaient occasionnellement de sang et de sperme humain. - Toutes ces impuretés corporelles, du reste, se purifiaient par une simple aspersion d’eau ou, pour les plus importantes, par un sacrifice destiné à expier le péché qui avait provoqué l’infirmité en question.

Au sens figuratif ces impuretés extérieures représentaient divers péchés. La mort spirituelle provoquée en général par toute espèce de péché est signifiée par l’impureté du cadavre ; celle de la lèpre représente la souillure de la doctrine hérétique, soit parce que l’hérésie est contagieuse comme la lèpre, soit parce qu’il n’est point de doctrine fausse où ne se mêle quelque élément de vérité, de même que sur la peau du lépreux il y a une juxtaposition de taches et de parties intègres. Les pertes sanglantes de la femme désignent la souillure de l’idolâtrie à cause du sang des sacrifices ; le flux spermatique de l’homme symbolise la souillure des paroles oiseuses, car il est écrit en S. Luc (8, 11) que “ la semence est la parole de Dieu ”. L’impureté provoquée par l’acte conjugal et par l’accouchement signifie la souillure du péché d’origine. L’impureté périodique de la femme représente celle de l’esprit efféminé par les voluptés. Enfin d’une manière générale, la souillure qui résulte du contact d’une chose impure désigne l’impureté contractée par le consentement au péché d’autrui, selon S. Paul (2 Co 6, 17) : “ Fuyez leur compagnie, écartez-vous d’eux et ne touchez rien de souillé. ”

Observons que cette souillure par contact se communiquait aussi aux êtres inanimés, car tout ce que touchait une personne impure devenait impur. En cela la loi était plus douce que les superstitions des pa7iens, pour qui la souillure se propageait non seulement par contact avec l’être impur, mais même par une conversation ou par un simple regard. Maïmonide fait cette remarque à propos de l’impureté périodique de la femme. - En tout cas, par cette contagion d’impureté est évoquée mystiquement cette vérité que nous lisons dans la Sagesse (14, 9) : “ Dieu déteste également l’impie et son impiété. ”

Mais il y avait aussi une sorte d’impureté qui affectait les objets inanimés eux-mêmes, telle que la lèpre des maisons et celle des vêtements. De même en effet que cette maladie atteint les hommes par suite d’une corruption des humeurs gâtant et détruisant les tissus, il se produit parfois une corruption, un excès d’humidité ou de sécheresse, qui ronge les pierres des maisons ou l’étoffe des vêtements. Cette corruption, que la loi appelait “ lèpre ”, faisait considérer comme impurs la maison ou le vêtement, parce que d’une part, on l’a dit, toute corruption avait le caractère d’une impureté et que, d’autre part, contre ces sortes de corruption les païens invoquaient leurs divinités domestiques ; aussi, pour écarter cette tentation d’idolâtrie, la loi ordonnait-elle de détruire la maison et de brûler les vêtements où pareille corruption s’était installée. - Il y avait aussi une impureté spéciale aux récipients. Il est écrit au livre des Nombres (19, 15) : “ Le vase qui n’aura pas de couvercle muni d’une attache sera impur. ” Cette impureté s’explique du fait qu’en de tels récipients il pouvait aisément tomber quelque ordure capable de les souiller. C’était aussi pour écarter l’idolâtrie : si une souris, un lézard ou quelque autre bestiole qu’on immolait aux idoles tombait dans les vases ou dans l’eau, les idolâtres se figuraient que c’était agréable aux dieux. Aujourd’hui encore il y a certaines bonnes femmes qui laissent des récipients découverts à l’intention de génies nocturnes qu’on appelle des Jeannes.

La raison figurative de ces impuretés, c’est que la lèpre de la maison signifie l’impureté d’un amas d’hérétiques ; la lèpre du vêtement de lin, la perversion des mœurs, née de l’amertume spirituelle ; celle du vêtement de laine, la perversité des flatteurs ; la lèpre du fil de chaîne représente les vices de l’âme, et celle du fil de trame les péchés de la chair, car la chaîne est dans la trame comme l’âme dans le corps. Le vase sans couvercle ni fermeture, c’est l’homme incapable de se taire et que nul frein de discipline ne retient.

5. On vient de distinguer dans la loi deux impuretés de gravité inégale, la plus grave résultant d’une corruption qui atteint l’âme ou le corps ; la seconde, moins grave et d’expiation plus facile, résultant du simple contact avec une chose impure. La première impureté s’expiait par un sacrifice pour le péché, parce que toute corruption procède d’un péché et en est la marque ; la seconde s’expiait simplement par aspersion d’une eau spéciale, l’eau d’expiation, mentionnée au chapitre 19 des Nombres.

A cet endroit, le Seigneur ordonne de prendre une vache rousse en souvenir du péché commis par les adorateurs du veau d’or ; une vache et non pas un taureau, parce que le Seigneur en usait ainsi pour désigner la Synagogue, témoin le passage d’Osée (4, 16) où Israël est comparé à une vache rétive. Cette prescription tenait peut-être au fait qu’à l’imitation des Égyptiens on rendait un culte aux vaches, comme il ressort de cet autre passage d’Osée (10, 5) qui parle des vaches de Bethaven. En renonciation solennelle au péché d’idolâtrie, l’animal était immolé en dehors du camp ; d’ailleurs, chaque fois qu’on sacrifiait pour expier un grand nombre de péchés, la victime était intégralement brûlée en dehors du camp. - Puis, pour signifier que par ce sacrifice le peuple était purifié de tous ses péchés, le prêtre trempait le doigt dans le sang de la vache et en aspergeait sept fois l’entrée du sanctuaire, car le nombre sept est symbole de plénitude. Le fait même de répandre le sang avait valeur de renonciation à l’idolâtrie, car les païens au contraire recueillaient le sang des victimes et en faisaient le centre de leurs repas en l’honneur des idoles. - La vache était brûlée dans le feu, soit parce que c’est dans le feu que Dieu apparut à Moïse et lui donna la loi, soit pour montrer que l’idolâtrie doit être extirpée complètement, avec tout ce qui s’y rattache : ainsi la vache était brûlée y compris la peau, la viande, le sang et les excréments, le tout livré aux flammes. - On brûlait en même temps du bois de cèdre, de l’hysope et du cramoisi teint deux fois, cela non sans raison : comme le bois de cèdre est peu sujet à pourrir, que le cramoisi teint deux fois ne perd pas sa teinte, que l’hysope demeure parfumée même après dessiccation, de même ce sacrifice allait à la conservation du peuple, de son honneur et de sa dévotion ; ce qui faisait dire sur ces cendres de vache : “ Qu’elles soient en sauvegarde à la multitude des fils d’Israël ” (Nb 19, 9). Ou bien, selon Josèphe, c’étaient les quatre éléments qui figuraient là : le feu d’abord, puis la terre que symbolise le cèdre à cause de son affinité avec elle, l’air représenté par l’hysope, puisque c’est un parfum, et enfin l’eau qui peut être signifiée par le cramoisi teinté deux fois aussi bien que par la pourpre, puisque ces teintures sont tirées de l’eau. Ainsi était-il donné à entendre qu’on offrait ce sacrifice au créateur des quatre éléments. Comme ce sacrifice était offert pour le péché d’idolâtrie, l’horreur inspirée par celle-ci s’affirmait en ce q.ue celui q.ui brûlait la victime, celui qui recueillait les cendres et celui qui faisait l’aspersion avec le mélange d’eau et de cendres, étaient tous considérés comme impurs. On marquait ainsi que tout ce qui, de près ou de loin, touche à l’idolâtrie doit être rejeté comme souillure. Mais il suffisait de passer à l’eau les vêtements pour être lavé de cette impureté, et il n’était pas besoin d’une nouvelle aspersion. Sinon, le processus eût été sans fin, car le fait d’asperger rendait impur : en s’aspergeant soi-même on restait donc impur ; si un autre vous aspergeait, celui-là contractait une impureté, et aussi le troisième qui l’aurait aspergé, et cela indéfiniment.

Voici l’explication figurative de ce sacrifice. La vache rousse représente le Christ, car elle évoque par son sexe la faiblesse de la nature humaine assumée, et par sa couleur le sang de la Passion. Cette bête était d’âge parfait, parce que toutes les opérations du Christ sont parfaites. Elle était sans défaut et n’avait jamais porté le joug : le Christ en effet n’a jamais porté le joug du péché. Il est prescrit de la faire comparaître devant Moïse : c’est qu’on reprochait au Christ d’avoir enfreint la loi mosaïque par la violation du sabbat. Il est prescrit aussi de la livrer au prêtre Éléazar, parce que le Christ fut livré entre les mains des prêtres pour être mis à mort. Elle est immolée en dehors du camp, parce que, selon l’épître aux Hébreux (13, 12), “ le Christ a souffert hors des portes ”. Le prêtre trempe son doigt dans le sang : où l’on voit que le mystère de la Passion du Christ doit être considéré et imité avec le discernement que le doigt signifie. Le sang est aspergé contre le tabernacle, symbole de la Synagogue, pour la condamnation des juifs qui ne croient pas, ou pour purifier ceux qui croient ; et cela à sept reprises, à cause des sept dons du Saint-Esprit, ou à cause de sept jours qui représentent la totalité du temps. Ce qui doit être brûlé au feu, entendez pénétré spirituellement, ce sont tous les aspects de l’incarnation du Christ ; en effet la peau et la chair signifient son opération extérieure ; le sang, la vertu intime et subtile qui répand la vie au-dehors ; les excréments, sa lassitude, sa soif et tout ce qui relève de sa faiblesse humaine. On ajoute le cèdre qui marque la hauteur de l’espérance ou celle de la contemplation ; l’hysope, symbole de l’humilité ou de la foi ; le cramoisi teint deux fois qui désigne la double charité, car nous devons par tout cela nous rattacher au Christ immolé. La cendre de la combustion est recueillie par un homme pur parce que les reliques de la Passion sont parvenues aux mains des païens qui ne peuvent être inculpés de la mort du Christ. On mêle les cendres à l’eau d’expiation, car la passion du Christ confère au baptême la vertu de laver les péchés. Le prêtre qui immolait et brûlait la vache, celui qui la brûlait avec lui, celui qui recueillait les cendres, tous étaient impurs, et aussi celui qui aspergeait l’eau ; ce qui peut vouloir dire que la mort du Christ en expiant nos péchés a rendu les Juifs impurs, et cela jusqu’au soir, c’est-à-dire jusqu’à la fin du monde où les restes d’Israël reviendront au Christ ; ou bien, selon l’explication donnée par S. Grégoire, qu’en s’occupant de choses saintes en vue de purifier les autres on contracte soi-même quelques souillures et jusqu’au soir encore, c’est-à-dire tant que dure la vie présente.

6. C’est donc par les sacrifices pour le péché que s’expiait l’impureté provoquée par une corruption de l’âme ou du corps. On offrait des sacrifices spéciaux pour les péchés des particuliers, mais certains se montraient négligents à cet égard, ou même omettaient par ignorance cette expiation de leurs péchés et impuretés. Aussi était-il prescrit d’offrir tous les ans, le dixième jour du septième mois, un sacrifice d’expiation au nom de tout le peuple 35. Mais comme la loi, selon l’expression de l’épître aux Hébreux (7, 28), “ ne fit prêtres que des hommes remplis de faiblesse ”, le prêtre devait d’abord offrir pour lui-même un jeune taureau, en victime pour le péché, pour rappeler le péché commis par Aaron lorsqu’il fabriqua le veau d’or ; puis un bélier, en holocauste, signifiant que la prérogative sacerdotale, symbolisée par le bélier guide du troupeau, devait être au service de la gloire de Dieu. Après quoi il offrait deux boucs pour le peuple.

L’un de ces boucs était immolé pour expier le péché de la collectivité. On sait que le bouc est une bête fétide et que les vêtements tissés de son poil sont irritants pour la peau : cela signifiait la puanteur, l’impureté et l’aiguillon du péché. Le sang de cette victime, joint à celui du taureau, était porté dans le Saint des saints et on en aspergeait tout le sanctuaire, pour montrer que le tabernacle était lavé des impuretés d’Israël. Ce bouc et ce taureau immolés pour le péché devaient être brûlés et ainsi figurer la destruction des péchés. Mais on ne les brûlait pas sur l’autel, car seuls les holocaustes pouvaient y être brûlés intégralement. Il était prescrit de les brûler hors du camp> en détestation du péché, et c’était la règle en effet toutes les fois qu’on immolait un sacrifice pour un péché grave ou pour un grand nombre de péchés.

Le second bouc était lâché dans le désert, non certes en offrande aux démons que les païens adoraient dans le désert, puisqu’il ne fallait rien sacrifier aux démons, mais afin de marquer l’effet produit par la victime immolée en sacrifice. Le prêtre posait donc la main sur la tête du bouc en proclamant les péchés des enfants d’Israël, tout comme si l’animal devait les emporter dans le désert, où les bêtes sauvages le mangeraient, lui infligeant en quelque sorte la peine due aux péchés d’Israël. Il était censé emporter les péchés du peuple, soit parce que son expulsion signifiait la rémission des péchés du peuple, soit parce qu’on lui attachait sur la tête une pancarte où les péchés étaient inscrits.

Quant à l’explication figurative, le Christ est représenté à la fois par le taureau, à cause de sa force, par le bélier parce qu’il est le chef des fidèles et par le bouc parce qu’il avait “ une chair semblable à notre chair de péché ”. C’est bien le Christ qui est immolé pour les péchés des prêtres et pour ceux du peuple, car grands et petits sont purifiés du péché par la Passion. Le sang du taureau et du bouc est porté dans le sanctuaire par le grand prêtre, parce que le sang de la passion du Christ nous ouvre l’entrée du royaume des cieux. Les corps des deux victimes sont brûlés en dehors du camp, car selon l’épître aux Hébreux (13, 12) “ le Christ a souffert hors des portes ”. Le bouc émissaire peut représenter la divinité du Christ qui se retira dans la solitude lorsque souffrit l’humanité du Christ, non qu’elle eût changé de lieu, mais parce qu’elle dissimulait sa force ; ou si l’on veut, il représente la convoitise mauvaise que nous devons chasser loin de nous pour offrir en revanche au Seigneur le sacrifice d’une vie vertueuse.

Quant à l’impureté affectant ceux qui brûlaient ces victimes, elle s’explique comme dans le cas du sacrifice de la vache rousse.

7. Le rite légal ne purifiait pas le lépreux de sa lèpre mais faisait constater sa guérison. Le Lévitique (14, 3 s) dit bien que “ quand le prêtre constatait que la lèpre était guérie, il devait prescrire, etc. ” La lèpre était donc déjà guérie, mais le lépreux était purifié lorsque, par décision du prêtre, il était rendu aux actes de la vie sociale et du culte divin. Néanmoins il arrivait parfois au rite légal de guérir miraculeusement la lèpre corporelle si le prêtre avait fait une erreur de diagnostic.

La purification du lépreux se déroulait en deux temps. D’abord il était reconnu pur puis, après un délai de sept jours, il était réintégré comme tel dans la vie sociale et dans l’exercice du culte divin. Au moment de la première purification, le lépreux offrait pour son compte deux oiseaux vivants, du bois de cèdre, un fil rouge et de l’hysope, de telle sorte qu’un des oiseaux fut, par le fil rouge, attaché au bois de cèdre, celui-ci jouant en quelque façon le rôle d’un manche d’aspersoir ; l’hysope et l’oiseau étaient la partie de l’aspersoir qu’on trempait dans le sang du second oiseau immolé sur l’eau vive. Il y a un rapport entre cette quadruple offrande et les quatre misères caractéristiques de la lèpre : à la pourriture remédiait le bois de cèdre qui est imputrescible ; à l’odeur fétide, l’hysope, herbe parfumée ; à la perte de la sensibilité s’opposait l’oiseau plein de vie ; à la couleur abjecte, le fil rouge de teinte vive. L’oiseau était lâché vivant dans la campagne, parce que le lépreux recouvrait sa liberté d’autrefois.

Le huitième jour, le lépreux guéri était admis au culte divin et rendu à la vie sociale. Mais il devait auparavant se raser les poils de tout le corps et laver ses vêtements, parce que la lèpre ronge le poil, souille et infecte les vêtements. Ensuite un sacrifice était offert pour son péché, car la lèpre survient d’ordinaire à cause d’un péché. On faisait à celui qui devait être purifié une onction avec le sang de la victime sur le lobe de l’oreille, sur le pouce droit et sur le gros orteil du pied droit, car ce sont les points où la lèpre se manifeste et se ressent d’abord. Trois liquides intervenaient dans ce rite : le sang, contre la corruption du sang, l’huile pour marquer la guérison, l’eau vive pour éliminer toute ordure.

Passons à l’explication figurative. Les deux oiseaux signifient la divinité et l’humanité du Christ. L’un d’eux, figurant l’humanité, est immolé dans un vase de terre sur les eaux vives, parce que la passion du Christ consacre les eaux du baptême. L’autre, représentant la divinité impassible, demeurait en vie, car la divinité ne peut mourir ; et il s’envolait, parce que la divinité ne pouvait être astreinte à souffrir. Ce second oiseau, en même temps que le bois de cèdre, le cramoisi ou fil rouge et l’hysope, c’est-à-dire avec la foi, l’espérance et la charité, selon nos remarques précédentes, est plongé dans l’eau pour l’aspersion, parce que nous sommes baptisés dans la foi au Christ Dieu et homme. On lave ses vêtements, qui sont les œuvres, et tous ses poils, qui sont les pensées, dans l’eau du baptême ou des larmes. Le lobe de l’oreille droite, chez celui qui est purifié, est oint de sang et d’huile pour fortifier le sens de l’ouïe contre les paroles corruptrices ; le pouce droit et le gros orteil droit, pour sanctifier ses actions.

Les autres détails de cette purification, ou de celle des autres impuretés, n’ont rien de particulier qui ne se trouve aussi dans les sacrifices pour les péchés et les délits.

8. 9. Comme le peuple pour la circoncision, les ministres étaient habilités au culte de Dieu par une purification ou consécration particulière. Il leur est donc enjoint de se distinguer des autres, comme, étant plus que les autres spécialement députés au service du culte divin. Et toutes les cérémonies dont ils étaient l’objet lors de leur consécration ou installation tendaient à mettre en évidence cette prérogative de pureté, de puissance, de dignité qui était la leur. Aussi l’installation des ministres comportait-elle trois sortes de cérémonies : ils étaient d’abord purifiés, puis revêtus de leurs ornements et consacrés, enfin assignés aux fonctions de leur ministère.

La purification comportait pour tous une ablution d’eau et certains sacrifices ; les lévites, en outre, se rasaient tous les poils du corps, comme il est dit au chapitre 8 du Lévitique.

La consécration des grands prêtres et des prêtres se déroulait de la manière suivante : d’abord, après l’ablution d’eau, ils étaient revêtus des ornements spéciaux destinés à marquer leur dignité. En ce qui concerne le grand prêtre en particulier, on lui faisait sur la tête une onction d’huile : cela voulait dire que le pouvoir de consacrer se communiquerait de lui aux autres, comme l’huile coule de la tête sur les membres, selon l’image du Psaume (133, 2) : “ Comme l’huile parfumée sur la tête, qui descend le long de la barbe, de la barbe d’Aaron. ” Les lévites, en fait de consécration, étaient simplement offerts au Seigneur, au nom des fils d’Israël, par les mains du grand prêtre qui priait pour eux. Aux prêtres inférieurs, on ne consacrait que les mains en contact avec les sacrifices ; puis, du sang de la victime immolée, on leur mouillait le lobe de l’oreille droite, le pouce droit et le gros orteil du pied droit, le rite de l’oreille signifiant qu’ils obéiraient à la loi divine dans l’offrande des sacrifices, celui de la main et du pied qu’ils exerceraient avec zèle et empressement leurs fonctions de sacrificateurs. On aspergeait aussi les prêtres, ainsi que leurs vêtements, du sang d’une victime, en mémoire du sang de l’agneau qui les avait délivrés d’Égypte. La consécration des prêtres comportait l’offrande des sacrifices suivants : un taureau, en sacrifice pour le péché, rappelant que le péché d’Aaron fabriquant le veau d’or avait été pardonné ; un bélier, en holocauste, pour rappeler l’offrande d’Abraham, modèle d’obéissance proposé à l’imitation du grand prêtre ; un bélier encore, pour sacrifice de consécration, assimilé à un sacrifice pacifique, rappelant la libération d’Égypte par le sang de l’agneau ; enfin une corbeille de pains, en souvenir de la manne fournie au peuple.

L’assignation des ministres à leurs fonctions se faisait par l’imposition sur leurs mains de la graisse du bélier, d’une tourte de pain et d’une omoplate : pour montrer qu’ils recevaient le pouvoir de faire ces offrandes au Seigneur. Mais la prise de fonctions des lévites consistait dans leur introduction au tabernacle de l’alliance pour montrer qu’ils avaient à s’occuper des objets du sanctuaire.

L’explication figurative de ces rites était de signifier que pour être consacré au service spirituel du Christ, il faut d’abord être purifié par l’eau du baptême et des larmes, dans la foi à la passion du Christ ; tel est le sacrifice qui expie et purifie. Il faut raser tous les poils du corps, entendez toutes les mauvaises pensées ; se parer de vertus, être consacré par l’huile de l’Esprit Saint et par l’aspersion du sang du Christ. Tels doivent être ceux qui entendent exercer les ministères spirituels.

10. On a déjà dit que la loi se proposait d’inculquer le respect du culte divin, d’une part en excluant de ce culte tout ce qui pouvait être objet de mépris, et d’autre part en y introduisant tout ce qui semblait capable de le rehausser. Si cette règle se vérifiait à propos du tabernacle et de ses accessoires ainsi que des animaux à immoler, elle devait s’observer encore bien plus en ce qui concerne la personne des ministres. Effectivement, de crainte qu’ils ne fussent objet de dédain, il fut décidé que les ministres seraient exempts de tout défaut ou tare corporels, puisque ceux qui en sont affectés sont généralement entourés de peu de considération. La même raison fit décider que les ministres de Dieu ne seraient pas recrutés indifféremment dans n’importe quelle famille, mais dans un certain lignage par succession héréditaire, ce qui leur vaudrait un surcroît d’illustration et de prestige.

C’est encore pour leur attirer le respect qu’on leur accordait, avec une consécration spéciale, un luxe vestimentaire particulier, et telle est en général la raison d’être du luxe vestimentaire. Si l’on veut entrer dans le détail, on se rappellera que le grand prêtre portait huit ornements : 1° une robe de lin ; 2° une tunique de pourpre violette au bas de laquelle, tout autour, on avait disposé des clochettes, ainsi que des grenades mariant la pourpre violette, la pourpre écarlate et le cramoisi teint deux fois ; 3° le pectoral qui couvrait les épaules et la partie antérieure du buste jusqu’à la ceinture, fait d’or, de pourpre violette, de pourpre écarlate, de cramoisi teint deux fois et de lin retors, avec sur les épaules deux onyx où étaient gravés les noms des fils de Jacob ; 4° le rational, fait des mêmes matières ; il était carré, se posait sur la poitrine, attaché au pectoral, et portait, sur quatre rangs, douze pierres précieuses, chacune gravée au nom d’un des fils d’Israël : ainsi le grand prêtre portait ces noms sur les épaules comme pour marquer qu’il avait la charge de tout le peuple, et aussi sur la poitrine comme s’il les gardait en son cœur, pour montrer qu’il devait sans cesse se préoccuper de leur salut. Le Seigneur fit encore placer sur le rational l’Enseignement et la Vérité, c’est-à-dire certaine inscription qui était en rapport avec la vérité de la justice et de l’enseignement. Toutefois les juifs racontent qu’il y avait sur le rational une pierre qui changeait de couleur selon l’avenir réservé aux Israélites, et c’est cette pierre qu’ils appellent Vérité et Enseignement ; 5° la ceinture, faite des quatre couleurs susdites ; 6° la tiare, qui consistait en une mitre de lin ; 7° une lame d’or qui pendait sur le front du grand prêtre et portait le nom du Seigneur ; 8° le caleçon de lin, pour voiler les parties honteuses au moment d’accéder au sanctuaire ou à l’autel. - Les simples prêtres ne portaient que quatre de ces ornements : la tunique de lin, le caleçon, la ceinture et la tiare.

Selon certains auteurs, ces ornements avaient pour explication littérale de reproduire l’organisation du globe terrestre, moyen pour le grand prêtre de se déclarer publiquement ministre de celui qui créa l’univers ; ils se fondent notamment sur ce passage de la Sagesse (18, 24), où il est dit que le globe terrestre était dessiné sur le vêtement d’Aaron. Effectivement le caleçon de lin représentait la terre qui produit le lin ; la ceinture enroulée représentait l’océan qui entoure la terre ; la tunique de pourpre violette désignait l’air par sa couleur, le tonnerre par ses clochettes, et les éclairs par ses grenades ; le pectoral, dans ses multiples détails, représentait le ciel astral, avec ses deux onyx correspondant aux deux hémisphères, ou bien au soleil et à la poitrine représentant les douze signes du zodiaque, placés là, dit-on, parce que les êtres terrestres ont chacun leur raison dans les cieux, comme il ressort de Job (38, 33) : “ Sais-tu l’ordre du ciel et règles-tu son influence sur la terre ? ” La tiare représentait le ciel empyrée ; la lame d’or enfin, Dieu qui trône au-dessus de tout.

L’explication figurative est évidente. D’abord les tares ou défauts corporels dont les prêtres devaient être exempts correspondent à différents vices et péchés qui doivent leur demeurer étrangers. Un prêtre par conséquent ne peut pas être aveugle, c’est-à-dire ignorant, ni boiteux, c’est-à-dire chancelant et déporté çà et là par ses penchants. Il n’aura pas le nez trop petit, ni trop grand, ni tordu ; ce qui veut dire, puisque le nez discerne les odeurs et symbolise donc la discrétion, qu’il ne manquera pas de discernement, évitant ainsi tout excès et tout défaut et n’agissant jamais qu’avec droiture. Il n’aura aucune fracture du pied ou de la main, car il doit toujours avoir la force de faire le bien et de progresser dans la vertu. Il sera également écarté s’il a une bosse, par-devant ou par-derrière, ce qui désigne un amour excessif des biens de la terre ; ou s’il a les yeux chassieux, c’est-à-dire l’esprit enténébré de passions charnelles, vu que la chassie provient d’un flux humoral ; de même s’il a une blancheur dans l’œil, en entendant par là une prétention de sainteté dont il s’éblouit à ses propres yeux ; ou encore s’il a la gale, autrement dit une chair indocile, ou une dartre, affection qui insensiblement envahit le corps et flétrit la beauté des membres et qui représente l’avarice ; de même enfin s’il souffre d’une hernie ou descente, tel celui dont le cœur porte un fardeau de turpitude, quoiqu’il ne s’y adonne pas en pratique.

Quant aux ornements, ils signifient les vertus nécessaires aux ministres de Dieu. Il en est quatre qui s’imposent à tous les ministres : la chasteté évoquée par le caleçon, la pureté de vie représentée par la tunique de lin, les rênes de la discrétion que représente la ceinture, et la rectitude de l’intention signifiée par la tiare qui protège la tête. - Mais le grand prêtre doit en posséder quatre autres : il ne doit jamais perdre de vue le souvenir de Dieu, ce que désigne sur son front la lame d’or portant le nom de Dieu ; il doit soutenir les faiblesses du peuple, c’est le sens du pectoral ; porter le peuple dans son cœur et dans ses entrailles, par une charité attentive, c’est la signification du rational ; avoir enfin un genre de vie céleste dans la pratique de la perfection, comme l’indique la tunique de pourpre violette. Si au bas de celle-ci sont suspendues des clochettes d’or, c’est pour évoquer l’enseignement des choses divines, nécessairement lié, chez le pontife, à la vie céleste. Mais ce lien doit s’entendre de telle sorte que son enseignement ne brise pas l’unité de la foi et de la paix ; ainsi s’explique l’insertion des grenades, qui marque l’unité de la foi et celle des cœurs dans la pratique du bien.

 

            Article 6 — Les observances rituelles avaient-elles quelque motif raisonnable ?

Objections :

1. Il semble que les observances rituelles n’avaient pas de motif raisonnable. En effet, comme dit S. Paul (1 Tm 4, 4) “ Toute créature est bonne et rien n’est à rejeter de ce qui est reçu avec action de grâce. ” Il ne convenait donc pas d’interdire la consommation de certains aliments pour motif d’impureté, comme on le voit dans le Lévitique.

2. Les plantes aussi bien que les animaux sont destinées à l’alimentation humaine, puisque, selon la Genèse (9, 3), Dieu dit à Noé : “ je vous ai donné à manger toute chair comme de l’herbe verte. ” Or la loi n’a distingué parmi les herbes aucune espèce impure, alors pourtant qu’il en est de fort dangereuses, comme les plantes toxiques. Il n’était pas davantage requis, semble-t-il, d’interdire certains animaux pour motif d’impureté.

3. Si la matière qui est à l’origine d’une génération est impure, le produit de cette génération ne l’est pas moins. Donc, puisque toutes les chairs ne sont pas interdites comme impures alors qu’elles sont engendrées dans le sang, le sang ne devait pas être prohibé comme impur, ni non plus la graisse qui procède du sang.

4. En S. Matthieu (10, 28), Notre Seigneur dit qu’il ne faut pas craindre ceux qui tuent le corps “ parce qu’ils n’ont plus aucun pouvoir sur l’homme une fois mort ”, ce qui ne serait pas vrai si l’homme pouvait pâtir du traitement infligé à son corps. A bien plus forte raison qu’importe, à l’animal une fois tué, la manière dont sa viande est accommodée ? On ne s’explique donc pas la prescription de l’Exode (23, 19) : “ Tu ne cuiras pas le chevreau dans le lait de sa mère. ”

5. Les premiers-nés des hommes et des animaux, considérés comme meilleurs, doivent être offerts au Seigneur. Cette prescription ne s’accorde pas avec celle du Lévitique (19, 23) : “ Quand vous serez entrés dans le pays et que vous y aurez planté des arbres fruitiers, vous taillerez leurs prépuces (c’est-à-dire leurs premiers fruits), et ils seront impurs pour vous et vous n’en mangerez pas. ”

6. Le vêtement est indépendant du corps humain. Il n’y avait donc pas lieu d’interdire aux juifs certains vêtements, et pourtant nous lisons dans le Lévitique (19, 19) : “ Tu ne porteras pas de vêtement tissé de deux fils différents ” ; dans le Deutéronome (22, 5) : “ La femme ne portera pas un habit d’homme, ni l’homme un habit de femme ”, et au même endroit (22, 11) : “ Tu ne porteras pas de vêtement tissé de laine et de lin. ”

7. Se rappeler les commandements de Dieu, c’est le fait de la pensée, non du corps. Il est donc étrange que le Deutéronome (6, 8 s) prescrive “ d’attacher les préceptes à sa main comme un signe, de les écrire sur le seuil des portes ” ; ou encore selon les Nombres (15, 38) “ de faire des houppes aux coins des manteaux et d’y insérer des fils de pourpre violette, en mémorial des commandements de Dieu ”.

8. On lit (1 Co 9, 9) : “ Dieu ne s’inquiète pas des bœufs. ” Pas davantage, évidemment, des autres animaux sans raison. Dès lors on s’étonne des prescriptions suivantes du Deutéronome (22, 6) : “ Si sur ton chemin tu trouves un nid d’oiseau, tu ne prendras pas la mère avec les petits ” ; du Deutéronome encore (25, 4) : “ Tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le grain ”, et du Lévitique (19, 19). “ Tu n’accoupleras pas ton bétail avec des bêtes d’autres espèces. ”

9. Puisqu’on ne distinguait pas entre plantes pures et impures, encore moins fallait-il distinguer des catégories à propos de culture. On ne peut donc comprendre le Lévitique (19, 19) qui prescrit : “ Tu ne mêleras pas deux semences différentes dans ton champ ”, ni le Deutéronome (22, 9 s) qui ajoute : “ Tu ne feras pas un second semis dans ta vigne ”, et : “ Tu n’attelleras pas le bœuf et l’âne à la même charrue. ”

10. Il saute aux yeux que les êtres inanimés sont assujettis au pouvoir de l’homme. Il n’y avait donc pas lieu de mettre l’homme en garde contre l’or et l’argent dont sont faites les idoles, ou contre les autres objets qui se trouvent dans leurs temples, selon le Deutéronome (7, 25-26). - Ce livre (23, 13) prête même à rire avec son précepte de creuser le sol pour recouvrir les déjections.

11. La piété est particulièrement requise chez le prêtre. Or c’est faire acte de piété que de participer aux funérailles de ses amis, une pratique dont l’Ecriture félicite Tobie (1, 20). C’est aussi parfois une œuvre pie que d’épouser une prostituée, pour la délivrer du péché et de l’infamie.

C’est donc à tort que tout cela était interdit aux prêtres par le Lévitique (21).

En sens contraire, il est écrit au Deutéronome (18, 14) : “ Pour toi, Dieu t’a donné d’autres règles de conduite. ” Ce qui donne à penser que toutes ces observances ont été ordonnées par Dieu pour faire ressortir la condition privilégiée de son peuple. Elles ne sont donc ni sans raison ni sans motif.

Réponse :

Le peuple juif, on l’a dit, était voué par une désignation spéciale au culte de Dieu, et parmi les juifs, les prêtres l’étaient à un titre particulier. Que les différents objets affectés au culte divin doivent revêtir un caractère distinctif, cela intéresse l’honneur dû à ce culte. De même fallait-il que la manière de vivre de ce peuple, et notamment des prêtres, fût signalée par certains traits spéciaux, en rapport avec le culte divin, spirituel ou corporel. D’autre part, le culte légal préfigurait le mystère du Christ, et tout ce qui s’y accomplissait figurait quelque trait relatif au Christ, selon l’expression de S. Paul (1 Co 1 0, 11) : “ Tout ce qui leur arrivait avait valeur de figure. ” L’explication de ces observances peut donc être cherchée dans deux directions selon qu’elles sont heureusement adaptées au culte divin, ou bien selon qu’elles figurent certaines modalités de la vie chrétienne.

Solutions :

1. On a dit que la loi connaissait deux sortes d’impureté ou de souillure : l’une souille l’âme, c’est celle qui consiste en une faute ; l’autre consiste en une sorte de corruption dont le corps est plus ou moins infecté. Si l’on S’en tient à la première sorte d’impureté, il n’est pas d’aliment qui, par sa nature propre, soit impur ou puisse souiller l’homme. Notre Seigneur l’a dit (Mt 15, 11) : “ Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme. ” Cela doit s’entendre des péchés. Toutefois, une circonstance particulière donne parfois aux aliments le pouvoir de souiller l’âme, dans la mesure par exemple où leur consommation va contre l’obéissance ou contre un vœu, ou procède d’une convoitise déréglée ; dans la mesure encore où certains aliments favorisent la luxure, raison pour laquelle certains s’abstiennent de vin ou de viande.

Mais si l’on parle de l’impureté physique qui consiste en une sorte de corruption, alors certaines viandes animales y sont sujettes. C’est par exemple la viande des animaux qui se nourrissent d’immondices, comme le porc, ou vivent dans la saleté, tels ceux qui habitent sous terre, comme la taupe, le rat et ceux qui leur ressemblent, d’où vient au surplus que ces bêtes sentent mauvais. C’est aussi le cas de ces viandes qui, par excès d’humidité ou de sécheresse, engendrent dans le corps humain une corruption des humeurs. Cela explique l’interdiction de manger les animaux ayant des sabots, c’est-à-dire la corne du pied pleine et non fendue, signe de leur affinité avec la terre. De même sont prohibés les animaux ayant le pied fort divisé, comme le lion entre autres, parce qu’ils présentent un excès de fiel et sont de nature ignée. La même raison écarte certains oiseaux rapaces en qui domine le sec, et certains oiseaux aquatiques en qui domine l’humide. De même certains poissons, entre autres les anguilles dépourvues de nageoires et d’écailles, présentent un excès d’humidité. Sont admis dans l’alimentation les animaux ruminants et à la corne du pied fendue, parce qu’ils sont d’humeurs bien réparties et de complexion équilibrée, n’étant pas trop humides comme leur corne en témoigne, ni trop secs puisque cette corne n’est pas compacte, mais fendue. Parmi les poissons, la loi autorisait ceux qui ont des nageoires et des écailles, signe d’une relative sécheresse, puisque c’est par là qu’est tempérée la complexion humide des poissons. En fait d’oiseaux, elle autorisait la poule, la perdrix et d’autres de complexion tempérée. - Certaines prohibitions s’expliquent encore en témoignage de renonciation à l’idolâtrie. Les païens en effet surtout dans cette Égypte où Israël avait grandi, immolaient à leurs idoles ou utilisaient à des fins magiques ces oiseaux interdits par la loi ; et ceux dont la consommation était permise aux juifs, les païens ne les mangeaient pas, soit qu’ils les adorassent comme des dieux, soit pour quelque autre raison déjà signalée. - Enfin, troisième explication, il s’agissait d’éviter en matière alimentaire une recherche excessive ; aussi les animaux permis sont-ils ceux que l’on se procure aisément et qu’on a sous la main.

Cependant, sans exception ni distinction d’espèces, la consommation du sang et de la graisse était interdite aux Israélites. En ce qui concerne le sang, la loi a d’abord voulu les prémunir contre la cruauté, pour les détourner de verser le sang humain, comme on l’a dit ; mais aussi les prémunir contre l’usage des idolâtres qui, à l’occasion des banquets célébrés en l’honneur de leurs idoles, se réunissaient autour de ce sang qu’ils avaient recueilli et qu’ils croyaient très agréable à leurs divinités ; aussi le Seigneur exigea-t-il que le sang fût répandu et recouvert de terre. - Ainsi s’explique aussi la défense de manger les animaux étouffés ou étranglés, parce que leur sang reste dans la viande. C’est aussi un genre de mort qui maltraite particulièrement les animaux, et Dieu n’a pas toléré la cruauté chez son peuple, même à l’égard des animaux, mais il a voulu lui faire prendre l’habitude de la douceur envers les bêtes pour le mieux garder d’être cruel envers l’homme.

Pour la consommation de la graisse, elle était interdite d’abord parce que les idolâtres la mangeaient en l’honneur de leurs dieux, et ensuite parce qu’on la brûlait dans les sacrifices à l’honneur de Dieu. Une dernière raison avancée par Maïmonide est que la graisse, non plus que le sang, ne fournit une nourriture saine. - Enfin le texte de la Genèse (32, 32) : “ Les fils d’Israël ne mangent pas le nerf, parce que l’ange a touché le nerf de la hanche de Jacob et l’a frappé d’engourdissement ” explique pourquoi la consommation des nerfs est interdite.

La raison figurative est que ces animaux interdits représentent certains péchés et que la prohibition des animaux figure celle des péchés. S. Augustin l’explique ainsi : “ S’il est question du porc et de l’agneau, tous deux sont naturellement purs, car toute créature de Dieu est bonne ; mais comme signes l’agneau est pur, le porc impur. De même, si l’on prononce les mots de fou et de sage, l’un et l’autre, quant à la nature du mot et des lettres et syllabes qui le constituent, sont purs, mais selon leur signification l’un est pur, l’autre impur. ” Le ruminant au pied fendu est pur dans sa signification, car la fente de la corne signifie la distinction des deux testaments, ou des deux personnes du Père et du Fils, ou des deux natures dans le Christ, ou encore le discernement du bien et du mal ; et la rumination signifie la méditation et la saine intelligence des Écritures. Que manque l’un de ces caractères, on est impur, spirituellement parlant. - Parmi les poissons, sont purs dans leur signification ceux qui ont des écailles et des nageoires ; en effet, les nageoires désignent l’élévation de la vie, c’est-à-dire la contemplation, tandis que les écailles désignent l’austérité de la vie : les deux sont nécessaires à la perfection spirituelle. - Certaines classes spéciales d’oiseaux sont interdites : l’aigle vole très haut, c’est l’orgueil qui est interdit ; avec le grillon, qui s’attaque aux chevaux et aux hommes, c’est la cruauté des puissants ; avec l’émerillon qui se repaît de petits oiseaux, ce sont ceux qui écrasent les pauvres. Le milan, spécialement rusé, représente les fourbes ; le vautour qui dans le siuage des armées compte sur les cadavres pour se nourrir, signifie ceux qui exploitent à leur profit les décès et les troubles. Les oiseaux du genre des corbeaux désignent ceux que les plaisirs ont remplis de noirceur, si l’on veut ceux qui n’ont pas de bons sentiments, puisque le corbeau, une fois sorti de l’arche, n’y revint plus. L’autruche est un oiseau mais qui ne peut voler et ne quitte pas le sol : elle est le type des serviteurs de Dieu qui s’embarrassent des affaires du siècle. La chouette dont l’œil perce les ténèbres mais qui est aveugle en plein jour ressemble à ces gens qui sont pleins de finesse dans le temporel mais sont obtus dans les choses spirituelles. La mouette qui nage et qui vole représente ceux qui respectent à la fois le baptême et la circoncision, ou bien ceux qui prétendent s’élever sur les ailes de la contemplation tout en demeurant plongés dans les plaisirs. L’épervier qui fournit ses services au chasseur ressemble à ceux qui aident les grands à dépouiller les pauvres. Le hibou cherche sa nourriture la nuit et se cache le jour, comme les débauchés qui cherchent l’obscurité pour perpétrer leurs œuvres de ténèbres. Le plongeon qui est apte à demeurer longtemps sous l’eau représente les gourmands plongés dans un flot de délices. L’ibis est un oiseau d’Afrique, au long bec, qui se nourrit de serpents (c’est peut-être le même que la cigogne) : il signifie les envieux qui s’engraissent des serpents, c’est-à-dire des malheurs d’autrui. Le cygne, à la robe toute blanche, a un long cou qui lui permet de tirer sa nourriture des profondeurs de la terre ou de l’eau ; il peut représenter ces gens qui sous les dehors éclatants de la justice n’aspirent qu’aux avantages temporels. Le pélican est un oiseau des régions orientales, qui a un long bec et certains sacs dans le gosier où il dépose d’abord sa nourriture qu’il avale après un moment : c’est l’image des avares qui se préoccupent trop de mettre de côté ce qui leur est nécessaire. La sarcelle, à la différence des autres oisaux, a une patte palmée en vue de la nage et une patte divisée en vue de la marche, ce qui fait qu’elle nage à la manière des canards et marche sur terre comme une perdrix ; elle ne boit qu’en mangeant, car elle humecte toute nourriture : c’est le type de ceux qui ne veulent rien faire au gré d’autrui, mais n’assaisonnent leurs actes qu’à l’eau de leur volonté propre. La chevêche, vulgairement appelée faucon, représente ceux “ dont les pieds sont rapides pour aller verser le sang ”, selon le Psaume (14). Le pluvier, bête babillarde, signifie les bavards. La huppé fait son nid dans les ordures et se nourrit d’excréments pestilentiels, mais son chant qui ressemble à un gémissement signifie ce que S. Paul (2 Co 7, 10) appelle “ la tristesse mondaine ” qui produit la mort chez les hommes impurs. La chauve-souris vole au ras du sol ; tels ceux qui, dotés de la science du siècle, n’ont de goût que pour les choses terrestres.

En ce qui concerne les animaux ailés munis de quatre pattes, seuls sont autorisés ceux qui ont les pattes de derrières plus longues et qui peuvent sauter ; les autres, davantage retenus au sol, étaient interdits : on tient en effet pour impurs ceux qui ne profitent pas de la doctrine des quatre évangélistes pour s’élever vers le ciel. La prohibition du sang, de la graisse et des nerfs revient à condamner la cruauté, la volupté et l’ardeur au péché.

2. L’usage alimentaire des plantes et autres productions de la terre est antérieur au déluge dans l’humanité ; mais l’usage de manger de la viande semble avoir été introduit après le déluge, car il est écrit dans la Genèse (9, 3) : “ je vous donnerai toute chair, dit Dieu à Noé, comme je vous avais donné l’herbe verte. ” C’est que la consommation des produits du sol dénote une certaine simplicité de vie, tandis que l’alimentation carnée marque un certain raffinement en quelque recherche ; alors que la terre produit spontanément les végétaux ou du moins qu’on peut les lui faire produire en abondance sans grand effort, il faut beaucoup de travail pour l’élevage des animaux ou simplement pour leur capture. Aussi le Seigneur, voulant ramener son peuple à un mode de vie plus simple, multiplia les prohibitions dans le domaine animal, mais n’en fit aucune en ce qui concerne les végétaux. - On peut ajouter que l’on offrait des animaux aux idoles et non point des produits de la terre.

3. La réponse a été donnée plus haut (première solution).

4. Il est vrai que le chevreau une fois mort ignore la manière dont on l’accommode. Mais, dans la psychologie de celui qui l’apprête, il semble cruel d’utiliser, pour réduire cette viande, le lait maternel qui était destiné à la nourrir. - Ou bien disons que, dans les solennités idolâtriques, les païens préparaient de cette façon la chair des chevreaux, pour l’immoler ou pour la consommer. Effectivement, c’est après avoir parlé des solennités légales à célébrer que le livre de l’Exode (23, 19) ajoute : “ Tu ne feras pas cuire un chevreau dans le lait de sa mère. ”

Au figuré, cette interdiction s’explique en ce sens que le chevreau, c’est-à-dire le Christ “ semblable à une chair de péché ”, ne devait pas être cuit, c’est-à-dire tué par les juifs, dans le lait de sa mère, autrement dit au temps de son enfance. - Ou bien cela veut dire que le chevreau - entendez le pécheur - ne doit pas être cuit dans le lait de sa mère, c’est-à-dire adouci par des cajoleries.

5. Les païens offraient à leurs dieux les premiers fruits qu’ils croyaient favorisés du sort, ou bien il les brûlaient en vue d’opérations magiques. Il fut donc prescrit à Israël de regarder comme impurs les fruits des trois premières années. Ce laps de temps suffit, dans ce pays, à la fructification de presque toutes les espèces, qu’on les cultive par semis, par greffe ou par plants ; il est exceptionnel qu’on sème des noyaux ou des pépins sous leur enveloppe, car leur fructification en serait retardée ; mais la loi ne prend en considération que ce qui se fait d’ordinaire. La quatrième année, les fruits sont offerts à Dieu, comme prémices des fruits purs, et à partir de la cinquième année on les mange.

L’explication figurative de ce dispositif était de signifier qu’après les trois états de la loi ancienne, d’Abraham à David, de David à l’exil, de Babylone et de l’exil à l’avènement du Christ, le Christ, fruit de la loi, serait offert à Dieu ; ou bien que nous devons suspecter d’imperfection les débuts de notre vie active.

6. Selon l’Ecclésiastique (19, 27), “ l’habit nous renseigne sur celui qui le porte ”. Le Seigneur a donc voulu que son peuple se distinguât des autres non seulement par la marque charnelle de la circoncision, mais encore par un caractère distinctif dans le vêtement. Il fut donc interdit de porter des vêtements en tissu mélangé de laine et de lin, et de revêtir l’habit de l’autre sexe. On écartait ainsi d’abord un rite d’idolâtrie, car les païens portaient dans leurs cérémonies des vêtements bariolés de tissus différents ; dans le culte de Mars, les femmes revêtaient l’équipement des guerriers et, en revanche, dans le culte de Venus les hommes s’habillaient en femmes. - Par là on combattait aussi la luxure ; en même temps que le caprice des combinaisons vestimentaires, on excluait tout dérèglement dans les rapports charnels. On sait d’ailleurs que le travesti attise le désir et donne lieu à la licence.

Au sens figuratif, avec le vêtement tissé de lin et de laine, il est interdit de marier la simplicité de l’innocence que représente la laine, avec les roueries de la malice signifiées par le lin. - D’autre part la femme ne doit pas s’arroger l’enseignement ou d’autres fonctions qui reviennent à l’homme, ni l’homme ne doit se laisser aller à des mœurs efféminées.

7. Dans son commentaire sur S. Matthieu, S. Jérôme explique : “ Le Seigneur a ordonné de poser des houppes violettes aux quatre coins des manteaux pour que le peuple d’Israël se reconnaisse entre tous les autres. ” C’était donc une façon de s’affirmer comme juif, et rien qu’à voir ce signe on se rappelait qu’on était soumis à la loi.

Quant à la clause : “ Tu les attacheras dans ta main et ils seront toujours devant tes yeux ”, S. Jérôme continue : “ Les pharisiens, par une interprétation matérielle, écrivaient le décalogue de Moïse sur des parchemins qu’ils se fixaient au front, à la manière d’une couronne, pour les porter devant les yeux. ” Mais l’intention du Seigneur dans ce commandement était que les préceptes fussent attachés à la main, c’est-à-dire à toute activité, et présents devant les yeux, c’est-à-dire dans la pensée. Les cordons violets attachés aux manteaux signifient aussi l’intention du ciel qui doit se mêler à toutes nos œuvres. - On peut d’ailleurs admettre que ce peuple étant charnel et ayant la tête dure, ces moyens sensibles étaient indispensables pour l’inciter à observer la loi.

8. Il y a dans l’homme une double affectivité, l’une selon la raison, l’autre selon la passion sensible. Selon l’affectivité réglée par la raison, rien n’empêche l’homme d’agir à sa guise avec les animaux, ceux-ci ayant été assujettis par Dieu au pouvoir de l’homme, comme le rapporte le Psaume (8) : “ Tu as tout placé sous ses pieds. ” Et c’est de ce point de vue que S. Paul assure que Dieu ne s’inquiète pas des bœufs, en ce sens que l’homme fait ce qui lui plaît avec les bœufs et les autres animaux sans que Dieu lui en demande compte.

Mais, du point de vue de la passion sensible, l’homme se laisse émouvoir envers les autres animaux. En effet, la passion sensible de miséricorde naît de la souffrance d’autrui et, comme il arrive aux animaux de souffrir, l’homme peut éprouver ce sentiment même à l’occasion des coups qui affligent les animaux. Or il est vraisemblable que, si l’on éprouve un tel sentiment de pitié à l’égard des animaux, on s’en trouve favorablement disposé à le ressentir envers les hommes, suivant les Proverbes (12, 10) : “ Le juste n’est pas insensible à la vie de son bétail, mais les entrailles de l’impie sont cruelles. ” Ainsi donc, pour rappeler à la miséricorde ce peuple juif enclin à la cruauté, le Seigneur voulut l’habituer à la miséricorde même envers les animaux et lui interdit de se livrer envers eux à des pratiques plus ou moins empreintes de cruauté. C’est le sens des prescriptions qui interdisent de cuire le chevreau dans le lait de sa mère, ou de museler le bœuf qui foule le grain, ou de tuer la mère avec les petits. - Cependant, on peut relever encore dans ces prohibitions une protestation contre l’idolâtrie, s’il est vrai que les Égyptiens considéraient comme néfaste que les bœufs mangeassent du grain qu’ils foulaient ; ou bien que les sorciers employaient l’oiseau en train de couver et les petits pris avec leur mère, pour obtenir la fécondité et la faveur du sort pour l’éducation des enfants ; ou enfin, que l’on considérait comme de bon augure de rencontrer une mère couvant ses petits.

Touchant l’accouplement d’animaux d’espèce différente, on peut en expliquer l’interdiction par trois raisons littérales : d’abord en protestation contre l’idolâtrie des Égyptiens qui provoquaient des accouplements disparates en hommage aux planètes dont les diverses conjonctions produisent des effets différents et sur les réalités d’espèces diverses. - C’était aussi pour détourner des vices contre nature. - Enfin, on voulait ainsi éloigner toute occasion de convoitise : les animaux d’espèce différente ne s’accouplent pas spontanément, si l’homme n’y pourvoit ; or, pour l’homme, ce spectacle est de nature à exciter la concupiscence. Aussi les traditions des Juifs prescrivent-elles, selon Maïmonide, d’en détourner les yeux.

Selon l’explication figurative, au bœuf qui foule le grain, c’est-à-dire au prédicateur qui expose les gerbes de la doctrine, il ne faut pas refuser le nécessaire (1 Co 9, 4). - Nous ne devons pas non plus retenir la mère avec les Petits, car parfois il faut retenir les sens spirituels, qui sont les petits, et abandonner l’observance littérale, c’est-à-dire la mère, par exemple en tout ce qui regarde les cérémonies de la loi. - Enfin il nous est interdit de pousser le bétail, c’est-à-dire les gens du peuple, à s’accoupler, c’est-à-dire à frayer, avec des animaux d’espèce différente, autrement dit avec les païens ou les Juifs.

9. L’explication littérale des règles qui interdisent tous ces mélanges en agriculture, c’est l’horreur de l’idolâtrie. En effet, les Égyptiens, pour vénérer les étoiles, représentaient leurs conjonctions diverses en procédant à diverses combinaisons entre les semences, les animaux et les vêtements. - Ou encore ces prohibitions tendaient à bannir les rapports contre nature.

Mais elles offrent une signification figurative. Quand on nous dit : “ Tu ne sèmeras pas une autre semence dans ta vigne ”, il faut comprendre spirituellement que nulle doctrine étrangère ne doit être semée dans l’Église, vigne des âmes. - Pareillement, le champ qu’est l’Église ne doit pas être ensemencé de graines différentes, c’est-à-dire de la doctrine catholique et de la doctrine hérétique. - Il ne faut pas non plus atteler un bœuf et un âne à la même charrue, c’est-à-dire qu’il ne faut pas que le sot accompagne le sage en prédication car l’un fait tort à l’autre.

10.

11. Dans leurs pratiques, les sorciers et les prêtres des idoles employaient des ossements ou de la chair de cadavres. Pour extirper ces pratiques idolâtriques, le Seigneur prescrivit aux prêtres inférieurs, qui avaient leur tour de service dans le sanctuaire, “ de ne pas se souiller au contact des morts ”, sauf s’il s’agissait de parents très proches, père, mère, ou de personnes aussi voisines. Mais le grand prêtre, lui, qui devait toujours être prêt à desservir le sanctuaire, ne pouvait absolument pas avoir de contact avec des morts, si proches qu’ils fussent. - Il était interdit aussi aux prêtres d’épouser une prostituée ou une femme répudiée, ou toute autre qu’une vierge ; cela pour l’honneur des prêtres dont la dignité aurait paru abaissée par ce genre d’unions, et aussi pour leurs enfants qui eussent été éclaboussés par le déshonneur de leur mère, inconvénient qu’il convenait d’éviter avec d’autant plus de soin que les fonctions sacerdotales se transmettaient alors par voie d’hérédité. - L’interdiction pour les prêtres de se raser les cheveux ou la barbe, ou de pratiquer des incisions dans leur chair, tendait à exclure un rite idolâtrique. On lit en effet dans Baruch (6, 30) que les prêtres païens se rasaient la tête et la barbe : “ Leurs prêtres sont assis, la tunique déchirée, la tête et la barbe rasées. ” Et qu’ils s’entaillaient en vue du culte des idoles avec des épées et des lances, cela ressort du premier livre des Rois (18, 28). D’où les préceptes contraires imposés aux prêtres de la loi ancienne.

Au sens spirituel, les prêtres doivent être absolument indemnes des œuvres mortes, qui sont les actes peccamineux. Ils ne doivent ni se raser la tête, c’est-à-dire dépouiller la sagesse, ni renoncer à la barbe, c’est-à-dire à la perfection de la sagesse, ni déchirer leurs vêtements, ni taillader leur chair, c’est-à-dire encourir le péché de schisme.

 

QUESTION 103 — LA DURÉE DES PRÉCEPTES CÉRÉMONIELS

1. Y eut-il des préceptes cérémoniels avant la loi ? - 2. Sous la loi, avaient-ils la vertu de justifier ? - 3. Ont-ils cessé à l’avènement du Christ ? - 4. Est-ce un péché de les observer après le Christ ?

 

            Article 1 — Y eut-il des préceptes cérémoniels avant la loi ?

Objections :

1. Les sacrifices et les holocaustes que nous avons classés parmi les cérémonies de la loi ancienne existèrent avant celle-ci. On lit en effet dans la Genèse (4,3) que Caïn “ offrait des fruits de la terre en offrande au Seigneur, tandis qu’Abel offrait des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse ”. Plus loin (8,20), on lit que Noé “ offrait des holocaustes au Seigneur ”, de même qu’Abraham (22,13). Donc il y avait des cérémonies de la loi ancienne avant la loi.

2. On peut en dire autant de la construction et de la consécration des autels, cérémonies appartenant à la catégorie des réalités sacrées, et qui précédèrent la loi. D’après la Genèse (13,18), “ Abraham éleva un autel au Seigneur ”, et de Jacob il est écrit (28,18) “ qu’il prit une pierre, la dressa en stèle et y versa de l’huile ”.

3. Parmi les sacrements de la loi, la première place revient, semble-t-il, à la circoncision. Or la circoncision existait avant la loi, comme on le voit dans la Genèse (17,10). Le sacerdoce aussi précéda la loi puisque, dit encore la Genèse (14,18) : “ Melchisédech était prêtre du Dieu Très-Haut. ” Les rites sacramentels existaient donc avant la loi.

4. La distinction des animaux purs et impurs, que nous avons comptée au nombre des observances cérémonielles, est antérieure à la loi, puisque, dans la Genèse (7,2), Dieu dit à Noé : “ De tous les animaux purs, tu prendras sept couples ; mais des animaux impurs, deux seulement. ” Il y eut donc, avant la loi, des cérémonies légales.

En sens contraire, dans le Deutéronome (6,1), Moïse déclare : “ Voici les préceptes et les cérémonies que le Seigneur votre Dieu m’a chargé de vous enseigner. ” Si ces cérémonies avaient existé auparavant, il eût été inutile de les enseigner. C’est donc que les cérémonies de la loi ne sont pas antérieures à la loi.

Réponse :

On sait que les cérémonies de la loi étaient destinées, d’une part, à honorer Dieu et, d’autre part, à figurer le Christ. Quiconque veut honorer Dieu doit nécessairement passer par certaines pratiques cultuelles déterminées constituant le culte extérieur. Or la détermination du culte divin regarde les cérémonies, comme la détermination de nos rapports avec le prochain regarde les préceptes judiciaires, nous l’avons dit. De même donc que dans la société certaines dispositions judiciaires étaient en vigueur, sans que l’autorité de la loi divine les eût instaurées mais parce que la raison humaine les avait réglées, de même aussi existait-il certaines cérémonies que nulle autorité légale n’avait édictées, mais qui dépendaient uniquement de la volonté et de la dévotion de ceux qui rendaient un culte à Dieu. Mais, parce qu’il est vrai que bien avant la loi il y eut des personnages privilégiés, remplis d’un esprit prophétique, on doit penser qu’à l’instigation de Dieu et par une sorte de loi privée ils furent amenés à une certaine manière d’adorer Dieu adaptée à leur culte intérieur et en même temps propre à figurer les mystères du Christ. Ces mystères étaient figurés déjà par toutes leurs autres pratiques puisque, dit S. Paul (1 Co 10,11), “ tout ce qui leur arrivait avait valeur de figure ”. Bref, il y eut des cérémonies avant la loi, mais, n’ayant pas été établies par une législation, ce n’étaient pas des cérémonies de la loi.

Solutions :

1. Ces oblations, sacrifices et holocaustes offerts par les Pères antérieurs à la loi procédaient d’un mouvement de dévotion de leur volonté personnelle, par les voies qui leur semblaient convenables, de sorte qu’en offrant à l’honneur de Dieu les choses qu’ils avaient reçues de lui, ils entendaient s’affirmer comme les adorateurs de Dieu, principe et fin de toutes choses.

2. S’ils ont admis également des réalités sacrées, c’est parce qu’il leur semblait convenable de mettre à part des autres, en vue de l’honneur de Dieu, certains lieux réservés au culte divin.

3. C’est sur l’ordre de Dieu que, dès avant la loi, fut institué le sacrement de la circoncision. Aussi ne peut-on l’appeler un sacrement de la loi en tant qu’institué par la loi mais seulement en tant qu’observé sous la loi. Telle est, dans S. Jean (7,22), l’affirmation du Seigneur : “ La circoncision ne vient pas de Moïse, mais des Patriarches. ” - Quant au sacerdoce, il existait antérieurement à la loi chez ceux qui adoraient Dieu, en vertu d’une détermination humaine qui réservait cette dignité aux fils aînés.

4. La distinction entre animaux purs et impurs, avant la loi, ne concernait pas l’usage alimentaire ; on lit bien dans la Genèse (9, 3) : “ Tout ce qui se meut et qui vit sera votre nourriture ” ; elle n’intéressait que l’offrande des sacrifices, où n’étaient admises que certaines espèces d’animaux. En tout cas, s’il y avait quelque distinction du point de vue alimentaire, ce n’est pas que la consommation de certains animaux fût alors considérée comme illicite, nulle loi ne s’y opposant ; c’était l’effet d’une répulsion ou d’une coutume, exactement comme de nos jours encore on mange ici des aliments qui ailleurs sont tenus pour répugnants.

 

            Article 2 — Sous la loi, les préceptes cérémoniels avaient-ils la vertu de justifier ?

Objections :

1. L’expiation du péché et la consécration d’un homme concernent la justification. Or on voit dans l’Exode (29,21) que les prêtres étaient consacrés, ainsi que leurs vêtements, par aspersion de sang et par onction d’huile ; et dans le Lévitique (16,16) que, par l’aspersion du sang d’un jeune taureau, le prêtre “ purifiait le sanctuaire des souillures des fils d’Israël, de leurs prévarications et de leurs péchés ”. Mais purifier du péché, consacrer un homme, cela nous ramène à la justification. Les cérémonies de la loi ancienne avaient donc la vertu de justifier.

2. Rendre l’homme agréable à Dieu, n’est-ce pas l’effet de la justice ? “ Le Seigneur est juste, dit le Psaume (11), et il aime ce qui est juste. ” Or, par les cérémonies, certains plurent à Dieu, selon le Lévitique (10,19) : “ Comment aurais-je pu plaire au Seigneur par les cérémonies, dans le deuil où je suis ? ” C’est la preuve que les cérémonies avaient de quoi justifier.

3. Les réalités du culte divin intéressent l’âme plus que le corps ; “ la loi du Seigneur est sans tache, dit le Psaume (19) ”, elle convertit les âmes. Donc, si les cérémonies de la loi ancienne guérissaient de la lèpre, comme on le voit dans le Lévitique, à plus forte raison devaient-elles purifier l’âme en la justifiant.

En sens contraire, selon S. Paul (Ga 2, 21 et 3, 21), “ si une loi avait été donnée qui pût justifier, le Christ serait mort pour rien ”. Mais cela est inadmissible. Donc les cérémonies de la loi ancienne ne justifiaient pas.

Réponse :

La loi ancienne, avons-nous dite connaissait deux sortes d’impureté : l’impureté spirituelle qui est celle de la faute, et une autre impureté, affectant le corps et rendant impropre au culte divin. En ce second sens était réputé impur le lépreux ou celui qui touchait un cadavre ; cette sorte d’impureté se ramenait donc à une irrégularité ; les cérémonies de la loi ancienne étaient capables d’en purifier, à la façon de remèdes administrés sur l’ordre de la loi pour lever ces sortes d’impureté introduites par la volonté de la loi. Ce qui fait dire à l’épître aux Hébreux (9,13) : “ Le sang des boucs et des taureaux, l’aspersion de la cendre de vache, sanctifie les hommes souillés à l’effet de purifier la chair. ” Et comme cette impureté dont on était lavé par de telles cérémonies intéressait la chair plutôt que l’âme, ces cérémonies, au dire même de l’auteur, “ étaient des justices charnelles, prescrites en attendant l’époque du relèvement ”.

Mais elles n’avaient pas d’efficacité pour laver l’impureté de l’âme qui est le péché, parce que la purification du péché n’a jamais pu se faire que par le Christ, “ qui enlève les péchés du monde ”, comme dit S. Jean (1,29). Et parce que le mystère de l’incarnation et de la passion du Christ n’était pas encore effectivement réalisé, les cérémonies de la loi ancienne ne pouvaient pas posséder réellement en elles-mêmes la vertu qui découle du Christ incarné et crucifié, comme la contiennent les sacrements de la loi nouvelle. Aussi ne pouvaient-elles pas purifier du péché. L’épître aux Hébreux dit expressément (10,4) : “ Il est impossible avec le sang des taureaux ou des boucs d’enlever les péchés. ” L’épître aux Galates (4,9) les appelle “ des éléments indigents et infirmes ” : infirmes certes, car ils ne peuvent purifier du péché, mais leur infirmité vient de ce qu’ils sont indigents, c’est-à-dire de ce qu’ils ne possèdent pas la grâce en eux.

Toutefois, dès le temps de la loi, les âmes croyantes pouvaient par la foi s’unir au Christ incarné et crucifié, et ainsi elles étaient justifiées en vertu de la foi au Christ qu’elles professaient de quelque manière en observant les cérémonies qui figuraient le Christ. Donc, si sous la loi ancienne on offrait certains sacrifices pour les péchés, ce n’est pas que ces sacrifices fussent capables de purifier du péché, mais ils constituaient une profession de la foi qui en purifiait. Le texte même de la loi le donne à entendre ; il est dit aux chapitres 4 et 5 du Lévitique, à propos de l’offrande des victimes pour le péché, “ que le prêtre priera pour l’offrant, et son péché sera pardonné ”, en sorte que le péché n’est pas remis en vertu du sacrifice, mais par la foi et la dévotion de ceux qui l’offrent. - N’oublions pas, d’ailleurs, que sous la loi ancienne, si des cérémonies purifiaient des impuretés corporelles, cela même figurait la purification du péché accomplie par le Christ.

Ainsi on voit clairement que les cérémonies, sous le régime de la loi ancienne, étaient impuissantes à justifier.

Solutions :

1. Cette sanctification des prêtres et de leurs fils, de leurs vêtements et de toute chose, au moyen d’une aspersion de sang, ne faisait que députer au culte de Dieu et que lever les empêchements “ en vue de la pureté de la chair ”, pour reprendre une expression de l’épître aux Hébreux (9,13) ; ce qui préfigurait cette autre sanctification “ dont Jésus par son sang a sanctifié le peuple ”, dit la même épître (13,12). - Les expiations, elles aussi, doivent s’entendre d’une suppression du péché. C’est si vrai qu’on parle de l’expiation du sanctuaire, alors que celui-ci ne pouvait être coupable de péché.

2. Les prêtres étaient agréables à Dieu dans leurs cérémonies à cause de leur obéissance, de leur dévotion, de leur foi en la réalité préfigurée, mais non à cause des cérémonies prises en elles-mêmes.

3. Les cérémonies prescrites pour la purification du lépreux n’avaient nullement pour objet d’enlever l’impureté constituée par la maladie de la lèpre ; de fait, ces cérémonies n’avaient lieu qu’à l’égard de celui qui était déjà guéri, selon le Lévitique (14,3) : “ Le prêtre sortira du camp et, s’il constate que la lèpre est guérie, il ordonnera à celui qui est purifié d’offrir, etc. ” Il est évident que le prêtre était chargé d’apprécier si la lèpre était guérie mais non chargé de la guérir. Les cérémonies intervenaient pour lever la tare de l’irrégularité. - On rapporte cependant qu’en certains cas, si le jugement du prêtre était erroné, le lépreux était miraculeusement guéri par Dieu, mais en vertu de la puissance divine et non par l’efficacité des sacrifices. De même, c’est par miracle que le flanc de la femme adultère se flétrissait quand elle avait bu les eaux préalablement chargées d’imprécation par le prêtre, comme on le voit au chapitre 5 des Nombres.

 

            Article 3 — Les préceptes cérémonials ont-ils cessé à l’avènement du Christ ?

Objections :

1. On lit dans Baruch (4, 1) : “ Voici le livre des commandements de Dieu, la loi qui subsiste à jamais. ” Les lois cérémonielles faisaient partie de la loi. Donc elles devaient durer à jamais.

2. En S. Matthieu (8,4) il est prescrit au lépreux guéri de s’acquitter des offrandes prévues par la loi cérémonielle. Les cérémonies de la loi ancienne ne cessèrent donc pas à la venue du Christ.

3. Tant que demeure la cause, l’effet demeure. Or, indépendamment de la préfiguration du Christ, les cérémonies de la loi ancienne avaient des causes raisonnables, en tant qu’elles étaient ordonnées au culte divin, sans compter qu’elles étaient en outre ordonnées à préfigurer le Christ. Donc elles n’avaient pas à cesser.

4. La circoncision avait été instituée pour signifier la foi d’Abraham ; l’observance du sabbat pour rappeler le bienfait de la création ; et les autres solennités légales, nous le savons rappelaient d’autres bienfaits divins. Or la foi d’Abraham reste toujours un modèle à suivre, même pour nous, et il faut toujours se rappeler le bienfait de la création et les autres bienfaits divins. Donc, au moins la circoncision et les fêtes de la loi ne devaient pas être abolies.

En sens contraire, l’Apôtre dit (Col 2,16) “ Que nul ne vous juge en matière d’aliments ou de boissons, de fêtes, de néoménies ou de sabbats : ce ne sont là que des figures de l’avenir ” ; et aux Hébreux (8,13) : “ En parlant d’une alliance nouvelle, Dieu déclare que la précédente est vieillie ; or ce qui est ancien et vieilli doit bientôt disparaître. ”

Réponse :

On a dit plus haut que tous les préceptes cérémoniels de la loi ancienne se rapportaient au culte de Dieu. Mais le culte extérieur doit s’adapter au culte intérieur, fait de foi, d’espérance et de charité ; par suite, si le culte intérieur change, le culte extérieur doit suivre ce changement. Or on peut distinguer trois états du culte intérieur : 1° Dans l’un, la foi et l’espérance portent conjointement sur les biens du ciel et sur ce qui nous y introduit, le tout considéré comme à venir ; tel fut l’état de la foi et de l’espérance sous la loi ancienne. - 2° Dans un autre état du culte intérieur, on croit et on espère les biens du ciel comme réalités à venir, mais les réalités qui nous y introduisent comme présentes ou passées ; tel est l’état de la loi nouvelle. - 3° Dans le troisième état tout est tenu comme présent, il n’y a plus d’au-delà à croire ni de futur à espérer tel est l’état des bienheureux.

Dans cet état des bienheureux, le culte divin ne comportera rien de figuratif, mais sera tout “ d’action de grâce et chant de louange ” (Is 51,3). Ce qui fait dire à S. Jean décrivant dans l’Apocalypse (21,22) la cité des bienheureux : “ je n’y vis pas de temple, car le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple, ainsi que l’Agneau. ” Pour une raison analogue, les cérémonies du premier état, préfigurant le second et le troisième états, durent disparaître à l’avènement du second, et d’autres cérémonies être introduites, en rapport avec le culte de cet âge nouveau pour lequel les biens du ciel sont encore à venir, mais où sont présents les bienfaits de Dieu qui nous y introduisent.

Solutions :

1. On peut dire que la loi ancienne subsiste à jamais. Pour les préceptes moraux, c’est vrai absolument et sans réserve ; pour les préceptes cérémoniels, c’est vrai quant à la réalité qu’ils figuraient.

2. Le mystère de la rédemption du genre humain a été accompli à la passion du Christ lorsque le Seigneur déclara : “ Tout est consommé ” (Jn 19,30). C’est à ce moment que les dispositions légales durent cesser complètement, la réalité qu’elles figuraient étant désormais accomplie. Pour en témoigner, le voile du temple se déchira pendant la passion du Christ (Mt 27,51). Ainsi, avant la passion du Christ, alors que le Christ prêchait et faisait des miracles, la loi et l’Évangile marchaient de compagnie parce que déjà le mystère du Christ était inauguré, mais non encore accompli. C’est pourquoi, avant sa passion, le Seigneur ordonna aux lépreux d’observer les cérémonies légales.

3. Les explications littérales que nous avons données des cérémonies se rapportent au culte divin, mais au culte caractérisé par la foi en celui qu’on attendait. Une fois venu celui qu’on avait attendu, ce culte-là disparut, ainsi que toutes les raisons d’être ordonnées à ce culte.

4. La foi d’Abraham fut digne d’éloges parce qu’il crut, lorsque Dieu lui promit une postérité en qui seraient bénies toutes les nations. Tant que cette promesse n’était pas réalisée, il fallait donc par la circoncision professer la foi d’Abraham ; mais, depuis qu’elle est réalisée, cette même foi doit s’exprimer par un signe nouveau, le baptême, qui sur ce point succède à la circoncision : “ Vous avez été circoncis dans le Christ d’une circoncision où la main de l’homme n’est pour rien, et qui vous a dépouillés du corps charnel : telle est la circoncision de notre Seigneur jésus Christ, avec qui vous avez été ensevelis dans le baptême ” (Col 2,11).

Le sabbat qui représentait la première création est remplacé par le dimanche qui rappelle la créature nouvelle, inaugurée à la résurrection du Christ. - Et aux autres fêtes succèdent également les fêtes de la loi nouvelle puisque les bienfaits accordés par Dieu au peuple d’Israël représentent ceux dont le Christ nous a gratifiés. La Pâque est remplacée par la fête de la passion et de la résurrection du Christ ; la Pentecôte, don de la loi ancienne, par une autre Pentecôte, don de la loi de l’Esprit de vie ; la fête de la nouvelle lune, par la fête de la Bienheureuse Vierge en qui resplendit pour la première fois la lumière du soleil, c’est-à-dire du Christ, par une plénitude de grâce ; la fête des trompettes, par les fêtes des Apôtres ; la fête de l’Expiation, par celles des Martyrs et des Confesseurs ; la fête des Tentes par celle de la Dédicace de l’Église ; celle enfin de l’Assemblée et de la Collecte, par la fête des Anges ou celle de la Toussaint.

 

            Article 4 — Est-ce péché mortel d’observer les préceptes cérémoniels après le Christ ?

Objections :

1. On ne doit pas supposer que les Apôtres, après avoir reçu le Saint-Esprit, aient péché mortellement, car dans l’abondance de cet Esprit, ils étaient “ revêtus de la force d’en haut ”, dit S. Luc (24,46). Or ils ont pratiqué les observances légales après la descente du Saint-Esprit. Paul, d’après les Actes (16,3) a circoncis Timothée ; plus tard, sur le conseil de Jacques, “ il amena des hommes et, s’étant purifié avec eux, il entra dans le Temple, annonçant que les jours de la purification étaient écoulés, et cela jusqu’à ce que le sacrifice eût été offert pour chacun d’eux ” (Ac 21,26). Il est donc possible, sans péché mortel, de pratiquer les observances légales après la passion du Christ.

2. Éviter le commerce des païens était une loi cérémonielle. Or le premier pasteur de l’Église l’observa, selon l’épître aux Galates (2, 12) : “ Les envoyés de Jacques étant venus à Antioche, Pierre se déroba et se tint à l’écart des païens. ”

3. Les Apôtres, par leurs préceptes, n’ont pu inciter au péché. Or, aux termes d’un décret des Apôtres rapporté dans les Actes (15,28), la pratique de certaines observances de la loi cérémonielle fut imposée aux païens : “ L’Esprit Saint et nous, avons décidé de ne vous imposer aucun autre fardeau que ceci qui est nécessaire : vous abstenir des viandes sacrifiées aux idoles, du sang, des viandes étouffées et des unions illégitimes. ”

En sens contraire, S. Paul disait aux Galates (5,2) : “ Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous sert de rien. ” Or, seul le péché mortel peut rendre stérile l’œuvre du Christ. C’est donc un péché mortel, depuis la passion du Christ, de se faire circoncire et de pratiquer les autres observances cérémonielles.

Réponse :

Toutes les cérémonies sont des protestations de la foi en quoi consiste le culte divin intérieur. On peut professer sa foi intérieure par des actes aussi bien que par des paroles, et dans les deux cas il y a péché mortel si l’on affirme une erreur. Sans doute croyons-nous au Christ comme y crurent les Patriarches, mais, de ceux qui ont précédé le Christ et de nous qui venons après lui, la foi identique s’exprime en des termes différents chez eux et chez nous. Ils disaient : “ Voici qu’une vierge concevra et enfantera un fils ” (Is 7,14), parlant au futur ; nous, nous exprimons la même réalité en disant, au passé, qu’elle a conçu et qu’elle a enfanté. De même, les cérémonies de la loi ancienne signifiaient le Christ comme devant naître, comme devant souffrir, tandis que nos sacrements le montrent comme étant né et ayant souffert. Si donc aujourd’hui il y aurait péché mortel à professer sa foi en disant que le Christ va naître, ce qui dans la bouche des anciens n’était que piété et vérité, de même on pécherait mortellement si l’on pratiquait aujourd’hui les observances cérémonielles où s’exprimait la piété et la foi des anciens. C’est la pensée de S. Augustin : “ Le Christ ne nous est plus promis comme devant naître, souffrir et ressusciter, tel que le proclamaient les sacrements anciens ; on nous annonce qu’il est né, qu’il a souffert, qu’il est ressuscité, tel que le proclament désormais les sacrements d’aujourd’hui, accomplis par les chrétiens. ”

Solutions :

1. Sur cette difficulté, S. Augustin et S. Jérôme ne sont pas d’accord. S. Jérôme distingue deux temps : avant la passion du Christ, les observances légales n’étaient ni mortes., comme n’ayant ni force obligatoire ni vertu expiatoire à leur mesure ; ni porteuses de mort, parce qu’on ne péchait pas en les observant. Mais, tout de suite après la passion du Christ, elles se trouvèrent non seulement mortes, c’est-à-dire sans efficacité ni force obligatoire, mais, qui plus est, porteuses de mort, en ce sens que ceux qui les pratiquaient péchaient mortellement. S. Jérôme en concluait que jamais les Apôtres n’avaient réellement pratiqué les observances après la passion, mais s’étaient seulement livrés à une pieuse simulation, pour ne pas scandaliser les Juifs et ainsi faire obstacle à leur conversion. Comprenons d’ailleurs cette simulation en ce sens qu’ils accomplissaient les actes prévus, mais sans leur attribuer le caractère d’observances et de cérémonies légales. Ainsi en irait-il de celui qui subirait l’ablation du prépuce par mesure d’hygiène et non pour observer la loi de la circoncision.

Toutefois, il semble choquant que, pour éviter le scandale, les Apôtres aient caché quelque chose qui importe à la vérité morale et doctrinale, et qu’ils aient usé de fiction en une matière intéressant le salut des fidèles. Aussi S. Augustin a-t-il distingué plus justement trois périodes. Avant la passion du Christ, les observances légales n’étaient ni mortes, ni porteuses de mort. L’Évangile une fois promulgué, elles sont à la fois l’une et l’autre. Mais dans la période intermédiaire, celle qui va de la passion du Christ à la promulgation de l’Évangile, les observances légales étaient mortes, n’ayant aucune efficacité et n’obligeant personne, sans être porteuses de mort, parce que les chrétiens venus du judaïsme pouvaient les pratiquer licitement, à condition de ne pas fonder sur elles leur espérance comme s’ils les estimaient nécessaires au salut et que sans elles la foi au Christ ne pût justifier. Mais ceux qui venaient du paganisme n’avaient aucune raison de les pratiquer. Aussi voyons-nous S. Paul circoncire Timothée dont la mère était juive, mais s’opposer à la circoncision de Tite, né de parents païens.

Si l’Esprit Saint n’a pas voulu tout de suite interdire aux convertis du judaïsme la pratique des observances légales, alors que les rites païens étaient interdits aux convertis du paganisme, ce fut pour manifester entre les deux rites une différence. Car les rites païens étaient répudiés comme absolument illicites et de tout temps condamnés par Dieu, tandis que le rite légal, ayant été institué par Dieu pour figurer le Christ, trouvait sa fin en ce sens que la passion du Christ accomplissait.

2. Selon S. Jérôme, Pierre feignait de s’écarter des païens pour éviter de scandaliser les Juifs dont il était l’apôtre ; en quoi il n’a péché d’aucune façon. Paul, de son côté, feignait de le réprimander parce que, apôtre des païens, il ne voulait pas que ceux-ci fussent scandalisés. - Mais cette explication est repoussée par S. Augustin, parce qu’il est impie de supposer la moindre fausseté dans une écriture canonique et que S. Paul (Ga 2,11) affirme que Pierre était dans son tort. Pierre a donc réellement péché, et Paul l’a repris tout de bon, non pour faire semblant. Seulement le péché de Pierre n’a pas consisté à garder provisoirement les observances légales ; cela lui était permis, puisqu’il venait du judaïsme. Son péché consistait à pousser si loin la crainte de scandaliser les Juifs en cette matière que ses scrupules provoquaient le scandale des païens.

3. On a soutenu que la décision des Apôtres n’était pas à prendre au sens littéral, mais au sens spirituel : par la prohibition du sang ils interdiraient l’homicide ; par celle des viandes étouffées, la violence et la rapine ; par celle des viandes sacrifiées, l’idolâtrie ; quant à la fornication, elle est défendue pour sa malice intrinsèque. C’est une opinion qui dérive de certaines gloses, où ces préceptes sont interprétés mystiquement. - Mais, comme l’homicide et la rapine sont également tenus pour illicites chez les païens, on ne voit pas pourquoi il fallait faire ce précepte particulier aux chrétiens venus du paganisme.

Aussi d’autres interprètes pensent-ils que, au sens littéral, ces aliments furent prohibés, non pas pour obéir aux observances légales, mais pour réprimer la gourmandise. Ce qui fait dire à S. Jérôme : “ Il condamne les prêtres qui, par gourmandise, mangent des grives et autres volailles sans observer ces points. ” Mais on ne voit pas pourquoi on s’est arrêté justement à ces prohibitions, car il est d’autres mets plus délicieux que ceux-là et qui excitent davantage la gourmandise.

Il faut donc se ranger à une troisième opinion qui, tout en prenant ces prohibitions au sens littéral, y voit non pas l’intention d’observer les cérémonies de la loi mais celle de faciliter les rapports entre païens et Juifs appelés à vivre ensemble. Une habitude ancienne rendait abominable aux Juifs le sang et les viandes étouffées ; d’autre part, la consommation de viandes sacrifiées aux idoles pouvait amener les Juifs à soupçonner les païens de retourner à l’idolâtrie. Tout cela fut donc prohibé pendant le temps nécessaire aux païens et aux Juifs pour instaurer entre eux les débuts d’une vie commune. Mais avec le temps, si la cause disparaît, l’effet disparaît aussi. Le véritable enseignement évangélique fut mieux connu : selon la parole du Maître (Mt 15,11), “ ce n’est pas ce qui entre dans la bouche de l’homme qui le souille ” ; et selon S. Paul (1 Tm 4,4), “ il ne faut rien rejeter de ce qui est reçu avec action de grâce ”. - Quant à la fornication, si elle est interdite nommément, c’est parce que les païens ne la tenaient pas pour un péché.

LES PRÉCEPTES JUDICIAIRES

On considérera d’abord ces préceptes en général (Q. 104), puis leur raison d’être (Q. 105).

 

QUESTION 104 — LEUR NATURE GÉNÉRALE

1. Que sont les préceptes judiciaires ? - 2. Sont-ils figuratifs ? - 3. Leur durée.- 4. Leurs catégories.

 

            Article 1 — Que sont les préceptes judiciaires ?

Objections :

1. Il semble que la raison d’être des préceptes judiciaires ne consiste pas en ce qu’ils ordonnent au prochain.

En effet, le mot “ judiciaire ” vient du latin judicium, qui veut dire “ jugement ”. Mais dans les rapports sociaux une part considérable n’a rien à voir avec l’organisation des jugements. L’épithète de judiciaires ne définit donc pas les préceptes réglant les rapports avec le prochain.

2. On sait que les préceptes moraux ne se confondent pas avec les préceptes judiciaires. Or un grand nombre de préceptes moraux, comme par exemple les sept derniers préceptes du décalogue, concernent les rapports sociaux. Ce n’est donc pas ce trait qui définit les préceptes judiciaires.

3. Les préceptes judiciaires intéressent les rapports avec le prochain comme les préceptes cérémoniels concernent les rapports avec Dieu, on l’a dit plus haut b. Or plusieurs préceptes cérémoniels n’imposent de devoirs qu’envers soi-même, par exemple les observances alimentaires et vestimentaires ; il s’ensuit que la référence au prochain n’est pas le trait décisif pour définir les préceptes judiciaires.

En sens contraire, Ézéchiel (18,8) mentionne, parmi les œuvres du juste, que celui-ci “ juge selon la vérité entre un homme et un homme ”. Si les préceptes judiciaires tirent leur nom du jugement, on peut ainsi désigner les préceptes qui règlent les rapports des hommes entre eux.

Réponse :

Comme on l’a dit précédemment, il y a en toute législation des préceptes qui ont force obligatoire par la seule dictée de la raison, parce que la raison naturelle décide que ceci doit être fait ou évité. De tels préceptes sont appelés moraux, parce que les mœurs humaines se définissent par la raison. D’autres préceptes tiennent leur force obligatoire, non pas du verdict même de la raison, parce que, considérés en eux-mêmes, ils n’impliquent pas essentiellement la notion du dû ou de l’indu ; mais ils tiennent leur force obligatoire du fait de leur institution divine ou humaine. Et telles sont certaines déterminations des préceptes moraux. Donc, si ces déterminations des préceptes moraux sont imposées par Dieu touchant les rapports avec Dieu, on les appelle préceptes cérémoniels. - Mais s’il s’agit d’ordonner les rapports des hommes entre eux, on les appelle préceptes judiciaires. Deux traits définissent donc les préceptes judiciaires : ils règlent les rapports des hommes entre eux, et ils tiennent leur force obligatoire non de la seule raison, mais du fait de leur institution.

Solutions :

1. Les jugements sont rendus par l’autorité de tel ou tel souverain ayant pouvoir de justicier. Mais ce souverain n’a pas seulement à connaître des litiges ; il s’occupe aussi des engagements contractuels passés entre particuliers, et de tout ce qui intéresse la communauté et son gouvernement. On appelle donc judiciaires non seulement les préceptes qui ont trait au contentieux, mais encore tous ceux qui concernent les rapports sociaux, dont le prince est l’ordonnateur en qualité de juge suprême.

2. L’argument allégué n’atteint que les préceptes relatifs au prochain dont toute la force d’obligation procède d’une dictée de la raison.

3. Même dans nos rapports avec Dieu, il y a des devoirs moraux, dictés par la raison informée par la foi, par exemple que nous devons aimer et adorer Dieu. Et il y a d’autre part des prescriptions cérémonielles qui obligent en vertu d’une institution positive divine. Cependant les devoirs envers Dieu ne comportent pas seulement les sacrifices qu’on lui offre, ils incluent tout ce qui peut mettre dans les dispositions voulues pour faire des offrandes et rendre un culte à Dieu. En effet, Dieu est la fin de l’homme, et c’est pourquoi il appartient au culte divin et par suite aux préceptes cérémonials que l’homme possède l’aptitude requise pour servir Dieu. En revanche, le prochain n’est pas la fin de l’homme, et il n’y a pas lieu pour celui-ci de se régler antérieurement en fonction du prochain. Ce serait une attitude servile, s’il est vrai, comme dit Aristote, que l’esclave “ en ce qu’il est, est la chose du maître ”. Voilà pourquoi les règles concernant l’homme en lui-même ne relèvent pas des préceptes judiciaires, mais ont toutes un caractère moral parce que la raison, qui est le principe des mœurs humaines, joue dans l’homme, par rapport à tout ce qui l’intéresse personnellement, le même rôle que le prince ou le juge dans la cité. - Il convient cependant de noter que le comportement de l’homme à l’égard du prochain dépend plus de la raison que son attitude envers Dieu et que, par suite, les préceptes moraux qui règlent les rapports de l’homme avec le prochain sont plus nombreux que ceux qui règlent les rapports de l’homme avec Dieu. C’est pourquoi d’ailleurs ü y a dans la loi plus de prescriptions cérémonielles que de prescriptions judiciaires.

 

            Article 2 — Les préceptes judiciaires sont-ils figuratifs ?

Objections :

1. Ce qui paraît être le propre des préceptes cérémoniels, c’est d’avoir été institués pour figurer une réalité. Donc, si les préceptes judiciaires étaient figuratifs, eux aussi, il n’y aurait pas de différence entre préceptes judiciaires et préceptes cérémoniels.

2. Comme les Juifs, les païens ont reçu des préceptes judiciaires, et ceux-ci, sans rien figurer, ordonnent ce qu’il faut faire. Il semble donc que les préceptes judiciaires de la loi ancienne n’étaient pas non plus figuratifs.

3. L’expression figurée s’imposait en matière de culte divin parce que les réalités divines dépassent notre raison, on l’a remarqué. Mais quand il s’agit du prochain, notre raison suffit. Les préceptes judiciaires qui règlent nos rapports avec le prochain ne devaient donc avoir aucune portée figurative.

En sens contraire, il est de fait qu’on interprète les préceptes judiciaires du chapitre 21 de l’Exode en un sens allégorique et moral.

Réponse :

Un précepte peut être figuratif d’une manière immédiate et essentielle, s’il est institué premièrement pour figurer quelque chose. C’est le cas des préceptes cérémonials qui sont figuratifs parce qu’ils ont été institués principalement pour figurer quelque aspect du culte de Dieu et du mystère du Christ. - Il y a aussi des préceptes qui ne sont pas figuratifs en ce sens immédiat et essentiel, mais secondairement, et c’est ainsi que les préceptes judiciaires de la loi ancienne sont figuratifs. Ce n’est pas en effet pour jouer le rôle de figures qu’ils ont été institués, mais pour organiser selon la justice et l’équité la condition du peuple d’Israël. Seulement, ces préceptes avaient une portée figurative secondaire, dans la mesure où la condition de ce peuple, organisée selon ces préceptes, avait dans son ensemble une valeur figurative, selon le mot de S. Paul (1 Co 10,11) : “ Tout leur arrivait en figure. ”

Solutions :

1. Cela prouve que les préceptes cérémonials ne sont pas figuratifs exactement au même titre que les préceptes judiciaires, on vient de le dire.

2. Le peuple juif avait été choisi par Dieu pour donner le jour au Christ. C’est pour cela, au dire de S. Augustin, que toute la manière de vivre de ce peuple était prophétique et figurative et que même les préceptes judiciaires imposés aux Juifs ont un sens figuratif qui les distingue des préceptes judiciaires imposés aux autres peuples. C’est ainsi du reste qu’on interprète au sens figuratif et mystique les guerres et les exploits de ce peuple, contrairement aux guerres et aux exploits des Assyriens et des Romains, qui sont pourtant beaucoup plus célèbres du point de vue humain.

3. Le règlement des rapports sociaux en Israël était, de soi, du ressort de la raison. Mais dans la mesure où il intéressait le culte de Dieu il dépassait la raison, et c’est par là qu’il avait un caractère figuratif.

 

            Article 3 — La durée des préceptes judiciaires

Objections :

1. Il semble que les préceptes judiciaires de la loi ancienne obligeaient à perpétuité. En effet, le jugement étant la mise en œuvre de la justice, les préceptes judiciaires sont liés à la vertu de justice. Or, selon le livre de la Sagesse (1,15), “ la justice est éternelle et ne meurt pas ”. Les préceptes judiciaires obligent donc pour tous les temps.

2. Ce qui est institué par Dieu a plus de stabilité que ce qui est œuvre humaine. Or les préceptes judiciaires des lois humaines obligent sans limite de durée. A beaucoup plus forte raison les préceptes judiciaires de la loi divine.

3. Selon l’épître aux Hébreux (7, 18), “ c’est à cause de son impuissance et de son inutilité que fut abrogée la législation ancienne ”. Cela est vrai du statut cérémoniel “ qui ne pouvait rendre parfait dans sa conscience celui qui s’en tenait aux observances d’aliments, de boissons, d’ablutions diverses et de justice charnelles ”. Mais les préceptes judiciaires ne manquaient ni d’utilité ni d’efficacité pour leur but, c’est-à-dire pour l’établissement de la justice et de l’équité parmi les hommes. Les préceptes judiciaires ne sont donc pas abolis, mais gardent leur force.

En sens contraire, on lit aussi (He 7,12) : “ Si le sacerdoce est passé, la loi passe inévitablement. ” Le sacerdoce étant passé d’Aaron au Christ, toute la loi est passée avec lui, et les préceptes judiciaires sont désormais sans force obligatoire.

Réponses : Les préceptes judiciaires ne furent en vigueur que pour un temps, et ils ont été vidés de leur sens à l’avènement du Christ, mais en un autre sens que les préceptes cérémonials. Car ceux-ci furent abrogés de telle sorte que non seulement ils sont morts, mais qu’ils tuent ceux qui les observent depuis le Christ et surtout depuis la diffusion de l’Évangile. Tandis que les préceptes judiciaires sont bien morts, n’ayant plus de force obligatoire, mais toutefois ils ne tuent pas, et un prince pourrait sans pécher mettre en vigueur dans son royaume ces dispositions judiciaires ; à moins cependant qu’on ne les impose ou qu’on ne les observe comme des obligations tenant leur force de la loi ancienne. Ils tueraient si on les observait dans cet esprit.

Et cette différence s’explique si l’on se rappelle que les préceptes cérémoniels sont immédiatement et essentiellement figuratifs, étant institués au premier chef pour figurer les mystères du Christ à venir. On ne peut donc les observer sans attenter à la vérité de notre foi qui nous fait confesser ces mystères comme déjà accomplis. - Au contraire, les préceptes judiciaires n’ont pas été institués pour jouer le rôle de figures, mais pour organiser le statut de ce peuple qui préparait le Christ. Aussi, quand la venue du Christ modifia ce statut, les préceptes judiciaires perdirent leur force obligatoire, et c’est ce que veut dire S. Paul (Ga 3,24), lorsqu’il compare la loi à un pédagogue conduisant au Christ. Seulement, comme les préceptes judiciaires ne sont pas destinés à figurer mais à faire faire quelque chose, on ne lèse pas la vérité si on les observe tels quels. C’est l’intention de les observer comme une obligation légale qui porterait atteinte à la vérité de la foi, car on signifierait ainsi que le statut du peuple ancien dure toujours et que le Christ n’est pas encore venu.

Solutions :

1. Certes, la justice doit toujours être sauvegardée, mais la définition de ce qui est juste, en vertu de l’institution positive divine ou humaine, change nécessairement si la condition des hommes se modifie.

2. Les préceptes judiciaires d’institution humaine demeurent perpétuellement en vigueur, tant que se maintient le régime établi. Mais, si la cité ou la nation inaugurent un nouvel ordre politique, les lois doivent être modifiées. Celles qui valent dans une démocratie, où le pouvoir appartient au peuple, ne valent pas dans une oligarchie, où le pouvoir appartient aux riches ; ce point a été mis en lumière par le Philosophes. Il fallait donc, le statut du peuple juif ayant changé, modifier aussi les préceptes judiciaires.

3. Ces préceptes judiciaires faisaient régner dans le peuple la justice et l’équité, mais selon les exigences de sa condition d’alors. Celle-ci a dû changer après le Christ, au point qu’il n’y a plus dans le Christ, à distinguer les Juifs des païens, comme on le faisait auparavant. Il s’ensuit qu’un changement des préceptes judiciaires était nécessaire.

 

            Article 4 — Les catégories des préceptes judiciaires

Objections :

1. Les préceptes judiciaires ne semblent pas susceptibles d’une classification ferme. Ils règlent en effet les rapports sociaux ; mais tous les points qui, dans l’intérêt des hommes, demandent un règlement, échappent aux classifications tranchées, car ils sont en nombre infini. Il n’y a donc pas moyen de fixer une répartition des préceptes judiciaires.

2. Les préceptes judiciaires apportent une détermination aux préceptes moraux. Mais on ne peut classer ceux-ci sans les ramener à l’ordre du décalogue. Les préceptes judiciaires ne sont donc pas susceptibles d’un classement particulier.

3. Parce que les préceptes cérémonials comportent des catégories définies, la loi suggère leur répartition en mentionnant les sacrifices et les observances. Comme elle ne propose rien de tel touchant les préceptes judiciaires, c’est que ceux-ci ne se répartissent pas en catégories définies.

En sens contraire, tout ordre implique distinction. L’idée d’ordre étant inséparable des préceptes judiciaires, précisément institués pour faire régner l’ordre dans le temple juif, ces préceptes doivent se prêter éminemment à une distinction précise.

Réponse :

La loi est en quelque sorte l’art d’organiser et de régler la vie humaine. Or, si nous considérons un art quelconque, nous en voyons les règles s’ordonner en catégories distinctes ; de même faut-il que toute loi organise ses préceptes selon un ordre dé par sa confusion même. Il y a donc lieu d’affirmer que les préceptes judiciaires de la loi ancienne, destinés à régler les rapports sociaux, s’organisent en catégories tenant à la structure même de l’organisation sociale.

Or l’organisation sociale d’un peuple comporte quatre éléments : d’abord, les rapports entre chefs et sujets ; puis, les rapports de sujets à sujets ; ensuite, les rapports entre citoyens et étrangers, et enfin les rapports domestiques, du père au fils, de l’épouse au mari, du maître au serviteur. Voilà les quatre divisions entre lesquelles peuvent se répartir les préceptes judiciaires de la loi ancienne. Il y a en effet des préceptes touchant la désignation des chefs, leurs fonctions, le respect qui leur est dû ; c’est la première classe des préceptes judiciaires. - Il y en a d’autres qui regardent les relations entre concitoyens, par exemple en matière de ventes, de procès, de peines, et c’est la seconde classe des préceptes judiciaires. - Il y a encore des préceptes qui traitent des étrangers, comme à propos de la belligérance contre les ennemis ou de la réception des voyageurs et des étrangers ; c’est la troisième classe. - Enfin la loi comporte certains préceptes intéressant la vie domestique, touchant les esclaves, les femmes, les enfants, ce qui forme la quatrième classe de préceptes judiciaires.

Solutions :

1. Tout en étant en nombre infini, les exigences de l’ordre social n’en peuvent pas moins se ramener à quelques points fermes, en rapport avec les éléments de l’organisation sociale.

2. On a vu que les préceptes du décalogue sont fondamentaux dans l’ordre moral ; il est donc juste d’organiser autour d’eux le classement des autres préceptes moraux. Mais les préceptes cérémonials et judiciaires, qui tirent leur force obligatoire de leur seule institution positive et non de la raison naturelle, ont un autre fondement. Il faut donc chercher ailleurs leur principe de distinction.

3. Par le contenu même des prescriptions légales formulées dans les préceptes judiciaires, la loi suggère suffisamment la distinction entre ces préceptes.

 

QUESTION 105 — LE SENS DES PRÉCEPTES JUDICIAIRES

1. Les préceptes judiciaires concernant les gouvernants. - 2. Ceux qui concernent les rapports entre citoyens. - 3. Ceux qui concernent les étrangers. - 4. Ceux qui concernent la vie domestique.

 

            Article 1 — Les préceptes judiciaires qui concernent les gouvernants

Objections :

1. Il semble que la loi ancienne a mal légiféré au sujet des princes. En effet, Aristote dit que “ le régime politique dépend avant tout du pouvoir dominant ”. Or il ne se trouve dans la loi aucune règle relative à l’institution du souverain, tandis qu’il y est question des autorités subalternes, comme dans ce passage (Ex 28,21 s) : “ Choisis dans l’ensemble du peuple des hommes habiles etc. ” ; ou encore dans les Nombres (11,16 s) : “ Rassemble-moi soixante dix hommes d’entre les anciens d’Israël ” ; ou dans ce texte (Dt 1,13 s) : “ Prenez parmi vous des hommes habiles et capables etc. ” Bref, il y a une lacune dans les institutions politiques de la loi ancienne.

2. “ Le parfait, au gré de Platon, ne peut rien faire que de parfait. ” Or le régime parfait pour une cité ou un peuple quelconque est le gouvernement royal parce qu’il reproduit le mieux le gouvernement divin, par lequel un seul Dieu dirige l’univers. C’est donc dès le principe que la loi aurait dû mettre un roi à la tête du peuple, au lieu de laisser celui-ci en décider à son gré, selon la permission du Deutéronome (17,14 s) : “ Si tu dis : je vais mettre un roi sur moi, tu le mettras, etc. ”

3. “ Tout royaume divisé antérieurement devient un désert ”, lit-on en S. Matthieu (12,25), mais l’expérience l’avait vérifié avec éclat dans l’histoire du peuple juif, pour qui la division du royaume fut une cause de ruine. Or une loi doit viser avant tout à assurer les conditions du salut public. Ainsi le partage du royaume entre deux rois aurait dû être interdit par la loi, bien loin d’être l’effet d’une initiative divine ; mais selon le premier livre des Rois (11,29 s) cette nouveauté fut annoncée par le prophète Ahia de Silo sur l’ordre de Dieu.

4. De même que les prêtres sont établis dans l’intérêt du peuple en ce qui regarde Dieu, comme il ressort du chapitre 5 de l’épître aux Hébreux, de même les princes sont établis au profit du peuple dans les affaires humaines. Mais aux prêtres et aux lévites dont parle la loi sont assignées certaines ressources devant assurer leur subsistance, dîmes, prémices et le reste ; pareillement, des dispositions auraient dû être prises pour l’entretien des chefs du peuple, d’autant plus qu’il leur était interdit d’accepter des présents, selon l’Exode (23,8) : “ Vous n’accepterez pas de présents, car les présents aveuglent les gens clairvoyants et ruinent les causes des justes. ” Si la royauté est la meilleure forme de gouvernement, la tyrannie en est la pire déformation. Or, dès l’institution, le Seigneur a investi le roi d’un pouvoir tyrannique : “ Voici le pouvoir du roi qui va régner sur vous : il emmènera vos jeunes gens etc. ” (1 S 8,11 s). Donc, en ce qui concerne le statut des chefs, les dispositions de la loi n’étaient pas satisfaisantes.

En sens contraire, le livre des Nombres (24,5) fait l’éloge du peuple d’Israël pour son organisation sans défaut : “ Qu’elles sont belles tes tentes, Jacob, et tes demeures, Israël ! ” Or la beauté d’un établissement politique tient à une bonne organisation des pouvoirs. La loi assura donc au peuple cette bonne organisation.

Réponse :

Deux points sont à observer dans la bonne organisation du gouvernement d’une cité ou d’une nation. D’abord que tout le monde participe plus ou moins au gouvernement, car il y a là, selon le deuxième livre des Politiques, une garantie de paix civile, et tous chérissent et soutiennent un tel état de choses. L’autre point concerne la forme du régime ou de l’organisation des pouvoirs ; on sait qu’il en est plusieurs, distinguées par Aristote, mais les plus remarquables sont la royauté, ou domination d’un seul selon la vertu, et l’aristocratie, c’est-à-dire le gouvernement des meilleurs, ou domination d’un petit nombre selon la vertu. Voici donc l’organisation la meilleure pour le gouvernement d’une cité ou d’un royaume : à la tête est placé, en raison de sa vertu, un chef unique ayant autorité sur tous ; puis viennent un certain nombre de chefs subalternes, qualifiés par leur vertu ; et cependant la multitude n’est pas étrangère au pouvoir ainsi défini, tous ayant la possibilité d’être élus et tous étant d’autre part électeurs. Tel est le régime parfait, heureusement mélangé de monarchie par la prééminence d’un seul, d’aristocratie par la multiplicité de chefs vertueusement qualifiés, de démocratie enfin ou de pouvoir populaire du fait que de simples citoyens peuvent être choisis comme chefs, et que le choix des chefs appartient au peuple.

Et tel fut le régime institué par la loi divine. En effet, Moïse et ses successeurs gouvernaient le peuple en qualité de chefs uniques et universels, ce qui est une caractéristique de la royauté. Mais les soixante-douze anciens étaient élus en raison de leur mérite (Dt 1,15) : “ Je pris dans vos tribus des hommes sages et considérés, et je les établis comme chefs ” ; voilà l’élément d’aristocratie. Quant à la démocratie, elle s’affirmait en ce que les chefs étaient pris dans l’ensemble du peuple, (Ex 18,21) : “ Choisis parmi tout le peuple des hommes capables etc. ” ; et que le peuple aussi les désignait (Dt 1,13) : “ Présentez, pris parmi vous, des hommes sages. ” L’excellence des dispositions légales est donc incontestable en ce qui touche à l’organisation des pouvoirs.

Solutions :

1. Dieu gouvernait ce peuples avec une sollicitude particulière (Dt 7,6) : “ Le Seigneur ton Dieu t’a choisi pour être son peuple particulier. ” Pour ce motif, le Seigneur s’est réservé d’instituer lui-même le chef suprême, à la prière de Moïse : “ Que le Seigneur, le Dieu des esprits de toute chair, place un homme à la tête de cette multitude ” (Nb 27,16). Effectivement, c’est sur l’ordre de Dieu que Josué fut promu au premier rang, comme successeur de Moïse et, à propqs de chacun des juges qui parurent après Josué, l’Écriture déclare que “ Dieu suscita un sauveur à son peuple ” et que “ l’Esprit du Seigneur était en eux ”, ainsi par exemple au livre des juges (3,9. 15). Toujours pour le même motif, le Seigneur n’abandonna pas au peuple mais se réserva le choix du roi, (Dt 17,15) : “ Le roi que tu établiras, c’est celui que le Seigneur aura choisi. ”

2. La royauté est la forme la meilleure de gouvernement, si elle reste saine ; mais elle dégénère facilement en tyrannie, à cause du pouvoir considérable qui est attribué au roi, si celui qui détient un tel pouvoir n’a pas une vertu parfaite, comme dit Aristote : “ Il n’appartient qu’au vertueux de soutenir comme il faut les faveurs de la fortune. ” Or la vertu parfaite est rare ; les Juifs étaient particulièrement cruels et enclins à la rapacité, et c’est par ces vices surtout que les hommes versent dans la tyrannie. C’est pourquoi le Seigneur ne leur assigna pas dès le début un roi revêtu de l’autorité souveraine, mais un juge et un gouverneur qui veillât sur eux. C’est plus tard, à la demande du peuple et comme sous le coup de la colère, qu’il leur accorda un roi, disant clairement à Samuel, (1 S 8,7) : “ Ce n’est pas toi qu’ils ont écarté, c’est moi, ne supportant plus que je règne sur eux. ”

Dès le début toutefois, Dieu a posé quelques règles concernant la royauté, et d’abord la manière de désigner le roi, avec cette double clause que dans le choix du roi on aurait recours au jugement du Seigneur, et qu’on ne prendrait pas pour roi un étranger, parce que les rois de cette sorte ont coutume de ne s’attacher guère aux gens qui leur sont soumis et, par conséquent, de ne pas s’occuper d’eux. - Ensuite, Dieu détermina quelle serait, les rois une fois établis, leur situation personnelle, limitant le nombre de leurs chars et de leurs chevaux et aussi de leurs femmes, ainsi que l’étendue de leurs richesses, car c’est par de telles convoitises que les princes sont amenés à verser dans la tyrannie et à s’écarter de la justice. Puis fut réglée leur attitude à l’égard de Dieu toujours ils auraient à lire et à méditer sa loi, remplis sans cesse de crainte et d’obéissance. - Enfin, envers leurs sujets, ils n’affecteraient pas un mépris superbe, se garderaient de les opprimer et ne s’écarteraient pas de la justice.

3. Si le royaume fut divisé et s’il y eut plusieurs rois, ce fut moins dans l’intérêt du peuple que pour châtier ses révoltes fréquentes, celle surtout qu’il opposa au juste gouvernement de David. Ainsi s’explique, en Osée (13,11), l’oracle porté contre Israël : “ Dans ma fureur je te donnerai un roi ”, et, dans le même livre (8,4), ce reproche : “ Ils ont fait des rois sans moi, ils ont établi des chefs à mon insu. ”

4. L’accès au sacerdoce était héréditaire. Et cela pour qu’il soit davantage honoré, puisque n’importe quel homme du peuple ne pouvait devenir prêtre, ce qui tournait à l’honneur du culte divin. Mais, de ce fait, il fallut assigner à l’entretien du clergé des ressources particulières, tirées des dîmes ou des prémices ou encore des offrandes et des sacrifices. Les princes, eux, on l’a dit, étaient pris dans l’ensemble de la population ; des biens leur étaient donc assurés en propriété et leur permettaient de vivre. D’autant plus que, même chez le roi, le Seigneur interdisait richesses et faste excessifs. D’abord parce qu’il était difficile de ne pas en tirer occasion d’orgueil et de tyrannie ; en outre, la fortune des gouvernants étant modeste et leur présidence pleine de labeurs et de soucis, ils ne risquaient guère d’être enviés par les simples citoyens, et ainsi s’éloignait un sujet de révolte.

5. En fondant l’institution, Dieu ne donnait pas au roi un tel droit. C’est plutôt l’annonce du droit inique usurpé par des rois dégénérés en tyrans et en spoliateurs de leurs sujets. La suite du texte (1 S 8,17) ne permet pas d’en douter : “ Et vous serez leurs esclaves ” ; c’est le caractère même de la tyrannie, puisque les tyrans traitent leurs sujets en esclaves. En parlant ainsi, Samuel voulait donc dissuader le peuple de réclamer un roi ; on lit d’ailleurs un peu plus loin (8,19) : “ Mais le peuple refusa d’écouter la voix de Samuel. ” - Malgré tout, il peut arriver, même à un bon roi exempt de tyrannie, d’enrôler les jeunes gens, de désigner des chefs de mille et des chefs de cinquante et d’imposer force contributions à ses sujets, en vue d’assurer le bien commun.

 

            Article 2 — Les préceptes judiciaires qui concernent les rapports entre citoyens

Objections :

1. La paix sociale est impossible si l’on s’empare du bien d’autrui. Or la loi à l’air d’admettre cet abus, si l’on en juge d’après le Deutéronome (23,24) : “ Entre dans la vigne de ton prochain, mange du raisin autant qu’il te plaira. ” Ainsi la loi n’assurait pas convenablement la paix sociale.

2. D’après Aristote, ce qui mène à la ruine tant de cités et de royaumes, c’est surtout le fait que les héritages tombent aux mains des femmes. Or cette règle fut admise par la loi, (Nb 17,8) : “ Si quelqu’un meurt sans laisser de fils, l’héritage ira à sa fille. ” La loi n’a donc pas assuré comme il convenait le bien public.

3. Aristote enseigne encore que la société humaine se maintient surtout par le commerce, qui permet aux hommes d’échanger entre eux les biens nécessaires. Mais la loi ancienne a détruit la force du contrat de vente, en décidant que le fonds vendu devrait faire retour au vendeur lors de la cinquantième année, celle du jubilé (Lv 24). Il y a donc, sur ce point, quelque chose qui pèche dans les institutions légales de ce peuple.

4. Il est fort utile à l’intérêt public que les prêts soient consentis facilement. Or cette facilité disparaît si les emprunteurs ne rendent pas ce qu’ils ont reçu, comme l’observe l’Ecclésiastique (29,10) : “ Ce n’est pas par méchanceté que beaucoup refusent de prêter, mais ils craignent d’être spoliés en pure perte. ” C’est pourtant ce que la loi admet. Tout d’abord, le Deutéronome (15,2) décide ceci : “ Si quelqu’un est le créancier de son ami, de son proche ou de son frère, il ne pourra réclamer son dû, parce que c’est l’année de rémission du Seigneur. ” Et l’Exode (22,14) dispense l’emprunteur de rendre l’animal prêté qui est mort en présence du propriétaire. En second lieu, on prive le prêt de la garantie que lui procure le gage ; on lit en effet dans le Deutéronome (24,10) : “ Quand tu revendiqueras l’objet que te doit ton prochain, tu n’entreras pas dans sa maison pour y prendre un gage ” ; et ceci encore (24,12 s) : “ Le gage ne demeurera pas chez toi pendant la nuit, mais tu le rendras sur l’heure. ” Les dispositions de la loi en matière de prêts sont donc insuffisantes.

5. Le détournement des dépôts présente un danger particulièrement menaçant et appelle donc des précautions toutes spéciales ; c’est du reste pour cela que le deuxième livre des Maccabées (3,15) rapporte que “ les prêtres appelaient l’aide du ciel pour que Celui qui a institué la loi sur les dépôts conservât ces biens intacts à ceux qui les avaient déposés ”. Or, sur cet article, les préceptes de la loi ancienne offrent peu de sécurité, puisque selon l’Exode (22,10 s), en cas de disparition d’un dépôt, on s’en tient au serment du dépositaire. Voilà une disposition légale peu satisfaisante.

6. Le journalier loue ses services exactement comme d’autres louent une maison ou tout autre objet analogue. Mais il n’y a aucune nécessité que le locataire s’acquitte sur l’heure de son loyer. Il y a donc une rigueur excessive dans cette prescription du Lévitique (19,13) . “ Le salaire de ton ouvrier ne restera pas chez toi jusqu’au lendemain. ”

7. Comme la nécessité d’ester en justice se présente souvent, le recours au juge doit être facile. La loi eut donc tort de décider, dans le Deutéronome (17,8 s), que tous s’adresseraient à un siège unique pour le règlement de leurs affaires.

8. Il peut arriver que non seulement deux personnes, mais trois ou davantage s’entendent pour mentir. On ne peut donc se contenter de cette règle (Dt 19,15) : “ Sur la parole de deux ou trois témoins, toute affaire sera terminée. ”

9. La peine doit être pesée d’après la gravité de la faute, c’est l’idée qui se dégage de ce texte (Dt 25,2) : “ A la mesure du péché le nombre des coups. ” Mais à égalité de fautes la loi ordonne parfois des peines inégales. Ainsi l’Exode (22,1) veut que le voleur rende cinq bœufs pour un bœuf, et quatre brebis pour une brebis. De même, des manquements relativement légers sont sanctionnés par une peine grave : ainsi d’après les Nombres (15, 32 s) quelqu’un qui avait ramassé du bois le jour du sabbat fut lapidé. Le Deutéronome encore (21,18 s) nous apprend que le fils indocile, en raison de délits peu importants, en fait parce qu’il s’adonnait aux banquets et aux orgies, est condamné à la lapidation. La tarification légale des peines n’est donc pas satisfaisante.

10. D’après S. Augustin, “ Cicéron dénombre dans les lois huit sortes de peines : l’amende, les fers, les coups, le talion, l’infamie, l’exil, la mort et l’esclavage. ” La loi en connaît quelques-unes : l’amende, comme par exemple la condamnation du voleur au quintuple ou au quadruple ; les fers, signalés en ce passage du livre des Nombres (15,34) qui prescrit de mettre quelqu’un en prison ; le Deutéronome prévoit aussi les coups (25,2) : “ Si le coupable mérite d’être battu, les juges le feront étendre par terre et battre en leur présence ” ; était noté d’infamie celui qui refusait d’agréer la femme de son frère défunt, celle-ci le déchaussant et lui crachant au visage ; la mort également était prévue par la loi (Lv 20, 9) : “ Quiconque maudit son père ou sa mère sera puni de mort. ” Enfin la loi a admis la peine du talion, puisqu’on lit (Ex 21, 24) : “ Œil pour œil, dent pour dent. ” On ne s’explique donc pas que la loi ancienne ait omis d’infliger les deux autres peines, l’exil et l’esclavage.

11. Seuls les coupables doivent être punis. Les animaux sans raison ne pouvant être coupables, c’est à tort que l’Exode (21,28 s) leur inflige un châtiment : “ Le bœuf qui a tué un homme ou une femme sera lapidé ” ; et aussi le Lévitique (20,16) : “ Si une a eu des rapports avec une bête, on tuera tout ensemble la femme et l’animal. ” D’où il apparaît que les dispositions de la loi ancienne relatives aux rapports sociaux ne sont pas satisfaisantes.

12. Enfin, selon l’Exode (21, 12), le Seigneur a prescrit que l’homicide serait puni de mort d’homme. Mais la mort d’un animal sans raison ayant beaucoup moins de prix que la mort d’un homme, il ne saurait suffire de frapper un animal sans raison pour compenser l’homicide. On ne peut donc approuver les dispositions du Deutéronome (21) “ pour le cas où l’on découvre le cadavre de la victime sans connaître le meurtrier : les anciens de la ville la plus proche prendront au troupeau une génisse qui n’a pas encore porté le joug ni tiré la charrue, ils la mèneront dans une vallée sauvage et rocailleuse qui n’a encore reçu ni culture ni semences, et là ils lui briseront la nuque ”.

En sens contraire, c’est le souvenir d’un bienfait signalé qu’évoque ce verset du Psaume (147) : “ Il n’a pas agi de la sorte avec le reste des nations, il ne leur a pas manifesté ses ordonnances. ”

Réponse :

S. Augustin cite cette définition du peuple par Cicéron : “ C’est la multitude rassemblée par les liens de l’unité de droit et de la communauté d’intérêts. ” Cela suppose essentiellement entre les citoyens des rapports réglés par de justes lois. Mais entre les citoyens il y a deux sortes de rapports : les uns sont fondés sur l’autorité publique, les autres sur la volonté individuelle des particuliers. Et nulle volonté ne peut s’exercer que dans les limites de son pouvoir, il faut réserver à l’autorité publique, qui a pouvoir sur les personnes, la connaissance des litiges entre particuliers et le châtiment des malfaiteurs. Au contraire, les particuliers ont pouvoir sur leurs biens ; ils peuvent donc, à cet égard, traiter librement entre eux, par exemple acheter, vendre, faire donation, etc.

Ces deux sortes de rapports ont été convenablement réglés par la loi. Elle a établi des juges (Dt 16,18) : “ Tu établiras des juges et des greffiers dans toutes les villes, et ils jugeront le peuple avec justice. ” Elle a établi une procédure équitable : “ Jugez selon la justice : qu’il s’agisse d’un compatriote ou d’un étranger, qu’il n’y ait pas de différence entre les personnes ” (Dt 1,16-17). En interdisant aux juges de recevoir des présents, elle a coupé court à une occasion d’injustice (Ex 23,8 ; Dt 16,19). Elle a fixé à deux ou trois le nombre des témoins (Dt 17,6 ; 19,15). Enfin, on le verra plus loin, elle a prévu des peines déterminées selon la diversité des délits.

Quant aux biens, l’idéal, selon Aristote, est que les propriétés soient distinctes, mais que l’usage en soit partiellement commun et partiellement distribué par la volonté des propriétaires. Or ces trois principes se firent jour dans la loi. En premier lieu, les terres furent partagées entre les particuliers (Nb 33,53 s) : “ J’ai mis cette terre en votre possession ; vous vous la partagerez au sort. ” Mais comme, au témoignage d’Aristote, l’inégalité des biens a conduit maints États à la ruine, la loi a préparé un triple remède à cet égard. Le premier consistait dans une répartition des terres exactement proportionnée au nombre de têtes : “ Vous donnerez un héritage plus grand aux familles plus nombreuses, un héritage moindre aux moins nombreuses ” (Nb 33,54). Autre remède : les fonds n’étaient pas aliénables à perpétuité, mais revenaient au temps marqué à leur propriétaire, sans fusion des parts. Un troisième remède pour éviter ces accroissements, c’était la dévolution de l’héritage aux parents du défunt : au fils en premier lieu, puis à la fille, troisièmement aux frères, ensuite aux oncles paternels, enfin, en dernier lieu, à la parenté (Nb 27,8 s). En outre, pour maintenir la répartition des patrimoines, la loi a établi que les filles héritières se marieraient dans leur tribu (Nb 36,8).

En second lieu, la loi a établi dans une certaine mesure l’usage commun. Et tout d’abord, en ce qui concerne la gestion, le Deutéronome prescrit (22,1-4) : “ Si tu vois s’égarer le bœuf ou la brebis de ton frère, tu ne t’en détourneras pas, mais tu les ramèneras à ton frère. ” On pourrait citer d’autres exemples. - Puis, en ce qui concerne la jouissance : tous en effet, sans exception, étaient autorisés à entrer dans la vigne d’un ami et à y manger du raisin, sans toutefois en emporter. A propos des pauvres en particulier, on devait leur abandonner les gerbes oubliées ainsi que les grappes et les fruits restants (Lv 19,9-10 ; Dt 24,19-21). De même les produits de l’année sabbatique étaient mis en commun (Ex 23,11 ; Lv 25, 4-7).

En troisième lieu, la loi a organisé une distribution effectuée par les propriétaires eux-mêmes : tantôt à titre purement gratuit (Dt 14,28-29) : “ Tous les trois ans, tu mettras à part une autre dîme, et le lévite, l’étranger, l’orphelin et la veuve viendront s’en nourrir et s’en rassasier ” ; tantôt contre un avantage équivalent, dans le cas d’une vente, d’une location, d’un prêt ou d’un dépôt ; de tous ces actes, les conditions sont précisées par la loi. D’où il ressort clairement que la loi ancienne a convenablement réglé la vie sociale de ce peuple.

Solutions :

1. L’Apôtre enseigne aux Romains (13,8) qu’en aimant le prochain on accomplit la loi. C’est que tous les préceptes de la loi, et notamment ceux qui regardent le prochain, apparaissent orientés vers ce but : que les hommes se portent une affection mutuelle. Or la direction incite les hommes à se communiquer leurs biens car, lisons-nous dans la première épître de S. Jean (3,17), “ si quelqu’un voit son frère dans le besoin et lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? ” Voilà pourquoi la loi tâchait d’accoutumer les gens à se faire part volontiers de leurs biens. L’Apôtre, (1 Tm 6, 18), enjoint lui aussi aux riches de distribuer et de partager libéralement. Or, interdire au prochain ces menus prélèvements qui ne lèsent guère le propriétaire, c’est manquer de libéralité. Aussi la loi a-t-elle ordonné qu’il serait loisible d’entrer dans la vigne du voisin et d’y manger des grappes ; toutefois, elle interdit d’en emporter, ne voulant pas donner par là prétexte à un dommage sérieux qui troublerait la paix sociale. Mais, entre gens raisonnables, ces légers grappillages, loin d’avoir un tel effet, mettent le sceau à l’amitié et entretiennent une atmosphère de libéralité.

2. C’est à défaut de descendance mâle que la loi a admis la succession des femmes aux biens paternels. Mais, dans ce cas, il était nécessaire d’accorder cette consolation à un père qui aurait trouvé pénible de voir son héritage passer entièrement à des étrangers. Toutefois, avec une juste circonspection, la loi imposait aux filles héritières des biens paternels le mariage avec un homme de leur propre tribu, de façon à maintenir distincts les lots de chaque tribu (Nb 36).

3. Le salut de l’État ou de la nation est étroitement lié à l’équilibre des propriétés. Cette règle, formulée par Aristote explique selon lui pourquoi, en certaines cités de l’antiquité païenne, la constitution interdisait “ la cession des patrimoines, hormis le cas d’une détresse évidente ”. En effet, quand les propriétés peuvent être librement aliénées, elles risquent de se concentrer en quelques mains, et les habitants se voient obligés de quitter la cité ou le pays. Pour écarter ce danger, la loi ancienne a été conçue de telle sorte qu’il fût satisfait aux besoins de ses ressortissants, puisqu’elle admettait l’aliénation temporaire des fonds, mais sans encourir d’inconvénient puisque le fonds vendu devait à une certaine date faire retour au vendeur. Ces dispositions tendaient à empêcher la confusion des lots et à maintenir toujours identique leur exacte répartition entre les tribus.

Mais les immeubles urbains, n’étant pas lotis, prouvaient légalement être aliénés sans retour, tout comme les meubles. C’est que le nombre des habitations urbaines n’était pas fixé comme était définie la surface des domaines, qui n’était pas susceptible d’extension, tandis que l’on pouvait accroître le nombre des immeubles urbains. Quant aux maisons rurales, sises dans une campagne non close de murs, elles ne pouvaient être aliénées définitivement, attendu que ce genre de constructions n’est destiné qu’à l’exploitation et à la surveillance des domaines ; aussi la loi a-t-elle pu les assimiler à ceux-ci dans sa réglementation.

4. On vient de le dire, la loi se proposait par ses prescriptions d’incliner les gens à s’entraider de bonne grâce dans leurs besoins, car il n’est rien qui stimule davantage l’amitié. Cette prompte assistance trouvait place non seulement dans les actes gratuits et de pure libéralité, mais aussi en matière d’échanges réciproques, d’autant que les interventions de ce genre sont plus fréquentes et s’imposent à plus de gens. La loi s’y est prise de bien des façons pour inculquer cette attitude obligeante.

D’abord on consentirait de bonne grâce les prêts de consommation, sans se laisser arrêter par la proximité de l’année de rémission (Dt 15,7-11). De plus, en consentant un prêt de consommation, pour ne pas accabler l’emprunteur on ne stipulerait aucun intérêt, on ne saisirait pas en gage les objets indispensables à son existence, ou du moins on les lui restituerait au plus tôt. Tout cela est exprimé par le Deutéronome (23,20) : “ Tu ne feras pas à ton frère de prêt à intérêt ” et encore (24,6) : “ Tu ne prendras pas en gage la meule de dessus ni la meule de dessous : ce serait t’emparer de sa vie même ” ; et dans l’Exode (22,26) : “ Si tu as pris en gage le vêtement de ton prochain, tu le lui rendras avant le coucher du soleil. ” - En troisième lieu, on ne ferait pas de réclamation importune, comme le veut l’Exode (22,25) : “ Si tu as prêté de l’argent à un pauvre de mon peuple qui demeure avec toi, tu ne le harcèleras pas comme ferait un usurier. ” Le Deutéronome prescrit dans le même sens (24,10-11) : “ Tandis que tu réclames à ton prochain ce qu’il te doit, tu n’entreras pas dans sa maison pour y saisir un gage, mais tu te tiendras à la porte et c’est lui qui t’apportera ce dont il peut disposer ” ; car la maison étant pour chacun l’abri le plus sûr, il serait intolérable d’y être pourchassé ; d’ailleurs la loi n’admet pas que le créancier se saisisse d’un gage à sa convenance, mais plutôt que le débiteur offre ce dont il a un moindre besoin. - En quatrième lieu, la loi décida que tous les sept ans les dettes seraient remises intégralement. A ceux qui le pouvaient commodément, il convenait de s’acquitter avant la septième année, et de ne pas frustrer celui qui gracieusement leur avait prêté. Mais, s’ils étaient définitivement insolvables, on devait leur faire remise de leur dette pour ce même motif de direction qui exigeait qu’on leur donne à nouveau, en raison de leur indigence.

En ce qui concerne les animaux prêtés, la loi a décidé que l’emprunteur serait tenu à dédommagement, du fait de sa négligence, si en son absence les bêtes mouraient ou dépérissaient. Si au contraire elles étaient mortes ou avaient dépéri sous ses yeux et sous sa garde diligente, il n’y était pas tenu, et cela surtout s’il les avait en location ; car dans ces conditions les animaux risquaient aussi bien de mourir ou de dépérir entre les mains du propriétaire qui, par conséquent, eût tiré un avantage contraire à la nature du prêt gratuit, si la conservation de l’animal lui était ainsi garantie. Cette règle s’imposait tout spécialement à propos d’animaux loués, puisque dans ce cas le propriétaire recevait pour l’usage de ses bêtes une redevance déterminée, en sorte que nulle compensation supplémentaire n’était due en raison de la moins value, si les animaux avaient été gardés sans négligence. En revanche, s’il ne s’était agi que d’un prêt gratuit, un dédommagement aurait pu paraître équitable, au moins jusqu’à concurrence du loyer qu’on aurait pu tirer de l’animal perdu ou détérioré.

5. Entre le prêt et le dépôt il y a cette différence que le prêt se fait pour l’utilité de l’emprunteur, tandis que le dépôt est pour l’utilité du déposant. Voilà pourquoi, le cas échéant, on était plus exigeant pour la restitution de la chose prêtée que pour la restitution du dépôt. Or la disparition du dépôt pouvait se présenter de deux façons : soit à cause d’un fait inévitable qui pouvait être naturel, comme la mort ou l’affaiblissement de l’animal remis en dépôt, ou d’origine extérieure, si par exemple il était tombé entre les mains de l’ennemi ou sous la dent des fauves. Dans ce dernier cas, le dépositaire était bien tenu de présenter au propriétaire ce qui pouvait rester de l’animal, mais dans tous les autres cas il n’avait rien à restituer ; tout au plus, afin d’écarter le soupçon de fraude, était-il tenu de prêter serment. Mais en second lieu le dépôt pouvait disparaître à cause d’un fait qui aurait pu être évité, par exemple à raison d’un vol. Dans ce cas, pour sa négligence, le dépositaire était tenu à ré était tenu même si l’animal était mort ou avait dépéri en son absence. Il fallait en effet une faute plus grave pour engager la responsabilité du dépositaire, tenu seulement en cas de vol.

6. Les journaliers qui louent leurs bras étant des gens peu fortunés qui vivent au jour le jour de leur travail, la loi a sagement décidé que le salaire leur serait versé immédiatement, afin d’assurer leur subsistance. Au contraire, ceux qui mettent d’autres biens en location sont généralement dans l’aisance et ils n’ont pas un besoin aussi urgent de leurs loyers pour vivre au jour le jour. Ainsi les deux cas ne sont pas comparables.

7. Les juges sont établis dans une société pour déterminer les points de droit qui demeureraient douteux entre les parties. Or le doute peut se présenter à deux niveaux. Et tout d’abord aux yeux des simples. Pour le résoudre dans ce cas, il est prescrit que “ des juges et des greffiers soient établis en chaque tribu pour juger le peuple selon la justice ”, dit le Deutéronome (16,18). Mais le doute peut surgir aussi dans l’esprit des sages et alors, pour le lever, la loi impose à tous de recourir au chef-lieu désigné par Dieu ; on devait y trouver d’une part un grand prêtre qualifié pour trancher les différends en matière de rites, et d’autre part un juge souverain pour ce qui touche les litiges privés, de même qu’aujourd’hui encore par voie d’appel ou de consultation, la connaissance des procès passe du juge inférieur au juge supérieur. C’est ce qu’exprime le texte allégué du Deutéronome (17,8 s) : “ Si une affaire te parait difficile et douteuse et si elle soulève un désaccord entre les juges dans ta ville, monte au lieu désigné par le Seigneur et adresse-toi aux prêtres lévites et au juge alors en fonction. ” Les difficultés de cette sorte étant relativement rares, le système n’était pas trop onéreux pour le public.

8. Dans les affaires humaines où les démonstrations ne parviennent pas à une rigueur infaillible, on se contente de ces présomptions vraisemblables qu’un orateur sait rendre persuasives. Et donc, bien que deux ou trois témoins puissent s’entendre pour mentir, un tel accord n’est ni commun ni probable ; aussi tient-on pour véridique leur témoignage, surtout s’ils n’hésitent pas dans leur déposition et ne sont par ailleurs nullement suspects. De plus, pour que les témoins ne s’éloignent pas aisément de la vérité, la loi a prescrit de les contrôler avec le plus grand soin et de punir avec la dernière rigueur ceux qui seraient convaincus de mensonge (Dt 19,16 s).

Pour expliquer davantage pourquoi ce nombre de témoins a été arrêté, remarquons qu’il symbolisait la vérité infaillible des personnes divines ; celles-ci en effet apparaissent tantôt au nombre de deux, le Saint-Esprit établissant un lien entre elles, tantôt explicitement au nombre de trois. C’est ainsi que S. Augustin commente cette parole en S. Jean (8,17) : “ Il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est vrai. ” La gravité de la peine infligée ne tient pas seulement à la gravité de la faute, mais encore à d’autre motifs. Tels sont en premier lieu l’importance de l’infraction : si elle est grave, toutes choses égales d’ailleurs, elle mérite une peine plus lourde ; en deuxième lieu, le caractère habituel de l’infraction, car il n’est pas facile, sinon par des peines sévères, de détourner les hommes de leurs manquements habituels ; en troisième lieu, la vivacité de l’attrait ou du plaisir qu’offre l’acte défendu et qui fait qu’on s’en abstient difficilement, s’il n’est pas gravement puni. Enfin la facilité avec laquelle l’infraction peut être commise et tenue secrète exige que, si elle est découverte, les coupables soient plus fortement châtiés, pour l’intimidation des autres.

En ce qui concerne l’importance même de l’infraction, on notera quatre situations inégales, quand même il s’agirait d’un seul et même acte matériel. Le premier degré est celui d’une infraction commise involontairement. Alors, si l’acte est parfaitement involontaire, son auteur est exempté de tout châtiment ; c’est ainsi que le Deutéronome (22,25 s) dispose que la fille qui est violentée en plein champ “ n’est point passible de mort, car elle a crié à l’aide mais nul ne s’est trouvé là pour la délivrer. ” Si la volonté est de quelque façon engagée, mais que le délinquant toutefois ait agi par faiblesse, notamment sous l’influence de la passion, le délit est atténué, et en toute justice la peine doit être moindre ; à moins cependant, répétons-le, que l’utilité commune ne requière une plus grande rigueur, de façon à détourner les gens de ce genre de fautes.

Le deuxième degré est celui d’un délit commis par ignorance. Dans ce cas le délinquant était considéré comme coupable pour avoir négligé de s’instruire ; toutefois il n’était pas puni par les juges, mais il devait expier sa faute par des sacrifices, selon le Lévitique (4,2 s) : “ Lorsqu’un homme aura péché par erreur etc. ” Du reste, il ne s’agit pas là de l’ignorance du précepte divin, que nul ne peut ignorer, mais d’une ignorance du fait.

Au troisième degré, nous trouvons le péché d’orgueil, c’est-à-dire celui qui était commis par détermination ferme et malice assurée. Dans ce cas la peine suivait l’importance du délit.

Au quatrième degré enfin se trouvait le pécheur cynique et obstiné. Alors, considéré comme un rebelle et un danger pour l’ordre public, il devait absolument être mis à mort.

En s’inspirant de ces principes, en répondra que dans la répression du vol, la loi prenait en considération la fréquence probable de chaque sorte d’infraction. Ainsi pour le vol de ces différents objets que l’on peut facilement soustraire aux entreprises d’un voleur, celui-ci ne restituait que le double. Mais les moutons qui paissent dans la campagne sont autrement difficiles à garder, et les vols de moutons se présentaient assez fréquemment ; la loi les assortit donc d’une peine plus forte qui consistait à rendre quatre têtes pour une. La garde des bovins est encore plus difficile car ils se tiennent aussi dans les champs, mais plus dispersés dans les pâturages que les troupeaux de moutons ; aussi la loi a-t-elle fixé une peine encore plus forte, à savoir la restitution au quintuple. Tout cela s’entend sauf le cas où la bête vivante aurait été retrouvée chez le voleur ; celui-ci ne restituait alors que le double, comme dans les vols ordinaires, parce qu’on pouvait présumer que le voleur l’avait laissée en vie dans l’intention de la rendre.

Ou bien, disons avec la Glose que l’on tire des bovins cinq sortes d’utilités : le sacrifice, le labour, la viande, le lait, le cuir ; voilà pourquoi pour une bête on en devait cinq. Mais la brebis ne présente que quatre utilités : le sacrifice, la viande, le lait, la laine. - Ce n’est pas parce qu’il festoyait que le fils insoumis était mis à mort, mais à cause de son opiniâtreté et de sa rébellion, crimes capitaux, on l’a dit. - Et celui qui avait ramassé du bois le jour du sabbat fut lapidé parce que la loi de l’observance du sabbat qu’il avait violée signifiait la foi en la création du monde : c’est donc pour son infidélité que cet homme fut mis à mort.

10. La loi ancienne infligeait la peine de mort pour certains crimes particulièrement graves : offenses contre Dieu, homicide, rapt, irrévérence envers les parents, adultère, inceste. Eue punissait de l’amende les autres vols. Aux coups et dommages corporels elle appliquait la peine du talion, ainsi qu’au crime de faux témoignage. Pour les autres délits de moindre gravité, les coupables étaient flagellés ou notés d’infamie.

La loi admit l’esclavage en deux cas. D’abord lorsqu’un esclave, au retour de la rémission septennale, refusait le bénéfice de la libération légale ; pour le punir, on l’obligeait à demeurer perpétuellement en esclavage. En second lieu, on voit dans l’Exode (22,3) que cette peine était infligée au voleur incapable de restituer. L’exil absolu n’a pas été admis comme peine légale. C’est que ce peuple était le seul à rendre un culte au vrai Dieu, tous les autres étant souillés d’idolâtrie ; l’homme qui aurait été définitivement exilé aurait donc été exposé à l’idolâtrie. Aussi le premier livre de Samuel (26,19) rapporte-t-il cette protestation adressée par David à Saül : “ Maudits ceux qui m’ont chassé aujourd’hui, pour m’empêcher de participer à l’héritage du Seigneur, en disant : "Va servir des dieux étrangers." ” Il y avait toutefois un exil relatif, puisque le Deutéronome (19,4) nous apprend que “ celui qui avait tué son prochain par mégarde et sans avoir été son ennemi avéré ” se rendait à l’une des villes de refuge et y demeurait jusqu’à la mort du grand prêtre. A ce moment il lui était permis de rentrer chez lui ; un deuil public ayant pour effet ordinaire d’apaiser les ressentiments privés, les parents du mort étaient moins tentés de mettre à mort le meurtrier.

11. On prescrivait la mise à mort des animaux, non à cause d’une faute quelconque de leur part, mais pour punir les propriétaires qui auraient dû les surveiller et les empêcher de commettre pareils méfaits. Aussi le propriétaire était-il puni plus légèrement si le taureau était devenu furieux à l’improviste que si l’animal avait déjà frappé de la corne la veille ou l’avant-veille, circonstance qui permettait de prévoir le danger. - D’autre part abattre l’animal c’était réprouver son acte détestable et épargner à l’entourage certaine impression d’effroi que sa vue eût pu provoquer.

12. Voici la raison littérale de ce commandement selon Maïmonide. Le meurtrier appartient d’ordinaire à une cité du voisinage ; aussi l’abattage de la génisse avait pour but de faire la lumière sur un meurtre clandestin. Le but était atteint de trois manières : d’abord les anciens juraient qu’ils n’avaient rien négligé pour la sûreté des chemins ; d’autre part le propriétaire de la génisse subissait un dommage si la bête était abattue, mais elle ne l’était pas si l’affaire était éclaircie à temps ; enfin le lieu où son abattage était opéré devait demeurer en friche. Pour éviter ce double dommage, les habitants de la localité étaient donc portés à révéler le meurtrier, s’ils le connaissaient, et il ne pouvait guère manquer de se produire quelque parole ou indice en ce sens.

Ou encore cette procédure tendait à l’intimidation, pour inspirer l’horreur de l’homicide. En immolant une génisse, animal utile et plein de vigueur, surtout tant qu’il n’a pas encore porté le joug, on signifiait que tout meurtrier, quels que fussent ses services ou sa valeur, devait mourir, et d’une mort cruelle, évoquée par la nuque brisée ; et que son objection et sa dégradation le mettaient au ban de la société, ce qui ressortait du fait que la génisse abattue était abandonnée, destinée à la pourriture, dans un lieu sauvage et désert.

En voici le sens mystique : la génisse enlevée au troupeau représente la chair du Christ ; elle n’a pas porté le joug, car elle n’a point péché ; elle n’a pas divisé la terre par le soc de la charrue, entendez qu’elle ne “ s’est souillée d’aucune marque de rébellion ”. Si la génisse mourait dans un vallon en friche, cela signifiait le mépris dont fut entourée la mort du Christ, par laquelle tous péchés sont lavés et le diable désigné comme auteur de l’homicide.

 

            Article 3 — Les préceptes judiciaires qui concernent les étrangers

Objections :

1. S. Pierre a dit (Ac 10,34) : “ En vérité, je reconnais que Dieu ne fait pas acception des personnes, mais qu’en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice lui est agréable. ” Or ceux qui sont agréables à Dieu ne doivent pas être exclus de l’Église de Dieu. Il y a donc quelque chose de choquant dans cette prescription (Dt 23,3) qui interdit “ aux Ammonites et aux Moabites, même au-delà de la dixième génération et pour toujours, d’entrer dans l’assemblée du Seigneur ” : alors qu’en revanche il est déclaré au même endroit, en faveurs d’autres nations : “ Tu n’auras pas de haine pour l’Iduméen, car c’est ton frère, ni pour l’Égyptien, car tu as résidé comme immigré dans son pays. ”

2. Nous ne pouvons pas être punis pour ce qui ne dépend pas de nous. Mais si quelqu’un est eunuque ou de naissance illégitime, il n’en n’est pas responsable. Le Deutéronome (23,1 s) a donc tort de décider que “ l’eunuque ou le fruit de rapports illicites ne sera pas admis dans l’assemblée du Seigneur ”.

3. La loi ancienne est humaine lorsqu’elle interdit de maltraiter l’étranger, comme au chapitre 22 de l’Exode : “ Tu ne brimeras pas l’immigré et tu ne le maltraiteras pas, car vous avez été vous-mêmes immigrés dans le pays d’Égypte. ” Cependant c’est maltraiter quelqu’un que de l’accabler par l’usure. La loi (Dt 23,19 s), a donc tort d’autoriser les pratiques usuraires envers l’immigré.

4. Les hommes sont beaucoup plus proches de nous que les arbres. Or nous devons une affection plus intense et plus active aux êtres qui nous tiennent de plus près, selon cette maxime de l’Ecclésiastique (13,19) : “ Tout vivant aime son semblable ; de même aussi tout homme aime son prochain. ” On ne comprend donc pas que le Seigneur ordonne (Dt 20,13) d’exterminer tous les habitants des villes qui auront été prises, et cependant de respecter les arbres fruitiers.

5. Selon la vertu, chacun doit préférer le bien commun à son bien particulier ; or, c’est le bien commun qui est en cause quand on fait la guerre aux ennemis. Il est donc choquant que le Seigneur ordonne (Dt 20, 5 s) de renvoyer certains hommes dans leurs foyers au moment du combat, ceux par exemple qui viennent de construire une maison, de planter une vigne ou de se marier.

6. Nul ne doit tirer avantage de sa faute. C’est bien une faute, un manquement à la vertu de force, que d’avoir peur et de manquer de courage. Il n’était donc pas juste que les poltrons et les lâches fussent dispensés des fatigues du combat (Dt 20,8).

En sens contraire, la Sagesse divine déclare dans les Proverbes (8,8) : “ La droiture règle tous mes discours ; il ne s’y trouve rien de difforme ni de tortueux. ”

Réponse :

Avec les étrangers, le peuple peut entretenir deux sortes de rapports : dans la paix et dans la guerre. Pour régler les uns et les autres, la loi comportait les préceptes qu’il fallait. Dans la paix, une triple occasion s’offrait aux Juifs d’entrer en contact avec les étrangers : tout d’abord quand des étrangers en voyage traversaient le pays ; ou bien quand des étrangers venaient dans le pays pour s’y installer en qualité d’immigrés. Dans ces deux cas, les prescriptions légales ont un caractère d’humanité ; ce sont les maximes de l’Exode (22,21) : “ Tu ne brimeras pas l’hôte étranger ”, et (23, 9) : “ Tu ne seras pas cruel pour le voyageur étranger. ” Le troisième cas est celui d’étrangers désirant être reçus en pleine communauté de vie et de culte avec le peuple : à leur endroit on observait certaines formalités, et leur admission à l’état de citoyens n’était pas immédiate. De même, selon Aristote, c’était une règle chez certaines nations de réserver la qualité de citoyens à ceux dont l’aïeul, voire le trisaïeul, avait résidé dans la cité. Et cela se comprend, à cause des multiples inconvénients occasionnés par la participation prématurée des étrangers au maniement des affaires publiques, si, avant d’être affermis dans l’amour du peuple, ils entreprenaient quelque chose contre lui. C’est pourquoi, selon les dispositions de la loi, certaines nations plus ou moins liées avec les juifs, comme les Égyptiens au milieu desquels ils étaient nés et avaient grandi, les Édomites descendants d’Ésaü, le frère de Jacob, étaient accueillis dès la troisième génération dans la communauté du peuple. D’autres au contraire qui avaient montré de l’hostilité pour les juifs, comme les descendants d’Ammon et de Moab, n’y étaient jamais admis ; quant aux Amalécites qui leur avaient été particulièrement hostiles et ne leur étaient liés à aucun degré de parenté, on devait à jamais les traiter en ennemis, selon l’Exode (17,16) : “ De génération en génération, Dieu sera en guerre avec Amalec. ” De même pour les rapports de belligérance avec l’étranger, les prescriptions légales étaient satisfaisantes. En premier lieu il était prescrit par le Deutéronome (20,10) d’engager la guerre selon la justice, car, au moment d’attaquer une cité, on devait commencer par lui faire des offres de paix. - Ensuite, la guerre une fois engagée, il était prescrit de la mener vigoureusement, en se fiant à Dieu ; à cet effet la loi disposait qu’un prêtre, au moment du combat, relèverait les courages en promettant le secours de Dieu. - En troisième lieu, voulant que rien ne vint gêner les combattants, la loi ordonnait de renvoyer chez eux ceux qui risquaient d’embarrasser. - Enfin, la loi prescrivait la modération dans la victoire, voulant qu’on épargnât femmes et enfants, et même qu’on se gardât de couper les arbres fruitiers du pays.

Solutions :

1. Aucune nation n’est écartée par la loi de ce qui concerne le culte de Dieu et le salut de l’âme, car l’Exode (12,48) ordonne : “ Si quelque étranger en résidence chez vous veut célébrer la Pâque du Seigneur, que tout mâle lui appartenant soit d’abord circoncis, et alors il célébrera régulièrement et sera en tout comme le naturel du pays. ” Mais au temporel, en ce qui concerne la société politique, on n’admettait pas d’emblée le premier venu, pour la raison qu’on vient de dire ; les uns étaient admis à la troisième génération : les Égyptiens et les Édomites ; les autres, les Moabites, les Ammonites et les Amalécites étaient exclus à perpétuité, en abomination de leur crime passé. De même en effet qu’un individu porte la peine de la faute qu’il a commise, pour qu’intimidés par ce spectacle les autres cessent de mal faire, de même aussi une nation ou une cité peut être punie à raison d’un péché pour que les autres s’abstiennent de les imiter.

Toutefois, par dispense individuelle, un particulier pouvait, à raison de quelque haut fait, être agrégé au sein du peuple ; on lit dans Judith (14,6) que le chef des Ammonites, Achior, fut incorporé au peuple d’Israël, lui et toute sa postérité. Il en fut de même pour Ruth, une Moabite, femme de grande vertu ; mais peut-être la prohibition ne visait-elle que les hommes, les femmes ne jouissant pas à proprement parler de la qualité de citoyens.

2. Aristote distingue deux degrés dans la citoyenneté, un degré parfait et un degré relatif Est citoyen parfait celui qui peut exercer les fonctions civiques, comme intervenir dans les délibérations et les décisions publiques. On peut qualifier de citoyen en un sens relatif quiconque habite la cité, gens du commun, enfants et vieillards, inhabiles aux fonctions de caractère public. On comprend donc que les bâtards, pour la honte attachée à leur naissance, fussent exclus de l’assemblée, c’est-à-dire du corps politique, jusqu’à la dixième génération. Il en allait de même des eunuques qui ne pouvaient prétendre à l’honneur dont la paternité était entourée à bon droit, dans ce peuple juif surtout où le culte de Dieu se perpétuait par la voie de la génération charnelle ; car même chez les païens, si l’on en croit Aristote, ceux qui avaient eu de nombreux enfants recevaient des témoignages particuliers de considération. Cependant, répétons-le, du point de vue de la grâce de Dieu les eunuques n’étaient pas écartés, non plus que les hôtes d’origine étrangère. On peut alléguer en ce sens Isaïe (56,3) : “ Que le fils de l’étranger qui s’est attaché au Seigneur ne dise pas : “ Le Seigneur m’exclura de son peuple ”, et que l’eunuque ne dise pas “ je suis un arbre sec. ”

3. L’intention de la loi n’était pas que l’on tirât de l’étranger un profit usuraire ; elle laissait faire, pour ainsi dire, tant les Juifs étaient enclins à la cupidité ; d’ailleurs, elle espérait qu’ils entretiendraient avec les étrangers des rapports plus pacifiques, puisqu’ils y gagnaient.

4. On distinguait entre les villes ennemies. Certaines, étant éloignées, n’entraient pas dans la catégorie des villes dont la possession était promise aux Juifs ; lorsqu’ils les avaient conquises, ils en exterminaient tous les mâles qui avaient combattu contre le peuple de Dieu, mais ils épargnaient les femmes et les enfants. S’agissait-il au contraire des villes voisines qui leur avaient été promises, il était de règle que tous les habitants en fussent immolés, à cause de leurs iniquités antérieures ; le peuple d’Israël les châtiait, comme mandaté par le Seigneur pour l’exécution de la justice divine ; c’est ce qui paraît dans la Deutéronome (9,5) : “ C’est parce que ces nations ont commis l’iniquité que tu es entré chez elles pour leur ruine. ” Quant aux arbres fruitiers, il était prescrit de les sauvegarder, pour l’avantage même du peuple juif qui devait entrer en possession de la cité et de son territoire.

5. Ceux qui venaient de bâtir une maison, de planter une vigne ou de prendre femme étaient écartés du combat pour un double motif. C’est d’abord qu’on a communément plus d’amour pour les biens qu’on vient d’acquérir ou qu’on est sur le point d’acquérir, et que par conséquent on redoute davantage de les perdre. On pouvait donc estimer que par suite de cet amour, la crainte excessive de la mort, rendrait de tels hommes moins courageux au combat. - En second lieu, selon une observation d’Aristote, c’est parce que “ celui qui est sur le point de saisir un bien et qui s’en trouve frustré semble victime d’un mauvais sort ” ; ainsi donc, pour éviter que la situation de ces malheureux privés par la mort d’un bonheur imminent, ne désolât davantage les parents qu’ils laissaient, ou bien même que le peuple, à ce spectacle, ne fût frappé de terreur, on mettait de tels hommes à l’abri du danger, en les éloignant du champ de bataille.

6. Ce n’est pas pour leur avantage personnel qu’on renvoyait chez eux les poltrons, mais pour épargner au peuple l’inconvénient de leur présence, car leur peur et leur fuite pouvaient être contagieux.

 

            Article 4 — Les préceptes judiciaires qui concernent la vie domestique

Objections :

1. Aristote dit : “ En ce qu’il est, l’esclave appartient au maître. ” Or la propriété est perpétuelle. C’est donc à tort que l’Exode (21,2) ordonne la mise en liberté des esclaves à la septième année.

2. Comme l’âne, comme le bœuf ou un animal quelconque, l’esclave est la propriété du maître. Mais le Deutéronome, d’une part (22,1-3), prescrit de restituer à leur propriétaire les animaux égarés, et il donne d’autre part (23,15) cette règle contradictoire : “ Tu ne remettras pas à son maître l’esclave qui se sera réfugié chez toi. ”

3. Plus encore que la loi humaine, la loi divine doit inciter les cœurs à la pitié. Or les lois humaines punissent sévèrement ceux qui traitent avec trop de rigueur leurs esclaves de l’un ou l’autre sexe ; d’autre part, il n’est pas de traitement plus rigoureux que celui qui entraîne la mort. On ne saurait donc approuver la loi, établie par l’Exode (21,20 s), selon laquelle “ si l’esclave mâle ou femelle survit jusqu’au lendemain, le maître qui l’aura battu échappera à tout châté du maître ”.

4. Le père n’a pas sur son fils le même pouvoir que le maître sur l’esclave, si l’on en croit Aristote, et le pouvoir de mettre en vente l’esclave ou la servante appartient au droit du maître. C’est donc à tort que la loi, dans l’Exode (21,7), autorise un particulier à vendre sa fille comme esclave ou comme servante.

5. Les fautes doivent être châtiées par celui qui a autorité sur le coupable, et c’est le père qui a autorité sur le fils. Il est donc anormal qu’aux termes du Deutéronome (21,18) le père doive conduire son fils devant les anciens de la ville pour le faire châtier.

6. D’après le Deutéronome (7,3 s), un précepte divin interdisait le mariage avec les étrangères et, d’après le premier livre d’Esdras (10), de telles unions devaient même être rompues. Il est donc incohérent que Dieu (21) permette aux Israélites d’épouser leurs captives étrangères (Dt 2l,10s).

7. Par ordre de Dieu, selon le Lévitique (18), les mariages sont prohibés à certains degrés de consanguinité ou d’affinité. Il est donc incohérent que Dieu prescrive (Dt 25,5) que, si un homme meurt sans laisser d’enfants, sa veuve doit épouser le frère du défunt.

8. A l’intimité parfaite qui règne entre époux, doit correspondre une inviolable fidélité qui n’est concevable que dans une union indissoluble. On s’étonne donc que, par la permission de Dieu (Dt 24,1-4), le mari eût licence de renvoyer sa femme, moyennant une lettre de répudiation, et qu’il ne lui fût plus permis de la reprendre par la suite.

9. Si la femme peut être infidèle à son mari, l’esclave peut aussi être infidèle à son maître, et le fils à son père. Or la loi n’a institué de sacrifice d’aucune sorte en vue de découvrir la faute de l’esclave ou du fils contre les droits du maître ou du père. Il n’y avait donc pas de raison d’instituer le sacrifice de jalousie, dont il est question dans les Nombres (5,12 s), pour découvrir l’adultère de la femme. On voit donc qu’en matière familiale les préceptes judiciaires de la loi laissent à désirer.

En sens contraire, le Psaume (19) assure : “ Les décrets du Seigneur sont vrais, ils trouvent en eux-mêmes leur justification. ”

Réponse :

On lit dans Aristote : “ La communauté qui s’établit entre membres d’une même famille est liée aux activités journalières commandées par les besoins de la vie. ” Or la vie humaine est assurée d’une double manière. D’abord au plan individuel, en ce sens que l’homme subsiste dans son identité distincte ; pour se conserver en ce sens, la vie humaine se sert des biens extérieurs qui procurent à l’homme la nourriture, le vêtement et autres articles de nécessité vitale, et c’est afin d’y pourvoir que l’homme a besoin d’esclaves. D’autre part, au plan spécifique, la vie humaine se conserve par la génération : à cet effet l’homme a besoin d’une femme qui lui donne une progéniture. Si bien que la communauté domestique comporte un triple système de rapports : de maître à esclave, de mari à femme, de père à fils. Or, sur chacun d’eux, la loi ancienne offrait des prescriptions satisfaisantes.

Elle a voulu que les esclaves fussent traités avec modération, et d’abord qu’on ne les accablât point de travaux excessifs : ainsi le Deutéronome (5,14) rapporte ce commandement divin “ qu’au jour du sabbat ton serviteur et ta servante se reposent comme toi-même ”. Modération aussi dans les châtiments qu’on devrait leur infliger, car la loi a condamné ceux qui auraient mutilé leurs esclaves, à leur rendre la liberté (Ex 21,26 s). Même disposition en faveur de la servante qu’on aurait maltraitée. Touchant en particulier les esclaves israélites, le livre de l’Exode (21, 2 s) a prescrit qu’ils s’en iraient librement à la septième année avec tout ce qu’ils avaient apporté, y compris leurs vêtements ; et le Deutéronome (15,13 s) demande en outre qu’on leur donne un viatique.

Au sujet des femmes, voici les règles légales en matière matrimoniale : l’épouse devra appartenir à la même tribu que le mari (Nb 36,5 s), et ceci pour maintenir la répartition des terres entre les tribus. On devra épouser la veuve de son frère mort sans enfant (Dt 25,5 s), disposition qui tend à procurer, au moins par manière d’adoption, une postérité à celui qui n’a pu en avoir par descendance charnelle, et par suite à sauver la mémoire du défunt d’une disparition complète. De plus le mariage était interdit avec deux catégories de personnes : les étrangères, à cause de leur influence dangereuse, et les proches parentes, pour la réserve que la nature prescrit à leur égard. - La manière de traiter les femmes dans le mariage était également réglée. On ne devait pas compromettre leur réputation à la légère : ainsi une peine est portée contre celui qui accuse sa femme faussement (Dt 22,13 s). Un fils ne devait pas, en haine de sa mère, être désavantagé (Dt 21,15 s). De plus, en cas de désaccord, la femme ne devait pas être persécutée, mais plutôt renvoyée, par acte écrit (Dt 24,1). Enfin, pour accroître dès le début l’affection conjugale, il est prescrit (Dt 24,5) que le nouveau marié sera exempté de toute obligation de caractère public, afin de pouvoir, en compagnie de sa femme, jouir librement de son bonheur.

En ce qui concerne les fils, la règle était que les pères devaient pourvoir à leur éducation, en les instruisant de la foi, comme le signale l’Exode (12,26 s) : “ Quand vos fils vous demanderont "Que signifie cette cérémonie" vous leur direz "C’est la Pâque du Seigneur" ” ; et en les instruisant de la morale, car les pères devaient proclamer, selon le Deutéronome (21,20) : “ Mon fils méprise mes avertissements, il s’adonne aux excès de la débauche et de l’intempérance. ”

Solutions :

1. Le Seigneur, après avoir libéré de la servitude les enfants d’Israël et les avoir attachés au service divin, ne voulait plus qu’ils connussent un esclavage perpétuel. Le Lévitique (25,39 s) en tire cette conséquence : “ Si, poussé par la pauvreté, ton frère se vend à toi, tu ne feras pas peser sur lui la servitude des esclaves, mais il sera comme un salarié ou un hôte. C’est de moi en effet qu’ils sont esclaves et je les ai fait sortir de la terre d’Égypte : qu’ils ne soient pas vendus comme esclaves. ” Aussi, comme il s’agissait d’un esclavage relatif et non d’un esclavage proprement dit, ils étaient remis en liberté au bout d’un certain temps.

2. Cette règle s’entend de l’esclave que son maître recherche pour le tuer ou pour l’employer au mal.

3. En ce qui concerne les sévices sur la personne des esclaves, la loi semble avoir distingué. Si le tort était évident, elle infligeait une peine : pour une mutilation, c’était la perte de l’esclave, qu’il était prescrit d’affranchir ; pour la mort de l’esclave, c’était la peine prévue pour l’homicide si la victime mourait entre les mains du maître qui le battait. - A dé un esclave lui appartenant, par exemple lorsque l’esclave frappé ne mourait pas sur le champ, mais survivait quelques jours. Il n’était pas sûr en effet que la mort fût causée par les mauvais traitements. Du reste, eût-on maltraité un homme libre, pourvu toutefois que celui-ci ne mourût pas sur l’heure mais pût marcher à l’aide d’un bâton, on n’était pas convaincu d’homicide. Sans doute l’Exode (21,18-19) ordonne-t-il de dédommager la victime de ses frais médicaux, mais ce règlement ne pouvait avoir lieu de meure à esclave, car tout ce que l’esclave possédait, et sa personne même, était en un sens la propriété du maître. C’est pourquoi celui-ci est expressément exempté de l’amende pour ce motif “ qu’il s’agit de la propriété du maître ”.

4. On l’a dit, nul Juif ne pouvait détenir un de ses compatriotes en esclavage pur et simple ; c’était un esclavage relatif, une sorte de service à gages et temporaire. En ce sens, la loi permettait de vendre son fils ou sa fille, quand l’indigence y contraignait. C’est bien ce que marquent les termes de la loi dans l’Exode (21,7) : “ Lorsqu’un homme aura vendu sa fille comme servante, elle ne s’en ira pas à la manière des esclaves. ” Dans ces conditions, on pouvait encore non seulement vendre un enfant mais se vendre soi-même, en qualité de mercenaire plutôt que d’esclave, comme le suggère le Lévitique (25,39 s) : “ Si ton frère, contraint par l’indigence, se vend à toi, tu ne lui imposeras pas un service d’esclave, mais il sera comme un salarié ou un hôte. ”

5. Aristote remarque que la puissance paternelle comporte un simple pouvoir de remontrance et non la force de cœrcition qui permet de contraindre les indociles et les rebelles. Aussi, en ce cas, la loi voulait que le fils rebelle fût châtié par les chefs de la cité.

6. Le Seigneur fit défense de contracter mariage avec des étrangères pour écarter le danger d’une séduction qui mènerait à l’idolâtrie. L’interdiction concernait spécialement les femmes originaires des peuples voisins, comme ayant plus de chance de persévérer dans leurs pratiques religieuses. Mais si quelqu’une voulait renoncer au culte idolâtrique et passer à celui de la loi, on pouvait l’épouser : ce fut le cas de Ruth, épousée par Booz. N’avait-elle pas dit à sa belle-mère : “ Ton peuple sera mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu ” (Ruth 1,16) ? Pour cette raison, une captive ne pouvait être prise en mariage qu’elle ne se fût d’abord rasé la chevelure et rogné les ongles, qu’elle n’eût quitté sa robe de captivité et pleuré son père et sa mère, en quoi s’exprime le rejet définitif de l’idolâtrie.

7. L’explication est fournie par S. Jean Chrysostome : “ Pour les Juifs qui n’avaient d’autre perspective que la vie présente, la mort paraissait un mal sans rémission ; la règle était donc d’épouser la veuve de son frère afin de donner un fils à celui-ci et d’apporter un certain adoucissement au deuil. Nul toutefois, en dehors du frère ou du proche parent, n’était obligé de prendre la femme du défunt, le fruit de ces autres unions n’ayant pas le même titre à passer pour fils du disparu, sans compter que l’obligation de relever la maison du défunt ne s’imposait pas aux étrangers avec la même force qu’au frère, par la loi du sang. ” Cela montre qu’en épousant la veuve de son frère, il tenait la place du défunt.

8. La loi a admis la répudiation de l’épouse, non que cette pratique soit juste en elle-même, mais à cause de l’endurcissement des juifs, selon les paroles de Notre Seigneur en S. Matthieu (19,8). On reviendra plus longuement sur cette question au traité du mariage.

9. L’infidélité de la femme adultère est fréquente, vu l’attrait du plaisir, et dissimulée, car, comme on le lit dans Job (24,15), “ L’œil de l’adultère guette la tombée du jour ”. Du fils au père, de l’esclave au maître, la situation est toute différente : ici l’infidélité ne procède pas de la convoitise, mais plutôt d’un naturel méchant, et elle ne saurait se dissimuler comme celle de la femme adultère.

LA LOI NOUVELLE

Continuons en étudiant la loi de l’Évangile, qu’on appelle la loi nouvelle. Nous la considérerons d’abord en elle-même (Q. 106), puis dans ses rapports avec la loi ancienne (Q. 107), enfin dans son contenu (Q. 108).

 

QUESTION 106 — LA LOI NOUVELLE EN ELLE-MÊME

1. Quelle est sa nature : est-elle une loi écrite, ou une loi intérieure ? - 2. Quelle est son efficacité : justifie-t-elle ? - 3. Quelle est son origine : devait-elle être donnée au commencement du monde ? - 4. Quel est son terme : durera-t-elle jusqu’à la fin du monde, ou bien faut-il qu’une autre loi lui succède ?

 

            Article 1 — La loi nouvelle est-elle une loi écrite, ou une loi intérieure ?

Objections :

1. Cette loi, c’est l’Évangile, c’est-à-dire un texte écrit : “ Cela a été écrit pour que vous croyiez ” (Jn 20,31). La loi nouvelle est donc bien une loi écrite.

2. La loi intérieure, c’est la loi naturelle “ Ceux-là, dit S. Paul (Rm 2,14 s), accomplissent naturellement les prescriptions de la loi, qui ont ces prescriptions inscrites dans leur cœur. ” Si la loi évangélique était une loi intérieure, on ne la distinguerait pas de la loi naturelle.

3. Seuls ceux qui sont sous le régime de la nouvelle alliance ont pour loi l’Évangile ; au contraire la loi intérieure est commune aux ressortissants de l’ancienne alliance et à ceux de la nouvelle : “ La Sagesse divine passant, à travers les générations, dans les âmes saintes en fait des amis de Dieu et des prophètes ” (Sg 7,27). La loi nouvelle n’est donc pas une loi intérieure.

En sens contraire, la loi nouvelle, c’est la loi de la nouvelle alliance, et cette loi est mise dans le cœur. Jérémie l’annonçait (31,31 s.) : “ Des jours viennent, dit le Seigneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle. ” S. Paul (He 8, 10), s’appuyant sur ce texte, explique ainsi ce qu’est cette alliance nouvelle : “ Voici l’alliance que je ferai avec la maison d’Israël : je mettrai mes lois dans leur esprit et je les graverai dans leur cœur. ” Ainsi la loi nouvelle est bien une loi intérieure.

Réponse :

Selon une maxime du Philosophe, “ toute réalité se définit par ce qu’il y a en elle de plus important ”. Or, ce qui prime dans la loi de la nouvelle alliance, ce en quoi réside toute son efficacité, c’est la grâce du Saint-Esprit, donnée par la foi au Christ[4441]. C’est donc précisément la grâce du Saint-Esprit, donnée à ceux qui croient au Christ, qui constitue au premier chef la loi nouvelle. Telle est manifestement la pensée de S. Paul (Rm 3,27) : “ Où est donc le droit de se glorifier ? Il est exclu. Par quelle loi ? Par celle des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi ” ; car il appelle “ loi ” la grâce même de la foi. Il s’exprime plus nettement encore ailleurs (Rm 8,2) : “ La loi de l’esprit de vie dans le Christ Jésus m’a délivré de la loi du péché et de la mort. ” Ce qui fait dire à S. Augustin : “ Comme la loi des œuvres fut écrite sur des tables de pierre, la loi de la foi fut écrite dans le cœur des fidèles ” ; et encore : “ Quelles sont-elles, ces lois que Dieu lui-même a inscrites dans nos cœurs, sinon la présence même du Saint-Esprit ? ”

Il y a toutefois dans la loi nouvelle certaines dispositions qui préparent à la grâce du Saint-Esprit, ou qui tendent à la mise en œuvre de cette grâce. Ce sont dans la loi nouvelle des éléments en quelque sorte seconds, dont il a fallu que ceux qui croient au Christ fussent instruits, oralement et par écrit, tant pour ce qui est à croire que pour ce qui est à faire. Il faut donc conclure que la loi nouvelle est dans son principe essentiel une loi intérieure, mais que dans ses éléments secondaires elle est une loi écrite.

Solutions :

1. La lettre de l’Évangile contient seulement ce qui se rattache à la grâce de l’Esprit Saint par mode de dispositions préparatoires, ou comme règles gouvernant l’usage de cette grâce. Voyons d’abord les dispositions préparatoires : à ce titre, d’une part, en vue de l’intelligence que procure cette foi en laquelle est donnée la grâce de l’Esprit Saint, sont contenues dans l’Évangile les vérités propres à manifester la divinité ou l’humanité du Christ. D’autre part, comme préparation affective, l’Évangile contient les enseignements tendant au mépris du monde, ce mépris qui rend l’homme apte à recevoir la grâce de l’Esprit Saint : “ Le monde (entendons : ceux qui aiment le monde) ne peut recevoir le Saint-Esprit ” (Jn 14,17). - Reste l’usage de la grâce spirituelle ; il consiste dans les actes des vertus, auxquels le texte évangélique incite les hommes de mille façons.

2. Ce qui est intérieur à l’homme peut s’entendre en deux sens : soit en rapport avec la nature humaine, et c’est ainsi que la loi naturelle est une loi mise au cœur de l’homme ; ou bien c’est quelque chose qui s’ajoute à la nature et qui est introduit dans l’homme par don de grâce. En ce dernier sens la loi nouvelle est mise dans l’homme, ne se bornant pas à indiquer ce qu’il faut faire, mais aidant aussi à l’accomplir.

3. Nul n’a jamais possédé la grâce du Saint-Esprit si ce n’est par la foi au Christ, explicite ou implicite. Or par la foi au Christ on appartient à la nouvelle alliance. Il s’ensuit que tous ceux en qui fut déposée cette loi de grâce appartenaient de ce fait à la nouvelle alliance.

 

            Article 2 — La loi nouvelle justifie-t-elle ?

Objections :

1. Nul n’est justifié s’il n’obéit à la loi de Dieu le Christ “ est devenu (He 5,9) pour tous ceux qui lui obéissent, un principe de salut éternel ”. Or l’Évangile ne produit pas toujours l’obéissance des hommes ; S. Paul remarque que “ tous n’obéissent pas à l’Évangile ” (Rm 10,16). On ne peut donc dire que la loi nouvelle justifie.

2. L’Apôtre, pour démontrer que la loi ancienne ne justifiait pas, s’appuie sur le fait que son avènement développa la transgression : “ La loi produit la colère, car là où il n’y a pas de loi il n’y a pas non plus de transgression ” (Rm 4, 15). Mais la loi nouvelle a accru bien davantage la transgression, car un châtiment plus sévère est mérité par celui qui pèche encore, après le don de la loi nouvelle : “ "Si quelqu’un viole la loi de Moïse, sans pitié, sur la déposition de deux ou trois témoins, c’est pour lui la mort." De quel châtiment plus grave croyez-vous donc que sera digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu ? ” (He 10,28 s.) Ainsi donc la loi nouvelle, pas plus que l’ancienne, ne justifie.

3. Justifier, c’est proprement ce que fait Dieu : “ C’est Dieu qui justifie ”, affirme S. Paul (Rm 8,33). Mais la loi ancienne fut instituée par Dieu comme la loi nouvelle. Celle-ci ne justifie donc pas plus que celle-là.

En sens contraire, aux Romains (1,16) S. Paul déclare : “ je ne rougis pas de l’Évangile ; il est une force divine pour le salut de quiconque croit. ” Comme il n’y a de salut que si l’on est justifié, c’est donc que la loi de l’Évangile justifie.

Réponse :

Nous venons de voir qu’il y a deux éléments dans la loi de l’Évangile. Le premier, le principal, c’est la grâce de l’Esprit Saint, intérieurement donnée. Ainsi entendue, la loi nouvelle justifie. S. Augustin le dit bien : “ Là (sous l’Ancien Testament), la loi a été proposée extérieurement, pour faire peur aux injustes ; ici (sous le Nouveau Testament), elle a été donnée intérieurement pour les rendre justes. ” L’autre élément de la loi de l’Évangile est second : ce sont les enseignements de la foi et les préceptes qui règlent les sentiments et les actes humains. A cet égard, la loi nouvelle ne justifie pas. “ La lettre tue, l’esprit vivifie ”, dit S. Paul (2 Co 3,6) et S. Augustin explique que la lettre, ici, désigne tout texte écrit qui demeure extérieur à l’homme, fût-ce le texte des préceptes moraux contenus dans l’Évangile. Il en conclut que même la lettre de l’Évangile “ tuerait ”, si, à l’intérieur de l’homme, ne s’y adjoignait la grâce guérissante de la foi.

Solutions :

1. L’objection ne porte que si l’on considère dans la loi nouvelle non le principe essentiel, mais seulement l’élément second, c’est-à-dire les enseignements et les préceptes oraux ou écrits imposés à l’homme de l’extérieur.

2. La grâce de la nouvelle alliance aide l’homme à ne pas pécher, mais elle ne le confirme pas dans le bien jusqu’à le rendre impeccable, car cela fait partie de l’état de gloire. Si donc un homme qui a reçu la grâce de la nouvelle alliance vient à pécher, il mérite une peine plus sévère parce qu’il abuse de bienfaits plus grands et ne tire pas parti du secours qui lui est donné. Mais ce n’est pas une raison pour dire que la loi nouvelle “ produit la colère ”, car, de soi, elle donne l’aide suffisante pour ne pas pécher.

3. Certes, c’est un seul et même Dieu qui a donné à l’homme les deux lois, mais il ne les a pas données de la même façon. Il a donné la loi ancienne gravée sur des tables de pierre, et la loi nouvelle “ gravée sur des tables de chair, sur nos cœurs ” (2 Co 3,3). Cette expression paulinienne est ainsi commentée par S. Augustin : “ Cette lettre-là, écrite à l’extérieur de l’homme, l’Apôtre l’appelle pourvoyeuse de mort et de condamnation ; mais celle-ci, la loi de la nouvelle alliance, il la nomme un ministère de l’esprit et de la justice, car grâce au don de l’Esprit nous vivons selon la justice et nous échappons à la condamnation du péché. ”

 

            Article 3 — La loi nouvelle devait-elle être donnée au commencement du monde ?

Objections :

1. Après avoir dit que “ Dieu ne fait pas acception des personnes ” (Rm 2,11), S. Paul déclare que “ tous les hommes ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ” (Rm 3,23). Il fallait donc que dès l’origine du monde la loi fournît à tous le secours nécessaire.

2. Pour les hommes, la différence des temps ne compte pas moins que la diversité des lieux. Si Dieu, “ voulant que tous les hommes fussent sauvés ” (1 Tm 2,4), a commandé de prêcher l’Évangile en tout lieu (Mt 28,19 ; Mc 16,15), c’est que la loi de l’Évangile devait aussi exister de tout temps, et donc être donnée dès le début du monde.

3. Le salut de l’âme, qui est éternel, est plus nécessaire à l’homme que le salut du corps, qui est temporel. Mais Dieu, dès les origines, a pourvu au salut corporel de l’homme en mettant à sa disposition tous les êtres créés pour lui (Gn 1,26. 28 s). La loi nouvelle, éminemment nécessaire au salut spirituel, devait donc aussi être donnée dès le commencement du monde.

En sens contraire, nous lisons en S. Paul (1 Co 15,46) : “ Ce n’est pas l’être spirituel qui vient d’abord, c’est l’être animal. ” La loi nouvelle, étant ce qu’il y a de plus spirituel, ne devait donc pas être donnée dès l’origine du monde.

Réponse :

Pour montrer que la loi nouvelle ne devait pas être accordée dès l’origine du monde, on peut avancer trois arguments : 1° Ce qui est principal dans la loi nouvelle, nous le savons, c’est la grâce du Saint-Esprit ; celle-ci ne devait pas être répandue en abondance avant que la rédemption consommée par le Christ eût débarrassé le genre humain de l’obstacle du péché. D’où cette parole (Jn 7, 39) : “ L’Esprit Saint n’était pas encore donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. ” Et S. Paul met en lumière le même argument lorsque, après avoir mentionné “ la loi de l’Esprit de vie ”, il ajoute : “ Dieu en envoyant son Fils pour le péché, dans une chair semblable à celle du péché, a condamné le péché dans la chair afin que la justice de la loi fût accomplie en nous ” (Rm 8,2 s.).

2° On peut aussi tirer argument de la perfection de la loi nouvelle. Ce n’est pas du premier coup qu’un être est amené à sa perfection, mais par une série d’étapes dans la durée : on est d’abord enfant, et homme ensuite. S. Paul connaît aussi cet argument : “ La loi fut notre pédagogue dans le Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi ; mais du moment que la foi est venue, nous ne sommes plus sous le pédagogue ” (Ga 3, 24).

3° Enfin, la loi nouvelle est la loi de grâce. Il fallait d’abord que l’homme fût abandonné à lui-même dans l’état de la loi ancienne ; ainsi tombant dans le péché et connaissant sa faiblesse, il reconnaîtrait qu’il a besoin de la grâce. Ici encore, dit S. Paul, “ la loi est intervenue pour faire abonder le péché. Mais là où le péché avait abondé, voici qu’a surabondé la grâce ” (Rm 5,20).

Solutions :

1. A cause du péché de son premier père, l’humanité a mérité d’être privée du secours de la grâce. Selon S. Augustin “ lorsque ce secours n’est pas donné, c’est justice, et lorsqu’il est donné, c’est grâce ”. On ne doit donc pas dire que Dieu fait acception des personnes parce qu’il ne propose pas à tous, dès l’origine du monde, la loi de grâce qui devait se présenter au moment voulu.

2. La diversité des lieux n’entraîne pas pour l’humanité un changement d’état comme fait la succession des âges. On comprend donc que la loi nouvelle se propose en tout lieu, mais non en tout temps. Néanmoins, nous le savons, il y eut à toute époque des hommes qui appartenaient à la nouvelle alliance.

3. Les biens nécessaires au salut corporel répondent dans l’homme aux exigences de sa nature, que le péché ne supprime pas, tandis que les biens nécessaires au salut spirituel sont en rapport avec la grâce, que le péché fait perdre.

 

            Article 4 — La loi nouvelle doit-elle durer jusqu’à la fin du monde ?

Objections :

1. S. Paul semble insinuer le contraire lorsqu’il dit (1 Co 13,10) : “ Quand sera venu ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra. ” Or la loi nouvelle n’est que partielle, puisque l’Apôtre venait justement d’observer (v. 9) : “ Notre connaissance est partielle, nos prophéties sont partielles. ” La loi nouvelle doit donc disparaître un jour, pour faire place à un état plus parfait.

2. Notre Seigneur a promis à ses disciples qu’à l’avènement du Saint-Esprit ils connaîtraient “ la vérité tout entière ” (Jn 16, 13). Or l’Église sous le régime du Nouveau Testament, ne connaît pas encore toute la vérité. Il faut donc attendre un autre état où le Saint-Esprit manifestera toute la vérité.

3. De même que le Père est autre que le Fils, et que le Fils est autre que le Père, de même le Saint-Esprit est autre que le Père et le Fils. Or il y eut un état approprié à la personne du Père, l’état de la loi ancienne, où la génération était en honneur. Il y a aussi un état différent qui se rattache à la personne du Fils, l’état de la loi nouvelle, où le premier rang appartient aux clercs qui s’adonnent à la Sagesse, appropriée au Fils. Il y aura donc un troisième état, celui du Saint-Esprit, où régneront les hommes spirituels.

4. Notre Seigneur affirme (Mt 24,14) : “ Cet évangile du Royaume sera prêché dans tout l’univers et alors viendra la fin. ” Mais il y a longtemps que l’évangile du Christ a été prêché dans l’univers entier, et pourtant la fin n’est pas encore venue. L’évangile du Christ n’est donc pas l’évangile du Royaume, mais il y aura un autre évangile de l’Esprit Saint, c’est-à-dire une autre loi.

En sens contraire, Notre Seigneur a dit : “ je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé ” (Mt 24,34). S. jean Chrysostome voit dans “ cette génération ” celle des fidèles du Christ. L’état qui est le leur doit donc durer jusqu’à la fin du monde.

Réponse :

L’état de ce monde peut subir deux sortes de changements : 1° Un changement de loi. En ce sens, aucun autre état ne doit succéder à celui de la loi nouvelle. Celle-ci a déjà elle-même succédé à la loi ancienne comme un état plus parfait succède à un état moins parfait ; mais aucun autre état de la vie présente ne peut être plus parfait que celui de la loi nouvelle, car rien ne peut être plus proche de la fin ultime que ce qui y introduit immédiatement. Selon l’épître aux Hébreux (10, 19) : “ Nous avons par le sang de jésus un accès assuré dans le sanctuaire ; il nous a frayé une voie nouvelle, approchons-nous. ” Ainsi ne peut-il y avoir dans la vie présente d’état plus parfait que celui de la loi nouvelle, car plus un être est près de sa fin ultime, plus il est parfait.

2° Mais l’état de l’humanité peut aussi changer en ce sens que, la loi restant la même, les hommes se comportent différemment à son égard, avec plus ou moins de perfection. En ce sens, l’état de la loi ancienne a connu de fréquents changements : par moments, les dispositions légales étaient observées avec soin ; par moments, elles étaient totalement négligées. De même, l’état de la loi nouvelle varie lui aussi, selon la différence des lieux, des époques, des personnes, dans la mesure où la grâce du Saint-Esprit est possédée plus ou moins parfaitement par tel ou tel. Cependant, il n’y a pas à attendre un autre état à venir où la grâce de l’Esprit Saint serait possédée plus parfaitement qu’elle ne l’a été jusqu’ici, notamment par les Apôtres qui “ ont reçu les prémices de l’Esprit ” (Rm 8,23), c’est-à-dire, suivant une glosei, qui ont reçu l’Esprit “ avant les autres et plus abondamment ”.

Solutions :

1. Selon Denys, il y a trois états de l’humanité celui de la loi ancienne, celui de la loi nouvelle, et un troisième qui leur fait suite, non dans la vie présente mais dans la vie future, c’est-à-dire dans la patrie. Le premier de ces états est imparfait et figuratif par rapport à celui de l’Évangile ; de même, l’état présent est imparfait et figuratif par rapport à celui de la patrie, et il disparaît quand celui-ci survient : “ Maintenant nous regardons dans un miroir, en énigme ; mais alors ce sera face à face ” (1 Co 13,12).

2. Selon S. Augustin, Montan et Priscille prétendaient que le don de l’Esprit Saint, promis par Notre Seigneur, ne s’était pas réalisé chez les Apôtres, mais en eux-mêmes. De leur côté, les manichéens soutenaient que cette promesse avait été réalisée en la personne de Mani, qu’ils tenaient pour l’Esprit Paraclet. C’est pourquoi les uns et les autres rejetaient les Actes des Apôtres qui montrent à l’évidence l’accomplissement de cette promesse au profit des Apôtres, promesse réitérée par le Seigneur (Ac 1, 5) : “ Vous serez baptisés dans l’Esprit Saint sous peu de jours ”, et dont la réalisation est signalée au chapitre 2 du même livre. Mais ces niaiseries ne résistent pas à l’affirmation de S. Jean (7, 39) : “ L’Esprit Saint n’était pas encore donné, car jésus n’avait pas encore été glorifié. ” Cela fait comprendre qu’aussitôt après la glorification du Fils dans sa résurrection et son ascension, l’Esprit Saint fut donné. Du même coup est exclue l’illusion de tous ceux qui prétendraient qu’on doit attendre un autre âge, celui de l’Esprit Saint.

D’ailleurs le Saint-Esprit a enseigné aux Apôtres la vérité entière, en ce qui est nécessaire au salut, c’est-à-dire en matière de foi et de mœurs. Mais il ne leur a pas enseigné tout ce qui devait arriver dans l’avenir, car cela ne les regardait pas : “ Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés dans sa puissance ” (Ac 1, 7).

3. La loi ancienne n’était pas seulement la loi du Père, mais aussi la loi du Fils, qui y était d’avance figuré. “ Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez aussi en moi, dit le Seigneur, puisqu’il a écrit à mon sujet ” (Jn 5,46). Et de son côté la loi nouvelle n’est pas seulement la loi du Christ, mais aussi la loi de l’Esprit Saint. L’épître aux Romains (8,2) parle de la “ loi de l’esprit de vie dans le Christ Jésus ”. Alors n’attendons pas une autre loi qui serait la loi du Saint-Esprit.

4. Le Christ avait dit dès le début de la prédication de l’Évangile : “ Le Royaume des cieux est tout proche ” (Mt 4,17). On ne peut donc soutenir sans absurdité que l’évangile du Christ ne serait par l’évangile du Royaume. - Mais on peut envisager de deux façons la prédication de l’évangile du Christ. Si l’on songe à la diffusion de la connaissance du Christ, l’évangile a été prêché dans tout l’univers dès le temps des Apôtres, comme le démontre S. Jean Chrysostome. En ce sens, la fin du texte allégué : “ et alors viendra la fin ” se réfère à la destruction de Jérusalem, qui était littéralement en cause. Mais on peut aussi considérer la prédication de l’Évangile dans l’univers avec tout son effet, de telle sorte que l’Église soit établie en chaque pays : il faut alors admettre avec S. Augustin dans sa lettre à Hésychius que l’Évangile n’a pas encore été prêché dans tout l’univers ; mais dès que ce sera chose faite, alors viendra la fin du monde.

 

QUESTION 107 — LES RAPPORTS DE LA LOI NOUVELLE AVEC LA LOI ANCIENNE

1. La loi nouvelle diffère-t-elle de la loi ancienne ?- 2. En réalise-t-elle l’accomplissement ? - 3. Y est-elle contenue ? - 4. Laquelle est la plus pesante : la loi nouvelle ou la loi ancienne ?

 

            Article 1 — La loi nouvelle diffère-t-elle de la loi ancienne ?

Objections :

1. L’une et l’autre loi est accordée à ceux qui ont foi en Dieu, car “ sans la foi il est impossible de plaire à Dieu ” (He 11,6). Or, nous lisons dans la Glose (sur Mt 21,9) que la foi d’aujourd’hui est identique à celle d’autrefois. Il y a donc aussi identité de loi.

2. S. Augustin a résume “ en deux mots la différence entre la loi et l’Évangile : crainte et amour ”. Or il n’y a pas là de quoi distinguer loi nouvelle et loi ancienne, parce que celle-ci comportait également des préceptes de charité : “ Tu aimeras ton prochain ” (Lv 19,18) et : “ Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ” (Dt 6,5) ; - On ne peut davantage retenir cette autre différence signalée par S. Augustin : “ L’ancienne alliance comportait des promesses temporelles, et la nouvelle contient des promesses spirituelles et éternelles. ” En réalité, même dans le Nouveau Testament, il y a des promesses temporelles, par exemple : “ Vous recevrez le centuple en ce monde, maisons, frères, etc. ” (Mc 10,30) ; et l’Ancien Testament faisait espérer des promesses spirituelles et éternelles, puisque l’épître aux Hébreux (11,16) dit des Pères de l’ancien temps : “ C’est à une patrie meilleure qu’ils aspirent, à la patrie céleste. ” Ainsi, la loi nouvelle ne paraît pas différente de la loi ancienne.

3. L’Apôtre a l’air de suggérer une différence entre ces deux lois lorsqu’il appelle l’ancienne la loi des œuvres, et la nouvelle la loi de la foi (Rm 3,27). Mais la première aussi fut une loi de la foi : “ Leur foi à tous fut louée ”, dit l’épître aux Hébreux (11,39), évoquant les Pères de l’ancienne loi. Et à son tour la loi nouvelle est aussi une loi des œuvres : “ Faites du bien à ceux qui vous haïssent ” (Mt 5, 44) et : “ Faites cela en mémoire de moi ” (Lc 22,19). Ainsi la loi nouvelle n’est pas différente de l’ancienne.

En sens contraire, l’Apôtre écrit aux Hébreux (7,12) : “ Un changement de sacerdoce entraîne nécessairement un changement de loi. ” Comme il démontre au même endroit qu’entre l’Ancien et le Nouveau Testament il y a eu changement de sacerdoce, il s’ensuit que la loi aussi a changé.

Réponse :

Toute loi, avons-nous dit précédemment, ordonne la conduite humaine en vue d’une fin déterminée. Or, ce qui est ordonné à une fin peut, du point de vue de la fin, se diversifier de deux manières. Ou bien cela se réfère à des fins différentes : il s’agit alors d’une diversité spécifique, surtout s’il s’agit d’une fin prochaine. Ou bien certains actes se réfèrent de près, les autres de loin, à une fin donnée. Il saute aux yeux par exemple que des mouvements ordonnés à des termes différents diffèrent spécifiquement, tandis que deux phases d’un même mouvement, dont l’une est plus proche du terme que l’autre, mettent dans ce mouvement une différence qui tient à un degré imparfait de perfection.

De là vient qu’entre deux lois une double distinction est concevable. Ou bien elles sont absolument différentes, comme relevant de fins différentes ; ainsi dans la cité il y aurait une différence spécifique entre le système législatif assurant la souveraineté du peuple, et celui qui donnerait la prépondérance à l’aristocratie urbaine. - Ou bien deux législations peuvent différer en ce que les dispositions de l’une sont en relation plus étroite avec la fin, celles de l’autre en rapport plus lointain. On admet par exemple que, sous un seul et même régime politique, autre est la législation imposée aux hommes faits, dès maintenant capables de satisfaire aux exigences du bien public, autre la législation qui règle l’éducation des enfants, ceux-ci devant être préparés à l’accomplissement de leurs tâches viriles.

Donc, du premier point de vue, la loi nouvelle ne diffère pas de la loi ancienne, car toutes deux n’ont qu’une fin, la soumission des hommes à Dieu, et ce Dieu est unique, celui de la nouvelle et de l’ancienne alliance : “ Unique est le Dieu qui justifie le circoncis à raison de sa foi, et l’incirconcis par le moyen de sa foi ” (Rm 3,30). - Du second point de vue, la loi nouvelle diffère de l’ancienne, car celle-ci est comparable au pédagogue, selon l’expression de S. Paul (Ga 3, 24) tandis que la loi nouvelle est une loi de perfection, étant celle de la charité, que l’Apôtre appelle le “ lien de la perfection ” (Col 3, 14).

Solutions :

1. Si la foi des deux alliances est identique, c’est que leur fin est unique ; car nous avons vu que l’objet des vertus théologales, au nombre desquelles se trouve la foi, est la fin ultime. N’empêche que la foi n’avait pas sous la loi ancienne le même régime que sous la loi nouvelle : ce qui était à venir pour la foi d’alors est chose faite pour la nôtre.

2. Toutes les différences qu’on signale entre la loi nouvelle et l’ancienne se ramènent à une inégalité de perfection. Les préceptes légaux, en effet, portent toujours sur des actes vertueux. Or l’inclination à exercer ces actes n’est pas la même chez les imparfaits, qui ne sont pas encore en possession de la vertu, et chez ceux que la possession de la vertu rend parfaits. Ce qui pousse les premiers aux œuvres de vertu, c’est un certain motif extrinsèque, comme la menace du châtiment ou la promesse de quelque récompense extérieure, de caractère honorifique, pécuniaire, etc. Aussi la loi ancienne, s’adressant à des hommes qui n’avaient pas encore reçu la grâce spirituelle, méritait le nom de “ loi de crainte ” en tant qu’elle incitait à l’observation des préceptes par la menace de peines déterminées. Et elle comportait des promesses que l’on qualifie de temporelles.

Au contraire, ceux qui possèdent la vertu, c’est par amour de la vertu qu’ils inclinent à en faire les actes, et non à cause d’une pénalité ou récompense extrinsèque. C’est pourquoi, à propos de la loi nouvelle qui pour l’essentiel consiste justement dans la grâce spirituelle imprimée dans les cœurs, on parle de “ loi d’amour ”. Elle comporte, dit-on encore, des promesses spirituelles et éternelles : ce sont les objets de la vertu, et d’abord de la charité ; en sorte que les vertueux y vont par une inclination intérieure, comme vers des biens qui ne leur sont pas étrangers et qui leur reviennent en propre. - Pour la même raison, la loi ancienne est appelée un frein pour la main, non pour le cœur : en effet, s’abstenir du péché par crainte du châtiment, ce n’est pas en détourner absolument son vouloir, comme lorsqu’on s’abstient du péché par amour de la justice ; tandis que la loi nouvelle, étant une loi d’amour, est bien un frein pour le cœur.

Il y eut toutefois, sous le régime de l’ancienne alliance, des gens qui possédaient la charité et la grâce de l’Esprit Saint et aspiraient avant tout aux promesses spirituelles et éternelles, en quoi ils se rattachaient à la loi nouvelle. Inversement, il existe sous la nouvelle alliance des hommes charnels, encore éloignés de la perfection de la loi nouvelle : pour les inciter aux œuvres vertueuses, la crainte du châtiment et certaines promesses temporelles ont été nécessaires, jusque sous la nouvelle alliance. En tout cas, même si la loi ancienne prescrivait la charité, elle ne donnait pas l’Esprit Saint, par qui “ la charité est répandue dans nos cœurs ” (Rm 5,5).

3. Nous l’avons dit, la loi de la grâce est la loi de la foi, en tant que pour l’essentiel elle consiste précisément dans le don intérieur de la grâce accordé à ceux qui croient ; de là vient qu’on l’appelle “ grâce de la foi ”. Secondairement elle comporte aussi certaines réalisations dans l’ordre des mœurs et des sacrements, mais ce n’est pas en cela que consiste principalement la loi nouvelle, à la différence de l’ancienne. Du reste, sous l’ancienne alliance, ceux qui furent agréables à Dieu à cause de leur foi appartenaient par le fait même à la nouvelle : seule en effet la foi au Christ, fondateur de la nouvelle alliance, les rendait justes. C’est pourquoi ü est écrit de Moïse que “ l’approche du Christ lui parut être une richesse plus précieuse que les trésors de l’Égypte ” (He 11,26).

 

            Article 2 — La loi nouvelle réalise-t-elle l’accomplissement de l’ancienne loi ?

Objections :

1. Parfaire une chose n’est pas la défaire. Or la loi nouvelle défait, ou exclut les observances de la loi ancienne : “ Si vous vous faites circoncire, dit l’Apôtre, le Christ ne vous sera d’aucune utilité ” (Ga 1,2). La loi nouvelle n’est donc pas l’accomplissement de l’ancienne.

2. Rien n’est accompli par son contraire. Or le Seigneur a introduit dans la loi nouvelle des préceptes contraires à ceux de la loi ancienne “ Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens "Quiconque renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de répudiation", mais moi je vous dis : "Quiconque renvoie sa femme l’expose à l’adultère" ” (Mt 31,32). La suite du passage révèle la même opposition touchant la prohibition du serment, la prohibition du talion et la haine des ennemis. De même il ressort de Mt (15,11) que le Seigneur a rejeté les prescriptions de la loi ancienne sur la distinction des aliments : “ Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur. ” Donc la loi nouvelle ne porte pas l’ancienne à sa perfection.

3. Enfreindre la loi, comme l’a fait le Christ sur certains points, ce n’est pas l’accomplir. Il a touché le lépreux, au mépris de la loi (Mt 8,3). Il semble avoir plusieurs fois violé le sabbat, au point que les juifs disaient de lui ; “ Cet homme n’est pas de Dieu, lui qui n’observe pas le sabbat ” (Jn 9, 16). Le Christ n’a donc pas accompli la loi, et la loi nouvelle, qu’il a instaurée, n’est pas venue accomplir l’ancienne.

4. On sait que la loi ancienne comportait des préceptes moraux, des préceptes cérémoniels et des préceptes judiciaires. S’il ressort de Mt (5) que le Seigneur a sur certains points accompli la loi, on n’y trouve d’allusion ni aux préceptes judiciaires ni aux préceptes cérémoniels. Il s’ensuit que la loi nouvelle ne réalise pas intégralement l’accomplissement de l’ancienne.

En sens contraire, on se heurte à l’affirmation du Seigneur : “ Je ne suis pas venu abolir la loi mais l’accomplir... Pas un iota, pas un trait de la loi ne passera que tout ne soit arrivé ” (Mt 5,17-18).

Réponse :

On vient de voir que loi nouvelle et loi ancienne sont dans le rapport du parfait à l’imparfait ; or ce qui est parfait réalise en plénitude ce qui manque à l’imparfait ; c’est ainsi que la loi nouvelle accomplit la loi ancienne en tant qu’elle supplée à ce qui manquait à celle-ci.

On peut d’ailleurs, dans la loi ancienne, considérer deux points : la fin qu’elle poursuivait, et les préceptes qu’elle contenait. Toute loi, avons-nous dit, a pour fin de rendre les hommes justes et vertueux ; aussi la fin de la loi ancienne était-elle la justification de l’homme. Or cette fin, la loi ne pouvait la réaliser, mais elle la figurait par certains actes cérémoniels, et elle la promettait par ses paroles. Sous ce rapport, la loi nouvelle accomplit la loi ancienne en justifiant l’homme par la vertu de la passion du Christ : “ Ce que la loi ne pouvait faire, écrit S. Paul, Dieu l’a fait : en envoyant son Fils dans une chair semblable à la chair du péché, il a condamné le péché dans la chair, pour que fût complète en nous la justice de la loi ” (Rm 8,3-4).

A ce titre, la loi nouvelle procure ce que la loi ancienne promettait : “ Toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur oui en lui ” (2 Co 1,20) ; en lui, c’est-à-dire dans le Christ. - Et à ce titre encore, elle réalise ce que la loi ancienne figurait. Ainsi, selon l’Apôtre, les cérémonies étaient “ l’ombre des choses à venir, mais le corps (entendez la réalité) appartient au Christ ” (Col 2,17). C’est pourquoi on désigne la loi nouvelle comme étant celle de la réalité, tandis que la loi ancienne est celle de l’ombre ou de la figure.

Mais le Christ a porté aussi à leur plein accomplissement les préceptes de la loi ancienne, tant par ses actes que par ses enseignements. Par ses actes, en acceptant de se faire circoncire et d’observer toutes les prescriptions légales qui s’imposaient alors, car il était “ né sous la loi ” (Ga 4,4). - Par ses enseignements il a apporté un triple perfectionnement aux préceptes de la loi. D’abord il a mis en lumière le vrai sens de la loi, comme on le constate à propos de la prohibition de l’homicide et de l’adultère, où les scribes et les pharisiens ne voyaient que l’interdiction des actes extérieurs ; mais le Seigneur, menant la loi à sa perfection, a déclaré que ses prohibitions s’étendaient jusqu’aux péchés intérieurs. - En second lieu, le Seigneur a perfectionné les préceptes légaux par des dispositions propres à mieux assurer l’observation des anciennes prescriptions légales. Ainsi la loi ancienne avait établi l’interdiction du parjure, ce qu’on est plus sûr d’observer si l’on s’abstient généralement de jurer, sauf le cas de nécessité (Mt 5,33). - Enfin le Seigneur a perfectionné les préceptes de la loi en leur adjoignant certains conseils de perfection, comme il ressort de cet épisode où, entendant quelqu’un déclarer qu’il avait pratiqué les commandements de la loi ancienne, le Seigneur lui dit : “ Tu n’as plus qu’une chose à faire. Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu possèdes, etc. ” (Mt 19, 21).

Solutions :

1. Si la loi nouvelle exclut l’observation de la loi ancienne, c’est seulement, nous l’avons dit, en matière de cérémonies. Mais celles-ci se présentaient comme des figures de l’avenir. Aussi, une fois accomplis les préceptes cérémonials par la réalisation de ce qu’ils figuraient, il n’y a plus lieu de les observer ; ou bien quelque chose serait signifié encore comme futur et non advenu. Ainsi la promesse d’un don à faire ne tient plus une fois qu’elle a trouvé son accomplissement dans la réalisation du don. Il en va de même pour les cérémonies de la loi qui sont abolies du moment qu’elles sont réalisées.

2. Selon S. Augustin, il n’y a aucune contradiction entre ces préceptes du Seigneur et ceux de la loi ancienne : “ Quand le Seigneur interdit le renvoi de la femme, il ne s’oppose pas aux dispositions de la loi. Car celle-ci ne dit pas que l’on peut à son gré renvoyer sa femme, et c’est à cela que s’opposerait l’interdiction du renvoi. Évidemment le législateur ne tenait pas à ce que le mari renvoyât sa femme, puisqu’il visait à retarder, à briser son élan précipité par l’exigence d’un acte écrit, et à le faire revenir sur son intention de divorce. ” “ Et ainsi, dit ailleurs S. Augustin, pour confirmer cette règle de ne pas renvoyer sa femme à la légère, seule l’exception de fornication a été admise par le Seigneur. ” Touchant la prohibition du serment, nous venons d’exposer une solution analogue. - Et il en va de même pour la prohibition du talion : cette loi fixait une borne à la vengeance afin qu’on ne s’y livrât pas avec excès ; inconvénient que le Seigneur a encore plus parfaitement exclu par son avertissement de renoncer absolument à la vengeance. - Quant à la haine des ennemis, il a écarté l’interprétation erronée des pharisiens en nous avertissant de haïr non la personne, mais le péché. - Reste la distinction des aliments : le Seigneur, sans abroger dès lors cette observance cérémonielle, montra que nul aliment n’était impur par sa nature, mais seulement à cause de ce qu’il figurait, nous l’avons dit plus haut.

3. Le contact des lépreux était légalement prohibé parce que, comme le contact des cadavres, il faisait encourir une souillure par manière d’irrégularité, nous l’avons dit. Mais le Seigneur, qui purifiait le lépreux ne pouvait encourir cette impureté. - Il n’a pas non plus réellement violé le sabbat par les actes qu’il a accomplis ce jour-là, et il en fournit lui-même dans l’Évangile plusieurs raisons : d’abord, s’il opérait des miracles, c’était par la vertu divine qui est toujours à l’œuvre (Jn 5, 17) ; et puis, il agissait pour sauver les hommes, alors que les pharisiens, eux, le jour du sabbat, faisaient le nécessaire pour sauver même les bêtes (Mt 12,11) ; enfin, quand les disciples arrachèrent des épis le jour du sabbat, il a invoqué à leur excuse la nécessité (v. 3). Mais on pouvait parler de violation, selon l’interprétation abusive des pharisiens, qui estimaient qu’on devait, le jour du sabbat, s’abstenir même des activités de sauvetage, contrairement à l’intention de la loi.

4. Le texte de Mt (5) omet les préceptes cérémoniels de la loi, parce que leur réalisation (au sens qu’on vient d’expliquer, sol. 1) implique qu’on cesse absolument de les observer. - Parmi les préceptes judiciaires, le Seigneur a fait mention du talion, ce qu’il en dit devant s’appliquer à tous les autres. Or il enseigne à ce propos que l’intention de la loi n’est pas qu’on requière l’application de cette peine pour assouvir un désir de vengeance. En effet, lui-même exclut pareil désir lorsqu’il avertit que l’on doit être disposé à subir encore un surcroît d’injustice, mais uniquement par amour pour la justice ; or cela subsiste toujours dans la loi nouvelle.

 

            Article 3 — La loi nouvelle est-elle contenue dans l’ancienne ?

Objections :

1. La loi nouvelle consiste avant tout dans la foi, si bien que S. Paul l’appelle “ la loi de la foi ” (Rm 3,27), et elle nous invite à croire bien des choses qui ne figurent pas dans la loi ancienne. C’est donc qu’elle n’est pas contenue dans celle-ci.

2. Il existe sur ce passage : “ Celui qui aura enfreint l’un de ces plus petits commandements ” (Mt 5,19) une glose de S. Augustin qualifiant de plus petits, les préceptes de la loi, et de plus grands ceux de l’Évangile. Le plus grand ne pouvant être contenu dans le plus petit, la loi nouvelle ne peut être contenue dans l’ancienne.

3. Qui possède le contenant possède le contenu. Si la loi nouvelle était contenue dans l’ancienne, le don de celle-ci impliquerait le don de celle-là et par conséquent, une fois reçue la loi ancienne, il eût été inutile de recevoir encore la loi nouvelle. Donc celle-ci n’est pas contenue dans celle-là.

En sens contraire, S. Grégoire interprétant le verset d’Ézéchiel (1,16) : “ La roue était dans la roue ”, en donne cette explication : “ Le Nouveau Testament était dans l’Ancien. ”

Réponse :

Une chose peut être contenue dans une autre de façon actuelle, comme un objet dans le lieu où il est placé ; ou de façon virtuelle, comme l’effet est contenu dans la cause ou l’œuvre achevée dans son ébauche ; en ce dernier sens, le genre contient en puissance les espèces, et l’arbre tout entier est contenu dans la graine. Et c’est ainsi que la loi nouvelle est contenue dans l’ancienne, puisque nous avons dit qu’elle est, par rapport à celle-ci, comme le parfait est à l’imparfait. On attribue à S. jean Chrysostome, à propos de ce verset évangélique : “ De son propre mouvement la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, puis du grain plein l’épi ” (Mc 4,28), une glose ainsi conçue : “ L’herbe est produite d’abord, dans la loi naturelle . puis vient l’épi, dans la loi de Moïse ; et enfin le grain solide dans l’évangile. ” Ainsi donc, la loi nouvelle est dans l’ancienne comme le grain est dans l’épi.

Solutions :

1. Tout ce que le Nouveau Testament propose à notre croyance d’une manière explicite et manifeste se trouve dans l’Ancien sous l’enveloppe de figures. Ainsi, de même que pour les vérités à croire, la loi nouvelle est contenue dans l’ancienne.

2. Nous disons que les préceptes de la loi nouvelle sont plus grands que ceux de la loi ancienne, du fait qu’ils sont clairement explicités. Mais les préceptes du Nouveau Testament sont tous présents en substance dans l’Ancien. S. Augustin en fait la remarque : “ A peu près tous les avertissements ou commandements que fit le Seigneur sous cette clause : "Et mois je vous dis" se retrouvent dans les livres anciens. ” “ Mais, puisqu’on ne considérait comme homicide que la destruction d’un corps humain, le Seigneur fit voir que toute injustice tendant à léser un frère se ramène à une sorte d’homicide. ” Compte tenu de ces développements, on admet que les préceptes de la loi nouvelle dépassent ceux de la loi ancienne. D’ailleurs rien n’empêche que le plus grand soit contenu virtuellement dans le plus petit, comme l’arbre dans la graine.

3. Ce qui a été reçu implicitement demande à être explicité. C’est pourquoi, après l’institution de la loi ancienne, il fallut encore donner la loi nouvelle.

 

            Article 4 — Laquelle est la plus pesante — la loi nouvelle ou la loi ancienne ?

Objections :

1. S. Jean Chrysostome dit, à propos des “ moindres commandements ” mentionnés par S. Matthieu (5,19) : “ Les commandements de Moïse sont d’exécution facile : "Tu ne tueras point, tu ne commettras pas d’adultère." Mais les commandements du Christ : "Ne te mets pas en colère, ne convoite pas", sont difficiles à observer. ” Le fardeau de la loi nouvelle est donc plus lourd que celui de la loi ancienne.

2. Il est plus facile de jouir des prospérités terrestres que de supporter le malheur. Or sous l’ancienne alliance l’observation de la loi avait pour conséquence la prospérité temporelle (Dt 28,1-14). Au contraire, ceux qui observent la loi nouvelle subissent mille adversités, selon S. Paul (2 Co 6,4) : “ Nous nous présentons comme serviteurs de Dieu, dans une grande patience, dans les épreuves, les nécessités, les angoisses, etc. ” La loi nouvelle est donc plus pénible que l’ancienne.

3. Quand on ajoute à un fardeau, il est évidemment plus lourd. Or la loi nouvelle ajoute à l’ancienne : à l’interdiction du parjure, elle ajoute celle du serment ; la loi ancienne prohibait la répudiation de la femme à moins d’un acte écrit, la loi nouvelle dans tous les cas. C’est du moins ainsi que S. Augustin comprend le texte de Matthieu (5,31). La loi nouvelle est donc plus pesante que l’ancienne.

En sens contraire, il y a cette parole de Jésus “ Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui peinez sous le fardeau ” (Mt 11,23), commentée en ces termes par S. Hilaire : “ Le Christ appelle à lui ceux qui sont fatigués par la difficulté de la loi et qui portent le fardeau des péchés du monde. ” Et la suite concerne le joug de l’Évangile : “ Car mon joug est doux et mon fardeau léger ” (Mt 11,30). La loi nouvelle est donc plus légère que l’ancienne.

Réponse :

Dans les œuvres vertueuses qui font l’objet des préceptes de la loi, on peut rencontrer une double difficulté. Il y a la difficulté inhérente aux actes extérieurs qui par eux-mêmes ont quelque chose d’ardu et de pénible. A cet égard la loi ancienne est bien plus pesante que la nouvelle, car dans la multiplicité de ses rites elle obligeait à beaucoup plus d’actes extérieurs que la loi nouvelle. Celle-ci, telle que le Christ et les Apôtres l’ont enseignée, n’a presque rien ajouté, en fait de préceptes, à ceux de la loi naturelle. Il est vrai qu’ultérieurement survinrent quelques préceptes d’institution ecclésiastique ; mais pour ceux-ci S. Augustin recommande également la modération, de peur que la vie des fidèles en devienne pénible. A l’une des questions de Januarius, il répond ainsi : “ Alors que la miséricorde de Dieu a voulu que notre religion fût libre, se contentant de célébrer un petit nombre de mystères qu’il est tout à fait impossible d’ignorer, il y a des gens qui l’accablent de fardeaux asservissants, au point qu’on jugera la condition des Juifs plus supportables, vu qu’ils se soumettent, eux, aux rites de la loi, et non aux surenchères des hommes. ”

Mais les actes intérieurs, quand il s’agit d’activité vertueuse, offrent une autre sorte de difficulté : par exemple, celle de réaliser l’œuvre vertueuse avec promptitude et plaisir. En cela réside la difficulté de la vertu : ce qui est très difficile à qui ne possède pas la vertu, devient cependant facile grâce à elle. Or, à cet égard, la loi nouvelle, qui condamne les désordres intérieurs de l’âme, est plus exigeante en ses préceptes que la loi ancienne ; celle-ci ne les interdisait pas expressément en tous les cas ; et si parfois elle le faisait, l’interdiction n’était pas assortie d’une sanction pénale. Mais cette difficulté extrême concerne celui qui ne possède pas la vertu : “ Faire les actes que fait le juste, pour Aristote, est chose aisée ; mais les faire de la même manière que le juste, c’est-à-dire avec plaisir et promptitude, c’est difficile pour qui ne possède pas la justice. ” Il est écrit encore : “ Ses commandements ne sont pas difficiles ” (1 Jn 5, 3), sur quoi S. Augustin remarque : “ Pas difficiles si l’on aime, mais difficiles si l’on n’aime pas. ”

Solutions :

1. Le texte allégué montre clairement où réside la difficulté de la loi nouvelle : c’est qu’elle réprime sans équivoque les dérèglements intérieurs.

2. Les adversités dont pâtissent ceux qui observent la loi nouvelle ne sont pas infligées par la loi elle-même. Au surplus elles sont légères à porter, grâce à l’amour en quoi précisément cette loi consiste ; S. Augustin le dit : “ Il n’est rien de dur et de rigoureux que l’amour ne rende aisé et comme négligeable. ”

3. Dans l’esprit de S. Augustin, ces additions faites aux préceptes de la loi ancienne étaient destinées à rendre les prescriptions de cette loi plus faciles à observer. Elles ne prouvent donc pas que la loi nouvelle serait plus pesante, mais plutôt qu’elle est plus facile.

 

QUESTION 108 — LE CONTENU DE LA LOI NOUVELLE

1. La loi nouvelle doit-elle commander ou prohiber certains actes extérieurs ? - 2. Est-elle suffisante sur ce point ? - 3. Éduque-t-elle bien les hommes pour leurs actes intérieurs ? - 4. A-t-elle raison d’ajouter des conseils à ses préceptes ?

 

            Article 1 — La loi nouvelle doit-elle commander ou prohiber certains actes extérieurs ?

Objections :

1. La loi nouvelle n’est pas autre chose que l’évangile du Royaume mentionné par Matthieu (24,14) : “ Cet évangile du Royaume sera prêché dans tout l’univers. ” Mais le royaume de Dieu ne consiste pas en actes extérieurs, mais seulement en actes intérieurs : “ Il est au-dedans de vous ” (Lc 17,21) ; et S. Paul : “ Le règne de Dieu n’est pas nourriture ou boisson, mais justice, paix et joie dans l’Esprit Saint ” (Rm 14,17). La loi nouvelle n’a donc pas à s’occuper des actes extérieurs.

2. Elle est aussi “ la loi de l’Esprit ” (Rm 8,2) et “ là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté ” (2 Co 3,17). Mais il n’y a pas de liberté si l’on est obligé de faire ou d’éviter certains actes extérieurs. La loi nouvelle ne contient donc aucune disposition de cet ordre.

3. On sait que tous les actes extérieurs sont rapportés à la main, comme tous les actes intérieurs au cœur. Or, il y a cette différence entre la loi nouvelle et la loi ancienne que celle-ci est un frein pour la main, et la loi nouvelle un frein pour le cœur. Donc il ne doit pas y avoir dans la loi nouvelle des préceptes ou des interdictions pour des actes extérieurs, mais seulement pour des actes intérieurs.

En sens contraire, la loi nouvelle fait de nous des fils de lumière : “ Croyez en la lumière afin d’être les fils de lumière ” (Jn 12,36). Mais il convient aux fils de lumière de faire les œuvres de la lumière et de repousser les œuvres des ténèbres, selon la recommandation de l’Apôtre aux Ephésiens (5,8) : “ Vous étiez ténèbres autrefois, maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Conduisez-vous comme des fils de lumière. ” C’est pourquoi la loi nouvelle devait, dans ses prohibitions et ses prescriptions, inclure certains actes extérieurs.

Réponse :

L’élément principal de la loi nouvelle, redisons-le, c’est la grâce du Saint-Esprit, grâce qui s’exprime dans la foi agissant par la charité. Or c’est par le Fils de Dieu fait homme que nous obtenons cette grâce, qui a d’abord comblé son humanité et s’est répandue de là jusqu’à nous. On lit en effet : “ Le Verbe s’est fait chair... il est plein de grâce et de vérité ” (Jn 1,14). Et un peu plus loin : “ De sa plénitude nous avons tous reçu, grâce après grâce... La grâce et la vérité sont données par Jésus Christ ” (16-17). Il convient donc que certaines réalités extérieures d’ordre sensible amènent jusqu’à nous la grâce découlant du Verbe incarné, et que des œuvres extérieures d’ordre sensible émanent de cette grâce intérieure qui soumet la chair à l’esprit.

Ainsi donc les activités extérieures peuvent rattacher à la grâce de deux manières. Les unes introduisent de quelque façon à la grâce : ce sont les actes sacramentels institués dans la loi nouvelle, comme le baptême, l’eucharistie etc. Mais il y a aussi les œuvres extérieures produites sous l’inspiration de la grâce. Ici une distinction s’impose. Les unes sont nécessairement liées ou opposées à la grâce intérieure, c’est-à-dire à la foi agissant par la charité, et par conséquent elles sont prescrites dans la loi nouvelle, comme l’acte de confesser sa foi ; ou interdites, comme le reniement de la foi : “ Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai moi aussi devant mon Père. Mais celui qui m’aura renié devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père ” (Mt 10,32-33). D’autres œuvres extérieures, en revanche, ne sont pas nécessairement contraires ou liées à la foi agissant par la charité ; or celles-ci, dans la loi nouvelle, ne sont ni commandées ni défendues en vertu de l’institution primitive de la loi, mais le législateur, le Christ, les a laissées au gré de chacun, pour la part de responsabilité qui lui incombe. Ainsi est-il loisible à chacun, en ces matières, de déterminer ce qu’il lui convient de faire ou de ne pas faire, et à tout supérieur de fixer à ses subordonnés ce qui est à faire ou à éviter dans ce domaine. Par là encore la loi de l’Évangile mérite le nom de loi de liberté, car la loi ancienne précisait une foule de détails et ne laissait presque rien à la liberté des hommes.

Solutions :

1. Le royaume de Dieu consiste à titre principal en des actes intérieurs, mais aussi, par voie de conséquence, tout ce qui est nécessairement lié à la réalisation des actes intérieurs, se rattache à lui. Ainsi, le royaume de Dieu étant “ justice intérieure, paix et joie spirituelles ”, tous les actes extérieurs qui s’opposent à la justice, à la paix ou à la joie spirituelles s’opposent nécessairement au royaume de Dieu et doivent donc être interdits par l’évangile du Royaume. Quant aux actes qui leur sont indifférents, comme le fait de manger ceci ou cela, le royaume de Dieu n’y est pas engagé : c’est pourquoi l’Apôtre a dit d’abord : “ Le royaume de Dieu n’est pas nourriture ni boisson ” dans le texte allégué.

2. Pour Aristote, être libre, c’est être cause de soi. Celui-là donc agit librement qui agit de soi-même. Or quand on agit par un habitus conforme à sa nature, on agit de soi-même, puisque l’inclination de l’habitus se conforme à l’inclination de la nature ; au contraire, si l’habitus était opposé à la nature, l’homme n’agirait pas selon ce qu’il est, mais selon une corruption qui s’impose à lui du dehors. Donc, puisque la grâce de l’Esprit Saint nous est infusée à la façon d’un habitus intérieur nous inclinant aux œuvres de la justice, elle nous fait librement accomplir les œuvres que la grâce appelle, et éviter celles qui la contrarient.

Ainsi donc, la loi nouvelle mérite doublement le nom de loi de liberté : d’abord parce qu’elle ne nous assujettit à faire ou à éviter que les actes essentiellement nécessaires ou contraires au salut, qui sont commandés ou interdits par la loi. Ensuite parce que, même ces commandements ou prohibitions, elle fait que nous les observions librement, en ce sens que nous les observions sous l’inspiration intérieure de la grâce. Pour ces deux raisons, la loi nouvelle est appelée “ loi de liberté parfaite ” (Jc 1, 15).

3. Quand la loi nouvelle réprime les dérèglements du cœur, elle réprime à coup sûr ceux de la main, car ceux-ci sont les effets des mouvements intérieurs.

 

            Article 2 — La loi nouvelle règle-t-elle suffisamment les actes extérieurs ?

Objections :

1. La foi, opérant par la charité, intéresse au premier chef la loi nouvelle : “ Dans le Christ jésus, ni la circoncision ni l’incirconcision n’ont de valeur, mais la foi qui agit par la charité ” (Ga 5,6). Or la loi nouvelle a mis en lumière certains points de foi que la loi ancienne n’avait pas explicités, par exemple sur la croyance à la Trinité. De même aurait-elle dû faire une place à certaines œuvres extérieures de moralité que la loi ancienne n’avait pas déterminées.

2. Le statut de la loi ancienne, outre des sacrements, comportait ce que nous avons appelé des réalités sacrées. Dans la loi nouvelle il y a sans doute des sacrements, mais on ne voit pas que le Seigneur ait institué des réalités sacrées, en rapport par exemple avec la consécration des temples ou des vases sacrés, ou encore avec la célébration des fêtes. La loi nouvelle a donc été en défaut pour régler les actes extérieurs.

3. En étudiant les cérémonies de la loi ancienne, nous avons vu que cette loi, à côté d’observances intéressant les ministres de Dieu, en contenait aussi qui regardaient le peuple. Or on peut constater que la loi nouvelle propose certaines observances aux ministres de Dieu : “ Ne possédez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures ”, sans oublier les autres recommandations que l’on trouve dans la suite du même passage (Mt 10,9) et aux chapitres 9 et 10 de S. Luc. Donc la loi nouvelle aurait dû établir aussi des observances concernant le peuple fidèle.

4. En plus des préceptes moraux et des préceptes cérémoniels, la loi ancienne comportait des préceptes judiciaires. La loi nouvelle n’en comporte pas. Elle ne règle donc pas suffisamment les activités extérieures.

En sens contraire, le Seigneur dit (Mt 7,24) “ Quiconque entend ces paroles et les met en pratique est comparable à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc. ” Or, l’architecte avisé ne néglige rien de ce qui est nécessaire à la construction. Tout ce qui regarde le salut des hommes se trouve donc suffisamment exposé dans les paroles du Christ.

Réponse :

On vient de voir que la loi nouvelle, en fait d’œuvres extérieures, ne devait rien commander ni interdire, si ce n’est celles qui nous introduisent à la grâce, et celles qui sont nécessairement liées au bon usage de la grâce. Et comme ce n’est pas de nous-mêmes, mais seulement par le Christ, que nous pouvons obtenir la grâce, le Seigneur institua lui-même les sacrements au moyen desquels nous l’obtenons : le baptême, l’eucharistie, l’ordination des ministres de la loi nouvelle (lors de l’institution des Apôtres et des soixante-douze disciples), la pénitence et le mariage indissoluble. il promit la confirmation en leur annonçant l’envoi de l’Esprit Saint, et c’est aussi suivant ses instructions que nous voyons les Apôtres guérir les malades par des onctions d’huile. Ce sont là les sacrements de la loi nouvelle.

Le bon usage de la grâce, lui, se fait par les œuvres de la charité. Celles-ci, dans la mesure où elles sont nécessaires à la vertu, ressortissent aux préceptes moraux, déjà promulgués dans la loi ancienne ; par conséquent la loi nouvelle, à cet égard, ne devait rien dire de plus que l’ancienne en fait d’œuvres extérieures. - On sait d’autre part que la détermination de ces œuvres ressortit aux préceptes cérémonials et aux préceptes judiciaires, selon qu’il s’agit du culte divin ou des rapports sociaux. Et puisque ces déterminations ne sont pas par elles-mêmes nécessairement requises à la grâce intérieure, en quoi consiste la loi, il s’ensuit qu’elles ne font l’objet d’aucun précepte de la loi nouvelle, mais sont laissées au jugement de chacun ; tantôt du simple sujet, lorsqu’elles concernent chacun en particulier, tantôt des supérieurs temporels ou spirituels lorsque cela touche aux intérêts d’une communauté.

Ainsi donc la loi nouvelle n’avait pas à préciser aucun commandement ni aucune interdiction dans le domaine des œuvres extérieures, en dehors des sacrements et des préceptes moraux qui sont essentiellement liés à l’idée de vertu, comme de ne pas tuer, de ne pas voler, etc.

Solutions :

1. Le domaine de la foi dépasse la raison humaine et nous ne pouvons y atteindre que par la grâce. L’accroissement de celle-ci appelait donc une révélation plus complète des vérités de foi. Mais notre activité vertueuse est dirigée par la raison humaine, que nous avons décrite comme une règle de l’agir humain. Donc, en ce domaine, il ne fallait rien de plus que les préceptes moraux de la loi, où s’exprime l’autorité de la raison.

2. Les sacrements de la loi nouvelle devaient être institués par le Christ en personne, parce qu’ils nous donnent la grâce dont le Christ est la source unique. Au contraire, aucune grâce n’est donnée dans les réalités sacrées, soit dans la consécration d’un temple, d’un autel, etc., ou encore dans le simple fait de célébrer les solennités. Et parce que tout cela n’est pas de soi en liaison nécessaire avec la grâce intérieure, le Seigneur en a laissé l’établissement à la discrétion des fidèles.

3. Ces préceptes donnés aux Apôtres par le Seigneur avaient le caractère de règles morales et non d’observances cérémonielles. On peut les interpréter d’abord, avec S. Augustin, comme des concessions plutôt que comme des préceptes. Le Seigneur permit aux Apôtres d’entreprendre leur ministère de prédication sans besace, sans bâton, etc., en tant qu’ils avaient le droit de vivre aux dépens de ceux à qui ils prêchaient ; aussi ajoute-t-il : “ L’ouvrier a droit à sa nourriture ” (Lc 10,7). Cependant, ce n’est pas un péché, mais une pratique de surérogation que d’assurer soi-même son entretien dans le ministère de la prédication, à l’exemple de S. Paul, pour ne rien coûter aux auditeurs de l’Évangile (1 Co 9,4 s.). Ou bien, avec d’autres Pères, on peut voir là des règles provisoires données aux Apôtres pour le temps que durerait leur mission de prédication en Judée avant la passion du Christ. Les disciples étaient encore, en effet, comme de petits enfants formés par le Christ, et il fallait que celui-ci leur donnât quelques instructions spéciales, comme font tous les supérieurs envers leurs sujets ; d’autant plus qu’il devait les habituer peu à peu à abandonner toute préoccupation, temporelle, pour les rendre propres à prêcher l’Évangile par toute la terre. On comprend aisément qu’il leur ait fixé avec précision certaines règles de conduite, alors que le régime de la loi ancienne durait toujours et que la liberté parfaite de l’Esprit ne leur avait pas encore été accordée. Mais il abrogea ces règles à la veille de sa passion, jugeant alors qu’elles avaient suffisamment contribué à la formation des disciples. On lit (Lc 29,35 s.) : "Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, quelque chose vous a-t-il manqué ?" Ils répondirent : "Non." Il leur dit alors : "Maintenant, que celui qui a une bourse la prenne, et de même un sac." Déjà en effet ils arrivaient au temps de la liberté parfaite, où ils seraient entièrement laissés à leur propre jugement pour tout ce qui n’est pas exigence essentielle de la vertu.

4. Si les préceptes judiciaires, de soi, se rattachent nécessairement à la vertu, c’est par leur caractère général de justice, et non par leurs dispositions précises. C’est pourquoi le Seigneur en a laissé la détermination à ceux qui ont la responsabilité d’autrui, au spirituel et au temporel. Toutefois on verra bientôt qu’il a fourni quelques éclaircissements sur les préceptes judiciaires de la loi ancienne, que les pharisiens comprenaient mal.

 

            Article 3 — La loi nouvelle éduque-t-elle bien les hommes pour leurs actes intérieurs ?

Objections :

1. Le décalogue compte dix préceptes réglant les rapports de l’homme avec Dieu et avec le prochain. Or le Seigneur n’a apporté d’accomplissement qu’à trois d’entre eux, sur l’interdiction de l’homicide, de l’adultère et du parjure. On voit donc qu’il a donné à l’homme des règles incomplètes, en omettant l’accomplissement des autres préceptes. 1

2. Le Seigneur n’a pris dans l’Évangile aucune disposition touchant les préceptes judiciaires, sauf en ce qui concerne le divorce, la peine du talion et la vengeance contre les ennemis. Or on a vu plus haut qu’il y a dans la loi ancienne beaucoup d’autres préceptes judiciaires. Donc, en ce domaine, la vie humaine n’est pas suffisamment réglée.

3. Une autre lacune apparaît, à propos des préceptes cérémoniels que comportait aussi la loi ancienne, et au sujet desquels le Seigneur n’a rien prescrit.

4. Pour que l’âme soit dans de bonnes dispositions intérieures, aucune bonne œuvre ne doit être faite en vue d’une fin temporelle. Or il y a toutes sortes de biens temporels autres que la bonne opinion des hommes, et quantité d’autres bonnes œuvres que le jeûne, l’aumône et la prière. L’enseignement du Seigneur n’aurait pas dû enseigner à éviter la gloire humaine sur ces trois points, en ne disant rien d’autre sur les biens terrestres.

5. Il est naturel à l’homme de s’occuper de ce qui est indispensable à sa vie, et en cela les animaux agissent comme lui, selon l’Écriture (Pr 6,6 et 8) : “ Allez, paresseux, à la fourmi et considérez sa conduite. Elle fait sa provision pendant l’été et amasse pendant la saison de quoi se nourrir. ” Mais tout précepte contraire à une inclination de nature est injuste, comme contraire à la loi naturelle. Il est donc choquant que le Seigneur ait interdit de se faire du souci pour la nourriture et le vêtement.

6. Aucun acte vertueux ne doit être interdit. Mais le jugement est un acte de la justice selon que “ la justice se tourne en jugement ” (Ps 94, 15). Il semble donc fâcheux que le Seigneur ait interdit de juger. On voit donc que, pour les actes intérieurs, l’homme ne trouve dans la loi nouvelle que des règles insuffisantes.

En sens contraire, “ il faut remarquer, dit S. Augustin, qu’en disant : "Quiconque entend ces paroles que je dis", le Seigneur signifie que son discours renferme au complet tous les préceptes propres à ordonner la vie chrétienne ”.

Réponse :

Comme le montre le texte qui vient d’être cité, le discours prononcé par le Seigneur sur la montagne contient un enseignement complet de vie chrétienne. Les mouvements intérieurs de l’âme s’y trouvent parfaitement réglés. En effet, après avoir montré le but que constitue la béatitude et souligné la dignité des Apôtres appelés à promulguer la doctrine évangélique, il ordonne les mouvements intérieurs de l’homme d’abord envers lui-même, et ensuite par rapport au prochain.

D’abord, en ce qui concerne l’homme envers lui-même, deux mouvements intérieurs définissent ses activités : le vouloir qui porte sur ce qui est à faire, et l’intention qui porte sur la fin. Le Seigneur commence donc par régler la volonté de l’homme conformément aux divers préceptes de la loi, si bien qu’il s’abstienne non seulement des œuvres extérieures qui sont objectivement mauvaises, mais même des fautes intérieures et des occasions de mal faire.

Ensuite il ordonne notre intention en nous apprenant à ne chercher, dans le bien que nous faisons, ni la gloire humaine ni, ce qui serait “ amasser un trésor sur la terre ”, les richesses mondaines.

Après quoi il règle l’attitude intérieure de l’homme à l’égard du prochain : que nous évitions de le juger témérairement, injustement ou présomptueusement, sans toutefois nous relâcher à son endroit au point de confier les choses saintes à ceux qui en seraient indignes.

Enfin il enseigne la manière de mettre en pratique les leçons de l’Évangile : en implorant le secours divin ; en faisant effort pour entrer par la porte étroite de la vertu parfaite ; en se tenant en garde contre les corruptions des séducteurs. Il enseigne encore qu’il ne suffit pas de confesser la foi, de faire des miracles, ni d’écouter seulement, mais que la mise en pratique de ses commandements est indispensable à la vertu.

Solutions :

1. Le Seigneur a apporté des compléments aux préceptes de la loi qui étaient mal compris par les scribes et les pharisiens. C’était le cas surtout de trois préceptes du Décalogue. La prohibition de l’adultère et de l’homicide, à leur avis, ne concernait que l’acte extérieur, à l’exclusion du désir intérieur. Et s’ils adoptaient cette interprétation pour l’homicide et l’adultère plutôt que pour le vol et le faux témoignage, c’est parce que le mouvement de colère qui mène à l’homicide et le mouvement de convoitise qui mène à l’adultère semblent jaillir en nous d’une source naturelle, ce qui n’est pas vrai du désir de jurer ou de porter un faux témoignage. - Quant au parjure, ils le considéraient bien comme un péché, mais leur tort était de croire que le serment est chose bonne en soi et qu’il faut y recourir souvent parce qu’il contribue à honorer Dieu. C’est pourquoi le Seigneur a montré que ce n’est pas un bien qu’on doive rechercher, mais qu’il vaut mieux s’exprimer sans serment, à moins d’y être contraint par nécessité.

2. Au sujet des préceptes judiciaires, les scribes et les pharisiens commettaient une double erreur. D’abord ils retenaient comme un droit absolu certaines tolérances admises par la loi mosaïque, c’est-à-dire la répudiation de l’épouse, et la stipulation d’intérêts aux dépens de l’emprunteur étranger. Le Seigneur a donc interdit la répudiation (Mt 5,32) et la perception d’intérêts : “ Prêtez sans rien attendre en retour ” (Lc 6,35).

Leur seconde erreur touchait certaines pratiques que la loi avait établies en vue de la justice, et qui devaient être, selon eux, accomplies par désir de vengeance, par convoitise des biens temporels ou par haine des ennemis. Cela concerne trois préceptes. Le précepte relatif à la peine du talion, qui avait été porté pour sauvegarder la justice et non pour assouvir la vengeance, autorisait à leurs yeux les désirs de vengeance. Pour écarter cette erreur, le Seigneur enseigne donc que l’on doit avoir au cœur de telles dispositions que l’on soit prêt, si c’est nécessaire, à subir de nouvelles injustices. - Ils se figuraient que les mouvements de cupidité sont licites, parce que certains préceptes judiciaires exigeaient plus que la simple restitution de la chose volée, comme on l’a vu précédemment i. Le législateur entendait par là faire respecter la justice, nullement donner carrière à la cupidité. En conséquence, l’enseignement du Seigneur est de ne pas revendiquer notre dû par cupidité, mais d’être prêt, s’il le faut, à donner encore davantage. - La haine est permise, pensaient-ils, à cause des préceptes de la loi sur le massacre des ennemis ; mais dans cette décision, on le sait, la loi avait pour but de satisfaire à la justice, non d’assouvir les haines. Aussi le Seigneur nous enseigne-t-il qu’il faut aimer nos ennemis et être même disposés, en cas de besoin, à leur faire du bien. C’est ainsi, selon S. Augustin, dans le sens d’une disposition du cœur, que l’on doit comprendre les préceptes dont nous venons de parler.

3. Les préceptes moraux devaient subsister intégralement sous la loi nouvelle, parce qu’ils sont absolument liés à la raison de vertu. Quant aux préceptes judiciaires, ils ne devaient pas nécessairement subsister selon leurs modalités déterminées par la loi, mais sous telles ou telles modalités dont la détermination était laissée au libre choix des hommes. On comprend donc que le Seigneur nous ait donné des ordres touchant ces deux catégories de préceptes. Au contraire, les préceptes cérémoniels n’avaient plus du tout à être observés, une fois accomplis dans leur réalité ; aussi le Seigneur n’a-t-il rien déterminé à leur sujet dans cet exposé général de sa doctrine. Toutefois, il a expliqué ailleurs que tout le culte corporel défini dans la loi devait être transformé en un culte spirituel : “ L’heure vient où vous n’adorerez plus le Père sur cette montagne-ci ni à Jérusalem, mais où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité ” (Jn 4,21 et 23).

4. Honneurs, richesses, plaisirs, voilà selon S. Jean le résumé de tous les biens terrestres : “ Tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie ” (1 Jn 3,18), c’est-à-dire délices charnelles, richesses, et poursuite de la gloire et des honneurs. Or la loi n’a pas permis, mais bien plutôt condamné l’excès des plaisirs charnels. Elle a promis de grands honneurs et des richesses abondantes, comme le montrent deux passages du Deutéronome (28,1 et 11) : “ Si tu écoutes la voix du Seigneur ton Dieu, il te mettra plus haut que toutes les nations ”, voilà pour les honneurs. Et plus loin, pour les richesses “ Il te comblera de tous les biens. ” Mais les juifs interprétaient grossièrement ces promesses, comme si elles étaient le motif pour lequel on dût servir Dieu. Aussi le Seigneur, pour exclure cette erreur, enseigna-t-il en premier lieu qu’on ne doit pas pratiquer la vertu en vue de la gloire humaine. S’il mentionne trois œuvres explicitement, c’est qu’elles résument toutes les autres, car tout ce qu’on fait pour maîtriser ses convoitises se ramène au jeûne ; pour aimer le prochain, à l’aumône ; pour rendre un culte à Dieu, à la prière. Le Seigneur présente ces trois activités en particulier à cause de leur importance, et parce qu’on est particulièrement exposé à s’en glorifier. Le second enseignement du Seigneur est que nous ne devons pas placer notre fin dans les richesses : “ N’amassez pas de trésors sur la terre ” (Mt 6,19).

5. Le Seigneur n’a pas condamné la sollicitude nécessaire, mais un souci excessif. Or, il y a quatre excès à éviter dans le souci des biens temporels. 1° Nous ne mettrons pas en eux notre fin, et nous ne servirons pas Dieu en vue d’avoir le vivre et le vêtement : “ N’amassez pas de trésors, etc. ” 2° Nous ne nous inquiéterons jamais du temporel sans compter sur le secours divin : “ Votre Père sait bien que vous avez besoin de tout cela ” (Mt 6,32). - 3° La sollicitude ne doit pas être présomptueuse, comme chez celui qui se flatte d’obtenir le nécessaire par sa propre industrie et sans l’aide de Dieu, ce que le Seigneur condamne en observant que “ nul ne peut ajouter à sa taille ” (Mt 6,27). - 4° On a tort de se préoccuper avant l’heure, autrement dit de s’inquiéter maintenant de ce qui n’est pas le souci du moment présent, mais celui de l’avenir ; et à cet égard il est écrit : “ Ne soyez pas inquiets pour le lendemain ” (Mt 6,34).

6. Le Seigneur n’interdit pas les jugements de justice ; autrement les réalités sacrées ne pourraient pas être soustraites aux indignes. Il interdit le jugement déréglé, nous venons de le dire.

 

            Article 4 — La loi nouvelle a-t-elle raison d’ajouter des conseils à ses préceptes ?

Objections :

1. Nous avons vu, dans l’étude du conseil, qu’on ne doit conseiller que ce qu’il est avantageux de faire en vue de la fin. Comme ce qui est avantageux pour les uns ne l’est pas pour les autres, on ne doit pas proposer à tous des conseils déterminés.

2. L’objet du conseil c’est le bien meilleur, dont les degrés ne sont pas déterminés. Il n’y a donc pas à donner des conseils déterminés.

3. Les conseils sont liés à la vie parfaite. Or l’obéissance est un élément de la perfection. Il est donc fâcheux qu’elle ne soit l’objet d’aucun conseil dans l’Évangile.

4. Parmi les conditions de la vie parfaite, il en est beaucoup qui figurent au nombre des préceptes, par exemple le commandement : “ Aimez vos ennemis ” (Mt 5,44), et aussi les préceptes donnés aux Apôtres par le Seigneur dans les circonstances que rapporte le chapitre 20 de S. Matthieu. Par conséquent la doctrine des conseils dans la loi nouvelle n’est pas au point : elle ne mentionne pas tous les conseils, et elle les distingue mal des préceptes.

En sens contraire, les conseils d’un ami plein de sagesse comportent beaucoup d’avantage : “ L’huile et les parfums mettent le cœur en joie, et les bons conseils d’un ami sont un baume pour l’âme ” (Pr 27,9). Or le Christ est par excellence le sage et l’ami, et donc ses conseils sont parfaitement avantageux et appropriés.

Réponse :

Entre le précepte et le conseil il y a cette différence que le précepte s’impose avec nécessité, tandis que le conseil est laissé au libre choix de celui à qui il est donné. Aussi convient-il que la loi nouvelle, loi de liberté, à la différence de la loi ancienne qui était une loi de servitude, ait fait une place aux conseils, en plus des préceptes. Il faut donc comprendre que les préceptes, dans la loi nouvelle, portent sur ce qui est indispensable pour parvenir au but, à l’éternité bienheureuse, où la loi nouvelle introduit directement. Et il faut qu’il y ait des conseils sur les dispositions qui permettent d’atteindre cette fin dans les meilleures conditions et avec plus de facilité.

Or l’homme se trouve situé entre les réalités de ce monde et les biens spirituels qui constituent la béatitude éternelle, de telle sorte que plus il penche d’un côté plus il s’éloigne de l’autre, et inversement. S’enfoncer totalement dans les réalités terrestres, au point d’y fixer sa fin, d’en faire la raison et la règle de ses actions, c’est déchoir totalement des biens spirituels ; un tel désordre est exclu par les préceptes. Cependant le renoncement total au monde n’est pas indispensable pour atteindre la fin en question, car on peut parvenir à la béatitude éternelle tout en usant des biens terrestres, pourvu qu’on n’en fasse pas sa fin. Mais on y parviendra avec plus de facilité si l’on renonce totalement aux biens de ce monde, et c’est pourquoi l’Évangile donne des conseils en ce sens.

Or les biens de ce monde, relatifs à la pratique de la vie humaine, se ramènent à trois : les richesses extérieures, les délices charnelles et les honneurs, respectivement liés à la convoitise des yeux, à la convoitise de la chair et à l’orgueil de la vie, que dénonce S. Jean (1 Jn 2,16). Les conseils évangéliques comportent le renoncement total, autant qu’il est possible, à ces trois biens. Sur ce triple renoncement se fonde aussi toute vie religieuse, par où l’on s’engage dans l’état de perfection, car on renonce aux richesses par la pauvreté, aux plaisirs de la chair par la chasteté perpétuelle, à l’orgueil de la vie par la servitude de l’obéissance.

Observer tout cela sans réserve, c’est la voie pure et simple des conseils. En pratiquer l’un ou l’autre, dans tel cas particulier, c’est le conseil au sens restreint, dans les limites du cas en question. Par exemple, si l’on fait à un pauvre une aumône sans y être tenu, on pratique le conseil en ce qui concerne cet acte-là. De même, s’abstenir des plaisirs charnels pendant un certain temps en vue de vaquer à la prière, c’est suivre le conseil pour ce laps de temps. De même encore, si quelqu’un renonce à agir à son gré quand cela lui serait permis, par exemple en faisant du bien à ses ennemis sans y être tenu, en pardonnant une offense dont il aurait le droit de demander réparation, cet homme pratique le conseil sur ce point. Et ainsi, en définitive, tous les conseils au sens restreint se rattachent à ces trois-là, qui sont généraux et parfaits.

Solutions :

1. Les conseils dont nous parlons, par eux-mêmes, sont avantageux à tout le monde ; s’il se trouve qu’ils ne sont pas avantageux à certains, c’est parce qu’il y a des gens mal disposés qui n’ont pas au cœur l’inclination voulue. C’est pourquoi, quand le Seigneur propose les conseils évangéliques, il mentionne régulièrement, de la part du sujet, une disposition à les pratiquer. Ainsi, pour le conseil de pauvreté perpétuelle (Mt 19,21) il dit d’abord : “ Si tu veux être parfait ”, puis il ajoute : “ Va et vends tout ce que tu possèdes. ” De même, quand il donne ce conseil de chasteté perpétuelle : “ Il y a des eunuques qui se sont rendus tels à cause du royaume de Dieu ”, il ajoute tout de suite : “ Que celui qui peut comprendre, comprenne ” (Mt 19,12). S. Paul dit aussi, après avoir conseillé la virginité : “ je dis cela dans votre intérêt, non pour vous tendre un piège ” (1 Co 2,35).

2. Le détail des biens meilleurs pris un par un est indéterminé. Mais les biens qui sont meilleurs sans réserve ni condition, pris dans toute leur extension, sont déterminés, et c’est à eux que se ramènent tous ces éléments particuliers, comme on vient de l’expliquer.

3. On admet que le Seigneur a donné aussi le conseil d’obéissance lorsqu’il a dit : “ Et qu’il me suive. ” Le suivre, en effet, c’est l’imiter, mais c’est aussi obéir à ses commandements, dans le sens où il disait : “ Mes brebis entendent ma voix et elles me suivent ” (Jn 10,27).

4. Quant aux recommandations du Seigneur rapportées en Mt 5 et en Lc 6, touchant entre autres choses l’amour des ennemis, elles sont nécessaires au salut, si on les entend de cette disposition du cœur qui rend prêt, du moment que la nécessité l’exige, à faire du bien à son ennemi ou à accomplir d’autres œuvres du même genre.

On comprend donc que cela figure parmi les préceptes. Mais agir ainsi volontiers, quand aucune nécessité spéciale ne se présente, cela relève des conseils particuliers au sens que nous venons d’expliquer. - Quant aux recommandations rapportées en Mt (10) et en Luc (9 et 10), nous y avons reconnu des règles éducatives valables pour cette période, ou encore des concessions. Elles ne sont donc pas présentées comme des conseils.

 

LE PRINCIPE EXTÉRIEUR DES ACTES HUMAINS QUI EST LA GRACE

Nous avons maintenant à considérer Dieu comme principe extérieur des actes humains, en tant précisément qu’il nous aide par la grâce à bien agir. Nous étudierons d’abord la grâce de Dieu (Q. 109-111) ; puis sa cause (Q. 112) ; enfin ses effets (Q. 113-114).

Sur le premier point, trois parties : I. La nécessité de la grâce (Q. 109) - II. La grâce elle-même dans son essence (Q. 110). - III. Les diverses sortes de grâce (Q. 111).

 

QUESTION 109 — LA NÉCESSITÉ DE LA GRÂCE

1. L’homme peut-il, sans la grâce, connaître quelque chose de vrai ? - 2. Peut-il, sans la grâce de Dieu, faire et vouloir quelque chose de bien ? - 3. Aimer Dieu par-dessus tout ? - 4. Observer les préceptes de la loi ? - 5. Mériter la vie éternelle ? - 6. Se préparer à la grâce ? - 7. Se relever du péché ? - 8. Éviter le péché ? - 9. L’homme qui possède la grâce peut-il, sans un autre secours divin, faire le bien et éviter le péché ? - 10. Peut-il, par lui-même, persévérer dans le bien ?

 

            Article 1 — L’homme peut-il sans la grâce, connaître quelque chose de vrai ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car à propos de S. Paul (1 Co12,3) : “ Nul ne peut dire : "Jésus est Seigneur", que sous l’action de l’Esprit Saint ”, nous lisons dans la Glose ambrosienne : “ Tout ce qui est vrai, dit par quiconque, vient de l’Esprit Saint. ” Or le Saint-Esprit habite en nous par la grâce. Donc, sans la grâce, nous ne pouvons connaître la vérité.

2. S. Augustin écrit : “ Les certitudes les plus grandes des sciences sont comparables à ces objets que le soleil éclaire pour qu’on puisse les voir ; seulement, dans ce cas, c’est Dieu qui donne la lumière ; la raison, pour l’esprit, est comme le regard pour l’œil ; et les yeux de l’esprit, ce sont les sens de l’âme. ” Or le sens corporel, si pur qu’il soit, ne peut voir un objet si celui-ci n’est éclairé par le soleil. De même l’esprit humain, si parfait qu’il soit, ne peut, par ses raisonnements, connaître la vérité sans l’illumination divine ; et cette illumination relève du secours de la grâce.

3. L’esprit humain ne peut atteindre la vérité qu’en réfléchissant : c’est l’avis de S. Augustin. Or l’Apôtre écrit (2 Co3,5) : “ De nous-mêmes nous ne pouvons penser quelque chose qui vienne vraiment de nous. ” L’homme ne peut donc, par lui-même, connaître la vérité sans le secours de la grâce.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ je n’approuve pas ce que j’ai dit dans cette prière : "O Dieu qui as voulu qu’il n’y ait que les purs à connaître la vérité..." On peut objecter en effet que beaucoup ne sont pas purs qui connaissent nombre de choses vraies. ” Or c’est par la grâce que l’homme acquiert la pureté, selon cette parole du Psaume (51,12) : “ Crée en moi un cœur pur, ô Dieu ; restaure en ma poitrine un esprit droit. ” L’homme peut donc, sans la grâce et par lui-même, parvenir à la vérité.

Réponse :

Connaître la vérité, c’est faire usage de la lumière intellectuelle ou la mettre en exercice, car selon l’Apôtre (Ep 5,13) : “ Tout ce qui est manifesté est lumière. ” Or toute activité comporte un certain mouvement ; entendons ici le mouvement au sens large selon lequel on dit, avec le Philosophe . que les actes d’intellection et de vouloir sont des mouvements. Par ailleurs nous constatons que le mouvement, dans les êtres corporels, ne requiert pas seulement la forme qui est principe de mouvement et d’action, mais aussi l’impulsion d’un premier moteur. Le premier moteur, dans l’ordre physique, c’est le corps céleste ; c’est pourquoi, si parfaite que soit la chaleur du feu, elle ne causerait aucune altération sans la motion du corps céleste.

Or, de même que tous les mouvements corporels se ramènent à celui du corps céleste comme à leur premier moteur matériel, ainsi, à l’évidence, tous les mouvements, tant corporels que spirituels, se ramènent au premier moteur qui est Dieu. Et donc, si parfaite qu’on suppose une nature, corporelle ou spirituelle, elle ne peut passer à l’action sans être mue par Dieu. Laquelle motion, cependant, dépend d’une disposition de la providence divine, non d’une nécessité de nature comme la motion du corps céleste.

Bien plus, ce n’est pas seulement toute motion qui vient de Dieu comme du premier moteur, mais toute perfection formelle relève de lui comme de l’Acte premier. Ainsi donc, l’action de l’intelligence et de tout être créé dépend de Dieu à deux points de vue : d’abord parce que toute créature tient de lui la forme par laquelle elle agit ; ensuite parce qu’elle est mue par lui à agir.

Or toute forme, imprimée par Dieu aux choses créées, n’a d’efficacité que par rapport à une activité déterminée qui lui est propre, et au-delà de laquelle elle ne peut agir que si une autre forme lui est surajoutée ; ainsi l’eau ne peut chauffer que si elle a été elle-même chauffée par le feu. De même, l’intelligence humaine possède une forme, à savoir la lumière intelligible, qui de soi est suffisante à lui faire connaître certains objets intelligibles ; ce sont ceux que nous pouvons connaître à partir des choses sensibles. Mais il est d’autres objets intelligibles plus élevés, que l’intelligence ne peut connaître si elle n’est perfectionnée par une lumière plus puissante, comme la lumière de foi ou de prophétie. Cette lumière, on l’appelle lumière de grâce, parce qu’elle est surajoutée à la nature.

Ainsi donc il faut dire que, pour la connaissance de n’importe quelle vérité, l’homme a besoin du secours divin, en ce sens que son intelligence doit être mue à son acte par Dieu. Mais il n’a pas besoin dans tous les cas, pour connaître la vérité, d’une nouvelle illumination surajoutée à l’illumination naturelle ; c’est seulement dans les cas qui dépassent la connaissance naturelle, que ce besoin existe. Pourtant quelquefois, par sa grâce, Dieu instruit miraculeusement certains hommes sur des choses que la raison naturelle peut connaître, de même que parfois Dieu produit miraculeusement certains effets que la nature peut réaliser.

Solutions :

1. Toute vérité, quel que soit celui qui l’exprime, vient de l’Esprit Saint comme source de la lumière naturelle et comme exerçant sur l’esprit de l’homme une motion pour saisir et dire le vrai. Non comme habitant en lui par la grâce sanctifiante ou comme le gratifiant de quelque don habituel surajouté à la nature : cela ne se rencontre que pour certaines vérités à connaître et à dire, spécialement dans ce qui a rapport à la foi ; c’est précisément de cela que parlait l’Apôtre.

2. Le soleil corporel illumine au-dehors, mais le soleil intelligible qu’est Dieu illumine au-dedans. De là vient que la lumière naturelle innée dans l’âme est elle-même une illumination de Dieu par laquelle il nous éclaire pour connaître les objets qui appartiennent à la connaissance naturelle. Pour cela, aucune autre illumination n’est requise, mais seulement pour les objets qui dépassent la connaissance naturelle.

3. Nous avons toujours besoin du secours divin pour penser quoi que ce soit, car Dieu meut l’intelligence à agir, et la pensée, c’est précisément l’intelligence en acte, comme le montre S. Augustin.

 

            Article 2 — L’homme peut-il sans la grâce de Dieu, vouloir et faire quelque chose de bien ?

Objections :

1. Ce dont l’homme est maître se trouve évidemment en son pouvoir. Mais il est maître de ses actes, et surtout de son vouloir. Il peut donc, par lui-même et sans le secours de la grâce, vouloir et faire le bien.

2. Tout être a pouvoir sur ce qui est conforme à sa nature plus que sur ce qui ne lui est pas naturel. Mais le péché, au dire du Damascène est contre nature, tandis que l’œuvre vertueuse correspond à la nature de l’homme, ainsi que nous l’avons dit. Donc, puisque l’homme, par lui-même, peut pécher, à plus forte raison peut-il, par lui-même, vouloir et faire le bien.

3. Le bien de l’intelligence, c’est le vrai, selon Aristote. Mais l’intelligence peut connaître le vrai par elle-même, car tout être a par lui-même le pouvoir d’accomplir son opération naturelle. Donc, à plus forte raison, l’homme pourra, par lui-même, faire et vouloir le bien.

En sens contraire, d’après l’Apôtre (Rm 9,16) : “ Il ne dépend pas de celui qui veut, de vouloir, ni de celui qui court, de courir ; mais de Dieu qui fait miséricorde. ” Et S. Augustin écrit : “ Sans la grâce, que ce soit en pensée, en vouloir, en amour ou en action, les hommes ne font absolument aucun bien. ”

Réponse :

La nature de l’homme peut être considérée à un double point de vue ; soit dans son intégrité, telle qu’elle fut en notre premier père avant le péché, soit dans sa corruption, telle qu’elle se trouve en nous après le péché d’Adam. bans ces deux états, la nature humaine a besoin pour faire ou vouloir un bien quelconque, du secours divin pour être mise en mouvement, Dieu étant le premier moteur, comme nous l’avons dit. Mais, dans l’état de nature intègre, pour ce qui est de la forme dont procède l’opération, elle suffisait à rendre l’homme capable, par ses seules forces naturelles, de vouloir et de faire le bien proportionné à sa nature, auquel est ordonnée la vertu acquise ; mais non le bien qui dépasse la nature, auquel est ordonnée la vertu infuse. Au contraire, dans l’état de nature corrompue, l’homme est impuissant, même en ce qui regarde sa nature, et il ne peut, par ses seules forces naturelles, accomplir tout le bien qui lui est proportionné. Néanmoins, parce que le péché ne corrompt pas entièrement la nature humaine et ne lui enlève pas tout son bien, il reste que l’homme, dans cet état, peut, par sa vertu naturelle, réaliser quelque bien particulier comme bâtir des maisons, planter des vignes, etc. Mais il ne peut accomplir tout le bien qui lui est connaturel, sans y manquer en rien. Ainsi un malade peut bien faire quelques mouvements, mais il ne peut, sans le secours de la médecine, se mouvoir comme un homme en parfaite santé.

Ainsi donc, dans l’état de nature intègre, l’homme a besoin d’une vertu surajoutée à la vertu naturelle uniquement pour accomplir et vouloir le bien surnaturel. Mais, dans l’état de nature corrompue, il en a besoin à un double titre : d’abord pour être guéri ; ensuite pour accomplir le bien surnaturel, lequel est le bien méritoire. En outre, dans l’un comme dans l’autre état, l’homme a besoin du secours divin pour être mû à bien agir.

Solutions :

1. L’homme est maître de ses actes ; il peut vouloir et ne pas vouloir du fait de la délibération rationnelle, laquelle est susceptible de se porter dans un sens ou dans un autre. Mais s’il décide en toute maîtrise de délibérer ou de ne pas délibérer, ce ne peut être que par une délibération antécédente. Et comme on ne peut, de délibération en délibération, remonter à l’infini, il faut bien en venir finalement à un principe extérieur qui meut le libre arbitre de l’homme ; ce principe ; supérieur à l’esprit humain, c’est Dieu, comme le prouve Aristote. C’est pourquoi l’esprit d’un homme sain n’a pas une telle maîtrise sur son acte qu’il n’ait besoin d’être mû par Dieu. A plus forte raison en est-il ainsi du libre arbitre de l’homme devenu infirme après le péché, car il est empêché d’accomplir le bien du fait de la corruption de la nature.

2. Pécher n’est pas autre chose que manquer au bien qui convient à la nature de chacun. Or, de même que la créature n’existe que par un autre et que, considérée en elle-même, elle est néant, de même a-t-elle besoin d’être conservée par un autre dans le bien qui convient à sa nature. Par elle-même en effet elle peut se dérober au bien, tout comme elle peut retourner au néant si elle n’est conservée par Dieu.

3. Même le vrai, l’homme ne peut le connaître sans le secours divin, nous l’avons dit plus haut. Pourtant, la nature humaine est davantage corrompue par le péché sous le rapport de l’appétit du bien que sous le rapport de la connaissance du vrai.

 

            Article 3 — L’homme peut-il sans la grâce, aimer Dieu par-dessus toutes choses ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Aimer Dieu par-dessus toutes choses, c’est en effet l’acte propre et principal de la charité. Or l’homme, par lui-même, ne peut posséder la charité, car l’épître aux Romains (5,5) écrit : “ La charité de Dieu a été diffusée dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. ” L’homme ne peut donc par ses seules forces naturelles aimer Dieu par-dessus tout.

2. Aucune nature ne peut se surpasser elle-même. Or, aimer quelque chose plus que soi, c’est se porter vers quelque chose qui est au-dessus de soi. Aucune nature créée ne peut donc, sans le secours de la grâce, aimer Dieu plus qu’elle-même.

3. On doit à Dieu, souverain Bien, un amour suprême qui consiste à l’aimer plus que tout. Mais l’homme ne peut, sans la grâce, donner à Dieu cet amour suprême qui lui est dû : autrement la grâce n’aurait plus de raison d’être. Donc l’homme ne peut sans la grâce, avec ses seules forces naturelles aimer Dieu plus que tout.

En sens contraire, selon l’opinion de certains, le premier homme fut créé avec les seuls dons naturels. Or, dans cet état, il est évident que l’homme aurait aimé Dieu de quelque façon. Mais il ne pouvait l’aimer d’un amour moindre, ou simplement égal à l’amour qu’il se portait à lui-même, car, dans ce cas, il aurait commis un péché. Il fallait donc qu’il aimât Dieu plus que lui-même. Et donc il pouvait, par ses seules forces naturelles, aimer Dieu plus que lui-même et par-dessus tout.

Réponse :

Nous l’avons dit dans la première Partie quand nous avons rapporté les diverses opinions sur l’amour naturel des anges : l’homme, dans l’état de nature intègre, pouvait accomplir le bien qui lui est connaturel sans le complément d’un don gratuit, quoi que non sans le secours de la motion divine. Or, aimer Dieu par-dessus tout est connaturel à l’homme, et aussi bien à toute créature, non seulement rationnelle mais irrationnelle, et même inanimée, selon le mode d’aimer qui convient à chaque créature. La raison en est qu’il est naturel à chaque être de désirer et d’aimer quelque chose conformément à son aptitude innée ; Aristote écrit que “ toute chose agit selon sa disposition naturelle ”.

Or, il est manifeste que le bien de la partie est pour le bien du tout. D’où il suit que chaque être particulier aime, d’un appétit ou amour naturel, son bien propre en vue du bien commun de tout l’univers, qui est Dieu. Et c’est pourquoi Denys peut écrire : “ Dieu fait converger toutes choses vers l’amour de lui-même. ” Dès lors l’homme, dans l’état de nature intègre, référait l’amour de soi à l’amour de Dieu comme à sa fin, et il en était de même de son amour pour toutes les autres choses. Ainsi aimait-il Dieu plus que lui-même et par-dessus tout.

Mais, dans l’état de nature corrompue, l’homme en est incapable, car l’appétit de sa volonté rationnelle, en raison de la corruption de la nature, poursuit son bien privé, s’il n’est guéâce de Dieu.

Il faut donc conclure que l’homme, dans l’état de nature intègre, n’avait pas besoin, pour aimer Dieu naturellement par-dessus tout, du don d’une grâce surajoutée aux dons naturels, bien qu’il lui fallût à cet effet le secours de Dieu, premier moteur. Mais, dans l’état de nature corrompue, l’homme a besoin du secours de la grâce qui vient guérir la nature.

Solutions :

1. La charité aime Dieu par-dessus tout d’une façon plus éminente que la nature. La nature en effet aime Dieu plus que tout le reste en tant qu’il est principe et fin du bien naturel ; la charité aime Dieu en tant qu’il est l’objet de la béatitude, et que l’homme se trouve établi de quelque façon en société spirituelle avec Dieu. En outre la charité est supérieure à la dilection naturelle de Dieu, en ce qu’elle comporte une certaine promptitude et délectation, comme il arrive pour tout habitua vertueux, si on le compare à l’acte bon issu de la simple raison naturelle dépourvue d’habitus.

2. Quand on dit qu’aucune nature ne peut se dépasser elle-même, cela ne signifie pas qu’elle ne puisse se porter vers un objet qui lui est supérieur ; il est manifeste en effet que notre intelligence peut atteindre, par sa connaissance naturelle, certaines choses qui sont au-dessus d’elle, comme c’est évident pour la connaissance naturelle de Dieu. Mais cela signifie que notre nature ne peut produire un acte qui dépasse les limites de sa puissance ; or tel n’est pas l’acte qui consiste à aimer Dieu par-dessus tout, puisque cet acte, nous venons de le dire, est naturel à toute créature.

3. L’amour est dit suprême non seulement en fonction de la suprématie de l’objet aimé, mais aussi en fonction de la raison et de la manière de l’aimer. Sous cet aspect le suprême degré de l’amour est celui dont Dieu est aimé comme celui qui est lui-même notre béatitude7. Nous l’avons montré.

 

            Article 4 — L’homme peut-il sans la grâce, observer les préceptes de la loi ?

Objections :

1. S. Paul écrit aux Romains (2,14) : “ Les païens qui n’ont pas de loi accomplissent naturellement les prescriptions de la loi. ” Or ce que l’homme accomplit naturellement, il peut le faire par lui-même et sans la grâce. Tel est donc le cas pour les préceptes de la loi.

2. S. Jérôme écrit : “ Ils sont dignes de malédiction, ceux qui prétendent que Dieu a prescrit des choses impossibles à l’homme. ” Mais est impossible à l’homme ce qu’il ne peut accomplir par lui-même. Donc l’homme peut, par lui-même, accomplir tous les préceptes de la loi.

3. Le plus grand de tous les préceptes de la loi, comme on le voit en S. Matthieu, est celui-ci : “ Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. ” Mais, on l’a prouvé plus haut, l’homme, par ses seules forces naturelles, peut accomplir ce précepte en aimant Dieu par-dessus tout. Il peut donc aussi, sans la grâce, observer tous les préceptes de la loi.

En sens contraire, S. Augustin enseigne qu’il appartient à l’hérésie pélagienne “ de croire que l’homme puisse, sans la grâce, observer tous les commandements divins ”.

Réponse :

On peut accomplir les préceptes de la loi d’une double manière. D’abord en ce qui regarde la substance même de l’œuvre : par exemple s’il s’agit pour l’homme d’accomplir des œuvres de justice, de force ou de toute autre vertu. Sous ce rapport, l’homme, dans l’état de nature intègre, peut accomplir tous les préceptes de la loi. S’il n’en était pas ainsi, il n’aurait pas pu ne pas pécher, étant donné que le péché n’est autre chose que la transgression des préceptes divins. Mais, dans l’état de nature corrompue, l’homme ne peut observer tous les préceptes divins sans la grâce qui vient guérir la nature.

Au second point de vue, on peut observer les préceptes de la loi non seulement en ce qui regarde la substance même de l’œuvre, mais aussi quant à la manière de les accomplir, c’est-à-dire par charité. Sous ce rapport, que ce soit dans l’état de nature intègre ou de nature corrompue, l’homme est incapable, sans la grâce, d’observer les préceptes de la loi. Aussi S. Augustin, après avoir affirmé que “ sans la grâce, les hommes ne font absolument aucun bien ”, ajoute-t-il : “ Non seulement quand il s’agit pour eux, sous la lumière de la grâce, de savoir ce qu’il y a à faire, mais aussi quand il s’agit, avec son aide, d’accomplir avec amour le précepte qu’ils connaissent. ”

Ajoutons que, dans les deux cas, l’homme a toujours besoin du secours de Dieu qui le meut à accomplir les préceptes, nous l’avons déjà dit.

Solutions :

1. “ Que l’on ne s’émeuve pas, écrit S. Augustin de voir l’Apôtre affirmer que les païens observent naturellement les préceptes de la loi : c’est l’Esprit de grâce en effet qui instaure en nous l’image de Dieu selon laquelle notre nature a été créée. ”

2. Ce que nous ne pouvons faire qu’avec le secours divin ne nous est pas tout à fait impossible, car, dit le Philosophe : “ Ce que nous pouvons par nos amis, nous le pouvons de quelque façon par nous-mêmes. ” C’est pourquoi S. Jérôme, au passage cité plus haut, reconnaît que “ la liberté de notre vouloir n’empêche pas que nous avons toujours besoin du secours de Dieu ”.

3. Le précepte de l’amour de Dieu, l’homme ne peut pas l’accomplir par ses seules forces naturelles de la manière dont il est accompli par la charité, comme il ressort de ce qui précède.

 

            Article 5 — Sans la grâce, l’homme peut-il mériter la vie éternelle ?

Objections :

1. Le Seigneur dit en S. Matthieu (19,17) : “ Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. ” Il semble donc que l’entrée dans la vie éternelle dépend de la volonté de l’homme. Or ce qui dépend de notre volonté, nous pouvons l’accomplir par nous-mêmes. Dès lors il apparaît que l’homme peut, par lui-même, mériter la vie éternelle.

2. La vie éternelle est la récompense donnée par Dieu aux hommes, d’après cette parole en S. Matthieu (5, 12) : “ Votre récompense est grande dans les cieux. ” Mais Dieu accorde cette récompense à l’homme en proportion de ses œuvres, selon cette parole du Psaume (62,13) : “ Tu rendras à chacun selon ses œuvres. ” L’homme étant maître de ses actes, il semble donc qu’il a été mis en son pouvoir de parvenir à la vie éternelle.

3. La vie éternelle est la fin ultime de toute vie humaine. Or, dans la nature, toute chose peut, par ses propres forces, atteindre sa fin. A plus forte raison l’homme, qui est d’une nature supérieure, peut-il de lui-même, sans aucune grâce, parvenir à la vie éternelle.

En sens contraire, l’Apôtre écrit aux Romains (6,23) : “ La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle. ” Et s’il parle ainsi, c’est, dit la Glose, “ pour nous faire comprendre que Dieu nous conduit à la vie éternelle par sa miséricorde ”.

Réponse :

Les actes qui conduisent à la fin doivent lui être proportionnés. Or un acte n’excède jamais le pouvoir auquel est proportionné le principe dont il procède. C’est pourquoi nous voyons dans la nature qu’aucune cause ne peut par son opération produire un effet qui dépasse son pouvoir réalisateur, ne pouvant produire par son opération qu’un effet proportionné à son efficacité. Or, la vie éternelle est une fin qui dépasse la capacité de la nature humaine, nous l’avons montré. C’est pourquoi l’homme ne peut, par ses seules forces naturelles, produire des œuvres méritoires qui soient proportionnées à la vie éternelle ; il lui faut nécessairement pour cela une efficacité supérieure, qui est celle de la grâce. L’homme ne peut donc, sans la grâce, mériter la vie éternelle. Ce qu’il peut faire, ce sont des œuvres qui lui permettront d’atteindre quelque bien qui lui soit connaturel : ainsi il peut “cultiver son champ, boire, manger, avoir un ami” etc., dit S. Augustin dans sa troisième réponse contre les pélagiens.

Solutions :

1. L’homme, par sa volonté, fait des œuvres méritoires de la vie éternelle. Mais, comme le dit encore S. Augustin, il faut, pour cela, que sa volonté soit préparée par la grâce de Dieu .

2. A propos du texte de S. Paul (Rm 6,23) “ La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle ”, nous lisons dans la Glose : “ Certes, la vie éternelle est accordée aux bonnes œuvres, mais ces œuvres elles-mêmes relèvent de la grâce de Dieu. ” Nous l’avons dit nous-mêmes plus haut a : pour observer les préceptes de la loi selon le mode requis qui rend méritoire leur observation, il faut la grâce.

3. La troisième objection fait état de la fin qui est connaturelle à l’homme. Mais la nature humaine, du fait qu’elle est plus noble que les autres, peut être conduite à une fin encore plus haute, du moins avec le secours de la grâce, fin que les natures inférieures ne peuvent d’aucune façon atteindre. Ainsi, comme le remarque Aristote, l’homme qui peut guérir grâce à certains remèdes, est en meilleure disposition, pour ce qui est de la santé, que celui qui est rebelle à toute médication.

 

            Article 6 — L’homme peut-il sans la grâce, se préparer à la grâce ?

Objections :

1. Rien d’impossible n’est prescrit à l’homme, on l’a dit plus haut. Mais nous lisons dans Zacharie (1,3) : “ Revenez à moi et je reviendrai à vous. ” Or revenir vers Dieu, ce n’est pas autre chose que se préparer à la grâce. C’est donc que, de lui-mêmeâce, l’homme peut se préparer à la grâce.

2. L’homme se prépare à la grâce en faisant ce qui est en son pouvoir, car à celui qui agit ainsi, Dieu ne refuse pas sa grâce, selon cette parole en S. Luc (11,13) : “ Dieu donne le bon esprit à ceux qui l’en prient. ” Il est donc en notre pouvoir, semble-t-il, de nous préparer à la grâce.

3. Si l’homme a besoin d’une grâce pour se préparer à la grâce, il lui faudra une autre grâce pour se préparer à la première, et ainsi à l’infini, ce qui est inadmissible. Il faut donc en rester au point de départ et admettre que l’homme peut, sans la grâce, se préparer à la grâce.

4. On lit dans les Proverbes (16,1) : “ C’est à l’homme de préparer son âme ”, ce qui suppose qu’il peut le faire par lui-même. Il peut donc se préparer à la grâce.

En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (6,44) : “ Personne ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire. ” Mais si l’homme pouvait se préparer lui-même à la grâce, il n’aurait pas besoin d’y être attiré par un autre. C’est donc qu’il ne peut le faire sans le secours de la grâce.

Réponse :

Il y a une double préparation de la volonté au bien. L’une la dispose à bien agir, et à jouir de Dieu. Une telle préparation de la volonté ne peut se faire sans le don habituel de la grâce qui est au principe de l’œuvre méritoire, nous l’avons dit à l’article précédent. - L’autre préparation s’entend de cette disposition de la volonté humaine qui la rend apte à obtenir le don de la grâce habituelle. Pour se préparer à la réception de ce don, on ne peut présupposer un autre don habituel dans l’âme, car on remonterait ainsi à l’infini. Mais il faut présupposer un secours gratuit de Dieu qui meuve l’âme antérieurement ou lui inspire le propos du bien à faire. Ce sont là en effet les deux modes selon lesquels nous avons besoin du secours divin, nous l’avons déjà dit.

Que nous ayons besoin, pour cette préparation à la grâce du secours de la motion divine, c’est évident. Étant donné en effet que tout agent agit pour une fin, il s’ensuit nécessairement que toute cause oriente ses effets vers sa propre fin. Et comme, d’autre part, à l’ordre des agents ou moteurs répond l’ordre des fins, il faut, de la même nécessité, que l’homme soit dirigé vers la fin ultime par la motion du premier moteur, tandis qu’au regard des fins prochaines il sera mû par les agents inférieurs. Ainsi, c’est sous la motion du général en chef que le soldat se porte vers la victoire, tandis qu’il suit le fanion de sa compagnie sous la motion du capitaine. Ainsi donc, Dieu étant la cause motrice absolument première, c’est sous sa motion que toutes choses se portent vers lui sous la raison générale de bien, selon laquelle chaque être tend à s’assimiler à Dieu à sa manière propre. Et en ce sens Denys écrit - que “ Dieu ordonne à lui-même toutes choses ”. Mais les hommes justes, c’est comme à la fin spéciale qu’ils se donnent, comme au bien propre qu’ils entendent saisir, qu’il les ordonne à lui-même ; selon cette parole du Psaume (73,28) : “ Il m’est bon d’adhérer à Dieu. ” C’est pourquoi, que l’homme se porte vers Dieu, cela ne peut être sans que Dieu le meuve à se porter vers lui. Et cela n’est pas autre chose que se préparer à la grâce en se tournant en quelque sorte vers Dieu. Ainsi celui dont le regard est détourné du soleil se prépare à recevoir sa lumière en dirigeant ses regards vers lui. Il est donc évident que l’homme ne peut se préparer à recevoir la lumière de la grâce sans un secours gratuit de Dieu exerçant sur lui sa motion intérieure.

Solutions :

1. Certes, la conversion de l’homme à Dieu se fait par le libre arbitre, et en ce sens il est prescrit à l’homme de se tourner vers Dieu. Mais le libre arbitre ne peut se tourner vers Dieu si Dieu ne le tourne vers lui, selon ce texte de Jérémie (31,18) : “ Fais-moi revenir et je reviendrai, car tu es le Seigneur, mon Dieu ” ; et dans les Lamentations (5, 21) : “ Fais-nous revenir à toi, Seigneur, et nous reviendrons. ”

2. L’homme ne peut rien faire s’il n’est mû par Dieu, selon S. Jean (15,5) : “ Sans moi vous ne pouvez rien faire. ” C’est pourquoi, lorsqu’on dit que l’homme fait ce qui est en son pouvoir, on veut dire : en tant qu’il est mû par Dieu.

3. Cette objection ne porte que sur la grâce habituelle qui en effet requiert une préparation, car toute forme exige un sujet disposé à la recevoir. Mais s’il s’agit pour l’homme de recevoir une motion divine, il n’est pas besoin pour cela d’une autre motion, Dieu étant premier moteur. Donc il n’est pas nécessaire de rétrograder à l’infini.

4. Il appartient en effet à l’homme de préparer son âme, parce qu’il le fait par son libre arbitre. Mais il ne peut le faire sans l’aide de Dieu qui le meut et l’attire à lui, comme nous venons de le dire.

 

            Article 7 — L’homme peut-il sans la grâce, se relever du péché ?

Objections :

1. Ce qui est prérequis à la grâce se fait sans elle. Mais le relèvement du péché est prérequis à l’illumination de la grâce, selon cette parole de l’Apôtre (Ep 5,14) : “ Lève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. ” L’homme peut donc, sans la grâce, se relever du péché.

2. Le péché, on l’a dit, est opposé à la vertu comme la maladie à la santé. Mais l’homme malade peut, par la vertu de sa nature, recouvrer la santé sans le secours extérieur de la médecine, car il demeure en lui un principe vital d’où procède l’action de la nature. Il semble donc que, semblablement, l’homme puisse se guérir lui-même en passant de l’état de péché à l’état de justice, sans le secours d’une grâce extérieure.

3. Toute chose peut faire retour à l’activité qui lui est naturelle ; ainsi l’eau chauffée revient d’elle-même à sa fraîcheur naturelle ; la pierre que l’on jette en l’air reprend d’elle-même son mouvement naturel qui est de tomber. Or le péché, comme le montre S. Jean Damascène est un acte qui va contre la nature. Il semble donc que l’homme puisse par lui-même faire retour de l’état de péché à l’état de justice.

En sens contraire, l’Apôtre écrit aux Galates (2,21) : “ Si la justice vient de la loi, c’est donc que le Christ est mort pour rien ”, c’est-à-dire sans motif. Pour la même raison, si l’homme possède une nature qui puisse le justifier, il s’ensuit que la mort du Christ est vaine et sans objet, ce qui est inadmissible. Donc l’homme ne peut par lui-même être justifié, c’est-à-dire passer de l’état de péché à l’état de justice.

Réponse :

D’aucune manière l’homme ne peut se relever du péché par lui-même et sans le secours de la grâce. Car si l’acte du péché passe, la culpabilité demeure ; se relever du péché n’est pas la même chose que cesser de pécher. Se relever du péché, c’est, pour l’homme, restaurer en lui ce qu’il a perdu en péchant. Or l’homme, par le péché, encourt un triple dommage, nous l’avons montré ; une souillure, la corruption de sa bonté naturelle, et une dette de peine. Il contracte une souillure, car la laideur du péché le prive de la beauté de la grâce. Sa bonté naturelle est corrompue car, sa volonté n’étant plus soumise à Dieu, il en résulte que la nature toute entière de l’homme pécheur est privée de son ordre. Enfin, la dette de peine fait qu’en péchant mortellement il mérite la damnation éternelle.

Or il est manifeste que chacun de ces trois dommages ne peut être réparé que par Dieu. La beauté de la grâce provient du resplendissement de la divine lumière ; une telle beauté ne peut être restaurée que par une nouvelle illumination de Dieu, d’où la nécessité d’un don habituel qui est la lumière de grâce. De même, l’ordre de la nature, qui suppose la soumission de la volonté humaine à Dieu, ne peut être rétabli que si Dieu attire à lui la volonté de l’homme. Enfin la dette de peine éternelle ne peut être remise que par Dieu, contre qui l’offense a été commise et qui est le juge des hommes. Pour que l’homme se relève du péché, le secours de la grâce est donc requis, à la fois sous forme de don habituel et sous forme de motion divine intérieure.

Solutions :

1. Adressée à l’homme, pareille injonction concerne l’acte de son libre arbitre, acte nécessairement impliqué dans le relèvement du péché. Aussi quand il est dit : “ Lève-toi, et le Christ t’illuminera ”, cela ne signifie pas que le relèvement du péché précède en sa totalité l’illumination de la grâce, mais que l’homme reçoit la lumière de la grâce justifiante quand, par son libre arbitre mû par Dieu, il fait l’effort nécessaire pour sortir du péché.

2. La raison naturelle n’est pas le principe suffisant de cette santé que l’homme tient de la grâce justifiante. Ce principe, c’est la grâce elle-même, et il est enlevé par le péché. L’homme ne peut donc se guérir lui-même, mais il a besoin que la lumière de la grâce lui soit infusée à nouveau : de même que, pour ressusciter un corps mort, il faut lui rendre son âme.

3. Quand une nature est intègre, elle peut se rétablir elle-même en ce qui lui est conforme et proportionné ; mais, en ce qui dépasse sa nature, elle ne le peut sans un secours extérieur. Or, quand la nature humaine déchoit en commettant le péché, elle perd son intégrité et se trouve corrompue, nous venons de le dire ; c’est pourquoi elle ne peut se rétablir elle-même, pas même en ce qui regarde son bien connaturel, et encore moins pour ce qui est du bien de la justice surnaturelle.

 

            Article 8 — L’homme peut-il sans la grâce, éviter le péché ?

Objections :

1. Selon S. Augustin, “ on ne pèche pas lorsque l’on fait ce qu’on ne peut éviter ”. Donc si l’homme en état de péché mortel ne peut éviter le péché, il s’ensuit que, tout en péchant, il ne pèche pas, ce qui est absurde.

2. On corrige quelqu’un afin qu’il ne tombe pas dans le péché. Donc, si l’homme en état de péché mortel ne peut pas ne pas pécher, on le corrige en vain, ce qui est absurde.

3. On lit dans l’Ecclésiastique (15,17) “ Devant l’homme sont la vie et la mort, le bien et le mal : ce qu’il aura choisi lui sera donné. ” Mais celui qui pèche ne cesse pas d’être homme. Il a donc encore le pouvoir de choisir entre le bien et le mal, ce qui suppose qu’il peut, sans la grâce, éviter le péché.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Si quelqu’un nie qu’il soit nécessaire de prier pour ne pas entrer en tentation (et on le nie si l’on soutient que, pour ne pas pécher, le secours de la grâce divine n’est pas nécessaire, mais qu’il suffit, ayant pris connaissance de la loi, de la seule volonté humaine), que toutes les oreilles s’éloignent, et que toutes les bouches portent contre lui l’anathème. ”

Réponse :

Nous pouvons parler de l’homme à un double point de vue : selon qu’il se trouve dans l’état de nature intègre, ou de nature corrompue. Dans l’état de nature intègre, même sans la grâce habituelle, l’homme pouvait ne pas pécher, ni mortellement ni véniellement : car pécher n’est pas autre chose que s’écarter de ce qui est conforme à la nature, et cela, dans l’état d’intégrité, l’homme pouvait l’éviter. Il avait besoin cependant du secours de Dieu le conservant dans le bien, sans quoi la nature elle-même tomberait dans le néant.

Mais, dans l’état de nature corrompue, l’homme, pour s’abstenir entièrement du péché, a besoin que la grâce habituelle vienne guérir la nature. Dans la vie présente cependant, cette guérison se fait d’abord dans la partie spirituelle de l’âme, tandis que l’appétit charnel n’est pas encore totalement réparé ; d’où ce passage de l’épître aux Romains (7,25) où l’Apôtre parle au nom de l’homme restauré dans la grâce : “ Dans mon esprit je sers la loi de Dieu ; dans ma chair, je suis asservi à la loi du péché. ” Certes, dans cet état, l’homme peut éviter le péché mortel qui ‘ nous l’avons vu, relève de la raison, mais il ne peut éviter tout péché véniel, à cause de la corruption de l’appétit inférieur et sensible.

La raison en effet peut bien réprimer chacun des mouvements sensibles, pris en particulier, - et c’est ce qui donne à chacun de ces mouvements le caractère de péché et d’acte volontaire, - mais elle ne peut les réprimer tous ; car, tandis qu’elle s’efforce de résister à l’un d’eux, il peut arriver qu’un autre surgisse, auquel elle n’a pas toujours le loisir de prêter attention, nous l’avons dit précédemment.

De même, avant que la raison humaine, de qui relève le péché mortel, soit réparée par la grâce sanctifiante, elle peut éviter chaque péché mortel pris en particulier, et pendant un certain temps, car elle n’est pas nécessairement toujours en train de pécher. Mais qu’elle demeure longtemps sans péché mortel, cela n’est pas possible. Aussi S. Grégoire écrit-il que “ le péché qui n’est pas bientôt effacé par la pénitence, entraîne par son propre poids vers un autre péché ”. La raison en est que, si l’appétit inférieur doit être soumis à la raison, de même la raison doit se soumettre à Dieu et établir en lui la fin de son vouloir. Tandis en effet que les mouvements de l’appétit inférieur doivent être réglés par le jugement de la raison, ainsi faut-il que tous les actes humains soient réglés par la fin. Or, quand l’appétit inférieur n’est pas totalement soumis à la raison, il se produit inévitablement des mouvements désordonnés dans l’appétit sensible ; il en sera de même pour la raison de l’homme si elle n’est pas soumise à Dieu ; et de nombreux désordres se produiront dans les actes rationnels eux-mêmes. Si l’homme en effet n’a pas son cœur affermi en Dieu au point de ne vouloir aucunement être séparé de lui par l’obtention d’un bien ou la fuite d’un mal, bien des choses vont se présenter que l’homme cherchera à acquérir ou à éviter, et pour lesquelles il n’hésitera pas à se séparer de Dieu en méprisant ses préceptes : c’est ainsi qu’il pèche mortellement. Cela se produit surtout dans les rencontres soudaines où l’homme agit en fonction d’une fin préconçue et d’un habitus préexistant, remarque Aristote. Sans doute, sous l’influence d’une réflexion préalable, l’homme peut agir en dehors de l’ordre de la fin préconçue et en dehors de son inclination habituelle. Mais parce qu’une telle réflexion n’est pas toujours possible pour l’homme, il ne peut demeurer longtemps sans agir conformément au désordre de sa volonté détournée de Dieu, à moins que celle-ci ne soit promptement remise dans l’ordre par la grâce.

Solutions :

1. L’homme peut éviter chaque péché pris en particulier ; il ne peut cependant pas les éviter tous si ce n’est par la grâce, nous venons de le dire. Et parce que c’est sa faute s’il ne se prépare pas à recevoir la grâce, il s’ensuit que le fait pour lui de ne pouvoir éviter le péché sans la grâce ne l’excuse pas du péché qu’il commet.

2. La correction est utile, car, dit S. Augustin, “ de la douleur de la correction naît la volonté de régénération ; à condition cependant qu’il s’agisse d’un fils de la promesse, chez qui, au fracas de la correction extérieure qui retentit et qui frappe, se joint aussi l’inspiration secrète de Dieu suscitant antérieurement le vouloir ”. La correction est donc nécessaire, car, pour s’abstenir du péché, il faut que l’homme le veuille ; mais elle serait insuffisante sans le secours de Dieu. C’est pourquoi nous lisons dans l’Ecclésiaste (7,13) : “ Considère l’œuvre de Dieu : nul ne peut corriger celui que Dieu a dédaigné ” .

3. Comme le remarque S. Augustin, cette parole de l’Ecclésiastique s’entend de l’homme dans l’état de nature intègre, alors qu’il n’était pas encore esclave du péché, et qu’il pouvait pécher ou ne pas pécher. Maintenant encore, tout ce que l’homme veut lui est donné ; mais qu’il veuille le bien, cela lui vient du secours de la grâce.

 

            Article 9 — Une fois qu’il a obtenu la grâce l’homme peut-il par lui-même faire le bien et éviter le péché sans le secours d’une autre grâce ?

Objections :

1. Un don est inutile ou imparfait s’il n’atteint pas le but pour lequel il est accordé. Or la grâce nous est donnée précisément pour que nous puissions faire le bien et éviter le péché. Si elle n’y parvient pas, c’est donc qu’elle est donnée en vain ou qu’elle est imparfaite.

2. Par la grâce, le Saint-Esprit habite en nous, selon cette parole de l’Apôtre (1 Co 3,16) : “ Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? ” Mais l’Esprit Saint qui est tout-puissant, est bien capable à lui seul de nous porter à bien agir et de nous garder du péché. L’homme, en état de grâce, peut donc, sans un autre secours de grâce, faire le bien et éviter le mal.

3. Si l’homme qui a obtenu la grâce a besoin d’un autre secours de grâce pour bien vivre et s’abstenir du péché, on ne voit pas pourquoi cet autre secours, une fois obtenu, n’en réclamerait pas encore un troisième, et ainsi de suite à l’infini ; ce qui est inadmissible. Donc celui qui est en grâce n’a besoin de rien autre pour bien agir et s’abstenir du péché.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ De même qu’un œil corporel parfaitement sain ne peut voir sans le secours d’une vive lumière, de même l’homme, fût-il pleinement justifié, ne peut vivre bien s’il n’est aidé par l’éternelle lumière de la justice divine. ” Or la justification s’opère par le moyen de la grâce, selon cette parole de l’épître aux Romains (3, 24) : “ Ils sont justifiés par la faveur de sa grâce. ” L’homme en état de grâce a donc besoin, pour bien vivre dans la rectitude, d’un autre secours de grâce.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, l’homme, pour vivre avec rectitude, a doublement besoin du secours de Dieu. Selon un premier mode, il lui faut un don habituel qui guérisse sa nature corrompue, et, l’ayant guérie, l’élève aussi jusqu’à lui faire accomplir des œuvres qui méritent la vie éternelle, car cela dépasse le pouvoir de sa nature. Selon un second mode, l’homme a besoin du secours de la grâce par laquelle Dieu le meut à agir.

Pour ce qui est du premier mode de secours, l’homme déjà en état de grâce n’a pas besoin d’une nouvelle grâce habituelle infuse. Mais, sous le second mode, il lui faut un secours de grâce par lequel Dieu le meut à bien agir. Et cela, pour deux raisons. D’abord pour une raison générale, en ce sens, nous l’avons dit. qu’aucune créature ne peut produire un acte quelconque sinon en vertu de la motion divine. Ensuite, pour une raison spéciale, à cause de la condition dans laquelle se trouve la nature humaine. Bien que la grâce en effet la guérisse dans sa partie spirituelle, il demeure en elle une corruption et une infection dans sa partie chamelle qui la rendent, comme dit S. Paul (Rm 7,25) “ asservie à la loi du péché ”. Il reste aussi une certaine obscurité d’ignorance dans l’intelligence en sorte que, remarque encore l’Apôtre (Rm 8,26 : “ Nous ne savons que demander pour prier comme il faut. ” Car, selon la diversité des conjonctures, et parce que nous ne nous connaissons pas parfaitement nous-mêmes, nous ne pouvons pleinement savoir ce qui nous est utile. D’après le livre de la Sagesse (9,14) : “ Les pensées des mortels sont hésitantes et nos prévisions incertaines. ” Aussi est-il nécessaire que nous soyons dirigés et protégés par Dieu, qui connaît toutes choses et qui peut tout. Pour cette raison, même à ceux qui déjà sont régénérés et devenus fils de Dieu par la grâce, il convient encore de dire : “ Ne nous induis pas en tentation ; - que ta volonté se fasse sur la terre comme au ciel... ” et autres formules semblables de l’oraison dominicale.

Solutions :

1. La grâce habituelle ne nous est pas donnée pour rendre inutile un secours divin ultérieur ; toute créature a besoin en effet d’être conservée par Dieu dans le bien qu’elle a reçu de lui. C’est pourquoi si, après avoir reçu la grâce, l’homme a encore besoin du secours divin, on ne peut en conclure que cette grâce a été donnée en vain ou qu’elle est imparfaite. Même dans l’état de gloire, quand la grâce sera parvenue à sa pleine perfection, l’homme aura encore besoin du secours divin. Ici-bas, il est vrai, la grâce est de quelque manière imparfaite en ce sens qu’elle ne guérit pas totalement l’homme, nous venons de le dire.

2. L’opération du Saint-Esprit, par laquelle il nous meut et nous protège, ne se limite pas au don habituel qu’il cause en nous. En plus de cet effet, il nous meut et nous protège de concert avec le Père et le Fils.

3. Cet argument conclut seulement que l’homme n’a pas besoin d’une autre grâce habituelle.

 

            Article 10 — L’homme en état de grâce peut-il par lui-même persévérer dans le bien ?

Objections :

1. Il semble que l’homme en état de grâce n’ait pas besoin du secours de la grâce pour persévérer. En effet, le Philosophe montre que la persévérance, comme la continence, est quelque chose de moins parfait que la vertu. Or, du seul fait que l’homme est justifié par la grâce, il possède les vertus sans qu’il soit besoin d’un autre secours de grâce. A plus forte raison en est-il de même pour la persévérance.

2. Toutes les vertus sont infusées dans l’âme en même temps. Or la persévérance est considérée comme une vertu. Elle doit donc être donnée lorsque les autres vertus sont infusées en même temps que la grâce.

3. Selon l’Apôtre (Rm 5,15) le don du Christ a rendu à l’homme plus qu’il n’avait perdu par le péché d’Adam. Mais Adam avait reçu le pouvoir de persévérer. A plus forte raison ce pouvoir nous est-il restitué par la grâce du Christ. Ainsi l’homme n’a pas besoin de la grâce pour persévérer.

En sens contraire, S. Augustin écrit “ Pourquoi la persévérance est-elle demandée à Dieu si elle n’est pas donnée par Dieu ? N’est-ce pas se moquer que de lui demander ce qu’on sait qu’il ne donne pas et qui est, pour cette raison, au pouvoir de l’homme ? ” Or, la persévérance est demandée par ceux qui sont déjà sanctifiés par la grâce ; et, d’après S. Augustin s’appuyant sur S. Cyprien, c’est ce que nous voulons dire quand nous disons : “ Que ton nom soit sanctifié. ” L’homme en état de grâce a donc besoin que la persévérance lui soit accordée par Dieu.

Réponse :

Le mot persévérance peut avoir une triple signification. Quelquefois il signifie en un homme l’habitus par lequel il est disposé intérieurement à résister avec fermeté aux tristesses envahissantes qui pourraient le détourner de la vertu ; en ce sens, la persévérance est aux tristesses ce que la continence est aux convoitises et aux délectations mauvaises, dit Aristote. - En un autre sens, la persévérance désigne un habitua dont l’acte est le propos que forme un homme de persévérer jusqu’au bout dans le bien.

Prise dans l’un et l’autre sens, la persévérance est infusée dans l’âme avec la grâce, comme la continence et les autres vertus.

Mais la persévérance peut aussi signifier une certaine continuation dans le bien jusqu’à la fin de la vie. Sous ce rapport l’homme en état de grâce n’a certes pas besoin pour persévérer d’une autre grâce habituelle, mais il lui faut un secours divin qui le dirige et le protège contre les assauts de la tentation, comme l’article précédent l’a montré. C’est pourquoi, après avoir été justifié par la grâce, il est nécessaire que l’homme demande à Dieu le don de la persévérance, afin d’être préservé du mal jusqu’à la fin de sa vie. A beaucoup en effet la grâce est donnée, sans qu’il leur soit donné de persévérer dans la grâce.

Solutions :

1 et 2. La première objection procède de la persévérance prise au premier sens ; la deuxième, de la persévérance prise au deuxième sens.

3. S. Augustin écrit : “ L’homme, en son premier état, reçut le don de pouvoir persévérer, mais non de persévérer en fait. A présent, par la grâce du Christ, beaucoup reçoivent le don de la grâce qui leur permet de pouvoir persévérer, et il leur est accordé en outre de persévérer. ” Ainsi le don du Christ l’emporte sur la faute d’Adam. Pourtant, dans l’état d’innocence, l’homme pouvait plus facilement persévérer que nous ne le pouvons dans l’état présent, car il n’y avait en lui aucune rébellion de la chair contre l’esprit. Avec la grâce du Christ, la réparation de la nature, bien qu’elle soit commencée pour ce qui est de l’esprit, n’est pas encore achevée pour ce qui est de la chair. Cela n’aura lieu que dans la patrie, où l’homme non seulement pourra persévérer, mais en outre ne pourra plus pécher.

 

QUESTION 110 — LA GRÂCE DE DIEU CONSIDÉRÉE DANS SON ESSENCE

1. La grâce est-elle une réalité dans l’âme ? - 2. Est-elle une qualité ? - 3. Diffère-t-elle de la vertu infuse ? - 4. Quel est le siège de la grâce ?

 

            Article 1 — La grâce est-elle une réalité dans l’âme ?

Objections : 1. C’est dans le même sens que l’on dit de quelqu’un qu’il possède la grâce d’un homme ou la grâce de Dieu ; ainsi lisons-nous dans la Genèse (39,21) : “ Le Seigneur fit trouver grâce à Joseph auprès du chef de la prison. ” Or le fait qu’un homme trouve grâce devant un autre ne pose rien de réel en lui ; c’est en celui qui donne sa faveur qu’il faut placer une certaine complaisance. Donc la grâce de Dieu ne pose rien de réel dans l’âme, mais signifie seulement l’agrément divin.

2. De même que l’âme vivifie le corps, ainsi Dieu vivifie l’âme, selon cette parole du Deutéronome (30,20) : “ Il est lui-même ta vie. ” Mais l’âme vivifie le corps sans intermédiaire. Ainsi en sera-t-il de Dieu par rapport à l’âme. La grâce ne pose donc rien de créé dans l’âme.

3. A propos de cette parole de l’épître aux Romains (1,7) : “ A vous grâce et paix ”, nous lisons dans la Glose : “ Grâce, cela veut dire rémission des péchés. ” Or la rémission des péchés n’est pas une réalité dans l’âme, mais seulement en Dieu, du fait qu’il n’impute pas le péché, selon le Psaume (32, 2) : “ Heureux l’homme auquel le Seigneur n’impute pas de péché. ” La grâce n’est donc pas une réalité dans l’âme.

En sens contraire, la lumière est quelque chose de réel dans l’objet qu’elle éclaire. Or la grâce est une certaine lumière de l’âme, car, dit S. Augustin : “ C’est à juste titre que la lumière de la vérité abandonne le prévaricateur de la loi et fait, de celui qu’elle abandonne, un aveugle. ” La grâce est donc une réalité dans l’âme.

Réponse :

Dans le langage courant, le mot grâce revêt une triple signification. Il désigne en premier lieu la dilection que l’on a pour quelqu’un ; ainsi l’on dit d’ordinaire que tel soldat a la grâce du roi, en ce sens qu’il est aimé du roi. En outre, on emploie le mot grâce pour signifier un don accordé gratuitement, quand on dit par exemple : je te fais cette grâce. Enfin on donne au mot le sens d’un remerciement pour un bienfait gratuit ; ainsi quand nous rendons grâce pour les bienfaits reçus. De ces trois significations, la deuxième découle de la première : c’est en effet parce qu’on aime quelqu’un qu’on lui fait des cadeaux ; et la troisième découle de la deuxième, puisque c’est à cause des bienfaits reçus que l’on rend grâce.

Pour ce qui est des deux derniers sens, il est manifeste que la grâce est quelque chose de réel dans celui à qui elle est attribuée, soit qu’il s’agisse du don reçu gratuitement, soit qu’il s’agisse de la reconnaissance manifestée à l’occasion du don. Quant au premier sens, il y a une différence à établir entre la grâce de Dieu et la grâce de l’homme. Le bien de la créature en effet vient de la volonté divine, et par conséquent l’amour par lequel Dieu veut du bien à la créature, fait jaillir le bien en elle. Au contraire, la volonté de l’homme est mue par le bien qui préexiste dans les choses ; d’où il suit que son amour ne cause pas la totalité du bien qui est dans la chose aimée, mais qu’il le présuppose en tout ou en partie. Il est donc clair que tout acte d’amour de Dieu fait naître dans la créature un bien, qui est causé, non coéternel à cet amour, lequel, lui, est éternel. Et c’est selon la différence du bien qu’il cause qu’on peut différencier l’amour de Dieu pour sa créature. Il y a en effet un amour commun selon lequel Dieu “ aime tout ce qui existe ”, comme l’affirme le livre de la Sagesse (11,25), faisant largesse aux choses de leur être naturel. Mais autre est l’amour spécial selon lequel Dieu élève la créature rationnelle au-dessus de sa condition de nature. Celui que Dieu aime ainsi, il est dit simplement l’aimer, car par cet amour ce qu’il veut pour sa créature n’est pas un autre bien que le bien éternel qu’il est lui-même.

Ainsi donc, quand nous disons que l’homme a la grâce de Dieu, cela signifie qu’une réalité surnaturelle lui est communiquée par Dieu. Parfois cependant, on entend par grâce de Dieu son amour éternel, et c’est en ce sens que l’on parle de la grâce de la prédestination pour signifier que Dieu a prédestiné ou élu certains d’une façon toute gratuite, et non en considération de leurs mérites, selon cette parole de l’Apôtre (Ep 1,5-6) : “ Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs, à la louange de gloire de sa grâce. ”

Solutions :

1. Même quand on dit de quelqu’un qu’il possède la grâce ou la faveur d’un homme, cela signifie qu’il y a en lui quelque chose de réel qui agrée à cet homme. Ainsi en est-il quand nous disons de quelqu’un qu’il possède la grâce de Dieu. Il y a cependant une différence ; car ce qui agrée à un homme dans l’un de ses semblables, c’est quelque chose qui préexiste à son amour ; au contraire ce qui agrée à Dieu dans un homme est causé par l’amour divin, nous venons de le dire.

2. Dieu est la vie de l’âme par mode de cause efficiente, mais l’âme est la vie du corps par mode de cause formelle. Or, entre la matière et la forme, il n’y a pas d’intermédiaire, la forme informant directement par elle-même la matière ou le sujet. Au contraire l’agent informe le sujet, non par sa propre substance, mais par la forme qu’il produit dans la matière.

3. S. Augustin écrit : “ Quand j’ai dit que la grâce consiste dans la rémission des péchés, et la paix dans la réconciliation avec Dieu, il ne faut pas l’entendre en ce sens que la paix elle-même et la réconciliation n’appartiendraient pas à la grâce en général, mais en ce sens que le mot grâce signifie d’une façon spéciale la rémission des péchés. ” Ce n’est donc pas seulement cette rémission qui relève de la grâce, mais encore beaucoup d’autres dons de Dieu. D’ailleurs même la rémission des péchés ne s’opère pas sans qu’un effet soit divinement produit en nous, comme on le verra par la suite.

 

            Article 2 — La grâce est-elle une qualité de l’âme ?

Objections :

1. Aucune qualité s’agit sur son sujet, car l’action de la qualité n’est pas distincte de l’action du sujet, et il faudrait donc que le sujet agisse sur lui-même. Or la grâce agit sur l’âme, puisqu’elle la justifie. Elle n’est donc pas une qualité de l’âme.

2. La substance est plus noble que la qualité. Or la grâce est plus noble que la nature de l’âme. La preuve en est que la grâce nous permet de faire beaucoup de choses dont la nature est incapable, comme nous venons de le montrer. Donc la grâce n’est pas une qualité.

3. Aucune qualité ne demeure quand elle a cessé d’exister dans le sujet. Mais la grâce demeure. Elle ne se corrompt pas en effet, car cela voudrait dire qu’elle est annihilée, puisqu’elle est créée de rien. C’est pourquoi l’Apôtre (Ga 6,15) l’appelle “ une créature nouvelle ”. La grâce n’est donc pas une qualité.

En sens contraire, à propos de ce passage du Psaume (104,15) : “ Pour que l’huile fasse resplendir le visage ”, nous lisons dans la Glose : “ La grâce est la beauté de l’âme : c’est elle qui lui attire l’amour divin. ” Or la beauté de l’âme est une qualité, comme la beauté du corps. La grâce est donc une qualité.

Réponse :

Comme nous l’avons montré à l’article précédent, dire de quelqu’un qu’il a la grâce de Dieu c’est dire qu’il y a en lui un effet déterminé produit par l’amour gratuit de Dieu. Nous avons dit d’autre part que l’homme est aidé d’une double manière par cette volonté divine toute gratuite. D’une part, en ce sens que l’âme humaine est mue par Dieu soit pour connaître, soit pour vouloir, soit pour agir. Sous ce rapport, l’effet gratuit produit dans l’homme n’est pas une qualité, mais un certain mouvement de l’âme : selon Aristote en effet, “le mouvement est l’acte de l’agent moteur, considéré dans le mobile”.

D’autre part, l’homme est secouru par la volonté gratuite de Dieu en ce sens que Dieu infuse dans l’âme un don habituel. Et il le fait parce qu’il ne convient pas que sa providence soit moins attentive à l’égard de ceux que son amour gratifie du bien surnaturel, qu’à l’égard des créatures auxquelles son amour donne le bien naturel. Quand il s’agit des simples créatures en effet, Dieu, dans sa providence, ne se contente pas de les mouvoir à leurs actes naturels ; mais encore il leur octroie des formes et des vertus qui sont les principes de leurs actes et les portent à agir en tel ou tel sens conformément à ce qu’elles sont elles-mêmes. C’est pourquoi les mouvements que Dieu imprime aux créatures leur sont connaturels et faciles, selon cette parole du livre de la Sagesse (8,1) : “Il dispose toutes choses avec douceur.” A bien plus forte raison, en ceux qu’il meut vers la conquête du bien surnaturel éternel, Dieu infuse-t-il des formes et des qualités surnaturelles grâce auxquelles ils sont mus par lui avec suavité et promptitude vers l’acquisition du bien éternel. Et c’est ainsi que le don de la grâce est une qualité.

Solutions :

1. La grâce, en tant qu’elle est une qualité, n’agit pas sur l’âme par manière de cause efficiente, mais par manière de cause formelle ; ainsi la blancheur rend un objet blanc, la justice fait d’un individu un juste.

2. La substance, c’est soit la nature même d’une chose, soit une partie de la nature ; en ce dernier sens, on donne le nom de substance à la matière ou à la forme. Or, étant donné que la grâce est au-dessus de la nature humaine, elle ne peut être une substance ou une forme substantielle ; mais elle est une forme accidentelle de l’âme. Ce qui en effet est en Dieu de façon substantielle, se trouve par mode d’accident dans l’âme qui participe à la bonté divine ; ainsi en est-il de la science, par exemple. Et puisque l’âme participe imparfaitement à la bonté divine, cette participation qu’est la grâce ne peut se trouver dans l’âme que sous un mode d’être inférieur à celui de l’âme elle-même qui subsiste en soi. Et pourtant la grâce, non pas dans son mode d’être, mais en tant qu’expression ou participation de la bonté divine, est plus noble que la nature de l’âme.

3. Comme dit Boèce, “ être pour l’accident, c’est inhérer (à la substance) ”. C’est pourquoi l’on donne à l’accident le nom d’être, non pas parce qu’il possède l’être, mais en ce sens que, par lui, quelque chose est, aussi selon Aristote doit-on le regarder plutôt comme une détermination d’être que comme un être proprement dit. Et puisque le devenir et la corruption appartiennent à ce qui est, il s’ensuit qu’à proprement parler l’accident ni ne devient, ni ne se corrompt ; si on lui attribue le devenir ou la corruption, c’est en ce sens que le sujet commence ou cesse d’être actualisé par lui. Et c’est dans ce sens qu’on dit que la grâce est créée, pour dire que les hommes sont créés en l’être de grâce, c’est-à-dire qu’ils reçoivent un être nouveau à partir de rien, on veut dire : non à partir de mérites antécédents, selon cette parole de l’Apôtre (Ep 2,10) : “ Nous sommes créés dans le Christ Jésus en vue des bonnes œuvres. ”

 

            Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ?

Objections :

1. Selon S. Augustin, “ la grâce opérante, c’est la foi qui agit par amour ”. Mais la foi qui agit par amour est une vertu. La grâce est donc une vertu.

2. Quand une définition convient à une chose, le terme ainsi défini peut également lui être attribué. Or les définitions de la vertu données par les saints et les philosophes conviennent à la grâce : celle-ci en effet “ rend bon celui qui la possède et fait que son œuvre est bonne ” ; elle est aussi “ une qualité bonne de l’âme grâce à laquelle on vit correctement ”. Et ce sont là précisément des définitions de la vertu, parmi d’autres qu’on pourrait citer. La grâce est donc une vertu.

3. La grâce est une qualité. Mais il est manifeste qu’elle n’appartient pas à la quatrième espèce de qualité qui se définit : “ la forme ou figure qui circonscrit un corps ”, car la grâce n’est pas corporelle. Elle n’appartient pas davantage à la troisième espèce qui est “ une passion ou une qualité passive ” dont le siège, comme le montre Aristote, est la partie sensible de l’âme, la grâce en effet réside principalement dans la partie spirituelle de l’âme. Elle n’appartient pas non plus à la deuxième espèce qui est “ une puissance ou une impuissance naturelle ”, car la grâce est au-dessus de la nature ; de plus elle n’est pas indifférente au bien et au mal comme la puissance naturelle. Reste donc la première espèce de qualité qui est l’habitus ou la disposition. Mais les habitus de l’esprit sont des vertus ; même la science, d’une certaine manière, est une vertu, nous l’avons dit. Donc la grâce est la même chose que la vertu.

En sens contraire, si la grâce est une vertu, il semble qu’elle sera, d’abord et avant tout, une des trois vertus théologales. Mais elle n’est ni la foi, ni l’espérance lesquelles peuvent exister dans l’âme sans la grâce sanctifiante. Elle n’est pas non plus la charité, car, selon S. Augustin “ la grâce devance la charité ”. La grâce n’est donc pas une vertu.

Réponse :

Certains ont prétendu que grâce et vertu sont essentiellement la même chose, et qu’elles ne diffèrent que pour la raison ; on parlerait de la grâce pour signifier qu’elle rend l’homme agréable à Dieu ou qu’elle est donnée gratuitement ; on l’appellerait vertu parce qu’elle perfectionne l’âme en vue du bien agir. Telle paraît être la pensée du Maître des Sentences.

Pourtant, à bien considérer la nature de la vertu, une opinion semblable ne peut se soutenir. Selon le Philosophe - en effet : “ La vertu est une disposition de l’être parfait ; et j’appelle parfait ce qui est disposé conformément à la nature. ” Il apparaît donc que, dans toute réalité, on parle de la vertu par rapport à une nature préexistante ; elle signifie qu’un être est ordonné selon qu’il convient à sa nature. Or, il est manifeste que les vertus acquises par les actes humains, dont nous avons parlé antérieurement, sont des dispositions qui permettent à l’homme d’être harmonieusement ordonné en regard de sa nature d’homme. Les vertus infuses disposent l’homme d’une manière supérieure et en vue d’1une fin plus haute, ce qui suppose qu’elles le font en regard d’une nature plus élevée, à savoir la nature divine participée, qu’on appelle lumière de la grâce. Aussi lisons-nous dans la 2° épître de S. Pierre (1,4) : “ De très grandes et précieuses promesses nous ont été données pour que, par elles, vous deveniez participants de la nature divine. ” Et c’est dans la réception de cette nature que nous sommes régénérés comme fils de Dieu.

De même donc que la lumière naturelle de la raison est autre chose que les vertus acquises, lesquelles sont ordonnées à cette lumière ; de même la lumière de la grâce[4442], qui est participation de la nature divine[4443], est autre chose que les vertus infuses, lesquelles sont dérivées de cette lumière et ordonnées à elle. C’est pourquoi l’Apôtre écrit (Ep 5,8) : “ Autrefois vous étiez ténèbres ; maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur : marchez donc comme des fils de lumière. ” Les vertus acquises en effet perfectionnent l’homme de façon à lui permettre de se conduire conformément à la lumière de la raison ; et les vertus infuses perfectionnent l’homme pour qu’il se conduise conformément à la lumière de la grâce[4444].

Solutions :

1. S. Augustin donne le nom de grâce à la foi qui agit par amour, parce que l’acte émis par cette foi est le premier où se manifeste la grâce sanctifiante.

2. L’attribut de bonté dont il est question dans la définition de la vertu, exprime ce qui convient à une nature déjà préexistante, qu’il s’agisse de la nature essentielle ou de la nature participée. Ce n’est pas en ce sens que nous disons que la grâce est bonne, mais en tant qu’elle est la racine de la bonté dans l’homme, ainsi que nous venons de le dire dans la réponse.

3. La grâce se ramène à la première espèce de qualité. Elle n’est pourtant pas la même chose que la vertu : elle est un certain état habituel présupposé aux vertus infuses, comme leur principe et leur racine.

 

            Article 4 — Quel est le siège de la grâce ?

Objections :

1. D’après S. Augustin la grâce est à la volonté ou au libre arbitre ce que le cavalier est à sa monture. Mais la volonté, comme le libre arbitre, est une puissance, nous l’avons dit dans la première Partie. La grâce a donc pour sujet une puissance de l’âme.

2. Selon S. Augustin encore, “ c’est à partir de la grâce que commencent les mérites des hommes ”. Or le mérite consiste en un acte, lequel procède d’une puissance. Il semble donc que la grâce est la perfection d’une puissance de l’âme.

3. Si l’essence de l’âme est le sujet propre de la grâce, il s’ensuit que par cela même qu’elle est une âme, toute âme est capable de la grâce. Mais cela est faux, car cela voudrait dire que toute âme, quelle qu’elle soit, est capable de la grâce.

4. L’essence de l’âme est antérieure à ses puissances. Or l’antécédent peut être conçu sans le conséquent. Il s’ensuivra donc que l’on pourra concevoir la grâce dans l’âme indépendamment de toute autre partie ou puissance de l’âme, donc indépendamment de l’intelligence, de la volonté et de quelque autre faculté de l’âme ; ce qui est inadmissible.

En sens contraire, par la grâce nous sommes engendrés à nouveau et devenons fils de Dieu. Mais la génération aboutit à l’essence avant de se terminer aux puissances. La grâce se trouve donc dans l’essence de l’âme avant d’être dans ses puissances.

Réponse :

Ce problème dépend du précédent. Si en effet la grâce est la même chose que la vertu, il est nécessaire qu’elle ait pour sujet une puissance de l’âme, car une telle puissance est le sujet propre de la vertu, ainsi que nous l’avons exposé précédemment. Mais si la grâce diffère de la vertu, on ne peut dire que la puissance de l’âme soit son sujet, car toute perfection d’une puissance a raison de vertu, nous l’avons déjà dit. Il reste donc que la grâce, puisqu’elle est antérieure à la vertu, ait aussi un sujet antérieur aux puissances de l’âme ; et ce ne peut être que l’essence de l’âme. De même en effet que la puissance intellectuelle de l’homme participe de la connaissance divine par la vertu de foi et que sa puissance volontaire participe de l’amour divin par la vertu de charité, de même la nature de l’âme humaine participe, selon une certaine similitude, de la nature divine par le moyen d’une régénération ou d’une création nouvelle.

Solutions :

1. De même que de l’essence de l’âme découlent ses puissances qui sont principes d’opérations, ainsi dérivent de la grâce dans les puissances de l’âme, les vertus par le moyen desquelles les puissances se portent à l’acte. Sous ce rapport, la grâce est comparée à la volonté comme le moteur au mobile ou, si l’on veut, comme le cavalier à sa monture, mais non comme un accident à son sujet.

2. C’est ce qui permet de résoudre la deuxième objection. La grâce en effet est principe de 1’œuvre méritoire par le moyen des vertus, comme l’essence de l’âme est principe des actes vitaux par le moyen des puissances.

3. L’âme est sujet de la grâce parce que sa nature est spécifiquement intellectuelle ou rationnelle. Or l’âme n’est pas constituée spécifiquement par une puissance, puisque les puissances sont des propriétés naturelles qui découlent de la spécificité de l’âme. C’est pourquoi l’âme, en son essence, diffère spécifiquement des autres âmes, animales ou végétales. Et, pour cette raison, si l’essence de l’âme humaine est sujet de la grâce, il ne s’ensuit pas que n’importe quelle âme puisse l’être également. Cela ne convient à l’essence de l’âme humaine qu’en tant qu’elle est de telle nature spécifique.

4. Parce que les puissances de l’âme sont des propriétés naturelles dérivant de l’espèce, l’âme ne peut exister sans elles. Retenons cependant que, même sans ces puissances, l’âme pourrait encore être dite spécifiquement intellectuelle ou rationnelle ; non pas comme possédant actuellement ces puissances, mais à cause de la spécificité de son essence, d’où ces puissances découlent naturellement.

 

QUESTION 111 — LES DIVERSES ESPECES DE GRÂCE

1. Convient-il de diviser la grâce en grâce gratuitement donnée, et grâce rendant agréable à Dieu ? - 2. La division de cette dernière en grâce opérante et grâce coopérante. - 3. La division en grâce prévenante et en grâce subséquente. - 4. Les divisions de la grâce gratuitement donnée. - 5. Comparaison entre la grâce qui rend agréable à Dieu et la grâce gratuitement donnée.

 

            Article 1 — Convient-il de diviser la grâce en grâce qui rend agréable à Dieu et grâce gratuitement donnée ?

Objections :

1. La grâce est un don de Dieu, nous le savons. Mais l’homme n’est pas agréable à Dieu pour cette raison que Dieu lui a donné quelque chose ; c’est bien plutôt le contraire qu’il faut dire : Dieu donne gratuitement quelque chose à l’homme parce que celui-ci lui agrée. Il n’existe donc pas de grâce qui rende l’homme agréable à Dieu.

2. Tout ce qui n’est pas donné en raison de mérites antécédents, est gratuitement donné. Or le bien de la nature lui-même est donné à l’homme sans mérite antécédent, car la nature est présupposée au mérite. La nature elle-même est donc aussi gratuitement donnée par Dieu. Cependant, la nature s’oppose à la grâce. Le fait d’être gratuitement donné ne constitue donc pas une différence dans la grâce, puisque ce caractère se retrouve en dehors de toute espèce de grâce.

3. Toute division doit s’établir sur l’opposition des termes. Or la grâce qui nous rend agréable à Dieu et qui nous justifie, nous est elle-même accordée gratuitement par Dieu. S. Paul écrit en effet (Rm 3,24) : “ Nous sommes justifiés gratuitement par sa grâce. ” On ne peut donc opposer la grâce qui rend agréable à Dieu et la grâce gratuitement donnée.

En sens contraire, l’Apôtre attribue à la grâce ces deux propriétés : de nous rendre agréables à Dieu, et d’être gratuitement donnée. Au sujet de la première propriété, il s’exprime ainsi (Ep 1,16) : “ Dieu nous a rendus agréables à ses yeux dans son Fils bien-aimé. ” Au sujet du second (Rm 13,1) : “ Si c’est par grâce, ce n’est donc pas par les œuvres ; autrement la grâce ne serait plus la grâce. ” On peut donc distinguer une grâce qui n’a qu’une seule de ces propriétés, et une grâce qui les possède toutes les deux.

Réponse :

Comme l’écrit S. Paul (Rm 13,4) : “ Ce qui vient de Dieu est établi dans l’ordre. ” Or l’ordre des choses consiste en ce que certaines d’entre elles font retour à Dieu par l’intermédiaire d’autres réalités, ainsi que l’enseigne Denys. Donc, étant donné que la grâce a pour objet de ramener l’homme à Dieu, cela se fera selon un certain ordre, en ce sens que les uns seront ramenés à Dieu par d’autres. Sous ce rapport il y aura donc une double grâce. L’une unira l’homme à Dieu : c’est la grâce qui le lui rend agréable. L’autre permettra à un homme de coopérer au retour vers Dieu d’un autre homme : c’est la grâce gratuitement donnée. On l’appelle ainsi parce qu’elle dépasse les possibilités de la nature et qu’elle est accordée en dehors de tout mérite personnel. Et, puisqu’elle est donnée à un homme, non pour sa propre justification, mais pour sa coopération à la justification d’un autre, on ne lui donne pas le nom de grâce rendant agréable à Dieu. C’est de cette grâce que parle l’Apôtre quand il écrit 1 Co 12,7) : “ A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit pour l’utilité ” des autres.

Solutions :

1. On ne prétend pas que la grâce rend agréable par efficience, mais formellement, ce qui veut dire que, par elle, l’homme est justifié et devient digne d’être regardé comme agréable à Dieu ; selon cette parole de l’Apôtre (Col 1,12) : “ Il nous a rendus dignes de partager le sort des

saints dans la lumière. ”

2. La grâce, précisément parce qu’elle est gratuitement donnée, exclut toute idée de dette. Mais il y a deux manières de concevoir une dette. L’une se fonde sur le mérite et se rapporte à la personne ; car c’est à la personne qu’il appartient de mériter, selon cette parole de l’Apôtre (Rm 4,4) : “ A qui fournit un travail, on ne compte pas le salaire comme une grâce ; c’est un dû. ” L’autre se fonde sur la condition de la nature ; ainsi nous disons que c’est un dû pour l’homme de posséder la raison et tout Ce qui appartient à la nature humaine. Cependant, ni dans l’un ni dans l’autre sens, nous ne pouvons dire que Dieu se trouve obligé à l’égard de la créature ; c’est bien plutôt elle qui se trouve soumise à Dieu, du fait que l’ordre divin doit se réaliser en elle ; et cet ordre divin exige que telle nature soit placée dans telles conditions, avec telles propriétés, et qu’agissant de telle manière, elle obtienne tel résultat. Donc, si les dons naturels ne sont pas dus au premier titre, ils le sont au second. Les dons surnaturels au contraire ne sont dus à aucun titre, et c’est pourquoi l’on doit, d’une façon spéciale, leur donner le nom de grâce.

3. La grâce qui rend agréable à Dieu ajoute à l’idée de grâce gratuitement donnée quelque chose qui répond aussi à l’idée de grâce : qu’elle rend l’homme agréable à Dieu. C’est pourquoi la grâce gratuitement donnée, qui ne comporte pas cet agrément, conserve le nom commun de grâce, comme il arrive en beaucoup de cas. Et ainsi, il y a bien opposition entre les deux termes de la division : d’une part la grâce qui rend agréable à Dieu ; et d’autre part la grâce qui n’entraîne pas cet agrément.

 

            Article 2 — La division de la grâce qui rend agréable à Dieu en grâce opérante et grâce coopérante

Objections :

1. La grâce, nous l’avons dit, est un accident. Mais l’accident ne peut agir sur son sujet. Il n’y a donc pas de grâce qui puisse être appelée opérante.

2. Si la grâce produit quelque chose en nous, c’est principalement la justification. Mais ce n’est pas la grâce seule qui l’opère en nous, car, à propos du passage de S. Jean (14,12) : “ Les œuvres que je fais, il les fera lui-même ”, S. Augustin écrit : “ Celui qui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans toi. ” Il n’y a donc pas de grâce qui puisse être dite simplement opérante.

3. C’est à l’agent inférieur, semble-t-il, et non à l’agent principal qu’il appartient de coopérer avec quelqu’un. Mais en nous c’est la grâce plutôt que le libre arbitre qui opère comme cause principale, selon l’Apôtre (Rm 9,16) : “ Ce qui compte ce n’est pas de vouloir ou de courir, mais que Dieu fasse miséricorde. ” La grâce ne doit donc pas être dite coopérante.

4. Une division se fait, dans un classement, par termes opposés. Mais les termes “ opérer ” et “ coopérer ” ne sont pas opposés ; car le même individu peut faire l’un et l’autre. Il ne convient donc pas de diviser la grâce en opérante et coopérante.

En sens contraire, nous lisons dans S. Augustin : “ Dieu, par sa coopération, achève en nous ce qu’il commence par son opération ; car il commence en faisant en sorte, par son opération, que nous voulions ; il achève, en coopérant avec nos vouloirs déjà commencés. ” Or les opérations de Dieu qui nous meuvent au bien sont des grâces. On peut donc raisonnablement diviser la grâce en opérante et coopérante.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, la grâce peut s’entendre en deux sens : soit comme un secours divin par lequel Dieu nous meut à bien vouloir et à bien agir ; soit comme un don habituel divinement infusé en nous. En l’un et l’autre sens il convient de diviser la grâce en opérante et coopérante. La production d’une œuvre en effet ne s’attribue pas au mobile, mais au moteur. Dès lors, quand notre esprit est mû sans se mouvoir lui-même, Dieu étant le seul moteur, l’opération doit être attribuée à Dieu, et en ce sens on parlera de grâce opérante. Mais s’il s’agit d’une œuvre où notre esprit est à la fois moteur et mobile, l’opération ne devra pas seulement être attribuée à Dieu, mais aussi à l’âme ; on parlera alors de grâce coopérante.

Or il y a en nous deux sortes d’actes. D’abord l’acte intérieur de la volonté. Pour celui-là la volonté est à l’égard de Dieu dans la relation de ce qui est mû à celui qui le meut : surtout s’il s’agit pour la volonté de commencer à vouloir le bien alors qu’elle voulait auparavant le mal. Dès lors la grâce par laquelle Dieu meut l’esprit humain à cet acte est dite grâce opérante.

Mais il y a aussi l’acte extérieur. Celui-ci se faisant sous l’impulsion de la volonté, comme il a été dit antérieurement, il en résulte que là l’opération est attribuée à la volonté. Et comme, pour cet acte aussi, Dieu nous aide, tant intérieurement, affermissant la volonté pour qu’elle le veuille jusqu’au bout, qu’extérieurement pour la rendre réalisatrice, le secours divin, dans ce cas, est appelé grâce coopérante. De là les paroles de S. Augustin que nous avons rapportées plus haut : “ Dieu opère pour que nous voulions, et quand nous voulons, Dieu coopère avec nous pour que nous achevions. ” Ainsi donc, si nous entendons par grâce la motion gratuite de Dieu par laquelle il nous meut au bien méritoire, c’est avec raison qu’on la divise en grâce opérante et grâce coopérante.

Si d’autre part nous prenons la grâce au sens de don habituel, à ce point de vue encore, la grâce comporte un double effet, comme toute forme d’ailleurs : le premier de ces effets, c’est l’être ; le second, l’opération. L’effet de la chaleur est de rendre chaud un objet, puis de lui faire produire un échauffement extérieur. Ainsi donc la grâce habituelle, en tant qu’elle guérit l’âme, qu’elle la justifie et la rend agréable à Dieu, est appelée grâce opérante ; en tant qu’elle est principe de l’acte méritoire qui procède aussi du libre arbitre, on la nomme grâce coopérante.

Solutions :

1. Considérée comme une qualité accidentelle, la grâce n’agit pas dans l’âme par mode d’efficience, mais formellement ; c’est ainsi que l’on dit de la blancheur qu’elle rend blanche une surface.

2. Dieu ne nous justifie pas sans nous en ce sens que, tandis que nous sommes justifiés, nous consentons, par un mouvement de notre libre arbitre, à l’action divine qui nous justifie. Mais ce mouvement n’est pas cause de la grâce ; il en est l’effet. C’est pourquoi toute l’œuvre de notre justification relève de la grâce.

3. La coopération ne concerne pas seulement l’agent secondaire qui collabore avec l’agent principal, mais aussi celui qui aide à atteindre la fin préalablement fixée. Or l’homme, par la grâce opérante, est aidé par Dieu à vouloir le bien. Une fois cette fin fixée, la grâce coopère ensuite avec nous pour nous la faire atteindre.

4. La même grâce est à la fois opérante et coopérante, mais elle se diversifie par ses effets, comme ce que nous venons de dire le montre bien.

 

            Article 3 — Division de cette grâce en prévenante et subséquente

Objections :

1. La grâce est un effet de l’amour divin. Mais l’amour de Dieu est toujours prévenant et jamais subséquent, selon cette parole de S. Jean (I, 4,10) : “ Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés le premier. ” Il n’y a donc pas lieu d’admettre une grâce prévenante et une grâce subséquente.

2. La grâce qui rend un homme agréable à Dieu est unique en lui, car elle se suffit à elle-même, selon cette parole de l’Apôtre (2 Co 12,9) : “ Ma grâce te suffit. ” Or la même réalité ne peut être à la fois antérieure et postérieure à elle-même. On ne peut donc diviser la grâce en grâce prévenante et grâce subséquente.

3. La grâce est connue par ses effets qui sont en nombre illimité, l’un précédant l’autre. Donc, si l’on doit diviser la grâce en prévenante et subséquente, il s’ensuivra une infinité d’espèces de grâces, mais aucune technique ne s’occupe de ce qui est illimité. Donc cette division est mauvaise.

En sens contraire, la grâce de Dieu provient de sa miséricorde. Or nous lisons dans les Psaumes d’une part (59,11) : “ Sa miséricorde me préviendra ”, et d’autre part (23,6) : “ Sa miséricorde me suivra. ” On peut donc avec raison diviser la grâce en prévenante et subséquente.

Réponse :

De même que nous divisons la grâce en opérante et coopérante en raison de ses divers effets, de même convient-il de distinguer grâce prévenante et grâce subséquente, quel que soit d’ailleurs le sens que nous donnons au mot grâce. Or la grâce produit en nous cinq effets : elle guérit l’âme ; elle lui fait vouloir le bien ; elle le lui fait accomplir efficacement ; elle la fait persévérer dans le bien ; elle la fait parvenir à la gloire. C’est pourquoi la grâce considérée comme produisant en nous le premier effet, mérite, au regard du deuxième, d’être appelée prévenante ; et, considérée comme produisant le deuxième effet, on l’appellera, par rapport au premier, subséquente. Et comme un de ses effets peut être antérieur à l’un et postérieur à l’autre, la grâce pourra également être regardée comme prévenante ou subséquente à propos du même effet selon qu’on le compare aux autres. Et c’est ce que remarque S. Augustin : “ La grâce prévient pour nous guérir, elle suit pour nous fortifier dans cette guérison ; elle prévient pour nous appeler, elle suit pour nous glorifier. ”

Solutions :

1. Quand on parle de l’amour de Dieu, ce qu’on désigne par là est éternel, et ne saurait dont être dit que prévenant. Par le terme “ grâce ” au contraire, c’est un effet temporel qu’on désigne, et cet effet peut précéder ceci, suivre cela. C’est pourquoi la grâce peut être dite prévenante et subséquente.

2. La distinction entre grâce prévenante et subséquente ne s’applique pas à l’essence même de la grâce, mais seulement à ses effets, ainsi que nous l’avons dit de la grâce opérante ou coopérante. C’est aussi parce que la grâce subséquente qui a rapport à la gloire ne diffère pas numériquement de la grâce prévenante qui nous justifie. De même en effet que la charité d’ici-bas n’est pas détruite, mais achevée dans la patrie, ainsi en est-il de la lumière de la grâce, car ni l’une ni l’autre ne comporte en soi d’imperfection.

3. Bien que les effets de la grâce soient en nombre illimité, comme les actes humains eux-mêmes, on peut cependant les ramener à un nombre limité d’espèces. Et d’ailleurs tous ont ceci de commun que l’un est antérieur à l’autre.

 

            Article 4 — La division de la grâce gratuitement donnée

Objections :

1. Il semble que la façon dont S. Paul divise la grâce gratuitement donnée soit inadéquate. En effet, tout don gratuit qui nous est fait par Dieu peut être appelé grâce gratuitement donnée. Or ces dons sont en nombre illimité, qu’ils regardent les biens de l’âme ou qu’ils concernent les biens du corps ; et pourtant ceux-ci ne nous rendent pas agréables à Dieu. On ne peut donc pas faire entrer les grâces gratuitement données dans un classement déterminé.

2. La grâce gratuitement donnée se distingue de la grâce qui rend agréable à Dieu. Mais la foi appartient à cette dernière catégorie puisque par elle nous sommes justifiés, selon la parole de l’Apôtre (Rm 5,1) : “ Ayant reçu de la foi cette justification. ” Il ne convient donc pas de ranger la foi parmi les grâces gratuitement données, alors surtout qu’on n’y fait pas entrer d’autres vertus comme l’espérance et la charité.

3. Opérer des guérisons, parler diverses langues, ce sont là des miracles. L’interprétation des discours relève de la sagesse ou de la science, selon cette parole du prophète Daniel (1,17) : “ A ces enfants, Dieu a donné science et intelligence en matière de lettres et de sagesse. ” C’est donc à tort que, dans le classement des grâces gratuites, on oppose le don de guérir et le don des langues au pouvoir de faire des miracles ; et l’interprétation des discours, au pouvoir de parler avec sagesse et avec science.

4. La science et la sagesse sont des dons du Saint-Esprit, et il en est de même de l’intelligence et du conseil, de la piété, de la force et de la crainte ; on l’a dit plus haut. Donc on devrait les ranger parmi les grâces gratuitement données.

En sens contraire, S. Paul écrit (1 Co 12,8) : “ A l’un, c’est une parole de sagesse qui est donnée par l’Esprit, à tel autre une parole de science selon le même Esprit, à un autre la foi dans ce même Esprit, à tel autre le don de guérir, à tel autre le pouvoir d’opérer des miracles, à tel autre la prophétie, à tel autre le discernement des esprits ; à un autre la diversité des langues, à tel autre le don de les interpréter. ”

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, la grâce gratuitement donnée est octroyée pour aider un homme à coopérer à la progression vers Dieu d’un autre. Or l’homme ne peut apporter cette contribution sous forme d’une motion intérieure qu’il exercerait sur un autre : cela n’appartient qu’à Dieu. Il ne le peut que de l’extérieur par enseignement ou persuasion. C’est pourquoi la grâce gratuitement donnée comprend tout ce dont l’homme a besoin pour instruire les autres dans les choses divines qui dépassent la raison. Or, à cette fin, trois conditions sont requises. Premièrement, il faut que l’homme ait une pleine connaissance des choses divines, afin de pouvoir en instruire les autres. Deuxièmement, il faut qu’il puisse confirmer ou prouver ce qu’il dit, sans quoi son enseignement ne sera pas efficace. Troisièmement, il faut qu’il puisse exprimer correctement à ses auditeurs le contenu de sa pensée.

Pour ce qui est du premier point, trois choses sont nécessaires, comme on peut s’en rendre compte à propos de l’enseignement humain. Il faut en effet que celui qui doit instruire les autres dans une science, possède d’abord une certitude parfaite des principes de cette science. Et c’est à quoi correspond “ la foi ”, qui est la certitude des réalités invisibles, car ces réalités sont comme les principes qui soutiennent la doctrine catholique. Il faut ensuite que le maître qui enseigne soit irréprochable en ce qui regarde les principales conclusions de la science en question. A cela correspond “ le discours de sagesse ” qui est la connaissance des vérités divines. Il faut enfin qu’il abonde en exemples et qu’il connaisse de multiples effets grâce auxquels il pourra mettre les causes en évidence. A cette nécessité répond “ le discours de science ” qui est la connaissance des choses humaines, car “ ce qui est invisible en Dieu devient visible par le moyen des créatures ” (Rm 1,20).

Quant à la confirmation apportée à l’enseignement, elle se fait, quand il s’agit de vérités rationnelles, par des arguments ou des preuves. S’il s’agit au contraire des vérités révélées qui dépassent la raison, elle ne peut se faire que par ce qui est propre à la puissance divine. Et cela, d’une double manière. Soit que le maître, enseignant la doctrine sacrée, opère des miracles que Dieu seul peut faire, comme rendre la santé au corps, et c’est “ le don de guérir ” ; ou bien fasse des œuvres qui n’ont d’autre but que de manifester la puissance divine, comme arrêter le soleil, l’obscurcir, diviser les eaux de la mer, et c’est “ le pouvoir d’opérer des miracles ”. Soit qu’il puisse révéler ce que Dieu seul connaît, comme les événements futurs, et c’est le don de “ prophétie ”, ou les secrets des cœurs, et c’est le don de “ discernement des esprits ”.

Enfin le pouvoir de s’exprimer correctement peut avoir rapport à l’idiome employé pour se faire comprendre : nous avons alors le “ don des langues ”. Ou bien il s’agit de la signification à attribuer aux paroles proférées : et c’est le “ don d’interprétation ”.

Solutions :

1. Nous l’avons dit précédemment, tous les bienfaits qui nous sont accordés par Dieu ne reçoivent pas le nom de grâces gratuitement données, mais ceux-là seulement qui dépassent le pouvoir de la nature. Ainsi, qu’un pêcheur sans instruction abonde en discours de sagesse ou de science, etc., voilà ce qui figure ici comme des grâces gratuitement données.

2. La foi, dans cette énumération, n’est pas cette vertu qui justifie l’homme antérieurement et qui, comme telle, ne rentre pas dans les grâces gratuitement données. La foi dont nous parlons comporte une certitude suréminente qui rend l’homme apte à instruire les autres des choses de la foi. Quant à l’espérance et à la charité, elles appartiennent à la puissance appétitive en tant qu’elles ont pour rôle d’ordonner l’homme à Dieu.

3. On distingue le don de guérir du pouvoir général de faire des miracles, parce que ce don a une efficacité spéciale pour amener à la foi : on y incline plus facilement si l’on bénéficie de la santé corporelle obtenue par la puissance de la foi. De même, le don des langues et l’interprétation des discours ont, pour conduire à la foi, une efficacité particulière, et c’est la raison pour laquelle on en fait des grâces spéciales.

4. Ce n’est pas au même titre que la sagesse et la science sont classées parmi les grâces gratuitement données, et qu’elles font partie de la liste des dons du Saint-Esprit. Dans ce dernier cas, elles donnent à l’esprit de l’homme cette souplesse qui le rend apte à être mû par l’Esprit Saint dans les choses qui ont trait à la sagesse et à la science ; car, nous l’avons dit. c’est ainsi qu’il faut comprendre les dons du Saint-Esprit. Mais on les range parmi les grâces gratuitement données quand elles comportent une certaine abondance de sagesse et de science, qui va permettre à l’homme, non seulement de juger pour lui-même correctement des choses divines, mais encore d’instruire les autres et de réfuter les contradicteurs. C’est pourquoi, parmi les grâces gratuitement données, on donne une place de choix au “ discours de sagesse ” et au “ discours de science ”, car, selon S. Augustin : “ Autre chose pour l’homme est de savoir ce qu’il doit croire pour obtenir la vie éternelle, et autre chose de savoir comment, à ce sujet, venir en aide aux âmes pieuses et défendre la foi contre les impies. ”

 

            Article 5 — Comparaison entre la grâce qui rend agréable à Dieu et la grâce gratuitement donnée

Objections :

1. Il semble que la grâce gratuitement donnée soit plus noble que la grâce qui rend agréable à Dieu. En effet, d’après Aristote : “ Le bien de la nation l’emporte sur le bien de l’individu. ” Or la grâce qui rend agréable à Dieu est ordonnée au bien d’un seul homme, tandis que la grâce donnée gratuitement est ordonnée au bien commun de toute l’Église, nous venons de le dire. Donc cette dernière est plus noble que l’autre.

2. Il faut plus de vertu pour faire du bien à autrui que pour se perfectionner soi-même seulement, de même que la luminosité d’un corps est plus vive quand il peut en éclairer d’autres au lieu de n’être lumineux qu’en lui-même. C’est pour cette raison qu’Aristote déclare que “ la plus éclatante des vertus est la justice ” qui règle les rapports de l’homme avec ses semblables. Or, par la grâce qui rend agréable à Dieu, l’homme n’acquiert que sa perfection personnelle, tandis que, par la grâce gratuitement donnée, il œuvre en vue de la perfection d’autrui. Donc cette grâce gratuitement donnée a plus de valeur que la grâce qui rend agréable à Dieu.

3. Ce qui appartient en propre aux individus les meilleurs a plus de valeur que ce qui est commun à tous ; ainsi la faculté de raisonner qui est propre à l’homme l’emporte sur la faculté de sentir commune à tous les animaux. Mais la grâce qui rend agréable à Dieu est commune à tous les membres de l’Église ; au contraire la grâce gratuitement donnée n’est accordée qu’aux membres les plus dignes. C’est donc que celle-ci a plus de valeur que celle-là.

En sens contraire, après avoir énuméré les diverses grâces gratuitement données, l’Apôtre ajoute (1 Co 12,31) : “ je vous ferai connaître une voie plus excellente ”, et, comme la suite du texte le montre, il entend parler de la charité, laquelle se rattache à la grâce qui rend agréable à Dieu. C’est donc que cette grâce est plus noble que la grâce gratuitement donnée.

Réponse :

Une vertu est d’autant plus excellente qu’elle est ordonnée à un bien plus élevé ; et la fin est toujours plus importante que les moyens. Or la grâce qui rend agréable à Dieu ordonne immédiatement l’homme à l’union avec la fin ultime. Les grâces gratuitement données au contraire ne sont pour l’homme que des préparations à atteindre la fin ultime ; en effet, la prophétie, les miracles etc., sont pour les hommes comme des invites à rejoindre la fin ultime. Voilà pourquoi la grâce qui rend agréable à Dieu est bien supérieure à la grâce gratuitement donnée.

Solutions :

1. Selon le Philosophe, le bien de la multitude, d’une armée par exemple, est double. Il y a un bien qui se trouve dans la multitude elle-même : ainsi l’ordre de l’armée. Et il y a un autre bien, distinct de la multitude, qui est le bien du chef. Ce dernier bien est supérieur à l’autre, car c’est à lui que l’autre est ordonné. Or la grâce gratuitement donnée est ordonnée au bien commun de l’Église, qui est l’ordre ecclésial ; la grâce qui rend agréable à Dieu se réfère au bien commun distinct de l’ensemble, qui est Dieu lui-même. C’est ce qui fait que cette grâce est plus noble.

2. Si la grâce gratuitement donnée pouvait réaliser dans un autre ce que l’homme acquiert par la grâce qui rend agréable à Dieu, la grâce gratuite aurait plus de valeur ; ainsi la luminosité du soleil qui répand sa lumière l’emporte sur celle du corps simplement éclairé. Mais, par la grâce gratuitement donnée, l’homme ne peut produire dans un autre l’union à Dieu, c’est l’œuvre de la grâce qui rend agréable à Dieu. L’homme, par la grâce gratuite, ne peut réaliser que certaines dispositions à l’union. Et c’est pourquoi il ne faut pas dire que la grâce gratuite est meilleure ; ainsi, dans le feu, la chaleur extérieure qui révèle sa nature et qu’il répand sur les corps environnants, n’est pas plus noble que sa propre forme substantielle de feu.

3. La faculté de sentir est ordonnée à la faculté de raisonner comme à sa fin, et c’est pourquoi cette dernière faculté est plus noble. Mais, dans le cas présent, c’est le contraire qui se produit : ce qui est particulier à quelques-uns est ordonné à ce qui est possédé communément. La comparaison ne vaut donc pas.

 

QUESTION 112 — LA CAUSE DE LA GRÂCE

1. Dieu seul est-il cause efficiente de la grâce ? - 2. Une certaine disposition, par un acte du libre arbitre, est-elle requise chez celui qui reçoit la grâce ? - 3. Une telle disposition peut-elle nécessiter la grâce ? - 4. La grâce est-elle égale en tous ? - 5. Peut-on savoir que l’on a la grâce ?

 

            Article 1 — Dieu seul est-il cause efficiente de la grâce ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Nous lisons en effet dans S. Jean (1,17) : “ La grâce et la vérité nous sont venues par Jésus Christ. ” Or ce nom de Jésus Christ ne désigne pas seulement la nature divine qui s’est unie à la nature humaine, mais aussi cette nature humaine créée qui a été assumée par le Verbe divin. Donc une créature peut être cause de la grâce.

2. Il y a entre les sacrements de la nouvelle loi et ceux de l’ancienne cette différence que les premiers causent la grâce, tandis que les seconds se contentent de la signifier. Or les sacrements de la nouvelle loi sont des réalités du monde visible. Dieu n’est donc pas la seule cause de la grâce.

3. D’après Denys, les anges purifient, illuminent et perfectionnent aussi bien les hommes que les anges inférieurs. Or, la créature rationnelle est purifiée, illuminée et perfectionnée par la grâce. Donc Dieu n’est pas seul à causer la grâce.

En sens contraire, nous lisons dans le Psaume (84,12) “ Le Seigneur donnera la grâce et la gloire. ”

Réponse :

Aucune cause ne peut produire par son action un effet d’une nature supérieure à la sienne : car il faut toujours que la cause soit ontologiquement supérieure à son effet. Or le don de la grâce dépasse la perfection de toute nature créée, n’étant autre chose qu’une certaine participation de la nature divine qui transcende toute autre nature. C’est pourquoi il est impossible qu’une créature quelconque cause la grâce. Il est en effet nécessaire que Dieu seul déifie, communiquant en partage la nature divine sous forme d’une certaine participation par mode d’assimilation, de même qu’il est impossible que le feu soit communiqué par autre chose que par le feu lui-même.

Solutions :

1. L’humanité du Christ est “ comme l’organe de sa divinité ”, selon l’expression de S. Jean Damascène. Or l’instrument ne réalise pas l’action de l’agent principal par sa propre vertu, mais par la vertu de cet agent. C’est pourquoi l’humanité du Christ ne cause pas la grâce par sa propre vertu, mais par la vertu de la divinité qui lui est unie et qui fait que les actions humaines du Christ sont salutaires.

2. Dans la personne du Christ, l’humanité cause notre salut par la grâce sous l’action de la vertu divine qui est l’agent principal. Ainsi en est-il des sacrements de la nouvelle loi qui dérivent du Christ : ils causent la grâce instrumentalement par la vertu du Saint-Esprit qui agit en eux à titre d’agent principal, selon cette parole de S. Jean (3,5) : “ Si quelqu’un ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit... ”

3. L’ange purifie, illumine, perfectionne soit un autre ange, soit l’homme lui-même, en l’instruisant de quelque manière, mais non en le justifiant par la grâce. Aussi Denyse précise-t-il que ce genre “ de purification, d’illumination et de perfection n’est autre chose qu’une acquisition de la science divine ”.

 

            Article 2 — Une certaine disposition, par un acte du libre arbitre, est-elle requise chez celui qui reçoit la grâce ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’Apôtre écrit (Rm 4,4) “ A celui qui fournit un travail, on ne compte pas le salaire comme une grâce, mais comme un dû. ” Or, se préparer à l’aide du libre arbitre suppose un certain travail, ce qui enlèverait à la grâce sa gratuite.

2. Celui qui s’enfonce dans le péché ne se prépare pas à posséder la grâce. Mais à certains pécheurs qui s’enfoncent dans le mal, la grâce a été donnée ; ce fut le cas de S. Paul qui reçut la grâce alors qu’“ il ne respirait que menaces et massacres à l’égard des disciples du Seigneur ” (Ac 9,1). Aucune préparation à la grâce n’est donc requise de la part de l’homme.

3. Un agent d’une puissance infinie n’a pas besoin que la matière sur laquelle il agit soit disposée à recevoir son action ; il n’a même pas besoin de matière, comme on le voit dans le cas de la création. Or on compare le don de la grâce à une création, car il s’agit, selon l’expression de l’Apôtre d’une “ création nouvelle ” (Ga 6,15). Et c’est Dieu seul, nous le savons, qui, en raison de sa puissance infinie, cause la grâce. Il n’y a donc pas besoin, pour l’obtenir, de préparation de la part de l’homme.

En sens contraire, nous lisons dans Amos (4,12) : “ Prépare-toi, Israël à la rencontre de ton Dieu ” ; et dans le premier livre de Samuel (7,3 Vg) “ Préparez vos cœurs au Seigneur. ”

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, la grâce peut s’entendre en deux sens : soit comme le don même de Dieu à l’état d’habitus ; soit comme un secours de Dieu qui meut l’âme au bien. Dans le premier sens, la grâce requiert une certaine préparation, car aucune forme ne peut exister dans une matière si celle-ci ne s’y trouve disposée. Mais si nous parlons de la grâce au sens de secours de Dieu portant au bien, sous ce rapport aucune préparation préalable au secours divin n’est requise de la part de l’homme ; bien plutôt toute préparation qui se trouve dans l’homme a nécessairement pour origine le secours de Dieu portant au bien. En ce sens le bon mouvement lui-même du libre arbitre, par lequel on est préparé à recevoir le don de la grâce, est un acte du libre arbitre mû par Dieu. C’est ainsi que l’homme est dit se préparer, selon cette parole des Proverbes (16,1 Vg) : “Il appartient à l’homme de préparer son âme.” Mais c’est à Dieu principalement qu’il appartient de mouvoir le libre arbitre, selon que “la volonté de l’homme est préparée par Dieu” (Pr 8, 35 Vg) ; et, dans le Psaume (37,23), que “ le Seigneur dirige les pas de l’homme ”.

Solutions :

1. Il y a une préparation de l’homme à recevoir la grâce, qui coïncide avec l’infusion même de la grâce. Cette préparation est méritoire, non pas de la grâce qui est déjà possédée, mais de la gloire qui n’est pas encore acquise. Il y a une autre préparation à la grâce, imparfaite celle-là, mais qui parfois précède le don de la grâce sanctifiante, et qui s’accomplit néanmoins sous la motion de Dieu. Une telle préparation n’est pas méritoire puisque l’homme n’a pas encore été justifié par la grâce ; car il ne peut y avoir de mérite sans la grâce, nous le verrons plus loin.

2. Puisque l’homme ne peut se préparer à la grâce sans que Dieu le prévienne et le meuve au bien, il importe peu que l’on parvienne à la préparation parfaite tout d’un coup ou progressivement. Nous lisons en effet dans l’Ecclésiastique (11,29 Vg) : “ C’est chose facile aux yeux de Dieu d’enrichir d’un seul coup celui qui est pauvre. ” Cependant il arrive parfois que Dieu meut l’homme à un certain bien qui n’est pas le bien parfait : une telle préparation précède la grâce. D’autres fois, Dieu meut l’homme immédiatement au bien parfait, et aussitôt l’homme reçoit la grâce, selon cette parole en S. Jean (6,45) : “ Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement, vient à moi. ” C’est ce qui est arrivé à S. Paul : subitement, alors qu’il s’enfonçait dans le péché, son cœur a été mû parfaitement par Dieu ; ayant entendu, il a compris et il s’est rendu, et c’est pourquoi il a reçu aussitôt la grâce.

3. Un agent de vertu infinie n’exige pas de matière ni de disposition matérielle, présupposées comme venant de l’action d’une autre cause. Néanmoins il faut que, suivant la condition de la réalité à produire, cet agent cause, dans la chose elle-même, aussi bien la matière que la disposition nécessaire à la forme. Pareillement, pour que Dieu infuse la grâce dans une âme, aucune préparation n’est requise sinon celle qu’il produit lui-même.

 

            Article 3 — Une telle disposition peut-elle nécessiter la grâce ?

Objections :

1. Il semble que la grâce soit donnée nécessairement à celui qui s’y prépare ou qui fait tout son possible. En effet à propos de ce texte de l’épître aux Romains (5,1) : “ justifiés dans la foi, nous sommes en paix ”, nous lisons dans la Glose : “ Dieu accueille celui qui a recours à lui ; s’il n’en était pas ainsi, il y aurait en Dieu de l’injustice. ” Mais il est impossible que Dieu soit injuste ; il est donc impossible que Dieu n’accueille pas celui qui a recours à lui. Donc l’homme obtient nécessairement la grâce.

2. D’après S. Anselme, la raison pour laquelle Dieu n’a pas accordé la grâce au diable, c’est que celui-ci n’a pas voulu la recevoir ni s’y préparer. Or supprimez la cause, vous supprimez aussi l’effet. Si donc quelqu’un veut recevoir la grâce, il est nécessaire qu’elle lui soit donnée.

3. Le bien a tendance à se répandre, comme le prouve Denys. Mais le bien de la grâce est meilleur que le bien de la nature. Donc, puisque la forme naturelle est donnée nécessairement à la nature quand celle-ci est disposée à la recevoir, à bien plus forte raison la grâce sera-t-elle nécessairement accordée à celui qui s’y prépare.

En sens contraire, l’homme est comparé à Dieu comme l’argile au potier, selon cette parole du Seigneur en Jérémie (18,6) : “ Ce que l’argile est dans la main du potier, vous l’êtes dans ma main. ” Or l’argile, si bien préparée qu’elle soit, ne reçoit pas nécessairement forme de la part du potier. Donc l’homme, quelle que soit sa préparation, ne reçoit pas nécessairement de Dieu la grâce.

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit, la préparation de l’homme à la grâce vient à la fois de Dieu qui meut et du libre arbitre qui est mû. On peut donc envisager cette préparation sous un double aspect. Comme provenant du libre arbitre, elle ne rend nullement nécessaire l’obtention de la grâce, car le don de la grâce est disproportionné par rapport à toute préparation dont l’homme est capable. Comme ce à quoi tendait la motion divine, par contre, elle revêt un caractère de nécessité : nécessité qui n’est pas de contrainte, mais de certitude, car ce que Dieu entend produire ne saurait faire défaut, selon cette parole de S. Augustin : “C’est très certainement que sont libérés ceux que par grâce Dieu libère.” Par conséquent si l’intention de Dieu quand il meut le cœur de l’homme est que cet homme reçoive la grâce, il ne peut manquer de la recevoir d’après cette parole du Seigneur en S. Jean (6, 45) : “Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi.”

Solutions :

1. Ce passage de la Glose parle de celui qui recourt à Dieu par un acte méritoire de son libre arbitre déjà informé par la grâce ; si Dieu ne répondait à cet appel, il irait contre la justice qu’il a lui-même établie. - Si l’on veut cependant qu’il soit question, dans ce passage, du mouvement du libre arbitre précédant la grâce, il faut alors l’entendre en ce sens que le recours de l’homme à Dieu se fait par la motion divine, et il est juste que celle-ci ne soit pas prise en défaut.

2. Quand la grâce nous fait défaut, c’est en nous qu’il faut en chercher la cause première ; quand elle nous est donnée, sa première cause vient de Dieu, selon cette parole du prophète Osée (13,9 Vg) : “ Ta perte vient de toi, Israël, mais ton salut est en moi seul. ”

3. Même dans le domaine des réalités naturelles, si la disposition de la matière entraîne nécessairement l’apparition de la forme, c’est grâce à la puissance de l’agent qui cause cette disposition.

 

            Article 4 — La grâce est-elle égale en tous ?

Objections :

1. Il semble que la grâce ne soit pas plus grande chez l’un que chez l’autre ; car, on l’a dit, c’est l’amour divin qui cause en nous la grâce. Mais nous lisons dans le livre de la Sagesse (6,7) : “ Il a fait le petit et le grand, et il prend soin également de tous. ” Donc tous reçoivent de Dieu une grâce égale.

2. Quand on parle d’un degré suprême, il ne peut être question de plus ou de moins. Mais la grâce représente un degré suprême, puisqu’elle nous unit à notre fin ultime. Elle ne comporte donc pas de plus ni de moins, et elle n’est pas plus grande chez l’un que chez l’autre.

3. La grâce est la vie de l’âme, a-t-on dit. Mais on ne vit pas plus ou moins. Ainsi en est-il de la grâce.

En sens contraire, nous lisons dans l’épître aux Éphésiens (4,7) : “ Chacun de nous a reçu sa part de la grâce divine selon que le Christ a mesuré ses dons. ” Or ce qui est donné d’après une mesure n’est pas donné à tous d’une manière égale. Donc tous n’ont pas une grâce égale.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, c’est selon deux dimensions qu’un habitus peut être grand. L’une se prend de la fin, ou de l’objet, et on dit alors d’une vertu qu’elle est plus grande qu’une autre quand le bien auquel elle est ordonnée est plus élevé ; l’autre se prend du sujet, selon qu’il participe plus ou moins au même habitus. Selon la première dimension, la grâce sanctifiante ne comporte pas le plus ou le moins, puisque le bien auquel elle est ordonnée n’est autre que le souverain bien, Dieu, auquel elle unit l’homme. Mais du point de vue du sujet, la grâce peut comporter du plus ou du moins, suivant que l’un est illuminé plus parfaitement que l’autre par la lumière de la grâce.

Une des raisons de cette diversité vient de la manière dont on se prépare à la grâce, car celui qui s’y prépare mieux reçoit une grâce plus abondante. Ce n’est pourtant pas la raison première, car la préparation à la grâce n’appartient pas à l’homme sinon en tant que Dieu prépare son libre arbitre. C’est pourquoi la première cause de cette diversité doit se prendre du côté de Dieu qui dispense différemment les dons de sa grâce, en vue de faire ressortir la beauté et la perfection de l’Église ; de même qu’il a établi les divers degrés des êtres pour la perfection de l’univers. Aussi l’Apôtre, après avoir écrit (Ep 4,7) : “ A chacun la grâce a été donnée selon que le Christ a mesuré ses dons ”, énumère-t-il les différentes grâces, et il ajoute qu’elles sont destinées “ au perfectionnement des saints pour l’édification du corps du Christ ”.

Solutions :

1. Le soin que Dieu prend de ses créatures peut être envisagé à un double point de vue. A considérer l’acte lui-même de prendre soin, qui est simple et uniforme, Dieu prend soin également de tous, car c’est par un acte unique et simple qu’il dispense ses plus grands et ses moindres bienfaits. Mais si on considère les biens qu’il dispense aux créatures dont il prend soin, là on découvre l’inégalité car la providence de Dieu octroie aux uns de plus grands dons qu’aux autres.

2. L’objection porte sur la grandeur de la grâce entendue selon la première dimension. Et il est bien vrai qu’une grâce ne peut être plus grande en ceci qu’elle ordonnerait celui qui la reçoit à un bien plus grand ; mais bien en ceci qu’elle ordonne à une participation plus ou moins grande au même bien. Il peut, en effet, y avoir divers degrés d’intensité dans la participation du sujet gratifié, tant à la grâce elle-même qu’à la gloire finale.

3. La vie naturelle appartient à la substance même de l’homme, et de ce fait elle ne comporte pas de plus ou de moins. Mais l’homme participe à la vie de la grâce sous un mode accidentel, et c’est pourquoi il peut la posséder plus ou moins.

 

            Article 5 — Peut-on savoir que l’on a la grâce ?

Objections :

1. Il semble que oui, car la grâce, par son essence même, se trouve dans l’âme. Or toutes les réalités qui sont dans l’âme par leur essence, sont l’objet d’une connaissance absolument certaine ; c’est ce que prouve S. Augustin. La grâce peut donc être connue avec une absolue certitude par celui qui la possède.

2. De même que la science, la grâce est un don de Dieu. Mais celui qui reçoit de Dieu la science, sait qu’il la possède, selon cette parole du livre de la Sagesse (7,17) : “ Le Seigneur m’a donné la véritable science des êtres. ” Ainsi en sera-t-il de la grâce reçue de Dieu.

3. La lumière est plus connaissable que les ténèbres, selon cette parole de l’Apôtre (Ep 5,13) : “ Tout ce qui est connu avec évidence est lumière. ” Or le péché, qui constitue des ténèbres spirituelles, peut être connu avec certitude par celui qui en porte la culpabilité. A plus forte raison la grâce, qui est lumière spirituelle, peut-elle l’être aussi.

4. S. Paul écrit (1 Co 2,12) : “ Nous n’avons pas reçu, nous, l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons que Dieu nous a faits. ” Mais la grâce est le premier des dons de Dieu. L’homme qui a reçu de l’Esprit Saint la grâce, connaît donc, par le même Esprit, que la grâce lui a été donnée.

5. L’Ange du Seigneur s’adressant à Abraham lui dit (Gn 22,12) : “ je sais maintenant que tu crains Dieu ”, ce qui revient à dire : “ je te le fais connaître. ” Or il s’agit ici de la crainte vertueuse qui suppose la grâce. L’homme peut donc connaître qu’il possède la grâce.

En sens contraire, nous lisons dans l’Ecclésiaste (9,1 Vg) : “ Personne ne sait s’il est digne de haine ou d’amour. ” Or c’est la grâce sanctifiante qui rend l’homme digne de l’amour de Dieu. Donc nul ne peut savoir s’il possède la grâce.

Réponse :

Quelque chose peut être connu de trois manières. D’abord par révélation ; et de cette façon l’homme peut savoir qu’il possède la grâce. Dieu le révèle parfois en effet à quelques privilégiés, pour qu’ils commencent à jouir dès cette vie d’une joie assurée et pour qu’ils puissent, avec plus de confiance et de force, entreprendre de grandes œuvres et supporter les maux de la vie présente. En ce sens le Seigneur a dit à S. Paul (2 Co 12,9) : “ Ma grâce te suffit. ”

D’une autre manière l’homme connaît quelque chose par lui-même et d’une façon certaine. En ce sens nul ne peut savoir s’il possède la grâce. En effet on ne peut parvenir à la certitude sur un objet qu’à la condition d’en juger à partir des principes propres à cet objet. Ainsi les conclusions d’une démonstration ne sont certaines que par le moyen de principes universels indémontrables. Et nul ne peut savoir qu’il possède la science d’une conclusion s’il en ignore le principe. Or le principe de la grâce, et son sujet, c’est Dieu lui-même : et Dieu, à cause de son excellence, nous est inconnu, selon cette parole de job (32,26) : “ Dieu est grand, au-dessus de toute science. ” C’est pourquoi sa présence en nous, ou son absence, ne peuvent être connues avec certitude, selon cette parole du même livre (9,11) : “ Il passe près de moi, et je ne le vois pas, il s’éloigne sans que je l’aperçoive. ” Voilà pourquoi l’homme ne peut discerner avec certitude s’il possède la grâce, selon S. Paul (1 Co 4,3) : “ je ne me juge pas moi-même ; celui qui me juge, c’est le Seigneur. ” Enfin il est une troisième manière de connaître une chose : de façon conjecturale, à l’aide de certains signes. De cette façon on peut connaître que l’on possède la grâce ; par exemple si l’on constate que l’on trouve sa joie en Dieu et que l’on méprise les plaisirs du monde ; ou bien si l’on n’a pas la conscience d’un péché mortel. C’est ainsi qu’il faut comprendre le passage de l’Apocalypse (2,7) qui dit : “ Au vainqueur je donnerai une manne cachée que nul ne connaît, hormis celui qui la reçoit. ” Celui qui la reçoit éprouve en effet une certaine douceur qu’ignore celui qui en est privé. Néanmoins une telle connaissance est imparfaite ; aussi l’Apôtre peut-il écrire : “ Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour autant ”, car, comme il est dit dans le Psaume (19,13) : “ Qui connaît ses péchés ? Purifie-moi, Seigneur, du mal caché. ”

Solutions :

1. Ce qui, par son essence même, se trouve dans l’âme, est connu d’une connaissance expérimentale en tant que l’homme découvre dans ses propres activités les principes qui en sont les causes ; nous percevons notre volonté en voulant, nous percevons la vie en agissant vitalement.

2. Avoir la science c’est être certain des vérités dont on a la science, et de même avoir la foi c’est être certain de ce que l’on croit. La raison en est que la certitude appartient à la perfection de l’intelligence où se trouvent ces dons de science et de foi. C’est pourquoi quiconque a la science ou la foi, c’est avec certitude qu’il a conscience de les avoir. Il n’en est pas de même de la grâce, de la charité et autres dons du même genre qui ont pour rôle de parfaire la puissance appétitive.

3. Le péché a pour principe et pour objet le bien transitoire et ce bien nous est connu ; l’objet de la grâce, comme sa fin, nous est inconnu à cause de l’immensité de sa lumière, selon cette parole de l’Apôtre (1 Tm 6,16) “ Il habite une lumière inaccessible. ”

4. L’Apôtre parle des dons de la gloire qui nous sont donnés en espérance, et que nous connaissons d’une façon très certaine par la foi ; mais nous ne savons pas avec certitude si nous avons la grâce qui seule nous permet de mériter ces dons. - On peut aussi entendre le texte de l’Apôtre d’une connaissance privilégiée donnée par révélation. C’est pourquoi d’ailleurs S. Paul ajoute : “ C’est à nous que Dieu l’a révélé par l’Esprit Saint. ”. Cette parole dite à Abraham peut se rapporter à la connaissance expérimentale que l’on tire de l’œuvre accomplie. Car, du fait de sa conduite, Abraham pouvait connaître d’expérience qu’il avait la crainte de Dieu. - On peut aussi attribuer cette parole à une révélation spéciale.

 

LES EFFETS DE LA GRÂCE

Il faut maintenant étudier les effets de la grâce : I. La justification de l’impie, qui est l’effet de la grâce opérante (Q. 113). - II. Le mérite, qui est l’effet de la grâce coopérante (Q. 114).

QUESTION 113 — LA JUSTIFICATION DE L’IMPIE

1. Sa nature. - 2. L’infusion de la grâce est-elle requise pour la justification ? - 3. Un mouvement du libre arbitre est-il requis ? - 4. Un mouvement de foi est-il requis ? - 5. Un mouvement du libre arbitre contre le péché est-il requis ? - 6. Parmi les facteurs précédemment énumérés de la justification faut-il introduire la rémission des péchés ? - 7. La justification de l’impie est-elle successive, ou instantanée ? - 8. Quel est l’ordre naturel des facteurs qui concourent à la justification ? - 9. La justification de l’impie est-elle la plus grande œuvre de Dieu ? - 10. La justification de l’impie est-elle miraculeuse ?

 

            Article 1 — Qu’est-ce que la justification de l’impie ?

Objections :

1. Il semble que la justification de l’impie ne soit pas la rémission des péchés, car le péché n’est pas seulement opposé à la justice, mais aussi à toutes les autres vertus, on l’a montré. Or, le mot " justification " exprime un certain mouvement vers la justice. Donc toute rémission du péché n’est pas une justification ; car tout mouvement se fait entre deux termes opposés.

2. Comme le remarque Aristote, le nom que l’on donne à un objet doit se prendre de ce qu’il y a de plus important en lui. Or la rémission des péchés s’opère principalement par la foi, selon cette parole des Actes des Apôtres (15, 9) : " Il a purifié leur cœur par la foi " ; - et par la charité, selon les Proverbes (10, 12) : " La charité couvre tous les péchés. " C’est donc à partir de la foi et de la charité, plutôt qu’à partir de la justice, que l’on doit nommer la rémission des péchés.

3. La rémission des péchés est, semble-t-il, la même chose que l’appel, car on appelle celui qui est loin ; et par le péché on est loin de Dieu. Mais l’appel précède la justification, selon cette parole de l’apôtre (Rm 8, 30) : " Ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés. " La justification n’est donc pas la rémission des péchés.

En sens contraire, à propos de cette parole " Ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ", nous lisons dans la Glose : " [Il les a justifiés] par la rémission des péchés. " Donc la justification est la rémission des péchés.

Réponse :

Au sens passif du mot, la justification signifie un mouvement vers la justice comme la caléfaction un mouvement vers la chaleur. Et comme la justice s’entend toujours de la rectitude d’un ordre, elle est susceptible d’une double acception. En un premier sens elle implique l’ordre établi dans l’action humaine elle-même. Et sous ce rapport la justice est regardée comme une vertu, soit qu’il s’agisse de la justice particulière qui ordonne et rectifie l’action d’un homme à l’égard d’un autre homme, soit qu’il s’agisse de la justice légale qui ordonne et rectifie l’action de l’homme à l’égard du bien commun de la multitude comme le montre Aristote.

En un autre sens, on parle de justice pour signifier la rectitude de l’ordre que l’homme établit en son intérieur, rectitude qui consiste en ceci que la partie supérieure de l’homme est soumise à Dieu, et que les puissances inférieures de l’âme le sont à la partie supérieure, c’est-à-dire à la raison. Cet équilibre intérieur, Aristote d l’appelle justice au sens métaphorique. Or une telle justice peut se réaliser dans l’homme de deux façons. Premièrement par voie de simple génération, qui fait passer le sujet de la privation d’une forme à la possession de cette même forme. C’est de cette manière que la justification pourrait s’accomplir à l’égard de celui qui serait sans péché au moment où il recevrait cette justice ; c’est ainsi qu’Adam a reçu la justice originelle.

Ou bien, secondement, la justice en question peut être produite dans l’homme selon un mouvement qui va d’un contraire à l’autre. Dans ce cas, la justification implique un passage de l’état d’injustice à l’état de justice ; et c’est en ce sens que nous entendons la justification de l’impie, selon cette parole de l’Apôtre (Rm 4, 5) : " A celui qui ne travaille pas, mais qui croit en celui qui justifie l’impie, etc. " Et parce que le nom qu’on donne à un mouvement se prend plutôt du point d’arrivée que du point de départ, le changement par lequel on passe, de l’état d’injustice à la rémission du péché, recevra son nom du terme auquel il aboutit et s’appellera justification de l’impie.

Solutions :

1. Tout péché, en tant qu’il comporte un certain désordre de l’esprit non soumis à Dieu, peut être appelé injustice par opposition à cette justice dont nous avons parlé plus haut, selon S. Jean (I, 3, 14) : " Quiconque commet le péché commet une injustice, car le péché est une injustice. " En ce sens le fait d’ôter un péché, quel qu’il soit, mérite le nom de justification.

2. La foi et la charité établissent l’esprit humain à l’égard de Dieu dans un ordre qui est particulier, selon l’intelligence et l’amour. La justice, elle, comporte en sa généralité la totale rectitude de l’ordre. C’est pourquoi ce changement qu’est la rémission du péché tire son nom de la justice plutôt que de la foi ou de la charité.

3. L’appel a trait à ce secours par lequel Dieu meut intérieurement et excite l’esprit à sortir du péché. Cette motion divine n’est pas à proprement parler la rémission du péché : elle en est la cause.

 

            Article 2 — L’infusion de la grâce est-elle requise pour la justification ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car on peut s’éloigner d’un contraire sans parvenir au terme opposé quand il y a des intermédiaires. Or, entre l’état de péché et l’état de justice, il y a un intermédiaire qui est l’état d’innocence où il n’y a ni faute ni grâce. Le péché peut donc être remis sans que l’on parvienne à la grâce.

2. La remise du péché consiste dans une simple décision de Dieu, selon cette parole du Psaume (32, 2) : " Bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’impute pas son péché. " Mais la grâce pose quelque chose de réel en nous, on l’a dit. Donc son infusion n’est pas nécessaire à la rémission du péché.

3. On ne peut être à la fois sujet de deux contraires. Mais il y a des péchés qui sont opposés l’un à l’autre, comme la prodigalité et l’avarice. Celui qui pèche par prodigalité ne peut donc en même temps pécher par avarice. Mais il a pu le faire auparavant, et ainsi, en péchant par prodigalité, il se libère du péché d’avarice. Un péché peut donc être remis sans la grâce.

En sens contraire, on lit dans l’épître aux Romains (3, 24) : " Ils sont justifiés gratuitement par sa grâce. "

Réponse :

L’homme en péchant, offense Dieu. Or d’où vient qu’une offense est remise à quelqu’un sinon de ce que l’esprit de l’offensé est apaisé à l’égard de l’offenseur ? Ainsi, dire qu’un péché nous est remis c’est dire que Dieu s’est apaisé à notre égard. Et cette paix consiste dans l’amour que Dieu a pour nous. Or cet amour de Dieu, considéré du côté de l’acte divin lui-même, est éternel et immuable ; mais, envisagé dans l’effet qu’il imprime en nous, il peut s’interrompre parfois, selon que nous nous dérobons à lui et qu’ensuite nous le recouvrons. Cet effet du divin amour en nous, qui est enlevé par le péché, c’est la grâce qui rend l’homme digne de la vie éternelle et qui exclut le péché mortel. Voilà pourquoi la rémission du péché ne saurait se comprendre sans l’infusion de la grâce.

Solutions :

1. Il faut davantage pour remettre une offense à celui qui l’a commise que pour simplement n’avoir pas de haine à l’égard de celui qui n’a commis aucune offense. Il peut arriver en effet qu’un homme n’ait pour un autre ni amour ni haine ; mais si cet autre vient à l’offenser et qu’il lui pardonne, cela ne peut se faire sans une bienveillance spéciale. Or, quand on dit que l’homme retrouve la bienveillance de Dieu, on l’entend du don de la grâce. C’est pourquoi, s’il est vrai qu’avant le péché l’homme aurait pu être sans grâce ni faute, après le péché, cependant, il ne peut manquer d’être en faute s’il n’a pas la grâce.

2. De même que l’amour de Dieu ne consiste pas seulement dans l’acte de la volonté divine, mais comporte aussi un certain effet de grâce, nous l’avons dit plus haut ; de même le fait pour Dieu de ne pas imputer à l’homme son péché implique un certain effet dans celui auquel le péché n’est pas imputé. En effet, que Dieu n’impute pas à quelqu’un son péché c’est un effet de son amour.

3. Comme l’écrit S. Augustin : " S’il n’y avait qu’à s’arrêter de pécher pour ne plus avoir de faute sur la conscience, on pourrait s’en tenir à ces paroles de l’Écriture (Si 21, 1) : "Mon fils, tu as péché, ne recommence plus". Mais cela ne suffit pas, car l’Écriture ajoute aussitôt : "Prie pour que tes anciens péchés te soient pardonnés." L’acte du péché passe, en effet, mais la culpabilité demeure, nous l’avons montré précédemment. C’est pourquoi, quand un homme, en péchant, passe d’un vice à un autre qui lui est contraire, son premier acte peccamineux appartient au passé et cesse d’exister, mais sa culpabilité demeure, et il se trouve coupable en même temps de l’une et l’autre faute. La culpabilité en effet vient de ce que l’on est détourné de Dieu et, sous ce rapport, il n’y a pas de contrariété entre les péchés.

 

            Article 3 — Le mouvement du libre arbitre est-il requis pour la justification ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, les enfants sont justifiés par le sacrement du baptême sans qu’ils aient à exercer leur libre arbitre, et il en est de même parfois pour les adultes ; ainsi S. Augustin raconte qu’un de ses amis souffrait des fièvres : " Il demeura longtemps sans connaissance, baigné d’une sueur mortelle, et tandis qu’on désespérait de le sauver, on le baptisa à son insu, et il fut régénéré ", ce qui est l’œuvre de la grâce justifiante. Mais Dieu n’a pas lié sa puissance aux sacrements. Il peut donc justifier un homme sans les sacrements et sans aucun mouvement du libre arbitre.

2. En dormant, l’homme n’a pas l’usage de la raison, sans lequel il n’y a pas d’activité du libre arbitre. Or Salomon, pendant son sommeil, reçut de Dieu le don de sagesse (1 R 3, 5 ; 2 Ch 1, 7). Pour la même raison, Dieu donne parfois à l’homme la grâce de la justification sans qu’un mouvement du libre arbitre soit nécessaire.

3. La cause est la même qui produit la grâce et qui la conserve dans l’être, car, écrit S. Augustin " l’homme doit se convertir à Dieu de telle sorte que, par lui, il soit toujours rendu juste ". Mais la grâce est conservée dans l’homme sans mouvement du libre arbitre. Donc il peut en être de même dès le commencement, quand elle est produite.

En sens contraire, nous lisons dans S. Jean (6, 45) : " Quiconque entend le Père et reçoit son enseignement, vient à moi. " Mais on ne s’instruit pas sans un mouvement du libre arbitre ; il faut en effet consentir à l’enseignement du maître. Donc personne ne vient à Dieu par la grâce de la justification sans un mouvement de son libre arbitre.

Réponse :

La justification de l’impie est l’œuvre de Dieu qui meut l’homme à la justice, selon l’Apôtre (Rm 4, 5) : " C’est lui-même qui justifie l’impie. " Or Dieu meut toutes ses créatures selon le mode qui convient à chacune d’elles ; ainsi nous voyons dans le monde matériel que les corps lourds et les corps légers sont mus de façon différente, conformément à la diversité de leur nature. Les hommes, eux aussi, sont mus par Dieu à la justice d’après la condition de la nature humaine. Or il appartient en propre à la nature de l’homme de posséder le libre arbitre. C’est pourquoi, en celui qui a l’usage de son libre arbitre, la motion de Dieu vers l’état de justice ne se produit pas sans qu’il y ait un mouvement de ce même arbitre ; mais, dans le temps même où Dieu infuse le don de la grâce sanctifiante, il meut le libre arbitre à accepter ce don, du moins chez ceux qui sont capables de recevoir une telle motion.

Solutions :

1. Les petits enfants ne sont pas capables d’exercer leur libre arbitre, c’est pourquoi Dieu les justifie en imprimant simplement dans leur âme la forme de la grâce. Mais cela ne se fait pas sans l’intervention du sacrement, car de même que le péché originel, dont ils sont purifiés, n’a pas été contracté par eux de leur propre volonté, mais par suite de leur génération charnelle, de même c’est par génération spirituelle que la grâce qui vient du Christ dérive en eux. Et il en est de même pour les fous et les idiots qui n’ont jamais eu l’usage du libre arbitre. Mais si un individu a eu, à un moment donné, l’usage de son libre arbitre, et qu’ensuite il l’ait perdu soit du fait d’une infirmité, soit du fait du sommeil, l’administration extérieure du baptême ou d’un autre sacrement ne lui conférera la grâce de la justification que s’il a eu auparavant l’intention de recevoir le sacrement, ce qui exige l’usage du libre arbitre. C’est de cette manière que le jeune homme dont parle S. Augustin fut régénéré, car il avait consenti à recevoir le baptême auparavant, et par la suite il accepta son baptême.

2. Salomon pendant son sommeil, n’a pas mérité ni reçu la sagesse. Mais il lui fut déclaré, alors qu’il dormait, qu’en raison d’un désir antérieur, la sagesse lui serait infusée par Dieu. De là cette parole qui lui est attribuée (Sg 7, 7) : " J’ai désiré l’intelligence et elle m’a été donnée. " On peut aussi penser que le sommeil dont il est question ne fut pas naturel, et qu’il s’agissait d’un sommeil prophétique, selon cette parole des Nombres (12, 6) : " S’il y a parmi vous un prophète du Seigneur, c’est dans un songe et en vision que je lui parlerai. " Dans ce cas en effet, on garde son libre arbitre.

Cependant, il faut se rendre compte qu’il en va différemment du don de sagesse et du don de la grâce sanctifiante. Ce dernier en effet ordonne principalement l’homme au bien qui est objet de volonté, et c’est pourquoi l’homme s’y trouve mû par un mouvement de volonté et donc de libre arbitre. Au contraire la sagesse perfectionne l’intelligence dont l’acte précède celui de la volonté ; c’est pourquoi l’intelligence peut être illuminée par le don de sagesse sans qu’il se produise un mouvement complet du libre arbitre. C’est également ce que nous observons chez ceux qui reçoivent certaines révélations pendant leur sommeil, selon cette parole de job (33, 15) : " Quand un profond sommeil pèse sur les hommes, et qu’ils dorment sur leur couche, alors Dieu leur ouvre l’oreille et les instruit de sa loi. "

3. Par l’infusion de la grâce sanctifiante se produit un changement dans l’âme, ce qui requiert un mouvement propre à l’âme humaine, selon son mode propre. Mais la conservation de la grâce a lieu sans changement ; elle ne requiert donc pas un mouvement de la part de l’âme, mais seulement la continuation de l’influx divin.

 

            Article 4 — Un mouvement de foi est-il requis pour la justification de l’impie ?

Objections :

1. Il semble que non, car si l’homme est justifié par la foi, il l’est aussi par d’autres vertus : la crainte, par exemple, selon cette parole de l’Ecclésiastique (1, 27 Vg) : " La crainte du

Seigneur chasse le péché, et celui qui est sans crainte ne pourra être justifié " ; - ou encore la charité, selon cette parole du Seigneur en S. Luc (7, 47) : " Ses nombreux péchés lui sont remis parce qu’elle a beaucoup aimé " ; - ou encore l’humilité, selon S. Jacques (4, 6) : " Dieu résiste aux orgueilleux, il donne sa grâce aux humbles " ; - ou enfin la miséricorde, d’après les Proverbes (15, 27 Vg) : " C’est par la miséricorde et la foi que les péchés sont effacés. " Le mouvement de la foi n’est donc pas plus nécessaire à la justification que celui de toutes ces vertus.

2. L’acte de foi n’est requis dans la justification que pour permettre à l’homme de connaître Dieu. Mais il y a d’autres manières possibles de connaître Dieu : par la connaissance naturelle, par le don de sagesse. L’acte de foi n’est donc pas requis pour la justification de l’impie.

3. Il y a divers articles de foi. Donc, si l’acte de foi est nécessaire à la justification de l’impie, il faudra que l’homme, au moment de la première justification, ait présents à la pensée tous ces articles. Mais cela semble impossible, car une telle réflexion demanderait beaucoup de temps. L’acte de foi ne semble donc pas requis à la justification.

En sens contraire, nous lisons dans l’épître aux Romains (5, 1) : " Ayant été justifiés par la foi, demeurons en paix avec Dieu. "

Réponse :

Nous venons de le dire, un mouvement du libre arbitre, selon lequel l’esprit de l’homme est mû par Dieu, est nécessaire à la justification de l’impie. Or Dieu meut l’âme de l’homme en la tournant vers lui, ainsi qu’il est dit dans le Psaume (85, 5) : " Ô Dieu, en nous tournant vers toi, tu nous donneras la vie. " La justification de l’impie requiert donc un mouvement par lequel l’esprit est tourné vers Dieu. Mais la première conversion vers Dieu se fait par la foi, selon l’épître aux Hébreux (11, 6) : " Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe. " Le mouvement de la foi est donc nécessaire à la justification.

Solutions :

1. Le mouvement de la foi n’est parfait que s’il est informé par la charité. C’est pourquoi dans la justification de l’impie, en même temps qu’un mouvement de foi il y a aussi un mouvement de charité. Mais si le libre arbitre est mû vers Dieu c’est pour se soumettre à lui, à quoi concourent l’acte de crainte filiale et l’acte d’humilité. Il peut arriver en effet qu’un seul et même acte du libre arbitre soit l’acte de plusieurs vertus, l’une étant sous l’impulsion de l’autre ; cela se produit quand l’acte est susceptible d’être ordonné à diverses fins. Quant à l’acte de miséricorde, il agit contre le péché, soit par manière de satisfaction, et alors il suit la justification, soit par manière de préparation, car " les miséricordieux obtiennent miséricorde " (Mt 5, 7), et alors il peut précéder la justification, ou même concourir à la justification avec toutes ces vertus, pour autant que la miséricorde est incluse dans l’amour du prochain.

2. Par la connaissance naturelle, l’homme ne se tourne pas vers Dieu comme vers l’objet de sa béatitude et la cause de sa justification ; une telle connaissance ne suffit donc pas à justifier l’homme. Quant au don de sagesse, il présuppose la connaissance de foi, nous l’avons démontré précédemment.

3. L’Apôtre écrit aux Romains (4, 5) " A qui croit en celui qui justifie l’impie, sa foi est comptée comme justice, selon le dessein de la grâce de Dieu. " Cela montre bien que, dans la justification de l’impie, l’acte de foi est nécessaire en ce sens que l’homme doit croire que Dieu justifie les hommes par le mystère du Christ.

 

            Article 5 — Un mouvement du libre arbitre contre le péché est-il requis pour la justification ?

Objections :

1. Il semble que non, puisque la charité, à elle seule, suffit à effacer le péché, selon cette parole des Proverbes (10, 12) : " La charité couvre tous les péchés. " Or la charité n’a pas pour objet le péché. Un mouvement du libre arbitre contre le péché n’est donc pas nécessaire à la justification de l’impie.

2. Celui qui va de l’avant ne doit pas regarder en arrière, selon cette parole de l’Apôtre (Ph 3, 13) : " Oubliant ce qui est derrière moi et me portant de tout moi-même vers ce qui est en avant, je cours droit au but pour remporter le prix auquel Dieu m’a appelé d’en haut. " Or, pour celui qui tend vers la justice, les péchés passés sont en arrière. Il faut donc les oublier et éviter de s’y porter par un mouvement du libre arbitre.

3. Dans la justification de l’impie, un péché n’est pas remis sans l’autre, car c’est " une impiété d’attendre de Dieu une moitié de pardon ". Si donc, dans la justification, il doit y avoir un mouvement du libre arbitre contre le péché, il faudra avoir présents à la pensée tous ses péchés ; ce qui est impossible, car il faudrait un long temps pour cela, et d’autre part on n’obtiendrait pas le pardon des péchés oubliés. Donc le mouvement du libre arbitre contre le péché n’est pas requis à la justification.

En sens contraire, nous lisons dans le Psaume (32, 5) : " J’ai dit : "je confesserai ma faute au Seigneur" ; et toi, tu as pardonné l’iniquité de mon péché. "

Réponse :

Nous l’avons dit, la justification de l’impie est un certain mouvement par lequel Dieu fait passer l’âme humaine de l’état de péché à l’état de justice. Dans le mouvement de son libre arbitre, par conséquent, il faut que l’esprit humain soit à l’égard de ces deux états opposés dans le même rapport qu’un corps soumis à un mouvement local à l’égard des deux termes de ce mouvement. Or il est manifeste que, dans le mouvement local, le corps mû s’éloigne du terme dont il vient pour accéder à celui où il va. Aussi faut-il, lorsque l’âme humaine est justifiée, que par un mouvement de son libre arbitre elle s’éloigne du péché et accède à la justice. Mais s’éloigner et accéder, quand il s’agit du libre arbitre, cela s’entend de la détestation et du désir. C’est ce qu’explique S. Augustin en commentant la parole évangélique : " Le mercenaire s’enfuit " : " Nos affections, dit-il, sont les mouvements de notre âme ; la joie est sa dilatation ; la crainte est sa fuite. Tu vas de l’avant par l’esprit quand tu désires, tu fuis par l’esprit quand tu crains. " Il faut donc que dans la justification de l’impie il y ait un double mouvement du libre arbitre : l’un de désir par lequel il tend vers la justice de Dieu, l’autre de détestation du péché.

Solutions :

1. Il revient à la même vertu de poursuivre l’un des termes opposés et de fuir l’autre. C’est pourquoi, de même qu’il appartient à la charité d’aimer Dieu, de même lui revient-il de détester le péché qui sépare l’âme de Dieu.

2. L’homme ne doit pas, par l’amour, retourner aux péchés passés ; à cet égard, il doit les oublier afin de ne pas s’y attacher. Mais il doit se les rappeler en vue de les détester, car c’est ainsi qu’il s’en éloigne.

3. Dans le temps qui précède la justification, l’homme doit détester chacun des péchés qu’il a commis et dont il garde le souvenir. De cette considération antécédente découle dans l’âme un mouvement de détestation universelle à l’égard de tous les péchés commis, y compris les péchés oubliés. Car l’homme, dans cet état, est en telle disposition qu’il aurait la contrition des péchés oubliés s’ils revenaient à sa mémoire. Et c’est ce mouvement de l’âme qui concourt à la justification.

 

            Article 6 — Parmi les facteurs précédemment énumérés de la justification faut-il introduire la rémission des péchés ?

Objections :

1. Il ne le semble pas. Car la substance d’une chose ne s’additionne pas aux éléments qui la composent ; ainsi l’homme ne fait pas nombre avec son corps et son âme. Or, la rémission des péchés n’est pas autre chose que la justification même de l’impie, on l’a déjà dit. On ne doit donc pas la compter comme un des éléments de la justification.

2. L’infusion de la grâce et la rémission des péchés sont une même chose, comme la diffusion de la lumière et la disparition des ténèbres. Or une chose ne fait pas nombre avec elle-même, car l’un est opposé au multiple. La rémission de la faute ne fait donc pas nombre avec l’infusion de la grâce.

3. La rémission des péchés suit le mouvement du libre arbitre vers Dieu et contre le péché, comme l’effet suit la cause, car par la foi et la contrition les péchés sont pardonnés. Mais l’effet ne doit pas être compté avec sa cause, car on n’additionne que des choses distinctes entre elles, mais de même nature. La rémission des péchés ne peut donc être comptée parmi les éléments nécessaires à la justification de l’impie.

En sens contraire, dans l’énumération des éléments qui sont nécessaires à une chose, on ne doit pas omettre la fin qui est, en toute réalité, l’élément principal. Or, la rémission des péchés est la fin poursuivie dans la justification de l’impie. On lit en effet dans Isaïe (27, 9) : " Voici quel sera tout le fruit : son péché sera enlevé. " La rémission des péchés doit donc être comptée parmi les éléments qui concourent nécessairement à la justification de l’impie.

Réponse :

On compte quatre composantes de la justification de l’impie : l’infusion de la grâce, le mouvement du libre arbitre vers Dieu par la foi, le mouvement du libre arbitre contre le péché, la rémission de la faute. Nous en avons déjà dit la raison : la justification est un mouvement selon lequel l’âme est mue par Dieu de l’état de péché à l’état de justice. Or tout mouvement en lequel un être est mû par un autre comprend trois éléments : il y a l’impulsion de l’agent moteur ; il y a le mouvement lui-même auquel est soumis le mobile ; il y a enfin l’achèvement du mouvement, c’est-à-dire son aboutissement final. Et donc, si l’on se place au point de vue de la motion divine, nous avons l’infusion de la grâce ; si l’on se place au point de vue du libre arbitre en mouvement, ce mouvement est double selon qu’on envisage le libre arbitre comme s’éloignant du point de départ et se rapprochant du point d’arrivée. L’achèvement ou l’arrivée au terme de ce mouvement se fait par la rémission de la faute, car c’est là que se consonne la justification.

Solutions :

1. On dit que la justification de l’impie est la rémission des péchés, en ce sens que tout mouvement reçoit sa spécification de son terme. Mais, pour parvenir à ce terme, beaucoup d’autres facteurs interviennent, comme nous venons de le voir.

2. L’infusion de la grâce et la rémission de la faute peuvent être envisagées à un double point de vu : tout d’abord quant à la substance de l’acte, et sous ce rapport elles sont identiques, car c’est par le même acte que Dieu confère la grâce et remet la faute. En second lieu on peut les envisager quant à leurs objets, et à ce point de vue elles diffèrent, l’une ayant pour objet la faute qui est remise, et l’autre la grâce qui est communiquée. Ainsi, dans la nature, la génération et la corruption sont différentes, bien q ‘ ne la génération de l’un soit la corruption de l’autre.

3. Il ne s’agit pas ici de la division d’un genre en ses espèces, laquelle exige que les parties qui font nombre soient de même rang. Il s’agit de la diversité des éléments qui concourent à constituer un tout. Dans ce cas, l’énumération peut comporter des éléments qui ont priorité sur certains autres, car les principes et les parties d’un composé peuvent être antérieurs les uns aux autres.

 

            Article 7 — La justification de l’impie est-elle successive, ou instantanée ?

Objections :

1. Il semble qu’elle soit successive car, on l’a dit, pour la justification de l’impie, un mouvement du libre arbitre est nécessaire. Or l’acte du libre arbitre consiste dans le choix, et ce choix suppose auparavant que l’on délibère en faisant appel au conseil, nous l’avons déjà expliqué. Et comme, dans la délibération, on pèse le pour et le contre et que cela comporte une succession, il semble que la justification de l’impie soit successive.

2. Le mouvement du libre arbitre ne se produit pas sans une considération actuelle de l’intelligence. Or il est impossible de porter le regard de son intelligence sur plusieurs choses à la fois, nous l’avons dit dans la première Partie. Et comme la justification de l’impie requiert que le mouvement du libre arbitre se porte sur des objets divers, à savoir Dieu et le péché, il semble qu’elle ne puisse pas être instantanée.

3. Une forme susceptible de plus et de moins n’est reçue que peu à peu dans le sujet ; ainsi les formes de blancheur et de noirceur. Mais, on l’a dit plus haut, la grâce comporte du plus et du moins. Elle n’est donc pas reçue instantanément dans le sujet. Et puisque la justification de l’impie exige l’infusion de la grâce, elle ne peut donc se faire en un instant.

4. Le mouvement du libre arbitre qui concourt à la justification est méritoire. Il faut donc qu’il procède de la grâce, sans laquelle il n’y a pas de mérite, on le dira bientôt. Or, il faut qu’une forme soit reçue avant qu’elle devienne principe d’activité. Il faut donc premièrement que la grâce soit infusée, et qu’ensuite le libre arbitre soit mû par Dieu et se détourne du péché. La justification ne se fait donc pas d’un seul coup.

5. Si la grâce est infusée dans l’âme, il faut poser un premier instant où la grâce existe dans l’âme. De même, si la faute est remise, il faut poser un dernier instant où l’homme est encore en état de péché. Or ces deux instants ne peuvent pas être identiques, car il faudrait admettre que deux contraires cœxistent. Il y a donc deux instants successifs entre lesquels il faut placer, selon Aristote, un temps intermédiaire. La justification, ne se fait donc pas instantanément, mais progressivement.

En sens contraire, la justification de l’impie est produite par la grâce de l’Esprit qui justifie. Or c’est tout d’un coup que l’Esprit Saint fait irruption dans l’âme des hommes. Nous en avons pour preuve le récit des Actes (2, 2) : " Tout à coup vint du ciel un bruit comme celui d’un violent coup de vent " ; et, à ce propos, nous lisons dans la Glose : " La grâce de l’Esprit Saint ne connaît pas de longs efforts. " La justification de l’impie n’est donc pas successive, mais instantanée.

Réponse :

Toute la justification de l’impie consiste originellement dans l’infusion de la grâce, car c’est de cette manière que le libre arbitre est mû et que la faute est pardonnée. Or l’infusion de la grâce se fait instantanément et sans retard. En effet, lorsqu’une forme n’est pas imprimée immédiatement dans son sujet, cela vient de ce que le sujet n’est pas dans les dispositions voulues et que l’agent a besoin de temps pour l’y mettre. Ainsi, c’est un fait d’expérience, dès que la matière est disposée par une altération antécédente, la forme substantielle lui est aussitôt acquise. De même, s’il s’agit d’un corps diaphane qui de soi est disposé à recevoir la lumière, dès qu’une source lumineuse l’éclaire, il brille aussitôt. Or, nous l’avons dit plus haut, pour infuser la grâce dans une âme, Dieu n’a pas besoin d’autre disposition que celle qu’il produit lui-même. Mais cette disposition suffisant à la réception de la grâce, tantôt il la produit d’un seul coup, tantôt il ne la produit que peu à peu et progressivement, nous l’avons dit. Quant à l’agent naturel, s’il ne peut disposer immédiatement la matière, cela vient d’une certaine disproportion existant entre sa puissance et la résistance que lui oppose la matière ; aussi voyons-nous que plus l’agent a de force, plus vite la matière se trouve disposée. Donc, puisque la vertu divine est infinie, elle peut disposer immédiatement à la forme n’importe quelle matière créée. A plus forte raison le pourra-t-elle s’il s’agit du libre arbitre qui, par sa nature même, peut se mouvoir instantanément. Ainsi donc la justification de l’impie est réalisée par Dieu instantanément.

Solutions :

1. Le mouvement du libre arbitre qui concourt à la justification de l’impie est un assentiment par lequel on se détourne du péché et on se tourne vers Dieu : et cet assentiment est immédiat. Il arrive cependant quelquefois qu’il est précédé d’une certaine délibération, mais celle-ci n’appartient pas à la substance même de la justification ; elle n’en est que le chemin, comme le déplacement local d’un objet qui aboutit à faire la lumière, ou l’altération d’un corps qui conduit à la génération.

2. Nous l’avons dit dans la première Partie, rien n’empêche de concevoir actuellement deux réalités à la fois, pourvu qu’elles soient unifiées de quelque façon ; ainsi nous concevons en même temps le sujet et le prédicat qui sont unis dans une seule affirmation. De la même manière le libre arbitre peut se porter à la fois sur deux objets différents ; il suffit qu’ils soient ordonnés l’un à l’autre. Or, le mouvement du libre arbitre contre le péché est ordonné au mouvement du libre arbitre vers Dieu ; l’homme déteste le péché parce que celui-ci est contre Dieu, à qui l’homme veut s’unir. C’est pourquoi, dans la justification de l’impie, le libre arbitre déteste le péché et en même temps se tourne vers Dieu ; ainsi en est-il du corps qui, en quittant un lieu, accède à un autre.

3. Si une forme n’est pas reçue instantanément dans la matière, ce n’est pas parce qu’elle peut s’y trouver avec plus ou moins d’intensité ; s’il en était ainsi, la lumière ne serait pas reçue immédiatement dans l’atmosphère qui peut être plus ou moins lumineuse. La vraie raison, nous l’avons dit dans la Réponse, doit être prise de la disposition de la matière ou du sujet.

4. Dans le même instant où la forme d’un être est acquise, celui-ci commence d’agir en vertu de la forme ; ainsi le feu, dès qu’il est allumé, commence à s’élever ; et si son mouvement était instantané, il serait accompli dans le même instant. Or le mouvement du libre arbitre, qui est un acte du vouloir, n’est pas successif, mais immédiat. C’est pourquoi la justification de l’impie ne s’accomplit pas progressivement.

5. La succession de deux contraires dans un même sujet est différente selon qu’il s’agit de réalités soumises au temps, ou de réalités qui transcendent le temps. Dans les réalités soumises au temps, il n’y a pas lieu de poser un dernier instant où la forme première existe dans le sujet, mais bien un temps qui s’achève et un premier instant où la forme subséquente se trouve réalisée dans la matière ou le sujet. La raison en est que, dans une succession temporelle, on ne peut poser, avant un instant, un autre instant le précédant immédiatement ; car le temps ne se compose pas d’instants se succédant les uns aux autres, pas plus que la ligne ne se compose de points distincts, d’après Aristote. Mais le temps a pour terme l’instant. C’est pourquoi, pendant tout le temps qui précède le changement de forme pour un sujet, celui-ci demeure sous la forme opposée ; et au dernier instant de ce temps, qui coïncide avec le premier instant du temps suivant, le sujet possède la forme, terme du mouvement.

Mais dans les réalités qui sont au-dessus du temps, il en est autrement. S’il se produit une succession de sentiments ou de conceptions intellectuelles, comme il arrive chez les anges par exemple, une telle succession n’est pas mesurée par le temps continu, mais par le temps discontinu, comme les réalités elles-mêmes ainsi mesurées et qui ne sont pas continues : nous l’avons montré dans le traité des anges. En conséquence, dans ces réalités, on doit poser un dernier instant où l’une d’elles existait, et un premier instant où existe la réalité subséquente ; et entre les deux il ne faut pas mettre de temps intermédiaire, car il n’y a pas ici de continuité temporelle qui l’exigerait.

Quant à l’esprit humain qui est justifié, de soi il est au-dessus du temps ; et, s’il est soumis au temps, ce n’est que par accident, en ce sens que, pour faire acte d’intelligence, il doit se référer aux images d’où il tire ses idées images qui impliquent la continuité temporelle. Nous en avons traité dans la première Partie. C’est pourquoi, sous ce rapport, il faut juger les changements de l’esprit humain d’après la condition des mouvements temporels. Nous dirons donc, non pas qu’il y a un dernier instant où la faute a existé, mais un temps ultime au terme duquel est donné le premier instant où la grâce existe, la faute demeurant tout le temps précédent.

 

            Article 8 — Quel est l’ordre naturel des éléments qui concourent à la justification ?

Objections :

1. Il semble que l’infusion de la grâce ne soit pas le premier des éléments requis à la justification, car on s’éloigne du mal avant de s’attacher au bien, selon cette parole du Psaume (37, 27) : " Détourne-toi du mal et fais le bien. " Or le pardon de la faute correspond à l’éloignement du mal ; l’infusion de la grâce, à l’attachement au bien. La rémission de la faute est donc par nature antérieure à l’infusion de la grâce.

2. La disposition précède naturellement la forme à laquelle elle dispose. Or le mouvement du libre arbitre est une disposition à la réception de la grâce. Il la précède donc naturellement.

3. Le péché empêche l’âme de se porter librement vers Dieu. Or, pour qu’un mouvement se produise, on enlève d’abord l’obstacle qui s’y oppose. La rémission de la faute et le mouvement du libre arbitre contre le péché doivent donc précéder par nature le mouvement du libre arbitre vers Dieu et l’infusion de la grâce.

En sens contraire, la cause est par nature antérieure à son effet. Or l’infusion de la grâce est la cause de tous les autres éléments requis pour la justification, nous l’avons dit. Elle est donc naturellement première.

Réponse :

Les quatre éléments requis pour la justification sont réalisés en même temps, puisque, nous l’avons dit, la justification n’est pas successive ; mais, dans l’ordre de nature, il y a antériorité de l’un sur l’autre. A ce point de vue, l’élément qui est premier, c’est l’infusion de la grâce ; le deuxième élément, c’est le mouvement du libre arbitre vers Dieu ; le troisième, c’est le mouvement du libre arbitre contre le péché ; le quatrième, c’est la rémission de la faute.

La raison en est que, dans tout mouvement, ce qui est naturellement premier, c’est la motion de l’agent moteur ; ce qui vient en deuxième, c’est la disposition de la matière, ou le mouvement du mobile lui-même ; ce qui est dernier, c’est la fin ou le terme du mouvement, auquel aboutit la motion de l’agent. Dans le cas présent, la motion de Dieu, c’est l’infusion de la grâce, nous l’avons dit ; le mouvement ou la disposition du mobile, c’est le double mouvement du libre arbitre ; le terme ou la fin du mouvement, c’est la rémission de la faute, nous l’avons montrés. C’est pourquoi, dans l’ordre naturel des choses, ce qui est premier dans la justification de l’impie, c’est l’infusion de la grâce ; ce qui vient en deuxième, c’est le mouvement du libre arbitre vers Dieu ; en troisième lieu vient le mouvement du libre arbitre contre le péché - (celui qui est justifié en effet déteste le péché parce qu’il est contre Dieu ; il s’ensuit que le mouvement du libre arbitre vers Dieu précède naturellement le mouvement du libre arbitre contre le péché, puisqu’il en est la cause et le motif) ; - enfin ce qui est quatrième et dernier, c’est la rémission de la faute, à laquelle est ordonnée comme à sa fin toute la transformation opérée, nous l’avons dit.

Solutions :

1. L’éloignement d’un terme et l’approche du terme opposé peuvent être envisagés à un double point de vue. D’abord au point de vue du mobile ; sous ce rapport, l’éloignement du point de départ précède l’accès au point d’arrivée ; il y a en effet, dans le sujet en mouvement, d’abord l’abandon de l’un des termes, puis l’acquisition de l’autre grâce au mouvement. Mais si l’on se place au point de vue de l’agent, l’ordre est inversé. En effet l’agent agit selon la forme qui préexiste en lui et c’est par cette action qu’il chasse ce qui s’oppose à cette forme : ainsi c’est en illuminant que le soleil chasse les ténèbres. C’est pourquoi, à se placer au point de vue du soleil, ü lui revient de faire le jour avant de chasser la nuit ; du point de vue de l’atmosphère à éclairer, celle-ci, dans l’ordre de nature, doit être dégagée des ténèbres avant d’acquérir la lumière ; et pourtant les deux choses se font en même temps. Et parce que l’infusion de la grâce et la rémission de la faute sont attribuées à Dieu, auteur de la justification, l’infusion de la grâce est naturellement antérieure à la rémission de la faute. Mais si on les envisage du point de vue de l’homme qui est justifié, elles seront en ordre inverse ; car la libération de la faute est par nature antérieure à l’obtention de la grâce.

On peut dire encore que les termes de la justification sont la faute, comme point de départ, et la justice comme point d’arrivée : mais la grâce est de toute façon cause de la rémission de la faute et de l’obtention de la justice.

2. La disposition du sujet précède la réception de la forme dans l’ordre de nature ; elle suit cependant l’action de l’agent par laquelle le sujet se trouve disposé. C’est pourquoi le mouvement du libre arbitre précède par nature l’obtention de la grâce, mais il suit l’infusion de cette même grâce.

3. Comme le remarque le Philosophe, dans les mouvements de l’âme, le tout premier mouvement qui précède les autres, c’est celui qui a pour objet le principe dans l’ordre de la spéculation, et la fin dans l’ordre de l’action. Dans les mouvements extérieurs au contraire, l’enlèvement de l’obstacle précède l’obtention de la fin. Et puisque le mouvement du libre arbitre est un mouvement de l’âme, selon l’ordre de nature il se portera vers Dieu d’abord comme vers sa fin, avant d’écarter l’obstacle du péché.

 

            Article 9 — La justification de l’impie est-elle la plus grande œuvre de Dieu ?

Objections :

1. Il ne semble pas car, par la justification, l’impie obtient la grâce de la vie présente. Au contraire la glorification procure à l’homme la grâce de la vie future, qui est supérieure. La glorification des anges ou des hommes est donc une œuvre plus grande que la justification de l’impie.

2. La justification de l’impie est ordonnée au bien d’un seul individu. Or le bien de l’univers l’emporte sur le bien d’un seul homme, selon Aristote. La création du ciel et de la terre est donc une œuvre plus grande que la justification de l’impie.

3. Faire quelque chose de rien et sans aucune coopération possible est une œuvre plus grande que de produire quelque chose à partir d’un être préexistant et avec sa coopération. Or, dans l’œuvre de la création, une chose est faite de rien et, par là, sans aucune coopération possible. Au contraire, dans la justification de l’impie, Dieu produit quelque chose à partir d’un donné préexistant : de l’impie il fait un juste, et il le fait avec la coopération de l’homme, car il y a là le mouvement de son libre arbitre, on l’a dite. Donc la justification de l’impie n’est pas la plus grande des œuvres de Dieu.

En sens contraire, on dit dans le Psaume (145, 9) : " Ses miséricordes surpassent toutes ses œuvres ", et dans une collecte de la messe : " Dieu, qui manifestes au plus haut point ta toute-puissance en pardonnant et en faisant miséricorde. " Et S. Augustin commentant le passage de S. Jean (14, 12) : " Il fera de plus grandes choses " écrit : " C’est une œuvre plus grande de faire d’un pécheur un juste, que de créer le ciel et la terre. "

Réponse :

Une œuvre est dite grande à un double point de vue. Si on considère la manière dont elle est produite, la plus grande est l’œuvre de la création en laquelle quelque chose est fait à partir de rien. Mais on peut considérer aussi la grandeur de l’œuvre elle-même qui est produite. A ce point de vue la justification de l’impie, qui a pour terme le bien éternel divinement participé, est une œuvre plus grande que la création du ciel et de la terre, car celle-ci se termine à un bien naturel périssable. C’est pourquoi S. Augustin, après avoir écrit : " C’est une œuvre plus grande de faire d’un pécheur un juste que de créer le ciel et la terre ", ajoute : " Le ciel et la terre passeront, mais le salut et la justification des prédestinés demeureront à jamais. "

Il faut pourtant savoir que, lorsqu’on parle de grandeur, on peut l’entendre de deux façons : au sens d’une grandeur prise absolument, et, sous ce rapport, le don de la gloire est plus grand que le don de la grâce justifiant l’impie. Ou bien au sens d’une grandeur relative et proportionnelle : c’est ainsi qu’on dira d’une montagne qu’elle est petite, et d’un grain de millet qu’il est gros. De ce point de vue, le don de la grâce qui justifie l’impie est plus grand que le don de la gloire qui béatifie le juste car, par rapport à ce dont il était digne, le châtiment, le don de la grâce justifiante fait à l’impie est incomparablement plus grand que le don de la gloire fait au juste, qui en avait été rendu digne par sa justification. C’est pourquoi S. Augustin peut écrire : " Décide qui pourra si la création des anges dans la justice est une œuvre plus grande que la justification des impies. En tous cas, si de part et d’autre, la puissance est la même, il y a, dans la justification de l’impie, une plus grande miséricorde. "

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. Le bien de l’univers est plus grand que le bien d’un individu, s’ü s’agit du même genre de bien. Mais le bien de la grâce, dans un seul individu, l’emporte sur le bien naturel de tout l’univers.

3. Cet argument se place au point de vue du mode de production, et, sous ce rapport, la création est la plus grande œuvre de Dieu.

 

            Article 10 — La justification de l’impie est-elle miraculeuse ?

Objections :

1. Il semble bien. Car les œuvres miraculeuses l’emportent sur celles qui ne le sont pas. Or la justification de l’impie l’emporte sur les autres œuvres miraculeuses, comme il ressort avec évidence du texte de S. Augustin cité à l’article précédent. Donc la justification de l’impie est une œuvre miraculeuse.

2. Le mouvement de la volonté dans l’âme est comparable à l’inclination naturelle des réalités physiques. Or quand Dieu produit quelque chose dans ces réalités qui va à l’encontre de leur inclination naturelle, c’est une œuvre miraculeuse : par exemple s’il rend la vue à un aveugle, s’il ressuscite un mort. Mais la volonté du pécheur tend au mal. Donc, puisque Dieu, en justifiant un homme, le porte au bien, il semble que la justification de l’impie est un miracle.

3. De même que la sagesse est un don de Dieu, ainsi en est-il de la justice. Mais il est miraculeux qu’un individu, sans avoir étudié, obtienne de Dieu la sagesse. Ce sera donc aussi un miracle si un pécheur est justifié par Dieu.

En sens contraire, les œuvres miraculeuses sont au-dessus de la puissance naturelle. Or la justification de l’impie n’est pas au-dessus de la puissance naturelle. S. Augustin écrit en effet " Être capable d’avoir la foi, comme être capable d’avoir la charité, appartient à la nature humaine ; mais avoir la foi, avoir la charité, c’est cela qui est propre aux fidèles. " La justification de l’impie n’est donc pas miraculeuse.

Réponse :

Dans les œuvres miraculeuses, il y a d’ordinaire trois choses à considérer. D’abord, du côté de l’agent, elles sont l’œuvre de la seule puissance divine. C’est pourquoi, nous l’avons montré dans la première Partie, elles sont l’objet d’étonnement total, leur cause étant entièrement cachée. Sous ce rapport, aussi bien la justification de l’impie que la création et toute œuvre dont Dieu seul peut être l’auteur, peuvent être regardées comme des miracles.

Deuxièmement, dans certaines œuvres miraculeuses, une forme est introduite en une matière qui dépasse (ontologiquement) ce à quoi cette matière était en puissance : ainsi dans le cas de la résurrection d’un mort le cadavre n’était pas naturellement en puissance à recevoir la vie. A ce point de vue, la justification de l’impie n’est pas un miracle, car l’âme, par nature, est capable de grâce, ainsi que le remarque S. Augustin : " Du fait même qu’elle a été créée à l’image de Dieu, l’âme est capable de Dieu par la grâce. "

En troisième lieu, dans les œuvres miraculeuses, il arrive que certain effet est réalisé en dehors de son mode ordinaire de production ; par exemple un malade recouvre subitement une santé parfaite, en dehors du cours habituel d’une guérison opérée par la nature ou la médecine. Sous ce rapport la justification de l’impie est quelquefois miraculeuse, et quelquefois ne l’est pas. Le cours habituel et commun de la justification en effet, c’est que l’homme, sous la motion intérieure de Dieu, se tourne d’abord vers lui par une conversion imparfaite, pour en arriver ensuite à une conversion parfaite, car, comme l’écrit S. Augustin : " La charité commencée mérite de croître, et, par cette croissance, elle mérite d’atteindre la perfection. " Mais quelquefois Dieu meut l’âme si puissamment qu’elle parvient aussitôt à une justice parfaite ; c’est ce qui arriva dans la conversion de S. Paul, avec, en plus, ce prodige extérieur qu’il fut jeté à terre. C’est pourquoi la conversion de S. Paul est célébrée dans l’Église comme miraculeuse.

Solutions :

1. Certaines œuvres miraculeuses, bien qu’elles soient, si l’on considère le bien effectué, moins importantes que la justification de l’impie, sont cependant produites en dehors de l’ordre suivant lequel de tels effets s’accomplissent d’ordinaire. Elles répondent donc davantage à la notion de miracle.

2. Il n’y a pas miracle toutes les fois qu’une réalité physique est mue contre son inclination naturelle ; autrement il faudrait regarder comme un miracle le fait de chauffer de l’eau ou de jeter une pierre en l’air. Mais il y a miracle quand un effet est produit en dehors de l’ordre de la cause propre qui est apte par nature à le produire. Aucune autre cause que Dieu ne peut justifier l’impie ; il n’y a que le feu à pouvoir chauffer l’eau. C’est pourquoi, à ce point de vue, la justification de l’impie n’est pas un miracle.

3. L’homme est naturellement apte, par son génie et son travail, à acquérir de Dieu la sagesse et la science ; et s’il devient sage et savant en dehors de cette voie, c’est un miracle. Mais l’homme n’est pas capable naturellement, par son opération propre, d’acquérir la grâce de la justification ; il y faut l’intervention opérante de Dieu lui-même. C’est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

 

QUESTION 114 — LE MÉRITE

Il nous reste à étudier le mérite qui est l’effet de la grâce coopérante. 1. L’homme peut-il mériter de Dieu quelque chose ?- 2. Peut-on, sans la grâce, mériter la vie éternelle ?- 3. Peut-on, par la grâce, mériter de plein droit la vie éternelle ? - 4. La grâce tient-elle principalement de la charité d’être le principe du mérite ? - 5. Peut-on mériter pour soi-même la première grâce ? - 6. Peut-on la mériter pour autrui ? - 7. Peut-on mériter pour soi-même son relèvement après la chute ? - 8. Peut-on mériter pour soi-même un accroissement de grâce ou de charité ? - 9. Peut-on mériter pour soi-même la persévérance finale ? - 10. Les biens temporels sont-ils objet de mérite ?

 

            Article 1 — L’homme peut-il mériter de Dieu quelque chose ?

Objections :

1. Il ne le semble pas. Personne en effet ne mérite une récompense du seul fait qu’il rend à autrui ce qu’il lui doit. Or, au dire d’Aristote : “ tout le bien que nous faisons ne saurait compenser ce que nous devons à Dieu, car nous lui devons toujours davantage ”. C’est pourquoi nous lisons en S. Luc (17,10) : “ Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été prescrit, dites : "Nous sommes de pauvres serviteurs, nous n’avons fait que ce que nous devions." ” L’homme ne peut donc mériter quelque chose de la part de Dieu.

2. Par cela qu’on fait à son propre profit on ne mérite rien, semble-t-il, de celui à qui cela ne profite nullement. Or l’homme bénéficie lui-même de ses bonnes actions, ou il en fait bénéficier un autre homme, mais non pas Dieu. Il est écrit en effet dans le livre de Job (35,7) : “ Si tu es juste, que lui donnes-tu ? ou que reçoit-il de ta main ? ” L’homme ne peut donc rien mériter de la part de Dieu.

3. Quiconque mérite quelque chose de quelqu’un fait de celui-ci son débiteur : c’est un dû en effet que de récompenser celui qui le mérite. Mais Dieu n’est débiteur de personne, selon l’épître aux Romains (11,35) : “ Qui l’a prévenu de ses dons pour devoir être payé de ‘retour ? ” On ne peut donc rien mériter auprès de Dieu.

En sens contraire, nous lisons dans Jérémie (31,16) : “ Ton travail aura sa récompense. ” Or la récompense suppose le mérite. Il semble donc que l’homme peut mériter de la part de Dieu.

Réponse :

Mérite et récompense ont le même objet. La récompense en effet est la rétribution que l’on donne à quelqu’un en compensation de son œuvre ou de son effort : elle en est en quelque sorte le prix. Et de même que donner un juste prix pour une chose reçue est un acte de justice, ainsi en est-il quand on récompense, en les rétribuant, une œuvre ou un effort. Or la justice consiste en une sorte d’égalité, comme l’enseigne Aristote. Ainsi donc la justice proprement dite a sa place là où il y a égalité proprement dite. Pour ceux entre qui il n’y a pas égalité proprement dite, il n’y a pas non plus entre eux de justice proprement dite, il ne peut y avoir qu’une certaine sorte de justice, comme on parle de droit paternel ou de droit dominatif, remarque Aristote. C’est pourquoi là où se trouve le “juste” au sens strict, on trouve aussi le mérite et la récompense au sens strict de la notion. Là au contraire où le “juste” ne se trouve qu’en un sens diminué la notion de mérite ne s’applique pas au sens strict, mais en un sens diminué, pour autant que quelque chose y subsiste encore de la notion de justice[4445] : c’est en ce sens diminué que le fils mérite quelque chose de son père, l’esclave de son maître.

Or il est évident qu’entre Dieu et l’homme, il y a le maximum d’inégalité, car entre eux il y a une distance infinie, et tout le bien qui appartient à l’homme vient de Dieu. De l’homme à Dieu, il ne peut donc y avoir une justice supposant une égalité absolue, mais seulement une certaine justice proportionnelle, en ce sens que l’un et l’autre agissent selon le mode d’action qui leur est propre. Or le mode et la mesure des puissances d’activité de l’homme lui sont donnés par Dieu. C’est pourquoi le mérite de l’homme auprès de Dieu ne peut se concevoir qu’en présupposant l’ordination divine ; ce qui signifie que l’homme, par son opération, obtiendra de Dieu, à titre de récompense, ce à quoi Dieu lui-même a ordonné la faculté par laquelle il opère. Ainsi en est-il des réalités naturelles qui, par leurs mouvements et leurs opérations, atteignent ce à quoi Dieu les a ordonnées. Il y a une différence cependant, car la créature rationnelle se meut elle-même à l’action par le moyen de son libre arbitre, ce qui fait que son action a raison de mérite, tandis qu’il n’en est pas ainsi pour les autres créatures.

Solutions :

1. L’homme mérite en tant que ce qu’il doit c’est par sa propre volonté qu’il le fait. Autrement, l’acte de justice qui consiste à payer sa dette ne serait pas méritoire.

2. Dieu, dans nos bonnes actions, ne cherche pas son utilité, mais sa gloire qui est la manifestation de sa bonté ; et cette gloire, il la cherche également par ses propres œuvres. Ce n’est pas lui d’ailleurs qui gagne au culte que nous lui rendons ; c’est nous. Voilà pourquoi, si nous acquérons quelque mérite auprès de Dieu, ce n’est pas que nos œuvres lui procurent quelque avantage, mais c’est en tant que nous œuvrons pour sa gloire.

3. Notre action n’étant méritoire qu’en vertu de l’ordination divine, qui lui est antérieure, le mérite ne rend pas Dieu débiteur à notre égard, mais à l’égard de lui-même : en ce sens qu’il faut que l’ordination qu’il a imprimée aux créatures soit accomplie.

 

            Article 2 — Peut-on, sans la grâce, mériter la vie éternelle

Objections :

1. Il semble bien, car l’homme mérite de Dieu ce à quoi Dieu lui-même l’a ordonné, on l’a dit. Mais l’homme est naturellement ordonné à la béatitude comme à sa fin ; c’est pourquoi aussi son désir naturel le porte à vouloir être heureux. L’homme peut donc, par ses seules forces naturelles et sans la grâce, mériter la béatitude qui est la vie éternelle.

2. La même œuvre, moins elle est due plus elle est méritoire. Mais une œuvre bonne faite par celui qui a été prévenu de moindres bienfaits est moins due. Comme donc celui qui n’a que les biens naturels a reçu de Dieu de moindres bienfaits qu’un autre qui a reçu en outre les biens de grâce, il semble que ses œuvres soient plus méritoires devant Dieu. Il en résulte que si celui qui a la grâce peut mériter en quelque manière la vie éternelle, bien plus encore le pourra celui qui ne l’a pas.

3. La miséricorde et la libéralité de Dieu dépassent à l’infini la miséricorde et la libéralité humaines. Mais un homme peut mériter d’un autre homme une récompense même si jamais auparavant il n’a joui de sa faveur. A plus forte raison l’homme peut-il, sans la grâce, mériter de Dieu la vie éternelle.

En sens contraire, l’Apôtre écrit aux Romains (6,23) : “ La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle. ”

Réponse :

Comme nous l’avons déjà notée l’homme, sans la grâce, peut être envisagé en deux états différents : dans l’état de nature intègre ; ce fut le cas d’Adam avant le péché ; - et dans l’état de nature corrompue : c’est notre cas avant la réparation du péché par la grâce. Si nous parlons du premier état, le seul motif pour lequel l’homme ne pouvait pas, par ses seules forces naturelles et sans la grâce, mériter la vie éternelle, c’est que son mérite dépendait de la préordination divine. Or nul acte n’est ordonné par Dieu à un objet disproportionné à la faculté dont il procède ; car il est établi par la Providence divine que nul être n’agit au delà de son pouvoirs. Or, la vie éternelle est un bien sans proportion avec le pouvoir de la nature créée, car elle transcende même sa connaissance et son désir, selon cette parole de l’Apôtre (1 Co 2,9) : “ (Nous annonçons) ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme. ” Voilà pourquoi aucune nature créée n’est principe suffisant de l’acte méritoire de la vie éternelle, tant qu’elle n’a pas reçu en surcroît ce don surnaturel qu’on appelle la grâce.

Si maintenant nous parlons de l’homme dans l’état de chute, un second motif s’ajoute au premier, et c’est l’obstacle du péché. Le péché est en effet une offense faite à Dieu, qui exclut de la vie éternelle, ainsi que nous l’avons montré précédemment. Personne, en état de péché, ne peut mériter la vie éternelle s’il n’est réconcilié d’abord avec Dieu, et sa faute pardonnée, ce qui est 1’œuvre de la grâce. Car ce qui est dû au pécheur, ce n’est pas la vie, c’est la mort, selon l’épître aux Romains (6,23) : “ Le salaire du péché, c’est la mort. ”

Solutions :

1. Dieu a ordonné la nature humaine à atteindre cette fin qu’est la vie éternelle par le secours de la grâce, non par sa vertu propre. C’est de cette manière que son acte peut mériter la vie éternelle.

2. Sans la grâce, l’homme ne peut produire une œuvre éà celle qui procède de la grâce ; en effet, une action a d’autant plus de valeur que son principe est plus parfait. Il en serait autrement si l’on supposait que, de part et d’autre, l’opération a la même valeur.

3. Si l’on s’en rapporte à la première raison donnée dans la réponse, il apparaît qu’il n’en va pas de même de Dieu et de l’homme. L’homme tient de Dieu le pouvoir de bien faire ; il ne le tient pas de son semblable. C’est pourquoi l’homme ne peut mériter quelque chose de la part de Dieu qu’en vertu du don que Dieu lui a fait ; c’est ce que l’Apôtre exprime clairement quand il écrit (Rm 11,35) : “ Qui l’a prévenu de ses dons pour devoir être payé de retour ? ” Au contraire, grâce à ce qu’on a reçu de Dieu, on peut acquérir quelque mérite auprès d’un homme sans avoir bénéficié de ses faveurs.

Si l’on s’en rapporte à la seconde raison, tirée de l’obstacle du péché, le cas est semblable pour l’homme et pour Dieu ; car là aussi, l’homme ne peut mériter auprès d’un autre homme qu’il a offensé, s’il ne répare sa faute et ne se réconcilie avec lui.

 

            Article 3 — Peut-on, par la grâce, mériter de plein droit la vie éternelle ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’Apôtre écrit aux Romains (8,18) : “ Les souffrances du temps présent ne sont pas d’une telle valeur qu’on puisse les comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. ” Or, parmi les œuvres méritoires, il n’en est pas de supérieures aux souffrances des saints. Donc aucune œuvre humaine ne mérite de plein droit la vie éternelle.

2. A propos de la parole de S. Paul : “ La grâce de Dieu est la vie éternelle ”, nous lisons dans la Glose ce commentaire : “ Sans doute l’Apôtre aurait pu dire : Le salaire de la justice, c’est la vie éternelle. Mais il a préféré affirmer : La grâce de Dieu est la vie éternelle, en ce sens que Dieu nous conduit à la vie éternelle par un effet de sa miséricorde, et non à cause de nos mérites. Mais ce que l’on mérite de plein droit, ce n’est pas par miséricorde, c’est en vertu de son mérite qu’on le reçoit. Il semble donc que l’homme ne puisse par la grâce mériter en justice la vie éternelle.

3. Pour être méritoire en stricte justice, l’acte doit, semble-t-il, s’égaler à la récompense. Or aucun acte de la vie présente ne peut s’égaler à la vie éternelle, qui surpasse notre connaissance et notre désir. Elle surpasse même la charité et la dilection d’ici-bas, comme elle surpasse la nature. L’homme ne peut donc, par la grâce, mériter de plein droit la vie éternelle.

En sens contraire, la rétribution accordée d’après un jugement équitable apparaît comme méritée de plein droit. Mais la vie éternelle est accordée par Dieu d’après un jugement de justice, selon l’Apôtre (2 Tm 4,8) : “ Et maintenant, voici qu’est préparée pour moi la couronne de justice que le Seigneur me donnera en ce jour-là, lui, le juste juge. ” C’est donc que l’homme peut mériter de plein droit la vie éternelle.

Réponse :

L’œuvre méritoire de l’homme peut être envisagée à un double point de vue : soit en tant qu’elle procède du libre arbitre ; soit en tant qu’elle procède de la grâce du Saint-Esprit. Si on la considère en elle-même et en tant qu’elle procède du libre arbitre, il ne peut y avoir mérite de plein droit en raison d’une trop grande inégalité. Mais l’on peut parler de convenance, à cause d’une certaine égalité proportionnelle ; il apparaît convenable en effet qu’à l’homme qui agit selon son pouvoir Dieu réponde en le récompensant excellemment selon son pouvoir à lui.

Si nous parlons de l’œuvre méritoire en tant qu’elle procède de la grâce du Saint-Esprit, alors c’est de plein droit qu’elle est méritoire de la vie éternelle. En ce sens en effet, la valeur du mérite se mesure à la vertu de l’Esprit Saint qui nous meut vers la vie éternelle, selon cette parole en S. Jean (4,4) : “ Il y aura en lui une source jaillissant en vie éternelle. ” Le prix de l’œuvre également correspond à la noblesse de la grâce, par laquelle l’homme, fait participant de la nature divine, est adopté par Dieu comme fils, à qui est dû l’héritage par le droit de l’adoption, selon cette parole de S. Paul (Rm 8,17) : “ Si nous sommes fils, nous sommes aussi héritiers. ”

Solutions :

1. L’Apôtre parle des souffrances des saints considérées en elles-mêmes, dans leur réalité substantielle.

2. Le commentaire de la Glose doit s’entendre en ce sens que la cause première de notre entrée dans la vie éternelle, c’est la miséricorde de Dieu. Notre mérite ne vient qu’ensuite.

3. La grâce du Saint-Esprit telle qu’elle est en nous présentement égale la gloire, sinon actuellement du moins virtuellement : comme la semence de l’arbre qui a en elle de quoi produire l’arbre tout entier. Et pareillement par la grâce habite en l’homme le Saint-Esprit, qui est la cause suffisante de la vie éternelle ; c’est pourquoi l’Apôtre l’appelle “ les arrhes de notre héritage ” (2 Co 1, 22).

 

            Article 4 — La grâce tient-elle principalement de la charité d’être le principe du mérite ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, c’est à l’œuvre accomplie qu’est due la rétribution, selon cette parole (Mt 20,8) : “ Appelle les ouvriers et donne à chacun son salaire. ” Mais de toute vertu une œuvre procède puisque, nous l’avons dit, la vertu est un habitus opératif. Il semble donc que toute vertu est au même titre source de mérite.

2. L’Apôtre écrit (1 Co 3,8) : “ Chacun recevra son propre salaire à la mesure de son propre labeur. ” Mais la charité rend le labeur moins pesant plutôt qu’elle ne l’augmente, car, écrit S. Augustin : “ Tout ce qui est dur et accablant, l’amour le rend facile et le réduit presque à rien. ” La charité n’est donc pas davantage source de mérite que les autres vertus.

3. La vertu qui est davantage source de mérite, c’est, semble-t-il, celle dont les actes sont le plus méritoires. Or il apparaît que les actes les plus méritoires sont les actes de foi, de patience ou de force ; la chose est évidente chez les martyrs qui combattirent pour la foi, jusqu’à la mort avec patience et courage. Il y a donc des vertus qui sont sources de mérite bien plus que la charité.

En sens contraire, le Seigneur déclare, d’après S. Jean (14,21) : “ Si quelqu’un m’aime, il sera aimé de mon Père ; je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. ” Mais la vie éternelle consiste dans la connaissance manifeste de Dieu, selon cette autre parole du Seigneur en S. Jean (17,3) : “ La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le Dieu véritable et vivant, etc. ” Le mérite de la vie éternelle réside donc principalement dans la charité.

Réponse :

Nous l’avons dit, il y a deux raisons qui font qu’un acte humain mérite. Cela vient d’abord et principalement de l’ordination divine, en vertu de laquelle l’acte est dit méritoire du bien auquel l’homme est ordonné par Dieu ; en second lieu cela découle du libre arbitre, l’homme se différenciant des autres créatures en ceci qu’il agit par lui-même, qu’il est un agent volontaire. Or, à ces deux points de vue, le mérite consiste principalement dans la charité.

D’abord, en effet, il faut considérer que la vie éternelle consiste dans la jouissance de Dieu. Or le mouvement de l’âme humaine vers la fruition du bien divin est l’acte propre de la charité, et par lui les actes des autres vertus sont ordonnés à cette fin pour autant qu’elles sont soumises à l’impulsion de la charité. C’est pourquoi le mérite de la vie éternelle appartient premièrement à la charité, et secondairement aux autres vertus pour autant que leurs actes se font sous l’impulsion de la charité.

De même ce que nous faisons par amour il est manifeste que nous le faisons le plus volontiers et donc le plus volontairement. C’est pourquoi, même sous ce rapport où il est requis que l’acte soit volontaire pour être méritoire, c’est principalement à la charité que le mérite est attribué.

Solutions :

1. Parce que la charité a pour objet la fin dernière, elle meut les autres vertus à l’action. Car l’habitus qui a pour objet la fin commande toujours les habitus qui regardent les moyens, nous l’avons montré.

2. Une œuvre peut être laborieuse et difficile d’une double façon. D’abord parce qu’elle est grande en elle-même ; en ce sens le poids du labeur concourt à l’augmentation du mérite. Ainsi, la charité ne diminue pas le labeur : elle fait au contraire que l’on s’attaque à de plus grands travaux. Comme le remarque S. Grégoire dans une homélie : “ Si elle existe, elle entreprend de grandes choses. ” En second lieu, la difficulté peut provenir de celui qui accomplit l’œuvre ; ce que l’on fait sans empressement est toujours laborieux et difficile. Cette peine-là, qui diminue le mérite, la charité la supprime.

3. L’acte de foi n’est méritoire que s’il s’agit d’une foi “ opérant par la charité ”, comme dit l’épître aux Galates (5, 6). Il en est de même des actes de patience et de force : ils ne sont méritoires que s’ils sont accomplis par charité, selon cette parole de l’Apôtre (1 Co 13,3) : “ Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. ”

 

            Article 5 — Peut-on mériter pour soi-même la première grâce ?

Objections :

1. Il semble que oui, car S. Augustin affirme : “ La foi mérite la justification. ” Or c’est la première grâce qui justifie l’homme. On peut donc mériter pour soi la première grâce.

2. Dieu ne donne sa grâce qu’à ceux qui en sont dignes. Mais on n’est digne de recevoir un don qu’à la condition de l’avoir mérité en justice. Donc on peut mériter en justice la première grâce.

3. Dans l’ordre humain, on peut mériter un don déjà reçu ; ainsi celui auquel son maître a fait cadeau d’un cheval peut dans la suite mériter ce cheval en en faisant bon usage au service de son maître. Mais Dieu est plus libéral que l’homme. Donc, à plus forte raison, l’homme peut mériter auprès de Dieu la première grâce déjà reçue, par le moyen des œuvres accomplies dans la suite.

En sens contraire, la notion de grâce est en opposition avec celle de salaire dû pour l’accomplissement d’une œuvre, selon l’épître aux Romains (11,6) : “ A qui fournit un travail on ne compte pas le salaire à titre gracieux : c’est un dû. ” Or le mérite de l’homme a pour objet ce qui lui est attribué à titre de salaire pour son travail. L’homme ne peut donc mériter la première grâce.

Réponse :

Le don de la grâce peut être envisagé de deux manières : d’abord dans son caractère de don gratuit : en ce sens, il est évident que toute espèce de mérite s’oppose à l’idée même de grâce, car, comme l’Apôtre l’écrit aux Romains (11,6) : “ Si c’est en raison des œuvres, ce n’est plus une grâce. ”

En second lieu, on peut considérer dans la grâce la nature même de la chose qui est donnée. A ce point de vue, la grâce ne peut être méritée par celui qui ne la possède pas, car d’une part elle surpasse la capacité de la nature ; et d’autre part avant la grâce, dans l’état de péché, l’homme, du fait même de la faute, est empêché de mériter la grâce. En outre, quand il possède déjà la grâce, il ne peut mériter cette grâce déjà reçue ; la rétribution est en effet le résultat de 1’œuvre accomplie ; la grâce au contraire est le principe en nous de toute œuvre bonne, nous l’avons dit plus haut. Et d’autre part, si l’on vient à mériter un autre don gratuit en vertu d’une grâce précédente, déjà ce don n’est plus premier. Il est donc manifeste que personne ne peut mériter pour soi la première grâce.

Solutions :

1. S. Augustin reconnaît lui-même qu’il s’est trompé en pensant que le commencement de la foi venait de nous, et que sa consommation nous était donnée par Dieu : il se rétracte à ce sujet. Cette conception ne semble pas étrangère à l’idée que “ la foi mérite la justification ”. Mais si nous posons en principe, comme l’exige la vérité catholique, que le commencement de la foi nous est donné par Dieu, l’acte de foi lui-même est une conséquence de la première grâce, et on ne peut donc la mériter. Donc, par la foi, l’homme est justifié, non pas en ce sens qu’en croyant il mérite la justification, mais pour cette raison que, quand il est justifié, il croit ; et cela vient de ce que le mouvement de la foi est nécessaire à la justification de l’impie, nous l’avons déjà dit.

2. Dieu donne sa grâce seulement à ceux qui en sont dignes, non pas qu’ils soient dignes avant de recevoir la grâce, mais parce que Dieu, “ qui seul donne la pureté à ceux qui furent conçus dans l’impureté ” (Jb 14,4 Vg), les rend dignes par le moyen de la grâce.

3. Toute œuvre bonne de l’homme procède de la première grâce comme de son principe. Elle ne procède pas d’un don humain quelconque. Il n’y a donc pas d’assimilation possible entre le don de la grâce et le don de l’homme.

 

            Article 6 — Peut-on mériter pour autrui la première grâce ?

Objections :

1. Il semble que oui, car, à propos de cette parole de l’évangile selon S. Matthieu (9,2) : “ Jésus voyant leur foi... ”, nous lisons dans la Glose : “ Quel n’est pas le prix de la foi personnelle devant Dieu, puisque déjà la foi d’autrui a pu obtenir de lui la guérison intérieure et extérieure d’un homme! ” Mais la guérison intérieure de l’homme s’obtient par la première grâce. C’est donc qu’on peut la mériter pour autrui.

2. Les prières des justes ne sont pas vaines mais efficaces, selon cette parole de S. Jacques (5,16) : “ La supplication assidue du juste a beaucoup de puissance. ” Il avait écrit précédemment : “ Priez les uns pour les autres afin que vous soyez sauvés. ” Et, comme le salut de l’homme ne s’obtient que par la grâce, il semble donc que l’on peut mériter à autrui la première grâce.

3. Nous lisons en S. Luc (16,9) : “ Faites-vous des amis avec les richesses d’iniquité, afin qu’à votre mort ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. ” Or cela ne peut se produire que par le moyen de la grâce qui, seule, permet de mériter la vie éternelle, ainsi que nous l’avons dit précédemment. Un homme peut donc, par son mérite, obtenir pour un autre la vie éternelle.

En sens contraire, Dieu dit en Jérémie (15,1) : “ Même si Moïse et Samuel se tenaient devant ma face, je n’aurais pas pitié de ce peuple. ” Et pourtant c’étaient des hommes de très grand mérite devant Dieu. Il semble donc que nul ne peut mériter pour un autre la première grâce.

Réponse :

D’après ce que nous avons dit, on voit que ce que nous faisons a raison de mérite à deux titres : 1° En vertu de la motion divine qui fait qu’elles sont méritoires de plein droit.

2° Parce qu’elles procèdent du libre arbitre pour autant que nous agissons volontairement. De ce côté il y a un mérite de convenance : il convient en effet que lorsque l’homme fait bon usage de son pouvoir, Dieu agisse plus excellemment selon la surexcellence de son pouvoir.

On voit par là que personne, en dehors du Christ, ne peut mériter de plein droit pour autrui la première grâce. Chacun de nous en effet est mû par Dieu par le don de la grâce, afin de parvenir lui-même à la vie éternelle ; et il s’ensuit que le mérite en justice ne s’étend pas au-delà de cette motion. L’âme du Christ au contraire fut mue par Dieu au moyen de la grâce non seulement afin de le faire parvenir lui-même à la gloire de la vie éternelle, mais afin d’y conduire les autres, comme tête de l’Église et auteur de notre salut. C’est ce qu’enseigne l’épître aux Hébreux (2,10) : “ Lui, l’auteur du salut, il devait conduire à la gloire un grand nombre de fils. ”

Mais on peut mériter pour un autre la première grâce par convenance ; parce qu’un homme en état de grâce accomplit la volonté de Dieu, il convient, selon la proportion fondée sur l’amitié, que Dieu accomplisse sa volonté du salut d’un autre. Pourtant il peut arriver qu’il y ait un obstacle de la part de celui dont un saint désire la justification. A un tel cas s’applique la parole de Jérémie citée plus haut.

Solutions :

1. La foi des autres peut procurer à un individu le salut par mérite de convenance, non par mérite de justice.

2. L’efficacité de la prière s’appuie sur la miséricorde ; le mérite rigoureux s’appuie sur la justice. La prière tire son efficacité de la miséricorde, le mérite de plein droit de la justice, selon cette parole de Daniel (9,18) : “ Ce n’est pas en raison de nos œuvres justes que nous répandons devant toi nos supplications, mais en raison de tes grandes miséricordes. ”

3. On dit que les pauvres qui reçoivent les aumônes accueillent leurs bienfaiteurs dans les tabernacles éternels, soit qu’ils obtiennent leur pardon en priant pour eux ; soit qu’ils méritent en convenance leur salut par d’autres bonnes œuvres ; soit enfin, à s’en tenir à la lettre du texte, que celui qui exerce des œuvres de miséricorde auprès des pauvres, mérite d’être reçu dans les tabernacles éternels.

 

            Article 7 — Peut-on mériter pour soi-même son relèvement après la chute ?

Objections :

1. Il semble bien, car ce que l’homme demande à Dieu en justice, l’homme doit pouvoir le mériter. Mais, selon S. Augustin, rien de plus juste que de demander à Dieu son relèvement après la chute, et nous lisons dans le Psaume (71,9) : “ Lorsque ma vigueur sera tombée, ne m’abandonne pas, Seigneur. ” L’homme peut donc mériter son relèvement après la chute.

2. Les œuvres qu’un homme accomplit sont beaucoup plus profitables à lui-même qu’à autrui. Mais l’homme peut mériter de quelque manière pour autrui le relèvement après la chute, tout aussi bien que la première grâce. A plus forte raison peut-il mériter pour lui-même le relèvement après la chute.

3. L’homme qui, à un moment donné, fut en grâce, a mérité par ses bonnes œuvres la vie éternelle ; cela ressort de ce que nous avons dit précédemment. Mais nul ne peut parvenir â la vie éternelle s’il n’est relevé par la grâce. Cet homme a donc mérité son relèvement par la grâce.

En sens contraire, il est dit dans Ézéchiel (18,24) : “ Si le juste se détourne de sa justice et commet le mal, on ne se souviendra plus de toute la justice qu’il a pratiquée. ” Par conséquent ses précédents mérites n’auront aucune valeur pour son relèvement. Personne ne peut donc mériter d’avance, pour soi-même, de sortir du péché quand il y sera tombé.

Réponse :

Personne ne peut mériter d’avance son relèvement, ni par un mérite de plein droit, ni par un mérite de convenance. Le mérite de plein droit en effet dépend essentiellement de la motion de la grâce divine, et cette motion est interrompue par le péché qui a suivi. Aussi tous les bienfaits que dans la suite le pécheur reçoit de Dieu, et qui lui permettent de réparer sa faute, ne sont-ils pas objet de mérite, car la motion de la grâce, reçue antérieurement, ne s’étend pas jusque-là.

Quant au mérite de convenance qui permet à un homme de mériter pour autrui la première grâce, il est empêché d’aboutir par l’obstacle du péché en celui pour qui on mérite. A plus forte raison l’efficacité de ce mérite est-elle entravée par l’obstacle qui se trouve et en celui qui mérite et en celui pour qui il mérite : ici la même personne. C’est pourquoi on ne peut aucunement mériter pour soi le relèvement après la chute.

Solutions :

1. Le désir par lequel on souhaite le relèvement après la chute est appelé juste, aussi bien que la prière qui l’exprime parce que l’un et l’autre tendent vers la justice. Mais ils ne s’appuient pas sur la justice à la manière du mérite ; ils font seulement appel à la miséricorde.

2. On peut, d’un mérite de convenance, mériter pour autrui la première grâce, car dans ce cas il n’y a pas d’obstacle, du moins de la part de celui qui mérite. Mais il y a obstacle quand quelqu’un, après avoir eu le mérite de la grâce, s’éloigne de la justice.

3. Certains ont prétendu que, sauf par l’acte de la grâce finale, nul ne mérite la vie éternelle absolument, mais seulement sous condition, à savoir s’il persévère. Une telle manière de voir est déraisonnable ; car quelquefois l’acte de la grâce finale n’est pas plus méritoire que celui d’une grâce antérieure ; il l’est même moins que l’acte antécédent, en raison de l’accablement produit par la maladie. Il faut donc dire que n’importe quel acte de charité est méritoire absolument de la vie éternelle. Mais, par le péché qui suit, se trouve posé un obstacle au mérite précédent, qui empêche celui-ci de produire son effet ; ainsi en est-il des causes naturelles qui manquent leurs effets, à cause d’un obstacle survenu.

 

            Article 8 — Peut-on mériter pour soi-même une augmentation de grâce ou de charité ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, lorsqu’un homme a reçu la récompense qu’il a méritée, on ne lui doit pas d’autre rétribution. Ainsi est-il dit en S. Matthieu (6, 5) à propos de certains hypocrites : “ Ils ont reçu leur récompense. ” Donc, si un homme méritait une augmentation de grâce ou de charité, il s’ensuivrait qu’une fois la grâce augmentée, il n’aurait plus à attendre d’autre récompense, ce qui est choquant.

2. Aucun être n’agit au-delà de ce qu’il est. Mais le principe du mérite, on l’a vu, c’est la grâce ou la charité. Donc personne ne peut mériter une grâce ou une charité plus grande que celle qu’il a.

3. Ce qui fait l’objet du mérite, l’homme l’acquiert par n’importe quel acte procédant de la grâce ou de la charité ; comme par tout acte de ce genre on mérite la vie éternelle. Donc, si l’augmentation de la grâce ou de la charité est objet de méé, on mérite une augmentation de charité. Mais ce que l’homme mérite, il l’obtient infailliblement de Dieu, à moins que ne survienne l’obstacle du péché. C’est ce qui fait dire à S. Paul (2 Tm 1,12) : “ je sais en qui j’ai mis ma foi, et j’ai la conviction qu’il est capable de garder mon dépôt. ” Il s’ensuivrait donc que la grâce ou la charité seraient accrues par n’importe quel acte méritoire. Or cela paraît impossible, car les actes méritoires ne sont pas toujours assez fervents pour suffire à accroître la charité. Cet accroissement n’est donc pas objet de mérite.

En sens contraire, S. Augustin écrit “ La charité mérite de croître, et, par cette croissance, elle mérite de se parfaire. ” Donc l’augmentation de la grâce ou de la charité est objet de mérite.

Réponse :

Nous l’avons dit, cela est objet d’un mérite de plein droit, à quoi s’étend la motion de la grâce. Mais l’impulsion donnée par un agent moteur ne se réfère pas seulement au terme du mouvement elle vise également tout le progrès réalisé par le mobile au cours du mouvement. Or, le terme du mouvement de la grâce, c’est la vie éternelle ; le progrès dans ce mouvement se fait par l’accroissement de la charité ou de la grâce, selon cette parole des Proverbes (4,18) : “ La route des justes est comme la lumière de l’aube dont l’éclat grandit jusqu’au plein jour ”, qui est le jour de la gloire. L’augmentation de la grâce est donc bien objet de mérite en justice.

Solutions :

1. La récompense est le terme du mérite, mais il y a deux sortes de termes dans un mouvement : le terme ultime, et le terme intermédiaire qui est à la fois principe et terme ; c’est ce terme intermédiaire qui est la récompense constituée par l’accroissement de la grâce. Mais la récompense de la faveur humaine, c’est comme le terme ultime de ceux qui l’ont prise pour fin, si bien que pour eux il n’y a pas d’autre rétribution.

2. L’accroissement de la grâce n’excède pas le pouvoir de la grâce qu’on a déjà, bien qu’il la fasse plus grande ; c’est ainsi que l’arbre, qui est quantitativement supérieur à la semence, n’excède cependant pas le pouvoir de celle-ci.

3. Tout acte méritoire, quel qu’il soit, mérite à son auteur l’accroissement de la grâce, aussi bien que sa consommation, qui est la vie éternelle. Mais, de même que la vie éternelle n’est pas accordée immédiatement, mais en son temps, de même la grâce n’est pas augmentée aussitôt, mais au moment où l’homme se trouve suffisamment disposé à cet accroissement.

 

            Article 9 — Peut-on mériter pour soi-même la persévérance finale ?

Objections :

1. Il semble que ce soit vrai. Car ce que l’on obtient par la prière peut être objet de mérite quand on possède la grâce. Mais, en demandant la persévérance, les hommes l’obtiennent ; autrement, remarque S. Augustin. c’est en vain qu’on la demanderait dans l’oraison dominicale. La persévérance peut donc être objet de mérite quand on possède la grâce.

2. Ne pas pouvoir pécher est plus important que ne pas pécher. Mais l’impossibilité de pécher est objet de mérite, puisqu’on mérite la vie éternelle et que celle-ci implique nécessairement l’impeccabilité. A plus forte raison peut-on mériter de ne pas pécher en fait ; ce qui est persévérer.

3. L’augmentation de la grâce l’emporte sur la persévérance dans la grâce qu’on possède. Or, nous le savons. l’homme peut mériter l’accroissement de la grâce. A plus forte raison peut-il mériter de persévérer dans la grâce qu’il possède.

En sens contraire, tout ce que l’on mérite, on l’obtient de Dieu, à moins que le péché n’y fasse obstacle. Mais beaucoup accomplissent des œuvres méritoires, qui n’obtiennent pas la persévérance. On ne peut pas dire que la raison en est l’obstacle du péché, car ce qui s’oppose à la persévérance c’est précisément de pécher ; de sorte que si quelqu’un avait mérité la persévérance, Dieu ne permettrait pas qu’il tombe dans le péché. La persévérance n’est donc pas objet de mérite.

Réponse :

Puisque l’homme possède par nature le libre arbitre qui peut incliner au bien ou au mal, on peut obtenir de Dieu la persévérance dans le bien de deux manières. D’abord en ce que le libre arbitre se trouve déterminé au bien par la grâce achevée ; c’est ce qui se produira dans la gloire. Puis en ce que la motion divine incline l’homme au bien jusqu’à la fin. Or, comme nous l’avons montré plus haut. ce qui est méritoire pour l’homme, c’est ce qui se présente comme un terme par rapport au mouvement du libre arbitre dirigé par la motion divine. Mais il n’en est pas ainsi pour ce qui se présente comme un principe par rapport à ce même mouvement. Aussi est-il clair que la persévérance dans la gloire, qui est au terme de ce mouvement, est objet de mérite, tandis que la persévérance d’ici-bas ne peut être méritée, car elle dépend uniquement de la motion divine, laquelle est au principe de tout mérite. Mais Dieu accorde gratuitement le bienfait de la persévérance, chaque fois qu’il l’accorde.

Solutions :

1. Même ce que nous ne méritons pas, nous pouvons l’obtenir par la prière. Car Dieu écoute les pécheurs quand ils demandent pardon pour leurs fautes, et pourtant ils ne méritent pas ce pardon. C’est ce que montre S. Augustin à propos de ce texte de S. Jean (9,31) : “ Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs. ” Autrement, c’est en vain que le publicain aurait dit (Lc 18,13) : “ Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis. ” Pareillement, par la prière, on peut obtenir de Dieu, pour soi ou pour un autre, le don de la persévérance, bien qu’il ne soit pas objet de mérite.

2. La persévérance que l’on aura dans la gloire représente, pour le mouvement méritoire du libre arbitre, le terme auquel il doit aboutir ; mais il n’en est pas ainsi de la persévérance d’ici-bas ; nous venons d’en donner la raison.

3. Il faut en dire autant de l’accroissement de la grâce (terme intermédiaire du mouvement méritoire) : cela ressort de ce que nous avons exposé plus haut.

 

            Article 10 — Les biens temporels sont-ils objet de mérite ?

Objections :

1. Il semble que oui, car ce qui est promis à certains individus comme une récompense de la justice, est objet de mérite. Mais dans l’ancienne loi les biens temporels ont été ainsi promis. On le constate dans le Deutéronome (28). Donc ces biens sont objet de mérite.

2. Est objet de mérite, semble-t-il, la récompense que Dieu accorde à un homme pour l’accomplissement d’un service. Mais parfois Dieu récompense ainsi les hommes en leur accordant certains biens temporels. Nous lisons en effet dans l’Exode (1,21) : “ Parce que les sages-femmes avaient craint Dieu, il fit prospérer leurs maisons ”, ce que la Glose de S. Grégoire commente ainsi : “ La récompense de leur générosité aurait pu leur valoir la vie éternelle, mais, s’étant rendues coupables de mensonge, elles reçurent une récompense terrestre. ” - Nous lisons encore dans Ézéchiel (29,18) : “ Le roi de Babylone a engagé son armée dans une entreprise grandiose contre Tyr ; ... et il n’en a retiré aucun profit. ” Et le texte ajoute : “ Tel sera le salaire de son armée : je lui donnerai le pays d’Égypte, car il a travaillé pour moi. ” Les biens temporels peuvent donc être objet de mérite.

3. Ce que le bien est par rapport au mérite, le mal l’est par rapport au démérite. Or, parce qu’ils avaient démérité en péchant, Dieu a puni certains individus par des peines temporelles : ce fut le cas des habitants de Sodome (Gn 19). Les biens temporels sont donc objet de mérite.

En sens contraire, les biens qui sont objet de mérite ne sont pas également répartis entre tous. Or les biens et les maux temporels se rencontrent aussi bien chez les bons que chez les mauvais, selon cette parole de l’Ecclésiaste (9,2) : “ A tous un même sort, au juste et à l’impie, au bon et au méchant, au pur et à l’impur, à celui qui sacrifie et à celui qui méprise les sacrifices. ” Les biens temporels ne sont donc pas objet de mérite.

Réponse :

Ce qui fait l’objet d’un mérite est quelque chose de bon donné en récompense ou en rétribution. Or quelque chose est bon pour l’homme de deux manières : une absolument, l’autre relativement. Ce qui est absolument bon pour l’homme c’est la fin dernière selon cette parole du Psaume (73,28) : “ Pour moi, être uni à Dieu, c’est le bien ”, c’est aussi, par voie de conséquence, tout ce qui est ordonné à obtenir cette fin. Ces biens-là sont purement et simplement objet de mérite. Par contre cela est bon pour l’homme relativement, non absolument, qui lui est bon présentement et sous un certain rapport. Les biens de ce genre ne sont pas objet de mérite, absolument parlant, mais seulement d’une façon relative.

Cela posé, il faut dire que, les biens temporels si on les considère comme favorisant l’accomplissement des œuvres vertueuses, lesquelles nous conduisent à la vie éternelle, ils sont objet de mérite directement et absolument, au même titre que l’accroissement de la grâce et tout ce qui permet à l’homme de parvenir à la béatitude, la première grâce une fois reçue. Aux hommes justes Dieu distribue biens et maux temporels autant qu’il leur est expédient pour parvenir à la vie éternelle en sorte que biens et maux temporels sont, sous ce rapport, purement et simplement des biens. De là cette parole du Psaume (34,11) : “ Ceux qui craignent le Seigneur ne sont privés d’aucun bien ”, et du Psaume (37,25) : “ je n’ai pas vu le juste abandonné. ”

Mais si l’on considère les biens temporels en eux-mêmes, ils ne sont pas absolument bons pour l’homme, mais relativement. Sous ce rapport, ils ne sont objet de mérite qu’à certains égards, pour autant que Dieu meut les hommes à des actions d’ordre temporel et qu’il favorise la réussite de leurs projets. De même donc que la vie éternelle est d’une façon absolue la récompense des œuvres de justice accomplies sous la motion divine, comme nous l’avons dit, de même les biens temporels, considérés en eux-mêmes, peuvent être regardés comme une sorte de récompense, eu égard à la motion divine qui porte la volonté humaine à les poursuivre, bien que parfois les hommes n’aient pas en cela une intention droite.

Solutions :

1. Comme dit S. Augustin : “ Ces promesses temporelles furent la figure des biens spirituels à venir, qui s’accomplissent en nous. Ce peuple charnel s’attachait, en effet, aux promesses de la vie présente ; et ce n’est pas seulement leur langage, mais leur vie elle-même, qui fut prophétique. ”

2. Les rétributions dont il est question sont attribuées à Dieu en raison de la motion divine et non par rapport à la malice de la volonté. Cela est vrai surtout en ce qui concerne le roi de Babylone qui n’assiégea pas Tyr pour servir Dieu, mais pour y établir sa domination usurpatrice. De même, pour ce qui est des sages-femmes : si elles montrèrent une bonne volonté en sauvant les enfants, cependant cette volonté n’était pas moralement rectifiée puisqu’elles commirent un mensonge.

3. Les maux temporels sont un châtiment pour les impies, parce qu’ils n’y trouvent aucun secours pour gagner la vie éternelle. Pour les justes au contraire qui y trouvent une aide, ces maux ne sont pas des châtiments, mais plutôt des remèdes, nous l’avons dit précédemment.

4. Réponse à l’objection en sens contraire : Tout arrive également pour les bons et pour les méchants, si l’on considère la substance même des biens et des maux temporels. Mais il n’en est pas de même si l’on envisage leur finalité, car, par eux, les bons sont acheminés à la béatitude, et non pas les méchants.

Ici s’achève la morale générale.

 

 

 

 

 

IIA IIAE — LA MORALE PRISE EN DÉTAIL

 

 

LA FOI

Donc, en ce qui concerne les vertus théologales, il faudra étudier la foi (Q. 1-16), l’espérance (Q. 17-22) et la charité (Q. 23-46).

La foi appelle l’étude de quatre points :

1° La nature de la foi. (Q. 1-7). - 2° Les dons d’intelligence et de science qui lui correspondent (Q. 8-9). - 3° Les vices opposés à la foi (Q. 10- 15). - 4° Les préceptes concernant cette vertu (Q. 16)

Sur la nature de la foi, il faudra étudier :

1° Son objet (Q. 1). - 2° Son acte (Q. 2-3). - 3° L’habitus de la foi (Q. 4).

 

 

 

 

QUESTION 1 — L’OBJET DE LA FOI

1. Son objet est-il la vérité première ? - 2. Est-il quelque chose de complexe ou d’incomplexe, c’est-à-dire une réalité ou un énoncé ? - 3. La foi peut-elle comporter une chose fausse ? - 4. L’objet de la foi peut-il être une chose vue ? - 5. Peut-il être une chose sue ? - 6. Les vérités à croire doivent-elle être distinguées en articles précis ? - 7. La foi comporte-t-elle en tout temps les mêmes articles ? - 8. Le nombre de ces articles. 9. Leur transmission par le symbole. - 10. A qui appartient-il d’établir le symbole de foi ?

 

            Article 1 — L’objet de la foi est-il la vérité première ?

Objections :

1. Il ne semble pas. L’objet de la foi, c’est apparemment ce qu’on nous propose à croire. Or on nous propose à croire non seulement ce qui se rapporte à la divinité, qui est la vérité première, mais aussi ce qui se rapporte à l’humanité du Christ, aux sacrements de l’Église et à la condition des créatures. La vérité première n’est donc pas le seul objet de la foi.

2. Foi et infidélité ont le même objet, puisque ce sont deux opposés. Mais sur tous les points qui sont contenus dans la Sainte Écriture il peut y avoir infidélité, car il suffit de nier n’importe lequel de ces points pour être réputé infidèle. La foi a donc aussi pour objet tout e qui est contenu dans la Sainte Écriture. Mais il y a là beaucoup de choses sur l’homme et sur les autres réalités créées. L’objet de la foi, ce n’est donc pas seulement la vérité première, c’est aussi la vérité créée.

3. Foi et charité se distinguent à l’intérieur du même genre, on l’a vu plus haute. Or, par la charité non seulement nous aimons Dieu, qui est la souveraine bonté, mais nous aimons aussi le prochain. L’objet de la foi n’est donc pas seulement la vérité première.

En sens contraire, Denys assure que " la foi s’applique à la simple et toujours existante vérité ". C’est bien là la vérité première. L’objet de la foi est donc bien la vérité première.

Réponse :

L’objet de tout habitus cognitif contient deux choses : ce qui est matériellement connu, qui est comme le côté matériel de l’objet ; et ce par quoi l’objet est connu, qui en est la raison formelle. Ainsi, dans la science de la géométrie, ce qui est matériellement su, ce sont les conclusions ; mais la raison formelle du savoir, ce sont les moyens de démonstration par lesquels les conclusions sont connues. Ainsi donc, dans la foi, si nous regardons la raison formelle de l’objet, ce n’est rien d’autre que la vérité première ; la foi dont nous parlons ne donne pas en effet son assentiment à une chose si ce n’est parce que Dieu l’a révélée ; c’est dire que la vérité divine elle-même est comme le moyen sur lequel s’appuie cette foi. Mais, si nous regardons matériellement ce à quoi la foi donne son assentiment, ce n’est plus seulement Dieu lui-même, mais encore beaucoup d’autres choses. Celles-ci cependant ne tombent sous l’assentiment de la foi que par le côté où elles sont de quelque manière ordonnées à Dieu, c’est-à-dire en tant qu’elles sont des effets de la divinité qui aident l’homme à tendre à la jouissance de la divinité. Et c’est pourquoi, même de ce côté, l’objet de la foi est d’une certaine façon la vérité première, en ce que rien ne tombe sous la foi si ce n’est en référence à Dieu, de même que l’objet de la médecine est la santé parce que la médecine ne s’occupe de rien si ce n’est en référence à la santé.

Solutions :

1. Ce qui a trait à l’humanité du Christ et aux sacrements de l’Église, ou à des créatures quelles qu’elles soient, tombe sous la foi dans la mesure où nous sommes par là ordonnés à Dieu. De plus, si nous donnons à cela notre assentiment, c’est à cause de la vérité de Dieu.

2. Il faut dire la même chose de tout ce qui est transmis dans la Sainte Écriture.

3. La charité aussi aime le prochain à cause de Dieu, et ainsi son objet propre est Dieu même, comme nous le dirons plus loin.

 

            Article 2 — L’objet de la foi est-il quelque chose de complexe ou d’incomplexe, c’est-à-dire une réalité ou un énoncé ?

Objections :

1. Il semble que l’objet de la foi ne soit pas quelque chose de complexe à la manière d’un énoncé, puisque, nous venons de le voir, cet objet est la vérité première, laquelle est quelque chose d’incomplexe.

2. L’exposé de la foi est contenu dans le symbole. Or, dans le symbole il n’y a pas des énoncés, mais des réalités. Il n’y est pas dit que Dieu soit tout-puissant, mais : " je crois en Dieu tout-puissant. " L’objet de la foi n’est donc pas une vérité à énoncer, mais une réalité.

3. A la foi succède la vision, selon l’Apôtre (1 Co 13, 12) : " Nous voyons pour l’instant par un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. Pour l’instant, je connais en partie ; mais je connaîtrai alors comme je suis connu. " Or cette vision de la patrie, puisqu’elle a pour objet l’essence divine elle-même, s’arrête à quelque chose d’incomplexe. Donc la foi du voyage également.

En sens contraire, la foi est intermédiaire entre la science et l’opinion. Or un intermédiaire est du même genre que les extrêmes. Comme la science et l’opinion concernent des énoncés, il semble donc que pareillement la foi concerne des énoncés. Et ainsi l’objet de foi, puisque la foi aboutit à des énoncés, est quelque chose de complexe.

Réponse :

Les choses connues sont dans le sujet connaissant suivant le mode de celui-ci. Or il est un mode propre à l’intelligence humaine, nous l’avons dit dans la première Partie : c’est de connaître la vérité par composition et division. Voilà pourquoi l’intelligence humaine connaît, suivant une certaine complexité, des choses qui sont simples en elles-mêmes, de même qu’inversement l’intelligence divine connaît, d’une manière incomplexe, des choses qui sont complexes en elles-mêmes. Ainsi donc on peut considérer l’objet de foi de deux façons. Du côté de la réalité même à laquelle on croit, et à cet égard il est quelque chose d’incomplexe : il est la réalité même que la foi atteint. Autrement, on le prend du côté du croyant, et à cet égard l’objet de foi est quelque chose de complexe à la manière d’un énoncé. C’est pourquoi les deux opinions ont été soutenues avec vérité chez les anciens ; il y a du vrai dans l’une et dans l’autre.

Solutions :

1. Cet argument est valable lorsque l’objet de foi est pris du côté de la réalité même à laquelle on croit.

2. Dans le symbole, comme le montre la manière même de parler, on cherche à atteindre les choses de la foi dans toute la mesure où s’y fixe l’acte du croyant. Or l’acte du croyant ne se termine pas à un énoncé, mais à la réalité. Car nous ne formons les énoncés que pour avoir connaissance par eux des réalités, aussi bien dans la foi que dans la science.

3. Dans la patrie on verra la vérité première telle qu’elle est en elle-même, comme dit S. Jean (1 Jn 3, 2) : " Lorsque Dieu se manifestera, nous serons semblables à lui, et nous le verrons comme il est. " C’est pourquoi cette vision aura lieu non par mode d’énoncé mais par mode de simple intelligence. Mais, par la foi, nous ne saisissons pas la vérité première comme elle est en elle-même. Donc la comparaison ne vaut pas.

 

            Article 3 — La foi peut-elle comporter une chose fausse ?

Objections :

1. Il semble bien. La foi est dans le même genre que l’espérance et la charité. Mais l’espérance peut tomber à faux, car beaucoup espèrent avoir la vie éternelle qui ne l’auront pas. Pareillement la charité peut aussi tomber à faux ; beaucoup sont aimés de charité comme gens de bien, qui pourtant ne le sont pas. La foi peut donc, elle aussi, tomber à faux.

2. Abraham a cru à la naissance future du Christ selon ce mot en S. Jean (8, 56) : " Votre père Abraham a exulté à la pensée de voir mon jour. " Or, après le temps d’Abraham, Dieu pouvait ne pas s’incarner, puisque cela dépendait de sa seule volonté. Dans ce cas, ce qu’Abraham avait cru au sujet du Christ se serait trouvé faux.

3. Tous les anciens eurent cette foi à la naissance future du Christ, et cette foi a duré chez beaucoup jusqu’à la prédication de l’Évangile. Mais, comme le Christ était déjà né avant de commencer à prêcher, il était faux qu’il eût encore à naître. Donc la foi peut porter à faux.

4. Un point de foi, c’est de croire que dans le sacrement de l’autel est contenu le vrai corps du Christ. Or il peut arriver, quand la consécration n’est pas faite correctement, qu’il n’y ait pas là le vrai corps du Christ, mais seulement du pain. Il peut donc y avoir du faux dans la foi.

En sens contraire, aucune des vertus perfectionnant l’intelligence ne peut se porter vers le faux puisqu’il est le mal de l’intelligence, comme le Philosophe le montre. Or la foi, nous le ferons voir plus loin, est une vertu qui perfectionne l’intelligence. Le faux ne peut donc se trouver dans la foi.

Réponse :

Rien ne peut être présent à une puissance ou à un habitus, voire à un acte, si ce n’est par le moyen de la raison formelle de l’objet ; ainsi la couleur ne peut être vue que grâce à la lumière, et la conclusion ne peut être sue que par le moyen de la démonstration. Or nous avons àiti que la raison formelle de l’objet de foi, c’est la vérité première. Rien ne peut donc tomber sous la foi, sinon dans la mesure où cela relève de la vérité première. Sous une pareille vérité rien de faux ne peut se trouver, pas plus que le non-être ne peut être compris sous le terme d’être, ni le mal sous le terme de bonté. On doit en conclure que rien de faux ne peut se trouver sous la lumière de la foi.

Solutions :

1. Le vrai est le bien de l’intelligence, mais non celui de nos puissances d’appétit. C’est pourquoi toutes les vertus qui perfectionnent l’intelligence excluent totalement le faux, puisqu’il est essentiel à la vertu de se porter uniquement au bien. Mais les vertus qui perfectionnent la puissance appétitive n’excluent pas totalement le faux : quelqu’un peut agir selon la justice ou selon la tempérance tout en ayant une opinion fausse sur la matière de son action. Ainsi, puisque la foi est une perfection de l’intelligence, tandis que l’espérance et la charité sont des perfections de la faculté d’appétit, ce motif ne vaut pas pour elles. Mais dans l’espérance non plus il n’y a rien de faux, car on n’espère pas obtenir la vie éternelle par son propre pouvoir, ce serait de la présomption, mais par le secours de la grâce dans laquelle, si l’on y persévère, on obtiendra totalement et infailliblement la vie éternelle. Il en va de même pour la charité. Son rôle est d’aimer Dieu où qu’il soit. Peu importe donc à la charité qu’il y ait Dieu dans cet homme-là, puisque c’est pour Dieu qu’il est aimé.

2. Que Dieu ne s’incarne pas, c’était, considéré en soi, une chose possible même après le temps d’Abraham. Mais, en tant qu’elle tombe sous la prescience divine, l’Incarnation revêt un certain caractère nécessaire d’infaillibilité, nous l’avons dit dans la première Partie. Et c’est par là qu’elle tombe sous la foi. Aussi, en tant qu’elle tombe sous la foi, ne peut-elle être fausse.

3. Ce qui appartenait à la foi des croyants après la naissance du Christ, c’était de croire à sa naissance dans un temps. Mais cette détermination du temps, pour laquelle les croyants se trompaient, ne venait pas de la foi ; elle venait d’une conjecture humaine. Il est possible en effet qu’un fidèle pense, par conjecture humaine, quelque chose de faux. Mais qu’en vertu de la foi il fasse un jugement faux, c’est impossible.

4. La foi du croyant ne se rapporte pas aux espèces du pain qui sont ici ou là, mais à ce que le vrai corps du Christ existe sous les espèces du pain qui tombe sous nos sens quand il a été correctement consacré. Par suite, si ce pain n’a pas été correctement consacré, ce n’est pas la foi qui contiendra quelque chose de faux.

 

            Article 4 — L’objet de la foi peut-il être une chose vue ?

Objections :

1. Le Seigneur dit à Thomas (Jn 20, 29) : " Parce que tu m’as vu, tu as cru. " Vision et foi portent donc sur le même objet.

2. L’Apôtre dit (1 Co 13, 12) : " Nous voyons maintenant par un miroir, en énigme. " Et il parle de la connaissance de foi. Donc on voit ce qu’on croit.

3. La foi est une lumière spirituelle. Mais dans une lumière, on voit quelque chose. La foi a donc pour objet des choses vues.

4. N’importe quelle sensation, dit S. Augustin, s’appelle une vue. Or la foi a pour objet des choses entendues ; selon le mot de l’Apôtre (Rm 10, 17) : " La foi vient de ce qu’on entend. " Donc la foi porte sur des choses vues.

En sens contraire, l’Apôtre dit (He 11, 1) : " La foi est la preuve des réalités qu’on ne voit pas. "

Réponse :

La foi implique un assentiment de l’intelligence à ce que l’on croit. Mais l’intelligence adhère à quelque chose de deux façons. Ou bien parce qu’elle y est portée par l’objet, lequel tantôt est connu par soi-même comme on le voit dans les principes premiers qui sont matière de simple intelligence ; tantôt cet objet est connu par autre chose, comme on le voit dans les conclusions, qui sont la matière de la science. Ou bien l’intelligence adhère à quelque chose sans y être pleinement portée par son objet propre, mais en s’attachant volontairement par choix à un parti plutôt qu’à un autre. Et si l’on prend ce parti avec un reste d’hésitation et de crainte en faveur de l’autre, on aura une opinion ; mais si l’on prend parti avec certitude et sans aucun reste d’une telle crainte, on aura une foi. Or, les choses que l’on dit être vues sont celles qui, par elles-mêmes, entraînent notre intelligence, ou nos sens, à les connaître. D’où il est manifeste que ni la foi ni l’opinion ne peuvent avoir pour objet des choses qui seraient vues soit par les sens soit par l’esprit.

Solutions :

1. L’apôtre Thomas vit une chose et en crut une autre : il vit un homme et il confessa qu’il croyait à un Dieu, lorsqu’il s’écria : " Mon Seigneur et mon Dieu. "

2. Les choses sujettes à la foi peuvent être considérées de deux manières. Elles peuvent l’être dans le détail, et à cet égard elles ne peuvent pas être vues et crues en même temps, on vient de le dire. Autrement, elles sont considérées en général, c’est-à-dire sous l’aspect commun de la crédibilité. Alors elles sont vues par celui qui croit ; il ne croirait pas, en effet, s’il ne voyait que ces choses doivent être crues, et cette vue a pour cause soit l’évidence des signes soit quelque chose d’analogue.

3. La lumière de foi fait voir ce que l’on croit. De même que par les autres habitus des vertus l’homme voit ce qui lui convient selon tel habitus, de même par l’habitus de foi l’esprit de l’homme est incliné aussi à donner son adhésion à ce qui est conforme à la vraie foi, et non à autre chose.

4. Le sens de l’ouïe a bien pour objet les paroles qui nous signifient ce qui est de foi, mais non pas les réalités mêmes qui sont matière de foi. Il n’y a donc pas à conclure que de telles réalités soient vues.

 

            Article 5 — L’objet de la foi peut-il être une chose sue ?

Objections :

1. Cela semble possible. Ce qu’on ne sait pas, on l’ignore, puisque l’ignorance s’oppose à la foi. Mais on n’ignore pas les choses de la foi. Car l’ignorance en matière de foi se rattache à l’infidélité, selon la parole de l’Apôtre (1 Tm 1, 13) : " J’ai agi dans l’ignorance, n’ayant pas la foi. " Ce qui est de foi peut donc être objet de science.

2. La science s’acquiert par des raisons. Or les auteurs sacrés apportent des raisons à l’appui de ce qui est de foi. On peut donc avoir la science de ce qui est de foi.

3. Ce qui se prouve par démonstration est su, car la démonstration est " le syllogisme qui fait savoir ". Mais il y a des points contenus dans la foi que les philosophes ont prouvés démonstrativement : par exemple, que Dieu existe, qu’il est unique, etc. Donc ce qui est de foi peut être connu par la science.

4. L’opinion est plus éloignée de la science que la foi, puisque celle-ci est jugée intermédiaire entre l’opinion et la science. Or, " l’opinion et la science peuvent avoir de quelque manière un même objet ", selon Aristote. Donc la foi et la science aussi.

En sens contraire, S. Grégoire affirme que " les choses qui se voient ne donnent pas la foi mais l’évidence. " Donc les objets de foi n’emportent pas l’évidence. Mais ce qu’on sait emporte l’évidence. Donc, dans ce qui est matière de science, il n’y a pas place pour la foi.

Réponse :

Toute science est possédée grâce à quelques principes évidents par eux-mêmes, et qui par conséquent sont vus. C’est pourquoi tout ce qui est su est nécessairement vu en quelque manière. Or il n’est pas possible, nous venons de le dire, qu’une même chose soit crue et vue par le même individu. Il est donc impossible aussi que par un même individu une même chose soit sue et crue. - Il peut arriver cependant que ce qui est vu ou su par quelqu’un soit cru par un autre. Ainsi, ce que nous croyons touchant la Trinité, nous espérons que nous le verrons, selon la parole de l’Apôtre (1 Co 10, 12) : " Nous voyons maintenant par un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. " Et cette vision, les anges l’ont déjà, si bien que ce que nous croyons, ils le voient. Pareillement, il peut arriver que ce qui est vu ou su par un homme, même dans notre condition voyageuse, soit cru par un autre qui n’en a pas démonstrativement l’évidence. Toutefois, ce qui est proposé communément à tous les hommes comme objet de foi, c’est ce qui ne fait pas communément l’objet du savoir. Et ce sont ces points-là qui sont absolument objet de foi. Voilà pourquoi la foi et la science n’ont pas le même domaine.

Solutions :

1. Les infidèles sont dans l’ignorance des choses de la foi, parce qu’ils n’ont ni évidence ni science de ce qu’elles sont en elles-mêmes, pour savoir qu’elles sont crédibles. Mais les fidèles ont à ce point de vue une claire connaissance de ces choses, non d’une manière démonstrative, mais en tant qu’ils voient par la lumière de la foi que ce sont des choses à croire, nous venons de le dire.

2. Les raisons apportées par les Pères pour prouver ce qui est de foi ne sont pas démonstratives. Ce sont seulement des raisons persuasives, montrant que ce qui est proposé dans la foi n’est pas impossible. Ou bien, ce sont des raisons qui découlent des principes de foi, c’est-à-dire, comme Denys le remarque, des autorités de la Sainte Écriture. Mais les principes de foi ont une valeur probante aux yeux des fidèles, au même titre que les principes naturellement évidents en ont une aux yeux de tout le monde. C’est pourquoi aussi la théologie est une science, comme nous l’avons dit au commencement de cet ouvrage.

3. Il y a des choses qu’on doit croire, et qui peuvent se prouver démonstrativement. Ce n’est pas à dire que ces points soient absolument objet de foi pour tous. Mais comme ils sont le préambule exigé à la foi, il faut qu’au moins ceux qui n’en ont pas la démonstration les présupposent par le moyen de la foi.

4. Comme le Philosophe l’observe au même endroit, chez divers individus il peut y avoir science et opinion sur un point qui soit tout à fait le même ; nous venons de le dire à propos de la science et de la foi. - Mais, chez un seul et même individu, il peut bien y avoir foi et science sur un objet qui soit le même dans un certain sens, c’est-à-dire dans sa matérialité, mais pas sous le même aspect. Car il est possible qu’au sujet d’une seule et même réalité quelqu’un ait de la science sur un point, et une opinion sur un autre point. Semblablement, au sujet de Dieu, quelqu’un peut savoir par démonstration qu’il n’y a qu’un Dieu, et croire qu’il y a trois personnes en Dieu. Mais s’il s’agit d’un objet qui soit le même sous un même aspect, la science ne peut se rencontrer au même moment dans le même individu, ni avec l’opinion ni avec la foi, bien que pour des raisons différentes. La science, en effet, ne peut se rencontrer en même temps que l’opinion, sur un point qui soit tout à fait le même, pour cette raison qu’il est essentiel à la science que lorsqu’on sait vraiment une chose on n’ait pas idée que ce puisse être autrement ; au contraire, l’idée qu’une chose peut être autrement qu’on ne pense est ce qui fait l’essence même de l’opinion. Mais ce qu’on tient par la foi, à cause même de la certitude qu’elle implique, on estime aussi que ce ne peut être autrement ; néanmoins, la raison qui fait qu’on ne peut simultanément, sur le même point et sous le même aspect, savoir et croire, c’est que la chose sue est une chose vue, tandis que la chose crue est celle qu’on n’a pas vue ; telle a été la Réponse de cet article.

 

            Article 6 — Les vérités à croire doivent-elles être distinguées en articles précis ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Car nous devons croire toutes les vérités contenues dans la Sainte Écriture. Or elles ne peuvent pas être ramenées à un nombre déterminé d’articles à cause de leur grand nombre. Il est donc superflu de distinguer des articles dans la foi.

2. Une distinction du côté matériel, étant donné qu’elle pourrait se faire à l’infini, en bonne logique doit être abandonnée. Mais du côté de l’objet formel, la raison de la crédibilité est une et indivisible, étant comme on l’a dit, la vérité première ; ainsi n’y a-t-il de ce côté aucune distinction possible entre les choses à croire. Il faut donc abandonner cette division en articles, qui est toute matérielle.

3. Pour quelques auteurs, l’article est une " Vérité indivisible, concernant Dieu, qui nous contraint à croire ". Mais croire est affaire de volonté : " On ne croit, dit S. Augustin, que si l’on veut. " Il n’est donc pas juste, semble-t-il, de partager les vérités à croire en articles.

En sens contraire, il y a cette définition d’Isidore : " L’article est une saisie de la vérité divine tendant à cette vérité même. " Or la vérité divine ne peut être saisie par nous que suivant une certaine distinction : ce qui en Dieu est un, devient multiple dans notre intelligence. Les choses à croire doivent donc se distinguer en articles.

Réponse :

Ce mot " article " paraît venir du grec. Effectivement arthrose en grec, qui se dit articulus en latin, signifie un certain ajustement de parties distinctes. C’est ainsi que les parties du corps qui sont ajustées les unes aux autres forment ce qu’on appelle les articulations des membres. Et de même en grammaire, chez les Grecs, on appelle " article " certaines parties du discours qui sont ajustées à d’autres mots pour en exprimer le genre, le nombre ou le cas. Pareillement, en rhétorique, on appelle articles certains ajustements des parties. Selon Cicéron, on dit qu’un texte est articulé lorsque chacun des mots est mis en valeur par des intervalles avec les coupures voulues dans le discours, de cette manière : " Par ton énergie, ta voix, ton regard, tu terrifies tes adversaires. " C’est de là qu’on est parti pour distinguer en articles les objets de la foi chrétienne, en tant qu’ils sont distingués en parties ajustées entre elles. Or ce qui est objet de foi, nous l’avons dit, c’est quelque chose qu’on ne voit pas et qui concerne les réalités divines. C’est pourquoi, partout où, pour une raison spéciale, se présente quelque chose qui n’est pas vu, il y a un article spécial. Au contraire, là où pour la même raison, de multiples choses sont connues ou inconnues, il n’y a pas à distinguer des articles. Ainsi, il y a une difficulté à voir que Dieu ait souffert, et une autre à voir qu’une fois mort il ait ressuscité ; c’est pourquoi l’on distingue l’article de la résurrection d’avec celui de la Passion. Mais qu’il ait souffert, qu’il soit mort et qu’il ait été enseveli, ces points n’offrent qu’une seule et même difficulté, de sorte que l’un d’eux étant admis, il n’est pas difficile d’admettre les autres, et c’est pourquoi tous se rattachent à un seul article.

Solutions :

1. Il y a des choses à croire qui le sont pour elles-mêmes, et d’autres qui le sont en référence aux premières. Il en est de même dans les sciences, où certaines choses son proposées comme étant visées pour elles-mêmes, et certaines pour la manifestation des autres. Or, parce que la foi a principalement pour matière ce que nous espérons voir dans la patrie, selon l’épître aux Hébreux (11, 1) : " La foi est la garantie des biens que l’on espère ", tout ce qui nous ordonne directement à la vie éternelle appartient essentiellement à la foi : tels sont la trinité des Personnes du Dieu tout-puissant, le mystère de l’incarnation du Christ, etc. C’est dans ce domaine qu’on distingue les articles de foi. En revanche, certaines choses sont proposées dans la Sainte Écriture, et nous devons y croire, sans qu’elles soient principalement visées, mais elles sont là pour la manifestation des premières ; ainsi qu’Abraham ait eu deux fils, qu’un mort ait été ressuscité au contact des ossements d’Élisée, et d’autres faits de ce genre, qui sont rapportés dans la Sainte Écriture pour servir à la révélation de la majesté de Dieu ou de l’incarnation du Christ pour tous ces faits il n’y a pas à distinguer d’articles.

2. La raison formelle de l’objet de foi peut être prise d’un double point de vue. D’abord, du côté de la réalité même que l’on croit. A cet égard, la raison formelle de tout ce qui est à croire est une : la vérité première ; et de ce point de vue, on ne distingue pas d’articles. D’une autre façon, la raison formelle des choses à croire peut être prise de notre côté. A cet égard, la raison formelle de ce qui est à croire réside en ce que cela échappe à notre vue ; c’est ainsi que se distinguent les articles de foi, nous venons de le voir.

3. Cette définition de l’article est donnée d’après une étymologie du mot dans sa dérivation latine, plutôt que d’après son véritable sens selon qu’il dérive du grec ; aussi n’est-elle pas d’un grand poids. - On peut cependant dire ceci. Bien que personne ne soit obligé de croire par une nécessité de contrainte, puisque croire est affaire de volonté, cependant on y est contraint par une nécessité de fin puisque, selon les expressions de l’Apôtre (He 11, 6) : " Celui qui s’approche de Dieu doit croire ", et " sans la foi, il est impossible de lui plaire ".

 

            Article 7 — La foi comporte-t-elle en tout temps les mêmes articles ?

Objections :

1. Il semble que le nombre des articles de foi n’ait pas augmenté au cours des temps, car selon l’Apôtre (He 11, 1) : " La foi est la garantie des biens qu’on espère. " En tout temps ce sont les mêmes choses que l’on doit espérer. Donc en tout temps ce sont les mêmes choses que l’on doit croire.

2. Dans les sciences qui se sont organisées d’une manière humaine, il s’est fait un accroissement au cours des temps à cause du défaut de connaissance chez les premiers qui inventèrent les sciences, d’après Aristote. Mais l’enseignement de la foi n’est pas d’invention humaine, il est de tradition divine, c’est " un don de Dieu ", dit l’Apôtre (Ep 2, 8). Comme aucun défaut de connaissance n’est imputable à Dieu, il semble donc que, dès le principe, la connaissance des choses à croire ait été parfaite et qu’elle n’a pas augmenté au cours des temps.

3. Les œuvres de la grâce ne se font pas avec moins d’ordre que celles de la nature. Or la nature commence toujours par le parfait ; c’est l’opinion de Boèce. Il semble donc que la grâce ait été parfaite dès le début, de sorte que ceux qui les premiers ont transmis la foi en ont eu la connaissance la plus parfaite.

4. De même que la foi du Christ est venue par les Apôtres jusqu’à nous, de même aussi dans l’Ancien Testament la connaissance de la foi est venue par les Pères des premiers âges vers ceux qui ont vécu ensuite. " Interroge ton père et il t’instruira ", dit le Deutéronome (32, 7). Mais les Apôtres furent très pleinement instruits des mystères : de même qu’ils reçurent " avant les autres dans le temps, ainsi reçurent-ils plus abondamment que tous les autres ". Telle est l’interprétation de la Glose sur l’épître aux Romains (8,23) : " C’est nous qui avons les prémices de l’Esprit. " Il semble donc que la connaissance des choses à croire n’ait pas progressé avec le temps.

En sens contraire, S. Grégoire affirme : " La science des saints Pères a grandi avec le temps, et ils aperçurent les mystères du salut avec d’autant plus de plénitude qu’ils furent plus voisins de l’avènement du Sauveur. "

Réponse :

Les articles de foi tiennent dans la doctrine de foi le même rôle que les principes évidents par eux-mêmes dans la doctrine qui se construit à partir de la raison naturelle. Dans ces principes il y a un ordre : il arrive que certains d’entre eux soient implicitement contenus en d’autres, de même que tous se ramènent à celui-ci comme au premier : " Il est impossible de dire ensemble le oui et le non ", montre le Philosophe. Pareillement, tous les articles sont implicitement contenus dans quelques premières vérités à croire, c’est-à-dire que tout se ramène à croire que Dieu existe et qu’il pourvoit au salut des hommes, comme dit l’Apôtre (He 11, 6) : " Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il assure la récompense à ceux qui le cherchent. " En effet, dans l’Être divin sont incluses toutes les choses que nous croyons exister en Dieu éternellement, et dans lesquelles consiste notre béatitude ; et dans la foi à la Providence sont inclus tous les biens que Dieu dispense dans le temps pour le salut des hommes, biens qui sont le chemin vers la béatitude. Et de cette manière encore, parmi les autres articles, certains sont contenus dans d’autres ; ainsi dans la foi à la rédemption de l’humanité se trouvent implicitement contenues et l’incarnation du Christ et sa passion, etc. - Il faut donc affirmer ceci. Quant à la substance des articles de foi, la suite des temps ne les a pas augmentés, car tout ce que leurs successeurs ont cru était contenu dans la foi des Pères qui les avaient précédés, quoique ce fût de manière implicite. Mais quant à leur explicitation, les articles ont augmenté en nombre ; certaines vérités furent explicitement connues par les derniers Pères, qui ne l’étaient pas par les premiers. D’où cette parole du Seigneur à Moïse (Ex 6, 2) : " Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac., le Dieu de Jacob ; mais mon nom de Yahvé, je ne le leur ai pas révélé. " Et ce mot de David (Ps 119, 100) : " J’ai compris mieux que les anciens. " C’est ce que dit l’Apôtre (Ep 3, 5) : " Le mystère du Christ n’a pas été communiqué aux autres générations comme il est maintenant révélé à ceux qui en sont les saints apôtres et prophètes. "

Solutions :

1. Les hommes ont toujours espéré recevoir du Christ les mêmes biens. Cependant, comme ils n’ont réalisé de telles espérances que par le Christ, plus ils furent éloignés de lui dans le temps, plus ils furent éloignés de la réalisation de ces espérances. D’où cette parole de l’Apôtre (He 11, 13) : " Ils moururent tous dans la foi sans avoir reçu l’effet des promesses, mais le voyant de loin. " On voit une chose d’autant moins distinctement qu’on la voit de plus loin. Voilà pourquoi ces biens que nous devons espérer, ceux qui ont été plus proches de l’avènement du Christ les ont connus plus distinctement.

2. Le progrès dans la connaissance se réalise de deux façons. Il se réalise chez l’enseignant si celui-ci avance effectivement dans la connaissance, soit à lui seul, soit à plusieurs dans la succession des temps ; et c’est de cette façon que progressent les sciences découvertes par la raison humaine. Le progrès se réalise aussi chez l’enseigné : un maître qui connaît tout son métier ne le transmet pas d’un trait dès le début à son disciple, parce que celui-ci ne pourrait pas le saisir ; il le transmet peu à peu en condescendant à la capacité du disciple. C’est selon ce plan que les hommes ont progressé dans la connaissance de foi par la suite des temps : aussi l’Apôtre compare-t-il à une enfance l’état de l’Ancien Testament (Ga 3, 24).

3. Pour la génération naturelle, deux causes sont exigées d’avance, l’agent et la matière. Dans l’ordre de la cause agissante, il est exact que ce qui est premier par nature, c’est le plus parfait, et à cet égard la nature débute par le parfait, car l’imparfait n’est conduit à la perfection que par ce qui préexiste à l’état parfait. En revanche, dans l’ordre de la cause matérielle, ce qui est premier, c’est ce qui est plus imparfait, et ainsi la nature va de l’imparfait au parfait. Or, dans la révélation de la foi, Dieu est comme un agent, puisqu’il possède de toute éternité une science parfaite l’homme est comme la matière recevant l’influx du Dieu agent. Et c’est pourquoi il a fallu que la connaissance de foi avance de l’imparfait a parfait parmi les hommes. Il est vrai que certain d’entre eux ont bien rempli un rôle de cause agissante, puisqu’ils furent docteurs de la foi. Cependant " la révélation de l’Esprit est donnée à de tels hommes, dit l’Apôtre pour l’utilité de tous " (1 Co 12, 7). Et c’est pourquoi, aux Pères qui étaient fondateurs de la foi, il était donné autant de connaissance de foi qu’il devait en être transmis au peuple de ce temps-là, soit ouvertement soit en figure.

L’ultime consommation de la grâce a été accomplie par le Christ ; aussi le temps du Christ est-il appelé " le temps de la plénitude " (Ga 4, 4). C’est pourquoi ceux qui ont été plus proches du Christ, soit avant lui, comme Jean Baptiste, soit après lui comme les Apôtres, ont connu plus pleinement les mystères de la foi 18. C’est ainsi qu’en ce qui concerne l’état de l’homme, nous voyons que la perfection est dans la jeunesse et qu’on se maintient, soit avant soit après, dans un état d’autant plus parfait qu’on est plus près de sa jeunesse.

 

            Article 8 — Le nombre des articles de foi

Objections :

1. Il semble qu’il ne convienne pas d’énumérer ainsi les articles de foi. Car, on l’a dit, ce qui peut être su par des raisons vraiment démonstratives n’appartient pas à la foi au point d’être pour tous un objet à croire. Mais l’existence d’un seul Dieu, c’est une chose qui peut être sue par démonstration : le Philosophe le prouve, et beaucoup d’autres philosophes l’ont démontré. On ne doit donc pas compter comme un article de foi l’existence d’un Dieu unique.

2. Autant la foi nous oblige à croire que Dieu est tout-puissant, autant elle nous oblige à croire qu’il sait tout et pourvoit à tout ; du reste, sur ces deux points, certains sont tombés dans l’erreur. Parmi les articles de foi, on aurait dû par conséquent faire mention de la sagesse et de la providence divine comme de sa toute-puissance.

3. Avoir la notion du Père c’est avoir celle du Fils. Il est écrit en S. Jean (14, 9) : " Qui me voit voit aussi le Père. " Il ne doit donc y avoir qu’un seul article sur le Père et sur le Fils, et, pour la même raison, sur le Saint-Esprit.

4. La personne du Père n’est pas moindre que celle du Fils ni que celle du Saint-Esprit. Mais il y a plusieurs articles sur la personne du Saint-Esprit, et plusieurs pareillement sur la personne du Fils. On doit donc en mettre plusieurs sur la personne du Père.

5. Si quelque chose est appropriés à la personne du Père et quelque chose à la personne du Saint-Esprit, quelque chose doit l’être aussi à celle du Fils dans sa divinité. On trouve bien dans les articles une œuvre appropriée au Père, c’est celle de la création ; et, semblablement, une œuvre appropriée au Saint-Esprit, c’est : " Il a parlé par les Prophètes. " Parmi ces articles de la foi il doit donc y avoir aussi une œuvre qui soit appropriée au Fils dans sa divinité.

6. Le sacrement de l’eucharistie présente une difficulté spéciale, plus que beaucoup d’articles. On devrait donc faire à son sujet un article spécial. Il ne semble donc pas que le nombre des articles soit suffisant.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Église qui les énumère ainsi.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, ce qui concerne essentiellement la foi, ce sont les choses que nous jouirons de voir dans la vie éternelle, et celles par lesquelles nous y sommes conduits. Or, deux réalités nous sont proposées à voir : le secret de la divinité, dont la vision nous rend bienheureux ; et le mystère de l’humanité du Christ, par lequel " nous avons accès à la gloire des enfants de Dieu ", dit l’Apôtre (Rm 5, 2). Aussi lit-on en S. Jean (17, 3) : " La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le Dieu véritable, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. " C’est pourquoi, parmi les vérités à croire, il faut distinguer d’abord celles qui concernent la majesté divine, et ensuite celles qui ressortissent au mystère de l’humanité du Christ, qui est " le sacrement de la religion " (1 Tm 3, 16).

Sur la majesté de la divinité, on nous propose trois vérités à croire : 1° L’unité de la divinité (premier article) ; 2° La trinité des personnes (trois articles pour les trois personnes) ; 3° Enfin les œuvres propres à la divinité. La première concerne l’existence de la nature ; ainsi nous est proposé l’article de la création. La deuxième concerne l’existence de la grâce, et ainsi nous est proposé dans un seul article tout ce qui intéresse la sanctification de l’homme. La troisième concerne l’existence dans la gloire, et ainsi nous est proposé un autre article sur la résurrection de la chair et la vie éternelle. Il y a ainsi sept articles se rapportant à la divinité.

Semblablement, sept articles sont consacrés à l’humanité du Christ. Le premier sur l’incarnation, ou conception du Christ, le deuxième sur sa naissance de la Vierge, le troisième sur sa passion, sa mort et sa sépulture, le quatrième sur sa descente aux enfers, le cinquième sur la résurrection, le sixième sur l’ascension, le septième sur son retour pour le jugement. Ce qui fait en tout quatorze articles.

Certains, cependant, distinguent douze articles de foi : six pour la divinité et six pour l’humanité. Ils ramassent en un seul les trois articles sur les trois personnes, parce que nous en avons la même connaissance. En revanche, ils distinguent l’article sur notre glorification en deux articles, l’un sur la résurrection de la chair, l’autre sur la gloire de l’âme. De même, ils rassemblent en un seul l’article de la Conception et celui de la Nativité.

Solutions :

1. Par la foi nous tenons de Dieu beaucoup de choses que les philosophes n’ont pas pu découvrir par la raison naturelle, par exemple en ce qui concerne la providence de Dieu et sa toute-puissance, et ceci que lui seul doive être adoré. C’est tout cela qui est contenu dans l’article de l’unité de Dieu.

2. Le nom même de Dieu, nous l’avons remarqué dans la première Partie, implique l’idée de la providence. La puissance, chez ceux qui ont l’intelligence, ne s’exerce que selon la volonté et la connaissance. Et c’est pourquoi la toute puissance de Dieu inclut d’une certaine manière la science et la providence, car il ne pourrait pas faire en ce bas monde tout ce qu’il voudrait s’il ne connaissait les choses et n’en avait la providence.

La connaissance du Père, du Fils et Saint-Esprit est unique pour ce qui est de l’unit de leur essence, et c’est l’objet du premier article Quant à la distinction des personnes., comme elle se fait par leurs relations d’origine, la connaissance du Père inclut d’une certaine manière celle du Fils : il ne serait pas le Père s’il n’avait le Fils, et leur lien est l’Esprit Saint. A cet égard, ceux qui ont fait pour les trois Personnes un seul article ont eu raison. Mais, comme on doit veiller en ce qui concerne chacune des personnes, à quelques points autour desquels il arrive qu’il y ait erreur, on peut faire au sujet des trois Personnes trois articles. Arius, en effet, a cru le Père tout-puissant et éternel, mais il n’a pas cru le Fils égal et consubstantiel au Père, et à cause de cela on a dû apposer un article sur la personne du Fils afin que ce point soit bien défini. Et, pour la même raison, contre Macedonius on a dû poser un troisième article touchant la personne de l’Esprit Saint. - De même pour la conception et la naissance du Christ, et aussi la résurrection et la vie éternelle. Ces mystères peuvent être compris selon un aspect dans un seul article, en tant qu’ils sont ordonnés à une seule chose ; et selon un autre aspect, ils peuvent être distincts, en tant qu’ils présentent séparément des difficultés spéciales.

Il convient au Fils et à l’Esprit Saint d’être envoyés pour la sanctification de la créature ; autour de cela se rencontrent plusieurs choses qu’on doit croire, et c’est pourquoi autour de la personne du Fils et de l’Esprit Saint les articles se sont multipliés en plus grand nombre qu’autour de la personne du Père qui, comme on l’a dit dans la première Partie, n’est jamais envoyé en mission.

5. La sanctification de la créature par la grâce et sa consommation par la gloire s’accomplit aussi bien par le don de la charité, approprié au Saint-Esprit, que par le don de la sagesse, approprié au Fils. C’est pourquoi l’une et l’autre œuvre, la grâce et la gloire, appartiennent par appropriation aussi bien au Fils qu’à l’Esprit sous des aspects divers.

6. Dans le sacrement de l’eucharistie on peut considérer deux choses. D’abord, qu’il y a là un sacrement, et que ses effets sont les mêmes que ceux de la grâce sanctifiante. Ensuite, qu’il y a là, miraculeusement contenu, le corps du Christ, et cela est compris dans la toute-puissance divine au même titre que tous les autres miracles attribués à cette toute-puissance.

 

            Article 9 — La transmission des articles de foi par le symbole

Objections :

1. Il semble malheureux de mettre les articles de foi dans un symbole. Car la Sainte Écriture est la règle de la foi, règle à laquelle il n’est permis ni d’ajouter ni de retrancher : " A la parole que je vous adresse, dit le Deutéronome (4, 2), vous n’ajouterez ni vous n’ôterez. " Il n’était donc plus permis de constituer un symbole qui fût une règle de foi, après que la Sainte Écriture eut été publiée.

2. Comme dit l’Apôtre (Ep 4, 5) : " La foi est une. " Mais le symbole est une profession de la foi. Il y a donc inconvénient à transmettre de multiples symboles.

3. La profession de foi qui est contenue dans le symbole concerne tous les fidèles. Or, il ne convient pas à tous les fidèles de croire " en Dieu " mais seulement à ceux qui ont la foi formée. Il ne convient donc pas que le symbole de la foi soit transmis avec cette formule : " je crois en un seul Dieu. "

4. La descente aux enfers est un des articles de foi. Or il n’en est pas fait mention dans le symbole de Nicée. Il semble donc que le recueil ne soit pas au point.

5. Comme le fait observer S. Augustin lorsqu’il explique cette parole (Jn 14, 1) : " Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi " : " Nous croyons Pierre ou Paul, mais il n’est jamais question que de croire en Dieu. " L’Église catholique étant purement quelque chose de créé, il semble donc Inconvenant de dire qu’on croit " en la sainte Église, une, catholique et apostolique ".

6. Un symbole est enseigné pour être la règle de la foi. Mais une règle de foi doit être proposée à tous et publiquement. Par conséquent, tous les symboles devraient être chantés à la messe, aussi bien que le symbole de Nicée. Il ne semble donc pas que la publication des articles de foi dans le symbole soit bien faite.

En sens contraire, l’Église universelle ne peut pas se tromper, gouvernée qu’elle est par l’Esprit Saint qui est l’Esprit de vérité ; car le Seigneur l’a promis à ses disciples en leur disant (Jn 16, 13) : " Lorsque sera venu cet Esprit de vérité, il vous enseignera toute vérité. " Mais quand un symbole est publié, c’est par l’autorité de l’Église universelle. Donc il n’y a rien en lui qui ne soit comme il faut.

Réponse :

L’Apôtre le dit bien (He 11, 6) : " Celui qui s’approche de Dieu doit croire. " Mais nul ne peut croire si la vérité qu’il doit croire ne lui est proposée. C’est pourquoi il a été nécessaire de recueillir en un tout la vérité de foi, afin qu’elle puisse être proposée à tous plus facilement et que personne ne reste éloigné de la foi par ignorance. Le mot de " symbole " vient de ce recueil des sentences de la foi.

Solutions :

1. La vérité de foi est contenue dans la Sainte Écriture d’une manière diffuse, sous des modes fort divers, et par endroits obscurs, à tel point que pour l’extraire de cette Écriture, il faut beaucoup d’études et d’efforts. Tous ceux à qui il est nécessaire de connaître la vérité de foi ne peuvent y parvenir, car la plupart d’entre eux, occupés à d’autres affaires, ne peuvent vaquer à l’étude. Voilà pourquoi il a été nécessaire de tirer des sentences de la Sainte Écriture un recueil concis et clair qu’on pourrait proposer à la foi de tous. Ce n’est aucunement ajouté à la Sainte Écriture, bien plutôt c’en est tiré.

Tous les symboles enseignent la même vérité de foi. Mais il faut instruire le peuple avec plus de soin chaque fois que des erreurs surgissent, si l’on veut que la foi des simples ne soit pas ruinée par les hérétiques. Telle est la cause qui a rendu nécessaire la publication de plusieurs symboles. Ils ne diffèrent en rien sinon que l’un explique plus pleinement ce que l’autre contient implicitement, suivant que l’exigeait l’obstination des hérétiques.

3. La profession de foi est transmise dans le symbole par toute l’Église comme si celle-ci formait une seule personne, laquelle est une par la foi. Or la foi de cette Église, c’est la foi formée, car telle est celle que l’on rencontre chez ceux qui sont de l’Église par le nombre et par le mérite. C’est pourquoi la profession de foi dans le symbole est livrée comme il sied à la foi formée. On veut dire aussi par là que, s’il y a des fidèles qui n’ont pas cette foi, ils s’efforcent d’y atteindre.

4. Au sujet de la descente aux enfers, aucune erreur ne s’était levée chez les hérétiques. C’est pourquoi il n’avait pas été nécessaire de fournir sur ce point une explication, et à cause de cela, l’article n’est pas réitéré dans le symbole de Nicée. Mais il est toujours supposé comme étant déjà défini dans le symbole des Apôtres. Le symbole suivant n’abolit pas le précédent, mais l’éclaire plutôt, nous venons de le dire.

5. Lorsqu’on dit " en la sainte Église catholique " on doit l’entendre en ce sens que notre foi se réfère à l’Esprit Saint qui sanctifie l’Église. On veut dire : " je crois en l’Esprit Saint sanctifiant son Église. " Mais il est préférable, et d’un usage plus général, de ne pas mettre là le mot " en " et de dire simplement : " la sainte Église catholique ", comme fait aussi le pape S. Léoni.

6. Le symbole de Nicée développe celui des Apôtres. En outre il a été composé lorsque la foi se manifestait au grand jour et que l’Église jouissait de la paix. C’est pourquoi on le chante solennellement à la messe. Le symbole des Apôtres fut composé à l’époque des persécutions, lorsque la foi se cachait encore. C’est pourquoi on le récite silencieusement à Prime et à Complies, comme pour repousser les ténèbres des erreurs passées et futures.

 

            Article 10 — A qui appartient-il d’établir le symbole de foi ?

Objections :

1. Il semble que cela ne soit pas du ressort du souverain pontife. Car, si une nouvelle présentation du symbole est nécessaire, c’est pour expliciter les articles de foi, nous venons de le dire. Or si, dans l’Ancien Testament, les articles de la foi s’explicitaient de plus en plus, c’est parce que la vérité de la foi se manifestait davantage à mesure qu’on approchait davantage du Christ, nous l’avons dit. Un tel motif n’existe plus dans la loi nouvelle : les articles de la foi n’ont donc pas à recevoir de plus en plus d’explications. Il ne semble donc pas que le souverain pontife ai autorité pour une nouvelle présentation d symbole.

2. Ce qui est interdit sous peine d’anathème par l’Église universelle n’est au pouvoir d’aucun homme. Mais l’autorité de l’Église universelle interdit sous peine d’anathème de publier un nouveau symbole. Nous lisons en effet dans le actes du premier concile d’Éphèse que ce Concile " après avoir entendu la lecture du symbole de Nicée, décréta qu’il n’était permis à personne de proférer, de consigner ou de composer une autre profession de foi que celle définie par les saints Pères qui se sont assemblés à Nicée avec le Saint-Esprit ". Suit la menace d’anathème. La même chose est réitérée dans les actes du Concile de Chalcédoine. Donc une nouvelle présentation du symbole échappe, semble-t-il, à l’autorité du souverain pontife.

3. S. Athanase n’était pas souverain pontife, mais patriarche d’Alexandrie. Pourtant il a composé un symbole qui est chanté dans l’Église. Donc la publication d’un symbole ne paraît pas appartenir au souverain pontife plus qu’à d’autres.

En sens contraire, la publication du symbole s’est faite en concile général. Mais il est établi dans les Décrétales qu’un concile de cette sorte ne peut être réuni que par l’autorité du souverain pontife.

Donc la publication du symbole relève de cette autorité.

Réponse :

Une publication nouvelle du symbole est nécessaire, avons-nous dit, pour parer aux erreurs qui surgissent. Elle appartient donc à celui qui a autorité pour définir en dernier ressort ce qui est de foi, et le définir de telle sorte que tous n’aient plus qu’à s’y tenir d’une foi inébranlable. Or, c’est le souverain pontife qui a autorité pour cela : " C’est à lui que sont portées les questions les plus graves et les plus difficiles de l’Église ", disent les Décrétales. D’où la parole du Seigneur à Pierre lorsqu’il l’a constitué souverain pontife : " J’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas, et toi, une fois revenu, confirme tes frères " (Lc 22, 32). La raison en est qu’il ne doit y avoi qu’une seule foi dans toute l’Église, suivant 1a recommandation de l’Apôtre (1 Co 1, 10) : " Dite bien tous la même chose, et qu’il n’y ait pas de schismes parmi vous. " Une pareille unité ne pourrait être sauvegardée si une question de foi soulevée en matière de foi ne pouvait être tranchée par celui qui préside à toute l’Église, de telle sorte que toute l’Église observe fermement sa sentence. C’est pourquoi seul le souverain pontife a autorité pour une nouvelle publication du symbole, comme peur toutes les autres choses qui intéressent l’Église entière, par exemple réunir un concile général, etc.

Solutions :

1. Dans l’enseignement du Christ et des Apôtres, la vérité de foi se trouve suffisamment expliquée. Mais, parce qu’il s’est trouvé des hommes pervers qui, selon le mot de S. Pierre (2 P 3, 16), " détournent de leur sens pour leur propre perdition " l’enseignement apostolique, les autres enseignements et les Écritures, un éclaircissement de la foi est devenu nécessaire au cours des temps contre les erreurs nouvelles.

2. L’interdiction et la sentence du concile d’Éphèse ne s’étendent qu’aux personnes privées qui n’ont pas à trancher en matière de foi. Il est clair que cette sentence d’un concile général n’a pas enlevé au concile suivant le pouvoir de faire une nouvelle présentation du symbole qui contiendrait non une autre foi, mais la même foi. C’est à cela qu’ont veillé tous les conciles : le suivant a toujours eu soin d’exposer quelque chose de plus que le précédent, sous le coup de quelque hérésie nouvelle. Et cela relève du souverain pontife, puisqu’il faut son autorité pour réunir un concile et pour en confirmer les décisions.

3. S. Athanase n’avait pas composé un éclaircissement de la foi par manière de symbole, mais plutôt par manière d’enseignement doctrinal, comme on le voit à la façon dont il s’exprime. Mais parce que son exposé doctrinal contenait intégralement en peu de mots la vérité de foi, l’autorité du souverain pontife l’a fait recevoir comme règle de foi.

L’ACTE DE FOI

Il faut maintenant considérer l’acte de foi : 1° Dans ce qu’il a d’intérieur (Q. 2) ; 2° dans ce qu’il a d’extérieur (Q. 3).

 

 

QUESTION 2 — L’ACTE INTÉRIEUR DE FOI

1. Qu’est-ce que " croire ", qui est l’acte intérieur de foi ? - 2. De combien de manières emploie-t-on le mot " croire " ? - 3. Est-il nécessaire au salut de croire quelque chose qui dépasse la raison naturelle ? - 4. Est-il nécessaire de croire ce que peut atteindre la raison naturelle ? - 5. Est-il nécessaire au salut de croire explicitement certaines vérités ? - 6. Tous sont-ils également tenus de croire explicitement ? - 7. Est-il toujours nécessaire au salut de croire explicitement au Christ ? - 8. Est-il nécessaire au salut de croire explicitement à la Trinité ? - 9. L’acte de foi est-il méritoire ? - 10. La raison humaine diminue-t-elle le mérite de la foi ?

 

            Article 1 — Qu’est-ce que " croire ", qui est l’acte intérieur de foi ?

Objections :

1. On a défini croire : " Réfléchir en donnant son assentiments. " Mais réfléchir implique une certaine recherche, car réfléchir (cogitare) se dit au sens d’agiter plusieurs pensées. Mais S. Jean Damascène a dit que la foi " est un consentement sans discussion ". Donc réfléchir n’appartient pas à l’acte de foi.

2. Nous le dirons plus loin : la foi réside dans la raison. Mais l’acte de réfléchir est l’acte de la puissance cogitative qui, comme nous l’avons dit dans la première Partiec, appartient à l’appétit sensible. Elle n’a donc rien de commun avec la foi.

3. Croire est un acte de l’intelligence, puisqu’il a pour objet le vrai. Or, donner son assentiment n’est pas, semble-t-il, un acte de l’intelligence, mais de la volonté, comme celui de donner son consentement que nous avons étudié plus haut. Croire n’est donc pas l’acte de réfléchir en donnant son assentiment.

En sens contraire, S. Augustin définit ainsi l’acte de croire.

Réponse :

Réfléchir peut se prendre en trois sens. D’abord d’une façon tout à fait générale, dans le sens de n’importe quelle application actuelle de la pensée, comme S. Augustin dit : " Nous possédons cette intelligence par laquelle nous comprenons en réfléchissant. " D’une autre façon, on appelle plus proprement réfléchir l’application d’esprit qui s’accompagne d’une certaine recherche avant qu’on soit parvenu à une parfaite intelligence des choses par la certitude que procure la vision. C’est ce qui fait dire à S. Augustin : " Le Fils de Dieu est appelé non pas la réflexion mais le Verbe de Dieu, car c’est seulement lorsque notre réflexion parvient au savoir et qu’à partir de là elle est formée, qu’elle constitue vraiment notre verbe. Et c’est pourquoi le Verbe de Dieu doit s’entendre sans la réflexion, n’ayant rien en lui qui soit encore en formation et puisse être sans forme. " Ainsi, on donne proprement le nom de réflexion au mouvement de l’esprit lorsqu’il délibère sans être encore arrivé à son point de perfection par la pleine vision de la vérité. Mais cette sorte de mouvement peut être soit d’un esprit qui délibère à propos d’idées générales, ce qui ressortit à l’intelligence, soit d’un esprit qui délibère à propos d’idées particulières, ce qui ressortit à la faculté sensible. Voilà comment réfléchir est pris d’une deuxième façon pour l’acte de l’intelligence lorsqu’elle délibère ; d’une troisième façon pour l’acte de la faculté cogitative.

D’après cela, si l’on prend l’acte de réfléchir dans son acception commune selon la première manière, lorsqu’on dit " réfléchir en donnant son assentiment ", on ne dit pas totalement ce qui fait l’acte de croire, car, dans ce sens, même celui qui considère les choses dont il a la science ou l’intelligence réfléchit avec assentiment. En revanche, si l’on prend l’acte de réfléchir dans le deuxième sens, on y saisit toute la définition de cet acte précis qui consiste à croire. Parmi les actes de l’intelligence, en effet, certains comportent une adhésion ferme sans cette espèce de réflexion, comme il arrive quand on considère les choses dont on a la science ou l’intelligence, car une telle considération est désormais formée. Mais certains actes de l’intelligence comportent une réflexion informe et sans adhésion ferme, soit qu’ils ne penchent d’aucun côté, comme il arrive à celui qui doute ; soit qu’ils penchent davantage d’un côté mais sont retenus par quelque léger indice, comme il arrive à celui qui a un soupçon ; soit qu’ils adhèrent à un parti en craignant cependant que l’autre ne soit vrai, comme il arrive à qui se fait une opinion. Mais cet acte qui consiste à croire contient la ferme adhésion à un parti ; en cela le croyant se rencontre avec celui qui a la science et avec celui qui a l’intelligence ; et cependant sa connaissance n’est pas dans l’état parfait que procure la vision évidente ; en cela il se rencontre avec l’homme qui est dans le doute, dans le soupçon ou dans l’opinion. De sorte que c’est bien le propre du croyant de réfléchir en donnant son assentiment. Et c’est par là que cet acte de croire se distingue de tous les actes de l’intelligence concernant le vrai ou le faux.

Solutions :

1. Il n’y a pas à l’intérieur de la foi une recherche de la raison naturelle pour démontrer ce que l’on croit. Mais il y a une recherche de ce qui peut amener l’homme à croire : par exemple parce que Dieu l’a dit, et que c’est confirmé par des miracles.

2. Nous ne prenons pas ici l’acte de réfléchir comme un acte de la faculté cogitative, mais comme un acte de l’intelligence, nous venons de le dire.

3. L’intelligence du croyant est déterminée à une chose non par la raison mais par la volonté. Et c’est pourquoi l’assentiment est pris ici pour un acte de l’intelligence en tant qu’elle est déterminée par la volonté à un seul parti.

 

            Article 2 — De combien de manières emploie-t-on le mot " croire " ?

Objections :

1. Il semble illogique de distinguer l’acte de foi entre " croire Dieu ", " croire en Dieu " et " croire à Dieu ". Car un seul habitus n’a qu’un seul acte. Mais la foi est un seul habitus, puisqu’elle est une seule vertu. Il est donc illogique de lui attribuer plusieurs actes.

2. Ce qui est commun à tout acte de foi ne doit pas être posé comme un acte de foi particulier. Or croire Dieu se retrouve communément dans tous les actes de foi, puisque cette foi s’appuie sur la vérité première. Il ne convient donc pas, semble-t-il, de distinguer cela de certains autres actes de la foi.

3. Ce qui convient même à des infidèles ne peut être compté comme un acte de foi. Mais croire que Dieu existe convient même aux infidèles. Donc on ne doit pas compter cela parmi les actes de foi.

4. Le fait de se porter vers une fin appartient à la volonté qui a pour objet le bien et la fin. Mais croire n’est pas un acte de la volonté, c’est un acte de l’intelligence. Donc, on ne doit pas faire de " croire en Dieu " qui implique mouvement vers une fin, une espèce particulière de l’acte de croire.

En sens contraire, cette distinction est de S. Augustin.

Réponse :

L’acte d’une puissance ou d’un habitus dépend toujours de l’adaptation de la puissance ou de l’habitus à son objet. Or l’objet de la foi peut se présenter de trois façons. Croire, on vient de le dire, appartient à l’intelligence en tant qu’elle est portée par la volonté à donner son adhésion ; aussi l’objet de foi peut-il se prendre soit du côté de l’intelligence elle-même, soit du côté de la volonté qui la meut. Si on le prend du côté de l’intelligence, on peut voir dans l’objet de foi deux choses, selon ce que nous avons dit plus haut. De ces deux choses, l’une est objet matériel de la foi, et à ce point de vue l’acte de la foi consiste à " croire à Dieu " (Credere Deo) puisque rien ne nous est proposé à croire, avons-nous dit, si ce n’est dans la mesure où cela concerne Dieu. L’autre est la raison formelle de l’objet ; c’est comme le moyen à cause de quoi l’on adhère effectivement à telle et telle chose parmi les réalités à croire et à cet égard l’acte de la foi consiste à " croire Dieu " (Credere Deum) : car, avons-nous dit, l’objet formel de la foi c’est la vérité première, et c’est à elle que l’on s’attache pour adhérer par elle à ce qu’on croit. Enfin, si l’on regarde l’objet de foi de la troisième manière, en tant que l’intelligence est mue par la volonté, alors c’est " croire en Dieu " (Credere in Deum), qui est l’acte de la foi ; car la vérité première se réfère au vouloir en tant qu’elle s’offre comme une fin.

Solutions :

1. Par ces trois expressions, nous ne désignons pas divers actes de la foi, mais un seul et même acte ayant diverses relations avec l’objet de la foi.

2. Cela répond encore à la deuxième objection.

3. Croire à Dieu ne se trouve pas chez les infidèles sous l’aspect où nous en faisons l’acte de la foi. Ils ne croient pas que Dieu existe dans ces conditions que détermine la foi. Aussi n’est-ce pas vraiment à Dieu qu’ils croient puisque, selon la remarque du Philosophe, en face d’un être simple notre connaissance est en défaut du seul fait qu’elle n’atteint pas cet être en sa totalité.

4. Comme nous l’avons dit, la volonté meut l’intellect et les autres puissances de l’âme vers sa fin. Et c’est à ce titre que croire en Dieu est donné comme un acte de la foi.

 

            Article 3 — Est-il nécessaire au salut de croire quelque chose qui dépasse la raison naturelle ?

Objections :

1. Il semble que croire ne soit pas nécessaire au salut, car pour son salut et pour sa perfection un être peut toujours se suffire avec ce qui lui convient selon sa nature. Mais ce qui est de foi dépasse la raison naturelle de l’homme puisque c’est ce qui ne se voit pas, nous l’avons dit. Croire ne semble donc pas nécessaire au salut.

2. Il est même dangereux pour l’homme d’adhérer quand il ne peut juger si ce qu’on lui propose est vrai ou faux. Il est dit au livre de Job (12, 11) : " L’oreille ne juge-t-elle pas les discours qu’elle entend ? " Or on ne peut avoir un tel jugement dans ce qui est de foi, puisqu’on ne peut le résoudre dans les premiers principes par lesquels nous jugeons de tout. Il est donc périlleux de prêter foi à de telles choses et croire n’est donc pas nécessaire au salut.

3. Le salut de l’homme réside en Dieu selon le Psaume (37, 39) : " Le salut des justes vient du Seigneur. " Mais " ce qu’il y a d’invisible en Dieu se découvre à la pensée par ce qu’il a fait, même son éternelle puissance et sa divinité ", dit l’Apôtre (Rm 1, 20. Or ce qui se découvre à la pensée, on n’a pas à le croire. Il n’est donc pas nécessaire au salut que l’homme croie certaines choses.

En sens contraire, l’épître aux Hébreux (10, 6) dit formellement : " Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu. "

Réponse :

Partout où des natures forment entre elles un ordre, on trouve que deux choses concourent à la perfection de la nature inférieure d’une part que cette nature agisse selon son propre mouvement, et d’autre part queue agisse selon la motion de la nature supérieure. Ainsi l’eau, selon son propre mouvement, gravite vers le centre de la terre ; mais elle a autour de ce centre un mouvement de flux et de reflux qui suit le mouvement de la lune. De même, les planètes dans leurs orbites sont emportées par leurs propres mouvements de l’occident vers l’orient, mais de l’orient vers l’occident par le mouvement du premier ciel. Or, dans la création, la nature raisonnable seule est immédiatement ordonnée à Dieu. Car les autres créatures n’atteignent pas à un effet universel, mais uniquement à un effet particulier ; elles participent de la perfection de Dieu soit par le seul fait d’exister, comme les êtres inanimés, soit en outre par celui de vivre et de connaître les singuliers comme font les plantes et les animaux. La nature raisonnable au contraire, en tant qu’elle connaît la raison universelle de bien et d’être, se trouve ordonnée immédiatement au principe universel de l’existence. La perfection de la créature douée de raison consiste donc, non pas seulement en ce qui convient à cette créature selon sa nature, mais aussi en ce qui lui est accordé par une certaine perfection surnaturelle venant de la bonté divine. Aussi avons-nous dit plus haut que l’ultime béatitude de l’homme consiste dans une vision surnaturelle de Dieu. A cette vision il est sûr que l’homme ne peut parvenir s’il ne se met à apprendre à l’école même de Dieu, selon ce texte en S. Jean (6, 45) : " Quiconque prête l’oreille au Père et a reçu son enseignement vient à moi. " Mais l’homme n’entre pas tout d’un coup dans cet enseignement, mais progressivement, selon le mode de sa nature. Quiconque, d’ailleurs, se met à apprendre ainsi doit nécessairement commencer par croire, pour se trouver en état de parvenir à la science parfaite ; le Philosophe le dit : " Si l’on veut apprendre il faut croire. " De là vient que, pour être en état de parvenir à la vision parfaite de la béatitude, l’homme doit auparavant croire Dieu, comme un disciple croit le maître qui l’enseigne.

Solutions :

1. Parce que la nature humaine dépend d’une nature supérieure, la connaissance naturelle ne suffit pas à notre perfection, on vient de le dire.

2. De même qu’on adhère aux principes par la lumière naturelle de l’intelligence, de même l’homme vertueux possède par l’habitus de la vertu un jugement droit sur ce qui s’y rapporte. C’est de cette façon, par une lumière de foi divinement infuse en lui, que l’homme adhère à ce qui est de foi et non à ce qui lui est contraire. C’est pourquoi il n’y a pas de péril " ni de damnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus " (Rm 8, 1) : lui-même les éclaire par la foi.

3. La foi perçoit les attributs invisibles de Dieu d’une façon plus élevée et en plus grand nombre que ne fait la raison naturelle lorsqu’elle remonte des créatures à Dieu. D’où cette parole de l’Ecclésiastique (3, 23) : " On t’a montré beaucoup plus de choses que l’intelligence humaine n’en peut comprendre. "

 

            Article 4 — Est-il nécessaire de croire ce que peut atteindre la raison naturelle ?

Objections :

1. Apparemment ce n’est pas nécessaire, car dans les œuvres de Dieu on ne trouve rien de superflu, beaucoup moins que dans les œuvres de la nature. Mais, lorsqu’une chose peut se faire par un seul moyen, il est superflu d’en ajouter un autre. Il serait donc superflu de recevoir par le moyen de la foi ce qui peut être connu par la raison naturelle.

2. Il est nécessaire de croire ce qui est du domaine de la foi. Mais la science et la foi n’ont pas le même objet, nous l’avons établi plus haut. Comme la science s’occupe de tout ce qui peut être connu par la raison naturelle, il semble qu’il n’y ait pas besoin de croire ce que la raison naturelle peut prouver.

3. Tout ce qui peut être objet de science semble l’être au même titre. Donc, si certaines de ces vérités sont proposées à l’homme comme des vérités à croire, à titre égal il deviendrait nécessaire de croire tout ce qui relève de la science. Or cela est faux. Il n’est donc pas vrai qu’il soit nécessaire de croire ce qui peut être connu par la raison naturelle.

En sens contraire, il est nécessaire de croire que Dieu est unique, n’a pas de corps, ce que les philosophes prouvent par la raison naturelle.

Réponse :

Il est nécessaire à l’homme de recevoir par la foi, non seulement des vérités qui dépassent la raison, mais aussi des vérités connaissables par la raison. Et ceci pour trois motifs.

1° Afin que l’homme parvienne plus vite à la connaissance de la vérité divine. Car la science à laquelle il appartient de prouver que Dieu existe, et d’autres choses du même genre au sujet de Dieu, est proposée aux hommes en dernier lieu, beaucoup d’autres sciences étant présupposées. Ainsi ce serait seulement très tard dans sa vie que l’homme parviendrait à la connaissance de Dieu.

2° Afin que la connaissance de Dieu soit plus répandue. Beaucoup en effet ne peuvent progresser dans l’étude de la science, soit parce qu’ils ont l’esprit lent, soit parce qu’ils sont pris par d’autres occupations et par les nécessités de la vie temporelle, soit encore parce qu’ils n’ont pas le désir de s’instruire. Ces gens seraient entièrement privés de la connaissance de Dieu si les choses divines ne leur étaient proposées par mode de foi.

3° Pour avoir la certitude. La raison humaine est en effet très insuffisante en matière de réalités divines ; il y a de cela un indice dans le fait que les philosophes qui ont scruté les réalités humaines par une recherche rationnelle se sont trompés sur beaucoup de points et ont eu des opinions opposées. Donc pour qu’il y ait parmi les humains une connaissance sur Dieu qui soit indubitable et certaine, il fallait que les réalités divines leur soient transmises par mode de foi, comme étant dites par Dieu qui ne peut mentir.

Solutions :

1. Les investigations de la raison naturelle ne suffisent pas au genre humain pour connaître les choses divines, même en ce que la raison peut en montrer ; aussi n’est-il pas superflu de croire de telles choses.

2. La science et la foi n’ont pas le même domaine chez le même individu. Mais ce qui est su par l’une peut être cru par l’autre, nous l’avons dit plus haut.

3. Toutes les vérités qui peuvent être objet de science se rencontrent dans la raison de science, mais elles ne se rencontrent pas en ce qu’elles ordonneraient également à la béatitude. Et c’est pourquoi elles ne sont pas toutes proposées à titre égal comme des vérités à croire.

 

            Article 5 — Est-il nécessaire au salut de croire explicitement certaines vérités ?

Objections :

1. Il semble que non, car nul n’est tenu à ce qui n’est pas en son pouvoir. Mais croire quelque chose explicitement n’est pas au pouvoir de l’homme. En effet, l’Apôtre écrit (Rm 10, 14) : " Comment croiront-ils celui qu’ils n’ont pas entendu ? Comment entendront-ils si personne ne prêche ? Et comment prêchera-t-on si l’on n’est pas envoyé ? " On n’est donc pas tenu de croire quelque chose d’une manière explicite.

2. Nous sommes ordonnés à Dieu par la charité autant que par la foi. Mais on n’est pas tenu d’observer les préceptes de la charité, il suffit que l’esprit y soit préparé. C’est évident, par exemple, dans ce précepte du Seigneur qu’on lit en S. Matthieu (5, 39) : " Si quelqu’un t’a frappé sur une joue, tends-lui aussi l’autre " et dans d’autres semblables comme l’explique S. Augustin. On n’est donc pas tenu non plus de croire explicitement quelque chose, mais c’est assez que l’esprit soit prêt à croire ce qui est proposé par Dieu.

3. Le bien de la foi consiste dans une certaine obéissance, selon l’Apôtre (Rm 1, 5) qui parle de conduire à " l’obéissance de la foi tous les païens ". Mais la vertu d’obéissance ne requiert pas non plus qu’on observe des préceptes déterminés. Il suffit que l’on ait un esprit prêt à les garder, selon le Psaume (119, 60) : " je suis prêt, sans difficultés, à garder tes commandements. " Il semble donc suffisant pour la foi aussi d’avoir l’esprit prêt à croire toutes les vérités qui pourraient nous être divinement proposées, sans qu’on ait à croire explicitement aucune.

En sens contraire, il est écrit (He 11, 6) " Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe, et qu’il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent. "

Réponse :

Les préceptes de la loi qu’on est tenu de remplir portent sur les activités vertueuses qui sont le chemin pour parvenir au salut. Mais l’activité d’une vertu, nous l’avons dit, se mesure au rapport de l’habitus avec son objet. Or dans l’objet d’une vertu on peut considérer deux choses : ce qui constitue proprement et par soi l’objet de la vertu, ce qui est nécessaire en tout acte de vertu ; et en second lieu ce qui se présente par accident et comme conséquence par rapport à la raison propre de l’objet. Ainsi la force a pour objet proprement et par soi d’endurer les périls de mort et d’affronter dangereusement l’ennemi au péril de sa vie en vue du bien commun ; mais le fait même d’être sous les armes ou de tirer l’épée dans une guerre juste, etc. se ramène à l’objet de la force par accident. Donc l’application déterminée de l’activité vertueuse à ce qui est proprement et par soi l’objet de la vertu tombe sous la rigueur du précepte au même titre que l’acte même de la vertu. Mais l’application déterminée de l’activité vertueuse à ce qui se présente par accident et de façon secondaire à l’égard de l’objet propre et essentiel de la vertu ne tombe sous la rigueur du précepte que si c’est le lieu et le moment.

Il faut donc dire que l’objet de la foi est essentiellement ce qui rend l’homme bienheureux, comme nous l’avons dit antérieurement. Mais se rattache à l’objet de la vertu par accident et de façon secondaire tout ce qu’on trouve dans la Sainte Écriture que Dieu nous a donnée : par exemple qu’Abraham eut deux fils, que David fut fils de Jessé, etc. Donc, en ce qui regarde les premières vérités à croire, qui sont les articles de foi, on est tenu de les croire explicitement, de même qu’on est tenu d’avoir la foi. Quant aux autres vérités, on n’est pas tenu de les croire explicitement, mais seulement d’une manière implicite ou dans la disponibilité d’esprit : on est prêt à croire tout ce qui est contenu dans la divine Écriture. Mais lorsqu’on a reconnu que c’est contenu dans l’enseignement de la foi, alors seulement on est tenu de le croire explicitement.

Solutions :

1. Si l’on dit qu’une chose est au pouvoir de l’homme en dehors du secours de la grâce, alors on est tenu à beaucoup de choses dont on est incapable sans une grâce réparatrice, comme d’aimer Dieu et le prochain, et pareillement de croire les articles de foi. Cependant on le peut avec le secours de la grâce. Et ce secours, chaque fois que Dieu le donne, c’est par miséricorde ; mais lorsqu’il ne le donne pas, c’est par justice comme châtiment d’un péché qui a précédé, au moins le péché originel, selon S. Augustin.

2. On est tenu d’aimer de façon déterminée les êtres aimables qui sont proprement et par soi objets de la charité, c’est à dire Dieu et le prochain. Mais l’objection est valable dans le cas des préceptes de charité qui ne se rattachent à l’objet de la charité que par voie de conséquence.

3. La vertu d’obéissance réside dans la volonté. Aussi, pour faire acte d’obéissance, il suffit d’une promptitude de volonté à se soumettre à celui qui commande ; là est l’objet propre et essentiel de l’obéissance. Mais que l’on commande ceci ou cela, cela se rattache à l’objet propre et essentiel de l’obéissance par accident et par voie de conséquence.

 

            Article 6 — Tous sont-ils également tenus de croire explicitement ?

Objections :

1. Apparemment oui. Car tous sont également tenus à ce qui est de nécessité de salut ; on le voit bien pour les préceptes de la charité. Mais l’explicitation de ce que nous devons croire, on vient de le dire, est nécessaire au salut. Donc tous sont également tenus de croire explicitement.

2. Nul ne doit être examiné sur ce qu’il n’est pas tenu de croire explicitement. Mais parfois même les simples sont examinés sur les moindres articles de la foi. Donc tous sont tenus à croire tout explicitement.

3. Si les inférieurs ne sont pas tenus d’avoir une foi explicite, mais seulement une foi implicite, ils doivent avoir une foi explicite à la foi des supérieurs. Mais cela paraît dangereux, car il peut arriver que ces supérieurs se trompent. Donc il semble que même les inférieurs doivent avoir une foi explicite. Ainsi, donc tous sont également tenus de croire explicitement.

En sens contraire, on lit au livre de Job (1, 14) : " Les bœufs labouraient et près d’eux les ânesses paissaient. " Ce qui veut dire, d’après S. Grégoire, que les inférieurs, symbolisés par les ânes, doivent en matière de foi donner leur adhésion aux supérieurs, symbolisés par les bœufs.

Réponse :

Le développement explicite des vérités à croire se fait par révélation divine car les vérités à croire dépassent la raison naturelle. Mais on voit, chez Denys, que la révélation divine suit un certain ordre et parvient aux inférieurs par les supérieurs ; aux hommes par les anges, aux anges inférieurs par les anges plus grands. Pour une raison semblable, il faut que le développement de la foi chez les humains parvienne aux petits par les grands. C’est pourquoi, de même que les supérieurs ont une connaissance plus complète des réalités divines, toujours au dire de Denys’, de même ceux d’entre les hommes qui sont supérieurs, auxquels il appartient d’instruire les autres, sont tenus d’avoir une connaissance plus complète de ce que nous devons croire, et de croire plus explicitement.

Solutions :

1. Le développement explicite de ce qu’on doit croire n’est pas, d’une manière égale pour tous, nécessaire au salut ; car les supérieurs qui ont la charge d’instruire les autres, sont tenus de croire explicitement plus de choses que les autres.

2. Les simples n’ont pas à être examinés sur les subtilités de la foi, sauf quand il y a soupçon qu’ils aient été pervertis par les hérétiques, car c’est dans les subtilités de la foi que ceux-ci ont coutume de pervertir la foi des simples. Si cependant on ne trouve aucune opiniâtreté dans l’attachement de ces derniers à la doctrine altérée, si c’est par simplicité d’esprit qu’ils sont en défaut dans ces matières, il n’y a pas à leur en faire grief.

3. Les inférieurs n’ont une foi implicite dans la foi des supérieurs que dans la mesure où ceux-ci adhèrent à l’enseignement divin. D’où la parole de l’Apôtre (1 Co 4, 16) : " Soyez mes imitateurs comme je le suis moi-même du Christ. " Ce n’est donc pas une connaissance humaine qui devient la règle de la foi, mais la vérité divine. S’il y a des supérieurs qui s’éloignent de la vérité divine, c’est sans préjudice pour la foi des simples tant qu’ils croiront à l’orthodoxie de ces grands. Il n’y a préjudice que si les petits adhèrent d’une manière opiniâtre aux erreurs des grands sur u n point part iculier contre ce qui est la foi de l’Église universelle, foi qui ne peut défaillir puisque le Seigneur a dit (Lc 22, 32) : " J’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas. "

 

            Article 7 — Est-il toujours nécessaire au salut de croire explicitement au Christ ?

Objections :

1. Il semble que croire explicitement au mystère de l’incarnation du Christ ne soit pas nécessaire au salut chez tous. En effet, l’homme n’est pas tenu de croire d’une manière explicite les choses que les anges ignorent, s’il est vrai que le développement de la foi se fait par la révélation divine et que celle-ci parvient jusqu’aux hommes par l’intermédiaire des anges, comme on vient de le dire. Or, même les anges ont ignoré le mystère de l’Incarnation. De là vient qu’ils se demandaient (Ps 24, 8) : " Quel est celui-ci qui vient d’Édom ? " C’est là l’interprétation de Denys. Donc les hommes n’étaient pas tenus de croire explicitement au mystère de l’Incamation9.

2. Il est indéniable que Jean Baptiste a fait partie des grands et qu’il était tout à fait proche du Christ, car le Seigneur dit de lui : " Parmi les fils de la femme il ne s’est levé personne de plus grand " (Mt 11, 11). Mais Jean Baptiste ne paraît pas avoir connu explicitement le mystère du Christ, puisqu’il lui a fait demander (Mt 11, 3) : " Es-tu celui qui doit venir, ou en attendrons-nous un autre ? " Donc même les grands n’étaient pas tenus d’avoir au sujet du Christ une foi explicite.

3. Bien des païens ont obtenu le salut par le ministère des anges, dit Denys. Mais les païens n’ont eu pourtant au sujet du Christ aucune foi, ni explicite ni implicite, parce qu’aucune révélation ne leur fut faite. Il semble donc que croire explicitement au mystère de l’incarnation du Christ n’ait pas été pour tous nécessaire au salut.

En sens contraire, S. Augustin affirme : " La vraie foi est celle par laquelle nous croyons qu’aucun homme, jeune ou vieux, n’est délivré de la contagion de la mort et des liens du péché si ce n’est par Jésus Christ, seul médiateur entre Dieu et les hommes. "

Réponse :

Ce qui appartient proprement et essentiellement à l’objet de foi, nous l’avons dit, c’est ce qui procure la béatitude. Or, pour les humains, le chemin qui mène à la béatitude c’est le mystère de l’incarnation et de la passion du Christ. Il est dit, en effet, au livre des Actes (4,12) : " Il n’y a pas d’autre nom qui ait été don né aux hommes par lequel nous devions être sauvés. " C’est pourquoi il a fallu que ce mystère de l’incarnation du Christ ait été cru de quelque manière à toute époque chez tous les humains, diversement toutefois selon la diversité des temps et des personnes. En effet, avant l’état de péché, l’homme eut une foi explicite au sujet de l’incarnation du Christ en tant que celle-ci était ordonnée à la consommation de la gloire, mais non en tant qu’elle était ordonnée à la délivrance du péché, parce que l’homme n’avait pas la prescience du péché futur. Mais il semble qu’il ait eu la prescience de l’incarnation du Christ puisqu’il a dit, comme le rapporte la Genèse (2, 24) : " L’homme, à cause de cela, laissera son père et sa mère et s’attachera à son épouse ", et c’est là au dire de l’Apôtre (Ep 5, 32) : " Le mystère qui a toute sa grandeur dans le Christ et dans l’Église. " Ce mystère, il n’est assurément pas croyable que le premier homme l’ait ignoré.

Or, après le péché, le mystère du Christ a été cru d’une façon explicite, non plus seulement quant à l’Incarnation, mais quant à la Passion et à la Résurrection par lesquelles le genre humain est délivré du péché et de la mort. Autrement en effet ils n’auraient pas figuré d’avance la passion du Christ par certains sacrifices, avant la Loi et sous la Loi. Ces sacrifices avaient une signification que les grands à coup sûr connaissaient d’une manière explicite. Mais les petits, sous le voile de ces sacrifices, croyant qu’il y avait là un plan divin concernant le Christ à venir, en avaient comme une connaissance voilée. Et, nous l’avons remarqué plus haut, ce qui se rapporte aux mystères du Christ a été connu d’autant plus difficilement qu’on était plus éloigné du Christ, et d’autant plus facilement qu’on était plus rapproché de lui. Mais depuis le moment où la grâce a été révélée, grands et petits sont tenus d’avoir une foi explicite à l’égard des mystères du Christ, surtout de ceux qui sont communément solennisés dans l’Église et publiquement proposés, comme sont les articles sur l’Incarnation dont nous avons parlé plus haut. Quant aux autres subtiles considérations autour des articles de l’Incarnation, on est tenu de les croire plus ou moins explicitement selon ce qui sied à l’état et à la fonction de chacun.

Solutions :

1. Il n’est pas vrai que le mystère de Dieu ait été absolument caché aux anges, dit S. Augustin. Cependant il y a certains aspects de ce mystère qu’ils ont connus plus parfaitement quand le Christ les a révélés.

2. Jean Baptiste ne s’est pas inquiété de l’avènement du Christ dans la chair comme s’il l’eût ignoré, puisque lui-même l’avait expressément confessé, en disant (Jn 1, 34) : " Moi j’ai vu, et j’ai rendu témoignage que celui-ci est le Fils de Dieu. " Aussi n’a-t-il pas demandé : " Es-tu celui qui est venu ? " mais bien : " Es-tu celui qui doit venir ? " L’enquête portait sur le futur, non sur le passé. Pareillement, il ne faut pas croire que Jean Baptiste ait ignoré que le Christ devait venir pour la Passion, alors que lui-même avait dit : " Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève les péchés du monde ", annonçant à l’avance son immolation future. Cependant d’autres prophètes l’avaient connue et prédite, comme on le voit surtout chez Isaïe. On peut donc dire, comme S. Grégoire, que Jean Baptiste a cherché à savoir ce qu’il ignorait : si le Christ allait personnellement descendre aux enfers. Jean savait d’ailleurs que la vertu de la Passion s’étendrait jusqu’à ceux qui étaient retenus dans les limbes, selon la parole de Zacharie (9, 11 Vg) : " Toi aussi, dans le sang de ton alliance, tu as retiré les captifs de la fosse où il n’y a pas d’eau. " Mais, que le Christ doive descendre lui-même aux limbes, c’était une chose que Jean n’était pas tenu de croire explicitement avant sa réalisation. - Ou encore, on peut dire, comme S. Ambroise, que Jean n’a pas questionné par doute ou par ignorance, mais plutôt par piété. - Ou bien, comme S. Jean Chrysostome, on peut dire que Jean n’a pas questionné parce que lui-même était dans l’ignorance, mais pour satisfaire ses disciples par la réponse du Christ. Aussi le Christ a-t-il répondu pour l’instruction des disciples en montrant que ses œuvres étaient des signes.

3. Beaucoup de païens ont eu des révélations sur le Christ. Ainsi est-il dit (Job 19, 25) : " je sais que mon Rédempteur est vivant. " La Sibylle aussi a fait certaines prédictions sur le Christ, au dire de S. Augustin. On trouve également ceci dans l’histoire des Romains : au temps de l’empereur Constantin et de sa mère Hélène, fut découvert un tombeau où gisait un homme ayant sur la poitrine une lame d’or où on lisait : " Le Christ naîtra de la Vierge et je crois en lui. Ô soleil, tu me reverras au temps d’Hélène et de Constantin. " - Cependant, si certains ont été sauvés sans avoir reçu la révélation, ils ne l’ont pas été sans la foi au Médiateur. Car, même s’ils n’eurent pas une foi explicite, ils eurent pourtant une foi implicite 10 en la Providence divine, croyant que Dieu était le libérateur des humains de la manière qui lui plaisait, et selon que l’Esprit l’avait révélé à ceux qui connaissent la vérité selon le livre de Job (35, 11) : " Il nous rend plus instruits que les bêtes de la terre. "

 

            Article 8 — Est-il nécessaire au salut de croire explicitement à la Trinité ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’Apôtre dit aux Hébreux (11, 6) : " Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent. " Mais on peut croire cela sans la foi à la Trinité. Il n’était donc pas nécessaire d’avoir explicitement la foi à la Trinité.

2. Le Seigneur dit en S. Jean (17, 6) : " Père, j’ai manifesté ton nom aux hommes. " Et S. Augustin In commente ainsi cette parole : " Non pas le nom par lequel tu es appelé Dieu, mais celui par lequel tu es appelé mon Père. " Ensuite, il ajoute : " Par le fait que Dieu a créé ce monde, il a été connu dans toutes les nations ; par le fait qu’il ne faut pas l’adorer avec les faux dieux, il a été connu en Judée ; mais en ce qu’il est le Père de ce Christ par lequel il enlève le péché du monde, ce nom jusque-là caché aux hommes, c’est maintenant qu’il le leur a révélé. " Donc, avant la venue du Christ il n’était pas connu qu’il y eût au sein de la Déité paternité et filiation. On ne croyait donc pas explicitement au mystère de la Trinité.

3. Nous sommes tenus de croire explicitement en Dieu qui est l’objet de la béatitude. Mais l’objet de la béatitude, c’est la souveraine bonté de Dieu. Or, elle peut se concevoir en lui, même sans la distinction des Personnes. Il ne fut donc pas nécessaire de croire explicitement à la Trinité.

En sens contraire, dans l’Ancien Testament, la trinité des Personnes s’est exprimée de bien des façons. Ainsi, dès le début de la Genèse (1, 26), il est dit, pour exprimer la Trinité : " Faisons l’homme à notre image et ressemblance. " Dès le commencement donc il fut nécessaire au salut de croire à la Trinité.

Réponse :

On ne peut croire explicitement au mystère du Christ, sans la foi à la Trinité. Car le mystère de l’incarnation du Christ contient que le Fils de Dieu a pris notre chair, qu’il a renouvelé le monde par la grâce du Saint-Esprit, et aussi qu’il a été conçu du Saint-Esprit. Voilà pourquoi dans la mesure ou l’on a cru avant le Christ au mystère du Christ, les grands d’une façon explicite, les petits implicitement et comme obscurément, on a cru aussi au mystère de la Trinité. Et tous ceux qui renaissent dans le Christ l’obtiennent par l’invocation de la Trinité, selon cette parole (Mt 28, 19) : " Allez, enseignez toutes le nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. "

Solutions :

1. Croire explicitement ces deux vérités au sujet de Dieu a été nécessaire en tout temps et pour tous. Ce n’est cependant pas suffisant en tout temps ni pour tous.

2. Avant la venue du Christ, la croyance à la Trinité était cachée dans la foi des grands. Mais par le Christ elle a été manifestée au monde, puis par les Apôtres.

3. La souveraine bonté de Dieu, dans la mesure où présentement nous la comprenons par ses effets, peut se concevoir en dehors de la trinité des Personnes. Mais, en tant qu’elle est comprise en elle-même, et c’est ainsi que les bienheureux la voient, elle ne peut se concevoir sans la trinité des Personnes. Et de plus, c’est la mission même des personnes divines qui nous conduit à la béatitude.

 

            Article 9 — L’acte de foi est-il méritoire ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car le principe du mérite est la charité, on l’a dit n. Mais la foi est préalable à la charité, de même que la nature. Donc, de même qu’un acte de la nature n’est pas méritoire, puisque ce n’est pas par des ressources naturelles que nous méritons, pas davantage l’acte de foi.

2. L’acte de croire tient le milieu entre l’acte d’opiner et celui de savoir ou de considérer ce qu’on sait. Mais l’acte de s’appliquer à une science n’est pas méritoire, une opinion pas davantage. L’acte de croire ne l’est donc pas non plus.

3. Celui qui adhère à une vérité en croyant ou bien a une cause suffisante qui l’induit à croire, ou bien non. S’il l’a, on ne voit pas qu’il y ait pour lui du mérite à croire, car il n’est plus libre de croire ou de ne pas croire. S’il ne l’a pas, il y a pour lui de la légèreté à croire, dit l’Ecclésiastique (19, 4) : " Celui qui croit trop vite montre sa légèreté ", et il n’y a là rien de méritoire semble-t-il. Croire n’est donc méritoire d’aucune façon.

En sens contraire, il est écrit (He 11, 33) que les saints " ont obtenus par la foi la réalisation des promesses ". Ce qui ne serait pas s’ils n’avaient pas eu de mérite à croire. Le fait même de croire est donc méritoire.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, nos actes sont méritoires en tant qu’ils procèdent du libre arbitre que Dieu meut par sa grâce. Aussi tout acte humain soumis au libre arbitre, s’il est rapporté à Dieu, peut-il être méritoire. Or le fait même de croire est l’acte d’une intelligence qui adhère à la vérité divine sous l’empire d’une volonté que Dieu meut par sa grâce : il s’agit bien d’un acte soumis au libre arbitre et ordonné à Dieu. Aussi l’acte de foi peut-il être méritoire.

Solutions :

1. La nature est comparée à la charité, principe du mérite, comme la matière à la forme. La foi est comparée à la charité comme une disposition précédant une forme ultime. Or, il est évident que, ni ce qui est pur sujet ou matière, ni même ce qui est disposition préparatoire, ne peut agir en vertu d’une forme avant qu’advienne cette forme. Mais, après qu’est advenue la forme, ce qui est sujet aussi bien que ce qui est disposition préparatoire agit en vertu de la forme qui demeure en cette action le premier principe ; c’est ainsi que la chaleur du feu agit en vertu de la forme substantielle du feu. Ainsi donc, ni la nature ni la foi ne peuvent sans la charité produire un acte méritoire. Mais, la charité survenant, l’activité d la foi devient méritoire en vertu de cette charité comme le deviennent et l’activité de la nature e l’activité naturelle du libre arbitre.

2. Dans la science on peut considérer deux aspects : l’assentiment même de celui qui sait à la chose qu’il sait, et son application à cette chose sue. Pour l’assentiment lui-même, dans la science il n’est pas soumis au libre arbitre : le savant est contraint à donner son assentiment par l’efficacité de la démonstration. Et c’est pourquoi l’adhésion de science n’est pas méritoire. Mais l’application en acte à la chose sue est soumise au libre arbitre, car il est au pouvoir de l’homme de regarder ou de ne pas regarder, et c’est pourquoi l’application à une science peut être méritoire, si elle est rapportée à une fin de charité, c’est-à-dire à l’honneur de Dieu ou à l’utilité du prochain. Mais dans la foi ces deux éléments, adhésion et application, sont soumis au libre arbitre. C’est pourquoi l’acte de foi peut être méritoire sur ces deux points. Tandis que l’opinion ne comporte pas l’adhésion ferme : son assentiment est quelque chose de débile et d’infirme, dit le Philosophe. Aussi ne semble-t-elle pas procéder d’une volonté achevée, de sorte qu’on ne voit pas qu’elle ait, du côté de l’adhésion, raison de mérite. Mais, du côté de l’application actuelle de l’esprit, l’opinion peut être méritoire.

3. Celui qui croit à un motif suffisant pour l’induire à croire. Il y est induit en effet par l’autorité de l’enseignement divin que des miracles ont confirmé, et, qui plus est, par l’inspiration intérieure de Dieu qui invite à croire. Il ne croit donc pas à la légère. Cependant il n’a pas un motif suffisant pour l’induire à savoir, et c’est pourquoi la raison de mérite n’est pas supprimée.

 

            Article 10 — La raison humaine diminue-t-elle le mérite de la foi ?

Objections :

1. Il y a toute apparence que oui. S. Grégoire dit en effet dans une homélie : " La foi n’a pas de mérite lorsque la raison humaine lui fournit ses preuves. " Donc, si la raison humaine, lorsqu’elle fournit des preuves suffisantes, exclut totalement le mérite de la foi, il semble bien que toute raison humaine introduite en matière de foi diminue le mérite de la foi.

2. Tout ce qui diminue la raison de vertu diminue la raison de mérite, puisque c’est " de la vertu que la félicité est la récompense ", selon le Philosophe. Mais la raison humaine semble diminuer ce qui est essentiel à la vertu même de foi, car ce qui est essentiel à la foi, avons-nous dit, c’est de porter sur ce qui ne se voit pas ; or, plus on apporte de raisons à une vérité, moins elle fait partie de ce qui ne se voit pas -, donc la raison humaine introduite dans ce qui est de foi diminue le mérite de la foi.

3. Les effets contraires ont des causes contraires. Mais tout ce qui vient contrarier la foi augmente le mérite de la foi : que ce soit la persécution qui contraint à abandonner la foi, ou bien un argument qui persuade dans le même sens. Donc inversement, la raison qui vient en aide à la foi diminue le mérite de la foi.

En sens contraire, S. Pierre dit (1 P 3, 15) " Soyez toujours prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de la foi et de l’espérance qui sont en vous. " Certainement il ne nous inviterait pas à cela si le mérite de la foi en était diminué. Donc la raison ne diminue pas le mérite de la foi.

Réponse :

L’acte de foi, nous venons de le dire, peut être méritoire en tant qu’il demeure soumis à la volonté non seulement quant à la pratique mais aussi quant à l’adhésion. Or la raison humaine qui s’introduit dans le domaine de la foi peut se rattacher de deux manières à la volonté du croyant. - D’une manière elle peut comme précéder la volonté : par exemple, lorsque quelqu’un, ou bien n’aurait pas du tout la volonté ou bien n’aurait pas une volonté prompte à croire, si l’on n’apportait pas une raison humaine. Dans ce cas la raison humaine diminue le mérite de la foi, comme nous l’avons dit plus haut à propos de la passion qui, elle aussi, lorsqu’elle précède l’élection dans les vertus morales, diminue ce qu’il y a de louable dans l’acte vertueux. De même en effet que l’on doit s’exercer aux actes des vertus morales à cause du jugement de la raison et non à cause de la passion, de même doit-on croire ce qui est de foi non à cause de la raison humaine mais à cause de l’autorité divine. - D’autre part la raison humaine peut se présenter à la volonté du croyant par mode de conséquence. En effet lorsque l’on a une volonté prompte à croire, on aime la vérité que l’on croit, on y réfléchit sérieusement, et l’on embrasse toutes les raisons qu’on peut trouver pour cela. A cet égard la raison humaine n’exclut pas le mérite de la foi ; elle est au contraire le signe d’un plus grand mérite, comme dans les vertus morales la passion conséquente est le signe d’une volonté plus décidée, ainsi que nous l’avons dit antérieurement. Tout ceci est signifié en S. Jean (4, 42) à l’endroit où les Samaritains ont dit à la femme qui figure la raison humaine : " Désormais ce n’est plus à cause de ta parole que nous croyons. "

Solutions :

1. S. Grégoire parle du cas où l’homme n’a pas la volonté de croire si ce n’est à cause de la raison introduite. Mais, quand l’homme a la volonté de croire les choses de foi uniquement en vertu de l’autorité divine, même s’il a des raisons démonstratives pour quelqu’une d’elles, par exemple pour celle de l’existence de Dieu, le mérite de sa foi n’est à cause de cela ni enlevé ni diminué.

2. Les raisons qu’on apporte à l’appui d’une autorité de foi ne sont pas de ces démonstrations qui peuvent amener l’intelligence humaine à la vision intelligible, et c’est pourquoi on ne cesse pas d’avoir pour objet ce qui ne se voit pas ; mais elles enlèvent les obstacles à la foi en montrant la non-impossibilité de ce que la foi propose. Aussi par de telles raisons le mérite de la foi n’est-il pas diminué, ni la raison de foi. Quant aux raisons vraiment démonstratives apportées non pas aux articles mais aux préalables de la foi, bien qu’elles diminuent la raison de foi puisqu’elles rendent évident ce qui est proposé, elles ne diminuent pourtant pas la raison de charité qui rend la volonté prompte à croire cela, même si ce n’était pas évident. C’est pourquoi la raison de mérite n’est pas diminuée.

3. Ce qui s’oppose à la foi, que ce soit dans la pensée de l’homme ou dans une persécution extérieure, augmente le mérite de la foi dans la mesure où la volonté se montre plus prompte et plus ferme dans la foi. C’est pourquoi le mérite de la foi a été plus grand chez les martyrs du fait que les persécutions ne les ont pas détournés de la foi ; et en outre les sages ont plus de mérite du fait que les raisons apportées par les philosophes ou les hérétiques contre la foi ne les en ont nullement détournés. Mais ce qui s’accorde avec la foi n’a pas toujours pour effet de diminuer la promptitude à croire de la volonté. C’est pourquoi, cela ne diminue pas toujours le mérite de la foi.

 

 

QUESTION 3 — L’ACTE EXTÉRIEUR DE LA FOI

Étudions maintenant cet acte extérieur de la foi qui consiste à la confesser. - 1. Confesser

est-il un acte de la foi ? - 2. La confession de la foi est-elle nécessaire au salut ?

 

            Article 1 — Confesser est-il un acte de la foi ?

Objections :

1. Il semble que non, car le même acte ne se rattache pas à diverses vertus. Or la confession se rattache à la pénitence dont elle est une partie. Elle n’est donc pas un acte de la foi.

2. Ce qui retient l’homme de confesser sa foi, c’est parfois la crainte, ou encore de la honte ; aussi l’Apôtre (Ep 6, 19) demande-t-il qu’on prie pour lui, afin qu’il lui soit donné " d’annoncer hardiment le mystère de l’Évangile ". Mais le fait de ne pas s’éloigner du bien par honte ou par crainte relève de la force - c’est elle qui modère nos audaces et nos craintes. Il semble donc que la confession soit un acte, non pas de la foi, mais plutôt de la force ou de la constance.

3. Si quelqu’un est amené par la ferveur de sa foi à confesser sa foi extérieurement, il est amené aussi à faire d’autres bonnes œuvres extérieures : " La foi est agissante par la charité ", dit l’Apôtre (Ga 5, 6). Mais on ne range pas ces autres œuvres extérieures parmi les actes de la foi. Il n’y a donc pas de raison de le faire pour la confession.

En sens contraire, sur ces mots de la seconde épître aux Thessaloniciens (1, 11) : " Que Dieu mène à bien l’œuvre de la foi dans la puissance ", la Glose dit : " C’est la confession, qui est proprement l’œuvre de la foi. "

Réponse :

Les actes extérieurs sont proprement des actes de la vertu aux fins de laquelle ils se réfèrent selon leur espèce ; ainsi jeûner se réfère selon son espèce à cette fin de l’abstinence qui consiste à dompter la chair, et à cause de cela c’est un acte de la vertu d’abstinence. Or, selon son espèce, la confession des vérités de la foi est ordonnée comme à sa fin à ce qui est de foi, selon le mot de l’Apôtre (2 Co 4, 13) : " Parce que nous possédons le même esprit de foi, nous croyons, et c’est aussi pour cela que nous parlons. " La parole extérieure a en effet pour but de signifier ce que l’on conçoit dans son cœur. Par conséquent, si la conception intérieure des vérités de la foi est proprement un acte de la vertu de foi, il en est de même de la confession extérieure.

Solutions :

1. Il y a trois sortes de confessions qui sont louées dans les Écritures. L’une est la confession de foi, et celle-là est un acte propre de la vertu de foi, étant rapportée, comme nous venons de le dire, au but même de la foi. Une autre confession est celle de l’action de grâce ou de la louange, et celle-là est un acte du culte de latrie : elle tend à rendre extérieurement honneur à Dieu, ce qui est le but du culte de latrie. La troisième est la confession des péchés, et celle-là est ordonnée à l’effacement du péché, lequel est le but de la pénitence. Aussi concerne-t-elle la pénitence.

2. Ce qui écarte l’obstacle n’est pas cause par soi mais par accident, comme le montre le Philosophe. Aussi la force, qui écarte cet obstacle à la confession de la foi qu’est la crainte ou la honte, n’est pas proprement et par soi cause de la confession ; elle l’est comme par accident.

3. La foi intérieure, par l’intermédiaire de la charité, cause extérieurement toute l’activité des vertus par l’intermédiaire de ces autres vertus : cela est commandé par elle mais n’émane pas d’elle. Tandis que la foi produit la confession comme son acte propre, sans l’intermédiaire d’aucune autre vertu.

 

            Article 2 — La confession de la foi est-elle nécessaire au salut ?

Objections :

1. Il semble que non, car ce qui permet d’atteindre la fin de la vertu paraît suffire au salut. Mais la fin propre de la foi c’est d’unir l’esprit de l’homme à la vérité de Dieu, ce qui peut se faire même sans confession extérieure. La confession de la foi n’est donc pas nécessaire au salut.

2. Par la confession extérieure de la foi l’homme fait connaître sa foi à un autre homme. Mais cela n’est une nécessité que pour ceux qui ont à instruire les autres dans la foi. Il semble donc que les petits ne soient pas tenus de confesser la foi.

3. Du reste, ce qui peut tourner au scandale ou au trouble d’autrui n’est pas nécessaire au salut. L’Apôtre dit en effet (1 Co 10, 32) : " Ne donnez scandale ni aux juifs ni aux païens, ni à l’Église de Dieu. " Mais il y a des cas où la confession de la foi ne fait que jeter le trouble parmi les infidèles. Elle n’est donc pas nécessaire au salut.

En sens contraire, l’Apôtre affirme (Rm 10, 10) : " La foi du cœur mène à la justice, et la confession des lèvres au salut. "

Réponse :

Ce qui est nécessaire au salut tombe sous les préceptes de la loi divine. La confession de la foi, étant quelque chose de positif, ne peut tomber que sous un précepte positif. Aussi se range-t-elle parmi les choses nécessaires au salut de la même façon dont elle peut tomber sous un précepte positif de la loi divine. Or les préceptes positifs, nous l’avons dit, n’obligent pas à tout instant, encore qu’ils obligent tout le temps : ils obligent à l’endroit et au moment voulus, et suivant les autres circonstances voulues auxquelles doit se limiter un acte humain pour pouvoir être un acte de la vertu. Ainsi donc confesser la foi n’est pas de nécessité de salut à tout moment ni en tout lieu ; mais il y a des endroits et des moments où c’est nécessaire : quand en omettant cette confession, on soustrairait à Dieu l’honneur qui lui est dû, ou bien au prochain l’utilité qu’on doit lui procurer. Par exemple si quelqu’un, alors qu’on l’interroge sur la foi, se tait, et si l’on peut croire par là ou qu’il n’a pas la foi ou que cette foi n’est pas vraie, ou que d’autres par son silence seraient détournés de la foi. Dans ces sortes de cas la confession de la foi est nécessaire au salut.

Solutions :

1. La fin de la foi, comme celle des autres vertus doit être rapportée à la fin de la charité, qui est d’aimer Dieu et le prochain. Et c’est pourquoi, quand l’honneur de Dieu ou l’utilité du prochain le demande, on ne doit pas se contenter de s’unir à la vérité divine par sa foi, mais on doit confesser cette foi au-dehors.

2. En cas de nécessité, là où la foi est en péril, n’importe qui est tenu de faire connaître sa foi, soit pour instruire ou affermir les autres fidèles, soit pour repousser les attaques des infidèles. Mais en d’autres temps, instruire les gens dans la foi n’est pas l’affaire de tous les fidèles.

3. Si le trouble chez les infidèles naît d’une profession de foi proclamée sans aucune utilité ni pour la foi ni pour les fidèles, il n’est pas louable de confesser la foi publiquement. D’où la parole du Seigneur (Mt 7, 6) : " Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur que, retournés contre vous, ils vous déchirent. " Mais, si l’on espère pour la foi quelque utilité, ou s’il y a nécessité, alors méprisant le trouble des infidèles, on doit publiquement confesser la foi. De là cette réponse du Seigneur (Mt 15, 14), alors que les disciples lui avaient dit les pharisiens scandalisés par une de ses paroles : " Laissez-les ", sous-entendu se troubler, " ce sont des aveugles et des conducteurs d’aveugles ".

LA VERTU DE FOI

Il faut passer à la vertu de foi en elle-même :

1° La vertu de foi (Q. 4). 2° Ceux qui ont la foi (Q. 5). 3° La cause de la foi (Q. 6). 4° Ses effets (Q. 7).

 

 

QUESTION 4 — LA VERTU DE FOI

1. Qu’est-ce que la foi ? 2. Dans quelle puissance de l’âme a-t-elle son siège ? - 3. Sa forme est-elle la charité ? 4. La foi formée et la foi informe sont-elles numériquement identiques ? - 5. La foi est-elle une vertu ? - 6. Est-elle une seule vertu ? - 7. Son rapport aux autres vertus ? - 8. Comparaison entre sa certitude et celle des autres vertus intellectuelles.

 

            Article 1 — Qu’est-ce que la foi ?

Objections :

1. La définition donnée par l’Apôtre (He 11, 1) ; " La foi est la substance des réalités à espérer, la preuve de celles qu’on ne voit pas ", semble sans valeur. Car aucune qualité n’est une substance. Mais la foi est une qualité puisqu’elle est une vertu théologale, nous l’avons dit. Elle n’est donc pas une substance.

2. A vertus diverses, objets divers. La réalité à espérer est objet de l’espérance. On ne doit donc pas la placer dans la définition de la foi comme si elle était l’objet de cette foi.

3. La foi reçoit plus de perfection de la charité que de l’espérance, puisque la charité, comme nous le montrerons, est la forme de la foi. Ce qu’on devait donc mettre dans la définition de la foi, c’était la réalité à aimer plutôt que la réalité à espérer.

4. Une même chose ne doit pas être placée dans des genres différents. Or substance et preuve sont des genres différents qui ne sont pas subordonnés l’un à l’autre. Il ne convient donc pas de dire de la foi qu’elle est une substance et une preuve. Cette description de la foi est donc incohérente.

5. La preuve a pour effet de rendre manifeste la vérité de la chose en faveur de laquelle elle est produite. Mais c’est la chose dont la vérité est rendue manifeste qu’on dit être apparente. Il semble donc qu’il y ait une opposition impliquée dans les mots : " preuve de ce que l’on ne voit pas. " Cette description de la foi est donc inadaptée.

En sens contraire, l’autorité de l’Apôtre s’impose.

Réponse :

Certains disent bien que ces mots de l’Apôtre ne sont pas une définition de la foi, parce que " la définition indique la nature et l’essence de la chose ", selon Aristote. Cependant, pour qui regarde bien, il est fait allusion dans cette sorte de description à toutes les choses d’où peut être tirée une définition de la foi, encore que les mots ne soient pas arrangés sous forme de définition. C’est ainsi que chez les philosophes l’on traite, en négligeant la forme syllogistique, des principes qui sont à la base des syllogismes.

Pour le montrer, il faut considérer que, l’habitus étant connu par l’acte, et l’acte par l’objet, la foi qui est un certain habitus, doit être définie par son acte propre au regard de son objet propre. Or l’acte de la foi c’est de croire comme nous l’avons dit : c’est un acte de l’intelligence déterminée à un seul parti sous l’empire de la volonté. Ainsi donc l’acte de la foi est ordonné et à l’objet de la volonté, qui est le bien et la fin, et à l’objet de l’intelligence, qui est le vrai. Et parce que la foi, étant une vertu théologale, possède, ainsi que nous l’avons dit plus haute, la même vérité pour objet et pour fin ; à cause de cela il est nécessaire absolument que l’objet de la foi et la fin de la foi se correspondent proportionnellement.

Or, l’objet de la foi, avons-nous dit, c’est la vérité première selon qu’elle échappe à notre vision, puis les choses auxquelles nous adhérons à cause de cette vérité. D’après cela il faut que cette vérité première se présente elle-même à l’acte de foi comme une fin, sous la raison d’une réalité que nous ne voyons pas. Ce qui aboutit à la raison d’une réalité espérée, selon le mot de l’Apôtre (Rm 8, 25) : " Ce que nous ne voyons pas, nous l’espérons. " Voir une vérité, en effet, c’est la posséder ; or, on n’espère pas ce qu’on a déjà, mais l’espérance a pour objet ce qu’on n’a pas, nous l’avons dit précédemment. Donc l’adaptation de l’acte de la foi à la fin de la foi, en tant que cette fin est objet de volonté, est signifiée quand on dit : " La foi est la substance des réalités à espérer. " On a coutume en effet d’appeler substance la première ébauche d’une chose, surtout quand tout ce qui va suivre est contenu virtuellement dans son premier commencement. Si nous disons, par exemple, que les premiers principes indémontrables sont la substance de la science, cela veut dire qu’ils sont le premier élément en nous de la science. De la même façon nous disons donc que la foi est la substance des réalités à espérer. Cela veut dire qu’une première ébauche des réalités à espérer existe en nous par l’adhésion de foi, et que cette première ébauche contient en germe toutes les réalités à espérer. Car nous espérons être béatifiés en ce que nous verrons dans une vision à découvert la vérité à laquelle nous adhérons par la foi, comme on le voit par ce que nous avons dith à propos de la béatitude.

Quant à l’adaptation de l’acte de foi à l’objet de l’intelligence en tant qu’il est objet de foi, elle est désignée par les mots : " Preuves des réalités qu’on ne voit pas. " On prend ici la preuve pour son effet, car elle amène l’intelligence à adhérer à du vrai ; aussi, cette ferme adhésion de l’intelligence à une vérité de foi qui n’est pas évidente, c’est elle qu’on appelle ici preuve. C’est pourquoi une autre version a le mot " conviction ", ce qui veut dire que par l’autorité divine l’intelligence du croyant est convaincue qu’elle doit adhérer à ce qu’elle ne voit pas.

Donc, si l’on veut ramener ces mots à une définition en forme, on peut dire : " La foi est un habitus de l’esprit par lequel la vie éternelle commence en nous et qui fait adhérer l’intelligence à ce qu’on ne voit pas. "

La foi se trouve distinguée par là de tout ce qui relève de l’intelligence. En disant " preuve ", on la distingue de l’opinion, du soupçon et du doute, qui ne donnent pas cette première adhésion ferme de l’intelligence à quelque chose. En disant : " de ce qu’on ne voit pas ", on distingue la foi de la science et de la simple intelligence par lesquelles quelque chose se manifeste. En disant : " substance des réalités à espérer ", on distingue la vertu de foi d’avec la foi prise au sens général du mot, qui n’est pas ordonnée à l’espérance de la béatitude.

Toutes les autres définitions de la foi sont des explications de celle que présente l’Apôtre. Lorsqu’en effet S. Augustin dit que " la foi est la vertu par laquelle on croit ce qu’on ne voit pas ", lorsque le Damascène, dit qu’elle est " un consentement sans discussion ", lorsque d’autres disent qu’elle est " Une certitude de l’esprit en matière de réalités absentes, certitude supérieure à l’opinion et inférieure à la science ", c’est ce que dit l’Apôtre : " Une preuve de ce qu’on ne voit pas. " Lorsque Denys dit que la foi est " le fondement permanent des croyants, ce qui les met dans la vérité et ce qui met la vérité en eux ", cela revient à dire qu’elle est " la substance des réalités à espérer ".

Solutions :

1. " Substance " n’est pas pris ici comme le genre le plus commun, celui qui se distingue de tous les autres. Mais en ce sens où l’on trouve en n’importe quel genre quelque chose qui ressemble à une substance. C’est-à-dire que ce qui est premier dans n’importe quel genre, cela contient en soi virtuellement d’autres choses, on dit que c’en est la substances.

2. La foi appartient à l’intelligence en tant que celle-ci est commandée par la volonté. Il faut donc que la foi soit ordonnée comme à une fin à ce qui fait l’objet des vertus dans lesquelles la volonté trouve sa perfection. Parmi ces vertus, nous le verrons plus loin, il y a l’espérance. Et c’est pourquoi on fait entrer l’objet de l’espérance dans la définition de la foi.

3. La dilection peut avoir pour objet et ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, ce qui est présent et ce qui est absent. Et c’est pourquoi une réalité à aimer n’est pas aussi proprement adaptée à la foi qu’une réalité à espérer, étant donné que l’espérance a toujours pour objet des choses absentes et qu’on ne voit pas.

4. Substance et preuve, tels qu’ils sont placés dans la définition de la foi, n’impliquent pas divers genres de foi ni divers actes de la foi, mais, comme nous venons de le préciser, diverses adaptations d’un acte unique à divers objets.

5. Il est vrai qu’une preuve, lorsqu’elle est tirée des principes propres d’une chose, fait que cette chose est visible. Mais la preuve qui est tirée de l’autorité divine ne fait pas que la chose soit en elle-même visible. Et telle est la preuve dont il s’agit dans la définition de la foi.

 

            Article 2 — Dans quelle puissance de l’âme la foi a-t-elle son siège ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’elle ait son siège dans l’intelligence. Car S. Augustin affirme qu’elle " réside dans la volonté des croyants ". Or la volonté est une puissance différente de l’intelligence.

2. L’assentiment de foi à une vérité qu’on doit croire provient de la volonté d’obéir à Dieu. C’est dire que toute la louange de la foi parait venir de l’obéissance. Mais celle-ci est dans la volonté. Donc la foi aussi ; elle n’est donc pas dans l’intelligence.

3. L’intelligence est ou spéculative ou pratique. Mais la foi n’est pas dans l’intellect spéculatif : selon la remarque du Philosophe, cet intellect " ne dit rien de ce qu’il faut faire ou éviter ", il n’est donc pas principe d’opération, tandis que la foi est ce principe qui, selon la parole de l’Apôtre (Ga 5, 6), " opère par la charité ". La foi n’est pas davantage dans l’intellect pratique, dont l’objet est le vrai en matière contingente de fabrication ou d’action, alors que l’objet de la foi est le vrai éternel comme nous l’avons montré précédemment. La foi n’a donc pas son siège dans l’intelligence.

En sens contraire, à la foi succède la vision dans la patrie, selon la parole de l’Apôtre (1 Co 13, 12) : " Nous voyons maintenant par un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. " Mais la vision est dans l’intelligence. Donc aussi la foi.

Réponse :

Puisque la foi est une vertu, il faut que son acte soit parfait. Or, pour la perfection d’un acte, lorsqu’il découle de deux principes actifs, il est requis que chacun de ces deux principes actifs soit parfait ; on ne peut pas scier convenablement si le scieur ne sait pas son métier et si la scie n’est pas capable de scier. Or, dans ces puissances de l’âme qui se portent à des choses opposées, la disposition à bien agir, c’est l’habitus, nous l’avons dit précédemment. C’est pourquoi il faut que l’acte qui procède de deux puissances de cette sorte reçoive sa perfection d’un habitus qui préexiste en chacune de ces deux puissances. Or, nous l’avons dit plus haut, croire est un acte de l’intelligence selon qu’elle est poussée par la volonté à donner son assentiment, car un tel acte procède et de la volonté et de l’intelligence. Or, ces deux facultés sont destinées à être perfectionnées par l’habitus, nous l’avons vu. Voilà pourquoi il faut qu’il y ait un habitus aussi bien dans la volonté que dans l’intelligence, si l’on veut que l’acte de foi soit parfait ; de même que pour avoir un acte du concupiscible qui soit parfait, il faut qu’il y ait l’habitus de prudence dans la raison, et l’habitus de tempérance dans le concupiscible. Néanmoins, croire est immédiatement un acte de l’intelligence, parce que l’objet de cet acte c’est le vrai, lequel appartient en propre à l’intelligence. C’est pourquoi il est nécessaire que la foi, puisqu’elle est le principe propre d’un tel acte, réside dans l’intelligence comme dans son sujet.

Solutions :

1. S. Augustin prend ici la foi pour l’acte de foi. Il est vrai de dire qu’il consiste dans la volonté des croyants en tant que c’est sous l’empire de la volonté que l’intelligence adhère aux vérités à croire.

2. Non seulement il faut que la volonté soit prompte à obéir, mais il faut aussi que l’intelligence soit bien disposée à suivre le commandement de la volonté ; de même faut-il que l’appétit concupiscible, dans l’exemple donné, soit bien disposé à suivre le commandement de la raison. Voilà pourquoi il faut qu’il y ait un habitus de la vertu non pas seulement dans la volonté qui commande, mais aussi dans l’intelligence qui adhère.

3. Le sujet de la foi, c’est l’intellect spéculatif, comme on le voit d’une façon évidente à partir de l’objet même de la foi. Mais, parce que la vérité première, qui est l’objet de la foi, est aussi la fin de tous nos désirs et de toutes nos actions, comme le montre S. Augustin. la foi est agissante par la charité, de même que l’intellect spéculatif, selon le Philosophe, en s’étendant devient pratique.

 

            Article 3 — La forme de la foi est-elle la charité ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car c’est la forme qui donne à chaque être son espèce. Donc, lorsque des réalités se distinguent comme les diverses espèces du même genre, l’une ne peut pas être la forme de l’autre. La foi et la charité se distinguent en s’opposant, d’après S. Paul (1 Co 13, 13), comme étant différentes espèces de la vertu. Donc la charité ne peut être la forme de la foi.

2. La forme et ce qu’elle informe sont dans le même sujet, puisque les deux forment absolument un seul être. Mais la foi est dans l’intelligence, la charité dans la volonté. La charité n’est donc pas la forme de la foi.

3. La forme est le principe de la réalité. Mais le côté de la volonté, que la charité, selon " pour la soumission ". l’obéissance est donc, plus que la charité, la forme de la foi.

En sens contraire, c’est par sa forme que chaque être est agissant. Or la foi est " agissante par la charité ". La dilection de charité est donc la forme de la foi.

Réponse :

Nous l’avons montré précédemment, les actes de volonté reçoivent leur espèce de la fin, qui est l’objet de la volonté. Or, ce qui confère à quelque chose son espèce se comporte comme fait une forme dans les réalités de la nature. Voilà pourquoi dans tout acte de volonté la forme est en quelque sorte cette fin à laquelle l’acte est ordonné : d’abord parce que c’est de la fin elle-même que l’acte reçoit son espèce, et aussi parce que la mesure de l’action doit répondre à la fin qu’on se propose et être proportionnée à cette fin. Or, d’après ce que nous avons dit précédemment, il est clair que l’acte de la foi est ordonné à un objet de volonté, à un bien, et que c’est là pour cet acte comme une fin. Or, ce bien qui est le but de la foi, c’est le bien divin, objet propre de la charité. C’est pourquoi la charité est appelée la forme de la foi, en tant que par la charité l’acte de la foi est vraiment parfait et formé.

Solutions :

1. On dit que la charité est la forme de la foi en tant qu’elle donne forme à l’acte de la vertu même de foi. Rien n’empêche qu’un acte unique soit formé par des habitus différents, et se ramène ainsi à des espèces différentes, mais dans un certain ordre, comme nous l’avons dit, lorsqu’il s’est agi des actes humains en général.

2. L’objection est valable s’il s’agit de la forme intrinsèque. Or ce n’est pas ainsi que la charité est la forme de la foi, c’est en tant qu’elle forme l’acte de la foi dans le sens que nous venons de dire.

3. L’obéissance elle-même, comme l’espérance et toute autre vertu, peut précéder l’acte de foi en étant formée par la charité, comme on le montrera plus loin. Et c’est pourquoi la charité est précisément tenue pour la forme de la foi.

 

            Article 4 — La foi formée et la foi informe sont-elles numériquement identiques ?

Objections :

1. Il semble que la foi informe ne puisse devenir une foi formée, ni l’inverse. Car, selon l’Apôtre (1 Co 13, 10) : " Quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra. " Mais la foi informe est imparfaite en face de la foi formée. Donc lorsque paraît celle-ci, celle-là est éliminée si bien qu’elles ne forment pas un habitus numériquement un.

2. Ce qui est mort ne devient pas vivant. Mais la foi informe est une foi morte, selon S. Jacques (2,20) : " La foi sans les œuvres est une foi morte. " La foi informe ne peut donc se changer en foi formée.

3. Quand survient la grâce de Dieu, elle n’a pas moins d’effet chez un fidèle que chez un infidèle. Or, en venant chez un infidèle, elle cause chez lui l’habitus de foi. Donc, lorsqu’elle vient aussi chez un fidèle qui avait jusque-là un habitus de foi informe, elle cause en lui un autre habitus de foi.

4. Comme dit Boèce, les accidents ne peuvent pas subir d’altération. Mais la foi est un accident. Une même foi ne peut donc pas être tantôt formée et tantôt informe.

En sens contraire, sur le passage cité de S. Jacques : " La foi sans les œuvres est une foi morte ", la Glose ajoute : " Par les œuvres elle se remet à vivre. " Donc cette foi qui d’abord était morte et informe devient formée et vivante.

Réponse :

Il y a eu à cet égard des opinions diverses. Certains ont dit : autre est l’habitus de la foi formée et autre celui de la foi informe ; à la venue d’une foi formée, la foi informe est enlevée. Pareillement lorsqu’un homme, après avoir eu la foi formée, pèche mortellement, un autre habitus survient, un habitus de foi informe, infusé par Dieu. Mais il ne paraît pas admissible qu’une grâce advienne à l’homme pour exclure un don de Dieu, ni non plus qu’un don de Dieu soit infusé à l’homme à cause d’un péché mortel.

Aussi d’autres ont dit que foi formée et foi informe sont bien des habitus différents ; cependant, lorsque survient la foi formée, l’habitus de foi informe n’est pas enlevé, mais il subsiste chez le même homme en même temps que l’habitus de foi formée. Mais cela encore semble inadmissible, qu’un habitus de foi informe demeure sans rien faire chez celui qui possède un habitus de foi formée.

C’est pourquoi il faut dire que l’habitus est le même pour la foi formée que pour la foi informe. La raison en est qu’un habitus se diversifie d’après ce qui lui appartient essentiellement. Puisque la foi est une perfection de l’intelligence, ce qui appartient à l’intelligence appartient essentiellement à la foi ; tandis que ce qui appartient à la volonté n’appartient pas essentiellement à la foi au point que cela puisse diversifier l’habitus de la foi. Or, la distinction entre foi formée et foi informe dépend de ce qui appartient à la volonté, c’est-à-dire dépend de la charité ; elle ne dépend pas de ce qui appartient à l’intelligence. Aussi foi formée et foi informe ne sont-elles pas des habitus différents.

Solutions :

1. La parole de l’Apôtre doit s’entendre d’une imperfection qui tient à l’essence même de l’être imparfait. Car en ce cas il faut qu’à la venue du parfait l’imparfait soit exclu ; c’est ainsi que, lorsqu’advient la vision à découvert, la foi est exclue, puisqu’il lui est essentiel d’avoir pour objet ce qui ne se voit pas. Mais si l’imperfection ne tient pas à l’essence même de la réalité imparfaite, alors le même être numériquement, qui était imparfait, devient parfait. Ainsi, comme l’enfance ne tient pas à notre essence même, le même numériquement qui était un enfant, devient un homme. Pour ce qui est de la foi, le manque de forme ne tient pas à l’essence de la foi, mais cela lui arrive, nous venons de le dire, par accident. Aussi est-ce bien la foi informe elle-même qui devient foi formée.

2. Ce qui fait la vie de l’animal appartient à sa raison même d’animal, c’est sa forme essentielle, en un mot son âme. Voilà pourquoi un mort ne peut devenir un vivant, mais ce qui est mort est d’une autre espèce que ce qui est vivant. Au contraire ce qui fait que la foi est une foi vive ou formée n’appartient pas à l’essence de la foi ; ce n’est donc pas pareil.

3. La grâce produit la foi chez quelqu’un, non seulement quand celle-ci commence d’exister à nouveau, mais encore tout le temps qu’elle dure. Nous l’avons dit en effet : Dieu opère à tout moment la justification de l’homme comme le soleil répand à tout moment sa lumière dans l’air. Par conséquent, la grâce ne fait pas moins lorsqu’elle se présente au fidèle que lorsqu’elle se présente à l’infidèle : chez l’un comme chez l’autre elle opère la foi, chez l’un en l’affermissant et en la perfectionnant, chez l’autre en la créant à neuf. On peut dire aussi que, si la grâce ne cause pas la foi dans celui qui l’a, c’est par accident, c’est-à-dire en raison de la disposition du sujet, comme, en sens contraire, un second péché mortel n’ôte pas la grâce à celui qui l’a perdue par un péché mortel précédents.

4. Par le fait que la foi formée devient informe ce qui est changé ce n’est pas la foi elle-même, c’est l’âme, sujet de la foi ; elle possède la foi tantôt sans la charité, et tantôt avec la charité.

 

            Article 5 — La foi est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non. Car la vertu est tournée vers le bien : " Elle est, dit le Philosophe, ce qui rend bon celui qui la possède. " Mais la foi est tournée vers le vrai. Elle n’est donc pas une vertu.

2. Il y a plus de perfection dans la vertu infuse que dans la vertu acquise. Or la foi, en raison de l’imperfection qui est en elle, n’est pas au rang des vertus intellectuelles acquises, comme le montre Aristote. On peut donc encore beaucoup moins la compter comme vertu infuse.

3. La foi formée et la foi informe, nous venons de le voir, sont de la même espèce. Mais la foi informe n’est pas une vertu, puisqu’elle est sans lien avec les autres vertus. La foi formée n’est donc pas non plus une vertu.

4. Les grâces gratuitement données sont distinctes des vertus ; les fruits aussi. Mais la foi est comptée parmi les grâces gratuitement données (1 Co 12, 9) ; elle est comptée également parmi les fruits (Ga 5, 22). Elle n’est donc pas une vertu.

En sens contraire, on est justifié par les vertus, car " la justice est toute la vertu ", selon Aristote. Or, on est justifié par la foi, selon S. Paul (Rm 5, 1) : " Justifiés par la foi nous avons la paix. " La foi est donc une vertu.

Réponse :

De ce que nous avons dit plus haut, il résulte que la vertu humaine est celle par laquelle l’acte humain est rendu bon. Aussi peut-on appeler vertu humaine tout habitus qui est toujours le principe d’un acte bon. Or la foi formée est un habitus de cette sorte. Car, puisque croire est un acte de l’intelligence qui donne son assentiment au vrai sous l’empire de la volonté, pour qu’un tel acte soit parfait deux conditions sont requises. l’une : que l’intelligence tende infailliblement à son bien, qui est le vrai ; l’autre : qu’elle soit infailliblement ordonnée à la fin ultime en raison de quoi la volonté, elle aussi, donne son assentiment au vrai. Ces deux conditions se trouvent dans l’acte de la foi formée. Car il est essentiel à la foi elle-même de toujours porter l’intelligence au vrai puisque, comme nous l’avons dit, cette foi ne peut comporter de fausseté ; en outre, par la charité, qui forme la foi, l’âme a de quoi ordonner infailliblement sa volonté à la fin bonne. C’est pourquoi la foi formée est une vertu.

Mais la foi informe n’en est pas une. Car, si l’acte de foi informe a du côté de l’intelligence la perfection requise, il ne l’a cependant pas du côté de la volonté. De même que, s’il y avait de la tempérance dans l’appétit concupiscible, et qu’il n’y eût pas de prudence dans la raison, ce ne serait pas, avons-nous dit plus haute, la vertu de tempérance. Car, pour l’acte de la tempérance il faut et l’acte de la raison et celui du concupiscible, comme pour l’acte de la foi il faut et l’acte de la volonté et celui de l’intelligence.

Solutions :

1. Le vrai est lui-même le bien de l’intelligence puisque l’intelligence y trouve sa perfection. C’est pourquoi, en tant que l’intelligence est déterminée au vrai par la foi, celle-ci est tournée vers un bien. Mais en outre, en tant qu’elle est formée par la charité, elle est tournée aussi vers le bien selon qu’il est objet de volonté.

2. La foi dont parle le Philosophe s’appuie sur une raison humaine, qui n’est pas rigoureusement concluante, et qui peut comporter du faux ; aussi une telle foi n’est-elle pas une vertu. Mais la foi dont nous parlons s’appuie sur la vérité divine qui est infaillible et ainsi ne peut laisser de place pour le faux : c’est pour cela qu’une telle foi peut être une vertu.

3. La foi formée et la foi informe ne diffèrent pas d’espèce comme si elles existaient dans des espèces différentes, mais comme du parfait et de l’imparfait dans la même espèce. Aussi la foi informe n’arrive-t-elle pas à réaliser la parfaite raison de vertu, par cela même qu’elle est imparfaite, alors que " la vertu est une perfection " selon le Philosophe.

4. Certains pensent que cette foi qui est comptée parmi les grâces gratuitement données est la foi informe. Mais cela est à rejeter. Car les grâces gratuitement données qui sont ici énumérées ne sont pas des grâces communes à tous les membres de l’Église ; d’où le mot de l’Apôtre à cet endroit : " Il y a diversité de grâces ", et ensuite : " A l’un est donné ceci, à l’autre est donné cela. " La foi informe, au contraire, est commune à tous les membres de l’Église, car ce caractère informe n’appartient pas à la substance de la foi en tant que la foi est un don de la grâce. Il faut dire par conséquent que la foi, dans le passage en question, est prise pour une foi d’ordre supérieur : par exemple, pour " la constance dans la foi ", comme dit la Glose, ou bien pour " la parole de foi. " - Et si la foi est comptée comme un fruit, c’est parce qu’il y a de la délectation dans son acte, en raison de la certitude qu’on y goûte. Aussi, sur ce passage où sont énumérés les fruits (Ga 5, 19-23) la Glose explique-t-elle que la foi est " la certitude des réalités invisibles. "

 

            Article 6 — La foi est-elle une seule vertu ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas une seule foi. Car l’Apôtre (Ep 2, 8) affirme qu’elle " est un don de Dieu ". Mais, comme on le voit dans Isaïe (11, 2) la sagesse et la science sont comptées, elles aussi, parmi les dons de Dieu. Or, elles diffèrent en ce que la sagesse a pour objet les réalités éternelles, et la science, au contraire, les réalités temporelles, comme le montre S. Augustin. Puisque la foi a pour objet et les réalités éternelles et certaines réalités temporelles, il semble qu’il n’y ait pas une seule foi et qu’elle se distingue en plusieurs parties.

2. La confession de la foi, avons-nous dit, est l’acte de la foi. Mais il n’y en a pas qu’une, et elle n’est pas la même pour tous. Ce que nous confessons comme réalisé, les anciens Pères le confessaient comme futur témoin Isaïe disant (7, 14) : " Voici qu’une vierge concevra. " Il n’y a donc pas une foi unique.

3. La foi est commune à tous les fidèles du Christ. Mais un accident unique ne peut pas exister dans des sujets différents. Il ne peut donc pas y avoir une foi unique chez tous.

En sens contraire, l’Apôtre déclare (Ep 4, 5) " Un seul Seigneur, une seule foi. "

Réponse :

La foi, si on la prend comme un habitus, peut être considérée de deux façons. Du côté de l’objet, et par là elle est une, car son objet formel est la Vérité première et c’est en y adhérant que nous croyons à tout ce qui peut se trouver contenu dans la foi. Du côté du sujet, la foi se diversifie selon qu’elle est chez des sujets différents. Or, il est évident que la foi, comme n’importe quel autre habitus, est spécifiée par la raison formelle de son objet, mais individuée par son sujet. Voilà pourquoi, si l’on prend la foi pour l’habitus qui nous fait croire, alors elle est unifiée dans son espèce, et différenciée en nombre dans ses divers sujets. - Mais, si l’on prend la foi au sens de ce qui est cru, là aussi il y a une seule foi. Car c’est la même chose qui est crue par tous ; et s’il y a une grande diversité dans les vérités à croire, même dans celles que tous croient universellement, toutes cependant se ramènent à une seule.

Solutions :

1. Les vérités temporelles qui nous sont proposées dans la foi n’appartiennent à l’objet de foi que par rapport à quelque chose d’éternel, qui est, avons-nous dit, la vérité première ; et c’est pourquoi la foi est une pour le temporel et pour l’éternel. Mais il en est autrement de la sagesse et de la science, qui considèrent les réalités du temps et celles de l’éternité sous leurs raisons propres.

2. Cette différence du passé et du futur ne vient pas d’une diversité dans la réalité que l’on croit, mais d’une diversité dans la relation des croyants à l’unique réalité qu’ils croient, nous l’avons établi précédemment.

3. l’argument est valable pour la diversité de la foi dans le nombre des sujets.

 

            Article 7 — Rapport de la foi aux autres vertus

Objections :

1. Il ne semble pas que la foi soit la première des vertus. Car sur Luc (12, 4), la Glose dit que " la force est le fondement de la foi ". Mais le fondement a priorité sur ce qu’il

fonde. La foi n’est donc pas la première vertu.

2. Sur le Psaume (37), une certaine Glose dit que " l’espérance est une introduction à la foi ".

Mais l’espérance, nous le dirons, est une vertu. La foi n’est donc pas première.

3. On a dit que l’intelligence du croyant est inclinée à donner son assentiment à ce qui est de foi, par obéissance à Dieu. Mais l’obéissance aussi est une vertu. Donc la foi n’est pas la première vertu.

4. Comme il est dit dans la Glose, ce n’est pas la foi informe qui est un fondement, c’est la foi formée. Or nous savons que la foi est formée par la charité. C’est donc par la charité que la foi peut être un fondement. La charité est un fondement plus que la foi, car le fondement est la base première de l’édifice. Ainsi semble-t-il qu’elle ait priorité sur la foi.

5. Enfin, l’ordre des habitus se comprend d’après celui des actes. Mais, dans l’acte de foi, l’acte de la volonté, que perfectionne la charité, précède l’acte de l’intelligence, que perfectionne la foi, comme la cause précède son effet. Donc la charité précède aussi la foi, et celle-ci n’est pas la première des vertus.

En sens contraire, l’Apôtre dit que " la foi est la substance des réalités à espérer ". Mais la substance implique la priorité. Donc la foi est la première des vertus.

Réponse :

Quelque chose peut avoir priorité sur une autre chose de deux manières : par soi ou par accident. - Par soi, il est certain qu’entre toutes les vertus la première est la foi. Puisque, en matière d’action, la fin est principe, nous l’avons déjà dit, nécessairement les vertus théologales, parce qu’elles ont pour objet la fin ultime, possèdent la priorité sur toutes les autres vertus. Mais, cette fin ultime elle-même, il faut qu’elle soit dans l’intelligence avant d’être dans la volonté parce que celle-ci se porte sur un objet en tant seulement qu’il est saisi par l’esprit. Aussi, comme la fin ultime est dans la volonté par l’espérance, et comme la charité est dans l’intelligence par la foi, nécessairement la foi est la première entre toutes les vertus : le fait est que la connaissance naturelle ne peut s’élever jusqu’à Dieu sous l’aspect où il est objet de béatitude, selon que tendent à lui l’espérance et la charité.

Mais, par accident, une vertu peut avoir priorité sur la foi. Une cause accidentelle a une priorité accidentelle. Or, écarter un obstacle relève de la cause accidentelle, comme le montre bien le Philosophe. D’après cela, on peut dire que des vertus ont sur la foi une priorité accidentelle, en tant qu’elles écartent ce qui empêche de croire ; ainsi la force écarte cette crainte désordonnée qui paralyse la foi, l’humilité cet orgueil qui fait que l’intelligence refuse de se soumettre à la vérité de la foi, et on peut dire la même chose de quelques autres vertus. Encore qu’elles ne soient de vraies vertus que si la foi est présupposée, comme le fait voir S. Augustin dans son livre contre Julien.

Solutions :

1. Cela donne la réponse à la première objection.

2. L’espérance ne peut pas être une introduction à toutes les composantes de la foi. En effet, on ne peut avoir l’espérance de la béatitude éternelle que si la foi nous en révèle la possibilité, car l’impossible, nous l’avons dit, n’est pas objet de l’espérance. Mais par l’espérance quelqu’un peut être amené à persévérer dans la foi, ou bien à fermement adhérer à la foi, et en ce sens on dit que l’espérance est une introduction à la foi.

3. On parle de l’obéissance en deux sens. Parfois elle implique l’inclination de la volonté à accomplir les commandements divins. En ce sens elle n’est pas une vertu spéciale, mais elle est incluse d’une manière générale en toute vertu, du fait que tous les actes des vertus tombent sous des préceptes de la loi divine, ainsi qu’on l’a observé plus haut. A cet égard l’obéissance est requise pour la foi. - Autrement, on peut prendre l’obéissance en tant qu’elle implique une certaine inclination à accomplir les commandements selon qu’ils se présentent comme une véritable dette. En ce sens elle est une vertu spéciale ; elle est une partie de la justice, car en obéissant au supérieur, on lui rend ce qui lui est dû. A ce point de vue, l’obéissance vient après la foi, parce que celle-ci révèle clairement à l’homme que Dieu est un supérieur à qui l’on doit obéir.

4. Pour qu’un fondement le soit vraiment, il ne faut pas seulement qu’il soit la base première, il faut aussi qu’il soit uni aux autres parties de l’édifice ; ce ne serait pas un fondement si les autres parties de l’édifice ne lui étaient pas rattachées. Or la cohésion de l’édifice spirituel vient de la charité, selon la lettre aux Colossiens (3, 14) : " Par-dessus tout ayez la charité : elle est le lien de la perfection. " Voilà comment la foi sans la charité ne peut être un fondement spirituel. Il ne s’ensuit cependant pas que la charité passe avant la foi.

5. Un acte de vouloir est exigé avant la foi ; mais non un acte de vouloir informé par la charité’ 1 ; un tel acte, au contraire, présuppose la foi, car la volonté ne peut tendre vers Dieu d’un amour parfait si l’intelligence ne possède pas une foi droite en ce qui concerne Dieu.

 

            Article 8 — Comparaison entre la certitude de la foi et celle des autres vertus intellectuelles ?

Objections :

1. Il semble que la foi n’ait pas plus de certitude que la science et les autres vertus intellectuelles. En effet, le doute s’oppose à la certitude ; aussi une chose paraît-elle d’autant plus certaine qu’elle peut comporter moins de doute, de même qu’un être est d’autant plus blanc qu’il comporte moins de noir. Mais l’intelligence, la science et aussi la sagesse, n’ont pas de doute en ce qui concerne leurs objets, tandis que le croyant peut de temps en temps ressentir un mouvement d’hésitation et douter en matière de foi. La foi n’a donc pas plus de certitude que les vertus intellectuelles.

2. On est plus sûr de ce qu’on voit que de ce qu’on entend. Mais, dit l’Apôtre (Rm 10, 17), " la foi vient de ce qu’on entend ", alors que, dans l’intelligence, la science et la sagesse, est incluse une certaine vision de l’esprit. Il y a donc plus de certitude dans la science ou l’intelligence que dans la foi.

3. En ce qui relève de l’intelligence, plus il y a de perfection, plus il y a de certitude. Or il y a plus de perfection dans l’intelligence que dans la foi, puisque c’est à travers la foi qu’on arrive à l’intelligence, suivant la parole d’Isaïe (7, 9) d’après une autre version : " Si vous n’avez pas la foi, vous n’aurez pas l’intelligence. " Et S. Augustin, dit aussi à propos de la science que c’est elle " qui fortifie la foi ". S’il y a plus de perfection, il y a donc aussi plus de certitude dans la science ou l’intelligence que dans la foi.

En sens contraire, S. Paul écrit (1 Th 2, 13) " Lorsque vous avez reçu " par la foi " la parole que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie non comme une parole d’homme, mais comme ce qu’elle est vraiment, la parole de Dieu ". Mais rien n’est plus certain que la parole de Dieu. Donc la science, ni rien d’autre, n’est pas plus certaine que la foi.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, deux des vertus intellectuelles regardent les choses contingentes : la prudence et l’art. La foi passe avant elles en certitude à cause de sa matière, puisqu’elle a pour objet les réalités éternelles qui ne seront jamais autrement qu’elles sont. Quant au reste des vertus intellectuelles : la sagesse, la science et l’intelligence, elles concernent le domaine du nécessaire, nous l’avons dit. Mais il faut savoir que les mots : sagesse, science et intelligence se prennent en deux sens : en tant qu’elles sont données par le Philosophe comme des vertus intellectuelles ; en tant qu’elles figurent parmi les dons du Saint-Esprit. Selon la première acception, il faut dire que la certitude peut être envisagée de deux façons. D’abord selon la cause de la certitude ; on dit alors que ce qui a une cause plus certaine est plus certain. A ce point de vue, c’est la foi qui est la plus certaine, parce qu’elle s’appuie sur la vérité divine, tandis que les trois autres vertus intellectuelles s’appuient sur la raison humaine.

Mais on peut aussi envisager la certitude du côté du sujet, et ainsi on dit plus certain ce que l’intellect humain possède plus pleinement. Sous cet angle, parce que les vérités de foi dépassent l’intellect humain, et non pas les objets des trois autres vertus, la foi est moins certaine. Mais parce qu’on juge toute chose de façon absolue d’après sa cause, tandis qu’on la juge de façon relative d’après la disposition du sujet, on doit conclure que la foi est absolument plus certaine, tandis que les autres vertus intellectuelles le sont relativement, c’est-à-dire par rapport à nous.

Pareillement, si l’on prend ces trois vertus comme des dons du Saint-Esprit pour la vie présente, elles se rattachent à la foi comme au principe qu’elles présupposent. Aussi, même à ce point de vue, la foi est plus certaine qu’elles.

Solutions :

1. Ce doute ne saurait être attribué à la cause de la foi. Il est relatif à nous 13@ en tant que nous ne saisissons pas pleinement par l’intelligence les vérités de foi.

2. Toutes choses égales d’ailleurs, ce qu’on voit est plus certain que ce qu’on entend. Mais si celui que l’on entend surpasse de beaucoup ce que l’on voit, alors il y a plus de certitude à entendre qu’à voir. De même, si l’on n’a qu’une petite science, on est plus sûr de ce qu’on entend dire à un savant que de ce qu’il semble qu’on voie selon sa propre raison. Or, l’homme est beaucoup plus certain de ce qu’il entend de Dieu, qui ne peut se tromper, que de ce qu’il voit par sa propre raison, laquelle peut se tromper.

3. La perfection de l’intelligence et de la science dépasse la connaissance de foi par une plus grande évidence, non par une adhésion plus certaine. Parce que toute la certitude de l’intelligence ou de la science, en tant que ce sont des dons, procède de la certitude de la foi, de même que la certitude dans la connaissance des conclusions procède de la certitude des principes. Mais, selon que science, sagesse et intelligence sont des vertus intellectuelles, elles se fondent sur la lumière naturelle de la raison, bien inférieure à la certitude provenant de la parole de Dieu, sur laquelle se fonde la foi.

 

 

QUESTION 5 — CEUX QUI ONT LA FOI

1. Est-ce que, dans sa condition première, l’ange ou l’homme a eu la foi ? - 2. Les démons ont-ils la foi ? - 3. Des hérétiques dans l’erreur sur un seul article de foi ont-ils la foi sur les autres articles ? - 4. Parmi ceux qui ont la foi, l’un peut-il l’avoir plus grande qu’un autre ?

 

            Article 1 — Est-ce que, dans sa condition première, l’ange ou l’homme a eu la foi ?

Objections :

1. Il semble que non. Hugues de Saint-Victor dit en effet : " Parce qu’on n’a pas ouvert l’œil de la contemplation, on n’a pas la force de voir Dieu et ce qui est en Dieu. " Mais l’ange, dans l’état de sa condition première, avant sa confirmation ou sa chute, avait ouvert l’œil de la contemplation : il voyait les choses dans le Verbe, dit S. Augustin. Et pareillement le premier homme dans l’état d’innocence semble avoir ouvert l’œil de la contemplation : dans ce premier état " il a connu son Créateur ", dit Hugues de Saint-Victor dans ses Sentences, " non de cette connaissance qu’on reçoit du dehors uniquement par audition, mais de celle qui est fournie du dedans par inspiration ; non de celle par laquelle les croyants cherchent maintenant dans la foi un Dieu absent, mais de celle qui le faisait apercevoir plus manifestement dans une présence de contemplation ". Donc, ni l’homme ni l’ange, dans l’état de sa condition première, n’a eu la foi.

2. La connaissance de foi est énigmatique et obscure. " Nous voyons maintenant, dit l’Apôtre (1 Co 13, 12) par un miroir, en énigme. " Or, dans leur condition première, il n’y avait ni chez l’homme ni chez l’ange aucune obscurité, car l’obscurcissement est le châtiment du péché. Donc, la foi n’a pas pu exister chez l’homme ni chez l’ange dans l’état de leur premier établissement.

3. Enfin l’Apôtre (Rm 10, 17) dit que " la foi vient de la prédication qu’on entend, et la prédication vient de la parole de Dieu ". Mais cela n’avait pas sa place dans le premier état de la condition angélique ou humaine ; car il n’y avait pas lieu de s’instruire par autrui. Donc, dans ce état, il n’y avait de foi ni chez l’homme ni chez l’ange.

En sens contraire, l’Apôtre affirme (He 11, 6) : " Celui qui s’approche de Dieu doit croire. " Mais l’ange et l’homme dans la première condition étaient en état de s’approcher de Dieu. Ils avaient donc besoin de la foi.

Réponse :

Certains disent que, chez les anges avant la confirmation et la chute, et chez l’homme avant le péché, la foi n’a pas existé en raison de la vision manifeste qu’on avait alors des réalités divines. Mais comme la foi reste " la preuve de ce qui ne se voit pas ", selon l’Apôtre (He 11, 1), et que " par elle on croit ce qu’on ne voit pas ", dit S. Augustin, cette manifestation, à elle seule, exclut la raison de foi, puisqu’elle rend apparent et fait voir ce qui est l’objet principal de la foi. Mais le principal objet de la foi, c’est la Vérité première dont la vision fait les bienheureux et se substitue à la foi. Donc, puisque ni l’ange avant sa confirmation ni l’homme avant son péché n’a eu cette béatitude dans laquelle on voit Dieu par son essence, il est évident qu’ils n’eurent pas une connaissance assez claire pour exclure essentiellement la foi. Donc, si l’un ou l’autre n’a pas eu la foi, ce n’a pu être que parce qu’il est demeuré dans une profonde ignorance de ce dont il s’agit dans la foi. Et si l’homme et l’ange avaient été créés, comme certains le disent, dans l’état de pure nature, peut-être pourrait-on soutenir que la foi n’a existé ni chez l’ange avant sa confirmation ni chez l’homme avant son péché ; car la connaissance de foi est au-dessus de la connaissance naturelle que peut avoir de Dieu non seulement l’homme mais aussi l’ange. Toutefois, puisque nous avons déjà dit dans la première Partie que l’homme et l’ange ont été créés avec le don de la grâce, il est nécessaire de dire que cette grâce reçue et non encore consommée a mis en eux un commencement de la béatitude espérée ; et cette béatitude commence bien dans la volonté par l’espérance et par la charité, mais dans l’intelligence par la foi, nous l’avons dit récemment. C’est pourquoi il est nécessaire de dire que l’ange avant d’être confirmé en grâce avait eu la foi, et pareillement l’homme avant le péché.

Mais il faut tenir compte de ce qu’il y a dans l’objet de foi un côté pour ainsi dire formel : cette Vérité première qui demeure au-dessus de toute connaissance naturelle de la créature, et un côté matériel qui est ce à quoi nous donnons assentiment en adhérant à la Vérité première. Quant au premier de ces deux aspects, la foi existe communément chez tous ceux qui, sans avoir encore obtenu la béatitude future, possèdent une connaissance de Dieu en adhérant à la Vérité première. Mais, quant aux choses qui sont matériellement proposées à croire, certaines sont crues par l’un, qui sont manifestement sues par un autre, même dans l’état présent, comme nous l’avons expliqué plus haut. Et à cet égard aussi on peut dire que l’ange avant sa confirmation et l’homme avant son péché ont connu d’une connaissance manifeste certaines choses sur les mystères divins que nous ne pouvons maintenant connaître que par la foi.

Solutions :

1. Bien que les dires d’Hugues de Saint-Victor ne soient que d’un maître et n’aient pas la force d’une autorité, on peut en tenir compte en précisant que la contemplation qui supprime la nécessité de la foi, c’est la contemplation de la patrie, dans laquelle la vérité surnaturelle est vue par son essence. Or, cette contemplation, l’ange ne l’eut pas avant sa confirmation, ni l’homme avant son péché. Mais leur contemplation était plus élevée que la nôtre ; par elle, s’approchant d’avantage de Dieu, ils pouvaient connaître clairement sur les effets divins plus de choses que nous ne le pouvons. Aussi n’y avait-il pas en eux une foi qui leur fit chercher Dieu de loin comme nous le cherchons. Dieu leur était en effet plus présent par la lumière de la sagesse qu’il ne l’est à nous, bien qu’il ne fût pas présent à eux comme il l’est aux bienheureux par la lumière de gloire.

2. Dans l’état de cette première condition de l’homme ou de l’ange, il n’y avait pas l’obscurité de la faute ou du châtiment. Il y avait cependant dans l’intelligence de l’homme et dans celle de l’ange une certaine obscurité naturelle, selon que toute créature est ténèbre en comparaison de l’immensité de la lumière divine. Et cette obscurité suffit pour réaliser la raison de foi.

3. Dans l’état de cette première condition il n’y avait pas à entendre un homme parlant extérieurement, mais Dieu qui inspirait intérieurement. C’est d’ailleurs ainsi que les prophètes entendaient, selon cette parole du Psaume (85, 9 Vg) : " J’écouterai ce que mon Dieu dira en moi. "

 

            Article 2 — Les démons ont-ils la foi ?

Objections :

1. Il y a toute apparence que non. " La consistance de la foi, dit S. Augustin, réside dans la volonté des croyants. " Or, c’est par une volonté bonne que l’on veut croire Dieu. Si l’on admet, comme nous l’avons dit dans la première Partie. qu’il n’y a chez les démons aucune volonté délibérée qui soit bonne, il semble qu’il n’y ait pas chez eux de foi.

2. La foi est un don de la grâce divine dit S. Paul (Ep 2, 8) : " C’est par grâce que vous avez été sauvés par la foi ; elle est en effet un don de Dieu. " Mais les démons ont perdu par le péché les dons de la grâce comme dit la Glose sur ce passage d’Osée (3, 1) : " Ils regardent vers des dieux étrangers et ils aiment les gâteaux de raisin. " La foi n’est donc pas restée chez les démons après leur péché.

3. L’infidélité paraît bien être le plus grave des péchés. S. Augustin l’enseigne sur cette parole en S. Jean (15, 22) : " Si je n’étais pas venu et que je ne leur eusse pas parlé, ils n’auraient pas de péché ; mais maintenant ils n’ont pas d’excuse à leur péché. " Or le péché d’infidélité existe chez certains hommes. Par conséquent, s’il restait de la foi chez les démons, le péché de hommes serait plus grave que celui des démons, ce qui ne semble pas admissible. Donc il n’existe pas de foi chez les démons.

En sens contraire, S. Jacques (2, 19) que " les démons croient, et ils tremblent ".

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, l’intelligence du croyant adhère à la réalité à laquelle il croit, non parce qu’elle voit cette réalité, soit en la regardant elle-même, soit en la ramenant à de premiers principes vus par soi, mais parce que l’autorité divine la convainc d’adhérer à ce qu’elle ne voit pas, et à cause du commandement de la volonté qui meut l’intellect et qui obéit à Dieu. Mais que la volonté meuve ainsi l’intelligence à donner un assentiment, cela peut venir de deux causes. D’une part, de ce que la volonté est ordonnée au bien, et alors croire est un acte louable. D’autre part, de ce que l’intelligence est convaincue au point d’estimer qu’elle ne peut faire autrement que de croire à ce qui est dit, encore qu’elle ne soit pas convaincue par l’évidence de la chose. Par exemple, si un prophète prédisait dans un discours inspiré par le Seigneur un événement futur, et s’il produisait un signe en ressuscitant un mort, par ce signe même celui qui le voit recevrait dans son intelligence une conviction telle qu’il connaîtrait clairement que la chose est dite par Dieu, qui ne ment pas ; et pourtant l’événement futur, celui qui est prédit, ne serait pas évident en soi si bien que cela ne détruirait pas la raison de foi. Nous devons donc conclure que chez les fidèles du Christ ce qu’on loue c’est la foi à la première manière. De cette manière elle n’existe pas chez les démons. Mais elle existe chez eux uniquement de la seconde manière. Ils voient en effet beaucoup d’indices évidents par lesquels ils perçoivent que l’enseignement de l’Église vient de Dieu, bien qu’ils ne voient pas les réalités mêmes que l’Église enseigne, par exemple que Dieu est trine et un, ou quelque chose de ce genre.

Solutions :

1. La foi des démons est en quelque sorte une foi forcée par l’évidence des signes. Et c’est pour cela qu’il n’y a pas à louer leur volonté parce qu’ils croient.

2. La foi qui est un don de la grâce incline l’homme à croire par un certain attachement au bien, même quand cette foi demeure informe. Aussi la foi qui existe chez les démons n’est-elle pas un don de la grâce ; ils sont plutôt forcés à croire par la perspicacité de leur intelligence naturelle.

3. Il déplaît aux démons que les signes de la foi soient si évidents qu’ils se trouvent contraints à croire. Et c’est pourquoi la malice des démons n’est en rien diminuée par le fait qu’ils croient.

 

            Article 3 — Des hérétiques dans l’erreur sur un seul article de foi ont-ils la foi sur les autres articles ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car l’intelligence naturelle d’un hérétique n’est pas plus forte que celle d’un catholique. Mais l’intelligence d’un catholique a besoin, pour croire à n’importe quel article de foi, d’être aidée par le don de la foi. Il semble donc que les hérétiques ne puissent pas non plus croire quelques articles sans le don de la foi informe.

2. Il y a dans la foi de multiples articles comme il y a dans une science, la géométrie par exemple, de multiples conclusions. Mais quelqu’un peut avoir la science de la géométrie en ce qui concerne certaines conclusions géométriques tout en ignorant les autres. Donc quelqu’un peut avoir la foi par rapport à quelques articles de foi, tout en ne croyant pas aux autres.

3. C’est obéir à Dieu que de croire aux articles de la foi, comme d’observer les commandements de la loi. Mais on peut être obéissant pour certains commandements et non pour d’autres. On peut donc aussi avoir la foi sur certains articles et non sur d’autres.

En sens contraire, de même que le péché mortel s’oppose à la charité, le refus de croire à un seul article s’oppose à la foi. Or la charité ne reste pas dans l’homme après un seul péché mortel. Donc la foi non plus après qu’on refuse de croire à un seul article de foi.

Réponse :

L’hérétique qui refuse de croire à un seul article de foi ne garde pas l’habitus de foi, ni de foi formée, ni de foi informe. Cela vient de ce que, dans un habitus quel qu’il soit, l’espèce dépend de ce qu’il y a de formel dans l’objet ; cela enlevé, l’habitus ne peut demeurer dans son espèce. Or, ce qu’il y a de formel en l’objet de foi, c’est la vérité première telle qu’elle est révélée dans les Saintes Écritures et dans l’enseignement de l’Église, qui procède de la Vérité première. Par suite, celui qui n’adhère pas, comme à une règle infaillible et divine, à l’enseignement de l’Église qui procède de la Vérité première révélée dans les Saintes Écritures, celui-là n’a pas l’habitus de la foi. S’il admet des vérités de foi, c’est autrement que par la foi. Comme si quelqu’un garde en son esprit une conclusion sans connaître le moyen qui sert à la démontrer, il est clair qu’il n’en a pas la science, mais seulement une opinion.

En revanche, il est clair aussi que celui qui adhère à l’enseignement de l’Église comme à une règle infaillible, donne son assentiment à tout ce que l’Église enseigne. Autrement, s’il admet ce qu’il veut de ce que l’Église enseigne, et n’admet pas ce qu’il ne veut pas admettre, à partir de ce moment-là il n’adhère plus à l’enseignement de l’Église comme à une règle infaillible, mais à sa propre volonté. Ainsi est-il évident que l’hérétique qui refuse opiniâtrement de croire à un seul article n’est pas prêt à suivre en tout l’enseignement de l’Église ; car s’il n’a pas cette opiniâtreté, il n’est pas déjà hérétique, il est seulement dans l’erreur. Par là il est clair que celui qui est un hérétique opiniâtre à propos d’un seul article, n’a pas la foi à propos des autres articles, mais une certaine opinion dépendant de sa volonté propre.

Solutions :

1. Les autres articles de foi sur lesquels l’hérétique n’est pas dans l’erreur, il ne les admet pas de la même manière que les admet le fidèle, c’est-à-dire par une simple adhésion à la Vérité premières, adhésion pour laquelle on a besoin d’être aidé par l’habitus de foi. L’hérétique, lui, admet des points de foi par sa propre volonté et par son propre jugement.

2. Dans les diverses conclusions d’une même science, il y a divers moyens pour établir les preuves, et l’un peut être connu sans l’autre. C’est pourquoi on peut savoir certaines conclusions d’une science tout en ignorant les autres. Mais la foi adhère à tous les articles de foi en raison d’un seul moyen, c’est-à-dire de la Vérité première telle qu’elle nous est proposée dans les Écritures sainement comprises selon l’enseignement de l’Église. C’est pourquoi celui qui se détache de ce moyen est totalement privé de la foi.

3. Les divers préceptes de la loi peuvent être rapportés à divers motifs prochains, et sous cet angle on peut observer l’un sans l’autre ; ou bien à l’unique motif premier qui est d’obéir à Dieu parfaitement, et c’est de quoi s’écarte quiconque transgresse un seul précepte selon la parole de S. Jacques (2, 10) ; " Celui qui a péché sur un point s’est rendu coupable de tous. "

 

            Article 4 — Parmi ceux qui ont la foi, l’un peut-il l’avoir plus grande qu’un autre ?

Objections :

1. Cela ne semble pas possible. Car la grandeur d’un habitus dépend des objets. Mais quiconque a la foi croit à toutes les choses qui sont de foi, puisque celui qui est en défaut sur un seul point perd totalement la foi, nous venons de le voir. Il ne paraît donc pas que la foi puisse être plus grande chez l’un que chez l’autre.

2. D’ailleurs les choses qui sont à un sommet ne reçoivent pas le plus et le moins. Or tel est le cas de la foi ; elle est par sa raison formelle à un sommet puisqu’elle exige qu’on s’attache par-dessus tout à la Vérité première. Elle ne reçoit donc pas le plus et le moins.

3. Dans la connaissance selon la grâce, la foi a le même rôle que l’intelligence des principes dans la connaissance selon la nature, du fait que les articles de foi sont les premiers principes de la connaissance, nous l’avons montré. Mais l’intelligence des principes se rencontre d’une manière égale chez tous les humains. Donc la foi se trouve aussi d’une manière égale chez tous les fidèles.

En sens contraire, partout où l’on trouve du petit et du grand, on trouve aussi du plus petit et du plus grand. C’est le cas dans la foi. Le Seigneur dit à Pierre (Mt 14, 31) : " Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? " Et à la femme il a dit (Mt 15, 28) : " Femme ta foi est grande. " C’est donc que la foi peut être plus grande chez l’un que chez l’autre.

Réponse :

Nous l’avons dit, la grandeur d’un habitus est mesurée par deux choses : par l’objet, et selon le degré de participation du sujet. Or l’objet de foi peut être considéré sous un double aspect : dans sa raison formelle, et dans les choses qui sont matériellement proposées comme ce qu’on doit croire. L’objet formel de la foi est un et simple : c’est la Vérité première, nous l’avons déjà dit ; aussi, de ce côté, la foi ne se diversifie pas chez les croyants, elle est chez tous unique en son espèce, nous l’avons dit également. Mais, pour les choses que l’on propose comme matière de la foi, elles sont plusieurs, et on peut les accueillir plus ou moins explicitement. De ce fait, quelqu’un peut croire explicitement plus de choses qu’un autre, ce qui fait que la foi peut être plus grande chez quelqu’un, dans le sens d’une plus grande explicitation. Mais, si l’on considère la foi suivant la participation du sujet, l’inégalité se présente de deux façons. Car l’acte de la foi, nous l’avons dit, découle et de l’intelligence et de la volonté. On peut donc dire que la foi est plus grande chez quelqu’un, du côté de l’intelligence, en raison d’une certitude et d’une fermeté plus grandes ; dit côté de la volonté, en raison d’une disponibilité d’une générosité ou d’une confiance plus grande.

Solutions :

1. Celui qui refuse opiniâtrement de croire à l’un des points qui sont contenus dans la foi, n’a pas l’habitus de foi, tandis que celui qui ne croit pas explicitement tout, mais qui est prêt à croire tout, a cet habitus de foi. Et c’est ce qui fait que, du côté de l’objet, l’un a une foi plus grande que l’autre, dans le sens que nous venons de dire, en tant qu’il croit explicitement plus de choses.

2. Il est de l’essence de la foi que la Vérité première soit préférée à tout. Mais parmi ceux qui la préfèrent à tout, il en est qui se soumettent à elle avec plus de certitude et de générosité que d’autres. Et en ce sens la foi est plus grande chez l’un que chez l’autre.

3. L’intelligence des principes est une conséquence de la nature humaine elle-même, laquelle se trouve chez tous d’une manière égale. Mais la foi est une conséquence du don de la grâce, lequel n’est pas égal chez tous, comme nous l’avons remarqués. Le raisonnement n’est donc pas le même dans les deux cas. Cependant, selon qu’il a une grande capacité d’intelligence, quelqu’un connaît plus qu’un autre la force des principes.

 

 

QUESTION 6 — LA CAUSE DE LA FOI

1. La foi est-elle infusée à l’homme par Dieu ? - 2. La foi informe est-elle un don de Dieu ?

 

            Article 1 — La foi est-elle infusée à l’homme par Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Augustin affirme : " La foi est engendrée, nourrie, défendue, et fortifiée en nous par la science. " Mais ce qui est engendré en nous par la science semble être plus acquis qu’infus. La foi n’est donc pas en nous, à ce qu’il semble, par infusion divine.

2. Ce que l’homme atteint en écoutant et en regardant paraît bien être acquis par lui. Mais l’homme parvient à croire en voyant les miracles et en écoutant l’enseignement de la foi. Il est écrit en S. Jean (4, 58) : " Le père se rendit compte que c’était l’heure à laquelle Jésus lui avait dit : "Ton fils est vivant." Aussi crut-il, lui et toute sa maison. " Et S. Paul écrit (Rm 10, 17) : " La foi vient de ce qu’on entend. " L’homme possède donc la foi par acquisition.

3. Ce qui réside dans la volonté de l’homme peut être acquis par l’homme. Or, dit S. Augustin : " la foi réside dans la volonté des croyants ". Donc elle peut être acquise par l’homme.

En sens contraire, il est écrit (Ep 2, 18) " C’est par la grâce que vous avez été sauvés moyennant la foi ; cela ne vient pas de vous, afin que nul ne se glorifie : c’est un don de Dieu. "

Réponse :

Deux conditions sont requises pour la foi. L’une est que les choses à croire soient proposées à l’homme, et cette condition est requise pour que l’homme croie à quelque chose d’une manière explicite. L’autre condition requise pour la foi est l’assentiment du croyant à ce qui est proposé. Quant au premier point, il faut nécessairement que la foi vienne de Dieu. Car les vérités de foi dépassent la raison humaine. Aussi ne sont-elles pas connues par l’homme si Dieu ne les révèle. Mais, tandis qu’à certains il les révèle immédiatement, comme il l’a fait aux Apôtres et aux Prophètes, à certains il les propose en envoyant les prédicateurs de la foi selon S. Paul (Rm 10, 15) : " Comment prêcheront-ils s’ils ne sont pas envoyés ? " Quant à la seconde condition, qui est l’assentiment de l’homme aux choses de la foi, on peut considérer une double cause. Il en est une qui de l’extérieur induit à croire : ce sera par exemple la vue d’un miracle ou l’action persuasive d’un homme qui exhorte à la foi. Ni l’une ni l’autre de ces deux causes n’est suffisante ; car, parmi ceux qui voient un même miracle et qui entendent la même prédication, les uns croient et les autres ne croient pas. Voilà pourquoi il faut admettre une autre cause, intérieure celle-ci, qui meut l’homme à adhérer aux vérités de foi. Mais cette cause, les pélagiens la plaçaient uniquement dans le libre arbitre de l’homme, et c’est pourquoi ils affirmaient que le commencement de la foi vient de nous, en ce sens qu’il dépend de nous que nous soyons prêts à adhérer aux vérités de foi ; seul l’achèvement de la foi vient de Dieu, parce que c’est lui qui nous propose ce que nous devons croire. Mais cela est faux, parce que lorsqu’il adhère aux vérités de foi, l’homme est élevé au-dessus de sa nature ; il faut donc que cela vienne en lui par un principe surnaturel qui le meuve du dedans, et qui est Dieu. C’est pourquoi la foi, quant à l’adhésion qui en est l’acte principal, vient de Dieu qui nous meut intérieurement par sa grâce.

Solutions :

1. La science engendre et nourrit la foi à la manière d’une persuasion extérieure qui provient d’une certaine science. Mais la cause principale de la foi, sa cause propre, c’est ce qui intérieurement porte à l’assentiment.

2. Cet argument, lui aussi, est valable pour la cause qui propose extérieurement les vérités de foi, ou qui exhorte à croire par des paroles ou par des faits.

3. L’acte de croire réside bien dans la volonté des croyants. Mais il faut que la volonté de l’homme soit préparée par Dieu moyennant la grâce, pour que cette volonté soit élevée à des choses qui dépassent la nature, nous venons de le dire.

 

            Article 2 — La foi informe est-elle un don de Dieu ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car il est écrit au Deutéronome (32, 4) : " Les œuvres de Dieu sont parfaites ", alors que la foi informe est quelque chose d’imparfait. Elle n’est donc pas une œuvre de Dieu.

2. Comme on dit qu’un acte est difforme parce qu’il est privé de la forme requise, ainsi dit-on que la foi est informe parce qu’elle est privée de la forme requise. Or l’acte difforme du péché ne vient pas de Dieu, avons-nous dit précédemment. La foi informe ne vient donc pas non plus de Dieu.

3. D’ailleurs, tout ce que Dieu guérit, il le guérit totalement selon cette parole en S. Jean (7, 23). " Alors qu’un homme reçoit la circoncision le jour du sabbat pour que la loi de Moïse soit respectée, vous vous indignez contre moi parce que j’ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat. " Mais par la foi l’homme est guéri de l’infidélité. Quiconque par conséquent reçoit de Dieu le don de la foi est guéri en même temps de tous ses péchés. Mais cela ne se produit que par la foi formée. Elle seule est donc un don de Dieu, et non la foi informe.

En sens contraire, une glose dit que " la foi qui est sans la charité est un don de Dieu ". Or cette foi est la foi informe ; donc celle-ci est un don de Dieu.

Réponse :

Le manque de forme est une privation. Mais il faut considérer que la privation appartient parfois à la raison de l’espèce ; parfois non, car elle s’ajoute à une réalité qui a déjà son espèce propre. Ainsi la privation de l’équilibre normal des humeurs définit ce qui constitue spécifiquement la maladie ; en revanche, l’obscurité n’entre pas dans la définition de ce qui constitue spécifiquement la matière diaphane, elle s’ajoute seulement à cette matière. Donc, lorsqu’on assigne à une réalité sa cause, cela s’entend de l’assignation de la cause qui fait que la réalité existe dans sa propre espèce. Aussi ne peut-on dire que ce qui n’est pas cause de la privation soit cause de la réalité, quand la privation entre précisément dans la définition spécifique de cette réalité. Ainsi, on ne peut assigner comme cause de la maladie ce qui n’est pas cause d’un déséquilibre des humeurs. On peut cependant dire d’une chose qu’elle est cause d’une matière diaphane, bien qu’elle ne soit pas cause de l’obscurité, parce que celle-ci ne fait pas partie de la définition même du corps diaphane. Ainsi le manque de forme dans la foi n’appartient pas à la notion spécifique de la foi elle-même, puisque la foi est dite informe par le défaut, avons-nous dit, d’une certaine forme extérieure à elle. C’est pourquoi cela est cause de la foi informe, qui est cause de la foi tout court. Or c’est Dieu, avons-nous dite. Il reste donc que la foi informe soit un don de Dieu.

Solutions :

1. Bien que la foi informe ne soit pas parfaite absolument de la perfection qui fait la vertu, elle l’est cependant d’une certaine perfection qui suffit à la raison de foi.

2. La difformité dans l’action atteint celle-ci dans ce qu’elle a de spécifique en tant qu’acte moral, nous l’avons dit à propos des actes humains. Une action est difforme en effet par la privation d’une forme qui lui est intrinsèque, n’étant autre que la juste mesure dans toutes les circonstances de l’acte. C’est pourquoi on ne peut jamais dire que Dieu soit cause d’un acte difforme, parce que Dieu n’est pas cause d’un pareil manque de forme, encore qu’il soit cause de l’acte en tant qu’acte. - Ou encore, il faut remarquer que le manque de forme peut impliquer non seulement la privation de la forme que l’acte devrait avoir, mais aussi la disposition contraire. De ce point de vue la difformité est à l’acte ce que la fausseté est à la foi. C’est pourquoi, de même que Dieu n’est pas l’auteur d’un acte déformé il ne l’est pas non plus d’une foi faussée. Et, de même que Dieu est l’auteur d’une foi qui n’est qu’informe, il l’est aussi des actes qui sont bons dans leur genre quoique pas informés par la charité, comme il arrive la plupart du temps chez les pécheurs.

3. Celui qui reçoit de Dieu la foi sans la charité, n’est pas absolument guéri de l’infidélité, la culpabilité de son infidélité précédente n’est pas enlevée. Il est guéri jusqu’à un certain point, c’est-à-dire qu’il ne commet plus le péché d’infidélité. C’est là un cas qui se présente fréquemment : quelqu’un s’arrête, par l’action de Dieu, de commettre un acte de péché, qui cependant ne s’arrête pas, sous l’influence de sa propre iniquité, d’accomplir l’acte d’un péché d’une autre sorte. C’est de cette manière que Dieu donne quelquefois à un homme de croire, sans lui accorder cependant le don de la charité, comme il accorde aussi à quelques-uns, en dehors de la charité, le don de prophétie ou quelque chose de semblable.

 

 

QUESTION 7 — LES EFFETS DE LA FOI

La crainte est-elle un effet de la foi ? - 2. La purification du cœur est-elle en effet de

 

            Article 1 — La crainte est-elle un effet de la foi ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’effet ne précède pas la cause. Or la crainte précède la foi, selon l’Ecclésiastique (2, 8) : " Vous qui craignez Dieu, croyez-le. " La crainte n’est donc pas un effet de la foi.

2. Une même chose n’est pas la cause d’effets contraires. Or la crainte et l’espérance, avons-nous dit, à propos des passions, sont des contraires. Mais il est dit dans la Glose que " la foi engendre l’espérance ". Elle n’est donc pas cause de crainte.

3. Un contraire, enfin, n’est pas cause de son contraire. Or l’objet de la foi est un bien, la Vérité première ; tandis que celui de la crainte, nous l’avons dit, est un mal. Or, les actes tirent leur espèce de leurs objets. La foi ne peut donc pas causer la crainte.

En sens contraire, il y a la parole de S. Jacques (2, 19) : " Les démons croient, et ils tremblent. "

Réponse :

La crainte, avons-nous dit, est un certain mouvement de la puissance appétitive. Mais le principe de tous les mouvements d’appétit, c’est la connaissance d’un bien ou d’un mal. Il faut donc que la crainte, comme tous les mouvements d’appétit, ait pour principe une perception. Or la foi produit précisément en nous une certaine perception concernant certains maux, qui sont les châtiments infligés selon le jugement de Dieu. De cette façon, la foi est cause de la crainte par laquelle on redoute d’être puni par Dieu, et qui est la crainte servile. La foi est aussi cause de la crainte filiale, par laquelle on redoute d’être séparé de Dieu, ou bien par laquelle on évite de se comparer à Dieu par respect pour lui. Cela vient de la foi qui nous fait estimer Dieu comme un bien immuable et suprême : être séparé de lui est le plus grand mal, et vouloir s’égaler à lui est mal. Mais la première crainte, qui est servile, a pour cause la foi informe. La seconde, la crainte filiale, a pour cause la formée, celle qui fait que par la charité l’homme adhère à Dieu et se soumet à lui.

Solutions :

1. La crainte de Dieu ne peut précéder la foi en tout, car si nous étions tout fait dans l’ignorance de Dieu quant aux récompenses ou aux châtiments dont nous sommes instruits par la foi, nous ne le craindrions en aucune façon. Mais, supposé que la foi existe dans une âme touchant quelques-uns des articles de foi, touchant par exemple l’excellence divine, la crainte révérencielle s’ensuit, et cette crainte à son tour entraîne l’homme à soumettre son intelligence à Dieu pour croire à tout ce qui est promis par Dieu. D’où ce mot à la suite du texte cité " Et votre récompense ne manquera pas. "

2. Une même chose peut bien, sous des aspect contraires, causer des effets contraires ; mais non la même chose sous un même aspect. D’un côté la foi engendre l’espérance en nous faisant apprécier les récompenses que Dieu accorde aux justes. Mais, d’un autre côté, elle est cause de crainte en tant qu’elle suscite en nous la pensée des châtiments qu’il veut infliger aux pécheurs.

3. L’objet premier et formel de la foi, c’est ce bien qui est la Vérité première. Mais matériellement, dans ce qui est proposé à la foi, on doit croire aussi à certains maux, par exemple que c’est un mal de ne pas se soumettre à Dieu ou d’être séparé de lui, et que les pécheurs auront à supporter les châtiments de Dieu. A cet égard la foi peut être cause de crainte.

 

            Article 2 — La purification du cœur est-elle un effet de la foi ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car la pureté du cœur se situe surtout dans les affections. Mais la foi est dans l’intelligence. Donc elle ne cause pas la purification du cœur.

2. Ce qui cause la purification du cœur ne peut exister en même temps que l’impureté. Or la foi peut exister en même temps que l’impureté du péché, comme on le voit chez ceux qui ont une foi informe. Donc la foi ne purifie pas le cœur.

3. Si la foi purifiait en quelque manière le cœur de l’homme, c’est surtout son intelligence qu’elle purifierait. Mais elle ne purifie pas l’esprit de son obscurité puisqu’elle est une connaissance énigmatique. D’aucune manière donc elle ne purifie le cœur.

En sens contraire, S. Pierre dit (Ac 15, 9) " Dieu a purifié leurs cœurs par la foi. "

Réponse :

Une chose est impure en ce qu’elle est mélangée à de plus viles. On ne dit pas en effet que l’argent est impur par l’alliage de l’or, qui augmente sa valeur ; mais il l’est par l’alliage du plomb ou de l’étain. Or il est évident que la créature raisonnable a plus de dignité que toutes les créatures temporelles et corporelles. C’est pourquoi elle est rendue impure par le fait qu’elle se soumet à elles par l’amour. De cette impureté elle est ensuite purifiée par le mouvement contraire, c’est-à-dire lorsqu’elle tend à ce qui est au-dessus d’elle, à Dieu. Dans ce mouvement, il est sûr que le premier principe c’est la foi : " Celui qui s’approche de Dieu doit croire " (He 11, 6). Et voilà pourquoi le principe premier de la purification du cœur est la foi. Et si cette foi trouve sa perfection dans une charité formée, elle cause une parfaite purification.

Solutions :

1. Ce qui est dans l’intelligence est le principe de ce qui est dans les affections, en tant que le bien perçu par l’intelligence met en mouvement l’affection.

2. Même informe, la foi exclut une certaine impureté qui lui est opposée : l’impureté de l’erreur. Cette impureté provient de ce que l’intelligence humaine adhère d’une manière désordonnée aux réalités inférieures, aussi longtemps qu’elle veut mesurer le divin d’après des raisons qui ne s’appliquent qu’aux choses sensibles. Mais quand la foi est formée par la charité, alors elle ne souffre plus avec elle aucune impureté : " La charité couvre toutes les fautes ", selon les Proverbes (10, 12).

3. L’obscurité de la foi ne relève pas de l’impureté de la faute, mais plutôt du défaut naturel de l’intelligence humaine dans l’état de la vie présente.

Il faut étudier maintenant ce qui concerne le don d’intelligence (Q. 8) et le don de science (Q. 9), qui correspondent à la vertu de foi.

 

 

QUESTION 8 — LE DON D’INTELLIGENCE

1. L’intelligence est-elle un don de l’Esprit Saint ? - 2. Ce don peut-il exister chez un homme en même temps que la foi ? - 3. Cette intelligence, qui est un don du Saint-Esprit, est-elle seulement spéculative, ou bien est-elle en outre pratique ? - 4. Tous ceux qui sont en état de grâce ont-ils le don d’intelligence ? - 5. Chez quelques-uns ce don se trouve-t-il sans la grâce ? - 6. Quel rapport y a-t-il entre le don d’intelligence et les autres dons ? - 7. Ce qui correspond à ce don dans les béatitudes. - 8. Ce qui lui correspond dans les fruits du Saint-Esprit.

 

            Article 1 — L’intelligence est-elle un don de l’Esprit Saint ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car les dons de la grâce sont distincts de ceux de la nature ils y sont surajoutés. Mais comme le montre Aristote, l’intelligence est dans l’âme un certain habitus naturel par lequel sont connus les principes naturellement évidents. On ne doit donc pas en faire un don de l’Esprit Saint.

2. Comme on le voit chez Denys, les dons divins sont participés par les créatures selon la proportion et le mode de celles-ci. Or le mode de la nature humaine, c’est de connaître la vérité, non pas d’une manière simple, ce qui est essentiel à l’intelligence, mais d’une manière discursive, ce qui est le propre de la raison, comme le montre aussi Denys. Donc la connaissance divine qui est donnée aux hommes doit être appelée plutôt un don de raison qu’un don d’intelligence.

3. Dans les puissances de l’âme, l’intelligence est distincte de la volonté, comme le montre Aristote. Mais aucun don de l’Esprit Saint n’est appelé volonté. Donc aucun non plus ne doit être appelé intelligence.

En sens contraire, il est dit en Isaïe (11, 2) " Sur lui reposera l’esprit du Seigneur, l’esprit de sagesse et d’intelligence. "

Réponse :

Le mot d’intelligence implique une certaine connaissance intime : faire acte d’intelligence c’est en effet comme " lire dedans. " Et c’est là une chose évidente pour ceux qui voient la différence entre l’intelligence et le sens ; car la connaissance par sensation est tout occupée de ce qui concerne les qualités sensibles extérieures, tandis que la connaissance intellectuelle pénètre jusqu’à l’essence de la réalité.

L’objet de l’intelligence, c’est en effet le " ce que c’est ", comme dit Aristote. Or les choses cachées au-dedans sont de beaucoup de sortes, et il faut que la connaissance de l’homme pénètre pour ainsi dire au-dedans. Car, sous les accidents se cache la nature substantielle des choses, sous les mots se cache ce qui est signifié par les mots, sous les similitudes et les figures se cache la vérité figurée ; de même les réalités intelligibles sont en quelque sorte intérieures par rapport aux réalités sensibles qui se font sentir extérieurement, comme dans les causes sont cachés les effets, et inversement. D’où, par rapport à tout cela, on peut parler d’intelligence. Mais, puisque la connaissance, chez l’homme, commence par les sens comme à partir de l’extérieur, il est évident que plus la lumière de l’intelligence est forte, plus elle peut pénétrer à l’intime des choses. Or la lumière naturelle de notre intelligence n’a qu’une vertu limitée ; de là elle ne peut parvenir qu’à certaines limites déterminées. Donc, l’homme a besoin d’une lumière surnaturelle pour pénétrer au-delà, jusqu’à la connaissance de choses qu’il n’est pas capable de connaître par sa lumière naturelle. C’est cette lumière surnaturelle donnée à l’homme qui s’appelle le don d’intelligence.

Solutions :

1. La lumière naturelle qui est innée en nous fait connaître immédiatement certains principes généraux qui sont connus naturellement. Mais, parce que l’homme est ordonné, avons-nous dit, à la béatitude surnaturelle, il est nécessaire qu’il parvienne au-delà jusqu’à des réalités plus hautes, et pour cela il faut le don d’intelligence.

2. Le mouvement discursif de la raison commence et se termine à l’intelligence ; nous raisonnons en effet à partir de certaines choses dont nous avons l’intelligence, et le mouvement de la raison est achevé dès que nous parvenons à l’intelligence de ce qui jusque-là nous était inconnu. Donc, ce que nous élaborons dans la raison découle de quelque chose que nous avions précédemment dans l’intelligence. Mais le don de la grâce ne découle pas de la lumière de la nature, il lui est au contraire surajouté, comme apportant une perfection à cette lumière. C’est pourquoi une telle addition n’est pas appelée raison mais plutôt intelligence, parce que cette lumière surajoutée a le même rôle à l’égard de ce qui nous est révélé surnaturellement, que la lumière naturelle à l’égard de ce que nous connaissons en premier lieu.

3. La volonté désigne simplement le mouvement de l’appétit, sans détermination d’aucune supériorité. Mais l’intelligence désigne dans la connaissance une certaine supériorité, celle de pénétrer à l’intime des choses. C’est pourquoi le don surnaturel s’appelle intelligence plutôt que volonté.

 

            Article 2 — Le don d’intelligence peut-il exister en même temps que la foi ?

Objections :

1. Apparemment non, car S. Augustin dit que " ce qui est compris est limité par la compréhension de celui qui comprend ". On ne comprend pas ce que l’on croit, selon l’Apôtre (Ph 3, 12) : " Ce n’est pas que j’aie compris ni que je sois parfait. " Il semble donc que la foi et l’intelligence ne puissent pas exister chez le même individu.

2. On voit tout ce qui est saisi par l’intelligence. Or la foi, avons-nous dit, concerne ce qui ne se voit pas. La foi ne peut donc pas exister chez le même individu en même temps que l’intelligence.

3. Il y a plus de certitude dans l’intelligence que dans la science. Mais nous avons vu que science et foi ne peuvent avoir le même objet. Donc beaucoup moins intelligence et foi.

En sens contraire, S. Grégoire affirme " L’intelligence éclaire l’esprit sur ce qu’on a entendu. " Or quelqu’un qui a la foi peut fort bien être éclairé en son esprit sur ce qu’il a entendu dire. De là le mot de Luc (24, 45) : " Le Seigneur ouvrit l’esprit à ses disciples pour qu’ils aient l’intelligence des Écritures. " Donc l’intelligence peut exister en même temps que la foi.

Réponse :

Ici une double distinction est nécessaire. L’une du côté de la foi ; l’autre du côté de l’intelligence.

Du côté de la foi il faut distinguer les choses qui par elles-mêmes et directement tombent sous la foi, celles qui dépassent la raison naturelle : que Dieu est trine et un, que le Fils de Dieu est incarné ; et d’autres vérités tombent sous la foi comme étant de quelque manière ordonnées à celles-là, par exemple toutes les vérités contenues dans la divine Écriture.

Du côté de l’intelligence il faut distinguer deux manières dont on peut dire que nous comprenons quelque chose. - D’une part nous comprenons parfaitement lorsque nous parvenons à connaître l’essence de la réalité que vise l’intelligence, et la vérité même de l’énoncé reçu par l’intelligence, selon ce que chaque chose est en elle-même. De cette manière nous ne pouvons comprendre ce qui tombe directement sous la foi, tant que dure le statut de la foi. Mais d’autres vérités ordonnées à la foi peuvent être comprises même de cette manière parfaite. - D’autre part, il arrive que l’on comprenne imparfaitement quelque chose, lorsque de l’essence même de la chose, ou de la vérité de la proposition, on ne sait pas ce qu’elle est, ou comment elle est, mais on sait seulement que ce qui apparaît du dehors ne s’oppose pas à la vérité de ce qui est ; l’homme comprend alors qu’il ne doit pas s’éloigner des vérités de foi à cause de ce qu’il voit du dehors. En ce sens rien n’empêche, tant que dure le statut de la foi, de comprendre même ce qui, par soi-même, tombe sous la foi4.

Solutions :

Cela répond clairement aux Objections. Car les trois premières sont valables pour ce qui est d’avoir l’intelligence parfaite de quelque chose. Quant à l’argument En sens contraire, il est recevable s’il s’agit de l’intelligence des choses qui sont ordonnées à la foi.

 

            Article 3 — Cette intelligence, qui. est un don du Saint-Esprit, est-elle seulement spéculative, ou aussi pratique ?

Objections :

1. Selon toute apparence, elle n’est pas pratique, mais spéculative seulement. En effet, l’intelligence, dit S. Grégoire, " pénètre des réalités plus hautes ". Mais les réalités ressortissant à l’intellect pratique ne sont pas élevées, ce sont des choses minimes : les particularités qui sont la matière même de nos actes. L’intelligence que l’on tient pour un don n’est donc pas une intelligence pratique.

2. L’intelligence qui est un don est quelque chose de plus noble que l’intelligence qui est une vertu intellectuelle. Mais la vertu intellectuelle d’intelligence concerne seulement le nécessaire, comme l’explique le Philosophe. Donc bien davantage le don d’intelligence concerne-t-il seulement le nécessaire. Or, l’intellect pratique ne s’occupe pas du nécessaire, mais du contingent, qui peut être autrement qu’il n’est : là est le domaine de ce qui peut être fait par l’activité de l’homme. Le don d’intelligence n’est donc pas l’intellect pratique.

3. Le don d’intelligence éclaire l’esprit pour ce qui dépasse la raison naturelle. Mais les activités de l’homme, qui sont l’objet de l’intelligence pratique, ne dépassent pas la raison naturelle, puisque c’est elle qui a la direction de l’action ; nous avons vu cela précédemment. Le don d’intelligence n’est donc pas un intellect pratique.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (111, 10) : " Ils ont une bonne intelligence, ceux qui pratiquent la crainte du Seigneur. "

Réponse :

Le don d’intelligence, nous venons de le dire, s’applique non seulement à ce qui tombe sous la foi à titre premier et principal, mais encore à tout ce qui est ordonné à la foi. Or les bonnes actions ont un certain ordre à la foi, car, dit l’Apôtre (Ga 5, 6) : " La foi est agissante par la charité. " C’est pourquoi le don d’intelligence s’étend aussi à certaines actions. Il ne s’en occupe pas à titre principal mais dans la mesure où nous sommes réglés dans l’action " par ces raisons éternelles que s’attache à contempler et à consulter la raison supérieure ", selon S. Augustin, raison supérieure qui est perfectionnée par le don d’intelligence.

Solutions :

1. Les actions humaines, considérées en elles-mêmes, n’ont pas une haute excellence. Mais, en tant qu’elles se réfèrent à la règle de la loi éternelle et à la fin de la béatitude divine, elles prennent assez d’altitude pour que l’intelligence puisse s’en occuper.

2. Ce qui fait la dignité du don d’intelligence c’est qu’il regarde les réalités intelligibles qui son éternelles ou nécessaires, non seulement comme elles sont en elles-mêmes, mais aussi en tant qu’elles sont des règles pour les actes humains car la connaissance qui s’étend à des objets plus nombreux en devient plus noble.

3. Les actes humains ont pour règle, avons nous dit plus haut, et la raison humaine et la loi éternelle. Or la loi éternelle dépasse la raison naturelle. C’est pour cela que la connaissance des actes humains, en tant qu’ils sont réglés par la loi éternelle, dépasse la raison naturelle et a besoin de la lumière surnaturelle que lui procure le don de l’Esprit Saint.

 

            Article 4 — Tous ceux qui sont en état de grâce ont-ils le don d’intelligence ?

Objections :

1. Il semble bien que non, puisqu’il est donné, dit S. Grégoire, contre " l’hébétude d’esprit " et que beaucoup qui ont la grâce souffrent encore de cette hébétude d’esprit. Le don d’intelligence n’est donc pas chez tous ceux qui ont la grâce.

2. Dans le domaine de la connaissance, il n’y a que la foi qui semble nécessaire au salut, car " par la foi le Christ fait son habitation dans no cœurs " (Ep 3, 17). Mais ceux qui ont la foi n’ont pas tous le don d’intelligence ; bien plus, dit S. Augustin " ceux qui croient doivent prier pour avoir l’intelligence ". Donc le don d’intelligence n’est pas nécessaire pour le salut, et il n’est pas chez tous ceux qui ont la grâce.

3. Ce qui est commun à tous ceux qui ont la grâce ne leur est jamais retiré tant qu’ils demeurent en état de grâce. Or la grâce de l’intelligence et des autres dons, selon S. Grégoire, " quelque fois se retire utilement, car parfois, tandis que l’esprit s’élève par l’intelligence qu’il a de chose sublimes, il traîne paresseusement par une lourde hébétude dans des choses infimes et viles ". Donc le don d’intelligence n’existe pas chez tous ceux qui ont la grâce.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (82, 5) : " Sans savoir, sans comprendre, ils marchent dans les ténèbres. " Mais personne, s’il a la grâce, ne marche dans les ténèbres, selon ce qui est dit en S. Jean (8, 12) : " Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres. " Donc personne, ayant la grâce, n’est privé du don d’intelligence.

Réponse :

Chez tous ceux qui ont la grâce existe nécessairement la rectitude de la volonté, puisque " par la grâce la volonté de l’homme est préparée au bien ", dit S. Augustin. Mais la volonté ne peut être ordonnée correctement au bien sans que préexiste quelque connaissance de la vérité, car l’objet de la volonté c’est le bien perçu par l’intelligence, selon Aristote. Or, de même que par le don de la charité l’Esprit Saint dispose la volonté de l’homme à se porter directement vers un bien surnaturel, de même c’est aussi par le don d’intelligence qu’il donne à l’esprit de l’homme de la lumière pour connaître une certaine vérité surnaturelle, celle à laquelle doit tendre la volonté droite. Voilà pourquoi, de même que le don de la charité existe chez tous ceux qui ont la grâce sanctifiante, de même aussi le don d’intelligence.

Solutions :

1. Parmi ceux qui ont la grâce sanctifiante, certains peuvent souffrir d’hébétude dans des choses qui ne sont pas nécessaires au salut. Mais dans celles qui sont nécessaires au salut, ils sont suffisamment instruits par l’Esprit Saint, selon cette parole de S. Jean (1 Jn 2, 27) : " Son onction vous enseigne toutes choses. "

2. Ceux qui ont la foi n’ont pas tous la pleine intelligence des choses qui nous sont proposées à croire ; ils ont cependant assez d’intelligence pour saisir que c’est là ce qu’on doit croire et que pour rien on ne doit s’en écarter.

3. Jamais le don d’intelligence ne se dérobe aux saints en ce qui concerne les choses nécessaires au salut. Mais, en ce qui concerne les autres choses, de temps en temps il se retire de telle sorte qu’ils ne puissent pas pénétrer toutes choses clairement par l’intelligence, cela pour leur enlever tout sujet d’orgueil.

 

            Article 5 — Le don d’intelligence se trouve-t-il chez quelques-uns en dehors de la grâce ?

Objections :

1. Il semble que oui. S. Augustin, commentant cette parole du Psaume (119, 20) : " Mon âme désire ardemment tes justices ", dit en effet : " L’intelligence vole en avant, le sentiment humain suit tardivement et faiblement. " Mais, chez tous ceux qui ont la grâce qui rend agréable à Dieu, le sentiment est prompt, en raison de la charité. Donc, chez ceux qui n’ont pas cette grâce, il peut y avoir pourtant le don d’intelligence.

2. Il est écrit en Daniel (10, 1) : " On a besoin d’intelligence dans la vision " prophétique. Ainsi, semble-t-il, il n’y a pas de prophétie sans le don d’intelligence. Mais la prophétie peut exister sans la grâce qui rend agréable à Dieu comme on le voit dans S. Matthieu (7, 22. 23). A ceux qui disent : " Nous avons prophétisé en ton nom ", est répondu : " je ne vous ai jamais connus. " Donc le don d’intelligence peut exister sans la grâce sanctifiante.

3. D’après ce passage d’Isaïe (7, 9) selon une autre version : " Si vous n’avez pas la foi, vous n’aurez pas d’intelligence ", le don d’intelligence correspond à la vertu de foi. Mais la foi peut exister sans la grâce sanctifiante. Donc aussi le don d’intelligence.

En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (6, 45) : " Quiconque s’est mis à l’écoute du Père et à son école vient à moi. " Mais, quand nous apprenons et pénétrons ce que nous entendons, c’est par l’intelligence, comme le montre S. Grégoire. Donc quiconque a le don d’intelligence vient au Christ ; ce qui exige la grâce sanctifiante. Donc le don d’intelligence n’existe pas sans la grâce sanctifiante.

Réponse :

Les dons de l’Esprit Saint, avons-nous dit, perfectionnent l’âme en ce sens qu’elle est alors facilement mue par l’Esprit Saint. Ainsi donc, la lumière intellectuelle procurée par la grâce est considérée comme le don d’intelligence dans la mesure où l’esprit de l’homme se prête bien à l’action de l’Esprit Saint. Or la caractéristique d’un tel mouvement est que l’homme appréhende la vérité concernant sa fin. Aussi, à moins que l’esprit humain soit mû par l’Esprit Saint pour avoir une juste appréciation de la fin, il n’a pas encore obtenu le don d’intelligence, si grande que soit en lui, sous la lumière de l’Esprit, la connaissance de certaines autres vérités qui sont des préambules. Or, cette juste appréciation de la fin, celui-là seul la possède, qui ne fait aucune erreur à l’égard de cette fin, mais s’attache fortement à elle comme à ce qu’il y a de meilleur. Cela appartient seulement à celui qui a la grâce sanctifiante, comme du reste en morale, si l’homme a une juste évaluation de la fin, c’est qu’il a l’habitus de la vertu. Par conséquent, nul ne possède le don d’intelligence sans la grâce sanctifiante.

Solutions :

1. S. Augustin donne le nom d’intelligence à toute illumination de l’esprit, quelle qu’elle soit. Celle-ci cependant ne parvient à la parfaite réalisation du don que si l’esprit de l’homme est amené jusqu’à ce point où l’on a une juste appréciation de la fin.

2. L’intelligence qui est nécessaire pour la prophétie est une certaine illumination de l’esprit relative à ce qui est révélé aux prophètes. Mais ce n’est pas une illumination de l’esprit relative à la juste appréciation de la fin ultime, qui appartient au don d’intelligences.

3. La foi implique uniquement l’adhésion à ce qui est proposé. Mais l’intelligence implique une certaine perception de la vérité, qui peut exister seulement, en ce qui concerne la fin, chez celui qui a la grâce sanctifiante, comme on vient de le dire. C’est pourquoi on ne peut raisonner de la même manière pour l’intelligence et pour la foi.

 

            Article 6 — Quel rapport y a-t-il entre le don d’intelligence et les autres dons ?

Objections :

1. Il semble que le don d’intelligence ne se distingue pas des autres dons. Car les réalités qui ont les mêmes réalités opposées sont identiques. Or la sottise s’oppose à la sagesse, l’intelligence à l’hébétude, le conseil à la précipitation, la science à l’ignorance, comme le montre S. Grégoire. Mais on ne voit pas de différence entre sottise, hébétude, ignorance et précipitation. Donc l’intelligence ne se distingue pas des autres dons.

2. L’intelligence classée comme vertu intellectuelle diffère des autres vertus intellectuelles en ce qui lui est propre : elle a pour objet les principes évidents par eux-mêmes. Mais le don d’intelligence n’a pas pour objet de tels principes. Car, pour les choses qui sont naturellement connues par elles-mêmes, il suffit de l’habitus naturel des premiers principes ; quant aux réalités surnaturelles, il suffit de la foi, puisque les articles de la foi sont, avons-nous dit, comme les premiers principes de la connaissance surnaturelle. Le don d’intelligence n’est donc pas distinct des autres dons intellectuels.

3. Toute connaissance intellectuelle est ou spéculative, ou pratique. Mais le don d’intelligence, avons-nous dit, est l’un et l’autre. Il n’est donc pas distinct des autres dons intellectuels, mais les englobe tous.

En sens contraire, toutes les réalités qu’on énumère ensemble doivent être de quelque façon distinctes les unes des autres, puisque la distinction est le principe de l’énumération. Mais le don d’intelligence, on le voit en Isaïe (11, 2) est énuméré avec les autres dons. Il en est donc distinct.

Réponse :

La distinction du don d’intelligence et des trois autres dons, de piété, de force et de crainte, est évidente puisque le don d’intelligence ressortit à la faculté de connaissance, tandis que ces trois ressortissent à la faculté d’appétit. Mais la différence entre ce don d’intelligence et les trois autres, de sagesse, de science et de conseil, qui appartiennent aussi à la faculté de connaissance, n’est pas aussi évidente. Il semble à certains que le don d’intelligence soit distinct des dons de science et de conseil par le fait que ces deux-ci s’attachent à la connaissance pratique, celui-là au contraire à la connaissance spéculative. Quant au don de sagesse, rattaché aussi à la connaissance spéculative, il s’en distingue en ce que le jugement ressortit à la sagesse, et à l’intelligence se rattache la capacité de lire au-dedans de ce qui est proposé, c’est-à-dire la pénétration dans l’intime des choses. Précédemment nous avons énuméré les dons d’après ce principe. Mais, pour un regard attentif, le don d’intelligence ne se limite pas à la spéculation ; comme nous venons de le dire, il s’attache également à l’action ; et pareillement, le don de science, comme nous allons le dire plus loin, s’attache aussi à l’une et à l’autre. Voilà pourquoi il faut entendre autrement la distinction des dons. En effet, ces quatre dons sont ordonnés à la connaissance surnaturelle, qui se fonde en nous sur la foi. Or, " la foi vient de ce qu’on entend " (Rm 10, 17). Aussi faut-il proposer certaines vérités à la croyance non comme vues, mais comme entendues, pour que la foi y adhère. Or la foi s’attache premièrement et principalement à la Vérité première, secondairement à certaines considérations concernant les créatures ; ultérieurement, elle s’étend même à la direction des activités humaines en tant qu’elle devient " une foi agissant par la charité ", nous l’avons montré. Il s’ensuit donc qu’envers ces propositions de foi que nous devons croire une double exigence s’impose. En premier lieu, il s’agit de les pénétrer, de les saisir intellectuellement, et c’est l’affaire du don d’intelligence. Mais en second lieu il faut qu’on ait à leur sujet un jugement droit, en estimant que c’est bien à cela qu’on doit s’attacher, et du contraire de cela qu’on doit s’éloigner. Ce jugement-là, par suite, quant aux réalités divines, relève du don de sagesse ; quant aux réalités créées, il relève du don de science ; quant à l’application aux actions particulières, il relève du don de conseil.

Solutions :

1. Telle qu’on vient de la définir, la différence entre les quatre dons s’accorde manifestement avec la distinction de ces choses que S. Grégoire déclare leur être opposées. L’hébétude est en effet le contraire de l’acuité ; or, par comparaison, on dit qu’une intelligence est aiguë quand elle peut pénétrer à l’intime de ce qui est proposé ; aussi l’esprit est-il émoussé, hébété, lorsqu’il n’a pas de quoi pénétrer au fond des choses. D’autre part, le sot est celui qui juge de travers en ce qui concerne la fin générale de la vie ; et c’est là proprement l’opposé de la sagesse qui donne un jugement droit sur la cause universelle. L’ignorance implique une insuffisance de l’esprit même en toutes sortes de réalités particulières, et elle s’oppose à la science, qui permet à l’homme d’avoir un jugement droit dans domaine des causes particulières, c’est-à-dire des créatures. Quant à la précipitation, elle est l’opposé du conseil, qui fait qu’on ne passe pas à l’action avant que la raison en ait délibérée.

2. Le don d’intelligence concerne les premiers principes de la connaissance dans l’ordre de la grâce, mais autrement que la foi. Car il revient à la foi d’adhérer à ces principes, tandis que le rôle du don d’intelligence est de pénétrer par l’esprit ce qui est dit.

3. Le don d’intelligence se rapporte à l’une et l’autre connaissance, spéculative et pratique. Il s’y rapporte, non pas quant au jugement, mais quant à la simple appréhension qui fait qu’on saisit ce qui est dit.

 

            Article 7 — Ce qui correspond au don d’intelligence dans les béatitudes

Objections :

1. Il semble que le don d’intelligence ne corresponde pas à la sixième béatitude : " Heureux les cœurs purs parce qu’ils verront Dieu. " En effet, la pureté du cœur semble au plus haut point affaire de sentiment, tandis que le don d’intelligence n’est pas affaire de sentiment, mais concerne plutôt la faculté intellectuelle ; la sixième béatitude ne correspond donc pas au don d’intelligence.

2. Il est écrit dans les Actes (15, 9) : " Purifiant leurs cœurs par la foi. " Mais c’est la purification du cœur qui assure sa pureté. La béatitude en question se rattache donc à la vertu de foi plus qu’au don d’intelligence.

3. Les dons de l’Esprit Saint nous perfectionnent dans la vie présente. Mais la vision de Dieu n’est pas pour la vie présente, car c’est elle, avons-nous dit, qui nous rend bienheureux. Donc cette sixième béatitude, qui implique la vision de Dieu ne se rattache pas au don d’intelligence.

En sens contraire, selon S. Augustin, " la sixième opération de l’Esprit Saint, c’est l’intelligence ; elle convient à ceux qui ont le cœur pur, parce que ce sont eux qui peuvent d’un regard pur voir ce que l’œil n’a pas vu ".

Réponse :

Dans la sixième béatitude, ainsi que dans les autres, il y a deux éléments : l’un par mode de mérite, c’est la pureté du cœur ; l’autre par mode de récompense, c’est la vision de Dieu, nous l’avons dit précédemment. L’un et l’autre appartiennent de quelque manière au don d’intelligence. Il y a en effet une double pureté. L’une sert de préambule et de disposition à la vision de Dieu : elle consiste à purifier le sentiment de ses affections désordonnées ; cette pureté de cœur s’obtient assurément par les vertus et les dons qui se rattachent à la puissance d’appétit. Mais l’autre pureté de cœur est celle qui est comme un achèvement en vue de la vision divine ; c’est à coup sûr une pureté de l’esprit, purifié des phantasmes et des erreurs, de telle sorte que ce qui est dit de Dieu ne soit plus reçu par manière d’images corporelles, ni selon des déformations hérétiques ; cette pureté, c’est le don d’intelligence qui la produit. Semblablement, il y a aussi une double vision de Dieu. L’une est parfaite, dans laquelle est vue l’essence de Dieu. Mais l’autre, imparfaite, est celle par laquelle, bien que nous ne voyions pas de Dieu ce qu’il est, nous voyons cependant ce qu’il n’est pas ; et dans cette vie notre connaissance de Dieu est d’autant plus parfaite que notre intelligence saisit davantage qu’il dépasse tout ce que peut embrasser l’intelligence. Cette double vision se rattache au don d’intelligence ; la première, au don consommé d’intelligence, tel qu’il sera dans la patrie ; mais la seconde, au don commencé, tel qu’on l’a dans notre état de voyageurs.

Solutions :

Cela donne la Réponse aux Objections. Car les deux premières sont valables s’il s’agit de la première sorte de pureté. Quant à la troisième, elle vaut pour la parfaite vision de Dieu ; mais les dons, nous l’avons dit plus haut, nous perfectionnent dès ici-bas d’une manière inchoative, et ils atteindront dans l’avenir leur plénitude, on l’a dit précédemment.

 

            Article 8 — Ce qui correspond au don d’intelligence dans les fruits du Saint-Esprit

Objections :

1. Il ne semble pas que, parmi les fruits, ce soit la foi qui corresponde au don d’intelligence. En effet, l’intelligence est un fruit de la foi, selon Isaïe (7, 9) : " Si vous n’avez pas la foi, vous n’aurez pas l’intelligence ", suivant une autre version, à l’endroit où nous avons " Si vous n’avez pas la foi, vous ne tiendrez pas " La foi n’est donc pas le fruit de l’intelligence.

2. Ce qui est avant n’est pas le fruit de ce qui est après. Or la foi semble bien être avant l’intelligence, puisqu’elle est le fondement, avons-nous dit plus haut, de tout l’édifice spirituel. La foi n’est donc pas le fruit de l’intelligence.

3. Les dons se rapportant à l’intellect sont plus nombreux que ceux se rapportant à l’appétit. Pourtant, entre les fruits, il ne s’en trouve qu’un se rapportant à l’intellect, c’est la foi ; tous les autres, au contraire, se rapportent à l’appétit. Le fruit de la foi ne répond donc pas davantage, semble-t-il, à l’intelligence qu’à la sagesse ou à la science ou au conseil.

En sens contraire, la fin de toute réalité, c’est son fruit. Mais le don d’intelligence semble ordonné principalement à procurer cette certitude de foi qui est qualifiée de fruit. Il est dit en effet dans la Glose que ce fruit de foi, c’est " la certitude des réalités invisibles ". Parmi les fruits, c’est donc la foi qui répond au don d’intelligence.

Réponse :

Comme il a été dit plus haut lorsqu’il s’est agi des fruits, on appelle fruits de l’Esprit certaines activités ultimes et délectables qui proviennent en nous de la vertu de l’Esprit Saint. Or, l’ultime délectable a raison de fin, et la fin, c’est l’objet propre de la volonté. Voilà pourquoi il faut que ce qui est dernier et délectable dans l’ordre de la volonté soit en quelque sorte le fruit de toutes les autres activités qui se rattachent aux autres puissances. Ainsi, le don ou la vertu qui perfectionne une puissance peut donc offrir un double fruit : l’un se rattache à sa puissance propre ; mais il y en a un autre, quasi ultime, qui se rattache à la volonté. Selon cette distinction, il faut conclure qu’au don d’intelligence correspond, comme fruit propre, la foi, c’est-à-dire la certitude de foi ; mais, comme fruit ultime, à l’intelligence répond la joie, qui se rattache à la volonté.

Solutions :

1. L’intelligence est bien le fruit de la foi, de la foi qui est vertu. Or ce n’est pas dans ce sens-là qu’on prend la foi lorsqu’on l’appelle un fruit ; mais on la prend pour une certitude de foi, à laquelle on parvient par le don d’intelligence.

2. La foi ne peut pas devancer en tout l’intelligence ; en effet, l’homme ne pourrait pas adhérer en croyant à des choses qui lui sont affirmées s’il n’avait quelque peu l’intelligence de ces choses. Mais, à la suite de la foi qui est vertu, il y a une perfection d’intelligence ; et ce qui fait suite à cette perfection d’intelligence, c’est une certitude de foi.

3. Le fruit d’une connaissance pratique ne peut pas être dans cette connaissance même, parce que dans une telle connaissance on ne sait pas pour savoir, mais en vue d’autre chose. Au contraire, la connaissance spéculative a son fruit en elle-même, et ce fruit est la certitude des choses qui sont de son domaine. Voilà pourquoi, au don de conseil qui regarde uniquement la connaissance pratique, ne répond aucun fruit propre, alors qu’aux dons de sagesse, d’intelligence et de science, qui peuvent s’élever même à la connaissance spéculative, répond seulement un fruit unique qui est la certitude signifiée par le nom de foi. Il y a, en revanche, des fruits en plus grand nombre se rapportant à la partie appétitive parce que, nous venons de le dire, cette raison de fin impliquée dans le mot de fruit regarde la partie appétitive plus que la partie intellectuelle.

 

 

QUESTION 9 — LE DON DE SCIENCE

1. La science est-elle un don ? - 2. Concerne-t-elle les réalités divines ? - 3. Est-elle spéculative ou pratique ? - 4. Quelle béatitude y correspond ?

 

            Article 1 — La science est-elle un don ?

Objections :

1. Apparemment non, car les dons de l’Esprit Saint dépassent la faculté naturelle, tandis que la science implique un certain effet de la raison naturelle. Car, selon le Philosophe " la démonstration est un syllogisme qui fait savoir. La science n’est donc pas un don de l’Esprit Saint.

2. Les dons de l’Esprit Saint, nous l’avons dit, sont communs à tous les saints. Or S. Augustin affirme que " la plupart des fidèles n’excellent pas dans la science, bien qu’ils excellent dans la foi elle-même ". Donc la science n’est pas un don.

3. Le don est plus parfait que la vertu, on l’a dit. Un seul don par conséquent suffit à la perfection d’une vertu. Or à la vertu de foi correspond, nous l’avons vu, le don d’intelligence. Ce n’est donc pas à elle que correspond le don de science. On ne voit pas non plus à quelle autre vertu il pourrait correspondre. Comme les dons sont les perfections des vertus, nous l’avons dit, il semble donc que la science ne soit pas un don.

En sens contraire, Isaïe (11, 2) compte la science parmi les sept dons.

Réponse :

La grâce est plus parfaite que la nature ; elle ne va donc pas se trouver en défaut dans le domaine où l’homme peut être parfait par nature. Or, lorsque l’homme par sa raison naturelle adhère en toute intelligence à une vérité, il est doublement perfectionné en face de cette vérité ; d’abord parce qu’il la saisit ; puis parce qu’il a sur elle un jugement certain. C’est pourquoi deux conditions sont requises pour que l’intelligence humaine adhère d’une manière parfaite à la vérité de foi. L’une est qu’elle saisisse sainement ce qui est proposé ; cela regarde, comme nous l’avons dit, le don d’intelligence. Mais l’autre est qu’elle porte un jugement sûr et droit en la matière, c’est-à-dire en discernant ce qui doit être cru. C’est pour cela que le don de science est nécessaire.

Solutions :

1. La certitude de la connaissance se rencontre diversement dans les diverses natures suivant la condition diverse de chacune. Ainsi, l’homme aboutit à un jugement certain au sujet d’une vérité par le mouvement discursif de sa raison, et c’est pourquoi la science humaine s’acquiert par raison démonstrative. Mais en Dieu il y a un jugement certain de vérité sans aucun mouvement discursif, par simple intuition, comme nous l’avons vu dans la première Partie, et c’est pourquoi la science divine n’est ni discursive ni raisonneuse, mais absolue et simple. C’est à elle que ressemble la science comptée comme un don de l’Esprit Saint, puisqu’elle est une certaine ressemblance participée de la science divine elle-même.

2. Dans le domaine de la foi il peut y avoir une double science. Par l’une on sait ce qu’on doit croire en distinguant bien ce qu’il faut croire et ce qu’il ne faut pas croire ; en ce sens la science est un don et convient à tous les saints. Mais il y a au sujet de la foi une autre science par laquelle non seulement on sait ce qui doit être cru, mais on sait aussi manifester la foi, amener les autres à croire, et réfuter les contradicteurs ; cette science-là est rangée parmi les grâces gratuitement données, et n’est pas donnée à tous mais à certains. De là ce que S. Augustin ajoute à la parole citée : " Autre chose est de savoir uniquement ce qu’on doit croire ; autre chose de savoir comment cela même peut venir en aide aux oreilles pies et être défendu contre les impies. "

3. Les dons sont plus parfaits que les vertus morales et que les vertus intellectuelles. Mais ils ne sont pas plus parfaits que les vertus théologales. Au contraire, tous les dons sont plutôt ordonnés à la perfection des vertus théologales com fin. Aussi n’y a-t-il rien d’étrange à ce que divers dons soient ordonnés à une vertu théologale.

 

            Article 2 — Le don de science concerne-t-il les réalités divines ?

Objections :

1. Apparemment oui, puisque pour S. Augustin c’est par la science que la foi est engendrée, nourrie et fortifiée. Mais la foi concerne les réalités divines, parce qu’elle a pour objet, comme nous l’avons établi, la Vérité première. Le don de science concerne donc lui aussi les réalités divines.

2. Le don de science a plus de dignité que la science acquise. Mais il y a une science acquise qui concerne les réalités divines, c’est la métaphysique. Le don de science concerne donc bien davantage les réalités divines.

3. Comme il est écrit (Rm 1, 20) : " ce que Dieu a d’invisible se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres ". Donc, si la science concerne les réalités créées, il semble qu’elle concerne aussi les réalités divines.

En sens contraire : S. Augustin dit ceci " Que la science des réalités divines soit appelée proprement sagesse, mais que celle des réalités humaines obtienne proprement le nom de science. "

Réponse :

Le jugement certain sur une réalité est surtout donné après sa cause. C’est pourquoi il faut que l’ordre des jugements soit conforme à celui des causes. En effet, comme la cause première est cause de la seconde, c’est par la cause première que l’on juge de la seconde ; mais on ne peut juger de la cause première par une autre cause. C’est pourquoi le jugement que l’on fait par le moyen de la cause première est le premier et le plus parfait. Or, là où il y a un être plus parfait, le nom commun du genre est approprié à ce qui est inférieur à ce plus parfait, tandis qu’un autre nom spécial, est adapté à ce plus parfait, comme on le voit en logique. En effet, dans le genre des termes convertibles, celui qui signifie " ce qu’est " une chose est appelé d’un nom spécial, la définition, tandis que les convertibles inférieurs à cette perfection retiennent pour eux le nom qui leur est commun, c’est-à-dire qu’ils sont appelés les propres. Donc, puisque le nom de science implique une certitude dans le jugement, comme nous l’avons dit, si cette certitude est produite par le moyen de la plus haute cause, elle a un nom spécial qui est celui de sagesse. En effet, on appelle sage dans n’importe quel genre l’homme qui connaît la plus haute cause de ce genre-là, celle qui permet de pouvoir juger de tout. Or, on appelle sage de façon absolue celui qui connaît la cause absolument la plus haute, à savoir Dieu. C’est pourquoi la connaissance des choses divines est appelée sagesse. En revanche, la connaissance des réalités humaines est appelée science ; c’est pour ainsi dire le nom commun, qui implique la certitude du jugement, approprié au jugement réalisé par les causes secondaires. C’est pourquoi, en prenant en ce sens le nom de science, on pose un don distinct du don de sagesse. Par suite, le don de science concerne seulement les réalités humaines ou les réalités créées.

Solutions :

1. Bien que les vérités de foi soient des réalités divines et éternelles, la foi elle-même est quelque chose de temporel dans l’esprit du croyant. C’est pourquoi il revient au don de science de savoir à quoi l’on doit croire. Mais savoir les réalités mêmes auxquelles on croit, en elles-mêmes et par une certaine union à elles, revient au don de sagesse. Aussi le don de sagesse correspond-il à la charité qui unit à Diueu l’esprit de l’homme.

2. La raison alléguée est valable en tant que le nom de science est pris dans un sens général. Mais ce n’est pas en ce sens-là que la science est comptée comme un don spécial, c’est dans le sens restreint d’un jugement formé par le moyen des réalités créées.

3. Comme nous l’avons dit plus haut, tout habitus cognitif regarde formellement le moyen de connaître quelque chose, et matériellement ce qui est connu par ce moyen. Et, parce que l’élément formel a plus d’importance, ces sciences qui concluent en matière physique d’après des principes mathématiques sont plutôt comptées au nombre des mathématiques comme ayant avec elles plus de ressemblance, bien que par leur matière elles se rapprochent plutôt de la physique, ce qui fait dire à Aristote qu’elles sont " plutôt sciences physiques ". Voilà pourquoi lorsque l’homme connaît Dieu par le moyen des réalités créées, cela ressortit davantage à la science, semble-t-il, puisque cela ressortit à la science par le côté formel, qu’à la sagesse, puisque cela ne se ramène à la sagesse que matériellement. Et, à l’inverse, lorsque nous jugeons des réalités créées d’après les réalités divines, cela ressortit à la sagesse plus qu’à la science.

 

            Article 3 — Le don de science est-il spéculatif ou pratique ?

Objections :

1. Il semble que la science qu’on met parmi les dons soit une science pratique. Car S. Augustin déclare : " On impute à la science l’action par laquelle nous nous servons des réalités extérieures. " Mais une science à laquelle on impute une action est une science pratique. Cette science qui est un don est donc bien une science pratique.

2. S. Grégoire affirme : " La science est nulle si elle n’a pas l’utilité de la piété, et la piété tout à fait inutile si elle est dépourvue du discernement de la science. " Cette autorité prouve que la science dirige la piété. Mais cela ne peut pas convenir à une science spéculative. Donc la science qui est un don n’est pas spéculative mais pratique.

3. Les dons du Saint-Esprit ne sont possédés que par les justes, nous l’avons établi plus haut. Mais la science spéculative peut être possédée même par ceux qui ne sont pas des justes, selon S. Jacques (4, 17) : " Celui qui sait faire le bien et ne le fait pas commet un péché. " La science, qui est un don, n’est donc pas spéculative mais pratique.

En sens contraire, S. Grégoire dit " La science, à son jour, fait un festin quand, dans le ventre de l’esprit, elle rompt le jeûne de l’ignorance. " Mais l’ignorance ne disparaît totalement que par l’une et l’autre science, c’est-à-dire spéculative et pratique. Donc la science qui est un don est spéculative et pratique.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, le don de science est ordonné, comme celui d’intelligence, à la certitude de la foi. Or la foi consiste premièrement et principalement en spéculation, en tant qu’elle adhère à première. Mais parce que la vérité aussi la fin ultime pour laquelle nous agissons, il en découle que la foi s’étend aussi à l’action, selon l’Apôtre (Ga 5, 6) : " La foi est agissante par la charité. " Aussi faut-il encore que le don de science envisage premièrement et principalement la spéculation, en tant que l’homme sait ce qu’il doit tenir par la foi, mais secondairement le don de science s’étend aussi à l’action, selon que, par la science des choses à croire et de ce qui s’ensuit, nous sommes dirigés dans l’action.

Solutions :

1. S. Augustin parle du don de science en tant qu’il en tant qu’il s’étend à l’activité. L’action lui est attribuée en effet, mais ni seule ni en premier lieu. C’est aussi de cette manière que le don de science dirige la piété.

2. Cela montre comment résoudre l’objection.

3. Comme nous l’avons dit à propos du don d’intelligence, tout homme qui fait acte d’intelligence n’a pas ce don, mais seulement celui qui le fait par l’habitus de la grâce. De même encore, à propos du don de science, il faut comprendre que ceux-là seuls le possèdent qui ont par une infusion de la grâce un jugement sûr, concernant ce qu’il faut croire et faire, si bien qu’on ne s’écarte en rien de la droiture de la justice. C’est la science des saints dont il est dit dans la Sagesse (10, 10) : " Le Seigneur a conduit le juste par des voies droites et lui a donné la science des saints. "

 

            Article 4 — Quelle béatitude correspond au don de science ?

Objections :

1. Il semble qu’à la science ne corresponde pas la troisième béatitude : " ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. " En effet, si le mal est la cause de la tristesse et des larmes, le bien est pareillement la cause de l’allégresse. Mais la science manifeste le bien de façon plus fondamentale que le mal, qui est comme connu par le bien. Aristote dit en effet : " Ce qui est droit est juge de soi-même et de ce qui est tortueux. " Donc la béatitude des larmes ne correspond pas bien au don de science.

2. La considération de la vérité est l’acte de la science. Or, dans la considération de la vérité il n’y a pas de tristesse, mais plutôt de la joie. Il est écrit en effet dans la Sagesse (8, 16) : " Sa société ne cause pas d’amertume, ni son commerce de peine, mais du plaisir et de la joie. La béatitude des larmes ne correspond donc pas comme il faut au don de science.

3. Le don de science consiste dans la spéculation avant de consister dans l’action. Mais selon qu’il consiste dans la spéculation, il ne correspond pas aux pleurs, car " l’intelligence spéculative ne dit rien de ce qu’il faut imiter ni ce qu’il faut éviter ", selon Aristote, elle ne parle ni de joie ni de tristesse. Donc cette béatitude ne correspond pas au don de science.

En sens contraire, S. Augustin affirme : " La science convient à ceux qui pleurent lorsqu’ils se sont rendu compte qu’ils sont enchaînés aux maux qu’ils ont recherchés comme des biens. "

Réponse :

Le propre de la science est de juger comme il faut des créatures. Or, il y a des créatures qui sont pour l’homme une occasion de se détourner de Dieu, selon la Sagesse (14, 11) : " Les créatures sont devenues une abomination, un piège pour les pieds des insensés. " Ces insensés n’ont pas sur les créatures un jugement droit, parce qu’ils estiment qu’il y a en elles le bien parfait, ce qui les conduit à pécher en mettant leur fin en elles, et à perdre le vrai bien. Ce dommage est révélé à l’homme lorsqu’il apprécie justement les créatures, ce qu’on fait par le don de science. C’est pourquoi on situe la béatitude des larmes comme répondant au don de science.

Solutions :

1. Les biens créés n’éveillent spirituelle que dans la mesure où ils sont rapportés au bien divin, duquel proprement jaillit la joie spirituelle. C’est pourquoi la paix spirituelle, avec la joie qui en est la conséquence, correspond directement au don de sagesse. Mais ce qui correspond au don de science, c’est en premier lieu l’affliction pour les erreurs passées, puis par voie de conséquence la consolation, lorsque par le bon jugement de science on ordonne les créatures au bien divin. C’est pourquoi, dans cette béatitude, on met comme mérite les larmes et comme récompense la consolation qui en est la suite. Consolation qui est commencée en cette vie, mais consommée dans la vie future.

2. La considération même de la vérité est pour l’homme un sujet de joie. Mais la réalité dont on considère la vérité peut quelquefois être un sujet de tristesse. C’est par là que les larmes sont attribuées à la science.

3. A la science tant qu’elle reste dans la spéculation ne correspond aucune béatitude, parce que la béatitude de l’homme ne consiste pas dans la considération des créatures mais dans la contemplation de Dieu. Et c’est pourquoi il n’y a pas de béatitude se rattachant à la contemplation qui soit attribuée à l’intelligence et à la sagesse, parce qu’elles ont l’une et l’autre un objet divin.

LES VICES OPPOSÉS A LA FOI

La suite de notre étude va nous faire considérer les vices opposés à la foi : I. L’infidélité, qui s’oppose à la foi (Q. 10-12). - II. Le blasphème, qui s’oppose à la confession de foi (Q. 13-14). - III. L’ignorance et l’hébétude, qui s’opposent aux dons de science et d’intelligence (Q. 15) .

Sur le premier point, il faut d’abord étudier l’infidélité en général (Q. 10) ; puis l’hérésie (Q.11) ; enfin l’apostasie (Q. 12).

 

 

QUESTION 10 — L’INFIDÉLITÉ EN GÉNÉRAL

1. Est-elle un péché ? - 2. Où siège-t-elle ? - 3. Est-elle le plus grand des péchés ? - 4. Toute action des infidèles est-elle un péché ? - 5. Les espèces d’infidélité. - 6. Comparaison entre elles. - 7. Faut-il disputer de la foi avec les infidèles ? - 8. Faut-il les contraindre à embrasser la foi ? - 9. Peut-on communiquer avec eux ? - 10. Peuvent-ils avoir autorité sur les fidèles chrétiens ? - 11. Doit-on tolérer les rites des infidèles ? - 12. Doit-on baptiser les enfants des infidèles malgré leurs parents ?

 

            Article 1 — L’infidélité est-elle un péché ?

Objections :

1. En apparence, non. Car, selon S. Jean Damascène, tout péché est contre la nature. Mais l’infidélité ne paraît pas être contre nature. S. Augustin dit en effet : " Pouvoir posséder la foi, comme pouvoir posséder la charité, c’est dans la nature de tous les hommes ; mais posséder la foi, comme posséder la charité, vient de la grâce des fidèles. " Donc ne pas posséder la foi, ce qui est être infidèle, n’est pas un péché.

2. Nul ne pèche en ce qu’il n’a pas le pouvoir d’éviter, car tout péché est volontaire. Mais il n’est pas au pouvoir de l’homme d’éviter l’infidélité, ce qu’on ne peut faire qu’en ayant la foi. L’Apôtre dit en effet (Rm 10, 14) : " Comment croiront-ils celui qu’ils n’ont pas entendu ? Mais comment entendront-ils si personne ne prêche ? " Il ne semble donc pas que l’infidélité soit un péché.

3. On l’a dit, il y a sept vices capitaux auxquels se ramènent tous les péchés. Or l’infidélité ne paraît contenue dans aucun de ces vices. Elle n’est donc pas un péché.

En sens contraire, toute vertu a un péché opposé. Or la foi est une vertu, à laquelle s’oppose l’infidélité. Celle-ci est donc un péché.

Réponse :

L’infidélité peut se prendre de deux manières. D’abord dans le sens d’une pure négation, au point qu’on sera dit infidèle du seul fait qu’on n’a pas la foi. Ensuite on peut entendre l’infidélité au sens d’une opposition à la foi, lorsque quelqu’un refuse de prêter l’oreille à cette foi, ou même la méprise, selon la parole d’Isaïe (53, 1) : " Qui a cru à ce que nous annonçons ? " C’est en cela que s’accomplit proprement la raison d’infidélité. Et en ce sens l’infidélité est un péché.

Mais, si l’infidélité est prise dans le sens purement négatif, comme chez ceux qui n’ont absolument pas entendu parler de la foi, elle n’a pas raison de péché, mais plutôt de châtiment, parce qu’une telle ignorance du divin est une conséquence du péché du premier père. Or, ceux qui sont infidèles de cette façon sont damnés pour d’autres péchés qui ne peuvent être remis sans la foi, mais non pour le péché d’infidélité. Aussi le Seigneur dit-il (Jn 15, 22) : " Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché. " Et S. Augustin explique que le Seigneur parle " de ce péché par lequel ils n’ont pas eu foi dans le Christ ".

Solutions :

1. Il n’est pas dans la nature humaine d’avoir la foi. Mais il est dans la nature humaine que l’esprit de l’homme ne s’oppose pas à l’inspiration intérieure ni à la prédication extérieure de la vérité. Aussi l’infidélité est-elle par là contre la nature.

2. Cet argument est valable en tant que l’infidélité implique une simple négation.

3. L’infidélité selon qu’elle est un péché naît de l’orgueil. Par orgueil il arrive qu’on ne veuille pas soumettre son esprit aux règles de la foi et à sa saine interprétation par les Pères. D’où la remarque de S. Grégoire : " De la vaine gloire naissent les hardiesses des nouveautés. " Il est vrai qu’on pourrait encore dire ceci : de même que les vertus théologales ne se ramènent pas aux vertus cardinales mais leur sont antérieures, de même aussi les vices opposés aux vertus théologales ne se ramènent pas aux vices capitaux.

 

            Article 2 — Quel est le siège de l’infidélité ?

Objections :

1. Il semble que l’infidélité n’ait pas pour siège l’intelligence, ce n’est pas une erreur qui soit périlleuse ni bien malsaine s’il agit ou s’il parle comme les bons anges. " La raison en est, semble-t-il, qu’il y a volonté droite chez celui qui, en adhérant à un ange mauvais, a l’intention d’adhérer à un bon. Tout le péché d’infidélité est donc, semble-t-il, dans une volonté perverse. Il n’a donc pas son siège dans l’intelligence.

En sens contraire, les termes opposés sont dans un même sujet. Mais la foi à laquelle s’oppose l’infidélité, a pour sujet l’intelligence.

Réponse :

Comme nous l’avons montré précédemment, on dit qu’il y a péché dans cette puissance qui est le principe de l’acte de péché. Or l’acte de péché peut avoir double principe. L’un est premier et universel, c’est celui qui commande tous les actes de péché ; et ce principe st la volonté, parce que tout péché est volontaire. Mais l’autre principe de l’acte de péché, c’est le principe propre et prochain qui émet l’acte de péché ; ainsi le concupiscible est le principe de la gourmandise et de la luxure, ce qui fait dire que ces deux vices siègent dans le concupiscible. Or, refuser son assentiment, qui est l’acte propre de l’infidélité, est un acte de l’intelligence, mais d’une intelligence mue par la volonté, comme l’acte de donner son assentiment. C’est pourquoi l’infidélité, comme la foi, est bien dans l’intelligence comme dans son sujet prochain, mais dans la volonté comme en son premier motif, et c’est en ce sens qu’on dit que tout péché est dans la volonté.

Solutions :

1. Cela répond clairement à la première objection.

2. Le mépris de la volonté cause le dissentiment de l’intelligence, où s’accomplit la raison d’infidélité. Aussi la cause de l’infidélité est-elle dans la volonté, mais l’infidélité elle-même est dans l’intelligence.

3. Celui qui croit qu’un mauvais ange en est un bon ne refuse pas son assentiment à ce qui est de foi, parce que, suivant la remarque de la Glose au même endroit, " les sens du corps se trompent, mais l’esprit n’est pas écarté de la vraie et droite décision ". Mais si quelqu’un adhérait à Satan " au moment où Satan commence à mener vers ce qui est à lui " c’est-à-dire au mal et à l’erreur, alors, comme il est dit au même endroit, celui-là ne serait pas sans péché.

 

            Article 3 — L’infidélité est-elle le plus grand des péchés ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car S. Augustin, dans un texte cité par la sixième décrétale, nous dit : " Sur le point de savoir si nous devons préférer un catholique dont les mœurs sont très mauvaises à un hérétique dans la vie duquel, si ce n’est qu’il est hérétique, il n’y a rien à reprendre, je n’ose me hâter de décider. " Mais l’hérétique est un infidèle. On ne doit donc pas affirmer de façon absolue que l’infidélité soit le plus grand des péchés.

2. Ce qui atténue ou excuse la faute ne paraît pas être le plus grand des péchés. Mais l’infidélité excuse ou atténue la faute. L’Apôtre dit en effet (1 Tm 1, 13) : " Je fus d’abord blasphémateur, persécuteur et insulteur, mais j’ai obtenu miséricorde parce que j’agissais par ignorance, dans l’infidélité. " Celle-ci n’est donc pas le plus grand péché.

3. A un plus grand péché est due une plus grande peine, selon la parole du Deutéronome (25, 2) : " Le châtiment sera proportionné au délit. " Mais quand les fidèles pèchent, ils méritent une plus grande peine que les infidèles, suivant l’épître aux Hébreux (10, 29) : " D’un châtiment combien plus grave, ne pensez-vous pas, sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, et tenu pour profane le sang de l’alliance par lequel il a été sanctifié ? " Donc l’infidélité n’est pas le plus grand péché.

En sens contraire, en expliquant ce passage de S. Jean : " Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché " S. Augustin dit ceci : " Sous ce nom général, il faut comprendre un grand péché ; c’est en effet le péché d’infidélité qui englobe tous les autres. " L’infidélité est donc le plus grand de tous les péchés.

Réponse :

Tout péché, avons-nous dit, consiste formellement dans l’éloignement de Dieu. Aussi un péché est-il d’autant plus grave qu’on est par lui plus séparé d’avec Dieu. Or c’est par l’infidélité que l’homme est le plus éloigné de Dieu, parce qu’il n’en a pas la vraie connaissance, et que par la fausse connaissance qu’il en a, il ne s’approche pas, mais s’éloigne plutôt de lui. Et il est impossible aussi que celui qui a une fausse opinion de lui le connaisse pourtant en quelque chose, car ce que cet homme a dans son opinion n’est pas Dieu. Il est évident par là que le péché d’infidélité est plus grand que tous ceux qui se commettent dans la perversité morale. Mais il n’est pas plus grand que ceux qui s’opposent aux autres vertus théologales, nous le dirons plus loin.

Solutions :

1. Rien n’empêche que le péché le plus grave dans son genre soit moins grave suivant quelques circonstances. C’est pour cela que S. Augustin n’a pas voulu se prononcer hâtivement entre le mauvais catholique et l’hérétique qui par ailleurs ne pèche pas. Car le péché de l’hérétique, bien qu’il soit d’un genre plus grave, peut cependant être atténué par quelques circonstances. Et inversement le péché du catholique être aggravé par quelque circonstance.

2. L’infidélité comporte une ignorance qui lui est attachée et aussi un refus des vérités de foi. De ce côté elle se présente comme un péché extrêmement grave. Mais elle tient, du côté de l’ignorance, un motif d’excuse, surtout lorsque le pécheur, comme ce fut le cas chez l’Apôtres ne pèche pas par malice.

3. A considérer le genre du péché, l’infidèle est puni plus gravement pour le péché d’infidélité qu’un autre pécheur ne l’est pour tout autre péché. Mais pour un autre péché, par exemple pour l’adultère, s’il est commis par un fidèle et par un infidèle, toutes choses étant égales, le fidèle pèche plus gravement que l’infidèle, tant à cause de cette connaissance de la vérité que procure, la foi, qu’en raison des sacrements de la foi dont il est imprégné, et auxquels il fait outrage en commettant le péché.

 

            Article 4 — Toute action des infidèles est-elle un péché ?

Objections :

1. On peut penser que n’importe quelle action chez un infidèle est un péché puisque, sur ce texte aux Romains (14, 23) : " Tout ce qui ne vient pas de la foi est péché ", la Glose dit : " Toute la vie des infidèles est un péché. " Mais la vie des infidèles, c’est tout ce qu’ils font. Donc chez l’infidèle toute action est un péché.

2. C’est la foi qui dirige l’intention. Mais il ne peut y avoir aucun bien s’il ne vient pas d’une intention droite. Donc chez les infidèles aucune action ne peut être bonne.

3. Quand ce qui précède est corrompu, ce qui vient ensuite l’est aussi. Mais l’acte de foi précède les actes de toutes les vertus. Comme il n’y a pas d’acte de foi chez les infidèles, ils ne peuvent faire aucune œuvre bonne mais pèchent en tout ce qu’ils font.

En sens contraire, au centurion Corneille, alors qu’il était encore un infidèle, il a été dit que ses aumônes étaient agréées de Dieu (Ac 10, 31). Les actions de l’infidèle ne sont donc pas toutes des péchés, mais quelques-unes sont bonnes.

Réponse :

Le péché mortel, avons-nous dit, ôte la grâce sanctifiante, mais ne gâte pas totalement le bien de la nature. Aussi, puisque l’infidélité est un péché mortel, assurément les infidèles sont dépourvus de la grâce ; cependant il reste en eux un certain bien de la nature. Il s’ensuit évidemment qu’ils ne peuvent faire les œuvres bonnes qui découlent de la grâce, c’est-à-dire des œuvres méritoires ; cependant, les œuvres bonnes pour lesquelles suffit le bien de la nature, ils peuvent quelque peu les faire. Par suite, il n’est pas fatal qu’ils pèchent en tout ce qu’ils font ; mais ils pèchent chaque fois qu’ils entreprennent une œuvre procédant de l’infidélité. De même, en effet, qu’en ayant la foi on peut commettre un péché dans un acte qu’on ne rapporte pas aux fins de la foi, en péchant soit véniellement, soit même mortellement, de même l’infidèle peut aussi faire une bonne action dans ce qu’il ne rapporte pas à l’infidélité comme à une fin.

Solutions :

1. Par cette parole il faut comprendre, ou bien que la vie des infidèles ne peut pas être sans péché, étant donné que les péchés ne sont pas enlevés sans la foi, ou bien que tout ce que les fidèles font par infidélité est péché. Aussi est-il ajouté au même endroit : " Tout homme vivant ou agissant dans l’infidélité pèche grandement. "

2. La foi dirige l’intention en vue de la fin ultime surnaturelle. Mais la lumière de la raison naturelle peut aussi diriger l’intention en vue d’un bien connaturel.

3. L’infidélité ne corrompt pas totalement chez les infidèles la raison naturelle, au point qu’il ne reste en eux quelque connaissance du vrai, qui leur permet de pouvoir faire quelque chose en matière d’œuvres bonnes. A propos de Corneille cependant, il faut savoir qu’il n’était pas un infidèle ; autrement son activité n’eût pas été agréée de Dieu, à qui nul ne peut plaire sans la foi. Corneille avait la foi implicite, puisqu’il ne connaissait pas encore manifestement la vérité de l’Évangile. Aussi est-ce pour l’instruire plus pleinement de la foi que Pierre est envoyé vers lui.

 

            Article 5 — Les espèces d’infidélité

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas plusieurs espèces d’infidélité. En effet, puisque la foi et l’infidélité sont des contraires, il faut qu’elles concernent la même réalité. Mais la foi a pour objet formel la Vérité première, d’où elle tient son unité, bien que matériellement elle croie beaucoup de choses. Donc l’infidélité a aussi pour objet la Vérité première, et, en revanche, les choses que l’infidèle se refuse à croire sont comme la matière de l’infidélité. Or la différence spécifique n’est pas mesurée d’après les principes matériels, mais selon les principes formels. Donc l’infidélité n’a pas autant d’espèces différentes qu’il y a d’erreurs diverses admises par les infidèles.

2. Il y a une infinité de façons dont on peut dévier de la vérité de la foi. Donc, si nous assignons à l’infidélité autant d’espèces différentes qu’il y a d’erreurs diverses, il s’ensuit, semble-t-il, qu’il y a une infinité d’espèces d’infidélités. En ce cas de telles espèces ne sont pas objet d’étude.

3. Le même individu ne se trouve pas dans des espèces différentes. Or il arrive que quelqu’un est infidèle du fait qu’il se trompe sur des objets divers. Donc la diversité des erreurs ne produit pas diverses espèces d’infidélité. Ainsi donc l’infidélité n’a pas plusieurs espèces.

En sens contraire, à chaque vertu s’opposent plusieurs espèces de vices. Car " le bien se produit d’une seule façon mais le mal de beaucoup de façons ", comme le remarquent Denys et le Philosophe. Mais la foi est une vertu. Donc plusieurs espèces d’infidélités s’y opposent.

Réponse :

Toute vertu, avons-nous dit, consiste à atteindre une règle de connaissance ou d’action humaine. Or, dans une matière donnée il n’y a qu’une façon d’atteindre la règle, mais il y a bien des façons de s’en écarter : c’est pourquoi beaucoup de vices s’opposent à une seule vertu. Mais cette diversité de vices en opposition avec chaque vertu peut être regardée de deux manières. D’abord, selon la diversité d’attitudes à l’égard de la vertu. En cela les vices opposés à une vertu forment des espèces bien déterminées ; ainsi un vice est opposé à la vertu morale, parce qu’il va au-delà de la vertu, et un autre parce qu’il reste en deçà. Ensuite, la diversité des vices opposés à une même vertu peut être considérée selon que sont gâtés les divers éléments requis pour la vertu. Et c’est en cela qu’une infinité de vices s’opposent à une vertu la tempérance ou la force par exemple, selon que les diverses circonstances de la vertu peuvent être gâtées d’une infinité de façons pour que l’on s’éloigne de la rectitude de la vertu. Aussi les pythagoriciens ont-ils déclaré que le mal est infini.

Voici donc ce qu’il faut dire.

Si l’infidélité est jugée par rapport à la foi, les espèces d’infidélité sont diverses et en nombre déterminé. Puisque, en effet, le péché d’infidélité consiste à résister à la foi, cela peut arriver de deux manières. Ou bien parce qu’on résiste à la foi sans l’avoir encore reçue, et telle est l’infidélité des païens ou gentils. Ou bien parce qu’on résiste à la foi chrétienne après l’avoir reçue, soit en figure, et telle est l’infidélité des juifs, soit dans sa pleine révélation de vérité, et telle est l’infidélité des hérétiques. Aussi peut-on partager l’infidélité en général entre ces trois espèces.

Si au contraire on distingue les espèces d’infidélités d’après une erreur dans les diverses vérités de foi, alors l’infidélité n’a pas d’espèces définies ; les erreurs peuvent se multiplier à l’infini, comme S. Augustin le fait voir dans son traité Des Hérésies.

Solutions :

1. La raison formelle d’un péché peut se prendre sous un double aspect. D’une manière, dans l’intention du pécheur : en ce sens, c’est ce vers quoi se tourne le pécheur qui est l’objet formel du péché, et les espèces du péché sont diversifiées par là. De l’autre manière, selon la raison de mal : en ce sens, c’est le bien dont on se détourne qui est l’objet formel du péché ; mais de ce côté le péché n’a pas d’espèces ; bien plus, il est une privation d’espèce. Ainsi donc il faut dire que l’infidélité a bien pour objet la vérité première comme ce dont elle se détourne ; mais l’objet formel vers lequel elle se tourne, c’est la fausse opinion qu’elle suit, et c’est par ce côté que se diversifient ses espèces.

Aussi, tandis que la charité est une, parce qu’elle est attachée au souverain bien, mais que les vices opposés à la charité sont divers parce que leur penchant vers divers biens temporels les éloigne de l’unique bien souverain et en outre les entraîne à diverses attitudes désordonnées envers Dieu ; la foi aussi est une seule vertu par le fait qu’elle adhère à l’unique vérité première ; mais les espèces d’infidélité sont multiples par le fait que les infidèles suivent diverses opinions fausses.

2. Cette objection porte sur la distinction des espèces d’infidélité suivant les diverses matières où il y a erreur.

3. De même que la foi est une parce qu’elle croit beaucoup de choses ordonnées à une seule, de même l’infidélité, même si elle erre en beaucoup de points, peut être une en tant que tous sont ordonnés à un seul. Rien cependant n’empêche un homme d’errer en plusieurs sortes d’infidélités, comme aussi un seul individu peut succomber à des vices divers et à diverses maladies corporelles.

 

            Article 6 — Comparaison entre les espèces d’infidélités

Objections :

1. Il semble que l’infidélité des gentils, ou païens, soit plus grave que les autres. En effet, de même que la maladie corporelle est d’autant plus grave qu’elle s’attaque à la santé d’un membre plus important, de même il semble que le péché soit d’autant plus grave qu’il s’oppose à ce qu’il n’y a de plus fondamental dans la vertu. Mais le plus fondamental dans la foi, c’est la foi à l’unité divine, et c’est à cette foi que manquent les païens en croyant à une multitude de dieux. Leur infidélité est donc la plus grave.

2. Parmi les hérétiques, l’hérésie de quelques-uns est d’autant plus détestable qu’ils sont en contradiction avec la vérité de la foi en plus de points et sur des points plus fondamentaux. Ainsi l’hérésie d’Arius, qui sépara la divinité du Christ de son humanité, fut plus détestable que celle de Nestorius, qui séparait son humanité de la personne du fils de Dieu. Mais les païens, parce qu’ils ne reçoivent absolument rien de la foi, s’éloignent d’elle sur des points plus fondamentaux que les Juifs et les hérétiques. Leur infidélité est donc la plus grave.

3. Tout bien atténue le mal. Mais il y a du bien chez les Juifs parce qu’ils confessent que l’Ancien Testament vient de Dieu. il y a aussi du bien chez les hérétiques, parce qu’ils vénèrent le Nouveau Testament. Ils pèchent donc moins que les païens qui repoussent les deux Testaments.

En sens contraire, il est écrit dans la seconde épître de S. Pierre (2, 21) : " Il eût mieux valu pour eux ne pas connaître la voie de la justice que de retourner en arrière après l’avoir connue. " Or les gentils n’ont pas connu la voie de la justice mais les hérétiques et les Juifs, la connaissant dé quelque manière, l’ont abandonnée. Donc leur péché est plus grave.

Réponse :

Dans l’infidélité, avons-nous dit, on peut considérer deux aspects. L’un est son rapport avec la foi. A cet égard, quelqu’un qui résiste à la foi qu’il a reçue pèche plus gravement que celui qui résiste à la foi qu’il n’a pas reçue, de même que celui qui ne remplit pas ce qu’il a promis, pèche plus gravement que s’il ne remplit pas ce qu’il n’a jamais promis. A ce point de vue, les hérétiques qui professent la foi à l’Évangile, et qui résistent à cette foi en la détruisant, pèchent plus gravement que les Juifs qui n’ont jamais reçu la foi a l’Évangile. Mais parce qu’ils en ont reçu la préfiguration dans l’Ancien Testament et qu’ils détruisent cette préfiguration en l’interprétant mal, leur infidélité est plus grave que celle des païens qui n’ont aucunement reçu la foi à l’Évangile.

On peut considérer aussi un autre aspect dans l’infidélité : la corruption des vérités de la foi ; à ce point de vue, comme les gentils se trompent en plus de choses que les juifs, et les Juifs en plus de choses que les hérétiques, l’infidélité des païens est plus grave que celle des Juifs, et l’infidélité des Juifs plus grave que celle des hérétiques, sauf peut-être chez quelques-uns comme les manichéens qui, en matière de foi, sont dans l’erreur plus gravement que les païens. De ces deux gravités cependant, la première l’emporte sur la seconde quant à la raison de faute. Car, nous l’avons dit, l’infidélité tire sa raison de faute bien plus du fait qu’elle résiste à la foi, que de la foi qui lui manque. Cela en effet paraît se rattacher plutôt à la raison de châtiment, nous l’avons dit. Aussi, à parler absolument, la pire infidélité est celle des hérétiques.

Solutions :

Cela répond clairement aux Objections.

 

            Article 7 — Faut-il disputer de la foi avec les infidèles ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’Apôtre dit (1 Tm 2, 14) : " Évite les querelles de mots, bonnes seulement à perdre ceux qui les écoutent. " Mais il ne peut pas y avoir de discussion publique avec les infidèles sans querelles de mots. Donc on ne doit pas disputer publiquement avec les infidèles.

2. Une loi de Marcien Auguste, confirmée par les canons, s’exprime ainsi : " C’est faire injure au jugement du très saint synode de prétendre revenir sur ce qui a été une fois jugé et correctement décidé, et d’en disputer publiquement. " Mais toutes les vérités de la foi ont été définies par les saints conciles. C’est donc offenser la synode et pécher gravement que d’oser disputer publiquement des vérités de foi.

3. On mène une dispute par des arguments. Mais un argument c’est " une raison qui fait croire des choses douteuses ". Comme les vérités de foi sont très certaines, elles n’ont pas à être mises en doute. Il n’y a donc pas à en disputer publiquement.

En sens contraire, on lit dans les Actes (9, 22) : " Saul prenait de la force et confondait les juifs " ; puis (9, 29) : " Il parlait aux païens et disputait avec les Grecs. "

Réponse :

Dans la dispute en matière de foi il y a deux choses à considérer, l’une du côté du disputant, l’autre du côté des auditeurs. Pour ce qui est du disputant, il faut considérer l’intention. Car, s’il dispute comme quelqu’un qui doute de la foi et qui n’en tient pas la vérité pour certaine, mais cherche à la vérifier par des arguments, il pèche sans aucun doute comme doutant de la foi et infidèle. Mais, si quelqu’un dispute en matière de foi pour réfuter les erreurs, ou même à titre d’exercice, c’est louable.

Pour ce qui est des auditeurs, il faut voir si ceux qui écoutent la dispute sont instruits et fermes dans la foi, ou si ce sont des gens simples et qui vacillent dans la foi. Assurément, devant des sages fermes dans la foi, il n’y a aucun péril à disputer de la foi. Mais en ce qui concerne les simples, il faut faire une distinction. Ou bien ils sont attirés ou même poussés par des infidèles qui s’appliquent à détruire en eux la foi, que ce soient des juifs, des hérétiques ou des païens, ou bien comme dans les pays où il n’y a pas d’infidèles, cela ne les inquiète nullement. Dans le premier cas, il est nécessaire de disputer publiquement en matière de foi, pourvu qu’il y ait des gens suffisamment capables de réfuter les erreurs. Par là, en effet, les simples seront confirmés dans la foi, et on enlèvera aux infidèles la possibilité de les tromper. Alors le silence de ceux qui auraient dû résister aux pervertisseurs de la vérité de la foi serait une confirmation de l’erreur. D’où cette parole de S. Grégoire v : " De même qu’un discours inconsidéré entraîne dans l’erreur, de même un silence intempestif abandonne dans l’erreur ceux qui pouvaient être instruits. " Dans le second cas, il est périlleux au contraire de disputer en matière de foi devant des gens simples, leur foi est d’autant plus ferme qu’ils n’ont rien entendu dire qui soit différent de ce qu’ils croient. Et c’est pourquoi il n’est pas bon pour eux d’écouter les paroles des infidèles en discussion contre la foi.

Solutions :

1. L’Apôtre ne défend pas toute dispute, mais la dispute désordonnée qui recourt plutôt à une querelle de mots qu’à la fermeté de idées.

2. Cette loi interdit une dispute publique qui procède du doute contre la foi, mais non pas celle qui sert à confirmer la foi.

3. On ne doit pas disputer dans les matières de foi comme si on avait des doutes à leur sujet, mais afin de manifester la vérité et de réfuter les erreurs. Il faut en effet, pour confirmer la foi, disputer de temps à autre avec des infidèles. Tantôt pour défendre la foi, selon cette parole (1 P 3, 15) : " Toujours prêts pour répondre à ceux qui vous demandent raison de votre espérance et de votre foi. " Tantôt pour convaincre ceux qui sont dans l’erreur, selon S. Paul (Tt 1, 9) : " Qu’il soit capable à la fois d’exhorter dans la saine doctrine et de confondre les contradicteurs. "

 

            Article 8 — Faut-il contraindre les infidèles à la foi ?

Objections :

1. Aucunement, semble-t-il. On lit en effet en S. Matthieu (13, 28) que les serviteurs du père de famille dans le champ duquel avait été semée l’ivraie, lui demandèrent : " Veux-tu que nous allions la ramasser ? " et il répondit : " Non, de peur qu’en ramassant l’ivraie vous n’arrachiez en même temps le froment. " S. Jean Chrysostome commente ainsi : " Le Seigneur a voulu par là défendre de tuer. Car il ne faut pas tuer les hérétiques, pour cette raison que, si on les tuait, il serait fatal que beaucoup de saints soient détruits en même temps. " Il semble donc, pour la même raison, qu’on ne doit pas contraindre à la foi certains infidèles.

2. On dit dans les Décrétales : " Pour ce qui est des Juifs, le saint synode a prescrit de n’en forcer aucun à croire désormais. " Pour la même raison, on ne doit pas non plus contraindre les autres infidèles à la foi.

3. S. Augustin dit " L’on peut tout faire sans le vouloir, mais croire, seulement si on le veut. " Mais la volonté ne peut pas être forcée. Il semble donc que les infidèles ne doivent pas être contraints à la foi.

4. Dieu dit dans Ézéchiel (18, 23) : " je ne veux pas la mort du pécheur. " Mais nous devons conformer notre volonté à la volonté divine, nous l’avons déjà dit. Nous ne devons donc plus vouloir le meurtre des infidèles.

En sens contraire, il est dit en S. Luc (14, 23) : " Va sur les routes et les sentiers, et force à entrer pour que ma maison soit pleine. Mais c’est par la foi que les hommes entrent dans la maison de Dieu, c’est-à-dire dans l’Église. Il y a donc des gens qu’on doit contraindre à la foi.

Réponse :

Parmi les infidèles il y en a, comme les païens et les Juifs, qui n’ont jamais reçu la foi. De tels infidèles ne doivent pas être poussés à croire, parce que croire est un acte de volonté. Cependant, ils doivent être contraints par les fidèles, s’il y a moyen, pour qu’ils ne s’opposent pas à la foi par des blasphèmes, par des suggestions mauvaises, ou encore par des persécutions ouvertes. C’est pour cela que souvent les fidèles du Christ font la guerre aux infidèles ; ce n’est pas pour les forcer à croire puisque, même si après les avoir vaincus ils les tenaient prisonniers, ils leur laisseraient la liberté de croire ; ce qu’on veut, c’est les contraindre à ne pas entraver foi chrétienne. Mais il y a d’autres infidèles qui ont un jour embrassé la foi et qui la professent, comme les hérétiques et certains apostats. Ceux-là, il faut les contraindre même physiquement à accomplir ce qu’ils ont promis et à garder la foi qu’ils ont embrassée une fois pour toutes.

Solutions :

1. Certains ont compris que cette autorité patristique interdisait non l’excommunication des hérétiques, mais leur mise à mort : c’est clair dans ce texte de S. Jean Chrysostome. Et S. Augustin parle ainsi de lui-même : " Mon avis était d’abord qu’on ne doit forcer personne à l’unité du Christ, qu’il fallait agir par la parole, combattre par la discussion. Mais ce qui était mon opinion est vaincu non par les paroles de contradicteurs, mais par la démonstration des faits. Car la crainte des lois a été si utile que beaucoup disent : "Rendons grâce au Seigneur qui a brisé nos liens !" ". Si le Seigneur dit : " Laissez-les croître ensemble jusqu’à la moisson ", nous voyons comment il faut le prendre, grâce à ce qui suit : "de peur qu’en ramassant l’ivraie vous n’arrachiez en même temps le froment". Cela le montre suffisamment, dit S. Augustin : " Lorsqu’il n’y a pas cette crainte, c’est-à-dire quand le crime de chacun est assez connu de tous et apparaît abominable au point de n’avoir plus aucun défenseur, ou de ne plus en avoir qui soient capables de susciter un schisme, la sévérité de la discipline ne doit pas s’endormir. "

2. Les Juifs, s’ils n’ont nullement reçu la foi, ne doivent nullement y être forcés. Mais, s’ils ont reçu la foi, " il faut qu’on les mette de force dans la nécessité de la garder ", dit le même chapitre des Décrétales.

3. " Faire un vœu, dit-on, est laissé à la volonté, mais le tenir est une nécessité. " De même, embrasser la foi est affaire de volonté, mais la garder quand on l’a embrassée est une nécessité. C’est pourquoi les hérétiques doivent être contraints à garder la foi. S. Augustin écrit en effet au comte Boniface : " Là où retentit la clameur accoutumée de ceux qui disent : "On est libre de croire ou de ne pas croire ; à qui le Christ a-t-il fait violence ?" - qu’ils découvrent chez Paul le Christ qui commence par le forcer et qui dans la suite l’instruit. "

4. Comme dit S. Augustin dans la même lettre : " Personne d’entre nous ne veut la perte d’un hérétique, mais David n’aurait pas eu la paix dans sa maison si son fils Absalon n’était mort à la guerre qu’il lui faisait. De même l’Église catholique : lorsque par la ruine de quelques-uns elle rassemble tout le reste de ses enfants, la délivrance de tant de peuples guérit la douleur de son cœur maternel. "

 

            Article 9 — Peut-on communiquer avec les infidèles ?

Objections :

1. Il semble que oui. L’Apôtre écrit en effet : " Si un infidèle vous invite à souper et que vous acceptiez d’y aller, mangez tout ce qu’on vous présente " (1 Co 10, 27). Et S. Jean Chrysostome dit : " Si vous voulez aller à la table des païens, nous le permettons sans aucune restriction. " Mais aller souper chez quelqu’un, c’est communiquer avec lui. Il est donc permis de communiquer avec les infidèles.

2. L’Apôtre dit encore (1 Co 5, 12) : " En quoi m’appartient-il de porter un jugement sur ceux du dehors ? " Mais les infidèles sont bien du dehors. Donc, puisqu’il faut un jugement de l’Église pour interdire aux fidèles de communiquer avec certains, il ne semble pas qu’on doive interdire aux fidèles de communiquer avec les infidèles.

3. Le maître ne peut employer son serviteur que s’il communique avec lui, au moins par la parole, car le maître fait agir le serviteur par le commandement. Mais les chrétiens peuvent avoir comme serviteurs des infidèles, soit des Juifs, soit même des païens ou des Sarrasins. Ils peuvent donc licitement communiquer avec eux.

En sens contraire, il est écrit au Deutéronome (7, 3) : " Tu ne feras pas d’alliance avec eux, tu ne leur feras pas grâce, tu ne contracteras pas de mariages avec eux. " Et, sur ce passage du Lévitique (15, 19) : " La femme qui au retour du mois, etc. " la Glose dit : " Ainsi faut-il s’abstenir de l’idolâtrie, au point de ne toucher ni les idolâtres ni leurs disciples, et de ne pas communiquer avec eux. "

Réponse :

Communiquer avec une personne est interdit aux fidèles pour deux motifs : ou c’est pour la punition de la personne à qui est retirée la communion des fidèles, ou c’est pour la protection de ceux à qui cette communication est interdite. L’un et l’autre motif peut se déduire des paroles de l’Apôtre (1 Co 5). Car, après avoir porté la sentence d’excommunication, il donne pour raison : " Ne savez-vous pas qu’un peu de ferment corrompt toute la pâte ? " Après cela il ajoute une raison qui se réfère à la peine que l’Église porte par jugement : " N’est-ce pas ceux du dedans que vous jugez ? "

Donc, à titre de punition, l’Église n’interdit pas aux fidèles de communiquer avec les infidèles lorsque ceux-ci n’ont en aucune façon reçu la foi chrétienne, c’est-à-dire lorsque ce sont des païens ou des Juifs, parce qu’elle n’a pas à porter de jugement sur eux au spirituel, mais au temporel, dans le cas où, habitant parmi les chrétiens, ils commettent une faute qui motive leur punition, au temporel, par les fidèles. Pourtant, de ce point de vue, c’est-à-dire à titre de punition, l’Église interdit aux fidèles de communiquer avec les infidèles lorsque ceux-ci dévient de la foi qu’ils avaient embrassée, soit en la corrompant comme les hérétiques, soit même en s’éloignant d’elle totalement, comme les apostats. C’est en effet contre les uns et les autres que l’Église porte la sentence d’excommunication.

Mais, à titre de protection, il semble qu’on doive distinguer suivant les diverses conditions des personnes, des affaires et des temps : S’agit-il, en effet, de fidèles qui ont été fermes dans la foi, de sorte que leur communication avec les infidèles fait espérer la conversion de ces derniers plus qu’un éloignement de la foi chez les fidèles ? Il n’y a pas à empêcher ceux-ci de communiquer avec les infidèles qui n’ont pas reçu la foi, c’est-à-dire avec des païens ou des Juifs ; et surtout quand il y a nécessité urgente. S’agit-il, au contraire, de gens simples, peu fermes dans la foi, et dont on puisse selon toute probabilité craindre la chute ? On doit leur interdire de communiquer avec les infidèles, et surtout les empêcher d’avoir une grande familiarité avec eux, ou de communiquer avec eux quand il n’y a pas nécessité.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. L’Église n’exerce pas son jugement contre les infidèles en ceci qu’elle leur infligerait une peine spirituelle. Elle juge cependant quelques-uns d’entre eux en ceci qu’elle leur inflige une peine temporelle. C’est ce que signifie le fait que parfois, pour des fautes spéciales, elle retire à des infidèles toute communication avec les fidèles.

3. Il y a plus de probabilité à ce que le serviteur qui est sous les ordres de son maître, se convertisse à la foi de ce dernier qui est lui-même fidèle, qu’il n’y a de probabilité en sens inverse. C’est pourquoi il n’a pas été défendu aux fidèles d’avoir pour serviteurs des infidèles. Si cependant il y avait pour le maître un péril imminent à communiquer avec un tel serviteur, il devrait rejeter celui-ci conformément à cet ordre du Seigneur (Mt 18, 8) " Si ton pied t’a scandalisé, retranche-le et jette-le loin de toi. "

4. Il faut répondre à l’argument En sens contraire que le Seigneur donne cet ordre au sujet des nations dans le pays desquelles allaient entrer les Juifs, enclins à l’idolâtrie. C’est pourquoi on devait craindre que par des relations constantes avec les idolâtres, ils ne se détachent de la foi. Et c’est pourquoi on lit ensuite (Dt 7, 4) " Car ton fils serait détourné de me suivre. "

 

            Article 10 — Les infidèles peuvent-ils avoir autorité sur les fidèles chrétiens ?

Objections :

1. Apparemment oui. L’Apôtre écrit en effet (1 Tm 6, 1) : " Que tous ceux qui sont sous le joug comme esclaves jugent leurs maîtres dignes de respect. " Qu’il parle des infidèles, on le voit par ce qui suit : " Ceux qui ont des fidèles pour maîtres n’ont pas à les mépriser non plus. " Pierre écrit de son côté (1 P 2, 18) : " Serviteurs, soyez soumis à vos maîtres avec une crainte profonde, non seulement à ceux qui sont doux et bons, mais encore à ceux qui sont difficiles. Il n’y aurait pas ce précepte dans l’enseignement apostolique si les infidèles ne pouvaient pas avoir autorité sur les fidèles.

2. Tous les membres de la maison d’un prince sont sous l’autorité de ce prince. Mais il y avait des fidèles qui étaient de la maison de princes infidèles ; d’où cette phrase aux Philippiens (4, 22) : " Tous les saints vous saluent, mais surtout ceux qui sont de la maison de César ", c’est-à-dire de Néron, qui était bien un infidèle. Les infidèles peuvent donc avoir autorité sur les fidèles.

3. Comme dit le Philosophe, le serviteur est l’instrument du maître dans ce qui relève de la vie humaine, de même que l’ouvrier d’un artisan est l’instrument de l’artisan dans ce qui regarde le travail du métier. Mais en de telles choses un fidèle peut être soumis à un infidèle, car les fidèles peuvent être les fermiers des infidèles. Donc ceux-ci peuvent avoir autorité sur les fidèles, jusqu’à pouvoir leur commander.

En sens contraire, l’autorité implique que l’on ait le pouvoir judiciaire. Mais les infidèles ne peuvent juger les fidèles, selon S. Paul (1 Co 6, 1) : " Quand l’un de vous a un différend avec un autre, ose-t-il bien aller en justice devant les injustes " c’est-à-dire les infidèles, " et non devant les saints ? " Donc il apparaît que les infidèles ne puissent avoir autorité sur les fidèles.

Réponse :

Sur ce sujet on peut donner une double Réponse. La première concerne une souveraineté, ou autorité, d’infidèles sur les fidèles, qui serait à instituer. Cela ne doit être aucunement permis. Car cela tournerait au scandale et au péril de la foi. En effet ceux qui sont soumis à la juridiction des autres peuvent être influencés par ces supérieurs dont ils doivent suivre les ordres, à moins que de tels subordonnés aient beaucoup de vertu. Et pareillement, les infidèles méprisent la foi lorsqu’ils constatent la défaillance des fidèles. C’est pourquoi l’Apôtre a interdit aux fidèles d’intenter des procès devant un juge infidèle. C’est pourquoi l’Église ne permet aucunement que les infidèles acquièrent la souveraineté sur les fidèles, ni qu’ils leur commandent, à quelque titre que ce soit, dans une charge.

La Réponse est différente pour une souveraineté ou une autorité qui existe déjà. Dans cette situation il faut considérer que la souveraineté et l’autorité sont entrées là par droit humain ; la distinction entre fidèles et infidèles est au contraire de droit divin, mais ce droit divin qui vient de la grâce, ne détruit pas le droit humain qui vient de la raison naturelle. C’est pourquoi la distinction entre fidèles et infidèles, prise en soi, ne supprime pas la souveraineté ni l’autorité des infidèles sur les fidèles.

Cependant l’Église, qui est investie de l’autorité de Dieu, peut à bon droit, par voie de sentence ou d’ordonnance, supprimer un tel droit de souveraineté ou d’autorité, parce que les infidèles, au titre même de leur infidélité, méritent de perdre pouvoir sur des fidèles qui sont promus enfants de Dieu.

Mais cela, tantôt l’Église le fait, tantôt elle ne le fait pas. Car, dans le cas des infidèles qui sont soumis à elle et à ses membres, même par une sujétion temporelle, l’Église statue d’après ce droit : celui qui est esclave chez des juifs, dès qu’il devient chrétien, est aussitôt libéré de son esclavage, sans payer aucune rançon, s’il était de la maison, c’est-à-dire né en esclavage, et pareillement s’il avait été acheté pour le service lorsqu’il était infidèle ; mais, s’il avait été acheté pour la vente, il faut qu’il soit dans les trois mois remis sur le marché. En tout cela l’Église ne commet pas d’injustice parce que, ces juifs étant eux-mêmes des esclaves, elle peut disposer de leurs biens ; elle agit comme l’ont fait aussi les princes séculiers qui ont publié beaucoup de lois à l’égard de leurs sujets en faveur de la liberté. Au contraire, dans le cas des infidèles qui au temporel ne sont pas soumis à elle ni à ses membres, l’Église n’a pas établi ce droit, bien qu’elle pût juridiquement l’instituer. Et elle fait cela pour éviter le scandale ; comme le Seigneur a montré (Mt 17, 25) qu’il pouvait se dispenser du tribut parce que " les fils sont libres ". mais pourtant a prescrit de le payer pour éviter le scandale. Et Paul de même, après avoir dit que les esclaves doivent honorer leurs maîtres, ajoute (1 Tm 6, 1) : " Pour que le nom du Seigneur et son enseignement ne soient pas blasphémés. "

Solutions :

1. Cela donne la Réponse à la première objection.

2. Cette autorité de César préexistait à ce qui distinguait les fidèles des infidèles, et elle n’était pas détruite par la conversion de quelques individus à la vrai foi. Il était utile que quelques fidèles aient une situation dans la maison de l’empereur, pour pouvoir défendre les autres fidèles : c’est ainsi que S. Sébastien, lorsqu’il voyait les chrétiens faiblir dans les tourments, confortait leur courage en continuant de se cacher sous la chlamyde du soldat dans la maison de Dioclétien.

3. Les esclaves sont soumis à leurs maîtres pour la totalité de la vie, et les sujets à leurs supérieurs pour toutes les affaires ; mais les ouvriers des artisans sont soumis à ceux-ci pour des travaux déterminés. Aussi y a-t-il plus de péril à ce que des infidèles reçoivent une souveraineté ou une autorité sur les fidèles, qu’à ce qu’ils reçoivent d’eux une collaboration technique. C’est pourquoi l’Église permet que les chrétiens puissent cultiver les terres des Juifs, parce que cela ne les oblige pas à vivre en société avec eux. Le livre des Rois (1 R 5, 6) rapporte que Salomon a même réclamé au roi de Tyr des maîtres d’œuvre pour travailler le bois. Et cependant, s’il y avait à craindre qu’une telle communication ou communauté de vie puisse amener la subversion des fidèles, ce serait à interdire absolument.

 

            Article 11 — Doit-on tolérer les rites des infidèles ?

Objections :

1. Non. Car il est bien évident que les infidèles qui ont leurs rites pèchent en les observant. Or il semble bien consentir au péché, celui qui ne l’interdit pas alors qu’il le pourrait, comme on le voit dans la Glose sur l’épître aux Romains (1, 32) : " Non seulement ils font, mais encore ils approuvent ceux qui le font. " Ils pèchent donc, ceux qui tolèrent les rites des infidèles.

2. Les rites des Juifs sont comparés à l’idolâtrie. Effectivement, sur cette parole (Ga 5, 1) : " Ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage ", la Glose dit : " Cet esclavage de la loi n’est pas plus léger que celui de l’idolâtrie. " Mais on ne supporterait pas que quelques personnes pratiquent un rite idolâtrique. Au contraire, les princes chrétiens ont fait d’abord fermer, et ensuite démolir, les temples des idoles, comme S. Augustin le raconte, les rites des Juifs non plus ne doivent donc pas être tolérés.

3. Le péché d’infidélité, avons-nous dit, est extrêmement grave. Mais il y a d’autres péchés, comme l’adultère, le vol, etc., qui ne sont pas tolérés et au contraire sont punis par la loi. Les rites des infidèles ne doivent donc pas non plus être tolérés.

En sens contraire, dans les Décrétales, S. Grégoire dit à propos des Juifs : " Toutes leurs fêtes, telles que jusqu’à maintenant eux et leurs pères les ont observées par un culte séculaire, qu’ils aient la libre faculté de les observer et célébrer. "

Réponse :

Le gouvernement humain dérive du gouvernement divin et doit le prendre pour modèle. Or Dieu, bien qu’il soit tout-puissant et souverainement bon, permet néanmoins qu’il se produise des maux dans l’univers, alors qu’il pourrait les empêcher, parce que leur suppression supprimerait de grands biens et entraînerait des maux plus graves. Ainsi donc, dans le gouvernement humain, ceux qui commandent tolèrent à bon droit quelques maux, de peur que quelques biens ne soient empêchés, ou même de peur que des maux pires ne soient encourus. C’est ce que dit S. Augustin : "Supprimez les prostituées et vous apporterez un trouble général par le déchaînement des passions." Ainsi donc, bien que les infidèles pèchent par leurs rites, ceux-ci peuvent être tolérés soit à cause du bien qui en provient, soit à cause du mal qui est évité. Du fait que les juifs observent leurs rites, qui préfiguraient jadis la réalité de la foi que nous professons, il en découle ce bien que nous recevons de nos ennemis un témoignage en faveur de notre foi, et qu’ils nous représentent comme en figure ce que nous croyons. C’est pourquoi les Juifs sont tolérés avec leurs rites.

Quant aux rites des autres infidèles, comme ils n’apportent aucun élément de vérité ni d’utilité. il n’y a pas de raison que ces rites soient tolérés. si ce n’est peut-être en vue d’un mal à éviter. Ce qui est à éviter, c’est le scandale ou le dissentiment qui pourrait provenir de cette intolérance, ou encore l’empêchement de salut pour ceux qui, ainsi tolérés, se tournent peu à peu vers la foi. C’est pour cela en effet que l’Église a quelquefois toléré les rites des hérétiques et des païens quand les infidèles étaient très nombreux.

Solutions :

Cela répond clairement aux Objections.

 

            Article 12 — Doit-on baptiser les enfants des infidèles malgré leurs parents ?

Objections :

1. Il semble que oui. En effet, le lien matrimonial est plus grand que le droit de la puissance paternelle, parce que celui-ci peut être défait par l’homme lorsqu’un fils de famille devient majeur ; tandis que le lien matrimonial ne peut l’être, selon cette parole en S. Matthieu (19, 6) : " Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. " Mais le lien matrimonial est défait pour cause d’infidélité. L’Apôtre dit en effet (1 Co 7, 15) : " Si la partie qui n’a pas la foi veut s’en aller, qu’elle s’en aille, car le frère ou la sœur n’est pas enchaîné au joug dans ces cas-là. " Et le Canon e précise que, si le conjoint incroyant ne veut pas demeurer avec l’autre sans offenser le Créateur, le conjoint ne doit pas cohabiter avec lui. Donc à plus forte raison le droit paternel est-il enlevé pour cause d’infidélité. Les enfants des infidèles peuvent donc être baptisés contre le gré de leurs parents.

2. On doit secourir un homme en danger de mort éternelle plus qu’un homme en danger de mort temporelle. Or, si quelqu’un voyait un homme en péril de mort temporelle et ne lui portait pas secours, il ferait un péché. Donc, puisque les enfants des juifs et des autres infidèles sont en péril de mort éternelle s’ils sont laissés à des parents qui les forment dans leur infidélité, il semble qu’il y ait lieu de les leur retirer pour qu’ils soient baptisés et instruits dans la foi.

3. Les enfants des esclaves sont esclaves et sous la puissance de leurs maîtres. Mais les Juifs sont les esclaves des rois et des princes. Donc aussi leurs enfants. Par conséquent les rois et les princes ont la puissance de faire ce qu’ils veulent des enfants des Juifs. Il n’y aura donc aucune injustice à baptiser ces enfants malgré leurs parents.

4. Tout homme appartient davantage à Dieu dont il tient son âme, qu’à son père charnel dont il tient son corps. Il n’y a donc pas d’injustice à retirer les enfants des Juifs à leurs parents selon la chair, et à les consacrer à Dieu par le baptême.

5. Le baptême est plus efficace pour le salut que la prédication, puisque le baptême a pour effet d’enlever sur-le-champ la tache du péché, la dette de peine, et d’ouvrir la porte du ciel. Mais, s’il y a péril par la suite du manque de prédication, c’est imputé à celui qui n’a pas fait cette prédication, comme c’est écrit en Ézéchiel à propos de celui qui " voyant venir le glaive, n’a pas sonné de la trompette " (33, 6-8). Donc, bien davantage, si les enfants des Juifs sont damnés par défaut de baptême, sera-ce imputé comme péché à ceux qui auraient pu les baptiser et qui ne l’ont pas fait.

En sens contraire, il ne faut faire d’injustice à personne. Or ce serait faire une injustice aux Juifs que de baptiser malgré eux leurs enfants ; ils perdraient en effet leur droit de puissance paternelle sur ces enfants devenus des fidèles. On ne doit donc pas baptiser des enfants contre le gré de leurs parents.

Réponse :

Ce qui possède la plus haute autorité, c’est la pratique de l’Église à laquelle il faut s’attacher jalousement en toutes choses. Car l’enseignement même des docteurs catholiques tient son autorité de l’Église. Il faut donc s’en tenir plus à l’autorité de l’Église qu’à celle d’un Augustin ou d’un Jérôme ou de quelque docteur que ce soit. Or, l’usage de l’Église n’a jamais admis que les enfants des Juifs soient baptisés malgré leurs parents. Il y eut cependant dans les temps reculés beaucoup de princes catholiques qui furent très puissants comme Constantin et Théodose ; de très saints évêques furent familiers avec eux, comme Sylvestre avec Constantin, et Ambroise avec Théodose. Ces évêques n’auraient nullement omis de leur faire porter cette loi si elle était conforme à la raison. C’est pourquoi il semble périlleux d’introduire cette nouveauté : baptiser les enfants des juifs malgré leurs parents en dehors de la coutume jusqu’à présent observée dans l’Église.

Il y a à cela deux raisons. La première vient du péril de la foi. Car, si ces enfants recevaient le baptême avant d’avoir l’usage de la raison, dans la suite, en parvenant à l’âge parfait, ils pourraient facilement être entraînés par leurs parents à abandonner ce qu’ils ont reçu sans le connaître. Une autre raison, c’est que cela est contraire au droit naturel. En effet, par nature, le fils est quelque chose du père. Et d’abord il n’est même pas distinct de ses parents corporellement, aussi longtemps qu’il est contenu dans le sein de sa mère. Mais ensuite, alors même qu’il en est sorti, tant qu’il n’a pas l’usage du libre arbitre, il reste enfermé sous la tutelle des parents comme dans un sein spirituel. Car, aussi longtemps que l’enfant n’a pas l’usage de la raison, il ne diffère pas de l’animal sans raison. Aussi, de même qu’un bœuf ou un cheval appartient en droit civil à quelqu’un qui s’en sert quand il veut, de même est-il de droit naturel que le fils avant d’avoir l’usage de la raison demeure sous la tutelle du père. Il serait donc contraire à la justice naturelle que l’enfant, avant d’avoir l’usage de la raison, soit soustrait à la tutelle de ses parents ou qu’une disposition soit prise à son sujet malgré les parents. Mais, après qu’il commence à avoir l’usage du libre arbitre, il commence à être lui-même et il peut, dans ce qui est de droit divin ou naturel, se gouverner. Et alors il faut l’amener à la foi non par contrainte mais par persuasion ; et il peut, même contre le gré de ses parents, adhérer à la foi et être baptisé, mais pas avant d’avoir l’âge de raison. Aussi est-il dit à propos des enfants des anciens pères qu’ils furent sauvés " dans la foi de leurs parents ", ce qui donne à comprendre qu’il appartient aux parents de pourvoir au salut de leurs enfants surtout avant que ceux-ci aient l’âge de raison.

Solutions :

1. Dans le lien matrimonial chacun des conjoints a l’usage du libre arbitre et chacun peut malgré l’autre adhérer à la foi. Tandis que ceci n’a pas lieu chez l’enfant avant qu’il ait l’usage de la raison. Mais après, la comparaison est valable, s’il veut se convertir.

2. Il ne faut pas arracher quelqu’un à la mort naturelle contre l’ordre du droit civil ; par exemple, si quelqu’un est condamné par son juge à la mort temporelle, personne ne doit l’y soustraire par la violence. On ne doit donc pas non plus, pour délivrer un enfant du péril de mort éternelle, violer l’ordre du droit naturel qui met le fils sous la tutelle de son père.

3. Les Juifs sont les esclaves des princes par une servitude civile qui n’exclut pas l’ordre du droit naturel ou divin.

4. L’homme est ordonné à Dieu par la raison qui lui permet de connaître Dieu. C’est pourquoi, avant que l’enfant ait l’usage de la raison, l’ordre naturel fait qu’il est ordonné à Dieu par la raison de ses parents, dont il subit par nature la tutelle, et c’est selon leurs dispositions qu’il est mis rapport avec les choses divines.

5. Le péril qui résulte d’une prédication omise ne menace que ceux à qui a été confié l’office de prêcher. C’est pourquoi on lit avant ce texte, chez Ézéchiel (3, 17) : " je t’ai donné pour sentinelle aux enfants d’Israël. " Mais procurer aux enfants des infidèles les sacrements du salut revient à leurs parents. Il y a donc pour eux péril si, en soustrayant leurs petits enfants aux sacrements, il en résulte pour ceux-ci un détriment en ce qui concerne le salut.

 

 

QUESTION 11 — L’HÉRÉSIE

1. Est-elle une espèce de l’infidélité ? - 2. La matière de l’hérésie. - 3. Doit-on tolérer les

hérétiques ? - 4. Doit-on recevoir ceux qui reviennent ?

 

            Article 1 — L’hérésie est-elle une espèce de l’infidélité ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car l’infidélité est dans l’intelligence, avons-nous dit, tandis que l’hérésie paraît se rapporter non à l’intelligence mais plutôt à la faculté d’appétit. S. Jérôme dit en effet, et cela se trouve dans les Décrétales : " Hérésie en grec vient du mot choix, c’est-à-dire que chacun choisit pour soi la discipline qu’il estime la meilleure. " Or le choix, avons-nous dit, est un acte de la faculté d’appétit. L’hérésie n’est donc pas une espèce de l’infidélité.

2. Un vice tire son espèce surtout de sa fin. Ce qui fait dire au Philosophe : " Celui qui commet la fornication afin de voler est plus voleur que fornicateur. " Mais la fin poursuivie par l’hérésie, c’est l’avantage temporel et surtout la domination et la gloire, ce qui appartient au vice de l’orgueil ou à celui de la cupidité. S. Augustin affirme en effet que " l’hérétique est celui qui, en vue d’un avantage temporel et surtout de sa gloire et de sa domination, engendre ou suit des opinions fausses et nouvelles ". L’hérésie n’est donc pas une espèce d’infidélité, c’est plutôt une espèce d’orgueil.

3. Puisque l’infidélité est dans l’intelligence, il ne semble pas qu’elle relève de la chair. Mais l’hérésie relève des œuvres de la chair. Au dire de l’Apôtre (Ga 5, 19), " les œuvres de la chair sont manifestes, c’est la fornication, l’impureté ", et parmi les autres il ajoute après cela " les dissensions, les sectes ", qui sont la même chose que les hérésies. L’hérésie n’est donc pas une espèce de l’infidélité.

En sens contraire, la fausseté s’oppose à la vérité. Mais " l’hérétique est celui qui engendre ou suit des opinions fausses ou nouvelles ". Il s’oppose donc à la vérité sur laquelle s’appuie la foi. Il entre donc dans l’infidélité.

Réponse :

Le mot hérésie, on vient de le dire, implique un choix. Or le choix a pour objet, on l’a dit précédemment, les moyens en vue de la fin, celle-ci étant présupposée. D’autre part, dans les choses qu’on doit croire, la volonté adhère à une vérité comme à son bien propre, nous l’avons montré. Aussi la vérité principale a-t-elle raison de fin ultime, et les vérités secondaires ont raison de moyens.

Or, parce que celui qui croit adhère à la parole d’autrui, ce qui semble principal, et qui paraît jouer le rôle de fin en toute croyance, c’est celui à la parole de qui l’on adhère. Sont quasi secondaires les vérités que l’on tient du fait de cette adhésion. Ainsi donc, celui qui possède la vraie foi chrétienne adhère au Christ par sa volonté pour ce qui ressortit vraiment à son enseignement.

On peut donc dévier de la rectitude de la foi chrétienne de deux façons. D’un côté parce qu’on ne veut pas adhérer au Christ ; on a alors une volonté mauvaise relativement à la fin elle-même. Cela concerne l’espèce d’infidélité des païens et des juifs. D’un autre côté, l’homme a bien l’intention d’adhérer au Christ, mais il dévie quant aux moyens qu’il choisit pour adhérer à lui, parce qu’il ne choisit pas ce qui est vraiment transmis par lui, mais ce que son propre esprit lui suggère. C’est pourquoi l’hérésie est l’espèce d’infidélité de ceux qui professent la foi chrétienne mais en corrompent les dogmes.

Solutions :

1. Le choix fait partie de l’infidélité au même titre que la volonté fait partie de la foi, comme on vient de le dire.

2. Les vices tirent leur espèce de leur fin prochaine, mais ils tirent leur genre et leur cause de leur fin éloignée. Ainsi, lorsque quelqu’un commet une fornication en vue de voler, il y a bien là une espèce de fornication par la fin propre et par l’objet, mais on voit par la fin ultime que la fornication a son origine dans le vol, et elle est contenue en lui comme un effet dans sa cause et comme une espèce dans un genre, nous l’avons montré en traitant des actes humains. Aussi est-ce pareil dans notre propos : la fin prochaine de l’hérésie est d’adhérer à une fausse doctrine qui lui est propre, et c’est ce qui lui donne son espèce. Mais la fin éloignée montre quelle est sa cause : elle sort, par exemple, de l’orgueil ou de la cupidité.

3. De même que le mot " hérésie " vient de hairéô " choisir ", le mot secte vient de sectari " rechercher ", dit Isidore dans ses Étymologies. C’est pourquoi hérésie et secte sont synonymes. L’une et l’autre relèvent des œuvres de la chair, non quant à l’acte même d’infidélité en face de son objet prochain, mais en raison de sa cause. Cette cause, tantôt c’est le désir d’une fin désordonnée, lorsque l’hérésie sort d’un fonds d’orgueil ou de cupidité, comme on vient de le dire. Tantôt c’est aussi quelque illusion d’imagination, car il y a là aussi, pour le Philosophe, un principe d’erreur. Or l’imagination ressortit en quelque manière à la chair, puisque son acte met en jeu un organe corporel.

 

            Article 2 — Quelle est la matière de l’hérésie ?

Objections :

1. Il semble que l’hérésie ne concerne pas proprement les vérités de foi. Car, comme il y a des hérésies et des sectes parmi les chrétiens, il y en eut aussi parmi les Juifs et les pharisiens, Isidore en fait la remarque. Mais leurs dissensions ne concernaient pas les vérités de foi. L’hérésie n’est donc pas là comme dans sa matière propre.

2. La matière de la foi, ce sont les réalités que l’on croit. Mais l’hérésie a pour domaine non pas seulement les réalités, mais aussi les mots et les exposés de la Sainte Écriture. S. Jérôme dit en effet : " Quiconque interprète l’Écriture autrement que le réclame le sens de l’Esprit Saint par qui elle a été écrite, même s’il ne quitte pas l’Église, peut cependant être appelé hérétique. " Et il dit ailleurs que " des paroles désordonnées engendrent une hérésie ". L’hérésie n’a donc pas proprement pour matière les vérités de foi.

3. Même dans les choses qui appartiennent à la foi, on peut trouver un dissentiment entre les pères comme entre S. Jérôme et S. Augustin sur la cessation des observances légales. Cependant, cela est étranger au vice d’hérésie. L’hérésie ne concerne donc pas proprement les matières de foi.

En sens contraire, S. Augustin affirme contre les manichéens : " Ceux qui, dans l’Église du Christ, ont le goût du morbide et du dépravé, sont des hérétiques si, malgré le rappel à une doctrine saine et droite, ils refusent de corriger leurs dogmes empoisonnés et mortels, et s’obstinent à les défendre. " Mais des dogmes empoisonnés et mortels ce sont justement ceux qui s’opposent aux dogmes de cette foi qui fait vivre le juste d’après S. Paul (Rm 1, 17). Donc l’hérésie a pour domaine les vérités de foi comme sa matière propre.

Réponse :

Nous parlons en ce moment de l’hérésie en tant qu’elle implique corruption de la foi chrétienne. Or ce n’est pas une corruption de la foi chrétienne, d’avoir une fausse opinion dans ce qui n’est pas de foi, par exemple en géométrie ou en d’autres choses de même sorte, qui ne peuvent absolument pas appartenir à la foi. Il y a corruption de la foi uniquement quand quelqu’un a une fausse opinion dans ce qui se rapporte à la foi. De deux manières, avons-nous dit plus haut, une chose se rapporte à la foi : tantôt directement et à titre principal, comme les articles de la foi ; tantôt indirectement et secondairement, comme les choses qui entraînent la corruption d’un article. Et l’hérésie peut s’étendre à ce double domaine, comme aussi la foi.

Solutions :

1. De même que les hérésies des Juifs et des pharisiens tournaient autour de certaines opinions relatives au judaïsme et au pharisaïsme, ainsi les hérésies des chrétiens tournent autour de ce qui se rapporte à la foi chrétienne.

2. On dit que quelqu’un expose la Sainte Écriture autrement que l’Esprit Saint le réclame lorsqu’il déforme son exposé jusqu’à contredire ce qui a été révélé par l’Esprit Saint. Aussi dit-on en Ézéchiel (13, 6), au sujet des faux prophètes, qu’" ils se sont entêtés à soutenir leurs prédictions ", entendez : en exposant faussement l’Écriture. Pareillement on peut trouver de l’hérésie dans les paroles que l’on prononce pour professer la foi ; la confession est en effet, avons-nous dit, un acte de foi. C’est pourquoi, s’il y a dans le domaine de la foi une manière de parler désordonnée, la corruption de la foi peut en découler. D’où cette remarque du pape Léon : " Puisque les ennemis de la croix du Christ épient tous nos actes, ne leur donnons nulle occasion, même légère, de dire mensongèrement que nous sommes d’accord avec la thèse de Nestorius. "

3. Comme le dit S. Augustin et comme il est marqué dans les Décrétales, " s’il y en a qui défendent leur manière de penser, quoique fausse et vicieuse sans y mettre aucune opiniâtreté, mais en cherchant la vérité avec soin, prêts à se corriger dès qu’ils l’auront trouvée, il ne faut pas du tout les compter au rang des hérétiques ", parce qu’effectivement ils ne choisissent pas d’être en contradiction avec l’enseignement de l’Église. C’est ainsi que quelques Pères semblent n’avoir pas été du même avis, soit dans un domaine où il n’importe pas à la foi qu’on tienne pour vrai ceci ou autre chose, soit même dans certaines choses relatives à la foi, mais qui n’avaient pas encore été définies par l’Église. Au contraire, après que les choses ont été définies par l’autorité de l’Église universelle, si quelqu’un refusait opiniâtrement un tel arrêt, il serait censé être hérétique. Cette autorité réside principalement dans le souverain pontife, car il est dit dans une décrétale : " Aussi souvent qu’un problème de foi est agité, j’estime que tous nos frères et coévêques ne doivent se référer qu’à Pierre c’est-à-dire à l’autorité qui est sous son nom. Or ni S. Jérôme, ni S. Augustin, ni aucun des saints Pères n’a défendu sa manière de penser contre l’autorité de Pierre. D’où cette déclaration de S. Jérôme au pape Damase : " Telle est, très Saint-Père, la foi que nous avons apprise dans l’Église catholique. Si par hasard il y a dans cette foi quelque position qui soit maladroite ou imprudente, nous désirons être amendés par toi, qui tiens la foi de Pierre avec le siège de Pierre. Si au contraire notre confession est approuvée par le jugement de ton autorité apostolique, alors voudra me donner tort fera la preuve quiconque que lui-même est ignorant ou malveillant, ou même qu’il n’est plus catholique mais hérétique. "

 

            Article 3 — Doit-on tolérer les hérétiques ?

Objections :

1. Il semble que oui. L’Apôtre écrit en effet (2 Tm 2, 25) : " Il faut que le serviteur de Dieu soit plein de mansuétude et reprenne avec modération ceux qui résistent à la vérité, en pensant que peut-être Dieu leur donnera de revenir à la raison, en reconnaissant la vérité, une fois dégagés des pièges du diable. " Mais, si les hérétiques ne sont pas tolérés, s’ils sont livrés à la mort, on les empêche de se convertir. Donc on va contre le précepte de l’Apôtres

2. Ce qui est nécessaire dans l’Église, doit être toléré. Mais les hérésies sont nécessaires dans l’Église d’après S. Paul (1 Co 11, 19) : " Il faut qu’il y ait des hérésies, pour permettre aux hommes éprouvés de se manifester parmi vous. " Il apparaît donc qu’on doit tolérer les hérétiques.

3. Le Seigneur a prescrit à ses serviteurs de laisser croître l’ivraie jusqu’à la moisson. La moisson, selon le texte lui-même (Mt 19, 39) c’est la fin du monde. Quant à l’ivraie, elle symbolise les hérétiques, selon l’interprétation des Pères. Les hérétiques doivent donc être tolérés.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Tt 3, 12) " L’homme hérétique, après un premier et second avertissement, évite-le, sachant qu’il est un dévoyé. "

Réponse :

En ce qui concerne les hérétiques, il y a deux choses à considérer, une de leur côté, une autre du côté de l’Église. De leur côté il y a péché. Celui par lequel ils ont mérité non seulement d’être séparés de l’Église par l’excommunication, mais aussi d’être retranchés du monde par la mort. En effet, il est beaucoup plus grave de corrompre la foi qui assure la vie de l’âme que de falsifier la monnaie qui sert à la vie temporelle. Par conséquent, si les faux monnayeurs ou autres malfaiteurs sont immédiatement mis à mort en bonne justice par les princes séculiers, bien davantage les hérétiques, aussitôt qu’ils sont convaincus d’hérésie, peuvent-ils être non seulement excommuniés mais très justement mis à mort.

Du côté de l’Église, au contraire, il y a une miséricorde en vue de la conversion des égarés. C’est pourquoi elle ne condamne pas tout de suite, mais " après un premier et un second avertissement ", comme l’enseigne l’Apôtre. Après cela, en revanche, s’il se trouve que l’hérétique s’obstine encore, l’Église n’espérant plus qu’il se convertisse pourvoit au salut des autres en le séparant d’elle par une sentence d’excommunication ; et ultérieurement elle l’abandonne au jugement séculier pour qu’il soit retranché du monde par la mort[4446]. S. Jérôme dit en effet ceci, qu’on trouve dans les Décrétales : " Il faut couper les chairs pourries et chasser de la bergerie la brebis galeuse, de peur que tout le troupeau ne souffre, ne se corrompe, ne pourrisse et périsse. Arius dans Alexandrie fut une étincelle ; mais, parce qu’il n’a pas été aussitôt étouffé, son incendie a tout ravagé. "

Solutions :

1. Il appartient en effet à la modération que l’hérétique soit repris une première fois puis une seconde. S’il n’a pas voulu revenir, on le tient pour un dévoyé, comme le montre le texte de l’Apôtre à Tite.

2. L’utilité provenant des hérésies est en dehors de l’intention des hérétiques. C’est-à-dire que la constance des fidèles s’en trouve éprouvée, comme dit l’Apôtre ; " elles font que nous secouons la paresse et examinons avec plus de soin les divines Écritures " dit S. Augustin. Mais leur intention est bien de corrompre la foi, ce qui est extrêmement nuisible. Aussi faut-il regarder à ce qui vient directement de leur intention et les fait exclure, plutôt qu’à ce qui est étranger à leur intention et les ferait supporter.

3. Comme il est marqué dans les Décrétales, " autre chose est l’excommunication et autre chose l’extirpation. Un individu est en effet excommunié, dit l’Apôtre (1 Co 5, 5), "pour que son esprit soit sauvé au jour du Seigneur". Si cependant les hérétiques sont tout à fait arrachés par la mort, ce n’est pas contraire au commandement du Seigneur ". Ce commandement doit s’entendre dans le cas où l’on ne peut arracher l’ivraie sans arracher le froment, comme nous l’avons dit plus haut lorsqu’il s’agissait des infidèles en général

 

            Article 4 — Doit-on recevoir les hérétiques qui reviennent ?

Objections :

1 Oui, tout à fait, semble-t-il. Car il est dit en Jérémie (3, 1) : " Tu t’es prostituée à de nombreux amants, reviens cependant vers moi, dit le Seigneur. " Or le jugement de l’Église, c’est le jugement de Dieu, selon la parole du Deutéronome (1, 17) : " Vous écouterez le petit comme le grand, et vous ne ferez pas acception de personne, car le jugement appartient à Dieu. " Donc, si certains se sont prostitués dans l’infidélité, qui est une prostitution spirituelle, il faut néanmoins les recevoir.

2. Le Seigneur commande à Pierre (Mt 18, 22) de pardonner le péché d’un frère non pas seulement sept fois " mais jusqu’à soixante-dix-sept fois ". Ce qui veut dire, selon le commentaire de S. Jérôme qu’il faut pardonner à quelqu’un autant de fois qu’il a péché. Donc, autant de fois que quelqu’un aura péché en retombant dans l’hérésie, il devra être accueilli par l’Église.

3. L’hérésie est une infidélité. Mais les autres infidèles, lorsqu’ils veulent se convertir, sont accueillis par l’Église. Les hérétiques doivent donc l’être aussi.

En sens contraire, une décrétale dit que " s’il en est qui après abjuration de leur erreur ont été pris comme étant retombés dans l’hérésie qu’ils avaient abjurée, il faut les abandonner au jugement séculier ". Ils ne doivent donc pas être reçus par l’Église.

Réponse :

L’Église, selon l’institution du Seigneur, étend sa charité à tous, non seulement à ses amis, mais aussi à ses ennemis et persécuteurs, conformément à cette parole (Mt 5, 44) : " Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. " Or il appartient à la charité de vouloir le bien du prochain et de le faire. Mais il y a un double bien. Il y a le bien spirituel, le salut de l’âme : c’est ce bien que la charité regarde avant tout, car c’est lui que chacun par charité doit vouloir à autrui. Aussi à cet égard, lorsque les hérétiques reviennent, ils sont reçus par l’Église autant de fois qu’ils ont été relaps : ils sont admis à la pénitence qui leur ouvre la voie du salut.

Mais il y a un autre bien que la charité regarde en second lieu, c’est le bien temporel, comme la vie corporelle, la possession des choses de ce monde, la bonne renommée, et l’autorité ecclésiastique ou séculière. Ce bien, en effet, nous ne sommes tenus par charité de le vouloir pour d’autres que dans l’ordre du salut éternel et d’eux-mêmes et des autres. Aussi, lorsque l’un de ces biens peut empêcher, en se trouvant dans un individu, le salut éternel dans un grand nombre, la charité n’exige pas que nous lui voulions cette sorte de bien, elle exige plutôt que nous voulions qu’il en soit privé : et parce que le salut éternel doit être préféré au bien temporel, et parce que le bien du grand nombre passe avant le bien d’un seul. Or, si les hérétiques qui reviennent étaient toujours reçus de façon à demeurer en possession de la vie et des autres biens temporels, ce pourrait être au préjudice du salut des autres, parce que, s’ils retombaient, ils en gâteraient d’autres, et aussi parce que, s’ils échappaient sans châtiment, d’autres tomberaient dans l’hérésie, avec plus de sécurité. Il est dit en effet dans l’Ecclésiaste (8, 11) : " Parce que la sentence n’est pas vite portée contre le méchant, les enfants des hommes accomplissent le mal sans rien craindre. " C’est pourquoi ceux qui reviennent de l’hérésie pour la première fois, l’Église non seulement les admet à la pénitence mais aussi leur laisse la vie sauve ; et parfois, par indulgence, elle leur rend leurs dignités ecclésiastiques s’ils paraissent vraiment convertis. L’histoire nous apprend qu’elle l’a souvent fait pour le bien de la paix. Mais, quand ceux qu’on a accueillis retombent de nouveau, il semble que ce soit le signe de leur inconstance en matière de foi. C’est pourquoi, s’ils reviennent ultérieurement, ils sont bien admis à la pénitence, non pas cependant au point d’éviter la sentence de mort.

Solutions :

1. Dans le jugement de Dieu on est toujours reçu lorsqu’on revient, parce que Dieu scrute les cœurs et connaît ceux qui reviennent vraiment. Mais l’Église ne peut l’imiter en cela. Ceux qui après avoir été accueillis sont retombés, elle présume qu’ils ne sont pas vraiment revenus à elle. C’est pourquoi elle ne leur refuse pas la voie du salut, mais ne les préserve pas du péril de mort.

2. Le Seigneur parle à Pierre du péché qui a été commis contre lui, Pierre : ce péché, il faut toujours le remettre et, quand un frère nous revient, il faut lui pardonner. Mais cela ne s’entend pas du péché qui a été commis contre le rochain ou contre Dieu : ce péché, dit S. Jérôme " nous ne sommes pas libres de le remettre ", mais il y a dans ce cas une mesure établie par la loi, selon ce qui convient à l’honneur de Dieu et à l’utilité du prochain.

3. Les autres infidèles n’avaient jamais reçu la foi. C’est pourquoi, après qu’ils ont été convertis - à la foi, ils ne montrent pas encore en matière de foi des signes d’inconstance, comme font les hérétiques relaps. C’est pourquoi on ne peut pas raisonner de la même manière à propos des uns et des autres.

 

 

QUESTION 12 — L’APOSTASIE

1. L’apostasie se rattache-t-elle à l’infidélité ? - 2. Les sujets sont-ils déliés de leur obéissance envers des gouvernants apostats ?

 

            Article 1 — L’apostasie se rattache-t-elle à l’infidélité ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car ce qui est un principe de tout péché ne semble pas se rattacher à l’infidélité, parce que beaucoup de péchés existent sans qu’il y ait infidélité. Mais l’apostasie semble être au principe de tout péché. Car on dit dans l’Ecclésiastique (10, 12) : " Le principe de l’orgueil chez l’homme, c’est l’apostasie loin de Dieu. " Après quoi on ajoute : " Le principe de tout péché, c’est l’orgueil. " Donc l’apostasie ne se rattache pas à l’infidélité.

2. L’infidélité réside dans l’intelligence. Mais l’apostasie paraît consister plutôt dans une œuvre extérieure ou dans une parole, ou encore dans une volonté intérieure. Il est écrit dans les Proverbes (6,12) : " L’apostat, homme inutile, s’avance la fausseté dans la bouche, clignant de l’œil, frappant du pied, parlant du doigt ; il médite le mal d’un cœur dépravé et sème à tout moment des querelles. " Et si quelqu’un se faisait circoncire, ou adorait le sépulcre de Mahomet, il serait réputé apostat. L’apostasie ne se rattache donc pas directement à l’infidélité.

3. L’hérésie parce qu’elle fait partie de l’infidélité, en est une espèce déterminée. Donc, si l’apostasie faisait aussi partie de l’infidélité, il s’ensuivrait qu’elle devrait en être une espèce déterminée. Ce qui, d’après ce que nous avons dit, ne semble pas. Donc l’apostasie ne se rattache pas à l’infidélité.

En sens contraire, il est dit en S. Jean (6, 66) : " Beaucoup de ses disciples se retirèrent et n’allaient plus avec lui ", ce qui est apostasier. Or le Seigneur avait dit à leur sujet : " Il y en a parmi vous qui ne croient pas. " Donc l’apostasie se rattache à l’infidélité.

Réponse :

L’apostasie est une certaine façon de s’éloigner de Dieu. Il y a diverses manières de s’éloigner de Dieu, comme il y a diverses manières pour l’homme de s’unir à Dieu. Premièrement, en effet, on est uni à Dieu par la foi ; deuxièmement, par une volonté dûment soumise, pour obéir à ses préceptes ; troisièmement, par des engagements qui sont de surérogation, comme les vœux de religion, la cléricature ou les saints ordres. Or, si l’on ôte ce qui est en second, il reste ce qui est en premier ; mais non pas inversement. Il arrive donc que quelqu’un apostasie loin de Dieu en se retirant de la vie religieuse dont il a fait profession, ou de l’ordre qu’il a reçu : c’est ce qu’on appelle l’apostasie de la vie religieuse ou des saints ordres. Il arrive à quelqu’un d’apostasier loin de Dieu par un esprit d’opposition aux préceptes divins.

Lorsqu’il y a ces deux sortes d’apostasie, on peut encore rester uni à Dieu par la foi. Mais, si l’on s’éloigne de la foi, alors il apparaît que l’on s’éloigne tout à fait de Dieu. C’est pourquoi, à parler simplement et absolument, l’apostasie est ce qui fait que quelqu’un s’éloigne de la foi : on l’appelle l’apostasie par incroyance. C’est de cette façon que l’apostasie pure et simple se rattache à l’infidélité.

Solutions :

1. Cette première objection est recevable pour ce qui est de la seconde sorte d’apostasie, celle qui implique la volonté de se soustraire aux commandements de Dieu, parce que cette volonté se trouve en tout péché mortel.

2. A la foi se rattache non seulement la croyance du cœur, mais encore la protestation de cette foi intérieure par des paroles et par des agissements extérieurs, car la confession est un acte de la foi. Et c’est aussi par là que certaines paroles ou certaines œuvres extérieures se rattachent à l’infidélité, en tant qu’elles en sont le signe, comme on appelle " sain " ce qui est signe de santé. Quant au texte cité dans l’objection, bien qu’il puisse s’entendre de toute apostasie, c’est cependant dans l’apostasie de la foi qu’il s’applique avec le plus de vérité. Parce qu’en effet la foi est " le premier fondement des réalités à espérer ", et que " sans la foi il est impossible de plaire à Dieu ", si elle est enlevée, il ne reste rien dans l’homme qui puisse être utile pour le salut éternel ; c’est pourquoi en premier lieu il est écrit : " l’homme apostat, homme inutile ". La foi, c’est aussi la vie de l’âme, selon la parole de l’Apôtre (Rm 1, 17) : " Le juste vit de la foi " ; par conséquent, de même qu’à la disparition de la vie corporelle tous les membres et toutes les parties de l’organisme deviennent anarchiques, de même dès la suppression de cette vie de justice qui vient de la foi, le désordre apparaît dans tous les membres. Il apparaît 1° dans la bouche : c’est par elle que le cœur se manifeste le plus ; 2° dans les yeux ; 3° dans les organes du mouvement ; 4° dans la volonté qui tend au mal. Et il suit de là que l’apostat sème la querelle, parce qu’il cherche à éloigner les autres de la foi comme il s’en est écarté lui-même.

3. Une qualité ou une forme n’est pas diversifiée quant à son espèce par le fait qu’elle est le terme d’où l’on part, ou celui vers lequel va le mouvement ; mais inversement les espèces sont définies plutôt par la netteté des termes dans lesquels se déroulent les mouvements. Or l’apostasie regarde l’infidélité comme le terme vers lequel s’en va dans son mouvement celui qui quitte la foi et s’en éloigne. C’est pourquoi l’apostasie n’implique pas une espèce bien déterminée d’infidélité ; mais elle implique une circonstance aggravante, selon la parole de S. Pierre (2 P 2, 21) : " Il aurait mieux valu pour eux ne pas connaître la vérité que de s’en écarter après l’avoir connue."

 

            Article 2 — Les sujets sont-ils déliés de leur obéissance envers des gouvernants apostats ?

Objections :

Il semble que le prince qui a apostasié de la foi ne perde pas pour autant son autorité sur ses sujets, qui sont tenus de lui obéir. Car, dit S. Ambroise : " L’empereur Julien, bien qu’il fût apostat, eut cependant sous lui des soldats chrétiens, et, lorsqu’il, leur disait de combattre pour la défense de l’État, ils lui obéissaient,. " Donc l’apostasie du prince ne délie pas ses sujets de sa suzeraineté.

2. L’apostat de la foi est un infidèle. Mais il se trouve que de saints hommes ont fidèlement servi des maîtres qui étaient des infidèles : Joseph a servi Pharaon, Daniel Nabuchodonosor, et Mardochée Assuérus. Donc l’apostasie de la foi ne dispense pas les sujets d’obéir au prince.

3. Si l’on s’éloigne de Dieu par l’apostasie de la foi, on s’éloigne aussi de lui par n’importe quel péché. Par conséquent, si l’apostasie de la foi faisait perdre aux princes le droit de commander à leurs sujets qui sont des fidèles, d’autres péchés le leur feraient perdre également. Mais cette conséquence est évidemment fausse. On ne doit donc pas, en raison de leur apostasie de la foi, s’écarter de l’obéissance aux princes.

En sens contraire, Grégoire VII décrète " Nous, conformément à ce qu’ont statué nos saints prédécesseurs, envers ceux qui sont liés à des excommuniés par fidélité ou par serment, en vertu de notre autorité apostolique nous les délions du serment et nous interdisons de toute manière qu’ils leur gardent fidélité, jusqu’à ce que ces princes aient réparé leur faute. " Mais les apostats de la foi sont des excommuniés comme les hérétiques, dit la décrétale " Pour l’abolition ". Il n’y a donc plus à obéir aux princes lorsqu’ils apostasient de la foi.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, l’infidélité par elle-même ne s’oppose pas à la suzeraineté ; celle-ci effectivement se fonde sur le droit des gens, lequel est un droit humain ; et la distinction entre fidèles et infidèles dépend d’un droit divin qui ne supprime pas le droit humain. Mais celui qui est dans le péché d’infidélité peut perdre son droit de suzeraineté par la sentence qui le frappe, comme on est frappé aussi parfois pour d’autres fautes. Il n’appartient d’ailleurs pas à l’Église de punir l’infidélité chez ceux qui n’ont jamais reçu la foi, selon le mot de l’Apôtre (1 Co 5, 12) : " Est-ce à moi de juger ceux du dehors ? " Mais l’Église peut frapper d’une sentence l’infidélité de ceux qui ont reçu la foi.

Et c’est à bon droit que leur est infligée cette punition de ne pouvoir exercer la suzeraineté sur leurs sujets qui sont restés fidèles. Un tel exercice pourrait en effet amener une grande corruption de la foi, puisque, comme on l’a dit " l’apostat médite le mal en son cœur et sème les querelles " en cherchant à détacher de la foi. Aussi, dès qu’un individu est sous le coup d’une sentence d’excommunication pour apostasie de la foi, par le fait même ses sujets sont déliés de sa suzeraineté et du serment de fidélité qui les attachent à lui.

Solutions :

1. En ce temps-là l’Église était dans sa nouveauté ; elle n’avait pas encore la puissance de tenir en respect les princes de la terre ; et c’est pourquoi elle laissa les fidèles obéir à Julien l’Apostat dans ce qui n’était pas contraire à la foi, afin d’éviter un plus grand péril pour la foi.

2. On ne raisonne pas comme pour les apostats, avec les infidèles qui n’ont jamais reçu la foi, nous venons de le dire.

3. L’apostasie de la foi, nous l’avons dit, sépare totalement l’homme d’avec Dieu, ce qui n’arrive pas dans n’importe quel autre péché.

LE BLASPHÈME

Il faut maintenant traiter du péché de blasphème, qui s’oppose à la confession de foi. 1. Le blasphème en général (Q. 13). - II. Le blasphème qu’on appelle péché contre l’Esprit-Saint (Q. 14).

 

 

QUESTION 13 — LE PÉCHÉ DE BLASPHÈME EN GÉNÉRAL

1. Le blasphème s’oppose-t-il à la confession de la foi ? - 2. Est-il toujours un péché mortel ? - 3. Est-il le plus grand des péchés ? - 4. Existe-t-il chez les damnés ?

 

            Article 1 — Le blasphème s’oppose-t-il à la confession de la foi ?

Objections :

1. Il semble que non. Blasphémer, c’est lancer l’outrage ou le reproche pour faire tort au Créateur. Mais cela se rattache à la malveillance contre Dieu plutôt qu’à l’infidélité. Le blasphème ne s’oppose donc pas à la confession de la foi.

2. Sur cette parole aux Éphésiens (4, 31) : " Le blasphème doit disparaître de chez vous ", la Glose dit : " Celui qui se fait contre Dieu ou contre les saints. " Mais la confession de la foi ne se produit, semble-t-il, qu’au sujet de ce qui regarde Dieu, qui est l’objet de la foi. Le blasphème ne s’oppose donc pas toujours à la confession de la foi.

3. Certains disent qu’il y a trois espèces de blasphèmes. La première attribue à Dieu ce qui ne lui convient pas. La deuxième lui retire ce qui lui convient. Le troisième attribue à la créature ce qui est propre à Dieu. Et ainsi il semble qu’il y ait blasphème non seulement envers Dieu mais aussi envers les créatures. Or la foi a Dieu pour objet. Le blasphème ne s’oppose donc pas à la confession de la foi.

En sens contraire, l’Apôtre dit (1 Tm 4,13) : " Je fus d’abord blasphémateur et persécuteur ", et après cela il ajoute : " J’agissais par ignorance, étranger à la foi. " Par quoi il semble que le blasphème se rattache à l’infidélité.

Réponse :

Le mot blasphème implique, semble-t-il, une certaine dérogation à une bonté éminente et surtout à la bonté divine. Or, dit Denys, Dieu " est l’essence même de la vraie bonté ". Par suite, tout ce qui convient à Dieu appartient à sa bonté, et tout ce qui ne lui appartient pas est loin de cette raison de parfaite bonté, qui est son essence. Donc celui qui ou bien nie de Dieu quelque chose qui lui convient, ou bien affirme de lui ce qui ne lui convient pas porte atteinte à la bonté divine. Une telle atteinte peut avoir lieu de deux façons : tantôt elle a lieu seulement suivant l’opinion de l’intelligence, tantôt il s’y joint une certaine détestation de sentiment. Ce qui fait que cette sorte d’atteinte à la bonté divine est soit dans la pensée seulement, soit aussi dans l’affectivité. Si elle se concentre uniquement dans le cœur, c’est le blasphème du cœur ; mais si elle se produit au-dehors par des paroles, c’est le blasphème de la bouche. Et en cela le blasphème s’oppose à la confession.

Solutions :

1. Celui qui parle contre Dieu avec l’intention de l’injurier porte atteinte à la bonté divine non seulement selon la vérité de l’intelligence mais aussi selon la perversité d’une volonté qui déteste et qui empêche l’honneur divin autant qu’elle le peut. C’est le blasphème parfait.

2. De même qu’on loue Dieu dans ses saints en tant qu’on loue les œuvres qu’il accomplit en eux, de même aussi le blasphème qui s’adresse aux saints, par voie de conséquence rejaillit sur Dieu.

3. Cette triple division ne permet pas de distinguer à proprement parler diverses espèces du péché de blasphème. Car attribuer à Dieu ce qui ne lui convient pas ou lui retirer ce qui lui convient n’est qu’une différence d’affirmation et de négation. Cette différence ne fait pas une espèce distincte dans un habitus puisque, par une même science, on connaît la fausseté des affirmations et des négations, et que, par une même ignorance, on se trompe de part et d’autre, puisqu’“ une négation se prouve par une affirmation ”, selon Aristote. Quant à attribuer aux créatures ce qui est le propre de Dieu, cela revient, semble-t-il, à lui attribuer ce qui ne lui convient pas. Car tout ce qui est propre à Dieu, c’est Dieu même ; donc attribuer à une créature ce qui est le propre de Dieu, c’est affirmer que Dieu même est identique à la créature.

 

            Article 2 — Le blasphème est-il toujours un péché mortel ?

Objections :

1. Pas toujours, semble-t-il. Sur ce passage de l’épître aux Colossiens (3, 8) : " Vous, maintenant, rejetez tout cela ", la Glose dit : " Après de plus grandes choses, il en interdit de moindres. " Et pourtant c’est du blasphème qu’il s’agit ensuite. Le blasphème est donc compté parmi les péchés moindres, qui sont péchés véniels.

2. Tout péché mortel s’oppose à l’un des préceptes du décalogue. Mais le blasphème ne paraît s’opposer à aucun d’eux. Il n’est donc pas péché mortel.

3. Les péchés commis sans délibération ne sont pas mortels, c’est pourquoi les premiers mouvements ne sont pas péchés mortels, parce qu’ils précèdent la délibération de la raison, comme nous l’avons montré précédemment. Or le blasphème se produit parfois sans délibération. Il n’est donc pas toujours péché mortel.

En sens contraire, il est écrit dans le Lévitique (24,16) : " Qui blasphème le nom du Seigneur sera mis à mort. " Mais la peine de mort n’est infligée que pour un péché mortel. Donc le blasphème est un péché mortel.

Réponse :

Comme nous l’avons dit antérieurement, le péché mortel est ce qui sépare l’homme de ce premier principe de vie spirituelle qu’est l’amitié de Dieu. Aussi, tout ce qui est contraire à cette charité est péché mortel par son genre. Or le blasphème est contraire par son genre à la charité divine, puisqu’il porte atteinte, nous venons de le dire, à cette divine bonté qui est l’objet de la charité. Voilà pourquoi le blasphème est péché mortel par son genre.

Solutions :

1. Cette glose ne doit pas s’entendre comme si toutes les choses qui viennent ensuite étaient des péchés moindres. Mais elle veut dire ceci : comme le texte précédent n’avait exprimé que de grands péchés, aussitôt après il en ajoute de moindres, parmi lesquels il en place aussi de grands.

2. Puisque, nous venons de le dire, le blasphème s’oppose à la confession de la foi, son interdiction se ramène à celle de l’infidélité, ce qui est compris dans le début du décalogue (Ex 20, 2) : " Moi, je suis le Seigneur ton Dieu. " Ou bien il est interdit par ce commandement (Ex 20, 7) : " Tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu ", car celui qui affirme au sujet de Dieu quelque chose de faux " prend le nom de Dieu en vain " plus que celui qui confirme un mensonge par le nom de Dieu.

3. Le blasphème peut se commettre sans délibération et par surprise de deux manières. Quelqu’un ne remarque pas qu’il dit un blasphème. Cela peut arriver lorsque, sous le coup de la passion, on éclate en paroles irréfléchies, dont on ne saisit pas la portée. C’est alors un péché véniel, qui n’a pas proprement raison de blasphème. Ou bien on a conscience que c’est un blasphème, en saisissant la portée des paroles. Alors on n’est pas excusé de péché mortel, pas plus que celui qui, par un mouvement subit de colère, tue quelqu’un assis à côté de lui,

 

            Article 3 — Le blasphème est-il le plus grand des péchés ?

Objections Il ne semble pas. " Le mal, dit S. Augustin, c’est ce qui nuit. " Mais le péché d’homicide qui détruit la vie d’un homme est plus nuisible que le péché de blasphème qui ne peut infliger à Dieu aucun dommage. Le péché d’homicide est donc plus grave que le péché de blasphème.

2. Quiconque fait un faux serment prend Dieu à témoin pour une fausseté, et ainsi il semble attester que Dieu est faux ; mais le blasphémateur ne va pas toujours jusqu’à dire que Dieu est faux. Le parjure est donc un péché plus grave que le blasphème.

3. Sur ce passage du Psaume (75, 6) : " Ne levez pas si haut votre front ", la Glose dit : " Le plus grand vice est celui qui consiste à s’excuser du péché. " Le blasphème n’est donc pas le plus grand péché.

En sens contraire, sur Isaïe (18,2), la Glose dit : " Tout péché est plus léger que le blasphème. "

Réponse :

Le blasphème est opposé, avons-nous dite à la confession de la foi ; et c’est pourquoi il a en soi la gravité de l’infidélité. Et le péché est aggravé s’il s’y ajoute une détestation de la volonté ; et encore plus s’il éclate en paroles, au même titre que la foi est digne d’un plus grand éloge si elle s’épanouit en charité et en confession. En conséquence, puisque l’infidélité est dans son genre le plus grand péché ainsi que nous l’avons dit, il s’ensuit que le blasphème est aussi le plus grand péché, puisqu’il appartient au même genre et qu’il l’aggrave.

Solutions :

1. Si l’on compare entre eux l’homicide et le blasphème d’après les objets que visent ces péchés, il est évident que le blasphème, péché commis directement contre Dieu, l’emporte sur l’homicide, péché commis contre le prochain. Mais, si on les compare d’après la nocivité qu’ils produisent, l’homicide a la prépondérance, car il fait plus de mal au prochain que le blasphème n’en fait à Dieu. Mais pour mesurer la gravité d’une faute, on s’attache comme nous l’avons dit précédemment, à l’intention de la volonté perverse plus qu’au résultat de l’acte. Aussi, puisque le blasphémateur a l’intention de porter atteinte à l’honneur divin, à parler dans l’absolu, il pèche plus gravement que l’homicide. Pourtant l’homicide tient la première place parmi les péchés commis envers le prochain.

2. Sur cette parole aux Éphésiens (4, 31) " le blasphème doit disparaître de chez vous ", la Glose dit : " Blasphémer est pire que se parjurer. En effet, le parjure ne dit ni n’estime pas quelque chose de faux à propos de Dieu, comme le blasphémateur ; il prend seulement Dieu à Témoin d’une fausseté, non pas qu’il juge Dieu un faux témoin, mais dans l’espoir qu’en cette affaire Dieu ne viendra pas témoigner par quelque signe évident.

3. L’acte de s’excuser du péché est une circonstance qui aggrave tout péché, jusqu’au blasphème lui-même. Aussi dit-on pour cela que c’est le plus grand péché, puisqu’il aggrave n’importe quel péché.

 

            Article 4 — Le blasphème existe-t-il chez les damnés ?

Objections :

1. Il semble que non. Car il y a présentement des gens mauvais qui se retiennent de blasphémer par la crainte des châtiments à venir. Mais les damnés les expérimentent, ces châtiments, et de ce fait les abhorrent bien davantage. Ils sont donc beaucoup plus retenus de blasphémer.

2. Puisque le blasphème est le péché le plus grave, il est celui qui fait le plus démériter. Mais dans la vie future on n’est plus en état de mériter ou de démériter. Il n’y aura donc plus aucune place pour le blasphème.

3. Il est écrit dans l’Ecclésiaste (11, 3) : " Que l’arbre tombe, au sud ou au nord, il y restera. " Cela montre qu’après cette vie l’homme ne reçoit ni plus de mérite ni plus de péché qu’il n’en a eu en cette vie. Mais beaucoup seront damnés, qui n’auront pas été en cette vie des blasphémateurs. Ils ne blasphémeront donc pas non plus dans la vie future.

En sens contraire, il est dit dans l’Apocalypse (16,9) : " Les hommes furent brûlés par une chaleur torride, et ils blasphémèrent le nom du Seigneur parce qu’il a pouvoir sur ces fléaux. " A cet endroit la Glose fait remarquer que " ceux qui sont en enfer, quoiqu’ils sachent qu’ils sont punis comme ils le méritent, ne laisseront pas de s’attrister que Dieu ait tant de pouvoir, pour leur infliger ces fléaux ". Or, ce serait un blasphème dans le présent. C’en sera donc aussi un dans l’avenir.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, à la raison de blasphème se rattache la détestation de la bonté divine. Or, ceux qui sont en enfer garderont leur volonté perverse opposée à la justice de Dieu, en ce qu’ils continuent d’aimer la cause de leur châtiment et voudraient en user encore s’ils le pouvaient ; ils haïssent les châtiments qui leur sont infligés pour des péchés de cette sorte ; ils s’attristent pourtant des péchés qu’ils ont commis, non point parce qu’ils les haïssent, mais parce qu’ils sont punis à cause d’eux. Ainsi donc une telle détestation de la justice divine est chez eux un blasphème intérieur, celui du cœur. Et il est à croire qu’après la résurrection il y aura aussi chez eux le blasphème en parole, comme il y aura chez les saints louange de Dieu en parole.

Solutions :

1. Les hommes sont détournés du blasphème dans l’état présent par la crainte de peines auxquelles ils croient échapper. Mais les damnés dans l’enfer n’ont pas l’espoir de pouvoir échapper. Et c’est pourquoi, comme des désespérés, ils sont portés à tout ce que leur suggère leur volonté perverse.

2. Mériter et démériter c’est la condition même du voyage de cette vie. De là vient que chez les voyageurs les biens apportent des mérites, tandis que les maux font démériter. Chez les bienheureux, au contraire, les biens n’apportent plus de mérites, mais ils se rattachent à la récompense qu’est leur béatitude. Et pareillement, chez les damnés, les maux ne font plus démériter, mais ils font partie du châtiment de la damnation.

3. Celui qui meurt en état de péché mortel emporte avec lui une volonté qui déteste à son point de vue la justice divine, et par là il sera en état de blasphème.

 

 

QUESTION 14 — LE BLASPHÈME CONTRE L’ESPRIT-SAINT

1. Le blasphème ou péché contre l’Esprit Saint est-il identique au péché de malice caractérisée ? - 2. Les espèces de ce péché. - 3. Est-il irrémissible ? - 4. Peut-on pécher contre l’Esprit Saint dès le commencement, avant de commettre d’autres péchés ?

 

            Article 1 — Le péché contre le Saint-Esprit est-il identique au péché de malice caractérisée ?

Objections :

1. Il semble que non. Car le péché contre le Saint-Esprit est un péché de blasphème comme on le voit en S. Matthieu (12,31). Mais tout péché de malice caractérisée n’est pas un péché de blasphème. Il arrive en effet que beaucoup d’autres genres de péchés sont commis par malice caractérisée. Le péché contre le Saint-Esprit ne se confond donc pas avec le péché de malice caractérisée.

2. Le péché de malice caractérisée se distingue du péché d’ignorance et du péché de faiblesse. Mais le péché contre le Saint-Esprit se distingue du péché contre le Fils de l’homme, comme on le voit en S. Matthieu (12,32). Donc le péché contre le Saint-Esprit n’est pas identique au péché de malice caractérisée, parce que les réalités qui ont des opposés divers sont-elles mêmes diverses.

3. Le péché contre le Saint-Esprit est un genre de péché auquel sont assignées des espèces définies. Tandis que le péché par la malice caractérisée n’est pas un genre spécial de péché, mais une condition ou circonstance générale, qui peut concerner tous les genres de péché.

En sens contraire, pour le Maître des Sentences, celui-là pèche contre le Saint-Esprit, " qui aime la malice pour elle-même ", ce qui est pécher par malice caractérisée. Il apparaît donc que le péché de malice caractérisée est identique au péché contre le Saint-Esprit.

Réponse :

Certains auteurs parlent du péché ou blasphème contre le Saint-Esprit de trois façons différentes. Les anciens docteurs : Athanase, Hilaire, Ambroise, Jérôme et Chrysostome disent qu’il y a péché contre le Saint-Esprit lorsque, littéralement, on dit un blasphème contre le Saint-Esprit, soit qu’on prenne ces mots comme le nom essentiel qui convient à la Trinité tout entière, dont chacune des personnes est sainte et est esprit ; soit qu’on les prenne comme le nom personnel d’une seule personne. En ce sens on distingue (Mt 12, 32) le blasphème contre le Saint-Esprit, du blasphème contre le Fils de l’homme. En effet, le Christ agissait comme un homme en mangeant, en buvant, etc. ; et il agissait aussi de façon divine en chassant les démons, en ressuscitant les morts, etc. Il agissait ainsi par la vertu de sa propre divinité et par l’opération du Saint-Esprit dont, selon son humanité, il était rempli. Les Juifs avaient commencé par blasphémer contre le Fils de l’homme en le déclarant " glouton, buveur de vin et ami des publicains " (Mt 11, 19). Mais ensuite ils ont blasphémé contre le Saint-Esprit en attribuant au prince des démons les œuvres qu’il accomplissait par la vertu d sa divinité et par l’opération du Saint-Esprit. C’est pourquoi l’on dit qu’ils blasphémaient contre le Saint-Esprit.

S. Augustin lui, dit que le blasphème ou péché contre l’Esprit Saint, c’est l’impénitence finale, lorsqu’un homme persévère dans le péché mortel jusqu’à sa mort. Et cela ne se fait pas seulement par la parole de la bouche, mais aussi par la parole du cœur et de l’action, non en une seule fois, mais à de multiples reprises. Or, on dit que cette parole, ainsi entendue, est dite contraire à l’Esprit Saint parce qu’elle s’oppose à la rémission des péchés, qui s’opère par l’Esprit Saint, amour du Père et du Fils. Or ce n’est pas cela que le Seigneur a dit aux Juifs en leur reprochant de pécher contre l’Esprit Saint, car ils n’étaient pas encore dans l’impénitence finale. Mais il les a avertis pour qu’en parlant ainsi, ils n’en viennent pas à pécher contre l’Esprit Saint. C’est en ce sens qu’il faut comprendre ce qui est dit en S. Marc (3,29. 30), où après avoir noté : " Celui qui aura blasphémé contre l’Esprit Saint ", l’évangéliste ajoute : " Parce qu’ils accusaient Jésus d’être possédé par un esprit impur. "

D’autres prennent encore la chose autrement. Ils disent qu’il y a péché ou blasphème contre l’Esprit Saint quand quelqu’un pèche contre le bien qu’on attribue en propre à l’Esprit Saint. On lui attribue en propre la bonté, comme au Père la puissance, et au Fils la sagesse. Par suite, disent-ils, le péché contre le Père est le péché de faiblesse ; le péché contre le Fils est le péché d’ignorance ; le péché contre le Saint-Esprit est le péché par malice caractérisée, c’est-à-dire, comme nous l’avons exposé plus haut, quand on choisit le mal pour lui-même. Cela se produit de deux façons. Parfois cela vient de l’inclination de l’habitus vicieux, appelé malice, mais alors le péché de malice n’est pas le même que le péché contre l’Esprit Saint. D’autres fois, cela vient du fait que ce qui pouvait empêcher le choix favorable au péché est rejeté et éloigné avec mépris, comme l’espérance par le désespoir, la crainte par la présomption, etc., comme on va le dire bientôt. Or tous ces éléments qui mettent obstacle au choix du péché sont des effets de l’Esprit Saint en nous. Voilà pourquoi pécher ainsi c’est pécher contre l’Esprit Saint, par malice.

Solutions :

1. De même que la confession de la foi consiste non seulement dans la protestation des lèvres mais aussi dans celle des œuvres, de même également le blasphème de l’Esprit Saint peut être considéré comme l’œuvre des lèvres, du cœur et de l’action.

2. Suivant la troisième acception, le blasphème contre l’Esprit Saint est distinct du blasphème contre le Fils de l’homme en tant que le Fils de l’homme est également le Fils de Dieu, c’est-à-dire " la force de Dieu et sa sagesse " (1 Co 1, 24). Aussi, en ce sens, le péché contre le Fils de l’homme sera le péché d’ignorance ou de faiblesse.

3. Le péché de malice caractérisée, en tant qu’il provient de l’inclination d’un habitus, n’est pas un péché spécial, mais une condition générale du péché. Mais, en tant qu’il découle d’un mépris spécial de l’effet de l’Esprit Saint en nous, il se présente comme ayant raison de péché spécial. Par là même le péché contre l’Esprit Saint est aussi un genre spécial de péché. Nous concluons semblablement selon la première interprétation. Mais, selon la deuxième interprétation, ce n’est pas un genre spécial de péché, car l’impénitence finale peut être une circonstance de n’importe quel genre de péché.

 

            Article 2 — Quelles sont les espèces du péché contre l’Esprit Saint ?

Objections :

1. Le Maître des Sentences distingue six espèces de péché contre l’Esprit Saint : le désespoir, la présomption, l’impénitence, l’obstination, l’opposition à la vérité reconnue, l’envie des grâces accordées à nos frères. Mais cette division est incohérente. Car nier la justice ou la miséricorde divine ressortit à l’infidélité. Mais par le désespoir on rejette la miséricorde divine, et par la présomption la justice divine. Donc chacun de ces quatre péchés est une espèce de l’infidélité plutôt que du péché contre l’Esprit Saint.

2. L’impénitence regarde, semble-t-il, le péché passé ; l’obstination, au contraire, le péché futur. Mais le passé ou le futur ne caractérisent pas des espèces différentes de vertus ou de vices, car en vertu de la même foi, nous croyons que le Christ est né, et les anciens ont cru qu’il naîtrait. Donc l’obstination et l’impénitence ne doivent pas être présentées comme deux espèces de péché contre l’Esprit Saint.

3. " La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ ", selon S. Jean (1, 17). Il semble donc que l’opposition à la vérité reconnue et l’envie des grâces accordées à nos frères appartiennent au blasphème contre le Fils de l’homme plutôt qu’au blasphème contre l’Esprit Saint.

4. S. Bernard dit que " ne pas vouloir obéir, c’est résister à l’Esprit Saint ". La Glose dit également que " simuler la pénitence c’est blasphémer contre l’Esprit Saint ". Le schisme aussi parait s’opposer directement à l’Esprit Saint qui fait l’union de l’Église. Ainsi paraît-il que cette énumération des espèces de péché contre l’Esprit Saint n’est pas complète.

En sens contraire, S. Augustin affirme que ceux qui désespèrent du pardon des péchés ou qui présument de la miséricorde de Dieu sans la mériter, pèchent contre l’Esprit Saint. Il dit ailleurs que " celui qui clôt son dernier jour dans l’obstination de l’esprit est coupable du péché contre l’Esprit Saint ". Au livre sur les paroles du Seigneur, il dit que l’impénitence est un péché contre l’Esprit Saint. Au livre du Sermon sur la montagne, il dit que " s’opposer à la fraternité par les brandons de l’envie " c’est pécher contre l’Esprit Saint. Au livre sur l’unique baptême, que " celui qui méprise la vérité, ou bien est méchant envers ses frères par qui est révélée la vérité, ou bien est ingrat envers Dieu par l’inspiration de qui l’Église est instruite " de sorte que dans ce cas-là il semble bien qu’on pèche aussi contre l’Esprit Saint.

Réponse :

Dans la mesure où le péché contre l’Esprit Saint revêt la troisième acception, il est juste de lui assigner ces six espèces. Elles se distinguent par l’éloignement ou le mépris de ce qui peut empêcher l’homme de fixer son choix dans le péché. Ces empêchements se prennent soit du côté du jugement de Dieu, soit du côté de ses dons, soit aussi du côté du péché lui-même. Par la pensée du jugement de Dieu, en effet, l’homme est détourné de fixer son choix dans le péché. Il y a dans le jugement divin justice et miséricorde. L’homme trouve une aide dans l’espérance qui surgit à la pensée que la miséricorde pardonne le mal et récompense le bien, et le désespoir détruit cette espérance. L’homme trouve aussi une aide dans la crainte qui surgit à la pensée que la justice divine punit les péchés, et cette crainte est détruite par la présomption, c’est-à-dire qu’un individu se fait fort d’obtenir la gloire sans les mérites ou le pardon sans la pénitence.

Quant aux dons de Dieu par lesquels nous sommes retirés du péché, ils sont deux. L’un est la connaissance de la vérité : c’est contre quoi s’élève l’opposition à la vérité reconnue, ce qui a lieu quand un individu, pour se donner plus de licence de pécher, combat la vérité qu’il a pourtant bien vue dans la foi. L’autre est le secours de la grâce intérieure : c’est à quoi s’oppose l’envie des grâces accordées à nos frères, ce qui a lieu quand un individu non seulement porte envie à la personne de son frère, mais se montre même envieux de l’accroissement de la grâce de Dieu dans le monde. Du côté du péché, il y a deux choses qui peuvent en retirer l’homme. L’une d’elles est le désordre et la laideur de l’acte : cette considération a coutume de provoquer chez l’homme la pénitence du péché commis. Et c’est à cela que s’oppose l’impénitence, non point par ce côté où elle signifie une persistance dans le péché jusqu’à la mort comme l’impénitence dont nous parlions auparavant, car en ce sens elle ne serait pas un péché spécial mais une circonstance du péché ; l’impénitence est prise ici par ce côté où elle implique la résolution de ne pas faire pénitence.

Un autre motif qui nous éloigne du péché est la médiocrité et la brièveté du bien qu’on cherche dans le péché, selon cette parole de l’Apôtre (Rm 6,21) : " Quel fruit avez-vous recueilli de ces péchés dont aujourd’hui vous rougissez ? " Cette considération a coutume d’amener l’homme à ne pas fixer sa volonté dans le péché ; et c’est cela qui se trouve détruit par l’obstination, c’est-à-dire quand l’homme affermit sa résolution de s’attacher au péché. Ces deux derniers points sont touchés par Jérémie (8, 6) : " Aucun ne fait pénitence pour son péché, en disant : "Qu’ai-je fait" ? " voilà pour l’impénitence ; " tous sont retournés à leur course comme un cheval qui fonce au combat ", voilà pour l’obstination.

Solutions :

1. Le péché de désespoir, ou celui de présomption, ne consiste pas à ne pas croire à la justice de Dieu, ou à sa miséricorde, mais à les mépriser.

2. L’obstination et l’impénitence ne se différencient pas seulement d’après le passé et le futur, mais d’après certaines raisons formelles, tirées, nous venons de le dire, de diverses manières de regarder le péché.

3. Le Christ a apporté la grâce et la vérité par ces dons de l’Esprit Saint qu’il a procurés aux hommes.

4. Ne pas vouloir obéir, c’est de l’obstination. Simuler la pénitence, c’est de l’impénitence. Le schisme, c’est être envieux de cette grâce fraternelle par laquelle les membres de l’Église sont unis.

 

            Article 3 — Le péché contre l’Esprit Saint est-il irrémissible ?

Objections :

1. Apparemment non. " On ne doit désespérer de personne, dit S. Augustin, aussi longtemps que la patience du Seigneur invite à la pénitence. " Mais, s’il y avait un péché irrémissible, il y aurait à désespérer d’un pécheur. Donc le péché contre l’Esprit Saint n’est pas irrémissible.

2. Aucun péché n’est remis sinon par le fait que l’âme est guérie par Dieu. Mais " pour un médecin tout-puissant il n’est pas de maladie inguérissable ", dit la Glose sur le Psaume (103, 3) : " Celui qui guérit toutes tes infirmités. " Le péché contre l’Esprit Saint n’est donc pas irrémissible.

3. Le libre arbitre est relatif au bien et au mal. Mais, aussi longtemps que dure l’état de voyage, on peut déchoir de n’importe quelle vertu : l’ange même est tombé du ciel. D’où ce texte de Job (4, 18.19) : " Chez ses anges il découvre de l’égarement ; combien plus chez ceux qui habitent des maisons d’argile. " Pour la même raison, on peut revenir, de n’importe quel péché, à l’état de justice. Donc le péché contre l’Esprit Saint n’est pas irrémissible.

En sens contraire, il est écrit en S. Matthieu (12,32) : " Quiconque aura parlé contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni dans l’autre. " Et pour S. Augustin, " ce péché cause une si grande ruine qu’il est incompatible avec l’humilité qu’il faut pour prier ".

Réponse :

Ce péché contre l’Esprit Saint est déclaré diversement irrémissible suivant ses diverses acceptions. Si on le prend pour l’impénitence finale, alors il est appelé irrémissible parce qu’il n’est remis d’aucune façon. En effet, le péché mortel dans lequel on persévère jusqu’à la mort, puisqu’il n’est pas remis en cette vie par la pénitence, ne le sera pas non plus dans la vie future.

Mais, suivant les deux autres acceptions, il est dit irrémissible, non pas en ce sens qu’il ne puisse plus être remis d’aucune façon, mais parce que, de soi, il ne mérite pas d’être remis. Et cela doublement : l° D’abord quant à la peine. En effet, celui qui pèche par ignorance ou par faiblesse mérite une peine moindre ; mais celui qui pèche par malice caractérisée n’a pas une excuse qui puisse atténuer sa peine. Pareillement aussi, ceux qui blasphémaient envers le Fils de l’homme, tant que sa divinité n’était pas révélée, pouvaient avoir quelque excuse dans le fait qu’ils voyaient en lui une chair fragile, et ainsi méritaient-ils une moindre peine. Mais ceux qui blasphémaient la divinité elle-même en attribuant au diable les œuvres de l’Esprit Saint, n’avaient aucune excuse qui pût diminuer leur peine. C’est pourquoi l’on dit, suivant le commentaire de S. Jean Chrysostome, que ce péché n’a été remis aux juifs ni en ce siècle ni dans le siècle futur, puisqu’ils ont subi pour cela un châtiment, et dans la vie présente par les Romains, et dans la vie future avec la peine de l’enfer. Dans le même sens, S. Athanase rapporte aussi l’exemple de leurs ancêtres : d’abord ils entrèrent en lutte contre Moïse à cause du manque d’eau et de pain, et le Seigneur le supporta patiemment, car ils avaient une excuse dans la faiblesse de la chair. Mais ensuite ils péchèrent plus gravement et blasphémèrent pour ainsi dire contre l’Esprit Saint en attribuant à une idole les bienfaits de Dieu qui les avait tirés de l’Égypte, lorsqu’il déclarèrent (Ex 32, 4) : " Voici tes dieux Israël, ce sont eux qui t’ont ramené du pays d’Égypte. " C’est pourquoi le Seigneur, tout ensemble les fit punir sur-le-champ puisque " ce jour-là trois mille hommes environ périrent ", et les menaça d’un châtiment pour l’avenir en disant : " Quand à moi, au jour de ma vengeance, je visiterai ce péché qu’ils ont fait. "

2° Quant à la faute, la chose peut s’entendre d’une autre manière. De même qu’une maladie est dite incurable par sa nature propre, du fait qu’elle abolit ce qui peut aider à la guérison, par exemple lorsqu’elle enlève la vigueur de la nature, ou qu’elle dégoûte de la nourriture et du remède, bien que Dieu puisse pourtant guérir une telle maladie. De même le péché contre l’Esprit Saint est dit irrémissible par sa nature en tant qu’il exclut ce qui produit la rémission des péchés. Cependant cela ne ferme pas la voie du pardon et de la guérison devant la toute-puissance et-la miséricorde de Dieu, et il arrive grâce à elles que de tels pécheurs sont spirituellement guéris comme par miracle.

Solutions :

1. On ne doit désespérer de personne en cette vie, si l’on considère la toute-puissance et la miséricorde de Dieu. Mais, si l’on considère la condition du péché, il y a des gens qui sont appelés " fils de rébellion " comme dit S. Paul (Ep 2, 2).

2. L’argument est valable du côté de la toute puissance de Dieu ; il ne l’est pas si l’on tient compte de la condition du péché.

3. Le libre arbitre reste, il est vrai, toujours susceptible de changement en cette vie. Cependant il rejette parfois loin de lui ce qui peut le faire changer en bien, autant que cela dépend de lui. De là vient que le péché est irrémissible de son côté, encore que Dieu puisse le pardonner.

 

            Article 4 — Peut-on pécher contre l’Esprit Saint dès le commencement avant de commettre d’autres péchés ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car il est dans l’ordre naturel qu’on passe de l’imparfait au parfait. Cela se voit sûrement dans le bien, selon la parole des Proverbes (4, 18) : " Le sentier des justes est comme une lumière d’aurore, qui grandit et s’étend jusqu’au plein jour. " Mais dans le mal on appelle parfait ce qui est le mal le plus grand, comme le montre Aristote. Puisque le péché contre l’Esprit Saint est le plus grave, il semble que l’on y parvienne par d’autres péchés moindres.

2. Pécher contre l’Esprit Saint, c’est pécher par malice caractérisée ou par choix. Mais l’homme ne peut pas faire cela tout de suite, avant d’avoir péché beaucoup de fois. Car, selon le Philosophe, si l’on peut faire des injustices, on ne peut cependant pas tout de suite agir comme un injuste, c’est-à-dire par choix. Il semble donc que le péché contre l’Esprit Saint ne puisse être commis qu’après d’autres péchés.

3. La pénitence et l’impénitence ont le même domaine. Or la pénitence ne regarde que les péchés passés. L’impénitence, qui est une espèce du péché contre l’Esprit Saint, ne regarde donc que cela. Donc le péché contre l’Esprit Saint présuppose d’autres péchés.

En sens contraire, comme il est écrit dans l’Ecclésiastique (11, 22 Vg) : " C’est chose facile, aux yeux du Seigneur, d’enrichir le pauvre instantanément. " Inversement, il est donc possible par la malice du démon, et sous sa suggestion, qu’un homme soit entraîné du premier coup dans le péché le plus grave, qui est celui contre l’Esprit Saint.

Réponse :

Nous l’avons dit, pécher contre l’Esprit Saint, c’est en un sens pécher par malice caractérisée. Mais il y a deux façons, avons-nous dit aussi, de pécher ainsi. L’une consiste à suivre le penchant d’un habitus, ce qui n’est pas proprement pécher contre l’Esprit Saint : et pécher de cette façon par malice caractérise ne se produit pas dès le principe ; il faut en effet que ce soit précédé par des actes de péchés, et que ces actes causent l’habitus, qui incline à pécher.

L’autre façon dont un individu peut pécher par malice caractérisée consiste à rejeter avec mépris ce qui retient de pécher ; ce qui est proprement pécher contre l’Esprit Saint, nous l’avons dit, et cela également présuppose la plupart du temps d’autres péchés, parce que, disent les Proverbes (18, 3 Vg) : " L’impie, lorsqu’il descend dans la profondeur des péchés, en arrive au mépris. " Cependant il peut se faire que dès le premier acte de péché quelqu’un pèche contre l’Esprit Saint par mépris, soit à cause de la liberté de son arbitre, soit à cause de nombreuses dispositions précédentes, ou encore par suite d’une violente impulsion au mal et d’un faible attachement au bien. C’est pourquoi chez les hommes parfaits il ne peut guère ou jamais arriver qu’ils pèchent dès le principe contre l’Esprit Saint. D’où cette parole d’Origène : " je ne pense pas qu’un de ceux qui se sont établis au plus haut degré de la perfection puisse subitement se perdre ni tomber ; mais, s’il tombe, c’est nécessairement de façon progressive. " Le raisonnement est le même si le péché contre l’Esprit Saint est pris à la lettre pour le blasphème contre l’Esprit Saint. Car ce blasphème dont parle le Seigneur, provient toujours d’un mépris mauvais. Mais si, par péché contre l’Esprit Saint, on entend comme S. Augustin l’impénitence finale, il n’y a plus de problème : il est certain que, pour commettre le péché contre l’Esprit Saint, il faut continuer à pécher jusqu’à la fin de sa vie.

Solutions :

1. Tant en bien qu’en mal, la plupart du temps, il y a passage de l’imparfait au parfait dans la mesure où l’on progresse soit en bien soit en mal. Et pourtant, d’un côté comme de l’autre, un individu peut commencer à un niveau plus élevé que ne fait un autre. Dans ce cas, ce qui est au début peut être parfait dans son genre en bien ou en mal, bien que ce soit imparfait par rapport à la suite du développement dans le progrès en mieux ou en pire.

2. Cet argument est valable pour le péché de malice quand il vient du penchant d’un habitus.

3. Si l’impénitence est prise, selon la pensée de S. Augustin, dans le sens d’une permanence dans le péché jusqu’à la fin, alors il va de soi que l’impénitence présuppose des péchés, comme la pénitence. Mais si nous parlons de cette impénitence habituelle dont on fait une espèce de péché contre l’Esprit Saint, alors il est évident qu’il peut y avoir impénitence même avant les péchés ; celui qui n’a jamais péché peut en effet avoir la résolution où d’être pénitent ou de ne pas l’être, s’il lui arrivait de pécher.

Il faut traiter des vices opposés à la science et à l’intelligence. L’opposé de la science est l’ignorance : il en a été question précédemment lorsqu’il s’agissait des causes de péché. Maintenant il doit être question de l’aveuglement de l’esprit et de l’hébétude du sens qui s’opposent au don d’intelligence.

 

 

QUESTION 15 — L’AVEUGLEMENT DE L’ESPRIT ET L’HÉBÉTUDE DU SENS

1. L’aveuglement de l’esprit est-il un péché ? - 2. L’hébétude du sens est-elle un autre péché que

l’aveuglement de l’esprit ? - 3. Ces vices viennent-ils des péchés de la chair ?

 

            Article 1 — L’aveuglement de l’esprit est-il un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. Car ce qui excuse le péché ne semble pas être un péché. Mais l’aveuglement excuse le péché car il est dit en S. Jean (9,41) : " S’ils étaient aveugles, ils n’auraient pas de péché. " L’aveuglement de l’Esprit n’est donc pas un péché.

2. La peine est autre chose que la faute. Mais l’aveuglement de l’esprit est une peine. On le voit par ce texte d’Isaïe (6, 10) : " Rends aveugle le cœur de ce peuple. " Comme c’est là un mal, il ne viendrait pas de Dieu, s’il n’était une peine. L’aveuglement de l’esprit n’est donc pas un péché.

3. " Tout péché est volontaire ", dit S. Augustin. Mais l’aveuglement de l’esprit n’est pas volontaire car, pour S. Augustin, " connaître la lumière de la vérité, tout le monde aime cela ", et pour l’Ecclésiaste (11, 7). " Douce est la lumière, et c’est plaisir pour les yeux de voir le soleil. " La cécité mentale n’est donc pas un péché.

En sens contraire, S. Grégoire place l’aveuglement de l’esprit parmi les vices causés par la luxure.

Réponse :

De même que la cécité corporelle est la privation de ce qui est le principe de la vision corporelle, ainsi la cécité mentale est-elle également la privation de ce qui est le principe de la vision mentale ou intellectuelle. Il y a à cette vision un triple principe. L’un est la lumière de la raison naturelle. Comme cette lumière est un trait spécifique de l’âme raisonnable, elle n’est jamais enlevée à l’âme. Parfois pourtant elle est empêchée dans son acte propre à cause des obstacles rencontrés dans les facultés inférieures dont l’intellect humain a besoin pour faire acte d’intelligence : cela se voit chez les déments et chez les fous furieux, nous l’avons dit dans la première Partie.

Un autre principe de la vision intellectuelle est une lumière habituelle surajoutée à la lumière naturelle de la raison. Et cette lumière-ci, de temps en temps, est enlevée à l’âme. Cette privation est une cécité qui est une peine, au sens où la privation de la lumière de grâce est comptée comme une peine. C’est pourquoi il est dit de certains (Sg 2, 21) : " Leur malice les aveugle. "

Le troisième principe de la vision intellectuelle est un principe intelligible qui permet à l’homme d’avoir l’intelligence d’autres choses. A ce principe intelligible l’esprit de l’homme peut s’appliquer ou ne pas s’appliquer. Et il lui arrive de ne pas s’y appliquer de deux façons. Parfois cela vient de ce que l’homme a une volonté qui spontanément se détourne de la pensée d’un tel principe, selon la parole du Psaume (36, 4) : " Il a refusé l’intelligence du bien. " Ou encore, l’homme a l’esprit occupé à d’autres choses qu’il aime davantage et qui détournent sa pensée de regarder ce principe-là, selon la parole du Psaume (58, 9 Vg). " Le feu est tombé sur eux ", entendez : le feu de la concupiscence, " et ils n’ont pas vu le soleil ". Dans ces deux cas, l’aveuglement de l’esprit est un péché.

Solutions :

1. L’aveuglement qui excuse du péché est celui qui a lieu par un manque naturel, qui ne permet pas de voir.

2. L’argument est valable pour la seconde sorte d’aveuglement, celui qui est une peine.

3. Avoir l’intelligence de la vérité, c’est en soi, pour chacun, chose aimable. Il peut se faire cependant par accident que ce soit pour quelqu’un chose haïssable : on veut dire dans la mesure où l’homme est empêché par là d’atteindre des biens qu’il aime davantage.

 

            Article 2 — L’hébétude du sens est-elle un autre péché que l’aveuglement de l’esprit ?

Objections :

1. Il semble que l’hébétude du sens ne soit pas autre chose que l’aveuglement de l’esprit. Car les contraires s’opposent un à un. Or l’hébétude s’oppose au don d’intelligence, comme le montre S. Grégoire ; et l’aveuglement de l’esprit s’y oppose aussi, puisque l’intelligence désigne un principe de la vision de l’esprit. Donc l’hébétude du sens est la même chose que la cécité de l’esprit.

2. S. Grégoire parlant de l’hébétude la nomme " l’hébétude du sens en matière d’intelligence ". Mais, avoir le sens émoussé en matière d’intelligence ne paraît pas être autre chose qu’un manque d’intelligence, qui ressortit à l’aveuglement de l’esprit. Donc, l’hébétude du sens et la cécité de l’esprit sont une même chose.

3. S’il y a une différence, c’est surtout, semble-t-il, en ce que l’aveuglement de l’esprit est volontaire, comme nous l’avons dit, tandis que l’hébétude du sens est un défaut de nature. Mais un défaut naturel n’est pas un péché. Donc l’hébétude du sens ne serait pas un péché. Ce qui contredit S. Grégoire puisqu’il la compte parmi les vices qui viennent de la gourmandise.

En sens contraire, des causes diverses ont des effets divers. Or S. Grégoire dit que l’hébétude de l’esprit vient de la gourmandise, mais que l’aveuglement de l’esprit vient de la luxure. Or, ce sont là des vices différents. Donc les vices qui en dérivent sont différents aussi.

Réponse :

L’hébétude s’oppose à l’acuité. On dit qu’un instrument est aigu lorsqu’il est pénétrant. On appelle donc hébété ce qui est émoussé et ne peut pénétrer. Or, on dit par comparaison que le sens corporel peut pénétrer le milieu en tant qu’il perçoit son objet à une certaine distance ou en tant qu’il peut, par sa pénétration, percevoir ce qu’il y a de plus petit ou de plus intérieur dans l’objet. Aussi, dans le domaine corporel, dit-on que quelqu’un a un sens aigu lorsqu’il peut percevoir un objet sensible de loin, par la vue, l’ouïe ou l’odorat. Au contraire, on attribuera un sens hébété, ou émoussé, à celui qui ne perçoit les objets sensibles que s’ils sont proches et de grande taille.

A la ressemblance du sens corporel, on parle aussi d’un certain " sens " de l’intelligence. Pour Aristote il concerne des principes primordiaux et suprêmes, de même que le sens connaît des données sensibles comme étant principes et connaissance. Mais le " sens " qui concerne l’intelligence ne perçoit pas son objet par l’intermédiaire d’une distance spatiale, mais par d’autres intermédiaires, par exemple lorsqu’il perçoit l’essence d’une chose par sa propriété, ou la cause par l’effet. On attribue donc un " sens " aigu, dans le domaine de l’intelligence, à celui qui, dès qu’il a perçu une propriété de la chose, ou encore son effet, comprend sa nature et parvient à en découvrir les moindres conditions. Et on appelle hébété, dans le domaine de l’intelligence, celui qui ne peut parvenir à connaître la vérité qu’après de nombreuses explications, et même alors ne peut parvenir à envisager parfaitement tout ce qui appartient à l’essence de la chose.

Donc l’hébétude du sens, en matière intellectuelle, implique une certaine débilité de l’esprit dans la considération des biens spirituels. La cécité de l’esprit implique une totale privation dans la considération de ces biens. L’une et l’autre s’opposent au don d’intelligence par lequel on connaît les biens spirituels dès qu’on les appréhende, et l’on pénètre finement dans ce qu’ils ont de plus intime. L’hébétude comme la cécité spirituelle ont raison de péché en tant qu’elles sont volontaires. Cela est évident chez celui qui, attaché aux biens charnels, n’éprouve qu’ennui ou négligence à scruter finement les réalités spirituelles.

Solutions :

Tout cela donne la réponse aux objections.

 

            Article 3 — Ces vices viennent-ils des péchés de la chair ?

Objections :

1. Il semble que non. S. Augustin avait dit dans ses Soliloques " Ô Dieu, qui avez voulu que les purs seuls sachent le vrai. " Dans ses Révisions, il s’est corrigé en disant : " On peut répondre que beaucoup d’hommes impurs savent beaucoup de choses vraies. " Or c’est surtout par les vices charnels que les hommes deviennent impurs. Ce ne sont donc pas de tels vices qui causent la cécité de l’esprit et l’hébétude du sens.

2. La cécité de l’esprit et l’hébétude du sens sont des défauts qui concernent la partie intellectuelle de l’âme, alors que les vices charnels ressortissent à la corruption de la chair. Mais la chair n’agit pas sur l’âme, c’est plutôt l’inverse. Les vices charnels ne causent donc pas la cécité de l’esprit et l’hébétude du sens.

3. On souffre davantage de ce qui est plus proche que de ce qui est plus éloigné. Mais les vices spirituels sont plus proches de l’esprit que les vices charnels. Donc la cécité de l’esprit et l’hébétude du sens sont causés par les vices spirituels plus que par les vices charnels.

En sens contraire, S. Grégoire affirme que " l’hébétude du sens en intelligence vient de la gourmandise, la cécité de l’esprit vient de la luxure ".

Réponse :

La perfection de l’opération intellectuelle chez l’homme consiste dans une certaine faculté d’abstraction à l’égard des images sensibles. C’est pourquoi, plus l’intelligence de l’homme aura gardé de liberté à l’endroit de ces images, plus elle pourra voir l’intelligible et ordonner tout le sensible ; comme l’a même dit Anaxagore, il faut que l’intelligence soit bien dégagée pour commander ; et il faut que l’agent domine la matière pour être capable de la mouvoir, rapporte Aristote. Par ailleurs il est évident que la délectation applique l’intention aux choses dans lesquelles on se délecte ; c’est pourquoi le Philosophe remarquer que chacun fait très bien les choses auxquelles il prend plaisir, mais ne fait pas du tout ou fait mollement les choses contraires. Or les vices charnels, c’est-à-dire la gourmandise ou la luxure, consistent dans les plaisirs du toucher, c’est-à-dire de la nourriture et des actes sexuels. Ce sont les délectations les plus violentes entre toutes celles du corps. C’est pourquoi, par de tels vices, l’intention de l’homme s’applique au maximum aux réalités physiques, et par conséquent son activité dans le domaine intelligible s’affaiblit, mais davantage par la luxure que par la gourmandise, dans la mesure où les plaisirs sexuels sont plus violents que ceux de la table. C’est pourquoi la luxure engendre l’aveuglement de l’esprit qui exclut pour ainsi dire totalement la connaissance des biens spirituels ; mais la gourmandise engendre l’hébétude du sens qui rend l’homme débile devant de telles réalités intelligibles. Au contraire, les vertus opposées, c’est-à-dire l’abstinence et la chasteté, sont ce qui dispose le mieux à la perfection de l’activité intellectuelle. D’où cette parole en Daniel (1, 17) : " A ces jeunes gens ", qui étaient abstinents et continents, " Dieu a donné science et instruction en matière de lettres et de sagesse. "

Solutions :

1. Il y a des gens asservis aux vices charnels, qui sont parfois capables de voir finement certaines choses dans le domaine intelligible, à cause de la bonne qualité de leur esprit naturel, ou d’un habitus surajouté. Cependant il est fatal que leur intention soit privée la plupart du temps de cette finesse de contemplation, par suite des plaisirs corporels. Ainsi les impurs ont bien la capacité de savoir du vrai, mais leur impureté leur est en cela un obstacle.

2. La chair n’agit pas sur la fonction intellectuelle au point de l’altérer, mais elle met obstacle à son opération de la manière qu’on a dite.

3. Plus les vices charnels sont éloignés de l’esprit, plus ils détournent l’intention de l’esprit vers des choses éloignées. Aussi empêchent-ils davantage la contemplation de l’esprit.

 

 

QUESTION 16 — LES PRÉCEPTES RELATIFS À LA FOI, À LA SCIENCE ET À L’INTELLIGENCE

1. Les préceptes relatifs à la foi. - 2. Les préceptes relatifs aux dons de science et d’intelligence.

 

            Article 1 — Les préceptes relatifs à la foi

Objections :

1. Il semble que dans la loi ancienne devaient être donnés des préceptes pour la foi. Car il y a précepte pour ce qui est obligatoire et nécessaire. Mais ce qu’il y a de plus nécessaire à l’homme c’est de croire, selon cette parole (He 11, 6) : " Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu. " Il fallut donc surtout donner des préceptes relatifs à la foi.

2. Le Nouveau Testament est contenu dans l’Ancien nous l’avons dit, comme une réalité figurée dans sa figure. Mais il y a dans le Nouveau Testament des Commandements touchant expressément la foi, comme on le voit en S. Jean (14, 1) : " Croyez en Dieu, croyez aussi en moi. " Il semble donc que quelques préceptes relatifs à la foi aient dû être donnés aussi dans l’ancienne loi.

3. D’ailleurs, il y a la même raison de prescrire l’acte d’une vertu et d’interdire les vices opposés. Mais il y a dans l’ancienne loi beaucoup de préceptes interdisant l’infidélité, comme dans l’Exode (20, 3) : " Tu n’auras pas devant moi de dieux étrangers " ; et, de nouveau, au Deutéronome (13, 1) il est commandé de ne pas écouter les paroles du prophète ou du devin qui voudrait détourner de la foi en Dieu. Donc dans l’ancienne loi aussi ont dû être donnés des préceptes concernant la foi.

4. La confession est, comme nous l’avons dit, un acte de la foi. Or des préceptes sont donnés dans l’ancienne loi touchant la confession et la promulgation de la foi. En effet, dans l’Exode (12,26) il est prescrit que les Israélites, à la demande de leurs enfants, définissent bien le sens de l’observance pascale. Et dans le Deutéronome (13), il est prescrit de mettre à mort celui qui sème un enseignement contraire à la foi. Donc la loi ancienne a dû avoir des préceptes concernant la foi.

5. Tous les livres de l’Ancien Testament sont contenus sous la loi ancienne ; c’est pour cela que le Seigneur déclare (Jn 15, 25) qu’il est écrit dans la loi : " Ils m’ont pris en haine sans motif ", ce qui est cependant écrit dans le Psaume (35, 19). Or il est dit dans l’Ecclésiastique (2, 8) : " Vous qui craignez le Seigneur, croyez en lui. " Donc, dans l’ancienne loi, des préceptes durent être donnés relativement à la foi.

En sens contraire, l’Apôtre appelle la loi ancienne " la loi des œuvres " et il l’oppose à la " loi de la foi " (Rm 3, 27). Il n’y eut donc pas à donner dans la loi ancienne de préceptes touchant la foi.

Réponse :

La loi n’est imposée par un maître qu’à ses sujets. C’est pourquoi les préceptes d’une loi présupposent la sujétion de tous ceux qui la reçoivent envers celui qui la donne. Or la première sujétion de l’homme à l’égard de Dieu se fait par la foi, selon cette parole (He 11, 6) : " Pour s’approcher de Dieu il faut croire qu’il existe. " C’est pourquoi la foi est présupposée aux préceptes de la loi. A cause de cela, dans l’Exode (20, 2), une vérité de la foi est mise en tête, avant les préceptes de la loi, lorsqu’il est dit : " Je suis le Seigneur ton Dieu, c’est moi qui t’ai tiré du pays d’Égypte. " Et pareillement dans le Deutéronome (6,4) on trouve d’abord : " Écoute Israël, le Seigneur ton Dieu est l’unique ", et aussitôt après viennent les préceptes. Mais il y a dans le contenu de la foi beaucoup de points qui sont ordonnés à cette foi par laquelle nous croyons que Dieu existe, ce qui est la vérité première et principale entre toutes celles à croire, ainsi que nous l’avons dit. C’est pourquoi cette foi à Dieu étant présupposée, par laquelle l’esprit humain se soumet à Dieu, des préceptes peuvent être donnés relativement aux autres points qu’on doit croire. En ce sens S. Augustin affirme, lorsqu’il expose le passage : " Ceci est mon commandement ", que les commandements relatifs à la foi sont pour nous très nombreux. Mais dans l’ancienne loi, les secrets de la foi n’avaient pas à être exposés au peuple ; et c’est pourquoi, la foi au Dieu unique étant supposée, aucun autre précepte ne fut donné dans l’ancienne loi relativement aux vérités à croire.

Solutions :

1. La foi est nécessaire comme le principe de la vie spirituelle. Et c’est pourquoi elle est présupposée à la réception de la loi.

2. Même là, le Seigneur présuppose quelque chose relevant de la foi. Il présuppose la foi au Dieu unique, lorsqu’il dit : " Vous croyez en Dieu. " Et il prescrit quelque chose, la foi à l’Incarnation par laquelle le même être est Dieu et homme. C’est assurément un développement de la foi qui relève de la foi du Nouveau Testament. C’est pourquoi le Seigneur ajoute : " Croyez aussi en moi. "

3. Les préceptes d’interdiction visent les péchés qui détruisent la vertu. Or la vertu est détruite, avons-nous dite, par des déficiences de détail. C’est pourquoi la foi au Dieu unique étant présupposée dans l’ancienne loi, il y eut lieu de donner des préceptes d’interdiction pour qu’il fût bien défendu aux gens de tomber dans ces déficiences de détail qui pouvaient détruire la foi.

4. La confession ou l’enseignement de la foi présuppose aussi la soumission de l’homme à Dieu par la foi. Et c’est pourquoi dans l’ancienne loi des préceptes purent être donnés bien plus pour la confession et l’enseignement de la foi que pour la foi elle-même.

5. Ce texte présuppose lui aussi la foi par laquelle nous croyons que Dieu existe. C’est pourquoi on met d’abord : " Vous qui craignez Dieu ", ce qui ne pourrait pas être sans la foi. Mais ce qu’on ajoute : " Croyez en lui " doit être rapporté à certaines vérités spéciales qu’il faut croire, et surtout aux biens que Dieu promet à ceux qui lui obéissent. D’où la suite : " et votre récompense ne sera pas vaine ".

 

            Article 2 — Les préceptes relatifs aux dons de science et d’intelligence

Objections :

1. Il semble que dans l’ancienne loi les préceptes relatifs à la science et à l’intelligence soient mal transmis, car celles-ci se rattachent à la connaissance. Or la connaissance précède et dirige l’action. Les préceptes qui sont relatifs à la science et à l’intelligence doivent donc précéder ceux qui sont relatifs à l’action. Or les premiers préceptes de la loi sont ceux du décalogue. Il semble donc qu’il aurait fallu enseigner, parmi eux, des préceptes relatifs à la science et à l’intelligence.

2. La discipline précède la doctrine : l’homme apprend chez les autres avant d’instruire les autres. Mais des préceptes d’enseigner sont donnés dans l’ancienne loi ; les uns sont affirmatifs comme cette prescription de Deutéronome (4, 9) : " Tu apprendras cela à tes enfants et aux enfants de tes enfants. " Il y en a aussi de prohibitifs, comme du Deutéronome (4, 2) : " Vous n’ajouterez rien à la parole que je vous dis, vous n’en retrancherez rien. " Il semble donc que des préceptes auraient dû être donnés aussi pour amener l’homme à s’instruire.

3. La science et l’intelligence semblent plus nécessaires au prêtre qu’au roi. De là cette parole de Malachie (2, 7) : " Les lèvres du prêtre gardent la science et c’est de sa bouche qu’on attend la loi ", et celle-ci d’Osée (4, 6) : " Parce que tu as rejeté la science, je te rejetterai de ton sacerdoce. " Or il est demandé au roi d’apprendre la science de la loi, comme on le voit au Deutéronome (17, 18). Donc, à bien plus forte raison, aurait-on dû prescrire dans la loi que les prêtres s’instruisent de la loi.

4. La méditation de ce qui se rapporte à la science et à l’intelligence ne peut pas se faire en dormant. Elle est empêchée aussi par les occupations étrangères. Il est donc maladroit de prescrire dans le Deutéronome (6, 7) : " Tu méditeras cela quand tu seras assis dans ta maison, quand tu iras en voyage, en t’endormant et en te levant. " Cette tradition, dans l’ancienne loi, des préceptes relatifs à la science et à l’intelligence est donc bien mal présentée.

En sens contraire, il est écrit dans le Deutéronome (4, 6) : " Quand ils connaîtront ces lois, tous diront : "Voici un peuple sage et intelligent". "

Réponse :

Sur la science et l’intelligence on peut considérer trois points : la façon de les recevoir, la façon d’en user, la façon de les garder.

Recevoir la science ou l’intelligence se fait par l’enseignement et par la discipline. L’un et l’autre sont prescrits dans la loi ; il est dit en effet dans le Deutéronome (6, 6) : " Ces paroles que je te prescris seront dans ton cœur. " Cela concerne la discipline, car il appartient au disciple d’appliquer son cœur à ce qui est dit. Mais ce qui est dit ensuite : " Et tu le raconteras à tes enfants " concerne l’enseignement.

Quant à l’usage de la science et de l’intelligence, c’est la méditation de ce que chacun sait ou comprend. Et, à cet égard, il est dit ensuite : " Tu méditeras, assis dans ta maison, etc. "

La conservation est l’acte de la mémoire. Et à cet égard, il est écrit à la suite : " Tu les lieras comme un signe sur la main, ils seront et se balanceront entre tes yeux, et tu les écriras sur le seuil et sur les entrées de ta maison. " Par tout cela le texte signifie une continuelle mémoire des commandements de Dieu. Car ce qui se retrouve sans cesse sous nos sens, soit au toucher comme ce que nous avons à la main, soit sous la vue comme ce que nous avons continuellement devant les yeux ou à des endroits où il nous faut souvent revenir, à l’entrée de la maison par exemple, cela ne peut s’effacer de notre mémoire. Du reste, le Deutéronome (4, 9) le dit plus ouvertement. " N’oublie pas les paroles que tes yeux ont vues, et ne les laisse pas sortir de ton cœur un seul jour de ta vie. " Et ce sont là des commandements que nous lisons encore plus abondamment dans l’enseignement évangélique et dans l’enseignement apostolique.

Solutions :

1. Il est écrit au Deutéronome (4, 6) : " Ceci est votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples. " Ce qui donne à entendre que la science et l’intelligence des fidèles de Dieu consistent dans les préceptes de la loi. C’est pourquoi il faut d’abord proposer ces préceptes, et ensuite amener les gens à en avoir la science ou l’intelligence. Par conséquent ces préceptes n’ont pas dû être placés parmi les préceptes du décalogue, qui demeurent premiers.

2. Il y a aussi dans la loi des préceptes relatifs à la discipline, nous venons de le dire. Cependant l’enseignement est prescrit plus expressément que la discipline, parce qu’il est l’affaire des grands qui ne dépendent que d’eux-mêmes, et que c’est à eux, comme étant ceux qui sont immédiatement sous la loi, que doivent être donnés les préceptes de la loi. Au contraire, la discipline est l’affaire des petits, auxquels les préceptes de la loi doivent parvenir par l’intermédiaire des grands.

3. La science de la loi est annexée à l’office du prêtre à un tel point qu’on doit comprendre que l’injonction de cette science est liée à celle de leur office. C’est pour cela qu’il n’y a pas eu à donner de préceptes spéciaux relativement à l’instruction des prêtres. Tandis que l’enseignement de la loi de Dieu n’est pas annexée à l’office du roi à un tel point, pour la raison que le roi est établi au-dessus du peuple dans le domaine temporel. Aussi est-il spécialement prescrit que le roi soit instruit par les prêtres de ce qui a trait à la loi de Dieu.

4. Le précepte de la loi ne veut pas dire que l’on ait à méditer pendant que l’on dort, mais quand on va dormir, parce qu’il y a là pour les gens un moyen de s’assurer, même en dormant, de meilleures imaginations, étant donné que les impressions passent en eux de l’état de veille à l’état de sommeil, comme le montre Aristote.

Pareillement, il est commandé aussi à chacun de méditer la loi dans tous ses actes, ce qui ne signifie pas qu’on doit toujours y penser d’une manière actuelle, mais qu’on doit régler d’après elle tout ce qu’on fait.

L’ESPÉRANCE

À la suite de la foi il faut étudier l’espérance. 1° La nature de l’espérance (Q. 17-18). 2° Le don de crainte (Q. 19). 3° Les vices opposés à la vertu et au don (Q. 20-21). 4° Les préceptes qui concernent la vertu et le don (Q. 22).

La première étude s’attache à la nature de l’espérance (Q. 17), puis à celle de son siège

 

 

QUESTION 17 — LA NATURE DE L’ESPÉRANCE

1. Est-elle une vertu ? - 2. Son objet est-il la béatitude éternelle ? - 3. Peut-on espérer la béatitude d’un autre par la vertu d’espérance ? - 4. Est-il permis de mettre son espérance dans l’homme ? - 5. L’espérance est-elle une vertu théologale ? - 6. Distinction entre l’espérance et les autres vertus théologales. - 7. Le rapport de l’espérance avec la foi. - 8. Le rapport de l’espérance avec la charité.

 

            Article 1 — L’espérance est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il ne le semble pas car, dit S. Augustin, " Nul ne peut faire mauvais usage d’une vertu. " Or on peut mal user de l’espérance, car il arrive de trouver, au sujet de la passion d’espérance, un milieu et des extrêmes, comme au sujet des autres passions. Donc l’espérance n’est pas une vertu.

2. Aucune vertu ne procède des mérites car " la vertu, Dieu l’opère en nous sans nous ", selon S. Augustin. Or l’espérance a pour origine la grâce et les mérites, dit le Maître des Sentences c. L’espérance n’est donc pas une vertu.

3. " La vertu est une qualité propre à un être parfait ", d’après Aristote. Mais l’espérance n’appartient qu’à un être imparfait, celui qui n’a pas ce qu’il espère. L’espérance n’est donc pas une vertu.

En sens contraire, S. Grégoire déclare que les trois filles de Job représentent les trois vertus : foi, espérance, charité. L’espérance est donc une vertu.

Réponse :

D’après le Philosophe, " la vertu, chez tout être, est ce qui rend bon le sujet qui la possède, et qui rend bonne son action ". Il faut donc que, partout où l’on trouve un acte humain qui est bon, cet acte réponde à une vertu humaine. Or, dans toutes les choses soumises à une règle et à une mesure, le bien se reconnaît à ce que l’être en question atteint sa règle propre ; c’est ainsi que nous disons qu’un vêtement est bon s’il n’est ni trop long ni trop court. Or, pour les actes humains, nous l’avons vu, il y a une double mesure : l’une, immédiate et homogène : la raison ; l’autre, suprême et transcendante : Dieu. Et par suite tout acte humain qui atteint la raison, ou Dieu lui-même, est bon. Or l’acte de l’espérance qui nous occupe présentement atteint Dieu. Comme nous l’avons dit précédemment en étudiant la passion d’espérance, son objet est un bien, futur, difficile, mais qu’on peut obtenir. Or une chose nous est possible de deux façons : par nous-mêmes, ou par autrui, selon Aristote. Donc, en tant que nous espérons une réalité envisagée comme possible pour nous grâce au secours divin, notre espérance atteint Dieu lui-même, sur le secours de qui elle s’appuie. Et c’est pourquoi, manifestement, l’espérance est une vertu, puisqu’elle rend bonne l’action humaine et atteint la règle requise.

Solutions :

1. Dans les passions, le milieu de la vertu se prend de ce qu’on atteint la droite raison ; c’est même cela qui définit la vertu. Aussi, même dans l’espérance, on entend le bien de la vertu selon que l’homme atteint, lorsqu’il espère, la règle requise, qui est Dieu. Et c’est pourquoi, de l’espérance qui rejoint Dieu, nul ne peut se servir mal, pas plus que de la vertu morale qui rejoint la raison, parce que le bon usage de la vertu consiste à atteindre cette règle. Encore que l’espérance dont nous parlons présentement ne soit pas une passion, mais un habitus de l’âme, comme nous le montrerons bientôt.

2. On dit que l’espérance provient des mérites, quand on parle de la réalité même qu’on attend, en ce sens qu’on espère obtenir la béatitude par la grâce et les mérites. Ou bien encore quand on traite de l’acte de l’espérance formée par la charité. Quant à l’habitus même de l’espérance par laquelle on attend la béatitude, il n’a pas pour cause les mérites, mais exclusivement la grâce.

3. Celui qui espère est imparfait si l’on considère le bien qu’il espère obtenir et qu’il n’a pas encore ; mais il est parfait en ce que déjà il atteint sa règle propre : Dieu même, sur le secours de qui il s’appuie.

 

            Article 2 — L’objet de l’espérance est-il la béatitude éternelle ?

Objections :

1. Il ne le semble pas, car l’homme n’espère pas ce qui dépasse tout mouvement de son âme, puisque l’acte de l’espérance est un certain mouvement de l’âme. Or la béatitude éternelle dépasse tout mouvement de l’âme ; l’apôtre dit en effet (1 Co 2, 9) : " Elle n’est pas montée au cœur de l’homme. " La béatitude n’est donc pas l’objet propre de l’espérance.

2. La demande est l’interprète de l’espérance ; on trouve en effet dans le Psaume (37, 5) : ton chemin vers le Seigneur, fais-lui confiance et il agira. " Or l’homme demande licitement de Dieu non seulement la béatitude éternelle, mais encore les biens de la vie présente, tant spirituels que temporels, et aussi la délivrance des maux, qui n’existeront plus dans la béatitude éternelle : témoin l’oraison dominicale. La béatitude éternelle n’est donc pas l’objet propre de l’espérance.

3. L’objet de l’espérance est d’une conquête difficile. Or, par rapport à l’homme, il y a beaucou d’autres biens difficiles que la béatitude éternelle. Elle n’est donc pas l’objet propre de l’espérance.

En sens contraire, l’Apôtre nous dit (He 6, 19) : " Nous avons une espérance qui pénètre ", c’est-à-dire qui nous fait pénétrer, " à l’intérieur du voile ", c’est-à-dire dans la béatitude céleste selon le commentaire de la Glose. L’objet de l’espérance est donc bien la béatitude éternelle.

Réponse :

Comme nous venons de le dire, l’espérance dont nous nous occupons atteint Dieu en s’appuyant sur son secours pour parvenir au bien espéré. Mais un effet doit être proportionné à sa cause. Et c’est pourquoi le bien qu’à titre propre et principal nous devons espérer de Dieu est un bien infini, proportionné à la puissance de Dieu qui nous aide ; car c’est le propre d’une puissance infinie de conduire à un bien infini. Or ce bien est la vie éternelle, qui consiste dans la jouissance de Dieu même ; on ne peut en effet espérer de Dieu un bien qui soit moindre que lui, puisque sa bonté, par laquelle il communique ses biens à la créature, n’est pas moindre que son essence. C’est pourquoi l’objet propre et principal de l’espérance est la béatitude éternelle.

Solutions :

1. Sans doute, la béatitude éternelle ne monte pas d’une façon parfaite au cœur de l’homme de telle manière que l’homme voyageur puisse en connaître la nature et la qualité ; mais selon sa raison commune, celle du bien parfait, l’homme peut en avoir une certaine connaissance ; et c’est sous cet aspect que le mouvement d’espérance s’élève vers elle. Aussi l’Apôtre dit-il expressément (He 6, 19) : " L’espérance pénètre par-delà le voile ", parce que l’objet de notre espérance nous est encore voilé pour l’instant.

2. Quels que soient les autres biens, nous ne devons les demander à Dieu qu’en les ordonnant à la béatitude éternelle. Par suite, l’espérance a pour objet principal la béatitude éternelle ; quant aux autres biens demandés à Dieu, elle les envisage secondairement, en référence à la béatitude éternelle. De même que pour la foi, qui regarde principalement Dieu, et secondairement les vérités qui sont ordonnées à Dieu, nous l’avons dit précédemment. L’homme qui s’épuise pour une grande cause trouve que ce qui est moins difficile est peu de chose. Et c’est pourquoi, à l’homme qui espère la béatitude éternelle, et par rapport à cette espérance, rien d’autre ne semble difficile. Mais, compte tenu des possibilités de celui qui espère, certaines autres œuvres peuvent lui paraître ardues. Et c’est ce qui fait qu’on peut espérer ces biens, ordonnés à l’objet principal.

 

            Article 3 — Peut-on espérer la béatitude d’un autre par la vertu d’espérance ?

Objections :

1. Il le semble, car l’Apôtre écrit aux Philippiens (1, 6) : " J’en suis bien sûr, celui qui a commencé en vous cette œuvre excellente la portera à sa perfection jusqu’au jour du Christ Jésus. " Mais la perfection de ce jour sera la béatitude éternelle. On peut donc espérer pour autrui la béatitude éternelle.

2. Les biens que nous demandons à Dieu, nous espérons les obtenir de lui. Or nous demandons à Dieu qu’il conduise les autres à la vie éternelle, selon S. Jacques (5, 16) : " Priez les uns pour les autres afin que vous soyez sauvés. " Nous pouvons donc espérer pour les autres la béatitude éternelle.

3. L’espoir et le désespoir ont le même objet. Or on peut désespérer de la béatitude éternelle d’autrui. Autrement S. Augustin dirait en vain : " On ne doit désespérer d’aucun homme, tant qu’il est vivant. " Donc on peut aussi espérer pour autrui la vie éternelle.

En sens contraire, S. Augustin dit " Il n’y a d’espérance que pour les réalités dépendant de Dieu, lequel est considéré comme prenant en charge ceux qui ont l’espérance. "

Réponse :

On peut espérer quelque chose de deux façons. D’une part de façon absolue, et alors il ne peut s’agir que d’un bien difficile se rapportant à celui qui espère. D’autre part, en présupposant autre chose, et alors l’espérance peut viser des biens se rapportant à autrui.

Pour en être persuadé, il faut savoir que l’amour et l’espérance diffèrent en ce que l’amour implique une certaine union de l’aimant à l’aimé, tandis que l’espérance implique un mouvement ou une tendance de l’appétit vers un bien difficile. Or, l’union suppose des réalités distinctes, et c’est pourquoi l’amour peut directement concerner un autre qu’on unit à soi par l’amour, en considérant cet autre comme soi-même. Mais un mouvement vise toujours un terme propre proportionné au mobile ; et c’est pourquoi l’espérance regarde directement le bien propre du sujet, et non celui qui concerne autrui.

Mais si l’on présuppose une union d’amour avec autrui, alors on peut désirer et espérer un bien pour autrui comme pour soi-même. En ce sens, on peut espérer pour autrui la béatitude éternelle, en tant qu’on lui est uni par l’amour. Et de même que c’est l’unique vertu de charité qui nous fait aimer Dieu, nous-mêmes et le prochain, de même aussi c’est par une seule vertu d’espérance qu’on espère pour soi-même et pour autrui.

Solutions :

Cela donne la réponse aux Objections.

 

            Article 4 — Est-il permis de mettre son espérance dans l’homme ?

Objections :

1. Il semble que ce soit permis, car l’objet de l’espérance est la béatitude éternelle. Or, dans la recherche de la béatitude éternelle nous sommes aidés par le patronage des saints : S. Grégoire dit en effet que " la prédestination est aidée par les prières des saints. " On peut donc mettre son espérance dans l’homme.

2. Si l’on ne pouvait pas mettre son espérance dans l’homme, on ne pourrait pas reprocher E quelqu’un comme un vice de ne pouvoir pas espérer en lui. Or c’est cependant ce qu’on reproche à certains comme un vice ; ainsi dans Jérémie (9, 3) : " Que chacun se mette en garde contre son ami et qu’il n’ait confiance en aucun de ses frères. " Il est donc permis d’espérer en l’homme.

3. La demande est l’interprète de l’espérance, a-t-on dit. Or il est permis de demander quelque chose à un homme. Il est donc permis de mettre son espérance en lui.

En sens contraire, on lit dans Jérémie (17, 5) : " Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme. "

Réponse :

L’espérance, avons-nous dit, a deux objets : le bien que l’on veut obtenir et le secours qui permet d’obtenir ce bien. Or le bien qu’on espère obtenir a raison de cause finale, et le secours par lequel on espère obtenir ce bien a raison de cause efficiente. Mais dans chaque genre de ces deux causes on trouve du principal et du secondaire. La fin principale est la fin ultime ; la fin secondaire est un bien ordonné à la fin. Pareillement, la cause efficiente principale est l’agent premier, et la cause efficiente secondaire est l’agent second instrumental. Or l’espérance regarde la béatitude comme sa fin ultime, et le secours divin comme la cause première qui conduit à la béatitude. Donc, de même qu’il n’est pas permis d’espérer un bien quelconque, hors la béatitude, comme fin ultime, mais seulement comme moyen ordonné à la fin qu’est la béatitude, de même il n’est pas permis de mettre son espérance dans un homme ou une autre créature, comme dans une cause première qui mène à la béatitude ; mais il est permis de mettre son espérance en un homme ou une créature, comme en l’agent secondaire et instrumental qui aide dans la recherche de tous les biens ordonnés à la béatitude. Et c’est de cette façon que nous nous tournons vers les saints, que nous demandons certaines choses aux hommes, et que l’on blâme ceux en qui l’on ne peut se confier pour recevoir du secours.

Solutions :

Cela donne la réponse aux Objections.

 

            Article 5 — L’espérance est-elle une vertu théologale ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la vertu théologale a Dieu pour objet. Or l’espérance n’a pas seulement Dieu pour objet, mais aussi d’autres biens que nous espérons obtenir de Dieu. Donc l’espérance n’est pas une vertu théologale.

2. La vertu théologale ne consiste pas en un milieu entre deux vices, a-t-on remarqués. Or l’espérance consiste en un juste milieu entre la présomption et le désespoir. Donc l’espérance n’est pas une vertu théologale.

3. L’attente se rattache à la longanimité, qui est une espèce de la vertu de force. Puisque l’espérance est une attente, elle ne semble pas être une vertu théologale, mais une vertu morale.

4. L’objet de l’espérance est un bien difficile. Or tendre à un bien difficile relève de la magnanimité, qui est une vertu morale, et non une vertu théologale.

En sens contraire, l’Apôtre énumère l’espérance avec la foi et la charité, qui sont des vertus théologales (1 Co 13, 15).

Réponse :

Les différences spécifiques apportent au genre une division essentielle ; il faut donc regarder attentivement d’où l’espérance a raison de vertu, pour savoir dans quelle espèce de vertu elle prend place. Or nous avons dits que l’espérance a raison de vertu du fait qu’elle atteint la règle suprême des actes humains, et comme cause première efficiente, en tant qu’elle s’appuie sur le secours divin, et comme cause ultime finale, parce que c’est dans la jouissance de Dieu qu’elle attend la béatitude. Et ainsi est-il évident que l’objet principal de l’espérance en tant qu’elle est une vertu, est Dieu. Puisque l’essence même de la vertu théologale consiste à avoir Dieu pour objet, comme nous l’avons dit antérieurement’ 3 il est évident que l’espérance est une vertu théologale.

Solutions :

1. Quels que soient les autres biens dont l’espérance attend la possession, elle les espère à titre de moyens ordonnés à Dieu comme à une fin ultime et comme à une première cause efficiente.

2. Le juste milieu se prend, dans les choses réglées et mesurées, du fait même qu’on atteint la règle ou la mesure : aller au-delà de la règle est du superflu ; rester en deçà est insuffisant. Mais dans la règle ou dans la mesure elle même, on ne peut pas établir un milieu et des extrêmes. Or ce sont les matières soumises à la règle de la raison que la vertu morale regarde comme son objet propre ; et c’est pourquoi il lui convient essentiellement d’être dans un juste milieu vis-à-vis de son objet propre. Mais c’est la règle première elle-même, non réglée par une autre règle, que la vertu théologale envisage comme son objet propre. Et c’est pourquoi, essentiellement et selon son objet propre, il ne convient pas à la vertu théologale d’être dans un juste milieu.

Cependant le juste milieu peut la concerner accidentellement, par les réalités ordonnées à l’objet principal. Ainsi, dans la foi, il ne peut y avoir de milieu ni d’extrêmes dans le fait qu’on s’appuie sur la vérité première, sur laquelle on ne saurait trop s’appuyer. Mais, du côté des vérités que l’on croit, il peut y avoir un milieu et des extrêmes, comme une vérité tient le milieu entre deux erreurs. Pareillement l’espérance ne comporte pas de milieu et d’extrêmes dans son objet principal, car on ne saurait trop se confier au secours divin ; mais pour les biens que l’on a confiance d’obtenir, il peut y avoir milieu et extrêmes, en tant que l’on présume des biens disproportionnés, ou que l’on désespère de biens proportionnés.

3. L’attente qui entre dans la définition de l’espérance ne comporte pas de retard comme celle qui se rattache à la longanimité ; mais elle dit relation à l’aide divine, que le bien espéré soit différé ou non.

4. La magnanimité tend à un objet difficile, en l’espérant comme proportionné à sa puissance ; aussi, à proprement parler, vise-t-elle la réalisation de grandes choses. Mais l’espérance, vertu théologale, vise un bien difficile à obtenir par le secours d’autrui, nous l’avons dit.

 

            Article 6 — Distinction entre l’espérance et les autres vertus théologales

Objections :

1. L’espérance ne semble pas être une vertu distincte des autres vertus théologales. En effet, les habitus se distinguent d’après leurs objets, nous l’avons dit. Or l’espérance et les autres vertus théologales ont le même objet. Donc l’espérance ne se distingue pas des autres vertus théologales.

2. Le symbole par lequel nous professons notre foi nous fait dire : " J’attends la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. " Or l’attente de la béatitude future relève de l’espérance, nous l’avons dit. Celle-ci ne se distingue donc pas de la foi.

3. Par l’espérance, l’homme tend à Dieu. Mais c’est là le rôle propre de la charité. Donc l’espérance ne se distingue pas de la charité.

En sens contraire, là ou il n’y a pas de distinction, il n’y a pas de nombre. Or on énumère l’espérance avec les autres vertus théologales : S. Grégoire dit en effet qu’il y a " trois vertus, la foi, l’espérance et la charité ". L’espérance est donc une vertu distincte des autres vertus théologales.

Réponse :

Une vertu est appelée théologale du fait qu’elle a Dieu comme l’objet auquel elle s’attache. Mais on peut s’attacher à un être de deux façons : pour lui-même, et parce que par lui on parvient à autre chose. La charité fait que l’homme s’attache à Dieu à cause de Dieu même, en unissant l’esprit de l’homme à Dieu par un sentiment d’amour. Mais l’espérance et la foi font que l’homme s’attache à Dieu comme à un principe d’où nous viennent certains biens. Or, ce qui nous vient de Dieu, c’est la connaissance de la vérité et l’acquisition du bien parfait. La foi fait que l’homme s’attache à Dieu, principe de la connaissance du vrai ; nous croyons en effet que les propositions sont vraies, lorsqu’elles nous sont dites par Dieu. L’espérance fait que l’homme s’attache à Dieu, principe de bonté parfaite ; par l’espérance, en effet, nous nous appuyons au secours divin pour obtenir la béatitude.

Solutions :

1. Dieu est objet des vertus théologales sous des raisons différentes, nous venons de le dire. Or, pour la distinction des habitus, il suffit d’un aspect différent de l’objet, nous l’avons dit précédemment.

2. L’attente prend place dans le symbole de la foi, non parce qu’elle est l’objet propre de la foi, mais parce que l’espérance présuppose la foi, comme le dira l’article suivant ; et ainsi l’acte de foi se manifeste par l’acte d’espérance.

3. L’espérance fait tendre à Dieu comme à un bien final à obtenir et comme à un secours efficace. Mais la charité à proprement parler, fait tendre à Dieu en lui unissant le sentiment de l’homme, de sorte que l’homme ne vive plus pour lui-même, mais pour Dieu.

 

            Article 7 — Le rapport de l’espérance avec la foi

Objections :

1. Il semble bien que l’espérance précède la foi. En effet, à propose de la parole du psaume (37, 3) : " Espère en Dieu et agis bien ", la Glose dit que " l’espérance est l’entrée de la foi, le commencement du salut ". Or le salut se fait par la foi, qui nous justifie. L’espérance précède donc la foi.

2. Ce qu’on met dans la définition d’une réalité, doit être antérieur à cette réalité, et mieux connu. Or on met l’espérance dans la définition de la foi selon l’épître aux Hébreux (11, 1) : " La foi est la garantie des biens qu’on espère. " L’espérance est donc antérieure à la foi.

3. L’espérance précède l’acte méritoire. L’Apôtre dit en effet (1 Co 9, 10) : " Celui qui laboure doit travailler avec l’espoir de récolter des fruits. " Or l’acte de foi est méritoire. Donc l’espérance précède la foi.

En sens contraire, l’évangile de S. Matthieu (1, 2) nous dit : " Abraham engendra Isaac ", c’est-à-dire : " la foi engendra l’espérance ", selon le commentaire de la Glose.

Réponse :

La foi, d’une façon absolue, précède l’espérance. L’objet de l’espérance, en effet, est un bien futur, difficile, et qu’il est cependant possible d’atteindre. Pour que quelqu’un puisse espérer, il est donc requis que l’objet de l’espérance lui soit proposé comme possible. Or l’objet de l’espérance est, d’une façon, la béatitude éternelle, et, d’une autre façon, le secours divin, nous l’avons montré. Ces deux objets nous sont proposés par la foi, car celle-ci nous apprend que nous pouvons parvenir à la vie éternelle et qu’à cette fin un secours divin nous a été préparé, selon l’épître aux Hébreux (11, 6) : " Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il assure la récompense à ceux qui le cherchent. " Ainsi est-il évident que la foi précède l’espérance.

Solutions :

1. La Glose ajoute, au même passage, qu’on dit de l’espérance qu’elle est l’entrée de la foi, c’est-à-dire de la réalité à laquelle on croit, parce que c’est l’espérance qui introduit dans la vision de ce qu’on croit. Ou bien encore on peut l’appeler l’entrée de la foi parce que l’espérance apporte à l’homme plus de stabilité et de perfection dans la foi.

2. Dans la définition de la foi, on met " les réalités qu’on espère " parce que l’objet propre de la foi est une réalité qui par essence n’est pas apparente. Par suite il fut nécessaire de le désigner au moyen d’une circonlocution, par la réalité qui vient à la suite de la foi.

3. Tout acte méritoire n’est pas précédé de l’espérance, mais il lui suffit d’avoir une espérance qui l’accompagne ou qui le suive.

 

            Article 8 — Le rapport de l’espérance avec la charité

Objections :

1. Il semble que la charité soit antérieure à l’espérance. En effet, S. Ambroise, commentant le texte de S. Luc (17, 6) : " Si vous aviez la foi gros comme un grain de sénevé, etc. ", nous dit que " de la foi sort la charité, et de la charité l’espérance ". Mais la foi est antérieure à la charité. Donc la charité est antérieure à l’espérance.

2. S. Augustin déclare que " les bons mouvements et les bons sentiments viennent de l’amour et d’une sainte charité ". Or espérer, en tant qu’acte de l’espérance, est un bon mouvement de l’âme. L’espérance dérive donc de la charité.

3. Le Maître des Sentences affirme que " l’espérance vient des mérites qui précèdent non seulement la réalité espérée, mais aussi l’espérance, que la charité précède par nature ". La charité est donc antérieure à l’espérance.

En sens contraire, l’Apôtre dit (1 Tm 1, 5) " La fin du précepte est la charité, qui procède d’un cœur pur et d’une bonne conscience ", " c’est-à-dire de l’espérance ", commente la Glose. L’espérance est donc antérieure à la charité.

Réponse :

Il y a deux sortes d’ordre. D’une part, il y a l’ordre de la génération et de la nature, selon lequel l’imparfait est antérieur au parfait. D’autre part, l’ordre de la perfection et de la forme, selon lequel ce qui est parfait est antérieur par nature à ce qui est imparfait. Donc, selon le premier ordre, l’espérance est antérieure à la charité.

En effet, l’espérance, comme tout mouvement de l’esprit, dérive de l’amour, nous l’avons montré en traitant des passions. Or il y a un amour parfait et un amour imparfait. L’amour parfait est celui par lequel une personne est aimée pour elle-même, comme quelqu’un à qui nous voulons du bien ; ainsi l’amour de l’homme pour son ami. L’amour imparfait est celui par lequel nous aimons une réalité, non pas en elle-même, mais afin que le bien qu’elle constitue nous parvienne ; ainsi l’homme qui aime une chose qu’il convoite. L’amour pour Dieu, au premier sens, se rattache à la charité qui adhère à Dieu pour lui-même, mais l’espérance relève du second amour, car celui qui espère a l’intention d’obtenir quelque chose pour lui. Et c’est pourquoi, dans l’ordre de génération, l’espérance est antérieure à la charité. De même en effet que l’homme est amené à aimer Dieu parce que la crainte du châtiment divin lui fait abandonner son péché, dit S. Augustin, de même aussi l’espérance introduit à la charité, en tant que l’espoir d’être récompensé par Dieu excite l’homme à l’aimer et à garder ses commandements. Mais selon l’ordre de la perfection, la charité est première par nature. Et c’est pourquoi, quand apparaît la charité, l’espérance devient plus parfaite, car c’est dans nos amis que nous mettons le plus d’espoir. Et c’est de cette façon que S. Ambroise affirme : " L’espérance sort de la charité. "

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. L’espérance, comme tout mouvement de l’appétit, provient d’un certain amour, celui du bien qu’on attend. Cependant toute espérance ne vient pas de la charité, mais seulement le mouvement de l’espérance formée par la charité, qui nous fait espérer un bien de la part de Dieu comme d’un ami.

3. Le Maître des Sentences parle ici de l’espérance formée qui, par nature, est précédée par la charité et les mérites causés par celle-ci.

 

 

QUESTION 18 — LE SIÈGE DE L’ESPÉRANCE

1. La vertu d’espérance siège-t-elle dans la volonté ? -2. Existe-t-elle chez les bienheureux ? 3. Existe-t-elle chez les damnés ? - 4. L’espérance des hommes voyageurs est-elle certaine ?

 

            Article 1 — La vertu d’espérance siège-t-elle dans la volonté ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, l’objet de l’espérance est un bien difficile, nous l’avons vu. Or ce qui est difficile n’est pas l’objet de la volonté, mais de l’irascible. L’espérance n’est donc pas dans la volonté, mais dans l’irascible.

2. Là où une seule chose suffit, il est superflu d’en ajouter une autre. Or, pour rendre parfaite la puissance volontaire, il suffit de la charité qui est la plus parfaite des vertus. L’espérance n’est donc pas dans la volonté.

3. Une seule puissance ne peut se porter à la fois sur deux actes ; ainsi l’intelligence ne peut pas en même temps comprendre plusieurs idées. Or, l’acte d’espérance peut exister concurremment avec l’acte de charité ; et comme l’acte de charité relève manifestement de la volonté, l’acte d’espérance ne s’y rattache pas. L’espérance n’est donc pas dans la volonté.

En sens contraire, l’âme n’est capable de posséder Dieu que dans l’esprit, qui comporte mémoire, intelligence et volonté, comme le montre S. Augustin. Or l’espérance est une vertu théologale qui a Dieu pour objet. Puisqu’elle n’est ni dans la mémoire, ni dans l’intelligence, qui dépendent de la faculté de connaissance, il reste donc qu’elle ait la volonté pour siège.

Réponse :

Les habitus sont connus par les actes, nous l’avons montré précédemment. Or l’acte d’espérance est un mouvement de la puissance appétitive, puisque son objet est le bien. Mais il y a un double appétit dans l’homme ; l’appétit sensible, qui se divise en irascible et concupiscible, et l’appétit intellectuel, qu’on appelle volonté, nous avons vu cela dans la première Partie ; d’autre part, les mouvements qu’on trouve dans l’appétit inférieur, liés à des passions, sont sans aucune passion dans le désir supérieur, nous l’avons déjà montrée. Or l’acte de la vertu d’espérance ne peut relever de l’appétit sensible, car le bien qui forme l’objet principal de cette vertu n’est pas un bien sensible, mais le bien divin. Et c’est pourquoi l’espérance a pour sujet l’appétit supérieur, appelé volonté, et non l’appétit inférieur, auquel se rattache l’irascible.

Solutions :

1. L’objet de l’irascible est un bien ardu sensible mais l’objet de l’espérance est un bien ardu d’ordre intelligible, ou plutôt un bien ardu transcendant l’intelligence.

2. La charité perfectionne suffisamment la volonté pour le seul acte d’aimer. Mais il faut une autre vertu pour la perfectionner en vue d’un autre acte, qui est d’espérer.

3. Le mouvement de l’espérance et le mouvement de la charité sont ordonnés l’un à l’autre, nous venons de le montrer. Rien n’empêche donc que ces deux mouvements appartiennent en mërne temps à une seule puissance. De même pour l’intelligence : elle aussi peut en même temps comprendre plusieurs idées ordonnées l’une à l’autre, comme on l’a établi dans la première Partie.

 

            Article 2 — L’espérance existe-t-elle chez les bienheureux ?

Objections :

1. Il semble bien qu’il y ait l’espérance chez les bienheureux, car le Christ, dès le premier instant de sa conception, a eu la parfaite compréhension de Dieu. Or lui-même avait l’espérance, puisque c’est en sa personne, comme le déclare la Glose, que le Psaume (31, 1) dit : " En toi, Seigneur, j’ai espéré. " Les bienheureux peuvent donc avoir l’espérance.

2. L’acquisition de la béatitude représente un bien ardu, et de même sa continuation. Or les hommes, avant de posséder la béatitude, ont l’espoir de l’atteindre. Donc, après avoir acquis la béatitude, ils peuvent en espérer la continuation.

3. La vertu d’espérance donne à l’homme la possibilité d’espérer la béatitude, non seulement pour lui-même mais aussi pour les autres, on l’a vu plus haut. Or, les bienheureux, dans la patrie, espèrent la béatitude pour d’autres ; sans quoi ils ne prieraient pas pour eux. Les bienheureux peuvent donc avoir l’espérance.

4. A la béatitude des saints revient non seulement la gloire de l’âme, mais aussi la gloire du corps. Or les âmes des saints, dans la patrie, attendent encore la gloire du corps, comme le montrent l’Apocalypse (6, 9) et S. Augustin. L’espérance peut donc exister chez les bienheureux.

En sens contraire, l’Apôtre dit (Rm 8, 24) " Ce que l’on voit, peut-on l’espérer encore ? " Mais les bienheureux jouissent de la vision de Dieu. Donc l’espérance n’a pas sa place chez eux.

Réponse :

Enlevez ce qui donne l’espèce à une chose, l’espèce disparaît, et la chose ne peut demeurer la même ; ainsi, lorsque la forme d’un corps naturel a disparu, il ne demeure pas spécifiquement le même. Or l’espérance reçoit son espèce de son objet principal, comme aussi les autres vertus, nous l’avons montré plus haut. Mais son objet principal est la béatitude éternelle selon qu’il est possible de l’acquérir par le secours divin, nous venons de le dire. Parce que le bien ardu et possible ne devient objet formel de l’espérance que s’il est futur, il s’ensuit, lorsque la béatitude n’est plus future mais présente, qu’il ne peut y avoir au ciel la vertu d’espérance. Et c’est pourquoi l’espérance comme aussi la foi, s’évanouit dans la patrie, et ni l’une ni l’autre ne peut exister chez les bienheureux.

Solutions :

1. Le Christ, même s’il avait la parfaite compréhension, et par conséquent était bienheureux quant à la jouissance de Dieu, était cependant aussi un voyageur quant à la possibilité de la nature humaine qu’il possédait encore. Et c’est pourquoi il pouvait espérer la gloire de l’impassibilité et de l’immortalité. Ce n’était pas assez cependant pour qu’il eût la vertu d’espérance, car celle-ci n’a pas pour objet principal la gloire du corps, mais plutôt la jouissance de Dieu.

2. La béatitude des saints est appelée vie éternelle parce que, du fait qu’ils jouissent de Dieu, ils deviennent en quelque manière participants de l’éternité divine qui transcende toute durée. Et ainsi la continuation de la béatitude n’est pas diversifiée par le passé, le présent et le futur. C’est pourquoi les bienheureux n’ont pas l’espérance pour la continuation de la béatitude, mais ils en possèdent la réalité même ; et il n’y a là rien de futur.

3. Tant que dure la vertu d’espérance, c’est par une même espérance qu’on espère la béatitude pour soi et pour les autres. Mais quand s’est évanouie chez les bienheureux l’espérance qui leur faisait espérer la béatitude pour eux-mêmes, ils espèrent bien le ciel pour les autres, mais ce n’est pas par la vertu d’espérance ; c’est plutôt par l’amour de charité. Ainsi encore celui qui a la charité pour Dieu peut aimer son prochain par cette même charité ; et cependant on peut aimer le prochain sans avoir encore la vertu de charité, par quelque autre amour.

4. Puisque l’espérance est une vertu théologale qui a Dieu pour objet, son objet principal est la gloire de l’âme, gloire qui consiste dans la jouissance de Dieu, et non la gloire du corps. De plus, la gloire du corps, même si elle représente un bien ardu à obtenir pour la nature humaine, n’apparaît pas comme difficile à atteindre pour celui qui possède la gloire de l’âme. D’abord parce que la gloire du corps est peu de chose en comparaison de la gloire de l’âme. Et aussi parce que celui qui a la gloire de l’âme possède déjà la cause suffisante de la gloire du corps.

 

            Article 3 — L’espérance existe-t-elle chez les damnés ?

Objections :

1. Il semble que oui, car le diable est à la fois damné et prince des damnés, comme on le voit en S. Matthieu (25, 41) : " Allez, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. " Or le diable a l’espérance, selon Job (40, 28 Vg) : " Voici que son espérance le trompera. " Il semble donc que les damnés aient l’espérance.

2. L’espérance, comme la foi, peut être formée ou informe. Or la foi informe peut exister chez les démons d’après S. Jacques (2, 19) : " Les démons croient, et ils tremblent. " Il semble donc qu’il puisse aussi y avoir chez les damnés une espérance informe.

3. Chez aucun homme ne grandissent, après la mort, le mérite ou le démérite qu’il n’a pas eus dans sa vie ; l’Ecclésiaste dit en effet (11, 3) : " Que l’arbre tombe au midi ou au nord, il reste là où il est tombé. " Or beaucoup seront damnés qui, dans cette vie, ont eu l’espérance, sans jamais désespérer. Ils auront donc aussi l’espérance dans la vie future.

En sens contraire, l’espérance cause la joie, selon S. Paul (Rm 12, 12) : " Ayez la joie que donne l’espérance. " Or les damnés ne sont pas dans la joie, mais dans la douleur et les larmes, ainsi que le dit Isaïe (65, 14) : " Mes serviteurs chanteront dans la joie de leur cœur, et vous, vous crierez dans l’angoisse de votre cœur, et, dans le déchirement de votre esprit, vous hurlerez. " Donc il n’y a pas d’espérance chez les damnés.

Réponse :

Il est de l’essence de la béatitude que la volonté trouve en elle son repos ; de même il est essentiel à la peine que le châtiment infligé comme peine contrarie la volonté. Or, la volonté ne peut trouver son repos ni subir la contradiction de la part de ce qu’elle ignore. Et C’est Pourquoi S. Augustin dit que les anges n’ont pas pu connaître la parfaite béatitude dans leur premier état, avant leur confirmation dans la grâce, ni la complète misère avant leur chute, parce qu’ils ne prévoyaient pas comment cela arriverait ; il est en effet requis à la vraie et parfaite béatitude qu’on soit certain de la perpétuité de son bonheur, sans quoi la volonté ne pourrait pas demeurer en repos, Pareillement, puisque la perpétuité de la damnation fait partie du châtiment des damnés, la damnation n’aurait pas vraiment raison de peine si elle ne contrariait pas la volonté, ce qui ne pourrait pas être si les damnés ignoraient la perpétuité de leur damnation. Et c’est pourquoi il appartient à leur condition misérable de savoir qu’ils ne pourront d’aucune manière échapper à la damnation et parvenir à la béatitude, selon la parole du livre de Job (15, 22) : " Il ne croit pas qu’il puisse revenir des ténèbres à la lumière. " Aussi est-il évident que les damnés ne peuvent concevoir la béatitude comme un bien possible, pas plus que les bienheureux comme un bien futur. Et c’est pourquoi ni chez les bienheureux ni chez les damnés on ne trouve d’espérance. Mais chez les voyageurs, qu’ils soient en cette vie ou au purgatoire, il peut y avoir espérance, parce qu’ici et là ils conçoivent la béatitude comme un bien futur et possible.

Solutions :

1. S. Grégoire déclare que cette parole est dite des membres du diable, dont l’espérance sera anéantie. Ou bien, si on l’entend du diable lui-même, elle peut se référer à l’espérance qu’il a d’obtenir la victoire sur les âmes saintes, selon une citation précédente de Job (40, 18 Vg) " Il a confiance que le Jourdain lui entrera dans la bouche. " Mais ce n’est pas là l’espérance dont nous parlons.

2. S. Augustin affirme " La foi porte sur des réalités bonnes et mauvaises, passées, présentera et futures, pour soi et pour autrui ; mais l’espérance se limite à des réalités bonnes, futures, et qui vous appartiennent. " Et c’est pourquoi la foi informe convient davantage aux damnés que l’espérance, parce que les biens divins ne sont pas pour eux futurs et possibles, mais absents.

3. Le manque d’espérance chez les damnés ne change pas leur démérite, pas plus que la disparition de l’espérance chez les bienheureux n’augmente leur mérite. c’est le changement d’état qui provoque l’une et l’autre.

 

            Article 4 — L’espérance des hommes voyageurs est-elle certaine ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’espérance a la volonté pour sujet. Or la certitude ne se rattache pas à la volonté mais à l’intelligence. L’espérance ne possède donc pas la certitude.

2. " L’espérance vient de la grâce et des mérites ", nous l’avons dit plus haut. Or, en cette vie, nous ne pouvons pas savoir avec certitude que nous avons la grâce, avons-nous dit. L’espérance des voyageurs n’est donc pas certaine.

3. Il n’y a pas de certitude là où l’on peut faillir. Or beaucoup de voyageurs ayant l’espérance manquent leur but : la possession de la vie éternelle. Donc l’espérance des voyageurs n’est pas certaine.

En sens contraire, " L’espérance est l’attente certaine de la béatitude future ", dit le Maître des Sentences. Définition qu’on peut tirer de la parole de S. Paul (2 Tm 1, 12) : " je sais en qui j’ai mis ma foi, et j’ai la certitude qu’il est capable de garder mon dépôt. "

Réponse :

La certitude se trouve chez quelqu’un de deux manières : d’une manière essentielle, et d’une manière participée. D’une manière essentielle on la trouve dans la faculté de connaissance ; d’une manière participée, en tout ce que la puissance de connaissance meut infailliblement à sa fin ; sous ce dernier mode, on dit que la nature agit avec certitude, en tant qu’elle est mue par l’intelligence divine qui entraîne avec certitude chaque être à sa fin. C’est sous ce mode aussi qu’on dit des vertus morales qu’elles agissent avec plus de certitude que l’art, en tant que la raison les pousse à leurs actes comme ferait une nature. Et c’est encore ainsi que l’espérance tend à sa fin avec certitude, comme participant de la certitude de la foi, laquelle se trouve dans la faculté de connaissance.

Solutions :

1. Cela résout la première objection.

2. L’espérance ne s’appuie pas principalement sur la grâce déjà possédée, mais sur la toute puissance et la miséricorde de Dieu, par quoi même celui qui n’a pas la grâce peut l’acquérir, et parvenir ainsi à la vie éternelle. Or quiconque a la foi est certain de la toute-puissance et de la miséricorde de Dieu.

3. Le fait que certains qui ont l’espérance n’arrivent pas à la possession de la béatitude vient de la défaillance du libre arbitre qui produit l’obstacle du péché, et non d’une défaillance de la toute-puissance de Dieu ou de sa miséricorde, sur quoi s’appuie l’espérance. Cette constatation n’apporte donc aucun préjudice à la certitude de l’espérance.

 

 

QUESTION 19 — LE DON DE CRAINTE

1. Dieu doit-il être craint ? - 2. La division de la crainte en crainte filiale, crainte initiale, crainte servile et crainte mondaine. - 3. La crainte mondaine est-elle toujours mauvaise ? - 4. La crainte servile est-elle bonne ? - 5. La crainte servile est-elle substantiellement identique à la crainte filiale ? - 6. La venue de la charité exclut-elle la crainte servile ? - 7. La crainte est-elle le commencement de la sagesse ? - 8. La crainte initiale est-elle substantiellement identique à la crainte filiale ? - 9. La crainte est-elle un don du Saint-Esprit ? - 1 0. La crainte grandit-elle quand la charité grandit ? - 11. La crainte demeure-t-elle dans la patrie ? - 12. Parmi les béatitudes et les fruits, quels sont ceux qui correspondent au don de crainte ?

 

            Article 1 — Dieu doit-il être craint ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse pas craindre Dieu, car l’objet de la crainte est un mal futur, nous l’avons établi en son temps, mais Dieu est exempt de tout mal, puisqu’il est la bonté même. Il ne peut donc être craint.

2. La crainte s’oppose à l’espérance. Or nous mettons notre espérance en Dieu. Donc nous ne pouvons pas le craindre en même temps.

3. D’après Aristote : " nous craignons ce qui est pour nous source de maux ". Or les maux ne nous viennent pas de Dieu, mais de nous-mêmes, selon cette parole d’Osée (13, 9 Vg) : " Ta perdition vient de toi, Israël ; c’est de moi que te vient le secours. " Donc Dieu ne doit pas être craint.

En sens contraire, il est dit dans Jérémie (10, 7) : " Qui ne te craindra, Roi des nations ? " Et dans Malachie (1, 6) : " Si je suis Seigneur, où est la crainte qui m’est due ? "

Réponse :

L’espérance a un double objet : l’un, le bien futur dont nous attendons l’obtention ; l’autre, le secours de la personne qui doit, d’après notre attente, nous procurer ce que nous espérons. De même, la crainte peut avoir un double objet ; l’un est le mal que l’homme fuit ; l’autre est la réalité d’où peut venir ce mal. Sous le premier aspect, Dieu, qui est la bonté même, ne peut pas être objet de crainte. Mais sous le second aspect, il peut être objet de crainte, du fait que quelque mal venant de lui, ou en relation avec lui, peut nous menacer,

Venant de Dieu, le mal qui nous menace et le mal de peine. Celui-ci, absolument parlant, n’est pas un mal ; il l’est par rapport à nous ; en lui-même il est absolument un bien. En effet, puisque le bien se définit par son ordre à une fin, le mal se définit par la privation de cet ordre ; ce qui détruit l’orientation vers la fin ultime est donc un mal en soi : c’est le mal de faute. Quant au mal de peine, c’est un mal en ce qu’il prive d’un bien particulier ; mais c’est un bien en lui-même, en tant qu’il relève de l’ordre de la fin ultime. Par rapport à Dieu, c’est le mal de faute qui peut nous advenir, si nous nous séparons de lui ; et, sous cet aspect, Dieu peut et doit être craint.

Solutions :

1. La première objection est valable en ce sens que l’objet de la crainte est le mal que l’homme fuit.

2. Il faut considérer en Dieu, et la justice, selon laquelle il châtie les pécheurs, et la miséricorde par laquelle il nous délivre. Quand nous regardons sa justice, nous sentons surgir en nous la crainte ; mais la considération de sa miséricorde fait surgir en nous l’espérance. Et ainsi, pour des raisons diverses, Dieu est objet d’espérance et de crainte.

3. Le mal de faute n’a pas Dieu pour auteur, mais nous-mêmes, en tant que nous nous éloignons de lui. En revanche, le mal de peine a Dieu pour auteur, en tant que ce mal a raison de bien, parce que ce mal est juste ; c’est justice qu’une peine nous soit infligée. Cependant, à l’origine, la peine arrive comme sanction de notre péché. C’est en ce sens qu’il est dit dans la Sagesse (1, 13.16) : " Dieu n’a pas fait la mort, mais les impies l’appellent du geste et de la voix. "

 

            Article 2 — La division de la crainte en crainte filiale, crainte initiale, crainte servile et crainte mondaine

Objections :

1. Il semble que cette division de la crainte soit inadéquate, car le Damascène c cite six espèces de crainte : l’indolence, la confusion, etc. dont nous avons parlé jadis . et qu’on ne retrouve pas dans cette division. Il semble donc que cette division soit mauvaise.

2. Chacune de ces craintes est ou bonne ou mauvaise. Or il y a une crainte, la crainte naturelle, qui n’est pas bonne moralement, puisqu’elle existe chez les démons, selon S. Jacques (2, 19) : " Les démons croient, et ils tremblent. " Mais elle n’est pas non plus mauvaise, puisque le Christ l’a subie ; S. Marc écrit (14, 33). " Jésus commença de subir crainte et abattement. " La division proposée est donc insuffisante.

3. Les rapports de fils à père, d’époux à épouse, de serviteur à maître, sont différents. Or la crainte filiale, qui est celle du fils envers son père, se distingue de la crainte servile qui est celle du serviteur envers son maître. Il nous faut donc aussi distinguer de toutes ces craintes la crainte chaste, qui semble être celle de l’épouse envers son mari.

4. De même que la crainte servile, la crainte initiale et la crainte du monde portent sur la peine. Il n’y avait donc pas de raison pour les distinguer l’une de l’autre.

5. Comme la convoitise a pour objet un bien, la crainte a pour objet un mal. Mais autre est la convoitise des yeux, qui convoite les biens du monde, autre la convoitise de la chair, qui pousse à rechercher son propre plaisir. De même aussi, autre est la crainte mondaine, qui nous fait appréhender la perte des biens extérieurs, autre la crainte humaine par laquelle nous redoutons une diminution de notre propre personne.

En sens contraire, l’autorité du Maître des Sentences garantit cette division.

Réponse :

Nous traitons en ce moment de la crainte selon que, de quelque façon, elle nous tourne vers Dieu, ou nous détourne de lui. En effet, puisque l’objet de la crainte est un mal, parfois l’homme s’éloigne de Dieu à cause des maux qu’il craint, et c’est la crainte humaine ou la crainte mondaine.

Parfois au contraire l’homme, en raison du mal qu’il redoute, se tourne vers Dieu et s’attache à lui. Ce dernier mal est double : mal de peine, et mal de faute. Si l’on se tourne vers Dieu et que l’on s’attache à lui par crainte de la peine, il y aura crainte servile. Si c’est par crainte de la faute, il y aura crainte filiale, car ce sont les fils qui craignent d’offenser leur père. Si l’on craint en même temps la faute et la peine, c’est la crainte initiale, qui tient le milieu entre la crainte filiale et la crainte servile. Que le mal de faute puisse être craint, nous l’avons dit précédemment, en étudiant la passion de crainte.

Solutions :

1. Le Damascène divise la crainte selon qu’elle est une passion de l’âme. La division présente est prise de l’ordre à Dieu, on vient de le dire.

2. Le bien moral consiste principalement dans une conversion vers Dieu, et le mal moral dans une aversion de Dieu. C’est pourquoi toutes les craintes en question comportent ou un bien moral, ou un mal moral. Mais la crainte naturelle est présupposée au bien ou au mal moral ; aussi ne l’a-t-on pas comptée dans l’énumération des craintes.

3. Les rapports de serviteur à maître se fondent sur la puissance du maître s’assujettissant son serviteur ; les rapports de fils à père, ou d’époux à épouse, reposent au contraire sur l’affection du fils se soumettant à son père, ou de la femme s’unissant à son mari par une union d’amour. Aussi la crainte filiale et la crainte chaste concernent-elles une même réalité ; car, par l’amour de charité, Dieu se fait notre Père, d’après S. Paul (Rm 8, 15) : " Vous avez reçu un esprit de fils adoptifs, dans lequel nous crions : Abba, Père " ; et, selon la même charité, Dieu se dit notre époux, toujours d’après S. Paul (2 Co 11, 2) : " je vous ai fiancés à un époux unique, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure. " La crainte servile relève d’un autre principe, carrelle n’inclut pas la charité dans sa définition.

4. La crainte servile, la crainte initiale et la crainte mondaine ont toutes trois la peine pour objet, mais envisagée sous divers aspects. La crainte mondaine ou humaine se réfère à la peine qui détourne de Dieu, celle que parfois les ennemis de Dieu nous infligent ou dont ils nous menacent. Mais la crainte servile et la crainte initiale visent la peine qui fait que les hommes sont attirés vers Dieu, celle qui est infligée, ou dont nous sommes menacés, par Dieu. Cette peine, la crainte servile l’a pour objet principal, la crainte initiale pour objet secondaire.

5. C’est pour un même motif que l’homme se détourne de Dieu par crainte de perdre les biens du monde, et par crainte de perdre l’intégrité de son corps, car les biens extérieurs sont destinés au corps. C’est pourquoi ces deux craintes sont comptées ici pour une seule, quoique les maux redoutés soient divers, comme le sont aussi les biens, objets de la convoitise. Cette diversité provoque une diversité spécifique des péchés, alors qu’il leur est cependant commun de détourner de Dieu.

 

            Article 3 — La crainte mondaine est-elle toujours mauvaise ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, il semble que la crainte des hommes se rattache à notre révérence envers eux. Or on blâme certains de ne pas révérer autrui ; témoin, dans S. Luc (18, 2), le blâme porté sur ce mauvais juge " qui ne craignait pas Dieu et n’avait de considération pour aucun homme ". Il semble donc que la crainte du monde ne soit pas toujours un mal.

2. A la crainte du monde paraissent se rattacher les peines infligées par les pouvoirs séculiers. Or ce sont de telles peines qui nous provoquent à bien agir ; S. Paul le dit (Rm 13, 3) : " Veux-tu ne pas avoir à craindre l’autorité ? Fais le bien, et tu obtiendras son approbation. " La crainte du monde n’est donc pas toujours mauvaise.

3. Ce qui existe en nous par nature ne semble pas mauvais, car les éléments de notre nature vous viennent de Dieu. Mais c’est par nature que l’homme craint d’être lésé dans son corls et de perdre les biens temporels qui soutiennent la vie présente. Il semble donc que la crainte du monde ne soit pas toujours mauvaise.

En sens contraire, le Seigneur dit (Mt 10, 28) : " Ne craignez pas ceux qui tuent le corps " ; et par là il interdit la crainte du monde. Or rien n’est interdit par Dieu, sinon le mal. Donc la crainte mondaine est mauvaise.

Réponse :

Les actes moraux et les habitus reçoivent de leurs objets leur nom et leur espèce, nous l’avons montré. Or l’objet propre d’un mouvement d’appétit est le bien qui a valeur de fin. C’est pourquoi tout mouvement appétitif est spécifié et nommé à partir de sa fin propre. En effet, appeler cupidité l’amour du travail, du fait que les hommes travaillent par cupidité, ne serait pas une appellation exacte, car les hommes cupides ne recherchent pas le travail comme une fin mais comme un moyen, tandis qu’ils se portent comme à une fin vers la possession des richesses ; aussi appelle-t-on à bon droit cupidité le désir ou l’amour des richesses, ce qui est un mal. Pareillement, on nomme à proprement parler amour du monde, l’amour par lequel on s’attache au monde comme à une fin. Et ainsi l’amour du monde est toujours mauvais. Mais la crainte naît de l’amour, car on craint de perdre ce qu’on aime, comme le montre S. Augustin ; aussi la crainte mondaine est-elle celle qui procède de l’amour du monde comme d’une racine mauvaise. Et, par suite, la crainte du monde elle-même est toujours mauvaise.

Solutions :

1. On peut révérer les hommes à un double titre. D’une part, pour ce qu’ils ont en eux de divin, par exemple le bien de la grâce ou de la vertu, ou au moins l’image naturelle de Dieu ; et c’est à ce titre que l’on blâme ceux qui n’ont pas de respect pour les hommes. D’autre part, on peut révérer les hommes pour leur opposition à Dieu ; alors on doit louer ceux qui n’ont pas ce respect des hommes, selon la parole de l’Ecclésiastique (48, 12) au sujet d’Élie ou d’Élisée " Pendant sa vie il ne redouta aucun chef "

2. Les pouvoirs séculiers, en portant des peines pour détourner du péché, sont en cela ministres de Dieu ; S. Paul le dit (Rm 13, 4) : " L’autorité est ministre de Dieu, préposée au châtiment de celui qui fait le mal. " Et ainsi craindre le pouvoir séculier ne relève pas de la crainte du monde, mais de la crainte servile ou initiale.

3. Il est naturel à l’homme de fuir ce qui est préjudiciable à ce corps, ou même dommageable à ses biens temporels. Mais il est contraire à la raison naturelles d’abandonner la justice pour de tels biens. Aussi Aristote déclare-t-il qu’il y a certaines choses (les actes des péchés), auxquelles nulle crainte ne doit nous obliger, parce qu’il est pire de commettre des péchés de cette sorte que de souffrir n’importe quelles peines.

 

            Article 4 — La crainte servile est-elle bonne ?

Objections :

1. Il semble que non. Car ce dont l’exercice est mauvais est soi-même un mal. Or l’activité qui vient de la crainte servile est un mal, car, selon le commentaire de la Glose sur l’épître aux Romains (8, 15) : " Qui agit par crainte, même s’il fait quelque chose de bon, il ne le fait pas bien. " La crainte servile n’est donc pas bonne.

2. Ce qui naît de la racine du péché n’est pas bon. Or la crainte servile sort de la racine du péché. Dans son commentaire sur Job (3, 11) : " Que ne suis-je mort dans le ventre de ma mère ? " S. Grégoire écrit : " Lorsque l’on redoute la peine venue du péché, sans aimer la face de Dieu qu’on a perdue, la crainte vient de l’orgueil et non de l’humilité. " La crainte servile est donc un mal.

3. A l’amour de charité s’oppose l’amour mercenaire ; de même à la crainte chaste semble s’opposer la crainte servile. Or l’amour mercenaire est toujours mauvais ; donc la crainte servile l’est aussi.

En sens contraire, rien de mauvais ne vient du Saint-Esprit. Or la crainte servile vient du Saint-Esprit car, à propos de la parole de S. Paul (Rm 8, 15) : " Vous n’avez pas reçu un esprit de servitude, etc. ", la Glose commente : " C’est un seul esprit qui produit les deux craintes, la crainte servile et la crainte chaste. " La crainte servile n’est donc pas mauvaise.

Réponse :

C’est à son côté de servilité que la crainte servile doit d’être mauvaise. Car la servitude s’oppose à la liberté. Et puisque " celui-là est libre, qui est maître de soi ", selon Aristote, celui-là est esclave qui n’agit pas de son propre chef, mais comme mû du dehors. Or agir par amour est pour tout homme agir comme par soi-même, car c’est sa propre inclination qui le porte à l’action. Et c’est pourquoi il va contre la raison de servilité qu’on agisse par amour. Ainsi donc la crainte servile, en tant que servile, est contraire à la charité. Donc, si la servilité était de l’essence de la crainte servile, la crainte servile devrait être radicalement mauvaise ; ainsi l’adultère est absolument mauvais parce que son opposition à la charité appartient à la définition de son espèce.

Mais cette servilité n’est pas spécifique de la crainte servile, pas plus que l’absence d’information par la charité n’est spécifique de la foi informe. En effet, l’espèce d’un habitus moral se prend de son objet ; de même pour un acte moral. Or l’objet de la crainte servile est la peine ; à cette peine, il est accidentel que le bien auquel elle est contraire soit aimé comme fin ultime, et donc que la peine soit redoutée comme mal principal, ainsi qu’il arrive pour celui qui n’a pas la charité, ou que ce bien soit ordonné à Dieu comme à une fin, et donc que la peine ne soit pas redoutée comme le mal principal, ainsi qu’il en est chez celui qui vit dans la charité. En effet, un habitus ne change pas d’espèce parce que l’on ordonne son objet ou sa fin à une fin ultérieure. Et c’est pourquoi la crainte servile est bonne en sa substance, mais sa servilité est mauvaise.

Solutions :

1. La citation de S. Augustin est à entendre de celui qui agit par crainte servile, en tant que servile, sans aimer la justice, mais uniquement par crainte de la peine.

2. La crainte servile, en son essence, ne tire pas son origine de l’orgueil. Mais c’est sa servilité qui naît de l’orgueil, l’homme ne voulant pas soumettre son cœur au joug de la justice, par amour.

3. On appelle amour mercenaire celui qui aime Dieu à cause des biens temporels. Cela est, de soi, contraire à la charité ; aussi l’amour mercenaire est-il toujours mauvais. Mais la crainte servile, dans sa substance, implique seulement la crainte de la peine, qu’on la redoute ou non comme le mal principal.

 

            Article 5 — La crainte servile est-elle substantiellement identique à la crainte filiale ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car la crainte filiale a le même rapport avec la crainte servile que la foi formée avec la foi informe ; la seconde peut cœxister avec le péché mortel, non la première. Mais la foi informée est en substance identique à la foi informe. Donc la crainte servile est aussi identique en substance à la crainte filiale.

2. Les habitus se diversifient selon leurs objets. Or la crainte servile et la crainte filiale ont le même objet, car toutes deux craignent Dieu. Donc crainte servile et crainte filiale sont substantiellement une même crainte.

3. L’homme espère posséder Dieu et aussi obtenir de lui des bienfaits ; de même, il craint d’être séparé de Dieu et de souffrir ses châtiments. Or c’est une même espérance qui nous fait attendre la jouissance de Dieu et qui nous permet d’espérer recevoir de lui des bienfaits, nous l’avons dit 1. Donc la crainte filiale par laquelle nous craignons d’être séparés de Dieu est identique à la crainte servile qui nous fait redouter d’être punis par lui.

En sens contraire, S. Augustin dit qu’il y a deux craintes : la crainte servile, et la crainte filiale ou crainte chaste.

Réponse :

L’objet de la crainte est un mal. Et parce que les actes et les habitus se distinguent d’après leurs objets, comme nous l’avons montré, nécessairement la diversité des maux entraîne la diversité spécifique des craintes. Or c’est spécifiquement que diffèrent le mal de peine, que fuit la crainte servile, et le mal de faute que fuit crainte filiale, nous l’avons montré. Manifestement la crainte servile et la crainte filiale ne sont pas une même crainte en substance, mais sont spécifiquement distinctes.

Solutions :

1. La foi formée et la foi informe diffèrent pas par leurs objets : l’une et l’autre croient Dieu et croient à Dieu ; elles diffèrent seulement par une particularité extrinsèque, la présence ou l’absence de la charité : c’est pourquoi elles ne sont pas substantiellement différentes. Mais la crainte servile et la crainte filiale diffèrent par leurs objets. Donc la comparaison ne vaut pas.

2. La crainte servile et la crainte filiale n’ont pas le même rapport avec Dieu, la crainte servile le voit comme le principe qui inflige des peines ; et la crainte filiale le regarde, non comme le principe actif de la faute, mais plutôt comme le terme dont on redoute de se séparer par la faute. Et c’est pourquoi, de cet unique objet qu’est Dieu, ne découle pas une identité spécifique. Même les mouvements naturels se diversifient spécifiquement d’après leurs relations diverses à un même terme : ce n’est pas un mouvement identique, de venir du blanc et d’aller vers le blanc.

3. L’espérance voit en Dieu le principe tant de la jouissance divine, que de tout autre bienfait. Mais il n’en est pas ainsi de la crainte. C’est pourquoi la comparaison n’est pas valable.

 

            Article 6 — La venue de la charité exclut-elle la crainte servile ?

Objections :

1. Il semble que la crainte servile ne demeure pas avec la charité. En effet, S. Augustin déclare : " Dès que la charité habite dans l’âme, elle chasse la crainte, qui lui a préparé la place. "

2. " L’amour de Dieu s’est répandu dans nos cœurs grâce à l’Esprit Saint qui nous a été donné ", est-il dit dans l’épître aux Romains (5, 5). Mais " là où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté ", dit ailleurs S. Paul (1 Co 3, 17). Puisque la liberté exclut la servitude, il semble bien que la crainte servile soit chassée quand survient la charité.

3. La crainte servile a pour cause l’amour de soi en tant que la peine diminue notre bien propre. Or l’amour de Dieu chasse l’amour de soi, car il produit le mépris de soi-même, selon S. Augustin : " L’amour de Dieu poussé jusqu’au mépris de soi fonde la cité de Dieu. " Il semble donc bien qu’à l’arrivée de la charité la crainte servile soit enlevée.

En sens contraire, la crainte servile est un don du Saint-Esprit, nous l’avons dit récemment. Or les dons du Saint-Esprit ne sont pas supprimés quand survient la charité par laquelle le Saint-Esprit habite en nous. Il semble donc qu’à la venue de la charité la crainte servile n’est pas enlevée.

Réponse :

La crainte servile a pour cause l’amour de soi parce qu’elle est une crainte de la peine qui porterait atteinte à notre bien propre. Ainsi entendue, la crainte de la peine peut cœxister avec la charité, tout comme l’amour de soi ; c’est en effet sous une même raison que l’homme désire son bien et qu’il craint d’en être privé.

Or l’amour de soi peut se référer à la charité de trois manières : 1° Il est contraire à la charité lorsque l’on met sa fin dans l’amour de son bien propre. 2° Il est inclus dans la charité lorsque l’homme s’aime lui-même pour Dieu et en Dieu. 3° Il se distingue de la charité sans s’y opposer lorsque l’on s’aime soi-même, en vérité, pour son bien propre, mais sans mettre sa fin dans ce bien propre. De même on peut aussi aimer son prochain d’un amour spécial, distinct de l’amour de charité fondé en Dieu : amour de consanguinité ou de quelque communauté de vie, mais un tel amour peut se référer à la charité.

Pareillement, la crainte de la peine peut se référer d’une triple façon à la charité. 1° Elle est incluse dans la charité, car être séparé de Dieu est une peine, celle que la charité redoute le plus. Aussi cela appartient-il à la crainte chaste. 2° Elle est contraire à la charité lorsque l’on fuit la peine opposée à son bien naturel, laquelle est considérée comme le mal principal qui contrarie ce bien, aimé comme fin dernière. Ainsi entendue, la crainte de la peine ne peut pas cœxister avec la charité. 3° Enfin la crainte de la peine se distingue substantiellement de la crainte chaste lorsque nous craignons le mal de peine, non point parce qu’il nous sépare de Dieu, mais à cause du tort qu’il fait à notre bien propre, sans cependant que nous voulions constituer dans ce bien notre fin, et, par suite, sans que ce mal soit redouté comme le mal principal. Et une telle crainte peut cœxister avec la charité. Mais cette crainte n’est appelée servile que si la peine est redoutée comme le mal principal, nous l’avons montré. C’est pourquoi la crainte, en tant que servile, ne demeure pas avec la charité ; mais la substance de la crainte servile peut demeurer avec la charité, tout comme l’amour de sois.

Solutions :

1. S. Augustin parle ici de la crainte en tant qu’elle est servile.

2. 3. Et c’est le même argument que développent les deux autres Objections.

 

            Article 7 — La crainte est-elle le commencement de la sagesse ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, le commencement d’une chose fait partie de cette chose. Or la crainte ne fait pas partie de la sagesse, car la crainte se trouve dans la puissance appétitive, et la sagesse dans la faculté de connaissance. Il semble donc que la crainte ne soit pas le commencement de la sagesse.

2. Aucune réalité n’est principe d’elle-même. Or " la crainte de Dieu, voilà la sagesse ", lit-on dans Job (28, 28). Il semble donc que la crainte de Dieu ne soit pas le commencement de la sagesse.

3. Rien ne précède le commencement. Or il y a quelque chose d’antérieur à la crainte, car la foi la précède. Il semble donc que la crainte de Dieu ne soit pas le commencement de la sagesse.

En sens contraire, le Psaume (111, 10) nous dit : " Le commencement de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur. "

Réponse :

Par " commencement de la sagesse ", on peut vouloir dire deux choses, selon qu’on envisage la sagesse dans son essence, ou dans son effet. Ainsi, le commencement d’un art, envisagé dans son essence, ce sont les principes dont procède cet art ; et le commencement d’un art, considéré dans son effet, c’est le point de départ de la réalisation du travail artistique ; ainsi dirions-nous que le commencement de l’art du bâtiment, ce sont les fondations, car c’est par elles que le maçon commence son œuvre.

Puisque la sagesse est la connaissance des réalités divines, comme nous le dirons, autre la façon dont nous-mêmes la concevons, autre la façon dont les philosophes la conçoivent. En effet, puisque notre vie est ordonnée à la jouissance de Dieu, et qu’elle est dirigée par la grâce, qui est une participation à la nature divine, aussi la sagesse, pour nous théologiens, n’est pas considérée seulement comme nous faisant connaître Dieu, ainsi que chez les philosophes, mais aussi comme dirigeant notre vie d’homme ; car la vie humaine reçoit sa direction non seulement des raisons humaines, mais aussi des raisons divines, comme le montre S. Augustin.

Ainsi donc, le commencement de la sagesse, vue dans son essence, ce sont les premiers principes de la sagesse, les articles de la foi. En ce sens, on dit que la foi est le commencement de la sagesse. Mais par rapport aux effets, le commencement de la sagesse est le premier sentiment qu’elle fait naître en nous. C’est ainsi que la crainte est le commencement de la sagesse, de façon différente cependant dans la crainte servile et dans la crainte filiale. La crainte servile est commencement en ce sens qu’elle dispose de l’extérieur à la sagesse chrétienne : craignant la peine, le pécheur s’éloigne du péché, et ainsi se dispose à recevoir l’effet de la sagesse, selon l’Ecclésiastique (1, 17 Vg) : " La crainte du Seigneur bannit le péché. " Mais la crainte chaste ou filiale est le commencement de la sagesse en ce sens qu’elle est son premier effet. Puisqu’il appartient à la sagesse de régler la vie humaine selon les raisons divines, c’est de ce principe qu’il faut partir : que l’homme doit révérer Dieu et se soumettre à lui ; c’est ainsi que, par voie de conséquence, il sera réglé en toutes choses selon Dieu.

Solutions :

1. Cet argument montre que la crainte n’est pas le commencement de la sagesse considérée dans son essence.

2. La crainte de Dieu joue, par rapport à toute la vie humaine réglée par la sagesse de Dieu, le rôle de la racine vis-à-vis de l’arbre ; aussi lit-on dans l’Ecclésiastique (1, 25 Vg) : " La racine de la sagesse est la crainte du Seigneur et ses rameaux sont une longue vie. " Et c’est pourquoi, de même qu’on dit de la racine qu’elle est virtuellement tout l’arbre, de même dit-on de la crainte de Dieu qu’elle est la sagesse.

3. Comme nous venons de le dire, la foi est principe de la sagesse en un certain sens, et la crainte, en un autre sens. Ce qui fait dire à l’Ecclésiastique (25, 16 Vg) : " La crainte de Dieu est le commencement de son amour, et la foi est le commencement de l’attachement à Dieu. "

 

            Article 8 — La crainte initiale est-elle substantiellement identique à la crainte filiale ?

Objections :

1. La crainte initiale semble différer en substance de la crainte filiale, car la crainte filiale naît de l’amour. Mais la crainte initiale est au principe de l’amour, selon cette parole de l’Ecclésiastique (25, 16 Vg) : " La crainte du Seigneur est le commencement de l’amour. " La crainte initiale est donc différente de la crainte filiale.

2. La crainte initiale craint la peine, objet de la crainte servile ; ainsi apparaît-il que la crainte initiale est identique à la crainte servile. Or la crainte servile est différente de la crainte filiale. Donc aussi la crainte initiale diffère en substance de la crainte filiale.

3. Le milieu diffère, au même titre, de ses deux extrêmes. Or la crainte initiale tient le milieu entre la crainte servile et la crainte filiale. Elle diffère donc et de l’une et de l’autre.

En sens contraire, perfection et imperfection ne diversifient pas la substance d’une chose. Or la crainte initiale et la crainte filiale diffèrent selon la perfection ou l’imperfection de la charité, comme le montre S. Augustin. La crainte initiale ne diffère donc pas en substance de la crainte filiale.

Réponse :

La crainte initiale tire son nom de ce qu’elle est un commencement. Or, comme la crainte filiale et la crainte servile sont d’une certaine manière le commencement de la sagesse, l’une et l’autre peuvent, d’une certaine manière, être appelées crainte initiale. Mais ce n’est pas dans cette acception qu’est pris le mot " initiale " quand on distingue cette crainte de la crainte servile et de la crainte filiale. On l’entend comme celle qui convient à l’état des débutants : en eux prend naissance une certaine crainte filiale grâce à un commencement de charité, mais ils ne possèdent cependant pas parfaitement cette crainte filiale, parce qu’ils ne sont pas encore parvenus à la perfection de la charité. Et c’est pourquoi la crainte initiale est à la crainte filiale ce que la charité imparfaite est à la charité parfaite. Or charité parfaite et charité imparfaite ne diffèrent pas selon leur essence, mais seulement selon leur état. Et c’est pourquoi il faut dire que même la crainte initiale, au sens où nous l’entendons ici, ne diffère pas, selon son essence, de la crainte filiale.

Solutions :

1. La crainte qui est le commencement de l’amour est la crainte servile, " qui introduit la charité comme l’aiguille introduit le fil ", selon l’expression de S. Augustin. Ou bien, si l’on rapporte le texte de l’Écriture à la crainte initiale, la crainte est dite commencement de l’amour, non pas absolument, mais par rapport à l’état de charité parfaite.

2. La crainte initiale ne redoute pas la peine comme son objet propre, mais en tant qu’il lui reste quelque chose de la crainte servile. Celle-ci demeure en substance lorsque la charité intervient, bien que la servilité soit alors écartée. L’acte de cette crainte demeure en même temps que la charité imparfaite, chez celui qui est poussé à bien faire non seulement par amour de la justice 10, mais aussi par crainte de la peine ; pourtant cet acte cesse chez celui qui possède la charité parfaite, car celle-ci " bannit la crainte qui implique un châtiment " (1 Jn 4, 18).

3. La crainte initiale tient le milieu entre la crainte filiale et la crainte servile, non pas comme entre des réalités d’un même genre mais comme l’être imparfait entre l’être parfait et le non-être, selon Aristote. Cet être imparfait est substantiellement identique à l’être parfait, et diffère totalement du non-être.

 

            Article 9 — La crainte est-elle un don du Saint-Esprit ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, aucun don du Saint-Esprit n’est opposé à une vertu, qui vient, elle aussi, de l’Esprit Saint : autrement le Saint-Esprit serait en contradiction avec lui-même. Or la crainte s’oppose à l’espérance, qui est une vertu. La crainte n’est donc pas un don du Saint-Esprit.

2. C’est le propre de la vertu théologale d’avoir Dieu pour objet. Or la crainte a Dieu pour objet, puisque c’est Dieu qu’on redoute. La crainte n’est donc pas un don, mais une vertu théologale.

3. La crainte fait suite à l’amour. Or on fait de l’amour une vertu théologale. Donc aussi la crainte est vertu théologale, comme se rapportant pour ainsi dire au même objet.

4. S. Grégoire déclare que la crainte nous est donnée pour combattre l’orgueil. Mais à l’orgueil s’oppose la vertu d’humilité. Donc la crainte aussi est comprise sous cette vertu.

5. Les dons sont plus parfaits que les vertus, car ils sont accordés pour aider les vertus d’après S. Grégoire. Mais l’espérance est plus parfaite que la crainte, car l’espérance a pour objet un bien et la crainte un mal. Puisque l’espérance est une vertu, on ne doit pas dire que la crainte est un don.

En sens contraire, Isaïe (11, 3) énumère la crainte parmi les sept dons du Saint-Esprit.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, il y a plusieurs sortes de craintes. La crainte des hommes, dit S. Augustin, n’est pas un don de Dieu, celle qui poussa S. Pierre à renier le Christ, mais bien celle dont il a été dit (Mt 10, 28) : " Craignez celui qui peut envoyer l’âme et le corps dans la géhenne. " La crainte servile ne doit pas non plus être énumérée parmi les sept dons du Saint-Esprit, bien qu’elle vienne de lui, car, selon S. Augustin, on peut la posséder avec la volonté de pécher. Mais aucun des dons du Saint-Esprit n’est compatible avec le vouloir du péché, car ils n’existent pas, nous l’avons dit, sans la charité.

Il reste que la crainte de Dieu, comptée parmi les sept dons du Saint-Esprit, c’est la crainte filiale ou chaste. Ces dons du Saint-Esprit sont des perfections habituelles des puissances de l’âme, qui rendent celles-ci capables de recevoir la motion de l’Esprit Saint, de même que, par les vertus morales, les puissances de l’âme deviennent capables de bien répondre à la motion de la raison. Or, pour qu’un être soit dans un bon état de mobilité par rapport à un moteur, la première condition est qu’il lui soit soumis, et sans résistance, car c’est cette résistance du mobile au moteur qui empêche le mouvement. Cette soumission sans résistance, c’est la crainte filiale ou chaste qui la produit, en nous faisant révérer Dieu, et en nous faisant redouter de le quitter. C’est pourquoi la crainte filiale tient, parmi les dons du Saint-Esprit, le premier degré dans l’ordre ascendant, et le dernier dans l’ordre descendant selon S. Augustin.

Solutions :

1. La crainte filiale ne s’oppose pas à la vertu d’espérance. Par la crainte filiale en effet, nous ne craignons pas de manquer ce que nous espérons obtenir grâce au secours divin, mais nous craignons de nous soustraire nous-mêmes à ce secours. Et c’est pourquoi la crainte filiale et l’espérance forment un tout et se perfectionnent mutuellement.

2. L’objet propre et principal de la crainte est un mal qu’on fuit. Dieu, sous cet aspect, ne peut pas être l’objet de la crainte, nous l’avons dit, tandis qu’il est l’objet propre et principal de l’espérance et des autres vertus théologales. Car, par la vertu d’espérance, nous nous appuyons sur le secours divin, non seulement pour obtenir tous les autres biens, quels qu’ils soient, mais principalement pour posséder Dieu lui-même, comme le bien premier. Et cela est clair pour les autres vertus théologales.

3. Du fait que l’amour est le principe de la crainte, il ne s’ensuit pas que la crainte de Dieu ne soit pas un habitus distinct de la charité qui est l’amour de Dieu, car l’amour est le principe de tous les sentiments, et cependant c’est dans des habitus différents que nous nous perfectionnons dans nos diverses affections. C’est pourquoi l’amour possède la raison de vertu plus que la crainte, car l’amour se rapporte au bien, et c’est au bien que la vertu est principalement ordonnée selon sa raison propre, nous l’avons montré. Pour le même motif, l’espérance est comptée comme vertu. Tandis que la crainte considère principalement le mal, dont elle implique la fuite. Aussi constitue-t-elle quelque chose de moindre qu’une vertu théologale.

4. " L’orgueil commence quand l’homme se sépare de Dieu ", dit l’Ecclésiastique (10, 14), c’est-à-dire quand l’homme ne veut pas se soumettre à Dieu, ce qui s’oppose à la crainte filiale, qui fait révérer Dieu. Ainsi la crainte détruit le principe de l’orgueil et c’est pour cela qu’elle est donnée contre l’orgueil. Il ne s’ensuit pas cependant qu’elle s’identifie avec la vertu d’humilité, mais qu’elle est son principe. Les dons du Saint-Esprit, en effet, sont principes des vertus intellectuelles et morales, nous l’avons dit. Mais les vertus théologales sont principes de dons, nous l’avons dit aussi.

5. Cela donne la réponse à la cinquième objection.

 

            Article 10 — La crainte grandit-elle quand la charité grandit ?

Objections :

1. Il semble que, la charité grandissant, la crainte diminue. En effet S. Augustin déclare : " Dans la mesure où la charité grandit, la crainte diminue. "

2. Quand l’espérance grandit, la crainte diminue. Or l’espérance grandit avec la charité, Donc, quand la charité grandit, la crainte diminue.

3. L’amour implique l’union ; la crainte, la séparation. Mais, quand l’union se resserre, la séparation diminue. Donc, l’amour augmentant, la crainte diminue.

En sens contraire, S. Augustin nous dit : " La crainte de Dieu non seulement commence, mais aussi perfectionne la sagesse, celle qui aime Dieu souverainement et le prochain comme soi-même. "

Réponse :

Il y a deux craintes de Dieu, nous l’avons dit : la crainte filiale, qui fait craindre d’offenser le père ou d’être séparé de lui ; la crainte servile qui nous fait redouter la peine. Pour la crainte filiale, il est nécessaire qu’elle grandisse quand la charité grandit, comme un effet se développe en même temps que sa cause ; en effet, plus on aime quelqu’un, plus on craint de l’offenser et d’être séparé de lui. Quant à la crainte servile, sa servilité est totalement supprimée par l’apparition de la charité, tandis que la crainte de la peine demeure en substance nous l’avons dit n. Cette crainte elle-même diminue, surtout dans son acte, quand la charité grandit, car on craint d’autant moins la peine qu’on aime Dieu davantage. D’abord parce qu’on prête moins d’attention à son propre bien, que la peine contrarie, ensuite parce que celui qui adhère plus fortement à Dieu espère la récompense avec plus de confiance, et, par suite, redoute moins la peine.

Solutions :

1. Dans le texte cité, S. Augustin parle de la crainte de la peine.

2. C’est la crainte de la peine qui diminue lorsque grandit l’espérance. Mais lorsque cette vertu s’accroît, alors la crainte filiale grandit, car plus on attend avec certitude l’acquisition de quelque bien par le secours d’un autre, plus on redoute de l’offenser et d’être séparé de lui.

3. La crainte filiale n’implique pas la séparation, mais bien plutôt la soumission : elle redoute ce qui la séparerait de cette sujétion à Dieu. Elle implique d’une certaine façon cependant une séparation, en ce que l’homme n’a pas la présomption de s’égaler à Dieu, mais il se soumet à lui. Cette séparation se trouve aussi dans la charité, du fait que l’on aime Dieu plus que soi-même et par-dessus toutes choses. Il faut donc conclure que l’amour de charité, lorsqu’il grandit, ne diminue pas la révérence de la crainte, mais la fortifie.

 

            Article 11 — La crainte demeure-t-elle dans la patrie ?

Objections Il semble que la crainte ne demeure pas dans la patrie, car on lit dans les Proverbes (1, 33) . " Il vivra tranquille, toute crainte du mal ayant disparu " ; ce qu’il faut entendre de l’homme qui jouit maintenant de la sagesse dans la béatitude éternelle. Or toute crainte concerne un mal, car c’est le mal qui est objet de crainte, nous l’avons dito. Il n’y aura donc aucune crainte dans la patrie.

2. Dans la patrie les hommes seront transformés à la ressemblance de Dieu, selon cette parole (1 Jn 3, 2) : " Quand il se manifestera, nous serons semblables à lui. " Or Dieu ne redoute rien. Donc les hommes, dans la patrie, n’éprouveront aucune crainte.

3. L’espérance est plus parfaite que la crainte, car l’espérance regarde le bien, et la crainte le mal. Or il n’y aura pas d’espérance dans la patrie ; donc il n’y aura pas non plus de crainte.

En sens contraire, le Psaume (19, 10) dit " La crainte du Seigneur est pure ; elle demeure à jamais. "

Réponse :

La crainte servile, ou crainte de la peine, n’existera d’aucune façon dans la patrie, une telle crainte étant exclue par la sécurité qui est de l’essence de la béatitude elle-même.

Quant à la crainte filiale, de même qu’elle grandit avec la charité, de même elle sera parfaite quand la charité sera devenue parfaite. Aussi n’aura-t-elle aucunement dans la patrie le même acte que présentement.

Pour le bien saisir, il faut savoir que l’objet propre de la crainte est un mal possible, comme l’objet propre de l’espérance est un bien possible. Et puisque le mouvement de la crainte est semblable à une fuite, la crainte implique la fuite d’un mal difficile à supporter mais possible à éviter (les maux de peu d’importance ne donnent pas de crainte). Par ailleurs, de même que le bien de toute chose est de demeurer dans son ordre, de même son mal est d’abandonner son ordre. Or l’ordre de la créature raisonnable est d’être soumise à Dieu et de dominer les autres créatures. Aussi, de même que le mal de la créature raisonnable est de se soumettre par amour à la créature inférieure, de même c’est encore son mal que de ne pas se soumettre à Dieu, mais au contraire de l’attaquer ou de le mépriser présomptueusement. Or, à considérer la créature raisonnable dans sa nature, ce mal peut lui arriver, par suite de l’indétermination de son libre arbitre ; mais chez les bienheureux la perfection de la gloire rend ce mal impossible. Donc, dans la patrie, la fuite de ce mal, qui est de ne pas être soumis à Dieu, demeurera, comme la fuite d’un mal possible à la nature, mais impossible à la béatitude. Tandis que, pour les voyageurs, cette fuite est celle d’un mal tout à fait possible.

C’est pourquoi, commentant la parole de Job (26, 1 1) : " Les colonnes du ciel s’ébranlent et s’épouvantent à sa menace ", S. Grégoire déclare : " Les puissances mêmes des cieux, qui regardent Dieu sans cesse, tremblent dans cette contemplation même. Mais ce tremblement, loin d’être pour elles une peine, n’est pas un tremblement de crainte, mais d’admiration. " C’est-à-dire qu’elles admirent Dieu en tant qu’il existe bien au-dessus d’eux et qu’il leur est incompréhensible. S. Augustin r admet cette sorte de crainte dans la patrie, bien qu’il laisse la question ouverte : " La crainte chaste, celle qui demeure aux siècles des siècles, si elle doit encore exister dans le siècle futur, ne sera plus la crainte qui s’épouvante d’un mal qui peut arriver, mais celle qui se fixe dans le bien quelle ne peut plus perdre. Là en effet où l’amour du bien acquis est immuable, ü est certain que la crainte du mal dont ü faut se garder est, si l’on peut ainsi dire, absolument sûre. Or, sous ce nom de crainte chaste, on désigne cette volonté par laquelle ce sera une nécessité pour nous de ne pas vouloir pécher, et cela, non par le souci, provenant de notre faiblesse, de ne pas pécher, mais dans la tranquillité de la charité qui se garde du péché. Ou bien, si aucune crainte d’aucun genre ne peut exister là-haut, peut-être a-t-on parlé d’une crainte qui demeure à jamais pour dire qu’elle subsistera jusqu’où la crainte peut aller. "

Solutions :

1. Le texte des Proverbes exclut des bienheureux la crainte inquiète et précautionneuse contre le mal, mais non la crainte établie dans la sécurité, comme le dit S. Augustin.

2. Comme le déclare Denys " les mêmes choses sont à la fois semblables à Dieu et en sont dissemblables : semblables, selon leur imitation de l’inimitable ", c’est-à-dire du fait quelles imitent à leur mesure Dieu, qui n’est pas parfaitement imitable ; " dissemblables, selon que les choses créées restent en deçà de leur cause, déficientes vis-à-vis de ses mesures infinies et incomparables ". De ce que la crainte ne convient pas à Dieu, qui n’a pas de supérieur à qui il soit soumis, il ne suit pas qu’elle ne convienne pas aux bienheureux, dont la béatitude consiste en une parfaite soumission à Dieu.

3. L’espérance implique un défaut, l’état futur de la béatitude, ce que la présence de celle-ci fera disparaître. Mais la crainte implique un défaut qui tient à la nature créée, du fait de son infinie distance de Dieu, défaut qui demeurera dans la patrie. Et c’est pourquoi la crainte ne serge pas complètement évacuée.

 

            Article 12 — Parmi les béatitudes et les fruits, quels sont ceux qui correspondent au don de crainte ?

Objections :

1. La pauvreté d’esprit ne semble pas être la béatitude qui répond au don de crainte. En effet, nous l’avons montré. La crainte est le commencement de la vie spirituelle. Or la pauvreté se rattache à la perfection de la vie spirituelle selon S. Matthieu (19, 21) : " Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres. " La pauvreté d’esprit ne correspond donc pas au don de crainte.

2. Le Psaume (119, 120) dit à Dieu : " Pénètre ma chair de ta crainte ", ce qui montre que c’est à la crainte que revient le rôle de réprimer la chair. Mais à la répression de la chair semble surtout se rattacher la béatitude des larmes. Donc la béatitude des larmes répond mieux au doii de crainte que la béatitude de la pauvreté.

3. Le don de crainte correspond à la vertu d’espérance, nous l’avons dit. Mais à l’espérance semble surtout correspondre la dernière béatitude : " Bienheureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu ", d’après l’épître aux Romains (5, 2) : " Nous nous glorifions dans i l’espérance de la gloire des fils de Dieu. " Cette béatitude correspond donc mieux au don de crainte que la pauvreté d’esprit.

4. Aux béatitudes correspondent des fruits. Mais on ne trouve rien dans les fruits qui corresponde au don de crainte. Il n’y a donc pas non plus dans les béatitudes quelque chose qui lui corresponde.

En sens contraire, S. Augustin dit " La crainte de Dieu convient aux humbles dont il a été dit " Bienheureux les pauvres en esprit. " "

Réponse :

A la crainte correspond proprement la pauvreté d’esprit. En effet, puisqu’il revient à la crainte filiale de témoigner de la révérence à Dieu, et de lui être soumis, la conséquence d’une pareille sujétion se rattache au don de crainte. Mais du fait de sa soumission à Dieu, l’homme cesse de chercher à se manifester en lui-même ou en un autre que Dieu, car un tel sentiment s’opposerait à une sujétion parfaite à Dieu. C’est pour cela qu’il est dit dans le Psaume (20, 8) : " Ceux-ci se confient dans les chars et ceux-là dans les chevaux, mais nous, nous invoquons le nom de notre Dieu. " Et c’est pourquoi, du fait qu’il craint parfaitement Dieu, l’homme ne cherche ni à s’exalter en lui-même par l’orgueil, ni à se glorifier dans les biens extérieurs, honneurs et richesses ; ces deux dispositions relèvent de la pauvreté d’esprit, si l’on entend par là soit un anéantissement de l’enflure et de l’orgueil de l’esprit, selon le commentaire de S. Augustin, soit encore le mépris des biens temporels qui se fait par l’esprit c’est-à-dire par la volonté de l’homme sous l’impulsion du Saint-Esprit, selon les commentaires de S. Ambroise et S. Jérôme.

Solutions :

1. La béatitude est un acte de la vertu parfaite, et c’est pourquoi toutes les béatitudes intéressent la perfection de la vie spirituelle. Mais le commencement de cette perfection semble se réaliser quand, tendant à la parfaite participation aux biens spirituels, on méprise les biens terrestres ; de même que la crainte est le premier degré parmi les dons. La perfection ne consiste pas dans l’abandon des biens temporels ; c’est là seulement le chemin vers la perfection. Toutefois la crainte filiale, à laquelle correspond la béatitude de la pauvreté, demeure même avec la perfection de la sagesse.

2. Ce qui est le plus directement opposé à la sujétion envers Dieu qui réalise la crainte filiale, c’est l’exaltation indue de l’homme - soit en lui-même soit dans les autres biens - plutôt que les plaisirs cherchés au-dehors. Ceux-ci s’opposent à la crainte par leurs conséquences, car celui qui révère Dieu et lui est soumis ne met pas son plaisir en autre chose que Dieu. Mais le plaisir ne comporte pas l’aspect de difficulté, que considère la crainte, aussi bien que l’exaltation de soi. Et c’est pourquoi la béatitude de la pauvreté correspond directement au don de crainte ; la béatitude des larmes en relève aussi, mais par voie de conséquence.

3. L’espérance implique un mouvement et une tendance vers le terme qui est son but, tandis que la crainte comporte un mouvement de retrait par rapport à son point de départ. Et c’est pourquoi la béatitude ultime, qui est le terme de la perfection spirituelle, correspond parfaitement à l’espérance, par mode d’objet ultime ; mais la première béatitude, qui se réalise quand on se retire des biens extérieurs dont la possession empêche la soumission à Dieu, correspond parfaitement à la crainte.

4. Parmi les fruits, ceux qui sont relatifs à l’usage modéré ou à la totale abstention des biens temporels semblent convenir au don de crainte, ainsi la modestie, la continence et la chasteté.

LES VICES OPPOSÉS A L’ESPÉRANCE

Étudions maintenant les vices opposés à la vertu d’espérance et au don de crainte : 1° Le désespoir (Q. 20) ; ensuite la présomption (Q. 21).

 

 

QUESTION 20 — LE DÉSESPOIR

1. Le désespoir est-il un péché ? - 2. Peut-il exister sans l’infidélité ? - 3. Est-il le plus grave des péchés ? - 4. Naît-il de l’acédie ?

 

            Article 1 — Le désespoir est-il un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. Car tout péché, d’après S. Augustin, comporte une conversion à un bien périssable, avec une aversion loin du bien immuable. Or le désespoir ne comporte pas de conversion à un bien périssable. Il n’est donc pas un péché.

2. Ce qui sort d’une bonne racine ne paraît pas être un péché, car " un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits " (Mt 7, 18). Or le désespoir semble venir d’une bonne racine : la crainte de Dieu ou l’horreur de la gravité des péchés personnels. Le désespoir n’est donc pas un péché.

3. Si le désespoir était un péché, désespérer serait, chez les damnés, un péché. Or ce désespoir ne leur est pas imputé à faute, mais plutôt à damnation. Il n’est donc pas non plus imputé à faute chez ceux qui sont encore sur terre. Et ainsi le désespoir n’est pas un péché.

En sens contraire, ce qui induit les hommes à pécher semble être, non seulement un péché, mais un principe de péchés. Or tel est le désespoir. L’Apôtre parle en effet (Ep 4, 15) de certains " qui, de désespoir, se sont livrés à la débauche au point de s’adonner sans retenue à toutes sortes d’impuretés ". Le désespoir n’est donc pas seulement un péché, mais le principe d’autres péchés.

Réponse :

Selon Aristote " ce qui dans l’intelligence est affirmation ou négation, dans l’appétit se traduit en recherche et en fruits " ; et ce qui dans la connaissance est vrai ou faux devient dans l’appétit bon ou mauvais. C’est pourquoi tout mouvement de l’appétit en conformité avec une intelligence vraie est de soi bon ; mais tout mouvement d’appétit en conformité avec une intelligence fausse, est de soi mal et péché. Or, envers Dieu l’intelligence droite constate. Que le salut des hommes vient de lui, et que par lui le pardon est donné aux pécheurs, selon Ézéchiel (18, 23) : " Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. " Au contraire, c’est une opinion fausse de penser que Dieu refuse le pardon au pécheur repentant, ou qu’il ne convertisse pas à lui les pécheurs par la grâce qui les justifie. Et c’est pourquoi de même que le mouvement d’espérance conforme à un jugement vrai est louable et vertueux, de même le mouvement opposé de désespoir conforme à une estimation fausse sur Dieu, est vice et péché.

Solutions :

1. Dans tout péché mortel, il y a aversion loin du bien immuable et conversion à un bien périssable, mais de façons différentes. En effet, c’est principalement en une aversion loin du bien immuable que consistent les péchés opposés aux vertus théologales, comme la haine de Dieu, le désespoir et l’infidélité, parce que les vertus théologales ont Dieu pour objet ; c’est par voie de conséquence qu’ils impliquent une conversion à un bien périssable, en tant que l’âme qui délaisse Dieu se tourne nécessairement vers d’autres réalités. Les autres péchés, en revanche, consistent principalement en une conversion à un bien périssable, et par voie de conséquence, en une aversion loin du bien immuable : celui qui commet la fornication n’a pas en effet l’intention de s’éloigner de Dieu, mais de jouir d’un plaisir de la chair, et la conséquence est qu’il s’éloigne de Dieu.

2. De la racine d’une vertu un effet peut sortir de deux façons. Directement, du côté de la vertu elle-même, comme un acte sort d’un habitus ; de cette façon aucun péché ne peut sortir d’une racine vertueuse ; et c’est en ce sens que S. Augustin déclare que " nul n’emploie mal la vertu ". Mais aussi un effet peut venir d’une vertu indirectement ou occasionnellement. Et de cette façon, rien n’empêche qu’un péché émane d’une vertu, c’est ainsi que parfois certains s’enorgueillissent de leurs vertus, selon la parole de S. Augustin : " L’orgueil s’insinue dans les bonnes œuvres, pour les détruire. " De cette manière il peut arriver que la crainte de Dieu ou l’horreur des péchés personnels engendre le désespoir, quand on use mal de cette crainte et de cette horreur et qu’on y prend une occasion de désespérer.

3. Les damnés ne sont pas en état d’espérer parce qu’il leur est impossible de revenir à la béatitude. Et c’est pourquoi le fait de ne pas espérer ne leur est pas imputé à faute, mais fait partie de leur damnation. De même aussi, sur terre, quelqu’un qui désespérerait d’atteindre ce qu’il n’est pas par nature appelé à posséder ou ce qui ne lui est pas dû, ne commettrait pas un péché, par exemple un médecin qui désespérerait de la guérison d’un malade, ou un homme qui désespérerait de posséder un jour des richesses.

 

            Article 2 — Le désespoir peut-il exister sans l’infidélité ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne puisse y avoir désespoir sans infidélité. En effet, la certitude de l’espérance dérive de la foi. Or, tant qu’une cause demeure, son effet ne disparaît pas. Donc on ne peut perdre la certitude de l’espérance en désespérant que si la foi a disparu.

2. Accorder plus d’importance à une faute personnelle qu’à la bonté ou à la miséricorde divine, c’est nier l’infinité de cette miséricorde ou de cette bonté, ce qui est de l’infidélité. Or, celui qui désespère accorde plus de force à sa faute qu’à la miséricorde ou à la bonté de Dieu, selon cette parole de la Genèse (4, 13) : " Mon crime est trop grand pour que je puisse en obtenir le pardon. " Donc quiconque désespère est infidèle.

3. Quiconque tombe dans une hérésie condamnée est infidèle. Or celui qui désespère semble bien verser dans une hérésie condamnée par l’Église, celle des novations qui prétendent que les péchés ne sont pas remis après le baptême. Quiconque désespère semble donc bien être infidèle.

En sens contraire, la disparition d’une réalité postérieure à une autre n’enlève pas la première. Or l’espérance est postérieure à la foi, nous l’avons dit. Donc, quand l’espérance a disparu, la foi peut demeurer, et tout désespéré n’est pas infidèle.

Réponse :

L’infidélité relève de l’intelligence, et le désespoir concerne la puissance appétitive. Mais l’intelligence porte sur l’universel, et la puissance appétitive sur les singuliers ; le mouvement de l’appétit va en effet de l’âme aux choses qui, en elles-mêmes, sont des réalités particulières. Or on trouve des hommes qui ont un jugement droit dans l’universel, et qui n’agissent pas comme il faut quand il s’agit du mouvement appétitif, parce que leur jugement, dans le particulier, est dévié ; parce qu’il est nécessaire que, du jugement dans l’universel, ils passent au désir d’une réalité particulière par l’intermédiaire d’un jugement particulier, de même que d’une proposition universelle on n’infère pas une conclusion particulière sans recourir à l’intermédiaire d’une proposition particulières C’est pourquoi il arrive qu’un homme, possédant la vraie foi dans l’universel, tombe en défaut dans son acte de vouloir vis-à-vis d’un objet particulier, par suite d’une déviation de son jugement particulier, déviation apportée par un habitus vicieux ou par une passion. Ainsi celui qui commet la fornication, en choisissant celle-ci comme la chose bonne pour lui sur le moment, a une appréciation pervertie dans ce jugement particulier. Et pourtant il garde, dans l’universel, un jugement vrai selon la foi, à savoir que la fornication est un péché mortel. Semblablement un homme, tout en gardant, dans 1’universel, ce jugement vrai selon la foi qu’il y a dans l’Église la rémission des péchés, peut cependant éprouver ce mouvement de désespoir que pour lui, dans son état actuel, il n’y a pas à espérer le pardon, cela par suite d’une perversion de jugement dans ce cas particulier. De cette façon le désespoir peut exister sans infidélité, comme les autres péchés mortel.

Solutions. 1. La disparition d’un effet ne dépend pas seulement de la disparition de la cause première, mais aussi de celle de la cause seconde. Par suite, le mouvement de l’espérance peut être supprimé, non seulement par suppression du jugement universel de foi, qui est comme la cause première de la certitude de l’espérance, mais aussi par disparition du jugement particulier, qui en est comme la cause seconde.

2. Celui, qui, dans l’universel, jugerait que la miséricorde de Dieu n’est pas infinie, serait infidèle. Or ce n’est pas cela que pense le désespéré ; pour lui simplement, dans l’état où il se trouve à cause de telle disposition particulière, il n’y a pas à espérer en la miséricorde divine.

3. Les novatiens niaient, dans l’universel qu’il y eût dans l’Église rémission des péchés.

 

            Article 3 — Le désespoir est-il le plus grave des péchés

Objections :

1. Il semble que non, car il peut y avoir désespoir sans infidélité, nous l’avons vu. Or l’infidélité est le plus grand des péchés, puisqu’elle détruit le fondement de l’édifice spirituel. Le désespoir n’est donc pas le plus grand des péchés.

2. A un plus grand bien s’oppose un plus grand mal, enseigne Aristote. Or la charité est meilleure que l’espérance, d’après S. Paul. Donc la haine est est un péché plus grave que le désespoir.

3. Dans le péché de désespoir, il y a seulement une aversion désordonnée loin de Dieu. Dans les autres péchés il y a non seulement une aversion désordonnée loin de Dieu, mais aussi une conversion désordonnée. Le péché de désespoir ne comporte donc pas une gravité plus grande, mais au contraire, moins grande que les autres péchés.

En sens contraire, le péché incurable paraît être le plus grave, d’après Jérémie (30, 12) : " Ta blessure est incurable, ta plaie est inguérissable. " Or le péché de désespoir est inguérissable, selon cette autre parole de Jérémie (15, 18) : " Ma plaie est désespérément rebelle à la guérison. " Le désespoir est donc le plus grave des péchés.

Réponse :

Les péchés qui s’opposent aux vertus théologales sont, par leur genre même, plus graves que les autres péchés. Puisque les vertus théologales ont Dieu pour objet, les péchés qui leur sont opposés impliquent directement et principalement une aversion loin de Dieu ; en effet, si l’on pouvait opérer une conversion au bien périssable sans aversion loin de Dieu, encore que cette conversion serait désordonnée, elle ne serait cependant pas péché mortel. C’est pourquoi le péché qui, en premier lieu et de soi, implique une aversion loin de Dieu est ce qu’il y a de plus grave parmi les péchés mortels.

Or, aux vertus théologales s’opposent l’infidélité, le désespoir et la haine de Dieu. La haine et l’infidélité, comparées au désespoir, se manifesteront plus graves, si on les considère en elles-mêmes, c’est-à-dire d’après ce qui constitue leur espèce propre. L’infidélité en effet vient de ce que l’homme ne croit pas à la vérité même de Dieu, la haine de Dieu est provoquée par le fait que la volonté de l’homme s’oppose à la bonté divine elle-même ; le désespoir vient de ce que l’homme n’espère pas participer lui-même à la bonté de Dieu. Cela montre que l’infidélité et la haine de Dieu s’opposent à Dieu dans son être même, mais que le désespoir s’oppose à Dieu dans la participation que nous prenons à sa bonté. Aussi y a-t-il plus grand péché, si l’on parle des péchés pris en eux-mêmes, à ne pas croire à la vérité de Dieu, ou à haïr Dieu, qu’à ne pas espérer obtenir de lui la gloire.

Mais si l’on compare le désespoir aux deux autres péchés par rapport à nous, alors le désespoir est plus périlleux, car c’est par l’espérance que nous nous détournons du mal et que nous commençons à rechercher le bien. C’est pourquoi, lorsque l’espérance a disparu, les hommes, sans aucun frein, se laissent aller aux vices et abandonnent tout effort vertueux. D’où, sur le texte des Proverbes (24, 10) : " Si, tombé, tu désespères au jour de ta détresse, ta force s’en trouvera diminuée ", la Glose commente " Il n’y a rien de plus exécrable que le désespoir ; celui qui désespère n’a plus aucune constance dans les travaux de cette vie, et, ce qui est pire, dans le combat de la foi. " Et S. Isidore déclare : " Commettre un crime c’est la mort de l’âme ; mais désespérer, c’est descendre en enfer. "

Solutions :

Cela répond aux Objections.

 

            Article 4 — Le désespoir naît-il de l’acédie ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, une même réalité ne vient pas de causes diverses. Or " le désespoir de la vie future procède de la luxure " dit S. Grégoire. Il ne procède donc pas de l’acédie.

2. De même que le désespoir s’oppose à l’espérance, de même l’acédie s’oppose à la joie spirituelle. Or, la joie spirituelle procède de l’espérance d’après l’épître aux Romains (12, 12) : " Avec la joie de l’espérance. " L’acédie procède donc du désespoir, et non le contraire.

3. Les contraires ont des causes contraires. Or l’espérance à laquelle s’oppose le désespoir, semble procéder de la considération des bienfaits de Dieu, et surtout de l’Incarnation. S. Augustin dit en effet : " Il n’y avait rien d’aussi nécessaire pour relever notre espérance que de nous manifester combien Dieu nous aime. Or, quelle preuve plus manifeste avons-nous de cet amour que de voir le Fils de Dieu daigner entrer en communauté avec notre nature ? " Le désespoir procède donc davantage de la négligence d’une pareille contemplation que de l’acédie.

En sens contraire, S. Grégoire range le désespoir parmi les vices qui naissent de l’acédie.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, l’objet de l’espérance est un bien difficile à obtenir, mais qu’il est possible d’atteindre ou par soi ou par autrui. C’est donc d’une double façon que peut défaillir chez quelqu’un l’espérance d’obtenir la béatitude : soit parce qu’il ne tient pas celle-ci pour un bien ardu, soit qu’il ne l’envisage pas comme susceptible d’être atteinte, par lui-même ou par autrui. Que nous ne goûtions pas les réalités spirituelles comme des biens, ou qu’elles ne nous paraissent pas de grands biens, cela vient surtout de ce que notre affectivité est infectée par l’amour des plaisirs corporels et surtout des plaisirs sexuels ; car l’amour de ces plaisirs fait que l’homme prend en dégoût les biens spirituels, et ne les espère pas comme des biens difficiles. Sous cet aspect, le désespoir est causé par la luxure.

Qu’un homme n’estime pas qu’il lui soit possible, par lui-même ou par autrui, d’atteindre un bien ardu, cela vient d’un abattement excessif ; quand celui-ci domine l’affectivité de l’homme, il lui fait croire qu’il ne pourra jamais se redresser pour atteindre aucun bien. Et parce que l’acédie est une tristesse qui déprime l’âme, sous cet aspect le désespoir est engendré par l’acédie. Or, c’est là le caractère propre de l’objet de l’espérance : qu’il puisse être atteint ; car les autres caractères - que l’objet soit bon et ardu - relèvent aussi d’autres passions. C’est donc plus spécialement de l’acédie que naît le désespoir, encore qu’il puisse naître de la luxure, pour la raison que nous avons dit.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. Selon Aristote, de même que l’espérance produit la délectation, de même aussi les hommes qui vivent dans la joie voient leur espérance se fortifier. De la même façon, ceux qui vivent dans la tristesse tombent plus facilement dans le désespoir, selon S. Paul (2 Co 2, 7) : " Encouragez-le, de peur que cet homme-là ne vienne à sombrer dans une tristesse excessive. " Cependant, l’objet de l’espérance est le bien, auquel l’appétit tend par nature, tandis que ce n’est pas par nature qu’il s’en éloigne, mais seulement à cause d’un empêchement qui survient. C’est pourquoi la joie naît plus directement de l’espérance, et inversement le désespoir naît plus directement de l’acédie.

3. Que nous négligions de considérer les bienfaits de Dieu, cela même vient de l’acédie. En effet, l’homme dominé par une passion pense avant tout à ce qui concerne cette passion. (,’est pourquoi l’homme établi dans la tristesse n i pas facilement des pensées fortes et joyeuses, mais seulement des pensées tristes, à moins que par un grand effort il ne s’en détourne.

 

 

QUESTION 21 — LA PRÉSOMPTION

1. Sur quel objet se fonde la présomption ? - 2. Est-elle un péché ? - 3. A quoi s’oppose-t-elle ? - 4. Quel vice lui donne naissance ?

 

            Article 1 — Sur quel objet se fonde la présomption ?

Objections :

1. Il semble que, dans la présomption, péché contre le Saint-Esprit, l’homme ne s’appuie pas sur Dieu, mais sur sa vertu propre. En effet, moins une vertu est solide, plus grave est le péché de celui qui s’y appuie à l’excès. Or la vertu de l’homme est moindre que la vertu de Dieu. Celui qui présume des forces humaine pèche donc plus gravement que celui qui présume de la puissance divine. Or le péché contre le Saint-Esprit est le plus grave qui soit. Dans la présomption, qu’on donne comme une espèce de péché contre le Saint-Esprit, on s’appuie donc sur la force de l’homme plus que sur celle de Dieu.

2. Le péché contre le Saint-Esprit engendre d’autres péchés, car on appelle péché contre l’Esprit Saint la malice qui fait pécher. Or les autres péchés paraissent davantage naître le la présomption de l’homme envers lui-même que de sa présomption envers Dieu. Puisque l’amour de soi est le principe du péché, comme l’a montré S. Augustin. Il semble donc que dans la présomption, péché contre le Saint-Esprit, on s’appuie avant tout sur les forces de l’homme,

3. Le péché provient d’une conversion désordonnée au bien périssable. Or la présomption est un péché. Elle provient donc d’une conversion aux forces humaines, qui sont un bien périssable, plus que d’une conversion à la puissance divine, qui est le bien immuable.

En sens contraire, de même que le désespoir fait mépriser la miséricorde divine sur laquelle s’appuie l’espérance, de même la présomption fait mépriser la justice divine, qui punit les pécheurs. Mais, comme la miséricorde, la justice aussi est en Dieu. De même donc que le désespoir consiste à se détourner de Dieu, de même la présomption consiste à se tourner vers Dieu d’une façon désordonnée.

Réponse :

La présomption semble impliquer un certain excès dans l’espérance. Or l’objet de l’espérance est un bien ardu et possible. Mais une chose peut être possible à l’homme d’une double façon : par sa vertu propre, et par la seule vertu divine. Vis-à-vis de l’une et l’autre espérance il peut y avoir présomption par excès. S’il s’agit de l’espérance par laquelle on se confie en sa propre vertu, la présomption tient à ce que l’homme vise, comme proportionné à ses forces, un bien qui dépasse sa puissance, selon ce texte du livre de Judith (6,15 Vg) : " Tu abaisses ceux qui présument d’eux-mêmes. " Une telle présomption s’oppose à la vertu de magnanimité qui établit le juste milieu dans l’espoir humain.

Quant à l’espérance qui adhère à la puissance de Dieu, il peut y avoir présomption par manque de modération, quand l’homme tend à un bien qu’il estime possible par référence à la puissance et à la miséricorde divines, et qui, de fait, n’est pas possible : ainsi, pour le pécheur, espérer obtenir son pardon sans pénitence, ou la gloire sans mérites. Cette présomption est à proprement parler une espèce du péché contre le Saint-Esprit, car elle fait qu’on rejette ou qu’on méprise l’aide du Saint-Esprit, aide par laquelle l’homme est retiré du péché.

Solutions :

1. Comme on l’a dit plus haut b, le péché contre Dieu est, par son genre même, plus grave que les autres péchés. Aussi la présomption qui fait que l’homme s’appuie d’une manière désordonnée sur Dieu est un péché plus grave que la présomption qui le fait se confier à sa valeur personnelle. En effet, s’appuyer sur la puissance divine pour rechercher ce qui ne convient pas à Dieu, c’est amoindrir la puissance divine. Or, à l’évidence, celui-là pèche plus gravement, qui diminue la puissance divine, que celui qui surfait sa valeur personnelle.

2. Cette présomption, qui nous fait présumer de Dieu d’une manière désordonnée, inclut bien, elle aussi, un amour de soi, par lequel on désire son bien propre en dehors de l’ordre divin. En effet ce que nous désirons beaucoup, nous estimons que les autres peuvent facilement nous le procurer, même s’ils ne le peuvent pas.

3. La présomption de la miséricorde divine comporte et une conversion au bien périssable, en tant quelle procède d’un désir déraisonnable du bien propre, et une aversion loin du bien immuable, en ce qu’elle attribue à la puissance divine ce qui ne lui convient pas ; par là, en effet, l’homme se détourne de la vérité divine.

 

            Article 2 — La présomption est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que la présomption ne soit pas un péché. En effet, aucun péché ne peut fournir un motif d’être exaucé par Dieu. Or c’est à la présomption que certains doivent d’être exaucés par Dieu ; on lit en effet dans Judith (9,17) : " Exauce-moi, malheureuse qui te supplie et qui présume de ta miséricorde. " Présumer de la miséricorde divine n’est donc pas un péché

2. La présomption implique un excès d’espérance. Or, dans l’espérance qu’on a de Dieu, il ne peut y avoir d’excès, parce que la puissance et la miséricorde divines sont infinies. La présomption ne semble donc pas être un péché.

3. Ce qui est péché n’excuse pas du péché. Or la présomption excuse du péché : le Maître des Sentences dit en effet qu’Adam a péché moins gravement parce qu’il a péché en espérant le pardon, ce qui semble être de la présomption. La présomption n’est donc pas un péché.

En sens contraire, on classe la présomption comme une espèce du péché contre le Saint-Esprit.

Réponse :

Ainsi que nous l’avons dit pour le désespoir, tout mouvement de l’appétit qui se conforme a une connaissance erronée, est de soi mal et péché. Or la présomption est un mouvement appétitif, car elle implique une espérance désordonnée. Par ailleurs, elle se conforme à une connaissance fausse, ainsi que le désespoir : de même, en effet, qu’il est faux que Dieu ne pardonne pas à ceux qui se repentent, ou qu’il ne convertisse pas les pécheurs à la pénitence, de même est-il faux qu’il accorde son pardon à ceux qui persévèrent dans le péché, et qu’il dispense sa gloire à ceux qui cessent de faire le bien ; et c’est à cette opinion que se conforme la présomption. C’est pourquoi la présomption est un péché. Moins grave cependant que le désespoir, et cela dans la mesure même où c’est davantage le propre de Dieu d’être miséricordieux et de pardonner que de punir, à cause de son infinie bonté. Être miséricordieux convient à Dieu par sa nature même ; être justicier lui convient à cause de nos péchés.

Solutions :

1. " Présumer " est quelquefois mis pour " espérer " parce que la véritable espérance que nous avons en Dieu semble elle-même une présomption si on la mesure à la condition de l’homme. Mais elle n’est pas présomption, si l’on prend garde à l’immensité de la bonté divine.

2. La présomption n’implique pas un excès d’espérance du fait qu’on espère trop de Dieu, mais du fait qu’on attend de Dieu ce qui ne convient pas à Dieu. Et c’est là aussi trop peu espérer de lui, car c’est dans une certaine mesure amoindrir sa puissance, nous l’avons dit.

3. Pécher avec le propos de persévérer dans sa faute à cause de l’espérance du pardon, appartient à la présomption. Et cette circonstance ne diminue pas, mais au contraire augmente le péché. Mais pécher tout en gardant l’espérance de recevoir un jour son pardon, en se proposant d’abandonner le péché et d’en faire pénitence, ce n’est pas de la présomption, et une telle circonstance diminue le péché ; car c’est manifester qu’on a une volonté moins décidée à pécher.

 

            Article 3 — A quoi la présomption s’oppose-t-elle ?

Objections :

1. Il semble bien que la présomption s’oppose à la crainte plus qu’à l’espérance. En effet, la crainte désordonnée s’oppose à la juste crainte. Or la présomption semble en rapport avec un désordre de la crainte ; la Sagesse déclare en effet (17, 11 Vg) : " La crainte favorise la présomption ", parce qu’une " conscience qui n’est pas tranquille présume toujours le pire " (17, 10 Vg). La présomption s’oppose donc à la crainte plus qu’à l’espérance.

2. On appelle contraires les réalités qui se trouvent éloignées au maximum. Or la présomption est plus éloignée de la crainte que de l’espérance, parce que la présomption implique un mouvement vers son objet, comme l’espérance, tandis que la crainte s’éloigne de son objet. La présomption est donc contraire à la crainte plus qu’à l’espérance.

3. La présomption supprime totalement la crainte ; ce n’est pas totalement qu’elle exclut l’espérance, mais seulement sa certitude. Puisque les réalités qui se détruisent l’une l’autre sont opposées, il semble que la présomption s’oppose à la crainte plus qu’à l’espérance.

En sens contraire, deux vices opposés l’un à l’autre sont contraires à une même vertu ; ainsi la timidité et l’audace sont contraires à la force. Mais le péché de présomption est contraire au péché de désespoir, qui s’oppose directement à l’espérance. Il semble donc que la présomption, elle aussi, s’oppose plus directement à l’espérance.

Réponse :

Selon S. Augustin " toutes les vertus ont en face d’elles, non seulement les vices qui s’y opposent par une différence manifeste, comme la témérité et la prudence, mais aussi ceux qui, sous quelque aspect, leur sont voisins et leur ressemblent, non pas véritablement mais sous une trompeuse apparence, comme l’astuce et la prudence ". Et Aristote dit aussi qu’une vertu semble avoir avec l’un des vices qui lui sont opposés, une parenté plus étroite qu’avec l’autre : ainsi la tempérance avec l’insensibilité, et la force avec l’audace. La présomption semble donc comporter une évidente opposition à la crainte, surtout à la crainte servile qui vise le châtiment voulu par la justice de Dieu, et dont la présomption espère le pardon. Cependant, malgré une fausse ressemblance, elle s’oppose davantage à l’espérance, car elle implique une espérance désordonnée en Dieu. Et parce que les réalités qui sont d’un même genre s’opposent plus directement que celles appartenant à des genres divers (car les contraires sont dans un même genre), la présomption s’oppose à l’espérance plus directement qu’à la crainte ; car toutes deux regardent le même objet pour s’y appuyer ; mais l’espérance dans l’ordre, et la présomption de façon désordonnée.

Solutions :

1. C’est d’une manière abusive qu’on parle d’espérance à propos d’un mal, car à proprement parler il n’y a d’espérance que du bien ; de même pour la présomption. Et c’est de cette façon qu’on appelle présomption le désordre de la crainte.

2. On appelle contraires les réalités éloignées au maximum, mais dans le même genre. Or la présomption et l’espérance comportent un mouvement d’un même genre, et qui peut être ou dans l’ordre ou dans le désordre. Et c’est pourquoi la présomption est contraire à l’espérance plus directement qu’à la crainte ; car elle s’oppose à l’espérance en raison d’une différence propre, comme ce qui est désordonné à ce qui est ordonné ; mais elle s’oppose à la crainte à cause de la différence de son genre, qui est un mouvement d’espérance.

3. Parce que la présomption s’oppose à la crainte par contrariété de genre, et à la vertu d’espérance par contrariété de différence, la présomption supprime totalement la crainte, même quant au genre ; mais elle ne supprime l’espérance que dans sa différence spécifique, par exclusion de l’ordre qu’implique l’espérance.

 

            Article 4 — Quel vice donne naissance à la présomption ?

Objections :

1. Il semble que la présomption n’ait pas pour cause la vaine gloire, car la présomption paraît s’appuyer à l’extrême sur la miséricorde divine. Or la miséricorde regarde la misère, qui s’oppose à la gloire. Donc la présomption n’a pas pour origine la vaine gloire.

2. La présomption s’oppose au désespoir. Or le désespoir naît de la tristesse, nous l’avons dit. Puisque des réalités opposées ont des causes opposées, il semble que la présomption naisse de la délectation. Et ainsi il paraît qu’elle naît des vices de la chair, dont les délectations sont les plus violentes.

3. Le vice de présomption consiste en ce que l’homme tend, comme s’il le pouvait vraiment, à un bien qu’il ne peut pas atteindre. Or estimer possible ce qui est impossible, cela vient de l’ignorance. La présomption a donc pour cause l’ignorance plus que la vaine gloire.

En sens contraire, S. Grégoire déclare que " la présomption des nouveautés " est fille de la vaine gloire.

Réponse :

Nous avons signalé deux sortes de présomptions. L’une prend appui sur la valeur personnelle du sujet et poursuit un objet qu’elle croit possible d’atteindre, alors qu’il dépasse les forces propres de ce sujet. Une telle présomption vient manifestement de la vaine gloire : désirant beaucoup de gloire, il s’ensuit qu’on s’attaque à une gloire au-dessus de ses forces. Et au premier rang de ces gloires, il y a les nouveautés qui attirent la plus grande admiration. C’est pourquoi S. Grégoire a mis à bon droit la présomption des nouveautés comme fille de la vaine gloire.

Il y a une autre présomption, qui s’appuie d’une façon désordonnée sur la miséricorde et la puissance divines ; ce qui lui donne l’espérance d’obtenir la gloire sans mérites et le pardon sans pénitence. Pareille présomption paraît bien naître en ligne directe de l’orgueil : l’homme a de lui-même une telle estime qu’il arrive à penser que, même alors qu’il pèche, Dieu ne peut pas le punir ni l’exclure de sa gloire.

Solutions :

Cela donne la réponse aux Objections.

 

 

QUESTION 22 — LES PRÉCEPTES DE LA LOI RELATIFS À L’ESPÉRANCE, ET À LA CRAINTE

1. Les préceptes concernant l’espérance. - 2. Les préceptes concernant la crainte.

 

            Article 1 — Les préceptes concernant l’espérance

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait à donner aucun précepte concernant la vertu d’espérance, car ce qu’un seul principe peut réaliser n’a pas besoin de l’appui d’un autre principe. Or l’homme est suffisamment porté à espérer le bien par l’inclination même de sa nature. Il n’a donc pas à y être poussé par un précepte de la loi.

2. Puisque les préceptes sont donnés en vue des actes des vertus, les principaux préceptes doivent être promulgués pour les actes des principales vertus. Mais, parmi toutes les vertus, les principales sont les trois vertus théologales : foi, espérance, et charité. Puisque les principaux préceptes sont ceux du décalogue, auxquels se ramènent tous les autres comme on l’a dit, il semble que, si l’on donnait un précepte relatif à l’espérance, il devrait se trouver dans les préceptes du décalogue. Or il ne s’y trouve pas. Il semble donc qu’il n’y ait à donner aucun précepte légal concernant l’acte d’espérance.

3. Commander l’acte d’une vertu et interdire l’acte du vice opposé relèvent d’un même motif. Or on ne trouve pas de précepte qui interdise le désespoir, opposé à l’espérance. Il semble donc qu’il ne convienne pas davantage de donner un précepte relatif à l’espérance.

En sens contraire, sur le texte de S. Jean (15,12) : " Mon précepte est que vous vous aimiez les uns les autres ", S. Augustin déclare : " Combien nombreux sont pour nous les commandements concernant la foi. Combien nombreux sont ceux qui concernent l’espérance ! " Au sujet de l’espérance il convient donc de donner des préceptes.

Réponse :

Parmi les préceptes qu’on trouve dans la Sainte Écriture, certains portent sur la substance de la loi, d’autres sur des préambules à la loi.

Les préambules de la loi sont ceux dont la non-existence ne laisserait aucune place à la loi Tels sont les préceptes relatifs à l’acte de foi et à l’acte d’espérance ; car c’est par l’acte de foi que l’esprit de l’homme est incliné à reconnaître que l’auteur de la loi est tel qu’on doit se soumettre à lui ; c’est par l’espérance de la récompense que l’homme est porté à l’observance des préceptes Les préceptes touchant la substance de la loi sont ceux qui sont imposés à l’homme déjà soumis et prêt à obéir, et dont le rôle est d’assurer la rectitude de la vie. C’est pourquoi ces préceptes sont dans la promulgation de la loi, proposés aussitôt par mode de commandements.

Mais il n’y avait pas à proposer les précepte de l’espérance et de la foi sous ce mode impératif car, si l’homme ne croyait pas et n’espérait pas déjà,, c’est inutilement que la loi les lui proposerait. Mais, de même que le précepte de la foi a dû être proposé par mode de déclaration ou de rappel, de même aussi a-t-il fallu, dans la première promulgation de la loi, proposer le précepte de l’espérance sous forme de promesse ; en effet, celui qui promet des récompenses à ceux qui obéissent, incite de ce fait à l’espérance. Aussi toutes les promesses contenues dans la loi ont-elles pour but de promouvoir l’espérance.

Toutefois, quand la loi est déjà établie, il appartient aux sages, non seulement d’amener les hommes à l’observation des préceptes, mais aussi et bien davantage de les amener à garder les fondements de la loi ; c’est pourquoi après le premier établissement de la loi, la Sainte Écriture pousse les hommes à l’espérance de multiples façons, même par mode d’admonition ou de précepte, et non plus seulement par mode de promesse, comme dans la loi. On le voit dans le Psaume (62, 9) : " Espérez en lui, toute l’assemblée du peuple ", et dans bien d’autres endroits de l’Écriture.

Solutions :

1. La nature donne l’inclination suffisante pour espérer le bien proportionné à la nature humaine. Mais, pour que l’homme espère le bien surnaturel il a fallu qu’il y soit amené par l’autorité de la loi divine, soit avec des promesses, soit avec des admonitions et des préceptes. Et cependant, même pour des réalités auxquelles la raison naturelle incline, comme les actes des vertus morales, il a été nécessaire de donner les préceptes de la loi divine, pour affermir davantage cette raison, et surtout parce que celle-ci était obscurcie par les convoitises du péché.

2. Les préceptes du décalogue se rattachent au premier établissement de la loi. Et c’est pourquoi, dans ces préceptes, il n’y avait pas à donner de commandement relatif à l’espérance, mais il a suffi d’engager à l’espérance en mettant quelques promesses, comme on le voit dans le premier et dans le quatrième préceptes.

3. Pour les choses dont l’observation est exigée à titre de devoir, il suffit de donner un précepte affirmatif au sujet de ce qu’on doit faire : et par là même sont comprises les interdictions des actes à éviter. C’est ainsi qu’il y a le précepte d’honorer ses parents ; mais il n’est interdit d’insulter ses parents que par l’adjonction dans la loi d’un châtiment pour les enfants irrespectueux. Et parce que c’est un devoir nécessaire au salut de l’homme que d’espérer en Dieu, l’homme y a été engagé par un des moyens que nous venons de dire, d’une façon affirmative, ce qui sous-entend que le contraire lui est interdit.

 

            Article 2 — Les préceptes concernant la crainte

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas eu lieu de donner, dans la loi, un précepte relatif à la crainte. En effet, la crainte de Dieu porte sur des choses qui sont des préambules à la loi, puisqu’elle est le commencement de la sagesse. Or les préambules à la loi ne tombent pas sous le précepte de la loi. Il n’y a donc pas à donner de précepte légal concernant la crainte.

2. La cause étant posée, l’effet l’est aussi. Or l’amour est cause de la crainte, car toute crainte procède d’un amour, selon S. Augustin. Donc, le précepte de l’amour étant posé, il aurait été superflu de prescrire la crainte.

3. A la crainte s’oppose, d’une certaine manière, la présomption. Or on ne trouve dans la loi aucune prohibition concernant la présomption. Il semble donc qu’il n’y ait pas eu non plus à donner de précepte relatif à la crainte.

En sens contraire : le Deutéronome déclare (10, 12) : " Maintenant, Israël, que demande de toi le Seigneur ton Dieu, sinon de craindre le Seigneur ton Dieu ? " Or Dieu réclame de nous ce qu’il nous commande d’observer. Donc la crainte de Dieu tombe sous le précepte.

Réponse :

Il y a une double crainte, servile et filiale. De même que l’homme est engagé à observer les préceptes de la loi par l’espoir des récompenses, de même aussi est-il engagé à observer la loi par la crainte des châtiments, qui est la crainte servile.

Or nous venons de le montrer e, il n’y avait pas lieu, en donnant la loi, de porter un précepte sur l’acte d’espérance ; mais les hommes devaient y être engagés par des promesses. De même, il n’y avait pas lieu de porter un précepte concernant la crainte du châtiment, parce que les hommes y seraient engagés par la menace des châtiments. Ce qui fut fait, et dans les préceptes mêmes du décalogue, et ensuite par voie de conséquence dans les préceptes secondaires de la loi. Mais, de même que par la suite, les sages et les prophètes en vue de fixer les hommes dans l’observance de la loi, donnèrent des enseignements relatifs à l’espérance, par mode d’admonition et de précepte, de même firent-ils aussi pour la crainte.

Quant à la crainte filiale, qui témoigne révérence à Dieu, elle est comme un genre relativement à l’amour de Dieu, et un principe de toutes les observances accomplies par révérence envers Dieu. Et c’est pourquoi, pour la crainte filiale, la loi a donné des préceptes, comme aussi pour la charité, parce que l’une et l’autre sont un préambule aux actes extérieurs prescrits dans la loi, et que visent les préceptes du décalogue. Et c’est pourquoi l’autorité scripturaire invoquée ici réclame de l’homme la crainte : et pour qu’il marche dans la voie de Dieu en lui rendant un culte, et pour qu’il l’aime.

Solutions :

1. La crainte filiale est un préambule à la loi, non pas comme quelque chose d’externe, mais comme le principe de la loi, de même que la dilection. C’est pourquoi furent donnés sujet de l’une et de l’autre, des préceptes qui sont d’une certaine façon comme des principes communs de toute loi.

2. De l’amour découle la crainte filiale, comme aussi toutes les autres bonnes actions faites par charité. Et c’est pourquoi, de même qu’après le précepte de la charité sont donnés les préceptes relatifs aux autres vertus, de même aussi sont donnés en même temps les commandements concernant la crainte et l’amour de charité. Comme dans les sciences démonstratives où il ne suffit pas de poser les principes premiers, si l’on ne donne aussi les conclusions qui en découlent, soit d’une façon immédiate, soit d’une façon éloignée.

3. Amener à la crainte suffit pour empêcher la présomption, comme aussi amener à l’espérance suffit pour exclure le désespoir, nous l’avons dit.

LA CHARITÉ

Après l’espérance, il faut étudier maintenant la charité : d’abord la charité elle-même, puis le don de sagesse qui lui correspond. Sur le premier point, cinq considérations : 1° la charité elle-même ; 2° son objet ; 3° ses actes ; 4° les vices qui lui sont opposés ; 5° les préceptes qui s’y rapportent.

La première considération, à son tour, se divisera en deux : 1° la charité en elle-même ; 2° la charité par rapport à son sujet.

 

 

QUESTION 23 — LA NATURE DE LA CHARITÉ

1. La charité est-elle une amitié ? - 2. Est-elle quelque chose de créé dans l’âme ? - 3. Est-elle une vertu ? - 4. Est-elle une vertu spéciale ? - 5. Est-elle une seule vertu ? - 6. Est-elle la plus excellente des vertus ? - 7. Sans elle, peut-il y avoir quelque vertu véritable ? - 8. Est-elle la forme des vertus ?

 

            Article 1 — La charité est-elle une amitié ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. En effet, dit Aristote : " Rien n’est plus propre à l’amitié que le fait pour des amis de vivre ensemble. " Or la charité, dans l’homme, vise Dieu et les anges, lesquels " n’ont point de commerce avec les hommes ", dit le livre de Daniel (2, 11 Vg). La charité n’est donc pas une amitié.

2. Il ne peut y avoir d’amitié sans réciprocité, selon Aristote. Or, la charité doit exister même à l’égard des ennemis, selon cette parole (Mt 5,44) : " Aimez vos ennemis. " Donc la charité n’est pas une amitié.

3. Aristote distingue " trois espèces d’amitié de ce qui est délectable, de ce qui est utile et de ce qui est honnête ". Or la charité n’est pas une amitié de ce qui est utile ou délectable, car S. Jérôme dit : " La véritable affection, celle qui se cimente dans l’union au Christ, n’est pas l’affection qu’inspirent les avantages de la vie en commun, la présence seulement corporelle, la flatterie trompeuse et caressante, mais celle que nous enseignent la crainte de Dieu et la méditation des divines Écritures. " De même, la charité n’est pas une amitié qui vise l’honnête, puisqu’elle nous fait aimer même les pécheurs. Or l’amitié de ce qui est honnête, dit Aristote . ne s’adresse qu’aux hommes vertueux. La charité n’est donc pas une amitié.

En sens contraire, on lit en S. Jean (15, 15) " je ne vous appellerai plus serviteurs, mais amis. " Or cela n’était dit aux disciples qu’au titre de la charité. Celle-ci est donc bien une amitié.

Réponse :

D’après Aristote ce n’est pas un amour quelconque qui a raison d’amitié[4447], mais seulement l’amour qui s’accompagne de bienveillance, celui qui implique que nous voulons du bien à ceux que nous aimons.[4448] Si, au lieu de vouloir le bien des réalités aimées nous recherchons pour nous ce qu’elles ont de bon, quand nous disons par exemple aimer le vin, ou le cheval, etc., ce n’est plus un amour d’amitié, mais un amour de convoitise ; il serait en effet ridicule de dire de quelqu’un qu’il a de l’amitié pour du vin ou pour un cheval.

Cependant, la bienveillance ne suffit pas pour constituer l’amitié ; il faut de plus qu’il y ait réciprocité d’amour, car un ami est l’ami de celui qui est lui-même son ami. Or, une telle bienveillance mutuelle est fondée sur une certaine communication.

Donc, puisqu’il y a une certaine communication de l’homme avec Dieu[4449] du fait que celui-ci nous rend participants de sa béatitude[4450], il faut qu’une certaine amitié se fonde sur cette communication. C’est au sujet de celle-ci que S. Paul dit (1 Co 1, 9) : " Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils. " Il est donc évident que la charité est une amitié de l’homme pour Dieu.

Solutions :

1. Dans l’homme il y a deux sortes de vie : l’une extérieure, selon la nature sensible et corporelle ; de ce côté nous n’avons pas de communication ou de commerce avec Dieu ni avec les anges. L’autre est celle de l’homme spirituel, qui convient à son âme ; sous ce rapport, nous sommes en relation avec Dieu et les Anges. Dans notre condition présente, ce commerce est encore imparfait, ce qui fait dire à l’Apôtre (Ph 3, 20) : " Notre cité est dans les cieux. " Mais il atteindra sa perfection dans la patrie, lorsque " les serviteurs de Dieu lui rendront hommage et verront sa face ", selon l’Apocalypse (22, 3). Et c’est pourquoi notre charité n’est pas parfaite ici-bas, mais le deviendra au ciel.

2. On a de l’amitié pour quelqu’un de deux façons. Ou bien on l’aime pour lui-même, et alors l’amitié ne peut s’adresser qu’à l’ami. Ou bien on aime quelqu’un à cause d’une autre personne. Ainsi, lorsque l’on a de l’amitié pour quelqu’un, on aimera encore à cause de lui tous ceux qui sont en rapport avec lui, ses fils, ses serviteurs, ou n’importe lequel de ses proches. Et l’amitié que nous avons pour un ami peut être si grande qu’à cause de lui nous aimions ceux qui lui sont liés, même s’ils nous offensent ou nous haïssent. C’est de cette manière que notre amitié de charité s’étend même à nos ennemis : nous les aimons de charité, en référence à Dieu auquel va principalement notre amitié de charité.

3. L’amitié de ce qui est " honnête " ne s’adresse qu’à l’homme vertueux, comme à la personne principalement aimée ; mais à cause de lui, on se prend à aimer ceux qui lui sont unis, même s’ils ne sont pas vertueux. De cette façon, la charité qui est par excellence une amitié de ce qui est honnête, s’étend jusqu’aux pécheurs que nous aimons de charité à cause de Dieu.

 

            Article 2 — La charité est-elle quelque chose de créé dans l’âme ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. S. Augustin dit en effet : " Du moment qu’on aime le prochain, on doit aimer l’amour lui-même. Or Dieu est Amour. Il s’ensuit que Dieu est le premier objet de notre amour. " Et au même traité, il ajoute : " Il est dit que Dieu est charité, comme il est dit que Dieu est esprit. " La charité est donc Dieu lui-même, et non pas quelque chose de créé dans l’âme.

2. Dieu est spirituellement la vie de l’âme, comme l’âme est la vie du corps : " Lui-même est ta vie ", est-il décrit au Deutéronome (9, 20). Mais l’âme vivifie le corps par elle-même ; c’est donc par lui-même que Dieu vivifie l’âme. Or c’est par la charité qu’il la vivifie, selon la parole de S. Jean (1 Jn 3, 14) : " Nous reconnaissons à l’amour que nous sommes passés de la mort à la vie. " Donc Dieu est cette charité elle-même.

3. Rien de ce qui est créé ne possède une vertu infinie ; bien au contraire toute créature n’est que vanité. Or la charité, loin d’être vanité, s’oppose plutôt à tout ce qui est vain ; et elle a une vertu infinie, puisqu’elle conduit l’âme humaine au bien infini. Elle n’est donc pas quelque chose de créé dans l’âme.

En sens contraire, S. Augustin déclare " J’appelle charité un mouvement de notre cœur qui nous porte à jouir de Dieu pour lui-même. " Or un mouvement de notre cœur est quelque chose de créé dans l’âme ; donc aussi la charité.

Réponse :

Le Maître des Sentences étudie cette question et il affirme que la charité n’est pas quelque chose de créé dans l’âme, mais le Saint-Esprit lui-même habitant notre âme. Il n’entendait pas dire que le mouvement d’amour par lequel nous aimons Dieu est le Saint-Esprit lui-même, mais qu’il procède du Saint-Esprit sans l’intermédiaire d’aucun habitus, alors que d’autres actes vertueux en procèdent par la médiation des habitus d’autres vertus : d’espérance, de foi, etc. Et il parlait ainsi à cause de l’excellence de la charité.

Mais, à y bien regarder, une telle opinion tourne plutôt au détriment de la charité. En effet, le mouvement de la charité ne procède pas du Saint-Esprit agissant sur l’esprit humain de telle façon que celui-ci serait seulement mû sans être aucunement principe de ce mouvement, comme un corps est mû par un principe qui lui est extérieur. Car c’est contraire à la nature du volontaire, dont le principe doit être intérieur, nous l’avons dit. Dans ce cas, l’acte d’aimer ne serait pas volontaire, ce qui implique contradiction, puisque l’amour est essentiellement un acte de la volonté. De même on ne peut pas dire que le Saint-Esprit meut la volonté à l’acte d’aimer comme on meut un instrument, car un instrument, s’il est principe de l’acte, n’a pas en soi le pouvoir de se déterminer à agir ou à ne pas agir. Car ainsi serait aboli tout volontaire et exclu tout motif de mérite, alors que, nous l’avons reconnu plus haut, la dilection de la charité est la racine du mérite. Il faut donc que la volonté soit mue à aimer par le Saint-Esprit de telle manière qu’elle aussi soit cause efficiente de l’acte.

Or, aucun acte n’est produit de façon parfaite par une puissance active s’il n’est pas rendu connaturel à cette puissance par une certaine forme qui soit principe d’action. Ainsi Dieu, qui meut tous les êtres vers les fins qui leur sont dues, a-t-il donné à chacun de ces êtres des formes qui les inclinent vers les fins qu’il leur a assignées ; et en cela, comme le dit la Sagesse (8, 1 Vg), " il a disposé toutes choses avec douceur ". Or il est évident que l’acte de charité dépasse ce que notre puissance volontaire peut par sa seule nature. Donc, si une forme ne lui était surajoutée pour l’incliner à cet acte de dilection, il s’ensuivrait que cet acte serait plus imparfait que les actes naturels et que les actes des autres vertus ; il ne serait ni aisé, ni délectable. Or, c’est manifestement faux ; car aucune vertu n’a, autant que la charité, d’inclination à son acte, et de joie à le produire. Il est donc souverainement nécessaire pour l’acte de charité qu’une forme habituelle soit surajoutée à notre puissance naturelle, qui l’incline à cet acte, et lui donne ainsi d’agir avec promptitude et joie.

Solutions :

1. L’essence divine est charité, comme elle est sagesse et bonté. De même donc qu’on nous dit bons par la bonté divine, sages par la sagesse divine, du fait que la bonté qui est en nous est une participation de la bonté divine, et la sagesse qui est en nous, une participation de la sagesse divine ; de même, la charité par laquelle nous aimons le prochain est une participation de la charité divine. Cette manière de parler est coutumière chez les platoniciens ; et S. Augustin était imbu de leurs doctrines. Aussi les formules qu’il emploie occasionnent-elles des erreurs chez ceux qui n’y prennent pas garde.

2. C’est par mode d’efficience que Dieu est la vie de l’âme ; mais c’est formellement que la charité est la vie de l’âme, comme l’âme est la vie du corps. Aussi peut-on en conclure que la charité est unie immédiatement à l’âme, comme l’âme est unie immédiatement au corps.

3. La charité agit comme une forme. Or l’efficacité d’une forme dépend de la puissance de l’agent qui introduit cette forme. C’est pourquoi il est évident que la charité n’est pas quelque chose de vain. Parce qu’elle produit un effet infini, en unissant notre âme à Dieu et en la justifiant, elle prouve l’infinité de la puissance de Dieu, qui est son auteur.

 

            Article 3 — La charité est-elle une vertu ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car la charité est une amitié. Or les philosophes n’enseignent pas que l’amitié soit une vertu ; c’est clair chez Aristote 1 car on ne la trouve énumérée ni parmi les vertus morales, ni parmi les vertus intellectuelles. Elle n’est donc pas une vertu.

2. Pour Aristote, " la vertu est l’achèvement d’une puissance ". Or ce n’est pas la charité qui est un achèvement, mais plutôt la joie et la paix. Celles-ci donc sont des vertus, bien plutôt que la charité.

3. Toute vertu est un habitus du genre accident. Mais la charité ne peut être un habitus accidentel puisqu’elle est plus noble que l’âme elle-même, et qu’aucun accident ne peut être plus noble que son sujet. Donc la charité n’est pas une vertu.

En sens contraire, S. Augustin dit : " La charité est une vertu qui, lorsque notre affection est parfaitement droite, nous unit à Dieu et nous le fait aimer. "

Réponse :

Les actes humains sont bons selon qu’ils sont conformes à la règle et à la mesure requises. Et c’est pourquoi la vertu humaine, qui est le principe de tous les actes bons de l’homme, consiste à atteindre la règle des actes humains. Or cette règle est double, nous l’avons dit plus haut. C’est la raison humaine, et Dieu lui-même : ainsi, de même que la vertu morale se définit par le fait d’être " selon la raison droite ", dit Aristote, de même atteindre Dieu prend raison de vertu, comme nous l’avons déjà montré pour la foi et l’espérance. Donc, puisque la charité atteint Dieu en nous unissant à lui, ainsi que l’affirme S. Augustin dans le texte cité (en sens contraire), il s’ensuit que la charité est une vertu.

Solutions :

1. Aristote ne nie pas absolument que l’amitié soit une vertu, mais il dit " qu’elle est vertu, ou qu’elle va avec la vertu ". Il est en effet possible de soutenir qu’elle est une vertu morale, ayant pour matière nos actions à l’égard d’autrui, bien qu’elle les envisage sous un autre aspect que la justice. La justice, en effet, concerne les actions envers autrui du point de vue de ce qui est dû légalement, tandis que l’amitié les envisage au titre d’une certaine dette amicale ou morale, ou mieux encore de bienfait gratuit, comme le montre Aristote. Cependant, on peut dire aussi que l’amitié n’est pas une vertu distincte par elle-même des autres vertus. On ne saurait en effet lui trouver le caractère louable et honnête sinon d’après son objet, c’est-à-dire selon qu’elle se trouve fondée sur l’honnêteté des vertus ; cela se voit dans le fait que toute amitié n’est pas louable ni honnête ; ainsi l’amitié qui vise le plaisir et l’utilité. L’amitié vertueuse est donc une conséquence de la vertu plutôt qu’elle n’est elle-même une vertu. Il n’en est pas de même de la charité, qui n’est pas fondée principalement sur la vertu humaine, mais sur la bonté divine.

2. Aimer quelqu’un et éprouver de la joie à son propos relève de la même vertu, puisque la joie suit l’amour comme nous l’avons montré au traité des passions. On appellera donc vertu l’amour, mais on ne le dira pas de la joie, qui est l’effet de l’amour. Quant à déclarer que la vertu est l’achèvement (de la puissance), cela ne signifie as qu’elle soit un effet de la puissance, mais la surpasse comme cent livres sont davantage que quarante.

3. Tout accident considéré dans son être est inférieur à une substance, car la substance est un être qui existe par soi, tandis que l’accident n’existe que dans un autre. Mais, si l’on se place au point de vue de l’espèce de l’accident, il faut dire ceci : l’accident qui est causé par les principe du sujet est inférieur au sujet, comme un effet est inférieur à sa cause ; tandis que celui qui provient de la participation d’une nature supérieure est supérieur à son sujet, du fait qu’il porte la ressemblance de la nature supérieure. Ainsi la lumière est-elle de nature plus élevée que le milieu diaphane qui la reçoit. De cette manière, en tant qu’elle est une certaine participation du Saint Esprit, la charité a plus de dignité que l’âme.

 

            Article 4 — La charité est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il semble bien que non. S. Jérôme dit en effet : " Pour résumer brièvement la définition de toutes les vertus, je dirai : la vertu est la charité par laquelle nous aimons Dieu et le prochain. " Et S. Augustin écrit : " La vertu est l’ordre de l’amour. " Or une vertu spéciale ne peut entrer dans la définition de la vertu en général. Donc la charité n’est pas une vertu spéciale.

2. Ce qui s’étend aux œuvres de toutes les vertus ne peut être une vertu spéciale. Or la charité s’étend aux œuvres de toutes les vertus, selon S. Paul (1 Co 13, 4) : " La charité est patiente, elle est pleine de bonté, etc. " Elle s’étend même à toutes les actions humaines, comme il est dit dans la même épître (16, 14) : " Que toutes vos œuvres s’accomplissent dans la charité. " La charité n’est donc pas une vertu spéciale.

3. Les préceptes de la loi correspondent aux actes des vertus. Or S. Augustin affirme : " Le commandement général est : "Tu aimeras" ; et la défense générale : "Tu ne convoiteras pas." La charité est donc bien une vertu générale. "

En sens contraire, on n’énumère pas ce qui est général avec ce qui est spécial ; or la charité se trouve énumérée avec des vertus spéciales, la foi et l’espérance (1 Co 13, 13) : " Présentement, demeurent ces trois choses : la foi, l’espérance et la charité. " Donc la charité est une vertu spéciale.

Réponse :

Les actes et les habitus sont spécifiés par leurs objets, nous l’avons montré plus haut. On sait aussi, par ce qui précède’, que l’objet propre de l’amour est le bien. Par conséquent, là où se trouvera une raison spéciale de bien, il y aura une raison spéciale d’amour. Or le bien divin, en tant qu’il est l’objet de la béatitude, présente par cela même une raison spéciale de bien. C’est pourquoi l’amour de charité, qui est l’amour de ce bien, est un amour spécial. Donc la charité est aussi une vertu spéciale.

Solutions :

1. La charité rentre dans la définition de toute vertu, non point parce qu’elle serait essentiellement toute vertu, mais parce que, d’une certaine façon, toutes les vertus dépendent d’elle, comme on le montrera plus loin. De même également, la prudence rentre dans la définition des vertus morales, dit Aristote--, parce que les vertus morales dépendent de la prudence.

2. La vertu ou l’art qui se rapporte à la fin ultime commande les vertus ou les arts qui se rapportent à des fins secondaires ; ainsi l’art militaire a-t-il autorité sur l’art équestre, selon Aristote. C’est pourquoi, parce que la charité a pour objet la fin ultime de la vie humaine, c’est-à-dire la béatitude, elle s’étend à tous les actes de cette vie, non point en produisant elle-même de façon immédiate tous les actes des vertus, mais en les impérant.

3. Le précepte d’aimer est appelé un commandement général parce que tous les autres préceptes se rapportent à lui comme à leur fin, suivant cette parole de l’Apôtre (1 Tm 1, 5) : " La fin du précepte c’est la charité. "

 

            Article 5 — La charité est-elle une seule vertu ?

Objections :

1. Non semble-t-il, car les habitus se distinguent d’après leurs objets. Or il y a deux objets de la charité : Dieu et le prochain ; et ces deux objets sont distants à l’infini. La charité n’est donc pas une seule vertu.

2. Le même objet restant réellement identique peut présenter des points de vue différents et motiver ainsi divers habitus. Or nous avons de multiples raisons d’aimer Dieu, parce que chacun de ses bienfaits nous rend débiteurs de son amour. La charité n’est donc pas une vertu unique.

3. La charité inclut l’amitié pour le prochain. Mais Aristote distingue plusieurs espèces d’amitié. La charité n’est donc pas une vertu unique mais elle se diversifie en plusieurs espèces.

En sens contraire, Dieu est l’objet de la charité de la même manière qu’il est l’objet de la foi. Mais la foi est une vertu une, à cause de l’unité de la vérité divine, selon l’expression de l’épître aux Éphésiens (4, 5) : " une seule foi ". Donc la charité, elle aussi, est une seule vertu, à cause de l’unité de la bonté divine.

Réponse :

La charité nous l’avons dit, est une amitié de l’homme pour Dieu. Or il peut y avoir différentes espèces d’amitié. Ou bien d’après la diversité de leur fin, et de ce point de vue nous en avons trois espèces : l’amitié de l’utile, du délectable et de l’honnête. Ou bien, d’après la diversité des genres de communication qui les fondent ; autre est ainsi l’amitié des consanguins, l’amitié des concitoyens ou celle des compagnons de voyage ; la première est fondée sur la parenté naturelle, les deux autres sur des relations d’ordre social ou de voyage, d’après Aristote. Or, à aucun de ces deux points de vue la charité n’est susceptible de se diviser en plusieurs espèces, car, d’une part, sa fin est une : la bonté divine ; et d’autre part il n’y a qu’une seule communication, celle de la béatitude éternelle,- qui fonde cette amitié. Il reste donc que la charité est absolument une seule vertu, et qu’elle ne se distingue pas en plusieurs espèces.

Solutions :

1. Cet argument serait concluant si Dieu et le prochain étaient à égalité objets de la charité. Mais ce n’est pas vrai, car Dieu est ojet principal de la charité ; quant au prochain, il est aimé de charité à cause de Dieu.

2. Par la charité Dieu est aimé pour lui-même. Une seule raison d’aimer se trouve donc visée, à titre principal, par la charité ; la bonté divine qui est la substance même de Dieu, selon la parole du Psaume (106, 1) : " Rendez grâce au Seigneur, car il est bon. " Quant aux autres motifs qui nous inclinent à l’aimer, ou qui nous font un savoir de l’aimer, ils viennent en second et dérivent du premier.

3. Les amitiés humaines dont parle Aristote ont des finalités différentes et reposent sur des genres de communication également différents, ce qui n’a pas lieu dans la charité, comme nous venons de le dire. C’est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

 

            Article 6 — La charité est-elle la plus excellente des vertus ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. La vertu qui se trouve dans une puissance supérieure est elle-même supérieure, de même que l’opération de cette puissance. Or l’intelligence est supérieure à la volonté, puisqu’elle la dirige. Donc la foi, qui est dans l’intelligence, est supérieure à la charité, qui est dans la volonté.

2. L’être par lequel un autre être agit paraît inférieur à celui-ci ; ainsi le serviteur que le maître emploie à ses travaux est inférieur à lui. Or S. Paul dit (Ga 5, 6) que " la foi est agissante par la charité ". La foi est donc plus excellente que la charité.

3. Ce qui existe par addition d’une réalité à une autre semble plus parfait que celle-ci. Mais l’espérance existe par addition à la charité ; car l’objet de la charité est le bien, et celui de l’espérance est le bien difficile à conquérir. L’espérance est donc plus excellente que la charité.

En sens contraire, S. Paul dit (1 Co 13, 13) : " La plus grande est la charité. "

Réponse :

Puisque les actes humains sont bons pour autant qu’ils sont conformes à la règle requise, il est nécessaire que la vertu humaine, principe des actes bons, consiste à atteindre la règle des actes humains. Or nous, l’avons dit plus haut : il y a une double règle pour les actes humains : la raison humaine et Dieu. Mais Dieu est la règle première sur laquelle la raison humaine doit être réglée. C’est pourquoi les vertus théologales, qui consistent à atteindre cette règle première, puisque leur objet est Dieu, sont plus excellentes que les vertus morales ou intellectuelles, qui consistent à atteindre la raison humaine. C’est pourquoi il faut aussi que, parmi les vertus théologales, celle-là soit la plus excellente, qui atteint Dieu davantage.

Toujours, ce qui existe par soi est supérieur à ce qui existe par un autre. La foi et l’espérance atteignent Dieu sans doute, selon que de lui nous proviennent ou la connaissance de la vérité, ou la possession du bien ; mais la charité atteint Dieu en tant qu’il subsiste en lui-même, et non pas en tant que nous recevons quelque chose de lui.

C’est pourquoi la charité est plus excellente que la foi et l’espérance, et par conséquent que toutes les autres vertus. De même, la prudence, qui atteint la raison en elle-même, est aussi plus excellente que les autres vertus morales, qui atteignent la raison en tant qu’elle établit le juste milieu dans les opérations ou les passions humaines.

Solutions :

1. L’opération de l’intelligence trouve son achèvement en ceci que ce qui est connu existe en celui qui connaît ; et c’est pourquoi la dignité de cette opération s’apprécie à la mesure de l’intelligence. L’opération de la volonté au contraire, ainsi que l’opération de toute-puissance appétitive, se parfait dans l’inclination vers la réalité objective, comme vers son terme, de celui qui s’y porte. C’est pourquoi la dignité de l’activité appétitive se mesure à la réalité qui en est l’objet. Or les réalités inférieures à l’âme existent en celle-ci selon un mode d’être supérieur à celui qu’elles ont en elles-mêmes, car, ainsi qu’il est montré au livre Des Causes, un être existe dans un autre selon le mode même de celui où il existe. Au contraire, les réalités supérieures à l’âme existent d’une manière plus excellente en elles-mêmes que dans l’âme. Et c’est pourquoi connaître les réalités inférieures à nous est meilleur que les aimer : ce qui explique qu’Aristote fasse passer les vertus intellectuelles avant les vertus morales. Mais l’amour des réalités qui nous sont supérieures, et celui de Dieu principalement, est préférable à la connaissance que nous en avons. Et c’est ainsi que la charité est plus excellente que la foi.

2. La foi n’opère pas par la charité comme par un instrument, comme le maître par son serviteur, mais comme par une forme propre. L’argument n’est donc pas concluant.

3. C’est le même bien qui est objet de charité et d’espérance ; mais la charité implique une union avec ce bien, tandis que l’espérance suppose qu’on en est distant. Il s’ensuit qu’à la différence de l’espérance, la charité ne regarde pas ce bien comme un bien difficile, car ce qui nous est déjà uni n’est plus difficile à atteindre. Cela montre que la charité est plus parfaite que- l’espérance.

 

            Article 7 — Sans la charité, peut-il y avoir quelque vertu véritable ?

Objections :

1. Il semble que ce soit possible. Le propre de la vertu est en effet d’accomplir des actes bons. Mais ceux qui n’ont pas la charité accomplissent certains actes bons, comme vêtir ceux qui sont nus, nourrir les affamés, etc. Il peut donc y avoir une vraie vertu sans la charité.

2. La charité ne peut exister sans la foi, car, selon l’Apôtre (1 Tm 1, 5), elle procède " d’une foi sans détours ". Mais chez les infidèles peut exister une vraie chasteté, du moment qu’ils domptent leurs convoitises, et une vraie justice, s’ils jugent bien. Donc une vertu véritable peut exister sans la charité.

3. La science et l’art sont des vertus d’après Aristote. Mais on les trouve chez des pécheurs qui n’ont pas la charité. Donc une vraie vertu peut exister sans la charité.

En sens contraire, l’Apôtre dit (1 Co 13, 3) " Quand je distribuerais tous mes biens pour nourrir les pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. " Or la vraie vertu, d’après la Sagesse (8, 7) est grandement profitable : " Elle enseigne la tempérance et la justice, la prudence et le courage, et il n’y a rien dans la vie de plus utile aux hommes. " C’est donc que sans la charité il ne peut y avoir de vraie vertu.

Réponse :

La vertu est ordonnée au bien, nous l’avons vu antérieurement. Or le bien c’est, à titre principal, la fin, car les moyens ne sont appelés bons qu’en raison de leur ordre à la fin. Donc, de même qu’il y a deux sortes de fins : l’une ultime, l’autre prochaine, de même y a-t-il deux sortes de biens : l’un ultime et universel, et l’autre prochain et particulier. Mais le bien ultime et principal de l’homme est de jouir de Dieu, selon la parole du Psaume (73, 28) : " Pour moi, adhérer à Dieu est mon bien. " Et c’est à cela que l’homme est ordonné par la charité.

Quant au bien secondaire et pour ainsi dire particulier de l’homme, il peut être double : l’un qui est un véritable bien, du fait qu’il a en lui-même de quoi être ordonné au bien principal, qui est la fin ultime ; l’autre qui n’est qu’un bien apparent et non véritable, car il s’éloigne du bien final.

Ainsi donc, il est clair que la vertu absolument véritable est celle qui ordonne au bien principal de l’homme ; ainsi Aristote définit-il la vertu " La disposition de ce qui est parfait à ce qu’il y a de mieux. " En ce sens, il ne peut y avoir de vertu véritable sans la charité.

Mais, si l’on envisage la vertu par rapport à une fin particulière, on peut dire alors qu’il y a une certaine vertu sans charité, en tant qu’une telle vertu est ordonnée à un bien particulier.

Toutefois si ce bien particulier n’est pas un vrai bien, mais un bien apparent, la vertu qui s’y ordonne ne sera pas une vertu véritable, mais un faux-semblant de vertu. Ainsi, dit S. Augustin : " On ne tiendra pas pour vraie vertu la prudence des avares combinant leurs petits profits ; la justice des avares qui leur fait dédaigner le bien par crainte de plus graves pertes ; la tempérance des avares qui leur fait réprimer leur appétit, parce qu’il leur coûte trop cher ; la force des avares qui, selon la parole d’Horace, les fait passer, pour fuir la pauvreté, à travers la mer, les rochers et les flammes. "

Mais si ce bien particulier est un bien véritable, comme la défense de la cité ou quelque œuvre de ce genre, il y aura vertu véritable, mais imparfaite, à moins qu’elle ne soit référée au bien final et parfait. De la sorte, une vertu véritable ne peut absolument pas exister sans la charité.

Solutions :

1. Celui qui n’a pas la charité peut agir de deux façons. Ou bien il agit en raison de son défaut même de charité, par exemple quand il fait quelque chose qui se rapporte à ce qui exclut en lui la charité. Un tel acte est toujours mauvais. Comme le dit S. Augustin , l’acte d’un Infidèle agissant comme tel est toujours un péché, vêtirait-il un pauvre, ou accomplirait-il quelque chose de semblable, s’il le fait en ayant son infidélité pour fin. Ou bien celui qui n’a pas la charité agit, non en raison de ce qu’il n’a pas la charité, mais en vertu de quelque autre don de Dieu, qu’il possède : foi, espérance, ou même le bien de nature qui n’est pas totalement détruit par le péché, nous l’avons dit précédemment. Dans ce cas, sans la charité, il peut y avoir un acte qui, par son genre, est bon ; non pas cependant parfaitement bon, car il lui manque l’ordination requise à la fin ultime.

2. La fin est, dans l’action, ce qu’est le principe dans la connaissance spéculative : ainsi, de même qu’il ne peut y avoir science véritable sans une exacte intelligence du principe premier et indémontrable, de même il ne peut y avoir véritable justice et véritable chasteté s’il manque l’ordination requise à la fin, qui se réalise par la charité, quand bien même, pour tout le reste, on se comporterait avec rectitude.

3. La science et l’art visent par définition un bien particulier, et non pas la fin ultime de la vie humaine, comme c’est le cas pour les vertus morales qui rendent l’homme purement et simplement bon, comme nous l’avons dit antérieurement. Et c’est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

 

            Article 8 — La charité est-elle la forme des vertus ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car la forme d’une chose est ou exemplaire ou essentielle. Mais la charité n’est pas forme exemplaire des autres vertus, car alors il faudrait que toutes les autres vertus fussent de la même espèce que la charité. De même, la charité n’est pas forme essentielle des autres vertus, parce qu’elle ne se distinguerait plus de celles-ci. Donc la charité n’est en aucune façon la forme des vertus.

2. La charité est comparée aux autres vertus comme leur racine et leur fondement, selon la parole de S. Paul (Ep 3, 17) : " Enracinés et fondés dans la charité. " Or ce qui est racine ou fondement n’a pas raison de forme, mais plutôt de matière, car c’est là ce qui vient en premier dans la génération. La charité n’est donc pas la forme des vertus.

3. La forme, la fin et la cause efficiente ne peuvent pas se rencontrer dans un même sujet, comme le montre Aristote. Or on dit de la charité qu’elle est la fin et la mère des vertus. Elle ne doit donc pas être appelée la forme des vertus.

En sens contraire, S. Ambroise affirme que la charité est la forme des vertus.

Réponse :

En morale, la forme d’un acte se prend principalement de la fin ; la raison en est que le principe des actes moraux est la volonté, dont l’objet, et pour ainsi dire la forme, est la fin[4451]. Or, la forme d’un acte suit toujours la forme de l’agent qui produit cet acte. Il faut donc qu’en une telle matière ce qui donne à un acte son ordre à la fin lui donne aussi sa forme.

Or il est évident, d’après ce qui a été dit précédemment, que la charité ordonne les actes de toutes les autres vertus à la fin ultime. Ainsi, elle donne aussi à ces actes leur forme. Et c’est pour cela qu’elle est dite forme des vertus, car les vertus elles-mêmes ne sont telles que par rapport aux actes formés.

Solutions :

1. La charité n’est pas appelée forme des autres vertus de façon exemplaire ou essentielle, mais plutôt par mode d’efficience, en tant qu’elle impose sa forme à toutes, de la manière qu’on vient d’expliquer.

2. On compare la charité au fondement et à la racine pour signifier que par elle sont soutenues et nommées toutes les autres vertus, mais non pas en donnant à ces mots la signification de cause matérielle.

3. On doit dire que la charité est la fin des autres vertus, parce qu’elle les ordonne toutes à sa fin propre. Et, parce qu’une mère est celle qui conçoit en elle-même par un autre, on peut dire que la charité est la mère des autres vertus parce que, à partir de l’appétit de la fin ultime, elle conçoit les actes des autres vertus, en les impérant.

 

 

QUESTION 24 — LE SIÈGE DE LA CHARITÉ

1. La charité siège-t-elle dans la volonté ? - 2. Est-elle causée dans l’homme par les actes le qui la précèdent ou par infusion divine ? - 3. Est-elle infusée en nous en proportion de nos capacités naturelles ? - 4. S’accroît-elle chez celui qui la possède ? - 5. S’accroît-elle par addition ? - 6. S’accroît-elle par chacun de ses actes ? - 7. S’accroît-elle à l’infini ? - 8. La charité peut-elle être parfaite ? - 9. Les différents degrés de la charité. - 10. La charité peut-elle diminuer ? - 11. Peut-on la perdre une fois qu’on la possède ? - 12. La perd-on par un seul acte de péché mortel ?

 

            Article 1 — La charité siège-t-elle dans la volonté ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car la charité est un certain amour, mais pour Aristote l’amour siège dans le concupiscible, non dans la volonté.

2. La charité est la plus fondamentale des vertus, nous l’avons dit précédemment. Mais le siège de la vertu est la raison. Il semble donc que la charité siège dans la raison, non dans la volonté.

3. La charité s’étend à toutes les actions humaines, selon l’Apôtre (1 Co 16, 14) : " Que toutes vos œuvres soient faites dans la charité. " Or le principe des actes humains est le libre arbitre. Il paraît donc que la charité siège surtout dans le libre arbitre, non dans la volonté.

En sens contraire, l’objet de la charité est le bien, qui est aussi l’objet de la volonté. Donc la charité siège dans la volonté.

Réponse :

Nous avons vu dans la première Partie qu’il y a deux appétits : l’appétit sensible, et l’appétit intellectuel nommé volonté ; l’un et l’autre ont pour objet le bien, mais de façon différente. Car l’objet de l’appétit sensible est le bien appréhendé par les sens, tandis que l’objet de l’appétit intellectuel ou volonté est le bien sous la raison commune de bien, tel que l’intellect peut le saisir. Or la charité n’a pas pour objet un bien sensible, mais le bien divin, que seule l’intelligence peut connaître. Et c’est pourquoi le siège de la charité n’est pas l’appétit sensible, mais l’appétit intellectuel, c’est-à-dire la volonté.

Solutions :

Le concupiscible fait partie de l’appétit sensible et non de l’appétit intellectuel, comme nous l’avons montré dans la première Partie . Aussi l’amour qui est dans le concupiscible est-il l’amour d’un bien sensible. Mais le concupiscible ne peut s’étendre au bien divin, qui est d’ordre intelligible ; seule la volonté le peut, C’est pourquoi le concupiscible ne peut être le siège de la charité.

2. Avec Aristote, on peut dire que la volonté est, elle aussi, dans la raison. Et c’est pourquoi la charité, puisqu’elle est dans la volonté, n’est pas étrangère à la raison. Toutefois, la raison n’est pas la règle de la charité comme elle l’est des vertus humaines ; elle est réglée par la sagesse de Dieu, et elle dépasse la norme de la raison humaine, selon la parole de S. Paul (Ep 3, 19) : " Vous connaîtrez la charité du Christ, qui surpasse toute science. " Ainsi la charité n’est pas dans la raison celle-ci n’est pas son siège comme elle l’est de la prudence, ni son principe régulateur comme elle l’est pour la justice et le tempérance ; on note seulement une certaine affinité de la volonté avec la raison.

3. Le libre arbitre n’est pas une puissance distincte de la volonté, nous l’avons dit dans la première Partie. Et cependant la charité n’est pas dans la volonté, en tant que faculté du libre arbitre, dont l’acte propre consiste à choisir. En effet, selon Aristote " le choix concerne les moyens, tandis que la volonté comme telle porte sur la fin ". C’est pourquoi l’on doit dire que la charité, qui a pour objet la fin ultime, est dans la volonté plutôt que dans le libre arbitre.

 

            Article 2 — La charité est-elle causée dans l’homme par les actes qui la précèdent ou par infusion divine ?

Objections - 1. Il ne paraît pas qu’elle soit causée en nous par infusion. Car ce qui est commun à tous les êtres créés doit, par nature, appartenir à l’homme. Mais, selon Denys " le bien divin est digne de dilection et aimable pour tous ", ce qui est l’objet de la charité. Donc la charité existe en nous par nature, et non par infusion.

2. Plus un être est aimable, plus il est facile de l’aimer. Or Dieu est souverainement aimable, puisqu’il est souverainement bon. Il est donc plus facile de l’aimer que d’aimer les autres êtres. Mais pour aimer ceux-ci nous n’avons pas besoin d’un habitus infus. Il n’en fait donc pas non plus pour aimer Dieu.

3. " La fin du précepte, écrit S. Paul (1 Tm 1, 5), est la charité qui procède d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sans détours. " Or ces trois dispositions concernent les actes humains. Donc la charité est causée en nous par des actes antérieurs et non par infusion.

En sens contraire, l’Apôtre dit (Rm 5, 5) " La charité de Dieu a été diffusée dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. "

Réponse :

La charité, on l’a vu plus haut, est une amitié de l’homme pour Dieu, fondée sur la communication de la béatitude éternelle. Or cette communication n’est pas de l’ordre des biens naturels, mais des dons gratuits, puisque selon la parole de S. Paul (Rm 6, 23), " le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle ". Aussi la charité elle-même excède-t-elle le pouvoir de la nature. Mais ce qui dépasse le pouvoir de la nature ne peut ni exister naturellement, ni être acquis par des puissances naturelles, car un effet naturel ne dépasse pas sa cause.

C’est pourquoi la charité ne peut venir en nous naturellement, ni être acquise par nos forces naturelles. Elle ne peut venir que d’une infusion de l’Esprit Saint, qui est l’amour du Père et du Fils, dont la participation en nous est la charité elle-même, produite de la façon que nous avons dite plus haut.

Solutions :

1. Denys parle ici de l’amour de Dieu qui est fondé sur la communication des biens naturels, et qui, de ce fait, existe par nature en toutes choses. Mais la charité est fondée sur une communication surnaturelle. Aussi la comparaison ne vaut-elle pas.

2. Dieu est éminemment connaissable en lui-même, mais non point pour nous, à cause de la déficience de notre connaissance, qui dépend des réalités sensibles ; de même, Dieu est en lui-même souverainement aimable en tant qu’il est l’objet de la béatitude, mais sous cet aspect, il ne se présente pas à nous comme ce qu’il faut aimer le plus, car l’inclination de notre cœur nous porte à aimer les biens visibles. Il faut donc, pour que nous aimions ainsi Dieu par-dessus tout, que la charité soit infusée dans nos cœurs.

3. Quand il est dit que la charité procède en nous " d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sans détours ", cela doit s’entendre de l’acte de la charité, lorsqu’il est avivé par de telles dispositions. Ou bien l’on pourrait encore dire que des attitudes de ce genre disposent l’homme à recevoir l’infusion de la charité. C’est également le sens qu’il faut donner à ces paroles de S. Augustin : " La crainte introduit en nous la charité ", et à ces paroles de la Glose sur S. Matthieu (1, 2) : " La foi engendre l’espérance, et l’espérance la charité. "

 

            Article 3 — La charité est-elle infusée en nous en proportion de nos capacités naturelles ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il, car il est dit en S. Matthieu (25, 15) : " Il a donné à chacun selon ses capacités. " Mais dans l’homme il n’y a pas de vertu autre que la vertu naturelle qui puisse précéder la charité, puisque, avons-nous dit précédemment. sans la charité il n’y a aucune vertu. Dieu infuse donc la charité en l’homme selon l’importance de sa vertu naturelle.

2. Dans toute série de réalités ordonnées entre elles, la seconde est proportionnée à la première ; ainsi, dans les choses matérielles, la forme est proportionnée à la matière, et, dans les dons gratuits, la gloire est proportionnée à la grâce. Mais la charité, étant une perfection de la nature, peut être envisagée comme venant en second par rapport aux capacités naturelles. Il semble donc qu’elle soit infusée en proportion des capacités naturelles.

3. Les hommes et les anges participent de la charité pour le même motif : parce que le motif de la béatitude est le même chez les uns et chez les autres, comme on le voit en S. Matthieu (22, 30) et en S. Luc (20, 36). Or, la charité et les dons gratuits sont accordés aux anges en proportion de la capacité de leur nature, ainsi que l’enseigne le Maître des Sentences. Il semble donc qu’il en soit de même chez les hommes.

En sens contraire, S. Jean nous dit (3, 8) : " L’esprit souffle où il veut ", et S. Paul (1 Co 12, 11) : " Le même et unique Esprit opère tout cela en distribuant à chacun ses dons comme il veut. " La charité n’est donc pas donnée en proportion des capacités naturelles, mais selon la volonté de l’Esprit, qui distribue ses dons.

Réponse :

La quantité de chaque chose pend de sa cause propre, car une cause plus universelle produit un effet plus grand. Or la charité est hors de proportion avec la nature humaine, on vient de le dire ; elle ne peut donc provenir d’une cause naturelle, mais seulement de la grâce du Saint-Esprit, qui l’infuse en nous. Et c’est pourquoi la mesure de la charité ne dépend pas des conditions de la nature, ni de la capacité de la vertu naturelle, mais seulement de la volonté du Saint-Esprit distribuant ses dons comme il veut. D’où cette parole de l’Apôtre (Ep 4, 7) : " A chacun de nous la grâce est accordée selon la mesure du don du Christ. "

Solutions :

1. La vertu en proportion de laquelle Dieu octroie ses dons à chacun est une disposition et une préparation antécédente, ou comme un élan de celui qui reçoit la grâce. Mais cette disposition ou élan est prévenue par le Saint-Esprit, qui meut plus ou moins l’esprit de l’homme, selon qu’il le veut. C’est pourquoi l’Apôtre dit (Col 1, 12) : " Il nous a rendus capables de partager le sort des saints dans la lumière. "

2. La forme n’est pas hors de proportion avec la matière, mais elles sont du même genre. Semblablement, la grâce et la gloire se réfèrent au même genre, parce que la grâce n’est pas autre chose qu’un commencement de la gloire en nous. Mais la charité et la nature n’appartiennent pas au même genre. Le cas est donc différent.

3. L’ange est une nature intellectuelle e t, par sa condition même, il lui appartient, lorsqu’il se porte vers quelque chose, de s’y porter tout entier, comme on l’a vu dans la première Partie. C’est pourquoi, chez les anges supérieurs, l’élan de l’esprit fut plus grand : vers le bien chez ceux qui persévérèrent, et vers le mal chez ceux qui tombèrent ; aussi les premiers devinrent-ils meilleurs que les autres anges, et les seconds pires. Mais l’homme est une créature raisonnable, à laquelle il convient d’être tantôt en puissance et tantôt en acte. C’est pourquoi lorsqu’il se porte vers quelque chose, il ne s’y porte pas forcément de façon totale ; il peut ainsi n’y avoir, chez celui qui est naturellement mieux doué, qu’un élan plus faible, et inversement. La raison alléguée pour l’ange ne vaut donc pas pour l’homme.

 

            Article 4 — La charité s’accroît-elle chez celui qui la possède ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car seul peut augmenter ce qui est de l’ordre de la quantité. Or il y a deux sortes de quantité : la quantité dimensive, et la quantité virtuelle. La première ne saurait convenir à la charité, puisque celle-ci est une perfection spirituelle. La quantité virtuelle, pour sa part, est appréciée par rapport aux objets. mais la charité ne peut s’accroître de cette manière, puisqu’en son degré le plus minime elle aime déjà tout ce qui doit être aimé de charité. Donc la charité ne s’accroît pas.

2. Ce qui est au terme n’augmente plus. Or, la charité est au terme, puisqu’elle est la plus grande des vertus, et l’amour souverain du bien le meilleur. Donc la charité ne peut s’accroître.

3. L’accroissement est un mouvement. Par conséquent ce qui s’accroît se meut, et ce qui s’accroît essentiellement se meut essentiellement. Mais seul l’être qui est engendré ou corrompu se meut essentiellement. Donc la charité ne peut augmenter essentiellement, à moins qu’elle ne soit engendrée de nouveau, ou corrompue, ce qui n’est pas ce que l’on veut dire.

En sens contraire, S. Augustin dit : " La charité mérite d’augmenter, afin que, une fois augmentée, elle mérite de devenir parfaite. "

Réponse :

La charité de la route (via) peut être augmentée. En effet, si nous sommes appelés voyageurs (viatores), c’est parce que nous sommes en marche vers Dieu, qui est le terme final de notre béatitude. Sur ce chemin nous progressons d’autant plus que nous nous rapprochons davantage de Dieu, dont on ne s’approche pas par une marche du corps mais par les affections de l’âme. Or c’est la charité qui produit ce rapprochement, du fait que par elle notre âme est unie à Dieu. Et c’est pourquoi il est de la nature de la charité du voyage de pouvoir s’accroître, car, s’il n’en était pas ainsi, le cheminement lui-même prendrait fin. Aussi l’Apôtre appelle-t-il la charité une " voie " lorsqu’il dit d’elle (1 Co 12, 31) : " je vais encore vous montrer une voie qui les dépasse toutes. "

Solutions :

1. La quantité dimensive ne saurait convenir à la charité, mais seulement la quantité virtuelle. Celle-ci ne s’apprécie pas seulement d’après le nombre des objets, c’est-à-dire selon que l’on aime plus ou moins de choses, mais aussi d’après l’intensité de l’acte, selon qu’un objet est plus ou moins aimé. Et c’est de cette manière que s’accroît la quantité virtuelle de la charité.

2. La charité est au maximum quant à son objet, en tant que son objet est le souverain bien, ce qui fait qu’elle est elle-même la plus excellente des vertus. Mais, du point de vue de l’intensité de l’acte, toute charité n’est pas à son maximum.

3. Certains ont prétendu que la charité n’augmente pas selon son essence, mais seulement selon son enracinement dans le sujet, ou encore selon son degré de ferveur. C’est ignorer le sens des mots. En effet, puisque la charité est un accident, son être consiste précisément à exister dans un sujet ; par conséquent, s’accroître selon son essence n’est autre chose pour elle qu’exister davantage dans son sujet, ce qui revient à s’y enraciner davantage. De même également, la charité est une vertu essentiellement ordonnée à l’acte ; ainsi, dire qu’elle s’accroît selon son essence, ou dire qu’elle a le pouvoir de produire un acte plus fervent de dilection, revient au même. Il faut donc conclure que la charité s’accroît essentiellement non en ce sens qu’elle commence d’exister ou qu’elle cesse d’exister dans un sujet, comme le voulait l’objection, mais en ce sens qu’elle se met à y exister de plus en plus.

 

            Article 5 — La charité s’accroît-elle par addition ?

Objections :

1. Il semble bien qu’il en soit ainsi, car l’accroissement dans la quantité virtuelle a lieu de la même manière que dans la quantité corporelle. Or, dans la quantité corporelle, l’accroissement se fait par addition. Aristote dit en effet : " L’accroissement résulte d’une addition à une grandeur préexistante. " L’accroissement de la charité, qui relève de la quantité virtuelle, se fera donc par addition.

2. La charité est dans l’âme une certaine lumière spirituelle, selon cette parole (1 Jn 2, 1 0) : " Celui qui aime son frère demeure dans la lumière. " Mais la lumière augmente dans l’air par addition ; ainsi augmente-t-elle dans une maison si l’on y allume un autre flambeau. Donc la charité, elle aussi, s’accroît dans l’âme par addition.

3. Il appartient à Dieu d’augmenter la charité comme il lui appartient de la produire initialement selon S. Paul (2 Co 9, 10) : " Il fera croître les fruits de votre justice. " Mais Dieu, en infusant pour la première fois la charité dans l’âme, y produit quelque chose qui n’y était pas auparavant. De même, en augmentant la charité, il produit dans l’âme quelque chose qui n’y était pas encore. La charité s’accroît donc par addition.

En sens contraire, la charité est une forme simple ; or ce qui est simple s’ajoutant à ce qui est simple ne produit pas un être plus grand, comme le prouve Aristote. Par conséquent, la charité ne s’accroît pas par addition.

Réponse :

Dans toute addition, une chose est ajoutée à une autre. C’est pourquoi, avant toute addition, les choses à additionner devront au moins être saisies par la pensée comme distinctes. Donc, si de la charité est ajoutée à de la charité, il faut que l’on ait reconnu que la charité ajoutée est distincte de celle à laquelle elle est adjointe ; distincte non pas nécessairement dans la réalité, mais au moins pour la pensée. Dieu pourrait en effet augmenter une quantité corporelle en lui ajoutant une grandeur qui n’aurait pas existé auparavant, mais qu’il créerait alors ; cette grandeur, bien qu’elle n’ait pas existé dans la nature, a du moins en elle-même de quoi être saisie comme distincte de la quantité à laquelle elle est ajoutée. Donc, si de la charité est ajoutée à la charité, il est nécessaire de présupposer, au moins en pensée, que ces deux charités sont distinctes de l’autre.

Or, dans les formes, il y a deux sortes de distinctions : la distinction spécifique et la distinction numérique. La distinction spécifique, dans le cas des habitus, se prend de la diversité des objets, et la distinction numérique de la diversité des sujets. Il peut donc arriver qu’un habitus s’accroisse par addition, du fait qu’il vient à s’étendre à des objets qu’il n’atteignait pas jusqu’alors ; ainsi s’accroît la science de la géométrie chez celui qui découvre des conclusions dont il n’avait pas encore connaissance. Mais on ne peut pas dire cela de la charité, puisque la moindre charité s’étend déjà à tout ce qui doit être aimé de charité. On ne peut donc pas concevoir, dans l’accroissement de la charité, qu’il y ait une addition de ce genre, où serait présupposée une distinction spécifique de la charité ajoutée à celle qui reçoit cette addition.

Il reste donc, si de la charité s’additionne à de la charité, que cela se fasse en supposant une distinction numérique, laquelle tient à la diversité des sujets ; ainsi la blancheur augmente parce que du blanc s’ajoute à côté du blanc, quoique, par cette augmentation, une chose ne devienne pas plus blanche. Mais on ne peut pas le dire dans le cas présent ; car la charité n’a pour sujet que l’âme raisonnable, de sorte qu’un accroissement de ce genre, pour la charité, ne pourrait avoir lieu que si une âme raisonnable était ajoutée à une autre âme raisonnable, ce qui est impossible. D’ailleurs, même si c’était possible, un tel accroissement agrandirait l’être aimant, mais ne ferait pas qu’il aime davantage. Il reste donc que d’aucune façon l’accroissement de la charité ne peut se faire par addition de charité à charité, comme certains le prétendent.

La charité ne s’accroît donc que parce que son sujet en est de plus en plus participant, c’est-à-dire qu’il est davantage actué par elle, et lui est plus soumis.

C’est là, en effet, le mode d’accroissement propre à toute forme dont l’intensité grandit, car l’être d’une forme de ce genre consiste totalement à inhérer au sujet qui la reçoit. C’est pourquoi, puisque la grandeur d’une chose correspond à son être, devenir plus grand, pour une forme", c’est inhérer davantage à son sujet ; et non pas qu’une autre forme survienne. C’est ce qui se passerait si une forme avait une certaine quantité par elle-même, et non par rapport à son sujet. Ainsi donc la charité s’accroît du fait qu’elle s’intensifie dans son sujet ; et en cela elle s’accroît essentiellement ; mais cela n’a pas lieu par addition de charité à charité.

Solutions :

1. La quantité corporelle a certaines propriétés en tant qu’elle est quantité, et certaines autres en tant qu’elle est une forme accidentelle.

En tant qu’elle est quantité, elle est susceptible d’être distinguée, soit selon la dimension, soit selon le nombre ; sous cet aspect, l’augmentation de grandeur est à prendre par addition, comme on le voit à propos des animaux.

En tant que forme accidentelle, la quantité corporelle n’est susceptible d’être distinguée que par rapport à son sujet. De ce point de vue, elle a un accroissement propre, comme les autres formes accidentelles, par mode d’intensification dans son sujet, comme on le voit dans les corps qui se raréfient, Aristote le montre. Semblablement, la science aussi a une quantité en tant qu’elle est un habitus, du côté des objets, et, sous ce rapport, elle s’accroît par addition du fait que l’on connaît davantage de choses. Et elle a également une quantité, en tant qu’elle est une forme accidentelle, du fait qu’elle inhère à un sujet. De ce point de vue, la science s’accroît chez celui qui acquiert une certitude plus grande de ce qu’il connaissait déjà. De même la charité a aussi une double quantité ; mais, ainsi qu’on vient de le dire, elle ne s’accroît pas selon la quantité qui est relative aux objets. Il reste donc qu’elle augmente seulement par intensité.

2. Une addition de lumière à lumière peut se comprendre dans l’air, à cause de la diversité des luminaires. Mais une telle distinction ne s’applique pas dans notre cas, parce qu’il n’y a qu’un seul luminaire à répandre la lumière de la charité.

3. L’infusion de la charité implique une mutation dans la possession et la non-possession de celle-ci ; il faut que quelque chose survienne dans le sujet qui n’y était pas auparavant. Mais l’accroissement de la charité implique une mutation dans l’ordre d’une possession plus ou moins grande. Il n’est pas nécessaire alors que quelque chose se mette à exister dans le sujet, qui antérieurement n’y existait pas, mais qu’y existe davantage ce qu’auparavant y existait moins. Et voilà ce que Dieu fait lorsqu’il augmente la charité : quelle existe davantage en celui qui la possède, et que la ressemblance de l’Esprit Saint soit participée plus parfaitement dans l’âme.

 

            Article 6 — La charité s’accroît-elle par chacun de ses actes ?

Objections :

1. Il semble bien que la charité s’accroît par chaque acte de charité. Qui peut le plus peut le moins. Or chaque acte de la charité peut mériter la vie éternelle, ce qui est davantage qu’un simple accroissement de la charité, parce que la vie éternelle inclut la perfection de la charité. Donc, à plus forte raison, chaque acte de la charité accroît-il cette vertu.

2. De même que les habitus des vertus acquises sont engendrés par leurs actes, de même aussi l’accroissement de la charité est produit par les actes de la charité. Or, chaque acte vertueux contribue à engendrer la vertu. Donc, chaque acte de charité contribue à engendrer la charité.

3. " S’arrêter sur le chemin qui conduit à Dieu, dit S. Grégoire, c’est reculer. " Mais aucun de ceux qui sont mus par un acte de charité ne recule. Donc, tout homme qui est mû par un tel acte progresse dans la voie de Dieu. Donc tout acte de charité contribue à l’accroissement de la charité.

En sens contraire, l’effet ne dépasse pas la puissance de sa cause. Or il arrive qu’un acte de charité soit fait avec tiédeur ou relâchement ; il ne saurait donc aboutir à une charité plus excellente, et il dispose plutôt à une charité moindre.

Réponse :

L’accroissement spirituel de la charité est semblable d’une certaine façon à la croissance corporelle. Or, la croissance corporelle, chez les animaux et les plantes, n’est pas un mouvement continu, c’est-à-dire un mouvement tel que si une chose s’accroît de telle quantité dans un temps donné, il est nécessaire que, dans chaque partie de ce temps, elle s’accroisse proportionnellement, comme c’est le cas dans le mouvement local. Mais dans la croissance corporelle, pendant un certain temps, la nature travaille à préparer l’accroissement, sans toutefois en produire aucune de façon actuelle ; ensuite, elle réalise effectivement ce qu’elle avait préparé, faisant ainsi grandir en acte l’animal ou la plante. De même aussi, la charité ne s’accroît pas de façon actuelle par n’importe quel acte de charité ; mais chaque acte dispose à l’accroissement de la charité en tant que, par un acte de charité, un homme est rendu plus prompt à agir de nouveau selon la charité ; puis la facilité de produire cet acte venant à s’accentuer, l’homme s’élance vers un acte d’amour plus fervent, qui marque son effort vers le progrès de la charité. C’est alors que celle-ci est effectivement accrue en lui.

Solutions :

1. Tout acte de charité mérite la vie éternelle, pour que celle-ci soit donnée non aussitôt, mais en son temps. Semblablement aussi, tout acte de charité mérite Il l’accroissement de la charité, non que cet accroissement ait lieu aussitôt, mais seulement si l’on a fait effort pour cet accroissement.

2. Dans la génération d’une vertu acquise, chaque acte n’aboutit pas au complet achèvement de cette vertu, mais il y contribue en le préparant. Vient enfin le dernier acte, plus parfait, qui, agissant en vertu des actes précédents, réalise l’achèvement de la vertu ; ainsi en est-il de la multitude des gouttes d’eau qui creusent une pierre.

3. On progresse dans les voies de Dieu non seulement quand la charité s’accroît effectivement, mais encore lorsqu’on se dispose à son accroissement.

 

Article 7 — La charité s’accroît-elle à l’infini ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car tout mouvement, dit Aristote, tend à une fin et à un terme. Or la croissance de la charité est assimilable à un mouvement. Donc elle tend à une fin et à un terme. Par conséquent, la charité ne s’accroît pas indéfiniment.

2. Aucune forme n’excède la capacité de son sujet. Or la créature raisonnable, qui est le sujet de la charité, n’a qu’une capacité finie. La charité ne peut donc croître indéfiniment.

3. Toute réalité finie peut, par accroissement continu, atteindre à la quantité d’une autre réalité finie, quelle que soit la grandeur dont celle-ci la surpasse, à moins que ce qui s’ajoute par addition soit toujours de moins en moins grand. C’est ainsi, remarque Aristote, que si à une ligne donnée on ajoute par additions infinies ce que l’on retranche à une autre ligne qu’on divise à l’infini, jamais on ne parviendra à cette quantité déterminée qui est composée des deux lignes : celle que l’on divise, et celle à laquelle on ajoute ce qui est pris à l’autre.

Mais cela n’a pas lieu dans notre cas, car il n’est pas nécessaire que le second accroissement de la charité soit moindre que celui qui le précède ; il est plus probable qu’il est égal ou plus grand. Ainsi donc, comme la charité de la patrie représente quelque chose de fini, il s’ensuivrait, si la charité du voyage pouvait croître à l’infini, que cette charité du voyage pourrait devenir égale à la charité de la patrie ; ce qui est contradictoire. La charité de la terre ne peut donc pas croître indéfiniment.

En sens contraire, l’Apôtre dit (Ph 3, 12) : " Ce n’est pas que je sois déjà au but, ni déjà devenu parfait : mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir. " Et à ce propos la Glose dit : " Aucun fidèle, même après avoir beaucoup progressé, ne peut dire : cela me suffit ; celui qui parle ainsi sort de la route avant la fin. " La charité peut donc, sur le chemin du ciel, s’accroître de plus en plus.

Réponse :

L’accroissement d’une forme peut avoir une limite pour trois raisons : soit à cause de la forme elle-même, car une forme a une mesure limitée ; une fois cette mesure atteinte, on ne saurait aller au-delà sans passer à une autre forme ; ainsi en est-il d’une couleur grise : une altération continue fait passer de la blancheur à la noirceur. Soit à cause de l’agent, si sa vertu active n’est pas suffisante pour accroître davantage la forme dans le sujet ; soit en raison du sujet, s’il n’est pas lui-même susceptible d’une perfection ultérieure.

Or, pour aucun de ces motifs, on ne peut assigner de terme à l’accroissement de la charité ici-bas. En effet, la charité, considérée dans sa nature spécifique propre, n’a rien qui limite son accroissement, car elle est une participation de la charité infinie qui est l’Esprit Saint. De même, la cause qui accroît la charité est d’une vertu infinie, puisque c’est Dieu. Enfin, du côté du sujet, on ne saurait non plus fixer de terme à l’accroissement de la charité ; car, toujours, la charité augmentant, l’aptitude à augmenter encore s’accroît d’autant plus ; il reste donc qu’ici-bas l’on ne peut assigner aucune limite à l’accroissement de la charité.

Solutions :

1. Sans doute, l’accroissement de la charité tend vers une fin ; mais cette fin n’est pas dans la vie présente ; elle est dans la vie future.[4452]

2. La capacité de la créature spirituelle est augmentée par la charité, car celle-ci dilate notre cœur, selon la parole de S. Paul (2 Co 6, 11) : " Notre cœur s’est grand ouvert. " C’est pourquoi, après chaque accroissement, demeure toujours l’aptitude à un plus grand.

3. Cet argument vaut pour des choses qui ont une quantité de même nature, et non pour celles dont les quantités sont de nature différente ; ainsi une ligne aura beau croître, elle n’atteindra jamais les dimensions d’une surface. Or la charité d’ici-bas, qui suit la connaissance de foi, et la charité du ciel, qui suit la vision face à face, n’ont pas des quantités de même nature. L’argument n’est donc pas valable.

 

            Article 8 — La charité du voyage peut-elle être parfaite ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car c’est surtout chez les Apôtres que cette perfection aurait dû se rencontrer. Or elle n’a pas existé chez eux, puisque S. Paul (Ph 3, 12) écrit : " Non que je sois déjà au but, ni déjà devenu parfait. " Donc la charité ne peut pas être parfaite en cette vie.

2. " Ce qui nourrit la charité, affirme S. Augustin, diminue la convoitise ; là où se trouve la perfection, il n’y a aucune convoitise. " Or cela n’est pas possible en cette vie, où nous ne pouvons être exempts de péché, selon la parole de S. Jean (1 Jn 1, 8) : " Si nous disons - nous n’avons pas de péché, nous nous abusons. " Or tout péché procède d’une convoitise désordonnée. Par conséquent la charité ne peut pas être parfaite en cette vie.

3. Ce qui est déjà parfait ne peut croître ultérieurement. Or la charité, en cette vie, peut toujours croître, on vient de le dire.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " La charité, en se renforçant, se perfectionne ; quand elle atteint la perfection, elle dit : je désire mourir et être avec le Christ. " Or cela est possible en cette vie, puisqu’il en fut ainsi chez S. Paul (Ph 1, 23). La charité peut donc être parfaite en cette vie.

Réponse :

La perfection de la charité peut être envisagée à deux points de vue : 1° par rapport à l’objet aimé ; 2° par rapport à celui qui aime. Par rapport à l’objet aimé, la charité est parfaite quand une chose est aimée autant qu’elle est aimable. Or Dieu est aussi aimable qu’il est bon ; et comme sa bonté est infinie, il est infiniment aimable. Mais aucune créature ne peut aimer Dieu infiniment, puisque toute vertu créée est limitée. Par conséquent, de ce point de vue, la charité ne peut être parfaite en aucune créature, mais seulement la charité par laquelle Dieu s’aime lui-même.

Du côté de celui qui aime, on dit que la charité est parfaite quand on aime autant qu’il est possible d’aimer. Et cela arrive de trois manières. D’abord parce que tout le cœur de l’homme se porte de façon actuelle et continue vers Dieu, et telle est la perfection de la charité du ciel ; elle n’est pas possible en cette vie où, en raison de la faiblesse humaine, on ne peut être continuellement en acte de penser à Dieu et de se porter affectueusement vers lui. En deuxième lieu, parce que l’homme s’applique tout entier à vaquer à Dieu et aux choses divines en laissant tout le reste, sauf ce que requièrent les nécessités de la vie présente. Telle est la perfection de la charité qui est possible ici-bas ; elle n’est toutefois pas le partage de tous ceux qui possèdent la charité. Enfin lorsqu’on donne habituellement tout son cœur à Dieu, au point de ne rien penser ni de rien vouloir qui soit contraire à l’amour de Dieu. Et telle est la perfection qui est commune à tous ceux qui ont la charité.

Solutions :

1. L’Apôtre ici ne reconnaît pas en lui la charité de la patrie : " Il était parfait voyageur, dit la Glose, mais il n’avait pas encore atteint le terme du voyage. "

2. L’affirmation de S. Jean concerne les péchés véniels, qui sont contraires non à l’habitus de la charité, mais à son acte ; aussi ne s’opposent-ils pas à la perfection du voyage, mais à la perfection de la patrie.

3. La perfection de la charité, telle qu’elle peut être réalisée en cette vie, n’est pas une perfection absolue ; elle est donc toujours capable de croître.

 

            Article 9 — Les différents degrés de la charité

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse accepter la distinction entre trois degrés de charité : commençante, progressante, et parfaite. Car, entre le commencement de la charité et son ultime perfection, il y a de multiples degrés. Ce n’est donc pas un seul degré intermédiaire qu’il faudrait poser.

2. Dès que la charité commence à exister, elle commence aussi à progresser. On ne doit dorc pas distinguer la charité qui progresse de la charité commençante.

3. Quelque parfaite charité que l’on puisse avoir en ce monde, cette charité, nous l’avons vu, pourra toujours augmenter. Or, pour la charité, s’accroître c’est progresser, et ainsi n’y a-t-il pas lieu de distinguer la charité parfaite de la charité progressante. En fin de compte, il ne convient donc pas d’assigner trois degrés à la charité.

En sens contraire, S. Augustin dit " Quand la charité est née, elle est nourrie ", ce qui a trait aux commençants ; " quand elle a été nourrie, elle se fortifie ", ce qui se rapporte aux progressants ; " quand elle a été fortifiée, elle est rendue parfaite ", ce qui s’applique aux parfaits. Il y a donc trois degrés de charité.

Réponse :

Sous certains rapports, l’accroissement spirituel de la charité peut être comparé à la croissance corporelle de l’homme. Or, bien que l’on puisse distinguer en celle-ci un grand nombre d’étapes différentes, elle offre cependant certaines divisions bien déterminées, caractérisées par les activités ou les préoccupations auxquelles l’homme est amené au long de sa croissance. Ainsi appelle-t-on enfance l’âge de la vie qui précède l’usage de la raison. On distingue ensuite un autre état de l’homme, qui correspond au moment où il commence à parler et à user de la raison. Un troisième état est celui de la puberté -. quand l’homme devient capable d’engendrer. Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il ait atteint son développement parfait.

De même, on distingue divers degrés de charité, d’après les soucis divers auxquels l’homme est amené par le progrès de sa charité. D’abord son souci premier doit être de s’écarter du péché et de résister aux convoitises qui le poussent en sens contraire de la charité. Et cela concerne les débutants, chez qui la charité doit être nourrie et entretenue de peur qu’elle ne se perde. Un deuxième souci vient ensuite, celui de tendre principalement à avancer dans le bien ; un tel souci est celui des progressants, qui visent surtout à ce que leur charité, par sa croissance, se fortifie. Enfin le troisième souci est que l’homme cherche principalement à s’unir à Dieu et à jouir de lui ; et cela s’applique aux parfaits qui " désirent mourir et être avec le Christ ". Ainsi, dans le mouvement corporel, distinguons-nous pareillement ces trois moments : l’éloignement du point de départ, le rapprochement du terme, enfin le repos en celui-ci.

Solutions :

1. Toutes les distinctions intermédiaires dans l’accroissement de la charité sont comprises dans les trois distinctions dont nous venons de parler, comme toutes les divisions des réalités continues sont comprises, selon Aristote, sous ces trois chefs : le commencement le milieu et la fin.

2. Ceux qui débutent dans la charité, bien qu’ils y progressent, ont pour principal souci de résister aux péchés dont les assauts les tourmentent. Dans la suite, ils ressentent moins ces assauts et déjà ils travaillent d’une certaine façon avec plus de sécurité à leur avancement ; cependant " tout en construisant d’une main, ils gardent l’épée dans l’autre ", comme Esdras le dit de ceux qui reconstruisaient Jérusalem (Ne 4, 17).

3. Les parfaits eux aussi progressent dans la charité, mais ce n’est pas là pour eux la recherche fondamentale ; ce qui les préoccupe par-dessus tout, c’est de s’unir à Dieu. Et bien que les commençants et les progressants le recherchent également, ils sont pris davantage par d’autres soucis : celui d’éviter les péchés, chez les commençants, et celui d’avancer dans la vertu, chez les progressants.

 

            Article 10 — La charité peut-elle diminuer ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il, car les contraires doivent naturellement se produire à propos d’une même réalité ; or la diminution et l’accroissement sont des contraires. Donc, puisque la charité s’accroît, comme on vient de le voir, il semble qu’elle puisse aussi diminuer.

2. S. Augustin dit, en s’adressant à Dieu : " Il t’aime moins, celui qui aime quelque chose avec toi. " Et il dit encore : " Ce qui nourrit la charité diminue la convoitise. " D’où il apparaît qu’à l’inverse l’accroissement de la convoitise entraîne une diminution de la charité. Or la convoitise, par laquelle on aime quelque chose d’autre que Dieu, peut croître chez l’homme. Donc la charité peut diminuer.

3. " Dieu, dit S. Augustin n’opère pas, en justifiant l’homme, de telle façon que son œuvre demeure en celui-ci, s’il vient à s’éloigner. " On peut en conclure que Dieu, en conservant la charité dans l’homme, opère de la même manière que lorsqu’il l’infuse en lui pour la première fois. Or, lorsque Dieu infuse la charité pour la première fois, il l’infuse moins grande chez celui qui s’y dispose moins. De même, lorsqu’il la conserve, devra-t-il la conserver moins grande chez celui dont les dispositions sont moins bonnes. Donc la charité peut diminuer.

En sens contraire, dans le Cantique des cantiques (8, 6), la charité est comparée au feu : " Ses traits ". c’est-à-dire ceux de la charité, " sont des traits de feu, une flamme du Seigneur ". Or le feu, tant qu’il dure, monte toujours. Donc la charité, tant qu’elle subsiste, peut monter ; mais elle ne peut pas descendre, c’est-à-dire diminuer.

Réponse :

La quantité de la charité qui est relative à son objet propre ne peut pas diminuer, pas plus qu’elle ne peut s’accroître, on l’a vu plus haut.

Mais, puisque la charité s’accroît selon la quantité qu’elle possède par rapport à son sujet, on peut se demander si, de ce point de vue, elle peut aussi diminuer. Si elle diminue, il faut qu’elle diminue par un acte, ou seulement par cessation d’acte. Par cessation d’acte sont diminuées les vertus acquises par des actes ; parfois même elles sont détruites, comme on l’a vu antérieurement. C’est pourquoi Aristote dit à propos de l’amitié : " Bien des amitiés sont détruites parce que l’ami n’est plus appelé ", c’est-à-dire du fait qu’on ne l’appelle plus, ou qu’on ne lui parle plus. Et il en est ainsi parce que la conservation d’une chose dépend de sa cause ; or la cause d’une vertu acquise, c’est l’acte humain ; donc, si les actes humains cessent, cette vertu acquise s’affaiblit et finit par disparaître totalement. Mais cela n’a pas lieu pour la charité, qui est produite par Dieu seul et non par des actes humains, comme on l’a dit précédemment. Il s’ensuit que, même si son acte vient à cesser, la charité n’est pas pour autant diminuée ni détruite, si du moins le péché n’est pour rien dans cette cessation.

De ce qui précède on doit conclure que la diminution de la charité ne peut avoir d’autre cause que Dieu ou quelque péché. Mais aucune déficience ne nous est infligée par Dieu, sinon par mode de châtiment, en ceci qu’il nous retire sa grâce en châtiment du péché. Il ne lui convient donc pas de diminuer en nous la charité sinon par mode de châtiment, celui-ci étant dû au péché. Il reste donc, si la charité diminue, que le péché seul en est la cause, soit que le péché produise cette diminution soit qu’il la mérite. Or, ni d’une façon ni de l’autre, le péché mortel ne diminue la charité, car il la détruit totalement ; et par cause effective parce que tout péché mortel est contraire à la charité, nous le verrons plus loin ; et par démérite, car celui qui en péchant mortellement agit contre la charité est digne que Dieu la lui retire.

Pareillement, même par le péché véniel la charité ne peut être diminuée, pas plus par mode d’efficience que par démérite. Par efficience, car le péché véniel n’atteint pas la charité elle-même. Celle-ci, en effet, porte sur la fin dernière, tandis que le péché véniel est un désordre relatif aux moyens. Or l’amour d’une fin ne se trouve pas diminué du fait que l’on tombe dans quelque dérèglement à l’égard des moyens. Ainsi arrive-t-il à certains malades, qui tiennent beaucoup à leur santé, de faire certains accrocs à leur régime. De même, dans les sciences spéculatives, les opinions fausses qui concernent les conclusions ne diminuent pas la certitude des principes.

Pareillement, le péché véniel ne mérite pas que la charité soit diminuée. Si quelqu’un, en effet, est fautif en de petites choses, il ne mérite pas de subir un détriment dans un domaine plus important. Dieu ne se détourne pas davantage de l’homme que celui-ci ne se détourne de lui. Par conséquent, celui dont le dérèglement ne porte que sur les moyens ne mérite pas de subir un détriment dans sa charité, par laquelle ü est ordonné à sa fin ultime.

La conséquence de tout cela est que la charité ne peut d’aucune manière subir de diminution, si l’on prend ce mot dans sa signification Cependant, on peut indirectement appeler diminution de la charité ce qui vient des péchés véniels, du fait que la charité n’exerce plus ses actes.

Solutions :

1. Les contraires se produisent à l’égard d’une même réalité quand le sujet de ces contraires se rapporte de la même manière à tous deux. Or, la charité ne se prête pas de la même manière à l’augmentation et à la diminution ; elle peut avoir une cause qui l’accroît, mais elle ne peut avoir de cause qui la diminue. Aussi l’objection ne porte pas,

2. Il y a deux convoitises. La première met sa fin dans la créature, et elle tue totalement la charité, étant, selon le mot de S. Augustin, " son poison ". Elle aboutit à ce que Dieu soit moins aimé qu’il ne doit l’être lorsqu’il est aimé de charité, non en diminuant celle-ci, mais en la détruisant totalement ; et c’est ainsi qu’il faut comprendre la parole citée par l’objection " Il t’aime moins, celui qui aime quelque chose avec toi. " S. Augustin précise en effet : " Quelque chose qu’il n’aime pas pour toi. " Cela n’arrive pas dans le péché véniel, mais seulement dans le péché mortel ; car ce que l’on aime dans le péché véniel, on l’aime encore pour Dieu, en vertu de l’habitus, quoique ce ne soit plus en acte. La seconde sorte de convoitise est celle du péché véniel, qui est toujours diminuée par la charité ; mais elle ne peut diminuer la charité, pour la raison qu’on vient de donner.

3. Un mouvement du libre arbitre est nécessaire pour l’infusion de la charité, nous l’avons dit. Et c’est pourquoi ce qui diminue l’intensité du libre arbitre contribue, comme disposition, à ce qu’une charité moindre soit infusée. Mais, pour conserver la charité, il n’est pas besoin d’un mouvement du libre arbitre ; autrement, la charité ne demeurerait pas chez ceux qui dorment. Par conséquent, le défaut d’intensité du mouvement du libre arbitre ne diminue pas la charité.

 

            Article 11 — Peut-on perdre la charité une fois qu’on la possède ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car si l’on perd la charité, ce ne peut être que par le péché. Or, celui qui a la charité ne peut pécher. S. Jean dit en effet (1 Jn 3, 9) : " Quiconque est né de Dieu ne commet pas le péché, parce que le germe divin demeure en lui, et il ne peut pécher, puisqu’il est né de Dieu. " Or, il n’y a que les fils de Dieu qui possèdent la charité, car selon S. Augustin " c’est elle qui distingue entre les fils du Royaume et les fils de perdition ". Donc celui qui possède la charité ne peut la perdre.

2. S. Augustin dit : " La dilection qui n’est pas vraie ne mérite pas son nom. " Or, comme il le dit encore : " La charité qui peut défaillir n’a jamais été vraie. " Donc, il n’y avait pas de charité. Donc, quand on possède la charité, on ne peut plus la perdre.

3. S. Grégoire dit : " L’amour de Dieu, quand il existe, opère de grandes choses ; s’il cesse d’agir, la charité n’existe plus. " Mais nul, en accomplissant de grandes choses, ne perd la charité. Donc, quand la charité existe, elle ne peut être perdue.

4. Le libre arbitre ne peut être incliné au péché que par un motif qui l’entraîne. Mais la charité exclut tous les entraînements au péché : amour de soi, convoitise, etc. La charité ne peut donc être perdue.

En sens contraire, il est dit dans l’Apocalypse (2, 4) : " J’ai contre toi que tu as perdu ton amour d’antan. "

Réponse :

Par la charité, l’Esprit Saint habite en nous, comme nous l’avons montré". Donc nous pouvons considérer la charité de trois façons. Tout d’abord du côté de l’Esprit Saint mouvant l’âme à aimer Dieu. De ce côté, la charité ne peut pas pécher à cause de la vertu de l’Esprit Saint qui opère infailliblement tout ce qu’il veut. C’est pourquoi il ne saurait être vrai simultanément que le Saint-Esprit veuille mouvoir quelqu’un à faire un acte de charité, et que cet homme perde la charité en péchant : le don de persévérance doit être compté parmi les " bienfaits de Dieu grâce auxquels ceux qui sont délivrés le sont très certainement ", selon S. Augustin.

On peut, en deuxième lieu, envisager la charité selon sa raison propre. Et, sous ce rapport, la charité ne peut faire que ce qui convient à la raison même de charité. C’est pourquoi elle ne peut en aucune façon pécher " pas plus que la chaleur ne peut refroidir, ni l’injustice produire quelque chose de bon ", dit S. Augustin.

On peut enfin considérer la charité par rapport au sujet, lequel est changeant au gré du libre arbitre. Mais ce rapport de la charité au sujet peut lui-même être envisagé de deux façons : soit du point de vue général des relations de la forme avec la matière, soit du point de vue particulier des relations de l’habitus avec la puissance.

Il appartient à une forme d’exister dans un sujet de façon telle qu’elle puisse se perdre lorsqu’elle ne comble pas toute la potentialité de la matière, comme on le voit pour les formes des êtres soumis à la génération et à la corruption. Cela vient de ce que la matière de ces êtres reçoit une forme de manière à rester encore en puissance à une autre forme, comme si la potentialité de la matière n’était pas totalement remplie par une seule forme ; c’est pourquoi une forme peut se perdre par réception d’une autre forme. Au contraire, la forme d’un corps céleste demeure en lui de façon permanente, parce qu’elle comble si bien toute la potentialité de la matière qu’il ne reste plus en celle-ci de puissance à une autre forme. Ainsi en est-il de la charité : celle de la patrie est permanente parce qu’elle emplit toute la potentialité de l’esprit, en ce sens que tout mouvement actuel de celui-ci se porte vers Dieu ; la charité du voyage ne comble pas ainsi toute la potentialité de son sujet, parce qu’elle ne se porte pas toujours en acte vers Dieu. Aussi, quand elle ne s’y porte pas, quelque chose peut survenir qui fasse perdre la charité.

Quant à l’habitus, il lui est propre d’incliner la puissance à agir selon ce qui convient à l’habitus, en tant qu’il fait juger bon ce qui lui convient, et mauvais ce qui lui est contraire. En effet, de même que le goût apprécie les saveurs selon sa disposition propre, de même l’esprit humain juge de ce qu’il doit faire d’après sa disposition créée par les habitus, ce qui fait dire à Aristote r : " La fin apparaît à chacun selon ce qu’il est en lui-même. " A ce point de vue donc, la charité ne peut se perdre là où ce qui convient à la charité ne peut paraître autrement que bon. Ce sera le cas de la patrie, où Dieu sera vu par son essence, qui est l’essence même de la bonté. Et c’est pourquoi la charité de la patrie ne peut se perdre. Mais la charité du voyage en l’état de laquelle on ne voit pas l’essence même de Dieu, qui est l’essence de la bonté, peut se perdre.

Solutions :

1. S. Jean, dans le texte cité, veut parler de la puissance de l’Esprit Saint qui, par sa protection, rend exempts du péché ceux qu’il meut autant qu’il le veut.

2. La charité qui comprendrait dans sa raison même la possibilité de tomber ne serait pas une vraie charité. Car si son amour impliquait de n’aimer que pour un temps, et ensuite de cesser d’aimer, ce ne serait pas de la dilection véritable. Mais si la charité vient à se perdre du fait de la mutabilité du sujet, contre l’intention même de la charité qui est incluse en son acte, cela n’est pas contraire à la vérité de la charité.

3. L’amour de Dieu se propose toujours d’accomplir de grandes choses, car cela ressortit à la raison de charité. Cependant, en acte, il n’accomplit pas toujours de grandes choses à cause de la condition du sujet.

4. La charité, par la nature même de son acte, exclut tout motif de pécher. Mais il arrive que la charité n’agit pas actuellement. C’est alors que peut se produire un motif poussant à pécher ; si l’on y consent, on perd la charité.

 

            Article 12 — Peut-on perdre la charité par un seul acte de péché mortel ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Origène dit en effet : " Que le dégoût vienne à envahir quelqu’un de ceux qui sont établis au plus haut degré de perfection, je ne pense pas qu’il abandonne ou qu’il tombe d’un seul coup, mais il est nécessaire que sa chute ait lieu peu à peu et par degrés. " Or l’homme tombe lorsqu’il perd la charité. Donc celle-ci ne se perd pas par un seul acte de péché mortel.

2. Le pape S. Léon, dans un sermon sur la Passion, interpelle ainsi S. Pierre : " Le Seigneur a vu en toi, non pas une foi défaillante, ni un amour infidèle, mais une constance ébranlée. Les larmes abondèrent là où n’avait pas défailli l’affection, et les eaux de la charité lavèrent les paroles échappées à la peur. " Et S. Bernard dit à partir de ces paroles : " En S. Pierre, la charité n’était pas éteinte, mais endormie. " Or, en reniant le Christ, Pierre a péché mortellement. Donc, la charité n’est point perdue par un seul acte de péché mortel.

3. La charité est plus forte qu’une vertu acquise. Mais l’habitus d’une vertu acquise n’est pas supprimé par un acte de péché mortel. A plus forte raison la charité ne se perd-elle point par un seul acte contraire de péché mortel.

4. La charité comprend l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Mais il peut se faire, semble-t-il, que quelqu’un commette certains péchés mortels tout en conservant ces deux amours. Car l’amour déréglé des moyens n’enlève pas l’amour de la fin, nous l’avons dit. La charité pour Dieu peut donc subsister malgré l’existence d’un péché mortel provenant d’un attachement désordonné à quelque bien temporel.

5. Les vertus théologales ont pour objet la fin ultime. Mais les vertus théologales autres que la charité, c’est-à-dire la foi et l’espérance, ne se perdent point par un seul acte de péché mortel, mais subsistent à l’état informe. Donc la charité, elle aussi, peut demeurer à l’état informe même lorsqu’on a commis un péché mortel.

En sens contraire, par le péché l’homme devient digne de la mort éternelle, selon la parole de l’Apôtre (Rm 6, 23) : " Le salaire du péché, c’est la mort. " Mais quiconque a la charité possède le mérite de la vie éternelle ; il est dit, en effet, en S. Jean (14, 21) : " Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et je l’aimerai et me manifesterai à lui. " Et la vie éternelle consiste précisément dans cette manifestation, selon cette autre parole du même évangile (17, 3) : " La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, jésus Christ. " Mais personne ne peut être digne en même temps de la vie éternelle et de la mort éternelle. Il est donc impossible que quelqu’un ait la charité avec le péché mortel. Donc la charité est enlevée par un seul acte de péché mortel.

Réponse :

Un contraire est exclu quand survient un autre contraire. Or tout acte de péché mortel est contraire à la raison propre de la charité, qui consiste pour l’homme à aimer Dieu par-dessus tout, et à se soumettre à lui totalement, et lui rapportant tout ce que l’on a. Il appartient donc à la raison de la charité d’aimer Dieu de telle sorte qu’on veuille se soumettre à lui en toute chose, et qu’en toute chose on suive la règle de ses commandements. Car tout ce qui est contraire aux préceptes divins est manifestement contraire à la charité et peut donc par soi-même l’exclure.

Sans doute, si la charité était un habitus acquis dépendant de l’activité du sujet, sa perte ne résulterait pas nécessairement d’un seul acte contraire. Car un acte n’est pas directement contraire à l’habitus, mais à l’acte de celui-ci ; or il ne s’impose pas, pour la continuation d’un habitue dans un sujet, qu’il y ait une continuité d’actes ; par conséquent, s’il survient un acte contraire, l’habitus acquis n’est pas aussitôt supprimé.

Mais la charité, parce qu’elle est un habitus infus, dépend de l’action de Dieu. Celui-ci la communique à l’âme, et agit dans l’infusion et la conservation de la charité à la manière du soleil dans l’illumination de l’air, comme nous l’avons dit récemment. C’est pourquoi, de même que la lumière cesserait aussitôt dans l’air si l’on faisait obstacle au rayonnement du soleil, de même la charité cesse d’exister dans l’âme, dès que l’on fait obstacle à son infusion par Dieu dans l’âme. Or, manifestement, tout péché mortel, allant à l’encontre des préceptes divins, fait obstacle à cette infusion ; du fait que, par choix, l’homme préfère le péché à cette amitié avec Dieu qui exige l’accomplissement de sa volonté, il s’ensuit qu’aussitôt, par un seul acte de péché mortel, l’habitus de charité est perdu. C’est pourquoi S. Augustin dit : " Dieu lui étant présent, l’homme est illuminé ; mais Dieu étant absent, il tombe aussitôt dans les ténèbres ; il s’éloigne de lui non par la distance des lieux mais par l’aversion de sa volonté. "

Solutions :

1. Les paroles d’Origène peuvent s’entendre d’abord en ce sens : l’homme parvenu à la perfection ne tombe pas tout d’un coup dans le péché mortel, mais il y est disposé par quelque négligence antérieure. Nous l’avons vu plus haut en effet, les péchés véniels sont considérés comme une disposition au péché mortel. Cependant, celui qui commet un seul péché mortel tombe, ayant perdu la charité.

Mais comme Origène ajoute : " Si quelqu’un, après une chute de courte durée, se repent aussitôt, il ne paraît pas être tombé tout à fait ", on peut dire aussi que, dans la pensée de cet auteur, la ruine et la chute complètes sont celles de l’homme qui pèche par malice. Et il est certain que celui qui est parfait n’en vient pas là instantanément et d’emblée.

2. La charité se perd de deux manières directement, par mépris actuel, et ce n’est pas ainsi que Pierre la perdit. Indirectement, quand on commet un acte contraire à la charité, sous l’influence d’une passion de convoitise ou de crainte ; c’est en agissant ainsi contre la charité, que Pierre la perdit ; mais il la recouvra bientôt.

3. Notre Réponse a résolu cette objection.

4. Le péché mortel n’est pas constitué par n’importe quel dérèglement de l’affectivité à l’égard des moyens, c’est-à-dire des biens créés, mais seulement par un dérèglement tel qu’il s’oppose à la volonté divine ; et c’est cela même qui est directement contraire à la charité, nous venons de le dire dans la Réponse.

5. La charité implique une certaine union à Dieu que ne supposent ni la foi ni l’espérance. Or, on l’a vu, tout péché mortel consiste à se détourner de Dieu, et s’oppose ainsi à la charité. Mais tout péché mortel n’est pas contraire à la foi et à l’espérance, sauf certains péchés déterminés, par lesquels les habitue de foi et d’espérance sont détruits, comme l’habitus de charité l’est par tout péché mortel. D’où il suit évidemment que la charité ne peut rester à l’état informe, puisque, du fait qu’elle se rapporte à Dieu comme à la fin dernière, elle est la forme ultime des vertus, nous l’avons dit.

L’OBJET DE LA CHARITÉ

A ce sujet nous nous demanderons : I. Ce que l’on doit aimer de charité (Q. 25). II. Dans quel ordre il convient de le faire (Q. 26).

 

 

QUESTION 25 — CE QUE L’ON DOIT AIMER DE CHARITÉ

1. Dieu seul doit-il être aimé de charité, ou aussi le prochain ? - 2. La charité doit-elle être aimée de charité ? - 3. Les créatures sans raison doivent-elles être aimées de charité ? - 4. Peut-on s’aimer soi-même de charité ? - 5. Doit-on aimer de charité son propre corps ? - 6. Les pécheurs doivent-ils être aimés de charité ? - 7. Les pécheurs s’aiment-ils eux-mêmes ? - 8. Doit-on aimer de charité ses ennemis ? - 9. Faut-il leur donner des marques d’amitié ? - 10. Les anges doivent-ils être aimés de charité ? 11. Et les démons ? 12. Énumération de ce qu’il faut aimer de charité.

 

            Article 1 — Dieu seul doit-il être aimé de charité, ou aussi le prochain ?

Objections :

1. Il semble que la dilection de la charité s’arrête à Dieu et ne s’étend pas au prochain. En effet, de même que nous devons à Dieu notre amour, de même devons-nous le craindre selon le Deutéronome (10, 12) : " Et maintenant, Israël, que te demande le Seigneur, ton Dieu, sinon de le craindre et de l’aimer ? " Or la crainte qu’inspire un homme, appelée crainte humaine, diffère de la crainte de Dieu qui est servile ou filiale, nous l’avons montré. Donc l’amour de charité dont on aime Dieu est différent de l’amour dont nous aimons notre prochain.

2. " Aimer, c’est honorer ", dit Aristote. Mais l’honneur de latrie, qui est dû à Dieu, est différent de l’honneur de dulie qui est dû à la créature. L’amour que l’on a pour Dieu est donc égal ment différent de l’amour que l’on porte au prochain.

3. " L’espérance d’après la Glose, engendre la charité. " Mais l’espérance que l’on met er I)icu doit être exclusive, de telle sorte que ceux qui espèrent en l’homme méritent d’être blâmés, selon la parole de Jérémie (17, 5) : " Malheur à l’homme qui se confie en l’homme. " Pareillement, la charité qui est due à Dieu ne doit pas s’étendre au prochain.

En sens contraire, S. Jean nous dit (1 Jn 4, 21) " Voici le commandement que Dieu nous donne celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère. "

Réponse :

Les habitus, avons-nous dit e. ne se diversifient que par ce qui change l’espèce de leurs actes, car tous les actes d’une même espèce relèvent d’un même habitus. Puisque l’espèce d’un acte est déterminée par son objet selon la raison formelle de celui-ci, il faut nécessairement que l’acte qui vise la raison formelle d’un objet soit de même espèce que celui qui vise l’objet sous cette même raison ; ainsi sont de même espèce la vision de la lumière, et la vision de la couleur considérée sous la raison de lumière. Or, la raison d’aimer le prochain, c’est Dieu ; car ce que nous devons aimer dans le prochain, c’est qu’il soit en Dieu’. Il est donc manifeste que l’acte par lequel Dieu est aimé, et celui par lequel est aimé le prochain sont de même espèce. Par conséquent l’habitus de la charité ne s’étend pas seulement à l’amour de Dieu, mais aussi à l’amour du prochain.

Solutions :

1. On peut craindre le prochain, et aussi l’aimer, de deux manières. Premièrement, pour ce qui lui appartient en propre : ainsi on redoute un tyran à cause de sa cruauté, ou bien on l’aime parce qu’on désire acquérir de lui quelque faveur. En ce sens, la crainte de l’homme se distingue de la crainte de Dieu et de même l’amour. Deuxièmement on craint et on aime un homme pour ce qu’il y a de Dieu en lui : ainsi l’on redoute la puissance séculière parce qu’elle a reçu de Dieu la mission de punir les malfaiteurs, et on l’aime parce qu’elle rend la justice. Ici, la crainte et l’amour de l’homme ne se distinguent pas de la crainte et de l’amour de Dieu.

2. L’amour se rapporte au bien en général, tandis que l’honneur se rapporte au bien propre de celui qui est honoré ; en effet, on rend honneur à quelqu’un en témoignage de sa vertu personnelle. C’est pourquoi l’amour ne connaît pas différentes espèces du fait que la bonté de ceux qu’il vise est plus ou moins grande, du moment que cette bonté se réfère à un même bien commun ; mais l’honneur, lui, se diversifie selon les mérites particuliers de chacun. C’est pourquoi nous aimons tous nos proches d’un même amour de charité, en tant qu’ils se réfèrent à ce bien commun à tous qui est Dieu, mais nous leur rendons des honneurs différents suivant la vertu propre de chacun. Et de même, nous rendons à Dieu l’honneur singulier de latrie, à cause de sa vertu sans pareille.

3. On blâme ceux qui mettent leur espoir dans l’homme comme dans l’auteur principal de leur salut ; non ceux qui espèrent en l’homme comme dans un aide au service de Dieu. De même, on serait répréhensible d’aimer son prochain comme sa fin principale, mais non pas de l’aimer à cause de Dieu, ce qui est le propre de la charité.

 

            Article 2 — La charité doit-elle être aimée de charité ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Tout ce que nous devons aimer de charité est renfermé dans les deux préceptes de la charité, comme on le voit en S. Matthieu (22, 37). Or ni l’un ni l’autre ne comprend la charité, puisque la charité n’est ni Dieu, ni le prochain. Donc on ne doit pas aimer de charité la charité elle-même.

2. La charité, nous l’avons vu, est fondée sur la communication de la béatitude. Or la charité ne peut pas participer de la béatitude. Elle ne doit donc pas être aimée de charité.

3. La charité, on l’a dit plus haut, est une amitié. Or, on ne peut éprouver d’amitié à l’égard de la charité ; pas plus qu’à l’égard de ce qui est accident, parce que la réciprocité d’amour est de l’essence de l’amitié, et que les choses de cette nature n’en sont pas capables. Donc la charité ne doit pas être aimée de charité.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Celui qui aime son prochain, par cela seul aime la dilection elle-même. " Mais on aime son prochain de charité. Il est donc logique que la charité aussi soit aimée de charité.

Réponse :

La charité est un amour. Or l’amour, par la nature de la puissance dont il est l’acte, a le pouvoir de faire retour sur lui-même. En effet, parce que la volonté a pour objet le bien universel, tout ce qui a raison de bien peut être objet de volonté. Et comme le vouloir lui-même est quelque chose de bon, en peut vouloir vouloir. De même l’intelligence, qui a le vrai pour objet, comprend qu’elle comprend, parce que cela aussi c’est quelque chose de vrai. Mais, de plus, l’amour a aussi ce pouvoir de retour sur lui-même en raison de sa nature spécifique : parce qu’il est mouvement spontané de celui qui aime vers l’être aimé. Donc, du fait même que l’on aime quelqu’un, on aime aimer.

Mais la charité, nous l’avons dit, n’est pas seulement un amour, elle a raison d’amitié. Or on aime une chose par amitié de deux manières : comme on aime celui pour qui l’on a de l’amitié et à qui l’on veut du bien ; ou comme on aime le bien que l’on veut à son ami. C’est en ce deuxième sens seulement que la charité est aimée par charité, parce que la charité est ce bien que nous souhaitons à tous ceux que nous aimons de charité. Et il en est de même pour la béatitude et pour les autres vertus.

Solutions :

1. Dieu et le prochain sont ceux à qui nous portons amitié. Mais dans notre amour est contenu l’amour de la charité elle-même ; en effet, nous aimons le prochain et Dieu, en tant que nous aimons que nous et le prochain aimions Dieu, ce qui est aimer la charité.

2. La charité est cette communication même de la vie spirituelle qui fait parvenir à la béatitude ; on l’aime donc comme le bien que l’on désire pour tous ceux que l’on aime de charité.

3. Cet argument est valable selon que l’amitié nous fait aimer ceux à qui nous portons de l’amitié.

 

            Article 3 — Les créatures sans raison doivent-elles être aimées de charité ?

Objections :

1. Il semble qu’il faille aussi les aimer. C’est en effet surtout par la charité que nous nous conformons à Dieu. Or Dieu aime de charité les créatures non raisonnables : " Il aime tout ce qui existe ", dit la Sagesse (11, 24), et tout ce qu’il aime, il l’aime pour lui-même, lui qui est charité. Donc, nous aussi, nous devons aimer de charité les créatures sans raison.

2. C’est vers Dieu, par principe, que se porte la charité, et elle s’étend aux autres êtres en tant qu’ils se réfèrent à Dieu. Or, de même que la créature raisonnable se réfère à Dieu, parce qu’elle a la ressemblance de l’image, de même la créature sans raison, parce qu’elle est à la ressemblance du vestige. La charité s’étend donc aussi aux créatures sans raison.

3. Dieu est l’objet de la charité comme il est l’objet de la foi. Or la foi s’étend aux créatures sans raison, car nous croyons que le ciel et la terre ont été créés par Dieu, que les poissons et les oiseaux ont été produits à partir de l’eau, et les animaux qui marchent ainsi que les plantes à partir de la terre. La charité s’étend donc aussi aux créatures sans raison.

En sens contraire, l’amour de charité ne s’étend qu’à Dieu et au prochain. Or, sous le nom de prochain, on ne peut comprendre la créature sans raison parce qu’elle n’a pas en commun avec l’homme la vie raisonnable. Donc la charité ne s’étend pas jusqu’à elle.

Réponse :

La charité nous l’avons vu, est une amitié. Or, par l’amitié, on aime tout d’abord l’ami pour lequel on a de l’amitié ; et en second lieu les biens que l’on souhaite à cet ami. Dans le premier sens, il est impossible d’aimer de charité une créature sans raison. Et cela pour trois motifs, dont deux regardent communément l’amitié, qu’on ne peut avoir pour ces créatures.

1° Notre amitié se porte vers celui à qui nous voulons du bien ; or, à proprement parler, je ne puis vouloir du bien à une créature dépourvue de raison, car il ne lui appartient pas de posséder à proprement parler du bien ; c’est réservé à la créature raisonnable, qui peut seule, par son libre arbitre, user du bien quelle possède. Aussi Aristote déclare-t-il que si nous disons, en parlant des créatures sans raison, qu’il leur arrive du bien ou du mal, c’est seulement par analogie.

2° Toute amitié se fonde sur une communication de vie ; " Rien en effet, remarque Aristote n’est plus propre à l’amitié que de vivre ensemble. " Mais les créatures sans raison ne peuvent communier à la vie humaine, qui est la vie selon la raison. Il ne peut donc pas y avoir d’amitié à leur égard, sinon dans un sens métaphorique.

3° La dernière raison est propre à la charité ; celle-ci est fondée en effet sur la communication de la béatitude éternelle, dont la créature dépourvue de raison n’est pas capable. C’est pourquoi l’amitié de charité ne peut exister à son endroit.

Cependant, nous pouvons aimer de charité les êtres dépourvus de raison, comme des biens, que nous désirons pour les autres, en tant que, par la charité, nous voulons la conservation de ces êtres pour la gloire de Dieu et l’utilité des hommes. Et de cette façon Dieu aime aussi de charité.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. La ressemblance de vestige ne rend pas apte à la béatitude, comme la ressemblance de l’image. Donc la comparaison ne vaut pas.

3. La foi peut s’étendre à tout ce qui est vrai de quelque manière. Au contraire, l’amitié de charité ne concerne que les êtres qui sont destinés à posséder le bien de la vie éternelle. Ce n’est donc paie pareil.

 

            Article 4 — Peut-on s’aimer soi-même de charité ?

Objections :

1. Il semble que l’homme ne s’aime pas d’un tel amour, car, dit S. Grégoire, " pour qu’il y ait charité, il faut au moins être deux ". Donc il n’y a pas de charité à l’égard de soi-même.

2. L’amitié, par définition, implique réciprocité et égalité, dit Aristote ; ce qu’on ne peut pratiquer envers soi-même. Or, nous l’avons vu, la charité est une amitié. Donc, on ne peut avoir de la charité envers soi-même.

3. Ce qui appartient à la charité ne peut être blâmable. " La charité ne fait pas le mal " (1 Co 13, 4). Or, s’aimer soi-même est chose blâmable, car il est dit (2 Tm 3, 1) : " Dans les derniers jours surviendront des moments difficiles, et les hommes seront remplis de l’amour d’eux-mêmes. " L’homme ne peut donc pas s’aimer soi-même d’un amour de charité.

En sens contraire, au Lévitique (19, 18) il est dit : " Tu aimeras ton ami comme toi-même. " Or nous aimons un ami d’un amour de charité. Nous devons donc aussi nous aimer nous-même d’un amour de charité.

Réponse :

Puisque la charité est une amitié, nous pouvons en parler de deux manières. Tout d’abord sous la raison commune d’amitié ; et en ce sens on doit dire qu’il n’y a pas à proprement parler d’amitié à l’égard de soi-même, mais quelque chose de supérieur à l’amitié, puisque l’amitié implique une certaine union ; Denys dit en effetn que " l’amour est une force qui unit " ; or, en chacun, par

rapport à soi-même, il y a unité, ce qui est plus que l’union avec autrui. Aussi, de même que l’unité est le principe de l’union, ainsi l’amour que l’on éprouve pour soi-même est la forme et la racine de l’amitié ; en effet, nous avons de l’amitié pour d’autres lorsque nous nous comportons envers eux comme envers nous-même. Car, dit Aristote, " les sentiments d’amitié envers autrui viennent de ceux que l’on a envers soi-même ". De même encore n’a-t-on pas de science concernant les principes, mais quelque chose de supérieur : leur intelligence immédiate.

En second lieu, nous pouvons parler de la charité selon sa nature propre, en tant qu’elle est principalement une amitié de l’homme pour Dieu et, par voie de conséquence, pour toutes les créatures qui appartiennent à Dieu. Or, parmi celles-ci, il y a le sujet lui-même, qui a la charité. Ainsi, parmi tout ce qu’il aime de charité comme ressortissant à Dieu, l’homme s’aime lui-même d’un amour de charité.

Solutions :

1. S. Grégoire parle ici de la charité selon la raison commune d’amitié.

2. La deuxième objection se place au même point de vue.

3. On blâme ceux qui s’aiment eux-mêmes, quand ils s’aiment selon leur nature sensible à laquelle ils se soumettent. Mais ce n’est pas là s’aimer vraiment selon sa nature raisonnable, de façon à vouloir pour soi les biens qui relèvent de la perfection de la raison. S’aimer de cette façon relève tout à fait de la charité.

 

            Article 5 — Doit-on aimer de charité son propre corps ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car nous n’aimons pas quelqu’un avec qui nous ne voulons pas vivre. Or, ceux qui possèdent la charité ne veulent pas vivre avec leur corps, selon S. Paul (Rm 7, 24) : " Qui me délivrera de ce corps de mort ", et aussi (1, 23) : " Je désire être dégagé des liens du corps, et être avec le Christ. " Donc notre corps ne doit pas être aimé de charité.

2. L’amitié de charité est fondée sur la communication de la jouissance de Dieu. Mais le corps ne peut pas participer à cette jouissance. Donc, on ne doit pas l’aimer de charité.

3. La charité, puisqu’elle est une amitié, ne peut se porter que sur des êtres capables d’une réciprocité d’amour. Or notre corps ne peut pas nous aimer de charité. Donc il ne doit pas être aimé de cette façon.

En sens contraire, S. Augustin indique quatre choses que nous devons aimer par charité, et parmi elles notre propre corps.

Réponse :

Notre corps peut être considéré sous deux aspects : 1° dans sa nature, 2° dans la corruption née du péché et de son châtiment.

Or la nature de notre corps ne vient pas d’un principe mauvais, comme les manichéens l’imaginent, mais elle a été créée par Dieu. C’est pourquoi nous pouvons user du corps pour servir Dieu, comme le prescrit S. Paul (Rm 6, 13) : " Faites de vos membres des armes de justice au service de Dieu. " C’est pourquoi de l’amour de charité dont nous aimons Dieu, nous devons aussi aimer notre corps.

Mais nous ne devons pas aimer dans notre corps la souillure du péché, ni la déchéance du châtiment. Nous devons plutôt désirer par la charité qu’il en soit délivré.

Solutions :

1. L’Apôtre ne repoussait pas l’union avec le corps quant à sa nature ; au contraire, sous ce rapport, il ne voulait pas en être dépouillé, comme il le déclare (2 Co 5, 4) : " Nous ne voudrions pas nous dévêtir, mais revêtir ce second vêtement par-dessus l’autre. " Ce qu’il voulait, c’est être délivré de l’imprégnation de la convoitise qui demeure dans le corps, et de sa déchéance qui " appesantit l’âme ", de telle sorte qu’il ne voit plus Dieu. C’est ce qu’il exprime clairement en l’appelant : " ce corps de mort ".

2. Quoique notre corps ne puisse pas jouir de Dieu en le connaissant et en l’aimant, c’est par les œuvres que nous accomplissons au moyen du corps que nous pouvons parvenir à la parfaite jouissance de Dieu. C’est pourquoi, de la jouissance de l’âme rejaillit jusque dans le corps une certaine béatitude, " une force de santé et d’incorruption ", dit S. Augustin. C’est pourquoi, parce que le corps participe d’une certaine manière à la béatitude, il peut être aimé d’un amour de charité.

3. La réciprocité d’amour a sa place dans l’amitié que l’on a pour un autre, mais pas dans celle que l’on a pour soi-même, soit par rapport à l’âme, soit par rapport au corps.

 

            Article 6 — Les pécheurs doivent-ils être aimés de charité ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car il est dit dans le Psaume (119, 113) : " J’ai détesté les impies. " Mais David avait la charité. Par conséquent la charité doit plutôt faire détester les pécheurs que les faire aimer.

2. " La preuve de l’amour, dit S. Grégoire, ce sont les œuvres que l’on accomplit. " Or, à l’égard des pécheurs, les justes, loin d’accomplir des œuvres d’amour, produisent plutôt celles que la haine inspire : ainsi, dit le Psaume (101, 8) : " Dès le matin je mettais à mort tous les pécheurs du pays " ; de même, dans l’Exode (22, 17), le Seigneur prescrit : " Tu ne laisseras pas en vie les magiciens. " Donc les pécheurs ne doivent pas être aimés de charité.

3. Il appartient à l’amitié de vouloir et de souhaiter du bien aux amis. Or, par charité, les saints souhaitent du mal aux pécheurs, selon cette parole du Psaume (9, 18) : " Que les pécheurs aillent en enfer. " Donc les pécheurs ne doivent pas être aimés de charité.

4. C’est le propre des amis d’avoir les mêmes joies et le même vouloir. Or la charité ne fait pas vouloir ce que veulent les pécheurs, ni se réjouir de ce dont ils se réjouissent ; c’est plutôt le contraire qu’elle produit. Donc les pécheurs ne doivent pas être aimés de charité.

5. " C’est le propre des amis de vivre ensemble ", selon Aristote. Or on ne doit pas vivre avec des pécheurs : " Sortez donc du milieu de ces gens-là ", dit S. Paul (2 Co 6, 17). On ne doit donc pas aimer les pécheurs de charité.

En sens contraire, S. Augustin, remarque que, lorsqu’il est prescrit : " Tu aimeras ton prochain ", le mot prochain " désigne manifestement tous les hommes ". Mais les pécheurs ne cessent pas d’être des hommes, car le péché ne détruit pas la nature. Donc les pécheurs doivent être aimés de charité.

Réponse :

Dans les pécheurs on peut considérer deux choses : la nature et la faute. Par leur nature, qu’ils tiennent de Dieu, ils sont capables de la béatitude, sur la communication de laquelle est fondée la charité, nous l’avons dit. Et c’est pourquoi, selon leur nature, il faut les aimer de charité. Mais leur faute est contraire à Dieu, et elle est un obstacle à la béatitude. Aussi, selon leur faute qui les oppose à Dieu, ils méritent d’être haï s, quels qu’ils soient, fussent-ils père, mère ou proches, comme on le voit en S. Luc (14, 26). Car nous devons haïr les pécheurs en tant qu’il sont tels, et les aimer en tant qu’ils sont des hommes capables de la béatitude. C’est là véritablement les aimer de charité, à cause de Dieu.

Solutions :

1. Le prophète haïssait les impies, en tant qu’impies, en détestant leur iniquité, qui est leur mal. C’est la haine parfaite dont il dit (Ps 139, 22) : " je les haïssais d’une haine parfaite. " Or, détester le mal d’un être et aimer son bien ont une même motivation. Aussi cette haine parfaite relève-t-elle aussi de la charité.

2. Quand des amis tombent dans le péché remarque Aristote, il ne faut pas leur retirer les bienfaits de l’amitié, aussi longtemps qu’on peut espérer leur guérison. Il faut les aider à recouvrer la vertu, plus qu’on ne les aiderait à recouvrer une somme d’argent qu’ils auraient perdue ; d’autant plus que la vertu a plus d’affinité avec l’amitié que n’en a l’argent. Mais, lorsqu’ils tombent dans une extrême malice et deviennent inguérissables, alors il n’y a plus à les traiter familièrement comme des amis. C’est pourquoi de tels pécheurs, dont on s’attend qu’ils nuisent aux autres plutôt que de s’amender, la loi divine comme la loi humaine prescrivent leur mort. Cependant, ce châtiment, le juge ne le porte point par haine, mais par l’amour de charité, qui fait passer le bien commun avant la vie d’une personne. Et pourtant, la mort infligée par le juge sert au pécheur, s’il se convertit, à l’expiation de sa faute, et s’il ne se convertit pas, elle met un terme à sa faute, en lui ôtant la possibilité de pécher davantage.

3. Ces sortes d’imprécations contenues dans l’Écriture peuvent s’interpréter de trois manières. 1° comme des prédictions, et non comme des souhaits ; ainsi : " Que les pécheurs aillent en enfer " (Ps 9, 18), signifie : " Ils iront " en enfer. 2° comme des souhaits ; mais alors le désir de celui qui souhaite ne se rapporte pas à la peine des hommes, mais à la justice de celui qui punit, selon cette parole du Psaume (58, 11) : " Le juste se réjouira en voyant la vengeance " ; car Dieu lui-même, en punissant, " ne se réjouit pas de la perdition des impies ", dit la Sagesse (1, 33), mais de sa propre justice, selon la parole du Psaume (11, 7) : " Le Seigneur est juste et aime la justice. " 3° comme un désir d’éloigner le péché et non comme un désir du châtiment lui-même, ainsi souhaite-t-on que les péchés soient détruits, et que les hommes vivent.

4. Par la charité nous aimons les pécheurs, non pour vouloir ce qu’ils veulent, et pour nous réjouir de ce qui les réjouit, mais pour les amener à vouloir ce que nous voulons, et à se réjouir des choses dont nous nous réjouissons. De là cette parole de Jérémie (15, 19) : " Eux reviendront vers toi, et toi tu n’auras pas à revenir vers eux. "

5. Les faibles doivent éviter de vivre avec les pécheurs, à cause du danger qu’ils courent d’être pervertis par eux. Au contraire, il faut louer les parfaits, dont il n’y a point à redouter la perversion, d’entretenir des relations avec les pécheurs afin de les convertir. C’est ainsi que le Seigneur mangeait et buvait avec les pécheurs, comme on le voit en S. Matthieu (9, 10). Cependant, tous doivent éviter de fréquenter les pécheurs en s’associant à leurs péchés ; c’est ainsi qu’il est dit (2 Co 6, 17) : " Sortez du milieu de ces gens-là, et ne touchez rien d’impur " en consentant au péché.

 

            Article 7 — Les pécheurs s’aiment-ils eux-mêmes ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il, car ce qui est le principe du péché se trouve surtout chez les pécheurs. Or l’amour de soi est le principe du péché ; c’est lui, nous dit S. Augustin, " qui construit la cité de Babylone ". Donc les pécheurs s’aiment extrêmement eux-mêmes.

2. Le péché ne détruit pas la nature. Or, il est de la nature de tout être de s’aimer soi-même ; c’est ainsi que même les créatures sans raison désirent naturellement leur bien propre, comme la conservation de leur être ou autres choses de ce genre. Les pécheurs s’aiment donc eux-mêmes.

3. " Le bien, dit Denys, est aimable à tous. " Or beaucoup de pécheurs se croient bons. Donc beaucoup de pécheurs s’aiment eux-mêmes.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (11, 6) : " Celui qui aime l’iniquité hait son âme. "

Réponse :

S’aimer soi-même est, en un sens, commun à tous ; en un autre sens, c’est le propre des bons ; dans un troisième sens, c’est le propre des méchants. Il est en effet commun à tous d’aimer ce qu’ils regardent comme leur être propre. Or l’homme est dit être quelque chose de deux manières. D’abord selon sa substance et sa nature. C’est ainsi que tous estiment comme un bien qui, leur est commun d’être ce qu’ils sont, c’est-à-dire composés d’âme et de corps. En ce sens, tous les hommes, bons et mauvais, s’aiment eux-mêmes, en ce qu’ils aiment leur propre conservation.

En second lieu, l’homme est dit être quelque chose par ce qu’il a de principal en lui ; c’est ainsi qu’on dit du chef d’une cité qu’il est la cité elle-même : d’où vient que ce que font les chefs, la cité est censée le faire. Or, de cette manière, tous les hommes ne pensent pas être ce qu’ils sont. En effet, ce qui est principal dans l’homme, c’est l’intelligence raisonnable ; ce qui est secondaire, c’est la nature sensible et corporelle : la première étant appelée par l’Apôtre " l’homme intérieur ", et la seconde " l’homme extérieur " (2 Co 4, 6). Or les bons estiment que le principal en eux est la nature raisonnable ou l’homme intérieur, et, par là, ils s’estiment tels qu’ils sont. Mais les méchants croient que le principal en eux est la nature sensible et corporelle ou l’homme extérieur. C’est pourquoi, ne se connaissant pas eux-mêmes de façon juste, ils ne s’aiment pas vraiment, mais ils aiment seulement ce qu’ils prennent pour eux-mêmes. Au contraire les bons, qui ont d’eux-mêmes une connaissance vraie, s’aiment vraiment eux-mêmes.

Aristote le démontrer par les cinq conditions propres à l’amitié. Chacun des amis, en effet : 1° veut l’existence de son ami, et qu’il vive ; 2° il lui veut du bien ; 3° il lui fait du bien ; 4° il vit avec son ami dans la joie ; 5° il n’a qu’un cœur avec lui, partageant ses joies et ses tristesses. Or, c’est ainsi que les bons s’aiment eux-mêmes quant à l’homme intérieur : ils veulent sa conservation dans son intégrité ; ils désirent pour lui son bien, qui est le bien spirituel ; ils s’emploient à le lui procurer ; ils rentrent avec joie dans leur propre cœur, y trouvant les bonnes pensées du présent, le souvenir des biens passés et l’espoir des biens futurs, toutes choses qui les remplissent de joie ; de même il n’y a pas entre eux de discorde dans leur volonté, car leur âme est entièrement unifiée dans ses tendances.

Au contraire, les méchants ne veulent pas conserver l’intégrité de l’homme intérieur, ils n’aspirent pas pour lui aux biens spirituels, et ils ne travaillent pas en ce sens ; il ne leur est pas agréable de vivre avec eux-mêmes en faisant retour à leur cœur, car ils y trouvent le mal, tant présent que passé et futur, et ils ne peuvent que le détester ; ils n’ont pas non plus la paix avec eux-mêmes, puisque leur conscience est remplie de remords, selon ce que Dieu leur dit dans le Psaume (50, 21) : " je t’accuserai, et je me tiendrai en face de toi. " On peut aussi prouver de la même manière que les méchants s’aiment eux-mêmes selon la corruption de l’homme extérieur ; mais ce n’est pas ainsi que les bons s’aiment eux-mêmes.

Solutions :

1. L’amour de soi qui est le principe du péché est celui qui est propre aux méchants, et qui va " jusqu’au mépris de Dieu ", dit S. Augustin au même endroit ; car les méchants désirent les biens extérieurs au point de mépriser les biens spirituels.

2. L’amour naturel, s’il n’est pas totalement détruit chez les méchants, s’y trouve cependant perverti de la manière qui vient d’être dite.

3. Pour autant qu’ils se croient bons, les méchants participent en quelque chose de l’amour de soi. Mais il n’y a pas là un véritable amour de soi, c’est seulement un amour apparent, lequel n’est même plus possible chez ceux qui sont foncièrement mauvais.

 

            Article 8 — Doit-on aimer de charité ses ennemis ?

Objections :

1. Il semble que la charité n’impose pas d’aimer ses ennemis. S. Augustin dit en effet : " Ce bien éminent ", c’est-à-dire l’amour des ennemis, " ne se rencontre pas en tous ceux que nous croyons exaucés, lorsqu’ils disent dans la prière : "Pardonnez-nous nos offenses." " Mais les péchés ne sont pardonnés à personne sans la charité, car il est écrit aux Proverbes (10, 12) : " La charité couvre tous les péchés. " Il n’est donc pas nécessaire à la charité qu’on aime ses ennemis.

2. La charité ne détruit pas la nature. Or toute chose, même l’être dépourvu de raison, hait naturellement son contraire : ainsi la brebis hait le loup, et l’eau hait le feu. La charité ne fait donc pas que nous aimions nos ennemis.

3. " La charité ne fait rien de mal " (1 Co 13, 4). Or il est aussi mal, semble-t-il, d’aimer ses ennemis que de haïr ses amis. D’où ce reproche adressé par Joab à David (2 S 19, 7) : " Tu aimes ceux qui te haïssent, et tu hais ceux qui t’aiment. " Donc la charité ne fait pas que l’on aime ses ennemis.

En sens contraire, le Seigneur dit (Mt 5, 44) " Aimez vos ennemis. "

Réponse :

Aimer ses ennemis peut s’entendre de trois manières différentes. D’abord dans le sens qu’on les aime en tant qu’ils sont ennemis. Cela est pervers et contraire à la charité, car c’est aimer le mal d’autrui.

En deuxième lieu, on peut envisager l’amour des ennemis en tenant compte de leur nature, donc d’une façon universelle. De ce point de vue l’amour des ennemis est nécessaire à la charité, en ce sens que celui qui aime Dieu et le prochain ne doit pas exclure ses ennemis de son amour universel.

Enfin, l’amour des ennemis peut être envisagé en particulier, c’est-à-dire en ce qu’on est mû de façon particulière à aimer son ennemi. Cela n’est pas nécessaire à la charité de façon absolue, parce qu’il n’est pas nécessaire à cette vertu que nous ayons une dilection spéciale à l’égard de chacun de nos semblables, quels qu’ils soient, parce que ce serait impossible. Toutefois, cette dilection spéciale, à l’état de disposition dans l’âme, est nécessaire à la charité en ce sens que l’on doit être prêt à aimer un ennemi en particulier, si c’était nécessaire.

Mais en dehors du cas de nécessité, que l’on témoigne effectivement de l’amour pour son ennemi, cela appartient à la perfection de la charité. En effet, puisque la charité fait aimer le prochain pour Dieu, plus on aime Dieu, plus on témoigne d’amour envers le prochain, sans être arrêté par son inimitié. Ainsi en est-il lorsqu’on a un grand amour pour un homme en particulier ; à cause de cet amour, on se prend à aimer ses enfants, même s’ils sont nos ennemis. Et c’est d’un tel amour que S. Augustin a voulu parler dans la première objection.

Solutions :

1. Cela répond donc à cette objection.

2. Tout être hait naturellement son contraire en tant que tel. Or nos ennemis nous sont contraires en tant qu’ennemis. Nous devons donc les haïr comme tels ; qu’ils soient nos ennemis ne peut que nous déplaire. Mais ils ne nous sont pas contraires comme hommes, et comme capables de la béatitude, et à ce point de vue nous devons les aimer.

3. Aimer ses ennemis, en tant qu’ennemi est chose blâmable ; mais ce n’est pas là ce que fait la charité, nous venons de le dire.

 

            Article 9 — Faut-il donner à ses ennemis des marques d’amitié ?

Objections :

1. Il semble nécessaire à la charité que l’on donne des marques et des preuves d’amitié à son ennemi, car il est dit en S. Jean (1 Jn 3, 18) : " N’aimons pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité. " Or aimer par des actes, c’est donner des signes et des preuves de son amour. Il est donc nécessaire à la charité que l’on témoigne ainsi son amour à ses ennemis.

2. Le Seigneur dit à la fois (Mt 5, 44) : " Aimez vos ennemis ", et " Faites du bien à ceux qui vous haïssent. " Or il est nécessaire à la charité d’aimer ses ennemis. Il faut donc aussi leur faire du bien.

3. Par la charité nous aimons non seulement Dieu, mais encore le prochain. Or, dit S. Grégoire : " L’amour de Dieu ne peut demeurer oisif ; s’il existe, il opère de grandes choses ; s’il n’agit plus, ce n’est pas de l’amour. " Donc la charité envers le prochain ne peut exister sans une action effective. Et comme la charité exige nécessairement que nous aimions tout prochain, même un ennemi, il est également nécessaire à la charité que nous étendions même à ceux-ci ces marques extérieures et effectives d’amour.

En sens contraire, à propos de cette parole du Seigneur en S. Matthieu : " Faites du bien à ceux qui vous haïssent ", la Glose dit : " Faire du bien à ses ennemis est le comble de la perfection. " Mais ce qui relève de la perfection de la charité n’est pas nécessaire à cette vertu. Donc la charité n’exige pas nécessairement que l’on témoigne à ses ennemis par des signes et par des actes l’amour que l’on a pour eux.

Réponse :

Les effets et les marques de la charité procèdent de l’amour intérieur et lui sont proportionnés. Or l’amour intérieur envers les ennemis en général est exigé absolument par le précepte ; tandis que l’amour pour un ennemi en particulier ne l’est pas absolument, mais seulement comme disposition de l’âme, on vient de le dire. Il faut donc en dire autant des actes ou des témoignages d’affection manifestés à l’extérieur. Car il y a des bienfaits et des marques d’amour que l’on doit donner à son prochain en général ; par exemple en priant pour tous les fidèles ou pour tout le peuple, ou bien encore en procurant quelque bienfait à toute la communauté. Être ainsi bienfaisant ou témoigner ainsi de l’amour à des ennemis, est exigé par le précepte ; si l’on s’y refusait, ce serait agir par vengeance, à l’encontre de ces paroles du Lévitique (19, 18) : " Tu ne te vengeras pas, et tu ne garderas pas rancune aux enfants de ton peuple. "

Mais il y a d’autres bienfaits ou d’autres témoignages d’affection que l’on n’accorde qu’i certaines personnes en particulier. Se comporter ainsi à l’égard de ses ennemis n’est pas nécessaire au salut, sinon quant à la préparation de l’âme, de telle sorte que l’on soit disposé à leur venir en aide en cas de nécessité, selon cette parole des Proverbes (25, 21) : " Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire." Mais qu’en dehors du cas de nécessité quelqu’un accorde des bienfaits de ce genre à ses ennemis, cela relève de la perfection de la charité, qui, non contente " de ne pas se laisser vaincre par le mal ", ce qui est de nécessité, veut encore " vaincre le mal par le bien " (Rm 12, 21), ce qui relève de la perfection : non seulement alors on craint de se laisser entraîner à la haine à cause d’une injure que l’on a reçue, mais encore on s’efforce, en faisant du bien à son ennemi, de se faire aimer de lui.

Solutions :

Tout cela donne la réponse aux Objections.

 

            Article 10 — Les anges doivent-ils être aimés de charité ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. " La charité, dit en effet S. Augustin, comporte un double amour, celui de Dieu et celui du prochain. " Or, l’amour des anges n’est pas compris dans l’amour de Dieu, puisqu’ils sont des substances créées. Il semble qu’il n’est pas non plus compris dans l’amour du prochain, puisqu’ils ne sont pas de la même espèce que nous. Donc les anges ne doivent pas être aimés de charité.

2. Les animaux sans raison sont plus proches de nous que les anges, car nous sommes dans le même genre prochain que les animaux. Or, on l’a vu nous n’aimons pas les animaux de charité. Donc nous ne devons pas non plus aimer les anges de cette manière.

3. " Vivre ensemble, dit Aristote, est ce qui convient le plus proprement à des amis. " Or les anges ne vivent pas avec nous, et nous ne pouvons pas même les voir. Nous sommes donc incapables d’avoir pour eux une amitié de charité.

En sens contraire, S. Augustin nous dite : " S’il faut entendre par le prochain celui envers qui nous avons des devoirs de miséricorde, ou bien encore celui qui remplit envers nous ces devoirs de miséricorde, il est évident que le précepte d’aimer notre prochain s’applique aussi aux anges, dont nous recevons tant de bons offices. "

Réponse :

L’amitié de la charité, on l’a vu, est fondée sur la communication de la béatitude éternelle, dont les hommes participent avec les anges selon cette parole en S. Matthieu (22, 30) : " A la résurrection, les hommes seront comme des anges dans le ciel. " Il est donc évident que l’amitié de charité s’étend aussi aux anges.

Solutions :

1. La dénomination de " prochain " ne repose pas seulement sur la communauté d’espèce, mais encore sur celle des bienfaits qui se rapportent à la vie éternelle ; et c’est sur cette communauté qu’est fondée l’amitié de charité.

2. Les animaux sans raison appartiennent au même genre prochain que nous, par la nature sensible ; or ce n’est pas selon cette nature que nous participons de la béatitude éternelle, mais par l’âme raisonnable, qui nous fait communiquer avec les anges.

3. Les anges n’entretiennent pas avec nous ces rapports extérieurs qui résultent de la nature sensible. Cependant nous communiquons avec eux par l’esprit ; imparfaitement en cette vie, mais de manière parfaite dans la patrie, nous l’avons dit plus haut.

 

            Article 11 — Les démons doivent-ils être aimés de charité ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Les anges en effet sont notre prochain, puisque nous avons en commun avec eux l’esprit. Or nous avons cela en commun avec les démons, car chez eux les dons naturels, à savoir l’être, la vie, l’intelligence demeurent dans leur intégrité, selon Denys. Nous devons donc aimer les démons de charité.

2. Les démons diffèrent des anges bienheureux par le péché, de la même façon que les hommes pécheurs diffèrent des hommes justes. Or les hommes justes aiment les pécheurs de charité. Ils doivent donc aussi aimer les démons de charité. 3. Nous devons aimer de charité, à titre de prochain, ceux dont nous recevons certains bienfaits, comme le montre le texte de S. Augustin cité tout à l’heure. Or les démons nous sont utiles en bien des choses. " En nous tentant ils nous tressent des couronnes ", dit encore S. Augustin. Par conséquent, nous devons les aimer de charité.

En sens contraire, Isaïe dit (28, 18) : " Elle sera rompue, votre alliance avec la mort ; votre pacte avec l’enfer ne tiendra pas. " Or, c’est par charité que se réalise la perfection de la paix et de l’alliance. Donc, nous ne devons pas avoir de charité pour les démons qui sont les habitants de l’enfer et les pourvoyeurs de la mort.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, nous devons, en vertu de la charité, aimer dans les pécheurs leur nature, mais haïr leur péché. Or le mot démons désigne une nature déformée par le péché. Et c’est pourquoi les démons ne doivent pas être aimés de charité.

Mais si, cessant d’argumenter à partir de ce mot, on se demande si ces esprits, que l’on appelle démons, doivent être aimés de charité, il faut répondre en distinguant, selon ce qui a été établi précédemment, une double manière d’aimer de charité.

1° On peut aimer un être comme un objet d’amitié. Dans ce sens, nous ne pouvons pas aimer ces esprits d’une amitié de charité, puisqu’il est de l’essence de l’amitié de vouloir le bien de ses amis. Or le bien éternel, objet de la charité, nous ne pouvons pas le vouloir à des esprits que Dieu a damnés pour l’éternité ; cela irait contre l’amour envers Dieu, qui nous fait approuver sa justice.

2° On peut aimer un être en ce sens que l’on veut le voir subsister pour le bien d’un autre ; nous aimons en vertu de la charité les créatures sans raison, en tant que nous voulons les voir demeurer pour la gloire de Dieu et pour l’utilité des hommes, on l’a vu plus haut. De cette manière nous pouvons aussi aimer de charité la nature des démons, en tant que nous voulons que ces esprits soient conservés dans leurs biens de nature pour la gloire de Dieu.

Solutions :

1. L’esprit des anges n’est pas, comme celui des démons, dans l’impossibilité de posséder la vie éternelle ; et c’est pourquoi l’amitié de charité qui est fondée sur la communauté de vie éternelle, plutôt que sur la communauté de nature, s’exerce à l’égard des anges, et non pas à l’égard des démons.

2. Les hommes pécheurs ont en cette vie la possibilité de parvenir à la béatitude éternelle ; mais cette possibilité, les damnés de l’enfer ne l’ont plus ; aussi doit-on raisonner à leur sujet comme au sujet des démons.

3. Les avantages qui nous viennent des démons ne sont pas dus à leur intention, mais à l’ordonnance de la providence divine. Et c’est pourquoi nous ne sommes pas engagés de ce fait à avoir de l’amitié pour eux, mais à être les amis de Dieu, qui tourne à notre profit leur intention perverse.

 

            Article 12 — Énumération de ce qu’il faut aimer de charité

Objections :

1. Il semble que l’énumération de quatre objets à aimer de charité : Dieu, le prochain, notre corps et nous-même, soit maladroite. Car selon S. Augustin : " Celui qui n’aime pas Dieu ne s’aime pas lui-même. " L’amour de Dieu inclut donc l’amour de soi, et il n’y a pas lieu de distinguer ces deux amours.

2. La partie ne doit pas être divisée par rapport au tout. Or notre corps est une partie de nous-même. On ne doit donc pas le mettre à part comme un objet à aimer séparément de nous-même.

3. Si nous avons un corps, notre prochain en a un aussi. Donc, puisque l’amour dont nous aimons le prochain se distingue de l’amour dont nous nous aimons nous-même, pareillement l’amour du corps du prochain doit se distinguer de l’amour de notre propre corps. Il ne convient donc pas de distinguer quatre objets de la charité.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Il y a quatre choses à aimer : une qui est au-dessus de nous ", c’est-à-dire Dieu ; " une autre qui est nous-même ; une troisième qui est près de nous ", c’est-à-dire notre prochain ; " une quatrième qui est au-dessous de nous ", c’est-à-dire notre propre corps.

Réponse :

Comme il a été dit plus haut, l’amitié de charité est fondée sur la communication de la béatitude. Or, dans cette communication, il y a une réalité que l’on doit regarder comme le principe d’où émane la béatitude, c’est Dieu ; il y a une autre réalité qui participe directement de cette béatitude, c’est l’homme et l’ange ; il y en a enfin une troisième en qui la béatitude dérive par une sorte de rejaillissement, c’est le corps humain. L’être qui communique la béatitude est digne d’être aimé parce qu’il est la cause de la béatitude. Quant à celui qui participe de la béatitude, il peut être aimé pour deux raisons : soit parce qu’il ne fait qu’un avec nous, soit parce qu’il nous est associé dans la participation de la béatitude. A ce titre deux êtres doivent être aimés de charité, selon que l’homme s’aime lui-même et qu’il aime son prochain.

Solutions :

1. Les objets d’amour se diversifient selon que le sujet aimant se rapporte diversement aux objets à aimer. En ce sens, parce que l’homme qui aime a une relation différente avec Dieu et avec lui-même, il faut reconnaître là deux objets d’amour distincts. Et comme l’amour de l’un est cause de l’amour de l’autre, il suit que si le premier est détruit, l’autre l’est également.

2. Le siège de la charité est l’âme raisonnable, celle-ci étant capable de la béatitude. À cette béatitude le corps n’atteint pas directement, il la reçoit seulement par un certain rejaillissement. Et c’est pourquoi l’homme, en s’aimant selon son âme raisonnable, partie principale de son être, aime différemment, selon la charité, lui-même et son propre corps.

3. L’homme aime son prochain et dans son âme et dans son corps, parce que ceux-ci ,,eiont associés en quelque manière dans la béatitude. C’est pourquoi, du côté du prochain, il n’v a qu’une seule raison d’amour. Le corps du prochain ne doit donc pas être regardé comme un objet qu’il faudrait aimer de façon spéciale.

 

 

QUESTION 26 — L’ORDRE DE LA CHARITÉ

1. Y a-t-il un ordre dans la charité ? - 2. Doit-on aimer Dieu plus que le prochain ? - 3. Plus que soi-même ? - 4. Doit-on s’aimer soi-même plus que le prochain ? - 5. Aimer le prochain plus que son propre corps ? - 6. Aimer tel prochain plus qu’un autre ? - 7. Doit-on aimer davantage celui qui est le meilleur, ou celui qui nous est le plus uni ? - 8. Celui qui nous est uni par le sang ? - 9. Doit-on aimer de charité son fils plus que son père ? - 10. Sa mère plus que son père ? - 11. Son épouse plus que son père ou sa mère ? - 12. Son bienfaiteur plus que son obligé ? - 13. L’ordre de la charité subsiste-t-il dans la patrie ?

 

            Article 1 — Y a-t-il un ordre dans la charité ?

Objections :

1. Non, semble-t-il, car la charité est une vertu ; or on n’assigne pas d’ordre dans les autres vertus ; il n’y a donc pas à en assigner non plus dans la charité.

2. De même que l’objet de la foi est la vérité première, de même l’objet de la charité est le souverain bien. Or on n’assigne pas d’ordre dans la foi, car on croit également tout ce qu’elle propose ; donc, on ne doit pas en assigner non plus dans la charité.

3. La charité est dans la volonté ; or ce n’est pas à la volonté, mais à la raison qu’il appartient d’ordonner ; il n’y a donc pas lieu d’assigner un ordre à la charité.

En sens contraire, on lit dans le Cantique des cantiques (2, 4 Vg) : " Le roi m’a fait entrer dans le cellier, et il a ordonné en moi la charité. "

Réponse :

Comme dit Aristote, antérieur et postérieur se disent par rapport à un principe. Or, l’ordre implique de soi un certain mode d’antériorité et de postériorité. Par conséquent, partout où il y a un principe, il y a aussi un ordre. Mais il a été dit plus haut que l’amour de charité tend vers Dieu comme vers le principe de la béatitude, dont la communication fonde l’amitié de charité. Il s’ensuit que, dans les choses qui sont aimées de l’amour de charité, il y a un certain ordre, selon leur relation au premier principe de cet amour, qui est Dieu.

Solutions :

1. La charité tend vers la fin ultime considérée comme telle, ce qui ne convient à aucune autre vertu, nous l’avons dite. Or, la fin a raison de principe, dans l’ordre de l’appétition comme dans celui de l’action, on l’a montré plus haut. De là vient que la charité a éminemment rapport au premier principe. En conséquence c’est en elle surtout que l’on rencontre un ordre relativement au premier principe.

2. La foi appartient à la faculté de connaître, dont l’opération comporte que l’objet connu se trouve exister dans le sujet connaissant. La charité, en revanche, se situe dans la puissance affective, dont l’opération consiste en ce que l’âme tend vers les réalités elles-mêmes. Or, l’ordre réside principalement dans les réalités elles-mêmes, d’où il dérive jusqu’à notre connaissance. Et c’est pourquoi l’on attribue un ordre à la charité plutôt qu’à la foi, quoique, d’une certaine manière, il y en ait un chez celle-ci, en ce sens qu’elle a Dieu pour objet principal, et les autres choses qui se rapportent à Dieu pour objet secondaires.

3. L’ordre appartient à la raison comme à la faculté qui ordonne, mais il appartient à la faculté appétitive comme à la faculté ordonnée. Et c’est de cette manière qu’un ordre est établi dans la charité.

 

            Article 2 — Doit-on aimer Dieu plus que le prochain ?

Objections :

1. Non, semble-t-il car, nous dit S. Jean (1 Jn 4, 20), " celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? " D’où il apparaît que ce qui est le plus visible est aussi le plus aimable, car la vision est le principe de l’amour, dit Aristote. Or Dieu est moins visible que le prochain. Il est donc aussi moins facile à aimer de charité.

2. La ressemblance est cause de l’amour, selon cette parole de l’Ecclésiastique (13, 15) : " Tout être vivant aime son semblable. " Or il y a plus de ressemblance entre l’homme et son prochain qu’entre l’homme et Dieu. Donc l’homme aime de charité son prochain plus que Dieu.

3. Selon S. Augustin, c’est Dieu que la charité aime dans le prochain. Or Dieu n’est pas plus grand en lui-même que dans le prochain. Il ne doit donc pas être aimé en lui-même plus que dans le prochain. Donc, Dieu ne doit pas être aimé plus que le prochain.

En sens contraire, on doit aimer davantage ce qui nous oblige à haïr certaines choses. Or, à cause de Dieu, nous devons haïr notre prochain, s’il nous détourne de Dieu, selon la parole de S. Luc (14, 26) : " Si quelqu’un vient à moi sans haïr5 son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, il ne peut être mon disciple. " Nous devons donc aimer de charité Dieu plus que le prochain.

Réponse :

Toute amitié regarde principalement l’objet où se trouve principalement le bien sur la communication duquel elle est fondée ; c’est ainsi que l’amitié politique a surtout égard au chef de l’État, dont dépend tout le bien commun de la cité ; et c’est donc à lui surtout que les citoyens doivent fidélité et obéissance. Or, l’amitié de charité est fondée sur la communication de la béatitude, qui réside essentiellement en Dieu comme dans son premier principe, d’où elle dérive en tous les êtres qui sont aptes à la posséder. C’est donc Dieu qui doit être aimé de charité à titre principal et par-dessus tout ; il est aimé en effet comme la cause de la béatitude, tandis que le prochain est aimé comme participant en même temps que nous de la béatitude.

Solutions :

1. Un être est cause d’amour de deux manières. Tout d’abord, comme étant ce qui motive l’amour ; et c’est de cette façon que le bien est cause de l’amour, puisque chaque être est aimé pour autant qu’il est bon. En second lieu, une chose est cause d’amour, comme le moyen qui le fait acquérir. Et c’est ainsi que la vision est cause de l’amour, non pas qu’une chose soit aimable en raison de sa visibilité, mais parce que la vision nous conduit à l’aimer. Il ne s’ensuit donc pas que ce qui est plus visible est plus aimable, mais seulement qu’il se présente le premier à nous pour être aimé. C’est en ce sens que raisonne S. Jean. Parce qu’il est plus visible pour nous, notre prochain s’offre par priorité à notre amour. " Par ce qu’elle connaît l’âme apprend à aimer ce qu’elle ne connaît pas ", dit en effet S. Grégoire. Donc, si quelqu’un n’aime pas son prochain, on pourra en déduire qu’il n’aime pas Dieu, non parce que le prochain est plus aimable que Dieu, mais parce qu’il s’offre le premier à notre amour. Au demeurant, Dieu est le plus aimable, en raison de sa plus grande bonté.

2. La ressemblance que nous avons avec Dieu précède et cause la ressemblance que nous avons avec le prochain. C’est en effet parce que nous recevons de Dieu ce que notre prochain en reçoit lui aussi, que nous sommes semblables à lui. Et c’est pourquoi, au titre de la ressemblance, nous devons aimer Dieu plus que le prochain.

3. Dieu, considéré en sa substance, est égal à lui-même, où qu’il soit, parce qu’il ne saurait s’amoindrir en existant dans une créature. Cependant, le prochain ne possède pas la bonté de Dieu, comme Dieu la possède, car Dieu la possède essentiellement, tandis que le prochain ne la possède qu’en participation.

 

            Article 3 — Doit-on aimer Dieu plus que soi-même ?

Objections :

1. Il semble que l’homme ne doit pas, en vertu de la charité, aimer Dieu plus que soi-même. Aristote dit en effet : " Les sentiments d’amitié qu’on a pour autrui viennent des sentiments d’amitié qu’on a pour soi-même. " Or la cause l’emporte sur l’effet. L’homme a donc plus d’amitié pour soi-même que pour tout autre. Il en résulte qu’il doit s’aimer plus que Dieu.

2. On aime une chose, quelle qu’elle soit, en tant qu’elle est notre bien propre. Or, ce qui est une raison d’aimer est plus aimé que cela même qui est aimé pour cette raison, comme les principes, qui sont la raison de connaître, sont aussi ce qui est le plus connu. L’homme s’aime donc soi-même plus que n’importe quel autre bien qu’il aime. Donc, il n’aime pas Dieu plus que soi-même.

3. Autant on aime Dieu, autant on aime jouir de lui. Mais, autant on aime jouir de Dieu, autant on s’aime soi-même, parce que c’est là le plus grand bien que l’on puisse vouloir à soi-même. Donc l’homme ne doit pas aimer Dieu de charité plus que soi-même.

En sens contraire, S. Augustin écrit " Si tu dois t’aimer toi-même, non pour toi-même, mais pour celui en qui se trouve la fin la plus légitime de ton amour, que nul autre homme ne s’irrite si tu l’aimes lui aussi pour Dieu. " Or, en toute chose, ce pourquoi on agit est ce qu’il y a de plus fort. L’homme est donc tenu d’aimer Dieu plus que soi-même.

Réponse :

Nous pouvons recevoir de Dieu deux sortes de biens : le bien de la nature et celui de la grâce.

Sur la communication des biens naturels que Dieu nous a faite, se fonde l’amour naturel. En vertu de cet amour, non seulement l’homme dans l’intégrité de sa nature aime Dieu plus que toute chose et plus que soi-même, mais encore toute créature aime Dieu à sa manière, c’est-à-dire : ou d’un amour intellectuel (les anges), ou raisonnable (les hommes), ou animal (les animaux), ou à tout le moins naturel, comme les pierres et les autres êtres privés de connaissance. La raison en est que, dans un tout, chaque partie aime naturellement le bien commun de ce tout plus que son bien propre et particulier. Et cela se manifeste dans l’activité des êtres : chaque partie en effet a une inclination primordiale à l’action commune qui se propose l’utilité du tout. Cela apparaît aussi dans les vertus politiques qui font que les citoyens souffrent dommage dans leurs biens et parfois dans leur personne, en vue du bien commun.

A bien plus forte raison le vérifie-t-on dans l’amitié de charité, qui est fondée sur la communication des dons de grâce. Aussi l’homme est-il tenu par la charité d’aimer Dieu, qui est le bien commun de tous, plus que lui-même ; en effet, la béatitude réside en Dieu comme dans la source et le principe communs de tous ceux qui peuvent en participer.

Solutions :

1. Aristote parle ici des sentiments d’amitié que l’on a pour ceux des autres en qui le bien, objet de l’amitié, ne se trouve que particularisé, et non pas des sentiments d’amitié qui vont à celui en qui ce bien existe dans sa totalité.

2. La partie aime le bien du tout parce que cela lui convient ; elle ne l’aime pas de telle façon qu’elle rapporte à elle-même le bien du tout, mais plutôt de telle façon qu’elle se rapporte elle-même au bien du tout.

3. Désirer jouir de Dieu, c’est aimer Dieu d’un amour de convoitise. Or, nous aimons Dieu par amour d’amitié plus que par amour de convoitise, car le bien divin est plus grand en soi que le bien qui peut résulter pour nous de sa jouissance. C’est pourquoi, absolument parlant, l’homme aime Dieu, de charité, plus que soi-même.

 

            Article 4 — Doit-on s’aimer soi-même plus que le prochain ?

Objections :

1. Il semble que l’homme ne doive pas aimer de charité soi-même plus que son prochain. Car l’objet principal de la charité, c’est Dieu, nous venons de le voire. Or il peut se faire que, parmi le prochain, telle personne soit plus unie à Dieu qu’on ne l’est soi-même. On doit alors aimer cette personne plus que soi-même.

2. C’est a lui que nous aimons le plus que nous voulons aussi le plus préserver de tout dommage. Or, par la charité, l’homme consent à subir lui-même du dommage pour le prochain, selon la parole des Proverbes (12, 26 Vg) : " Celui-là est juste qui, pour un ami, ne prend pas garde au dommage. " L’homme est donc tenu, en charité, d’aimer autrui plus que soi-même.

3. La charité, dit S. Paul (1 Co 13, 5), " ne cherche pas son intérêt ". Or, celui dont nous recherchons davantage le bien, est celui que nous aimons davantage. Donc, par charité, on ne s’aime pas soi-même plus que le prochain.

En sens contraire, il est dit dans le Lévitique (19, 18) et en S. Matthieu (22, 39) : " Tu aimeras ton prochain comme toi-même. " On voit par là que l’amour de l’homme pour soi-même est comme le modèle de l’amour qu’il doit avoir pour le prochain. Or le modèle l’emporte sur la copie. L’homme doit donc s’aimer soi-même de charité plus que le prochain.

Réponse :

Il y a deux éléments dans l’homme sa nature spirituelle et sa nature corporelle. On dit que l’homme s’aime soi-même lorsqu’il s’aime selon sa nature spirituelle comme nous l’avons dit précédemment. Sous ce rapport l’homme est tenu de s’aimer, après Dieu, plus que quiconque. Et cela découle clairement de la raison pour laquelle on aime. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, Dieu est aimé comme le principe du bien sur lequel est fondé l’amour de charité ; l’homme s’aime soi-même de charité parce qu’il participe de ce bien ; quant au prochain, il est aimé parce qu’il lui est associé dans cette participation. Or cette association est un motif d’amour, en tant qu’elle implique une certaine union ordonnée à Dieu. Par conséquence, de même que l’unité l’emporte sur l’union, de même participer soi-même du bien divin est un motif d’aimer supérieur à celui qui vient de ce qu’un autre nous est associé dans cette participation. C’est pourquoi l’homme doit s’aimer soi-même de charité plus que son prochain. Le signe en est que l’homme ne doit pas, pour préserver son prochain du péché, encourir soi-même le mal du péché, qui contrarierait sa participation à la béatitude.

Solutions :

1. L’amour de charité ne se mesure pas seulement sur l’objet qui est Dieu, mais aussi sur le sujet qui aime 10, l’homme qui possède la charité ; comme d’ailleurs la mesure de toute action dépend en quelque façon du sujet qui agit. C’est pourquoi, bien qu’un prochain meilleur soit plus proche de Dieu, cependant, parce qu’il n’est pas aussi proche de celui qui possède la charité que ce dernier l’est de lui-même, on ne peut pas en conclure que l’homme doive aimer son prochain plus que soi-même.

2. L’homme doit accepter pour un ami des dommages corporels ; et, ce faisant, il s’aime davantage selon la partie spirituelle de soi-même, car cela relève de la perfection de la vertu, qui est le bien de l’âme. Mais, quant à encourir un dommage spirituel en péchant lui-même pour préserver le prochain du péché, on ne doit pas le faire, comme nous venons de le dire.

3. " La charité ne cherche pas son intérêt, signifie selon S. Augustin, que la charité préfère le bien commun au bien propre. " Or, pour tout être, le bien commun est plus aimable que son bien propre ; c’est ainsi que, pour la partie, le bien du tout est plus aimable que le bien partiel qui est le sien, comme on vient de le dire.

 

            Article 5 — Doit-on aimer son prochain plus que son propre corps ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, quand on parle du prochain, on entend le corps de celui-ci. Donc si l’homme est tenu d’aimer son prochain plus que son propre corps, il est aussi tenu d’aimer le corps de son prochain plus que son propre corps.

2. L’homme est tenu d’aimer son âme plus que son prochain, nous venons de le dire. Or notre propre corps est plus proche de notre âme que ne l’est notre prochain. Nous devons donc aimer notre corps plus que notre prochain.

3. Chacun expose ce qu’il aime moins, pour sauver ce qu’il aime davantage. Mais tout homme n’est pas tenu d’exposer son propre corps pour le salut de son prochain ; c’est là seulement le propre des parfaits, selon cette parole en S. Jean (15, 13) : " Il n’y a pas d’amour plus grand que de donner sa vie pour ses amis. " L’homme n’est donc pas tenu par la charité d’aimer son prochain plus que son propre corps.

En sens contraire, S. Augustin affirme " Nous devons aimer notre prochain plus que notre propre corps. "

Réponse :

Ce qu’on doit aimer le plus par charité, c’est ce qui possède la raison la plus pleine d’amabilité en vertu de la charité, on vient de le dire. Or le motif de l’amour que nous devons avoir pour le prochain, qui est d’être associé à nous dans la possession plénière de la béatitude, est un motif plus fort que la participation à la béatitude par rejaillissement, en quoi réside le motif d’aimer notre propre corps. Et c’est pourquoi, en ce qui intéresse le salut de notre âme, nous devons aimer le prochain plus que notre propre corps.

Solutions :

1. Selon Aristote : " Chaque chose paraît consister en ce qu’il y a de plus important en elle. " Aussi, lorsqu’on dit que le prochain doit être aimé plus que notre propre corps, faut-il entendre qu’il s’agit de son âme, qui est la partie la plus importante de son être.

2. Notre corps est plus proche de notre âme que ne l’est notre prochain, si l’on considère la constitution de notre propre nature. Mais, pour la participation de la béatitude, il y a une relation plus étroite entre l’âme du prochain et la nôtre qu’entre celle-ci et notre propre corps.

3. Tout homme est chargé du soin de son propre corps ; mais tout homme n’est pas tenu de veiller au salut du prochain, si ce n’est en cas de nécessité. C’est pourquoi la charité n’exige pas nécessairement qu’on expose son corps pour le salut du prochain, hormis le cas où l’on est tenu de pourvoir à son salut. Si en dehors de ce cas, quelqu’un s’offre spontanément pour cela’ cela appartient à la perfection de la charité.

 

            Article 6 — Doit-on aimer tel prochain plus qu’un autre ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. S. Augustin dit en effet : " Tous les hommes doivent être aimés également. Mais comme il ne t’est pas possible d’être utile à tous, tu dois t’intéresser de préférence à ceux qui en raison des circonstances de lieu, de temps, ou pour d’autres motifs, ont en partage de se trouver plus proches de toi. " Tel prochain n’a donc pas à être aimé davantage qu’un autre.

2. S’il n’y a qu’une seule et même raison d’aimer diverses personnes, on ne doit pas les aimer de façon inégale. Or il n’y a qu’une seule raison d’aimer tous ceux qui sont notre prochain, et c’est Dieu, dit S. Augustin. Nous devons donc aimer également tous ceux qui sont notre prochain.

3. " Aimer, dit Aristote, c’est vouloir du bien à quelqu’un. " Or c’est un bien égal, la vie éternelle, que nous voulons à tous ceux qui sont notre prochain. Donc nous devons les aimer tous également.

En sens contraire, on doit d’autant plus aimer quelqu’un que l’on pèche plus gravement en agissant contre cet amour. Or, c’est un péché plus grave d’agir contrairement à l’amour de certaines personnes que d’agir contrairement à l’amour de certaines autres. De là ce précepte du Lévitique (20, 9) : " Quiconque maudira son père ou sa mère sera puni de mort ", ce qui n’est pas prescrit pour ceux qui maudissent d’autres personnes. Donc il y a des personnes, parmi notre prochain, que nous devons aimer plus que les autres.

Réponse :

Il y a deux opinions à ce sujet. Certains en effet ont dit que tous ceux qui sont notre prochain doivent être aimés également quant aux sentiments d’affection, mais non quant aux effets extérieurs. Ils estiment que l’ordre de la charité doit s’entendre des bienfaits extérieurs, que nous devons procurer à nos proches plutôt qu’aux étrangers, et non de l’affection intérieure, que nous devons accorder également à tous, même à nos ennemis.

Mais cette opinion n’est pas raisonnable. En effet, l’affection de la charité, qui est une inclination de la grâce, n’est pas moins bien ordonnée que l’appétit naturel, qui est une inclination de la nature ; car l’une et l’autre de ces inclinations procèdent de la sagesse divine. Or nous voyons que, dans les réalités naturelles, l’inclination de la nature est proportionnée à l’acte ou au mouvement qui convient à la nature de chaque être ; ainsi la terre a-t-elle une plus forte attirance de pesanteur que l’eau, puisqu’il lui revient d’être au-dessous de l’eau. Il faut donc que l’inclination de la grâce, qui est l’affection de la charité, soit proportionnée aux actes qui doivent être produits à l’extérieur, de telle sorte que nous ayons des sentiments de charité plus intenses pour ceux à l’égard desquels il convient que nous soyons davantage bienfaisants.

Ainsi donc, il faut conclure que, même sous le rapport de l’affection, il faut que notre amour du prochain soit plus grand pour celui-ci que pour un autre. Et en voici la raison : puisque Dieu et celui qui aime sont les principes de l’amour, il est nécessaire qu’il v ait un plus grand sentiment de dilection, selon que celui qui en est l’objet est plus rapproché de l’un de ces deux principes. Partout en effet où il y a un principe, l’ordre se mesure par rapport à ce principe, nous l’avons dit.

Solutions :

1. Dans l’amour, il peut y avoir inégalité de deux manières. D’abord, du côté du bien que nous souhaitons à un ami. A ce point de vue, nous aimons tous les hommes également par la charité, puisqu’à tous nous souhaitons un même genre de bien : la béatitude éternelle. En second lieu, on peut parler de dilection plus grande en raison de l’intensité plus grande de l’acte d’amour. Et en ce sens il ne faut pas aimer également tous les hommes.

Une autre réponse consiste à dire que, dans notre amour à l’égard de plusieurs personnelle il peut y avoir deux sortes d’inégalités. La première consiste à aimer les uns et à ne pas aimer les autres. Cette inégalité doit s’observer dans la bienfaisance, car il nous est impossible de faire du bien à tous ; mais elle ne doit pas exister dans la bienveillance de l’amour. La seconde inégalité consiste à aimer les uns plus que les autres. S. Augustin, dans le texte cité, n’entend pas exclure celle-ci, mais seulement la première ; cela ressort avec évidence de ce qu’il dit à propos de la bienveillance.

2. Tous ceux qui sont notre prochain ne sont pas dans le même rapport avec Dieu, mais certains sont plus proches de lui, parce qu’ils sont meilleurs. Ceux-là, on doit les aimer de charité plus que d’autres qui sont moins proches de Dieu.

3. Cette objection est prise de la mesure de l’amour relative au bien que nous souhaitons à nos amis.

 

            Article 7 — Doit-on aimer davantage celui qui est le meilleur, ou celui qui nous est le plus uni ?

Objections :

1. Nous devons aimer plutôt les meilleurs. Car on doit aimer ce qui ne peut être haï sous aucun rapport, plutôt que ce qui doit être haï sous un certain rapport, tout comme est plus blanc ce qui est moins mélangé de noir. Or, les personnes qui nous tiennent de plus près doivent être sous quelque rapport l’objet de notre haine, puisqu’il est écrit en S. Luc (14, 26) : " Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père et sa mère, etc. ", tandis que l’on ne doit haïr à aucun titre ceux qui sont bons. Donc, il semble que ceux qui sont meilleurs doivent être aimés plus que ceux qui nous sont davantage unis.

2. C’est par la charité que l’homme devient le plus semblable à Dieu. Mais Dieu aime davantage celui qui est meilleur. Donc l’homme aussi doit par la charité aimer celui qui est meilleur, de préférence à ses proches.

3. En toute amitié, ce que l’on doit aimer davantage, c’est ce qui tient de plus près au fondement même de cette amitié ; par l’amitié naturelle, en effet, nous aimons davantage ceux qui nous sont le plus unis selon la nature, comme les parents et les enfants. Or l’amitié de charité est fondée sur la communication de la béatitude à laquelle les meilleurs se rattachent davantage que nos plus proches. Donc, en vertu de la charité, nous devons aimer ceux qui sont les meilleurs, plus que ceux qui nous tiennent de plus près.

En sens contraire, S. Paul dit (1 Tm 5, 8) " Si quelqu’un ne prend pas soin des siens, surtout de ceux qui vivent avec lui, il a renié sa foi : il est pire qu’un infidèle. " Or l’affection intérieure de la charité doit correspondre à son effet extérieur. Donc, nous devons aimer nos proches de charité, plus que les meilleurs.

Réponse :

Tout acte doit être proportionné à son objet et à l’agent qui le produit : de son objet il tire son espèce ; de la force de l’agent, son degré d’intensité. C’est ainsi qu’un mouvement est spécifié par le terme vers lequel il tend, et qu’il doit la rapidité de son allure à l’aptitude du mobile et à la force du moteur. Ainsi donc, un amour est spécifié par son objet, et son intensité vient de celui qui aime.

Or l’objet de l’amour de charité c’est Dieu, et celui qui aime c’est l’homme. D’où il suit que, du point de vue de la spécification de l’acte, la différence à mettre dans l’amour de charité à l’égard du prochain doit se prendre par rapport à Dieu ; ce qui signifie qu’à celui qui est plus rapproché de Dieu nous voulons par la charité un plus grand bien. Et en effet, si le bien que la charité veut à tous, et qui est la béatitude éternelle, est un même bien en soi, ce bien a cependant divers degrés selon les diverses participations de la béatitude ; et il convient à la charité de vouloir que la justice de Dieu, pour laquelle les meilleurs participent de la béatitude d’une manière plus parfaite, soit observée. Cela concerne l’espèce de l’amour, car nos amours sont spécifiquement distincts selon les biens différents que nous souhaitons à ceux que nous aimons.

Mais l’intensité de l’amour doit se prendre du côté de l’homme qui aime. De ce point de vue l’homme aime ceux qui lui sont le plus proches, relativement au bien pour lequel il les aime, d’un amour plus intense que celui dont il aime les meilleurs, relativement à un bien plus grand.

On peut ici remarquer encore une autre différence. Parmi ceux qui nous tiennent de près, il en est qui nous sont plus proches par leur naissance, qu’ils ne peuvent renier puisqu’ils tiennent d’elle ce qu’ils sont. Au contraire, la bonté de la vertu, par laquelle certains s’approchent de Dieu, peut s’acquérir et disparaître, augmenter et diminuer, comme le montre ce qui précède v. Et c’est pourquoi je puis, par charité, désirer que celui qui m’est plus proche soit meilleur qu’un autre, et qu’ainsi il puisse parvenir à un degré plus grand de béatitude.

Il est encore une autre façon d’aimer davantage de charité ceux qui nous touchent de plus près, parce que nous les aimons de plusieurs manières. Ceux qui ne nous tiennent par aucun lien, nous ne les aimons que par l’amitié de charité. Ceux au contraire oui nous sont proches, nous avons vis-à-vis d’eux d’autres affections d’amitié correspondant à la nature du lien qui les rattache à nous. Et puisque le bien sur lequel se fonde toute autre amitié honnête s’ordonne, comme à sa fin, au bien sur lequel se fonde la charité, il s’ensuit que la charité commande aux actes de toutes les autres amitiés ; comme l’art qui a pour objet la fin commande aux arts qui ont pour objet tout ce qui est ordonné à la fin. De la sorte, le fait d’aimer quelqu’un parce qu’il est notre parent, notre proche, ou notre concitoyen, ou pour tout autre motif valable et pouvant être ordonné au but de la charité, peut être commandé par la charité. C’est ainsi que la charité, tant en son activité propre que dans les actes qu’elle commande, nous fait aimer de plusieurs manières ceux qui nous tiennent de plus près.

Solutions :

1. Il ne nous est pas commandé de haïr nos proches parce qu’ils sont nos proches, mais seulement parce qu’ils nous empêchent d’être à Dieu ; car en cela ils ne sont plus nos proches, mais nos ennemis, selon cette parole en S. Matthieu (10, 36) : " Chacun a pour ennemis les gens de sa maison. "

2. La charité fait que l’homme se rend conforme à Dieu proportionnellement, en ce sens que l’homme se comporte à l’égard de ce qui lui revient, comme Dieu se comporte à l’égard de ce qui lui revient. Il y a en effet des choses que nous pouvons vouloir, en vertu de la charité, parce qu’elles nous conviennent ; Dieu, cependant ne les veut pas, parce qu’il ne lui convient pas de les vouloir, comme il a été dit antérieurement, lorsqu’il s’est agi de la bonté de la volonté.

3. La charité ne produit pas seulement son acte à la mesure de son objet, mais aussi à la mesure du sujet qui aime, nous l’avons dit ; d’où il arrive qu’un plus proche soit aimé davantage.

 

            Article 8 — Doit-on aimer davantage celui qui nous est uni par le sang ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne doit pas aimer davantage celui qui nous est uni par le sang. En effet, il est écrit dans les Proverbes (18, 24) : " Il y a des amis qui sont plus chers qu’un frère. " Et Valère Maxime dit : " Le lien de l’amitié est très puissant, et il ne le cède en rien au lien du sang. Il est même plus sûr et plus éprouvé que celui-ci, qui ne résulte que du hasard de la naissance, tandis qu’il est l’effet d’un jugement réfléchi et d’une volonté libre. " Donc, ceux qui nous sont liés par le sang n’ont pas à être aimés plus que les autres.

2. S. Ambroise dit : " Je ne vous aime pas moins, vous que j’ai engendrés dans l’Évangile, que si je vous avais mis au monde dans le mariage ; car la nature n’aime pas plus fortement que la grâce. Et ceux que nous pensons devoir être éternellement avec nous, nous devons certainement les aimer plus que ceux qui sont avec nous en ce monde seulement. " Par conséquent nous ne devons pas aimer ceux qui nous sont unis par le sang plus que ceux qui nous sont unis par d’autres liens.

3. " La preuve de l’amour, ce sont les œuvres que fait l’amour ", dit S. Grégoire. Or nous sommes plus tenus d’agir, par amour, à l’égard de certaines personnes, qu’à l’égard même de nos consanguins ; c’est ainsi qu’à l’armée on doit obéir à son chef plus qu’à son père. Donc ceux qui nous sont unis par le sang ne sont pas ceux que nous devons aimer le plus.

En sens contraire, dans les préceptes du décalogue il est spécialement commandé d’aimer ses parents, ainsi qu’il apparaît dans l’Exode (20, 12). Nous devons donc plus spécialement aimer ceux qui nous sont plus unis par le sang.

Réponse :

Comme nous venons de le dire : " Ceux qui nous sont le plus proches sont davantage aimés de charité, tant parce qu’ils sont aimés plus intensément que parce qu’ils sont aimés pour plusieurs raisons. Or l’intensité de l’amour dépend de l’union de l’être aimé avec l’être aimant. C’est pourquoi l’amour qui se rapporte à diverses personnes doit se mesurer aux différentes raisons d’être uni à elles, de telle sorte que l’on aime telle personne plus qu’une autre selon le type de relation en laquelle nous l’aimons. D’autre part, un amour ne peut être comparé à un autre qu’en comparant le genre de relation qui fonde l’un à celui qui fonde l’autre.

Ainsi donc faut-il dire que l’amitié de ceux qui sont du même sang est fondée sur la communauté de l’origine naturelle, celle qui unit des concitoyens sur la communauté civile, celle qui unit des soldats sur la communauté guerrière. C’est pourquoi, en ce qui concerne la nature, nous devons aimer davantage nos parents ; en ce qui touche aux relations de la vie civile, nos concitoyens ; et enfin, en ce qui concerne la guerre, nos compagnons d’armes. Ce qui fait dire à Aristote : " A chacun il faut rendre ce qui lui revient en propre et répond à sa qualité. Et c’est ce qui se pratique généralement : c’est la famille que l’on invite aux noces ; de même, envers ses parents, le premier devoir apparaîtra d’assurer leur subsistance, ainsi que l’honneur qui leur revient. " Et ainsi en est-il dans les autres amitiés.

Maintenant, si l’on compare une union à une autre, il est manifeste que l’union fondée sur l’origine naturelle a la priorité et est aussi la plus stable parce qu’elle tient à la substance de notre être, tandis que les autres liens sont surajoutés et peuvent disparaître. C’est pourquoi l’amitié de ceux qui sont d’un même sang est la plus stable. Toutefois, les autres amitiés peuvent prévaloir sur celle-ci, en ce qui est propre à chacune d’elles.

Solutions :

1. L’amitié de compagnonnage se contracte par une élection personnelle, dans le domaine de ce qui est soumis à notre choix, par exemple dans celui de l’action ; une telle amitié l’emporte sur celle qui est fondée sur les liens du sang en ce sens que, pour l’action, nous nous accordons plutôt avec nos compagnons de travail qu’avec nos parents. Cependant, l’amitié à l’égard de nos parents est plus stable, parce qu’elle existe plus naturellement ; et elle l’emporte dans les choses qui concernent la nature. Aussi sommes nous tenus davantage à pourvoir aux nécessités de nos parents.

2. S. Ambroise parle de l’amour qui vise les bienfaits ayant trait à la communication de la grâce, c’est-à-dire à l’éducation morale. Dans cet ordre, en effet, l’homme doit plutôt subvenir aux fils spirituels engendrés par lui spirituellement, qu’à ses fils selon la chair ; encore qu’il doive se soucier davantage de ceux-ci pour les secours corporels.

3. Le fait d’obéir dans le combat au chef de l’armée plutôt qu’à son père ne prouve pas que le père soit moins aimé absolument parlant ; cela prouve seulement qu’il est moins aimé à un point de vue particulier, c’est-à-dire dans l’ordre de l’amour fondé sur la communauté des armes.

 

            Article 9 — Doit-on aimer de charité son fils plus que son père ?

Objections :

1. Il semble qu’on doit aimer davantage son fils. En effet, nous devons aimer davantage celui à qui nous devons faire le plus de bien. Or nous devons faire plus de bien à nos enfants qu’à nos parents, selon cette parole de l’Apôtre (2 Co 12, 14) : " Ce n’est pas aux enfants à thésauriser pour les parents, mais aux parents pour les enfants. " On doit donc aimer davantage ses enfants.

2. La grâce perfectionne la nature. Or. naturellement, les parents aiment leurs enfants plus qu’ils ne sont aimés d’eux, comme le remarque Aristote. Donc, nous devons aimer nos enfants plus que nos parents.

3. Par la charité, les affections de l’homme se conforment à celles de Dieu. Or, Dieu aime ses enfants plus qu’il n’est aimé d’eux. Donc nous aussi, devons aimer nos enfants plus que nos parents.

En sens contraire, S. Ambroise dit " D’abord, c’est Dieu qui doit être aimé, ensuite les parents, puis les enfants, enfin les familiers. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, le degré de l’amour peut s’apprécier de deux manières.

1° Par rapport à l’objet : et, à ce point de vue, on doit aimer davantage ce qui représente un bien plus excellent et ce qui a le plus de ressemblance avec Dieu. De la sorte, le père doit être aimé plus que le fils, parce que nous aimons notre père au titre de principe, et que le principe représente un bien plus éminent et plus semblable à Dieu.

2° Les degrés de l’amour se prennent du côté de celui qui aime, et, sous ce rapport, on aime davantage celui auquel on est plus uni. A ce point de vue, le fils doit être plus aimé que le père, dit Aristote pour quatre motifs : 1) Parce que les parents aiment leurs enfants comme étant quelque chose d’eux-mêmes, alors que le père n’est pas quelque chose du fils, ce qui fait que l’amour du père pour son fils se rapproche davantage de l’amour qu’il a pour lui-même. 2) Parce que les parents savent mieux quels sont leurs enfants que l’inverse. 3) Parce que le fils est plus proche de son géniteur, dont il est en quelque sorte une partie, que le père lui-même ne l’est de son fils, pour qui il est un principe. 4) Parce que les parents ont aimé depuis plus longtemps, car le père commence tout de suite à aimer son fils, tandis que le fils ne commence à aimer son père qu’après un certain temps. Or l’amour est d’autant plus fort qu’il est plus ancien, selon cette parole de l’Ecclésiastique (9, 10) : " N’abandonne pas un vieil ami, le nouveau ne le vaudra pas. "

Solutions :

1. Au principe est due soumission, respect et honneur ; à l’effet revient proportionnellement, de la part du principe, influence et assistance. Et c’est pourquoi les enfants doivent surtout honorer leurs parents ; tandis que les parents doivent surtout assister leurs enfants.

2. Le père aime naturellement plus son enfant, en tant que celui-ci lui est uni. Mais l’enfant aime naturellement plus son père, en tant que celui-ci représente un principe supérieur.

3. Comme dit S. Augustin : " Dieu nous aime pour notre avantage et pour sa gloire. " Voilà pourquoi le père étant pour nous un principe, comme Dieu lui-même, il revient proprement au père d’être honoré par ses enfants, et au fils d’être assisté matériellement par ses parents. Toutefois, en cas de nécessité, le fils est obligé, en raison des bienfaits reçus, d’assister ses parents avec générosité.

 

            Article 10 — Doit-on aimer sa mère plus que son père ?

Objections :

1. Il semble que l’on doit aimer davantage sa mère : " Dans la génération, dit en effet Aristote, la femme donne le corps. " Or l’homme ne doit pas l’âme à son père, mais à Dieu q ‘ ni la crée, comme nous l’avons dit dans la première Partie. L’homme reçoit donc plus de sa mère que de son père. Il doit donc aimer sa mère plus que son père.

2. On doit aimer davantage celui qui vous chérit davantage. Or la mère chérit son enfant plus que ne fait le père : " Ce sont les mères, dit Aristote, qui aiment le plus leurs enfants. " Elles souffrent davantage dans la génération, et elles savent mieux que les pères que leurs enfants sont issus d’elles. La mère doit donc être plus aimée que le père.

3. Nous devons avoir une plus grande affection pour celui qui s’est donné plus de peine pour nous, selon cette parole de S. Paul (Rm 16, 6) : " Saluez Marie, qui s’est bien fatiguée pour nous. " Or la mère se donne plus de mal que le père, tant pour engendrer les enfants que pour les éduquer ; c’est pourquoi il est dit dans l’Ecclésiastique (7, 27) : " N’oublie jamais ce qu’a souffert ta mère. " L’homme doit donc aimer sa mère plus que son père.

En sens contraire, S. Jérôme nous dit " Après Dieu qui est le père de tous, il faut aimer son père ", et ensuite seulement il fait mention de la mère.

Réponse :

En ces sortes de comparaisons, ce qui est affirmé doit être compris essentiellement. Il s’agit de savoir si le père, considéré en tant que père, doit être plus aimé que la mère, considérée comme telle. Dans les cas de ce genre, en effet, il peut y avoir une si grande différence de vertu et de malice chez ceux que l’on doit aimer que l’amitié en soit détruite ou du moins affaiblie, dit Aristote. Et c’est pour cela qu’au dire de S. Ambroise " les bons serviteurs doivent être préférés aux mauvais fils ". Mais, à parler essentiellement, le père doit être plus aimé que la mère. En effet, le père et la mère sont aimés comme étant les principes de notre naissance naturelle. Or, le père est plus excellemment principe que la mère, car il l’est au titre d’agent, tandis que la mère est plutôt un principe passif, ou matériel. Voilà pourquoi à parler essentiellement, il faut aimer davantage le père.

Solutions :

1. Dans la génération humaine, la mère fournit la matière, encore informe, du corps. Or cette matière est informée par la vertu formatrice qui se trouve dans la semence paternelle. Et quoique cette vertu ne puisse pas créer l’âme raisonnable, elle dispose la matière corporelle à la réception de cette forme.

2. Ce qui est dit dans l’objection se réfère à une autre raison d’amour. Car l’amitié que nous avons pour quelqu’un qui nous aime est d’une autre espèce que l’amitié par laquelle nous aimons celui qui nous engendre. Or présentement, il s’agit de l’amitié que nous devons à notre père et à notre mère considérés comme principes de notre génération.

3. La réponse est évidente.

 

            Article 11 — L’homme doit-il aimer son épouse plus que son père et sa mère ?

Objections :

1. Il semble que l’homme doive aimer davantage son épouse. Nul, en effet, n’abandonne une chose si ce n’est pour une autre qu’il préfère. Or, il est dit dans la Genèse (2, 24) que, pour son épouse, " l’homme quittera son père et sa mère ". L’homme doit donc aimer son épouse plus que son père et sa mère.

2. " Les maris, dit S. Paul, doivent aimer leur femme comme ils s’aiment eux-mêmes ", (Ep 5, 28.33). Or l’homme doit s’aimer lui-même plus que ses parents. Donc, il doit aimer son épouse plus que ses parents.

3. Là où il y a plus de motifs d’aimer il doit y avoir aussi plus d’amour. Mais, dans l’amitié pour une épouse, il y a plusieurs motifs d’amour. Aristote dit en effet : " Dans cette amitié semblent se trouver l’utilité, le plaisir et aussi la vertu, si les époux sont vertueux. " Par conséquent on doit avoir plus d’amour pour son épouse que pour ses parents.

En sens contraire, S. Paul dit (Ep 5,28) : " Les maris doivent aimer leur femme comme leur propre corps. " Mais l’homme doit aimer son corps moins que le prochain, nous l’avons ditp. Or, parmi nos proches, ce sont nos parents que nous devons aimer le plus. Donc, l’amour des parents doit l’emporter sur celui de l’épouse.

Réponse :

Nous l’avons dit, le degré de l’amour se prend et de la nature du bien, et de l’union à celui qui aime. Selon la nature du bien, objet de l’amour, les parents doivent être aimés plus que l’épouse, parce qu’on les aime en tant que principes, et comme représentant un bien supérieur. Mais sous le rapport de l’union, c’est l’épouse qui doit être aimée davantage, parce qu’elle est conjointe à son mari comme existant avec lui dans une seule chair, selon cette parole en S. Matthieu (19, 6) : " Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. " Et c’est pourquoi l’épouse est aimée plus ardemment ; mais aux parents on doit témoigner plus de respect.

Solutions :

1. Ce n’est pas en toutes choses que l’homme délaissera son père et sa mère pour son épouse ; car il est des circonstances où l’homme doit venir en aide à ses parents plus qu’à son épouse. Mais c’est en ce qui concerne l’union conjugale et la cohabitation que l’homme abandonne tous ses parents pour s’attacher à sa femme.

2. Dans ces paroles de S. Paul il ne faut pas entendre que l’homme doive aimer son épouse à l’égal de lui-même. Elles signifient que l’amour qu’il a pour lui-même est le motif de celui qu’il a pour son épouse.

3. Même dans l’amitié pour les parents on trouve de multiples raisons d’aimer. Et, pour une part, sous le rapport du bien que l’on aime, ces raisons l’emportent sur celles que l’on a d’aimer sa femme. En revanche, du point de vue de l’union qu’il faut réaliser avec elle, ce sont ces dernières qui l’emportent.

4. Dans le texte de S. Paul cité En sens contraire, la conjonction " comme " ne doit pas s’entendre comme exprimant une égalité, mais le motif de l’amour. C’est en effet, principalement en raison de l’union charnelle que l’homme aime son épouse.

 

            Article 12 — Doit-on aimer son bienfaiteur plus que son obligé ?

Objections :

1. Il semble que l’on doit aimer son bienfaiteur plus que celui à qui l’on fait du bien. S. Augustin dit en effet : " Rien ne provoque davantage à devoir être aimé que d’aimer le premier. Il est bien dur en effet le cœur de celui qui ne voulant pas aimer le premier refuse d’aimer en retour. " Or, nos bienfaiteurs sont les premiers à nous témoigner leur amour par le bienfait de leur charité. Donc, c’est eux que nous devons aimer davantage.

2. On doit d’autant plus aimer quelqu’un qu’on pèche plus gravement en cessant de l’aimer, ou en agissant contre lui. Or, on pèche plus gravement en cessant d’aimer un bienfaiteur ou en agissant contre lui, qu’en cessant d’aimer celui à qui on a fait du bien jusqu’alors. Donc il faut aimer ceux qui nous font du bien, plus que ceux à qui nous en faisons nous-mêmes.

3. Entre tout ce que nous devons aimer, c’est Dieu que nous devons aimer le plus ; et, après lui, notre père, dit S. Jérôme. Or, ce sont là nos deux plus grands bienfaiteurs. Donc, c’est le bienfaiteur qu’on doit aimer davantage.

En sens contraire, Aristote remarque : " Les bienfaiteurs paraissent aimer leurs obligés plus que ceux-ci leurs bienfaiteurs. "

Réponse :

Nous l’avons dit précédemment, on aime davantage un être pour deux raisons : ou parce qu’il représente une plus excellente raison de bien, ou à cause d’une union plus étroite. Du premier point de vue, c’est le bienfaiteur qui doit être aimé davantage, parce qu’étant principe de bien pour celui qui reçoit le bienfait, il a en lui-même la raison d’un bien plus excellent, comme nous l’avons dit au sujet du père.

Du second point de vue, c’est au contraire ceux à qui nous faisons du bien que nous aimons davantage, comme Aristote le prouve par quatre raisons. 1° Parce que celui qui reçoit le bienfait est comme l’œuvre du bienfaiteur ; ainsi a-t-on coutume de dire de quelqu’un : " C’est la créature d’un tel. " Or il est naturel à chacun d’aimer son œuvre comme nous le voyons chez les poètes qui aiment leurs poèmes ; et cela parce que tout être aime son être et sa vie, laquelle se manifeste surtout par son action.

2° Parce que chacun aime naturellement ce en quoi il voit son propre bien. Il est vrai que le bienfaiteur et l’obligé trouvent l’un dans l’autre réciproquement un certain bien ; mais le bienfaiteur voit dans l’obligé son bien honnête ; l’obligé dans le bienfaiteur voit son " bien utile ". Or la considération du bien honnête apporte plus de joie que celle du bien utile ; soit parce que ce bien est plus durable, car l’utilité passe vite et le seul souvenir d’un bien passé n’égale pas la joie d’un bien présent ; soit parce que nous pensons avec plus de joie aux bonnes actions que nous avons faites qu’aux bons services que nous avons reçus des autres.

3° Parce qu’il appartient d’agir à celui qui aime ; il veut en effet le bien de celui qu’il aime, et il le fait ; celui-ci au contraire reçoit. Et c’est pourquoi il appartient au plus excellent d’aimer. D’où il résulte que c’est au bienfaiteur d’aimer davantage.

4° Parce qu’il en coûte plus de faire du bien que d’en recevoir. Or, nous aimons davantage ce qui nous a coûté davantage, alors que nous dédaignons en quelque sorte ce qui nous arrive sans effort.

Solutions :

1. C’est le bienfaiteur qui incite son obligé à l’aimer, tandis qu’il se porte lui-même à aimer son obligé, d’un élan spontané sans être provoqué par lui. Or, ce qu’on fait par soi-même l’emporte sur ce qui vient d’un autre.

2. L’amour de l’obligé envers son bienfaiteur a davantage raison de dette, et c’est pourquoi son contraire donne lieu à un péché plus grand. Mais l’amour du bienfaiteur pour l’obligé est plus spontané, et par cela même plus prompt.

3. Dieu aussi nous aime plus que nous ne l’aimons ; et les parents aiment leurs enfants plus qu’ils ne sont aimés d’eux. Toutefois, il ne s’impose pas que nous aimions n’importe quels obligés plus que n’importe quels bienfaiteurs. C’est ainsi que nous préférons ceux dont nous avons reçu les plus grands bienfaits, c’est-à-dire Dieu et nos parents, à ceux qui ont reçu de nous des bienfaits moindres.

 

            Article 13 — L’ordre de la charité subsiste-t-il dans la patrie ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. S. Augustin dit " La charité parfaite consiste à aimer plus les biens meilleurs, et moins les biens moindres. " Or dans la patrie régnera la charité parfaite. On y aimera donc les meilleurs plus que soi-même ou que ceux qui nous ont unis.

2. On aime davantage celui à qui on veut le plus grand bien. Or, ceux qui sont dans la patrie veulent un bien plus grand à celui qui a plus de bien, sans quoi leur volonté ne serait pas en toute chose conforme à la volonté divine. Mais là, celui qui possède plus de bien est précisément celui qui est le meilleur. Donc, dans la patrie, chacun aimera davantage celui qui est meilleur. Donc il aimera un autre plus que soi-même, et un étranger plus qu’un proche.

3. Dans le ciel, Dieu sera la raison totale de l’amour, car alors s’accomplira cette parole de S. Paul (1 Co 15, 28) : " Que Dieu soit tout en tous. " Celui-là donc sera le plus aimé qui sera le plus proche de Dieu. Donc on y aimera celui qui est meilleur plus qu’on ne s’aimera soi-même, et un étranger plus qu’un proche.

En sens contraire, la nature n’est pas détruite par la gloire. Or, l’ordre de la charité qui vient d’être exposé procède de la nature elle-même. D’autre part, tous les êtres s’aiment naturellement eux-mêmes plus qu’ils n’aiment les autres. Donc cet ordre de la charité subsistera au ciel.

Réponse :

L’ordre de la charité subsistera nécessairement dans la patrie en cela d’abord que Dieu doit être aimé par-dessus tout. Il en sera ainsi absolument quand l’homme jouira parfaitement de Dieu.

Quant à l’ordre entre soi-même et les autres, il semble qu’il faille distinguer. Car, nous l’avons dit, l’ordre de l’amour peut être diversement appréhendé soit d’après la différence du bien que l’on souhaite à un autre, soit d’après l’intensité de l’amour.

Du premier point de vue, on aimera plus que soi-même ceux qui sont meilleurs que soi, et l’on aimera moins ceux qui sont moins bons. Tout bienheureux en effet voudra que chacun ait ce qui lui est dû selon la justice divine, à cause de la parfaite conformité de la volonté humaine à la volonté divine. Alors il ne sera plus temps de progresser par le mérite vers une plus grande récompense, comme il arrive dans la condition présente, où l’homme peut aspirer à une vertu et à une récompense meilleures : au ciel la volonté de chacun s’arrêtera à ce qui a été déterminé par Dieu.

Du second point de vue, au contraire, chacun s’aimera soi-même plus qu’il n’aimera le prochain, même si celui-ci est meilleur ; parce que l’intensité de l’acte d’amour provient du sujet qui aime, nous l’avons vue. D’ailleurs, le don de la charité est accordé à chacun par Dieu afin que, d’abord, il ordonne son âme à Dieu, ce qui se rapporte à l’amour de soi ; et, en seconde ligne, afin qu’il veuille que les autres s’y ordonnent, ou encore afin qu’il y contribue à sa mesure.

Quant à l’ordre à établir entre ceux qui constituent le prochain, c’est de façon absolue qu’on aimera mieux par la charité celui qui sera meilleur. Car toute la vie bienheureuse consiste dans l’ordination de l’âme à Dieu. Aussi tout l’ordre de la dilection chez les bienheureux sera-t-il fixé par rapport à Dieu ; de telle sorte que celui qui est plus proche de Dieu sera celui que l’on aimera davantage et que chacun regardera comme plus proche de soi. Car il n’y aura plus alors, comme dans la vie présente, cette nécessité de pourvoir aux besoins, qui oblige chacun à préférer en toutes circonstances, dans l’aide qu’il donne, celui qui lui tient de plus près à celui qui lui est étranger ; ce qui fait qu’en cette vie l’homme aime davantage, par l’inclination même de la charité, celui qui lui est le plus uni, auquel il doit plus se dévouer effectivement.

Toutefois, dans la patrie, il arrivera que chacun aimera celui qui lui tient de près pour plusieurs autres motifs ; car, dans l’âme du bienheureux, demeureront toutes les causes de l’amour honnête. Cependant, à toutes ces raisons d’aimer, sera incomparablement préférée celle qui résulte de la proximité avec Dieu.

Solutions :

1. Il faut admettre cet argument en ce qui concerne ceux qui nous sont unis. Mais, pour ce qui est de soi-même, il faut que chacun s’aime plus que les autres, et cela d’autant plus que la charité est plus parfaite ; car la perfection de la charité ordonne l’homme à Dieu d’une manière parfaite, ce qui se rattache à l’amour de soi-même.

2. Cet argument est valable pour l’ordre de l’amour conforme au degré de bien que l’on veut à l’être aimé.

3. Dieu sera pour chacun la raison totale de l’amour, du fait que Dieu est le bien total de l’homme. Si, par impossible, Dieu n’était pas le bien de l’homme, il ne serait pas pour lui la raison d’aimer. C’est pourquoi, dans l’ordre de l’amour, il faut qu’après Dieu l’homme s’aime soi-même suprêmement.

Nous avons maintenant à étudier l’acte de la vertu de charité. D’abord l’acte principal, qui est la dilection (Q. 27) ; puis les autres actes ou effets qui en découlent (Q. 28-33).

 

 

QUESTION 27 — LA DILECTION

1. Le propre de la charité est-il plutôt d’être aimé, ou d’aimer ? - 2. L’amour, en tant qu’il est un acte de la charité, est-il identique à la bienveillance ? - 3. Dieu doit-il être aimé de dilection pour lui-même ? - 4. Peut-il être aimé en cette vie sans intermédiaire ? - 5. Peut-il être aimé totalement ? - 6. Notre dilection de Dieu a-t-elle une mesure ? - 7. Lequel vaut mieux : aimer son ami, ou son ennemi ? - 8. Lequel vaut mieux : aimer Dieu, ou le prochain ?

 

            Article 1 — Le propre de la charité est-il plutôt d’être aimé, ou d’aimer ?

Objections :

1. Il semble que ce soit plutôt d’être aimé. On trouve en effet une charité meilleure chez ceux qui sont les meilleurs. Or les meilleurs doivent être plus aimés. Donc il convient davantage à la charité que l’on soit aimé plutôt que l’on aime.

2. Ce qui se rencontre dans le plus grand nombre semble plus conforme à la nature et par conséquent meilleur. Or, comme le remarque Aristote, " beaucoup aiment mieux être aimés qu’aimer. C’est pourquoi ceux qui aiment la flatterie sont nombreux ". Il est donc meilleur d’être aimé que d’aimer, et par conséquent cela convient mieux à la charité.

3. Ce qui fait que quelque chose est tel l’est lui-même encore davantage. Or c’est parce qu’on est aimé qu’on aime : " Rien ne provoque plus à aimer, dit en effet S. Augustin, que de commencer par être aimé. " Donc la charité consiste davantage à être aimé qu’à aimer.

En sens contraire, Aristote affirme que " l’amitié consiste plus à aimer qu’à être aimé ". Donc la charité elle aussi, puisqu’elle est une espèce d’amitié.

Réponse :

Aimer convient à la charité en tant qu’elle est charité. En effet, puisqu’elle est une vertu, elle a dans sa nature une inclination à son acte propre. Or ce n’est pas être aimé qui est l’acte de la charité de celui qui est aimé ; l’acte de charité est l’acte de celui qui aime ; être aimé ne lui convient qu’au titre commun de bien, c’est-à-dire pour autant qu’un autre est porté vers son bien par un acte de charité. Il est donc évident qu’il convient davantage à la charité d’aimer que d’être aimé, car ce qui convient à une chose par elle-même et par ce qu’elle est, lui convient plus que ce qui lui convient par un autre.

Deux faits significatifs viennent ici en confirmation. On loue les amis parce qu’ils aiment plutôt que parce qu’ils sont aimés ; bien plus, s’ils sont aimés et n’aiment pas, on les blâme. Et les mères, chez qui se rencontre le ‘plus grand amour, cherchent plus à aimer qu’à être aimées " Il y en a, remarque Aristote, qui, bien que confiant leurs enfants à une nourrice, très certainement les aiment, mais ne s’inquiètent pas de la réciprocité, si elle n’a pas lieu. "

Solutions :

1. Les meilleurs, du fait même qu’ils sont meilleurs, sont plus dignes d’être aimés ; mais, possédant une charité plus parfaite, ils aiment aussi davantage, en proportion toutefois de celui qu’ils aiment. En effet, celui qui est meilleur n’aime pas son inférieur moins qu’il n’est digne d’être aimé ; mais celui qui est moins bon ne parvient pas à aimer celui qui est meilleur autant qu’il est aimable.

2. Comme Aristote le dit au même endroit, les hommes désirent être aimés parce qu’ils désirent être honorés. De même en effet qu’un honneur rendu à quelqu’un témoigne d’un bien qui est en lui, ainsi, lorsqu’on aime quelqu’un, on manifeste qu’il y a en lui un certain bien, car le bien seul est aimable. Être aimé et être honoré sont donc recherchés pour autre chose, qui est la manifestation d’un bien existant chez celui qui est aimé. Au contraire, ceux qui ont la charité veulent aimer pour aimer, comme si c’était le seul bien de la charité, de même que tout acte d’une vertu est le bien de cette vertu. Il appartient donc davantage à la charité de vouloir aimer que de vouloir être aimé.

3. Que certains aiment parce qu’ils sont aimés ne veut pas dire qu’être aimé soit la fin qu’on poursuit en aimant, mais que ce peut être une voie qui conduit à aimer.

 

            Article 2 — L’amour, en tant qu’il est un acte de la charité, est-il identique à la bienveillance ?

Objections :

1. Il semble bien que ce ne soit pas autre chose. Aristote dit en effet : " Aimer, c’est vouloir du bien à quelqu’un. " Mais la bienveillance, c’est cela. L’acte de la charité se confond donc avec la bienveillance.

2. L’acte appartient à la même puissance que l’habitus correspondant. Or l’habitus de charité réside dans la volonté, ainsi que nous l’avons dit précédemment. Donc l’acte de charité est aussi un acte de la volonté. Mais il n’y a pas d’acte de volonté qui ne soit tendance au bien, ce qui est bienveillance. Par conséquent l’acte de la charité n’est rien d’autre que la bienveillance.

3. Aristote mentionne cinq propriétés de l’amitié : " vouloir le bien de son ami, désirer qu’il existe et vive, vouloir vivre avec lui, avoir les mêmes préférences, partager ses joies et ses peines ". Or les deux premières propriétés appartiennent à la bienveillance ; celle-ci est donc bien le premier acte de la charité.

En sens contraire, Aristote affirme au même livre que la bienveillance n’est ni l’amitié ni l’amour, mais " le principe de l’amitié ". Or la charité est une amitié, nous l’avons dit plus haute. Donc la bienveillance n’est pas la même chose que la dilection, acte de la charité.

Réponse :

Au sens propre, on appelle bienveillance un acte de la volonté qui consiste à vouloir du bien à un autre. Cet acte se distingue de l’acte d’aimer, qu’il soit dans l’appétit sensible ou dans l’appétit intellectuel ou volonté.

Le premier, en effet, est une passion. Or toute passion incline vers son objet avec un certain emportement. Mais la passion de l’amour a ceci de particulier qu’elle ne jaillit pas soudainement, mais à la suite d’une considération assidue de son objet. C’est pourquoi Aristote voulant montrer la différence entre la bienveillance et l’amour passion, dit que la première n’a " ni tension, ni appétit ", c’est-à-dire inclination impétueuse, mais qu’elle veut du bien à quelqu’un par le seul jugement de la raison. D’autre part, l’amour passion se forme par accoutumance, tandis que la bienveillance peut jaillir soudainement ; ainsi nous arrive-t-il, en voyant des lutteurs, de souhaiter la victoire de l’un d’eux.

L’amour qui est dans l’appétit intellectuel se distingue lui aussi de la bienveillance. Il comporte en effet une certaine union affective entre celui qui aime et celui qui est aimé, selon que le premier considère le second comme étant un avec lui[4453], ou comme une partie de lui-même[4454], et c’est ainsi qu’il se porte vers lui. La bienveillance au contraire est un acte simple de la volonté par lequel nous voulons du bien à quelqu’un, même sans union affective préalable. - Ainsi donc, la dilection considérée comme l’acte de la charité, englobe la bienveillance, mais la dilection, ou bien l’amour, y ajoute une union affective. Et c’est pourquoi Aristote dit au même endroit que la bienveillance est la principe de l’amitié.

Solutions :

1. Aristote ne donne pas ici la définition complète de l’amour, mais indique celui de ses éléments qui manifeste le plus clairement l’acte d’aimer.

2. La dilection est un acte de la volonté qui tend vers le bien, mais avec une certaine union à celui que l’on aime, qui n’est pas impliquée dans la simple bienveillance.

3. Les propriétés de l’amitié dont parle Aristote conviennent à celle-ci dans la mesure où elles procèdent de l’amour que l’on a pour soi-même, comme il est dit au même endroit ; de sorte qu’on se comporte ainsi à l’égard d’un ami comme vis-à-vis de soi-même ; et cela tient à l’union affective dont nous venons de parler.

 

            Article 3 — Dieu doit-il être aimé de dilection pour lui-même ?

Objections :

1. Il semble que par la charité on n’aime pas Dieu de dilection pour lui-même, mais pour autre chose. S. Grégoire dit en effet : " A partir des choses qu’il connaît, le cœur apprend à aimer ce qu’il ne connaît pas. " " Ce qu’il ne connaît pas " désigne les choses intelligibles et divines, et " ce qu’il connaît ", les choses sensibles. Donc Dieu doit être aimé de dilection pour autre chose que pour lui-même.

2. L’amour suit la connaissance. Or Dieu est connu par autre chose que lui-même : " Ses perfections invisibles, sont rendues perceptibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres " (Rm 1, 20). On l’aime donc encore pour autre chose que pour lui-même.

3. " L’espérance engendre la charité ", affirme la Glose ; et " la crainte, selon S. Augustin, l’introduit aussi ". Or l’espérance attend quelque chose que Dieu peut donner, et la crainte redoute quelque chose qu’il peut infliger. C’est donc, semble-t-il, pour un bien à espérer ou pour un mal à craindre que l’on doit aimer Dieu. Par conséquent non pour lui-même.

En sens contraire, S. Augustin affirme que " jouir, c’est s’attacher par amour à quelqu’un pour lui-même ". Or, dit-il encore, nous devons jouir de Dieu ; nous devons donc l’aimer pour lui-même.

Réponse :

Le mot " pour " (propter) implique un certain rapport de cause. Or, nous savons qu’il y a quatre causes : finale, formelle, efficiente, matérielle, et qu’à cette dernière, se ramène la disposition matérielle qui n’est que relativement, et non de façon absolue. C’est selon ces quatre genres de cause qu’une chose peut être dite aimée pour une autre. Selon la cause finale : nous aimons un remède pour la santé dont il est le moyen. Selon la cause formelle : nous aimons quelqu’un pour sa vertu, celle-ci le rendant formellement bon et par suite digne d’être aimé. Selon la cause efficiente : nous aimons certains en tant qu’ils sont les fils de tel père. Selon la disposition se ramenant à la cause matérielle : nous disons que nous aimons quelque chose à cause de ce qui nous dispose à l’aimer, par exemple pour quelques bienfaits reçus. Toutefois, en ce cas, une fois que nous avons commencé à aimer, nous n’aimerons plus notre ami pour ses bienfaits mais pour sa vertu propre.

Selon les trois premiers genres de cause, Dieu ne saurait être aimé pour rien d’autre que lui-même. En effet, il ne se rapporte pas à autre chose comme à sa fin, puisqu’il est lui-même la fin ultime de tous les êtres. Il n’a pas non plus à être informé par un autre être pour être bon, puisque sa substance est la bonté même, par laquelle toutes choses sont bonnes, comme par leur modèle. Pas davantage on ne peut dire que sa bonté vient d’un autre, puisque tous les autres tiennent de lui la leur. Mais, selon le quatrième genre de cause, Dieu peut être aimé en raison d’autre chose que lui-même : en ce sens que certaines choses qui ne sont pas lui nous disposent à l’aimer davantage, par exemple, les bienfaits que nous avons reçus de lui, les récompenses que nous attendons de lui, ou encore les châtiments que nous cherchons à éviter grâce à lui.

Solutions :

1. S. Grégoire ne veut pas dire que les choses que nous connaissons soient pour nous la raison d’aimer celles que nous ne connaissons pas, par mode de cause formelle, finale ou efficiente, mais seulement qu’elles nous disposent à les aimer.

2. La connaissance de Dieu s’acquiert bien au moyen des autres êtres, mais cette connaissance une fois acquise, ce n’est plus par d’autres qu’il est connu, mais par lui-même, selon cette parole en S. Jean (4, 42) : " Maintenant, ce n’est plus par tes paroles que nous croyons, car nous l’avons entendu nous-mêmes, et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde. "

3. L’espérance et la crainte acheminent à la charité, par manière de disposition, comme le montre ce qu’on vient de dire.

 

            Article 4 — Dieu peut-il être aimé en cette vie sans intermédiaire ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. " Impossible d’aimer ce qu’on ne connaît pas ", dit S. Augustin. Or, en cette vie, nous ne voyons pas Dieu sans intermédiaire, mais selon l’expression de S. Paul (1 Co 13, 12), " dans un miroir, d’une manière confuse ". Donc nous ne l’aimons pas non plus immédiatement.

2. Qui ne peut pas le moins ne peut pas le plus. Or, aimer Dieu est plus que le connaître. " Celui qui s’unit à Dieu " par l’amour, " n’est qu’un seul esprit avec lui " (1 Co 6, 17). Or l’homme ne peut connaître Dieu immédiatement. Donc, bien moins encore l’aimer ainsi.

3. Le péché éloigne l’homme de Dieu, selon la parole d’Isaïe (39, 2) : " Vos péchés ont mis une séparation entre vous et votre Dieu. " Mais le péché réside plutôt dans la volonté que dans l’intelligence. Donc il est encore moins possible à l’homme d’aimer Dieu sans intermédiaire que de le connaître ainsi.

En sens contraire, c’est parce qu’elle est médiate que notre connaissance de Dieu est dite confuse et doit disparaître dans la patrie, selon S. Paul (1 Co 13, 9). Mais on lit aussi dans la même épître (13, 8) que " la charité ne passe pas ". Donc dès ici-bas elle s’attache à Dieu sans intermédiaire.

Réponse :

Nous l’avons dit, l’acte d’une puissance cognitive est accompli du fait que l’objet connu est dans le sujet connaissant, tandis que l’acte d’une puissance appétitive consiste dans la tendance de l’appétit vers la réalité elle-même. Par une conséquence nécessaire, le mouvement de l’appétit se porte vers la réalité, selon la condition même de celle-ci, tandis que l’acte de la puissance cognitive se conforme à la condition du sujet.

Or, tel est, absolument parlant, l’ordre des choses - Dieu est par lui-même connaissable et digne d’être aimé, puisqu’il est dans son essence la vérité et la bonté mêmes, par quoi les autres choses sont connues et aimées ; mais par rapport à nous, parce que notre connaissance a son origine dans les sens, ce qui est le plus rapproché d’eux est le plus connaissable, tandis que ce qui est le plus éloigné n’est connu qu’en dernier.

Il faut en conclure que la dilection, acte de la puissance appétitive, tend d’abord vers Dieu, même en cette vie, et que de lui elle descend vers les autres êtres ; et ainsi la charité aime Dieu de façon immédiate, et les autres êtres à partir de lui. Mais, dans la connaissance, c’est le contraire qui a lieu ; nous connaissons Dieu par les autres êtres, comme la cause par l’effet, ou par voie d’éminence ou de négation, comme le montre Denys.

Solutions :

1. S’il est vrai qu’on ne puisse aimer ce qu’on ne connaît pas, il ne s’ensuit pas que l’ordre de la connaissance soit identique à celui de la dilection. Car celle-ci est le terme de la connaissance. Aussi, là même où s’arrête la connaissance, c’est-à-dire à cette réalité qui est connue par une autre, là aussitôt, la dilection peut commencer.

2. La dilection de Dieu étant quelque chose de plus grand que la connaissance de Dieu, surtout en cette vie, la présuppose donc. Mais la connaissance ne s’arrête pas aux réalités créées ; par leur intermédiaire, elle tend vers un autre objet, où la dilection prend naissance, et d’où elle redescend vers les autres êtres, par une sorte de mouvement circulaire : la connaissance part des créatures pour aller vers Dieu, et la dilection prend son point de départ en Dieu, comme dans la fin ultime, pour descendre aux créatures.

3. Ce n’est pas la seule connaissance, c’est la charité qui supprime l’éloignement de Dieu causé par le péché. C’est donc bien la charité qui, par l’acte de dilection, rattache l’âme immédiatement à Dieu, par le lien d’une union spirituelle.

 

            Article 5 — Dieu peut-il être aimé totalement ?

Objections :

1. Cela paraît impossible, car l’amour fait suite à la connaissance. Mais connaître Dieu totalement est impossible, car ce serait le " comprendre ". Nous ne pouvons donc pas aimer Dieu totalement.

2. L’amour est une certaine union, comme le montre Denys. Or le cœur de l’homme ne peut être uni à Dieu totalement, puisqu’au témoignage de S. Jean (1 Jn 3, 20) " Dieu est plus grand que notre cœur. " Donc Dieu ne peut pas être aimé totalement.

3. Dieu s’aime totalement. Donc, s’il est aimé totalement par un autre, cet autre l’aime autant que Dieu s’aime lui-même. Mais cela est absurde. Dieu ne peut donc être aimé totalement par une créature.

En sens contraire, il est dit au Deutéronome (6, 15) : " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. "

Réponse :

Puisque la dilection est comprise comme une sorte de milieu entre le sujet aimant et l’objet aimé, la question de savoir si Dieu peut être aimé totalement peut avoir trois sens. Selon le premier, le mode de totalité se rapporte à l’objet aimé. Ainsi Dieu doit être aimé totalement parce que tout ce qui appartient à Dieu, l’homme doit l’aimer. Selon le deuxième sens, la totalité concerne le sujet qui aime. Ainsi encore Dieu doit être aimé totalement, puisque l’homme est tenu d’aimer Dieu de tout son pouvoir, et de rapporter à l’amour de Dieu tout ce qu’il a, comme le prescrit le Deutéronome : " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. " Selon le troisième sens, il s’agit d’une proportion entre celui qui aime et l’objet aimé, telle que la mesure de l’amour dans le premier soit égale à la mesure de l’amabilité dans le second. Et cela est impossible En effet, une chose est aimable dans la mesure où elle est bonne ; Dieu, dont la bonté est infinie, est donc infiniment aimable ; mais aucune créature ne peut aimer Dieu infiniment, puisque tout le pouvoir de la créature, aussi bien naturel qu’infus, est fini.

Solutions :

La réponse aux Objections est évidente : les trois premières difficultés s’appuient sur le troisième sens, l’argument en sens contraire sur le deuxième.

 

            Article 6 — Notre dilection de Dieu a-t-elle une mesure ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Selon S. Augustin, trois éléments sont constitutifs du bien : " le mode, l’espèce et l’ordre ". Or la dilection de Dieu est en l’homme ce qu’il y a de meilleur : " Par-dessus tout ayez la charité ", dit en effet S. Paul (Col 3, 14). Donc l’amour de Dieu doit avoir une certaine modération.

2. S. Augustin dit encore : " Dis-moi, je t’en prie, quel est le mode de l’amour. je crains d’être enflammé plus ou moins qu’il ne faut par le désir et par l’amour de mon Seigneur. " Question qui ne se poserait pas s’il n’y avait un certain mode de l’amour de Dieu.

3. " Le mode, précise S. Augustin, est dans chaque chose ce qui est déterminé par sa propre mesure. " Or c’est la raison qui est la mesure de l’acte intérieur de la volonté de l’homme, aussi bien que de son action extérieure. Donc, tout comme il doit y avoir dans l’effet extérieur de la charité un mode déterminé par la raison, selon la parole de S. Paul (Rm 12, 1) : " Que votre culte soit raisonnable " ; de même, il doit y en avoir un dans l’acte intérieur de dilection de Dieu.

En sens contraire, S. Bernard affirme : " Le motif d’aimer Dieu, c’est Dieu ; la mesure à y apporter, c’est d’aimer sans mesure. "

Réponse :

Le " mode ", comme le montre le texte allégué de S. Augustin, implique une certaine détermination de mesure. Or cette détermination se trouve à la fois dans ce qui mesure et dans ce qui est mesuré, mais différemment. Dans ce qui mesure on la trouve essentiellement, puisque le propre de la mesure est de déterminer et de modifier les autres. Dans ce qui est mesuré, la détermination n’existe que par rapport à autre chose, c’est-à-dire selon que ce qui est mesuré atteint la mesure. Il est donc impossible qu’il y ait dans la mesure quelque chose qui soit hors de la mesure ; tandis que dans ce qui est mesuré cela peut se produire si, par défaut ou par excès, une telle chose n’atteint pas la mesure.

Or, dans le domaine de l’appétit et de l’action, c’est la fin qui est la mesure, car c’est elle qui donne leur raison propre à l’objet de nos désirs et de nos actes d’après le Philosophe. La fin a donc un " mode " par elle-même tandis que les moyens en ont un du fait qu’ils sont proportionnés à la fin. C’est pourquoi, selon la remarque d’Aristote " dans tous les arts, l’appétit de la fin n’a ni terme ni limite, mais il n’en va pas de même pour les moyens ". En effet, le médecin ne met pas de limite au rétablissement de la santé, et, autant qu’il le peut, il vise à y réussir parfaitement ; mais, pour le remède, il use de mesure : il n’en donne pas autant qu’il peut, mais autant qu’il faut pour rétablir la santé ; aller au-delà ou rester en deçà serait manquer de mesure.

Or, la fin de toutes les actions et de tous les sentiments de l’homme c’est d’aimer Dieu : c’est par la dilection de Dieu que nous atteignons tout à fait notre fin ultime, nous l’avons dit plus haut. Ainsi donc ne faut-il pas regarder le " mode " dans la dilection de Dieu, comme dans une chose mesurée, susceptible de trop ou de trop peu, mais dans la réalité qui mesure en laquelle aucun excès n’est possible, et où la perfection est d’autant plus grande que l’on s’approche davantage de la règle. En un mot, plus Dieu est aimé, meilleure est la dilection.

Solutions :

1. Ce qui est par soi est meilleur que ce qui est par un autre. Ainsi la bonté de la mesure, qui a un " mode " ou une détermination par elle-même, est supérieure à la bonté de la chose mesurée, qui tient son mode d’un autre. Et ainsi encore la charité, qui a un mode à titre de mesure, est supérieure aux autres vertus, dont le mode est celui des choses mesurées.

2. S. Augustin ajoute au même endroit que le " mode " qui convient à l’amour de Dieu est de l’aimer de tout son cœur, donc de l’aimer autant qu’il est possible de l’aimer, ce qui est le mode qui convient à la mesure.

3. Le sentiment dont l’objet est soumis au jugement de la raison doit être mesuré par elle. Mais l’objet de la dilection, qui est Dieu, dépasse le jugement de la raison ; il n’est donc pas mesuré par elle, mais la dépasse. - Et il n’y a pas non plus de similitude entre l’acte intérieur et les actes extérieurs de la charité. L’acte intérieur a caractère de fin, puisque le bien suprême pour l’homme consiste dans l’union de son âme avec Dieu " Pour moi, dit le Psaume (73, 28), être uni à Dieu est mon bien. " Les actes extérieurs sont de l’ordre des moyens. Ils doivent donc être mesurés, et selon la charité et selon la raison.

 

            Article 7 — Lequel vaut mieux — aimer son ami, ou son ennemi ?

Objections :

1. Il parait méritoire d’aimer son ennemi. " Si vous aimez ceux qui vous aiment, est-il dit en S. Matthieu (5, 46), quelle récompense méritez-vous ? " On ne mérite donc aucune récompense en aimant son ami. Par contre on en mérite une en aimant son ennemi, comme il est montré au même endroit. Il est donc plus méritoire d’aimer ses ennemis que ses amis.

2. Une chose est d’autant plus méritoire qu’elle procède d’une charité plus grande. Or, déclare s . Augustin, aimer un ennemi est le fait " des parfaits enfants de Dieu ", alors qu’aimer un ami peut venir aussi d’une charité imparfaite. Donc il est plus méritoire d’aimer un ennemi que d’aimer un ami.

3. A un plus grand effort vers le bien paraît correspondre un plus grand mérite, parce que, dit S. Paul (1 Co 3, 8) : " Chacun recevra son propre salaire à la mesure de son propre labeur. " Or aimer un ennemi exige un plus grand effort que d’aimer un ami, parce que c’est plus difficile. Il semble donc plus méritoire d’aimer un ennemi que d’aimer un ami.

En sens contraire, ce qui est meilleur est plus méritoire. Or il est meilleur d’aimer un ami, parce qu’il est meilleur d’aimer celui qui est meilleur, et que l’ami, qui aime, est meilleur que l’ennemi, qui hait. Donc il est plus méritoire d’aimer son ami que son ennemi.

Réponse :

Nous l’avons dit, le motif d’aimer son prochain de charité, c’est Dieu. Donc, puisqu’on se demande s’il est meilleur ou plus méritoire d’aimer un ami ou un ennemi, on peut, pour répondre à cette question, se placer à un double point de vue : celui de l’objet, c’est-à-dire du prochain qui est aimé, et celui du motif pour lequel il est aimé.

Au premier point de vue, l’amour de l’ami l’emporte, car un ami, étant meilleur et nous étant plus uni, présente une matière plus favorable à la dilection ; c’est pourquoi l’acte de dilection s’appliquant à une telle matière est meilleur. C’est pourquoi le contraire est plus détestable, car haïr un ami est pire qu’haïr un ennemi.

Au second point de vue, l’amour de l’ennemi l’emporte, et cela pour deux raisons. La première est que l’amour des amis peut avoir un autre motif que Dieu, tandis que l’amour des ennemis a Dieu pour unique motif. La seconde est celle-ci : supposé que les uns et les autres soient aimés pour Dieu, l’amour de Dieu se révèle avec plus de force lorsqu’il dilate le cœur de l’homme vers des objets plus éloignés, c’est-à-dire jusqu’à l’amour des ennemis ; comme la vertu du feu fait preuve d’une force d’autant plus grande qu’elle rayonne plus loin sa chaleur. De même la dilection de Dieu s’avère d’autant plus grande qu’elle fait accomplir des choses plus difficiles, tout comme la puissance du feu se manifeste d’autant plus grande qu’elle peut brûler des matières moins combustibles.

Cependant, comme un même feu agit avec plus d’intensité sur ce qui est proche que sur ce qui est éloigné, la charité nous fait aimer plus ardemment ceux qui nous sont unis que ceux qui sont éloignés. A ce point de vue, la dilection les amis, absolument considérée, est plus ardent et meilleure que celle des ennemis.

Solutions :

1. Cette parole du Seigneur doit s’entendre de façon absolue. En effet, on ne mérite aucune récompense quand on aime ses amis uniquement parce qu’ils sont nos amis, et cela semble bien être le cas de ceux qui, tout en aimant leurs amis, n’aiment pas leurs ennemis. Cependant l’amour des amis est méritoire si on les aime pour Dieu, et non uniquement parce qu’ils sont nos amis.

2. 3. Les autres réponses ressortent clairement de ce qui vient d’être dit : les arguments des Objections procèdent du motif de l’amour, tandis que l’argument en sens contraire considérait son objet.

 

            Article 8 — Lequel vaut mieux — aimer Dieu, ou le prochain ?

Objections :

1. Il semble plus méritoire d’aimer le prochain. Ce que S. Paul a préféré paraît en effet être le meilleur. Or S. Paul a donné sa préférence à cet amour du prochain : " je souhaiterais, a-t-il dit (Rm 9, 3) être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères. " Il est donc plus méritoire d’aimer le prochain que d’aimer Dieu.

2. Nous venons de dire que sous un certain rapport il est moins méritoire d’aimer ses amis. Mais Dieu qui, selon la parole de S. Jean (1 Jn 4, 10) " nous a aimés le premier ", est éminemment notre ami. Il semble donc moins méritoire de l’aimer.

3. Il y a, semble-t-il, plus de vertu et de mérite dans ce qui est plus difficile, puisque, dit Aristote : " La vertu concerne ce qui est difficile et bon. " Or il est plus facile d’aimer Dieu - soit parce que tous les êtres l’aiment naturellement, soit parce qu’il n’y a rien en lui qui ne soit aimable -, que d’aimer le prochain chez qui il n’y a rien de pareil. Il est donc plus méritoire d’aimer le prochain que d’aimer Dieu.

En sens contraire, ce qui fait qu’une chose est telle l’est lui-même encore davantage ; mais l’amour du prochain n’est méritoire que parce qu’on l’aime pour Dieu ; il est donc plus méritoire d’aimer Dieu que d’aimer le prochain.

Réponse :

Cette comparaison peut s’entendre de deux manières. La première consiste à considérer à part chacun de ces deux amours. Nul doute alors que l’amour de Dieu soit plus méritoire : il a droit par lui-même à la récompense, car la récompense suprême, c’est de jouir de Dieu vers qui justement se porte le mouvement de la dilection divine. D’ailleurs la promesse lui en est faite : " Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et je me manifesterai à lui " (Jn 14, 21).

La seconde manière consiste à comparer la dilection de Dieu comprise en ce sens qu’il est aimé tout seul, avec, d’autre part, la dilection du prochain comprise en ce sens qu’il est aimé pour Dieu. Dans cette hypothèse, la dilection du prochain inclut la dilection de Dieu, mais la dilection de Dieu, elle, n’inclut pas la dilection du prochain. Ce qui revient en réalité à comparer une parfaite dilection de Dieu, s’étendant aussi au prochain, à une dilection de Dieu incomplète et imparfaite ; car, nous dit S. Jean (1 Jn 4, 21) : " Voici le commandement que nous avons reçu de Dieu : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. " En ce sens l’amour du prochain l’emporte.

Solutions :

1. Selon une explication de la Glose, S. Paul ne souhaitait pas être séparé du Christ pour ses frères quand il était en état de grâce ; c’est lorsqu’il était encore infidèle qu’il parlait ainsi. Rien n’oblige donc à l’imiter ici.

Ou bien l’on peut dire avec S. Jean Chrysostome que ces paroles ne prouvent pas que S. Paul aimait son prochain plus que Dieu, mais qu’il aimait Dieu plus que lui-même. Car il consentait à être privé pour un temps de la jouissance de Dieu, qui se rapporte à l’amour de soi, afin de procurer l’honneur de Dieu dans le prochain, ce qui se rattache à l’amour de Dieu .

2. S’il arrive qu’il y ait moins de mérite à aimer un ami, c’est pour autant qu’on l’aime pour lui-même, écartant ainsi le vrai motif de l’amitié de charité, qui est Dieu. Aimer Dieu pour lui-même ne diminue donc pas le mérite : cela constitue la raison totale du mérite.

3. Ce qui fait le mérite et la vertu, c’est le bien, plus encore que ce qui est difficile. Il ne faut donc pas dire : tout ce qui est plus difficile est plus méritoire, mais ce qui est plus difficile au point d’être aussi meilleurs.

Il faut maintenant étudier les effets qui découlent de l’acte principal de la charité, qui est la dilection : d’abord les effets intérieurs, qui sont la joie (Q. 28), la paix (Q. 29) et la miséricorde (Q. 30), ensuite les effets extérieurs (Q. 31-33).

 

 

QUESTION 28 — LA JOIE

1. La joie est-elle un effet de la charité ? - 2. Cette joie est-elle compatible avec la tristesse ? - 3. Peut-elle être plénière ? - 4. Est-elle une vertu ?

 

            Article 1 — La joie est-elle un effet de la charité ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car l’absence ce qu’on aime produit de la tristesse plutôt que de la joie. Mais Dieu, que nous aimons par la charité, est loin de nous, tant que nous sommes cette vie. Comme dit S. Paul (2 Co 5, 6) : " Aussi longtemps que nous sommes dans notre corps, nous sommes loin du Seigneur. " Donc la charité produit en nous de la tristesse plutôt que de la joie.

2. C’est surtout par la charité que nous méritons la béatitude. Mais parmi ce qui nous obtient ce résultat, on doit compter les larmes, selon cette parole en S. Matthieu (5, 5) : Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. " Or les larmes expriment la tristesse. Celle-ci est donc plus que la joie un effet de la charité.

3. La charité, on l’a montré, est une vertu distincte de l’espérance. Or c’est de cette vertu que procède la joie selon S. Paul (Rm 12, 12) : " Soyez joyeux dans l’espérance. " La joie n’est donc pas un effet de la charité.

En sens contraire, pour S. Paul (Rm 5, 5), " l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ". Or la joie est produite en nous par cet Esprit, selon une autre parole de l’Apôtre (Rm 14, 17) : " Le règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture et de boisson, il est justice, paix et joie dans l’Esprit. " Par conséquent la charité aussi est cause de joie.

Réponse :

Comme nous l’avons dit en traitant des passions, et la joie et la tristesse procèdent de l’amour, mais pour des motifs opposés. La joie est causée par l’amour, ou bien parce que celui que nous aimons est présent, ou bien encore parce que lui-même est en possession de son bien propre, et le conserve. Ce second motif concerne surtout l’amour de bienveillance qui nous rend joyeux du bien-être de notre ami, même en son absence. - A l’opposé, l’amour engendre la tristesse, soit parce que celui qu’on aime est absent, soit encore parce que celui à qui nous voulons du bien est privé de son bien ou accablé de quelque mal.

Or, par la charité, c’est Dieu qu’on aime, Dieu dont le bien est immuable, puisqu’il est en personne son propre bien. Et du seul fait qu’il est aimé, il est dans celui qu’il aime par le plus noble de ses effets, selon la parole de S. Jean (1 Jn 4, 16) : " Celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. " C’est pourquoi la joie spirituelle qui vient de Dieu est causée par la charité.

Solutions :

1. Aussi longtemps que nous habitons ce corps, on dit que nous sommes loin du Seigneur, si l’on nous compare à ceux qui sont en sa présence et jouissent ainsi de sa vision ; car, déclare également S. Paul au même endroit, " nous cheminons dans la foi et non dans la claire vision ". Mais Dieu, même en cette vie, est présent à ceux qui l’aiment, par la grâce qui le fait habiter en eux.

2. Les larmes qui méritent la béatitude viennent de ce qui s’oppose à celle-ci. C’est donc pour la même raison que ces larmes et la joie spirituelle de Dieu proviennent de la charité ; car c’est pour une même raison qu’on se réjouit d’un bien, et qu’on s’attriste de ce qui s’y oppose.

3. La joie spirituelle qui a Dieu pour objet peut avoir deux formes, suivant qu’on se réjouit du bien divin en lui-même, ou de ce même bien pour autant qu’on y participe. La première de ces joies est la meilleure et a sa source primordiale dans la charité ; mais une seconde joie provient aussi de l’espérance, par laquelle nous attendons de jouir du bien divin. Toutefois, même cette jouissance parfaite ou imparfaite ne sera obtenue qu’à proportion de notre charité.

 

            Article 2 — La joie spirituelle causée par la charité est-elle compatible avec la tristesse ?

Objections :

1. Il semble bien qu’elle le soit. La charité demande en effet qu’on se réjouisse du bien du prochain selon S. Paul (1 Co 13, 6) : " Elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. " Mais cette joie n’est pas sans mélange, car l’Apôtre dit encore (Rm 12, 15) : " Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent " - La joie spirituelle de la charité est donc mêlée de tristesse.

2. La pénitence, affirme S. Grégoire, consiste à " pleurer le mal que l’on a fait, et à ne plus commettre ce que l’on doit pleurer. " Or il n’y a pas de vraie pénitence sans la charité. Donc la joie de la charité est mêlée de tristesse.

3. La charité peut inspirer le désir d’être avec le Christ, suivant cette parole de S. Paul (Ph 1, 23) : " J’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ. " Mais pareil désir, chez nous, ne va pas sans tristesse, car, dit le Psaume (120, 15) : " Malheureux que je suis, de voir prolonger mon exil. " Par conséquent la joie de la charité est mêlée de tristesse.

En sens contraire, la joie de la charité est la joie de la sagesse divine. Or une telle joie n’est pas mêlée de tristesse, car, selon l’Écriture (Sg 8, 19) : " Le commerce de la sagesse ne cause pas d’amertume. " Par conséquent la joie de la charité ne supporte pas d’être mêlée de tristesse.

Réponse :

La charité, nous venons de le dire, produit en nous deux sortes de joie ayant Dieu pour objet. La première, qui est la principale, et qui est propre à la charité, a pour objet le bien divin considéré en lui-même. Cette joie ne peut être mêlée de tristesse, pas plus que le bien sur lequel elle porte ne peut être mêlé d’un mal quelconque. C’est en ce sens que S. Paul disait (Ph 4, 4) : " Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur. "

La seconde a pour objet le bien divin considéré comme étant notre partage. Or cette participation peut rencontrer quelque obstacle. Il en résulte que par là même de la tristesse peut se mêler à la joie, selon que nous nous attristons de ce qui, en nous-mêmes, empêche de participer au bien divin.

Solutions :

1. Les larmes de notre prochain ne peuvent être causées que par du mal. Or le mal comporte toujours un défaut de participation bien souverain. Donc la charité fait compatir à douleur du prochain, pour autant qu’il y a en lui un empêchement à participer à ce bien.

2. " Nos péchés, selon Isaïe (59, 2), ont creusé un abîme entre nous et Dieu. " C’est pourquoi nous avons motif de pleurer nos péchés passés, ou même ceux du prochain, en tant qu’ils nous empêchent de participer au bien divin.

3. Sans doute, en cet exil, le bien divin devient quelque peu nôtre par la connaissance et par l’amour ; il reste cependant que la misérable condition d’ici-bas nous empêche d’y participer aussi pleinement que dans la patrie. C’est pourquoi cette tristesse de voir retarder notre gloire s’explique par notre empêchement de participer au bien divin.

 

            Article 3 — Cette joie peut-elle être plénière ?

Objections :

1. Cela semble bien impossible. En effet, plus cette joie est grande, plus elle acquiert en nous de plénitude. Mais il est impossible de se réjouir de Dieu autant qu’il en est digne, parce que sa bonté, qui est infinie, dépassera toujours la joie d’une créature, qui est limitée. Donc la joie d’aimer Dieu ne pourra jamais être pleine et entière.

2. Ce qui est complet ne peut être plus grand. Mais la joie même des bienheureux peut être plus grande, car elle est plus grande chez l’un que chez l’autre. Donc la joie spirituelle ne peut être complète dans les créatures.

3. Le terme de " compréhension " semble ne rien signifier d’autre que la plénitude de la connaissance. Or dans la créature la puissance appétitive est limitée, comme la puissance cognitive. Donc, puisque " comprendre Dieu " est impossible à une créature, il semble qu’il ne puisse y avoir non plus en elle de joie de Dieu pleine et entière.

En sens contraire, le Seigneur a dit à ses disciples (Jn 15, 11) : " Que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. "

Réponse :

On peut considérer la plénitude de la joie sous un double rapport. D’abord par rapport à la réalité dont on se réjouit, de sorte qu’on se réjouit d’elle autant qu’elle en est digne. En ce sens, il est clair que Dieu seul peut avoir de lui-même une joie plénière, car sa joie est infinie, correspondant ainsi à sa bonté infinie, tandis qu’en toute créature la joie est nécessairement finie.

Ensuite, par rapport à celui qui éprouve la joie, celle-ci est au désir ce que le repos est au mouvement, comme on l’a montré en traitant des passions. Or le repos est plénier quand plus rien ne reste du mouvement ; de même, la joie est plénière quand il ne reste plus rien à désirer. Tant que nous sommes en ce monde, le mouvement intérieur du désir ne reste pas en repos, car il nous est toujours possible de nous rapprocher davantage de Dieu par la grâce, nous l’avons montré. Mais quand nous aurons atteint la béatitude parfaite, il ne restera plus rien à désirer, parce qu’on aura la pleine jouissance de Dieu, en laquelle nous obtiendrons aussi tout ce qui aura pu être l’objet de nos désirs pour les autres biens, suivant la parole du Psaume (103, 5) " Il comble de biens tous nos désirs. " Ainsi, ce ne sera pas seulement le désir que nous avons de Dieu qui trouvera son repos, mais également tous nos autres désirs. La joie des bienheureux est donc absolument plénière, et même plus que plénière, puisqu’ils obtiendront plus qu’ils n’auront pu désirer, car dit l’Apôtre (1 Co 2, 9) : " Le cœur de l’homme n’a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qu’il aime. " Et c’est ce qu’on lit en S. Luc (6 , 38) : " C’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans le pli de votre vêtement. " Toutefois, puisque nulle créature n’est capable d’une joie de Dieu qui soit digne de lui, il faut dire que cette joie absolument parfaite n’est pas contenue dans l’homme, mais que c’est plutôt lui qui y pénètre, selon cette parole en S. Matthieu (25, 21) : " Entre dans la joie de ton maître. "

Solutions :

1. Il s’agit dans cet argument de la plénitude de joie relative à l’objet.

2. Quand nous parviendrons à la béatitude, chacun de nous atteindra le terme que la prédestination divine lui a fixé, et il ne sera plus possible de tendre au-delà, quoique dans ce terme l’un se trouvera plus rapproché de Dieu, et l’autre moins. Aussi la joie de chacun sera-t-elle plénière de son côté, puisque les désirs de tous seront comblés. Mais la joie de l’un surpassera celle de l’autre, à cause d’une participation plus plénière à la béatitude divine.

3. La " compréhension " implique plénitude de la connaissance, du côté de l’objet connu, en sorte que cet objet soit connu autant qu’il peut l’être. Mais il y a aussi une plénitude de connaissance par rapport au sujet qui connaît, comme nous venons de le voir également pour la joie. C’est en ce sens que l’Apôtre dit (Col 1, 9) : " Que Dieu vous fasse parvenir à la pleine connaissance de sa volonté en toute sagesse et intelligence spirituelle. "

 

            Article 4 — La joie est-elle une vertu ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car le vice est contraire à la vertu ; or la tristesse est un vice, comme on le voit pour l’acédie et pour l’envie. Donc la joie aussi doit être comptée au nombre des vertus.

2. Comme l’amour et l’espérance, la joie est une passion qui a le bien pour objet. Or l’amour et l’espérance sont rangés parmi les vertus ; on doit donc y mettre aussi la joie.

3. Les préceptes de la loi portent sur les actes des vertus ; or il nous est commandé de nous réjouir en Dieu, selon la parole de l’Apôtre (Ph 4, 4) : " Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur. " Donc la joie est une vertu.

En sens contraire, la joie n’est énumérée ni parmi les vertus morales, ni parmi les vertus théologales, ni parmi les vertus intellectuelles, comme on l’a montré au traité de la vertu.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, la vertu est un habitus, c’est-à-dire que, par sa nature propre, elle se trouve inclinée à un certain acte. Or il arrive que d’un même habitus procèdent plusieurs actes, ordonnés hiérarchiquement, de même nature, dont l’un découle de l’autre. Et parce que les actes suivants ne procèdent de l’habitus de vertu que par l’intermédiaire du premier acte, c’est de celui-ci que la vertu reçoit sa définition et son nom, quoique les autres actes en viennent aussi. D’après ce que nous avons dit en traitant des passions i, il est clair que l’amour est le premier mouvement de la puissance appétitive, duquel résultent le désir et la joie. C’est donc bien le même habitus vertueux qui incline à aimer, à désirer le bien que l’on aime, et à s’en réjouir. Cependant, parce que la dilection est le premier de ces actes, ce n’est ni la joie, ni le désir, mais la dilection qui donne son nom à la vertu, et on l’appelle charité. La joie n’est donc pas une vertu distincte de celle-ci, mais elle en est un acte ou un effet. Et c’est pourquoi S. Paul, dans l’épître aux Galates (5, 22), l’a comptée parmi les fruits du Saint-Esprit.

Solutions :

1. La tristesse qui est un vice a sa source dans l’amour désordonné de soi, qui n’est pas un vice spécial, mais qui est comme la racine commune des autres vices, nous l’avons dit. Il a donc bien fallu faire de certaines tristesses spéciales autant de vices particuliers, parce qu’elles dérivent d’un vice général et non spécial. Au contraire, l’amour de Dieu est une vertu spéciale, qui est la charité, vertu à laquelle se ramène la joie, comme son acte propre, on vient de le dire.

2. Comme la joie, l’espérance vient de l’amour, mais elle comporte en plus, du côté de son objet, un caractère spécial : la difficulté jointe à la possibilité de l’atteindre ; c’est pourquoi on en fait une vertu spéciale. Rien de pareil pour la joie, qui n’ajoute à l’amour aucun caractère objectif particulier qui puisse en faire une vertu spéciale.

3. En tant qu’elle est un acte de la charité, la joie est l’objet d’un précepte de la loi ; et cependant elle n’en est pas l’acte premier.

 

 

QUESTION 29 — LA PAIX

1. La paix est-elle identique à la concorde ? - 2. Toutes choses désirent-elles la paix ? - 3. La paix est-elle l’effet de la charité ? - 4. Est-elle une vertu ?

 

            Article 1 — La paix est-elle identique à la concorde ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il, car S. Augustin a affirme que " la paix entre les hommes est la concorde dans l’ordre ". Or, ici, nous ne parlons que de la paix qui concerne les hommes. La paix est donc identique à la concorde.

2. La concorde consiste dans une certaine union des volontés. Mais la notion de paix consiste en une telle union, puisque, selon Denys " elle unit tous les êtres, et opère les accords de tous ". Donc, la paix est identique à la concorde.

3. Lorsque deux choses s’opposent à la même réalité, elles-mêmes sont identiques. Mais la concorde et la paix s’opposent à la même réalité, qui est la dissension, selon S. Paul (1 Co 14, 33) : " Dieu n’est pas le Dieu de la dissension, mais de la paix. " Donc la paix est identique à la concorde.

En sens contraire, on voit des méchants s’accorder pour faire le mal ; or, selon Isaïe (48, 22), " il n’y a pas de paix pour les méchants ". Donc la paix n’est pas identique à la concorde.

Réponse :

La paix inclut la concorde et y ajoute quelque chose. Donc, partout où règne la paix, règne aussi la concorde, mais la réciproque n’est pas vraie, si du moins on prend le mot de paix au sens propre. En effet, la concorde proprement dite implique une relation à autrui, de telle sorte que les volontés de plusieurs personnes s’unissent dans un même consentement.

Mais il arrive que chez le même homme le cœur ait des tendances diverses, et cela de deux façons : soit selon les diverses puissances appétitives ainsi l’appétit sensitif va-t-il le plus souvent en sens contraire de l’appétit rationnel, selon S. Paul (Ga 5, 17) : " La chair convoite contre l’esprit. " Ou bien la même puissance appétitive tend vers des objets différents qu’elle ne peut atteindre à la fois. Il est alors inévitable que ces mouvements de l’appétit se contrarient. Or, l’union de ces mouvements est de l’essence de la paix ; car le cœur de l’homme n’a pas la paix, même si certains de ses désirs sont satisfaits, du moment qu’il désire autre chose qu’il ne peut avoir en même temps. Mais cette union intérieure n’est pas de l’essence de la concorde. Ainsi donc, la concorde implique l’union des tendances affectives de plusieurs personnes, tandis que la paix suppose en outre l’union des appétits dans la même personne.

Solutions :

1. S. Augustin parle ici de la paix d’un homme avec un autre, et il dit qu’elle est une concorde, mais pas n’importe laquelle : c’est une concorde qui est " dans l’ordre ", c’est-à-dire où l’un s’accorde avec l’autre selon ce qui convient à tous deux. Si l’un, en effet, en s’accordant avec l’autre, ne le fait pas librement, mais comme poussé par la crainte d’un péril qui le menace, pareille concorde n’est pas une paix véritable, parce que l’ordre n’a pas été observé entre les contractants, mais troublé par celui qui a provoqué la crainte. C’est pourquoi S. Augustin avait dit auparavant : " La paix est la tranquillité de l’ordre " ; et celle-ci consiste en ce qu’en chaque homme tous les mouvements de l’appétit soient en repos.

2. De ce qu’un individu est en parfait accord avec un autre, il ne s’ensuit pas qu’il le soit aussi avec lui-même, à moins que tous ses mouvements intérieurs ne s’accordent entre eux.

3. A la paix s’opposent deux sortes de dissensions : celle d’un homme avec lui-même, et celle d’un homme avec un autre. Cette dernière seule est opposée à la concorde.

 

            Article 2 — Toutes choses désirent-elles la paix ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car, pour Denys c, " la paix fait l’union des consentements " ; or une telle union ne peut se produire chez les êtres dépourvus de connaissance ; ceux-ci donc ne peuvent désirer la paix.

2. L’appétit ne se porte pas simultanément vers des objets contraires. Mais beaucoup sont enragés de guerres et de dissensions. Donc tous ne désirent pas la paix.

3. Le bien seul est désirable ; mais il y a une paix qui est mauvaise, autrement le Seigneur n’aurait pas dit : " je ne suis pas venu apporter la paix " (Mt 10, 34). Toutes choses ne désirent donc pas la paix.

4. Ce que toutes choses désirent paraît être le souverain bien, qui est la fin ultime. Mais la paix n’est pas un bien de ce genre, puisqu’on peut l’avoir dès ici-bas ; autrement, le Seigneur aurait vainement recommandé (Mc 9, 49) : " Ayez la paix entre vous. " Donc toutes choses ne désirent pas la paix.

En sens contraire, S. Augustin et Denys affirment que toutes choses désirent la paix.

Réponse :

Le fait de désirer quelque chose implique le désir d’entrer en sa possession et donc de voir disparaître tout ce qui pourrait y mettre obstacle. Or l’obtention du bien désiré peut être empêchée par un désir contraire venant soit de celui qui désire soit d’un autre ; or, comme on vient de le dire, la paix le fait disparaître dans les deux cas. Il en résulte que quiconque a un désir, désire par le fait même la paix, en tant qu’il désire obtenir tranquillement et sans empêchement l’objet qu’il convoite ; c’est en cela que consiste justement la paix, que S. Augustin définit : " la tranquillité de l’ordre ".

Solutions :

1. La paix comporte l’union non seulement de l’appétit intellectuel ou rationnel et de l’appétit sensitif, où il peut y avoir consentement, mais aussi de l’appétit naturel. C’est pourquoi Denys précise : " La paix produit le consentement et la connaturalité. " Dans le consentement est impliquée l’union des appétits résultant de la connaissance. Par la connaturalité est impliquée l’union des appétits naturels.

2. Même ceux qui cherchent les guerres et les dissensions ne désirent en réalité que la paix, qu’ils estiment ne pas posséder. Comme nous venons de le dire, une entente que l’on conclut contre ses préférences personnelles n’est pas la paix. Aussi les hommes cherchent à rompre, en faisant la guerre, de telles ententes, qui ne sont que des paix défectueuses, pour parvenir à une paix où rien ne sera plus contraire à leur volonté. Voilà pourquoi tous ceux qui font la guerre n’ont d’autre but que d’arriver à une paix plus parfaite que celle qu’ils avaient auparavant.

3. La paix consiste dans le repos et l’unité de l’appétit. Mais, de même que l’appétit peut tendre à un bien véritable ou à un bien apparent, de même la paix peut être réelle ou seulement apparente. Mais la vraie paix n’est compatible qu’avec le désir d’un bien véritable, car le mal, même s’il a quelque apparence de bien, et s’il est capable de satisfaire pour une part l’appétit, comporte pourtant beaucoup de défauts, à cause desquels l’appétit demeure inquiet et troublé. La vraie paix ne peut donc exister que chez les bons et entre les bons. Et la paix des méchants est apparente, non véritable. La Sagesse le déclare (Sg 14, 22) : " Ils vivent, sans en avoir conscience, dans un état de lutte violente et donnent à de tels maux le nom de paix. "

4. La vraie paix ne peut concerner que le bien ; mais comme on peut posséder un vrai bien de deux façons, parfaitement ou imparfaitement, de même il y a deux sortes de paix véritable. L’une, parfaite, qui consiste dans la jouissance parfaite du bien suprême, qui unit et apaise tous les désirs : là est la fin dernière de la créature raisonnable, selon la parole du Psaume (147, 14) : " Il a établi la paix à tes frontières. " L’autre, imparfaite, est celle que l’on possède en ce monde. Parce que, si le désir primordial de l’âme trouve son repos en Dieu, bien des assauts, et du dedans et du dehors, viennent troubler cette paix.

 

            Article 3 — La paix est-elle l’effet de la charité ?

Objections :

1. Il ne semble pas. On ne peut en effet avoir la charité si l’on n’a pas la grâce sanctifiante. Or il y a des hommes qui ont la paix sans cette grâce, ainsi qu’on le voit chez les païens eux-mêmes. La paix n’est donc pas l’effet de la charité.

2. Ce dont le contraire peut exister avec la charité n’est pas l’effet de la charité. Or il peut y avoir, conjointement avec la charité, des dissensions qui sont contraires à la paix ; nous voyons en effet de saints docteurs comme S, Augustin et S. Jérôme diverger d’opinions sur certains points ; nous lisons même que S. Paul et S. Barnabé ont eu des désaccords (Ac 15, 37). La paix ne semble donc pas être l’effet de la charité.

3. Une même chose ne peut pas être l’effet propre de causes diverses. Or la paix est l’effet de la justice, selon Isaïe (32, 17) : " La paix sera l’œuvre de la justice. " Elle n’est donc pas l’effet de la charité.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (1 19, 165) " Grande paix pour ceux qui aiment la loi. "

Réponse La paix, nous venons de le dire, implique une double union ; l’une qui résulte de l’ordination de nos appétits propres à un seul but ; l’autre qui se réalise par l’accord de notre appétit propre avec celui d’autrui. Ces deux unions sont produites par la charité. La première, selon que nous aimons Dieu de tout notre cœur au point de lui rapporter tout ; et ainsi tous nos appétits sont unifiés. La seconde, parce que, en aimant le prochain comme nous-même, nous voulons l’accomplissement de sa volonté comme de la nôtre. C’est pourquoi Aristote a mis l’identité du choix parmi les éléments de l’amitié, et que Cicéron affirme : " Chez des amis il y a même vouloir et même non-vouloir. "

Solutions :

1. Nul n’est privé de la grâce sanctifiante qu’en raison du péché ; par celui-ci l’homme se trouve détourné de sa vraie fin et choisit une fin interdite ; son désir, de ce fait, ne s’attache pas principalement au vrai bien ultime, mais à son apparence. Et c’est pourquoi, sans la grâce sanctifiante, il ne peut y avoir de paix véritable, mais seulement une paix apparente.

2. L’amitié, remarque Aristote, ne comporte pas l’accord en matière d’opinions, mais en matière de biens utiles à la vie, et surtout des plus importants ; car le dissentiment dans les petites choses est compté pour rien. C’est ce qui explique que les hommes ayant la charité aient des opinions différentes, ce qui d’ailleurs ne s’oppose pas à la paix, puisque les opinions sont affaire d’intelligence et que celle-ci vient avant l’appétit, qui par la paix fait l’unité. De même, pourvu que l’on soit d’accord sur les biens fondamentaux, un désaccord sur des choses minimes ne va pas contre la charité. Il provient en effet d’une diversité d’opinions ; l’un pense que ce qui est en question est essentiel pour tel bien sur lequel on est d’accord, et l’autre ne le croit pas. Ainsi pareil dissentiment en matière légère, et portant sur de simples opinions, n’est pas compatible, en vérité, avec la paix parfaite, qui suppose la vérité pleinement connue et tous les désirs comblés. Mais il peut cœxister avec cette paix imparfaite qui est notre lot ici-bas

3. La justice produit la paix indirectement, en écartant ce qui lui ferait obstacle. Mais la charité la produit directement, parce qu’elle la cause en raison de sa nature propre. L’amour est en effet, selon la parole de Denys, " une force unifiante ", et la paix est l’union des inclinations appétitives.

 

            Article 4 — La paix est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble qu’elle en soit une, car il n’y a de préceptes que pour les actes des vertus. Or il y a des préceptes qui nous commandent la paix, comme le montre cette parole en S. Marc (9, 49) : " Ayez la paix entre vous. " Donc la paix est une vertu.

2. Il n’y a de méritoires que les actes des vertus ; or, c’est une chose méritoire que de procurer la paix, selon Matthieu (5, 9) : " Bienheureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. " Donc la paix est une vertu.

3. Les vices sont opposés aux vertus. Or les dissensions qui sont opposées à la paix, sont comptées parmi les vices, comme on le voit dans l’épître aux Galates (5, 20). Donc la paix est une vertu.

En sens contraire, la vertu n’est pas la fin ultime mais la voie qui y conduit ; or, pour S. Augustin, la paix est d’une certaine manière la fin ultime ; elle n’est donc pas une vertu.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, lorsqu’il se produit une succession d’actes, procédant selon une même raison d’un même agent, tous proviennent d’une seule et unique vertu, et non pas chacun d’une vertu particulière. C’est ce qu’on voit dans la nature : le feu en chauffant, liquéfie et dilate à la fois, non qu’il y ait en lui une vertu liquéfiante et une vertu dilatante qui seraient distinctes, mais c’est par sa seule vertu chauffante qu’il produit ces effets. Donc, puisque la paix est produite par la charité, selon la raison même de l’amour de Dieu et du prochain, comme on l’a montré, il n’y a pas d’autre vertu dont elle soit l’acte propre que la charité ; comme on vient de le voir également pour la joie.

Solutions :

1. La paix est de précepte, parce qu’elle est un acte de charité. Et c’est aussi ce qui la rend méritoire. Et enfin c’est ce qui lui donne une place parmi les béatitudes, qui sont les actes d’une vertu parfaite, nous l’avons dit précédemment. Elle est également nommée parmi les fruits, en tant qu’elle est comme un bien final, rempli de douceur spirituelle.

2. La réponse vient d’être donnée.

3. Plusieurs vices s’opposent à une seule vertu selon ses actes différents. Sont ainsi contraires à la charité, non seulement la haine qui s’oppose à elle du point de vue où elle est dilection, mais l’acédie et l’envie qui s’opposent à elle du point de vue où elle est joie, et la dissension, du point de vue où elle est paix.

 

 

QUESTION 30 — LA MISÉRICORDE

1. La miséricorde a-t-elle pour cause en nous le mal d’autrui ? - 2. A qui convient-il d’exercer la miséricorde ? - 3. Est-elle une vertu ? - 4. Est-elle la plus grande des vertus ?

 

            Article 1 — La miséricorde a-t-elle pour cause en nous le mal d’autrui ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la faute, avons-nous dit, est un mal plus grand que la peine. Or la faute, loin de susciter la miséricorde, provoque plutôt l’indignation. Donc le mal n’est pas ce qui motive la miséricorde.

2. Ce qui est affreux ou qui remplit d’effroi se présente comme comportant un excès de mal. Or, remarque Aristote, " ce qui cause l’effroi est étranger à la compassion, et exclut la miséricorde ". Donc le mal, comme tel, n’est pas le motif qui excite la miséricorde.

3. Le rappel du mal n’est pas un mal véritable. Or Aristote dit que de tels signes inclinent à la miséricorde. Le mal n’est donc pas le motif propre de la miséricorde.

En sens contraire, S. Jean Damascène fait de la miséricorde une espèce de tristesse ; or c’est le mal qui provoque la tristesse ; c’est donc lui aussi qui détermine la miséricorde.

Réponse :

" La miséricorde, dit S. Augustin, est la compassion que notre cœur éprouve en face de la misère d’autrui, sentiment qui nous pousse à lui venir en aide si nous le pouvons. " Le mot miséricorde signifie en effet un cœur rendu misérable par la misère d’autrui. Or la misère est l’opposé du bonheur ; et la béatitude ou le bonheur consiste à posséder ce que l’on veut (conformément à la justice). " Celui-là est bienheureux, dit S. Augustin, qui a tout ce qu’il veut, et ne veut rien pour un motif mauvais. " La misère, au contraire, consiste à subir ce que l’on ne veut pas. Or il y a trois manières de vouloir quelque chose. 1° Par appétit naturel : ainsi tous veulent exister et vivre. 2° On veut quelque chose par choix délibéré. 3° On veut une chose non pour elle-même mais dans sa cause ; ainsi lorsque quelqu’un veut manger ce qui lui fait mal, nous disons que, d’une certaine façon, il veut se rendre malade.

Ainsi donc le motif de la miséricorde se prend du côté de la misère. Il peut consister tout d’abord en ce qui contrarie l’appétit naturel de celui qui veut, c’est-à-dire les maux destructeurs et accablants dont nous recherchons naturellement le contraire : " La miséricorde, dit en ce sens Aristote, est la tristesse causée à la vue d’un mal destructeur et accablant. " - En deuxième lieu, les maux dont on vient de parler suscitent davantage encore la miséricorde s’ils s’opposent à un choix volontaire libre ; de là cette remarque d’Aristote au même endroit : sont dignes de compassion " les maux qui ont pour cause la malchance " par exemple " s’il nous arrive du mal là où nous espérions du bien ". - Enfin, sont encore plus dignes de compassion les maux qui vont à l’encontre de la volonté tout entière, comme c’est le cas de celui qui a toujours cherché le bien et à qui il n’arrive que du mal ; ce qui fait dire à Aristote : " On s’apitoie surtout du malheur de celui qui souffre sans l’avoir mérité. "

Solutions :

1. Il appartient à la notion de faute d’être volontaire. Et à ce titre elle n’est pas objet de miséricorde, mais plutôt de punition. Toutefois, parce que la faute peut être une certaine peine, en ce sens que des maux contraires à la volonté de celui qui pèche peuvent l’accompagner, elle est apte sous ce rapport à inspirer la miséricorde. C’est ainsi que nous avons des sentiments de pitié et de compassion pour les pécheurs : " La vraie justice, dit S. Grégoire, n’a pas pour eux du dédain, mais de la compassion. " Et nous voyons en S. Matthieu (9, 36) que Jésus " à la vue des foules, eut pitié d’elles, car ces gens étaient las et prostrés, comme des brebis qui n’ont pas de berger ".

2. Parce qu’elle est la compassion que l’on ressent pour la misère d’autrui, la miséricorde, au sens propre du mot, a rapport à un autre ; si l’on dit que l’on a de la miséricorde pour soi-même, ce n’est que par comparaison, comme à propos de la justice, et pour autant que l’on considère dans l’homme des parties différentes. C’est dans ce sens qu’il est écrit dans l’Ecclésiastique (30, 24 Vg) : " Aie pitié de ton âme et rends-toi agréable à Dieu. " Donc, de même qu’il n’y a pas à proprement parler de miséricorde à l’égard de nous-même, mais de la douleur, par exemple si un mal cruel nous atteint, de même à l’égard des maux de ceux qui, tels nos enfants ou nos parents, nous sont unis au point d’être en quelque sorte quelque chose de nous-même, ce n’est pas de la miséricorde, mais de la douleur que nous éprouvons comme pour nos propres blessures. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la parole d’Aristote : " Ce qui est effrayant exclut la miséricorde. "

3. Comme l’attente et le souvenir des biens produisent en nous la joie, de même l’attente et le souvenir des maux nous rendent tristes ; mais non pas autant que si nous les ressentions présents. Voilà pourquoi les signes des maux, du fait qu’ils nous font voir comme présentes des misères dignes de pitié, excitent en nous la miséricorde.

 

            Article 2 — A qui convient-il d’exercer la miséricorde ?

Objections :

1. Il semble que le défaut ne soit pas de la part du miséricordieux le motif d’exercer la miséricorde. En effet, le propre de Dieu est d’exercer la miséricorde, selon la parole du Psaume (145, 9) : " Sa miséricorde s’étend sur toutes ses œuvres. " Or il n’y a en Dieu aucun défaut. Il est donc impossible qu’un défaut soit le motif de la miséricorde.

2. S’il en était ainsi, ceux qui sont le plus dénués de tout devraient être aussi les plus miséricordieux ; or, il n’en est rien : Aristote’ dit en effet : " Ceux qui sont ruinés de fond en comble n’ont pas de pitié. " Donc la miséricorde ne s’explique pas par une déficience chez celui qui la ressent.

3. Subir un outrage accuse un défaut. Or, au même endroit, Aristote affirme que " ceux qui sont disposés à l’outrage ne font pas miséricorde ". Ce n’est donc pas un défaut qui motive, chez celui qui fait miséricorde, l’acte qu’il accomplit.

En sens contraire, la miséricorde est une certaine tristesse. Or le défaut est la raison de la tristesse ; de là vient que les faibles sont plus enclins à la tristesse, on l’a remarqué plus haut. Donc c’est bien un défaut qui motive la miséricorde en celui qui la ressent.

Réponse :

Être miséricordieux, avons-nous dit, c’est compatir à la misère d’autrui ; nous éprouverons donc de la miséricorde en raison de ce qui nous fait souffrir de cette misère. Et comme ce qui nous attriste et nous fait souffrir, c’est le mal qui nous atteint nous-même, nous nous attristerons et nous souffrirons de la misère d’autrui dans la mesure où nous la regarderons comme la nôtre. Ce qui peut arriver de deux manières.

D’abord en raison d’une union affective, qui est produite par l’amour. C’est en effet parce que celui qui aime regarde son ami comme un autre lui-même, qu’il considère son mal comme le sien propre, et qu’il en souffre comme s’il en était frappé. D’où vient qu’Aristote a rangé parmi les sentiments d’amitié le fait de " partager les peines d’un ami ", et que S. Paul a dit (Rm 12, 15) : " Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, et pleurez avec ceux qui pleurent. "

Ensuite, nous souffrons de la misère d’autrui en raison d’une union réelle, qui résulte de ce que le mal qui atteint les autres est proche et va nous atteindre. Les hommes, remarque en effet Aristote, éprouvent de la pitié pour ceux qui leur sont unis et semblables, car cela les porte à croire qu’ils pourraient être frappés de la même manière ; c’est ainsi que les vieillards et les sages, qui songent aux maux qui peuvent leur arriver, et aussi les faibles et les craintifs, sont plus miséricordieux. Au contraire, ceux qui s’estiment heureux, et assez forts pour échapper à tous les maux, le sont beaucoup moins. - Ainsi donc, un défaut est toujours la raison d’être miséricordieux : soit que l’on considère le défaut d’un autre comme le sien, à cause de l’union de l’amour, soit parce qu’on a des raisons de le redouter pour soi-même.

Solutions :

1. Dieu n’est miséricordieux que par amour, en tant qu’il nous aime comme étant quelque chose de lui-même.

2. Ceux qui sont déjà atteints de maux extrêmes ne craignent plus de souffrir davantage et, de ce fait, ne connaissent pas la miséricorde. - De même ceux qui sont en proie à une crainte excessive : leur anxiété les absorbe au point qu’ils ne prennent pas garde à la misère des autres.

3. Ceux qui sont disposés à l’outrage, soit qu’on les ait outragés, soit qu’ils veuillent d’eux-mêmes passer à l’injure, sont portés à la colère et à l’audace, passions viriles qui exaltent le courage en face des difficultés. On ne pense plus alors que le malheur puisse vous atteindre à l’avenir, et l’on n’est pas enclin à la miséricorde selon les Proverbes (27, 4) : " La colère est sans pitié ainsi que la fureur qui éclate. " - Il en va de même des orgueilleux, qui méprisent les autres, qui les jugent mauvais et donc dignes des maux dont ils sont frappés : " La fausse justice (celle des orgueilleux), dit S. Grégoire, ignore la compassion, et n’a que du dédain. "

 

            Article 3 — La miséricorde est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non. La vertu a en effet pour élément principal le choix, comme le montre Aristote. Or cet acte, dit-il, est " un désir de ce qui a été l’objet d’une délibération ". Donc ce qui empêche cette délibération ne saurait être regardé comme une vertu. Or la miséricorde empêche le conseil car, dit Salluste " ceux qui tiennent conseil dans les affaires douteuses ne doivent être influencés ni par la colère ni par la pitié, car l’esprit discerne difficilement le vrai là où ces passions interviennent ". La miséricorde n’est donc pas une vertu.

2. Rien de ce qui est contraire à une vertu n’est digne d’être loué ; or l’indignation est contraire à la miséricorde, dit Aristote ; d’autre part il affirme qu’elle est une passion louable ; donc la miséricorde n’est pas une vertu.

3. Ni la joie ni la paix ne sont des vertus spéciales, puisqu’elles procèdent de la charité, comme nous l’avons dit ; mais la miséricorde en vient aussi car c’est également par la charité que " nous pleurons avec ceux qui pleurent ", et que " nous nous réjouissons avec ceux qui sont dans la joie " ; donc la miséricorde n’est pas une vertu.

4. La miséricorde n’est pas une vertu intellectuelle, puisqu’elle appartient à la puissance appétitive, ni une vertu théologale, puisqu’elle n’a pas Dieu pour objet. Elle n’est pas davantage une vertu morale, car elle n’a trait ni aux actions humaines, qui sont l’affaire de la justice, ni aux passions, car elle ne peut être ramenée à aucun des douze " milieux de vertus " dénombrés par Aristote. La miséricorde n’est donc pas une vertu.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Combien meilleurs, plus humains et plus conformes à l’appréciation des bons, les sentiments exprimés par Cicéron dans son éloge de César : "De toutes les vertus, dit-il, il n’y en a pas de plus admirable, de plus aimable que la miséricorde." " Celle-ci est donc une vertu.

Réponse :

La miséricorde implique une douleur provoquée par la misère d’autrui. Cette douleur peut être un mouvement de l’appétit sensitif ; la miséricorde alors n’est pas une vertu, mais une passion. Mais elle peut être aussi un mouvement de l’appétit intellectuel ou volonté. Or, ce dernier mouvement peut être réglé par la raison, et, par son intermédiaire, le mouvement de l’appétit sensitif peut l’être à son tour. D’où cette remarque de S. Augustin : " Ce mouvement de l’âme ", la miséricorde, " obéit à la raison, lorsque l’on fait miséricorde, la justice étant sauve ; soit qu’on secoure l’indigent, soit qu’on pardonne à celui qui se repent ". Et parce que la vertu humaine consiste en ce que le mouvement de l’âme est réglé par la raison, comme nous l’avons montré précédemment a, on doit dire que la miséricorde est une vertu.

Solutions :

1. Cette remarque de Salluste concerne la miséricorde considérée comme une passion que la raison ne règle pas ; elle entrave alors la délibération en faisant manquer à la justice.

2. Aristote parle également ici de la miséricorde et de l’indignation considérées comme des passions. Comme telles, elles s’opposent en effet l’une à l’autre par le jugement qu’elles portent sur le mal d’autrui : le miséricordieux s’en afflige, parce qu’il pense qu’un tel n’a pas mérité son sort malheureux ; l’homme indigné, au contraire, s’en réjouit, parce qu’il y voit une souffrance méritée, et il s’attriste quand ceux qui réussissent n’en sont pas dignes. " Ces sentiments sont tous deux louables, remarque Aristote, et procèdent de la même disposition morale. " Mais, à proprement parler, c’est l’envie qui est le contraire de la miséricorde, nous le verrons plus loin.

3. La joie et la paix n’ajoutent rien à la raison de bien qui est l’objet de la charité, et c’est pourquoi elles ne requièrent pas d’autres vertus que la charité. La miséricorde, au contraire, envisage un aspect spécial de l’objet, à savoir la misère de celui dont elle a compassions.

4. La miséricorde considérée comme vertu, est une vertu morale relative aux passions, et elle se ramène au même juste milieu que l’indignations, parce que " elles viennent toutes deux de la même disposition morale ", dit encore Aristote. Pour lui ces milieux ne sont pas des vertus, mais des passions ; et même à ce titre ils sont louables. Cependant, rien n’empêche qu’ils aient pour principe un habitus capable de choix, et ils revêtent ainsi la raison de vertu.

 

            Article 4 — La miséricorde est-elle la plus grande des vertus ?

Objections :

1. Il semble bien, car le sommet de la vertu, c’est le culte divin ; cependant la miséricorde est encore meilleure, selon la parole d’Osée (6, 6) reprise en S. Matthieu (12, 7) : " je veux la miséricorde et non le sacrifice. " La miséricorde est donc la plus grande des vertus. 2. Sur cette parole de S. Paul (1 Tm 4, 8) : " La piété est utile à tout ", la Glose dit : " La doctrine chrétienne tout entière tient en ces deux mots : miséricorde et piété. " Mais la doctrine chrétienne embrasse toute vertu. Donc le sommet de toute la vertu consiste en la miséricorde.

3. La vertu est ce qui rend bon celui qui la possède. " Donc, l’homme étant d’autant meilleur qu’il est plus semblable à Dieu, une vertu est d’autant plus grande qu’elle produit davantage cette ressemblance. Et c’est ce que fait excellemment la miséricorde, car il est dit de Dieu dans le Psaume (145, 9) : " Ses miséricordes s’étendent sur toutes ses œuvres. " D’où vient la parole du Seigneur rapportée par S. Luc (6, 36) : " Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. " Par conséquent, la miséricorde est la plus grande des vertus.

En sens contraire, après ces paroles : " Revêtez-vous comme les bien-aimés de Dieu de tendre miséricorde ", l’Apôtre ajoute (Col 3, 12) : " Mais par-dessus tout, ayez la charité. " Donc la miséricorde n’est pas la plus grande des vertus.

Réponse :

Une vertu peut être dite la plus grande à deux points de vue : en elle-même, ou par rapport à celui qui la possède. En elle-même la miséricorde est la plus grande des vertus, car il lui appartient de donner aux autres, et, qui plus est, de soulager leur indigence ; ce qui est éminemment le fait d’un être supérieur. Aussi se montrer miséricordieux est-il regardé comme le propre de Dieu, et c’est par là surtout que se manifeste sa toute-puissance.

Mais par rapport au sujet qui la possède, la miséricorde n’est pas la plus grande des vertus, à moins que son sujet ne soit lui-même le plus grand, n’ayant personne au-dessus de lui, et tous lui étant subordonnés. Car pour quiconque a un supérieur, il est plus grand et meilleur de s’unir à lui, que de suppléer au défaut d’un inférieur. Voilà pourquoi, chez l’homme, qui a Dieu au-dessus de lui, la charité qui l’unit à Dieu vaut mieux que la miséricorde, qui lui fait secourir le prochain. Mais parmi les vertus relatives au prochain, la miséricorde est la plus excellente, comme son acte est aussi le meilleur ; car celui qui supplée au défaut d’un autre est, sous ce rapport, supérieur et meilleur.

Solutions :

1. Les sacrifices et les offrandes qui font partie du culte divin ne sont pas pour Dieu lui-même, mais pour nous et nos proches. Lui-même n’en a nul besoin, et s’il les veut, c’est pour exercer notre dévotion et pour aider le prochain. C’est pourquoi la miséricorde qui subvient aux besoins des autres lui agrée davantage, étant plus immédiatement utile au prochain, selon ces paroles de l’épître aux Hébreux (13, 16) : " Quant à la bienfaisance et à la mise en commun des ressources, ne les oubliez pas, car c’est à de tels sacrifices que Dieu prend plaisir. "

2. Toute la vie chrétienne se résume en la miséricorde, quant aux œuvres extérieures. Mais le sentiment intérieur de charité qui nous unit à Dieu l’emporte sur l’amour et la miséricorde envers le prochain.

3. La charité nous rend semblables à Dieu en tant que nous unissant à lui par affection. Elle est donc préférable à la miséricorde, qui nous rend semblables à lui seulement par la similitude des œuvres.

Il faut étudier maintenant les actes ou effets extérieurs de la charité : d’abord la bienfaisance (Q. 31) ; puis l’aumône qui est une partie de la bienfaisance (Q. 32) ; enfin la correction fraternelle qui est une certaine aumône (Q. 33).

 

 

QUESTION 31 — LA BIENFAISANCE

1. La bienfaisance est-elle un acte de la charité ? - 2. Faut-il la pratiquer envers tous ? - 3. Faut-il la pratiquer davantage envers ceux qui nous sont le plus unis ? - 4. La bienfaisance est-elle une vertu spéciale ?

 

            Article 1 — La bienfaisance est-elle un acte de la charité ?

Objections :

1. Non semble-t-il, car la charité a surtout Dieu pour objet ; or nous ne pouvons nous montrer bienfaisants envers Dieu, comme l’indique la parole du livre de Job (35, 7) : " Que lui donnes-tu ? Que reçoit-il de ta main ? " La bienfaisance n’est donc pas un acte de la charité.

2. Être bienfaisant, c’est surtout donner ; mais c’est là le fait de la libéralité ; la bienfaisance n’est donc pas un acte de la charité mais de la libéralité.

3. Tout de ce que l’on donne, ou bien était dû, ou bien ne l’était pas. S’il s’agit d’une dette, le bienfait est un acte de justice ; si ce n’est pas une dette, le don est gratuit, et on fait alors un acte de miséricorde. Donc toute bienfaisance est ou un acte de justice, ou un acte de miséricorde ; ce n’est donc pas un acte de la vertu de charité.

En sens contraire, la charité, on l’a vu plus haut, est une amitié. Or Aristote déclare que l’un des actes de l’amitié consiste à " faire du bien à ses amis ", c’est-à-dire à être bienfaisant pour eux. La bienfaisance est donc un acte de charité.

Réponse :

La bienfaisance consiste essentiellement à faire du bien à quelqu’un. Mais ce bien peut être envisagé de deux manières.

D’abord sous la raison générale de bien, et cela concerne la raison générale de bienfaisance. C’est alors un acte d’amitié et par conséquent de charité.

En effet, l’acte de dilection inclut la bienveillance, par laquelle on veut du bien à celui qu’on aime, nous l’avons dit. Or, la volonté est réalisatrice de ce qu’elle veut, si du moins elle en a la possibilité. Il s’ensuit que faire du bien à un ami est une conséquence de l’acte de dilection. Par conséquent, la bienfaisance considérée sous cette raison générale est un acte de l’amitié ou de la charité.

Mais si l’on envisage le bien fait au prochain sous une raison spéciale de bien, la bienfaisance, elle aussi, se spécialisera, et il faudra la rattacher à une vertu particulière.

Solutions :

1. Selon Denys " l’amour meut les choses ordonnées suivant une réciprocité de relations ; il meut ainsi les êtres inférieurs vers les supérieurs pour qu’ils soient perfectionnés par ceux-ci, et les êtres supérieurs vers les inférieurs pour leur bénéfice ". C’est de cette seconde manière que la bienfaisance est un effet de l’amour. Nous n’avons donc pas à faire du bien à Dieu, mais à l’honorer en nous soumettant à lui ; il lui revient alors de nous faire du bien en vertu de son amour.

2. Dans les dons que l’on fait, deux points sont à considérer. D’une part le bien extérieur qui est donné ; d’autre part la passion intérieure de celui qui s’attache aux richesses, en lesquelles il se délecte. C’est à la libéralité qu’il appartient de modérer la passion intérieure, en sorte que l’on n’excède pas dans la convoitise ou l’amour des richesses ; ainsi deviendra-t-on prompt à répandre ses dons. Aussi un don considérable, mais fait avec le désir de le retenir ne sera-t-il pas libéral. - Mais, à regarder la chose extérieure qui est donnée, la communication du bienfait se rapporte en général à l’amitié ou à la charité. Aussi n’est-ce pas déroger à l’amitié que de donner par amour une chose que l’on désirerait garder pour soi-même ; c’est au contraire faire preuve d’une amitié parfaite.

3. Dans ce qui est donné, l’amitié ou charité envisage la raison générale de bien ; la justice, la raison de dette ; la miséricorde, elle, y voit la raison d’un secours capable de soulager la misère ou l’indigence.

 

            Article 2 — Doit-on pratiquer la bienfaisance envers tous ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car, dit S. Augustin : " Nous ne pouvons venir en aide à tous. " Mais la vertu ne nous incline pas à l’impossible. Donc on n’est pas tenu de faire du bien à tous.

2. Il est dit dans l’Ecclésiastique (12, 5) : " Fais le bien à celui qui est juste et ne donne pas au pécheur. " Or beaucoup d’hommes sont des pécheurs. Donc il ne faut pas être bienfaisant envers tous.

3. " La charité n’agit pas inconsidérément ", dit S. Paul (1 Co 13, 4). Or faire du bien à certains hommes paraît bien être une action inconsidérée : par exemple se montrer bienfaisant pour les ennemis de l’État, ou pour un excommunié, ce qui est une manière de communiquer avec lui. Donc la bienfaisance, qui est un acte de charité, ne doit pas être pratiquée envers tous.

En sens contraire,, l’Apôtre dit (Ga 6, 10) " Pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous. "

Réponse :

Comme on vient de le dire, la bienfaisance est un effet de l’amour, en tant que celui-ci incline les êtres supérieurs à venir en aide aux inférieurs. Mais il n’y a pas chez les hommes une hiérarchie immuable, comme chez les anges, car les déficiences des hommes peuvent être multiples ; tel qui est supérieur sur un point peut-être inférieur sur un autre. C’est ainsi, puisque l’amour de charité est universel, que la bienfaisance doit s’étendre également à tous ; compte tenu cependant du temps et du lieu, car tout acte vertueux doit toujours rester dans les limites exigées par les circonstances.

Solutions :

1. A parler absolument, nous ne pouvons pas faire du bien à chaque homme en particulier ; il n’en est cependant aucun à qui il ne puisse arriver qu’il faille lui faire du bien, même en particulier. C’est pourquoi la charité exige que, même si effectivement on ne fait du bien à personne en particulier, on soit disposé intérieurement à en faire à quiconque, si les circonstances le demandaient. Il est néanmoins certains bienfaits que nous pouvons accorder à tous, sinon en particulier, du moins en général, comme de prier pour tous, fidèles et infidèles.

2. Chez le pécheur, il y a deux choses - la faute et la nature. Il faut venir en aide au pécheur pour soutenir sa nature, mais non pour favoriser sa faute ; ce ne serait pas faire du bien mais plutôt faire le mal.

3. On doit refuser ses bienfaits aux excommuniés et aux ennemis de l’État, en tant qu’on les empêche ainsi de pécher. Cependant, en cas de nécessité, et pour soutenir leur nature, il faudrait les secourir, mais de la manière requise : par exemple, les empêcher de mourir de faim et de soif, ou de subir un dommage de ce genre, à moins que la justice ne les ait condamnés.

 

            Article 3 — Faut-il pratiquer davantage la bienfaisance envers ceux qui nous sont le plus unis ?

Objections :

1. Le Seigneur, d’après S. Luc (14, 12) semble dire le contraire : " Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, ne convie ni tes amis, ni tes frères, ni tes parents. " Or, ce sont bien ceux-là qui nous sont le plus unis. Donc, ce n’est pas à ceux-là qu’il nous faut faire le plus de bien, mais plutôt aux étrangers dans l’indigence, car, poursuit le texte, " quand tu donnes un festin, invite au contraire des pauvres, des estropiés, etc. "

2. Porter secours à quelqu’un pendant la guerre est un très grand bienfait. Or, dans une telle circonstance, un soldat doit aider un étranger qui est son compagnon d’armes, plutôt qu’un parent qui est son ennemi. Donc, ce n’est pas à ceux qui nous sont le plus unis que nous devons faire le plus de bien.

3. Avant de se répandre en dons gratuits, il faut payer ses dettes. Or faire du bien à qui nous en a fait est une chose due. Par conséquent il faut faire du bien à ses bienfaiteurs plutôt qu’à ses proches.

4. On doit aimer ses parents plus que ses enfants, on l’a dit plus haut. Mais on doit davantage être bienfaisant à l’égard de ses enfants : " Ce n’est pas aux enfants à amasser pour les parents ", dit S. Paul (2 Co 12, 14). Donc ce n’est pas à ceux qui nous sont le plus unis que nous devons faire le plus de bien.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Ne pouvant être utile à tous, il faut s’occuper principalement de ceux que des circonstances de temps, de lieu ou d’autres encore, nous ont plus étroitement liés, comme par un choix du sort. "

Réponse :

La grâce et la vertu imitent l’ordre de la nature, qui est lui-même établi par la sagesse de Dieu. Or, il est dans cet ordre que tout agent naturel exerce avant tout son action sur les êtres les plus rapprochés de lui.

C’est ainsi, par exemple, que le feu réchauffe davantage les corps les plus proches. Dieu lui-même répand les dons de sa bonté d’abord et en plus grande abondance sur les êtres les plus proches de lui, comme le montre Denys i. Or, être bienfaisant, c’est agir par charité envers les autres. Il faut donc faire plus de bien à ceux qui nous touchent de plus près.

Mais la proximité entre les hommes peut être considérée elle-même à divers points de vue, suivant leurs divers genres de relations ; ainsi les consanguins communiquent par un lien naturel ; les concitoyens, dans les relations civiles ; les fidèles, dans les biens spirituels, et ainsi de suite. Selon ces diverses liaisons, notre bienfaisance doit aussi diversement s’exercer ; car à chacun il faut plutôt accorder les bienfaits correspondant à l’ordre de choses où il nous est le plus uni, à parler dans l’absolu. Cependant, cela peut se diversifier selon la diversité des lieux, des temps et des affaires ; il est tel cas, celui d’extrême nécessité par exemple, où nous devons venir en aide à un étranger plutôt même qu’à un père dont le besoin serait moins urgent.

Solutions :

1. Le Seigneur n’interdit pas absolument d’inviter à sa table ses amis ou ses parents, mais de le faire avec l’intention " d’être invité en retour ". Ce ne serait plus de la charité, mais de la cupidité. Le cas peut cependant se présenter où il faudrait plutôt inviter des étrangers, si leur indigence était plus grande. Il reste que, toutes choses étant égales, les plus proches ont un droit de priorité. Mais si l’on a affaire à deux hommes dont l’un est plus proche, et l’autre plus indigent, il n’est pas possible alors de déterminer par une règle générale à qui il faut plutôt venir en aide, car il y a des degrés divers d’indigence et de proximité ; c’est à la prudence de décider.

2. Le bien commun de la multitude est plus divin que le bien d’un seul. Aussi est-il vertueux d’aller jusqu’à risquer sa vie pour le bien commun de la cité, temporelle ou spirituelle. C’est pourquoi, puisque la solidarité dans les combats a pour fin le salut de la cité, le soldat qui porte secours à son compagnon d’armes ne le fait pas comme à un homme privé, mais pour venir en aide à la cité tout entière. Il ne faut pas s’étonner si, en ce cas, un étranger est préféré à un parent selon la chair.

3. Il y a deux sortes de dettes. Dans la première, ce qui est dû n’est pas la propriété du débiteur, mais plutôt du créancier. Par exemple, quand on détient une somme d’argent ou autre chose appartenant à un autre, que ce soit par suite de vol, de prêt, de dépôt, etc. On doit alors rendre la chose due, plutôt que de l’utiliser pour faire du bien à ses proches ; à moins que ceux-ci ne se trouvent dans une nécessité telle qu’il soit permis même de prendre le bien d’autrui pour leur porter secours. A moins que le créancier soit dans un égal besoin ; car, alors, il faudrait apprécier avec soin la situation de chacun, en tenant compte des autres circonstances, par un jugement de prudence, car, en pareille matière, la diversité des cas ne permet pas de donner une règle générale, selon Aristote.

Dans un second cas, ce qui est dû appartient bien au débiteur, et non au créancier ; par exemple s’il ne s’agit pas de justice stricte, mais d’une sorte d’équité morale, comme cela a lieu pour les bienfaits reçus gratuitement. En cela, les bienfaits d’aucun bienfaiteur ne peuvent être comparés à ceux des parents, de sorte que, lorsqu’il s’agit de rendre les bienfaits, les parents doivent passer avant tous les autres ; à moins, toujours, qu’il n’y ait d’autre part une nécessité prépondérante ou quelque autre motif, comme le bien général de l’Église ou de la cité. Dans les autres cas, il faut juger en tenant compte, et du caractère de l’union, et du bienfait reçu ; mais ici non plus il ne peut y avoir de règle générale.

4. Les parents sont comme des supérieurs ; leur amour les porte donc à faire du bien, tandis que celui des enfants les incline à honorer leurs parents. Cependant, dans un cas d’extrême nécessité, il serait plutôt permis d’abandonner ses enfants que ses parents ; ceux-ci ne doivent jamais être abandonnés, à cause de l’obligation résultant des bienfaits que nous avons reçus, comme le montre Aristote.

 

            Article 4 — La bienfaisance est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car les préceptes sont ordonnés aux vertus, puisque " les législateurs s’efforcent de rendre les hommes vertueux ", selon Aristote. Or les préceptes qui concernent la bienfaisance et la dilection sont donnés séparément, comme il est dit en S. Matthieu (5, 44) : " Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. " Donc la bienfaisance est une vertu distincte de la charité.

2. Les vices sont opposés aux vertus. Or certains vices spéciaux, par lesquels nous nuisons au prochain : rapine, vol, etc., sont opposés à la bienfaisance. La bienfaisance est donc une vertu spéciale.

3. La charité ne se divise pas en plusieurs espèces ; la bienfaisance, au contraire, paraît en compter plusieurs, selon la diversité des bienfaits. Donc elle est distincte de la charité.

En sens contraire, l’acte intérieur et l’acte extérieur ne requièrent pas de vertus différentes. Or la bienfaisance et la bienveillance ne se distinguent que comme l’acte extérieur et l’acte intérieur, parce que la première est l’exécution de la seconde. Donc, comme la bienveillance n’est pas une vertu distincte de la charité, de même la bienfaisance.

Réponse :

Les vertus se distinguent entre elles selon les diverses raisons de leurs objets. Or la charité et la bienfaisance ont une même raison formelle pour leur objet, l’une et l’autre étant relatives au bien en général, comme nous l’avons montré. La bienfaisance n’est donc pas une vertu distincte de la charité ; elle en désigne seulement un acte particuliers.

Solutions :

1. Les préceptes ne visent pas les habitus, mais les actes des vertus. C’est pourquoi la diversité des préceptes ne signale pas une diversité de vertus, mais une diversité d’actes.

2. De même que tous les bienfaits accordés au prochain, si on les envisage sous la raison générale de bien, se ramènent à l’amour, de même tous les torts qu’on peut lui faire, si on les regarde sous la raison générale de mal, se ramènent à la haine. Mais si l’on distingue dans les uns et les autres des raisons spéciales de bien et de mal, ils se ramènent à des vertus ou à des vices particuliers. A ce titre il y a également diverses espèces de bienfaits.

3. Cela donne la réponse à la troisième objection.

 

 

QUESTION 32 — L’AUMÔNE

1. Faire l’aumône est-il un acte de la charité ? - 2. Comment les aumônes se distinguent-elles ? - 3. Quelles sont les aumônes les meilleures - les aumônes spirituelles ou les aumônes corporelles ? - 4. Les aumônes corporelles ont-elles un effet spirituel ? - 5. Y a-t-il un précepte de faire l’aumône ? - 6. Doit-on faire l’aumône en donnant de son nécessaire ? - 7. Peut-on la faire avec un bien injustement acquis ? - 8. Qui doit faire l’aumône ? - 9. A qui faut-il la faire ? - 10. De quelle manière ?

 

            Article 1 — Faire l’aumône est-il un acte de la charité ?

Objections :

1. Il ne semble pas, puisqu’un acte de charité ne peut exister sans la vertu elle-même de charité. Or, on peut distribuer des aumônes sans avoir cette vertu, selon S. Paul (1 Co 13, 3) : " Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes... si je n’ai pas la charité... " Donc faire l’aumône n’est pas un acte de la charité.

2. L’aumône est comptée au nombre des œuvres satisfactoires, selon cette parole de Daniel (4, 24) : " Rachète tes péchés par des aumônes. " Or la satisfaction est un acte de la justice. Faire l’aumône est donc un acte de cette dernière vertu, et non de la charité.

3. De même, offrir un sacrifice à Dieu est un acte de latrie. Or donner une aumône, c’est offrir un sacrifice à Dieu, comme on le voit dans l’épître aux Hébreux (13, 16) : " Quant à la bienfaisance et à la mise en commun des ressources, ne les oubliez pas, car c’est à de tels sacrifices que Dieu prend plaisir. " Faire l’aumône n’est donc pas un acte de charité, mais plutôt de latrie.

4. Aristote a dit que donner quelque chose pour faire le bien est un acte de libéralité. Mais c’est surtout en pratiquant l’aumône que l’on agit ainsi. L’aumône n’est donc pas un acte de charité.

En sens contraire, il est dit dans la 1ère épître de S. Jean (3, 17) : " Si quelqu’un, jouissant des richesses du monde, voit son frère dans la nécessité sans se laisser attendrir, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ? "

Réponse :

Les actes extérieurs se rapportent à la même vertu que le motif qui pousse à les accomplir. Or le motif pour donner l’aumône est de secourir celui qui est dans le besoin ; de là vient que certains définissent l’aumône : " L’acte de donner à l’indigent, par compassion et pour l’amour de Dieu. " Or ce motif appartient à la miséricorde, comme on l’a dit plus haut. Aussi est-il évident que faire l’aumône est proprement un acte de miséricorde. Son nom d’ailleurs l’indique : en grec, en effet, il est dérivé d’un mot qui signifie " miséricorde ", comme en latin miseratio (compassion). Et parce que la miséricorde est un effet de la charité, comme nous l’avons montré, on doit conclure que faire l’aumône est un acte de la charité, par l’intermédiaire de la miséricorde.

Solutions :

1. Un acte peut être rapporté à une vertu de deux manières. Et tout d’abord de façon matérielle. En ce sens, l’acte de justice consiste à faire des choses justes. Un tel acte peut exister sans la vertu elle-même. Beaucoup, en effet, qui n’ont pas la vertu de justice, accomplissent cependant des œuvres justes, par raison naturelle, par crainte, ou par espoir du gain. En second lieu, un acte peut appartenir à une vertu de façon formelle ; sous ce rapport l’acte de la vertu de justice consiste à accomplir une action juste, comme l’homme juste lui-même l’accomplit, c’est-à-dire avec promptitude et plaisir. De cette façon l’acte de vertu n’existe pas sans la vertu. On peut donc, sans avoir la vertu de charité, donner l’aumône matériellement ; mais la donner formellement, à savoir pour Dieu, avec plaisir, promptitude et tout ce qui est requis, ne peut se faire sans la charité.

2. Rien n’empêche qu’un acte appartenant en propre à une vertu parce qu’il en émane, soit attribué à une autre vertu parce qu’elle le commande et l’ordonne à sa fin. C’est ainsi que donner l’aumône est une des œuvres satisfactoires, en tant que la pitié témoignée à la misère se trouve ordonnée à satisfaire pour le péché. - Ce même acte offert à Dieu pour l’apaiser a raison de sacrifice, et, comme tel, est commandé par la vertu de latrie.

3. Cela répond à la troisième objection.

4. Faire l’aumône se rattache à la libéralité en tant que celle-ci supprime l’obstacle que cet acte peut rencontrer, obstacle qui peut venir d’un trop grand amour des richesses, rendant leur possesseur trop avide de les garder.

 

            Article 2 — Comment les aumônes se distinguent-elles ?

Objections :

1. Il ne convient pas, semble-t-il de distinguer des genres d’aumônes. Or, on compte sept aumônes corporelles : nourrir les affamés, désaltérer les assoiffés, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, visiter les malades, racheter les captifs, ensevelir les morts. Ce qui se résume en ce vers : " je visite, abreuve, nourris, rachète vêts, accueille, ensevelis. " On distingue également sept aumônes spirituelles : instruire les ignorants, conseiller ceux qui hésitent, consoler les affligés, corriger les pécheurs, pardonner à l’offenseur, supporter les gens difficiles et pénibles, prier pour tous. Ces œuvres sont aussi comprises dans un vers : " Éclaire, corrige, console, pardonne, supporte, prie. " Le premier mot englobe à la fois le conseil et l’enseignement. Or, il apparaît que ces distinctions ne sont pas justes. L’aumône en effet, a pour but de venir en aide au prochain. Mais, ensevelir les morts ne leur est utile d’aucune manière, autrement la parole du Seigneur rapportée par S. Matthieu (25, 35) ne serait pas vraie : " Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, et, après cela, ne peuvent plus rien faire. " C’est pourquoi, lorsqu’il rappelle les œuvres de miséricorde, Jésus ne fait pas mention d’ensevelir les morts. Il ne convient donc pas, semble-t-il, de distinguer ainsi les aumônes.

2. L’aumône, a-t-on dit, est faite pour subvenir aux nécessités du prochain ; mais la vie humaine est sujette à bien d’autres nécessités encore : ainsi l’aveugle a besoin d’un guide, le boiteux d’un soutien, le pauvre de ressources. La précédente énumération ne convient donc pas.

3. Faire l’aumône est un acte de miséricorde ; mais corriger le pécheur paraît plutôt ressortir à la sévérité ; on ne doit donc pas compter cet acte parmi les aumônes spirituelles.

4. L’aumône est ordonnée à soulager une déficience ; or il n’est personne qui ne souffre d’ignorance ; chacun aurait donc le devoir d’instruire les autres, quels qu’ils soient, s’ils ignoraient ce qu’il sait lui-même.

En sens contraire, S. Grégoire dit dans une de ses homélies : " Celui qui sait doit bien prendre garde de ne pas se taire ; celui qui est riche, de ne pas s’engourdir dans ses largesses miséricordieuses ; l’homme possédant un art utile à la direction de la vie doit s’efforcer d’en partager l’usage et le bienfait avec son prochain ; celui qui a l’oreille du riche doit craindre d’être puni, s’il enfouit son talent, en n’intercédant pas pour les pauvres lorsqu’il le peut. " Donc la distinction entre ces diverses aumônes est fondée à juste titre sur les biens que les uns possèdent abondamment et dont les autres sont dépourvus.

Réponse :

La distinction des genres d’aumônes, dont on vient de parler, est fondée avec raison sur la diversité des déficiences du prochain. Certaines d’entre elles sont relatives à son âme, et les aumônes spirituelles leur sont ordonnées. Les autres sont relatives à son corps, et les aumônes corporelles leur sont ordonnées.

Les déficiences corporelles peuvent se produire soit pendant la vie, soit après la vie. Si c’est pendant la vie, ou bien c’est un défaut commun relatif aux biens dont tout homme a besoin, ou bien c’est un défaut particulier dont l’origine est accidentelle. Dans le premier cas, ce défaut est ou intérieur ou extérieur. Intérieur, il revêt deux formes, selon qu’on y subvient par un aliment solide, et c’est la faim, pour laquelle il est dit : " nourrir les affamés " ; ou par un aliment liquide, et c’est la soif, à laquelle correspond cette parole : " désaltérer les assoiffés ". - Le défaut commun relatif à un secours extérieur est double : selon qu’il s’agit du manque de vêtements, pour lequel il est prescrit de " vêtir ceux qui sont nus " ou du manque de domicile auquel correspond le précepte " d’accueillir les étrangers ". - De même les défauts particuliers peuvent résulter soit d’une cause intérieure, de la maladie par exemple, pour laquelle il est dit : " visiter les malades " ; soit d’une cause extérieure, à quoi correspond " racheter les captifs ". Enfin, après la vie, on donne aux morts la sépulture.

Pareillement, on subvient aux déficiences spirituelles par des actes spirituels de deux façons. D’abord en implorant le secours de Dieu, à quoi correspond la prière ; en second lieu, par l’octroi d’un secours humain qui, lui-même, peut viser trois choses : un défaut de l’intelligence, auquel on remédie par l’enseignement s’il s’agit d’un défaut de l’intellect spéculatif, et par le conseil quand le défaut concerne l’intellect pratique ; - un défaut affectant la puissance appétitive : le plus grand est ici la tristesse, à laquelle on porte remède par la consolation : - un défaut tenant à un acte déréglé, lequel peut lui-même être considéré au triple point de vue : 1° de celui qui pèche, pour autant que l’acte procède de sa volonté déréglée ; le remède approprié est alors la correction ; 2° de celui contre qui on pèche ; s’il s’agit de nous, nous y portons remède en pardonnant l’offense ; mais s’il s’agit de Dieu et du prochain, " il ne nous appartient pas de pardonner ", dit S. Jérôme dans son Commentaire sur S. Matthieu ; 3° des conséquences de l’acte déréglé, qui, même sans que les pécheurs l’aient voulu, affectent péniblement ceux qui vivent avec eux ; le remède consiste alors dans le support de celui qui pèche par faiblesse, selon cette parole de S. Paul (Rm 15, 1) : " Nous devons, nous qui sommes forts, porter les faiblesses des autres. " Et il faut le faire, non seulement selon qu’ils sont faibles, ou difficiles à cause de leurs actes déréglés, mais encore pour tout ce qu’il peut y avoir chez eux de pénible à supporter, selon cette autre parole de l’Apôtre (Ga 6, 2) : " Portez les fardeaux les uns des autres. "

Solutions :

1. La sépulture n’apporte évidemment rien au mort, quant à ce que son corps pourrait ressentir. Et c’est en ce sens que le Seigneur dit que ceux qui tuent le corps ne peuvent rien au-delà. C’est pour cela aussi qu’il ne mentionne pas la sépulture parmi les œ s de miséricorde ; il énumère alors seulement celles dont la nécessité est plus évidente. Mais ce que l’on fait pour son corps concerne le défunt : à la fois parce qu’il vit encore dans la mémoire des hommes, et que son honneur serait flétri s’il demeurait sans sépulture, et aussi en raison de l’affection qu’il eut, de son vivant, pour son propre corps, et que les cœurs miséricordieux doivent partager. Voilà pourquoi certains sont loués d’avoir enseveli les morts, comme Tobie et ceux qui mirent Jésus au tombeau, ainsi que S. Augustin le montre dans son livre sur les devoirs envers les morts.

2. Tous les autres besoins se ramènent à ceux-là. La cécité et la claudication sont des infirmités : aussi guider l’aveugle et soutenir le boiteux sont des œuvres qui se ramènent à la visite des malades. Pareillement, venir en aide à celui qui est sous le coup d’une contrainte extérieure quelconque se rattache au rachat des captifs. La richesse enfin, remède de la pauvreté, n’est recherchée que pour soulager toutes les indigences énumérées ; il n’y avait donc pas à faire une mention spéciale de cette indigence.

3. La correction des pécheurs, considérée dans son exécution, paraît comporter la sévérité de la justice ; mais par l’intention de celui qui la pratique en voulant arracher le coupable à son péché, elle relève de la miséricorde et d’un sentiment d’amour, selon la parole des Proverbes (27, 6) : " Les coups de celui qui aime valent mieux que les baisers trompeurs de celui qui hait. " 4. Toute ignorance n’est pas un défaut, mais seulement celle qui porte sur ce que l’on devrait savoir. Y remédier par l’enseignement se rattache à l’aumône. Il faut toutefois tenir compte ici des circonstances de personnes, de lieu et de temps, comme pour les autres actes des vertus.

 

            Article 3 — Quelles sont les aumônes les meilleures — les aumônes spirituelles, ou les aumônes corporelles ?

Objections :

1. On pourrait croire que ce sont les aumônes corporelles. Car l’aumône mérite d’être louée parce qu’elle soulage l’indigent. Mais le corps, objet des aumônes corporelles, est d’une nature plus indigente que l’âme, que soulagent les aumônes spirituelles. Les aumônes corporelles sont donc les meilleures.

2. Le bénéfice que l’on peut retirer d’une aumône en diminue la valeur et le mérite ; c’est ce qui faisait dire au Seigneur (Le 14, 2) : " Quand tu donnes à déjeuner ou à dîner, n’invite pas... des voisins riches, de peur qu’eux aussi le t’invitent à leur tour. " Mais les aumônes spirituelles ne vont jamais sans profit en retour ; ainsi, la prière que l’on fait pour autrui est toujours utile à soi-même, suivant la parole du Psaume (35, 13) : " Ma prière reviendra dans mon sein. " De même, celui qui en instruit un autre progresse lui-même en savoir. Or cela ne se produit pas dans les aumônes corporelles. Donc celles-ci sont supérieures aux autres.

3. On fait l’éloge de l’aumône parce que le pauvre à qui elle est faite en reçoit consolation, selon la parole de Job (31, 20) : " Ai-je vu un miséreux sans vêtements, un pauvre sans couverture, sans qu’ils m’aient béni du fond du cœur " ; et celle de S. Paul à Philémon (7) : " Frère, tu as soulagé le cœur des saints ! " Or il arrive que l’aumône corporelle soit plus agréable à l’indigent que l’aumône spirituelle. Donc celle-là l’emporte sur celle-ci.

En sens contraire, à propos de cette parole en S. Matthieu (5, 42) : " Donne à qui te demande ", S. Augustin dit h : " Il faut donner ce qui ne peut nuire ni à toi ni à un autre ; et quand tu refuseras ce qu’on te demande, explique pourquoi, afin de ne pas renvoyer sans rien le quémandeur. Et il pourra se faire que tu donnes quelque chose de meilleur en corrigeant celui qui fait une demande injuste. " Or la correction est une aumône spirituelle. Donc les aumônes spirituelles l’emportent sur les aumônes corporelles.

Réponse :

Il y a deux manières de comparer ces aumônes. D’abord en les considérant de façon absolue. Sous ce rapport, les aumônes spirituelles l’emportent pour trois raisons 1° Parce que ce qui est donné a plus de valeur un don spirituel est en effet supérieur à un don corporel, selon la parole des Proverbes (4, 2) : " C’est un don excellent que je vous ferai : n’abandonnez pas ma loi. " - 2° En raison de ce à quoi on porte secours : l’esprit, qui est plus noble que le corps. Aussi, de même que l’homme doit avoir soin de son âme plus que de son corps, ainsi doit-il faire pour son prochain, qu’il a le devoir d’aimer comme lui-même. - 3° En raison des actes par lesquels on vient en aide au prochain ; les actes spirituels, en effet, sont plus nobles que les actes corporels, toujours marqués d’un certain caractère servile.

On peut comparer d’une autre façon les deux sortes d’aumônes et en tel cas particulier, montrer que l’aumône corporelle est préférable à la spirituelle. Ainsi, mieux vaut nourrir qu’instruire celui qui meurt de faim ; ou, comme le remarque Aristote : " L’indigent a davantage besoin de s’enrichir que de philosopher ", bien ‘absolument parlant philosopher soit meilleure

Solutions :

1. Toutes choses égales d’ailleurs, mieux vaut en effet secourir le plus indigent. Mais si le moins indigent est meilleur et a besoin d’une aumône meilleure, lui donner est meilleur aussi ; et ainsi en va-t-il dans notre propos.

2. Le profit ne rend pas l’aumône moins méritoire et moins digne d’éloge, s’il n’a pas été voulu pour lui-même, pas plus que, dans les mêmes conditions, la gloire ne diminue la vertu ; c’est pourquoi, parlant de Caton, Salluste disait : " Plus il fuyait la gloire, plus elle le poursuivait. " C’est ce qui arrive pour l’aumône spirituelle. - Encore faut-il ajouter que la recherche des biens spirituels ne diminue pas le mérite comme celle des biens corporels.

3. Le mérite de celui qui fait l’aumône s’évalue d’après ce qui raisonnablement doit satisfaire la volonté de celui qui reçoit, et non pas d’après ce que celui-ci peut vouloir d’une façon désordonnée.

 

            Article 4 — Les aumônes corporelles ont-elles un effet spirituel ?

Objections :

1. Il semble qu’elles n’en ont pas, car un effet n’est pas supérieur à sa cause ; or les biens spirituels l’emportent sur les biens corporels ; les aumônes corporelles n’ont donc pas d’effet spirituel.

2. Donner des biens corporels pour avoir des biens spirituels, c’est de la simonie ; mais ce vice doit être évité à tout prix ; par conséquent il ne faut pas faire d’aumônes en vue d’obtenir un effet spirituel.

3. En augmentant la cause, on augmente nécessairement l’effet. Donc, si l’aumône corporelle produisait un effet spirituel, il s’ensuivrait qu’une aumône plus grande produirait un effet spirituel plus grand ; mais ceci va contre ce que nous lisons dans l’évangile de S. Luc (21, 2), au sujet de la veuve qui avait mis deux piécettes dans le trésor du Temple, puisqu’au jugement du Seigneur " elle avait mis plus que tous les autres ". L’aumône corporelle n’a donc pas d’effet spirituel.

En sens contraire, on lit dans l’Ecclésiastique (17, 22) : " L’aumône de l’homme..., le Seigneur la conservera comme la prunelle de l’œil. "

Réponse :

L’aumône corporelle peut être considérée à un triple point de vue : 1° Dans sa substance ; sous ce rapport elle n’a qu’un effet corporel, à savoir le soulagement des déficiences corporelles du prochain. 2° Par rapport à sa cause, selon que l’aumône corporelle est faite pour l’amour de Dieu et du prochain. Une telle aumône produit un fruit spirituel selon l’Ecclésiastique (29, 13-14) : " Sacrifie ton argent pour ton frère, use de tes richesses selon le précepte du Très-Haut, cela te sera plus utile que l’or. " 3° Par rapport à son effet. Ici encore l’aumône corporelle a un fruit spirituel, car celui qui en a bénéficié est porté à prier pour son bienfaiteur. C’est pourquoi, au même texte, il est ajouté - " Cache ton aumône dans le sein du pauvre, et elle-même priera pour toi. "

Solutions :

1. Cette objection est valable pour l’aumône corporelle considérée dans sa substance.

2. Celui qui fait une aumône corporelle n’entend pas acheter un bien spirituel au moyen d’un bien corporel, parce qu’il sait que les biens spirituels l’emportent infiniment sur les corporels, mais c’est par le sentiment de charité qui l’anime qu’il espère obtenir un fruit spirituel.

3. La veuve de l’Évangile, qui a donné moins en quantité, a donné davantage en proportion de ce qu’elle pouvait ; on estime donc qu’il y avait en elle un plus grand amour de charité, d’où l’aumône corporelle tire son efficacité spirituelle.

 

            Article 5 — Y a-t-il un précepte de faire l’aumône ?

Objections :

1. Il semble bien que non. En effet, les conseils sont distincts des préceptes. Or faire l’aumône est affaire de conseil, selon la parole de Daniel (4, 24) : " Ô roi, agrée mon conseil : rachète tes péchés par tes aumônes. " Donc faire l’aumône n’est pas de précepte.

2. Chacun est libre d’user de son bien et de le garder ; mais si on le garde, on ne fera pas l’aumône ; il est donc permis de ne pas la faire donc elle n’est pas de précepte.

3. Tout ce qui tombe sous un précepte oblige à un certain moment sous peine de péché mortel, car les préceptes affirmatifs obligent pour un temps déterminé. Donc, si la pratique de l’aumône tombait sous un précepte, on pourrait déterminer un temps où ne pas la faire serait un péché mortel. Or il ne paraît pas qu’il en soit ainsi, parce qu’on peut toujours estimer probable qu’un indigent pourra être secouru d’une autre manière, et que l’argent de ces aumônes nous sera nécessaire maintenant ou plus tard. Faire l’aumône ne paraît donc pas être de précepte.

4. Tous les préceptes se ramènent à ceux du décalogue ; or, parmi eux rien ne concerne l’aumône ; celle-ci n’est donc pas de précepte.

En sens contraire, personne n’est condamné au châtiment éternel pour avoir omis ce qui n’est pas de précepte. Or certains devront subir cette peine parce qu’ils n’auront pas fait l’aumône, comme on le voit en S. Matthieu (25, 41). Faire l’aumône est donc de précepte.

Réponse :

Puisque l’amour du prochain est de précepte, il est nécessaire que tout ce qui est indispensable pour le garder soit aussi de précepte. Or, en vertu de cet amour, non seulement nous devons vouloir du bien à notre prochain mais encore lui en faire : " N’aimons ni en paroles ni en discours, mais en acte et en vérité ", dit S. Jean (1 Jn 3, 18). Mais on ne saurait vouloir du bien à son prochain, si on ne le secourt pas dans la nécessité, c’est-à-dire si on ne lui fait pas l’aumône. Celle-ci est donc de précepte.

Mais parce que les préceptes portent sur les actes des vertus, faire l’aumône sera obligatoire dans la mesure où cet acte sera nécessaire à la vertu, c’est-à-dire selon que la droite raison l’exige. Or cela entraîne deux ordres de considérations, relatifs l’un à celui qui fait l’aumône, l’autre à celui qui doit la recevoir. - Du côté du donateur, il est à remarquer que les aumônes doivent être faites de son superflu. Comme il est prescrit en S. Luc (11, 41 Vg) : " Faites l’aumône avec le surplus. " Par là il faut entendre non seulement ce qui dépasse les besoins du donateur, mais encore les besoins de ceux dont il a la charge. Chacun, en effet, doit pourvoir d’abord à ses besoins propres et aux besoins de ceux dont il a la charge (en ce sens on parle de ce qui est nécessaire à la " personne ", ce mot impliquant la responsabilité.) Cela fait, on viendra en aide aux autres avec le reste dont on disposera. C’est ainsi que la nature se procure d’abord la nourriture nécessaire à soutenir le corps ; ensuite, par la génération, elle émet ce qui est superflu pour engendrer un être nouveau.

Du côté du bénéficiaire, il est requis qu’il soit dans le besoin ; sans cela l’aumône n’aurait pas de raison d’être. Mais comme il est impossible à chacun de secourir tous ceux qui sont dans le besoin, le précepte n’oblige pas à faire l’aumône dans tous les cas de nécessité ; seule oblige sous le précepte la nécessité de celui qui ne pourrait être secouru autrement. Alors s’applique la parole de S. Ambroise : " Nourris celui qui meurt de faim. Si tu ne le fais pas, tu es cause de sa mort. " En conclusion, voici ce qui est de précepte : faire l’aumône de son superflu, et la faire à celui qui est dans une extrême nécessité. En dehors de ces conditions, faire l’aumône est de conseil, comme n’importe quel bien meilleur.

Solutions :

1. Daniel s’adressait à un roi qui n’était pas soumis à la loi de Dieu. C’est pourquoi ce qui était prescrit par cette loi, qu’il ne reconnaissait pas, ne devait lui être proposé que sous forme de conseil. - On peut dire encore qu’il s’agissait de cas où l’aumône n’est pas de précepte.

2. Les biens temporels que l’homme a reçus de Dieu sont à lui quant à la propriété, mais quant à l’usage 1 ils ne sont pas à lui seul, mais également aux autres, qui peuvent être secourus par ce qu’il a de superflu. Comme dit S. Basile : " Si tu confesses avoir reçu de Dieu ces biens (c’est-à-dire les biens temporels), Dieu doit-il être accusé d’injustice pour les avoir inégalement répartis ? Tu es dans l’abondance, celui-ci est réduit à mendier ; pourquoi cela, sinon pour que toi tu acquières le mérite d’une bonne dispensation, et lui, la récompense de la patience ? C’est le pain de l’affamé que tu retiens, le vêtement de celui qui est nu que tu gardes sous clef, la chaussure de celui qui n’en a pas qui se détériore chez toi, l’argent de ‘celui qui en manque que tu tiens enfoui. En conséquence, tes injustices sont aussi nombreuses que les dons que tu pourrais faire. " S. Ambroise parle de même.

3. On peut déterminer un temps où faire l’aumône oblige sous peine de péché mortel ; du côté du bénéficiaire, l’aumône doit lui être faite lorsqu’elle apparaît d’une évidente et urgente nécessité, et que nul autre ne se présente à ce moment pour le secourir ; du côté du donateur, il doit donner lorsqu’il possède un superflu qui, selon toutes probabilités, ne lui est pas présentement nécessaire. Et il n’y a pas ici à s’arrêter à tout ce qui pourrait arriver dans l’avenir : ce serait " avoir souci du lendemain ", ce que le Seigneur interdit (Mt 6, 34). Ainsi, le superflu et le nécessaire doivent être appréciés d’après les circonstances probables et communes.

4. Tout secours donné au prochain se ramène au commandement d’honorer son père et sa mère. C’est ainsi que l’entend l’Apôtre (1 Tm 4, 8) : " La piété est utile à tout ; car elle a la promesse de la vie, de la vie présente comme de la vie future. " Il parle ainsi parce qu’au précepte d’honorer ses parents s’ajoute cette promesse : " afin d’avoir une longue vie sur terre " (Ex 20, 12). Or, dans la piété sont incluses toutes les espèces d’aumônes.

 

            Article 6 — Doit-on faire l’aumône en donnant de son nécessaire ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car l’ordre de la charité ne vaut pas moins pour les bienfaits extérieurs que pour les sentiments intérieurs. Or, on pèche lorsqu’on agit au rebours de l’ordre de la charité, parce que cet ordre est de précepte. Donc, puisqu’en vertu de l’ordre de la charité on doit s’aimer soi-même plus que le prochain, il apparaît que c’est péché de prendre sur son nécessaire pour faire l’aumône.

2. Donner de son nécessaire, c’est gaspiller son bien, ce qui est de la prodigalité, comme le montre Aristote ; mais aucun acte vicieux n’est permis ; donc on ne doit pas faire l’aumône avec le nécessaire.

3. Comme dit S. Paul (1 Tm 6, 8) : " Si quelqu’un ne prend pas soin des siens, surtout de ceux qui vivent avec lui, il a renié sa foi, il est pire qu’un infidèle. " Mais celui qui donne en aumônes ce qui lui est nécessaire, ou ce qui est nécessaire aux siens, paraît bien manquer à son devoir envers lui-même et les siens. Il semble donc qu’en faisant l’aumône avec son nécessaire, on pèche toujours gravement.

En sens contraire, le Seigneur a dit (Mt 19, 21) : " Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres. " Mais celui qui donne aux pauvres tout ce qu’il possède ne donne pas seulement le superflu, mais le nécessaire. Donc on peut faire l’aumône de son nécessaire.

Réponse :

Le nécessaire peut signifier deux choses. Ou bien il désigne ce sans quoi une chose ne peut exister. Il ne faut absolument pas faire l’aumône avec ce nécessaire-là ; celui qui en serait réduit à n’avoir que l’indispensable pour vivre avec ses enfants et sa famille, ne peut en faire l’aumône ; ce serait s’ôter la vie, à lui-même et aux siens. Un cas cependant fait exception : celui où l’on se priverait pour donner à quelque personnage important dont le salut de l’Église ou de l’État dépendrait ; car s’exposer à la mort soi et les siens pour la libération d’un tel personnage est digne d’éloge, puisqu’on doit toujours faire passer le bien commun avant son propre bien.

Le nécessaire peut encore signifier ce qui est indispensable pour vivre selon les exigences normales de sa condition ou de son état, et selon les exigences des autres personnes dont on a la charge. La limite d’un tel nécessaire ne constitue pas un point fixe et indivisible ; on peut y ajouter beaucoup, sans estimer qu’on dépasse un tel nécessaire ; on peut aussi en retrancher beaucoup et garder encore assez de biens pour pouvoir vivre de façon convenable et selon les exigences de son état. Faire l’aumône en prenant sur ce nécessaire est bon, mais c’est un conseil et non un précepte. Ce serait au contraire un désordre de prélever pour ses aumônes une part telle de ses biens qu’il serait désormais impossible de vivre avec ce qui reste de façon conforme à sa condition et aux affaires qu’on doit traiter ; car personne n’est obligé de vivre d’une façon qui ne conviendrait pas à son état.

Trois cas cependant doivent être exceptés : le premier se présente lorsque quelqu’un change d’état, par exemple en entrant en religion ; alors, faisant largesse de tous ses biens pour le Christ, il fait œuvre de perfection et s’établit dans un nouvel état. - Le second, lorsque les biens dont on se prive, quoique nécessaires pour tenir son rang, peuvent se retrouver facilement, de sorte qu’on n’est pas gravement gêné. - Le troisième, lorsqu’une extrême nécessité affecte une personne privée, ou aussi lorsque l’État a de grands besoins ; en ces cas-là il est louable en effet, pour un particulier, de sacrifier quelque chose de ce que semblerait exiger sa condition, pour répondre à des besoins plus importants.

Solutions :

Ce qui précède donne la réponse aux Objections.

 

            Article 7 — Peut-on faire l’aumône avec un bien injustement acquis ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il, puisqu’il est dit en S. Luc (16, 9) : " Faites-vous des amis avec le mammon d’iniquité. " (Mammona signifie en effet les richesses.) On peut donc se faire des amis spirituels en faisant l’aumône avec des biens injustement acquis.

2. On appelle gain honteux tout ce qui paraît être le fruit d’une acquisition illicite. Or, tel est le gain de la prostitution, si bien qu’il est interdit d’en faire des offrandes ou des sacrifices à Dieu, selon le Deutéronome (23, 18) : " Tu n’apporteras pas à la maison de ton Dieu le salaire d’une prostituée. " Un gain honteux est encore celui qui provient des jeux de hasard, car, selon la remarque d’Aristote, " on gagne au détriment de ses amis, auxquels il conviendrait de donner ". Un gain plus honteux encore est celui qui est acquis par simonie, puisque c’est faire injure à l’Esprit Saint. Et cependant on peut faire l’aumône avec de pareils gains, et donc avec des biens mal acquis.

3. Les plus grands maux doivent être évités avec plus de soin que les moindres. Or détenir le bien d’autrui est un péché moindre que l’homicide dont on se rend coupable en ne secourant pas son prochain dans un cas d’extrême nécessité, selon la parole de S. Ambroise : " Nourris celui qui meurt de faim ; si tu ne le fais pas, tu es cause de sa mort. " Donc il est des cas où l’on peut faire l’aumône avec des biens mal acquis.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Faites l’aumône du juste fruit de vos travaux. Vous ne pourrez en effet corrompre le Christ, votre juge, pour éviter qu’il vous confronte avec les pauvres que vous dépouillez. Cessez donc de faire l’aumône avec le fruit de vos prêts et de vos usures. C’est aux fidèles que je m’adresse, ceux à qui nous distribuons le Corps du Christ. "

Réponse :

Il y a trois espèces de biens mal acquis. Les premiers restent dus à celui de qui on les tient, sans qu’on puisse les garder ; c’est ce qui arrive dans la rapine, le vol et l’usure. Puisqu’on est obligé de restituer ces biens, on ne peut pas les donner en aumônes.

Les deuxièmes ne peuvent être gardés par l’acquéreur, sans cependant qu’ils soient dus à celui dont il les a acquis, parce qu’il les a pris contrairement à la justice, et l’autre les lui a donnés injustement ; c’est le cas de la simonie, où les deux parties transgressent la loi divine. On ne doit pas restituer, mais donner en aumônes le bien en cause. Et cela vaut pour les cas semblables, c’est-à-dire chaque fois que don et acquisition sont contraires à la loi.

Dans le troisième cas, l’acquisition elle-même n’a pas été illicite, mais ce qui l’a permise était illicite ; tel est le gain qu’une femme acquiert en se prostituant, ce qu’on appelle proprement " le gain honteux ". Agir ainsi est en effet honteux et contraire à la loi de Dieu. Mais la femme qui se livre à la prostitution n’a pas, en recevant de l’argent, commis d’injustice, ni agi contre la loi. Ce qui a été acquis ainsi peut donc être gardé, et on peut le donner en aumône.

Solutions :

1. S. Augustin s’explique ainsi au sujet de cette parole du Seigneur : " Certains, la comprenant mal, s’emparent du bien d’autrui, en donnent une part aux pauvres, et croient avoir accompli ce qui est prescrit. Une telle interprétation doit être redressée. " Mais, dit-il à un autre endroit, : " Toutes les richesses méritent d’être appelées richesses d’iniquité, parce qu’elles ne sont des richesses que pour les hommes iniques qui mettent en elles leur espoir. " - Ou bien on peut dire avec S. Ambroise que le Seigneur " a appelé les richesses iniques parce que par leurs attraits divers elles font tomber nos cœurs en tentation ". - Ou bien encore, avec S. Basile, " parce que, parmi tous ceux qui ont possédé tous ces biens avant toi, et dont tu es l’héritier, il peut s’en trouver un qui les a acquis injustement, sans que tu le saches ". - Enfin, on peut parler de " richesses d’iniquité ", à cause de leur inégale répartition qui fait que l’un est dans l’indigence, tandis que l’autre surabonde S.

2. Comment le bien acquis par la prostitution peut être donné en aumônes, nous venons de l’expliquer, mais il ne peut servir pour les sacrifices et pour les offrandes faites à l’autel, soit en raison du scandale soit à cause du respect dû aux choses saintes. - On peut également faire l’aumône avec ce qui a été acquis par simonie ; celui qui l’a donné n’y a plus droit et mérite d’en être privé. - Quant à l’argent gagné aux jeux de hasard, il peut, semble-t-il, y avoir là quelque chose d’illicite en vertu même du droit divin : ce serait le cas par exemple de ceux qui feraient des gains sur ceux qui ne peuvent aliéner leurs biens, comme les mineurs, les fous, etc. ; ou si l’on a entraîné un autre au jeu par désir de gagner ; ou si l’on a gagné en trichant. Dans tous ces cas on est tenu à restitution ; on ne peut donc pas utiliser le bien en cause pour faire l’aumône. - Il semble en outre qu’il y ait dans de telles pratiques quelque chose d’illicite au regard du droit civil positif, qui interdit en général cette manière de s’enrichir. Mais comme le droit civil ne s’étend pas à tous, et oblige seulement ceux qui sont soumis à ces lois ; comme en outre il peut tomber en désuétude et se trouver alors abrogé, il s’ensuit que ceux qui sont soumis à de telles lois sont tenus universellement à restituer ce qu’ils auraient gagné, à moins qu’une coutume contraire ne prévale, ou que celui qui a gagné l’ait fait aux dépens de celui qui l’a entraîné au jeu. En ce cas on n’est pas tenu à restitution, car celui qui a perdu ne mérite pas qu’on lui rende son bien ; d’un autre côté, le gagnant ne peut licitement retenir ce bien, aussi longtemps que le droit civil considéré reste en vigueur. Il faut donc le donner en aumônes.

3. Dans le cas d’extrême nécessité tous les biens sont communs. Il est donc permis à celui qui se trouve dans une telle nécessité de prendre à autrui ce dont il a besoin pour sa subsistance, s’il ne trouve personne qui veuille le lui donner. Pour la même raison, il est permis de détenir quelque chose du bien d’autrui et d’en faire l’aumône, et même de le prendre, s’il n’y a pas d’autre moyen de secourir celui qui est dans le besoin. Cependant, quand on peut le faire sans péril, on doit venir en aide à celui qui est dans une nécessité extrême après avoir recherché le consentement du propriétaire.

 

            Article 8 — Qui doit faire l’aumône ?

Objections :

1. Il semble que l’homme soumis au pouvoir d’un autre peut faire l’aumône. En effet, les religieux sont sous le pouvoir de leurs supérieurs, auxquels ils ont fait vœu d’obéir. Mais, s’il ne leur était pas permis de faire l’aumône, ils subiraient, du fait même de leur état, un véritable préjudice, puisque, selon la remarque de S. Ambroise, " c’est dans la piété que se résume la religion chrétienne " ; et la piété se recommande surtout par l’exercice de l’aumône. Donc ceux qui sont au pouvoir d’autrui ont le droit de faire l’aumône.

2. L’épouse, est-il dit dans la Genèse (3, 16), est " sous le pouvoir de son mari ". Cependant, ayant été associée à lui, elle peut faire l’aumône ; ainsi est-il rapporté de sainte Lucie qu’elle faisait des aumônes à l’insu de son mari. Le fait qu’on soit placé sous le pouvoir d’un autre n’empêche donc pas de faire l’aumône.

3. Les enfants sont naturellement soumis à leurs parents, ce qui fait dire à l’Apôtre (Ep 6, 1) : " Enfants, obéissez à vos parents, dans le Seigneur. " Mais les enfants peuvent, semble-t-il, faire l’aumône avec les biens paternels, parce que, étant héritiers, ces biens sont en quelque façon à eux ; et parce que, d’autre part, pouvant en user pour leur corps, ils semblent à plus forte raison avoir le droit de s’en servir dans l’intérêt de leur âme. Ceux qui sont en état de sujétion peuvent donc faire l’aumône.

4. Les esclaves sont sous le pouvoir de leurs maîtres, selon cette parole de S. Paul (Tt 2, 9) : " Que les esclaves soient soumis en tout à leurs maîtres. " Or il leur est bien permis de faire quelque chose dans l’intérêt de leur maître, ce qu’ils font très bien en donnant l’aumône en son nom. Donc l’aumône est permise à ceux qui sont au pouvoir d’autrui.

En sens contraire, comme S. Augustin l’a déclaré, il ne faut pas faire l’aumône avec le bien d’autrui, " mais avec le juste fruit de son propre labeur ". Mais si ceux qui sont sous la dépendance d’un autre faisaient l’aumône, ce serait avec le bien d’autrui ; donc ils n’ont pas ce droit.

Réponse :

Celui qui est sous le pouvoir d’un autre doit toujours, comme tel, se laisser diriger par son supérieur ; c’est en effet l’ordre de la nature que les êtres inférieurs soient réglés par les supérieurs. Dans le domaine où il est soumis à son supérieur, l’inférieur ne peut distribuer les biens de celui-ci que selon ses ordres. Ainsi ne peut-il faire l’aumône des biens qui dépendent de son supérieur que dans la mesure où cela lui aura été permis. Mais s’il possède quelque chose en propre, dans un domaine où il est indépendant, il ne peut plus être considéré sous ce rapport comme relevant de la puissance d’un autre ; il est alors son maître, et il est libre de faire l’aumône avec ce bien.

Solutions :

1. Le moine qui a reçu de son supérieur la charge de la dépense peut faire l’aumône avec les biens du monastère, selon ce que sa charge lui permet. S’il n’a pas cette charge, comme il ne possède rien en propre, il ne peut faire l’aumône qu’avec la permission expresse ou raisonnablement présumée de son abbé, sauf le cas d’extrême nécessité, où il lui serait permis de voler pour faire l’aumône. Mais il n’est pas réduit à une condition moins bonne du fait qu’il ne donne rien en aumône, car, ainsi qu’il est écrit au livre des Dogmes Ecclésiastiques, " il est bon de faire l’aumône aux pauvres, quand on en a la charge, mais il est meilleur, dans l’intention de suivre le Seigneur, de donner tout à la fois, et ainsi, libre de tout souci, d’être pauvre avec le Christ ".

2. Si, en dehors de sa dot, qui est destinée à subvenir aux charges familiales, une femme possède quelques biens provenant de son gain personnel, ou de toute autre source légitime, elle peut en faire l’aumône sans demander le consentement de son mari, mais avec modération pour que le mari ne soit pas appauvri par l’excès des aumônes. En dehors de ces conditions, elle ne peut faire l’aumône sans le consentement exprès ou présumé de son mari, sauf le cas d’extrême nécessité, comme nous venons de le voir pour le moine. Car si elle est l’égale de l’homme dans l’acte du mariage, pour le gouvernement de la maison " l’homme est le chef de la femme ", selon S. Paul (1 Co 11, 3). Quant à sainte Lucie, elle avait un époux légal, mais non un vrai conjoint puisqu’elle refusait le mariage et demeurait vierge. Aussi pouvait-elle faire l’aumône avec le consentement de sa mère.

3. Les biens du fils appartiennent au père. C’est pourquoi le fils ne peut pas les donner en aumônes, sauf peut-être s’il s’agit de très petites aumônes dont il peut présumer qu’elle plaira au père, et mis à part le cas où le père lui aurait confié l’administration d’un certain secteur. On doit dire la même chose des serviteurs.

4. Cela donne la solution de la quatrième objection.

 

            Article 9 — A qui faut-il faire l’aumône ?

Objections :

1. Il ne faut pas, semble-t-il, faire davantage l’aumône à ceux qui nous sont le plus proches. Car il est dit dans l’Ecclésiastique (12, 4-5) : " Donne à l’homme pieux et ne viens pas en aide au pécheur. Fais-le bien à qui est humble et ne donne pas à l’impie. " Or il arrive quelquefois que nos proches sont des pécheurs et des impies. Donc on ne doit pas leur faire davantage l’aumône.

2. Les aumônes doivent être faites en vue de la récompense éternelle, selon cette parole de S. Matthieu (6, 18) : " Ton Père qui voit dans le secret te le rendra. " Mais cette récompense s’acquiert surtout par les aumônes faites aux saints, comme le montre ce qui est dit en S. Luc (16, 9) : " Faites-vous des amis avec le mammon d’iniquité, afin qu’au jour où il viendra à manquer, ceux-ci vous reçoivent dans les tentes éternelles. " Ce que S. Augustin commente ainsi : " Qui sont ceux qui possèdent les tentes éternelles, sinon les saints de Dieu ? Et qui sont ceux qu’ils y recevront, sinon ceux qui auront secouru leur indigence ? " Donc, c’est aux plus saints et non aux plus proches qu’il faut de préférence faire l’aumône.

3. Le plus proche de l’homme, c’est lui-même. Or personne ne peut se faire l’aumône à soi-même. Il semble donc que ce n’est pas à celui qui nous est le plus uni que nous devons de préférence faire l’aumône.

En sens contraire, l’Apôtre dit (1 Tm 5, 8) " Si quelqu’un ne prend pas soin des siens, surtout de ceux qui vivent avec lui, il a renié sa foi, il est pire qu’un incroyant. "

Réponse :

" Ceux qui nous sont le plus étroitement unis, dit S. Augustin, nous sont en quelque sorte désignés par le sort pour que nous les secourions de préférence. " Il y a cependant ici à user de discernement, en tenant compte des divers degrés de parenté, de sainteté et d’utilité. Car il faut faire l’aumône de préférence, à celui qui étant plus saint souffre d’une plus grande indigence, et à celui qui est plus utile au bien général, plutôt qu’à un plus proche, surtout si celui-ci ne nous est pas très étroitement uni et n’est pas spécialement à notre charge, et s’il ne se trouve pas dans une grande nécessité.

Solutions :

1. Il ne faut pas secourir le pécheur comme tel, de sorte qu’il soit encouragé à pécher, mais comme homme, pour soutenir sa nature.

2. L’aumône est valable pour la récompense éternelle à un double titre. D’abord, en raison de la charité qui est à sa racine. A ce point de vue elle est méritoire selon qu’on y observe l’ordre de la charité qui nous oblige, toutes choses égales d’ailleurs, à secourir davantage ceux qui nous sont plus proches. C’est ce qui fait dire à S. Ambroise : " Il faut approuver cette libéralité qui ne te laisse pas négliger tes proches, si tu les sais dans l’indigence ; il vaut mieux que tu secoures toi-même les tiens, car ils pourraient avoir honte de demander à d’autres. " - L’aumône, d’autre part, est valable pour la récompense éternelle par le mérite de celui qui est secouru et qui prie pour son bienfaiteur. C’est en ce sens que parle ici S. Augustin.

3. Puisque l’aumône est une œuvre de miséricorde, et qu’il n’y a pas à proprement parler de miséricorde envers soi-même, sinon par une sorte de comparaison, nous l’avons dit ; de même on ne fait pas, au sens propre, l’aumône à soi-même, sinon peut-être comme représentant d’une autre personne ; par exemple, si l’on a la charge de distribuer des aumônes, on peut aussi, en cas de besoin, s’en donner à soi-même, au titre même où l’on en donne aux autres.

 

            Article 10 — De quelle manière faut-il faire l’aumône ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne doive pas faire l’aumône avec abondance. En effet, nous devons la faire surtout à ceux qui nous sont le plus proches. Or, observe S. Ambroise, il faut prendre garde de ne pas leur donner, par nos générosités, " le désir de devenir plus riches ". Donc, aux autres non plus il ne convient pas de donner avec abondance.

2. Au même endroit S. Ambroise dit encore " Il ne faut pas donner à la fois et à profusion toutes ses richesses, mais les répartir avec sagesse. " Mais faire d’abondantes aumônes, c’est donner à profusion. Donc, on ne doit pas faire l’aumône avec abondance.

3. S. Paul dit (2 Co 8, 13) " Il ne s’agit point, pour soulager les autres ", en sorte qu’ils vivent paresseusement de nos biens, " de nous réduire à la gêne ", c’est-à-dire à la pauvreté. Or, c’est ce qui arriverait si l’on faisait d’abondantes aumônes..

En sens contraire, il est écrit au livre de Tobie (4, 8) : " Si tu as de grands biens, donne avec abondance."

Réponse :

L’abondance de l’aumône peut être considérée par rapport à celui qui donne, et par rapport à celui qui reçoit. Au premier point de vue, l’aumône est abondante quand on donne beaucoup en proportion de ce qu’on possède. Il est alors louable de donner largement ; ainsi le Seigneur loua-t-il la veuve qui, " de son indigence même, donna tout ce qu’elle avait pour vivre " (Lc 21, 3). Mais il faut tenir compte de ce qui a été dit plus haut d de l’aumône faite avec le nécessaire.

Par rapport à celui qui reçoit, l’aumône peut être abondante de deux manières : suffisante pour suppléer à ce qui manque, et en ce cas l’abondance est louable ; surabondante jusqu’au superflu : une telle aumône n’est pas à approuver, car il vaudrait mieux la répartir entre un plus grand nombre d’indigents. De là, sur cette parole de S. Paul (1 Co 13, 3) : " Quand je distribuerais tous mes biens pour nourrir les pauvres... ", la remarque de la Glose : " Par là il nous enseigne à faire l’aumône avec discernement, c’est-à-dire, non pas à un seul, mais à beaucoup, afin qu’elle profite à un plus grand nombre. "

Solutions :

1. Cette objection vaut pour les aumônes faites avec une abondance dépassant les besoins des bénéficiaires.

2. Il est question ici de l’abondance de l’aumône par rapport à celui qui la fait. Mais il faut comprendre que Dieu ne veut pas que l’on donne tous ses biens à la fois, excepté quand on change d’état de vie. C’est pourquoi S. Ambroise ajoute - : " A moins qu’on ne fasse comme Élisée qui tua ses bœufs, et nourrit les pauvres de ce qu’il en reçut, afin d’être libéré de tout souci domestique. "

3. En disant : " Il ne s’agit point, pour soulager les pauvres... " S. Paul veut parler de l’aumône dont l’abondance dépasse les besoins de celui la reçoit, alors qu’il ne faut pas la lui donner pour qu’il vive dans le luxe, mais pour assurer sa subsistance. Encore faut-il agir ici avec discrétion, en tenant compte de la diversité des conditions, car il en est qui, ayant été nourris avec recherche, ont par là même besoin d’aliments et d’habits plus délicats. D’où ces réflexions de S. Ambroise : " Quand on fait l’aumône, il faut tenir compte de l’âge et de la faiblesse ; parfois aussi de la pudeur qui révèle une noble origine ; il faut voir également si l’on a affaire à quelqu’un qui est tombé de la richesse dans la pauvreté sans qu’il y ait eu de sa faute. " - Dans les mots qui suivent : " de vous réduire à la gêne.. ", S. Paul parle de l’abondance de l’aumône par rapport à celui qui donne. Mais, comme la Glose en fait la remarque, " s’il parle ainsi, ce n’est pas que faire d’abondantes aumônes ne soit pas mieux ; mais il craint pour les faibles, auxquels il conseille de donner sans se réduire à l’indigence ".

 

 

QUESTION 33 — LA CORRECTION FRATERNELLE

1. La correction fraternelle est-elle un acte de la charité ? - 2. Est-elle de précepte ? - 3. Ce précepte s’impose-t-il à tous, ou seulement aux supérieurs ? - 4. Les inférieurs sont-ils tenus, en vertu de ce précepte, de corriger leurs supérieurs ? - 5. Un pécheur peut-il corriger ? - 6. Doit-on corriger celui qui en deviendra pire ? - 7. Une correction secrète doit-elle précéder la dénonciation publique ? - 8. L’appel à des témoins doit-il précéder la dénonciation publique ?

 

            Article 1 — La correction fraternelle est-elle un acte de la charité ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, sur ces paroles de l’évangile selon S. Matthieu (18, 15) : " Si ton frère a péché contre toi... " la Glose dit qu’on doit le reprendre " par amour de la justice ". Mais la justice est une vertu différente de la charité. Donc la correction fraternelle n’est pas un acte de la charité, mais de la justice.

2. La correction fraternelle se fait par une admonition secrète. Or l’admonition est une sorte de conseil, ce qui ressortit à la prudence, car " au prudent il appartient d’être de bon conseil ", dit Aristote. La correction fraternelle n’est donc pas un acte de la charité, mais de la prudence.

3. Des actes contraires n’appartiennent pas à la même vertu. Mais supporter le pécheur est un acte de la charité, selon l’épître aux Galates (6, 2) : " Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ. " Corriger celui qui pèche, ce qui est le contraire de le supporter, ne peut donc être un acte de la charité.

En sens contraire, reprendre un fautif, c’est lui faire une espèce d’aumône spirituelle. Et l’aumône, avons-nous dit, est un acte de la charité. Donc la correction fraternelle est aussi un acte de la charité.

Réponse :

La correction du fautif est un remède que l’on doit employer contre le péché du prochain. Or un péché peut être envisagé sous deux aspects : comme un acte nuisible à celui qui le commet ; et comme un préjudice porté aux autres, qu’il lèse ou scandalise, et même au bien commun dont le bon ordre s’en trouve troublé. Il y a, en conséquence, deux sortes de corrections du fautif. La première remédie au péché en tant qu’il est un mal pour le pécheur, et c’est précisément la correction fraternelle, qui a pour but d’améliorer le fautif Or, enlever un mal à quelqu’un est un acte de même valeur que lui procurer un bien. Et cela est un acte de la charité, qui nous pousse à vouloir et à faire du bien à notre ami. C’en est donc un aussi de corriger son frère, car par là nous lui ôtons son mal, c’est-à-dire son péché. Et cette délivrance importe plus à la charité que la délivrance d’un dommage extérieur ou même d’un préjudice corporel, dans la mesure même où le bien opposé, celui de la vertu, a plus d’affinité avec la charité que le bien du corps ou les biens extérieurs. C’est ainsi que la correction fraternelle est un acte de la charité, plus que le soin des malades ou le soulagement des pauvres. - La seconde espèce de correction remédie au péché en tant qu’il porte préjudice aux autres, et surtout au bien commun. Une telle correction est un acte de la justice, qui a pour objet de régler équitablement les rapports entre les hommes.

Solutions :

1. La Glose parle de la seconde espèce de correction, qui est un acte de la justice. Ou, si l’on veut parler aussi de la première, il faut prendre la justice comme vertu générale, on le dira plus loin, dans le sens où, selon la parole de S. jean (1 Jn 3, 4) : " tout péché est une iniquité ", comme s’opposant à la justice.

2. " La prudence, dit Aristote, établit la rectitude dans l’ordre des moyens ", auxquels se rapportent la délibération et le choix. Cependant, lorsque par la prudence nous ordonnons correctement notre action à la fin d’une vertu morale, comme la tempérance ou la force, l’action considérée appartient de façon principale à la vertu dont la fin a été recherchée. Donc, parce que la remontrance que comporte la correction fraternelle est ordonnée à ôter le péché de notre frère, ce qui ressortit à la charité, il est clair qu’elle est de façon principale un acte de la charité, comme de la vertu qui commande l’acte, et secondairement un acte de la prudence qui exécute et dirige l’acte.

3. La correction fraternelle n’est pas opposée au support des faibles, dont elle est plutôt la conséquence. On supporte en effet d’autant mieux un pécheur qu’on ne s’irrite pas contre lui et qu’on reste bienveillant à son égard. C’est en raison de cette bienveillance que l’on s’efforce de l’amender.

 

            Article 2 — La correction fraternelle est-elle de précepte ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Car rien d’impossible ne tombe sous un précepte, selon cette parole de S. Jérôme : " Maudit celui qui dit que Dieu commande l’impossible. " Or il est écrit dans l’Ecclésiaste (7, 13) : " Regarde les œuvres de Dieu : nul ne saurait corriger celui qu’il aura abandonné. " Donc la correction fraternelle n’est pas de précepte.

2. Tous les préceptes de la loi divine se ramènent à ceux du décalogue ; or la correction fraternelle ne rentre dans aucun de ceux-ci. elle n’est pas de précepte.

3. L’omission d’un précepte divin est un péché mortel, qui ne se rencontre pas chez les saints. Or c’est un fait que des saints et des hommes spirituels omettent la correction fraternelle ; S. Augustin remarque en effet que " ce ne sont pas seulement les inférieurs, mais des gens placés à un degré de vie plus élevé, qui s’abstiennent de reprendre les autres : et cela en raison de leur désir égoïste, et non de leur fonction de charité ". Donc la correction fraternelle n’est pas de précepte.

4. Ce qui est de précepte a raison de dette. Donc, si la correction fraternelle était de précepte, nous aurions le devoir envers nos frères de les corriger lorsqu’ils pèchent. Or celui qui doit à quelqu’un un bien d’ordre matériel, comme de l’argent, ne doit pas se contenter d’attendre que son créancier vienne à lui ; il doit aller le trouver pour lui rendre son dû. Il faudrait, par conséquent, qu’on se mît aussi à la recherche de ceux qui ont besoin d’être corrigés pour leur rendre ce devoir. Conséquence inadmissible, tant en raison de la multitude des pécheurs, qu’un seul homme ne parviendrait jamais à corriger, qu’à cause de l’obligation où se verraient les religieux de sortir de leurs cloîtres pour corriger les pécheurs, ce qui serait choquant. La correction fraternelle n’est donc pas de précepte.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Si tu négliges de corriger le pécheur, tu deviens par là pire que lui. " Ce qui n’arriverait pas si, par une telle négligence, on n’avait pas omis un précepte. La correction fraternelle tombe donc sous un précepte.

Réponse :

La correction fraternelle est de précepte. Mais il faut bien considérer ceci : de même que les préceptes négatifs de la loi interdisent les actes peccamineux, les préceptes affirmatifs, eux, engagent aux actes vertueux. Or les actes des péchés sont mauvais en eux-mêmes, et d’aucune manière, en aucun temps et en aucun lieu, ils ne peuvent devenir bons, parce que, en eux-mêmes, ils sont liés à une fin mauvaise, dit Aristote h. C’est pourquoi les préceptes négatifs obligent toujours et à tout instant. Au contraire, les actes des vertus ne doivent pas être faits n’importe comment, mais en observant toutes les circonstances requises pour que l’acte soit vraiment vertueux : qu’il soit fait où il faut, quand il faut, et comme il faut. Et parce que la disposition de ces moyens est commandée par la fin, il faut, dans ces circonstances, tenir compte de la fin, qui est le bien même de la vertu. Donc, si l’on omet dans un acte vertueux une circonstance telle que le bien de la vertu soit entièrement compromis, on va contre le précepte. Si, en revanche, on omet une circonstance sans que cela supprime totalement la vertu, quoique l’acte n’atteigne pas parfaitement au bien de la vertu, on ne va pas contre le précepte. Ainsi, dit Aristote, s’écarter un peu du milieu vertueux ne va pas contre la vertu, mais s’en écarter beaucoup c’est détruire la vertu par son acte. Or, la correction fraternelle est ordonnée à l’amendement d’un frère. C’est pourquoi, dans la mesure où elle est nécessaire à cette fin, elle tombe sous le précepte ; ce qui ne veut pas dire qu’il faille reprendre le fautif n’importe où et n’importe quand.

Solutions :

1. Toutes les fois qu’il s’agit d’un bien à faire, l’activité humaine n’est efficace qu’avec le secours divin ; cependant l’homme doit faire ce qui dépend de lui. C’est pourquoi S. Augustin dit : " Ne sachant qui est du nombre des prédestinés et qui n’en est pas, nos sentiments de charité doivent être tels que nous voulions le salut de tous. " Donc nous devons aussi rendre à tous le service de la correction fraternelle, en espérant l’aide de Dieu.

2. Comme nous l’avons déjà dit, tous les préceptes qui ont pour objet un certain bien à procurer au prochain se ramènent à celui d’honorer ses père et mère.

3. On peut omettre la correction fraternelle de trois façons. La première est méritoire : c’est celle qui provient de la charité. En effet, selon S. Augustin, " on s’abstient de reprendre et de corriger ceux qui font le mal, soit parce qu’on attend le moment propice, soit parce qu’on craint qu’ils n’en deviennent pires, ou encore qu’ils ne détournent d’instruire les faibles de la vertu et de la piété, et que faisant pression sur eux ils ne les éloignent de la foi. Ce n’est plus là, semble-t-il, occasion de cupidité, mais inspiration de charité ". - La deuxième omission est un péché mortel : c’est celle qui est provoquée, dit S. Augustin au même endroit, " par la crainte de l’opinion publique, des tourments corporels et de la mort ", si du moins cette crainte va jusqu’à arrêter la charité fraternelle. Le cas semble se présenter lorsque, malgré un espoir fondé de retirer quelqu’un de son péché, on se laisse arrêter par la crainte ou la cupidité. - La troisième omission est un péché véniel, lorsque la crainte ou la cupidité retardent un peu trop celui qui devrait faire la correction fraternelle ; mais elles ne la lui feraient pas omettre s’il était sûr de pouvoir détourner son frère du péché, le sentiment qui prédomine en lui étant bien la charité fraternelle. C’est de cette façon que de saints personnages négligent parfois de corriger les fautifs.

4. S’il s’agit d’une dette envers une personne déterminée, qu’il s’agisse d’un bien corporel ou spirituel, nous devons l’acquitter, sans attendre que cette personne vienne à nous, et en allant nous-même à sa recherche avec toute la sollicitude voulue. Ainsi, de même que le débiteur doit au moment voulu aller au-devant de son créancier pour lui rendre son dû, celui qui a la charge spirituelle de quelqu’un doit également partir à sa recherche, pour le corriger de son péché. Mais s’il s’agit de biens - matériels ou spirituels - que l’on devrait, non plus à une personne déterminée, mais au prochain en général, on n’est plus obligé d’aller chercher à qui payer cette dette ; il suffit de la payer à ceux qui se présentent, et qu’on peut tenir, selon l’expression de S. Augustin, comme " désignés par un choix du sort ". Et c’est pourquoi S. Augustin dit encore : " Le Seigneur nous avertit d’être attentifs aux fautes les uns des autres, non en cherchant à faire des reproches, mais en voyant ce qu’il faut corriger. " Autrement nous agirions en espions de la conduite des autres, ce qui va contre cette parole des Proverbes (24, 15) : " Ne cherche pas le mal dans la maison du juste, et ne trouble pas son repos. " On voit ainsi que les religieux n’ont pas à quitter leur cloître pour aller corriger les pécheurs.

 

            Article 3 — Ce précepte s’impose-t-il à tous, ou seulement aux supérieurs ?

Objections :

1. Il semble que la correction fraternelle appartient seulement aux supérieurs. Car, dit S. Jérôme : " Que les prêtres aient soin d’accomplir ce précepte de l’Évangile : "Si ton frère a péché contre toi, etc." " Or, par le nom de " prêtre ", on entendait alors désigner les supérieurs, qui ont la charge d’autrui. Il semble donc que la correction fraternelle n’appartienne qu’aux supérieurs.

2. La correction fraternelle est une sorte d’aumône spirituelle. Or, le devoir de faire l’aumône corporelle appartient à ceux qui ont la supériorité dans l’ordre des biens temporels, c’est-à-dire aux riches. Donc également la correction fraternelle ne regarde que ceux qui sont supérieurs dans l’ordre spirituel, c’est-à-dire les prélats.

3. Celui qui en corrige un autre le meut par son admonition vers un état meilleur. Mais, la nature, les êtres supérieurs meuvent les inférieurs. Donc également dans l’ordre de la vertu, qui suit l’ordre de la nature, il appartient aux seuls supérieurs de corriger les inférieurs.

En sens contraire, il est dit dans le Décret : " Aussi bien les prêtres que les autres fidèles doivent avoir le plus grand souci de ceux qui se perdent, de telle sorte que, par leurs reproches, ceux-ci soient, ou bien corrigés de leurs fautes, ou s’ils se montrent incorrigibles, retranchés de l’Église. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit, il y a deux sortes de correction. La première est un acte de charité, qui tend spécialement à l’amendement d’un frère tombé dans quelque faute, et dont le moyen est une simple admonition. Cette correction appartient à tout homme ayant la charité, qu’il soit supérieur ou inférieur.

La seconde sorte de correction est un acte de justice, qui vise le bien commun, et qui le procure, non seulement en admonestant le coupable, mais parfois aussi en le punissant, afin que par crainte les autres se détournent du péché. Cette correction appartient aux supérieurs seuls, à qui il ne revient pas seulement d’admonester, mais encore de corriger en punissant.

Solutions :

1. Même dans la correction fraternelle qui appartient à tous, les supérieurs ont une responsabilité plus grande, comme le remarque S. Augustin. De même en effet qu’on doit distribuer les biens temporels d’abord à ceux dont on a matériellement la charge, de même on doit procurer en priorité les biens spirituels, correction, instruction, etc., à ceux dont on est chargé spirituellement. S. Jérôme ne veut donc pas dire que le précepte de la correction fraternelle appartient seulement aux prêtres, mais qu’il les concerne spécialement.

2. De même que celui qui a de quoi faire des aumônes matérielles est riche sous ce rapport, de même celui qui est doué d’un jugement sain, le rendant capable de corriger la faute d’autrui, est à ce point de vue son supérieur.

3. Même dans l’ordre naturel, il y a des êtres qui agissent mutuellement l’un sur l’autre, chacun étant supérieur à l’autre sous quelque rapport, selon que tous deux sont à la fois en puissance et en acte par rapport à l’autre. Pareillement ici, celui qui juge sainement sur un point où l’autre est défaillant, peut le corriger, quoiqu’il ne soit pas purement et simplement son supérieurs.

 

            Article 4 — Les inférieurs sont-ils tenus, en vertu de ce précepte, de corriger leurs supérieurs ?

Objections :

1. Il semble bien qu’on n’y est pas tenu. Il est dit en effet dans l’Exode (19, 13) : " Quiconque touchera la montagne devra être mis à mort. " Et il est raconté (2 S 2, 7) qu’Uzza fut frappé par Dieu pour avoir touché l’arche. Or, par la montagne et par l’arche, il faut entendre ici les supérieurs. Donc ceux-ci ne doivent pas être corrigés par leurs subordonnés.

2. Sur cette parole de Paul (Ga 2, 11) : " je lui résistai en face " (à Pierre), la Glose précise : " Comme son égal. " Donc, n’étant pas l’égal de son supérieur, un inférieur ne doit pas le corriger.

3. S. Grégoire dit : " Que personne n’ose corriger la conduite des saints, s’il ne se sent pas meilleur qu’eux. " Mais nul ne doit avoir une meilleure opinion de soi-même que de son supérieur. Donc les supérieurs ne doivent pas être corrigés.

En sens contraire, S. Augustin dit dans sa " Règle " : " N’ayez pas pitié seulement de vous-mêmes, mais encore de votre supérieur, qui court un péril d’autant plus grand qu’il occupe parmi vous un rang plus élevé. " Or, reprendre fraternellement, c’est exercer la miséricorde : on doit donc le faire, même à l’égard des supérieurs.

Réponse :

La correction qui est un acte de justice usant de punition n’appartient pas aux inférieurs vis-à-vis de leur supérieur. Mais celle qui est un acte de charité appartient à chacun à l’égard de tous ceux qu’il doit aimer, et chez lesquels il voit quelque chose à corriger. En effet, l’acte issu d’un habitus ou d’une puissance s’étend à ce qui est contenu dans l’objet de l’un ou de l’autre ; comme la vision embrasse tout ce qui est contenu dans l’objet de la vue.

Mais comme un acte de vertu doit être réglé en tenant compte des circonstances requises, l’acte par lequel un inférieur reprend son supérieur doit également respecter certaines convenances, en sorte que la correction ne soit ni insolente, ni dure, mais douce et respectueuse. C’est ce qui fait dire à S. Paul (1 Tm 5, 1) : " Ne reprends pas un vieillard avec rudesse, mais avertis-le comme un père. " Et c’est pourquoi Denys reproche au moine Démophile d’avoir corrigé un prêtre sans respect, en le frappant et en le chassant de l’église.

Solutions :

1. On peut dire qu’un supérieur est traité indignement quand il est blâmé sans respect, ou lorsqu’il est abaissé. C’est ce qui est signifié ici par l’interdiction divine de toucher la montagne et l’arche.

2. " Résister en face ", c’est-à-dire devant tout le monde, dépasse la mesure de la correction fraternelle ; et Paul n’aurait pas ainsi repris Pierre s’il n’avait été son égal en quelque manière pour la défense de la foi. Mais avertir en secret et avec respect peut être fait même par celui qui n’est pas un égal. Voilà pourquoi S. Paul, écrivant aux Colossiens (4, 17), leur demande de reprendre leur supérieur : " Dites à Archippe : "Prends garde au ministère que tu as reçu du Seigneur, et tâche de bien l’accomplir." "

Remarquons toutefois que, s’il y avait danger pour la foi, les supérieurs devraient être repris par les inférieurs, même en public. Aussi Paul, qui était soumis à Pierre, l’a-t-il repris pour cette raison. Et à ce sujet la Glose d’Augustin explique : " Pierre lui-même montre par son exemple à ceux qui ont la prééminence, s’il leur est arrivé de s’écarter du droit chemin, de ne point refuser d’être corrigés, même par leurs inférieurs. "

3. Se croire en tout point meilleur que son supérieur semble bien venir d’un orgueil présomptueux. Mais penser qu’on l’emporte sur un point n’a rien de présomptueux, parce qu’en cette vie personne n’est sans défauts. - Et il faut bien remarquer aussi que celui qui avertit charitablement son supérieur ne s’estime pas pour autant meilleur que lui ; mais il rend service à celui qui " court un péril d’autant plus grand qu’il occupe un rang plus élevé ", comme le dit S. Augustin dans sa " Règle ".

 

            Article 5 — Un pécheur peut-il corriger ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il, car nul, parce qu’il est tombé dans le péché, n’est dispensé d’observer un précepte. Mais la charité fraternelle est de précepte, on vient de le voir. Il ne parent donc pas que, pour avoir commis une faute, on doive négliger cette correction.

2. L’aumône spirituelle est supérieure à l’aumône matérielle. Mais celui qui est en état de péché ne doit pas se dispenser pour cela de faire une telle aumône. Donc, il doit encore moins s’abstenir de corriger le fautif, parce que lui-même a précédemment péché.

3. " Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes ", est-il dit dans la 1ère épître de S. Jean (1, 8). Donc, si le péché est un obstacle à la correction fraternelle, personne ne pourra l’exercer, ce qui est inadmissible. Donc le motif de s’abstenir est également inadmissible.

En sens contraire, S. Isidore dit : " Celui qui est esclave du vice ne doit pas corriger les péchés des autres. " Et S. Paul (Rm 2, 1) : " En jugeant autrui, tu juges contre toi-même, puisque tu agis de même, toi qui juges. "

Réponse :

D’après ce que nous avons dit, le droit de corriger les fautifs appartient à celui qui a un jugement droit. Or, le péché, comme nous l’avons montré plus haut, ne détruit pas les biens d’ordre naturel au point qu’il ne laisse rien subsister de ce jugement droit chez le pécheur. C’est pourquoi il peut lui incomber de reprendre la faute d’autrui.

Toutefois, le péché antécédent est un obstacle à cette correction ; et cela pour trois raisons.

1° Parce qu’il rend celui qui l’a corrigé indigne d’en corriger un autre ; surtout s’il a commis un péché plus grave, il n’est pas digne de corriger autrui d’un péché moindre. C’est pourquoi, expliquant la parole de S. Matthieu (7, 3) : " Qui es-tu pour regarder la paille, etc. ", S. Jérôme dit : " Ces paroles s’adressent à ceux qui, coupables de péchés mortels, ne peuvent tolérer chez leurs frères des péchés plus légers. "

2° La correction est viciée, en raison du scandale qu’elle peut causer, si le péché de celui qui corrige est connu ; il semble alors qu’il agit moins par charité que par ostentation. C’est ce qui fait dire à S. Jean Chrysostome, expliquant cette parole de S. Matthieu (7, 4) : " Comment peux-tu dire à ton frère, laisse-moi ôter la paille... ". " Pourquoi dis-tu cela ? Par charité pour sauver ton prochain. Non, car tu te sauverais d’abord toi-même. Ce que tu veux, ce n’est pas sauver les autres, mais par tes bonnes paroles cacher tes mauvaises actions, et rechercher la louange des hommes pour ton savoir. "

3° La correction est faussée par l’orgueil lorsque le pécheur, minimisant ses propres fautes, se préfère dans son cœur au prochain, dont il juge les péchés avec une sévérité rigoureuse, comme si lui-même était juste. " Accuser les vices est l’office de ceux qui sont bons ; si ceux qui sont mauvais le font, c’est usurpation de leur part ". Ainsi s’exprime S. Augustin qui ajoute : " Lorsque nous sommes obligés de reprendre quelqu’un, demandons-nous si nous n’avons jamais eu le même défaut ; et pensons qu’étant homme nous aurions pu l’avoir. Ou peut-être nous l’avons eu et nous ne l’avons plus ; et alors souvenons-nous de notre commune fragilité, afin que la correction ne procède pas de la haine, mais de la miséricorde. Si nous avons conscience d’être plongés dans le même vice, ne faisons pas de reproches, mais gémissons ensemble, et invitons-nous à faire pénitence tous deux. "

Cela montre qu’un pécheur, s’il corrige avec humilité, ne pèche pas, et ne s’attire pas une nouvelle condamnation ; bien que par là il reconnaisse être condamnable par son péché passé, au regard de son frère, ou tout au moins au sien propre.

Solutions :

Cela donne la réponse aux Objections.

 

            Article 6 — Doit-on corriger celui qui en deviendra pire ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne doive pas renoncer à corriger autrui par crainte qu’il ne devienne pire. Le péché, en effet, est une certaine maladie de l’âme, selon la parole du Psaume (6, 3) : " Pitié pour moi, Seigneur, car je suis malade. " Mais celui qui a la charge d’un malade ne doit se laisser arrêter ni par son refus ni par son mépris, car c’est alors que le danger devient plus menaçant, comme on le voit dans les cas de folie furieuse. Donc à plus forte raison faut-il corriger le pécheur, quand bien même il le supporterait mal.

2. " On ne doit pas abandonner la vérité de la vie par peur du scandale ", dit S. Jérôme c. Mais les préceptes divins ressortissent à cette vérité de la vie. Donc la correction fraternelle, qui est de précepte comme on l’a montré, ne doit pas être abandonnée à cause du scandale causé chez celui que l’on corrige.

3. S. Paul (Rm 3, 8) " Il ne faut pas faire le mal afin qu’il en résulte du bien. " Pour la même raison il ne faut pas omettre le bien de peur qu’il en résulte du mal. Mais la correction fraternelle est un bien. Il ne faut donc pas l’omettre par la crainte que celui qui en est l’objet en soit rendu pire.

En sens contraire, il est dit dans les Proverbes (9, 8) : " Ne reprends pas le railleur : il te haïrait. " Ce que la Glose commente ainsi : " Il ne faut pas craindre que le railleur t’insulte, si tu le reprends ; mais il faut plutôt veiller à ce que, poussé par la haine, il ne devienne pire. " Donc il faut s’abstenir de la correction fraternelle lorsque l’on craint que le pécheur n’en devienne pire.

Réponse :

Il y a, nous l’avons dit, deux sortes de correction. La première, réservée aux supérieurs, est ordonnée au bien commun, et a un pouvoir cœrcitif. Elle ne doit pas être omise par crainte de troubler celui qui en est l’objet. Car s’il ne veut pas s’amender de son plein gré, il faut le contraindre, en le punissant, à quitter ses péchés, et, s’il est incorrigible, on pourvoit encore par là au bien commun, en observant l’ordre de la justice, et en inspirant aux autres une crainte salutaire par cet exemple. Ainsi un juge n’omet pas de porter une sentence de condamnation contre un coupable, par crainte de troubler celui-ci, ou même ses amis.

La seconde correction a pour but l’amendement du pécheur ; elle n’use pas de contrainte et procède par simple admonition. C’est pourquoi, lorsqu’on estime avec raison que le pécheur repoussera l’admonition et tombera par là même dans un état pire, mieux vaut s’abstenir, car l’usage des moyens doit être réglé d’après les exigences mêmes de la fin poursuivie.

Solutions :

1. Le médecin use d’une certaine contrainte à l’égard du furieux qui repousse ses soins. Ainsi fait la correction du supérieur qui a puissance cœrcitive, mais non la simple correction fraternelle.

2. La correction fraternelle est de précepte selon qu’elle est un acte de vertu, c’est-à-dire qu’elle est proportionnée à la fin recherchée. Ainsi, quand elle y met obstacle, en rendant par exemple le coupable pire qu’il n’était, elle n’appartient plus à la " vérité de la vie ", et ne tombe plus sous le précepte.

3. Les moyens ont raison de bien en tant qu’ordonnés à la fin. C’est pourquoi la correction fraternelle, lorsqu’elle met obstacle à l’amendement de notre frère, qui est ici la fin poursuivie, n’a plus raison de bien. Aussi, abandonner cette correction n’est pas abandonner un bien par crainte de provoquer un mal.

 

            Article 7 — Une correction secrète doit-elle précéder la dénonciation publique ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car dans les œuvres de charité nous devons avant tout imiter Dieu, selon l’Apôtre (Ep 5, 1) : " Soyez des imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés, et marchez dans la charité. " Or nous voyons Dieu punir parfois un pécheur publiquement, sans qu’auparavant il l’ait secrètement admonesté. Il ne paraît donc pas nécessaire de faire précéder la dénonciation publique d’une admonition secrète.

2. " Les actions des saints, dit S. Augustin nous montrent de quelle manière il faut entendre les préceptes de l’Écriture. " Or nous voyons que les saints ont parfois dénoncé publiquement des péchés secrets sans admonition préalable : on lit ainsi dans la Genèse (37, 2 Vg) que " Joseph accusa ses frères d’un crime abominable auprès de leur père " ; de même il est dit dans les Actes (5, 3), que Pierre dénonça publiquement, et sans avoir fait au préalable d’admonition secrète, Ananie et Saphire qui avaient menti tacitement sur le prix de leur champ ; on ne voit pas non plus que Jésus ait averti judas en secret avant de le dénoncer. Il n’est donc pas obligatoire par précepte qu’une admonition secrète précède la dénonciation publique.

3. L’accusation est plus grave que la dénonciation. Or il est permis de procéder à une accusation publique sans la faire précéder d’une admonition secrète ; dans les Décrétales il est en effet prescrit " qu’une inscription doit précéder l’accusation ". On ne voit donc pas qu’un précepte oblige de faire précéder la dénonciation publique d’une admonition secrète.

4. Il ne semble pas probable que ce qui est une coutume générale chez les religieux aille contre les préceptes du Christ. Or il est d’usage, chez les religieux, que l’on soit proclamé pour ses coulpes, au chapitre, sans aucune admonition secrète préalable. Il ne paraît donc pas que celle-ci soit obligatoire par précepte.

5. Les religieux sont tenus d’obéir à leurs supérieurs. Or il arrive que des supérieurs commandent, ou bien à tous en général, ou bien à quelqu’un en particulier, de leur signaler ce que l’on sait avoir besoin de correction. Il semble donc qu’on soit tenu de le dire même avant une admonition secrète. Il n’y a donc pas de précepte obligeant de faire une admonition secrète avant la dénonciation publique.

En sens contraire, expliquant cette parole (Mt 18, 15) : " Reprends-le seul à seul... ", S. Augustin dit : " Applique-toi à le corriger en évitant de l’humilier ; peut-être, en effet, par honte commencera-t-il par justifier son péché ; ainsi rendrais-tu pire celui que tu voulais rendre meilleur. " Mais la charité nous oblige à évite cette aggravation. L’ordre de priorité de la correction fraternelle tombe donc sous le précepte.

Réponse :

Sur la dénonciation publique de péchés il faut distinguer. Les péchés sont en effet ou publics ou secrets. S’ils sont publics, il n’y as seulement à procurer un remède à celui qui a péché, pour le rendre meilleur, mais aussi à tous ceux qui en ont eu connaissance, afin d’éviter qu’ils ne soient scandalisés. De tels péchés méritent donc des reproches publics, selon cette parole de S. Paul (1 Tm 5, 20) : " Le coupable, reprends-les devant tout le monde, afin que les autres en éprouvent de la crainte. " Ce qu’il faut entendre des péchés publics, comme S. Augustin en fait la remarque.

Aux péchés secrets paraît au contraire s’appliquer la parole du Seigneur (Mt 18, 15) " Si ton frère a péché contre toi... " En effet, s’il t’avait offensé publiquement devant d’autres, il aurait également péché contre eux, en les troublant. Mais parce que même des péchés secrets peuvent blesser le prochain, il faut encore distinguer.

Il y a en effet des péchés secrets qui sont nuisibles au prochain, corporellement ou spiritucllement ; quand par exemple quelqu’un traite secrètement pour livrer la ville aux ennemis ; ou lorsque, en privé, un hérétique détourne de la foi. Parce que celui qui pèche ainsi en secret ne s’en prend pas seulement à toi, mais également aux autres, il faut immédiatement procéder à une dénonciation, pour empêcher le mal ; à moins qu’on ait de bonnes raisons de croire qu’on pourra atteindre aussitôt ce résultat par une admonition secrète.

Mais il y a des péchés secrets qui ne font de mal qu’à celui qui les commet, et à toi contre qui il a péché, soit que tu sois directement lésé, soit seulement que tu aies eu connaissance de ce mal. L’unique souci doit être alors de secourir notre frère tombé dans le péché. Et de même que le médecin du corps s’efforce de rendre la santé en évitant, s’il le peut, d’amputer un membre, et, s’il ne peut faire autrement, en retranchant le membre le moins nécessaire, en sorte que la vie de tout le corps soit conservée ; de même celui qui cherche l’amendement de son frère doit, s’il le peut, guérir sa conscience, en sauvegardant sa réputation. Car celle-ci est utile, d’abord au pécheur lui-même, non seulement en ce qui concerne les biens temporels, où l’homme subit un détriment en beaucoup de choses lorsqu’il perd sa réputation, mais encore dans l’ordre spirituel, où la crainte du déshonneur en éloigne beaucoup du péché, car lorsqu’ils s’estiment perdus de réputation, ils pèchent sans retenue. D’où cette parole de S. Jérôme dans son Commentaire sur S. Matthieu : " Il faut prendre ton frère à part pour le réprimander, de peur que, si jamais il avait perdu le sentiment de la pudeur ou de la honte, il ne demeure dans le péché. " - Une autre raison de sauver la réputation d’un frère tombé dans le péché, est celle-ci : le déshonneur rejaillit sur les autres. Comme S. Augustin en fait la remarque : " Lorsque certains de ceux qui font profession d’une vie sainte sont, à tort ou à raison, accusés ou convaincus de quelque crime, ils insistent, ils se remuent, ils intriguent pour le faire croire au sujet de tous. " De plus, le péché de l’un étant rendu public, les autres sont incités à pécher à leur tour. - Mais comme la conscience doit passer avant la réputation, Dieu a voulu que, même au détriment de celle-ci, on délivre du péché la conscience d’un frère par une dénonciation publique.

On voit ainsi qu’il est obligatoire que l’admonition secrète précède la dénonciation publiques.

Solutions :

1. Tout ce qui est caché, Dieu le connaît ; ainsi les péchés secrets sont à ses yeux ce que sont les péchés publics aux yeux des hommes. Cependant, la plupart du temps, Dieu use pour ainsi dire de l’admonition secrète à l’égard des pécheurs, par les aspirations intimes qu’il leur communique pendant la veille ou le sommeil, selon Job (33, 15) : " Par des songes, par des visions nocturnes, quand le sommeil s’appesantit sur les hommes... alors il ouvre leurs oreilles, et en les instruisant il les forme à la discipline, pour les détourner du mal qu’ils font. "

2. Pour Jésus, en tant qu’il était Dieu, le péché de Judas était comme public ; il pouvait donc le dénoncer aussitôt. Il ne le fit pourtant pas, et se contenta de l’avertir en termes voilés. Pierre, lui, fit connaître le péché d’Ananie et de Saphire au nom et de la part de Dieu qui le lui avait révélé. On peut croire enfin, bien que l’Écriture ne le dise pas, que joseph avait averti ses frères ; on peut dire aussi que leur péché était public entre eux, ce qui explique qu’il soit dit au pluriel : " Il accusa ses frères. "

3. Quand il y a un péril imminent pour un grand nombre, la parole du Seigneur : " Corrige-le seul à seul " ne s’applique pas, car alors ton frère, par sa faute, ne pèche pas contre toi seul.

4. Les proclamations faites aux chapitres des religieux ne concernent que des manquements légers qui ne nuisent pas à la réputation. Il faut y voir des sortes de rappels de coulpes oubliées, plutôt que de véritables accusations ou dénonciations. S’il s’agissait de fautes qui puissent nuire à la réputation, on irait contre le précepte du Seigneur en rendant public de cette façon le péché d’un frère.

5. On ne doit pas obéir à un supérieur contre un précepte divin, selon cette parole des Actes (5, 29) : " Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. " Aussi, quand un supérieur ordonne qu’on lui révèle ce qu’on sait avoir besoin de correction, son ordre doit être entendu sainement, en respectant l’ordre à suivre dans la correction fraternelle ; que le précepte soit fait en général à tous, ou à quelqu’un en particulier. Car si un prélat portait un précepte allant contre cet ordre qui a été établi par Dieu, lui-même qui a commandé, comme celui qui obéirait, pécheraient comme agissant contre le précepte du Seigneur : dans ce cas, il ne faudrait pas obéir à ce prélat. Un supérieur, en effet, n’est pas juge de ce qui est secret, mais Dieu seul. Aussi le supérieur n’a-t-il le droit de faire des préceptes sur ce qui est secret que dans la mesure où cela est manifesté par des indices, comme une mauvaise réputation ou des soupçons. Dans ce cas le supérieur peut porter des préceptes, tout comme un juge séculier ou ecclésiastique peut exiger le serment de dire la vérité.

 

            Article 8 — L’appel à des témoins doit-il précéder la dénonciation publique ?

Objections :

1. Il ne paraît pas, car les péchés secrets ne doivent pas être manifestés aux autres ; en le faisant, on serait plutôt un " révélateur " du crime qu’un " correcteur " de son frère, dit S. Augustin. Or celui qui fait appel à des témoins manifeste à d’autres le péché de son frère. Par conséquent, pour des péchés secrets, cet appel aux témoins ne doit pas précéder la dénonciation publique.

2. Il faut aimer son prochain comme soi-même mais nul n’appelle des témoins pour son péché caché ; on ne doit donc pas le faire pour les péchés cachés d’un frère.

3. On appelle des témoins pour garantir quelque chose. Mais, dans ce qui est secret, on ne peut rien garantir par témoins ; c’est donc en vain qu’on les appelle dans ce cas.

4. S. Augustin dit dans sa " Règle " : " Le fait doit être montré au supérieur avant de le dire devant témoins. " Or, montrer quelque chose à un supérieur revient à le dire à l’Église. Donc l’appel de témoins ne doit pas précéder la dénonciation publique.

En sens contraire, le Seigneur a dit (Mt 18, 15) : " Si ton frère ne t’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, etc. "

Réponse :

Pour aller d’un extrême à l’autre, il est normal que l’on passe par le milieu. Or, dans la correction fraternelle, le Seigneur a voulu que le point de départ fût secret : c’est la réprimande faite par un frère à son frère, seul à seul ; il a voulu également que le point d’arrivée fût public : c’est la dénonciation à l’Église. Entre les deux se place logiquement la convocation de témoins : le péché de notre frère n’est d’abord révélé qu’à un petit nombre d’hommes, qui pourront servir et non pas nuire, en permettant d’amender le coupable sans le déshonorer devant tous.

Solutions :

1. Certains ont ainsi compris l’ordre à suivre dans la correction fraternelle - reprendre d’abord son frère en secret ; s’il consent à écouter, tout est bien. S’il ne veut rien entendre, et que le péché soit tout à fait occulte, s’en tenir là. Dans le cas où certains indices commenceraient à révéler ce péché à quelques personnes, il faudrait aller plus loin, selon que le Seigneur le prescrit. Cette interprétation va contre ce que S. Augustin dit dans sa " Règle " : que le péché de notre frère ne doit pas être dissimulé, " de peur qu’il n’engendre la putréfaction dans son cœur ".

Il faut donc parler autrement : après l’admonition secrète faite une ou plusieurs fois, il faut y persévérer aussi longtemps qu’on peut espérer voir le pécheur se corriger. Quand nous pouvons juger avec de sérieux motifs que l’admonition secrète est inutile, il faut aller plus loin et, quel que soit le caractère occulte du péché, appeler des témoins. Mais non pas si l’on estimait pour de sérieux motifs que cela ne procurerait pas l’amendement de notre frère, mais aggraverait son mal. Il faudrait alors arrêter totalement le processus de correction, nous l’avons dit plus haut.

2. On n’a pas besoin de témoins pour se corriger soi-même de son péché ; mais cela peut être nécessaire pour amender le péché de notre frère. Ce n’est donc pas pareil.

3. On peut faire venir des témoins à trois fins.

Pour prouver que quelqu’un a bien commis le péché dont il est accusé ; ainsi parle S. Jérôme.

En second lieu, pour convaincre le coupable, si l’acte vient à se renouveler, comme S. Augustin le dit dans sa " Règle ".

Enfin pour témoigner que " le frère chargé de l’admonition a fait ce qu’il a pu ", selon l’explication de S. Jean Chrysostome.

4. S. Augustin, lorsqu’il dit qu’avant tout autre témoin il faut avertir le supérieur, parle de celui-ci comme étant une personne privée, plus capable que tout autre d’être utile ; mais non comme représentant de l’Église, c’est-à-dire comme investi du pouvoir judiciaire.

LES VICES OPPOSÉS A LA CHARITÉ

I. La haine, qui s’oppose à la charité elle-même (Q. 34) - II. L’acédie (Q. 35) et l’envie (Q. 36) qui s’opposent à la joie de la charité. - III. La discorde (Q. 37) et le schisme, (Q. 39) qui s’opposent à la paix. - IV. L’inimitié (Q. 40-42) et le scandale (Q. 43), qui s’opposent à la bienfaisance et à la correction fraternelle.

 

 

QUESTION 34 — LA HAINE

1. Est-il possible d’avoir de la haine contre Dieu ? - 2. La haine de Dieu est-elle le plus grand des péchés ? - 3. La haine du prochain est-elle toujours un péché ? - 4. Est-elle le péché le plus grand parmi ceux qui se commettent contre le prochain ? - 5. Est-elle un vice capital ? - 6. De quel vice capital tire-t-elle son origine ?

 

            Article 1 — Est-il possible d’avoir de la haine contre Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non. Denys a dit en effet que " ce qui est bon et beau en soi-même est aimé et apprécié par tous ". Or Dieu est la bonté et la beauté mêmes. On ne peut donc pas le haïr.

2. Il est dit au livre apocryphe d’Esdras que " toute chose aspire à la vérité et se réjouit dans ses œuvres ". Or, Dieu est la vérité même, selon S. Jean (13, 6). Donc Dieu est aimé de tous et personne ne peut avoir de haine contre lui.

3. La haine est une aversion. Or, selon Denys, Dieu " tourne toutes choses vers lui ". Personne ne peut donc le haïr.

En sens contraire, on lit dans le Psaume (74, 23) : " L’orgueil de ceux qui te haïssent ne cesse de croître ", et en S. Jean (15, 24) : " Maintenant ils ont vu, et ils me haïssent, moi et mon Père. "

Réponse :

Il résulte de ce que nous avons dit précédemment que la haine est un mouvement de la puissance appétitive, laquelle a besoin pour se mouvoir d’une appréhension préalable. Mais Dieu peut être saisi par l’homme de deux façons. Ou bien il est saisi en lui-même par la vision de son essence, ou bien il est saisi dans ses effets, lorsque " ses œuvres rendent visibles à l’intelligence ses attributs invisibles " (Rm 1, 20). Dieu est par essence la bonté même. On ne peut haïr la bonté même, car, par définition, le bien est ce qu’on aime. C’est pourquoi il est impossible à celui qui voit Dieu dans son essence d’avoir pour lui de la haine.

Mais pour ses effets, certains ne peuvent en aucune façon contrarier la volonté humaine. Ainsi l’existence, la vie, l’intelligence sont désirées et aimées de tous. On ne peut haïr Dieu lorsqu’on le considère comme l’auteur de ces biens.

En revanche, il y a des œuvres de Dieu qui contrarient une volonté mal ordonnée, par exemple lorsqu’il inflige une peine, ou encore lorsque la loi divine interdit de pécher. Cela répugne à une volonté dépravée par le péché. En considération de tels effets, il se peut que Dieu soit haï par certains lorsqu’on le considère comme celui qui prohibe les péchés et qui inflige des peines.

Solutions :

1. L’argument est valable lorsqu’il s’agit de ceux qui voient l’essence de Dieu, c’est-à-dire l’essence même de la bonté.

2. L’argument est valable lorsque l’on considère Dieu comme l’auteur de ces effets qui sont aimés naturellement des hommes, effets parmi lesquels se situent les œuvres que la vérité offre à leur connaissance.

3. Dieu tourne toutes choses vers lui-même en tant qu’il est le principe de l’être ; toutes choses, en effet, en tant qu’elles existent, tendent à une similitude avec Dieu, qui est l’être même.

 

            Article 2 — La haine de Dieu est-elle le plus grand des péchés ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Car le plus grave est le péché contre l’Esprit Saint, qui est un péché irrémissible, comme il est écrit en S. Matthieu (12, 32). Mais la haine de Dieu n’est pas comptée parmi les espèces de péché contre l’Esprit Saint, on a pu le voir précédemment.

2. Le péché consiste à s’éloigner de Dieu. Mais l’infidèle qui n’a pas la connaissance de Dieu semble plus éloigné de Dieu que le fidèle, qui, tout en éprouvant de la haine contre Dieu, le connaît néanmoins. Le péché d’infidélité semble donc plus grave que la haine contre Dieu.

3. On ne peut haïr Dieu qu’en raison de ses œuvres parmi lesquelles il faut principalement citer la punition. Mais haïr la punition n’est pas le plus grand des péchés.

En sens contraire, au meilleur s’oppose le pire, dit le Philosophe. Or la haine de Dieu s’oppose à l’amour de Dieu, en quoi consiste le meilleur de l’homme. La haine de Dieu est donc le pire des péchés de l’homme.

Réponse :

La déficience propre au péché consiste dans le fait qu’il détourne de Dieu, nous l’avons dit précédemment. Cette aversion ne serait pas coupable si elle n’était pas volontaire. C’est pourquoi la faute consiste dans le fait de se détourner de Dieu volontairement.

Cette aversion volontaire de Dieu est directement impliquée dans la haine de Dieu, alors que les autres péchés ne la réalisent que par participation et indirectement. En effet, de même que la volonté s’attache par soi à ce qu’elle aime, de même par soi, elle fuit ce qu’elle hait. C’est pourquoi, lorsque quelqu’un hait Dieu, sa volonté essentiellement se détourne de lui. Dans les autres péchés au contraire, la fornication par exemple, on ne se détourne pas directement de Dieu, mais sous un certain rapport, dans la mesure où l’appétit se porte vers un plaisir désordonné, avec cette conséquence qu’on se détourne de Dieu. Toujours, en effet, ce qui est essentiel a plus d’importance que ce qui est accidentel. C’est pourquoi, parmi tous les péchés, la haine de Dieu est le plus grave.

Solutions :

1. Comme dit S. Grégoire : " c’est une chose de ne pas faire le bien, c’en est une autre de haïr l’auteur du bien ; tout comme pécher par précipitation, et pécher de propos délibéré ". Ce qui donne à entendre que la haine de Dieu, dispensateur de tout bien, est un péché délibéré, c’est-à-dire un péché contre l’Esprit Saint. Il est donc clair que la haine contre Dieu est par excellence le péché contre l’Esprit Saint, si tant est que celui-ci désigne un genre particulier de péché. Si cependant on ne la compte pas parmi les espèces de péché contre l’Esprit Saint, c’est parce qu’on la trouve généralement dans toutes ces espèces.

2. L’infidélité n’est coupable que dans la mesure où elle est volontaire. Et c’est pourquoi elle est d’autant plus grave qu’elle est plus volontaire. Or, son caractère volontaire provient de ce qu’on a de la haine contre la vérité proposée. Il est donc clair que la raison de péché, dans l’infidélité, vient de la haine de Dieu, dont la foi reconnaît la vérité. Et c’est pourquoi, de même qu’une cause est plus importante que son effet, ainsi la haine de Dieu est un péché plus grand que l’infidélité.

3. Quiconque déteste le châtiment, ne hait pas pour autant Dieu son auteur. Beaucoup en effet haïssent les châtiments et les supportent cependant avec patience, par respect pour la justice divine. C’est pourquoi S. Augustin dit que " Dieu nous ordonne de supporter les maux qui nous châtient, non de les aimer. " Mais quand on fait éclater sa haine contre Dieu qui punit, c’est la justice elle-même qu’on hait. C’est là un péché très grave. C’est pourquoi S. Grégoire dit : " De même qu’il est parfois plus grave d’aimer le péché que de le commettre, de même parfois il est pire de haïr la justice que d’y manquer. "

 

            Article 3 — La haine du prochain est-elle toujours un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, il n’y a pas de péché dans les préceptes ou les conseils de la loi divine. Comme disent les Proverbes (8, 8) : " Toutes les paroles de Dieu sont droites ; en elles rien de mauvais ni de pervers. " Or, il est écrit en S. Luc (14, 26) : " Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père et sa mère, il ne peut être mon disciple. " La haine du prochain n’est donc pas toujours un péché.

2. Il ne peut pas y avoir de péché à imiter Dieu.

Or l’imitation de Dieu nous conduit à avoir de la haine pour certains. On peut lire en effet dans l’épître aux Romains (1, 30) : " Les médisants haïs de Dieu. " Nous pouvons donc avoir de la haine pour certains sans pécher pour autant.

3. Rien de ce qui relève de la nature n’est péché, puisque le péché consiste à " s’écarter de ce qui est conforme à la nature ", selon S. Jean Damascène. Or il est naturel à tout être de haïr ce qui lui est contraire et ce qui travaille à sa destruction. Il semble donc qu’il n’y a pas de péché à haïr ses ennemis.

En sens contraire, il est écrit dans la Ière épître de S. Jean (2, 9) : " Celui qui hait son frère est dans les ténèbres. " Or les ténèbres spirituelles sont les péchés. La haine du prochain ne peut donc exister sans péché.

Réponse :

La haine est opposée à l’amour, nous l’avons vu. C’est pourquoi la haine a raison de mal dans la mesure où l’amour a raison de bien. Or on doit aimer le prochain en considération de ce qu’il tient de Dieu, c’est-à-dire en considération de la nature et de la grâce ; on ne lui doit pas d’amour en considération de ce qu’il tient de lui-même et du diable, c’est-à-dire en considération du péché et du manquement à la justice. C’est pourquoi il est permis de haïr chez son frère le péché et tout ce qui est manquement à la justice divine, mais on ne peut haïr sans péché la nature et la grâce de son frère. Haïr chez son frère la faute et ses manquements au bien, relève de l’amour du prochain, car il y a une même raison pour vouloir du bien à quelqu’un et pour haïr le mal qui est en lui. Ainsi donc, si l’on considère de façon absolue la haine de son frère, elle s’accompagne toujours de péché.

Solutions :

1. Selon la nature et les affinités que nous avons avec nos parents, nous sommes tenus de les honorer. C’est le commandement de Dieu, comme le montre le livre de l’Exode (20, 12). Mais nous devons les haïr selon qu’ils sont pour nous un obstacle dans notre montée vers la perfection de la justice divine.

2. Ce que Dieu hait chez les médisants, c’est leur faute, non leur nature. Ainsi nous pouvons haïr les médisants sans commettre de faute.

3. Les hommes ne s’opposent pas à nous en raison des biens qu’ils tiennent de Dieu. C’est pourquoi, sous ce rapport, nous devons les aimer. Mais ils s’opposent à nous quand ils se font nos ennemis, ce qui est une faute de leur part. A ce titre, nous devons les haïr. Nous devons haïr en eux le fait qu’ils sont nos ennemis.

 

            Article 4 — La haine du prochain est-elle le péché le plus grand parmi ceux qui se commettent contre lui ?

Objections :

1. Il semble bien que oui. On peut lire en effet dans la 1ère épître de S. Jean (3, 15) : " Celui qui hait son frère est un homicide. " Or l’homicide est le plus grave des péchés que l’on commette contre le prochain. La haine aussi par conséquent.

2. Ce qu’il y a de pire s’oppose à ce qu’il y a de meilleur. Or, ce qu’il y a de meilleur parmi ce que nous témoignons au prochain, c’est l’amour. Tout le reste, en effet, se ramène à l’amour. La haine est donc ce qu’il y a de pire.

En sens contraire, le mal " c’est ce qui nuit ", d’après S. Augustin. Or, il y a des péchés autres que la haine, qui nuisent davantage au prochain : le vol, par exemple, l’homicide ou l’adultère. La haine n’est donc pas le péché le plus grave.

2. De même, dans son commentaire de la phrase de S. Matthieu (5, 19) : " Celui qui violera un seul de ces commandements, même des plus petits... ", S. Jean Chrysostome s’exprime ainsi : " Les commandements de Moïse : "Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère", ne sont pas très importants si l’on considère leur rétribution, mais ils le sont si l’on considère la faute. Les commandements du Christ : "Tu ne te mettras pas en colère, tu n’auras pas de mauvais désirs", sont de grande importance si l’on considère leur rétribution, et de peu d’importance si l’on considère la faute. " Or, la haine est un mouvement intérieur de l’âme, comme la colère et la concupiscence. La haine du prochain est donc un péché moins grand que l’homicide.

Réponse :

Le péché que l’on commet contre le prochain a raison de mal pour deux motifs : d’abord, parce qu’il manifeste un désordre chez celui qui pèche ; ensuite parce qu’il cause un dommage à celui contre qui l’on pèche. Sous le premier aspect, la haine est un péché plus grand que les dommages extérieurs infligés au prochain. La haine, en effet, manifeste le désordre de la volonté humaine, ce qu’il y a de plus précieux dans l’homme, ce en quoi le péché trouve sa racine. Aussi, même lorsqu’il y a désordre dans les actions extérieures, mais sans désordre dans la volonté, il n’y a pas péché. C’est le cas par exemple de celui qui tue un homme par ignorance ou par passion de la justice. Et s’il y a quelque culpabilité dans les fautes extérieures que l’on commet contre le prochain, tout vient de la haine intérieure. Mais quand on considère le dommage que l’on fait subir au prochain, il y a des péchés extérieurs qui sont plus graves que la haine intérieure.

Solution : Cela montre comment répondre aux Objections.

 

            Article 5 — La haine est-elle un vice capital ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. Car elle s’oppose directement à la charité. Mais la charité est la principale et la mère des autres vertus. La haine est donc éminemment un vice capital, et le principe de tous les autres.

2. Les péchés naissent en nous de l’inclination des passions, d’après l’épître aux Romains (7, 5) : " Les passions des péchés agissaient en nos membres et portaient ainsi des fruits de mort. " Or, nous l’avons vu précédemment, dans le domaine des passions de l’âme, c’est de l’amour et de la haine que toutes les autres semblent découler. La haine est donc à placer parmi les vices capitaux.

3. Le vice est un mal moral. Or, la haine, dans l’ordre du mal, a une primauté sur toutes les autres passions. Il semble donc que la haine doive être considérée comme un vice capital.

En sens contraire, S. Grégoire ne compte pas la haine parmi les sept vices capitaux.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, le vice capital est celui qui, le plus fréquemment, donne naissance à d’autres vices. Or, le vice s’oppose à la nature de l’homme en tant que celui-ci est un animal raisonnable. Et quand on agit contre la nature, ce qui appartient à la nature se corrompt petit à petit. Ainsi s’éloigne-t-on d’abord de ce qui appartient à la nature à un moindre titre, et pour terminer, de ce qui appartient à la nature à titre principal. Ce qui, en effet, vient en premier au cours de la formation, vient en dernier au cours de la désagrégation. Or, ce qui est d’abord et avant tout naturel à l’homme, c’est d’aimer le bien, surtout le bien divin et le bien du prochain. C’est pourquoi la haine, qui s’oppose à cet amour, ne vient pas en premier au cours de la destruction de la vertu par les vices, mais en dernier. La haine n’est donc pas un vice capital.

Solutions :

1. Aristote écrit : " La vertu d’une chose consiste en sa bonne disposition par rapport à sa nature. " C’est pourquoi dans l’ordre vertueux il faut que soit premier et joue le rôle de principe ce qui est premier et joue le rôle de principe dans l’ordre naturel. En raison de quoi la charité est considérée comme la principale des vertus. Pour une raison analogue, la haine ne peut venir en premier parmi les vices, on vient de le dire.

2. La haine du mal qui s’oppose au bien naturel vient en premier parmi les passions de l’âme, de même que l’amour du bien naturel. Mais la haine d’un bien conforme à la nature ne peut venir en premier ; elle vient en dernier lieu, car une haine de cette sorte témoigne que la nature est déjà corrompue. Il en est de même de l’amour d’un bien étranger à la nature.

3. Le mal est double. Il y a le mal qui est véritable, celui qui s’oppose au bien de la nature. A l’égard de ce mal, la haine peut avoir raison de priorité parmi les passions. Et il y a aussi un autre mal qui n’est pas véritable mais apparent, celui qui en fait est un véritable bien, un bien conforme à la nature, mais que l’on considère comme un mal parce que la nature est corrompue. La haine de ce mal-là ne peut venir qu’en dernier lieu. Cette haine est vicieuse, mais elle n’est pas première.

 

            Article 6 — De quel vice capital la haine tire-t-elle son origine ?

Objections :

1. Il semble que la haine ne naît pas de l’envie, car l’envie est une certaine tristesse que nous inspire le bien d’autrui. Or, la haine ne naît pas de la tristesse ; c’est plutôt l’inverse. Car nous nous attristons de la présence de maux que nous haïssons. La haine ne naît donc pas de l’envie.

2. La haine s’oppose à l’amour. Or, l’amour du prochain se ramène à l’amour de Dieu, comme nous l’avons vu plus haut. Donc la haine du prochain se ramène à la haine de Dieu. Or, la haine de Dieu n’a pas l’envie pour cause ; car nous n’envions pas ce qui est à une distance infinie de nous, comme l’a montré le Philosophe’. Ainsi donc, la haine n’est pas causée par l’envie.

3. Un effet unique a une cause unique. Or, la haine a pour cause la colère. En effet, dit S. Augustin, " une colère qui monte se transforme en haine ". La haine n’a. donc pas l’envie pour cause.

En sens contraire, S. Grégoire affirme : " La haine naît de l’envie. "

Réponse :

La haine du prochain, nous venons de le dire, est l’ultime développement du péché, parce qu’elle est à l’opposé de l’amour, qui est un sentiment naturel à l’égard du prochain. Si l’on s’éloigne de ce qui est naturel, cela arrive parce qu’on veut éviter ce qu’il est naturel de fuir. Ainsi, il est naturel pour un animal de fuir la tristesse et de rechercher le plaisir, comme le montre Aristote. C’est pourquoi, de même que l’amour a pour cause le plaisir, la haine a pour cause la tristesse. De même, en effet que nous sommes poussés à aimer les choses qui nous font plaisir, pour la raison qu’elles nous apparaissent alors sous la raison de bien, de même nous sommes poussés à détester les choses qui nous attristent, pour la raison qu’elles nous apparaissent alors sous la raison de mal. Aussi, puisque l’envie est une tristesse provoquée par le bien du prochain, elle a pour résultat de nous rendre haïssable le bien du prochain. De là vient que la haine naît de l’envie.

Solutions :

1. Parce que la puissance d’appétit, comme la puissance d’appréhension, fait retour sur ses actes, il en résulte, dans les mouvements de l’appétit comme une espèce de circuit.

Suivant le premier processus du mouvement appétitif, l’amour engendre le désir, et le désir engendre le plaisir, quand on a obtenu ce que l’on désirait. Et parce que le fait même de se délecter d’un bien qu’on aime a raison de bien., il s’ensuit que le plaisir cause l’amour. Pour la même raison, la tristesse cause la haine.

2. Les choses ne se présentent pas de la même façon selon qu’il s’agit de l’amour ou de la haine. Car l’amour a pour objet le bien, qui découle de Dieu sur les créatures. C’est pourquoi la dilection concerne d’abord Dieu, et ensuite le prochain. Tandis que la haine a pour objet le mal, qui n’a pas de place en Dieu lui-même, mais seulement dans ses œuvres. Aussi avons-nous dit précédemment qu’on ne peut avoir de la haine pour Dieu à moins de le considérer dans ses œuvres. C’est pourquoi la haine du prochain existe avant la haine de Dieu. Aussi, puisque l’envie que l’on a pour le prochain est cause de la haine que l’on a contre lui, elle devient par voie de conséquence cause de la haine que l’on a contre Dieu.

3. Rien n’empêche qu’une même chose provienne, selon des raisons diverses, de diverses causes. C’est ainsi que la haine peut naître et de la colère et de l’envie. Elle naît cependant plus directement de l’envie qui rend le bien du prochain attristant et par conséquent haïssable. Mais la haine naît aussi de la colère par une certaine progression. Tout d’abord la colère nous fait désirer le mal du prochain d’une manière mesurée, selon qu’elle a raison de vengeance ; ensuite, si la haine persiste, on en arrive à désirer absolument le mal du prochain, ce qui par définition est de la haine. Il est donc clair que la haine naît formellement de l’envie à titre objectif, et de la colère à titre de disposition.

Il faut étudier maintenant les vices qui s’opposent à la joie de la charité. A la joie que donne le bien divin s’oppose l’acédie (Q. 35) ; à la joie que donne le bien du prochain s’oppose l’envie (Q. 36). C’est pourquoi nous étudierons d’abord l’acédie, puis l’envie.

 

 

QUESTION 35 — L’ACÉDIE

1. Est-elle un péché ? - 2. Est-elle un vice particulier ? - 3. Est-elle un péché mortel ? - 4. Est-elle un vice capital ?

 

            Article 1 — L’acédie est-elle un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car, selon le Philosophe "nous ne méritons ni louange ni blâme pour nos passions". Or l’acédie est une passion, car elle est une espèce de tristesse, comme dit S. Jean Damascène et nous l’avons vu plus haut. L’acédie n’est donc pas un péché.

2. Il n’y a pas de déficience corporelle se produisant à heure fixe, que l’on puisse considérer comme un péché. Or il en est ainsi pour l’acédie. Cassien nous dit : "C’est surtout aux environs de la sixième heure que l’acédie tourmente le moine, comme une sorte de fièvre qui monte à l’heure dite, attaquant l’âme malade par les accès les plus ardents de ses feux à des heures régulières et déterminées." L’acédie n’est donc pas un péché.

3. Ce qui procède d’une bonne racine ne semble pas être un péché. Or, l’acédie procède d’une bonne racine, puisque Cassien fait remarquer que l’acédie vient de ce que quelqu’un se trouve douloureux de ne pas produire de fruit spirituel ; il fait alors grand cas des monastères qui ne sont pas les siens. Ce qui semble une marque d’humilité. L’acédie n’est donc pas un péché.

4. Il faut toujours fuir le péché. "Fuis le péché comme le serpent", dit l’Ecclésiaste (21, 2). Or, Cassien note que "l’expérience prouve qu’il ne faut pas fuir les assauts de l’acédie, mais la surmonter en lui résistant". Donc, l’acédie n’est pas un péché.

En sens contraire, ce que défend la Sainte Écriture est un péché. Or, il en est ainsi pour l’acédie. Il est écrit en effet dans l’Ecclésiastique (6, 26) : "Offre-lui tes épaules et porte-là", il s’agit de la sagesse spirituelle - "et tu n’éprouveras pas d’acédie en restant dans ses liens". Donc, l’acédie est un péché.

Réponse :

L’acédie, selon S. Jean Damascène, est "une tristesse accablante" qui produit dans l’esprit de l’homme une dépression telle qu’il n’a plus envie de rien faire, à la manière de ces choses qui, étant acides, sont, de surcroît, froides (et inertes). Et c’est pourquoi l’acédie implique un certain dégoût de l’action. C’est ce que démontre la Glose commentant le Psaume (107, 18) : "Ils avaient toute nourriture en horreur." Certains la définissent "une torpeur de l’esprit qui ne peut entreprendre le bien". Une telle tristesse est toujours mauvaise, parfois en elle-même, parfois en ses effets. Est mauvaise en elle-même la tristesse qui provient d’un mal apparent et d’un bien véritable ; à l’inverse, est mauvaise la délectation d’un bien apparent et d’un mal véritable. Donc, puisque le bien spirituel est un vrai bien, la tristesse qui provient d’un bien spirituel est mauvaise en elle-même. Quant à la tristesse qui provient d’un mal véritable, elle est mauvaise dans ses effets lorsqu’elle accable l’homme au point de l’empêcher totalement de bien agir. Aussi l’Apôtre (2 Co 2, 7) ne veut-il pas que celui qui fait pénitence " sombre dans une tristesse excessive " à la vue de son péché. Donc, parce que l’acédie, comme nous l’envisageons ici, est une tristesse provenant d’un bien spirituel, elle est doublement mauvaise : en elle-même et dans ses effets. Et c’est pourquoi l’acédie est un péché, car, nous l’avons montré, ce qui est mauvais dans les mouvements de l’appétit est un péché.

Solutions :

1. En elles-mêmes les passions ne sont pas des péchés, mais elles méritent le blâme quand elles s’appliquent à quelque chose de mauvais, de même qu’elles sont dignes de louange quand elles s’appliquent à quelque chose de bon. En elle-même la tristesse ne signale ni quelque chose de louable ni quelque chose de blâmable. La tristesse est louable quand elle provient d’un mal véritable et qu’elle reste modérée. La tristesse est blâmable quand elle provient d’un bien, ou qu’elle est immodérée. C’est ainsi que l’acédie est un péché.

2. Les passions de l’appétit sensible peuvent être en elles-mêmes des péchés véniels, et incliner l’âme au péché mortel. Parce que l’appétit sensible est lié à un organe corporel, il en résulte qu’à la suite d’une modification d’ordre corporel, l’homme se trouve plus disposé à quelque péché. Et c’est pourquoi il peut arriver qu’en raison des changements d’ordre corporel survenant à des moments précis, certains péchés nous assaillent davantage. Ainsi, toute déficience corporelle, de soi, dispose à la tristesse, c’est pourquoi ceux qui jeûnent quand, vers le milieu du jour, ils commencent à éprouver le manque de nourriture et sont accablés par l’ardeur du soleil, subissent davantage les assauts de l’acédie.

3. C’est pour l’homme une marque d’humilité de ne pas s’exalter lui-même, alors qu’il constate ses propres défauts. Mais ce n’est pas de l’humilité, mais plutôt de l’ingratitude que de mépriser les biens qui lui viennent de Dieu. C’est ce mépris qui engendre l’acédie. Nous nous attristons en effet de ce que nous estimons mauvais ou de peu de prix. Il est donc nécessaire que si quelqu’un apprécie les biens des autres, il ne méprise pas pour autant les biens que Dieu lui réserve. Car alors ceux-ci deviendraient attristants.

4. Il faut toujours fuir le péché. Mais il faut vaincre le péché parfois en le fuyant, parfois et lui résistant. En le fuyant, quand une rumination continue augmente l’excitation du péché, ce qui est le cas pour la luxure. C’est pourquoi S. Paul écrit (1 Co 6, 18) : " Fuyez la fornication. " Et il faut vaincre le péché en lui résistant, quand une réflexion prolongée supprime l’attrait du péché qui provient d’un examen superficiel. Ce qui est le cas pour l’acédie, car plus nous réfléchissons aux biens spirituels, plus aussi ils nous deviennent agréables ; ce qui fait cesser l’acédie.

 

            Article 2 — L’acédie est-elle un vice particulier ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, ce qui se vérifie pour chaque vice ne constitue pas une raison particulière de vice. Or, tous les vices font que l’homme s’attriste du bien spirituel opposé ; car le luxurieux s’attriste du bien de la continence, le gourmand s’attriste du bien de l’abstinence. Puisque l’acédie est une tristesse qui provient du bien spirituel, nous venons de le voir, il semble donc que l’acédie ne soit pas un péché spécial.

2. Puisque l’acédie est une certaine tristesse, elle s’oppose à la joie. Or la joie n’est pas une vertu spéciale. On ne peut donc pas dire non plus que l’acédie soit un vice spécial.

3. Puisque le bien spirituel est un objet d’ordre général que la vertu recherche et que le vice fuit, il ne constitue pas une raison spéciale de vertu ou de vice, à moins qu’une addition n’en restreigne le sens. Or, si l’acédie est un vice spécial, il n’y a que le labeur, semble-t-il, pour apporter cette précision restrictive. C’est en effet parce que les biens spirituels sont laborieux que certains les fuient, si bien que l’acédie est une espèce d’ennui. Or, il n’appartient qu’à la paresse de fuir l’effort et de chercher le repos corporel. L’acédie ne serait donc rien d’autre que la paresse. Ce qui semble faux, car la paresse s’oppose au zèle, alors que l’acédie s’oppose à la joie. L’acédie n’est donc pas un vice particulier.

En sens contraire, S. Grégoire distingue l’acédie des autres vices. Elle est donc un vice spécial.

Réponse :

Puisque l’acédie est une tristesse qui provient du bien spirituel, si l’on considère le bien spirituel dans son acception générale, l’acédie ne pourra signifier un vice spécial. Tout vice, en effet, comme on l’a dit, fuit le bien de la vertu opposée. De même, on ne peut pas dire que l’acédie soit un vice spécial dans la mesure où elle fuit le bien spirituel en tant qu’il est fatigant ou pénible pour le corps, ou qu’il empêche sa délectation ; car cela ne la distinguerait pas des vices charnels qui nous font rechercher le repos et le plaisir du corps.

Et c’est pourquoi nous devons dire qu’il y a un ordre parmi les biens spirituels ; en effet, tous les biens spirituels qui se trouvent dans les actes de chaque vertu sont ordonnés à un bien spirituel unique qui est le bien divin, que concerne une vertu spéciale, la charité. Il appartient donc à chaque vertu de se réjouir de son bien spirituel propre, qui se trouve dans son acte propre ; mais cette joie spirituelle qui se réjouit du bien divin appartient spécialement à la charité. Et de même, cette tristesse au sujet du bien spirituel qui se trouve dans les actes de chaque vertu n’appartient pas à un vice spécial, mais à tous les vices. Au contraire, s’attrister du bien divin, dont se réjouit la charité, cela appartient à un vice spécial qu’on appelle l’acédie.

Solutions :

On répond ainsi clairement aux Objections.

 

            Article 3 — L’acédie est-elle un péché mortel ?

Objections :

1. L’acédie ne semble pas être un péché mortel. En effet, tout péché mortel s’oppose à un précepte de la loi divine. Or, l’acédie ne s’oppose à aucun précepte, semble-t-il, comme on le voit en examinant l’un après l’autre les préceptes de décalogue.

2. Un péché d’action n’est pas moins grand qu’un péché du cœur appartenant au même genre. Or, agir en s’écartant d’un bien spirituel conduisant à Dieu, n’est pas péché mortel ; autrement, quiconque n’observerait pas les conseils pécherait mortellement. Donc l’acédie n’est pas péché mortel.

3. On ne trouve pas de péché mortel chez les hommes parfaits. Mais on trouve chez eux de l’acédie, et Cassien a pu dire que l’acédie " est surtout éprouvée par les solitaires et qu’elle constitue l’ennemi le plus pernicieux et le plus fréquent pour ceux qui demeurent au désert ". L’acédie n’est donc pas un péché mortel.

En sens contraire, S. Paul nous dit (2 Co 7, 10) : " La tristesse selon ce monde produit la mort. " C’est le cas de l’acédie. Elle n’est pas en effet une " tristesse selon Dieu ", laquelle se distingue par opposition à la tristesse selon ce monde qui produit la mort. Donc elle est péché mortel.

Réponse :

Comme nous l’avons dit antérieurement, on appelle péché mortel celui qui détruit la vie spirituelle. Celle-ci vient de la charité selon laquelle Dieu habite en nous. Aussi un péché est-il mortel en raison de son genre lorsque, de lui-même, selon sa raison propre, il s’oppose à la charité. Or, c’est le cas pour l’acédie. Car l’effet propre de la charité, nous l’avons déjà dit, est la joie qui vient de Dieu ; tandis que l’acédie est la tristesse que nous inspire le bien spirituel en tant qu’il est le bien divin. Aussi, en raison de son genre, l’acédie est-elle péché mortel.

Il faut remarquer cependant que les péchés qui, par leur genre, sont mortels ne le sont que s’ils atteignent leur perfection. Car l’achèvement du péché est dans le consentement de la raison. Nous parlons en effet maintenant du péché humain, qui consiste dans un acte humain dont le principe est la raison. Aussi le péché qui commence dans la seule sensualité, sans parvenir jusqu’au consentement de la raison, est-il péché véniel à cause du caractère imparfait de son acte. C’est ainsi qu’en matière d’adultère le désir qui demeure dans la seule sensualité est péché véniel, mais s’il parvient jusqu’au consentement de la raison, il est péché mortel. C’est ainsi encore qu’un mouvement d’acédie existe parfois dans la seule sensualité, en raison de l’opposition de la chair à l’esprit, et il est alors péché véniel. Mais parfois le mouvement d’acédie parvient jusqu’à la raison qui accepte de fuir, de prendre en horreur et de détester le bien divin, la chair prévalant tout à fait contre l’esprit. Alors, il est évident que l’acédie est péché mortel.

Solutions :

1. L’acédie est contraire au précepte de sanctification du sabbat qui prescrit, selon qu’il est un précepte moral, le repos de l’esprit de Dieu. A cela s’oppose la tristesse spirituelle à l’égard du bien divin.

2. L’acédie n’est pas un éloignement de l’esprit envers un bien spirituel quelconque, mais envers le bien divin, auquel l’esprit doit d’unir de toute nécessité. Si quelqu’un s’attriste parce qu’on l’oblige à accomplir des œuvres de vertu auxquelles il n’est pas tenu, il ne commet pas le péché d’acédie. Mais il le commet lorsqu’il s’attriste de ce qu’il doit accomplir pour Dieu.

3. Chez les saints hommes on trouve des mouvements imparfaits d’acédie, qui n’atteignent pas cependant jusqu’au consentement de la raison.

 

            Article 4 — L’acédie est-elle un vice capital ?

Objections :

1. Il semble que non. On appelle en effet vice capital celui qui pousse à des actes de péchés, nous l’avons dit précédemment. Or, l’acédie ne pousse pas à agir, mais retient plutôt d’agir. Elle n’est donc pas un vice capital.

2. Le vice capital a des filles qui lui sont attribuées. S. Grégoire attribue à l’acédie six filles qui sont " la malice, la rancune, la pusillanimité, le désespoir, la torpeur vis-à-vis des commandements, le vagabondage de l’esprit autour des choses défendues ", qu’il ne semble pas exact de faire naître de l’acédie. La rancune, en effet, semble bien être identique à la haine, et celle-ci naît de l’envie, nous l’avons vu plus haut. La malice est un genre qui englobe tous les vices, de même que le vagabondage de l’esprit autour de choses défendues. La torpeur vis-à-vis des commandements semble bien identique à l’acédie. Quant à la pusillanimité et au désespoir, ils peuvent provenir de n’importe quel péché. Il n’est donc pas exact de considérer l’acédie comme un vice capital.

3. S. Isidore distingue le vice d’acédie du vice de tristesse. Il y a tristesse, dit-il, quand on s’écarte d’un devoir onéreux et pénible auquel on est tenu ; acédie quand on se laisse aller à une inaction coupable. Et il ajoute que la tristesse produit " la rancune, la pusillanimité, l’amertume, le désespoir " ; et que l’acédie a sept filles : l’inaction, l’indolence, l’agitation de l’esprit, la nervosité, l’instabilité, le bavardage, la curiosité. Il semble bien que l’un ou l’autre, S. Grégoire ou S. Isidore, ait tort de ranger l’acédie parmi les vices capitaux chacun avec ses filles.

En sens contraire, S. Grégoire affirme que l’acédie est un vice capital et qu’elle a les filles que l’on a dites.

Réponse :

Comme nous l’avons vu antérieurement, un vice est appelé capital lorsqu’il est prêt à engendrer d’autres vices selon la raison de cause finale. De même que les hommes se donnent beaucoup de mal en vue du plaisir, soit afin de l’obtenir, soit parce que l’entraînement du plaisir les pousse à d’autres activités ; de même ils se donnent beaucoup de mal en vue de la tristesse, soit afin de l’éviter, soit que pressés par elle, ils se hâtent de faire autre chose. Aussi, puisque l’acédie est une tristesse, comme nous l’avons vu’, est-il juste d’en faire un vice capital.

Solutions :

1. Il est vrai que l’acédie, en pesant sur l’esprit, retient l’homme des activités qui causent la tristesse. Mais elle pousse aussi à certains actes qui, ou bien sont en accord avec la tristesse, comme de pleurer, ou bien permettent d’éviter la tristesse.

2. S. Grégoire a désigné les filles de l’acédie comme il le fallait. En effet, selon le Philosophe, " personne ne peut rester longtemps sans plaisir, en compagnie de la tristesse ". C’est pourquoi la tristesse a nécessairement deux résultats ; elle conduit l’homme à s’écarter de ce qui l’attriste ; et elle le fait passer à d’autres activités où il trouve son plaisir. De même, ceux qui ne peuvent goûter les joies spirituelles se portent vers les joies corporelles selon Aristote. Dans ce mouvement de fuite par rapport à la tristesse, se remarque le processus suivant : d’abord, l’homme fuit les choses qui l’attristent ; ensuite il combat ce qui lui apporte de la tristesse. Or, les biens spirituels dont l’acédie s’attriste sont la fin et les moyens qui regardent la fin. On fuit la fin par le désespoir. On fuit les biens ordonnés à la fin, s’il s’agit de biens difficiles appartenant à la voie des conseils, par la pusillanimité ; s’il s’agit de biens qui relèvent de la justice commune, on les fuit par la torpeur à l’égard des préceptes. Le combat contre les biens spirituels attristants est parfois mené contre les hommes qui les proposent, et c’est alors la rancune ; parfois le combat s’étend aux biens spirituels eux-mêmes, ce qui conduit à les détester, et c’est alors la malice proprement dite. Enfin, lorsqu’en raison de la tristesse causée par les biens spirituels, on se porte vers les choses extérieures qui procurent du plaisir, la fille de l’acédie est alors l’évasion vers les choses défendues.

La réponse aux objections faites à chacune des filles de l’acédie est donc claire. En effet, la malice n’est pas prise ici comme le genre commun à tous les vices, mais de la façon que nous venons de dire. La rancune n’est pas prise ici dans un sens général qui rejoint la haine, mais comme un ressentiment, nous venons de le dire. Et il faut en dire autant pour les autres filles de l’acédie.

3. Cassien distingue, lui aussi, la tristesse de l’acédie ; mais S. Grégoire est plus exact en appelant l’acédie une tristesse. Car, nous l’avons vu plus haut x, la tristesse n’est pas un vice distinct des autres en tant qu’on se refuse à un travail pénible et fatigant, ou en tant qu’on s’attriste pour quelque autre motif, mais selon qu’on s’attriste du bien divin. Cela fait partie de la définition de l’acédie, qui se tourne vers une inaction coupable en tant qu’elle dédaigne le bien divin.

Mais la descendance qu’Isidore attribue à la tristesse et à l’acédie se ramène aux affirmations de S. Grégoire. Car l’amertume qu’Isidore fait venir de la tristesse est un effet de la rancune. L’inaction et l’indolence se ramènent à la torpeur en face des commandements ; celui qui est inactif les omet complètement, celui qui est indolent les accomplit avec négligence. Les cinq autres vices qu’il fait venir de l’acédie appartiennent tous à l’évasion de l’esprit vers les choses défendues. Quand cette évasion a son siège au sommet de l’esprit chez celui qui se dissipe à contretemps dans tous les sens, on l’appelle l’agitation de l’esprit ; quand elle se rapporte à la puissance de connaissance, on l’appelle la curiosité ; quand elle se rapporte à la faculté d’élocution, on l’appelle le bavardage ; quand elle se rapporte au corps, incapable de demeurer en un même lieu, on l’appelle la nervosité, si l’on veut signaler le vagabondage de l’esprit que manifestent les membres se répandant en mouvements désordonnés ; l’instabilité, si l’on veut signaler la diversité des lieux. L’instabilité peut désigner aussi l’inconstance dans les projets.

 

 

QUESTION 36 — L’ENVIE

1. Qu’est-ce que l’envie ? - 2. Est-elle un péché ? - 3. Est-elle un péché mortel ? - 4. Est-elle

un vice capital et quelles sont ses filles ?

 

            Article 1 — Qu’est-ce que l’envie ?

Objections :

1. Il semble que l’envie ne soit pas une tristesse, car la tristesse a pour objet le mal, tandis que l’envie a pour objet le bien. S. Grégoire a dit en effet en parlant de l’envie : " Elle est une blessure pour l’esprit qui se ronge, torturé par le bonheur d’autrui. " L’envie n’est donc pas une tristesse.

2. La ressemblance n’est pas une cause de tristesse, mais bien plutôt de joie. Or la ressemblance est cause de l’envie. Le Philosophe b dit en effet : " Ils connaîtront l’envie, ceux qui ont des gens qui leur ressemblent selon la race ou la parenté, par la taille, le comportement, ou l’opinion. " Donc l’envie n’est pas une tristesse.

3. La tristesse provient d’une déficience. C’est pourquoi ceux à qui il manque beaucoup de choses sont enclins à la tristesse, nous l’avons vu en étudiant les passions. Or ceux " à qui manquent peu de choses, qui aiment les honneurs, et que l’on considère comme des sages, sont envieux ", d’après Aristote. L’envie n’est donc pas une tristesse.

4. La tristesse s’oppose au plaisir. Or, des contraires ne peuvent avoir la même cause. C’est pourquoi le souvenir des biens que l’on a possédés étant une cause de plaisir, on l’a vu, ce souvenir ne sera pas cause de tristesse. Or, ce souvenir est cause d’envie. Le Philosophe dit en effet que certains envient " ceux qui possèdent ou ont possédé les biens qui leur convenaient à eux-mêmes, ou qu’eux-mêmes avaient parfois possédés ". L’envie n’est donc pas une tristesse.

En sens contraire, le Damascène fait de l’envie une espèce de tristesse et dit que l’envie est " une tristesse des biens d’autrui ".

Réponse :

La tristesse a ‘pour objet un mal personnel. Or, il arrive que le bien d’autrui soit considéré comme un mal personnel. Sous ce rapport le bien d’autrui peut être objet de tristesse. Et cela de deux façons : ou bien l’on s’attriste du bien d’autrui parce qu’il nous menace de quelque dommage ; c’est le cas de l’homme qui s’attriste de l’élévation de son ennemi, car il craint d’avoir à en souffrir. Une telle tristesse n’est pas de l’envie ; elle est plutôt une effet de la crainte, selon le Philosophe. Ou encore le bien d’autrui est considéré comme un mal personnel parce qu’il a pour résultat de diminuer notre gloire et notre réussite propres. C’est ainsi que l’envie s’attriste du bien d’autrui. Voilà pourquoi on envie surtout " les biens qui comportent de la gloire, et d’où les hommes aiment tirer honneur et réputation ", dit Aristote.

Solutions :

1. Rien n’empêche que ce qui est bon pour l’un soit considéré comme mauvais pour l’autre. C’est pourquoi la tristesse peut provenir d’un bien, on vient de le dire.

2. L’envie vient de la gloire d’autrui en tant que celle-ci diminue la gloire que l’on désire. En conséquence, on envie seulement ceux que l’on veut égaler ou surpasser en gloire. Or cela n’est pas possible envers ceux qui sont très loin de nous ; personne en effet, à moins d’être insensé, ne cherche à égaler ou à surpasser dans la gloire ceux qui sont de beaucoup supérieurs ; l’homme du peuple, par exemple, n’envie pas le roi, ni le roi l’homme du peuple, qu’il dépasse de beaucoup. C’est pourquoi l’homme n’envie pas ceux qui sont très loin de lui, par le lieu, par le temps, ou par la situation, mais il envie ceux qui lui sont proches, qu’il s’efforce d’égaler ou de surpasser. Car lorsque ceux-ci nous dépassent en gloire, cela va contre notre intérêt, et il en résulte de la tristesse. Pour que la ressemblance soit cause de joie, il faut qu’elle ait l’accord de la volonté.

3. Personne ne s’efforce d’atteindre à un bien qui le dépasse de beaucoup. Et donc on ne porte pas envie à celui qui y excellerait. Mais si l’écart n’est pas grand, il semble qu’on puisse atteindre à ce bien, et alors on le recherche. Si cette recherche échoue parce que l’autre a trop de gloire, on s’attriste. Et c’est pourquoi, ceux qui aiment les honneurs sont les plus envieux. Et de même les pusillanimes sont envieux, parce que, attachant de l’importance à toute chose, tout ce qui arrive de bon à quelqu’un, ils y voient une grande défaite pour eux. C’est pourquoi il est dit dans Job (5, 2 Vg) : " L’envie fait mourir le petit. " Et S. Grégoire : " Nous pouvons envier seulement ceux que nous estimons meilleurs que nous sur quelque point. "

4. Le souvenir des biens passés, en tant qu’on les a possédés, cause du plaisir ; mais en tant qu’on les a perdus, il cause de la tristesse. Et en tant qu’ils sont possédés par d’autres, ils causent de l’envie. Car cela surtout semble porter atteinte à notre gloire personnelle. Aussi, le Philosophe fait-il remarquer que " les vieillards envient les jeunes, et que ceux qui ont payé cher leurs acquisitions envient ceux qui les ont faites à peu de frais ". Ils s’affligent en effet de la perte de leurs biens et du fait que d’autres les ont acquis.

 

            Article 2 — L’envie est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, S. Jérôme écrit à Laeta sur l’éducation de sa fille : " Qu’elle ait des compagnes d’études qu’elle puisse envier, dont l’éloge la pique. " Mais personne ne doit être incité à pécher. Donc l’envie n’est pas un péché.

2. L’envie est " la tristesse que donne le bien d’autrui ", selon le Damascène. Or, cette tristesse peut être louable, car il est dit dans les Proverbes (29, 2) : " Quand les impies dominent, le peuple gémit. " L’envie n’est donc pas un péché.

3. L’envie désigne un certain zèle. Mais un certain zèle est bon, selon le Psaume (69, 10) : " Le zèle de ta maison me dévore. " Donc l’envie n’est pas toujours un péché.

4. La peine se distingue de la faute. Or, l’envie est une peine, comme le montre S. Grégoire : " Lorsque, après une défaite, le cœur est corrompu par l’envie, les signes extérieurs eux-mêmes indiquent la gravité du délire qui s’empare de la raison : le visage pâlit, les joues se creusent, l’esprit s’enflamme, les membres se glacent, la pensée est prise de rage, les dents grincent. " Donc l’envie n’est pas un péché.

En sens contraire, S. Paul écrit aux Galates (5, 26) : " Ne cherchons pas la vaine gloire en nous provoquant les uns les autres, en nous enviant mutuellement. "

Réponse :

L’envie, nous l’avons vu, est une tristesse provoquée par " le bien d’autrui ". Mais cette tristesse peut naître de quatre façons.

1° On s’afflige du bien d’autrui parce qu’on en redoute un dommage pour soi-même et pour d’autres biens. Cette tristesse n’est pas de l’envie, nous l’avons vu, et elle peut exister sans péché. Aussi S. Grégoire peut-il écrire : " Il arrive souvent que, sans manquer à la charité, la ruine de l’ennemi nous réjouisse, ou encore son succès nous attriste, sans qu’il y ait péché d’envie, lorsque nous estimons que sa chute permettra à certains de se relever, lorsque nous craignons que son succès ne soit pour beaucoup le signal d’une injuste oppression. "

2° On peut s’attrister du bien d’autrui, non parce que lui-même possède un bien, mais parce que ce bien nous manque. Et cela, c’est proprement le zèle, d’après le Philosophe. Si ce zèle se rapporte à des biens honnêtes il est digne de louange ; S. Paul écrit (1 Co 14, 1) : " Ayez de l’émulation pour les dons spirituels. " S’il se rapporte à des biens temporels, il peut s’accompagner de péché ou non.

3° On s’attriste du bien d’autrui lorsque celui à qui le bien échoit en est indigne. Cette tristesse ne peut naître de biens honnêtes qui améliorent celui qui les reçoit ; mais d’après le Philosophe,, elle provient de richesses et de biens de ce genre, qui peuvent échoir aux dignes comme aux indignes. Cette tristesse, selon lui, s’appelle la némésis ou l’indignation que cause l’injustice, et elle est conforme aux bonnes mœurs. Mais il parle ainsi parce qu’il considérait en eux-mêmes les biens temporels qui peuvent sembler grands à ceux qui ne prêtent pas attention aux biens éternels. Mais selon la doctrine de la foi, les biens temporels que reçoivent les indignes leur sont octroyés en vertu d’une juste ordonnance de Dieu, pour leur amendement ou pour leur condamnation. Ces biens ne sont pour ainsi dire d’aucune valeur en comparaison des biens futurs qui sont réservés aux bons. Aussi cette tristesse est-elle interdite par l’Écriture sainte selon le Psaume (37, 1) : " N’envie pas les pêcheurs, ne jalouse pas ceux qui commettent l’iniquité. " Et dans un autre Psaume (73, 2.3) : " Encore un peu, je faisais un faux pas, car j’étais jaloux des impies, voyant la prospérité des pécheurs. "

4° On s’attriste des biens d’autrui lorsque le prochain a plus de biens que nous. Et cela, c’est proprement l’envie. Elle est toujours mauvaise, selon le Philosophe 1. " parce que l’on s’afflige de ce dont il faut se réjouir, à savoir du bien du prochain ".

Solutions :

1. L’envie est prise ici pour le zèle qui doit nous faire progresser en compagnie des meilleurs.

2. Cet argument se fonde sur la tristesse du bien d’autrui dont nous avons parlé en premier lieu dans la Réponse.

3. L’envie diffère du zèle, nous venons de le dire. Le zèle peut être bon, alors que l’envie est toujours mauvaise.

4. Rien n’empêche qu’un péché, lorsqu’il s’y ajoute quelque autre chose, ne prenne un caractère de peine. Nous l’avons vu précédemment en traitant des péchés.

 

            Article 3 — L’envie est-elle un péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que non. Car, puisque l’envie est une tristesse, elle est une passion de l’appétit sensible. Or, le péché mortel ne se trouve pas dans la sensualité, mais seulement dans la raison ; S. Augustin l’a montré. L’envie n’est donc pas péché mortel.

2. Il ne peut y avoir de péché mortel chez les enfants. Or, l’envie peut se trouver chez eux. S. Augustin dit en effet : " J’ai vu, j’ai observé un enfant envieux : il ne parlait pas encore et, blême, il jetait un regard méchant sur son frère de lait. " L’envie n’est donc pas un péché mortel.

3. Tout péché mortel est contraire à une vertu. Or, l’envie n’est pas contraire à une vertu, mais à l’indignation qui est une passion, selon le Philosophe. L’envie n’est donc pas un péché mortel.

En sens contraire, il est écrit dans Job (5, 2 Vg) : " L’envie fait mourir le petit. " Or, il n’y a que le péché mortel pour donner la mort spirituelle.

Réponse :

L’envie, par son genre, est péché mortel. Le genre d’un péché se prend en effet de son objet. Or, l’envie, en raison de son objet, est contraire à la charité, qui fait vivre l’âme spirituelle, selon S. Jean (1 Jn 3, 14) : " Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. " En effet, la charité et l’envie ont toutes deux pour objet le bien du prochain, mais selon un mouvement contraire : alors que la charité se réjouit du bien du prochain, l’envie s’en attriste, nous l’avons vu. Il est donc clair que l’envie, par son genre, est péché mortel.

Il reste, comme nous l’avons vu plus haute qu’on trouve en chaque genre de péchés mortels des mouvements imparfaits qui, demeurant dans la sensualité, ne sont que des péchés véniels ; c’est le cas en matière d’adultère, pour le premier mouvement de concupiscence ; ou en matière d’homicide, pour le premier mouvement de colère. De même, dans le genre de l’envie, on trouve, parfois même chez des hommes parfaits, des premiers mouvements qui sont des péchés véniels.

Solutions :

1. Le mouvement d’envie, en tant qu’il est une passion de la sensualité, est un acte imparfait dans le genre des actes humains, dont le principe est la raison. Cette envie-là n’est pas péché mortel. Il en est de même de l’envie des enfants qui n’ont pas l’usage de la raison.

2. Cela répond aussi à la deuxième objection.

3. L’envie, d’après le Philosophe, s’oppose à l’indignation et à la miséricorde, mais différemment. Car elle s’oppose directement à la miséricorde selon leur objet principal : l’envieux, en effet, s’attriste du bien du prochain, alors que le miséricordieux s’attriste du mal du prochain. Aussi les envieux ne sont-ils pas miséricordieux, et l’inverse n’est pas vrai non plus. L’envie et l’indignation ou némésis s’opposent suivant ceux à qui appartient le bien dont elles s’attristent ; car celui qui s’indigne s’attriste du bien de ceux qui agissent indignement, comme dit le Psaume (73, 3) : " J’étais jaloux des impies, voyant la prospérité des pécheurs " tandis que l’envieux s’attriste du bien de ceux qui en sont dignes. La première opposition, entre l’envie et la miséricorde, est donc plus directe que la seconde, entre l’envie et l’indignation. Or la miséricorde est une vertu, elle est l’effet propre de la charité. L’envie s’oppose donc à la miséricorde et à la charité.

 

            Article 4 — L’envie est-elle un vice capital et quelles sont ses filles ?

Objections :

1. Il semble que non, car les vices capitaux se distinguent des vices qu’ils engendrent. Or, l’envie est fille de la vaine gloire. Le Philosophe dit en effet que " ceux qui ont l’amour des honneurs et de la gloire sont les plus envieux ". L’envie n’est donc pas un vice capital.

2. Les vices capitaux paraissent moins graves que les vices qui naissent d’eux. S. Grégoire dit en effet : " Il y a une apparence de raison dans les premiers vices qui se présentent à un esprit abusé, mais les vices qui leur font suite plongent l’esprit dans la folie la plus complète et l’abrutissement de leur clameur bestiale. " Or, l’envie semble être le péché le plus grave d’après ce que dit S. Grégoire : " Bien que tout vice verse dans le cœur humain le poison de l’adversaire, c’est l’envie qui permet au serpent de cracher son venin le plus secret et de vomir la peste de sa méchanceté, pour la faire partager. " L’envie n’est donc pas un vice capital.

3. D’après S. Grégoire, " de l’envie naissent la haine, la rumeur malveillante, le dénigrement, la satisfaction de voir les difficultés du prochain, et la déception de voir sa réussite ". Cette désignation des filles de l’envie paraît inexacte. En effet, la satisfaction de voir les difficultés du prochain et la déception de voir sa réussite paraissent bien s’identifier à l’envie d’après tout ce que nous avons dit Il ne faut donc pas les considérer comme des filles de l’envie.

En sens contraire, il y a l’autorité de S. Grégoire qui donne l’envie comme un vice capital et qui lui assigne les filles que nous avons dites.

Réponse :

L’acédie est une tristesse provoquée par le bien spirituel divin ; de même l’envie est une tristesse provoquée par le bien du prochain. Or, nous avons vu plus haut que l’acédie était un vice capital, pour cette raison qu’elle nous pousse à agir afin de fuir la tristesse ou de lui donner satisfaction. Pour la même raison, l’envie est donnée comme un vice capital.

Solutions :

1. D’après S. Grégoire, " les vices capitaux sont tellement bien liés entre eux que chacun vient d’un autre. C’est ainsi que l’orgueil a comme premier rejeton la vaine gloire ; celle-ci corrompt l’esprit qu’elle domine, et engendre aussitôt l’envie. C’est qu’en effet désirant la puissance d’une vaine renommée, il se ronge d’envie en pensant qu’un autre puisse l’obtenir ". Il n’est donc pas contraire à la notion d’un vice capital qu’il naisse d’un autre vice capital ; ce qui lui est contraire, c’est qu’il ne joue pas lui-même le rôle d’un principe dans la production de tout un ensemble d’autres péchés.

Néanmoins c’est peut-être parce que l’envie provient manifestement de la vaine gloire que S. Isidore et Cassien ne l’ont pas placée parmi les vices capitaux.

2. De la citation de S. Grégoire, on ne peut conclure que l’envie soit le plus grand des péchés, mais simplement que le démon, en suggérant l’envie, met en nous ce que lui-même a principalement dans le cœur. À preuve le texte qu’il ajoute ici même (Sg 2, 24) : " C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde. "

Il y a cependant une envie à placer parmi les péchés les plus graves, c’est celle que suscite la grâce de nos frères. Dans ce cas, on s’afflige du progrès en eux de la grâce divine, et non seulement de leur bien. C’est un péché contre l’Esprit Saint, puisqu’en agissant ainsi, l’envie s’adresse en quelque sorte à l’Esprit Saint glorifié dans ses œuvres.

3. On peut dénombrer les filles de l’envie de la façon suivante. Dans la progression de l’envie, il y a comme un début, un milieu et un terme. Au début, on s’efforce d’amoindrir la gloire d’autrui, soit qu’on le fasse secrètement, et c’est alors le chuchotement malveillant ; soit qu’on le fasse ouvertement, et c’est la diffamation. Le milieu, c’est qu’on cherche ainsi à diminuer la gloire d’autrui : ou bien on y réussit, et c’est alors la jubilation de voir ses difficultés, ou bien on échoue, et c’est alors la déception de voir sa réussite. Enfin, au terme, il y a la haine. De même en effet que le bien délecte et est cause d’amour, de même la tristesse est cause de haine, nous l’avons dit plus haut.

Il est vrai qu’en un certain sens la déception de voir la réussite du prochain s’identifie à l’envie, en tant que cette réussite procure au prochain une certaine gloire. Mais en un autre sens elle est une fille de l’envie, dans le cas où cette prospérité advient au prochain en dépit des efforts de l’envie pour l’empêcher.

De même, la jubilation de voir ses difficultés ne s’identifie pas directement à l’envie, mais elle en découle, car c’est la tristesse provoquée par le bien d’autrui, c’est-à-dire l’envie, qui engendre la jubilation du mal qui lui arrive.

LES PÉCHÉS QUI S’OPPOSENT A LA PAIX

Venons-en maintenant à l’étude des péchés qui s’opposent à la paix : I. La discorde, qui a son siège dans le cœur (Q. 37). - II. La dispute, qui a son siège dans les paroles (Q. 38). - III. Les péchés qui relèvent de l’action, à savoir le schisme (Q. 39), la guerre (Q. 40), la querelle (Q. 4 1), et la sédition (Q. 42).

 

 

QUESTION 37 — LA DISCORDE

1. Est-elle un péché ? - 2. Est-elle fille de la vaine gloire ?

 

            Article 1 — La discorde est-elle un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la discorde est le refus de suivre la volonté de quelqu’un. Or, cela ne semble pas être un péché ; car ce n’est pas la volonté du prochain qui est une règle pour notre volonté, mais seulement la volonté de Dieu. La discorde n’est donc pas un péché.

2. Quiconque pousse un autre à pécher commet lui-même un péché. Or, jeter la discorde au sein d’une assemblée ne semble pas être un péché. Il est dit en effet dans les Actes (23, 6) que " Paul, se rendant compte qu’il y avait deux partis, les sadducéens et les pharisiens, s’écria dans le Sanhédrin : " Frères, je suis pharisien, fils de pharisiens ; c’est à cause de notre espérance et de la résurrection des morts que je suis mis en jugement ". A ces mots de Paul la discorde opposa pharisiens et sadducéens. " La discorde n’est donc pas un péché.

3. On ne trouve pas de péché, et surtout pas de péché mortel chez les saints. Or, on trouve de la discorde entre eux. On peut lire en effet dans les Actes (15, 39) : " Il y eut un dissentiment entre Paul et Barnabé, si bien qu’ils se séparèrent. " La discorde n’est donc pas un péché, surtout pas un péché mortel.

En sens contraire, dans l’épître aux Galates (5, 20) les dissensions, c’est-à-dire les discordes, sont placées parmi les œuvres de la chair, et l’épître ajoute : " Ceux qui agissent ainsi n’obtiendront pas le royaume de Dieu. " Or, il n’y a que le péché mortel pour exclure du royaume de Dieu. Donc la discorde est péché mortel.

Réponse :

La discorde s’oppose à la concorde. Or, la concorde, nous l’avons vu plus haut, est causée par la charité, car c’est le propre de la charité de réunir les cœurs dans l’unités unité qui a pour principe le bien divin et en conséquence le bien du prochain. La discorde est donc un péché en tant queue s’oppose à cette concorde. Disons cependant que la discorde peut supprimer la concorde de deux façons : par soi ou bien par accident. On appelle " par soi ", dans les actes et les mouvements humains, ce qui est conforme à l’intention. C’est pourquoi la discorde avec le prochain se réalise par soi lorsque, sciemment et intentionnellement, on se sépare du bien divin et du bien du prochain qui devraient nous mettre d’accord. C’est là un péché mortel par son genre, car il est contraire à la charité. Il reste cependant que les premiers mouvements vers cette discorde ne sont, en raison de leur caractère imparfait, que des péchés véniels.

Mais c’est par accident que se réalise dans les actes humains ce qui n’est pas intentionnel. C’est pourquoi, lorsqu’on est plusieurs à vouloir intentionnellement un bien se rapportant à l’honneur de Dieu ou à l’utilité du prochain, mais que l’un l’estime être ici, alors que l’autre a une opinion contraire, la discorde ne contrarie que par accident le bien divin ou le bien du prochaines Elle n’est pas un péché, et ne s’oppose pas à la charité, à moins que cette discorde ne s’accompagne d’une erreur sur les moyens nécessaires au salut, ou ne manifeste une obstination coupable. Nous avons vu plus haut que la concorde, effet de la charité, exige l’union des volontés, non celle des opinions.

On voit donc que la discorde vient parfois du péché d’un seul, lorsque par exemple l’un veut le bien auquel l’autre résiste sciemment ; et parfois il y a péché des deux côtés lorsque, par exemple, tous deux s’opposent au bien de l’autre et que chacun est attaché à son bien propre.

Solutions :

1. La volonté d’un homme, considérée en elle-même, n’est pas la règle de la volonté d’un autre. Mais en tant que la volonté du prochain s’unit à la volonté de Dieu, elle devient alors une règle mesurée par la première. Aussi est-ce un péché de ne pas s’y conformer, car on se met par ce fait en désaccord avec la volonté divine.

2. Une volonté qui adhère à Dieu est une règle juste, et il y a péché à se mettre en désaccord avec elle ; de même, une volonté qui s’oppose à Die est une règle mauvaise, et il est bon de ne pas s’accorder avec elle. Provoquer une discorde qui supprime la bonne concorde réalisée par la charité est un péché grave ; c’est pourquoi il est écrit dans les Proverbes (6, 16.19) : " Il y a six choses que Dieu hait et une septième qu’il abomine ", et cette septième " c’est celui qui sème la discorde entre ses frères ". Mais causer la discorde pour supprimer une concorde mauvaise, fondée sur une volonté mauvaise, mérite l’éloge. C’est pourquoi S. Paul a eu raison de jeter la discorde entre ceux qui s’accordaient dans le mal. Le Seigneur a bien dit en parlant de lui-même (Mt 10, 34) : " je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. "

3. La discorde qui opposa Paul et Barnabé eut un caractère accidentel et non essentiel. Tous les deux en effet voulaient le bien, mais l’un le voyait ici, et l’autre ailleurs, ce qui relevait d’un défaut humain. La controverse dans ce cas ne portait pas sur les choses nécessaires au salut. L’incident lui-même aura pris place dans le plan divin, en vue de l’utilité qui devait en résulter.

 

            Article 2 — La discorde est-elle fille de la vaine gloire ?

Objections :

1. Il semble que non, car la colère est un vice différent de la vaine gloire. Mais la discorde paraît être fille de la colère, selon les Proverbes (15, 18) : " L’homme coléreux provoque les querelles. " La discorde n’est donc pas fille de la vaine gloire.

2. S. Augustin, commentant la phrase de S. Jean (7, 39) " L’Esprit n’avait pas encore été donné ", écrit c " La jalousie sépare, la charité unit. " Or, la discorde n’est rien d’autre q ue la division des volontés. Donc la discorde procède de la jalousie, c’est-à-dire de l’envie, plutôt que de la vaine gloire.

3. Ce qui est à l’origine de beaucoup de maux paraît être un vice capital. C’est le cas de la discorde. Commentant la phrase de S. Matthieu (12, 35) : " Tout royaume divisé contre lui-même devient un désert ", S. Jérôme d écrit : " De même que les petites choses progressent dans la concorde, ainsi les plus grandes se dissolvent dans la discorde. " La discorde doit donc être placée parmi les vices capitaux, plutôt qu’être considérée comme une fille de la vaine gloire.

En sens contraire, il y a l’autorité de S. Grégoire.

Réponse :

La discorde implique une désagrégation des volontés en tant que la volonté de l’un va d’un côté, et que la volonté de l’autre va de l’autre côté. Or, que notre volonté s’arrête à son propre choix, cela provient de ce que nous le préférons à celui des autres. Lorsque cela se fait en dehors de l’ordre, cela tient à l’orgueil et à la vaine gloire. Et c’est pourquoi la discorde, qui nous fait suivre notre propre choix et refuser celui de l’autre, est une fille de la vaine gloire.

Solutions :

1. La querelle n’est pas la même chose que la discorde. Par la querelle, on en vient aux mains. Il est donc assez normal qu’elle ait pour cause la colère qui pousse à faire du dommage au prochain. Mais la discorde consiste en la division des volontés que produit l’orgueil ou la vaine gloire, pour la raison qu’on vient de dire.

2. La discorde a comme point de départ la séparation d’avec la volonté d’autrui, et de ce fait elle a pour cause l’envie. Et comme point d’arrivée, elle a le succès de son propre choix, ce qui a pour cause la vaine gloire. Et comme dans un mouvement le point d’arrivée a plus d’importance que le point de départ - la fin est en effet plus importante que le principe - la discorde est davantage fille de la vaine gloire que fille de l’envie ; quoiqu’elle puisse provenir de l’une et de l’autre, à des titres divers.

3. Les grandes choses progressent avec la concorde et se dissolvent par la discorde, car la vertu est d’autant plus forte qu’elle est plus unifiée, et la division l’affaiblit, comme dit le livre Des Causes. Aussi voit-on que cela ressortit à l’effet propre de la discorde, qui est la division des volontés ; cela n’implique pas que des vices divers naîtraient de la discorde, ce qui lui donnerait le titre de vice principal.

 

 

QUESTION 38 — LA DISPUTE

1. Est-elle un péché mortel ? - 2. Est-elle fille de la vaine gloire ?

 

            Article 1 — La dispute est-elle un péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que non, car le péché mortel ne se trouve pas chez les spirituels. Or, on trouve chez eux la dispute, d’après S. Luc (22,24) : " Il s’éleva une dispute entre les disciples de Jésus : lequel d’entre eux était le plus grand ? " La dispute n’est donc pas un péché mortel.

2. Quelqu’un de bien disposé ne peut approuver un péché mortel contre le prochain. Or l’Apôtre écrit aux Philippiens (1, 17) : " Il en est qui annoncent le Christ par esprit de dispute ", et il ajoute : " Et de cela je me réjouis ; bien plus, je m’en réjouirai encore. " La dispute n’est donc pas un péché mortel.

3. Il arrive que certains, dans les procès ou les disputes, ne cherchent pas à faire du mal au prochain, mais plutôt à promouvoir le bien ; par exemple ceux qui disputent contre les hérétiques. C’est ainsi que sur les mots (1 S 14, 1) : " Il arriva un jour " la Glose ajoute : " Les catholiques ne suscitent pas de disputes contre les hérétiques avant d’être provoqués au combat. " La dispute n’est donc pas un péché mortel.

4. Job semble entrer en dispute avec Dieu. On lit en effet au livre de Job (40, 2) : " Celui qui dispute avec Dieu cédera-t-il ? " Job cependant n’a pas commis de péché mortel, puisque Dieu dit de lui (42, 7) : " Vous n’avez pas parlé de moi avec droiture, comme l’a fait mon serviteur Job. " La dispute n’est donc pas toujours péché mortel.

En sens contraire, la dispute est contraire au précepte de l’apôtre qui écrit (2 Tm 2, 14) : " Évite les disputes de mots " ; et dans l’épître aux Galates (5, 20) il met la dispute au nombre des convoitises de la chair : " Ceux qui s’y livrent, dit-il, n’obtiendront pas le royaume de Dieu. " Or, tout ce qui exclut du royaume de Dieu et qui est contraire aux commandements est péché mortel. La dispute est donc péché mortel.

Réponse :

Disputer (contendere) c’est se dresser contre (tendere contra) quelqu’un. Aussi, alors que la discorde implique une opposition de volonté, la dispute implique une opposition dans les paroles. C’est pourquoi on appelle dispute un discours qui se développe par oppositions, et Cicéron considère la dispute comme une figure de rhétorique " Il y a dispute, dit-il, lorsque, dans un discours, on oppose des choses contraires comme ceci la flatterie a des commencements agréables, mais, à la fin, elle porte les fruits les plus amers. " Or, l’opposition, dans les discours, peut se présenter de deux façons : ou bien celui qui dispute a l’intention de contester, ou bien ce n’est qu’un procédé. Dans le premier cas, il faut encore distinguer : ou bien celui qui apporte la contradiction le fait contre la vérité, ce qui est blâmable ; ou bien il le fait contre l’erreur, ce qui est louable. Quand il s’agit d’un simple procédé, ou bien ce mode de contradiction convient aux personnes et aux affaires, alors c’est louable, et Cicéron’ dit que " la dispute est un discours mordant, propre à confirmer et à réfuter ", ou bien ce mode dépasse les limites qui conviennent aux personnes et aux affaires, et alors la dispute est blâmable.

Donc, si la dispute manifeste une opposition à la vérité et une démesure dans la forme, elle est péché mortel. C’est ainsi que S. Ambroise définit la dispute : " La dispute est un assaut contre la vérité, avec une insolence criarde. " Mais si la dispute combat le mensonge, et reste mesurée dans sa vivacité, elle est digne de louange. – Si maintenant la dispute implique lutte contre l’erreur, mais manque de mesure, elle peut être péché véniel ; à moins que par hasard la démesure ne soit telle qu’elle engendre le scandale chez autrui. C’est pourquoi l’Apôtre après avoir dit à Timothée : " Évite les disputes de mots ", ajoute : " Elle sont bonnes seulement à perdre ceux qui les écoutent " (2 Tm 2, 14).

Solutions :

1. Les disciples du Christ n’avaient pas l’intention en se disputant de combattre la vérité ; chacun défendait ce qui lui semblait vrai. Il y avait cependant dans leur dispute un désordre, car ils disputaient sur un point qui n’était pas sujet à dispute, à savoir la primauté d’honneur. Ils n’étaient pas encore des spirituels, comme dit la Glose. C’est pourquoi le Seigneur les arrêta.

2. Ceux qui prêchaient le Christ dans un esprit de dispute étaient répréhensibles parce que, s’ils ne combattaient pas la vérité de la foi (au contraire ils la prêchaient), ils combattaient cependant la vérité du fait qu’ils s’imaginaient " aggraver l’épreuve " de l’Apôtre qui prêchait la vérité de la foi. Aussi l’Apôtre ne se réjouit-il pas de leur dispute, mais du fruit qui en résulte, à savoir " que le Christ est annoncé ", car le bien peut sortir du mal à l’occasion.

3. La raison complète de dispute, en tant qu’elle est péché mortel, implique que celui qui s’en rend coupable combat, si c’est dans un jugement, la vérité de la justice, ou, si c’est dans une dispute ordinaire, la vérité de la doctrine. Ce n’est pas de cette façon que les catholiques disputent contre les hérétiques, c’est plutôt l’inverse. Quant à la dispute au sens faible, selon la raison imparfaite où elle implique seulement une certaine vivacité de parole, elle n’est pas toujours péché mortel.

4. Ici la dispute s’entend au sens courant pour la discussion. Job avait dit en effet : " Je parlerai au Tout-Puissant, et je désire discuter avec Dieu. " Il n’a jamais cherché à combattre la vérité, mais à la découvrir ; et dans cette recherche il n’a pas manifesté de démesure dans ses sentiments ou ses paroles.

 

            Article 2 — La dispute est-elle fille de la vaine gloire ?

Objections :

1. La dispute a des affinités avec la jalousie. C’est pourquoi l’Apôtre décrit (1 Co 3, 3) : " Puisqu’il y a parmi vous jalousie et dispute, n’êtes-vous pas charnels, et votre conduite n’est-elle pas tout humaine ? " Mais la jalousie appartient à l’envie. La dispute provient donc de l’envie.

2. La dispute s’accompagne d’éclats de voix. Or, les éclats de voix, viennent de la colère, comme l’a montré S. Grégoire. La dispute vient donc aussi de la colère.

3. Entre autre choses la science paraît bien être matière à orgueil et à vaine gloire ; selon l’Apôtre (1 Co 8, 1) : " La science nous gonfle d’orgueil. " Or la dispute provient le plus souvent d’un défaut de science, car celle-ci fait connaître la vérité, elle ne la combat pas. La dispute n’est donc pas fille de la vaine gloire.

En sens contraire, il y a l’autorité de S. Grégoire.

Réponse :

La discorde, nous l’avons vu plus haut4 est fille de la vaine gloire. Ceux qui sont en désaccord maintiennent en effet leur propre point de vue, et l’un ne veut pas céder à l’autre ; or le propre de l’orgueil et de la vaine gloire est de rechercher sa propre excellence. Et de même que ceux qui sont en désaccord le sont parce qu’ils tiennent de tout leur cœur à leurs idées personnelles, de même ceux qui sont en dispute le sont parce qu’ils défendent chacun par la parole ce qu’ils jugent bon. C’est pourquoi l’on considère que la dispute est, au même titre que la discorde, fille de la vaine gloire.

Solutions :

1. On s’éloigne de celui avec qui on est en désaccord ou en dispute. Sous ce rapport la dispute comme la discorde ont une affinité avec l’envie. Mais, si l’on considère à quoi s’arrête celui qui dispute, on voit que cela rejoint l’orgueil et la vaine gloire, comme on vient de le dire.

2. Dans la dispute dont nous parlons, les éclats de voix ont pour fin de combattre la vérité. Aussi n’est-ce pas le principal dans la dispute. Il n’est donc pas nécessaire que la dispute provienne d’une même source que les éclats de voix.

3. L’orgueil et la vaine gloire prennent occasion surtout des choses bonnes, même quand elles leur sont contraires, par exemple quand on s’enorgueillit de son humilité. Cette dérivation en effet n’est pas essentielle mais accidentelle, et rien n’empêche que de cette façon un contraire naisse de son contraire. C’est pourquoi rien n’empêche que les effets essentiels et directs de l’orgueil et de la vaine gloire soient produits par des sentiments contraires à ceux qui, occasionnellement, conduisent à l’orgueil.

Nous devons étudier maintenant les vices qui s’opposent à la paix, et qui relèvent de l’action : le schisme (Q. 39), la rixe (Q. 4 1), la sédition (Q. 42) et la guerre (Q. 40).

 

 

QUESTION 39 — LE SCHISME

1. Est-il un péché spécial ? - 2. Est-il plus grave que l’infidélité ? - 3. Le pouvoir des schismatiques. - 4. Le châtiment des schismatiques. 1

 

            Article 1 — Le schisme est-il un péché spécial ?

Objections :

1. Il semble que non. Comme dit le pape Pélage, le schisme " évoque une déchirure". Mais cela se vérifie pour tout péché. Il est écrit dans Isaïe (59, 2) : " Vos péchés ont creusé abîme entre vous et votre Dieu. " Donc le schisme n’est pas un péché spécial.

2. On considère comme schismatiques ceux n’obéissent pas à l’Église. Or, en tous ses péchés, l’homme désobéit aux préceptes de l’Église. Car le péché, d’après S. Ambroise, est une désobéissance aux commandements célestes ". Tout péché est donc un schisme.

3. L’hérésie nous sépare de l’unité de la foi. Si donc le nom de schisme implique une division, il semble qu’il ne diffère pas du péché d’infidélité comme un péché spécial.

En sens contraire, S. Augustin distingue entre schisme et hérésie, lorsqu’il dit : " Le schismatique a les mêmes croyances et les mêmes rites que les autres ; il ne se distingue que par sa complaisance à se séparer de l’assemblée. Tandis que l’hérétique a des opinions qui s’écartent de ce que croit l’Église catholique. " Le schisme est donc un péché spécial.

Réponse :

D’après S. Isidore, le schisme " tire son nom de la scission des cœurs". Or la scission s’oppose à l’unité. Aussi dit-on que le péché de schisme s’oppose directement et par soi à l’unité. De même en effet que dans le domaine de la nature ce qui est accidentel ne constitue pas l’espèce, de même dans le domaine moral ce qui est intention est essentiel, tandis que ce qui est en dehors l’intention existe comme par accident. C’est pourquoi le péché de schisme est proprement un péché spécial du fait qu’on veut se séparer de l’unité que la charité réalise. La charité unit non seulement une personne à une autre par le lien de l’amour spirituel, mais encore rassemble l’Église tout entière dans l’unité de l’Esprit. On appellera donc schismatiques à proprement parler ceux qui d’eux-mêmes et intentionnellement se séparent de l’unité de l’Église, qui est l’unité primordiale. Car l’union particulière entre les individus est ordonnée à l’unité de l’Église, de même que l’organisation des différents membres dans le corps naturel est ordonnée à l’unité du corps entier.

Or, l’unité de l’Église est envisagée de deux façons : dans la connexion ou la communication réciproque des membres de l’Église entre eux ; et en outre, dans l’ordre de tous les membres de l’Église i une tête unique, selon S. Paul (Col 2, 18) : " Bouffi d’un vain orgueil par son intelligence charnelle, il ne s’attache pas à la Tête d’où le corps tout entier, par les ligaments et les jointures, tire nourriture et cohésion pour réaliser sa croissance en Dieu. " Or, cette tête, c’est le Christ lui-même, dont le souverain pontife tient la place dans l’Église. C’est pourquoi on appelle schismatiques ceux qui ne veulent pas se soumettre au souverain pontife, et qui refusent la communion avec les membres de l’Église qui lui sont soumis.

Solutions :

1. La séparation entre l’homme et Dieu par le péché n’est pas voulue par le pécheur, mais se produit en dehors de son intention, en raison de sa conversion désordonnée au bien périssable. Aussi n’est-ce pas un schisme à proprement parler.

2. La désobéissance aux préceptes par rébellion constitue essentiellement le schisme. je dis bien par rébellion, c’est-à-dire quand on méprise obstinément les préceptes de l’Église et qu’on refuse de se soumettre à son jugement. Tout pécheur ne fait pas cela. Donc tout péché n’est pas un schisme.

3. L’hérésie et le schisme se distinguent selon les choses auxquelles tous deux s’opposent par soi et directement. Car l’hérésie s’oppose essentiellement à la foi ; et le schisme s’oppose essentiellement à 1’unité qui fait l’Église. C’est pourquoi, de même que la foi et la charité sont des vertus différentes, bien que celui qui manque de foi manque aussi de charité, le schisme et l’hérésie sont aussi des vices différents, bien que tout hérétique soit aussi schismatique, mais non l’inverse. C’est ce que dit S. Jérôme : " Entre le schisme et l’hérésie, j’estime qu’il y a cette différence : l’hérésie professe un dogme perverti, tandis que le schisme sépare de l’Église. "

Cependant, de même que la perte de la charité conduit à perdre la foi, selon S. Paul (1 Tm 1, 6) : " Pour s’en être écartés (de la charité et des choses de ce genre), d’aucuns se sont perdus en de vains bavardages ", de même le schisme conduit aussi à l’hérésie. C’est pourquoi S. Jérôme ajoute que " le schisme, au début, peut bien, d’une certaine façon, être considéré comme différent de l’hérésie ; mais il n’est aucun schisme qui ne se façonne quelque hérésie, pour justifier son éloignement de l’Église ".

 

            Article 2 — Le schisme est-il plus grave que l’infidélité ?

Objections :

1. C’est ce qui semble, car un péché plus grave est puni d’une peine plus grave, d’après le Deutéronome (25, 2) : " Le châtiment sera proportionné au péché. " Or, le péché de schisme a été puni plus gravement que le péché d’infidélité ou d’idolâtrie. Nous lisons en effet dans l’Exode (32, 27) qu’en raison de leur idolâtrie, certains périrent de la main des hommes ; quant au péché de schisme, nous lisons dans les Nombres (16, 30) : " Si le Seigneur fait quelque chose d’inouï, si la terre s’ouvre et les engloutit, eux et tout ce qui leur appartient, et qu’ils descendent vivants dans le séjour des morts, vous saurez qu’ils ont blasphémé le Seigneur. " Également les dix tribus, qui firent schisme d’avec le royaume de David, furent très gravement punies, comme on le voit au 2e livre des Rois (1 7, 20). Le péché de schisme est donc plus grave que le péché d’infidélité.

2. " Le bien de la multitude est plus grand et plus divin que le bien d’un seul ", comme le montre Aristote. Or le schisme est contraire au bien de la multitude, puisqu’il est contraire à l’unité de l’Église ; tandis que l’infidélité est contraire au bien particulier d’un seul : la foi d’un individu. Il apparaît donc que le schisme est un péché plus grave que l’infidélité.

3. À un grand mal s’oppose un plus grand bien, selon le Philosophe. Or, le schisme s’oppose à la charité, vertu plus grande que la foi, à laquelle s’oppose l’infidélité, comme nous l’avons montré précédemment. Le schisme est donc un péché plus grave que l’infidélité.

En sens contraire, ce qui existe par addition à une autre chose l’emporte sur elle, soit en bien soit en mal. Or, l’hérésie existe par addition au schisme : elle y ajoute en effet une doctrine pervertie, comme le montre l’autorité de S. Jérôme invoquée plus haut . Le schisme est donc un péché moindre que l’infidélité.

Réponse :

La gravité d’un péché peut être envisagée de deux façons : selon son espèce, ou bien selon les circonstances. Et comme les circonstances sont particulières et peuvent varier à l’infini, quand on se demande, de façon générale, lequel de deux péchés est le plus grave, la question doit s’entendre de la gravité qui dépend du genre du péché. Or le genre ou l’espèce du péché se prend de son objet, nous l’avons montré antérieurement. C’est pourquoi le péché qui s’oppose à un bien plus grand est dans son genre un péché plus grand ; ainsi le péché contre Dieu, par rapport au péché contre le prochain. Or, il est évident que l’infidélité est un péché contre Dieu lui-même, selon qu’il est en lui-même la vérité première, sur laquelle s’appuie la foi. Le schisme au contraire s’oppose à l’unité de l’Église, qui est un bien participé, moindre que ne l’est Dieu lui-même. Il est donc évident que le péché d’infidélité est par son genre plus grave que le péché de schisme, quoiqu’il puisse arriver qu’un schismatique pèche plus gravement qu’un infidèle, soit en raison d’un plus grand mépris, soit parce qu’il présente un péril plus grand, soit pour une autre raison de ce genre.

Solutions :

1. Le peuple hébreu avait déjà l’évidence, par la loi donnée par Dieu, qu’il n’y avait qu’un seul Dieu et qu’il ne fallait pas adorer d’autres dieux ; cela leur avait été confirmé par des prodiges multiples. Il n’était donc pas nécessaire de punir d’une peine inusitée et insolite, mais seulement d’une peine commune, ceux qui péchaient contre cette foi par idolâtrie. Mais ils ne savaient pas aussi certainement que Moïse devait toujours être leur chef. Voilà pourquoi il fallait que les rebelles à son autorité fussent punis d’une peine miraculeuse et inusitée.

On peut dire aussi que le péché de schisme était parfois puni d’une peine plus grave, parce que ce peuple était porté aux séditions et aux schismes. Nous lisons en effet au livre d’Esdras (4, 19) : " Cette cité, depuis les temps anciens, se rebelle contre son roi, et chez elle se produisent des séditions et des guerres. " Or il arrive qu’on punisse d’une plus grande peine un péché plus habituel, nous l’avons vu précédemment ; car les peines sont des remèdes pour éloigner les hommes du péché. C’est pourquoi, là où la propension au péché est plus grande, il faut user de peines plus sévères. Quant aux dix tribus, elles ne furent pas seulement punies en raison de leur schisme, mais aussi en raison de leur idolâtrie, comme il est dit au même endroit.

2. Si le bien de la multitude est plus grand que le bien d’un seul individu membre de cette multitude, ce bien est moindre cependant que le bien extérieur auquel la multitude est ordonnée, comme le bien constitué par l’organisation de l’armée est moindre que le bien du chef. Et semblablement le bien de l’unité de l’Église, auquel s’oppose le schisme, est moindre que le bien de la vérité divine, auquel s’oppose l’infidélité.

3. La charité a deux objets : l’un qui est principal, à savoir la bonté de Dieu ; et l’autre qui est secondaire, à savoir le bien du prochain. Or, le schisme et les autres péchés qui se commettent contre le prochain s’opposent à la charité quant à son bien secondaire, lequel est moindre que l’objet de la foi, qui est Dieu lui-même. C’est pourquoi ces péchés sont moindres que l’infidélité. Mais la haine de Dieu, qui s’oppose à la charité quant à son objet principal, n’est pas moindre que l’infidélité. Parmi les péchés contre le prochain, il semble néanmoins que le schisme soit le plus grand, car il va contre le bien spirituel de la multitude.

 

            Article 3 — Le pouvoir des schismatiques

Objections :

1. Il semble que les schismatiques gardent un certain pouvoir. En effet, S. Augustin nous dit : " De même qu’à leur retour dans l’Église ceux qui étaient baptisés avant de la quitter ne sont pas baptisés de nouveau, de même ceux qui reviennent et qui avaient été ordonnés avant de la quitter ne sont pas ordonnés de nouveau. " Or l’ordre est un pouvoir. Les schismatiques conservent donc un certain pouvoir, puisqu’ils restent ordonnés.

2. Selon S. Augustin : " Celui qui est séparé peut conférer les sacrements, de même qu’il peut les recevoir. " Or, le pouvoir de conférer les sacrements est le plus grand des pouvoirs. Donc les schismatiques, qui sont séparés de l’Église, gardent un pouvoir spirituel.

3. Le pape Urbain II a donné la prescription suivante : " Ceux qui ont été consacrés par des évêques ordonnés selon le rite catholique, mais séparés de l’Église romaine par le schisme et qui reviennent à l’unité de l’Église en gardant leurs ordres respectifs, nous ordonnons de les recevoir avec miséricorde, pourvu qu’ils se recommandent par leur vie et leur loyauté. " Or cela serait impossible s’il ne restait pas un pouvoir spirituel chez les schismatiques. Les schismatiques ont donc un pouvoir spirituel.

En sens contraire, S. Cyprien écrit dans une lettre : " Celui qui n’observe ni l’unité de l’esprit ni la paix de l’union et se sépare du lien de l’Église et du collège sacerdotal, ne peut avoir ni le pouvoir ni les honneurs de l’épiscopat. "

Réponse :

Il y a deux pouvoirs spirituels : le pouvoir sacramentel, et le pouvoir juridictionnel. Le pouvoir sacramentel est celui qui est conféré par une consécration. Toutes les consécrations de l’Église sont immuables, tant que dure la chose consacrée ; on le voit même pour les choses inanimées ; ainsi un autel une fois consacré n’est consacré de nouveau que s’il a été détruit. C’est pourquoi un tel pouvoir, selon son essence, demeure en celui qui l’a reçu par consécration aussi longtemps que celui-ci reste en vie, s’égarerait-il dans le schisme ou l’hérésie. Cela est clair du fait qu’il n’est pas consacré de nouveau s’il revient à l’Église. Mais, parce qu’un pouvoir inférieur ne doit passer à l’acte que sous la motion d’un pouvoir supérieur, comme on le voit même dans les choses de la nature, il en résulte que ces hommes perdent l’usage de leur pouvoir et qu’il ne leur est plus permis d’en user. S’ils en usent cependant, leur pouvoir obtient son effet dans le domaine sacramentel, car en celui-ci l’homme n’agit que comme instrument de Dieu ; aussi les effets sacramentels ne sont-ils pas annulés par n’importe quelle faute chez celui qui confère le sacrement. Quant au pouvoir de juridiction, il est conféré par simple investiture humaine. Ce pouvoir ne demeure pas immuable. Et il ne subsiste pas chez les schismatiques et les hérétiques. C’est pourquoi ils ne peuvent ni absoudre, ni excommunier, ni donner des indulgences, ni faire quelque chose de ce genre ; s’ils le font, rien ne se produit.

Donc, lorsqu’on dit que ces hommes n’ont pas de pouvoir spirituel, il faut l’entendre du second pouvoir ; ou si on l’entend du premier, il ne s’agit pas de l’essence même de ce pouvoir, mais de son usage légitime.

Solutions :

Cela donne la réponse aux Objections.

 

            Article 4 — Le châtiment des schismatiques

Objections :

1. Il semble qu’il ne convienne pas de châtier les schismatiques en les excommuniant. En effet l’excommunication sépare totalement de la communion des sacrements. Or, S. Augustin dit que le baptême peut être reçu d’un schismatique. Il semble donc que l’excommunication ne soit pas la peine qui convient pour les schismatiques.

2. Il appartient aux fidèles du Christ de ramener ceux qui se sont dispersés, aussi lisons-nous ce reproche dans Ézéchiel (34, 4) : " Ce qui était tombé vous ne l’avez pas ramené ; vous n’avez pas cherché la brebis qui s’était perdue. " Or les schismatiques sont ramenés plus normalement par ceux qui communiquent avec eux. Il ne semble donc pas qu’il faille les excommunier.

3. Pour un même péché, on n’inflige pas une double peine, d’après Nahum (1, 9) : " Dieu ne jugera pas deux fois la même chose. " Or, pour le péché de schisme, il en est qui sont punis d’une peine temporelle, d’après la prescription du Décret : " Les lois divines et humaines ont décidé que ceux qui se séparent de l’unité de l’Église et troublent sa paix seront réprimés par le pouvoir séculier. " Il ne faut donc pas les punir par l’excommunication.

En sens contraire, il est écrit au livre des Nombres (16, 26) : " Éloignez-vous des tentes de ces impies ", c’est-à-dire de ceux qui ont fait schisme, " et ne touchez pas ce qui leur appartient, de peur d’être impliqué dans leurs péchés".

Réponse :

Celui qui pèche doit être puni par où il a péché, d’après la Sagesse (11, 16). Or, le schismatique, nous l’avons montré, pèche doublement. D’abord en ce qu’il se sépare de la communion des membres de l’Église, et à cet égard, il convient que les schismatiques soient punis d’excommunication. Ensuite, en ce qu’ils refusent de se soumettre au chef de l’Église. Aussi, puisqu’ils ne veulent pas être contraints par le pouvoir spirituel, il est juste qu’ils le soient par le pouvoir temporel.

Solutions :

1. Il n’est pas permis de recevoir le baptême de la main d’un schismatique, sauf dans une extrême nécessité, car il est préférable de quitter cette vie avec la marque du Christ, quel que soit celui qui la donne, serait-il juif ou païen, que sans cette marque conférée par le baptême.

2. L’excommunication n’interdit pas cette communication qui, par des conseils salutaires ramène à l’unité de l’Église ceux qui en étaient séparés. Au surplus, la séparation elle-même les ramène d’une certaine façon ; parce que bouleversés d’être ainsi séparés, ils sont amenés parfois à la pénitence.

3. Les peines de la vie présente sont médicinales. Et c’est pourquoi, quand une peine ne suffit pas à contraindre un homme, on en ajoute une autre ; de même, les médecins appliquent des remèdes corporels différents, quand un seul n’est pas efficace. Et ainsi l’Église, quand il s’agit d’hommes que l’excommunication ne réprime pas suffisamment, utilise la cœrcition du bras séculier. Mais si une seule peine est suffisante, on ne doit pas en utiliser une autre.

 

 

QUESTION 40 — LA GUERRE

1. Y a-t-il une guerre qui soit licite ? - 2. Est-il permis aux clercs de combattre ? - 3. Est-il permis, à la guerre, d’employer la ruse ? - 4. Est-il permis de guerroyer les jours de fêtes ?

 

            Article 1 — Y a-t-il une guerre qui soit licite ?

Objections :

1. Il semble que faire la guerre soit toujours un péché. Car on n’inflige de châtiment que pour un péché. Or, le Seigneur, en S. Matthieu (26, 52), notifie un châtiment pour ceux qui font la guerre : " Tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée. " La guerre est donc toujours illicite.

2. Tout ce qui est contraire à un précepte divin est péché. Or, faire la guerre est contraire à un précepte divin. Il est dit en S. Matthieu (5, 39) : " Et moi, je vous dis de ne pas tenir tête au méchant ", et dans l’épître aux Romains (12, 19) : " Ne vous faites pas justice vous-mêmes, mes bien-aimés ; laissez agir la colère de Dieu. " C’est donc toujours un péché de faire la guerre.

3. Il n’y a que le péché qui soit contraire à un acte de vertu. Or la guerre est contraire à la paix. La guerre est donc toujours un péché.

4. Tout entraînement en vue d’une activité licite est lui-même licite ; c’est le cas pour les exercices intellectuels. Mais les exercices guerriers comme les tournois sont prohibés par l’Église, et ceux qui meurent dans des exercices de ce genre, privés de la sépulture ecclésiastique. La guerre semble donc être absolument un péché.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Si la morale chrétienne jugeait que la guerre est toujours coupable, lorsque dans l’Évangile, des soldats demandent un conseil pour leur salut, on aurait dû leur répondre de jeter les armes et d’abandonner complètement l’armée. Or, on leur dit (Lc 3, 14) : "Ne brutalisez personne, contentez-vous de votre solde." Leur prescrire de se contenter de leur solde ne leur interdit pas de combattre. "

Réponse :

Pour qu’une guerre soit juste, trois conditions sont requises : 1° L’autorité du prince, sur l’ordre de qui on doit faire la guerre. Il n’est pas du ressort d’une personne privée d’engager une guerre, car elle peut faire valoir son droit au tribunal de son supérieur ; parce qu’aussi le fait de convoquer la multitude, nécessaire pour la guerre, n’appartient pas à une personne privée. Puisque le soin des affaires publiques a été confié aux princes, c’est à eux qu’il appartient de veiller au bien public de la cité, du royaume ou de la province soumis à leur autorité. De même qu’ils le défendent licitement par le glaive contre les perturbateurs du dedans quand ils punissent les malfaiteurs, selon cette parole de l’Apôtre (Rm 13, 4) : " Ce n’est pas en vain qu’il porte le glaive ; il est ministre de Dieu pour faire justice et châtier celui qui fait le mal " ; de même aussi il leur appartient de défendre le bien public par le glaive de la guerre contre les ennemis du dehors. C’est pour cela qu’il est dit aux princes dans le Psaume (82, 4) : " Soutenez le pauvre, et délivrez le malheureux de la main des pécheurs ". et que S. Augustin écrit : " L’ordre naturel, appliqué à la paix des mortels, demande que l’autorité et le conseil pour engager la guerre appartiennent aux princes. "

2° Une cause juste : il est requis que l’on attaque l’ennemi en raison de quelque faute. C’est pour cela que S. Augustin écrit : " On a coutume de définir guerres justes celles qui punissent des injustices quand il y a lieu, par exemple de châtier un peuple ou une cité qui a négligé de punir un tort commis par les siens, ou de restituer ce qui a été enlevé par violence. "

3° Une intention droite chez ceux qui font la guerre : on doit se proposer de promouvoir le bien ou d’éviter le mal. C’est pour cela que S. Augustin écrit : " Chez les vrais adorateurs de Dieu les guerres mêmes sont pacifiques, car elles ne sont pas faites par cupidité ou par cruauté, mais dans un souci de paix, pour réprimer les méchants et secourir les bons. " En effet, même si l’autorité de celui qui déclare la guerre est légitime et sa cause juste, il arrive néanmoins que la guerre soit rendue illicite par le fait d’une intention mauvaise. S. Augustin écrit en effet : " Le désir de nuire, la cruauté dans la vengeance, la violence et l’inflexibilité de l’esprit, la sauvagerie dans le combat, la passion de dominer et autres choses semblables, voilà ce qui dans les guerres est jugé coupable par le droit. "

Solutions :

1. D’après S. Augustin : " Celui-là prend l’épée qui, sans autorité supérieure ou légitime qui le commande ou le permette, s’arme pour verser le sang. " Mais celui qui, par l’autorité du prince ou du juge s’il est une personne privée, ou s’il est une personne publique par zèle de la justice, et comme par l’autorité de Dieu, se sert de l’épée, celui-là ne prend pas lui-même l’épée, mais se sert de l’épée qu’un autre lui a confiée. Il n’encourt donc pas de châtiment. Cependant, ceux qui se servent de l’épée en commettant un péché ne tombent pas toujours sous l’épée. Mais ils périssent toujours par leur propre épée ; car ils sont éternellement punis pour avoir péché par l’épée, sauf s’ils se repentent.

2. Ces sortes de préceptes, selon S. Augustin, doivent toujours être observés à titre de disposition intérieure, c’est-à-dire qu’on doit toujours être prêt à ne pas résister ou à ne pas se défendre alors qu’il le faudrait. Mais parfois il faut agir autrement, pour le bien commun, et même pour le bien de ceux que l’on combat. C’est pour cela que S. Augustin écrit : " Il faut agir fortement même avec ceux qui s’y refusent, afin de les plier par une certaine dureté bienveillante. Car celui que l’on prive du pouvoir de mai faire subit une défaite profitable. Rien n’est plus malheureux, en effet, que l’heureux succès des pécheurs, car l’impunité qui est leur peine s’en trouve nourrie, et leur mauvaise volonté, qui est leur ennemi intérieur, s’en trouve fortifiée ".

3. Ceux qui font des guerres justes recherchent la paix. Et par suite, ils ne s’opposent pas à la paix, sinon à la paix mauvaise que le Seigneur " n’est pas venu apporter sur la terre ", selon S. Matthieu (10, 34). C’est pour cela que S. Augustin écrit : " On ne cherche pas la paix pour faire la guerre, mais on fait la guerre pour obtenir la paix. Sois donc pacifique en combattant, afin de conduire ceux que tu connais au bienfait de la paix, en remportant sur eux la victoire. "

4. Les exercices guerriers ne sont pas universellement prohibés. Ce qui est défendu, ce sont seulement les exercices désordonnés et dangereux qui donnent lieu à des meurtres et à des pillages. Chez les anciens, on pratiquait des exercices ordonnés à la guerre qui n’avaient aucun de ces dangers. Aussi les appelait-on des " préparations d’armes " ou des " guerres non sanglantes ", comme on le voit par S. Jérôme, dans une de ses lettres.

 

            Article 2 — Est-il permis aux clercs de combattre ?

Objections :

1. Il semble qu’il soit permis aux clercs et aux évêques de combattre. En effet les guerres sont licites et justes, nous venons de le voir, dans la mesure où elles protègent les pauvres et tout l’État contre les violences des ennemis. Or, cela semble être surtout le rôle des prélats, S. Grégoire dit en effet dans une homélie : " Le loup se jette sur les brebis, chaque fois qu’un ravisseur injuste opprime les fidèles et les humbles ; celui qui semblait être le pasteur et qui ne l’était pas, abandonne les brebis et s’enfuit ; car, tandis qu’il craint le danger pour lui-même, il n’ose pas résister à l’injustice. " Il est donc permis aux prélats et aux clercs de combattre.

2. Le pape Léon IV écrit dans le Décret " Comme on recevait souvent de mauvaises nouvelles du pays des Sarrasins, certains disaient que les Sarrasins allaient se glisser furtivement dans le port des Romains. Aussi avons-nous commandé que notre peuple se rassemble et descende jusqu’au rivage. " Il est donc permis aux évêques d’aller à la guerre.

3. Cela revient au même, que l’homme fasse quelque chose ou qu’il consente à ce qu’un autre le fasse, selon l’épître aux Romains (1, 32) : " Ils méritent la mort, non seulement ceux qui agissent ainsi, mais encore ceux qui les approuvent. " Or, on approuve surtout en poussant les autres à agir, comme il est permis aux évêques et aux clercs de pousser les autres à la guerre, puisqu’il est dit dans le Décret qu’" à la demande d’Hadrien, évêque de Rome qui l’y poussait par ses prières, Charlemagne entreprit la guerre contre les Lombards ". Donc il leur est permis aussi de combattre.

4. Ce qui est en soi honnête et méritoire n’est pas défendu aux prélats et aux clercs. Or, faire la guerre est parfois honnête et méritoire, comme en témoigne ce texte du Décret : " Si quelqu’un meurt pour la vérité de la foi, le salut de la patrie et la défense des chrétiens, il recevra de Dieu la récompense céleste. " Il est donc permis aux évêques et aux clercs de faire la guerre.

En sens contraire, à Pierre, représentant les évêques et les clercs, il est dit en S. Matthieu (26, 52) : " Remets ton épée au fourreau. " Il ne leur est donc pas permis de combattre.

Réponse :

Quantité de choses sont nécessaires au bien de la société humaine. Or, des fonctions diverses sont mieux et plus facilement exercées par des individus différents que par un seul, comme le montre Aristote. Et il est même des fonctions tellement opposées l’une à l’autre qu’elles ne peuvent être bien exercées simultanément. C’est pour cela qu’on interdit à ceux qui sont chargés de fonctions supérieures d’exercer des fonctions inférieures. Ainsi les lois humaines interdisent le commerce aux militaires, chargés de conduire la guerre. Or, la conduite de la guerre est tout à fait incompatible avec les fonctions exercées par les évêques et les clercs, pour deux raisons.

D’abord, pour une raison d’ordre général. Parce que la conduite de la guerre comporte les plus grands soucis ; aussi détournent-ils fortement l’esprit de vaquer à la contemplation des choses divines, à la louange de Dieu et à la prière pour le peuple, toutes choses qui appartiennent à la fonction des clercs. C’est pourquoi, de même que le commerce est interdit aux clercs parce qu’il absorbe trop l’esprit, de même aussi la conduite de la guerre, selon S. Paul (2 Tm 2, 4) : " Celui qui appartient à la milice de Dieu ne s’encombre pas des affaires du siècle. "

Ensuite, pour une raison plus particulière. Parce que les ordres des clercs sont tous ordonnés au service de l’autel, dans lequel, sous le signe du sacrement, est représentée la passion du Christ, selon cette parole de l’Apôtre (1 Co 11, 26) : " Chaque fois que vous manger ce pain et buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. " Il ne convient donc pas aux clercs de tuer ou de répandre le sang, mais plutôt d’être prêts à verser leur propre sang pour le Christ, afin d’imiter par leur vie ce qu’ils accomplissent par leur ministère. C’est pour cela que le droit frappe d’irrégularité ceux qui répandent le sang, même sans péché de leur part. Or, jamais, à quelqu’un qui est député à une fonction on ne permet ce qui le rend impropre à cette fonction. Aussi n’est-il absolument pas permis aux clercs de faire la guerre, qui conduit à répandre le sang.

Solutions :

1. Les prélats doivent résister, non seulement aux loups qui, spirituellement tuent le troupeau, mais encore aux ravisseurs et aux tyrans qui le maltraitent corporellement. Non pas toutefois en usant personnellement d’armes matérielles, mais d’armes spirituelles selon cette parole de l’Apôtre (2 Co 10, 4) : " Les armes de notre combat ne sont pas charnelles, mais spirituelles. " Entendons par là les avis salutaires, les prières ferventes et, contre les obstinés, les sentences d’excommunication.

2. Les prélats et les clercs, sur l’ordre de leurs supérieurs, peuvent participer à la guerre, non sans doute pour combattre eux-mêmes de leurs propres mains, mais pour soutenir spirituellement ceux qui combattent selon le droit, par leurs exhortations, leurs absolutions, et autres secours spirituels de ce genre, de même que, dans l’ancienne loi, on ordonnait aux prêtres de sonner des trompettes sacrées pour le combat (Jos 6, 4). C’est d’abord pour cela que l’on a concédé aux évêques et aux clercs de partir à la guerre. Mais que certains combattent de leurs propres mains, c’est un abus.

3. Nous avons vu antérieurement que toutes les puissances, arts ou vertus ordonnés à la fin, sont chargés d’organiser les moyens qui s’y rapportent. Or, les guerres charnelles, dans le peuple des croyants, doivent être référées, comme à leur fin, au bien spirituel divin, dont les clercs sont chargés. C’est pourquoi il appartient aux clercs de préparer et d’encourager les autres à faire de justes guerres. En effet, il leur est interdit de combattre non parce que ce serait un péché, mais parce qu’un tel exercice ne convient pas à leur rôle 5.

4. Bien qu’il soit méritoire de faire une guerre juste, cela devient illicite pour les clercs, parce qu’ils sont destinés à des activités plus méritoires. C’est ainsi que l’acte conjugal peut être méritoire et cependant il devient condamnable pour ceux qui ont fait vœu de virginité, ce qui les oblige à un bien plus grand.

 

            Article 3 — Est-il permis, à la guerre, d’employer la ruse ?

Objections :

1. Il semble que ce ne soit pas licite, car on lit au Deutéronome (16, 20) : " Accomplis avec justice ce qui est juste. " Or, les ruses puisque ce sont des tromperies, semblent relever de l’injustice. Il ne faut donc pas employer la ruse, même dans les guerres justes.

2. Les pièges et les tromperies semblent s’opposer à la loyauté, comme les mensonges. Parce que nous devons être de bonne foi envers tous, il ne faut mentir à personne, comme l’a montré S. Augustin. Puisque d’après lui, " on doit rester loyal envers son ennemi ", il semble qu’il ne faille pas employer la ruse contre l’adversaire.

3. Il est dit en S. Matthieu (7, 12) : " Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux ", et cela doit s’observer à l’égard du prochain quel qu’il soit. Or, les ennemis sont notre prochain. C’est pourquoi, comme personne ne veut qu’on use envers lui de ruses ou de tromperies, il semble que nul ne doit faire la guerre en employant la ruse.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Lorsqu’une guerre juste est entreprise, que l’on combatte ouvertement ou avec ruse, cela n’importe en rien à la justice. " Et il le prouve en invoquant l’autorité du Seigneur qui commande à Josué de dresser une embuscade contre les habitants de la ville d’Aï (Jos 8, 2).

Réponse :

Les ruses sont destinées à tromper l’ennemi. Or, il y a deux manières pour quelqu’un d’être trompé par les actions ou les paroles d’un autre. Ou bien, parce qu’on lui dit une chose fausse ou qu’on ne tient pas une promesse. Et cela est toujours illicite. Personne ne doit tromper l’ennemi de cette façon ; il y a en effet des droits de la guerre et des conventions qui doivent être observées, même entre ennemis, dit S. Ambroise.

Ou bien quelqu’un peut se tromper sur nos paroles ou nos actes parce que nous ne lui découvrons pas notre but ou notre pensée. Or, nous ne sommes pas toujours tenus de le faire car, même dans l’enseignement de la foi, il y a beaucoup de choses qu’il faut cacher, surtout aux infidèles, de peur qu’ils ne s’en moquent, selon S. Matthieu (7, 6) : " Ne jetez pas aux chiens les choses saintes. " A plus forte raison devons-nous cacher ce que nous préparons pour combattre les ennemis. C’est pourquoi, entre autres instructions militaires, celle-ci se place au premier rang : cacher ses plans, pour qu’ils ne parviennent pas à l’ennemi, comme on le voit dans le livre Des Stratagèmes, de Frontin. Cette dissimulation fait partie des ruses dont il est permis d’user dans les guerres justes. Et les ruses de ce genre ne sont pas appelées à proprement parler des tromperies ; elles ne s’opposent pas à la justice, ni à une volonté bien ordonnée. On ferait preuve en effet d’une volonté désordonnée si l’on voulait que rien ne nous fût caché par les autres.

Solutions :

Et cela répond aux Objections.

 

            Article 4 — Est-il permis de guerroyer les jours de fêtes ?

Objections :

1. Il semble que non, car les fêtes sont instituées pour que nous vaquions aux choses divines. C’est pourquoi elles se trouvent comprises dans l’observance du sabbat, prescrite au livre de l’Exode (20, 8) (" sabbat ", en effet, signifie repos). Or, les guerres comportent une grande agitation. En aucune manière, il ne faut donc combattre les jours de fête.

2. Au livre d’Isaïe (58, 3), certains sont blâmés parce que, durant les jours de jeûne, " ils réclament ce qui leur est dû et engagent des querelles en frappant du poing ". A plus forte raison est-il défendu de faire la guerre les jours de fête.

3. On ne doit jamais faire quelque chose de contraire à l’ordre pour éviter un dommage temporel. Or, faire la guerre les jours de fête paraît être de soi quelque chose de contraire à l’ordre. Donc, on ne doit jamais faire la guerre les jours de fête, serait-ce pour éviter un dommage temporel inéluctable.

En sens contraire, d’après le premier livre des Maccabées (2, 41), " les Juifs prirent une sage résolution en disant : "Quiconque viendra nous faire la guerre un jour de sabbat, nous combattrons contre lui." "

Réponse :

L’observance des fêtes n’empêche pas de faire ce qui est ordonné au salut, même corporel, de l’homme. C’est pourquoi le Seigneur reprend les juifs en disant en S. Jean (7, 23) : " Vous vous irritez contre moi parce que j’ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat. " De là vient que les médecins ont le droit de soigner les malades un jour de fête. A bien plus forte raison, plutôt qu’au salut corporel d’un seul, faut-il veiller au salut public, qui empêche la mort de beaucoup et des maux innombrables, temporels et spirituels. C’est pourquoi, pour la défense du bien public des fidèles, il est permis de faire des guerres justes les jours de fête, pourvu toutefois que la nécessité le demande. Ce serait en effet tenter Dieu que de vouloir s’abstenir de faire la guerre en présence d’une telle nécessité. Mais, en l’absence de nécessité, il n’est pas permis de faire la guerre les jours de fête, pour les raisons qui ont été données.

Solutions :

Cela donne la réponse aux Objections.

 

 

QUESTION 41 — LA RIXE

1. Est-elle un péché ? - 2. Est-elle fille de la colère ?

 

            Article 1 — La rixe est-elle un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. La rixe paraît être, en effet, une certaine dispute. Car S. Isidore a dit que " le mot "rixe" vient du "rictus" du chien. Car celui qui aime les rixes est toujours prêt à contredire, il trouve son plaisir dans la querelle, et cherche la dispute ". Or, la dispute n’est pas toujours un péché. La rixe non plus par conséquent.

2. On peut lire dans la Genèse (26, 21), que les serviteurs d’Isaac " creusèrent un autre puits, et qu’à son sujet il se produisit des rixes ". Or, on ne peut pas croire que les serviteurs d’Isaac se seraient livrés à des rixes en public sans qu’il s’y fût opposé, si cela avait été un péché. La rixe n’est donc pas un péché.

3. La rixe paraît être une espèce de guerre privée. Or, la guerre n’est pas toujours un péché. La rixe n’est donc pas toujours un péché.

En sens contraire, dans l’épître aux Galates (5, 20), les rixes sont placées parmi les œuvres de la chair, et " ceux qui commettent ces œuvres n’obtiendront pas le royaume de Dieu ". Donc, les rixes non seulement sont des péchés, mais encore sont des péchés mortels.

Réponse :

De même que la dispute implique une certaine opposition en paroles, de même la rixe implique une certaine opposition en acte. C’est pourquoi, à propos du texte des Galates, la Glose dit que les rixes ont lieu " quand, sous l’empire de la colère, on se frappe mutuellement ". Il apparaît donc que la rixe est comme une sorte de guerre privée, qui a lieu entre personnes privées, non en vertu de quelque autorité publique, mais plutôt en vertu d’une volonté déréglée. Et c’est pourquoi la rixe implique toujours un péché. En celui qui attaque un autre injustement, elle est péché mortel ; car nuire au prochain en portant les mains sur lui ne va pas sans péché mortel. Mais en celui qui se défend, elle peut être sans péché, parfois avec péché véniel, et parfois avec péché mortel. Cela dépend de la diversité des sentiments qui animent celui qui se défend, et de la manière dont il se défend. Car s’il se défend dans le seul esprit de repousser l’attaque injuste et avec la modération requise, il n’y a pas de péché, et l’on ne peut lui attribuer proprement la rixe. Mais s’il se défend dans un esprit de vengeance ou de haine, ou en dépassant la modération requise, il y a toujours péché. Péché véniel quand s’y mêle un léger mouvement de haine ou de vengeance, ou quand il n’y a qu’un léger excès dans la défense ; péché mortel quand il se précipite sur celui qui l’attaque dans le dessein arrêté de le tuer ou de le blesser gravement.

Solutions :

1. Par rixe on ne désigne pas seulement la dispute. Il y a trois choses dans la citation de S. Isidore qui marquent bien le désordre de la rixe : d’abord la promptitude de l’esprit à contredire, indiquée par ces mots : " toujours prêt à contredire ", quoi que l’autre ait dit ou fait, en bien ou en mal. Ensuite, le plaisir que l’on trouve à contredire : " il trouve son plaisir dans la querelle ". Enfin, la provocation à ces sortes d’actes : " il cherche la dispute ".

2. Il faut entendre ce passage non en ce sens que les serviteurs d’Isaac se prirent de querelle, mais en ce sens que les habitants du pays leur cherchèrent querelle. Ce sont donc ces derniers qui commirent un péché, non les serviteurs d’Isaac qui étaient faussement accusés.

3. Pour qu’une guerre soit juste, il est requis qu’elle soit engagée par l’autorité du pouvoir public, nous l’avons vu plus haute. Or, la rixe se produit par un mouvement privé de colère ou de haine. Si le ministre du prince ou du juge investi d’un pouvoir public s’attaquent à des gens qui se défendent, il n’y a pas rixe du côté de ceux qui attaquent, mais du côté de ceux qui résistent au pouvoir public. Ainsi, ceux qui attaquent ne commettent pas de rixe et ne pèchent pas, mais ceux qui se défendent contrairement à l’ordre.

 

            Article 2 — La rixe est-elle fille de la colère ?

Objections :

1. Apparemment non. Car il est écrit en S. Jacques (4, 1) : " D’où viennent les guerres et les litiges parmi vous ? N’est-ce pas de vos passions charnelles qui combattent dans vos membres ? " Or, la colère n’appartient pas au concupiscible. La rixe n’est donc pas fille de la colère, mais plutôt de la concupiscence.

2. Il est dit au livre des Proverbes (28, 25 Vg) " L’homme vantard et prétentieux excite la querelle. " Or, il semble que la rixe soit la même chose que la querelle. La rixe est donc fille de l’orgueil et de la vaine gloire, à qui se rattachent la vantardise et la prétention.

3. Encore dans les Proverbes (18, 6) : " Les lèvres du sot se mêlent aux rixes. " Or, la sottise diffère de la colère, car elle ne s’oppose pas à la douceur, mais plutôt à la sagesse et à la prudence. Donc la rixe n’est pas fille de la colère.

4. Encore dans les Proverbes (10, 12) : " La haine suscite les rixes. " Or, " la haine naît de l’envie ", dit S. Grégoire. Donc la dispute n’est pas fille de la colère, mais de l’envie.

5. Toujours dans les Proverbes (17, 19) : " Celui qui médite la discorde provoque des rixes. " Mais la discorde est fille de la vaine gloire, nous l’avons vu plus haut. Donc aussi la rixe.

En sens contraire, S. Grégoire dit que " de la colère naît la rixe ". De même les Proverbes (15, 18 et 29, 22) : " L’homme coléreux provoque les rixes. "

Réponse :

La rixe, nous venons de le dire, implique une certaine opposition allant jusqu’aux voies de fait, puisqu’un homme cherche à en blesser un autre. Mais un homme peut chercher à blesser de deux façons. Ou bien il cherche purement et simplement le mal de l’autre. Cela relève de la haine, dont l’intention est de blesser l’ennemi, ouvertement ou secrètement. Ou bien il cherche à blesser l’autre, celui-ci le sachant et s’y opposant. C’est là ce qu’implique le mot de rixe. Et cela appartient proprement à la colère, qui est appétit de vengeance. Il ne suffit pas en effet à celui qui est en colère de nuire secrètement à celui contre lequel il s’irrite, il veut encore que celui-ci le sente, et qu’il souffre contre sa volonté, en représailles de ce qu’il a fait. Tout cela, nous l’avons vu plus haut lorsqu’il s’est agi de la passion de la colère. C’est pourquoi la rixe naît proprement de la colère.

Solutions :

1. Toutes les passions de l’irascible naissent des passions du concupiscible, nous l’avons vu. Par le fait, ce qui naît de la colère d’une manière prochaine vient aussi de la concupiscence comme d’une première racine.

2. La vantardise et la prétention, manifestations d’orgueil ou de vaine gloire, ne provoquent pas directement la querelle ou la rixe, mais occasionnellement, pour autant que la colère en résulte, lorsque quelqu’un tient pour une injure personnelle qu’un autre se préfère à lui. Ainsi les querelles et les rixes viennent-elles de la colère.

3. La colère, nous l’avons vu, empêche le jugement de la raison. De là vient queue a une ressemblance avec la sottise. Il s’ensuit qu’elles ont un effet commun. Par défaut de la raison il arrive en effet que quelqu’un cherche à en blesser un autre de façon désordonnée.

4. La rixe, même si elle naît parfois de la haine, n’est pourtant pas l’effet propre de la haine. Car il n’est pas dans l’intention de celui qui hait de blesser son ennemi au cours d’une rixe et d’une manière ouverte. Parfois il cherche à blesser secrètement ; mais, quand il se voit sur le point d’avoir le dessus, il cherche à le blesser au cours d’une rixe ou d’une querelle. Par contre, c’est l’effet propre de la colère de blesser quelqu’un dans une rixe, pour la raison qu’on vient de dire.

5. Les rixes introduisent la haine ou le désaccord dans le cœur de ceux qui s’y livrent. C’est pourquoi celui qui médite, c’est-à-dire qui se propose, de semer la discorde chez les autres, s’arrange pour qu’ils en viennent à se quereller ; c’est ainsi du reste que chaque péché peut commander l’acte d’un autre péché, en l’ordonnant à sa fin. Mais il ne suit pas de cela que la rixe soit proprement et directement fille de la vaine gloire.

 

QUESTION 42 — LA SÉDITION

1. Est-elle un péché spécial ? - 2. Est-elle un péché mortel ?

 

            Article 1 — La sédition est-elle un péché spécial ?

Objections :

1. Apparemment non. En effet, d’après S. Isidore, " le séditieux est celui qui jette la dissension parmi les esprits et provoque des discordes ". Or, celui qui fait commettre un péché ne commet pas un péché différent de celui qu’il suscite. Il semble donc que la sédition ne soit pas un péché spécial, distinct de la discorde.

2. La sédition implique une division. Or, le mot même de schisme se prend de la scission, nous l’avons vu plus haut. Le péché de sédition ne semble donc pas distinct du péché de schisme.

3. Tout péché spécial, distinct des autres, ou bien est un vice capital, ou bien découle d’un vice capital. Or, la sédition n’est pas comptée parmi les vices capitaux, ni non plus parmi les vices qui proviennent des vices capitaux, comme on le voit dans Les Morales de S. Grégoire où ces deux catégories de vices sont énumérées. Donc la sédition n’est pas un vice spécial, distinct des autres.

En sens contraire, dans la 2e épître aux Corinthiens (12, 20), les séditions sont distinguées des autres péchés.

Réponse :

La sédition est un péché spécial qui, par un côté coïncide avec la guerre et la rixe, et, par un autre côté, en diffère. Elle coïncide avec elles en ce qu’elle implique une certaine contradiction. Mais elle en diffère sur deux points. D’abord, parce que la guerre et la rixe impliquent une attaque réciproque, en acte. Or, on peut appeler sédition soit une attaque de ce genre, en acte, soit sa préparation. C’est pourquoi la Glose, à propos du texte des Corinthiens, dit que les séditions sont " des soulèvements en vue du combat ", ce qui a lieu quand les hommes se préparent au combat et le recherchent. La seconde différence, c’est que la guerre se fait à proprement parler contre les ennemis du dehors, comme une lutte de peuple à peuple. La rixe, elle, se fait d’un particulier à un autre particulier, ou d’un petit groupe à un autre. La sédition, au contraire, se produit à proprement parler entre les parties d’un même peuple qui ne s’entendent plus ; lorsqu’une partie de la cité, par exemple, se soulève contre une autre. Voilà pourquoi la sédition, parce qu’elle s’oppose à un bien spécial, à savoir l’unité et la paix de la multitude, est un péché spécial.

Solutions :

1. On appelle séditieux celui qui excite la sédition. Et parce que la sédition implique une certaine discorde, le séditieux est celui qui cause non pas une discorde quelconque, mais celle qui divise les parties d’un même peuple. D’autre part, le péché de sédition n’est pas seulement en celui qui sème la discorde, mais aussi en tous ceux qui, d’une manière désordonnée, sont divisés entre eux.

2. La sédition diffère du schisme en deux points. D’abord parce que le schisme s’oppose à l’unité spirituelle de la multitude, qui est l’unité de l’Église, alors que la sédition s’oppose à l’unité temporelle ou séculière du peuple, par exemple de la cité ou du royaume. En outre, parce que le schisme ne comporte pas de préparation à une lutte corporelle et n’implique qu’un désaccord spirituel, alors que la sédition implique la préparation à une lutte corporelle.

3. La sédition, comme le schisme, est contenue dans la discorde. Tous deux sont une certaine discorde, non des particuliers entre eux, mais entre une partie du peuple et une autre partie.

 

            Article 2 — La sédition est-elle un péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, la sédition implique " un soulèvement en vue du combat ", comme nous le montrait la Glose citée plus haut. Or, le combat n’est pas toujours péché mortel. Il est parfois permis et juste, nous l’avons vu précédemment. A plus forte raison, par conséquent, la sédition peut-elle exister sans péché mortel.

2. La sédition est une certaine discorde, on l’a vu. Or, la discorde peut exister sans péché mortel, et parfois même sans aucun péché. Donc la sédition également.

3. On félicite ceux qui délivrent le peuple d’un pouvoir tyrannique. Or, cela ne peut guère se faire sans quelque dissension au sein du peuple, alors qu’une partie s’efforce de garder le tyran, et que l’autre s’efforce de le renverser. La sédition peut donc exister sans péché.

En sens contraire, l’Apôtre (2 Co 12, 20) interdit les séditions ; et les place parmi d’autres péchés mortels. La sédition est donc un péché mortel.

Réponse :

Nous venons de le voir, la sédition s’oppose à l’unité de la multitude, c’est-à-dire à l’unité du peuple, de la cité ou du royaume. Or, S. Augustin dit que le peuple, selon le témoignage des sages, désigne " non point l’ensemble de la multitude, mais le groupement qui se fait par l’acceptation des mêmes lois et la communion aux mêmes intérêts ". Il est donc manifeste que l’unité à laquelle s’oppose la sédition est l’unité des lois et des intérêts. La sédition s’oppose ainsi à la justice et au bien commun. C’est pourquoi elle est, de sa nature, péché mortel, et d’autant plus grave que le bien commun auquel s’attaque la sédition est plus grand que le bien privé auquel s’attaquait la rixe.

Toutefois, le péché de sédition appartient d’abord et à titre de principe à ceux qui excitent la sédition. Ceux-là pèchent très gravement. Secondairement, à ceux qui les suivent, et qui troublent le bien commun. Quant à ceux qui défendent le bien commun en leur résistant, ils ne doivent pas être appelés séditieux ; pas plus que ceux qui se défendent ne sont coupables de rixes, nous l’avons dit.

Solutions :

1. Le combat qui est permis se fait pour l’utilité commune, nous l’avons vu plus haut. La sédition, au contraire, se fait contre le bien commun du peuple. C’est pourquoi elle est toujours un péché mortel.

2. La discorde au sujet de ce qui n’est pas manifestement un bien peut exister sans péché. Mais la discorde au sujet de ce qui est manifestement un bien ne le peut pas. La sédition est une discorde de cette espèce, puisqu’elle s’oppose à l’utilité du peuple, qui est manifestement un bien.

3. Le régime tyrannique n’est pas juste parce qu’il n’est pas ordonné au bien commun, mais au bien privé de celui qui détient le pouvoir, comme le montre Aristote. C’est pourquoi le renversement de ce régime n’est pas une sédition ; si ce n’est peut-être dans le cas où le régime tyrannique serait renversé d’une manière si désordonnée que le peuple qui lui est soumis éprouverait un plus grand dommage du trouble qui s’ensuivrait que du régime tyrannique. C’est davantage le tyran qui est séditieux, lui qui nourrit dans le peuple les discordes et les séditions, afin de pouvoir le dominer plus sûrement. C’est de la tyrannie, puisque c’est ordonné au bien propre du chef, en nuisant au peuple.

 

 

QUESTION 43 — LE SCANDALE

Il nous reste maintenant à étudier les vices qui s’opposent à la bienfaisance. Parmi eux, il en est qui regardent la justice : ceux qui causent un tort injuste au prochain ; mais c’est à la charité que le scandale semble s’opposer tout spécialement. C’est pourquoi nous l’étudions ici.

1. Qu’est-ce que le scandale ? - 2. Est-il un péché ? - 3. Est-il un péché spécial ? - 4. Est-il un péché mortel ? - 5. Les parfaits peuvent-ils être scandalisés ? - 6. Peuvent-ils causer du scandale ? - 7. Doit-on renoncer aux biens spirituels pour éviter le scandale ? - 8. Doit-on renoncer aux biens temporels pour éviter le scandale ?

 

            Article 1 — Qu’est-ce que le scandale ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse approuver sa définitions comme " une parole ou un acte peu régulier offrant une occasion de chute ". Car le scandale est un péché, nous le verrons bientôt. Mais d’après S. Augustin, le péché " est une parole, une action ou un désir contre la loi de Dieu ". La définition précédente paraît donc incomplète, puisqu’elle omet la pensée ou le désir.

2. Puisque, parmi les actes vertueux ou réguliers, l’un est plus vertueux ou plus droit qu’un autre, il semble que seul ne sera pas moins droit ce qui l’est au-dessus de tous. Si donc le scandale est une parole ou une action moins droite, il s’ensuit que tout acte vertueux à l’exception du plus excellent serait un scandale.

3. On appelle occasion une cause par accident. Or ce qui est par accident ne doit pas figurer dans la définition, car cela ne donne pas le caractère spécifique. On ne doit pas mettre l’occasion dans la définition du scandale.

4. En tout ce que fait un autre, quelqu’un peut trouver une occasion de chute, parce que les causes par accident sont indéterminées. Si donc le scandale est ce qui fournit à autrui une occasion de tomber, n’importe quelle action ou parole pourra être un scandale. Ce qui paraît inacceptable.

5. On donne à autrui occasion de chute quand on le heurte ou l’affaiblit. Or, le scandale se distingue de ces deux fautes. L’Apôtre dit en effet (Rm 14, 21) : " Ce qui est bien, c’est s’abstenir de viande et de vin, et de tout ce qui pourrait heurter, scandaliser ou affaiblir ton frère. " Donc cette définition du scandale est impropre.

En sens contraire, S. Jérôme expliquant cette phrase de S. Matthieu (15, 2) : " Sais-tu qu’en entendant cette parole, les pharisiens... ", dit : " Quand nous lisons : "quiconque aura scandalisé", nous comprenons : celui qui, par ses paroles ou ses actes, aura fourni une occasion de chute. "

Réponse :

d’après S. Jérôme, " nous pouvons traduire le grec scandalon par faux pas, chute ou heurt du pied ". Il arrive parfois en effet qu’un obstacle se présente sur le chemin et qu’en le heurtant on s’expose à tomber. Cet obstacle est appelé scandale. Pareillement il arrive qu’au cours de l’itinéraire spirituel, les paroles et les actions d’autrui exposent à la chute spirituelle dans la mesure où cet autre, par ses conseils, ses suggestions ou son exemple, entraîne au péché.

C’est proprement cela qu’on appelle scandale. Or, il n’est rien qui, en raison de sa nature propre, expose à la chute spirituelle, sinon pour un défaut de rectitude. Ce qui est parfaitement droit, en effet, préserve de la chute plutôt qu’il n’y conduit. Voilà pourquoi cette définition du scandale est bonne : " Une parole ou un acte peu régulier offrant une occasion de chute. "

Solutions :

1. La pensée ou la convoitise du mal se cache au fond du cœur et ne peut par conséquent offrir à autrui un obstacle amenant la chute. C’est pourquoi cela ne peut entrer dans la définition du scandale.

2. L’expression " peu régulier " ne s’applique pas ici à ce qui se trouve dépassé en rectitude par un autre. Elle signifie un manque de rectitude, soit parce que cela est mauvais en soi comme le péché ; soit parce que cela offre une apparence de mal, comme de " s’attabler dans un temple d’idoles " (1 Co 8, 10). Ce n’est pas en soi un péché, lorsqu’on le fait sans mauvaise intention, et cependant, comme il y a là une apparence de vénération pour les idoles, cela peut fournir à autrui une occasion de chute. On comprend dès lors la recommandation de l’Apôtre (1 Th 5, 22) : " Gardez-vous de toute apparence de mal. " Il est donc correct de dire " peu régulier ", expression qui permet d’entendre aussi bien ce qui est péché en soi-même, que ce qui a une apparence de mal.

3. Nous avons vu que rien ne pouvait être pour l’homme une cause suffisante de péché, donc de chute spirituelle, sinon sa propre volonté. C’est pourquoi les paroles, les actes ou les désirs d’un autre ne peuvent être qu’une cause imparfaite de péché, conduisant plus ou moins à la chute. Pour cette raison, on ne dit pas " qui offre une cause de chute " mais " qui offre une occasion ", ce qui signale une cause imparfaite, et non pas toujours une cause par accident. Rien n’empêche d’ailleurs de mentionner dans certaines définitions ce qui est accidentel, car ce qui est accidentel pour quelqu’un peut convenir essentiellement à un autre. C’est ainsi que dans la définition du hasard, selon le Philosophe figure la cause par accident.

4. Les paroles et les actions de quelqu’un peuvent être pour un autre une cause de péché de deux façons : de soi, ou par accident. De soi, lorsque quelqu’un, par ses paroles ou ses actions mauvaises, vise à entraîner un autre au péché ; ou bien, même si telle n’est pas son intention, lorsque ce qu’il fait est cependant de nature à entraîner au péché, lorsque par exemple il commet ostensiblement un péché ou ce qui ressemble à un péché. Celui qui fait une action de ce genre fournit proprement une occasion de chute. C’est pourquoi il s’agit dans ce cas d’un scandale actif.

Mais par accident, les paroles ou les actions de quelqu’un peuvent être pour un autre cause de péché, lorsque, même en dehors de l’intention de celui qui agit, et en dehors des circonstances de son action, elles amènent cet autre à pécher parce qu’il se trouve dans de mauvaises dispositions, par exemple s’il est envieux des biens d’autrui. Celui qui agit ainsi, et dont l’action est droite, ne fournit pas d’occasion de péché autant qu’il dépend lui ; c’est l’autre qui en prend occasion, comme l’indique l’épître aux Romains (7, 8) : " Ayant pris occasion, etc. " Aussi doit-on parler ici de scandale passif, et non de scandale actif ; car celui qui agit avec droiture ne donne pas, pour ce qui lui, occasion à la chute subie par l’autre.

Il arrive donc parfois qu’il y ait en même temps scandale actif chez l’un et scandale passif chez l’autre, lorsque par exemple cet autre pèche à l’instigation du premier. Parfois il y a scandale actif, mais non scandale passif, lorsque par exemple quelqu’un, par ses paroles et ses actions, pousse un autre à pécher, mais que celui-ci n’y consent pas. Enfin, il y a parfois scandale passif sans qu’il y ait scandale actif, on l’a déjà dit.

5. La faiblesse désigne ici la facilité à se scandaliser ; le heurt désigne l’indignation éprouvée par quelqu’un contre celui qui pèche, laquelle peut exister parfois sans chute de sa part ; quant au scandale, il implique le choc qui amène la chute.

 

            Article 2 — Le scandale est-il un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, les péchés n’arrivent pas de façon nécessaire parce que tout péché est volontaire, nous l’avons vu précédemment. Or nous lisons en S. Matthieu (18, 7) : " Il est nécessaire que les scandales arrivent. " Donc le scandale n’est pas un péché.

2. Il n’est pas de péché procédant d’un sentiment affectueux, car " un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits " (Mt 7, 18). Or, le scandale procède parfois d’un tel sentiment, comme on le voit en S. Matthieu (16, 23), lorsque le Seigneur dit à Pierre : " Tu es pour moi un scandale. " Pour S. Jérôme en effet, " l’erreur de l’Apôtres procédant d’un sentiment affectueux, ne provenait nullement d’une inspiration du démon ". Le scandale n’est donc pas toujours un péché.

3. Le scandale implique que l’on reçoive un certain choc. Or, tous ceux qui trébuchent ainsi ne tombent pas. Le scandale, qui est une chute d’ordre spirituel, peut donc exister sans le péché.

En sens contraire, le scandale est " une parole ou un acte peu régulier ". Or, tout ce qui manque de rectitude a raison de péché. Donc le scandale comporte toujours un péché.

Réponse :

Nous venons de le dire, il y a deux sortes de scandales : passif en celui qui est scandalisé, actif en celui qui scandalise et fournit une occasion de chute. Le scandale passif est toujours un péché en celui qui est scandalisé, car nul n’est scandalisé que s’il tombe par une certaine chute spirituelle, qui est un péché. Cependant, le scandale passif peut exister sans qu’il y ait péché en celui par qui le scandale est arrivé ; lorsqu’on se scandalise par exemple de ce qu’un autre a bien agi.

Pareillement, le scandale actif est toujours un péché chez celui qui scandalise. Ou bien parce que l’action même qu’il fait est un péché ; ou encore, si ce qu’il fait a l’apparence du péché, il doit toujours s’en abstenir par charité envers le prochain, car la charité impose à chacun de veiller au salut de son prochain ; ainsi celui qui ne s’abstient pas agit contrairement à la charité.

Cependant, le scandale actif peut exister sans qu’il y ait péché chez celui qui est scandalisé, nous l’avons vu plus haut.

Solutions :

1. La parole du Seigneur " Il est nécessaire que les scandales arrivent ", ne doit pas s’entendre d’une nécessité absolue, mais d’une nécessité conditionnelle, en ce sens qu’il est nécessaire que ce qui a été prévu et annoncé par Dieu arrive, si du moins nous prenons cette phrase en un sens composé, comme nous l’avons dit dans la première Partie. On peut dire encore qu’il est nécessaire que les scandales arrivent en considération de la fin, en ce sens qu’ils sont utiles " pour permettre aux hommes éprouvés de se manifester " (1 Co 11, 19). Ou bien encore, il est nécessaire que les scandales arrivent étant donné la condition des hommes, qui ne se gardent pas des péchés. C’est comme si un médecin, voyant certains hommes suivre un régime contre-indiqué, disait . il est nécessaire que ces hommes soient malades ; ce qui doit s’entendre avec cette condition : s’ils ne changent pas de régime. De même, il est nécessaire que les scandales arrivent si les hommes ne changent pas leur mauvais genre de vie.

2. Le scandale est pris ici au sens large, pour désigner tout empêchement. Pierre voulait en effet empêcher la passion du Christ par un sentiment d’affection pour lui.

3. Nul ne trébuche spirituellement, sans être retardé de quelque façon dans sa marche vers Dieu. Ce qui suppose au moins un péché véniel.

 

            Article 3 — Le scandale est-il un péché spécial ?

Objections :

1. Il semble que non, car le scandale est " une parole ou un acte peu régulier ". Or, c’est le cas de tout péché. Donc le scandale n’est pas un péché spécial.

2. Tout péché spécial, toute injustice spéciale, se rencontre séparément des autres, dit Aristote. Or, le scandale ne se rencontre pas séparément des autres péchés. Il n’est donc pas un péché spécial.

3. Tout péché spécial est constitué par quelque chose qui spécifie l’acte moral. Or, le scandale se définit par le fait que l’on pèche devant les autres. Pécher publiquement, même si cela constitue une circonstance aggravante, ne semble pas constituer une espèce particulière de péché. Donc, le scandale n’est pas un péché spécial.

En sens contraire, un péché spécial s’oppose à une vertu spéciale. Or, le scandale s’oppose à une vertu spéciale, qui est la charité. On lit en effet dans l’épître aux Romains (14, 15) : " Si pour un aliment tu centristes ton frère, tu ne te conduis plus selon la charité. " Donc, le scandale est un péché spécial.

Réponse :

Nous avons vu qu’il y a deux sortes de scandale : actif et passif. Le scandale passif ne peut être un péché spécial, car c’est dans toute espèce de péché qu’il arrive à quelqu’un de tomber par suite des paroles ou des actions d’un autre ; et le fait de trouver dans les paroles ou les actions d’un autre une occasion de péché ne constitue pas une espèce particulière de péché, parce que ce fait n’implique pas une difformité spéciale opposée à une vertu spéciale.

Quant au scandale actif, il peut être entendu de deux façons, selon qu’il s’agit d’un scandale par soi ou par accident. Le scandale a lieu par accident, quand il arrive en dehors de l’intention de celui qui agit ; par exemple lorsque celui-ci n’a pas l’intention, par ses actions ou ses paroles désordonnées, de donner à autrui une occasion de chute, mais simplement de satisfaire sa volonté. En ce cas, le scandale actif n’est pas un péché spécial, car l’accident ne constitue pas l’espèce.

Le scandale actif est un scandale par soi lorsque, par une parole ou une action désordonnée, on cherche à entraîner un autre au péché. En ce cas, le fait de rechercher une fin spéciale donne lieu à une espèce particulière de péché. C’est en effet la fin qui donne aux actes moraux leur spécificité, nous l’avons dit antérieurement. Ainsi, de même que le vol ou l’homicide sont des péchés spéciaux, en raison du dommage spécial qu’on veut infliger au prochain, de même le scandale est un péché spécial pour la même raison. Le scandale s’oppose directement à la correction fraternelle, où l’on remarque une manière spéciale d’écarter ce qui nuit au prochain.

Solutions :

1. Tout péché peut servir de matière au scandale actif. Mais la raison formelle de péché spécial vient au scandale en raison de la fin poursuivie, nous venons de le dire.

2. Le scandale actif peut se rencontrer séparément des autres péchés ; lorsque par exemple on scandalise le prochain en faisant quelque chose qui de soi n’est pas un péché, mais qui en a l’apparence.

3. Le scandale n’a pas raison de péché spécial du fait de la circonstance indiquée, mais du fait de la fin poursuivie, on vient de le dire.

 

            Article 4 — Le scandale est-il un péché mortel ?

Objections :

1. Il semble bien, car tout péché contraire à la charité est un péché mortel, on l’a vu plus haut. Or, le scandale est contraire à la charité, on l’a vu également. Donc, le scandale est un péché mortel.

2. Le péché mortel est le seul péché qui mérite la damnation éternelle. Or, le scandale est puni de damnation éternelle (Mt 18, 6) - " Quiconque scandalise un de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui suspende une meule pour âne autour du cou, et qu’on le précipite au fond de la mer. " Car, explique S. Jérôme r " il vaut beaucoup mieux recevoir pour son péché une courte peine que d’être livré aux tourments éternels ". Donc le scandale est un péché mortel.

3. Tout péché que l’on commet contre Dieu est péché mortel, car seul le péché mortel détourne l’homme de Dieu. Or, le scandale est un péché contre Dieu. L’Apôtre dit en effet (1 Co 8, 12) : " En blessant la conscience de vos frères, qui est faible, c’est contre le Christ que vous péchez. Donc, le scandale est toujours un péché mortel.

En sens contraire, pousser quelqu’un à pécher véniellement peut être un péché véniel. Or, cela rentre dans la définition du scandale. Le scandale peut donc être un péché véniel.

Réponse :

Nous avons vu plus haut que le scandale implique un certain choc, disposant à la chute. Pour cette raison, le scandale passif peut être quelquefois un péché véniel, quand il ne comporte que le choc, par exemple, lorsque, par suite d’une parole ou d’une action désordonnée d’autrui, on éprouve un mouvement de péché véniel. Mais quelquefois le scandale est péché mortel quand, avec le choc, il comporte aussi une chute, dans le cas par exemple où, par suite d’une parole ou d’une action désordonnée d’autrui, on va jusqu’au péché mortel.

Quant au scandale actif, s’il a lieu par accident, il peut être quelquefois péché véniel. Par exemple, lorsque l’on commet un péché véniel, ou bien un acte qui n’est pas en soi un péché mais qui a une apparence de mal, et qu’on le fait avec un léger manque de discrétion. Mais quelquefois il est péché mortel, soit quand l’acte commis est péché mortel, soit quand on méprise le salut du prochain au point de ne pas s’abstenir, pour le préserver, de ce qui fait plaisir. Si le scandale actif a lieu par soi - quand, par exemple, on a l’intention d’entraîner un autre à pécher, si c’est pour l’entraîner au péché mortel, le scandale est péché mortel. De même, lorsqu’on cherche à entraîner le prochain au péché véniel en commettant un acte qui est un péché mortel. Mais si l’on cherche à pousser le prochain au péché véniel en commettant un péché véniel, le scandale est péché véniel.

Solutions :

Cela répond clairement aux Objections.

 

            Article 5 — Le scandale passif peut-il atteindre les parfaits ?

Objections :

1. Il semble bien, car le Christ fut absolument parfait. Or, lui-même dit à S. Pierre (Mt 16, 23) : " Tu es pour moi un scandale. " A plus forte raison les autres parfaits peuvent-ils subir le scandale.

2. Le scandale implique un certain empêchement qui s’oppose à la vie spirituelle. Or, les hommes parfaits eux-mêmes peuvent rencontrer des obstacles dans le progrès de leur vie spirituelle, selon cette parole (1 Th 2, 18) : " Nous avons voulu nous rendre chez vous, moi Paul en particulier, et non pas une fois, mais deux ; mais Satan nous en a empêchés. " Ainsi donc, les hommes parfaits eux-mêmes peuvent subir le scandale.

3. Les péchés véniels peuvent se rencontrer même chez les parfaits, comme le prouve la 1e épître de S. Jean (1, 8) : " Si nous nous prétendons sans péché, nous nous égarons nous-mêmes. " Or, le scandale passif n’est pas toujours péché mortel, il est parfois péché véniel, nous venons de le voir. Donc, le scandale passif peut se trouver chez les parfaits.

En sens contraire, S. Jérôme, commentant le texte de S. Matthieu (18, 6) " Celui qui scandalisera un de ces petits ", dit " Notez que celui qui est scandalisé est un petit, les grands, en effet, ne sont pas atteints par le scandale. "

Réponse :

Le scandale passif implique en celui qui le subit un certain ébranlement de l’âme à l’égard du bien. Or, nul n’est ébranlé quand il adhère fermement à quelque chose d’immuable. Et les grands, c’est-à-dire les parfaits, adhèrent à Dieu seul, dont la bonté est immuable ; car s’ils adhèrent à leurs supérieurs, ils n’adhèrent à eux que dans la mesure où ceux-ci adhèrent au Christ, selon le mot de Paul (1 Co 4, 16) : " Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ. " C’est pourquoi, s’ils voient les autres céder au désordre dans leurs paroles ou leurs actes, eux-mêmes ne se détournent pas pour autant de la voie droite, selon la parole du Psaume (125, 1) : " Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur sont comme le mont Sion ; celui qui habite Jérusalem ne sera jamais ébranlé. " Voilà pourquoi, en ceux qui adhèrent parfaitement à Dieu par l’amour, le scandale ne se trouve pas, selon le mot du Psaume (119, 165) : " Abondance de paix pour ceux qui aiment ta loi, et il n’y a pas en eux de scandale. "

Solutions :

1. Comme nous l’avons vu plus haut v, le scandale doit s’entendre ici au sens large, et signifie toute espèce d’empêchement. C’est pourquoi le Seigneur dit à Pierre : " Tu es pour moi un scandale ", parce que Pierre voulait l’empêcher de subir la Passion.

2. Dans leurs actions extérieures, les hommes parfaits peuvent éprouver des empêchements. Mais pour ce qui est de leur volonté intérieure, les paroles ou les actions d’autrui ne les empêchent pas de tendre vers Dieu, selon l’épître aux Romains (8, 38) : " Ni la mort ni la vie ne peuvent nous séparer de l’amour de Dieu. "

3. Les hommes parfaits tombent quelquefois et des péchés véniels par la faiblesse de leur chair ; mais les paroles et les actions des autres ne les scandalisent pas, selon la vraie notion du scandale. Il peut se trouver en eux toutefois comme une approche du scandale, selon la parole du Psaume (73, 2) : " Un peu plus, et nos pieds trébuchaient. "

 

            Article 6 — Les hommes parfaits peuvent-ils causer du scandale ?

Objections :

1. Il semble que oui, car pâtir est un effet de l’agir. Or, il y a des gens qui sont passivement scandalisés en raison des paroles ou des actions des parfaits, selon S. Matthieu (15, 12) : " Sais-tu qu’en entendant cette parole, les pharisiens ont été scandalisés 6 > " On peut donc trouver le scandale actif chez les hommes parfaits.

2. Après avoir reçu l’Esprit Saint, S. Pierre était dans l’état des parfaits. Mais dans la suite il scandalisa les païens. On lit en effet dans l’épître aux Galates (2, 14) : " Quand je vis qu’ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l’Évangile, je dis à Céphas (c’est-à-dire à Pierre), en face de tous : "Si toi, qui es Juif, tu vis à la païenne et non à la juive, comment peux-tu forcer les païens à vivre en Juifs ?" " Donc le scandale actif peut exister chez les hommes parfaits.

3. Le scandale actif est quelquefois péché véniel. Or, les péchés véniels peuvent exister même chez les hommes parfaits.

En sens contraire, le scandale actif s’oppose à la perfection plus que le scandale passif. Or, le scandale passif ne peut pas exister chez les hommes parfaits. A plus forte raison le scandale actif.

Réponse :

Il y a proprement scandale actif lorsque quelqu’un dit ou fait quelque chose qui est de nature à faire tomber autrui ; ce qui n’a lieu que pour des actions ou des paroles désordonnées. Or, il appartient aux parfaits d’ordonner tout ce qu’ils font conformément à la règle de la raison, selon S. Paul (1 Co 14, 40) : " Que tout se passe chez vous dignement et dans l’ordre. " Surtout, ils apportent tout spécialement ce souci dans les choses où non seulement ils pourraient eux-mêmes trébucher, mais aussi faire trébucher les autres. Si parfois, dans ce qu’ils disent ou font en public, il se produit quelque chose qui manque à cette mesure, cela provient de la faiblesse humaine qui les fait déchoir de la perfection. Ils n’en déchoient pas toutefois au point de s’écarter beaucoup de l’ordre de la raison ; ils ne le font qu’un peu et de manière légère. Et cela n’est pas d’une telle importance qu’un autre puisse raisonnablement y trouver une occasion de pécher.

Solutions :

1. Le scandale passif est toujours causé par un scandale actif, mais non toujours par le scandale actif d’un autre ; ce peut être par le scandale actif de celui-là même qui est scandalisé, parce que c’est lui-même qui se scandalise.

2. Pierre commit une faute, et il fut répréhensible en se séparant des païens pour éviter le scandale des Juifs : ainsi pensent S. Augustin et S. Paul lui-même. Pierre commettait en cela une certaine imprudence, scandalisant ainsi les païens nouvellement convertis à la foi. Cependant, l’acte de Pierre n’était pas un péché si grave que les autres pussent raisonnablement en être scandalisés. C’est pourquoi ils souffraient un scandale passif, mais chez Pierre il n’y avait pas de scandale actif.

3. Les péchés véniels des parfaits consistent surtout en des mouvements soudains, qui lorsqu’ils restent cachés, ne peuvent scandaliser Si, même extérieurement, dans leurs paroles ot leurs actions, ils commettent des péchés véniels ces péchés sont choses si légères qu’elles n’ont pas de soi, le pouvoir de scandaliser.

 

            Article 7 — Doit-on renoncer aux biens spirituels pour éviter le scandale ?

Objections :

1. Il apparaît que oui. Car S. Augustin enseigne que là où l’on peut craindre le danger d’un schisme, il faut abandonner la punition des pécheurs. Or, la punition des pécheurs est pour certain bien spirituel, puisqu’elle est un acte de justice. Donc il faut abandonner le bien spirituel pour éviter le scandale.

2. L’enseignement sacré paraît être ce qu’il y a de plus spirituel. Or, il faut l’abandonner en raison du scandale, d’après S. Matthieu (7, 6) : " Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré, ne jetez pas vos perles devant les pourceaux : ils pourraient bien se retourner contre vous et vous déchirer. " Donc il faut abandonner le bien spirituel pour éviter le scandale.

3. La correction fraternelle est un bien spirituel, puisqu’elle est un acte de la charité. Or, il arrive parfois qu’on l’omette par charité pour éviter le scandale d’autrui, d’après S. Augustin. Il faut donc abandonner le bien spirituel pour éviter le scandale.

4. S. Jérôme demande qu’on abandonne, pour éviter le scandale, tout ce qui peut être délaissé sans toucher à la triple vérité de la vie, de la justice et de la doctrine. Or, l’accomplissement des conseils et la distribution des aumônes peuvent souvent être abandonnés sans porter atteinte à cette triple vérité. Autrement tous ceux qui les omettent pécheraient toujours. Et pourtant elles sont au premier rang des œuvres spirituelles. Donc les œuvres spirituelles doivent être omises pour éviter le scandale.

5. Éviter n’importe quel péché est un bien spirituel, car tout péché cause un dommage spirituel à celui qui le commet. Or il semble que, pour éviter le scandale du prochain, il faille quelquefois pécher véniellement ainsi par exemple lorsqu’en péchant véniellement on empêche le prochain de pécher mortellement. Car on doit empêcher la damnation du prochain autant qu’on le peut, sans détriment pour son propre salut, lequel n’est pas empêché par le péché véniel. On doit donc omettre certain bien spirituel pour éviter le scandale.

En sens contraire, S. Grégoire dit en commentant Ézéchiel : " Si l’on tire scandale de la vérité, il est préférable de laisser naître le scandale que d’abandonner la vérité. " Or les biens spirituels ressortissent plus que tout à la vérité. Il ne faut donc pas abandonner les biens spirituels pour éviter le scandale.

Réponse :

Puisqu’il y a deux sortes de scandale, actif et passif, cette question ne se pose pas à propos du scandale actif, car, puisque le scandale actif est une parole ou un acte peu régulier, il ne faut jamais rien faire avec scandale actif. Mais la question se pose à propos du scandale passif Il faut donc examiner ce qu’on doit abandonner pour qu’un autre ne soit pas scandalisé. Or, parmi les biens spirituels, il y a lieu de distinguer. Certains parmi ces biens sont nécessaires au salut et l’on ne peut les omettre sans péché mortel. Il est manifeste que nul ne doit pécher mortellement pour empêcher le péché d’autrui, car, selon l’ordre de la charité, on doit aimer davantage son propre salut spirituel que celui d’autrui. Ce qui est nécessaire au salut ne doit donc pas être omis pour éviter le scandale.

Quant aux biens spirituels qui ne sont pas nécessaires au salut, il apparaît qu’il faut distinguer. C’est qu’en effet le scandale qui en résulte provient quelquefois de la malice, lorsque certains veulent empêcher ces biens spirituels en provoquant le scandale. Ce scandale est celui des pharisiens qui se scandalisent de la doctrine du Seigneur. Celui-ci enseigne en S. Matthieu (15, 14), que ce scandale doit être méprisé. Mais quelquefois le scandale provient de la faiblesse ou de l’ignorance, et c’est le scandale des petits. Pour l’éviter, les œuvres spirituelles doivent être cachées, parfois même différées, quand il n’y a pas péril à cela, jusqu’à ce qu’on puisse en rendre compte et éviter ainsi le scandale. Si, après qu’on en a rendu compte, le scandale dure encore, il semble bien alors qu’il provient de la malice, et il n’y a plus lieu d’abandonner ces œuvres spirituelles à cause de lui.

Solutions :

1. On ne cherche pas à infliger des punitions pour elles-mêmes, mais comme des remèdes pour réprimer les péchés. C’est pourquoi elles appartiennent à la justice dans la mesure où elles répriment les péchés. Mais s’il était évident que l’application des peines engendrerait des péchés plus nombreux et plus graves, ce ne serait plus une œuvre de justice. C’est le, cas dont parle S. Augustin, quand une excommunication peut entraîner le péril d’un schisme. Porter une excommunication n’appartiendrait plus alors à la vérité de la justice.

2. Au sujet de l’enseignement, il y a deux choses à considérer : la vérité qu’on enseigne, et l’acte même d’enseigner. De ces deux choses, la première est nécessaire au salut, c’est-à-dire qu’on ne doit pas enseigner le contraire de la vérité, mais que l’homme chargé d’enseigner doit proposer la vérité en s’adaptant au temps et aux personnes. C’est pourquoi quelque scandale qui semble devoir en résulter, on ne doit jamais délaisser la vérité et enseigner l’erreur. Quant à l’acte même d’enseigner, il compte parmi les aumônes spirituelles, comme nous l’avons vu plus haut. C’est pourquoi il faut traiter de même façon l’enseignement et les autres œuvres de miséricorde dont il va être parlé dans un instant.

3. La correction fraternelle, nous l’avons vu, a pour but l’amendement d’un frère. Elle compte donc parmi les biens spirituels dans la mesure où elle peut y réussir. Mais elle ne l’atteint pas si notre frère se trouve scandalisé par cette correction. C’est pourquoi, lorsque l’on abandonne la correction en raison du scandale, le bien spirituel n’est pas délaissé pour autant.

4. Dans la vérité de la vie, de la doctrine et de la justice on englobe non seulement ce qui est nécessaire au salut, mais aussi ce qui conduit au salut de manière plus parfaite, selon la parole de S. Paul (1 Co 12, 31) : " Aspirez aux dons supérieurs. " Aussi, ni les conseils, ni non plus les œuvres de miséricorde ne doivent être purement et simplement délaissés par crainte du scandale, mais il arrive quelquefois qu’ils doivent être cachés et différés en raison du scandale des petits, comme nous l’avons dit.

Quelquefois cependant, l’observation des conseils et l’accomplissement des œuvres de miséricorde sont nécessaires au salut. Cela apparaît clairement quand il s’agit de ceux qui se sont déjà engagés par vœu dans la voie des conseils, ou de ceux qui ont le devoir de subvenir aux besoins des autres, soit dans le domaine temporel, par exemple en nourrissant les affamés, soit dans le domaine spirituel, par exemple en instruisant les ignorants, ou bien encore quand ces bienfaits deviennent obligatoires en raison de la fonction que l’on exerce, ce qui est le cas pour les prélats, ou en raison de la nécessité des indigents. Alors, la raison est la même pour ces devoirs que pour ce qui est nécessaire au salut.

5. Certains ont dit que l’on devait commettre le péché véniel pour éviter le scandale. Mais cela implique contradiction. En effet, si une chose doit être faite, elle n’est déjà plus un mal ni un péché, car le péché ne peut être objet de choix. Il peut arriver toutefois qu’en telle ou telle circonstance une chose ne soit plus un péché véniel, qui le serait en dehors de cette circonstance. C’est ainsi qu’un mot pour rire est un péché véniel s’il est dit sans utilité, mais il n’est plus une parole oiseuse ni un péché s’il est dit pour un motif raisonnable. Bien que le péché véniel ne supprime pas la grâce qui procure le salut de l’homme, cependant, pour autant qu’il dispose au péché mortel, il devient nuisible au salut.

 

            Article 8 — Doit-on renoncer aux biens temporels pour éviter le scandale ?

Objections :

1. Il semble bien, car nous devons aimer le salut spirituel du prochain, que le scandale empêche plus que n’importe quel bien temporel. Or, nous laissons ce que nous aimons moins pour ce que nous aimons davantage. Nous devons donc plutôt laisser les biens temporels pour éviter le scandale du prochain.

2. D’après la règle énoncée par S. Jérôme, tout ce qu’on peut omettre, hormis la triple vérité, doit être abandonné pour éviter le scandale. Or on peut abandonner les biens temporels en sauvegardant cette triple vérité. Donc il faut les abandonner pour éviter le scandale.

3. Parmi les biens temporels aucun n’est plus nécessaire que la nourriture. Or la nourriture doit être laissée de côté en raison du scandale, d’après l’épître aux Romains (14, 15) : " Ne va pas, avec ton aliment, faire périr celui pour qui le Christ est mort. " A plus forte raison il nous faut donc laisser tous les autres biens temporels pour éviter le scandale.

4. Il n’est pas de moyen plus adapté qu’un procès pour conserver ou recouvrer les biens temporels. Or, il n’est pas permis de recourir aux procès, surtout quand ils s’accompagnent de scandale. Il est dit en effet en S. Matthieu (5, 40) : " A qui veut te citer en justice et prendre ta tunique, laisse encore ton manteau. " Et dans la 1e épître aux Corinthiens (6, 7) : " C’est déjà pour vous une défaite que d’avoir entre vous des procès. Pourquoi ne pas souffrir plutôt l’injustice ? Pourquoi ne pas vous laisser plutôt dépouiller ? " Il semble donc qu’il faille abandonner les biens temporels pour éviter le scandale.

5. Parmi tous les biens temporels, aucun ne paraît devoir être moins abandonné que ceux qui sont liés à des biens spirituels. Or, il faut abandonner ceux-ci en raison du scandale. L’Apôtre en effet, qui prodiguait les biens spirituels, ne reçut point de salaire temporel, " pour ne pas créer d’obstacle à l’Évangile du Christ ", comme on le voit dans la 1e épître aux Corinthiens (9, 12). Et pour un motif semblable, l’Église en certains pays n’exige pas les dîmes, pour éviter le scandale. A plus forte raison faut-il donc laisser les autres biens temporels pour éviter le scandale.

En sens contraire, le bienheureux Thomas de Cantorbery réclama les biens de l’Église malgré le scandale du roi.

Réponse :

Parmi les biens temporels, il faut distinguer. Ou ces biens nous appartiennent ; ou ils nous sont confiés afin que nous les conservions pour d’autres. Les biens de l’Église par exemple sont confiés aux prélats, et les biens publics aux gouvernants. La conservation de ces biens, comme aussi celle des dépôts, incombe de toute nécessité à ceux à qui ils sont confiés. C’est pourquoi ils ne doivent pas être abandonnés en raison du scandale, pas plus que les autres biens qui sont nécessaires au salut.

Quant aux biens temporels dont nous sommes les maîtres, les abandonner, en les distribuant si nous les avons chez nous, ou en ne les réclamant pas s’ils sont chez les autres, pour éviter le scandale, nous devons parfois le faire, et parfois non. En effet, si le scandale se produit à ce sujet en raison de l’ignorance ou de la faiblesse des autres, ce que nous avons appelé plus haut le scandale des petits, nous devons ou abandonner totalement ces biens temporels, ou faire cesser le scandale autrement, par quelque avertissement pa exemple. C’est pourquoi S. Augustin écrit : " Il faut donner ce qui ne fait de mal ni à toi ni autrui, autant qu’on peut humainement le savoir. Si tu refuses ce qu’on te demande, montre où est la justice. Tu donneras quelque chose de meilleur en redressant celui qui te demande injustement. " Parfois le scandale provient de la malice. C’est le scandale des pharisiens. Il ne faut pas abandonner les biens temporels à cause de ceux qui suscitent de tels scandales, car on nuirait au bien commun en donnant aux méchants une occasion de s’en emparer et l’on nuirait à ceux qui, en volant et en retenant le bien d’autrui, demeureraient dans le péché. C’est pourquoi, dit S. Grégoire : " Parmi ceux qui nous prennent les biens temporels, il en est qui doivent être seulement tolérés ; et d’autres qui doivent en être empêchés, l’équité étant sauve. Cela, non par le seul souci que nos biens ne nous soient pas enlevés, mais pour éviter la perdition de ceux qui prennent ce qui ne leur appartient pas. "

Solutions :

1. Cela donne clairement la solution.

2. Si l’on permettait habituellement aux méchants de prendre le bien d’autrui, cela tournerait au détriment de la vérité de la vie et de la justice. C’est pourquoi il ne faut pas abandonner les biens temporels en raison de n’importe quel scandale.

3. Il n’est pas dans l’intention de l’Apôtre de faire abandonner toute nourriture en raison du scandale, car prendre de la nourriture est nécessaire à la santé. C’est telle nourriture déterminée qu’il faut laisser en raison du scandale, selon la 1e épître aux Corinthiens (8, 13) : " je me passerai de viande à tout jamais, afin de ne pas scandaliser mon frère. "

4. Selon S. Augustin, ce précepte du Seigneur doit s’entendre de la disposition intérieure, en ce sens qu’il faut être prêt, si c’est utile, à subir le dommage et l’injustice plutôt qu’à recourir au jugement. Mais parfois ce n’est pas utile, nous l’avons vu. Le mot de l’Apôtre doit s’entendre dans le même sens.

5. Le scandale que l’Apôtre évitait serait provenu de l’ignorance des païens, chez qui cette coutume n’existait pas. C’est pourquoi il fallait s’abstenir momentanément, afin de leur enseigner auparavant que c’est chose due. Pour une raison semblable, 1’Ëglise s’abstient d’exiger les dîmes dans les pays où la coutume n’est pas de les payer.

 

 

QUESTION 44 — LES PRÉCEPTES DE LA CHARITÉ

1. Faut-il donner des préceptes au sujet de la charité ? - 2. Y a-t-il un seul précepte, ou bien deux ? - 3. Deux préceptes suffisent-ils ? - 4. Convient-il de prescrire que Dieu soit aimé de tout notre cœur ? - 5. Convient-il d’ajouter : de toute notre âme ? - 6. Ce précepte peut-il être accompli en cette vie ? - 7. Le commandement : "Tu aimeras le prochain comme toi-même." - 8. L’ordre de la charité tombe-t-il sous le précepte ?

 

            Article 1 — Faut-il donner des préceptes au sujet de la charité ?

Objections :

1. Il semble que non, car la charité donne le mode aux actes de toutes les vertus. Elle est en effet la forme des vertus, nous l’avons vu plus haut. Or, on dit généralement que le mode n’est pas contenu dans le précepte. Donc, il ne pas donner de préceptes au sujet de la charité.

2. La charité qui " est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit " (Rm 5, 5) nous rend libres, car " là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté " (2 Co 3, 17). Or l’obligation qui naît du précepte s’oppose à la liberté, puisqu’elle impose nécessité. Il ne faut donc pas donner de préceptes au sujet de la charité.

3. La charité est la plus importante de toutes s vertus, auxquelles sont ordonnés les préceptes, ainsi qu’il ressort de ce que nous avons vu plus haut. Donc, si l’on donnait certains préceptes sur charité, il faudrait qu’ils fussent compris parmi les préceptes majeurs, qui sont ceux du décalogue. Or, ils ne s’y trouvent pas. Donc il ne faut donner un précepte sur la charité.

En sens contraire, ce que Dieu réclame de nous tombe sous le précepte. Or, Dieu demande à l’homme de l’aimer, comme on le voit dans le Deutéronome (10, 12). Concernant l’amour de charité, qui est l’amour de Dieu, il faut donc donner des préceptes.

Réponse :

Nous l’avons dit antérieurement, le précepte inclut la raison d’obligation. Une chose tombe donc sous le précepte dans la mesure où elle a raison de dette. Or une chose est due de deux façons : ou bien par soi ou bien pour autre chose. En toute affaire, ce qui est dû par soi, c’est la fin, car par soi la fin a raison de bien. Ce qui est dû pour autre chose, c’est le moyen ordonné à la fin. Ainsi, pour un médecin, ce qui est dû par soi, c’est la guérison, et ce qui est requis pour autre chose, c’est le remède destiné à la guérison. Or, la fin de la vie spirituelle, c’est que l’homme soit uni à Dieu, ce qui se fait par la charité. A cela s’ordonne, comme à leur fin, tout ce qui appartient à la vie spirituelle. C’est pourquoi l’Apôtre écrit (1 Tm 1, 5) : " La fin du précepte, c’est la charité qui naît d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère. " Car toutes les vertus dont les actes sont objet de préceptes sont ordonnées ou bien à purifier le cœur du tourbillon des passions, ce qui est le cas des vertus qui concernent les passions ; ou du moins à procurer une bonne conscience, ce qui est le cas des vertus qui concernent l’action ; ou à assurer la rectitude de la foi, ce qui est le cas des vertus qui concernent le culte divin. Ces trois conditions sont requises pour aimer Dieu, car le cœur impur est détourné de l’amour de Dieu par la passion qui l’incline vers les biens terrestres ; une mauvaise conscience fait prendre en horreur la justice divine par crainte de la peine ; et une foi imaginaire entraîne le cœur vers la représentation qu’elle se fait de Dieu, loin de la divinité et de la réalité divine. Or. en tout domaine, ce qui est par soi l’emporte sur ce qui est pour autre chose ; il s’ensuit que le plus grand commandement a pour objet la charité, ainsi qu’il est dit en S. Matthieu (22, 38).

Solutions :

1. Ainsi que nous l’avons vu antérieurement en traitant des autres préceptes, le mode de la charité ne tombe pas sous les préceptes qui ont pour objet les autres actes de vertu. Par exemple, sous ce précepte : " Honore ton père et ta mère ", il ne tombe pas que cela se fasse par charité. Toutefois, l’acte de dilection tombe sous des préceptes spéciaux.

2. L’obligation du précepte ne s’oppose à la liberté qu’en celui dont l’esprit est détourné de ce qui est prescrit, comme on le voit chez ceux qui n’observent les préceptes que par crainte. Le précepte de la charité ne peut être accompli que si on le veut à proprement parler. Aussi ne s’oppose-t-il pas à la liberté.

3. Tous les préceptes du décalogue sont ordonnés à l’amour de Dieu et du prochain. C’est pourquoi les préceptes de la charité n’avaient pas à être énumérés parmi les préceptes du décalogue ils se trouvent compris en tous.

 

            Article 2 — Y a-t-il un seul précepte ou bien deux ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne fallait pas donner deux préceptes sur la charité. En effet, les préceptes de la loi sont ordonnés à la vertu, nous venons de le voir. Or, la charité constitue une seule vertu, nous l’avons vu précédemment. Il ne fallait donc donner qu’un seul précepte sur la charité.

2. Comme le dit S. Augustin, la charité n’aime que Dieu dans le prochain. Or, nous sommes suffisamment ordonnés à aimer Dieu par ce précepte (Dt 6, 5) : " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. " Il ne fallait donc pas ajouter un autre précepte sur la charité envers le prochain.

3. Des péchés différents s’opposent à des préceptes différents. Or, on ne pèche pas si, en laissant de côté l’amour du prochain, on ne laisse pas l’amour de Dieu, puisqu’il est même dit en S. Luc (14, 26) : " Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, il ne peut pas être mon disciple. " Il n’y a donc pas deux préceptes différents, l’un de l’amour de Dieu et l’autre de l’amour du prochain.

4. L’Apôtre écrit (Rm 13, 8) : " Celui qui aime son prochain a accompli la loi. " Mais on n’accomplit la loi qu’en observant tous les préceptes. Tous les préceptes sont donc inclus dans l’amour du prochain, et il ne doit pas y avoir deux commandements de la charité.

En sens contraire, il est dit dans la 1e épître de S. Jean (4, 21) : " Nous tenons de Dieu ce commandement -. celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit précédemment en traitant des préceptes, les préceptes tiennent dans la loi la même place que les propositions dans les sciences spéculatives. Là, les conclusions se trouvent virtuellement contenues dans les premiers principes. C’est pourquoi celui qui connaîtrait parfaitement les principes dans toute leur virtualité n’aurait pas besoin que les conclusions lui soient proposées séparément. Mais parce que ceux qui connaissent les principes ne les connaissent pas assez pour considérer tout ce qui s’y trouve contenu virtuellement, il est nécessaire à cause d’eux que, dans les sciences, les conclusions soient déduites des principes. Dans le domaine de l’action, où les préceptes de la loi nous dirigent, la fin a raison de principe, nous l’avons vu. Or, l’amour de Dieu est la fin à laquelle l’amour du prochain est ordonné. C’est pourquoi il a fallu donner non seulement le précepte de l’amour de Dieu, mais aussi celui de l’amour du prochain, à cause de ceux qui, moins capables, n’apercevraient pas facilement qu’un de ces préceptes est contenu dans l’autre.

Solutions :

1. Si la charité est une seule vertu, elle a cependant deux actes, dont l’un est ordonné à l’autre comme à sa fin. Or, les préceptes ont pour objet les actes des vertus. C’est pourquoi il a fallu qu’il y ait plusieurs préceptes de la charité.

2. Dieu est aimé dans le prochain, comme la fin dans ce qui est ordonné à la fin. Et cependant, il a fallu qu’il y ait des préceptes explicites pour l’un et pour l’autre, pour le motif qu’on vient de dire.

3. Ce qui est ordonné à la fin a raison de bien par son ordre à la fin. De la même façon, et non autrement, s’écarter de la fin a raison de mal.

4. Dans l’amour du prochain est inclus l’amour de Dieu comme la fin est incluse dans ce qui lui est ordonné et inversement. Cependant, il a fallu que soient donnés explicitement l’un et l’autre précepte, pour la raison qu’on vient de dire.

 

            Article 3 — Deux préceptes suffisent-ils ?

Objections :

1. Il semble que non. Les préceptes, en effet, portent sur les actes des vertus. Or, les actes se distinguent selon les objets. Comme il se trouve que l’on doit aimer de charité quatre objets, à savoir Dieu, soi-même, le prochain et son propre corps, nous l’avons montré précédemment, il semble qu’il doit y avoir quatre préceptes de la charité. Par suite, deux préceptes ne suffisent pas.

2. L’acte de charité n’est pas seulement l’amour, mais aussi la joie, la paix et la bienfaisance. Or il doit y avoir un précepte pour tout acte vertueux. Deux préceptes pour la charité ne suffisent donc pas.

3. Comme il appartient à la vertu d’accomplir le bien, il lui appartient aussi d’éviter le mal. Or, nous sommes amenés à faire le bien par les préceptes affirmatifs, et à éviter le mal par les préceptes négatifs. Il eût donc fallu que soient donnés, pour la charité, non seulement des préceptes affirmatifs, mais aussi des préceptes négatifs. Ainsi, les deux préceptes de la charité que l’on a cités ne suffisent pas.

En sens contraire, le Seigneur a dit en S. Matthieu (22, 40) : " Sur ces deux préceptes reposent toute la Loi et les Prophètes. "

Réponse :

La charité, on l’a vu plus haute, est une amitié. Or, l’amitié s’adresse à l’autre. C’est pourquoi S. Grégoire dit, dans une de ses homélies : " La charité ne peut exister si l’on n’est pas deux. " Comment l’on peut s’aimer soi-même de charité, on l’a vu précédemment. Comme, d’autre part, la dilection et l’amour ont pour objet le bien, et que le bien n’est autre que la fin ou ce qui est ordonné à la fin, il convient qu’il n’y ait que deux préceptes pour la charité : l’un nous conduit à aimer Dieu comme notre fin, et l’autre nous conduit à aimer le prochain à cause de Dieu, c’est-à-dire à cause de cette fin.

Solutions :

1. Selon S. Augustin, " Sur les quatre choses qu’il faut aimer de charité, il n’y avait pas à donner de préceptes pour la deuxième et la quatrième, savoir l’amour de soi et de son propre corps. Car l’homme peut s’écarter de la charité autant qu’on voudra, il lui restera toujours l’amour de soi et de son propre corps. " C’est la manière d’aimer qui devait être prescrite à l’homme, afin qu’il s’aime lui-même et aime son propre corps de façon ordonnée ; cela se réalise du fait qu’il aime Dieu et le prochain.

2. Tous les actes de la charité découlent de l’acte de dilection, comme l’effet découle de sa cause, on l’a montré précédemment. C’est pourquoi dans les préceptes concernant la dilection ou l’amour se trouvent virtuellement contenus les préceptes concernant les autres actes. Pourtant, à l’intention de ceux qui sont plus lents à comprendre, nous trouvons pour chacun de ces actes des préceptes explicitement donnés : pour la joie (Ph 4, 4) : " Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur " ; pour la paix (He 12, 14) : " Recherchez la paix avec tous " ; pour la bienfaisance (Ga 6, 10) : " Pendant que nous avons le temps, faisons du bien à tous. " Pour chacune des parties de la bienfaisance, nous trouvons des préceptes qui sont donnés dans la Sainte Écriture, comme le voient ceux qui la lisent avec attention.

3. Faire le bien est plus qu’éviter le mal. C’est pourquoi dans les préceptes affirmatifs sont virtuellement contenus les préceptes négatifs. On trouve cependant explicitement donnés des préceptes contre les vices opposés à la charité. Contre la haine, par exemple (Lv 19, 17) : " Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur " ; contre l’acédie (Si 6, 26) : " Tu ne prendras point les liens (de la sagesse) en dégoût " ; contre l’envie (Ga 5,26) : " Ne cherchons pas la vaine gloire ; pas de provocations entre nous, entre nous pas de jalousies " ; contre la discorde (1 Co 1, 10) : " Ayez tous même sentiment ; qu’il n’y ait point parmi vous de divisions " ; contre le scandale (Rm 14, 13) : " Ne soyez pas pour votre frère une occasion de chute ou de scandale. "

 

            Article 4 — Convient-il de prescrire que Dieu soit aimé de tout notre cœur ?

Objections :

1. Il semble que non, car le mode de l’acte de vertu n’est pas contenu dans le précepte, comme nous l’avons vu précédemment O. Or, lorsqu’on dit : " de tout notre cœur ", on exprime le mode de notre amour pour Dieu. Il ne convient donc pas de le prescrire.

2. " Le tout et le parfait est ce à quoi il ne manque rien ", d’après Aristote. Donc s’il tombe sous le précepte que Dieu soit aimé de tout cœur, tous ceux qui font ce qui ne relève pas de l’amour de Dieu agissent contre le précepte, et par conséquent commettent un péché mortel. Mais le péché véniel ne relève pas de l’amour de Dieu. Le péché véniel sera donc mortel. Conclusion inadmissible.

3. Aimer Dieu de tout son cœur relève de la perfection, car, selon le Philosophe, " le tout et le parfait sont identiques ". Or, ce qui relève de la perfection ne tombe pas sous le précepte, mais sous le conseil. Il ne faut donc pas prescrire d’aimer Dieu de tout son cœur.

En sens contraire, nous lisons dans le Deutéronome (6, 5) : " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. "

Réponse :

Les préceptes ayant pour objet les actes des vertus, un acte tombe sous le précepte pour autant qu’il est acte de vertu. Or, il est demandé à tout acte de vertu, non seulement de porter sur la matière voulue, mais encore d’être revêtu des circonstances qui le proportionnent à cette matière. Or, Dieu doit être aimé comme la fin ultime à laquelle toutes choses doivent être rapportées. Aussi fallait-il marquer une certaine totalité dan le commandement de l’amour de Dieu.

Solutions :

1. Sous le précepte qui concerne l’acte d’une vertu ne tombe pas le mode que cet acte reçoit d’une vertu supérieure. Cependant, le mode qui appartient à l’essence même de la vertu tombe sous le précepte. C’est un tel mode qui désigne l’expression : " de tout cœur ".

2. On peut aimer Dieu de tout son cœur de deux façons. 1° En acte, c’est-à-dire que le cœur de l’homme se porte tout entier et d’une manière toujours actuelle vers Dieu. Telle est la perfection de la patrie. 2° Le cœur de l’homme est porté tout entier vers Dieu en vertu de l’habitus, de telle sorte qu’il n’accepte rien de contraire à l’amour de Dieu. Telle est la perfection dans l’état de voyageur. A cela le péché véniel n’est pas contraire, car il ne supprime pas l’habitus de charité, puisqu’il ne se porte pas vers l’objet opposé ; il empêche seulement l’exercice de la charité.

3. Cette perfection de la charité à quoi sont ordonnés les conseils occupe une position médiane entre les deux perfections qu’on vient de distinguer. Elle signifie que l’homme, autant que c’est possible, se détache des choses temporelles, même licites, dont le souci entrave le mouvement actuel du cœur vers Dieu.

 

            Article 5 — Convient-il d’ajouter de toute notre âme ?

Objections :

1. Il semble que le précepte du Deutéronome (6, 5) a tort d’ajouter " ... de toute ton âme et de toute ta force. " En effet, le cœur ne signifie pas ici l’organe corporel, car aimer Dieu n’est pas un acte du corps. Il faut donc que le cœur soit pris dans un sens spirituel. Or, en ce sens le cœur désigne ou bien l’âme elle-même, ou quelque chose de l’âme. Il est donc superflu de mentionner le cœur et l’âme.

2. La force de l’homme dépend surtout du cœur, qu’on l’entende au sens spirituel ou au sens corporel. Après avoir dit : " Tu aimeras ton Seigneur de tout ton cœur ", il était donc superflu d’ajouter " et de toute ta force ".

3. Le texte de S. Matthieu porte : " Et de tout ton esprit ", ce qui n’est pas exprimé ici. Il semble donc que ce commandement ne soit pas donné comme il faut dans le Deutéronome.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture.

Réponse :

Ce commandement a été transmis de façon différente en divers endroits. C’est ainsi que dans le Deutéronome se trouvent les trois expressions : " de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force ". En Matthieu (22, 37) se trouvent deux d’entre elles : " de tout ton cœur et de toute ton âme " ; on omet : " de toute ta force ", mais on ajoute : " de tout ton esprit ". En Marc (12, 30), il y a quatre expressions : " de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et de toute ta vertu ", ce qui équivaut à " de toute ta force ". Ces quatre expressions se retrouvent encore en S. Luc (10, 27) où toutefois au lieu de force ou vertu il y a de " toutes tes forces ". Il faut donc assigner une raison à ces quatre expressions. Car si l’une d’entre elles manque ici ou là, c’est parce qu’on la comprend dans les autres.

Il y a lieu de considérer que l’amour est un acte de la volonté, désignée ici par le cœur. En effet, de même que le cœur, organe corporel, est le principe de tous les mouvements du corps, de même la volonté, surtout dans son orientation vers la fin ultime, qui est l’objet de la charité, est le principe de tous les mouvements spirituels. Or, il y a trois principes d’action soumis à la motion de la volonté : l’intelligence, désignée par " l’esprit " ; la puissance appétitive inférieure désignée par " l’âme ", et la puissance extérieure d’exécution, désignée par " la force ", " la vertu " ou " les forces ". Il nous est donc prescrit que toute notre intention se porte vers Dieu, ce qu’exprime : " de tout ton cœur " ; que toute notre intelligence soit soumise à Dieu, ce qu’exprime : " de tout ton esprit " ; que tout notre appétit soit réglé selon Dieu, ce qu’exprime : " de toute ton âme " ; et que notre activité extérieure obéisse à Dieu, ce qu’exprime : aimer Dieu " de toute ta force " ou " de toute ta vertu " ou " de toutes tes forces ".

Chrysostome r pourtant, dans son Commentaire sur S. Matthieu, entend le cœur et l’âme à l’inverse de ce qui vient d’être dit. S. Augustin met le cœur en relation avec les pensées, l’âme avec la vie, l’esprit avec l’intelligence. Il en est d’autres qui par cœur entendent l’intelligence ; par âme, la volonté ; par esprit, la mémoire. Ou encore, selon S. Grégoire de Nysse le cœur signifie l’âme végétative ; l’âme, l’âme sensitive ; l’esprit, l’âme intellectuelle ; car nous devons rapporter à Dieu nutrition, sensation et intelligence.

 

            Article 6 — Ce précepte peut-il être accompli en cette vie ?

Objections :

Il semble bien, car S. Jérôme a dit : " Malheur à celui qui affirme que Dieu a commandé quelque chose d’impossible. " Or, c’est Dieu qui a donné ce précepte, comme on le voit dans le Deutéronome. Ce précepte peut donc être accompli sur cette terre.

2. Quiconque n’accomplit pas le précepte commet un péché mortel car, selon S. Ambroise, le péché n’est rien d’autre que " la transgression de la loi divine et la désobéissance aux commandements du ciel ". Donc, si ce précepte ne peut pas être accompli dans l’état de voyageur, il en découle que nul ne peut, en cette vie, être sans péché mortel. Ce qui va contre l’affirmation de l’Apôtre (1 Co 1, 8) : " Il vous gardera fermes jusqu’au bout, pour que vous soyez irréprochables " ; et aussi (1 Tm 3, 10) : " Qu’on n’en fasse des diacres que s’ils sont irréprochables. "

3. Les préceptes sont donnés en vue de diriger les hommes sur le chemin du salut, selon le Psaume (19, 9) : " Le commandement du Seigneur est une lumière qui éclaire les yeux. " Or, c’est en vain qu’on dirige quelqu’un vers l’impossible. Il n’est donc pas impossible d’accomplir ce commandement en cette vie.

En sens contraire, S. Augustin nous dit " C’est dans la plénitude de la charité de la patrie que s’accomplira ce précepte : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, etc.", car tant qu’il y a encore quelque convoitise charnelle à refréner, on n’aime pas tout à fait Dieu avec toute son âme. "

Réponse :

Un précepte peut être accompli de deux façons : parfaitement ou imparfaitement. Il est accompli parfaitement quand on parvient à la fin que se propose l’auteur du précepte ; et il est accompli imparfaitement lorsque, sans atteindre la fin proposée, on ne s’écarte cependant pas de l’ordre qui mène à cette fin. De même, quand le chef de l’armée commande aux soldats de combattre, celui-ci accomplit parfaitement le précepte si, en combattant, il triomphe de l’ennemi, ce qui est l’intention du chef ; et celui-là l’accomplit aussi, mais imparfaitement, si, sans obtenir la victoire par le combat, il ne fait rien de contraire à la discipline militaire. Or Dieu veut, par ce précepte, que l’homme lui soit totalement uni, ce qui se fera dans la patrie, lorsque " Dieu sera tout en tous " (1 Co 15, 28). Ce précepte se trouvera donc pleinement et parfaitement accompli dans la patrie. Il s’accomplit aussi dans la condition de voyageur, mais imparfaitement. Et cependant, sur cette terre, l’un accomplit ce précepte plus parfaitement qu’un autre dans la mesure où il approche davantage, par quelque ressemblance, de la perfection de la patrie.

Solutions :

1. Cet argument prouve que le précepte peut être, d’une certaine façon, accompli dans la condition de voyageur, bien que non parfaitement.

2. Le soldat qui combat selon les règles, bien que n’obtenant pas la victoire, n’est pas inculpé et ne mérite pas de châtiment. De même aussi celui qui, dans la condition de voyageur, accomplit ce précepte sans rien faire contre l’amour de Dieu, ne commet pas de péché mortel.

3. Comme dit S. Augustin : " Pourquoi cette perfection ne serait-elle pas commandée à l’homme, bien que personne ne l’obtienne sur cette terre ? On ne court pas bien si l’on ignore dans quelle direction il faut courir. Et comment le saurait-on s’il n’y avait pas de préceptes pour le montrer ? "

 

            Article 7 — Le commandement — " Tu aimeras ton prochain comme toi-même. "

Objections :

1. Ce précepte est donné, semble-t-il, d’une façon qui n’est pas satisfaisante. En effet l’amour de charité s’étend à tous les hommes, même aux ennemis, comme on le voit en S. Matthieu (5, 44). Or le nom même de prochain indique une proximité qui ne semble pas exister à l’égard de tous les hommes. Par conséquent, il semble que ce précepte ne soit pas donné d’une manière satisfaisante.

2. D’après le Philosophe, " l’amitié que l’on a pour les autres vient de l’amitié qu’on a pour soi-même ". Il semble d’après cela que l’amour de soi-même soit le principe de l’amour du prochain. Or, le principe l’emporte sur ce qui en découle. Donc l’homme ne doit pas aimer son prochain comme soi-même.

3. L’homme s’aime naturellement soi-même, mais non pas le prochain. Il n’est donc pas normal de commander à l’homme d’aimer son prochain comme soi-même.

En sens contraire, il est dit en S. Matthieu (22, 30) " Le second précepte est semblable au premier tu aimeras ton prochain comme toi-même. "

Réponse :

Ce précepte est donné comme il faut, car on y voit indiqués à la fois la raison que nous avons d’aimer, et le mode de l’amour. La raison d’aimer est touchée dans le mot même de prochain. Ce pourquoi, en effet, nous devons aimer les autres de charité, c’est qu’ils nous sont proches en raison de l’image naturelle de Dieu et aussi de leur capacité d’entrer dans la gloire. Il n’importe en rien d’ailleurs qu’on l’appelle prochain ou frère, comme dans la 1e épître de S. Jean (4, 20), ou ami comme dans le Lévitique (19, 18), car tous ces mots signalent une même affinité.

Quant au mode de l’amour, il est signalé lorsqu’on dit : " comme toi-même ", ce qui ne veut pas dire qu’il faut aimer le prochain autant que soi-même, mais de la même manière. Et cela de trois façons.

1° A considérer la fin : on aime le prochain pour Dieu, comme aussi l’on doit s’aimer soi-même pour Dieu ; et ainsi l’amour du prochain est-il saint.

2° A considérer la règle de l’amour : on ne s’accorde pas avec le prochain dans le mal, mais seulement dans le bien, comme aussi on ne doit satisfaire sa propre volonté que dans le bien ; ainsi l’amour du prochain est-il juste.

3° A considérer la raison de la dilection : on n’aime pas le prochain pour son avantage ou pour son plaisir propre mais pour cette raison que l’on veut pour le prochain du bien, de même que l’on se veut du bien à soi-même ; et ainsi l’amour du prochain est vrai, car lorsqu’on aime le prochain pour son avantage ou son plaisir propre, ce n’est pas le prochain que l’on aime vraiment, mais soi-même.

Solutions :

Cela donne la réponse aux Objections.

 

            Article 8 — L’ordre de la charité tombe-t-il sous le précepte ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car celui qui transgresse un précepte commet une injustice. Or, si l’on aime quelqu’un autant qu’on le doit et que cependant l’on aime un autre davantage, on ne commet d’injustice à l’égard de personne On ne transgresse donc pas le précepte. Donc l’ordre de la charité ne tombe pas sous le précepte.

2. Ce qui fait partie du précepte nous est suffisamment indiqué dans la Sainte Écriture. Or, l’ordre à mettre dans la charité dont il a été question précédemment ne nous est indiqué nulle part dans la Sainte Écriture. Donc il ne tombe pas sous le précepte.

3. L’ordre implique toujours quelque distinction. Or, c’est sans distinction que l’amour du prochain nous est prescrit par cette parole : " Tu aimeras ton prochain comme toi-même. " Donc l’ordre à mettre dans la charité ne fait pas partie du précepte.

En sens contraire, ce que Dieu fait en nous par la grâce, il nous l’enseigne par les préceptes, selon cette parole de Jérémie (31, 33) : " je mettrai ma loi dans leur cœur. " Or Dieu cause en nous l’ordre qu’il faut mettre dans la charité, selon cette parole du Cantique (2, 4) : " Il a ordonné en moi la charité. " Donc, l’ordre de la charité tombe sous le précepte de la loi.

Réponse :

On l’a dit, le mode qui fait essentiellement partie de l’acte vertueux tombe sous le précepte qui nous commande celui-ci. Or, l’ordre à mettre dans la charité fait essentiellement partie de la vertu, puisqu’il se prend de la proportion qui doit exister entre l’amour et ce qu’on doit aimer, nous l’avons montré. Il est donc manifeste que l’ordre de la charité doit tomber sous le précepte.

Solutions :

1. On accorde davantage à celui qui aime davantage. C’est pourquoi, si l’on aime moins celui que l’on doit aimer davantage, on accorde davantage à celui à qui il faudrait donner moins. On commet alors une injustice envers celui que l’on devrait aimer davantage.

2. L’ordre à mettre dans les quatre objets qu’il faut aimer de charité est indiqué dans la Sainte Écriture. Quand on nous commande en effet d’aimer Dieu de tout notre cœur, on nous laisse entendre que nous devons aimer Dieu par-dessus toute chose. Quand on nous commande d’aimer le prochain comme nous-même, on fait prévaloir l’amour de soi-même sur l’amour du prochain. De même encore, quand on nous commande (1 Jn 3, 16) de " donner notre vie pour nos frères ", c’est-à-dire la vie de notre corps, on nous laisse entendre que nous devons aimer le prochain davantage que notre propre corps.

Enfin, quand on nous commande (Ga 6, 10) " de faire plus de bien à nos frères dans la foi ", et quand on blâme (1 Tm 5, 8) " celui qui ne prend pas soin des siens, surtout de ses familiers ", on nous laisse entendre que nous devons aimer davantage ceux qui sont meilleurs et ceux qui nous sont plus proches.

3. L’expression : " Tu aimeras ton prochain " laisse entendre, par voie de conséquence, que ceux qui sont plus proches doivent être aimés davantage.

Nous allons maintenant considérer le don de sagesse qui correspond à la charité. D’abord la sagesse elle-même (Q. 45), ensuite le vice qui lui est opposé (Q. 46).

 

 

QUESTION 45 — LE DON DE SAGESSE

1. Doit-elle être comptée parmi les dons du Saint-Esprit ? - 2. Quel est son siège dans l’homme ? - 3. Est-elle seulement spéculative, ou bien est-elle aussi pratique ? - 4. La sagesse, qui est un don, peut-elle cœxister avec le péché mortel ? - 5. Existe-t-elle chez tous ceux qui ont la grâce sanctifiante ? - 6. Quelle béatitude lui correspond ?

 

            Article 1 — La sagesse doit-elle être comptée parmi les dons du Saint-Esprit ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. En effet, les dons sont plus parfaits que les vertus, nous l’avons dit précédemment. Or la vertu ne se réfère qu’au bien, ce qui a fait dire à S. Augustin que " personne ne fait un mauvais usage des vertus ". A plus forte raison en est-il ainsi des dons du Saint-Esprit, qui ne se réfèrent qu’au bien. Mais la sagesse se réfère aussi au mal. S. Jacques (3, 15) parle d’une sagesse " terrestre, animale, diabolique ". La sagesse ne doit donc pas être placée parmi les dons du Saint-Esprit.

2. D’après S. Augustin, " la sagesse est la connaissance des choses divines ". Or la connaissance des choses divines dont l’homme est naturellement capable relève de la sagesse, qui est une vertu intellectuelle. Quant à la connaissance surnaturelle des choses divines, elle appartient à la foi qui est une vertu théologale, nous l’avons montré antérieurement. On devrait donc appeler la sagesse une vertu plutôt qu’un don.

3. Nous lisons au livre de Job (28, 28) : " La crainte du Seigneur, voilà la sagesse ; s’écarter du mal, voilà l’intelligence. " Quant au texte des Septante utilisé par S. Augustin, il porte : " La piété, voilà la sagesse. " Or, la crainte aussi bien que la piété sont déjà placées parmi les dons du Saint-Esprit. Il n’y a donc pas lieu de compter la sagesse comme un don différent des autres.

En sens contraire, nous lisons en Isaïe (11, 2) : " Sur lui reposera l’esprit du Seigneur, esprit de sagesse et d’intelligence, etc. "

Réponse :

Selon le Philosophe, il revient au sage de considérer la cause la plus élevée par laquelle on peut juger de tout avec une grande certitude et d’après laquelle il faut tout ordonner. Or, la cause la plus élevée peut s’entendre d’une double façon : ou bien d’une manière absolue ou bien dans un certain domaine. Celui qui connaît la cause la plus élevée dans un domaine, peut grâce à elle juger et ordonner tout ce qui appartient à cet ordre de choses. Il est sage en ce domaine, par exemple en médecine ou en architecture. " Comme un sage architecte, j’ai posé les fondations ", écrit S. Paul (1 Co 3, 10). Mais celui qui connaît d’une manière absolue la cause la plus élevée qui est Dieu, on dit qu’il est sage absolument, en tant qu’il peut juger et ordonner toutes choses selon les règles divines. Or, c’est le Saint-Esprit qui donne à l’homme d’avoir un tel jugement. " L’homme spirituel juge toutes choses ", selon S. Paul, car " l’Esprit scrute tout, jusqu’aux profondeurs divines " (1 Co 2, 15). Il est donc évident que la sagesse est un don du Saint-Esprit.

Solutions :

1. On parle du bien de deux façons. D’une première façon, le bien est ce qui est vraiment bien et absolument parfait. D’une autre façon, par similitude, on dira qu’un être est bon lorsqu’il est parfait en malice. Ainsi on parlera d’un " bon voleur " ou d’un " parfait voleur ", comme le montre Aristote. Et de même qu’il existe une cause suprême dans le domaine des êtres vraiment bons, et c’est le souverain bien, fin ultime dont la connaissance rend l’homme vraiment sage ; de même il existe dans le domaine des êtres mauvais un être auquel les autres réfèrent comme à la fin ultime. L’homme qui connaît est un sage pour faire le mal. " Ils sont sages pour faire le mal, mais ils ne savent pas faire le bien ", dit Jérémie (4, 22). Quiconque en effet se détourne de la fin requise se donne nécessairement une fin mauvaise, parce que tout agent agit en vue de la fin. Quand on met sa fin dans biens terrestres, la sagesse est " une sagesse terrestre " ; si c’est dans les biens corporels, la sagesse est " une sagesse animale " ; si c’est dans quelque supériorité, la sagesse est " une sagesse diabolique ", car on imite l’orgueil du diable qui est (Jb 41, 26) " le roi de tous les fils de l’orgueil ".

2. La sagesse comptée parmi les dons du Saint-Esprit est différente de celle qui est comptée comme une vertu intellectuelle acquise. Car celle-ci s’obtient par l’effort humain, et celle-la, au contraire " descend d’en-haut ", comme dit S. Jacques (3, 15). Elle diffère aussi de la foi, car la foi donne son assentiment à la vérité divine considérée en elle-même, tandis que c’est le jugement conforme à la vérité divine qui est le fait du don de sagesse. Et c’est pourquoi le don de sagesse présuppose la foi, car " chacun juge bien ce qu’il connaît ", dit le Philosophe.

3. La piété qui relève du culte divin, manifeste notre foi en tant que nous professons cette foi en rendant un culte à Dieu ; c’est de la même manière que la piété manifeste la sagesse. Voilà pourquoi l’on dit que " la piété est sagesse ". Il en est de même pour la crainte. En effet, l’homme montre qu’il a un jugement juste en ce qui concerne les choses divines, parce qu’il craint et honore Dieu.

 

            Article 2 — Quel est le siège de la sagesse ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’elle réside dans l’intelligence, car pour S. Augustin " la sagesse est la charité de Dieu ". Mais la charité a son siège dans la volonté et non pas dans l’intelligence, comme on l’a vu plus haut. Donc la sagesse n’a pas son siège dans l’intelligence.

2. " La sagesse qui instruit justifie son nom " (Si 6, 22). Or, la sagesse s’appelle ainsi (sapientia) parce qu’elle est une science savoureuse (sapida scientia), ce qui semble relever du sentiment, auquel il appartient d’éprouver les joies et douceurs spirituelles. La sagesse n’a donc pas son siège dans l’intelligence, mais plutôt dans le sentiment.

3. La puissance intellectuelle est pleinement perfectionnée par le don d’intelligence. Et quand une chose suffit pour en parfaire une autre, ü est inutile d’en supposer plusieurs. La sagesse n’a donc pas son siège dans l’intelligence.

En sens contraire, selon S. Grégoire, la sagesse est contraire à la sottise. Mais la sottise est dans l’intelligence. Donc aussi la sagesse.

Réponse :

La sagesse, nous venons de le dire, implique que l’on juge avec une certaine rectitude selon les raisons divines. Mais cette rectitude de jugement peut exister de deux façons : ou bien en raison d’un usage parfait de la raison ; ou bien en raison d’une certaine connaturalité avec les choses sur lesquelles porte le jugement. Ainsi, en ce qui regarde la chasteté, celui qui apprend la science morale juge-t-il bien par suite d’une enquête rationnelle ; tandis que celui qui a l’habitus de chasteté en juge bien par une certaine connaturalité avec elle. Ainsi donc, en ce qui regarde le divin, avoir un jugement correct, en vertu d’une enquête de la raison, relève de la sagesse, qui est une vertu intellectuelle. Mais bien juger des choses divines par mode de connaturalité relève de la sagesse en tant qu’elle est un don du Saint-Esprit. Denys, parlant d’Hiérothée, dit de lui qu’il est parfait en ce qui concerne le divin " non seulement parce qu’il l’a appris, mais parce qu’il l’a éprouvé ". Cette sympathie ou connaturalité avec le divin nous est donnée par la charité qui nous unit à Dieu selon S. Paul (1 Co 6, 17) : " Celui qui s’unit à Dieu est avec lui un seul esprit. " Ainsi donc, la sagesse qui est un don a pour cause la charité qui réside dans la volonté ; mais elle a son essence dans l’intelligence, dont l’acte est de bien juger, comme on l’a vu antérieurement.

Solutions :

1. S. Augustin parle ici de la sagesse quant à sa cause. C’est de celle-ci qu’elle tient son nom de sagesse, selon qu’elle comporte une certaine saveur.

2. Cela éclaire la réponse à la deuxième objection, si cependant c’est bien le sens qu’il faut donner à ce texte. Il ne le semble pas, parce qu’une telle explication ne convient à la sagesse que selon son nom latin. En grec, ni peut-être en d’autres langues, cela ne va pas. Aussi semble-t-il plutôt que le mot sagesse est pris ici pour la réputation qu’elle possède aux yeux de tous.

3. L’intelligence a deux activités : elle perçoit et elle juge. A la première de ces activités est ordonné le don d’intelligence ; à la seconde, selon les valeurs divines, le don de sagesse, et, en ce qui concerne les valeurs humaines, le don de science.

 

            Article 3 — La sagesse est-elle seulement spéculative, ou bien est-elle aussi pratique ?

Objections :

1. Il semble que la sagesse ne soit pas pratique, mais seulement spéculative. En effet, le don de sagesse dépasse en excellence la sagesse considérée comme vertu intellectuelle. Or, comme vertu intellectuelle, la sagesse est uniquement spéculative. Donc, à plus forte raison, le don de sagesse est-il d’ordre spéculatif et non d’ordre pratique.

2. L’intelligence pratique concerne les actions à faire, qui sont contingentes. Mais la sagesse concerne le divin, qui est éternel et nécessaire. Donc la sagesse ne peut pas être pratique.

3. Selon S. Grégoire, " dans la contemplation on cherche le principe, qui est Dieu ; dans l’action au contraire, on peine sous le fardeau de la nécessité ". Or, la sagesse s’occupe de la vision du divin qui n’est pas un labeur écrasant ; comme dit le livre de la Sagesse (8, 16) : " Sa société ne cause pas d’amertume ni son commerce, d’ennui. " La sagesse est donc uniquement contemplative, elle n’est ni pratique ni active.

En sens contraire, il est écrit dans l’épître aux Colossiens (4, 5) : " Conduisez-vous en toute sagesse à l’égard de ceux du dehors. " Cela relève bien de l’action. Donc la sagesse n’est pas seulement spéculative, mais aussi pratique.

Réponse :

Selon S. Augustin, la partie supérieure de la raison est consacrée à la sagesse, et sa partie inférieure à la science. Or la raison supérieure, toujours selon S. Augustin, porte son attention sur les valeurs suprêmes " pour les considérer et les consulter ". Pour les considérer en ce qu’elle contemple le divin en lui-même ; pour les consulter en ce qu’à partir du divin elle juge les activités humaines, qu’elle dirige selon les règles divines. Ainsi donc, la sagesse comme don n’est pas seulement spéculative, mais aussi pratique.

Solutions :

1. Plus une vertu est élevée, plus son domaine est étendu, d’après le livre Des Causes. C’est pourquoi, du fait que la sagesse comme don est plus excellente que la sagesse comme vertu intellectuelle, puisqu’elle atteint Dieu de beaucoup plus près en raison de l’union qui s’établit entre l’âme et lui, elle a le pouvoir de diriger non seulement la contemplation, mais aussi l’actions.

2. Le divin en lui-même est nécessaire et éternel. Cependant il règle les affaires contingentes qui sont la matière des actes humains.

3. Il faut considérer une chose en elle-même avant de la comparer à une autre. C’est pourquoi la contemplation du divin appartient d’abord à la sagesse, qui est la vision du principe ; ultérieurement il lui appartient de diriger les actes humains selon les valeurs divines. Mais la sagesse n’apporte ni amertume ni labeur aux actes humains queue dirige. A cause d’elle au contraire, l’amertume se tourne plutôt en douceur, et le labeur en repos.

 

            Article 4 — La sagesse, qui est un don, peut-elle cœxister avec le péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que oui. En effet, les saints se glorifient avant tout de ces choses qui ne peuvent cœxister avec le péché mortel, selon S. Paul, qui dit (2 Co 1, 12) : " Notre gloire, c’est le témoignage de notre conscience. " Mais nul ne doit se glorifier de sa sagesse, selon Jérémie (9, 23) : " Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse. " Donc la sagesse peut exister sans la grâce, en compagnie du péché mortel.

2. La sagesse comporte une connaissance du divin, nous venons de le voir. Mais on peut avoir une connaissance de la vérité divine, même avec le péché mortel, si l’on en croit S. Paul (Rm 1, 18) - " Ils tiennent la vérité divine captive de l’injustice. " La sagesse peut donc cœxister avec le péché mortel.

3. Parlant de la charité, S. Augustin écrit : " Il n’y a rien de plus excellent que ce don de Dieu ; il est le seul à séparer les fils du royaume éternel et les fils de la perdition éternelle. " Or la sagesse est distincte de la charité ; elle ne sépare donc pas les fils du Royaume et les fils de la perdition. Donc elle peut cœxister avec le péché mortel.

En sens contraire, on lit au livre de la Sagesse (1, 4) : " La sagesse n’entrera pas dans une âme de mauvaise volonté, et n’habitera pas dans un corps soumis au péché. "

Réponse :

La sagesse, don du Saint-Esprit, permet de juger correctement le divin, comme on l’a dit , et les autres choses à partir des règles divines, en vertu d’une certaine connaturalité ou union avec le divin. Ce qui se réalise par la charité, nous l’avons dit. C’est pourquoi la sagesse dont nous parlons présuppose la charité. Or la charité ne peut pas exister en même temps que le péché mortel, comme nous l’avons montré plus haut’. Aussi faut-il conclure que la sagesse dont nous parlons ne peut cœxister avec le péché mortel.

Solutions :

1. Cette parole doit s’entendre de la sagesse qui concerne les choses du monde, ou les choses divines, mais jugées à partir des raisons humaines. De cette sagesse les saints ne se glorifient pas, mais ils avouent ne pas la posséder, selon cette parole des Proverbes (30, 2) : " La sagesse des hommes n’est pas en moi. " Mais ils se glorifient de la sagesse divine, selon S. Paul (1 Co 1, 30) : " Le Christ est devenu pour nous sagesse de Dieu. "

2. Il s’agit ici de la connaissance du divin que l’on obtient par une étude et une enquête de la raison. Elle peut cœxister avec le péché mortel. Tel n’est pas le cas de la sagesse dont nous parlons.

3. Si la sagesse diffère de la charité, elle la suppose cependant. C’est pourquoi elle sépare les fils de la perdition et les fils du Royaume.

 

            Article 5 — La sagesse existe-t-elle chez tous ceux qui ont la grâce sanctifiante ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car il vaut mieux posséder la sagesse que l’écouter. Or, il n’appartient qu’aux parfaits d’écouter la sagesse, selon cette parole de S. Paul (1 Co 2, 6) : " Nous parlons sagesse parmi les parfaits. " Ainsi donc, puisque tous ceux qui sont en état de grâce ne sont pas parfaits, il semble beaucoup moins vrai encore que tous ceux qui sont en état de grâce possèdent la sagesse.

2. " Il appartient au sage d’ordonner ", d’après Aristote u. Et S. Jacques (3, 17) dit que " la sagesse juge sans hypocrisie ". Mais il n’appartient pas à tous ceux qui ont la grâce de juger les autres ou de leur donner des ordres, mais seulement aux prélats. Ceux qui sont en état de grâce ne possèdent donc pas tous la sagesse.

3. " La sagesse nous est donnée contre la sottise ", dit S. Grégoire. Or il y a beaucoup de gens ayant la grâce, qui sont sots par nature. Le cas est net par exemple pour ceux qui, lors de leur baptême étaient déjà en état de démence, ou pour ceux qui ensuite, sans commettre de péché, sont devenus fous. Ainsi donc, la sagesse n’existe pas forcément chez tous ceux qui sont en état de grâce.

En sens contraire, celui qui est sans péché mortel est aimé de Dieu, car ayant la charité il aime Dieu, et " Dieu aime ceux qui l’aiment " (Pr 8, 17). Or, d’après le livre de la Sagesse (7, 28) : " Dieu n’aime que celui qui habite avec la Sagesse. " Donc, chez tous ceux qui sont en état de grâce et qui sont sans péché mortel, il y a la sagesse.

Réponse :

La sagesse dont nous parlons comporte une certaine rectitude de jugement en ce qui concerne le divin à considérer et à consulter, nous venons de le dire.

A ce double point de vue, les hommes obtiennent la sagesse à des degrés divers, selon leur union à Dieu. En effet, certains possèdent, en fait de jugement droit, aussi bien dans la contemplation du divin que dans l’organisation des affaires humaines selon les règles divines, uniquement ce qui est nécessaire au salut. Cette sagesse ne manque à personne qui soit sans péché mortel, par la grâce qui rend agréable à Dieu ; car, si la nature n’échoue jamais pour ce qui est nécessaire, la grâce y échoue beaucoup moins encore. C’est pourquoi, dit S. Jean (1 Jn 2, 27) : " L’onction vous enseignera toutes choses. "

Mais certains reçoivent le don de sagesse à un degré plus élevé. D’abord pour la contemplation des choses divines, dans la mesure où ils pénètrent les mystères les plus profonds et où ils peuvent les manifester aux autres. Et aussi pour la direction des choses humaines selon les règles divines, dans la mesure où ils peuvent non seulement se gouverner eux-mêmes selon ces règles, mais encore gouverner les autres. Ce degré de sagesse n’est pas commun à tous ceux qui sont en état de grâce, il est du domaine des grâces gratuites que le Saint-Esprit " distribue comme il veut ", selon S. Paul (1 Co 12, 8) : " A l’un c’est une parole de sagesse qui est donnée par l’Esprit, etc. "

Solutions :

1. L’Apôtre parle ici de la sagesse qui s’étend au mystère caché des choses divines, comme il l’explique au même endroit (1 Co 2, 7) : " Ce dont nous parlons, c’est d’une sagesse divine, mystérieuse et demeurée cachée. "

2. Quoiqu’il appartienne aux seuls prélats de donner des ordres aux autres hommes et de les juger, il appartient cependant à tout homme d’ordonner ses propres actes et de porter un jugement sur eux, comme le montre Denys.

3. Ceux qui sont baptisés sans avoir la raison, comme les enfants, ont cependant l’habitus de sagesse, selon qu’il est un don du Saint-Esprit. Mais ils n’en possèdent pas encore l’acte, à cause de l’obstacle corporel qui empêche en eux l’usage de la raison.

 

            Article 6 — Quelle béatitude correspond au don de sagesse ?

Objections :

1. Il semble que la septième béatitude ne corresponde pas au don de sagesse. Cette béatitude dit : " Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu. " Ces deux termes ressortissent immédiatement à la charité. Car on dit dans le Psaume (119, 165) : " Il y a une grande paix pour ceux qui aiment ta loi. " De son côté S. Paul a écrit (Rm 5, 5) : " L’amour de Dieu a été diffusé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ", lui qui est " l’Esprit d’adoption des fils, lui qui nous fait crier : "Abba, Père" " (Rm 8, 15). La septième béatitude doit donc être attribuée à la charité plutôt qu’à la sagesse.

2. Tout être se manifeste davantage par son effet prochain que par son effet éloigné. Or, l’effet prochain de la sagesse semble bien être la charité, selon cette parole (Sg 7, 27) sur la Sagesse : " Elle se répand à travers les nations dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes. " Quant à la paix et à l’adoption des fils, qui procèdent de la charité, on l’a dit, ce sont, semble-t-il, des effets éloignés de la sagesse. La béatitude qui répond à la sagesse devrait donc être déterminée selon l’amour de charité plutôt que selon la paix.

3. D’après S. Jacques (3, 17) : " La sagesse d’en-haut est premièrement pure, ensuite pacifique, discrète, compréhensive, conciliante, pleine de miséricorde et féconde en bonnes œuvres, sans partialité, sans hypocrisie. " La béatitude qui correspond à la sagesse ne doit donc pas être comprise selon la paix plutôt que selon les autres effets de la sagesse divine.

En sens contraire, d’après S. Augustin, " la sagesse convient aux pacifiques en qui l’on ne trouve aucun mouvement rebelle, mais l’obéissance à la raison ".

Réponse :

La septième béatitude s’adapte très bien au don de sagesse, quant au mérite et quant à la récompense. Au mérite se rattache la parole : " Heureux les artisans de paix. " On appelle ainsi ceux qui font la paix, en eux ou chez les autres. Or, faire la paix, c’est ramener les choses à l’ordre qui convient ; la paix est en effet " la tranquillité de l’ordre ", selon S. Augustin. Et comme mettre de l’ordre est du ressort de la sagesse, dit Aristote, il en résulte que la qualité d’artisan de paix est attribuée à la sagesse.

A la récompense se rattache la suite : " Ils seront appelés fils de Dieu. " On appelle certains " fils de Dieu " en tant qu’ils participent d’une similitude avec le Fils unique selon la nature divine, comme dit S. Paul (Rm 8, 29) : " Il les a prédestinés à reproduire l’image de son Fils ", qui est la Sagesse engendrée. Et c’est pourquoi, par la participation du don de sagesse, l’homme parvient à devenir fils de Dieu.

Solutions :

1. Il appartient à la charité de posséder la paix ; mais il appartient à la sagesse ordonnatrice de faire la paix. De même l’Esprit Saint reçoit la dénomination d’Esprit d’adoption en tant qu’il nous donne une ressemblance avec le Fils selon la nature, qui est la Sagesse engendrée.

2. Cela doit s’entendre de la Sagesse incréée qui s’unit à nous d’abord par le don de l’amour, et de ce fait nous révèle les mystères, dont la connaissance constitue la sagesse infuse. C’est pourquoi la sagesse infuse, qui est un don, n’est pas la cause de la charité, mais plutôt son effet.

3. Comme nous l’avons dit récemment, il appartient à la sagesse, qui est don, non seulement de contempler le divin, mais aussi de régler les actes humains. Dans cette régulation se présente d’abord l’éloignement des maux qui sont contraires à la sagesse. C’est pourquoi l’on dit que la crainte est " le commencement de la sagesse ", parce qu’elle nous fait fuir les maux. Au terme, par manière de fin, tout est ramené à l’ordre qui convient, ce qui relève de la paix. C’est pourquoi S. Jacques a très bien dit que la sagesse d’en haut qui est don de l’Esprit Saint, premièrement est pure, parce queue évite la corruption du mal ; et qu’elle est ensuite pacifique, ce qui correspond à son effet dernier. C’est pourquoi on lui attribue la béatitude. Ce qui suit dans la citation de S. Jacques montre bien que la sagesse ramène à la paix dans l’ordre qui convient. A celui qui, par la pureté, s’écarte de la corruption, la sagesse se présente d’abord pour qu’il garde la mesure en tout, autant qu’il le peut par lui-même ; en cela elle est dite discrète. Deuxièmement, elle le rend attentif aux conseils des autres, pour ce qui le dépasse ; en cela elle est dite compréhensive. Deux qualités qui permettent à l’homme d’établir la paix en lui-même.

Mais ensuite, pour que l’homme soit en paix avec les autres, il faut d’abord qu’ils ne s’oppose pas au bien des autres ; en cela, la sagesse est dite conciliante. Ensuite, qu’il compatisse par son affection et subvienne par son action aux déficiences d’autrui ; en cela la sagesse est dite pleine de miséricorde et féconde en bonnes œuvres. Enfin, il est nécessaire qu’il s’efforce de corriger les péchés avec charité, et en cela la sagesse est dite sans partialité et sans hypocrisie, car en cherchant la correction, il ne doit pas chercher à apaiser sa haine.

 

 

QUESTION 46 — LA SOTTISE

1. S’oppose-t-elle à la sagesse ? - 2. Est-elle un péché ? - 3. A quel vice capital se ramène-t-elle ?

 

            Article 1 — La sottise s’oppose-t-elle à la sagesse ?

Objections :

1. La sottise ne semble pas s’opposer à la sagesse. A la sagesse, en effet semble s’opposer directement la déraison. Or la sottise n’est pas la même chose que la déraison, car la déraison, comme la sagesse, a trait seulement aux choses divines, tandis que la sottise a trait aux choses divines et aux choses humaines.

2. De deux opposés, l’un ne peut être la voie pour parvenir à l’autre. Or la sottise est la voie pour parvenir à la sagesse, comme dit S. Paul (1 Co 3,18) : " Si quelqu’un parmi vous se croit un sage à la manière du monde, qu’il se fasse sot pour devenir sage. " La sottise n’est donc pas opposée à la sagesse.

3. De deux opposés, l’un ne peut être cause de l’autre. Or la sagesse est cause de la sottise ; en effet, selon Jérémie (10, 14) : " Tout homme devient sot par sa science. " Et la sagesse est une certaine science. De même Isaïe (47, 10) : " Ta sagesse et ta science, ce sont elles qui t’ont trompé. " Or cette déception se réfère à la sottise. Donc la sottise ne s’oppose pas à la sagesse.

4. Isidore a dit que " le sot est celui qui n’est pas attristé par l’ignominie ni ébranlé par l’outrage ". Or cela appartient à la sagesse spirituelle, comme l’affirme S. Grégoire. La sottise ne s’oppose donc pas à la sagesse.

En sens contraire, pour S. Grégoire, " le don de sagesse nous est donné contre la sottise ".

Réponse :

Le mot stultitia (sottise) semble venir de stupor (stupeur). C’est pourquoi Isidore dit : " Le sot est celui qui, par stupeur, ne bouge pas. " La sottise diffère de la folie, comme il est dit au même endroit, en ce qu’elle comporte un engourdissement du cœur et obscurcissement des sens, tandis que la folie implique une totale privation de sens. C’est pourquoi il est juste d’opposer la sottise à la sagesse. " En effet, dit Isidore, "sage" (sapiens) vient de saveur (sapor) parce que, de même que le goût est capable de distinguer la saveur des aliments, de même le sage est capable de discerner les réalités et les causes. " Aussi est-il clair que la sottise s’oppose à la sagesse comme à son contraire, tandis que la folie s’y oppose comme sa pure négation. Car le fou est dépourvu du sens du jugement ; le sot, lui, a ce sens, mais hébété, tandis que le sage l’a subtil et pénétrant.

Solutions :

1. Comme dit Isidore au même endroit, l’insensé (insipiens) est le contraire du sage (sapiens) parce qu’il n’a pas la saveur du discernement et du sens. Aussi le manque de sens semble-t-il être identique à la sottise. Mais on dira principalement que quelqu’un est sot lorsqu’il présentera un manque de jugement à l’égard de la cause suprême ; car s’il manque de jugement sur un menu détail, on ne le traitera pas de sot pour cela.

2. De même qu’il y a une mauvaise sagesse, on vient de le dire, celle qui est appelée sagesse du monde, parce qu’elle tient un bien terrestre pour la cause suprême et pour la fin ultime, de même il y a une bonne sottise, qui s’oppose à la mauvaise sagesse, celle par laquelle on méprise les choses de la terre. C’est de cette sottise-là que parle l’Apôtre. La sagesse du monde est celle qui déçoit et qui rend sot aux yeux de Dieu. Cela ressort des paroles de l’Apôtre (1 Co 3, 19).

4. Ne pas être ébranlé par les outrages provient parfois de ce qu’on ne goûte pas les choses de la terre, mais seulement les choses du ciel. Aussi cela relève de la sottise pour le monde, et de la sagesse selon Dieu, dit S. Grégoire. Mais parfois aussi cela provient de ce qu’on est simplement stupide en face de tout. Ce qui est le cas des déments, qui ne saisissent pas les outrages. Et cela relève de la sottise absolue.

 

            Article 2 — La sottise est-elle un péché ?

Objections :

1. La sottise ne semble pas être un péché, car il n’y a pas de péché qui provienne en nous de la nature. Or il y a des gens qui sont sots par nature. Donc la sottise n’est pas un péché.

2. Tout péché est volontaire, dit S. Augustin. Or la sottise n’est pas volontaire. Elle n’est donc pas un péché.

3. Tout péché s’oppose à un précepte divin. Mais la sottise ne s’oppose à aucun précepte. Donc la sottise n’est pas un péché.

En sens contraire, on lit dans les Proverbes (1, 32 Vg) : " La prospérité des sots les perdra. " Or personne ne se perd à moins de pécher. Donc la sottise est un péché.

Réponse :

Comme nous venons de le dire, la sottise comporte une certaine hébétude dans le jugement, et surtout en ce qui concerne la cause suprême, qui est la fin ultime et le souverain bien. Mais on peut souffrir d’hébétude dans le jugement de deux façons. 1° En vertu d’une mauvaise disposition naturelle, comme il apparaît chez les déments. Cette sottise-là n’est pas un péché. 2° En tant que l’homme est tellement plongé par les sens dans les choses terrestres qu’il en devient inapte à percevoir les choses divines, comme dit S. Paul (1 Co 2, 14) : " L’homme animal ne perçoit plus ce qui vient de l’Esprit Saint ", de même que pour celui qui a le goût infecté par une humeur mauvaise, les aliments sucrés ont perdu leur saveur.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. Bien que personne ne veuille la sottise, on veut cependant ce qui conduit à la sottise : se détourner des biens spirituels et se plonger dans les terrestres. La même chose se produit pour les autres péchés. Car le luxurieux veut le plaisir sans lequel il n’y a pas de péché, bien qu’il ne veuille pas le péché : il voudrait en effet obtenir la jouissance sans le péché.

3. La sottise s’oppose aux préceptes relatifs à la contemplation de la vérité, préceptes dont on a parlé plus haut quand il s’est agi de la science et de l’intelligence.

 

            Article 3 — A quel vice capital la sottise se ramène-t-elle ?

Objections :

1. Il semble que la sottise ne soit pas fille de la luxure, car S. Grégoire énumère les filles de la luxure, parmi lesquelles on ne trouve pas la sottise.

2. L’Apôtre dit (1 Co 3, 19) : " La sagesse de ce monde est sottise devant Dieu. " Mais selon S. Grégoire, " c’est une sagesse du monde que de cacher ses sentiments par des artifices ", ce qui appartient à la duplicité. La sottise est donc davantage fille de la duplicité que de la luxure.

3. C’est par la colère principalement que certains tournent à la fureur et à la dérision. La sottise naît donc davantage de la colère que de la luxure.

En sens contraire, on lit dans les Proverbes (7, 22) : " Aussitôt il suit la courtisane, comme un sot ignorant les liens vers lesquels elle l’attire. "

Réponse :

Comme on vient de le dire, la sottise qui est un péché, provient de ce que le sens spirituel est hébété et n’est plus apte à juger des choses spirituelles. Or le sens de l’homme est plongé dans les biens terrestres surtout par la luxure, qui recherche les plaisirs les plus puissants, ceux qui absorbent l’âme au maximum. C’est pourquoi la sottise qui est un péché, naît surtout de la luxure.

Solutions :

1. Il appartient à la sottise de donner le dégoût de Dieu et de ses dons. Aussi S. Grégoire nomme-t-il parmi les filles de la luxure deux péchés qui se rapportent à la sottise ; " la haine de Dieu et le désespoir du siècle futur ", ce qui divise ainsi la sottise en deux parties.

2. Ce mot de l’Apôtre n’est pas à entendre à titre causal mais à titre essentiel. Car c’est la sagesse du monde elle-même qui est sottise devant Dieu. Il n’est donc pas nécessaire que tout ce qui appartient à la sagesse du monde soit cause de cette sottise.

3. Nous l’avons dit antérieurement, la colère, en raison de son agressivité, est ce qui modifie le plus la complexion du corps. C’est pourquoi elle est surtout cause de la sottise qui provient d’un obstacle corporel. Mais la sottise, qui provient d’un obstacle spirituel, c’est-à-dire de l’enlisement de l’esprit dans le terrestre, naît surtout de la luxure, on vient de le dire.

LA PRUDENCE

Logiquement, à la suite des vertus théologales, vient en premier lieu, au sujet des vertus cardinales, l’étude de la prudence. I. La nature de la prudence (Q. 47). - II. Ses parties (Q. 48-51). - III. Le don qui lui correspond (Q. 52). - IV. Les vices opposés (Q. 53-55). - V. Les préceptes qui s’y rapportent (Q. 56).

 

QUESTION 47 — LA NATURE DE LA PRUDENCE

1. La prudence est-elle dans la volonté ou dans la raison ? - 2. Si elle est dans la raison, est-elle seulement dans la raison pratique, ou aussi dans la raison spéculative ? - 3. A-t-elle connaissance des singuliers ? - 4. Est-elle une vertu ? - 5. Est-elle une vertu spéciale ? - 6. Fournit-elle leur fin aux vertus morales ? - 7. Établit-elle leur milieu ? - 8. Commander est-il son acte principal ? - 9. La sollicitude ou vigilance se rapporte-t-elle à la prudence ? - 10. La prudence s’étend-elle au gouvernement de la multitude ? - 11. La prudence qui regarde le bien propre est-elle de même espèce que celle qui s’étend au bien commun ? - 12. La prudence est-elle chez les sujets ou seulement chez les princes ? - 13. Se trouve-t-elle chez les pécheurs ? - 14. Se trouve-t-elle chez tous les bons ? - 15. Est-elle en nous par nature ? - 16. La perd-on par l’oubli ?

 

            Article 1 — La prudence est-elle dans la volonté ou dans la raison ?

Objections :

1. Il semble que la prudence ne soit pas dans la faculté cognitive mais dans la faculté appétitive. S. Augustin dit en effet : " La prudence est un amour qui choisit avec sagacité ce qui lui est utile en le discernant de ce qui lui fait obstacle. " Or l’amour n’est pas dans la faculté cognitive mais dans la faculté appétitive. Celle-ci est donc le siège de la prudence.

2. Comme il ressort de la définition citée, il appartient à la prudence de " choisir avec sagacité ". Mais le choix ou élection est l’acte de la puissance appétitive, on l’a montré précédemment. Donc la prudence n’est pas dans la puissance cognitive, mais dans la puissance appétitive.

3. Le Philosophe dit que " si en art celui qui se trompe volontairement est d’un plus grand mérite, en prudence il est d’un mérite moindre, comme en matière de vertu ". Mais les vertus morales, dont il parle dans ce texte, sont dans la partie appétitive, tandis que l’art est dans la raison. Donc la prudence est plutôt dans la partie appétitive que dans la raison.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " La prudence est la connaissance des choses qu’il faut vouloir et des choses qu’il faut fuir. "

Réponse :

Comme dit Isidore : " Le prudent est ainsi appelé comme voyant loin (prudens = porro videns) ; il est perspicace en effet et voit les vicissitudes des choses incertaines. " Or, l’acte de voir n’appartient pas à la puissance appétitive mais à la puissance cognitive. Il est donc évident que la prudence concerne directement la faculté cognitive. Non toutefois la faculté sensible : par celle-ci en effet l’on connaît seulement les choses présentes et proposées aux sens. Tandis que connaître le futur à partir du présent et du passé, ce qui est le fait de la prudence, appartient proprement à la raison ; on y procède en effet par le moyen d’une certaine confrontation. Il reste que la prudence est proprement dans la raison.

Solutions :

1. Comme il a été dit précédemment, la volonté meut toutes les puissances à leurs actes. Or, le premier acte de la faculté appétitive est l’amour, comme on l’a dit. Ainsi donc la prudence est appelée un amour, non pas essentiellement, mais en tant que l’amour pousse à l’acte de la prudence. Aussi S. Augustin ajoute-t-il à la suite que " la prudence est un amour discernant bien ce qui l’aide à tendre vers Dieu de ce qui peut l’en empêcher ". Et l’on dit de l’amour qu’il discerne en tant qu’il pousse la raison à discerner.

2. Le prudent considère ce qui est loin pour autant qu’une aide ou un empêchement en provient envers ce qui doit être accompli présentement. D’où il est clair que ce qui tombe sous la considération du prudent dit ordre à autre chose comme à sa fin. Or, pour les moyens en vue d’une fin il y a le conseil dans la raison, et l’élection dans l’appétit. De ces deux actes, le conseil concerne plus proprement la prudence : le Philosophe h dit en effet que le prudent " délibère bien ". Mais parce que l’élection présuppose le conseil - elle est en effet " l’appétit de ce qui a été préalablement délibéré ", selon Aristote - l’acte même de choisir peut être attribué de façon logique à la prudence, en ce sens que par le conseil elle dirige l’élection.

3. La réussite de la prudence ne consiste pas dans la simple considération, mais dans l’application à l’œuvre, ce qui est la fin de la raison pratique. Et c’est pourquoi il serait souverainement contraire à la prudence de manquer cette application ; car, de même que la fin est ce qu’il y a de plus important en tout domaine, ainsi manquer la fin est ce qu’il y a de pire. D’où la remarque complémentaire du Philosophe au même endroit, selon laquelle la prudence " n’est pas seulement avec la raison ", comme l’art ; elle comporte en effet, comme on l’a dit, l’application à l’œuvre, ce qui se fait par la volonté.

 

            Article 2 — La prudence est-elle seulement dans la raison pratique, ou aussi dans la raison spéculative ?

Objections :

1. Il semble que la prudence n’ait pas rapport seulement à la raison pratique mais aussi à la raison spéculative. Il est dit en effet dans les Proverbes (10, 23) : " La prudence est sagesse pour l’homme. " Mais la sagesse consiste principalement dans la contemplation. Donc aussi la prudence.

2. S. Ambroise déclare : " La prudence s’occupe de la recherche du vrai, et elle inspire le désir d’une science plus complète. " Mais cela relève de la raison spéculative. Donc la prudence consiste aussi dans la raison spéculative.

3. L’art et la prudence sont situés par le Philosophe dans la même partie de l’âme. Mais l’art n’est pas seulement pratique, il est aussi spéculatif, comme on le voit dans les arts libéraux. Donc il y a aussi et une prudence pratique et une prudence spéculative.

En sens contraire, le Philosophe dit que " la prudence est la droite règle de l’action ". Mais cela ne relève que de la raison pratique. Donc la prudence n’est nulle part ailleurs que dons la raison pratique.

Réponse :

Comme dit le Philosophe " il appartient au prudent de pouvoir bien délibérer. " Or la délibération ou conseil porte sur ce que nous avons à faire par rapport à une fin. Mais la raison relative aux actions en vue d’une fin est la raison pratique. D’où il est évident que la prudence ne consiste en rien d’autre que la raison pratique.

Solutions :

1. Comme il a été dit plus haut, la sagesse considère la cause absolument la plus élevée. Aussi la considération de la cause la plus élevée en un genre donné prend-elle rang de sagesse en ce genre-là. Or, dans le genre des actes humains, la cause la plus élevée est la fin commune à la vie humaine tout entière. Et telle est la fin que vise la prudence. Le Philosophe dit en effet que celui qui raisonne bien à l’égard d’une fin particulière, par exemple la victoire, est appelé prudent, non absolument, mais dans ce genre, à savoir dans l’art de la guerre ; ainsi celui qui raisonne bien à l’égard du bien vivre tout entier est appelé prudent absolument. D’où il est évident que la prudence est sagesse en l’ordre des choses humaines, mais non pas sagesse absolument, car elle ne s’attache pas à la cause la plus élevée absolument ; en effet la prudence a pour objet le bien humain, et l’homme n’est pas ce qu’il y a de meilleur entre tous les êtres. Aussi est-il dit expressément que la prudence est " sagesse pour l’homme ", et non pas sagesse absolument.

2. S. Ambroise et de même Cicéron emploient le mot prudence au sens large, comme signifiant toute connaissance humaine, tant spéculative que pratique. On peut dire pourtant que l’acte de la raison spéculative lui-même, en tant qu’il est volontaire, tombe sous l’élection et le conseil quant à son exercice, et par conséquent tombe sous l’ordre et l’autorité de la prudence. Mais quant à son espèce, en tant qu’on le rapporte à son objet qui est le vrai nécessaire, il ne tombe ni sous le conseil ni sous la prudence.

3. Toute application de la raison droite à une fabrication relève de l’art. Mais de la prudence relève la seule application de la raison droite aux objets de la délibération. Et l’on délibère là où les voies conduisant à la fin ne sont pas déterminées, comme dit Aristote. Donc, puisque la raison spéculative produit certains effets, comme le syllogisme, la proposition, etc., où l’on procède selon des voies fixes et déterminées, la raison d’art est sauve par rapport à cela, mais non pas la raison de prudence. Et c’est pourquoi l’art est quelquefois spéculatif, tandis que la prudence ne l’est jamais.

 

            Article 3 — La prudence a-t-elle connaissance des singuliers ?

Objections :

1. Il semble que non. La prudence est en effet dans la raison, comme on vient de le dire. Mais la raison a pour objet les universels, dit Aristote. Donc la prudence n’a connaissance que des universels.

2. Les singuliers sont infinis. Mais la raison ne peut embrasser ce qui est infini. Donc la prudence, qui est une raison droite, n’a pas pour objet les singuliers.

3. Ce qui est particulier est connu par le sens. Mais la prudence n’est pas dans le sens ; beaucoup en effet, qui sont doués de sens extérieurs perspicaces, ne sont pas prudents. Donc la prudence n’a pas pour objet les singuliers.

En sens contraire, le Philosophe dit que " la prudence ne se rapporte pas seulement aux universels, mais doit connaître aussi les singuliers ".

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, il revient à la prudence, non seulement de considérer selon la raison, mais encore de s’appliquer à l’œuvre, ce qui est la fin de la raison pratique. Or, personne ne peut appliquer convenablement une chose à une autre s’il ne les connaît toutes deux : ce qu’il faut appliquer, et ce à quoi il faut l’appliquer. Mais les actions ont lieu dans le singulier. Et c’est pourquoi il est nécessaire que le prudent connaisse et les principes universels de la raison et les singuliers, objets des opérations.

Solutions :

1. La raison concerne en premier lieu et à titre principal les universels ; elle peut cependant appliquer les raisons universelles aux particuliers, et de là vient que les conclusions des syllogismes ne sont pas seulement universelles mais aussi particulières ; car l’intelligence s’étend à la matière par le moyen d’une certaine réflexion, selon Aristote.

2. L’infinité des singuliers ne pouvant être embrassée par la raison humaine, il s’ensuit que " nos providences sont incertaines ", comme dit le livre de la Sagesse (9, 14). Cependant, par l’expérience, l’infinité des singuliers est réduite au nombre fini des cas les plus fréquents, dont la connaissance suffit à la prudence humaine.

3. Comme dit le Philosophe, la prudence ne consiste pas dans le sens extérieur par lequel nous connaissons les sensibles propres, mais dans le sens intérieur, rendu apte par la mémoire et l’expérience à juger promptement des choses particulières qu’on a perçues. Non toutefois en ce q ‘ ne la prudence serait dans le sens intérieur comme dans son siège principal : mais elle est à titre principal dans la raison, et c’est par une certaine application queue s’étend jusqu’au sens dont on vient de parler.

 

            Article 4 — La prudence est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non. S. Augustin dit en effet que la prudence est " la science des choses à vouloir et à éviter ". Mais la science se divise contre la vertu, comme le montre Aristote. Donc la prudence n’est pas une vertu.

2. Il n’y a pas de vertu de la vertu. Mais l’art a sa vertu, dit le Philosophe. Donc l’art n’est pas une vertu. Mais dans l’art est contenue la prudence : il est dit en effet de Hiram (2 Ch 2, 14) qu’il savait " graver toute sorte de figures et inventer avec prudence tout ce qui est nécessaire pour un ouvrage ". Donc la prudence n’est pas une vertu.

3. Aucune vertu ne peut être démesurée. Mais la prudence est démesurée ; sinon il n’y aurait pas de raison de dire dans les Proverbes (23, 4) : " Mets une mesure à ta prudence. " Donc la prudence n’est pas une vertU3.

En sens contraire, S. Grégoire dit que " les quatre vertus sont : la prudence, la tempérance, la force et la justice ".

Réponse :

Comme il a été dit lorsqu’on traitait des vertus en général, " la vertu rend bon celui qui la possède, et bonne l’œuvre qu’il accomplit ". Or, le bien peut se dire en deux sens : matériellement, pour désigner ce qui est bon ; formellement, où il s’entend selon la raison de bien. Mais le bien, en tant que tel, est objet de la faculté appétitive. C’est pourquoi, s’il y a des habitus qui rectifient l’acte rationnel de la connaissance, sans égard à la rectitude de l’appétit, ils vérifient à un moindre degré la raison de vertu ; ils se rapportent en effet au bien compris matériellement, c’est-à-dire à quelque chose qui de fait est bon, mais non pas considéré sous la raison de bien. Tandis que les habitus qui regardent la rectitude de l’appétit vérifient davantage la raison de vertu, car ils regardent le bien non seulement matériellement mais encore formellement, c’est-à-dire qu’ils se rapportent au bien considéré sous la raison de bien. Or, il revient à la prudence, nous l’avons dit, d’appliquer la raison droite à l’œuvre, ce qui ne se fait pas sans un appétit droit. C’est pourquoi la prudence ne vérifie pas seulement la raison de vertu que possèdent les autres vertus intellectuelles, mais elle possède en outre la raison de vertu que possèdent les vertus morales, au nombre desquelles elle figure aussi.

Solutions :

1. S. Augustin dans ce texte entend la science au sens large pour signifier tout ce qui est raison droite.

2. Le Philosophe soumet l’art à une vertu parce qu’il n’inclut pas la rectitude de l’appétit ; aussi, pour qu’on se serve correctement de l’art, faut-il posséder la vertu qui rend l’appétit droit. Or la prudence n’a pas sa place dans ce qui relève de l’art ; parce que l’art est ordonné à une fin particulière, et aussi parce qu’il emploie des moyens déterminés pour parvenir à sa fin. Si l’on dit cependant de quelqu’un qu’il œuvre avec prudence dans le domaine de l’art, c’est par similitude ; dans certains arts en effet, à cause de l’indétermination des moyens par lesquels on parvient à la fin, une délibération est nécessaire : ainsi en médecine et en navigation, comme dit encore Aristote.

3. Cette parole du Sage n’est pas à entendre comme si la prudence elle-même devait être mesurée ; mais en ce sens qu’il faut imposer à toutes choses la mesure de la prudence.

 

            Article 5 — La prudence est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il semble que non. Aucune vertu spéciale en effet ne figure dans la définition générale de la vertu. Mais la prudence y figure, puisque, chez Aristote, la vertu est définie : " Un habitus électif consistant dans un milieu déterminé par la raison à notre égard, tel que l’homme sage le déterminera. " Or la droite raison s’entend selon la prudence, dit encore Aristote. Donc la prudence n’est pas une vertu spéciale.

2. Le Philosophe dit : " La vertu morale fait que l’on agit droit à l’égard de la fin, la prudence à l’égard des moyens ordonnés à la fin. " Mais en toute vertu il y a quelque chose à accomplir en vue de la fin. Donc la prudence se trouve en toute vertu. Elle n’est donc pas une vertu spéciale.

3. Une vertu spéciale a un objet spécial. Mais la prudence n’a pas d’objet spécial : elle est en effet " la droite raison de l’action ", dit Aristote ; or toutes les œuvres vertueuses relèvent de l’action. Donc la prudence n’est pas une vertu spéciale.

En sens contraire, elle figure avec les autres dans la division et l’énumération des vertus. Il est dit en effet de la Sagesse (8, 7) : " Elle enseigne la sobriété et la prudence, la justice et la force. "

Réponse :

L’acte et l’habitus recevant leur espèce des objets, comme il ressort de ce qu’on a dit, nécessairement, l’habitus auquel répond un objet spécial distinct des autres doit être un habitus spécial ; et s’il est bon, c’est une vertu spéciale. Or, l’objet spécial s’entend non selon qu’on le considère matériellement, mais plutôt selon sa raison formelle, comme il ressort de ce qu’on a dit plus haut : car une seule et même réalité tombe sous l’acte de divers habitus et même de diverses puissances, selon des raisons diverses. Mais pour fonder une diversité de puissance il est requis une plus grande diversité de l’objet que pour fonder une diversité d’habitus, étant donné que plusieurs habitus se trouvent dans une seule puissance, nous l’avons vu. La diversité de la raison objective diversifiant, la puissance diversifie donc bien davantage l’habitus.

En conséquence, on dira que la prudence étant dans la raison, nous l’avons dit, elle se distingue des autres vertus intellectuelles selon la diversité matérielle des objets. Car la sagesse, la science et l’intelligence concernent les réalités nécessaires ; l’art et la prudence, les réalités contingentes ; mais l’art a pour objet les choses fabriquées, c’est-à-dire constituées dans une matière extérieure, comme une maison, un couteau, etc., tandis que la prudence concerne les actions, lesquelles ont leur existence dans l’agent lui-même, nous l’avons montré. Mais par rapport aux vertus morales, la prudence se distingue selon la raison formelle qui fonde la distinction des puissances : d’une part la puissance intellectuelle, sujet de la prudence ; d’autre part la puissance appétitive, sujet de la vertu morale. D’où il est évident que la prudence est une vertu spéciale, distinguée de toutes les autres vertus.

Solutions :

1. Cette définition n’est pas celle de la vertu en général, mais de la vertu morale. Il est convenable de faire figurer dans la définition de celle-ci la vertu intellectuelle ayant une matière commune avec elle, à savoir la prudence ; de même en effet que le sujet de la vertu morale participe de la raison, ainsi la vertu morale a-t-elle raison de vertu en tant qu’elle participe de la vertu intellectuelle.

2. Il suit de ce raisonnement que la prudence aide toutes les vertus et opère en toutes. Mais cela ne suffit pas pour montrer qu’elle n’est pas une vertu spéciale ; car rien n’empêche qu’il y ait dans un genre une espèce opérant de quelque façon dans toutes les espèces du même genre : comme le soleil répand son influence de quelque façon sur tous les corps.

3. L’action est matière de la prudence selon qu’elle est objet de la raison, à savoir sous la raison de vrai. Mais elle est matière des vertus morales selon qu’elle est objet de la puissance appétitive, à savoir sous la raison de bien.

 

            Article 6 — La prudence fournit-elle leur fin aux vertus morales ?

Objections :

1. Il semble bien, car, puisque la prudence est dans la raison, et la vertu morale dans l’appétit, il semble que la prudence soit avec la vertu morale dans le rapport de la raison avec l’appétit. Mais la raison assigne sa fin à la puissance appétitive. Donc la prudence assigne leur fin aux vertus morales.

2. L’homme dépasse les êtres irrationnels par sa raison, mais pour le reste il leur est semblable. Les autres parties de l’homme sont donc avec sa raison dans le même rapport que l’homme avec les créatures irrationnelles. Mais l’homme est la fin des créatures irrationnelles, dit Aristote. Donc toutes les autres parties de l’homme sont ordonnées à la raison comme à leur fin. Mais la prudence est la droite raison de l’action comme il a été dit plus haut. Donc toutes les actions à faire sont ordonnées à la prudence comme à leur fin. Elle assigne donc leur fin à toutes les vertus morales.

3. Le propre de la vertu, de l’art ou de la puissance à laquelle appartient la fin, est de commander aux autres vertus ou aux autres arts auxquels appartient ce qui est ordonné à la fin. Mais la prudence dispose des autres vertus morales et elle leur commande. Donc elle leur assigne la fin.

En sens contraire, le Philosophe dit que " la vertu morale rectifie l’intention de la fin, la prudence, les moyens ordonnés à la fin ". Donc il n’appartient pas à la prudence de fournir leur fin aux vertus morales, mais seulement de disposer de ce qui est ordonné à la fin.

Réponse :

La fin des vertus morales est le bien humain. Or, le bien de l’âme humaine est d’être conformée à la raison, comme le montre Denys. Aussi est-il nécessaire que les fins des vertus morales préexistent dans la raison. Mais comme il y a dans la raison spéculative certaines connaissances naturelles, relevant de l’intelligence et certaines connaissances obtenues par le moyen de celles-là, à savoir les conclusions, relevant de la science ; ainsi préexistent dans la raison pratique certaines connaissances naturelles au titre de principes et telles sont les fins des vertus morales car la fin dans l’action tient la place du principe dans la spéculation comme nous l’avons montré ; et certaines connaissances sont dans la raison pratique comme des conclusions ; et telles sont les connaissances relatives à ce qui est ordonné a la fin, auxquelles nous parvenons à partir des fins elles-mêmes. La prudence concerne ces connaissances-là, puisqu’elle applique les principes universels aux conclusions particulières en matière d’action. C’est pourquoi il n’appartient pas à la prudence de fournir leur fin aux vertus morales, mais seulement d’organiser ce qui est en vue de la fin.

Solutions :

1. Les vertus morales reçoivent leur fin de la raison naturelle appelée syndérèse, comme on l’a vu dans la première Partie, mais non pas de la prudence, pour la raison qu’on, vient de dire.

2. Cela répond à la deuxième objection.

3. La fin n’appartient pas aux vertus morales comme si elles-mêmes assignaient la fin, mais parce qu’elles tendent à la fin assignée par la raison naturelle. Elles y sont aidées par la prudence qui leur prépare la voie en disposant ce qui est ordonné à la fin. D’où il suit que la prudence est plus noble que les vertus morales et les met en mouvement. Mais la syndérèse meut la prudence comme l’intelligence des principes meut la science.

 

            Article 7 — La prudence établit-elle le milieu des vertus morales ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, atteindre le milieu est la fin des vertus morales. Mais la prudence n’assigne pas leur fin aux vertus morales, comme on vient de le voir. Donc elle ne trouve pas le milieu qui leur convient.

2. Ce qui existe par soi ne semble pas avoir de cause mais être soi-même cause de soi ; car toute chose est dite exister par sa cause. Mais se situer dans un milieu convient à la vertu morale par soi, cette clause figurant dans sa définition, comme il ressort de ce qu’on a dit. La prudence ne cause donc pas le milieu dans les vertus morales.

3. La prudence opère par mode de raison. Mais la vertu morale tend à son milieu par mode de nature ; comme le dit en effet Cicéron " la vertu est un habitus conforme à la raison par mode de nature ". Donc la prudence n’assigne pas leur milieu aux vertus morales.

En sens contraire, il est dit dans la définition de la vertu rapportée plus haut qu’elle consiste dans un milieu déterminé par la raison, tel que l’homme sage le déterminera.

Réponse :

La conformité à la raison droite est la fin propre de toute vertu morale ; car l’intention de la tempérance est que l’homme ne s’écarte pas de la raison sous l’effet des convoitises ; pareillement, celle de la force est qu’il ne s’écarte pas du droit jugement de la raison sous l’effet de la crainte ou de l’audace. Et cette fin est assignée à l’homme selon la raison naturelle, car celle-ci dicte à chacun d’agir selon la raison. Mais comment et par quelles voies l’homme qui agit peut atteindre le milieu raisonnable, cela appartient à la disposition de la prudence. En effet, bien qu’atteindre le milieu soit la fin de la vertu morale, cependant ce milieu n’est trouvé que par la droite disposition de ce qui est ordonné à la fin.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. L’agent naturel fait que la forme se trouve dans la matière ; cependant il ne fait pas que les propriétés appartenant par soi à la forme conviennent à celle-ci. De même la prudence, elle aussi, constitue le milieu dans les passions et opérations ; elle ne fait pas cependant que rechercher le milieu convenant à la vertu.

3. La vertu morale tend par mode de nature à parvenir à son milieu. Mais parce que le milieu ne se trouve pas de la même manière dans tous les cas, l’inclination naturelle, qui agit toujours de la même manière, n’y suffit pas, et la raison prudente y est requise.

 

            Article 8 — Commander est-il l’acte principal de la prudence ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, commander se rapporte au bien qui est à faire. Mais S. Augustin attribue pour acte à la prudence de " prévoir et éviter les embûches ". Donc commander n’est pas l’acte principal de la prudence.

2. Le Philosophe dit qu’ " il appartient au prudent de bien délibérer ". Mais délibérer et commander semblent être deux actes différents, comme il ressort de ce qu’on a dit précédemment. Donc l’acte principal de la prudence n’est pas de commander.

3. Commander ou donner un ordre semble appartenir à la volonté ; en effet cette puissance a pour objet la fin et elle met en mouvement les autres puissances de l’âme. Or la prudence n’est pas dans la volonté mais dans la raison. Donc l’acte de la prudence n’est pas de commander.

En sens contraire, le Philosophe dit que " la prudence est impérative ".

Réponse :

La prudence est la droite règle des actions à faire, on l’a dit plus haut. D’où il faut que l’acte principal de la prudence soit l’acte principal de la raison préposée à l’action. Celle-ci émet trois actes. Le premier est le conseil : il se rattache à l’invention, car délibérer c’est chercher, comme il a été établi antérieurement. Le deuxième acte est le jugement relatif à ce qu’on a trouvé, ce que fait la raison spéculative. Mais la raison pratique, ordonnée à l’œuvre effective, va plus loin et son troisième acte est de commander ; cet acte-là consiste en ce qu’on applique à la réalisation le résultat du conseil et du jugement. Et parce que cet acte est plus proche de la fin de la raison pratique, il est l’acte principal de la raison pratique et par conséquent de la prudence. Et le signe en est que la perfection de l’art consiste dans le jugement, non dans le commandement. C’est pourquoi l’on tient pour meilleur artiste celui qui volontairement commet une faute en son art, comme ayant le jugement meilleur ; au contraire on tient pour moindre artiste celui qui commet une faute sans le faire exprès, ce qui semble provenir d’un jugement défectueux. Mais en prudence c’est l’inverse, dit Aristote. En effet, celui-là est davantage imprudent, qui commet une faute volontairement, en ce qu’il manque l’acte principal de la prudence qui est de commander ; celui-là l’est moins, qui commet une faute involontairement.

Solutions :

1. L’acte de commander s’étend au bien à accomplir et au mal à éviter. Et cependant " prévoir et éviter les embûches " n’est pas attribué par S. Augustin à la prudence au titre d’acte principal de cette vertu, mais parce que cet acte de la prudence ne demeure pas dans la patrie.

2. La bonne délibération est requise afin que ce qu’on a dûment trouvé soit appliqué à l’action. Et c’est pourquoi commander appartient à la prudence, qui est bonne conseillère.

3. Mouvoir, entendu absolument, appartient à la volonté. Mais commander implique une motion accompagnée d’ordination. Aussi est-ce un acte de la raison, comme nous l’avons dit antérieurement.

 

            Article 9 — La sollicitude ou vigilance se rapporte-t-elle à la prudence ?

Objections :

1. Il semble que non, car la sollicitude implique une certaine inquiétude ; Isidore dit en effet qu’on appelle soucieux (sollicitus) l’homme inquiet. Mais le mouvement appartient surtout à la faculté appétitive. Donc aussi la sollicitude. Or la prudence n’est pas dans la faculté appétitive mais dans la raison, on l’a établi plus haute. Donc la sollicitude ne se rapporte pas à la prudence.

2. A la sollicitude semble s’opposer la certitude de la vérité d’où la parole de Samuel à Saül (1 S 19, 20) " Ne sois pas soucieux des ânesses que tu as perdues avant-hier, car on les a trouvées. " Mais la certitude de la vérité concerne la prudence, puisqu’elle est une vertu intellectuelle. Donc la sollicitude s’oppose à la prudence, loin de s’y rattacher.

3. Le Philosophe dit qu’il appartient au magnanime " d’être tranquille et en repos ". Mais la sollicitude s’oppose à la tranquillité. Donc, puisque la prudence ne s’oppose pas à la magnanimité, le bien n’étant pas contraire au bien, dit Aristote, il semble que la sollicitude ne se rapporte pas à la prudence.

En sens contraire, il est dit dans la Ir, épître de S. Pierre (4, 7) : " Soyez prudents et veillez dans la prière. " Mais la vigilance est identique à la sollicitude. Donc la sollicitude se rapporte à la prudence.

Réponse :

Comme dit Isidore, le mot de sollicitude vient de sollers (habile) et de citus (prompt), en ce que le mot s’applique à un homme habile d’esprit, et prompt de ce fait à accomplir ce qu’il doit faire. Mais ce trait s’applique à la prudence, dont l’acte principal est de commander en matière d’action ce qui a été d’abord délibéré et jugé. Aussi le Philosophe dit-il qu’ " il faut mettre promptement en œuvre ce qui a été délibéré, mais délibérer lentement ". De là vient que la sollicitude a proprement rapport à la prudence. Et pour cette raison S. Augustin écrit : " A la prudence il appartient de monter la garde et de veiller avec le plus grand soin de peur que, par l’effet d’une fausse persuasion se glissant peu à peu en nous, nous ne soyons induits en erreur. "

Solutions :

1. Le mouvement appartient bien à la faculté appétitive comme au principe du mouvement. Elle meut toutefois selon le précepte et la direction donnés par la raison, et c’est en cela que consiste essentiellement la sollicitude.

2. Selon le Philosophe, " la certitude ne doit pas être cherchée de la même façon en toute chose mais en chaque matière selon son mode propre ". Et puisque la matière de la prudence consiste dans les singuliers contingents, objet des actions humaines, la certitude de la prudence ne peut être si grande que toute sollicitude en soit ôtée.

3. Le magnanime est appelé un homme tranquille et en repos, non parce qu’il ne se soucie de rien, mais parce qu’il ne se soucie pas exagérément d’un grand nombre de choses ; il a confiance là où il faut avoir confiance et il n’a pas à ce sujet de soucis superflus. C’est en effet la superfluité de la crainte et de la défiance qui cause les soucis exagérés, parce que la crainte inspire aux gens de s’entourer de conseils, comme il a été dit lorsqu’on étudiait la passion de craintes.

 

            Article 10 — La prudence s’étend-elle au gouvernement de la multitude ?

Objections :

1. Il semble queue ne s’étende pas au gouvernement de la multitude, mais seulement au gouvernement de soi-même. Le Philosophe dit en effet que la vertu relative au bien commun est la justice. Mais la prudence diffère de la justice. Donc la prudence n’a pas rapport au bien commun.

2. Celui-là semble être prudent qui se cherche et se procure du bien à lui-même. Mais souvent ceux qui cherchent le bien commun négligent leur bien propre. Donc ils ne sont pas prudents.

3. La prudence partage le genre vertueux avec la tempérance et la force. Mais la tempérance et la force semblent s’entendre seulement par rapport au bien propre. Donc aussi la prudence.

En sens contraire, le Seigneur dit (Mt 24,45) : " Quel est, pensez-vous, le serviteur fidèle et prudent, que le maître a établi sur sa famille ? "

Réponse :

Comme dit le Philosophe, certains ont affirmé que la prudence ne s’étend pas au bien commun, mais seulement au bien propre. Et cela parce qu’ils n’estiment pas que l’homme doive rechercher autre chose que son bien propre. Mais cette estimation s’oppose à la charité, laquelle " ne recherche pas son avantage " (1 Co 13, 5). Aussi l’Apôtre dit-il de lui-même (1 Co 10, 33) : " je ne recherche pas ce qui m’est utile, mais ce qui l’est au grand nombre, afin qu’ils soient sauvés. " Cela s’oppose en outre à la raison droite, laquelle juge que le bien commun est meilleur que le bien d’un seul. Donc, parce qu’il appartient à la prudence de bien délibérer, juger et commander en ce qui concerne les voies conduisant à la fin requise, il est manifeste que la prudence ne regarde pas seulement le bien privé d’un seul homme, mais encore le bien commun de la multitude.

Solutions :

1. Le Philosophe à cet endroit parle de la vertu morale. Et de même que toute vertu morale rapportée au bien commun se nomme justice légale, ainsi la prudence rapportée au bien commun est appelée prudence politique ; de sorte que la politique est avec la justice légale dans le même rapport que la prudence entendue absolument avec la vertu morale.

2. Lorsque l’on cherche le bien commun de la multitude, par voie de conséquence on cherche en outre son bien propre, pour deux raisons. La première est que le bien propre ne peut exister sans le bien commun de la famille, de la cité ou du royaume. Aussi Valère Maxime 0 dit-il des anciens Romains, qu’" ils aimaient mieux être pauvres dans un état riche que riches dans un état pauvre ". La seconde raison est que, l’homme étant partie de la maison et de la cité, il doit considérer le bien qui lui convient d’après ce qui est prudent relativement au bien de la multitude ; en effet, la bonne disposition des parties se prend de leur rapport au tout. Comme dit S. Augustin : " Toute partie est laide qui ne s’accorde pas avec son tout. "

3. Même la tempérance et la force peuvent être rapportées au bien commun ; aussi la loi intervient-elle pour commander leurs actes, dit Aristote. Cependant, la prudence et la justice s’y rapportent davantage, comme appartenant à la partie rationnelle, à laquelle ce qui est commun se rattache directement, comme ce qui est singulier se rattache à la partie sensible.

 

            Article 11 — La prudence qui regarde le bien propre est-elle de même espèce que celle qui s’étend au bien commun ?

Objections :

1. Il semble bien. Le Philosophe dit en effet : " Politique et prudence sont un même habitus, mais leur manière d’être n’est pas la même. "

2. Le Philosophe dit que " la vertu de l’homme de bien est identique à la vertu du bon prince ". Mais la politique se trouve surtout chez le prince, en qui elle a rang architectonique. La prudence étant donc la vertu de l’homme de bien, il semble que prudence et politique soient un même habitus.

3. Les objets dont l’un est ordonné à l’autre ne diversifient pas l’espèce ou la substance de l’habitus. Mais le bien propre, objet de la prudence entendue absolument, est ordonné au bien commun, objet de la politique. Donc politique et prudence ne diffèrent ni quant à l’espèce ni quant à la substance de l’habitus.

En sens contraire, les disciplines que voici constituent des sciences diverses : politique, ordonnée au bien commun de la cité ; domestique, relative à ce qui intéresse le bien commun de la maison ou de la famille ; individuelle, relative à ce qui intéresse le bien d’une seule personne. Donc et pour la même raison, il y a aussi des espèces diverses de prudence, selon cette diversité de la matière.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, les espèces des habitus sont diversifiées selon la diversité de l’objet, laquelle se prend de sa raison formelle Or la raison formelle de tout ce qui est en vue de la fin se considère du point de vue de la fin, selon ce qu’on a dit antérieurement. Et c’est pourquoi la relation à des fins diverses diversifie nécessairement les espèces de l’habitus. Or, le bien propre d’un seul, le bien de la famille, le bien de la cité et du royaume constituent autant de fins diverses. Aussi est-il nécessaire que les prudences diffèrent spécifiquement selon la différence de ces fins, c’est-à-dire qu’il y ait une prudence absolument dite, ordonnée au bien propre ; une autre, la prudence domestique, ordonnée au bien commun de la maison ou famille ; une troisième, la prudence politique, ordonnée au bien commun de la cité ou du royaume.

Solutions :

1. Le Philosophe n’entend pas dire que la politique est identique selon la substance de l’habitus avec n’importe quelle prudence, mais avec la prudence ordonnée au bien commun. Celle-ci est appelée prudence selon la raison commune de prudence, c’est-à-dire en tant qu’elle est une certaine raison droite relative à l’action, et elle est appelée politique selon l’ordre quelle a au bien commun.

2. Comme dit le Philosophe au même endroit : " L’homme de bien doit pouvoir bien commander et bien obéir. " C’est pourquoi la vertu du bon prince est incluse aussi dans la vertu de l’homme de bien. Mais la vertu du prince et celle du sujet diffèrent spécifiquement, comme aussi la vertu de l’homme et de la femme, dit-il au même endroit.

3. Même les fins diverses dont l’une est ordonnée à l’autre diversifient l’espèce de l’habitus : comme l’art équestre, l’art militaire et l’administration civile diffèrent spécifiquement, bien que la fin de l’un soit ordonnée à la fin de l’autre. Et pareillement, quoique le bien d’un seul soit ordonné au bien de la multitude, cela n’empêche pas qu’une diversité de cette sorte entraîne une diversité spécifique dans les habitus. Mais il s’ensuit que l’habitus ordonné à la fin suprême est le principal et commande aux autres habitus.

 

            Article 12 — La prudence est-elle chez les sujets ou seulement chez les princes ?

Objections :

1. Il semble que la prudence ne soit pas chez les sujets mais seulement chez les princes. Le Philosophe dit en effet : " La prudence seule est la vertu propre du prince. Les autres vertus sont communes aux sujets et aux princes. La vertu du sujet n’est pas la prudence mais une opinion vraie. "

2. Pour Aristote, " l’esclave ne possède absolument rien qui le rende apte à délibérer ". Mais la prudence rend ceux qui la possèdent hommes de bon conseil, dit-il ailleurs. Donc la prudence ne convient pas aux esclaves ou sujets.

3. La prudence est impérative, comme il a été dit plus haut. Or, commander n’appartient pas aux esclaves ou sujets, mais seulement aux princes. Donc la prudence n’est pas dans les sujets mais seulement dans les princes.

En sens contraire, le Philosophe affirme que la prudence politique a deux espèces : l’une, qui établit les lois, regarde les princes ; l’autre, qui retient le nom commun de politique, concerne les affaires particulières. Mais traiter ce genre d’affaires particulières regarde aussi les sujets. Donc la prudence n’appartient pas seulement aux princes mais aussi aux sujets.

Réponse :

La prudence est dans la raison. Mais diriger et gouverner appartient en propre à la raison. C’est pourquoi il convient à chacun de posséder la mesure de raison et de prudence en rapport avec la part qu’il prend à la direction et au gouvernement. Or, il est manifeste qu’il n’appartient pas au sujet en tant que sujet, à l’esclave en tant qu’esclave, de diriger et de gouverner, mais plutôt d’être dirigé et d’être gouverné. C’est pourquoi la prudence n’est pas une vertu de l’esclave en tant qu’esclave ni du sujet en tant que sujet. Mais parce que tout homme, en tant qu’être raisonnable, exerce une part de gouvernement selon l’arbitrage de sa raison, dans cette mesure il lui convient de posséder la prudence. Aussi est-il manifeste que la prudence est dans le prince à la façon d’un art architectonique, comme dit Aristote a ; et dans les sujets à la manière d’un art manuel d’exécution.

Solutions :

1. Le mot du Philosophe doit s’entendre au sens formel : il veut dire que la vertu de prudence n’est pas la vertu du sujet en tant que tel.

2. L’esclave est démuni de la faculté de délibérer en tant qu’esclave ; à ce titre en effet il est l’instrument de son maître. Il délibère néanmoins en tant qu’il est animal raisonnable.

3. Par la prudence l’homme commande non seulement aux autres mais aussi à lui-même, dans le sens où l’on dit que la raison commande au puissances inférieures.

 

            Article 13 — La prudence se trouve-t-elle chez les pécheurs ?

Objections :

1. Il semble que oui. Le Seigneur dit en effet (Lc 16, 8) : " Les fils de ce siècle sont plus prudents entre eux que les fils de la lumière. " Mais les fils de ce siècle sont les pécheurs. Donc la prudence peut se trouver chez les pécheurs.

2. La foi est une vertu plus noble que la prudence. Mais la foi peut se trouver chez les pécheurs. Donc aussi la prudence.

3. " L’acte principalement attribué au prudent est celui de bien délibérer ", dit Aristoté-b. Mais beaucoup de pécheurs sont de bon conseil. Donc beaucoup de pécheurs possèdent la prudence.

En sens contraire, le Philosophe déclarec" Impossible d’être prudent si l’on n’est pas bon. " Mais aucun pécheur n’est bon. Donc aucun pécheur n’est prudent.

Réponse :

La prudence s’entend selon une triple signification.

1° Il y a en effet une certaine prudence fausse, à laquelle ce nom est donné selon l’apparence. En effet, puisque l’homme prudent est celui qui dispose bien les actions à faire en vue d’une fin bonne, quiconque dispose en vue d’une fin mauvaise ce qui convient à cette fin possède une fausse prudence, en ce qu’il adopte pour fin non un bien véritable mais un semblant de bien ; c’est ainsi qu’on parle d’un bon cambrioleur. De cette manière en effet on peut par similitude appeler prudent le cambrioleur qui découvre des procédés habiles pour cambrioler. Et telle est la prudence dont l’Apôtre dit (Rm 8, 6) : " La prudence de la chair, c’est la mort " ; il parle de la prudence qui met sa fin dernière dans le plaisir de la chair.

2° La deuxième prudence est vraie en ce queue trouve les voies conduisant à une fin vraiment bonne, mais elle est imparfaite pour deux raisons. La première, parce que ce bien qu’elle prend pour fin n’est pas la fin commune de la vie humaine tout entière, mais d’un ordre spécial d’activité ; par exemple, celui qui découvre les moyens appropriés pour commercer ou naviguer est appelé un homme d’affaires prudent ou un marin prudent. L’autre raison est qu’il manque ici l’acte principal de la prudence ; tel est le cas de celui qui délibère bien et juge exactement, même au sujet de ce qui concerne la vie tout entière, mais ne commande pas efficacement.

3° La troisième prudence, vraie et parfaite à la fois, est celle qui délibère, juge et commande comme il faut en vue de la fin bonne de la vie tout entière. Celle-là seule est appelée prudence absolument. Elle ne peut pas se trouver chez les pécheurs. Tandis q ‘ ne la première ne se trouve que chez eux. Pour la prudence imparfaite, elle est commune aux bons et aux méchants, celle surtout qui est imparfaite en raison de sa fin particulière. Car pour celle qui est imparfaite en raison de l’omission de l’acte principal, elle ne se trouve aussi que chez les méchants.

Solutions :

1. Cette parole du Seigneur s’entend de la première prudence. Aussi n’est-il pas dit absolument qu’ils sont prudents, mais qu’ils le sont " entre eux ".

2. La foi en sa notion essentielle ne comporte pas une conformité des actions droites avec l’appétit, mais elle consiste dans la seule connaissance. Or, la prudence inclut l’ordre à l’appétit droit. Soit parce que les principes de la prudence sont les fins pratiques, dont on a la droite estimation grâce aux habitus des vertus morales, lesquelles rectifient l’appétit : aussi n’y a-t-il pas prudence sans les vertus morales, comme nous l’avons montré. Soit encore parce que la prudence commande les actions droites, ce qui ne va pas sans un appétit droit. Aussi, bien que la foi soit plus noble que la prudence à cause de son objet, la prudence par sa nature répugne davantage au péché, qui procède d’un appétit corrompus 3. Les pécheurs peuvent bien être hommes de bon conseil en vue d’une fin mauvaise ou d’un bien particulier ; mais par rapport à la fin bonne de la vie tout entière ils ne sont pas parfaitement hommes de bon conseil, car ils ne conduisent pas leur conseil jusqu’à l’effet. Aussi n’ont-ils pas la prudence, qui ne s’intéresse qu’au bien ; mais, dit le Philosophe , on trouve chez eux ce qu’il appelle la deinotica, c’est-à-dire une habileté naturelle qui se prête au bien comme au mal ; ou la ruse qui ne se prête qu’au mal ; nous l’appelions tout à l’heure fausse prudence ou prudence de la chair.

 

            Article 14 — La prudence se trouve-t-elle chez tous les bons ?

Objections :

1. Il semble que la prudence ne se trouve pas chez tous ceux qui ont la grâce. La prudence requiert en effet une certaine habileté par laquelle on sache bien pourvoir aux actions à faire. Mais beaucoup qui ont la grâce sont dépourvus d’une telle habileté. Donc la prudence ne se trouve pas chez tous ceux qui ont la grâce.

2. On a pelle prudent l’homme de bon conseil, comme il a été dit. Or beaucoup qui ont la grâce ne sont pas gens de bon conseil, mais ont besoin d’être dirigés par le conseil d’autrui. Donc, la prudence ne se trouve pas chez tous ceux qui ont la grâce.

3. Le Philosophe dit : " Les jeunes gens manquent manifestement de prudence. " Mais beaucoup de jeunes gens possèdent la grâce. Donc la prudence ne se trouve pas chez tous ceux qui ont la grâce.

En sens contraire, personne ne possède la grâce s’il n’est vertueux. Mais personne ne peut être vertueux s’il ne possède la prudence. S. Grégoire dit en effet que les autres vertus " si elles n’opèrent pas avec prudence ce qu’elles désirent, ne peuvent être de vraies vertus ". Donc tous ceux qui possèdent la grâce possèdent la prudence.

Réponse :

Les vertus sont nécessairement connexes, en sorte que celui qui en possède une les possède toutes, on l’a montré précédemment. Or, quiconque possède la grâce possède la charité. Aussi possède-t-il nécessairement toutes les autres vertus. De cette manière, la prudence étant une vertu comme on l’a montré, il possède nécessairement la prudence.

Solutions :

1. Il y a deux sortes d’habiletés. L’une est suffisante pour ce qui est nécessaire au salut. Et cette habileté-là est donnée à tous ceux qui possèdent la grâce, " puisque l’onction leur enseigne toute chose " (1 Jn 2, 27). Mais il y a une autre habileté plus complète, par laquelle on est capable de subvenir à soi-même et aux autres, non seulement pour ce qui est nécessaire au salut, mais encore pour tout ce qui a rapport à la vie humaine. Et une habileté de cette sorte ne se trouve pas chez tous ceux qui possèdent la grâce.

2. Ceux qui ont besoin d’être dirigés par le conseil d’autrui savent au moins se conduire, s’ils ont la grâce, en ce qu’ils recourent aux conseils d’autrui et qu’ils discernent les bons conseils des mauvais.

3. La prudence acquise a pour cause l’exercice des actes ; aussi " a-t-elle besoin pour naître, de l’expérience et du temps ", dit Aristote. Aussi ne peut-elle se trouver chez les jeunes gens, ni selon l’habitus ni selon l’acte. Mais la prudence qui vient de la grâce a pour cause l’infusion divine. Aussi la prudence se trouve-t-elle selon l’habitus, quoique non selon l’acte, chez les enfants baptisés qui n’ont pas encore l’usage de la raison ; et de même chez les fous. Chez ceux qui ont déjà l’usage de la raison elle existe aussi selon l’acte, pour ce qui est nécessaire au salut ; mais en s’exerçant elle mérite d’être augmentée jusqu’à la perfection, comme les autres vertus. Aussi l’Apôtre dit-il : " Elle est pour les parfaits, la nourriture solide, pour ceux dont les facultés ont été exercées par la pratique à discerner le bien et le mal " (He 5, 14).

 

            Article 15 — La prudence est-elle en nous par nature ?

Objections :

1. Il semble bien. Le Philosophe dit en effet que les qualités ayant rapport à la prudence " semblent être naturelles " - il s’agit de la synésis, de la gnômè, etc. ; tandis que les qualités ayant rapport à la sagesse spéculative ne le sont pas. Mais tout ce qui est d’un même genre relève aussi d’une commune origine. Donc la prudence, elle aussi, est en nous par nature.

2. C’est par nature qu’on passe d’un âge à l’autre. Mais la prudence est un effet de l’âge, selon le livre de Job (12, 12) : " Chez les anciens se trouve la sagesse, et dans l’âge avancé la prudence. " Donc la prudence est naturelle.

3. La prudence convient davantage à la nature humaine qu’à la nature des animaux sans raison. Mais les animaux sans raison possèdent certaines prudences naturelles, comme le montre Aristote dans son Histoire des animaux. Donc la prudence est naturelle.

En sens contraire, le Philosophe dit que " la vertu intellectuelle naît et grandit principalement grâce à l’enseignement, c’est pourquoi elle demande de l’expérience et du temps ". Mais la prudence est une vertu intellectuelle, on l’a établi plus haut. Donc la prudence n’est pas en nous par nature, mais grâce à l’enseignement et à l’expérience.

Réponse :

Comme il ressort de ce qu’on a avancé plus haut, la prudence inclut la connaissance des principes universels et aussi des circonstances singulières relatives à l’action, l’homme prudent appliquant à celles-ci les principes universels. En ce qui regarde par conséquent la connaissance universelle, il en va de même pour la prudence et pour la science spéculative. Car l’une et l’autre connaissent par nature les premiers principes universels, selon ce qu’on a dit plus haut ; avec cette différence que les principes communs de la prudence sont plus connaturels à l’homme ; comme dit en effet le Philosophe : " La vie spéculative est au-dessus de la nature de l’homme. " Mais les principes universels postérieurs, soit de la raison spéculative soit de la raison pratique, on ne les possède pas par nature : on les découvre par l’expérience, ou par l’enseignement.

En ce qui regarde la connaissance particulière de ce que l’opération concerne, il faut de nouveau distinguer. Car l’opération a rapport ou à la fin ou à ce qui est en vue de la fin. Or les fins droites de la vie humaine sont déterminées. Il peut donc y avoir inclination naturelle à l’égard de ces fins ; ainsi a-t-on dit précédemment que certains, par disposition naturelle, possèdent certaines vertus les inclinant vers des fins droites, et donc possèdent par nature aussi un jugement droit relatif à ces fins. Mais les moyens de réaliser la fin, dans le domaine des choses humaines, ne sont pas déterminés ; ils sont sujets à toute sorte de variations selon la diversité des personnes et des affaires. Aussi, parce que l’inclination de la nature se porte toujours vers du déterminé, une telle connaissance ne peut être innée par nature chez l’homme ; toutefois, l’un peut être naturellement plus apte que l’autre à discerner ce genre d’actions, comme il arrive aussi pour les conclusions des sciences spéculatives. Donc, parce que la prudence n’a pas pour objet les fins mais les moyens en vue de la fin, comme on l’a établi plus haut’ elle n’est pas non plus naturelle à l’homme.

Solutions :

1. Dans ce passage le Philosophe parle des qualités ayant rapport à la prudence pour autant qu’elles disent ordre aux fins. C’est pourquoi il avait dit auparavant de ces qualités qu’elles sont " les principes de ce pourquoi l’on agit ", c’est-à-dire de la fin. Et c’est la raison pour laquelle il ne fait pas mention de l’eubulia, laquelle délibère au sujet des moyens ordonnés à la fin.

2. La prudence se rencontre davantage chez les vieillards, non seulement par une disposition naturelle du fait que leurs passions sensibles sont apaisées, mais aussi par suite d’une expérience prolongée.

3. Chez les animaux sans raison, il y a des voies déterminées pour parvenir à la fin ; c’est pourquoi nous voyons tous les animaux de la même espèce agir semblablement. Mais cela ne peut se retrouver chez l’homme, à cause de sa raison : par là même qu’elle connaît les principes universels, elle à l’infinité des circonstances singulières.

 

            Article 16 — Perd-on la prudence par l’oubli ?

Objections :

1. Il semble que oui. En effet, la science, qui a pour objet le nécessaire, est plus certaine que la prudence, qui a pour objet le contingent des actions humaines. Mais la science se perd par l’oubli. Donc à plus forte raison la prudence.

2. Comme dit le Philosophe : " La vertu est produite et détruite par les mêmes causes opérant en sens contraire. " Mais la prudence n’est produite que moyennant l’expérience, laquelle est faite d’un grand nombre de souvenirs, dit aussi Aristote. Donc, puisque l’oubli s’oppose au souvenir, il semble que la prudence puisse se perdre par l’oubli.

3. La prudence ne va pas sans la connaissance des principes universels. Mais la connaissance des principes universels peut se perdre par l’oubli. Donc aussi la prudence.

En sens contraire, le Philosophe dit qu’on " oublie l’art, mais non la prudence ".

Réponse :

L’oubli concerne seulement la connaissance. Aussi peut-on par l’oubli perdre totalement un art, et semblablement une science, lesquels siègent dans la raison. Or la prudence ne consiste pas dans la seule raison, mais aussi dans l’appétit : car, nous l’avons dit, son acte principal est de commander, ce qui revient à appliquer une connaissance à l’appétit et à l’opération. C’est pourquoi la prudence ne disparaît pas directement par l’oubli ; elle est plutôt détruite par les passions. Le Philosophe dit en effet que " le délectable et le triste corrompent l’estimation de la prudence ". Aussi est-il dit dans Daniel (13, 56) : " La beauté t’a séduit et la concupiscence a retourné ton cœur " ; et dans l’Exode (23, 8) : " N’accepte pas de présents ; ils aveuglent même les prudents. " L’oubli toutefois peut empêcher la prudence, en tant qu’elle passe à l’acte de commander à partir d’une connaissance, laquelle peut disparaître par l’oubli.

Solutions :

1. La science est dans la raison seule. Il faut donc en juger autrement, comme on vient de le dire.

2. L’expérience de la prudence ne s’acquiert pas par la seule mémoire, mais par l’exercice de l’acte de bien commander.

3. La prudence consiste principalement non dans la connaissance des principes universels mais dans leur application aux actes, on vient de le dire. Et c’est pourquoi l’oubli de la connaissance universelle ne détruit pas ce qu’il y a de principal dans la prudence, mais lui porte de l’empêchement, on vient de le dire.

LES PARTIES DE LA PRUDENCE

À ce sujet, quatre questions : 1. Quelles sont les parties de la prudence ? (Q. 48) - 2. Les parties de la prudence qu’on peut appeler intégrantes (Q. 49) - 3. Ses parties subjectives (Q. 50) - 4. Ses parties potentielles (Q. 51).

 

 

QUESTION 48 — QUELLES-SONT LES PARTIES DE LA PRUDENCE ?

 

 

            Article UNIQUE

Objections :

1. La manière dont sont énumérées les parties de la prudence ne satisfait pas. Cicéron propose en effet trois parties : " la mémoire, l’intelligence, la prévoyance ". Mais Macrobe de son côté, conformément à Plotin, attribue à la prudence six parties : " la raison, l’intelligence, la circonspection, la prévoyance, la docilité, l’attention précautionneuse ". Aristote nomme comme ayant rapport à la prudence, " l’eubulia, la synésis, la gnômè ". Il fait en outre mention en ce qui concerne la prudence, de l’eustochia et de la sagacité, du sens et de l’intelligence. Un autre philosophe grec dit pour sa part que dix qualités se rapportent à la prudence : l’eubulia, la sagacité, la prévoyance, la royale, la militaire, la politique, la domestique, la dialectique, la rhétorique, la physique. Donc il semble que certaines de ces répartitions soient surabondantes ou d’autres incomplètes.

2. La prudence s’oppose à la science. Mais la politique, la domestique, la dialectique, la rhétorique, la physique sont autant de sciences. Elles ne sont donc pas des parties de la prudence.

3. Les parties ne débordent pas le tout. Mais la mémoire intellectuelle, ou l’intelligence, la raison, le sens et la docilité, non seulement concernent la prudence, mais encore tous les habitus de connaissance. Donc il ne faut pas les donner comme des parties de la prudence.

4. Comme délibérer juger et commander sont des actes de la raison pratique, ainsi l’usage, comme on l’a établi plus haute. Donc, de même que sont adjointes à la prudence l’eubulia, qui concerne le conseil, la synésis et la gnômè, qui concernent le jugement, de même fallait-il aussi poser une qualité relative à l’usage.

5. La sollicitude a rapport à la prudence, on l’a dit. Il fallait donc aussi poser la sollicitude parmi les parties de la prudence.

Réponse :

Il y a trois sortes de parties intégrantes, ainsi le mur, le toit, les fondations comme parties d’une maison ; subjectives, ainsi le bœuf et le lion comme parties du genre animal ; et potentielles, ainsi la faculté nutritive et la faculté sensitive comme parties de l’âme. On peut donc attribuer des parties à une vertu de trois manières.

Tout d’abord, à la manière des parties intégrantes : en ce cas, on appellera parties d’une vertu les éléments concourant nécessairement à l’acte parfait de cette vertu. Et en ce sens on peut retenir, de toutes les qualités énumérées, huit parties de la prudence : les six énumérées par Macrobe, auxquelles on ajoutera comme septième la mémoire proposée par Cicéron, plus l’eustochia ou sagacité proposée par Aristote. Car pour ce qui est du sens de la prudence, on l’appelle encore intelligence ; aussi le Philosophe dit-il : " A l’égard de ces objets, il faut poser un sens ; et celui-ci est une intelligence. " De ces huit parties, cinq concernent la prudence en tant queue est connaissance : la mémoire, la raison, l’intelligence, la docilité, la sagacité ; les trois autres s’y rapportent en tant qu’elle exerce l’art de commander, appliquant la connaissance à l’action : la prévoyance, la circonspection, l’attention précautionneuse. La raison de cette diversité se prend de ce que trois considérations interviennent à propos de la connaissance. Premièrement, il faut considérer la connaissance elle-même. Si elle porte sur le passé, elle est mémoire ; si elle porte sur le présent, soit contingent, soit nécessaire, elle s’appelle intellect ou intelligence. Deuxièmement, il faut considérer l’acquisition de la connaissance. Elle se fait par l’enseignement, à quoi se rapporte la docilité ; ou bien par découverte personnelle et c’est à cela que se rapporte l’eustochia, ou le bonheur dans la découverte. Une partie de celle-ci h est la sagacité, qui consiste à découvrir rapidement le moyen terme, comme dit encore Aristote i ‘ Troisièmement il faut considérer l’usage de la connaissance ; car on use de celle-ci lorsque, à partir de ce que l’on connaît, on passe à des connaissances ou à des jugements nouveaux. Et cela relève de la raison. S’il s’agit maintenant de commander comme il faut, la raison doit avoir trois qualités. Premièrement, pour ordonner à la fin ce qui y est adapté, et cela relève de la prévoyance. Deuxièmement, pour considérer les circonstances de l’action entreprise, ce qui relève de la circonspection. Troisièmement, pour éviter les obstacles, ce qui relève de l’attention précautionneuse.

On appelle parties subjectives d’une vertu ses diverses espèces. Ainsi entendues, les parties de la prudence, à les prendre au sens propre, sont la prudence par laquelle chacun se gouverne soi-même, et la prudence par laquelle on gouverne la multitude, l’une et l’autre différant spécifiquement, on l’a dit. À son tour, la prudence qui gouverne la multitude se divise en espèces diverses selon les diverses espèces de multitudes. Il y a une multitude rassemblée en vue de s’acquitter d’une fonction spéciale, comme l’armée organisée pour le combat ; sa règle est la prudence militaire. Il y a une multitude rassemblée en vue d’assurer le bien de la vie humaine en sa totalité, comme la multitude composant une maison ou famille, que gouverne la prudence domestique ; ou encore la multitude composant une cité ou un royaume, que dirige chez le prince la prudence royale, et chez les sujets la politique, entendue sans autre détermination. Si l’on prend maintenant la prudence au sens large, telle queue inclut même la science spéculative, comme on l’a dit plus haut, elle a aussi pour parties la dialectique, la rhétorique et la physique, selon les trois méthodes en usage dans les sciences. Dans l’une, on procède par démonstration pour obtenir la science : cela relève de la physique, en comprenant sous ce nom toutes les sciences démonstratives. Dans l’autre, on procède à partir de probabilités pour fonder une opinion : cela relève de la dialectique. Dans la troisième, on procède à partir de certaines conjectures pour créer le soupçon ou pour persuader : cela relève de la rhétorique. On peut dire néanmoins que ces trois derniers noms se rapportent aussi à la prudence proprement dite ; car elle raisonne tantôt à partir du nécessaire, tantôt à partir du probable, tantôt à partir de conjectures.

On appelle parties potentielles d’une vertu les vertus annexes ordonnées à des actes ou matières secondaires, signifiant par ce nom qu’elles ne possèdent pas toute la puissance de la vertu principale. En cette acception, sont attribuées comme parties à la prudence : l’eubulia, qui concerne le conseil, la synésis, qui concerne le jugement relatif aux circonstances ordinaires, la gnômè, qui concerne le jugement pour les cas où l’on doit s’écarter de la loi commune. Quant à la prudence, elle concerne l’acte principal, qui est de commander.

Solutions :

1. Les diverses répartitions répondent aux différents genres de parties ; ou bien elles s’entendent en ce sens qu’une seule partie dans l’une contient plusieurs parties distinctement énumérées dans l’autre. C’est ainsi que Cicéron, sous la prévoyance, comprend l’attention précautionneuse et la circonspection ; sous l’intelligence, la raison, la docilité et la sagacité.

2. La domestique et la politique ne s’entendent pas ici comme des sciences mais comme étant de certaines prudences. Pour les trois autres, on vient de voir comment il faut répondre.

3. Ces qualités sont désignées comme des parties de la prudence, non selon leur signification générale mais selon le rapport qu’elles ont aux objets de la prudence.

4. Bien commander et faire bon usage vont toujours ensemble ; car le précepte de la raison entraîne l’obéissance des puissances inférieures, ce qui concerne l’usage.

5. La sollicitude est comprise dans la prévoyance.

 

 

QUESTION 49 — LES PARTIES DE LA PRUDENCE QU’ON PEUT APPELER INTÉGRANTES

1. La mémoire - 2. L’intellect ou intelligence - 3. La docilité - 4. La sagacité - 5. La raison - 6. La prévoyance - 7. La circonspection - 8. L’attention précautionneuse.

 

            Article 1 — La mémoire

Objections :

1 - Il semble que la mémoire ne soit pas une partie de la prudence. En effet, la mémoire, comme le prouve le Philosophe, est dans la partie sensible de l’âme. La prudence au contraire est dans sa partie rationnelle, comme il le montre ailleurs. Donc la mémoire n’est pas une partie de la prudence.

2. La prudence s’acquiert et grandit par l’exercice. Mais la mémoire est en nous par nature. Donc la mémoire n’est pas une partie de la prudence.

3. La mémoire a pour objet le passé. La prudence au contraire concerne ce qui est encore à faire, au sujet de quoi l’on délibère, dit Aristote. Donc la mémoire n’est pas une partie de la prudence.

En sens contraire, Cicéron met la mémoire dans les parties de la prudence.

Réponse :

La prudence a pour objet les actions humaines en leur contingence, nous l’avons dit. En ce domaine, l’homme ne peut être dirigé par des vérités absolues et nécessaires, mais selon des règles dont le propre est d’être vraies dans la plupart des cas ; il faut en effet que les principes soient proportionnés aux conclusions et que, à partir de ceux-ci, on obtienne des conclusions qui leur soient homogènes, dit Aristote. Or, ce qui est vrai dans la plupart des cas, on ne peut le savoir que par l’expérience : aussi le Philosophe dit-il que " la vertu intellectuelle naît et grandit grâce à l’expérience et au temps ". " A son tour l’expérience est le produit d’un grand nombre de souvenirs ", dit-il encore. En conséquence, il est requis à la prudence d’avoir beaucoup de souvenirs. C’est donc à bon droit que la mémoire est comptée parmi les parties de la prudence.

Solutions :

1. La prudence, nous l’avons dit, applique la connaissance universelle aux réalités particulières, objets de la perception sensible. C’est pourquoi nombre de qualités appartenant aux facultés sensibles sont requises à la prudence. La mémoire est l’une d’entre elles.

2. De même que la prudence existe par nature à l’état d’aptitude, mais reçoit son achèvement de l’exercice ou de la grâce ; de même aussi, dit Cicéron, la mémoire ne tient pas de la nature seule son accomplissement, mais elle doit beaucoup aussi à l’art et à l’habileté. Quatre moyens font progresser la mémoire. Le premier est que l’on choisisse des similitudes adaptées à ce que l’on veut se rappeler, à condition toutefois qu’elles ne soient pas trop banales ; car ce qui est inhabituel nous étonne davantage, et l’esprit pour cette raison le retient davantage et plus vivement ; de là vient que nous gardons meilleur souvenir de ce que nous avons vu dans l’enfance. C’est pourquoi il est nécessaire de découvrir ces similitudes ou images parce que les idées simples et spirituelles disparaissent trop facilement de l’esprit si elles ne sont pas attachées pour ainsi dire par des similitudes matérielles ; car la connaissance humaine saisit plus fortement les objets sensibles. C’est pourquoi la faculté du souvenir appartient à la partie sensible de l’âme. Le deuxième moyen est que l’on s’exerce à disposer dans un certain ordre ce que l’on veut se rappeler, en sorte que l’on passe facilement d’un souvenir à l’autre. Aussi le Philosophe dit-il : " Les réminiscences se font quelquefois à partir du souvenir des lieux, et la cause en est que l’on passe rapidement (en pensée) de l’un à l’autre. " Le troisième moyen est que l’on porte de l’attention et de l’affection à ce qu’on veut se rappeler, parce que plus une chose a fait impression sur l’esprit, moins on l’oublie. Cicéron dit en ce sens que " la sollicitude conserve intact le contour des images ". Le quatrième moyen est de méditer fréquemment ce que l’on veut se rappeler. D’où le mot du Philosophe : " Les pensées assidues sauvent la mémoire ", car, comme il est dit dans le même ouvrage : " L’habitude est comme une nature. " C’est pourquoi nous nous rappelons vite les choses auxquelles nous pensons beaucoup, passant de l’une à l’autre selon un ordre qui est devenu pour ainsi dire naturel.

3. Nous devons, de nos expériences passées, tirer argument pour l’avenir. Aussi la mémoire du passé est-elle nécessaire si l’on veut bien délibérer de ce qui est à faire dans le futur.

 

            Article 2 — L’intellect ou intelligence

Objections :

1. Il semble que l’intelligence ne soit pas une partie de la prudence. Car, de deux opposés, l’un n’est pas partie de l’autre. Mais l’intelligence, dans le genre des vertus intellectuelles, est distinguée de la prudence, comme le montre Aristote. Donc l’intelligence ne doit pas être appelée une partie de la prudence.

2. L’intelligence est l’un des dons du Saint-Esprit et elle correspond à la foi, nous l’avons établi plus haut. Mais la prudence est une vertu différente de la foi, comme il ressort de tout ce qu’on dit. Donc l’intelligence n’a pas rapport à la prudence.

3. La prudence a pour objet les actions humaines considérées dans leurs éléments particuliers, dit Aristote. Mais l’intelligence connaît l’universel et l’immatériel, comme il le dit ailleurs. Donc l’intelligence n’est pas une partie de la prudence.

En sens contraire, Cicéron donne l’intelligence comme partie de la prudence, et Macrobe l’intellect, ce qui revient au même.

Réponse :

Par intelligence, on n’entend pas ici la faculté intellectuelle. On prend le mot comme impliquant la droite estimation de quelque principe initial que l’on accepte comme connu par soi, dans le sens où l’on dit que nous avons l’intelligence des premiers principes de la démonstration. Or toute déduction de la raison procède de propositions acceptées comme premières. Aussi faut-il que toute démarche de la raison procède d’une intelligence. Donc, parce que la prudence est la droite règle de l’action, il est nécessaire que son développement tout entier procède de l’intelligence. C’est pourquoi l’intelligence est donnée comme l’une des parties de la prudence.

Solutions :

1. Le raisonnement de la prudence atteint son terme dans une action particulière qui est comme une conclusion, et à laquelle est appliquée la connaissance universelle, nous l’avons montré. Or, une conclusion particulière s’obtient par voie de syllogisme à partir d’une proposition universelle et d’une proposition particulière. Il faut donc que le raisonnement de la prudence procède d’une double intelligence. L’une a pour objet l’universel. Et celle-là ressortit à l’intelligence qui figure parmi les vertus intellectuelles ; car nous connaissons par nature non seulement les principes universels spéculatifs mais aussi pratiques, tel celui-ci : il ne faut nuire à personne, comme on l’a montré plus haut. L’autre intelligence est celle qui a connaissance d’un extrême, dit Aristote, c’est-à-dire de quelque chose de premier, relatif à une action particulière et contingente - de là se forme la mineure, laquelle doit être particulière dans le syllogisme de prudence, comme on vient de le dire. Or, ce principe particulier est une fin particulière, comme il est dit au même endroit. Aussi l’intelligence qui figure comme partie de la prudence est-elle la droite estimation d’une fin particulière.

2. L’intelligence entendue comme un don du Saint-Esprit est une certaine pénétration aiguë des choses divines, nous l’avons montré plus haut. C’est dans un autre sens que l’intelligence est tenue pour une partie de la prudence, on vient de le dire.

3. La même estimation droite de la fin particulière est appelée intelligence, en tant qu’elle concerne un principe, et aussi sens, en tant qu’elle porte sur du particulier. Et c’est ce que dit le Philosophe : " Il faut que les singuliers aient un sens ; et celui-ci est une intelligence. " Ne l’entendons pas du sens particulier par lequel nous connaissons les sensibles propres, mais du sens intérieur par lequel nous jugeons du particulier.

 

            Article 3 — La docilité

Objections :

1. Il semble que la docilité ne doive pas figurer parmi les parties de la prudence. En effet, ce qui est requis pour toute vertu intellectuelle ne doit pas être attribué en propre à l’une d’entre elles. Mais la docilité est nécessaire pour n’importe quelle vertu intellectuelle. Donc il ne faut pas en faire une partie de la prudence.

2. Ce qui concerne les vertus humaines est en nous ; car nous sommes loués ou blâmés selon ce qui est en nous. Mais il n’est pas en notre pouvoir d’être dociles : cela convient à certains par une disposition de leur nature. Donc la docilité n’est pas une partie de la prudence.

3. La docilité appartient au disciple. Mais la prudence est préceptive, et à ce titre elle semble plutôt appartenir aux maîtres, qu’on appelle aussi précepteurs. Donc la docilité n’est pas une partie de la prudence.

En sens contraire, Macrobe conformément à Plotin, fait figurer la docilité parmi les parties de la prudence.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, la prudence concerne les actions particulières. En ce domaine, la diversité est comme infinie, et il n’est pas possible qu’un seul homme soit pleinement informé de tout ce qui s’y rapporte, surtout en peu de temps ; il lui en faut beaucoup, au contraire. C’est pourquoi la prudence est une matière où l’homme a besoin plus qu’ailleurs d’être formé par autrui ; les vieillards surtout sont qualifiés pour l’éclairer, eux qui sont parvenus à la saine intelligence des fins relatives à l’action. D’où ces mots du Philosophe : " Il faut être attentif aux dires et opinions indémontrables des vieillards et des hommes prudents, et y croire non moins qu’aux démonstrations ; car par leur expérience ils voient les principes. " Dans le même sens il est dit aux Proverbes (3, 5) : " Ne prends pas appui sur ta prudence " ; et dans l’Ecclésiatique (6,35) : " Tiens-toi au milieu des anciens (c’est-à-dire des vieillards) prudents, et unis-toi de cœur à leur sagesse. " Or, il appartient à la docilité de bien se laisser instruire. Voilà pourquoi la docilité est légitimement tenue pour une partie de la prudence.

Solutions :

1. Bien que la docilité soit utile à toute vertu intellectuelle, elle l’est particulièrement à la prudence pour la raison qu’on vient de dire.

2. La docilité, comme les autres qualités rattachées à la prudence, est naturelle comme aptitude ; mais pour qu’elle soit consommée, le zèle est très important, c’est-à-dire que l’homme applique son esprit avec soin, assiduité et respect aux enseignements des anciens, évitant de les négliger par paresse comme de les mépriser par orgueil.

3. Par la prudence l’homme ne commande pas seulement aux autres mais aussi à soi-même, nous l’avons dit. Aussi se trouve-t-elle même chez les sujets, comme on l’a dit aussi, et c’est à leur prudence qu’appartient la docilité. Bien que les supérieurs eux-mêmes doivent être dociles quant à certaines choses ; car il n’est personne qui se suffise en tout dans les matières relevant de la prudence, nous venons de le dire.

 

            Article 4 — La sagacité

Objections :

1. Il semble que la sagacité ne soit pas une partie de la prudence. En effet, la sagacité a pour effet de découvrir facilement les moyens termes dans les démonstrations, selon Aristote. Mais le raisonnement de la prudence n’est pas démonstratif, puisqu’il porte sur du contingent. Donc la sagacité n’appartient pas à la prudence.

2. Il appartient à la prudence de bien délibérer, dit Aristote. Mais la sagacité n’a pas sa place dans la délibération : elle est en effet une eustochia, c’est-à-dire le bonheur dans la découverte, et celle-ci est rapide, ne s’embarrassant pas de raisonnement. La délibération au contraire doit être lente, dit encore Aristote. Donc la sagacité ne doit pas figurer comme partie de la prudence.

3. La sagacité, on vient de le dire, est une heureuse conjecture. Mais recourir aux conjectures est le propre des rhéteurs. Donc la sagacité appartient davantage à la rhétorique qu’à la prudence.

En sens contraire, comme dit Isidore, le mot sollicitus vient de sollers et de citus. Mais la sollicitude a rapport à la prudence, on l’a dit plus haut. Donc aussi la sagacité ou sollertia.

Réponse :

L’homme prudent est celui qui possède la droite estimation de ce qu’il faut faire. Or la droite estimation ou opinion, dans l’ordre pratique comme dans l’ordre spéculatif, s’acquiert de deux manières, soit qu’on la trouve soi-même, soit qu’on l’apprenne d’un autre. Et comme la docilité dispose à bien recevoir l’opinion droite provenant d’un autre, ainsi la sagacité fait-elle qu’on est apte à acquérir par soi-même la droite estimation. La sagacité prend alors le sens de l’eustochia, dont elle est une partie. Car l’eustochia inspire l’heureuse conjecture en toute matière, la sagacité étant pour sa part une facile et prompte conjecture relative à la découverte du moyen terme, dit Aristote. Toutefois le philosophe, qui nomme la sagacité comme l’une des parties de la prudence, l’entend généralement de l’eustochia en toute son extension, puisqu’il dit que " la sagacité est une disposition par laquelle tout d’un coup l’on découvre ce qui convient ".

Solutions :

1. La sagacité est la découverte du moyen terme non seulement dans les démonstrations mais aussi dans l’ordre pratique. Si par exemple je vois que certains individus sont devenus amis, je conjecture qu’ils ont un ennemi commun, dit le Philosophe au même endroit. C’est en ce sens que la sagacité a rapport à la prudence.

2. Dans son Éthique le Philosophe indique la vraie raison pour laquelle l’eubulia, principe de la bonne délibération, n’est pas la même chose que l’eustochia, grâce à quoi l’on découvre rapidement ce qu’il faut ; et l’on peut être homme de bon conseil même si l’on délibère longuement ou lentement. Il ne s’ensuit pas que l’heureuse conjecture soit sans intérêt pour une bonne délibération. Et il arrive qu’elle soit nécessaire, lorsqu’il faut prendre une décision à l’improviste. C’est donc à juste titre que la sagacité est donnée comme une partie de la prudence.

3. La rhétorique raisonne aussi sur l’action. Rien n’empêche par conséquent qu’une même qualité concerne la rhétorique et la prudence. Et cependant l’acte de conjecturer que nous signalons ici ne s’entend pas seulement des conjectures auxquelles se livrent les rhéteurs, mais dans le sens où l’on parle de conjecturer la vérité, en quelque domaine que ce soit.

 

            Article 5 — La raison

Objections :

1. Il semble que la raison ne doive pas figurer parmi les parties de la prudence. En effet, le sujet d’un accident n’est pas l’une de ses parties. Mais la prudence est dans la raison comme dans son sujet, dit Aristote. Donc la raison ne doit pas figurer parmi les parties de la prudence.

2. Ce qui est commun à de nombreuses qualités ne doit pas figurer comme une partie de l’une d’elles ; ou bien, si l’on en fait une partie, que ce soit à l’égard de la qualité à laquelle se rapporte très spécialement cet élément commun. Or, la raison est nécessaire dans toutes les vertus intellectuelles, et principalement dans la sagesse et la science, qui mettent en jeu la raison démonstrative. Donc la raison ne doit pas être donnée comme une partie de la prudence.

3. La raison n’est pas une puissance essentiellement différente de l’intelligence, nous l’avons établi précédemment. Donc, si l’intelligence figure comme une partie de la prudence, il a été superflu d’y ajouter la raison.

En sens contraire, Macrobe, conformément à Plotin, compte la raison dans les parties de la prudence.

Réponse :

L’œuvre de la prudence est de bien délibérer, selon Aristote. Or la délibération est une recherche où, partant de certaines données, on tend vers des conclusions. Telle est l’œuvre de la raison. Il est donc nécessaire à la prudence que l’homme sache bien raisonner. Et puisque ce qui est exigé pour la perfection de la prudence prend le nom de parties pour ainsi dire intégrantes de la prudence, il y a lieu de compter la raison par elles.

Solutions :

1. La raison ne s’entend pas ici de la puissance de ce nom, mais de son bon usage.

2. La certitude de la raison vient de l’intelligence, mais la nécessité de la raison vient des limites de l’intelligence. En effet, les êtres chez qui l’intelligence possède une pleine vigueur n’ont pas besoin de la raison, mais ils saisissent la vérité par un simple regard, ainsi Dieu et les anges. Or, les actions dans leurs particularité, dont la prudence assume la direction, s’éloignent considérablement de la condition des intelligibles, et d’autant plus, qu’elles sont moins certaines ou moins déterminées. Car les moyens de l’art, quoique particuliers, sont néanmoins plus déterminés et plus certains ; et c’est pourquoi dans la plupart des arts il n’y a pas à instituer de délibération, la certitude étant d’avance acquise, selon Aristote. C’est pourquoi, bien que la raison soit plus certaine dans d’autres vertus intellectuelles que la prudence, elle est surtout requise en celle-ci pour que l’homme sache bien raisonner, en sorte qu’il applique comme il faut les principes universels aux cas particuliers, lesquels sont variés et incertains.

3. Bien que l’intelligence et la raison ne soient pas des puissances différentes, elles prennent cependant leur nom d’actes différents. Car le mot d’intelligence se prend de l’intime pénétration de la vérité ; celui de raison, de la recherche discursive. C’est pourquoi l’une et l’autre figurent comme parties de la prudence, on vient de le montrer.

 

            Article 6 — La prévoyance

Objections :

1. Il semble que la prévoyance ne doive pas figurer comme partie de la prudence. Car rien n’est partie de soi-même. Mais prévoyance et prudence semblent être identiques. Isidore dit en effet : " Le prudent est ainsi appelé comme voyant loin " (prudens =porro videns). Mais c’est aussi de là que dérive le nom de prévoyance, dit Boèce’. Donc la prévoyance n’est pas une partie de la prudence.

2. La prudence est uniquement pratique. Mais la prévoyance peut être aussi spéculative, car la s vision, d’où vient le nom de prévoyance, concerne davantage la spéculation que l’action. Donc la prévoyance n’est pas une partie de la prudence.

3. L’acte principal de la prudence est de commander, son acte secondaire, de juger et conseiller. Mais le nom de prévoyance ne semble se rapporter proprement ni à l’un ni à l’autre. Donc la prévoyance n’est pas une partie de la prudence.

En sens contraire, l’autorité de Cicéron et de Macrobe fait de la prévoyance une partie de la prudence, on l’a dit.

Réponse :

Comme il a été dit plus haut, la prudence concerne proprement ce qui est en vue de la fin, et son office propre consiste à ordonner en fonction de la fin requise tout ce qui est de l’ordre des moyens. Et bien que certaines réalités nécessaires aient ordre à une fin et soient soumises à la providence divine, seules sont soumises à la prudence humaine les réalités contingentes relatives aux opérations accomplies par l’homme en vue d’une fin. Or, celles d’entre ces réalités qui appartiennent au passé sont devenues de quelque façon nécessaires, parce qu’il est impossible que ce qui est déjà fait ne soit pas. De même les réalités présentes, en tant que telles, ont une certaine nécessité, car il est nécessaire que Socrate soit assis tandis qu’il est assis. Il suit de là que les contingents futurs relèvent de la prudence, selon qu’ils tombent sous l’action de l’homme pour être ordonnés à la fin de la vie humaine. Or, le mot de prévoyance implique l’un et l’autre : il implique en effet que le regard s’attache à quelque chose de lointain comme à un terme auquel doivent être ordonnées des actions présentes. La prévoyance est donc une partie de la prudence.

Solutions :

1. Chaque fois qu’un grand nombre d’éléments sont requis pour une action déterminée, l’un d’eux est nécessairement le principal, et tous les autres y sont ordonnés. Aussi y a-t-il dans chaque tout une partie formelle et dominante, d’où le tout reçoit son unité. En ce sens la prévoyance est principale entre toutes les parties de la prudence - car tous les autres éléments requis à cette vertu ne sont nécessaires que pour assurer le bon ordre de l’action à sa fin. Pour cette raison le mot même de prudence dérive de prévoyance, car ce mot désigne sa partie principale.

2. La spéculation a pour objet l’universel et le nécessaire, réalités qui, de soi, ne sont pas lointaines, puisqu’elles sont partout et toujours. Elles ne sont lointaines que par rapport à nous, en tant que nous ne parvenons pas à les connaître parfaitement. C’est pourquoi il n’y a pas proprement prévoyance dans la spéculation mais seulement dans l’action.

3. Dans l’acte de bien ordonner à la fin, inclus dans la raison de prévoyance, est comprise la rectitude du conseil, du jugement et du précepte, sans lesquels il ne peut y avoir de bon ordre à la fin.

 

            Article 7 — La circonspection

Objections :

1. Il semble que la circonspection ne puisse être une partie de la prudence. Elle semble consister en effet dans la considération des circonstances. Mais il y a une infinité de circonstances, et l’infini ne peut être saisi par la raison, à laquelle appartient la prudence. Donc la circonspection ne doit pas figurer comme partie de la prudence.

2. Les circonstances semblent concerner les vertus morales plutôt que la prudence. Mais la circonspection ne semble être rien d’autre que l’inspection des circonstances. Donc elle semble concerner les vertus morales plutôt que la prudence.

3. Quiconque peut voir ce qui est loin, à plus forte raison peut-il voir ce qui est alentours Mais la prévoyance permet à l’homme de regarder ce qui est loin. Donc elle suffit à la considération des circonstances. Il n’était donc pas nécessaire, outre la prévoyance, de faire figurer la circonspection comme partie de la prudence.

En sens contraire, il y a l’autorité de Macrobe, comme on l’a dit.

Réponse :

Il revient principalement à la prudence, on l’a dit plus haut, de bien ordonner une action à sa fin. Cela n’est possible que si la fin est bonne et si les éléments ordonnés à la fin sont eux-mêmes bons et adaptés à celle-ci. Mais parce que la prudence, on l’a dit, concerne l’action dans ses particularités où sont engagées beaucoup de choses, il arrive qu’un élément de l’action, considéré en lui-même, soit bon et adapté à la fin, mais devienne mauvais ou inopportun par un concours de circonstances. C’est ainsi que montrer des signes d’amour à quelqu’un, considéré en soi, semble être un bon moyen d’exciter en lui amour ; mais s’il s’agit d’une personne orgueilleuse ou qui soupçonne la flatterie, le moyen cesse d’être adapté à la fin. C’est pourquoi la circonspection est nécessaire à la prudence, en ce sens qu’il lut juger aussi d’après les circonstances ce qui est ordonné à la fin.

Solutions :

1. Bien que les circonstances puissent être infinies, en fait, dans une situation donnée, elles ne le sont pas. Il n’y a que peu d’éléments amour modifier le jugement de la raison sur ce qu’il faut faire.

2. Les circonstances concernent la prudence en ce qu’elle doit les déterminer ; elles concernent les vertus morales en ce que celles-ci trouvent leur perfection grâce à la détermination des circonstances.

3. Comme il appartient à la prévoyance de regarder ce qui de soi convient à la fin, ainsi appartient-il à la circonspection de considérer si cette même manière d’agir convient à la fin, compte tenu des circonstances. Or, l’un et l’autre comporte une difficulté spéciale. Et c’est pourquoi l’un comme l’autre figure distinctement comme partie de la prudence.

 

            Article 8 — L’attention précautionneuse

Objections :

1. Il semble que l’attention précautionneuse ne doive pas figurer comme partie de la prudence. En effet, là où le mal ne peut arriver, les précautions ne sont pas nécessaires. " Personne ne fait un mauvais usage des vertus ", dit S. Augustin. Donc l’attention précautionneuse ne concerne pas la prudence, directrice des vertus.

2. Il appartient au même principe de prévoir le bien et d’éviter le mal ; c’est ainsi que le même art cause la santé et guérit la maladie. Mais prévoir le bien est l’affaire de la prévoyance. Donc aussi éviter le mal. L’attention précautionneuse ne doit donc pas figurer comme partie de la prudence distincte de la prévoyance.

3. Aucun homme prudent ne s’efforce à l’impossible. Mais personne ne peut prendre garde à tous les maux qui peuvent arriver. Donc l’attention précautionneuse ne concerne pas la prudence.

En sens contraire, l’Apôtre dit aux Éphésiens (5, 15) : " Prenez garde à vous conduire avec précaution. "

Réponse :

La matière de la prudence, ce sont les réalités contingentes relatives à l’action. De même que le vrai s’y mêle au faux, ainsi le mal se mêle au bien, à cause de la grande diversité de ces actions où le bien est souvent empêché par le mal, et où le mal prend l’apparence du bien. C’est pourquoi l’attention précautionneuse est nécessaire à la prudence pour que le bien soit accueilli de façon à éviter le mal.

Solutions :

1. L’attention précautionneuse n’est pas nécessaire en morale pour qu’on se mette en garde contre les actes vertueux ; mais pour qu’on se mette en garde contre ce qui peut empêcher ceux-ci.

2. Éviter les maux opposés et poursuivre le bien relève du même genre d’activité. Mais se soustraire à des empêchements survenant de l’extérieur, c’est quelque chose de différent. L’attention précautionneuse se distingue de la prévoyance pour cette raison, bien que l’une et l’autre concerne la même vertu de prudence.

3. Parmi les maux que l’homme doit éviter, certains arrivent le plus souvent. Il est possible de s’en faire une idée. C’est contre de tels maux qu’est dirigée l’attention précautionneuse, pour qu’on y échappe totalement ou qu’ils causent un moindre dommage. Il est d’autres maux qui n’arrivent que rarement et par hasard. Puisqu’ils sont infinis ni la raison ne peut les embrasser ni l’homme s’y soustraire entièrement. Il reste néanmoins que par l’activité de sa prudence l’homme peut ainsi se préparer à subir tous les assauts de la fortune pour en limiter les atteintes.

 

 

QUESTION 50 — LES PARTIES SUBJECTIVES DE LA PRUDENCE

Il faut étudier maintenant les parties subjectives de la prudence. Et puisqu’on a traité déjà de la prudence par laquelle chacun se gouverne soi-même, il reste à traiter des espèces de prudence intéressant le gouvernement de plusieurs.

1. L’institution des lois doit-elle être comptée comme une espèce de la prudence ? - 2. La politique ? - 3. Le gouvernement domestique ? - 4. L’art militaire ?

 

            Article 1 — L’institution des lois doit-elle être comptée comme une espèce de la prudence ?

Objections :

1. Il semble que la science royale ne doive pas être comptée comme une espèce de la prudence. En effet cette science est ordonnée au maintien de la justice car, pour Aristote ? " Le prince est le gardien de la justice ". Donc la science royale concerne davantage la justice que la prudence.

2. Selon le Philosophe, la monarchie est l’une des six formes de régime politique. Mais on ne trouve aucune espèce de prudence dans les cinq autres régimes qui sont : l’aristocratie, la timocratie (électorat censitaire), la tyrannie, l’oligarchie, la démocratie. Donc il ne faut pas non plus trouver dans la monarchie la prudence royale.

3. Créer des lois n’appartient pas seulement aux rois mais encore à certaines autres autorités et même au peuple, comme le montre Isidore. Mais le Philosophe fait de l’institution des lois une partie de la prudence. Il ne convient donc pas de substituer à celle-ci la prudence royale.

En sens contraire, le Philosophe dit que " la prudence est la vertu propre du prince ". Donc il doit y avoir une prudence spéciale : celle du roi.

Réponse :

D’après ce qu’on a dit plus haut, il appartient à la prudence de gouverner et de commander. C’est pourquoi, là où se trouve dans les actes humains un gouvernement et un commandement d’une nature spéciale, il se trouve aussi une prudence spéciale. Or, il est clair que l’on trouve une sorte éminente et parfaite de gouvernement chez celui qui non seulement est chargé de se conduire lui-même, mais doit aussi gouverner la société parfaite qu’est une cité ou un royaume ; en effet, un gouvernement est d’autant plus élevé qu’il est plus universel, c’est-à-dire qu’il s’étend à un plus grand nombre de biens et qu’il atteint une fin plus éloignée. Pour cette raison il revient au roi, à qui incombe le gouvernement de la cité ou du royaume, de posséder une prudence spéciale et qui soit la plus parfaite de toutes. Pour cette raison, la prudence royale est comptée comme une espèce de la prudence.

Solutions :

1. Tout ce qui a rapport aux vertus morales concerne la prudence comme directrice de ces vertus ; aussi la droite règle de la prudence figure-t-elle dans la définition de la vertu morale, nous l’avons dit plus haut. C’est pourquoi même l’exécution de la justice au service du bien commun, telle quelle appartient à la fonction royale, a besoin de la direction de la prudence. Aussi ces deux vertus sont-elles souverainement propres au roi, savoir la prudence et la justice, selon Jérémie (23, 5) : " Le roi régnera et il sera sage, et il accomplira jugement et justice sur la terre. " Toutefois, parce que diriger appartient davantage au roi et exécuter aux sujets, la prudence royale s’entend plutôt comme une espèce de la prudence, laquelle est directrice, que de la justice, laquelle est exécutrice.

2. Entre tous les régimes, la monarchie est le meilleur d’après Aristote,. C’est pourquoi il fallait qu’une espèce de la prudence reçoive son nom avant tout de la royauté. Sous la prudence royale on comprendra néanmoins toutes les formes justes de gouvernement, mais non pas les formes corrompues qui s’opposent à la vertu ; elles sont de ce fait étrangères à la prudence.

3. Le Philosophe nomme la prudence royale d’après la fonction principale du roi, qui est d’instituer les lois. Il est vrai que d’autres exercent la même fonction ; ils ne le font néanmoins qu’au titre où ils ont une participation au gouvernement du roi.

 

            Article 2 — La politique est-elle une partie de la prudence ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, la prudence royale est une partie de la prudence politique, on vient de le dire. Mais la partie ne doit pas être opposée au tout. Donc la politique ne doit pas figurer comme une autre espèce de la prudence.

2. Les espèces des habitus se distinguent selon les divers objets. Mais ce que le souverain commande et ce que le sujet exécute c’est la même chose. Donc la politique, en tant qu’elle concerne les sujets, ne doit pas figurer comme une espèce de prudence distincte de la prudence royale.

3. Chacun des sujets est une personne singulière. Mais toute personne singulière peut suffisamment se diriger d’elle-même par la prudence prise en son sens général. Inutile donc de poser une autre espèce de prudence appelée politique.

En sens contraire, selon le Philosophe, il y a deux parties dans la prudence relative à la cité : l’une est architectonique et s’identifie à la fonction législatrice ; l’autre a pour objet les cas particuliers et elle garde le nom général de prudence politique.

Réponse :

Lorsqu’ils reçoivent un ordre, l’esclave est mû par son maître et le sujet par son prince. Mais autrement que ne sont mus les êtres irrationnels et inanimés. Car ceux-ci sont seulement mus par un autre sans se mettre eux-mêmes en mouvement, parce qu’ils ne sont pas les maîtres de leurs actes par le libre arbitre. C’est pourquoi la rectitude du gouvernement qui les dirige n’est pas en eux-mêmes mais seulement dans leurs moteurs. Mais quand des hommes sont esclaves ou sujets, ils sont soumis à la motion des autres par voie de commandement, de telle sorte qu’ils se meuvent cependant eux-mêmes par leur libre arbitre. C’est pourquoi une certaine rectitude de gouvernement doit se trouver en eux, par laquelle ils puissent se diriger eux-mêmes dans l’obéissance qu’ils accordent à leurs princes. Et c’est en quoi consiste l’espèce de la prudence qui est appelée politiques.

Solutions :

1. Comme on vient de le dire, la prudence royale est la plus parfaite espèce de prudence. C’est pourquoi la prudence des sujets, inférieure à la prudence royale, retient pour soi le nom générique et s’appelle prudence politique. C’est ainsi qu’en logique, le prédicable qui ne signifie pas l’essence, retient pour soi le nom générique et s’appelle un propre.

2. C’est la diversité dans la raison d’objet qui diversifie spécifiquement l’habitus, on l’a montré précédemment. Or, les mêmes actions à accomplir sont considérées par le roi selon une raison plus universelle que par le sujet, qui obéit selon une raison moins universelle. En effet, beaucoup obéissent à un seul et même roi dan leurs fonctions diverses. Et c’est pourquoi la prudence royale est, par rapport à cette prudence politique dont nous parlons maintenant, comme un art architectonique par rapport à un art manuel d’exécution.

3. Par la prudence communément dite un homme se gouverne lui-même en rapport avec son bien propre ; par la prudence politique dont il s’agit ici, en rapport avec le bien commun.

 

            Article 3 — Le gouvernement domestique est-il une partie de la prudence ?

Objections :

1. Il semble que non. Le Philosophe dit en effet que la prudence est ordonnée " au bien vivre en sa totalité ". Mais le gouvernement domestique est ordonné à une fin particulière, c’est-à-dire aux richesses, comme il dit ailleurs. Donc le gouvernement domestique n’est pas une espèce de la prudence.

2. Comme on l’a établi plus haut, la prudence ne se trouve que chez les bons. Mais le gouvernement domestique peut se trouver aussi chez les mauvais ; nombre de pécheurs en effet pourvoient bien à l’administration de leur famille. Donc le gouvernement domestique ne doit pas être donné comme une espèce de la prudence.

3. De même que dans le royaume on trouve prince et sujet, ainsi dans la maison. Donc, si la prudence domestique est une espèce comparable à la prudence politique, il devrait y avoir aussi une prudence paternelle, comme il y a une prudence royale. Mais il n’y en a pas. Donc la prudence domestique ne doit pas non plus être comptée comme une espèce de la prudence.

En sens contraire, le Philosophe dit que " parmi les prudences préposées au gouvernement de plusieurs, l’une est domestique, l’autre législative, la troisième politique ".

Réponse :

La raison d’objet, diversifiée selon l’universel et le particulier, ou selon le tout et la partie, diversifie les arts et les vertus ; du fait de cette diversité, l’une est principale par rapport à l’autre. Or, il est clair que la maison occupe le milieu entre une personne individuelle et la cité ou royaume ; car, de même qu’une personne individuelle est une partie de la maison, ainsi la maison est une partie de la cité ou royaume. C’est pourquoi, comme la prudence en général qui gouverne une seule personne, se distingue de la prudence politique, ainsi la prudence domestique doit-elle être distinguée de l’une et de l’autre.

Solutions :

1. Les richesses ne sont pas la fin ultime du gouvernement domestique, mais elles lui tiennent lieu d’instruments, comme dit Aristote. Or la fin ultime du gouvernement domestique est le bien-vivre total à l’intérieur de la société familiale. C’est par manière d’exemple que le Philosophe fait des richesses la fin du gouvernement domestique, et il se réfère alors à ce qui est la préoccupation du grand nombre.

2. Certains pécheurs peuvent pourvoir convenablement à des biens particuliers intéressant la maison, mais non au bien-vivre total de la société domestique qui requiert avant toute chose la vie vertueuse.

3. Le père, dans la maison, porte quelque ressemblance de la souveraineté royale, dit Aristote. Toutefois, il ne possède pas la pleine puissance de gouvernement que détient le roi. C’est pourquoi l’on ne pose pas une espèce distincte de prudence paternelle, comme il y a une prudence royale.

 

            Article 4 — L’art militaire est-il une espèce de la prudence ?

Objections :

1. Il semble que non. Car la prudence s’oppose à l’art selon Aristote. Mais ce mot de militaire semble bien signifier l’art de la guerre, comme il le montre ailleurs. Donc il ne faut pas proposer une espèce militaire de la prudence.

2. Comme les activités militaires sont contenues sous la politique, ainsi nombre d’autres activités comme le commerce, les métiers. Mais aucune des autres activités exercées dans la cité ne donne lieu à une espèce de la prudence. Donc les activités militaires non plus.

3. Dans la guerre, le courage des soldats est ce qui compte le plus. Donc l’art militaire concerne davantage la force que la prudence.

En sens contraire, il est dit dans les Proverbes (24, 6) : " C’est par les calculs que tu feras la guerre, et le salut sera assuré là où les conseils abondent. " Mais les conseils sont affaire de prudence. Donc dans les choses de la guerre il y a la plus grande nécessité de posséder cette espèce de prudence qu’on appelle militaire.

Réponse :

Les œuvres de l’art et de la raison doivent être conformes aux œuvres de la nature instituées par la raison divine. Or, la nature vise deux fins : premièrement gouverner chaque chose en elle-même, deuxièmement résister aux attaques extérieures et aux causes de destruction. C’est pour cette raison qu’elle a donné aux animaux non seulement la puissance concupiscible par laquelle ils sont mus à rechercher ce qui est conforme à leur bien, mais encore la puissance irascible par laquelle l’animal résiste à ceux qui l’attaquent. Aussi, dans les œuvres de la raison, n’est-il pas besoin seulement de la prudence politique par laquelle soit convenablement disposé ce qui a rapport au bien commun, mais il faut encore la prudence militaire, par laquelle soient repoussés les assauts ennemis.

Solutions :

1. " Militaire " peut qualifier cet art qui consiste à appliquer les règles intéressant le bon usage de certains objets extérieurs, comme les armes et les chevaux. Mais en tant qu’un tel art est ordonné au bien commun, il a plutôt raison de prudence.

2. Les autres activités exercées dans la cité ont pour fin des utilités particulières. Mais l’activité militaire a pour fin de protéger la totalité du bien commun.

3. L’exécution du combat appartient bien à la force, mais sa direction appartient à la prudence, surtout à celle du chef de l’armée.

 

 

QUESTION 51 — LES VERTUS ANNEXES OU PARTIES POTENTIELLES DE LA PRUDENCE

1. L’eubulia est-elle une vertu ? - 2. Est-elle une vertu spéciale, distincte de la prudence ?- 3. La synésis est-elle une vertu spéciale ? - 4. La gnômè est-elle une vertu spéciale ?

 

            Article 1 — L’eubulia est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non, car selon S. Augustin, personne ne fait mauvais usage de la vertu. Mais certains font mauvais usage de l’eubulia, qui signifie l’aptitude à bien délibérera ; soit qu’ils conçoivent des plans subtils en vue d’atteindre de mauvaises fins, soit aussi qu’ils combinent des péchés en vue d’atteindre des fins bonnes, comme celui qui vole pour faire l’aumône. Donc l’eubulia n’est pas une vertu.

2. La vertu est un certain achèvement. Mais l’eubulia a pour matière la délibération, et celle-ci comporte doute et recherche, qui sont des états imparfaits de l’esprit. Donc l’eubulia n’est pas une vertu.

3. Les vertus sont connexes entre elles, nous l’avons établi antérieurement. Mais l’eubulia n’est pas en connexion avec les autres vertus ; nombre de pécheurs en effet sont gens de bon conseil, et nombre de justes n’en finissent pas de délibérer. Donc l’eubulia n’est pas une vertu.

En sens contraire, l’eubulia est la rectitude de la délibération, dit le Philosophe. Mais c’est la raison droite qui fait la parfaite vertu. Donc l’eubulia est une vertu.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, il est de l’essence de la vertu humaine qu’elle rende bon l’acte accompli par l’homme. Or, entre autres actes, l’homme a en propre celui de délibérer, ce qui implique une recherche conduite par la raison relativement à l’action en laquelle consiste la vie humaine, car la vie spéculative, elle, est au-dessus de l’homme, d’après le Philosophe. Or l’eubulia désigne la bonté de la délibération, car ce mot est formé de eu qui signifie " bien " et de boule qui signifie " délibération ", c’est-à-dire l’acte de bien délibérer ou plutôt l’aptitude à bien délibérer. Il est donc clair que l’eubulia est une vertu humaine.

Solutions :

1. La délibération n’est pas bonne, soit queue poursuive une fin mauvaise, soit queue invente des voies mauvaises pour atteindre une fin bonne. Semblablement en spéculation, le raisonnement n’est pas bon, qu’il ait une conclusion fausse ou bien qu’il ait une conclusion vraie à partir de prémisses fausses, parce qu’il n’emploie pas le moyen terme approprié. C’est pourquoi chacun des deux cas est contraire à l’eubulia bien comprise, dit le Philosophe.

2. Bien que la vertu soit essentiellement une certaine perfection, il n’est pas nécessaire cependant que la matière de la vertu implique toujours quelque chose de parfait. Tout ce qui est humain en effet doit être perfectionné par des vertus, non seulement les actes de la raison parmi lesquels le conseil, mais aussi les passions de l’appétit sensible, qui sont encore beaucoup plus imparfaites. Ou bien l’on peut répondre que la vie humaine est une perfection à la mesure de l’homme ; or l’homme ne peut saisir avec certitude la vérité des choses d’un simple regard, surtout dans l’action, où l’on a affaire à du contingent.

3. Chez aucun pécheur en tant que tel on ne trouve l’eubulia. Car tout péché est opposé à la bonne délibération. Il est requis en effet, pour bien délibérer, non seulement que l’on découvre ou l’on imagine ce qui est adapté à la fin, mais aussi que l’on observe les autres circonstances : le temps convenable, en sorte qu’on ne soit ni trop lent ni trop rapide dans les conseils ; la manière de délibérer, en sorte qu’on soit ferme dans son conseil ; et les autres circonstances obligatoires que le pécheur ne respecte pas lorsqu’il pèche. Tout homme vertueux d’autre part délibère des choses ordonnées à la fin de la vertu ; il peut avec cela n’être pas de bon conseil dans un ordre particulier d’activités, par exemple dans le négoce, la guerre, etc.

 

            Article 2 — L’eubulia est-elle une vertu spéciale distincte de la prudence ?

Objections :

1. Il semble bien que non, car le Philosophe dit " qu’il semble appartenir au prudent de bien délibérer ". Mais tel est, nous venons de le dire, l’acte de l’eubulia. L’eubulia ne se distingue donc pas de la prudence.

2. Les actes humains auxquels sont ordonnées les vertus humaines reçoivent leur espèce avant tout de la fin, comme on l’a montré antérieurement. Mais l’eubulia et la prudence sont ordonnées à la même fin, selon Aristote, non à une fin particulière déterminée, mais à la fin universelle de la vie tout entière. Donc l’eubulia n’est pas une vertu distincte de la prudence.

3. En science spéculative, il appartient à la même science de chercher et de déterminer. Pareillement ces actes appartiennent donc à la même vertu dans l’ordre pratique. Mais chercher relève de l’eubulia, déterminer de la prudence. Donc l’eubulia n’est pas une vertu différente de la prudence.

En sens contraire, " la prudence a pour rôle de prescrire ", dit Aristote. Or, cet acte ne convient pas à l’eubulia. Donc celle-ci est une vertu différente de la prudence.

Réponse :

Nous venons de le dire, la vertu au sens propre est ordonnée à l’acte, qu’elle rend bon. C’est pourquoi, selon la diversité des actes, il doit y avoir aussi des vertus diverses, et surtout quand la bonté des actes n’est pas de même nature. S’ils avaient en effet la même sorte de bonté, les actes divers relèveraient de la même vertu ; c’est ainsi que d’une même cause dépend la bonté de l’amour, du désir, de la joie, et pour cette raison tous trois relèvent de la même vertu de charité. Or, les actes de la raison ordonnés à la vie pratique sont divers et ils n’ont pas la même sorte de bonté. En effet, il dépend d’une autre cause qu’un homme soit de bon conseil, de bon jugement, ou de bon commandement ; et la preuve en est que ces qualités sont quelquefois séparées l’une de l’autre. Donc autre doit être la vertu d’eubulia, par laquelle un homme délibère bien, autre la prudence par laquelle il commande bien. Et de même que la délibération est ordonnée au commandement comme à l’acte principal, pareillement l’eubulia est ordonnée à la prudence comme à la vertu principale, faute de laquelle elle ne serait pas vertu, tout comme il n’y a pas de vertus morales sans la prudence, ni aucune vertu sans la charité.

Solutions :

1. Il appartient à la prudence de commander la bonne délibération, à l’eubulia de la produire.

2. A l’unique fin ultime, qui est le bien-vivre dans sa totalité, sont ordonnés des actes divers selon une certaine gradation ; car le conseil précède, puis vient le jugement et en dernier lieu le commandement ; celui-ci a rapport immédiat à la fin dernière, tandis que les deux autres actes n’ont avec elle qu’un rapport éloigné. Ils ont cependant des fins prochaines ; celle du conseil est de découvrir ce qu’il faut faire, celle du jugement est de le décider. Il ne suit donc pas de là que l’eubulia et la prudence ne sont pas des vertus diverses, mais que l’eubulia est ordonnée à la prudence comme une vertu secondaire à la vertu principale.

3. Même en spéculation, autre est la science rationnelle nommée dialectique, par laquelle on cherche à découvrir la vérité, autre la science démonstrative, par laquelle on la détermine.

 

            Article 3 — La synésis est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, les vertus ne nous sont pas données avec la nature d’après Aristote. Mais il dit aussi que la synésis est naturelle chez quelques-uns. Donc la synésis n’est pas une vertu.

2. La synésis, dit-il au même livre, se borne à juger. Mais le jugement seul, sans le commandement, peut se trouver même chez les mauvais. Puisque la vertu ne se trouve que chez les bons, il semble donc que la synésis ne soit pas une vertu.

3. Jamais il n’y a défaut dans le commandement s’il n’y a défaut dans le jugement, du moins relatif à une action particulière, car quiconque fait le mal s’est trompé en cela. Donc, si l’on fait de la synésis la vertu du bon jugement, une autre vertu, ordonnée au bon commandement, ne semble plus nécessaire. En conséquence la prudence sera superflue, ce qui est inadmissible. La synésis n’est donc pas une vertu.

En sens contraire, le jugement est plus parfait que le conseil. Mais l’eubulia, qui inspire le bon conseil, est une vertu. Donc à bien plus forte raison la synésis qui inspire le bon jugement.

Réponse :

La synésis désigne un jugement droit, non en matière de spéculation, mais en matière d’actions particulières, qui sont aussi l’objet de la prudence. Aussi, en rapport avec ce mot, dit-on en grec que certains sont synétoi, c’est-à-dire sensés, ou eusynétoi, c’est-à-dire hommes de bon sens ; au contraire, on appelle ceux qui sont privés de cette vertu asynétoi, c’est-à-dire insensés. Or, la diversité des vertus doit correspondre à la différence des actes qui ne se ramènent pas à la même cause. Mais il est clair que la bonté du conseil et la bonté du jugement ne se ramènent pas à la même cause ; beaucoup en effet sont de bon conseil qui ne sont pas cependant de bon sens, c’est-à-dire doués d’un jugement droit. En spéculation aussi, certains sont de bons chercheurs, ayant une raison prompte à se porter de tous côtés, grâce, semble-t-il, à une disposition de leur imagination, apte à former facilement des représentations diverses ; et cependant il arrive que ces esprits n’aient pas un bon jugement ; la cause en est dans un défaut de l’intelligence, lui-même dû surtout à une mauvaise disposition du sens commun qui juge mal. Outre l’eubulia, il faut donc une autre vertu par laquelle on juge bien. C’est celle qu’on appelle synésis.

Solutions :

1. Le jugement droit consiste en ce que la faculté de connaissance saisit une chose comme elle est. L’effet en est dû à la droite disposition de la faculté de connaissance ; c’est ainsi que dans un miroir bien conditionné, les formes corporelles s’impriment comme elles sont ; mais s’il est mal conditionné, les images apparaissent tordues et déformées. Or, si une faculté de connaissance est bien conditionnée pour recevoir les réalités comme elles sont, l’aptitude radicale en provient de la nature, mais l’accomplissement en vient de l’exercice, ou du don de la grâce. Et ceci de deux manières. Directement, à considérer la faculté de connaissance elle-même - en ce sens par exemple qu’elle n’est pas imbue de conceptions déformées, mais vraies et droites, et cette disposition relève de la synésis comme vertu spéciale. L’autre manière est indirecte et concerne la droite disposition de l’appétit, par laquelle l’homme juge bien des objets qui se proposent à cette puissance appétitive. Ainsi le bon jugement vertueux résulte de l’habitus des vertus morales, mais il s’agit alors du jugement relatif aux fins, tandis que la synésis regarde plutôt ce qui est en vue de la fin.

2. Chez les mauvais, le jugement peut être droit par rapport à l’universel. Mais quand il s’agit de l’action particulière à accomplir, leur jugement est toujours vicié, comme on l’a établi antérieurement.

3. Il arrive que ce qui a été bien jugé soit différé, accompli négligemment ou de manière désordonnée. C’est pourquoi après la vertu du bon jugement, la vertu principale du bon commandement, la prudence est encore nécessaire en dernier lieu.

 

            Article 4 — La gnômè est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il semble qu’elle ne soit pas distincte de la synésis. Selon celle-ci en effet on est homme de bon jugement. Mais nul n’est homme de bon jugement s’il ne juge bien en toute chose. Donc la synésis s’étend à juger de tout. Il n’y a donc pas une autre vertu du bon jugement appelée gnômè.

2. Le jugement tient le milieu entre le conseil et le commandement. Mais il n’y a qu’une vertu du bon conseil, l’eubulia et une vertu du bon commandement, la prudence. Donc il n’y a qu’une seule vertu du bon jugement, et c’est la synésis.

3. Les événements rares, pour lesquels il faut s’écarter des lois communes, sont surtout des effets du hasard. Or on ne rend pas raison du hasard, dit Aristote. Mais toutes les vertus intellectuelles concernant la raison droite. Donc, relativement à ces événements, il n’y a pas de vertu intellectuelle.

En sens contraire, le Philosophe a précisé que la gnômè est une vertu spéciale.

Réponse :

Les habitus de la connaissant se distinguent selon les principes plus ou moins élevés ; par exemple la sagesse, en spéculation, considère des principes plus élevés que la science et c’est pourquoi elle en est distincte. Il doit en aller de même aussi dans l’ordre pratique. Or, il est clair que ce qui échappe à l’ordre d’un principe ou d’une cause inférieure tombe parfois sous l’ordre d’un principe plus élevé ; c’est ainsi que l’enfantement d’un monstre, chez les animaux, enfreint l’ordre de la vertu séminale, mais elle est conforme à l’ordre d’un principe plus élevé, qui est le corps céleste ou au-delà, la providence divine. C’est pourquoi celui qui considérerait la vertu séminale ne pourrait porter un jugement certain sur ces monstres ; on peut en juger cependant du point de vue de la providence divine. Or, il arrive quelquefois que l’on doive agir sans observer les règles communes de l’action : par exemple ne pas rendre un dépôt à l’ennemi de la patrie, et autres cas semblables. C’est pourquoi il faut juger de ces cas selon des principes plus élevés que les règles communes dont s’inspire la synésis. Et selon ces principes plus élevés une plus haute vertu est exigée : on l’appelle gnômè et elle implique une certaine perspicacité du jugement,

Solutions :

1. La synésis juge bien de tous les cas tombant sous les règles communes. Mais d’autres actions doivent être jugées en dehors des règles communes, nous venons de le dire.

2. Le jugement doit se prendre des principes propres de la chose, tandis que la recherche a lieu encore selon les voies communes. De là vient qu’en spéculation aussi la dialectique, qui concerne la recherche, procède à partir de principes communs, tandis que la science démonstrative, qui juge, procède de principes propres. Pour cette raison l’eubulia, de laquelle relève la recherche de la délibération, est unique dans tous les cas, mais non pas la synésis, qui concerne le jugement. Quant au précepte, il regarde dans tous les cas une raison de bonté. Et c’est pourquoi la prudence, elle aussi, est unique.

3. Considérer la totalité des choses qui peuvent arriver en dehors du cours commun appartient à la seule providence divine. Mais parmi les hommes, celui qui est plus perspicace peut juger par sa raison un plus grand nombre de ces cas. Et tel est le rôle de la gnômè, qui implique une certaine perspicacité de jugement.

 

 

QUESTION 52 — LE DON DE CONSEIL

1. Faut-il placer le conseil parmi les sept dons du Saint-Esprit ? - 2. Le don de conseil correspond-il à la vertu de prudence ? - 3. Le don de conseil subsiste-t-il dans la patrie ? - 4. La cinquième béatitude : " Bienheureux les miséricordieux " correspond-elle au don de conseil ?

 

            Article 1 — Faut-il placer le conseil parmi les sept dons du Saint-Esprit ?

Objections :

1. Il semble que non, car les dons du Saint-Esprit sont donnés pour aider les vertus, comme le montre S. Grégoire. Mais avec la vertu de prudence ou encore d’eubulia, l’homme possède tout ce qu’il faut pour délibérer, d’après ce que nous avons dit b. Donc le conseil ne doit pas figurer parmi les dons du Saint-Esprit.

2. La différence entre les sept dons du Saint-Esprit et les grâces gratuitement données semble consister en ce que celles-ci ne sont pas données à tous, mais distribuées aux uns ou aux autres, tandis que les dons du Saint-Esprit sont donnés à tous ceux qui possèdent le Saint-Esprit. Mais le conseil semble être au nombre de ces faveurs qui sont accordées par le Saint-Esprit à quelques-uns spécialement, témoin ce texte du 1er livre des Maccabées (2, 65) : " Voici Siméon votre frère. Lui, il est un homme de conseil. " Donc le conseil doit figurer plutôt parmi les grâces gratuitement données que parmi les sept dons du Saint-Esprit.

3. Il est dit (Rm 8, 14) : " Ceux-là sont les fils de Dieu qui sont mus par l’Esprit de Dieu. " Mais ceux qui sont mus par un autre n’ont pas besoin de conseil. Donc, puisque les dons du Saint-Esprit conviennent surtout aux fils de Dieu " qui ont reçu l’esprit d’adoption des fils " (Rm 8, 15), il semble que le conseil ne doive pas figurer parmi les dons du Saint-Esprit.

En sens contraire, il est dit dans Isaïe (11, 2) " L’esprit de conseil et de force reposera sur lui. "

Réponse :

Les dons du Saint-Esprit, comme nous l’avons dit, sont certaines dispositions par lesquelles l’âme se laisse facilement mouvoir par le Saint-Esprit. Or, Dieu meut chaque chose selon le mode de l’être qui est mû : c’est ainsi qu’il meut la créature corporelle dans le temps et dans le lieu, la créature spirituelle dans le temps et non dans le lieu, dit S. Augustin. Mais le propre de la créature douée de raison est qu’elle est mue à l’action par sa recherche rationnelle, et cette recherche prend le nom de conseil. C’est pourquoi le Saint-Esprit meut la créature raisonnable par mode de conseil. Et c’est pourquoi le conseil figure parmi les dons du Saint-Esprit.

Solutions :

1. La prudence ou eubulia, qu’elle soit acquise ou infuse, dirige l’homme dans la recherche du conseil selon ce que peut comprendre la raison ; aussi, par la prudence ou eubulia, est-on de bon conseil pour soi ou pour les autres. Mais parce que la raison humaine ne peut comprendre dans leur singularité les événements contingents, il en résulte que " les pensées des mortels sont timides, et incertaines nos prévoyances ", dit le livre de la Sagesse (9, 14). Pour cette raison, l’homme a besoin dans la recherche du conseil d’être dirigé par Dieu qui comprend toute chose. Tel est le rôle du don du conseil, par lequel l’homme est dirigé pour ainsi dire par le conseil qu’il reçoit de Dieu. Pareillement, dans les affaires humaines, ceux qui ne trouvent pas par euxmêmes le conseil voulu requièrent le conseil d’hommes plus sages.

2. Qu’un homme soit à ce point de bon conseil qu’il puisse conseiller les autres, cela peut relever d’une grâce gratuitement donnée. Mais qu’un homme reçoive de Dieu le conseil relatif à une action nécessaire au salut, cela est commun à tous ceux qui ont la grâce sanctifiante.

3. Les fils de Dieu sont mus par le Saint-Esprit selon leur mode d’être, c’est-à-dire en gardant leur libre arbitre, qui est faculté de volonté et de raison. Ainsi, en tant que la raison est instruite par le Saint-Esprit de ce qu’il faut faire, le don de conseil convient aux enfants de Dieu.

 

            Article 2 — Le don de conseil correspond-il à la vertu de prudence ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y corresponde pas exactement, car la réalité inférieure, en ce quelle a de plus élevé, rejoint la réalité supérieure, comme le montre Denys ; c’est ainsi que l’homme rejoint l’ange par son intelligence. Mais la vertu cardinale est inférieure au don, nous l’avons dit. Donc, puisque le conseil est le premier et le moins élevé des actes de la prudence, tandis que l’acte le plus élevé de cette vertu est le commandement et que son acte intermédiaire est le jugement, il semble que le don correspondant à la prudence ne soit pas le conseil, mais plutôt le jugement ou le commandement.

2. Une seule vertu est pleinement aidée par un seul don ; car plus un être est élevé, plus il est unifié, comme il est prouvé au livre Des causes. Mais la prudence est secourue par le don de science, qui n’est pas seulement spéculatif mais pratique, comme on l’a établi plus haut. Donc le don de conseil ne correspond pas à la vertu de prudence.

3. Il appartient en propre à la prudence de diriger, comme on l’a établi plus haut. Mais il relève du don de conseil que l’homme soit dirigé par Dieu, nous venons de le dire. Donc le don de conseil n’a pas rapport à la vertu de prudence.

En sens contraire, le don de conseil concerne les actions à accomplir en vue de la fin. Mais la prudence a le même objet. Donc ils se correspondent.

Réponse :

Un principe inférieur de mouvement est secouru et perfectionné avant tout en étant mû par un principe moteur plus élevé, comme le corps lorsqu’il est mû par l’esprit. Or, il est clair que la rectitude de la raison humaine se rapporte à la raison divine comme un principe inférieur de mouvement se rapporte à un principe plus élevé ; car la raison éternelle est la règle suprême de toute rectitude humaine. Et c’est pourquoi la prudence qui implique rectitude de raison est souverainement perfectionnée et aidée en ce qu’elle est réglée et mue par le Saint-Esprit. Telle est l’œuvre du don de conseil, comme on l’a dit. Donc le don de conseil correspond à la prudence, comme la secourant et la perfectionnant.

Solutions :

1. Juger et commander n’est pas le fait de ce qui est mû, mais de ce qui meut. Et parce que dans les dons du Saint-Esprit l’âme humaine n’a pas pour rôle de mouvoir mais plutôt d’être mue, comme nous l’avons dit, il ne convenait pas que le don correspondant à la prudence fût appelé commandement ou jugement, mais conseil, car ce mot signifie la motion reçue dans l’esprit conseillé de la part de celui qui conseille.

2. Le don de science ne correspond pas directement à la prudence, puisqu’il se trouve dans la partie spéculative, mais vient à son secours par une certaine extension. Tandis que le don de conseil correspond directement à la prudence, ayant le même objet.

3. Tout être qui meut en étant mû lui-même, meut du fait qu’il est mû. Aussi l’âme humaine, du fait queue est dirigée par le Saint-Esprit, devient capable de se diriger, elle-même et les autres.

 

            Article 3 — Le don de conseil subsistent dans la patrie ?

Objections :

1. Il semble que non, car le conseil concerne les actions à accomplir en vue d’une fin. Mais dans la patrie aucune action ne devra être accomplie en vue d’une fin, puisque les hommes y seront en possession de leur fin. Donc il n’y a pas de don de conseil dans la patrie.

2. Le conseil suppose un doute, car il est ridicule de délibérer en matière évidente, comme le montre le Philosophe. Or dans la patrie tout doute sera supprimé. Donc il n’y a pas de don de conseil dans la patrie.

3. Dans la patrie, les saints seront rendus parfaitement conformes à Dieu, selon le mot de S. Jean (1 Jn 3, 2) : " Lorsqu’il apparaîtra, nous lui serons semblables. " Mais le conseil ne sied pas à Dieu, selon S. Paul (Rm 11, 34) : " Qui a été son conseil ? " Donc le don de conseil ne convient pas non plus aux saints dans la patrie.

En sens contraire, S. Grégoire déclare : " Lorsque la faute ou la justice de chaque nation est déférée au conseil de la cour céleste, le chef de cette nation est proclamé vainqueur ou non dans le combat. "

Réponse :

Nous l’avons dit, les dons du Saint-Esprit se rapportent à la motion par Dieu de la créature raisonnable. Or deux choses sont à considérer relativement à cette motion. La première, c’est que la disposition de ce qui est mû tant que dure le mouvement, est différente de sa disposition au terme du mouvement. Et tout d’abord, dans le cas où ce qui meut est seulement principe du mouvement, lorsque cesse le mouvement, cesse aussi l’action du moteur sur le mobile désormais parvenu au terme ; ainsi la maison, une fois construite, ne continue pas d’être bâtie par le bâtisseur. Mais quand ce qui meut est cause non seulement du mouvement, mais aussi de la forme à laquelle le mouvement était ordonné, l’action du moteur ne cesse pas une fois la forme acquise ; c’est ainsi que le soleil continue d’éclairer l’air après que celui-ci a reçu la lumière. De la même manière, Dieu cause en nous la vertu et la connaissance non seulement lorsque nous les acquérons pour la première fois, mais encore aussi longtemps que nous y persévérons. Dieu cause ainsi chez les bienheureux la connaissance des actions à faire, non en leur apprenant ce qu’ils ignoraient, mais en maintenant en eux la connaissance de ces actions.

Il y a cependant certaines choses que les bienheureux, anges ou hommes, ne connaissent pas ; elles n’appartiennent pas à l’essence de la béatitude, mais concernent le gouvernement providentiel du monde. Et sur ce point intervient la seconde considération : à savoir que Dieu ne meut pas de la même manière les âmes des bienheureux et les âmes des voyageurs. Car pour ces dernières, la motion divine qui dirige leurs actions apaise en elles l’anxiété d’un doute qu’elles avaient d’abord éprouvée. Chez les bienheureux au contraire il y a simple ignorance de ce qu’ils ne connaissent pas, et les anges même ont à en être purifiés, selon Denys. Chez eux il n’y a pas d’abord recherche et incertitude, mais simple conversion à Dieu. C’est ce qui s’appelle demander conseil à Dieu. S. Augustin dit en ce sens que les anges consultent Dieu sur les réalités d’ici-bas. On nomme donc conseil l’instruction qu’ils reçoivent de Dieu.

De cette façon, le don de conseil se trouve chez les bienheureux en tant que Dieu leur continue la connaissance de ce qu’ils savent ; et en tant qu’ils reçoivent de Dieu la lumière sur ce qu’ils ignorent relativement à leur action.

Solutions :

1. Même chez les bienheureux, il y a des actes qui sont ordonnés à la fin, soit qu’ils procèdent, pour ainsi dire, de la fin déjà obtenue, comme la louange qu’ils adressent à Dieu ; soit que ces actes aient pour effet d’attirer les autres à la fin qu’eux-mêmes possèdent, comme font les ministères des anges et les prières des saints. A l’égard de tels actes, le don de conseil a sa place chez eux.

2. Le doute qui se rattache au conseil caractérise l’état de la vie présente ; il ne se rattache plus au conseil dans la patrie. Semblablement, les vertus cardinales n’ont pas tout à fait les mêmes actes dans la patrie et au cours du voyage.

3. Le conseil n’est pas chez Dieu comme en celui qui le reçoit, mais comme en celui qui le donne. Or les saints dans la patrie sont conformés à Dieu comme celui qui reçoit est conformé au principe dont il subit l’influence.

 

            Article 4 — La cinquième béatitude " Bienheureux les miséricordieux " correspond-elle au don de conseil ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car toutes les béatitudes sont des actes vertueux déterminés, nous l’avons établi. Mais le conseil nous dirige dans tous les actes des vertus. Donc la cinquième béatitude ne correspond pas plus qu’une autre au conseil.

2. Les préceptes prescrivent ce qui est nécessaire au salut, le conseil ce qui n’est pas nécessaire au salut. Or la miséricorde est nécessaire au salut, selon ce texte (Jc 2, 13) : " Celui-là subira un jugement sans miséricorde, qui n’a pas fait miséricorde. " La pauvreté au contraire n’est pas nécessaire au salut mais appartient à la vie parfaite, selon l’Évangile (Mt 19, 21). Donc la béatitude de la pauvreté répond mieux au don de conseil que celle de la miséricorde.

3. Les fruits font suite aux béatitudes ; ils disent en effet un certain plaisir spirituel qui suit les actes parfaits des vertus. Mais aucun fruit ne répond au don de conseil, comme il ressort de la lettre aux Galates (5, 22. 23). Donc la béatitude de la miséricorde ne répond pas non plus au don de conseil.

En sens contraire, S. Augustin affirme que " le conseil convient aux miséricordieux ; car le seul remède qui nous délivre de si grands maux est de remettre aux autres et de pardonner ".

Réponse :

Le conseil concerne proprement ce qui est utile en vue de la fin. Ce qui a le plus d’utilité en vue de la fin est donc aussi ce qui correspond le mieux au don de conseil. Or, telle est la miséricorde, selon cette parole de S. Paul (1 Tm 4, 8) : " La piété est utile à tout. " Et c’est pourquoi au don de conseil correspond spécialement la béatitude de la miséricorde, non comme l’acte que ce don produit lui-même, mais comme celui qu’il dirige.

Solutions :

1. Bien que le conseil dirige dans tous les actes vertueux, il dirige spécialement dans les œuvres de miséricorde, pour la raison qu’on vient de dire.

2. Le conseil comme don du Saint-Esprit nous dirige en toute action ordonnée à la fin de la vie éternelle, qu’elle soit nécessaire au salut ou non. Mais il est vrai que toute œuvre de miséricorde n’est pas nécessaire au salut.

3. Le fruit dit quelque chose d’ultime. Dans la vie pratique, l’ultime n’est pas dans la connaissance mais dans l’opération, qui est la fin recherchée. C’est pourquoi parmi les fruits, il n’en est aucun qui se rapporte à la connaissance pratique ; on ne mentionne que ce qui concerne les opérations à l’égard desquelles la connaissance pratique est directrice. Parmi eux figurent la bonté et la bénignité, qui correspondent à la miséricorde.

LES VICES OPPOSÉS A LA PRUDENCE

S. Augustin nous dit : " Pour toutes les vertus il y a non seulement des vices qui s’opposent a chacune par une différence évidente, comme la témérité s’oppose à la prudence, mais encore des vices voisins des vertus en quelque manière et ayant avec elles une ressemblance non point véritable, mais apparente et trompeuse, comme la ruse avec la prudence elle-même. " Il faut donc étudier : I. Les vices qui s’opposent manifestement à la prudence ; ils proviennent d’un défaut dans la prudence ou dans les qualités requises à cette vertu (Q. 53-54). II. Les vices qui ont avec elle une fausse ressemblance (Q. 55) ; ceux-là sont dus au mauvais usage de ce qui est requis à la prudence. Et puisque la sollicitude se rattache à la prudence, on traitera de deux vices à propos de la première catégorie : 1. l’imprudence (Q. 53) ; 2. la négligence, qui s’oppose à la sollicitude (Q. 54).

 

QUESTION 53 — L’IMPRUDENCE

1. L’imprudence est-elle un péché ? - 2. Est-elle un péché spécial ? - 3. La précipitation ou témérité. - 4. L’inapplication. - 5. L’inconstance. - 6. L’origine de ces vices.

 

            Article 1 — L’imprudence est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non, car tout péché est volontaire, dit S. Augustin. Or, l’imprudence n’est pas volontaire, car personne ne veut être imprudent. Donc l’imprudence n’est pas un péché.

2. Aucun péché ne naît avec l’homme, en dehors du péché originel. Mais l’imprudence naît avec l’homme : d’où l’imprudence des jeunes gens. Et elle n’est pas le péché originel, qui s’oppose à la justice originelle. Donc l’imprudence n’est pas un péché.

3. Tout péché est ôté par la pénitence. Mais l’imprudence n’est pas ôtée par la pénitence. Donc elle n’est pas un péché.

En sens contraire, le trésor spirituel de la grâce n’est ôté que par le péché. Or il est ôté par l’imprudence, selon les Proverbes (21, 20) : " Il y a un trésor précieux et de l’huile dans la demeure du juste, mais l’homme imprudent les dissipera. "

Réponse :

L’imprudence peut se prendre en deux sens : comme privant de la prudence, comme s’opposant à la prudence. Dans le sens négatif, le mot ne s’emploie pas avec propriété car, en rigueur de termes, il ne signifie pas autre chose que l’absence de prudence, qui peut être sans péché. On parle d’imprudence au sens privatif lorsqu’un sujet manque de prudence, alors qu’il peut et doit en avoir. L’imprudence ainsi comprise est péché en raison de la négligence, parce qu’on ne s’applique pas à posséder la prudence.

Par mode d’opposition, il y a imprudence lorsque la raison agit et procède d’une manière contraire à la prudence. Par exemple, si la droite raison prudente agit par voie de délibération, l’imprudence dédaigne de délibérer, et ainsi des autres qualités de l’acte prudent. En ce sens, l’imprudence est péché au titre propre de la prudence, car on ne peut agir contre la prudence que si l’on s’écarte des règles garantissant sa rectitude. Donc, si l’on agit ainsi par aversion des règles divines, il y a péché mortel ; c’est le cas de l’homme qui méprisant et répudiant les enseignements divins, agit précipitamment. Mais si l’on agit en dehors des règles divines sans mépris et sans dommage pour ce qui est nécessaire au salut, le péché est véniel.

Solutions :

1. Personne ne veut la difformité de l’imprudence, mais le téméraire qui veut agir avec précipitation veut l’acte d’imprudence. Aussi le Philosophe dit-il : " Celui qui pèche volontairement en matière de prudence est moins approuvé. "

2. Cet argument se réfère à l’imprudence entendue au sens négatif. Disons toutefois que l’absence de prudence comme de n’importe quelle vertu est comprise dans l’absence de la justice originelle qui rendait parfaite l’âme entière. Ainsi compris, tous ces manques de vertus peuvent être ramenés au péché originel.

3. Par la pénitence, la prudence infuse est restituée, et son absence prend fin. Mais l’habitus de la prudence acquise n’est pas restitué pour autant ; ce qui est enlevé, c’est l’acte contraire, en lequel consiste proprement le péché d’imprudence.

 

            Article 2 — L’imprudence est-elle un péché spécial ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, quiconque pèche agit contre la raison droite, qui est la prudence. Mais l’imprudence consiste à agir contre la prudence, on vient de le dire. Donc l’imprudence n’est pas un péché spécial.

2. La prudence a plus d’affinité que la science avec les actes moraux. Mais l’ignorance, qui s’oppose à la science, est classée parmi les causes générales du péché. Donc à bien plus forte raison l’imprudence.

3. Les péchés proviennent de ce que les circonstances des vertus sont désordonnées : d’où le mot de Denys selon lequel " le mal provient de chacun des défauts affectant la chose mauvaise ". Mais nombre d’éléments sont requis à la prudence : la raison, l’intelligence, la docilité et les autres dont on a parlé plus haut. Donc l’imprudence donne lieu à beaucoup d’espèces. Donc elle n’est pas un péché spécial.

En sens contraire, l’imprudence est le contraire de la prudence, comme on l’a dit. Mais la prudence est une vertu spéciale. Donc l’imprudence est un vice spécial.

Réponse :

Un vice ou péché peut être dit général de deux manières : ou bien absolument, parce qu’il est général à l’égard de tous les péchés ; ou bien, parce qu’il est général à l’égard de certains vices, ses espèces. Dans le premier sens un vice peut être dit général doublement. A titre essentiel lorsqu’il s’attribue à tous les péchés. En cc sens l’imprudence n’est pas un péché général, de même que la prudence n’est pas en ce sens une vertu générale, car elles concernent des actes spéciaux, à savoir les actes mêmes de la raison.

Au titre de la participation ensuite. En ce sens l’imprudence est un péché général. De même effet que la prudence est de quelque manière participée dans toutes les vertus en tant qu’elle les dirige ; ainsi l’imprudence, dans tous les vices et péchés ; aucun péché en effet, ne peut être commis s’il n’y a un défaut dans un acte de la raison dirigeante, ce qui est une imprudence.

Mais, si l’on entend le péché général non pas absolument mais dans un genre donné, en cc qu’il contient et comprend plusieurs espèces, l’imprudence est alors un péché général. Elle contient en effet des espèces diverses de trois manières.

1° Par opposition aux diverses parties subjectives de la prudence. En effet, comme on distingue la prudence en prudence privée, qui gouverne une seule personne, et en prudences préposées au gouvernement de la multitude, qui constituent d’autres espèces, comme on l’a établi plus haut, de même l’imprudence.

2° En référence aux parties pour ainsi dire potentielles de la prudence, qui sont les vertus annexes et se prennent selon les différents actes de la raison. De cette façon, en ce qui concerne le manque de conseil, objet de l’eubulia, on a comme espèce d’imprudence la précipitation ou témérité ; en ce qui concerne le manque de jugement, objet de la synésis et de la gnômè, on a l’inapplication. En ce qui concerne le commandement lui-même, qui est l’acte propre de la prudence, on a l’inconstance et la négligence.

3° L’imprudence peut se diviser par opposition aux qualités requises à la prudence, qui sont pour ainsi dire les parties intégrantes de cette vertu. Mais parce que toutes ces qualités ont pour fin de diriger les trois actes de la raison susdits, tous les défauts contraires se réduisent aux quatre espèces qu’on vient de nommer. C’est ainsi que l’absence d’attention précautionneuse et de circonspection sont comprises dans l’inconsidération. Si l’on manque de docilité, de mémoire ou de raison, il s’agit de précipitation. Mais l’imprévoyance, le défaut d’intelligence et de sagacité, se réduisent à la négligence et à l’inconstance.

Solutions :

1. L’argument se réfère à la généralité par participation.

2. Parce que la science est plus éloignée de la moralité que la prudence, selon la signification propre de l’une et de l’autre, l’ignorance n’a pas en soi raison de péché moral, mais seulement à cause de la négligence qui la précède ou de l’effet qui suit. On la classe en conséquence parmi les causes générales du péché. Mais l’imprudence, dans sa raison propre, signifie un vice moral. C’est pourquoi l’on est plus fondé à en faire un péché spécial.

3. Quand le dérèglement des diverses circonstances procède du même motif, l’espèce du péché n’en est pas diversifiée ; le péché, par exemple, est de même espèce si quelqu’un prend le bien d’autrui dans un lieu qui ne convient pas et dans un temps qui ne convient pas. Mais si les motifs étaient divers, les espèces le seraient aussi, par exemple si quelqu’un prend le bien d’autrui là où il ne doit pas, dans l’intention de profaner le lieu saint, ce qui en ferait une espèce de sacrilège ; un autre, dans le temps où il ne doit pas, pour la seule satisfaction de son désir démesuré de posséder, ce qui serait de l’avarice pure et simple. C’est pourquoi le défaut des qualités requises à la prudence ne donne lieu à des espèces diverses que pour autant qu’elles disent ordre aux actes divers de la raison, comme on vient de le dire.

 

            Article 3 — La précipitation ou témérité

Objections :

1. Il semble que la précipitation ne soit pas un péché compris dans l’imprudence. L’imprudence en effet s’oppose à la vertu de prudence. Mais la précipitation s’oppose au don de conseil. car S. Grégoire affirme : " Le don de conseil est donné contre la précipitation. " Donc la précipitation n’est pas un péché compris dans l’imprudence.

2. La précipitation semble se rattacher à la témérité. Mais la témérité implique la présomption, qui se rattache à l’orgueil. Donc la précipitation n’est pas un vice compris dans l’imprudence.

3. La précipitation semble impliquer une hâte désordonnée. Or, dans l’acte de délibérer il n’y a pas seulement péché du fait que l’on se hâte, mais aussi si l’on tarde trop, en sorte qu’on laisse passer l’occasion d’agir, et aussi selon le dérèglement des autres circonstances selon Aristote. Donc il n’y a pas plus de raison de comprendre dans l’imprudence le péché de précipitation que la lenteur excessive ou quelque autre désordre relatif à la délibération.

En sens contraire, il est dit aux Proverbes (4, 19) : " Le chemin des impies est ténébreux, ils ne savent sur quoi ils trébuchent. " Mais les ténèbres du chemin d’impiété se rattachent à l’imprudence. Donc trébucher, ou être précipité, se rattache à l’imprudence.

Réponse :

La précipitation se dit métaphoriquement des actes de l’âme par ressemblance avec le mouvement corporel. En ce sens, se précipiter désigne ce qui passe de haut en bas par son propre mouvement ou sous l’effet d’une impulsion reçue, sans observer l’ordre et les degrés de la descente. Or, le haut de l’âme est la raison : le bas, c’est l’action exercée par le corps ; les degrés intermédiaires, par lesquels il faut descendre en bon ordre, sont la mémoire du passé, l’intelligence du présent, la sagacité à l’égard des événements futurs, le raisonnement qui compare une chose avec l’autre, la docilité qui acquiesce aux avis des anciens : par ces degrés on descend en bon ordre selon le cours d’une délibération bien faite. Tandis que si l’on se porte à agir par élan de volonté ou de passion en sautant ces degrés, on tombe dans la précipitation. Donc, puisque le désordre de la délibération se rattache à l’imprudence, il est clair que le vice de précipitation est compris dans ce péché.

Solutions :

1. La rectitude du conseil relève du don de conseil et de la vertu de prudence, quoique de manière différente, nous l’avons dit. C’est pourquoi la précipitation s’oppose à l’un et à l’autre.

2. On appelle actes téméraires ceux qui ne sont pas gouvernés par la raison. Ce qui arrive de deux manières. Ou bien sous l’effet de la volonté ou de la passion, ou bien par mépris de la règle directrice, et c’est proprement ce qui implique la témérité. Elle semble donc provenir de la racine d’orgueil, qui refuse de se soumettre à une règle étrangère. Tandis que la précipitation vérifie les deux manières. La témérité est donc comprise dans la précipitation, bien que la précipitation concerne plutôt le premier genre d’actions.

3. Dans la délibération il y a beaucoup de particularités à considérer. D’où le parole du Philosophe : " Il faut délibérer lentement. " Aussi la précipitation s’oppose-t-elle à la rectitude de la délibération plus directement que la lenteur exagérée, qui a quelque ressemblance avec la délibération droite.

 

            Article 4 — L’inapplication

Objections :

1. Il semble que l’inapplication ne soit pas un péché spécial compris dans l’imprudence. La loi divine nous engage en effet à ne commettre aucun péché, selon le Psaume (19, 8) : " La loi du Seigneur est sans tache. " Or, elle nous engage à ne pas nous appliquer, puisqu’il est dit (Mt 10, 19) : " Ne réfléchissez pas à la manière dont vous répondrez ou sur ce que vous direz. " Donc l’inapplication n’est pas un péché.

2. Quiconque délibère doit s’appliquer à beaucoup de choses. Mais lorsque la délibération est insuffisante, on a la précipitation, qui provient par conséquent de l’inapplication. Donc la précipitation est comprise dans l’inapplication. Donc celle-ci n’est pas un péché spécial.

3. La prudence consiste dans les actes de la raison pratique, qui sont : délibérer, juger de ce qu’on a délibéré, commander. Mais s’appliquer est un acte qui précède tous ceux-là, puisqu’il appartient aussi à l’intellect spéculatif. Donc l’inapplication n’est pas un péché spécial compris dans l’imprudence.

En sens contraire, il est dit (Pr 4, 25) : " Que tes yeux voient ce qui est droit, et que tes regards précèdent tes pas ", ce qui relève de la prudence. Mais l’inapplication fait le contraire. Donc elle est un péché spécial compris dans l’imprudence.

Réponse :

La considération ou l’application implique l’acte de l’intelligence regardant une vérité. Or, de même que la recherche relève de la raison, ainsi le jugement relève de l’intelligence ; aussi la science démonstrative en spéculation est-elle appelée judicative en tant qu’elle vérifie ce qui a été cherché, en résolvant les conclusions dans les premiers principes intelligibles. C’est pourquoi la considération concerne avant tout le jugement. Aussi le manque de jugement droit tombe-t-il sous le vice d’inapplication, dans le cas où l’on manque au jugement droit du fait que l’on méprise ou que l’on néglige de faire attention aux règles d’où procède le jugement droit. Il est clair en conséquence que l’inapplication est un péché.

Solutions :

1. Le Seigneur ne défend pas de considérer ce qu’il faut faire et dire, lorsqu’on en a l’opportunité. Mais dans les paroles citée il encourage ses disciples à mettre leur confiance dans le seul conseil divin, pour le cas où l’opportunité ferait défaut, soit parce qu’ils manquent de savoir, soit parce qu’ils sont brusquement surpris car " lorsque nous ignorons comment agir, il nous reste la seule ressource de diriger nos regards vers Dieu " (2 Ch 20, 12). Autrement, si l’homme néglige de faire ce qu’il peut et attend tout du secours divin, il semble qu’il tente Dieu.

2. Toute la considération de ce qui tombe sous le conseil est ordonné au droit jugement ; c’est pourquoi la considération s’accomplit dans le jugement. Aussi est-ce encore l’inapplication qui s’oppose surtout à la rectitude du jugement.

3. On entend ici l’inapplication relativement à une matière déterminée, c’est-à-dire aux actions humaines. Pour être bien jugées, celles-ci demandent qu’on fasse attention à plus de choses que même en matière spéculative, pour la raison que les actions ont lieu dans le singulier.

 

            Article 5 — L’inconstance

Objections :

1. Il semble que l’inconstance ne soit pas un vice compris dans l’imprudence. Car elle semble consister en ce que l’homme ne persiste pas dans une entreprise difficile. Mais persister dans les difficultés relève de la force. Donc l’inconstance s’oppose à la force plus qu’à l’imprudence.

2. On lit en S. Jacques (3, 16) : " Là où il y a jalousie et dispute, il y a inconstance et toute sorte de désordre. " Mais la jalousie se rattache à l’envie. Donc l’inconstance ne se rattache pas à l’imprudence, mais plutôt à l’envie.

3. On attribue l’inconstance à celui qui ne persévère pas dans ce qu’il s’était proposé. Si c’est par plaisir, c’est le fait de l’incontinent ; si c’est par tristesse, c’est le fait d’un homme mou et délicat, selon Aristote. Donc l’inconstance ne se rattache pas à l’imprudence.

En sens contraire, il appartient à la prudence de préférer un bien plus grand à un bien moindre. Donc renoncer au meilleur est un acte d’imprudence. Mais c’est là de l’inconstance. Donc l’inconstance se rattache à l’imprudence.

Réponse :

L’inconstance implique l’abandon d’un bon propos déterminé. Un tel abandon a son principe dans l’appétit ; en effet, on ne s’écarte après coup d’un bon propos que parce que l’on cède à une complaisance désordonnée. Mais il n’est consommé que par la défaillance de la raison, qui s’égare en répudiant ce qu’elle avait admis à bon droit ; et parce qu’elle pouvait résister à la poussée de la passion, elle ne doit qu’à sa faiblesse de ne pas résister et de ne pas soutenir fermement le bon propos qu’elle avait conçu. C’est pourquoi l’inconstance, lorsqu’elle est consommée, signale une défaillance de la raison. Or, de même que toute rectitude de la raison pratique relève en quelque façon de la prudence, ainsi toute défaillance de sa part se rattache à l’imprudence. C’est pourquoi la consommation de l’inconstance est de l’imprudence. Et de même que la précipitation provient d’un défaut relatif à la délibération, et l’inapplication d’un défaut relatif au jugement, ainsi l’inconstance provient d’un défaut relatif au commandement ; car on appelle inconstant celui dont la raison néglige de commander ce qui a été délibéré et jugé.

Solutions :

1. Le bien de la prudence est participé dans toutes les vertus morales ; et en ce sens il appartient à toutes les vertus morales de persister dans le bien. On l’attribue toutefois de préférence à la force, qui subit une plus grande poussée en sens contraire.

2. L’envie et la colère, qui sont à l’origine de la dispute, produisent l’inconstance du côté de la puissance appétitive où se trouve le principe de l’inconstance, comme on vient de le dire.

3. Il semble que la continence et la persévérance ne soient pas dans l’appétit, mais seulement dans la raison. Le continent en effet subit des convoitises déréglées et le persévérant de pénibles tristesses, ce qui dénonce une insuffisance de la puissance appétitive. Mais leur raison tient bon : celle du continent contre les convoitises, celle du persévérant contre les tristesses. Si bien, que la continence et la persévérance apparaissent comme des espèces de la constance, rattachée à la raison ; et c’est à la raison aussi que se rattache l’inconstance.

 

            Article 6 — L’origine de ces vices

Objections :

1. Il semble que tous ces vices ne naissent pas de la luxure. En effet l’inconstance naît de l’envie comme on vient de le dire. Mais l’envie est un vice distinct de la luxure. Donc ces vices ne naissent pas de la luxure.

2. Il est écrit (Jc 1, 8) : " L’homme à l’âme partagée est inconstant dans toutes ses voies. " La duplicité ne semble pas se rattacher à la luxure, mais plutôt au penchant à la tromperie laquelle est fille de l’avarice, selon S. Grégoire. Donc ces vices ne naissent pas de la luxure.

3. Ces vices signalent un défaut de la raison. Mais les vices spirituels sont plus proches de la raison que les vices charnels. Donc ces vices naissent plutôt des vices spirituels que des vices charnels.

En sens contraire : S. Grégoire donne tous ces vices comme naissant de la luxure.

Réponse :

Selon le Philosophe, le plaisir est ce qui trouble au maximum l’estimation de la prudence, surtout le plaisir charnel, qui absorbe l’âme entière et l’entraîne au plaisir des sens. Or la perfection de la prudence, comme de toute vertu intellectuelle, consiste à se détacher du sensible. Par conséquent, les vices dont on a parlé plus haut et qui signalent un défaut de la prudence et de la raison pratique, comme on l’a montré que naissent surtout de la luxure.

Solutions :

1. L’envie et la colère causent l’inconstance en détournant la raison vers un autre objet, mais la luxure cause l’inconstance en éteignant totalement le jugement de la raison. Aussi le Philosophe dit-il : " Celui qui ne peut contenir sa colère entend la raison, quoique non parfaitement, mais celui qui ne peut contenir sa convoitise ne l’entend pas du tout. "

2. Même la duplicité de l’âme est une conséquence de la luxure, tout comme l’inconstance, en ce que la duplicité de l’âme signifie qu’on passe incessamment d’un objet à l’autre. D’où le mot de Térence : " L’amour cause la guerre, puis de nouveau la paix et la trêve. "

3. Les vices charnels éteignent d’autant plus le jugement de la raison qu’ils détournent et éloignent davantage de la raison.

 

 

QUESTION 54 — LA NÉGLIGENCE

1. La négligence est-elle un péché spécial ? - 2. A quelle vertu s’oppose-t-elle ? - 3. Est-elle

péché mortel ?

 

            Article 1 — La négligence est-elle un péché spécial ?

Objections :

1. Il ne le semble pas. La négligence s’oppose à la diligence. Mais la diligence est requise en toute vertu. Donc la négligence n’est pas un péché spécial.

2. Ce qui se trouve en tout péché n’est pas un péché spécial. Mais la négligence se trouve en tout péché ; car celui qui pèche, néglige ce qui le détournerait du péché ; et celui qui persévère dans le péché, néglige de s’en repentir. Donc la négligence n’est pas un péché spécial.

3. Tout péché spécial a une matière déterminée. Mais la négligence ne semble pas avoir une matière déterminée ; elle ne concerne en effet ni les actions mauvaises ni les actions indifférentes, parce qu’on ne taxe pas de négligence le fait de les omettre ; elle ne concerne pas non plus le bien, parce que si on l’accomplit négligemment, il cesse d’être le bien. Il semble donc que la négligence ne soit pas un vice spécial.

En sens contraire, on distingue les péchés commis par négligence des péchés commis par mépris.

Réponse :

La négligence implique qu’on manque de la sollicitude requise. Or le manquement à un acte requis a toujours raison de péché. Il est donc évident que la négligence a raison de péché ; et de même que la sollicitude est un acte spécial de vertu, la négligence est nécessairement un péché spécial. Il y a en effet des péchés spéciaux dont la matière est spéciale : ainsi la luxure, qui a pour matière les plaisirs sexuels. Mais d’autres vices sont spéciaux en raison de la spécialité de leur acte qui s’étend à toute matière. Et tous les vices relatifs à un acte de la raison sont de cet te sorte, car tout acte de la raison s’étend à toute matière morale. C’est pourquoi, puisque la sollicitude est un acte spécial de la raison comme on l’a établi plus haut, la négligence, qui implique le manque de sollicitude, est un péché spécial.

Solutions :

1. La diligence (diligentia) semble être identique à la sollicitude, car nous apportons une sollicitude plus grande à ce que nous préférons (diligimus). Aussi la diligence, comme la sollicitude, est-elle requise pour toute vertu, en tant que sont requis en toute vertu les actes de la raison qui sont nécessaires.

2. En tout péché, il y a nécessairement un manque affectant un acte de la raison, par exemple la délibération ou un autre acte semblable. En conséquence, de même que la précipitation est un péché spécial à cause de l’acte spécial de la raison qui est omis, à savoir la délibération, encore qu’il puisse y avoir précipitation en tout genre de péché ; de même la négligence est un péché spécial à cause d’un manque affectant l’acte spécial de la raison qu’est la sollicitude, bien qu’on la trouve plus ou moins en tout péché.

3. Le bien que l’on doit faire constitue la matière propre de la négligence ; non que des actions puissent négligemment être bonnes en étant négligemment accomplies, mais en ce sens que par négligence il leur manque la bonté qu’elles devraient avoir, soit que par manque de sollicitude on ait complètement omis d’accomplir l’acte requis, soit qu’on ait négligé l’une des circonstances de l’acte qui sont requises.

 

            Article 2 — A quelle vertu la négligence s’oppose-t-elle ?

Objections :

1. Il semble que la négligence ne s’oppose pas à la prudence. En effet, elle semble être identique à la paresse ou torpeur qui se rattache à l’acédie, comme le montre S. Grégoire. Or l’acédie ne s’oppose pas à la prudence mais plutôt à la charité, comme on l’a dit plus haute. Donc la négligence ne s’oppose pas à la prudence.

2. Tout péché d’omission semble relever de la négligence. Mais le péché d’omission ne s’oppose pas à la prudence, il s’oppose plutôt aux vertus morales préposées à l’exécution des actes bons. Donc la négligence ne s’oppose pas à la prudence.

3. L’imprudence concerne un des actes de la raison. Mais la négligence n’implique pas un manque relatif à la délibération, ce qui est le défaut de la précipitation, ni relatif au jugement, ce qui est le défaut de l’inapplication, ni relatif au commandement, ce qui est le défaut de l’inconstance. Donc la négligence ne se rattache pas à l’imprudence.

4. On lit dans l’Ecclésiaste (7, 19) : " Qui craint Dieu, ne néglige rien. " Mais tout péché est exclu surtout par la vertu contraire. Donc la négligence s’oppose davantage à la crainte qu’à la prudence.

En sens contraire, il est dit dans l’Ecclésiastique (20, 7) : " Le vantard et l’imprudent laissent passer le bon moment. " Mais cela revient à la négligence. Donc la négligence s’oppose directement à la prudence.

Réponse :

La négligence s’oppose directement à la sollicitude. Or la sollicitude se rattache à la raison, et la rectitude de la sollicitude se rattache à la prudence. Par opposition, la négligence se rattache donc à l’imprudence. Le nom même en fait foi. Selon Isidore, négligent (negligens) équivaut à non élisant (nec eligens). Or la juste élection des moyens en vue de la fin relève de la prudence. Donc la négligence se rattache à l’imprudence.

Solutions :

1. La négligence consiste dans le défaut de l’acte intérieur auquel se rattache aussi l’élection. Tandis que la paresse et la torpeur concernent plutôt l’exécution ; en ce sens toutefois que la paresse implique le retard à exécuter tandis que la torpeur implique un relâchement dans l’exécution même. Il est donc logique que la torpeur naisse de l’acédie, car l’acédie est une tristesse qui accable l’âme, c’est-à-dire l’empêche d’agir.

2. L’omission concerne l’acte extérieur. Il y a omission en effet quand on n’accomplit pas un acte requis. Elle s’oppose donc à la justice. Et elle est un effet de la négligence, comme l’exécution de l’action juste est l’effet de la raison droite.

3. La négligence concerne l’acte du commandement, auquel se rattache aussi la sollicitude. Mais le négligent manque à cet acte autrement que l’inconstant. L’inconstant en effet commande mal par suite d’un empêchement, le négligent par manque de promptitude dans la volonté.

4. La crainte de Dieu fait éviter tout péché, comme il est dit dans les Proverbes (15, 27 Vg) : " Par la crainte du Seigneur chacun s’écarte du mal. " Par conséquent la crainte fait éviter la négligence. Non en ce sens toutefois que la négligence s’oppose directement à la crainte, mais en tant que la crainte stimule l’homme à accomplir les actes de la raison. On a établi pareillement au traité des passions e que la crainte amène à bien délibérer.

 

            Article 3 — La négligence est-elle péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que non, car sur ce texte de Job (9, 28) : " Je redoutais tout ce que je faisais, etc. ", la Glose de S. Grégoire déclare que " c’est un moindre amour de Dieu qui favorise la négligence ". Mais partout où il y a péché mortel, l’amour de Dieu disparaît totalement. Donc la négligence n’est pas péché mortel.

2. Sur ce texte de l’Ecclésiastique (7, 34 Vg) " Purifie-toi à peu de frais de la négligence ", la Glose de Raban Maur déclare : " Bien que l’offrande soit mince, elle purifie les négligences de nombreux péchés. " Ce ne serait pas vrai si la négligence était péché mortel. Donc la négligence n’est pas péché mortel.

3. Dans la loi, des sacrifices ont été établis pour les péchés mortels, comme on le voit au Lévitique (4 et suiv.). Mais aucun sacrifice n’y est statué pour la négligence. Donc la négligence n’est pas péché mortel.

En sens contraire, on lit aux Proverbes (19, 16) : " Celui qui néglige son chemin trouvera la mort. "

Réponse :

Comme on vient de le dire, la négligence provient d’un certain relâchement de la volonté, par l’effet duquel la raison manque de la sollicitude qui lui ferait commander ce qu’elle doit ou comme elle doit. Donc il peut arriver de deux manières que la négligence soit péché mortel.

L’une tient à ce qui est omis par négligence. Si ce qu’on omet, soit acte, soit circonstance, est nécessaire au salut, la négligence sera péché mortel. L’autre manière tient à la cause de la négligence. En effet, si la volonté est à ce point relâchée en ce qui concerne les choses de Dieu qu’elle perde la charité, une telle négligence est péché mortel. Cela se produit surtout quand la négligence est un effet du mépris. En revanche, si la négligence consiste à omettre un acte ou une circonstance qui n’est pas nécessaire au salut et ne résulte pas du mépris mais d’un manque de ferveur, comme celui que produit parfois un péché véniel, la négligence n’est pas péché mortel mais véniel.

Solutions :

1. " Un moindre amour de Dieu " peut s’entendre de deux façons. Ou bien par défaut de ferveur de charité, et cela produit une négligence qui est péché véniel. Ou bien par défaut de la charité elle-même, comme on parle de moindre amour de Dieu lorsque Dieu est aimé seulement d’amour naturel. La négligence qui a une telle cause est péché mortel.

2. " Une modeste offrande, faite d’un cœur humble et dans un sentiment de pure dilection ", comme il est dit au même endroit, purifie non seulement des péchés véniels, mais encore des mortels.

3. Quand la négligence consiste dans l’omission de ce qui est nécessaire au salut, elle passe au genre de péché plus manifeste, car les péchés qui consistent dans les actes intérieurs restent plus cachés. Et c’est la raison pour laquelle la loi ne prescrivait pas à leur sujet de sacrifices déterminés ; l’offrande des sacrifices était en effet un aveu public de péché, qu’on ne doit pas faire pour un péché occulte.

 

 

QUESTION 55 — LES VICES OPPOSÉS À LA PRUDENCE PAR FAUSSE RESSEMBLANCE

1. La prudence de la chair est-elle un péché ? - 2. Est-elle péché mortel ? - 3. La ruse est-elle un péché spécial ? - 4. La tromperie. - 5. La fraude. - 6. Le souci pour les affaires temporelles. - 7. Le souci de l’avenir. - 8. L’origine de ces vices.

 

            Article 1 — La prudence de la chair est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non, car la prudence est une vertu plus noble que les autres vertus morales, puisqu’elle les gouverne toutes. Mais aucune justice ni tempérance n’est péché. Donc aucune prudence non plus n’est péché.

2. Agir avec prudence en vue d’une fin qu’il est licite d’aimer n’est pas un péché. Mais il est licite d’aimer la chair : " Personne n’a jamais haï sa propre chair " (Ep 5, 29). Donc la prudence de la chair n’est pas un péché.

3. Comme l’homme est tenté par sa chair, il l’est aussi par le monde, voire par le diable. Mais aucune prudence du monde ni non plus du diable ne figure parmi les péchés. Donc aucune prudence de la chair ne doit non plus figurer parmi les péchés.

En sens contraire, nul n’est ennemi de Dieu si ce n’est à cause de l’iniquité, selon ce passage de la Sagesse (14, 9) : " L’impie et son impiété pareillement haïs de Dieu. " Mais comme il est dit aux Romains (8, 7) : " La prudence de la chair est révolte contre Dieu. " Donc la prudence de la chair est un péché.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, la prudence a pour objet ce qui s’ordonne à la fin de la vie entière. C’est pourquoi la prudence de la chair signifie proprement qu’un homme traite les biens charnels comme la fin ultime de sa vie. Or, il est clair que cela est péché ; de cette manière en effet il abandonne l’ordre à l’égard de la fin ultime, qui ne consiste pas dans les biens du corps, ainsi qu’on l’a établi précédemment b. C’est pourquoi la prudence de la chair est péché.

Solutions :

1. La justice et la tempérance impliquent dans leur raison même ce qui fait louer la vertu, à savoir l’égalité et la modération des convoitises ; et c’est pourquoi elles ne sont jamais prises en mauvaise part. Tandis que le mot de prudence dérive de prévoyance, nous l’avons dit plus haute. Or, celle-ci peut s’étendre même au mal. C’est pourquoi, bien que la prudence sans autre qualification soit prise en bonne part, elle peut moyennant une addition recevoir un sens défavorable. C’est ainsi que la prudence de la chair est le nom d’un péché.

2. La chair est pour l’âme, comme la matière est pour la forme, et l’instrument pour l’agent principal. Aussi aime-t-on licitement la chair pour qu’elle soit ordonnée au bien de l’âme comme à sa fin. Mais si l’on va jusqu’à établir sa fin dernière dans le bien de la chair, l’amour qu’on a pour elle sera désordonné et illicite. Et c’est de cette manière que la prudence de la chair s’ordonne à l’amour de la chair.

3. Le diable nous tente non en devenant désirable, mais par ses suggestions. C’est pourquoi, puisque la prudence implique l’ordre à une fin désirable, on ne parle pas d’une prudence du diable comme on parle d’une prudence en rapport avec quelque fin mauvaise, en raison de laquelle le monde et la chair nous tentent : car on veut dire par là que les biens du monde et de la chair s’offrent à nos désirs. C’est pourquoi l’on parle d’une prudence de la chair et aussi d’une prudence du monde, selon ce texte de Luc (16, 8) : " Les fils de ce siècle sont plus prudents entre eux, etc. " S. Paul, pour son compte, renferme tout dans la prudence de la chair, car même les biens extérieurs du monde, c’est à cause de la chair que nous les convoitons.

On peut dire néanmoins ceci : Parce que la prudence est une sorte de sagesse, nous l’avons reconnu plus haut, on peut entendre une triple prudence conformément aux trois tentations. Aussi S. Jacques (3, 15) parle-t-il d’une sagesse terrestre, animale, diabolique comme on l’a exposé plus haut en traitant de la sagesse.

 

            Article 2 — La prudence de la chair est-elle péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que la prudence de la chair soit péché mortel. En effet, s’insurger contre la loi divine est péché mortel, car de cette manière on méprise le Seigneur. Mais " la prudence de la chair ne se soumet pas à la loi de Dieu " (Rm 8, 7). Donc la prudence de la chair est péché mortel.

2. Tout péché contre le Saint-Esprit est péché mortel. Mais la prudence de la chair semble être un péché contre le Saint-Esprit : elle ne peut en effet être " soumise à la loi de Dieu ". comme il est écrit au même endroit, et ainsi semble-t-elle être un péché irrémissible, ce qui est le trait propre du péché contre le Saint-Esprit. Donc la prudence de la chair est péché mortel.

3. Au plus grand bien est opposé le plus grand mal, selon Aristote. Mais la prudence de la chair s’oppose à la prudence, qui est la plus importante des vertus morales. Donc la prudence de la chair est le plus important des désordres moraux. Donc elle est péché mortel.

En sens contraire, ce qui diminue le péché n’a pas de soi raison de péché mortel. Mais prendre soin de la chair avec précaution, ce qui semble relever de la prudence de la chair, diminue le péché. Donc la prudence de la chair, de soi, n’implique pas péché mortel.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, un homme est appelé prudent selon deux significations possibles : ou bien il est prudent absolument, c’est-à-dire par rapport à la fin de la vie entière ; ou bien il l’est relativement, c’est-à-dire par rapport à une fin particulière, dans le sens où l’on parle d’un homme prudent en affaires ou autres choses semblables. Donc, si l’on entendait prudence de la chair au sens d’une prudence absolue, en sorte que la fin ultime de la vie consisterait dans le soin de la chair, elle est péché mortel. En effet, une telle fin détourne l’homme de Dieu, puisqu’il est impossible d’avoir plusieurs fins dernières, nous l’avons établi antérieurement.

Mais si l’on entend la prudence de la chair au sens d’une prudence particulière, en ce cas la prudence de la chair est un péché véniel. Il arrive en effet que l’on soit porté de façon désordonnée vers un plaisir charnel sans que l’on se détourne de Dieu par un péché mortel ; ainsi ne met-on pas la fin de sa vie entière dans le plaisir de la chair. Chercher à se procurer un plaisir de cette sorte est un péché véniel qui se rattache à la prudence de la chair. Et si l’on ordonne effectivement le soin de la chair à une fin honnête, comme lorsqu’on tient à manger pour soutenir son corps, il ne s’agit plus de prudence de la chair. Car en ce cas l’homme utilise le soin de la chair comme un moyen en vue d’une fin.

Solutions :

1. L’Apôtre parle de la prudence de la chair dans le sens où l’on met dans les biens charnels la fin de la vie humaine tout entière. Et en ce sens elle est péché mortel.

2. La prudence de la chair n’implique pas le péché contre le Saint-Esprit. Lorsqu’il est dit qu’elle ne peut être " soumise à la loi de Dieu ", il ne faut pas l’entendre comme si l’homme, sujet de la prudence de la chair, ne pouvait se convertir et se soumettre à la loi de Dieu ; mais en ce sens que la prudence de la chair comme telle ne peut être soumise à la loi de Dieu, de même que l’injustice ne peut être juste, ni la chaleur froide, bien qu’un corps chaud puisse être froid.

3. Tout péché s’oppose à la prudence, de même que la prudence est participée en toute vertu. Il n’en résulte pas que tout péché opposé à la prudence soit le plus grave ; il ne l’est que lorsqu’il s’oppose à la prudence dans une matière de la plus grande importance.

 

            Article 3 — La ruse est-elle un péché spécial ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, les paroles de la Sainte Écriture n’engagent personne à pécher. Or, elles engagent à la ruse (Pr 1, 4) " Afin qu’aux tout-petits soit donnée la ruse. " Donc la ruse n’est pas un péché.

2. On lit aux Proverbes (13, 16) : " L’homme rusé fait tout avec conseil. " C’est ou bien en vue d’une fin bonne, ou bien en vue d’une fin mauvaise. S’il agit en vue d’une fin bonne, il ne semble pas y avoir péché. S’il agit en vue d’une fin mauvaise, son péché semble relever de la prudence de la chair ou du siècle. Donc la ruse n’est pas un péché spécial distinct de la prudence de la chair.

3. Sur ce passage de Job (12, 4) : " La simplicité du juste est tournée en dérision ", S. Grégoire déclare : " La sagesse de ce monde consiste à cacher son cœur sous des machinations, à voiler sa pensée par ses paroles, à présenter comme vrai ce qui est faux, à montrer comme faux ce qui est vrai. " Il ajoute plus loin : " Cette sorte de prudence, les jeunes gens la connaissent par la pratique, les enfants paient pour l’apprendre. " Mais la description qu’il en fait semble concerner la ruse. Donc celle-ci ne se distingue pas de la prudence de la chair ou du monde. Et par là elle ne semble pas être un péché spécial.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (2 Co 4, 2) " Nous repoussons les dissimulations honteuses, nous ne nous conduisons pas avec ruse, et nous ne falsifions pas la parole de Dieu. " Donc la ruse est un péché.

Réponse :

La prudence est la droite règle des actions comme la science est la droite règle de la connaissance. Or, on pèche de deux façons contre la rectitude de la science dans l’ordre spéculatif : ou bien lorsque la raison aboutit à une conclusion fausse qui paraît vraie ; ou bien lorsque la raison procède de prémisses fausses qui semblent être vraies, soit qu’elle en tire une conclusion vraie, soit qu’elle en tire une conclusion fausse. De même, un péché peut s’opposer à la prudence en ayant une certaine ressemblance avec cette vertu, de deux manières. 1° Parce que la raison s’emploie au service d’une fin qui a une bonté non pas vraie mais apparente, et cela relève de la prudence de la chair. 2° En tant qu’on se sert, pour atteindre une fin, bonne ou mauvaise, de moyens qui ne sont pas vrais, mais simulés et apparents, et l’on a le péché de ruse. Celle-ci est donc un péché opposé à la prudence et distinct de la prudence de la chair.

Solutions :

1. Comme dit S. Augustin, on emploie par extension le mot de ruse dans un bon sens, comme par extension l’on emploie celui de prudence dans un mauvais sens. La cause en est dans la ressemblance de l’une avec l’autre. A proprement parler cependant, la ruse se prend en mauvaise part, comme dit aussi le Philosophe k.

2. La ruse peut délibérer ou bien en vue d’une fin bonne, ou bien en vue d’une fin mauvaise. Il ne faut pas toutefois atteindre une fin bonne par des voies fausses et simulées, mais par des voies vraies. Donc la ruse est un péché, même si elle est ordonnée à une fin bonne.

3. Dans la prudence du monde, S. Grégoire inclut tout ce qui peut se rattacher à la fausse prudence. Elle comprend donc aussi la ruse.

 

            Article 4 — La tromperie

Objections :

1. Il semble que la tromperie ne soit pas un péché se rattachant à la ruse. En effet, il n’y a pas de péché, surtout mortel, chez les hommes parfaits. Or, il y a chez eux de la tromperie, selon ce texte (2 Co 12, 16) : " je vous ai trompés. " Donc la tromperie n’est pas toujours un péché.

2. La tromperie semble se rapporter surtout à la langue, selon ce passage du Psaume (5, 11) " Par leurs langues ils agissaient de façon trompeuse. " Mais la ruse, comme la prudence, est dans l’acte même de la raison. Donc la tromperie ne se rattache pas à la ruse.

3. Il est dit aux Proverbes (12, 20) : " La tromperie est dans le cœur de ceux qui méditent le mal. " Mais méditer le mal ne se rapporte pas toujours à la ruse. Donc la tromperie ne semble pas se rapporter à la ruse.

En sens contraire, la ruse a pour but de circonvenir, selon ce mot de l’Apôtre (Ep 4, 14) : " Par ruse, afin de circonvenir et d’entraîner dans l’erreur. " Mais c’est aussi le but de la tromperie. Donc la tromperie se rattache à la ruse.

Réponse :

Comme on vient de le dire, il appartient à la ruse d’adopter des voies non pas vraies mais simulées et apparentes en vue d’atteindre une fin, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Or on adopte de telles voies selon deux degrés. Ou bien on les conçoit, et cela relève de la ruse, de même que concevoir des voies droites en vue d’une fin bonne relève de la prudence. Ou bien adopter ces voies consiste en l’exécution effective des desseins qu’on a médités, et l’on a cette fois la tromperie. En conséquence, la tromperie consiste à exécuter la ruse. Et en ce sens elle s’y rattache.

Solutions :

1. De même que la ruse se prend à proprement parler du mal, et par extension du bien, de même la tromperie qui en est l’exécution.

2. L’exécution de la ruse destinée à tromper les autres a lieu avant tout et principalement par le moyen des paroles, qui occupent le premier rang parmi les signes dont les hommes se servent pour communiquer avec leurs semblables comme le montre S. Augustin’. C’est pourquoi la tromperie est attribuée surtout au langage. Mais il arrive aussi qu’il y ait de la tromperie dans les actes, selon le Psaume (105, 25) : " Ils ont agi avec tromperie envers les serviteurs (de Dieu). " Il y a même tromperie dans le cœur, selon ce passage de l’Ecclésiastique (19, 23 Vg) : " Leur cœur est plein de tromperie. " Mais il s’agit alors de concevoir des tromperies selon le Psaume (38, 13) : " Tout le jour, ils ruminent des tromperies. "

3. Tous ceux qui pensent faire le mal doivent concevoir des procédés qui leur permettent d’exécuter leur dessein ; et le plus souvent ils conçoivent des procédés trompeurs grâce auxquels ils obtiennent plus facilement ce qu’ils veulent. Il arrive néanmoins que certains accomplissent le mal ouvertement et par violence, sans ruse ni tromperie. Mais parce que c’est plus difficile, c’est aussi plus rare.

 

            Article 5 — La fraude

Objections :

1. Il semble que la fraude ne se rattache pas à la ruse. Il n’est pas louable en effet de se laisser tromper, ce qui est l’objet de la ruse. Mais il est louable de subir la fraude, selon ce texte (1 Co 6, 7) : " Pourquoi ne subissez-vous pas plutôt la fraude ? " Donc la fraude ne se rattache pas à la ruse.

2. La fraude semble se rapporter au fait d’acquérir illicitement les biens extérieurs. Il est dit en effet dans les Actes des Apôtres (5, 1-2) : " Un homme du nom d’Ananie, avec Saphire son épouse, vendit un champ et frauda sur son prix. Mais s’approprier illicitement ou retenir des biens extérieurs tombe sous l’injustice ou l’illibéralité. Donc la fraude ne se rattache pas à la ruse, qui s’oppose à la prudence.

3. Personne n’emploie la ruse contre soi-même. Mais les fraudes de certains sont tournées contre eux-mêmes. Il est dit en effet aux Proverbes (1, 18) que certains " trament des fraudes contre leurs propres âmes ". Donc la fraude ne se rattache pas à la ruse.

En sens contraire, la fraude a pour but de tromper, selon le texte de Job (13, 9) : " Dieu serait-il trompé comme un homme par vos procédés frauduleux ? " Or la ruse a le même but. Donc la fraude se rattache à la ruse.

Réponse :

De même que la tromperie consiste en l’exécution de la ruse, pareillement aussi la fraude. Mais on peut marquer la différence en disant que la tromperie concerne l’exécution de la ruse universellement, soit par paroles soit par actions, tandis que la fraude concerne plus proprement l’exécution de la ruse par des actions.

Solutions :

1. L’Apôtre n’engage pas les fidèles à se laisser tromper au plan de la connaissance. Il les engage à supporter patiemment l’effet de la tromperie en tenant bon sous les torts qu’on leur a frauduleusement causés.

2. L’exécution de la ruse peut être assurée par un autre vice, comme celle de la prudence est assurée par les vertus. Et en ce sens rien n’empêche que l’acte de fraude ne tombe sous l’avarice ou l’illibéralité.

3. Ceux qui commettent des fraudes n’entreprennent rien intentionnellement contre eux-mêmes ou contre leurs âmes. Mais en vertu du juste jugement de Dieu il se fait que ce qu’ils ont entrepris contre les autres se retourne contre eux-mêmes, selon ce mot du Psaume (7, 16) : " Il est tombé dans la fosse qu’il a creusée. "

 

            Article 6 — Le souci pour les affaires temporelles

Objections :

1. Il semble licite d’avoir du souci pour les affaires temporelles. Car il appartient au supérieur d’avoir de la sollicitude pour ses sujets, selon ce mot de l’épître aux Romains (12, 8) : " Celui qui préside, qu’il le fasse avec sollicitude. " Mais, en vertu de l’ordination divine, l’homme règne sur les biens temporels, selon le Psaume (8, 8) : " Tu as mis toutes choses sous ses pieds, les brebis et les bœufs, etc. " Donc l’homme doit avoir de la sollicitude pour les affaires temporelles.

2. Chacun est en souci de la fin en vue de laquelle il agit. Mais il est licite à l’homme de travailler en vue des biens temporels qui soutiennent sa vie. D’où le mot de l’Apôtre (2 Th 3, 10) : " Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas. " Donc il est licite de se mettre en souci des choses temporelles.

3. La sollicitude dans les œuvres de miséricorde est louable, selon la deuxième épître à Timothée (1, 17) : " Venu à Rome, Onésiphore me chercha avec sollicitude. " Mais la sollicitude des biens temporels a rapport quelquefois avec les œuvres de miséricorde ; ainsi lorsqu’on apporte de la sollicitude à traiter des affaires des orphelins et des pauvres. Donc la sollicitude des choses temporelles n’est pas illicite.

En sens contraire, le Seigneur nous dit (Mt 6, 31) : " Ne soyez pas en souci, disant : "Que mangerons-nous ? Que boirons-nous ? De quoi nous vêtirons-nous ?" " Et cependant ces choses sont des plus nécessaires.

Réponse :

La sollicitude comporte l’application qu’on met à obtenir quelque chose. Or, il est clair qu’on met plus d’application là où l’on craint de manquer ; et donc la sollicitude est moindre là où l’on est sûr d’obtenir. Par conséquent la sollicitude des biens temporels peut être illicite de trois manières. 1° En ce qui regarde l’objet de la sollicitude, si nous recherchons les biens temporels comme notre fin. D’où ce mot de S. Augustin : " Quand le Seigneur dit : "Ne soyez pas en souci, etc.", il le dit afin que les disciples n’aient pas ces biens en vue, et ne fassent pas à cause d’eux tout ce qu’il ont reçu l’ordre de faire en prêchant l’Évangile. "

2° La sollicitude des biens temporels peut être illicite d’une deuxième manière, du fait de l’application superflue que l’on met à se procurer ces biens, d’où il suit que l’homme s’éloigne des biens spirituels auxquels il doit s’appliquer principalement. C’est pourquoi il est dit (Mt 13, 22) " Le souci du monde étouffe la parole. "

3° Ce souci est illicite du fait de la crainte superflue, lorsque l’on craint, faisant ce que l’on doit, que le nécessaire ne vienne à manquer. Le Seigneur exclut ce sentiment d’une triple façon. Tout d’abord, à cause des bienfaits plus grands accordés par Dieu à l’homme sans qu’il les sollicite, bienfaits qui sont le corps et l’âme. Ensuite, à cause de l’aide accordée par Dieu aux animaux et aux plantes indépendamment de toute œuvre humaine, à proportion de leur nature. Enfin, au nom de la providence divine ; c’est parce qu’ils l’ignoraient que les païens mettaient leur principale sollicitude à rechercher les biens temporels. Le Seigneur conclut en conséquence que notre principal souci doit être celui des bienfaits spirituels, dans l’espérance que même les temporels nous seront fournis selon nos besoins, si nous faisons ce que nous devons.

Solutions :

1. Les biens temporels sont soumis à l’homme pour qu’il en use à la mesure de ses nécessités, non pour qu’il mette en eux sa fin et dépense à leur sujet une sollicitude excessive.

2. La sollicitude de l’homme qui gagne son pain par le labeur de son corps n’est pas excessive si elle est mesurée. C’est pourquoi S. Jérôme dit : " Il faut travailler, mais sans sollicitude ", ce qui veut dire sans ce souci excessif qui trouble l’esprit.

3. La sollicitude du temporel dans les œuvres de miséricorde est ordonnée à la fin de la charité. Elle n’est donc pas illicite, sauf si elle est excessive.

 

            Article 7 — Le souci de l’avenir

Objections :

1. Il semble que l’on doive se soucier de l’avenir. On lit en effet dans les Proverbes (6, 6-8) : " Va voir la fourmi, paresseux, considère ses mœurs et apprends la sagesse. Elle n’a ni chef ni maître, et cependant elle prépare dès l’été sa nourriture, et au temps de la moisson elle rassemble ce qu’elle mangera plus tard. " Voilà qui est se soucier de l’avenir. Donc la sollicitude de l’avenir est louable.

2. La sollicitude se rattache à la prudence. Mais la prudence a pour objet principalement ce qui est à venir ; en effet, sa partie principale est la prévoyance du futur, nous l’avons dit plus haut. Donc il est vertueux d’être en souci de l’avenir.

3. Quiconque met de côté quelque chose et le réserve pour plus tard est en souci de l’avenir. Mais le Christ en personne, lisons-nous (Jn 12, 6) avait une bourse pour y garder de l’argent qui était confié à judas. Les Apôtres eux aussi conservaient le prix des domaines qu’on " venait jeter à leurs pieds " (Ac 4, 35). Donc il est permis de se soucier de l’avenir.

En sens contraire, le Seigneur dit (Mt 6, 34) " Ne soyez pas en souci du lendemain. " Or le lendemain est mis ici pour l’avenir, explique S. Jérôme.

Réponse :

Aucune œuvre ne peut être vertueuse si elle n’est revêtue des circonstances requises. Le temps est l’une d’entre elles, selon l’Ecclésiaste (8, 6) : " Il y a un temps et un moment pour tout. " La règle vaut non seulement pour les œuvres extérieures, mais encore pour la sollicitude intérieure. A chaque temps, en effet, convient sa sollicitude propre, comme à l’été le souci de la moisson, à l’automne le souci de la vendange. Donc si l’on avait déjà en été du souci pour la vendange, on devancerait inutilement le souci de la saison prochaine. C’est pourquoi le Seigneur interdit comme superflue une telle sollicitude, disant . " Ne soyez pas en souci du lendemain. " Aussi ajoute-t-il : " Demain se souciera de lui-même ", c’est-à-dire : il aura sa propre sollicitude, et qui suffit à affliger l’âme. C’est ce qu’il dit ensuite : " A chaque jour suffit sa peine ", c’est-à-dire l’affliction du souci.

Solutions :

1. La fourmi a le souci approprié au moment. Et c’est cela qui est proposé à notre imitation.

2. A la prudence appartient la juste prévoyance de l’avenir. Or, la prévoyance de l’avenir ou sollicitude serait désordonnée si l’on recherchait comme des fins les biens temporels pour lesquels on parle de passé et d’avenir ; ou bien si l’on recherchait le superflu au-delà des besoins de la vie présente ; ou bien si l’on devançait le temps du souci.

3. Comme dit S. Augustin : " Quand nous voyons un serviteur de Dieu pourvoir à ce que le nécessaire ne lui manque pas, ne pensons pas qu’il est en souci du lendemain. " Car le Seigneur en personne a daigné pour l’exemple avoir une bourse ; et il est écrit dans les Actes des Apôtres (1 1, 28) que l’on a fait des provisions de vivres en raison d’une famine imminente. Le Seigneur ne blâme donc pas celui qui prend de telles mesures conformément à la manière d’agir humaine, mais celui qui servirait Dieu en vue de cette sorte de biens.

 

            Article 8 — L’origine de ces vices

Objections :

1. Il semble que les vices ci-dessus, ne naissent pas de l’avarice. Car nous l’avons dit, c’est par la luxure surtout que la raison manque à sa rectitude. Mais les vices dont on vient de parler s’opposent à la raison droite, c’est-à-dire à la prudence. Donc ces vices naissent principalement de la luxure, surtout si l’on observe que, selon le Philosopher . Vénus est trompeuse et ses liens sont chatoyants ; il dit encore que l’homme qui ne peut maîtriser sa convoitise agit par stratagèmes.

2. Ces vices ont une certaine ressemblance avec la prudence, nous l’avons dit’. Mais puisque la prudence est dans la raison, les vices les plus spirituels, comme l’orgueil et la vaine gloire, semblent s’en rapprocher davantage. Donc les vices dont on vient de parler semblent nàltre plutôt de l’orgueil que de l’avarice.

3. L’homme recourt aux pièges, non seulement pour s’emparer du bien d’autrui mais encore pour machiner des meurtres ; le premier péché relève de l’avarice, le second de la colère. Mais recourir aux pièges est le fait de la ruse, de la tromperie, et de la fraude. Donc ces vices ne naissent pas seulement de l’avarice mais aussi de la colère.

En sens contraire, S. Grégoire fait de la fraude la fille de l’avarice.

Réponse :

Nous l’avons dit, la prudence de la chair et la ruse, avec la tromperie et la fraude, ressemblent à la prudence en ce qu’elles font toutes quelque usage de la raison. Or, parmi les vertus morales, l’usage de la raison droite apparaît principalement dans la justice, qui se trouve dans l’appétit rationnel. C’est pourquoi aussi l’usage indu de la raison apparent surtout dans les vices opposés à la justice. Or, à la justice s’oppose avant tout l’avarice. C’est pourquoi les vices en question naissent de l’avarice.

Solutions :

1. La luxure, à cause de la véhémence du plaisir et de la convoitise, étouffe totalement la raison et l’empêche d’agir. Mais dans les vices en question on trouve un certain usage de la raison, quoique désordonné. Donc ces vices ne naissent pas directement de la luxure. Et quand le Philosophe dit que Vénus est trompeuse, il le dit par similitude ; en effet, l’amour surprend l’homme soudainement comme on fait lorsqu’on procède par tromperie ; toutefois elle n’agit pas par ruse, mais plutôt par la violence de la convoitise et du plaisir. Aussi le Philosophe ajoute-t-il que " Vénus dérobe l’esprit du plus sage ".

2. Agir en dressant des pièges semble être le fait d’une certaine pusillanimité. En effet, le magnanime veut toujours être à découvert, dit le Philosophe. Et c’est pourquoi, l’orgueil ayant ou affectant une certaine ressemblance avec la magnanimité, les vices en question, qui usent de fraude et de tromperie, ne naissent pas directement de l’orgueil. Ces procédés ont plus d’affinité avec l’avarice, qui recherche son profit et méprise la supériorité.

3. La colère est soudaine, aussi agit-elle précipitamment et sans délibération ; au contraire les vices dont on a parlé délibèrent, quoique d’une manière désordonnée. Pour ceux qui, ayant dessein d’attenter à la vie des autres, recourent aux pièges, ils sont inspirés plus par la haine que par la colère ; car l’homme en colère veut nuire à découvert, dit le Philosophe.

 

 

QUESTION 56 — LES PRÉCEPTES RELATIFS À LA PRUDENCE

1. Les préceptes relatifs à la prudence. - 2. Les préceptes concernant les vices opposés.

 

            Article 1 — Les préceptes relatifs à la prudence

Objections :

1. Il semble qu’il aurait dû y avoir un précepte relatif à la prudence parmi les préceptes du décalogue, car les préceptes principaux doivent être promulgués relativement à la vertu principale. Mais les préceptes principaux de la loi sont ceux du décalogue. La prudence étant la principale des vertus morales, il semble donc qu’il aurait dû y avoir un précepte relatif à la prudence parmi les préceptes du décalogue.

2. La loi est contenue dans l’enseignement évangélique, surtout en ce qui concerne les préceptes du décalogue. Mais il y a un précepte de la prudence dans l’enseignement évangélique (Mt 10, 16) : " Soyez prudents comme les serpents. " Donc l’acte de la prudence devait tomber sous les préceptes du décalogue.

3. Les autres prescriptions de l’Ancien Testament sont ordonnées aux préceptes du décalogue. Aussi est-il dit dans Malachie (3, 22) : " Souvenez-vous de la loi de Moïse, mon serviteur, que je lui ai prescrite au mont Horeb. " Mais dans les autres prescriptions de l’Ancien Testament figurent des préceptes relatifs à la prudence. Ainsi dans les Proverbes (3, 5) - " Ne prends pas appui sur ta prudence " ; et plus loin (4, 25) : " Que tes regards devancent tes pas. " Donc il aurait dû y avoir aussi dans la loi un précepte relatif à la prudence, et notamment parmi les préceptes du décalogue.

En sens contraire, il suffit d’énumérer les préceptes du décalogue.

Réponse :

Comme nous l’avons dit lorsqu’il était question des préceptes, les préceptes du décalogue, de même qu’ils ont été donnés au peuple tout entier, sont compris par tous comme relevant de la raison naturelle. Or, ce qui est dicté avant tout par la raison naturelle ce sont les fins de la vie humaine, qui sont pour l’action ce que les principes naturellement connus sont pour la spéculation, comme on l’a montré ci-dessus. Mais la prudence ne concerne pas la fin, elle concerne ce qui est en vue de la fin, comme on l’a dit. C’est pourquoi il ne convenait pas de faire figurer parmi les préceptes du décalogue un précepte se rapportant directement à la prudence. Tous les préceptes du décalogue s’y rapportent cependant, en tant qu’elle est directrice de tous les actes

Solutions :

1. Bien que la prudence soit, à parler absolument, la principale de toutes les autres vertus morales, la justice est cependant principale du point de vue de l’obligation, laquelle est requise au précepte, comme nous l’avons dit. Et c’est pourquoi les principaux préceptes de la loi, ceux du décalogue, devaient se rapporter à la justice plutôt qu’à la prudence.

2. La doctrine évangélique est une doctrine de perfection : il fallait donc que l’homme fût parfaitement instruit par elle de tout ce qui concerne la rectitude de la vie, qu’il s’agisse de la fin ou des moyens. Pour cette raison il fallait que même les préceptes relatifs à la prudence figurent dans la doctrine évangélique.

3. De même que les autres prescriptions de l’Ancien Testament sont ordonnées aux préceptes du décalogue comme à leur fin, ainsi convenait-il que dans les documents postérieurs de l’Ancien Testament les hommes fussent instruits de l’acte de la prudence, qui porte sur les moyens de parvenir à la fin.

 

            Article 2 — Les préceptes concernant les vices opposés à la prudence

Objections :

1. Il semble que dans l’ancienne loi les préceptes prohibitifs concernant les vices opposés à la prudence n’ont pas été bien présentés. En effet, les vices qui s’opposent directement à la prudence, comme l’imprudence et ses parties, ne s’opposent pas moins à cette vertu que les vices qui lui ressemblent, comme la ruse et ce qui s’y rattache. Or, ces derniers sont défendus dans la loi. Il est dit en effet au Lévitique (19, 13) : " Tu ne calomnieras pas ton prochain ", et au Deutéronome (25, 13) : " Tu n’auras pas dans ton sac deux sortes de poids, des grands et des petits. " Il fallait donc que des préceptes prohibitifs soient aussi promulgués à l’égard des vices directement opposés à la prudence.

2. Il peut y avoir fraude en bien d’autres affaires que l’achat et la vente. La loi n’est donc pas bien faite, qui n’a interdit la fraude qu’en matière d’achat et de vente.

3. La même raison inspire de commander l’acte vertueux et d’interdire l’acte vicieux qui s’y oppose. Mais on ne voit pas que la loi ait commandé les actes de la prudence. Il ne fallait donc pas non plus interdire dans la loi certains vices opposés.

En sens contraire, nous trouvons les préceptes de la loi cités dans la première objection.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut,, la justice concerne surtout la raison de dette, qui est requise au précepte ; car la justice est ordonnée à acquitter ce qu’on doit à autrui comme on le dira ci-dessous. Or la ruse, quant à son exécution, se commet surtout en matière de justice, on l’a dit. C’est pourquoi il convenait que des préceptes prohibitifs soient promulgués dans la loi relativement à l’exécution de la ruse, en tant qu’elle relève de l’injustice : comme lorsque par ruse ou par fraude on calomnie quelqu’un ou qu’on lui prend ce qu’il possède.

Solutions :

1. Les vices directement opposés à la prudence par une contrariété manifeste ne tombent pas sous l’injustice au même point que l’exécution de la ruse. C’est pourquoi ils ne sont pas prohibés par la loi comme la fraude et la tromperie, qui se rattachent à l’injustice.

2. On peut comprendre comme prohibée au chapitre 19 du Lévitique, dans l’interdiction de la calomnie, toute tromperie ou fraude commise contre la justice. Mais la fraude et la tromperie se pratiquent d’ordinaire en matière d’achat et de vente, selon l’Ecclésiastique (26, 28 Vg) : " Le cabaretier ne sera pas justifié du péché de ses lèvres. " Pour cette raison, il y a dans la loi un précepte prohibitif spécial relativement à la fraude commise dans les achats et les ventes.

3. Tous les préceptes de la loi relatifs aux actes de la justice se rattachent à l’exécution de la prudence, comme les préceptes prohibitifs concernant le vol, la calomnie, la vente frauduleuse, intéressent l’exécution de la ruse.

 

LA JUSTICE

LA JUSTICE AU SENS STRICT

Après la prudence, il faut étudier la justice. Cette étude aura quatre parties : I. La justice (Q. 57-60). - II. Ses parties (Q. 61-120). - III. Le don qui s’y rattache (Q. 121). - IV. Les préceptes qui la concernent (Q. 122).

Au sujet de la justice, on étudiera 1° Le droit (Q. 57) ; 2° La justice elle-même (Q. 58) ; 3° L’injustice (Q. 59) ; 4° Le jugement (Q. 60).

 

QUESTION 57 — LE DROIT

1. Le droit est-il l’objet de la justice ? - 2. Convient-il de le diviser en droit naturel et droit positif ? - 3. Le droit des gens est-il identique au droit naturel ? - 4. Y a-t-il lieu de distinguer spécialement le droit du maître et celui du père ?

 

 

            Article 1 — Le droit est-il l’objet de la justice ?

Objections :

1. Le droit n’est pas l’objet de la justice. En effet le jurisconsulte Celte nous dit que “ le droit est l’art du bien et du juste ” ; or l’art, étant par lui-même une vertu intellectuelle, n’est pas l’objet de la justice, donc le droit non plus.

2. La loi, dit Isidore, est “ une espèce de droit ” ; or la loi n’est pas l’objet de la justice, mais plutôt de la prudence, d’où le nom de législative donné par Aristote à une partie de la prudence ; le droit n’est donc pas l’objet de la justice.

3. La justice a pour fonction principale de soumettre l’homme à Dieu ; car, selon S. Augustin . “ elle est un amour exclusivement consacré au service de Dieu, et qui, pour cette raison, s’impose justement à tout ce qui est soumis à l’homme ” ; or le droit ne concerne pas les choses divines, mais seulement les choses humaines : “ Le devoir sacré, remarque Isidore. caractérise la loi divine, et le droit, la loi humaine ” ; la justice n’a donc pas le droit pour objet.

En sens contraire, Isidore, au même endroit nous déclare “ que le droit jus) est ainsi appelé parce qu’il est juste (justum) ” ; or le juste est l’objet de la justice : “ Tout le monde, dit Aristote convient de donner le nom de justice à l’habitus dont on se sert pour faire des actions justes. ” Le droit est donc bien l’objet de la justice.

Réponse :

La justice, parmi les autres vertus, a pour fonction propre d’ordonner l’homme en ce qui est relatif à autrui. En effet, elle implique une certaine égalité, comme son nom lui-même l’indique : ce qui s’égale “ s’ajuste ”, dit-on communément ; or l’égalité se définit par rapport à autrui. Les autres vertus au contraire ne perfectionnent l’homme que dans ce qui le concerne personnellement.

Ainsi donc, ce qui est droit dans les œuvres de ces vertus, et à quoi tend l’intention vertueuse comme à son objet propre, ne se définit que par rapport au sujet vertueux, tandis que le droit, dans les œuvres de justice, est constitué par son rapport avec autrui, même abstraction faite du sujet ; en effet, nous appelons juste dans notre action ce qui correspond à autre chose selon une certain égalité, par exemple le paiement du salaire qui est dû en raison d’un service.

En conséquence, on appelle juste, avec tout la rectitude de justice que cela comporte, le terni auquel aboutit l’acte de la vertu de justice, sans même considérer la façon dont le sujet l’accomplis alors que, pour les autres vertus, c’est au contraire la façon dont le sujet agit qui sert à détermine la rectitude de ce qu’il fait. C’est pourquoi l’objet de la justice, contrairement à des autres vertus, se détermine en lui-même spécialement, et porte le nom de juste. Et précisément le droit. Celui-ci est donc bien l’objet de la justice.

Solutions :

1. Il est courant que les mots soient détournés de leur acception première pour signifier d’autres choses : ainsi le mot médecine employé d’abord pour signifier le remède destiné à guérir un malade, a été ensuite appliqué à l’art de guérir. Pareillement le mot droit. Il a été utilisé d’abord pour signifier la chose juste elle-même, puis il a désigné l’art de discerner le juste ; ensuite le lieu même où se rend la justice, comme quand on dit de quelqu’un qu’il a comparu en justice ; et enfin l’arrêt, fût-il inique, rendu par celui qui est chargé de faire justice.

2. Une œuvre d’art suppose dans l’esprit de l’artiste une idée préexistante qui est comme la règle de l’art ; pareillement en matière de justice : la raison ne détermine une œuvre juste qu’en vertu d’une notion préexistant dans l’esprit, et qui est une sorte de règle de prudence. Écrite, on lui donne le nom de loi ; en effet, selon Isidore la loi est “ une constitution écrite ”. C’est pourquoi la loi n’est pas à proprement parler le droit, mais plutôt la règle du droit.

3. Parce que la justice implique l’égalité et que nous ne pouvons rendre à Dieu l’équivalent de ce que nous avons reçu, il s’ensuit que le juste, au sens parfait du mot, ne peut être atteint par nous dans nos rapports avec Dieu. Voilà pourquoi la loi divine ne peut strictement s’appeler droit, mais devoir sacré, parce qu’il suffit à Dieu que nous remplissions à son égard ce que nous pouvons. Toutefois la justice exige que l’homme ; acquitte envers Dieu autant que possible, en lui omettant entièrement son âme.

 

 

            Article 2 — Convient-il de diviser le droit en droit naturel et en droit positif ?

Objections :

1. Il semble que non, car ce qui est naturel est immuable et pareil chez tous. Or il n’y a rien de tel dans les choses humaines, où l’on voit que toutes les règles du droit humain sont insuffisantes pour certains cas et n’exercent pas partout leur vertu. Il n’y a donc pas de droit nature.

2. On appelle positif ce qui procède de la volonté humaine ; or ce n’est pas pour cela qu’une chose est juste ; autrement une volonté injuste ne pourrait exister chez l’homme. Donc, si le juste s’identifie avec le droit, il semble qu’il n’y ait pas de droit positif.

3. Le droit divin n’est pas naturel, puisqu’il dépasse la nature humaine ; ni positif, car il ne s’appuie pas sur l’autorité humaine, mais sur l’autorité divine. Il ne convient donc pas de diviser ainsi le droit en droit naturel et positif.

En sens contraire, le Philosophe affirme “ En droit politique l’un est naturel, et l’autre légal ”, autrement dit établi par la loi.

Réponse :

Ainsi que nous venons de le voir, le droit ou le juste se disent d’une œuvre quelconque ajustée à autrui sous un certain mode d’égalité.

Et cela peut se produire de deux façons : de par la nature même des choses, comme si je donne tant pour recevoir autant ; alors c’est le droit naturel ; - ou bien par convention, d’un commun accord, comme lorsque quelqu’un s’estime content de recevoir tant. Mais ici deux cas peuvent se présenter : le cas d’une convention privée, ainsi qu’il arrive à la suite d’un pacte entre personnes privées ; et le cas d’une convention publique, lorsque l’adéquation ou la proportion avec autrui résulte du consentement populaire, ou de l’ordre du prince qui a la charge du peuple et tient sa place. Alors c’est le droit positif.

Solutions :

1. Ce qui est naturel à un être doué d’une nature immuable doit être partout et toujours le même. Mais ce n’est pas le cas de la nature humaine, qui est soumise au changement ; voilà pourquoi ce qui est naturel à l’homme peut quelquefois manquer. Par exemple, c’est en vertu d’une égalité naturelle qu’un dépôt doit être rendu à qui l’a confié ; donc, si la nature humaine était toujours droite, cette règle ne souffrirait pas d’exception. Mais parce qu’il arrive parfois que la volonté humaine se déprave, il y a des cas où il ne faut pas rendre un dépôt confié, pour éviter qu’un homme dont la volonté est pervertie en use mal, par exemple si un fou furieux ou un ennemi de l’État réclamait les armes qu’il a déposées.

2. La volonté humaine peut, en vertu d’une convention commune, faire qu’une chose soit juste parmi celles qui d’elles-mêmes n’impliquent aucune opposition à la justice naturelle. Et c’est là qu’il y a place pour le droit positif. D’où cette définition du Philosophe concernant le droit légal : A savoir qu’“ avant d’être posé, il n’importait pas qu’il fût ainsi ou autrement, mais qu’une fois posé, cela importe ”. En revanche, une chose qui de soi répugne au droit naturel ne peut devenir juste par la volonté humaine, par exemple, si l’on décrète qu’il est permis de voler ou de commettre l’adultère. C’est pourquoi il est écrit dans Isaïe (10, 1) : “ Malheur à ceux qui font des lois iniques. ”

3. On appelle droit divin ce qui est promulgué par Dieu, qu’il s’agisse de choses naturellement justes, mais dont la justice est cachée aux hommes, ou de choses qui deviennent justes par institution divine. En sorte que le droit divin, comme le droit humain, se dédouble : d’un côté, dans la loi divine, les choses commandées parce qu’elles sont bonnes, et défendues parce qu’elles sont mauvaises ; d’un autre, celles qui sont bonnes parce que commandées, ou mauvaises parce que défendues.

 

 

            Article 3 — Le droit des gens est-il identique au droit naturel ?

Objections :

1. Il semble que oui, car il n’y a d’accord possible entre tous les hommes que sur ce qui leur est naturel ; or cet accord existe pour le droit des gens, qui, au dire du Jurisconsulte, est utilisé par toutes les nations humaines.

2. L’esclavage parmi les hommes est naturel il y a en effet, dit Aristote, des individus qui sont esclaves naturellement ; or l’esclavage relève du droit des gens selon Isidore ; il relève donc du droit naturel.

3. le droit, nous venons de le dire, se divise en droit naturel et en droit positif ; or le droit des gens n’est pas positif, car jamais toutes les nations réunies n’ont convenu entre elles d’établir quoi que ce soit d’un commun accord ; il est donc naturel.

En sens contraire, selon Isidore : “ en de droit, il n’y a que le naturel, le civil, et celui des gens ” celui-ci diffère donc du droit naturel.

Réponse :

Ainsi que nous venons de le dire. droit (jus) ou juste naturel, c’est ce qui par nature s’ajuste ou se proportionne à autrui. Mais cela peut arriver de deux manières : soit qu’on envisage la chose absolument et en soi, par exemple l’homme qui, comme tel, s’adapte à une femme pour avoir des enfants, ou un père à son fils pour l’élever ; soit qu’on l’envisage, non plus absolument, mais relativement à ses conséquences ; par exemple, la propriété privée. En effet, à considérer ce champ absolument et en soi, il n’y a rien en lui qui le fasse appartenir à un individu plutôt qu’à un autre. Mais si l’on envisage l’intérêt de sa culture ou de son paisible usage, il vaut mieux qu’il appartienne à l’un et non à l’autre, remarque Philosophe.

Cependant, le fait d’envisager une chose absolument ne convient pas seulement à l’homme, mais encore aux animaux ; c’est pourquoi nous partageons avec eux le droit naturel première manière, “ dont le droit des gens, au dire du jurisconsulte,, diffère en ce qu’il ne s’applique qu’aux rapports des hommes entre eux et non à tous les animaux, comme le droit naturel ” ainsi entendu. Au contraire, le fait d’envisager une chose en la comparant à ses conséquences n’appartient qu’à la raison. De là vient que la conduite dictée à l’homme par la raison lui est naturelle au titre d’être raisonnable. C’est aussi l’opinion du jurisconsulte Gaïus : “ Ce que la raison naturelle établit chez tous les hommes, ce que toutes les nations observent, on l’appelle le droit des gens.

Solutions :

1. Ainsi se trouve résolue la première objection.

2. Il n’y a pas de raison naturelle pour qu’un individu soit esclave plutôt qu’un autre, si on le considère en lui-même, mais seulement si l’on se place au point de vue de l’utilité qui en dérive, par exemple pour cet individu d’être dirigé par un plus sage, et pour celui-ci d’être aidé par lui, selon Aristote. Voilà pourquoi l’esclavage qui relève du droit des gens est naturel au second sens et non au premier.

3. Parce que la raison naturelle dicte ce qui appartient au droit des gens comme réalisant le plus possible l’égalité, ces choses-là n’ont pas besoin d’une institution spéciale ; c’est la raison naturelle elle-même qui les établit, comme le dit Gaïus.

 

 

            Article 4 — Y a-t-il lieu de distinguer spécialement le droit du maître et celui du père ?

Objections :

1. Il semble que non car, dit S. Ambroise, c’est le propre de la justice de rendre à chacun ce qui lui est dû ; or le droit est l’objet de la justice, on vient de le dire ; il appartient donc également à chacun, sans qu’il y ait lieu de distinguer un droit du père et du maître.

2. C’est à la loi que revient la détermination du juste, nous l’avons dit. Or la loi concerne le bien commun de la cité et du royaume, comme nous l’avons établi, non le bien privé d’une personne ou d’une famille, en sorte qu’il ne doit pas y avoir de droit spécial du maître ou du père, 1’un’et l’autre faisant partie de la maison, selon Aristote.

3. Il y a entre les hommes beaucoup d’autres différences de degrés, puisque les uns sont soldats, d’autres prêtres, ou princes ; on serait donc obligé du déterminer pour chacun d’eux des droits spéciaux.

En sens contraire, le Philosophe distingue du droit politique ceux du maître et du père, et d’autres du même genre.

Réponse :

Le droit ou le juste, se définit par rapport à autrui. Mais il y a deux façons d’entendre autrui : la première absolue, où l’autre est absolument autre, et tout à fait distinct, comme le sont deux hommes individuellement indépendants, quoique soumis tous deux au même chef de la cité ; entre ces hommes, au dire du Philosophe, le droit est absolu ; - la seconde relative, où l’autre n’est pas absolument autre, mais fait pour ainsi dire partie de celui avec qui il est en relations, tel, dans les choses humaines, le fils à l’égard de son père dont il est en quelque sorte une partie ; et pareillement l’esclave à l’égard de son maître dont il est l’instrument, selon Aristote. Ainsi, entre un père et son fils le rapport n’est pas celui d’un être à quelqu’un d’absolument autre, et par conséquent un droit absolu, mais une sorte de droit, qui est le droit paternel. De même, entre le maître et l’esclave., il y a un droit spécial de domination.

L’épouse au contraire : bien queue soit quelque chose du mari, parce que, selon le mot de l’Apôtre (Ep 5, 28), elle se rattache à lui comme étant son propre corps, elle se distingue de lui plus que le fils de son père, ou l’esclave de son maître ; car elle est engagée avec lui dans une certaine vie de société, celle du mariage. C’est pourquoi, d’après le Philosophe, la notion de droit se réalise davantage entre un mari et sa femme qu’entre un père et son fils, ou un maître et son esclave. Toutefois, parce que l’homme et la femme sont en relation immédiate avec la communauté domestique, il s’ensuit qu’il n’y a pas entre eux de droit politique absolu, mais plutôt un droit domestiques.

Solutions :

1. Il appartient à la justice de rendre à chacun son dû, mais en supposant qu’il s’agit d’un autre à qui le rendre ; si quelqu’un en effet se rend à soi-même son dû, il n’y a pas là de droit à proprement parler. De même entre un père et son fils, entre un maître et son esclave, il n’y a pas de justice proprement dite.

2. Le fils, comme tel, est quelque chose du père, ainsi que l’esclave, comme tel, est quelque chose de son maître. Cela ne les empêche pas l’un et l’autre, considéré comme tel homme, d’avoir une subsistance propre qui les distingue des autres, et d’être, sous cet angle, en relation de justice. Et c’est pour cela aussi qu’on donne certaines lois sur les rapports du père avec son fils, du maître avec son esclave. Néanmoins, du fait que l’un est quelque chose de l’autre, la notion parfaite de droit et de juste est ici boiteuse.

3. Toutes les autres différences de personnes qu’on trouve dans la cité soutiennent avec la communauté et son chef une relation immédiate. C’est pourquoi le droit s’applique à elles en toute rigueur de justice, ce qui d’ailleurs n’empêche pas de distinguer selon les fonctions. Aussi parle-t-on du droit du soldat, ou des magistrats, ou des prêtres. Cela ne signifie pas qu’il y ait là une réalisation imparfaite du droit pur et simple comme dans le cas du droit paternel, ou du droit de domination, mais seulement qu’on doit rendre en propre à chacun selon sa condition ce qui lui est dû à raison de ses services.

 

 

QUESTION 58 — LA JUSTICE

1. Qu’est-ce que la justice ? - 2. S’exerce-t-elle toujours envers autrui ? - 3. Est-elle une vertu ? - 4. A-t-elle son siège dans la volonté ? - 5. Est-elle une vertu générale ? - 6. A ce titre, se confond-elle avec les autres vertus ? - 7. Y a-t-il une justice particulière ? - 8. La justice particulière a-t-elle une matière propre ? - 9. Concerne-t-elle les passions, ou seulement les activités ? - 10. Le “ milieu ” de la justice est-il un caractère objectif ? - 11. L’acte de la justice consiste-t-il à rendre à chacun son dû ? - 12. La justice est-elle la plus grande des vertus morales ?

 

 

            Article 1 — Qu’est-ce que la justice ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse accepter la définition des juristes : “ La justice est une volonté perpétuelle et constante d’accorder à chacun son droit. ” En effet, d’après le Philosophe : “ La justice est un habitus qui porte les hommes à faire des choses justes, et qui est cause qu’on les fait et qu’on les veut. ” Mais qui dit volonté, dit puissance et aussi acte. Donc, la justice ne peut pas être appelée une volonté.

2. La rectitude de la volonté n’est pas la volonté ; autrement, nulle volonté ne pourrait être déviée. Or, selon S. Anselme, “ la justice est une certaine rectitude ” ; donc la justice n’est pas une volonté.

3. Seule est perpétuelle la volonté divine ; si la justice était une volonté perpétuelle, la justice n’existerait qu’en Dieu.

4. Tout ce qui est perpétuel est constant, parce que immuable ; il y a donc pléonasme à poser dans la définition de la justice les deux épithètes “ perpétuelle et constante ”.

5. Il appartient au chef de rendre à chacun son dû. Donc, si la justice consistait à rendre à chacun son dû, il s’ensuivrait que la justice est exclusivement chez les chefs, ce qui est inadmissible.

6. S. Augustin dit : “ La justice est un amour au service de Dieu seul. ” Donc elle n’a pas à rendre à chacun son dû.

Réponse :

Cette définition de la justice est exacte, si elle est bien comprise. Toute vertu étant un habitus, c’est-à-dire le principe d’actes bons, il faut définir la vertu par l’acte bon ayant pour objet la matière même de la vertu. Or, la justice envisage comme sa matière propre tout ce qui est relation avec autrui, on le verra bientôt. C’est pourquoi l’on considère l’acte de la justice dans sa relation avec sa matière propre et son objet lorsqu’on dit qu’elle attribue à chacun son droit car Isidore donne l’étymologie suivante du mot juste : “ Celui qui observe le droit gus). ” Mais pour qu’un acte, quelle que soit la matière sur laquelle il s’exerce, soit vertueux, il faut qu’il soit volontaire et qu’il soit stable et ferme ; car le Philosophe nous dit que tout acte de vertu requiert trois conditions :

1° que son auteur sache ce qu’il fait, 2° qu’il le fasse par un choix réfléchi et pour la fin requise, 3° qu’il agisse avec constance. La première condition est incluse dans la deuxième, parce que “ l’action faite par ignorance est involontaire ”, dit encore Aristote. C’est pourquoi, dans la définition de la justice que nous avons donnée, on a d’abord posé la volonté, pour montrer que tout acte de justice doit être volontaire. On a ensuite ajouté la constance et la perpétuité, pour indiquer la fermeté de l’acte. Et cette définition de la justice est ainsi complète, si ce n’est qu’à la place de l’habitus on a posé l’acte qui le spécifie, l’habitus se définissant par l’acte. Si l’on voulait mettre cette définition dans une forme logique parfaite, il faudrait dire que “ la justice est l’habitus par lequel on donne, d’une perpétuelle et constante volonté, à chacun son droit ”. Et c’est presque la définition que nous trouvons chez Aristote : “ La justice est un habitus qui fait agir quelqu’un conformément au choix qu’il a fait de ce qui est juste. ”

Solutions :

1. Le mot volonté signifie ici l’acte et non la puissance. Les auteurs ont coutume de définir les habitus par l’acte ; c’est ainsi que S. Augustin nous dit : “ La foi consiste à croire ce qu’on ne voit pas. ”

2. La justice n’est pas non plus essentiellement une rectitude, elle ne l’est qu’à titre de cause. Elle est en effet, un habitus qui rend droites l’action et la volonté.

3. Une volonté peut être dite perpétuelle de deux façons : 1° du côté de l’acte même qui dure perpétuellement, et en ce sens, la volonté de Dieu seul est perpétuelle ; 2° du côté de l’objet, quand quelqu’un veut faire quelque chose perpétuellement ; et cette perpétuité est nécessaire à la justice, dans sa définition même. Il ne suffit pas en effet à la notion de justice que l’on veuille dans une certaine affaire, à un certain moment, la respecter ; en effet, on trouverait difficilement quelqu’un qui, de parti pris, voudrait en toute chose agir injustement ; mais il est nécessaire que l’homme ait toujours et en toute chose la volonté de garder la justice.

4. Ce mot “ perpétuel ” ne doit pas être entendu comme signifiant la durée perpétuelle d’un acte de volonté ; c’est pourquoi le mot “ constante ” n’est pas superflu ; en disant “ volonté perpétuelle ”, on a indiqué qu’il fallait se proposer de garder toujours la justice ; en disant “ constante”, on signifie qu’il faut persévérer avec fermeté dans cette résolution.

5. Le juge rend à chacun son dû en donnant des ordres ou des directions, car “ le juge est la justice vivante ”, et “ le prince est le gardien de la justice ”, dit Aristote. Mais les sujets rendent à chacun ce qui lui est dû en exécutant ces décisions.

6. De même que l’amour du prochain est inclus dans l’amour de Dieu, nous l’avons dit l, ainsi le service de Dieu implique que l’on rende à chacun ce qu’on lui doit.

 

 

            Article 2 — La justice s’exerce-t-elle toujours envers autrui ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Paul écrit (Rm 3, 22) : “ La justice de Dieu est donnée par la foi en Jésus Christ. ” Mais la foi n’implique pas un rapport d’un homme à un autre ; donc, la justice non plus.

2. D’après S. Augustin, il appartient à la justice, qui assujettit toutes choses au service de Dieu, de “ bien commander à tout ce qui est soumis à l’homme ”. Or, l’appétit sensible est soumis à l’homme. L’Écriture nous le montre quand elle dit (Gn 4, 7) : “ Le désir [du péché] est en toi, mais tu le domineras. ” Donc, il appartient à la justice de dominer son propre désir ; il y a donc une justice qui implique une relation avec soi-même.

3. La justice de Dieu est éternelle. Mais rien d’autre que Dieu ne lui est coéternel. Donc, il n’est pas essentiel à la justice d’avoir rapport à autrui.

4. De même qu’il est nécessaire aux opérations qui impliquent un rapport avec autrui d’être soumises à une règle, de même celles qui comportent relation à soi-même. Or, les opérations sont réglées par la justice, selon les Proverbes (11, 5) : “ La justice de l’homme intègre rend droit son chemin. ” Donc, la justice ne s’occupe pas seulement de ce qui implique rapport avec autrui, mais aussi de ce qui n’a rapport qu’avec soi-même.

En sens contraire, Cicéron nous dit : “ La justice est la règle qui maintient la société des hommes entre eux, et leur communauté de vie ”, ce qui implique rapport à autrui. Donc la justice s’occupe de ce qui a rapport à autrui.

Réponse :

Nous l’avons vu : justice signifie égalité : par définition, la justice implique rapport avec autrui. On n’est jamais égal à soi-même, mais à un autre. Or, puisqu’il appartient à la justice de rectifier les actes humains, comme on l’a dit, il faut que cette altérité qu’elle exige affecte des agents différents. Les actions, en effet, émanent de la personne et du tout, et non pas des parties, des formes ou des puissances. On ne dit pas, à proprement parler, que la main frappe, mais que l’homme frappe avec la main, ni que la chaleur chauffe, mais que le feu chauffe par la chaleur. Cependant on parle ainsi par figure. Donc, la justice proprement dite exige la diversité des sujets, et il n’y a de justice que d’un homme par rapport à un autre. Mais on peut, au figuré, considérer dans un même homme divers principes d’actions comme émanant de sujets distincts : tels la raison, l’irascible, le concupiscible. Et c’est pourquoi l’on dit métaphoriquement qu’il y a une justice dans un seul et même homme, en ce sens que sa raison commande à son irascible et à son concupiscible et que ceux-ci obéissent à la raison, et en général, selon qu’on attribue à chaque partie de l’homme ce qui ne convient qu’à lui. Aussi le Philosophe dit-il que cette justice est appelée ainsi “ par métaphore ”.

Solutions :

1. La justice qui est en nous par la foi et qui justifie l’impie consiste en la bonne ordonnance réciproque des parties de l’âme, nous l’avons dit en traitant de la justification des impies. Cela concerne donc la justice prise au sens métaphorique, qu’on peut trouver même dans la vie d’un solitaire.

2. Cette réponse résout la deuxième objection.

3. La justice de Dieu est de toute éternité, provenant d’une volonté et d’une pensée éternelles, et c’est surtout là-dessus que se fonde la justice. Mais ses effets ne sont pas de toute éternité, car rien n’est coéternel à Dieu.

4. Les actions de l’homme qui ont lui-même pour objet, sont rectifiées quand ses passions le sont par les autres vertus morales. Mais les actions qui ont trait à autrui ont besoin d’une rectification spéciale, non seulement dans leurs rapports avec leur auteur, mais aussi dans leurs rapports avec celui qu’elles atteignent. C’est pourquoi il doit y avoir une vertu spéciale à leur égard, qui est la justice.

 

 

            Article 3 — La justice est-elle une vertu ?

Objections :

1. Non, car il est écrit dans S. Luc (17, 10) : “ Lorsque vous aurez accompli tout ce qui vous a été commandé, dites : "Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire." ” Or l’accomplissement d’une œuvre vertueuse n’est pas inutile, selon ce mot de S. Ambroise : “ Nous appelons utile, non ce qui procure un bénéfice pécuniaire, mais ce qui acquiert la piété. ” Donc, faire ce qu’on doit ne relève pas de la vertu ; c’est cependant une œuvre de justice ; celle-ci par conséquent n’est pas une vertu.

2. Ce qui se fait par nécessité n’est pas méritoire. Or tel est le cas de la justice, qui consiste à rendre à quelqu’un son dû ; il n’y a pas là de mérite. Et comme nous méritons par nos actes vertueux, il s’ensuit que la justice n’est pas une vertu.

3. Toute vertu morale a trait à l’action. Mais ce qui se produit au-dehors ne relève pas de l’action, mais de la fabrication, selon le Philosophe. Et puisqu’il appartient à la justice “ de faire ” au-dehors une œuvre juste en soi, elle ne saurait être une vertu morale.

En sens contraire, S. Grégoire nous assure que “ toute la structure de l’œuvre bonne résulte des quatre vertus ” : tempérance, prudence, force et justice.

Réponse :

La vertu humaine “ consiste à rendre bons les actes humains, et l’homme lui-même ”, ce qui convient à la justice. La bonté d’un acte humain lui vient de sa soumission à la règle de la raison, d’où les actes humains tirent leur rectitude. Aussi, puisque la justice rectifie les opérations humaines, il est clair qu’elle les rend bonnes. Ainsi que le déclare Cicéron : “ C’est surtout à cause de la justice que les hommes sont appelés bons. ” Aussi, comme il l’ajoute : “ C’est en elle qu’éclate souverainement la splendeur de la vertu. ”

Solutions :

1. Faire ce que l’on doit n’est pas procurer un gain à autrui, c’est simplement lui éviter un dommage. C’est à soi-même qu’on est utile, car faire ce que l’on doit d’une volonté prompte et spontanée, c’est agir vertueusement L’Écriture nous dit (Sg 8, 7) : “ La sagesse Dieu enseigne la sobriété et la justice, la prudence et la vertu ; dans cette vie il n’est rien de plus utile aux hommes ”, c’est-à-dire aux vertueux.

2. Il y a deux sortes de nécessités : la nécessité de contrainte, qui contrarie la volonté et supprime le mérite ; et la nécessité qui tient à l’obligation du précepte, nécessité qui vient de la fin, par exemple, quand on ne peut réaliser la fin de telle vertu qu’à telle condition. Et cette sorte de nécessité n’exclut pas la possibilité du mérite ; car on fait volontairement l’acte ainsi nécessaire exclut cependant la gloire de surérogation, selon S. Paul (1 Co 9, 16) “ Annoncer l’Évangile n’est pas une gloire pour moi, c’est une nécessité qui m’incombe. ”

3. La justice concerne les choses extérieures non pour les fabriquer : cela concerne l’art pour s’en servir dans l’intérêt d’autrui.

 

 

            Article 4 — La justice a-t-elle son siège dans la volonté ?

Objections :

1. Il ne le semble pas, car on donne parfois à la justice le nom de vérité ; or la vérité est dans l’intelligence, non dans la volonté.

2. La justice concerne ce qui a rapport à autrui ; or c’est à l’intelligence qu’il appartient d’établir ce rapport ; la justice est donc une vertu de l’intelligence plutôt que de la volonté.

3. La justice, puisqu’elle n’est pas ordonnée la connaissance, n’est pas une vertu intellect Il Reste donc qu’elle soit une vertu morale. vertu morale a pour siège “ ce qui, dans l’homme participe de la raison ”, c’est-à-dire l’irascible et le concupiscible d’après Aristote. C’est donc là, et non dans la volonté, que la justice a son siège.

En sens contraire : S. Anselme nous dit : “ La justice est la rectitude de la volonté observés pour elle-même. ”

Réponse :

La vertu a son siège dans la puissance, dont elle a pour fonction de rectifier l’acte. Or la justice n’a pas à rectifier un acte quelconque de connaissance ; on ne nous appelle pas justes du fait que nous connaissons quelque chose avec rectitude. Elle n’a donc pas son siège dans l’intelligence ou la raison, qui est une faculté de connaissance. Mais parce que nous sommes appelés justes du fait que nous accomplissons quelque chose avec droiture, et parce que c’est l’appétit qui est le principe prochain d’un acte, il est nécessaire duc la justice ait son siège dans une puissance appétitive. Or l’appétit est double : la volonté, qui est dans la raison, et l’appétit sensible qui suit la perception sensible et qui se divise en irascible et concupiscible, comme on l’a vu dans la première Partie. Mais rendre à chacun son dû ne peut dépendre de l’appétit sensible, car la perception sensible ne va pas jusqu’à pouvoir considérer le rapport d’une chose à une autre : c’est là le propre de la raison. Il s’ensuit que la justice ne saurait avoir son siège dans l’irascible ou le concupiscible, mais dans la volonté. C’est pourquoi le Philosophe définit la justice par l’acte de la volonté, comme nous l’avons montré précédemment.

Solutions :

1. La volonté est un appétit de la raison ; c’est pourquoi, quand la rectitude de la raison, autrement dit la vérité, pénètre dans la volonté, elle conserve ce nom de vérité, et de là vient que la justice est appelée parfois vérité.

2. La volonté se porte vers son objet après qu’il a été saisi par la raison. C’est pourquoi, parce que la raison établit un rapport avec autrui, la volonté point vouloir quelque chose relativement à autrui, la volonté est du domaine de la justice.

3. Il n’y a pas, pour participer de la raison, que et le concupiscible. C’est toute puissance appétitive, dit Aristote, parce que tout appétit obéit à la raison. Or la volonté est faculté appétitive ; c’est pourquoi elle peut être le siège d’une vertu morale.

 

 

            Article 5 — La justice est-elle une vertu générale ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la justice est énumérée avec les autres vertus, comme cela se voit au livre de la Sagesse (8, 7) : “ Elle enseigne la sobriété et la justice, la prudence et la force. ” Or on ne divise pas, ou on n’énumère pas ainsi un genre avec les espèces qu’il contient. La justice n’est donc pas une vertu générale.

2. De même que la justice est considérée comme une vertu cardinale, il en est ainsi pour la force et la tempérance. Or celles-ci ne sont pas des vertus générales. Donc, la justice non plus, à aucun titre.

3. La justice implique toujours rapport à autrui, nous l’avons dite. Mais le péché contre le prochain n’est pas un péché général ; il s’oppose seulement au péché que l’on commet contre soi-même. Donc la justice n’est pas une vertu générale.

En sens contraire, le Philosophe nous dit que “ la justice est toute vertu ”.

Réponse :

La justice a pour but de régler nos rapports avec autrui, et cela de deux manières : soit avec autrui considéré individuellement, soit avec autrui considéré socialement, c’est-à-dire en tant que le serviteur d’une communauté sert tous les hommes qui en font partie. Sous ce double aspect la justice peut intervenir selon sa raison propre. Il est manifeste, en effet, que tous ceux qui vivent dans une société sont avec elle dans le même rapport que des parties avec un tout. Or la partie, en tant que telle, est quelque chose du tout ; d’où il résulte que n’importe quel bien de la partie doit être subordonné au bien du tout. C’est ainsi que le bien de chaque vertu, de celles qui ordonnent l’homme envers soi-même, ou de celles qui l’ordonnent envers d’autres individus, doit pouvoir être rapporté au bien commun auquel nous ordonne la justice. De cette manière les actes de toutes les vertus peuvent relever de la justice en ce que celle-ci ordonne l’homme au bien commun. Et en ce sens la justice est une vertu générale. Et parce que c’est le rôle de la loi de nous ordonner au bien commun, nous l’avons vu, cette justice dite générale est appelée justice légale : car, par elle, l’homme s’accorde avec la loi qui ordonne les actes de toutes les vertus au bien commun.

Solutions :

1. Ce n’est pas en tant que vertu générale que la justice est énumérée parmi les autres vertus, mais en tant que vertu spéciale, comme nous allons le voir.

2. La tempérance et la force ont leur siège dans l’appétit sensible, c’est-à-dire dans le concupiscible et l’irascible. Ces puissances désirent des biens particuliers, de même que les sens ne connaissent que l’individuel. Au contraire, la justice a pour siège l’appétit intellectuel, qui peut se porter vers le bien universel appréhendé par l’intelligence. C’est pourquoi la justice peut être une vertu générale plus que la tempérance et la force.

3. Ce qui nous concerne personnellement peut être ordonné à autrui, surtout en raison du bien commun. De là vient que la justice légale, qui a le bien commun pour objet, peut être qualifiée de vertu générale. Pour la même raison l’injustice peut être appelée un péché général car “ tout péché est une iniquité ” (1 Jn 3, 4).

 

 

            Article 6 — Comme vertu générale, la justice se confond-elle avec les autres vertus ?

Objections :

1. Il semble bien, car le Philosophe dit que vertu et justice légale “ s’identifient avec n’importe quelle vertu, n’en différant que par l’existence ”. Mais les êtres qui diffèrent ainsi seulement par l’existence, ou par une distinction de raison, ne diffèrent pas essentiellement. La justice est donc identique par essence à n’importe quelle vertu.

2. Toute vertu qui ne diffère pas d’une autre essentiellement, en est une partie. Or la justice en question, d’après le Philosophe “ n’est pas une partie de vertu, mais toute vertu ” ; la justice ne fait donc qu’un essentiellement avec toutes les vertus.

3. Du fait qu’une vertu ordonne son acte à une fin plus haute, l’habitus n’en est pas diversifié pour autant dans son essence, par exemple l’habitus de tempérance, même si son acte était ordonné au bien divin. Or, c’est le propre de la justice légale d’ordonner les actes de toutes les vertus au bien commun de la multitude, qui l’emporte en valeur sur le bien privé de l’individu. Il apparaît donc que la justice légale se confond essentiellement avec toute autre vertu.

4. Tout le bien de la partie doit pouvoir être ordonné à celui du tout, sous peine d’être vain et inutile. Mais ce qui se conforme à la vertu ne peut être ainsi. Il semble donc qu’il ne puisse y avoir aucun acte d’une vertu qui ne relève de la justice générale, ordonnée au bien commun. Il semble ainsi que la justice légale ne ferait qu’un essentiellement avec les autres vertus.

En sens contraire, le Philosophe nous dit que “ beaucoup de gens pensent exercer la vertu dans leurs biens privés, qui ne le peuvent pas lorsqu’il s’agit du bien d’autrui ”. Il dit encore que “ la vertu d’un homme bon n’est pas purement et simplement la vertu du bon citoyen ”. Or la vertu de ce dernier n’est autre que la justice générale qui nous ordonne au bien commun. La justice générale ne se confond donc pas avec la vertu commune ; elles peuvent exister l’une sans l’autre.

Réponse :

Le mot “ général ” s’entend de deux manières. Premièrement, sous forme d’attribution, comme le mot animal attribué à l’homme, au cheval, et à tous les êtres semblables. Dans ce cas, ce qui est général doit s’identifier essentiellement avec les êtres auxquels il est attribué, puisque le genre appartient essentiellement à l’espèce, et entre dans sa définition. Deuxièmement, un être est appelé général au point de vue de sa puissance, telle une cause universelle par rapport à tous ses effets, par exemple le soleil qui illumine ou transforme tous les corps par sa puissance. En ce sens, il n’est pas nécessaire que la puissance générale s’identifie avec les êtres auxquels elle s’étend ; la cause et ses effets n’ont pas la même essence.

C’est précisément dans ce sens, d’après ce qui a été dit plus haut qu’on donne le nom de vertu générale à la justice légale : en tant qu’elle ordonne les actes des autres vertus à sa fin, ce qui revient à les mouvoir par son commandement. De même en effet que la charité peut être qualifiée de vertu générale en tant qu’elle ordonne les actes de toutes les vertus au bien divin, ainsi la justice légale qui ordonne leurs actes au bien commun. Cependant cela n’empêche pas la charité, qui a pour objet propre le bien divin, d’être par essence une vertu spéciale ; pareillement la justice légale demeure une vertu spéciale, du fait qu’elle a pour objet propre le bien commun. Ainsi elle réside dans le prince à titre de principe, dotée d’une qualité architectonique, ne se trouvant chez les sujets que de façon secondaire, comme agents d’exécution.

Néanmoins n’importe quelle vertu peut être appelée justice légale en ce qu’elle est ordonnée au bien commun par la vertu dont nous venons de parler, laquelle est à la fois spéciale par son essence, et générale par sa puissance motrice. Alors, d’après cette façon de parler, il n’y aurait entre n’importe quelle vertu et la justice légale qu’une différence de raison. Et c’est ainsi que parle Aristote.

Solutions :

1 et 2. Ainsi se trouvent résolues la première et la deuxième objections.

3. Ici encore l’objection porte sur la justice légale en tant que l’on donne son , nom à la vertu elle commande.

4. Chaque vertu, selon sa raison propre, ordonne son acte à sa propre fin. Mais que, toujours ou quelquefois, cet acte soit ordonné à une fin supérieure, cela ne provient pas de cette vertu sous sa raison propre, mais il faut que cela vienne d’une autre vertu supérieure par qui elle est ordonnée à cette fin. Ainsi faut-il qu’une vertu supérieure ordonne au bien commun toutes les vertus ; et elle n’est autre que la justice légale, essentiellement différente de toute autre vertu.

 

 

            Article 7 — Y a-t-il une justice particulière ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car, dans le domaine des vertus, pas plus que dans celui de la nature, il n’y a rien de superflu. Or la justice générale ordonne suffisamment l’homme à tout ce qui concerne autrui. Donc aucune justice particulière n’est nécessaire.

2. L’un et le multiple ne changent pas l’espèce d’une vertu. Or la justice légale a pour objet de mettre l’homme en relation avec autrui pour tout ce qui concerne la multitude, ainsi que nous venons de le montrer. Il ne peut donc y avoir une autre vertu, spécifiquement différente, qui l’ordonne à autrui pour ce qui concerne l’individu.

3. Entre l’individu et la foule des citoyens se place le groupe domestique. Si donc, en plus de la justice générale, il existe une justice particulière qui regarde les individus, il faudra, pour la même raison, trouver une justice domestique qui ordonne l’homme au bien commun de la famille, ce dont on ne parle pas. Donc il n’existe pas de justice particulière à côté de la justice légale.

En sens contraire, S. Jean Chrysostome à propos de ce verset de S. Matthieu (5, 6) : “ Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice ”, nous dit que “ la justice désigne ou une vertu universelle, ou une vertu particulière qui s’oppose à l’avarice ”.

Réponse . Nous venons de voir que la justice légale ne se confond pas essentiellement avec n’importe quelle vertu. Il faut donc qu’en plus de cette vertu générale qui ordonne l’homme de façon immédiate au bien commun, il y en ait d’autres qui l’ordonnent immédiatement aux biens particuliers. Les uns peuvent nous concerner personnellement, ou bien regarder un autre individu. Donc, de même qu’en dehors de la justice légale il faut qu’il existe des vertus particulières qui ordonnent l’homme en lui-même, telles la tempérance et la force, ainsi une justice particulière est encore requise pour l’ordonner au sujet de ce qui appartient à d’autres personnes que lui.

Solutions :

1. Que la justice légale ordonne suffisamment l’homme envers autrui, c’est vrai de façon immédiate par rapport au bien commun ; mais seulement d’une façon médiate par rapport au bien individuel. C’est pourquoi en ce qui concerne le bien particulier des individus, une justice particulière est requise.

2. Le bien commun de la cité et le bien particulier d’une personne différent entre eux formellement, et non pas seulement en quantité. La notion de bien commun et celle de bien individuel diffèrent en effet entre elles comme celles de tout et de partie. C’est pourquoi le Philosophe blâme ceux qui n’admettent entre la cité, la maison, et autres choses du même ordre, qu’une différence selon le grand ou le petit nombre, et non selon l’espèce.

3. Selon le Philosophe, le groupe domestique implique trois relations : entre l’épouse et l’époux ; entre parents et enfants ; entre maîtres et serviteurs. On voit que l’une de ces personnes est quelque chose de l’autre. C’est pourquoi entre ces personnes il n’y a pas de justice stricte, mais une espèce de justice qu’on appelle domestique.

 

 

            Article 8 — La justice particulière a-t-elle une matière propre ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car, au sujet de ce texte de la Genèse (2, 14), “ le quatrième fleuve est l’Euphrate ”, la glose ordinaire remarque que “ Euphrate a le sens de fructueux ; et qu’on ne dit pas où il va, parce que la justice concerne toutes les parties de l’âme ”. Or cela ne serait pas si elle avait une matière spéciale, car toute matière spéciale appartient à une puissance spéciale de l’âme. La justice particulière n’a donc pas de matière spéciale.

2. S. Augustin nous dit “ qu’il existe quatre vertus assurant ici-bas notre vie spirituelle : la tempérance, la prudence, la force et la justice ”, et il ajoute, à propos de la quatrième, “ qu’elle se diffuse en tous ”. Donc la justice particulière ne comporte pas de matière spéciale.

3. La justice dirige suffisamment l’homme dans ses relations avec autrui. Mais tout ce qui existe en cette vie peut l’ordonner à autrui. Donc la matière de la justice est générale, et non spéciale.

En sens contraire, le Philosophe postule une justice particulière pour ce qui a trait spécialement aux échanges résultant de la vie entre les hommes.

Réponse :

Tout ce qui peut être rectifié par la raison constitue la matière d’une vertu morale, laquelle se définit par la droite raison, selon le Philosophe,. Or les passions intérieures de l’âme, les actions extérieures, et même les biens extérieurs qui sont à l’usage de l’homme sont susceptibles de cette rectification rationnelle, avec cette différence que, dans les actions et les choses extérieures par quoi les hommes peuvent communiquer entre eux, on prend garde à l’ordination d’un homme à l’égard d’un autre, tandis que dans les passions intérieures, on ne considère que sa propre rectification en lui-même. Et puisque la justice a pour objet d’ordonner à autrui, elle n’embrasse pas toute la matière de la vertu morale, mais seulement les actions et les choses extérieures, sous une raison d’objet qui est spéciale, c’est-à-dire en tant que par elles un homme est mis en relation avec un autre.

Solutions :

1. La justice appartient essentiellement à une puissance de l’âme, la volonté, qui meut par son commandement toutes les autres puissances. A cause de cela on peut dire que la justice s’étend à toutes, non de façon directe mais par une sorte de rejaillissement.

2. Comme nous l’avons dit précédemment, il y a deux façons d’entendre les vertus cardinales : soit comme des vertus spéciales ayant des matières déterminées ; soit comme des manières générales d’être vertueux. C’est dans ce dernier sens que l’entend ici S. Augustin. Il dit en effet que la prudence est “ la connaissance des réalités désirables ou évitables ” ; la tempérance, “ un refrènement de la cupidité à l’égard des délectations temporelles ” ; la force, “ une fermeté d’âme en présence des choses pénibles d’ici-bas ” ; et la justice, “ qui se diffuse dans les autres vertus, un amour de Dieu et du prochain ” que l’on trouve à la racine de toutes nos relations avec autrui.

3. Les passions intérieures, qui sont une partie de la matière morale, n’impliquent pas d’elles-mêmes une ordination à autrui, en quoi au contraire consiste la raison propre de justice ; mais leurs effets, autrement dit les opérations extérieures, peuvent être rapportés à autrui. Il ne s’ensuit pas que la matière de la justice soit générale.

 

 

            Article 9 — La justice concerne-t-elle les passions, ou seulement les activités ?

Objections :

1. Il semble que la justice concerne les passions. Car le Philosophe nous dit que “ les voluptés et les tristesses relèvent d’une vertu morale ”. Or ce sont là des passions, nous l’avons vu ; elles relèvent donc de la justice qui est une vertu morale.

2. Il appartient à la justice de rectifier les opérations qui ont trait au prochain ; or cela est impossible sans une rectification préalable des passions, dont le désordre rejaillit sur les opérations en question ; c’est ainsi que la convoitise charnelle conduit à l’adultère, et l’avarice au vol. La justice doit donc s’occuper des passions.

3. Comme la justice particulière, la justice légale concerne autrui. Or celle-ci doit s’étendre aux passions, sans quoi elle ne s’étendrait pas à toutes les vertus, dont quelques-unes ont manifestement les passions pour objet. Les passions relèvent donc de la justice.

En sens contraire, le Philosophe nous dit qu’elle a trait aux activités.

Réponse :

La vérité sur cette question ressort de deux considérations. La première concerne le siège de la justice, c’est-à-dire la volonté dont les mouvements et les actes ne sont pas les passions, nous l’avons établi ; car on ne donne le nom de passions qu’aux mouvements de l’appétit sensitif. Les passions ne regardent donc pas la justice mais la force et la tempérance, qui sont des vertus de l’irascible et du concupiscible.

La seconde considération se tire de la matière même de la justice, à savoir les rapports avec autrui. En effet, les passions intérieures ne nous mettent pas d’elles-mêmes et immédiatement en relation avec le prochain. Elles ne relèvent donc pas de la justice.

Solutions :

1. Toutes les vertus n’ont pas pour matière les plaisirs et les tristesses, car la force porte sur les craintes et les audaces. Mais toute vertu morale est en relation avec le plaisir et la tristesse comme avec des fins qui en sont la conséquence. En effet, remarque Aristote “ la délectation et la tristesse sont la fin principale en vue de quoi nous qualifions toute chose de bonne ou de mauvaise ”. Et cela aussi relève de la justice : car “ il n’y a pas d’homme juste qui ne se réjouisse d’activités justes ”, dit Aristote.

2. Les activités extérieures tiennent pour ainsi dire le milieu entre les réalités extérieures, qui sont leur matière, et les passions intérieures qui sont leurs principes. Or il peut arriver qu’il y ait un défaut sur un point et non sur l’autre : par exemple si quelqu’un s’empare du bien d’autrui non par désir cupide de posséder, mais par volonté de nuire ; ou inversement, s’il convoite le bien d’autrui, mais sans vouloir le prendre. Aussi est-ce à la justice de rectifier les activités sous le rapport où elles aboutissent aux choses extérieures ; mais en tant qu’elles dérivent des passions, leur rectification relève des vertus morales qui ont les passions pour objet. De là vient que la justice empêche la soustraction du bien d’autrui pour autant qu’elle s’oppose à l’égalité à établir dans les choses extérieures ; et la libéralité, en tant que cette soustraction procède d’un amour immodéré des richesses. Toutefois, parce que les activités extérieures ne tirent pas leur espèce des passions intérieures, mais plutôt des réalités extérieures, il s’ensuit, à proprement parler, que les réalités extérieures sont la matière de la justice plus que des autres vertus morales.

3. Le bien commun est la fin de chacune des personnes vivant en communauté, comme le bien du tout est la fin de chacune des parties. Or le bien d’une personne en particulier n’est pas la fin d’une autre. C’est pourquoi la justice légale qui a le bien commun pour objet peut s’étendre davantage aux passions intérieures, par quoi l’homme est plus ou moins déterminé en lui-même, plus que ne fait la justice particulière qui est ordonnée au bien d’une autre personne en particulier. Ce qui n’empêche pas la justice légale de s’étendre à titre de principe aux autres vertus considérées dans leurs activités extérieures, c’est-à-dire en tant que “ la loi ordonne d’accomplir les œuvres qui conviennent à l’homme fort, tempérant et doux ”, dit Aristote.

 

 

            Article 10 — Le “ milieu ” de la justice est-il un caractère objectif ?

Objections :

1. Il semble que non. Une raison générique doit se retrouver dans toutes les espèces.

Or la vertu morale se définit : “ Un habitus de choix qui consiste dans un milieu que la raison détermine par rapport à nous. ” Le milieu visé par la justice est donc un milieu rationnel, et non objectif

2.Quand il s’agit de choses bonnes purement et simplement, il n’y a pas lieu de parler de trop ou de trop peu, ni par conséquent de “ milieu ”, comme c’est le cas pour les vertus selon Aristote. Or la justice concerne des “ choses purement et simplement bonnes ”, d’après Aristote. Donc le juste milieu de la justice n’a pas de caractère objectif.

3. Dans les autres vertus, le juste milieu est appelé rationnel et non objectif, parce qu’il se diversifie relativement à diverses personnes : ce qui est beaucoup pour l’un, est peu pour un autre. Or cela s’observe aussi en justice : on ne punit pas de la même peine celui qui frappe le prince, et celui qui frappe une personne privée. Le juste milieu de la justice n’a donc pas de caractère objectif, mais un caractère rationnel.

En sens contraire, d’après le Philosophe le juste milieu de la justice se détermine selon une proportionnalité arithmétique, ce qui en fait un “ milieu ” objectif.

Réponse :

Nous avons dit précédemment que les autres vertus morales ont trait principalement aux passions, dont la rectification ne se prend que par rapport à l’homme lui-même, sujet des passions, de façon qu’il s’irrite ou convoite comme il le doit selon les diverses circonstances. C’est pourquoi le juste milieu propre à ces vertus ne s’apprécie pas d’après la proportion d’une chose à une autre, mais seulement par rapport au sujet vertueux lui-même. C’est pourquoi, chez elles, le juste milieu est fixé par la raison et relatif à nous. Au contraire, la matière de la justice est une activité extérieure qui, par elle-même ou par la réalité qu’elle emploie, implique une juste proportion avec autrui. C’est donc dans l’égalité de proportion de cette réalité extérieure avec autrui que consistera le juste milieu de la justice. Or l’égalité tient réellement le milieu entre le plus et le moins. Le juste milieu de la justice a donc un caractère objectif.

Solutions :

1. Cette réalité du juste milieu de la justice ne l’empêche pas d’être en même temps rationnel. C’est pourquoi on retrouve dans la justice la raison de vertu morale.

2. Le bien pur et simple s’entend de deux manières. D’abord en ce sens qu’il est bon de toutes manières ; c’est ainsi que les vertus sont bonnes. Dans ce sens-là il n’y a ni milieu ni extrêmes. Mais dans un autre sens, on dit d’une chose qu’elle est bonne purement et simplement lorsqu’elle l’est absolument, c’est-à-dire selon sa nature, bien que par suite d’abus elle puisse devenir mauvaise ; c’est évident pour les richesses et les honneurs. Dans ce cas, il y a place pour des excès, des déficiences et un juste milieu, à cause des hommes qui peuvent en faire un bon ou un mauvais usage. C’est précisément le cas de la justice, qui concerne ces réalités absolument bonnes en elles-mêmes.

3. Entre la violence faite au prince, ou faite à une personne privée, la proportion est différente. C’est pourquoi l’égalité à rétablir par le châtiment n’est pas la même dans les deux cas. Il s’agit donc bien là d’une différence réelle, et non seulement rationnelle.

 

 

            Article 11 — L’acte de la justice consiste-t-il à rendre à chacun son dû ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Augustin attribue à la justice de “ secourir les malheureux ”. Mais alors nous leur donnons ce qui est à nous et non ce qui est à eux. Donc l’acte de la justice ne consiste pas à rendre à chacun son dû.

2. Cicéron déclare que “ la bienfaisance, qu’on peut appeler libéralité ou bénignité ”, appartient à la justice. Mais la libéralité consiste aussi à donner de son propre bien à quelqu’un, et non de ce qui lui appartient. Donc l’acte de la justice ne consiste pas à rendre à chacun son dû.

3. Il appartient à la justice non seulement de distribuer les ressources dans la mesure requise, mais encore de réprimer les actions injustes, comme les homicides, les adultères, etc. Mais rendre à chacun son dû ne concerne que la dispensation des ressources. Donc on ne signale pas suffisamment l’acte de la justice en disant qu’il consiste à rendre à chacun son dû.

En sens contraire, pour S. Ambroise, “ la justice est la vertu qui rend à chacun son dû, ne réclame pas le bien d’autrui, et néglige son propre intérêt pour sauvegarder l’équité commune ”.

Réponse :

Nous venons de voire que la matière de la justice est l’activité extérieure qui, par elle-même ou par la réalité dont elle fait usage, se trouve proportionnée à la personne avec qui la justice nous met en relation. Or on dit qu’une chose appartient en propre à une personne donnée, lorsqu’elle lui est due selon une égalité de proportion. C’est pourquoi l’acte propre de la justice consiste bien à rendre à chacun son dû.

Solutions :

1. Certaines vertus secondaires, telles que la miséricorde, la libéralité, etc., se sont ajoutées à la justice, du fait que celle-ci est une vertu cardinale, comme on le montrera plus loin. C’est en ce sens que le secours aux malheureux qui relève de la miséricorde ou de la piété, ou la largesse dans les bienfaits, qui relève de la libéralité, sont ramenés à la justice comme à la vertu principale.

2. Et par là se trouve résolue la deuxième objection.

3. Selon Aristote, on donne le nom de gain, par extension, à tout ce qui dépasse les exigences de la justice, comme on donne celui de dommage à ce qui leur est inférieur. Et c’est pourquoi, du fait que la justice s’est d’abord exercée et s’exerce encore le plus souvent dans les échanges volontaires de biens, tels que les achats et les ventes, où ces mots sont employés dans leur sens propre, ou en a étendu l’appellation à tout ce qui, de près ou de loin, peut être l’objet de la justice. Il en est de même pour l’expression - “ rendre à chacun ce qui lui est dû ”.

 

 

            Article 12 — La justice est-elle la plus grande des vertus morales ?

Objections :

1. Il ne semble pas ; car il est plus vertueux de donner à quelqu’un, par libéralité, de son propre bien que de lui rendre en justice ce qui lui est dû. La libéralité est donc une vertu supérieure à la justice.

2. On ne confère un ornement qu’en donnant un objet plus digne. Or, d’après Aristote “ la magnanimité est l’ornement de la justice et de toutes les vertus ”. Elle est donc plus noble que la justice.

3. “ La vertu concerne ce qui est difficile et bon ”, dit Aristote. Mais, selon lui la force concerne des actions plus difficiles : les périls de mort. Donc la force est plus noble que la justice.

En sens contraire, Cicéron affirme : “ C’est dans la justice que la vertu brille de son plus vif éclat ; car c’est à cause d’elle que les hommes sont appelés bons. ”

Réponse :

Si nous parlons de la justice légale, il est manifeste qu’elle dépasse en valeur toutes les vertus morales, du fait que le bien commun l’emporte sur le bien particulier d’un individu. C’est en ce sens qu’Aristote nous dit que “ la plus éclatante des vertus paraît être la justice, et que ni l’étoile du soir, ni celle du matin ne sont aussi admirables ”.

Mais, si nous parlons de la justice particulière, elle dépasse en excellence les autres vertus morales pour deux raisons. La première, prise du côté du sujet, est que la justice a son siège dans la partie la plus noble de l’âme, c’est-à-dire l’appétit rationnel ou la volonté, alors que les autres vertus morales ont pour siège l’appétit sensible et pour matière les passions qui s’y rapportent, lesquelles sont la matière des autres vertus morales. La seconde raison se prend du côté du sujet. Car les vertus morales autres que la justice sont louées seulement à cause du bien qu’elles réalisent dans l’homme vertueux, tandis que la justice est louée en outre pour le bien que l’homme vertueux réalise dans ses rapports avec autrui, de telle sorte qu’elle est d’une certaine manière le bien d’autrui, dit Aristote. C’est pourquoi il remarque’ que “ les plus grandes vertus sont nécessairement les plus honorables pour autrui, puisque la vertu est une puissance bienfaisante. C’est pourquoi on honore davantage les forts et les justes, la force étant utile aux autres dans la guerre, et la justice dans la guerre et dans la paix ”.

Solutions :

1. La libéralité, tout en donnant du sien, ne le fait qu’en considérant le bien de sa vertu propre ; la justice au contraire donne aux autres ce qui leur est dû en considération du bien commun. En outre, la justice concerne tous les hommes, alors que la libéralité ne peut s’étendre à tous. Enfin la libéralité, qui donne du sien, a son fondement dans la justice qui garantit à chacun son dû.

2. La magnanimité, quand elle s’ajoute à la justice, accroît sa bonté. Mais sans la justice, elle n’aurait pas raison de vertu.

3. La force, si elle vise au plus difficile, ne vise pas au meilleur, car elle n’est utile que dans la guerre ; tandis que la justice est utile dans la guerre et dans la paix, on vient de le dire.

 

 

QUESTION 59 — L’INJUSTICE

1. L’injustice est-elle un vice spécial ? - 2. Agir injustement est-il propre à l’homme injuste ?- 3. Peut-on subir une injustice volontairement ? - 4. L’injustice est-elle, par son genre, péché mortel ?

 

 

            Article 1 — L’injustice est-elle un vice spécial ?

Objections :

1. “ Tout péché est une iniquité ” (1 Jn 3, 4). Or il semble que l’iniquité se confonde avec l’injustice, la justice étant une égalité, si bien que l’injustice semble identique à l’inégalité ou iniquité. Donc l’injustice n’est pas un péché spécial.

2. Aucun péché spécial ne s’oppose à toutes les vertus, tandis que c’est là le fait de l’injustice ; ainsi l’adultère s’oppose à la chasteté, l’homicide à la mansuétude, et ainsi de suite. Donc l’injustice n’est pas un péché spécial.

3. L’injustice s’oppose à la justice qui a son siège dans la volonté ; or, comme le remarque S. Augustin a, “ la volonté est le siège de tous les péchés ”. Il s’ensuit que l’injustice n’est pas un péché spécial.

En sens contraire, l’injustice s’oppose à la justice qui est une vertu spéciale ; elle est donc aussi un péché spécial.

Réponse :

Il y a deux sortes d’injustice. D’abord une injustice illégale qui s’oppose à la justice légale, et qui est par essence un vice spécial en tant qu’elle regarde un objet spécial - le bien commun - qu’elle méprise. Mais si l’on tient compte de l’intention, elle est un vice général, en ce sens que le mépris du bien commun peut conduire l’homme à commettre tous les péchés, de même que tous les vices, sous le rapport où ils s’opposent au bien commun, dérivent en quelque sorte de l’injustice, comme nous venons de le dire au sujet de la justice. En plus de cette injustice légale, il y en a une autre qui consiste dans une certaine inégalité par rapport à autrui, en tant qu’on veut plus de bien, comme des richesses et des honneurs, et moins de maux, comme des labeurs et des dommages. En ce sens l’injustice a une matière spéciale, et constitue un vice particulier opposé à la justice particulière.

Solutions :

1. De même qu’on définit la justice légale par rapport au bien commun humain, de même la justice divine par rapport au bien divin, auquel s’oppose tout péché. A ce point de vue tout péché mérite le nom d’iniquité.

2. Même l’injustice particulière s’oppose à toutes les vertus indistinctement, en tant que les actes extérieurs relèvent à la fois de la justice et des autres vertus morales, mais sous des aspects différents, nous l’avons dit.

3. La volonté, comme la raison, s’étend à toute la matière morale, c’est-à-dire aux passions et aux opérations extérieures ayant trait à autrui. Cependant, la justice ne perfectionne la volonté que dans la mesure où elle s’étend à ces opérations. Pareillement l’injustice n’est dans la volonté qu’à ce titre.

 

 

            Article 2 — Agir injustement est-il propre à l’homme injuste ?

Objections :

1. Il semble bien, car les habitus reçoivent leur espèce de leurs objets, nous l’avons montré précédemment ; or le juste est l’objet propre de la justice, comme l’injuste de l’injustice. Il faut donc appeler juste ou injuste celui qui commet une action juste ou injuste.

2. Le Philosophe déclare fausse l’opinion de ceux pour lesquels il est au pouvoir de l’homme de commettre subitement une injustice, si bien que l’homme juste n’en est pas moins capable que l’homme injuste. Or cela ne serait pas, si le fait de commettre l’injustice n’était pas le propre d’un homme injuste. On doit donc qualifier quelqu’un d’injuste du fait qu’il commet l’injustice.

3. Toutes les vertus ont le même rapport à leur acte propre, et il faut en dire autant des vices opposés. Or on appelle intempérant quiconque fait un acte d’intempérance. Donc tout homme qui commet une injustice est appelé injuste.

En sens contraire, le Philosophe soutient “ qu’on peut faire quelque chose d’injuste sans pour cela être injuste ”.

Réponse :

De même que l’égalité dans les biens extérieurs est l’objet de la justice, ainsi l’inégalité est l’objet de l’injustice, par exemple d’attribuer à quelqu’un plus ou moins que ce qui lui revient. C’est à cet objet que se rapporte l’habitus de l’injustice, moyennant son acte propre qui consiste à faire quelque chose d’injuste. Il peut donc arriver à quelqu’un d’agir ainsi sans être injuste, et cela doublement. D’abord du fait que cet acte injuste n’a pas de rapport avec l’objet propre de l’injustice. C’est en effet d’un objet propre et non accidentel qu’une opération reçoit son nom et son espèce. Or, dans les actes qui sont accomplis pour une fin, est essentiel ce qui est voulu, et accidentel ce qui ne l’est pas. C’est pourquoi, si quelqu’un commet une injustice sans en avoir l’intention, par exemple par ignorance, et sans penser faire quelque chose d’injuste, il ne commet pas d’injustice à proprement parler, c’est-à-dire formellement, mais accidentellement et matériellement. Une pareille action ne peut être qualifiée d’injustice. - Cela peut arriver aussi du fait que cette action est sans rapport avec l’habitus. Une injustice peut en effet provenir d’une passion, par exemple de la colère ou de la convoitise ; ou du libre choix, quand cette injustice plaît par elle-même. Dans ce dernier cas, elle procède proprement de l’habitus, s’il est vrai que quiconque a un habitus trouve agréable ce qui s’accorde avec cet habitus. - Donc le fait de commettre une injustice, intentionnellement et librement, est le propre d’un homme injuste, c’est-à-dire de celui qui possède l’habitus d’injustice ; mais il peut arriver aussi que quelqu’un qui en est dépourvu, commette une injustice sans le vouloir, ou sous le coup d’une passion.

Solutions :

1. Ce qui spécifie un habitus est l’objet envisagé formellement et proprement, et non un objet envisagé accidentellement et matériellement.

2. Il n’est pas facile à n’importe qui d’accomplir délibérément une injustice comme quelque chose qui plaît par soi et non pour d’autres motifs ; c’est le propre de quelqu’un qui en a acquis l’habitus, remarque le Philosophe.

3. L’objet de la tempérance n’a pas, comme celui de la justice, une consistance extérieure ; il se définit seulement par rapport au sujet. C’est pourquoi on ne peut donner le nom de “ tempérant ”, ni formellement, ni matériellement, à un acte accidentel, et non voulu ; de même pour ce qui est “ intempérant ”. En cela consiste la différence entre la justice et les autres vertus morales. Mais quant au rapport entre l’acte et l’habitus correspondant, il existe de façon semblable dans toutes les vertus.

 

 

            Article 3 — Peut-on subir une injustice volontairement ?

Objections :

1. Il semble bien, car ce qui est injuste est inégal, nous l’avons dit. Or on s’éloigne de l’égalité en se nuisant à soi-même aussi bien qu’en nuisant à autrui ; on peut donc être injuste envers soi comme envers autrui : mais quiconque commet l’injustice la commet volontairement. Donc on peut souffrir une injustice volontairement, surtout lorsqu’elle vient de soi-même.

2. Personne n’est puni selon la loi civile s’il n’a commis une injustice ; or ceux qui se donnent la mort sont punis d’après les lois des cités, en ce qu’autrefois ils étaient privés des honneurs de la sépulture ; donc on peut être injuste envers soi, et ainsi on peut supporter l’injustice volontairement.

3. On ne peut commettre d’injustice qu’à l’égard de quelqu’un qui la subit ; or il arrive que ce quelqu’un y consente, par exemple si on lui vend une chose plus cher qu’elle ne vaut ; on peut donc souffrir une injustice volontairement.

En sens contraire, le fait de souffrir une injustice s’oppose au fait de la commettre ; or nul ne commet une injustice qu’à la condition de la vouloir ; donc par opposition, nul se subit l’injustice que s’il ne la veut pas.

Réponse :

Une action, par définition, procède de l’agent, tandis que la passion, par définition, provient d’un autre ; c’est pourquoi on ne peut être à la fois et sous le même rapport agent et patient, selon Aristote. Or la volonté est le principe propre de l’action humaine. Il s’ensuit qu’à parler proprement et essentiellement, un homme ne fait que ce qu’il fait volontairement, et à l’inverse il ne souffre que ce qui échappe à sa volonté ; car, en tant qu’il veut, il est le principe de son acte, et par conséquent, comme tel, plus actif que passif Il faut donc soutenir qu’à parler essentiellement et formellement, nul ne peut commettre une injustice qu’à condition de la vouloir, et ne peut la subir qu’à condition de ne pas la vouloir. Au contraire, à parler selon l’accident et pour ainsi dire matériellement, il peut arriver que quelqu’un commette quelque chose de vraiment injuste sans le vouloir, lorsqu’il agit sans intention, ou supporte volontairement l’injustice par exemple s’il donne volontairement à quelqu’un plus qu’il ne lui doit.

Solutions :

1. Si quelqu’un donne volontairement à un autre plus qu’il ne lui doit, il ne commet ni injustice, ni inégalité. En effet, c’est par sa volonté qu’un homme possède les choses, et ainsi, lorsqu’on les lui enlève ou s’il les donne de son propre gré, ce n’est pas étranger à son dessein, ni à l’égalité.

2. Une personne quelconque peut être considérée à deux points de vue. Individuellement d’abord. En ce cas, si elle se nuit à elle-même, elle pourra commettre un péché soit d’intempérance, soit d’imprudence, mais non d’injustice ; car l’injustice, comme la justice, implique toujours rapport à autrui. Ou bien on peut considérer un homme en tant que membre de la cité, ou en tant qu’il appartient à Dieu comme sa créature et son image. A ce point de vue, quiconque se donne la mort est injuste non envers soi, mais envers la cité et envers Dieu. C’est pourquoi la loi divine comme la loi civile lui inflige une punition, ainsi qu’au fornicateur dont l’Apôtre (1 Co 3, 17) nous dit : “ Si quelqu’un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. ”

3. La passion est l’effet d’une action extérieure. Or, dans le fait de commettre et de souffrir une injustice, l’élément matériel se rapporte à l’acte extérieur, considéré en soi, nous l’avons dit au contraire l’élément formel et essentiel se rapporte à la volonté de l’agent et du patient, nous venons de le montrer. A parler matériellement, on doit donc dire que le fait de commettre une injustice et celui d’en subir une, vont toujours ensemble.

Mais, si nous parlons formellement, il peut arriver que quelqu’un commette une injustice volontairement alors que le patient ne souffre pas d’injustice parce qu’il y consent. Inversement, il peut arriver que quelqu’un souffre une injustice parce qu’il la subit contre son gré, alors que celui qui en est cause l’ignore, et à cause de cela ne commet pas l’injustice formellement, mais matériellement seulement.

 

 

            Article 4 — L’injustice est-elle, par son genre, péché mortel ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car le péché véniel s’oppose au péché mortel. Or il arrive qu’on pèche véniellement en commettant une injustice. C’est l’avis d’Aristote qui, parlant de ceux qui accomplissent des choses injustes, prétend que “ quels que soient les péchés commis, s’ils le sont dans l’ignorance et à cause d’elle, ils sont véniels ”. On ne pèche donc pas toujours mortellement en commettant une injustice.

2. Celui qui commet une injustice en matière légère, s’éloigne peu du milieu vertueux. Or cela semble tolérable, et être compté parmi les petits malheurs, d’après Aristote. Toute injustice n’est donc pas péché mortel.

3. La charité est la mère de toutes les vertus, et c’est pour son opposition à la charité qu’un péché est appelé mortel. Or tous les péchés opposés aux autres vertus ne sont pas mortels ; donc toute injustice n’est pas péché mortel.

En sens contraire, tout ce qui est contre la loi de Dieu est péché mortel ; or quiconque fait une injustice agit contre la loi de Dieu, qu’il s’agisse d’un vol, d’un adultère, d’un homicide, etc., comme on le verra par la suite. Donc celui qui commet une injustice fait un péché mortel.

Réponse :

Comme nous l’avons dit précédemment à propos de la différence des péchés, le péché mortel est celui qui est contraire à la charité, laquelle fait vivre l’âme. Or tout dommage causé à autrui s’oppose par soi à la charité, qui nous pousse à vouloir le bien d’autrui. C’est pourquoi l’injustice, qui consiste toujours dans un dommage causé à autrui, constitue, par son genre, un péché mortel.

Solutions :

1. Le mot d’Aristote doit s’entendre d’une ignorance de fait que lui-même qualifie “ d’ignorance des circonstances particulières ”, et qui mérite le pardon, mais non d’une ignorance de droit qui est sans excuse. Celui qui commet une injustice sans le savoir, n’agit que par accident, nous l’avons dit.

2. Celui qui commet une injustice dans les petites choses ne réalise pas l’injustice de façon parfaite, dans la mesure où il peut penser que ce n’est pas absolument contraire à la volonté de celui qui la subit ; c’est le cas par exemple de quelqu’un qui volerait une pomme, ou quelque chose d’équivalent, en présumant que cela ne léserait pas le propriétaire et ne lui déplairait pas.

3. Les péchés commis contre les autres vertus morales n’impliquent pas toujours un dommage à l’égard d’autrui, mais un certain désordre à l’égard des passions.

 

 

QUESTION 60 — LE JUGEMENT

1. Le jugement est-il un acte de justice ? - 2. Est-il licite de juger ? - 3. Faut-il juger sur des soupçons ? - 4. Le doute doit-il être interprété favorablement ? - 5. Le jugement doit-il toujours être porté conformément aux lois écrites ? - 6. Le jugement est-il vicié par l’usurpation ?

 

 

            Article 1 — Le jugement est-il un acte de justice ?

Objections :

1. Il semble que non, car le Philosophe dit que “ chacun juge bien ce qu’il connaît ”, en sorte que le jugement semble relever de la faculté de connaissance. Or c’est la prudence qui perfectionne cette faculté. Le jugement paraît donc relever de la prudence plutôt que de la justice, qui est dans la volonté, comme on l’a dit.

2. L’Apôtre déclare (1 Co 2, 15) : “ L’homme spirituel juge toutes choses. ” Or l’homme se spiritualise surtout par la charité “ répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ”. Le jugement relève donc de la charité plutôt que de la justice.

3. Il appartient à chaque vertu de porter un jugement droit sur sa propre matière, parce que, dit le Philosophe, “ l’homme vertueux est en chaque chose règle et mesure ”. Le jugement ne relève donc pas plus de la justice que des autres vertus morales.

4. Le jugement semble n’appartenir qu’aux juges. Or l’acte de la justice se trouve chez tous les justes. Donc puisque les juges ne sont pas les seuls justes, il semble que le jugement ne soit pas l’acte propre de la justice.

En sens contraire, nous lisons dans le Psaume (94, 15) : “ jusqu’à ce que la justice soit convertie en jugement. ”

Réponse :

A proprement parler, le jugement signifie l’acte du juge en tant que tel. Or, on l’appelle “ juge ” (judicem) comme étant celui qui “ énonce le droit ” (jus dicens). Et d’autre part le droit est l’objet de la justice, nous l’avons établi. Il s’ensuit que le jugement, dans l’acception première du mot, implique une définition ou détermination du juste ou du droit. Or le fait pour quelqu’un de bien définir dans les actions vertueuses provient proprement de l’habitus vertueux ; c’est ainsi que l’homme chaste détermine avec exactitude ce qui a trait à la chasteté. Il s’ensuit que le jugement, qui comporte une détermination exacte de ce qui est juste, appartient proprement à la justice. C’est pourquoi le Philosophe remarque que les hommes “ recourent au juge comme à une sorte de justice animée ”.

Solutions :

1. Le mot de jugement qui, dans sa première acception, signifie une détermination exacte des choses justes, s’est élargi au point de signifier la détermination exacte de toutes choses, dans l’ordre spéculatif aussi bien que pratique. Cependant, pour qu’il y ait en toutes choses un jugement droit, deux conditions sont requises, dont l’une se confond avec la vertu même qui profère le jugement. Dans ce sens, le jugement est un acte de la raison, dont c’est la fonction de dire ou de définir. L’autre condition concerne la disposition de celui qui juge, selon laquelle ü est apte à juger correctement. C’est ainsi qu’en matière de justice le jugement procède de la vertu de justice, comme ü procède de la force en tout ce qui relève de cette vertu. Le jugement est donc l’acte de la justice en tant quelle incline à juger exactement, et de la prudence en tant queue profère le jugement. D’où la synésis (bon sens moral), qui appartient à la prudence, est appelée une vertu “ de bon jugement ”, nous l’avons établi précédemment

2. L’homme spirituel tient de l’habitus de charité une inclination à juger sainement de toutes choses selon les règles divines, à partir desquelles il porte son jugement grâce au don de sagesse ; de même le juste, par la vertu de la prudence, porte son jugement à partir des règles du droit.

3. Les autres vertus morales ordonnent l’homme par rapport à lui-même, tandis que la justice l’ordonne par rapport à autrui, nous l’avons montrés. Or, si l’homme est maître de ce qui lui appartient, il ne l’est pas de ce qui appartient à autrui. C’est pourquoi, dans le domaine des autres vertus morales, on ne requiert que le jugement d’un homme vertueux, en l’entendant du jugement au sens le plus large du mot, comme nous l’avons dit. En matière de justice au contraire, le jugement d’une autorité supérieure est requis, “ qui soit capable de reprendre les deux parties et de poser sa main sur les deux ”. Pour cette raison le jugement convient à la justice plus spécialement qu’aux autres vertus.

4. Chez le prince, la justice est une vertu architectonique : elle commande et prescrit ce qui est juste ; tandis que, chez les sujets, c’est une vertu qui est d’exécution et de service. Aussi l’acte de juger, qui comporte une déclaration de ce qui est juste, relève-t-il de la justice selon le mode particulier qu’elle a chez le prince.

 

 

            Article 2 — Est-il licite de juger ?

Objections :

1. Il semble que non, car on n’inflige de châtiment que pour une action illicite ; or ceux qui jugent sont menacés d’un châtiment auquel se soustraient ceux qui ne jugent pas, selon cette parole du Christ (Mt 7, 1) : “ Ne jugez pas si vous ne voulez pas être jugés. ”

2. S. Paul écrit (Rm 14, 4) : “ Toi, qui es-tu pour juger le serviteur d’autrui ? Qu’il reste debout ou qu’il tombe, cela ne concerne que son maître. ” Et le maître de tous, c’est Dieu. Donc il n’est permis à aucun homme de juger.

3. Personne n’est sans péché : “ Lorsque nous prétendons être sans péché, nous nous faisons illusion ” (1 Jn 1, 8). Or il n’est pas permis au pécheur de juger, selon cette parole (Rm 2, 1) : “ Qui que tu sois , ô homme qui juges, tu es sans excuse ; car sur le point où tu juges les autres, tu te condamnes toi-même, en faisant toi-même ce que tu juges. ” Il n’est donc permis à personne de juger.

En sens contraire, il est écrit dans le Deutéronome (16, 18) : “ Tu établiras des juges et des maîtres dans toutes les villes qui t’appartiennent, pour qu’ils jugent le peuple par des jugements justes. ”

Réponse :

Un jugement est licite dans la mesure où il est un acte de justice. Or, d’après ce qui a été dit, trois conditions sont requises pour cela : la première, qu’il procède d’une inclination à la justice ; la deuxième, qu’il émane de l’autorité d’un supérieur ; la troisième, qu’il soit proféré selon la droite règle de la prudence. Là où l’une de ces conditions fait défaut, le jugement devient vicieux et illicite. D’abord s’il va contre la droiture de la justice, il est pervers ou injuste. Ensuite, quand l’homme juge en des matières où il n’a pas autorité, on dit que le jugement est usurpé. Enfin, là où la certitude fait défaut, par exemple lorsque sur de légères conjectures quelqu’un juge de choses douteuses ou cachées, son jugement est entaché de suspicion, ou téméraires.

Solutions :

1. Le Christ interdit par ces paroles le jugement téméraire qui porte sur quelque intention secrète du cœur ou sur d’autres objets incertains, selon S. Augustin - ou encore il interdit tout jugement sur les choses divines : parce qu’elles nous sont supérieures, nous ne devons pas les juger mais simplement les croire, dit S. Hilaire- ou enfin, le Christ interdit tout jugement inspiré non par la bienveillance, mais par l’aigreur, selon S. Chrysostome.

2. Le juge est établi ministre de Dieu : c’est pourquoi il est écrit (Dt 1, 16) : “ Jugez selon la justice ”, et aussi : “ Parce que c’est le jugement de Dieu. ”

3. Ceux qui sont tombés dans des péchés graves ne doivent pas juger ceux qui sont coupables des mêmes fautes, ou de péchés moindres, dit S. Jean Chrysostome. Et cela doit s’entendre surtout quand ces péchés sont publics, à cause du scandale qui s’élèverait de ce fait dans le cœur des gens. Si les péchés ne sont pas publics, mais occultes, et que le pécheur, du fait de ses fonctions, soit dans la nécessité de rendre immédiatement son arrêt, il peut requérir ou juger, mais qu’il le fasse dans l’humilité et la crainte. Aussi S. Augustin dit-il : “ Si nous découvrons en nous le même vice, gémissons ensemble, et invitons-nous réciproquement aux mêmes efforts. ” Cependant, pour autant, le juge ne se condamne pas lui-même, et n’encourt pas une nouvelle condamnation, si ce n’est qu’en condamnant un autre, il se montre condamnable de la même façon, pour un péché identique ou semblable.

 

 

            Article 3 — Faut-il juger sur des soupçons ?

Objections :

1. Il semble que le jugement fondé sur le soupçon ne soit pas illicite, car le soupçon est une opinion incertaine au sujet d’un mal. Le soupçon, d’après Aristote, porte aussi bien sur le vrai que sur le faux. Or sur les faits singuliers et Contingents on ne peut avoir qu’une opinion incertaine. Donc, puisque le jugement des hommes a pour objet les actes humains qui sont des faits singuliers et contingents, il semble que nul jugement ne serait licite, s’il n’était pas permis de fonder un jugement sur le soupçon.

2. Le jugement illicite est cause d’injustice envers le prochain. Mais le soupçon mauvais consiste seulement dans une opinion humaine, et ainsi elle ne semble pas comporter d’injustice envers l’autre. Le jugement fondé sur le soupçon n’est donc pas illicite.

3. Si un tel jugement est illicite, il faut qu’il se ramène à l’injustice, puisque, comme on vient de le voir, le jugement est l’acte de la justice. Mais l’injustice, par son genre même, est péché mortel nous l’avons dit plus haut. Donc, le jugement fondé sur un soupçon, s’il était illicite, serait toujours péché mortel. Mais cela est faux, car “ nous ne pouvons pas éviter les soupçons ”, nous dit S. Augustin dans sa glose sur ces mots de S. Paul (1 Co 4, 5) : “ Ne jugez pas avant le temps. ” Donc un tel jugement ne semble pas illicite.

En sens contraire, selon S. Jean Chrysostome : “ Par cet ordre : "Ne jugez pas", le Christ n’empêche pas les chrétiens de corriger les autres par bienveillance ; mais il ne veut pas que, par l’étalage de leur propre justice, des chrétiens méprisent des chrétiens en haïssant et condamnant les autres, sur de simples soupçons la plupart du temps. ”

Réponse :

Comme dit Cicéron. le soupçon doit être considéré comme une faute lorsqu’il n’est fondé que sur de légers indices. Trois cas peuvent se présenter : 1° Quelqu’un est méchant en soi-même, et, en conséquence, conscient de sa propre méchanceté, il attribue facilement le mal aux autres. Comme dit l’Ecclésiaste (10, 3 Vg) : “ Dans ses voyages, l’insensé, parce qu’il est lui-même sans sagesse, estime que tous les autres sont insensés. ” 2° Quelqu’un est mal disposé envers son prochain ; or, lorsqu’un homme en méprise ou en déteste un autre, qu’il s’irrite contre lui ou qu’il l’envie, de légers signes suffisent pour qu’il le juge coupable ; car chacun croit facilement ce qu’il désire. 3° Le soupçon peut encore provenir d’une longue expérience. Aussi Aristote dit-il que “ les vieillards sont soupçonneux à l’excès pour avoir éprouvé nombre de fois les défauts des autres ”.

Les deux premières causes de soupçon relèvent manifestement d’une disposition vicieuse. Mais la troisième élimine le soupçon dans la mesure où l’expérience approche de la certitude, laquelle est contraire à la notion de soupçon. En conséquence, il y a un vice dans tout soupçon, et un vice proportionnel au soupçon lui-même. 1° Il y a d’ailleurs trois degrés dans le soupçon : Il Un homme, sur de faibles indices, commence à douter de la bonté d’un autre. C’est là un péché véniel et léger, car “ cela tient à la faiblesse humaine, inhérente à cette vie ”, ainsi que dit la glose sur la parole de S. Paul (1 Co 4, 5) : “ Ne jugez de rien avant le temps. ” 2° Quelqu’un tient pour certaine la malice d’autrui, d’après de faibles indices. En ce cas, si la matière est grave, il y a péché mortel, parce que cela ne peut aller sans mépris du prochain. La glose ajoute au même endroit : “ Bien que nous ne puissions éviter les soupçons, puisque nous sommes des hommes, nous devons cependant nous abstenir des jugements, c’est-à-dire des sentences fermes et définitives. ” 3° Un juge se prépare à condamner sur un simple soupçon : cela relève directement de l’injustice, et par conséquent est péché mortel.

Solutions :

1. Dans les actes humains, on ne requiert pas la certitude des sciences démonstratives, mais seulement celle qui convient à une telle matière, par exemple la preuve établie par les témoins qualifiés.

2. Du fait même que quelqu’un a mauvaise opinion d’autrui sans cause suffisante, il le méprise injustement ; donc il est injuste envers lui.

3.Comme on l’a vu, la justice et l’injustice concernent. les activités extérieures. Le jugement fondé sur le soupçon relève directement de l’injustice quand il porte sur un acte extérieur ; et il est alors péché mortel, nous venons de le dire. Le jugement intérieur ne relève de la justice que dans sa relation avec le jugement extérieur ; c’est le cas de tout acte intérieur par rapport à l’acte extérieur : la convoitise par rapport à la fornication, la colère par rapport à l’homicide.

 

 

            Article 4 — Le doute doit-il être interprété favorablement ?

Objections :

1. Il semble que non, car la majorité des jugements doit être conforme à ce qui arrive dans la majorité des cas ; or, dans la majorité des cas, il arrive que l’on agit mal : car “ le nombre des insensés est infini ”, dit l’Ecclésiaste (1, 15 Vg), et la Genèse (8, 21) : “ Les desseins de l’homme sont portés au mal dès son enfance. ” Donc nous devons interpréter le doute dans le sens du mal, plutôt que dans celui du bien.

2. D’après S. Augustin, “ celui qui vit dans la justice et la piété est un appréciateur impartial ”, car il ne penche vers aucun des deux côtés. Or, interpréter en bien ce qui est douteux, c’est incliner dans l’autre sens. Donc il ne faut pas le faire.

3. L’homme doit aimer son prochain comme soi-même. Mais, en ce qui le concerne personnellement, l’homme doit interpréter ses doutes en mauvaise part, conformément à cette parole de Job (9, 28) : “ L’effroi me saisit en face de tous mes maux. ” Donc, il semble bien qu’il faille interpréter en mal tout ce qui, dans le prochain, laisse place au doute.

En sens contraire, sur ce texte de l’épître aux Romains (14, 3) : “ Que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange ”, la Glose écrit : “ Les doutes doivent être interprétés en bonne part. ”

Réponse :

Comme on vient de le dire, celui qui a une mauvaise opinion du prochain sans motif suffisant est injuste et méprisant envers lui. Or, nul ne doit mépriser autrui, ni lui causer aucun dommage, sans motif contraignant. C’est pourquoi, tant que des indices de perversité ne sont pas évidents chez un homme, nous devons le tenir pour vertueux et interpréter en bonne part tout ce qui est douteux.

Solutions :

1. Il peut arriver que celui qui interprète toujours en bonne part ce qui est douteux se trompe le plus souvent. Mais il vaut mieux se tromper souvent en ayant bonne opinion d’un homme mauvais, que de faire très rarement erreur en ayant mauvaise opinion d’un homme vertueux ; dans ce dernier cas, on commet une injustice envers le prochain ; mais non pas dans le premier.

2. Ce n’est pas pareil, de juger des choses ou de juger des hommes. Dans le jugement que nous portons sur les choses, on ne considère pas le bien ou le mal chez elles, c’est pourquoi la façon dont nous les jugeons ne peut leur nuire. Ce qui est seulement à considérer, c’est le bien de celui qui juge si son jugement est conforme à la vérité ; et c’est son mal si ce jugement est erroné, car, dit Aristote, “ la vérité est le bien de l’esprit, l’erreur est son mal ”. Que chacun s’efforce donc de juger des choses comme elles sont.

Mais dans le jugement que nous portons sur les personnes, il faut considérer surtout le bien ou le mal chez celui qui est jugé ; car le jugement porté le rendra honorable s’il est jugé bon ; méprisable s’il est jugé mauvais. C’est pourquoi nous devons nous efforcer de porter sur autrui un jugement favorable, à moins que nous n’ayons un motif évident en sens contraire. Quant à l’homme qui juge, le jugement faux qu’il porte en bonne part ne constitue pas un mal pour son intelligence, pas plus que la connaissance des singuliers contingents n’appartient, de soi, à la perfection de son intelligence ; cela contribue davantage au bien de ses dispositions affectives.

3. Interpréter en bonne ou mauvaise part peut se faire de deux façons : 1° Par hypothèse. Ainsi, quand nous devons employer un remède pour certaines maladies - les nôtres ou celles d’autrui - il est bon que nous apportions un remède efficace contre une maladie supposée plus grave ; parce que le remède efficace contre un mal plus grave, l’est bien davantage contre un mal moindre. 2° Nous interprétons en bien ou en mal en définissant ou en précisant. Et ainsi, dans un jugement sur des choses, on doit s’efforcer de les interpréter chacune comme elle est ; mais en jugeant les personnes, on doit interpréter en bonne part, nous l’avons dit.

 

 

            Article 5 — Le jugement doit-il toujours être porté conformément aux lois écrites ?

Objections :

1. Il semble que non, car on doit toujours éviter de rendre un jugement injuste. Or, les lois écrites sont parfois injustes : nous lisons en effet dans Isaïe (10, 1) : “ Malheur à ceux qui font des lois injustes et qui écrivent des décrets oppressifs ” Donc il ne faut pas toujours juger selon la loi écrite.

2. Le jugement porte sur des cas particuliers. Or, aucune loi écrite ne peut prévoir tous les cas particuliers, comme le Philosophe le démontre. On voit qu’on ne doit pas toujours juger d’après les lois écrites.

3. La loi est écrite pour faire connaître la décision du législateur. Or, il arrive parfois que, si le législateur était présent, il jugerait autrement qu’il n’a décidé dans la loi. Donc il ne faut pas toujours juger selon la loi écrite.

En sens contraire, S. Augustin déclare : “ Les hommes peuvent discuter lorsqu’ils instituent des lois temporelles ; mais quand elles ont été instituées et confirmées, il n’est pas permis aux juges de les juger, mais seulement de juger d’après elles. ”

Réponse :

Comme on l’a dit le jugement est une définition ou détermination de ce qui est juste. Or, ce qui est juste est déterminé, 1° par la nature même de la chose : c’est le droit naturel ; 2° par un contrat consenti entre des personnes, ce qui et du droit positif, nous l’avons établi plus haut. Les lois sont écrites pour assurer l’application de l’un et l’autre droit, mais de façon différente. La loi écrite contient le droit naturel, mais ne le constitue pas ; car le droit naturel ne fonde pas son autorité sur la loi, mais sur la nature. Au contraire, la rédaction écrite de la loi contient et constitue le droit positif et fonde son autorité. C’est pourquoi il est nécessaire que les jugements soient rendus conformément à la loi écrite : autrement, le jugement manquerait soit au droit naturel, soit au droit positif.

Solutions :

1. La loi écrite ne donne pas au droit naturel son autorité et par conséquent ne peut ni diminuer, ni supprimer cette autorité, car la volonté de l’homme ne peut pas changer la nature. C’est pourquoi, si la loi écrite contient quelque prescription contraire au droit naturel, elle est injuste et ne peut obliger ; il n’y a de place, en effet, pour le droit positif que là où il est indifférent à l’égard du droit naturel, qu’il soit ainsi ou autrement, comme nous l’avons montré. C’est pourquoi de tels écrits ne peuvent être appelés des lois, mais plutôt des corruptions de la loi, nous l’avons dit précédemment. On ne peut donc pas se régler sur eux pour juger.

2. Les lois injustes en elles-mêmes sont contraires au droit naturel, soit toujours, soit le plus souvent ; de même, les lois bien faites sont, dans certains cas, défectueuses : à les suivre on irait contre le droit naturel ; il ne faut pas alors juger selon l’intention du législateur. Ce qui fait dire au jurisconsultes : “ Aucune raison de droit, ni la bienveillance de la justice ne peuvent souffrir que des prescriptions sagement introduites en vue de l’utilité des hommes, tournent à leur préjudice du fait d’une interprétation trop stricte par laquelle on en arrive à la sévérité. ” Et d’ailleurs, en telles conjonctures, le législateur lui-même jugerait autrement ; et s’il avait considéré ce cas, il l’aurait précisé dans sa loi.

3. Cette réponse résout aussi la troisième objection.

 

 

            Article 6 — Le jugement est-il vicié par l’usurpation ?

Objections :

1. Il semble que non, car la justice est une rectitude dans l’action. Mais rien ne diminue la vérité, dite par n’importe qui, et elle doit être reçue par tous. Donc, de même, rien ne diminue la justice, quel que soit celui qui détermine ce qui est juste, détermination qui constitue le jugement même.

2. Il appartient au jugement de punir le péché. Or, dans l’Écriture, certains hommes sont loués pour avoir puni des péchés, alors qu’ils n’avaient pas autorité sur ceux qu’ils châtiaient : tel Moïse, loué pour avoir tué un Égyptien (Ex 2, 11) et Phinéès, fils d’Éléazar, pour avoir fait périr Zimri, fils de Salu (Nb 25, 7) ; “ et cet acte lui fut imputé à justice ”, dit le Psaume (106, 31). Donc, l’usurpation des fonctions judiciaires ne relève pas de l’injustice.

3. Le pouvoir spirituel se distingue du pouvoir temporel. Mais quelquefois, les prélats qui ont le pouvoir spirituel interviennent dans des questions qui ne relèvent que de la puissance séculière : donc l’usurpation des fonctions judiciaires n’est pas toujours illicite.

4. Un jugement droit requiert chez le juge, au même titre que l’autorité, la vertu de justice et la science, nous l’avons montré plus haute. Or, il n’est dit nulle part qu’un jugement rendu par un juge à qui manque la vertu de justice ou la science du droit, est, de ce fait même, injuste. Donc, l’usurpation de fonction, par laquelle on manque d’autorité, ne cause pas toujours l’injustice du jugement.

En sens contraire, il est dit dans l’épître aux Romains (14, 4) : “ Qui es-tu, toi qui juges le serviteur d’autrui ? ”

Réponse :

On vient de le voir, un jugement doit être rendu selon la loi écrite. Celui qui porte un jugement interprète donc de quelque façon le texte de la loi, en l’appliquant à une affaire particulière. Or, il appartient à la même autorité d’interpréter la loi et de la fonder ; en conséquence, de même qu’une loi ne peut être fondée que par la puissance publique, un jugement ne peut être rendu que par l’autorité publique, qui a pouvoir sur tous les membres de la société. Or, il serait injuste qu’un homme en contraignît un autre à observer une loi non sanctionnée par l’autorité publique ; de même, il est injuste que quelqu’un impose à un autre de subir un jugement qui n’est pas porté par l’autorité publique.

Solutions :

1. L’énoncé de la vérité ne contraint pas à la recevoir : libre à chacun de l’accepter ou de la refuser, comme il le veut. Au contraire, le jugement implique une contrainte ; c’est pourquoi il est injuste d’être jugé par quelqu’un qui ne détient pas l’autorité publique.

2. Moïse paraît bien avoir tué l’Égyptien après avoir reçu l’autorité publique par une inspiration divine ; c’est ce qui ressort de ce que disent les Actes des Apôtres (7, 25) : “ Moïse pensait que ses frères comprendraient que Dieu accorderait par sa main la délivrance au peuple d’Israël. ” On peut dire encore que Moïse tua l’Égyptien en prenant à bon droit la défense de celui qui avait été victime de violence. S. Ambroise nous dit : “ Celui qui ne repousse pas la violence faite à son compagnon est aussi coupable que celui qui la commet ”, et il donne l’exemple de Moïse. Ou enfin on peut dire avec S. Augustin : “ De même qu’une terre est estimée à son prix, avant de porter des fruits utiles, par sa fertilité en herbes inutiles, de même cet acte de Moïse fut mauvais, mais il était le signe d’une grande fécondité. ” Il était, en effet, le signe de cette vigueur avec laquelle il devait libérer le peuple. De Phinéès, il faut dire qu’il agit de cette façon parce qu’il était poussé par le zèle de la gloire de Dieu et sous l’inspiration divine ; ou encore, parce que, bien qu’il ne fût pas encore grand prêtre, il était le fils du grand prêtre, et que le jugement lui appartenait comme aux autres juges qui en avaient reçu l’ordre.

3. Le pouvoir séculier est soumis au pouvoir spirituel, comme le corps est soumis à l’âme. C’est pourquoi il n’y a pas usurpation quand le supérieur spirituel intervient dans celles des affaires temporelles ou le pouvoir séculier lui est soumis, ou que ce pouvoir lui abandonne.

4. L’habitus de la science et l’habitus de la justice sont des perfections de l’individu ; c’est pourquoi leur absence ne cause pas une usurpation, comme le défaut de l’autorité publique, laquelle donne au jugement sa force de cœrcition.

LES PARTIES DE LA JUSTICE

Elles se divisent en trois groupes. I. Les parties subjectives, qui sont les espèces de la justice : distributive et commutative (Q. 61-78). - II. Les parties intégrantes (Q. 79). - III. Les parties potentielles, c’est-à-dire les vertus annexes (Q. 80-120).

Les parties subjectives appellent une double étude : 1) Les parties proprement dites de la justice. 2) Les vices opposés (Q. 63-78).

Et parce que la restitution apparaît comme un acte de la justice commutative, il faut d’abord étudier la distinction entre justice commutative et justice distributive (Q. 61), ensuite la restitution (Q. 62).

 

 

QUESTION 61 — LA DISTINCTION ENTRE JUSTICE COMMUTATIVE ET JUSTICE DISTRIBUTIVE

1. Y a-t-il deux espèces de justice : commutative et distributive 2. Leur juste milieu se détermine-t-il de la même façon ? - 3. Ont-elles la même matière, ou une matière multiple ? - 4. Dans quelques-unes de ses espèces, la justice s’identifie-t-elle à la réciprocité ?

 

 

            Article 1 — Y a-t-il deux espèces de justice —distributive et commutative ?

Objections :

1. Il semble que cette distinction soit malheureuse, car il ne peut exister une sorte de justice qui nuise à la multitude, puisque la justice est ordonnée au bien commun. Mais distribuer les biens communs à beaucoup nuit au bien commun de la multitude parce que cela épuise les ressources communes, et aussi parce que cela corrompt les mœurs, car Cicéron déclare : “ Celui qui reçoit un don devient pire et de plus en plus prêt à en attendre autant. ” Donc, la distribution ne relève d’aucune espèce de justice.

2. L’acte de la justice consiste comme on l’a vu, à rendre à chacun son dû. Or, dans une distribution, on ne rend pas à chacun ce qui était son dû, mais chacun s’approprie un bien nouveau qui était un bien commun. Donc, cela ne relève pas de la justice.

3. La justice n’est pas seulement chez le prince ; comme on l’a dit, elle est aussi chez les sujets. Mais distribuer concerne toujours le prince, donc la justice n’a pas à s’en occuper.

4. “ Une juste distribution, dit Aristote, est une distribution de biens communs. ” Or les biens communs sont du ressort de la justice légale. Donc la justice distributive n’est pas une espèce de la justice particulière, mais de la justice légale.

5. L’unité et la multiplicité ne peuvent être le fondement d’une distinction spécifique dans la vertu. Or la justice commutative consiste à rendre quelque chose à quelqu’un, et la justice distributive, à donner quelque chose à plusieurs. Ce ne sont donc pas des espèces différentes de la justice.

En sens contraire, Aristote distingue deux sortes de justice et dit que “ l’une nous dirige dans les distributions et l’autre dans les échanges ”.

Réponse :

Ainsi que nous l’avons dit, la justice particulière s’ordonne à une personne privée, qui est avec la société dans un rapport comparable à celui de la partie avec le tout. Or une partie comporte une double relation : d’abord celle de partie à partie, à laquelle correspond dans la société la relation d’individu à individu. C’est cet ordre de relations que dirige la justice commutative, qui a pour objet les échanges mutuels entre deux personnes.

Entre le tout et les parties on envisage un autre ordre, auquel ressemble l’ordre de ce qui est commun aux individus. Cet ordre est celui que dirige la justice distributive, appelée à répartir proportionnellement le bien commun de la société. Il y a donc bien deux espèces de justice, l’une distributive, l’autre commutatives.

Solutions :

1. Dans les libéralités des personnes privées, la modération est recommandée, tandis que la dissipation est coupable ; de même, dans la distribution des biens communs, il faut observer une certaine modération, que détermine la justice distributive.

2. La partie et le tout sont, d’un certain point de vue, identiques, en ce que tout ce qui appartient au tout appartient d’une certaine façon à la partie ; et c’est ainsi que lorsqu’on partage entre les membres de la communauté un bien commun, chacun reçoit en quelque sorte ce qui est à lui.

3. Procéder à la répartition des biens communs appartient à celui-là seul qui a la charge de ces biens. Les sujets à qui ils sont distribués n’en ont pas moins à pratiquer la justice distributive, en se montrant satisfaits si la répartition est juste. Il arrive parfois que les biens communs à distribuer appartiennent non pas à la cité, mais à une famille ; en ce cas, c’est l’autorité d’une personne privée qui fixe la répartition.

4. Tout mouvement est spécifié par son terme final. C’est pourquoi il appartient à la justice légale d’ordonner au bien commun les biens particuliers ; mais inversement, ordonner le bien commun au bien des individus en le leur distribuant concerne la justice particulière.

5. La justice distributive et la justice commutative ne se distinguent pas seulement par leur objet un et multiple, mais par la nature même de la dette qui les concerne : devoir à quelqu’un un bien commun est autre Chose que lui devoir un bien qui lui est propre.

 

 

            Article 2 — Le juste milieu se détermine-t-il de la même façon dans la justice commutative dans la justice distributive ?

Objections :

1. Il semble bien, car ces deux justices sont des parties de la justice particulière, nous venons de le dire. Or, dans toutes les parties de la tempérance ou de la force, le juste milieu est déterminé de la même façon. Donc, il doit l’être aussi dans les deux justices, distributive et commutative.

2. La forme de la vertu morale consiste en un juste milieu déterminé rationnellement. Donc, puisqu’une seule vertu n’a qu’une seule forme, il semble bien que dans ces deux espèces d’une seule vertu, le juste milieu doit être déterminé de la même façon.

3. Dans la justice distributive, le juste milieu s’établit en tenant compte de la dignité différente des personnes. Mais cette dignité intervient aussi dans la justice commutative, par exemple dans les peines, car celui qui frappe le prince est plus sévèrement puni que celui qui frappe une personne privée. Donc, le juste milieu s’établit de la même façon dans l’une et l’autre justices.

En sens contraire, le Philosophe dit que dans la justice distributive le juste milieu s’établit selon une proportion géométrique, et dans la justice commutative selon une proportion arithmétique.

Réponse :

Comme nous venons de le dire, il appartient à la justice distributive de donner quelque chose à une personne privée pour autant que ce qui appartient au tout est dû à la partie. Mais ce dû est d’autant plus considérable que la partie occupe dans le tout une plus grande place. Et c’est pourquoi, en justice distributive, il est donné d’autant plus des biens communs à une personne que sa place dans la communauté est prépondérante. Dans les communautés à régime aristocratique, cette prépondérance est donnée à la vertu ; dans les oligarchies, à la richesse ; dans les démocraties, à la liberté ; et sous d’autres régimes, d’autres façons. C’est pourquoi, dans la justice distributive, le juste milieu vertueux ne se détermine pas par une égalité de chose à chose, mais selon une proportion des choses aux personnes ; de telle sorte que si une personne est supérieure à une autre, ce qui lui est donné doit dépasser ce qui est donné à l’autre. Et c’est pourquoi le Philosophe dit qu’un tel milieu vertueux s’établit selon une proportion géométrique, où l’égalité n’est pas une égalité de quantité, mais une égalité proportionnelle. Nous disons ainsi que 6 est à 4 comme 3 est à 2, parce que nous y trouvons la même proportion sesquialtère, c’est-à-dire telle que le plus grand nombre égale une fois et demie le plus petit. Cette égalité n’est pas, comme on le voit, une égalité de différences entre les quantités comparées, puisque la différence entre 6 et 4 est 2, et celle entre 3 et 2 est 1.

Au contraire, dans les échanges, on rend à une personne particulière quelque chose en remplacement de ce que l’on a reçu d’elle ; ce qui est évident dans l’achat et la vente, qui nous donnent la définition élémentaire de l’échange. Il faut égaler objet à objet, de telle façon que, tout ce que l’un a reçu en plus en prenant sur ce qui est à l’autre, il le lui restitue en égale quantité. Et ainsi l’égalité s’établit selon une moyenne arithmétique que fixe un excédent quantitatif égal : ainsi, 5 est le milieu entre 6 et 4 ; il dépasse l’un des deux nombres d’une unité et est dépassé par l’autre d’autant. Si donc, avant tout échange, les deux parties avaient 5 et que l’une d’elles reçoit 1 de ce qui appartient à l’autre, elle aura 6 et il ne restera à l’autre que 4. Pour revenir au juste milieu, il faudra, en justice, que la partie qui a 6 donne 1 à celle qui a 4 ; en effet, l’une et l’autre auront ainsi 5 qui est le milieu.

Solutions :

1. Dans les autres vertus, le milieu est déterminé selon la raison, et non pas selon la réalité objective. Mais, dans la vertu de justice, il est fixé objectivement le juste milieu varie avec les objets.

2. La forme générale de la justice est l’égalité, pour la justice distributive comme pour la justice commutative ; mais dans la première elle s’établit selon une proportionnalité géométrique ; dans 1 seconde, selon une proportionnalité arithmétique.

3. Dans les actions et les passions, la condition de la personne est un élément de la valeur quantitative de la chose considérée objectivement ; l’offense est plus grave si l’on frappe le prince que si l’on frappe une personne privée. Et ainsi la condition d la personne est considérée en soi, par la justice distributive ; et par la justice commutative, dans la mesure où elle est cause de distinctions réelles.

 

 

            Article 3 — La justice distributive et la justice commutative ont-elles la même matière, ou une matière multiple ?

Objections :

1. Il semble que la matière de ce deux justices ne soit pas différente. En effet, un diversité de matière fait une diversité de vertu c’est évident pour la tempérance et la force. Donc, si la matière de la justice distributive est différente de la matière de la justice commutative, il semble qu’elles ne pourront appartenir à la même vertu de justice.

2. La distribution qui concerne la justice distributive “ a pour objet l’argent ou l’honneur, ou tout autre bien pouvant être réparti entre les membres d’une communauté ”, dit Aristote. C’est donc bien un échange réciproque entre personnes, qui relève de la justice distributive. Donc ces deux justices ont une matière identique.

3. Supposons que la matière de la justice distributive soit autre que celle de la justice commutative ; cette différence de matière causera une différence spécifique ; donc, là où il n’y aura pas de différence spécifique, il n’y aura pas de différence de matière. Or le Philosophe pose une seule espèce de justice commutative, dont la matière est pourtant multiple. Il semble donc que ces deux espèces de justice ont la même matière.

En sens contraire, Aristote l’affirme : “ Une espèce de justice règle les distributions ; une autre, les échanges. ”

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, la justice concerne les œuvres extérieures, c’est-à-dire la répartition et l’échange qui sont un usage de réalités extérieures : biens, personnes, ou même actions. Un usage de biens, quand par exemple on prend ou on rend à quelqu’un un objet lui appartenant ; de personnes, lorsqu’on commet une injustice contre la personne même d’un homme, en le frappant ou en l’injuriant, ou bien encore quand on lui rend des marques extérieures de respect ; d’actions enfin, si quelqu’un en exige d’autrui à juste titre, ou lui rend un service. Donc, si nous prenons comme matière de l’une ou l’autre justice tout ce dont l’usage est une activité externe, la justice distributive et la justice commutative ont la même matière ; car ces biens peuvent être, ou retirés d’un ensemble commun pour être distribués à des personnes privées, ou être échangés de l’une à l’autre ; il y a aussi une certaine distribution, et un certain échange compensatoire de travaux pénibles.

Mais si nous prenons comme matière, dans chacune de ces deux justices, les actes principaux eux-mêmes par quoi nous faisons usage des personnes, des biens ou des actions, nous devons distinguer deux matières, car la justice distributive règle la répartition, et la justice commutative les échanges entre deux individus.

De ces échanges, les uns sont involontaires, les autres volontaires. Ils sont involontaires quand quelqu’un se sert du bien, de la personne ou d l’action d’un autre contre son gré, ce qui peut s faire, soit secrètement par fraude, soit au grand jour par violence ; et cet abus peut avoir pour objet un bien, une personne libre, ou une personne lié à une autre. Un bien : Si quelqu’un prend le bien d’autrui en se cachant, il y a vol ; s’il le prend a grand jour, il y a rapine. Une personne libre, alors deux cas sont à distinguer : La personne est lésée dans son existence même, ou dans sa dignité. Dans son existence, elle peut être attaquée par quelqu’un qui en se cachant la tue, la frappe, ou lui donne du poison ; ou qui, au grand jour, la tue, l’emprisonne, la frappe, ou la mutile. Dans sa dignité, quelqu’un peut être lésé de façon occulte, par de faux témoignages, des médisances qui ternissent sa réputation, ou d’autres procédés du même genre ; ou bien au grand jour, par une accusation devant les tribunaux ou une attaque injurieuse. Si l’injustice atteint une personne liée à une autre : On peut être lésé dans son épouse, et la plupart du temps, secrètement, par l’adultère ; ou dans un serviteur quand quelqu’un le débauche pour qu’il quitte son maître ; et tout cela peut aussi se faire au grand jour. Il en va de même des autres personnes conjointes à l’égard desquelles des injustices peuvent aussi être commises de toutes manières, comme à l’égard de la personne dont elles dépendent. Cependant l’adultère et le débauchage du serviteur sont proprement des injustices vis-à-vis de ces personnes. Remarquons que le serviteur étant une sorte de propriété, cette faute contre la justice se rattache au vol.

Les échanges sont appelés volontaires quand quelqu’un transfère volontairement sa propriété à autrui. Si le bien est transféré à titre gratuit, comme dans la donation, ce n’est pas un acte de justice, mais de libéralité. Le transfert volontaire d’une propriété concerne la justice dans la mesure où il soulève une question de dette. Ce qui peut arriver de trois manières : 1° Quelqu’un transmet simplement sa propriété à un autre en compensation de la propriété d’autrui : c’est le cas de l’achat et de la vente - 2° Quelqu’un cède sa propriété à autrui en lui concédant l’usage de ce bien, à charge pour le cessionnaire de le rendre. Si cet usage est concédé gratuitement, il s’appelle usufruit pour tout ce qui peut produire un fruit ; prêt ou avance pour tout ce qui est incapable d’en donner, comme l’argent, les instruments, etc. Si l’usage n’est pas gratuit, on a une location ou un bail. - 3° Quelqu’un confie une propriété avec l’intention de la reprendre, et non pas à fin d’usage mais à fin de conservation, comme lorsqu’on met son bien en gage, ou lorsqu’on se porte caution pour un autre.

Dans tous les actes de cette sorte, volontaires ou involontaires, le juste milieu se détermine de la même manière : l’égalité de la compensation ; et c’est pourquoi toutes ces actions relèvent d’une seule espèce de justice : la justice commutatives. Et cette Réponse résout les objections.

 

 

            Article 4 — Dans quelques-unes de ses espèces, la justice s’identifie-t-elle à la réciprocité ?

Objections :

1. Il semble bien, car le jugement divin est la justice même ; or, c’est une formule du jugement divin, que l’on doit souffrir ce qu’on a fait endurer. Nous lisons en S. Matthieu (7, 2) : “ On vous jugera du jugement dont vous aurez jugé, on vous mesurera avec la mesure dont vous aurez mesuré. ” Donc la justice consiste simplement dans la réciprocité.

2. Dans l’une et l’autre espèces de justice, la rétribution suit une certaine règle d’égalité ; eu égard à la dignité de la personne, dans la justice distributive, et cette dignité doit être déterminée surtout par les services rendus à la communauté ; dans la justice commutative cette égalité est calculée d’après ce que l’on a subi. Dans l’un et l’autre cas, par conséquent, on supporte, par voie de réciprocité, tout ce que l’on a fait.

3. Surtout, il semble qu’il ne faudrait pas qu’un coupable ait à supporter le mal qu’il a fait sans qu’il soit tenu compte d’aucune différence entre le volontaire et l’involontaire : en effet, celui qui commet une injustice involontairement est moins puni. Or le volontaire et l’involontaire, qui viennent de nous, ne changent pas le juste milieu de la justice, qui est fixé objectivement et non subjectivement. Donc la justice semble être absolument identique à la réciprocité.

En sens contraire, le Philosophe prouve que la justice ne s’identifie pas toujours à la réciprocité.

Réponse :

La réciprocité implique la compensation exacte de ce qu’on a subi, par rapport à l’action antérieure. Elle s’applique très proprement à ces cas d’injustice où quelqu’un lèse la personne de son prochain ; il le frappe : qu’il soit frappé. La législation mosaïque proclame la justice de ce principe : on lit en effet dans l’Exode (21, 23) : “ Vie pour vie, œil pour œil, etc. ” Et parce que prendre le bien d’autrui, c’est encore accomplir une action, on peut là encore parler de réciprocité : celui qui a causé un dommage à autrui doit subir un dommage dans ses propres biens. Et la justice de cette peine se trouve aussi dans la loi de Moïse (Ex 22, 1) : “ Si un homme a volé un bœuf ou une brebis, et qu’il l’ait tué ou vendu, il rendra cinq bœufs pour un bœuf, et quatre brebis pour une brebis. ” Enfin, ce terme de réciprocité peut s’appliquer encore dans les cas d’échange volontaire, où il y a action et passion des deux côtés ; mais alors le caractère volontaire diminue le caractère de passion, comme nous l’avons dit.

En tout cela, le principe de la justice commutative exige une égalité de compensation : il faut que la passion subie soit compensée exactement par l’action. Mais cette égalité ne serait pas toujours réalisée si un coupable avait à subir une souffrance spécifiquement semblable à celle qu’il a causée. Ainsi, quelqu’un qui blesse injustement une personne plus élevée que lui, commet une action plus grave que ne serait la punition par laquelle il souffrirait la même douleur. C’est pourquoi celui qui frappe le prince n’est pas seulement frappé : il est châtié beaucoup plus sévèrement. Pareillement, lorsqu’on inflige à quelqu’un un tort involontaire dans ses biens, l’action est plus grave que la passion de même espèce que le coupable aurait à subir lui-même ; car celui qui a fait du tort à autrui n’en subirait aucun dans son propre bien. C’est pourquoi il est puni en restituant davantage, parce qu’il n’a pas fait tort seulement à un individu, mais à l’autorité publique en détruisant la sécurité qu’elle est chargée d’assurer. De même encore, dans les échanges volontaires, la parfaite égalité ne serait pas réalisée toujours si quelqu’un transmettait son bien en retour du bien d’autrui parce que ce bien peut être plus considérable que le sien. Et c’est pourquoi il faut, dans tous les échanges, que ce que l’on reçoit soit égal, suivant une mesure proportionnelle, à ce que l’on a donné. La monnaie a été inventée à cette fin. Ainsi, la réciprocité est un principe exact de justice commutative.

Dans la justice distributive, au contraire, la loi de réciprocité n’a pas sa raison d’être ; il n’y est pas question, en effet, d’une égalité proportionnelle entre un bien et un autre, ou entre une passion et une action, mais entre les biens et la personne, nous l’avons dit.

Solutions :

1. Cette formule de jugement divin est à entendre dans un sens de justice commutative, en tant qu’elle égale les récompenses aux mérites, et les supplices aux péchés.

2. Si l’on accordait à celui qui a rendu service à la communauté une rétribution pour le service rendu, celle-ci relèverait de la justice commutative, et non de la justice distributive. La question qui se pose en justice distributive n’est pas celle de l’égalité à réaliser entre ce que quelqu’un reçoit pour ce qu’il a dépensé, mais pour ce que l’autre a reçu selon la situation des deux personnes.

3. Quand l’injustice est volontaire, elle est plus grave, et ainsi elle peut être considérée comme d’un montant plus élevé ; il faut donc qu’un châtiment plus sévère vienne la compenser ; mais la différence est prise dans les biens en question, et non par rapport à nous, objectivement et non subjectivement.

 

 

QUESTION 62 — LA RESTITUTION

1. De quelle vertu est-elle l’acte ? - 2. Est-il nécessaire au salut de restituer tout ce qu’on a dérobé ? - 3. Faut-il restituer plus que ce que l’on a pris ? - 4. Faut-il restituer ce que l’on n’a pas pris ? - 5. Faut-il restituer à celui de qui l’on a reçu ? - 6. Est-ce celui qui a pris qui doit restituer ? - 7. Est-ce quelqu’un d’autre ? - 8. Faut-il restituer sans délai ?

 

 

            Article 1 — De quelle vertu la restitution est-elle l’acte ?

Objections :

1. Il semble que la restitution ne soit pas l’acte de la justice commutative. En effet l’objet de la justice est le dû. Or, on peut faire donation de ce qu’on ne doit pas, et il en est de même pour la restitution. Donc, la restitution n’est l’acte d’aucune partie de la justice.

2. Ce qui est passé et n’existe plus ne peut être restitué ; or la justice et l’injustice ont pour objet des actions et des passions qui ne demeurent pas, mais qui passent. Donc la restitution n’est pas un acte de la vertu de justice.

3. La restitution est une compensation de ce qui a été soustrait. Mais on peut soustraire quelque chose à quelqu’un, non seulement dans les échanges, mais aussi dans les distributions ; par exemple, quand quelqu’un en distribuant des biens donne à l’un des bénéficiaires moins qu’il ne devrait avoir. Donc la restitution n’est pas plus un acte de la justice commutative que de la justice distributive.

En sens contraire, la restitution s’oppose à la soustraction ; mais la soustraction du bien d’autrui est un acte d’injustice commis dans un échange. Donc la restitution est un acte de cette justice qui règle les échanges.

Réponse :

Restituer ne paraît être rien d’autre que d’établir à nouveau quelqu’un dans la possession ou la maîtrise de son bien. Et ainsi on vise dans la restitution une égalité de justice commutative. La restitution est donc un acte de la justice commutative, que le bien de l’autre soit acquis conformément à sa volonté, comme dans l’échange ou le dépôt, ou contrairement à elle, comme dans le vol ou la rapine.

Solutions :

1. Ce qui n’est pas dû à quelqu’un qu’il ait pu l’être auparavant. Et c’est pourquoi il semble qu’il y ait une nouvelle donation plutôt qu’une restitution, quand on rend à autrui quelque chose qu’on ne lui doit pas. Il demeure cependant une certaine ressemblance avec la restitution, parce que la chose est matériellement la même. Cependant elle ne l’est pas au point de vue formel que considère la justice, c’est-à-dire d’appartenir à quelqu’un : on ne peut donc pas l’appeler proprement une restitution.

2. Le mot de restitution, en tant qu’il implique une reprise, suppose une identité d’objet. C’est pourquoi, dans le sens premier du mot, la restitution semble s’appliquer surtout aux choses extérieures, du fait que leur substance et le droit de les posséder demeurent les mêmes, si bien qu’elles peuvent passer de l’un à l’autre. Mais le mot d’échange, tout d’abord réservé aux seuls biens de ce genre, a été transféré ensuite aux actions et aux passions qui ont trait au respect ou au mépris d’une personne, à son préjudice ou à son avantage ; de même, le mot de restitution s’est appliqué en un sens dérivé à des choses qui ne demeurent que dans leurs effets, et non dans leur substance ; ces effets peuvent d’ailleurs être corporels, comme, par exemple, quand on a blessé quelqu’un en le frappant, ou encore ils peuvent rester dans l’opinion humaine, par exemple, quand quelqu’un demeure noté d’infamie, ou diminué par une parole déshonorante.

3. La compensation accordée par celui qui distribue à celui à qui ü a donné moins que son dû est déterminée par une comparaison entre les biens : plus il y a d’écart entre ce qu’il a reçu et ce qui lui était dû, plus il doit recevoir. Aussi est-ce du ressort de la justice commutatives.

 

 

            Article 2 — Est-il nécessaire au salut de restituer tout ce que l’on a dérobé ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car ce qui est impossible n’est pas nécessaire au salut. Or il est quelquefois impossible de restituer ce qu’on a dérobé : dans le cas par exemple où l’on a enlevé un membre, ou même la vie à autrui. Donc il ne paraît pas être nécessaire au salut de restituer ce que l’on a dérobé.

2. Commettre un péché n’est pas nécessaire au salut : car alors, on serait acculé au péché. Or parfois la chose soustraite ne peut être restituée sans péché, par exemple dans le cas où l’on a diffamé autrui en disant la vérité. Donc restituer ce qu’on a soustrait n’est pas nécessaire au salut.

3. Rien ne peut empêcher que ce qui a été fait ne l’ait été ; or il arrive parfois qu’une personne ait perdu l’honneur par des critiques injustes. On ne peut donc pas lui rendre ce qu’elle a perdu, et ainsi, il n’est pas nécessaire au salut de restituer ce qu’on a soustrait.

4. Empêcher autrui d’acquérir un bien est identique à le lui enlever, parce que, dit le Philosophe : “ Un léger dommage apparaît comme un rien. ” Mais celui qui empêche autrui d’acquérir une prébende, ou quelque autre avantage, ne peut être tenu à la restituer parce que, le plus souvent, il ne le pourra pas ; donc il n’est pas nécessaire au salut de restituer ce qu’on a dérobé.

En sens contraire, S. Augustin affirme : “ Si le bien d’autrui, objet du péché, peut être rendu et ne l’est pas, la pénitence n’est pas réelle, mais simulée ; mais si elle est véritable, le péché n’est pas remis sans restitution, à condition, comme je l’ai dit, que celle-ci soit possible4. ”

Réponse :

La restitution, on vient de le dire, est un acte de la justice commutative qui consiste en une certaine égalité. La restitution exige donc la remise de ce bien qui avait été injustement pris ; c’est ainsi que l’égalité se rétablit par cette remise. Mais si la prise a été juste, l’inégalité viendra de la restitution, parce que la justice consiste dans l’égalité. Puisqu’il est nécessaire au salut d’observer la justice, il s’ensuit qu’il est nécessaire au salut de restituer ce qui a été soustrait injustement à autrui.

Solutions :

1. Quand il est impossible de faire la compensation exacte, il faut la faire le mieux qu’on peut ; le Philosophe e nous dit la même chose au sujet “ des honneurs dus à Dieu et aux parents ”. C’est pourquoi, quand ce qui a été enlevé n’est pas restituable du fait qu’on ne peut rendre rien d’égal, on doit compenser le dommage causé, autant que c’est possible. Si quelqu’un a enlevé un membre à autrui, il doit, en compensation, lui remettre de l’argent, ou lui rendre des honneurs, selon la situation sociale respective du coupable et de la victime, selon l’arbitrage d’un bon juge.

2. On peut dérober à quelqu’un sa réputation de trois façons : l) En disant le vrai selon la justice, par exemple quand on dévoile un crime en observant les règles établies. Et dans ce cas on n’est pas tenu à réhabiliter cette réputation. - 2) En disant le faux, et injustement. On est tenu alors de restituer en avouant qu’on a accusé faussement. - 3) En disant la vérité, mais sans respecter la justice, par exemple quand on dévoile un crime, sans observer les règles du droit. On est alors tenu de restituer cette réputation, mais sans mentir : en disant, par exemple, qu’on s’est mal exprimé, ou que la diffamation a été injuste. Enfin, si la réputation atteinte ne peut pas être réhabilitée, on doit compenser de la façon qu’on a dite ci-dessus.

3. On ne peut faire qu’un outrage qui a été porté contre autrui ne l’ait pas été. Mais son effet : le tort fait à la dignité de la personne dans l’opinion publique, peut être réparé par des marques extérieures de respect.

4. On peut empêcher autrui d’acquérir une prébende de multiples façons. 1° A juste titre c’est le cas par exemple où la recherche de l’honneur de Dieu ou de l’utilité de l’Église nous pousse à la faire donner à une personne plus digne de la posséder ; et alors il ne peut être question ni de restitution, ni de compensation. 2° Injustement, quand on cherche à nuire par haine, par vengeance, etc., à celui qu’on veut écarter. Et ici encore une distinction doit être faite : si l’on a empêché le plus digne d’obtenir la prébende, en conseillant de la donner à un autre, avant qu’il ait été désigné définitivement, on est tenu à une certaine compensation, en rapport avec les conditions des personnes et l’état de l’affaire, au jugement d’un expert ; mais on n’est pas tenu à rendre autant, parce que le candidat n’était pas encore nommé et que bien des empêchements pouvaient survenir. Mais au cas où l’on aurait obtenu indûment la révocation du titulaire, c’est comme si on lui avait enlevé ce qui lui appartenait. On est donc tenu à une restitution égale, du moins selon qu’on en est capable.

 

 

            Article 3 — Faut-il restituer plus que ce que l’on a pris ?

Objections :

1. Il apparaît qu’il ne suffit pas de restituer seulement ce qu’on a pris injustement, car il est écrit dans l’Exode (22, 1) : “ Si un homme a volé un bœuf ou une brebis, et qu’il l’a tué ou vendu, il rendra cinq bœufs pour un, et quatre brebis pour une. ” Or on est tenu d’obéir au commandement divin ; donc le voleur est tenu de restituer le quadruple ou le quintuple.

2. Dans l’épître aux Romains (15, 4), l’Apôtre nous dit : “ Tout ce qui a été écrit a été écrit pour notre instruction. ” Or dans l’évangile selon S. Luc (19, 8), Zachée dit au Seigneur : “ Si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rendrai le quadruple. ” Donc on doit, dans la restitution, multiplier la valeur de ce qu’on a pris injustement.

3. Il ne peut pas être juste d’enlever à quelqu’un ce qu’il ne doit pas donner. Mais le juge enlève au voleur, pour le châtier, plus qu’il n’a volé, donc tout homme doit s’acquitter de même, et il n’est pas suffisant de rendre seulement ce qu’on a pris.

En sens contraire, la restitution ramène à l’égalité l’inégalité causée par le vol. Or en restituant simplement ce qu’on a dérobé, on ramène cette égalité. On n’est donc tenu qu’à restituer autant qu’on a pris.

Réponse :

Prendre injustement à autrui a deux conséquences. L’une est une inégalité dans les biens, et celle-ci peut même exister sans injustice, comme dans les échanges mutuels. L’autre, c’est la faute d’injustice, qui peut même exister en gardant objectivement l’égalité, comme dans le cas où l’on veut faire violence, mais sans succès la réparation de la première conséquence est assurée par la restitution qui rétablit l’égalité, et il suffit pour y parvenir que l’on rende seulement ce qu’on a dérobé. Mais pour effacer la faute, il faut un châtiment qu’il appartient au juge d’infliger. C’est pourquoi, tant qu’on n’a pas été condamné par le juge, on n’est pas tenu de restituer plus qu’on n’a pris. Mais une fois condamné, on doit subir la peine.

Solutions :

1. Cela répond clairement à la première objection : c’est la loi qui détermine la peine que doit infliger le juge. Bien que depuis l’avènement du Christ, les préceptes judiciaires de l’ancienne loi n’obligent plus personne, comme on l’a dit précédemment il peut se faire pourtant que la loi humaine porte un jugement identique ou semblable sur les mêmes questions.

2. Zachée parle en homme qui veut faire plus que son devoir ; il avait dit auparavant : “ Je donne la moitié de mes biens aux pauvres. ”

3. Le juge peut, en guise de châtiment, exiger quelque chose de plus que ce qui a été volé ; mais avant la condamnation, ce surplus n’était pas dû.

 

 

            Article 4 — Faut-il restituer ce que l’on n’a pas dérobé ?

Objections :

1. Il semble que certains doivent restituer ce qu’ils n’ont pas dérobé. En effet, celui qui cause du tort à quelqu’un est tenu de réparer le dommage. Mais parfois le dommage causé à autrui dépasse de beaucoup le profit qu’on en a tiré ; par exemple, arracher les semences détruit toute la future récolte ; ainsi le coupable semble tenu à la restituer. Donc il est tenu de rendre ce qu’il n’a pas pris.

2. Le débiteur qui retient l’argent de son créancier au-delà du terme fixé lui fait tort de tout ce qu’il aurait pu gagner avec cet argent. Cependant lui-même n’a pas dérobé ce profit. Donc il semble bien qu’on peut être tenu de rendre ce qu’on n’a pas pris.

3. La justice humaine découle de la justice divine ; or il faut rendre à Dieu plus qu’on n’a reçu de lui, selon S. Matthieu (25, 26) : “ Tu savais que je moissonne où je n’ai, pas semé, et que je ramasse où je n’ai rien répandu. ” Il est donc juste qu’on restitue aussi à autrui quelque chose qu’on n’a pas reçu.

En sens contraire, la compensation réclamée par la justice a pour but de rétablir l’égalité. Or restituer ce qu’on n’a pas reçu n’y aboutit pas ; donc une telle restitution n’est pas réclamée par la justice.

Réponse :

Celui qui a causé à autrui un dommage semble lui prendre le montant de ce dommage. Or, il y a dommage quand quelqu’un a moins qu’il ne devrait avoir, dit le Philosophe. D’où il suit que l’on est tenu de restituer ce dont on a fait tort à autrui. Mais il y a deux façons de causer du dommage à son prochain. 1° En lui enlevant ce qu’il avait effectivement ; et en ce cas il faut réparer en restituant exactement ce qu’on a pris ; par exemple si quelqu’un a fait tort à autrui en détruisant sa maison, il doit lui rendre la valeur de cette maison. 2° On fait tort à son prochain en l’empêchant de recueillir ce qu’il était en voie de posséder. Et alors la compensation n’a pas à se fonder sur l’égalité. Parce qu’une possession virtuelle est inférieure à une possession actuelle. Être en voie d’acquérir un bien ne vous rend maître de ce bien qu’en puissance ou virtuellement. Or, rendre, en compensation, un bien dont on jouirait immédiatement, ce serait rendre plus qu’on n’a dérobé, ce qui n’est pas nécessaire à la juste restitution, comme on vient de le dire. On est cependant tenu à une compensation selon la condition des personnes et des affaires.

Solutions :

1 et 2. La réponse est évidente par ce que nous avons dit. Celui qui sème n’a pas encore effectivement la moisson ; il ne la possède qu’en puissance ; de même, celui qui a l’argent n’en a le profit qu’en puissance ; l’un et l’autre peuvent rencontrer toute sorte d’obstacles.

3. Dieu ne réclame rien de l’homme, si ce n’est le bien dont lui-même a mis la semence en nous. Il faut interpréter ce qu’il nous dit ici comme se rapportant au jugement faux du mauvais serviteur qui estime qu’il n’a rien reçu ; ou encore comme nous rappelant que Dieu réclame de nous les fruits de ses dons, fruits qui viennent de lui et de nous, bien que les dons viennent de Dieu sans nous.

 

 

            Article 5 — Faut-il restituer à celui de qui l’on a reçu ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne faut pas toujours restituer à celui dont on a reçu quelque chose. En effet, nous ne devons nuire à personne. Or il arriverait parfois qu’on nuirait à quelqu’un en lui rendant ce qu’on a reçu de lui, et même qu’on ferait tort aux autres, par exemple en rendant à un furieux l’épée qu’il nous aurait confiée. Donc on n’est pas toujours tenu de restituer à celui de qui l’on a reçu.

2. Celui qui a donné une chose illicitement ne mérite pas de la récupérer. Mais quelquefois le donateur et le bénéficiaire agissent illicitement ; cela est évident dans le cas de simonie. Donc on ne doit pas toujours restituer à celui qui a donné.

3. A l’impossible nul n’est tenu. Mais il est parfois impossible de rendre à celui qui vous a donné, soit parce qu’il est mort, soit parce qu’il est trop loin, soit parce qu’il est inconnu. La restitution ne doit donc pas toujours être faite à celui de qui l’on a reçu.

4. Il faut rendre davantage à celui dont on a reçu plus de bienfaits. Mais on reçoit plus de certaines personnes, par exemple de ses parents, que de quelqu’un qui vous consent un emprunt ou un dépôt. Donc on doit d’abord subvenir aux besoins d’autres personnes, plutôt que de restituer à un créancier.

5. Il est vain de restituer d’une main ce qui vous est restitué dans l’autre. Or si un prélat a soustrait injustement quelque chose à son église, et qu’il le lui restitue, en définitive cela lui revient, puisqu’il est l’administrateur de l’église. Donc il n’est pas obligé de restituer. Par conséquent, on n’est pas toujours tenu de restituer à celui à qui on a dérobé.

En sens contraire, il est dit dans l’épître aux Romains (13, 7) : “ Rendez à chacun ce que vous lui devez : l’impôt à qui vous devez l’impôt ; à qui les taxes, les taxes. ”

Réponse :

La restitution établit l’égalité exigée par la justice commutative, qui consiste en une certaine proportion entre les biens, nous l’avons dit. Or cette proportion objective ne pourrait se réaliser si celui qui a moins que son dû ne recevait pas ce qui lui manque. Or il est nécessaire, pour qu’il le reçoive, que la restitution lui en soit faite.

Solutions :

1. Quand la chose à restituer doit être gravement nuisible à celui à qui il faut la restituer, ou à un autre, on ne doit pas la rendre, parce que le but d’une restitution est l’utilité de celui à qui on restitue ; en effet, la raison d’être de toute possession est son utilité. Cependant, celui qui détient le bien d’autrui ne doit pas se l’approprier ; mais il doit, ou le conserver pour le restituer en temps opportun, ou même le transférer pour mieux le conserver.

2. On donne illicitement de deux façons. 1° Parce que la donation elle-même est illicite et contraire à la loi ; c’est le cas quand elle est simoniaque. Le donateur mérite alors de perdre ce qu’il a donné ; et l’on ne doit rien lui en restituer. Quant au donataire, il a reçu un bien contrairement à la loi ; il ne doit pas le garder pour son usage, mais l’employer à des œuvres pieuses. 2° On donne illicitement lorsque la cause de la donation est illicite, quoique la donation elle-même ne le soit pas : par exemple, quand on donne à une prostituée pour la fornication. La femme peut, en ce cas, garder ce qui lui a été donné, mais si, par fraude ou par tromperie, elle a extorqué quelque chose de plus, elle doit le restituer.

3. Si le bénéficiaire de la restitution est complètement inconnu, il faut restituer comme on peut, par exemple en faisant des aumônes pour son salut, qu’il soit mort ou vivant. Cependant, il faut d’abord faire toutes les recherches possibles, pour retrouver l’intéressé. - S’il est mort, il faut restituer à son héritier qui doit être considéré comme ne faisant qu’une seule personne avec lui. - Enfin s’il est très loin, ce qui lui est dû doit lui être transmis, surtout si c’est un bien de grande valeur et facilement transportable. Autrement, il faut le mettre en lieu sûr et en aviser son propriétaire.

4. On doit employer ses biens propres plutôt à s’acquitter envers ses parents, ou ceux dont on a reçu le plus de bienfaits. Mais on ne doit pas rembourser un bienfaiteur avec le bien d’autrui ; et c’est ce que l’on ferait si l’on restituait à l’un ce qu’on doit à l’autre. Pourtant, en cas d’extrême nécessité, on pourrait et on devrait même prendre à autrui pour subvenir aux besoins de ses propres parents.

5. Un prélat peut dérober les biens d’une église de trois manières. 1° En usurpant à son profit un bien qui ne lui est pas destiné ; par exemple, si un évêque s’appropriait les biens du chapitre. Et alors il est clair qu’il doit restituer en remettant ce qu’il a détourné entre les mains de ceux qui en sont de droit les bénéficiaires. - 2° En transférant à un autre un bien d’une église confiée à sa garde ; et alors il doit le restituer à l’église, et prendre soin qu’il parvienne à son successeur. - 3° Enfin, un prélat peut soustraire du bien de son église en esprit seulement, quand il commence à avoir une âme de propriétaire, à le posséder comme le sien, et non plus comme celui de l’église. Et il doit restituer en quittant un tel état d’esprit.

 

 

            Article 6 — Est-ce celui qui a pris qui doit restituer ?

Objections :

1. Il semble que celui qui a pris n’est pas toujours tenu de restituer. En effet, la restitution rétablit la juste égalité qui consiste à ôter à celui qui possède davantage, pour donner à celui qui a moins. Mais il arrive parfois que le voleur ne possède pas ce bien qui passe dans les mains d’un autre. Ce n’est donc pas celui qui l’a pris qui doit restituer, mais celui qui le détient.

2. Nul n’est tenu de déclarer sa faute. Mais parfois en restituant, on découvre sa faute ; c’est évident en cas de vol. Donc celui qui a dérobé n’est pas toujours tenu de restituer.

3. Il n’y a pas lieu de restituer plusieurs fois la même chose. Or quelquefois on s’est mis à plusieurs pour voler, et l’un des coupables a restitué intégralement. Donc celui qui a profité du vol n’est pas toujours tenu de restituer.

En sens contraire, celui qui a péché est tenu de satisfaire. Mais la restitution relève de la réparation. Donc le voleur doit restituer.

Réponse :

Il y a lieu de considérer deux choses concernant celui qui a reçu le bien d’autrui : ce qu’il a reçu et la manière dont il l’a reçu. En raison de ce bien, on est tenu de le restituer du moment qu’on l’a encore en sa possession. Le principe de la justice commutative exige en effet que celui qui possède plus que son bien propre le rende à celui qui a été frustré. Mais on peut avoir pris ce bien d’autrui de trois façons : 1° Parfois c’est injuste parce que contraire à la volonté du propriétaire : c’est évident pour le vol ou la rapine. Et alors la restitution est obligatoire, que l’on considère ce bien en lui-même, ou l’action injuste par laquelle on se l’est approprié ; le voleur doit restituer, même si le bien volé n’est pas demeuré en sa possession. Comme celui qui a frappé autrui est tenu de réparer l’injustice subie, quoique lui-même n’y ait rien gagné, de même le voleur ou le pillard est tenu de compenser le tort qu’il a causé, même s’il n’en a rien tiré ; et de plus, il doit subir un châtiment pour l’injustice commise. - 2° On reçoit le bien d’autrui et l’on en dispose, mais sans injustice, c’est-à-dire avec l’agrément du propriétaire de ce bien ; c’est le cas des emprunts. Le bénéficiaire est tenu à restitution, que l’on considère le bien en lui-même, ou la façon de le prendre, même s’il a tout perdu. Il doit en effet reconnaître l’obligeance gratuite dont il a été l’objet, ce qu’il ne ferait pas si le donateur en subissait un dommage. - 3° On peut enfin recevoir le bien d’autrui sans injustice, mais sans pouvoir l’utiliser ; c’est le cas des dépôts. Du fait qu’il a reçu ce bien, le dépositaire n’est tenu à rien ; au contraire, puisqu’il rend service en le recevant. Mais il est tenu en raison du bien confié. C’est pourquoi si le dépôt lui est soustrait sans qu’il y ait de sa faute, il n’est pas tenu à restitution ; au cas contraire, il le serait s’il avait perdu le dépôt par une faute grave.

Solutions :

1. Le but principal de la restitution n’est pas d’enlever son surplus à celui qui possède plus que son dû ; mais de donner ce qui lui manque à celui qui a moins. C’est pourquoi il ne peut pas être question de restitution à propos de ce que l’on reçoit d’autrui sans lui causer de préjudice ; par exemple quand on prend de la lumière à la chandelle d’autrui. Et c’est pourquoi, quand même celui qui a dérobé à autrui n’a plus le bien qu’il a pris, parce qu’il l’a transmis à un autre, il est pourtant tenu à restitution, parce que l’autre a été frustré de son bien ; celui qui a dérobé y est obligé, à cause de son acte injuste ; celui qui possède ce bien, à cause de ce bien lui-même.

2. Bien qu’on ne soit pas obligé de découvrir sa faute aux hommes, on est tenu de la découvrir à Dieu en confession. Et ainsi, on peut restituer à autrui son bien, par l’intermédiaire du prêtre à qui l’on s’est confessé.

3. Le but principal de la restitution est la réparation du dommage causé au propriétaire injustement dépouillé ; c’est pourquoi, lorsqu’une restitution suffisante a été faite par l’un des coupables, les autres ne sont pas tenus de la renouveler, mais plutôt de rendre à celui qui a restitué ; celui-ci peut d’ailleurs leur en faire cadeau.

 

 

            Article 7 — Est-ce quelqu’un d’autre qui doit restituer ?

Objections :

1. Il semble que ceux qui n’ont rien pris ne sont pas tenus de restituer. En effet, la restitution est le châtiment de celui qui a volé. Or on ne doit être puni que si l’on a péché. Donc personne ne doit restituer, sinon celui qui a volé.

2. La justice n’oblige personne à augmenter le bien d’autrui. Or, si étaient tenus à restitution, non seulement celui qui a pris, mais encore ceux qui ont coopéré de quelque façon, cela accroîtrait les biens de celui à qui l’on a dérobé quelque chose ; soit parce que la restitution serait faite plusieurs fois, soit encore parce que l’on coopère à une soustraction de biens qui n’aboutit pas. Donc les autres ne sont pas tenus à restituer.

3. Nul n’est obligé de s’exposer à un péril pour sauver le bien d’autrui ; or quelquefois, en dénonçant un voleur, ou en lui résistant, on s’expose au danger de mort. On ne peut donc être tenu à restitution pour n’avoir pas dénoncé un voleur, ou ne pas lui avoir résisté.

En sens contraire, il est dit dans l’épître aux Romains (1, 32) : “ Sont dignes de mort non seulement les auteurs de pareilles actions, mais encore ceux qui approuvent ceux qui les commettent. ” Donc, au même titre, ceux qui approuvent le vol doivent restituer.

Réponse :

On est tenu à restitution non seulement, comme on vient de le voir, en raison du bien d’autrui dont on s’est emparé, mais encore en raison de cette prise injuste. Donc, tous ceux qui en sont la cause sont tenus de restituer. Or on peut l’être de deux manières : directement ou indirectement. Directement, quand on pousse quelqu’un à s’emparer du bien d’autrui. Et cela peut se faire de trois façons. D’abord en poussant à prendre, en le prescrivant, en le conseillant, en y consentant expressément et en félicitant le voleur de son habileté. Ensuite, du côté de celui qui prend, parce qu’on lui donne asile, ou qu’on l’aide de quelque manière. Enfin, du côté du bien qui est pris, en participant au vol ou à la rapine, comme complice du méfait. On participe au vol indirectement, en n’empêchant pas ce qu’on pourrait et devrait empêcher : soit en dissimulant l’ordre ou le conseil qui empêcherait le vol ou la rapine, soit en refusant un secours qui pourrait y mettre obstacle, soit en tenant secret le fait accompli. Toutes causes énumérées dans ces vers : “ Ordre, Conseil, Consentement, Flatterie, Recours, Participant, Muet, Ne s’opposant pas, Ne dénonçant pas ”.

Cinq de ces causes obligent à restitution 1° L’ordre, car celui qui ordonne est le principal moteur ; aussi est-il tenu principalement à restitution. 2° Le consentement, si la rapine n’avait pu se commettre sans lui. 3° Le recours, quand on reçoit des voleurs et qu’on les protège. 4° La participation, quand on participe à un vol ou à un pillage. 5° Est tenu à restitution celui qui ne s’oppose pas au vol quand il y est tenu, comme les princes qui sont tenus de maintenir la justice sur la terre. Si, par leur négligence, les vols se multiplient, ils sont tenus à restitution. Car leurs revenus sont comme un salaire institué pour qu’ils maintiennent sur terre la justice.

Dans les autres cas énumérés, la restitution n’est pas toujours obligatoire. Le conseil, la flatterie, etc., ne sont pas toujours une cause effective de rapine. Le conseiller ou le flatteur n’est tenu à restituer que s’il peut estimer avec probabilité que l’acquisition injuste a découlé d’une de ces causes.

Solutions :

1. Celui qui pèche, ce n’est pas seulement celui qui accomplit le péché, mais encore celui qui, de quelque façon, est cause du péché, soit par un conseil, soit par un ordre, soit de toute autre façon.

2. Est tenu principalement à restituer celui qui a tenu la place principale dans l’accomplissement du vol ; principalement, certes, celui qui commande ; en second lieu, l’exécutant et les autres à la suite, dans l’ordre. Si l’un d’eux a restitué à la victime du vol, nul autre n’est plus tenu à restitution ; mais’ ceux qui ont été les principaux acteurs, et à qui le vol a profité, sont tenus de rendre à ceux qui ont restitué. Mais quand on a commandé un vol qui n’a pas réussi, il n’y a rien à restituer, puisque la restitution a pour but principal de rendre son bien à celui qui en a été injustement dépouillé.

3. Ne pas dénoncer un voleur, ne pas l’empêcher, ne pas l’arrêter, n’oblige pas toujours à restituer, mais seulement ceux qui en ont la charge, comme les chefs temporels. Mais le plus souvent, cela ne leur fait courir aucun péril ; ils sont en effet maîtres de la puissance publique, en tant que gardiens de la justice.

 

 

            Article 8 — Faut-il restituer sans délai ?

Objections :

1. Il semble que l’on ne soit pas obligé de restituer sans délai, mais qu’on peut licitement différer la restitution. En effet, les préceptes affirmatifs n’obligent pas en tout temps et toujours ; or le précepte de restituer est affirmatif ; donc on n’est pas obligé de restituer immédiatement.

2. A l’impossible nul n’est tenu. Ou quelquefois on ne peut pas restituer immédiatement.

3. La restitution est un acte de vertu, de la vertu de justice. Or le temps est une des circonstances requises à l’acte de vertu. Puisque les autres circonstances ne sont pas déterminées, mais déterminables par les règles de la prudence, il semble que dans la restitution non plus, il n’y ait pas de temps déterminé, pour qu’on soit tenu de restituer immédiatement.

En sens contraire, toutes les questions de restitution doivent être résolues de la même façon. Or celui qui embauche un salarié n’a pas le droit de différer la restitution qui lui est due, comme le Lévitique (19, 13) le dit expressément : “ Tu ne retiendras pas le salaire du mercenaire jusqu’au lendemain matin. ” Donc, dans les autres restitutions non plus on ne peut pas souffrir de délai, et la restitution doit être immédiate.

Réponse :

De même que prendre le bien d’autrui est un péché contre la justice, le retenir l’est aussi. Car retenir ainsi contre le gré de son propriétaire un de ses biens, c’est l’empêcher d’en user, et donc commettre envers lui une injustice. Or, il est évident qu’on ne peut pas demeurer dans le péché, on doit en sortir au plus tôt. L’Ecclésiastique (21, 2) dit à ce sujet : “ Fuis le péché comme si tu étais devant un serpent. ” On est donc tenu de restituer immédiatement, ou de demander un délai à celui qui peut vous accorder l’usage de ce bien.

Solutions :

1. Le précepte de la restitution, quoique la forme en soit affirmative, implique un précepte négatif, qui nous interdit de détenir le bien d’autrui.

2. L’impossibilité de restituer aussitôt dispense de la restitution immédiate, de même que l’impossibilité absolue de la restitution en dispense totalement. On doit cependant demander par soi-même ou par un autre un délai ou une remise à son créancier.

3. Parce que l’omission de n’importe quelle circonstance s’oppose à la vertu, on doit considérer comme obligatoire de l’observer. Et parce que, en retardant la restitution, on commet le péché d’une injuste rétention, qui est contraire à la justice, il est nécessaire de déterminer le temps, pour que la restitution se fasse aussitôt.

LES VICES OPPOSÉS AUX PARTIES SUBJECTIVES DE LA JUSTICE

Étudions : I. L’acception des personnes qui s’oppose à la justice distributive (Q. 63). Les péchés qui s’opposent à la justice commutative (Q. 64-78).

 

 

QUESTION 63 — L’ACCEPTION DES PERSONNES

1. Est-elle un péché 2. Peut-il y en avoir dans la dispensation des biens spirituels ? - 3.les honneurs l’on rend ? - 4. Dans les jugements.

 

 

            Article 1 — L’acception des personnes est-elle un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Le terme de “ personne ”, en effet, exprime une idée de dignité ; or, avoir égard à la dignité des personnes relève de la justice distributive. L’acception des personnes n’est donc pas un péché.

2. Dans les affaires humaines les personnes sont plus importantes que les choses, puisque celles-ci sont ordonnées à celles-là, et non inversement ; mais faire acception des choses n’est pas un péché. Donc encore moins l’acception des personnes.

3. En Dieu il ne peut y avoir ni injustice ni péché. Mais Dieu semble bien faire acception des personnes, puisque parfois, entre deux hommes de même condition, il s’attache l’un par la grâce et laisse l’autre dans le péché, selon cette parole en S. Matthieu (24, 40) : “ De deux personnes qui seront dans le même lit, l’une sera prise et l’autre pas. ” Donc l’acception des personnes n’est pas un péché.

En sens contraire, la loi divine n’interdit que le péché. Or elle interdit l’acception des personnes par ce texte du Deutéronome (1, 17) : “ Vous ne ferez pas acception des personnes. ” Donc l’acception des personnes est un péché.

Réponse :

L’acception des personnes s’oppose à la justice distributive. En effet, l’égalité de la justice distributive consiste en ce qu’on accorde des parts diverses à différentes personnes proportionnellement à leurs mérites. Donc, si l’on considère dans la personne cette qualité propre en vertu de laquelle ce qu’on lui accorde lui est dû, on ne fait pas acception de la personne, mais bien d’une cause réelle. Aussi la Glose, sur ce passage de l’épître aux Éphésiens (6, 9) : “ Dieu ne fait pas acception des personnes ”, dit-elle : “ Le juste juge discerne les causes sans égard pour les personnes. ” Si par exemple on élève quelqu’un à la maîtrise, parce qu’il a la science suffisante, on prend en considération, non le sujet, mais le motif exigé. Au contraire, lorsqu’on ne considère pas, chez celui à qui l’on accorde un avantage, si la charge qu’on lui confie est en rapport avec son mérite ou lui est due, mais seulement que cet homme est un tel, Pierre ou Martin : il y a acception de personne, parce qu’on ne lui accorde pas ce bien pour un motif qui l’en rendrait digne, mais simplement parce qu’il est telle personne.

Par le terme de “ personne ” il faut entendre toute qualité du sujet qui ne constitue pas un motif à l’égard d’un don précis dont elle rendrait digne. Ainsi, par exemple, promouvoir quelqu’un à la prélature ou à la maîtrise parce qu’il est riche ou qu’il est notre parent, c’est faire acception de la personne. Il arrive cependant que telle qualité personnelle rende quelqu’un digne d’une chose mais non d’une autre. C’est ainsi que les liens du sang habilitent un parent à être institué héritier d’un patrimoine, mais non à recevoir une prélature ecclésiastique. La même qualité personnelle, si l’on en tient compte dans une affaire donnée, fera donc acception de la personne, mais non dans une autre affaire.

Il est donc clair que l’acception des personnes s’oppose à la justice distributive en ce queue fait agir en dehors de l’égalité de proportion propre à cette justice ; et puisque le péché seul s’oppose à la vertu, il s’ensuit que l’acception des personnes est un péché.

Solutions :

1. La justice distributive considère la situation ou les qualités qui rendent telle personne apte à telle dignité ou lui en donnent le droit. Mais les qualités auxquelles on a égard dans l’acception des personnes sont étrangères à ce mérite, nous venons de le dire 3.

2. Les personnes reçoivent leur part et deviennent dignes de ce qu’on leur répartit à cause de certaines réalités qui ressortissent à leur condition personnelle. On doit donc regarder cette condition de la personne comme la cause propre de l’attribution. Mais si l’on envisage les personnes en elles-mêmes, on considère comme une cause ce qui n’en est pas une. Il est donc évident qu’une personne peut être plus digne absolument parlant, et ne l’est pas vis-à-vis de telle charge ou de, telle faveur.

3. Il y a deux sortes de dons ; les uns relèvent de la justice stricte : on donne à quelqu’un ce qu’on lui doit, et c’est dans de tels dons qu’on peut faire acception des personnes. Les autres dons sont de pure libéralité : on donne gratuitement à quelqu’un ce qui ne lui est pas dû. Tels sont les dons de la grâce par lesquels Dieu attire à lui les pécheurs. A propos de ces largesses on ne saurait parler d’acception des personnes puisque chacun est libre d’accorder ses faveurs autant qu’il veut et à qui il veut, sans commettre d’injustice, d’après ces paroles en S. Matthieu (20, 14) “ Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux Prends ce qui te revient, et va-t’en. ”

 

 

            Article 2 — Peut-il y avoir acception des personnes dans la dispensation des biens spirituels ?

Objections :

1. Il ne semble pas que ce soit possible. Sans doute conférer une dignité ecclésiastique ou un bénéfice à quelqu’un pour une raison de parenté semble être une acception des personnes, puisque les liens du sang ne sauraient constituer une cause qui rende digne d’un bénéfice ecclésiastique. Mais comme telle est la coutume observée dans l’Église par les prélats, on ne voit pas comment ce pourrait être un péché. Donc le péché d’acception des personnes n’a pas sa place dans la dispensation des biens spirituels.

2. Préférer le riche au pauvre semblerait, d’après S. Jacques (2, 1), un cas d’acception des personnes. Mais puisque les dispenses des empêchements de mariage pour degré prohibé de parenté sont plus facilement accordées aux riches et aux puissants, c’est donc que dans la dispensation des biens spirituels il n’y a pas lieu de faire acception des personnes.

3. Selon les prescriptions du droit, il suffit d’élire à une charge quelqu’un qui en soit digne, et il n’est pas requis d’élire le plus digne. Mais choisir le moins bon pour une charge plus élevée semble bien faire acception des personnes. Donc l’acception des personnes dans la dispensation des biens spirituels n’est pas un péché.

4. Selon les statuts ecclésiastiques, l’élu doit “ appartenir à l’église ” qu’il s’agit de pourvoir. Mais cela semble faire acception de personnes, car on pourrait trouver ailleurs des candidats plus capables. Donc, dans la dispensation des biens spirituels, l’acception des personnes n’est pas un péché.

En sens contraire, il est écrit dans l’épître de S. Jacques (2, 1) : “ Ne mêlez pas à des acceptions de personnes la foi en notre Seigneur Jésus Christ. ” Sur quoi S. Augustin glose : “ Qui tolérerait qu’on élève un riche à un siège d’honneur dans l’église, au mépris d’un pauvre plus instruit et plus saint ? ”

Réponse :

Comme nous venons de le dire à l’article précédent, c’est parce qu’elle s’oppose à la justice que l’acception des personnes est un péché. Or le péché est d’autant plus grave que la transgression de la justice se réalise dans une matière plus importante. Aussi, puisque les choses spirituelles priment sur les temporelles, ce sera un péché plus grave de faire acception des personnes dans la dispensation des biens spirituels que dans celle des biens temporels.

Et parce qu’il y a acception des personnes lorsque l’on attribue à quelqu’un ce dont il n’est pas digne, on peut observer que la dignité d’une personne peut être appréciée de deux manières : 1° Absolument et en soi ; ainsi celui-là est le plus digne, chez qui les dons de la grâce sont plus abondants. 2° Par rapport au bien commun ; en effet, il arrive parfois que le moins élevé en sainteté et en science soit plus utile au bien commun en raison de sa puissance ou de son habileté profane, ou pour quelque autre qualité de cet ordre. Et parce que la dispensation des biens spirituels est ordonnée avant tout à l’utilité commune, selon qu’il est écrit (1 Co 12, 7) : “ La manifestation de l’Esprit est accordée à chacun pour le bien de tous ”, il peut arriver que dans la dispensation de tels biens, ceux qui sont moins parfaits absolument soient préférés aux meilleurs sans qu’il y ait acception des personnes. C’est ainsi que Dieu accorde parfois à des hommes moins bons que d’autres des grâces gratuitement donnée.

Solutions :

1. Lorsqu’il s’agit des parents d’un prélat, il faut distinguer. Parfois ce sont les moins dignes, et absolument et par rapport au bien commun. Si alors on les préfère à des candidats plus dignes, on commet vraiment un péché d’acception des personnes dans la dispensation des biens spirituels ; car le prélat ecclésiastique n’est pas maître de ces biens de telle sorte qu’il puisse en faire des largesses à son gré ; il n’en est que le dispensateur, selon la parole de l’Apôtre (1 Co 4, 1) : “ Que l’on nous regarde comme des serviteurs du Christ et des dispensateurs des mystères de Dieu. ” Mais parfois les parents d’un prélat sont aussi dignes que d’autres, et alors on peut légitimement les préférer sans se rendre coupable d’acception des personnes, parce qu’ils offrent au moins cet avantage que le prélat pourra ,avoir plus de confiance en eux et qu’ils administrant d’un commun accord avec lui les affaires de l’Église. Il faudrait cependant renoncer à tel choix par crainte du scandale, si d’autres prélats s’autorisaient de cet exemple pour confier les biens d’Église à leurs proches sans tenir compte de leurs capacités.

2. Les dispenses de mariage sont accordées principalement pour garantir l’union dans la paix, et cela importe davantage au bien commun lorsque des personnes haut placées sont en cause. C’est pourquoi, si on leur accorde plus facilement la dispense, on ne commet pas d’acception des personnes.

3. Pour qu’une élection soit inattaquable devant la justice, il suffit que le candidat élu soit bon ; il n’est pas nécessaire qu’il soit le meilleur, autrement toutes les élections pourraient être contestées. Mais en conscience on est tenu d’élire le meilleur, qu’il soit tel absolument parlant ou par rapport aux services qu’il peut rendre au bien commun. S’il existe en effet un sujet plus apte à une dignité, et qu’on lui en préfère un autre, il faut avoir pour cela un motif Si ce motif se rapporte à la nature même de la charge, celui qui a été élu est bien le plus digne ; mais si ce motif est sans rapport avec l’affaire, il y aura certainement acception des personnes.

4. Si le candidat d’une Église doit être pris dans son sein, c’est qu’ordinairement, il en servira mieux le bien commun, puisqu’il aimera d’avantage cette Église qui est sa mère. Aussi le Deutéronome (17,15) prescrit-il : “ Tu ne pourras pas te donner pour roi un étranger qui ne serait pas ton frère. ”

 

 

            Article 3 — Peut-il y avoir acception des personnes dans les honneurs que l’on rend ?

Objections :

1. Il semble qu’en montrant de la considération et du respect on ne commette pas le péché d’acception des personnes. En effet, la considération n’est rien d’autre que du respect manifesté à quelqu’un en témoignage de sa vertu ; ainsi la définit Aristote. Or, on doit honorer les supérieurs même si la vertu leur fait défaut ; de même nos parents, au sujet desquels l’Exode prescrit (20, 12) : “ Honore ton père et ta mère ” ; ainsi encore les esclaves doivent-ils honorer leurs maîtres, même s’ils sont mauvais, selon cette recommandation de S. Paul (1 Tm 6, 1) : “ Que tous ceux qui sont sous le joug comme esclaves, estiment leurs maîtres dignes de tout honneur. ” C’est donc que l’acception des personnes ne constitue pas un péché dans les marques d’honneur que l’on donne à autrui.

2. Le Lévitique (19,32) prescrit : “Tu te lèveras devant une tête blanche, et tu honoreras la personne du vieillard. ” Mais cela semble ressortir à l’acception des personnes, puisque l’on rencontre des vieillards qui ne sont pas vertueux comme dit Daniel (13, 5) : “ A Babylone, l’iniquité est partie des plus anciens du peuple. ” Donc il n’y a pas de péché à faire acception des personnes en leur rendant honneur.

3. Sur le mot de S. Jacques (2, 1) : “ Ne faites pas acception des personnes... ”, S. Augustin remarque : “ S’il faut entendre des réunions quotidiennes ce que Jacques ajoute : "Si un homme portant au doigt un anneau d’or et revêtu d’un habit magnifique entre dans votre assemblée, etc." qui ne pécherait sur ce point s’il y a matière à pécher ? ” Mais c’est faire acception des personnes que d’honorer les riches pour leurs richesses. S. Grégoire dit en effet : “ Nous abaissons notre orgueil lorsque, dans les hommes, nous honorons, non leur nature faite à l’image de Dieu, mais leurs richesses ” ; et puisque les richesses ne sont pas un motif légitime d’honneur, en tenir compte c’est faire acception des personnes. Donc faire acception des personnes en les honorant n’est pas un péché.

En sens contraire, la Glose affirme sur le texte de S. Jacques (2, 1) : “ Quiconque honore le riche pour ses richesses commet un péché. ” Il en est de même toutes les fois que l’on honore quelqu’un pour des motifs qui ne légitiment pas ces témoignages de respect ; ce qui est le fait de l’acception des personnes. Donc faire acception des personnes par des témoignages d’honneur est un péché.

Réponse :

L’honneur est dans un témoignage rendu à la vertu d’autrui, c’est pourquoi il n’y a que la vertu qui soit la cause légitime de cet honneur. Toutefois un homme pourra être légitimement honoré, non seulement pour sa propre vertu, mais pour la vertu d’autrui. C’est ainsi qu’on honore les princes et les prélats même s’ils sont mauvais, parce qu’ils tiennent la place de Dieu et de la société dont ils ont la charge. “ Celui qui rend honneur à l’insensé, dit le livre des Proverbes (26, 8 Vg), est comme celui qui apporte une pierre au monceau amassé en l’honneur de Mercure. ” Parce que les païens attribuaient le calcul à Mercure, on appelle “ monceau de Mercure ” une somme de calculs où le marchand met parfois un petit caillou tenant la place de cent marcs. De même on honore l’insensé qui tient la place de Dieu et de toute la communauté. Pour la même raison, on doit honorer ses parents et ses maîtres parce qu’ils participent de la dignité de Dieu, Père et Seigneur de tout. Les vieillards aussi doivent être honorés pour la vertu que symbolise la vieillesse, encore que ce signe puisse parfois tromper ; ce qui fait dire au Sage (Sg 4, 8) : “ Une vieillesse honorable n’est pas celle que donne une longue vie ; elle ne se mesure pas au nombre des années. Mais la prudence tient lieu pour l’homme de cheveux blancs ; et l’âge de la vieillesse, c’est une vie sans tache. ” Enfin, c’est parce qu’ils occupent une place prépondérante dans la communauté que les riches sont honorés, et non uniquement en raison de leurs richesses, ce qui serait commettre le péché d’acception des personnes.

Solution : Ainsi se trouvent résolues les Objections.

 

 

            Article 4 — Peut-il y avoir acception des personnes dans les jugements ?

Objections :

1. Il semble que non. Nous avons dit en effet que l’acception des personnes s’oppose à la justice distributive. Les jugements, au contraire, relèvent surtout de la justice commutative ; donc l’acception des personnes n’a pas sa place dans les jugements.

2. Les peines sont infligées d’après un jugement. Mais on y fait acception de personnes, sans qu’il y ait péché, parce qu’on punira plus sévèrement celui qui outrage le prince que celui qui offense une personne privée. Donc l’acception des personnes n’a pas sa place dans les jugements.

3. Le Siracide (4, 10 Vg), demande que “ dan, les jugements, on soit miséricordieux pour l’orphelin ”. Mais c’est là faire acception de la personne du pauvre. Donc l’acception des personnes dans les jugements n’est pas un péché.

En sens contraire, il est écrit au livre de, Proverbes (18, 5 Vg) : “ Ce n’est pas bien de fair, acception de personne dans un jugement. ”

Réponse :

Le jugement, avons-nous dit, est un acte de justice, en ce que le juge ramène à l’égalité requise par la justice ce qui peut constituer une inégalité contraire. Or, l’acception des personnes entraîne une certaine inégalité, du fait qu’elle attribue à telle personne plus que sa part, en laquelle consiste l’égalité de la justice. Il est donc évident qu’un tel jugement est vicié par l’acception des personnes.

Solutions :

1. Le jugement peut être envisagé sous un double aspect. 1° Quant à sa matière, c’est-à-dire la chose jugée. Alors il se rapporte aussi bien à la justice commutative qu’à la justice distributive. On peut en effet déterminer par un jugement aussi bien la manière de distribuer à plusieurs ce qui est à tous, que le mode de restitution de telle personne à telle autre. 2° Quant à la forme même du jugement, à savoir lorsque le juge, même dans le domaine propre de la justice commutative, ôte à l’un ce qu’il donne à l’autre ; et cela relève de la justice distributive. Ce qui montre qu’en tout jugement on peut faire acception des personnes.

2. Punir plus sévèrement une injure faite à un personnage plus haut placé n’est pas faire acception des personnes, car les dignités différentes des personnes entraînent dans ce cas une différence objective, comme on l’a vu plus haut.

3. On doit aider le pauvre autant que faire se peut, mais sans léser la justice. Autrement on ne tient pas compte de cette parole de l’Exode (23, 3) : “ Tu ne favoriseras pas même le pauvre en rendant ton jugement. ”

LES VICES OPPOSÉS A LA JUSTICE COMMUTATIVE,

I1 faut maintenant étudier les vices opposés à la justice commutative. Nous traiterons d’abord des péchés qui se commettent dans les échanges involontaires, puis de ceux qui se commettent dans les échanges volontaires (Q. 77-78).

Les premiers se commettent du fait que l’on porte préjudice au prochain contre sa volonté, ce qui peut se faire de deux façons : par action et en parole (Q. 67-76).

Par action lorsque le prochain est atteint dans sa propre personne (Q. 64), ou dans une personne qui lui est unie (Q. 65, a. 4), ou dans ses biens (Q. 66).

Nous allons les étudier dans cet ordre. Et en premier lieu l’homicide, par quoi on fait au prochain le plus grand tort qui soit.

 

 

QUESTION 64 — L’HOMICIDE

1. Est-ce un péché de mettre à mort les animaux ou même les plantes ? - 2. Est-il permis de tuer le pécheur ? - 3. Est-ce permis à un particulier, ou seulement à l’autorité publique ? - 4. Et à un clerc ? - 5. Est-il permis de se tuer ? - 6. Est-il permis de tuer un homme juste ? - 7. Est-il permis de tuer un homme pour se défendre ? - 8. L’homicide accidentel est-il péché mortel ?

 

 

            Article 1 — Est-ce un péché de mettre à mort les animaux et même les plantes ?

Objections :

1. Il semble qu’il soit illicite de tuer n’importe quel être vivant. En effet, S. Paul écrivait aux Romains (13, 2) : “ Celui qui résiste à l’ordre voulu de Dieu, attire sur lui-même la condamnation. ” Or c’est l’ordre providentiel qui conserve tous les êtres en vie, selon ce mot du Psaume (147, 8) : “ Dieu fait croître l’herbe sur les montagnes et donne au bétail leur nourriture. ” Donner la mort à un être doué de vie est donc illicite.

2. L’homicide est un péché parce qu’il prive un homme de la vie. La vie est commune à tous les animaux et à toutes les plantes. Il semble donc que pour la même raison ce soit un péché de tuer des animaux et des plantes.

3. La loi divine ne fixe de peine déterminée que pour le péché. Or elle établit une peine déterminée pour celui qui tue le bœuf ou la brebis d’autrui, comme le montre l’Exode (22, 1). Donc le meurtre des animaux est un péché.

En sens contraire, S. Augustin déclare “ Quand nous entendons le précepte "Tu ne tueras pas", nous ne croyons pas que cela concerne les arbres fruitiers, qui n’ont aucun sentiment, ni les animaux, qui n’ont pas la raison en commun avec nous. C’est donc de l’homme qu’il faut entendre cette parole : "Tu ne tueras pas." ”

Réponse :

On ne pèche pas en utilisant une chose en vue de la fin pour laquelle elle existe. Or, dans la hiérarchie des êtres, ceux qui sont imparfaits sont créés pour les parfaits ; comme aussi dans la génération d’un seul être, la nature va de l’imparfait au parfait. De même donc que dans la génération de l’homme ce qui existe d’abord c’est ce qui a vie, puis un animal et en dernier lieu l’homme ; ainsi les êtres qui n’ont que la vie, comme les végétaux, existent tous ensemble pour tous les animaux, et les animaux eux-mêmes existent pour l’homme. Voilà pourquoi, si l’homme se sert des plantes pour l’usage des animaux, et des animaux pour son propre usage, ce n’est pas illicite, comme le montre déjà Aristote.

Parmi tous les usages possibles, le plus nécessaire est que les plantes servent de nourriture aux animaux, et les animaux à l’homme, ce qui comporte inévitablement leur mise à mort. Voilà pourquoi il est permis de tuer des plantes pour l’usage des animaux et des animaux pour l’usage de l’homme, en vertu de l’ordre divin. Car on lit dans la Genèse (1, 29) : “ Voici que je vous donne toutes les herbes et tous les arbres ; ce sera votre nourriture, et tous les animaux... ” ; et encore (9, 3) : “ Tout ce qui se meut et tout ce qui vit vous servira de nourritures. ”

Solutions :

1. Si l’ordre divin conserve la vie des animaux et des plantes, ce n’est pas pour elle-même, mais pour l’homme. Aussi S. Augustin peut-il écrire : “ Par la disposition très juste du Créateur, la vie et la mort de ces êtres sont à notre service. ”

2. Les bêtes et les plantes ne possèdent pas cette vie rationnelle qui leur permettrait de se conduire par eux-mêmes ; ils sont toujours menés par l’instinct naturel comme par une force étrangère. C’est là le signe qu’ils sont par nature esclaves, et destinés à l’usage d’autres êtres.

3. Celui qui tue le bœuf de son prochain pèche, non parce qu’il tue un bœuf, mais parce qu’il porte préjudice à autrui dans ses biens. Ce n’est donc pas un péché de meurtre, mais de vol ou de rapine.

 

 

            Article 2 — Est-il permis de tuer le pécheur ?

Objections :

1. Il semble que non, car notre Seigneur interdit d’arracher l’ivraie qui, dans la parabole, représente les “ fils du Mauvais ” (Mt 13, 38). Or tout ce que Dieu interdit est péché.

2. La justice des hommes se modèle sur la justice de Dieu ; or celle-ci ménage les pécheurs pour qu’ils fassent pénitence - “ je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive ” (Ez 18, 23). Il est donc absolument injuste de tuer les pécheurs.

3. Il n’est jamais permis de faire pour une bonne fin ce qui est mauvais en soi ; on le voit chez S. Augustin et chez Aristote. Or tuer un homme est une chose mauvaise en soi, puisque opposée à la charité que nous devons avoir pour tous les hommes ; et comme le remarque le Philosophe : “ Nous voulons à nos amis l’existence et la vie. ” Il n’est donc aucunement permis de tuer un pécheur.

En sens contraire, il est écrit dans l’Exode (22, 18) : “ Tu ne laisseras pas vivre les magiciens ”, et dans le Psaume (101, 8) : “ Chaque matin, j’exterminerai tous les pécheurs du pays. ”

Réponse :

Nous venons de le dire : il est permis de tuer des animaux parce qu’ils sont ordonnés par la nature à l’usage de l’homme, comme ce qui est moins parfait est ordonné au parfait. Or cette subordination existe entre la partie et le tout, et donc toute partie, par nature, existe en vue du tout. Voilà pourquoi, s’il est utile à la santé du corps humain tout entier de couper un membre parce qu’il est infecté et corromprait les autres, une telle amputation est louable et salutaire[4455].

Mais tout individu est avec la société dont il est membre dans le même rapport qu’une partie avec le tout. Si donc quelque individu devient un péril pour la société et que son péché risque de la détruire, il est louable et salutaire de le mettre à mort pour préserver le bien commun ; car “ un peu de ferment corrompt toute la pâte ” (1 Co 5, 6).

Solutions :

1. Le Seigneur, en défendant d’arracher l’ivraie, avait en vue la conservation du blé, c’est-à-dire des bons. Ceci s’applique lorsqu’on ne peut faire périr les méchants sans tuer en même temps les bons ; soit parce qu’on ne peut les discerner les uns des autres, soit parce que les méchants ayant de nombreux partisans, leur mise à mort serait dangereuse pour les bons. Aussi le Seigneur préfère-t-il laisser vivre les méchants et réserver la vengeance jusqu’au jugement dernier, plutôt que de s’exposer à faire périr les bons en même temps.

Toutefois, si la mise à mort des méchants n’entraîne aucun danger pour les bons, mais assure au contraire leur protection et leur salut, il est licite de mettre à mort les méchants.

2. Selon l’ordre de sa sagesse, Dieu tantôt supprime immédiatement les pécheurs afin de délivrer les bons ; tantôt leur accorde le temps de se repentir, ce qu’il prévoit également pour le bien de ses élus. La justice humaine fait de même, selon son pouvoir. Elle met à mort ceux qui sont dangereux pour les autres, mais elle épargne, dans l’espoir de leur repentance, ceux qui pèchent gravement sans nuire aux autres.

3. Par le péché l’homme s’écarte de l’ordre prescrit par la raison ; c’est pourquoi il déchoit de la dignité humaine qui consiste à naître libre et à exister pour soi ; il tombe ainsi dans la servitude qui est celle des bêtes, de telle sorte que l’on peut disposer de lui selon qu’il est utile aux autres, selon le Psaume (49, 21) : “ L’homme, dans son orgueil ne l’a pas compris ; il est descendu au rang des bêtes ; il leur est devenu semblable ”, et ailleurs (Pr 11, 29) : “ L’insensé sera l’esclave du sage. ” Voilà pourquoi, s’il est mauvais en soi de tuer un homme qui garde sa dignité, ce peut être un bien que de mettre à mort un pécheur, absolument comme on abat une bête ; on peut même dire avec Aristote qu’un homme mauvais est pire qu’une bête et plus nuisible.

 

 

            Article 3 — Est-il permis à un particulier, ou seulement à l’autorité publique, de tuer le pécheur ?

Objections :

1. Il semble qu’il soit permis à un particulier de tuer un pécheur. En effet, la loi divine ne saurait prescrire rien de mal. Or Moïse a prescrit (Ex 32, 27) : “ Que chacun tue son frère, chacun son ami, chacun son parent ”, pour avoir commis le crime d’adorer le veau d’or. Donc, même des personnes privées peuvent licitement tuer un pécheur.

2. Puisque, on vient de le voir, le péché rend l’homme comparable aux bêtes, et que tout homme peut tuer une bête sauvage, surtout nuisible, il est permis, au même titre, de tuer un pécheur.

3. Tout homme, même un individu privé, agit louablement en servant le bien commun. Or la mise à mort des malfaiteurs est utile au bien commun, on vient de le voir.

En sens contraire, S. Augustin parle ainsi “ Celui qui sans mandat officiel tuera un malfaiteur sera homicide, et d’autant plus qu’il n’a pas craint de s’arroger un droit que Dieu ne lui avait pas donné. ”

Réponse :

Nous venons de dire que la mise à mort d’un malfaiteur est permise en tant qu’elle est ordonnée à la sauvegarde de la société. C’est pourquoi elle appartient à celui-là seul qui pourvoit au bien commun de la société, de même que l’ablation d’un membre corrompu revient au médecin auquel on a confié la santé du corps tout entier. Or le soin du bien commun est confié aux princes qui détiennent l’autorité publique. C’est donc à eux seuls et non aux particuliers qu’il revient de mettre à mort les malfaiteurs.

Solutions :

1. Denys remarque que le véritable responsable d’une action est l’autorité qui l’ordonne ; aussi, comme S. Augustin l’écrit : “ Celui qui tue, ce n’est pas celui qui doit son service à celui qui commande, comme le glaive à celui qui s’en sert. ” C’est ainsi qu’il faut juger le cas de ceux qui tuèrent leurs parents et leurs amis sur l’ordre de Dieu ; le véritable auteur de ces meurtres était l’autorité qui le leur avait ordonné ; il en est de même du soldat qui tue un ennemi sur l’ordre du prince, et du bourreau qui exécute un bandit d’après la sentence du juge.

2. Il y a une différence de nature entre la bête et l’homme. Aussi n’y a-t-il pas besoin d’un jugement pour tuer la bête, si elle est sauvage. Mais si c’est une bête domestique, un jugement sera requis, non pour elle, mais pour le dommage subi par son maître. Mais l’homme pécheur n’est pas d’une autre nature que les justes. C’est pourquoi il faudra un jugement public pour décider s’il doit être mis à mort pour le salut de la société.

3. Faire quelque chose pour l’utilité commune sans nuire à personne est permis à toute personne privée. Mais si cela doit nuire à autrui, cela ne peut se faire qu’au jugement de celui qui peut apprécier ce que l’on peut enlever aux parties pour le salut de tous.

 

            Article 4 — Est-il permis à un clerc de mettre à mort un pécheur ?

Objections :

1. Il semble qu’il soit permis aux clercs de tuer les malfaiteurs. C’est surtout aux clercs, en effet, d’accomplir cet ordre de l’Apôtre (1 Co 4, 16) : “ Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ. ” Ce qui nous engage à imiter Dieu et ses saints. Or le Dieu que nous adorons tue les malfaiteurs, d’après le Psaume (136, 10) : “ Il frappa les Égyptiens dans leurs premiers-nés. ” En outre, Moïse fit exterminer par les lévites vingt-trois mille hommes qui avaient adoré le veau d’or (Ex 32, 28). Phinéès, prêtre, tua l’Israélite qui s’était uni à une Madianite (Nb 25, 6). Samuel fit mourir Agag roi d’Amalec (1 S 15, 33). Élie fit périr les prêtres de Baal (1 R 18, 40). Matthatias mit à mort l’apostat qui s’apprêtait à sacrifier (1 M 2,24). Dans le Nouveau Testament, S. Pierre punit de mort Ananie et Saphire (Ac 5, 3). On voit donc que même les clercs sont autorisés à tuer les pécheurs.

2. La puissance spirituelle est plus grande que la puissance temporelle et plus proche de Dieu. Si donc S. Paul accorde au pouvoir séculier le droit de mettre à mort les pécheurs, comme exerçant le rôle de “ ministre de Dieu ” (Rm 13, 4), à plus forte raison les clercs auront-ils ce droit, eux qui sont ministres de Dieu dans l’exercice d’un pouvoir spirituel.

3. Quiconque reçoit licitement une charge peut licitement exercer toutes les fonctions qui s’y rattachent. Or, l’une des fonctions du prince temporel, avons-nous dit dans l’article précédent, est de supprimer les malfaiteurs ; donc les clercs, qui sont princes sur la terre, peuvent licitement tuer les malfaiteurs.

En sens contraire, S. Paul exige que “ l’évêque soit irréprochable... qu’il ne soit pas adonné au vin, ne frappant personne ” (1 Tm 3, 2).

Réponse :

Il n’est pas permis aux clercs de tuer, pour une double raison. 1° Ils sont choisis pour le service de l’autel où est rendue présente la passion du Christ mis à mort, et qui, comme le dit S. Pierre (1 P 2, 23), “ frappé, ne frappait pas à son tour ”. Il ne convient donc pas aux clercs de frapper ou de tuer puisque les serviteurs doivent imiter leur Maître, selon la parole de l’Ecclésiastique (10, 2) : “ Tel le chef du peuple, tel ses ministres. ” 2° De plus, les clercs sont les ministres de la loi nouvelle, qui ne comporte aucune peine de mort ou de mutilation corporelle[4456]. C’est pourquoi, afin d’être “ des ministres authentiques de la nouvelle Alliance ” (2 Co 3, 6), ils doivent s’abstenir de tels châtiments.

Solutions :

1. Dieu accomplit de façon universelle en tous les êtres ce qui est bon, mais il l’accomplit en chaque être conformément à la nature de celui-ci. Ainsi chacun doit-il imiter Dieu conformément à sa condition propre. Donc, bien que Dieu puisse tuer physiquement les malfaiteurs, il ne faut pas que tous les hommes l’imitent en cela. Ce n’est pas de son autorité et de sa propre main que S. Pierre punit de mort Ananie et Saphire, il a plutôt promulgué la sentence divine à leur égard. Quant aux prêtres et aux lévites de l’Ancien Testament, ils étaient les ministres de la loi ancienne qui prescrivait des châtiments corporels, et c’est pourquoi ils pouvaient tuer un malfaiteur de leur propre main.

2. Le ministère des clercs est ordonné à une fin plus haute que celle des exécutions corporelles ; ils ont pour but le salut spirituel ; il ne leur convient donc pas d’employer des sanctions d’un ordre inférieur.

3. Les supérieurs ecclésiastiques sont investis d’un pouvoir temporel, non pour exercer eux-mêmes une sentence capitale, mais pour faire exercer par d’autres leur autorité[4457].

 

            Article 5 — Est-il permis de se tuer ?

Objections :

1. Il semble que le suicide soit permis. L’homicide, en effet, n’est défendu que comme péché contre la justice. Mais il est impossible de pécher par injustice envers soi-même, ainsi que le prouve Aristote. Donc nul ne pèche en se tuant.

2. Il est permis à celui qui détient l’autorité publique de tuer les malfaiteurs. Mais parfois il est lui-même un malfaiteur. Il est donc permis de se tuer.

3. Il est permis de s’exposer spontanément à un péril moindre pour en éviter un plus grand, de même qu’il est permis, pour sauver tout son corps, de se couper un membre gangrené. Or il peut arriver qu’en se donnant la mort on évite un plus grand mal, comme serait une vie misérable ou la honte d’un péché. Il est donc permis parfois de se tuer.

4. Samson s’est suicidé (Jg 16, 30). Pourtant il est compté, d’après l’épître aux Hébreux (11, 32), parmi les saints.

5. Le deuxième livre des Maccabées (14, 41) rapporte l’exemple de Razis qui se donna la mort, “ aimant mieux périr noblement que de tomber entre des mains criminelles et de subir des outrages indignes de sa noblesse ”. Mais rien de noble et de courageux n’est illicite. Donc se tuer n’est pas illicite.

En sens contraire, S. Augustin écrit “ C’est de l’homme que doit s’entendre le précepte : "Tu ne tueras point." Ni ton prochain par conséquent, ni toi-même ; car c’est tuer un homme que se tuer soi-même. ”

Réponse :

Il est absolument interdit de se tuer. Et cela pour trois raisons :

1° Tout être s’aime naturellement soi-même ; de là vient qu’il s’efforce, selon cet amour inné, de se conserver dans l’existence et de résister autant qu’il le peut à ce qui pourrait le détruire. C’est pourquoi le suicide va contre cette tendance de la nature et contre la charité dont chacun doit s’aimer soi-même.

2° La partie, en tant que telle, est quelque chose du tout. Or chaque homme est dans la société comme une partie dans un tout ; ce qu’il est appartient donc à la société. Par le suicide l’homme se rend donc coupable d’injustice envers la société à laquelle il appartient, comme le montre Aristote.

3° Enfin la vie est un don de Dieu accordé l’homme, et qui demeure toujours soumis a pouvoir de celui qui “ fait mourir et qui fait vivre ” Aussi quiconque se prive soi-même de la vie pèche contre Dieu, comme celui qui tue l’esclave d’autre pèche contre le maître de cet esclave, ou comme pèche encore celui qui s’arroge le droit de juger une cause qui ne lui est pas confiée. Décider de la mort ou de la vie n’appartient qu’à Dieu seul, selon le Deutéronome (32, 39) : “ C’est moi qui fais mourir et qui fais vivre. ”

Solutions :

1. L’homicide est un péché non seulement parce qu’il s’oppose à la justice, mais parce qu’il est contraire à la charité que chacun doit avoir envers soi-même. De ce point de vue le suicide est un péché par rapport à soi-même.

Mais il a encore raison de péché comme opposé à la justice par rapport à la société et à Dieu.

2. Celui qui détient l’autorité publique peut licitement faire périr un malfaiteur puisqu’il a le droit de le juger. Mais nul n’est juge de soi-même. Par conséquent, il n’est pas permis à celui qui détient l’autorité publique de se tuer pour n’importe quel péché. Il peut cependant se livrer au jugement d’autres autorités.

3. Par le libre arbitre, l’homme est constitué maître de soi-même. C’est pourquoi il peut disposer de soi-même dans tout le domaine de la vie soumis à son libre arbitre ; mais le passage de cette vie à une autre plus heureuse relève du pouvoir divin, non du libre arbitre de l’homme. Il n’est donc pas permis à l’homme de se tuer pour passer à une vie meilleure.

Le suicide n’est pas non plus permis pour échapper aux misères de la vie présente ; puisque, comme Aristote l’a montré : “ Le dernier des maux de cette vie, et de beaucoup le plus redoutable, c’est la mort. ” Se donner la mort pour fuir les misères de l’existence présente est donc recourir à un plus grand mal pour en éviter un moindre.

Il n’est pas d’avantage permis de se tuer à cause d’un péché qu’on a commis. Soit parce que l’on se cause le plus grand préjudice en se privant du temps nécessaire pour faire pénitence. Soit encore parce que la mise à mort d’un malfaiteur n’est licite qu’après un jugement prononcé par la puissance publique.

Il n’est pas non plus permis à une femme de se tuer pour éviter d’être souillée. Parce qu’elle ne peut pas commettre sur elle-même le pire crime, le suicide, pour empêcher autrui de commettre un crime moindre. En effet, il n’y a pas de crime chez une femme à qui l’on fait violence, si elle refuse son consentement ; comme disait sainte Lucie : “ Le corps n’est souillé que si l’âme y consent. ” Or il est évident que le péché de fornication ou d’adultère est moindre que l’homicide et surtout que le suicide ; ce dernier crime est le pire, puisque d’une part, on se nuit à soi-même, alors qu’on se doit le plus grand amour ; et que, d’autre part, il est le plus dangereux, puisqu’on n’a plus le temps de l’expier par la pénitence.

Enfin, il est encore interdit de se tuer dans la crainte de consentir au péché. Car “ on ne doit pas faire le mal pour qu’il arrive du bien ” ou pour éviter d’autres maux, surtout moindres et moins certains. Or, il n’est pas sûr que l’on consentira plus tard au péché. Car Dieu est assez puissant pour préserver l’homme du péché, quelles que soient les tentations qui l’assaillent.

4. D’après S. Augustin : “ Samson, qui s’est enseveli avec ses ennemis sous les ruines de leur temple, n’est exempt de péché que parce qu’il obéissait ainsi à l’ordre secret du Saint-Esprit qui, par lui, faisait des miracles. ” Et il attribue le même motifs aux saintes femmes qui se donnèrent la mort en temps de persécution, et dont l’Église célèbre la mémoire.

5. C’est un acte de la vertu de force de ne pas craindre de subir la mort pour le bien de la vertu et pour fuir le péché. Mais si quelqu’un se tue pour éviter un châtiment, ce n’est là qu’une apparence de force ; certains se sont tués en croyant agir avec courage, c’est le cas de Razis ; mais ce n’est pas là une vertu de force authentique. C’est bien plutôt le fait d’une âme faible, incapable de supporter la souffrance. Aristote et S. Augustin l’ont montré tous deux.

 

 

            Article 6 — Est-il permis de tuer un homme juste ?

Objections :

1. Il semble qu’en certains cas il soit permis de tuer un homme innocent. Car la crainte de Dieu ne se manifeste pas par le péché, mais plutôt “ la crainte de Dieu détourne du péché ”, dit l’Ecclésiastique (1, 27 Vg). Or Abraham est loué d’avoir craint Dieu parce qu’il voulut tuer son fils innocent. On peut donc tuer un innocent sans que ce soit un péché.

2. La gravité des péchés envers le prochain est d’autant plus grave qu’on lui inflige un plus grand préjudice par ce péché. Or le meurtre nuit davantage au pécheur qu’à l’innocent, puisque pour celui-ci la mort n’est que le passage des misères de cette vie à la gloire céleste. Donc puisqu’en certains cas il est permis de tuer un pécheur, à plus forte raison est-il permis de tuer un innocent ou un juste.

3. Lorsqu’on observe l’ordre de la justice, on ne commet pas de péché. Mais parfois on est contraint, selon l’ordre de la justice, de tuer un innocent ; ainsi lorsque le juge qui doit juger conformément aux dépositions des témoins, condamne à mort un inculpé qu’il sait innocent, mais qui est accablé par de faux témoins ; de même le bourreau qui, sur l’ordre du juge, exécuterait un homme injustement condamné. On peut donc parfois tuer un innocent sans commettre de péché.

En sens contraire, il est écrit dans l’Exode (23, 7) : “ Tu ne feras pas mourir l’innocent et le juste. ”

Réponse :

On peut envisager un homme sous un double aspect : en lui-même ou par rapport aux autres. A considérer l’homme en lui-même, il n’est jamais permis de le tuer, parce que dans tout homme, fût-il pécheur, nous devons aimer sa nature qui est l’œuvre de Dieu et que le meurtre supprime. Si la mort du pécheur peut devenir licite, ce n’est, on l’a déjà vu, que pour préserver le bien commun que détruit le péché. Mais la vie des justes au contraire conserve et accroît le bien commun, car ils sont la partie la plus influente de la société. C’est pourquoi il n’est aucunement permis de tuer un innocent.

Solutions :

1. Dieu est le maître de la vie et de la mort ; car c’est par son ordre que meurent et les pécheurs et les justes. C’est pourquoi celui qui, par l’ordre de Dieu, met à mort un innocent, ne pèche pas plus que Dieu, dont il est l’exécutant ; et il montre qu’il craint Dieu, en obéissant à son ordre.

2. Pour apprécier la gravité d’un péché, il faut considérer l’essentiel plus que l’accidentel. Ainsi, celui qui tue un juste pèche plus gravement que celui qui tue un pécheur. 1° Parce qu’il nuit à celui qu’il devrait aimer davantage, il commet donc une faute plus grave contre la charité. 2° Il fait tort à celui qui le mérite le moins ; il offense donc davantage la justice. 3° Il prive la société d’un plus grand bien. 4° Il montre un plus grand mépris de Dieu, selon cette parole (Lc 10, 16) : “ Qui vous méprise me méprise. ” Et que le juste mis à mort soit conduit par Dieu à la gloire, c’est un effet accidentel de sa mise à mort.

3. Si le juge sait que l’inculpé, accablé par de faux témoins, est innocent, il doit contrôler les dépositions avec une scrupuleuse attention afin de trouver le moyen de délivrer un innocent, comme le fit Daniel (ch. 13). S’il ne le peut pas, il doit renvoyer la cause à un tribunal supérieur. Si cela lui est impossible, il ne pèche pas en prononçant un jugement conforme aux dépositions, car ce n’est pas lui qui condamne un innocent, mais ceux qui affirment sa culpabilité. Quant à l’exécuteur du juge condamnant un innocent, si la sentence contient une erreur intolérable, il ne doit pas obéir, sinon il faudrait innocenter tous ceux qui torturèrent les martyrs. Mais si l’injustice de l’arrêt n’est pas évidente, celui qui l’applique ne pèche pas, car il n’a pas à discuter l’ordre de son supérieur, et ce n’est pas lui qui tue l’innocent, mais le juge dont il exécute les ordres.

 

 

            Article 7 — Est-il permis de tuer un homme pour se défendre ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Augustin écrit : “ Je trouve mauvais de conseiller quelqu’un de tuer d’autres hommes pour ne pas être tué par eux, à moins que ce soit un solda ou un agent de l’ordre public ; de telle sorte qu’il n’agit pas pour lui-même mais pour les autres, et parce qu’il en a reçu le pouvoir légitime conformément à ses fonctions. ” Or celui qui tu un homme pour sa défense le tue uniquement pou n’être pas tué lui-même. Un tel acte est don défendu.

2. S. Augustin dit encore : “ Comment seront-ils exempts de péché devant la Providence divine, ceux qui se souillent d’un meurtre pour conserver des biens que nous devons mépriser ? ” Ces biens à mépriser sont “ ceux que les hommes peuvent perdre malgré eux ”, d’après le contexte. Or telle est la vie corporelle. Donc il n’est permis à personne de tuer pour préserver sa vie corporelle.

3. Voici la décision du pape Nicolas, que l’on peut lire dans les Décrets : “ Vous m’avez consulté au sujet de ces clercs qui pour se défendre ont tué un païen, afin de savoir si, après avoir fait pénitence, ils pourraient être réintégrés dans leur premier état, ou même monter plus haut. Sachez que nous n’admettons aucun prétexte et ne leur accordons aucune permission de tuer n’importe quel homme de n’importe quelle manière. ” Or clercs et laïcs sont tenus indistinctivement d’observer les préceptes de la morale. Donc même les laïcs ne peuvent tuer quelqu’un pour se défendre.

4. L’homicide est un péché plus grave que la fornication simple ou l’adultère. Mais il n’est jamais permis à personne de forniquer, d’être adultère, ou de commettre tout autre péché mortel pour conserver sa propre vie, car la vie de l’âme doit être préférée à celle du corps. Donc personne ne peut tuer pour conserver sa propre vie.

5. Selon l’Évangile, si l’arbre est mauvais, les fruits le seront aussi (Mt 7, 17). Or, d’après S. Paul, il semble interdit de se défendre : “ Bien-aimés, ne vous défendez pas ”, écrit-il aux Romains (12, 9). Donc on n’a pas le droit de tuer un homme pour se défendre.

En sens contraire, l’Exode (22, 2) stipule “ Si le voleur est surpris en train de percer un mur, et qu’alors il soit blessé mortellement, celui qui l’a frappé ne sera pas responsable du sang versé. ” Mais il est bien davantage permis de défendre sa propre vie que sa maison. Donc, même si l’on tue quelqu’un pour défendre sa vie, on ne sera pas coupable d’homicide.

Réponse :

Rien n’empêche qu’un même acte ait deux effets, dont l’un seulement est voulu, tandis que l’autre ne l’est pas. Or les actes moraux reçoivent leur spécification de l’objet que l’on a en vue, mais non de ce qui reste en dehors de l’intention, et demeure, comme nous l’avons dit, accidentel à l’acte. Ainsi l’action de se défendre peut entraîner un double effet : l’un est la conservation de sa propre vie, l’autre la mort de l’agresseur. Une telle action sera donc licite si l’on ne vise qu’à protéger sa vie, puisqu’il est naturel à un être de se maintenir dans l’existence autant qu’il le peut. Cependant un acte accompli dans une bonne intention peut devenir mauvais quand il n’est pas proportionné à sa fin. Si donc, pour se défendre, on exerce une violence plus grande qu’il ne faut, ce sera illicite. Mais si l’on repousse la violence de façon mesurée, la défense sera licite. Les droits civil et canonique statuent, en effet : “ Il est permis de repousser la violence par la violence, mais avec la mesure qui suffit pour une protection légitime. ” Et il n’est pas nécessaire au salut que l’on omette cet acte de protection mesurée pour éviter de tuer l’autre ; car on est davantage tenu de veiller à sa propre vie qu’à celle d’autrui.

Mais parce qu’il n’est permis de tuer un homme qu’en vertu de l’autorité publique et pour le bien commun, nous l’avons montré, il est illicite de vouloir tuer un homme pour se défendre, à moins d’être investi soi-même de l’autorité publique. On pourra alors avoir directement l’intention de tuer pour assurer sa propre défense, mais en rapportant cette action au bien public ; c’est évident pour le soldat qui combat contre les ennemis de la patrie et les agents de la justice qui luttent contre les bandits. Toutefois ceux-là aussi pèchent s’ils sont mus par une passion personnelle.

Solutions :

1. Le texte de S. Augustin doit s’entendre seulement du cas où un homme voudrait en tuer un autre pour échapper lui-même à la mort.

2. C’est ce même cas que vise le texte cité par la deuxième objection où il est dit expressément : “ pour conserver les biens... ”, ce qui précise l’intention du meurtrier.

3. Tout homicide, même si l’on n’en est pas responsable, entraîne une irrégularité, ainsi le juge qui, en toute justice, condamne à mort un coupable. Aussi le clerc qui tue son agresseur pour se défendre devient irrégulier, encore qu’il n’ait pas eu l’intention de tuer, mais uniquement celle de se défendre.

4. L’acte de fornication ou d’adultère n’est pas ordonné par un rapport nécessaire à la conservation de la vie, comme tel acte qui entraîne parfois un homicide.

5. Ce que l’Apôtre interdit, c’est de se défendre avec un désir de vengeance. Aussi la Glose précise-t-elle : “ Ne vous défendez pas ”, c’est-à-dire : “ Ne cherchez pas à rendre à vos adversaires coup pour coup. ”

 

 

            Article 8 — L’homicide accidentel est-il péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que quelqu’un qui tue un homme accidentellement soit coupable d’homicide. La Genèse (4, 24) rapporte, en effet, que Lamech croyant tuer une bête, donna la mort à un homme, et que cette action lui fut imputée à homicide. Il est donc coupable d’homicide, celui qui tue un homme accidentellement.

2. Il est prescrit au livre de l’Exode (21, 22,23) : “ Si quelqu’un frappe une femme enceinte et provoque par là un avortement ... , si mort s’ensuit, il rendra vie pour vie. ” Mais cela peut arriver sans aucune intention de donner la mort. Donc l’homicide accidentel revêt toute la culpabilité de l’homicide.

3. Plusieurs canons insérés dans les Décrets punissent les homicides accidentels. Or une peine ne peut être portée que pour une faute. Donc celui qui tue accidentellement un homme encourt la culpabilité de l’homicide.

En sens contraire, S. Augustin écrivait “ Qu’on évite de nous imputer un tel acte que nous faisons licitement et pour le bien - si du moins c’est le cas - et d’où résulte accidentellement un mal que nous n’avons pas voulu. ” Mais il arrive parfois qu’un homicide soit le résultat accidentel d’une action entreprise dans une bonne intention. Donc son auteur ne sera pas jugé coupable.

Réponse :

Le hasard, selon Aristote, est une cause qui agit en dehors de notre intention. Aussi les choses accidentelles, absolument parlant, ne sont ni intentionnelles ni volontaires. Et parce que tout péché est volontaire, selon S. Augustin, il s’ensuit que les effets du hasard ne peuvent comme tels constituer des péchés. Il arrive cependant qu’un but auquel on ne tend pas et que l’on ne veut pas actuellement et pour lui-même, soit dans l’intention et voulu par accident, selon que “ l’on appelle cause par accident ce qui supprime l’obstacle ”. Aussi celui qui ne supprime pas une cause d’homicide, alors qu’il doit la supprimer, sera d’une certaine manière coupable d’homicide volontaire.

Ceci arrive de deux manières. Ou bien l’on s’expose à un homicide en faisant une chose défendue que l’on n’aurait pas dû se permettre. Ou bien on ne prend pas toutes les précautions requises. Voilà pourquoi, selon les règles du droit, si quelqu’un se livrant à une action licite y apporte la vigilance requise et que, cependant, il provoque la mort d’un homme, il ne sera pas tenu coupable de l’homicide. Si, au contraire, il se livre à une action mauvaise, ou même à une action permise mais sans y apporter tout le soin nécessaire, n’échappe pas à la responsabilité de l’homicide si son acte entraîne la mort d’un homme.

Solutions :

1. Si Lamech a été jugé coupable d’homicide c’est qu’il n’avait pas pris les précautions suffisantes pour éviter ce meurtre.

2. Celui qui frappe une femme enceinte contribue à une action illicite. C’est pourquoi, s’il en résulte la mort de la femme ou de l’enfant, déjà doté d’une âme, le crime d’homicide sera imputé au coupable, surtout si la mort suit de près les coups qu’il a portés.

3. Les canons cités infligent un châtiment à ceux qui donnent la mort accidentellement en coopérant à une action illicite, ou en n’apportant pas toute l’attention requise.

 

 

QUESTION 65 — LES AUTRES PÉCHÉS D’INJUSTICE PAR VIOLENCE CONTRE LES PERSONNES

1. La mutilation. - 2. Les coups. - 3. L’emprisonnement. - 4. Le péché de ces violences est-il aggravé parce qu’elles sont commises contre une personne unie à d’autres ?

 

 

            Article 1 — La mutilation

Objections :

1. Il semble qu’il ne puisse être permis en aucun cas de mutiler quelqu’un. En effet, S. Jean Damascène a dit qu’il y a péché “ dès qu’on s’écarte de ce qui est conforme à la nature pour faire ce qui lui est contraire ”. Or il est conforme à la nature telle que Dieu l’a créée que le corps humain possède tous ses membres, et il est contraire à la nature qu’il soit privé d’un membre. La mutilation paraît donc toujours être un péché.

2. Aristote établit que toute l’âme est avec tout le corps dans le même rapport que chaque partie de l’âme avec chaque partie du corps. Or il est défendu, si ce n’est aux pouvoirs publics, de priver quelqu’un de son âme en le tuant. De même sera-t-il interdit de lui couper un membre, si ce n’est peut-être en vertu de ce même pouvoir.

3. On doit préférer le salut de l’âme à celui du corps. Or il n’est pas permis de se mutiler pour assurer le salut de son âme. En effet, le 1er concile de Nicée a condamné ceux qui se châtraient pour conserver la chasteté. Donc, pour quelque cause que ce soit, on ne pourra retrancher un membre à quelqu’un.

En sens contraire, il est écrit au livre de l’Exode (21, 24) : “ Œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. ”

Réponse :

Puisque chaque membre est une partie de tout le corps humain, il existe pour le tout, comme l’imparfait existe pour le parfait. On devra donc traiter un membre selon ce que demande le bien de tout le corps. Or si, de soi, un membre est utile au bien de tout le corps, il arrive cependant accidentellement qu’il soit nuisible ; ainsi un membre infecté peut corrompre le corps tout entier. Donc, si un membre est sain et dans son état normal, il ne peut être coupé sans que tout le corps en pâtisse. Mais parce que tout l’homme est ordonné comme à sa fin à toute la société dont il est une partie, comme nous l’avons dit plus haut il pourra se faire que l’ablation d’un membre, bien qu’elle cause un préjudice à tout le corps, soit ordonnée au bien de la société, en tant qu’elle est imposée comme un châtiment pour réprimer certains péchés. C’est pourquoi, de même que l’autorité publique peut priver quelqu’un de la vie pour certaines fautes majeures, elle a également le droit de lui retrancher un membre pour des fautes moins graves. Mais une personne privée ne peut pratiquer une telle ablation, même avec le consentement du patient ; ce serait commettre une injustice envers la société, à laquelle l’homme appartient avec tous ses membres.

Si toutefois la corruption d’un membre infecté menace tout le corps, il est permis de couper ce membre pour la santé du corps entier, mais avec l’accord du malade, car chacun est responsable de sa propre santé. Les mêmes principes s’appliquent dans le cas où l’opération serait décidée avec l’accord du responsable de la santé du malade. En dehors de cette nécessité, mutiler un homme est absolument interdit.

Solutions :

1. Rien n’empêche qu’une chose contraire à telle nature particulière soit conforme à la nature universelle : ainsi la mort et la corruption dans les êtres de la nature nuisent à la nature particulière de ces êtres, et sont cependant conformes à la nature universelle. De même mutiler un homme, encore que ce soit contraire à la nature particulière de son corps, est cependant conforme à l’ordre raisonnable par rapport au bien commun.

2. La vie totale de l’homme n’est pas ordonnée à quelque bien propre à cet homme ; ce sont plutôt tous ces biens particuliers de l’homme qui doivent s’ordonner à la vie totale. C’est pourquoi priver un homme de la vie n’est jamais permis, si ce n’est aux pouvoirs publics chargés de pourvoir au bien commun. Mais l’ablation d’un membre peut être utile à la vie personnelle de tel homme ; c’est pourquoi, en certains cas, celui-ci peut en décider.

3. On ne peut couper un membre que s’il n’y a pas d’autre manière d’assurer la santé du corps entier. Mais on pourra toujours garantir le salut de l’âme par d’autres moyens que la mutilation corporelle, car le péché est essentiellement volontaire ; la mutilation ne sera donc jamais permise pour supprimer l’occasion de pécher. Aussi, commentant la parole de l’Évangile (Mt 19, 12) : “ Il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des cieux ”, S. Jean Chrysostome expliques “ Il ne s’agit pas de l’ablation d’un membre, mais de mettre fin aux mauvaises pensées ; car celui qui se mutile est voué à la malédiction ; il s’assimile ainsi aux homicides. ” Puis il ajoute : “ D’ailleurs par là on n’apaise pas la concupiscence, elle devient plus tyrannique. La convoitise qui est en nous a, en effet, d’autres causes, notamment les désirs impurs et le manque de vigilance ; l’ablation d’un membre ne supprime pas aussi sûrement les tentations que le fait de mettre un frein à ses pensées. ”

 

 

            Article 2 — Les coups

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas permis aux pères de frapper leurs enfants, ni aux maîtres de frapper leurs serviteurs. S. Paul écrit, en effet, aux Éphésiens (6, 4) : “ Vous, pères, n’exaspérez pas vos enfants ”, et plus loin (6, 9) il ajoute “ Et vous, maîtres, agissez de même à l’égard de vos serviteurs et laissez là les menaces. ” Or les coups poussent à l’exaspération, et ils sont plus redoutables que les menaces. Ils sont donc interdits.

2. Aristote note que “ le langage paternel comporte seulement l’admonition, mais non la contrainte ”. Or on peut contraindre par des coups. les parents ne doivent donc pas frapper leurs enfants.

3. Il est permis de corriger son prochain ; c’est une aumône spirituelle à lui faire, comme on l’a établi au traité de la charité. Si donc il était permis aux parents de battre leurs enfants pour les corriger, il serait également permis à tout le monde de battre n’importe qui ; ce qui est faux.

En sens contraire, “ Celui qui ménage la verge hait son fils ” (Pr 13, 24) et plus loin (23, 13) : “ N’épargne pas à l’enfant la correction ; si tu le fouettes, il n’en mourra pas ! Tu le fouettes et tu délivres son âme de l’enfer. ” De même l’Ecclésiastique (33, 27) “ A l’esclave méchant la torture et les fers. ”

Réponse :

Comme la mutilation, mais d’une autre manière, les coups que l’on donne à quelqu’un nuisent à son corps. En effet, la mutilation porte atteinte à l’intégrité du corps, alors que les coups causent seulement une impression de douleur. C’est donc un préjudice bien moindre que l’ablation d’un membre. Or il est interdit de nuire à quelqu’un, si ce n’est pas manière de châtiment pour faire régner la justice. En outre, une punition ne sera pleinement juste que si l’on a juridiction sur le délinquant. Par conséquent, il n’y a que celui qui a autorité sur un autre qui puisse le frapper. Et parce que le fils est soumis à l’autorité du père, et le serviteur à celle de son maître, le père pourra battre son fils et le maître son serviteur pour les corriger et les former.

Solutions :

1. Puisque la colère est un désir de vengeance, elle sera surtout provoquée chez celui qui s’estime injustement frappé, comme le montre Aristote. Donc, quand on prescrit aux parents de ne pas exaspérer leurs enfants, on ne leur défend pas de les frapper pour les corriger, mais seulement de le faire sans mesure. Quant à la recommandation faite aux maîtres de ne pas menacer leurs serviteurs, elle peut s’entendre de deux manières. Ou bien en ce sens que les maîtres n’usent de menaces qu’avec discrétion, ce qui relève d’une éducation bien réglée. Ou bien parce qu’ils ne doivent pas toujours exécuter leurs menaces ; la décision d’infliger un châtiment doit parfois être tempérée de miséricorde.

2. Quiconque jouit d’une plus grande autorité doit disposer d’un plus grand pouvoir de répression. Puisque la cité est une société parfaite, le chef suprême de la cité aura plein pouvoir cœrcitif ; il pourra donc infliger des peines irréparables comme la mort ou la mutilation. Mais le père ou le maître, chefs de la société domestique, société imparfaite, jouiront d’un pouvoir de répression moindre, et ne pourront donc appliquer que des peines plus légères, dont les effets ne sont pas irréparables. Tel est le droit de fouetter.

3. Tout homme peut corriger son prochain pourvu que celui-ci y consente. Mais le droit d’infliger une correction à celui qui s’y refuse n’appartient qu’à celui qui a charge pour cela. C’est ainsi qu’il lui revient de fouetter.

 

 

            Article 3 — L’emprisonnement

Objections :

1. Il semble que l’on n’ait pas le droit d’incarcérer un homme. En effet, l’acte qui porte sur une matière illégitime est mauvais par son genre, on l’a vu précédemment. Or, l’homme étant doué de liberté par la nature, ne peut être justement soumis à l’incarcération, qui supprime sa liberté. Donc l’incarcération est illicite.

2. La justice humaine doit se conformer à la justice divine. Or celle-ci, selon l’Ecclésiastique (15, 14) “ a laissé l’homme aux mains de son conseil ”. Il semble qu’on n’ait pas le droit de contraindre un homme en l’enchaînant ou en l’emprisonnant.

3. On ne doit exercer une contrainte sur un homme que pour l’empêcher de mal agir, et dans ce cas toute personne peut licitement en empêcher une autre de commettre une mauvaise action. Donc, s’il était permis de mettre quelqu’un en prison pour l’empêcher de mai agir, on aboutirait à ce que tout le monde pourrait incarcérer n’importe qui. Ce qui est manifestement faux.

En sens contraire, il est rapporté dans le Lévitique (24, 11) “ que l’on jeta un homme en prison pour avoir blasphémé ”.

Réponse :

Les biens corporels se hiérarchisent de la façon suivante : 1° L’intégrité substantielle du corps ; on lui porte atteinte par la mort ou la mutilation ; 2° la délectation ou le repos des sens, auxquels nuisent les coups reçus ou toute sensation douloureuse ; 3° le mouvement et l’usage des membres que l’on entrave par des liens, l’emprisonnement, ou tout autre mode de détention. Et c’est pourquoi mettre quelqu’un en prison ou le détenir de quelque manière est interdit, si ce n’est conformément à la justice, soit à titre de châtiment, soit par mesure préventive contre certains maux.

Solutions :

1. L’homme qui abuse du pouvoir qu’on lui a donné mérite de le perdre. Donc l’homme qui par le péché abuse du libre usage de ses membres, mérite d’en être privé par l’emprisonnement.

2. Dieu, selon l’ordre de sa sagesse, retient parfois les pécheurs d’accomplir leur péché, comme il est dit dans Job (5, 12) : “ Il déjoue les projets des perfides, il les empêche de réaliser leurs complots. ” Mais parfois il leur permet de faire ce qu’ils veulent. Pareillement, la justice humaine ne punit de l’incarcération que certaines fautes et non pas toutes.

3. Chacun a le droit d’empêcher momentanément un homme de faire une mauvaise action qu’il est sur le point d’accomplir ; ainsi de le retenir pour l’empêcher de se tuer ou de frapper un autre. Mais à parler absolument, le droit d’enfermer ou de lier une personne appartient uniquement à celui qui dispose tout à la fois des actes et de la vie d’un autre ; car celui-ci se trouvera alors empêché non seulement de faire le mal, mais aussi le bien.

 

 

            Article 4 — Le péché de ces violences est-il aggravé parce qu’elles sont commises contre ne personne unie à d’autres ?

Objections :

1. Il semble que non. Car de telles violences injustes ont raison de péché en tant qu’elles nuisent à quelqu’un contre sa volonté. Mais le tort causé à notre personne est contraire à notre volonté plus que s’il atteint une personne qui nous est unie. Donc la violence injuste contre cette personne est moins grave.

2. La Sainte Écriture blâme surtout les injustices commises contre les veuves et les orphelins ; on lit dans l’Ecclésiastique (35, 14) : “ Le Seigneur ne dédaigne pas les prières de l’orphelin ni les plaintes de la veuve. ” Mais la veuve et l’orphelin n’ont aucun lien qui les rattache à d’autres. Donc une injustice atteignant une personne liée à d’autres n’aggrave pas le péché.

3. La personne qui détient l’autorité et celle qui lui est unie gardent chacune sa volonté personnelle. Il peut donc arriver qu’une chose soit voulue par l’une tandis qu’elle s’oppose à la volonté de l’autre plus haut placée. C’est ainsi que l’adultère plaît à la femme et déplaît au mari. Or des injustices de ce genre ont raison de péché en tant qu’elles constituent un échange contraire à l’assentiment de la victime. Donc de telles injustices ont moins raison de péché.

En sens contraire, le Deutéronome (20, 32) menace comme d’un surcroît de châtiment : “ Tes fils et tes filles seront livrés à un autre peuple tes yeux le verront. ”

Réponse :

Un péché d’injustice est d’autant plus grave qu’il atteint un plus grand nombre de personnes, toutes choses égales d’ailleurs. Ce sera donc un péché plus grave de frapper le prince plutôt qu’un simple particulier, car alors l’injure rejaillit sur tous les sujets, comme nous l’avons vu. Or, lorsqu’on commet une injustice à l’égard d’une personne que certains liens unissent à une autre, l’injustice atteint deux personnes à la fois. C’est pourquoi, toutes choses égales d’ailleurs, le péché en est aggravé. Il peut arriver cependant qu’en vertu de circonstances particulières un péché commis envers une personne indépendante soit plus grave, soit à cause du rang que cette personne occupe, soit en raison de la grandeur du préjudice.

Solutions :

1. L’injustice qui atteint une personne liée à une autre nuit moins à celle-ci que si elle l’atteignait immédiatement, et de ce point de vue il y a un péché moindre. Mais tout ce qui constitue une injustice vis-à-vis de cette seconde personne s’ajoute au péché déjà commis contre la première, laquelle est directement lésée par l’injustice.

2. Les injustices commises envers les veuves et les orphelins sont plus graves, et parce qu’elles s’opposent davantage à la miséricorde, et parce que le mal causé à ces malheureux leur est plus pénible, parce qu’ils n’ont personne pour le réconforter.

3. Du fait que l’homme consent volontairement à l’adultère, le péché et l’injustice sont moindres par rapport à la femme. Car ils seraient plus graves si l’adultère lui faisait violence. Mais l’injustice causée au mari reste la même, puisque selon S : Paul (1 Co 7, 4) : “ Ce n’est pas l’épouse qui dispose de son corps, c’est son mari. ” Ces principes valent pour tous les cas semblables. La question de l’adultère sera examinée pour elle-même au traité de la tempérance. Car c’est un péché non seulement contre la justice, mais encore contre la vertu de chasteté.

 

 

QUESTION 66 — LE VOL ET LA RAPINE

Étudions maintenant les péchés opposés à la justice par lesquels on nuit au prochain dans ses biens, péchés qui sont le vol et la rapine.

1. La possession de biens extérieurs est-elle naturelle à l’homme. - 2. Est-il licite de posséder en propre un de ces biens ? - 3. Le vol consiste-t-il à prendre secrètement le bien d’autrui - 4. La rapine est-elle un péché spécifiquement distinct du vol ? - 5. Tout vol est-il un péché ? - 6. Le vol est-il péché mortel ? - 7. Est-il permis de voler en cas de nécessité ? - 8. Toute rapine est-elle péché mortel ? - 9. Est-elle un péché plus grave que le vol ?

 

 

            Article 1 — La possession de biens extérieurs est-elle naturelle à l’homme ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car personne ne doit s’attribuer ce qui appartient à Dieu. Or la souveraineté sur toutes les créatures est propre à Dieu, selon ce mot du Psaume (24, 1) : “ La terre est au Seigneur, etc. ” Donc la possession de biens créés n’est pas naturelle à l’homme.

2. Commentant la parole du riche insensé : “ je ramasserai dans mes greniers tous mes produits et tous mes biens ” (Lc 12, 18), S. Basile l’interrogea : “ Dis-moi, quels biens sont à toi, et d’où les as-tu pris pour les apporter en ce monde ? ” Mais on peut à juste titre dire siens les biens qu’on possède par nature. La possession de biens extérieurs n’est donc pas naturelle à l’homme.

3. Selon S. Ambroise : “ Le nom de maître implique la puissance. ” Mais l’homme n’a aucune puissance sur les biens extérieurs, il ne peut rien changer à leur nature. La possession des biens extérieurs ne lui est donc pas naturelle.

En sens contraire, le Psaume (8, 8) dit à Dieu : “ Tu as mis toutes choses sous les pieds ” de l’homme.

Réponse :

Les biens extérieurs peuvent être envisagés sous un double aspect. D’abord quant à leur nature, qui n’est pas soumise au pouvoir de l’homme mais de Dieu seul, à qui tout obéit docilement. Puis quant à leur usage ; sous ce rapport l’homme a un domaine naturel sur ces biens extérieurs, car par la raison et la volonté il peut s’en servir pour son utilité, comme étant faits pour lui. On a démontré plus haut, en effet, que les êtres imparfaits existent pour les plus parfaits. C’est ce principe qui permet à Aristote de prouvera que la possession des biens extérieurs est naturelle à l’homme. Et cette domination naturelle sur les autres créatures, qui convient à l’homme parce qu’il a la raison, ce qui fait de lui l’image de Dieu, cette domination se manifeste dans sa création même, lorsque Dieu dit (Gn 1, 26) : “ Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les oiseaux du Ciel ... ”

Solutions :

1. Dieu a la maîtrise de tous les êtres, étant leur principe. Et c’est lui qui, selon l’ordre de sa providence, a ordonné certaines choses à sustenter la vie corporelle de l’homme. C’est pour cela que l’homme a la possession naturelle de ces choses, en ce qu’il a le pouvoir d’en faire usage.

2. Ce riche est blâmé parce qu’il croyait que les biens extérieurs lui appartenaient à titre principal, comme s’il ne les avait pas reçus d’un autre, c’est-à-dire de Dieu.

3. L’objection vise la maîtrise qui s’exerce sur la nature même des choses extérieures ; elle appartient en effet à Dieu seul, comme on vient de le dire.

 

 

            Article 2 — Est-il licite de posséder en propre un de ces biens ?

Objections :

1. Il semble que nul n’ait le droit de posséder une chose comme lui appartenant en propre. Tout ce qui s’oppose au droit naturel, en effet, est illicite. Or selon le droit naturel tout est commun ; et à cette communauté des biens s’oppose la propriété des possessions. Il est donc illicite à tout homme de s’approprier n’importe quel bien extérieur.

2. S. Basile dans le commentaire de la parabole du riche insensé déclare : “ Les riches qui considèrent comme leur appartenant en propre les biens appartenant à tous, dont ils se sont emparés les premiers, sont semblables à celui qui, arrivé le premier au théâtre, empêcherait les autres d’entrer, se réservant pour lui seul ce qui est destiné à la jouissance de tous. ” Or il est illicite d’interdire aux autres la jouissance de biens destinés à tous. Il est donc illicite de s’approprier ces biens.

3. Nous lisons dans S. Ambroise et il est spécifié dans les Décrets : “ Que personne n’appelle son bien propre ce qui est commun. ” Or S. Ambroise considère les biens extérieurs comme communs, ainsi qu’il ressort du contexte. Il semble donc illicite que quelqu’un s’approprie un bien extérieur.

En sens contraire, S. Augustin affirme : “ On appelle “ apostoliques ”, écrit-il, ces hommes d’une arrogance sans pareille, qui se sont donné ce nom parce qu’ils ne reçoivent pas dans leur communion ceux qui usent du mariage et possèdent des biens en propre ; en cela ils imiteraient la conduite des moines et de nombreux clercs dans l’Église catholique. ” Mais ces orgueilleux sont hérétiques parce que, se séparant de l’Église, ils refusent tout espoir de salut à ceux qui usent des biens dont eux-mêmes s’abstiennent. Il est donc faux de soutenir que l’homme ne peut posséder quelque chose en propre.

Réponse :

Deux choses conviennent à l’homme au sujet des biens extérieurs. D’abord le pouvoir de les gérer et d’en disposer ; et sous ce rapport il lui est permis de posséder des biens en propre. C’est même nécessaire à la vie humaine, pour trois raisons : 1° Chacun donne à la gestion de ce qui lui appartient en propre des soins plus attentifs qu’il n’en donnerait à un bien commun à tous ou à plusieurs ; parce que chacun évite l’effort et laisse le soin aux autres de pourvoir à l’œuvre commune ; c’est ce qui arrive là où il y a de nombreux serviteurs. 2° Il y a plus d’ordre dans l’administration des biens quand le soin de chaque chose est confié à une personne, tandis que ce serait la confusion si tout le monde s’occupait indistinctement de tout. 3° La paix entre les hommes est mieux garantie si chacun est satisfait de ce qui lui appartient ; aussi voyons-nous de fréquents litiges entre ceux qui possèdent une chose en commun et dans l’indivis.

Ce qui convient encore à l’homme au sujet des biens extérieurs, c’est d’en user. Et sous tout rapport l’homme ne doit pas posséder ces biens comme s’ils lui étaient propres, mais comme étant à tous, en ce sens qu’il doit les partager volontiers avec les nécessiteux. Aussi S. Paul écrit-il (1 Tm 6, 17-18) : “ Recommande aux riches de ce monde... de donner de bon cœur et de savoir partager. ”

Solutions :

1. La communauté des biens est dite de droit naturel, non parce que le droit naturel prescrit que tout soit possédé en commun et rien en propre, mais parce que la division des possessions est étrangère au droit naturel ; elle dépend plutôt des conventions humaines et relèvera par là du droit positif, comme on l’a établi plus haut. Ainsi la propriété n’est pas contraire au droit naturel, mais elle s’y surajoute par une précision due à la raison humaine.

2. Celui qui, arrivé le premier au théâtre, en faciliterait l’accès aux autres n’agirait pas d’une manière illicite, mais bien s’il leur en interdisait l’entrée. De même, le riche n’est pas injuste, lorsque s’emparant le premier de la possession d’un bien qui était commun à l’origine, il en fait part aux autres. Il ne pèche qu’en leur interdisant à tous d’en user. C’est pourquoi S. Basile peut dire : “ Pourquoi es-tu dans l’abondance, et lui dans la misère, sinon pour que tu acquières les mérites du partage et lui pour qu’il obtienne le prix de la patience ? ”

3. Lorsque S. Ambroise dit : “ Que personne n’appelle son bien propre ce qui est commun ”, il parle de la propriété au point de vue de l’usage. Aussi ajoute-t-il : “ Tout ce qui dépasse les besoins, on le détient par la violence. ”

 

 

            Article 3 — Le vol consiste-t-il à prendre secrètement le bien d’autrui ?

Objections :

1. Il semble que ce soit une mauvaise définition, car ce qui diminue le péché ne saurait appartenir à l’essence du péché. Or pécher en secret est une circonstance qui diminue le péché ; au contraire, pour montrer l’excès de certains pécheurs, Isaïe remarque (3, 9) : “ Comme Sodome, ils étalent leurs péchés et ne s’en cachent pas. ” Donc le secret n’entre pas dans la définition du vol.

2. Par ailleurs, selon S. Ambroise, et nous retrouvons ses termes dans les Décrets : “ On est moins coupable en enlevant à autrui ce qui lui appartient, qu’en refusant à ceux qui sont dans le besoin, alors qu’on pouvait leur donner et que l’on est dans l’abondance. ” Le vol ne consiste donc pas simplement à s’emparer du bien d’autrui, mais aussi à le garder.

3. Un homme peut reprendre furtivement ce qui lui appartient, par exemple un objet qu’il a mis en dépôt chez un autre ou que celui-ci lui a injustement dérobé. Donc prendre en secret le bien d’autrui n’est pas nécessairement un vol.

En sens contraire, S. Isidore a écrit dans ses Etymologies : “ Le terme de voleur (fur) vient de (furvum), c’est-à-dire de furvum (obscurité), parce que le voleur profite de la nuit. ”

Réponse :

La définition du vol comporte trois éléments. Le premier est son opposition à la justice, qui attribue à chacun ce qui lui appartient ; de ce chef le vol est l’usurpation du bien d’autrui. Le deuxième élément distingue le vol des péchés contre les personnes, comme l’homicide et l’adultère. A ce titre le vol s’attaque aux biens possédés par autrui. En effet, prendre à quelqu’un, non ce qui lui appartient comme sa possession, mais ce qui est comme une partie de lui-même, ainsi lui enlever un membre, ou une personne qui lui est unie, sa fille ou son épouse par exemple, ce n’est pas à proprement parler un vol. Enfin le troisième élément qui achève la notion de vol, est de s’emparer du bien d’autrui en secret. Le vol est donc rigoureusement défini : “ L’usurpation secrète du bien d’autrui. ”

Solutions :

1. Le secret est parfois une cause de péché, lorsque l’on en use pour pécher, par exemple pour frauder et tromper ; alors, loin d’être une circonstance atténuante, le secret constitue l’espèce du péché ; tel est le cas du vol. Mais parfois le secret n’est qu’une simple circonstance du péché et en atténue la gravité, soit parce qu’il est un signe de honte, soit parce qu’il évite le scandale.

2. Garder ce qui est dû à autrui et s’en emparer injustement, c’est tout un. Aussi sous les termes “ prendre injustement ”, il faut également entendre “ détenir injustement ”.

3. Rien n’empêche qu’une chose appartenant absolument à une personne, soit à une autre de façon relative. Ainsi un dépôt appartient purement et simplement au déposant, mais appartient au dépositaire afin qu’il le conserve. Quant au bien enlevé par rapine, le ravisseur n’en a certes pas la propriété absolument parlant, mais il a charge de le garder.

 

 

            Article 4 — La rapine est-elle un péché spécifiquement distinct du vol ?

Objections :

1. Il semble plutôt que le vol et la rapine ne soient qu’un seul et même péché d’injustice. En effet, ils ne diffèrent que par le caractère occulte de l’un, et flagrant de l’autre. Or dans les autres genres de péchés, le secret et la publicité ne constituent pas des espèces différentes. Donc le vol et la rapine ne diffèrent pas d’espèce.

2. Les actes moraux reçoivent leur espèce de leur fin, comme on l’a dit précédemment. Or vol et rapine sont ordonnés à la même fin : s’approprier le bien d’autrui ; ils sont donc de même espèce.

3. Comme on ravit un objet pour s’en assurer la possession, on ravit une femme pour en jouir ; aussi, selon les Étymologies de S. Isidore : “ Le ravisseur (raptor) est appelé corrupteur (corruptor) et les objets ravis (rapta), corrompus (corrupta). ” Mais qu’une femme soit enlevée publiquement ou en secret, c’est toujours un rapt. On commet donc une rapine quelle que soit la manière, occulte ou flagrante, dont on s’empare du bien d’autrui. Donc il n’y a pas de différence entre vol et rapine.

En sens contraire, Aristote distingue vol et rapine. Il caractérise le premier par le secret et la seconde par la violence.

Réponse :

Le vol et la rapine sont des vices opposés à la justice par le tort injuste qu’ils font à autrui. Or nul n’est victime d’une injustice lorsqu’il y consent, comme le prouve Aristote. Et c’est pourquoi le vol et la rapine ont raison de péché par le fait qu’on s’empare d’une chose contre la volonté de la victime. Mais il y a deux espèces d’involontaire, celle qui est l’effet de l’ignorance, et celle qui résulte de la violence, toujours d’après Aristote. Et c’est pourquoi la raison de péché n’est pas la même pour le vol et la rapine. Donc ils sont d’espèce différente.

Solutions :

1. Dans les autres genres de péché, on ne tire pas la raison de péché d’un élément involontaire. Cela est propre aux péchés opposés à la justice, où les différentes espèces d’involontaire entraînent des espèces différentes de péché.

2. La fin éloignée de la rapine et du vol est sans doute la même, mais cela ne suffit pas à constituer une seule espèce de péché, car les fins prochaines sont diverses. Le ravisseur en effet veut obtenir le bien d’autrui par force, le voleur par ruse.

3. Un rapt ne peut évidemment pas être caché à la femme qui en est victime. Donc si ses ravisseurs s’enveloppent de mystère, la raison de rapine subsiste du côté de la femme à qui l’on fait violence.

 

 

            Article 5 — Tout vol est-il un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Aucun péché en effet, ne tombe sous un précepte divin, selon cette parole de l’Ecclésiastique (15, 20) : “ Dieu n’a commandé à personne de mal faire. ” Or Dieu a prescrit de voler, d’après l’Exode (12, 35) : “ Les enfants d’Israël firent comme le Seigneur l’avait ordonné à Moïse, et ils dépouillèrent les Égyptiens. ” Donc le vol n’est pas toujours un péché.

2. Celui qui trouve un objet qui ne lui appartient pas, et s’en empare, semble commettre un vol, puisqu’il s’approprie le bien d’autrui. Mais, disent les juristes, un tel acte semble être licite selon l’équité naturelle. Le vol n’est donc pas toujours un péché.

3. Celui qui prend ce qui lui appartient ne pèche pas, semble-t-il, puisqu’il ne lèse pas la justice dont il respecte l’égalité. Mais on commet un vol même si l’on reprend secrètement son propre bien qu’un autre détient ou garde en dépôt. Donc il apparaît que le vol n’est pas toujours un péché.

En sens contraire, il est écrit au livre de l’Exode (20, 15) : “ Tu ne voleras pas. ”

Réponse :

En considérant la notion de vol, on peut y découvrir deux raisons de péché. D’abord son opposition à la justice, qui rend à chacun ce qui lui est dû. Et ainsi le vol s’oppose à la justice parce qu’il consiste à prendre le bien d’autrui. De plus il est entaché de tromperie ou de fraude, puisque le voleur agit en secret et comme par stratagème en usurpant ce qui appartient à autrui. Il est donc manifeste que tout vol est un péché.

Solutions :

1. Prendre le bien d’autrui, de façon occulte ou publique, sur l’ordre du juge, n’est pas un vol, puisque ce bien nous devient dû par le fait qu’une sentence nous l’a adjugé. Encore bien moins, par conséquent, y a-t-il vol dans le cas des Hébreux spoliant les Égyptiens sur l’ordre de Dieu, en compensation des maux dont les Égyptiens les avaient injustement accablés. Aussi est-il expressément noté par le livre de la Sagesse (10, 20) : “ Les justes dépouillèrent les impies. ”

2. Il y a une distinction à faire au sujet des objets trouvés. Certains n’ont jamais appartenu à personne, comme les pierres précieuses et les perles que l’on trouve au bord de la mer ; ils sont au premier qui s’en empare. Il en va de même pour les trésors enfouis depuis des siècles et dont personne n’est possesseur ; à moins toutefois que la loi civile oblige celui qui les trouve dans une propriété à en donner la moitié au propriétaire. C’est pourquoi il est dit dans la parabole de l’Évangile (Mt 13, 44) que l’homme qui a trouvé “ un trésor caché dans un champ, achète ce champ ”, comme pour avoir le droit de posséder le trésor tout entier. - Mais il est d’autres objets trouvés qui récemment avaient un propriétaire. Alors, si celui qui les prend n’a pas l’intention de les garder, mais de les restituer à leur propriétaire qui n’en a pas fait l’abandon, il n’y a pas vol. Pareillement, lorsque certains objets sont censés abandonnés, et que celui qui les trouve les considère comme tels, il ne commet pas de vol en les gardant. Dans tous les autres cas, il y aurait vol ; ce qui fait dire à S. Augustin dans une homélie ce qu’on trouve aussi dans le Décret : “ Si tu trouves un objet et ne le restitues pas, tu le voles. ”

3. Celui qui prend son dépôt à l’insu du dépositaire lèse ce dernier qui est tenu à restituer ou à faire la preuve de sa non-culpabilité. Une telle action n’est évidemment pas sans péché et l’on est tenu de dédommager le dépositaire du tort qu’on lui cause.

Mais celui qui reprend furtivement son propre bien chez quelqu’un qui le détenait injustement, pèche aussi, non pas qu’il lèse le détenteur - et c’est pourquoi il n’est tenu à aucune sorte de restitution ou de dédommagement -, mais il pèche contre la justice légale en s’arrogeant le droit de se faire justice lui-même, en négligeant la règle du droit. Aussi est-il tenu de faire réparation à Dieu, et d’atténuer le scandale, s’il en est résulté un.

 

 

            Article 6 — Le vol est-il péché mortel ?

Objections :

1. Le vol n’est pas péché mortel, car il est écrit dans les Proverbes (6, 30 Vg) : “ Ce n’est pas une grande faute si quelqu’un vole. ” Or tout péché mortel est une grande faute. Donc le vol n’est pas péché mortel.

2. La peine de mort est due au péché mortel. Or la loi n’inflige pas la peine de mort pour vol, mais seulement une amende, selon l’Exode (21, 37) : “ Si un homme dérobe un bœuf ou un agneau, il restituera cinq bœufs pour le bœuf et quatre agneaux pour l’agneau. ” Donc le vol n’est pas un péché mortel.

3. On peut voler de petites choses comme de grandes. Or il semble absurde qu’un homme soit puni de la mort éternelle pour avoir dérobé une petite chose, une aiguille par exemple, ou une plume. Le vol n’est donc pas un péché mortel.

En sens contraire, nul n’est damné, selon le jugement divin, que pour un péché mortel. Or il damne pour le vol, selon cette parole du prophète Zacharie (5, 3) : “ Voici la malédiction qui va s’étendre sur toute la terre, car, selon ce qui est ici écrit : “ Tout voleur sera condamné. ” ” Donc le vol est péché mortel.

Réponse :

Nous avons défini précédemment le péché mortel : celui qui est directement opposé à la charité, cette vertu étant la vie spirituelle de l’âme. Or, la charité consiste principalement dans l’amour de Dieu et secondairement dans l’amour du prochain ; elle exige donc que nous voulions et fassions du bien à notre prochain. Mais par le vol on nuit au prochain dans ses biens, et si de telles pratiques se généralisaient parmi les hommes, la société humaine disparaîtrait. Le vol est donc péché mortel parce que contraire à la charité.

Solutions :

1. On dit que le vol n’est pas une grande faute, pour deux raisons. Premièrement à cause de la nécessité qui pousse à voler, et qui diminue la faute ou même la supprime totalement, comme on le verra à l’article suivant : aussi le verset des Prophètes précisait : “ Il vole pour apaiser sa faim. ” Secondement par comparaison avec le crime d’adultère qui est puni de mort. Aussi lisons-nous à la suite : “ Le voleur, s’il est pris, rendra sept fois la valeur de ce qu’il a pris, mais l’adultère perdra la vie. ”

2. Les peines de la vie présente ont pour but de guérir le pécheur plutôt que de le châtier. Ceci est réservé au jugement de Dieu, qui est selon la vérité. Voilà pourquoi ici-bas la peine de mort n’est pas infligée pour le péché mortel, mais seulement pour les péchés qui causent un dommage irréparable ou comportent une laideur effrayante. Aussi la justice humaine ne porte pas une telle peine contre le vol qui n’entraîne pas de dommage irréparable, à moins qu’il ne soit accompagné d’une circonstance particulièrement aggravante ; tels sont : le sacrilège, le vol d’une chose sacrée ; la concussion, qui est le détournement des deniers publics, comme S. Augustin l’explique dans son commentaire sur S. Jean ; l’enlèvement ou vol d’un homme, crime que la loi divine punissait de mort (Ex 21, 16).

3. Ce qui est minime peut être tenu pour rien. En vertu de ce principe, lorsqu’il s’agit de vols insignifiants, le propriétaire ne peut se tenir pour lésé, et celui qui dérobe peut présumer qu’il n’agit pas contre la volonté du possesseur. Aussi celui qui s’empare furtivement de choses insignifiantes peut ne pas commettre de péché mortel. Mais s’il a l’intention de voler et de porter préjudice à son prochain, son vol peut être un péché mortel malgré la légèreté de la matière ; comme la pensée seule suffit, dès qu’il y a consentement.

 

 

            Article 7 — Est-il permis de voler en cas de nécessité ?

Objections :

1. Il semble que non, car on n’inflige de pénitence qu’à un coupable. Or il est prescrit dans les Décrétales : “ Si quelqu’un, poussé par la faim ou le dénuement, vole des aliments, des habits ou du bétail, il fera pénitence pendant trois semaines. ” Il n’est donc pas permis de voler par nécessité.

2. Aristote remarque : “ Il y a des choses dont le nom seul implique immédiatement la malice ” et parmi elles il met le vol. Or ce qui est mauvais en soi ne peut devenir bon parce qu’il est ordonné à une fin bonne. On ne pourra donc pas voler en cas de nécessité pour pourvoir à sa subsistance.

3. Il faut aimer son prochain comme soi-même. Mais on ne peut voler pour faire l’aumône à son prochain ; S. Augustin l’affirme. On ne peut donc pas d’avantage voler pour subvenir à ses propres besoins.

En sens contraire, dans la nécessité tous les biens sont communs. Il n’y a donc pas péché si quelqu’un prend le bien d’autrui, puisque la nécessité en a fait pour lui un bien commun.

Réponse :

Ce qui est de droit humain ne saurait déroger au droit naturel ou au droit divin. Or, selon l’ordre naturel établi par la providence divine, les être inférieurs sont destinés à subvenir aux nécessités de l’homme. C’est pourquoi leur division et leur appropriation, œuvre du droit humain, n’empêchent pas de s’en servir pour subvenir aux nécessités de l’homme. Voilà pourquoi les biens que certains possèdent en surabondance sont dus, de droit naturel, à l’alimentation des pauvres ; ce qui fait dire à S. Ambroise et ses paroles sont reproduites dans les Décrets : “ C’est le pain des affamés que tu détiens ; c’est le vêtement de ceux qui sont nus que tu renfermes ; ton argent, c’est le rachat et la délivrance des miséreux, et tu l’enfouis dans la terre. ”

Toutefois, comme il y a beaucoup de miséreux et qu’une fortune privée ne peut venir au secours de tous, c’est à l’initiative de chacun qu’est laissé le soin de disposer de ses biens de manière à venir au secours des pauvres. Si cependant la nécessité est tellement urgente et évidente que manifestement il faille secourir ce besoin pressant avec les biens que l’on rencontre - par exemple, lorsqu’un péril menace une personne et qu’on ne peut autrement la sauver -, alors quelqu’un peut licitement subvenir à sa propre nécessité avec le bien d’autrui, repris ouvertement ou en secret. Il n’y a là ni vol ni rapine à proprement parler.

Solutions :

1. La décrétale citée ne vise pas le cas d’urgente nécessité.

2. Se servir du bien d’autrui que l’on a dérobé en secret dans un cas d’extrême nécessité n’est pas un vol à proprement parler, car, du fait de cette nécessité, ce que nous prenons pour conserver notre propre vie devient nôtre.

3. Cette même nécessité fait que l’on peut aussi prendre subrepticement le bien d’autrui pour aider le prochain dans la misère.

 

 

            Article 8 — Toute rapine est-elle péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que l’on puisse commettre une rapine sans pécher. Car on ne peut enlever un butin que par la violence, et c’est cette circonstance, on l’a vu, qui caractérise la rapine. Mais il est permis de prendre un butin à l’ennemi, car S. Ambroise observe a : “ Quand le butin est tombé aux mains du vainqueur, la discipline militaire veut que tout soit remis au roi ”, qui en assurera la distribution. Donc, en certains cas, la rapine est permise.

2. Il est permis d’enlever à quelqu’un ce qui ne lui appartient pas. Or les biens des infidèles ne leur appartiennent pas, ainsi que leur déclare S. Augustin : “ C’est à tort que vous appelez vôtres ces biens que vous ne possédez pas selon la justice, et dont vous devez être dépouillés par les décrets des princes séculiers. ” On peut donc sans pécher prendre les biens des infidèles.

3. Les princes temporels, par la violence, extorquent de grands biens à leurs sujets, ce qui semble une véritable rapine. Mais il semble dangereux de dire qu’ils pèchent en agissant ainsi, car ce serait condamner de ce chef presque tous les princes. Il y a donc des cas où la rapine est permise.

En sens contraire, on peut faire à Dieu un sacrifice ou une offrande de tout bien légitimement acquis. Or on ne peut lui offrir le fruit de la rapine, selon Isaïe (61, 8 Vg) : “ Moi, le Seigneur, j’aime la justice et j’ai en horreur l’holocauste qui vient des rapines. ” Il est donc défendu de s’emparer d’une chose par rapine.

Réponse :

La rapine comporte une certaine violence et contrainte par laquelle on arrache à quelqu’un, contrairement à la justice, ce qui lui appartient. Or, dans la société humaine, seule l’autorité publique donne à quelqu’un droit de contrainte. Aussi quiconque s’empare du bien d’autrui par la violence, s’il n’est qu’un simple particulier et n’est pas investi d’un pouvoir officiel, agit d’une manière illicite et commet une rapine, ainsi qu’on le voit avec les bandits.

Quant aux princes, l’autorité publique leur est confiée pour qu’ils fassent respecter la justice. Ils ne peuvent donc user de violence et de cœrcition que selon les dispositions de la justice, soit en combattant contre les ennemis extérieurs, soit en punissant les malfaiteurs de la cité. Ce qu’on enlève ainsi par violence n’a pas raison de rapine, puisqu’il n’y a là rien de contraire à la justice. Si au contraire certains princes se servent de la puissance publique pour prendre le bien d’autrui, ils agissent illicitement, commettent une rapine, et sont tenus à restitution.

Solutions :

1. Sur le butin pris aux ennemis, il faut distinguer. Si ceux qui les dépouillent mènent une guerre juste, ils deviennent possesseurs de ce qu’ils acquièrent par violence à la guerre. Il n’y a donc pas là de rapine, ni par conséquent obligation de restituer. Toutefois, même dans une guerre juste, ceux qui s’emparent du butin peuvent avoir une intention coupable et pécher par cupidité lorsque, par exemple, ils combattent moins pour défendre la justice que pour dépouiller leurs ennemis. Aussi S. Augustin écrit-il que “ c’est un péché de guerroyer en vue du butin ”. - Mais lorsque ceux qui dépouillent l’ennemi font une guerre injuste, ils sont coupables de rapine et tenus à restitutions.

2. Certains infidèles ne possèdent leurs biens injustement que dans la mesure où les princes ont porté des lois pour les en dépouiller. Il sera donc permis de les leur enlever de force, pourvu qu’on agisse en vertu non d’une autorité privée, mais de l’autorité publique.

3. Lorsque les princes exigent de leurs sujets ce qui leur est dû selon la justice pour la garde du bien commun dont ils sont responsables, ils ne commettent pas de rapine, même s’ils emploient la violence. Au contraire, si certains princes extorquent quelque chose injustement et par violence, c’est de la rapine et du brigandage. Aussi S. Augustin écrit-il : “ Sans la justice, que sont les royaumes, si ce n’est de vastes repaires de bandits ? Et ces repaires de bandits que sont-ils, sinon de petits royaumes ? ” Et encore Ézéchiel (22, 27) : “ Les chefs sont au milieu d’elle [Jérusalem] comme des loups qui déchirent leur proie. ” Ils sont donc tenus à restituer, comme les bandits. Ils pèchent même bien davantage que les bandits, dans la mesure où ils agissent d’une manière plus dangereuse et plus totale contre la justice légale, dont ils ont été institués les gardiens.

 

 

            Article 9 — La rapine est-elle un péché plus grave que le vol ?

Objections :

1. Il semble que le vol soit plus grave que la rapine, car à l’usurpation du bien d’autrui, il ajoute la fraude et la tromperie, ce que ne fait pas la rapine. Or la fraude et la tromperie ont par soi raison de péché, nous l’avons dit . Donc le vol est un péché plus grave que la rapine.

2. La pudeur qui a été définie par Aristote la crainte d’un acte honteux, naît davantage du vol que de la rapine.

3. Un péché est d’autant plus grave qu’il nuit à davantage de personnes. Or, par le vol, on peut nuire aux puissants comme aux faibles ; par la rapine, au contraire, on ne peut porter préjudice qu’à ces derniers, incapables de résister à la violence. Le vol paraît donc un péché plus grave que la rapine.

En sens contraire, les lois punissent la rapine plus sévèrement que le vol.

Réponse :

Nous avons établi plus haut que le vol et la rapine ont raison de péché parce qu’ils s’opposent à la volonté de la victime ; toutefois, dans le vol, il y a involontaire par ignorance, mais dans la rapine par violence. Or cette opposition est plus grande dans le second cas que dans le premier, car la violence est plus directement contraire à la volonté que l’ignorance. C’est pourquoi la rapine est un péché plus grave que le vol.

On peut encore en donner cette raison : non seulement la rapine porte directement préjudice à quelqu’un dans ses biens, mais en outre elle inflige une sorte de déshonneur ou d’injure envers la personne. Et cela est plus grave que la fraude ou la tromperie qui appartiennent au vol.

Solutions :

1. La réponse à la première objection est ainsi évidente.

2.Attachés aux réalités sensibles, les hommes tirent gloire de cette force extérieure qui se déploie dans la rapine plus que de la vertu intérieure qui est détruite par le péché. Aussi ont-ils moins de honte de la rapine que du vol.

3. Bien que le vol puisse nuire à plus de gens que la rapine, celle-ci peut causer des torts plus graves que le vol. Pour ce motif encore, la rapine est plus détestable.

LES PÉCHÉS COMMIS EN PAROLES CONTRE LA JUSTICE COMMUTATIVE

Il faut maintenant étudier les péchés opposés à la justice commutative qui se commettent par des paroles au détriment de notre prochain.

Nous traitons d’abord de ceux qui se commettent dans les procès, puis du tort fait au prochain par des paroles en dehors des tribunaux (Q. 72-76).

Le premier point comporte cinq questions qui ont trait aux injustices commises par : 1) Le juge dans l’administration de la justice (Q. 67). - 2) L’accusateur dans son accusation (Q. 68). - 3) L’accusé dans sa défense (Q. 69). - 4° Le témoin dans sa déposition (Q. 70). - 5° L’avocat dans sa tâche d’assistance (Q. 71).

 

 

QUESTION 67 — LES INJUSTICES COMMISES PAR LE JUGE

1. Peut-on juger sans injustice quelqu’un qui ne vous est pas soumis ? - 2. Est-il permis au juge de juger contre la vérité qu’il connaît, à cause de faits qui lui sont présentés ? - 3. Le juge peut-il condamner avec justice quelqu’un qui n’a pas été accusé ? - 4. Peut-il licitement accorder une remise de peine ?

 

 

            Article 1 — Peut-on juger sans injustice quelqu’un qui ne vous est pas soumis ?

Objections :

1. Il semble bien, car il est dit (Dn 13,45) que Daniel jugea et condamna les vieillards convaincus de faux témoignages. Mais ces vieillards, loin d’être soumis à Daniel, étaient eux-mêmes juges du peuple. Donc on peut licitement juger quelqu’un qui ne vous est pas soumis.

2. Le Christ, “ Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs ” (Ap 19, 16), ne pouvait être soumis à aucun homme. Or il se présente de lui-même à la justice humaine. Donc il est permis de juger quelqu’un que l’on n’a pas pour sujet.

3. Les droits civil et canonique statuent qu’en cas de délit l’affaire ressortit au tribunal du lieu.

Or il arrive parfois que la personne du délinquant ne soit pas soumise au juge du tribunal devant lequel son affaire est appelée, lorsqu’il appartient par exemple à un autre diocèse, ou s’il est exempt. Donc on peut juger quelqu’un qui ne vous est pas soumis.

En sens contraire, commentant ce passage du Deutéronome (23, 26) : “ Si tu traverses les moissons de ton prochain... ”, S. Grégoire explique : “ Vous ne pouvez pas porter la faux de votre jugement dans la moisson qu’on sait confiée à un autre. ”

Réponse :

La sentence du juge est comme une loi particulière visant un cas particulier. Or, selon Aristote toute loi générale doit disposer pour son application d’un pouvoir cœrcitif ; de même la sentence du juge, pour être observée par chaque partie, doit avoir un pouvoir de contrainte, sinon le jugement ne serait pas efficace. Mais dans la société, le dépositaire de l’autorité publique peut seul exercer le pouvoir de cœrcition. Et ceux qui en sont investis sont regardés comme les supérieurs de ceux qui sont soumis à ce pouvoir, et qui sont comme leurs sujets ; quel que soit d’ailleurs le mode de juridiction des premiers : ordinaire ou déléguée. Il est donc évident que personne ne peut juger quelqu’un qui ne serait pas de quelque façon son sujet, soit par délégation, soit par pouvoir ordinaire.

Solutions :

1. Le pouvoir que Daniel exerça sur les vieillards lui avait été comme confié par une inspiration divine ; c’est ce que laisse entendre ces paroles du même livre : “ Le Seigneur éveilla l’esprit du jeune enfant. ”

2. Pour régler une affaire, certaines personnes peuvent se soumettre de leur propre initiative au jugement de certaines autres, bien que ces dernières ne soient pas leurs supérieurs ; c’est le cas des compromis qui recourent à l’arbitrage. Mais alors il est nécessaire de garantir l’arbitrage par une peine ; puisque les arbitres qui, par définition, ne sont pas des supérieurs, ne jouissent pas par eux-mêmes d’un plein pouvoir cœrcitif. Ainsi le Christ a-t-il pu se soumettre de lui-même au jugement des hommes, et le pape Léon IV au jugement de l’empereur.

3. L’évêque dans le diocèse de qui se commet un délit devient par là même le supérieur du délinquant, ce dernier fût-il exempt ; sauf, toutefois si la matière du délit bénéficie de l’exemption, comme par exemple l’administration des biens d’un monastère exempt. Mais si un exempt commet un vol, un homicide ou une autre faute de ce genre, l’ordinaire a le droit de le condamner.

 

 

            Article 2 — Est-il permis au juge de juger contre la vérité qu’il connaît, à cause de faits qui lui sont présentés ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas permis d’agir ainsi, car nous lisons dans le Deutéronome (17, 9 Vg) : “ Tu iras trouver les prêtres de l’ordre Lévitique, et le juge en fonction à ce moment ; tu les consulteras et ils te feront connaître leur sentence conforme à la vérité. ” Mais les positions sont parfois contraires à la vérité, ainsi, celles des faux témoins. Le juge ne peut donc pas juger en se conformant aux dépositions et aux preuves, si celles-ci vont contre la vérité qu’il connaît par ailleurs.

2. L’homme qui juge doit se conformer au jugement divin, car il est écrit dans le Deutéronome (1, 17) : “ Le jugement est à Dieu. ” Or S. Paul (Rm 2, 2) nous dit : “ Le jugement de Dieu s’exerce selon la vérité ”, et le Messie, d’après le prophète Isaïe (11, 3) “ ne jugera point sur ce qui paraîtra aux yeux et ne prononcera point sur ce qui frappera les oreilles ; mais il jugera les faibles avec justice et prononcera selon le droit pour les humbles de la terre ”. Donc le juge ne doit pas juger conformément aux dépositions s’il les sait contraires à la vérité.

3. Les preuves doivent être fournies au procès pour permettre au juge de se former une conviction ; mais, lorsqu’il s’agit de faits notoires, il n’est pas nécessaire d’observer toute la procédure (1 Tm 5, 24) : “ Il y a des hommes dont les péchés sont manifestes, même avant qu’on ne les juge. ” Donc, si le juge connaît déjà la vérité, il ne doit pas tenir compte des preuves opposées, mais porter une sentence conforme à la vérité qu’il connaît.

4. Le mot “ conscience ” indique l’application de la science à l’action, comme on l’a vu dans la première Partie. Or agir contre sa conscience est un péché. Donc le juge pèche s’il porte une sentence d’après ce qui est allégué au procès, mais contrairement à sa conscience de la vérité.

En sens contraire, S. Augustine . dans une homélie, déclare : “ Le bon juge ne décide rien selon son bon plaisir, il prononce d’après les lois et le droit. ” C’est-à-dire que son jugement est conforme aux dépositions et aux preuves apportées dans le procès. Donc le juge doit se fonder là-dessus et non pas sur son bon plaisir,

Réponse :

Comme nous l’avons dit, le jugement appartient au juge selon qu’il exerce un pouvoir public. C’est pourquoi, lorsqu’il juge, il doit former son opinion non pas selon ce qu’il sait en tant que personne privée, mais d’après ce qui est porté à sa connaissance en tant que personnage public. Or cette connaissance lui parvient et d’une façon générale et d’une façon particulière par les lois publiques, divines ou humaines, contre lesquelles il ne doit admettre aucune preuve. En particulier, pour telle affaire, par les pièces à l’appui, les témoins et les autres documents légitimes. Il devra les suivre dans son jugement, de préférence à ce qu’il a appris comme personne privée. Il peut cependant s’aider de son information privée pour discuter avec plus de rigueur les preuves produites et chercher à en découvrir le vice. Mais s’il ne peut pas les repousser par des moyens de droit, il est obligé de juger d’après ces preuves, comme on l’a dit en sens contraire.

Solutions :

1. Ce texte du Deutéronome expose au préalable l’objet du litige que l’on vient soumettre au juge ; c’est pour faire entendre que les juges doivent juger selon la vérité d’après les éléments produits devant eux.

2. A Dieu seul il appartient de juger de sa propre autorité. C’est pourquoi son jugement est formé par la vérité qu’il connaît par lui-même et non par ce qu’il apprend des autres. Il en est de même du Christ, vrai Dieu et vrai homme. Mais les autres juges ne prononcent pas de leur propre autorité. Aussi la comparaison ne vaut pas.

3. S. Paul vise le cas de culpabilité manifeste pour tout le monde, et non seulement pour le juge, de telle sorte que le coupable n’ait aucune possibilité de nier, étant donnée l’évidence immédiate du fait. Mais si le juge seul a une certitude, ou tout le monde sauf le juge, alors il est nécessaire de poursuivre les débats du procès.

4. Pour tout ce qui le concerne personnellement, l’homme doit former sa conscience d’après son propre savoir. Mais quand il exerce une fonction publique, il doit informer sa conscience par ce qu’il peut apprendre au tribunal.

 

 

            Article 3 — Le juge peut-il condamner avec justice quelqu’un qui n’a pas été accusé ?

Objections :

1. Il semble qu’un juge puisse condamner un prévenu, même s’il n’y a pas d’accusation. En effet, la justice humaine découle de la justice divine. Mais Dieu condamne les pécheurs, même si personne ne les accuse. Un homme peut donc condamner au tribunal un prévenu que personne n’a accusé.

2. Dans un procès il faut un accusateur pour déférer le crime au juge. Mais il peut arriver qu’un crime soit déféré au juge autrement que par l’accusation, par exemple par une dénonciation, par l’indignation publique, ou si le juge lui-même en a été témoin. Donc le juge peut condamner quelqu’un sans accusateur.

3. Les actions des saints relatées dans l’Écriture nous sont proposées comme des modèles de la vie humaine. Or Daniel fut à la fois accusateur et juge des vieillards iniques (Dn 13, 45). Il n’est donc pas contraire à la justice de condamner quelqu’un comme juge, en étant accusateur soi-même.

En sens contraire, commentant la décision de l’Apôtre au sujet de l’incestueux de Corinthe (1 Co 5, 2), S. Ambroise s’exprime ainsi : “ Il n’appartient pas au juge de condamner sans accusateur. Le Seigneur lui-même ne rejeta pas judas, quoiqu’il fût voleur, parce que personne ne l’avait accusé. ”

Réponse :

Le juge est l’interprète de la justice. C’est pourquoi le Philosophe remarque que “ les hommes recourent au juge comme à une sorte de justice animée ”. Or la justice, comme nous l’avons dit plus haut, ne se pratique pas envers soi-même, mais envers autrui. Il faut donc que le juge ait à prononcer entre deux personnes, ce qui suppose que l’une d’entre elles intente une action contre l’autre qui est accusée. C’est pourquoi un juge ne pourra en matière criminelle condamner quelqu’un s’il n’y a pas d’accusateur, d’après ce principe que nous lisons dans les Actes des Apôtres (25, 16) : “ Ce n’est pas la coutume des Romains de condamner un homme avant d’avoir confronté l’accusé avec ses accusateurs et de lui avoir permis de se défendre contre ce qu’on lui reproche. ”

Solutions :

1. Au tribunal de Dieu, c’est la propre conscience du pécheur qui joue l’office d’accusateur selon S. Paul (Rm 2, 15) : “ Leurs pensées, tour à tour les accusent ou les défendent. ” On peut dire encore que l’évidence du fait joue le même rôle, selon la Genèse (4, 10) : “ La voix du sang de ton frère Abel crie de la terre jusqu’à moi. ”

2. L’indignation publique joue le rôle d’accusateur. Sur la parole de la Genèse que nous venons de citer, la Glose note : “ L’évidence de la perpétration du crime rend l’accusation superflue. Quant à la dénonciation, nous avons précisé qu’elle a pour but l’amendement du pécheur, non son châtiment ; c’est pourquoi elle n’agit pas contre le pécheur lorsqu’elle dénonce le péché, mais en sa faveur ; un accusateur n’est donc pas nécessaire. Mais on inflige une peine à cause de la rébellion contre l’Église, car cette rébellion étant manifeste, tient lieu d’accusateur. Et du fait que le juge lui-même est témoin, il ne peut entreprendre de porter une sentence sans suivre l’ordre d’un procès public. ”

3. Dieu, dans son jugement, se fonde sur sa propre connaissance de la vérité ; mais non l’homme, on vient de le dire. C’est pourquoi l’homme ne peut être à la fois accusateur, juge et témoin, comme Dieu. Quant à Daniel, il fut en même temps accusateur et juge pour exécuter le jugement de Dieu, dont l’inspiration le poussait, comme nous l’avons dit.

 

 

            Article 4 — Le juge peut-il licitement accorder une remise de peine ?

Objections :

1. Il semble que le juge soit autorisé à remettre la peine, car, selon S. Jacques (2, 13) : “ Le jugement sera sans miséricorde pour celui qui ne fait pas miséricorde. ” Or on ne punit pas quelqu’un pour n’avoir pas fait ce qu’il lui était interdit de faire. Donc tout juge peut licitement faire miséricorde en remettant la peine.

2. Les jugements des hommes doivent imiter les jugements divins. Or Dieu remet leurs peines à ceux qui se repentent, car Ézéchiel écrit (18, 23) “ Il ne veut pas la mort du pécheur. ” L’homme qui juge peut donc aussi faire une remise de peine au coupable repentant.

3. Il est toujours permis de faire ce qui est utile à autrui et ne nuit à personne. Or libérer un accusé de sa peine lui est avantageux et ne fait de mal à personne. C’est donc permis.

En sens contraire, le Deutéronome prescrit au sujet de quiconque entraînerait les autres à l’idolâtrie (13, 9) : “ Ton œil sera sans pitié pour lui, tu ne l’épargneras pas et tu ne le cacheras 1)as, mais tu dois le tuer sur-le-champ ”, et au sujet de l’homicide (1 9, 12) : “ Qu’il meure ! Tu n’auras pas de pitié pour lui. ”

Réponse :

D’après tout ce que nous venons de dire, il y a deux points à envisager chez le juge. Le premier, c’est qu’il doit prononcer entre un accusateur et un accusé ; le second, c’est qu’il ne prononce pas la sentence de sa propre autorité, mais comme représentant de l’autorité publique. Or il y a là deux raisons qui interdisent au juge de remettre sa peine à un accusé. La première vient de l’accusateur qui a parfois le droit d’exiger que le coupable soit puni, par exemple pour le tort que celui-ci lui a fait. En ce cas aucun juge n’est libre de prononcer la relaxe, car il est tenu d’assurer le respect des droits d’un chacun.

La seconde raison qui l’empêche, se prend du côté de l’États au nom duquel le juge exerce sa fonction et dont le bien exige que les malfaiteurs soient punis. Il y a cependant une distinction à faire ici entre les juges délégués et le prince, juge suprême, qui a la plénitude du pouvoir public. Un juge subalterne, en effet, n’a pas le droit de remettre sa peine au coupable, à l’encontre des lois édictées par l’autorité supérieure. Sur ce mot de Jésus (Jn 19, 11) : “ Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir, s’il ne t’avait pas été donné d’en haut ”, S. Augustin remarque : “ Dieu n’avait accordé à Pilate qu’un pouvoir subordonné à celui de César, de telle sorte qu’il n’était aucunement libre d’acquitter. ” Le prince, au contraire, qui jouit de la plénitude du pouvoir dans l’État, peut acquitter le coupable, si la victime y consent, et s’il juge qu’il n’en résultera aucun préjudice pour la société.

Solutions :

1. Le juge peut exercer sa clémence dans les causes qui sont laissées à sa décision ; alors s’applique le mot d’Aristote : “ L’homme de bien s’efforce d’adoucir les châtiments. ” Mais il ne lui appartient pas d’accorder sa grâce dans les affaires déterminées par la loi divine ou humaine.

2. Dieu étant le souverain juge, toutes les fautes commises contre le prochain relèvent. de son pouvoir suprême ; il lui est donc loisible d’en absoudre, d’autant plus que si le péché mérite châtiment, c’est surtout parce qu’il s’attaque à Dieu. Toutefois, en remettant les peines, Dieu n’agit que selon les convenances de sa bonté, laquelle est la source de toutes les lois.

3. Si le juge remettait les peines inconsidérément, il porterait préjudice à la société qui exige que les méfaits soient punis pour éviter les péchés. Aussi le Deutéronome (13, 12), après avoir fixé le châtiment du propagandiste de l’idolâtrie ajoute : “ Tout Israël l’apprendra et sera dans la crainte, afin qu’on ne commette plus une action aussi criminelle parmi vous. ” Cette indulgence nuit aussi à la victime de l’injustice, car le châtiment de son agresseur lui donne une compensation en lui restituant son honneur.

 

 

QUESTION 68 — LES INJUSTICES COMMISES DANS L’ACCUSATION

1. Est-on tenu de se porter accusateur ? - 2. L’accusation doit-elle être faite par écrit ? - 3. Comment peut-elle être entachée de vice ? - 4. Comment doit-on punir ceux qui portent une accusation fausse ?

 

 

            Article 1 — Est-on tenu de se porter accusateur ?

Objections :

1. Il semble que nul ne soit tenu de porter une accusation. En effet, on ne saurait être excusé, à cause d’un péché, d’accomplir un précepte divin, car alors on tirerait avantage de son péché. Or certains péchés rendent inhabiles à se porter accusateur ; c’est le cas des excommuniés, des gens perdus de réputation, et de ceux qui, accusés de grands crimes, n’ont pu encore établir leur innocence. Il n’y a donc pas de précepte divin qui fasse de l’accusation un devoir.

2. Tous les devoirs dépendent de la charité qui est la “ fin du précepte ” ; aussi S. Paul peut-il écrire aux Romains (13, 8) : “ N’ayez de dette envers personne, si ce n’est celle de l’amour mutuel. ” Mais cette dette de charité, tout homme la doit à tous, aux grands et aux petits, aux sujets comme aux supérieurs. Donc, puisque les sujets ne doivent pas accuser leurs supérieurs, ni les inférieurs les grands, comme le stipule le Décret, il semble que nul n’aie le droit de se porter accusateur.

3. Personne n’est tenu d’agir contre la fidélité qu’il doit à un ami, car nous ne devons pas faire à un autre ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fit. Mais certaines accusations peuvent porter atteinte à la fidélité que l’on doit à un ami. Il est écrit en effet, au livre des Proverbes (11, 13 Vg) : “ Le fourbe révèle les secrets, mais l’homme au cœur fidèle garde caché ce que son ami lui a confié. ” On n’est donc pas toujours tenu de porter une accusation.

En sens contraire, il est écrit dans le Lévitique (5, 1) : “ Si quelqu’un a été témoin et qu’après avoir entendu l’adjuration du juge, il ne déclare pas ce qu’il a vu ou ce qu’il sait, il pèche et portera son iniquité. ”

Réponse :

Nous avons vu la différence qu’il y a entre la dénonciation et l’accusation ; la première vise l’amendement de notre frère, la seconde la punition du crime. Or, ici-bas, les peines ne sont pas infligées pour elles-mêmes, car ce n’est pas encore le temps de rendre à chacun ce qui lui est dû ; elles sont médicinales, c’est-à-dire qu’elles servent soit à l’amendement du coupable, soit au bien de l’État, dont la sécurité est garantie par le châtiment des délinquants. De ces deux fins, la première est celle de la dénonciation, la seconde est proprement celle qui relève de l’accusation. Et voilà pourquoi, s’il s’agit d’un crime dont les conséquences sont funestes pour l’État, on est tenu de l’accuser, à condition toutefois que l’on soit en mesure d’en fournir efficacement la preuve, laquelle est à la charge de l’accusateur ; ce devoir s’impose par exemple dans le cas du péché d’un individu qui tourne au détriment corporel ou spirituel d’un grand nombre. Mais si le péché n’est pas de nature à entraîner de telles conséquences, ou s’il n’est pas possible de le prouver d’une manière suffisante, on n’est pas tenu d’intenter une accusation, car nul n’est tenu d’entreprendre ce qu’il ne peut mener à bonne fin de la manière requise.

Solutions :

1. Rien n’empêche que le péché puisse rendre un homme incapable d’accomplir ce qui est obligatoire, par exemple de mériter la vie éternelle ou de recevoir les sacrements. Bien loin que cet homme en tire avantage, il en subit le pire châtiment qui est de manquer à ses obligations, parce que les actions vertueuses sont en quelque sorte autant de perfections pour l’homme.

2. Il est défendu aux subordonnés d’accuser leurs supérieurs, “ s’ils ne sont pas guidés par l’amour de charité mais cherchent par perversité à diffamer leur vie et à les censurer ” ; ou encore si les sujets qui voudraient se porter accusateurs sont eux-mêmes chargés d’un crime, selon les Décrets. Autrement, s’ils remplissent les conditions voulues, il est permis aux sujets d’intenter, par charité, une accusation contre leurs supérieurs.

3. Révéler des secrets au détriment d’une personne, c’est assurément agir contre la fidélité, mais non quand cette révélation est faite en vue du bien commun, qu’il faut toujours préférer au bien d’un individu. Aussi n’est-il jamais permis de recevoir un secret qui aille contre le bien commun. On peut d’ailleurs ajouter que ce qui est susceptible d’être prouvé efficacement par témoin n’est aucunement un secret.

 

 

            Article 2 — L’accusation doit-elle être faite par écrit ?

Objections :

1. Cela ne semble pas nécessaire. L’écriture, en effet, a été inventée pour venir en aide à la mémoire afin de conserver le souvenir du passé. Or l’accusation vise un fait présent. Elle n’a donc pas besoin d’écriture.

2. Le droit prescrit : “ Aucun absent ne peut être accusateur, ni accusé. ” Or S. Augustin montre que l’écriture rend service pour communiquer une nouvelle aux absents. Donc il n’est pas nécessaire que l’on rédige une accusation, d’autant plus que le même canon prescrit : “ Une accusation écrite ne doit jamais être reçue. ”

3. On peut convaincre quelqu’un de crime aussi bien par l’accusation que par la dénonciation. Or il n’est pas nécessaire que la dénonciation soit écrite ; il en sera donc de même pour l’accusation.

En sens contraire, d’après le droit : “ On n’admettra jamais un accusateur, sans un écrit. ”

Réponse :

Comme on vient de le dire lorsque dans une cause criminelle on procède par voie d’accusation, l’accusateur se constitue partie, de telle sorte que le juge est placé entre l’accusateur et l’accusé pour procéder à l’examen de la cause ; il doit s’entourer de toutes les garanties possibles de certitude. Mais comme on peut facilement perdre la mémoire de ce qui a été dit de vive voix, le juge, lorsqu’il doit prononcer la sentence, pourrait ne plus être bien sûr de ce qui a été dit et de la manière dont on l’a dit, si tout n’avait été consigné par écrit. On a donc eu raison d’exiger que l’accusation et tous les autres actes du procès soient rédigés par écrit.

Solutions :

1. Il est difficile de retenir toutes les paroles, en raison de leur nombre et de leur diversité. La preuve en est que si, après un laps de temps assez court, on interrogeait toutes les personnes qui ont entendu le même discours, elles le rapporteraient différemment. De même, une légère modification dans les mots peut changer le sens. Voilà pourquoi, même si la sentence doit être prononcée presque aussitôt après les débats, il faut, pour assurer au jugement la plus grande garantie possible, que l’accusation soit rédigée par écrit.

2. L’écriture n’est pas seulement nécessaire pour communiquer avec des personnes éloignées, mais aussi pour obvier aux inconvénients qui résultent des délais, et que nous avons signalés. C’est pourquoi le canon cité : “ Nul n’est reçu à faire une accusation par écrit ” doit s’entendre d’un absent qui communiquerait par lettre son accusation au tribunal ; mais la présence de l’accusateur ne le dispense pas de rédiger son accusation.

3. Le dénonciateur ne s’oblige pas à faire la preuve de ce qu’il avance, aussi n’est-il passible d’aucune peine s’il ne peut fournir cette preuve. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire que la dénonciation soit rédigée par écrit ; il suffit qu’elle soit faite de vive voix à l’autorité ecclésiastique qui procédera, en vertu de son office, à l’amendement du fidèle.

 

 

            Article 3 — Comment l’accusation peut-elle être entachée de vice ?

Objections :

1. Il ne semble pas que l’accusation soit rendue injuste du fait de calomnie, prévarication et tergiversation. Car les Décret affirment que “ calomnier, c’est imputer faussement des crimes ”. Or, parfois un homme en accuse faussement un autre par une ignorance du fait, qui est une excuse. Il apparat donc que le fait d’être calomnieuse ne fait pas toujours de l’accusation un acte d’injustice.

2. Le même Décret dit que : “ Prévariquer, c’est tenir cachés des crimes réels. ” Mais cela ne paraît pas illicite, puisque, nous l’avons vu, on n’est pas toujours tenu de révéler tous les crimes. Donc l’accusation ne devient pas injuste du fait de prévarication.

3. Il est dit encore au même endroit : “ Tergiverser, c’est se désister totalement de l’accusation ”, mais le contexte montre que l’on peut agir ainsi sans injustice : “ Si quelqu’un se repent d’avoir formulé une accusation en matière criminelle, dont il ne puisse prouver le bien-fondé, qu’il se mette d’accord avec la partie adverse et qu’ils se tiennent quittes. ” L’accusation n’est donc pas rendue injuste du fait de la tergiversation.

En sens contraire, la même loi dit aussi : “ La témérité des accusateurs se révèle de trois manières : ou il calomnient, ou ils prévariquent, ou ils tergiversent. ”

Réponse :

Nous venons de le dire, celui qui porte une accusation se propose de servir le bien commun qui exige la révélation des crimes. Mais personne ne doit nuire injustement à autrui pour promouvoir le bien commun. Aussi peut-on pécher d’une double manière en se portant accusateur. D’une part on agit d’une manière injuste envers l’accusé que l’on charge de faux crimes : on le calomnie. On pèche, d’autre part, envers l’État quand, de mauvaise foi, on empêche la répression du crime, alors que le but de l’accusation est au premier chef le bien de l’État. Ici encore deux cas peuvent se présenter : ou bien l’accusation est entachée d’une intention frauduleuse, et c’est une “ prévarication ”, “ le prévaricateur est, en effet, comme un transgresseur (varicator : celui qui marche en faisant des crocs-en-jambe), qui aide la partie adverse en trahissant sa propre cause ” ; ou bien on se désiste entièrement de l’accusation, ce qui est “ tergiverser ”, car celui qui renonce à ce qu’il avait commencé, lui tourne pour ainsi dire le dos (tergum vertere).

Solutions :

1. On ne doit formuler une accusation que pour un fait dont on est absolument sûr, et au sujet duquel on ne peut invoquer l’excuse d’ignorance. Cependant, en accusant son prochain à tort, on n’est pas nécessairement un calomniateur ; il faudrait Pour l’être, qu’on lance par malice une accusation fausse. Mais si l’on n’a agi que par légèreté, par exemple si l’on a trop facilement accordé foi à ce que l’on a entendu, l’accusation est téméraire. Mais parfois on est conduit à accuser par une erreur justifiée. C’est à la prudence du juge de discerner la part exacte de culpabilité afin de ne pas taxer d’emblée de calomnie celui qui a formulé une accusation fausse soit par légèreté d’esprit, soit d’après une erreur justifiée.

2. Quiconque tient cachés des crimes véritables, n’est pas pour autant un prévaricateur ; il ne l’est que s’il cache frauduleusement ce que son accusation devrait révéler ; il entre en collusion avec le coupable, en dissimulant les preuves appropriées et en admettant de fausses excuses.

3. Tergiverser, c’est se désister totalement de l’accusation, non pas d’une façon quelconque, mais d’une façon injustifiable. Il peut arriver, en effet, que l’on abandonne le rôle d’accusateur pour de justes motifs et par suite sans péché, de deux façons : 1° il se révèle au cours des débats que l’accusation portée était fausse ; alors l’accusateur et l’accusé se désistent d’un commun accord ; 2° le prince, qui a la charge du bien commun, que l’accusation a pour but de servir, annule l’accusation.

 

 

            Article 4 — Comment doit-on punir ceux qui portent une accusation fausse ?

Objections :

1. Il ne semble pas que l’accusateur incapable de faire la preuve soit tenu à la peine du talion. Car il arrive parfois que l’accusation soit fondée sur une erreur qu’on ne pouvait discerner ; en ce cas le droit prescrit au juge d’absoudre l’accusateur. Donc celui-ci n’est pas soumis à la peine du talion.

2. Si l’on devait infliger la peine du talion à celui qui formule une accusation injuste, ce serait pour l’injustice commise envers quelqu’un. Or ce n’est pas pour l’injustice portant atteinte à l’honneur de l’accusé, car alors le prince ne pourrait remettre cette peine. Ce n’est pas non plus pour l’injustice commise envers l’État, puisque, à ce titre, l’accusé ne pourrait en tenir quitte. Donc la peine du talion ne doit pas être infligée à l’accusateur qui ne peut prouver ce qu’il avance.

3. A un même péché on ne doit pas infliger deux sortes de peines, selon ce mot du prophète Nahum (1, 9 Vg) : “ Dieu ne donnera pas deux châtiments pour le même fait. ” Or l’accusateur qui ne peut faire la preuve encourt déjà la peine d’infamie, dont le pape lui-même, semble-t-il, ne peut relever : “ Nous pouvons bien sauver les âmes par la pénitence, écrit le pape Gélase, mais nous ne pouvons supprimer l’infamie. ” Donc l’accusateur n’est pas tenu à subir la peine du talion.

En sens contraire, le pape Hadrien prescrit : “ Celui qui ne prouvera pas ce qu’il avance, subira la peine qu’il voulait faire infliger à l’accusé. ”

Réponse :

Nous avons établit qu’en procédure criminelle l’accusateur se constitue partie pour obtenir la condamnation de l’accusé. Le rôle du juge est d’établir entre les parties adverses l’égalité requise par la justice ; or cette égalité se réalisera en faisant souffrir à l’un ce qu’il avait l’intention de faire subir à l’autre : “ Œil pour œil, dent pour dent ”, est-il écrit (Ex 21, 24). Il est donc juste que celui qui, par son accusation, expose son prochain à un grave châtiment, soit passible de ce même châtiments.

Solutions :

1. Aristote prouve que la justice ne s’accommode pas toujours de la loi de réciprocité appliquée rigoureusement, car il y a une grande différence si quelqu’un blesse une personne volontairement ou involontairement : le châtiment est dû pour dommage volontaire, le pardon pour l’involontaire. C’est pourquoi, lorsque le juge constate que quelqu’un a fait une accusation fausse, sans intention de nuire, mais involontairement, par ignorance provenant d’une erreur justifiée, il n’impose pas la peine du talion.

2. Celui qui porte une accusation injuste pèche envers la personne de l’accusé et envers l’État. Il mérite donc d’être puni à ce double titre. C’est précisément ce que prescrit le Deutéronome (19, 18) : “ Les juges feront avec soin une enquête, et si le témoin se trouve être un faux témoin, qui a porté contre son frère une fausse déposition, vous lui ferez subir ce qu’il avait dessein de faire subir à son frère ” ; cela concerne l’injustice commise contre la personne de l’accusé ; quant à l’injustice commise contre l’État, l’auteur inspiré poursuit : “ Tu ôteras ainsi le mal du milieu de toi ; les autres, en l’apprenant, craindront et n’oseront plus jamais commettre de telles actions. ” Cependant une fausse accusation lèse directement la personne de l’accusé ; aussi ce dernier, s’il est innocent, peut-il accorder son pardon à l’injuste accusateur, surtout si celui-ci n’a pas agi par calomnie, mais à la légère. Cependant, si l’on se désiste de l’accusation d’un innocent par collusion avec la partie adverse, on commet une injustice envers l’État ; et il n’appartient pas à l’accusé de la pardonner, mais au prince qui a la charge de l’État.

3. L’accusateur mérite la peine du talion comme compensation du tort qu’il a l’intention de causer à son prochain ; il mérite par ailleurs la peine d’infamie pour la malice que représente une accusation calomnieuse. Or parfois le prince remet la peine du talion, mais ne relève pas de l’infamie, et parfois il acquitte totalement. Le pape jouit donc des mêmes pouvoirs ; et lorsque le pape Gélase dit : “ Nous ne pouvons relever de l’infamie ”, cela doit s’entendre soit de l’infamie de fait, soit de l’inopportunité d’une telle grâce, soit enfin, comme Gratien n l’explique, de l’infamie infligée par le juge civil.

 

 

QUESTION 69 — LES INJUSTICES COMMISES PAR L’ACCUSÉ

1. Est-ce un péché mortel de nier une vérité qui entraînerait la condamnation ? - 2. Est-il permis de calomnier pour se défendre ? - 3. Est-il permis de faire appel pour échapper au jugement ? - 4. Un condamné peut-il se défendre par la violence, s’il en a la possibilité ?

 

 

            Article 1 — Est-ce un péché mortel de nier une vérité qui entraînerait la condamnation ?

Objections :

1. Il semble qu’un accusé puisse, sans péché mortel, nier une vérité qui le ferait condamner. S. Jean Chrysostome déclare en effet : “ je ne te dis pas de te dénoncer toi-même au magistrat, ni d’avouer à autrui. ” Or, si au cours du procès l’accusé reconnaissait la vérité, il se trahirait et s’accuserait lui-même. Il n’est donc pas tenu de dire la vérité, et, par suite, ne pèche pas mortellement s’il ment devant ses juges.

2. Si l’on commet un mensonge officieux lorsque l’on ment pour sauver son prochain de la mort, il en est de même lorsque l’on ment pour sauver sa propre vie, puisqu’on a plus d’obligation envers soi-même qu’envers autrui. Or le mensonge officieux est considéré comme un péché véniel et non comme une faute mortelle. Donc, si l’accusé nie la vérité devant le tribunal pour sauver sa vie, il ne pèche pas mortellement.

3. Le péché mortel est celui qui est contraire à la charité, on l’a dit précédemment. Mais qu’un accusé mente pour se justifier d’une faute qu’on lui impute, cela n’est contraire ni à la charité envers Dieu, ni à la charité envers le prochain. Un tel mensonge n’est donc pas péché mortel.

En sens contraire, tout ce qui est contraire à la gloire de Dieu est péché mortel, car nous sommes tenus par précepte à “ faire tout pour la gloire de Dieu ” (1 Co 10, 31). Or la gloire de Dieu est intéressée à ce que le coupable reconnaisse tout ce qui le charge, ainsi qu’on le voit dans ces paroles de Josué à Achan (Jos 7, 19) : “ Mon fils, rends gloire au Seigneur, le Dieu d’Israël, et fais-lui hommage. Avoue-moi ce que tu as fait, ne me le cache pas. ” Donc mentir pour se disculper d’un péché est péché mortel.

Réponse :

Quiconque transgresse une obligation de justice pèche mortellement, nous l’avons dit plus haute. Or la justice exige que l’on obéisse à son supérieur en tout ce que son autorité a le droit d’ordonner. Et le juge, nous l’avons dit, est le supérieur de l’accusé qui relève de sa compétence. En conséquence, l’accusé est tenu en justice de révéler la vérité au juge qui la lui demande dans les formes juridiques. S’il ne veut pas l’avouer comme ce serait son devoir, ou s’il la nie par un mensonge, il pèche mortellement. Mais si le juge demande ce qu’il ne peut juridiquement exiger, l’accusé n’est pas obligé de lui répondre, et il lui est licite d’esquiver le jugement en interjetant appel ou par d’autres moyens ; toutefois il ne lui est pas permis de mentir.

Solutions :

1. Lorsqu’un accusé est interrogé par le juge conformément aux règles de la procédure, il ne se trahit pas lui-même, il est comme livré par un autre, du moment que la nécessité de répondre lui est imposée par celui à qui il est tenu d’obéir.

2. Mentir pour sauver quelqu’un de la mort, mais en faisant tort à un tiers, n’est pas un simple mensonge officieux, c’est aussi mêlé de mensonge pernicieux. Or le prévenu qui ment au cours des débats pour se justifier commet une injustice envers celui auquel il est tenu d’obéir ; car il lui refuse ce qu’il lui doit, à savoir l’aveu de la réalité.

3. Celui qui ment dans un procès pour se justifier, pèche à la fois contre l’amour de Dieu, d’où dérive toute autorité judiciaire, et contre l’amour du prochain, soit vis-à-vis du juge auquel il refuse ce qui lui est dû, soit vis-à-vis de l’accusateur, qui sera puni s’il ne peut prouver ce qu’il avance. Aussi lisons-nous dans le Psaume (141, 4) : “ Ne permets pas que mon cœur se livre à des paroles injustes, pour chercher des excuses à mes péchés ”, ce que la Glose commente ainsi : “ C’est l’usage des êtres sans pudeur, lorsqu’ils sont pris en faute, de s’excuser par quelque mensonge.” Et S. Grégoire e. sur ce passage de Job (31, 33) - “ Si, comme font les hommes, j’ai caché mon péché... ”, fait cette remarque : “ C’est le vice courant de la race humaine et de se cacher pour commettre le péché, et de le dissimuler après l’avoir commis, en le niant, et de le multiplier en se défendant lorsqu’on s’en voit convaincu.

 

 

            Article 2 — Est-il permis de calomnier pour se défendre ?

Objections :

1. Il semble permis à l’accusé de calomnier pour se défendre. En effet., dans une cause criminelle, la législation civile reconnaît à chaque partie le droit de corrompre la partie adverse. Or c’est là très précisément une défense calomnieuse. Donc, dans une cause criminelle, l’accusé ne pèche pas s’il a recours à la calomnie pour se défendre.

2. “L’accusateur en collusion avec l’accusé encourt la peine fixée par les lois ”, telle est la décision des canons. Mais ils ne disent rien de l’accusé en connivence avec l’accusateur. Donc ils autorisent l’accusé à se défendre par la calomnie. 3. Il est écrit au livre des Proverbes (14, 16) : “Le sage craint le mal et s’en détourne, mais l’insensé passe outre et reste en sécurité. ” Or l’œuvre du sage n’est pas un péché. Donc celui qui se délivre du mal par n’importe quel moyen, ne pèche pas.

En sens contraire, même en cause criminelle, il est obligatoire de prêter serment contre la calomnie, ce qui ne se ferait pas si l’on pouvait user de la calomnie pour se défendre ainsi.

Réponse :

Autre chose est de taire la vérité, autre chose de dire un mensonge. En certains cas, taire la vérité est permis. On n’est pas tenu, en effet, de dire toute la vérité, mais seulement celle que le juge peut et doit exiger selon les formes légales ; par exemple lorsque la rumeur publique, des indices assez nets ou déjà un commencement de preuve permettent d’accuser l’auteur d’un crime. Cependant, dire un mensonge est toujours interdit.

Mais cela même qui est permis peut être obtenu soit par les voies licites et conformes au but qu’on se propose, et c’est faire œuvre de prudence ; soit par des voies illicites et sans rapport avec le but visé ; cela relève de la ruse, qui s’exerce par la fraude et la tromperie, comme nous l’avons montré plus haut. De ces deux manières d’agir, la première est vertueuse, la seconde vicieuse. Ainsi donc le coupable, lorsqu’il est accusé, peut se défendre en cachant la vérité qu’il n’est pas tenu de révéler, mais par des procédés honnêtes, par exemple en ne répondant pas à des questions auxquelles il n’est pas obligé de répondre. Agir ainsi n’est pas se défendre par calomnie, mais plutôt se dérober prudemment. Mais il est interdit, ou de dire un mensonge ou de taire une vérité que l’on est tenu d’avouer, ou enfin d’user de tromperie ou de fraude car l’une et l’autre sont de véritables mensonges.

Solutions :

1. Beaucoup de crimes restent impunis selon les lois humaines et sont néanmoins des péchés selon le jugement de Dieu ; la fornication simple, par exemple. C’est que la loi humaine ne peut exiger des hommes une vertu parfaite qui ne serait le fait que d’une élite, et qu’on ne pourrait trouver dans le peuple si nombreux que la loi est obligée de contenir. Or, que l’accusé refuse de commettre un péché pour échapper à la mort dont il est menacé dans une cause capitale, c’est la vertu parfaite, car selon le mot d’Aristote : “ De tous les maux, le plus redoutable est la mort. ” Voilà pourquoi, si l’accusé dans une cause criminelle corrompt l’adversaire, il pèche en l’entraînant à une action mauvaise, mais la loi civile ne porte pas de peine contre ce péché. Et c’est dans ce sens qu’on le dit licite.

2. Lorsque l’accusateur entre en collusion avec un accusé réellement coupable, il encourt un châtiment, ce qui montre bien qu’il pèche. Mais comme on est coupable de péché lorsqu’on entraîne quelqu’un au péché ou que l’on participe de quelque façon à son péché, puisque l’Apôtre (Rm 1, 32) déclare dignes de mort ceux qui approuvent les pécheurs, il est évident que l’accusé lui-même pèche lorsqu’il s’entend frauduleusement avec la partie adverse. Si la loi civile ne le puni pas, c’est pour la raison donnée dans la réponse précédente.

3. Le sage ne se dérobe pas par la calomnie, mais en exerçant sa prudence.

 

 

            Article 3 — Est-il permis de faire appel pour échapper au jugement ?

Objections :

1. Il semble qu’un accusé ne peut faire appel d’un tribunal à un autre. S. Paul écrit en effet aux Romains (13, 1) : “ Que tout homme soit soumis aux autorités supérieures. ” Or, l’accusé qui interjette appel refuse de se soumettre à l’autorité supérieure, en l’espèce celle du juge. Donc il pèche.

2. La force d’obligation dont dispose l’autorité régulière est plus grande que celle qui est confiée à un juge élu par les parties. Or le droit i prescrit : “ Il n’est pas permis d’en appeler de la sentence du juge choisi par consentement mutuel. ” Encore moins pourra-t-on faire appel des jugements d’un tribunal régulier.

3. Ce qui est permis une fois l’est toujours. Or il n’est pas permis d’interjeter appel au-delà d’un délai de dix jours après le prononcé du jugement, ni trois fois au sujet de la même cause. Donc l’appel lui-même semble de soi illicite.

En sens contraire, S. Paul en a appelé à César (Ac 25, 11).

Réponse :

On peut faire appel pour deux motifs. 1° Parce qu’on a confiance dans la justice de sa cause et que l’on a été injustement chargé par le juge. Dans ce cas l’appel est permis, et c’est faire œuvre de prudence que de se dérober : “ Quiconque est opprimé, statue un canon, peut en appeler librement au jugement des prêtres. Que personne ne l’en empêche. ”

2° On peut aussi faire appel pour gagner du temps et par ce moyen retarder matériellement une juste décision. Mais c’est encore employer une défense calomnieuse, ce qui est interdit, nous l’avons dit à l’article précédent. L’accusé, en effet, nuit et au juge qu’il empêche de remplir ses fonctions, et à l’adversaire auquel il empêche la justice de donner satisfaction. Aussi le même canon cité plus haut prescrit : “ On doit punir sans merci celui qui a fait appel injustement. ”

Solutions :

1. On ne doit se soumettre à une autorité inférieure que dans la mesure où elle-même obéit à l’autorité supérieure ; et quand elle s’en écarte, on n’est plus tenu de lui rester soumis, comme le dit la Glose (sur Rm 13, 12), lorsque “ le proconsul ordonne une chose, et l’empereur une autre ”. Or, lorsque le juge accable injustement quelqu’un, il s’écarte de l’ordre prescrit par l’autorité supérieure qui lui impose l’obligation de juger en toute justice. Aussi est-il permis à celui qui est ainsi injustement chargé de recourir directement à l’autorité supérieure en interjetant appel, soit avant soit après la sentence. Cependant, comme on présume qu’il n’y a pas de justice parfaite là où il n’y a pas de vraie foi, on interdit aux catholiques d’en appeler à un juge infidèle : “ Le catholique qui fait appel au tribunal d’un juge appartenant à une autre religion, que la cause soit juste ou injuste, sera excommunié. ” Car l’Apôtre réprouve ceux qui intentaient des procès auprès des infidèles (1 Co 6, 1).

2. Si quelqu’un, de sa propre initiative, se soumet au jugement d’une autre personne en la justice de laquelle il n’a pas confiance, cela vient de lui-même et de sa négligence. En outre, se désister après s’être engagé prouve de la légèreté d’esprit. C’est donc avec raison que le code refuse le bénéfice de l’appel dans les causes jugées par des arbitres car toute l’autorité de ceux-ci vient du choix concordant des plaideurs. En revanche, le juge ordinaire ne tient pas son autorité du consentement du justiciable, mais de l’autorité suprême du roi ou du prince qui l’a institué. Voilà pourquoi, contre sa partialité injuste, la loi accorde la ressource de faire appel, de telle sorte que, même si le juge était à la fois ordinaire et arbitre, on pourrait en appeler de son jugement. Il semble, en effet, que ce soit son pouvoir ordinaire qui ait été la cause de son choix comme arbitre, et l’on ne peut pas non plus penser que le plaideur se soit mis dans son tort pour avoir accepté comme arbitre un juge que le prince avait investi d’un pouvoir régulier.

3. L’équité juridique vient au secours de l’une des parties sans nuire à l’autre. Aussi accorde-t-elle un délai de dix jours pour faire appel ; elle estime ce laps de temps suffisant pour délibérer sur l’opportunité d’une telle décision. Mais si elle n’avait pas fixé un terme au-delà duquel l’appel ne serait plus possible, l’application du jugement resterait en suspens, et il en résulterait un préjudice pour la partie adverse. C’est pour le même motif qu’il est interdit de faire appel trois fois au sujet de la même affaire, car il est invraisemblable que les juges s’écartent si souvent de la justice.

 

 

            Article 4 — Un condamné peut-il se défendre par la violence, s’il en a la possibilité ?

Objections :

1. Il semble qu’il soit permis à un condamné à mort de se défendre s’il le peut. En effet, il est toujours permis de faire ce à quoi la nature nous porte : c’est de droit naturel. Or la tendance de la nature est de résister aux agents destructeurs, et cette tendance existe non seulement chez les hommes et les animaux, mais même dans les êtres inanimés. Il est donc permis à un condamné de résister, s’il le peut, pour ne pas être mis à mort.

2. On peut se soustraire à une sentence de mort par la violence ou par la fuite. Mais il paraît permis d’échapper à la mort par la fuite selon l’Ecclésiastique (9, 13 Vg) : “ Éloigne-toi de l’homme qui a le pouvoir de faire mourir, mais non de faire revivre. ” Il sera donc permis également à l’accusé de résister.

3. L’Écriture dit encore (Pr 24, 11) : “ Délivre ceux qu’on mène à la mort ; ne cesse de l’employer à la libération de ceux que l’on traîne au supplice. ”

Mais on a plus d’obligation envers soi-même qu’envers autrui. Il est donc permis à un condamné de se défendre pour n’être pas mis à mort.

En sens contraire, S. Paul écrit (Rm 13, 2) “ Celui qui résiste à l’autorité, résiste à l’ordre que Dieu a établi, et il attire sur lui-même la condamnation. ” Or, en se défendant, le condamné résiste à l’autorité dans l’exercice même du pouvoir qu’elle tient de Dieu, “ pour faire justice des malfaiteurs et approuver les gens de bien ” (1 P 2, 14). Se défendre est donc un péché.

Réponse :

Une sentence de mort peut être portée en toute justice ; alors le condamné n’a pas le droit de se défendre ; s’il le fait, le juge pourrait combattre sa résistance, et cette rébellion du condamné, assimilable à une guerre injuste, serait sans aucun doute un péché. Mais si la condamnation est injuste, c’est la sentence du juge que l’on peut comparer à un acte de violence accompli par des bandits selon Ézéchiel (22, 27) : “ Les princes de la nation sont au milieu d’elle comme des loups qui déchirent leur proie et cherchent à répandre le sang. ” De même donc qu’il est permis de résister aux bandits, de même est-il permis en ce cas de résister aux mauvais princes, à moins toutefois qu’il ne faille éviter le scandale, dans le cas où la résistance ferait craindre de graves désordres.

Solutions :

1. Si l’homme est doué de raison, c’est pour qu’il ne suive pas les inclinations de la nature au hasard, mais selon l’ordre de la raison. Aussi tout acte de défense n’est-il permis que si l’on observe la modération requise.

2. Aucune condamnation à mort ne comporte que le coupable se donne la mort, mais qu’il la subisse. Aussi le condamné n’est-il pas obligé de faire ce qui entraînerait la mort, comme par exemple de rester dans le lieu d’où il sera conduit au supplice. Cependant il est tenu de ne pas résister au bourreau pour éviter de subir son juste châtiment. Ainsi encore il ne péchera pas si, condamné à mourir de faim, il prend la nourriture qu’on lui a secrètement apportée, parce que s’en abstenir serait se suicider.

3. Cette parole du Sage n’exhorte pas à sauver quelqu’un de la mort en violant l’ordre de la justice. On n’est donc pas davantage autorisé à se soustraire soi-même à la mort par une résistance contraire à la justice.

 

 

QUESTION 70 — LES INJUSTICES COMMISES PAR LE TÉMOIN

1. Est-on obligé de porter témoignage ? - 2. Le témoignage de deux ou trois témoins est-il suffisant ? - 3. Un témoin peut-il être récusé sans une faute de sa part ? - 4. Est-ce un péché mortel de porter un faux témoignage ?

 

 

            Article 1 — Est-on obligé de porter témoignage ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse être tenu de porter témoignage. S. Augustin, estime qu’Abraham, en disant de sa femme : “ C’est ma sœur ” (Gn 12, 12), a voulu cacher la vérité, non faire un mensonge. Mais en cachant la vérité on s’abstient de témoigner. Donc on n’est pas tenu de témoigner.

2. Personne n’est tenu d’agir avec fourberie. Or nous lisons au livre des Proverbes (11, 13 Vg) : “ Le fourbe révèle les secrets ; mais l’homme au cœur fidèle garde caché ce que son ami lui a confié. ” Un homme ne saurait donc être toujours tenu de porter témoignage, surtout sur un fait dont son ami lui a confié le secret.

3. Les clercs et les prêtres sont obligés plus que tous les autres à observer ce qui est nécessaire au salut. Or il leur est interdit de porter témoignage dans une cause criminelle. Donc témoigner n’est pas nécessaire au salut.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Celui qui cache la vérité et celui qui profère un mensonge sont tous deux coupables : le premier parce qu’il ne veut pas être utile, le second parce qu’il cherche à nuire. ”

Réponse :

Il y a une distinction à faire sur la déposition du témoin. Tantôt sa déposition est requise, tantôt elle ne l’est pas. La déposition d’un inférieur, en effet, peut être requise par le supérieur qui est en droit d’exiger l’obéissance en tout ce qui relève de la justice ; dans ce cas il n’est pas douteux que l’on est tenu d’apporter son témoignage sur les faits, pourvu que la déposition soit demandée par le juge conformément aux prescriptions du droit ; par exemple sur des crimes flagrants ou déjà dénoncés par l’opinion publique. Mais si le témoignage est exigé sur d’autres faits, par exemple pour des faits secrets ou que la rumeur publique n’a pas divulgués, on n’est pas tenu de témoigner.

Dans le cas où la déposition ne serait pas requise par l’autorité à laquelle on est tenu d’obéir, il faut encore distinguer. Si le témoignage est demandé afin de délivrer un homme menacé injustement de la mort ou d’un châtiment quelconque, d’un déshonneur immérité ou même d’un préjudice excessif, on est tenu de témoigner. Même si l’on ne nous demandait pas de déposer, il faudrait faire tout son possible pour révéler la vérité à celui qui pourrait aider l’accusé. Nous lisons, en effet, dans le Psaume (82,4) : “ Sauvez le pauvre et l’indigent, délivrez-les de la main des méchants ” ; dans les Proverbes (24, 11) : “ Délivre ceux qu’on envoie à la mort ”, et dans l’épître aux Romains (1, 32) : “ Ils sont dignes de mort non seulement ceux qui agissent ainsi, mais ceux qui les approuvent. ” Or la Glose précise : “ Se taire alors que l’on pourrait réfuter l’erreur, c’est l’approuver. ”

Mais lorsqu’il s’agit de favoriser la condamnation, on n’est pas tenu de témoigner, à moins d’y être contraint par l’autorité légitime et selon l’ordre du droit. Parce que, si l’on cache la vérité à ce sujet, on ne cause à personne un tort précis. Ou bien, si cela peut créer un danger pour l’accusateur, on n’a pas à s’en soucier, puisqu’il s’y est librement exposé. Il en est autrement du prévenu, car il court un danger qu’il n’a pas voulu.

Solutions :

1. S. Augustin autorise à tenir cachée la vérité lorsque l’autorité légitime n’exige pas sa divulgation, et quand le silence n’est dommageable à personne en particulier.

2. Le prêtre ne doit en aucune façon apporter son témoignage sur un fait qui lui a été révélé sous le secret de la confession ; en effet, il ne le connaît pas comme homme, mais comme ministre de Dieu, et le lien du secret sacramentel est plus strict que n’importe quel précepte humain.

Pour les autres genres de secrets, il faut distinguer. Certains sont de telle nature qu’on est tenu de les révéler dès qu’on en aura eu connaissance ; par exemple ceux dont l’objet serait relatif à la ruine spirituelle ou matérielle de la société ou comporterait un grave dommage pour une personne ou quelque effet nuisible de ce genre. On est tenu de divulguer ce secret soit en apportant son témoignage, soit par dénonciation. L’obligation du secret ne vaut pas contre un tel devoir, car on manquerait alors à la loyauté due à autrui. Mais lorsque le contenu de certains secrets n’oblige pas à les révéler, on pourra être obligé de les garder cachés par le fait même qu’ils nous auront été confiés sous le sceau du secret. On ne sera jamais autorisé à trahir de tels secrets, même sur l’ordre d’un supérieur, car le respect de la parole donnée est de droit naturel ; et rien ne peut être commandé à un homme qui soit contre le droit naturel.

3. Donner la mort ou y coopérer ne convient pas aux ministres de l’autel, nous l’avons déjà dite. C’est pourquoi, selon le droit, on ne peut les contraindre à témoigner dans une cause criminelle.

 

 

            Article 2 — Le témoignage de deux ou trois témoins est-il suffisant ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne suffise pas. En effet le jugement requiert la certitude. On ne saurait l’obtenir par les dépositions de deux témoins ; on lit en effet (1 R 21, 10) que Naboth fut injustement condamné sur la déposition de deux témoins.

2. Pour être crédibles, les témoignages doivent être concordants. Mais le plus souvent les dépositions de deux ou trois témoins sont en désaccord. Elles ne sont donc pas capables de prouver la vérité.

3. Le droit prescrit : “ Un évêque ne peut être condamné que sur la déposition de soixante-douze témoins. Un cardinal-prêtre ne sera déposé que sur le témoignage de quarante-quatre témoins. Un cardinal-diacre de la ville de Rome ne sera condamné que sur le témoignage de vingt-huit témoins. Les sous-diacres, acolytes, exorcistes, lecteurs, portiers ne seront condamnés que sur le témoignage de sept témoins. ” Or plus un homme est élevé en dignité, plus son péché est pernicieux et donc moins digne d’indulgence. A plus forte raison par conséquent la déposition de deux ou trois témoins ne sera-t-elle pas suffisante pour faire condamner des accusés moins coupables.

En sens contraire, le Deutéronome prescrit (17, 6) : “ Sur la parole de deux ou trois témoins on mettra à mort celui qui doit mourir ”, et encore (19, 15) : “ C’est sur la parole de deux ou trois témoins que la cause sera jugée. ”

Réponse :

Aristote remarque : “ On ne doit pas exiger le même genre de certitude en toute matière. ” De fait il ne peut y avoir de certitude absolument convaincante au sujet des actions humaines, sur lesquelles portent les jugements et les dépositions, car tout cela concerne des faits contingents et variables. Il suffit d’une certitude probable, c’est-à-dire celle qui approche le plus souvent de la vérité, encore qu’elle puisse s’en écarter moins souvent. Or il est probable que la déposition de nombreux témoins sera plus proche de la vérité que la déposition d’un seul. Voilà pourquoi, lorsque le coupable est seul à nier, tandis que de nombreux témoins sont affirmatifs, d’accord avec l’accusateur, il a été raisonnablement institué par le droit divin et humain, qu’on devait s’en tenir à la parole des témoins.

Or, toute multitude tient dans ces trois éléments : le commencement, le milieu et la fin ; ce qui fait dire à Aristote : “ Nous faisons tenir dans le nombre trois l’universalité et la totalité. ” Mais le chiffre trois est atteint lorsque deux témoins sont d’accord avec l’accusateur. Deux témoins seulement seront donc requis, ou trois pour une plus grande certitude, afin d’obtenir le nombre ternaire qui constitue alors la multitude parfaite chez les témoins eux-mêmes. D’où cette sentence du Sage (Qo 4, 12) : “ Le triple filin ne rompt pas facilement ”, et sur cette parole de Jean (8, 17) : “ Le témoignage de deux hommes est véridique ”, S. Augustin remarque : “ Par là est suggérée de façon symbolique la sainte Trinité dans laquelle réside la solidité éternelle de la vérité. ”

Solutions :

1. Si grand soit le nombre de témoins que la procédure puisse exiger, cela n’empêcherait pas leur déposition d’être parfois injuste, puisqu’il est écrit dans l’Exode (23, 2) : “ Tu ne suivras pas la multitude pour faire le mal. ” Toutefois, si l’on ne peut obtenir une certitude infaillible en pareille matière, on ne doit pas pour autant négliger la certitude probable qui peut naître de la déposition de deux ou trois témoins, comme on vient de le dire.

2. Le désaccord entre les témoins, lorsqu’il porte sur des circonstances importantes qui changent la substance du fait, par exemple : le temps et le lieu de l’action, les personnes qui y ont pris une part active, etc., enlève toute valeur à leur témoignage ; car, si les témoins divergent à ce point dans leur déposition, il semble que chacun d’eux porte un témoignage isolé et parle de faits différents ; ainsi, lorsqu’un témoin affirme que ce fait s’est passé à tel moment, à tel endroit, et qu’un second témoin assure que c’était à un autre moment et dans un autre endroit, ils semblent ne pas parler de la même chose. Mais le témoignage n’est pas compromis si l’un des témoins déclare ne plus s’en souvenir, alors qu’un autre témoin précise le temps et le lieu.

Il peut encore se produire un désaccord total sur ces points importants entre les témoins de l’accusation et ceux de la défense. Si les témoins sont en nombre égal et aussi dignes de foi, on favorisera l’accusé, car le juge doit plus volontiers acquitter que condamner, sauf peut-être lorsque le procès est en faveur du demandeur, comme ce serait le cas pour une affaire d’affranchissement ou d’autres semblables. Mais si ce sont les témoins d’une même partie qui sont en désaccord, le juge doit se demander pour quelle partie se prononcer et se décider, soit d’après le nombre des témoins, ou leur qualité, soit d’après les éléments favorables de la cause ou les circonstances de l’affaire et les dépositions.

Quant au témoignage d’un individu qui se contredit lorsqu’on l’interroge sur ce qu’il a vu et ce qu’il sait, on ne peut absolument pas en tenir compte. Toutefois il n’en va plus de même si la contradiction porte entre l’opinion personnelle du témoin et ce qu’il a entendu dire, car il est fort possible qu’il soit porté à répondre diversement selon qu’il tient compte des diverses impressions qu’il a reçues.

Enfin si le désaccord entre les témoins porte sur des circonstances qui n’intéressent pas la substance des faits, si le ciel, par exemple, était nuageux ou serein, si la maison était peinte ou non, etc., de telles divergences n’infirment pas un témoignage, car habituellement on ne s’occupe pas beaucoup de ces détails et on les oublie facilement. Bien plus, un certain désaccord sur ces points secondaires, rend le témoignage plus digne de foi, car, comme S. Jean Chrysostome l’a remarqué, si les dépositions étaient identiques dans tous leurs détails, on pourrait soupçonner un accord concerté. Ici encore c’est à la prudence du juge d’apprécier.

3. Les dispositions contenues dans le canon cité sont particulières aux évêques, aux prêtres, aux diacres et aux clercs de l’Église romaine, et sont motivées par le rang d’honneur de cette Église ; et cela pour trois raisons : 1° On ne doit y promouvoir aux dignités que des hommes dont la sainteté inspire plus de confiance que les dépositions de nombreux témoins. 2° Les hommes qui ont à juger les autres se créent souvent, dans l’exercice même de leur mission, de nombreux ennemis ; aussi ne faut-il pas croire trop aisément aux témoins qui déposent contre eux, à moins qu’ils ne soient nombreux à être d’accord. 3° La condamnation de l’un d’eux porterait atteinte à la vénération dont les hommes entourent cette Église pour sa dignité et son autorité. Et ce serait plus dangereux que d’y tolérer un pécheur, à moins que ce désordre soit public et manifeste, au point de créer un grave scandale.

 

 

            Article 3 — Un témoin peut-il être récusé sans une faute de sa part ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne doit récuser un témoignage que pour une faute. C’est en effet un châtiment que l’on inflige à certains individus, de les rendre inhabiles à témoigner, ainsi ceux qui encourent la note d’infamie. Mais on ne doit infliger de châtiment que pour une faute. Donc lorsqu’il n’y a pas de faute, on ne peut rejeter la déposition d’un témoin.

2. Le droit prescrit : “ On doit présumer l’honnêteté de tout homme, à moins de constater le contraire. ” Or porter un témoignage véridique est le fait de l’honnête homme. Donc, puisqu’il ne peut être soupçonné de malhonnêteté qu’en raison d’une faute, on ne pourra rejeter son témoignage que pour ce motif.

3. Il n’y a que le péché qui rende un homme inapte à faire ce qui est nécessaire au salut. Or nous avons établi que déposer en faveur de la vérité est nécessaire au salut. Donc nul ne peut être récusé comme témoin, s’il est innocent.

En sens contraire, S. Grégoire, cité par le droit canon dit : “ Si un évêque est accusé par ses serviteurs, on ne doit absolument pas les entendre. ”

Réponse :

Un témoignage, nous venons de le dire, ne peut avoir une certitude infaillible, mais seulement probable. C’est pourquoi tout ce qui contribue à former une probabilité en sens contraire annule le témoignage. Or il devient probable qu’un témoin ne sera pas ferme dans l’attestation de la vérité, parfois en raison d’une faute, comme chez les infidèles, les infâmes, ceux qui sont coupables d’un crime public ; ils perdent le droit d’accuser. Mais aussi lorsque le témoin n’est coupable d’aucune faute. Ou bien parce qu’il n’a pas l’usage parfait de sa raison, c’est le cas des enfants, des fous et des femmes ; ou bien à cause de son attachement à l’une des parties, ainsi les ennemis, les parents et les domestiques ; ou enfin c’est à cause de sa condition sociale, comme celle des pauvres, des esclaves et de tous ceux sur lesquels s’exerce l’influence d’un supérieur ; on peut conjecturer qu’ils seront facilement amenés à porter témoignage contre la vérité. On voit donc que certains témoins peuvent être récusés, qu’ils soient coupables ou non.

Solutions :

1. Récuser un témoin relève moins d’un châtiment que d’une précaution, contre un faux témoignage possible. Donc l’objection ne porte pas.

2. Sans doute, à moins de constater le contraire, doit-on présumer l’honnêteté d’un homme, du moment que cette présomption ne comporte pas de risques pour un tiers ; car alors il faut être sur ses gardes et ne pas croire sans discernement au témoignage de n’importe qui, selon cette parole (1 jn 4, 1) : “ Ne croyez pas à tout esprit. ”

3. Faire office de témoin est nécessaire au salut, mais à condition que le témoin en soit capable et soit appelé par le droit. Rien n’empêche donc que certains soient dispensés de témoigner, s’ils n’en sont pas jugés capables selon le droit.

 

 

            Article 4 — Est-ce un péché mortel de porter un faux témoignage ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le faux témoignage soit toujours péché mortel ; car on peut le porter par ignorance du fait, et une telle ignorance excuse du péché mortel.

2. Le mensonge officieux se définit celui qui est utile à quelqu’un et ne nuit à personne ; il n’est pas péché mortel. Or parfois, le mensonge contenu dans le faux témoignage a ce caractère ; par exemple lorsqu’on porte un faux témoignage pour sauver quelqu’un de la mort ou d’une condamnation injuste demandée par de faux témoins ou par un juge inique. On ne commet donc pas de péché mortel en portant dans ce cas un faux témoignage.

3. On fait prêter serment au témoin afin qu’il craigne un parjure qui serait un péché mortel. Mais ce serment serait inutile si le faux témoignage lui-même était déjà un péché mortel. Donc celui-ci n’est pas toujours péché mortel.

En sens contraire, il est écrit au livre des Proverbes (19, 5) : “ Le faux témoin ne restera pas impuni. ”

Réponse :

Le faux témoignage revêt une triple laideur ; d’abord celle du parjure, puisqu’un témoin ne saurait être admis à déposer qu’après avoir juré ; de ce chef c’est toujours un péché mortel. Puis, sa laideur vient de l’injustice commise envers autrui ; de ce point de vue c’est un péché mortel de sa nature, comme toute injustice. Aussi le Décalogue condamne-t-il le faux témoignage (Ex 20, 16) : “ Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. ” Car on n’agit pas contre quelqu’un en l’empêchant de commettre une injustice, mais seulement en le privant de la justice qui lui est due. Enfin

la dernière laideur du faux témoignage lui vient de sa fausseté même, selon laquelle tout mensonge est un péché ; mais ce n’est pas de ce chef que le faux témoignage est toujours péché mortel.

Solutions :

1. En portant témoignage, on ne doit pas affirmer pour certain, comme si l’on était bien informé, ce dont on n’est pas sûr ; ce qui est douteux doit être donné comme douteux, et ce qui est certain comme certain. Toutefois, en raison d’une défaillance de mémoire, on peut parfois tenir pour certain ce qui est faux ; si alors, après y avoir mûrement réfléchi, on maintient son affirmation, se croyant convaincu de ce qui néanmoins est faux, on ne pèche pas mortellement ; on ne porte pas, en effet, un faux témoignage à proprement parler et intentionnellement, mais par accident et contre son intention,

2. Un jugement injuste n’est pas un jugement. Aussi le faux témoignage porté dans un jugement injuste pour empêcher une injustice n’a pas raison de péché mortel contre la justice, mais seulement contre le serment qu’on a violé.

3. Les hommes, par-dessus tout, redoutent les péchés contre Dieu, comme étant les plus graves ; de ce nombre est le parjure ; ils n’ont pas la même horreur des péchés contre le prochain. Et c’est pour cela, pour rendre le témoignage plus certain, qu’on exige le serment du témoin.

 

 

QUESTION 71 — LES INJUSTICES COMMISES PAR LES AVOCATS

1. L’avocat est-il tenu d’assister les pauvres ? - 2. Doit-on interdire à certains d’exercer l’office d’avocat ? - 3. L’avocat pèche-t-il en défendant une cause injuste ? - 4. En acceptant de l’argent pour son assistance ?

 

 

            Article 1 — Un avocat est-il obligé d’assister les pauvres ?

Objections :

1. Il semble qu’un avocat soit tenu de donner son assistance à la cause d’un pauvre. Il est écrit, en effet (Ex 23, 5) : “ Si tu vois l’âne de celui qui te hait succombant sous sa charge, ne l’abandonne pas, mais joins tes efforts aux siens pour le décharger. ” Or le pauvre n’est pas moins en danger lorsque sa cause est accablée contrairement à la justice que si son âne succombait sous la charge. L’avocat est donc tenu de prendre en main la défense d’un pauvre.

2. Dans une homélie sur l’Évangile, S. Grégoire déclare : “ Celui qui a l’intelligence doit veiller à ne pas se taire ; celui qui a l’abondance des biens, à ne pas diminuer les largesses de sa miséricorde celui qui sait converser, à en faire profiter le prochain ; celui qui est capable de parler à un riche, à intercéder en faveur des pauvres. Tout ce qu’il a reçu, en effet, si peu que ce soit, doit être regardé comme un talent. ” Or on ne doit pas enfouir un talent, mais le faire fructifier fidèlement ; c’est ce que montre bien dans la parabole (Mt 25, 21) le châtiment du serviteur qui a enfoui son talent. L’avocat est donc tenu de plaider pour un pauvre.

3. Le précepte relatif aux œuvres de miséricorde, puisqu’il est un principe affirmatif, oblige en certains lieux et temps déterminés, mais surtout en cas de nécessité. Or c’est bien un cas de nécessité que celui du pauvre opprimé dans un procès. Donc en ce cas il apparaît que l’avocat est tenu de donner son assistance aux pauvres.

En sens contraire, le pauvre qui manque de nourriture n’est pas dans une nécessité moindre que celui qui a besoin d’un avocat. Or celui qui a les moyens de nourrir un pauvre n’est pas toujours tenu de le faire. Donc l’avocat non plus ne sera pas toujours obligé d’assurer la défense d’un pauvre.

Réponse :

Donner son assistance à la cause d’un pauvre est une œuvre de miséricorde ; on peut donc appliquer ici ce que nous avons dit plus haut b des œuvres de miséricorde en général. Personne, en effet, n’est à même de pourvoir par ses œuvres de miséricorde aux nécessités de tous les indigents. Aussi, dit S. Augustin : “ Puisque tu ne peux être utile à tous., il faut surtout venir en aide à ceux qui, par une sorte de destin, te sont plus étroitement unis, en fonction des rapports de lieux, de temps ou de quelque autre circonstance. ” Les circonstances de lieu : de fait, on n’est pas obligé d’aller par le monde chercher des indigents à secourir ; il suffit d’exercer la miséricorde à l’égard de ceux qui se présentent. En ce sens, il est prescrit au livre de l’Exode (23, 4) : “ Si tu rencontres le bœuf ou l’âne de ton ennemi, errant dans la campagne, ramène-le-lui. ” Les circonstances de temps : on n’est pas tenu de pourvoir aux nécessités futures du prochain, il suffit de venir à son secours dans la nécessité présente. Ici nous rencontrons le mot de S. Jean (1 Jn 3, 17) : “ Celui qui voit son frère dans le besoin sans se laisser attendrir, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ? ” Enfin quelque autre circonstance : car on doit avant tout venir en aide à ses proches qui sont dans le besoin ; selon S. Paul (1 Tm 5, 3) : “ Si quelqu’un n’a pas soin des siens, surtout ceux de sa famille, il a renié la foi. ”

Cependant, lorsque ces circonstances se trouvent réalisées, il reste encore à examiner si l’indigent est dans une nécessité telle qu’on ne découvre pas sur-le-champ un autre moyen de lui venir en aide. Dans ce cas on est tenu de faire en sa faveur une œuvre de miséricorde. Si au contraire on voit tout de suite un autre moyen de le secourir, par soi-même ou par l’intervention de quelqu’un qui lui tient de plus près, ou qui dispose de plus de ressources, on n’est pas rigoureusement tenu de venir en aide à l’indigent, et s’en abstenir n’est pas un péché ; bien que ce soit un acte louable de le faire sans y être rigoureusement obligé.

En conséquence, l’avocat ne sera pas toujours tenu d’accorder son assistance aux pauvres, mais seulement lorsque ces conditions sont rassemblées. Autrement il devrait abandonner toutes les autres causes pour ne se consacrer qu’à celles des pauvres. Les mêmes principes valent pour le médecin à propos des soins à donner aux pauvres.

Solutions :

1. Lorsqu’un âne succombe sous sa charge, on suppose qu’il ne peut être relevé que par les passants ; c’est pourquoi il sont tenus de l’aider. Ce qui ne serait pas le cas si l’on pouvait l’aider autrement.

2. L’homme est tenu d’employer utilement le talent qui lui a été confié, en tenant compte des circonstances de temps, de lieux, etc., selon les règles données ci-dessus.

3. Toute nécessité n’entraîne pas l’obligation de secourir le prochain, mais seulement celles que nous avons déterminées.

 

 

            Article 2 — Doit-on interdire à certains d’exercer l’office d’avocat ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le droit puisse interdire à quelqu’un d’exercer l’office d’avocat. Personne, en effet, ne doit être empêché d’accomplir une œuvre de miséricorde. Or donner son assistance dans un procès est une œuvre de miséricorde. Donc cela ne doit être interdit à personne.

2. Un même effet ne peut être produit par des causes contraires. Or s’adonner aux choses divines et s’adonner au péché sont deux états contraires. C’est donc à tort qu’on interdit l’office d’avocat aux uns parce qu’ils se consacrent à la religion, comme les moines et les clercs, et à d’autres en raison de leurs fautes, comme les infâmes et les hérétiques.

3. Il faut aimer son prochain comme soi-même. Or c’est un effet de l’amour, qu’un avocat accorde son assistance à son prochain devant les tribunaux. Il est donc inadmissible de reconnaître à certains le droit de se défendre eux-mêmes et de leur refuser cependant de plaider pour les autres.

En sens contraire, le droit interdit à de nombreuses personnes d’engager une procédure.

Réponse :

On peut être empêché d’accomplir un acte pour deux raisons, soit par incapacité, soit par inconvenance ; mais tandis que l’incapacité est un empêchement absolu, l’inconvenance est un empêchement relatif qui peut disparaître devant la nécessité. Ainsi certains seront inaptes pour cause d’incapacité, à exercer l’office d’avocat, soit qu’ils manquent de sens interne, comme les aliénés et les impubères, soit qu’ils manquent d’un sens externe, comme les sourds et les muets. En effet, l’avocat a besoin, d’une part de l’habileté qui le rend apte à montrer efficacement la justice de la cause qu’il soutient, et d’autre part d’une bonne langue et d’une bonne oreille qui lui permettent de s’exprimer et d’entendre ce qu’on lui dit. Aussi ceux qui sont privés de l’une ou l’autre ne pourront-ils absolument pas remplir la charge d’avocat ni pour eux-mêmes ni pour d’autres.

Par ailleurs, la convenance que requiert l’accomplissement de cette charge exclut certains, et ici encore pour deux motifs. Les uns sont liés par des devoirs plus élevés. Ainsi ne convient-il pas que les moines et les prêtres soient avocats dans quelque cause que ce soit, ni les clercs devant les tribunaux séculiers ; car ces hommes sont consacrés aux choses divines. - D’autres ont un défaut personnel, corporel, comme les aveugles qu’on ne peut faire intervenir dans un procès ; ou un défaut spirituel, car il ne convient pas que celui qui a méprisé la justice en ce qui le concerne, vienne la défendre en faveur d’un autre. Voilà pourquoi les infâmes, les infidèles et tous ceux qui ont été condamnés pour crimes graves ne peuvent décemment remplir l’office d’avocat.

Toutefois la nécessité l’emporte sur cette raison de convenance. Alors de telles personnes pourront plaider pour elles-mêmes ou d’autres personnes qui leur sont unies ; les clercs pourront prendre en main la cause de leurs églises, et les moines celle de leur monastère, si l’abbé le leur ordonne.

Solutions :

1. On se trouve parfois empêché d’accomplir une œuvre de miséricorde, soit par incapacité, soit par manque de convenance. C’est qu’en effet toutes les œuvres de miséricorde ne conviennent pas à tous ; il ne convient pas aux sots de donner un conseil, ni aux ignorants d’instruire.

2. De même que la vertu est détruite par l’excès ou le défaut, de même l’inconvenance provient du trop ou du trop peu. Il en résulte que certains seront écartés de l’office d’avocat parce que leur dignité les élève trop haut pour leur permettre d’exercer une telle fonction, ainsi les religieux et les clercs. D’autres au contraire sont indignes de remplir cet office et lui sont en quelque sorte inférieurs, c’est le cas des infâmes et des infidèles.

3. Un homme a une plus grande obligation de se défendre lui-même que de défendre les autres, car ces derniers peuvent pourvoir d’une autre manière à leur propre cas. La comparaison ne vaut donc pas.

 

 

            Article 3 — L’avocat pèche-t-il en défendant une cause injuste ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, de même que l’habileté du médecin se révèle lorsqu’il guérit une maladie désespérée, ainsi l’habileté de l’avocat s’il peut défendre une cause injuste. Or on loue le médecin d’une telle réussite. Donc l’avocat aussi, loin de pécher, mérite d’être loué s’il plaide en faveur d’une cause injuste.

2. Il est permis de renoncer à n’importe quel péché. Mais le code punit l’avocat qui trahit la cause dont il s’est chargé. Donc un avocat ne pèche pas en défendant une cause injuste dont il s’est chargé.

3. Lorsqu’on emploie des moyens injustes pour défendre une cause juste, comme de produire de faux témoins ou faire état de lois inexistantes, on pèche plus gravement qu’en défendant une cause injuste ; parce que le premier péché porte sur la forme, le second sur la matière. Or il apparaît que l’avocat a le droit de se servir de telles ruses, absolument comme le soldat a le droit de dresser des embuscades. Il semble donc que l’avocat ne pèche pas s’il défend une cause injuste.

En sens contraire, il est écrit (2 Ch 19, 2) “ Tu prêtes secours au méchant, et c’est pourquoi tu as mérité la colère du Seigneur. ” Or l’avocat qui défend une cause injuste prête secours au méchant. Donc son péché attire sur lui la colère du Seigneur.

Réponse :

Il est interdit de coopérer au mal, soit en le conseillant, soit en y aidant, soit en y consentant de quelque manière ; conseiller ou favoriser le mal, en effet, est à peu près la même chose que le faire. Aussi S. Paul écrit-il aux Romains (1, 32) : “ Sont dignes de mort, non seulement ceux qui commettent le péché, mais encore ceux qui y donnent leur consentement ” ; et c’est pourquoi nous avons dite qu’ils sont tous tenus à restitution. Or il est évident que l’avocat apporte aide et conseil à son client. Donc, s’il défend sciemment une cause injuste, nul doute qu’il pèche gravement, et soit tenu à restitution du dommage qu’il a causé injustement à la partie adverse en accordant son assistance à son client. Mais s’il ignore l’injustice de la cause qu’il défend et la croit juste, il est excusable dans la mesure où l’ignorance peut excuser.

Solutions :

1. Le médecin qui entreprend de soigner une maladie désespérée ne fait de tort à personne. Au contraire, l’avocat prenant en main une cause injuste lèse la partie contre laquelle il plaide. Il n’y a donc pas de comparaison. Si l’éclat de son talent semble mériter les louanges, sa volonté pèche contre la justice en abusant de son talent au service du mal.

2. L’avocat qui accepte de défendre une cause qu’il croit d’abord juste et dont il découvre au cours du procès qu’elle est injuste, ne doit pas la trahir, par exemple, en venant en aide à la partie adverse, ou en révélant à celle-ci les secrets de son client. Cependant il peut et il doit abandonner cette cause, ou bien il peut engager son client à renoncer ou à composer, sans préjudice pour la partie adverse.

3. Nous avons montré plus haut que le général et le soldat peuvent agir avec ruse au cours d’une guerre juste, en dissimulant habilement leurs plans à l’ennemi, sans toutefois que cette dissimulation aille jusqu’à la perfidie, car, comme l’observe Cicéron : “ Même envers les ennemis il faut rester loyal. ” De même l’avocat, en défendant une cause juste, pourra-t-il cacher prudemment ce qui pourrait nuire à son procès, mais il ne lui est pas permis de mentir.

 

 

            Article 4 — L’avocat pèche-t-il en recevant de l’argent pour son assistance ?

Objections :

1. Il ne semble pas que l’avocat puisse recevoir de l’argent pour son assistance. Les œuvres de miséricorde ne doivent pas être faites en vue d’une récompense humaine, selon ce texte (Lc 14, 12) : “ Lorsque tu donnes à déjeuner ou à dîner, n’invite ni tes amis, ni tes voisins riches, de peur qu’ils ne t’invitent à leur tour et que ce soit là ta récompense. ” Or donner son assistance est une œuvre de miséricorde, nous l’avons vu. L’avocat n’a donc pas le droit d’être rémunéré pour son assistance.

2. Il ne faut pas échanger du spirituel contre du temporel. Or assister un plaideur est bien du spirituel, puisque c’est exercer la science du droit. L’avocat ne peut donc accepter de l’argent en retour.

3. Trois personnes coopèrent au procès l’avocat, le juge, le témoin. Or S. Augustin déclare : “ Le juge ne doit pas vendre un jugement juste, ni le témoin une déposition véridique. ” L’avocat ne pourra donc pas davantage vendre sa légitime assistance.

En sens contraire, S. Augustin dit au même endroit : “ L’avocat a le droit de faire payer son assistance, comme tout homme de loi un bon conseil. ”

Réponse :

Lorsqu’on n’est pas obligé de rendre un service, on peut en toute justice exiger une rétribution après l’avoir rendu. Or il est clair qu’un avocat n’est pas toujours obligé d’accorder son assistance et ses conseils. Aussi ne commet-il pas d’injustice s’il fait payer son assistance ou ses conseils. Le même principe vaut pour le médecin qui se dévoue au chevet d’un malade, et pour tous ceux qui remplissent des emplois analogues, à condition toutefois que leurs honoraires soient modérés, en tenant compte de la condition sociale de leurs clients, de la nature des services rendus, du labeur fourni, et des coutumes du pays. Mais si, malheureusement, ils extorquaient une rétribution excessive, ils pécheraient contre la justice. C’est ce qui fait dire encore à S. Augustin : “ On a coutume de leur faire rendre ce qu’ils ont extorqué par une improbité sans scrupule, mais il n’en est pas de même de ce qui leur a été donné conformément à un usage acceptable. ”

Solutions :

1. On n’est pas toujours tenu de donner gratuitement ce que l’on peut faire par miséricorde ; autrement personne ne pourrait vendre quoi que ce soit, car tout peut être la matière d’un acte de miséricorde. Mais lorsqu’un homme donne une chose par miséricorde, il ne doit pas attendre sa récompense des hommes, mais de Dieu. Donc lorsque l’avocat assume la défense d’un pauvre par miséricorde, il ne doit pas attendre une rétribution humaine, mais la récompense divine. Cependant il n’est pas toujours tenu de plaider gratuitement.

2. Si la science du droit est quelque chose de spirituel, son exercice exige un travail matériel, pour la rétribution duquel on peut recevoir de l’argent ; sinon aucun artisan n’aurait le droit de vivre de son art.

3. Le juge et le témoin sont communs aux deux parties, parce que le juge est tenu de rendre une juste sentence, et le témoin de donner un témoignage vrai. Or la justice et la vérité ne penchent pas d’un côté plus que de l’autre. Aussi est-ce du trésor public que le juge reçoit des honoraires pour son travail. Quant aux témoins, ils reçoivent une indemnité, non comme prix de leur déposition, mais à titre de dédommagement de leur peine ; et ces frais sont à la charge des deux parties, ou seulement de celle qui a cité les témoins à la barre ; car selon S. Paul (1 Co 9, 7) - “ Personne n’a jamais porté les armes à ses propres frais. ” Au contraire, l’avocat défend uniquement les intérêts d’une partie. Il a donc le droit d’être payé pour les services qu’il lui a rendus.

LES INJUSTICES PAR PAROLES COMMISES HORS DES TRIBUNAUX

Ce sont : 1) L’injure (Q. 72). - 2) La diffamation (Q. 73). - 3) La médisance (Q. 74). - 4° La moquerie (Q. 75). - 5° La malédiction (Q. 76).

 

 

QUESTION 72 — L’INJURE

1. Qu’est-ce que l’injure ? - 2. Est-elle toujours péché mortel ? - 3. Faut-il réprimer les auteurs d’injures ? - 4. L’origine de l’injure.

 

 

            Article 1 — Qu’est-ce que l’injure ?

Objections :

1. Il semble que l’injure ne consiste pas en paroles. En effet elle comporte un certain tort fait au prochain, puisqu’elle est une injustice. Mais les paroles semblent ne faire aucun tort au prochain, ni dans sa parole ni dans ses biens.

2. L’injure implique un certain déshonneur. Or on peut déshonorer ou dénigrer quelqu’un par des actions plus que par des paroles.

3. Le déshonneur infligé en paroles s’appelle insulte ou reproche. Mais ce sont des actes distincts de l’injure. Celle-ci ne consiste donc pas en paroles.

En sens contraire, l’ouïe ne peut percevoir que les paroles. Or elle perçoit l’injure selon ce texte de Jérémie (20, 10) : “ J’ai entendu des injures à la ronde. ” Donc l’injure consiste en paroles.

Réponse :

L’injure comporte du déshonneur. Or cela se produit de deux façons. En effet puisque l’honneur est l’effet d’une certaine excellence, on peut d’abord déshonorer un autre en le privant de l’excellence qui lui procurait son honneur. Cela se fait par les péchés d’action contre la justice dont nous avons déjà parlé. - On peut encore porter à sa connaissance et à celle des autres ce qui est contre son honneur. Et c’est là proprement l’injure. On la commet à l’aide de certains signes expressifs. Mais comme le remarque S. Augustin : “ Tous les signes, comparés aux paroles, sont peu de chose ; en effet, la parole est le principal moyen que les hommes ont à leur disposition pour exprimer tout ce qui se passe dans leur esprit. ” C’est pourquoi nous disons que l’injure est à proprement parler un péché de langue, et que S. Isidore note cette étymologie : “ L’homme injurieux est appelé ainsi (contumeliosus) parce qu’il est prompt à dire des paroles offensantes et qu’il en a la bouche gonflée (tumet). ”

Toutefois, parce que certains faits peuvent avoir une signification, et être, sous ce rapport, assimilés aux paroles, il suit que l’on peut parler d’injures au sens large, même à propos d’actions. Aussi sur ces mots (Rm 1, 30) : “ Hommes qui outragent, orgueilleux, etc. ”, la Glose définit les premiers “ ceux qui par des paroles ou des actes outragent et salissent leur prochain ”.

Solutions :

1. Les paroles considérées dans leur essence de sons qui frappent l’oreille ne causent aucun dommage sauf peut-être celui de fatiguer l’oreille lorsque l’on parle trop fort. Mais, envisagées comme signes qui portent une idée ou un fait à la connaissance des autres, elles peuvent causer de nombreux dommages. L’un des plus graves est de ravir à un homme les témoignages d’honneur et de vénération qui lui sont dus. Aussi l’injure est-elle plus grande quand on dit à quelqu’un ses défauts devant un plus grand nombre de personnes. Cependant on peut encore injurier quelqu’un en ne s’adressant qu’à lui, lorsqu’en agissant ainsi on manque au respect qu’on lui doit.

2. On déshonore quelqu’un par des actes dans la mesure ou ceux-ci produisent ou expriment une atteinte à l’honneur de cette personne. La première manière ne constitue pas une injure proprement dite, mais relève des injustices par action envers autrui dont nous avons déjà parlé. Quant à la seconde, c’est bien un outrage, car l’action peut être aussi significative que des paroles.

3. L’insulte et le reproche se font par des paroles, comme l’injure ; car dans les trois cas, on relève les défauts de quelqu’un au détriment de son honneur... Or ces défauts peuvent être de trois sortes : D’abord c’est une faute qui est dénoncée par des paroles injurieuses. Puis, d’une façon générale, la faute et la peine qui sont la matière des paroles d’insulte (convitium), car le mot vice (vitium) peut s’entendre non seulement d’un défaut de l’âme mais aussi du corps. Ainsi dire à quelqu’un d’une manière offensante qu’il est aveugle, c’est l’insulter, et non l’injurier ; au contraire accuser quelqu’un d’être un voleur est plus qu’une insulte, c’est une injure. Mais parfois on peut souligner la bassesse ou la pauvreté de l’autre et porter ainsi atteinte à son honneur qui résulte toujours d’une certaine excellence. Ce sont des paroles de reproche, et c’est précisément le cas lorsque quelqu’un, d’une façon odieuse, rappelle à un autre le secours qu’il lui a fourni lorsqu’il était dans le besoin. Comme le dit l’Écriture (Si 20, 15) “ Il donne peu et reproche beaucoup. ” Cependant tous ces mots se prennent parfois l’un pour l’autre.

 

 

            Article 2 — L’injure est-elle toujours péché mortel ?

Objections :

1. Il ne semble pas que l’injure ou l’insulte soit péché mortel. Car aucun péché mortel n’est l’acte d’une vertu. Or railler les défauts d’autrui est un acte de la vertu d’eutrapélie, ou de bonne humeur, à laquelle il appartient, selon Aristote, de critiquer gentiment. Donc l’insulte ou l’outrage n’est pas péché mortel.

2. Les hommes parfaits ne commettent pas de péché mortel, et cependant il leur arrive de railler ou de proférer des outrages. S. Paul dit bien (Ga 3, 1) “ O Galates insensés! ” Et le Seigneur lui-même (Lc 24, 25) : “ Ô hommes sans intelligence et dont le cœur est lent à croire ! ” Donc l’insulte ou l’injure n’est pas péché mortel.

3. Ce qui est péché véniel de sa nature peut devenir mortel, mais la réciproque n’est pas vraie, nous l’avons vu précédemment. Donc, si proférer une insulte ou une injure était péché mortel de sa nature, il s’ensuivrait que ce serait toujours péché mortel. Mais c’est faux, au moins dans le cas de celui qui, par légèreté et par surprise, ou par un mouvement de colère sans gravité, laisse échapper une parole injurieuse. Donc l’injure ou l’insulte ne doivent pas être classés comme péchés mortels.

En sens contraire, seul le péché mortel mérite la peine éternelle de l’enfer. Or l’insulte ou l’injure mérite cette peine ; selon cette parole en S. Matthieu (5, 28) : “ Celui qui dira à son frère : "Fou !" mérite d’être jeté dans la géhenne de feu. ” Donc l’insulte ou l’injure est péché mortel.

Réponse :

Nous venons de dire que les paroles considérées comme des sons ne portent pas préjudice à autrui, mais seulement en tant qu’elles comportent une signification, puisque celle-ci provient du sentiment intérieur. Aussi dans les péchés de paroles, il faut surtout examiner les sentiments de celui qui parle. Donc, vu que l’insulte ou l’injure comportent par définition un déshonneur, si celui qui les prononce a bien l’intention de porter atteinte par ses paroles à l’honneur d’autrui, c’est très proprement et de soi, faire une insulte ou une injure. C’est un péché mortel qui n’est pas moins grave que le vol ou la rapine, car l’homme n’a pas moins d’attachement à son honneur qu’à ses possessions matérielles.

En revanche, si quelqu’un profère envers autrui des paroles d’insulte ou d’injure sans intention de le déshonorer, mais pour le corriger ou pour un motif semblable, il ne prononce pas une insulte ou une injure formellement et absolument, mais seulement par accident et matériellement, en ce sens que ce qu’il dit pourrait être une insulte ou une injure. Dans ce cas il peut y avoir péché véniel, comme il peut n’y avoir pas de péché du tout. En cela cependant la discrétion est nécessaire : il faut n’employer ce langage qu’avec mesure. Car si l’on en usait sans discernement, l’insulte pourrait avoir assez de force pour ruiner l’honneur de celui qu’elle vise. On pourrait ainsi aller jusqu’à commettre un péché mortel, même si l’on n’avait pas l’intention de déshonorer son prochain. De même, celui qui blesse gravement un autre qu’il a frappé en jouant imprudemment, n’est pas exempt de péché.

Solutions :

1. C’est faire preuve de bonne humeur que de lancer quelques légères railleries, non pour déshonorer ou peiner son prochain, mais plutôt pour s’amuser et par plaisanterie. On peut donc le faire sans péché, pourvu que l’on observe la retenue convenable. Mais si quelqu’un n’hésite pas à faire de la peine à celui auquel il adresse ses critiques plaisantes, du moment qu’il provoque les risées de l’entourage, il y a là quelque chose de vicieux, comme Aristote le dit à ce sujet.

2. De même qu’il est permis de frapper quelqu’un ou de le mettre à l’amende pour le former, ainsi, pour le même motif, on a le droit d’adresser une parole insultante à celui que l’on doit corriger. C’est ainsi que le Seigneur appela les disciples “ hommes sans intelligence ”, et l’Apôtre traita les Galates d’insensés. Cependant, comme le remarque S. Augustin : “ Ces reproches ne doivent être faits que rarement et lorsqu’ils deviennent absolument nécessaires, non dans l’intention de nous imposer nous-mêmes, mais pour l’honneur de Dieu. ”

3. Puisque le péché d’insulte ou d’injure dépend de l’intention de son auteur, le péché peut n’être que véniel si l’insulte est futile, ne portant pas une grave atteinte à l’honneur d’autrui, si elle est proférée par légèreté d’esprit ou par un léger mouvement de colère, et sans propos délibéré de déshonorer ; par exemple lorsqu’on a l’intention de mortifier légèrement quelqu’un par une telle parole.

 

 

            Article 3 — Faut-il réprimer les auteurs d’injures ?

Objections :

1. Il semble que l’on ne doive pas supporter les injures qui nous sont adressées. Car celui qui les supporte encourage l’audace de l’insulteur. Mais il ne faut pas agir ainsi. Donc on ne doit pas supporter les injures, mais plutôt répondre à l’insulteur.

2. On doit s’aimer soi-même plus qu’autrui. On ne doit pas laisser insulter autrui, ce qui fait dire aux Proverbes (26, 10 Vg) : “ Celui qui impose silence à l’insensé apaise les colères. ” Donc on ne doit pas supporter non plus d’être soi-même injurié.

3. Nul n’a le droit de se venger soi-même, selon cette parole de Dieu (He 10, 30) : “ A moi la vengeance! C’est moi qui paierai de retour. ” Or, c’est une vengeance de ne pas résister aux injures, car S. Jean Chrysostome remarque : “ Si tu veux te venger, garde le silence, et tu porteras à ton ennemi un coup mortel. ” Donc on ne doit pas garder le silence et se résigner aux outrages, mais plutôt y répondre.

En sens contraire, il est écrit dans le Psaume (38, 13) : “ Ceux qui cherchent mon malheur répandent des mensonges ”, et plus loin : “ Mais moi je suis comme un sourd, je n’entends pas ; je suis comme un muet qui n’ouvre pas la bouche. ”

Réponse :

De même que la patience est nécessaire pour supporter les actes dirigés contre nous, de même pour supporter les paroles qui nous attaquent. Or l’obligation de garder le silence à l’égard des actes hostiles s’entend d’une disposition habituelle de l’âme. Le précepte du Sermon sur la montagne (Mt 5, 39) : “ Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui encore l’autre ” est ainsi expliqué par S. Augustin : “ C’est-à-dire qu’on doit être prêt à le faire s besoin est ; mais on n’est pas toujours tenu d’agi ainsi effectivement, puisque le Seigneur lui-même ne l’a pas fait ; lorsqu’il reçut un soufflet au cour de la Passion, il demanda : "Pourquoi m frappes-tu ?" ”

De même pour les paroles injurieuses proférée contre nous ; on doit avoir l’âme prête à supporte les injures, si cela est à propos. Mais il y a de cas où il faut repousser les injures, et surtout pour deux raisons. La première est le bien de celui qui nous injurie ; il importe de réprimer son audace afin qu’il ne soit pas tenté de recommencer ; le livre des Proverbes (26, 5) dit à ce propos : “ Réponds à l’insensé selon sa folie, de peur qu’il ne se regarde comme sage. ” La seconde raison est le bien de plusieurs autres personnes dont les progrès spirituels pourraient être entravés par les outrages qu’on nous porte. Ce qui fait dire à S. Grégoire : “ Ceux dont la vie est donnée en exemple aux autres doivent, s’ils le peuvent, faire taire leurs détracteurs ; afin que ceux qui pourraient écouter leurs prédications n’en soient pas détournés, et qu’en demeurant plongés dans leurs vices ils ne méprisent la vertu. ”

Solutions :

1. On doit réprimer avec mesure l’audace de l’insulteur injurieux, pour accomplir un devoir de charité, non pour satisfaire son amour-propre. Aussi le livre des Proverbes dit-il encore (26, 4) : “ Ne réponds pas à l’insensé selon sa folie, de peur de lui ressembler. ”

2. Lorsqu’on réprime les injures adressées à d’autres, le danger d’une satisfaction l’amour propre est moindre que lorsqu’on se défend personnellement ; il semble que l’on soit davantage inspiré par un sentiment de charité.

3. Se taire avec le secret désir que notre silence provoque celui qui nous injurie à la colère, c’est agir par vengeance ; mais si au contraire on garde le silence pour laisser passer la colère, on agit vertueusement. Aussi est-il écrit dans l’Ecclésiastique (8, 3) : “ N’aie pas de dispute avec un grand parleur, ne mets pas de bois sur le feu. ”

 

 

            Article 4 — L’origine de l’injure

Objections :

1. Il semble que l’injure ne dérive pas de la colère, car il est écrit au livre des Proverbes (11, 2) : “ Où est l’orgueil, là est l’injure. ” Or la colère est un vice distinct de l’orgueil. Donc l’injure ne dérive pas de la colère.

2. Le livre des Proverbes (20, 3) remarque encore : “ Tous les fous se laissent aller aux injures. ” Or la folie est opposée à la sagesse, et la colère à la mansuétude. Donc l’injure ne provient pas de la colère.

3. Aucun péché n’est diminué par sa cause propre. Or le péché d’injure est moindre s’il a sa source dans la colère ; il est, en effet, plus grave de proférer des injures par haine que par colère. Donc l’injure ne vient pas de la colère.

En sens contraire, S. Grégoire dit que les outrages naissent de la colère.

Réponse :

Un seul et même péché peut venir de sources diverses, mais on l’attribue principalement à la source dont il découle le plus souvent, parce qu’elle est plus proche de sa fin propre. Or il y a une grande affinité entre l’injure et la fin poursuivie par la colère, qui est la vengeance. En effet, pour l’homme en colère, le moyen le plus facilement réalisable de se venger est d’injurier l’adversaire. C’est pourquoi l’injure naît surtout de la colère.

Solutions :

1. L’injure n’est pas ordonnée à la fin de l’orgueil qui est la grandeur ; elle ne dérive donc pas directement de l’orgueil. Toutefois celui-ci dispose à l’injure, car ceux qui se jugent supérieurs sont davantage portés à mépriser les autres et à les injurier. En effet, ils se mettent facilement en colère, car ils jugent révoltant tout ce qui s’oppose à leur volonté.

2. Aristote remarque que “ la colère n’est pas parfaitement docile à la raison ”, et ainsi l’homme en colère souffre d’un manque de raison qui rejoint la folie. De ce chef l’injure peut naître de la folie, à cause de l’affinité de celle-ci avec la colère.

3. Aristote note aussi que “ l’homme en colère cherche à se venger ouvertement ; mais le haineux n’agit pas ainsi ”. Aussi l’injure qui comporte une offense publique relève-t-elle davantage de la colère que de la haine.

 

 

 

QUESTION 73 — LA DIFFAMATION

1. Qu’est-ce que la diffamation ? - 2. Est-elle un péché mortel ? - 3. Sa gravité comparée celle des autres péchés. - 4. Est-ce un péché d’écouter la diffamation ?

 

 

            Article 1 — Qu’est-ce que la diffamation ?

Objections :

1. Il semble que la diffamation ne soit pas le dénigrement secret de la réputation d’autrui, selon la définition de certains. En effet, qu’une chose soit secrète ou manifeste, ce ne sont pas là des circonstances qui constituent l’espèce du péché ; car il est accidentel au péché d’être connu par beaucoup ou peu de gens. Or ce qui ne constitue pas l’espèce du péché n’appartient pas à son essence et ne doit pas figurer dans sa définition. La plus ou moins grande publicité des paroles prononcées n’est donc pas essentielle à la diffamation.

2. La réputation s’entend de l’opinion publique. Donc si la diffamation est le dénigrement d’une réputation, elle ne peut se faire par des paroles secrètes, mais par des paroles dites ouvertement.

3. Celui qui diffame (detrahit) enlève (subtrahit) ou amoindrit quelque chose. Or il peut arriver que l’on dénigre la réputation du prochain sans rien retrancher de la vérité, par exemple lorsqu’on découvre des crimes réellement commis. Donc tout dénigrement d’une réputation n’est pas de la diffamation.

En sens contraire, il est écrit au livre de l’Ecclésiaste (10, 11 Vg) : “ Le serpent mord sans faire de bruit ; celui qui diffame en secret ne fait pas autre chose. ” Donc diffamer, c’est déchirer en secret la réputation de quelqu’un.

Réponse :

De même qu’il y a deux façons de léser autrui par un acte : au grand jour, comme par la rapine ou toute espèce de violence ; en secret, comme par le vol ou par une agression sournoise ; de même on peut nuire au prochain en paroles de deux manières : en public, et c’est l’injure, nous l’avons dit ; en secret, et c’est la diffamation. Lorsque l’on tient ouvertement des propos offensants contre le prochain, on montre qu’on en fait peu de cas et on le déshonore par là même. C’est pourquoi l’injure porte atteinte à l’honneur de celui qui la subit. Mais celui qui tient ces propos dans le secret montre qu’il redoute l’autre plus qu’il ne le méprise. Il ne porte donc pas directement atteinte à son honneur, mais à sa réputation ; en ce sens que, proférant secrètement de telles paroles, il crée, autant qu’il le peut, chez ceux qui l’écoutent, une mauvaise opinion de celui qu’il dénigre. C’est bien cela, en effet, que le diffamateur semble se proposer et à quoi tendent ses efforts : que l’on croie ses paroles.

Il est donc évident que la diffamation diffère de l’outrage à un double titre. D’une part, quant à la manière de parler contre quelqu’un : ouvertement dans l’injure, à l’insu de l’intéressé dans la diffamation. D’autre part, quant à la fin visée, c’est-à-dire au préjudice que l’on provoque, celui qui outrage diminue l’honneur, le diffamateur diminue la réputation.

Solutions :

1. Dans les échanges involontaires auxquels se ramènent tous les préjudices causés au prochain en parole ou en action, la raison de péché change selon que l’on agit en secret ou au grand jour, car la violence et l’ignorance ne réalisent pas de la même façon la raison d’involontaire, nous l’avons montré plus haut.

2. Les paroles diffamatoires sont appelées secrètes non au sens absolu, mais par rapport à celui qu’elles visent, parce qu’on les dit en son absence et à son insu. Au contraire, les injures sont dites en face. Par suite, dire du mal de quelqu’un en son absence devant beaucoup de gens, c’est le diffamer ; si au contraire il est seul présent, c’est l’injurier. Bien que, si l’on parle mal d’un absent à une seule personne, cela suffit pour nuire à sa réputation, au moins partiellement.

3. On diffame non en portant atteinte à la vérité, mais à une réputation. Ce qui peut se faire directement ou indirectement. Directement de quatre façons : en attribuant à autrui ce qui n’est pas ; en exagérant ses péchés réels ; en révélant ce qui est secret ; en disant que telle bonne action a été commise avec une intention mauvaise. Indirectement, en niant le bien qu’il fait ou en multipliant méchamment les réticences et les restrictions.

 

 

            Article 2 — La diffamation est-elle un péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que diffamer ne soit pas un péché mortel. Aucun acte de vertu, en effet, n’est un péché mortel. Or révéler un péché caché - ce qui relève de la diffamation, nous venons de le dire - est un acte de vertu : soit par charité lorsque, par exemple, on dénonce le péché d’un de ses frères afin de le corriger, soit de justice lorsqu’on porte une accusation. La diffamation n’est donc pas un péché mortel.

2. Sur cette sentence du livre des Proverbes (24, 21 Vg) : “ N’ayez pas de rapports avec les diffamateurs ”, la Glose note : “ C’est là spécialement le péché dans lequel tombe tout le genre humain. ” Mais il n’y a aucun péché mortel qui soit répandu dans tout le genre humain, car beaucoup d’hommes vivent sans en commettre ; ce sont les péchés véniels qui sont le lot de tous les humains. Donc la diffamation est péché véniel.

3. S. Augustin range “ parmi les menus péchés le fait de dire du mal avec une grande facilité et imprudence ”, ce qui relève de la diffamation. Celle-ci est donc péché véniel.

En sens contraire, S. Paul écrit aux Romains (1, 30) : “ Les diffamateurs sont loin de Dieu. ” Précision donnée, ajoute la Glose, “ afin qu’on ne pense point que cette faute soit légère parce qu’elle consiste en paroles ”.

Réponse :

Nous avons dit que les péchés de langue sont à juger surtout d’après l’intention. Or la diffamation est ordonnée par définition à dénigrer la réputation d’autrui. Aussi est-il essentiellement un diffamateur, celui qui déblatère contre quelqu’un en son absence pour noircir sa réputation. Mais enlever à quelqu’un sa réputation est très grave, car la réputation est un bien plus précieux que les trésors temporels, et lorsque l’homme en est privé, il se trouve dans l’impossibilité de faire le bien. Aussi le livre de l’Ecclésiastique (41, 12) recommande : “ Prends soin de ta réputation, car c’est un bien plus sûr que mille trésors grands et précieux. ” Voilà pourquoi, essentiellement, la diffamation est un péché mortel.

Il arrive cependant que l’on prononce parfois des paroles qui abaissent la réputation d’autrui, sans le vouloir, mais en voulant autre chose. Ce n’est pas alors de la diffamation à parler essentiellement et formellement, mais seulement matériellement et comme par accident. Si ces paroles portant atteinte à la réputation d’autrui sont dites pour une fin bonne ou nécessaire, en observant toutes les circonstances voulues, il n’y a pas de péché et on ne peut pas parler de diffamation. - En revanche, si l’on prononce ces paroles par légèreté ou sans nécessité, c’est un péché, mais qui n’est pas mortel, à moins que ces paroles ne soient d’un tel poids qu’elles lèsent notablement la réputation d’autrui et surtout en tout ce qui touche l’honorabilité de la vie, car alors la nature même de ces paroles constituerait un péché mortel.

Dans ce cas on est tenu à restituer la bonne réputation du prochain, - tout comme on est tenu à la restitution d’un bien volé, - en observant les règles établies précédemment.

Solutions :

1. Ce n’est pas diffamer, on vient de le montrer, que dévoiler le péché caché de son prochain, soit par une dénonciation pour amender le coupable, soit par une accusation en justice pour sauvegarder les intérêts du bien public.

2. La Glose ne dit pas que tous les hommes soient diffamateurs, car elle a soin d’ajouter “ presque ”. C’est dans le même sens que l’Écriture dit que “ le nombre des insensés est infini ” (Qo 1, 15 Vg), et qu’il y en a peu qui marchent dans la voie du salut. On peut dire aussi qu’il y a bien peu d’hommes, si même il y en a, qui ne disent parfois, par légèreté d’esprit, des paroles pouvant porter légèrement atteinte à la réputation d’autrui sur un point ou sur un autre ; car, comme le remarque S. Jacques (3, 2) : “ Si quelqu’un ne pèche pas en paroles, c’est un homme parfait. ”

3. Le cas visé par S. Augustin est celui de quelqu’un qui signale un léger mal chez son prochain, sans intention de lui nuire, mais par légèreté ou par erreur de langage.

 

 

            Article 3 — Gravité de la diffamation comparée à celle des autres péchés

Objections :

1. Il semble que la diffamation soit le plus grave de tous les péchés que l’on commet envers le prochain. En effet, sur le Psaume (109, 4) : “ Au lieu de m’aimer, ils disent du mal de moi ”, la Glose note : “ Ceux qui diffament le Christ nuisent davantage à ses membres - car ils tuent les âmes de ses fidèles -, que les meurtriers de sa chair qui devait aussitôt ressusciter. ” On voit ainsi que la diffamation est un péché plus grave que l’homicide, dans la mesure même où tuer l’âme est plus grave que tuer le corps. Mais l’homicide est le plus grave des péchés contre le prochain. Donc la diffamation est absolument le plus grave de tous.

2. La diffamation semble pire que l’injure, car si l’homme peut repousser l’injure, il ne peut repousser la diffamation qui se cache. Or l’injure paraît pire que l’adultère ; ici deux s’unissent en une seule chair, là ceux qui sont unis sont divisés. La diffamation est donc pire que l’adultère qui est l’un des péchés les plus graves que l’on puisse commettre contre le prochain.

3. L’injure naît de la colère, la diffamation naît de l’envie, affirme S. Grégoire. Or l’envie est un plus grand péché que la colère. Donc la diffamation est pire que l’injure et nous retrouvons le raisonnement précédent.

4. La gravité d’un péché doit se mesurer à la gravité des maux qu’il entraîne. Or la diffamation entraîne le plus grand des maux qui est l’aveuglement de l’esprit. S. Grégoire remarque en effet : “ Que font les diffamateurs, sinon souffler sur la poussière et faire sauter de la terre dans leurs yeux, de telle sorte que plus ils exhalent leurs diffamations, moins ils voient la vérité ? ” La diffamation est donc le plus grave des péchés que l’on commet contre le prochain.

En sens contraire, un péché d’action est plus grave qu’un péché de parole. Or la diffamation est un péché de parole ; l’adultère, l’homicide et le vol sont des péchés d’action. Donc la diffamation n’est pas plus grave que les autres péchés envers le prochain.

Réponse :

Les péchés commis contre le prochain s’apprécient essentiellement d’après le préjudice qu’ils portent à autrui, puisque c’est ce qui leur donne raison de faute. Et ce préjudice est d’autant plus grand qu’il détruit un plus grand bien. Or l’homme possède trois sortes de biens : le bien de l’âme, le bien du corps, les biens extérieurs. Le bien de l’âme, qui est le plus excellent, ne peut être ravi par autrui que s’il nous en donne l’occasion, par exemple par un mauvais conseil, qui ne supprime pas notre liberté. Quant au bien du corps et aux biens extérieurs on peut nous les arracher de force. Mais parce que le bien du corps l’emporte sur les biens extérieurs, les péchés par lesquels on porte atteinte au corps sont plus graves que ceux qui nuisent aux biens extérieurs. Par conséquent, de tous les péchés commis envers le prochain, le plus grave est l’homicide puisqu’il a pour effet de détruire une vie effectivement existante. Vient ensuite l’adultère qui viole l’ordre légitime de la génération humaine, par laquelle on entre dans la vie. Enfin parmi les biens extérieurs, la réputation l’emporte sur les richesses, car elle a plus d’affinité avec les biens spirituels, ce qui fait dire au livre des Proverbes (21, 1) : “ La bonne renommée vaut mieux que de grandes richesses. ” Aussi, de sa nature, la diffamation est un péché plus grave que le vol, mais moindre que l’homicide ou l’adultère. Remarquons toutefois que les circonstances aggravantes ou atténuantes peuvent changer cette classification.

Par accident, la gravité du péché s’évalue selon les dispositions du pécheur. Celui-ci sera plus coupable s’il pèche de propos délibéré, que s’il commet cette faute par faiblesse ou inadvertance. De ce chef, les péchés de langue peuvent aisément devenir légers, lorsqu’ils proviennent d’une parole qui nous a échappé par manque de réflexion.

Solutions :

1. Ceux qui diffament le Christ en raillant la foi de ses membres insultent sa divinité sur laquelle repose la foi. Ce n’est donc pas une simple diffamation, c’est un blasphème.

2. L’injure est un péché plus grave que la diffamation parce qu’elle implique un plus grand mépris du prochain, de même que la rapine est pire que le vol, nous l’avons dit. toutefois l’injure n’est pas plus grave que l’adultère, dont la malice ne vient pas de l’union chamelle mais du désordre introduit dans la génération humaine. Or celui qui lance une injure n’est pas à lui seul une cause suffisante des sentiments d’inimitié qui divisent ceux qui étaient unis, il n’en fournit que l’occasion ; en ce sens que, publiant du mal sur son prochain, il lui fait perdre, pour autant que cela dépend de lui, l’amitié des autres, bien que ces paroles ne soient pas contraignantes. C’est encore ainsi que le diffamateur se rend indirectement coupable d’homicide, ses propos donnant occasion à autrui de haïr ou de mépriser telle personne. C’est pourquoi S. Clément a pu écrire : “ Les diffamateurs sont homicides ”, c’est-à-dire qu’ils en fournissent l’occasion, car selon S. Jean (1 Jn 3, 15) : “ Celui qui hait son frère est un homicide. ”

3. Selon Aristote : “ La colère cherche à se venger ouvertement. ” C’est pourquoi la diffamation, qui est secrète, n’est pas fille de la colère, comme l’injure, mais bien plutôt de l’envie, qui s’efforce de toutes les façons de ternir la gloire du prochain. Il ne s’ensuit pas pour autant que la diffamation soit plus grave que l’injure, car un vice moindre peut engendrer un plus grand crime, comme la colère est la source des homicides et des blasphèmes. C’est en effet par l’inclination de chaque péché vers une fin, qu’on peut en discerner l’origine, donc par son attachement aux biens périssables, alors que la gravité du péché dépend plutôt de l’éloignement des biens meilleurs.

4. Il est écrit au livre des Proverbes (15, 23) “ L’homme se complaît dans la sentence de sa bouche. ” C’est pourquoi le diffamateur aime et croit toujours davantage ce qu’il dit, et par suite il a plus de haine pour celui qu’il diffame. Ainsi s’éloigne-t-il de plus en plus de la connaissance de la vérité. Mais c’est un résultat auquel peuvent conduire les autres péchés commis en haine du prochain.

 

 

            Article 4 — Est-ce un péché d’écouter la diffamation ?

Objections :

1. Il semble que ce ne soit pas un péché grave d’écouter sans protestation des paroles diffamatoires. Personne, en effet, n’est tenu de faire pour autrui plus qu’il ne ferait pour soi-même. Or il est louable de supporter patiemment les propos de nos diffamateurs. S. Grégoire dit en effet : “ De même que nous ne devons pas, par notre activité, éveiller la langue des diffamateurs, pour ne pas les induire à pécher, de même, pour accroître nos mérites, devons-nous supporter avec patience les propos inspirés par leur malice. ” On ne pèche donc pas en ne repoussant pas la diffamation lancée contre autrui.

2. Il est écrit au livre de l’Ecclésiastique (4, 25) : “ Ne contredis jamais une parole véridique. ” Mais les diffamateurs disent parfois la vérité. On n’est donc pas toujours tenu de les désapprouver.

3. Personne ne doit mettre obstacle à une œuvre utile au prochain. Or la diffamation tourne souvent à l’avantage de ceux qui en sont l’objet, comme le remarque le pape Pie Ier : “ Lorsque la diffamation s’attaque aux honnêtes gens, il arrive parfois qu’elle ait pour effet d’humilier ceux que les flatteries de leur famille ou la faveur du public avaient exaltés. ” On ne doit donc pas s’opposer à la diffamation.

En sens contraire, S. Jérôme prescrit “ Veille à ce que ta langue ou tes oreilles ne te démangent, je veux dire que tu ne diffames personne, ou que tu n’écoutes pas les autres quand ils diffament. ”

Réponse :

S. Paul écrit (Rm 1, 32) : “ Sont dignes de mort, non seulement ceux qui commettent le péché, mais aussi ceux qui les approuvent. ” Cette approbation peut se donner de deux manières. D’abord directement, quand on induit le prochain à pécher ou qu’on prend plaisir à ce péché. Puis indirectement, quand on ne s’y oppose pas alors qu’on pourrait le faire, et cette abstention ne vient pas toujours d’une complaisance dans le péché, mais d’une sorte de respect humain. On doit donc penser que si quelqu’un écoute des propos diffamatoires sans les désapprouver, il y consent et participe par là même au péché. Mais s’il provoque la diffamation ou seulement s’y complaît par haine de celui qui en est l’objet, il ne pèche pas moins que le diffamateur et parfois même davantage. C’est l’enseignement de S. Bernard : “ Il n’est pas facile de décider quel est le plus coupable, du diffamateur ou de celui qui l’écoute. ” - Mais si le témoin ne prend pas plaisir à ce péché et qu’il s’abstienne par crainte, négligence ou même par timidité, de désapprouver le diffamateur, il pèche sans doute, mais beaucoup moins gravement que le diffamateur, et le plus souvent ne commet qu’un péché véniel. Parfois aussi, cela peut être un péché mortel, lorsque la charge que l’on occupe fait un devoir de corriger le diffamateur, ou encore lorsqu’on sait qu’un péril s’ensuivra, ou enfin à cause du motif, car le respect humain, comme nous l’avons déjà dito, peut être parfois péché mortel.

Solutions :

1. Personne n’entend la diffamation dont il est l’objet, car dire du mal de quelqu’un en sa présence n’est pas à proprement parler une diffamation, mais une injure, nous l’avons dit. Les propos diffamatoires peuvent toutefois être portés par les on dit, à la connaissance de l’intéressé. Alors celui-ci est libre de souffrir cette atteinte à sa réputation, à moins que cela risque d’atteindre les autres, nous l’avons dit. C’est pourquoi il est légitime de faire l’éloge de la patience chez celui qui supporte la diffamation. Mais on n’est pas libre de laisser attaquer ainsi la réputation d’autrui. Aussi cela devient une faute de ne pas la défendre, lorsqu’on le peut, pour la même raison qui nous oblige de “ relever l’âne de notre prochain lorsqu’il succombe sous la charge ” (Dt 22, 4).

2. Ce n’est pas toujours le bon moyen de protester que de taxer le diffamateur de mensonge, surtout si l’on sait que ce qu’il dit est vrai. Mais il faut le reprendre en lui montrant qu’il pèche en offensant son prochain, ou du moins lui faire sentir, en gardant un visage sévère, que l’on ne prend pas plaisir à ses diffamations. Ainsi disent les Proverbes (25, 23 Vg) : “ Le vent du nord chasse la pluie ; et le visage attriste les propos diffamateurs. ”

3. Le profit qui peut résulter d’une diffamation ne vient pas de l’intention du diffamateur, mais de l’ordre divin, qui peut toujours tirer le bien du mal. Il n’en faut pas moins résister aux diffamateurs, absolument comme on s’oppose aux ravisseurs et à ceux qui oppriment les autres, malgré le mérite que peuvent acquérir par leur patience les opprimés et les spoliés.

 

 

QUESTION 74 — LA MÉDISANCE

1. La médisance est-elle un péché distinct de la diffamation ? - 2. Lequel des deux est le plus grave ?

 

 

            Article 1 — La médisance est-elle un péché distinct de la diffamation ?

Objections :

1. Il ne semble pas. S. Isidore donne en effet l’étymologie suivante : “ Le médisant (susurre = chuchoteur) s’appelle ainsi par une onomatopée. De fait, il ne parle pas en face, mais il chuchote à l’oreille ses paroles diffamatoires. ” Mais tenir des propos diffamatoires sur autrui, c’est de la diffamation. Donc médire est la même chose que diffamer.

2. Il est écrit dans le Lévitique (19, 16 Vg) “ Tu n’iras pas incriminer ni médire dans le peuple. ” Mais celui qui incrimine s’identifie au diffamateur. Donc médire ne diffère pas de diffamer.

3. Il est écrit dans l’Ecclésiastique (28, 13) “ Maudit soit l’homme qui médit et l’homme qui a deux langages. ” Or ce dernier doit être identifié au diffamateur, puisque celui-ci tient un double langage, l’un en l’absence de celui qu’il dénigre, l’autre en sa présence. Donc médire est identique à diffamer.

En sens contraire, sur ces mots de l’épître aux Romains (1, 29) : “ Médisants, diffamateurs ”, la Glose note : “ Les premiers sèment la discorde entre les amis ; les seconds nient ou dénigrent les qualités d’autrui. ”

Réponse :

La médisance et la diffamation ont la même matière et la même forme ou manière de parler, car dans les deux cas on dit en secret du mal de son prochain. Cette affinité fait que l’on prend parfois ces péchés l’un pour l’autre. Ainsi sur le texte de l’Ecclésiastique (5, 14) “ Que l’on ne t’appelle pas médisant ”, la Glose précise, “ c’est-à-dire diffamateur ”. Mais la fin voulue est différente. Le diffamateur veut noircir la réputation de son prochain ; aussi s’attache-t-il surtout à souligner les fautes du prochain qui sont de nature à ruiner ou à diminuer sa réputation. Mais le médisant cherche à diviser les amis ; c’est ce que dit le passage de la Glose précité, et ce texte des Proverbes (26, 20) : “ Éloignez le médisant et les querelles s’apaisent. ” C’est pourquoi le médisant met surtout en avant les fautes du prochain qui peuvent irriter contre lui l’esprit de l’auditeur selon l’Ecclésiastique (28, 9) : “ Le pécheur jette le trouble entre les amis, et l’inimitié parmi ceux qui vivent en paix. ”

Solutions :

1. Le médisant, en tant qu’il dit du mal de son prochain, le diffame. Mais son cas diffère de celui du diffamateur parce que son intention n’est pas tant de dire du mal, que de dire ce qui peut exciter les esprits les uns contre les autres, serait-ce d’ailleurs du bien en soi, pourvu que l’interlocuteur y voie du mal qui lui déplaît.

2. Celui qui accuse d’un crime diffère du médisant et du diffamateur. Car, à l’inverse de ceux-ci, c’est au grand jour qu’il accable le prochain d’accusations ou d’insultes.

3. Le médisant est appelé à proprement parler l’homme à double langage. En effet, lorsque l’amitié unit deux personnes, le médisant s’efforce de la détruire des deux côtés à la fois, et pour ce faire, use d’un langage différent vis-à-vis de chacune, disant à l’une du mal de l’autre. Aussi, après avoir dit : “ Maudit soit le médisant et celui qui a deux langages ”, l’Ecclésiastique ajoute : “ Car il a jeté le trouble parmi un grand nombre d’hommes qui vivaient en paix. ”

 

 

            Article 2 — Quel péché, de la médisance ou de la diffamation, est le plus grave ?

Objections :

1. Il semble que ce soit la diffamation. En effet, les péchés en paroles consistent à dire du mal. Or le diffamateur dit de son prochain des choses qui sont absolument mauvaises puisqu’elles détruisent ou diminuent sa réputation. Le médisant, au contraire, n’a souci que de dire des maux apparents dont s’offusquera son auditeur. La diffamation est donc un péché plus grave que la médisance.

2. Ravir à quelqu’un sa réputation, c’est lui ravir l’amitié non pas d’un homme mais d’une multitude de gens ; car chacun refuse l’amitié d’individus perdus de réputation. Voilà pourquoi un roi de Juda est blâmé “ de s’être lié d’amitié avec ceux qui haïssent Dieu ” (2 Ch 19, 2). Mais la médisance prive d’un seul ami. Elle est donc moins grave.

3. Selon S. Jacques (4, 11) : “ Celui qui diffame son frère, diffame la loi ”, et par conséquent le législateur, Dieu lui-même. Ainsi la diffamation paraît être un péché contre Dieu, ce qui est le plus grave des péchés, nous l’avons dit b. La médisance est un péché contre le prochain, elle est donc moins grave.

En sens contraire, il est écrit dans le livre de l’Ecclésiastique (6, 2) : “ Rien n’est pire que l’homme au double langage ; le médisant s’attire la haine, l’aversion et l’opprobre. ”

Réponse :

Nous avons déjà dit plusieurs fois e que le péché contre le prochain est d’autant plus grave qu’il lui porte plus de préjudice, et celui-ci est d’autant plus grand qu’il détruit un bien plus grand. Or un ami est le plus précieux des biens extérieurs, car, remarque Aristote : “ Personne ne peut vivre sans ami ” ; et selon l’Écriture (Si 6, 15) “ Il n’y a rien de comparable à un ami fidèle. ” Or, justement, la réputation que la diffamation détruit, est surtout nécessaire pour nous rendre dignes d’amitié. Aussi la médisance est-elle un péché pire que la diffamation et même que l’injure, car dit encore Aristote : “ L’amitié est préférable aux honneurs. Il vaut mieux être aimé qu’honoré. ”

Solutions :

1. L’espèce et la gravité du péché se prennent de sa fin plus que de son objet matériel. Voilà pourquoi, en raison de sa fin, la médisance est un péché plus grave que la diffamation, bien que la diffamation puisse dire des choses pires.

2. La bonne réputation dispose à l’amitié, et la mauvaise, à l’inimitié. Or, la disposition est inférieure au bien qu’elle prépare. C’est pourquoi celui qui produit une disposition à l’inimitié pèche moins que celui qui travaille directement à produire l’inimitié.

3. On peut dire que diffamer son prochain c’est diffamer la loi, en ce sens que la diffamation méprise le précepte d’aimer le prochain. Mais celui qui s’efforce de briser une amitié s’oppose plus directement à ce précepte. Et c’est pourquoi il pèche davantage contre Dieu, puisque, selon S. Jean : “ Dieu est amour ” (1 Jn 4, 8). Aussi le livre des Proverbes (6, 16) peut-il affirmer : “ Il y a six choses que Dieu hait, et la septième il l’a en horreur ”. et cette dernière est : “ Le semeur de discorde entre frères. ”

 

 

QUESTION 75 — LA MOQUERIE

1. Est-elle un péché spécial, distinct des autres péchés de paroles qui font du tort au prochain ? - 2. Est-elle un péché mortel ?

 

 

            Article 1 — La moquerie est-elle un péché spécial ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la moquerie soit un péché spécial, distinct de ceux que l’on vient d’étudier. En effet, tourner quelqu’un en dérision et s’en moquer, n’est-ce pas la même chose ? Or la dérision relève de l’injure. Donc la moquerie ne se distingue pas de celle-ci.

2. On n’est un objet de moquerie que pour quelque chose de honteux dont un homme doit rougir. Tels sont les péchés : si on les reproche ouvertement à quelqu’un, c’est une injure ; si on les révèle à son insu, c’est de la diffamation ou de la médisance. Donc la moquerie n’est pas un vice distinct des précédents.

3. Les péchés de parole envers le prochain se distinguent entre eux d’après le préjudice qu’ils entraînent. Or la moquerie ne peut nuire au prochain que dans son honneur, sa réputation ou ses amitiés ; donc elle ne peut se distinguer des péchés en question.

En sens contraire, la moquerie se fait par jeu (Indus), si bien qu’on dit aussi “ se jouer ” de quelqu’un (illusio). Or aucun des péchés de parole que nous avons examinés ne se fait par jeu, mais sérieusement. Donc la moquerie est un péché distinct de ceux qui précèdent.

Réponse :

Les péchés de paroles, avons-nous dit doivent se juger surtout d’après l’intention de leur auteur. C’est pourquoi l’on distinguera ces péchés d’après le but que se propose celui qui parle contre son prochain. Or, de même que, par des insultes, on veut atteindre l’honneur de quelqu’un, par la diffamation sa réputation et par la médisance ruiner son amitié ; de même le moqueur cherche à faire rougir celui dont il se moque. Or c’est là une fin bien distincte des précédentes. Donc le péché de moquerie doit être distingué des autres péchés de parole.

Solutions :

1. Sans doute la dérision et la moquerie ont le même but, mais ils ne l’atteignent pas de la même manière. Comme le précise la Glose sur ce verset du Psaume (2,4) : “ Celui qui habite dans les cieux se moque d’eux ”, “ la moquerie se fait par les lèvres ”, c’est-à-dire par des paroles et des éclats de rire ; “ la dérision au contraire par des grimaces ”. Toutefois de telles nuances ne peuvent établir entre ces péchés une différence d’espèce. Mais la dérision et la moquerie diffèrent de l’injure, comme rougir de confusion diffère d’être déshonoré, car, remarque S. Jean Damascène cette rougeur trahit “ la crainte d’être déshonoré ”.

2. Un acte de vertu attire le respect et l’estime d’autrui, et procure à nous-mêmes la fierté d’une bonne conscience, selon le mot de l’Apôtre (1 Co 1, 12) : “ Ce qui fait notre gloire, c’est le témoignage de notre conscience. ” Au contraire, un acte honteux, donc un péché, nous fait perdre le respect et l’estime d’autrui ; c’est à cette fin que, pour injurier ou diffamer quelqu’un, on lui attribue des actions honteuses. Quant au sujet victime de ces propos, il éprouve une confusion qui le fait rougir, ce qui lui fait perdre son assurance intérieure ; et c’est pour cela que le moqueur exploite des faits défavorables. Il ressort de là que la moquerie a la même matière que les autres péchés, mais en diffère par sa fin.

3. La sécurité et le repos de la conscience est un grand bien, comme dit le livre des Proverbes (15, 15) : “ Un cœur tranquille est comme un festin perpétuel. ” C’est pourquoi celui qui trouble la conscience de son prochain en le couvrant de confusion, lui cause un préjudice très précis. Donc la moquerie est un péché spécial.

 

 

            Article 2 — La moquerie est-elle un péché mortel ?

Objections :

1. On ne peut pas croire que ce soit un péché mortel de se moquer. Car tout péché mortel est opposé à la charité. Or la moquerie ne semble pas contraire à la charité, puisque c’est un amusement (Indus) auquel on se livre parfois entre amis, d’où le nom de plaisanterie (delusio) qu’on lui donne encore. La moquerie ne peut donc pas être un péché mortel.

2. La pire moquerie est celle qui offense Dieu. Mais une moquerie qui deviendrait injurieuse pour Dieu même, n’est pas pour autant péché mortel. Sinon, quiconque retomberait dans un péché véniel dont il s’est repenti pécherait mortellement. S. Isidore dit en effet : “ Celui qui retombe dans une faute dont il s’est déjà repenti, se moque et n’est pas réellement pénitent. ” Il s’ensuivrait aussi que toute simulation serait péché mortel, car, en commentant Job (39, 18) : “ Quand l’autruche prend son essor, elle se moque du cheval et de son cavalier. ” S. Grégoire remarquer que l’autruche est le symbole de la simulation, le cheval de l’homme juste, et le cavalier de Dieu. Donc la moquerie n’est pas péché mortel.

3. L’injure et la diffamation sont des péchés plus graves que la moquerie, car il est pire de faire du mal sérieusement que par mode de plaisanterie. Or l’injure ou la diffamation n’est pas toujours péché mortel. Donc la moquerie le sera encore beaucoup moins.

En sens contraire, il est écrit dans le livre des Proverbes (3, 34) : “ Dieu se moque des moqueurs. ” Or cette moquerie divine consiste à punir le péché mortel par d’éternels supplices, selon le Psaume (2, 4) : “ Celui qui habite dans les cieux se moque d’eux. ” Donc la moquerie est péché mortel.

Réponse :

On ne se moque que d’un mal ou d’un défaut. Or lorsqu’un mal est grand, il faut le prendre au sérieux, et non en plaisanterie. Donc si l’on s’en amuse (Indus), ou si l’on en rit (risus), (de là viennent les mots : risée, irrisio, et amusement, illusio), c’est que l’on regarde ce mal comme peu important. Mais il y a deux façons d’estimer ainsi un mal : en lui-même, et par rapport à la personne qui en est affectée. Aussi, lorsque quelqu’un s’amuse ou rit du mal ou d’un défaut de son prochain parce que ce mal est en soi peu de chose, il ne commet qu’un péché véniel et léger de sa nature. - Si au contraire, il apprécie ce mal comme peu grave en fonction de la personne qui en souffre, comme nous le faisons souvent pour les travers des enfants ou des sots, il y a dans cet amusement et cette moquerie un mépris total du prochain ; on l’estime si peu que l’on juge inutile de s’inquiéter de son mal et qu’on en fait un objet de plaisanterie. Se moquer de la sorte est un péché mortel, et plus grave encore que l’injure que l’on jette également à la face de son prochain. Dans l’injure en effet, on paraît prendre au sérieux le mal d’autrui, mais le moqueur s’en amuse. Il y a là davantage de mépris et de déshonneur.

À ce titre la moquerie est un péché grave ; et d’autant plus grave que la personne dont on se moque a droit à plus de respect. Le pire sera donc de se moquer de Dieu et des choses divines, selon Isaïe (37, 23) ; “ Qui as-tu insulté ? Qui as-tu blasphémé ? Contre qui as-tu élevé la voix ? ” Et il répond : “ Contre le Saint d’Israël. ” En second lieu vient la moquerie envers les parents. C’est pourquoi nous lisons au livre des Proverbes (30, 17) : “ L’œil qui tourne son père en dérision et méprise sa mère qui l’a enfanté, les corbeaux du torrent le crèveront et les petits de l’aigle le dévoreront. ” Enfin se moquer des justes constitue encore une faute grave, car “ l’honneur est la récompense de la vertu ”. Aussi Job (12, 4) se plaint-il que “ l’intégrité du juste soit un objet de moquerie ”. De fait cette moquerie est extrêmement nuisible, car elle empêche les hommes de bien agir : “ Il y en a, dit S. Grégoire, qui voyant le bien accompli par les actes de leur prochain, s’empressent de l’arracher par leurs railleries meurtrières. ”

Solutions :

1. Jouer n’a rien de contraire à la charité, du moins à l’égard de la personne avec laquelle on joue ; mais on peut offenser la charité vis-à-vis de la personne dont on se joue, parce qu’on la méprise, nous venons de le dire.

2. Celui qui retombe dans un péché dont il s’était repenti, et celui qui feint les sentiments qu’il n’a pas ne se moquent pas expressément de Dieu, mais ils prêtent à cette interprétation, car ils se conduisent comme s’ils se moquaient de Dieu. De plus, quand il ne s’agit que de péchés véniels, on ne doit pas dire à proprement parler que l’homme récidive ou qu’il simule ; il n’y a là qu’une disposition à la rechute et une manière d’agir imparfaite.

3. La moquerie est de soi quelque chose de plus léger que la diffamation ou l’injure, car elle n’implique pas le mépris : c’est un amusement. Il peut arriver cependant qu’on mette davantage de mépris dans une moquerie que dans un outrage, nous venons de le dire. C’est alors un péché grave.

 

 

QUESTION 76 — LA MALÉDICTION

1. Est-il permis de maudire un homme ? - 2. De maudire une créature sans raison ? - 3. La malédiction est-elle un péché mortel ? - 4. Comparaison de la malédiction avec les autres péchés.

 

 

            Article 1 — Est-il permis de maudire un homme ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas permis de maudire quelqu’un. Il est défendu en effet de transgresser un précepte de l’apôtre qui parlait au nom du Christ (2 Co 13, 3). Or l’Apôtre ordonne aux Romains (12, 14) : “ Bénissez, ne maudissez pas. ” Il n’est donc pas permis de maudire.

2. Tous les hommes doivent bénir Dieu, car il est prescrit dans le livre de Daniel (3, 82) : “ Enfants des hommes, bénissez le Seigneur. ” Or S. Jacques (3, 9) montre bien que la même bouche ne peut bénir Dieu et maudire les hommes. Donc personne n’a le droit de lancer une malédiction.

3. Celui qui maudit son prochain, lui souhaite un mal de faute ou de peine ; car la malédiction est une sorte d’imprécation. Mais il est interdit de désirer le mal de son prochain ; on doit au contraire prier pour tous afin qu’ils soient délivrés du mal. Donc il n’est permis à personne de maudire.

4. Le diable, en raison de son obstination, est l’être le plus mauvais qui soit. Or il est interdit de le maudire, comme il est interdit de se maudire soi-même. En effet, selon l’Ecclésiastique (21, 27) : “ Quand l’impie maudit le diable, il se maudit lui-même. ” A plus forte raison par conséquent, nul ne peut maudire un homme.

5. Sur cette parole de Balaam, rapportée par le livre des Nombres (23, 8) : “ Comment maudirai-je celui que Dieu ne maudit pas ? ”, la Glose note : “ On ne peut avoir un juste motif de malédiction quand on ignore les sentiments du pécheur. ” Or un homme ne peut deviner les sentiments d’un autre homme, ni savoir s’il a été maudit de Dieu. Donc aucun homme ne peut en maudire un autre.

En sens contraire, il est écrit dans le Deutéronome (27, 26) -. “ Maudit soit celui qui est infidèle aux prescriptions de cette loi. ” Il y a aussi l’exemple d’Élisée maudissant les enfants qui le tournaient en dérision (2 R 2, 24).

Réponse :

Maudire c’est mal dire. Or on peut envisager trois façons de dire : 1° Sous forme d’affirmation ; on emploie alors le verbe à l’indicatif En ce sens maudire n’est pas autre chose que rapporter du mal de son prochain, ce qui est de la diffamation. Voilà pourquoi les diffamateurs sont parfois appelés médisants (maledici). 2° La parole le (dicere) est cause de cela même qui est exprimé. Cette manière de dire convient d’abord et principalement à Dieu qui crée toutes choses par sa parole, selon le verset du Psaume (33, 9) : “ Il dit, et tout a été fait. ” Mais cela convient ensuite aux hommes qui, par le commandement de la parole, poussent leurs semblables à faire quelque chose. Alors le verbe de la phrase se met à l’impératif. 3° Enfin “ dire ”, ce peut être encore une façon d’exprimer son désir ou ses souhaits à l’égard de la réalité dont on parle. C’est la fonction de l’optatif.

Si l’on fait abstraction du premier genre de malédiction, qui est une dénonciation pure et simple d’un mal, il ne reste que deux genres à examiner. Il faut d’abord se souvenir de ce que nous avons établi autrefois à savoir que faire une chose et la vouloir sont deux actes revêtus de la même bonté ou de la même malice morale. Par suite une malédiction sera aussi licite ou aussi illicite, que l’on souhaite le mal du prochain ou que l’on ordonne de lui en faire. Si, en effet, on commande ou on souhaite le mal d’autrui, précisément parce que c’est son mal, et en voulant ce mal pour lui-même, de l’une ou l’autre façon, maudire est illicite ; et c’est la malédiction proprement dite. Mais commander ou souhaiter le mal de son prochain sous la raison de bien, est licite. Ce n’est pas maudire de manière absolue, mais par accident, car l’intention principale de celui qui parle ne porte pas sur le mal mais sur un bien.

Or le mal peut être commandé ou souhaité à autrui en vue d’un bien pour deux motifs : d’abord pour une raison de justice ; ainsi un juge peut légitimement maudire un accusé en lui infligeant une condamnation méritée. De même l’Église maudit en jetant l’anathème ; et dans l’Écriture les prophètes souhaitaient du mal aux pécheurs en se conformant ainsi aux ordres de la justice de Dieu ; bien que l’on puisse aussi considérer ces imprécations comme des prédictions. - Puis il y a parfois une raison d’utilité qui autorise à dire du mal : souhaiter, par exemple à un pécheur une maladie ou un obstacle quelconque, pour qu’il se corrige ou du moins cesse de nuire.

Solutions :

1. S. Paul interdit la malédiction proprement dite, celle qui veut le mai du prochain.

2. Même réponse à la deuxième objection.

3. Souhaiter du mal à quelqu’un sous la raison de bien ne s’oppose pas à l’affection qu’on lui doit et qui est essentiellement bienveillante ; c’est au contraire se conformer à ce sentiment.

4. Chez le diable, il faut distinguer sa nature et sa faute. Sa nature est bonne, elle vient de Dieu ; on ne peut donc la maudire. Mais il faut maudire sa faute, selon le mot de Job (3, 8) : “ Que ceux-là maudissent la nuit où je suis né, eux qui maudissent le jour. ” Quand un pécheur maudit le diable pour sa malice, il s’estime par le fait même digne de malédiction. C’est en ce sens que l’on dit qu’il se maudit lui-même.

5. Bien que le pécheur ne dévoile pas ses sentiments, on peut cependant les percevoir à partir d’un péché manifeste, pour lequel on devra le châtier. Pareillement, bien que l’on ne puisse pas savoir qui est celui que Dieu maudit d’une réprobation éternelle, on peut néanmoins savoir qui encourt la malédiction divine en raison de la culpabilité de sa faute actuelle.

 

 

            Article 2 — Est-il permis de maudire une créature sans raison ?

Objections :

1. Il semble que non, car la malédiction est autorisée surtout comme châtiment. Mais une créature sans raison ne peut faire de faute ni recevoir de châtiment. On ne peut donc la maudire.

2. Dans une créature sans raison, on trouve seulement la nature, que Dieu a créée. Or il n’est pas permis de maudire une nature, même celle du diable, on vient de le dire b. On ne peut donc aucunement maudire une créature sans raison.

3. Une créature sans raison est stable comme le sont les corps, ou fugitive comme le temps. Or S. Grégoire remarque : “ Il est vain de maudire ce qui n’existe pas et vicieux de maudire ce qui existe. ” Il n’est donc aucunement permis de maudire une créature sans raison.

En sens contraire, le Seigneur a maudit un figuier (Mt 21, 19), et Job (3, 1) a maudit le jour de sa naissance.

Réponse :

La bénédiction ou la malédiction concernent proprement l’être auquel il peut arriver du bien ou du mal, c’est-à-dire la créature raisonnable. Mais on dit aussi que le bien et le mal affectent les créatures sans raison par leur rapport avec les êtres raisonnables, pour lesquelles elles existent. Or elles leur sont ordonnées de multiples façons :

l) A titre de secours, en ce sens que les êtres sans raison servent à l’homme pour subvenir à ses besoins. Aussi Dieu déclaratif à l’homme (Gn 3, 17) : “ La terre que tu travailles sera maudite ”, c’est-à-dire que sa stérilité sera le châtiment de l’homme. C’est dans le même sens qu’il faut entendre ces mots du Deutéronome (28, 5) “ Tes greniers seront bénis ”, et plus loin “ Tes greniers seront maudits. ” C’est de la même manière encore, explique S. Grégoire que David maudit la montagne de Gelboé (2 S 1, 21).

2) Les créatures sans raison servent encore à l’homme de symboles. Le figuier maudit par le Christ symbolisait la Judée.

3) Enfin à titre de cadre chronologique et géographique. Ainsi Job maudit le jour de sa naissance, à cause du péché originel qu’il avait contracté en naissant et des pénalités qui en sont la conséquence. On peut aussi entendre en ce sens la malédiction que David lança contre la montagne de Gelboé à cause du massacre du peuple qui avait eu lieu sur cette montagne.

Mais maudire les êtres sans raison comme créatures de Dieu, c’est un péché de blasphème. Et les maudire pour eux-mêmes est vain et sans objet, donc illicite.

Solution : Cela donne la solution des Objections.

 

 

            Article 3 — La malédiction est-elle un péché mortel ?

Objections :

1. Il ne semble pas que ce soit un péché mortel de maudire. En effet, S. Augustine range la malédiction parmi ce qu’il appelle les péchés légers, qui correspondent à nos péchés véniels. Donc la malédiction est un péché véniel et non mortel.

2. Ce qui est fait à la légère n’est pas toujours péché mortel. Or tel est parfois le cas de la malédiction, qui n’est donc pas péché mortel.

3. Mal faire est plus grave que maudire. Or mal faire n’est pas toujours péché mortel. Donc beaucoup moins maudire.

En sens contraire, seul le péché mortel exclut du royaume de Dieu. Or la malédiction exclut du royaume de Dieu, selon S. Paul (1 Co 6, 10) : “ Ni ceux qui profèrent des malédictions, ni les escrocs ne posséderont le royaume de Dieu. ” La malédiction est donc péché mortel.

Réponse :

La malédiction, telle que nous l’envisageons ici, consiste à appeler le mal sur quelqu’un sous forme de commandement ou de souhait. Or vouloir le mal d’autrui ou le provoquer par un ordre s’oppose, de soi, à la charité qui nous fait aimer notre prochain en lui voulant du bien. C’est donc un péché mortel de sa nature, et d’autant plus grave que la personne que nous maudissons a droit à plus d’amour et de respect de notre part. Voilà pourquoi il est écrit dans le Lévitique (20, 9) : “ Quiconque maudit son père ou sa mère sera puni de mort. ”

Il peut arriver cependant qu’en lançant une parole de malédiction l’on ne commette qu’un péché véniel, soit parce que l’on appelle sur autrui un mal sans gravité, soit en raison du sentiment qui inspire cette malédiction ; on peut, en effet, prononcer de telles paroles à la légère, ou pour plaisanter, ou sans y prendre garde.

Car les péchés de parole doivent être évalués surtout d’après les sentiments qui les inspirent, nous l’avons déjà dit.

Solution : Cela donne la solution des Objections.

 

 

            Article 4 — Comparaison de la malédiction avec les autres péchés

Objections :

1. Il semble que maudire soit plus grave que diffamer. En effet, la malédiction est ne sorte de blasphème ; c’est évident d’après ce que dit l’épître canonique de S. Jude (v. 9) : “ L’archange Michel, lorsqu’il contestait avec le diable et lui disputait le corps de Moïse, n’osa pas porter contre lui une sentence de blasphème ”, et ici, remarque la Glose, blasphème est mis pour malédiction. Or le blasphème est un péché plus grave que la diffamation. Donc aussi la malédiction.

2. L’homicide est plus grave que la diffamation, nous l’avons montrés. Or la gravité de la malédiction est égale à celle de l’homicide, selon S. Jean Chrysostome : “ Lorsque vous dites à Dieu : "Maudis cet homme, renverse sa maison, fais périr tous ses biens" vous ne différez en rien d’un homicide. ” Donc maudire est plus grave que diffamer.

3. La cause l’emporte sur le signe. Or celui qui maudit cause le mal par son commandement ; le diffamateur au contraire ne fait que désigner un mal déjà existant. Le premier pèche donc plus gravement que le second.

En sens contraire, la diffamation ne peut jamais se prendre en bonne part. La malédiction au contraire peut être bonne ou mauvaise, nous l’avons montré. Donc la diffamation est plus grave que la malédiction.

Réponse :

Comme on l’a vu dans la première Partie, il y a deux sortes de maux, le mal de faute et le mal de peine. Mais, comme on l’a dit aussi, de ces deux maux, celui de faute est le pire. Aussi parler de la faute de quelqu’un est plus grave que parler de son châtiment, si toutefois on le fait en termes semblables. Or l’injure, la médisance, la diffamation et même la moquerie dénoncent le mal de faute ; tandis que la malédiction dont nous parlons maintenant concerne le mal de peine, non le mal de faute, à moins qu’il n’envisage la faute sous la raison de peine. De plus la manière de s’exprimer n’est pas la même. Dans les quatre premiers vices, on dit la faute d’autrui seulement en la dénonçant ; dans la malédiction, au contraire, on parle du châtiment soit de manière impérative pour le causer, soit sous forme de souhait. Mais dénoncer une faute est un péché, en ce que cela nuit au prochain. Or il est plus grave de nuire que d’en exprimer simplement le désir, toutes choses égales d’ailleurs. Voilà pourquoi la diffamation, en son acception générale, est un péché plus grave que la malédiction exprimée sous forme de simple désir. Mais la malédiction sous forme impérative, ayant raison de cause, peut être plus grave que la diffamation, si le préjudice qu’elle porte est plus grand que le dénigrement d’une réputation, ou moins grave si le dommage causé est moindre.

Cette appréciation de gravité est établie d’après les éléments qui appartiennent essentiellement à ces péchés, mais des éléments accidentels peuvent augmenter ou diminuer cette gravité.

Solutions :

1. La malédiction portée contre une créature envisagée comme telle, rejaillit sur Dieu et peut donc par accident avoir raison de blasphème. Il n’en serait pas de même si la créature était maudite pour une faute. On doit faire une distinction semblable pour la diffamation.

2. Comme nous l’avons dit. l’une des formes de la malédiction inclut le désir du mal. Donc, si celui qui la prononce souhaite la mort d’autrui, son désir fait de lui un homicide. Il en diffère cependant en tant que l’acte extérieur ajoute quelque chose à la volonté.

3. Ce raisonnement vaut seulement pour la malédiction qui implique un commandement.

 

LE PÉCHÉ D’INJUSTICE DANS LES ÉCHANGES VOLONTAIRES

Nous traiterons d’abord de la fraude qui a lieu dans les achats et les ventes (Q. 77), puis de l’usure qui se pratique dans les prêts (Q. 78). Les péchés qui se commettent dans les autres échanges volontaires rentrent dans le vol ou la rapine et ne forment pas d’espèces distinctes.

 

 

QUESTION 77 — LA FRAUDE

1. La vente rendue injuste par le prix demandé, autrement dit : Est-il permis de vendre une chose plus cher qu’elle ne vaut ? - 2. La vente injuste en ce qui concerne la marchandise. - 3. Le vendeur est-il tenu de dire les défauts de sa marchandise ? - 4. Est-il permis, dans le commerce, de vendre une marchandise plus cher qu’on ne l’a achetée ?

 

 

            Article 1 — Est-il permis de vendre une chose plus cher qu’elle ne vaut ?

Objections :

1. Il semble que ce soit permis. Car c’est aux lois civiles de déterminer ce qui est juste dans les échanges de la vie humaine. Or ces lois autorisent l’acheteur et le vendeur à se tromper mutuellement ; ce qui a lieu lorsque le vendeur vend sa marchandise plus cher qu’elle ne vaut, ou que l’acheteur la paie au-dessous de sa valeur. Il est donc permis de vendre une chose plus cher qu’elle ne vaut.

2. Ce qui est commun à tout le monde paraît venir de la nature et ne peut pas être un péché.

Or S. Augustin rapporte ce mot d’un comédien, qui fut admis par tous : “ Vous voulez acheter à bas prix et vendre cher. ” Ce qui rejoint cette réflexion du livre des Proverbes (20, 14) : “ "Mauvais! Mauvais !", dit l’acheteur ; et en s’en allant il se félicite. ” Il est donc permis de vendre une chose plus cher et de l’acheter moins cher qu’elle ne vaut.

3. Il ne semble pas qu’il soit interdit de faire par contrat ce que l’on est déjà tenu de faire d’après les règles de l’honnêteté. Or, suivant Aristote, dans l’amitié fondée sur l’utilité, celui qui a reçu un bienfait doit donner une compensation proportionnée. Mais le bienfait dépasse parfois la valeur de la chose donnée ; c’est ce qui arrive lorsqu’on a grandement besoin d’une chose, soit pour éviter un risque, soit pour obtenir un avantage. Il est donc permis dans un contrat d’achat ou de vente de livrer une chose pour un prix supérieur à sa valeur réelle.

En sens contraire, il est écrit en S. Matthieu (7, 12) : “ Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le aussi pour eux. ” Or personne ne veut qu’on lui vende une chose plus cher qu’elle ne vaut. Donc personne ne doit vendre une chose au-dessus de sa valeur.

Réponse :

User de fraude pour vendre une chose au-dessus de son juste prix est certainement un péché, car on trompe le prochain à son détriment. C’est ce qui fait dire à Cicéron : “ Tout mensonge doit être exclu des contrats ; le vendeur ne fera pas venir un acheteur qui enchérisse, ni l’acheteur un vendeur qui offre un prix moins élevé. ”. Mais toute fraude exclue, nous pouvons examiner l’achat et la vente sous un double point de vue. D’abord en eux-mêmes. De ce point de vue, l’achat et la vente semblent avoir été institués pour l’intérêt commun des deux parties, chacune d’elles ayant besoin de ce que l’autre possède, comme le montre Aristote. Or, ce qui est institué pour l’intérêt commun ne doit pas être plus onéreux à l’un qu’à l’autre. Il faut donc établir le contrat de manière à observer l’égalité entre eux. Par ailleurs la quantité ou valeur d’un bien qui sert à l’homme se mesure d’après le prix qu’on en donne ; c’est à cet effet, dit Aristote, qu’on a inventé la monnaie. Par conséquent, si le prix dépasse en valeur la quantité de marchandise fournie, ou si inversement la marchandise vaut plus que son prix, l’égalité de la justice est détruite. Et voilà pourquoi vendre une marchandise plus cher ou l’acheter moins cher qu’elle ne vaut est de soi injuste et illicite.

En second lieu, l’achat et la vente peuvent en certaines circonstances tourner à l’avantage d’une partie et au détriment de l’autre ; par exemple lorsque quelqu’un a grandement besoin d’une chose et que le vendeur soit lésé s’il ne l’a plus. Dans ce cas le juste prix devra être établi non seulement d’après la valeur de la chose vendue, mais d’après le préjudice que le vendeur subit du fait de la vente. On pourra alors vendre une chose au-dessus de sa valeur en soi, bien qu’elle ne soit pas vendue plus qu’elle ne vaut pour celui qui la possède.

Mais si l’acheteur tire un grand avantage de ce qu’il reçoit du vendeur, et que ce dernier ne subisse aucun préjudice en s’en défaisant, il ne doit pas le vendre au-dessus de sa valeur. Parce que l’avantage dont bénéficie l’acheteur n’est pas au détriment du vendeur, mais résulte de la situation de l’acheteur ; or on ne peut jamais vendre à un autre ce qui ne vous appartient pas, bien qu’on puisse lui vendre le dommage que l’on subit. Cependant celui qui acquiert un objet qui lui est très avantageux, peut spontanément payer au vendeur plus que le prix convenu ; c’est honnête de sa part.

Solutions :

1. Comme nous l’avons écrit la loi humaine régit une société dont beaucoup de membres n’ont guère de vertu ; or elle n’a pas été faite seulement pour les gens vertueux. La loi ne peut donc réprimer tout ce qui est contraire à la vertu, elle se contente de réprimer ce qui tendrait à détruire la vie en commun ; on peut dire qu’elle tient tout le reste pour permis, non qu’elle l’approuve, mais elle ne le punit pas. C’est ainsi que la loi, n’infligeant pas de peine à ce sujet, permet au vendeur de majorer le prix de sa marchandise et à l’acheteur de l’acheter moins cher, pourvu qu’il n’y ait pas de fraude et qu’on ne dépasse pas certaines limites ; dans ce dernier cas, en effet, la loi oblige à restituer, par exemple si l’un des contractants a été trompé pour plus de la moitié du juste prix. Mais rien de ce qui est contraire à la vertu ne reste impuni au regard de la loi divine. Or la loi divine considère comme un acte illicite le fait de ne pas observer l’égalité de la justice dans l’achat et dans la vente. Celui qui a reçu davantage sera donc tenu d’offrir une compensation à celui qui a été lésé, si toutefois le préjudice est notable. Si j’ajoute cette précision, c’est que le juste prix d’une chose n’est pas toujours déterminé avec exactitude, mais s’établit plutôt à l’estime, de telle sorte qu’une légère augmentation ou une légère diminution de prix ne semble pas pouvoir porter atteinte à l’égalité de la justice.

2. S. Augustin explique au même endroit : “ Ce comédien, en se regardant lui-même ou d’après son expérience des autres, a cru que tout le monde veut acheter à bas prix et vendre cher. Mais comme ce sentiment est certainement vicieux, chacun peut acquérir la justice qui lui permettra d’y résister et de le vaincre. ” Et il cite l’exemple d’un homme qui, pouvant avoir un livre pour un prix modique à cause de l’ignorance du vendeur, paya néanmoins le juste prix. Cela prouve que ce désir généralisé n’est pas un désir naturel mais vicieux. Aussi est-il commun à beaucoup : ceux qui marchent dans la voie large des vices.

3. En justice commutative, on considère principalement l’égalité des choses échangées. Mais dans l’amitié utile, on considère l’égalité de l’utilité respective ; et c’est pourquoi la compensation qu’il faut accorder doit être proportionnée à l’utilité dont on a tiré profit. Dans l’achat au contraire, elle sera proportionnée à l’égalité de la chose échangée.

 

 

            Article 2 — La vente injuste en ce qui concerne la marchandise.

Objections :

1. Il semble qu’une vente ne devienne pas injuste et illicite en raison de la chose vendue. Car dans une chose, on doit estimer sa substance propre plus que tout le reste. Or un défaut qui porte sur la substance de la chose vendue ne rend pas une vente illicite ; ainsi par exemple, si quelqu’un vend, comme étant véritables, de l’argent ou de l’or fabriqué par les alchimistes, qui peuvent servir à tous les usages pour lesquels l’or et l’argent sont nécessaires, comme des vases ou d’autres objets. Donc, beaucoup moins encore la vente sera-t-elle rendue illicite pour des défauts accessoires.

2. Lorsque le défaut de la marchandise porte sur la quantité, il paraît léser davantage la justice, car celle-ci consiste dans l’égalité. Or la quantité est connue à l’aide de mesures. Et comme l’a noté Aristote, les mesures que l’homme applique aux choses dont il se sert ne sont pas déterminées, mais sont plus ou moins grandes selon les pays. On ne pourra donc éviter ce défaut de quantité de la marchandise. Par suite il ne peut rendre la vente illicite.

3. Il y a encore un défaut dans la marchandise si elle n’a pas la qualité requise. Mais pour apprécier cette qualité, il faut une grande science, qui manque à la plupart des vendeurs. La vente ne sera donc pas rendue illicite du fait d’un tel défaut.

En sens contraire, S. Ambroise écrit : “ La règle évidente de la justice est que l’homme de bien ne doit pas s’écarter de la vérité, ni faire subir à personne un dommage injuste, ni frauder sur la marchandise. ”

Réponse :

Trois défauts peuvent affecter un objet à vendre. L’un porte sur la nature de cet objet. Si le vendeur sait que l’objet qu’il vend a ce défaut, il commet une fraude dans la vente, et celle-ci par là-même devient illicite. C’est ce qu’Isaïe (1, 22) reproche à ses contemporains : “ Votre argent a été changé en scories ; votre vin a été coupé d’eau ” , car ce qui est mélangé perd sa nature propre. - Un autre défaut porte sur la quantité que l’on connaît au moyen de mesures. Si donc au moment de la vente on use sciemment d’une mesure défectueuse, on commet encore une fraude et la vente est illicite. Aussi le Deutéronome (25, 13) prescrit-il : “ Tu n’auras pas dans ton sac deux sortes de poids, un gros et un petit. Tu n’auras pas dans ta maison deux sortes de boisseaux, un grand et un petit ”, et plus loin : “ Car il est en abomination à Dieu, celui qui fait ces choses ; Dieu a en horreur toute injustice. ” - Le troisième défaut possible est celui de la qualité ; par exemple vendre une bête malade comme saine. Si le vendeur fait cela sciemment, il commet une fraude et la vente est illicite.

Dans tous ces cas, non seulement on pèche en faisant une vente injuste, mais on est tenu à restitution. Si cependant le vendeur ignore que l’objet qu’il vend est affecté de ces défauts, il ne pèche pas, car il ne commet que matériellement une injustice et son action morale elle-même n’est pas injuste, nous l’avons déjà vu. Mais lorsqu’il S’en aperçoit, il est tenu à dédommager l’acheteur.

Ce que nous disons du vendeur vaut également pour l’acheteur. Il arrive en effet que le vendeur estime moins cher qu’elle ne vaut l’espèce de l’objet qu’il vend, lorsque, par exemple, il croit vendre du cuivre jaune alors que c’est de l’or ; l’acheteur, s’il en est averti, fait un achat injuste et est tenu à restitution. Il en va de même pour les erreurs de qualité et de quantité.

Solutions :

1. Ce qui fait la cherté de l’or et de l’argent, ce n’est pas seulement l’utilité des objets qu’ils servent à fabriquer ou les autres usages auxquels on les emploie ; mais aussi la noblesse et la pureté de leur substance. C’est pourquoi si l’or ou l’argent issu du creuset des alchimistes n’a pas la substance véritable de l’or ou de l’argent, la vente en est frauduleuse et injuste : et surtout parce que l’or et l’argent servent, par leurs propriétés naturelles, à certains usages auxquels l’or artificiel des alchimistes ne peut servir ; comme, par exemple, pour dissiper certaines humeurs tristes et servir de remède contre certaines maladies. En outre, l’or naturel peut servir à des emplois plus fréquents et conserve plus longtemps sa pureté que l’or fabriqué. - Mais si l’alchimiste parvenait à faire de l’or véritable, il ne serait pas illicite de le vendre pour tel ; car rien n’interdit à un artisan de se servir de certaines causes naturelles pour produire des effets naturels et vrais ; S. Augustin fait cette remarque au sujet de l’art des démons.

2. Il est nécessaire que les mesures appliquées aux marchandises varient avec les lieux, selon l’abondance ou la pénurie de ces produits ; parce que là où règne l’abondance, les mesures sont ordinairement plus fortes. Cependant en chaque lieu, c’est aux chefs de la cité qu’il appartient de déterminer les mesures exacte des articles en vente, en tenant compte des conditions des lieux et des choses elles-mêmes. Ainsi n’est-il pas permis de dépasser ces mesures fixées par les pouvoirs publics ou par la coutume.

3. S. Augustin fait remarquer que le prix des marchandises ne s’estime pas d’après la hiérarchie des natures, puisqu’il arrive parfois qu’un cheval se vende plus cher qu’un esclave, mais d’après l’utilité que les hommes peuvent en retirer. Il n’est donc pas nécessaire que le vendeur ou l’acheteur connaisse les qualités cachées de l’objet en vente, mais seulement celles qui le rendent apte à servir aux besoins humains, par exemple, s’il s’agit d’un cheval, qu’il soit fort et rapide, etc. Or ce sont là des qualités que le vendeur et l’acheteur peuvent facilement reconnaître.

 

 

            Article 3 — Le vendeur est-il tenu de dire les défauts de sa marchandise ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Comme le vendeur, en effet, ne force personne à acheter, il semble soumettre au jugement de l’acheteur l’objet qu’il lui vend. Or c’est à la même personne qu’il appartient de connaître l’objet et de décider. On ne devra donc pas s’en prendre au vendeur si l’acheteur se trompe dans son appréciation, faisant son achat en hâte et sans avoir suffisamment examiné les qualités de la marchandise.

2. Il est insensé de poser un acte qui empêche de réaliser ce qu’on veut faire. Mais déclarer les défauts de l’objet que l’on veut vendre, c’est empêcher sa vente. Comme le fait dire Cicéron à un personnage qu’il met en scène : “ Quoi de plus absurde pour un propriétaire, que de faire annoncer par le crieur public : "je vends une maison insalubre ?" ” Donc le vendeur n’est pas tenu de dévoiler les défauts de sa marchandise.

3. Il est plus nécessaire à l’homme de connaître la voie de la vertu que les vices des objets à vendre. Or on n’est pas tenu de donner des conseils à tout venant et de lui dire la vérité concernant sa moralité, encore qu’on ne doive dire de mensonge à personne. Donc le vendeur sera bien moins tenu encore de révéler les vices de sa marchandise et de donner ainsi une sorte de conseil à l’acheteur.

4. Si quelqu’un est tenu de dire les défauts de sa marchandise, ce ne peut être que pour faire baisser son prix. Or quelquefois, le prix serait quand même diminué, sans aucun défaut de la marchandise, mais pour une autre raison ; par exemple si le vendeur porte son blé dans un pays qui en manque et sait que beaucoup d’autres marchands viendront après lui pour en vendre également ; si les acheteurs le savaient, ils offriraient au premier vendeur un prix inférieur. Or celui-ci, semble-t-il, n’est pas tenu de les avertir. Donc, pour la même raison, il n’a pas à les aviser des défauts de sa marchandise.

En sens contraire, S. Ambroise écrit : “ Dans les contrats, on est tenu de déclarer les défauts de la marchandise que l’on vend ; si le vendeur ne le fait pas, bien que la marchandise soit passée aux mains de l’acheteur, le contrat est annulé comme entaché de fraude. ”

Réponse :

Il est toujours illicite de fournir à autrui une occasion ou de danger ou de préjudice. Pourtant, il n’est pas nécessaire qu’un homme donne toujours à son prochain un secours ou un conseil capable de lui procurer un avantage quelconque ; ce ne serait requis qu’en certains cas déterminés, par exemple envers quelqu’un dont on a la charge, ou lorsque nul autre ne pourrait lui venir en aide. Or le vendeur qui offre sa marchandise à l’acheteur, lui fournit par là même une occasion de préjudice ou de danger, si cette marchandise a des défauts tels que son usage puisse entraîner un préjudice ou un danger. Un préjudice, si le défaut est de nature à diminuer la valeur de la marchandise mise en vente, et que néanmoins le vendeur ne rabatte rien du prix ; un danger si, du fait de ce défaut, l’usage de la marchandise devient difficile ou nuisible ; comme par exemple, si l’on vendait un cheval boiteux comme un cheval rapide, ou une maison qui menace ruine comme une maison en bon état, ou des aliments avariés ou empoisonnés comme des aliments sains. Si ces vices sont cachés et que le vendeur ne les révèle pas, la vente sera illicite et frauduleuse, et il sera tenu de réparer le dommage.

Mais si le défaut est manifeste, comme s’il s’agit d’un cheval borgne ; ou si la marchandise qui ne convient pas au vendeur, peut convenir à d’autres, et si par ailleurs le vendeur fait de lui-même une réduction convenable sur le prix de la marchandise, il n’est pas tenu de manifester le défaut de sa marchandise. Car à cause de cela, l’acheteur pourrait vouloir une diminution de prix exagérée. Dans ce cas, le vendeur peut licitement veiller à son intérêt, en taisant le défaut de la marchandise.

Solutions :

1. On ne peut porter un jugement que sur une chose connue, car “ chacun, dit Aristote, juge d’après ce qu’il connaît ”. Donc, si les défauts d’une marchandise mise en vente sont cachés à moins que le vendeur ne les révèle, l’acheteur n’est pas à même de se faire un jugement sur ce qu’il achète. Au contraire si les défauts sont apparents.

2. Il n’est pas nécessaire que l’on fasse annoncer par le crieur public les défauts de la marchandise ; des annonces de ce genre feraient fuir les acheteurs et leur laisserait ignorer les autres qualités qui rendent cette marchandise bonne et utile. Mais il faut révéler ce défaut à chacun de ceux qui viennent acheter ; ils pourront ainsi comparer entre elles les qualités bonnes et mauvaises. Rien n’empêche en effet qu’une chose atteinte d’un défaut puisse rendre beaucoup de services.

3. Si l’homme n’est pas tenu d’une manière absolue de dire la vérité à son prochain en ce qui regarde la pratique de la vertu, il y est cependant obligé quand, par son fait, quelqu’un serait menacé d’un danger où la vertu serait engagée, s’il ne disait pas la vérité. C’est le cas ici.

4. Le vice d’une marchandise diminue sa valeur présente. Mais dans le cas envisagé par l’objection, c’est seulement plus tard que la valeur de la marchandise doit baisser, du fait de l’arrivée de nouveaux marchands, et cette circonstance est ignorée des acheteurs. Par conséquent, le vendeur peut, sans blesser la justice, vendre sa marchandise au taux du marché où il se transporte, sans avoir à révéler la baisse prochaine. Si toutefois il en parlait ou s’il baissait lui-même ses prix, il pratiquerait une vertu plus parfaite ; mais il ne semble pas y être tenu en justice.

 

 

            Article 4 — Est-il permis, dans le commerce, de vendre une marchandise plus cher qu’on ne l’a achetée ?

Objections :

1. Cela semble interdit. En effet, d’après S. Jean Chrysostome : “ Celui qui achète une chose pour la revendre telle quelle et sans y rien changer en faisant du bénéfice, c’est l’un des marchands qui furent chassés du temple de Dieu. ” De même, commentant ce verset du Psaume (71, 15 Vg) : “ Parce que je ne sais pas l’art d’écrire ” ou d’après une autre leçon : “ Parce que j’ignore le commerce ”, Cassiodore dit ceci : “ Qu’est-ce que le commerce, sinon acheter à bas prix dans l’intention de vendre plus cher ? ” et il ajoute : “ De tels commerçants, le Seigneur les a chassés du Temple. ” Or l’expulsion du Temple est la suite d’un péché. Donc un tel commerce est un péché.

2. Il est contraire à la justice de vendre un objet plus cher ou de l’acheter moins cher qu’il ne vaut. Mais le commerçant qui vend un objet plus cher qu’il ne l’a acheté est obligé, ou de l’achète au-dessous de son prix, ou de le vendre au-dessus. Il ne peut donc éviter le péché.

3. S. Jérôme écrit : “ Un clerc homme d’affaires, ex-pauvre devenu riche, ex-roturier devenu fanfaron, fuis-le comme la peste. ” Mais le commerce ne pourrait être interdit aux clerc s’il n’était pas un péché. Donc c’est un péché de faire du commerce en achetant à bas prix et en vendant plus cher.

En sens contraire, sur le même verset Psaume : “ Parce que je ne sais pas l’a d’écrire... ”, S. Augustin remarque : “ Le commerçant âpre au gain blasphème lorsqu’il subit une perte, il ment et fait de faux serments sur le prix de sa marchandise. ” Mais ces vices sont ceux de l’homme, et non du négoce qui peut s’exercer sans eux. Faire du commerce n’est donc pas, de soi, illicite.

Réponse :

Le négoce consiste à échanger des biens. Or Aristote Il distingue deux sortes d’échanges. L’une est comme naturelle et nécessaire, et consiste à échanger denrées contre denrées, ou denrées contre argent, pour les nécessités de la vie. De tels échanges ne sont pas propres aux négociants, mais sont surtout effectués par le maître de maison ou le chef de la cité qui sont chargés de procurer à la maison ou à la cité les denrées nécessaires à la vie. - Il y a une autre sorte d’échange ; elle consiste à échanger argent contre argent ou des denrées quelconques contre de l’argent, non plus pour subvenir aux nécessités de la vie, mais pour le gain. Et c’est cet échange qui très précisément constitue le négoce, d’après Aristote. Or, de ces deux sortes d’échange, la première est louable, puisqu’elle répond à une nécessité de la nature, mais il réprouve à bon droit la seconde qui, par sa nature même, favorise la cupidité, laquelle n’a pas de bornes et tend à acquérir sans fin. Voilà pourquoi le négoce, envisagé en lui-même, a quelque chose de honteux, car il ne se rapporte pas, de soi, à une fin honnête et nécessaire.

Cependant si le gain, qui est la fin du commerce, n’implique de soi aucun élément honnête ou nécessaire, il n’implique pas non plus quelque chose de mauvais ou de contraire à la vertu. Rien n’empêche donc de l’ordonner à une fin nécessaire, ou même honnête. Dès lors le négoce deviendra licite. C’est ce qui a lieu quand un homme se propose d’employer le gain modéré qu’il demande au négoce, à soutenir sa famille ou à secourir les indigents, ou encore quand il s’adonne au négoce pour l’utilité sociale, afin que sa patrie ne manque pas du nécessaire, et quand il recherche le gain, non comme une fin mais comme salaire de son effort.

Solutions :

1. Le texte de S. Jean Chrysostome doit s’entendre du négoce en tant qu’il met sa fin dernière dans le gain. Cette intention se révèle surtout quand on revend un objet plus cher sans l’avoir transformé. Si en effet le vendeur vend plus cher un objet qu’il a amélioré, il apparaît qu’il reçoit la récompense de son travail. On peut pourtant viser le gain licitement, non comme une fin ultime mais, nous l’avons dit, en vue d’une autre fin nécessaire ou honnête.

2. Tout homme qui vend un objet plus cher que cela ne lui a coûté, ne fait pas pour autant du négoce, mais seulement celui qui achète afin de vendre plus cher. En effet, si l’on achète un objet sans intention de le revendre, mais pour le conserver et que, par la suite, pour une cause ou pour une autre, on veuille s’en défaire, ce n’est pas du commerce, quoi qu’on le vende plus cher. Cela peut être licite, soit que l’on ait amélioré cet objet, soit que les prix aient varié selon l’époque ou le lieu, soit en raison des risques auxquels on s’expose en transportant ou en faisant transporter cet objet d’un lieu dans un autre. En ce cas, ni l’achat ni la vente n’est injuste.

3. Les clercs ne doivent pas seulement s’abstenir de ce qui est mal en soi, mais encore ce qui a l’apparence du mal. Or cela se produit avec le négoce, soit parce qu’il est ordonné à un profit terrestre que les clercs doivent mépriser, soit parce que les péchés qui s’y commettent sont trop fréquents. Comme dit l’Ecclésiastique (26, 29) : “ Le commerçant évite difficilement les péchés de la langue. ” Il y a d’ailleurs une autre raison, c’est que le commerce exige une trop grande application d’esprit aux choses de ce monde et détourne par là du souci des biens spirituels ; c’est pourquoi S. Paul écrivait (2 Tm 2, 4) : “ Celui qui est enrôlé au service de Dieu ne doit pas s’embarrasser des affaires du siècle. ” Toutefois il est permis aux clercs d’utiliser, en achetant ou en vendant, la première forme de commerce qui est ordonnée à procurer les biens nécessaires à la vie.

 

 

QUESTION 78 — LE PÉCHÉ D’USURE DANS LES PRÊTS

1. Est-ce un péché de recevoir de l’argent à titre d’intérêt pour un prêt d’argent, ce qui constitue l’usure ? - 2. Est-il permis, en compensation de ce prêt, de bénéficier d’un avantage quelconque ? - 3. Est-on tenu de restituer les bénéfices légitimement obtenus par les intérêts d’un prêt usuraire ? - 4. Est-il permis d’emprunter de l’argent sous le régime de l’usure ?

 

 

            Article 1 — Est-ce un péché de recevoir de l’argent à titre d’intérêt pour un prêt d’argent, ce qui constitue l’usure ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car on ne peut pécher lorsqu’on suit l’exemple de Jésus Christ. Or le maître dit de lui-même, dans la parabole rapportée par S. Luc (19, 23) : “ A mon retour, je l’aurais retiré avec les intérêts ”, alors qu’il s’agissait d’un prêt d’argent. Ce n’est donc pas un péché de percevoir un intérêt pour un prêt d’argent.

2. Le Psaume (19, 8) dit de la loi divine qu’elle est parfaite parce qu’elle condamne le péché. Mais la loi divine autorise un certain prêt à intérêt selon le Deutéronome (23, 19) : “ Tu n’exigeras de ton frère aucun intérêt, ni pour un prêt d’argent, ni pour du gain, ni pour autre chose. Tu ne pourras recevoir un intérêt que d’un étranger. ” Bien plus, il est promis une récompense pour ceux qui auront observé cette loi (Dt 23, 19) : “ Tu prêteras, en percevant des intérêts, à beaucoup de nations, mais toi-même tu n’auras pas à emprunter. ” Ce n’est donc pas un péché de percevoir un intérêt.

3. Dans les relations humaines, c’est la législation civile qui détermine ce qui est juste. Or elle autorise à percevoir un intérêt ; donc le prêt à intérêt ne paraît pas illicite.

4. Les conseils évangéliques n’obligent pas sous peine de péché. Or l’Évangile (Lc 6, 35) formule ce conseil : “ Prêtez, sans rien attendre en retour. ” On peut donc, sans pécher, percevoir un intérêt.

5. Il ne semble pas que ce soit nécessairement un péché de se faire payer pour une œuvre que l’on n’était pas obligé d’accomplir. Or celui qui dispose d’une certaine somme n’est pas tenu en toute circonstance de la prêter à son prochain. Le prêt à intérêt est donc parfois licite.

6. La monnaie d’argent et les pièces d’argenterie ont la même matière. Or il est licite de se faire payer lorsqu’on prête de l’argenterie. Il sera donc également permis de recevoir une certaine somme pour le prêt d’argent en monnaie. Le prêt à intérêt n’est donc pas par lui-même un péché.

7. On est toujours en droit de recevoir un objet que son propriétaire offre librement. Or l’emprunteur offre librement un intérêt au prêteur. Ce dernier a donc le droit de le recevoir.

En sens contraire, il est écrit dans le livre de l’Exode (22, 25) : “ Si tu prêtes de l’argent à quelqu’un de mon peuple, au pauvre qui vit avec toi, tu ne seras pas à son égard comme un créancier, tu ne l’accableras pas d’intérêts. ”

Réponse :

Recevoir un intérêt pour de l’argent prêté est de soi injuste, car c’est faire payer ce qui n’existe pas ; ce qui constitue évidemment une inégalité contraire à la justice. Pour s’en convaincre, il faut se rappeler que l’usage de certains objets se confond avec leur consommation ; ainsi nous consommons le vin pour notre boisson, et le blé pour notre nourriture. Dans les échanges de cette nature on ne devra donc pas compter l’usage de l’objet à part de sa réalité même ; mais du fait même que l’on en concède l’usage à autrui, on lui concède l’objet. Voilà pourquoi, pour les objets de ce genre, le prêt transfère la propriété. Si donc quelqu’un voulait vendre d’une part du vin, et d’autre part son usage, il vendrait deux fois la même chose, ou même vendrait ce qui n’existait pas. Il commettrait donc évidemment une injustice. Pour la même raison, l’on pécherait contre la justice si, prêtant du vin ou du blé, on exigeait deux compensations, l’une à titre de restitution équivalente à la chose elle-même, l’autre pour prix de son usage (usus) ; d’où le nom d’usure (usura).

En revanche, il est des objets dont l’usage ne se confond pas avec leur consommation. Ainsi l’usage d’une maison consiste à l’habiter, non à la détruire ; on pourra donc faire une cession distincte de l’usage et de la propriété ; vendre une maison, par exemple, dont on se réserve la jouissance pour une certaine période ; ou au contraire céder l’usage de cette maison, mais en garder la nue-propriété. Voilà pourquoi on a le droit de faire payer l’usufruit d’une maison et de redemander ensuite la maison prêtée, comme cela se pratique dans les baux et les locations d’immeubles.

Quant à l’argent monnayé, Aristote remarque qu’il a été principalement inventé pour faciliter les échanges ; donc son usage (usus) propre et principal est d’être consommé, c’est-à-dire dépensé, puisque tel est son emploi dans les achats et les ventes. En conséquence, il est injuste en soi de se faire payer pour l’usage de l’argent prêté ; c’est en quoi consiste l’usure (usure). Et comme on est tenu de restituer les biens acquis injustement, de même on est tenu de restituer l’argent reçu à titre d’intérêt.

Solutions :

1. Les intérêts dont parle l’Évangile doivent s’entendre dans un sens métaphorique ; ils désignent le surcroît de biens spirituels exigé par Dieu, qui veut que nous fassions toujours un meilleur usage des biens qu’il nous a confiés. Mais c’est pour notre avantage et non pour le sien.

2. Il était interdit aux Juifs de toucher un intérêt de la part de “ leurs frères ”, c’est-à-dire des juifs ; ce qui donne à entendre que percevoir l’intérêt d’un prêt, de quelque homme qu’on le reçoive, est mal, absolument parlant. Nous devons, en effet, regarder tout homme “ comme notre prochain et notre frère ”, surtout d’après la loi évangélique à laquelle tous sont appelés. Aussi le Psaume (15, 5) parlant du juste, dit-il sans restriction : “ Il ne prête pas son argent à intérêt ”, et Ézéchiel (18, 17) : “ Il n’a pas pris d’intérêt. ” Si les Juifs étaient autorisés à percevoir un intérêt de la part des étrangers, ce n’est pas que cet acte fût permis parce qu’il était licite : c’était une tolérance pour éviter un plus grand mal : de peur que, poussés par cette avarice dont ils étaient esclaves, comme le signale Isaïe (56, 11), ils ne perçussent des intérêts sur les Juifs eux-mêmes, adorateurs du vrai Dieu.

Quant à la récompense promise par le Deutéronome : “ Tu prêteras à intérêt (fœnerabis) à beaucoup de nations ”, le mot prêt (fœnus) doit s’entendre ici au sens large pour le prêt pur et simple (mutuum) ; c’est en ce sens qu’il faut interpréter le passage de l’Ecclésiastique (29, 10 Vg) : “ Ce n’est pas par malice mais par crainte d’être injustement dépouillés, que beaucoup refusent de prêter avec intérêt (non fœnerati sunt) ”, il faut lire : “ de prêter sans intérêt (non mutuaverunt) ”. La récompense que Dieu promet donc aux Juifs, c’est une telle abondance de richesses qu’elle leur permettra de prêter au autres.

3. Les lois humaines laissent certains péchés impunis à cause de l’imperfection des hommes ; car elles priveraient la société de nombreux avantages, si elles réprimaient rigoureusement tous les péchés en y appliquant des peines. C’est pourquoi la loi humaine tolère le prêt à intérêt, non qu’elle l’estime conforme à la justice, mais pour ne pas nuire au plus grand nombre. Aussi le droit civil lui-même prescrit-il : “ Les choses qui se consomment par l’usage ne sont pas susceptibles d’usufruit, ni selon le droit naturel, ni selon le droit civil. ” Et encore : “ Le Sénat n’a pas admis l’usufruit de ces choses ; il ne le pouvait pas, il a autorisé un quasi-usufruit ”, il a permis en effet l’intérêt. Aristote, de son côté, guidé par la raison naturelle, affirme “ Il est absolument contre nature que l’argent produise un intérêt. ”

4. L’homme n’est pas toujours tenu de prêter, et c’est pourquoi le prêt est simplement l’objet d’un conseil. Mais que l’homme ne cherche pas à tirer profit d’un prêt, cela tombe sous le précepte. - On pourrait cependant n’y voir qu’un conseil, eu égard aux doctrines des pharisiens légitimant d’une certaine manière le prêt à intérêt ; en ce sens l’amour des ennemis est aussi un conseil. Il se peut aussi que le Christ ait visé, non l’espoir du gain usuraire, mais l’espérance que l’on met dans un homme. Nous ne devons pas, en effet, accorder un prêt ou faire une bonne œuvre pour une récompense en mettant notre espérance en l’homme, mais en Dieu.

5. L’homme qui prête peut recevoir une compensation, mais seulement de ce qu’il a fait, et il n’a pas le droit d’exiger davantage. Or cette compensation est conforme à l’égalité requise par la justice, si l’on rend autant qu’on a emprunté. Donc, si l’on exige davantage pour l’usufruit d’une chose qui n’a d’autre usage que celui de sa consommation, on demande le prix de ce qui n’existe pas. C’est une exaction injuste.

6. Le principal usage des pièces d’argenterie ne consiste pas dans leur destruction ; aussi l’on peut licitement en vendre l’usage, sans en aliéner la propriété. Mais l’usage principal de la monnaie d’argent, c’est d’être dépensée dans les échanges. Il n’est donc pas permis d’en vendre l’usage, et de vouloir en outre la restitution de ce qu’on a prêté.

Il faut cependant observer que les pièces d’argenterie peuvent avoir un usage secondaire et servir d’objets d’échange ; mais il ne serait pas permis de vendre cet usage. Pareillement, les pièces d’argent monnayé pourraient avoir un usage secondaire, par exemple si on les prêtait à autrui pour qu’il en fasse étalage ou les mette en gage. On pourrait alors licitement exiger un prix pour cet usage de l’argent.

7. L’emprunteur qui paie un intérêt n’est pas absolument libre, il le donne contraint et forcé, puisque, d’une part, il a besoin d’emprunter de l’argent et que, d’autre part, le prêteur qui dispose de cette somme ne veut pas la prêter sans percevoir un intérêt.

 

 

            Article 2 — Est-il permis, en compensation de ce prêt, de bénéficier d’un avantage quelconque ?

Objections :

1. Il semble que ce soit licite. En effet, chacun peut licitement chercher à s’indemniser. Or on peut subir un préjudice en prêtant de l’argent. Il sera donc légitime de demander ou même d’exiger quelque chose en sus de l’argent prêté, à titre d’indemnité.

2. Aristote fait remarquer que c’est un devoir de convenance pour chacun de “ donner une compensation à celui dont il a reçu une faveur ”. Or celui qui prête de l’argent à son prochain qui est dans le besoin, lui fait une faveur et acquiert par conséquent des droits à sa gratitude. L’emprunteur a donc une obligation naturelle de donner une certaine compensation à son bienfaiteur. Mais il ne paraît pas illicite de s’obliger à ce que l’on doit en vertu du droit naturel. Donc il ne paraît pas illicite, lorsque l’on prête de l’argent à autrui, de l’obliger à donner une certaine compensation.

3. Sur cette parole d’Isaïe (33, 16) : “ Bienheureux celui qui secoue ses mains pour ne pas recevoir de présents ”, la Glose fait remarquer que, s’il y a des présents offerts par la main, il en est d’autres qui se font par la parole et par des services rendus. Or il est permis d’accepter un service, voire un éloge, de son emprunteur. Il sera donc également permis de recevoir n’importe quel autre présent.

4. Le rapport est le même d’un don à un autre, et d’un prêt à un autre. Or on peut accepter de l’argent pour une autre somme que l’on a donnée. On pourra donc recevoir un prêt réciproque de l’emprunteur comme compensation de l’argent qu’on lui a prêté.

5. Celui qui prête une somme d’argent en cède la possession à l’emprunteur, et aliène davantage son bien que s’il confiait cette somme à un marchand ou à un ouvrier. Or il est permis de tirer un bénéfice de l’argent confié à un marchand ou à un ouvrier. Il est donc également permis de prendre un bénéfice sur un prêt d’argent.

6. Pour de l’argent prêté, on peut recevoir un gage, dont l’usage pourrait se vendre un certain prix ; on peut engager ainsi un champ ou une maison d’habitation. Il est donc licite de retirer un avantage d’un prêt d’argent.

7. Il arrive parfois que quelqu’un vende ses biens plus cher, ou qu’il achète ceux d’autrui moins cher en raison d’un prêt antérieur ; ou encore qu’il majore ses prix s’il accorde un délai de paiement, ou qu’il les baisse lorsqu’on le paie plus vite. Il semble qu’il y ait dans toutes ces circonstances une certaine compensation qui est comme le bénéfice d’un prêt d’argent. Or il n’est pas évident que ce soit illicite. Il semble donc licite de demander ou même d’exiger certains avantages lorsque l’on prête de l’argent.

En sens contraire, on lit dans Ézéchiel (18, 17), parmi les qualités de l’homme juste : “ Il n’a reçu ni intérêt, ni rien de plus que ce qu’il a prêté. ”

Réponse :

Selon Aristote, “ tout ce qui est estimable à prix d’argent peut être traité comme l’argent lui-même ”. Par suite, de même que l’on pèche contre la justice, lorsqu’en vertu d’un contrat, tacite ou exprès, on perçoit un intérêt sur un prêt d’argent ou une autre chose qui se consomme par l’usage - nous l’avons vu dans l’article précédent -, de même quiconque, en vertu d’un contrat tacite ou exprès, reçoit un avantage quelconque estimable à un prix d’argent, commet pareillement un péché contre la justice. Toutefois, s’il reçoit cet avantage sans l’avoir exigé et sans aucune obligation tacite ou expresse, mais à titre de don gracieux, il ne pèche pas ; car, avant le prêt, il lui était loisible de bénéficier d’un tel don, et le fait de consentir un prêt n’a pu le mettre dans une condition plus défavorable. - Mais ce qu’il est permis d’exiger en compensation d’un prêt, ce sont ces biens qui ne s’apprécient pas avec de l’argent : la bienveillance et l’amitié de l’emprunteur, ou d’autres faveurs.

Solutions :

1. Dans son contrat avec l’emprunteur, le prêteur peut, sans aucun péché, stipuler une indemnité à verser pour le préjudice qu’il subit en se privant de ce qui était en sa possession ; ce n’est pas là vendre l’usage de l’argent, mais obtenir un dédommagement. Il se peut d’ailleurs que le prêt évite à l’emprunteur un préjudice plus grand que celui auquel s’expose le prêteur. C’est donc avec son bénéfice que le premier répare le préjudice du second. Mais on n’a pas le droit de stipuler dans le contrat une indemnité fondée sur cette considération, que l’on ne gagne plus rien avec l’argent prêté ; car on n’a pas le droit de vendre ce que l’on ne possède pas encore et dont l’acquisition pourrait être empêchée de bien des manières.

2. La compensation pour un bienfait reçu peut être envisagée sous un double aspect. D’abord comme l’acquittement d’une dette de justice ; on peut y être astreint par un contrat précis, et cette obligation se mesure à la quantité du bienfait reçu. Voilà pourquoi celui qui emprunte une somme d’argent ou des biens qui se consomment par l’usage, n’est pas tenu à rendre plus qu’on ne lui a prêté. Ce serait donc contraire à la justice que de l’obliger à rendre davantage. - En second lieu, on peut être obligé de témoigner sa reconnaissance pour un bienfait, par dette d’amitié ; alors on tiendra compte des sentiments du bienfaiteur plus que de l’importance du bienfait. Une dette de cette nature ne peut être l’objet d’une obligation civile, puisque celle-ci impose une sorte de nécessité, qui empêche la spontanéité de la reconnaissance.

3. Si le prêteur demande ou exige pour l’argent qu’il prête la compensation d’un présent en services ou en paroles, comme s’il y avait une obligation de l’offrir résultant d’un contrat tacite ou exprès, ce serait comme s’il demandait ou exigeait comme présent un service manuel, puisque les uns et les autres peuvent être évalués à prix d’argent, ainsi qu’on le voit chez ceux qui louent les services, rendus par leur travail ou leur parole. Mais si le présent en travail ou en parole est offert, non comme l’acquittement d’une créance, mais dans un sentiment de bienveillance qui ne s’estime pas à prix d’argent, le prêteur a le droit de l’accepter, de l’exiger et de le réclamer.

4. L’argent ne peut être vendu pour une somme dépassant la quantité échangée ; il faut restituer autant qu’on a reçu. On ne doit rien demander ou exiger de plus, sinon un sentiment de bienveillance qui ne peut être évalué à prix d’argent, et qui peut susciter chez l’emprunteur une offre spontanée de prêt réciproque. Mais il serait tout à fait contraire à cette bienveillance spontanée de stipuler l’obligation pour l’emprunteur de consentir à son tour un prêt dans l’avenir ; attendu que même cette obligation peut s’évaluer à prix d’argent. Et voilà pourquoi, s’il est permis au prêteur d’emprunter simultanément autre chose à son emprunteur, il lui est interdit d’exiger la promesse d’un prêt pour l’avenir.

5. Celui qui prête de l’argent en transfère la possession à l’emprunteur. Celui-ci conserve donc cet argent à ses risques et périls, et il est tenu de le restituer intégralement. Le prêteur n’a donc pas le droit d’exiger plus qu’il n’a donné. Mais celui qui confie une somme d’argent à un marchand ou à un artisan par mode d’association, ne leur cède pas la propriété de son argent qui demeure bien à lui, de sorte qu’il participe à ses risques et périls au commerce du marchand et au travail de l’artisan ; voilà pourquoi il sera en droit de réclamer, comme une chose lui appartenant, une part du bénéfice.

6. Si, comme garantie de l’argent qu’il a reçu, l’emprunteur donne un gage dont l’usage est appréciable à prix d’argent, le prêteur devra déduire ce revenu de la somme que doit lui restituer l’emprunteur. S’il voulait en effet que ce revenu lui soit concédé gratuitement par surcroît, ce serait comme s’il prêtait à intérêt, ce qui est usuraire. A moins toutefois, qu’il ne s’agisse d’un objet dont on a coutume de se concéder gratuitement l’usage entre amis ; par exemple lorsqu’on se prête un livre.

7. Vendre un objet au-dessus de son juste prix parce que l’on accorde à l’acheteur un délai de paiement, c’est une usure manifeste, car ce délai ainsi concédé a le caractère d’un prêt. Par conséquent, tout ce qu’on exige au-dessus du juste prix en raison de ce délai est comme l’intérêt d’un prêt, et doit donc être considéré comme usuraire. - De même lorsque l’acheteur veut acheter un objet au-dessous du juste prix, sous prétexte qu’il le paiera avant sa livraison, il commet lui aussi le péché d’usure ; ce paiement anticipé, en effet, est une sorte de prêt, dont l’intérêt consiste dans la remise faite sur le juste prix de l’objet vendu. - Si toutefois on baisse volontairement les prix afin de disposer plus vite de l’argent, ce n’est pas de l’usure.

 

 

            Article 3 — Est-on tenu de restituer les bénéfices légitimement obtenus par les intérêts d’un prêt usuraire ?

Objections :

1. Il semble que l’on soit tenu de rendre tout ce que l’on a acquis avec les intérêts d’un prêt. S. Paul écrit en effet aux Romains (11, 16) : “ Si la racine est saine, les branches le sont aussi. ” On peut donc dire pareillement : Si la racine est corrompue, les branches le sont aussi. Or ici la racine a été usuraire. Tout ce qui est acquis par elle le sera donc aussi ; et l’on sera tenu de le restituer.

2. Un texte des Décrétales statue : “ Les possessions qui ont été acquises grâce aux intérêts d’un prêt doivent être vendues, et leur prix restitué aux personnes auxquelles les intérêts ont été extorqués. ” Donc, pour la même raison, on aura à restituer tout autre bien qui aurait été acquis grâce aux intérêts d’un prêt.

3. Ce qu’une personne achète avec de l’argent reçu comme intérêt d’un prêt, ne lui appartient qu’en raison de l’argent qu’elle a donné. Elle n’a donc pas plus de droit sur cet achat que sur l’argent avec lequel elle l’a payé. Or elle est obligée de restituer cet argent usuraire. Donc aussi tout ce qu’elle a acquis avec cet argent.

En sens contraire, tout le monde peut licitement conserver ce qu’il a légitimement acquis. Or ce que l’on acquiert avec les intérêts d’un prêt est quelquefois légitimement acquis. On peut donc licitement le conserver.

Réponse :

L’usage de certains objets est leur consommation elle-même, nous l’avons dit et le droit ne leur reconnaît pas d’usufruit. C’est pourquoi qu’il s’agisse de deniers, de blé, de vin ou de denrées du même genre, si on les a extorqués à titre d’intérêt sur un prêt, on ne sera tenu de restituer que ce que l’on a reçu, parce que ce que l’on a gagné par la suite avec cette matière ne peut être regardé comme son fruit propre, mais comme celui de l’activité humaine. A moins toutefois qu’en conservant ces denrées, on n’ait porté préjudice à l’emprunteur, qui aurait de ce chef perdu quelque chose de ses biens. Le prêteur est alors tenu de réparer ce préjudice.

Mais d’autres objets ne sont pas détruits par l’usage qu’on en fait et peuvent avoir un usufruit, ainsi une maison, un champ, etc. C’est pourquoi, si quelqu’un extorque à titre d’intérêt la maison ou le champ de l’emprunteur, il sera tenu non seulement de restituer cette maison ou ce champ, mais encore les revenus de ces propriétés ; parce que ce sont des fruits dont un autre est propriétaire, et par conséquent ils lui sont dus.

Solutions :

1. La racine n’est pas seulement une matière improductive comme l’argent prêté, mais elle a raison de cause active, puisqu’elle donne à l’arbre sa nourriture. C’est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

2. Les possessions qui ont été acquises grâce aux intérêts d’un prêt n’appartiennent pas à celui qui a versé les intérêts, mais à l’acheteur. Toutefois elles sont hypothéquées par l’emprunteur, comme d’ailleurs tous les autres biens du prêteur usurier. Et c’est pourquoi on ne dit pas que ces biens doivent être attribués à celui dont on a exigé des intérêts, car leur valeur peut dépasser le montant des intérêts perçus ; mais on ordonne de les vendre et de restituer sur le prix de vente une somme équivalant aux intérêts reçus.

3. Ce qui est acheté avec les intérêts d’un prêt revient de droit à l’acquéreur, non pas tant en raison de cet argent qu’il avance et qui ne joue en quelque sorte que le rôle de cause instrumentale, mais en raison de son activité qui est la cause principale. C’est pourquoi cet acquéreur a plus de droit sur cet objet qu’il achète avec les intérêts de l’argent prêté que sur ces intérêts eux-mêmes.

 

 

            Article 4 — Est-il permis d’emprunter de l’argent sous le régime de l’usure ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, S. Paul écrit (Rm 1, 32) : “ Sont dignes de mort, non seulement ceux qui commettent le péché, mais aussi ceux qui y consentent. ” Or celui qui emprunte de l’argent à intérêt consent au péché du prêteur et lui fournit l’occasion de le commettre. Il pèche donc lui aussi.

2. Pour aucun avantage temporel on ne doit donner à son prochain l’occasion de pécher. Ce serait un scandale actif et on a dit que c’est toujours un péché. Or celui qui sollicite un prêt donne expressément occasion de pécher au prêteur qui exige des intérêts ; il n’y a donc aucun avantage temporel qui excuse l’emprunteur.

3. Une égale nécessité peut contraindre à déposer son argent chez un homme qui prête à intérêt, comme à lui demander un prêt. Mais faire un dépôt chez cet homme est absolument interdit, comme il l’est de remettre une épée à un fou furieux, une jeune fille à la garde d’un débauché, ou de la nourriture à un glouton. Il n’est donc pas permis d’emprunter à un homme qui exige des intérêts.

En sens contraire, Aristote a établi que celui qui subit une injustice ne pèche pas, aussi l’injustice n’est-elle pas un juste milieu entre deux vices. Or le péché du prêteur usurier consiste à commettre une injustice envers l’emprunteur dont il exige des intérêts. Donc l’emprunteur qui souscrit un prêt à intérêt ne pèche pas.

Réponse :

Il n’est aucunement permis d’engager quelqu’un à pécher, quoiqu’il soit permis de profiter du péché d’autrui pour un bien. Parce que même Dieu fait servir tous les péchés à la réalisation d’un bien, car de tout mal il tire un bien, d’après S. Augustin. Aussi lorsque Publicola demandait à celui-ci s’il était permis d’avoir recours au serment de l’homme qui jure par les idoles, et qui évidemment pèche en leur rendant ainsi un honneur divin, il reçut cette réponse : “ Celui qui a recours au serment de l’homme qui jure par les faux dieux, non pour le mal, mais pour le bien, ne participe pas au péché de cet homme qui a juré par les démons ; il s’associe seulement à ce qu’il y a de bon dans son pacte, par lequel il est resté loyal. ” Il y aurait cependant péché si l’on engageait cet homme à jurer par les faux dieux.

De même, pour la question qui nous occupe, il faut répondre que jamais il ne sera permis d’engager quelqu’un à prêter en exigeant des intérêts ; mais quand un homme est disposé à faire des prêts de cette nature et ainsi pratique l’usure, il est permis de lui emprunter à intérêt ; ceci en vue d’un bien, qui est de subvenir à sa propre nécessité ou à celle d’autrui. C’est ainsi encore qu’il est permis à celui qui tombe au pouvoir des bandits de leur montrer ce qu’il possède, pour éviter d’être tué, bien que les bandits pèchent en le dépouillant. C’est ce que nous enseigne l’exemple des dix hommes tombés au pouvoir d’Ismaël et qui lui dirent : “ Ne nous fais pas mourir, car nous avons des provisions cachées dans ce champ ” (Jr 41, 8).

Solutions :

1. L’emprunteur qui accepte de l’argent d’un prêt à intérêt ne consent pas au péché du prêteur, mais il s’en sert. Ce qui lui agrée, ce n’est pas de promettre des intérêts, mais de recevoir un prêt qui en lui-même est bon.

2. Celui qui emprunte à intérêt ne donne pas au prêteur l’occasion de percevoir des intérêts, mais seulement de prêter. C’est le prêteur à intérêt lui-même qui en tire l’occasion de pécher à cause de la malice de son cœur. C’est donc de son côté qu’il y a scandale passif, sans qu’il y ait scandale actif de la part de l’emprunteur. Cependant un homme n’est pas obligé à cause de ce scandale passif de s’abstenir de solliciter un prêt, s’il est dans le besoin, parce que ce scandale ne provient pas de la faiblesse ou de l’ignorance, mais de la malice.

3. Si quelqu’un confiait son argent à un homme qui prête à intérêt et qui, sans cet apport, ne pourrait nous consentir de tels prêts, ou s’il le lui confiait dans l’intention de lui faire obtenir un gain plus considérable grâce aux intérêts qu’il perçoit, il lui fournirait par là même la matière de son péché. Aussi serait-il complice de sa faute. Si, au contraire, en vue de mettre son argent en lieu sûr, quelqu’un confie son argent à un homme qui prête à intérêt, mais qui a par ailleurs de quoi continuer ses prêts, il ne pèche pas mais utilise pour un bien les services d’un pécheur.

 

 

QUESTION 79 — LES PARTIES INTÉGRANTES DE LA JUSTICE

Il reste à étudier les parties intégrantes de la vertu de justice, qui sont : faire le bien et se détourner du mal ; puis les vices opposés.

1. Ces deux parties intégrantes sont-elles des parties de la justice ? - 2. La transgression est-elle un péché spécial ? - 3. De même l’omission ? - 4. Comparaison entre omission et transgression.

 

 

            Article 1 — La volonté de faire le bien et la volonté d’éviter le mal sont-elles des parties de la vertu de justice ?

Objections :

1. Il ne semble pas que nous puissions considérer ces deux dispositions comme deux parties de la justice. En effet, la volonté de faire le bien et d’éviter le mal se retrouve en toute vertu. Or les parties ne dépassent pas le tout. Donc se détourner du mal et faire le bien ne peuvent être considérés comme des parties de la justice, qui est une vertu spéciale.

2. Sur ce verset du Psaume (34, 15) : “ Éloigne-toi du mal et fais le bien ”, la Glose remarque : “ Le premier évite la faute, c’est se détourner du mal ; le second fait le bien, c’est mériter la vie et la récompense. ” Or chacune des parties d’une vertu mérite la vie et la récompense. Donc éviter le mal n’est pas une partie de la justice.

3. Lorsqu’une chose est incluse dans une autre, on ne les distingue pas l’une de l’autre comme les parties d’un même tout. Mais se détourner du mal est inclus dans faire le bien, puisque personne ne fait simultanément le bien et le mal. Donc éviter le mal et faire le bien ne sont pas des parties de la justice.

En sens contraire, S. Augustin affirme que se détourner du mal et faire le bien relève de la justice légale.

Réponse :

Si nous parlons du bien et du mal en général, il appartient à toute vertu de faire l’un et d’éviter l’autre. En ce sens, on ne peut en faire deux parties de la justice, à moins que l’on ne parle de la justice au sens où elle désigne toute vertu. Cependant, même la justice envisagée de cette manière envisage le bien sous une raison spéciale de dette vis-à-vis de la loi divine et humaine.

Mais la justice qui est une vertu spéciale envisage le bien sous la raison de dette envers le prochain. A ce titre il appartient à la justice spéciale de faire le bien, sous la raison de dette envers le prochain, et d’éviter le mal opposé, c’est-à-dire celui qui nuit au prochain. Mais c’est à la justice générale qu’il appartient de faire le bien considéré comme une dette envers la communauté ou envers Dieu, et d’éviter le mal opposé.

Or nous disons que ces deux parties de la justice générale ou spéciale se présentent comme des parties intégrantes, parce que l’une et l’autre sont indispensables à la perfection de l’acte de la justice. Car il appartient à la justice, nous l’avons vu, d’établir l’égalité en ce qui concerne nos rapports avec autrui, mais c’est le même principe qui doit établir cette égalité et la maintenir une fois constituée. Or on établit cette égalité de la justice en faisant le bien, c’est-à-dire en rendant à autrui ce qui lui est dû ; et l’on maintient cette égalité en évitant le mal, c’est-à-dire en ne portant aucun préjudice au prochain.

Solutions :

1. Le bien et le mal sont envisagés ici sous une raison spéciale, par laquelle ils deviennent proprement matière de la vertu de justice. C’est pourquoi faire le bien et éviter le mal seront des parties de la justice et non d’une autre vertu morale, car les autres vertus morales concernent nos passions, où faire le bien est se tenir dans un juste milieu, c’est-à-dire s’éloigner des extrêmes en lesquels consiste le mal. Ainsi, pour les autres vertus, faire le bien et éviter le mal, revient au même. La justice au contraire a pour objet les actes et les réalités extérieures, et dans ce domaine c’est autre chose de réaliser l’égalité, et autre chose de ne pas la détruire ensuite.

2. L’éloignement du mal, qui constitue une partie intégrante de la justice, n’est pas purement négatif, comme ne pas faire le mal. Il n’y aurait là qu’à éviter un châtiment. On l’entend au contraire d’un mouvement de la volonté repoussant le mal comme l’exprime le mot “ se détourner ”. Et cette attitude est méritoire, surtout lorsqu’on est assailli par le mal et qu’on lui résiste.

3. Faire le bien est l’acte achevé de la justice et comme sa partie principale. Éviter le mal est un acte moins parfait, et constitue une partie secondaire de cette vertu. C’est pourquoi il joue en quelque sorte le rôle d’un élément matériel sans lequel la forme qui achève l’être ne peut exister.

 

 

            Article 2 — La transgression est-elle un péché spécial ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet on n’introduit pas l’espèce dans la définition du genre. Or la transgression entre dans la définition générale du péché, puisque S. Ambroise le définit : “ La transgression de la loi divine. ” Donc la transgression n’est pas une espèce de péché.

2. Aucune espèce ne dépasse les limites du genre. Mais la transgression est une notion plus générale que celle de péché ; puisque S. Augustin définit celui-ci : “ Une parole, un acte ou un désir contraire à la loi de Dieu ”, et que la transgression englobe en outre tout ce qui est contraire à la nature ou à la coutume. La transgression n’est donc pas une espèce de péché.

3. Aucune espèce ne contient en elle toutes les parties qui divisent le genre. Or le péché de transgression englobe tous les vices capitaux, et en outre les péchés de pensée, de parole et d’action. Donc la transgression n’est pas un péché spécial.

En sens contraire, la transgression s’oppose à une vertu spéciale, la justice.

Réponse :

Le mot “ transgression ” a été emprunté aux mouvements corporels pour être appliqué aux actes moraux. En effet, dans le domaine physique, on dit qu’une personne commet une transgression (transgredi) lorsqu’elle passe au-delà (graditur trans) de la limite qui lui a été fixée. Or, dans la vie morale, ce sont les préceptes négatifs qui fixent à l’homme la limite au-delà de laquelle il ne doit pas aller. Il y a donc transgression proprement dite lorsque l’on agit contrairement à un précepte négatif.

Cette disposition peut être matériellement commune à toute espèce de péché, car en toute espèce de péché mortel l’homme transgresse un précepte divin. Mais si on la prend formellement, c’est-à-dire selon cette raison spéciale qui est d’agir contrairement à un précepte négatif, c’est un péché spécial à un double titre. D’abord parce qu’elle se distingue des divers genres de péchés opposés aux autres vertus. De même, en effet, qu’il appartient à la raison propre de la justice légale d’envisager l’obligation que comporte tout précepte, de même il appartient à la raison propre de la transgression de faire mépriser le précepte. En second lieu la transgression est encore un péché spécial parce qu’elle se distingue de l’omission, qui s’oppose aux préceptes positifs.

Solutions :

1. De même que la justice légale ou sociale est “ toute vertu ” du côté du sujet, et comme la matière de chaque vertu, de la même manière l’injustice légale est matériellement tout péché. Et c’est conformément à cette notion de l’injustice légale que S. Ambroise a défini le péché.

2. L’inclination de la nature relève des préceptes de la loi naturelle. La coutume honnête a aussi force de loi ; S. Augustin écrit en effet : “ La coutume du peuple de Dieu doit être considérée comme une loi. ” Voilà pourquoi le péché, aussi bien que la transgression, peut aller contre les coutumes honnêtes et contre l’inclination naturelle.

3. Toutes les espèces de péchés énumérées par l’objectant peuvent impliquer une transgression, non selon leurs raisons propres, mais selon une raison spéciale que nous avons déterminée dans la Réponse. Toutefois le péché d’omission demeure absolument distinct de la transgression.

 

 

            Article 3 — L’omission est-elle un péché spécial ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, tout péché est soit originel soit actuel. Or l’omission n’est pas le péché originel, puisque nous ne la contractons pas par notre origine. Et elle n’est pas non plus péché actuel, puisque, comme nous l’avons établi précédemment, elle peut avoir lieu sans aucun acte. Donc l’omission n’est pas un péché spécial.

2. Tout péché est volontaire. Or il arrive parfois que l’omission soit non volontaire, mais forcée, par exemple lorsqu’une femme qui avait fait vœu de virginité est violée, ou lorsqu’on a perdu un objet que l’on devait restituer, ou encore lorsqu’un prêtre est obligé de célébrer et qu’un obstacle s’y oppose. Donc l’omission n’est pas toujours un péché.

3. Pour chaque péché spécial, on peut déterminer le moment où ce péché commence à exister. Mais pour l’omission c’est impossible, car elle dure pendant tout le temps où l’on n’agit pas, et cependant on ne pèche pas sans cesse.

4. Tout péché spécial s’oppose à une vertu spéciale. Or on ne voit pas à quelle vertu spéciale l’omission s’oppose. D’abord parce que le bien de chaque vertu peut être l’objet d’une omission. Ensuite parce que la justice, à laquelle elle semble s’opposer plus spécialement, exige toujours un acte, même pour éviter le mal, on l’a dit ; tandis que l’omission peut exister sans aucun acte. Donc l’omission n’est pas un péché spécial.

En sens contraire, S. Jacques écrit (4, 17) “ Celui qui sait faire le bien et ne le fait pas, commet un péché. ”

Réponse :

L’omission implique qu’on néglige le bien, non pas n’importe lequel, mais celui que l’on sait être son devoir. Or le bien envisagé sous la raison de dette est proprement l’objet de la justice : de la justice légale s’il est prescrit par la loi divine ou humaine ; de la justice particulière s’il est dû au prochain. Aussi, de même que la justice est une vertu spéciale comme nous l’avons montré, l’omission sera un péché spécial distinct des péchés opposés aux autres vertus. Et comme faire le bien - à quoi s’oppose l’omission - est une partie spéciale de la justice distincte de l’éloignement du mal - à quoi s’oppose la transgression -, de même l’omission se distingue de la transgression.

Solutions :

1. L’omission n’est pas le péché originel, mais un péché actuel ; non qu’elle comporte un acte qui lui serait essentiel, mais parce que la négation d’un acte rentre encore dans le genre acte. Aussi comme nous l’avons établi, ne pas agir, c’est encore agir d’une certaine manière.

2. Nous venons de le dire : l’omission ne porte que sur un devoir que l’on est tenu d’accomplir. Mais à l’impossible nul n’est tenu. Aussi ne commet-on pas le péché d’omission lorsqu’on ne fait pas ce que l’on est dans l’impossibilité d’accomplir. Donc une femme qui avait fait vœu de virginité et qui est violée ne commet pas un péché d’omission parce qu’elle n’est plus vierge, mais seulement si elle ne se repent pas d’un péché passé, où si elle néglige de faire ce qui dépend d’elle pour accomplir son vœu, par la pratique de la continence. Le prêtre aussi n’est obligé de célébrer la messe que dans la mesure où il est en état de le faire. Si les conditions requises font défaut, son abstention n’est pas un péché d’omission. De même aussi l’obligation de restituer ne s’impose que si l’on a les moyens de le faire ; si quelqu’un n’en a pas les moyens et ne peut se les procurer, il ne commet pas de péché d’omission, pourvu toutefois qu’il fasse ce qui est en son pouvoir. Il faut en dire autant de tous les cas semblables.

3. De même que le péché de transgression s’oppose aux préceptes négatifs, qui ont pour objet de nous faire éviter le mal, de même le péché d’omission s’oppose aux préceptes affirmatifs qui prescrivent de faire le bien. Or les préceptes affirmatifs n’obligent pas à tout instant, mais seulement pour un temps déterminé. Et c’est alors que le péché d’omission commence d’exister.

Il peut cependant arriver qu’à tel moment quelqu’un soit dans l’incapacité de faire ce qu’il faut. Si ce n’est pas par suite d’une faute, il ne pèche pas par omission, comme nous l’avons vu dans la solution précédente. Si au contraire cette incapacité résulte d’une faute antérieure, par exemple lorsque quelqu’un s’est enivré dans la soirée et ne peut plus se lever pour les matines, auxquelles il est tenu d’assister, alors certains auteurs estiment que le péché d’omission a commencé lorsque cet homme s’est livré à l’acte illicite, et qui était incompatible avec l’acte ultérieur qu’il était tenu d’accomplir. Mais cela ne semble pas exact. Car supposons qu’on le force à se lever et qu’il aille à matines, il ne commet pas d’omission. Il est donc évident que l’ivresse de la veille ne constitue pas l’omission, mais en a été la cause. - Nous pouvons en conclure que l’on commence d’être coupable d’omission quand arrive le moment d’agir, mais en raison de la cause antérieure qui rend volontaire l’omission subséquente.

4. Nous avons dit dans la Réponse que l’omission s’oppose directement à la vertu de justice ; en effet, il n’y a omission du bien d’une vertu que si ce bien a raison de dette, par où il relève de la justice. Or plus de conditions sont requises pour qu’un acte ait le mérite de la vertu que pour qu’il encoure le démérite de la faute, parce que le bien est produit par une cause parfaite, tandis que le mal résulte de n’importe quel défaut. C’est pourquoi un acte est requis pour constituer le mérite de la justice, mais il n’est pas nécessaire pour l’omission.

 

 

            Article 4 — Comparaison entre omission et transgression.

Objections :

1. Il semble que le péché d’omission est plus grave que le péché de transgression. En effet le “ délit ” (delictum) semble identique à “ délaissé ” (derelictum) ; il serait donc synonyme d’omission. Or un délit est plus grave qu’une transgression, puisque le Lévitique (5, 14 s.) lui impose une expiation plus grande. Donc le péché d’omission est plus grave que le péché de transgression.

2. D’après Aristote au plus grand bien s’oppose le plus grand mal. Or faire le bien, à quoi s’oppose l’omission, est une partie plus noble de la justice qu’éviter le mal, à quoi s’oppose la transgression, comme nous l’avons montré. Donc l’omission est un péché plus grave que la transgression.

3. Le péché de transgression peut être véniel ou mortel. Or le péché d’omission semble être toujours mortel, puisqu’il s’oppose à un précepte affirmatif Donc l’omission paraît être un péché plus grave que la transgression.

4. La peine du dam, qui consiste à être privé de la vision de Dieu et qui est due au péché d’omission, est un châtiment plus grand que la peine des sens qui est due au péché de transgression ; S. Jean Chrysostome le prouve. Or le châtiment est proportionné à la faute. C’est donc que le péché d’omission est plus grave que celui de transgression.

En sens contraire, il est plus facile de s’abstenir de mal faire que d’accomplir le bien. Donc celui qui ne s’abstient pas de mal faire, ce qui est une transgression, pèche plus gravement que celui qui n’accomplit pas le bien, c’est-à-dire qui pèche par omission.

Réponse :

Un péché est d’autant plus grave qu’il s’éloigne de la vertu. Comme dit Aristote : “ C’est entre les contraires qu’existe la plus grande distance. ” Un contraire est donc plus éloigné de son contraire que de sa simple négation. Ainsi le noir est plus éloigné du blanc que ce qui est seulement non blanc ; tout ce qui est noir, en effet, est non blanc, mais l’inverse n’est pas vrai. Or il est évident que la transgression est contraire à l’acte d’une vertu, et que l’omission implique la négation de cet acte ; par exemple on pèche par omission en ne rendant pas à ses parents le respect qu’on leur doit, et l’on commettra le péché de transgression en leur adressant des injures ou n’importe quelle offense. Il est donc évident qu’à parler purement et simplement la transgression est un péché plus grave que l’omission, bien que telle ou telle omission puisse être plus grave qu’une transgression.

Solutions :

1. Un délit, au sens général du mot, désigne toute espèce d’omission. Mais si on le prend dans son sens strict, il exprime soit l’omission de nos devoirs envers Dieu, soit l’omission qu’un homme commet, sciemment et avec une sorte de mépris, d’un devoir qui s’impose à lui. Et cela donne au délit une certaine gravité, qui exige une expiation plus grande.

2. A “ faire le bien ” s’oppose “ ne pas faire le bien ” qui est l’omission, et “ faire le mal ”, qui est la transgression. Le premier de ces péchés est le contradictoire de l’acte vertueux, le second est son contraire, et qui implique une plus grande distance. Voilà pourquoi la transgression est un péché plus grave.

3. L’omission s’oppose aux préceptes affirmatifs et la transgression aux préceptes négatifs. C’est pourquoi l’une et l’autre, dans leur acception propre, impliquent la raison de péché mortel. Toutefois elles sont susceptibles d’un sens plus large et s’entendent alors d’un léger écart en dehors des préceptes affirmatifs ou négatifs, et qui dispose aux actes contraires. Dans ce sens large, elles peuvent n’être que des péchés véniels.

4. Au péché de transgression correspond la peine du dam parce qu’il nous détourne de Dieu, et la peine des sens parce qu’il est un attachement déréglé aux biens périssables. Or le péché d’omission mérite non seulement la peine du dam, mais aussi celle des sens, selon S. Matthieu (7, 9) “ Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. ” Et cela à cause de la racine d’où dérive l’omission ; bien que celle-ci ne comporte pas nécessairement un attachement actuel à un bien périssable.

Il faut étudier maintenant les parties potentielles de la justice, c’est-à-dire les vertus qui lui sont rattachées.

On considérera deux points : 1° Les vertus qui sont rattachées à la justice (Q. 80). - 2°. L’étude de chacune d’elles (Q. 81-122).

 

 

QUESTION 80 — LES PARTIES POTENTIELLES DE LA JUSTICE

 

 

            Article UNIQUE : Est-il à propos de désigner des vertus rattachées à la justice ?

Objections :

1. Leur liste semble mal faite, car Cicéron a en énumère six : la religion, la piété, la gratitude, la vindicte, l’observance, la vérité. Mais la vindicte apparent plutôt comme une forme spéciale de la justice commutative, qui paie de retour les outrages subis, comme on l’a vu. Elle n’est donc pas à sa place dans cette liste.

2. Macrobe cite sept vertus : l’innocence, l’amitié, la concorde, la piété, la religion, l’affection, l’humanité. Plusieurs d’entre elles sont omises par Cicéron, dont l’énumération paraît donc insuffisante.

3. D’autres comptent cinq parties de la justice : l’obéissance envers les supérieurs ; la discipline envers les inférieurs ; l’égalité par rapport aux égaux ; la vérité et la bonne foi envers tous. De tout cela, Cicéron n’a que la vérité. Donc son énumération apparaît insuffisantes.

4. Andronicus, le péripatéticien, rattache à la justice neuf vertus : “ Libéralité, bénignité, vindicte, eugnômosynè, eusebia, eucharistie, bons échanges, législative. ” Or, de toutes ces vertus, on ne trouve clairement que la vindicte chez Cicéron, dont l’énumération paraît donc incomplète.

5. Aristote e rattache à la justice ce qu’il appelle épikie, dont on ne trouve nulle trace dans les listes précédentes. Le catalogue de Cicéron est donc bien insuffisant.

Réponse :

Lorsqu’on étudie les vertus rattachées à une vertu principale, il faut se rappeler un double principe. D’abord, ces vertus coïncident en quelque point avec la vertu principale. Ensuite, il leur manque quelque chose de ce qui définit parfaitement cette vertu. La justice impliquant rapport à autrui, comme nous l’avons montré plus haut, toutes les vertus qui règlent nos rapports avec autrui peuvent, en raison de ce point commun, lui être rattachées. Mais, nous le savons aussi, l’idée de justice implique qu’on rende à autrui ce qui lui est dû de manière à établir une égalité. C’est donc sur deux points que nous pouvons trouver en défaut, par rapport à la raison de justice, les vertus qui nous ordonnent à autrui : déficience dans l’égalité, déficience dans la raison de dette.

Il y a en effet des vertus qui tout en nous faisant acquitter une dette ne peuvent rendre l’équivalent. 1° L’homme ne peut rendre à Dieu rien qu’il ne lui doive. Mais jamais il n’égalera sa dette, selon le Psaume (1 16, 3) : “ Que rendrai-je au Seigneur pour tout ce dont il m’a comblé ? ” C’est à ce titre qu’on rattachera à la justice la religion qui selon la définition de Cicéron “ rend à une nature d’un ordre supérieur, qu’on nomme divine, les devoirs d’un culte sacré ”. 2° On ne peut davantage rendre aux parents l’équivalent de ce qu’on leur doit. Aristote confirme cette assertion. Nous avons ainsi une nouvelle vertu annexe, la piété, relative selon Cicéron “ aux alliés par le sang et aux bienfaiteurs de la patrie qu’elle entoure de ses soins et de sa déférence empressée ”.

Aristote reconnaît encore qu’on ne peut trouver un prix égal au mérite de la vertu. L’observance, s’adjoindra donc au même titre à la justice, grâce à quoi, dit Cicéron, “ l’honorabilité voit reconnaître ses droits aux hommages et au respect ”.

La déficience dans la raison de dette rigoureuse qui définit la justice nous amène à la notion d’une double dette, suivant le “ droit légal ” et le “ droit moral ” distingués par Aristote. La dette légale est celle que la loi nous oblige à acquitter, et relève de la vertu principale de justice. La dette morale, elle, est fondée sur la seule exigence des bonnes mœurs. Et parce que la dette implique nécessité, nous pourrons distinguer deux degrés dans ce qui est moralement dû.

Ce qui est à ce point nécessaire que l’intégrité morale en dépend dans sa substance même, se trouve de ce fait dû à un titre plus strict. Cette dette peut d’ailleurs être diversement déterminée. Relativement à celui qui l’encourt : on doit se montrer aux autres, dans ses paroles et dans ses actes, tel qu’on est. Ainsi rattachons-nous à la justice la vertu de vérité. Grâce à elle, dit Cicéron, “ on exprime fidèlement ce qui est, ce qui fut, ce qui sera ”. Relativement à celui envers qui nous avons des devoirs, nous mesurons alors à ce qu’il a fait le retour dont nous le payons : nous a-t-il fait du bien, nous usons de gratitude, vertu qui implique selon Cicéron “ la volonté de rétribuer autrui en souvenir des bons offices de son amitié ”. Nous a-t-il fait du mal : c’est à la vertu de vindicte d’assurer en ce cas un juste retour. Cicéron lui attribue en effet de “ réprimer par mode de défense ou de punition, la violence, l’outrage et tout noir dessein ”.

Une autre dette est nécessaire en ce qu’elle contribue à une plus grande dignité, sans être cependant indispensable au maintien de cette dignité. C’est à cela que visent la libéralité, l’affabilité ou amitié, et les autres vertus analogues dont Cicéron ne fait pas mention parce que la raison de dette n’y existe guère.

Solutions :

1. Sans doute, la vindicte, que les pouvoirs publics assurent par mode de sentence judiciaire, relève-t-elle de la justice commutative. Mais la vindicte que l’on exerce de son propre mouvement pourvu que ce ne soit pas contrairement à la loi, ou que l’on demande aux tribunaux, appartient seulement à une vertu annexe de la justice.

2. La liste de Macrobe paraît concerner les deux parties intégrantes de la justice : se détourner du mal, c’est l’innocence ; et faire le bien, ce sont les six autres vertus. Deux concernent les égaux : l’amitié, pour les relations extérieures, et la concorde pour les sentiments intérieurs. Deux concernent les supérieurs : la piété qui s’adresse aux parents, et la religion qui s’adresse à Dieu. Deux concernent les inférieurs : l’affection, en tant que leur bien nous fait plaisir, et l’humanité, qui fait subvenir à leurs déficiences. Car, selon Isidore, “ être humain, c’est avoir envers l’homme de l’amour et un sentiment de miséricorde ; aussi appelle-t-on humanité la vertu par laquelle nous nous aidons mutuellement ”. En ce sens l’amitié s’entend de nos rapports extérieurs selon Aristote. Mais on peut encore l’entendre au sens où il la prend ailleurs en tant qu’elle concerne proprement le sentiment En ce sens trois vertus se rattachent à l’amitié la bienveillance ou affection, la concorde, et la bienfaisance, synonyme d’humanité. Cicéron a omis ces vertus parce que la raison de dette n’y apparaît guère, comme nous l’avons dit dans notre Réponse.

3. L’obéissance est incluse dans l’observance, citée par Cicéron, car on doit aux supérieurs respect et obéissance. Quant à “ la bonne foi, par laquelle on remplit ses promesses ”, elle est incluse à ce point de vue dans la vérité, bien que la vérité soit bien davantage, comme on le verra plus loin. Quant à la discipline, Cicéron l’omet parce qu’elle n’est pas une nécessité à laquelle nous serions obligé envers un inférieur en tant que tel, bien qu’un supérieur puisse être obligé de pourvoir aux besoins de ses inférieurs selon S. Matthieu (24, 45) : “ Serviteur fidèle et avisé que le maître a établi sur les gens de sa maison. ” On peut inclure cette discipline dans l’humanité citée par Macrobe. Quant à l’équité, on peut l’inclure dans l’épikie ou l’amitié.

4. Cette liste d’Andronicus énumère des vertus dont certaines relèvent de la justice particulière, et certaines de la justice légale. De la justice particulière relèvent les “ bons échanges ”, dont il nous dit que c’est l’habitus qui fait observer l’égalité en cette matière. À la justice légale, quant à ce que tous doivent observer, appartient la “ législative ” qui, selon lui, est “ la science des échanges sociaux relativement au bien de la communauté ”. Pour les cas particuliers qui échappent aux lois générales, on trouve l’eugnômosynè, ou bonne gnâmè ; c’est elle qui nous dirige en de tels cas, comme nous l’avons déjà vu au traité de la prudence r . Andronicus dit à son sujet quelle est une “ justification volontaire ” : en effet, par elle et non par la loi écrite, l’homme observe librement ce qui est juste. Ces deux dernières vertus sont rattachées à la prudence en tant qu’elle les dirige, et à la justice en tant qu’elle les exécute.

Quant à l’eusébia, elle signifie “ culte bien réglé ” ; elle est donc identique à la religion. C’est pourquoi Andronicus dit qu’elle est “ la science du service de Dieu ”, parlant à la manière de Socrate, pour qui “ toutes les vertus sont des sciences ”. C’est à elle que se ramène la sainteté, comme nous le dirons plus loin’. L’eucharistia, qui veut dire “ bonne grâce ”, Cicéron la mentionne avec la vindicte. La bénignité s’identifie avec l’affection de Macrobe car, selon Isidore, “ le bénin est l’homme toujours prêt à faire du bien, et à parler avec douceur ”.

Andronicus dit aussi que la bénignité est “ l’habitus de faire volontiers le bien ”. Enfin la libéralité se rattache à l’humanité.

5. L’épikie n’est pas une annexe de la justice particulière, mais de la justice légale. Et elle semble s’identifier avec ce qu’on a appelé eugnômosynè.

Après cette énumération, il faut étudier chacune de ces parties potentielles ou annexes de la justice, dans la mesure où cela répond à notre programme.

Nous étudierons donc : l° la religion (Q. 81-100) ; 2° la piété (Q. 101) ; 3° l’observance (Q. 102-105) ; 4° la gratitude (Q. 106-107) ; 5° la vindicte (Q. 108) ; 6° la vérité (Q. 109-113) ; 7° l’amitié ou affabilité (Q. 114-116) ; 8° la libéralité (Q. 117-119) ; 9° l’épikie (Q. 120).

Des autres vertus énumérées ici (Q. 80, obj. 2 et 4) on a déjà parlé plus haut : en partie au traité de la charité, sur la concorde et le reste (Q. 29, 30 et 31) ; en partie dans le présent traité de la justice, sur les bons échanges (Q. 61 et 62), et sur la droiture (Q. 79, a. 1).

LA RELIGION

Au sujet de la religion, l’étude aura trois parties : 1°. La nature de la religion proprement dite (Q. 81). - 2°. Ses actes (Q. 82-91). - 3°. Les vices qui lui sont opposés (Q. 92-100).

 

 

QUESTION 81 — LA NATURE DE LA RELIGION

1. Concerne-t-elle seulement nos rapports avec Dieu ? - 2. Est-elle une vertu ? - 3. Est-elle une vertu unique ? - 4. Est-elle une vertu spéciale ? - 5. Est-elle une vertu théologale ? - 6. Est-elle supérieure aux autres vertus morales ? - 7. Comporte-t-elle des actes extérieurs ? - 8. Est-elle identique à la sainteté ?

 

 

            Article 1 — La religion concerne-t-elle seulement nos rapports avec Dieu ?

Objections :

1. Il semble qu’elle ait un objet moins restreint, car nous lisons dans l’épître de S. Jacques (1, 27) : “ La religion pure et sans tache devant notre Dieu et Père, la voici : visiter les orphelins et les veuves dans leurs épreuves, et se garder de toute souillure du monde. ” Mais le premier point concerne nos rapports avec le prochain, et le second l’ordre qui règle l’homme en lui-même.

2. S. Augustin a déclare : “ Dans le latin usuel, non seulement des ignorants, mais aussi des plus doctes, on parle de manifester sa religion à l’égard de ses parents, de ses alliés, de tous ceux envers qui nous avons une obligation quelconque ; d’où vient que l’ambiguïté du terme empêche de dire en toute assurance que la religion ne fut pas autre chose que le culte de Dieu. ”

3. Le culte de latrie ressortit à la religion, car latrie signifie “ servitude ”, remarque S. Augustin. Or nous devons servir non seulement Dieu, mais le prochain, selon l’épître aux Galates (5, 13) : “ Par la charité mettez-vous au service les uns des autres. ” Donc la religion implique aussi nos rapports avec le prochain.

4. Le culte relève de la religion. Mais on ne parle pas de culte seulement pour Dieu, selon cette sentence de Caton : “ Rends un culte à tes parents. ” La religion nous ordonne donc aussi au prochain.

5. Tous ceux qui veulent faire leur salut se soumettent à Dieu. Pourtant on réserve le nom de “ religieux ” à ceux qui s’astreignent, par des vœux et des observances, à l’obéissance envers d’autres hommes. Il ne semble donc pas que la religion consiste à régler la juste sujétion de l’homme à Dieu.

En sens contraire, d’après Cicéron, “ la religion présente ses soins et ses cérémonies à une nature d’un ordre supérieur qu’on nomme divine ”.

Réponse :

Pour définir la religion, Isidore adopte l’étymologie suggérée par Cicérone : “ L’homme religieux, c’est celui qui repasse et pour ainsi dire relit ce qui concerne le culte divin. ” Religion viendrait donc de “ relire ”, ce qui relève du culte divin, parce qu’il faut fréquemment y revenir dans notre cœur ; selon Proverbe (3, 6) : “ En toutes tes démarches pense à lui. ” Mais on peut aussi entendre la religion du devoir de “ réélire ” Dieu comme le bien suprême délaissé par nos négligences, dit S. Augustin. Ou bien encore, toujours avec S. Augustin on peut faire dériver religion de “ relier ”, la religion étant “ notre liaison au Dieu unique et tout-puissant ”. Quoi qu’il en soit de cette triple étymologie, lecture renouvelée, choix réitéré de ce qui a été perdu par négligence, restauration d’un lien, la religion au sens propre implique ordre à Dieu. Car c’est à lui que nous devons nous attacher avant tout, comme au principe indéfectible ; lui aussi que, sans relâche, notre choix doit rechercher comme notre fin ultime ; lui encore que nous avons négligé et perdu par le péché, et que nous devons recouvrer en croyant, et en témoignant de notre foi.

Solutions :

1. Il y a deux sortes d’actes attribués à la religion. Par ses actes propres et immédiats, ceux qu’elle émet, elle nous ordonne uniquement à Dieu ; tels sont le sacrifice, l’adoration, etc. Mais on lui attribue aussi d’autres actes, émis directement par d’autres vertus qu’elle tient sous son commandement, pour autant qu’elle les ordonne à l’honneur de Dieu. La vertu qui regarde la fin commande en effet aux vertus qui gouvernent les choses ordonnées à cette fin. C’est à ce titre d’actes commandés qu’on attribuera à la religion la visite des orphelins et des veuves, acte propre de la miséricorde. De même, se garder de la contagion du siècle est un acte commandé par la religion, mais émanant de la tempérance ou d’une vertu analogue.

2. Les extensions possibles du mot religion aux relations humaines n’empêchent pas que le sens propre en soit réservé, comme S. Augustin le dit lui-même un peu plus haut, au culte de Dieu : “ Au sens le plus précis, la religion parait désigner le culte de Dieu, et non pas n’importe quel culte. ”

3. Puisque la servitude implique une relation au maître, il faut nécessairement que là où il y a raison spéciale et propre de domination, existe une raison spéciale et propre de servitude. Or il est clair que la domination convient à Dieu selon une raison propre et unique, parce qu’il a tout créé et parce que, en toutes choses, il a le rang suprême. C’est pourquoi on lui doit une servitude d’une nature spéciale. Et une telle servitude est appelée latrie par les Grecs. Donc la servitude appartient proprement à la religion.

4. Nous employons le mot “ culte ” au sujet des hommes à qui nous consacrons des honneurs, notre souvenir ou notre présence. En Outre, nous parlons de “ cultiver ” des réalités inférieures qui nous sont soumises. On appelle agriculteurs ceux qui cultivent les champs, et on appelle incolae ceux qui cultivent un lieu en l’habitant. Cependant, parce qu’on doit à Dieu un honneur spécial, comme au premier principe de toutes choses, une raison spéciale de culte lui est due, qu’on appelle en grec eusébéia ou théosébéia, comme le montre S. Augustin.

5. Bien qu’on qualifie d’hommes religieux tous ceux qui rendent un culte à Dieu, on réserve le nom de “ religieux ” à certains précisément parce qu’ils vouent toute leur vie au culte de Dieu, en se dégageant des embarras du monde. Ainsi appelle-t-on contemplatifs, non point tous ceux qui contemplent, mais ceux qui consacrent leur vie entière à la contemplation. Les religieux d’ailleurs ne se soumettent pas à l’homme pour lui-même, mais pour Dieu. “ Comme un ange de Dieu, comme le Christ jésus, ainsi m’avez-vous reçu ”, dit S. Paul (Ga 4, 14).

 

 

            Article 2 — La religion est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la révérence envers Dieu semble appartenir à la religion. Or cette révérence est un acte de la crainte, qui est un don du Saint-Esprit, nous l’avons vu . .

2. Toute vertu réside dans une volonté libre, si bien qu’on la définit un habitus électif, c’est-à-dire volontaire. Mais, nous l’avons dit, la vertu de latrie qui implique une certaine servitude, se rattache à la religion. Donc celle-ci n’est pas une vertu.

3. Comme dit Aristote, l’aptitude à la vertu est mise en nous par la nature, si bien que les vertus sont réglées par la raison naturelle. Mais la religion est chargée d’offrir tout un cérémonial à la nature divine. Or nous avons vu que les préceptes cérémoniels, ne sont pas réglés par la raison naturelle. Donc la religion n’est pas une vertu.

En sens contraire, elle est énumérée parmi les autres vertus, comme on a pu le voir.

Réponse :

La vertu, nous l’avons déjà dit, rend bon celui qui la possède et rend bonne son œuvre. Toute bonté dans l’action requiert donc une vertu. Or, rendre à autrui ce qui lui est dû a manifestement raison de bien ; parce que, du fait que l’on rend à autrui son dû, on s’établit dans une juste relation envers lui, on s’ordonne à lui comme il le faut. Or l’ordre se rattache à la raison de bien, ainsi que le mode et l’espèce, comme le montre S. Augustin. Puisqu’il appartient à la religion de rendre l’honneur qui lui est dû à quelqu’un qui est Dieu, il est évident qu’elle est une vertu.

Solutions :

1. Révérer Dieu est un acte du don de crainte. Mais la religion s’applique à faire certaines choses par révérence pour Dieu. Il n’y a donc pas lieu d’identifier religion et don de crainte, mais d’ordonner la vertu au don comme à ce qui est plus capital. Car les dons sont plus capitaux que les vertus morales, nous l’avons montré.

2. Même un esclave peut rendre volontairement à son maître ce qu’il lui doit ; il fait ainsi de nécessité vertu, en lui rendant volontairement son dû. De même, rendre à Dieu le service que nous lui devons peut être un acte de vertu, en tant que l’homme agit volontairement.

3. C’est bien la raison naturelle qui nous dicte notre devoir de faire certains gestes, pour révérer Dieu ; mais qu’on fasse précisément ceci ou cela n’est pas dicté par la raison naturelle : c’est institué par le droit, humain ou divin.

 

 

            Article 3 — La religion est-elle une vertu unique ?

Objections :

1. Il semble que non. Car la religion nous ordonne à Dieu, nous l’avons dit. Mais en Dieu, nous trouvons trois personnes et encore une multitude d’attributs, distincts au moins pour la raison. Or, nous avons montré que la diversité dans la raison de l’objet suffit à diversifier les vertus.

2. L’unité de la vertu doit se retrouver dans son acte, puisque les actes servent à distinguer les habitus. Mais il y a bien des actes divers de religion : culte et service, vœux, prières, sacrifices, etc. Donc la religion n’est pas une vertu unique.

3. L’adoration ressortit à la religion. Mais on adore les images et Dieu lui-même selon des raisons diverses. Donc, puisque des raisons diverses différencient les vertus, il apparaît que la religion n’est pas une vertu unique.

En sens contraire, “ Un seul Dieu, une seule foi ”, dit l’Apôtre (Ep 4, 5). Mais la religion vraie exprime la foi au Dieu unique. Elle est donc une vertu unique.

Réponse :

On a établi ailleurs le principe de la distinction des habitus par la diversité des objets formels. Or l’objet de la religion, c’est de rendre honneur au Dieu unique, sous cette raison unique qu’il est le principe premier de la création et du gouvernement du monde. Lui-même nous dit par la voix de Malachie (1, 6) : “ Si je suis Père, rendez-moi honneur! ” Car il appartient au père de donner la vie et de gouverner. La vertu de religion est donc évidemment unique.

Solutions :

1. Les trois personnes divines n’interviennent dans la création et le gouvernement du monde qu’à titre de principe unique. La même vertu de religion suffit donc à leur rendre nos devoirs. Les divers attributs divins se rejoignent dans la raison de premier principe, parce que Dieu produit l’univers et le gouverne par sa sagesse, sa volonté et la puissance de sa bonté. C’est pourquoi la religion est une vertu unique.

2. C’est par le même acte que l’on sert Dieu et qu’on lui rend un culte ; car le culte envisage l’excellence de Dieu, à qui est due la révérence ; la servitude envisage la sujétion de l’homme qui par sa condition est obligé de rendre révérence à Dieu. Et ce double aspect est commun à tous les actes attribués à la religion, parce que tous permettent à l’homme de proclamer l’excellence divine et sa sujétion envers Dieu, soit en lui présentant quelque chose, soit en participant du bien divin.

3. Le culte de religion ne s’adresse pas aux images considérées en elles-mêmes comme des réalités, mais les regarde sous leur aspect propre d’images qui nous conduisent à Dieu incarné. Or le mouvement qui s’adresse à l’image en tant que telle ne s’arrête pas à elle, mais tend à la réalité dont elle est l’image. C’est pourquoi le fait que l’on rend un culte religieux aux images du Christ n’introduit aucune diversité dans le motif de latrie ni dans la vertu de religion.

 

 

            Article 4 — La religion est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car, pour S. Augustin : “ Est sacrifice véritable tout ce qu’on fait pour s’unir à Dieu en de saintes relations. ” Mais le sacrifice ressortit à la religion, donc tout acte vertueux ressortit à la religion. Et ainsi elle n’est pas une vertu spéciale.

2. L’apôtre nous dit (1 Co 10, 31) : “ Faites tout pour la gloire de Dieu. ” Mais il appartient à la religion de faire certaines actions pour révérer Dieu, nous l’avons dit. Donc la religion n’est pas une vertu spéciale.

3. La charité dont on aime Dieu n’est pas une vertu distincte de la charité dont on aime le prochain. Mais pour Aristote “ honorer le prochain et l’aimer sont choses voisines ”. Donc la religion par laquelle on honore Dieu n’est pas une vertu spécifiquement distincte de l’observance, de la dulie ou de la piété, par lesquelles on honore le prochain. Elle n’est donc pas une vertu spéciale.

En sens contraire, elle est donnée comme une partie de la justice, distincte des autres.

Réponse :

Puisque la vertu est ordonnée au bien, là où il y a une raison spéciale de bien, il faut qu’il y ait une vertu spéciale. Le bien auquel est ordonnée la religion est de rendre à Dieu l’honneur qui lui est dû. Or, on doit honneur à quelqu’un en raison de son excellence. Mais c’est une excellence unique que celle de Dieu, dont la transcendance infinie s’élève au-dessus de toutes choses. Aussi lui doit-on un honneur spécial : déjà sur le plan humain on voit les honneurs se diversifier suivant l’excellence des personnes : on honore différemment son père et son roi. Aussi est-il évident que la religion est une vertu spéciale.

Solutions :

1. Toute œuvre vertueuse est appelée sacrifice en tant qu’on l’ordonne à l’honneur de Dieu. Il ne s’ensuit donc pas que la religion soit une vertu générale, mais qu’elle étend son commandement à toutes les autres vertus, comme nous l’avons dit plus haut.

2. Tout ce que l’on fait à la gloire de Dieu relève de la religion, non en tant qu’elle produit ces actes, mais en tant qu’elle les commande. N’émanent directement de la religion que les actes qui n’ont d’autre motif, selon leur raison spécifique, que la gloire de Dieu.

3. L’objet de l’amour est le bien. L’objet du respect ou de l’honneur est quelque chose d’excellent. Dieu communique aux créatures sa bonté, mais non l’excellence qu’elle possède en lui. C’est pourquoi la charité ne se divise pas, qu’elle porte sa dilection sur Dieu ou sur le prochain ; tandis que la religion, qui honore Dieu, se distingue des vertus qui honorent le prochain.

 

 

            Article 5 — La religion est-elle une vertu théologale ?

Objections :

1. Il semble bien, car S. Augustin affirme : “ On rend un culte à Dieu par la foi, l’espérance et la charité. ” Mais rendre un culte à Dieu relève de la religion. Celle-ci est donc une vertu théologale.

2. On appelle “ théologales ” les vertus qui ont Dieu pour objet. Or tel est le cas de la religion, puisque c’est à Dieu seul qu’elle nous ordonne, comme on l’a dit plus haut.

3. Une vertu ne peut être que théologale, intellectuelle ou morale, nous l’avons dit. La religion n’est pas une vertu intellectuelle, puisque sa perfection ne consiste pas dans la considération de la vérité. Elle n’est pas davantage une vertu morale, celles-ci ayant en propre de tenir le milieu entre l’excès et le défaut, car on ne peut honorer Dieu à l’excès d’après l’Ecclésiastique (43, 30) : “ Bénissez le Seigneur, exaltez-le autant que vous pouvez, il dépasse toute louange. ” Elle ne peut donc être qu’une vertu théologale.

En sens contraire, on la rattache à la justice, qui est une vertu morale.

Réponse :

La religion rend à Dieu le culte qui lui est dû, on vient de le dire. Il y a donc en elle deux points à considérer : ce qu’elle offre à Dieu, le culte, qui est la matière et l’objet de la vertu ; d’autre part celui à qui nous le présentons : Dieu. C’est à lui qu’on rend un culte, non pas que nos actes de culte l’atteignent en lui-même, comme nous l’atteignons lorsque nous croyons en lui ; c’est pourquoi nous avons dit précédemment c que Dieu est objet de foi non seulement en ce que nous croyons à Dieu, mais en tant que nous croyons Dieu. Tandis que l’on offre à Dieu le culte qui lui est dû en tant que les actes de culte se font pour le révérer : ainsi, l’oblation de sacrifices, etc. Aussi est-il évident que Dieu n’est pas rattaché à la vertu de religion comme sa matière ou son objet, mais comme sa fin.

C’est pourquoi la religion n’est pas une vertu théologale, dont l’objet est la fin ultime, mais une vertu morale qui concerne des moyens ordonnés à la fin.

Solutions :

1. C’est un principe universel qu’une puissance ou une vertu dont l’activité porte sur une fin, meut par son commandement la puissance ou la vertu qui actionne les moyens relatifs à cette fin. Les vertus théologales, foi, espérance et charité, s’exercent à l’égard de Dieu comme envers leur objet propre ; il leur appartient donc de causer par leur commandement l’acte de la vertu de religion qui accomplit certains actes ordonnés à Dieu. C’est pourquoi S. Augustin parle du culte rendu par la foi, l’espérance et la charité.

2. La religion nous ordonne à Dieu, non comme à son objet, mais comme à sa fin.

3. La religion n’est pas une vertu théologale ni une vertu intellectuelle, mais une vertu morale, puisqu’elle fait partie de la justice. En elle le juste milieu se prendra non de l’équilibre des passions, mais selon une certaine égalité dans les œuvres qu’on fait pour Dieu. Ne l’entendons pas d’une égalité quantitative avec ce que nous devons à Dieu ; mais relativement à ce que nous pouvons faire et à ce que Dieu lui-même agrée. Quant à l’excès, il peut s’en trouver dans ce qui touche au culte divin ; non qu’on puisse trop honorer Dieu, mais il y a d’autres circonstances que la quantité. L’excès pourra consister à rendre les honneurs divins à quelqu’un qui n’y a pas droit, hors du temps voulu, ou selon d’autres circonstances blâmables.

 

 

            Article 6 — La religion est-elle supérieure aux autres vertus morales ?

Objections :

1. Il semble que non, car la perfection de la vertu morale c’est d’atteindre au juste milieu d’après Aristote. Or le juste milieu de la justice n’est pas réalisé par la religion, qui ne rend aucunement à Dieu l’équivalent de ses dons.

2. Dans ce que l’on fait pour les hommes, on mérite d’autant plus l’éloge qu’on aide celui qui en a le plus besoin, d’où cette parole d’Isaïe (58, 7) : “ Partage ton pain avec l’affamé. ” Mais Dieu n’a pas besoin de notre aide, selon le Psaume (16, 2 Vg) : “ J’ai dit au Seigneur : "Tu es mon Dieu, car tu n’as pas besoin de mes biens." ” Donc la religion paraît mériter moins d’éloges que les autres vertus, par lesquelles on vient en aide aux hommes. 3. Ce qu’on fait par une nécessité plus impérieuse est d’autant moins digne d’éloge, selon S. Paul (1 Co 9, 16) : “ Annoncer l’Évangile n’est pas pour moi un titre de gloire : c’est une nécessité qui s’impose à moi. ” La grandeur de la nécessité est conforme à la grandeur de la dette. Donc, puisque la plus grande dette est ce que l’homme doit présenter à Dieu, il apparaît que la religion est la moins digne d’éloges entre les vertus humaines.

En sens contraire, l’Exode (20, 1-11) place au premier rang les préceptes concernant la religion. Or l’ordre des préceptes correspond à l’ordre des vertus, puisqu’ils ont pour but d’en promouvoir les actes. La religion a donc primauté parmi les vertus morales.

Réponse :

Tout ce qui est relatif à une fin tire sa bonté de son ordre à cette fin ; aussi plus on est proche de celle-ci, plus la bonté s’accroît. Or, les vertus morales ont pour matière, nous l’avons dite, tout ce qui est ordonné à Dieu comme à notre fin. Or, parmi ces vertus, c’est la religion qui touche de plus près à Dieu : elle nous fait accomplir des actes directement et immédiatement ordonnés à son honneur. Elle a donc prééminence sur les autres vertus morales.

Solutions :

1. L’éloge de la vertu tient à ce que nous voulons, non aux limites de ce que nous pouvons. Rester en deçà de cette égalisation qui est le juste milieu de la justice, faute de le pouvoir, ne rabaisse en rien la qualité de la vertu, s’il n’y a aucune déficience du côté de la volonté.

2. Dans les services que l’on rend à autrui, l’acte est d’autant plus louable que le besoin est plus grand, parce qu’il rend davantage service. Mais on n’offre rien à Dieu pour son profit, on l’offre pour sa gloire, c’est là notre profit.

3. La nécessité empêche la gloire de la surérogation, mais non le mérite de la vertu, si la volonté y intervient.

 

 

            Article 7 — La latrie comporte-t-elle des actes extérieurs ?

Objections :

1. Il semble que la latrie n’ait pas d’acte extérieur, car il est dit en S. Jean (4, 24) “ Dieu est esprit et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et vérité. ”

Or les actes extérieurs ne relèvent pas de l’esprit, mais plutôt du corps. Donc la religion n’a pas d’actes extérieurs, mais seulement intérieurs.

2. La religion a pour fin de rendre à Dieu respect et honneur. Mais il semble irrespectueux de présenter à quelqu’un d’éminent ce qui convient proprement aux inférieurs. Or, tous les actes d’hommage où le corps intervient paraissent appropriés aux besoins humains ou au respect dû aux créatures inférieures à Dieu. Il apparaît donc peu convenable d’en user pour honorer Dieu.

3. S. Augustin approuve Sénèque blâmant ceux qui rendent aux idoles les hommages rendus ordinairement aux hommes, parce que ce qui revient aux mortels ne convient pas aux immortels. Moins encore est-ce permis pour le Dieu véritable, élevé par-dessus tous les dieux. Les actes corporels sont donc à réprouver dans le culte de Dieu, et la religion ne les comporte pas.

En sens contraire, on lit dans le Psaume (84,3). “ Mon cœur et ma chair ont bondi vers le Dieu vivant ” Mais si les actes intérieurs relèvent du “ cœur ”, les actes extérieurs relèvent de la “ chair ”. Il apparaît donc que le culte rendu à Dieu doit comporter non seulement des actes intérieurs, mais aussi des actes extérieurs.

Réponse :

Nous témoignons à Dieu honneur et révérence non pour lui-même, parce qu’en lui-même il est plein d’une gloire à quoi la créature ne peut rien ajouter, mais pour nous-mêmes ; car révérer Dieu et l’honorer, c’est en fait lui assujettir notre esprit, qui trouve en cela sa perfection. Toute chose en effet trouve sa perfection dans la soumission à ce qui lui est supérieur. Ainsi le corps vivifié par l’âme, l’air illuminé par le soleil. Mais pour rejoindre Dieu, l’esprit humain a besoin d’être guidé par le sensible : car, écrit l’Apôtre (Rm 1, 20) : “ C’est par le moyen des choses créées qu’apparaît au regard de l’intelligence l’invisible mystère de Dieu. ” C’est pourquoi le culte divin requiert nécessairement l’usage de réalités corporelles, comme de signes capables d’éveiller en l’âme humaine les actes spirituels par lesquels on s’unit à Dieu. Ainsi la religion a des actes intérieurs qui sont principaux et qui d’eux-mêmes lui appartiennent. Mais elle y ajoute, à titre secondaire, des actes extérieurs ordonnés aux actes intérieurs.

Solutions :

1. Le Seigneur ne parle que de ce qui, dans le culte, est premier et voulu pour soi-même.

2. Ces offrandes extérieures ne sont pas présentées à Dieu pour subvenir à une indigence, selon qu’il dit dans le Psaume (50, 13) : “ Mangerai-je donc la chair des taureaux, boirai-je le sang des boucs ? ” Mais on les présente en signe de certaines œuvres intérieures et spirituelles, agréées de lui pour elles-mêmes. D’où cette définition de S. Augustin : “ Le sacrifice visible est le sacrement, c’est-à-dire le signe sacré, du sacrifice invisible. ”

3. On se moque des idolâtres parce qu’ils présentaient aux idoles des offrandes bonnes pour des hommes, non comme des signes éveillant au monde spirituel, mais comme si les idoles prenaient plaisir à ces dons en eux-mêmes. Et surtout parce que ces idoles étaient inexistantes et immorales.

 

 

            Article 8 — La religion est-elle identique à la sainteté ?

Objections :

1. Non, car la religion est une vertu spéciale, on vient de le dire. Or la sainteté est une vertu générale : “ Elle assure, dit Andronicus, la fidèle observance de tout ce qui est juste devant Dieu. ”

2. La sainteté implique la pureté ; car d’après Denys elle est “ la pureté libre de toute souillure, parfaite et sans la moindre tache ”. Or la pureté est surtout affaire de tempérance, laquelle rejette les honteux excès du corps. Donc, puisque la religion appartient à la justice, elle ne peut être identique à la sainteté.

3. On ne peut identifier ce qu’on oppose dans une division logique. Or dans une liste des annexes de la justice, sainteté et religion sont distinguées.

En sens contraire, on lit dans S. Luc (1, 74) : “ Servons Dieu en sainteté et justice. ” Mais le service de Dieu, c’est la religion, nous l’avons vu. Religion et sainteté sont donc identiques.

Réponse :

Le mot de sainteté implique deux choses : Premièrement : la pureté. C’est le sens donné par le mot grec haies comme si l’on disait “ sans terre ”. Deuxièmement, il implique fermeté : les anciens appelaient saint ce que la loi protégeait et rendait inviolable. D’où vient aussi le terme de “ sanctionné ” pour désigner ce que confirme une loi. L’étymologie latine permet d’ailleurs de rattacher au mot sanctus l’idée de pureté. Il faut alors l’entendre de sanguine tinctus, parce que, dans l’antiquité, celui qui voulait être purifié se faisait asperger par le sang d’une victime, d’après Isidore. L’un et l’autre sens s’accordent pour faire attribuer la sainteté à ce qui est engagé dans le culte divin. Si bien que non seulement les hommes, mais le temple, les instruments et autres choses de ce genre, se trouveront sanctifiés par leur application au culte de Dieu. La pureté en effet est nécessaire pour que l’âme s’applique à Dieu. C’est parce que l’âme se souille du fait de sa liaison aux choses d’en bas, comme un métal s’avilit par son alliage avec un métal moins noble, ainsi l’argent mêlé de plomb. Or il faut que l’âme spirituelle se sépare de ces réalités inférieures pour pouvoir s’unir à la réalité suprême. C’est pourquoi une âme sans pureté ne peut s’appliquer à Dieu. Aussi l’épître aux Hébreux (12, 14) nous dit-elle : “ Recherchez la paix avec tous, et cette pureté sans laquelle nul ne verra Dieu. ” La fermeté stable est également requise pour l’application de l’âme à Dieu. Elle s’attache à lui en effet comme à la fin ultime et au premier principe, ce qui nécessairement est immuable au plus haut point. S. Paul disait aux Romains (8, 38) : “ je suis certain que ni la mort ni la vie ne me sépareront de l’amour de Dieu. ”

Ainsi donc, on appelle sainteté cette application que l’homme fait de son âme spirituelle et de ses actes à Dieu. Elle ne diffère donc pas de la religion dans son essence, mais seulement d’une distinction de raison. Car on parle de religion selon que l’on rend à Dieu le service qu’on lui doit en ce qui concerne spécialement le culte divin : sacrifices, oblations, etc. Tandis qu’on parle de sainteté lorsque l’homme, outre ces actes, rapporte encore à Dieu les actes des autres vertus, ou bien se dispose au culte divin par certaines bonnes œuvres.

Solutions :

1. A la prendre dans son essence, la sainteté est une vertu spéciale, et l’on peut alors d’une certaine façon l’identifier à la religion. Mais elle a aussi un caractère général selon que son commandement ordonne au bien divin tous les actes des vertus. De même, la justice légale est appelée vertu générale en tant qu’elle ordonne au bien commun les actes de toutes les vertus.

2. La pureté qu’assure la tempérance n’a raison de sainteté que si on la réfère à Dieu. D’où cette remarque de S. Augustin : “ La virginité est honorée non pour elle-même mais parce qu’elle est consacrée à Dieu.

3. La sainteté se distingue de la religion, nous venons de le dire, non d’une distinction réelle, mais d’une distinction de raison,

LES ACTES DE LA RELIGION

Premièrement les actes intérieurs (Q. 82-83) qui sont les principaux, on l’a dit. Deuxièmement les actes extérieurs, qui sont secondaires (Q. 84-9 1). Nous trouvons comme actes intérieurs de la religion la dévotion (Q. 82) et la prière (Q. 83), dont nous allons traiter successivement.

 

 

QUESTION 82 — LA DÉVOTION

1. Est-elle un acte spécial ? - 2. Est-elle un acte de religion ? - 3. Sa cause. - 4. Son effet.

 

 

            Article 1 — La dévotion est-elle un acte spécial ?

Objections :

1. Apparemment non. Ce qui est une modalité d’autres actes ne peut être un acte spécial : or c’est le cas, Semble-t-il, de la dévotion, car on lit au deuxième livre des Chroniques (29, 31) : “ La foule tout entière offrit d’une âme dévote ses victimes, ses louanges et ses holocaustes. ”

2. Aucun acte spécial ne se trouve en des genres divers comme sont les actes spirituels et corporels ; or on appelle “ dévote ” aussi bien une méditation qu’une génuflexion.

3. Tout acte spécial doit appartenir soit à la puissance appétitive, soit à la puissance cognitive. Or ni l’une ni l’autre ne compte la dévotion parmi ses actes propres, si l’on parcourt l’énumération donnée jadis de leurs différentes espèces d’actes. La dévotion n’est donc pas un acte spécial.

En sens contraire, c’est par nos actes que nous méritons. Mais la dévotion a une raison spéciale de mérite. Donc elle est un acte spécial.

Réponse :

Dévotion vient de “ dévouer ” et l’on appellera “ dévots ” ceux qui, en quelque sorte, “ vouent ” à Dieu leur propre personne par un assujettissement total. C’est ainsi que l’antiquité païenne désignait par ce terme ceux qui se “ dévouaient ” aux idoles, en se livrant à la mort pour le salut de leur armée, comme Tite-Live le raconte des deux Decius. On voit par là ce qu’est la dévotion : rien autre qu’une volonté de se livrer promptement à ce qui concerne le service de Dieu. Ainsi est-il dit dans l’Exode (35, 23) : “ Toute l’assemblée des fils d’Israël, d’une âme très prompte et dévote, offrit les prémices au Seigneur. ” Ce vouloir, portant sur le prompt accomplissement de ce qui tient au service divin, est manifestement un acte spécial. Donc la dévotion est un acte spécial de la volonté.

Solutions :

1. Ce qui meut impose son mode au mouvement du mobile. La volonté meut les autres facultés de l’âme à leurs actes respectifs, et elle-même en tant qu’elle est de la fin se meut à vouloir les moyens, nous l’avons vu. Et puisque la dévotion est un acte de volonté par lequel on fait offrande de soi-même à Dieu pour le servir, lui qui est fin ultime de tout ce que nous faisons, il s’ensuit qu’elle impose une modalité aux actes humains : actes de la volonté elle-même s’appliquant aux moyens, ou bien encore actes des autres puissances soumises à son impulsion.

2. Parmi les actes humains, si l’on retrouve la dévotion en des genres divers, ce n’est pas comme une espèce unique sous des genres différents, mais on l’y trouve selon la façon dont le mouvement imprimé par le moteur se retrouve virtuellement dans les mouvements du mobile.

3. La dévotion est un acte de la puissance appétitive, et c’est un mouvement de la volonté. nous venons de le dire.

 

 

            Article 2 — La dévotion est-elle un acte de religion ?

Objections :

1. Il ne le paraît pas, si l’on se rappelle que la dévotion consiste à se livrer à Dieu. Mais c’est là surtout le fait de la charité, car, selon Denys “ l’amour divin produit l’extase ; grâce à lui, ceux qui aiment ne s’appartiennent plus, ils appartiennent à ce qu’ils aiment ”. Donc la dévotion est plutôt un acte de charité que de religion.

2. La charité vient avant la religion, mais elle-même est précédée par la dévotion, car la Sainte Écriture symbolise la charité par le feu, et la dévotion par la graisse, qui est la matière du feu. Donc la dévotion n’est pas un acte de la religion.

3. La religion nous ordonne seulement à Dieu, nous l’avons dit. Mais on a aussi de la dévotion pour des hommes : on parle de gens dévots à tels saints personnages ; on dit même de certains sujets qu’ils sont à la dévotion de leurs maîtres : le pape Léon montre “ les Juifs s’exprimant comme des gens à la dévotion des lois romaines lorsqu’ils disaient : "Nous n’avons de roi que César" ”.

En sens contraire, dévotion vient de “ vouer ”, nous l’avons dit à l’article précédent. Mais le vœu est un acte de religion. Donc la dévotion aussi.

Réponse :

C’est à la même vertu qu’il appartient de vouloir faire quelque chose, et de tenir sa volonté prompte à l’accomplir ; ces deux actes ont en effet un même objet. Ainsi, dit Aristote, “ la justice fait vouloir et accomplir ce qui est juste ”. Or il est évident que les œuvres concernant le culte ou le service divin sont le domaine propre de la religion, nous l’avons vu. C’est donc à elle qu’on attribuera l’acte de tenir sa volonté prompte à les exécuter : c’est cela être dévot. Il est donc clair que la dévotion est un acte de la religion.

Solutions :

1. Que l’homme se livre à Dieu en s’unissant à lui spirituellement, cela relève immédiatement de la charité. Mais qu’il se livre à Dieu pour des œuvres de culte, cela relève immédiatement de la religion ; la charité n’y intervient que médiatement, comme principe de la religion.

2. La graisse corporelle est produite par la chaleur naturelle qui digère les aliments, et elle-même conserve et alimente cette chaleur. Semblablement la charité engendre la dévotion, car l’amour rend prompt au service de l’ami ; et en outre, la dévotion nourrit la charité, de même que toute amitié se conserve et s’accroît par l’exercice et la pensée de services amicaux.

3. La dévotion qu’on a pour les saints morts ou vivants ne s’arrête pas à eux, mais aboutit à Dieu, que nous révérons en ses ministres. Quant à la dévotion dont on parle dans les rapports de subordonnés à maîtres temporels, elle est d’un autre ordre, comme le service des maîtres d’ici-bas diffère de celui de Dieu.

 

 

            Article 3 — La cause de la dévotion

Objections :

1. La méditation contemplative ne peut causer la dévotion, car aucune cause ne fait obstacle à son effet. Or les méditations subtiles de l’intelligence empêchent souvent la dévotion.

2. Si la contemplation était la cause propre et essentielle de la dévotion, il faudrait que les objets de la plus haute contemplation éveillent davantage la dévotion. C’est tout le contraire qui apparaît. Souvent la dévotion est excitée par la considération de la passion du Christ et les autres mystères de son humanité, plus que par la vue de la grandeur divine.

3. Si cela était, il faudrait que les plus aptes à la contemplation soient aussi les plus disposés à la dévotion. C’est le contraire que nous voyons.

On rencontre plus souvent de la dévotion chez des gens simples et chez les femmes, en qui l’on trouve peu de contemplation. Celle-ci n’est donc pas la cause propre de la dévotion.

En sens contraire, on dit dans le Psaume (39,4) : “ Dans ma méditation s’animera l’ardeur du feu. ” Mais le feu spirituel engendre la dévotion. Donc la méditation est cause de dévotion.

Réponse :

La cause extérieure et principale de la dévotion c’est Dieu. S. Ambroise écrit : “ Dieu appelle ceux qu’il juge bon d’appeler, rend religieux celui qu’il veut, et s’il l’avait voulu il eût transformé en dévotion l’indifférence des Samaritains. ” Quant à la cause intérieure, qui tient à nous, c’est nécessairement la méditation ou contemplation. Nous l’avons dit en effet la dévotion est un acte de la volonté, qui fait qu’on se livre avec promptitude au service de Dieu. Or, tout acte de volonté procède d’une certaine vue de l’esprit, du fait que le bien perçu par l’intelligence est l’objet de la volonté. “ La volonté naît de l’intelligence ” dit S. Augustin. Nous en déduirons nécessairement que la méditation est cause de dévotion, pour autant qu’elle fait naître en nous cette conviction qu’on doit se livrer au service divin. A cela mènent deux ordres de considérations. Les unes prises de la divine bonté et de ses bienfaits, selon le Psaume (73, 28) : “ Il m’est bon d’adhérer à Dieu et de placer dans le Seigneur mon espoir. ” Cette considération éveille l’amour de charité, cause prochaine de la dévotion. Un autre sujet de méditation se tire de nous-même et de la vue des déficiences qui nous forcent à nous appuyer sur Dieu, selon le Psaume (121, 1) : “ J’ai levé les yeux vers les sommets d’où me viendra le secours. Mon secours vient du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre. ” Cette vue exclut la présomption, qui, nous faisant compter sur nos propres forces, nous empêche de nous soumettre à Dieu.

Solutions :

1. La considération de ce qui excite naturellement l’amour de Dieu cause la dévotion. Mais la considération de tout ce qui y est étranger, en distrayant l’esprit, empêche la dévotion.

2. Ce qui tient à la divinité doit plus que toute autre chose, à le prendre en soi, éveiller l’amour et par suite la dévotion parce que Dieu doit être aimé plus que toute chose. Mais la faiblesse de l’esprit humain, de même qu’elle a besoin d’être conduite par la main jusqu’à la connaissance divine, veut que nous n’atteignions pas à l’amour sans l’aide de réalités sensibles, adaptées à notre connaissance. En premier lieu ce sera l’humanité du Christ, selon cette préface du missel pour Noël : “ En sorte que connaissant Dieu sous cette forme visible nous soyons par lui ravis en l’amour des réalités invisibles. ” Regarder l’humanité du Christ est donc le moyen par excellence d’exciter la dévotion. C’est comme un guide qui nous prendrait par la main. Cependant la dévotion s’attache principalement à ce qui concerne la divinité.

3. La science, comme tout ce qui implique grandeur, est une occasion pour l’homme de se fier à lui-même et l’empêche donc de se livrer totalement à Dieu. C’est donc là parfois un obstacle occasionnel à la dévotion ; tandis que des gens simples et des femmes ont une abondante dévotion parce qu’ils répriment tout orgueil. Mais la science ou toute autre perfection que ce soit, si on la soumet parfaitement à Dieu, accroît la dévotion.

 

 

            Article 4 — L’effet de la dévotion

Objections :

1. Il semble que l’allégresse ne soit pas l’effet de la dévotion. Car, on l’a dit. la passion du Christ est un des principaux motifs qui l’éveillent, et c’est une considération affligeante pour l’âme selon les Lamentations (3, 19) : “ Rappelle-toi ma pauvreté, l’absinthe et le fiel ”, ce qui évoque la Passion, et le texte ajoute : “ Oui, je me souviendrai, et mon âme se consumera en moi. ” La délectation, la joie, n’est donc pas l’effet de la dévotion.

2. La dévotion est avant tout le sacrifice intérieur de l’esprit. Mais il est dit dans le Psaume (51, 19) : “ Le sacrifice pour Dieu, c’est l’esprit broyé. ” La dévotion produit donc plus de peine que de plaisir ou de joie.

3. S. Grégoire de Nysse remarque que “ si le rire vient de la joie, les larmes et les gémissements sont signes de tristesse ”. Mais il arrive que par dévotion des gens fondent en larmes. Donc l’allégresse ou la joie ne vient pas de la dévotion.

En sens contraire, nous demandons, dans une oraison du missel que “ ceux que les jeûnes châtient, une sainte dévotion les réjouisse ”.

Réponse :

Par soi, et à titre principal, la dévotion cause l’allégresse de l’âme. Mais à titre dérivé et par accident, elle engendre la tristesse. Deux ordres de considérations, nous l’avons dit font naître la dévotion. Le rôle principal y revient à la considération de la bonté divine, parce que cette considération rejoint le terme du mouvement par lequel la volonté se livre à Dieu. Par elle-même cette vue est suivie de délectation, selon le Psaume (77, 4) : “ je me suis souvenu de Dieu et me suis délecté. ” Par accident, toutefois, elle cause de la tristesse, chez ceux qui ne jouissent pas encore pleinement de Dieu, selon le Psaume (42, 3) : “ Mon âme a soif de Dieu, la source vive. ” Une deuxième cause de notre dévotion, nous l’avons dit., c’est la considération de nos propres déficiences, car elle regarde le point dont nous partons et nous éloignons, dans le mouvement de la volonté dévote : elle ne veut plus exister en soi-même, mais se soumettre à Dieu. Ici tout se passe à l’inverse du cas précédent. En elle-même, cette considération est de nature à causer de la tristesse, par le rappel de nos misères, mais elle peut être l’occasion d’allégresse, dans l’espoir du secours divin. C’est ainsi que premièrement et par soi la dévotion engendre la joie, secondairement et par accident la bonne tristesse “ qui est selon Dieu ”.

Solutions :

1. Ce qui nous attriste, dans la considération de la passion du Christ, c’est la misère humaine que le Christ est venu enlever et pour laquelle “ il a fallu qu’il souffre ”. Mais il y a de quoi nous remplir d’allégresse si nous songeons à la bonté de Dieu envers nous, qui nous a procuré une telle libération.

2. L’esprit broyé par la misère de la vie présente trouve sujet de se réjouir en considérant la bonté divine et en espérant le secours divin.

3. Les larmes jaillissent de la tristesse, mais aussi d’un cœur attendri. On le constate surtout dans ces joies dont l’objet même évoque des souvenirs attristants. On pleure d’attendrissement lorsqu’on retrouve un fils, un ami très cher qu’on avait crus perdus. C’est de cette façon que la dévotion fait verser des larmes.

 

 

QUESTION 83 — LA PRIÈRE

1. La prière est-elle un acte de la faculté appétitive, ou cognitive ? - 2. Convient-il de prier Dieu ? - 3. Est-ce un acte de la religion ? - 4. Ne doit-on prier que Dieu ? - 5. La prière de demande doit-elle avoir un objet déterminé ? - 6. Doit-on demander à Dieu des biens temporels ? - 7. Devons-nous prier pour autrui ? - 8. Devons-nous prier pour nos ennemis ? - 9. Les sept demandes de l’oraison dominicale. - 10. La prière appartient-elle en propre à la créature douée de raison ? - 11. Les saints du ciel prient-ils pour nous ? - 12. La prière doit-elle être vocale ? - 13. L’attention est-elle requise pour la prière ? - 14. La prière doit-elle être prolongée ? - 15. Est-elle méritoire ? - 16. La prière est-elle efficace pour obtenir ce qu’on demande ? - 17. Les différentes espèces de prière.

 

 

            Article 1 — La prière est-elle un acte de la faculté appétitive, ou cognitive ?

Objections :

1. Il apparaît qu’elle est un acte de la faculté appétitive. En effet, on prie pour être exaucé. Mais c’est le désir que Dieu exauce selon le Psaume (10, 38) : “ Le Seigneur exauce le désir des pauvres. ” Or le désir est un acte de la faculté appétitive, donc la prière aussi.

2. “ Avant toutes choses, dit Denys, il est utile de commencer par prier, nous livrant ainsi et nous unissant à Dieu. ” Mais l’union à Dieu se fait par l’amour : comme celui-ci, la prière sera donc attribuée à la puissance appétitive.

3. Selon Aristote, l’âme intellectuelle a deux opérations : l’intelligence des indivisibles, simple saisie de l’essence de chaque être, et la composition et division, qui fait saisir que quelque chose existe ou n’existe pas ; on y ajoute le raisonnement qui va du connu à l’inconnu. Mais la prière ne se ramène à aucune de ces opérations. Elle n’est donc pas un acte de la puissance intellectuelle.

En sens contraire, Isidore nous dit que prier (ordre) c’est “ dire ”, ce qui appartient à l’intellect. La prière est donc l’acte de la puissance intellective, et non appétitive.

Réponse :

Cassiodore discerne dans le mot oratio l’étymologie oris ratio : “ raison parlée ”. Or la raison spéculative et la raison pratique se distinguent en ce que la raison spéculative se contente d’appréhender le réel, tandis que la raison pratique y ajoute un pouvoir de causalité. Or un être est cause d’un autre de deux façons. D’une façon parfaite, par une action nécessaire, et cela se produit lorsque l’effet est totalement soumis à la puissance de la cause. Ou bien d’une façon imparfaite en ne créant qu’une disposition, quand l’effet n’est pas totalement soumis à la puissance de la cause. C’est ainsi que la raison est cause de deux façons. 1° Son action peut se faire contraignante. C’est ainsi qu’il lui appartient de commander aux puissances inférieures et aux membres du corps, et d’exercer sa maîtrise non seulement sur eux, mais encore sur les hommes qui nous sont soumis. C’est la causalité du commandement. 2° Mais l’influence de la raison peut se borner à engager et à disposer l’action. C’est ainsi que la raison demande l’accomplissement de quelque chose à ceux qui ne lui sont pas soumis, mais égaux ou supérieurs. Ces deux façons d’agir : commandement, et demande ou prière comportent l’établissement d’un ordre : on dispose que quelque chose doit être fait par un autre agent. Aussi cela relève-t-il de la raison, à laquelle il appartient d’ordonner. C’est le sens du texte d’Aristote - : “ La raison porte au bien parfait sous forme de prière ” ; et c’est en ce sens que nous parlons ici d’oratio, dans le sens d’une imploration ou d’une demande, selon la définition de S. Augustin : “ La prière est une demande ”, et du Damascène : “ C’est la demande à Dieu de ce qui convient. ” La prière dont nous parlons est donc bien un acte de la raison.

Solutions :

1. “ Le Seigneur exauce le désir des pauvres ” en ce sens que la demande est l’effet du désir, qu’elle traduit en quelque sorte. A moins qu’on veuille désigner en parlant ainsi la rapidité de la réponse divine. Les pauvres ne font encore que désirer, et déjà Dieu les exauce, sans leur laisser le temps d’exprimer leur prière, selon Isaïe (65, 24) : “ Avant qu’ils aient crié vers moi, je les ai exaucés. ”

2. Nous l’avons dit précédemment la volonté pousse la raison vers sa propre fin. Rien n’empêche donc qu’un acte de la raison mue par la volonté ne tende à ce qui est la fin de la charité : l’union avec Dieu. Cette influence du vouloir de charité sur la prière nous portera vers Dieu de deux façons. 1° Du point de vue de l’objet de nos demandes, parce que nous devons principalement demander dans nos prières l’union à Dieu, selon le Psaume (27, 4) : “ J’ai demandé une chose à Dieu, celle-là je la cherche, c’est d’habiter dans la maison de Dieu tous les jours de ma vie. ” 2° Du point de vue du sujet qui prie. Il lui faut en effet, accéder à celui qu’il implore, localement si c’est un homme, spirituellement s’il s’agit de Dieu. C’est ce qu’indique Denys en ajoutant : “ Quand nos prières invoquent Dieu, nous sommes face à lui par notre esprit. ” Et c’est aussi ce que dit S. Jean Damascène lorsqu’il définit la prière “ une élévation de l’âme vers Dieu ”.

3. Ces trois actes relèvent de la raison spéculative. La raison pratique fait davantage, et exerce une activité causale, par mode de commandement ou de demande, nous venons de le dire.

 

 

            Article 2 — Convient-il de prier Dieu ?

Objections :

1. Non, à ce qu’il semble. Car, si la prière nous est nécessaire, c’est pour notifier nos besoins à celui à qui nous l’adressons. Mais selon S. Matthieu (6, 32) : “ Votre Père sait bien que vous avez besoin de tout cela. ”

2. La prière fléchit celui à qui on l’adresse et l’amène à faire ce qu’on lui demande. Mais Dieu est immuable et inflexible en ses desseins selon le premier livre de Samuel (15, 29 Vg) : “ Le Dieu triomphant d’Israël ne pardonnera pas, et rien ne l’amènera à se repentir. ” Il ne convient donc pas de prier Dieu.

3. Il est plus libéral de donner à celui qui ne demande pas qu’à celui qui demande. Sénèque le dit : “ Rien n’est plus chèrement acheté que ce qu’on paie de ses prières. ” Mais Dieu est la libéralité même ; il ne paraît donc pas logique de le prier.

En sens contraire, le Seigneur dit (Luc 18, 1) : “ Il faut prier toujours, sans se lasser. ”

Réponse :

Les anciens ont commis, touchant la prière, trois sortes d’erreurs. Les uns ont soutenu que les affaires humaines ne dépendent pas de la providence divine. D’où l’inutilité de la prière et de tout culte religieux. C’est à eux que s’applique cette apostrophe de Malachie (3, 14) : “ Vous avez dit : c’est vanité que servir Dieu. ” Pour d’autres, tout, même les choses humaines, se produit de façon nécessaire, qu’on l’explique par l’immutabilité de la Providence, les influences astrales ou l’enchaînement des causes. Ceux-là aussi nient l’utilité de la prière. D’autres enfin admettent bien que les choses humaines, régies par la providence divine, ne se produisent pas de façon nécessaire. Mais ils disent que la providence divine peut varier dans ses dispositions, et que les prières et autres pratiques cultuelles peuvent changer quelque chose à l’ordre établi par elle. Toutes ces erreurs ont été réfutées dans notre première Partie 1. Il nous faut donc présenter l’utilité de la prière mais ne pas imposer une nécessité quelconque aux choses humaines soumises à la Providence, et ne pas non plus estimer que l’ordre établi par Dieu puisse changer.

Pour le voir clairement, il faut considérer que la providence divine ne se borne pas à établir que tel ou tel effet sera produit ; elle détermine aussi en vertu de quelles causes et dans quel ordre il le sera. Or l’activité humaine est efficace et nous pouvons la mettre au rang des causes. Aussi faut-il que l’homme agisse non pour que ses actes changent le plan divin, mais pour qu’ils réalisent certains effets conformément à l’ordre établi par Dieu. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans la causalité naturelle ; et il en est de même pour la prière. Nous ne prions pas pour changer l’ordre établi par Dieu, mais pour obtenir ce que Dieu a décidé d’accomplir par le moyen des prières des saints. Si bien que “ par leurs demandes, les hommes méritent de recevoir ce que le Dieu tout-puissant, dès avant les siècles, a résolu de leur donner ”, dit S. Grégoire.

Solutions :

1. Si nous adressons des prières à Dieu, ce n’est pas parce qu’il faudrait lui faire connaître nos besoins ou nos désirs ; c’est pour que nous envisagions nous-mêmes qu’en pareil cas on doit recourir au secours de Dieu.

2. Notre prière, on vient de le dire, n’a pas pour but de changer le plan de Dieu, mais d’obtenir par nos prières ce qu’il a décidé de nous donner.

3. Dieu, dans sa libéralité, nous accorde bien des choses sans même que nous les lui demandions. Mais s’il exige en certains cas notre prière, c’est que cela nous est utile. Cela nous vaut l’assurance de pouvoir recourir à lui, et nous fait reconnaître en lui l’auteur de nos biens. D’où ces paroles de Chrysostome : “ Considère quel bonheur t’est accordé, quelle gloire est ton partage : voilà que tu peux converser avec Dieu par tes prières, dialoguer avec le Christ, souhaiter ce que tu veux, demander ce que tu désires. ”

 

 

            Article 3 — La prière est-elle un acte de la religion ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car la religion, rattachée à la justice, a pour siège la volonté, tandis que la prière met en œuvre nos puissances intellectuelles, nous l’avons dit". La prière ne paraît donc pas être un acte de la religion, mais du don d’intelligence qui élève l’âme à Dieu.

2. L’acte de latrie tombe sous une obligation de précepte. Mais tel n’est pas le cas de la prière qui dépend purement de la volonté, puisqu’elle n’est pas autre chose que la demande de ce qu’on veut. Il paraît donc qu’elle n’est pas un acte de la religion.

3. Il revient à la religion de présenter à Dieu un culte et des cérémonies. Mais la prière n’apporte rien à Dieu. Elle demande plutôt d’obtenir quelque chose. Elle n’est donc pas un acte de religion.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (141, 2) : “ Que ma prière monte droit comme l’encens devant ta face. ” Et la Glose commente : “ Dans l’Ancien Testament on symbolisait la prière par l’encens offert au Seigneur en odeur agréable. ” Ce qui appartient à la religion. Nous lui attribuerons donc l’acte de prière.

Réponse :

L’objet propre de la vertu de religion, c’est de rendre à Dieu honneur et respect. Tout ce qui exprime la révérence envers Dieu est de son ressort. C’est le cas de la prière. On y révère Dieu en tant qu’on se soumet à lui et que l’on professe avoir besoin de lui, auteur de tous nos biens. Manifestement pareil acte relève en propre de la vertu de religion.

Solutions :

1. La volonté meut les autres puissances vers sa propre fin, nous l’avons dit. C’est pourquoi la religion, qui réside dans la volonté, ordonne à l’honneur de Dieu les actes des autres puissances. Or, parmi celles-ci, c’est l’intellect qui est la plus haute et la plus voisine de la volonté. Après la dévotion, qui est un acte de la volonté elle-même, la prière, qui met en œuvre l’intellect, a donc le premier rang parmi les actes de religion : c’est l’acte dans lequel cette vertu meut vers Dieu l’intellect humain.

2. Non seulement demander ce que nous désirons, mais même désirer ce qu’il faut tombe sous le précepte. Le désir sous le précepte de la charité, la demande sous celui de la religion, précepte qu’on trouve en S. Matthieu (7, 7) “ Demandez et vous recevrez. ”

3. Prier, c’est livrer à Dieu son esprit, qu’on lui soumet par le respect et qu’on lui présente, selon le texte de Denys cité dans l’objection. Et de même que l’esprit humain l’emporte sur les membres extérieurs, corporels, ou sur les biens extérieurs que nous employons au service de Dieu, de même la prière est le plus haut de tous les actes de la religion.

 

 

            Article 4 — Ne doit-on prier que Dieu ?

Objections :

1. Il semble que oui, puisque la prière est un acte de la religion, qui doit réserver son culte à Dieu seul.

2. C’est en vain qu’on adresse une prière à quelqu’un qui ne peut la connaître. Or Dieu seul connaît nos prières. Le plus souvent en effet la prière se fait par un acte de notre âme, connu de Dieu seul, plutôt qu’en paroles. “ Je prierai en esprit, je prierai par l’âme ”, dit S. Paul (1 Co 14, 15). Et aussi, dit S. Augustin, “ les morts, même saints, ignorent ce que font les vivants, fussent-ils leurs fils ”. On ne doit donc adresser sa prière qu’à Dieu.

3. Si nous adressons des prières à certains saints, c’est uniquement parce qu’ils sont unis à Dieu. Mais il y a des gens qui vivent en ce monde ou encore des âmes du purgatoire, qui sont très unis à Dieu par la grâce. Or, on ne les prie pas. Donc on ne doit pas prier non plus les saints du paradis.

En sens contraire, on lit dans Job (5, 1) “ Appelle, si quelqu’un peut te répondre, et tourne-toi vers l’un des saints. ”

Réponse :

Il y a deux manières de présenter sa demande à quelqu’un. On peut lui demander de l’exaucer lui-même, ou bien de nous la faire obtenir. Dans le premier cas la prière ne peut s’adresser qu’à Dieu, car nos prières doivent être ordonnées à l’obtention de la grâce et de la gloire, que Dieu seul peut nous octroyer selon le Psaume (84, 12) : “ Le Seigneur donne la grâce et la gloire. ” Mais nous prions de la seconde manière en nous adressant aux saints, anges et hommes. Non pour qu’ils fassent connaître à Dieu nos demandes, mais pour qu’ils les fassent aboutir par leur intercession et leurs mérites. C’est pourquoi on lit dans l’Apocalypse (8, 4) : “ La fumée des parfums, c’est-à-dire les prières des saints, monte de la main de l’ange devant le Seigneur. ” C’est également ce qui ressort de la forme suivie par l’Église dans ses prières. Car nous demandons à la sainte Trinité “ d’avoir pitié de nous ”, aux saints, autres que Dieu, nous demandons “ de prier pour nous ”.

Solutions :

1. Lorsque nous prions, nous rendons un culte à celui-là seulement de qui nous espérons recevoir ce que nous demandons, parce que nous attestons ainsi qu’il est l’auteur de tous nos biens. Il n’en est pas de même avec ceux que nous implorons comme nos intercesseurs auprès de Dieu.

2. Les morts, à ne considérer que leur condition naturelle, ne savent pas ce qui se passe en ce monde, surtout dans l’intime des cœurs. Mais, nous dit S. Grégoire, les bienheureux découvrent dans le Verbe ce qu’ils doivent connaître de ce qui nous arrive, même quant aux mouvements intérieurs du cœur. Or il convient par-dessus tout au rang élevé qui est le leur, qu’ils connaissent les demandes qui leur sont faites oralement ou mentalement. Ils connaissent donc les prières que nous leur adressons, parce que Dieu les leur découvre.

3. Ceux qui sont en ce monde ou dans le purgatoire ne jouissent pas encore de la vision du Verbe. Ils ne peuvent donc pas connaître ce que nous pensons ou disons. C’est pourquoi nous n’implorons pas leurs suffrages par la prière, sinon en ce qui concerne les vivants, par nos demandes.

 

 

            Article 5 — La prière de demande doit-elle avoir un objet déterminé ?

Objections :

1. Il apparaît que non car, selon la définition de S. Jean Damascène,, “ prier, c’est demander à Dieu ce qui convient ” ; et la prière est inefficace si elle demande ce qu’il n’est pas avantageux d’obtenir, selon S. Jacques (4, 3) : “ Vous demandez et ne recevez pas, parce que vous demandez mal. ” Or “ ce qu’il faut que nous demandions, nous l’ignorons ”, dit S. Paul (Rm 7, 26).

2. Adresser à quelqu’un une demande déterminée, c’est tenter d’incliner sa volonté à faire notre volonté propre. Or nous ne devons pas tendre à ce que Dieu veuille ce que nous voulons, mais plutôt à vouloir nous-mêmes ce qu’il veut, comme dit la Glose sur ce verset du Psaume (33, 1) : “ Exultez, vous les justes, dans le Seigneur. ” Nous ne devons donc pas, dans la prière, adresser à Dieu des demandes déterminées.

3. Ce qui est mal, nous ne devons pas le demander à Dieu ; quant au bien, il nous y invite. Il est donc inutile de le lui demander. Si bien qu’il ne faut demander à Dieu, dans la prière, rien de déterminé.

En sens contraire, le Seigneur a instruit ses disciples à demander de façon déterminée ce qui figure dans l’oraison dominicale.

Réponse :

D’après Valère Maxime : “ Socrate pensait qu’on devait se borner à demander aux dieux immortels de nous être bienfaisants. Il estimait qu’ils savent ce qui est utile à chacun, tandis que la plupart du temps nous sollicitons ce qu’il vaudrait mieux ne pas obtenir. ” Cette opinion a du vrai, au moins en ce qui concerne les choses qui peuvent mal tourner et dont on peut bien ou mal user ; ainsi les richesses, dont il est dit au même endroit “ quelles ont été la ruine de bien des gens ; les honneurs, qui en ont perdu un grand nombre ; les règnes, dont on voit l’issue souvent misérable ; les alliances splendides, qui plus d’une fois détruisent les familles ”. Mais il y a des biens dont on ne peut user mal et qui ne peuvent avoir d’issue fâcheuse : ceux qui font notre béatitude ou qui nous permettent de la mériter. C’est ce que les saints demandent de façon absolue : “ Montre ta face et nous serons sauvés ” (Ps 80, 4) ; et encore : “ Conduis-moi dans le chemin de tes commandements ” (Ps 119, 35).

Solutions :

1. Bien que l’homme ne puisse de lui-même savoir ce qu’il doit demander, l’Esprit, comme il est dit au même endroit, “ vient en aide à notre faiblesse ”, parce que, en nous inspirant de saints désirs, il rectifie notre requête. D’où la parole du Seigneur (Jn 4, 23) : “ Les vrais adorateurs doivent adorer en esprit et vérité. ”

2. Quand nous demandons dans la prière ce qui concerne notre salut, nous conformons notre volonté à celle de Dieu dont il est dit (1 Tm 2, 4) qu’il “ veut le salut de tous les hommes ”.

3. Les biens auxquels Dieu nous convie, c’est à nous de venir y prendre part, non par une démarche corporelle, mais par les pieux désirs et les dévotes prières.

 

 

            Article 6 — Doit-on demander à Dieu des biens temporels ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car ce que nous demandons dans la prière, nous le recherchons, ce qu’il ne faut pas faire pour les biens d’ici-bas (Mt 6, 33) : “ Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela viendra de surcroît. ” Tout cela, ce sont les biens terrestres, dont on nous dit qu’il ne faut pas les rechercher, mais qu’ils s’ajoutent à ce que nous avons demandé. Il faut donc les exclure des demandes que nous faisons à Dieu.

2. On ne demande que ce dont on a souci, et l’on ne doit pas se mettre en souci pour les biens temporels (Mt 6, 25) : “ Ne vous mettez pas en souci pour votre vie, de ce que vous mangerez. ” Il n’y a donc pas à demander dans la prière les biens temporels.

3. Par notre prière, l’âme doit s’élever vers Dieu. Mais les demandes temporelles la font descendre au-dessous d’elle-même. C’est contredire S. Paul, qui disait (2 Co 4, 18) : “ Ne regardons pas aux réalités visibles mais aux invisibles ; car ce qu’on voit est temporel, ce qu’on ne voit pas est éternel. ” Donc on ne doit pas, dans la prière, demander à Dieu des biens temporels.

4. On ne doit demander à Dieu que ce qui est bon et utile. Or les biens terrestres, quand on les a, sont parfois nuisibles aussi bien temporellement que spirituellement : on ne doit donc pas les demander à Dieu dans la prière.

En sens contraire, on demande dans les Proverbes (30, 8) : “ Accorde-moi seulement ce qui est nécessaire à ma subsistance. ”

Réponse :

S. Augustin écrit à Proba, “ Il est permis de demander dans la prière tout ce qu’il est permis de désirer. ” Or il est permis de désirer les biens temporels, non pas sans doute à titre principal, en mettant en eux notre fin ; mais comme des secours qui nous aident à tendre à la béatitude, en tant que notre vie corporelle trouve en eux son soutien, et que notre activité vertueuse les emploie à titre d’instruments, selon Aristote. Il est donc permis de prier pour les obtenir. Et c’est ce que dit S. Augustin : “ Il est très normal de vouloir les moyens suffisants de vivre, quand on veut cela et rien de plus. On ne les recherche pas pour eux-mêmes mais pour le salut du corps, pour se comporter convenablement suivant son rang et ne pas gêner ceux avec qui l’on doit vivre. Lorsqu’on les a, il faut prier pour les conserver, et lorsqu’on ne les a pas, il faut prier pour les avoir. ”

Solutions :

1. Les biens temporels ne doivent pas faire l’objet principal de nos recherches, mais venir au second plan. Ainsi S. Augustin déclare : “ Lorsque le Seigneur dit : "Il faut premièrement chercher le royaume de Dieu", il veut dire que les biens temporels ne doivent être recherchés qu’après, non selon le temps, mais selon leur dignité : celui-là comme notre bien, ceux-ci comme notre nécessaire. ”

2. On n’interdit pas tout souci des biens temporels, mais le souci superflu et désordonné, nous l’avons déjà dit.

3. Lorsque notre âme vise les biens temporels pour se reposer, elle s’y abaisse. Mais quand elle les vise en vue d’obtenir la béatitude, loin de se trouver rabaissée par eux, elle les relève.

4. Du moment que nous demandons les biens temporels, non comme l’objet principal de nos désirs mais pour obtenir des biens plus élevés, nous demandons à Dieu de nous les accorder dans la mesure où il sont utiles à notre salut.

 

 

            Article 7 — Devons-nous prier pour autrui ?

Objections :

1. Il apparaît que non. Car en priant nous devons suivre le modèle que le Seigneur nous a donné. Or dans l’oraison dominicale nous formulons des demandes pour nous, mais non pas pour autrui : “ Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour... ”

2. On prie pour être exaucé ; or l’une des conditions requises pour qu’une prière puisse être exaucée, c’est précisément qu’on prie pour soi-même. Sur ce texte de S. Jean (16, 23) : “ Si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera ” S. Augustin Il fait ce commentaire : “ Tous sont exaucés, lorsqu’il s’agit d’eux-mêmes, mais non lorsqu’ils prient pour tous. C’est pourquoi il est dit "vous donnera" et non pas simplement "donnera". Il semble donc que nous ne devons prier que pour nous-même. ”

3. On ne doit pas prier pour les méchants, car Dieu l’interdit à Jérémie (7, 16) : “ Ne prie pas pour ce peuple, ne te présente pas devant moi, car je ne t’exaucerai pas. ” Quant aux bons, il ne faut pas prier pour eux, car les prières qu’ils font pour eux-mêmes sont exaucées. Il n’y a donc pas à prier pour autrui.

En sens contraire, S. Jacques recommande (5, 16) : “ Priez les uns pour les autres afin d’être sauvés. ”

Réponse :

Ce que nous devons demander dans nos prières, c’est ce qu’il nous faut désirer, nous venons de le dire. Or, nous ne devons pas désirer notre bien personnel seulement : nous devons aussi vouloir du bien aux autres.

C’est essentiel à la dilection qu’il nous faut avoir pour le prochain, nous l’avons déjà montré. La charité requiert donc que nous priions pour les autres. Ainsi, dit S. Jean Chrysostome, “ la nécessité nous contraint de prier pour nous-mêmes ; pour autrui, c’est la charité fraternelle qui nous y engage. La prière est plus douce devant Dieu, lorsqu’elle n’est pas expédiée par la nécessité, mais recommandée par la charité fraternelle ”.

Solutions :

1. Comme dit S. Cyprien : “ Si nous ne disons pas "mon père", mais "notre Père", ni "donne-moi", mais "donne-nous", c’est que le Maître de l’unité n’a pas voulu que la prière fût affaire privée, et que chacun prie pour soi seulement. Il a voulu que chacun prie pour tous, comme il nous a tous portés dans son unité. ”

2. Prier pour soi est donné comme une condition de la prière ; elle n’est pas nécessaire pour rendre la prière méritoire mais pour obtenir son exaucement. Il arrive en effet que la prière faite pour autrui n’aboutisse pas, même si elle est pieuse, persévérante et ordonnée au salut, par suite d’un obstacle tenant à celui pour qui l’on prie, comme dit le Seigneur à Jérémie (15, 1) : “ Même si Moïse et Samuel se tenaient devant moi, je ne suis pas disposé en faveur de ce peuple. ” Néanmoins la prière sera méritoire pour celui qui prie, s’il le fait par charité. “ Ma prière revenait dans mon sein ”, selon le Psaume (35, 13), et la Glose explique : “ Bien qu’elle ait été inutile pour eux, je ne suis pas privé de ma récompense. ”

3. Il faut prier aussi pour les pécheurs, afin qu’ils se convertissent ; et pour les justes, afin qu’ils persévèrent et progressent. On n’est pas toujours exaucé lorsqu’on prie pour les pécheurs, mais pour certains d’entre eux, les prédestinés, non pour ceux qui, dans la prescience divine, vont à la mort. C’est ainsi également que la correction fraternelle que nous adressons à nos frères n’a d’effet que sur les prédestinés, et non sur les réprouvés, selon l’Ecclésiastique (7, 14 Vg) : “ Nul ne peut corriger celui que Dieu a délaissé. ” Aussi S. Jean déclare-t-il (1 Jn 5, 16) : “ Quelqu’un voit-il son frère commettre un péché ne conduisant pas à la mort, qu’il prie, et Dieu donnera la vie à son frère. ” Mais de même qu’on ne doit soustraire à personne, tant qu’il vit ici-bas, le bienfait de la correction fraternelle, dans l’impossibilité où nous sommes de discerner les prédestinés des réprouvés, comme dit S. Augustin, il ne faut refuser à personne le secours de nos prières.

Quant aux justes, on a trois motifs de prier pour eux : l° Les prières d’un grand nombre sont plus facilement exaucées. La Glose commente la demande de S. Paul (Rm 15, 30) : “ Aidez-moi de vos prières ”, en disant : “ L’Apôtre a bien raison de demander à des gens modestes de prier pour lui, car beaucoup de petits n’ayant qu’un seul cœur, deviennent grands ; et il est impossible que la prière d’un grand nombre ne soit pas exaucée ”, du moins en ce qu’on peut obtenir. - 2° De nombreuses personnes rendent ainsi grâce à Dieu pour les bienfaits qu’il accorde aux justes, et dont beaucoup profitent d’après S. Paul (2 Co 1, 11). - 3° Les meilleurs évitent l’orgueil lorsqu’ils considèrent qu’ils ont besoin des secours de fidèles moins parfaits qu’eux.

 

 

            Article 8 — Devons-nous prier pour nos ennemis ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car, pour S. Paul (Rm 14, 4) : “ Tout ce qui est écrit l’est pour notre enseignement. ” Or on rencontre dans la Sainte Écriture beaucoup d’imprécations contre les ennemis, par exemple dans le Psaume (6, 11) : “ Qu’ils aient honte et qu’ils tremblent, tous mes ennemis ; qu’ils reculent soudain, couverts de honte! ” Donc nous devons, nous aussi, prier contre nos ennemis plutôt que pour eux.

2. Se venger de ses ennemis, c’est leur vouloir du mal. Or les saints demandent vengeance de leurs ennemis dans l’Apocalypse (6, 10) : “ Quand vengeras-tu enfin notre sang sur les habitants de la terre ”, et ils se réjouissent d’être vengés des impies selon le Psaume (58, 11) : “ Le juste se réjouira quand il verra la vengeance. ” On n’a donc pas à prier pour ses ennemis, mais plutôt contre eux.

3. Nos actes ne doivent pas être en contradiction avec nos prières. Or il est parfois légitime de combattre ses ennemis, sinon toute guerre serait illicite, contrairement à ce qu’on a prouvé précédemment. Nous ne devons donc pas prier pour nos ennemis.

En sens contraire, le Seigneur a dit (Mt 5, 44) : “ Priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. ”

Réponse :

C’est la charité qui veut qu’on prie pour autrui, on vient de le voir. Nous serons donc tenus de prier pour nos ennemis dans la mesure où nous sommes tenus de les aimer. Quelle sorte de dilection nous leur devons, nous l’avons dit au traité de la charité. On doit aimer en eux ce qui vient de la nature, mais non leurs fautes. Aimer ses ennemis d’un amour général est de précepte, mais il n’est pas commandé de les aimer en particulier de façon spéciale, sinon en y étant disposé dans son esprit : on doit être prêt même à aimer son ennemi de façon spéciale et à lui porter secours, en cas de nécessité ou s’il demandait pardon. Quant à accorder à ses ennemis, sans condition, une dilection spéciale et leur venir en aide, cela relève de la perfection. Conformément à ces principes, il est nécessaire de ne pas excepter nos ennemis des prières que nous faisons en général pour autrui. Mais si nous prions spécialement pour eux, c’est œuvre de perfection et ne devient obligatoire qu’en certaines circonstances spéciales.

Solutions :

1. Les imprécations que l’on rencontre dans la Sainte Écriture peuvent s’interpréter de quatre manières : 1° On peut les considérer comme “ une façon pour les prophètes d’annoncer l’avenir ”, selon S. Augustin. 2° Parce qu’il y a certains maux temporels que Dieu envoie quelquefois aux pécheurs pour les corriger. 3° On peut l’entendre de demandes dirigées non contre les hommes eux-mêmes, mais contre le règne du péché, pour que le châtiment des hommes en assure la destruction. 4° Elles peuvent manifester une conformation de la volonté à la justice divine, damnant ceux qui persévèrent dans le péché.

2. On peut dire avec S. Augustin que “ la vengeance des martyrs, c’est le renversement du règne du péché, dont la domination leur a fait souffrir tant de maux ”. Ou bien encore “ qu’ils demandent vengeance, non par une formule, mais par leur état, comme on dit que le sang d’Abel criait de la terre vers Dieu ”. Ils se réjouissent de la vengeance, non pour elle-même, mais à cause de la justice divine.

3. Il est permis de combattre ses ennemis, pour qu’ils cessent de pécher ; c’est pour leur bien et celui des autres. Ainsi est-il également permis de demander pour ses ennemis certains maux temporels qui serviront à les corriger. Ainsi notre prière et nos œuvres ne se contrediront pas.

 

 

            Article 9 — Les sept demandes de l’oraison dominicale

Objections :

1. Il apparaît qu’elles sont mal réparties. En effet, il est inutile de demander la sanctification de ce qui est toujours saint, comme est le nom de Dieu, selon S. Luc (1, 49) - “ Saint est ton Nom. ” De même, le règne de Dieu est éternel selon le Psaume (145, 13) : “ Ton règne, Seigneur, est un règne éternel. ” Et sa volonté s’accomplit toujours selon Isaie (46, 10) : “ Toute ma volonté sera faite. ” Il est donc vain de demander que le nom de Dieu soit sanctifié, que son règne vienne et que sa volonté soit faite.

2. Il faut d’abord s’éloigner du mal pour obtenir le bien. Il paraît donc illogique de demander le bien avant l’éloignement du mal.

3. Si nous demandons quelque chose, c’est pour qu’on nous le donne. Mais le principal don de Dieu, c’est l’Esprit Saint et ce qui nous est donné par lui. Il paraît donc anormal de proposer des demandes sans rapport avec les dons du Saint-Esprit.

4. S. Luc (11, 2) ne mentionne que cinq demandes pour la prière du Seigneur. Il est donc superflu d’en formuler sept, selon S. Matthieu (6, 9).

5. Il semble vain de vouloir capter la bienveillance de celui qui nous prévient de ses bontés, car Dieu “ nous a aimés le premier ” (1 Jn 4, 10). Il est donc superflu de mettre en tête des demandes : “ Notre Père qui es aux cieux ” qui semble vouloir capter sa bienveillance.

En sens contraire, on peut s’en tenir à l’autorité du Christ instituant cette prière.

Réponse :

L’oraison dominicale est absolument parfaite. Comme dit S. Augustin : “ Si nous prions d’une manière correcte et convenable, nous ne pouvons rien dire d’autre que ce que renferme cette prière du Seigneur. ” La prière est en effet comme l’interprète de notre désir devant Dieu. Nous ne lui demandons à bon droit que ce que nous pouvons désirer de même. Or la prière du Seigneur non seulement demande tout ce que nous sommes en droit de désirer, mais elle le fait dans l’ordre même où l’on doit le désirer ; si bien qu’elle ne nous enseigne pas seulement à demander, mais à régler tous nos sentiments. Or il est clair que notre désir porte premièrement sur la fin, et en second lieu sur les moyens de l’atteindre. Notre fin, c’est Dieu, vers qui le mouvement de notre cœur tend à double titre. Nous voulons sa gloire, et nous voulons jouir de cette gloire. Il s’agit d’abord de la dilection que nous portons à Dieu lui-même, et ensuite de celle par quoi nous nous aimons nous-même en Dieu. De là notre première demande : “ Que ton nom soit sanctifié ” ; elle exprime notre désir de la gloire de Dieu. Et la deuxième : “ Que ton règne vienne ” par quoi nous demandons de parvenir à la gloire de Dieu et de son règne.

Pour atteindre cette fin, il y a deux sortes de moyens. Les uns nous y mènent essentiellement, les autres par accident. Ce qui nous y conduit essentiellement, c’est le bien utile à cette fin bienheureuse. D’abord d’une façon directe et principale : tout ce qui sous forme de mérite nous donne droit à la béatitude en nous faisant obéir à Dieu. C’est l’objet de cette demande : “ Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. ” - Ensuite nous demandons ce qui nous sert à titre d’instrument et vient en quelque sorte coopérer à notre activité méritoire. C’est à ce propos qu’on dit : “ Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. ” Soit qu’on l’entende du pain sacramentel, dont l’usage quotidien est avantageux pour l’homme, et dans lequel on comprend tous les autres sacrements. Soit qu’on l’entende du pain corporel, par quoi l’on entend “ toutes les nécessités de la vie ”, selon S. Augustin. L’eucharistie est en effet le premier des sacrements, et le pain est l’aliment fondamental. C’est ce qu’indique le texte de S. Matthieu qui porte “ supersubstantiel ”, c’est-à-dire “ principal ” d’après l’exégèse de S. Jérôme.

Par accident, nous sommes ordonnés à la béatitude par ce qui écarte les obstacles. Ceux-ci sont au nombre de trois. 1° Le péché, qui nous exclut directement du Royaume selon S. Paul (1 Co 6, 9) : “ Ni les fornicateurs, ni ceux qui servent les idoles ne posséderont le royaume de Dieu. ” Ce qui nous fait dire : “ Remets-nous nos dettes. ” - 2° La tentation, qui nous empêche de respecter la volonté divine. D’où cette demande : “ Ne nous fais pas entrer en tentation ”, par quoi nous demandons non de n’être pas tentés, mais de n’être pas vaincus par la tentation, ce qui est “ entrer ” en tentation. 3° Les peines de la vie présente, comme celles qui empêchent d’avoir le suffisant pour vivre. A ce sujet l’on dit : “ Délivre-nous du mal. ”

Solutions :

1. Selon S. Augustin, quand nous disons : “ Que ton nom soit sanctifié ”, cette demande n’implique pas que le nom de Dieu ne soit pas saint. Elle tend à ce qu’il soit tenu pour saint par les hommes, c’est-à-dire à ce que la gloire de Dieu se répande parmi eux. Lorsqu’on dit : “ Que ton règne vienne ”, on ne prétend pas qu’il ne règne pas encore. Mais nous excitons en nous le désir de ce règne : qu’il vienne pour nous et que nous puissions y régner. Quant à ces paroles : “ Que ta volonté soit faite ”, elles signifient, à juste titre, qu’on obéisse à tes commandements. “ Sur la terre comme au ciel ”, c’est-à-dire aussi bien de la part des hommes que des anges. “ Ces trois demandes seront parfaitement accomplies dans la vie future. Les quatre autres sont relatives aux besoins de la vie présente ”, dit encore S.Augustin.

2. Puisque la prière est l’interprète du désir, l’ordre des demandes ne répond pas à l’ordre d’exécution, mais à l’ordre d’intention, qui est celui du désir. La fin y est donc envisagée avant ce qui permet de l’atteindre, et l’obtention du bien avant le rejet du mal.

3. S. Augustin adapte les sept demandes aux dons du Saint-Esprit et aux béatitudes, en ces termes : “ Si la crainte de Dieu rend heureux les pauvres en esprit, demandons que les hommes aient le sentiment de la sainteté du nom divin, dans la crainte filiale. Si la piété rend heureux les doux, demandons l’avènement de son règne, car alors nous serons doux et ne lui résisterons pas. Si la science rend heureux ceux qui pleurent : prions pour que s’accomplisse sa volonté, car alors nous ne pleurerons plus. Si la force rend heureux les affamés, demandons que notre pain quotidien nous soit donné. Si le conseil rend heureux ceux qui font miséricorde, remettons les dettes pour que les nôtres nous soient remises. Si l’intelligence rend heureux les cœurs purs, prions pour n’avoir pas un cœur double, qui nous fait poursuivre les biens temporels, source de toutes nos tentations. Si la sagesse rend heureux les artisans de paix, parce qu’ils seront appelés fils de Dieu, prions pour être délivrés du mal, car cette libération fera de nous les libres fils de Dieu. ”

4. Voici ce que dit S. Augustin : “ Dans S. Luc la prière du Seigneur comprend non point sept mais cinq demandes : c’est parce que l’Évangéliste voulait montrer que la troisième n’est que la répétition des deux précédentes : il la supprime pour faire comprendre cela. ” C’est en effet l’objet principal de la volonté de Dieu, que nous connaissions sa sainteté et régnions avec lui. “ Quant à la demande placée en dernier lieu par S. Matthieu : "Délivre-nous du mal", S. Luc ne la donne pas, pour que chacun de nous sache qu’il est délivré du mal par le seul fait qu’il n’entre pas en tentation. ”

5. Ce n’est pas pour fléchir Dieu que nous lui adressons notre prière, mais pour exciter en nous-même une demande confiante. Cette confiance naît en nous surtout quand nous considérons l’amour qu’il nous porte et qui lui fait vouloir notre bien ; c’est pourquoi nous disons “ Notre Père ” ; et quand nous considérons son excellence qui lui permet de l’accomplir : c’est pourquoi nous disons : “ Qui es aux cieux. ”

 

 

            Article 10 — La prière appartient-elle en propre à la créature douée de raison ?

Objections :

1. Il semble que non, car c’est à la même personne qu’il appartient de demander et de recevoir. Or, “ recevoir ” convient également à des personnes incréées, le Fils et le Saint-Esprit. Il leur convient donc aussi de prier. Aussi le Fils dit-il (Jn 14, 16) : “ je prierai mon Père ”, et l’Apôtre dit du Saint-Esprit (Rm 8,26) : “ L’Esprit intercède pour nous. ”

2. Les anges sont au-dessus des créatures raisonnables, puisque ce sont de pures substances intellectuelles. Or il leur appartient de prier, car on lit dans le Psaume (97, 7) : “ Adorez-le, tous ses anges. ” La prière n’est donc pas le propre de la créature raisonnable.

3. La prière existe chez ceux qui invoquent Dieu, car c’est surtout en priant qu’on l’invoque. Or nous rencontrons cela chez les bêtes, selon le Psaume (147, 9) : “ Il donne leur pâture aux troupeaux, aux petits des corbeaux qui l’invoquent. ” Prier n’est donc pas le propre de la créature raisonnable.

En sens contraire, la prière est un acte de la raison, nous l’avons vu. Or la créature raisonnable s’appelle ainsi parce qu’elle possède la raison. Prier lui est donc propre.

Réponse :

On l’a vu par ce qui précède, la prière est un acte de la raison par lequel un être s’ordonne à qui lui est supérieur, comme le commandement est un acte de la raison par lequel l’inférieur est ordonné à faire quelque chose. Prier sera donc propre à qui est doué de raison, et dépend d’un supérieur qu’il puisse invoquer. Les personnes divines n’ont rien qui leur soit supérieur ; les bêtes ne possèdent pas la raison. Ni les personnes divines ni les bêtes ne peuvent donc prier, et cet acte reste propre à la créature raisonnable.

Solutions :

1. “ Recevoir ” convient en effet aux personnes divines, mais cela tient à leur nature, tandis que prier est le fait de ceux qui reçoivent un don gratuit. Si l’on dit que le Fils demande ou prie, c’est selon la nature qu’il a assumée, c’est-à-dire la nature humaine, et non selon la nature divine. Quant à l’Esprit Saint, on dit qu’il demande parce qu’il nous fait demander.

2. L’intellect et la raison ne sont pas en nous des puissances diverses, comme nous l’avons montré dans la première Partie. Leur différence est celle de l’imparfait au parfait. C’est pourquoi tantôt on distingue les anges des créatures raisonnables, et tantôt on les compte parmi elles. De cette manière on peut dire que la prière est le propre de la créature raisonnable.

3. On dit que les petits des corbeaux invoquent Dieu à cause du désir naturel, en chaque être, d’atteindre à sa façon la bonté divine. On dit aussi en ce sens que les bêtes obéissent à Dieu, à cause de l’instinct naturel par lequel Dieu les actionne.

 

 

            Article 11 — Les saints du ciel prient-ils pour nous ?

Objections :

1. Il semble que non, car on agit de façon méritoire plus pour soi que pour autrui. Mais les saints de la patrie ne méritent plus, et ils ne prient plus pour eux-mêmes, étant désormais arrivés au terme. Donc ils ne prient pas non plus pour nous.

2. Les saints conforment parfaitement leur volonté à Dieu pour ne plus vouloir que ce qu’il veut. Mais ce que Dieu veut s’accomplit toujours. Ce serait donc en vain qu’ils prieraient pour nous.

3. Comme les saints qui sont dans la patrie, nous sont supérieurs, de même ceux du purgatoire, parce qu’ils ne peuvent plus pécher. Mais ceux-là ne prient pas pour nous, c’est plutôt nous qui prions pour eux. Donc les saints du paradis ne prient pas non plus pour nous.

4. Si les saints de la patrie priaient pour nous, la prière des plus grands saints serait la plus efficace. On ne devrait donc pas implorer le secours des saints d’une catégorie inférieure, mais seulement celui des plus grands.

5. L’âme de Pierre n’est pas Pierre. Donc, si les âmes des saints priaient pour nous, aussi longtemps qu’elles sont séparées de leur corps, nous ne devrions pas invoquer S. Pierre pour qu’il prie pour nous, mais son âme. L’Église fait le contraire. Donc, les saints, au moins jusqu’à la résurrection, ne prient pas pour nous.

En sens contraire, on lit au 2ème livre des Maccabées (15, 14) : “ Voici celui qui prie beaucoup pour le peuple et pour toute la cité sainte, Jérémie le prophète de Dieu. ”

Réponse :

Ce fut l’erreur de Vigilantius d’après S. Jérôme, de penser que “ tant que nous vivons nous pouvons prier les uns pour les autres ; mais après sa mort, nul d’entre nous ne pourra le faire, d’autant que les martyrs qui demandent vengeance de leur sang ne peuvent pas l’obtenir ”. Mais cela est tout à fait faux. C’est la charité qui nous fait prier pour autrui, nous l’avons dits. Plus parfaite est la charité des saints qui sont au ciel, plus ils prient pour les pèlerins terrestres que peuvent aider leurs prières. Plus aussi ils sont unis à Dieu, plus leurs prières sont efficaces. Car l’ordre divin veut que l’excellence des êtres supérieurs rayonne sur ce qui est au-dessous d’eux, comme la clarté du soleil se répand dans l’air. Ainsi est-il dit du Christ (He 7, 25) : “ Il s’approche de Dieu pour intercéder en notre faveur. ” Et S. Jérôme dit en ce sens : “ Si les Apôtres et les martyrs prient pour les autres alors qu’ils vivent encore ici-bas, où ils doivent encore se soucier d’eux-mêmes, combien plus après leurs victoires, leurs couronnes et leurs triomphes. ”

Solutions :

1. Aux saints du ciel, puisqu’ils sont bienheureux, rien ne manque, sinon la glorification du corps, objet de leur prière. Mais ils prient pour nous qui sommes privés encore de la béatitude, notre perfection dernière. Leurs prières sont efficaces pour nous l’obtenir, grâce aux mérites acquis par eux et agréables à Dieu.

2. Les saints obtiennent ce que Dieu veut réaliser par le moyen de leurs prières. Et ils demandent ce qu’ils estiment devoir dépendre de leurs prières selon la volonté de Dieu.

3. Ceux qui sont au purgatoire, bien que supérieurs à nous par leur impeccabilité, sont en état d’infériorité si l’on considère les peines qu’ils souffrent. A ce point de vue, ils ne sont pas en état de prier, mais plutôt que l’on prie pour eux.

4. Dieu veut que les êtres inférieurs soient aidés par tout ce qui leur est supérieur. C’est pourquoi il faut prier non seulement les plus grands saints, mais aussi les moindres. Sinon il ne faudrait implorer miséricorde que de Dieu seul. Il arrive parfois que l’invocation d’un moindre saint ait plus d’efficacité, soit qu’on l’implore avec plus de dévotion, soit que Dieu veuille montrer sa sainteté.

5. Parce que c’est durant leur vie que les saints ont mérité de pouvoir maintenant prier pour nous, nous les invoquons sous les noms qu’ils portaient ici-bas et qui nous les font connaître. C’est aussi pour suggérer la foi en la résurrection : “ je suis le Dieu d’Abraham ” (Ex 3, 6).

 

 

            Article 12 — La prière doit-elle être vocale ?

Objections :

1. Il apparat que non, car la prière, on l’a dit, s’adresse principalement à Dieu. Or Dieu comprend le langage du cœur. Donc la prière vocale est inutile.

2. Par la prière, l’âme de l’homme doit monter vers Dieu, nous l’avons dit. Or les paroles retardent l’essor de la contemplation, comme les autres objets sensibles. Il ne faut donc pas user de paroles dans la prière.

3. La prière doit être présentée à Dieu dans le secret, dit le Seigneur (Mt 6, 6) : “ Lorsque tu pries, entre dans ta chambre, ferme la porte et prie ton Père dans le secret. ” Mais par la voix la prière devient publique. Elle ne doit donc être aucunement vocale.

En sens contraire, on dit dans le Psaume (142, 2) : “ A pleine voix je crie vers le Seigneur ! A pleine voix je supplie le Seigneur ! ”

Réponse :

Il y a deux sortes de prière : la prière communautaire et la prière individuelle. La première est celle que les ministres de l’Église offrent à Dieu en tenant la place de tout le peuple fidèle. Il faut donc qu’elle soit connue de tout le peuple, puisqu’elle est faite à sa place. Ce ne serait pas possible si elle n’était pas vocale. On a donc institué avec raison que les ministres de l’Église prononceraient même ces prières à haute voix, pour qu’elles puissent parvenir à la connaissance de tous.

La prière individuelle est celle que chacun offre en son nom propre, pour soi-même ou pour autrui. Elle ne requiert pas nécessairement une expression vocale. On y adjoint pourtant des paroles pour trois raisons. 1° C’est un moyen d’exciter intérieurement la dévotion, par laquelle l’âme s’élève à Dieu dans la prière. En effet, par ces signes extérieurs, l’âme est amenée à connaître et, par suite, à aimer. Ce qui fait dire à S. Augustin : “ Excitons-nous plus vivement par la parole et les autres signes, pour accroître en nous le saint désir. ” Dans la prière individuelle, il faudra donc user de paroles et de signes analogues, dans la mesure où cela contribue à éveiller la vie intérieure. Mais si cela distrait ou paralyse notre âme, il faut y renoncer. C’est surtout le cas de ceux qui n’ont pas besoin de ces signes pour être disposés à la dévotion, ce qui fait dire dans le Psaume (27, 8) : “ Mon cœur t’a parlé, mon visage t’a cherché. ” Et nous lisons (1 S 1, 13) qu’Anne “ parlait dans son cœur ”. - 2° C’est une manière de rendre à Dieu son dû parce qu’alors l’homme emploie à le servir tout ce qu’il tient de lui, son esprit, mais aussi son corps. Cela convient surtout à la prière dans son rôle de satisfaction selon Osée (14, 3) : “ Enlève toute faute, reçois ce que nous avons de bon, et nous offrirons le sacrifice de nos lèvres. ” - 3° Enfin la prière devient vocale par une sorte de rejaillissement de l’âme sur le corps, sous la véhémence du sentiment, selon le Psaume (16, 9) : “ Mon cœur s’est réjoui, et ma langue a exulté. ”

Solutions :

1. La prière s’exprime en paroles non pour manifester à Dieu ce qu’il ignore, mais pour entraîner à lui l’âme de celui qui prie, ou celle des autres.

2. Les paroles étrangères distraient l’âme et entravent la dévotion, mais celles qui se rapportent à la piété soulèvent les âmes, surtout peu dévotes.

3. Voici ce qu’en dit S. Jean Chrysostome : “ Le Seigneur défend de prier en public dans le dessein de se faire voir du public. Celui qui prie ne doit rien faire d’étrange qui le fasse remarquer ; ni crier ni se frapper la poitrine, ni étendre les mains. ” Comme dit S. Augustin : “ Il est mauvais non pas d’être vu par les hommes, mais d’agir ainsi pour être vu. ”

 

 

            Article 13 — L’attention est-elle requise pour la prière ?

Objections :

1. Elle semble nécessaire, car le Seigneur a dit (Jn 4, 24) : “ Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et vérité. ” Mais on ne prie pas en esprit si l’on n’est pas attentif. L’attention est donc nécessaire à la prière.

2. La prière est une élévation de l’esprit vers Dieu. Mais quand la prière n’est pas attentive, l’esprit ne monte pas vers Dieu.

3. Il est nécessaire à la prière d’être exempte de tout péché. Or il y a péché à laisser son esprit vagabonder lorsque l’on prie ; car on semble se moquer de Dieu, comme si l’on parlait à quelqu’un sans faire attention à ce que l’on dit, selon S. Basile : “ N’implorons pas le secours divin avec nonchalance, l’esprit errant ici et là ; loin d’obtenir ce qu’on demande, c’est bien plutôt ainsi qu’on irrite Dieu. ” Donc il est nécessaire que la prière soit attentive.

En sens contraire, les saints eux-mêmes éprouvent parfois en priant le vagabondage de l’esprit. “ Mon cœur m’a délaissé ”, dit le Psalmiste (40, 13).

Réponse :

La question se pose surtout pour la prière vocale. Pour la résoudre il faut savoir que “ nécessaire ” s’entend de deux façons : On peut l’entendre de ce qui permet de mieux atteindre sa fin ; en ce sens l’attention est absolument nécessaire à la prière. - Mais ce mot désigne aussi ce sans quoi une réalité n’obtient pas son effet. Or les effets de la prière sont au nombre de trois. Le premier est commun à tous les actes informés par la charité : c’est le mérite. Pour l’obtenir il n’est pas nécessaire que l’attention accompagne la prière d’un bout à l’autre, mais le dynamisme de l’intention initiale rend méritoire l’ensemble de la prière, comme cela se produit pour les autres actes méritoires. Le deuxième effet est propre à la prière : c’est d’obtenir ce qu’on y demande. Là encore il suffit de l’intention première que Dieu regarde principalement. Si elle manque, la prière ne comporte ni mérite ni efficacité pour obtenir. Car Dieu, dit S. Grégoire, n’écoute pas la prière qu’on fait sans s’appliquer. La prière a un troisième effet, qu’elle produit dans l’âme par sa présence même. C’est une certaine réfection spirituelle qui, elle, requiert nécessairement une prière attentive. Comme dit S. Paul (1 Co 14, 14) : “ Si ma langue seule prie, mon esprit ne recueille aucun fruit. ”

On remarque cependant qu’on peut donner à la prière vocale trois sortes d’attention. 1° On peut prêter attention aux mots eux-mêmes pour ne pas se tromper. 2° Ensuite au sens des mots. 3° A ce qui est la fin de la prière, c’est-à-dire à Dieu et à l’objet de la demande ; c’est la plus nécessaire. Elle est à la portée même des gens sans instruction, et parfois cet élan spirituel qui nous porte vers Dieu est si fort qu’on en oublie tout le reste, dit Hugues de Saint-Victor.

Solutions :

1. Il prie bien “ en esprit et vérité ”, celui qui s’est mis en prière à l’instigation de l’Esprit, même si dans la suite, par faiblesse, il laisse son esprit vagabonder.

2. La faiblesse naturelle de l’esprit humain ne lui permet pas de demeurer longtemps dans les hauteurs. Le poids de la faiblesse humaine ramène l’âme à des régions plus basses, et l’esprit qui dans la prière était monté vers Dieu par la contemplation, se trouve soudain errant à l’aventure par suite de notre fragilité.

3. Si c’est de propos délibéré que l’esprit vagabonde dans la prière, c’est un péché qui entrave son résultat. Pour combattre ce défaut, S. Augustin recommande : “ Lorsque vous priez Dieu par des psaumes et des hymnes, méditez dans votre cœur ce que prononce votre bouche. ” Mais la distraction involontaire n’enlève pas le fruit de la prière, dit S. Basile : “ Si, affaibli par le péché, tu ne peux te fixer dans la prière, Dieu te pardonnera ; car ce n’est pas par négligence, mais par fragilité que tu ne peux, comme il faudrait, demeurer en sa présence. ”

 

 

            Article 14 — La prière doit-elle être prolongée ?

Objections :

1. Non, car on lit en S. Matthieu (6, 7) : “ Quand vous priez, ne parlez pas beaucoup. ” Mais celui qui prie longtemps doit beaucoup parler, surtout s’il s’agit d’une prière vocale. Donc la prière ne doit pas être de longue durée.

2. La prière expose notre désir. Mais le désir est d’autant plus saint qu’il se restreint à un unique objet, selon le Psaume (27, 4) : “ je n’ai demandé qu’une seule chose au Seigneur, et je la recherche. ” La prière sera donc d’autant plus agréable à Dieu qu’elle sera plus courte.

3. Il semble interdit de dépasser les limites fixées par Dieu, surtout, en ce qui concerne le culte divin selon l’Exode (19, 21) : “ Fais au peuple une défense expresse, pour qu’il ne cherche pas à voir le Seigneur en franchissant les bornes prescrites et que le plus grand nombre ne périsse pas. ” Mais Dieu a déterminé les limites de notre prière en instituant l’oraison dominicale. Il n’est donc pas permis de prolonger au-delà notre prière.

En sens contraire, il apparaît que l’on doit prier sans arrêt, car le Seigneur nous dit (Lc 18, 1) : “ Il faut toujours prier sans se décourager. ” Et S. Paul (1 Th 5, 17) : “ Priez sans relâche. ”

Réponse :

Nous pouvons envisager la prière soit en elle-même, soit dans sa cause. Celle-ci n’est autre que le désir de charité. Ce désir doit, en nous, être continu, qu’il soit actuel ou virtuel ; car sa vertu demeure dans tout ce que nous faisons par charité, et nous devons, dit S. Paul (1 Co 10, 31), faire tout pour la gloire de Dieu. A ce point de vue on doit parler d’une prière continuelle, S. Augustin le dit : “ Dans la foi et la charité, le désir incessant nous fait prier toujours. ”

Mais à considérer la prière en elle-même, on voit qu’elle ne peut être continuelle, car d’autres occupations nous réclament. “ Nous fixons donc, explique S. Augustin des heures et des temps déterminés pour exprimer vocalement à Dieu nos prières, afin de nous tenir avertis par ces signes sensibles ; dans la mesure où nous progresserons dans ce désir, nous en prendrons conscience, et nous l’exciterons plus vivement en nous. ” Mais toute chose doit se proportionner à sa fin : ainsi la dose au remède. Il convient donc que la prière dure aussi longtemps qu’il est utile pour exciter la ferveur du désir. Lorsqu’elle dépasse cette mesure, au point de ne pouvoir continuer sans ennui, il ne faut pas la prolonger. “ On dit que les moines d’Égypte, écrit S. Augustin dans la même lettre, avaient des prières fréquentes, mais très courtes, rapides comme des flèches, afin que cette vigilance toujours en arrêt, si nécessaire à celui qui prie, ne se dissipe et ne s’émousse en des attentes prolongées. Ils nous montrent aussi par là que cette tension intérieure, comme elle ne doit pas être forcée si elle ne peut durer, ne doit pas non plus être aussitôt rompue quand elle est prête à se prolonger. ” Cette règle de conduite exige que si, dans la prière individuelle, on doit se proportionner à l’élan intérieur de la personne qui prie, de même dans la prière communautaire on doit se proportionner à la dévotion du peuple.

Solutions :

1. S. Augustin nous répond : “ Ce n’est pas parler beaucoup que prier longtemps. Autre chose est l’abondance des discours, autre chose le prolongement du désir. Du Seigneur il est écrit qu’il passait la nuit en prière, qu’il prolongeait sa prière, pour nous donner l’exemple. ” Et plus loin S. Augustin ajoute : “ Rejetez de la prière la multiplicité des paroles, mais non celle des supplications, pourvu que votre désir demeure tendu avec ferveur ; car parler beaucoup, c’est dans la prière traiter du nécessaire avec des mots inutiles. La plupart du temps, il s’agit de gémissements plus que de discours. ”

2. Le prolongement de la prière ne consiste pas à demander beaucoup de choses, mais à s’attacher de façon continue à en désirer une seule.

3. Le Seigneur n’a pas institué cette prière pour nous obliger à n’employer que ces paroles. Il a voulu nous indiquer les seuls objets que notre prière doit viser à obtenir, que nous les exprimions ou y pensions de n’importe quelle manière.

4. On prie continuellement soit du fait de la continuité du désir, nous venons de le dire ; soit parce qu’on ne manque pas de prier aux moments fixés ; soit à raison de l’efficacité de la prière, ou bien chez le priant qui demeure plus dévot même après la prière ; soit encore chez un autre, par exemple si par vos bienfaits vous l’invitez à prier pour vous, alors que vous-même avez fini de prier.

 

 

            Article 15 — La prière est-elle méritoire ?

Objections :

1. Il semble que non, car tout mérite vient de la grâce. Mais la prière précède la grâce, car la grâce elle-même s’obtient par la prière, selon S. Luc (11, 13) : “ Votre Père du ciel donnera l’Esprit Saint à ceux qui le demandent. ” La prière n’est donc pas un acte méritoire.

2. Si la prière peut mériter quelque chose, c’est surtout semble-t-il ce qu’elle demande. Or elle ne le mérite pas toujours, car souvent les prières, même celles des saints, ne sont pas exaucées. Ainsi S. Paul n’a pas été exaucé, alors qu’il demandait que s’éloigne de lui l’aiguillon de sa chair (2 Co 12, 18). La prière n’est donc pas un acte méritoire.

3. La prière s’appuie surtout sur la foi selon S. Jacques (1, 6) : “ Qu’il demande dans la foi, sans nulle hésitation. ” Mais la foi est insuffisante pour mériter, comme on voit chez ceux qui ont la foi informe. La prière n’est donc pas un acte méritoire.

En sens contraire, sur le texte du Psaume (35, 13) : “ Ma prière revenait dans mon sein ”, la Glose écrit : “ Bien qu’elle ait été inutile pour eux, je ne suis pas privé de ma récompense. ” Or la récompense n’est due qu’au mérite. La prière est donc méritoire.

Réponse :

On a dit plus haut que la prière, outre son effet présent de consolation spirituelle, a, relativement à l’avenir, une double efficacité : de mérite et d’impétration. Il en va de la prière comme de tout autre acte vertueux : elle tient sa valeur méritoire de la charité dont elle est issue, car celle-ci a pour objet propre le bien éternel, dont nous méritons d’avoir la jouissance. Cependant la prière procède de la charité par l’intermédiaire de la religion, dont la prière est l’acte, nous l’avons dit ; d’autres vertus l’accompagnent encore, qui sont requises à la bonté de la prière : l’humilité et la foi. C’est à la religion en effet de présenter la prière à Dieu ; tandis que la charité nous fait désirer ce dont elle demande l’accomplissement. Quant à la foi, elle est exigée par le fait que nous nous adressons à Dieu ; pour le prier nous devons croire que nous pouvons obtenir de lui ce que nous demandons. D’autre part l’humilité est nécessaire à celui qui prie, car il reconnaît son indigence. La dévotion est également nécessaire, mais elle tient à la religion, dont elle est l’acte primordial, nécessaire à tous ceux qui en découlent, nous l’avons dit plus haut.

Quant à l’efficacité d’impétration, la prière la tient de la grâce de Dieu que nous prions et qui nous induit à prier. Comme dit S. Augustin : “ Il ne nous encouragerait pas à demander s’il ne voulait pas donner ”, et S. Jean Chrysostome : “ Il ne refuse jamais ses bienfaits à qui le prie, celui qui, pour qu’on ne cesse point de prier, nous y pousse dans sa miséricorde. ”

Solutions :

1. Sans la grâce sanctifiante la prière n’est pas méritoire, non plus que les autres actes vertueux. Cependant la prière qui obtient la grâce sanctifiante procède elle-même d’une certaine grâce, comme d’un don gratuit ; car prier, “ c’est un don de Dieu ”, dit S. Augustin.

2. Le mérite de la prière est parfois relatif principalement à tout autre chose que ce qu’on demande : son objet majeur est en effet la béatitude, et la prière étend parfois directement sa demande à d’autres objets, comme nous l’avons montré. Si ce qu’on demande ainsi pour soi-même n’est d’aucune utilité pour la béatitude, on ne le mérite pas. Il arrive même qu’à le demander et à le désirer, on perde tout mérite, par exemple si l’on demandait à Dieu l’accomplissement d’un péché, prière sans piété. Parfois cependant il s’agit d’une chose inutile à notre salut, sans qu’elle lui soit manifestement contraire. En ce cas, bien que cette prière puisse nous mériter la vie éternelle, on ne mérite pas d’obtenir ce qu’on demande. Aussi S. Augustin dit-il : “ Lorsque nous supplions Dieu avec foi, pour obtenir des choses nécessaires à cette vie, c’est la miséricorde qui nous exauce, et la miséricorde encore qui se refuse à nous exaucer, car le médecin sait mieux que le malade ce qui est utile à sa faiblesse. ” Voilà pourquoi S. Paul ne fut pas exaucé lorsqu’il demandait que Dieu éloigne de sa chair l’aiguillon, parce que cela ne lui était pas avantageux. Mais si ce qu’on demande est utile à la béatitude, parce que cela concerne notre salut, on le mérite non seulement par la prière, mais encore par d’autres bonnes œuvres. C’est pourquoi on reçoit infailliblement ce qu’on a demandé, mais au moment où on doit le recevoir. “ Il y a des demandes que Dieu ne refuse pas, mais qu’il fait attendre pour les exaucer au bon moment ”, dit S. Augustin. Toutefois, cet accomplissement peut être empêché, si l’on ne persévère pas à le demander, ce qui fait dire à S. Basile : “ Quand vous demandez sans recevoir, c’est que vous demandez ce qu’il ne faut pas, ou bien sans foi, avec légèreté, ou ce qui ne vous était pas utile, ou sans persévérance. ” En effet, on ne peut mériter en justice la vie éternelle pour autrui, comme nous l’avons dit précédemment’. C’est pourquoi, par voie de conséquence, on ne le peut pas non plus pour ce qui se rapporte à la vie éternelle. C’est pourquoi on n’est pas toujours exaucé lorsque l’on prie pour un autre, comme nous l’avons dit plus haut.

Il y a donc quatre conditions dont la réunion fait qu’on obtient toujours ce qu’on demande. Il faut demander pour soi, ce qui est nécessaire au salut, avec piété et avec persévérance.

3. Si la prière s’appuie principalement sur la foi, ce n’est pas pour y trouver son efficacité méritoire car pour cela elle s’appuie sur la charité, mais c’est pour obtenir l’efficacité d’impétration. En effet, la foi nous révèle la toute-puissance et la miséricorde divines, de qui notre prière obtient ce qu’elle demande.

 

 

            Article 16 — La prière est-elle efficace pour obtenir ce qu’on demande ?

Objections :

1. Il semble que les pécheurs n’obtiennent rien de Dieu par la prière, car il est dit en S. Jean (9, 31) : “ Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs. ” Et cela s’accorde avec le livre des Proverbes (28, 9) : “ Celui qui, pour ne pas entendre la loi, se bouche les oreilles, sa prière est maudite. ” Donc, la prière des pécheurs n’obtient rien de Dieu.

2. Les justes obtiennent de Dieu ce qu’ils méritent, nous venons de le voir. Mais les pécheurs ne peuvent rien mériter, car ils n’ont pas la grâce, ni davantage la charité qui est “ la vertu de la piété ”, dit la Glose sur le texte de S. Paul (2 Tm 3, 5) : “ Ils ont les dehors de la piété, mais ils rejettent la vertu qui la donne. ” Ils ne prient donc pas avec piété, ce qui est nécessaire pour obtenir ce qu’on demande, nous l’avons dit. Ils n’obtiennent donc rien par la prière.

3. “ Le Père n’exauce pas volontiers la prière que le Fils n’a pas dictée ”, dit Chrysostome. Or, dans la prière enseignée par le Christ, il est dit : “ Remets-nous nos dettes comme nous les remettons nous-mêmes à nos débiteurs ”, ce que ne font pas les pécheurs. Donc, ou bien ils mentent en parlant ainsi, et se rendent indignes d’être exaucés ; ou bien, s’ils ne le disent pas, ils ne sont pas exaucés puisqu’ils ne suivent pas le modèle de prière donné par le Christ.

En sens contraire, S. Augustin nous dit : “ Si Dieu n’exauçait pas les pécheurs, c’est en vain que le publicain aurait demandé : "Seigneur, prends pitié du pécheur que je suis." ” Et S. Jean Chrysostome : “ Quiconque demande reçoit, qu’il soit juste ou pécheur. ”

Réponse :

Deux choses sont à considérer chez le pécheur : la nature, que Dieu aime, et le péché, qu’il déteste. Si dans sa prière c’est le pécheur comme tel qui demande, c’est-à-dire en suivant son désir du péché, Dieu ne l’écoute pas, par miséricorde. Mais parfois aussi il est exaucé pour son châtiment, lorsque Dieu permet qu’il se précipite encore davantage dans le péché. “ Il y a des choses que Dieu refuse par bonté, et qu’il accorde par colère ”, dit S. Augustin. Mais quand le pécheur prie sous l’inspiration d’un bon désir de la nature, Dieu l’exauce, non par justice car le pécheur ne le mérite pas, mais par pure miséricorde ; pourvu toutefois que soient sauvées les quatre conditions énumérées plus haut : demander Pour soi-même, les biens nécessaires au salut, avec piété et avec persévérance.

Solutions :

1. Cette parole, explique S. Augustin, fut prononcée par l’aveugle avant l’onction, c’est-à-dire alors qu’il était imparfaitement éclairé. Elle n’a donc pas valeur définitive. On pourrait toutefois l’accepter comme vraie si on l’entendait du pécheur comme pécheur. C’est aussi en ce sens que la prière du pécheur est qualifiée de maudite.

2. Le pécheur ne peut prier avec piété, si on l’entend de l’habitus vertueux qui doit informer sa prière. Mais sa prière peut être pieuse par son objet conforme à la piété, de même que, sans avoir l’habitus de justice, on peut vouloir quelque chose de juste, nous l’avons montré. Cette prière n’est pas méritoire, mais elle peut fort bien être exaucée, car le mérite est fondé en justice, mais l’impétration est fondée sur la grâce de Dieu.

3. Comme nous l’avons dit l’oraison dominicale est prononcée en la personne de l’Église entière. Aussi, celui qui la prononce en refusant de remettre les dettes à son prochain, ne ment pas, car s’il ne dit pas la vérité quant à sa personne, ce qu’il dit est vrai en la personne de l’Église. Mais il est hors de celle-ci par son fait, et cela rend sa prière infructueuse. Il arrive cependant que des pécheurs soient prêts à remettre à leurs débiteurs, et leurs prières sont alors exaucées, conformément à ces paroles de l’Ecclésiastique (28, 2) : “ Pardonne au prochain qui t’a nui, et tes péchés seront remis à ta prière. ”

 

 

            Article 17 — Les différentes espèces de prière

Objections :

1. Il ne semble pas adéquat de donner comme parties de la prière les obsécrations, les prières, les postulations et les actions de grâce. En effet, l’obsécration est une sorte d’adjuration. Mais d’après Origène “ celui qui veut vivre selon l’Évangile ne doit adjurer personne ; il n’est pas plus permis d’adjurer que de jurer ”. Il ne convient donc pas de ranger l’obsécration parmi les parties de la prière.

2. La prière est selon le Damascène “ la demande à Dieu de ce qui convient ”. C’est donc à tort qu’on distingue prière et postulation.

3. L’action de grâce regarde le passé, les autres actes concernent l’avenir. Mais le passé précède l’avenir. L’action de grâce n’est donc pas à sa place au terme de l’énumération.

En sens contraire, il y a l’autorité de S. Paul (1 Tm 2, 1).

Réponse :

Trois conditions sont requises à la prière : 1° S’approcher de Dieu que l’on prie. C’est ce que signifie le mot “ prière ”, puisqu’il désigne l’élévation de l’esprit vers Dieu. 2° Il faut aussi demander : ce qu’exprime le mot “ postulation ”. Si c’est une demande déterminée, c’est pour certains la “ postulation ” proprement dite ; si elle reste indéterminée, comme lorsqu’on demande l’aide de Dieu, ils la nomment “ supplication ”, et si l’on se contente d’exposer un fait comme par exemple : “ Celui que tu aimes est malade ” (Jn 11, 3), ils l’appellent “ insinuation ”. 3° Il faut enfin un motif d’obtenir ce qu’on demande, et on le prend du côté de Dieu et du côté de celui qui prie. Du côté de Dieu, c’est sa sainteté, à raison de quoi nous demandons d’être exaucé selon Daniel (9, 18) : “ Prête l’oreille, Seigneur... en raison de tes grandes miséricordes. ” C’est le rôle de l’“ obsécration ” qui implore au nom de réalités saintes, comme nous disons dans les litanies : “ Par ta naissance délivre-nous, Seigneur. ” Du côté de l’homme, la raison qu’il peut avoir d’obtenir ce qu’il demande, c’est l’“ action de grâce ” : “ En rendant grâce pour les bienfaits reçus, puissions-nous en recevoir de plus grands ”, dit une oraison du missel.

Nous retrouvons ces distinctions dans les explications de la Glose sur le texte de Paul “ A la messe la consécration est précédée par des .obsécrations" qui sont un rappel des réalités saintes. La "prière" consiste dans la consécration même, moment où l’esprit doit le plus s’élever vers Dieu. On trouve les "postulations" dans les demandes qui suivent, et les "actions de grâce" à la fin. ” - On peut également remarquer ces quatre éléments dans bon nombre d’oraisons de l’Église. Par exemple celle de la fête de la Trinité, les mots : “ Dieu éternel et tout-puissant ” représentent l’élévation de la prière vers Dieu ; les mots : “ qui as donné à tes serviteurs ” constituent l’action de grâce ; “ accorde, nous le demandons... ” exprime la postulation ; et cette formule finale : “ Par Jésus Christ Notre Seigneur... ” renferme l’obsécration.

On lit, il est vrai, dans les Conférences des Pères “ L’obsécration est l’imploration pour nos péchés ; la prière consiste dans les vœux qu’on fait à Dieu ; la postulation désigne les demandes qu’on fait pour autrui. ” Mais la première explication est meilleure.

Solutions :

1. C’est l’adjuration par mode de contrainte qui est défendue ; non l’obsécration qui implore miséricorde.

2. La prière en son acception la plus générale inclut tout ce qu’on vient de dire. Mais comme élément distinct elle est proprement l’élévation vers Dieu.

3. Lorsque les événements sont divers, le passé précède l’avenir. Mais un seul et même événement est futur avant d’être passé. C’est pourquoi l’action de grâce pour certains bienfaits précède la demande d’autres bienfaits. Mais s’il s’agit d’un même bienfait on commence par le demander, puis l’ayant reçu on en rend grâce. Par ailleurs la postulation est précédée de la prière, qui nous fait aborder celui à qui nous demandons ; et la prière elle-même suit l’obsécration qui, nous faisant considérer la bonté divine, nous donne la hardiesse de l’approcher.

LES ACTES EXTÉRIEURS DE LATRIE

Ce sont : 1°. L’adoration où l’on vénère Dieu par son corps (Q. 84). - 2°. Les actes par lesquels on offre à Dieu quelque chose de ses biens extérieurs (Q. 85-88). - 3°. Les actes dans lesquels on emploie des réalités divines (Q. 89-91).

 

 

QUESTION 84 — L’ADORATION

1. Est-elle un acte de latrie ? - 2. Implique-t-elle un acte intérieur, ou extérieur ? - 3. Requiert-elle un lieu déterminé ?

 

 

            Article 1 — L’adoration est-elle un acte de latrie ?

Objections :

1. Il ne semble pas que l’adoration soit un acte de latrie ou de religion. En effet, le culte religieux n’est dû qu’à Dieu. Mais l’adoration ne lui est pas réservée : Abraham adora les anges (Gn 18, 2), et on lit que le prophète Nathan, paraissant devant le roi David, “ l’adora, prosterné à terre ” (1 R 1, 23).

2. Nous devons à Dieu le culte de religion, selon S. Augustin parce que nous trouvons en lui notre béatitude. Tandis que l’adoration lui est due en raison de sa majesté. Sur le texte : “ Adorez le Seigneur dans son sanctuaire ” (Ps 96, 9), la Glose dit : “ De ces parvis on vient au sanctuaire où l’on adore sa Majesté. ” L’adoration n’est donc pas un acte de latrie.

3. La religion honore d’un culte unique les trois personnes divines. L’adoration manque à cette loi, car nous fléchissons le genou au nom de chacune d’elles. Elle n’est donc pas un acte de latrie.

En sens contraire, on trouve cité en Matthieu (4, 10) : “ Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et ne serviras que lui. ”

Réponse :

L’adoration a pour but d’honorer celui qui en est l’objet. Or nous avons dit qu’il appartient en propre à la religion de témoigner à Dieu le respect qui lui est dû. L’adoration qu’on lui rend est donc l’acte de cette vertu.

Solutions :

1. Nous devons révérer Dieu pour son excellence. Si celle-ci est communiquée à certaines créatures, ce n’est jamais à titre d’égalité, mais de simple participation. La vénération dont nous vénérons Dieu ressortit à la latrie, et elle est différente de celle que nous adressons à certaines créatures éminentes, qui ressortit à la dulie, dont il sera traité plus loin. Et parce que nos actions extérieures sont les signes de notre révérence intérieure, certains de ces signes sont accordés à des créatures éminentes. L’adoration est le plus élevé de ces signes. Mais il y a quelque chose qu’on réserve absolument à Dieu, c’est le sacrifice. “ Bien des rites ont été empruntés au culte divin, dit S. Augustin. pour servir à honorer les hommes par un excès de bassesse ou une flatterie pernicieuse. Jamais toutefois on n’a cessé de tenir pour des hommes ceux qu’on déclare honorer, vénérer, et par un dernier excès, adorer. Mais qui a jamais eu l’idée d’offrir des sacrifices à un autre qu’à celui que l’on sait, que l’on croit, ou que l’on imagine être Dieu ? ”

C’est comme expression de la révérence due aux créatures éminentes que Nathan adora David. Mais à cause du respect dû à Dieu, Mardochée refusa d’adorer Aman, “ craignant de reporter sur un homme la gloire de Dieu ” (Est 13, 14 Vg). De même, c’est en raison de la révérence due à une créature excellente qu’Abraham adora des anges ; de même Josué (5, 14). A moins qu’on ne l’entende d’une adoration de latrie rendue à Dieu qui se manifestait et parlait sous la forme d’un ange. Mais selon la révérence qui est due à Dieu, il fut interdit à S. Jean d’adorer un ange (Ap 22, 9). C’était pour montrer la dignité conférée à l’homme par le Christ, et qui l’égale aux anges : “ je suis serviteur comme toi et tes frères ”, dit l’ange à S. jean. C’était aussi pour exclure le péril d’idolâtrie, car il ajoute : “ Adore Dieu. ”

2. Par la majesté de Dieu on entend toute la plénitude de son excellence, par laquelle nous trouvons notre béatitude en lui comme en notre souverain Bien.

3. Parce que l’excellence des trois Personnes est unique, un même honneur et une unique révérence leur sont dus, et par suite une seule adoration. C’est ce qu’illustre l’histoire d’Abraham : alors que trois anges lui apparaissent, c’est un seul qu’il adore en lui disant : “ Seigneur, si j’ai trouvé grâce... ” Quant aux trois génuflexions., elles signifient le nombre des Personnes, mais non une diversité dans l’adoration.

 

 

            Article 2 — L’adoration implique-t-elle un acte intérieur, ou extérieur ?

Objections :

1. Il semble que l’adoration n’implique pas un acte corporel. En effet, “ les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité ”, (Jn 4, 23). Or ce qui se fait en esprit n’implique aucun acte corporel.

2. “ Adoration ” vient de oratio, prière ; et la prière consiste principalement en un acte intérieur selon S. Paul (1 Co 14, 15) : “ Je prierai par l’esprit, je prierai par l’âme. ” L’adoration implique donc surtout un acte spirituel.

3. Les actes corporels ont rapport à la connaissance sensible. Or nous n’atteignons pas Dieu par les sens, mais par l’esprit. Donc l’adoration ne comporte pas d’acte corporel.

En sens contraire, sur le texte de l’Exode (20, 5) : “ Vous ne les adorerez ni ne les honorerez ”, la Glose explique : “ Vous n’honorerez pas dans votre cœur, vous n’adorerez pas extérieurement. ”

Réponse :

Comme dit S. Jean Damascène “ Parce que nous sommes composés de deux natures, intellectuelle et sensible, nous offrons à Dieu une double adoration. ” L’une est spirituelle et consiste dans l’intime dévotion de l’esprit ; l’autre est corporelle parce qu’elle consiste en l’abaissement extérieur du corps. Parce que, dans tous les actes de religion, l’extérieur est relatif à l’intérieur comme à ce qui est au principe, l’adoration extérieure est faite en vue de l’adoration intérieure. Les signes d’humilité présentés par le corps excitent notre cœur à se soumettre à Dieu, le sensible étant pour nous le moyen naturel d’accéder à l’intelligible.

Solutions :

1. Même l’adoration corporelle s’accomplit en esprit quand elle naît de la dévotion spirituelle, et s’ordonne à la promouvoir.

2. La prière est sans doute dans l’esprit à titre primordial, mais elle s’exprime secondairement par des paroles, nous l’avons dit plus haut. De même l’adoration consiste principalement en la révérence intérieure envers Dieu, et secondairement en signes corporels d’humilité ; ainsi en fléchissant le genou nous exprimons notre faiblesse devant Dieu ; prosternés, nous protestons que nous ne sommes rien nous-mêmes.

3. Nous ne pouvons pas atteindre Dieu par les sens, mais les signes sensibles provoquent notre âme à se porter vers lui.

 

 

            Article 3 — L’adoration requiert-elle un lieu déterminé ?

Objections :

1. Il semble que non. Car notre Seigneur dit en S. Jean (4, 21) : “ L’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. ” Donc un lieu déterminé n’est pas requis pour l’adoration.

2. L’acte extérieur d’adoration est ordonné à l’acte intérieur. Mais celui-ci s’adresse à Dieu en tant qu’il existe partout. Donc aucun endroit déterminé n’est exigé pour l’adoration extérieure.

3. C’est le même Dieu que l’on adore sous l’Ancien et le Nouveau Testament. Or dans l’ancienne alliance on adorait tourné vers l’occident, puisque la porte du tabernacle faisait face à l’orient, d’après l’Exode (26, 22-27). C’est donc du côté de l’occident qu’on devrait maintenant adorer Dieu, s’il était vrai qu’un lieu déterminé est requis à l’adoration.

En sens contraire, il y a cette parole d’Isaïe (56, 7), citée en S. Luc (19, 46) : “ Ma maison est une maison de prière. ”

Réponse :

Comme on vient de le dire, le principal dans l’adoration, c’est la dévotion intérieure de l’âme. Tout ce qu’elle comporte extérieurement de signes corporels est secondaire. Intérieurement l’esprit conçoit Dieu hors de toute limite de lieu. Mais les gestes significatifs de notre corps doivent s’exercer en un lieu et emplacement déterminés. C’est pourquoi l’adoration ne requiert pas nécessairement tel ou tel lieu, comme si cette détermination était un élément principal ; c’est une question de convenance, comme d’ailleurs pour les autres signes corporels.

Solutions :

1. Ces paroles de notre Seigneur annoncent qu’on cessera d’adorer selon le rite des juifs, adorant à Jérusalem, aussi bien que des Samaritains, adorant sur le mont Garizim. L’un et l’autre rite, en effet, ont, pris fin à l’avènement de la vérité spirituelle de l’Évangile, selon laquelle “ on offre à Dieu le sacrifice en tout lieu ”, selon la prophétie de Malachie (1, 11).

2. Le choix pour nos adorations d’un lieu déterminé ne tient pas à Dieu que nous adorons, et que cet espace enfermerait, mais à nous, ses adorateurs. Trois raisons à cela. D’abord le caractère sacré du lieu ; ceux qui prient en conçoivent une dévotion particulière qui rend leurs prières plus dignes d’être exaucées comme on le voit dans l’adoration de Salomon (1 R 8). Puis les saints mystères et autres signes sacrés que ce lieu renferme. Enfin le concours d’un grand nombre d’adorateurs, qui fait exaucer plus facilement leurs prières, selon cette parole en Matthieu (18, 20) : “ Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. ”

3. C’est pour des raisons de convenance que nous adorons tournés vers l’orient. C’est d’abord à cause de la majesté divine que symbolise l’orient, où le mouvement du ciel prend son origine. Ensuite c’est là qu’était établi le paradis terrestre selon le texte des Septante (Gn 2, 8) : nous semblons ainsi vouloir y retourner. C’est enfin à cause du Christ lumière du monde qui porte le nom d’Orient (Za 6, 12) et qui “ est monté au-dessus de tous les cieux à l’Orient ” (Ps 78, 34) d’où l’on attend sa venue suprême, selon S. Matthieu (24, 27) : “ Comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’Homme. ”

Il faut étudier maintenant les actes par lesquels on offre à Dieu des biens extérieurs. D’abord les dons que les fidèles font à Dieu. Ensuite les vœux par lesquels ils lui font des promesses (Q. 88).

Sur le premier point on étudiera : 1°. Les sacrifices (Q. 85). 2°. Les oblations et les prémices (Q. 86). 3°. Les dîmes (Q. 87).

 

 

QUESTION 85 — LES SACRIFICES

1. Offrir à Dieu le sacrifice est-il de loi naturelle ? - 2. Ne faut-il offrir de sacrifice qu’à Dieu ? - 3. Offrir un sacrifice est-il un acte spécial de vertu ? - 4. Tous y sont-ils tenus ?

 

 

            Article 1 — Offrir à Dieu le sacrifice est-il deloi naturelle ?

Objections :

1. Il semble que non. Car les prescriptions du droit naturel sont communes à tous les hommes, ce qui n’est pas le cas du sacrifice. D’après l’Ecriture, certains ont offert du pain et du vin, comme Melchisédech (Gn 14, 18), ceux-ci tels animaux et ceux-là tels autres. L’oblation sacrificielle n’est donc pas de droit naturel.

2. Tous les justes ont suivi les prescriptions du droit naturel. Or on ne lit pas qu’Isaac ait offert de sacrifice, non plus qu’Adam, dont il est pourtant écrit “ que la sagesse le tira de son péché ” (Sg 10, 2). Donc l’offrande du sacrifice n’est pas de droit naturel.

3. Les sacrifices sont offerts pour leur signification, dit S. Augustin. Or, les mots qui sont, comme il le dit ailleurs, les principaux signes de la pensée ont d’après Aristote “ une signification qui n’est pas naturelle mais conventionnelle ”. Les sacrifices ne sont donc pas de loi naturelle.

En sens contraire, à toute époque et dans toutes les nations, il y a toujours eu offrande de sacrifices. Ce que l’on rencontre ainsi universellement paraît être le fait de la nature. L’offrande des sacrifices est donc de droit naturel.

Réponse :

La raison naturelle prescrit à l’homme de se soumettre à un être supérieur, à cause des déficiences qu’il éprouve en lui-même et qui le mettent dans la nécessité de recevoir aide et direction de cet être supérieur. Quel que soit cet être, il est celui à qui tous les hommes donnent le nom de Dieu. Mais, de même que dans la nature les êtres inférieurs sont naturellement soumis aux supérieurs, de même la raison naturelle prescrit à l’homme, selon son penchant inné, de rendre à qui est au-dessus de lui soumission et honneur, à sa manière. La manière de l’homme, c’est d’avoir recours pour s’exprimer aux signes sensibles, parce qu’il tire sa connaissance du sensible. C’est pour cela que la raison le porte naturellement à employer certaines choses sensibles, qu’il offre à Dieu, en signe de la sujétion et de l’honneur qu’il lui doit, à la manière dont les vassaux font des offrandes à leur suzerain pour reconnaître sa domination. C’est à cela que se rapporte la raison de sacrifice. Et c’est pourquoi l’oblation sacrificielle relève du droit naturel.

Solutions :

1. Comme on l’a dit précédemment il y a des choses qui prises en général sont de droit naturel, et dont les déterminations relèvent du droit positif. Par exemple, punir les malfaiteurs est de loi naturelle ; leur appliquer telle ou telle peine relève d’un code humain ou divin. De même, la loi naturelle prescrit de façon générale d’offrir des sacrifices, et l’accord est universel sur ce point.

Mais la détermination des sacrifices est d’institution humaine ou divine, d’où leurs différences.

2. Adam et Isaac, comme les autres justes, ont offert le sacrifice à Dieu selon qu’il convenait au temps où ils vivaient, car, dit S. Grégoire : “ Chez les anciens le péché originel était remis par l’offrande des sacrifices. ” Cependant l’Écriture ne mentionne pas tous les sacrifices des justes, mais seulement ceux qui ont comporté quelque particularité. Peut-être cependant n’a-t-on point parlé du sacrifice d’Adam pour ne pas sembler mettre en lui, avec la source du péché, celle de notre sanctification. Quant à Isaac, il préfigure le Christ, en tant que lui-même était offert en sacrifice. Il ne fallait donc pas le montrer en train d’en offrir.

3. Il est naturel aux hommes d’exprimer par des signes ce qu’ils conçoivent ; c’est la détermination de ces signes qui relève de leur convention.

 

 

            Article 2 — Ne faut-il offrir de sacrifice qu’à Dieu ?

Objections :

1. Apparemment, on ne doit pas réserver le sacrifice au Dieu souverain, car, puisqu’on doit cet hommage à sa divinité, on le doit semble-t-il à tous ceux qui y sont associés. Or, même les hommes saints “ deviennent participants de la nature divine ” selon la 2ème épître de Pierre (1, 4) ; aussi lit-on dans le Psaume (82, 6) : “ Moi, j’ai dit : "Vous êtes des dieux." ” Les anges aussi sont appelés “ fils de Dieu ”, comme le montre le livre de Job (1, 6). Donc on doit offrir le sacrifice à tous ceux-là.

2. Plus quelqu’un est haut placé, plus on doit lui rendre honneur. Mais les anges et les saints sont bien au-dessus de tous les princes de la terre. Pourtant ceux-ci reçoivent de leurs sujets, prosternés devant eux et leur offrant des présents, bien plus d’honneur que ne fait le sacrifice, où l’on offre un animal ou quelque autre chose. À plus forte raison peut-on offrir un sacrifice aux anges et aux saints.

3. Les temples et les autels sont destinés à l’offrande des sacrifices. Or on en élève en l’honneur des anges et des saints. Donc on peut leur offrir des sacrifices.

En sens contraire, il est dit dans l’Exode (22, 20) : “ Quiconque immole à d’autres dieux que le seul Seigneur véritable sera mis à mort. ”

Réponse :

Le sacrifice extérieurement offert est le signe du sacrifice intérieur, oblation spirituelle que l’âme fait d’elle-même à Dieu selon le Psaume (51, 19) : “ Le sacrifice qu’il faut à Dieu c’est l’esprit affligé. ” Car, nous l’avons dit plus haut les actes extérieurs de religion sont ordonnés aux actes intérieurs.

L’âme s’offre en sacrifice à Dieu comme au principe de sa création et à sa fin béatifiante. Or, selon la vraie foi, Dieu seul est le créateur de nos âmes, comme nous l’avons établi dans la première Partie. Et c’est en lui seul que consiste notre béatitude, nous l’avons vu. C’est pourquoi, puisque nous devons au seul souverain Bien l’offrande du sacrifice spirituel, nous devons également n’offrir qu’à lui les sacrifices extérieurs. De même “ dans la prière et la louange, nous faisons monter nos paroles vers celui à qui nous offrons en notre cœur les choses mêmes quelles signifient ”, dit S. Augustin. Nous voyons d’ailleurs, en tout Etat, observer l’usage d’honorer le chef souverain par quelque marque particulière que ce serait un crime de lèse-majesté de présenter à quelqu’un d’autre. Aussi la loi divine établit-elle la peine de mort pour tous ceux qui rendent des honneurs divins à d’autres que Dieu.

Solutions :

1. Si le nom de Dieu est communiqué à certains, ce n’est pas à titre d’égalité, mais de participation. On ne leur doit donc pas des honneurs égaux.

2. Quand on offre un sacrifice on ne considère pas le prix de l’animal immolé, mais le sens de cette action, qu’on fait en l’honneur du Maître souverain de l’univers entier. “ Les démons, dit S. Augustin aiment non pas l’odeur des victimes, mais les honneurs divins. ”

3. Comme dit S. Augustin : “ Ce n’est pas aux martyrs que nous destinons des temples et des prêtres, car ce n’est pas eux, mais leur Dieu, que nous tenons pour notre Dieu. C’est pourquoi le prêtre ne dit pas : "je t’offre ce sacrifice, Pierre ou Paul." Mais nous rendons grâce à Dieu de leurs victoires et nous nous excitons à les imiter. ”

 

 

            Article 3 — Offrir le sacrifice est-il un acte spécial de vertu ?

Objections :

1. Apparemment non, car selon S. Augustin, le vrai sacrifice est toute œuvre accomplie pour s’unir à Dieu en de tes relations. Or toute œuvre bonne n’est pas l’acte spécial d’une vertu déterminée. L’oblation du sacrifice n’est donc pas un acte spécial, attribuable à une vertu déterminée.

2. Mortifier son corps par le jeûne, c’est le fait de l’abstinence ; par la continence, cela relève de la chasteté ; par le martyre, c’est l’acte de la force. Tout cela est inclus dans l’oblation sacrificielle selon l’épître aux Romains (12, 1) : “ Offrez vos corps en sacrifice vivant. ” Et l’épître aux Hébreux (13, 16) : “ N’oubliez pas la bienfaisance et la mise en commun de vos biens : c’est par de tels sacrifices qu’on mérite devant Dieu. ” Or la bienfaisance et la communauté de biens relèvent de la charité, de la miséricorde et de la libéralité L’oblation du sacrifice n’est donc pas un acte, spécial d’une vertu déterminée.

3. Le sacrifice est ce qu’on offre à Dieu. Mais il y a bien des choses qu’on lui offre : la dévotion : la prière, les dîmes, les prémices, les oblations, les holocaustes. Donc le sacrifice ne semble pas, être un acte spécial d’une vertu déterminée.

En sens contraire, la loi donne sur les sacrifices des préceptes spéciaux, comme on le voit au début du Lévitique.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, quand l’acte d’une vertu se trouve ordonné à la fin d’une autre vertu, il en partage l’espèce d’une certaine manière. Celui qui vole afin de forniquer communique à son vol la malice de la fornication, au point que si ce n’était déjà par ailleurs un péché, cela le deviendrait de ce seul fait. Ainsi donc le sacrifice est un acte spécial, dont la bonté tient à ce qu’on l’accomplit à l’honneur de Dieu. Cela fait qu’il appartient à une vertu déterminée, la religion. Mais il arrive que les actes d’autres vertus soient également ordonnés à l’honneur divin. Par exemple on fait aumône de ses biens personnels pour Dieu, ou bien on s’inflige quelque pénitence corporelle par révérence pour Dieu. De ce point de vue, nous pourrons encore donner à ces actes de vertus différentes le nom de sacrifices. Toutefois il est des actes dont la seule valeur vient de ce qu’ils sont faits en l’honneur de Dieu. Ces actes-là sont les sacrifices proprement dits, et ils relèvent de la vertu de religion.

Solutions :

1. Le fait même de vouloir contracter avec Dieu une union spirituelle se rattache à l’honneur qu’on lui doit. C’est pourquoi tout acte vertueux prend raison de sacrifice du fait qu’on l’accomplit pour entrer en la sainte société de Dieu.

2. L’homme possède trois sortes de biens : 1° Les biens de l’âme qu’il offre à Dieu en un sacrifice intérieur, par la dévotion et la prière, et par d’autres actes intérieurs de cette sorte : c’est là le sacrifice principal. 2° Les biens du corps qu’on offre d’une certaine façon à Dieu par le martyre, l’abstinence ou la continence. 3° Les biens extérieurs dont on offre à Dieu le sacrifice directement, quand nous lui offrons immédiatement ce que nous possédons ; médiatement, quand nous en faisons part au prochain pour Dieu.

3. Il y a sacrifice proprement dit quand on accomplit quelque chose sur les biens que l’on offre à Dieu, comme était la mise à mort des animaux, ou comme est la fraction, manducation et bénédiction du pain. Le nom de “ sacrifice ” l’indique, car on parle de sacrifice là où l’on “ fait du sacré ”. Le mot “ oblation ” désigne directement l’acte d’offrir à Dieu quelque chose, même si l’on n’accomplit rien avec. Ainsi on parle d’une oblation de pain et d’argent à l’autel, sans qu’on accomplisse rien à leur égard. Tout sacrifice est donc une oblation, mais non réciproquement. Quant aux prémices, ce sont des oblations, car on les offrait à Dieu, selon le Deutéronome (26, 1-11) ; mais ce n’étaient pas des sacrifices, car elles n’étaient la matière d’aucun rite sacré. Les dîmes, à proprement parler, ne sont ni des sacrifices ni des oblations, parce qu’on ne les présente pas directement à Dieu, mais aux ministres du culte.

 

 

            Article 4 — Tous sont-ils tenus d’offrir des sacrifices ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car S. Paul écrit aux Romains (3, 19) : “ Ce que dit la loi s’adresse à ceux qui sont sous la loi. ” Or la loi sur les sacrifices n’a pas été donnée à tous, mais au seul peuple hébreu. Tout le monde n’était donc pas obligé d’offrir des sacrifices.

2. Les sacrifices sont offerts à titre de signes. Mais tout le monde ne comprend pas ce symbolisme. Donc le sacrifice n’est pas obligatoire pour tous.

3. La fonction des prêtres est dite “ sacerdotale ” précisément parce qu’ils offrent le sacrifice. Mais tous ne sont pas prêtres, ni par conséquent tenus d’offrir des sacrifices.

En sens contraire, offrir le sacrifice est de loi naturelle nous l’avons vu. Or la loi naturelle oblige tous les hommes. Tous sont donc tenus d’offrir le sacrifice à Dieu.

Réponse :

Il y a, nous l’avons dit deux sortes de sacrifices. Le premier, le principal, est le sacrifice intérieur, à quoi tous sont tenus ; car tout le monde est tenu d’offrir à Dieu une âme dévote. L’autre est le sacrifice extérieur, qui se subdivise en deux. Il y a en effet un sacrifice dont toute la valeur réside en l’oblation de biens extérieurs, faite à Dieu en témoignage de

soumission à sa divinité. L’obligation en est différente pour ceux qui sont sous la loi, ancienne ou nouvelle, et pour ceux qui ne sont pas sous la loi. Sous le régime de la loi, des sacrifices déterminés sont obligatoires conformément aux prescriptions légales. Ceux, au contraire, qui n’ont pas vécu sous la loi, étaient tenus à certains sacrifices extérieurs, qu’ils devaient faire pour honorer Dieu, en harmonie avec leur milieu. Mais ils n’étaient pas obligés à tels ou tels sacrifices déterminés. L’autre sorte de sacrifice extérieur se réalise quand on se sert des actes extérieurs des autres vertus, pour en faire hommage à Dieu. Certains de ces actes sont l’objet d’un précepte dont l’obligation est universelle ; d’autres sont surérogatoires et tous n’y sont pas tenus.

Solutions :

1. Les sacrifices déterminés par les prescriptions de la loi n’obligeaient pas tous les hommes, mais tous étaient tenus à des sacrifices intérieurs ou extérieurs, on vient de le dire.

2. Tous ne connaissent pas explicitement la vertu des sacrifices, mais du moins en ont-ils une connaissance implicite, comme ils ont une foi implicite, ainsi que nous l’avons vu précédemment.

3. Les prêtres offrent les sacrifices proprement ordonnés au culte divin, non seulement pour eux-mêmes, mais pour les autres. Mais il y a d’autres sacrifices, que chacun peut offrir à Dieu pour soi-même, nous l’avons montré ci-dessus.

 

 

QUESTION 86 — LES OBLATIONS ET PRÉMICES

1. Certaines oblations sont-elles imposées par précepte ? - 2. A qui les doit-on ? - 3. Avec quels biens doit-on les faire ? - 4. Spécialement au sujet des oblations de prémices : y est-on strictement obligé ?

 

 

            Article 1 — Certaines oblations sont-elles imposées par précepte ?

Objections :

1. Il semble que l’on ne soit pas tenu de faire des oblations en vertu d’un précepte obligatoire. Car, au temps de l’Évangile, on n’est pas tenu d’observer les préceptes cérémoniels de l’ancienne loi, on l’a établis. Mais les oblations font partie de ces préceptes. Car on lit dans l’Exode (23, 14) : “ Trois fois l’an vous célébrerez des fêtes en mon honneur. ” Et plus loin : “ Vous ne vous présenterez pas devant moi les mains vides. ” Donc aujourd’hui on n’est pas tenu aux oblations par un précepte.

2. Les oblations, avant leur accomplissement, dépendent de notre libre vouloir. On le voit par ces paroles du Seigneur (Mt 5, 23) : “ Si tu offres ton présent sur l’autel... ” Il parle comme si c’était laissé au bon plaisir des offrants. Et une fois l’oblation faite, il n’y a pas lieu de la renouveler. Donc on ne peut aucunement y être tenu par un précepte.

3. Celui qui ne rend pas à l’Église ce qu’il est tenu de lui remettre peut y être contraint par le refus des sacrements. Mais, il n’est pas permis de refuser les sacrements de l’Église à ceux qui n’ont pas voulu faire d’offrande, conformément à ce décret b : “ Celui qui dispense la sainte communion ne doit rien exiger de celui qui la reçoit ; s’il exige quelque chose, qu’il soit déposé. ” Donc l’oblation n’est pas obligatoire comme nécessaire au salut.

En sens contraire, Grégoire VII écrit : “ Tout chrétien aura soin, à la messe, de faire une offrande. ”

Réponse :

Le nom d’“ oblation ” désigne en général tout ce qu’on offre pour le culte divin. Ainsi, lorsqu’on offre quelque chose pour le culte divin en vue d’une action sacrée qui doit en résulter, et où l’offrande est consumée, c’est à la fois une oblation et un sacrifice. En effet, on lit dans l’Exode (29, 18) : “ Tu offriras le bélier tout entier en le brûlant sur l’autel ; c’est une oblation au Seigneur, le parfum très agréable d’une victime pour Dieu. ” Et dans le Lévitique (2, 1) : “ Lorsque l’on offrira le sacrifice à Dieu, l’oblation sera de pure farine. ” Mais si on l’offre telle quelle pour l’employer au culte divin ou la dépenser au profit des ministres, c’est une oblation et non un sacrifice.

Ces oblations sont donc, par leur nature, volontaires, selon l’Exode (25, 2) : “ Vous les recevrez de celui qui l’offre de plein gré. ” Quatre motifs cependant peuvent les rendre obligatoires : 1° Une convention antérieure ; par exemple si un fonds ecclésiastique a été concédé, à charge de faire à des époques fixées des offrandes déterminées. Cette offrande est due à titre de redevance. 2° Un legs ou une promesse, comme lorsqu’on offre à l’Église, par donations entre vifs, ou qu’on lègue par testament, des biens meubles ou immeubles qui devront être cédés plus tard. 3° Les besoins de l’Église : au cas par exemple où ses ministres n’auraient pas de quoi subvenir à leur entretien. 4° La coutume : les fidèles sont tenus, à certaines fêtes, de faire des offrandes traditionnelles. Cependant, en ces deux derniers cas, l’oblation demeure d’une certaine façon volontaire, quant à la qualité ou à la nature de l’offrande.

Solutions :

1. Si dans la loi nouvelle les oblations sont obligatoires, ce n’est pas à cause des solennités légales dont parle l’Exode, mais pour les autres raisons qu’on vient d’exposer.

2. On peut être tenu de faire des offrandes soit avant de les accomplir (1er ,3ème et 4ème motifs donnés ci-dessus), soit également après avoir offert, quant on l’a fait par mode d’engagement ou de promesse, car on est tenu d’acquitter en fait ce qu’on a offert à l’Église par manière d’engagement.

3. Ceux qui ne s’acquittent pas des oblations obligatoires peuvent encourir le refus des sacrements, non par le prêtre à qui l’on doit remettre les offrandes, de crainte qu’il ne paraisse exiger quelque chose pour l’administration des sacrements, mais par un de ses supérieurs.

 

 

            Article 2 — A qui doit-on les oblations ?

Objections :

1. Il semble que les oblations ne sont pas dues seulement aux prêtres. En effet, les principales oblations semblent être destinées aux sacrifices. Mais dans la Sainte Écriture on appelle “ hosties ” ce qu’on donne aux pauvres, selon la lettre aux Hébreux (13, 16) : “ Quant à la bienfaisance et à la mise en commun de vos ressources, ne les oubliez pas, car c’est à de telles hosties que Dieu prend plaisir. ” Beaucoup plus qu’aux prêtres, c’est donc aux pauvres que les oblations sont dues.

2. Dans beaucoup de paroisses, les moines reçoivent une part des offrandes. Or “ la charge des clercs et la charge des moines sont différentes ”, dit S. Jérôme. Donc les oblations ne sont pas dues aux seuls prêtres.

3. Les laïcs peuvent, du consentement de l’Église, acheter les offrandes, pains et choses analogues. Ils ne le font que pour les employer à leur usage. Donc les oblations peuvent aussi concerner les laïcs.

En sens contraire, on trouve dans le décret ce canon du pape Damase : “ Seuls les prêtres qui sont au service quotidien de Dieu ont le droit de manger et de boire les oblations offertes dans l’église. Car sous l’ancienne alliance Dieu défendit aux enfants d’Israël de manger les pains sacrés sauf pour Aaron et ses fils. ”

Réponse :

Le prêtre est établi comme un négociateur et un intermédiaire entre le peuple et Dieu, selon ce qui est dit de Moïse (Dt 5, 5). C’est pourquoi il lui appartient de transmettre au peuple les enseignements divins et les saints mystères ; et aussi de présenter à Dieu ce qui, venant du peuple, doit passer par lui : prières, sacrifices, oblations, selon l’épître aux Hébreux (5, 1) : “ Tout pontife, pris parmi les hommes, est établi pour intervenir en leur faveur dans leurs relations avec Dieu, afin d’offrir dons et sacrifices pour le péché. ” Les oblations que le peuple présente à Dieu sont donc remises aux prêtres, non seulement pour qu’ils les emploient à leur usage, mais pour qu’ils en soient les fidèles dispensateurs. Ils les emploieront en partie aux frais du culte divin ; une autre part sera destinée à leur propre subsistance, car “ ceux qui servent à l’autel partagent avec l’autel ” (1 Co 9, 13) ; une autre partie sera allouée aux pauvres qui doivent, autant que faire se peut, être entretenus sur les biens de l’Église, car notre Seigneur lui-même avait une bourse pour les pauvres, remarque S. Jérôme.

Solutions :

1. Bien qu’elles ne soient pas des hosties proprement dites, les aumônes faites aux pauvres reçoivent ce nom quand on les fait pour Dieu. On peut, au même titre, les appeler des “ oblations ”, mais ce n’est pas le sens propre du terme, réservé à ce qu’on offre immédiatement à Dieu. Mais les oblations proprement dites servent à nourrir les pauvres par la répartition que font non les offrants mais les prêtres.

2. Les moines et les autres religieux peuvent recevoir les oblations à trois titres. 1° Comme pauvres, ils les reçoivent du prêtre qui les distribue ou de l’Église qui les répartit. 2° S’ils sont ministres de l’autel, ils peuvent recevoir directement les offrandes qu’on leur fait spontanément. 3° S’ils ont charge paroissiale, ils ont un droit sur les oblations comme recteurs d’une Église.

3. Les oblations, une fois consacrées, ne peuvent servir aux laïcs, pas plus que les vases et les vêtements sacrés. C’est ainsi qu’il faut entendre la décision du pape Damase. Mais les offrandes non consacrées peuvent être attribuées aux laïcs, par mode de donation ou de vente, exercée par le ministère des prêtres.

 

 

            Article 3 — Avec quels biens doit-on faire les oblations ?

Objections :

1. Il semble que l’on ne puisse pas faire une oblation de tout ce qu’on possède licitement. En effet, aux termes du droit fi : “ La prostituée exerce un métier honteux, mais fait un gain honnête. ” Elle le possède donc licitement. Et cependant cet argent ne peut servir à une offrande d’après le Deutéronome (23, 19) : “ Tu n’offriras pas le salaire de la prostitution dans la maison du Seigneur ton Dieu. ” Il n’est donc pas permis de faire oblation de tout ce qu’on possède licitement.

2. Dans le Deutéronome également, il est interdit d’offrir dans la maison de Dieu le prix d’un chien. Mais il est évident que le prix d’un chien, vendu régulièrement est possédé de même. Il n’est donc pas permis de faire oblation de tout ce qu’on possède régulièrement.

3. Il est dit en Malachie (1, 8) : “ Si vous offrez un animal boiteux et malade, n’est-ce pas mal ? ” Or on peut posséder régulièrement cet animal boiteux et malade. Il semble donc que l’on ne puisse faire oblation de tout ce qu’on possède régulièrement.

En sens contraire, on lit dans les Proverbes (3, 9) : “ Honore le Seigneur ton Dieu de tous tes biens. ” Les biens d’un homme, c’est l’ensemble, de ce qu’il possède régulièrement ; on peut donc en faire oblation.

Réponse :

Comme dit S. Augustin “ Si, ayant dépouillé un homme sans défense, tu partages ses dépouilles avec le juge, la faveur de ce dernier te dégoûterait toi-même, tant est puissant en nous l’instinct de justice. Ne fais pas ton Dieu à l’image, de ce que tu ne dois pas être toi-même. ” Aussi est-il dit dans l’Ecclésiastique (34, 21 Vg) : “ Offrir, en sacrifice du bien mal acquis, est une offrande souillée. ” Ces textes montrent que les biens acquis et possédés injustement ne peuvent être matière à oblation.

Par ailleurs, sous la loi ancienne, dont le régime était figuratif, la signification qu’on attribuait : certaines choses les faisait tenir pour impures, et l’on ne pouvait les offrir. Mais dans la loi nouvelle, nous considérons avec S. Paul que toute créature de Dieu est pure (Tt 1, 15). C’est pourquoi, à prendre les choses en soi, tout ce qu’on possède licitement est matière à oblation. Mais il arrive que, pour une raison accidentelle, un bien, licitement possédé ne puisse être offert. Par exemple si c’était dommageable à autrui : ainsi le fils qui offrirait à Dieu ce qu’il doit employer à nourrir son père, façon d’agir réprouvée par notre Seigneur (Mt 15, 5) ; ou bien cela ferait scandale il en résulterait du mépris, etc.

Solutions :

1. La loi ancienne défendait d’offrir, le salaire de la prostitution à raison de soie impureté. Dans la loi nouvelle c’est à cause du scandale, pour éviter que l’Église ne paraisse approuver le péché, en recevant l’offrande du gain qu’il procure.

2. La loi considérait le chien comme un animal! impur. Les autres animaux impurs pouvaient être, rachetés et l’on pouvait en offrir le prix, selon le Lévitique (27, 27) : “ Si c’est un animal impur, celui qui l’a offert le rachètera. ” Mais le chien ne pouvait être ni offert ni racheté, soit parce que les idolâtres employaient cet animal à leurs sacrifices, soit encore parce que les chiens symbolisent la rapine qui ne peut fournir matière à oblation. Mais cette défense n’existe plus dans la loi nouvelle.

3. Trois raisons rendaient illicite l’oblation d’un animal aveugle ou boiteux. 1° Le motif de l’oblation : “ Si tu offres pour le sacrifice un animal aveugle, n’est-ce pas mal ? ” dit Malachie (1, 8). Car il fallait que les sacrifices soient sans défaut. 2° Le mépris, car le prophète ajoute (1, 14) : “ Vous souillez mon nom en disant : "La table du Seigneur est devenue impure et ce qu’on y offre est méprisable." ” 3° Un vœu préalable, obligeant à rendre en son entier ce qu’on a promis selon le même texte : “ Malheur au trompeur qui a dans son troupeau une bête saine, et qui après avoir fait vœu, immole au Seigneur un animal malade. ” Les mêmes motifs demeurent sous la loi nouvelle, mais là où ils manquent, toute interdiction disparaît.

 

 

            Article 4 — Est-on strictement obligé d’acquitter les prémices ?

Objections :

1. Il semble que non. Car l’Exode (13, 9) fait suivre la loi des premiers-nés de cette clause : “ Ce sera comme un signe sur ta main. ” On voit donc que c’est un précepte cérémoniel. Mais les préceptes cérémoniels ne doivent plus être observés sous la loi nouvelle. Donc on ne doit pas non plus acquitter les prémices.

2. Le peuple juif offrait les prémices au Seigneur pour reconnaître un bienfait spécial, selon le Deutéronome (26, 2) : “ Tu prendras les prémices de tous les produits du sol, tu iras trouver le prêtre en fonctions et tu lui diras : "je confesse aujourd’hui devant le Seigneur ton Dieu que je suis entré dans la terre qu’il avait juré à nos pères de nous donner." ” Les autres nations ne sont donc pas obligées d’acquitter les prémices.

3. On n’est obligé qu’à quelque chose de déterminé. Or on ne trouve ni dans la loi nouvelle ni dans la loi ancienne de détermination concernant la quantité des prémices. Il n’y a donc pas d’obligation stricte à les acquitter.

En sens contraire, il est stipulé dans les Décrets : “ Les dîmes et les prémices que nous déclarons revenir de droit aux prêtres doivent être reçues du peuple entier. ”

Réponse :

Les prémices sont un genre d’oblations, car selon le Deutéronome (26, 3) c’est à Dieu qu’on les présente avec une formule d’hommage. C’est pourquoi le texte sacré ajoute : “ Le prêtre, prenant la corbeille - c’est-à-dire les prémices - de la main de celui qui les présente, la placera devant l’autel du Seigneur ton Dieu ”, et ensuite le fidèle doit dire : “ J’offre maintenant les prémices des fruits de la terre que le Seigneur m’a donnés. ” L’offrande des prémices avait un motif spécial : reconnaître les bienfaits de Dieu. On déclarait qu’on reçoit de Dieu les fruits de la terre, et qu’on est tenu par suite de lui faire hommage d’une part de ces biens, selon ces paroles (1 Ch 29, 16) : “ Ce que nous avons reçu de tes mains, nous te l’avons donné. ” Et comme nous devons offrir à Dieu ce qu’il y a de meilleur, l’oblation des prémices, part de choix des fruits de la terre, fut rendue obligatoire par un précepte. Comme d’autre part le prêtre est chargé auprès du peuple de ce qui concerne Dieu, les prémices offertes par le peuple servaient à l’usage des prêtres (Nb 18, 8) : “ Le Seigneur a dit à Aaron : "Voici, je t’ai donné la garde de mes prémices." ”

Or il relève du droit naturel qu’on prenne sur les biens que Dieu nous a donnés, pour les offrir en son honneur. Mais qu’on doive porter cette offrande à telles personnes, que ce soit la primeur des fruits, ou en telle quantité, c’est l’objet de déterminations positives de droit divin dans la loi ancienne ; et sous la loi nouvelle, de droit ecclésiastique. Celui-ci fixe comme règle d’acquitter les prémices selon les coutumes du pays et les besoins des ministres de l’Église.

Solutions :

1. Les préceptes cérémoniels étaient proprement figuratifs de l’avenir. C’est pourquoi ils ont cessé avec l’avènement de la réalité qu’ils symbolisaient. Mais l’offrande des prémices rappelait un bienfait passé, fondement d’une dette de reconnaissance selon la prescription de la loi naturelle. C’est pourquoi cette obligation demeure en ce qu’elle a de général.

2. L’offrande de prémices n’avait pas pour seul motif, dans la loi ancienne, le bienfait accordé par Dieu avec le don de la terre promise, mais également le don des fruits de la terre. D’où cette formule (Dt 26, 19) : “ je t’offre ces prémices des fruits de la terre que le Seigneur m’a donnés. ” Ce dernier motif vaut pour tous. On peut dire aussi que si le don de la terre promise fut un bienfait spécial, il y a un bienfait universel que Dieu a accordé à tout le genre humain, en lui donnant la possession de la terre : “ Il a donné la terre aux enfants des hommes ” (Ps 115, 16).

3. D’après S. Jérôme : “ Selon la tradition des anciens il est d’usage qu’on donne aux prêtres pour les prémices la quarantième partie au plus, la soixantième au minimum. ” On voit dans quelles limites doit se tenir, selon la coutume du pays, l’offrande de prémices.

Toutefois c’est avec raison que la quantité des prémices ne fut pas fixée par la loi ; car les prémices sont une forme d’offrande, ce qui implique qu’elles soient volontaires.

 

 

QUESTION 87 — LES DÎMES

1. Est-on tenu d’acquitter les dîmes par un précepte rigoureux ? - 2. Les biens dont il faut payer la dîme. - 3. A qui doit-on les dîmes ? - 4. Qui doit les payer ?

 

 

            Article 1 — Est-on tenu d’acquitter les dîmes par un précepte rigoureux ?

Objections :

1. Il semble que non. Car le précepte concernant les dîmes se trouve dans la loi ancienne, ainsi le Lévitique (27, 30) : “ Les dîmes de la terre, des grains, aussi bien que des fruits des arbres, sont au Seigneur. ” Et plus loin : “ Tout animal qui naît le dixième, soit des bœufs, des brebis ou des chèvres et de tout ce qui passe sous la houlette du berger, sera la dîme consacrée au Seigneur. ” Or on ne peut ranger ce commandement parmi les préceptes moraux, parce que, de droit naturel, rien n’oblige à donner la dixième, plutôt que la neuvième ou la onzième partie. Donc c’est un précepte judiciaire ou cérémoniel. Or nous savons que sous le régime de la grâce ces préceptes n’obligent plus. Donc on n’est pas tenu présentement d’acquitter les dîmes.

2. Les seules observances auxquelles on soit tenu à l’époque de la grâce sont celles que le Christ nous a commandées par ses Apôtres, selon S. Matthieu (28, 20) : “ Apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. ” Et S. Paul dit (Ac 20, 27) : “ je ne me suis pas dérobé quand il fallait vous enseigner tous les desseins de Dieu. ” Or il n’y a rien dans l’enseignement du Christ et des Apôtres sur le paiement des dîmes. Ce que le Christ a dit à ce sujet (Mt 23, 23) : “ Malheureux, vous qui payez la dîme sur la menthe et la rue... il fallait faire cela, etc. ”, se rapporte au régime passé des observances légales. C’est ainsi que le comprend S. Hilaire : “ Cette dîme sur les légumes qui était utile pour préfigurer l’avenir, ne devait pas être omise. ” Donc au temps de la grâce nous ne sommes pas tenus au paiement des dîmes.

3. Au temps de la grâce on n’est pas plus tenu aux observances légales qu’avant la loi ancienne. Or à ce moment les dîmes n’étaient pas acquittées en vertu d’un précepte, mais seulement à la suite d’un vœu, selon ce texte de la Genèse (28, 20) : “ Jacob fit un vœu en disant : "Si Dieu est avec moi et me garde dans mes démarches... de tout ce que tu me donneras je t’offrirai la dîme." ” Donc, au temps de la grâce on n’y est pas obligé non plus.

4. La loi ancienne obligeait à trois sortes de dîmes. On en donnait une part aux lévites, disent les Nombres (18, 24) : “ Les lévites auront pour leur part l’offrande des dîmes que j’ai ordonnées à leur usage et à leurs besoins. ” Un texte du Deutéronome (14, 22) signale une autre sorte de dîmes : “ Tu mettras à part la dixième partie de tous les fruits que la terre produit chaque année et tu mangeras en présence du Seigneur ton Dieu, dans le lieu que Dieu a choisi. ” Et ce texte fait ensuite mention d’autres dîmes encore : “ La troisième année, tu mettras à part un autre dixième de tous les biens qui te naîtront en ce temps-là, et tu le déposeras dans ta ville. Alors viendra le lévite, qui n’a pas de part à tes possessions ; l’étranger, l’orphelin et la veuve qui sont dans tes villes, et ils mangeront à satiété. ” Mais au temps de la grâce on n’est pas tenu à ces deux dernières sortes de dîmes. Ni non plus aux premières.

5. Ce que l’on doit sans détermination de temps oblige aussitôt, sous peine de péché. Si donc au temps de la grâce on était obligé par un précepte rigoureux de payer la dîme, là où on ne le fait pas, tout le monde serait en état de péché mortel ; et les ministres de l’Église n’y échapperaient pas, ayant dissimulé le mal, ce qui paraît inadmissible.

En sens contraire, S. Augustin dit, et on lit dans le droit que les dîmes sont exigées à titre de dette ; ceux qui ne veulent pas les payer ravissent le bien d’autrui.

Réponse :

Dans l’ancienne loi, les dîmes étaient affectées à l’entretien des ministres de Dieu, ce qui ressort de ce texte de Malachie (3, 10) : “ Portez toutes les dîmes dans mon grenier, afin qu’il y ait de la nourriture dans ma maison. ” Le précepte d’acquitter les dîmes relevait donc pour une part de la loi morale, fruit de la raison naturelle, et pour une autre part était un précepte judiciaire de droit positif, tenant sa force de l’institution divine. La raison naturelle en effet nous prescrit que le peuple doit pourvoir à l’entretien des ministres du culte divin, qui ont la charge de son salut ; de même qu’il doit fournir aux serviteurs du bien commun, princes, soldats, etc., la contribution nécessaire. Aussi S. Paul le prouve-t-il par les coutumes humaines (1 Co 9, 7) : “ Qui donc a jamais combattu à ses propres frais ? Qui donc plante une vigne et n’en mange pas le produit ? ” Mais la détermination de l’impôt cultuel n’est plus le fait du droit naturel ; Dieu l’a fixée relativement aux conditions de vie du peuple auquel il a donné sa loi. Des douze tribus qui le divisaient, la dernière, celle de Lévi, vouée tout entière au service divin, n’avait pas de propriétés. Il était donc convenable d’obliger les onze autres tribus à donner aux lévites le dixième de leurs récoltes, pour qu’ils vivent plus honorablement, et aussi parce que certains négligeraient ce devoir. Relativement à la détermination de la dixième partie, ce commandement était donc un précepte judiciaire. On nomme ainsi les nombreuses institutions spécialement destinées à maintenir l’égalité selon l’état social de ce peuple. Sans doute ces préceptes préfiguraient-ils l’avenir comme tout ce qui arrivait à ce peuple selon S. Paul (1 Co 10, 11) : “ Tout ce qui leur arrivait était figuré. ” C’est là un point commun avec les préceptes cérémoniels, dont la raison principale était de préfigurer l’avenir. Il y a donc bien dans le précepte des dîmes un symbolisme pour le futur. Car le dixième symbolise la perfection, en ce que le nombre dix est comme un nombre parfait - c’est la première limite des nombres ; au-delà les nombres ne progressent plus, mais repartent de l’unité. Donc donner le dixième en se réservant les neuf autres parts, c’est signifier qu’on est par soi-même imparfait et qu’on attend de Dieu cette perfection que le Christ devait apporter. Pour autant ce n’est pas un précepte cérémoniel, cela reste un précepte judiciaire.

Or il existe entre les préceptes cérémoniels et les préceptes judiciaires une différence que nous avons jadis signalées. Il est défendu d’observer les premiers au temps de la loi nouvelle. Les seconds au contraire, bien qu’ils aient perdu leur force obligatoire, peuvent être observés sans péché. Et l’on peut y être tenu, s’ils sont réitérés par l’autorité législative. Ainsi la loi ancienne obligeait celui qui avait dérobé une brebis à en rendre quatre (Ex 22, 1) : ce commandement devrait être observé, si un roi y soumettait ses sujets. De même l’Église par son autorité a institué que sous le régime de la loi nouvelle on paierait la dîme. Et elle a fait preuve d’une certaine douceur, tout en ne demandant pas moins au peuple chrétien pour l’entretien des ministres du Nouveau Testament qu’il n’était demandé sous l’Ancien, bien que le peuple de la nouvelle loi ait des obligations plus hautes, selon le Seigneur en Matthieu (5, 20) : “ Si votre justice n’est pas plus parfaite que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. ” Et bien que la dignité des prêtres de la nouvelle Alliance soit supérieure à celle des ministres de l’Ancien Testament selon l’Apôtre (2 Co 3, 7). Il est donc évident qu’on est tenu d’acquitter les dîmes. C’est de droit naturel pour une part, et de droit ecclésiastique pour une autre part. Mais l’Église, appréciant l’opportunité des temps et des personnes, pourrait déterminer différemment le pourcentage qu’on doit acquitter.

Solutions :

1. Cette Réponse résout l’objection.

2. Le précepte du paiement des dîmes est donné par l’Évangile en ce qu’il a de moral : C’est la parole du Seigneur (Mt 10, 10) : “ L’ouvrier mérite son salaire ”, et celle de l’Apôtre (1 Co 9, 4). Mais la détermination, précise de ce qu’on doit payer est réservée à l’Église.

3. Avant la promulgation de la loi ancienne, les ministres du culte n’étaient pas spécialisés, mais on nous dit que les premiers-nés étaient prêtres et recevaient à ce titre double portion. C’est pourquoi on n’avait pas fixé la part qui revenait aux ministres sacrés, mais lorsque l’un d’eux se rencontrait, chacun lui donnait spontanément son offrande. C’est ainsi qu’Abraham, poussé par un instinct prophétique, remit la dîme à Melchisédech, prêtre du Dieu Très-Haut (Gn 14, 20). De même Jacob fit vœu de donner la dîme, bien qu’on ne voit pas qu’il ait promis de la donner à des ministres sacrés ; c’était plutôt en vue du culte divin, pour l’accomplissement des sacrifices. Ce qu’indiquent ces paroles expresses (Gn 28, 22) “ Je t’offrirai la dîme. ”

4. Les deuxièmes dîmes prévues pour les sacrifices n’ont plus leur place dans la loi nouvelle, les victimes légales ayant disparu. La troisième sorte de dîmes, celles qu’on devait manger avec les pauvres, s’est au contraire accrue. Car le Seigneur ordonne non seulement de donner la dixième partie, mais tout son superflu aux pauvres, selon Luc (11, 4 1) : “ Ce qui reste, donnez-le en aumône. ” - Quant aux dîmes qu’on remet aux ministres de l’Église, eux-mêmes doivent les distribuer aux pauvres. ,

5. Les ministres de l’Église doivent avoir un plus grand souci de promouvoir le bien spirituel du peuple que de recueillir des biens temporels. C’est pourquoi l’Apôtre ne voulut pas user du pouvoir que le Seigneur lui avait donné, et recevoir son entretien de ceux à qui il prêchait l’Évangile du Christ, de peur de faire obstacle à celui-ci. Ceux qui ne lui donnaient rien ne péchaient pas pour autant. Autrement S. Paul n’aurait pas manqué de les en reprendre. Les ministres de l’Église qui ne réclament pas les dîmes ecclésiastiques, là où on ne peut les exiger sans scandale, l’habitude en étant perdue, ou pour quelque autre motif, méritent des éloges. Pour autant, ne sont pas en état de damnation ceux qui ne s’acquittent pas, dans les régions où l’Église demande rien ; à moins qu’ils y mettent une obstination mauvaise, bien décidés à ne pas payer même si on le demandait.

 

 

            Article 2 — Les biens dont il faut payer la dîme

Objections :

1. Il semble qu’on ne soit pas tenu de payer la dîme sur tout. Car le paiement de la dîme semble avoir été introduit par la loi ancienne. Mais dans celle-ci on ne trouve aucun précepte concernant les dîmes à payer sur le produit de son activité personnelle - dans le commerce par exemple, ou l’état militaire. Donc nul n’est tenu de payer la dîme là-dessus.

2. On ne peut faire oblation avec des biens mal acquis, nous l’avons dit Mais les oblations qui sont présentées directement à Dieu, semblent se rattacher à lui plus que les dîmes, offertes à ses ministres. Donc les dîmes prises sur des biens mal acquis ne doivent pas non plus être acquittées.

3. D’après le Lévitique (27, 30), la loi ordonna seulement de payer la dîme des grains, des fruits des arbres, et des animaux qui sont sous la houlette du berger. Mais on récolte d’autres choses encore : les herbes qui poussent dans les jardins par exemple. Donc on n’est pas tenu de payer la dîme sur ces produits.

4. On ne peut s’acquitter qu’avec un bien en son pouvoir. Mais tout ce qui provient à l’homme du produit de ses terres ou de ses animaux ne reste pas en son pouvoir. Parfois ses biens lui sont enlevés par vol ou par rapine ; parfois ils passent à un autre qui les achète ; il les doit à d’autres pour payer l’impôt au prince, leur salaire aux ouvriers. Donc de tout cela on n’est pas tenu de verser la dîme.

En sens contraire, on lit dans la Genèse (28, 22) : “ De tout ce que tu me donneras je t’offrirai la dîme. ” Mais tout ce que l’homme possède lui a été donné par Dieu. Donc il doit verser la dîme de tout.

Réponse :

Pour juger n’importe quelle action, il faut avant tout la juger à partir de sa racine. Or la racine du paiement des dîmes est la dette que les charnels doivent à ceux qui sèment les biens spirituels, selon cette parole de l’Apôtre (1 Co 9, 11) : “ Si nous avons semé en vous les biens spirituels, est-il extraordinaire que nous récoltions vos biens temporels ? ” Or toutes nos possessions sont comprises dans les biens temporels. C’est pourquoi il faut acquitter la dîme sur tout ce que nous possédons.

Solutions :

1. Il y avait un motif spécial pour que la loi ancienne ne comporte pas de précepte au sujet de dîmes personnelles. Cela tenait à la situation de ce peuple, où les autres tribus avaient des possessions assurées leur permettant de faire vivre les lévites, qui n’en avaient pas ; mais il n’était pas interdit à ceux-ci de pratiquer certains travaux lucratifs, comme les autres Juifs. Or le peuple de la loi nouvelle est répandu dans le monde entier ; ses membres, pour la plupart, n’ont pas de propriétés, mais vivent d’affaires qui ne contribueraient nullement à l’entretien des ministres de Dieu s’ils ne payaient pas la dîme sur leurs profits. En outre il est strictement interdit aux ministres de la loi nouvelle de se mêler d’affaires lucratives, selon S. Paul (2 Tm 2, 4) : “ Quand on est enrôlé au service de Dieu, on ne se mêle pas des affaires du siècle. ” C’est pour cela que dans la loi nouvelle on est tenu à des dîmes personnelles, selon la coutume du pays et les besoins des ministres. Aussi S. Augustin, cité par le Décret dit-il : “ Payez la dîme sur les revenus de la vie militaire, du négoce et de l’artisanat. ”

2. “ Mal acquis ” se comprend de deux façons. D’abord en ce que l’acquisition est injuste, par exemple réalisée par la rapine, le vol ou l’usure : on doit alors la restituer, non en payer la dîme. Cependant, si un champ a été acheté par les revenus de l’usure, l’usurier doit payer la dîme de son produit parce que ce produit ne vient pas de l’usure, mais d’un don de Dieu.

On appelle encore “ mal acquis ” ce qui est acquis par un travail honteux, celui de la prostituée, de l’histrion, etc., qu’on n’est pas tenu de restituer. Aussi doit-on en payer la dîme comme les autres dîmes personnelles. Cependant l’Église ne doit pas les accepter tant que ces gens sont dans le péché, pour ne pas paraître y communier ; mais lorsqu’ils ont fait pénitence, elle peut recevoir ces dîmes.

3. Ce qui est ordonné à une fin doit être jugé selon son rapport à cette fin. Or le paiement de la dîme n’est pas dû pour lui-même, mais pour les ministres, car il ne serait pas digne d’eux qu’ils le réclament avec une exigence minutieuse, car ce serait là un vice signalé par Aristote. C’est pourquoi la loi ancienne ne fixait rien pour les petits produits, mais elle laissait cela à la liberté de chacun, car on compte pour rien ce qui est peu de chose. Aussi les pharisiens, qui s’attribuaient une parfaite observance de la loi, payaient-ils la dîme même sur ces petits produits. Mais ce n’est pas cela que le Seigneur leur reproche, mais seulement de mépriser le plus important : les préceptes spirituels. Il montre que la pratique des pharisiens était en soi recommandable quand il dit : “ Il fallait faire cela ”, et S. Jean Chrysostome explique : “ au temps de la loi ancienne ”. Et cela semble concerner une convenance plutôt qu’une obligation. Aussi n’est-on pas tenu aujourd’hui de payer la dîme pour ces minuties, sinon parce que c’est la coutume du pays.

4. Celui qui a été dépouillé de ses biens par vol ou par rapine n’est pas tenu de payer les dîmes avant de les avoir récupérés, sauf si ce dommage lui était arrivé par une faute ou une négligence de sa part, car l’Église ne doit pas en souffrir.

Si l’on vend du blé sans avoir payé la dîme, l’Église peut exiger celle-ci et de l’acheteur qui détient un bien dû à l’Église, et du vendeur qui pour sa part a fraudé l’Église. Mais si l’un des deux paye, l’autre n’y est plus obligé.

Quant aux fruits de la terre, on doit la dîme pour eux parce qu’ils proviennent de la bonté divine. C’est pourquoi les dîmes échappent à l’impôt et ne sont pas prises sur le salaire de l’ouvrier. On ne doit donc pas déduire l’impôt et le salaire avant l’acquittement des dîmes ; celles-ci doivent être payées sur la récolte, avant tout prélèvement.

 

 

            Article 3 — A qui doit-on les dîmes ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne faut pas les donner aux clercs, car dans l’ancienne alliance on les donnait aux lévites qui n’avaient pas de possessions comme le reste du peuple (voir Nm 18, 23). Mais sous la loi nouvelle, les clercs ont des possessions, biens patrimoniaux, domaines ecclésiastiques. Ils reçoivent en outre les prémices, et les offrandes pour les vivants et les morts. Il est donc superflu de leur donner des dîmes.

2. Un homme habite sur une paroisse, et cultive des champs situés dans une autre ; un berger conduit son troupeau une partie de l’année sur le territoire d’une paroisse, et le reste du temps sur une autre ; ou bien il a sa bergerie dans une paroisse et les pâturages dans une autre : dans des cas pareils il semble qu’on ne voie pas nettement à quels clercs on devrait payer les dîmes. Donc il n’apparaît pas qu’on doive payer les dîmes à certains clercs plutôt qu’à d’autres.

3. Dans certains pays, la coutume générale veut que les soldats reçoivent de l’Église les dîmes à titre de fief. Il y a aussi des religieux qui les reçoivent. Donc elles ne sont pas réservées aux clercs ayant charge d’âmes.

En sens contraire, il y a ce texte des Nombres (18, 21) : “ J’ai donné en possession aux fils de Lévi toutes les dîmes d’Israël pour le ministère qu’ils accomplissent dans le service du tabernacle. ” Aux fils de Lévi ont succédé les clercs du Nouveau Testament. C’est donc à eux seuls qu’on doit les dîmes.

Réponse Sur les dîmes deux points sont à considérer le droit de les recevoir, et d’autre part les biens que l’on donne sous ce nom. Le droit de recevoir les dîmes est spirituel ; il résulte de l’obligation qu’on a de pourvoir aux frais des ministres de l’autel, et de donner “ les biens temporels à ceux qui sèment les biens spirituels ”. C’est le fait des clercs ayant charge d’âmes, et d’eux seuls. Ce droit leur est donc réservé. Quant aux biens eux-mêmes que l’on donne, ils sont d’ordre matériel, et peuvent servir à l’usage de tout le monde. Ils peuvent donc revenir aux laïcs.

Solutions :

1. Sous l’ancienne loi il y avait, on l’a dit, des dîmes spécialement destinées à aider les pauvres. Sous la loi nouvelle les dîmes sont données aux clercs non seulement pour leur entretien mais encore pour leur permettre d’aider les pauvres. Elles ne sont pas de trop, par conséquent, et il est nécessaire de les ajouter aux possessions ecclésiastiques, oblations et prémices.

2. On doit les dîmes personnelles à l’Église de la paroisse où l’on habite. Quant aux dîmes territoriales elles appartiennent avec plus de raison à l’Église sur le territoire de laquelle sont situés les domaines qu’on possède. Cependant le droit décide qu’il faut en ce cas s’en tenir à la coutume qui prévaut depuis longtemps. Le berger qui à des époques différentes fait paître son troupeau sur deux paroisses doit proportionnellement payer la dîme à chaque Église. Et parce que les produits du troupeau proviennent du pâturage, il doit plutôt la dîme à l’Église sur le territoire de laquelle paît le troupeau, qu’à celle où se trouve la bergerie.

3. Comme l’Église peut remettre à un laïc ce qu’elle reçoit pour la dîme, elle peut aussi bien lui accorder de recevoir les dîmes qu’elle doit percevoir, en réservant le droit de ses ministres. Soit qu’elle subvienne ainsi à ses propres nécessités, comme dans le cas des dîmes concédées en fief à des soldats ; soit pour subvenir aux besoins des pauvres ; c’est ainsi qu’elle les accorde à certains religieux laïcs ou n’ayant pas charge d’âmes, par manière d’aumône. Mais il y a aussi des religieux qui ont droit à les recevoir du fait qu’ils ont charge d’âmes.

 

 

            Article 4 — Qui doit payer les dîmes ?

Objections :

1. Il semble que même les clercs doivent donner les dîmes, car il est de droit commun que l’Église paroissiale doit recevoir la dîme des propriétés qui sont sur son territoire. Or il arrive que ces propriétés appartiennent à des clercs, ou à une autre Église. Le clergé est donc tenu de payer la dîme de ses propriétés.

2. Il y a des religieux clercs, et qui sont cependant tenus de payer aux Églises la dîme des terres qu’ils cultivent de leurs propres mains. Les clercs ne sont donc pas exempts de la dîme.

3. La loi ancienne (Nb 18, 2 1) ordonne aux lévites de recevoir la dîme du peuple, mais aussi de la donner eux-mêmes au grand prêtre. De même que les laïcs doivent payer la dîme aux clercs, ceux-ci doivent s’en acquitter à l’égard du souverain pontife.

4. La dîme destinée à l’entretien des clercs est aussi ordonnée à subvenir aux besoins des pauvres. Si donc les clercs sont dispensés de la dîme, les pauvres le seront également. Ce qui est faux, comme la raison qu’on en donne.

En sens contraire, le pape Pascal dit dans une décrétale : “ Que les clercs exigent la dîme d’autres clercs, c’est un nouveau genre d’exaction. ”

Réponse :

Si quelqu’un donne et reçoit à la fois, ce ne peut être pour une cause identique ; de même que le principe d’activité n’est pas en même temps principe de passivité. Mais il arrive que, pour des causes diverses et sous des rapports différents, le même sujet donne et reçoive, soit actif et passif. C’est en tant que ministres de l’autel chargés d’ensemencer spirituellement les âmes, que les clercs ont droit aux dîmes des fidèles. Les possessions ecclésiastiques appartenant aux clercs considérés comme tels ne sont donc pas soumises à la dîme. Mais ils sont tenus de s’en acquitter lorsqu’ils possèdent à un autre titre : soit en leur propre nom, par héritage, achat, etc.

Solutions :

1. Cela résout la première objection. Les clercs doivent payer à l’Église paroissiale la dîme de leurs biens personnels, comme tout le monde, même s’ils appartiennent à la même Église ; car il faut distinguer leurs propriétés personnelles de celles de l’Église. Mais les biens ecclésiastiques ne sont pas soumis à la dîme, même lorsqu’ils sont sur le domaine d’une autre paroisse.

2. Les religieux clercs, s’ils ont charge d’âmes, ne sont pas tenus de payer les dîmes, mais peuvent les recevoir. Quant aux autres religieux, même clercs, qui ne distribuent pas au peuple les biens spirituels, leur cas est différent. Ils sont soumis au droit commun. Toutefois différentes concessions faites par le Saint-Siège leur assurent une certaine immunité.

3. Sous l’ancienne loi on devait les prémices aux prêtres, et la dîme aux lévites. Les lévites étaient subordonnés aux prêtres. Le Seigneur leur ordonna donc de payer au grand prêtre la dîme de la dîme, au lieu de prémices. De même les clercs seraient tenus de payer la dîme au souverain pontife s’il l’exigeait. La raison naturelle prescrit en effet que celui qui est chargé des intérêts généraux de la multitude trouve de quoi faire face aux exigences du salut commun.

4. Les dîmes doivent être employées par les clercs au soulagement des pauvres. Ceux-ci n’ont donc pas de motif pour les recevoir directement, mais ils sont tenus de les payer.

 

 

QUESTION 88 — LE VŒU

Étudions maintenant le vœu, par lequel on promet quelque chose à Dieu.

1. Qu’est-ce que le vœu ? - 2. Sur quoi porte-t-il ? - 3. Son obligation. - 4. Son utilité. - 5. De quelle vertu est-il l’acte ? - 6. Est-il plus méritoire d’accomplir quelque chose avec vœu ou sans vœu ? - 7. La solennité du vœu. - 8. Ceux qui sont soumis à une autorité peuvent-ils faire des vœux ? - 9. Les enfants peuvent-ils s’obliger par vœu à entrer en religion ? - 10. Peut-on dispenser d’un vœu ou le commuer ? - 11. Peut-on dispenser du vœu solennel de continence ? - 12. Faut-il, pour dispenser d’un vœu, recourir à une autorité supérieure ?

 

 

            Article 1 — Qu’est-ce que le vœu ?

Objections :

1. Il semble qu’il consiste seulement dans un projet de la volonté, car certains définissent ainsi le vœu : “ Concevoir un bon projet, assuré par une délibération, en s’obligeant envers Dieu à faire ou ne pas faire une chose. ” Mais concevoir un bon projet, avec tout ce qu’on ajoute, cela peut consister exclusivement dans un mouvement du vouloir. Donc le vœu est uniquement un projet de la volonté.

2. Le mot même de “ vœu ” (votum) paraît venir de “ volonté ”. On dit que quelqu’un agit selon ses vœux quand il agit volontairement. Or le projet est un acte de la volonté, tandis que la promesse est un acte de la raison. Le vœu est donc uniquement un acte de la volonté.

3. Notre Seigneur a dit (Lc 9, 62) : “ Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas apte au royaume de Dieu. ” Mais du fait même qu’on a le projet de bien faire, on met la main à la charrue ; et si l’on regarde en arrière, abandonnant le bien projeté, on n’est pas apte au royaume de Dieu. Donc le bon projet oblige à lui seul devant Dieu, indépendamment de toute promesse. On voit ainsi que le simple projet de la volonté suffit à constituer le vœu.

En sens contraire, nous lisons dans l’Ecclésiastique (5, 3) : “ Si tu as fait un vœu à Dieu, ne tarde pas à l’accomplir, car la promesse infidèle et imprudente lui déplaît. ” Vouer, c’est donc promettre, et le vœu est une promesse.

Réponse :

Le vœu implique l’obligation de faire une chose ou d’y renoncer. On s’oblige entre hommes par le moyen d’une promesse, qui est un acte de la raison, faculté de l’ordre ; de même que par le commandement et la prière nous ordonnons d’une certaine manière ce que les autres doivent faire pour nous, par la promesse nous ordonnons ce que nous-mêmes devons faire pour autrui. Mais, alors que la promesse faite d’homme à homme exige des paroles ou d’autres signes extérieurs, on peut faire à Dieu une promesse par un simple acte intérieur de pensée, car il est écrit (1 S 16, 7) : “ Les hommes voient ce qui paraît au-dehors, Dieu pénètre le cœur. ” Pourtant, on s’exprime parfois en paroles, soit pour s’exciter soi-même comme nous l’avons vu à propos de la prières ; soit pour prendre à témoin d’autres hommes, en sorte qu’on soit retenu de rompre ses vœux non seulement par crainte de Dieu, mais aussi par respect des hommes. La promesse elle-même procède du projet de faire quelque chose, et ce projet exige une délibération préalable, puisqu’il est un acte de volonté délibérée. Trois éléments sont donc requis pour qu’il y ait vœu : la délibération, le projet de la volonté, enfin la promesse qui porte à sa perfection la raison de vœu. On y ajoute quelquefois deux autres éléments, comme confirmation du vœu par une formule verbale, selon le Psaume (66, 13) : “ J’acquitterai envers toi les vœux que mes lèvres ont formulés ” ; - et l’assistance de témoins. Ainsi le Maître des Sentences définit le vœu : “ L’attestation d’une promesse volontaire, qui doit être faite à Dieu, et porter sur ce qui le concerne. ” On peut d’ailleurs rapporter cette définition au vœu lui-même, en l’entendant d’un témoignage intérieur.

Solutions :

1. Le bon projet qu’on a conçu n’est rendu ferme, du fait de la délibération, que par la promesse qui fait suite à celle-ci.

2. C’est la volonté qui meut la raison à promettre quelqu’une des choses soumises à son empire. Voilà pourquoi et dans quelle mesure le nom de “ vœu ” se rattache au mot “ volonté ” elle est le premier moteur de celui-ci.

3. Celui qui met la main à la charrue fait déjà quelque chose, mais celui qui se borne à projeter ne fait rien encore. C’est quand il promet qu’il commence à s’y mettre vraiment, bien qu’il n’accomplisse pas encore ce qu’il promet ; comme celui qui met la main à la charrue ne laboure pas encore, mais prépare déjà sa main au labour.

 

 

            Article 2 — Sur quoi le vœu porte-t-il ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le vœu doive toujours porter sur un bien meilleur. Car on appelle ainsi ce qui est surérogatoire. Mais le vœu concerne aussi ce qui concerne le salut. On fait vœu au baptême de renoncer à Satan et à son cortège, et de garder la foi, comme le dit la Glose sur le texte du Psaume (76, 12) : “ Faites des vœux et tenez vos promesses au Seigneur votre Dieu. ” De même, Jacob fit vœu de tenir le Seigneur pour son Dieu (Gn 28, 21), ce qui est nécessaire au salut. Le vœu n’a donc pas pour seul objet un bien supérieur.

2. L’épître aux Hébreux (11, 32) met Jephté au nombre des saints. Or, en exécution d’un vœu, cet homme immola sa fille innocente (Jg 11, 39). Mettre à mort un innocent, loin d’être un bien supérieur, est une action défendue. Il apparaît donc par cet exemple qu’on peut faire vœu d’accomplir non seulement un plus grand bien, mais même ce qui est défendu.

3. On ne peut regarder comme un bien supérieur ce qui nous nuit ou ne sert à rien. Or, par suite d’un vœu, on se livre à des veilles immodérées ou à des jeûnes qui risquent d’être dangereux. Parfois aussi on s’engage à des choses indifférentes et qui ne sont bonnes à rien. Le vœu ne porte donc pas toujours sur un bien supérieur.

En sens contraire, on lit dans le Deutéronome (23, 23) : “ Si tu t’abstiens de promettre, ce ne sera pas un péché. ”

Réponse :

Nous avons défini le vœu : une promesse faite à Dieu. Une promesse porte toujours sur quelque chose qu’on fait volontairement en faveur de quelqu’un : ce ne serait plus promettre, mais menacer, que d’exprimer son

dessein d’agir contre cette personne. De même il serait inutile de lui promettre ce qui ne lui plairait pas. C’est pourquoi, puisque tout péché va contre Dieu, et que Dieu ne peut agréer que des œuvres vertueuses, il faut en conclure que le vœu ne peut porter sur rien d’illicite ni sur rien d’indifférent, mais seulement sur un acte de vertu.

Mais, parce que le vœu implique promesse volontaire et que la nécessité inclut la volonté libre, ce dont l’existence ou la non-existence est absolument nécessaire ne peut donner lieu à un vœu. Car il serait insensé de faire le vœu de mourir un jour, ou de ne pas voler comme un oiseau.

Pourtant il y a des actions qui n’ont pas une nécessité absolue, mais une nécessité à l’égard de la fin, par exemple parce que sans elles le salut est impossible. Elles peuvent faire l’objet d’un vœu en tant qu’elles sont volontaires, non en raison de leur nécessité. - Reste ce qui ne tombe ni sous une nécessité absolue ni sous une nécessité conditionnelle : ce sont des actions entièrement volontaires, c’est pourquoi le vœu y trouve sa matière la plus appropriée. Or c’est là aussi ce qu’on nomme un bien supérieur, par comparaison avec le bien communément nécessaire au salut. On dira donc, en termes propres, que le vœu a pour matière un bien supérieur.

Solutions :

1. C’est ainsi que les baptisés font vœu de renoncer au diable et à son cortège, et de garder la foi au Christ, parce que c’est un acte volontaire, quoique nécessaire au salut. On peut en dire autant du vœu de Jacob. Bien qu’on puisse aussi l’entendre du vœu de reconnaître le Seigneur pour son Dieu par un culte spécial auquel il n’était pas tenu, comme l’offrande des dîmes et les autres actions mentionnées ensuite.

2. Il y a des actions qui sont bonnes en toute occurrence, comme les œuvres vertueuses et les autres biens, qui peuvent absolument être matière d’un vœu. D’autres sont mauvaises en toute occurrence comme ce qui de soi est péché. Et celles-là ne peuvent aucunement être la matière d’un vœu. Mais d’autres sont bonnes considérées en elles-mêmes, et à ce titre peuvent être l’objet d’un vœu. Mais elles peuvent avoir un mauvais résultat qui détourne d’observer ce vœu. C’est ce qui est arrivé avec le vœu de Jephté. D’après le livre des Juges (11, 30) “ il fit ce vœu au Seigneur : "Si tu livres entre mes mains les Ammonites, celui qui sortira le premier de ma maison pour venir à ma rencontre quand je reviendrai vainqueur, je l’offrirai en holocauste au Seigneur" ”. Cela pouvait avoir un mauvais résultat, si venait à sa rencontre un être vivant qu’on ne peut immoler, comme un âne ou un être humain ; et c’est ce qui arriva. Aussi S. Jérôme dit-il : “ En faisant ce vœu il fut insensé ” par son manque de jugement, “ et en l’accomplissant il fut impie ”. On avait pourtant dit auparavant (Jg 11, 29) : “ L’Esprit du Seigneur fut sur Jephté. ” C’est parce que la foi et la dévotion qui l’ont poussé à faire son vœu venaient de l’Esprit Saint. C’est pourquoi il est mis au nombre des saints par l’épître aux Hébreux, et aussi à cause de sa victoire ; et parce qu’il est probable qu’il se repentit de cette action criminelle, qui pourtant préfigurait un bien.

3. Dieu n’agrée les macérations qu’on inflige à son corps par les veilles et les jeûnes que dans la mesure où c’est un acte de vertu, parce qu’on y met une juste discrétion, pour réprimer la concupiscence sans trop charger la nature. Avec ces garanties on peut faire de ces choses l’objet d’un vœu. Aussi l’Apôtre après ces mots (Rm 12, 1) : “ Offrez vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu ”, ajoute-t-il : “ Que votre hommage soit raisonnable. ” Mais on est facilement mauvais juge en sa propre cause. Il vaut donc mieux pour ces sortes de vœux s’en remettre à un supérieur qui décide ce qu’on doit en tenir ou en rejeter. En notant toutefois que si l’on éprouvait à garder un tel vœu une charge manifestement trop lourde, sans avoir la faculté de recourir à un supérieur, on ne devrait pas observer ce vœu. Quant à ceux qui portent sur des choses vaines et inutiles, mieux vaut en rire que les observer.

 

 

            Article 3 — Obligation du vœu

Objections :

1. Il semble que tout vœu n’oblige pas à l’observer. En effet, si quelqu’un a besoin qu’on fasse quelque chose pour lui, c’est l’homme plutôt que Dieu, qui n’a nul besoin de nos biens. Or l’accomplissement d’une simple promesse faite à un homme n’est pas obligatoire, selon le droit humain, qui semble avoir tenu compte en cela de la mobilité de la volonté humaine. A plus forte raison la promesse faite à Dieu, que nous appelons vœu, n’oblige-t-elle pas à la tenir.

2. A l’impossible nul n’est tenu. Or il arrive que ce qu’on a promis par vœu devient impossible parce que cela dépend d’une volonté étrangère, si par exemple on a fait vœu d’entrer dans un monastère et que les moines ne veulent pas vous recevoir ; ou bien surgit quelque défaut : voici une femme qui avait fait vœu de garder la virginité et qui l’a perdue, un homme qui avait fait vœu de donner une somme d’argent et qui est ruiné. Le vœu n’est donc pas toujours obligatoire.

3. Ce qu’on est obligé de payer, on doit l’acquitter sans retard. Mais on n’est pas tenu de s’acquitter tout de suite de ses vœux, surtout lorsque l’on s’engage sous une condition portant sur l’avenir. Le vœu n’est donc pas toujours obligatoire.

En sens contraire, on lit dans l’Ecclésiaste (5, 3) : “ Tout ce que tu as voué, acquitte-le. Il vaut beaucoup mieux ne pas faire de vœu, que d’en faire un sans l’accomplir. ”

Réponse :

C’est à la fidélité qu’il revient de nous faire acquitter c que nous avons promis ; aussi, selon S. Augustin, “ la fidélité (fides) s’appelle ainsi parce qu’on fait ce qu’on a dit (fiunt dicta) ”

Or c’est surtout à Dieu que l’on doit fidélité, en raison de son autorité sur nous, en raison aussi des bienfaits que nous recevons de lui. C’est donc une obligation souveraine d’accomplir les vœux faits à Dieu ; cela relève de la fidélité que l’homme doit à Dieu, et l’infraction au vœu est une espèce de l’infidélité. Aussi Salomon marque-t-il bien le motif qui doit faire acquitter les vœux, lorsqu’il dit : “ La promesse infidèle déplaît à Dieu ” (Qo 5, 3 Vg).

Solutions :

1. Honnêtement, toute promesse échangée d’homme à homme oblige ; et c’est une obligation de droit naturel. Mais pour que la promesse obtienne des effets juridiques, d’autres conditions sont requises. Quant à Dieu, bien qu’il n’ait aucun besoin de nos biens, nous avons envers lui la plus stricte obligation. Aussi le vœu qu’on lui fait est-il tout à fait obligatoire.

2. Si ce dont on a fait vœu est pour une raison quelconque rendu impossible, on doit faire ce qu’on peut, et avoir au moins la volonté prête à faire ce qui est possible. Celui qui a fait vœu d’entrer dans un monastère doit mettre tout en œuvre pour y être reçu. Si son intention fut principalement de s’obliger à entrer en religion, et que dans la suite il n’ait choisi tel ordre, ou tel lieu comme lui convenant le mieux, qu’à la suite de ce projet, il est tenu, si on ne peut l’admettre là, d’entrer ailleurs. Mais si son intention principale était de s’engager à tel ordre ou à tel monastère par suite d’un attrait particulier, il n’est pas tenu d’entrer

dans un autre ordre religieux, si on ne veut pas le recevoir dans celui-là. Mais celui qui tombe dans l’impossibilité d’accomplir son vœu par sa propre faute, est tenu, en outre, de faire pénitence de la faute qui a précédé. Une femme qui a fait vœu de garder la virginité et qui vient ensuite à la perdre doit non seulement garder ce qu’elle peut, c’est-à-dire la continence perpétuelle, mais encore faire pénitence du péché qu’elle a accepté.

3. Le vœu tire son obligation de la volonté personnelle et de l’intention ; aussi lit-on dans le Deutéronome (23, 23) : “ Ce qui est sorti de tes lèvres, tu l’observeras, et tu feras comme tu l’as promis au Seigneur ton Dieu et selon ce que, volontairement, tu as déclaré de ta bouche. ” C’est pourquoi, si celui qui fait un vœu a l’intention et la volonté de s’obliger à l’acquitter immédiatement, il est tenu de le faire aussitôt. S’il s’engage pour une date déterminée, ou sous telle condition, il n’est pas tenu de l’acquitter sur-le-champ. Mais il ne doit pas non plus dépasser le délai auquel il a voulu s’obliger, car il est écrit au même endroit : “ Quand tu auras fait un vœu au Seigneur, tu ne tarderas pas à l’accomplir, car le Seigneur ton Dieu t’en demandera compte, et si tu apportes du retard, on te l’imputera à péché. ”

 

 

            Article 4 — L’utilité du vœu

Objections :

1. Il semble que le vœu ne serve à rien. Car il n’y a pas d’avantage à se priver des biens que Dieu nous a donnés. Or la liberté est un des plus grands biens que l’homme ait reçus de Dieu, et nous en sommes privés par l’obligation que le vœu impose. Il ne paraît donc pas avantageux de faire des vœux.

2. Nul ne doit s’exposer au danger. Or c’est ce qui arrive à tous ceux qui font des vœux ; ce qu’on pouvait avant le vœu omettre sans péril devient dangereux, si l’on manque à accomplir sa promesse. “ Maintenant que tu as fait vœu, écrit S. Augustin, tu t’es lié, il ne t’est pas permis de faire autre chose. Si tu ne fais pas ce que tu as voué, tu ne resteras pas le même que si tu n’avais pas pris cet engagement. Car tu serais resté moins parfait, mais tu ne serais pas devenu pire. Au lieu que désormais, si malheureusement tu rompais la foi donnée à Dieu, tu serais d’autant plus misérable qu’un bonheur plus grand t’attendait si tu lui étais fidèle. ” Il n’y a donc pas d’avantage à faire des vœux.

3. L’Apôtre nous dit (1 Co 4, 16) : “ Soyez mes imitateurs comme moi-même je le suis du Christ. ” Mais on ne lit nulle part que le Christ ait fait des vœux, pas plus que les Apôtres. Il ne paraît donc pas expédient de faire des vœux.

En sens contraire, on lit dans le Psaume (76, 12) : “ Faites des vœux et acquittez-les envers le Seigneur votre Dieu. ”

Réponse :

Nous l’avons dit, le vœu est une promesse faite à Dieu. Or, la promesse n’a pas la même raison d’être s’il s’agit d’un homme de Dieu. Un homme, cela lui sert : il a intérêt ce que nous lui donnions quelque chose, et à c que nous l’assurions par avance du service que nous lui rendrons. Mais nous ne prétendons pas être utiles à Dieu, quand nous lui faisons un promesse ; c’est à nous que cela sert. Aussi S. Augustin dit-il encore : “ Il est un créancier généreux, et qui n’a besoin de rien. Il ne s’accroît pas de ce qu’on lui donne, mais fait s’accroître en lui ses donateurs. ” Et de même que les dons que nous faisons à Dieu tournent non à son utilité à notre avantage, selon cette parole de S. Augustin : “ S’acquitter envers lui c’est s’enrichir ”, la promesse en quoi consistent nos vœux ne lui est d’aucun usage ; il n’a pas besoin des assurances que nous lui donnons. Mais nous y trouvons ce profit que par le vœu nous fixons immuablement notre volonté à faire ce qui nous avantage. Il est donc profitable de faire des vœux .

Solutions :

1. De même que ne pouvoir pécher ne diminue pas la liberté, de même la nécessité qu’éprouve la volonté fixée dans le bien ne diminue pas la liberté, comme on peut le voir en Dieu et chez les bienheureux. Telle est l’obligation du vœu, qui a quelque similitude avec la confirmation des bienheureux dans le bien. S. Augustin dit à ce propos que “ c’est une heureuse nécessité, celle qui nous pousse à mieux agir ”.

2. Quand le péril naît du fait lui-même, il n’est pas expédient de s’y engager ; mieux vaut ne point passer le fleuve sur un pont qui menace ruine ; mais si le danger ne vous guette que par votre défaillance possible en cette affaire, celle-ci n’en perd pas pour autant ses avantages : il est utile d’aller à cheval, bien qu’on risque de tomber de cheval. Ou alors il faudrait laisser là tout ce qui est bon et qui peut d’aventure nous exposer à quelque risque. Comme dit l’Ecclésiaste (11, 4) : “ Celui qui observe le vent ne sème pas, et celui qui regarde les nuages ne moissonnera jamais. ” Aucun danger ne vient du vœu lui-même pour ceux qui s’y engagent. S’il en est, ce danger ne peut tenir qu’à la faute de l’homme, dont la volonté change, et qui transgresse son vœu. Aussi S. Augustin poursuit-il dans la même lettre : “ Ne regrette pas tes vœux. Bien au contraire, réjouis-toi qu’il ne te soit plus permis de faire ce dont la licence t’était dommageable. ”

3. Le Christ étant ce qu’il est n’avait pas à faire de vœux. Parce qu’il était Dieu. Et aussi parce que, comme homme, il avait la volonté fixée dans le bien, lui qui possédait la vision de Dieu. Pourtant, par une certaine assimilation c’est en son nom que le Psaume (22, 55), selon la Glose, dit ces mots : “ Je rendrai mes vœux au Seigneur en présence de ceux qui le craignent. ” Mais il parle pour son corps, qui est l’Église. Quant aux Apôtres, on peut entendre qu’ils ont fait vœu de ce qui constitue l’état de perfection quand, ayant tout quitté, ils suivirent le Christ.

 

 

            Article 5 — De quelle vertu le vœu est-il l’acte ?

Objections :

1. Il semble que le vœu ne soit pas un acte de latrie ou de religion. Car tout acte de vertu peut faire l’objet d’un vœu. Or il semble que ce soit à la même vertu d’assurer la promesse et son accomplissement. Le vœu peut donc être attribué à n’importe quelle vertu et non point à la seule religion.

2. Cicéron attribue à la religion “ d’offrir à Dieu culte et cérémonie ”. Mais celui qui fait un vœu n’offre encore rien à Dieu, il promet seulement. Donc le vœu n’est pas un acte de religion.

3. La religion réserve à Dieu son culte. Or on fait vœu non seulement à Dieu, mais aux saints et aux prélats, à qui les religieux, dans leur profession, font vœu d’obéissance. Donc le vœu n’est pas un acte de religion.

En sens contraire, nous lisons dans Isaïe (19, 21) : “ Ils rendront leur culte à Dieu par des sacrifices et des offrandes ; ils feront des vœux au Seigneur et les acquitteront. ” Mais le culte de Dieu est l’objet propre de la religion ou latrie. Le vœu est donc un acte de cette vertu.

Réponse :

Toute œuvre de vertu, nous l’avons dit plus haut, peut dépendre de la religion ou vertu de latrie, par mode de commandement, en tant qu’elle est ordonnée à Dieu, fin propre de cette vertu. Or cette ordre à une finalité nouvelle est le fait de la vertu qui commande, et non des vertus soumises à celle-ci. L’acte même d’ordonner les actes d’une vertu quelconque au service de Dieu sera donc propre à la religion. Nous savons déjà que le vœu est une promesse faite à Dieu ; nous savons aussi que la promesse est un acte par lequel on destine à quelqu’un ce qu’on lui promet. Il s’ensuit que le vœu consiste à ordonner son objet au culte et au service de Dieu. Ainsi le vœu est évidemment un acte de religion.

Solutions :

1. La matière du vœu est parfois l’acte d’une autre vertu : jeûner, garder la continence ; d’autres fois c’est un acte de religion, offrir un sacrifice, prier. Mais dans les deux cas la promesse faite à Dieu est l’acte de la religion, pour la raison qu’on vient de dire. Nous voyons par là que certains vœux relèvent de la religion uniquement en raison de la promesse faite à Dieu, qui est l’essence du vœu, tandis que d’autres dépendent aussi de cette vertu pour leur matière.

2. Qui promet s’oblige à donner, ce qui en un sens est déjà donner, car on dit qu’une chose se fait quand sa cause se produit, parce que l’effet est virtuellement contenu dans sa cause. De là vient que l’on remercie non seulement celui qui donne, mais celui qui promet.

3. Le vœu ne se fait qu’à Dieu, alors que la promesse peut s’adresser à un homme. Mais cette promesse elle-même, faite à un homme, peut tomber sous un vœu, étant œuvre de vertu. C’est ainsi qu’il faut comprendre les vœux par lesquels on s’engage envers des saints et des prélats : la promesse qu’on leur fait tombe sous le vœu à titre de matière, en tant qu’on fait vœu à Dieu d’accomplir ce qu’on leur promet.

 

 

            Article 6 — Est-il plus méritoire d’accomplir quelque chose avec ou sans vœu ?

Objections :

1. Il semble que ce soit d’agir sans vœu. Car S. Prosper m nous dit : “ Nous devons faire abstinence ou jeûner, mais sans que ce soit par soumission à une nécessité, de peur que nous fassions sans dévotion et à contrecœur ce qu’on doit faire de plein gré. ” Mais celui qui fait vœu de jeûner se soumet à la nécessité de le faire. Il vaudrait mieux par conséquent qu’il jeûnât sans en faire le vœu.

2. L’Apôtre nous dit (2 Co 9, 7) : “ Que chacun donne comme il l’a résolu dans son cœur, non pas avec tristesse et par contrainte. Dieu aime celui qui donne avec joie. ” Or il est des gens qui accomplissent avec tristesse ce qu’ils ont voué, précisément semble-t-il parce qu’ils y sont tenus ; Aristote n voyait dans la nécessité une source de tristesse. Il vaut donc mieux agir sans avoir fait de vœu.

3. Le vœu est nécessaire pour fixer inébranlablement la volonté de l’homme à ce qu’il promet de faire. Mais la volonté ne sera jamais plus fermement déterminée à faire quelque chose qu’au moment même où elle l’accomplit. On ne fera donc pas mieux avec un vœu que sans vœu.

En sens contraire, sur ce texte (Ps 76, 12) : “ Faite des vœux et acquittez-les ”, la Glose explique : “ C’est un conseil qui s’adresse à notre volonté. ” Mais le conseil ne porte que sur un bien supérieur ; ce sera donc encore mieux, quand nous avons affaire à quelque chose qui est déjà un bien supérieur, de l’accomplir en vertu d’un vœu ; sans cela, en effet, on remplit un seul conseil, relatif à cette œuvre meilleure ; tandis que celui qui agit sous l’empire d’un vœu accomplit deux conseils : l’un relatif au vœu, l’autre à l’œuvre accomplie.

Réponse :

La même œuvre accomplie en exécution d’un vœu est plus méritoire et meilleure que si on l’eût faite sans vœu, et cela pour trois raisons.

1° Le vœu est, nous venons de le voir, un acte de la vertu de religion, laquelle tient le premier rang parmi les vertus morales. Plus haute est la qualité de la vertu, plus grande est la bonté et le mérite de l’acte. Donc l’acte d’une vertu inférieure devient meilleur et plus méritoire, du fait qu’il est commandé par une vertu supérieure, puisque par ce commandement il en devient l’acte. Nous reconnaissons par exemple plus de bonté et de mérite à l’acte de foi ou d’espérance, lorsqu’ils sont commandés par la charité. C’est pourquoi les actes des vertus morales autres que la religion : le jeûne, acte de l’abstinence, la continence, acte de la chasteté, sont meilleurs et plus méritoires s’ils sont accomplis en exécution d’un vœu, car ainsi ils appartiennent au culte de Dieu, comme des sacrifices. “ La virginité elle-même, dit S. Augustin, n’est pas honorée pour ce qu’elle est, mais pour l’hommage qu’on en fait à Dieu, elle que favorise et conserve la continence religieuse. ”

2° Celui qui accomplit une chose après en avoir fait le vœu se soumet plus entièrement à Dieu que celui qui se contente de l’accomplir. Sa sujétion s’étend en effet non seulement à l’acte, mais au pouvoir, puisque désormais il ne peut plus faire autre chose. Qui donne l’arbre avec les fruits fait un présent plus grand que s’il donnait seulement les fruits, remarque S. Anselme. C’est pourquoi l’on remercie aussi ceux qui promettent, comme nous l’avons déjà remarqué.

3° Le vœu confirme de façon stable notre volonté de bien faire. Or, agir avec une volonté ainsi stabilisée dans le bien, c’est faire acte de vertu parfaite, comme le montre Aristote. De même encore dans le cas du péché, où l’obstination spirituelle aggrave la faute. C’est ce qu’on appelle pécher contre le Saint-Esprit, comme on l’a vu précédemment.

Solutions :

1. Ce texte doit s’entendre de la nécessité de contrainte qui rend l’acte involontaire et exclut la dévotion. C’est ce qui ressort de la suite : “ De peur que nous ne fassions sans dévotion et à contrecœur ce qu’on doit faire de plein gré. ” L’obligation du vœu vient en réalité d’une volonté rendue inébranlable. Renforçant la volonté, il accroît la dévotion. On ne peut donc tirer argument de ce texte.

2. C’est la nécessité de contrainte qui cause de la tristesse parce qu’elle contrarie la volonté. Telle est la pensée d’Aristote. Mais l’obligation du vœu chez ceux qui sont bien disposés, par le fait qu’il affermit leur volonté, ne cause pas de tristesse, mais de la joie. “ N’aie point regret de tes vœux : réjouis-toi de ce que désormais il ne te soit plus permis de faire ce dont la licence t’était dommageable ”, dit S. Augustin.

Si cependant l’œuvre considérée en elle-même devenait triste et contraignante, une fois le vœu prononcé, tant que subsiste la volonté d’accomplir le vœu, c’est encore plus méritoire que de l’accomplir sans vœu, parce que l’accomplissement du vœu est un acte de la religion, vertu supérieure à l’abstinence, dont le jeûne est l’acte.

3. Lorsqu’on fait une chose sans vœu, on a une volonté fixe envers l’œuvre particulière que l’on fait, et au moment où on la fait. Mais cette volonté ne demeure aucunement fixée pour l’avenir, comme dans le vœu qui oblige la volonté à faire quelque chose avant d’accomplir cette œuvre particulière, et peut-être à la renouveler plusieurs fois.

 

 

            Article 7 — La solennité du vœu

Objections :

1. Il semble que le vœu ne soit pas solennisé par la réception d’un ordre sacré et par la profession d’une règle déterminée. En effet, le vœu, on l’a dit u, est une promesse faite à Dieu. Or les solennités extérieures ne sont pas ordonnées à Dieu, mais aux hommes. C’est donc par accident qu’elles s’ajoutent au vœu, et cette solennité n’est pas une condition propre au vœu.

2. Ce qui est relatif à la condition d’une chose doit pouvoir se rencontrer partout où se trouver cette chose. Mais bien des œuvres peuvent faire l’objet d’un vœu, qui sont sans rapport avec un Ire sacré ou une règle de vie religieuse, le vœu n pèlerinage, par exemple, ou d’une œuvre analogue. La solennité réalisée dans la réception n ordre sacré ou la profession d’une règle terminée n’appartient donc pas à la nature du vœu.

3. Vœu solennel et vœu public, c’est, semble-t-il, la même chose. Mais on peut faire en public beaucoup de vœux autres que celui que l’on émet en recevant un ordre sacré ou en faisant profession d’une règle particulière. Ceux-ci, d’autre part, peuvent être faits en secret. Donc il n’y a pas que ces vœux qui soient solennels.

En sens contraire, ces vœux sont les seuls qui empêchent de contracter mariage et diriment le mariage contracté, ce qui est l’effet du vœu solennel comme nous le dirons dans la troisième Partie.

Réponse :

Chaque chose reçoit la solennité qui convient à sa condition. Autre est la solennité militaire pour la réception des nouvelles recrues, avec tout un appareil d’armes et de chevaux et un rassemblement de soldats ; autre est la solennité nuptiale qui consiste dans l’apparat qui environne les jeunes époux et la réunion de leurs proches. Or le vœu est une promesse faite à Dieu. Il tirera donc sa solennité de quelque chose de spirituel, où Dieu soit engagé, c’est-à-dire d’une bénédiction ou consécration spirituelle, laquelle a lieu, par l’institution des Apôtres, dans la profession d’une règle déterminée, et vient au second rang après la réception d’un ordre sacré, selon Denys.

En voici la raison. On n’a coutume d’user de solennités que lorsque quelqu’un se consacre totalement à quelque chose. Ainsi la solennité des noces n’est-elle employée que dans la célébration du mariage, lorsque chacun des deux époux livre à l’autre pouvoir sur son corps. De même la solennité est donnée au vœu lorsque la réception d’un ordre sacré attache quelqu’un au ministère divin, et dans la profession de la vie régulière lorsque renonçant au siècle et à sa volonté propre on assume l’état de perfection.

Solutions :

1. Cette solennité tient non seulement aux hommes, mais à Dieu, en tant qu’elle comporte une certaine consécration ou bénédiction spirituelle, dont Dieu est l’auteur, bien que l’homme en soit le ministre selon ce texte des Nombres (6, 27) : “ Ils invoqueront mon nom sur les fils d’Israël, et je les bénirai. ” Le vœu solennel a donc une obligation plus forte devant Dieu que le vœu simple, et celui qui le transgresse pèche plus gravement. Quant à dire que le vœu simple n’oblige pas moins auprès de Dieu que le vœu solennel, il faut l’entendre en ce que la transgression est dans les deux cas péché mortel.

2. Les actes particuliers ne comportent pas ordinairement de solennité, mais seulement l’entrée dans un nouvel état. Aussi, lorsqu’on fait vœu de quelque œuvre particulière comme un pèlerinage ou un jeûne spécial, la solennité ne lui convient pas, mais seulement au vœu par lequel on s’assujettit totalement au ministère divin ou au service de Dieu, vœu qui d’ailleurs embrasse beaucoup d’œuvres particulières.

3. Le caractère public d’un vœu peut lui conférer une certaine solennité humaine, non une solennité spirituelle et divine comme celle qui est attachée aux vœux dont nous avons parlé, même s’ils ont peu de témoins. Il est donc différent, pour un vœu, d’être public, et d’être solennel.

 

 

            Article 8 — Ceux qui sont soumis à une autorité peuvent-ils faire des vœux ?

Objections :

1. Cela n’empêche pas de faire des vœux, car un lien plus faible est dominé par un plus fort. Or l’obligation contractée envers un homme à qui nous sommes soumis est un moindre lien que le vœu qui nous lie envers Dieu. Donc ceux qui sont soumis au pouvoir d’autrui ne sont pas empêchés de faire des vœux.

2. Les enfants sont sous la puissance paternelle. Mais ils peuvent faire profession dans un ordre religieux sans le consentement de leurs parents. Donc ce n’est pas un empêchement au vœu que d’être sous la puissance d’autrui.

3. Faire, c’est plus que promettre. Or les religieux qui sont sous la puissance de leurs supérieurs peuvent faire certaines choses sans leur permission, comme dire des psaumes ou s’imposer quelque abstinence. A plus forte raison pourront-ils en faire la promesse à Dieu.

4. Quiconque fait ce qu’il n’a pas le droit de faire commet un péché. Or les sujets ne pèchent pas quand ils font des vœux, car on ne trouve nulle part de défense sur ce point. Il parait donc qu’ils ont le droit de faire des vœux.

En sens contraire, il est stipulé dans le livre des Nombres (30, 4) : “ Si une femme, étant dans la maison de son père et encore jeune, fait un vœu, elle n’est point engagée à moins que son père y consente. ” Même solution pour la femme qui a un mari. Donc, pour la même raison, toute autre personne soumise à la puissance d’autrui ne peut d’elle-même contracter l’obligation d’un vœu.

Réponse :

Le vœu, disons-le à nouveau, est une promesse faite à Dieu. Personne ne peut faire une promesse qui l’oblige de façon ferme à ce qui est au pouvoir d’un autre : il faut que ce soit totalement en son propre pouvoir. Or, celui qui est soumis à une autre personne, n’a pas pouvoir de faire ce qu’il veut dans le cadre de sa sujétion, il dépend de la volonté d’autrui. Il ne peut donc, dans le domaine où il est soumis à autrui, s’obliger efficacement par un vœu sans le consentement de son supérieur.

Solutions :

1. La promesse qu’on fait à Dieu ne peut porter que sur des œuvres vertueuses, nous l’avons dit. Nous avons vu également que la vertu s’oppose à ce qu’on offre à Dieu le bien d’autrui. Les conditions requises pour qu’il y ait vœu ne sont donc pas entièrement sauvegardées lorsque quelqu’un qui est en état de dépendance s’engage à ce qui relève du pouvoir d’autrui. A moins qu’il ne le fasse sous la condition que le détenteur de ce pouvoir n’y contredira pas.

2. Parvenu à l’âge de la puberté, l’homme de condition libre peut disposer de lui-même et de ce qui le concerne personnellement, par exemple s’engager par des vœux dans la vie religieuse ou contracter mariage. Mais il n’a pas autorité dans l’économie familiale. Dans ce domaine il ne peut faire de vœu valable sans le consentement paternel. Quant à l’esclave, même ses actions personnelles sont soumises à la disposition de son maître. Il ne peut donc s’obliger par vœu à la vie religieuse, qui l’enlèverait au service de celui-ci.

3. Le religieux est, dans ses activités, soumis à son supérieur, conformément à la règle qu’il professe. Même si un religieux, de lui-même, peut faire momentanément telle chose, dans le temps où il n’est pas occupé à telle autre par son supérieur, comme il n’est aucun moment où son supérieur ne puisse lui imposer telle occupation, il ne peut, sans son consentement, faire aucun vœu qui tienne. De même le vœu d’une jeune fille encore à la maison paternelle ne vaut pas sans le consentement du père, et celui d’une épouse sans le consentement du mari.

4. Le vœu de gens soumis à la puissance d’autrui n’a pas de force sans le consentement du supérieur. Mais ce n’est pas pour autant un péché ; ce vœu sous-entend en effet la condition requise : “ Si cela plaît aux supérieurs, ou s’ils ne s’y opposent pas. ”

 

 

            Article 9 — Les enfants peuvent-ils s’obliger par vœu à entrer en religion ?

Objections :

1. Il semble que non. Puisque, pour faire un vœu il faut délibérer, cela convient seulement à ceux qui ont l’usage de la raison. Or celui-ci manque aux enfants comme aux idiots et aux fous. De même que ces derniers ne peuvent s’astreindre à quoi que ce soit par vœu, il doit en être de même pour les enfants qui, semble-t-il, ne peuvent s’obliger par vœu à la vie religieuse.

2. Ce qui a été légitimement fait par quelqu’un ne peut être déclaré nul par un autre. Or les parents ou le tuteur peuvent révoquer le vœu fait par un petit garçon ou une petite fille avant l’âge de la puberté ; garçons et filles ne peuvent donc avant quatorze ans faire des vœux valides.

3. La règle de S. Benoît et le décret d’Innocent IV accordent une année de probation à ceux qui entrent en religion, pour que cette épreuve précède l’engagement du vœu. Il paraît donc illicite que des enfants s’engagent par vœu avant cette année de probation.

En sens contraire, ce qui n’est pas fait selon les formes du droit n’est pas valide, même si personne ne le révoque. Mais, selon le droit, le vœu émis par une fillette, même avant l’âge de puberté, est valide s’il n’est pas révoqué dans l’année par ses parents. Donc, licitement et conformément au droit, les enfants peuvent s’obliger la vie religieuse par un vœu émis avant l’âge de puberté.

Réponse :

Nous avons reconnus deux sortes de vœu : le vœu simple et le vœu solennel. La solennité du vœu, avons-nous dit également, consiste en une certaine bénédiction et consécration spirituelle conférée par le ministère de l’Église. C’est donc à celle-ci de régler les conditions du vœu solennel. Quant au vœu simple, il tient tout son effet de la délibération personnelle, en vertu de laquelle on entend s’obliger. Cette obligation peut dès lors se trouver infirmée en deux cas. D’abord le défaut de raison : c’est le fait des fous et des gens hors de sens, qui ne peuvent se lier par aucun vœu tant que dure leur folie ou leur égarement. L’autre cas est celui, précédemment étudié de la personne soumise au pouvoir d’autrui. Ces deux conditions se trouvent réunies chez les enfants qui n’ont pas atteint l’âge de puberté, parce que, ordinairement, la raison leur fait encore défaut ; et ils sont, par condition naturelle, sous la garde de leurs parents ou des tuteurs qui remplacent ceux-ci. Et c’est pourquoi leurs vœux sont sans valeur pour un double motif.

Mais par une disposition de la nature, qui n’obéit pas aux lois humaines, il arrive que certains, peu nombreux, atteignent de bonne heure l’usage de la raison : on les appelle alors “ capables de dol ”. Toutefois, cela ne les soustrait en rien au régime paternel réglé par la loi humaine qui envisage les conditions les plus courantes.

Voici donc ce que l’on doit dire : si le garçon ou la fillette, avant l’âge de la puberté, n’a pas l’usage de la raison, il ne peut aucunement se lier par un vœu. S’il a atteint l’usage de la raison avant l’âge de la puberté, il peut bien, en ce qui dépend de lui, se lier, mais son vœu peut être annulé par ses parents, auxquels il demeure soumis. Mais serait-il “ capable de dol ” avant l’âge de la puberté, il ne peut se lier par le vœu solennel de religion à cause de la loi de l’Église, qui envisage les cas les plus fréquents. Après l’âge de la puberté, les enfants peuvent se lier par le vœu de la religion, simple ou solennel, sans le consentement des parents.

Solutions :

1. Le cas envisagé par l’objection est celui des enfants qui n’ont pas encore l’usage de la raison, et dont les vœux sont invalides, nous venons de le dire.

2. Ceux qui, étant sous la puissance d’autrui, font des vœux, s’obligent sous la condition implicite que ces vœux ne seront pas révoqués par leur supérieur. Cette condition les rend licites, et sa réalisation assure leur validité, nous l’avons dite.

3. Il s’agit du vœu solennel, qui se fait par la profession religieuse.

 

 

            Article 10 — Peut-on dispenser d’un vœu ou le commuer ?

Objections :

1. Cela paraît impossible. Il est moins grave en effet de commuer un vœu que d’en dispenser. Or on ne peut le commuer d’après le Lévitique (27, 9) : “ L’animal qui peut être immolé au Seigneur, si c’est par vœu, il sera chose consacrée et on ne pourra le changer par un autre qui soit meilleur ou pire. ” Donc, à plus forte raison, ne peut-on dispenser d’un vœu.

2. L’homme ne peut dispenser de ce qui relève de la loi naturelle et des préceptes divins, surtout s’il s’agit des préceptes de la première table, directement relatifs à l’amour de Dieu, fin ultime de tous les commandements. Or la loi naturelle exige qu’on acquitte ses vœux, et la loi divine en fait un précepte, nous le savons déjà. C’est même un précepte de la première table, car il s’agit d’un acte de latrie. On ne peut donc dispenser d’un vœu.

3. L’obligation du vœu est fondée sur la fidélité qu’on doit à Dieu, nous l’avons dit. Or de cette fidélité nul ne peut dispenser. Du vœu, pas davantage.

En sens contraire, ce qui émane de la volonté commune a plus de fermeté, semble-t-il, que ce qui procède d’une initiative particulière. Or l’homme peut dispenser de la loi qui tient sa force de la volonté commune. Il apparaît donc que l’homme peut dispenser du vœu.

Réponse :

Il faut concevoir la dispense du vœu à la manière de la dispense concédée dans l’observation d’une loi. La teneur de la loi regarde en effet ce qui est bon dans la pluralité des cash. Mais parce qu’il arrive en telle circonstance que ce qui était bon ne le soit plus, il a fallu que quelqu’un vînt déterminer que dans ce cas particulier la loi ne devrait pas être observée. C’est là proprement dispenser en matière de loi. La notion de “ dispense ” comporte en effet une répartition bien proportionnée, l’adaptation d’une chose générale aux éléments particuliers qu’elle embrasse : c’est ainsi qu’on parle de “ dispenser ” la nourriture à sa famille. De même celui qui fait un vœu s’impose en quelque sorte une loi, en s’obligeant à quelque chose qui est bon en soi et dans la majorité des cas. Cependant tel cas peut se présenter où la chose deviendrait absolument mauvaise ou inutile, ou opposée à un bien plus grand ; ce qui est contraire aux conditions essentielles que nous avons requises i pour la matière du vœu. Il est donc nécessaire de déterminer qu’en pareil cas le vœu ne doit pas être observé. Si l’on détermine de façon absolue la non-exécution d’un vœu, c’est ce qu’on nomme dispense. Si l’on remplace l’obligation par une autre, on appelle cela commuer le vœu. La commutation du vœu est donc moindre que la dispense. L’une et l’autre toutefois font appel au pouvoir de l’Église.

Solutions :

1. L’animal propre à l’immolation, par le seul fait qu’on le vouait au Seigneur, était tenu pour sacré, comme appartenant au culte divin. C’est pour cette raison qu’on ne pouvait pas le changer. De même maintenant on ne peut changer pour une chose meilleure ou moindre un objet qu’on a voué, lorsqu’il est consacré, un calice par exemple, ou une maison. Quant à l’animal qui ne pouvait être consacré parce qu’il était impropre au sacrifice, on pouvait et on devait le racheter comme la loi le prescrit (Lv 26, 11). Ainsi peut-on encore changer ce qu’on a donné par vœu, si nulle consécration n’intervient.

2. De même que l’obligation d’acquitter un vœu, celle d’obéir à la loi et aux ordres promulgués par les supérieurs relève du droit naturel et d’un précepte divin. Et cependant la dispense relative à une loi humaine ne contrarie pas ce devoir d’obéissance, car elle s’opposerait ainsi à la loi naturelle et au précepte de Dieu. Elle fait simplement que ce qui était la loi ne le soit plus en ce cas. De même encore, le supérieur ayant autorité pour dispenser, fait que ce qui était compris sous un vœu cesse de l’être ; par là même il détermine qu’il n’y a pas, en tel cas, matière convenable pour un vœu. C’est pourquoi, lorsqu’un supérieur ecclésiastique dispense d’un vœu, il ne dispense pas d’un précepte naturel ou de droit divin ; mais sa décision est relative à ce qui tombait sous l’obligation issue d’une délibération humaine qui n’a pu tout prévoir.

3. La fidélité due à Dieu n’exige pas qu’on accomplisse ce qui, faisant l’objet d’un vœu, est mauvais, inutile, ou opposé à un plus grand bien. C’est le sens de la dispense ; celle-ci n’est donc pas contraire à la fidélité qu’on doit à Dieu.

 

 

            Article 11 — Peut-on dispenser du vœu solennel de continence ?

Objections :

1. Il semble que oui, car la seule raison qui permette de dispenser d’un vœu, c’est qu’il s’oppose à un bien meilleur. Or ce peut être le cas du vœu de continence, même solennel, car “ le bien commun est plus divin que le bien d’un seul ”. Or le bien de tout un peuple peut être contrarié parce qu’un individu gardera la continence, par exemple lorsqu’un mariage contracté entre personnes ayant fait vœu de continence assurerait la paix de la patrie. Il semble donc que l’on puisse dispenser du vœu solennel de continence.

2. La religion est une vertu plus noble que la chasteté. Or on peut dispenser d’un vœu portant sur un acte de culte, l’oblation d’un sacrifice par exemple. A plus forte raison du vœu de continence qui porte sur un acte de la vertu de chasteté.

3. Le vœu d’abstinence peut, si on l’accomplit, mettre en danger la personne qui l’a fait. De même le vœu de continence. Mais on peut dispenser du vœu d’abstinence s’il porte atteinte à la santé. Donc la même raison doit permettre de dispenser du vœu de continence.

4. La profession religieuse qui confère au vœu sa solennité embrasse non seulement le vœu de continence mais celui de pauvreté et d’obéissance. Or de ces deux derniers vœux on peut dispenser, comme on le voit chez ceux qui après avoir fait profession sont élevés à l’épiscopat. Il paraît donc qu’on puisse dispenser du vœu solennel de continence.

En sens contraire,1° on lit dans l’Ecclésiastique (26, 15) : “ Une âme chaste est un trésor inestimable. ”

2° On lit dans un décret d’Innocent III : “ Le renoncement à la propriété comme aussi la garde de la chasteté sont à ce point liés à la vie monastique, que le souverain pontife lui-même ne peut permettre aucun relâchement à cet égard ”.

Réponse :

Trois éléments sont à considérer dans le vœu solennel de continence : la matière du vœu, c’est-à-dire la continence elle-même ; la perpétuité du vœu, c’est-à-dire l’engagement de garder perpétuellement la continence ; enfin la solennité du vœu.

Pour certains, si l’on ne peut dispenser du vœu solennel, c’est en raison de la continence, dont rien ne peut égaler le prix, ainsi qu’il ressort du texte de l’Écriture allégué ci-dessus. Ils en donnent ce motif que, par la continence, l’homme triomphe de son ennemi domestique ; ou qu’elle assure notre parfaite conformité au Christ, dans la pureté de l’âme et du corps. Mais ces propos sont sans portée. Car les biens de l’âme comme la contemplation et la prière sont bien supérieurs à ceux du corps, et nous font bien davantage ressembler à Dieu. Et pourtant on peut dispenser d’un vœu portant sur des actes de prière ou de contemplation. Il n’y a donc pas de raison de ne pas dispenser du vœu de continence, si l’on envisage de façon absolue la dignité même de la continence. D’autant plus que l’Apôtre nous engage à la pratiquer en vue de la contemplation, lorsqu’il dit (1 Co 7, 34) : “ La femme sans mari a souci des affaires du Seigneur. ” Or la fin l’emporte toujours sur les moyens.

C’est pourquoi d’autres ont donné pour raison la perpétuité et l’universalité de ce vœu. Si l’on cesse d’observer le vœu de continence, disent-ils, ce ne peut-être qu’en posant l’acte qui lui est tout à fait contraire, ce qui n’est jamais permis dans aucun vœu. Mais cela est manifestement faux. Si l’union charnelle est contraire à la continence, il est tout aussi contraire à l’abstinence de manger de la viande ou de boire du vin. Pourtant, on peut dispenser des vœux de cette espèce.

Aussi apparaît-il à d’autres auteurs qu’on puisse dispenser du vœu solennel de continence pour un intérêt ou une nécessité sociale, comme dans le cas, cité en exemple, d’un mariage assurant la pacification d’un pays.

Mais puisque la décrétale citée en sens contraire dit expressément que le souverain pontife lui-même ne peut dispenser un moine de garder la chasteté, il semble qu’on doive parler autrement et dire ceci comme on l’a dit plus haut et selon le Lévitique (26, 9.28) : “ Ce qui a été une fois consacré au Seigneur ne peut être aliéné à d’autre usages. ” Or nul supérieur ecclésiastique ne peut faire que ce qui a été consacré perde sa consécration, même dans les choses inanimées : par exemple qu’un calice consacré cesse d’être consacré, s’il demeure intact. Aussi, bien moins encore, un supérieur ne peut-il faire qu’un homme consacré à Dieu, tant qu’il vit, cesse d’être consacré. Or la solennité du vœu consiste en une certaine consécration ou bénédiction de celui qui fait le vœu consiste en une certaine consécration ou bénédiction de celui qui fait le vœu, nous l’avons dit. Nul supérieur ecclésiastique ne peut donc faire que le sujet d’un vœu solennel soit soustrait aux effets de la consécration qu’il a reçue ; par exemple que celui qui est prêtre ne le soit plus, bien qu’un supérieur puisse, pour un motif donné, empêcher l’exercice de l’ordre sacré. Pour la même raison, le pape ne peut pas faire que celui qui a fait profession religieuse ne soit plus religieux, bien que certains juristes disent le contraire par ignorance.

Il s’agit donc de voir si la continence est essentiellement liée à ce que le vœu solennise parce que, si cette liaison n’est pas essentielle, la consécration peut demeurer sans l’obligation de la continence, ce qui ne peut se faire dans le cas contraire. Or, l’obligation de la continence n’est pas liée aux ordres sacrés par essence,, mais par décision de l’Église. Cela montre que l’Église peut dispenser du vœu de continence solennisé par la réception d’un ordre sacré. Mais le devoir de la continence est essentiel à l’état religieux, par lequel l’homme renonce au siècle, en se donnant totalement au service de Dieu ; cela est incompatible avec le mariage, qui impose la nécessité de veiller sur son épouse, de ses enfants et toute la maisonnée, avec ce que cela entraîne. Comme dit l’Apôtre (1 Co 7, 33) : “ Celui qui est marié a souci des choses du monde, des moyens de plaire à son épouse, et il est partagé. ” C’est pourquoi le nom de moine vient de monos, “ un ”, par opposition à la division dont parle S. Paul. En conséquence le vœu solennisé par la profession religieuse ne peut recevoir dispense de l’Église, et la décrétale en indique la raison : “ Parce que la chasteté est liée à la règle monastique. ”

Solutions :

1. Aux périls qui menacent les affaires humaines on doit obvier par des moyens humains, et non en affectant à un usage humain les réalités divines. Or ceux qui ont fait profession religieuse sont morts au monde et vivent pour Dieu. On ne doit donc pas les faire revenir à la vie humaine, quoi qu’il arrive.

2. On peut dispenser du vœu temporaire de continence, de même qu’on peut dispenser du vœu portant sur une prière ou une abstinence temporaires. Mais le vœu de continence solennisé par la profession religieuse ne souffre pas dispense, non parce qu’il s’agit d’un acte de chasteté, mais parce que, du fait de la profession religieuse, il est entré dans le domaine du culte divin.

3. La nourriture a pour but direct la conservation de l’individu, si bien qu’il peut y avoir danger direct et personnel à s’en abstenir. C’est pour cette raison que l’on dispense du vœu d’abstinence. Mais les relations conjugales ne sont pas ordonnées directement à la conservation de l’individu, mais à celle de l’espèce. Il ne peut donc y avoir de danger pour celui qui s’en abstient. Si pour une raison accidentelle il y avait péril, il est d’autres moyens d’y subvenir : l’abstinence par exemple ou d’autres remèdes corporels.

4. Le religieux élevé à l’épiscopat n’est pas plus délié de son vœu de pauvreté que de son vœu de continence, parce qu’il ne doit rien avoir en propre, mais se considérer comme intendant des biens communs de l’Église. De même il n’est pas délié du vœu d’obéissance. S’il lui arrive de n’être plus tenu d’obéir, c’est pour une raison accidentelle, faute de supérieur : tel est le cas de l’abbé d’un monastère, qui n’est pas pour autant délié du vœu d’obéissance.

5. Quant au texte invoqué en sens contraire contre la dispense du vœu, il faut l’entendre en ce sens que ni la fécondité charnelle, ni aucun bien du corps, ne peuvent se comparer à la continence, qu’on range avec S. Augustin parmi les biens de l’âme. C’est ce que le texte lui-même explique clairement en parlant non de la chair, mais d’une “ âme chaste ”.

 

 

            Article 12 — Faut-il, pour dispenser d’un vœu, recourir à une autorité supérieure ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car on peut entrer en religion sans recourir à l’autorité d’un supérieur. Or l’entrée en religion délie de tous les vœux qu’on a faits dans le monde, même du vœu d’aller en Terre sainte. Il peut donc y avoir dispense ou commutation d’un vœu sans intervention d’un supérieur.

2. Dispenser d’un vœu, c’est déterminer en quel cas l’on n’a pas à l’observer. Mais si la décision du prélat porte à faux, il ne semble pas qu’on soit exempté du vœu qu’on avait fait, car nul supérieur ne peut par sa dispense contredire le précepte divin exigeant l’exécution du vœu, on vient de le dire. Pareillement, si l’on détermine comme il faut, de son propre chef, qu’en tel cas il n’y a pas à remplir le vœu, il semble qu’on n’est plus tenu de l’exécuter ; car le vœu n’oblige pas au cas où il produirait de mauvais effets, on l’a dit. La dispense d’un vœu n’exige donc pas l’autorité d’un prélat.

3. Si le pouvoir de dispenser tenait à leur charge, tous les prélats pourraient également l’exercer. Or tous ne peuvent pas dispenser de n’importe quel vœu. Donc la dispense du vœu ne dépend pas du pouvoir des prélats.

En sens contraire, le vœu oblige à la façon d’une loi. Or nous savons que pour dispenser d’un commandement de la loi il faut l’autorité du supérieur, nous l’avons déjà dito. Il en va de même du vœu, à titre égal.

Réponse :

Le vœu est, nous l’avons dit, la promesse faite à Dieu d’une chose qu’il agrée. Que cela lui agrée, c’est au destinataire de cette promesse d’en juger. Or, dans l’Église, le supérieur tient la place de Dieu. C’est pourquoi, s’il s’agit de commuer un vœu ou d’en dispenser on doit recourir à l’autorité d’un prélat qui, en la personne de Dieu, détermine ce que Dieu agrée. Ainsi S. Paul écrit (2 Co 2, 10) : “ Moi-même j’ai pardonné à cause de vous, en tenant la place du Christ. ” Et c’est à dessein qu’il dit “ à cause de vous ”. Car toute dispense demandée à un supérieur doit avoir pour but l’honneur du Christ au nom de qui il l’accorde, ou l’intérêt de l’Église qui est son corps.

Solutions :

1. Tous les autres vœux portent sur des œuvres particulières, tandis qu’en entrant en religion on livre sa vie tout entière au service de Dieu. Or le particulier est inclus dans l’universel. C’est pourquoi la décrétale dit qu’on “ ne manque pas à son vœu lorsqu’on remplace un service momentané par la perpétuelle observance de la vie religieuse ”. Celui qui entre en religion n’est cependant pas tenu d’accomplir les jeûnes, les prières et autres bonnes œuvres dont il a fait vœu quand il était dans le monde, car en entrant en religion on meurt à sa vie antérieure. En outre, ces pratiques particulières ne conviennent pas à la vie religieuse, et le poids de celle-ci est déjà assez lourd pour qu’il ne faille pas le surcharger encore.

2. D’après certains auteurs, les prélats pourraient à leur gré dispenser des vœux, parce que tout vœu inclurait comme condition la volonté d’un supérieur, à la manière des vœux des subordonnés, serviteurs ou enfants, dont nous avons dit qu’ils sous-entendent cette condition : “ Si cela plaît à mon père ou à mon maître, s’ils ne s’y opposent pas. ” L’inférieur pourrait ainsi sans aucun remords de conscience ne plus tenir compte de son vœu, du moment que le prélat le lui dirait.

Cette thèse a une base fausse. Parce que le prélat spirituel n’est pas un maître, mais un intendant : son pouvoir lui est donné “ pour édifier et non pour détruire ” (2 Co 10, 8) ; de même que le prélat ne peut commander ce qui de soi déplaît à Dieu, le péché, de même il ne peut empêcher d’accomplir les œuvres de vertu, celles qui plaisent à Dieu. On peut donc en faire vœu de façon absolue. C’est au prélat toutefois qu’il appartient de juger ce qui est plus vertueux et plus agréable à Dieu.

Et c’est pourquoi, dans les cas évidents, la dispense d’un prélat n’excuserait pas du péché, par exemple s’il dispensait quelqu’un d’entrer en religion, sans nulle cause apparente qui s’y oppose. Si cependant il y avait quelque motif apparent qui rendît la chose au moins douteuse, on pourrait s’en tenir au jugement du prélat qui accorde dispense ou commutation. On ne peut toutefois s’en tenir à son jugement propre, car on ne tient pas soi-même la place de Dieu, sauf dans le cas où le vœu porterait sur une chose illicite, et qu’on ne puisse recourir au supérieur.

3. Le souverain pontife tient la place du Christ d’une façon plénière et pour toute l’Église. Aussi a-t-il plein pouvoir de dispenser de tous les vœux susceptibles de dispense. Aux autres prélats inférieurs est remis le pouvoir de dispenser des vœux que l’on fait communément et qui nécessitent fréquemment une dispense : le recours est ainsi facilité. C’est le cas des vœux de pèlerinages, jeûnes, et œuvres analogues. Mais les grands vœux de continence et de pèlerinage en Terre sainte sont réservés au souverain pontife.

L’USAGE DU NOM DIVIN : LE SERMENT, L’ADJURATION ET L’INVOCATION

Il faut étudier maintenant les actes extérieurs de latrie où l’homme emploie quelque chose de divin, soit un sacrement, soit le nom de Dieu.

L’étude des sacrements trouvera sa place dans la troisième Partie de notre ouvrage (Q. 60 et suivantes).

Quant à l’usage du nom divin, c’est ici qu’il faut en traiter. On y a recours de trois manières. 1°. Par mode de serment, pour confirmer ses propres paroles (Q. 89). - 2°. Par mode d’adjuration, pour amener les autres à faire quelque chose (Q. 90). - 3°. Par mode d’invocation pour prier et louer Dieu (Q. 91).

 

 

 

QUESTION 89 — LE SERMENT

1. Qu’est-ce que le serment ? - 2. Est-il licite ? - 3. Quelles qualités l’accompagnent ? - 4. De quelle vertu est-il l’acte ? - 5. Faut-il le rechercher et le pratiquer comme utile et bon ? - 6. Est-il permis de jurer par une créature ? - 7. Le serment oblige-t-il ? - 8. Lequel oblige davantage : le serment ou le vœu ? - 9. Peut-on dispenser d’un serment ? - 10. Quand et à qui est-il permis de jurer ?

 

 

            Article 1 — Qu’est-ce que le serment ?

Objections :

1. Il semble que jurer ne soit pas prendre Dieu à témoin. Car lorsqu’on tire argument de la Sainte Écriture, on prend Dieu à témoin, lui dont l’Écriture nous propose les paroles. Donc, si jurer est prendre Dieu à témoin, quiconque citerait la Sainte Écriture jurerait ; ce qui est faux, et suppose donc une prémisse fausse.

2. Produire un témoin, ce n’est pas lui rendre quelque chose. Or jurer c’est rendre quelque chose Dieu ; car on lit en Matthieu (5, 33) : “ Tu rendras tes serments au Seigneur. ” Et S. Augustin dit que jurer c’est “ rendre à Dieu droit à la vérité ”. jurer n’est donc pas prendre Dieu à témoin.

3. L’office du juge diffère de celui du témoin. Mais il arrive que le serment consiste à implorer le jugement de Dieu, selon le Psaume (7, 5) : “ Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’ont fait du bien, que je sois renversé par mes ennemis. ” jurer n’est donc pas prendre Dieu à témoin.

En sens contraire, S. Augustin dit, dans un sermon sur le parjure : “ Que signifie : "Jurer par Dieu", sinon : Dieu est témoin ? ”

Réponse :

Selon l’épître aux Hébreux (6, 16), le but du serment est de confirmer quelque chose. En matière de science, c’est à la raison qu’il appartient de confirmer une assertion, en partant de principes naturellement connus et infailliblement vrais. Mais s’il s’agit de faits humains, particuliers et contingents, on ne peut les confirmer par une raison nécessaire. Aussi confirme-t-on ses dires, en pareil cas, par des témoins. Mais le témoignage des hommes n’est pas suffisant ici, et pour deux motifs. D’abord les défaillances humaines envers la vérité, parce que le plus grand nombre se laissent aller à mentir. “ Leur bouche a prononcé le mensonge ”, dit le Psaume (17, 10). Puis le défaut de connaissance : les hommes ne peuvent connaître ni l’avenir, ni les secrets des cœurs, ni même les réalités absentes. Toutes choses dont ils parlent, et il faut pour la bonne marche des affaires humaines qu’on ait là-dessus quelque certitude. D’où la nécessité de recourir au témoignage divin, parce que Dieu ne peut mentir, et rien ne lui est caché. Or, prendre Dieu à témoin, c’est ce qu’on appelle “ jurer ” car il est reçu comme un droit (pro jure) que ce qu’on affirme en invoquant le témoignage de Dieu doit être tenu pour vrai.

On fait appel au témoignage divin tantôt pour affirmer une chose passée ou présente : c’est alors le serment affirmatif ; tantôt pour confirmer un fait à venir : c’est alors le serment de promesse. Mais dans le domaine du nécessaire et des problèmes que la raison peut résoudre, on n’emploie pas de serment. Il serait ridicule, dans une discussion scientifique, de vouloir prouver sa thèse par un serment.

Solutions :

1. Se servir du témoignage de Dieu déjà donné, en recourant à l’autorité de l’Écriture est une chose ; et c’est autre chose qu’implorer Dieu de donner son témoignage lorsqu’on fait un serment.

2. “ Rendre à Dieu ses serments ”, cela veut dire acquitter ce qu’on a juré ; ou encore, reconnaître, du fait qu’on l’invoque en témoignage, que Dieu possède la connaissance universelle et l’infaillible vérité.

3. On appelle quelqu’un à témoigner pour qu’il manifeste la vérité sur ce qu’on dit. Dieu le fait de deux façons : 1° En révélant directement la vérité : par inspiration intérieure, ou encore en dévoilant le fait, par la divulgation de ce qui était caché.- 2° En punissant le menteur. Dieu est alors à la fois juge et témoin, puisqu’il manifeste le mensonge par la punition du menteur.

Il y a par suite deux manières de jurer : 1° Par simple appel au témoignage divin, lorsqu’on dit par exemple : “ Dieu m’est témoin ”, ou “ Je parle devant Dieu ”, ou bien “ Par Dieu ”, ce qui selon S. Augustin est la même chose. - 2° Par exécration lorsqu’on se voue, soi-même ou quelque chose qui vous touche, à un châtiment, si l’on ne dit pas la vérité.

 

 

            Article 2 — Le serment est-il licite ?

Objections :

1. Apparemment non. Car rien n’est permis de ce qu’interdit la loi divine, et elle interdit le serment : “ je vous le dis, ne jurez aucunement ” (Mt 5, 34). “ Avant toutes choses, mes frères, ne jurez pas ” (Jc 5, 12).

2. Ce qui vient du mauvais paraît illicite car “ un arbre mauvais ne peut porter de bons fruits ”, selon S. Matthieu (7, 18). Or le serment vient du mauvais, car nous lisons dans S. Matthieu (5, 37) : “ Que votre parole soit : cela est, cela n’est pas. Ce qu’on dit de plus vient du mauvais. ” Le serment est donc illicite.

3. Demander un signe à la divine Providence c’est tenter Dieu, ce qui est absolument illicite, selon ce précepte du Deutéronome (6, 16) : “ Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. ” Mais celui qui jure semble bien demander un signe de la Providence, puisqu’il demande à Dieu de témoigner et donc de produire quelque effet évident. Il paraît donc que le serment est tout à fait illicite.

En sens contraire, on lit au Deutéronome (6, 13) : “ Tu craindras le Seigneur ton Dieu et tu jureras par son nom. ”

Réponse :

Rien n’empêche qu’une chose soit bonne en elle-même et pourtant tourne au détriment de celui qui n’en use pas comme il faut. Recevoir l’eucharistie est bien, et cependant celui qui la reçoit indignement mange et boit sa propre condamnation, dit S. Paul (1 Co 11, 29). Sur notre sujet nous dirons que de soi le serment est chose licite et honorable. Cela se voit à son origine et à sa fin. A son origine, parce que le serment vient de la foi, qui nous fait croire que Dieu possède l’infaillible vérité et l’universelle connaissance et prévision de tout. A sa fin, parce que l’on fait appel au serment pour se justifier et mettre un terme aux controverses, dit l’épître aux Hébreux (6, 16).

Mais le serment devient mauvais si l’on en use mal, c’est-à-dire sans nécessité et sans les précautions requises. C’est faire preuve, en effet, de peu de respect envers Dieu que de le prendre à témoin pour un léger motif, ce qu’on n’oserait même pas faire à l’égard d’un personnage honorable. C’est aussi s’exposer au danger de parjure, car l’homme pèche facilement en paroles selon S. Jacques (3, 2) : “ Si quelqu’un ne pèche pas en paroles, c’est un homme parfait. ” De là ce conseil de l’Ecclésiastique (23, 9) : “ Que ta bouche ne s’accoutume pas au serment ; il y a là bien des occasions de chute. ”

Solutions :

1. Voici l’interprétation de S. Jérôme : “ Remarquez que le Seigneur n’a pas défendu de jurer par Dieu, mais par le ciel et la terre. On sait en effet que les Juifs ont cette très fâcheuse habitude de jurer sur les éléments. ” Mais ceci ne répond pas suffisamment à notre difficulté, car S. Jacques précise : “ Ni par quelque autre serment que ce soit. ” Il faut donc dire avec S. Augustin : “ L’Apôtre lui-même, en employant le serment dans ses épîtres, nous montre en quel sens il faut prendre cette parole : "je vous dis de ne pas jurer du tout." Entendez qu’il faut éviter d’en arriver à le faire facilement, passant de la facilité à l’habitude, et de l’habitude au parjure. C’est pourquoi on ne voit pas qu’il ait juré ailleurs qu’en écrivant, car le soin plus grand qu’on prend alors empêche qu’on soit emporté par sa langue. ”.

Comme dit S. Augustin : “ Si tu es obligé de jurer, sache que cette nécessité vient de la faiblesse de ceux que tu veux persuader, faiblesse qui est assurément un mal. C’est pourquoi l’Évangile ne dit pas : "Ce qu’on dit de plus est un mal." Car tu ne fais rien de mal en usant à bon droit du serment pour persuader quelqu’un utilement. Le texte porte : "vient du mal", le mal de celui dont la faiblesse t’oblige à jurer. ”

3. Celui qui jure ne tente pas Dieu, car il n’invoque pas le secours de Dieu sans utilité et sans nécessité. De plus il ne s’expose à aucun péril si Dieu ne veut pas lui rendre témoignage sur-le-champ. Car il est certain qu’il le fera plus tard, quand “ il projettera la lumière sur les secrets des ténèbres, et manifestera les desseins des cœurs ” (1 Co 4, 5). Ce témoignage rendu au serment ne manquera à personne, soit pour lui, soit contre lui.

 

 

            Article 3 — Quelles qualités accompagnent le serment ?

Objections :

1. Il paraît malheureux de donner trois compagnons au serment : la justice, le jugement et la vérité. Car on ne doit pas énumérer comme distinctes des qualités dont l’une est incluse dans l’autre, parce que la vérité fait partie de la justice, selon Cicéron ; et nous avons dit jadis h que le jugement est l’acte de cette vertu. Il n’y a donc pas lieu de donner ces trois compagnons au serment.

2. Le serment requiert bien d’autres conditions : la dévotion, la foi qui nous fait croire que Dieu sait tout et ne peut mentir. Cette énumération est donc insuffisante.

3. Toute action humaine requiert ces trois qualités, car on ne doit rien faire contre la justice ou la vérité, ni sans jugement selon S. Paul (1 Tm 5, 4) : “ Ne fais rien sans jugement préalable. ” Donc ces trois qualités ne doivent pas s’associer au serment plutôt qu’aux autres actes humains.

En sens contraire, on lit dans Jérémie (4, 2) : “ Tu jureras : "le Seigneur est vivant !" dans la vérité, le jugement et la justice. ” Ce que S. Jérôme, commente ainsi “ Remarquez que le serment a trois compagnons la vérité, le jugement et la justice. ”

Réponse :

Nous avons dit que le serment n’est bon que pour ceux qui en usent bien. Ce bon usage requiert deux choses : 1° Qu’on ne jure pas à la légère, mais pour un motif nécessaire, et avec discernement. De ce chef on exigera le jugement, celui de discernement, chez celui qui jure. 2° Relativement à ce qu’on veut confirmer : il faut que ce ne soit ni faux ni défendu. D’où les deux conditions de vérité, impliquant que ce qu’on affirme par serment est vrai, et de justice, impliquant que c’est chose permise : Le défaut de jugement donne lieu au serment imprudent ; le défaut de vérité au serment trompeur ; le défaut de justice au serment indigne ou illicite.

Solutions :

1. Le jugement dont il est question ici n’est pas, comme nous venons de le dire, celui qui consiste à faire la justice, mais celui qui fait discerner comme il faut. De même, on parle ici de la vérité, non comme partie de la justice, mais comme condition du langage.

2. La dévotion, la foi, et toutes les conditions analogues que requiert le serment pour être bien fait, sont comprises dans ce que nous entendons par jugement. Les deux autres qualités exigées se rapportent en effet à son objet. Toutefois on pourrait dire aussi que la justice se rapporte à la cause pour laquelle on fait le serment.

3. Le serment comporte un grand danger, tant à cause de la grandeur de Dieu dont on invoque le témoignage, que de la fragilité de la parole humaine dont le serment doit confirmer les dires. C’est pourquoi ces exigences sont plus fortes pour les serments que pour les autres actes humains.

 

 

            Article 4 — De quelle vertu le serment est-il l’acte ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le serment soit un acte de religion ou latrie. Car de tels actes portent sur des réalités saintes et divines. Le serment, lui, intervient dans les controverses humaines, selon l’épître aux Hébreux (6, 16). Le serment n’est donc pas un acte de la vertu de religion ou latrie,

2. Il appartient à la religion d’offrir un culte à Dieu, dit Cicéron. Or, celui qui jure n’offre rien à Dieu mais le prend à témoin. Jurer n’est donc pas un acte de religion.

3. La religion ou latrie a pour fin de rendre honneur à Dieu. Or, ce n’est pas là le but du serment, qui tend plutôt à confirmer quelque assertion. jurer n’est donc pas faire acte de religion.

En sens contraire, on lit dans le Deutéronome (6, 13) : “ Tu craindras le Seigneur ton Dieu, tu ne serviras que lui et tu jureras par son nom. ” Or il s’agit là du service de latrie. Le serment est donc un acte de latrie.

Réponse :

jurer c’est, nous le savons faire appel au témoignage divin pour confirmer ce qu’on dit. Or, on ne confirme quelque chose que par ce qui a plus de certitude et de poids. On comprend alors que jurer par Dieu c’est, par le fait même, confesser que Dieu l’emporte sur nous par son indéfectible vérité et sa connaissance universelle, ce qui est une manière de lui rendre hommage. L’Apôtre nous dit (He 6, 16) que “ les hommes jurent par de plus grands qu’eux-mêmes ”. S. Jérôme écrit : “ Celui qui jure fait preuve de vénération ou d’amour envers celui par qui il jure. ” Et le Philosophe enseigne aussi que “ le serment honore au plus haut point ”. Rendre hommage à Dieu, c’est l’objet de la religion. Il est donc manifeste que le serment est un acte de cette vertu.

Solutions :

1. On considère deux points dans le serment : le témoignage invoqué, qui est divin. Ce qu’il vient attester, ou ce qui le rend nécessaire, et cela est humain. Le serment appartient à la religion en raison du premier point, non du second.

2. Par le fait même qu’on prend Dieu à témoin par mode de serment, on confesse que sa grandeur nous dépasse, ce qui revient à le révérer. Et ainsi on offre à Dieu quelque chose : révérence et honneur.

3. Nous devons faire à l’honneur de Dieu tout ce que nous faisons. C’est pourquoi, si nous nous proposons de fournir à un homme les certitudes qu’il réclame, rien n’empêche que par le fait même nous rendions honneur à Dieu. Car ainsi nous devons rendre hommage à Dieu de telle manière que notre prochain en retire avantage. Parce que Dieu, lui aussi, agit à la fois pour sa gloire et pour notre intérêt.

 

 

            Article 5 — Faut-il rechercher et pratiquer le serment comme utile et bon ?

Objections :

1. Il paraît bien que oui, car le serment est un acte de religion comme le vœu. Mais faire quelque chose par vœu rend cet acte plus louable et plus méritoire, on l’a dit,. Donc au même titre il est plus louable d’agir et de parler avec serment. Il faut donc rechercher le serment comme étant un bien par lui-même.

2. S. Jérôme commentant S. Matthieu écrit que “ celui qui fait serment vénère ou aime celui par qui il jure ”. Mais vénérer Dieu ou l’aimer est un bien qu’on doit rechercher comme bon en lui-même. Donc aussi le serment.

3. Le but du serment c’est de confirmer, de certifier. Mais il est bien de confirmer ses dires. Le serment doit donc être recherché comme une bonne chose.

En sens contraire, on lit dans l’Ecclésiastique (23, 12) : “ L’homme qui jure sera rempli d’iniquité. ” Et S. Augustin écrit : “ Le Seigneur a interdit le serment afin que tu fasses ton possible pour ne pas t’y attacher, que tu ne prennes pas plaisir à le rechercher, comme si c’était un bien. ”

Réponse :

Ce qu’on recherche uniquement pour subvenir à quelque déficience n’est pas à ranger parmi les choses désirables en elles-mêmes, mais parmi celles que la nécessité rend bonnes, comme la médecine, à qui l’on demande de soulager le malade. Or, on a recours au serment pour subvenir à cette déficience humaine qu’est le refus d’accorder foi aux paroles d’autrui. C’est pourquoi il ne faut pas ranger le serment parmi les biens désirables en soi, mais parmi ceux dont on fait un usage indu lorsque l’on dépasse les limites du nécessaire. Aussi S. Augustin dit-il : “ Celui qui comprend que le serment doit être considéré non point comme un bien ”, c’est-à-dire comme recherché pour lui-même mais comme une nécessité, celui-là se retient autant qu’il le peut d’en user, si la nécessité ne l’y contraint ”.

Solutions :

1. La raison de vœu et la raison de serment sont différentes. Par le vœu nous ordonnons à l’honneur de Dieu une œuvre qui de ce fait devient un acte de religion. Dans le serment, au contraire, c’est pour confirmer notre promesse que nous avons recours au respect dû au nom de Dieu. Aussi ce que nous confirmons par serment ne devient pas de ce fait acte de religion, car nos actes moraux tirent leur espèce de leur fin.

2. En faisant serment on use de vénération et d’amour envers celui dont on invoque le témoignage. Mais ce n’est pas le but direct du serment. Celui-ci ne tend qu’à remédier à une nécessité de la vie présente.

3. Les remèdes sont utiles à la guérison. Mais plus grande est leur vertu, plus nuisible aussi leur emploi s’il n’est pas convenablement réglé.

De même le serment : utile pour confirmer nos assertions, du fait qu’il mérite plus de respect, il présente plus de danger si on l’emploie de façon indue. Comme dit l’Ecclésiastique (23, 11) : “ Celui qui trompe son frère, son péché sera sur lui ; et s’il dissimule ” par un faux serment, “ il pèche doublement ” parce que l’équité simulée est une double injustice ; “ et s’il jure en vain ”, c’est-à-dire sans motif suffisant et sans nécessité, “ il ne sera pas justifié ”.

 

 

            Article 6 — Est-il permis de jurer par une créature ?

Objections :

1. Il semble que non, car nous lisons en S. Matthieu (5, 34) : “ je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel ni par la terre, ni par Jérusalem, ni par votre tête ”, ce que S. Jérôme, commente en ces termes : “ Remarquez que le Sauveur n’a pas défendu de jurer par Dieu, mais par le ciel et la terre. ”

2. Seule une faute mérite une peine. Or, on punit ceux qui jurent par les créatures. Nous lisons en effet dans les Décrets de Gratien : “ Le clerc qui jure par les créatures doit être sévèrement repris. S’il persiste dans son péché il doit être excommunié. ” Il n’est donc pas permis de jurer par les créatures.

3. Le serment est un acte de latrie, nous l’avons dit u. Mais le culte de latrie n’est dû à aucune créature. Il n’est donc pas permis de jurer par une créature. Il n’est donc pas permis de jurer par les créatures.

En sens contraire, nous lisons dans le Genèse (42, 15) que Joseph a juré “ par le salut de Pharaon ”. Et l’on a coutume de jurer par l’Évangile, par les reliques et par les saints.

Réponse :

Il y a, avons-nous dit, deux types de serments. On peut tout d’abord jurer par mode de simple attestation, c’est-à-dire en faisant appel au témoignage de Dieu. Ce serment s’appuie sur la vérité divine, comme la foi elle-même. Or la foi porte, de soi, principalement sur Dieu qui est la vérité même, mais secondairement sur les créatures, dans lesquelles brille la vérité de Dieu, nous l’avons montré. De même, le serment se réfère principalement à Dieu lui-même, dont on invoque le témoignage ; mais secondairement on y fait appel aux créatures ; non point pour elles-mêmes, mais pour la vérité divine qu’elles manifestent. Ainsi jurons-nous par l’Évangile, et par les saints qui ont cru à cette vérité et l’ont mise en pratique.

L’autre manière de jurer c’est l’exécration. Dans ce serment-là, on fait entrer la créature en tant que le jugement de Dieu s’exercera contre elle. C’est ainsi que les hommes ont coutume de jurer par leur tête, par leur fils, ou par quelque autre objet de leur amour. Ainsi fit l’Apôtre lorsqu’il exprima ce serment (2 Co 1, 23) : “ J’en prends Dieu à témoin sur mon âme. ”

Pour ce qui est de Joseph jurant “ par le salut de Pharaon ” on peut l’entendre de deux manières : Soit comme un cas d’exécration, la vie de Pharaon étant prise comme gage devant Dieu. Soit comme simple attestation, par un appel à la vérité de la justice divine, que les princes de la terre sont chargés d’exécuter.

Solutions :

1. Notre Seigneur a interdit le serment où des créatures seraient l’objet d’un honneur divin. Aussi S. Jérôme ajoute-t-il que les Juifs en jurant par les anges et d’autres créatures leur rendaient un honneur qui n’était dû qu’à Dieu.

C’est le motif également des peines canoniques qui atteignent le clerc, coupable, en jurant de la sorte, du blasphème d’infidélité. Voici en effet les termes du chapitre suivant : “ Si quelqu’un jure par les cheveux de Dieu, ou s’il blasphème contre lui de quelque autre façon, on doit le déposer, si c’est un clerc. ”

2. Par là se trouve résolue la deuxième objection.

3. On rend un culte de latrie à celui dont on invoque le témoignage en prêtant serment. De là cette défense, au livre de l’Exode (23, 18) : “ Vous ne jurerez point par le nom des dieux étrangers. ” Mais aucun honneur latreutique n’est rendu aux créatures que l’on fait entrer dans le serment de la manière que nous avons dite.

 

 

            Article 7 — Le serment oblige-t-il ?

Objections :

1. Il semble que non, car on prête serment pour confirmer la vérité de ce qu’on dit. Mais lorsqu’on parle de l’avenir on dit la vérité, même si ce qu’on avait dit n’arrive pas. S. Paul, qui n’alla pas à Corinthe comme il l’avait dit, n’a pas menti comme il le fait voir (2 Co 1, 15). Il semble donc que le serment n’oblige pas.

2. La vertu n’est pas contraire à la vertu, dit Aristote. Mais nous savons que le serment est un acte de vertu. Or il serait parfois contraire à la vertu, ou ce serait y faire obstacle, que de s’en tenir à ce qu’on a juré, par exemple si l’on jurait de commettre un péché ou de cesser une bonne œuvre. Le serment n’oblige donc pas toujours.

3. Il arrive qu’une personne soit forcée contre son gré de promettre quelque chose sous serment. Mais “ ces personnes sont déliées de leurs serments par les pontifes romains ”, d’après les Décrétales . Donc le serment n’a pas toujours force obligatoire.

4. Personne ne peut être obligé à deux choses opposées. Or il arrive que celui qui jure veuille tout l’opposé de ce que veut celui à qui il prête serment. Le serment ne peut donc pas avoir toujours force obligatoire.

En sens contraire, on lit en S. Matthieu (5, 33) : “ Tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur. ”

Réponse :

Toute obligation est relative à une chose qu’on doit accomplir ou omettre. Le serment affirmatif, portant sur le présent ou le passé, n’en comporte donc pas ; ni le serment dont l’objet dépendrait, en sa réalisation, de causes étrangères : si l’on affirmait par exemple, avec serment, qu’il pleuvra demain. L’obligation ne peut regarder que les choses qu’accomplira lui-même celui qui en fait le serment.

Mais, de même que le serment affirmatif portant sur le présent ou le passé doit être vrai, de même le serment sur ce que nous ferons plus tard. L’un et l’autre comportent donc une obligation, mais de façon différente. Dans le serment relatif au présent ou au passé, l’obligation regarde non cette chose passée ou présente, mais l’acte même du serment : on doit jurer ce qui est ou ce qui fut vraiment. Mais quand nous jurons quelque chose que nous devons faire, l’obligation porte sur ce que le serment a confirmé. Car on est tenu de réaliser vraiment ce qu’on a juré, sinon le serment manque à la vérité.

Mais il peut s’agir d’une chose qui n’était pas au pouvoir de celui qui a juré de l’accomplir. C’est alors un serment où manque le jugement de discernement ; à moins que la chose, possible au moment du serment, soit par la suite devenue impossible, par exemple vous aviez juré de payer une somme d’argent, et on vous l’a arrachée par violence, ou volée. En pareil cas on voit bien que l’on est dispensé de faire ce que l’on a juré. Mais on est tenu de faire ce qu’on peut comme nous l’avons dit au sujet de l’obligation du vœu.

Mais s’il s’agit d’une chose qu’on pourrait faire mais qu’on ne doit pas faire, parce que c’est mauvais en soi, ou que cela s’oppose au bien, c’est un serment où fait défaut la justice. Il n’y a donc pas à tenir son serment quand il y a péché ou obstacle à un bien, car selon S. Augustin ces deux serments aboutissent à une issue plus malheureuse.

Nous conclurons donc que jurer de faire quoi que ce soit, c’est s’obliger à le faire, pour que la vérité soit accomplie, si du moins le serment a ses deux autres compagnons : le jugement et la justice.

Solutions :

1. Autre chose est une simple parole, autre chose un serment où l’on invoque le témoignage divin. Pour qu’une parole soit vraie il suffit qu’on dise ce qu’on propose de faire, la chose étant déjà vraie dans sa cause, par le fait qu’on a dessein de l’accomplir. Mais le serment ne doit intervenir qu’à propos de ce dont on a une certitude solide. Donc, si l’on en vient à jurer, on est obligé, par révérence envers le témoignage de Dieu à quoi l’on fait appel, de faire en sorte que ce qu’on a juré soit vrai, et cela autant qu’il est en notre pouvoir, à moins qu’on aboutisse à une issue fâcheuse, comme on vient de le dire.

2. Le serment peut avoir une issue fâcheuse de deux manières : cette issue fâcheuse est impliquée dans le principe : c’est le cas du serment mauvais en soi, si l’on jurait par exemple de commettre l’adultère. Ou bien ce serment met obstacle à un plus grand bien : on jure de ne pas entrer en religion, de ne pas se faire clerc, de ne pas accepter une prélature alors qu’il serait utile de le faire, etc. Ces serments sont illicites dès le principe ; avec une différence cependant. Si l’on jure de commettre un péché, il y a péché à deux reprises : quand on fait le serment, et quand on accomplit. Si l’on jure de ne pas accomplir un bien meilleur auquel toutefois on n’est pas tenu, ce serment est un péché en tant qu’il fait obstacle au Saint-Esprit qui nous inspire ces bons propos ; cependant il n’y a pas péché à tenir son serment, mais on ferait bien mieux de ne pas l’observer.

Le serment peut aussi avoir issue fâcheuse par le fait d’une circonstance imprévue qui surgit soudain. C’est le cas très clair du serment d’Hérode. Il jura de donner à la jeune danseuse ce qu’elle demanderait. C’est là un serment qui dans son principe pouvait être licite, avec cette condition sous-entendue qu’elle ne demanderait rien qu’on ne pût accorder. Mais c’est de l’accomplir qu’Hérode fut coupable. “ Il est parfois contraire au devoir, dit S. Ambroise. d’accomplir son serment, comme Hérode qui, pour ne pas renier sa promesse, fit exécuter S. Jean. ”

3. Dans le serment qui impose sa contrainte, il y a une double obligation. Il y a d’abord l’obligation contractée envers celui à qui l’on promet. Elle disparaît du fait de la contrainte, car celui qui fait violence mérite qu’on ne tienne pas sa promesse envers lui. Mais le serment nous lie également envers Dieu, exigeant l’accomplissement de ce qui fut promis en son nom. Cette obligation demeure en conscience, car on doit préférer subir un dommage temporel que violer son serment. Mais dans ce cas on peut redemander en justice ce que l’on a acquitté, ou dénoncer la chose au prélat, même si l’on a juré de ne pas le faire ; car en ce cas le serment aurait des conséquences mauvaises, étant contraire à la justice publique. Quant au fait que les pontifes romains aient délié de ces sortes de serment, cela ne signifie pas qu’ils les aient jugé sans force obligatoire ; ils n’ont fait qu’affranchir de ces liens pour un juste motif.

4. Lorsqu’il y a divergence de vues entre celui qui a fait serment et celui envers qui il est engagé, deux cas se présentent. Le jureur est de mauvaise foi ; il doit alors tenir le serment conformément à ce qu’entend son partenaire. “ Malgré les artifices de paroles, dit S. Isidore Dieu, qui est le témoin des consciences, reçoit le serment dans le sens où l’entend celui à qui il est fait. ” Il s’agit bien dans la pensée de cet auteur du serment trompeur, comme le prouve la suite : “ C’est être doublement coupable que de prendre en vain le nom de Dieu, et de surprendre le prochain par tromperie. ” Mais si le jureur n’emploie pas la tromperie, l’obligation se mesure à ses intentions à lui. C’est l’avis de S. Grégoire : “ Les hommes jugent de nos paroles selon ce qui frappe leurs oreilles, mais dans ses jugements Dieu entend ce que nous disons, comme cela sort de notre cœur. ”

 

 

            Article 8 — Lequel oblige davantage le serment ou le vœu ?

Objections :

1. L’obligation du serment est la plus forte. Le vœu n’est qu’une simple promesse, mais le serment ajoute à la promesse le témoignage de Dieu. Il oblige donc davantage.

2. D’ordinaire on confirme le plus faible par le plus fort. Or le vœu est parfois confirmé par un serment. Donc celui-ci a plus de force que le vœu.

3. La source de l’obligation du vœu est la délibération de l’esprit, avons-nous dit. Le serment tire sa force obligatoire de la vérité divine, dont on invoque le témoignage. Donc, puisque la vérité de Dieu surpasse la délibération de l’homme, le serment comporte une obligation plus forte que le vœu.

En sens contraire, le vœu nous oblige envers Dieu. Le serment nous oblige parfois envers un homme. L’obligation contractée envers Dieu est plus grande que celle qu’on contracte envers un homme. Le lien du vœu est donc plus fort que celui du serment.

Réponse :

L’obligation du vœu et celle du serment sont toutes deux fondées sur quelque chose de divin, mais différemment. Le vœu nous oblige en raison de la fidélité que nous devons à Dieu, et qui exige que nous nous acquittions de nos promesses envers lui. L’obligation du serment vient du respect que nous devons à Dieu, et qui nous impose d’accomplir vraiment ce que nous promettons par son nom. Toute infidélité contient une irrévérence ; mais la réciproque n’est pas vraie. L’infidélité du sujet envers son maître apparaît en effet comme la plus grande irrévérence. C’est pourquoi, par sa raison même, le vœu est plus obligatoire que le serment.

Solutions :

1. Le vœu n’est pas une promesse quelconque, c’est une promesse faite à Dieu, et lui être infidèle est chose fort grave.

2. Si l’on joint au vœu un serment, ce n’est pas que l’on tienne celui-ci pour plus efficace ; on veut simplement par le moyen de deux choses immuables assurer une stabilité plus grande.

3. On peut dire que la délibération fonde la solidité du vœu, en se plaçant du côté de l’auteur du vœu. Mais du côté de Dieu, à qui le vœu est offert, on trouve une cause supérieure de fermeté.

 

 

            Article 9 — Peut-on dispenser d’un serment ?

Objections :

1. Nul ne le peut. En effet, de même que la vérité est exigée pour un serment affirmatif concernant le passé ou le présent, de même pour un serment qui promet quelque chose dans l’avenir. Mais nul ne peut accorder dispense à celui qui jure contre la vérité concernant le passé ou le présent. Donc nul ne peut accorder dispense de réaliser vraiment ce qu’il a juré pour l’avenir.

2. Si le serment s’adjoint à la promesse, c’est dans l’intérêt de celui à qui on la fait. Or celui-ci n’en peut délier, car il agirait contre le respect dû à Dieu. A plus forte raison nulle autre personne ne pourra-t-elle dispenser en pareille matière.

3. Tout évêque peut dispenser des vœux, excepté ceux qui sont réservés au pape. Donc si, comme nous l’avons dit. le serment pouvait souffrir dispense, tout évêque, au même titre, pourrait en dispenser. Or le droit s’y oppose i. Il n’y a donc pas de dispense possible en cette matière.

En sens contraire, le vœu oblige davantage que le serment, nous venons de le dire. Or le vœu peut subir dispense. Donc le serment aussi.

Réponse :

Nous avons vu ci-dessus d’où venait la nécessité d’introduire le régime de la dispense dans la loi et le vœu : de ce qu’une chose, utile et morale en elle-même ou d’une façon générale, peut, dans un cas particulier, devenir immorale et nuisible et ne peut plus être matière à une loi ou à un vœu. Les mêmes caractères d’immoralité ou de nocivité s’opposent aux qualités qu’on doit exiger du serment ; car si la chose est immorale, c’est en opposition avec la justice ; si c’est nuisible, c’est en opposition avec le jugement. Il y a donc lieu au même titre d’introduire dans le serment un régime de dispense.

Solutions :

1. La dispense appliquée au serment ne va pas jusqu’à permettre d’agir contrairement au serment lui-même. C’est impossible, l’accomplissement des serments relevant d’un principe divin dont on ne peut dispenser. La dispense a cette conséquence que ce qui tombait sous le serment n’en relève plus, la matière apte au serment faisant défaut. Le cas est semblable à celui du vœu, résolu plus haut. Pour le serment affirmatif, qui porte sur un fait passé ou présent, la matière du serment est déjà entrée dans le domaine du nécessaire, et est devenue immuable. Aussi la dispense ne pourrait l’atteindre, et, portant sur l’acte même du serment, serait directement opposée au précepte divin. Mais dans le cas d’un serment de promesse, on a pour matière une chose future, sujette à varier ; si bien qu’elle pourrait par la suite devenir illicite ou nuisible et n’être plus matière légitime d’un serment. Il y a donc possibilité de dispense pour le serment de promesse, et cela parce que la dispense est relative à la matière du serment, sans s’opposer au précepte divin qui impose de tenir la parole jurée.

2. On peut faire avec serment deux sortes de promesses. Premier cas : ce qu’on promet à autrui lui sera utile, on lui rendra un service, ou on lui donnera de l’argent. En pareil cas, celui qui a reçu la promesse peut en délier, car la promesse est censée acquittée quand on se conforme à la volonté de l’intéressé. Deuxième cas : la promesse faite à autrui concerne l’honneur de Dieu, ou les intérêts d’autres gens, par exemple je vous promets avec serment d’entrer en religion ou de faire telle œuvre de miséricorde. Alors celui qui reçoit la promesse ne peut en délier, car ce n’est pas pour lui qu’elle est faite, mais pour Dieu ; excepté le cas où l’on aurait mis une condition comme celle-ci : “ Si celui à qui je le promets le juge bon. ”

3. Parfois le serment de promesse porte sur une chose en opposition manifeste avec la justice, soit parce que c’est un péché : on jure par exemple de tuer quelqu’un ; ou bien cela empêchera un plus grand bien : on jure de ne pas entrer en religion. Nul besoin de dispense pour des serments de ce genre. On est tenu de ne pas observer les premiers, et quant aux seconds on peut à son gré les observer ou non, comme nous l’avons dit.

Parfois le serment appuie une promesse dont l’objet est douteux : on ne sait si c’est permis ou non, utile ou nuisible, et cela par soi-même ou en tel cas. Tout évêque a le pouvoir d’en dispenser.

Parfois l’objet de la promesse est manifestement licite et utile. Il ne paraît pas en ce cas qu’il reste place pour une dispense. On ne pourra que commuer la promesse, si une œuvre se présente qui assure mieux l’intérêt général ; et le pouvoir en appartient avant tout au pape qui a la charge de l’Église universelle. On pourra même délier complètement du serment, ce qui est encore du ressort du pape, en toute matière touchant d’une façon générale au gouvernement ecclésiastique sur lequel le souverain pontife exerce un pouvoir plénier ; de même que n’importe qui peut déclarer nul le serment porté par quelqu’un qui lui est soumis, dans une matière relevant de son autorité. Ainsi le père peut annuler le serment de sa fille, le mari celui de son épouse, selon le texte des Nombres (30, 6), et selon la doctrine analogue exposée à propos du vœu.

 

 

            Article 10 — Quand et à qui est-il permis de jurer ?

Objections :

1. Il semble que le serment ne puisse être empêché par une condition de personne et de temps. Car on fait serment pour confirmer quelque chose, dit l’épître aux Hébreux (6, 16). Or n’importe qui peut confirmer ses propres dires, et n’importe quand. Il semble donc que le serment ne puisse être empêché par une condition de personne ou de temps.

2. C’est davantage de jurer par Dieu que par les Évangiles. Chrysostome nous le dit : “ Certains pensent, l’occasion s’en présentant, que celui qui jure par Dieu fait peu de chose, bien moins que celui qui jure par l’Évangile. Insensés ! les Écritures ont été faites pour Dieu, et non Dieu pour les Écritures ! ” Or des personnes de toute condition, et en tout temps, ont toujours de façon courante juré par Dieu. Il leur est donc bien plus encore permis de jurer par les Évangiles.

3. Un même effet ne peut avoir des causes contraires, car les contraires s’opposent. Or, il est des gens à qui l’on refuse de prêter serment pour un défaut dans la personne : ainsi les enfants de moins de quatorze ans et les parjures. On ne doit donc pas en exclure d’autres à raison de leur dignité, comme les clercs, ou à cause de la solennité du jour.

4. Nul homme vivant en ce monde n’égale en dignité les anges, “ car le plus petit dans le royaume de Dieu est plus grand que lui ”, comme dit le Seigneur (Mt 10, 11), à propos de S. Jean Baptiste encore vivant. Mais l’ange peut jurer. Car on lit dans l’Apocalypse (10, 6) : “ L’ange a juré par celui qui vit dans les siècles des siècles. ” La dignité d’une personne ne peut donc l’exempter du serment.

En sens contraire, on lit dans les Décrets “ Le prêtre, au lieu de prêter serment, doit être interrogé au nom de son caractère sacré. ” Et ailleurs : “ Aucun ecclésiastique ne doit jurer quoi que ce soit à un laïc sur les saints Évangiles. ”

Réponse :

Deux points sont à considérer dans le serment.

1° Par rapport à Dieu, dont on produit le témoignage. A cet égard on doit au serment le plus grand respect. C’est pourquoi on en écarte les enfants qui n’ont pas atteint l’âge de puberté, parce qu’ils n’ont pas encore le parfait usage de la raison, qui leur permettrait de prêter le serment avec la révérence voulue. On exclut en outre les parjures, qui ne sont pas admis à prêter serment parce que leur passé fait présumer qu’ils n’apporteront pas à cet acte la révérence requise. Cette même raison du respect qu’il faut apporter au serment explique ces termes du droit : “ Les convenances exigent que celui qui ose jurer sur les choses saintes le fasse à jeun, avec toute la dignité possible et la crainte de Dieu. ”

2° Par rapport à l’homme - le serment vient confirmer ce qu’il dit. Si ses paroles ont besoin d’être ainsi confirmées, c’est parce qu’on en doute. Or c’est porter atteinte à la dignité d’une personne que de mettre en doute la vérité de ce qu’elle dit. Il n’est donc pas convenable que les personnes revêtues d’une importante dignité prêtent serment. C’est pourquoi le droit déclare que le prêtres ne doivent pas jurer pour une cause légère. Toutefois, s’il y a nécessité ou grande utilité, il leur est permis de le faire, surtout s’il s’agit de questions spirituelles. En ce dernier cas il convient que le serment soit fait un jour de fête, car ces jours-là sont consacrés aux occupations spirituelles ; mais on ne peut alors prêter serment pour des affaires temporelles, sauf en cas de grave nécessité.

Solutions :

1. Il y a des gens qui ne peuvent confirmer leurs paroles par incapacité. Il y en a d’autres dont les dires doivent être certains à tel point qu’ils n’aient pas besoin d’être confirmés.

2. Regardé en lui-même, le serment est d’autant plus sacré et plus obligatoire que ce par quoi l’on jure est plus grand, dit S. Augustin. A ce point de vue, il est plus grave de jurer par Dieu que par les Évangiles. Mais si l’on s’arrête au mode du serment, ce peut être l’inverse, si par exemple le serment qu’on fait sur les Évangiles s’accompagne de délibération et de solennité, tandis qu’un serment prêté au nom de Dieu sera fait à la légère et sans délibération.

3. Rien n’empêche qu’une chose soit également détruite par des causes contraires, agissant par excès et par défaut. C’est ainsi que certains sont empêchés de jurer parce que leur autorité est trop grande pour qu’ils puissent le faire sans manquer aux convenances, et d’autres parce que leur autorité est trop petite pour qu’on puisse faire fond sur leur serment.

4. Si l’ange fait un serment, ce n’est pas qu’il y ait en lui un défaut empêchant de croire à sa seule parole, c’est pour montrer que ce qu’il dit exprime les infaillibles desseins de Dieu. C’est ainsi que nous voyons dans l’Écriture Dieu lui-même jurer, pour montrer l’immutabilité de sa parole, ainsi qu’il est dit dans l’épître aux Hébreux (6, 17).

 

 

QUESTION 90 — L’ADJURATION

Il faut maintenant étudier l’emploi du nom divin par manière d’adjuration. 1. Est-il permis d’employer l’adjuration à l’égard des hommes ? - 2. Des démons ? - 3. Des créatures privées de raison ?

 

 

            Article 1 — Est-il permis d’employer l’adjuration à l’égard des hommes ?

Objections :

1. Nous voyons que non, par ce texte d’Origène : “ J’estime que celui qui veut vivre selon l’Évangile ne doit point user d’adjuration à l’égard d’un autre homme. S’il n’est pas permis de jurer à celui qui veut suivre les commandements évangéliques du Christ, il est clair qu’il ne l’est pas davantage d’adjurer quelqu’un. L’on voit bien par là que le prince des prêtres pécha en adjurant jésus au nom du Dieu vivant. ”

2. Celui qui adjure quelqu’un le force à agir. Mais il n’est pas permis de forcer quelqu’un à agir contre son gré. Il n’est donc pas permis d’adjurer quelqu’un de faire quelque chose.

3. Adjurer c’est étymologiquement induire quelqu’un à jurer. Or cela appartient aux supérieurs, qui peuvent imposer à leurs inférieurs le serment. Les inférieurs ne peuvent donc adjurer leurs supérieurs.

En sens contraire, nous usons d’obsécration envers Dieu même, quand nous le supplions au nom de choses saintes. De même l’Apôtre “ exhorte ” les fidèles “ au nom de la miséricorde divine ” (Rm 12, 1), et c’est là une manière d’adjuration. Il est donc permis d’adjurer les autres.

Réponse :

Jurer dans le cas du serment de promesse c’est user de son respect envers le nom divin, invoqué en confirmation de la promesse, pour s’obliger à accomplir celle-ci ; c’est en somme s’ordonner soi-même immuablement à accomplir une chose. Si l’on peut ainsi s’ordonner soi-même à faire quelque chose, on peut également y ordonner autrui : par la prière s’il nous est supérieur ; par le commandement s’il nous est inférieur. Lorsque l’on confirme l’une de ces ordinations par l’appel au divin, il y a adjuration. L’homme est maître de ses actes, mais non de ce que doivent faire les autres. C’est pourquoi il peut s’imposer une obligation en faisant appel au nom divin, mais il ne peut imposer pareille exigence à autrui, à moins qu’il ne s’agisse de ses sujets, qu’on peut contraindre en vertu d’un serment. Faire appel au nom divin ou à quelque réalité sainte, pour adjurer quelqu’un sur qui l’on n’a pas d’autorité, si on entend l’obliger comme on s’oblige soi-même par serment, une telle adjuration est illicite parce qu’elle s’arroge sur autrui un pouvoir quelle n’a pas. En cas de nécessité, cependant, les supérieurs peuvent contraindre les inférieurs par une adjuration de ce genre. Mais si l’on entend simplement, par le respect dû au nom de Dieu et aux réalités saintes, obtenir quelque chose de quelqu’un, sans le forcer, c’est là une forme d’adjuration permise à l’égard de n’importe qui.

Solutions :

1. Origène parle de l’adjuration où l’on entend imposer à quelqu’un une stricte obligation, comme celle qu’on s’impose à soi-même en jurant. C’est en effet ainsi que le prince des prêtres osa adjurer le Seigneur Jésus Christ.

2. L’objection vaut pour l’adjuration où l’on impose une obligation.

3. Adjurer n’est pas engager quelqu’un à prêter serment ; c’est user soi-même d’une formule analogue au serment pour l’amener à faire quelque chose. C’est bien différemment d’ailleurs que nous entendons adjurer Dieu ou adjurer les hommes. S’il s’agit d’un homme, nous entendons influencer sa volonté par le respect dû aux choses saintes ; ce que nous ne prétendons pas à l’égard de Dieu, dont la volonté est immuable. Mais nous marquons par là qu’obtenir quelque chose de Dieu par sa volonté éternelle, c’est le fait, non de nos mérites, mais de sa bonté.

 

 

            Article 2 — Est-il permis d’adjurer les démons ?

Objections :

1. Cela n’est pas permis. Origène écrit en effet : “ L’adjuration n’est pas conforme aux pouvoirs donnés par le Sauveur : c’est une pratique judaïque. ” Or nous ne devons pas imiter les rites des juifs, mais user des pouvoirs donnés par le Christ. Il n’est donc pas licite d’adjurer les démons.

2. Dans leurs enchantements, les nécromanciens invoquent souvent les démons au nom d’une réalité divine : c’est une adjuration. Donc, si l’adjuration des démons est permise, les enchantements des nécromanciens le sont aussi, ce qui est évidemment faux. Donc aussi la proposition antécédente.

3. Adjurer quelqu’un, c’est du fait même entrer en rapports avec lui. Or il n’est pas permis d’avoir de relations avec les démons. S. Paul l’interdit (1 Co 10, 20) : “ je ne veux pas que vous ayez de relations avec les démons. ” On ne peut donc les adjurer.

En sens contraire, le Seigneur dit de ses disciples (Mc 16, 17) : “ En mon nom ils chasseront les démons. ” Amener quelqu’un à agir par le nom de Dieu c’est l’adjurer. Il est donc permis d’adjurer les démons.

Réponse :

Nous avons distingué deux sortes d’adjuration. L’une procède par mode de prière ou d’incitation, par respect pour une réalité sacrée. L’autre procède par mode de contrainte. On ne peut admettre à l’égard des démons la première forme d’adjuration, parce qu’elle implique un recours à la bienveillance ou à l’amitié, qui n’est pas permise envers les démons. La seconde manière d’adjurer, qui procède par contrainte, peut être permise sur un point, et non sur un autre. Car les démons sont dans le cours de cette vie nos adversaires par leur état, et leurs actes ne sont point soumis à nos ordres, mais à ceux de Dieu et des saints Anges ; car, dit S. Augustin : “ L’esprit qui a déserté est régi par l’esprit demeuré fidèle. ” Nous pouvons donc, par la vertu du nom divin, repousser les démons en les adjurant, et les traiter ainsi en ennemis pour les empêcher de nous nuire spirituellement et corporellement, selon le pouvoir divin donné par le Christ en Luc (10, 19) : “ Voici que je vous ai donné pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute puissance ennemie : rien ne vous nuira. ” Mais il n’est pas permis de les adjurer en vue d’apprendre ou d’obtenir quelque chose par leur entremise. Ce serait là faire alliance avec eux. Toutefois il peut arriver que, par inspiration ou révélation divine, certains saints les fassent coopérer à tel ou tel effet. On raconte ainsi que S. Jacques se fit amener Hermogène par les démons.

Solutions :

1. Origène ne parle pas de l’adjuration qui se fait par voie d’autorité et par manière de contrainte, mais de celle qui se fait par mode de supplication bienveillante.

2. Les nécromanciens usent d’adjurations et invoquent les démons pour en apprendre ou obtenir quelque chose, ce qui, nous l’avons dit, n’est pas permis. Aussi Chrysostome commente la parole adressée par le Seigneur à l’esprit immonde (Mc 1, 25) : “ Tais-toi et sors de cet homme ”, en ces termes : “ Un enseignement salutaire nous est ici donné, c’est de ne pas croire les démons, quelque vérité qu’ils nous annoncent. ”

3. Cet argument procède de l’adjuration où l’on fait appel au secours des démons pour faire ou connaître quelque chose ; c’est en effet avoir société avec eux. Mais user d’adjuration pour chasser les démons, c’est au contraire s’écarter de leur société.

 

 

            Article 3 — Est-il permis d’adjurer des créatures dénuées de raison ?

Objections :

1. Il semble que non. L’adjuration s’exprime par le langage. Mais c’est en vain qu’on adresse la parole à ce qui ne comprend pas, comme la créature sans raison. C’est donc chose vaine et illicite que de l’adjurer.

2. L’adjuration convient à ceux qui sont aptes à jurer. Mais la créature non raisonnable ne peut prêter serment. On voit donc qu’il n’est pas permis de l’adjurer.

3. Des deux formes d’adjuration distinguées ci-dessus celle qui se fait par mode de prière ne peut être employée à l’égard des créatures sans raison, qui n’ont aucunement la maîtrise de leurs actes. Pas davantage, semble-t-il, l’adjuration qui s’exerce par contrainte. Il ne nous appartient pas de commander à ces créatures : c’est réservé à celui donc il est dit (Mt 8, 27) : “ Voilà que les vents et la mer lui obéissent ! ” On ne peut donc aucunement user d’adjuration envers les créatures dépourvues de raison.

En sens contraire, on raconte que Simon et Jude ont adjuré des dragons et leur ont commandé de se retirer dans des lieux déserts.

Réponse :

Les créatures non raisonnables exercent leurs opérations propres sous l’action d’une force étrangère. Cela ne fait en réalité qu’une seule action, attribuable à un double principe : celui qui est mû à agir, et celui qui le meut. Ainsi le mouvement de la flèche est-il une opération de l’archer. Nous attribuerons donc l’opération de la créature non raisonnable, non seulement à elle-même, mais principalement à Dieu, qui gouverne et meut toutes choses. Le diable y a également sa part : par permission de Dieu il se sert en effet de certaines de ces créatures pour nuire aux hommes.

Ainsi donc on peut comprendre de deux façons l’adjuration adressée aux créatures dépourvues de raison. Ou bien on croit que l’adjuration s’adresse à elles, et c’est alors inutile. Ou bien l’adjuration s’adresse à celui de qui cette créature tient son action et son mouvement. Nous la rencontrons alors sous deux formes. Sous forme de prière adressée à Dieu, c’est le cas des miracles accomplis au nom de Dieu ; ou bien sous forme de contrainte, s’exerçant sur le démon qui cherche à nous nuire par le moyen des créatures privées de raison. C’est ce dernier mode d’adjuration que l’Église emploie dans les exorcismes, pour enlever ces créatures au pouvoir du démon. Mais il n’est pas permis d’adjurer les démons en implorant leur aide.

Solution : Cet exposé répond clairement aux Objections.

 

 

QUESTION 91 — LA LOUANGE VOCALE

Il faut ensuite étudier l’emploi qu’on fait du nom de Dieu en l’invoquant, par mode de prière et de louange. De la prière, on a déjà parlé (Q. 83). Reste à traiter de la louange. 1°. Faut-il louer Dieu oralement ? - 2°. Doit-on, dans les louanges de Dieu, employer des chants ?

 

 

            Article 1 — Faut-il louer Dieu oralement ?

Objections :

1. Non, si l’on en croit le Philosophe : “ Ce n’est pas la louange qu’il faut aux meilleurs, mais davantage et mieux. ” Or Dieu est au-dessus de tout ce qu’il y a de meilleur. Donc on ne lui doit pas la louange, mais quelque chose de plus. Aussi l’Ecclésiastique (43, 30) dit-il que Dieu “ dépasse toute louange ”.

2. Louer Dieu c’est lui rendre un culte, car c’est faire acte de religion. Or le culte de Dieu doit venir du cœur plus que des lèvres. Notre Seigneur, en S. Matthieu (15, 7), cite ce reproche d’Isaïe (29, 13) : “ Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur cœur est loin de moi. ” Donc la louange de Dieu réside davantage dans le cœur que sur les lèvres.

3. Les louanges verbales qu’on adresse aux hommes veulent les provoquer à mieux faire. De même que les méchants s’enorgueillissent des éloges qu’on leur fait, les bons y trouvent un stimulant pour le bien, selon les Proverbes (27, 21) : “ Comme l’argent est éprouvé au creuset, ainsi fait-on l’épreuve de l’homme aux louanges qu’il reçoit. ” Mais nos paroles ne peuvent provoquer Dieu à mieux agir, tant parce qu’il est immuable que parce qu’il est le souverain Bien, et ne peut progresser. Donc il ne faut pas louer Dieu vocalement.

En sens contraire, le Psaume (63, 6) s’écrie “ La joie sur les lèvres, je dirai ta louange. ”

Réponse :

Nous employons des paroles pour nous adresser à Dieu avec une toute autre raison que pour nous adresser à un homme. Envers celui-ci nous employons des paroles pour exprimer les pensées de notre cœur, qu’il ne peut connaître autrement. Et c’est pourquoi nous employons à son égard la louange vocale pour faire connaître à lui et aux autres la bonne opinion que nous avons de lui ; cela pour provoquer à mieux faire celui que nous louons, et pour porter ceux qui entendent sa louange, à l’estimer, à le respecter et à l’imiter.

Mais envers Dieu nous employons des paroles non pour révéler nos pensées à celui qui lit dans les cœurs, mais pour engager nous-mêmes et ceux qui nous entendent à le révérer. C’est pourquoi la louange vocale est nécessaire, non pour Dieu mais pour celui qui le loue, dont l’amour est porté à Dieu par cette louange, selon cette parole du Psaume (50, 23) : “ Qui offre le sacrifice d’action de grâce, celui-là me rend gloire. ” Et dans la mesure où le cœur de l’homme s’élève vers Dieu par la louange divine, il s’éloigne de tout ce qui lui est contraire, selon Isaïe (48, 9) : “ Pour mon honneur, je vais patienter avec toi, et non pas t’exterminer. ” En outre, la louange de nos lèvres sert à entraîner vers Dieu le cœur de ceux qui nous entendent, ce qui fait dire au Psaume (34, 2) : “ Sa louange sera sans cesse dans ma bouche ”, et ensuite : “ Qu’ils écoutent, les humbles, qu’ils jubilent! Magnifiez le Seigneur avec moi! ”

Solutions :

1. Nous pouvons parler de Dieu de deux manières. D’abord en le considérant dans son essence. A ce point de vue, comme il est incompréhensible et ineffable, sa grandeur le met au-dessus de toute louange. Mais sous ce rapport, on lui doit révérence et culte de latrie. De là ce que nous lisons dans le Psautier de S. Jérôme (64, 2) : “ Pour toi mon Dieu, le silence est louange ”, pour ce qui est du premier point ; et pour ce qui est du second : “ Qu’on acquitte envers toi son vœu. ” Nous pouvons aussi parler de Dieu en considérant ses œuvres, qu’il ordonne à notre usage. C’est à ce point de vue qu’on doit à Dieu la louange. Nous comprenons alors les paroles d’Isaïe (63, 7) : “ je vais rappeler les miséricordes du Seigneur, je proclamerai ses louanges pour tout ce qu’il nous a donné. ” Nous lisons aussi dans Denys : “ Les louanges saintes des théologiens, c’est-à-dire la louange divine, consistent à disposer les noms divins dans leurs paroles et dans leurs hymnes d’après les manifestations bienfaisantes de la Théarchie ”, c’est-à-dire de la divinité.

2. La louange qu’expriment nos lèvres est inutile à celui qui la donne si elle n’est pas accompagnée de la louange du cœur, car il dit à Dieu sa louange lorsqu’il médite ses merveilles. Mais la louange extérieure et vocale a l’efficacité d’éveiller ces sentiments intérieurs chez celui qui la chante, et de provoquer les autres à louer Dieu, on vient de le dire.

3. Nous ne louons pas Dieu pour son utilité, mais pour la nôtre, nous venons de le dire.

 

 

            Article 2 — Doit-on, dans les louanges de Dieu, employer le chant ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Paul écrit aux Colossiens (3, 16) : “ Enseignez-vous et exhortez-vous mutuellement, par des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels. ” Nous ne devons introduire dans le culte de Dieu rien de plus que ce qu’autorise l’Écriture. Ce texte nous montre que dans la louange divine, ce ne sont pas nos lèvres, c’est notre esprit qui doit chanter.

2. Sur ce texte de S. Paul aux Éphésiens (5, 19) : “ Chantez et psalmodiez dans vos cœurs au Seigneur ”, S. Jérôme écrit : “ Qu’ils entendent cela, les jeunes gens qui dans l’église ont la charge de chanter les psaumes : ce n’est pas avec sa voix mais avec son cœur qu’on doit chanter pour Dieu. Qu’ils n’imitent pas les acteurs qui se gargarisent avec des drogues pour s’adoucir la gorge, et qu’ils évitent de faire entendre dans l’église des modulations et des chants de théâtre. ” Donc il ne faut pas introduire de chants dans la louange de Dieu.

3. Louer Dieu convient aux petits comme aux grands selon l’Apocalypse (19, 5) : “ Dites votre louange à votre Dieu, vous tous qui êtes ses serviteurs et le craignez tous, les petits et les grands ! ” Or les dignitaires de l’Église ne doivent pas chanter. S. Grégoire dit en effet : “ Par le présent décret, je prescris que, dans cette église, les ministres de l’autel ne doivent pas chanter. ” Les chants ne conviennent donc pas à la louange divine.

4. Sous l’ancienne loi on louait Dieu avec des instruments de musique et des voix humaines, selon ce verset du Psaume (33, 2) : “ Louez le Seigneur sur la cithare, jouez pour lui sur la harpe à dix cordes, chantez-lui un cantique nouveau! ” Or l’Église a abandonné l’usage des instruments, comme la cithare et la harpe, pour ne pas paraître imiter le judaïsme. Pour le même motif il ne faut donc pas employer le chant dans la louange de Dieu.

5. La louange du cœur l’emporte sur celle des lèvres. Or le chant met obstacle à cette louange spirituelle. Ceux qui chantent sont distraits par leur application à chanter, et ne font pas attention au texte. Ceux qui les entendent saisissent moins facilement les paroles, que le chant rend inintelligibles. Il ne faut donc pas les employer à la louange de Dieu.

En sens contraire, S. Ambroise a institué le chant dans l’Église de Milan, comme le rapporte S. Augustin dans ses Confessions.

Réponse :

Nous avons dit la nécessité de la louange vocale pour entraîner le cœur humain vers Dieu. Tout ce qui peut contribuer à ce résultat aura donc sa place dans la louange divine. Or, c’est évident, des mélodies diverses provoquent en l’âme humaine des dispositions différentes. Aristote dans sa Politique et Boèce dans le prologue de son traité sur la Musique, l’ont remarqué. On a donc décidé de façon salutaire d’employer des chants dans la louange divine, pour exciter plus de dévotion dans les cœurs tièdes. S. Augustin le dit dans ses Confessions : “ je suis amené à approuver la coutume de chanter à l’église pour que les sons agréables à entendre réveillent dans les âmes faibles des sentiments de piété. ” Et parlant d’expérience : “ J’ai pleuré à tes hymnes et à tes cantiques, tant les accents suaves de ton Église m’ont vivement ému. ”

Solutions :

1. “ Cantiques spirituels ” peut s’entendre non seulement du chant intérieur de l’âme, mais aussi du chant de nos lèvres, pour autant que de tels cantiques éveillent la dévotion spirituelle.

2. S. Jérôme ne blâme pas purement et simplement le chant ; il critique ceux qui chantent à l’église d’une manière théâtrale, non pour porter à la dévotion, mais pour se faire valoir ou pour flatter la sensibilité. S. Augustin est du même avis : “ Quand il m’arrive d’être ému plus par le chant que par ce qu’on chante, je me reconnais coupable et pécheur, et j’aimerais mieux alors ne pas entendre celui qui chante. ”

3. C’est exciter les âmes à la dévotion d’une manière plus noble que de le faire par l’enseignement et la prédication plutôt que par le chant. C’est pourquoi les diacres et les prélats, qui ont cette fonction, ne doivent pas s’adonner au chant, pour ne pas se soustraire à des tâches supérieures. Comme dit S. Grégoire : “ C’est une coutume très répréhensible que les ministres établis dans l’ordre du diaconat se consacrent à la musique vocale, quand il leur conviendrait de vaquer à l’office de la prédication et à la gestion des aumônes. ”

4. Aristote remarque que “ l’on doit bannir de l’enseignement l’usage de la flûte, ou de tout autre instrument analogue, comme la cithare, et n’admettre que ce qui est capable d’améliorer les auditeurs ”. Les instruments de musique de ce genre, en effet, touchent l’âme par des émotions agréables plus qu’ils ne forment en elle de bonnes dispositions intérieures. Dans l’Ancien Testament, on en faisait usage à un double titre. Le peuple étant plus endurci et charnel, il fallait le toucher par ce moyen, comme par la promesse de biens terrestres. D’autre part ces instruments matériels avaient un sens figuratif.

5. Si l’on s’adonne au chant pour la jouissance qu’on y trouve, l’âme est distraite et ne peut être attentive au sens des paroles. Mais si l’on chante par dévotion, on médite plus attentivement ce qu’on dit, parce qu’on s’arrête longuement aux mêmes objets ; et d’autre part, dit S. Augustin : “ Tous les sentiments de notre âme trouvent dans le chant des modulations qui s’adaptent à leurs nuances diverses, et les font vibrer par une secrète harmonie. ” Il en va de même pour les auditeurs. Et même s’ils ne comprennent pas ce qu’on chante, ils savent néanmoins pourquoi l’on chante : pour louer Dieu, et cela suffit pour exciter leur dévotion.

LES VICES OPPOSÉS A LA RELIGION

Étudions maintenant les vices opposés à la religion. Certains ont en commun avec elle qu’ils pratiquent un culte divin. Les autres manifestent au contraire leur opposition totale, par le mépris de tout ce qui touche au culte de Dieu.

La première catégorie se rattache à la superstition, la seconde, à l’irréligion. Aussi étudierons-nous : 1°. La superstition proprement dite (Q. 92) et ses parties (Q. 93 et 94-96). - 2°. L’irréligion et ses parties (Q. 97-100).

 

 

QUESTION 92 — LA SUPERSTITION

1. Est-elle un vice opposé à la religion ? - 2. A-t-elle plusieurs parties ou espèces ?

 

 

            Article 1 — La superstition est-elle un vice opposé à la religion ?

Objections :

1. Apparemment non. Car un des contraires n’entre pas dans la définition de l’autre. Or la religion entre dans la définition de la superstition, car, à partir du texte de S. Paul (Col 2, 23) : “ Ces préceptes ont réputation de sagesse avec leur culte arbitraire (superstitions) ”, la Glose la définit : “ La religion pratiquée avec excès : ” Donc la superstition n’est pas un vice contraire à la religion.

2. On lit dans les Étymologies d’Isidore : “ On appelle superstitieux d’après Cicéron ceux qui, à longueur de journée, priaient et offraient des sacrifices pour que leurs fils leur survivent (superstitesfierent). ” Mais cela peut se faire selon le culte de la vraie religion. Donc la superstition n’est pas un vice contraire à la religion.

3. La superstition semble impliquer un excès. Mais la religion ne peut connaître d’excès ; jamais, nous l’avons dit, nous ne pouvons rendre à Dieu ce que nous lui devons. Donc la superstition ne peut s’opposer à la religion.

En sens contraire, S. Augustin nous dit “ Tu touches la première corde, sur laquelle on rend son culte au Dieu unique, et voici que tombe le monstre de la superstitition. ” Culte du Dieu unique - c’est-à-dire religion - et superstition s’opposent donc bien.

Réponse :

La religion est une vertu morale, nous l’avons dite. Nous avons aussi enseignés que la vertu morale s’établit dans le juste milieu. Le vice peut donc doublement s’y opposer : par excès et par défaut. Or, on peut outrepasser la mesure vertueuse par excès, non seulement au point de vue de la quantité, mais aussi relativement aux autres circonstances de l’action. Ainsi rencontrons-nous des vertus, comme la magnanimité et la magnificence, où l’excès vicieux ne consistera pas à tendre à un objet plus élevé que celui de la vertu, mais peut-être à un objet moindre ; et pourtant il y aura excès par rapport au juste milieu, si l’on fait quelque chose pour qui on ne le doit pas, quand il ne le faut pas, ou avec quelque autre abus dans les circonstances de l’acte, comme le montre Aristote. Ainsi donc la superstition est un vice qui s’oppose à la religion par excès ; non que l’on rende à Dieu plus d’hommage que ne fait la vraie religion, mais par le fait qu’on rend le culte divin à qui on ne le doit pas, ou d’une manière indue.

Solutions :

1. Par métaphore, il nous arrive de parler de bonté là où il y a malice. Nous parlerons par exemple d’un “ bon ” voleur. De même, on emprunte parfois le nom des vertus pour désigner des actions mauvaises. Ainsi vous trouverez “ prudence ” pour “ ruse ” dans ce texte de S. Luc (16, 8) : “ Les fils de ce monde sont plus prudents que les fils de lumière. ” C’est de cette manière qu’on donne à la superstition le nom de religion.

2. L’étymologie nous reporte à l’origine du mot ; le sens, au contraire, à la chose qu’on s’est proposé de désigner en employant ce mot. Or, ces deux points de vue peuvent être différents. Le mot lapis, pierre, dérive de laesio pedis, blessure du pied, et pourtant ce n’est pas là ce qu’il signifie, sinon le fer qui blesse le pied serait une pierre. De même le mot superstition ne nous reporte pas nécessairement à ce qui en est l’origine.

3. La religion ne peut connaître d’excès dans sa mesure essentielle, mais bien dans sa mesure relative ; par exemple lorsqu’on fait dans le culte divin quelque chose que l’on ne doit pas faire.

 

 

            Article 2 — La superstition a-t-elle plusieurs espèces ou parties ?

Objections :

1. Apparemment non. “ Si l’un des opposés est multiple, l’autre l’est aussi ”, dit Aristote. Mais la religion, qui est l’opposé de la superstition, ne comporte aucune multiplicité d’espèces, et tous ses actes sont relatifs à une seule. Il n’y a donc pas plusieurs espèces de superstition.

2. L’opposition s’établit par rapport à un même terme. Religion et superstition s’opposeront donc par rapport à ce qui nous ordonne à Dieu, puisque c’est là-dessus que porte la religion, on l’a dit. On ne pourra donc, pour distinguer des superstitions d’espèce différente, tenir compte des procédés divinatoires qui servent à connaître les événements humains, ou de certaines observances humaines.

3. Par ailleurs, puisque la Glose sur le texte de S. Paul déjà cité explique le mot de “ superstition ” par “ religion simulée ”, il faudrait mettre la simulation au nombre des espèces de superstition.

En sens contraire, S. Augustin distingue diverses espèces de superstitions.

Réponse :

En matière de religion, nous venons de le dire, la vie consiste à dépasser dans les circonstances de l’acte le juste milieu de la vertu. Nous avons exposé autrefois que n’importe quelle espèce de dérèglement dans les circonstances ne pouvait suffire à changer l’espèce du péché. Il faut pour cela que ce dérèglement engage un objet ou une fin distincte, car c’est là ce qui donne à nos actes leur espèce morale, on l’a montré plus haut.

Pour distinguer les différentes espèces de superstition nous partirons donc tout d’abord de l’objet. Nous pouvons en effet rendre le culte divin au vrai Dieu à qui nous le devons, mais d’une manière indue : ce sera la première espèce de superstition. Mais nous pouvons aussi rendre ces mêmes honneurs à qui n’y a pas droit : une créature quelconque. Voilà une autre forme de superstition, qui est elle-même un genre, que nous allons diviser en de nombreuses espèces en considérant cette fois les diverses fins du culte divin.

Son premier but c’est d’honorer Dieu : ce point de vue nous permet de distinguer une première espèce : l’idolâtrie m qui se propose indûment de rendre à la créature l’hommage dû à Dieu. En rendant son culte à Dieu, l’homme cherche aussi à recevoir de lui quelque enseignement. Nous aurons, par rapport à cette seconde fin du culte, la divination superstitieuse n, qui interroge les démons, concluant avec eux des pactes tacites ou exprès. Le culte nous offre enfin certaines règles d’action prescrites par le Dieu qu’il honore. A cette finalité se rattacheront les pratiques superstitieuses. S. Augustin touche ces trois points lorsqu’il écrit : “ Est superstitieux tout ce qu’ont fait les hommes en fabriquant et honorant les idoles ” - première espèce ; ou encore, ajoute-t-il, “ tout ce qui est consultation des démons ou pacte symbolique accepté et conclu avec eux ” - c’est notre deuxième espèce. La troisième est indiquée un peu plus loin en ces termes : “ Appartiennent à ce genre de superstition toutes les ligatures, etc. ”

Solutions :

1. Selon Denys “ le bien est produit par une cause parfaite, tandis que le mal résulte de n’importe quel défaut ”. De ce principe nous avons conclue qu’à une même vertu s’opposent plusieurs vices. Ce que dit Aristote est vrai des opposés dont la multiplicité dépend de cela même à quoi ils s’opposent.

2. La divination et les pratiques dont il s’agit se rattachent à la superstition parce qu’elles dépendent de certaines activités des démons. Elles se rattachent ainsi aux pactes conclus avec eux.

3. Les mots de “ religion simulée ” signifient dans ce texte “ le cas où l’on applique à une tradition humaine le nom de religion ”, ainsi que la Glose elle-même le dit. Il s’agit donc simplement du culte rendu au Dieu vrai, mais d’une manière indue - si par exemple on voulait, au temps de la grâce, suivre dans le culte de Dieu les rites de la loi ancienne. C’est le sens littéral de la Glose.

LES ESPÈCES DE LA SUPERSTITION

1°. Celle qui consiste à rendre au vrai Dieu un culte indu (Q. 93). - 2°. L’idolâtrie (Q. 94).- 3°. Les pratiques superstitieuses (Q. 95).

 

 

QUESTION 93 — LES ALTÉRATIONS SUPERSTITIEUSES DU CULTE DIVIN

1. Peut-il y avoir dans le culte du vrai Dieu quelque chose de pernicieux ? - 2. Peut-il y avoir quelque chose de superflu ?

 

 

            Article 1 — Peut-il y avoir dans le culte du vrai Dieu quelque chose de pernicieux ?

Objections :

1. C’est impossible, car on lit en Joël (2, 32) : “ Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. ” Or, lorsqu’on rend un culte à Dieu, de quelque manière qu’on le fasse, on invoque son nom. Donc tout culte rendu à Dieu nous est salutaire, et aucun n’est pernicieux.

2. C’est le même Dieu que les justes honorent de leur culte en n’importe quel âge du monde. Or avant la loi, les justes de cette époque, sans péché mortel, donnaient à leur hommage la forme qui leur plaisait. Ainsi Jacob par un vœu personnel s’obligea à un culte spécial (Gn 28, 20). Donc maintenant encore aucune forme du culte rendu à Dieu n’est pernicieuse.

3. L’Église ne donne son appui à rien de pernicieux. Or elle maintient une diversité de rites. Voici ce qu’écrit S. Grégoire S. Augustin, évêque de Cantorbery, qui lui exposait la diversité des coutumes suivies par les Églises dans la célébration de la messe : “ J’approuve, si tu trouves dans les provinces romaines ou gauloises ou en n’importe quelle Église, quelque chose qui puisse plaire davantage au Dieu tout-puissant, que tu le recueilles avec soin. ” Aucune forme du culte n’est donc pernicieuse.

En sens contraire, S. Augustin dit dans une lettre à S. Jérôme, et on le trouve dans la Glose sur l’épître aux Galates (2, 14), que les observances légales, une fois connue la vérité de l’Évangile, donnent la mort. Pourtant ces observances appartiennent au culte de Dieu. Donc il peut y avoir dans le culte de Dieu quelque chose qui donne la mort.

Réponse :

S. Augustin dit que le mensonge le plus pernicieux est celui qui touche à la religion chrétienne. Qu’est-ce donc que le mensonge ? Mentir c’est signifier extérieurement le contraire de la vérité. Or, on se sert de la parole pour s’exprimer, mais aussi de l’action ; et c’est cette sorte de signification qui constitue, nous l’avons dit le culte extérieur de religion. Donc, si le culte vient à exprimer quelque chose de faux, il sera pernicieux.

Or cela peut arriver de deux façons. L’une est un désaccord entre la réalité signifiée et les symboles cultuels. De cette façon, à l’âge de la loi nouvelle, l’accomplissement parfait des mystères du Christ ne permet plus d’employer les rites de l’Ancien Testament, parce que leur symbolisme regarde le mystère du Christ comme futur. Il serait aussi pernicieux de proclamer en paroles que la passion du Christ est encore à venir.

Le culte extérieur peut encore être mensonger d’une seconde manière, du fait de celui qui le pratique. Cela peut arriver surtout dans le culte public, où les ministres officient en tenant la place de toute l’Église. C’est être un faussaire que de présenter, de la part de quelqu’un, ce dont il ne vous a aucunement chargé. Ce serait le cas de celui qui offrirait à Dieu, de la part de l’Église, un culte en opposition avec les formes qu’elle a instituées par autorité divine, et que pratique cette même Église. Si bien que S. Ambroise déclare : “ Il est indigne, celui qui célèbre les divins mystères sans se conformer à la tradition reçue du Christ. ” Ce qu’exprime également la Glose, lorsqu’elle dit (sur Col 2, 23), qu’il y a superstition quand “ on donne le nom de religion à une tradition humaine ”.

Solutions :

1. Dieu est vérité. Ceux-là l’invoquent qui lui rendent leur culte “ en esprit et vérité ”, comme il est dit en S. Jean (4, 24). C’est pourquoi un culte mêlé de fausseté ne se rattache pas à l’invocation de Dieu qui nous sauve.

2. Avant le temps de la loi les justes recevaient de Dieu une inspiration intérieure qui les instruisait sur la manière dont ils devaient l’honorer, et les autres suivaient leur exemple. Dans la suite, c’est par des préceptes extérieurs que les hommes ont été fixés sur ce point, et il est désastreux de les transgresser.

3. La diversité des coutumes de l’Église dans l’exercice du culte divin ne s’oppose en rien à la vérité. Il faut les suivre, et il est illicite de les transgresser.

 

 

            Article 2 — Peut-il y avoir quelque chose de superflu dans le culte de Dieu ?

Objections :

1. Ce n’est pas possible, puisque l’Ecclésiastique (43, 10) nous dit : “ Glorifiez Dieu tant que vous pouvez, il restera toujours à faire. ” Glorifier Dieu, c’est ce que l’on se propose dans son culte. Donc rien ne pourra y être superflu.

2. Le culte extérieur est une manifestation du culte intérieur qui, selon S. Augustin honore Dieu “ dans la foi, l’espérance et la charité ”. Mais au sujet de ces vertus, on n’en fera jamais trop. Il en va de même pour le culte divin.

3. Le culte divin nous fait rendre à Dieu ce que nous avons reçu de lui. Or, nous avons tout reçu de lui. Nous pouvons donc faire tout ce que nous pouvons pour l’honorer : rien ne sera jamais de trop.

En sens contraire, S. Augustin affirme : “ Le bon et véritable chrétien doit rejeter des saintes lettres elles-mêmes les fictions superstitieuses. ” Or les saintes lettres nous montrent comment il faut honorer Dieu. Donc la superstition peut se glisser sous forme de superfluité dans le culte que nous lui rendons.

Réponse :

On peut parler de superflu en deux sens. D’abord, par rapport à une mesure absolue. Rien ne peut être de trop, à ce point de vue, dans le culte de Dieu, parce que l’homme ne peut rien faire qui ne demeure en deçà de ce que nous lui devons.

Mais, d’une autre façon, quelque chose peut être superflu selon une mesure relative, lorsque ce n’est pas proportionné à la fin. Or la fin du culte divin est que l’homme glorifie Dieu et se soumette à lui, corps et âme. C’est pourquoi tout ce que l’homme peut faire qui se rattache à la glorification de Dieu, à la sujétion envers Dieu de son âme, et même de son corps, en refrénant avec mesure ses convoitises, selon les règles données par Dieu et l’Église et selon les coutumes de notre milieu, tout cela ne comporte rien de superflu dans le culte de Dieu.

Mais si nous y mêlons quelque chose qui, de soi, ne se rattache pas à la glorification de Dieu, au rapprochement de notre âme avec lui, au gouvernement mesuré de la convoitise charnelle ; ou encore si c’est en dehors de l’institution de Dieu et de l’Église, ou contre la coutume générale qui, selon S. Augustin a force de loi : tout cela doit être tenu pour superflu ou superstitieux, parce que ce qui ne consiste qu’en pratiques extérieures ne ressortit pas au culte intérieur de Dieu. Aussi S. Augustin dit-il que la parole de Luc (17, 21) “ Le règne de Dieu est au-dedans de vous ” condamne les “ superstitieux ”, c’est-à-dire ceux qui s’attachent principalement aux pratiques extérieures.

Solutions :

1. Si l’on prétend glorifier Dieu, il faut que ce qu’on fait ait rapport à sa gloire. Cela exclut par conséquent toute superfluité superstitieuse.

2. Par la foi, l’espérance et la charité, notre âme se soumet à Dieu. Rien ne peut donc y être superflu. Il en va autrement des actes extérieurs qui ne s’y rapportent pas toujours.

3. Cet argument vaut pour le superflu concernant la mesure des choses prises absolument.

 

 

 

QUESTION 94 — L’IDOLÂTRIE

1. L’idolâtrie est-elle une espèce de la superstition ? - 2. Est-elle un péché ? - 3. Est-ce le plus grave de tous les péchés ? - 4. Quelle est la cause de ce péché ?

Quant à savoir s’il faut avoir des rapports avec les idolâtres, c’est une question qui a été traitée plus haut à propos de l’infidélité.

 

 

            Article 1 — L’idolâtrie est-elle une espèce de la superstition ?

Objections :

1. Cela semble une erreur de l’affirmer, car les idolâtres sont des infidèles, comme les hérétiques. Or l’hérésie est une des espèces de l’infidélité, nous l’avons vu. Nous devons donc dire la même chose de l’idolâtrie.

2. La latrie relève de la vertu de religion, qui est l’opposé de la superstition. Or, dans le mot idolâtrie, on emploie latrie de façon univoque, dans le même sens que lorsqu’il s’agit de la vraie religion. C’est comme pour le désir de la béatitude, qu’elle soit vraie ou fausse. Ici le culte des faux dieux, l’idolâtrie, est pris dans le même sens que le culte du vrai Dieu. L’idolâtrie n’est donc pas une espèce de la superstition.

3. Ce qui n’est rien ne peut être l’espèce d’aucun genre. Mais l’idolâtrie, c’est du néant. Car S. Paul affirme (1 Co 8, 4) : “ Nous savons qu’une idole n’est rien dans le monde. ” Et plus loin : “ Quoi donc ? Est-ce à dire que la viande sacrifiée aux idoles est quelque chose ? ” Interrogation qui suggère la réponse : Non ! Or, offrir un sacrifice aux idoles, voilà proprement l’idolâtrie. Concluons que l’idolâtrie n’étant que néant, ne peut être une espèce de la superstition.

4. La superstition consiste à rendre un culte divin à celui qui n’y a pas droit. Mais pas plus qu’aux idoles on ne doit le culte divin à aucune créature. L’épître aux Romains (1, 25) blâme ceux qui ont honoré et servi la créature de préférence au Créateur. Il faut donc appeler cette espèce de superstition non pas idolâtrie, mais latrie de la créature.

En sens contraire, les Actes des Apôtres racontent (17, 16) : “ S. Paul, attendant à Athènes, avait l’esprit tout agité à la vue de cette cité livrée à l’idolâtrie ” ; et dans la suite il parla ainsi : “ Athéniens, je vous tiens à tous égards pour des gens superstitieux. ” Donc l’idolâtrie est une espèce de la superstition.

Réponse :

La superstition est, nous l’avons dite, un excès, qui consiste à dépasser la juste mesure dans le culte divin. C’est ce qui arrive en tout premier lieu lorsqu’on le rend à celui qui n’y a pas droit. Nous le devons exclusivement au Dieu unique, souverain et incréé ; nous avons établi cela plus haut en traitant de la religion. C’est pourquoi rendre des honneurs divins à une créature est un acte de superstition.

Ce culte divin était rendu comme à des créatures sensibles par des signes sensibles : sacrifices, jeux et rites analogues. De même ils représentaient sous une forme sensible la créature qu’ils honoraient ainsi, et c’est cette image qu’on nomme idole. Il y avait toutefois une certaine diversité dans ce culte des idoles. Certains en effet, mettant en œuvre un art criminel, fabriquaient des images que les démons par leur vertu douaient d’une efficacité déterminée. Aussi croyait-on que quelque chose de la divinité y résidait, et qu’il fallait en conséquence leur rendre un culte divin. Telle fut, au dire de S. Augustin, l’opinion d’Hermès Trismégiste. D’autres ne rendaient pas le culte divin aux images elle-mêmes, mais aux créatures qu’elles représentaient. S. Paul mentionne ces deux points dans l’épître aux Romains (1, 23, 25) : “ Ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible en la ressemblance et l’image d’un homme corruptible, d’un oiseau, d’un quadrupède, d’un serpent ” ; à ce premier mode d’idolâtrie il ajoute le second : “ Ils ont honoré et servi la créature plus que le Créateur. ”

Nous rencontrons parmi les représentants de cette seconde manière, trois opinions. - l° Certains hommes ont été des dieux, pensaient les uns, et ils les honoraient par le culte de leurs images : tels Jupiter, Mercure, et autres dieux à forme humaine. - 2° Pour d’autres, c’est le monde qui était un dieu unique ; non dans sa substance corporelle, mais à raison de son âme, qu’ils croyaient être Dieu - “ Dieu, disaient-ils, n’est autre chose que l’âme du monde, le gouvernant par mouvement et raison ” - à la manière dont nous disons qu’un homme est sage, non du fait de son corps mais de son âme. Cela les amenait à penser qu’on devait rendre un culte divin au monde entier et à toutes ses parties : ciel, air, eau, et autres éléments. Les noms et les images de leurs dieux y étaient relatifs, selon la doctrine de Varron, que nous rapporte S. Augustin - 3° Pour les platoniciens, il y a un Dieu suprême, cause de toutes choses. Mais ils admettaient ensuite des substances spirituelles, créées par ce Dieu suprême, et qu’ils appelaient dieux, à cause de leur participation à la divinité ; c’est ce que nous appelons les anges. A leur suite ils plaçaient les âmes des corps célestes, et au-dessous encore les démons, êtres animés, de substance aérienne ; venaient enfin les âmes humaines qui, dans leur croyance, étaient, par le mérite de la vertu, élevées à la société des dieux et des démons. A tous on rendait les honneurs divins, rapporte S. Augustin.

Les deux dernières opinions représentent ce qu’on appelait la “ théologie de la nature ” : c’est la doctrine que les philosophes puisaient dans l’étude du monde, et enseignaient dans leurs écoles. L’opinion relative au culte des dieux humains s’exprimait dans la “ théologie mythologique ”, que les poètes traduisaient dans leurs compositions théâtrales. Quant à la première opinion, concernant les images, elle se rapportait à ce qu’on nommait la “ théologie de la cité ”, c’est-à-dire au culte que les pontifes célébraient dans les temples.

Tout cela se rapporte à la superstition d’idolâtrie. D’où ce texte de S. Augustin : “ Est superstitieux tout ce qui a été institué par les hommes relativement à la fabrication et au culte des idoles, ou dans le dessein d’honorer comme Dieu la créature ou une partie quelconque de la création. ”

Solutions :

1. La religion n’est pas la foi : c’est une manifestation de foi, par le moyen de signes extérieurs. De même la superstition consiste à exprimer l’infidélité par le culte qu’on rend extérieurement. C’est cette profession d’infidélité qu’on nomme idolâtrie, tandis que l’hérésie désigne seulement l’opinion fausse. L’hérésie est donc une espèce de l’infidélité, tandis que l’idolâtrie est une espèce de la superstition.

2. Le mot de latrie peut être pris en deux sens. Il peut d’abord désigner un acte humain relatif au culte de Dieu. A ce point de vue le sens reste invariable quel que soit le destinataire effectif de cet hommage ; car on fait abstraction de celui-ci dans la définition donnée. On parlera alors univoquement, c’est-à-dire dans le même sens, de latrie, qu’il s’agisse de la vraie religion ou de l’idolâtrie ; ainsi quand nous parlons d’acquitter le tribut, cela n’a qu’un sens, qu’on le rende au roi véritable ou à un faux roi. Dans la seconde acception du terme, latrie s’identifie à religion. Alors, étant une vertu, elle implique essentiellement que le culte divin soit rendu à qui il doit l’être. A ce point de vue, c’est équivoquement, c’est-à-dire en un sens différent, qu’on parlera de la latrie de la vraie religion, et de celle des idoles. De même on peut “ équivoquer ” sur le mot prudence : car il y a la vertu qui porte ce nom, et la prudence de la chair.

3. L’Apôtre estime que l’idole n’est rien dans le monde parce que les images qu’on appelait idoles n’étaient pas animées et n’avaient pas de vertu divine, comme l’imaginait Hermès qui les croyait composées d’esprit et de corps. Il faut, de même, entendre que ce qu’on sacrifie aux idoles est néant, en ce sens que par un tel sacrifice les viandes immolées ne recevaient aucun caractère sacré comme le pensaient les païens, ni aucune impureté, comme le pensaient les Juifs.

4. Les païens avaient généralement coutume d’employer des images dans le culte qu’ils rendaient aux créatures. C’est pourquoi le nom d’idolâtrie en est venu à désigner tout culte d’une créature, même s’il ne comportait pas d’images.

 

 

            Article 2 — L’idolâtrie est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non, car rien n’est péché, de ce que la vraie foi fait servir au culte de Dieu. Dans le tabernacle se trouvaient les images des Keroubim comme on peut le lire dans l’Exode (25, 18), et dans nos églises on expose des images à l’adoration des fidèles. L’idolâtrie qui fait adorer les idoles n’est donc pas un péché.

2. Tout supérieur a droit à notre hommage. Or les anges et les âmes des saints nous sont supérieurs. Il n’y a donc pas de péché à leur témoigner de la révérence par un culte, des sacrifices ou des rites analogues.

3. Nous devons au Dieu souverain l’hommage intérieur du culte spirituel. “ Il faut adorer Dieu en esprit et vérité ”, dit notre Seigneur en S. Jean (4, 24), et S. Augustin écrit : “ Le culte de Dieu, c’est la foi, l’espérance et la charité. ” Or il peut arriver à quelqu’un de rendre aux idoles des marques extérieures de culte, sans pour autant abandonner intérieurement la vraie foi. Il semble donc que, sans préjudice pour le culte divin, on puisse honorer les idoles d’un hommage extérieur.

En sens contraire, on lit dans l’Exode (20, 5) : “ Tu ne les adoreras pas "extérieurement" et ne leur rendras pas de culte ”, intérieurement, commente la Glose. Il s’agit dans ce texte des statues et images. Donc c’est un péché que de rendre aux idoles un culte quelconque, extérieur ou intérieur.

Réponse :

On a commis deux erreurs sur le sujet qui nous occupe. Certains ont pensé que les sacrifices et autres rites de latrie étaient dus non seulement au Dieu souverain, mais aux autres êtres dont nous avons parlé. C’était là un devoir et un bien en soi du fait que, dans leur pensée, toute nature supérieure a droit aux honneurs divins à cause de sa proximité avec Dieu. Mais cette assertion est déraisonnable. Car, si nous devons révérer tous ceux qui nous sont supérieurs, nous ne devons pas à tous une révérence identique ; on doit au Dieu souverain un hommage spécial puisque sa perfection le met à un titre unique au-dessus de tous : tel est le culte de latrie. Et qu’on ne dise pas, suivant en cela certaine opinion, “ que les sacrifices visibles conviennent aux autres dieux, tandis qu’au Dieu suprême seraient dus, à raison de sa perfection plus grande, des sacrifices plus parfaits : l’hommage de l’âme en sa pure spiritualité ”. Car, dit S. Augustin : “ Les sacrifices extérieurs sont le signe des sacrifices intérieurs, comme les paroles qui résonnent au dehors le sont des choses qu’elles désignent. Aussi, de même que dans nos prières et nos louanges nous faisons monter nos paroles - qui sont des signes - vers celui à qui, dans notre cœur, nous offrons la réalité des sentiments qu’elles expriment ; de même, offrant le sacrifice, nous savons que l’oblation visible est due exclusivement à celui à qui nous présentons dans nos cœurs le sacrifice invisible, dont nous-même sommes l’offrande. ”

D’autres ont pensé qu’on ne devait pas rendre aux idoles de culte extérieur de latrie, à ne considérer que l’opportunité et la bonté de cet acte lui-même ; mais qu’il le fallait pour s’accorder à la coutume du vulgaire. Ainsi parle Sénèque, cité par S. Augustin : “ Nous adorons, mais en nous rappelant que ce culte s’accorde avec l’usage plus qu’avec la réalité. ” Voici également ce qu’écrit S. Augustin : “ N’allez pas chercher la religion chez les philosophes ; eux qui participaient au culte populaire, professaient dans leurs écoles des opinions diverses et contraires sur la nature de leurs dieux et le souverain bien. ” A cette erreur se rattache l’assertion de certains hérétiques, d’après laquelle on pourrait, sans nuire à son salut, rendre un culte extérieur aux idoles, sous la contrainte de la persécution, pourvu que l’on garde la foi dans son cœur. Mais cela est manifestement faux. Car, puisque le culte extérieur est le signe du culte intérieur, rendre ce culte contrairement à son sentiment intérieur est un mensonge pernicieux tout autant que si l’on affirmait en paroles le contraire de la vraie foi que l’on éprouve dans son cœur. Aussi S. Augustin nous dit-il que “ Sénèque agissait d’une façon d’autant plus condamnable qu’il observait ces pratiques mensongères de manière que, dans le peuple, on les estimât vraies ”.

Solutions :

1. Ni dans le tabernacle ou le temple de l’ancienne loi, ni dans nos églises, les images ne sont exposées pour qu’on leur rende un culte de latrie. Ce sont des signes. Leur rôle est d’imprimer dans nos esprits et d’y fixer la foi en l’excellence des anges et des saints. Il en est autrement pour l’image du Christ à laquelle, à raison de sa divinité, on doit le culte de latrie comme nous l’expliquerons dans la troisième Partie.

2 et 3. L’exposé répond à ces objections.

 

 

            Article 3 — L’idolâtrie est-elle le plus grave de tous les péchés ?

Objections :

1. Apparemment non. Car, selon Aristote, “ le pire est l’opposé du mieux ”. Or le culte intérieur, fait d’actes de foi, d’espérance et de charité, a plus de valeur que le culte extérieur. Donc l’infidélité, le désespoir, la haine de Dieu, qui s’y opposent, sont des péchés plus graves que l’idolâtrie, qui s’oppose au culte extérieur.

2. Un péché est d’autant plus grave qu’il s’attaque davantage à Dieu. Or, blasphémer, attaquer la foi, c’est agir plus directement contre Dieu que rendre à un autre des honneurs divins, comme fait l’idolâtrie. Ce sont donc des péchés plus graves.

3. On constate que de moindres maux en amènent de plus grands, pour leur châtiment. Or, d’après S. Paul (Rm 1, 23), le péché d’idolâtrie fut suivi, comme d’un châtiment, par le péché contre nature. Celui-ci est donc plus grave que l’idolâtrie.

4. S. Augustin disait aux manichéens : “ Nous ne disons pas que vous êtes des païens, ou une secte païenne, mais que vous avez quelques ressemblances avec eux, car vous honorez des dieux multiples. Mais nous affirmons aussi que vous êtes bien au-dessous d’eux. Eux, au moins, honorent des êtres réels, bien qu’indignes des honneurs divins, mais vous, vous honorez ce qui n’existe pas. ” Le vice d’une perversion hérétique est donc plus grave que l’idolâtrie.

5. Sur le texte de Ga 4, 9 : “ Comment retournez-vous à ces pauvres et faibles éléments ? ” la glose de Jérôme commente : “ Ce retour aux observances légales était un péché presque égal à l’idolâtrie qu’ils avaient pratiquée avant leur conversion. ” Le péché d’idolâtrie n’est donc pas le plus grave péché de tous.

En sens contraire, sur le texte du Lévitique (15, 31) concernant l’impureté de la femme qui subit un flux de sang, la Glose dit : “ Tout péché est une impureté de l’âme, mais par-dessus tout l’idolâtrie. ”

Réponse :

La gravité d’un péché peut se prendre à deux points de vue. - 1° A regarder le péché en lui-même, l’idolâtrie est très grave. Nous voyons que dans un état terrestre, le plus grand crime est de rendre à un autre que le roi véritable les honneurs royaux. Celui qui fait cela trouble, autant qu’il est en lui, l’ordre entier de l’État. Ainsi en va-t-il des péchés contre Dieu ; ce sont les plus graves de tous, et pourtant parmi eux il en est un d’une gravité suprême, c’est celui qui consiste à rendre à une créature les honneurs divins. Qui fait cela dresse dans le monde un autre Dieu, et porte atteinte, autant qu’il est en lui, à la souveraineté de son empire.

2° A regarder le péché tel qu’il est commis par le pécheur, nous dirons que celui qui agit sciemment pèche plus gravement que celui qui pèche par ignorance. Ainsi, rien n’empêche que le péché des hérétiques, qui corrompent seulement la foi qu’ils ont embrassée, soit plus grave que celui des idolâtres qui pèchent dans l’ignorance de la vérité. De même d’autres péchés pourront être plus graves, par le fait d’un mépris plus grand chez le pécheur.

Solutions :

1. L’idolâtrie suppose l’infidélité intérieure ; et elle y ajoute le culte extérieur indûment rendu. S’il s’agit d’une idolâtrie purement extérieure sans acte intérieur d’infidélité, il s’y ajoute, nous l’avons dit un mensonge.

2. L’idolâtrie inclut un grand blasphème, car elle soustrait à Dieu le caractère unique de sa seigneurie. De même l’idolâtrie est pratiquement une attaque contre la foi.

3. Il est de l’essence du châtiment de contrarier la volonté. C’est pourquoi si un péché sert de châtiment à un autre péché, il doit être plus manifeste afin de rendre celui qui le commet odieux à lui-même et aux autres, mais il n’est pas nécessaire qu’il soit plus grave. Cela nous permet de comprendre que le péché contre nature, tout en étant moins grave que l’idolâtrie, soit présenté comme son juste châtiment. Le péché y est en effet plus manifeste. L’homme qui par l’idolâtrie renverse l’ordre, en s’attaquant à l’honneur divin, subit ainsi par le fait du péché contre nature la honte de voir sa propre dégradation.

4. L’hérésie des manichéens quant au genre du péché, est plus grave que le péché des autres idolâtres. Ils abaissent davantage l’honneur de Dieu en supposant l’existence de deux dieux contraires, et en imaginant sur Dieu lui-même nombre de fables absurdes. Il en va autrement des autres hérétiques qui reconnaissent et honorent un Dieu unique.

5. Observer sous le régime de la grâce les prescriptions de la loi mosaïque, n’est pas, de soi, un péché en tout point égal à l’idolâtrie, mais presque égal, parce que tous deux sont des espèces de la superstition, qui est une faute mortelle.

 

 

            Article 4 — Quelle est la cause du péché d’idolâtrie ?

Objections :

1. Il semble que cette cause n’est pas du côté de l’homme. En effet, il n’y a rien dans l’homme en dehors de sa nature, de la vertu, ou de la faute. Mais l’idolâtrie ne peut avoir pour cause sa nature ; bien au contraire, sa raison naturelle lui dicte qu’il y a un seul Dieu, et qu’on ne doit pas rendre un culte divin aux morts et aux êtres inanimés. Pareillement l’idolâtrie ne peut être causée en lui par la vertu, parce qu’“ un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits ” (Mt 7, 18). L’idolâtrie ne peut pas venir non plus de la faute, car, dit la Sagesse (14,27) : “ Le culte des idoles innommables est le commencement et la fin de tout mal. ” Donc l’idolâtrie n’a pas sa cause du côté de l’homme.

2. Ce dont les hommes sont cause se retrouve en tous temps parmi eux. Or, l’idolâtrie n’a pas toujours existé. Elle commença au second âge du monde où, lisons-nous, elle fut inventée : qu’on l’attribue à Nemrod qui obligeait, dit-on, à adorer le feu, ou à Ninus qui fit adorer l’image de son père Bel. Chez les Grecs, selon Isidore. “ c’est Prométhée qui fut le premier à façonner l’image humaine avec de la glaise. Quant aux Juifs, ils disent que c’est Ismaël qui le premier modela une statue avec de la glaise ”. D’autre part l’idolâtrie a disparu en grande partie au sixième âge du monde. La cause n’en est donc pas dans l’homme lui-même.

3. D’après S. Augustin, “ on n’aurait pu savoir d’abord, s’ils ne l’avaient enseigné, ce que chacun des démons désire, ce qu’il déteste ; avec quel nom on l’attire ou on le contraint, tout ce qui a fondé l’art de la magie et de ses ouvriers ”. Cela vaut également pour l’idolâtrie. Elle ne vient donc pas des hommes.

En sens contraire, il est écrit dans la Sagesse (14, 14) : “ C’est la vanité des hommes qui introduit les idoles dans le monde. ”

Réponse :

L’idolâtrie a une double cause. La première dispose à ce péché, et elle vient de hommes. Et cela pour trois motifs. 1° Le dérèglement du cœur : l’excès d’amour ou d vénération envers l’un de leurs semblables a amené les hommes à lui rendre les honneurs divins. C’est la cause indiquée dans la Sagesse (14, 15) : “ Affligé par un deuil cruel, le père s’est fait une image d fils qui lui fut prématurément ravi ; et cet être qui comme un homme, venait de mourir, il s’est mi à l’honorer comme un dieu. ” Et un peu plus loin (v. 21) : “ Les hommes, pour satisfaire leur affection ou pour obéir aux rois, ont donné à des pierres ou à du bois le Nom incommunicable ”, celui de la divinité. - 2° Le plaisir naturel à l’homme en présence d’un portrait. C’est un fait noté par le Philosophe, et qui explique que dans leur grossièreté primitive les hommes, à la vue de l’image de leurs semblables, représentée de façon expressive par d’habiles artisans, l’honorèrent d’un culte divin. C’est ce qu’exprime le livre de la Sagesse (13, 1) : “ Qu’un ouvrier abatte dans la forêt un arbre bien droit, le façonne par son art et lui donne figure humaine : il lui fait des vœux et s’enquiert près de lui de ses intérêts d’argent, de ses fils, du mariage qu’il veut contracter. ” - 3° L’ignorance du vrai Dieu. Méconnaissant son infinie perfection, les hommes ont rendu le culte qu’on lui doit à des créatures dont la beauté ou la force les touchaient. Ce qui fait dire à la Sagesse (13, 1) : “ Ils n’ont pas reconnu, en considérant ses œuvres, quel en était l’artisan. Mais c’est le feu, le vent, l’air subtil, l’abîme des eaux, le soleil, la lune, qu’ils ont pris pour des dieux, gouverneurs du monde. ”

Une autre cause, qui donne à l’idolâtrie son définitif achèvement, est l’influence des démons. C’est eux qui dans les idoles s’offrirent au culte de ces hommes plongés dans l’erreur, en répondant à leurs questions et en faisant ce qui leur paraissait des prodiges. C’est pourquoi le Psaume (96, 5) nous dit : “ Tous les dieux des païens sont des démons. ”

Solutions :

1. La cause qui disposa à l’idolâtrie est venue, du côté de l’homme, de sa nature qui fut en défaut soit par ignorance intellectuelle, soit par dérèglement des sentiments. Et cela aussi se rattache au péché. On dit que l’idolâtrie est la cause, le commencement et la fin de tout péché, parce qu’il n’est aucun genre de péché qu’elle ne produise un jour ; soit qu’elle y porte expressément par mode de cause, soit qu’elle en donne l’occasion par mode de commencement, ou par mode de fin, le culte des idoles donnant lieu à certains péchés comme les meurtres, les mutilations, etc. Toutefois certains péchés peuvent précéder l’idolâtrie en y disposant.

2. Dans le premier âge du monde l’idolâtrie n’existait pas parce que le souvenir de la création du monde, récente encore, gardait vive en l’esprit humain la connaissance du Dieu unique. Au sixième âge, l’idolâtrie fut chassée par l’enseignement et la puissance du Christ, qui triompha du démon.

3. Cet argument vaut pour la seconde cause de l’idolâtrie, celle qui lui donne son achèvement.

 

QUESTION 95 — LA DIVINATION

1. La divination est-elle un péché ? - 2. Est-elle une espèce de la superstition ? - 3. Ses espèces. - 4. La divination démoniaque. - 5. La divination par les astres. - 6. La divination par les songes. - 7. La divination par les augures et autres observations analogues. - 8. La divination par les sorts.

 

 

            Article 1 — La divination est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. Le mot “ divination ” vient de “ divin ”. Mais le divin se rattache davantage à la sainteté qu’au péché. La divination n’est donc pas un péché.

2. S. Augustin écrit : “ Qui oserait dire que l’instruction soit un mal ? ” Et il ajoute : “ je ne dirai jamais qu’il peut être mauvais de comprendre quelque chose. ” Or, il existe un “ art de la divination ”, selon Aristote, et la divination apporte semble-t-il une certaine intelligence de la vérité.

3. Une inclination naturelle ne nous porte jamais au mal, car la nature ne tend qu’à ce qui lui ressemble. Or, les hommes sont naturellement aisance de l’avenir. La divination n’est donc pas un péché.

En sens contraire, il est écrit dans le Deutéronome (18, 11) : “ Que personne ne consulte les oracles ni les devins. ” Et nous lisons dans les Décrets : “ Ceux qui font appel à la divination subiront la peine de cinq. ans, suivant les degrés de pénitence établis par les canons. ”

Réponse :

On entend par divination une prédiction de l’avenir. Or, les événements futurs peuvent être connus de deux façons : dans leurs causes et en eux-mêmes. Or leurs causes sont de trois sortes.

1° Les unes produisent leurs effets nécessairement et toujours. Ceux-ci peuvent alors être prévus et prédits avec certitude grâce à l’examen de leurs causes. Ainsi les astronomes annoncent les éclipses futures.

2° Mais il y a des causes qui ne produisent pas leurs effets de façon nécessaire et constante, mais seulement la plupart du temps, tout en étant rarement en défaut. On peut alors par leur moyen prévoir ce qui arrivera, non point avec certitude, mais seulement par conjecture. Ainsi les astronomes peuvent en observant les étoiles connaître et annoncer d’avance la pluie ou la sécheresse, et les médecins prévoir la guérison ou la mort.

3° Il y a enfin des causes qui, à les regarder en elles-mêmes, sont indifférentes à tel ou tel effet. C’est surtout le cas des puissances rationnelles qui, selon Aristote peuvent se porter à des objets contraires. Les effets de ce genre, et aussi ceux qui ne proviennent des causes naturelles que rarement et par hasard, ne peuvent être prévus par l’examen de leurs causes ; car elles n’ont pas d’inclination fixe qui les y détermine. On ne peut connaître à l’avance de tels résultats, à moins de les voir en eux-mêmes ; ce qui, pour un homme, exige que l’événement soit présent : ainsi voit-on Socrate courir ou marcher.

Considérer l’événement en sa réalité même avant qu’il ne s’accomplisse n’appartient qu’à Dieu ; seul, il voit dans son éternité les choses futures comme présentes, ainsi que nous l’avons enseigné dans la première Partie. Ce qui fait dire à Isaie (41, 23) : “ Annoncez ce qui arrivera dans l’avenir et nous saurons que vous êtes des dieux. ” Donc, si quelqu’un se fait fort de prévoir ou de prédire par quelque moyen ce genre d’événements, à moins d’une révélation de Dieu, il usurpe manifestement ce qui appartient à Dieu. C’est de là que vient le nom de devin, d’après S. Isidore : “ On les appelle devins (divine), écrit-il, comme s’ils étaient pleins de Dieu (Deo pleni) ; car ils feignent d’être remplis de la divinité, et par une ruse frauduleuse prédisent l’avenir aux humains. ” On ne parlera donc pas de divination lorsque quelqu’un prédit des choses qui arrivent nécessairement ou le plus souvent, et dont la prévision est accessible à la raison humaine. Pas davantage dans le cas d’une connaissance des futurs contingents reçue par révélation divine. Car alors on ne fait pas acte de divination, c’est-à-dire acte divin : il est plus exact de dire qu’on reçoit ce qui est divin. On ne fait acte de divination que lorsqu’on s’arroge indûment la prédiction d’événements futurs. Or il est clair que cela est un péché. La divination est donc toujours un péché. C’est pourquoi S. Jérôme dit que ce mot est toujours pris en mauvaise part.

Solutions :

1. On n’entend point par divination la participation normale à une perfection divine, mais l’usurpation indue des droits de Dieu, on vient de le dire.

2. Il y a des méthodes pour prévoir les événements qui se produisent nécessairement ou le plus couramment, mais ce n’est pas de la divination. Pour les autres événements futurs, il n’y a pas d’art véritable ni de méthodes, mais des procédés vains et trompeurs, dus aux démons qui ni veulent se jouer des hommes, dit S. Augustin.

3. L’homme est porté par inclination naturelle à connaître l’avenir conformément à ses propres moyens, mais non selon un mode illégitime de divination.

 

 

            Article 2 — La divination est-elle une espèce de la superstition ?

Objections :

1. Il semble que non. Car une même espèce ne peut appartenir à deux genres différents. Or la divination paraît bien être, selon S. Augustin, une espèce de la curiosité. Elle n’est donc pas une espèce de la superstition.

2. La religion, c’est le culte tel qu’on doit l’accomplir ; la superstition c’est le culte indûment rendu. Mais la divination n’a pas rapport à cela, et n’est donc pas une forme de la superstition.

3. La superstition est l’opposé de la religion. Or, dans la vraie religion vous ne trouvez rien qui corresponde, à titre de contraire, à la divination. Celle-ci n’est donc pas une espèce de la superstition.

En sens contraire “ Il y a dans la prescience, dit Origène, une certaine opération des démons ; ceux qui se sont livrés à eux l’ont enfermée dans leurs arts, et la mettent en œuvre soit par les sorts, les augures ou l’examen des ombres. Je ne doute point que tout cela ne se fasse par l’opération des démons. ” Or, selon S. Augustin tout ce qui provient de rapports entre les hommes et les démons est superstitieux. La divination est donc une espèce de la superstition.

Réponse :

On entend par superstition, avons-nous dit. un culte divin contraire à la règle. Or une chose peut appartenir de deux manières au culte de Dieu. Premièrement sous forme d’oblation : sacrifice, offrandes, etc. Deuxièmement sous forme de recours au divin : le serment par exemple, nous l’avons vu. Il y aura donc superstition non seulement lorsqu’on offre un sacrifice aux démons par idolâtrie, mais aussi lorsqu’on recourt à leur aide pour faire ou connaître quelque chose. Or, toute divination procède de l’opération des démons, soit qu’on les ait expressément invoqués pour qu’ils révèlent l’avenir, soit qu’ils s’ingèrent eux-mêmes dans les vaines recherches qu’on en fait, pour enlacer les esprits dans cette vanité dont il est dit dans le Psaume (40, 5) : “ Heureux l’homme qui n’a pas regardé la vanité et les folies décevantes! ” La divination est donc manifestement une espèce de la superstition.

Solutions :

1. Il y a en effet de la curiosité dans la divination ; elle est dans la fin qu’on poursuit : la connaissance anticipée de l’avenir. Mais si l’on regarde la manière d’agir, on rattachera la divination à la superstition.

2. Une telle divination se rattache au culte des démons en tant qu’on fait avec eux un pacte tacite ou exprès.

3. La loi nouvelle détourne l’esprit humain des soucis temporels. C’est pourquoi elle ne détermine aucune pratique à laquelle on puisse recourir pour connaître d’avance les événements futurs. La loi ancienne, qui renfermait des promesses temporelles, comportait des consultations sur l’avenir, à caractère religieux. Ainsi lisons-nous dans Isaïe : “ Et quand on vous dira : "Interrogez les magiciens et les devins qui murmurent dans leurs incantations " - Est-ce que ( c’est la réponse qu’il dit de faire), ce n’est pas près de son Dieu que le peuple va chercher la vision, pour les vivants et pour les morts ? ” Il y eut cependant dans le Nouveau Testament des prophètes inspirés qui firent de nombreuses prédictions.

 

 

            Article 3 — Les espèces de la divination

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas lieu de distinguer plusieurs espèces de divination. Car là où la raison de péché est unique, il n’y a pas plusieurs espèces. Or, toute divination a une seule raison de péché, du fait qu’on use pour connaître l’avenir de pacte avec les démons. On ne peut donc distinguer plusieurs espèces de divinations.

2. L’acte humain est spécifié par sa fin, on l’a dit. Or, la divination a toujours une fin unique : l’Annonce de l’avenir. Il n’y en a donc qu’une espèce.

3. Les signes qu’on emploie ne peuvent changer l’espèce du péché ; que l’on nuise à la réputation de quelqu’un par paroles, par écrit ou par gestes, c’est tout un. Les formes variées de divination ne diffèrent, semble-t-il, que par la diversité des signes d’où l’on tire la connaissance de l’avenir. Il n’y donc pas diversité d’espèces.

En sens contraire, S. Isidore énumère les différentes espèces de divination.

Réponse :

Toute divination, nous l’avons dit, use pour connaître l’avenir du conseil ou de l’aide des démons. Leur secours est parfois expressément requis. Mais indépendamment de toute demande, le démon peut intervenir secrètement pour annoncer des événements futurs ignorés des humains, et connus de lui. Sur les moyens qu’il en a, voir ce que nous avons dit dans la première Partie.

Lorsqu’ils répondent à un appel exprès, les démons ont bien des manières d’annoncer l’avenir. Parfois ils se présentent eux-mêmes, sous des formes trompeuses, à la vue des humains et font entendre leurs prédictions. C’est ce qu’on appelle le prestige, parce qu’en ce cas les yeux des hommes sont comme éblouis. D’autres fois ils usent de songes, et c’est alors la divination par les songes. Ou bien ils font apparaître et parler des morts. C’est la nécromancie, dont Isidore explique ainsi le nom : “ En grec nekros signifie mort, et mantia, divination ; car après certaines incantations, où intervient le sang, on voit se lever des morts qui prédisent l’avenir et répondent aux questions. ” Les démons annoncent encore les événements futurs par le truchement d’hommes vivants, comme on le voit chez les possédés. Cette espèce de divination est celle des pythonisses, “ ainsi nommées, dit Isidore à cause d’Apollon Pythien, qui passait pour l’auteur des oracles ”. Autre procédé encore : des dessins ou des signes apparaissent sur des êtres inanimés. S’il s’agit d’un corps composé d’éléments terrestres, bois, fer, pierre taillée, c’est la géomancie ; si c’est dans l’eau c’est l’hydromancie ; dans le feu, la pyromancie ; dans les entrailles d’animaux sacrifiés sur les autels des démons, l’haruspice.

La divination qui ne comporte pas d’invocation explicite des démons se divise en deux genres. Dans le premier on examine les dispositions de certaines choses, pour en tirer des prévisions. A l’examen de la position et du mouvement des astres, s’adonnent les astrologues, nommés aussi généthliaques parce qu’ils étudient le jour de la naissance. - Les observations portant sur les mouvements et les cris des oiseaux, ou d’un animal quelconque, ou encore sur les éternuements des hommes ou les tressaillements de leurs membres, portent le nom générique d’augure. Ce mot vient de avium garritus, gazouillement des oiseaux, comme auspice vient d’avium inspection inspection des oiseaux ; ces deux procédés, dont l’un se rapporte à l’ouïe et le second à la vue, s’appliquent en effet principalement aux oiseaux. Les remarques faites sur des paroles, prononcées par des hommes dans une tout autre intention, pour les faire tourner à la prévision de l’avenir, donnent lieu au présage : “ L’observation des présages, dit Valère Maxime, a des liens avec la religion. Car on croit que ce n’est pas le hasard, mais la providence divine qui règle l’événement. C’est ainsi que, tandis que les Romains délibéraient s’ils iraient ailleurs, un centurion s’écria, d’une manière toute fortuite : " Porte-enseigne, plante là ton drapeau, nous resterons très bien ici ! " Ce cri fut reçu par ceux qui l’entendirent comme un présage, et ils abandonnèrent le dessein de partir. ” - Nous trouvons encore une autre espèce de divination, dans l’examen des figures qu’on voit en certains corps ; ainsi la chiromancie est l’étude des lignes de la main, du grec chiros, main ; la spatulomancie, l’étude des dessins qu’on voit sur les omoplates (spatula) de certains animaux.

Le second genre de divination, sans invocation expresse des démons, consiste à examiner le résultat de certains actes attentivement pratiqués par celui qui désire connaître quelque secret. Par exemple on trace des lignes en prolongeant des points (ce qui se rattache à la géomancie), ou bien on examine les dessins formés par du plomb fondu jeté dans l’eau. Ou encore on dépose dans un récipient qui les cache, des papiers, écrits ou non, et l’on observe qui tirera tel ou tel ; on use aussi de fétus inégaux que l’on présente pour voir qui prendra la plus longue ou la plus courte paille ; on jette les dés pour voir qui aura le plus grand nombre de points ; on lit un passage d’un livre qu’on ouvre au hasard. Tout cela porte le nom de sorts.

Il y a donc, au total, trois genres de divination : 1° Divination par appel manifeste aux démons ; c’est le fait des nécromanciens ; - 2° Par simple considération de la position ou du mouvement d’une chose étrangère ; c’est le fait des augures. 3° Par mise en œuvre de certaines pratiques que l’on accomplit en vue de découvrir ce qui est caché : se sont les sorts. Chacun de ces genres se divise lui-même en espèces nombreuses, comme il ressort de cet exposé.

Solutions :

1. Dans toutes les formes de divination qu’on vient d’examiner, la raison de péché est la même en ce qu’il a de général, mais non quant à son espèce. Il est en effet beaucoup plus grave d’invoquer les démons que de faire des choses qui prêtent à leur intervention.

2. La connaissance des choses futures ou cachées caractérise la divination de façon générique, à titre de fin ultime. La division en espèces se prend de l’objet ou de la matière propres à chaque mode de divination, c’est-à-dire de la diversité des choses où l’on prétend chercher cette connaissance.

3. Les signes auxquels s’applique le devin ne sont pas comme pour le diffamateur un moyen d’exprimer sa pensée, mais le principe d’une connaissance. Or, à diversité de principes, diversité d’espèces ; c’est une loi manifeste, même dans les sciences de démonstration.

 

 

            Article 4 — La divination démoniaque

Objections :

1. Il semble qu’elle ne soit pas illicite, car le Christ n’a rien fait d’illicite selon la première épître de S. Pierre (2, 22) : “ Il n’a pas commis de faute. ” Or notre Seigneur a interrogé le démon (Mc 5, 9) : “ Quel est ton nom ? ” A quoi le démon répondit : “ Légion, car nous sommes une foule 1 ” On peut donc interroger les démons pour savoir ce qui nous est caché.

2. Les âmes des saints ne peuvent favoriser les questions illicites. Or, Saül, interrogeant une pythonisse sur l’issue d’une guerre future, vit lui apparaître Samuel, qui lui prédit ce qui allait arriver (1 S, 28, 8). La divination qui fait appel aux démons n’est donc pas illicite.

3. Il semble permis de demander, à celui qui la sait, la vérité qu’il est utile de connaître. Or, il peut être utile de savoir des secrets, qu’on peut apprendre des démons, s’il s’agit de découvrir un vol, par exemple. On peut donc user de cette sorte de divination.

En sens contraire, nous lisons dans le Deutéronome (18, 10) : “ Qu’on ne trouve parmi vous personne qui interroge les devins ou consulte les pythonisses. ”

Réponse :

Toute divination faisant appel au démon est illicite pour deux motifs.

Premier motif : le principe même de la divination. C’est en effet conclure un pacte avec le démon que l’invoquer. Et cela est tout à fait défendu. Tel est le reproche d’Isaïe (28, 15) : “ Vous avez dit : nous avons fait alliance avec la mort, et conclu un pacte avec l’enfer. ” Ce serait plus grave encore si l’on offrait un sacrifice au démon qu’on invoque, ou si des marques d’honneur lui étaient rendues.

Second motif : les conséquences. Car le démon, qui veut la perte des hommes, même s’il dit vrai quelquefois, veut par ses réponses les accoutumer à le croire ; il veut ainsi les amener à mettre en danger leur salut. Sur ce texte de S. Luc (4, 35) : “ Il le réprimanda et lui dit : Tais-toi ! ” S. Athanase commente : “ Bien que le démon confessât la vérité, le Christ lui fermait la bouche pour qu’il ne répandît pas sa perversion en la mêlant à la vérité. Il voulait nous accoutumer aussi à ne pas prêter attention aux révélations de ce genre, même si elles paraissent vraies. Il est criminel en effet, alors que nous possédons la Sainte Écriture, de nous faire instruire par le démon. ”

Solutions :

1. Comme le dit S. Bède : “ Notre Seigneur n’interroge pas comme quelqu’un qui ignore. Il veut faire reconnaître la détresse du possédé pour manifester davantage la puissance du guérisseur. ” Il peut être parfois permis, dans l’intérêt des autres, de poser une question au démon qui se présente de lui-même, surtout quand la vertu divine peut le contraindre à dire le vrai. Mais c’est là tout autre chose que d’appeler à soi le démon pour recevoir de lui la connaissance de choses occultes.

2. Comme dit S. Augustin : “ Il n’est pas déraisonnable de croire que, par une permission de Dieu, et par un ordre secret qui échappait à la pythonisse et à Saül, l’âme d’un juste, sans subir aucunement l’influence des artifices et de la puissance magique, ait pu se montrer aux regards du roi, qu’il devait frapper d’une sentence divine... Ou bien, on pourrait penser que ce ne fut pas vraiment l’esprit de Samuel, arraché à son repos, mais un fantôme et un jouet de l’imagination, produit par les artifices diaboliques. La Sainte Écriture lui donnerait alors le nom de Samuel en suivant le procédé commun, consiste à donner le nom des choses aux image qui les représentent. ”

3. Aucun avantage temporel ne peut être mi en balance avec le dommage spirituel qui menace notre salut, si nous invoquons les démons pou découvrir des secrets.

 

 

            Article 5 — La divination par les astres

Objections :

1. Elle ne paraît pas illicite, car est permis d’annoncer, par l’examen des causes, l’effet qui s’ensuivra. Les médecins, d’après le cours que prend la maladie, annoncent la mort de leur client. Or, les corps célestes sont cause de ce qui se passe dans ce bas monde ; Denys lui-même le dit. La divination par les astres n’est donc pas défendue.

2. La science naît de l’expérience. C’est ce qu’on peut voir dans Aristote au début de sa Métaphysique. Or, grâce à de multiples expériences, des gens ont découvert qu’on pouvait, par l’examen des astres, annoncer certains événements futurs. Il ne semble donc pas illicite d’employer un tel moyen pour connaître l’avenir.

3. La divination est illicite en tant qu’elle se fonde sur un pacte conclu avec les démons. Mais cela n’a pas lieu dans l’astrologie, où l’on considère simplement la disposition des créatures de Dieu. Il parent donc que cette forme de divination n’est pas illicite.

En sens contraire, nous lisons dans les Confessions de S. Augustin : “ je ne renonçais pas à consulter ces imposteurs que l’on nomme mathématiciens ; cela parce qu’il me semblait qu’ils n’offraient pas de sacrifices, et n’adressaient pas de prières à un esprit quelconque, en vue de leurs divinations. Et cependant la vraie piété chrétienne rejette ces pratiques et les condamne. ”

Réponse :

Nous avons déjà dit que les démons agissent dans la divination qui procède d’une opinion fausse ou creuse, afin d’entraîner les esprits humains dans la vanité ou l’erreur. Or, c’est faire preuve d’une opinion vaine ou fausse que de chercher à prévoir, par l’examen des étoiles, l’avenir qu’elles ne peuvent nous faire connaître. Il faut donc examiner ce que l’observation des corps célestes peut exactement nous faire prévoir. S’il s’agit d’événements dont le cours est nécessaire, il est évident qu’on peut les prévoir par ce moyen ; les astronomes annoncent ainsi les éclipses. Mais nous nous trouvons en présence d’opinions bien diverses au sujet des prévisions sur l’avenir que peuvent fournir les étoiles.

Il y eut des gens pour dire que les étoiles signifient, plutôt qu’elles ne produisent, ce que l’on prédit en les observant. Mais cela est déraisonnable. Tout signe corporel ou bien est un effet qui nous renseigne directement sur la cause qui le produit, ainsi la fumée est le signe du feu qui en est cause ; ou bien, en désignant la cause, il désigne par là son effet, comme l’arc-en-ciel signifie le beau temps parce que le beau temps et l’arc-en-ciel ont une même cause. Or, on ne peut dire que les positions et les mouvements des corps célestes sont les effets d’événements futurs. Et on ne peut pas davantage ramener les uns et les autres à une cause unique de nature corporelle. La seule cause à laquelle on puisse ramener ces différents effets comme à une source commune, est la providence divine. Mais celle-ci soumet à des lois différentes les mouvements et les positions des corps célestes, et les événements contingents. Les premiers se produisent selon une raison nécessaire qui les produit toujours de la même manière, tandis que les seconds, soumis à une raison contingente, se produisent de façon variable.

On ne peut donc, de l’examen des astres, tirer d’autre prévision que celle qui consiste à découvrir par avance l’effet dans sa cause. Or, deux sortes d’effets échappent à la causalité des corps célestes. D’abord tout ce qui se produit par accident, soit dans l’ordre humain, soit dans l’ordre naturel. L’être par accident n’a pas de cause, explique Aristote, surtout si on l’entend d’une cause naturelle comme l’influence des corps célestes. Parce que ce qui se produit par accident n’est pas à proprement parler un être et n’a pas d’unité réelle : que la chute d’une pierre produise un tremblement de terre, qu’un fossoyeur, creusant une tombe, trouve un trésor, on ne peut reconnaître à ces rencontres d’unité formelle ; de telles rencontres n’ont pas d’unité réelle, elles sont absolument multiples. Tandis que le terme d’une opération naturelle est toujours quelque chose d’un, comme son principe qui n’est autre que la forme naturelle de l’être qui agit.

Échappent ensuite à la causalité des corps célestes les actes du libre arbitre, “ faculté de la volonté et de la raison ” . L’intellect en effet, ou la raison, n’est pas un corps, ni l’acte d’un organe corporel. La volonté, qui est la tendance correspondant à la raison, ne l’est donc pas davantage. Or, aucun corps ne peut impressionner une réalité incorporelle. Il est donc impossible que les corps célestes fassent directement impression sur l’intelligence et la volonté, car ce serait admettre que l’intelligence ne diffère pas du sens : ce qu’Aristote attribue à ceux qui soutenaient que “ la volonté des hommes est modifiée par le père des hommes et des dieux ”, c’est-à-dire le soleil ou le ciel. Les corps célestes ne peuvent donc être directement causes des opérations du libre arbitre. Ils peuvent cependant incliner ou agir en tel ou tel sens, en y disposant par leur influence. Celle-ci s’exerce en effet sur notre corps, et par suite sur nos facultés sensitives, car celles-ci sont l’acte d’organes corporels qui inclinent à produire les actes humains. Mais ces puissances inférieures obéissent à la raison, comme le montre Aristote ; le libre arbitre n’est donc aucunement nécessité, et l’homme peut toujours, par sa raison, s’opposer à cette impulsion venue des corps célestes.

Donc, si l’on use de l’astrologie pour prévoir les événements qui se produisent par hasard ou accidentellement, ou encore pour prévoir avec certitude les actions des hommes, on part d’une opinion fausse et vaine. C’est ainsi que l’action des démons s’y mêle. C’est une divination superstitieuse et illicite. Si par contre, on examine les astres pour connaître d’avance les effets directs de l’influence des corps célestes : sécheresses, pluies, etc., il n’y a plus ni divination illicite ni superstition.

Solutions :

1. Notre exposé répond à la première objection.

2. L’exactitude fréquente des prédictions des astrologues tient à deux causes : 1° La plupart des hommes suivent leurs impressions corporelles. Leurs actes n’ont donc le plus souvent d’autre règle que le penchant imprimé par les corps célestes. Un petit nombre seulement, les sages, gouvernent ces penchants par la raison. C’est pourquoi, dans bien des cas les prédictions des astrologues se réalisent, surtout lorsqu’il s’agit d’événements généraux qui dépendent du grand nombre. 2° Les démons s’en mêlent. “ Il faut avouer, dit S. Augustin que lorsque les astrologues disent vrai, c’est sous l’influence d’un instinct très secret que les âmes humaines subissent inconsciemment. C’est là une œuvre de séduction, qu’il faut attribuer aux esprits impurs et séducteurs, à qui Dieu permet de connaître certaines vérités de l’ordre temporel. ” Et il tire de là cette conclusion : “ Aussi un bon chrétien doit-il se garder des astrologues et de ceux qui exercent un art divinatoire et impie, surtout s’ils disent vrai.

Il doit craindre que son âme, trompée par le commerce des démons, ne soit prise au piège dans le pacte qui l’attache à eux . ”

3. Cela résout également la troisième objection.

 

 

            Article 6 — La divination par les songes

Objections :

1. Il semble que la divination par les songes ne soit pas illicite. Car il n’est pas illicite de profiter d’un enseignement divin. Or c’est en songe que Dieu instruit les hommes. On lit en effet dans Job (33, 15) : “ Par un songe, dans la vision de la nuit, quand le sommeil accable les hommes et qu’ils dorment sur leur lit, alors Dieu leur ouvre l’oreille, et par son enseignement les instruit de sa loi. ” Employer la divination par les songes n’est donc pas illicite.

2. Ce genre de divination est précisément employé par ceux qui expliquent les songes. Or, on lit dans l’Écriture que de saints hommes l’ont pratiquée. joseph expliqua les songes de l’échanson et du grand panetier de Pharaon, et celui de Pharaon lui-même (Gn 41, 15) ; et Daniel, le songe du roi de Babylone (Dn 2, 26). On peut donc employer ce genre de divination.

3. On ne peut raisonnablement nier un fait d’expérience commune. Or, tout le monde le constate, les songes ont une signification relative à l’avenir. Il est donc inutile de nier leur efficacité divinatoire, et l’on peut à bon droit y prêter attention.

En sens contraire, le Deutéronome prescrit (18, 10) “ Que nul parmi vous n’observe les songes. ”

Réponse :

La divination qui repose sur une opinion fausse est superstitieuse et illicite, nous l’avons dit. C’est pourquoi il faut chercher ce qu’il y a de vrai dans la prévision qu’on peut tirer des songes. Ceux-ci sont parfois la cause d’événements futurs, par exemple lorsque l’esprit, préoccupé par ce qu’il a vu en songe, est amené à faire ou à éviter telle chose. Mais il arrive aussi qu’ils soient le signe d’événements futurs, une même cause rendant compte du rêve et de l’événement. Telle est la raison de la plupart des prémonitions reçues en songe. Il nous faut donc examiner quelle est la cause des songes, et si cette cause peut en même temps produire les événements futurs ou les connaître.

Il faut donc savoir que les songes peuvent dépendre de deux sortes de causes, internes et externes.

Les causes internes sont elles-mêmes soit intérieures soit extérieures. - 1° L’une est psychique : l’imagination représente dans le sommeil ce qui a arrêté sa pensée et ses affections pendant la veille. Pareille cause ne peut avoir d’influence sur les événements postérieurs, avec lesquels ce genre de rêve n’a qu’un rapport purement accidentel. S’ils se rencontrent, c’est par hasard. - 2° La source intérieure du rêve est corporelle. Car les dispositions internes du corps produisent des mouvements de l’imagination en rapport avec elles ; l’homme chez qui abondent les humeurs froides rêve qu’il est dans l’eau ou dans la neige. C’est pourquoi les médecins disent qu’il faut porter attention aux rêves du malade pour diagnostiquer son état intérieur.

Quant aux causes externes, nous y retrouvons également une double division, fondée sur la distinction du corporel et du spirituel. - 1° la cause est corporelle en tant que l’imagination du dormeur est impressionnée par l’air ambiant ou par l’influence des corps célestes. Ainsi les imaginations qui lui apparaissent dans le sommeil sont en harmonie avec la disposition des corps célestes. - 2° La cause spirituelle est parfois Dieu qui, par le ministère des anges, fait aux hommes certaines révélations dans leurs songes, selon ce texte des Nombres (12, 6) : “ S’il y a parmi vous un prophète du Seigneur, je lui apparaîtrai en vision ou je lui parlerai par un songe. ” Mais d’autres fois ce sont les démons qui sont à l’œuvre. Ils font apparaître dans le sommeil des images grâce auxquelles ils révèlent certains faits à venir, à ceux qui ont avec eux des pactes défendus.

Il faut donc conclure que si l’on emploie les songes pour connaître l’avenir en tant qu’ils proviennent d’une révélation divine ou qu’ils dépendent d’une cause naturelle interne ou externe, pourvu qu’on n’aille pas au-delà des limites où s’étend son influence, une telle divination ne sera pas illicite. Mais si le songe divinatoire est causé par une révélation diabolique, à la suite d’un pacte exprès avec les démons invoqués à cette fin, ou d’un pacte tacite, parce que cette divination s’étend au-delà des limites auxquelles elle peut prétendre, cette divination sera illicite et superstitieuse.

Solutions :

Les Objections sont par là résolues.

 

 

            Article 7 — La divination par les augures et par d’autres observations analogues

Objectifs : 1. Il semble que la divination par les augures, les présages et d’autres observations analogues, ne soit pas illicite, sans quoi de saints hommes ne l’emploieraient pas. Mais on lit que Joseph consultait les augures. La Genèse (44, 5) dit en effet que l’intendant de Joseph disait : “ La coupe que vous avez volée est celle dans laquelle boit mon maître, et dont il se sert habituellement pour connaître les augures. ” Joseph lui-même dit ensuite à ses frères : “ Ignorez-vous donc que je n’ai pas mon pareil dans la science des augures ? ” Il n’est donc pas illicite d’employer ce procédé divinatoire.

2. Les oiseaux ont une connaissance naturelle de certains événements futurs, selon Jérémie (8, 7) : “ Le milan connaît dans les cieux sa saison ; la tourterelle, l’hirondelle, la cigogne, observent le temps de leur arrivée. ” Mais la connaissance naturelle est infaillible et vient de Dieu. Donc employer la connaissance des oiseaux pour connaître l’avenir, ce qui est pratiquer l’augure, ne paraît pas illicite.

3. Gédéon est mis au nombre des saints (He 11, 32). Or, il s’est servi d’un présage, le jour où il entendit raconter et interpréter un songe, selon le livre des juges (7, 13). De même Eliézer, serviteur d’Abraham, d’après la Genèse (24, 13). Ce procédé ne paraît donc pas illicite.

En sens contraire, on trouve dans le Deutéronome (18, 13) : “ Que nul parmi vous n’observe les augures. ”

Réponse :

Les mouvements ou les cris des oiseaux, et toutes les dispositions de ce genre que l’on peut observer, ne sont manifestement pas la cause des événements futurs ; aussi ne peut-on y découvrir ceux-ci, comme un effet qu’on découvre dans sa cause. Si l’on peut en tirer quelque prévision, ce sera donc seulement dans la mesure où eux-mêmes dépendent de ce qui produit ou connaît les événements qu’ils présagent.

Les animaux dépourvus de raison agissent sous l’impulsion d’un instinct qui les meut d’un mouvement naturel. Ils ne possèdent pas en effet la maîtrise de leur activité. A cet instinct lui-même nous pouvons assigner une double cause :

1° Une cause corporelle. N’ayant qu’une âme sensible, dont toutes les puissances sont l’acte d’organes corporels, ces animaux sont sujets à subir l’influence des corps environnants, et en tout premier lieu des corps célestes. Rien n’empêche donc que certaines de leurs opérations ne fournissent une indication sur l’avenir, par leur conformité avec l’état des corps célestes et de l’air ambiant, d’où proviendront certains événements. Il faut cependant faire ici deux remarques. D’abord, les prévisions fournies par l’observation des animaux doivent se borner aux événements dont le mouvement des corps célestes rend raison, comme on l’a dit plus haut . D’autre part elles ne peuvent s’étendre au-delà de ce qui peut concerner par quelque côté ces animaux. Ils ne reçoivent en effet des corps célestes qu’une connaissance naturelle et un instinct relatif aux choses nécessaires à leur vie : les variations des vents et des pluies par exemple.

2° Ces instincts peuvent également dépendre d’une cause spirituelle. Ce peut être Dieu. On le voit par les cas suivants : la colombe qui descend sur le Christ, le corbeau qui ravitaille Élie, le monstre marin qui avale et rejette Jonas. Ce peuvent être aussi les démons, qui se servent de ces activités des bêtes pour troubler l’esprit des hommes par des opinions sans fondements.

Ces explications valent pour toutes les autres divinations de ce genre, sauf pour les présages. Parce que les paroles humaines que l’on tient pour un présage ne dépendent pas de la disposition des astres. Elles dépendent de l’ordre providentiel que Dieu leur assigne, et parfois de l’activité des démons. Nous devons donc conclure que toute divination de ce genre, si elle prétend franchir les limites qu’elle peut atteindre selon l’ordre de la nature ou de la Providence, est superstitieuse et illicite.

Solutions :

1. Joseph plaisantait, dit S. Augustin, quand il disait n’avoir pas son pareil dans la science des augures. Il ne parlait pas sérieusement, et sans doute se référait-il à l’opinion du vulgaire. Il faut entendre de même les propos de son intendant.

2. Ce texte parle de la connaissance que les oiseaux ont de ce qui les concerne. Chercher à prévoir cela en considérant leurs cris et leurs évolutions, n’est pas défendu, par exemple si le croassement répété des corneilles annonce une pluie imminente.

3. Gédéon, lorsqu’il prêta attention au récit et à l’explication du songe pour en tirer présage, vit en ces faits une instruction que lui ménageait la Providence. C’est dans les mêmes sentiments qu’Éliézer, après avoir prié Dieu, fut attentif aux paroles que prononcerait la jeune fille.

 

 

            Article 8 — La divination par les sorts

Objections :

1. Il semble que cette divination ne soit pas illicite, car, sur ce texte du Psaume (31, 16) : “ Mon sort est entre tes mains ”, la glose de S. Augustin commente : “ Le sort n’est pas chose mauvaise, mais un signe qui dans le doute indique la volonté divine. ”

2. Les saints dont l’Écriture nous rapporte les actions n’ont rien fait que de permis. Or, on trouve, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, que des saints personnages ont employé des sorts. C’est Josué qui, pour obéir au Seigneur, punit, sur le jugement du sort, Akan qui avait soustrait quelque chose à l’anathème (Jos 7, 13). C’est Saül qui par le moyen des sorts découvrit que son fils Jonathan avait mangé du miel (1 S 14, 42). C’est Jonas qui fuyant la face du Seigneur fut indiqué par le sort et jeté dans la mer (jon 1, 7). C’est Zacharie qui fut désigné par le sort pour offrir l’encens (Lc 1, 9). C’est S. Matthias enfin que le sort désigne au choix des Apôtres pour entrer dans leurs rangs (Ac 1, 26).

La divination par les sorts ne paraît donc pas être illicite.

3. Le duel, ou combat singulier, les jugements du feu et de l’eau qu’on appelle jugements populaires, se rattachent aux sorts puisque par ces procédés on cherche à découvrir une chose cachée. Mais on ne voit pas que cela soit illicite puisqu’on lit que David a engagé un combat singulier avec le Philistin (1 S 17, 32). Donc la divination par les sorts n’est pas illicite.

En sens contraire, on lit dans les Décrets “ Les sorts, dont vous faites usage pour juger toutes les affaires qui vous sont confiées, ont été condamnés par les Pères et nous y voyons divinations et maléfices. C’est pourquoi nous voulons que cette condamnation soit totale et qu’on n’en parle plus désormais chez les chrétiens ; et pour qu’ils cessent, nous les interdisons sous peine d’anathème. ”

Réponse :

On entend proprement par “ sort ” un procédé qu’on utilise, et dont on observe le résultat pour découvrir un fait caché. Si l’on s’en remet au jugement des sorts pour décider à qui l’on doit attribuer telle chose, que ce soient des possessions, honneurs, dignités, peines ou une fonction quelconque, nous aurons le sort distributif. Si l’on recherche ce qu’on doit faire, c’est le sort consultatif ; tandis que par le sort divinatoire on s’enquiert de ce qui arrivera.

Les actes des hommes, que l’on utilise pour les sorts, ne sont pas soumis à la disposition des astres, ni davantage leurs résultats. Recourir aux sorts en pensant que l’issue de ces procédés est soumise à cette influence, c’est s’attacher à une opinion vaine et fausse, et par conséquent comportant une intervention des démons. De ce fait une telle divination sera superstitieuse et illicite.

Cette causalité étant écartée, il s’impose que l’issue de la consultation des sorts ne peut venir que du hasard, ou d’une cause spirituelle prépondérante. Si cela vient du hasard, ce qui ne peut produire que par le sort distributif, on ne peut reprocher que la vanité ; ainsi, lorsque des gens ne peuvent se mettre d’accord sur un partage, ils veulent y employer le sort distributif, en confiant au hasard quelle part doit revenir à chacun.

Mais si l’on attend d’une cause spirituelle le jugement des sorts, on l’attend parfois des démons ; ainsi lisons-nous en Ézéchiel (21, 26) : “ Le roi de Babylone s’est arrêté au carrefour, au départ des deux chemins, mêlant ses flèches pour interroger le sort ; il a interrogé les idoles et consulté les entrailles des victimes. ” De tels sorts sont illicites et interdits par les canons.

Mais d’autres fois, on attend de Dieu la réponse, selon les Proverbes (16, 33) : “ Les sorts sont jetés dans le pli du vêtement, mais c’est le Seigneur qui les dirige. ” En soi cette consultation des sorts n’est pas mauvaise, dit S. Augustin. Cependant le péché peut s’y introduire de quatre façons. 1° Si l’on recourt aux sorts sans aucune nécessité, car cela semble tenter Dieu. Aussi S. Ambroise dit-il : “ Celui qui est élu par le sort échappe au jugement humain. ” 2° Si, même en cas de nécessité, on emploie les sorts sans respecter Dieu. Aussi Bède n dit-il : “ Si, poussé par la nécessité, on estime qu’il faut consulter Dieu ou les sorts à l’exemple des Apôtres, on doit remarquer que les Apôtres ne l’ont fait qu’après avoir réuni les frères et après avoir prié Dieu. ” 3° Si l’on fait servir les oracles divins à des affaires terrestres, ce qui fait dire à S. Augustin : “ Ceux qui consultent les sorts en ouvrant l’évangile, s’il faut souhaiter qu’ils agissent ainsi plutôt que de consulter les démons, je trouve déplaisante cette habitude de vouloir faire servir les oracles divins à des affaires profanes et aux vanités de cette vie. ” 4° Si dans les élections ecclésiastiques, qui doivent se faire sous l’inspiration du Saint-Esprit, certains recourent aux sorts. Aussi, dit Bède : “ Matthias fut ordonné par la voie du sort avant la Pentecôte ”, c’est-à-dire avant l’effusion plénière du Saint-Esprit sur l’Église, “ dans la suite les sept diacres ont été ordonnés non par le sort, mais par le choix des disciples ”. Il en est autrement des dignités temporelles, ordonnées au bon ordre des affaires terrestres ; dans ces élections, la plupart du temps les hommes emploient les sorts, comme pour la répartition des biens temporels.

Mais, si la nécessité est pressante, il est licite d’implorer le jugement divin avec tout le respect voulu. Ce qui fait dire à S. Augustin : “ Si en temps de persécution les ministres de Dieu sont divisés pour savoir qui restera pour éviter que tous ne s’enfuient, afin que l’Église ne soit pas dépeuplée par la mort de tous, si cette répartition ne peut se régler autrement, à mon avis, c’est au sort de choisir ceux qui doivent rester et ceux qui devront fuir. ” Et il dit ailleurs : “ Supposons que tu aies du superflu qu’il te faille donner à un indigent, sans qu’il te soit possible d’en faire deux parts ; si tu rencontres deux hommes dont ni l’un ni l’autre ne peut justifier ta préférence, soit par son indigence, soit par quelque lien qui te l’attacherait : tu ne feras rien de plus juste que de tirer au sort un don que tu ne peux faire aux deux à la fois. ”

Solutions :

1. et 2. Notre exposé répond à ces deux objections.

3. L’épreuve du fer rouge ou de l’eau bouillante est un procédé par lequel on s’efforce, au moyen d’actes accomplis par un homme, de découvrir une faute cachée ; c’est ce qu’elle a de commun avec les sorts ; cependant, en tant qu’on y compte sur un miracle de Dieu, elle dépasse la raison générale des sorts. C’est ce qui rend illicite un tel jugement ; car il est ordonné à juger des choses secrètes, réservées au jugement de Dieu ; en outre un tel jugement n’est pas sanctionné par l’autorité divine. Ç’est ce qui explique cette décision du pape Etienne, : “ Les canons n’approuvent pas qu’on arrache un aveu à qui que ce soit par l’épreuve du fer rouge ou de l’eau bouillante. Ce que les saints Pères n’ont pas enseigné ni sanctionné de leur autorité nul ne doit oser le faire par un procédé superstitieux. Les délits manifestés par un aveu spontané ou par des témoignages probants, c’est à nous d’en juger, en gardant devant les yeux la crainte du Seigneur. Quant aux fautes secrètes et inconnues, il faut les abandonner à celui qui seul connaît les cœurs des fils des hommes. ” La même raison vaut pour le duel judiciaire, à cela près qu’on rejoint ici davantage la notion générale des sorts, en tant qu’on n’attend ici aucun effet miraculeux, sauf peut-être lorsque les combattants sont vraiment de force ou d’habileté inégales.

 

 

QUESTION 96 — LES PRATIQUES SUPERSTITIEUSES

1. Pratiques pour acquérir la science d’après l’ “ art notoire ”. - 2. Pratiques pour agir sur certains corps. - 3. Pratiques pour conjecturer la bonne ou la mauvaise fortune. - 4. Les formules sacrées qu’on suspend à son cou.

 

 

            Article 1 — Pratiques pour acquérir la science d’après l’ “ art notoire”

Objections :

1. Il semble que ce ne soit pas illicite de les employer. En effet, une chose est appelée illicite de deux façons. Par elle-même, comme l’homicide, le vol ; ou parce qu’elle est ordonnée à une fin mauvaise, comme l’aumône faite par vaine gloire. Mais les pratiques de l’art notoire, à les prendre en elles-mêmes, n’ont rien d’illicite, car ce sont des jeûnes et des prières adressées à Dieu. Et elles sont ordonnées à une fin bonne : acquérir la science. Il n’est donc pas illicite d’employer ces pratiques.

2. On lit dans Daniel (1, 17) que Dieu, aux jeunes gens qui pratiquaient l’abstinence, donna la science et la connaissance de tous les livres et de toute la sagesse. Mais les pratiques de l’art notoire concernent des jeûnes et des abstinences. Il semble donc que cet art tient de Dieu son efficacité. Il n’est donc pas illicite de l’employer.

3. C’est un désordre de s’enquérir de l’avenir auprès des démons, parce qu’ils ne le connaissent pas, cela étant réservé à Dieu, nous l’avons dit. Mais ils connaissent les vérités scientifiques, car les sciences ont pour objet les réalités nécessaires et universelles, accessibles à la connaissance humaine, et bien davantage à celle dès démons. Il semble donc que ce ne soit pas un péché de pratiquer l’art notoire, même s’il tient son efficacité du démon.

En sens contraire, on lit dans le Deutéronome (18, 10) : “ Que nul d’entre vous ne recherche la vérité auprès des morts ”, car cette recherche repose sur l’intervention des démons. Mais les pratiques de l’art notoire prétendent nous faire trouver la vérité “ par certains pactes symboliques conclus avec les démons ”. Il n’est donc pas licite de l’employer.

Réponse :

L’art notoire est illicite et inefficace. 1° Il est illicite parce qu’il emploie pour acquérir la science des procédés impuissants par eux-mêmes : il faut examiner certaines figures, prononcer certains mots inconnus, etc. C’est pourquoi un tel art n’emploie pas ces procédés comme des causes, mais comme des signes ; et non pas des signes divinement institués, comme les signes sacramentels. Il n’y a donc plus qu’à conclure à leur vanité, et par conséquent les rapporter à ces “ pactes symboliques acceptés et conclus avec les démons ”. Il en va donc de l’art notoire comme des autres “ pratiques frivoles et nuisibles ” dont S. Augustin nous dit que “ le chrétien doit les rejeter totalement et les fuir ”.

2° Cet art est inefficace pour nous faire acquérir la science. Il prétend en effet y parvenir sans suivre le mode connaturel à l’homme, de la découverte et de l’enseignement ; il s’ensuit qu’on attend ce résultat de Dieu ou des démons. Certainement Dieu a doté certains hommes d’une science et d’une sagesse infuses. L’Écriture sainte (1 R 3, 11) le dit de Salomon, et le Seigneur le promet à ses disciples (Lc 21, 15) : “ je vous donnerai un langage et une sagesse auxquels tous vos adversaires ne pourront opposer ni résistance ni contradiction. ” Mais ce don n’est pas accordé à n’importe qui, et il n’y a pas de recette déterminée qui en assure la possession : c’est l’Esprit Saint qui en dispose à son gré, dit S. Paul (1 Co 12, 8) : “ L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, l’autre de parler avec science, selon le même Esprit ” ; et plus loin : “ Tout cela est l’œuvre d’un seul et même Esprit, qui distribue à chacun comme il veut. ” Quant aux démons, il ne leur appartient pas d’éclairer l’intelligence, comme nous l’avons dit dans la première Partie. Or la science et la sagesse s’acquièrent par accroissement de la lumière intellectuelle. Il n’est donc personne qui ait jamais acquis la science par l’opération des démons. Selon S. Augustin : “ De l’aveu de Porphyre, les pratiques théurgiques ” où entrent les démons “ ne communiquent à l’intelligence aucune purification qui la rende capable de voir son Dieu et de pénétrer ce qui est vrai ”, comme toutes les acquisitions de la science. Toutefois, les démons pourraient, en parlant aux hommes leur langage, exprimer quelques-uns des enseignements des sciences ; mais ce n’est pas là ce qu’on recherche par l’art notoire.

Solutions :

1. Il est bien d’acquérir la science, mais non d’une manière indue. Or c’est à cette fin que tend l’art notoire.

2. Ces jeunes gens ne réglaient pas leur abstinence sur les vaines pratiques de l’art notoire ; mais pour obéir à la loi de Dieu, ils refusaient de se souiller en touchant aux mets des païens. C’est leur obéissance qui leur a mérité de recevoir de Dieu la science, selon ce mot du Psaume (1 19,100) : “ Je surpasse les vieillards en intelligence, car je garde tes préceptes. ”

3. Demander aux démons la connaissance de l’avenir est un péché, non seulement parce qu’ils l’ignorent, mais parce que cela fait entrer en relation avec eux.

 

 

            Article 2 — Pratiques pour agir sur certains corps

Objections :

1. Il semble que ces pratiques ordonnées à modifier les corps, par exemple pour leur rendre la santé, ne sont pas illicites. En effet, il est licite d’employer les vertus naturelles des corps pour obtenir leurs effets propres. Or ils ont des vertus cachées dont la raison nous échappe : l’aimant attire le fer par exemple, et S. Augustin énumère quantité d’autres vertus cachées. Donc les employer pour modifier les corps n’est pas illicite.

2. De même que les corps naturels sont soumis aux corps célestes, de même les corps artificiels. Mais l’influence des corps célestes confère aux corps naturels des vertus occultes, conformes à leur espèce. Donc, les corps artificiels eux-mêmes, comme les statues, reçoivent des corps célestes une vertu occulte capable de produire certains effets. Donc employer de tels corps artificiels n’est pas illicite.

3. Les démons peuvent aussi transformer les corps de multiples façons, selon S. Augustin Mais leur puissance vient de Dieu. Il est donc permis d’employer celle-ci pour produire certaines de ces transformations.

En sens contraire, S. Augustin écrit qu’il faut rattacher à la superstition “ les tentatives des arts magiques, les amulettes, les remèdes réprouvés par la science médicale et qui consistent en incantations ou en tatouages appelés marques, ou en la façon de suspendre et d’attacher toutes sortes d’objets ”.

Réponse :

Dans les procédés employés pour obtenir certains effets corporels, il faut examiner s’ils peuvent produire naturellement ces effets. Si tel est le cas, ils ne sont pas illicites ; il est permis d’employer des causes naturelles pour produire les effets qui leur sont propres. Mais si l’on voit qu’ils ne peuvent causer naturellement de tels effets, il s’ensuit qu’ils ne doivent pas être employés à produire ces effets comme des causes, mais pour leur valeur symbolique. Et ainsi ils appartiennent “ aux pactes symboliques conclus avec les démons ”. Aussi S. Augustin dit-il encore : “ Les démons sont attirés par des créatures qui ne sont pas leur ouvrage, mais celui de Dieu. Les charmes sont divers, selon la diversité des démons qu’ils attirent, non comme des animaux alléchés par des aliments, mais comme des esprits séduits par des signes qui conviennent au goût de chacun, par toute une variété de pierres, d’herbes, d’arbres, d’enchantements et de rites. ”

Solutions :

1. Si l’on emploie simplement des forces naturelles pour produire certains effets dont on les croit capables, il n’y a rien de superstitieux ni d’illicite. Mais si l’on y ajoute des inscriptions, des formules ou n’importe quelle autre pratique, manifestement dénuées de toute efficacité naturelle, c’est superstitieux et illicite.

2. Les vertus naturelles des corps découlent de leurs formes substantielles, qu’ils reçoivent de l’influence des corps célestes ; et c’est pourquoi leur influence confère des vertus actives. Mais dans les corps artificiels, les formes procèdent de la conception de l’artisan ; et puisqu’elles ne consistent que dans la composition, l’ordre et la figure, selon Aristote elles ne peuvent avoir aucune vertu naturelle active. Par suite, en tant qu’objets fabriqués, ils ne reçoivent des corps célestes aucune vertu en dehors de leur vertu naturelle. Donc, ce que pensait Porphyre est faux, d’après S. Augustin : “ Avec des herbes, des pierres, des animaux, des sons et des paroles déterminées, des représentations et des images, reflétant les mouvements des astres observés dans leur évolution céleste, les hommes pouvaient fabriquer sur terre des pouvoirs capables de réaliser les différents mouvements des astres ”, comme si les effets des arts magiques provenaient de la vertu des corps célestes. Mais, ajoute S. Augustin, “ tout cela vient des démons qui se jouent des âmes soumises à leur pouvoir ”.

Aussi, même les images qu’on appelle “ astronomiques ” tirent leur efficacité de l’opération des démons. Le signe en est qu’il est nécessaire d’y inscrire certaines marques qui, par nature, ne produisent rien, car une simple représentation n’est pas le principe d’une action naturelle. Mais il y a cette différence entre les images astronomiques et la nécromancie que dans celle-ci il y a des invocations explicites et des prestiges qui se rattachent aux pactes exprès conclus avec les démons. Tandis que dans les autres images il y a des pactes tacites impliqués par des dessins ou des marques symboliques.

3. La majesté divine étend son autorité sur les démons pour que Dieu les emploie à ce qu’il veut. Mais l’homme n’a pas reçu de pouvoir sur les démons, pour les employer licitement à tout ce qu’il veut. Au contraire, il est avec eux en guerre déclarée. Aussi ne lui est-il aucunement permis d’utiliser leur aide par des pactes tacites ou exprès.

 

 

            Article 3 — Pratiques pour conjecturer la bonne ou la mauvaise fortune

Objections 1. Il semble que ces pratiques ne soient pas illicites. Parmi les infortunes des hommes, il y a les maladies. Mais celles-ci sont précédées par des symptômes observés par les médecins. Donc observer de tels indices ne paraît pas illicite.

2. Il est déraisonnable de nier ce que constate l’expérience commune. Mais presque tout le monde en fait l’expérience ; il y a des temps, des lieux, des paroles, des rencontres d’hommes ou d’animaux, des événements bizarres ou exceptionnels qui présagent un bonheur ou un malheur futur. Donc les observer ne semble pas illicite.

3. Les actions des hommes et les événements sont disposés par la providence divine selon un certain ordre, qui explique que des faits précédents soient les signes de ceux qui suivront. Aussi ce qui arrivait aux Pères de l’ancienne loi était-il le signe de ce qui s’accomplit parmi nous, comme le montre l’Apôtre (1 Co 10, 6). Donc observer de tels présages ne parent pas être illicite.

En sens contraire, S. Augustin affirme “ L’observation de mille riens se rattache aux pactes conclus avec les démons : le sursaut d’un membre ; une pierre ou un chien s’interposant entre deux amis marchant ensemble ; piétiner le seuil quand on passe devant sa maison ; se recoucher si l’on a éternué en se chaussant ; rentrer à la maison si on a trébuché en marchant ; avoir un vêtement rongé par les souris ; craindre le pressentiment d’un mal futur plus que s’affliger du mal présent. ”

Réponse :

Les hommes prennent garde à ces observations non comme à des causes, mais comme à des signes d’événements futurs, bons ou mauvais. Or, on ne les considère pas comme des signes révélés par Dieu, puisqu’ils n’ont pas été établis par l’autorité divine ; ils viennent plutôt de la frivolité humaine fortifiée par la malice des démons qui cherchent à embrouiller l’esprit humain par ces sottises. C’est pourquoi il est évident que toutes ces observations sont superstitieuses et illicites. Il faut y voir des séquelles de l’idolâtrie qui faisait observer les augures, les jours fastes et néfastes, ce qui se rattachait à la divination par les astres, qui distinguait entre les jours ; il semble donc que ces observations sont illogiques et grossières, et elles n’en sont que plus superstitieuses et plus vaines.

Solutions :

1. Les causes des maladies précèdent celles-ci en nous et produisent certains signes des maladies à venir ; il est donc permis aux médecins de les observer. Aussi n’est-il pas illicite de présager des événements futurs à partir de leur cause, et l’esclave craint le fouet quand il voit son maître en colère. Il pourrait en être de même quand on craint que le mauvais œil ne fasse du mal à un enfant : nous avons parlé dans la première Partie. Mais cela ne vaut pas pour les observations dont il s’agit.

2. Si au début on a constaté du vrai dans ces observations, c’était par hasard. Mais dans la suite, lorsque les hommes ont commencé à se laisser captiver par ces pratiques, beaucoup de faits se sont produits par la tromperie des démons, si bien que, d’après S. Augustin, “ les hommes sont devenus de plus en plus curieux en se laissant prendre à ces observations, et en s’empêtrant de plus en plus dans le piège de cette erreur pernicieuse ”.

3. Dans le peuple juif, d’où le Christ devait naître, non seulement les paroles mais aussi les faits étaient prophétiques, dit S. Augustin. Et c’est pourquoi il est licite de faire servir ces faits à notre instruction, comme étant des signes donnés par Dieu. Mais tout ce que fait la providence divine n’est pas ordonné à présager l’avenir. Aussi la comparaison est-elle sans portée.

 

 

            Article 4 — Les formules sacrées qu’on suspend à son cou

Objections :

1. Il semble que cette pratique ne soit pas illicite. En effet, les paroles divines n’ont pas moins d’efficacité quand elles sont écrites que quand elles sont prononcées. Mais il est permis de prononcer des paroles sacrées pour obtenir certains effets, comme la guérison des malades, ainsi le Pater Noster, Ave Maria ou toute autre invocation du nom de Dieu, selon cette parole en Marc (16, 17) : “ En mon nom ils chasseront les démons, ils parleront des langues nouvelles, ils saisiront les serpents. ” Donc il semble licite de suspendre à son cou un texte sacré pour se préserver de la maladie ou de toute autre misère.

2. Les paroles sacrées n’agissent pas moins efficacement sur les corps des hommes que sur ceux des serpents et des autres animaux. Mais les incantations sont efficaces pour écarter les serpents ou pour guérir d’autres animaux. C’est pourquoi on dit dans le Psaume (58, 5) : “ Comme l’aspic sourd et qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la voix de l’enchanteur, du charmeur le plus habile aux charmes. ” Donc il est permis de s’accrocher au cou des paroles sacrées en guise de remède.

3. La parole de Dieu n’a pas une moindre sainteté que les reliques des saints. S. Augustin affirme qu’elle “ n’est pas moindre que le corps du Christ ”. Mais il est permis de se suspendre au cou des reliques, ou de les porter autrement, pour se protéger. Au même titre il est donc permis d’employer pour sa sauvegarde les paroles de la Sainte Écriture, parlées ou écrites.

En sens contraire, S. Jean Chrysostome déclare : “ Certains portent au cou un fragment du texte de l’Évangile. Mais est-ce que l’Évangile n’est pas lu chaque jour dans les églises pour que tout le monde l’entende ? Ceux dont les oreilles ont reçu l’Évangile sans aucun profit, comment peut-il les sauver en étant suspendu à leur cou ? Alors, où est la vertu de l’Évangile ? Dans la forme des caractères, ou dans l’intelligence de sa signification ? Si c’est dans la forme des caractères, tu fais bien de les pendre à ton cou ? Si c’est dans l’intelligence, il vaudra mieux l’avoir dans ton cœur qu’accroché à ton cou. ”

Réponse :

Dans toutes les incantations ou les écritures accrochées au cou, il faut prendre garde à deux choses.

1° Quel est le contenu de la formule, prononcée ou écrite ? Car si c’est une invocation aux démons, c’est manifestement superstitieux et illicite. Pareillement, il faut se méfier s’il y a là des noms inconnus, de peur qu’ils ne cachent quelque chose d’illicite. Ce qui fait dire à S. Jean Chrysostome : “ A l’exemple des pharisiens qui portaient de grandes houppes à leur manteau, il y a maintenant beaucoup de gens qui composent des noms d’anges en hébreu, les copient et les attachent : ceux qui ne les comprennent pas doivent les redouter. ” Il faut encore prendre garde que la formule ne contienne rien de faux. Car alors on ne pourrait attendre son efficacité de Dieu, qui n’est pas le témoin de l’erreur.

2° Ensuite il faut prendre garde que les paroles sacrées ne soient accompagnées par rien de vain, comme par l’inscription de caractères, en dehors de la croix du Christ. Ou bien qu’on ne mette pas son espoir dans la manière d’écrire ou d’attacher la formule, ou en quelque sottise de ce genre qui ne s’accorde pas avec le respect dû à Dieu. Parce que tout cela serait jugé superstitieux. C’est pourquoi on lit dans le Décret, : “ Il n’est pas permis, en cueillant des herbes médicinales, de s’adonner à des pratiques ou incantations, si ce n’est en employant le Symbole ou l’oraison dominicale afin que, seul, Dieu le Créateur du monde soit adoré et honoré. ”

Solutions :

1. Il est licite de prononcer des paroles divines ou d’invoquer le nom divin, si l’on ne cherche que le respect dû à Dieu, respect dont on attend le résultat. Mais si on s’attache à une autre pratique vaine, c’est illicite.

2. Il n’est pas illicite non plus de charmer des serpents et d’autres animaux, si l’on ne s’attache qu’aux paroles divines et à la puissance de Dieu. Mais la plupart du temps ces incantations comportent des pratiques illicites et obtiennent des démons leur efficacité ; surtout avec les serpents, car le serpent fut le premier instrument dont le démon s’est servi pour tromper l’homme. Aussi la Glose dit-elle : “ Notez que l’Écriture n’approuve pas tout ce qu’elle dit par mode de comparaison ; c’est évident avec le juge inique qui écoute à peine la requête de la veuve. ”

3. Le même raisonnement vaut pour le port des reliques. Si on les porte parce qu’on a confiance en Dieu et dans les saints dont elles proviennent, cela n’est pas illicite. Mais si, à ce propos, on attache de l’importance à un détail futile, par exemple à la forme triangulaire du reliquaire ou à tout autre détail étranger au respect envers Dieu et les saints, ce serait superstitieux et illicite.

4. Chrysostome parle ainsi pour ceux qui attachent plus d’importance à l’écriture qu’au sens des paroles.

LES VICES OPPOSÉS A LA RELIGION PAR DÉFAUT

Nous devons étudier maintenant les vices qui s’opposent à la religion par défaut, et comportent une opposition manifeste à cette vertu, ce qui les fait ranger sous ce titre d’irréligion. Nous comprenons par là tout ce qui se rapporte au mépris envers Dieu et les choses saintes. Voici donc notre plan d’études : l° Vices directement relatifs à l’irrévérence envers Dieu (Q. 97-98). - 2° Vices relatifs à l’irrévérence envers les choses saintes (Q. 99-100).

Dans la première catégorie, nous rencontrons successivement la tentation de Dieu, relative à Dieu lui-même (Q. 97), et le parjure, où l’on emploie son nom sans respect (Q. 98).

 

 

QUESTION 97 — LA TENTATION DE DIEU

1. En quoi consiste-t-elle ? - 2. Est-elle un péché ? - 3. A quelle vertu s’oppose-t-elle ? - 4. Comparaison avec les autres vices.

 

 

            Article 1 — En quoi consiste la tentation de Dieu ?

Objections :

1. Il semble qu’elle ne consiste pas en certaines actions dont on attend l’objet uniquement de la puissance divine. En effet, de même que l’homme tente Dieu, lui-même est tenté par Dieu, par ses semblables, et par le démon. Mais chaque fois qu’un homme est tenté, on n’attend pas nécessairement quelque effet de sa puissance. Tenter Dieu ne sera donc pas attendre un effet de sa seule puissance.

2. Tous ceux qui font des miracles en invoquant le nom de Dieu attendent un effet de sa seule puissance. Si des faits de ce genre constituaient la tentation de Dieu, tous ceux qui font des miracles tenteraient Dieu.

3. Abandonner tous les secours humains pour mettre en Dieu seul son espoir, voilà la perfection. Sur le passage de Luc (9, 3) : “ N’emportez rien en voyage ”, S. Ambroise fait ce commentaire : “ Ce que doit être la conduite de celui qui annonce le royaume de Dieu est ainsi désigné par les préceptes évangéliques il ne doit pas rechercher les ressources terrestres mais tout entier attaché à sa foi, il doit penser que moins il en aura souci, plus il pourra se suffire. ” Et sainte Agathe disait : “ je n’ai jamais employé pour guérir mon corps de remède matériel, mais j’ai le Seigneur Jésus qui par sa seule parole répare tout. ” Mais tenter Dieu ne consiste pas en ce qui concerne la perfection. C’est donc tout autre chose que d’attendre un secours de Dieu seul.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Le Christ, en enseignant et en discutant publiquement, sans permettre à la rage de ses ennemis d’avoir prise sur lui, manifestait la puissance de Dieu ; mais lui-même a voulu ainsi, en fuyant et en se cachant, enseigner à la faiblesse humaine qu’il ne faut pas avoir la témérité de tenter Dieu, quand on peut échapper aux périls qu’on doit éviter. ” Ce texte nous montre que tenter Dieu c’est omettre de faire ce qu’on peut pour sortir du danger.

Réponse :

Tenter quelqu’un, c’est à proprement parler le mettre à l’épreuve. On le fait par des paroles ou par des actes. Nous parlons pour éprouver si notre interlocuteur sait ce que nous cherchons et s’il peut ou s’il veut l’accomplir. Nous tentons par les actes lorsque par notre conduite nous explorons la prudence de l’autre, sa volonté ou son pouvoir.

Ces deux formes de la tentation se produisent de deux manières. D’abord ouvertement, lorsque le tentateur se manifeste comme tel ; c’est ainsi que Samson proposa une énigme aux Philistins pour les éprouver (Jg 14, 12). Mais la tentation peut être insidieuse et cachée ; c’est ainsi que les pharisiens mirent le Christ à l’épreuve selon Matthieu (22, 15). En outre, ce peut être de façon expresse, par exemple lorsqu’on veut mettre quelqu’un à l’épreuve par la parole ou par l’action. Et parfois d’une façon qui peut s’interpréter ainsi lorsque, sans vouloir mettre à l’épreuve, on agit ou on parle de telle sorte que cela ne paraît pas avoir d’autre but.

Ainsi donc on tente Dieu tantôt par des paroles et tantôt par des actions. Par des paroles quand nous nous entretenons avec Dieu dans la prière. Aussi quelqu’un tente-t-il Dieu expressément par sa demande, quand il l’implore pour découvrir sa science, sa puissance ou sa volonté. On tente Dieu expressément par son action, quand on veut, par ce qu’on fait, expérimenter son pouvoir, sa bonté ou sa science. Mais on tente Dieu de façon sujette à cette interprétation lorsque, sans vouloir le mettre à l’épreuve, on demande ou on fait quelque chose qui ne sert à rien d’autre qu’à prouver sa puissance, sa bonté ou sa connaissance. Ainsi, lorsque quelqu’un fait courir un cheval pour échapper à l’ennemi, il ne met pas ce cheval à l’épreuve ; mais s’il fait courir le cheval sans aucune utilité, cela ne peut avoir d’autre sens que d’éprouver sa rapidité ; et il en est de même pour tout le reste. Donc se confier à Dieu dans ses prières ou sa conduite pour une nécessité ou une utilité quelconque, ce n’est pas tenter Dieu. Aussi, sur le précepte du Deutéronome (6, 16) : “ Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ”, la Glose explique-t-elle : “ Il tente Dieu, celui qui, capable d’agir, s’expose au péril sans motif, pour expérimenter si Dieu pourra le délivrer. ”

Solutions :

1. L’homme aussi est parfois tenté par des faits, lorsqu’on se demande s’il peut, s’il sait ou s’il veut par une telle conduite aider ou empêcher telle entreprise.

2. Les saints qui font des miracles par leur prière sont poussés par une nécessité ou une utilité à demander le secours de la puissance divine.

3. Les prédicateurs de la parole de Dieu se passent de subsides matériels pour une grande nécessité ou utilité, afin de se consacrer à Dieu plus librement. C’est pourquoi, s’ils s’appuient sur Dieu seul, ils ne tentent pas Dieu pour autant. Mais s’ils renonçaient à ces subsides humains sans utilité ni nécessité, ils tenteraient Dieu. Ce qui fait dire à S. Augustin : “ Paul ne s’enfuit pas comme s’il n’avait pas foi en Dieu, mais pour ne pas le tenter, ce qu’il aurait fait en ne fuyant pas, alors qu’il le pouvait. ” Quant à sainte Agathe, elle avait fait l’expérience de la bienveillance de Dieu à son égard : il lui avait épargné des blessures qui eussent demandé des remèdes corporels, ou il lui aurait fait sentir aussitôt l’effet d’une guérison divine.

 

 

            Article 2 — Est-ce un péché de tenter Dieu ?

Objections :

1. Il semble que non, car Dieu n’a commandé aucun péché. Or il a commandé aux hommes de l’éprouver, c’est-à-dire de le tenter, car on lit dans Malachie (3, 10) : “ Apportez intégralement la dîme dans mon grenier, pour qu’il y ait de la nourriture chez moi. Et mettez-moi ainsi à l’épreuve, dit le Seigneur, pour voir si je n’ouvrirai pas en votre faveur les écluses du ciel. ” Il semble donc que tenter Dieu ne soit pas un péché.

2. On tente quelqu’un pour expérimenter sa science et sa puissance, mais aussi pour expérimenter sa bonté et sa volonté. Or il est permis de chercher à expérimenter la bonté de Dieu, et aussi sa volonté, car il est dit dans le Psaume (34, 9) : “ Goûtez et voyez que le Seigneur est doux ” et aux Romains (12, 2) : “ Éprouvez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait. ”

3. Personne n’est blâmé dans l’Écriture pour avoir renoncé au péché, mais plutôt pour avoir commis le péché. Or on blâme Achaz parce que, le Seigneur lui ayant dit : “ Demande pour toi un signe au Seigneur ton Dieu ”, il avait répondu : “ Je n’en demanderai pas et je ne tenterai pas le Seigneur. ” Et il lui fut dit : “ Ne te suffit-il pas de lasser les hommes, pour que tu lasses aussi mon Dieu ? ” (Is 7, 11). Au sujet d’Abraham, l’Écriture (Gn 15, 8) rapporte qu’il dit au Seigneur : “ Comment saurai-je que je la posséderai ? ” (la Terre promise). Pareillement Gédéon demanda à Dieu un signe de la victoire promise (Jg 6, 36). Or ces deux personnages n’ont encouru aucun reproche.

En sens contraire, c’est interdit dans la loi divine (Dt 6, 16) : “ Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. ”

Réponse :

Comme nous l’avons dit à l’article précédent, tenter c’est mettre à l’épreuve. Or nul ne cherche à expérimenter ce dont il est certain. C’est pourquoi toute tentation procède d’une ignorance ou d’un doute ; soit de la part de celui qui tente, lorsqu’il expérimente une chose pour connaître sa qualité ; soit de la part des autres, lorsque quelqu’un fait une expérience pour leur montrer cette qualité. C’est ainsi que Dieu nous tente.

Mais ignorer ce qui concerne Dieu et sa perfection, ou en douter, est un péché. Aussi est-il évident que tenter Dieu pour connaître sa puissance est un péché. Mais si l’on met à l’épreuve les perfections divines non pour s’instruire soi-même, mais pour instruire les autres, ce n’est pas là tenter Dieu, puisque cette démarche est fondée sur une juste nécessité ou une pieuse utilité, et sur tous les autres motifs qui doivent y pousser. C’est ainsi, en effet, que les Apôtres demandèrent au Seigneur de faire des miracles au nom de Jésus Christ pour manifester aux païens la puissance de celui-ci (Ac 4, 29).

Solutions :

1. Le paiement des dîmes était prescrit par la loi, nous l’avons vue. Sa nécessité tenait au précepte, et son utilité est indiquée par les paroles : “ Pour qu’il y ait de la nourriture chez moi. ” Aussi n’était-ce pas tenter le Seigneur que de payer la dîme. Quant à ce qui suit : “ Mettez-moi ainsi à l’épreuve ”, il faut l’entendre non d’une cause, comme si l’on devait payer les dîmes pour éprouver si Dieu “ ouvrirait les cataractes du ciel ”, mais d’une conséquence : s’ils payaient les dîmes, ils éprouveraient par expérience les bienfaits divins.

2. Il y a deux manières de connaître la volonté de Dieu ou sa bonté. L’une est spéculative. À ce point de vue, il n’est pas permis de douter si la volonté de Dieu est bonne, ni de le prouver, et de chercher à savoir si “ le Seigneur est doux ”. Il y a aussi une connaissance affective ou expérimentale de la bonté divine : on expérimente en soi-même le goût de la douceur de Dieu et la complaisance de sa volonté. C’est ainsi que, selon Denys, “ Hiérothée apprit les mystères divins pour les avoir éprouvés ”. Voilà comment nous sommes invités à expérimenter la volonté de Dieu et à goûter sa douceur.

3. Dieu voulait donner un signe au roi Achaz, non pour lui seul, mais pour l’instruction du peuple. On le blâme parce qu’il s’oppose, en refusant de recevoir ce signe, au salut commun du peuple. Et en le demandant, il n’aurait pas tenté Dieu.

 

 

            Article 3 — A quelle vertu s’oppose la tentation de Dieu ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’elle s’oppose à la vertu de religion. Car elle a raison de péché du fait que l’on doute de Dieu, nous venons de le dire. Mais le doute envers Dieu relève du péché d’infidélité qui s’oppose à la foi. Donc tenter Dieu s’oppose à la foi plutôt qu’à la religion.

2. Il est écrit dans l’Ecclésiastique (18, 23) “ Avant la prière, prépare-toi ; ne sois pas comme un homme qui tente Dieu. ” La Glose explique qui est cet homme : “ Il prie selon l’enseignement du Seigneur, mais il n’accomplit pas ses commandements. ” Or cela relève de la présomption, qui s’oppose à l’espérance. Tenter Dieu apparaît donc comme un péché qui s’oppose à l’espérance plutôt qu’à la religion.

3. Sur le Psaume (78, 18) : “ Ils tentèrent Dieu dans leur cœur ”, la Glose commente : “ Tenter Dieu, c’est demander avec fourberie. Il y a de la simplicité dans les paroles, mais de la malice dans le cœur. ” Or la tromperie s’oppose à la vertu de vérité. Donc tenter Dieu ne s’oppose pas à la religion, mais à la vérité.

En sens contraire, selon la Glose que nous avons citée, tenter Dieu, c’est lui adresser une demande mal réglée. Mais demander comme il faut est un acte de religion, comme nous l’avons vu plus haut. Tenter Dieu est donc un péché contraire à la religion.

Réponse :

Nous l’avons montré, la fin de la vertu de religion est de rendre honneur à Dieu. Aussi tout ce qui s’oppose directement à ce respect s’oppose à la religion. Or il est évident que tenter quelqu’un, c’est lui manquer de respect, car personne n’ose tenter celui dont il tient l’excellence pour certaine. Il est donc évident que tenter Dieu est un péché contraire à la religion.

Solutions :

1. Comme on l’a dit plus haut, le rôle de la religion est de professer la foi par des signes exprimant notre révérence envers Dieu. C’est pourquoi on rattache à l’irréligion ce qu’un homme fait en raison d’une foi incertaine et qui relève de l’irrévérence envers Dieu, comme de tenter Dieu, ce qui est donc une espèce de l’irréligion.

2. Celui qui ne prépare pas son âme à la prière en pardonnant si quelqu’un lui en veut, ou par tout autre moyen de se disposer à la dévotion, ne fait pas tout ce qui dépend de lui pour être exaucé par Dieu. C’est pourquoi son attitude implique qu’il tente Dieu. Et bien que cette tentation implicite semble provenir de la présomption ou de l’irréflexion, cependant c’est manquer de révérence envers Dieu que d’agir avec présomption et négligence en ce qui regarde Dieu. Car il est écrit (1 P 5, 6) : “ Humiliez-vous sous la main puissante de Dieu ” et aussi (2 Tm 2, 15) : “ Efforce-toi de te présenter devant Dieu comme un homme éprouvé. ” Tenter Dieu est donc une espèce de l’irréligion.

3. On ne dit pas par rapport à Dieu qu’un homme demande avec fourberie, car Dieu connaît les secrets des cœurs ; on le dit par rapport aux hommes. Aussi est-ce par accident que cela est tenter Dieu, et cela n’oppose pas directement la tentation de Dieu à la vertu de vérité.

 

 

            Article 4 — Comparaison de la tentation de Dieu avec les autres vices

Objections :

1. La tentation de Dieu semble un péché plus grave que la superstition. Car on inflige un plus grand châtiment pour un péché plus grave. Mais les Juifs ont été châtiés plus sévèrement pour avoir tenté Dieu que pour leur idolâtrie, qui est pourtant la plus grave des superstitions. Car pour le péché d’idolâtrie, vingt-trois mille hommes ont trouvé la mort selon l’Exode (32, 28). Et pour avoir tenté Dieu, ils ont tous péri dans le désert, sans entrer dans la Terre promise selon le Psaume (95, 9) : “ Vos prières m’ont tenté... J’ai juré dans ma colère : ils n’entreront pas dans mon repos. ” Tenter Dieu est donc un péché plus grave que la superstition.

2. Un péché paraît d’autant plus grave qu’il s’oppose davantage à une vertu. Mais l’irréligion, dont la tentation est une espèce, s’oppose davantage à la vertu de religion que la superstition, qui a une certaine ressemblance avec elle. Donc tenter Dieu est un péché plus grave que la superstition.

3. Manquer de respect envers ses parents est un péché plus grave, semble-t-il, que de témoigner à d’autres le respect que l’on doit à ses parents. Mais Dieu doit être honoré par nous comme le Père de tous, selon Malachie (1, 6). Donc tenter Dieu semble un plus grand péché, puisque c’est manquer de respect envers Dieu, que l’idolâtrie où l’on témoigne à la créature le respect qu’on doit à Dieu.

En sens contraire, sur le texte du Deutéronome (17, 2) : “ S’il se trouve un homme qui fasse ce qui est mal... ” la Glose commente : “ La loi réprouve au plus haut degré l’erreur et l’idolâtrie, car le pire des crimes est de rendre à la créature l’honneur dû au Créateur. ”

Réponse :

Parmi les péchés opposés à la religion, le plus grave est celui qui s’oppose davantage à la révérence due à Dieu. On s’y oppose moins si l’on doute de l’excellence divine que si l’on pense le contraire avec assurance. Car, de même que l’homme confirmé dans son erreur est plus infidèle que l’homme qui met en doute la vérité de la foi, de même celui qui par sa conduite professe une erreur opposée à celle de l’excellence divine manque davantage au respect envers Dieu que l’homme qui professe seulement un doute. Or le superstitieux professe l’erreur, nous l’avons montré. Tandis que celui qui tente Dieu en paroles ou en actes professe son doute au sujet de l’excellence divine, avons nous dit. C’est pourquoi le péché de superstition est plus grave que de tenter Dieu.

Solutions :

1. Les Juifs coupables d’idolâtrie ne reçurent pas un châtiment suffisant à les punir ; pour ce péché un châtiment plus grave était réservé à leur postérité, comme dit Dieu dans l’Exode (32, 34) : “ Au jour de ma visite, je les punirai de leur péché. ”

2. La superstition ressemble à la religion par la matérialité de son acte, qu’elle présente comme religieux. Mais quant à la fin recherchée, elle s’oppose à la religion plus que tenter Dieu, parce qu’elle se rattache davantage à l’irrévérence envers lui.

3. Il est essentiel à l’excellence divine d’être unique et incommunicable ; c’est pourquoi cela revient au même de faire un acte contraire à la révérence divine, et de reporter celle-ci sur un autre que Dieu. La comparaison avec le respect dû aux parents ne vaut pas, car on peut le reporter sur d’autres sans qu’il y ait péché.

 

 

QUESTION 98 — LE PARJURE

1. Un mensonge est-il nécessaire pour qu’il y ait parjure ? - 2. Le parjure est-il toujours un péché ? - 3. Est-il un péché mortel ? - 4. Pèche-t-on en obligeant un parjure à prêter serment ?

 

 

            Article 1 — Un mensonge est-il nécessaire pour qu’il y ait parjure ?

Objections :

1. Il semble que non. Car, nous l’avons dit plus haut a, si la vérité doit accompagner le serment, il y faut de même le jugement et la justice. Donc, si l’on commet un parjure en manquant à la vérité, on en commet un aussi par défaut de jugement, par exemple si l’on jure sans discernement, et par défaut de justice, par exemple si l’on jure d’accomplir un acte illicite.

2. Ce qui confirme une proposition a plus de poids que la proposition elle-même : dans le syllogisme, les principes ont plus de poids que la conclusion. Or, dans le serment, la parole de l’homme est confirmée par l’appel au nom divin. Donc il semble qu’il y ait davantage parjure losqu’on jure par de faux dieux, que si la parole de l’homme, confirmée par le serment, est mensongère.

3. S. Augustin a dit : “ Les hommes font un faux serment quand ils trompent ou quand ils sont trompés. ” Et il donne trois exemples. 1° “ Celui-ci jure en pensant qu’il jure le vrai. ” 2° “ Cet autre jure ce qu’il sait être faux. ” 3° : “ Ce dernier croit à la fausseté de ce qu’il jure être vrai, alors que c’est peut-être vrai. ” De celui-ci, S. Augustin dit qu’il est parjure. Donc on peut être parjure en jurant la vérité. Le mensonge n’est donc pas requis pour qu’il y ait parjure.

En sens contraire, on définit le parjure “ un mensonge confirmé par serment ”.

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit, en morale les actes sont spécifiés par leur fin. Or le serment a pour fin de confirmer une parole de l’homme. La fausseté s’oppose à cela : en effet confirmer ce qu’on dit, c’est en montrer solidement la vérité, ce qui est impossible pour une parole fausse. Aussi la fausseté annule ce qui est la fin du serment. Et c’est pour cela qu’elle spécifie surtout cette perversité qu’on appelle le parjure. La fausseté appartient donc à la raison de parjure.

Solutions :

1. Comme dit S. Jérôme “ là où manque une de ces trois qualités, il y a parjure ”. Mais non dans le même ordre. En premier lieu et à titre principal, il y a parjure lorsque manque la vérité, nous venons de dire pourquoi. Secondairement, lorsque manque la justice car, de quelque manière qu’on jure en matière illicite, on s’engage à faux parce qu’on s’oblige à faire le contraire. En troisième lieu, il y a parjure par manque de jugement, car jurer sans discernement expose au péril de jurer faussement.

2. Dans le syllogisme, ce sont les principes qui ont le plus de poids parce qu’ils ont raison de cause efficiente. Mais en morale la fin est plus capitale que la cause efficiente. C’est pourquoi, bien que jurer la vérité par les faux dieux pervertisse le serment, cette perversité ne transforme pas le serment en parjure, parce qu’elle ne détruit pas la fin du serment en jurant ce qui est faux.

3. Nos actes moraux émanent de la volonté, qui ont pour objet le bien perçu par la raison. C’est pourquoi, si l’on perçoit le faux comme étant le vrai, par rapport à la vérité le serment sera matériellement faux et formellement vrai. Mais si ce qui est faux est tenu pour faux, le serment sera faux et matériellement et formellement. Et si ce qui est faux est tenu pour faux, le serment sera matériellement vrai et formellement faux. C’est pourquoi, dans tous ces cas, la raison de parjure subsiste en quelque manière, à cause d’une fausseté quelconque. Mais parce que, en chaque cas, ce qui est formel a plus de poids que ce qui est matériel, celui qui jure le faux en pensant dire le vrai n’est pas aussi parjure que celui qui jure le vrai en le croyant faux. Car S. Augustin dit au même endroit : “ Ce qui importe, c’est comment la parole vient du cœur, parce que la langue n’est coupable que si l’esprit l’est déjà. ”

 

 

            Article 2 — Le parjure est-il toujours un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. Car on est parjure lorsque l’on n’accomplit pas ce que le serment a garanti. Mais quelquefois on jure de faire un acte illicite, comme l’adultère ou l’homicide, dont l’accomplissement est un péché. Donc, si même en ne le faisant pas on est parjure, il s’ensuit qu’on est acculé au péché.

2. Personne ne pèche en accomplissant un bien meilleur. Mais quelquefois le parjure permet d’accomplir un bien meilleur, par exemple si l’on a juré de ne pas entrer en religion, de ne jamais faire telle œuvre vertueuse. Donc tout parjure n’est pas péché.

3. Celui qui jure de faire la volonté d’un autre encourt le parjure s’il ne la fait pas. Mais il peut arriver qu’on ne pèche pas en n’accomplissant pas cette volonté, par exemple si l’on a reçu un ordre trop dur et insupportable. Il semble donc que tout parjure ne soit pas un péché.

4. Le serment de promesse s’étend à l’avenir, comme le serment affirmatif porte sur le passé et le présent. Mais il peut arriver que l’obligation du serment disparaisse à l’apparition d’un fait nouveau. Ainsi une cité a juré certaine loi et dans la suite surviennent de nouveaux citoyens qui n’ont pas fait ce serment ; ou bien un chanoine a juré d’observer les statuts d’une église, et par la suite on en a fait de nouveaux. Il semble donc que celui qui transgresse son serment ne pèche pas.

En sens contraire, S. Augustin dit à propos du parjure : “ Vous voyez combien ce monstre est détestable et doit être banni des affaires humaines. ”

Réponse :

Nous l’avons dit4 jurer consiste à prendre Dieu à témoin. Or c’est de l’irrespect envers Dieu que l’invoquer comme témoin de ce qui est faux, parce qu’ainsi on donne à entendre que Dieu ne connaît pas la vérité, ou qu’il veut témoigner en faveur de la fausseté. C’est pourquoi le parjure est manifestement un péché contraire à la vertu de religion, chargée de la révérence envers Dieu.

Solutions :

1. Jurer d’accomplir une action illicite, c’est commettre le parjure par défaut de justice. Mais si l’on n’accomplit pas son serment, on ne commet pas de parjure, parce que cela ne pouvait pas devenir l’objet d’un serment.

2. Celui qui jure de ne pas entrer en religion, ou de ne pas faire l’aumône, etc., commet alors un parjure par défaut de jugement. C’est pourquoi, quand il fait ce qui est meilleur, il ne commet pas de parjure, mais il contredit son parjure, car le contraire de ce qu’il fait maintenant ne pouvait être objet de serment.

3. Quand on jure de faire la volonté d’un autre, on sous-entend cette condition nécessaire : que celui-ci ordonnera quelque chose d’honorable, et aussi de supportable, c’est-à-dire de modéré.

4. Parce que le serment est une action personnelle, celui qui devient citoyen n’est pas obligé par son serment d’observer ce que la cité a juré d’observer. Cependant il est tenu par une certaine fidélité qui l’oblige, de même qu’il partage les biens de la cité, à en partager les charges. Quant au chanoine qui jure d’observer les statuts d’une certaine communauté, il n’est pas tenu par serment à observer les statuts ultérieurs, sauf s’il a voulu s’obliger à tous les statuts présents et futurs. Cependant il est tenu de les observer en vertu des statuts eux-mêmes qui ont une force obligatoire, comme nous l’avons montré.

 

 

            Article 3 — Le parjure est-il un péché mortel ?

Objections :

1. On lit ceci dans une décrétale “ Sur la question de savoir si sont déliés de leur serment ceux qui l’ont prêté malgré eux pour sauver leur vie et leurs biens, nous ne jugeons pas autrement que nos prédécesseurs, les pontifes romains, qui ont délié ces gens d’un tel serment. Toutefois, pour agir plus prudemment et pour ne pas donner matière à parjure, on ne leur dira pas expressément de ne pas observer leurs serments ; mais s’ils n’en tiennent pas compte, on ne doit pas les punir comme pour une faute mortelle. ” Donc le parjure n’est pas toujours péché mortel.

2. Selon Chrysostome “ jurer par Dieu c’est davantage que jurer par l’Évangile ”. Mais celui qui jure par Dieu une chose fausse ne commet pas toujours un péché mortel. Par exemple, si l’on fait un tel serment dans la conversation courante par plaisanterie, ou par erreur de langage. Donc, même si l’on enfreint le serment qu’on a fait solennellement par l’Évangile, ce ne sera pas toujours péché mortel.

3. Selon le Droit, le parjure fait encourir l’infamie. Or, on ne voit pas que tout parjure fasse encourir cette peine, d’après ce qui est dit de la violation du serment affirmatif. Donc tout parjure n’est pas péché mortel.

En sens contraire, tout péché opposé à un précepte divin est mortel. Mais le parjure contrevient au précepte divin du Lévitique (1 9, 12) : “ Tu ne commettras pas de parjure en mon nom. ”

Réponse :

Selon l’enseignement d’Aristote : “ Ce qui fait qu’une chose est telle, l’est lui-même encore davantage. ” Or, nous le voyons, des actions qui de soi sont péchés véniels, ou même qui sont bonnes par nature, deviennent péchés mortels si on les accomplit par mépris de Dieu. Aussi, à bien plus forte raison, tout ce qui comporte par définition du mépris envers Dieu est-il péché mortel. Or le parjure comporte ce mépris par définition, car il a raison de faute, nous l’avons dit à l’article précédent, parce qu’il comporte une irrévérence envers Dieu. Aussi est-il évident que, par définition, le parjure est péché mortel.

Solutions :

1. Comme nous l’avons dit plus haut, la contrainte n’enlève pas au serment de promesse sa force obligatoire à l’égard d’une action licite. C’est pourquoi, si l’on ne tient pas un serment prêté sous la contrainte, on commet un parjure et on pèche mortellement. Cependant on peut être délié de ce serment par l’autorité du souverain pontife, surtout si la contrainte est venue d’une crainte capable d’impressionner un homme solide. Et quand on dit que de tels parjures ne doivent pas être punis comme pour un crime mortel, cela ne signifie pas qu’ils ne pèchent pas mortellement, mais qu’on leur inflige une peine moins forte.

2. Celui qui jure par plaisanterie n’évite pas l’irrévérence envers Dieu, en un sens il l’aggrave plutôt. C’est pourquoi il n’est pas excusé de péché mortel. Quant au faux serment qu’on fait par une erreur de langage, si l’on s’aperçoit que l’on jure, et que c’est à faux, on n’est pas excusé du péché mortel pas plus que du mépris envers Dieu. Mais si on ne le remarque pas, on ne semble pas avoir eu l’intention de jurer, et l’on est donc excusé du parjure. Donc, si l’on jure solennellement par l’Évangile, c’est un péché plus grave que si l’on jure par Dieu dans la conversation courante, en raison du scandale, et aussi de la délibération plus attentive. Aussi, dans des circonstances semblables, il est lus grave de commettre un parjure en jurant par Dieu qu’en jurant par l’Evangile.

3. On n’encourt pas l’infamie de droit pour n’importe quel péché mortel. Par conséquent, si celui qui a prêté un serment d’affirmation sur une chose fausse n’est pas déclaré infâme par le droit, mais seulement par une sentence précise à la suite d’un procès, cela n’implique pas qu’il n’ait pas péché mortellement. C’est pourquoi celui qui viole un serment de promesse prêté solennellement est davantage réputé infâme parce qu’il a toujours le pouvoir, après qu’il a juré, de rendre vrai son serment, ce qui n’a pas lieu dans le serment affirmatif.

 

 

            Article 4 — Pèche-t-on en obligeant un parjure à prêter serment ?

Objections :

1. Il semble bien, car on sait que le serment est vrai, ou bien qu’il est faux. Dans le premier cas, on fait jurer pour rien ; dans le second cas on induit à pécher, pour autant qu’on le peut.

2. Recevoir un serment de quelqu’un est moins important que de le lui prescrire. Mais recevoir un serment n’est pas permis, surtout s’il s’agit d’un parjure, car il semble que ce soit consentir au péché. Donc il semble bien moins permis encore d’exiger un serment d’un parjure.

3. On lit dans le Lévitique (5, 1) : “ Si quelqu’un pèche, parce qu’il a entendu proférer un faux serment, dont il est conscient par ce qu’il a vu ou ce qu’il sait, et s’il ne le révèle pas, il porte son iniquité. ” On voit par là que celui qui connaît un faux témoignage est tenu de le dénoncer. Il n’a donc pas le droit d’exiger de ce parjure un nouveau serment.

En sens contraire, si l’on pèche en jurant faussement, on pèche de même en jurant par de faux dieux. Or il est permis d’user du serment de qui jure par de faux dieux, selon S. Augustin. Donc il est permis d’exiger le serment du parjure.

Réponse :

Il faut faire une distinction au sujet de celui qui exige le serment. Ou bien il l’exige pour lui-même, de son propre mouvement, ou bien il l’exige au profit d’un autre, en vertu de la fonction qu’on lui a confiée. Dans le cas de celui qui exige le serment pour lui-même, en tant que personne privée, il faut encore distinguer, avec S. Augustin : “ S’il ignore que l’autre fera un faux serment, et qu’il lui dise : "Jure-moi", afin de pouvoir lui faire confiance, il n’y a pas péché ; il y a toutefois une tentation bien humaine ”, qui vient d’une certaine faiblesse, par laquelle on doute si l’autre dira vrai. “ Et tel est le serment dont le Seigneur dit (Mt 5, 37) : "Tout ce qu’on ajoute vient du mauvais". Mais si, sachant ce que cet homme a fait (c’est-à-dire le contraire de ce qu’il jure), il le force encore à jurer, il est homicide. Car l’autre se donne la mort du fait de son parjure, mais celui qui l’oblige à jurer lui a forcé la main. ” Si au contraire celui qui a exigé le serment le fait en vertu d’une fonction publique, parce que l’ordre du droit l’exige, et à la demande d’un autre, il ne semble pas commettre de faute s’il exige le serment, en prévoyant qu’il sera faux ou qu’il sera vrai, car ce n’est pas lui-même qui l’exige, mais celui dont il subit la pression.

Solutions :

1. L’objection est valable quand on exige le serment pour soi-même. Pourtant on ne sait pas toujours si celui-ci est vrai ou faux. Parfois on doute du fait, mais on croit que l’autre jurera la vérité, et on exige le serment pour accroître sa certitude.

2. Comme dit S. Augustin, “ bien qu’on nous dise de ne pas jurer, je ne me rappelle pas avoir jamais lu dans la Sainte Écriture qu’on y défendît de recevoir un serment ”. Aussi celui qui reçoit un serment ne pèche-t-il pas, à moins que, de sa propre initiative, il force à jurer quelqu’un qu’il sait devoir faire un faux serment.

3. Comme dit S. Augustin, Moïse n’a pas déclaré dans ce texte à qui il faudrait dénoncer le parjure de l’autre. C’est pourquoi on comprend qu’on doit le signaler “ à ceux qui peuvent aider l’homme coupable de parjure, plutôt que lui nuire. ” De même il n’a pas dit quel ordre devait suivre cette dénonciation. Il semble donc qu’il faudra suivre l’ordre évangélique, comme nous l’avons dit.

4. Il est permis d’utiliser le mal pour faire le bien ; c’est ce que fait Dieu ; mais il n’est pas permis d’induire quelqu’un au mal. Donc, s’il est permis de recevoir le serment de celui qui est prêt à jurer par les faux dieux, il n’est jamais permis d’induire quelqu’un à jurer ainsi. Mais le cas est différent chez celui qui fait un faux serment par le vrai Dieu, car dans un tel serment, il manque la bonne foi dont témoigne celui qui jure la vérité par les faux dieux, dit S. Augustin. Aussi dans le serment où l’on jure le faux par le vrai Dieu, il n’y a aucun bien dont il soit permis de profiter.

Nous étudions maintenant les vices d’irréligion où se montre l’irrévérence à l’égard des choses sacrées. Ce sont le sacrilège (Q. 99) et la simonie (Q. 100).

 

 

QUESTION 99 — LE SACRILÈGE

1. Qu’est-ce que le sacrilège ? - 2. Est-il un péché spécial ? - 3. Ses espèces. - 4. Quelle punition lui est due ?

 

 

            Article 1 — Qu’est-ce que le sacrilège ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le sacrilège soit “ la violation d’une chose sainte ”, car on lit dans les Décrets : “ Commettent le sacrilège ceux qui discutent le jugement du prince, en doutant que celui qu’il a choisi soit digne d’honneur. ” Il n’y a là aucun rapport avec les choses saintes.

2. Un canon suivant porte que celui qui permettrait aux juifs d’exercer des charges publiques “ serait excommunié comme sacrilège ”. Mais les charges publiques n’ont aucun rapport avec le sacré. Donc le sacrilège ne doit pas se définir par la violation d’une chose sainte.

3. C’est de Dieu, dont la puissance dépasse celle de l’homme, que les choses sacrées tiennent leur sainteté. L’homme ne peut donc rien contre elles et l’on ne peut pas dire que le sacrilège consiste à les violer.

En sens contraire, Isidore donne cette étymologie : “ Sacrilège vient de sacra legere : prendre, c’est-à-dire dérober, les choses sacrées. ”

Réponse :

On attribue la qualité de sacré, comme nous l’avons vu c, à ce qui est ordonné au culte de Dieu. Il en va de même ici que pour la notion de bien : le bien est ce qui est ordonné à une fin bonne. Pareillement, du fait qu’une chose est ordonnée au culte de Dieu, elle devient quelque chose de divin ; on lui doit alors un certain respect, qui se reporte sur Dieu. Toute irrévérence à l’égard des choses saintes est donc une offense envers Dieu, et a raison de sacrilège.

Solutions :

1. Aristote dit que le bien commun de la nation est quelque chose de divin. Dans l’antiquité ceux qui dirigeaient les affaires publiques étaient appelés “ divins ”, comme ministres de la providence divine, ce qui rejoint le texte de la Sagesse (6, 5 Vg) : “ Alors que vous étiez les ministres de son règne, vous n’avez pas jugé avec droiture. ” On peut donc étendre le terme de sacrilège et nommer ainsi, par assimilation, ce qui atteint le prince dans son honneur : discuter sa décision et se demander s’il faut la suivre.

2. Le peuple chrétien est un peuple saint, sanctifié par la foi et les sacrements du Christ. “ Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés ”, dit S. Paul (1 Co 6, 11). Et S. Pierre lui fait écho (1 P 2, 9) : “ Vous êtes une race choisie, une nation sainte, un peuple acquis. ” C’est faire offense au peuple chrétien que de mettre à sa tête des infidèles, et il est raisonnable d’appeler sacrilège cette irrévérence à l’égard d’une sainteté véritable.

3. On désigne ici, sous ce terme assez large de violation, toute irrévérence ou manque d’honneur. Rappelons-nous que, pour Aristote “ l’honneur est chez celui qui honore, et non point chez celui qui reçoit cet honneur ”. De même, l’irrévérence existe chez celui qui agit de façon irrespectueuse, même s’il ne nuit en rien à celui qu’il outrage. Autant qu’il est en lui, le sacrilège viole une réalité sainte, bien que celle-ci ne soit pas violée en elle-même.

 

 

            Article 2 — Le sacrilège est-il un péché spécial ?

Objections :

1. C’est un péché général. Car nous lisons dans les Décrets : “ Commettent le sacrilège ceux qui agissent contre la sainteté de la loi divine par ignorance, ou qui la violent et l’offensent par négligence. ” Mais cela est impliqué dans tout péché, que S. Augustin définit comme “ une parole, un acte ou un désir contraire à la loi de Dieu ”.

2. Aucun péché spécial ne se situe dans divers genres de péché. Or le sacrilège appartient à plusieurs genres de péché : l’homicide, si l’on tue un prêtre ; la luxure, si l’on viole une vierge consacrée, ou n’importe quelle femme dans un lieu saint ; le vol, s’il s’agit d’objets sacrés. Ce n’est donc pas un péché spécial.

3. Un péché spécial doit pouvoir se rencontrer à part, indépendamment de tout autre péché, comme le dit Aristote, au sujet de l’injustice, péché spécial. Or on ne trouve jamais le sacrilège sans d’autres péchés : il est lié tantôt au vol, tantôt à l’homicide. Il n’est donc pas un péché spécial.

En sens contraire, le sacrilège s’oppose à la religion, vertu spéciale dont l’objet est de révérer Dieu et les choses divines. C’est donc un péché spécial.

Réponse :

Partout où se rencontre une raison spéciale de difformité, il y a nécessairement un péché spécial, car l’espèce de chaque chose est considérée selon sa raison formelle, non selon sa matière ou son sujet. Or le sacrilège comporte une raison spéciale de difformité : il consiste à violer une chose sainte par irrévérence. C’est donc un péché spécial.

Et il s’oppose à la religion. Comme dit S. Jean Damascène : “ La pourpre, devenue vêtement royal, est honorée et glorifiée. Si quelqu’un la transperce, il est puni de mort ”, comme s’il s’agissait du roi lui-même. Ainsi encore celui qui viole une chose sainte agit par le fait même contre le respect dû à Dieu et pèche par irréligion.

Solutions :

1. On parle dans ce texte de ceux qui attaquent la loi de Dieu, comme les hérétiques et les blasphémateurs. En refusant de croire en Dieu, ils commettent le péché d’infidélité, et en faussant les paroles de la loi divine, ils commettent le sacrilège.

2. Rien n’empêche qu’une même raison spéciale de péché se retrouve en des péchés de genres différents. Des péchés divers peuvent être ordonnés à une même fin coupable, de même qu’une vertu peut tenir d’autres vertus sous son commandement. De cette façon, quel que soit le péché commis en manquant au respect dû aux choses saintes, on commet formellement un sacrilège, bien que matériellement il y ait là divers genres de péchés.

3. On trouve parfois le sacrilège séparé des autres péchés, l’acte n’ayant d’autre défaut moral que la violation d’une chose sacrée ; c’est le cas, par exemple, du juge qui fait saisir dans un lieu saint quelqu’un qu’il pourrait légitimement appréhender ailleurs.

 

 

            Article 3 — Les espèces du sacrilège

Objections :

1. Il semble que les espèces du sacrilège ne se distinguent pas par les choses sacrées. En effet, la diversité matérielle ne diversifie pas l’espèce si la raison formelle reste la même. Mais dans la violation de n’importe quelles choses sacrées, on trouve la même raison formelle de péché, parce que la diversité n’est que matérielle.

2. Il n’est pas possible que des choses soient d’une même espèce et en même temps se distinguent spécifiquement. L’homicide, le vol, l’union sexuelle illicite, sont des péchés d’espèce distincte. Ils ne peuvent donc se rejoindre dans une seule espèce de sacrilège. Ainsi voit-on que les espèces de sacrilège se distinguent selon les espèces diverses des autres péchés, et non selon la diversité des choses sacrées.

3. On range également dans la catégorie du sacré les personnes consacrées. Si l’outrage commis à l’égard d’une personne consacrée était un sacrilège d’une espèce spéciale, il s’ensuivrait que tout péché commis par une personne sacrée serait un sacrilège. Car tout péché souille le pécheur qui le commet. Donc les espèces du sacrilège ne se distinguent pas selon les réalités sacrées.

En sens contraire, les actes et les habitus se distinguent par leurs objets. L’objet du sacrilège c’est le sacré, nous l’avons dit. La diversité des choses sacrées servira donc à distinguer les espèces de sacrilège.

Réponse :

Le péché de sacrilège, avons-nous dit, consiste à traiter avec irrévérence une chose sacrée. Or, les choses sacrées ont droit à notre respect en raison de leur sainteté. C’est pourquoi il est nécessaire de distinguer les espèces du sacrilège, et celui-ci est d’autant plus grave que la réalité sacrée contre laquelle on pèche a une plus grande sainteté.

Or, on attribue la sainteté aux personnes consacrées, c’est-à-dire dédiées au culte divin, aux lieux sacrés et à certaines autres réalités sacrées. La sainteté du lieu est ordonnée à celle de l’homme qui, dans le lieu saint, rend son culte à Dieu. Comme il est dit au 2ème livre des Maccabées (5, 19), “ Dieu n’a pas choisi la nation pour le lieu, mais le lieu pour la nation ”. C’est donc pécher plus gravement de commettre le sacrilège contre une personne sacrée, que contre un lieu saint. Il y a toutefois dans ces deux espèces de sacrilège des degrés divers suivant les différences qui s’y rencontrent. La première place y revient en effet aux sacrements qui sanctifient l’homme ; et le plus grand d’entre eux est l’eucharistie qui contient le Christ lui-même. Le sacrilège commis contre ce sacrement est donc le plus grave de tous. Viennent au second rang, après les sacrements, les vases consacrés qui servent à les recevoir ; puis les saintes images et les reliques des saints dans lesquelles, d’une certaine manière, les personnages mêmes des saints sont vénérés ou outragés. Ensuite tout ce qui sert à l’ornement de l’église et des ministres du culte. Ensuite tout ce qui est voué à l’entretien des ministres, biens meubles ou immeubles. Quiconque pèche contre l’une quelconque de ces choses saintes encourt le crime de sacrilège.

Solutions :

1. Toutes ces réalités ne sont pas saintes au même titre. Il y a là plus qu’une distinction matérielle : c’est vraiment formel.

2. Rien n’empêche que deux choses soient d’une même espèce sous un certain rapport, et d’espèces différentes à d’autres points de vue. Socrate et Platon se rejoignent dans une même espèce animale, mais se distinguent par une coloration d’espèce différente, si l’un est blanc et l’autre noir. De même il est possible que des actes, constituant matériellement des péchés différents, se trouvent rangés sous une même espèce selon une même raison formelle de sacrilège ; par exemple, c’est un sacrilège d’outrager une moniale, que ce soit en la frappant ou en couchant avec elle.

3. Tout péché commis par une personne consacrée est sacrilège, mais matériellement, et comme par accident. C’est en ce sens que S. Jérôme dit : “ Les frivolités sur les lèvres d’un prêtre sont sacrilège ou blasphème. ” Mais formellement et proprement seul le péché qu’une personne consacrée commet en opposition directe avec sa sainteté est un sacrilège : si par exemple une vierge consacrée à Dieu commet la fornication ; de même pour les autres péchés.

 

 

            Article 4 — Quelle punition est due au sacrilège ?

Objections :

1. L’amende ne semble pas le châtiment qui convient au sacrilège, car elle n’est pas en usage pour les fautes criminelles. Or le sacrilège est un crime, que les lois civiles punissent de la peine capitale. Donc il ne doit pas être puni d’amende.

2. Le même péché ne doit pas être puni d’un double châtiment, selon cette parole du prophète Nahum (1, 9) : “ La détresse ne surgira pas deux fois. ” Or la peine prévue pour le sacrilège est l’excommunication : majeure si l’on fait violence à une personne consacrée ou si l’on incendie ou détruit une église ; excommunication majeure pour les autres sacrilèges. Le sacrilège ne doit donc pas être puni par une amende.

3. “ Nous n’avons jamais donné prise à la cupidité ”, dit S. Paul (1 Th 2, 5). Or ce serait le cas si l’on exigeait une amende pour la violation d’une réalité sacrée. Cette peine ne convient donc pas pour le sacrilège.

En sens contraire, on lit dans les Décrets “ Si quelqu’un, par opiniâtreté ou par orgueil, arrache, par force du parvis de l’église, un esclave fugitif, il fera composition de neuf cents sols. ” Et plus loin : “ Quiconque aura été convaincu de sacrilège fera composition de trente livres d’argent contrôlé, très pur. ”

Réponse :

Pour infliger des châtiments, deux principes sont à considérer. D’abord un principe de proportion, qui mesure le juste châtiment. On doit “ être puni par où l’on a péché ”, dit le livre de la Sagesse (11, 16). A ce point de vue, il convient que le sacrilège, qui déshonore les choses saintes, soit puni de l’excommunication, qui tient à l’écart du sacré. Le second principe est l’utilité du châtiment : les pénalités sont en effet comme des remèdes destinés à détourner du péché par l’effroi qu’elles inspirent. Or le sacrilège est un homme qui n’a pas de respect pour les choses saintes. Il ne sera donc pas suffisamment détourné du péché par le fait qu’on lui interdit les choses saintes dont il n’a cure. C’est pourquoi les lois humaines infligent pour ce crime la peine de mort. L’Église, qui ne punit pas de mort corporelle, frappe ce même crime d’amende, afin qu’au moins des peines temporelles détournent les hommes du sacrilège.

Solutions :

1. L’Église n’inflige pas la mort corporelle mais la remplace par l’excommunication.

2. Il est nécessaire d’employer ce double châtiment, quand un seul ne peut suffire à détourner quelqu’un du péché. C’est pourquoi il fallait ajouter à la peine d’excommunication une peine temporelle, pour réprimer ceux qui méprisent les réalités spirituelles.

3. Si l’on exigeait de l’argent sans cause raisonnable, cela semblerait donner lieu à la cupidité. Mais quand on l’exige pour corriger des pécheurs, l’utilité est manifeste, et cela ne peut donner l’occasion d’aucun reproche.

 

 

QUESTION 100 — LA SIMONIE

1. Qu’est-ce que la simonie ? - 2. Est-il permis de recevoir de l’argent pour des sacrements ? - 3. Est-il permis d’en recevoir pour des actes spirituels ? - 4. Est-il permis de vendre des biens annexés au spirituel ? - 5. Est-ce seulement le “ présent manuel ” qui rend simoniaque, ou encore le “ présent verbal ” et le “ présent servile ” ? - 6. Le châtiment dû à la simonie.

 

 

            Article 1 — Qu’est-ce que la simonie ?

Objections :

1. Il semble que la simonie ne soit pas “ l’application de la volonté à acheter et vendre une réalité spirituelle ou liée au spirituel ”. En effet, la simonie est une hérésie, car on lit dans les Décrets : “ L’hérésie impie de Macédonius et de ceux qui, avec lui, attaquent l’Esprit Saint, est plus tolérable que celle des simoniaques. Ceux-là affirment dans leur folie que le Saint-Esprit est une créature et le serviteur de Dieu, Père et Fils. Mais ceux-ci font du Saint-Esprit leur propre esclave ; car c’est le maître qui vend à son gré ce qu’il possède, un esclave ou quelque autre de ses biens. ” Or l’infidélité réside non pas dans la volonté mais dans l’intelligence, comme la foi elle-même, nous l’avons vu il ne faut donc pas faire entrer la volonté dans la définition de la simonie.

2. S’appliquer à pécher, c’est pécher par malice, ce qui définit le péché contre le Saint-Esprit. Donc, si la simonie était une application volontaire à pécher, ce serait toujours un péché contre le Saint-Esprit.

3. Rien de plus spirituel que le Royaume des cieux ; or on peut acheter le Royaume des cieux. S. Grégoire nous dit le prix qu’il faut y mettre : “ Il vaut tout ce que tu possèdes. ” Vouloir acheter une chose spirituelle n’est donc pas de la simonie.

4. Le mot vient de Simon le Mage. Le livre des Actes (8, 18) nous raconte qu’il offrit de l’argent aux Apôtres pour acheter la puissance spirituelle, “ en sorte que tous ceux à qui il imposerait les mains recevraient le Saint-Esprit ”. Mais nous ne lisons pas qu’il ait voulu vendre quoi que ce soit. La simonie n’est donc pas la volonté de vendre quelque chose de spirituel.

5. Il y a bien des échanges volontaires autres que l’achat et la vente : l’échange, la transaction. La définition est donc insuffisante.

6. Tout ce qui se trouve lié au spirituel est spirituel. Il est donc inutile d’ajouter cette mention “ liée au spirituel ”.

7. Certains disent que le pape ne peut commettre la simonie. Or il peut acheter ou vendre des choses spirituelles. Ce n’est donc pas en cela que consiste la simonie.

En sens contraire, S. Grégoire dit : “ Acheter ou vendre l’autel, les dîmes et l’Esprit Saint, voilà l’hérésie simoniaque, nul fidèle ne l’ignore. ”

Réponse :

Est mauvais en soi, nous l’avons dite, tout acte qui porte sur une matière indue. Or, l’achat et la vente ne peuvent s’exercer à l’égard du spirituel, pour trois raisons. 1° Les réalités spirituelles, comparées aux valeurs terrestres, n’ont pas de prix. La “ sagesse est plus précieuse que toutes les richesses : tout ce qu’on peut convoiter ne saurait lui être comparé ” (Pr 3, 15). Aussi S. Pierre a-t-il condamné dans sa racine le vice de Simon, en disant : “ Périsse ton argent avec toi, puisque tu as cru pouvoir acquérir à ce prix le don du Seigneur! ” - 2° On ne peut vendre légitimement que ce dont on est le maître (voir le texte cité dans l’objection 1). Or un prélat ecclésiastique n’est pas maître, mais seulement intendant des choses spirituelles. Comme dit S. Paul (1 Co 4, 1) : “ Qu’on nous tienne pour les ministres du Christ, et les dispensateurs des mystères de Dieu. ” - 3° L’origine des choses spirituelles est incompatible avec leur vente. Elles proviennent de la volonté gratuite de Dieu. C’est pourquoi notre Seigneur a dit (Mt 10, 8) : “ Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. ” Par conséquent vendre ou acheter une chose spirituelle, c’est montrer de l’irrévérence envers Dieu et les choses divines. C’est donc pécher par irréligion.

Solutions :

1. De même que la religion est une protestation de la foi, que l’on n’a pas toujours dans son cœur, de même les vices opposés à la religion comportent une sorte de protestation d’infidélité, bien que parfois celle-ci ne soit pas dans l’esprit. Si l’on parle d’hérésie à propos de la simonie, c’est donc relativement à cette manifestation extérieure : celui qui vend le don du Saint-Esprit professe d’une certaine manière qu’il est maître des dons spirituels, ce qui est hérétique.

Il faut savoir cependant que Simon le Mage, outre “ qu’il voulut acheter des Apôtres à prix d’argent la grâce du Saint-Esprit ” disait que le monde n’avait pas été créé par Dieu, “ mais par une certaine puissance supérieure ”, d’après S. Isidore. C’est à ce point de vue qu’on met les disciples de Simon au rang des hérétiques, comme on peut le voir par le livre de S. Augustin sur les hérésies.

2. La justice réside dans la volonté, ainsi que toutes les vertus qu’on lui rattache, et par suite tous les vices contraires. La simonie est donc à définir comme un vice de la volonté. Quant au mot “ application ” que l’on met dans la définition, il désigne le choix volontaire qui est au principe de la vertu et du vice. Mais pécher par choix volontaire n’est pas nécessairement pécher contre le Saint-Esprit. C’est le cas seulement du péché dont le choix volontaire comporte un mépris de tout ce qui habituellement détourne de pécher, nous l’avons dit précédemment. On parle d’acheter le Royaume des cieux, en donnant pour Dieu tout ce qu’on a. Mais c’est au sens large : achat est pris au sens de mérite, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, car “ les souffrances d’ici-bas ” (non plus que nos dons ou nos œuvres) “ ne sont proportionnées à la gloire future qui sera manifestée en nous ” (Rm 8, 18). Et, d’autre part, le mérite ne tient pas principalement au don, à l’acte, ou à la souffrance extérieure, mais au sentiment intérieur.

4. Simon le Mage voulait acheter le pouvoir spirituel pour le vendre ensuite. “ Selon les Décrets il voulut acheter le don du Saint-Esprit pour faire commerce de prodiges et multiplier les gains. ” Ceux qui vendent les choses spirituelles ont la même intention que Simon. Ceux qui veulent les acheter l’imitent dans son acte. Quant à ceux qui vendent, ils imitent l’acte de Giézi, disciple d’Élisée, dont on lit (2 R 5, 20) qu’il reçut de l’argent du lépreux guéri par son maître. Si bien qu’on peut appeler ceux qui vendent les choses spirituelles non seulement simoniaques, mais “ giézites”

5. On entend par vente et achat tout contrat non gratuit. Aucun échange de prébende ou de bénéfices ecclésiastiques ne peut donc se faire, en vertu de la simple autorité des parties, sans danger de simonie ; ni les transactions, ainsi que le droit le détermine. Mais le prélat peut, en vertu de sa charge, faire ces sortes d’échanges quand il y a utilité ou nécessité.

6. De même que l’âme est vivante par elle-même, et le corps vivant par son union à l’âme ; de même il y a des réalités spirituelles par elles-mêmes, comme les sacrements et réalités analogues, et d’autres qui sont appelées spirituelles parce qu’elles sont liées aux précédentes. D’où ce texte des Décrets : “ Les réalités spirituelles sans les réalités corporelles ne nous servent pas, de même que l’âme ne peut, sans le corps, vivre de la vie corporelle. ”

7. Le pape peut tomber comme tout homme dans le péché de simonie, et le péché est d’autant plus grave que celui qui le commet est plus haut placé. Bien que les affaires de l’Église lui soient confiées comme au dispensateur principal, il n’en est ni le maître ni le possesseur. Donc, s’il recevait, pour une affaire spirituelle, de l’argent pris sur le revenu d’une église, il ne serait pas exempt de simonie. Il pourrait également commettre la simonie en recevant d’un laïc de l’argent qui ne viendrait pas des biens de l’Église.

 

 

            Article 2 — Est-il permis de recevoir de l’argent pour des sacrements ?

Objections :

1. Ce n’est pas toujours défendu, semble-t-il. Car le baptême est la “ porte des sacrements ”, on le dira dans la troisième Partie. Or on voit qu’il est permis, en certains cas, de donner de l’argent pour le recevoir. Si par exemple un prêtre ne voulait pas sans salaire baptiser un enfant mourant. Donc il n’est pas toujours illicite d’acheter ou de vendre les sacrements.

2. Le plus grand des sacrements est l’eucharistie, que l’on consacre à la messe. Mais certains prêtres reçoivent une prébende ou de l’argent pour chanter la messe. A plus forte raison peut-on acheter ou vendre les autres sacrements.

3. Le sacrement de pénitence est obligatoire, et consiste surtout dans l’absolution. Or certains réclament de l’argent pour absoudre de l’excommunication.

4. La coutume enlève à des actes qui seraient autrement des péchés leur caractère coupable. Ce n’était pas un crime d’avoir plusieurs femmes, dit S. Augustin au temps où c’était la coutume. Or on rencontre la coutume de donner quelque chose pour le chrême, l’huile sainte et autres choses de ce genre, lors des consécrations d’évêques, bénédictions d’abbés et ordinations de clercs.

5. Il arrive que par méchanceté on empêche quelqu’un d’obtenir l’épiscopat ou une autre dignité. Or il est permis à quiconque de racheter ce qui lui donne tort. Il semble donc permis en ce cas de donner de l’argent pour un évêché ou une autre dignité ecclésiastique.

6. Le mariage est un sacrement. Mais on donne parfois de l’argent pour se marier. Il est donc permis de vendre les sacrements à prix d’argent.

En sens contraire, on lit dans les Décrets : “ Celui qui aura consacré quelqu’un à prix d’argent devra être rejeté du sacerdoce. ”

Réponse :

Les sacrements de la loi nouvelle sont spirituels au plus haut point, car ils produisent dans les âmes la grâce spirituelle. Celle-ci ne peut s’estimer à prix d’argent, et par définition exige d’être donnée gratuitement. Mais les sacrements sont dispensés par les ministres de l’Église, à l’entretien desquels le peuple doit subvenir, selon S. Paul (1 Co 9, 13) : “ Ignorez-vous que ceux qui vaquent aux offices sacrés doivent se nourrir du temple ? Et que ceux qui servent à l’autel ont part à l’autel ? ” Nous dirons donc que recevoir de l’argent en échange de la grâce spirituelle des sacrements est un crime de simonie, que nulle coutume ne peut autoriser : car la coutume ne prévaut pas contre le droit naturel ou divin. Et par argent on entend ici tout ce qu’on peut estimer à prix d’argent, comme dit Aristote. Mais recevoir quelque chose pour l’entretien de ceux qui administrent les sacrements selon la détermination de l’Église et les coutumes approuvées, n’est pas simonie, ni péché. Ce n’est pas, en effet, le prix d’un salaire, mais le tribut payé à la nécessité. C’est pourquoi sur ce texte (1 Tm 5, 17) : “ Les prêtres qui gouvernent bien, etc. ”, la Glose de S. Augustin donne ce commentaire : “ Qu’ils reçoivent du peuple l’entretien nécessaire, et du Seigneur le salaire de leur administration. ”

Solutions :

1. En cas de nécessité n’importe qui peut baptiser. Et parce que rien n’autorise jamais le péché, on doit, si le prêtre ne veut pas baptiser sans recevoir d’argent, faire comme s’il n’y avait personne pour baptiser. Celui qui a la charge de l’enfant pourrait en pareil cas le baptiser licitement lui-même, ou le faire baptiser par quelqu’un d’autre. Toutefois il lui serait permis d’acheter de l’eau à un prêtre, car c’est là un simple élément corporel.

Supposons maintenant un adulte désirant le baptême, et en danger de mort, que le prêtre ne veut pas baptiser sans argent. Il doit, s’il le peut, se faire baptiser par quelqu’un d’autre. Si ce recours lui est impossible, il ne doit aucunement acheter à prix d’argent son baptême, mais plutôt mourir sans l’avoir reçu. Le baptême de désir supplée en effet pour lui ce que le sacrement ne peut lui donner.

2. L’argent reçu par le prêtre n’est pas le prix de la consécration eucharistique ni de la messe qu’il doit chanter. Ce serait une pratique simoniaque. C’est une sorte de tribut acquitté pour son entretien, comme on vient de le dire.

3. L’argent exigé n’est pas le prix de l’absolution, ce qui serait simoniaque. C’est le châtiment de la faute qui a entraîné l’excommunication.

4. La coutume, nous venons de le dire, laisse toujours intact le droit naturel ou divin, qui interdit la simonie. Si donc, par suite d’une coutume, on exige une rétribution qui soit comme le prix d’une chose spirituelle, avec intention d’acheter et de vendre, c’est manifestement de la simonie : surtout si on l’exige contre le gré de ceux qui doivent payer. Mais si l’on reçoit quelques dons comme un tribut approuvé par la coutume, il n’y a pas simonie, pourvu toutefois qu’on n’ait pas intention de faire acte d’achat ou de vente, mais simplement d’observer une coutume, et surtout quand le donateur s’en acquitte volontairement. Il faut cependant en tout ceci prendre garde qu’il n’y ait aucune apparence de simonie et de cupidité. Comme dit S. Paul (1 Th 5, 22) : “ Abstenez-vous de toute apparence de mal. ”

5. Avant d’avoir acquis un droit à l’épiscopat ou à une quelconque dignité ou prébende par voie d’élection, provision ou collation, celui qui écarterait les obstacles à prix d’argent serait simoniaque. Ce serait en effet s’ouvrir par de l’argent l’accès à un bien spirituel. Mais le droit étant déjà acquis, on peut légitimement écarter à prix d’argent les empêchements injustes.

6. Certains disent que pour le mariage on peut donner de l’argent parce que la grâce n’y est pas conférée. Ce n’est pas tout à fait vrai, comme on le dira dans la troisième Partie. Il faut résoudre autrement la question : le mariage n’est pas seulement sacrement de l’Église, mais aussi office de nature. C’est à ce dernier point de vue qu’il est licite de donner de l’argent pour se marier, mais en tant que le mariage est un sacrement, c’est illicite. Et voilà pourquoi le droit interdit d’exiger quoi que ce soit pour la bénédiction nuptiale.

 

 

            Article 3 — Est-il permis de recevoir de l’argent pour des actes spirituels ?

Objections :

1. C’est permis, car l’exercice de la prophétie est un acte spirituel. Or jadis on payait les prophètes : le cas est mentionné aux livres des Rois (1 S 9, 7 et 1 R 14, 3).

2. La prière, la prédication, la louange divine sont des actes hautement spirituels. Mais on donne de l’argent à de saintes gens pour obtenir le suffrage de leurs prières, selon la parole du Seigneur (Lc 16, 9) : “ Faites-vous des amis avec le Mammon d’iniquité. ” Les prédicateurs, qui sèment le bon grain dans les âmes, ont droit également à une rétribution temporelle : c’est l’avis de S. Paul (1 Co 9, 11). On donne quelque chose à ceux qui célèbrent les louanges divines en s’acquittant de l’office ecclésiastique, à ceux qui font des processions ; parfois même des revenus annuels sont affectés à cela. Il est donc permis de recevoir de l’argent pour des actes spirituels.

3. La science n’est pas moins spirituelle que le pouvoir. Or on peut faire usage de sa science contre argent ; ainsi l’avocat fait payer sa plaidoirie, le médecin sa consultation, le maître son enseignement. Au même titre, il semble donc qu’un prélat peut recevoir de l’argent pour exercer les actes de son pouvoir, correction, administration, etc.

4. La vie religieuse est un état de perfection spirituelle. Mais dans certains monastères on exige quelque chose des sujets qu’on y reçoit.

En sens contraire, on lit dans les Décrets “ Absolument rien de ce qu’on peut attribuer à la consolation de la grâce invisible, ne doit être vendu pour un gain ou une rétribution quelconque. ” C’est le cas des actes spirituels dont il s’agit ici, et qui sont dus à la grâce invisible.

Réponse :

De même que les sacrements sont dits “ spirituels ” parce qu’ils confèrent la grâce spirituelle, ainsi d’autres réalités sont appelées “ spirituelles ” parce qu’elles découlent de la grâce spirituelle et y disposent. Cependant ces réalités sont procurées par le ministère des hommes, lesquels doivent être entretenus par le peuple à qui ils dispensent ces biens spirituels, selon S. Paul (1 Co 9, 7) : “ Qui donc a jamais combattu à ses frais, et quel berger ne se nourrit du lait de son troupeau ? ” C’est pourquoi vendre ou acheter ce qu’il y a de spirituel dans ces actes est de la simonie ; mais il est permis de recevoir ou de donner quelque chose pour l’entretien de ceux qui les exercent, conformément à la loi de l’Église et à la coutume approuvée ; à condition toutefois qu’on n’ait pas l’intention d’acheter ou de vendre, et qu’on ne contraigne pas ceux qui ne veulent pas donner, en leur refusant les biens spirituels qu’on doit leur fournir ; il y aurait là en effet apparence de vente. Toutefois, après avoir gratuitement exercé ces fonctions spirituelles, on peut exiger de ceux qui peuvent payer, mais ne veulent pas, les offrandes ou autres rétributions déterminées par la règle et la coutume. On doit alors faire intervenir l’autorité supérieure.

Solutions :

1. Selon S. Jérôme, on faisait spontanément aux bons prophètes certains présents pour subvenir à leurs besoins, et non par manière de paiement pour l’exercice de la prophétie. Les faux prophètes toutefois y cherchaient un gain.

2. Ceux qui donnent l’aumône aux pauvres pour obtenir les suffrages de leurs prières n’entendent pas, ce faisant, acheter ces prières ; mais par une bienfaisance gratuite ils provoquent leurs âmes à des prières toutes gratuites, inspirées par la charité. Les prédicateurs ont droit à des dons temporels pour leur entretien, non en paiement de leur prédication. C’est pourquoi sur le texte de S. Paul : “ Les prêtres qui gouvernent bien... ”, la Glose donne ce commentaire : “ A la nécessité il revient de recevoir de quoi vivre, à la charité de le fournir. Mais l’Évangile ne se vend pas, et ce n’est pas pour cela qu’on prêche. Ce serait là vendre une grande chose pour un prix bien vil. ” De même on fait certains dons temporels à ceux qui louent Dieu en célébrant l’office divin, pour les vivants ou pour les morts, non par manière de paiement, mais comme frais d’entretien. C’est au même titre que l’on reçoit certaines aumônes pour des processions ou une cérémonie de funérailles.

Mais si cela se faisait par contrat, ou avec l’intention d’acheter ou de vendre, il y aurait simonie. Ce serait donc une ordonnance illicite que de décréter dans une église que l’on ne fera pas de cortège à un enterrement sans l’acquittement d’une somme d’argent déterminée. Ce serait en effet s’ôter tout moyen d’accorder gratuitement à certains un devoir de piété. L’ordonnance serait plus licite si l’on établissait qu’à tous ceux qui donneront une aumône déterminée tel honneur serait rendu. Cela laisserait une possibilité de l’accorder à d’autres. La première ordonnance a l’aspect d’une exaction, la seconde fait figure d’un témoignage de reconnaissance gracieuse.

3. Celui à qui un pouvoir spirituel est confié est tenu par sa charge de l’exercer en dispensant les biens spirituels. Il a de plus pour son entretien des subsides déterminés qui viennent des revenus ecclésiastiques. Par conséquent, s’il recevait quelque chose pour exercer son pouvoir spirituel, on ne pourrait dire qu’il loue son travail, puisqu’il est tenu de l’accomplir en justice par le fait de sa charge ; on ne pourrait voir là qu’une vente de la grâce spirituelle. C’est pourquoi il ne lui est permis de rien recevoir pour aucun acte d’administration spirituelle ; ni même pour aucun remplacement ; ni même pour corriger ses sujets ou arrêter leur correction. Mais il peut licitement recevoir des rétributions quand il visite ses sujets, non en paiement de la correction qu’il fait, mais comme juste subside.

Quant à celui qui possède la science et n’a pas reçu une charge qui l’oblige à la communiquer aux autres, il lui est permis de recevoir le prix de son enseignement ou de son conseil. Non point qu’il vende la vérité ou la science, mais il loue son activité. Pourtant, s’il y était tenu par sa charge, on penserait qu’il vend la vérité, et il pécherait gravement" C’est le cas de ceux qui sont, dans certaines Églises, chargés de l’enseignement des clercs de l’église et d’autres pauvres. Ils reçoivent à cet effet un bénéfice ecclésiastique et ils n’ont le droit de rien recevoir, ni pour enseigner ni pour célébrer ou omettre certaines solennités.

4. On n’a le droit de recevoir ni d’exiger aucun paiement pour l’entrée dans un monastère. Il est permis cependant, tout en accordant gratuitement l’entrée du monastère, de recevoir quelque chose pour l’entretien du sujet, si le monastère est pauvre et ne suffit pas à nourrir tout le monde. Il est également permis d’admettre plus facilement quelqu’un qui, pour témoigner sa dévotion à cette maison, lui a fait de larges aumônes. De même qu’il est permis, à l’opposé, de provoquer la dévotion de quelqu’un envers le monastère par des bienfaits temporels, en sorte de l’amener à y entrer. Mais il n’est pas permis de donner ou recevoir par contrat une somme pour l’entrée au monastère, selon le droit.

 

 

            Article 4 — Est-il permis de vendre des biens annexés au spirituel ?

Objections :

1. Cela semble licite, car toutes les choses temporelles ont un lien avec les spirituelles, et nous ne devons chercher les unes que pour obtenir les autres. Donc, s’il n’est pas permis de vendre ce qui est adjoint au spirituel, on ne pourra vendre aucun bien temporel, ce qui est évidemment faux.

2. Rien n’est plus étroitement lié aux choses spirituelles que les vases sacrés. Or on peut les vendre pour le rachat des captifs d’après S. Ambroise.

3. Sont en liaison avec le spirituel : le droit de sépulture, le droit de patronage, le droit d’aînesse chez les anciens (car les premiers-nés, avant la loi, remplissaient l’office de prêtre), et encore le droit de recevoir les dîmes. Or Abraham a acheté d’Éphron une double caverne pour sa sépulture (Gn 23, 8) ; Jacob a acheté à Ésaü son droit d’aînesse (Gn 25, 31) ; le droit de patronage se transmet avec la terre vendue et se trouve concédé en fief ; les dîmes sont concédées à certains soldats et peuvent être rachetées ; les prélats retiennent parfois pour eux pendant un certain temps les fruits des prébendes qu’ils confèrent, et pourtant les prébendes sont jointes à des biens spirituels. Donc il est permis d’acheter et de vendre ce qui se trouve lié au spirituel.

En sens contraire, voici ce que dit le pape Pascal, et qu’on trouve dans les Décrets : “ Quiconque vend un bien sans lequel on n’en possède pas un autre, ne peut empêcher que tout l’ensemble soit vendu. Que personne par conséquent n’achète une église, une prébende ou aucun bien ecclésiastique. ”

Réponse :

Une chose peut se trouver rattachée aux réalités spirituelles par un double lien. Premièrement un lien de dépendance. Posséder un bénéfice ecclésiastique par exemple ne convient qu’à celui qui a un office clérical. Ainsi de telles choses ne peuvent exister indépendamment de biens spirituels. Et c’est pourquoi il n’est aucunement permis de vendre ce genre de choses, parce que, lorsqu’on les vend, on comprend que les biens spirituels sont inclus dans la vente.

Mais certaines choses temporelles sont liées aux spirituelles en y étant ordonnées : le droit de patronage par exemple est ordonné à présenter les clercs aux bénéfices ecclésiastiques ; les vases sacrés sont ordonnés à la pratique des sacrements. De telles choses temporelles ne supposent pas nécessairement l’existence de la réalité spirituelle qui s’y trouve annexée, mais plutôt la précèdent. C’est pourquoi on peut, d’une certaine manière, les vendre : mais non en tant qu’elles sont adjointes au spirituel.

Solutions :

1. Toutes les choses temporelles sont liées au spirituel comme à leur fin. C’est pourquoi on peut vendre les choses temporelles ellesmêmes. Mais leur ordre au spirituel ne peut tomber sous la vente.

2. Les vases sacrés sont reliés aux réalités spirituelles comme à leur fin. C’est pourquoi leur consécration ne peut être objet de vente. Mais la matière dont ils sont fait peut être vendue pour subvenir aux besoins de l’Église et des pauvres. Toutefois, ils doivent préalablement être brisés, après une prière ; car une fois brisés, ils ne sont plus considérés comme des vases sacrés, mais simplement comme du métal. Aussi faudrait-il renouveler la consécration si des vases semblables étaient reconstitués avec la même matière.

3. La double caverne achetée par Abraham pour servir de sépulture n’était pas, d’après le texte de l’Écriture, un terrain consacré à cet usage. Abraham pouvait donc l’acheter pour faire un lieu de sépulture en y construisant un sépulcre. De même, actuellement, il est permis d’acheter un champ ordinaire pour en faire un cimetière, ou y édifier une église. Comme cependant, chez les païens, les lieux voués à la sépulture étaient tenus pour sacrés, si Éphron a entendu faire payer le droit de sépulture, il a péché en faisant cette vente. Mais Abraham n’a pas péché en faisant cet achat, car il ne prétendait acheter qu’un terrain ordinaire. De même il est permis, même maintenant, de vendre ou d’acheter, en cas de nécessité, un terrain où il y eut jadis une église ; le cas est le même que celui des vases sacrés, étudié ci-dessus.

Une autre explication permet d’excuser Abraham de péché, en disant que le prix qu’il a donné était destiné à compenser un affront possible : bien qu’Éphron lui ait offert gratuitement le lieu de sépulture, Abraham pensa qu’il ne pouvait le recevoir ainsi sans offense.

Quant au droit d’aînesse, il était dû à Jacob par le choix divin, selon ces paroles de Malachie (1, 2) : “ J’ai aimé Jacob et j’ai haï Ésaü. ” C’est pourquoi Esaü pécha en vendant son droit d’aînesse. Mais Jacob ne pécha pas en l’achetant, parce que l’on comprend qu’il a racheté l’injustice qu’on lui avait faite.

Le droit de patronage ne peut être vendu en lui-même, ni même concédé en fief ; mais il suit la terre qui lui est vendue ou concédée. Le droit spirituel de recevoir la dîme n’est pas concédé aux laïcs : on leur concède seulement les biens temporels qui leur sont concédés sous le nom de dîmes.

Concernant la collation des bénéfices il faut savoir que si un évêque, avant d’offrir un bénéfice à quelqu’un, a décidé pour quelque motif de soustraire quelque chose aux fruits du bénéfice à conférer, pour le dépenser en œuvres pies, il n’y a là rien d’illicite. Mais s’il requiert de celui à qui il offre un bénéfice qu’il lui donne une part des fruits de ce bénéfice, c’est comme s’il exigeait une rétribution, et il n’est pas exempt de simonie.

 

 

            Article 5 — Est-ce seulement le “ présent manuel ” qui rend simoniaque, ou aussi le “ présent verbal ” et le “ présent servile ” ?

Objections :

1. Il semble qu’il soit permis de donner des pouvoirs spirituels par un présent servile ou verbal. Car S. Grégoire dit : “ Il est digne que ceux qui sont au service d’une Église jouissent des rémunérations de cette Église. ” Le service de l’église relève du présent servile, et on le rétribue légitimement par des bénéfices ecclésiastiques.

2. C’est également agir pour des motifs charnels que de donner un bénéfice ecclésiastique en échange d’un service reçu, ou pour une raison de parenté. Rien de simoniaque en ce dernier cas, car il n’y a ni achat ni vente. Donc pas de simonie non plus dans le premier cas.

3. Ce qu’on fait uniquement pour répondre à la prière de quelqu’un semble être un don gratuit. Pas de simonie en ce cas, puisqu’il n’y a ni vente ni achat. Or, c’est un cas de présent verbal que de conférer un bénéfice ecclésiastique parce qu’on en a été prié par quelqu’un. Cela n’est donc pas simoniaque.

4. Les hypocrites font des œuvres spirituelles pour obtenir une louange humaine : on ne les qualifie pas pour autant de simoniaques. Pourtant ils agissent pour une rétribution verbale. Ce n’est donc pas de la simonie.

En sens contraire, voici ce que dit le pape Urbain : “ Quiconque donne ou obtient des biens ecclésiastiques, en y cherchant son propre gain pour un autre but que celui de leur institution, et en faisant trafic de son crédit verbal, de ses services ou de son argent, est simoniaque. ”

Réponse :

Comme nous l’avons dit on peut appeler “ argent ” tout ce dont le prix peut être estimé en argent. Il est évident que le service rendu à un homme est ordonné à une utilité qui peut être estimée à prix d’argent ; aussi les serviteurs sont-ils engagés pour un salaire en argent. C’est pourquoi donner un bien spirituel pour un service temporel déjà rendu ou encore à rendre revient au même que le donner pour la somme d’argent, payée comptant ou promise, à laquelle on pourrait estimer ce service. Pareillement, si l’on répond aux prières de quelqu’un qui recherche une faveur temporelle, cela s’ordonne à une utilité qui peut être estimée à prix d’argent. Et c’est pourquoi, si l’on commet la simonie en recevant de l’argent ou un autre bien extérieur, ce qui relève du présent manuel, on la commet aussi par un présent verbal, ou de service.

Solutions :

1. Si un clerc rend à un prélat un service honorable, ordonné aux choses spirituelles, utile à l’Église ou à ses ministres, la dévotion même dont il témoigne ainsi le rend digne, au même titre que d’autres bonnes œuvres, de recevoir un bénéfice ecclésiastique. Il n’y a pas là de présent servile. C’est le cas auquel fait allusion S. Grégoire. Mais si c’est un service malhonnête ou destiné à produire des avantages charnels, relatifs aux intérêts du prélat, de sa parenté, de son patrimoine, etc., ce sera un présent servile, entaché de simonie.

2. Conférer gratuitement à quelqu’un une faveur spirituelle en raison de sa parenté, ou par le fait d’une affection humaine, est illicite et procède de vues charnelles. Mais ce n’est pas simoniaque, puisqu’on ne reçoit rien, et qu’il n’y a par conséquent aucun contrat de vente ou d’achat, ce qui fonderait la simonie. Mais accorder un bénéfice ecclésiastique avec l’intention tacite ou expresse de pourvoir de ce fait aux intérêts de sa parenté, est une simonie manifeste.

3. Par “ présent verbal ” on entend : la louange, représentant une faveur humaine qu’on peut apprécier, soit encore les recommandations qui permettent d’acquérir ces faveurs humaines ou d’éviter la défaveur. Avoir égard principalement à ce motif est donc commettre la simonie. C’est le cas de celui qui exauce la requête qu’on lui présente pour un indigne. Mais, si on la lui présente pour quelqu’un qui est digne, le fait lui-même n’est pas simoniaque car il subsiste un juste motif de conférer une valeur spirituelle à celui pour qui on la demande. Il peut cependant y avoir une intention simoniaque si, plus qu’à la dignité du sujet, on prête attention à la recommandation humaine. D’autre part, si l’on demande pour soi-même charge d’âmes, la présomption même du quémandeur le rend indigne, et ainsi ces prières sont faites pour un indigne. Mais on peut très bien, étant indigent, demander pour soi-même un bénéfice ecclésiastique sans charge d’âmes.

4. L’hypocrite qui cherche la louange ne donne pas vraiment quelque chose de spirituel, il en fait seulement parade. Par sa simulation il dérobe la louange des hommes, plus qu’il ne l’achète. Ce n’est pas de la simonie.

 

 

            Article 6 — Le châtiment dû à la simonie

Objections :

1. Il ne semble pas que ce soit un châtiment approprié de priver le simoniaque de ce qu’il a acquis par simonie. En effet, la simonie consiste à acquérir un bien spirituel au moyen de quelque présent. Mais il y a des biens spirituels qu’on ne peut pas perdre une fois acquis, comme les caractères sacramentels imprimés par une consécration.

2. Il arrive qu’un évêque, ayant obtenu l’épiscopat par simonie, prescrive à un sujet dépendant de son autorité de se faire ordonner par lui. Celui-ci doit, semble-t-il, lui obéir tant que l’Église le tolère. Or on ne doit rien recevoir de quelqu’un qui n’a pas pouvoir de le conférer. Donc l’évêque ne perd pas son pouvoir épiscopal du fait qu’il l’a acquis par simonie.

3. Nul ne doit être puni pour ce qui s’est fait à son insu et indépendamment de sa volonté, parce que la peine est due au péché, qui est un acte volontaire, nous l’avons dit précédemment. Or il arrive que, par l’entremise d’autres personnes, quelqu’un reçoive une faveur spirituelle de façon simoniaque, sans l’avoir su ni voulu. On ne doit donc pas l’en punir en le privant de ce qui lui a été conféré.

4. Nul ne doit tirer avantage de son péché. Or c’est ce qui se produirait si le simoniaque qui a reçu un bénéfice ecclésiastique était obligé de le rendre. Ce serait en effet tout profit pour ceux qui ont participé à l’acte simoniaque, le prélat par exemple et tout le collège qui y ont consenti. On ne doit donc pas toujours faire restituer.

5. Il arrive qu’un moine entré de façon simoniaque au monastère y fasse profession et donc vœu solennel. Or nul ne peut être délié des obligations du vœu pour avoir commis une faute. Donc le simoniaque ne peut être privé de l’état monacal qu’il a acquis.

6. On ne peut en ce monde infliger une peine extérieure pour un mouvement intérieur, car il appartient à Dieu seul de juger les cœurs. Mais on peut commettre la simonie par une simple intention volontaire. C’est pourquoi on la définit comme un acte de volonté. Donc on ne doit pas toujours priver le simoniaque de ce qu’il a acquis.

7. Être promu à un rang plus élevé, c’est recevoir une faveur bien plus grande que de demeurer dans son état. Or parfois des simoniaques, du fait de la dispense, sont promus au rang supérieur. On ne doit donc pas toujours enlever aux simoniaques ce qu’ils ont acquis.

En sens contraire, on lit dans les Décrets : “ Celui qui a été ordonné ou promu à une dignité par suite d’un trafic, n’en retirera aucun profit, mais il sera écarté de la dignité ou de la cure qu’il a acquise à prix d’argent. ”

Réponse :

Nul ne peut licitement retenir ce qu’il a acquis contre la volonté du possesseur. Par exemple, si un intendant distribuait des biens appartenant à son maître contrairement à sa volonté et à son ordre, celui qui les aurait reçus n’aurait pas le droit de les garder. Or, le Seigneur, dont les prélats ecclésiastiques sont les intendants et les ministres, a ordonné de dispenser gratuitement les biens spirituels (Mt 10, 8) : “ Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. ” Donc ceux qui obtiennent des biens spirituels quelconques grâce à un présent, ne peuvent légitimement les garder.

De plus les simoniaques, tant vendeurs qu’acheteurs de biens spirituels, ainsi que les intermédiaires, sont sous le coup d’autres pénalités : l’infamie et la déposition s’ils sont clercs, l’excommunication s’ils sont laïcs, selon le droits.

Solutions :

1. Dans la réception simoniaque d’un ordre sacré le caractère de l’ordre est conféré, à cause de l’efficacité du sacrement. Mais le simoniaque ne reçoit pas la grâce, ni le droit d’exercer cet ordre, car il a en quelque sorte dérobé le caractère sacramentel, reçu contre la volonté du Seigneur qui en est le principe. Il est suspens en vertu du droit et, en ce qui le concerne, il ne doit pas se mêler d’exercer son ordre. En ce qui concerne les autres, nul n’a le droit de communiquer avec lui dans l’exercice de son pouvoir d’ordre, que le péché soit public ou occulte. Il ne peut réclamer l’argent qu’il a honteusement donné, bien que l’autre le possède injustement.

S’il s’agit d’un simoniaque qui a conféré un ordre sacré, donné ou reçu un bénéfice, ou servi d’intermédiaire dans un trafic simoniaque, si le fait est public, la suspense est encourue en vertu du droit, pour lui et pour les autres ; si le fait est occulte, la suspense ne concerne que le simoniaque, et non les autres.

2. Nul ne doit recevoir un ordre sacré d’un évêque dont il sait que la promotion a été simoniaque, même si celui-ci le lui commande et le menace d’excommunication. S’il est ordonné, il ne reçoit pas le droit d’user de son ordre, même s’il ignorait la simonie de l’évêque, et il lui faut une dispense. Certains disent que s’il ne pouvait prouver le fait de la simonie, il devrait obéir et recevoir l’ordre, mais ne pourrait l’exercer sans dispense. C’est là un propos sans fondement, parce que nul ne doit obéir à celui qui vous fait communiquer avec lui dans un acte illicite. Or, celui qui est suspens en vertu du droit envers lui-même et envers les autres, confère illicitement l’ordination. Mais, si l’on n’a pas de certitude, on ne doit pas croire au péché d’autrui, et l’on peut, en bonne conscience, recevoir de lui l’ordination.

Si l’évêque est simoniaque autrement que par sa promotion à l’épiscopat, on peut recevoir de lui un ordre sacré, si la chose est occulte, parce que la suspense ne concerne que lui, et non les autres, comme on vient de le dire.

3. Ce n’est pas seulement pour le punir d’un péché qu’on retire à quelqu’un les biens qu’il a reçus. Ce peut être l’effet de l’acquisition injuste ; si par exemple vous achetez une chose à celui qui ne peut la vendre. C’est pourquoi, si quelqu’un reçoit sciemment, et de son propre mouvement, un ordre ou un bénéfice ecclésiastique entaché de simonie, non seulement on le prive de ce qu’il a reçu, en ce sens qu’il ne peut user de son pouvoir d’ordre et doit résigner son bénéfice avec tous les fruits qu’il en a perçus ; mais il encourt des pénalités de surcroît ; il est marqué d’infamie et obligé à la restitution des fruits non seulement perçus, mais qui auraient pu l’être par un possesseur diligent (ce qui doit s’entendre des fruits qui restent, déduction faite des dépenses qu’ils ont ocasionnées, et à l’exception de ceux qi4i ont été employés par ailleurs dans l’intérêt de l’Église). Si c’est indépendamment de sa volonté et à son insu qu’il a été promu à un bénéfice par une intervention simoniaque, il est privé de l’exercice du pouvoir d’ordre, et tenu de résigner le bénéfice qu’il a obtenu, avec les fruits existants. Mais il n’est pas tenu de restituer les fruits déjà consommés, car il était possesseur de bonne foi. Il faut d’ailleurs excepter les cas où ce serait un ennemi qui aurait donné de l’argent pour entacher sa promotion par ce moyen frauduleux, ou s’il avait protesté expressément. Il n’est pas obligé alors de renoncer à son bénéfice, à moins que dans la suite il ait donné son consentement au pacte simoniaque en payant la somme promise.

4. L’argent, les biens, les fruits reçus par des manœuvres simoniaques doivent retourner à l’Église au préjudice de laquelle ils ont été donnés, même si le prélat ou quelque membre du collège de cette Église était en faute, parce que leur péché ne doit pas nuire aux autres. On prendra garde toutefois, dans la mesure du possible, que les coupables n’en tirent aucun avantage. Si le prélat et tout le collège sont en faute, on doit, par l’autorité du supérieur, tout donner à des pauvres ou à une autre Église.

5. Ceux qui sont entrés par simonie dans un monastère doivent y renoncer. S’ils ont commis sciemment cet acte après le Concile général ils sont chassés de leur monastère sans espoir de retour. On doit les placer sous une règle plus stricte pour y faire une perpétuelle pénitence, ou les reléguer dans un autre lieu appartenant au même ordre, si l’on ne trouve pas d’ordre plus sévère. Si la chose s’est produite avant le Concile, on doit les placer dans d’autres maisons du même ordre. Et si c’est impossible, on doit par dispense les recevoir dans le même monastère, pour les empêcher de courir le monde, mais en les changeant de place, pour leur en assigner d’inférieures. - Mais si c’est à leur insu que leur réception a été simoniaque, avant ou après le Concile, on peut, après qu’ils y ont renoncé, les recevoir à nouveau, et ils prendront rang à la suite des autres, comme on l’a dit.

6. Devant Dieu, il suffit de l’intention pour être simoniaque. Mais les pénalités ecclésiastiques extérieures n’atteignent pas si profondément. Le simoniaque d’intention n’est donc pas tenu de renoncer à ce qu’il a obtenu, mais doit se repentir de son intention mauvaise.

7. La dispense en faveur d’un simoniaque qui a reçu sciemment un bénéfice est réservée au pape. Dans les autres cas un évêque peut l’accorder, pourvu que le simoniaque ait préalablement renoncé à ce qu’il a acquis. Il recevra alors soit la petite dispense, qui lui donne la communion laïque ; soit la grande dispense qui lui permet, après avoir accompli sa pénitence, de demeurer dans une autre église en gardant son ordre ; ou une dispense majeure, qui lui permet de demeurer dans la même église, mais dans un ordre inférieur ; ou enfin la dispense maximale, qui lui permet d’exercer dans la même église les ordres majeurs, sans toutefois recevoir une prélature.

LES VERTUS ANNEXES DE LA JUSTICE

 

 

QUESTION 101 — LA PIÉTÉ

Après la religion, il faut étudier la piété. Cette étude nous fera suffisamment connaître les vices qui lui sont opposés.

1. A qui la piété s’étend-elle ? - 2. Quels services rend-elle ? - 3. Est-elle une vertu spéciale ?- 4. Peut-on, sous couvert de religion, omettre les devoirs de la piété filiale ?

 

 

            Article 1 — A qui la piété s’étend-elle ?

Objections :

1. Selon S. Augustin : “ Par piété l’on entend d’ordinaire, à proprement parler, le culte de Dieu, auquel les Grecs donnent le nom de eusébéia. ” Mais le culte de Dieu est exclusivement rapporté à Dieu, non aux hommes. Donc la piété ne s’étend pas de façon déterminée à certaines personnes humaines.

2. S. Grégoire nous dit : “ La piété fait son festin à son jour, quand elle remplit les entrailles du cœur des œuvres de miséricorde. ” Mais, d’après S. Augustin, les œuvres de miséricorde doivent être pratiquées envers tous. Donc la piété ne s’étend pas à des personnes déterminées.

3. Dans les affaires humaines, il y a bien d’autres relations que la consanguinité et la concitoyenneté, comme le montre Aristote, et sur chacune d’elles se fonde une certaine amitié, qui semble être la vertu de piété, d’après la Glose (sur 2 Tm 3, 5) : “ Ayant les apparences de la piété... ” Donc la piété ne s’étend pas seulement aux parents et aux concitoyens2.

En sens contraire, Cicéron déclare : “ La piété est l’exact accomplissement de nos devoirs envers nos parents et les amis de notre patrie. ”

Réponse :

L’homme est constitué débiteur à des titres différents vis-à-vis d’autres personnes, selon les différents degrés de perfection qu’elles possèdent et les bienfaits différents qu’il en a reçus. À ce double point de vue, Dieu occupe la toute première place, parce qu’il est absolument parfait et qu’il est, par rapport à nous, le premier principe d’être et de gouvernement. Mais ce titre convient aussi, secondairement, à nos père et mère et à notre patrie, desquels et dans laquelle nous avons reçu la vie et l’éducation. C’est pourquoi, après Dieu, l’homme est surtout redevable à ses père et mère et à sa patrie. En conséquence, de même qu’il appartient à la religion de rendre un culte à Dieu, de même, à un degré inférieur, il appartient à la piété de rendre un culte aux parents et à la patrie. D’ailleurs, le culte des parents s’étend à tous ceux de la même ascendance, comme le montre Aristote. Or, dans le culte de la patrie est compris le culte de tous les concitoyens et de tous les amis de la patrie. C’est pourquoi la piété s’étend à ceux-là par priorité.

Solutions :

1. Le plus comprend le moins. C’est pourquoi le culte dû à Dieu comprend en lui-même, comme l’un de ses éléments, le culte dû aux parents. D’où cette parole en Malachie (1, 6) : “ Si je suis Père, où donc est l’honneur qui m’est dû ? ” Sous ce rapport, la piété peut aussi se référer au culte divin.

2. Comme dit S. Augustin : “ Le mot piété est encore employé par le peuple pour désigner les œuvres de miséricorde ; ce sens vient, je pense, de ce que Dieu recommande particulièrement de telles œuvres, déclarant qu’elles lui sont autant et plus agréables que les sacrifices. ” C’est en ce sens qu’on l’applique à Dieu même en l’appelant pieux.

3. Les relations de consanguinité et de concitoyenneté touchent aux principes de notre être de plus près que celles d’amitié ; la piété s’étend donc davantage à elles.

 

 

            Article 2 — Quels services la piété rend-elle ?

Objections :

1. Il semble que la piété n’ait pas pour objet d’apporter un soutien à nos parents. Elle semble en effet concernée par le précepte du décalogue : “ Honore ton père et ta mère. ” Mais il ne prescrit que de leur montrer de l’honneur. Donc il ne revient pas à la piété de nous faire soutenir nos parents.

2. On doit thésauriser pour ceux qu’on est obligé de soutenir. Mais l’Apôtre dit (2 Co 13, 14) : “ Ce ne sont pas les enfants qui doivent thésauriser pour les parents. ” Donc la piété ne les oblige pas à soutenir ceux-ci.

3. Comme nous l’avons dit à l’article précédent, la piété ne s’étend pas seulement aux parents, mais aussi aux autres consanguins et concitoyens. Pourtant on n’est pas obligé de soutenir tous ses consanguins et concitoyens. Ni non plus, donc, ses parents.

En sens contraire, le Seigneur reproche aux pharisiens d’empêcher les enfants d’assister leurs parents (Mt 15, 3).

Réponse :

On doit quelque chose aux parents et aux concitoyens de deux façons : par essence ou par accident. Par essence on leur doit ce qui convient au père en tant que tel. Puisqu’il est un supérieur comme étant le principe du fils, celui-ci lui doit respect et service. Par accident, on doit au père ce qui lui convient selon une circonstance accidentelle ; par exemple, s’il est malade on doit le visiter et lui procurer des soins ; s’il est pauvre on doit le soutenir, et ainsi de tout ce qui est englobé dans le service qu’on lui doit. C’est pourquoi Cicéron dit que la piété comporte devoir et culte : le devoir se rapporte au service, le culte au respect ou à l’honneur rendu, parce que, selon S. Augustin, “ on dit que nous avons un culte pour les personnes à qui nous accordons fréquemment honneur, souvenir ou présence ”.

Solutions :

1. L’honneur envers les parents signifie aussi bien l’assistance qui leur est due, selon l’interprétation donnée par le Seigneur lui-même (Mt 15, 3). Et cela, parce que assister un père, c’est lui payer une dette comme à quelqu’un de supérieur.

2. Le père, ayant le caractère de principe vis-à-vis de l’enfant qui procède de lui, doit donc, par le fait même qu’il est père, subvenir aux besoins de son enfant, et non pas seulement pour une heure, mais pour toute sa vie, ce qui implique thésauriser. L’assistance donnée au père par le fils est accidentelle : elle résulte de quelque nécessité actuelle qui lui impose de secourir dans le présent, sans toutefois thésauriser pour l’avenir, car il est naturel que les enfants succèdent aux parents et non pas les parents aux enfants.

3. Comme le dit Cicéron le culte et le devoir sont dus à tous ceux qui nous sont “ unis par le sang ou l’amour de la patrie ”, non pas à tous également, mais surtout à nos parents, et aux autres dans la mesure de nos ressources et de leur situation sociale.

 

 

            Article 3 — La piété est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Non, car le service et le culte procèdent de l’amour. Or cela ressortit à la piété. Donc celle-ci n’est pas une vertu distincte de la charité.

2. Rendre un culte à Dieu est le propre de la religion. Mais la piété aussi rend un culte à Dieu, dit S. Augustin. Donc la piété ne se distingue pas de la religion.

3. La piété qui honore et sert la patrie semble s’identifier à la justice légale, qui vise le bien commun. Mais la justice légale est une vertu générale, comme le montre Aristote. Donc la piété n’est pas une vertu spéciale.

En sens contraire, Cicéron fait de la piété une partie de la justice.

Réponse :

Ce qui spécialise une vertu, c’est qu’elle vise son objet sous un point de vue spécial. Il revient à la raison de justice de payer une dette à autrui ; payer une dette spéciale à une personne déterminée sera donc l’objet d’une vertu spéciale. Or, l’homme est débiteur à un titre particulier envers ce qui est par rapport à lui principe connaturel d’être et de gouvernement. C’est ce principe que considère la piété, en tant qu’elle rend un culte et des devoirs aux parents et à la patrie, et à ceux qui leur sont ordonnés. Elle est donc une vertu spéciale.

Solutions :

1. De même que la religion est une protestation de la foi, de l’espérance et de la charité, par lesquelles l’homme s’ordonne à Dieu de façon primordiale, de même la piété est une protestation de l’amour qu’on a envers ses parents et sa patrie.

2. Dieu est principe d’être et de gouvernement d’une manière bien plus excellente que le père ou la patrie. La religion qui rend un culte à Dieu est donc une vertu différente de la piété qui rend un culte aux parents et à la patrie. Mais les perfections des créatures sont attribuées à Dieu par mode de superexcellence et de causalité selon Denys. C’est ainsi que, par excellence, la piété désigne le culte de Dieu, de même que Dieu est appelé par excellence notre Père.

3. La piété s’étend à la patrie en tant que celle-ci est pour nous un certain principe de notre être ; tandis que la justice légale envisage le bien de la patrie sous le point de vue du bien commun. C’est pourquoi la justice légale est, plus que la piété, une vertu générale.

 

 

            Article 4 — Peut-on, sous couvert de religion, omettre les devoirs de la piété filiale ?

Objections :

1. Il semble bien que pour un motif religieux on puisse omettre les devoirs de la piété filiale. Le Seigneur dit en effet (Lc 14, 26) : “ Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, son épouse et ses enfants, ses frères et sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. ” On dit à la louange de Jacques et Jean (Mt 4, 22) : “ Abandonnant leurs filets et leur père, ils suivirent le Christ. ” Et l’on dit à la louange des Lévites (Dt 33, 9) : “ Celui qui a dit à son père et à sa mère : "je ne vous connais pas", et de ses frères : "je les ignore", et ils ont ignoré leurs fils : ceux-là ont gardé la parole. ” Mais si l’on ignore ses parents et les autres consanguins, ou même si on les hait, on omet nécessairement les devoirs de la piété envers eux. Donc on doit omettre les devoirs de la piété pour cause de religion.

2. A celui qui disait (Mt 8, 21 ; Lc 9, 59) “ Permets-moi d’aller d’abord ensevelir mon père ”, le Seigneur répondit : “ Laisse les morts ensevelir leurs morts. Mais toi, va-t’en annoncer le royaume de Dieu ”, ce qui ressortit à la religion. Mais enterrer son père ressortit au devoir de la piété. Donc il faut omettre un devoir de piété par motif religieux.

3. Dieu est appelé par excellence “ notre Père ”. Mais de même que nous honorons un parent par les services de la piété, nous honorons Dieu par la religion. Donc on doit omettre les services de la piété filiale en vue du culte de religion.

4. Les religieux sont tenus, par un vœu qu’il n’est pas permis de transgresser, à pratiquer des observances. Celles-ci les empêchent de subvenir aux besoins de leurs parents, soit par la pauvreté qui leur enlève tout bien propre, soit par l’obéissance parce qu’ils ne peuvent sortir du cloître sans la permission de leurs supérieurs. Donc les devoirs de la piété filiale doivent être négligés par religion.

En sens contraire, le Seigneur (Mt 15, 3) blâme les pharisiens qui, pour un motif religieux, enseignaient à refuser l’honneur dû aux parents.

Réponse :

La religion et la piété sont toutes les deux des vertus. Or aucune vertu n’est contraire ou opposée à une autre car, selon Aristote le bien n’est pas contraire au bien. Il est donc impossible que la religion et la piété se fassent mutuellement obstacle de telle sorte que les actes de l’une empêchent les actes de l’autre. En effet, tout acte vertueux, nous l’avons montré, est limité par les circonstances qui s’imposent ; si on les dépasse, ce ne sera plus un acte vertueux, mais un acte vicieux. Il appartient donc à la piété filiale de rendre à ses parents service et honneur dans la mesure qui s’impose. Or, ce n’est pas observer cette mesure que de tendre à honorer son père plus que Dieu. Mais, dit S. Ambroise (sur Lc 12, 52), la piété religieuse passe avant les liens de parenté. Donc, si le culte des parents nous éloignait du culte de Dieu, ce ne serait plus de la piété envers les parents que de s’opposer au culte envers Dieu. Aussi S. Jérôme écrit-il dans sa lettre à Héliodore : “ Avance, et foule aux pieds ton père, avance, et foule aux pieds ta mère, vole vers l’étendard de la croix. C’est ici une forme suprême de piété que d’être cruel. ” C’est pourquoi, en ce cas, il faut faire passer la religion envers Dieu avant les devoirs envers les parents. Mais si ces devoirs ne nous détournent pas du culte dû à Dieu, ce sont dès lors des actes de piété filiale, qu’il ne faut pas négliger sous prétexte de religion.

Solutions :

1. S. Grégoire interprète cette parole du Seigneur en ce sens que “ nous devons haïr et fuir nos parents s’ils s’opposent à nous dans la voie qui mène à Dieu ”. En effet, si nos parents nous provoquent au péché et nous détournent de la religion, nous devons, à ce point de vue, les abandonner et les haïr. C’est dans ce même sens que s’explique l’attitude des Lévites qui, sur l’ordre de Dieu, n’épargnèrent pas leurs parents coupables d’idolâtrie (Ex 32, 26). Jacques et Jean sont loués d’avoir laissé leur père pour suivre jésus, non parce que ce père les provoquait au mal, mais parce qu’ils estimaient que celui-ci pouvait vivre autrement, s’ils suivaient le Christ.

2. S. Chrysostome explique ainsi la défense faite par le Seigneur au disciple d’aller ensevelir son père : “ Par là il lui épargna bien des maux ; les larmes les chagrins et toutes les émotions pénibles auxquelles on peut s’attendre. Après les funérailles, c’eût été la lecture du testament, le partage des biens, et le reste. Et surtout, il y avait d’autre personnes qui pouvaient rendre au défunt les derniers devoirs. ”

S. Cyrille donne cette autre interprétation “ Ce disciple ne demanda pas d’aller ensevelir son père qui venait de mourir, mais il voulait l’assister dans sa vieillesse jusqu’au moment de l’ensevelir. Ce que le Seigneur n’a pas accordé parce qu’il y avait d’autres parents qui pouvaient prendre ce soin. ”

3. Les devoirs que nous rendons par piété à nos parents selon la chair, nous les rapportons à Dieu, de même que les autres œuvres de miséricorde que nous pratiquons envers tous nos proches, selon la parole (Mt 25, 40) : “ Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. ” C’est pourquoi, si nos services envers nos parents selon la chair sont absolument nécessaires pour les assister, nous ne devons pas, sous couvert de religion, les abandonner. Mais, s’il nous est impossible de vaquer à leur service sans commettre de péché, ou encore s’ils peuvent être assistés sans notre secours, il est permis d’omettre ces services pour vaquer plus généreusement à la religion.

4. On doit parler différemment de celui qui est encore établi dans le monde et de celui qui a déjà fait profession religieuse. Car celui qui est établi dans le monde, s’il a des parents qui ne peuvent subsister sans lui, ne doit pas les abandonner pour entrer en religion, parce qu’il transgresserait le précepte d’honorer ses père et mère. Certains disent pourtant que même en ce cas il pourrait licitement les abandonner en confiant leur soin à Dieu. Mais si l’on envisage correctement les choses, ce serait tenter Dieu, puisque, sachant par la sagesse humaine ce que l’on doit faire, on mettrait en danger ses parents en espérant que Dieu les secourra.

Mais s’ils pouvaient vivre sans l’aide de leur fils, celui-ci pourrait licitement entrer en religion en abandonnant ses parents. Parce que les enfants ne sont pas tenus de soutenir leurs parents, sauf pour motif de nécessité, nous l’avons dit.

Quant à celui qui a fait profession, il est regardé dès lors comme mort au monde. Il ne doit donc pas, même pour assister ses parents, quitter le cloître où il est enseveli avec le Christ, et s’engager de nouveau dans les affaires du siècle. Il est tenu cependant, sans manquer à l’obéissance envers son supérieur et à son état religieux, de s’efforcer avec piété d’aider ses parents.

 

 

 

QUESTION 102 — LE RESPECT

Il faut étudier maintenant le respect et ses espèces par, où l’on connaîtra les vices opposés. 1. Le respect est-il une vertu spéciale, distincte des autres ? - 2. En quoi consiste-t-il - 3. Comparaison du respect avec la piété.

 

 

            Article 1 — Le respect est-il une vertu spéciale, distincte des autres ?

Objections :

1. Il semble que non, car les vertus se distinguent selon leurs objets. Mais l’objet du respect ne se distingue pas de celui de la piété. Car, nous dit Cicéron, “ le respect consiste dans le culte et l’honneur qu’on témoigne aux hommes supérieurs en dignité ”. Or la piété honore les parents, qui sont supérieurs en dignité. Donc le respect n’est pas une vertu distincte de la piété.

2. On doit honneur et culte aux hommes constitués en dignité, et de même à ceux qui sont éminents par la science et la vertu. Cependant aucune vertu spéciale n’a ces derniers pour objet. Donc aussi le respect, par quoi nous honorons ceux qui nous surpassent en dignité, n’est pas une vertu spéciale.

3. nous avons bien des dettes envers les personnes constituées en dignité, que la loi nous contraint d’acquitter, selon S. Paul (Rm 13, 7) : “ Rendez à tous ce qui leur est dû ; à qui le tribut, le tribut, etc. ” Mais les actes auxquels la loi nous oblige regardent la justice légale, ou même la justice spéciale. Donc le respect n’est pas par soi une vertu spéciale distincte des autres.

En sens contraire, Cicéron classe le respect parmi les autres parties de la justice, qui sont des vertus spéciales.

Réponse :

Comme il a été dit plus haut, il est nécessaire de distinguer plusieurs vertus subordonnées, correspondant aux divers degrés d’excellence des personnes dont nous sommes les débiteurs. Or, de même que le père selon la chair possède d’une manière particulière le caractère de principe, possédé par Dieu d’une manière universelle ; de même celui qui à un point de vue déterminé se fait notre providence participe de la paternité, puisque le père est le principe tout à la fois de la génération, de l’éducation, de l’instruction et de tout ce qui concourt à la vie humaine parfaite. Or, une personne constituée en dignité se comporte opérations militaires, le pédagogue dans l’enseignement, et pareillement les autres. De là vient que de tels personnages sont appelés “ pères ” par analogie de fonction. Les serviteurs de Naaman lui disaient : “ Père, si le prophète t’avait demandé quelque chose de difficile, etc. ” (2 R 6, 13).

C’est pourquoi, de même qu’au-dessous de la religion qui rend un culte à Dieu se trouve, dans un certain ordre, la piété par laquelle on honore les parents, de même au-dessous de la piété on trouve le respect par lequel on honore les . Il appartient à la justice de rendre ce qu’on doit. Aussi cela appartient-il au respect, partie de la justice. Or nous ne devons pas culte et honore à tous ceux qui sont constitués en dignité

Solutions :

1. Comme nous l’avons dit. on donne à la religion le nom de piété dans un sens suréminent, ce qui n’empêche pas la piété proprement dite de se distinguer de la religion ; de même, et dans le même sens, la piété peut s’appeler respect, sans que pour autant le respect proprement dit se confonde avec elle.

2. La dignité dont il est ici question ne suppose pas seulement chez celui qui en est revêtu un certain état d’excellence, mais un certain pouvoir de gouverner des sujets. Il est donc principe par le fait même qu’il gouverne les autres. Tandis qu’un haut degré de science et de vertu n’établit pas son possesseur dans une relation de causalité par rapport à autrui, mais contribue seulement à son excellence personnelle. C’est pourquoi une vertu spéciale a pour fonction d’honorer ceux qui sont constitués en dignité. - Cependant, comme la science, la vertu et les autres qualités sont autant d’aptitudes à l’état de dignité, l’estime témoignée à ceux qui les possèdent se rattache au respect.

3. La justice spéciale proprement dite consiste à payer intégralement une dette. Mais il est impossible de réaliser cette intégralité envers les hommes vertueux et ceux qui font bon usage de leur dignité, comme d’ailleurs, et plus encore, envers Dieu et nos parents. Le paiement imparfait de cette dette appartient donc à une vertu annexe, non à la justice spéciale, qui est une vertu principale. Quant à la justice légale, elle s’étend aux actes de toutes les vertus, nous l’avons dit plus haut.

 

 

            Article 2 — En quoi le respect consiste-t-il ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’il revienne au respect de rendre culte et honneur à ceux qui sont constitués en dignité. Car S. Augustin nous dit que rendre un culte à certaines personnes, c’est les honorer. Cette définition est donc inacceptable.

2. Il appartient à la justice de rendre ce qu’on doit. Aussi cela appartient-il au respect, partie de la justice. Or nous ne devons pas culte et honneur à tous ceux qui sont constitués en dignité, mais seulement à ceux qui ont autorité sur nous. Il est donc faux de déterminer que nous devons donner à tous honneur et culte.

3. A nos supérieurs constitués en dignité nous ne devons pas seulement honneur et culte, mais aussi de la crainte et une contribution financière (Rm 13, 7) : “ Rendez à chacun ce qui lui est dû : à qui l’impôt, l’impôt ; à qui les taxes, les taxes ; à qui la crainte, la crainte ; à qui l’honneur, l’honneur. ” Nous leur devons aussi déférence et soumission (He 13, 7) : “ Obéissez à vos supérieurs, et soyez-leur soumis. ” Il est donc insuffisant de déterminer que le respect rend culte et honneur.

En sens contraire, Cicéron dit : “ Le respect consiste à attribuer culte et honneur aux hommes qui nous précèdent en dignité. ”

Réponse :

Il appartient à ceux qui sont constitués en dignité de gouverner leurs sujets. Gouverner c’est pousser certains hommes vers la fin requise : ainsi le pilote gouverne le navire en le conduisant au port. Or celui qui meut un autre homme a sur celui-ci supériorité et puissance. Aussi faut-il que chez l’homme constitué en dignité on considère d’abord sa position supérieure, avec la puissance sur ses sujets que cela entraîne ; en second lieu la fonction de gouverner. En raison de sa supériorité on lui doit l’honneur, qui consiste à reconnaître la supériorité de quelqu’un. En raison de sa fonction de gouvernement on lui doit le culte, qui consiste en une certaine déférence, en ce qu’on lui obéit, et en ce qu’on répond à ses bienfaits selon qu’on le peut.

Solutions :

1. Par culte, on n’entend pas seulement l’honneur, mais encore tout l’ensemble des actes qui conviennent aux inférieurs vis-à-vis de leurs supérieurs.

2. Comme on l’a dit plus haut, il faut distinguer deux espèces de dette. L’une est légale, car la loi oblige à s’en acquitter. C’est de cette façon que l’homme doit rendre un culte et des honneurs aux personnes constituées en dignité et qui ont autorité sur lui. - L’autre est qualifiée de morale, car c’est être honnête homme que de la payer. Ainsi devons-nous culte et honneur à ceux qui sont constitués en dignité, même s’ils ne sont pas nos supérieurs.

3. L’honneur est dû aux personnes constituées en dignité en raison de l’excellence qu’elles possèdent et qui les place à un rang plus élevé ; la crainte, à cause de leur pouvoir cœrcitif. Au gouvernement qu’elles exercent est due l’obéissance qui exécute le mouvement commandé par elles ; et les tributs sont comme la rémunération de leurs travaux.

 

 

            Article 3 — Comparaison du respect avec la piété ?

Objections :

1. Il semble que le respect soit une vertu supérieure à la piété. En effet, le prince, auquel le respect rend un culte, se compare au père, auquel la piété rend un culte, comme le gouverneur universel se compare au particulier, car la famille, que le père gouverne, est une partie de la cité, que gouverne le prince. Or la puissance universelle est supérieure, et les inférieurs lui sont davantage soumis. Donc le respect est une vertu qui l’emporte sur la piété.

2. Ceux qui sont constitués en dignité gèrent l’administration du bien commun. Or les consanguins relèvent du bien privé qu’il faut mettre au-dessous du bien commun, d’où la gloire de ceux qui s’exposent à des périls mortels pour le bien commun. Donc le respect, par lequel on rend un culte à ceux qui sont constitués en dignité, est une vertu supérieure à la piété, qui rend un culte à ceux qui nous sont unis par le sang.

3. Après Dieu, c’est surtout aux hommes vertueux que l’on doit honneur et révérence. Mais on rend honneur et révérence par la vertu de respect, nous l’avons dit. Donc le respect est premier, après la religion.

En sens contraire, les préceptes de la loi ont pour objet les actes des vertus. Or, immédiatement après les préceptes qui concernent la religion et appartiennent à la première table, vient le précepte d’honorer ses père et mère, qui se rattache à la piété. Donc celle-ci vient immédiatement après la religion, en ordre de dignité.

Réponse :

On peut honorer les personnes constituées en dignité à deux titres : 1° à l’égard du bien commun, par exemple lorsqu’elles le servent en gérant les affaires de l’État. Cela ne relève plus du respect, mais de la piété qui rend un culte non seulement au père, mais à la patrie ; 2° en s’adonnant spécialement à leur intérêt et à leur gloire personnels. Et cela relève proprement du respect en tant qu’il se distingue de la piété filiale.

C’est pourquoi, pour comparer le respect et la piété, il est nécessaire de considérer les divers rapports qu’ont avec nous les diverses personnes que visent ces deux vertus. Or, il est évident que les personnes de nos parents et de ceux qui nous sont unis par le sang nous sont unies plus profondément que les personnes constituées en dignité ; en effet la génération et l’éducation, dont notre père est le principe, nous concernent plus profondément que le gouvernement extérieur qui a pour principe des hommes établis en dignité. A cet égard, la piété l’emporte sur le respect, parce qu’elle rend un culte à des personnes qui nous touchent de plus près et envers qui nous avons plus d’obligation.

Solutions :

1. Si le prince se compare au père comme la puissance universelle à la puissance particulière, c’est quant au gouvernement extérieur, mais non quant au fait que le père est principe de la génération. Car à ce point de vue, il se compare à la puissance divine, la cause de tout ce qui existe.

2. Du côté où les personnes constituées en dignité sont ordonnées au bien commun, le culte qu’on leur rend ne se rattache pas au respect, mais à la piété, nous venons de le dire dans la Réponse.

3. Le culte et l’honneur rendus ne doivent pas seulement se proportionner à la personne qui en est l’objet considérée en elle-même, mais aussi dans un rapport avec celui qui les rend. Donc, bien que les hommes vertueux, considérés en eux-mêmes, soient plus dignes d’honneur que les personnes des pères, cependant les fils, à cause des bienfaits reçus et de l’union qui vient de la nature, sont davantage obligés à rendre culte et honneur à leurs parents qu’à des hommes vertueux qui leur sont étrangers.

Il faut étudier maintenant les deux vertus subordonnées au respect : 1° la dulie, qui rend honneur aux supérieurs avec tout ce que cela comporte (Q. 103) ; l’obéissance qui exécute leurs ordres (Q. 104).

 

 

QUESTION 103 — LA DULIE

1. L’honneur est-il quelque chose de spirituel ou de corporel ? - 2. Est-il dû aux seuls supérieurs ? - 3. La vertu de dulie est-elle une vertu spéciale, distincte de celle de latrie ? - 4. Y distingue-t-on plusieurs espèces ?

 

 

            Article 1 — L’honneur est-il quelque chose de spirituel ou de corporel ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne comporte rien de corporel, car il est un témoignage de révérence rendu à la vertu, comme on peut le déduire d’Aristote. Mais révérer est quelque chose de spirituel, car c’est un acte de la crainte, on l’a établi antérieurement b. Donc l’honneur est quelque chose de spirituel.

2. Selon Aristote “ l’honneur est la récompense de la vertu ”. Or la vertu qui est spirituelle dans son principe ne peut avoir pour récompense quelque chose de corporel, puisque la vertu est supérieure au mérite. Donc l’honneur ne consiste pas en manifestations corporelles.

3. L’honneur se distingue de la louange et même de la gloire. Mais celles-ci consistent en manifestations extérieures. Donc l’honneur consiste en des réalités intérieures et spirituelles.

En sens contraire, commentant ce texte de S. Paul (1 Tm 5, 17) : “ Les anciens qui gouvernent bien sont dignes d’être doublement honorés, etc. ” S. Jérôme écrit : “ L’honneur est pris dans ce passage comme synonyme d’aumône ou de salaire ”, deux choses qui ne sont pas purement spirituelles.

Réponse :

L’honneur est un témoignage rendu à l’excellence de quelqu’un ; c’est bien là ce que recherchent ceux qui veulent être honorés, comme Aristote l’a montré. Or, ce témoignage peut être rendu devant Dieu ou devant les hommes. Dans le premier cas, puisque Dieu “ voit le fond des cœurs ”, le témoignage de la conscience suffit. C’est pourquoi l’honneur rendu à Dieu peut consister seulement en un mouvement du cœur, par exemple la pensée de l’excellence souveraine de Dieu, ou même celle d’un autre homme, que nous faisons monter vers Dieu. - Dans le second cas, le témoignage adressé aux hommes ne saurait se passer de signes extérieurs qui peuvent être soit des paroles élogieuses ; soit des gestes, inclinations, prévenances, offrande de cadeaux et de présents, érection de statues et autres manifestations du même genre. Ainsi considéré, l’honneur comporte des signes extérieurs et corporels.

Solutions :

1. Révérer n’est pas la même chose qu’honorer ; d’une part c’en est le principe déterminant : on honore quelqu’un parce qu’on le révère ; d’autre part, c’en est le but : on honore quelqu’un afin que les autres le révèrent.

2. Aristote a dit que l’honneur n’est pas la récompense suffisante de la vertu ; néanmoins, c’est ce que les choses humaines et matérielles peuvent offrir de meilleur ; leur témoignage corporel rendu à une vertu éminente. Le bien et le beau doivent resplendir : “ On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison ” (Mt 5, 15). C’est en ce sens que l’honneur est dit récompenser la vertu.

3. Il y a deux différences entre la louange et l’honneur. La première, c’est que la louange est seulement verbale, tandis que l’honneur se sert de signes extérieurs. En ce sens la louange est englobée dans l’honneur. La seconde, c’est que l’honneur rendu à quelqu’un atteste d’une manière absolue le bien qui est en lui ; la louange, au contraire, a pour objet un bien ordonné à une fin, par exemple l’habileté de celui qui agit bien en vue de cette fin. C’est encore ainsi que l’honneur s’attache aux choses meilleures, qui ne sont pas seulement des moyens, mais des fins en soi, comme le montre Aristote.

Quant à la gloire, elle résulte de l’honneur et de la louange. Ce double témoignage rendu à l’excellence fait briller celle-ci à tous les yeux. Et c’est bien le sens du mot gloire, qui semble apparenté au mot clarté (gloria - claria). S. Augustin la définit “ une notoriété brillante accompagnée de louange ”.

 

 

            Article 2 — L’honneur est-il dû seulement aux supérieurs ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Car l’ange est supérieur à tout homme de ce monde, selon cette parole (Mt 11, 11) : “ Le plus petit dans le Royaume des cieux est supérieur à Jean-Baptiste. ” Mais l’ange a refusé l’honneur que voulait lui rendre S. Jean (Ap 22, 8.9). Donc l’honneur n’est pas dû aux supérieurs.

2. On doit rendre honneur à quelqu’un, a-t-on dit h, pour témoigner de sa vertu. Mais il arrive parfois que les supérieurs ne sont pas vertueux ; on ne doit donc pas leur rendre honneur. De même aux démons qui nous sont supérieurs par leur nature.

3. L’Apôtre dit (Rm 12, 10) : “ Rivalisez d’honneurs les uns pour les autres ”, et S. Pierre (1 P 2, 17) : “ Honorez tous les hommes. ” Donc l’honneur n’est pas dû proprement aux supérieurs.

4. Il est dit de Tobie (1, 16 Vg) que celui-ci “ avait été honoré par le roi d’un don de dix talents ”, et dans Esther (6, 11) qu’Assuérus honora Mardochée en faisant crier devant lui : “ Voyez comment l’on traite l’homme que le roi veut honorer ! ”

En sens contraire, Aristote déclarer que “ l’honneur est dû aux meilleurs ”.

Réponse :

L’honneur, nous l’avons dit à l’article précédent, n’est pas autre chose qu’un témoignage d’excellence. Toutefois, celle-ci peut être considérée non seulement par rapport à celui qui honore, comme si celui qui est honoré devait toujours lui être supérieur ; mais encore en elle-même, ou par comparaison avec d’autres personnes. En ce sens, l’honneur est toujours dû à une certaine excellence ou supériorité. En effet, il n’est pas nécessaire que celui qui est honoré soit supérieur en tout à celui qui l’honore ; il suffit qu’il le soit sous un certain rapport, ou même simplement qu’il soit supérieur à d’autres personnes, et non de façon absolue.

Solutions :

1. L’ange défendit à Jean non de lui rendre aucun honneur, mais l’honneur de latrie qui est réservé à Dieu. Ou même, l’honneur de dulie, par lequel le Christ rendait Jean égal aux anges, selon “ l’espérance de la gloire des fils de Dieu ” (Rm 5, 2). C’est pourquoi l’ange ne voulait pas être adoré par lui comme étant son supérieur.

2. Si les supérieurs sont mauvais, ils ne sont pas honorés à cause de l’éminence de leur vertu personnelle mais à cause de l’éminence de leur dignité, qui les rend ministres de Dieu. En outre on honore en eux la communauté tout entière, dont ils sont les chefs. Quant aux démons, ils sont irrévocablement mauvais ; plutôt que de les honorer, on doit les tenir pour des ennemis.

3. Chacun peut trouver chez les autres de quoi les regarder comme supérieurs à soi-même, selon cette recommandation de S. Paul (Ph 2, 3) : “ Que chacun, en toute humilité, regarde les autres comme supérieurs à soi. ” C’est pour cette raison que tous doivent rivaliser d’honneur les uns envers les autres.

4. Les rois honorent parfois leurs sujets, non point parce que ceux-ci leur sont supérieurs en dignité, mais parce qu’ils possèdent quelque vertu éminente. C’est ainsi que Tobie et Mardochée furent honorés par des rois.

 

 

            Article 3 — La vertu de dulie est-elle une vertu spéciale, distincte de celle de latrie ?

Objections :

1. Il semble que non. Car sur le Psaume (7, 1) : “ Seigneur mon Dieu, j’espère en toi ”, la Glose dit : “ Seigneur de tous par la puissance, à qui l’on doit la dulie, Dieu par la création, à qui l’on doit le culte de latrie. ” Mais il n’y a pas deux vertus distinctes, l’une adressée à Dieu en tant que Seigneur, et l’autre en tant que Dieu. Donc la dulie n’est pas une vertu distincte de celle de latrie.

2. Selon Aristote “ être aimé est semblable à être honoré ”. Mais il n’y a qu’une seule vertu de charité, par laquelle on aime et le prochain et Dieu. Donc la dulie, qui nous fait honorer le prochain, n’est pas une vertu différente de celle de latrie, qui nous fait honorer Dieu.

3. C’est d’un seul et même mouvement qu’on se porte vers une image et vers la réalité qu’elle représente. Mais la vertu de dulie honore dans l’homme l’image de Dieu, comme il est dit au sujet des impies dans le livre de la Sagesse (2, 22.23) : “ Ils n’ont pas cru à l’honneur réservé aux âmes saintes. Car Dieu a créé l’homme pour l’immortalité et il l’a fait à l’image de sa propre nature. ” Donc la dulie n’est pas une autre vertu que celle de latrie par laquelle on honore Dieu.

En sens contraire, S. Augustin a écrit “ Autre est le service dû aux hommes, celui dont parlait l’Apôtre quand il recommandait aux serviteurs d’être soumis à leurs maîtres, et qu’en grec on appelle dulie ; autre celui qui fait partie du culte de Dieu et qu’on appelle latrie. ”

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, à une dette spéciale correspond une vertu qui est chargée de l’acquitter. Or, ce n’est pas pour la même raison que l’on est serviteur de Dieu et serviteur d’un homme, de même qu’être le maître convient pour des raisons différentes à Dieu et à l’homme. Car Dieu exerce un domaine plénier et premier sur toutes ses créatures, dont chacune est entièrement soumise à sa puissance ; l’autorité de l’homme ne participe de celle de Dieu que par une certaine ressemblance : sa puissance est particulière et ne s’exerce que sur quelque créature humaine ou inférieure. Il en résulte que la vertu de dulie, par laquelle les serviteurs remplissent leurs devoirs envers leurs maîtres humains, se distingue de la vertu de latrie par laquelle l’homme agit de même envers son Maître divin. La dulie est une espèce du respect. Celui-ci, en effet, nous porte à honorer toutes les personnes éminentes ; la dulie, au sens propre du mot qui signifie “ servitude ” porte les serviteurs à honorer leurs maîtres.

Solutions :

1. De même que la religion est piété par excellence, comme Dieu est Père par excellence, de même la vertu de latrie est dulie par excellence, comme Dieu est le Maître souverain. Aucune créature ne participe de la puissance créatrice, qui est la raison du culte de latrie rendu à Dieu. La Glose a donc distingué ce culte, qu’elle attribue à Dieu en raison de son action créatrice qu’il ne communique pas à la créature, et le culte de dulie, qui lui convient en raison de son autorité, qu’il communique à la créature.

2. Le motif d’aimer le prochain, c’est Dieu, puisque c’est lui que la charité aime dans le prochain ; aussi est-ce par la même charité qu’on aime l’un et l’autre. Mais il y a d’autres motifs d’aimer qui donnent lieu à des amités qui ne sont pas la charité. De même ici ; puisque les motifs de servir Dieu et l’homme, comme de les honorer, sont distincts, les deux vertus de latrie et de dulie le sont donc aussi.

3. Le mouvement vers l’image comme telle aboutit à la réalité qu’elle représente ; mais tout mouvement n’a pas ce caractère relatif. C’est pourquoi le mouvement vers l’image et le mouvement vers la réalité sont parfois distincts. Il faut donc dire que l’honneur et la soumission inspirée par la vertu de dulie s’adresse de façon absolue à une certaine dignité humaine. Sans doute celui qui la possède est par là même image et ressemblance de Dieu, mais on ne pense pas toujours à faire remonter jusqu’à Dieu l’horreur que l’on rend à son image.

On pourrait dire encore que tout mouvement vers l’image se porte aussi, d’une certaine manière, vers la réalité qu’elle représente ; mais le mouvement qui se porte vers la réalité ne se porte pas forcément vers l’image. C’est pourquoi, si l’hommage rendu à un homme, image de Dieu, se réfère en quelque façon à Dieu, il y a un hommage rendu à Dieu qui en aucune façon ne saurait être adressé à son image.

 

 

            Article 4 — Distingue-t-on plusieurs espèces dans la dulie ?

Objections :

1. Il semble que la dulie ait plusieurs espèces. En effet la dulie nous fait honorer le prochain. Or nous honorons les divers prochains - comme le roi, le père et le maître - sous diverses raisons, comme le montre Aristote. Donc, puisque la diversité dans la raison d’objet diversifie les espèces de la vertu, il apparaît que la dulie se divise en vertus d’espèces différentes.

2. Le milieu diffère spécifiquement des extrêmes, comme le gris diffère du blanc et du noir. Or l’hyperdulie semble occuper le milieu entre latrie et dulie ; on la pratique en effet à l’égard de créatures qui ont un lien spécial avec Dieu, comme envers la Bienheureuse Vierge en tant qu’elle est la mère de Dieu. Donc il paraît qu’il y a des espèces différentes de dulie : la dulie ordinaire, et l’hyperdulie.

3. De même qu’on trouve l’image de Dieu dans la créature rationnelle, de même encore trouve-t-on dans la créature irrationnelle un vestige de Dieu, dont l’homme est l’image. Mais on trouve une raison différente de ressemblance dans ce qui est image et dans ce qui est vestige. Donc il faut encore envisager à ce titre diverses espèces de dulie, d’autant plus qu’on honore certaines créatures irrationnelles comme le bois de la sainte croix, et d’autres objets analogues.

En sens contraire, le culte de dulie s’oppose à celui de latrie. Or celui-ci n’a pas diverses espèces. Donc la dulie non plus.

Réponse :

On peut prendre la dulie en deux sens. D’abord en un sens général, selon qu’on montre de la déférence à tous ceux qui la justifient par une supériorité quelconque. Ainsi, elle englobe la piété, le respect et toutes les autres vertus qui témoignent de la déférence envers un homme. En ce sens elle comporte plusieurs parties spécifiques.

Mais on peut la prendre en un sens étroit, en tant que par elle le serviteur montre de la déférence envers son maître, car “ dulie ” signifie “ servitude ”, nous l’avons dit à l’article précédent. En ce sens, elle ne se divise pas en plusieurs espèces, mais elle est une des espèces du respect énumérées par Cicéron, parce que c’est sous des raisons différentes que le serviteur révère son patron, le soldat son chef, le disciple son mettre, etc.

Solutions :

1. Cet argument vaut pour la dulie au sens général.

2. L’hyperdulie est l’espèce majeure de la dulie pense au sens général. On doit en effet la plus grande déférence à l’homme en raison de sa proximité avec Dieu.

3. L’homme ne doit ni soumission ni honneur à la créature irrationnelle ; tout au contraire une telle créature est soumise à l’homme par sa nature. Si l’on honore la croix du Christ, c’est du même honneur dont on honore le Christ, comme la pourpre royale reçoit les mêmes honneurs que le roi, selon S. Jean Damascène.

 

 

QUESTION 104 — L’OBÉISSANCE

1. L’homme doit-il obéir à l’homme ? - 2. L’obéissance est-elle une vertu spéciale ? - 3. Sa comparaison avec les autres vertus. - 4. Doit-on obéir à Dieu en tout ? - 5. Les inférieurs doivent-ils obéir en tout à leurs supérieurs ? - 6. Les fidèles doivent-ils obéir aux puissances séculières ?

 

 

            Article 1 — L’homme doit-il obéir à l’homme ?

Objections :

1. Il semble qu’un homme ne soit pas tenu d’obéir à un autre. En effet, on ne doit rien faire contre l’institution divine. Mais celle-ci veut que l’homme soit dirigé par son propre conseil, selon l’Ecclésiastique (15, 14) : “ Dieu a créé l’homme au commencement et l’a laissé au pouvoir de son propre conseil. ”

2. Si l’un était tenu d’obéir à l’autre, il faudrait qu’il adopte la volonté de celui-ci comme règle de son action. Mais seule la volonté divine, qui est toujours droite, est la règle de l’action humaine. Donc l’homme n’est tenu d’obéir qu’à Dieu.

3. Plus les services sont gratuits, plus ils sont agréés. Or ce que l’homme fait obligatoirement n’est pas gratuit. Donc si l’homme était tenu obligatoirement d’obéir en accomplissant des œuvres bonnes, cette œuvre bonne deviendrait moins agréable pour avoir été faite par obéissance. Donc l’homme n’est pas tenu d’obéir à un autre homme.

En sens contraire, il est commandé dans la lettre aux Hébreux (13, 17) . “ Obéissez à vos supérieurs et soyez-leur soumis. ”

Réponse :

De même que les activités des réalités naturelles procèdent des pouvoirs naturels, de même les activités humaines procèdent de la volonté humaine. Or c’est une loi de la nature que les êtres supérieurs fassent agir les inférieurs par la supériorité de la vertu naturelle que Dieu leur a donnée. Aussi faut-il encore que chez les hommes les supérieurs actionnent les inférieurs par leur propre volonté, en vertu de l’autorité qui leur a été confiée dans le plan de Dieu. Or mouvoir par la raison et la volonté, c’est prescrire. C’est pourquoi, de même qu’en vertu de l’ordre naturel institué par Dieu, les êtres inférieurs sont nécessairement soumis à la motion que leur impriment les êtres supérieurs, de même chez les hommes, selon le plan du droit naturel et divin, les inférieurs sont tenus d’obéir à leurs supérieurs.

Solutions :

1. Si Dieu a laissé l’homme au pouvoir de son propre conseil, ce n’est pas pour lui permettre de faire ce qu’il veut. C’est parce qu’il n’est pas contraint à faire ce qu’il doit par une nécessité de nature, comme les créatures irrationnelles, mais Par un libre choix procédant de son conseil, selon ces paroles de S. Grégoire : “ Nous soumettre humblement à la voix d’un autre, c’est nous élever intérieurement au-dessus de nous-même. ”

2. La volonté divine est la règle première ; toutes les volontés raisonnables sont réglées par elle, mais de façon plus ou moins proche, selon l’ordre établi par Dieu. Ainsi, parmi les hommes, la volonté de celui qui commande peut être considérée comme la règle seconde de la volonté de celui qui obéit.

3. La gratuité peut s’estimer à deux points de vue : du côté de l’œuvre elle-même, parce que l’on n’y est pas obligé. Ou bien du côté de l’ouvrier, parce qu’il fait cela de sa libre volonté. Or ce qui rend honorable et méritoire une action vertueuse, c’est qu’elle soit volontaire. Donc, quand bien même obéir est un devoir, si la volonté s’y empresse, le mérite n’y perd rien, surtout devant Dieu qui voit non seulement l’action au-dehors, mais la volonté au-dedans.

 

 

            Article 2 — L’obéissance est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il semble que non, car la désobéissance s’oppose à elle. Or la désobéissance est un péché général, car S. Ambroise définit le péché “ une désobéissance à la loi divine ”. Donc l’obéissance est, elle aussi, non une vertu spéciale, mais une vertu générale.

2. Toute vertu spéciale est ou bien une vertu théologale, ou bien une vertu morale. Or l’obéissance n’est pas une vertu théologale parce qu’elle n’est incluse ni dans la foi, ni dans l’espérance, ni dans la charité. Elle n’est pas non plus une vertu morale, parce qu’elle ne tient pas le milieu entre un excès et un défaut, car plus on est obéissant plus on est digne de louange. Donc elle n’est pas une vertu spéciale.

3. S. Grégoire nous dit “ L’obéissance est d’autant plus méritoire et louable qu’il y entre moins de volonté propre. ” Or, toute vertu spéciale est d’autant plus louée qu’elle manifeste plus d’initiative, du fait que la vertu requiert volonté et choix, selon Aristote. Donc l’obéissance n’est pas une vertu spéciale.

4. Les vertus diffèrent d’espèce selon leurs objets. Or l’objet de l’obéissance paraît être le précepte du supérieur, qui se diversifie différemment selon les différents degrés de supériorité. Donc l’obéissance est une vertu générale incluant beaucoup de vertus spéciales.

En sens contraire, certains auteurs font de l’obéissance une partie de la justice, comme nous l’avons dit plus haut.

Réponse :

A toutes les œuvres bonnes qui ont une raison spéciale de bonté correspond une vertu spéciale, puisque le propre de la vertu c’est de “ rendre l’œuvre bonne ”. Or, l’obéissance à un supérieur est un devoir qui correspond à l’ordre établi par Dieu lui-même dans l’univers, nous l’avons montré à l’article précédent ; elle est donc un bien, puisque celui-ci consiste dans “ la mesure, l’espèce et l’ordre ”, dit S. Augustin. Or cet acte reçoit une raison spéciale de louange du fait de son objet spécial. En effet, puisque les inférieurs ont de multiples devoirs envers leurs supérieurs, dont l’un, tout spécialement, est de leur obéir, l’obéissance est donc aussi une vertu spéciale, ayant pour objet spécial le commandement exprès ou tacite. Car la volonté du supérieur, de quelque façon qu’elle se manifeste, est comme un précepte tacite ; et l’obéissance se montre d’autant plus empressée qu’elle devance l’expression du précepte, dès qu’elle a compris la volonté du supérieur.

Solutions :

1. Rien n’empêche que deux raisons spéciales appartenant à deux vertus spéciales, se rencontrent dans la même réalité ; par exemple, le soldat qui défend le camp royal fait à la fois œuvre de force en bravant la mort en vue du bien, et œuvre de justice en rendant à son maître le service qu’il lui doit. Ainsi donc, la raison de précepte que considère l’obéissance se rencontre dans les actes de toutes les vertus, non pas cependant dans tous les actes vertueux, puisque tous ne sont pas de précepte comme nous l’avons établi plus haut. De même, certaines choses tombent parfois sous le précepte, alors qu’elles n’appartiennent à aucune autre vertu, comme on le voit bien pour celles qui ne sont mauvaises que parce qu’elles sont défendues.

Ainsi donc, si l’on prend l’obéissance au sens strict, selon lequel elle regarde principalement dans l’acte à accomplir le caractère d’ordre à exécuter, elle est une vertu spéciale, et la désobéissance est un péché spécial. Ainsi comprise, l’obéissance doit avoir, en accomplissant un acte de justice ou de toute autre vertu, l’intention d’accomplir un ordre, comme la désobéissance de mépriser un ordre.

Si, au contraire, on prend l’obéissance au sens large, comme l’exécution de tout ce qui peut tomber sous le précepte, et la désobéissance comme son omission, sans tenir compte de l’intention, alors l’obéissance sera une vertu générale, et la désobéissance un péché général.

2. L’obéissance n’est pas une vertu théologale. En effet son objet essentiel n’est pas Dieu, mais le précepte du supérieur, exprès ou discernable : une simple parole du supérieur signifiant sa volonté, à laquelle l’obéissant se conforme spontanément, “ obéissant volontiers ” (Tt 3, 1). Mais c’est une vertu morale, puisqu’elle est une partie de la justice et qu’elle tient le milieu entre l’excès et le défaut.

L’excès ne se manifeste pas selon la quantité, mais selon d’autres circonstances : par exemple on obéit à quelqu’un ou dans des matières qui ne comportent pas d’obligation, comme nous l’avons dit précédemment, au sujet de la religions. On peut aussi comparer l’obéissance à la justice. Là, l’excès se trouve chez celui qui garde le bien d’autrui, le défaut chez celui à qui on ne paie pas ce qu’on doit, selon Aristote ; de même l’obéissance est un milieu entre l’excès de celui qui soustrait au supérieur ce qu’il lui doit comme obéissance (il excède en accomplissant sa volonté propre), et le défaut qui se trouve chez le supérieur à qui l’obéissance est refusée. Sous cet angle, l’obéissance ne sera pas le milieu entre deux maux, comme nous l’avons dit à propos de la justices.

3. L’obéissance, comme toute vertu, doit impliquer une volonté qui s’ordonne spontanément à son objet propre, mais non à ce qui en lui contrarie la volonté. L’objet propre de l’obéissance, c’est le précepte, lequel procède de la volonté d’un autre, qui commande. Mais si l’acte commandé est voulu pour lui-même, sans qu’on tienne compte du précepte, comme il arrive quand tout va bien, alors on tend à cet acte par volonté propre, et il ne semble pas qu’on l’accomplisse à cause du précepte. Au contraire, lorsque l’acte prescrit n’est aucunement voulu pour lui-même mais que, considéré en lui-même, il contrarie la volonté, comme il arrive dans les difficultés, alors il est absolument évident qu’un tel acte n’est accompli qu’en vue du précepte. Et c’est pourquoi S. Grégoire affirme : “ L’obéissance qui trouve son compte quand tout va bien, est nulle ou petite ”, parce que la volonté propre ne semble pas viser principalement l’accomplissement du précepte. “ Mais dans les contradictions ou les difficultés, l’obéissance domine ” parce que la volonté propre ne vise pas autre chose que l’accomplissement du précepte.

Mais cela doit se comprendre selon ce qui apparaît au-dehors. Selon le jugement de Dieu, qui scrute les cœurs, il peut arriver qu’une obéissance qui rencontre son intérêt n’en soit pas moins louable, si celui qui obéit par sa volonté propre n’en met pas moins toute sa générosité à accomplir le précepte.

4. La déférence vise directement la personne qui nous surpasse, c’est pourquoi elle a diverses espèces selon les diverses raisons de supériorité. Au contraire, l’obéissance envisage le précepte de cette personne supérieure, et c’est pourquoi elle n’a qu’une seule raison d’être. Mais parce que l’obéissance au précepte s’impose à cause de la déférence due à la personne, il en résulte que toute obéissance est d’une seule espèce, bien que procédant de motifs spécifiquement différents.

 

 

            Article 3 — Comparaison de l’obéissance avec les autres vertus

Objections :

1. Il apparaît que l’obéissance est la plus grande des vertus. Il est écrit en effet (1 S 15, 22) : “ L’obéissance vaut mieux que les sacrifices. ” Mais l’oblation de sacrifices ressortit à la religion, qui est la plus grande des vertus morales, comme on l’a montré.

2. S. Grégoire nous dit : “ L’obéissance est la seule vertu qui introduise dans l’âme les autres vertus, et ensuite les y garde. ” Or la cause est plus puissante que l’effet. Donc l’obéissance est la plus puissante des vertus.

3. S. Grégoire nous dit encore : “ Si l’obéissance ne nous fait jamais commettre le mal, elle nous oblige parfois à interrompre le bien que nous faisons. ” Mais on n’omet un bien qu’en vue d’un bien supérieur. Donc l’obéissance pour laquelle on omet le bien des autres vertus, est meilleure qu’elles.

En sens contraire, l’obéissance est louable parce quelle procède de la charité. Car S. Grégoire nous dit : “ On doit pratiquer l’obéissance non par crainte servile, mais par charité ; non par crainte du châtiment, mais par amour de la justice. ”

Réponse :

De même que le péché consiste en ce que l’homme, en méprisant Dieu, s’attache aux biens périssables, ainsi le mérite de l’acte vertueux consiste au contraire en ce que l’homme, en méprisant les biens créés, s’attache à Dieu. Or la fin est plus puissante que les moyens. Donc, si l’on méprise les biens créés pour s’attacher à Dieu, la vertu mérite plus d’éloges pour son attachement à Dieu que pour son mépris des biens terrestres. Et c’est pourquoi les vertus par lesquelles on s’attache à Dieu pour lui-même, qui sont les vertus théologales, l’emportent sur les vertus morales par lesquelles on méprise le terrestre pour s’attacher à Dieu.

Or, parmi les vertus morales, la plus importante est celle par laquelle on méprise un plus grand bien pour s’attacher à Dieu. Au plus bas degré se trouvent les biens extérieurs ; au milieu se trouvent les biens du corps ; au sommet les biens de l’âme, parmi lesquels le principal est la volonté, en tant que par celle-ci on use de tous les autres biens. C’est pourquoi, par elle-même, l’obéissance est la plus louable des vertus : pour Dieu elle méprise la volonté propre, alors que par les autres vertus morales on méprise certains autres biens en vue de Dieu. C’est pourquoi S. Grégoire écrit : “ Il est juste de préférer l’obéissance aux sacrifices, parce que ceux-ci immolent une chair étrangère, tandis que l’obéissance immole notre propre volonté. ”

C’est pourquoi aussi certaines autres activités sont méritoires devant Dieu parce qu’elles sont accomplies pour obéir à la volonté divine. Car si quelqu’un endurait le martyre, ou distribuait tous ses biens aux pauvres, - à moins qu’il n’ordonne ces œuvres à l’accomplissement de la volonté divine, ce qui concerne directement l’obéissance -, de telles œuvres ne pourraient être méritoires, tout comme si on les faisait sans la charité, qui ne peut exister sans l’obéissance. Il est écrit en effet (1 Jn 2, 4.5) : “ Celui qui prétend connaître Dieu et ne garde pas ses commandements est un menteur ; quant à celui qui observe ses paroles, l’amour de Dieu a vraiment trouvé en lui son accomplissement. ” Et cela parce que l’amitié procure aux amis identité des vouloir et des refuse.

Solutions :

1. L’obéissance procède de la déférence qui rend culte et honneur au supérieur. Et quant à cela, elle est subordonnée à des vertus diverses bien que, considérée en elle-même, en tant qu’elle s’attache à la raison de précepte, elle soit une seule vertu spéciale. Donc, en tant qu’elle procède de la déférence envers les supérieurs, elle est comme subordonnée au respect. En tant qu’elle procède de la déférence envers les parents, à la piété. En tant qu’elle procède de la déférence envers Dieu, à la religion, et elle ressortit à la dévotion, acte principal de la vertu de religion. Aussi, de ce point de vue, est-il plus louable d’obéir à Dieu que de lui offrir un sacrifice.

Et aussi parce que, selon S. Grégoire cité dans notre Réponse :

“ Les sacrifices immolent une chair étrangère tandis que l’obéissance immole notre propre volonté. ” En particulier, dans le cas dont parlait Samuel, il aurait mieux valu pour Saül obéir à Dieu que d’offrir en sacrifice, contre son ordre, les bêtes grasses des Amalécites.

2. Tous les actes des vertus relèvent de l’obéissance du fait qu’ils sont commandés. Donc, en tant que les actes des vertus agissent comme des causes ou des dispositions pour engendrer ou conserver celles-ci, on dit que l’obéissance les introduit et les garde toutes dans l’âme.

Mais il ne s’ensuit pas que l’obéissance soit absolument la première de toutes les vertus, pour deux raisons. 1° Parce que, bien qu’un acte de vertu tombe sous le précepte, on peut cependant l’accomplir sans prendre garde à cette raison de précepte. Par suite, s’il y a une vertu dont l’objet soit par nature antérieur au précepte, cette vertu est par nature antérieure à l’obéissance. C’est évident pour la foi : elle nous révèle la sublimité de l’autorité de Dieu, qui lui confère le pouvoir de commander.

2° L’infusion de la grâce et des vertus peut précéder, même dans le temps, tout acte vertueux. Ainsi, ni par nature ni dans le temps, l’obéissance ne précède toutes les autres vertus.

3. Il y a deux sortes de biens. D’abord un bien que l’homme est nécessairement tenu d’accomplir, comme aimer Dieu ou quelque chose de même genre. Un tel bien ne peut aucunement être omis par obéissance. Mais il y a une autre sorte de bien auquel l’homme n’est pas nécessairement tenu. Et celui-là, on doit parfois l’omettre par obéissance ; parce qu’on ne doit pas faire quelque chose de bien en commettant une faute. Cependant, dit S. Grégoire au même endroit". “ celui qui interdit à ses sujets d’accomplir un bien quelconque doit leur en permettre beaucoup d’autres, pour éviter que l’âme de son sujet ne se perde totalement, si elle était privée absolument de tout bien par cette interdiction ”. C’est ainsi que, par l’obéissance, d’autres biens peuvent compenser la perte d’un seul.

 

 

            Article 4 — Doit-on obéir à Dieu en tout ?

Objections :

1. Il semble que non, car il est écrit (Mt 9, 29.31) que le Seigneur donna cet ordre aux aveugles qu’il venait de guérir : “ Veillez à ce que personne ne le sache. Mais à peine sortis, ils parièrent de lui dans toute la région. ” Ce qu’on ne leur reprocha pas. Il paraît donc que nous ne sommes pas tenus d’obéir à Dieu en tout.

2. Nul n’est tenu d’agir contrairement à la vertu. Mais nous découvrons des ordres de Dieu contraires à la vertu. C’est ainsi qu’il commanda à Abraham de mettre à mort son fils innocent (Gn 22, 2), aux Juifs de dérober les biens des Egyptiens (Ex 11, 2) ce qui est contraire à la justice ; et au prophète Osée (1, 2) d’épouser une femme adultère, ce qui est contraire à la chasteté.

Donc il ne faut pas obéir à Dieu en tout.

3. Quiconque obéit à Dieu conforme sa volonté à la volonté divine, même quant à l’objet voulu. Or nous ne sommes pas tenus de conformer en tout notre volonté à la volonté divine quant à l’objet voulu. C’est ce qui a été établi précédemment. Donc on n’est pas tenu d’obéir à Dieu en tout.

En sens contraire, il est écrit dans l’Exode (24, 7) : “ Tout ce qu’a dit le Seigneur, nous le ferons et nous lui obéirons. ”

Réponse :

Nous l’avons dit à l’article 1 : Celui qui obéit est mû par le commandement de celui auquel il obéit, comme dans la nature un être est mû par les influences qui agissent sur lui. Or, Dieu est le moteur suprême non seulement de toutes choses selon la nature, mais encore de toutes les volontés, nous l’avons établi. De même donc que les premières sont soumises à la nature divine par une nécessité de nature, de même les secondes doivent obéir aux ordres divins par une nécessité de justice.

Solutions :

1. En disant aux aveugles de tenir secret le miracle, le Seigneur n’entendait pas leur imposer sa volonté, mais comme l’explique S. Grégoire “ donner un exemple aux serviteurs : les engager à tenir leurs vertus cachées, quoique, malgré eux, il puisse arriver qu’elles soient manifestées pour servir d’exemple au prochain ”.

2. Dieu ne va jamais contre la nature des choses puisque “ ce que Dieu fait en elles est leur nature même ”, dit le Glose ; mais il agit parfois contre le cours ordinaire de la nature. C’est ainsi que Dieu ne peut rien prescrire de contraire à la vertu, puisque la vertu et la rectitude de la volonté humaine consistent avant tout dans la conformité à la volonté de Dieu et l’obéissance à ses ordres, encore que ses ordres puissent contredire parfois la pratique ordinaire de telle ou telle vertu. Ainsi l’ordre donné à Abraham n’alla pas contre la justice, puisque Dieu est l’auteur de la vie et de la mort ; pas plus que l’ordre donné aux Hébreux de dérober les biens des Égyptiens, puisque tout appartient à Dieu qui le donne à qui bon lui semble. Pareillement, l’ordre donné à Osée d’épouser une adultère n’était pas contraire à la chasteté, puisque Dieu est l’ordinateur de la génération humaine, et que les relations réglées par lui ne peuvent être que légitimes. - Il est donc évident que tous ces personnages, ni par leur obéissance à Dieu, ni par leur volonté d’obéir n’ont péché.

3. Si nous ne sommes pas toujours obligés de vouloir ce que Dieu veut, nous le sommes toujours de vouloir ce qu’il veut que nous voulions. Cette volonté divine nous est signifiée principalement par les commandements divins. C’est pourquoi on est tenu d’obéir à Dieu.

 

 

            Article 5 — Les inférieurs doivent-ils obéir en tout à leurs supérieurs ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car S. Paul dit (Col 3, 20) : “ Enfants, obéissez en tout à vos parents. ” Et il ajoute (v. 22) : “ Esclaves, obéissez en tout à vos maîtres d’ici-bas. ” Donc, au même titre, les autres sujets doivent obéir en tout à leurs supérieurs.

2. Les supérieurs sont des intermédiaires entre Dieu et leurs sujets, selon cette parole (Dt 5, 5) : “ Moi, je me tenais entre le Seigneur et vous en ce temps-là pour vous faire connaître sa parole. ” Mais on ne va d’un extrême à l’autre qu’en passant par le milieu. Donc les préceptes du supérieur doivent être considérés comme les préceptes de Dieu. Ce qui fait dire à l’Apôtre (Ga 4, 14) : “ Vous m’avez accueilli comme un ange de Dieu, comme le Christ Jésus ”, et aussi (1 Th 2, 13) : “ Une fois reçue la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie non comme une parole d’hommes, mais comme ce qu’elle est réellement, la parole de Dieu. ” Donc, de même qu’à Dieu on doit obéir en tout, de même aux supérieurs.

3. Les religieux font vœux de chasteté et de pauvreté par leur profession ; de même font-ils le vœu d’obéissance. Mais le religieux est tenu d’observer en tout la chasteté et la pauvreté. De même est-il tenu d’obéir en tout.

En sens contraire, il est dit au livre des Actes (6, 29) : “ Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. ” Mais parfois les ordres des supérieurs sont contraires à ceux de Dieu. Donc il ne faut pas leur obéir en tout.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, celui qui obéit est mis en mouvement sur l’ordre de celui qui commande, par une certaine nécessité de justice, comme un être naturel est mis en mouvement par l’être qui l’actionne, par une nécessité de nature. Que ce mouvement ne se produise pas, cela peut tenir à deux causes. D’abord à cause d’un empêchement qui provient de la puissance supérieure d’un autre moteur ; c’est ainsi que du bois ne brûle pas si trop d’humidité l’empêche de s’enflammer. Ou bien par un manque de relation entre le mobile et le moteur, parce que le mobile est bien soumis à l’action du moteur sur un point, mais non sur tout. Par exemple l’humidité est parfois soumise à l’action de la chaleur de façon à être réchauffée, sans pouvoir être desséchée ou absorbée.

De même il peut arriver pour deux motifs que le sujet ne soit pas tenu à obéir en tout à son supérieur. 1° A cause de l’ordre d’un supérieur plus puissant. Sur le texte (Rm 13, 2) : “ Ceux qui résistent attirent sur eux-mêmes la condamnation ”, la Glose commente : “ Si le commissaire donne un ordre, devras-tu l’exécuter si le proconsul ordonne le contraire ? Et si le proconsul donne un ordre, et l’empereur un autre, n’est-il pas évident qu’en méprisant le premier, tu dois obéir au second ? Donc si l’empereur donne un ordre, et Dieu un autre, tu devras mépriser celui-là et obéir à Dieu. ”

2° L’inférieur n’est pas tenu d’obéir à son supérieur si celui-ci donne un ordre auquel il n’a pas à se soumettre. Car Sénèque écrit : “ On se trompe si l’on croit que la servitude s’impose à l’homme tout entier. La meilleure partie de lui-même y échappe. C’est le corps qui est soumis et engagé envers les maîtres ; l’âme est indépendante. ” C’est pourquoi, en ce qui concerne le mouvement intérieur de la volonté on n’est pas tenu d’obéir aux hommes, mais à Dieu seul.

On est tenu d’obéir aux hommes dans les actes extérieurs du corps. Cependant, même là, selon ce qui relève de la nature du corps, on n’est pas tenu d’obéir aux hommes, mais seulement à Dieu, parce que tous les hommes sont naturellement égaux, par exemple en ce qui concerne la nourriture et la génération. Donc les serviteurs ne sont pas obligés d’obéir à leurs maîtres, ni les enfants à leurs parents, pour contracter mariage ou pour garder la virginité, etc.

Mais en ce qui concerne l’organisation de son activité et des affaires humaines, le sujet est tenu d’obéir à son supérieur en tenant compte de la supériorité qui lui est propre ; ainsi le soldat au chef de l’armée en ce qui concerne la guerre ; le serviteur à son maître en ce qui concerne le service à exécuter ; le fils à son père en ce qui concerne la conduite de sa vie et l’organisation domestique, et ainsi du reste.

Solutions :

1. Quand l’Apôtre dit “ en tout ”, il faut l’entendre de ce qui concerne le droit du père ou du maître.

2. L’homme est soumis à Dieu de façon absolue, pour tout : intérieurement et extérieurement. Or les sujets ne sont pas soumis à leurs supérieurs en toutes choses mais seulement dans un domaine déterminé. Et même pour celui-ci, ils sont des intermédiaires entre Dieu et leurs sujets. Quant au reste ils sont immédiatement soumis à Dieu, qui les instruit par la loi naturelle ou la loi écrite.

3. Les religieux font profession d’obéissance quant à la vie régulière selon laquelle ils sont soumis à leurs supérieurs. C’est pourquoi ils ne sont tenus d’obéir que pour ce qui peut concerner la vie régulière. Telle est l’obéissance qui suffit au salut. S’ils veulent obéir en autre chose, cela relève d’un surcroît de perfection, pourvu que rien de cela ne soit contraire à Dieu, car une telle obéissance serait illicite.

On peut donc distinguer trois espèces d’obéissance : l’une, suffisante au salut, obéit en tout ce qui est d’obligation ; la seconde, parfaite, obéit en tout ce qui est permis ; la troisième, excessive, obéit même en ce qui est défendu.

 

 

            Article 6 — Les fidèles doivent-ils obéir aux puissances séculières ?

Objections :

1. Il semble que non, parce que, sur le texte de Matthieu (17, 2) : “ Donc les fils sont libres ”, la Glose explique : “ Si, dans tout royaume, les fils du souverain régnant sont libres, alors les fils du roi à qui sont soumis tous les royaumes doivent être libres. ” Or les chrétiens sont devenus enfants de Dieu par la foi du Christ, selon S. Jean (1, 12) : “ ceux qui croient en son nom, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. ” Donc ils ne sont pas tenus d’obéir aux puissances séculières.

2. S. Paul écrit (Rm 7, 4) : “ Vous avez été mis à mort à l’égard de la loi par le corps du Christ ”, et il parle de la loi divine de l’ancienne alliance. Mais la loi humaine qui soumet les hommes aux puissances séculières est inférieure à la loi divine de l’ancienne alliance. Donc à plus forte raison les hommes devenus membres du corps du Christ sont-ils libérés de la loi de sujétion qui les liait aux princes séculiers.

3. Les hommes ne sont pas tenus d’obéir aux brigands qui oppriment par la violence. Ce qui fait dire à S. Augustin : “ Quand la justice disparaît, que sont les royaumes sinon de vastes brigandages ? ” Donc, puisque les pouvoirs séculiers des princes sont exercés le plus souvent de façon injuste, et que leur pouvoir a été injustement usurpé, il apparaît que les chrétiens n’ont pas à obéir aux princes séculiers.

En sens contraire, S. Paul écrivait (Tt 3, 1) “ Rappelle aux fidèles le devoir d’être soumis aux magistrats et aux autorités. ” S. Pierre (1 P 2, 13.14) : “ Soyez donc soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur, soit au roi comme souverain, soit aux gouverneurs comme délégués par lui. ”

Réponse :

La foi chrétienne est principe et cause de justice, selon S. Paul (Rm 3, 22) : “ Justice de Dieu par la foi en Jésus Christ. ” Cette foi ne supprime donc pas l’ordre fondé sur la justice mais au contraire l’affermit. Cet ordre requiert que les inférieurs obéissent à leurs supérieurs ; car autrement ce serait la ruine de la société humaine. La foi chrétienne ne dispense donc pas d’obéir aux princes séculiers.

Solutions :

1. Nous l’avons dit à l’article précédent, la soumission due aux hommes est limitée au corps et n’atteint pas l’âme qui garde sa liberté. En cette vie la grâce du Christ remédie aux misères de l’âme, mais non à celles du corps, selon ce que S. Paul disait de lui-même (Rm 7, 25) : “ Par l’esprit esclave de la loi de Dieu, et par la chair esclave de la loi du péché. ” Ainsi, ceux qui sont devenus enfants de Dieu par la grâce sont libérés de l’esclavage spirituel du péché, mais non de la servitude corporelle ; et c’est par là qu’ils ont, en ce monde, des maîtres auxquels ils doivent être soumis, comme dit la Glose (sur 1 Tm 6, 1) : “ Tous ceux qui sont sous le joug de l’esclavage, etc.”

2. La loi ancienne était la figure de l’Ancien Testament, c’est pourquoi elle devait disparaître lorsque adviendrait la vérité. Mais il n’en est pas de même pour la loi humaine qui soumet l’homme à un autre homme. Et cependant, même en vertu de la loi divine, l’homme est tenu d’obéir à l’homme.

3. On n’est tenu d’obéir aux princes séculiers que dans la mesure requise par un ordre fondé en justice. Et c’est pourquoi, si les chefs ont une autorité usurpée, donc injuste, ou si leurs préceptes sont injustes, leurs sujets ne sont pas tenus de leur obéir, sinon peut-être par accident, pour éviter un scandale ou un danger.

 

 

QUESTION 105 — LA DÉSOBÉISSANCE

1. Est-elle un péché mortel ? - 2. Est-elle le plus grave des péchés ?

 

 

            Article 1 — La désobéissance est-elle un péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que non. Car tout péché est une désobéissance, comme nous l’avons vu par la définition de S. Ambroise donnée plus haut. Donc si la désobéissance était péché mortel, tout péché serait mortel.

2. S. Grégoire écrit que la désobéissance naît de la vaine gloire. Mais celle-ci n’est pas péché mortel. Donc la désobéissance non plus.

3. On est appelé désobéissant quand on n’accomplit pas le précepte du supérieur. Mais très souvent les supérieurs multiplient tellement les préceptes qu’on ne peut guère ou jamais les observer tous. Donc si la désobéissance était péché mortel, il s’ensuivrait qu’on ne pourrait pas éviter le péché mortel, ce qui est absurde.

En sens contraire : S. Paul met au nombre des péchés mortels “ la désobéissance aux parents ” (Rm 1, 30 ; 2 Tm 3, 2).

Réponse :

Comme nous l’avons dit, le péché mortel est celui qui est contraire à la charité, source de la vie spirituelle. Car la charité nous fait aimer Dieu et le prochain, et l’amour de Dieu exige l’obéissance à ses commandements. Y désobéir, c’est donc aller contre la charité et commettre un péché mortel. De plus, les commandements divins prescrivent l’obéissance envers les supérieurs. Leur désobéir, c’est donc encore commettre un péché mortel opposé à l’amour envers Dieu, selon S. Paul (Rm 13, 2) : “ Celui qui résiste à l’autorité résiste à l’ordre établi par Dieu. ” - La désobéissance est en même temps contraire à l’amour du prochain, puisque le supérieur en fait partie et qu’on lui refuse l’obéissance à laquelle il a droit.

Solutions :

1. S. Ambroise définit ainsi le péché mortel, c’est-à-dire le péché dans toute la force du terme. Le péché véniel n’est pas une désobéissance parce qu’il ne va pas contre le précepte mais passe à côté.

Le péché mortel lui-même n’est pas toujours une désobéissance, au sens propre et essentiel du mot ; mais seulement quand on méprise le précepte. C’est parce que les actes moraux sont spécifiés par leur fin. Lorsque l’on transgresse un précepte non par mépris de celui-ci mais pour une autre fin, ce n’est une désobéissance que matériellement ; formellement cela relève d’une autre espèce de péché.

2. La vaine gloire peut être la manifestation d’une certaine supériorité ; et parce que l’on croit y parvenir en refusant de se soumettre aux préceptes d’autrui, la désobéissance naît en effet de la vaine gloire. Mais rien n’empêche que le péché mortel naisse d’un péché véniel, puisque celui-ci est une disposition à celui-là.

3. A l’impossible nul n’est tenu. C’est pourquoi, si un supérieur multiplie les préceptes au point que son subordonné soit incapable de les accomplir, celui-ci n’est pas coupable. Les supérieurs doivent donc éviter de multiplier les préceptes.

 

 

            Article 2 — La désobéissance est-elle le plus grave des péchés ?

Objections :

1. Il semble bien, car on lit dans l’Écriture (1 S 15, 23) : “ Un péché de sorcellerie, voilà la rébellion ; une idolâtrie, voilà la résistance. ” Mais l’idolâtrie est le plus grave des péchés comme on l’a montré. Donc aussi la désobéissance.

2. On appelle péché contre le Saint-Esprit celui qui enlève tous les obstacles au péché, on l’a dite. Or par la désobéissance on méprise le précepte qui détourne au maximum du péché. Donc la désobéissance est un péché contre le Saint-Esprit, le plus grave de tous.

3. S. Paul déclare (Rm 5, 10) : “ Tous sont devenus pécheurs parce qu’un seul a désobéi. ” Or la cause est plus puissante que l’effet. Donc la désobéissance apparaît comme un péché plus grave que les autres, qui sont causés par elle.

En sens contraire, mépriser celui qui commande est plus grave que de mépriser son commandement. Mais certains péchés s’opposent à la personne qui commande, comme le blasphème et l’homicide. Donc la désobéissance n’est pas le plus grave des péchés.

Réponse :

Tous les péchés de désobéissance n’ont pas la même gravité. Une désobéissance peut être plus grave qu’une autre pour deux motifs : 1° A cause de celui qui commande. Bien que l’on doive mettre tout son soin à obéir à toute autorité, ce devoir est d’autant plus impérieux que l’autorité est plus grande. Le signe en est que l’ordre émané d’une autorité inférieure devient caduc en cas de conflit avec une autorité supérieure. D’où cette conséquence : plus l’autorité est grande, plus la désobéissance est grave ; donc désobéir à Dieu est plus grave que de désobéir aux hommes.

2° A cause de ce qui est commandé. Le supérieur n’attache pas la même importance à l’accomplissement de tous ses ordres, mais il veut davantage sa fin et le moyen qui en est le plus proche. La désobéissance est donc d’autant plus grave que le commandement transgressé est plus haut placé dans l’intention de celui qui l’a donné.

Parmi les commandements de Dieu, il est évident que plus le précepte concerne un bien meilleur, plus il est grave d’y désobéir. Parce que, la volonté de Dieu se portant essentiellement sur le bien, plus l’objet du précepte est bon, plus Dieu veut l’accomplissement de celui-ci. Aussi celui qui désobéit au précepte d’aimer Dieu pèche-t-il plus gravement que celui qui désobéit au précepte d’aimer le prochain. Mais la volonté de l’homme ne se porte pas naturellement vers le plus grand bien. Et c’est pourquoi, lorsque nous sommes obligés uniquement par un précepte humain, le péché n’est pas plus grave du fait qu’on omet un bien plus grand, mais du fait qu’on omet ce que veut davantage l’auteur du précepte.

Ainsi donc faut-il mettre les divers degrés de désobéissance en relation avec les divers degrés de préceptes. Car la désobéissance qui méprise le précepte de Dieu, en raison même de cette désobéissance est un péché plus grave que le péché commis contre un homme, abstraction faite de la désobéissance envers Dieu que ce péché entraîne. (je dis cela parce que celui qui pèche contre le prochain agit aussi contrairement au commandement de Dieu.) Cependant, si l’on méprisait un commandement de Dieu plus important, le péché serait encore plus grave.

Quant à la désobéissance qui méprise un précepte humain, le péché est moins grave que celui de mépriser l’auteur du précepte, parce que le respect envers le précepte doit procéder du respect envers son auteur. Pareillement, le péché qui se rattache directement au mépris envers Dieu, comme le blasphème, est plus grave, abstraction fait de la désobéissance qu’il implique, que le péché qui ne méprise que le précepte de Dieu.

Solutions :

1. Dans cette comparaison il ne s’agit pas d’égalité absolue, mais de ressemblance : comme l’idolâtrie, quoique à un degré moindre, la désobéissance aboutit au mépris de Dieu.

2. Toute désobéissance n’est pas un péché contre le Saint-Esprit, mais seulement celle où l’on met de l’obstination. En effet, on ne pèche pas contre le Saint-Esprit du fait que l’on méprise un obstacle quelconque au péché ; autrement le mépris de n’importe quel bien spirituel serait un péché contre le Saint-Esprit, parce que l’on peut être détourné du péché par n’importe quel bien. Ce qui fait le péché contre le Saint-Esprit, c’est le mépris des biens qui conduisent à la pénitence et à la rémission des péchés.

3. Le premier péché de nos premiers parents, d’où le péché a dérivé sur tous les hommes, ne fut pas la désobéissance, au sens où elle est un péché spécial, mais l’orgueil qui les poussa à désobéir. Aussi, dans le texte cité, S. Paul semble-t-il entendre la désobéissance au sens général où elle s’identifie avec tout péché.

 

 

QUESTION 106 — LA RECONNAISSANCE OU GRATITUDE

Il faut étudier maintenant la reconnaissance ou gratitude, et le vice opposé ou ingratitude (Q. 107). Sur la reconnaissance, six questions : 1. La gratitude est-elle une vertu spéciale, distincte des autres ? - 2. Lequel, de l’innocent ou du pénitent, doit à Dieu de plus grandes actions de grâce ? - 3. Est-on toujours tenu de rendre grâce pour les bienfaits des hommes ? - 4. Faut-il tarder à rendre un bienfait ? - 5. La reconnaissance doit-elle se mesurer aux bienfaits reçus, ou aux sentiments du bienfaiteur ? - 6. Convient-il de rendre plus que ce qu’on a reçu ?

 

 

            Article 1 — La reconnaissance est-elle une vertu spéciale, distincte des autres ?

Objections :

1. Il semble que non. Car c’est de Dieu et de nos parents que nous avons reçu les plus grands bienfaits. Mais l’honneur que nous rendons à Dieu relève de la vertu de religion ; celui que nous rendons à nos parents, de la vertu de piété. Donc la reconnaissance ou gratitude n’est pas une vertu distincte des autres.

2 Une rétribution proportionnée relève de la justice commutative, comme le montre le Philosophe. Mais, dit-il encore, “ on rend grâce pour rétribuer ”. Donc rendre grâce, ce qui relève de la gratitude, est un acte de justice. Donc la gratitude n’est pas une vertu spéciale, distincte des autres.

3. Aristote montre que la reconnaissance est nécessaire pour entretenir l’amitié. Mais l’amitié se porte sur toutes les vertus qui rendent l’homme aimable. Donc la reconnaissance ou gratitude, chargée de récompenser les bienfaits, n’est pas une vertu spéciale.

En sens contraire, Cicéron considère la gratitude comme une vertu spéciale, qui fait partie de la justice.

Réponse :

Nous l’avons dit précédemment on doit diversifier la raison de dette, selon les diverses causes de dettes, mais de telle sorte que le moins soit toujours inclus dans le plus. C’est en Dieu, à titre premier et principal, que se trouve la cause de notre endettement, du fait qu’il est le principe premier de tous nos biens. Deuxièmement, en notre père qui est le principe premier de notre génération et de notre éducation. Troisièmement, dans la personne constituée en dignité, de qui procèdent les bienfaits communs. Quatrièmement, chez un bienfaiteur de qui nous avons reçu des bienfaits particuliers et privés, pour lesquels nous avons envers lui une obligation particulière. Donc, parce que tout ce que nous devons à Dieu, à notre père ou à une personne constituée en dignité, nous ne le devons pas à un bienfaiteur qui nous a accordé un bienfait particulier, il s’ensuit qu’après la religion (culte dû à Dieu), la piété (à nos parents) et le respect (aux personnes constituées en dignité), c’est la reconnaissance ou gratitude qui répond à la générosité des bienfaiteurs. Et cette gratitude se distingue des vertus que nous venons d’énumérer comme la fin d’une série se distingue de ce qui la commence, parce qu’elle ne réalise ce principe que partiellement.

Solutions :

1. De même que la religion est une piété supérieure, ainsi est-elle une reconnaissance ou gratitude éminente. C’est pourquoi, plus haute, nous avons placé l’action de grâce comme un élément de la religion.

2. La rétribution proportionnée relève de la justice commutative quand on l’envisage selon la dette légale, par exemple par un contrat fixant le montant de la rétribution. Mais ce qui relève de la reconnaissance ou gratitude, c’est la rétribution qui se fait par une obligation d’honneur, c’est-à-dire qu’on acquitte spontanément. Aussi la gratitude est-elle moins gracieuse, dit Sénèque, si elle est forcée.

3. Puisque la véritable amitié est fondée sur la vertu, tout ce qui, chez l’ami, est contraire à la vertu arrête l’amitié, et tout ce qui est vertueux la provoque. Ainsi l’amitié se conserve par l’échange des bienfaits, bien que cet échange relève spécialement de la vertu de gratitude.

 

 

            Article 2 — Lequel de l’innocent ou du pénitent, doit à Dieu de plus grandes actions de grâce ?

Objections :

1. Il semble que ce soit l’innocent, car dans la mesure où l’on a reçu de Dieu un plus grand don, on est davantage tenu de lui rendre grâce. Mais le don de l’innocence est plus grand que la restauration de la justice.

2. Le bienfaiteur a droit à l’amour, comme à l’action de grâce. Mais S. Augustin nous dit : “ Qui donc, en réfléchissant à sa faiblesse, oserait attribuer à ses propres forces sa chasteté et son innocence, de façon à t’aimer moins, comme s’il avait moins besoin de ta miséricorde, qui remet les péchés à ceux qui se tournent vers toi ? ” Et il ajoute : “ C’est pourquoi il doit t’aimer tout autant et même bien davantage : lorsqu’il voit par qui je suis délivré de toutes les maladies de mes péchés, il découvre que la même influence l’en a préservé. ” Donc l’innocent est tenu de rendre grâce plus que le pénitent.

3. Plus le bienfait gracieux est prolongé, plus on doit en rendre grâce. Mais le bienfait de la grâce divine est plus prolongé chez l’innocent que chez le pénitent. Car S. Augustin dit au même endroit : “ J’attribue à ta grâce et à ta miséricorde que tu aies fait fondre la glace de mes péchés. J’attribue aussi à ta grâce tout ce que je n’ai pas fait de mal, car de quoi n’étais-je pas capable ? Et je reconnais que tout m’a été pardonné, et le mal que j’ai fait de moi-même, et celui que, guidé par toi, je n’ai pas fait. ”

En sens contraire, on lit dans S. Luc (7, 47) “ Celui à qui il est pardonné davantage aime davantage. ” Il doit donc pour le même motif rendre grâce davantage.

Réponse :

L’action de grâce chez le bénéficiaire répond à la générosité du bienfaiteur. Or un bienfait généreux est donné gratuitement. Aussi peut-il y avoir plus de générosité chez le donateur de deux façons. D’abord par la quantité du don. Et à cet égard, l’innocent est davantage tenu à rendre grâce parce que Dieu lui fait un plus grand don, et plus prolongé, toutes choses égales d’ailleurs, à parler dans l’absolu.

On peut encore parler d’un plus grand bienfait parce qu’il est donné plus gratuitement. Et à ce titre, le pénitent est tenu de rendre grâce plus que l’innocent, parce que le don que Dieu fait est plus gratuit ; car, alors qu’il méritait un châtiment, c’est la grâce qui lui est donnée. Et ainsi, bien que le don fait à l’innocent, considéré dans l’absolu, soit plus grand, le don fait au pénitent est plus grand en comparaison : c’est ainsi qu’un petit don fait à un pauvre est plus grand pour lui qu’un grand don fait à un riche. Et parce que les actions concernent des cas individuels, on considère davantage dans une action ce qui est tel dans des circonstances concrètes que ce qui est tel de façon absolue, comme dit Aristote, à propos du volontaire et de l’involontaire.

Solutions :

Nous venons de répondre aux Objections.

 

 

            Article 3 — Est-on toujours tenu de rendre grâce pour les bienfaits des hommes ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne soit pas tenu de rendre grâce à tous les hommes qui nous font du bien. En effet on peut se faire du bien, comme on peut se nuire à soi-même, dit l’Ecclésiastique (14, 5) : “ Celui qui est mauvais pour lui-même, pour qui serait-il bon ? ” Mais on ne peut se rendre grâce à soi-même, car l’action de grâce semble passer de l’un à l’autre. Donc on n’est pas tenu de rendre grâce à tout bienfaiteur.

2. L’action de grâce est la reconnaissance d’une bonne grâce. Mais certains bienfaits nous sont accordés de mauvaise grâce, et même d’une façon insultante, avec retard et tristesse. On ne doit donc pas toujours rendre grâce à un bienfaiteur.

3. On ne doit aucune action de grâce à celui qui recherche son intérêt. Mais certains accordent des bienfaits intéressés. On ne leur doit donc pas d’action de grâce.

4. On ne doit pas d’action de grâce à un esclave car tout ce qu’il est appartient à son maître. Pourtant il arrive que le serviteur soit le bienfaiteur de son maître. On ne doit donc pas rendre grâce à tout bienfaiteur.

5. Nul n’est tenu de faire ce qui est déshonnête et sans avantage. Mais il arrive parfois que le bienfaiteur soit comblé de félicité, et il serait inutile de le récompenser pour son bienfait. Parfois il arrive que le bienfaiteur passe d’une vie vertueuse à une vie de péché, et il apparaît alors qu’on ne peut honnêtement reconnaître son bienfait. Il arrive aussi parfois que le bénéficiaire soit si pauvre qu’il ne puisse rien donner en retour. Il apparaît donc qu’on n’est pas toujours tenu de récompenser un bienfait.

6. Nul ne doit faire à autrui ce qui ne lui est pas avantageux mais nuisible. Or il arrive que la récompense du bienfait est nuisible ou inutile à celui qu’on veut remercier. Donc on ne doit pas toujours récompenser un bienfait en rendant grâce.

En sens contraire, S. Paul dit (1 Th 5, 18) “ En toutes circonstances, rendez grâce. ”

Réponse :

Tout effet a un mouvement naturel de retour vers sa cause. Ce qui fait dire à Denys que Dieu ramène tout à lui, comme étant la cause de tout. Car il faut toujours que l’effet soit ramené à la fin voulue par l’agent. Or il est évident que le bienfaiteur en tant que tel est cause pour le bénéficiaire. C’est pourquoi l’ordre naturel requiert que celui-ci se tourne vers son bienfaiteur en lui rendant grâce, selon leur condition à tous deux. Et comme nous l’avons diti au sujet du père, on doit au bienfaiteur honneur et déférence parce qu’il a raison de principe ; mais accidentellement on doit l’aider et le soutenir s’il en a besoin.

Solutions :

1. Comme dit Sénèque dans son traité des Bienfaits : “ On n’est pas libéral en se donnant à soi-même, ni clément en se pardonnant, ni miséricordieux en étant touché de ses propres maux, mais en agissant ainsi pour tous les autres ; de même encore personne n’est bienfaiteur de soi-même, mais ne fait qu’obéir à sa nature qui pousse à rejeter ce qui est nuisible et à rechercher ce qui est profitable. ” Ainsi il n’y a pas lieu d’avoir gratitude ou ingratitude envers soi-même, car on ne peut se refuser quelque chose qu’en le gardant pour soi. Cependant on peut parler de ce qui nous arrive à nous-même, comme s’il s’agissait d’un autre, ainsi qu’Aristote le dit à propos de la justice : par métaphore on considère les différentes parties de l’être humain comme autant de personnes.

2. Un bon esprit est plus attentif au bien qu’au mal. Donc, si quelqu’un nous a accordé un bienfait d’une façon choquante, nous ne devons pas nous abstenir totalement de remercier, mais nous le ferons moins que si le don avait été fait avec grâce, car le bienfait lui-même en est diminué, parce que, dit Sénèque, “ la rapidité a beaucoup donné, le retard a beaucoup retiré ”.

3. Comme dit Sénèque, “ Il importe beaucoup que je sache si le bienfaiteur agit seulement dans son intérêt, ou aussi dans le mien. Celui qui ne regarde que lui-même et ne nous aide que parce qu’il ne peut s’aider lui-même autrement, me paraît semblable à l’homme qui cherche un pâturage pour ses bêtes. S’il m’a admis au partage, il a pensé à nous deux, je suis ingrat et injuste si je ne me réjouis pas de le voir profiter de ce qui a profité à moi-même. C’est une grande méchanceté de réserver le nom de bienfait à ce qui désavantage le donateur. ”

4. Comme dit encore Sénèque : “ Tant que l’esclave se borne à faire ce qu’on a coutume d’exiger de lui, il fait son service ; s’il en fait davantage, c’est un bienfait. Car ce qui aboutit à un sentiment d’amitié s’appelle bienfait. ”

5. Le pauvre lui-même est ingrat, s’il ne fait pas ce qu’il peut. Car, de même que le bienfait consiste davantage dans le sentiment que dans l’objet matériel, de même la reconnaissance. Aussi Sénèque dit-il : “ Celui qui reçoit avec reconnaissance a déjà fait un premier versement. Par l’expression de nos sentiments nous montrons quelle reconnaissance les bienfaits suscitent en nous, nous en témoignons non seulement au donateur mais en tout lieu. ”

Et cela montre que même à un bienfaiteur comblé on peut témoigner sa reconnaissance en lui témoignant déférence et honneur. Aussi le Philosophe dit-il : “ On doit exprimer sa reconnaissance à l’homme fortuné par de l’honneur, et au pauvre par de l’argent. ” Sénèque dit également : “ Il y a bien des moyens de rendre ce que nous devons, même à des gens heureux : un avis sincère, un commerce assidu, une conversation simple, gaie et sans flatterie. ” Il ne faut donc pas souhaiter que le bienfaiteur tombe dans l’indigence ou le malheur afin de pouvoir lui rendre son bienfait. Comme dit Sénèque, : “ Si tu souhaitais cela à celui dont tu n’as reçu aucun bienfait, ce vœu serait inhumain. Combien davantage à un bienfaiteur ! ”

Si le bienfaiteur a changé pour une vie mauvaise, on doit cependant lui manifester de la reconnaissance selon l’état où il se trouve : par exemple en le ramenant à la vertu si c’est possible. Mais si son mal est incurable, alors il est devenu un autre homme et on ne lui doit plus de reconnaissance pour son bienfait. Cependant autant qu’on le peut honnêtement, on doit garder le souvenir du bienfait, nous dit Aristote.

6. Nous venons de le dire, la reconnaissance pour un bienfait tient surtout au sentiment. C’est pourquoi on doit la témoigner de la manière la plus avantageuse pour le bienfaiteur ; si par sa négligence cela tourne plus tard à son désavantage, on ne l’attribuera pas à celui qui a fait son remerciement. Comme dit Sénèque : “ Il me fallait rendre, mais non garder ou défendre ce que j’ai rendu.

 

 

            Article 4 — Faut-il tarder à rendre un bienfait ?

Objections :

1. Il semble qu’on doit rendre un bienfait sans attendre. Car ce que nous devons sans qu’un terme soit fixé, nous sommes tenus de le restituer aussitôt. Or, pour la reconnaissance des bienfaits, il n’y a pas de terme fixé, mais cela est une dette, on l’a dit à l’article précédent. Donc on est tenu de reconnaître aussitôt un bienfait.

2. Le bien est d’autant plus louable qu’on le fait avec plus de ferveur. Or qu’un homme ne mette aucun retard à faire ce qu’il doit, c’est un effet de sa ferveur. Il apparent donc plus louable de rendre aussitôt un bienfait.

3. Sénèque dit que “ le vrai bienfaiteur agit volontiers et tout de suite ”. Or la gratitude doit s’égaler au bienfait. Donc le remerciement doit être immédiat.

En sens contraire, d’après Sénèque : “ Celui qui se hâte de rendre n’a pas le cœur d’un homme reconnaissant, mais d’un débiteur. ”

Réponse :

Dans la reconnaissance, comme dans le bienfait, deux choses sont à considérer : le sentiment et le don. La reconnaissance doit trouver son expression immédiate dans le premier : “ Veux-tu rendre un bienfait ? Reçois-le de bon cœur ”, dit Sénèque.

Quant au don, il faut attendre le moment où la reconnaissance sera la bienvenue. Une reconnaissance qui prétend payer sa dette tout de suite, et même à contretemps, n’est pas vertueuse, Sénèque le dit encore : “ La dette semble peser à celui qui est trop pressé de la payer, et celui à qui pèse une dette de reconnaissance est un ingrat. ”

Solutions :

1. Une dette légale doit être acquittée tout de suite ; autrement l’égalité essentielle à la justice serait violée si le débiteur retenait ce qui appartient au créancier malgré celui-ci. Mais une dette morale dépend de l’honnêteté de celui qui l’a contractée, et son devoir est de choisir le moment le plus favorable pour s’en acquitter d’une façon vertueuse.

2. La ferveur n’est vertueuse que lorsqu’elle est réglée par la raison. Si, par ferveur, on devance le temps requis, cette ferveur n’est pas louable.

3. Les bienfaits eux-mêmes doivent être donnés en temps opportun. Et quand ce temps est venu, il ne faut plus différer. De même pour la reconnaissance.

 

 

            Article 5 — La reconnaissance doit-elle prendre garde aux bienfaits reçus, ou aux sentiments du bienfaiteur ?

Objections :

1. Il apparaît qu’elle doit prendre garde plutôt au bienfait reçu. Car on doit être reconnaissant pour les bienfaits. Mais le “ bienfait ” consiste en un fait réel, le mot lui-même le suggère. Donc la reconnaissance doit prendre garde au don effectif.

2. La gratitude, qui remercie du bienfait, fait partie de la justice. Or celle-ci envisage l’égalité entre ce qui est donné et ce qui est reçu. Donc, dans la récompense exprimant la gratitude, on doit avoir égard au don effectif plutôt qu’aux sentirnents du bienfaiteur.

3. Nul ne peut prendre garde à ce qu’il ignore. Mais Dieu seul connaît le sentiment intérieur. La récompense exprimant la gratitude ne peut donc pas se régler sur le sentiment.

En sens contraire, Sénèque dit : “ Souvent nous avons plus d’obligation à celui qui nous donne peu, mais de grand cœur, et à celui qui nous rend un petit service, mais de bon cœur. ”

Réponse :

La récompense d’un bienfait peut se rapporter à trois vertus : la justice, la reconnaissance, l’amitié. A la justice, lorsqu’il s’agit d’un service qui est en même temps une dette légale, comme le prêt et autres transactions analogues ; en ce cas, la récompense doit être envisagée selon la quantité du don reçu.

La récompense se rattache à l’amitié et à la vertu de reconnaissance en tant qu’il s’agit d’une dette morale. Mais ces deux cas sont différents. Car dans la reconnaissance inspirée par l’amitié, il faut tenir compte de la cause de l’amitié. Aussi, dans une amitié fondée sur l’utilité, la reconnaissance doit correspondre à l’utilité procurée par le bienfait. Dans l’amitié fondée sur l’honneur, la récompense doit tenir compte du choix ou du sentiment qui a inspiré le donateur, car c’est cela qui est surtout requis à la vertu, selon Aristote. Et pareillement la gratitude envisage le bienfait en tant qu’il est accordé gracieusement, ce qui appartient au sentiment du donateur plus qu’à la réalité du don.

Solutions :

1. Tout acte moral dépend de la volonté. Ainsi le bienfait en tant qu’il est louable et que la gratitude est tenue de le récompenser, consiste matériellement dans le don effectif, mais formellement et à titre principal dans la volonté, Sénèque l’a dit : “ Le bienfait ne consiste pas dans ce qu’on fait ou ce qu’on donne, mais dans l’esprit de celui qui le donne ou le fait. ”

2. La reconnaissance est une partie de la justice, non qu’elle soit une espèce de ce genre, mais elle se rattache à titre de vertu annexe au genre de la justice, nous l’avons dit précédemment.

3. Dieu seul voit directement le cœur de l’homme ; mais l’homme aussi peut le connaître par les signes qui le manifestent. C’est ainsi que l’on connaît les sentiments du bienfaiteur à la manière dont le bienfait est accordé, par exemple avec joie et promptitude.

 

 

            Article 6 — Faut-il rendre plus que ce qu’on a reçu ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne faut pas rendre par reconnaissance plus que le bienfait reçu. En effet, d’après Aristote, on ne peut même pas rendre l’équivalent à certains bienfaiteurs comme nos parents. Mais la vertu ne tente pas l’impossible. Donc la compensation exigée par la reconnaissance ne tend pas à surpasser le bienfait.

2. Si l’on rend plus que ce qu’on a reçu par le bienfait, par là même on fait un don nouveau. Mais on est tenu de rendre en reconnaissance de ce don nouveau. Donc celui qui avait accordé le premier bienfait sera tenu à rendre davantage, et ainsi à l’infini. Or la vertu ne recherche pas l’infini, car, selon Aristote “ l’infini détruit la nature du bien ”. Donc le témoignage de reconnaissance ne doit pas dépasser le bienfait reçu.

3. La justice consiste en une égalité. Mais dépasser l’égalité est un excès. Donc puisque, en toute vertu, l’excès est vicieux, il apparaît que rendre plus que ce qu’on a reçu relève du vice et s’oppose à la justice.

En sens contraire, Aristote a dit : “ Il faut récompenser le bien qu’on nous a fait, et, à notre tour, nous mettre à en faire. ” Le moyen, c’est de rendre plus que ce qu’on a reçu. C’est donc à cela aussi que doit tendre la récompense.

Réponse :

La récompense de reconnaissance regarde dans le bienfait la volonté du bienfaiteur, nous l’avons dit à l’article précédent. Or, ce qui la rend surtout recommandable, c’est son caractère gracieux, c’est-à-dire d’avoir accordé un bienfait auquel rien ne l’obligeait. Celui qui en a bénéficié a donc contracté une dette d’honneur, qu’il acquitte en faisant de son côté un don gracieux. Cette gratuité apparent seulement si la reconnaissance dépasse ce qu’on a soi-même reçu. En effet, tant que la récompense est inférieure ou seulement égale au bienfait, elle semble bien n’acquitter qu’une dette. Donc, la récompense d’un bienfait doit toujours, dans la mesure du possible, tend à le surpasser.

Solutions :

1. C’est le sentiment du bienfaiteur plus que la réalité effective du bienfait qui doit inspirer la reconnaissance. Si l’on regarde ce que l’enfant a reçu de ses parents, l’être et la vie assurément rien de sa part ne saurait égaler pare bienfait, dit Aristote. Mais si l’on regarde volonté inspiratrice du bienfait et de la ré compense, l’enfant peut rendre plus qu’il n’a reçu . comme le remarque Sénèque. Quand même il ne le pourrait pas, la volonté de rendre suffirait à sa reconnaissance.

2. La reconnaissance découle de la charité dont la dette ne fait que grandir à mesure qu’on l’acquitte, selon la parole de S. Paul (Rm 13, 8) : “ N’ayez aucune dette, sinon celle de l’amour mutuel. ” C’est pourquoi il n’est pas inconcevable que le devoir de la reconnaissance ait quelque chose d’infini.

3. Ce qui importe dans la vertu cardinale de justice, c’est l’égalité matérielle ; dans la vertu de reconnaissance, c’est l’égalité entre les vouloirs, c’est-à-dire que la volonté empressée du bienfaiteur qui agit de bon cœur soit égalée par celle de l’obligé qui paye plus que sa dette.

 

 

QUESTION 107 — L’INGRATITUDE

1. Est-elle toujours un péché ? - 2. Un péché spécial ? - 3. Un péché mortel ? - 4. Doit-on cesser de faire du bien aux ingrats ?

 

 

            Article 1 — L’ingratitude est-elle toujours un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas car, pour Sénèque, “ l’ingrat est celui qui ne rend pas un bienfait ”. Mais parfois on ne pourrait rendre un bienfait qu’en commettant une faute, par exemple si ce bienfait avait consisté à favoriser le péché. Puisque s’abstenir de pécher n’est pas un péché, il apparaît que l’ingratitude n’est pas toujours un péché.

2. Tout péché est au pouvoir de celui qui le commet car, pour S. Augustin “ nul ne pèche en ce qu’il ne peut éviter ”. Or il n’est pas toujours au pouvoir du pécheur d’éviter l’ingratitude, par exemple quand il n’a pas de quoi rendre. De même l’oubli n’est pas en notre pouvoir, bien que Sénèque affirme : “ Le plus ingrat est celui qui oublie. ” Donc l’ingratitude n’est pas toujours un péché.

3. On ne voit pas comment récompenser de son bienfait celui qui ne veut rien devoir, selon l’interdiction de S. Paul (Rm 13, 8) : “ Ne devez rien à personne. ” Mais pour Sénèque : “ Celui qui doit malgré lui est un ingrat. ” Donc l’ingratitude n’est pas toujours un péché.

En sens contraire, S. Paul (2 Tm 3, 2) énumère l’ingratitude avec les autres péchés : “ Rebelles à leurs parents, ingrats, impies, etc. ”

Réponse :

Comme nous l’avons dite, la dette de reconnaissance est une dette de cet honneur qu’exige la vertu. Or il y a péché là où il y a opposition à la vertu. Il est évident que toute ingratitude est un péché.

Solutions :

1. La reconnaissance envisage un bienfait. La complicité dans le péché n’est pas un bienfait, mais un préjudice, qui ne mérite aucune gratitude, sinon pour une bonne volonté trahie par l’ignorance et aidant à faire le mal en croyant aider à faire le bien. Mais, en pareil cas, la récompense ne saurait consister à aider à mal faire, car une telle récompense ne serait pas un bien, mais un mal, c’est-à-dire tout le contraire de la reconnaissance.

2. L’impossibilité n’est jamais une excuse, puisque la reconnaissance n’a besoin que de bonne volonté pour acquitter sa dette, nous l’avons dit - L’oubli du bienfait relève de l’ingratitude quand il est l’objet de la négligence, et non pas seulement d’un défaut naturel indépendant de la volonté. “ Celui qui se laisse surprendre par l’oubli, dit Sénèque semble bien n’avoir pas souvent pensé à payer sa dette. ”

3. La dette de reconnaissance est la conséquence et comme l’expression d’une dette d’affection, dont personne ne doit désirer être quitte. Devoir à contrecœur semble donc dénoter un manque d’affection pour celui qui nous fait du bien.

 

 

            Article 2 — L’ingratitude est-elle un péché spécial ?

Objections :

1. Il semble que non. Car tout péché agit contre Dieu qui est le bienfaiteur suprême, et cela relève de l’ingratitude, qui n’est donc pas un péché spécial.

2. Aucun péché spécial ne se trouve en divers genres de péché. Or on peut être ingrat par des péchés de genres divers : en médisant de son bienfaiteur, en le volant, etc. Donc l’ingratitude n’est pas un péché spécial.

3. D’après Sénèque “ est ingrat celui qui dissimule le bienfait ; ingrat celui qui ne le rend pas ; plus ingrat que tous, celui qui l’oublie ”. Mais tout cela ne relève pas d’une seule espèce de péché. Donc l’ingratitude n’est pas un péché spécial.

En sens contraire, l’ingratitude s’oppose à la reconnaissance ou gratitude, qui est une vertu spéciale. Elle est donc un péché spécial.

Réponse :

Tout vice tire son nom du défaut de vertu qui s’oppose le plus au juste milieu de celle-ci. C’est ainsi que “ l’illibéralité ” s’oppose davantage à la libéralité que ne fait la prodigalité. Or, on peut pécher par excès contre la vertu de gratitude : par exemple si l’on rend un bienfait pour des choses qui ne l’exigent pas, ou plus rapidement qu’il ne faut, comme nous venons de le dire. Mais le vice par défaut s’oppose davantage à la gratitude, parce que cette vertu, nous l’avons établi tend au dépassement. C’est pourquoi, à proprement parler, “ l’ingratitude ” désigne le défaut de gratitude. Or tout défaut, toute privation, est spécifiée par l’habitus opposé ; la cécité et la surdité diffèrent comme la vue et l’ouïe. Donc, comme la reconnaissance ou gratitude est une vertu spéciale, l’ingratitude est un péché spécial.

Elle a pourtant divers degrés, correspondant aux divers éléments exigés de la gratitude. Le premier est que l’homme reconnaisse le bienfait reçu ; le deuxième, qu’il en rende grâce ; le troisième qu’il le rétribue, compte tenu des circonstances et selon ses possibilités. Mais parce que “ ce qui est ultime dans la génération d’un être est premier dans sa dissolution ”, le premier degré d’ingratitude, c’est l’absence de récompense ; le deuxième, c’est le silence qui cache le bienfait reçu ; et le troisième, le plus grave, c’est qu’on le méconnaisse, par oubli ou de toute autre façon. - Et parce que l’affirmation est impliquée dans la négation opposée, aux trois degrés négatifs de l’ingratitude se rattachent trois formes positives ; rendre le mal pour le bien ; décrier le bienfait ; estimer le bienfait comme un méfait.

Solutions :

1. Dans tout péché il y a une ingratitude matérielle envers Dieu, en tant que l’on fait quelque chose qui peut se rattacher à l’ingratitude. Mais il y a ingratitude formelle quand un bienfait est effectivement méprisé. Et c’est là un péché spécial.

2. Rien n’empêche que la raison formelle d’un péché spécial se trouve matériellement dans plusieurs genres de péché. Et c’est ainsi qu’on trouve dans de nombreux genres de péché la raison d’ingratitude.

3. Ces trois manières d’agir ne sont pas des espèces diverses, mais les degrés divers d’un seul péché spécial.

 

 

            Article 3 — L’ingratitude est-elle toujours un péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que oui, car c’est à Dieu surtout qu’on doit être reconnaissant. Mais par le péché véniel on n’est pas ingrat envers Dieu, autrement tous le seraient. Donc aucune ingratitude n’est péché véniel.

2. Un péché est mortel du fait qu’il s’oppose à la charité, nous l’avons dit. Or l’ingratitude s’oppose à la charité d’où procède le devoir de reconnaissance, nous venons de le dire’. Donc l’ingratitude est toujours péché mortel.

3. “ Telle est la loi du bienfait, dit Sénèque, l’un doit oublier aussitôt ce qu’il a donné, l’autre doit se rappeler ce qu’il a reçu. ” Mais le premier doit oublier, semble-t-il, pour ne pas voir le péché du bénéficiaire si celui-ci se montre ingrat. Cela ne serait pas nécessaire si l’ingratitude était un péché sans gravité.

En sens contraire, il ne faut donner à personne l’occasion de pécher mortellement. Mais comme dit Sénèque, toujours dans son traité des Bienfaits, “ il faut tromper quelquefois celui qu’on aide, de sorte qu’il reçoive, mais sans savoir de qui ”. Cela semble bien le conduire à l’ingratitude. C’est donc que celle-ci n’est pas toujours péché mortel.

Réponse :

Comme nous l’avons montré à l’article précédent, on peut être ingrat de deux façons. D’abord par pure omission : on ne reconnaît pas, on ne loue pas, on ne récompense pas le bienfait reçu. Et cela n’est pas toujours péché mortel. Parce que, nous l’avons dito, la dette de gratitude demande que l’on donne libéralement, sans y être tenu : ce n’est donc pas pécher mortellement que de l’omettre. C’est pourtant péché véniel, parce que cela provient d’une négligence ou d’une disposition insuffisante à la vertu. Mais il peut arriver qu’une telle ingratitude soit péché mortel, soit à cause d’un mépris intérieur, soit à cause de la condition du bienfaiteur à qui l’on refuse ce dont il a un besoin nécessaire, soit absolument, soit en raison des circonstances.

On appelle encore ingrat celui qui ne se contente pas de négliger sa dette de reconnaissance, mais qui agit en sens contraire. Et cela, selon les circonstances de l’acte, est tantôt péché mortel, tantôt péché véniel. Il faut pourtant noter ceci - l’ingratitude qui découle du péché mortel réalise pleinement la raison d’ingratitude, celle qui découle du péché véniel, de façon imparfaite.

Solutions :

1. Un péché véniel ne rend pas coupable d’ingratitude envers Dieu selon la raison d’ingratitude réalisée. Il contient cependant de l’ingratitude en tant que le péché véniel empêche un acte de vertu par lequel l’homme accomplit le service de Dieu.

2. L’ingratitude qui accompagne le péché véniel ne s’oppose pas à la charité, elle passe à côté d’elle, parce qu’elle n’exclut pas l’habitus de charité, mais un de ses actes.

3. La réponse est encore donnée par Sénèque : “ Ce serait une erreur de croire, lorsque nous disons que le bienfaiteur doit oublier son acte, que nous voulons chasser de sa mémoire une action aussi honorable. Lorsque nous disons : "Il ne doit pas se souvenir", nous entendons qu’il ne doit pas proclamer, ni se vanter. ”

4. Ne pas récompenser un bienfait que l’on ignore rend ingrat celui-là seulement qui ne voudrait pas le récompenser, s’il le connaissait. Le bienfaiteur a quelquefois raison de ne pas se faire connaître, soit pour éviter la vaine gloire et la faveur des hommes, à l’exemple de S. Nicolas, qui jeta en cachette de l’or dans une maison ; soit pour accorder un bienfait plus grand en évitant de faire honte à celui qu’il assiste.

 

 

            Article 4 — Doit-on cesser de faire du bien aux ingrats ?

Objections :

1. Il semble que oui, car on lit au livre de la Sagesse (16, 29) : “ L’espoir de l’ingrat fondra comme le givre en hiver. ” Son espoir ne fondrait pas si l’on ne cessait de lui faire du bien. Donc il faut cesser de faire du bien aux ingrats.

2. On ne doit pas donner à autrui l’occasion de pécher. Mais l’ingrat qui reçoit un bienfait y trouve l’occasion de pécher.

3. “ On est puni par où l’on a péché ”, dit la Sagesse (11, 16). Mais l’ingrat pèche contre le bienfait reçu. Donc il doit être privé de bienfait.

En sens contraire, il est dit en S. Luc (10, 35) : “ Le Très-Haut est bon pour les ingrats et les mauvais. ” Mais comme il est dit au même endroit, nous devons nous montrer ses enfants en imitant sa bonté. Nous ne devons donc pas cesser de faire du bien aux ingrats.

Réponse :

Deux points sont ici à considérer. D’abord ce que mérite l’ingrat : certainement qu’on cesse de lui faire du bien. Ensuite il faut considérer ce que doit faire le bienfaiteur. D’abord il ne doit pas croire facilement à l’ingratitude car souvent, dit Sénèque, “ celui qui n’a pas rendu est reconnaissant ”, parce qu’il n’a peut-être pas eu le moyen ou l’occasion de rendre. Ensuite, le bienfaiteur doit s’efforcer de transformer l’ingratitude en reconnaissance : un second bienfait a chance de réussir où le premier a échoué. Si cependant multiplier les bienfaits n’aboutit qu’à accroître et aggraver l’ingratitude, il faut alors cesser de faire du bien.

Solutions :

1. Ce texte parle seulement de ce que mérite l’ingrat.

2. Continuer à faire du bien à un ingrat, ce n’est pas lui fournir l’occasion de pécher, mais plutôt de témoigner de la reconnaissance et de l’affection. S’il s’opiniâtre dans son ingratitude, le bienfaiteur n’en est pas responsable.

3. Le bienfaiteur ne doit pas se montrer tout de suite vengeur de l’ingratitude, mais médecin indulgent, et essayer de la guérir en multipliant les bienfaits.

 

 

QUESTION 108 — LA VENGEANCE

1. La vengeance est-elle licite ? - 2. Est-elle une vertu spéciale ? - 3. Comment exercer la vengeance ? - 4. Envers qui doit-on l’exercer ?

 

 

            Article 1 — La vengeance est-elle licite ?

Objections :

1. Il semble que non, car on pèche en usurpant ce qui appartient à Dieu. Or la vengeance lui appartient, car il est dit dans le Deutéronome (32, 35) : “ A moi la vengeance et la rétribution. ” Donc toute vengeance est illicite.

2. Ce dont on tire vengeance n’est pas tolérable. Or on doit tolérer les méchants. Car sur la parole du Cantique (2, 2) : “ Comme un lis parmi les épines ”, la Glose commente : “ Il n’est pas bon, celui qui ne peut tolérer les méchants. ” Donc on ne doit pas tirer vengeance des méchants.

3. La vengeance s’accomplit par des châtiments, qui inspirent la crainte servile. Mais, dit S. Augustin “ la loi nouvelle n’est pas une loi de crainte, mais d’amour. ” Donc, au moins sous la nouvelle alliance, on ne doit exercer aucune vengeance.

4. On dit qu’un homme se venge quand il punit les offenses qu’il a subies. Mais le juge lui-même n’a pas le droit de punir ceux qui pèchent contre lui. S. Jean Chrysostome dit en effet b : “ Apprenons par l’exemple du Christ à supporter avec magnanimité les offenses qui nous sont faites. Mais celles qui atteignent Dieu, nous ne devons pas même les entendre. ”

5. Le péché de la multitude est plus nuisible que le péché d’un seul. Or on lit dans l’Ecclésiastique (26, 5) : “ Trois choses me font peur : une calomnie qui court la ville, une émeute populaire, une fausse accusation. ” Or on ne doit pas tirer vengeance du péché de la multitude, car sur Matthieu (13, 29.30) : “ Laissez-les pousser ensemble, pour ne pas arracher le froment ”, la Glose explique : “ Il ne faut retrancher de la communauté ni la multitude ni le prince. ” Donc aucune autre vengeance n’est licite.

En sens contraire, on ne doit attendre de Dieu rien que de bon et de licite. Mais on doit attendre de lui la vengeance sur nos ennemis, car il est dit en Luc (1 8, 7) : “ Et Dieu ne vengerait pas ses élus qui crient vers lui jour et nuit ? ” ce qui revient à dire : “ Au contraire, il le fera ” Donc la vengeance n’est pas par elle-même mauvaise et illicite.

Réponse :

La vengeance se réalise par un mal de peine infligé au pécheur. Il faut donc considérer l’intention de celui qui l’exerce. Car si son intention se porte principalement sur le mal de celui dont il se venge, et s’attarde sur ce mal, c’est absolument illicite, parce que se réjouir du mal d’autrui relève de la haine, opposée à la charité dont nous devons chérir tous les hommes. Et ce n’est pas une excuse que de vouloir du mal à celui qui nous en a causé injustement, de même qu’on n’est pas excusé de haïr ceux qui nous haïssent. Un homme ne doit jamais pécher contre un autre sous prétexte que celui-ci a commencé de pécher contre lui, car c’est là se laisser vaincre par le mal, ce que l’Apôtre nous interdit (Rm 12, 21) : “ Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais triomphe du mal en faisant le bien. ” Mais si l’intention, dans la vengeance, se porte principalement sur un bien que doit procurer le châtiment du pécheur, par exemple son amendement, ou du moins sa répression, le repos des autres, le maintien de la justice et l’honneur de Dieu, la vengeance peut être licite, en observant les autres circonstances requises.

Solutions :

1. Celui qui, selon sa condition et son rang, exerce la vengeance contre les méchants, n’usurpe pas ce que Dieu s’est réservé, mais use d’un pouvoir que Dieu lui a concédé, comme il est dit du prince, dans l’épître aux Romains (1 3, 4), “ qu’il est le ministre de Dieu pour tirer vengeance de celui qui fait le mal. ” Mais exercer la vengeance en dehors de l’ordre établi par Dieu serait usurpation sur ses droits, et donc péché.

2. Les bons tolèrent les méchants en ce sens qu’ils supportent patiemment les offenses qui les atteignent personnellement, autant qu’il le faut ; mais cela ne signifie pas qu’ils doivent agir de même pour celles qui sont faites à Dieu ou au prochain. “ La patience à supporter les offenses qui s’adressent à nous, dit S. Chrysostome, c’est de la vertu ; mais rester insensible à celles qui s’adressent à Dieu, c’est le comble de l’impiété. ”

3. La loi évangélique est une loi d’amour. C’est pourquoi ceux qui font le bien par amour, les seuls d’ailleurs qui appartiennent vraiment à l’Évangile, ne doivent pas être terrorisés par des menaces qu’il faut réserver à ceux que l’amour ne pousse pas à bien agir. Ceux-ci ont beau être comptés parmi les fidèles, ils n’en sont pas par le mérite.

4. Il peut arriver que l’offense faite à une personne rejaillisse sur Dieu et l’Église ; cette personne doit alors venger l’injure qui lui est faite. C’est ainsi qu’Élie fit descendre le feu du ciel sur ceux qui venaient l’arrêter (2 R 1, 9 s.), qu’Élisée maudit les enfants qui se moquaient de lui (2 R 2, 23), et que le pape Silvestre excommunia ceux qui l’avaient condamné à l’exil. Mais dans la mesure où l’offense est purement personnelle, il faut la supporter avec patience, à moins d’avoir des raisons d’agir différemment. Car ces préceptes de patience doivent s’entendre en ce sens qu’il faut avoir l’âme prête à les observer quand les circonstances l’exigent, comme l’explique S. Augustin.

5. Quand la multitude tout entière a péché, la vengeance doit s’exercer, soit sur la totalité, comme il advint à l’armée de Pharaon engloutie dans la mer Rouge (Ex 14, 22), et de tous les habitants de Sodome, soit sur une partie notable, ainsi que fut punie l’adoration du veau d’or (Ex 32, 27). - D’autres fois, lorsqu’on peut espérer qu’un grand nombre viendront à résipiscence, la vengeance tombera sur quelques-uns des principaux coupables dont le châtiment effraiera les autres, comme nous le lisons dans les Nombres (25, 4) où Dieu ordonne de pendre les chefs pour le péché de la foule.

Si le péché n’a pas été commis par tous et s’il est possible de connaître les coupables, c’est sur eux que tombera la vengeance, à moins que cette rigueur ne risque de scandaliser les autres ; car alors, mieux vaudrait renoncer à punir et accorder un pardon général.

Il en va de même pour le prince : il faut fermer les yeux si le châtiment de sa faute doit causer du trouble parmi le peuple ; à moins que cette faute elle-même n’ait des effets spirituels ou temporels pires encore que le scandale à redresser.

 

 

            Article 2 — La vengeance est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car de même qu’on récompense les bons d’avoir bien agi, on punit les mauvais pour leurs mauvaises actions. Mais la rétribution des bons ne relève pas d’une vertu spéciale, car elle est un acte de la justice commutative. Donc, au même titre, la vengeance ne doit pas être considérée comme une vertu spéciale.

2. Il n’y a pas lieu d’ordonner une vertu spéciale à un acte auquel l’homme est suffisamment disposé par d’autres vertus. Or pour venger le mal, l’homme est suffisamment disposé par les vertus de force et de zèle.

3. A toute vertu spéciale s’oppose un vice spécial. Mais on ne voit pas de vice qui s’oppose à la vengeance.

En sens contraire, Cicéron en fait une partie de la justice.

Réponse :

Selon Aristote la nature nous donne des aptitudes pour la vertu qui reçoivent leur complément de l’habitude ou de toute autre cause. Les vertus viennent donc nous parfaire et nous permettre de suivre, d’une manière convenable, les penchants innés qui sont de droit naturel. À tout instinct nettement défini correspond donc une vertu spéciale. Or, nous sommes naturellement portés à repousser les choses nuisibles ; c’est pour cela que les animaux sont doués de l’appétit irascible, distinct de l’appétit concupiscible. L’homme suit ce penchant en repoussant les offenses pour ne pas en être atteint, ou en les punissant s’il en a été atteint déjà, non pas dans l’intention de nuire, mais pour éviter d’en être victime. Cette manière d’agir constitue la vengeance qui, dit Cicéron, “ repousse et punit la violence, l’injustice et tout ce qui peut nuire ”. Elle est donc bien une vertu spéciale.

Solutions :

1. Le paiement d’une dette légale appartient à la justice commutative ; celui d’une dette morale, en réponse à un bienfait personnel, appartient à la reconnaissance. De même, le châtiment des fautes, quand il est infligé par le pouvoir social, est un acte de justice commutative ; quand il est le fait d’une personne privée qui se protège contre l’offense, c’est un acte de la vertu de vengeance.

2. La vertu de force est l’auxiliaire de la vengeance en dominant la crainte du danger à braver. Le zèle, à entendre par là un amour brûlant, est la racine première de la vengeance ; on venge les injures faites à Dieu et au prochain, parce que la charité les considère comme nôtres. Or, tout acte de vertu a pour racine la charité, dit S. Grégoire : “ La bonne œuvre est un rameau sans verdure, si elle n’a pas la charité pour racine. ”

3. À la vengeance s’opposent deux vices. L’un par excès, qui est la cruauté ou sévérité, qui dépasse la mesure dans les châtiments. L’autre par défaut consiste à punir trop mollement, selon les Proverbes (13, 24) : “ Celui qui ménage la baguette hait son fils. ” La vertu de vengeance consiste en ce que, compte tenu de toutes les circonstances, on garde une juste mesure en exerçant la vengeance.

 

 

            Article 3 — Comment exercer la vengeance ?

Objections :

1. La vertu de vengeance ne doit pas imiter les châtiments habituels chez les hommes. Mettre à mort un homme c’est comme l’arracher. Or le Seigneur a interdit d’arracher l’ivraie, qui représente “ les fils du Mauvais ” (Mt 13, 29 s.). Donc on ne doit pas mettre à mort les pécheurs.

2. Tous ceux qui pèchent mortellement paraissent mériter le même châtiment. Donc, si quelques-uns de ceux qui pèchent mortellement sont punis de mort, il semble que la mort doit les punir tous. Ce qui est évidemment faux.

3. Lorsqu’on punit publiquement d’un péché, on met ce péché en évidence. Ce qui semble dangereux pour la multitude à qui cet exemple offre une occasion d’imiter le péché. Il apparaît donc qu’on ne doit infliger la peine de mort pour aucun péché.

En sens contraire, les mêmes châtiments sont édictés dans la loi divine, comme nous l’avons montré précédemment.

Réponse :

La vengeance est licite et vertueuse dans la mesure où elle tend à réprimer le mal. Or certains, qui n’ont pas l’amour de la vertu, sont retenus de pécher par la crainte de perdre des biens qu’ils préfèrent à ceux qu’ils obtiennent par le péché ; autrement la crainte ne réprimerait pas le péché. C’est pourquoi la vengeance sur le péché doit s’exercer par la suppression de tout ce que l’on aime davantage. Or ce sont la vie, l’intégrité corporelle, la liberté et les biens extérieurs : richesse, patrie, réputation. A ce sujet S. Augustin cite Cicéron : “ Il y a dans les lois huit catégories de châtiments : la "mort" qui enlève la vie ; "les fouets" et "le talion" (qui fait perdre "œil pour œil"), qui enlèvent l’intégrité corporelle ; "l’esclavage et la captivité", qui enlèvent la liberté ; "l’exil", qui éloigne de la patrie ; "la confiscation", qui enlève les richesses ; "le déshonneur", qui fait perdre la réputation. ”

Solutions :

1. Le Seigneur défend d’arracher l’ivraie quand on risque “ d’arracher aussi le froment ”. Mais il est parfois possible de supprimer les méchants par la mort, non seulement sans danger, mais avec grande utilité pour les bons. En pareil cas, on peut infliger la peine de mort.

2. Tous ceux qui pèchent mortellement sont dignes de la mort éternelle, à laquelle les condamnera, dans l’autre vie, “ le jugement de Dieu qui est selon la vérité ” (Rm 2, 2). Mais, en cette vie, les peines sont surtout médicinales. La peine de mort doit donc être réservée aux fautes qui nuisent gravement au prochain.

3. Quand la faute est rendue publique, mais que la peine l’est aussi, peine de mort ou autre châtiment dont les hommes ont horreur, leur volonté est par là même détournée de la faute ; parce que la punition les effraie plus encore que la faute ne les attire.

 

 

            Article 4 — Envers qui doit-on exercer la vengeance ?

Objections :

1. Il semble qu’elle doit s’exercer contre ceux qui ont péché involontairement. Car la volonté dé l’un n’épouse pas celle de l’autre, et pourtant l’un est puni pour l’autre, selon l’Exode (20, 5) : “ Je suis un Dieu jaloux, qui punit l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération. ” Aussi, pour le péché de Cham, Canaan son fils fut-il maudit, d’après la Genèse (9, 25 s.). Giesi ayant péché, sa lèpre se transmet à ses descendants (2 R 5, 27). Le sang du Christ expose au châtiment la postérité des Juifs qui avaient dit (Mt 27, 25) : “ Que son sang soit sur nous et sur nos enfants. ” On lit encore (Jos 7) que le péché d’Akan livra Israël au pouvoir de ses ennemis. Et pour le péché des fils d’Héli, le même peuple s’effondre devant les Philistins (1 S 4, 2.10). Donc la vengeance peut s’exercer sur des actes involontaires.

2. Il n’y a de volontaire que ce qui est au pouvoir de l’homme. Mais parfois on punit quelqu’un pour ce qui n’est pas en son pouvoir, par exemple la lèpre écarte des fonctions ecclésiastiques, une Église perd son siège épiscopal à cause de la pauvreté ou de la méchanceté de ses membres. Donc on n’exerce pas la vengeance uniquement pour un péché volontaire.

3. L’ignorance est cause d’involontaire. Mais la vengeance s’exerce parfois sur des ignorants. Les petits enfants de Sodome, malgré une ignorance invincible, périrent avec leurs parents (Gn 19, 25). De même de tout petits furent engloutis avec Dathan et Abiron pour le péché commis par ceux-ci (Nb 16,27 s.). Même des bêtes dépourvues de raison furent condamnées à mort pour le péché des Amalécites (1 S 15, 3).

4. La contrainte est ce qui s’oppose le plus au volontaire. Mais celui qui a commis un péché en étant contraint par la peur n’en est pas moins passible d’un châtiment. Donc la vengeance s’exerce aussi sur des pécheurs involontaires.

5. S. Ambroise nous dit (sur Lc 5, 3) “ La barque où se trouvait Judas était agitée ainsi Pierre, bien appuyé sur ses mérites, était agité par les démérites d’un autre. ” Or Pierre ne voulait pas le péché de Judas. Donc on est puni parfois pour ce qu’on a pas voulu.

En sens contraire, la peine est due au péché. Mais tout péché est volontaire, dit S. Augustin. Donc la vengeance ne doit s’exercer que pour des actes volontaires.

Réponse :

On peut considérer la peine de deux points de vue. D’abord selon sa racine de peine, et à ce titre la peine n’est due qu’au péché, parce que la peine rétablit l’égalité de la justice, en tant que celui qui par le péché a suivi indûment sa volonté, souffre quelque chose de contraire à celle-ci. Aussi, puisque tout péché est volontaire, même le péché originel, comme nous l’avons établi antérieurement, il s’ensuit que personne n’est puni de cette façon sinon pour un acte volontaire.

Mais on peut considérer la peine autrement : comme un remède destiné non seulement à guérir le péché passé, mais aussi à prévenir le péché futur et à exciter au bien. De ce point de vue, on est parfois puni sans avoir commis de faute, mais non pas sans motif.

Il faut remarquer cependant que jamais un remède n’enlève un bien plus grand pour promouvoir un bien moindre ; c’est ainsi que la médecine ne crève pas l’œil pour guérir le talon. Cependant elle sacrifie parfois ce qui a moins de valeur pour venir en aide à ce qui en a davantage. Or les biens spirituels sont les plus grands, et les biens temporels les moindres. Aussi, quand un innocent est puni dans ses biens temporels, ce sont pour la plupart des peines de la vie présente infligées par Dieu pour l’humilier ou l’éprouver ; mais personne n’est puni dans ses biens spirituels s’il n’a commis une faute personnelle, ni ici-bas ni dans l’au-delà, parce que les peines n’y sont plus des remèdes mais la conséquence de la damnation spirituelle.

Solutions :

1. Un homme n’est jamais puni d’une peine spirituelle pour le péché d’un autre, parce que la peine spirituelle atteint l’âme, selon laquelle chacun est libre. Mais parfois on est puni d’une peine temporelle pour le péché d’un autre par trois motifs. 1° Parce qu’un homme, sur le plan temporel, est la propriété d’un autre, et la punition de celui-ci l’atteint lui-même ; c’est ainsi que par leur corps les enfants appartiennent à leur père et les esclaves à leurs maîtres. 2° En tant que le péché de l’un se transmet à l’autre, soit par imitation : ainsi les enfants imitent les péchés de leurs parents, et les esclaves ceux de leurs maîtres pour pécher plus hardiment ; soit par mode de mérite : ainsi les péchés des sujets leur méritent un chef pécheur, selon cette parole de Job (34, 30 Vg) : “ Il fait régner l’hypocrite à cause des péchés du peuple. ” C’est ainsi que le peuple d’Israël fut puni à cause du recensement opéré par David (2 S 24) ; soit par une certaine connivence ou lâcheté : parfois les bons partagent la punition temporelle des méchants parce qu’ils n’ont pas condamné leurs péchés, dit S. Augustin. 3° Pour insister sur l’unité de la société humaine, en vertu de laquelle chacun doit veiller à ce que les autres ne pèchent pas ; et aussi pour faire détester le péché, puisque la peine due à l’un rejaillit sur tous, comme ne faisant qu’un seul corps, selon S. Augustin parlant du péché d’Akan.

Quant à la parole du Seigneur : “ je punis les péchés des parents sur les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération ”, elle vient de la miséricorde plutôt que de la sévérité, puisque Dieu diffère la vengeance pour permettre aux descendants de se corriger ; mais si la perversité augmente, il devient nécessaire de punir.

2. Comme dit S. Augustin, le jugement humain devrait imiter le jugement divin lorsqu’il est manifeste et que Dieu inflige une condamnation spirituelle pour le péché personnel. Mais, quand il s’agit de jugements divins qui demeurent secrets, et où Dieu inflige une punition temporelle à des innocents, l’homme ne peut comprendre les raisons de tels jugements, pour savoir ce qui est bon pour chacun. C’est pourquoi le jugement des hommes ne doit jamais condamner un innocent à une peine afflictive, comme la mort, la mutilation ou la flagellation.

Mais les hommes peuvent condamner selon une peine de confiscation, même sans qu’il y ait faute, mais non sans motif. Et cela en trois cas. 1° Lorsque quelqu’un, sans faute de sa part, est rendu inapte à garder ou à obtenir un bien ; par exemple la lèpre interdit les fonctions ecclésiastiques, et l’on ne peut accéder aux ordres sacrés si l’on a été marié deux fois ou si l’on a fait verser le sang. 2° Parce que le bien confisqué n’est pas personnel, mais commun : qu’une église soit le siège d’un évêché, cela regarde le bien commun de la cité, non celui du seul clergé. 3° Parce que le bien de l’un dépend du bien de l’autre : par exemple le crime de lèse-majesté commis par les parents prive leur fils de son héritage.

3. Les tout-petits partagent la punition temporelle due à leurs parents non seulement parce qu’ils sont la chose de leurs parents, et que leurs parents sont punis en eux, mais aussi parce que cela est à leur avantage, car s’ils survivaient ils pourraient imiter la malice de leurs parents et mériter ainsi de plus graves châtiments.

Sur les bêtes et toutes les autres créatures sans raison, la vengeance s’exerce pour punir leurs propriétaires, et pour inspirer l’horreur du péché.

4. La crainte ne crée pas une contrainte qui supprime le volontaire, mais nous avons vu qu’elle comporte un mélange de volontaire et d’involontaire.

5. Les autres Apôtres étaient troublés à cause du péché de judas, de même que la multitude est punie pour le péché d’un seul, ce qui met en valeur son unité, comme nous venons de le dire (sol. 2).

Étudions maintenant la vérité et les vices opposés (Q. 110- 113) .

 

 

QUESTION 109 — LA VÉRITÉ

A propos de la vérité, on se demande : 1. Est-elle une vertu ? - 2. Une vertu spéciale ?- 3. Fait-elle partie de la justice ? - 4. Doit-elle diminuer plutôt qu’exagérer ?

 

 

            Article 1 — La vérité est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non, car la première des vertus est la foi, qui a la vérité pour objet. Donc, puisque l’objet est antérieur à l’habitus et à l’acte, il apparaît que la vérité est quelque chose d’antérieur à la vertu.

2. Comme dit Aristote il revient à la vérité que “ l’on dise de soi-même ce qu’il en est, ni plus ni moins ”. Mais cela n’est pas toujours louable, ni s’il s’agit du bien, car on lit dans les Proverbes (27, 2) : “ Qu’autrui fasse ton éloge, mais non ta propre bouche ” ; ni s’il s’agit du mal, car on lit cette critique dans Isaïe (3, 9) : “ Ils étalent leur péché, comme Sodome, au lieu de le dissimuler. ” Donc la vérité n’est pas une vertu.

3. Toute vertu est théologale, ou intellectuelle, ou morale. Or la vérité n’est pas une vertu théologale car elle a pour objet non pas Dieu mais les affaires temporelles. Cicéron dit en effet : “ La vérité dit, sans rien y changer, ce qui est, fut, ou sera. ” Elle ne fait pas partie des vertus intellectuelles ; elle est leur fin. Et elle n’est pas une vertu morale, car elle ne consiste pas en un milieu entre l’excès et le défaut, car plus on dit vrai, mieux cela vaut.

En sens contraire, Aristote la place au nombre des vertus.

Réponse :

Le mot vérité peut avoir deux sens. Dans le premier, c’est ce qui fait dire d’une chose qu’elle est vraie. En ce sens, elle n’est pas une vertu, mais l’objet ou la fin de la vertu. En effet, elle n’est pas une espèce d’habitus, mais une certaine égalité entre l’intelligence ou le signe intellectuel et la réalité comprise et signifiée, ou encore entre une chose et sa règle ou son modèle, comme nous l’avons montré dans la première Partie. - Dans le second sens, c’est ce qui fait qu’un homme dit la vérité, et c’est ce qui fait dire de lui qu’il est véridique. Ainsi définie, la vérité est évidemment une vertu : car, dire ce qui est vrai est un acte bon, mais c’est la vertu “ qui rend bon celui qui la possède et aussi rend son œuvre bonne. ”

Solutions :

1. Il s’agit ici de la vérité entendue au premier sens.

2. Parler de soi, dans la mesure où l’on dit vrai, est une chose bonne, mais d’une bonté générale qui ne suffit pas à en faire un acte de vertu ; il faut encore que toutes les circonstances soient ce qu’elles doivent être ; autrement, l’acte sera vicieux. Ainsi en est-il quand, sans juste motif, on fait son propre éloge, à supposer même qu’il soit vrai. Ainsi en est-il encore lorsque l’on rend public le mal que l’on a fait, soit par forfanterie, soit que la manifestation n’ait aucune utilité.

3. Celui qui dit vrai emploie certains signes conformes à la réalité : des mots, des gestes et autres choses extérieures. Or, les vertus morales seules règlent l’emploi de ces choses, comme aussi l’usage de nos membres pour autant qu’ils sont soumis à la volonté. La vérité n’est donc ni une vertu théologale, ni une vertu intellectuelle, mais une vertu morale.

Elle tient le milieu entre l’excès et le défaut de deux manières. 1° Par rapport à l’objet, puisque le vrai, par sa nature même, comporte une certaine égalité, et donc, comme tout ce qui est égal à quelque chose, il se tient entre le trop et le trop peu. Ainsi celui qui dit vrai de lui-même occupe-t-il le milieu entre celui qui exagère et celui qui atténue. - 2° Par rapport à l’acte, il tient le milieu en ce qu’il dit vrai quand il faut et comme il faut. Ici, l’excès consiste à parler de soi alors qu’on devrait se taire ; le défaut, à se taire alors qu’on devrait parier.

 

 

            Article 2 — La vérité est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il semble que non, car le vrai et le bon sont interchangeables. Or la bonté n’est pas une vertu spéciale, bien au contraire toute vertu est bonté puisque “ elle rend bon celui qui la possède ”.

2. Manifester ce qui appartient à l’homme est l’acte de la vérité dont nous parlons. Mais cela est le fait de toute vertu, car tout habitus vertueux se manifeste par son acte propre.

3. On appelle “ vérité de la vie ” une conduite droite. C’est de cela que parle Ézéchias (Is 38, 3) : “ Souviens-toi, Seigneur, que je me suis conduit selon la vérité et avec un cœur loyal. ” Mais toutes les vertus font vivre selon la vérité, on l’a vu par la définition de la vertu donnée précédemment.

4. La vérité semble identique à la simplicité, car toutes deux s’opposent à la simulation. Mais la simplicité n’est pas une vertu spéciale, car elle constitue “ l’intention droite ” requise en toute vertu.

En sens contraire, Aristote l’énumère avec les autres vertus.

Réponse :

La vertu a pour fonction de “ rendre bon l’acte humain ”. Aussi, lorsqu’il se rencontre dans un acte une raison spéciale de bonté, est-il nécessaire qu’une vertu spéciale y dispose. Et puisque l’ordre, selon S. Augustin est l’un des éléments du bien, il s’ensuit qu’une raison spéciale de bonté se dégage d’un ordre déterminé. Or, c’est un type d’ordre spécial, que les paroles et les actions soient conformes à la réalité qu’elles expriment, comme le signe à la chose signifiée ; et la vertu de vérité a pour fonction de perfectionner l’homme sur ce point. Elle est donc évidemment une vertu spéciale.

Solutions :

1. Il y a convertibilité entre le vrai et le bien par le sujet où ils se rencontrent - tout ce qui est vrai est bon, tout ce qui est bon est vrai. Mais selon leur raison propre, ils se dépassent l’un l’autre. Il en est d’eux comme de l’intelligence et de la volonté qui se compénètrent et se débordent, car l’intelligence comprend la volonté et beaucoup d’autres choses ; la volonté désire le bien de l’intelligence et beaucoup d’autres biens. Aussi le vrai, selon sa raison propre de perfection de l’intelligence, est un bien particulier en tant que réalité désirable. Le bien, pareillement, selon sa raison propre, selon qu’il est fin de l’appétit, est quelque chose de vrai en tant qu’il est intelligible. Donc, puisque la vertu inclut la notion de bien, la vérité peut être une vertu spéciale, comme le vrai est un bien spécial. Au contraire, la bonté ne le peut pas, puisque selon sa raison propre, elle est plutôt un genre dont la vertu est une espèce.

2. Les habitus des vertus et des vices sont spécifiés par l’objet qu’ils se proposent, et non pas par ce qui est accidentel et en dehors de ce propos. On parle de soi, parce qu’on veut se faire connaître : c’est donc un acte de la vertu de vérité ; les autres vertus peuvent nous faire connaître, mais sans avoir directement et premièrement cette intention. L’homme courageux veut faire acte de courage ; que, par son acte, il manifeste le courage qui était en lui, c’est une conséquence qu’il n’avait pas principalement en vue.

3. Quand on parle de la vérité de la vie, il s’agit de la vérité par laquelle quelque chose est vrai, et non pas de la vérité par laquelle quelqu’un dit vrai. Comme toute autre chose, la vie est dite vraie quand elle est conforme à ce qui est sa règle et sa mesure, c’est-à-dire la loi divine : cette conformité lui donne sa droiture. Pareille vérité, pareille droiture est commune à toutes les vertus.

4. Simplicité s’oppose à duplicité. Être double, c’est avoir une chose dans la pensée et en exprimer une autre. En ce sens, la simplicité se rattache à la vérité. Elle rend l’intention droite, non pas directement puisque c’est la tâche de toute vertu, mais en excluant la duplicité où l’on met en avant autre chose que ce qu’on veut vraiment.

 

 

            Article 3 — La vérité fait-elle partie de la justice ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet le propre de la justice est de rendre à autrui ce qui lui est dû. Mais quand on dit la vérité, on ne rend pas son dû à autrui comme on le fait dans toutes les parties de la justice que nous venons d’étudier. Donc la vérité ne fait pas partie de la justice.

2. La vérité ressortit à l’intelligence. Mais nous avons établi que la justice relève de la volonté. La vérité n’est donc pas une partie de la justice.

3. S. Jérôme distingue trois vérités : “ la vérité de la vie, la vérité de la justice et la vérité de la doctrine ”, dont aucune ne fait partie de la justice. Car la vérité de la vie englobe toute les vertus, on vient de le dire. La vérité de la justice s’identifie à cette vertu et n’en est donc pas une partie, et la vérité de la doctrine se rapporte plutôt aux vertus intellectuelles. Donc la vérité n’est à aucun titre une partie de la justice.

En sens contraire, Cicéron situe la vérité parmi les parties de la justice.

Réponse :

Comme nous l’avons dit précédemment, si une vertu est annexée à la justice comme une vertu secondaire à la vertu principale, c’est en partie parce qu’elle a quelque chose de commun avec elle, et en partie parce qu’elle réalise imparfaitement sa raison complète. Or la vertu de vérité rejoint la justice en deux points. D’abord en ce qu’elle regarde autrui. La manifestation, dont nous avons dit qu’elle est l’acte de la vérité In, s’adresse à autrui : un homme manifeste à un autre ce qui le concerne lui-même. Ensuite la justice établit une égalité entre les choses, et la vertu de vérité établit une égalité entre les signes et les choses.

Mais la vérité reste inférieure à la raison propre de justice quant à la raison de dette. Car cette vertu ne s’attache pas, comme la justice, à la dette légale, mais plutôt à la dette morale en tant qu’honnêtement un homme doit à un autre la manifestation de la vérité. C’est ainsi que la vérité est une partie de la justice, comme une vertu secondaire annexe de la principales.

Solutions :

1. Parce que l’homme est un animal social, un homme doit à un autre, par nature, ce qui est indispensable au maintien de la société humaine. Or les hommes ne pourraient pas vivre ensemble s’ils n’avaient pas de confiance réciproque, c’est-à-dire s’ils ne se manifestaient pas la vérité. Donc, d’une certaine façon, la vertu de vérité rejoint la raison de dette.

2. Connaître la vérité se rapporte à l’intelligence. Mais par sa volonté qui dispose de ses habitus et de ses membres, l’homme peut produire des signes extérieurs pour faire connaître la vérité. C’est ainsi que la manifestation de la vérité est un acte de la volonté.

3. La vérité dont nous parlons n’est pas la vérité de la vie, nous l’avons dit plus haut. La vérité de la justice peut s’entendre de deux façons. 1° La justice est une règle dérivée de la règle première qui est la loi de Dieu. Ainsi elle se distingue de la vérité de la vie qui est la règle de la vie personnelle, tandis qu’elle est la règle à laquelle doivent se conformer les jugements qui intéressent le prochain. En ce sens, pas plus que la vérité de la vie, la vérité de la justice ne concerne la vérité dont nous traitons ici. 2° D’autre part, la justice est un sentiment qui pousse à dire la vérité, par exemple à faire un aveu ou à témoigner devant le juge. La vérité ainsi entendue est un acte particulier de la vertu de justice, mais elle ne se rattache pas directement à la vérité dont nous traitons, car cette manifestation du vrai a pour objet principal le droit d’autrui. C’est ce qu’exprime Aristote en ces termes : “ Nous ne parlons pas ici de la vérité des aveux, ni de tout ce qui touche à la justice ou à l’injustice. ”

La vérité de la doctrine consiste en une certaine manifestation des réalités vraies qui sont l’objet de la science, ce qui est encore autre chose que la vérité par laquelle “ on se montre, en paroles et en actes, tel que l’on est, ni plus, ni moins, ni autrement ”. - Cependant, comme les vérités scientifiques, en tant que connues par nous, sont en nous et à nous, sous ce rapport la vérité doctrinale peut se rattacher à notre vertu, comme aussi toute expression vraie, paroles ou actes, par laquelle on manifeste ce que l’on connaît.

 

 

            Article 4 — La vertu de vérité incline-t-elle à diminuer les choses ?

Objections :

1. Il semble que non, car on commet une fausseté en disant moins aussi bien qu’en disant plus : que quatre égale cinq n’est pas plus faux que quatre égale trois. Mais, selon Aristote, “ tout ce qui est faux est essentiellement mauvais et haïssable ”. Donc la vertu de vérité n’incline pas davantage à diminuer qu’à exagérer.

2. Qu’une vertu incline vers un extrême plus que vers l’autre, cela vient de ce que le milieu de cette vertu est plus proche d’un extrême que de l’autre ; ainsi la force est plus proche de l’audace que de la timidité. Mais le milieu de la vérité n’est pas plus proche d’un extrême que de l’autre, parce que la vérité étant une égalité, se trouve dans un milieu strictement exact.

3. Celui qui nie la vérité semble s’éloigner de la vérité par défaut, et celui qui y ajoute, par excès. Mais celui qui nie la vérité semble s’opposer à la vérité plus que celui qui exagère, car la vérité n’est pas compatible avec la négation, mais compatible avec l’exagération. Il semble donc que la vertu de vérité doive incliner plutôt au plus qu’au moins.

En sens contraire, Aristote dit que selon cette vertu l’homme doit plutôt incliner vers le moins.

Réponse :

S’écarter de la vérité dans le sens du moins peut se produire de deux façons. D’abord par affirmation : par exemple lorsque quelqu’un ne manifeste pas tout le bien qui est en lui, comme sa science, sa sainteté, etc. Cela se fait sans blesser la vérité, puisque le moins est contenu dans le plus. En ce sens la vertu de vérité incline vers le moins. Car cela, dit Aristote, “ paraît plus prudent parce que les exagérations sont insupportables ”. Les hommes qui exagèrent leurs qualités sont insupportables parce qu’ils semblent vouloir dépasser les autres. Tandis que les hommes qui se diminuent sont agréables par leur modestie qui s’abaisse au niveau des autres. Ce qui fait dire à S. Paul (2 Co 12, 6) : “ Si je voulais m’enorgueillir, ce ne serait pas de la folie, car je ne dirais que la vérité. Mais j’évite de le faire, pour qu’on n’ait pas sur mon compte une idée plus favorable qu’en me voyant ou en m’écoutant. ” On peut aussi diminuer la vérité par négation : on nie les qualités que l’on a. Mais cette diminution n’appartient pas à la vertu de vérité, car on y rencontre la fausseté. Et pourtant cela même serait moins contraire à la vertu, non selon la raison propre de vérité, mais selon la prudence, qu’il faut garder dans toutes les vertus. En effet, il est plus contraire à la prudence, parce que plus périlleux pour nous, et plus pénible pour les autres, de s’estimer et de se vanter pour les qualités qu’on n’a pas, plutôt que de ne pas juger ou ne pas dire les qualités qu’on a réellement.

Solutions :

Tout cela répond aux Objections.

LES VICES OPPOSÉS A LA VÉRITÉ

C’est d’abord le mensonge (Q. 110) ; ensuite, la simulation ou hypocrisie (Q. 111) ; enfin, la jactance (Q. 112) qui a elle-même un vice opposé (Q. 113).

 

 

 

QUESTION 110 — LE MENSONGE

1. Le mensonge est-il toujours opposé à la vérité, comme contenant de la fausseté ? - 2. Ses espèces. - 3. Est-il toujours un péché ? - 4. Un péché mortel ?

 

 

            Article 1 — Le mensonge est-il toujours opposé à la vérité comme contenant de la fausseté ?

Objections :

1. Il semble que non, car les contraires ne peuvent cœxister. Mais le mensonge peut cœxister avec la vérité, car celui qui dit le vrai en croyant que c’est faux, celui-là ment, dit S. Augustin dans son livre Contre le mensonge. Donc le mensonge ne s’oppose pas à la vérité.

2. La vertu de vérité ne consiste pas seulement en des paroles, mais aussi en des actes, car selon Aristote “ cette vertu fait dire la vérité dans les discours et dans la vie ”. Mais le mensonge consiste exclusivement en des paroles, puisqu’on le définit “ une parole de signification fausse ”. Donc il apparaît que le mensonge ne s’oppose pas directement à la vertu de vérité.

3. S. Augustin écrite : “ Ce qui fait la faute du menteur, c’est son désir de triompher. ” Mais cela s’oppose à la bienveillance ou à la justice plutôt qu’à la vérité.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Tout le monde s’accorde à appeler menteur celui qui profère le faux en vue de tromper. Il est donc évident que le mensonge consiste à dire le faux avec l’intention de tromper. ” Donc le mensonge s’oppose à la vérité.

Réponse :

Deux choses spécifient un acte moral son objet et sa fin. La fin est l’objet de la volonté, qui a raison de moteur dans les actes moraux. Les puissances mues par la volonté ont chacune leur objet, qui est l’objet prochain de l’acte volontaire et qui joue dans l’acte de volonté par rapport à la fin le même rôle que la matière vis-à-vis de la forme, comme nous l’avons montré. Or, nous venons de dire que la vérité, et par conséquent les vices contraires, consistent à exprimer quelque chose à l’aide de certains signes, ce qui est un acte de la raison qui rattache le signe à la chose signifiée. En effet, toute représentation exige un rapprochement, œuvre propre de la raison ; ainsi les animaux expriment bien quelque chose, mais sans en avoir l’intention ; leur instinct les pousse à certains actes qui de fait sont expressifs. Cependant, une expression ou énonciation n’est un acte moral qu’à condition d’être volontaire et intentionnelle, et son objet propre, c’est le vrai ou le faux. - Or, la volonté déréglée peut avoir une double intention : d’abord exprimer ce qui est faux, et par cette expression tromper quelqu’un. Donc si ces trois conditions se trouvent réunies : fausseté de ce qui est dit, volonté d’exprimer cette fausseté, intention de tromper, le résultat est triple aussi : fausseté matérielle, puisqu’on dit quelque chose de faux ; fausseté formelle puisqu’on veut le dire ; fausseté efficiente, puisqu’on a l’intention de le faire croire. Mais c’est la fausseté formelle qui constitue la raison de mensonge, à savoir la volonté d’exprimer ce qui est faux. C’est pourquoi on appelle “ mensonge ” (mendacium) ce que l’on dit “ contre sa pensée ” (contra mentem).

Ainsi donc, dire ce qui est faux en le croyant vrai, c’est fausseté matérielle, mais non formelle, puisque étrangère à l’intention. Ce n’est donc pas un mensonge au sens propre du terme, car ce qui n’est pas intentionnel est accidentel et ne saurait donc constituer une différence spécifique. - La fausseté formelle consiste à dire ce qui est faux avec la volonté de le dire ; quand bien même ce serait vrai, pareil acte, considéré au point de vue de la volonté et de la moralité, contient par lui-même la fausseté, et la vérité ne s’y rencontre que par accident. Cela entre donc dans l’espèce mensonge. - Vouloir tromper quelqu’un, lui faire croire ce qui est faux, cela ne ressortit pas spécifiquement au mensonge, mais à une certaine perfection du mensonge, de même qu’un être physique reçoit son espèce de sa forme, quand bien même l’effet de celle-ci serait absent : par exemple, un corps pesant maintenu dans l’air par une violence qui lui est faite et qui l’empêche de suivre l’exigence de sa forme, qui l’attire en bas.

Il est donc évident que le mensonge s’oppose directement et formellement à la vertu de vérité.

Solutions :

1. On doit toujours juger une chose sur ce qui est en elle formellement et par sa nature même, plutôt que sur ce qui s’y trouve matériellement et par accident. Dire ce qui est vrai alors qu’on a l’intention de dire ce qui est faux est donc plus opposé à la vérité, comme vertu morale, que de dire ce qui est faux avec l’intention de dire vrai.

2. Comme dit S. Augustin, les mots tiennent la première place parmi les signes. C’est pourquoi, quand on définit le mensonge “ une parole de signification fausse ”, on entend par là tous les signes. Aussi, celui qui aurait l’intention d’exprimer quelque chose de faux par gestes, ne serait pas innocent de mensonge.

3. Le désir de tromper appartient à l’effet ultime du mensonge, non à son espèce, de même qu’aucun effet n’appartient à l’espèce de ce qui le cause.

 

 

            Article 2 — Les espèces du mensonge

Objections :

1. La division du mensonge en officieux, joyeux et pernicieux semble maladroite. En effet, une division doit se prendre de ce qui convient essentiellement à la réalité en question, Aristote l’a montré. Mais l’intention du résultat n’appartient pas à l’espèce de l’acte moral et n’a qu’un rapport accidentel avec lui, semble-t-il ; aussi des résultats en nombre infini peuvent-ils découler d’un seul acte. Or cette division est prise de l’intention visant le résultat, car le mensonge joyeux se fait par jeu, le mensonge officieux pour rendre service, et le mensonge pernicieux afin de nuire. Donc cette division du mensonge est inadéquate.

2. S. Augustin dans son traité, divise le mensonge en huit : 1° “ doctrinal et religieux ” ; 2° “ sans utilité pour personne et nuisible à quelqu’un ” ; 3° “ utile à l’un au préjudice d’un autre ” ; 4° “ fait pour le seul plaisir de tromper ” ; 5° “ fait par désir de plaire ” ; 6° “ ne nuit à personne et aide quelqu’un à garder son argent ” ; 7° ... “ et aide à éviter la mort ” ; 8° ... “ et aide à éviter la souillure. ” Donc la première division du mensonge était insuffisante.

3. Aristote divise le mensonge en “ jactance ” qui exagère la vérité et “ ironie ” qui la diminue. Ces deux espèces de mensonge ne se trouvent pas dans la division qu’on nous propose. Il semble donc que celle-ci soit inadaptées.

En sens contraire, cette parole du Psaume (5, 7) : “ Tu fais périr les menteurs ”, est ainsi commentée par la Glose : “ Il y a trois espèces de mensonge : celui qui a pour but le salut ou l’avantage de quelqu’un ; celui qui est fait par plaisanterie ; celui qui est inspiré par la méchanceté. ” C’est la division du mensonge en officieux, joyeux, pernicieux, qui est donc justifiée.

Réponse :

On peut donner du mensonge une triple division. 1° La première est prise de la raison même de mensonge ; elle est donc propre et essentielle. A ce point de vue, le mensonge se divise en deux espèces : la jactance, qui va au-delà de la vérité ; l’ironie, qui reste en deçà, d’après Aristote. Cette division est bien essentielle, puisque le mensonge, par sa nature même, est contraire à la vérité qui est une égalité à laquelle s’opposent directement l’excès et le défaut, nous l’avons dit à l’article précédent. 2° La deuxième division considère le mensonge en tant qu’il a raison de faute, plus ou moins grave selon le but que l’on se propose en le disant. La faute est plus grave si l’on veut nuire au prochain ; c’est le mensonge pernicieux. Elle l’est moins, si l’on a en vue quelque bien : un plaisir, et c’est le mensonge joyeux ; un avantage, et c’est le mensonge officieux, qu’il s’agisse d’aider quelqu’un ou de le protéger. Telle est la division présentée au début de cet article. 3° La troisième division est plus générale et considère uniquement le but du mensonge, sans envisager si cela augmente ou diminue sa gravité. C’est la division en huit membres de la deuxième objection. Les trois premiers sont compris dans le mensonge pernicieux, d’abord contre Dieu c’est le mensonge “ doctrinal et religieux ” ensuite contre le prochain, soit avec la seule intention de “ nuire à quelqu’un sans utilité pour personne ”, soit avec celle “ d’être utile à une personne au préjudice d’une autre ”. Le premier de ces trois mensonges est le plus grave, comme toujours quand un péché est contre Dieu, nous l’avons dit ; le deuxième l’est plus que le troisième, que diminue l’intention d’être utile. - La quatrième espèce, à la différence des précédentes qui aggravent le mensonge, ne l’aggrave ni ne le diminue : c’est le mensonge “ par seul plaisir de mentir ”, et Aristote remarque que “ ce mensonge et le plaisir que l’on y trouve viennent de ce que l’on a l’habitus du mensonge ”. - Les quatre dernières espèces diminuent le péché de mensonge. La cinquième en effet, est le mensonge joyeux, que l’on dit “ par désir de plaire ”. Les sixième, septième et huitième espèces se rattachent au mensonge officieux qui “ aide quelqu’un à garder son argent ”, ou est utile à son corps : “ lui sauver la vie ” ; ou à sa vertu : “ le préserver d’une faute qui souille le corps ”. Enfin, il est clair que plus grand est le bien sur lequel se porte l’intention, plus aussi le péché est diminué. C’est pourquoi, à bien regarder, les quatre dernières espèces de mensonge sont disposées comme il convient en ordre de gravité décroissante, car ce qui est utile l’emporte sur ce qui est agréable, la vie du corps est préférable aux richesses, mais elle ne vient elle-même qu’après l’honneur et la vertu.

Solutions :

Cela donne la réponse aux Objections.

 

 

            Article 3 — Le mensonge est-il toujours un péché ?

Objections :

1. Il semble bien que non ; car, très évidemment, les évangélistes n’ont pas péché en rédigeant les évangiles. Pourtant ils semblent avoir dit quelque chose de faux, car les paroles du Christ, et aussi celles d’autres personnages, sont rapportées différemment par l’un ou l’autre, d’où il apparaît que l’un ou l’autre a dit une fausseté.

2. Nul n’est récompensé par Dieu pour un péché. Or les sages-femmes d’Égypte furent récompensées par Dieu pour leur mensonge, car on lit dans l’Exode (1, 21) : “ Dieu leur accorda une postérité. ”

3. La Sainte Écriture raconte les actions de saints personnages pour les donner en exemple. Mais nous lisons que certains hommes très saints ont menti. Ainsi Abraham affirma que son épouse était sa sœur (Gn 12, 13.19 ; 20, 2.5). Jacob a menti en se donnant pour Esaü, et pourtant il a reçu la bénédiction (Gn 27). On nous vante encore Judith qui mentit à Holopherne.

4. Il faut choisir un moindre mal pour en éviter un pire ; . c’est ainsi que le médecin coupe un membre pour éviter l’infection du corps entier. Mais on fait moins de mal en communiquant une information fausse qu’en commettant ou en laissant commettre un homicide.

5. Il y a mensonge à ne pas accomplir une promesse. Mais il ne faut pas accomplir toutes les promesses, car Isidore ordonne : “ Si tu as promis le mal, romps ton engagement. ”

6. Le mensonge est considéré comme péché parce qu’il sert à tromper le prochain, ce qui fait dire à S. Augustin : “ Si l’on s’imagine qu’il y a un genre de mensonge exempt de péché, on se trompe grossièrement en estimant qu’on peut honnêtement tromper les autres. ” Mais tout mensonge n’est pas cause de tromperie, car un mensonge joyeux ne trompe personne. En effet, on ne dit pas ce genre de mensonge pour être cru mais seulement pour le plaisir ; aussi trouve-t-on parfois des expressions hyperboliques dans l’Écriture.

En sens contraire, on lit dans l’Ecclésiastique (7, 13) : “ Garde-toi de dire aucun mensonge. ”

Réponse :

Une chose mauvaise par nature ne peut jamais être bonne et licite ; parce que, pour qu’elle soit bonne, il est nécessaire que tous les éléments y concourent ; en effet, “ le bien est produit par une cause parfaite, tandis que le mal résulte de n’importe quel défaut ” selon Denys. Or, le mensonge est mauvais par nature ; c’est un acte dont la matière n’est pas ce qu’elle devrait être ; puisque les mots sont les signes naturels des pensées, il est contre nature et illégitime qu’on leur fasse signifier ce qu’on ne pense pas. Aussi Aristote dit-il que “ le mensonge est par lui-même mauvais et haïssable, tandis que le vrai est bon et louable ”.

Tout mensonge est donc un péché, comme l’affirme S. Augustin.

Solutions :

1. Il est sacrilège de penser que l’Évangile ou quelque autre Écriture canonique affirme l’erreur, ou que leurs auteurs ont menti ; cela détruirait la certitude de la foi qui repose sur l’autorité des Écritures. Le fait que, dans l’Évangile ou ailleurs, les paroles de certains personnages sont diversement rapportées, ne constitue pas un mensonge. “ Cette question, dit S. Augustin, ne doit embarrasser aucunement celui qui juge avec sagesse que la connaissance de la vérité résulte des pensées quelle que soit d’ailleurs leur expression. On voit par là que nous ne devons pas accuser de mensonge le récit que plusieurs personnes peuvent faire de ce qu’ensemble elles ont vu ou entendu ensemble, bien que la forme et les paroles diffèrent. ”

2. Les sages-femmes n’ont pas reçu de récompense pour leur mensonge, mais pour la crainte de Dieu et la bonne volonté qui les portèrent à mentir. C’est ce qui est dit expressément dans l’Exode : “ Parce qu’elles avaient craint Dieu, Dieu leur accorda une postérité. ”

3. La Sainte Écriture, remarque S. Augustin, nous présente certains personnages comme exemple de vertu parfaite ; on ne doit donc pas croire qu’ils ont menti. Si quelques-unes de leurs paroles peuvent sembler mensongères, il faut y voir des figures et des prophéties. “ Il faut croire que de tels hommes, qui ont joué un rôle considérable dans les temps prophétiques, ont dit et fait d’une manière prophétique tout ce que l’Écriture leur attribue. ” Abraham, en faisant passer Sarah pour sa sœur, voulut seulement taire la vérité, selon S. Augustin mais sans dire de mensonge, et il l’explique lui-même : “ Elle est vraiment ma sœur : elle est fille de mon père, quoiqu’elle ne soit pas fille de ma mère ” (Gn 20, 12). - C’est figurativement que Jacob déclara être Esaü, le fils aîné d’Isaac, parce que le droit d’aînesse lui appartenait légitimement. Il fit cette déclaration par esprit prophétique, pour exprimer le mystère : un peuple puîné, celui des païens, remplacerait le fils aîné, c’est-à-dire les Juifs.

L’Écriture loue certaines personnes non pas comme modèles de vertu parfaite, mais pour des sentiments bons en eux-mêmes, qui leur firent commettre des actes répréhensibles. C’est ainsi que Judith reçoit des éloges, non pour avoir trompé Holopherne, mais pour le patriotisme qui lui fit braver le danger. Mais on peut dire aussi que les paroles de cette héroïne sont vraies au sens spirituel.

4. Le mensonge a raison de péché non seulement à cause du tort fait au prochain, mais à cause de désordre qui lui est essentiel, on vient de le dire. Or, il n’est jamais permis d’employer un moyen désordonné, donc défendu, dans l’intérêt du prochain, par exemple de voler pour faire l’aumône (excepté dans un cas de nécessité où toutes choses deviennent communes). Il n’est donc jamais permis de dire un mensonge pour soustraire quelqu’un à n’importe quel danger ; quoiqu’il soit permis de dissimuler prudemment la vérité, dit S. Augustin.

5. Celui qui a l’intention de tenir sa promesse n’est pas un menteur, puisqu’il ne parle pas contre sa pensée. Si de fait, il ne la tient pas, il manque de fidélité en changeant son projet. Cependant il peut être excusable en deux cas. 1° S’il a promis une chose évidemment mauvaise : il a péché en promettant, il a bien fait en changeant d’avis. - 2° Si les personnes ou les affaires ont changé. Comme dit Sénèque, pour être obligé de tenir une promesse, il faut que rien n’ait changé ; autrement, on n’a pas été menteur en promettant, puisqu’on l’avait fait sous certaines conditions ; on n’est pas infidèle en ne tenant pas, puisque ces conditions n’existent plus. Ainsi S. Paul n’avait-il pas menti lorsqu’il n’alla pas à Corinthe comme il l’avait promis (2 Co 1, 15 s.), parce que des obstacles étaient survenus.

6. Dans une action on peut distinguer ce qui est fait et celui qui le fait. Le mensonge joyeux est trompeur de sa nature, quoiqu’il ne le soit ni par l’intention de celui qui le dit, ni par la manière dont il le dit. Il n’en va pas de même des hyperboles et autres figures du discours, telles qu’on en rencontre dans la Sainte Écriture. Comme dit S. Augustin : “ Tout ce qui se fait ou se dit dans un sens figuré n’est pas mensonge. Tout ce qu’on énonce doit être entendu de l’objet auquel il se rapporte. Or, tout ce qui a été fait, tout ce qui a été dit d’une manière figurative, exprime ce qu’il signifie pour ceux qui doivent en comprendre le sens. ”

 

 

            Article 4 — Le mensonge est-il toujours péché mortel ?

Objections :

1. Il semble bien, car on dit dans le Psaume (5, 7) : “ Tu extermines tous les menteurs ” ; et dans la Sagesse (1, 11) : “ Une bouche mensongère donne la mort à l’âme. ” Mais l’extermination et la mort de l’âme ne peuvent venir que du péché mortel. Donc tout mensonge est péché mortel.

2. Tout ce qui transgresse un précepte du décalogue est péché mortel. Mais le mensonge transgresse ce précepte du décalogue : “ Tu ne feras pas de faux témoignage. ”

3. S. Augustin écrite : “ Aucun menteur, par son mensonge, ne respecte la foi, car il veut justement que celui à qui il ment lui accorde cette foi que lui-même ne respecte pas lorsqu’il ment. Or tout violateur de la foi commet l’iniquité. ” Or on ne pourrait parler ainsi d’un péché véniel.

4. On ne peut perdre la récompense éternelle que pour un péché mortel. Or, pour un mensonge, on perd la récompense éternelle en échange d’une temporelle. En effet, selon S. Grégoire “ dans la récompense des sages-femmes on découvre ce que mérite le péché de mensonge. Car la récompense de leur bonté, qui aurait pu être la vie éternelle, s’est dégradée, à cause du mensonge préalable, en récompense terrestre ”. Donc même un mensonge officieux comme fut celui des sages-femmes, qui paraît le plus léger de tous, est péché mortel.

5. S. Augustin nous dit que “ pour les parfaits, le précepte n’est pas seulement de ne mentir en aucune façon, mais encore de ne pas vouloir mentir ”. Mais agir contre le précepte est péché mortel. Donc tout mensonge des parfaits est péché mortel et, au même titre, pour tous les autres qui autrement seraient. défavorisés.

En sens contraire, d’après S. Augustin “ Il y a deux espèces de mensonge qui, sans être gravement coupables, le sont cependant : celui que nous faisons par plaisanterie, et celui que nous faisons dans l’intérêt du prochain. ” Mais tout péché mortel est gravement coupable. Donc le mensonge joyeux et le mensonge officieux ne sont pas des péchés mortels.

Réponse :

Le péché mortel est proprement celui qui s’oppose à la charité, laquelle donne à l’âme d’être unie à Dieu, nous l’avons dit. Or le mensonge peut s’opposer à la charité de trois façons : par lui-même, par la fin recherchée, par les circonstances qui s’y rencontrent.

1° Par lui-même le mensonge s’oppose à la charité parce qu’il signifie le faux. Si c’est en matière divine, il s’oppose à la charité envers Dieu, dont par un tel mensonge on dissimule ou on altère la vérité. Aussi un tel mensonge ne s’oppose pas seulement à la vertu de vérité, mais encore aux vertus de foi et de religion. C’est pourquoi ce mensonge est le plus grave de tous ; et il est péché mortel. - Si sa fausse signification concerne une connaissance utile au bien de l’homme, par exemple au progrès de son savoir et à sa formation morale, ce mensonge, en tant qu’il lèse le prochain par une information fausse, s’oppose à la charité envers le prochain, si bien qu’il est péché mortel. Mais si la fausseté exprimée par le mensonge concerne une chose indifférente, si bien que le prochain n’en souffre aucun dommage, comme s’il est trompé sur des détails contingents qui ne le concernent pas, un tel mensonge n’est pas par lui-même péché mortel.

2° En raison de la fin recherchée, certains mensonges s’opposent à la charité : par exemple si ce que l’on dit offense Dieu, ce qui est toujours péché mortel, comme contraire à la vertu de religion ; ou bien si cela nuit au prochain dans sa personne, ses biens ou sa réputation. Et cela aussi est péché mortel, puisque nuire au prochain est péché mortel, et l’on pèche mortellement par la seule intention de pécher mortellement. - Mais si la fin voulue n’est pas contraire à la charité, le mensonge ne sera pas péché mortel pour ce motif, comme on le voit dans le mensonge joyeux où l’on cherche un peu de plaisir, et dans le péché officieux où l’on cherche en outre l’utilité du prochain.

3° Le mensonge peut être péché mortel parce qu’il s’oppose à la charité en raison de circonstances accidentelles, comme le scandale, ou un dommage entraîné par le mensonge. En ce cas aussi il y aura péché mortel, puisque quelqu’un n’est pas empêché par la crainte du scandale de mentir publiquement.

Solutions :

1. Ces textes s’entendent du mensonge pernicieux, dit la Glose sur le Psaume (5).

2. Puisque tous les préceptes du décalogue sont ordonnés à l’amour de Dieu et du prochain, comme nous l’avons dite le mensonge s’oppose au précepte dans la mesure où il s’oppose à cet amour. Aussi le précepte interdit-il expressément le faux témoignage “ contre le prochain ” (Ex 20, 16 ; Dt 5, 20).

3. Même le péché véniel peut être appelé iniquité au sens large, en tant qu’il manque à l’égalité réclamée par la justice, ce qui fait dire à S. Jean (1 Jn 3, 4) : “ Tout péché est iniquité. ” S. Augustin parle de même.

4. On peut considérer à deux points de vue le mensonge des sages-femmes : d’abord quant à leur effet bienfaisant sur les Juifs et quant à leur crainte de Dieu. A cet égard, leur vertu est louable et elles méritent une récompense éternelle. Aussi S. Jérôme explique-t-il que Dieu leur accorda une descendance spirituelle.

On peut aussi considérer leur mensonge quant à son acte extérieur, par lequel elles ne pouvaient mériter la récompense éternelle, mais peut-être une récompense temporelle qui n’était pas opposée à la laideur de ce mensonge. C’est ainsi qu’il faut comprendre les paroles de S. Grégoire, et non pas comme si leur mensonge leur avait fait perdre la récompense éternelle méritée par leur intention profonde, comme le prétendait l’objection.

5. Certains disent que pour les hommes parfaits, tout mensonge est péché mortel. Mais cela est déraisonnable. En effet, aucune circonstance n’aggrave un péché à l’infini, à moins de le faire changer d’espèce. Or le sujet est une circonstance qui ne change pas l’espèce du péché, à moins d’un motif qui s’y ajoute, comme la violation d’un vœu, ce qui ne peut se dire d’un mensonge officieux ou joyeux. C’est pourquoi de tels mensonges ne sont pas des péchés mortels chez les hommes parfaits, sauf par accident, en raison du scandale. Et l’on peut ramener à cela la parole de S. Augustin : “ Pour les parfaits le précepte est non seulement de ne pas mentir, mais aussi de ne pas le vouloir ”. Bien que S. Augustin ne parle que de façon dubitative, car il commence par dire : “ A moins que, peut-être... ” Il n’empêche que ceux-là même qui sont constitués gardiens de la vérité par leur office de juges ou de docteurs, s’ils manquent à leur charge, commettent par le mensonge un péché mortel. Dans les autres cas de mensonges, ils ne commettent pas forcément un péché mortel.

 

 

QUESTION 111 — LA SIMULATION ET L’HYPOCRISIE

1. La simulation est-elle toujours un péché ? - 2. L’hypocrisie est-elle la même chose que la simulation ? - 3. Est-elle opposée à la vérité ? - 4. Est-elle un péché mortel ?

 

 

            Article 1 — La simulation est-elle toujours un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. On lit en effet dans S. Luc (24, 28) que le Seigneur “ fit semblant d’aller plus loin ”. S. Ambroise dans son livre sur les Patriarches nous dit qu’Abraham “ parlait de façon captieuse à ses serviteurs lorsqu’il leur disait (Gn 22,5) : "Moi et l’enfant nous irons jusque-là bas, nous adorerons et nous reviendrons vers vous" ”. Mais “ faire semblant ” et “ parler de façon captieuse ” relèvent de la simulation. Or on ne peut attribuer un péché au Christ et à Abraham. Donc la simulation n’est pas toujours un péché.

2. Aucun péché n’est utile. Mais, dit S. Jérôme “ Jéhu, roi d’Israël, nous donne un exemple utile et imitable à l’occasion, lui qui a fait massacrer les prêtres de Baal en faisant semblant de vouloir adorer les idoles ” (2 R 10, 8). Et David prit le visage d’un fou devant Akish, roi de Gat (1 S 21, 13).

3. Le bien est le contraire du mal. Donc, s’il est mal de simuler le bien, il sera bien de simuler le mal.

4. On lit en Isaïe (3, 9) ce reproche : “ Ils étalent leur péché comme Sodome! Ils ne dissimulent pas. ” Mais dissimuler le péché relève de la simulation. Donc user de simulation n’est pas toujours un péché.

En sens contraire, sur le passage d’Isaïe (16, 14) “ Dans trois ans... ” la Glose explique : “ Si l’on compare deux maux, c’est un moindre mai de pécher ouvertement que de simuler la sainteté. ” Mais pécher ouvertement est toujours un péché. Donc la simulation est toujours un péché.

Réponse :

Nous l’avons dit, la vertu de vérité fait que l’on se montre à l’extérieur, par des signes visibles, tel qu’on est. Or les signes extérieurs ne sont pas seulement des paroles, mais aussi des actes. De même qu’il est contraire à la vertu de vérité de parler contre sa pensée, ce qui est mentir ; de même on s’oppose à la vérité en se montrant, par des signes qui sont des actes ou des choses, contrairement à ce qu’on est au fond, et c’est là ce qu’on appelle proprement la simulation. Aussi est-elle à proprement parler un mensonge constitué par ces signes extérieurs que sont les actions. Peu importe qu’on mente en paroles ou par tout autre fait, nous l’avons dit. Aussi, puisque tout mensonge est un péché, nous l’avons vu aussi, il s’ensuit que toute simulation est un péché.

Solutions :

Comme dit S. Augustin : “ Ce que nous figurons par nos actions n’est pas toujours mensonge. Il y a mensonge quand ce que nous figurons ne signifie rien ; mais quand cela aboutit à une signification, c’est une figure de la vérité. ” Et il ajoute l’exemple des locutions figurées, dans lesquelles une chose est représentée sans que nous l’affirmions être telle en réalité. Mais nous la proposons comme la figure d’autre chose que nous voulons affirmer. C’est ainsi que notre Seigneur “ fit semblant d’aller plus loin ”, parce qu’il donna à sa démarche l’allure de quelqu’un qui veut aller plus loin, pour signifier de façon figurée qu’il était loin de la foi des deux disciples, d’après S. Grégoire ; ou bien, d’après S. Augustin, parce que, lui qui allait partir loin en montant au ciel, il était comme retenu sur terre par leur hospitalité.

Abraham aussi a parlé en figure. Aussi S. Ambroise dit-il de lui : “ Il prophétisa ce qu’il ignorait. Car il se disposait à revenir lui-même, après avoir immolé son fils ; mais par sa bouche le Seigneur annonça ce qu’il préparait. ” Donc, ni jésus ni Abraham n’ont usé de simulation.

2. S. Jérôme prend le mot simulation au sens large de n’importe quelle feinte. Celle de David fut une fiction figurative, comme la Glose l’explique sur le titre du Psaume (34) - “ Je bénirai le Seigneur en tout temps. ” Quant à la simulation de Jéhu, il n’est pas nécessaire de l’excuser de mensonge ou de péché, car lui-même fut un mauvais roi qui ne se détourna pas de l’idolâtrie de Jéroboam. Cependant il est loué et il reçoit de Dieu une récompense temporelle non pour sa simulation, mais pour son zèle à détruire le culte de Baal.

3. Certains affirment que nul ne peut faire semblant d’être mauvais, car nul ne se fait passer pour mauvais par des œuvres bonnes ; et si l’on fait des œuvres mauvaises, c’est qu’on est mauvais. Mais cet argument ne porte pas, car on peut faire semblant d’être mauvais par des œuvres qui ne sont pas mauvaises en soi, mais qui ont une apparence de mal.

Cependant la simulation est en elle-même un mal à titre de mensonge comme à titre de scandale. Bien qu’elle rende mauvais le simulateur, ce n’est pas le mal qu’il simule qui le rend mauvais. Et parce que la simulation est mauvaise par elle-même, ce n’est pas en raison de ce qu’elle simule : qu’elle simule le bien ou le mal, elle est un péché.

4. On ment en paroles quand on signifie ce qui n’est pas, mais non quand on tait ce qui est, chose parfois permise. De même on simule quand, par des signes extérieurs tels que des actions ou des choses, on signifie quelque chose qui n’est pas, mais non si l’on omet de signifier ce qui est. C’est ainsi qu’il faut comprendre ce que S. Jérôme dit au même endroits : “ Le second remède après le naufrage, c’est de dissimuler son péché ” pour qu’il ne scandalise pas autrui.

 

 

            Article 2 — L’hypocrisie est-elle la même chose que la simulation ?

Objections :

1. Il semble que non. Car la simulation consiste en un mensonge par action. Mais il peut y avoir hypocrisie même si l’on montre extérieurement ce que l’on fait intérieurement, selon cette parole évangélique (Mt 6, 2) : “ Quand tu fais l’aumône, ne le fais pas claironner devant toi, comme font les hypocrites. ”

2. S. Grégoire nous dit : “ Il y a des gens qui portent l’habit de la sainteté et qui n’ont pas le mérite de la perfection. Il ne faut aucunement les traiter d’hypocrites, parce que pécher par faiblesse est autre chose que pécher par malice. ” Mais ceux qui portent l’habit extérieur de la sainteté et n’ont pas le mérite de la perfection sont des simulateurs parce que l’habit extérieur de la sainteté signifie les œuvres de perfection. Donc la simulation n’est pas identique à l’hypocrisie.

3. L’hypocrisie ne consiste que dans l’intention, car, au sujet des hypocrites le Seigneur dit (Mt 23, 5) : “ Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. ” Et S. Grégoire : “ Ils ne considèrent jamais ce qu’ils doivent faire, mais la manière de faire n’importe quoi pour plaire aux hommes. ” Tandis que la simulation ne consiste pas dans l’intention seulement, mais dans l’action extérieure. Aussi sur Job (36, 13 Vg) : “ Les simulateurs et les rusés provoquent la colère de Dieu ”, la Glose dit-elle : “ Le simulateur simule une chose et en fait une autre ; il affiche la chasteté et il s’abandonne à la luxure ; il exhibe la pauvreté et il remplit sa bourse. ”

En sens contraire, Isidore dit, dans ses Étymologies : “ Le mot grec hypocrite se traduit en latin simulator, puisque celui qui est mauvais au-dedans se montre bon à l’extérieur, car hypo signifie "faux", et crisis, "jugement" ”.

Réponse :

Comme le dit Isidore au même endroit “ le mot "hypocrite" a pour origine l’apparence de ceux qui se produisent dans les spectacles avec des masques qui distinguaient par leur diversité les personnages représentés, hommes ou femmes, pour créer l’illusion chez les spectateurs de ces jeux. ” Ce qui fait dire à S. Augustin : “ De même que les comédiens (hypocritae) simulent d’autres personnages, jouent le rôle de celui qu’ils ne sont pas (car l’acteur qui joue Agamemnon ne l’est pas vraiment, mais le simule) - de même, dans l’Église et dans toute la vie, tout homme, qui veut se faire prendre pour ce qu’il n’est pas, est un hypocrite (hypocrite) : il simule la justice, il ne la pratique pas. ” Ainsi faut-il dire que l’hypocrisie est une simulation ; non pas n’importe laquelle, mais seulement celle où l’on simule un autre personnage, par exemple lorsqu’un pécheur simule le personnage de l’homme juste.

Solutions :

1. Par nature l’œuvre extérieure signifie l’intention. Donc, lorsqu’en accomplissant de bonnes œuvres qui, par leur caractère, contribuent au culte de Dieu, on cherche à plaire non à Dieu mais aux hommes, on simule une intention droite que l’on n’a pas. Aussi S. Grégoire dit-il : “ Les hypocrites font servir les choses de Dieu à l’intérêt du siècle car, par les œuvres saintes qu’ils affichent, ils ne cherchent pas à convertir les hommes, mais à jouir de la popularité. ” Ainsi, ils simulent mensongèrement une intention droite qu’ils n’ont pas, bien qu’ils ne simulent pas la bonne œuvre qu’ils accomplissent.

2. L’habit de sainteté, religieux ou clérical, signifie un état qui oblige aux œuvres de perfection. C’est pourquoi si celui qui prend cet habit dans l’intention d’entrer dans l’état de perfection, en déchoit par faiblesse, il n’est pas simulateur ou hypocrite, parce qu’il n’est pas tenu de manifester son péché en quittant l’habit de sainteté. Il serait hypocrite et simulateur s’il avait pris cet habit afin de s’afficher comme un homme juste.

3. La simulation, comme le mensonge, comporte deux éléments : l’un est le signe, l’autre la réalité signée. Dans l’hypocrisie, c’est l’intention mauvaise qui est envisagée comme la réalité signifiée, laquelle ne correspond pas au signe. Mais dans toute espèce de simulation et de mensonge, ce sont les réalités extérieures, paroles, actions et tout ce qui tombe sous le sens, qui sont envisagés comme signes.

 

 

            Article 3 — L’hypocrisie est-elle supposée à la vertu de vérité ?

Objections :

1. Il apparaît que non. Car dans la simulation ou hypocrisie, il y a le signe et la réalité signifiée. Mais quant à ces deux termes, elle ne paraît pas s’opposer à une vertu spéciale, car l’hypocrisie simule toutes les vertus, et par toutes leurs œuvres, comme le jeûne, la prière et l’aumône, d’après S. Matthieu (6). Donc l’hypocrisie ne s’oppose pas spécialement à la vertu de vérité.

2. Toute simulation procède d’une tromperie, si bien qu’elle s’oppose à la simplicité. Or la tromperie s’oppose à la prudence, nous l’avons montré. Donc l’hypocrisie, qui s’identifie à la simulation, ne s’oppose pas à la vertu de vérité, mais plutôt à la prudence ou à la simplicité.

3. En morale, l’espèce est déterminée par la fin. Or la fin de l’hypocrisie est d’obtenir du profit ou de la vaine gloire. Aussi sur ce texte de job (27, 8 Vg) : “ Quel est l’espoir de l’hypocrite, s’il est un voleur cupide... ” la Glose dit-elle : “ L’hypocrite, appelé en latin simulateur, est un voleur cupide puisque, en continuant une vie d’injustice, il désire être vénéré pour sa sainteté, si bien qu’il dérobe une louange qui ne lui appartient pas. ” Donc, puisque la cupidité et la vaine gloire ne s’opposent pas directement à la vertu de vérité, il apparaît qu’il en va de même pour la simulation ou hypocrisie.

En sens contraire, il y a que toute simulation est un mensonge, comme nous l’avons dit à l’article 1. Or le mensonge s’oppose directement à la vertu de vérité. Donc aussi la simulation ou hypocrisie.

Réponse :

Selon Aristote la contrariété est une opposition selon la forme, laquelle spécifie une réalité. C’est pourquoi la simulation ou hypocrisie peut être opposée à une vertu de deux façons : directe ou indirecte. Son opposition ou sa contrariété directe est à considérer selon l’espèce même de l’acte, qui lui vient de son objet propre. Aussi, puisque l’hypocrisie est une simulation par laquelle on feint un personnage que l’on n’est pas, comme nous venons de le dire à l’article précédent, il s’ensuit qu’elle s’oppose directement à la vérité “ par laquelle on se montre dans sa vie et dans ses paroles, tel qu’on est ”, dit Aristote.

Quant à l’opposition ou contrariété indirecte, elle peut être considérée selon n’importe quel accident : par exemple selon une fin éloignée, ou selon un des instruments de l’acte, etc.

Solutions :

1. Lorsque l’hypocrite simule une vertu, il la prend pour fin non pas d’une manière réelle, comme celui qui veut posséder cette vertu, mais selon l’apparence, comme celui qui veut paraître la posséder. De ce fait, il ne s’oppose pas à cette vertu, mais à la vérité en tant qu’il veut tromper les hommes au sujet de cette vertu. Quant aux œuvres de cette vertu il ne les assume pas comme visées par lui, mais à titre d’instruments, comme des signes de cette vertu. Tout cela ne lui donne pas une opposition directe à cette vertu.

2. Comme on l’a dit antérieurement, ce qui s’oppose directement à la prudence, c’est la ruse dont le rôle est de découvrir certaines voies apparentes, mais non réelles, pour arriver à ses fins. Or la ruse atteint son but propre en paroles par la tromperie, en action par la fraude. Et le rapport de la ruse à l’égard de la prudence se retrouve dans la tromperie et la fraude à l’égard de la simplicité.

Or la tromperie ou la fraude a pour but premier de tromper et parfois, secondairement, de nuire. Aussi appartient-il directement à la simplicité de se garder de la tromperie. Et ainsi, comme on l’a dit plus haut, la simplicité est une vertu identique à celle de vérité ; elle n’en diffère que pour la raison, parce qu’on parle de vérité selon que les signes concordent avec les réalités signifiées, et l’on parle de simplicité selon qu’on ne poursuit pas des buts divergents en recherchent intérieurement autre chose que ce que l’on paraît poursuivre.

3. Le profit et la gloire sont les fins éloignées du simulateur comme du menteur. Aussi ne trouve-t-il pas sa signification dans ces fins-là, mais dans sa fin prochaine, qui est de se montrer autre qu’il n’est. Aussi arrive-t-il que certain simule de grandes choses à son propre sujet, sans autre but que le plaisir de feindre, comme le dit Aristote, et comme nous l’avons dit plus haut, à propos du mensonge.

 

 

            Article 4 — L’hypocrisie est-elle toujours péché mortel ?

Objections :

1. Il semble bien. Car S. Jérôme, dans sa glose d’Isaïe (16, 14) dit : “ Si l’on compare deux maux, c’est un moindre mal de pécher ouvertement que de simuler la sainteté. ” Et sur Job (1, 21 Vg) : “ Comme Dieu en a décidé... ” la Glose affirme que “ la justice simulée n’est plus la justice, mais double péché ”. Et sur ce verset des Lamentations (4, 6) : “ La faute de mon peuple a surpassé le péché de Sodome ”, elle explique : “ On plaint les crimes de l’âme tombée dans l’hypocrisie et dont le péché est plus grand que celui de Sodome. ” Mais les péchés de Sodome sont des péchés mortels. Donc l’hypocrisie aussi.

2. S. Grégoire dit que l’hypocrisie est un péché de malice. Mais celui-ci est le plus grave de tous, car il relève du péché contre le Saint-Esprit.

3. Nul ne mérite d’encourir la colère de Dieu et d’être privé de le voir, sinon à cause du péché mortel. Mais par l’hypocrisie on mérite la colère de Dieu selon Job (36, 13 Vg) : “ Les simulateurs et les rusés provoquent la colère de Dieu. ” En outre l’hypocrite est privé de voir Dieu, selon Job (13, 16 Vg) : “ Aucun hypocrite ne paraîtra en sa présence. ” Donc l’hypocrisie est toujours péché mortel.

En sens contraire, nous savons que l’hypocrisie est un mensonge en action, puisqu’elle est une simulation. Or tout mensonge en parole n’est pas péché mortel. De même pour l’hypocrisie.

2. L’hypocrite cherche à paraître bon. Mais cela ne s’oppose pas à la charité. Donc l’hypocrisie n’est pas de soi péché mortel.

3. L’hypocrisie naît de la vaine gloire, selon S. Grégoire. Mais celle-ci n’est pas toujours péché mortel. Donc l’hypocrisie non plus.

Réponse :

Il y a deux éléments dans l’hypocrisie : le manque de sainteté et la simulation. Donc si l’on appelle hypocrite celui dont l’intention se porte sur l’un et l’autre, c’est-à-dire celui qui ne se soucie pas d’être saint, mais seulement de le paraître, ce qui est le sens habituel de la Sainte Écriture, alors il est évident qu’il y a péché mortel. Car nul n’est totalement privé de sainteté sinon par le péché mortel.

Mais si l’on appelle hypocrite celui qui veut simuler la sainteté dont il est éloigné par le péché mortel, alors, malgré son état de péché mortel, d’où le manque de sainteté dans sa vie, sa simulation ne sera pas toujours péché mortel de sa part, mais parfois péché véniel. Cette différence vient de la fin qu’il se propose. Si elle est incompatible avec l’amour de Dieu ou du prochain, il y aura péché mortel, par exemple s’il simule la sainteté pour répandre de fausses doctrines, ou pour obtenir, quoique indigne, une dignité ecclésiastique, ou d’autres biens temporels qu’il s’est fixés comme fin. Mais si la fin visée n’est pas incompatible avec la charité, il y aura péché véniel, par exemple chez celui qui met tout son plaisir à feindre, et dont Aristote dit qu’il “ apparaît plus vain que mauvais ”. Car le même discernement s’applique au mensonge et à la simulation.

Mais il arrive quelquefois qu’on simule la perfection de la sainteté, perfection qui n’est pas nécessaire au salut. Et une telle simulation n’est pas toujours péché mortel, ni accompagnée de péché mortel.

Solutions :

Et tout cela donne la réponse aux objections. Il faut étudier maintenant d’abord la jactance, puis l’ironie (Q. 113), qui font partie du mensonge selon Aristote.

 

 

 

QUESTION 112 — LA JACTANCE

1. A quelle vertu est-elle contraire ? - 2. Est-elle péché mortel ?

 

 

            Article 1 — A quelle vertu la jactance est-elle contraire ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’elle s’oppose à la vertu de vérité. Car c’est le mensonge qui s’oppose à celle-ci. Or il peut y avoir jactance sans mensonge, comme lorsque quelqu’un étale sa puissance. On lit en effet (Est 1, 3.4) : “ Assuérus fit un grand festin pour montrer les richesses de sa gloire et de sa royauté, la grandeur et l’éclat de sa puissance. ”

2. S. Grégoire fait de la jactance une des quatre espèces de l’orgueil, celle où l’on se vante d’avoir ce qu’on n’a pas. Aussi est-il écrit en Jérémie (48, 29.30) : “ Nous avons appris l’orgueil de Moab, son arrogance excessive. Sa prétention, sa superbe, l’orgueil de son cœur, moi je les connais, dit le Seigneur. je connais sa jactance, à laquelle ne correspond pas son courage. ” Et d’après S. Grégoire, la jactance net de la vaine gloire. Or l’orgueil et la vaine gloire s’opposent à l’humilité. Ce n’est donc pas à la vérité que s’oppose la jactance, mais à l’humilité.

3. Il apparaît que la jactance est causée par la richesse, d’après le livre de la Sagesse (5, 8) : “ A quoi nous a servi l’orgueil ? Que nous a procuré la jactance des richesses ? ” Mais l’excès de richesse paraît relever du péché d’avarice, qui s’oppose à la justice ou à la libéralité. La jactance ne s’oppose donc pas à la vertu de vérité.

En sens contraire, Aristote affirme que la jactance s’oppose à la vérité.

Réponse :

La jactance au sens propre paraît impliquer que l’on s’exalte soi-même en paroles, car ce que l’homme veut jeter (jactance) au loin, il l’élève. Or, à proprement parler, on s’exalte quand on parle de soi-même au-dessus de ce qu’on est. Cela peut arriver de deux façons. D’abord lorsque quelqu’un parle de soi non pas en dépassant la vérité, mais en dépassant l’opinion que les hommes ont de lui. C’est ce que l’Apôtre veut éviter lorsqu’il écrit (2 Co 12, 6) : “ je m’abstiens, de peur qu’on ne se fasse de moi une idée supérieure à ce qu’on voit en moi ou à ce qu’on m’entend dire. ” Une autre façon, c’est de s’exalter soi-même en paroles au-dessus de ce qu’on est en réalité. Et parce qu’il faut juger quelque chose plutôt sur ce qu’il est en lui-même que sur ce qu’il est dans l’opinion d’autrui, on parle plus proprement de jactance quand quelqu’un s’élève au-dessus de ce qu’il est, que lorsqu’il s’élève au-dessus de ce qu’il est dans l’opinion d’autrui, en qu’on puisse parler de jactance dans les deux cas. C’est pourquoi la jactance proprement dite s’oppose par excès à la vertu de vérité.

Solutions :

1. Cet argument vaut pour la jactance qui relève quelqu’un dans l’opinion.

2. On peut considérer de deux façons le péché de jactance. D’abord selon l’espèce de l’acte. Et ainsi il s’oppose à la vérité, comme on vient de le dire à l’instant. On peut encore le considérer selon la cause dont il dérive, sinon toujours du moins le plus souvent. Et ainsi la jactance procède de l’orgueil, comme d’une cause qui la meut et la pousse de l’intérieur, car du fait qu’on s’élève intérieurement au-dessus de soi-même par arrogance, il s’ensuit souvent qu’à l’extérieur on se vante à l’excès. Mais parfois on cède à la jactance non par arrogance, mais par une certaine vanité, et on y prend plaisir parce qu’on est devenu tel par habitus. C’est pourquoi l’arrogance par laquelle on s’élève au-dessus de soi-même est une espèce d’orgueil, qui ne s’identifie pas à la jactance, mais qui la cause fréquemment, si bien que S. Grégoire la met parmi les espèces de l’orgueil. En effet, le vantard cherche le plus souvent à obtenir la gloire par sa jactance. Et c’est pourquoi, selon S. Grégoire, la jactance naît de la vaine gloire qui a pour elle raison de fin.

3. L’opulence, elle aussi, produit la jactance de deux façons. D’une façon occasionnelle en tant qu’on s’enorgueillit de ses richesses. C’est pourquoi le livre des Proverbes (8, 18) associe orgueil et richesse. Et l’opulence produit la jactance en lui servant de fin, car, selon Aristote, certains se vantent non seulement en vue de la gloire, mais aussi en vue du gain, en s’attribuant des capacités lucratives, par exemple en se faisant passer pour des médecins, des sages, ou des devins.

 

 

            Article 2 — La jactance est-elle péché mortel ?

Objections :

1. Il semble bien, car on lit dans les Proverbes (28, 25 Vg) : “ Celui qui se vante et se gonfle excite les querelles. ” Mais c’est là péché mortel, car “ Dieu déteste ceux qui sèment les discordes ” (Pr 6, 19). Donc la jactance est péché mortel.

2. Tout ce qui est interdit par la loi de Dieu est péché mortel. Mais sur l’Ecclésiastique (6, 2) : “ Ne t’exalte pas dans les pensées de ton âme ”, la Glose dit que Dieu “ interdit la jactance et l’orgueil ”.

3. La jactance est une sorte de mensonge. Or elle n’est pas un mensonge officieux, ni joyeux. On le voit d’après la fin poursuivie par le mensonge. Selon le Philosophe “ le vantard se met au-dessus de la réalité, parfois sans aucun motif, parfois en vue de la gloire ou de l’honneur, parfois pour de l’argent ”. Son mensonge n’est donc, évidemment, ni joyeux ni officieux. Il en reste qu’il est toujours pernicieux, et il apparaît donc qu’il est toujours péché mortel.

En sens contraire, la jactance, selon S. Grégoire vient de la vaine gloire, qui n’est pas toujours un péché mortel, mais un péché véniel qu’on n’évite pas sans une très grande perfection. Car il dit : “ C’est être très parfait que de chercher la gloire de Dieu dans les bonnes œuvres que l’on fait, au lieu d’une joie égoïste dans les louanges qu’on peut en recevoir. ” La jactance n’est donc pas toujours péché mortel.

Réponse :

Comme on l’a dit précédemment, le péché mortel est celui qui est contraire à la charité. Or la jactance peut être envisagée à un double point de vue. D’abord en elle-même, comme mensonge. Ainsi elle est un péché mortel si le mensonge par lequel on se glorifie soi-même porte atteinte à la gloire de Dieu : tel le roi de Tyr auquel le prophète Ezéchiel (28, 2) reprochait sa jactance : “ Ton cœur s’est élevé, tu as dit : "je suis un dieu" ” ; ou s’il blesse la charité envers le prochain que l’on insulte en se vantant : tel le pharisien, quand il disait (Lc 18, 11) : “ je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont voleurs, injustes et adultères, ni encore comme ce publicain. ” Mais parfois elle est péché véniel, si les mensonges dont on se prévaut ne sont ni contre Dieu ni contre le prochain.

Ensuite, la jactance peut être envisagée dans sa cause : l’orgueil, le désir du gain ou de la vaine gloire. Si elle procède d’un orgueil ou d’une vaine gloire qui soit péché mortel, elle sera péché mortel elle aussi. Autrement elle sera péché véniel.

Mais parfois, quand la jactance se déchaîne par appétit de lucre, cela semble relever de la tromperie et du préjudice contre le prochain. Et c’est pourquoi une telle jactance est plus proche du péché mortel. “ Se vanter pour gagner de l’argent, dit Aristote est plus laid que pour se glorifier et se faire valoir. ” Ce n’est cependant pas toujours péché mortel, car il peut y avoir un gain qui ne cause pas de préjudice à autrui.

Solutions :

1. Celui qui se vante pour exciter des querelles, pèche mortellement. Mais il arrive que la jactance n’ait avec les disputes qu’un rapport accidentel ; elle n’est pas alors péché mortel.

2. La Glose parle ici de la jactance inspirée par un orgueil interdit, et qui est péché mortel.

3. La jactance ne comporte pas toujours un mensonge pernicieux, mais seulement dans les cas où, soit par elle-même, soit par sa cause, elle est contraire à l’amour de Dieu ou du prochain. - Se vanter pour le plaisir que l’on y trouve, c’est quelque chose de vain, dit Aristote et qui peut donc être ramené au mensonge joyeux ; à moins que l’on s’y affectionne tellement que l’on méprise à cause de cela les commandements de Dieu ; ce serait évidemment aller contre l’amour dû à Dieu, en qui seul notre âme doit se reposer comme en sa fin ultime. - Se vanter pour acquérir gloire et argent semble se rattacher au mensonge officieux, à condition que ce ne soit pas au préjudice du prochain, ce qui en ferait un mensonge pernicieux.

 

 

QUESTION 113 — L’IRONIE

1. Est-elle un péché ? - 2. Comparaison de l’ironie avec la jactance.

 

 

            Article 1 — L’ironie est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que l’ironie, par laquelle on se présente au-dessous de sa valeur, ne soit pas un péché. Car aucun péché ne procède d’une assurance donnée par Dieu, par laquelle certains sont amenés à s’abaisser, comme dans les Proverbes (30, 1.2 Vg) : “ Vision racontée par un homme que Dieu assiste et fortifie, et qui dit : "je suis le plus stupide des hommes." ” Et on lit dans Amos (7, 14) : “ Amos répondit : "je ne suis pas prophète." ”

2. S. Grégoire écrit à S. Augustin, évêque des Anglais, : “ Les âmes vertueuses reconnaissent qu’il y a de leur faute même là où il n’y a pas de faute. Mais tout péché répugne à une âme vertueuse. ” Donc l’ironie n’est pas un péché.

3. Fuir l’orgueil n’est pas un péché. Mais selon Aristote, “ certains se déprécient pour éviter de se gonfler ”.

En sens contraire, il y a cette parole de S. Augustin : “ Lorsque tu mens par humilité, si tu n’étais pas pécheur avant de mentir, tu le deviens par ton mensonge. ”

Réponse :

Qu’on se rabaisse soi-même peut arriver de deux façons. D’abord en respectant la vérité, lorsque l’on garde le silence sur ce qu’on a de meilleur, que l’on découvre ce qu’on a de moins bon en le mettant en avant, et alors qu’il en est ainsi réellement. Se diminuer ainsi n’est pas de l’ironie et ce n’est pas, par son genre, un péché à moins que ce ne soit gâté par quelque circonstance.

On peut aussi se déprécier en s’écartant de la vérité, par exemple en s’attribuant une vilenie que l’on ne se reconnaît pas, ou en niant une grande qualité dont on a pourtant conscience. C’est alors de l’ironie, laquelle est toujours un péché.

Solutions :

1. Il y a deux sagesses et deux folies. Car il y a une sagesse selon Dieu, qui a pour compagne la folie selon les hommes ou selon le monde, comme dit S. Paul (1 Co 3, 18) : “ Si quelqu’un parmi vous croit être sage, qu’il se fasse fou pour devenir sage. ” Autre est la sagesse mondaine dont il dit aussitôt après : “ Elle est folie auprès de Dieu. ” Donc, celui que Dieu fortifie reconnaît être très stupide dans l’opinion des hommes, parce qu’il méprise les biens de ce monde que recherche la sagesse humaine. C’est pourquoi il dit ensuite (v. 2 Vg) - “ La sagesse des hommes n’est pas avec moi ”, et ensuite : “ Et je connais la science des saints. ” Ou bien on peut dire que “ la sagesse des hommes ” est celle qui s’acquiert par la raison humaine, mais “ la sagesse des saints ” celle qui vient de l’inspiration divine.

Quant à Amos, ce qu’il nie, c’est d’être prophète de naissance parce qu’il n’appartenait pas à une famille de prophètes, aussi ajoute-t-il : “ Ni fils de prophète. ”

2. Il appartient à une âme vertueuse de tendre à la perfection de la justice. Et c’est pourquoi elle regarde comme une faute non seulement de manquer à la justice commune, ce qui est vraiment une faute, mais aussi de manquer à la perfection de la justice, ce qui n’est pas toujours une faute. Mais il n’appelle pas une faute ce qu’il ne reconnaît pas en être une, car cela serait une ironie mensongère.

3. Personne ne doit faire un péché pour en éviter un autre. On ne doit donc aucunement mentir pour éviter l’orgueil. S. Augustin dit. “ Il ne faut pas craindre l’orgueil au point de manquer à la vérité. ” Et S. Grégoire : “ Imprudents sont les humbles qui se prennent au lacet du mensonge. ”

 

 

            Article 2 — Comparaison de l’ironie avec la jactance

Objections :

1. Il semble que l’ironie ne soit pas moins un péché que la jactance. Car toutes deux sont des péchés en tant qu’elles s’éloignent de la vérité, qui est une certaine égalité. Or on ne s’écarte pas plus de l’égalité lorsqu’on exagère que lorsqu’on atténue la vérité. Donc l’ironie n’est pas moins un péché que la jactance.

2. Selon Aristote, l’ironie est parfois de la jactance. Et la jactance n’est jamais de l’ironie. L’ironie est donc un péché plus grave que la jactance.

3. On lit dans les Proverbes (26, 25) : “ S’il baisse la voix, ne t’y fie pas, car il y a sept abominations dans son cœur. ” Mais baisser la voix convient à l’ironie. Donc il y a en celle-ci de multiples abominations.

En sens contraire, il y a cette affirmation d’Aristote : “ Ceux qui pratiquent l’ironie et en disent moins sont les plus agréables dans le commerce de la vie. ”

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut un mensonge est plus grave qu’un autre tantôt à cause de sa matière, et c’est ainsi que le mensonge dans l’enseignement de la foi est le plus grave ; tantôt à cause du motif qui pousse à pécher, et c’est ainsi que le mensonge pernicieux est plus grave que le mensonge officieux ou joyeux. Or l’ironie et la jactance mentent à propos du même objet (que ce soit par des paroles ou par n’importe quels signes extérieurs), c’est-à-dire à propos de la situation de celui qui parle. De ce point de vue, elles sont égales. Mais le plus souvent la jactance procède d’un motif plus bas : l’appétit du gain ou de l’honneur. Tandis que l’ironie évite, quoique de façon désordonnée, d’être pénible aux autres par de la prétention. Et à ce point de vue, Aristote déclare que la jactance est un péché plus grave que l’ironie. Cependant il arrive parfois qu’on se déprécie pour un autre motif, par exemple pour mieux tromper. Alors c’est l’ironie qui est un péché plus grave.

Solutions :

1. Cet argument vaut pour l’ironie et la jactance selon que l’on considère la gravité du mensonge pris en lui-même, ou à partir de sa matière. Nous avons dit qu’à ce point de vue jactance et ironies sont à égalité.

2. Il y a deux sortes de supériorité : au temporel et au spirituel. Or il arrive parfois que par des signes extérieurs ou par des paroles on se déprécie extérieurement, comme par un vêtement sordide ou quelque chose d’analogue, en vue de manifester une supériorité spirituelle. jésus dit ainsi (Mt 6, 16) que certains “ prennent un visage défait pour faire remarquer aux hommes qu’ils jeûnent ”. Aussi encourent-ils à la fois le vice d’ironie et celui de jactance, quoique sous des rapports différents ; et à cause de cela leur péché est plus grave. Aussi Aristote dit-il : “ La surabondance et l’extrême dénuement conviennent également à la jactance. ” Et on lit dans la vie de S. Augustin qu’il ne voulait avoir de vêtements ni trop précieux ni trop sordides, parce que les hommes recherchent leur gloire dans ces deux excès.

3. Comme il est dit dans l’Ecclésiastique (19, 23 Vg) : “ Tel méchant s’humilie, mais son cœur est plein de tromperie. ” C’est en ce sens que Salomon, dans le proverbe cité, parle du méchant qui baisse la voix par une humilité factice.

I1 faut étudier maintenant l’amitié, au sens d’affabilité (Q. 114), et les vices qui lui son opposés : la flatterie (Q. 115) et le litige (Q. 116).

 

 

QUESTION 114 — L’AMITIÉ OU AFFABILITÉ

1. Est-elle une vertu spéciale ? - 2. Fait-elle partie de la justice ?

 

 

            Article 1 — L’amitié ou affabilité est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car le Philosophe affirme que “ l’amitié parfaite est celle qui se fonde sur la vertu ”. Or toute vertu est cause d’amitié, car selon Denys “ le bien attire l’amour de tous ”. Donc l’amitié n’est pas une vertu spéciale, mais la conséquence de toute vertu.

2. Le philosophe dit de celui qui pratique l’amitié : “ Il reçoit toutes choses comme il le faut, sans être influencé par l’amour ou la haine. ” Mais s’il donne des signes d’amitié à ceux qu’il n’aime pas, il semble verser dans la simulation, laquelle s’oppose à la vertu. Donc une telle amitié n’est pas de la vertu.

3. “ La vertu se situe dans un juste milieu déterminé par le sage ”, dit Aristote. Mais on lit dans l’Ecclésiaste (7, 4) : “ Le cœur du sage est dans la maison du deuil, le cœur des insensés dans la maison de la joie. ” Il convient donc surtout à l’homme vertueux de se garder du plaisir, selon Aristote. Or celui-ci dit encore que cette amitié “ désire naturellement s’associer au plaisir et redoute de contrister. Donc cette amitié n’est pas une vertu ”.

En sens contraire, les préceptes de la loi ont pour objet les actes des vertus. Mais il est dit dans l’Ecclésiastique (4, 7 Vg) : “ Montre-toi affable dans l’assemblée des pauvres. ”

Réponse :

Puisque, comme nous l’avons dit la vertu est ordonnée au bien, là où se présente une raison spéciale de bien, il doit y avoir une raison spéciale de vertu. Et l’ordre est un des éléments du bien, nous l’avons rappelé au même endroit. Or, il faut que les relations de la vie humaine soit harmonieusement ordonnées, aussi bien en actions qu’en paroles, c’est-à-dire que chacun se conduise envers tous les autres de la façon qui est juste. C’est pourquoi il faut une vertu spéciale qui maintienne cet ordre harmonieux. C’est elle qu’on appelle amitié ou affabilité.

Solutions :

1. Aristote, dans son Éthique, parle de deux amitiés. La première consiste principalement dans l’affection d’un homme pour un autre et peut être la conséquence de n’importe quelle vertu. Nous avons parlé plus haut de cette amitié au sujet de la charité h. Il parle d’une autre amitié i qui consiste seulement en des manifestations extérieures, paroles et actes. Celle-là ne réalise pas parfaitement la raison d’amitié, mais lui ressemble en ce que l’on se comporte décemment avec ceux dont on partage la vie.

2. Par nature tout homme est l’ami de tous les autres par un certain amour commun, selon le mot de l’Ecclésiastique (13, 15) : “ Tout être vivant aime son semblable. ” On manifeste cet amour par des signes d’amitié qu’on adresse en paroles ou par action même à des étrangers et à des inconnus. Aussi n’y a-t-il pas là de simulation. Car on ne donne pas à ces gens des signes d’une parfaite amitié, parce qu’on n’a pas la même familiarité avec des étrangers et avec ceux à qui nous unit une amitié de choix.

3. Si l’on dit que le cœur des sages est dans la maison du deuil, ce n’est pas pour qu’il apporte de la tristesse à son prochain, car S. Paul nous dit (Rm 14, 15) : “ Si par un aliment ton frère est contristé, tu ne te conduis plus selon la charité. ” C’est pour apporter de la consolation à ceux qui sont tristes, selon l’Ecclésiastique (7, 34) : “ Ne te détourne pas de ceux qui pleurent, afflige-toi avec les affligés. ” Et si le cœur des insensés est dans la maison de la joie, ce n’est pas afin de réjouir les autres, mais pour profiter de leur joie.

Il appartient donc au sage d’apporter du plaisir à ceux qui vivent avec lui, non le plaisir lascif que la vertu repousse, mais un plaisir honnête, selon le Psaume (133, 1). “ Comme il est bon et joyeux pour les frères d’habiter ensemble! ” Parfois cependant, pour procurer un bien ou écarter un mal, l’homme vertueux ne craindra pas de contrister ses compagnons, nous dit Aristote. Et S. Paul (2 Co 7, 8) : “ Si je vous ai contrastés par ma lettre, je ne le regrette pas. ” Et aussitôt après : “ je me réjouis non de ce que vous avez été attristés, mais de ce que cette tristesse vous a portés au repentir. ” C’est pourquoi nous ne devons pas, à ceux qui sont portés au péché, montrer un visage joyeux pour les réconforter, de peur de paraître acquiescer à leur péché et encourager leur audace coupable. Aussi lit-on dans l’Ecclésiastique (7, 24) : “ As-tu des filles ? Veille sur leur corps, et montre-leur un visage sévère. ”

 

 

            Article 2 — Cette amitié fait-elle partie de la justice ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car appartient à la justice de payer à autrui ce qu’on lui doit. Or cela n’a rien à voir avec cette vertu qui a pour objet de nous faire vivre agréablement avec les autres. Cette vertu-là n’est donc pas une partie de la justice.

2. Selon Aristote cette vertu concerne “ le plaisir ou la tristesse qu’on trouve dans la vie commune ”. Mais modérer les plaisirs revient à la tempérance, nous l’avons montré. Cette vertu fait donc partie de la tempérance plus que de la justice.

3. Il est contraire à la justice, nous l’avons montré, de rétribuer également des réalités inégales. Car d’après Aristote cette vertu “ se comporte envers des inconnus comme envers des gens connus, envers des familiers comme envers des étrangers ”. Donc non seulement elle ne fait pas partie de la justice, mais plutôt elle s’y oppose.

En sens contraire, Macrobe fait de l’amitié une partie de la justice.

Réponse :

Cette vertu fait partie de la justice en ce qu’elle s’y rattache comme la vertu annexe à une vertu principale. Elle a en commun avec la justice d’être relative à autrui. Mais elle lui est inférieure en ce qu’elle ne réalise pas pleinement la raison de dette, où un homme est obligé envers un autre, soit par une dette légale, que la loi le contraint d’acquitter, soit encore par une dette créée par quelque bienfait. L’amitié tient compte seulement d’une certaine dette d’honneur qui contraint l’homme vertueux envers lui-même plus qu’envers l’autre, en le faisant agir selon ce qu’il se doit à lui-même.

Solutions :

1. Nous l’avons dit plus haut, l’homme est, par nature, un animal social qui doit honnêtement manifester la vérité aux autres hommes, sans quoi la société ne pourrait durer. Or, de même que l’homme ne pourrait vivre en société sans vérité, il ne le pourrait pas s’il était privé d’agrément. Comme dit Aristote : “ Personne ne peut passer toute une journée avec un homme chagrin ou sans agrément. ” C’est pourquoi l’homme est tenu par une certaine dette naturelle d’honnêteté à rendre agréables ses relations avec les autres, à moins que pour un motif particulier il s’impose de les contrister pour leur bien.

2. Il appartient à la tempérance de refréner les plaisirs sensibles. Mais notre vertu s’applique aux plaisirs de la vie commune, qui ont une justification raisonnable, en tant que chacun se conduit comme il se doit envers autrui. Et ces plaisirs-là, il n’y a pas à les refréner comme nuisibles.

3. Il ne faut pas entendre cette parole du Philosophe comme si l’on devait s’entretenir et frayer de la même manière avec les familiers et avec les étrangers, parce que, ajoute-t-il lui-même “ il ne convient pas de procéder de la même manière pour réconforter ou contrister soit des familiers, soit des étrangers ”. Donc la ressemblance consiste seulement en ce que l’on agit envers tous de la façon qui convient.

Étudions maintenant les vices contraires à l’affabilité : l’adulation (Q. 115), puis la contestation (Q. 116).

 

 

QUESTION 115 — L’ADULATION

1. Est-elle un péché ? - 2. Est-elle péché mortel ?

 

 

            Article 1 — L’adulation est-elle un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car l’adulation consiste en un discours de louanges adressé à quelqu’un dans l’intention de lui plaire. Mais ce n’est pas un mal de louer quelqu’un, selon les Proverbes (31, 28) : “ Ses fils se lèvent pour la proclamer bienheureuse, son mari pour la louer. ” Pareillement, vouloir plaire aux hommes n’est pas un mal selon S. Paul (1 Co 10, 33) : “ je m’efforce en tout de plaire à tous. ”

2. Le mal est contraire au bien, et le blâme à la louange. Mais blâmer le mal n’est pas un mal. Donc louer le bien ne l’est pas non plus, alors que cela se rattache à l’adulation. Donc celle-ci n’est pas un péché.

3. La médisance est contraire à l’adulation, aussi S. Grégoire dit-il a que la médisance est un remède contre l’adulation : “ Il faut savoir que pour épargner l’orgueil engendré par des louanges immodérées, la sagesse de notre Dieu permet que nous soyons déchirés par les critiques, afin qu’exaltés par la voix du laudateur nous soyons abaissés par celle du diffamateur. ” Mais nous avons vu que la diffamation est un mal. Donc l’adulation est un bien.

En sens contraire, on lit dans Ézéchiel (13, 18) : “ Malheur à ceux qui confectionnent des coussins pour tous les coudes ”, et la Glose entend par là “ les douceurs de l’adulation ”.

Réponse :

Nous avons dit que l’affabilité, bien que son principal objet soit de faire plaisir à ceux qui vivent avec nous, ne craint pas cependant de leur faire de la peine, quand cela est nécessaire pour procurer un bien ou écarter un mal. Dès lors, chercher à toujours faire plaisir, c’est dépasser la mesure et pécher par excès. Celui qui n’a en cela d’autre intention que de plaire, Aristote l’appelle “ complaisant ” ; celui qui a l’intention d’y trouver son avantage est à proprement parler “ flatteur ” ou “ adulateur ”. Cependant, d’une manière générale, ce nom est donné à tous ceux qui dépassent la juste mesure par des paroles ou des actes de complaisance dans la vie de société.

Solutions :

1. Une louange peut être bonne ou mauvaise, selon que les circonstances sont ou ne sont pas ce qu’elles doivent être. Louer quelqu’un, et ainsi lui faire plaisir, pour l’encourager dans ses épreuves ou ses efforts, toutes les autres circonstances étant régulières, c’est faire acte d’affabilité. Au contraire, ce serait de la flatterie que de le louer de ce qui n’est pas digne de louange, par exemple, de ce qui est mal, comme dit le Psaume (10, 3) : “ Le méchant est loué de sa convoitise ” ; ou de ce qui est douteux : “ Ne loue personne avant qu’il ait parlé ” (Si 27, 8). “ Ne loue pas un homme pour sa beauté ” (Si 11, 2) ; ou encore s’il était à craindre que cette louange ne poussât à la vaine gloire : “ Ne loue personne avant sa mort ” (Si 11, 28).

De même, chercher à plaire pour nourrir la charité ou faire progresser spirituellement, c’est louable. Si, au contraire, on avait en vue la vaine gloire, un avantage temporel, ou s’il s’agissait de mauvaises actions, ce serait un péché : “ Dieu a dispersé les os de ceux qui cherchent à plaire aux hommes ” (Ps 53, 6 Vg). - “ Si je plaisais encore aux hommes dit S. Paul, je ne serais pas serviteur du Christ ” (Ga 1, 10).

2. Blâmer le mal aussi est vicieux, si on le fait sans tenir compte des circonstances. Et pareillement louer le bien.

3. Rien n’empêche que deux vices soient contraires. Et c’est pourquoi, si la diffamation est un mal, de même l’adulation. Il y a contradiction entre elles quant aux paroles, mais non directement quant à la fin : l’adulateur cherche à faire plaisir à celui qu’il adule ; le diffamateur ne cherche pas tellement à contrister sa victime, puisqu’il agit parfois en cachette, mais plutôt à salir sa réputation.

 

 

            Article 2 — L’adulation est-elle péché mortel ?

Objections :

1. Il semble bien, car selon S. Augustin “ on appelle mal ce qui nuit ”. Or l’adulation est souverainement nuisible, selon le Psaume (10, 3) : “ L’impie est glorifié pour ses convoitises, le pécheur est béni, et provoque le Seigneur. ” Et on lit dans une lettre attribuée à S. Jérôme : “ Rien ne corrompt plus facilement les âmes ” que l’adulation. Et sur le Psaume (70, 4) : “ Que l’humiliation les écrase ”, la Glose dit : “ La langue de l’adulateur est plus nuisible que le glaive du persécuteur. ” Donc l’adulation est un péché très grave.

2. Celui qui nuit à autrui en paroles ne se nuit pas moins à lui-même. D’où cette menace du Psaume (37, 15) : “ L’épée leur entrera dans le cœur. ” Mais celui qui adule autrui l’entraîne au péché mortel. Aussi sur le Psaume (14, 5) : “ Que l’huile du pécheur ne parfume pas ma tête ”, la Glose donne ce commentaire : “ La fausse louange du flatteur amollit les âmes, les détache de l’austère vérité et les porte au mal. ”

3. Il est stipulé dans le Décret : “ Le clerc coupable d’adulation et de trahisons sera destitué de son office. ” Mais une telle peine n’est infligée que pour un péché mortel.

En sens contraire, parmi les “ péchés légers ” S. Augustin énumère : “ Aduler un haut personnage soit spontanément soit par nécessité. ”

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit, le péché mortel est celui qui s’oppose à la charité. Or l’adulation s’y oppose parfois, et parfois non. Elle s’y oppose de trois façons. 1° Par la matière, lorsqu’on loue le péché de quelqu’un par exemple. Car cela s’oppose à l’amour de Dieu dont le flatteur offense la justice, et à l’amour du prochain, dont il encourage le péché. Une telle adulation est péché mortel selon Isaïe (5, 20) : “ Malheur à ceux qui appellent le mal bien. ” 2° Par l’intention, ainsi lorsqu’on flatte quelqu’un pour nuire par tromperie à son corps ou à son âme. Cela encore est péché mortel, comme disent les Proverbes (27, 6) : “ Les blessures faites par celui qui vous aime sont meilleures que les baisers trompeurs donnés par celui qui vous hait. ” 3° Par occasion, lorsque la louange de l’adulateur fournit à autrui l’occasion de pécher, même sans que le flatteur l’ait voulu. Sur ce point il faut examiner si l’occasion a été donnée ou seulement reçue, et quel dommage s’en est suivi, comme nous l’avons expliqué à propos du scandales.

Mais si quelqu’un s’est livré à l’adulation dans le seul désir d’être agréable, ou encore pour éviter un mal, ou pour parer à une nécessité, ce n’est pas contraire à la charité, ce n’est donc que péché véniel.

Solutions :

1. Ces textes parlent de l’adulation qui loue le péché de quelqu’un. On dit qu’une telle adulation est plus nuisible que le glaive du persécuteur parce qu’elle atteint les biens spirituels qui sont les plus précieux. Mais sa nocivité n’est pas aussi efficace, car le glaive du persécuteur tue effectivement, il suffit à donner la mort, tandis que personne ne peut être cause suffisante de péché pour autrui, comme nous l’avons montré.

2. Cet argument est valable pour celui qui flatte dans l’intention de nuire. Il nuit à lui-même plus qu’aux autres parce qu’il est à lui-même cause suffisante de péché ; pour les autres il n’en est qu’une cause occasionnelle.

3. Ce texte parle de l’adulateur qui flatte traîtreusement afin de tromper.

 

 

QUESTION 116 — LA CONTESTATION

1. Est-elle contraire à la vertu d’amitié ? - 2. Sa comparaison avec l’adulation.

 

 

            Article 1 — La contestation est-elle contraire à la vertu d’amitié ?

Objections :

1. Il semble que non, car la contestation semble se rattacher à la discorde, de même que la dispute. Mais la discorde s’oppose à la charité, nous l’avons dit. Donc aussi la contestation.

2. On lit dans les Proverbes (26, 21) : “ L’homme irascible attise la dispute. ” Mais l’irascibilité s’oppose à la douceur. Donc, de même la dispute et la contestation.

3. On lit dans la lettre de S. Jacques (4, 1) “ D’où viennent les guerres et les contestations entre vous ? N’est-ce pas de vos convoitises, qui combattent dans vos membre ? ” Mais suivre ses convoitises, c’est le contraire de la tempérance. Il semble donc que la contestation ne s’oppose pas à la vertu d’amitié, mais à la tempérance.

En sens contraire, il y a l’autorité d’Aristote qui oppose la contestation à l’amitié.

Réponse :

A proprement parler, la contestation consiste en paroles qui contredisent celles d’autrui. Dans cette contradiction on peut envisager deux points de vue. Parfois, la contradiction vient de ce que le contradicteur refuse de s’accorder avec celui qui parle, parce qu’il n’y a pas entre eux cet amour qui unit les cœurs. Et cela relève de la discorde, qui est contraire à la charité. Mais parfois la contradiction, en raison de la personne contredite, provient de ce que l’on ne craint pas de lui faire de la peine. C’est alors qu’il y a contestation, opposée à cette amitié ou affabilité qui nous permet de vivre agréablement avec les autres. Aussi Aristote dit-il : “ Ceux qui contrarient toujours afin de contrister sans se soucier de rien, sont appelés gens difficiles et contestataires. ”

Solutions :

1. La dispute se rattache plus proprement à la contradiction de la discorde, la contestation à la contradiction qui cherche à contrister.

2. L’opposition directe des vices aux vertus n’est pas à envisager selon leurs causes, car il arrive qu’un même vice naisse de diverses causes, mais selon la spécificité de l’acte. Bien que la contestation naisse parfois de la colère, elle peut provenir de beaucoup d’autres causes. Aussi n’est-elle pas toujours opposée directement à la mansuétude.

3. S. Jacques parle ici de la convoitise comme d’un mal général d’où naissent tous les vices, comme dit la Glose (sur Rm 7, 7) : “ La loi est bonne car, en interdisant la convoitise, elle interdit tous les maux. ”

 

 

            Article 2 — Comparaison entre la contestation et l’adulation

Objections :

1. Il apparaît que la contestation est un péché moindre que le vice contraire, qui est la complaisance ou l’adulation. Car plus un péché est nuisible, plus il est grave. Or l’adulation est plus nuisible que la contestation, car on lit en Isaïe (3, 12) : “ Ô mon peuple, ceux qui te disent bienheureux te trompent, et ils effacent les chemins que tu dois suivre. ” Donc l’adulation est un péché plus grave que la contestation.

2. Dans l’adulation il y a une certaine tromperie, car l’adulateur dit une chose, et son cœur pense autrement. Or le contestataire est sans tromperie, car il contredit ouvertement. Or celui qui pèche en trompant est plus vil, d’après Aristote d. Donc l’adulation est un péché plus

grave que la contestation.

3. La honte consiste à redouter le déshonneur, comme le montre Aristote. Mais l’homme éprouve plus de honte à être adulateur que contestataire. Donc la contestation est un péché moins grave que l’adulation.

En sens contraire, c’est un fait qu’un péché apparaît d’autant plus grave qu’il s’oppose davantage à une situation spirituelle. Or la contestation paraît s’opposer davantage à un office spirituel il est dit en effet (1 Tm 3, 2) : “ L’évêque ne doit pas être contestataire ” et (2 Tm 2, 24) : “ Il ne faut pas que le serviteur de Dieu soit contestataire. ” Donc la contestation semble être un péché plus grave.

Réponse :

Nous pouvons parler de ces deux péchés à un double point de vue. D’abord en considérant l’espèce de ces deux péchés. Et à ce point de vue un péché est d’autant plus grave qu’il s’oppose davantage à la vertu contraire. Or la vertu d’amitié tend plus fondamentalement à faire plaisir qu’à contrister. Et c’est pourquoi le contestataire qui cherche à contrister sans aucune limite pèche plus gravement que le complaisant ou le flatteur qui cherche surabondamment à faire plaisir.

D’autre part on peut considérer ces deux péchés selon leurs motifs extérieurs. Et à ce point de vue l’adulation est parfois plus grave, par exemple quand elle cherche à obtenir de l’honneur ou un profit par une tromperie injustifiable. Mais parfois la contestation est plus grave, par exemple si l’on veut combattre la vérité, ou attirer le mépris sur celui que l’on contredit.

Solutions :

1. De même que le flatteur peut faire du mal en trompant secrètement, le contestataire peut parfois nuire en attaquant ouvertement. Or il est plus grave, toutes choses égales d’ailleurs, de nuire ouvertement à quelqu’un, comme par violence, que de façon cachée ; c’est pourquoi la rapine est un péché plus rave que le vol, nous l’avons dit précédemment

2. Dans les actes humains ce qui est le plus grave n’est pas toujours le plus laid. La beauté de l’homme lui vient de la raison, et c’est pourquoi les péchés les plus laids sont ceux où la chair l’emporte sur la raison. Pourtant les péchés spirituels sont les plus graves, parce qu’ils procèdent d’un plus grand mépris. De même les péchés comportant une tromperie sont plus laids, en tant qu’ils paraissent découler d’une certaine faiblesse et fausseté de la raison, alors que les péchés manifestes viennent parfois d’un plus grand mépris. Et c’est pourquoi l’adulation, comme liée à la tromperie, semble plus laide, mais la contestation venant d’un plus grand mépris, apparaît plus grave.

3. Comme nous l’avons dit, la honte considère la laideur du péché. Aussi n’a-t-on pas toujours plus de honte du péché le plus grave, mais du péché le plus laid. De là vient que l’homme éprouve plus de honte de l’adulation que de la contestation, bien que celle-ci soit plus grave.

Il faut étudier maintenant la libéralité, puis les vices qui lui sont contraires : l’avarice (Q. 118), et la prodigalité (Q. 119).

 

QUESTION 117 — LA LIBÉRALITÉ

1. Est-elle une vertu ? - 2. Quelle est sa matière ? - 3. Son acte ? - 4. Lui appartient-il de donner plutôt que de recevoir ? - 5. Est-elle une partie de la justice ? - 6. Est-elle la plus grande des vertus ?

 

            Article 1 — La libéralité est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non. Car aucune vertu ne contrarie une inclination naturelle. Or l’inclination naturelle de l’homme le pousse à penser à lui-même plus qu’aux autres. C’est le contraire pour le libéral parce que, dit le Philosophe " le libéral pense si peu à lui-même qu’il ne garde pour lui que peu de choses ".

2. L’homme soutient sa vie par ses richesses, et les richesses sont des instruments de sa félicité, selon Aristote. Donc, puisque toute vertu est ordonnée à la félicité, il apparaît que le libéral n’est pas vertueux puisque, dit Aristote " il n’est capable ni de recevoir ni de garder l’argent, mais de le disperser ".

3. Les vertus sont connexes entre elles. Mais on ne voit pas de connexion entre la libéralité et les autres vertus, car beaucoup sont vertueux qui ne peuvent pratiquer la libéralité parce qu’ils n’ont rien à donner ; et beaucoup donnent ou dépensent avec libéralité, qui par ailleurs sont vicieux. Donc la libéralité n’est pas une vertu.

En sens contraire, il y a cette parole de S. Ambroise : " L’Évangile nous donne de nombreux enseignements sur la juste libéralité. " Mais l’Évangile n’enseigne que ce qui appartient à la vertu. Donc la libéralité est une vertu.

Réponse :

S. Augustin nous dit que " bien user des choses dont nous pouvons user mal, c’est l’affaire de la vertu ". Or nous pouvons user bien ou mal non seulement de ce qui est en nous, comme les puissances et les passions de l’âme, mais encore de ce qui est hors de nous, comme les biens de ce monde qui nous sont accordés pour le soutien de notre vie. Et c’est pourquoi, puisque en user bien relève de la libéralité, par voie de conséquence, celle-ci est une vertu.

Solutions :

1. Comme disent S. Ambroise et S. Basile une surabondance de richesse est donnée par Dieu à certains " pour qu’ils obtiennent le mérite d’une bonne gestion ". Mais l’individu se suffit de peu. Et c’est pourquoi l’homme libéral mérite l’éloge en dépensant plus pour les autres que pour lui-même. On doit toujours se réserver davantage les biens spirituels, pour lesquels chacun peut subvenir d’abord à soi-même. Et cependant, même pour les biens temporels, la libéralité ne demande pas d’être si attentif aux autres qu’on néglige entièrement soi-même et les siens. Ce qui fait dire à S. Ambroise : " C’est une libéralité recommandable de ne pas négliger ses proches, quand on les sait dans le besoin. "

2. La libéralité ne demande pas que l’on disperse ses richesses sans rien garder pour se soutenir, et pour pratiquer les œuvres de vertu qui font parvenir à la félicité. Aussi Aristote dit-il : " L’homme libéral se soucie de ses propriétés, grâce auxquelles il pourra aider les autres. " Et S. Ambroise : " Le Seigneur ne veut pas que l’on jette d’un coup toutes ses ressources, mais qu’on les distribue. A moins d’imiter le prophète Elisée qui tua ses bœufs et nourrit les pauvres de ce qu’il possédait afin de se libérer de tout souci domestique ", ce qui appartient à l’état de perfection spirituelle dont nous parlerons plus loin. Cependant il faut remarquer que le fait de donner avec libéralité, en tant que c’est un acte de vertu, est ordonné à la béatitude.

3. Selon Aristote " ceux qui dépensent beaucoup pour leurs excès " ne pratiquent pas la libéralité, mais la prodigalité. Et de même, tout homme qui dissipe sa fortune pour d’autres péchés. Comme dit S. Ambroise : " Si tu viens en aide à celui qui cherche à voler les autres, ce n’est pas une libéralité digne d’éloges. Et ta libéralité n’est pas parfaite si tu donnes par ostentation plus que par miséricorde. " C’est pourquoi ceux qui manquent des autres vertus, bien qu’ils dépensent beaucoup pour des œuvres mauvaises, ne pratiquent pas la libéralité.

Il arrive aussi que certains, bien que dépensant beaucoup pour de bons usages, n’ont pas l’habitus de la libéralité : c’est le cas de tous ceux qui accomplissent des actes de vertu avant d’en avoir acquis l’habitus, et donc qui ne les accomplissent pas de la même manière que les hommes vertueux, nous l’avons déjà dit.

Rien n’empêche enfin que certains hommes vertueux pratiquent la libéralité, quoique pauvres. Ce qui fait dire au Philosophe : " On parle de libéralité en raison d’une disposition profonde à l’égard des richesses, car elle ne consiste pas dans la multiplicité des dons, mais dans l’habitus de celui qui donne. " Et S. Ambroise : " C’est le cœur qui rend le cadeau riche ou pauvre et fixe le prix des choses que l’on donne. "

 

            Article 2 — Quelle est la matière de la libéralité ?

Objections :

1. Il semble que cette vertu ne concerne pas l’argent, car toute vertu morale concerne des opérations ou des passions, selon Aristote. Donc, puisque la libéralité est une vertu morale, il apparaît qu’elle concerne les passions et non l’argent.

2. La libéralité s’occupe de l’usage de toutes les richesses. Or les richesses naturelles sont plus réelles que les richesses artificielles qui consistent en argent, comme le montre Aristote. Donc la libéralité n’a pas l’argent comme objet premier.

3. Les diverses vertus ont diverses matières, parce que les habitus se distinguent selon leurs objets. Or les biens extérieurs sont déjà la matière de la justice distributive et de la justice commutative. Donc ils ne sont pas la matière de la libéralité.

En sens contraire, le Philosophe définit la libéralité " un juste milieu en ce qui concerne l’argent ".

Réponse :

Selon le Philosophe, la libéralité donne à l’homme de " disperser ". Aussi la libéralité s’appelle encore " largesse ", car ce qui est " large " ne retient pas ce qu’il contient, mais le laisse se disperser. Et le mot même de libéralité a le même sens : lorsqu’on disperse ses biens, on se " libère " en quelque sorte du souci de les garder et de les posséder, et l’on montre qu’on a le cœur " libre " de cet attachement. Or ce qu’un homme disperse en le donnant à autrui, ce sont ses possessions que désigne le mot " argent ". C’est pourquoi l’argent est la matière propre de la libéralité.

Solutions :

1. Comme nous l’avons dit, la libéralité ne se mesure pas à la quantité donnée, mais au sentiment du donateur. Or celui-ci est conditionné par les passions d’amour et de convoitise, de plaisir et de tristesse à l’égard de ce que l’on donne. C’est pourquoi la matière immédiate de la libéralité ce sont les passions intérieures, mais celles-ci ont un objet extérieur qui est l’argent.

2. Selon S. Augustin, " tout ce que les hommes possèdent ici-bas et dont ils sont les maîtres, on l’appelle argent (pecunia) parce que toute la richesse des anciens consistait en du bétail (pecus) ". Et le Philosophe d’expliquer : " Nous appelons argent tout ce dont la valeur est mesurée par la monnaie. "

3. La justice établit l’égalité entre ces bien extérieurs, mais il ne lui revient pas de modérer les passions intérieures. Aussi est-ce différemment que l’argent est matière de la libéralité et matière de la justice.

 

            Article 3 — L’acte de la libéralité

Objections :

1. Il ne semble pas que l’emploi de l’argent soit l’acte de la libéralité. Car des vertus diverses ont des actes divers. Mais l’emploi de l’argent est un acte commun à d’autres vertus comme la justice et la magnificence. Ce n’est donc pas l’acte propre de la libéralité.

2. La libéralité n’a pas seulement à donner, mais à recevoir et à garder. Mais ces deux actes ne paraissent pas ressortir à l’emploi de l’argent. Donc on parle de façon incomplète quand on appelle l’emploi de l’argent l’acte propre de la libéralité.

3. L’emploi de l’argent ne consiste pas seulement à le donner, mais à le dépenser. Mais dépenser de l’argent se réfère à celui qui dépense, et ainsi cela ne paraît pas être un acte de libéralité. Car, dit Sénèque : " On n’est pas libéral du fait qu’on se donne à soi-même. " Donc n’importe quel emploi de l’argent ne relève pas de la libéralité.

En sens contraire, il y a cette sentence du Philosophe : " On se sert au mieux d’une chose quand on possède la vertu qui la concerne spécialement. Donc celui qui possède la vertus relative à l’argent se servira au mieux de sa richesse. "

Réponse :

Un acte est spécifié par son objet, nous l’avons dit. Or l’objet ou matière de la libéralité est l’argent et tout ce qui peut être mesuré par l’argent, nous l’avons dit à l’article précédent. Et parce que toute vertu s’accorde parfaitement avec son objet, il s’ensuit que, la libéralité étant une vertu, son acte soit proportionné à l’argent. Or l’argent tombe sous la raison des biens utiles parce que tous les biens extérieurs sont ordonnés à l’usage de l’homme. C’est pourquoi l’acte propre de la libéralité, c’est l’emploi de l’argent ou de la richesse.

Solutions :

1. Il revient à la libéralité de bien employer les richesses en tant que telles, puisqu’elles sont l’objet propre de cette vertu. A la justice il revient d’employer les richesses selon une autre raison, c’est-à-dire selon la raison de dette, en tant que tel bien extérieur est dû à autrui. A la magnificence il revient d’employer les richesses selon une raison spéciale, c’est-à-dire selon qu’elles sont employées à l’achèvement d’une grande œuvre. Aussi la magnificence se présente-t-elle comme un surcroît apporté à la libéralité, comme nous le dirons plus loin.

2. Le vertueux ne doit pas seulement employer à bon escient sa matière ou son instrument, mais aussi préparer ce qui facilitera ce bon usage ; ainsi il appartient au courage militaire non seulement de tirer l’épée contre les ennemis, mais aussi de l’aiguiser et de la garder au fourreau. De même il revient à la libéralité non seulement d’employer l’argent, mais aussi de le tenir prêt et de le conserver pour pouvoir l’utiliser.

3. Nous l’avons dit la matière prochaine de la libéralité, ce sont les passions intérieures qui affectent l’homme à l’égard de l’argent. C’est pourquoi il appartient surtout à la libéralité de préserver l’homme de tout attachement désordonné à l’argent qui l’empêcherait d’en user comme il le doit. Or il y a deux manières d’employer l’argent : l’une envers soi-même, qui concerne les dépenses ; l’autre envers autrui, qui concerne les dons. C’est pourquoi le rôle de la libéralité est de faire qu’un amour excessif de l’argent n’empêche ni les justes dépenses ni les justes donations. La libéralité, selon Aristote, concerne surtout les donations et les dépenses. - Quant à la parole de Sénèque, il faut la comprendre de la libéralité relative aux donations. En effet, on n’appelle pas libéral celui qui se fait des dons à lui-même.

 

            Article 4 — Appartient-il à la libéralité de donner plutôt que de recevoir ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne lui appartient pas surtout de donner. En effet, la libéralité est dirigée par la prudence, comme toutes les vertus morales. Mais ce qui appartient surtout à la prudence, c’est de conserver les richesses, d’où cette remarque d’Aristote : " Ceux qui n’ont pas acquis leur fortune, mais l’ont reçue de ceux qui l’ont gagnée, la dépensent plus libéralement, car ils n’ont pas l’expérience de la pauvreté. "

2. Ce que l’on recherche par-dessus tout, on ne s’en attriste pas et on ne s’en lasse jamais. Mais l’homme libéral s’attriste parfois d’avoir donné, et d’ailleurs il ne donne pas à tous, remarque Aristote. Donc donner n’est pas l’acte qui convient le plus à la libéralité.

3. Pour réussir ce que l’on recherche par-dessus tout, on emploie tous les moyens possibles. Mais le libéral " n’aime pas demander ", selon le Philosophe, alors qu’il pourrait ainsi obtenir les moyens de donner aux autres. Il apparaît donc qu’il ne recherche pas par-dessus tout à donner.

4. On tient davantage à se servir soi-même qu’à servir les autres. Mais en dépensant on se sert soi-même, alors qu’en donnant on sert autrui. Donc il revient à la libéralité de dépenser plus que de donner.

En sens contraire, il y a cette sentence du Philosophe : " L’homme libéral est celui qui donne surabondamment. "

Réponse :

Ce qui est propre à la libéralité, c’est l’emploi de l’argent. Or l’emploi de l’argent consiste à le disperser, car son acquisition ressemble à la génération plus qu’à l’emploi ; et le garder en vue de pouvoir l’employer peut se comparer à l’habitus. Or plus on disperse un bien en le jetant loin, plus est grande la vertu dont cette dispersion procède, on le voit bien quand on envoie des projectiles. C’est pourquoi il faut une vertu plus grande pour disperser de l’argent en le donnant à d’autres, qu’en le dépensant pour soi. Or le propre de la vertu est de tendre surtout à ce qui est le plus parfait, car pour Aristote " la vertu est elle-même perfection ". C’est pourquoi la libéralité est louée surtout de ce qu’elle donne.

Solutions :

1. Il revient à la prudence de conserver l’argent pour qu’il ne soit ni volé ni dépensé inutilement. Or le dépenser utilement demande plus de prudence encore que de le conserver, parce que l’emploi d’un bien, qu’on peut assimiler à un mouvement, requiert plus de soins que sa conservation, assimilable au repos.

Quant à ceux qui ont hérité un argent gagné par d’autres, et qui dépensent plus libéralement, par inexpérience de la pauvreté, s’ils le font seulement à cause de cette inexpérience, ils n’ont pas la vertu de libéralité. Mais parfois une telle inexpérience ne fait qu’enlever un obstacle à la libéralité, si bien qu’ils pratiquent celle-ci avec plus d’empressement. En effet, la crainte de la pauvreté dont on a l’expérience empêche parfois ceux qui ont gagné de l’argent de le dépenser en agissant libéralement ; et de même l’amour dont ils aiment l’argent comme étant leur œuvre propre, dit Aristote.

2. Comme nous l’avons dit à l’article précédent, il appartient à la libéralité d’employer l’argent comme il convient, et par suite de le donner comme il convient, ce qui est une façon de l’employer. Or, toute vertu s’attriste de ce qui s’oppose à son acte et cherche à éviter les obstacles. Or, deux obstacles empêchent de donner comme il convient ; ne pas donner ce qu’il conviendrait de donner, et donner quelque chose d’une manière qui ne convient pas. Aussi l’homme libéral s’attriste-t-il de l’un comme de l’autre, mais surtout du premier, qui s’oppose davantage à son acte propre. Et c’est pourquoi aussi il ne donne pas à tous : en effet, en donnant à n’importe qui, son acte rencontrerait des obstacles, car il n’aurait plus de quoi donner à qui cela convient.

3. Il y a le même rapport entre donner et recevoir qu’entre agir et pâtir. Or agir et pâtir n’ont pas le même principe. Aussi, parce que la libéralité est principe de don, on n’exige pas du libéral qu’il soit prompt à recevoir, et moins encore à demander. D’où ces vers : " Si quelqu’un ici-bas veut plaire à chacun, qu’il donne beaucoup, qu’il reçoive peu, qu’il ne demande rien. " Mais il vise à donner selon ce qui convient à la libéralité, c’est-à-dire le fruit de ses propres biens ; il les soigne avec zèle afin de pouvoir en user avec libéralité.

4. Dépenser pour soi-même vient d’une inclination naturelle. Aussi répandre sur d’autres son argent est l’œuvre propre de la vertu.

 

            Article 5 — La libéralité est-elle une partie de la justice ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car la justice envisage une dette. Mais plus une somme est due, moins elle est donnée avec libéralité. Donc la libéralité n’est pas une partie de la justice : elle s’y oppose.

2. La justice concerne les opérations, nous l’avons dit plus haut. Or la libéralité concerne surtout l’amour et la convoitise de l’argent, qui sont des passions. Donc la libéralité semble se rattacher à la tempérance plus qu’à la justice.

3. Nous venons de dire que l’objet premier de la libéralité est de donner comme il convient. Mais cela ressortit à la bienfaisance et à la miséricorde, qui se rattachent à la charité, nous l’avons dit. Donc la libéralité fait partie de la charité plutôt que de la justice.

En sens contraire, nous trouvons cette sentence de S. Ambroise : " La justice se rapporte à la société humaine. Car la société comporte une double règle : la justice et la bienfaisance, ce que l’on appelle encore libéralité ou bonté. " Donc la libéralité se rattache à la justice.

Réponse :

La libéralité n’est pas une espèce de la justice, parce que la justice offre à l’autre ce qui est à lui, tandis que la libéralité lui offre ce qui est à elle. Pourtant elle se rencontre avec la justice sur deux points. D’abord, elle est à titre principal dirigée vers l’autre, comme la justice. Deuxièmement, elle concerne les biens extérieurs, comme la justice, bien que selon une autre raison, nous venons de le dire. C’est pourquoi certains auteurs en font une partie de la justice, à titre de vertu annexe à celle-ci comme à la vertu principale.

Solutions :

1. La libéralité, bien qu’elle ne vise pas la dette légale, comme la justice, vise néanmoins une dette morale, qu’il n’est pas obligatoire, mais décent d’acquitter. Aussi la raison de dette se trouve-t-elle chez elle réduite au minimum.

2. La tempérance concerne les convoitises portant sur des plaisirs charnels. Or la convoitise et le plaisir de l’argent ne dépendent pas du corps mais plutôt de l’âme. Aussi la libéralité ne se rattache-t-elle pas proprement à la tempérance.

3. Le don de l’homme bienfaisant et miséricordieux vient de ce que l’on est plus ou moins affectueux envers celui que l’on gratifie, c’est pourquoi un tel don se rattache à la charité ou à l’amitié. Mais le don fait par libéralité provient de ce que le donateur est quelque peu attaché à l’argent sans vraiment le convoiter ni l’aimer. Aussi donne-t-il, quand il le faut, à des inconnus et non seulement à des amis. Aussi ne relève-t-il pas de la charité, mais plutôt de la justice, qui concerne les biens extérieurs.

 

            Article 6 — La libéralité est-elle la plus grande des vertus ?

Objections :

1. Il semble bien, car toute vertu de l’homme est une ressemblance de la vertu divine. Mais c’est par la libéralité que l’homme ressemble le plus à Dieu " qui donne à tous généreusement sans récriminer " (Jc 1, 5). Donc la libéralité est la plus grande des vertus.

2. Selon S. Augustin, " dans les choses dont la grandeur ne tient pas à la masse, être plus grand c’est être meilleur ". Mais la raison de bonté paraît avoir une relation éminente avec la libéralité, car Denys montre que le bien a tendance à se répandre. Aussi Ambroise dit-il encore : " La justice observe la sérénité, la libéralité pratique la bonté. " Donc la libéralité est la plus grande des vertus.

3. C’est la vertu qui rend l’homme illustre et le fait aimer. Mais Boèce dit : " La libéralité est surtout ce qui rend illustre ", et Aristote : " Parmi les vertus, c’est la libéralité qui se fait le plus aimer. "

En sens contraire, S. Ambroise nous dit : " La justice est plus sublime que la libéralité, mais celle-ci est plus aimable. " Et Aristote : " L’honneur le plus grand est accordé au courage et à la justice ; après eux, à la libéralité. "

Réponse :

Toute vertu tend vers quelque bien. Aussi, dans la mesure où elle tend vers un bien meilleur, est-elle meilleure elle-même. Or la libéralité tend au bien de deux façons. D’abord, de façon première et essentielle, ensuite par voie de conséquence. Premièrement et par soi, elle tend à ordonner l’affection de son sujet concernant la possession et l’emploi de l’argent. A ce point de vue la libéralité est devancée par la tempérance qui modère la convoitise et les plaisirs relatifs au corps du sujet. Elle est devancée aussi par la force et la justice qui sont ordonnées plus ou moins au bien commun, celle-là en temps de guerre, celle-ci en temps de paix.

Et toutes sont devancées par les vertus qui ordonnent au bien divin. Car celui-ci devance tout bien humain ; dans les biens humains, le bien public devance le bien privé ; et là, le bien du corps l’emporte sur les biens extérieurs.

D’autre part la libéralité est ordonnée à un certain bien par voie de conséquence. De ce point de vue la libéralité est ordonnée à tous les biens que nous venons d’énumérer : du fait que l’homme n’est pas attaché à l’argent, il s’ensuit qu’il l’emploie facilement pour lui-même, à l’avantage des autres et pour l’honneur de Dieu. A ce titre la libéralité a une certaine prééminence du fait qu’elle présente une grande utilité.

Mais parce que tout être est jugé avant tout sur ce qui lui convient de façon première et essentielle plutôt que sur ses effets indirects, il faut dire que la libéralité n’est pas la plus grande des vertus.

Solutions :

1. Le don divin provient de ce que Dieu aime les hommes auxquels il donne, sans être attaché à ce qu’il donne. C’est pourquoi ses dons relèvent davantage de la charité, la plus grande des vertus, que de la libéralité.

2. Toute vertu participe de la raison de bien quant à l’acte propre qu’elle émet. Or les actes de certaines autres vertus valent davantage que l’argent fourni par la libéralité.

3. On aime surtout les hommes généreux, non d’une amitié d’honneur, comme s’ils valaient mieux que les autres, mais d’une amitié utile parce qu’ils rendent plus de services relatifs aux biens extérieurs, que les hommes désirent d’ordinaire au maximum. Et leur célébrité a la même cause.

 

LES VICES CONTRAIRES A LA LIBÉRALITÉ

 

QUESTION 118 — L’AVARICE

1. Est-elle un péché ? - 2. Un péché spécial ? - 3. Opposé à quelle vertu ? - 4. Un péché mortel ? - 5. Le plus grave des péchés ? - 6. Un péché de la chair, ou de l’esprit ? - 7. Un vice capital ? - 8. Ses filles.

 

            Article 1 — L’avarice est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. Car avaritia est synonyme de aeris aviditas " avidité du métal " Il parce qu’elle consiste dans le désir de l’argent, ce qu’on peut entendre de tous les biens extérieurs. Mais désirer ceux-ci n’est pas un péché. L’homme les désire en vertu de sa nature parce que, par nature, ils lui sont subordonnés, et parce qu’ils conservent sa vie, au point qu’on les appelle sa " substance ". Donc l’avarice n’est pas un péché.

2. Tout péché est contre Dieu, contre le prochain ou contre soi-même, nous l’avons montré. Mais l’avarice n’est pas proprement un péché contre Dieu, car elle ne s’oppose ni à la religion ni aux vertus théologales qui ordonnent l’homme à Dieu. Elle n’est pas un péché contre soi-même, car c’est le propre de la gourmandise et de la luxure, dont l’Apôtre nous dit (1 Co 6, 8) : " Par la fornication on pèche contre son propre corps. " De même, elle n’est pas un péché contre le prochain : on ne fait de tort à personne en gardant ce que l’on a.

3. Ce qui arrive naturellement n’est pas un péché. Or l’avarice est une conséquence naturelle de la vieillesse et de toute infirmité, selon Aristote. Donc l’avarice n’est pas un péché.

En sens contraire, il est écrit (He 13, 5) " Que votre conduite soit exempte d’avarice, vous contentant de ce que vous avez. "

Réponse :

Partout où le bien consiste en une mesure déterminée, le mal découle nécessairement d’un dépassement ou d’une insuffisance de cette mesure. Or, dans tout ce qui est moyen en vue d’une fin, le bien consiste en une certaine mesure, déterminée par cette fin, comme le remède par la santé à obtenir, selon Aristote. Or les biens extérieurs ont raison d’outils en vue d’une fin, nous venons de le dire. Aussi est-il nécessaire que le bien de l’homme à leur égard consiste en une certaine mesure ; c’est-à-dire selon laquelle il cherche à posséder des richesses extérieures pour autant quelles sont nécessaires à le faire vivre selon sa condition. Et c’est pourquoi il y a péché dans le dépassement de cette mesure lorsqu’on veut les acquérir ou les garder au-delà de la mesure requise. Et cela rejoint la raison de l’avarice, car celle-ci se définit " un amour immodéré de la possession ". Il est donc évident que l’avarice est un péché.

Solutions :

1. Il est naturel à l’homme de désirer les biens extérieurs comme des moyens en vue d’une fin. C’est pourquoi il n’y a pas de vice pour autant que ce désir se maintient à l’intérieur d’une règle tirée de la raison de fin. Mais l’avarice passe outre à cette règle, et c’est pourquoi elle est un péché.

2. L’avarice peut impliquer une démesure de deux façons concernant les biens extérieurs. D’une première façon, elle est immédiate et concerne l’acquisition ou la conservation de ces biens, c’est-à-dire qu’on les acquiert ou qu’on les conserve plus qu’on ne doit. De cette façon l’avarice est un péché directement commis contre le prochain, parce qu’un homme ne peut avoir en excès des richesses extérieures sans qu’un autre en manque, parce que les biens temporels ne peuvent pas avoir plusieurs possesseurs à la fois.

D’une autre façon, l’avarice peut impliquer une démesure dans les affections que l’on porte intérieurement aux richesses, parce qu’on les aime ou les désire, ou qu’on y prend son plaisir, d’une façon immodérée. Ainsi l’avarice est un péché commis par l’homme contre lui-même parce que ce péché dérègle ses affections, bien qu’il ne dérègle pas son corps, comme les vices charnels. Par voie de conséquence, c’est un péché contre Dieu, comme tous les péchés mortels, en tant que l’on méprise le bien éternel à cause du bien temporel.

3. Les inclinations naturelles doivent être réglées par la raison, qui a un rôle primordial dans la nature humaine. Et c’est pourquoi les vieillards, à cause de la diminution de leurs forces, recherchent plus aisément le secours des biens extérieurs, de même que tout indigent cherche à combler son indigence ; cependant ils ne sont pas, excusés de péché s’ils dépassent, au sujet des richesses, la juste mesure raisonnable.

 

            Article 2 — L’avarice est-elle un péché spécial ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car S. Augustin écrit : " L’avarice qui s’appelle en grec l’amour de l’argent, ne doit pas s’entendre seulement de l’argent ou des espèces, mais de tous les biens qui sont immodérément convoités. " Or, en tout péché il y a un désir immodéré de quelque chose, car il y a péché lorsqu’on délaisse le bien immuable pour s’attacher aux biens changeants, on l’a établi précédemment. Donc l’avarice est un péché général.

2. Selon Isidore avarus équivaut à avidus aeris (avide du métal, c’est-à-dire de l’argent). Aussi " avarice " se dit en grec : " amour de l’argent " ; mais par " argent " on désigne tous les biens extérieurs dont le prix peut être établi en monnaie, comme on l’a vu. Donc l’avarice consiste en l’appétit de n’importe quel bien extérieur.

3. Sur ce texte (Rm 7, 7) : " Car j’ignorais la convoitise... " la Glose a ce commentaire : " La loi est bonne car, en interdisant la convoitise, elle interdit tout ce qui est mal. " Or la loi interdit spécialement cette convoitise qu’est l’avarice, en disant (Ex 20, 17) : " Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain. " Donc la convoitise d’avarice équivaut à tout mal.

En sens contraire : l’épître aux Romains (1, 29) énumère l’avarice parmi les péchés spéciaux : " Remplis de toute espèce d’iniquité, de malice, de fornication, d’avarice... "

Réponse :

Les péchés sont spécifiés par leurs objets, nous l’avons vu. Or l’objet du péché, c’est le bien auquel tend l’appétit déréglé. C’est pourquoi là où ce qui est désiré de façon déréglée a une raison spéciale de bien il y a une raison spéciale de péché. Mais la raison de bien utile est autre que la raison de bien délectable. Or, de soi, les richesses ont raison de bien utile, car on les désire pour ce motif qu’elles sont à l’usage de l’homme. C’est pourquoi l’avarice est un péché spécial selon qu’elle est un amour immodéré des possessions désignées sous le nom d’argent et dont l’avarice tire son nom.

Mais parce que le verbe " avoir ", qui semble selon son premier emploi se rapporter aux possessions dont nous sommes totalement maître, s’est appliqué à bien d’autres choses, car on dit avoir la santé, une épouse, un vêtement, etc. comme le montre Aristote, par suite, le nom d’avarice s’est étendu à tout appétit immodéré de posséder une chose quelconque. Ainsi S. Grégoire dit-il : " L’avarice ne porte pas seulement sur l’argent, mais encore sur la science et la grandeur, quand on désire la première place au-delà de la mesure légitime. " En ce sens l’avarice n’est pas un péché spécial. Et le texte de S. Augustin parle de même.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. Tous les biens extérieurs qui servent à la vie humaine sont compris sous le nom d’argent en tant qu’ils ont raison de bien utile. Mais il y en a qu’on peut obtenir par de l’argent, comme les plaisirs, les honneurs, etc. qui sont désirables sous une autre raison. Aussi leur désir n’est-il pas appelé proprement avarice selon que celle-ci est un vice spécial.

3. Cette glose parle de la convoitise désordonnée d’un bien quelconque. Car on peut comprendre, dans l’interdiction de convoiter des possessions, l’interdiction de convoiter tout ce que ces possessions peuvent procurer.

 

            Article 3 — A quelle vertu s’oppose l’avarice ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’elle s’oppose à la libéralité, car sur ce texte (Mt 5, 6) : " Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ", S. Chrysostome distingue une justice générale et une justice spéciale, à laquelle s’oppose l’avarice. Et Aristote parle de même.

2. Le péché d’avarice consiste en ce que l’homme dépasse la mesure dans la possession des biens. Mais cette mesure est fixée par la justice. Donc l’avarice s’oppose à la justice, non à la libéralité.

3. La libéralité est une vertu située entre deux vices contraires, selon Aristote. Mais celui-ci montre que l’avarice n’a pas de vice contraire. Donc elle ne s’oppose pas à la libéralité.

En sens contraire, il est écrit dans l’Ecclésiaste (5, 9) : " L’avare ne se rassasie pas de l’argent ; celui qui aime les richesses n’en tire pas de revenu. " Mais ne pas se rassasier d’argent et l’aimer de façon désordonnée est contraire à la libéralité, qui tient le juste milieu dans l’appétit des richesses. Donc l’avarice s’oppose à la libéralité.

Réponse :

L’avarice implique une démesure à l’égard des richesses de deux façons. D’abord immédiatement, quant à leur acquisition et à leur conservation, en tant qu’on acquiert de l’argent ou qu’on le retient contre le droit d’autrui. En ce sens elle s’oppose à la justice, et c’est ainsi que l’entend Ézéchiel (22, 27) : " Ses chefs, au milieu du pays, sont comme des loups qui arrachent leur proie, versent le sang et s’enrichissent par l’avarice. "

D’autre part, l’avarice implique une démesure dans les sentiments qu’on porte aux richesses, lorsqu’on les aime ou les désire à l’excès, ou qu’on y prend un plaisir excessif, même sans dérober le bien d’autrui. C’est en ce sens que parle S. Paul (2 Co 9, 5) : " Que les frères organisent à l’avance votre générosité, afin qu’elle soit prête comme une largesse et non comme un acte d’avarice ", c’est-à-dire, d’après la Glose, " en s’affligeant de donner, et en donnant peu ".

Solutions :

1. Chrysostome et Aristote parlent de l’avarice entendue au premier sens. L’avarice entendue au second sens est appelée par le Philosophe " illibéralité ".

2. A proprement parler, la justice établit la mesure à garder dans l’acquisition et la conservation des richesses, selon la raison de dette légale, à savoir que l’homme ne prenne ni ne retienne ce qui appartient à autrui. Tandis que la libéralité établit la mesure de raison à titre premier dans les sentiments, et par voie de conséquence, dans l’acquisition et la conservation de l’argent, et dans sa dispensation, selon qu’elles procèdent de ces sentiments non en observant la raison de dette légale, mais de dette morale réglée par la raison.

3. L’avarice, comme opposée à la justice, n’a pas de vice contraire, parce que l’avarice consiste à posséder plus que l’on ne devrait en justice. Le contraire, c’est de posséder moins, ce qui n’a pas raison de faute, mais de peine. Tandis que l’avarice qui s’oppose à la libéralité a pour vice contraire la prodigalité.

 

            Article 4 — L’avarice est-elle péché mortel ?

Objections :

1. Elle paraît l’être toujours, car nul n’est digne de mort que pour un péché mortel. Or l’Apôtres après avoir parlé (Rm 1, 29) de ceux qui sont " remplis de toute espèce d’iniquité, de malice, de fornication, d’avarice... " ajoute : " Ceux qui agissent ainsi sont dignes de mort. "

2. Le plus bas de l’avarice consiste à garder de façon déréglée ses propres biens. Or cela paraît être péché mortel d’après S. Basile : " C’est le pain de l’affamé que tu gardes, la tunique de celui qui est nu que tu conserves, l’argent du pauvre que tu possèdes. Tout ce que tu pourrais donner est une injustice envers le prochain. " Mais commettre l’injustice envers le prochain est péché mortel, parce que cela s’oppose à l’amour du prochain. Donc, bien davantage, toute avarice est-elle péché mortel.

3. Nul n’est affligé d’aveuglement spirituel sinon par le péché mortel qui prive l’âme de la lumière de grâce. Mais selon Chrysostome c’est le désir de l’argent qui enténèbre l’âme.

En sens contraire, sur ce texte (1 Co 3, 12) " Si l’on bâtit sur ce fondement... ", la Glose dit que l’on bâtit avec du bois, du foin et de la paille si l’on a le souci du monde, si l’on cherche à lui plaire, ce qui se rattache au péché d’avarice. Or, bâtir avec du bois, du foin et de la paille ne désigne pas le péché mortel mais le péché véniel, car on dit de celui qui agit ainsi qu’il sera sauvé, mais comme à travers le feu. Donc l’avarice est parfois péché véniel.

Réponse :

Nous l’avons dit à l’article précédent, l’avarice se prend en deux sens. D’une part en ce qu’elle s’oppose à la justice, et en ce sens elle est par nature péché mortel. En effet, on attribue à l’avarice le fait de prendre ou de retenir le bien d’autrui, ce qui se rattache à la rapine ou au vol, qui sont péchés mortels, on l’a vu,. Il arrive cependant, en ce genre d’avarice, qu’il y ait péché véniel à cause de l’imperfection de l’acte, nous l’avons dit à propos du vol.

D’autre part on peut voir dans l’avarice le contraire de la libéralité. En ce sens, elle implique un amour désordonné des richesses. Donc, si cet amour s’accroît au point de l’emporter sur la charité, c’est-à-dire que pour l’amour des richesses on ne craint pas d’agir contre l’amour de Dieu et du prochain, l’avarice sera péché mortel. Mais si le dérèglement de cet amour reste dans certaines limites, en ce que l’homme, bien qu’aimant les richesses à l’excès ne fait pas passer leur amour avant l’amour divin, s’il ne veut, pour la richesse, rien faire contre Dieu et le prochain, alors l’avarice est péché véniel.

Solutions :

1. L’avarice est énumérée avec les péchés mortels selon cette raison qui en fait un péché mortel.

2. S. Basile parle de ce cas où l’on est tenu, par une dette légale, à distribuer des biens aux pauvres à cause d’une nécessité grave, ou parce qu’on a des richesses en excès.

3. A proprement parler, le désir des richesses enténèbre l’âme lorsqu’il exclut la lumière de la grâce, en faisant passer l’amour des richesses avant l’amour divin.

 

            Article 5 — L’avarice est-elle le plus grave des péchés ?

Objections :

1. Il semble bien, car on lit dans l’Ecclésiastique (10, 9 Vg) : " Rien de plus criminel que l’avare. Rien n’est plus coupable que d’aimer l’argent, car celui-là est prêt à vendre son âme. " Et Cicéron : " Rien ne dénote une âme mesquine et vile comme d’aimer l’argent. "

2. Un péché est d’autant plus grave qu’il s’oppose davantage à la charité. Mais l’avarice s’y oppose au maximum, dit S. Augustin : " C’est la cupidité qui empoisonne la charité. "

3. Qu’un péché soit incurable souligne sa gravité, et c’est pourquoi le péché contre le Saint-Esprit est dit le plus grave de tous, parce qu’il est irrémissible. Mais l’avarice est un péché inguérissable, ce qui fait dire au Philosophe : " La vieillesse, et toutes les formes d’impuissance, font les avares. " Donc l’avarice est le plus grave des péchés.

4. L’Apôtre dit (Ep 5, 5) que l’avare est un idolâtre. Mais l’idolâtrie est comptée parmi les péchés les plus graves. Donc aussi l’avarice.

En sens contraire, l’adultère est un péché plus grave que le vol, d’après les Proverbes (6, 30-32). Or le vol se rattache à l’avarice. Donc celle-ci n’est pas le plus grave des péchés.

Réponse :

Tout péché, du fait qu’il est un mal, consiste en une certaine corruption ou diminution d’un bien ; en tant qu’il est volontaire, il consiste dans l’appétit d’un bien. Donc on peut considérer l’ordre entre les péchés de deux points de vue. D’une part, du côté du bien que le péché méprise ou détruit : plus ce bien est grand, plus le péché est grave. A ce titre, le péché contre Dieu est le plus grave ; plus bas vient le péché qui s’attaque à la personne de l’homme ; et plus bas encore celui qui s’attaque aux biens extérieurs mis à l’usage de l’homme, et c’est le péché qui se rattache à l’avarice.

D’autre part, on peut considérer les degrés des péchés du côté du bien auquel l’appétit humain se soumet de façon déréglée. Plus il est petit, plus le péché est laid, car il est plus honteux de se soumettre à un bien inférieur plutôt qu’au bien supérieur. Or le bien des choses extérieures est le moindre des biens humains, car il est inférieur au bien du corps, lequel est inférieur au bien de l’âme, que surpasse encore le bien divin. Dans cette ligne, le péché d’avarice par lequel l’appétit humain se soumet aux choses extérieures elles-mêmes présente une laideur considérable.

Cependant, parce que la corruption ou la privation du bien joue le rôle de forme dans le péché, tandis que l’orientation vers un bien caduc n’en est que la matière, on doit estimer la gravité du péché par rapport au bien qu’il corrompt, plutôt que par rapport au bien qui subjugue l’appétit. Et c’est pourquoi on doit dire que l’avarice n’est pas absolument parlant le plus grave des péchés.

Solutions :

1. Les textes cités envisagent l’avarice à partir du bien auquel l’appétit se soumet. Aussi dans l’Ecclésiastique trouve-t-on ce motif que l’avare " est prêt à vendre son âme ", parce qu’il met en danger son âme, c’est-à-dire sa vie, pour de l’argent. Cicéron ajoute encore que c’est avoir " l’âme mesquine " de vouloir se soumettre à l’argent.

2. S. Augustin donne ici à la cupidité un objet général : tout bien temporel, et non l’objet spécial qui est celui de l’avarice. Car la cupidité de tout bien temporel empoisonne la charité autant que l’homme dédaigne le bien divin à cause de son attachement au bien temporel.

3. L’avarice n’est pas incurable de la même manière que le péché contre le Saint-Esprit. Car celui-ci est inguérissable en raison du mépris, parce que le pécheur méprise la miséricorde ou la justice divine, ou encore les remèdes qui peuvent guérir le péché. C’est pourquoi une telle incurabilité se rattache à la gravité majeure du péché. Celle de l’avarice vient des déficiences auxquelles la nature humaine est toujours exposée, car plus on est déficient plus on recherche le secours des biens extérieurs et plus on tombe dans l’avarice. Aussi une telle incurabilité ne montre pas que l’avarice est un péché plus grave mais, d’une certaine manière, plus dangereux.

4. On compare l’avarice à l’idolâtrie parce queue lui ressemble : de même que l’idolâtre se soumet à une créature extérieure, de même l’avare. Mais de façon différente : l’idolâtre se soumet à une créature extérieure pour lui rendre un culte divin, tandis que l’avare verse dans cet excès en recherchant à se servir d’elle, non à lui rendre un culte. C’est pourquoi on ne peut affirmer que l’avarice soit aussi grave que l’idolâtrie.

 

            Article 6 — L’avarice est-elle un péché de la chair, ou de l’esprit ?

Objections :

1. Il ne paraît pas qu’elle soit un péché spirituel, car de tels péchés concernent des biens spirituels. Or la matière de l’avarice, ce sont des biens temporels, c’est-à-dire les richesses extérieures.

2. Le péché spirituel s’oppose au péché charnel. Mais l’avarice semble être un péché charnel, car elle découle de la corruption de la chair, comme on le voit chez les vieillards qui tombent dans l’avarice par suite des déficiences de leur nature charnelle.

3. Le péché charnel est celui qui désorganise même le corps de l’homme, selon S. Paul (1 Co 6, 18) : " Le fornicateur pèche contre son propre corps. " Mais l’avarice tourmente l’homme jusque dans son corps ; aussi Chrysostome commentant Marc (5, 15), compare-t-il l’avare au démoniaque tourmenté dans son corps.

En sens contraire, S. Grégoire compte l’avarice parmi les vices spirituels.

Réponse :

Les péchés ont principalement leur siège dans le sentiment. Or toutes les affections ou passions de l’âme aboutissent aux délectations et aux tristesses, comme le montre Aristote. Parmi les délectations, les unes sont chamelles, les autres spirituelles. On appelle chamelles celles qui s’achèvent dans une sensation de la chair, comme les plaisirs de la table et ceux de l’amour ; on appelle spirituelles celles qui s’achèvent uniquement dans une connaissance de l’âme. On appelle donc péchés charnels ceux qui se consomment dans les délectations chamelles, et péchés spirituels ceux qui se consomment dans les délectations spirituelles, sans jouissance de la chair. Et c’est le cas de l’avarice, car l’avare se délecte dans sa conviction de posséder des richesses. C’est pourquoi l’avarice est un péché spirituel.

Solutions :

1. Si l’avarice a un objet corporel, elle ne recherche pas une jouissance corporelle, mais seulement psychique : l’homme trouve sa jouissance en ce qu’il possède des richesses. Et c’est pourquoi son péché n’est pas charnel.

Cependant, en raison de l’objet, l’avarice occupe le milieu entre les péchés purement spirituels qui recherchent une délectation spirituelle concernant des objets spirituels, comme l’orgueil qui jouit de sa supériorité ; et des vices purement charnels qui recherchent une délectation purement charnelle dans son objet charnel.

2. Le mouvement est spécifié par le terme vers lequel il va, non par le terme d’où il vient. C’est pourquoi on appelle charnel un vice parce qu’il tend à la délectation charnelle, non parce qu’il procède d’une déficience de la chair.

3. Chrysostome compare l’avare au démoniaque non parce qu’il est tourmenté dans sa chair, comme celui-ci, mais en les opposant parce que le démoniaque dont parle S. Marc vivait nu, tandis que l’avare se charge de richesses superflues.

 

            Article 7 — L’avarice est-elle un vice capital ?

Objections :

1. Il semble que non. Car elle s’oppose à la libéralité comme à la vertu du juste milieu, et à la prodigalité comme à son extrême opposé. Mais la libéralité n’étant pas une vertu principale, ni la prodigalité un vice capital, on ne peut ranger l’avarice parmi les vices capitaux.

2. Comme on l’a dit précédemment, on appelle vices capitaux ceux qui ont des fins primordiales auxquelles s’ordonnent les fins d’autres vices. Mais cela ne convient pas à l’avarice, parce que les richesses n’ont pas raison de fin, mais plutôt raison de moyen en vue de la fin, comme dit Aristote.

3. S. Grégoire affirme : " L’avarice naît tantôt de l’orgueil, tantôt de la crainte. Car les uns, craignant de manquer des ressources nécessaires, s’abandonnent à l’avarice ; d’autres, désireux de paraître plus puissants, brûlent d’obtenir les biens d’autrui. " Donc l’avarice naît des autres vices, plus qu’elle n’est un vice capital pour les autres.

En sens contraire, S. Grégoire place l’avarice parmi les vices capitaux.

Réponse :

Comme on l’a dit précédemment, on qualifie un vice de " capital " du fait que d’autres vices en naissent selon sa raison de fin. La fin étant hautement désirable, l’homme, poussé par le désir de cette fin, entreprend beaucoup de choses, en bien ou en mal. Or la fin souverainement désirable est la béatitude ou félicité, qui est la fin ultime de la vie humaine, on l’a établi antérieurement. C’est pourquoi plus une chose participe des conditions de la félicité, plus elle est désirable. Or l’une des conditions de la félicité, c’est qu’elle soit par elle-même rassasiante ; autrement elle n’apporterait pas de repos à l’appétit, comme la fin ultime. Or ce sont les richesses qui promettent au maximum ce rassasiement, dit Boèce. Et la raison en est, d’après le Philosophe. que nous employons l’argent comme un fidèle intendant pour obtenir tout ce que nous voulons. Et l’Ecclésiaste (10, 19 Vg) dit : " Tout obéit à l’argent. " C’est pourquoi l’avarice, qui consiste dans l’appétit de l’argent, est un vice capital.

Solutions :

1. La vertu s’accomplit dans la raison, le vice dans l’inclination de l’appétit sensible. Or la visée principale de la raison n’est pas celle de l’appétit sensible. Et c’est pourquoi il ne s’impose pas qu’un vice principal s’oppose à une vertu principale. Aussi, bien que la libéralité ne soit pas une vertu principale, parce qu’elle n’a pas pour visée le bien principal de la raison, l’avarice est pourtant un vice capital parce qu’elle vise l’argent, qui a une certaine primauté parmi les biens sensibles, pour le motif qu’on vient de dire.

Quant à la prodigalité, elle n’est pas ordonnée à une fin désirée à titre primordial, mais elle paraît plutôt venir d’un manque de raison. Aussi Aristote déclare-t-il que le prodigue est plus évaporé que mauvais.

2. Il est vrai que l’argent est ordonné à autre chose comme à sa fin. Cependant, dans la mesure où il est utile pour acquérir tous les biens sensibles, il est comme virtuellement toutes choses. Et c’est pourquoi il présente une certaine ressemblance avec la félicité, nous venons de le dire.

3. Rien n’empêche que parfois un vice, tout en étant capital, naisse d’autres vices, comme nous l’avons dit, pourvu que d’autres vices naissent de lui habituellement.

 

            Article 8 — Les filles de l’avarice

Objections :

1. Il semble que l’avarice n’ait pas les filles qu’on lui attribue : la trahison, la fraude, la fourberie, le parjure, l’inquiétude, la violence et l’endurcissement contre la miséricorde. Car l’avarice, on l’a vu s’oppose à la libéralité. Or la trahison, la fraude et la fourberie s’opposent à la prudence ; le parjure à la religion ; l’inquiétude à l’espérance ou à la charité, qui se repose dans l’être aimé ; la violence à l’injustice ; l’endurcissement à la miséricorde. Donc ces vices ne se rattachent pas à l’avarice.

2. La trahison, la tromperie et la fourberie semblent avoir le même but, qui est de tromper le prochain. On ne doit donc pas énumérer tout cela comme des filles diverses de l’avarice.

3. Isidore énumère neuf filles de l’avarice" le mensonge, la fraude, le vol, le parjure, l’appétit d’un bien honteux, le faux témoignage, la violence, l’inhumanité, la rapacité ". Donc l’énumération ci-dessus est incomplète.

4. Aristote énumère plusieurs genres de vices se rattachant à l’avarice, qu’il appelle " illibéralité ". Ce sont " les regardant, les grigous, les vendeurs de cumin, ceux qui accomplissent des actes "illibéraux", ceux qui profitent de la prostitution, les usuriers, les joueurs, les détrousseurs de cadavres, les bandits ". Donc la première énumération paraît incomplète.

5. Ce sont surtout les tyrans qui violentent leurs sujets. Or le Philosophe dit au même endroits : " Nous n’appelons pas "illibéraux" (c’est-à-dire avares), les tyrans qui ravagent les cités et pillent les sanctuaires. " Donc la violence ne doit pas être comptée parmi les filles de l’avarice.

En sens contraire, c’est S. Grégoire qui attribue à l’avarice les filles de la première énumération.

Réponse :

On appelle " filles " de l’avarice les vices qui en naissent, et surtout ceux qui désirent ce qui est sa fin. Mais parce que l’avarice est un amour excessif de la possession des richesses, elle est excessive sur deux points. D’abord en retenant ce qu’elle possède. C’est par là que l’avarice engendre l’endurcissement opposé à la miséricorde . le cœur de l’avare ne se laisse pas attendrir pour employer ses richesses à soulager les malheureux. Ensuite, il appartient à l’avarice d’être excessive dans ses acquisitions. Et à ce point de vue on peut considérer l’avarice de deux façons. D’abord en tant qu’elle est dans le cœur, et ainsi elle engendre l’inquiétude, elle introduit chez l’homme le souci et les préoccupations superflues. Car, dit l’Ecclésiaste (5, 9), " l’avare n’est jamais rassasié d’argent ". Ensuite on peut considérer l’avarice dans ses résultats. Et alors, dans l’acquisition des biens étrangers on emploie parfois la force, ce qui ressortit à la violence, et parfois la tromperie. Si celle-ci se fait en paroles seulement, il y aura fourberie, et parjure si l’on y ajoute la confirmation d’un serment. Mais si la tromperie est commise en action à l’égard des choses ce sera de la fraude ; à l’égard des personnes, ce sera la trahison, comme on le voit chez Judas, qui livra le Christ par avarice.

Solutions :

1. Il n’est pas nécessaire que les filles d’un péché capital soient du même genre que lui, parce qu’on peut ordonner à la fin recherchée par un vice des péchés d’un autre genre que lui. Il ne faut pas confondre les filles d’un péché avec ses espèces.

2. Nous venons de dire comment ces trois filles de l’avarice se répartissent.

3. Ces neuf filles se ramènent aux sept précédentes. Car le mensonge et le faux témoignage font partie de la fourberie ; le faux témoignage est en effet une espèce particulière du mensonge, comme le vol est une espèce de la fraude, dont il fait donc partie. L’appétit d’un gain honteux se rattache à l’inquiétude. La rapacité fait partie de la violence, dont elle est une espèce. Et l’inhumanité est identique à l’endurcissement contre la miséricorde.

4. Cette énumération d’Aristote concerne des espèces plutôt que des filles, de l’illibéralité ou avarice. En effet, on peut être appelé illibéral ou avare parce qu’on a du mal à donner ; si l’on donne peu on est appelé regardant ; si l’on ne donne rien, grigou ; si l’on donne avec beaucoup de difficulté, on est appelé vendeur de cumin, car on se donne beaucoup de mal pour peu de chose.

Parfois aussi on est appelé illibéral ou avare parce qu’on dépasse la mesure dans ses acquisitions. Et cela de deux façons. D’abord en faisant des gains honteux, autrement dit en accomplissant des œuvres viles et serviles par des trafics illibéraux ; ou parce qu’on s’enrichit par des actes vicieux, comme la prostitution ; ou parce qu’on gagne à des services qu’on devrait accorder gracieusement, comme font les usuriers, ou parce qu’on gagne peu en se donnant beaucoup de peine. Et ensuite parce qu’on gagne injustement, en faisant violence aux vivants comme les bandits, ou en détroussant les cadavres, ou en dépouillant ses amis, comme les joueurs.

5. Comme la libéralité, l’avarice concerne des sommes de moyenne importance. Aussi les tyrans qui s’emparent des grandes richesses par la violence ne sont-ils pas appelés avares, mais injustes.

 

 

QUESTION 119 — LA PRODIGALITÉ

1. Est-elle le contraire de l’avarice ? - 2. Est-elle un péché ? - 3. Est-elle un péché plus grave que l’avarice ?

 

            Article 1 — La prodigalité est-elle le contraire de l’avarice ?

Objections :

1. Il semble que non, car les contraires ne peuvent exister simultanément dans le même sujet. Mais certains sont à la fois prodigues et avares. La prodigalité ne s’oppose donc pas à l’avarice.

2. Les opposés ont le même objet. Mais l’avarice, en tant qu’elle s’oppose à la libéralité, concerne certaines passions dont on est affecté au sujet de l’argent. Mais la prodigalité ne semble pas concerner des passions de l’âme ; elle n’est pas affectée au sujet de l’argent, ni au sujet de biens analogues. Elle ne s’oppose donc pas à l’avarice.

3. Nous l’avons dit précédemment, le péché est spécifié au premier chef par sa fin. Mais la prodigalité paraît toujours ordonnée à une fin illicite, pour laquelle on dissipe son argent, avant tout pour les plaisirs. Aussi lit-on (Lc 15, 13) que le fils prodigue " gaspilla sa fortune en menant une vie de débauche ". Donc il semble que la prodigalité s’oppose davantage à la tempérance et à l’insensibilité qu’à l’avarice et à la libéralité.

En sens contraire, Aristote situe la prodigalité à l’opposé de la libéralité et de l’illibéralité, que nous appelons avarice.

Réponse :

En morale, l’opposition des vices entre eux et envers la vertu se manifeste selon l’excès et le défaut. Or l’avarice et la prodigalité diffèrent selon l’excès et le défaut, mais à des niveaux différents. Car, pour ce qui est de l’attachement aux richesses, l’avare est excessif en les aimant plus qu’il ne doit ; tandis que le prodigue est en défaut parce qu’il ne s’en soucie pas comme il devrait. Mais à l’égard des biens extérieurs, le propre du prodigue est d’être excessif pour donner, et en défaut pour garder et acquérir ; au contraire, l’avare est celui qui est en défaut pour donner, et excessif pour acquérir et garder. Ainsi est-il clair que la prodigalité s’oppose à l’avarice.

Solutions :

1. Rien n’empêche que dans le même sujet se rencontrent deux caractères contraires, à des plans différents. Mais on le qualifie plutôt par ce qui est en lui à titre principal. De même que, dans la libéralité, qui occupe un juste milieu, le principal est le don, à quoi s’ordonnent l’acquisition et la conservation de l’argent, de même on juge l’avarice et la prodigalité selon la façon de donner. Aussi celui qui donne avec excès est-il appelé prodigue, et celui qui donne insuffisamment, avare. Mais parfois celui qui donne insuffisamment n’est pas excessif dans ses acquisitions, remarque Aristote. Il arrive aussi que certain, qui donne à l’excès et est prodigue pour ce motif, soit excessif en même temps pour acquérir. Soit par nécessité parce que, donnant à l’excès, ses propres biens ne suffisent plus, d’où la nécessité d’acquérir de façon illégitime, ce qui se rattache à l’avarice. Soit encore par un désordre de l’esprit : quand on ne donne pas pour faire le bien, comme si l’on méprisait la vertu, on ne regarde pas trop d’où et comment on se procure des ressources. Ainsi est-on prodigue et avare à des points de vue différents.

2. La prodigalité a bien pour objet les passions concernant l’argent, non par excès mais par défaut.

3. Si le prodigue donne abondamment, ce n’est pas toujours en vue des plaisirs, objets de l’intempérance, mais parfois parce qu’il est dans son tempérament de ne pas se soucier des richesses, ou encore pour un autre motif Cependant, le plus souvent, il tombe dans l’intempérance parce que, faisant des dépenses excessives dans les autres domaines, il ne redoute pas de faire des dépenses pour les plaisirs auxquels le porte davantage la convoitise de la chair ; ou encore parce que, ne trouvant pas de satisfaction dans les biens conformes à la vertu, il recherche les plaisirs matériels. Et c’est pourquoi Aristote affirme : " Beaucoup de prodigues deviennent intempérants. "

 

            Article 2 — La prodigalité est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Paul affirme (1 Tm 6, 10) : " La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. " Mais ce n’est pas là racine de la prodigalité, puisque celle-ci est à l’opposé.

2. S. Paul dit aussi (1 Tm 6, 17) : " Ordonne aux riches de ce monde de partager volontiers. " Mais c’est ce que font surtout les prodigues. Donc la prodigalité n’est pas un péché.

3. La prodigalité consiste en des dons excessifs, et dans un souci insuffisant des richesses. Mais cela convient surtout aux parfaits qui accomplissent ce précepte du Seigneur (Mt 6, 34) : " Ne soyez pas en souci pour le lendemain " et (19, 28) : " Vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres. "

En sens contraire, le fils prodigue est blâmé pour sa prodigalité (Lc 15, 13).

Réponse :

Comme on l’a dit à l’article précédent, la prodigalité s’oppose à l’avarice selon l’opposition entre l’excès et le défaut. Or l’un et l’autre détruisent le juste milieu de la vertu. Du fait de cette destruction, il y a vice et péché. Il faut donc en conclure que la prodigalité est un péché.

Solutions :

1. Certains expliquent cette parole de l’Apôtre en l’appliquant non à la cupidité actuelle, mais à une cupidité habituelle, qui est le foyer de convoitise d’où naissent tous les péchés. D’autres disent qu’il parle d’une cupidité générale envers toute espèce de bien. Et ainsi est-il évident que la prodigalité naît de la cupidité ; car le prodigue veut obtenir de façon contraire à l’ordre un bien temporel, soit pour plaire aux autres, soit au moins pour satisfaire par ses dons sa volonté propre.

Mais si l’on y regarde bien, l’Apôtre parle ici littéralement de la cupidité des richesses, car il avait dit en premier lieu : " Ceux qui veulent devenir riches... " C’est donc bien l’avarice qu’il qualifie de racine de tous les maux, non parce que tous les maux en sortent toujours, mais parce qu’il n’y a aucun mal qui n’en sorte parfois. Aussi la prodigalité naît-elle parfois de l’avarice, par exemple lorsqu’un homme dépense beaucoup pour capter la faveur de certaines gens dont il recevra des richesses.

2. L’Apôtre exhorte les riches à donner facilement et généreusement leurs biens quand il le faut. C’est ce que les prodigues ne font pas ; car, selon Aristote " leurs largesses ne sont pas bonnes, ni faites en vue du bien, ni faites comme il faudrait ; mais parfois ils donnent beaucoup à des gens qui devraient rester pauvres, des histrions et des adulateurs, et ils ne font rien pour des hommes de bien ".

3. L’excès de la prodigalité ne se mesure pas principalement à la quantité du don, mais plutôt à ce que celui-ci dépasse ce qu’il faut faire. Aussi le libéral donne-t-il parfois plus que le prodigue, si c’est nécessaire. On doit donc dire que ceux qui donnent tous leurs biens afin de suivre le Christ, et éloignent de leur esprit tout souci des biens temporels, ne sont pas prodigues, mais pratiquent parfaitement la libéralité.

 

            Article 3 — La prodigalité est-elle un péché plus grave que l’avarice ?

Objections :

1. Il semble que oui, car par l’avance on nuit au prochain à qui l’on ne communique pas ses biens. Mais par la prodigalité on se nuit à soi-même, car Aristote enseigner : " La dissipation des richesses est comme une perdition de soi-même. " Or on pèche plus gravement si l’on se nuit à soi-même, selon l’Ecclésiastique (14, 5) : " Celui qui est dur pour lui-même, pour qui sera-t-il bon ? "

2. Le désordre qui surgit comme l’accompagnement d’une condition louable est moins vicieux de ce fait. Mais le désordre de l’avarice est parfois dans ce cas, comme on le voit chez des gens qui ne veulent pas dépenser leur bien pour ne pas être forcés à recevoir celui d’autrui. Or le désordre de la prodigalité accompagne une condition blâmable, c’est pourquoi, selon Aristote " nous attribuons la prodigalité aux hommes intempérants ".

3. La prudence est la première des vertus morales, on l’a vu. Mais la prodigalité s’oppose à la prudence plus que l’avarice, car on lit dans les Proverbes (21, 20) : " Il y a un trésor précieux et de l’huile dans la demeure du sage, mais l’imprudent gaspillera tout. " Et Aristote dit : " Le propre de l’insensé est de donner à l’excès et de ne rien recevoir. " Donc la prodigalité est un péché plus grave que l’avarice.

En sens contraire, le Philosophe dit que " le prodigue est considéré comme bien meilleur que l’avare ".

Réponse :

Considérée en elle-même, la prodigalité est un moindre péché que l’avarice. Et cela pour trois motifs. 1° L’avarice s’éloigne davantage de la vertu opposée. Car il appartient davantage au libéral de donner, ce que le prodigue fait à l’excès, que de prendre ou de retenir, ce qui est l’excès de l’avare. 2° " Le prodigue rend service à beaucoup de gens ; l’avare à personne, pas même à lui ", dit Aristote. 3° La prodigalité se guérit facilement. Par l’inclination de la vieillesse, qui lui est contraire. Parce qu’elle aboutit facilement à la pauvreté, pour avoir fait des dépenses inutiles. Et devenu pauvre, le prodigue ne peut plus faire des dons excessifs. Et enfin parce que la prodigalité conduit facilement à la vertu qui lui ressemble. Mais l’avare n’est pas facilement guéri, pour les raisons données plus haut.

Solutions :

1. La différence entre le prodigue et l’avare ne vient pas ce que l’un pèche contre lui-même et l’autre contre autrui. Car le prodigue pèche contre lui-même en dissipant les biens dont il devrait vivre ; et il pèche encore contre autrui en dépensant des biens dont il devrait aider les autres. Et cela apparaît surtout chez les clercs, dispensateurs des biens de l’Église qui appartiennent aux pauvres, que l’on fraude en dépensant avec prodigalité. Pareillement aussi l’avare pèche contre les autres par les insuffisances de ses dons ; et il pèche contre lui-même en ne dépensant pas assez, ce que l’Ecclésiaste (6, 2) décrit ainsi : " Dieu lui a donné des richesses et ne lui permet pas d’en profiter. " Cependant, si par ses excès le prodigue nuit à lui-même et à certains, il est utile à d’autres, tandis que l’avare n’est utile à personne, ni même à lui, parce qu’il n’ose pas employer ses richesses, même pour son propre usage.

2. Lorsque nous parlons des vices en général, nous en jugeons selon leur raison propre ; ainsi , pour la prodigalité, nous tenons compte de ce qu’elle détruit des richesses de façon excessive. Mais si quelqu’un dépense trop par intempérance, cela additionne plusieurs péchés, et de tels prodigues sont les pires, dit Aristote. Qu’un avare s’abstienne de recevoir le bien du prochain, bien qu’en soi cela paraisse louable, cela peut être blâmable à cause du motif, s’il ne veut rien recevoir pour n’être pas contraint à donner.

3. Tous les vices s’opposent à la prudence, de même que toutes les vertus sont dirigées par elle. C’est pourquoi le péché qui s’oppose seulement à la prudence est estimé plus léger.

 

 

QUESTION 120 — L’ÉPIKIE

1. Est-elle une vertu ? - 2. Fait-elle partie de la justice ?

 

            Article 1 — L’épikie est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non, car aucune vertu n’en supprime une autre. Or c’est ce que fait l’épikie, parce qu’elle supprime ce qui est juste selon la loi, et semble s’opposer à la sévérité.

2. S. Augustin a nous dit : " Bien que les hommes jugent les lois temporelles quand ils les instituent, une fois qu’elles ont été instituées et confirmées, il n’est plus permis au juge de les juger, mais il doit juger selon elles. " Or l’épikie semble juger la loi, quand elle estime qu’il ne faut pas l’observer dans un cas donné. Donc l’épikie est un vice plutôt qu’une vertu.

3. A l’épikie semble se rattacher l’attention que l’on porte à l’intention du législateur, selon Aristote. Mais interpréter l’intention du législateur est réservé au prince. C’est pourquoi l’empereur dit dans le Code : " Nous seul avons le devoir et le droit d’interpréter entre l’équité et le droit. " Donc l’acte de l’épikie n’est pas licite, et l’épikie n’est pas une vertu.

En sens contraire, Aristote en fait une vertu.

Réponse :

Nous l’avons dit en traitant des lois, parce que les actes humains pour lesquels on porte des lois consistent en des cas singuliers et contingents, variables à l’infini, il a toujours été impossible d’instituer une règle légale qui ne serait jamais en défaut. Mais les législateurs, attentifs à ce qui se produit le plus souvent, ont porté des lois en ce sens. Cependant, en certains cas, les observer va contre l’égalité de la justice, et contre le bien commun, visé par la loi. Ainsi la loi statue que les dépôts doivent être rendus, parce qu’elle est juste dans la plupart des cas. Il arrive pourtant parfois que ce soit dangereux, par exemple si un furieux a mis une épée en dépôt et la réclame pendant une crise, ou encore si quelqu’un réclame une somme qui lui permettra de combattre sa patrie. En ces cas et d’autres semblables, le mal serait de suivre la loi établie ; le bien est, en négligeant la lettre de la loi, d’obéir aux exigences de la justice et du bien public. C’est à cela que sert l’épikie, que l’on appelle chez nous l’équité. Aussi est-il clair que l’épikie est une vertu.

Solutions :

1. L’épikie ne se détourne pas purement et simplement de ce qui est juste, mais de la justice déterminée par la loi. Et elle ne s’oppose pas à la sévérité, car celle-ci suit fidèlement la loi quand il le faut ; suivre la lettre de la loi quand il ne le faut pas, c’est condamnable. Aussi est-il dit dans le Code " Il n’y a pas de doute qu’on pèche contre la loi si en s’attachant à sa lettre, on contredit la volonté du législateur. "

2. juger de la loi, c’est dire qu’elle est mal faite. Dire que les termes de la loi n’obligent pas en telle ou telle circonstance, c’est juger non pas de la loi en elle-même, mais d’un cas déterminé qui se présente.

3. L’interprétation a lieu dans les cas douteux,. où il n’est pas permis, sans la décision de l’autorité, de s’écarter des termes de la loi. Dans les cas évidents, ce qu’il faut, ce n’est pas interpréter, mais agir.

 

            Article 2 — L’épikie fait-elle partie de la justice ?

Objections :

1. Il semble que non, car, on l’a vu précédemment il y a deux sortes de justices : la justice particulière et la justice légale. Mais l’épikie ne fait pas partie de la justice particulière parce qu’elle s’étend à toutes les vertus, comme la justice légale. De même elle ne fait pas partie de la justice légale parce qu’elle agit en dehors des dispositions de la loi.

2. On ne donne pas une vertu plus primordiale comme faisant partie d’une vertu qui l’est moins, car c’est aux vertus cardinales, qui sont primordiales, qu’on rattache à titre de parties les vertus secondaires. Mais l’épikie semble être au-dessus de la justice, comme son nom le suggère, car il vient de épi : au-dessus, et dikaion : ce qui est juste.

3. Il semble que l’épikie soit identique à la modération. Car lorsque l’Apôtre dit (Ph 4, 5) : " Que votre modération soit connue de tous les hommes ", le mot grec correspond à épikie. Mais, selon Cicéron, la modération fait partie de la tempérance. Donc l’épikie ne fait pas partie de la justice.

En sens contraire, Aristote dit que " l’épikie est quelque chose de juste ".

Réponse :

Comme nous l’avons dit antérieurement, une " partie " d’une vertu peut se dire en trois sens : partie subjective, partie intégrante et partie potentielle. La partie subjective est celle à laquelle on attribue essentiellement le tout dont elle n’est qu’une partie. Et cela peut se faire de deux façons. Parfois en effet on attribue le tout aux parties selon une seule raison, comme on attribue le genre " animal " au cheval et au bœuf ; mais parfois l’attribution est faite à l’une des deux parties par priorité : c’est ainsi que l’être est attribué d’abord à la substance et ensuite à l’accident. Donc l’épikie fait partie de la justice prise en général, comme " une sorte de réalisation de la justice ", dit Aristote. Il est donc clair que l’épikie est une partie subjective de la justice. Mais on l’appelle justice en priorité par rapport à la justice légale, car celle-ci se dirige selon l’épikie. Aussi celle-ci est-elle comme la règle supérieure des actes humains.

Solutions :

1. L’épikie correspond à proprement parler à la justice légale ; d’une certaine façon elle y est incluse, et d’une certaine façon elle la dépasse. Si l’on appelle justice légale celle qui obéit à la loi soit quant à la lettre de celle-ci, soit quant à l’intention du législateur, qui est plus importante, alors l’épikie est la partie la plus importante de la justice légale. Mais si l’on appelle justice légale uniquement celle qui obéit à la loi selon la lettre, alors l’épikie ne fait pas partie de la justice légale, mais de la justice prise dans son sens général, et elle se distingue de la justice légale comme la dépassant.

2. Comme dit Aristote, " l’épikie est meilleure qu’une certaine justice, la justice légale qui observe la lettre de la loi. Mais parce qu’elle-même est une certaine justice, elle n’est pas meilleure que toute justice ".

3. Il revient à l’épikie d’être modératrice à l’égard de l’observance littérale de la loi. Mais la modération qui fait partie de la tempérance modère la vie extérieure de l’homme, sa démarche, son vêtement, etc. Cependant il est possible que chez les Grecs le mot " épikie " soit transféré, à cause d’une certaine ressemblance, à toutes sortes de modérations.

Étudions maintenant le don du Saint-Esprit qui correspond à la justice, et qui est le don de piété.

 

 

QUESTION 121 — LE DON DE PIÉTÉ

1. La piété est-elle un don du Saint-Esprit ? - 2. Quelle est la béatitude et quels sont les fruits qui lui correspondent ?

 

            Article 1 — La piété est-elle un don du Saint-Esprit ?

Objections :

1. Il semble que non, car les dons diffèrent des vertus, on l’a déjà vu. Or on a dit récemment que la piété est une vertu.

2. Les dons sont supérieurs aux vertus, surtout aux vertus morales, on l’a vu précédemment. Mais parmi les parties de la justice, la religion est plus importante que la piété. Donc, si une partie de la justice devait être mise parmi les dons, il semble que ce devrait être la religion plutôt que la piété.

3. Les dons, avec leurs actes, demeurent dans la patrie, on l’a vu. Mais l’acte de la piété ne peut y demeurer car S. Grégoire nous dit : " Ainsi, elle n’existera plus dans la patrie, où il n’y aura pas de misère. " Donc la piété n’est pas un don.

En sens contraire, Isaïe (11, 2) met la piété parmi les dons.

Réponse :

Comme on l’a vu précédemment les dons du Saint-Esprit sont des dispositions habituelles de l’âme qui la rendent prête à se laisser mouvoir par l’Esprit. Entre autres impulsions, l’Esprit-Saint nous pousse à un amour filial envers Dieu, selon l’épître aux Romains (8,15) : " Vous avez reçu l’Esprit des enfants d’adoption en qui nous crions : Abba, Père. " Et parce que c’est le rôle propre de la piété de rendre au père le culte que nous lui devons, il s’ensuit que la piété par laquelle nous rendons un culte à Dieu comme à notre Père, sous l’impulsion du Saint-Esprit, cette piété est un don de celui-ci.

Solutions :

1. La piété par laquelle nous rendons le culte que nous devons à notre père selon la chair est une vertu ; mais la piété qui est un don rend ce culte à Dieu en tant qu’il est Père.

2. Rendre un culte à Dieu créateur, ce que fait la vertu de religion, est plus excellent que rendre un culte à notre père charnel, ce que fait la piété qui est une vertu. Mais rendre un culte à Dieu comme Père est encore plus excellent que de rendre un culte à Dieu comme Créateur et Seigneur. Aussi la religion est-elle supérieure à la vertu de piété ; mais la piété comme désignant un don est supérieure à la vertu de religion.

3. De même que par la piété qui est une vertu on rend un culte non seulement à son père selon la chair, mais encore à tous ceux qui sont du même sang, parce qu’ils se rattachent au père ; de même encore la piété qui est un don rend ses devoirs et son culte non seulement à Dieu, mais encore à tous les hommes en tant qu’ils se rattachent à Dieu. Et c’est pourquoi il revient à ce don de piété d’honorer les saints et " de ne pas contredire l’Écriture, qu’on la comprenne ou non ", dit S. Augustin. Par suite, c’est encore elle qui vient au secours des malheureux. Et bien que cet acte n’aie pas sa place dans la patrie, surtout après le jour du jugement, son acte principal y aura pourtant sa place, car il consiste à rendre à Dieu un culte filial qui alors sera prédominant selon le livre de la Sagesse (5, 5) : " Voici comment ils ont été comptés parmi les fils de Dieu. " En outre les saints se rendront mutuellement honneur. Mais maintenant, jusqu’au jour du jugement, les saints seront miséricordieux pour ceux qui vivent dans cette condition de misère.

 

            Article 2 — Quelle est la béatitude et quels sont les fruits qui correspondent au don de piété ?

Objections :

1. Il semble qu’au don de piété ne corresponde pas la deuxième béatitude : " Bienheureux les doux. " En effet, le don de piété correspond à la justice, ou encore à la quatrième béatitude : " Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. " Ou encore à la cinquième : " Bienheureux les miséricordieux ", parce que, comme on l’a dit, l’œuvre de la miséricorde se rattache à la piété. Donc la deuxième béatitude ne se rattache pas au don de piété.

2. Le don de piété est dirigé par le don de science, qui figure dans l’énumération des dons chez Isaïe (11, 2). Or celui qui dirige et celui qui exécute ont le même but. Donc, puisque la troisième béatitude - " Bienheureux ceux qui pleurent " se rattache à la science, il semble que la deuxième ne se rattache pas à la piété.

3. Les fruits correspondent aux béatitudes et aux dons, comme on l’a vu antérieurement. Mais, parmi les fruits, la bonté et la bénignité paraissent s’accorder davantage avec la piété que la mansuétude qui se rattache à la douceur. Donc la deuxième béatitude ne correspond pas au don de piété.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " La piété convient aux hommes doux. "

Réponse :

Pour adapter les béatitudes aux dons on peut envisager deux sortes de rapprochements. L’une selon leur ordre, que S. Augustin semble avoir suivi. Aussi attribue-t-il la première béatitude (selon S. Matthieu) au dernier des dons (selon Isaïe), qui est le don de crainte. La deuxième - " Bienheureux les doux ", il l’attribue au don de piété, et ainsi de suite.

On peut envisager d’autres rapprochements selon la raison propre du don et celle de la béatitude. Il faut alors rapprocher les béatitudes et les dons selon leurs objets et leurs actes. A ce point de vue, la quatrième et la cinquième béatitude correspondent mieux que la deuxième au don de piété. Cependant la deuxième rejoint la piété en tant que la mansuétude supprime ce qui pourrait s’opposer aux actes de piété.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. Selon les caractéristiques des béatitudes et des dons, la même béatitude doit correspondre aux dons de piété et de science. Mais si l’on suit l’ordre d’énumération, diverses béatitudes s’y adaptent, à condition d’observer une certaine affinité, comme on vient de le dire.

3. Parmi les fruits, la bonté et la bénignité peuvent être attribuées directement à la piété ; mais la mansuétude indirectement, en tant qu’elle supprime ce qui empêcherait les actes de piété, on vient de le dire.

 

 

 

QUESTION 122 — LES PRÉCEPTES CONCERNANT LA JUSTICE

1. Les préceptes du décalogue concernent-ils la justice ? - 2. Le premier précepte.

- 3. Le deuxième. - 4. Le troisième. - 5. Le quatrième. - 6. Les six derniers préceptes.

 

            Article 1 — Les préceptes du décalogue concernent-ils la justice ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car " l’intention du législateur est de rendre les citoyens vertueux " de toutes les vertus, dit Aristote ; aussi dit-il encore que la loi donne des préceptes concernant tous les actes de toutes les vertus. Mais les préceptes du décalogue sont les principes premiers de toute la loi divine. Donc ils ne concernent pas seulement la justice.

2. C’est à la justice que semblent se rattacher surtout les préceptes judiciaires, qui se distinguent des préceptes moraux, comme on l’a vu précédemment. Donc les préceptes du décalogue ne concernent pas la justice.

3. La loi transmet surtout les commandements concernant les actes de justice qui se rattachent au bien commun, comme les fonctions publiques et les institutions analogues. Mais il n’est pas fait mention de cela dans les préceptes du décalogue.

4. Les préceptes du décalogue se distinguent en deux tables correspondant à l’amour de Dieu et à l’amour du prochain, qui relèvent de la vertu de charité. Donc les préceptes du décalogue concernent la charité plus que la justice.

En sens contraire, la justice paraît être la seule vertu qui nous ordonne à autrui. Mais tous les préceptes du décalogue nous ordonnent à autrui, comme on le voit en les parcourant un par un. Donc tous les préceptes du décalogue se rapportent à la justice.

Réponse :

Les préceptes du décalogue sont les premiers préceptes de la loi, et la raison naturelle leur donne aussitôt son assentiment comme aux principes les plus évidents. Mais il est non moins évident que la raison de dette, nécessaire pour qu’il y ait précepte, apparaît dans la justice, qui regarde autrui ; parce que, dans ce qui regarde lui-même, il apparaît au premier coup d’œil que l’homme est maître de lui, et qu’il lui est permis de faire ce qu’il veut. Mais quand il s’agit de ce qui regarde autrui, il est évident qu’on est obligé de rendre à autrui ce qu’on lui doit. Et c’est pourquoi il fallait que les préceptes du décalogue se rapportent à la justice. Aussi les trois premiers préceptes concernent-ils les actes de la religion, partie principale de la justice ; le quatrième concerne les actes de la piété, partie secondaire de la justice ; les six autres préceptes règlent les actes de la justice générale qui concerne les rapports entre égaux.

Solutions :

1. La loi vise à rendre vertueux tous les hommes, mais dans un certain ordre : elle leur donne d’abord des préceptes pour les actes où se manifeste plus clairement la raison de dette, nous venons de le dire.

2. Les préceptes judiciaires sont des déterminations des préceptes moraux en tant qu’ils sont ordonnés au prochain, de même que les préceptes cérémoniels sont des déterminations des préceptes moraux en tant qu’ils sont ordonnés à Dieu. Ni les uns ni les autres ne se trouvent dans le décalogue. Cependant ils sont des déterminations des préceptes de celui-ci, et ainsi ils se rapportent à la justice.

3. Ce qui se rapporte au bien commun doit être réparti diversement selon la diversité des hommes. C’est pourquoi on ne devait pas en faire des préceptes du décalogue, mais des préceptes judiciaires.

4. Les préceptes du décalogue se rattachent à la charité comme à leur fin selon S. Paul (1 Tm 1, 5) : " La fin du précepte, c’est la charité. " Mais ils se rattachent à la justice en tant qu’ils portent immédiatement sur les actes de cette vertu.

 

            Article 2 — Le premier précepte du décalogue

Objections :

1. Il semble que ce précepte soit mal formulé. Car l’homme a davantage d’obligation envers Dieu qu’envers son père selon la chair, d’après l’épître aux Hébreux (12, 9) : " Ne serons-nous pas soumis bien davantage au Père des esprits, pour avoir la vie ? " Or, le précepte sur la piété dont on honore son père a une forme affirmative : " Honore ton père et ta mère. " Donc, à plus forte raison, le premier précepte de la religion dont on doit honorer Dieu devrait-il être rédigé sous forme affirmative. D’autant plus que l’affirmation précède par nature la négation.

2. On a dit à l’article précédent que le premier précepte se rattache à la religion. Mais celle-ci, n’étant qu’une vertu, n’a qu’un acte. Or le premier précepte prohibe trois actes. Premièrement : " Tu n’auras pas de dieux étrangers devant moi. " Deuxièmement " Tu ne feras pas d’idole. " Troisièmement " Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, et tu ne les serviras pas. " Donc ce premier précepte est mal formulé.

3. S. Augustin nous dit que le premier précepte exclut le vice de superstition. Mais il y a bien d’autres superstitions nocives que l’idolâtrie, on l’a vu précédemment.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture (Ex 20, 3).

Réponse :

Il revient à la loi de rendre les hommes bons. C’est pourquoi il faut que ses préceptes soient rangés selon l’ordre où la vertu est engendrée chez l’homme.

Or dans l’ordre de la génération deux points sont à observer. D’abord que la première partie est constituée en premier. Ainsi, dans la génération de l’animal, ce qui est engendré d’abord, c’est le cœur, et pour la maison on pose d’abord les fondations. Dans la bonté de l’âme vient en premier la bonté de la volonté, grâce à laquelle l’homme use bien de toute autre bonté. Or la bonté de la volonté se mesure d’abord à son objet, qui est la fin. C’est pourquoi, chez celui que la loi doit former à la vertu, il fallait d’abord, pour ainsi dire, poser comme fondement la religion, qui règle l’ordre de l’homme à Dieu, fin ultime de sa volonté.

Deuxièmement, il faut veiller, dans l’ordre de la génération, à enlever d’abord les oppositions et les obstacles. Ainsi le laboureur nettoie son champ avant de l’ensemencer, comme dit Jérémie (4, 3) : " Défrichez pour vous ce qui est en friche, ne semez pas sur les épines et les chardons. " C’est pourquoi, à l’égard de la religion, l’homme devait d’abord être formé à éliminer les obstacles à la vraie religion. Or le principal d’entre eux, c’est que l’homme s’attache à un faux dieu, selon la parole (Mt 6, 24) : " Vous ne pouvez pas servir Dieu et Mammon. " C’est pourquoi le premier précepte de la loi exclut le culte des faux dieux.

Solutions :

1. Même au sujet de la religion il y a un précepte affirmatif : " Souviens-toi de sanctifier le sabbat. " Mais il fallait le faire précéder par les préceptes négatifs supprimant les obstacles à la religion. Car, bien que l’affirmation précède par nature la négation, cependant, selon l’ordre de la génération, la négation qui écarte les obstacles passe en premier, nous venons de le dire. Et surtout dans les choses divines où les négations l’emportent sur les affirmations, à cause de notre infirmité, selon Denys.

2. Le culte des dieux étrangers se montrait de deux façons. Certains adoraient des créatures comme des dieux, mais sans en faire d’images. C’est ainsi, selon Varron, que les anciens Romains ont longtemps honoré leurs dieux sans les représenter. Et ce culte est prohibé le premier par ces paroles : " Tu n’auras pas de dieux étrangers. " Chez d’autres, le culte des faux dieux s’adressait à des images. C’est pourquoi il était à juste titre interdit de faire ces images : " Tu ne feras pas d’idole ", et de leur rendre un culte " Tu ne te prosterneras pas. "

3. Toutes les autres superstitions procèdent d’un pacte, tacite ou exprès, conclu avec le démon. Elles sont donc toutes condamnées par ces mots " Tu n’auras pas de dieux étrangers. "

 

            Article 3 — Le deuxième précepte du décalogue

Objections :

1. Il semble que ce deuxième précepte soit mal formulé. En effet, ce précepte : " Tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu " est expliqué dans la Glose : " Tu ne croiras pas qu’une créature est le Fils de Dieu ", ce qui prohibe une erreur en matière de foi. Et sur le parallèle du Deutéronome (5, 11), elle explique : " ... en attribuant le nom de Dieu à du bois ou à de la pierre ", ce qui prohibe une fausse profession de foi, qui est un acte d’infidélité en même temps qu’une erreur. Or l’acte d’infidélité est antérieur à la superstition, comme la foi est antérieure à la religion. Donc ce précepte aurait dû précéder le premier, qui prohibe la superstition.

2. On " prend " le nom de Dieu pour toutes sortes d’actions : pour le louer, pour faire des miracles, et pour ce que nous disons et faisons, selon la recommandation de S. Paul (Col 3, 17) : " Tout ce que vous faites, en parole ou en acte, faites-le au nom du Seigneur. " Donc interdire de prendre le nom de Dieu en vain semble plus universel que d’interdire la superstition, et ce deuxième précepte aurait dû venir avant le premier.

3. On explique le précepte : " Tu ne prendras pas le nom de Dieu en vain " par cette parole : " En jurant pour un rien. " On voit donc que ce précepte interdit le serment inutile, c’est-à-dire sans motif suffisant. Mais le faux serment, étranger à la vérité, et le serment injuste, étranger à la justice, sont beaucoup plus graves. C’est donc eux plutôt qu’il aurait fallu interdire par ce précepte.

4. Un péché beaucoup plus grave que le parjure, c’est le blasphème, et toutes les paroles et actions qui injurient Dieu. C’est donc tout cela qui aurait dû être prohibé par ce précepte.

5. Dieu a beaucoup de noms. On n’aurait donc pas dû dire de cette façon vague : " Tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu. "

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture (Ex 20, 7 Dt 5, 11).

Réponse :

Il faut commencer par exclure les obstacles à la vraie religion, avant d’y établir celui qu’on forme à la vertu. Or la vraie religion se heurte à un double obstacle. L’un, par excès, consiste à rendre un culte religieux indu à un autre que Dieu : c’est de la superstition. L’autre obstacle vient d’un défaut de respect, lorsque l’on méprise Dieu : c’est alors le vice d’irréligiosité, comme nous l’avons vu. La superstition empêche la religion en ce qu’elle s’oppose au culte rendu à Dieu. Celui dont l’âme est asservie à un culte indu ne peut en même temps rendre à Dieu le culte qui lui est dû, selon cette parole d’Isaïe (28, 20) : " Le lit est si étroit que l’un des deux doit tomber ", c’est-à-dire que le vrai Dieu ou le faux doit quitter le cœur de l’homme, " et la couverture est trop petite pour les couvrir tous deux ". Quant à l’irréligiosité, elle empêche la religion en ce qu’elle s’oppose à ce que Dieu, une fois accueilli, soit honoré. Or, accueillir Dieu pour l’honorer précède les honneurs qu’on lui rend après l’avoir accueilli. C’est pourquoi le précepte prohibant la superstition précède le deuxième précepte qui interdit le parjure, lequel se rattache à l’irréligiosité.

Solutions :

1. Ces commentaires sont mystiques. L’explication littérale se trouve dans le Deutéronome (5, 11) : " Tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu ", c’est-à-dire " en affirmant par serment ce qui n’existe pas ".

2. Ce précepte n’interdit pas tout usage du nom de Dieu, mais précisément son emploi pour confirmer par serment une parole humaine, parce que cet emploi est le plus fréquent chez les hommes. On peut cependant en déduire qu’on interdit ainsi tout emploi déréglé du nom de Dieu. C’est de ce point de vue que se placent les commentaires cités.

3. " Jurer pour un rien " se dit de celui qui jure pour ce qui n’existe pas ; cela se rattache au faux serment qui mérite à titre premier le nom de parjure, comme nous l’avons dit. Car, lorsque l’on jure faussement, le serment est vain par lui-même, parce qu’il ne se fonde pas sur la vérité. Mais quand quelqu’un jure sans réfléchir, par légèreté, la vanité ne tient pas au serment lui-même, mais à celui qui jure.

4. Lorsque l’on instruit quelqu’un dans une science, on commence par lui donner une introduction générale ; de même la loi, qui forme l’homme à la vertu, avec les préceptes du décalogue qui viennent en premier, lui montre par ses interdictions et ses commandements, ce qui se produit le plus souvent au cours de la vie humaine. C’est pourquoi un précepte du décalogue interdit le parjure, qui est plus fréquent que le blasphème.

5. On doit le respect aux différents noms de Dieu à cause de la réalité signifiée, qui est unique, non en raison du sens des mots, qui sont multiples. Et c’est pourquoi il est dit au singulier : " Tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu ", car peu importe par lequel des noms de Dieu le parjure est commis.

 

            Article 4 — Le troisième précepte du décalogue

Objections :

1. Il semble que ce précepte sur la sanctification du sabbat soit mal formulé. En effet, ce précepte, si on le comprend spirituellement, a une portée générale. En effet sur Luc (13, 14) : " Le chef de la synagogue, indigné de ce que Jésus avait fait une guérison le jour du sabbat... ", S. Ambroise explique : " La loi n’interdit pas de guérir un homme le jour du sabbat, mais d’accomplir des œuvres serviles, c’est-à-dire de se laisser accabler par les péchés. " Mais selon le sens littéral, c’est un précepte cérémoniel, car il est écrit dans l’Exode (31, 13) : " Veillez à observer mon sabbat, car c’est un signe entre moi et vous pour vos descendants. " Or les préceptes du décalogue sont à la fois spirituels et moraux. Donc ce précepte n’est pas à sa place ici.

2. Les préceptes cérémoniels de la loi englobent les choses sacrées, les sacrifices, les sacrements et les observances, nous l’avons montré. Aux choses sacrées se rattachaient non seulement les jours sacrés, mais aussi les lieux sacrés, en plus du sabbat. Il est donc illogique de faire mention de l’observance du sabbat en omettant tous les autres préceptes cérémoniels.

3. Celui qui transgresse un précepte du décalogue commet un péché. Mais dans la loi ancienne certains transgressaient l’observance du sabbat sans commettre de péché, comme ceux qui circoncisaient les enfants le huitième jour, et les prêtres qui officiaient au Temple le jour du sabbat. Élie, puisqu’il est parvenu en quarante jours à Horeb, la montagne de Dieu, a bien voyagé le sabbat. De même encore les prêtres qui ont porté l’arche du Seigneur pendant sept jours doivent avoir continué leur circuit pendant le sabbat (Jos 6, 14). Et il est dit aussi (Lc 13, 15) : " Est-ce que chacun de vous ne détache pas son bœuf ou son âne pour le conduire à l’abreuvoir ? " Donc cette sanctification du sabbat n’est pas à sa place dans le décalogue.

4. Même dans la loi nouvelle il faut observer les préceptes du décalogue. Mais dans la loi nouvelle on n’observe pas ce précepte-ci ni quant au sabbat ni quant au dimanche, où l’on fait la cuisine, où les gens voyagent, pêchent et ont beaucoup d’autres occupations. Il ne convient donc pas de donner un précepte sur l’observation du sabbat.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture (Ex 20, 8).

Réponse :

Une fois enlevés les obstacles à la vraie religion par les deux premiers préceptes du décalogue, comme nous l’avons vu à l’article précédent, il était logique de donner un troisième précepte qui établirait les hommes dans la vraie religion. Or il revient à celle-ci de rendre un culte à Dieu. De même que l’Écriture sainte nous propose les vérités divines sous les images de certaines réalités corporelles, de même le culte extérieur est rendu à Dieu par un signe sensible. Pour ce qui est du culte intérieur qui consiste dans la prière et la dévotion, l’homme est guidé davantage par l’impulsion intérieure du Saint-Esprit ; mais, pour le culte extérieur, il a fallu lui donner dans la loi un précepte portant sur un signe sensible. Et parce que les préceptes du décalogue sont comme les principes premiers et généraux de la loi, dans le troisième précepte du décalogue on prescrit le culte extérieur de Dieu sous le signe de son bienfait universel envers les hommes. C’est-à-dire qu’on rappelle ainsi l’œuvre de la création du monde, dont on nous dit que Dieu s’est reposé le septième jour. En signe de quoi, il est prescrit de sanctifier le jour du Seigneur, c’est-à-dire de le consacrer à un loisir en l’honneur de Dieu. C’est pourquoi dans l’Exode (20, 11), après avoir énoncé le précepte de sanctifier le sabbat, on donne cette raison : " En six jours Dieu fit le ciel et la terre, et le septième jour il se reposa. "

Solutions :

1. Le précepte de sanctifier le sabbat, entendu littéralement, est en partie moral et en partie cérémoniel. Il est moral en ce que l’homme doit consacrer quelque temps de sa vie à s’occuper des choses divines. Il y a en effet dans l’homme un penchant naturel à consacrer quelque temps à tout ce qui lui est nécessaire, comme les repas, le sommeil, etc. Aussi doit-il encore consacrer quelque temps, selon l’invitation de la raison naturelle, à la réfection de son âme en Dieu. Et c’est ainsi que réserver du temps à s’occuper des choses divines est l’objet d’un précepte moral.

Mais en tant que ce précepte détermine un temps spécial pour symboliser la création du monde, il est un précepte cérémoniel. Il est encore cérémoniel en un sens allégorique, en tant qu’il préfigurait le repos du Christ au tombeau, le septième jour. De même, il a une signification morale en tant qu’il symbolise la cessation de toute activité coupable et le repos de l’âme en Dieu. Et en ce sens c’est un précepte de portée générale. De même encore il est cérémoniel selon une signification analogique, comme figurant le repos procuré par la jouissance de Dieu dans la patrie.

En fait, ce précepte figure dans le décalogue en tant que moral, non en tant que cérémoniel.

2. Les autres cérémonies de la loi symbolisent des œuvres divines particulières. Mais l’observance du sabbat est le signe d’un bienfait général : la production de toutes les créatures.

Et c’est pourquoi il convenait de l’introduire dans les préceptes généraux du décalogue plutôt qu’un autre précepte cérémoniel.

3. Dans l’observance du sabbat, deux points sont à considérer. Le premier est sa fin : que l’homme s’applique aux choses divines. C’est signifié par cet ordre : " Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat. " Car dans la loi " sanctifier " signifie consacrer au culte divin. L’autre point est l’arrêt de tout travail, ce qui est signifié ensuite : " Le septième jour du Seigneur ton Dieu, tu ne feras aucun travail. " Et de quel travail il faut l’entendre, nous l’apprenons par le Lévitique (23, 35) : " En ce jour-là vous ne ferez aucune œuvre servile. "

Une œuvre est dite servile parce qu’elle implique une servitude. Or il y en a trois sortes. Par l’une l’homme est asservi au péché : " Celui qui commet le péché est esclave du péché " (Jn 8, 34). En ce sens, toute œuvre de péché est une œuvre servile. Une autre servitude est celle qui asservit un homme à un autre. Mais ce ne peut être que corporellement, non selon l’esprit, comme nous l’avons vu. C’est pourquoi, en ce sens, on appelle œuvres serviles les travaux corporels qu’un homme accomplit comme esclave d’un autre. La troisième sorte de servitude est envers Dieu. Et en ce sens on peut identifier œuvre servile et œuvre de latrie, car celle-ci constitue le service de Dieu.

Si l’on entend " œuvre servile " en ce sens, elle n’est pas interdite le jour du sabbat. Ce serait contraire à la fin de l’observance sabbatique, car si l’homme s’abstient des autres travaux le jour du sabbat, c’est pour vaquer aux œuvres qui se rattachent à notre servitude envers Dieu. C’est le sens de cette parole (Jn 7, 23) : " On circoncit le jour du sabbat pour que ne soit pas enfreinte la loi de Moïse. " Et de cet autre (Mt 12, 5) : " Le jour du sabbat, les prêtres dans le Temple violent le sabbat ". c’est-à-dire y travaillent corporellement " sans commettre de péché ". C’est ainsi encore que les prêtres, en portant l’arche autour de Jéricho pendant le sabbat, n’ont pas transgressé le précepte du sabbat. De même encore, l’exercice d’aucune activité spirituelle ne contredit l’observance du sabbat, comme d’enseigner par la parole ou par l’écrit. Aussi la Glose dit-elle (sur Nb 28, 9) : " Les forgerons et autres artisans se reposent le jour du sabbat. Le lecteur de la loi divine ou le docteur ne cesse pas son travail et pourtant il ne souille pas le sabbat, comme les prêtres qui violent le sabbat sans commettre de péché. "

Mais les autres œuvres serviles, au premier ou au second sens de ce mot, sont contraires à l’observance du sabbat dans la mesure où elles empêchent l’application aux choses divines. Et parce que l’on est détourné plus par une œuvre de péché que par une œuvre licite, même si celle-ci est corporelle, celui qui pèche un jour de fête viole le précepte plus que celui qui accomplit une œuvre corporelle, mais de soi licite. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Les Juifs feraient mieux ce jour-là de travailler utilement dans leurs champs que de soulever des séditions au théâtre. Et leurs femmes feraient mieux de filer la laine le sabbat que de danser toute la journée de façon inconvenante aux néoménies. " Mais celui qui pèche véniellement contre le sabbat ne manque pas au précepte, car le péché véniel n’empêche pas la sainteté.

Les travaux corporels qui ne servent pas au culte spirituel sont appelés serviles parce qu’ils reviennent en propre aux serviteurs ; mais lorsqu’ils sont communs aux esclaves et aux hommes libres, on ne les appelle pas serviles. Tout homme, esclave ou libre, est tenu dans le domaine des choses nécessaires, de pourvoir non seulement à soi-même mais encore au prochain, et d’abord en ce qui concerne le salut du corps, selon les Proverbes (24, 11) : " Délivre ceux qu’on envoie à la mort. " Ensuite, en leur évitant une perte de leurs biens, selon le Deutéronome (22, 1) : " Si tu vois vagabonder le bœuf ou la brebis de ton frère, tu ne te déroberas pas, mais tu les ramèneras à ton frère. " C’est pourquoi le travail corporel destiné à conserver le salut de son propre corps ne viole pas le sabbat. Manger, comme tout ce qu’on peut faire pour conserver la santé de son corps, ne viole donc pas le sabbat. Et c’est pourquoi les Maccabées n’ont pas souillé le sabbat en combattant pour se défendre un jour de sabbat (1 M 2, 41). Ni pareillement Élie fuyant pour échapper à Jézabel un jour de sabbat. Et c’est pourquoi encore le Seigneur (Mt 12, 4) excuse ses disciples qui cueillaient des épis un jour de sabbat, poussés par la nécessité. Pareillement, le travail corporel ordonné au salut corporel d’autrui n’est pas contraire à l’observance du sabbat. Aussi Jésus dit-il (Jn 7, 23) : " Vous êtes indignés contre moi parce que j’ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat ? " Pareillement encore le travail corporel ordonné à éviter un dommage extérieur ne viole pas le sabbat. Aussi le Seigneur dit-il (Mt 12, 11) : " Lequel d’entre vous, s’il n’a qu’une brebis et si elle tombe dans un trou le jour du sabbat, n’ira la prendre et la relever ? "

4. Dans la loi nouvelle, l’observance du dimanche a remplacé l’observance du sabbat, non en vertu d’un précepte de la loi, mais en vertu de la constitution de l’Église et de la coutume du peuple chrétien. Cette observance n’est pas figurative comme celle du sabbat dans l’ancienne loi, et c’est pourquoi l’interdiction de travailler le dimanche n’est pas aussi stricte que celle du sabbat ; certains travaux sont permis le dimanche, qui étaient interdits le sabbat, comme la cuisine. En outre dans la loi nouvelle on dispense plus facilement, pour une nécessité, de travaux prohibés qu’on ne le faisait sous la loi ancienne. Parce que ce qui est figuratif sert à professer la vérité, ce qui ne permet aucun relâchement même léger ; mais ces travaux considérés en eux-mêmes peuvent varier selon le lieu et le temps.

 

            Article 5 — Le quatrième précepte du décalogue

Objections :

1. Il semble que le quatrième commandement, celui d’honorer ses parents, soit mal présenté. En effet, c’est un précepte qui se rattache à la piété. Mais si la piété fait partie de la justice, de même le respect, la gratitude, et d’autres vertus dont on a déjà parlé. Il semble donc qu’on ne devait pas donner un précepte spécial pour la piété, quand on n’en donne pas pour les autres vertus.

2. La piété ne rend pas un culte aux parents seulement, mais aussi à la patrie, aux autres membres de la famille et aux amis de la patrie, on l’a dit en son lieu. Il est donc choquant que ce quatrième précepte mentionne seulement d’honorer son père et sa mère.

3. On ne doit pas seulement honorer ses parents, mais encore les soutenir. Le précepte est insuffisant sur ce point.

4. Il arrive parfois que ceux qui honorent leurs parents meurent jeunes, et que d’autres qui ne les honorent pas vivent longtemps. On a donc eu tort d’ajouter à ce précepte la promesse : " Pour que tu vives longtemps sur la terre. "

En sens contraire, il y a l’autorité de la Sainte Écriture (Ex 20, 12).

Réponse :

Les préceptes du décalogue sont ordonnés à l’amour de Dieu et du prochain. Parmi nos proches, c’est à nos parents que nous avons le plus d’obligation. C’est pourquoi immédiatement après les préceptes qui nous ordonnent à Dieu se trouve le précepte nous ordonnant à nos parents, qui sont le principe particulier de notre existence comme Dieu en est le principe universel. Et ainsi y a-t-il une certaine affinité entre ce commandement et ceux de la première table.

Solutions :

1. Comme on l’a dit précédemment, la piété est ordonnée à nous faire accomplir nos devoirs envers nos parents, ce qui concerne tout le monde. Et c’est pourquoi, parmi les préceptes du décalogue qui sont pour tous, on devait mettre un commandement relatif à la piété, plutôt qu’aux autres vertus annexes de la justice, qui visent un devoir spécial.

2. On se doit à ses parents avant de se devoir à la patrie et à ses consanguins, parce que ceux-ci et la patrie ne nous touchent qu’à cause des parents dont nous sommes nés.

C’est pourquoi, puisque les préceptes du décalogue sont les premiers préceptes de la loi, ils ordonnent l’homme à ses parents plus qu’à sa patrie et. aux autres consanguins. Néanmoins, dans ce précepte d’honorer ses parents, on comprend qu’il ordonne à chacun ce qui lui est dû, comme un devoir secondaire est inclus dans un devoir principal.

3. On doit respect et honneur aux parents en tant que tels. Mais les assister et leur rendre d’autres services leur est dû en raison d’un accident, par exemple parce qu’ils sont indigents, ou esclaves, etc., comme on l’a dit plus haut. Et parce que ce qui est essentiel prime ce qui est accidentel, le précepte d’honorer ses parents est prescrit de façon spéciale dans ces préceptes de la loi que contient le décalogue. Dans ce précepte, comme dans l’obligation principale, est inclus le devoir de les soutenir, avec tout ce que l’on doit à ses parents.

4. La longévité est promise à ceux qui honorent leurs parents non seulement quant à la vie future, mais aussi quant à la vie présente selon S. Paul (1 Tm 4, 8) : " La piété est utile à tout, car elle a la promesse de la vie présente comme de la vie future. " Et cela se justifie. Celui qui se montre reconnaissant d’un bienfait mérite, par une sorte de convenance, que ce bienfait lui soit conservé ; par l’ingratitude, au contraire, on mérite de perdre le bienfait. Or, après Dieu, c’est de nos parents que nous tenons le bienfait de la vie corporelle. Aussi celui qui honore ses parents, comme pour reconnaître leur bienfait, mérite de conserver la vie ; celui qui ne les honore pas, comme un ingrat, mérite de la perdre.

Cependant, parce que les biens et les maux de la vie présente ne tombent sous le mérite ou le démérite que dans la mesure où ils sont ordonnés à la récompense future, comme nous l’avons dit, il arrive, selon le plan mystérieux des jugements divins qui visent surtout la rémunération future, que certains, qui pratiquent la piété filiale, meurent prématurément, et que d’autres, qui ne la pratiquent pas, vivent plus longtemps.

 

            Article 6 — Les six derniers préceptes du décalogue

Objections :

1. Ils ne semblent pas judicieusement formulés. Car il ne suffit pas pour le salut de ne pas nuire au prochain, mais il est requis de lui rendre ce qu’on lui doit, selon S. Paul (Rm 13, 7) : " Rendez à tous ce qui leur est dû. " Mais dans les six derniers préceptes il est uniquement interdit de nuire au prochain.

2. Dans ces préceptes sont prohibés l’homicide, l’adultère, le vol et le faux témoignage. Mais on peut nuire au prochain de bien d’autres façons, comme on l’a déterminé précédemment.

3. On peut envisager la convoitise de deux façons : en tant qu’elle est un acte de la volonté, comme au livre de la Sagesse (6, 21) : " La convoitise de la sagesse conduit à la royauté perpétuelle " ; ou bien en tant qu’elle est un acte de la sensualité, comme il est dit en S. Jacques (4, 1) : " D’où viennent les guerres et les procès parmi vous ? N’est-ce pas des convoitises qui combattent dans vos membres ? " Mais le précepte du décalogue ne prohibe pas la convoitise de sensualité, car à ce compte les premiers mouvements seraient des péchés mortels, puisqu’ils iraient contre un précepte du décalogue. Pareillement, on n’interdit pas la convoitise de volonté, puisqu’elle est incluse en tout péché. Donc on a eu tort de mettre dans les préceptes du décalogue ceux qui prohibent la convoitise.

4. L’homicide est un péché plus grave que l’adultère ou le vol. Mais il n’y a aucun précepte interdisant le désir de l’homicide. Il est donc illogique d’avoir mis des préceptes interdisant la convoitise du vol et de l’adultère.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture (Ex 20, 13).

Réponse :

Les vertus annexes de la justice nous font rendre ce qui leur est dû à des personnes déterminées envers lesquelles nous sommes obligés par un motif spécial. De même, par la justice proprement dite nous rendons à tous en général ce qui leur est dû. Et c’est pourquoi, après les trois premiers préceptes relatifs à la religion qui nous fait rendre à Dieu ce que nous lui devons, et après le quatrième précepte, relatif à la piété par laquelle nous acquittons notre dette envers nos parents, ce qui inclut toutes les dettes fondées sur un motif spécial, il était nécessaire de donner à la suite d’autres préceptes relatifs à la justice proprement dite, qui rend indistinctement à tous les hommes ce qui leur est dû.

Solutions :

1. Ne nuire à personne est une obligation universelle. C’est pourquoi les préceptes négatifs qui interdisent les dommages qu’on peut infliger au prochain devaient, à cause de leur universalité, trouver place parmi les préceptes du décalogue. Au contraire, ce que l’on doit procurer au prochain se diversifie selon ses divers besoins. C’est pourquoi il ne fallait pas introduire dans le décalogue ces préceptes affirmatifs.

2. Toutes les autres manières de nuire au prochain peuvent se ramener à celles que ces préceptes interdisent, qui sont les plus générales et les plus capitales. Car tous les torts qu’on afflige à la personne du prochain sont prohibés avec l’homicide, qui est le plus capital. Toutes les offenses contre les personnes qui lui sont unies, surtout inspirées par la passion, sont comprises dans l’adultère. Ce qui concerne les dommages relatifs aux biens est interdit en même temps que le vol. Ce qui relève de la parole, médisances, blasphèmes, etc. est interdit avec le faux témoignage, qui s’oppose plus directement à la justice.

3. Les préceptes prohibant la convoitise ne signifient pas l’interdiction des premiers mouvements de convoitise qui ne dépasseraient pas les bornes de la sensualité. Ce qui est directement prohibé, c’est le consentement de la volonté à l’acte ou à la délectation.

4. En lui-même l’homicide n’a rien de désirable, il est plutôt objet d’horreur, parce qu’il n’y a en lui aucune raison de bien. Mais l’adultère comporte une raison de bien : le délectable. Le vol, lui aussi, comporte une raison de bien : l’utile. Or le bien est par lui-même désirable. C’est pourquoi il fallait interdire par des préceptes particuliers la convoitise de l’adultère et du vol, mais non celle de l’homicide.

LA FORCE

Après l’étude de la justice, vient logiquement celle de la force, qui se divise en quatre 1° La vertu même de force (Q. 123-127). 2° Ses parties (Q. 128-138). 3° Le don qui lui correspond (Q. 139). 4° Les préceptes qui s’y rapportent (Q. 140). La première partie se subdivise ainsi : l° La force en elle-même (Q. 123). 2° Son acte principal qui est le martyre (Q. 124). 3° Les vices qui lui sont contraires (Q. 125-127).

 

 

QUESTION 123 — LA VERTU DE FORCE EN ELLE-MÊME

1. Est-elle une vertu ? - 2. Une vertu spéciale ? - 3. A-t-elle pour objet la crainte et l’audace ? - 4. Seulement la crainte de la mort ? - 5. A-t-elle pour objet la crainte de mourir au combat ? - 6. Son acte principal est-il de supporter ? - 7. Agit-elle en vue de son propre bien ? 8. Trouve-t-elle du plaisir dans son action ? - 9. S’affirme-t-elle surtout dans les cas soudains ? - 10. Emploie-t-elle la colère ? - 11. Est-elle une vertu cardinale ? - 12. Comparaison entre elle et les autres vertus cardinales.

 

            Article 1 — La force est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Paul affirme (2 Co 12, 9) : " La vertu se déploie dans la faiblesse. " Mais la force s’oppose à la faiblesse, donc elle n’est pas une vertu.

2. Si c’est une vertu, elle est une vertu théologale, intellectuelle ou morale. Mais elle ne rentre ni dans les vertus théologales, ni dans les vertus intellectuelles, on l’a déjà montrés. Et elle ne paraît pas être une vertu morale car, d’après Aristote certains paraissent courageux par ignorance, ou par expérience, comme les soldats, et cela relève de l’art plus que de la vertu morale ; certains aussi sont appelés courageux à cause de leurs passions, comme la crainte des menaces ou du déshonneur, ou encore par tristesse, par colère ou par espoir ; or, on l’a vu. la vertu morale n’agit pas par passion mais par choix. Donc la force n’est pas une vertu.

3. La vertu humaine réside surtout dans l’âme, car elle en est une " bonne qualité ", on l’a dit précédemment. Mais la force semble résider dans le corps ; au moins elle dépend du tempérament. Elle n’est donc pas une vertu.

En sens contraire, S. Augustin met la force au nombre des vertus.

Réponse :

Selon Aristote " la vertu rend bon celui qui la possède et rend bonne son action ", ce qui s’applique à la vertu de l’homme. Or le bien de l’homme consiste à se régler sur la raison, selon Denys. Il revient donc à la vertu de rendre l’homme bon et à rendre raisonnable son action. Or cela se produit de trois manières. 1° La raison elle-même est rectifiée ; c’est l’œuvre des vertus intellectuelles. 2° Cette rectitude de la raison est instaurée dans les relations humaines ; c’est la tâche de la justice. 3° Il faut supprimer les obstacles à cet établissement de la droite raison dans les affaires humaines.

Or la volonté humaine est empêchée de suivre la rectitude de la raison de deux façons. 1° Parce qu’un bien délectable l’attire hors de ce que requiert la rectitude de la raison, et cet empêchement est supprimé par la vertu de tempérance. 2° Parce qu’une difficulté qui survient détourne la volonté de faire ce qui est raisonnable. Pour supprimer cet obstacle, il faut la force d’âme qui permet de résister à de telles difficultés, de même que par sa force physique l’homme domine et repousse les empêchements corporels. Aussi est-il évident que la force est une vertu, en tant qu’elle permet à l’homme d’agir conformément à la raison.

Solutions :

1. La vertu de l’âme ne se déploie pas dans la faiblesse de l’âme, mais dans la faiblesse charnelle, dont parlait l’Apôtres Il appartient à la force d’âme de supporter courageusement la faiblesse de la chair : c’est la tâche de la vertu de patience, ou de la vertu de force. Que l’homme reconnaisse sa propre faiblesse, cela relève de la perfection qu’on appelle l’humilité.

2. Parfois certains accomplissent l’acte extérieur d’une vertu sans avoir cette vertu, pour une cause autre que la vertu. Et c’est pourquoi Aristote énumère cinq modes selon lesquels certains sont appelés forts de façon factice, parce qu’ils exercent un acte de force sans avoir cette vertu. Cela arrive de trois façons. D’abord parce qu’ils se portent vers une tâche difficile comme si elle ne l’était pas. Ce qui se divise en trois. Parfois cela vient de l’ignorance, parce que l’on ne perçoit pas l’importance du danger. Parfois cela se produit parce que l’on sait par expérience qu’on y a souvent échappé. Et parfois cela se produit parce qu’on a une certaine connaissance et une certaine pratique. Cela arrive chez les militaires qui, à cause de leur connaissance et de leur expérience des armes estiment peu graves les périls de la guerre et croient pouvoir les éviter par leur habileté. Aussi Végèce dit-il " Personne n’a peur de faire ce qu’il est très sûr d’avoir bien appris. "

Ou encore deuxième façon quelqu’un accomplit sans vertu un acte de force, poussé par une passion, comme la tristesse qu’il veut chasser, ou encore la colère. Il y a une troisième façon qui comporte un choix, non celui de la fin raisonnable, mais celui d’un avantage temporel, comme l’honneur, le plaisir ou le gain ; ou le désir d’éviter un désavantage comme un blâme, une souffrance ou un dommage.

3. La force d’âme est appelée une vertu, nous venons de le dire, par ressemblance avec la force corporelle. Cependant il n’est pas contraire à la raison de vertu qu’on ait par tempérament une inclination naturelle à la vertu, on l’a dit précédemment.

 

            Article 2 — La force est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il semble que non, car il est dit que la Sagesse (8, 7) " enseigne tempérance et prudence, justice et vertu ", ce mot désignant ici la force. Donc, puisque ce nom de vertu est commun à toutes, il apparaît que la force est une vertu générale.

2. S. Ambroise écrit : " La force n’est pas le lot d’une âme médiocre, elle qui seule défend la beauté de toutes les vertus et maintient la justice, et qui combat tous les vices par une lutte acharnée. Invincible dans les travaux, courageuse dans le danger, impassible devant les voluptés, elle bannit la cupidité comme une souillure capable d’efféminer la vertu. " Et il en dit autant des autres vices. Or cela ne peut convenir à une vertu spéciale.

Donc la force est une vertu générale.

3. Le nom de force semble dériver de " fermeté ". Mais toute vertu doit être ferme, dit Aristote.

En sens contraire, S. Grégoire en fait une vertu parmi les autres.

Réponse :

Comme on l’a dit antérieurement le mot de force peut se prendre en deux sens. D’abord selon queue implique en elle-même une certaine fermeté d’âme. En ce sens, c’est une vertu générale, ou plutôt une condition de, toute vertu parce que, d’après le Philosophe, il est requis pour la vertu " d’agir de façon ferme et inébranlable ". Mais aussi on peut parler de la force selon queue implique fermeté d’âme pour supporter et repousser les difficultés particulièrement impressionnantes, comme les dangers graves. C’est pourquoi, dit Cicéron, " la force est une manière consciente d’affronter les périls et de supporter les labeurs ". C’est en ce sens que la force est présentée comme une vertu spéciale, ayant une matière déterminée.

Solutions :

1. Selon Aristote le mot de vertu se rapporte " au maximum d’une puissance ". Or on parle d’une puissance naturelle lorsqu’elle permet à quelqu’un de résister aux forces de destruction, mais aussi lorsqu’elle est un principe d’action, comme Aristote le montre bien. Et parce que cette acception est la plus courante, le mot de vertu implique habituellement le maximum de telle puissance ; car la vertu au sens courant n’est rien d’autre que l’habitus qui permet de bien agir. Mais selon qu’elle implique le maximum de puissance au premier sens, qui est plus spécial, on l’attribue à une vertu spéciale, c’est-à-dire à la force, dont le propre est de résister fermement à toute attaque.

2. S. Ambroise entend la force au sens large, selon qu’elle implique fermeté d’âme en face de tous les assauts. Cependant, même en tant qu’elle est une vertu spéciale ayant une matière déterminée, elle aide toutes les autres vertus à repousser les assauts de tous les vices. Car si quelqu’un peut tenir solidement contre les attaques les plus dangereuses, il s’ensuit qu’il est capable de résister à des difficultés moindres.

3. Cette objection vaut pour la force entendue de la première manière.

 

            Article 3 — La force a-t-elle pour objet la crainte et l’audace ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Grégoire enseigne : " La force des justes consiste à vaincre la chair, à combattre la sensualité, à éteindre le plaisir de la vie présente. " La force semble donc avoir plutôt les plaisirs comme objets.

2. Cicéron dit qu’il appartient à la force " d’affronter les périls et de supporter les labeurs ". Or cela ne semble pas se rattacher aux passions d’audace et de peur, mais plutôt à des actions humaines laborieuses, ou à des événements périlleux.

3. A la crainte ne s’oppose pas seulement l’audace mais aussi l’espérance, comme on l’a dit précédemment, en traitant des passions. Donc la force ne doit pas concerner l’audace plus que l’espérance.

En sens contraire, il y a cette affirmation du Philosophe : " La force concerne la crainte et l’audace. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, il revient à la vertu de force d’écarter l’empêchement qui retient la volonté de suivre la raison. Que l’on soit retenu de faire quelque chose de difficile, cela relève de la raison de crainte, qui fait reculer devant un mal présentant une difficulté, comme on l’a vu plus haut en traitant des passions. C’est pourquoi la chose concerne au premier chef la crainte des choses difficiles qui peuvent retenir la volonté de suivre la raison. Or il ne faut pas seulement subir fermement l’assaut de ces difficultés en réprimant la peur, mais aussi s’y attaquer avec modération, quand il faut les exterminer pour assurer sa sécurité future. Ce qui semble se rattacher à la raison d’audace. C’est pourquoi la force concerne la crainte et l’audace, en réprimant la crainte et en modérant l’audace.

Solutions :

1. S. Grégoire parle là de la force des justes selon qu’elle se rapporte indistinctement à toute vertu. Aussi parle-t-il d’abord de ce qui regarde la tempérance, comme l’objection le note, et il ajoute ce qui regarde particulièrement la force comme vertu spéciale quand il dit : " Aimer les épreuves de ce monde en vue des récompenses éternelles. "

2. Les événements dangereux et les tâches laborieuses n’écartent la volonté de la raison que dans la mesure où on les craint. C’est pourquoi il faut que la force ait pour objet immédiat la crainte et l’audace, et médiatement les dangers et les labeurs, objets de ces passions.

3. L’espérance s’oppose à la crainte du côté de l’objet, parce que l’espérance porte sur le bien, et la crainte sur le mal. Or l’audace concerne le même objet et s’oppose à la crainte en ce que la première l’affronte tandis que la seconde le fuit, nous l’avons vu. Et parce que la force vise à proprement parler les maux temporels qui écartent de la vertu, comme on le voit par la définition de Cicéron il en découle que la force concerne à proprement parler la crainte et l’audace, mais non l’espérance, sinon en tant qu’elle est liée à l’audace, comme on l’a vu antérieurement.

 

            Article 4 — La force a-t-elle seulement pour objet la crainte de la mort ?

Objections :

1. Il semble que ce ne soit pas son seul objet. En effet, S. Augustin déclare que la force " est un amour qui supporte facilement tout pour ce qu’il aime " et que c’est " un sentiment qui ne craint ni la mort ni aucune adversité ".

2. Il faut que toutes les passions de l’âme soient amenées au juste milieu par une vertu. Mais on ne peut attribuer à aucune vertu la tâche de ramener les autres craintes à un juste milieu.

3. Aucune vertu ne se situe aux extrêmes. Or la crainte de la mort, étant la crainte la plus forte, est à l’extrême, selon Aristote. Donc la vertu de force ne se limite pas aux craintes mortelles.

En sens contraire, Andronicus définit la force : " Une vertu de l’appétit irascible qui ne se laisse pas facilement effrayer par les craintes qu’inspire la mort. "

Réponse :

Comme on vient de le voir, il revient à la vertu de force de protéger la volonté de l’homme afin qu’elle ne recule pas devant un bien raisonnable par crainte d’un mal corporel. Or il faut tenir le bien de la raison contre tout mal, parce que nul bien corporel ne vaut le bien de la raison. C’est pourquoi il faut qu’on appelle force d’âme celle qui maintient fermement la volonté de l’homme dans le bien de la raison, malgré les plus grands maux, car celui qui tient ferme devant les plus grands tiendra ferme contre les moindres, mais non réciproquement ; en outre il revient à la vertu de viser le maximum. Or le plus terrible de tous les maux corporels est la mort, qui nous enlève tous les biens corporels. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Le lien du corps ne doit être ni secoué ni tourmenté, par le labeur ou par la douleur ; par crainte qu’il ne soit enlevé et détruit, l’âme est agitée par la terreur de la mort. " C’est pourquoi la vertu de force concerne la crainte des périls de mort.

Solutions :

1. La force se comporte bien pour supporter toutes les adversités. Cependant l’homme n’est pas appelé fort au sens absolu parce qu’il les supporte, mais seulement parce qu’il supporte bien les plus grands maux. Pour les autres maux, on l’appelle fort de façon relative.

2. Parce que la crainte naît de l’amour, toute vertu qui modère l’amour de certains biens modère nécessairement la crainte des maux contraires. Ainsi la libéralité, qui modère l’amour de l’argent, modère aussi par voie de conséquence la crainte de le perdre. Et l’on retrouve cela dans la tempérance et les autres vertus. Mais aimer sa propre vie est naturel, c’est pourquoi il fallait une vertu spéciale pour modérer la crainte de la mort.

3. L’extrême dans les vertus est considéré par rapport à ce qui sort de la limite de la raison droite. C’est pourquoi, si quelqu’un affronte les plus grands dangers conformément à la raison, il ne s’oppose pas à la vertu.

 

            Article 5 — L’objet de la force est-il seulement la crainte de mourir au combat ?

Objections :

1. Il semble que la force ne concerne pas proprement le danger de mourir au combat. En effet, les martyrs sont loués principalement pour leur force, mais non pour une activité guerrière.

2. S. Ambroise " divise la force selon les travaux de la guerre et les activités domestiques ". Cicéron dit aussi : " Puisque la plupart estiment que la guerre l’emporte sur la vie civile, il faut rabaisser cette opinion car, si nous voulons juger en vérité, beaucoup d’activités civiles sont plus importantes et plus nobles que la guerre. " Mais les affaires les plus importantes intéressent la vertu la plus importante.

3. Les guerres ont, pour but de maintenir la paix temporelle de l’État. Car S. Augustin nous dit : " C’est pour obtenir la paix qu’on fait la guerre. " Mais il ne semble pas qu’on doive s’exposer à la mort pour la paix temporelle de l’État, car une telle paix est l’occasion de beaucoup de relâchements.

En sens contraire, Aristote dit que la force s’exerce au maximum à propos de la mort à la guerre.

Réponse :

Comme nous l’avons dit à l’article précédent, la force confirme l’esprit humain contre les plus grands dangers qui sont les dangers de mort. Mais parce que la force est une vertu, il appartient à sa nature de toujours tendre au bien, et il s’ensuit que si l’homme ne s’enfuit pas devant les dangers mortels, c’est pour obtenir un certain bien. Or les dangers mortels qui viennent de la maladie, de la tempête, des assauts des bandits, etc. ne paraissent pas menacer quelqu’un directement parce qu’il poursuit un bien. Mais les périls mortels qu’on affronte à la guerre menacent l’homme directement à cause d’un bien, parce qu’il défend le bien commun par une guerre juste. Or la guerre peut être juste en deux sens. D’abord dans un sens général : pour ceux qui combattent dans l’armée. Ensuite dans un sens individuel : par exemple lorsqu’un juge ou même une personne privée ne redoute pas de porter un jugement juste par crainte d’une arme qui le menace ou de n’importe quel danger, fût-il mortel. Il revient donc à la force de rendre l’âme ferme contre les périls de mort qu’on rencontre non seulement dans une guerre générale, mais aussi dans des conflits individuels qu’on peut bien qualifier de guerres au sens large. Et en ce sens il faut accorder que la force concerne proprement les périls mortels qu’on affronte à la guerre.

Mais l’homme fort se comporte bien devant les périls mortels de toute espèce, surtout parce que la vertu peut exposer à tous ces dangers, par exemple lorsqu’on ne refuse pas par crainte d’une contagion mortelle d’aider un ami malade ; ou bien lorsqu’on ne refuse pas, par crainte du naufrage et des bandits, d’entreprendre un long voyage pour une affaire charitable.

Solutions :

1. Les martyrs supportent des attaques personnelles pour le souverain bien, qui est Dieu. C’est pourquoi leur vertu de force reçoit des éloges particuliers. Et cela n’est pas étranger à la force qui se déploie à la guerre. C’est pourquoi ils sont dits " montrer de la vaillance à la guerre " (He 11, 34).

2. On distingue les affaires domestiques et civiles des affaires guerrières, celles qui concernent les guerres générales. Mais, dans les affaires domestiques et civiles, peuvent surgir des périls mortels, venant de certaines attaques qui sont des guerres particulières. Et ainsi, en ce domaine, la force proprement dite peut-elle s’exercer.

3. La paix de l’État est bonne en soi et ne devient pas mauvaise si certains en usent mal. Car beaucoup d’autres en usent bien, et elle empêche beaucoup de maux comme les homicides, les sacrilèges, etc. bien pires que les maux occasionnés par la paix et qui se rattachent surtout aux vices charnels.

 

            Article 6 — L’acte principal de la force est-il de supporter ?

Objections :

1. Il ne semble pas car, dit Aristote " la vertu concerne le difficile et le bien ". Mais il est plus difficile d’attaquer que de supporter. Donc supporter n’est pas l’acte principal de la force.

2. Il faut davantage de puissance pour pouvoir agir sur un autre que pour n’être pas soi-même modifié par l’autre. Mais attaquer, c’est agir sur l’autre, tandis que supporter est demeurer immobile. Donc, puisque la force nomme une perfection de la puissance, il semble qu’il lui appartienne d’attaquer plus que de supporter.

3. L’un des contraires est plus éloigné de l’autre que de sa simple négation. Or celui qui supporte se contente de ne pas craindre : mais celui qui attaque agit à l’inverse de celui qui craint, parce qu’il va de l’avant. Il apparaît donc, puisque la force éloigne au maximum de la crainte, qu’il lui revient davantage d’attaquer que de supporter.

En sens contraire, le Philosophe dit que " certains sont appelés forts surtout parce qu’ils supportent des épreuves pénibles ".

Réponses : Comme nous l’avons dit plus haut Aristote affirme : " La force concerne les craintes à réprimer, plus que les audaces à modérer. " Car si cela est plus difficile que ceci, c’est parce que le péril lui-même, objet de l’audace et de la crainte, contribue à réprimer l’audace, et produit l’accroissement de la crainte. Or l’attaque requiert cette force qui tempère l’audace, alors que supporter émane de la répression de la crainte. C’est pourquoi l’acte principal de la force est de supporter, c’est-à-dire de tenir bon dans les périls, plutôt que d’attaquer.

Solutions :

1. Supporter est plus difficile qu’attaquer pour trois raisons. 1° Parce que supporter s’impose à celui qu’un homme plus fort attaque alors que l’attaquant est en position de force. Or il est plus difficile de combattre un ennemi plus fort qu’un ennemi plus faible. 2° Parce que celui qui supporte éprouve déjà les périls comme présents ; celui qui attaque les tient pour futurs. Or il est plus difficile de ne pas se laisser émouvoir par des maux présents que par des maux futurs. 3° Parce que supporter demande un temps prolongé, mais on peut attaquer par un élan subit. Or il est plus difficile de rester longtemps immobile que de s’élancer brusquement vers quelque chose de difficile. D’où cette remarque d’Aristote : " Certains volent au-devant des dangers, mais s’enfuient quand ils les rencontrent ; les hommes forts font le contraire. "

2. Supporter implique bien une passion dans le corps, mais aussi un acte de l’âme très fortement attachée au bien, d’où il suit qu’elle ne cède pas à la passion du corps pourtant présente. Or la vertu tient à l’âme plus qu’au corps.

3. Celui qui supporte ne craint pas, quoique le motif de sa crainte soit présent, alors qu’il ne l’est pas pour celui qui attaque.

 

            Article 7 — La force agit-elle en vue de son propre bien ?

Objections :

1. Il semble que l’homme fort n’opère pas en vue du bien de son propre habitus. Car, lorsqu’on agit, la fin a beau être première dans l’intention, elle est néanmoins dernière dans l’exécution. Or l’acte de force, dans son exécution, est postérieur à l’habitus de force lui-même. Il n’est donc pas possible que l’homme fort agisse pour le bien de son propre habitus.

2. S. Augustin nous dit : " Certains osent soutenir que nous aimons les vertus uniquement à cause de la béatitude " c’est-à-dire en les recherchant pour celle-ci " de telle sorte que nous n’aimions plus la béatitude elle-même. S’il en était ainsi, nous cesserions d’aimer les vertus elles-mêmes, quand nous n’aimons plus ce pourquoi nous les aimons ". Or la force est une vertu. Donc l’acte de force ne doit pas être rapporté à la force elle-même, mais à la béatitude.

3. Pour S. Augustin la force est " l’amour qui supporte facilement toutes les difficultés pour Dieu ". Or Dieu n’est pas l’habitus de force, mais un être bien supérieur, puisque la fin est forcément meilleure que les moyens qui y conduisent. Donc l’homme fort n’agit pas pour le bien de son propre habitus.

En sens contraire, Aristote dit, que " pour le fort, la force est un bien ", donc une fin.

Réponse :

Il y a deux fins : la fin prochaine et la fin ultime. La fin prochaine de tout agent est d’introduire dans un autre être la ressemblance de sa propre forme ; ainsi la fin du feu qui chauffe, c’est d’introduire la ressemblance de sa chaleur dans le patient, et la fin de l’architecte est d’introduire dans la matière la ressemblance de son projet d’art. Or, quel que soit le bien qui en résulte, s’il est voulu, on peut l’appeler fin éloignée de l’agent. De même que dans une fabrication la matière extérieure est organisée par l’art, ainsi dans l’action les actes humains sont organisés par la prudence. Il faut donc conclure que le fort veut, comme fin prochaine, exprimer en acte une ressemblance de son habitus, car il veut agir en harmonie avec celui-ci. Mais sa fin éloignée est la béatitude, autrement dit : Dieu.

Solutions :

Tout cela donne la réponse aux objections. Car le premier argument raisonnait comme si l’essence même de l’habitus était la fin, alors que celle-ci est sa ressemblance en acte, nous venons de le dire. Les deux autres objections considèrent la fin ultime.

 

            Article 8 — La force trouve-t-elle son plaisir dans son action ?

Objections :

1. Il semble bien, car la délectation est une action naturelle libre d’empêchement, dit Aristote. Or l’action de l’homme fort procède d’un habitus, qui agit à la manière d’une nature. Donc le fort trouve du plaisir dans son action.

2. Sur le texte (Ga 5, 22) : " Les fruits de l’Esprit sont charité, joie et paix ", S. Ambroise dit que " les œuvres des vertus sont appelées des "fruits" parce qu’elles réconfortent l’esprit de l’homme par une délectation sainte et pure ". Mais l’homme fort accomplit des actes de vertu. Donc il trouve dans son acte de la délectation.

3. Le plus faible est vaincu par le plus fort. Mais l’homme fort aime le bien de la vertu plus que son propre corps, qu’il expose à des périls mortels. Donc la délectation procurée par le bien de la vertu efface la douleur physique, et ainsi l’homme agit entièrement dans la délectation.

En sens contraire, il y a cette affirmation d’Aristote : " Dans un acte, l’homme fort n’éprouve, semble-t-il, aucune délectation. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit précédemment en traitant des vertus, il y a deux sortes de délectations : l’une, physique, est produite par le toucher corporel ; l’autre, psychique, est produite par la connaissance. Et celle-là est précisément l’effet des actions vertueuses, parce qu’en elles on considère le bien de la raison. Or l’acte primordial de la force, c’est de supporter des épreuves qui sont pénibles selon la connaissance qu’on en a, comme la perte de la vie physique, aimée de l’homme vertueux non seulement en ce qu’elle est un bien de nature, mais aussi en tant qu’elle est nécessaire à une activité vertueuse et à ce qui s’y rapporte ; et aussi de supporter des épreuves douloureuses pour le sens du toucher comme les blessures ou la flagellation. C’est pourquoi l’homme fort d’une part a de quoi se délecter, selon la délectation psychique, c’est-à-dire de l’acte de vertu lui-même et de sa fin. Et d’autre part, il a de quoi souffrir, tant psychiquement, lorsqu’il envisage la fin de sa propre vie, que corporellement. C’est pourquoi on lit cette affirmation d’Éléazar (2 M 6, 30) : " je souffre dans mon corps de cruelles douleurs ; mais dans mon âme je les supporte volontiers par crainte de Dieu. "

Or, la douleur sensible du corps fait qu’on ne ressent pas la délectation psychique de la vertu, sinon par une abondante grâce de Dieu, qui élève l’âme vers les choses divines dans lesquelles elle trouve sa délectation, plus fortement que cette âme n’est affectée par ses souffrances physiques. Ainsi le bienheureux Tiburce, tandis qu’il marchait pieds nus sur des charbons ardents, disait " qu’il lui semblait marcher sur un parterre de roses ". Cependant la vertu de force fait que la raison n’est pas absorbée par la douleur physique. La délectation de la vertu surpasse la tristesse psychique en tant que l’homme préfère le bien de la vertu à la vie physique et à ce qui s’y rapporte. Aussi Aristote dit-il qu’ " on ne demande pas à l’homme fort d’éprouver de la délectation en la ressentant, mais qu’il lui suffit de ne pas céder à la tristesses ".

Solutions :

1. La véhémence de l’acte ou de la passion d’une puissance empêche l’acte d’une autre puissance. C’est pourquoi la douleur sensible empêche l’âme forte d’éprouver de la délectation dans son opération.

2. Si les activités vertueuses sont délectables, c’est surtout à cause de leur fin ; or, elles peuvent être tristes par nature. Et cela se produit surtout pour la force. Aussi le Philosophe dit-il : " Faire œuvre de vertu ne cause pas toujours de la délectation, sinon en tant que cette vertu atteint sa fin. "

3. La tristesse psychique est vaincue chez l’homme fort par la délectation de la vertu. Mais, parce que la douleur physique est plus sensible et que la connaissance sensible est plus évidente pour l’homme, il arrive que la délectation spirituelle, qui tient à la fin de la vertu, soit comme dissipée par l’acuité de la douleur physique.

 

            Article 9 — La force s’affirme-t-elle surtout dans les cas soudains ?

Objections :

1. Il semble que non, car on appelle soudain ce qui arrive inopinément. Mais Cicéron dit : " La force est une manière consciente d’affronter les périls et de supporter les labeurs. "

2. S. Ambroise enseigne : " Il appartient à l’homme fort de ne pas dissimuler le danger qui menace, mais de l’affronter et, comme d’un observatoire spirituel, de devancer les événements futurs par une réflexion prévenante, pour n’avoir pas à dire ensuite : je suis tombé dans cette difficulté parce que je ne croyais pas qu’elle pouvait survenir. " Mais là où se produit un événement soudain, on ne peut avoir cette prévoyance. Donc l’activité de la force ne concerne pas les cas soudains.

3. Selon Aristote " l’homme fort a bon espoir ". Mais l’espoir attend un événement futur, ce qui est contraire à la soudaineté. Donc l’activité de la force ne s’affirme pas dans les cas soudains.

En sens contraire, le Philosophe affirme que la force concerne surtout " tous les dangers mortels qui se présentent soudain ".

Réponse :

Deux éléments sont à considérer dans l’activité de la force. L’un quant au choix qu’elle fait et, de ce point de vue, la force ne concerne pas les cas soudains. Car l’homme fort choisit de prévoir les périls qui peuvent surgir, afin de pouvoir y résister, ou les supporter plus facilement, car, dit S. Grégoire : " Les traits que l’on prévoit blessent moins, et nous supportons plus facilement les maux de ce monde si nous sommes protégés contre eux par le bouclier de la prescience. "

Mais il y a un autre élément à considérer dans l’activité de la force, quant à la manifestation de l’habitus vertueux. Et à ce point de vue la force se manifeste surtout dans les cas soudains, parce que, d’après Aristote l’habitus de force se manifeste surtout dans les périls soudains. Car l’habitus agit à la manière de la nature. Aussi, que l’on agisse selon la vertu sans préméditation, lorsqu’une nécessité surgit du fait de périls soudains, cela manifeste au maximum que la force existe à l’état d’habitus dans cette âme confirmée. Mais quelqu’un qui n’a pas l’habitus de force peut, par une préméditation prolongée, préparer son esprit contre les périls. Et cette préparation, l’homme fort l’utilise quand il a du temps pour le faire.

Solutions :

Tout cela donne la réponse aux Objections.

 

            Article 10 — La force emploie-t-elle la colère ?

Objections :

1. Il semble que non, car personne ne doit prendre pour instrument ce dont on ne peut pas user à son gré. Mais on ne peut pas user à son gré de la colère, c’est-à-dire en pouvant l’employer quand on veut, et la laisser quand on veut. Comme dit Aristote, quand une passion corporelle s’est émue, elle ne s’apaise pas aussitôt que l’on veut. Donc l’homme fort ne doit pas employer la colère dans son activité.

2. Celui qui suffit par lui-même à accomplir une tâche ne doit pas se faire aider par ce qui est plus faible et plus imparfait. Mais la raison suffit par elle-même à exercer l’œuvre de la force, là où la colère est inefficace. Aussi Sénèque dit-il : " La raison est capable par elle-même non seulement de prévoir, mais aussi de gérer les affaires. Y a-t-il rien de plus fou pour elle que de demander du renfort à la colère, c’est-à-dire que la stabilité recoure à l’incertitude, la confiance au mensonge, la santé à la maladie ? " Donc la force ne doit pas employer la colère.

3. Si certains accomplissent les œuvres de la force avec plus de véhémence par suite de leur colère, ils peuvent faire de même par tristesse ou par convoitise. Ce qui fait dire à Aristote : " Les bêtes féroces, par tristesse ou par douleur, sont excitées à braver les dangers, et les adultères ont, par convoitise, toutes les audaces. " Mais la force n’emploie pour agir ni la tristesse ni la convoitise. Donc, au même titre, elle ne doit pas employer la colère.

En sens contraire, il y a cette parole d’Aristote : " La colère vient en aide aux forts. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit précédemment, au sujet de la colère et des autres passions de l’âme les péripatéticiens et les stoïciens avaient des positions différentes. Les stoïciens excluaient, de l’âme du sage ou vertueux, la colère et toutes les autres passions. Les péripatéticiens, dont Aristote fut le chef de file, attribuaient aux vertueux la colère et les autres passions, mais modérées par la raison. Et peut-être ne différaient-ils pas sur le fond, mais sur la manière de parler. Car les péripatéticiens appelaient passions de l’âme tous les mouvements de l’appétit sensible, quelle que fût leur qualité, nous l’avons dit précédemment ; et parce que l’appétit sensible est mû par le commandement de la raison pour coopérer à une action plus prompte, ils soutenaient que la colère et les autres passions devaient être employées par les hommes vertueux, et modérées par le commandement de la raison. Les stoïciens, au contraire, appelaient passions des mouvements immodérés de l’appétit sensible, si bien qu’ils les qualifiaient de maladies ; c’est pourquoi ils les séparaient absolument des vertus. Ainsi donc l’homme fort emploie pour son acte une colère mesurée, non une colère immodérée.

Solutions :

1. Une colère mesurée selon la raison est soumise au commandement de la raison ; il en découle que l’on en use à son gré, ce qui serait impossible avec une colère immodérée.

2. La raison n’emploie pas la colère pour son acte comme recevant d’elle du secours, mais parce qu’elle emploie l’appétit sensible comme un instrument, ainsi que les membres du corps. Et il n’est pas anormal que l’instrument soit plus imparfait que l’agent principal, comme le marteau par rapport au forgeron. Mais Sénèque était sectateur des stoïciens et a lancé les paroles citées par l’objection, directement contre Aristote.

3. Puisque, nous l’avons vu, la force a deux actes : soutenir et attaquer, elle n’emploie pas la colère pour soutenir, car la raison accomplit cet acte d’elle-même ; mais, pour attaquer, elle emploie la colère plus que les autres passions, parce qu’il revient à la colère de bondir sur ce qui fait souffrir, et ainsi elle coopère directement avec la force dans ses attaques. La tristesse, selon la raison qui lui est propre, s’effondre devant ce qui nuit ; mais, par accident, elle coopère à l’attaque ; soit en tant que la tristesse cause de la colère, comme on l’a vu précédemment ; ou en tant qu’il s’expose au danger pour se débarrasser d’elle. Pareillement la convoitise, selon sa raison propre, tend au bien délectable, auquel s’oppose par sol, l’affrontement des périls. Mais parfois, par accident, la tristesse coopère à l’attaque, en tant qu’il préfère braver le danger plutôt que renoncer au plaisir. Et c’est pourquoi Aristote enseigner que parmi les forces qui nous viennent de la passion, " la plus naturelle semble être celle qui provient de la colère, et si cette force se soumet à un choix raisonnable et à une fin nécessaire, elle est la vertu de force ".

 

            Article 11 — La force est-elle une vertu cardinale ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, on vient de le dire la colère a une grande parenté avec la force. Mais la colère n’est pas une passion principale, ni l’audace qui se rattache à la force. Donc la force non plus ne doit pas être classée parmi les vertus cardinales.

2. La vertu est ordonnée au bien. Mais la force n’y est pas ordonnée directement, elle est plutôt ordonnée au mal, c’est-à-dire à supporter les dangers et les labeurs, comme dit Cicéron. Donc elle n’est pas une vertu cardinale.

3. Une vertu cardinale concerne les problèmes autour desquels tourne la vie humaine, de même qu’une porte tourne sur ses gonds (cardines). Mais la force concerne les périls mortels, qui se présentent rarement dans la vie humaine. Donc la force ne doit pas être classée comme une vertu cardinale, c’est-à-dire primordiale.

En sens contraire, S. Grégoire S. Ambroise, et S. Augustin comptent la force parmi les quatre vertus cardinales, c’est-à-dire primordiales.

Réponse :

Comme on l’a déjà dit, on appelle vertus cardinales ou primordiales, celles qui revendiquent surtout pour elles ce qui appartient en général aux vertus. Parmi d’autres, conditions communes à la vertu, l’une consiste à " agir avec fermeté " d’après Aristote. Or la force revendique hautement pour elle le mérite de la fermeté. En effet, on loue d’autant plus celui qui tient fermement qu’il est plus fortement poussé à tomber ou à reculer. Or, ce qui pousse l’homme à s’écarter de ce qui est conforme à la raison, c’est le bien qui réjouit et le mal qui afflige. Mais la douleur physique pousse plus énergiquement que le plaisir, car S. Augustin nous dit : " Il n’y a personne qui ne fuie la douleur plus qu’il n’est attiré par le plaisir. Car nous voyons les bêtes les plus cruelles s’écarter des plus grands plaisirs par la crainte de la douleur. " Et parmi les douleurs de l’âme et les périls, on craint surtout ceux qui conduisent à la mort, et c’est contre eux que l’homme fort tient bon. Donc la force est une vertu cardinale.

Solutions :

1. L’audace et la colère ne coopèrent pas avec la force en facilitant un acte de tenir bon, qui fait le principal mérite de sa fermeté. Par cet acte, en effet, l’homme fort réprime la crainte, qui est une passion principale, nous l’avons dit précédemment.

2. La vertu est ordonnée au bien de la raison qu’il faut conserver malgré les assauts des mauvais. Or la force est ordonnée aux maux physiques comme à des contraires auxquels elle résiste ; mais elle est ordonnée au bien de la raison comme à sa fin, qu’elle prétend conserver.

3. Bien que les périls mortels soient rares, cependant les occasions se présentent fréquemment de les susciter lorsque, par exemple, un homme voit se lever contre lui ses ennemis à cause de la justice qu’il observe, et d’autres bonnes actions qu’il accomplit.

 

            Article 12 — Comparaison entre la force et les autres vertus cardinales

Objections :

1. Il semble qu’elle l’emporte sur toutes les autres vertus. Car S. Ambroise dit que " la force est comme plus élevée que les autres vertus ".

2. La vertu concerne le difficile et le bon. Or la force concerne ce qu’il y a de plus difficile. Donc elle est la plus grande des vertus.

3. La personne de l’homme est plus digne que ses biens. Mais la force concerne la personne de l’homme que l’on expose au péril de mort pour sauvegarder le bien de la vertu. Tandis que la justice et les autres vertus morales concernent les biens extérieurs. Donc la force est la principale de toutes les vertus morales.

En sens contraire, Cicéron a dit : " La splendeur de la vertu brille au maximum dans la justice, qui donne son nom à l’homme de bien. ". Aristote a dit : " Forcément, les vertus les plus utiles à autrui sont les plus grandes. " Mais la libéralité paraît plus utile que la force. Donc elle est une plus grande vertu.

Réponse :

Comme le dit S. Augustin " dans les choses où la quantité n’a pas d’importance, le plus grand est identique au meilleur ". Aussi une vertu est-elle d’autant plus grande qu’elle est meilleure. Or le bien de la raison est le bien de l’homme, pour Denys. Ce bien est possédé essentiellement par la prudence, qui est la perfection de la raison. Quant à la justice, elle réalise le bien en ce qu’il lui revient d’établir l’ordre de la raison dans toutes les affaires humaines. Et les autres vertus ont pour rôle de conserver ce bien, en ce qu’elles modèrent les passions, pour que celles-ci ne détournent pas l’homme du bien de la raison. Et à ce rang, la force occupe la première place, parce que la crainte du danger de mort est particulièrement efficace pour détourner du bien de la raison. Après elle vient la tempérance, parce que les plaisirs du toucher sont, plus que les autres, ce qui fait obstacle au bien de la raison. Or ce qui est attribué à titre essentiel est plus important que ce qui est attribué à titre de réalisation, et cela est plus important que ce qui a un office de conservation par éloignement d’un obstacle. Aussi, parmi les vertus cardinales, la plus importante est la prudence ; la deuxième la justice ; la troisième la force ; la quatrième, la tempérance. Et après elles les autres vertus.

Solutions :

1. S. Ambroise fait passer la force avant les autres vertus selon une certaine utilité commune, celle qu’elle présente dans la guerre et dans les affaires civiles et domestiques. C’est pourquoi il dit d’abord, au même endroit : " Traitons maintenant de la force, qui l’emporte sur les autres vertus et se partage entre la guerre et les affaires domestiques. "

2. La raison de vertu consiste en ce qui est bien, plus qu’en ce qui est difficile. Aussi faut-il évaluer la grandeur de la vertu à la mesure de la bonté plutôt que de la difficulté.

3. L’homme ne s’expose aux dangers mortels que pour sauvegarder la justice. Et c’est pourquoi le mérite de la force dépend dans une certaine mesure de la justice. D’où cette remarque de S. Ambroise : " La force sans la justice favorise l’iniquité. Plus elle est vigoureuse et plus elle est prompte à opprimer les petits. "

4. Nous concédons cet argument.

5. La libéralité est utile par ses bienfaits particuliers. Mais la force a une utilité générale pour sauvegarder tout l’ordre de la justice. Et c’est pourquoi le Philosophe affirme : " On aime surtout les hommes justes et forts, parce qu’ils sont les plus utiles à la guerre et dans la paix. "

 

 

 

QUESTION 124 — LE MARTYRE

1. Est-il un acte de vertu ? - 2. De quelle vertu est-il l’acte ? - 3. La perfection de cet acte. - 4. La sanction du martyre. - 5. Sa cause.

 

            Article 1 — Le martyre est-il un acte de vertu ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car tout acte de vertu est volontaire. Mais le martyre n’est pas toujours volontaire, comme on le voit pour les saints innocents massacrés pour le Christ, dont S. Hilaire nous dit : " Ils ont été portés au sommet des joies éternelles par la gloire du martyre. "

2. Aucun acte illicite ne relève de la vertu. Mais le suicide est illicite, on l’a vu. Cependant il lui est arrivé de consommer le martyre car, d’après S. Augustin, " de saintes femmes, en temps de persécutions, pour éviter les ennemis de leur pudeur, se jetèrent dans le fleuve, et moururent ainsi ; et leur martyre est célébré par une grande affluence dans l’Église catholique ".

3. Il est louable de s’offrir spontanément pour accomplir un acte de vertu. Mais il n’est pas louable de rechercher le martyre, car cela paraît plutôt présomptueux et périlleux. Le martyre n’est donc pas un acte de vertu.

En sens contraire, il faut dire que la récompense de la béatitude n’est due qu’à un acte de vertu. Or elle est due au martyre selon la parole évangélique (Mt 5, 10) : " Heureux, ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux. " Donc le martyre est un acte de vertu.

Réponse :

Comme on vient de le rappeler c’est vertu que de demeurer dans le bien prescrit par la raison. Or ce bien raisonnable consiste dans la vérité comme dans son objet propre, et dans la justice comme dans son effet propre, nous l’avons montré plus haute. Or, il appartient à la raison de martyre que l’on tienne ferme dans la vérité et la justice contre les assauts des persécuteurs. Aussi est-il manifeste que le martyre est un acte de vertu.

Solutions :

1. Certains ont soutenu que l’usage du libre arbitre s’était développé miraculeusement chez les saints innocents, si bien qu’ils ont subi le martyre eux aussi volontairement. Mais parce que cela n’est pas confirmé par l’autorité de l’Écriture, il vaut mieux dire que la gloire du martyre, méritée chez d’autres par leur volonté propre, ces tout-petits mis à mort l’ont obtenue par la grâce de Dieu. Car l’effusion du sang pour le Christ tient la place du baptême. Aussi, de même que chez les enfants baptisés le mérite du Christ, par la grâce baptismale, est efficace pour obtenir la gloire, de même chez les enfants mis à mort pour le Christ, le mérite du martyre du Christ agit pour leur obtenir la palme du martyre. Aussi S. Augustin dit-il dans un sermon où il semble les interpellera : " Celui qui doutera que vous ayez reçu la couronne parce que vous avez souffert pour le Christ, doit penser aussi que le baptême du Christ n’est pas avantageux aux petits enfants. Vous n’aviez pas l’âge pour croire au Christ qui allait souffrir ; mais vous aviez la chair dans laquelle vous subiriez votre passion pour le Christ voué à la passion. "

2. S. Augustin, au même endroit, admet comme possible que " l’autorité divine ait persuadé l’Église, par des témoignages dignes de foi, qu’elle devait honorer la mémoire de ces saintes ".

3. Les préceptes de la loi ont pour objet les actes des vertus. Or, on a dit précédemment que certains préceptes de la loi divine ont été donnés aux hommes pour préparer leurs âmes, c’est-à-dire pour qu’ils soient prêts à agir de telle ou telle façon, lorsque ce serait opportun. Ainsi encore, certains préceptes se rattachent à l’acte de la vertu selon cette préparation, de telle sorte que, tel cas se présentant, on agisse conformément à la raison. Et cela est à observer surtout au sujet du martyre. Celui-ci consiste à supporter comme il se doit des souffrances infligées injustement. On ne doit pas offrir à autrui l’occasion d’agir injustement ; mais si l’autre agit ainsi, on doit le supporter dans la mesure raisonnable.

 

            Article 2 — De quelle vertu le martyre est-il l’acte ?

Objections :

1. Il semble que ce ne soit pas un acte de force. Car " martyr " en grec signifie témoin. Or on rend un témoignage de foi au Christ selon les Actes (1, 8) : " Vous serez mes témoins à Jérusalem, etc. ", et S. Maxime de Turin dit dans un sermon : " La mère du martyre, c’est la foi catholique, que d’illustres athlètes ont signée de leur sang. " Le martyre est donc un acte de foi plus qu’un acte de force.

2. Un acte louable se rattache surtout à la vertu qui incline à lui, qui est manifestée par lui, et sans laquelle il est sans valeur. Mais c’est surtout la charité qui incline au martyre. Aussi S. Maxime dit-il dans un sermon : " La charité du Christ est victorieuse dans ses martyrs. " De plus la charité se manifeste souverainement par l’acte du martyre, selon cette parole de Jésus (Jn 15, 13) : " Personne n’a de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. " Enfin, sans la charité le martyre ne vaut rien, dit S. Paul (1 Co 13, 3) : " Si je livrais mon corps aux flammes et que je n’aie pas la charité, cela ne sert de rien. " Donc le martyre est un acte de charité plus que de force.

3. S. Augustin dit dans un sermon sur S. Cyprien : " Il est facile de vénérer un martyr en célébrant sa fête ; il est difficile d’imiter sa foi et sa patience. " Mais en tout acte de vertu ce qui mérite le plus de louange, c’est la vertu dont il est l’acte. Donc le martyre est un acte de patience plus que de force.

En sens contraire, nous trouvons ces paroles dans la lettre de Cyprien aux martyrs et aux confesseurs : " Ô bienheureux martyrs, par quelles louanges vais-je vous célébrer ? Ô soldats pleins de force, par quelle parole éclatante vais-je montrer la vigueur de vos corps ? " Chacun est loué pour la vertu dont il exerce l’acte. Donc le martyre est un acte de la force.

Réponse :

Comme nous l’avons montré plus haut. il revient à la force de confirmer l’homme dans le bien de la vertu contre les dangers, et surtout contre les dangers de mort qu’on rencontre à la guerre. Or il est évident que dans le martyre l’homme est solidement confirmé dans le bien de la vertu, lorsqu’il n’abandonne pas la foi et la justice, à cause de périls mortels qui le menacent, surtout de la part de persécuteurs, dans une sorte de combat particulier. Aussi S. Cyprien dit-il dans un sermon : " La multitude voit avec admiration ce combat céleste, elle voit que les serviteurs du Christ ont tenu bon dans la bataille, avec une parole hardie, une âme intacte, une force divine. " Aussi est-il évident que le martyre est un acte de la vertu de force, et c’est pourquoi l’Église applique aux martyrs cette parole (He 11, 34) : " Ils ont été forts dans le combat. "

Solutions :

1. Deux points sont à considérer dans la vertu de force. L’un est le bien dans lequel le fort demeure inébranlable, et c’est la finalité de la vertu de force. L’autre est la fermeté elle-même qui l’empêche de céder aux adversaires de ce bien, et c’est en cela que consiste l’essence de la force. De même que la force civique affermit l’âme de l’homme dans la justice humaine dont la conservation lui fait supporter des périls mortels ; de même la force qui vient de la grâce confirme son cœur dans le bien " de la justice de Dieu, qui est par la foi au Christ Jésus " (Rm 3, 22). Ainsi le martyre se rapporte à la foi comme à la fin dans laquelle on est confirmé, et à la force comme à l’habitus dont il émane.

2. Sans doute la charité incline à l’acte du martyre comme étant son motif premier et principal ; elle est la vertu qui le commande ; mais la force y incline comme étant son motif propre : elle est la vertu d’où il émane. De là vient qu’il manifeste ces deux vertus. Et c’est par charité qu’il est méritoire, comme tout acte de vertu. C’est pourquoi sans la charité il ne vaut rien.

3. Comme nous l’avons dit, l’acte principal de la force, c’est de supporter ; c’est de cela que relève le martyre, non de son acte secondaire qui est d’attaquer. Et parce que la patience vient à l’aide de la force pour son acte principal qui est de supporter, on comprend que, dans l’éloge des martyrs, on loue aussi leur patience.

 

            Article 3 — La perfection de l’acte du martyre

Objections :

1. Il semble que le martyre ne soit pas l’acte de la plus haute perfection. Car ce qui relève de la perfection, c’est ce qui est l’objet d’un conseil, non d’un précepte. Mais le martyre semble être nécessaire au salut, d’après S. Paul (Rm 10, 10) : " La foi du cœur obtient la justice, et la confession des lèvres, le salut. " De même S. Jean (1 Jn 3, 10) : " Nous devons donner notre vie pour nos frères. " Donc le martyre ne relève pas de la perfection.

2. Il semble plus parfait de donner son âme à Dieu, ce qui se fait par l’obéissance, que de lui donner son propre corps, ce qui se fait par le martyre. Ce qui a fait dire à S. Grégoire : " L’obéissance vaut mieux que toutes les victimes. "

3. Il paraît meilleur de secourir les autres que de se maintenir dans le bien, parce que, dit Aristote, le bien de la nation vaut mieux que le bien d’un seul homme. Mais celui qui supporte le martyre n’est utile qu’à lui seul, tandis que celui qui enseigne rend service à beaucoup. Donc enseigner ou gouverner est plus parfait que subir le martyre.

En sens contraire, S. Augustin fait passer le martyre avant la virginité qui est un acte de perfection. Donc le martyre paraît contribuer souverainement à la perfection.

Réponse :

Nous pouvons parler d’un acte de vertu de deux façons. D’abord selon l’espèce de cet acte, en tant qu’il se rattache à la vertu d’où il émane immédiatement. De ce point de vue, il est impossible que le martyre, qui consiste à supporter vertueusement la mort, soit le plus parfait des actes de vertu. Car supporter la mort n’est pas louable de soi, mais seulement si c’est ordonné à un bien qui soit un acte de vertu, comme la foi et l’amour de Dieu. C’est cet acte-là, parce qu’il est une fin, qui est meilleur.

Mais on peut envisager autrement l’acte de vertu. Selon son rattachement au premier motif, qui est l’amour de charité. Et sous cet angle surtout un acte relève de la vie parfaite parce que, selon S. Paul (Col 3, 14), " la charité est le lien de la perfection ". Or, parmi tous les actes de vertu, le martyre est celui qui manifeste au plus haut degré la perfection de la charité. Parce qu’on montre d’autant plus d’amour pour une chose que, pour elle, on méprise ce qu’on aime le plus en choisissant de souffrir ce qu’il y a de plus haïssable. Or il est évident que, parmi tous les biens de la vie présente, l’homme aime suprêmement cette vie même, et au contraire hait suprêmement la mort elle-même, surtout quand elle s’accompagne de supplices dont la crainte " écarte des plus vifs plaisirs les bêtes elles-mêmes ", dit S. Augustin. De ce point de vue, il est évident que le martyre est par nature le plus parfait des actes humains, comme témoignant de la plus grande charité selon cette parole (Jn 15, 13) : " Il n’y a pas de plus grande charité que de donner sa vie pour ses amis. "

Solutions :

1. Tout acte de perfection qui est l’objet d’un conseil est, le cas échéant, objet de précepte en devenant nécessaire au salut. C’est ainsi, dit S. Augustin, qu’un homme peut être tenu rigoureusement d’observer la continence à cause de l’absence ou de la maladie de son épouse.

C’est pourquoi il n’est pas contraire à la perfection du martyre qu’en certains cas il soit nécessaire au salut. Car il reste des cas où supporter le martyre n’est pas nécessaire au salut. Aussi lit-on que beaucoup de saints se sont offerts spontanément au martyre par zèle de la foi et charité fraternelle. Il s’agit là de préceptes qui doivent être compris comme demandant la préparation de l’âme.

2. Le martyre englobe ce qui est le summum. de l’obéissance : " être obéissant jusqu’à la mort, comme l’Écriture le dit du Christ (Ph 2, 8). Aussi est-il clair qu’en soi le martyre est plus parfait que la simple obéissance.

3. Cet argument est valable pour le martyre envisagé dans son espèce propre, qui ne lui donne pas de supériorité sur les autres actes de vertu, de même que la force n’est pas supérieure à toutes les vertus.

 

            Article 4 — La sanction du martyre

Objections :

1. Il semble que la mort ne soit pas incluse dans la raison de martyre. Car S. Jérôme écrit : " Je dirai à bon droit que la mère de Dieu fut vierge et martyre, bien qu’elle ait terminé sa vie dans la paix. " Et S. Grégoire. " Bien qu’il y manque l’occasion de mourir, la paix a son martyre, car si nous ne livrons pas notre tête à l’arme du bourreau, nous mettons à mort, par le glaive spirituel, les désirs de la chair. "

2. On lit que certaines femmes ont méprisé leur vie pour conserver leur intégrité charnelle. Il apparaît ainsi que l’intégrité corporelle de la chasteté a plus d’importance que la vie du corps. Mais parfois cette intégrité corporelle est enlevée, ou on tente de l’enlever, à cause de la confession de la foi chrétienne, comme c’est évident pour sainte Agnès et sainte Lucie. Il paraît donc qu’on devrait parler de martyre si une femme perd son intégrité charnelle pour la foi du Christ, plutôt que si elle perd aussi la vie du corps. C’est pourquoi sainte Lucie disait : " Si tu me fais violer malgré moi, ma chasteté me vaudra une double couronne. "

3. Le martyre est un acte de la vertu de force, et il appartient à celle-ci de ne pas craindre non seulement la mort, mais non plus les autres adversités, selon S. Augustin. Mais il y a beaucoup d’adversités autres que la mort, que l’on peut supporter pour la foi au Christ : la prison, l’exil, la spoliation de ses biens, comme le montre l’épître aux Hébreux (10, 34). Aussi célèbre-t-on le martyre du pape Marcel, mort pourtant en prison. Il n’est donc pas nécessaire de subir la peine de mort pour être martyr.

4. Le martyre est un acte méritoire, nous l’avons dit. Mais un acte méritoire ne peut être postérieur à la mort. Donc il la précède, et ainsi la mort n’est pas essentielle au martyre.

En sens contraire, S. Maxime de Turin dit, dans un panégyrique de martyr : " Il est vainqueur en mourant pour la foi, alors qu’il aurait été vaincu en vivant sans la foi. "

Réponse :

Nous l’avons dit on appelle martyr celui qui est comme un témoin de la foi chrétienne, qui nous propose de mépriser le monde visible pour les réalités invisibles, selon la lettre aux Hébreux (11, 34). Il appartient donc au martyre que l’homme témoigne de sa foi, en montrant par les faits qu’il méprise toutes les choses présentes pour parvenir aux biens futurs et invisibles. Or, tant que l’homme conserve la vie du corps, il ne montre pas encore par les faits qu’il dédaigne toutes les réalités corporelles ; car les hommes ont coutume de ne faire aucun cas de leurs consanguins, de toutes leurs possessions et même de subir la douleur physique, pour conserver la vie. D’où cette insinuation de Satan contre Job (2, 4) : " Peau pour peau. Et tout ce que l’homme possède, il le donnera pour son âme ", c’est-à-dire pour sa vie physique. C’est pourquoi, afin de réaliser parfaitement la raison de martyre, il est requis de subir la mort pour le Christ.

Solutions :

1. Ces textes, ou d’autres semblables, emploient le mot martyre par métaphore.

2. Chez la femme qui perd son intégrité physique, ou qui est condamnée à la perdre en raison de sa foi chrétienne, il n’est pas évident pour les hommes qu’elle souffre par amour de la foi et pas plutôt par mépris de la chasteté. Et c’est pourquoi, aux yeux des hommes, il n’y a pas là un témoignage suffisant et cet acte n’a pas proprement raison de martyre. Mais pour Dieu, qui pénètre les cœurs, cela peut valoir la récompense, comme le dit sainte Lucie.

3. On l’a dit plus haut, la force se manifeste principalement au sujet des périls de mort, et par voie de conséquence au sujet des autres périls. C’est pourquoi on ne parle pas de martyre proprement dit pour ceux qui ont subi seulement la prison, l’exil ou la spoliation de leurs biens, sauf lorsque la mort s’ensuit.

4. Le mérite du martyre ne se situe pas après la mort, mais dans l’acceptation volontaire de la mort infligée. Pourtant il arrive parfois qu’après avoir reçu pour le Christ des blessures mortelles, ou d’autres violences prolongées jusqu’à la mort, le martyr survive longtemps. En cette situation l’acte du martyre est méritoire, et au moment même où de telles souffrances sont subies.

 

            Article 5 — La cause du martyre

Objections :

1. Il semble que la foi seule soit cause du martyre. On lit en effet (1 P 4, 15) : " Que nul d’entre vous n’ait à souffrir comme homicide ou comme voleur " ou quoi que ce soit de semblable. " Mais si c’est comme chrétien, qu’il n’en rougisse pas ; au contraire, qu’il glorifie Dieu de porter ce nom. " Mais on est appelé chrétien parce qu’on garde la foi au Christ. Donc, seule la foi au Christ donne la gloire du martyre à ses victimes.

2. Martyre signifie témoin. Or on ne rend témoignage qu’à la vérité. Et on ne décerne pas le martyre au témoignage de n’importe quelle vérité, mais de la vérité divine. Autrement, si quelqu’un mourait pour avoir confessé une vérité de géométrie ou d’une autre science spéculative, il serait martyr, ce qui semble ridicule. Donc la foi seule cause le martyre.

3. Parmi les œuvres de vertu, celles-là paraissent les plus importantes qui sont ordonnées au bien commun, parce que " le bien de la nation est meilleur que celui de l’individu ", selon Aristote. Donc, si un autre bien était cause du martyre, le titre de martyr serait attribué avant tout à ceux qui meurent pour la défense de l’État. Ce qui n’est pas la coutume de l’Église, car on ne célèbre pas le martyre de ceux qui meurent dans une guerre juste. Donc la foi seule peut être cause du martyre.

En sens contraire, on lit (Mt 5, 10) " Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ", ce qui se rapporte au martyre, d’après la Glose. Or la foi n’est pas seule à se rattacher à la justice, les autres vertus aussi. Donc les autres vertus peuvent aussi être la cause du martyre.

Réponse :

On vient de le dire, les martyrs sont comme des témoins parce que leurs souffrances corporelles subies jusqu’à la mort rendent témoignage non à une vérité quelconque, mais à la vérité religieuse que le Christ nous a révélée, aussi sont-ils appelés martyrs du Christ, comme étant ses témoins. Telle est la vérité de la foi. Et c’est pourquoi la cause de tout martyre est la vérité de la foi. Mais à celle-ci se rattache non seulement la croyance du cœur, mais aussi la protestation extérieure. Or celle-ci ne se fait pas seulement par les paroles d’une confession de foi, mais aussi par les faits montrant qu’on a la foi, selon cette parole en S. Jacques (2, 18) : " C’est par les œuvres que je te montrerai ma foi. " Aussi S. Paul (Tt 1, 16) dit-il de certains : " Ils font profession de connaître Dieu, mais par leur conduite ils le renient. " Et c’est pourquoi les œuvres de toutes les vertus, selon qu’elles se réfèrent à Dieu, sont des protestations de la foi qui nous fait comprendre que Dieu requiert de nous ces œuvres, et nous en récompense. A ce titre elles peuvent être cause de martyre. Aussi l’Église célèbre-t-elle le martyre de S. Jean Baptiste qui a subi la mort non pour avoir refusé de renier sa foi, mais pour avoir reproché à Hérode son adultère.

Solutions :

1. On est appelé chrétien parce qu’on est au Christ. Et l’on dit que quelqu’un est au Christ non seulement parce qu’il croit en lui mais aussi parce qu’il accomplit des actions vertueuses guidé par l’esprit du Christ, selon S. Paul (Rm 8, 9) : " Si quelqu’un n’a pas l’esprit du Christ, il ne lui appartient pas. " Et l’on dit aussi qu’il est au Christ parce que, à son imitation, il meurt au péché selon cette parole (Ga 5, 24) : " Ceux qui appartiennent au Christ jésus ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises. " Et c’est pourquoi on souffre comme le Christ non seulement en souffrant pour une confession de foi en paroles, mais aussi chaque fois qu’on souffre pour accomplir un bien quelconque, ou pour éviter un péché quelconque à cause du Christ, parce que tout cela relève de la protestation de foi.

2. La vérité des autres sciences ne se rattache pas au culte divin. C’est pourquoi on ne l’appelle pas une vérité religieuse. Aussi sa confession ne peut-elle être directement cause du martyre. Mais parce que tout péché est mensonge, comme nous l’avons établi. éviter le mensonge, contre quelque vérité que ce soit, en tant que le mensonge est contraire à la loi divine, peut être cause de martyre.

3. Le bien de l’État occupe la première place parmi les biens humains. Mais le bien divin, qui est la cause propre du martyre, l’emporte sur le bien humain. Cependant, parce que le bien humain peut devenir divin s’il se réfère à Dieu, il peut arriver que n’importe quel bien humain soit cause de martyre, selon qu’il est référé à Dieu.

LES VICES OPPOSÉS À LA FORCE

Nous allons les étudier maintenant : la crainte (Q. 125), l’intrépidité (Q. 126) et l’audace (Q. 127).

 

 

QUESTION 125 — LA CRAINTE

1. Est-elle un péché ? - 2. S’oppose-t-elle à la force ? - 3. Est-elle péché mortel ?- 4. Excuse-t-elle ou diminue-t-elle le péché ?

 

            Article 1 — La crainte est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. Car elle est une passion, on l’a établi précédemment. Or, montre Aristote " nous ne sommes ni loués ni blâmés pour nos passions ". Puisque tout péché est blâmable, il apparaît que la crainte n’est pas un péché.

2. Rien de ce que prescrit la loi divine n’est un péché parce que " la loi du Seigneur est sans tache " (Ps 19, 8). Or la crainte est prescrite dans la loi de Dieu car S. Paul dit (Ep 6, 5) : " Esclaves, obéissez à vos maîtres d’ici-bas avec crainte et tremblement. "

3. Rien de ce qui est en l’homme par nature n’est péché, parce que le péché est contre la nature, selon S. Jean Damascène. Mais la crainte est naturelle à l’homme, ce qui fait dire à Aristote " qu’il faut être fou, ou insensible à la douleur, pour ne rien craindre, ni tremblements de terre ni inondations ".

En sens contraire, il y a la parole du Seigneur (Mt 10, 28) : " Ne craignez pas ceux qui tuent le corps. " Et en Ézéchiel (2, 8) : " Ne les crains pas et n’aie pas peur de leurs paroles. "

Réponse :

On appelle péché dans les actes humains ce qui est contraire à l’ordre ; car l’acte humain qui est bon consiste en un certain ordre, nous l’avons montrée. Or ici l’ordre requis, c’est que l’appétit se soumette au gouvernement de la raison. La raison dicte qu’il faut fuir certains actes et en rechercher d’autres. Parmi ceux qu’il faut fuir, elle dicte que certains sont à fuir plus que d’autres ; et de même, parmi ceux qu’il faut rechercher, elle dicte que certains sont à rechercher davantage ; et plus un bien est à poursuivre, plus un mal opposé est à fuir. De là vient cette dictée de la raison : on doit poursuivre certains biens plus qu’on ne doit fuir certains maux. Donc, quand l’appétit fuit ce que la raison lui dicte de supporter pour ne pas abandonner ce qu’il doit surtout poursuivre, la crainte est contraire à l’ordre et a raison de péché. Mais quand l’appétit fuit par crainte ce qu’il doit fuir selon la raison, alors l’appétit n’est pas désordonné et il n’y a pas de péché.

Solutions :

1. La crainte au sens général du mot implique essentiellement et dans tous les cas, la fuite ; aussi à cet égard n’implique-t-elle aucune raison de bien ou de mal. Et il en est de même pour toutes les passions. C’est pourquoi Aristote dit qu’elles ne sont ni louables ni blâmables, parce qu’on ne loue ni ne blâme ceux qui se mettent en colère ou qui ont peur, mais parce qu’ils le font d’une façon réglée par la raison, ou non.

2. Cette crainte à laquelle l’Apôtre nous incite est en accord avec la raison, car le serviteur doit craindre de manquer aux services qu’il doit rendre à son maître.

3. Les maux auxquels l’homme ne peut résister et dont l’endurance ne peut rien lui apporter, la raison dicte qu’il faut les fuir. C’est pourquoi la crainte n’est pas un péché.

 

            Article 2 — La crainte est-elle contraire à la force ?

Objections :

1. Il semble que non. Car la force concerne les dangers mortels, on l’a montré Mais le péché de crainte ne se rattache pas toujours aux dangers mortels. Car sur le Psaume (128, 1) : " Heureux ceux qui craignent le Seigneur ", la Glose dit que " la crainte humaine nous fait craindre de subir les périls de la chair ou de perdre les biens du monde ". Et sur ce texte de Mt (26, 44) : " Il pria une troisième fois avec les mêmes paroles ", la Glose dit que la mauvaise crainte est triple : " crainte de la mort, crainte de la douleur, crainte d’être lésé dans ses intérêts ". Donc le péché de crainte n’est pas contraire à la force.

2. Ce que l’on approuve surtout dans la force, c’est qu’elle s’expose aux dangers mortels. Mais parfois on s’expose à la mort par crainte de l’esclavage ou de la honte, comme S. Augustin le dit de Caton qui se donna la mort pour ne pas devenir l’esclave de César. Donc le péché de crainte n’est pas contraire à la force, mais lui ressemble.

3. Tout désespoir procède d’une crainte. Or le désespoir n’est pas contraire à la force, mais à l’espérance, on l’a vu précédemment. Donc le péché de crainte n’est pas non plus contraire à la force.

En sens contraire, Aristote oppose l’attitude craintive à la force.

Réponse :

Comme on l’a dit précédemment toute crainte procède de l’amour, car on ne craint que ce qui s’oppose à ce qu’on aime. Or l’amour n’est pas réservé à un genre déterminé de vertu ou de vice, mais l’amour bien réglé est inclus en toute vertu, car tout homme vertueux aime le bien propre de sa vertu ; tandis que l’amour déréglé est inclus en tout péché, car c’est de l’amour déréglé que procède la convoitise déréglée. Aussi la crainte déréglée est-elle incluse pareillement en tout péché : l’avare craint de perdre son argent, l’intempérant d’être privé de son plaisir, et ainsi des autres. Mais la crainte la plus forte est celle de mourir, comme le prouve Aristote. Et c’est pourquoi le caractère désordonné d’une telle crainte est contraire à la force, qui concerne les dangers mortels. C’est pourquoi on dit que, par excellence, l’excès de crainte est contraire à la force.

Solutions :

1. Ces textes parlent de la crainte déréglée en général, qui peut s’opposer à diverses vertus.

2. Les actes humains se caractérisent surtout par leur fin, comme nous l’avons montré précédemment. Or il appartient à l’homme fort de s’exposer aux dangers mortels, en vue du bien ; mais celui qui s’y expose pour fuir la servitude ou une condition pénible est vaincu par la crainte, qui est contraire à la force. Aussi le Philosophe dit-il que " mourir pour fuir la pauvreté, par désespoir d’amour, ou par accablement, n’est pas le fait de l’homme fort, mais du lâche ; fuir le labeur, c’est de la faiblesse ".

3. Comme nous l’avons dit précédemment, de même que l’espérance est le principe de l’audace, la crainte est le principe du désespoir. Aussi, de même que l’homme fort qui est audacieux avec mesure doit avoir au préalable l’espérance, de même, mais inversement, le désespoir procède d’une certaine crainte. Non de n’importe laquelle, mais d’une crainte de même genre. Or le désespoir qui s’oppose à l’espérance appartient au genre des choses divines ; tandis que la crainte qui s’oppose à la force appartient à un genre différent, celui des périls mortels. Si bien que l’argument ne vaut pas.

 

            Article 3 — La crainte est-elle péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que non. Car la crainte, on l’a dit, se situe dans l’appétit irascible, qui fait partie de la sensualité. Mais dans la sensualité il n’y a que péché véniel, comme on l’a montré.

2. Tout péché mortel détourne totalement le cœur loin de Dieu. Or, c’est ce que ne fait pas la crainte, car sur ce texte (Jg 7, 3) : " Que celui qui a peur... ", la Glose dit : " Le craintif est celui qui tremble à l’approche d’une rencontre sans être terrifié au fond, mais il peut se ressaisir et reprendre courage. "

3. Le péché mortel éloigne non seulement de la perfection mais aussi du précepte. Or la crainte n’éloigne pas du précepte mais seulement de la perfection, car sur ce texte (Dt 20, 8) : " Qui a peur et sent mollir son courage ? " la Glose dit : " Cela enseigne qu’il est impossible d’atteindre à la perfection de la contemplation ou du combat spirituel si l’on redoute encore d’être dépouillé de ses biens terrestres. "

En sens contraire, pour un seul péché mortel on encourt la peine de l’enfer. Or celle-ci est promise aux timorés selon l’Apocalypse (21, 8) : " Les lâches, les renégats, les dépravés... leur lot se trouve dans l’étang brûlant de feu et de soufre. C’est la seconde mort. " Donc la crainte est péché mortel.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, la crainte est un péché selon qu’elle est désordonnée, c’est-à-dire qu’elle fuit ce que, raisonnablement, elle ne devrait pas fuir. Or ce dérèglement de la crainte ne réside parfois que dans l’appétit sensitif, sans qu’intervienne le consentement de l’appétit rationnel. Alors elle ne peut être péché mortel, mais seulement véniel. Mais parfois ce dérèglement de la crainte parvient jusqu’à l’appétit rationnel, ou volonté, qui par son libre arbitre fuit quelque chose contrairement à la raison. Un tel désordre est tantôt péché mortel, tantôt péché véniel. Car si, par crainte, on fuit un péril mortel ou quelque autre mal temporel, et qu’on se dispose ainsi à faire quelque chose d’interdit, ou qu’on omette un devoir prescrit par la loi divine, une telle crainte est péché mortel. Autrement elle sera péché véniel.

Solutions :

1. Cet argument procède de la crainte en tant qu’elle ne dépasse pas la sensualité.

2. Cette glose également peut s’entendre d’une crainte purement sensible. Ou bien, on peut mieux dire qu’est " terrifié au fond ", celui dont la crainte domine le cœur sans remède. Or il peut arriver que, même si la crainte est péché mortel, sa victime ne soit pas terrifiée si obstinément qu’on ne puisse la persuader de se reprendre. Ainsi parfois un homme qui pèche mortellement en consentant à la sensualité est détourné d’accomplir effectivement ce qu’il avait décidé de faire.

3. Cette glose parle d’une crainte qui écarte d’un bien non nécessaire de précepte, mais conseillé pour la perfection. Or une telle crainte n’est pas péché mortel, mais parfois véniel. Parfois aussi, elle n’est pas péché s’il y a une cause raisonnable de craindre.

 

            Article 4 — La crainte excuse-t-elle ou diminue-t-elle le péché ?

Objections :

1. Il apparaît que non. Car la crainte est un péché, on vient de le voir. Or le péché n’excuse pas le péché, il l’aggrave.

2. Si une crainte excuse le péché, ce serait au plus haut point la crainte de la mort, qui frappe les plus courageux. Mais cette crainte ne semble pas excuser parce que la mort, menaçant nécessairement tous les hommes, ne paraît pas à craindre.

3. Toute crainte a pour objet un mal, temporel ou spirituel. Or la crainte du mal spirituel ne peut excuser le péché parce qu’elle n’induit pas au péché mais plutôt en éloigne. La crainte du mal temporel non plus n’excuse pas du péché parce que, dit Aristote : " Il ne faut craindre ni l’indigence ni la maladie, ni quoi que ce soit qui ne procède pas de nos propres errements. " Il semble donc que la crainte n’excuse nullement le péché.

En sens contraire, on lit dans les Décrets " Celui qui a souffert violence et a été ordonné malgré lui par les hérétiques a une excuse valable. "

Réponse :

Comme on vient de le dire, la crainte est qualifiée de péché dans la mesure où elle contredit l’ordre de la raison. Or la raison juge que l’on doit fuir certains maux plus que d’autres. C’est pourquoi si quelqu’un, pour fuir les maux qui selon la raison sont à éviter davantage, ne fuit pas ceux qui sont moins à éviter, il n’y a pas péché. Ainsi doit-on fuir la mort corporelle plus que la perte des biens temporels ; donc, si quelqu’un par crainte de la mort promet ou donne quelque chose à des bandits, il est excusé du péché qu’il encourrait, si, sans cause légitime, en négligeant les hommes vertueux auxquels il devrait donner, il faisait des largesses aux pécheurs.

Mais si quelqu’un, fuyant par crainte des maux qui sont moins à fuir, encourt des maux que la raison nous dit de fuir davantage, il ne pourrait être totalement excusé de péché parce qu’une telle crainte serait désordonnée. On doit craindre les maux de l’âme plus que les maux du corps, ceux du corps plus que ceux des possessions extérieures. C’est pourquoi, si quelqu’un encourt des maux de l’âme, c’est-à-dire des péchés, en fuyant les maux du corps, comme la flagellation ou la mort, ou des maux extérieurs comme une perte d’argent ; ou s’il supporte des maux corporels pour éviter une perte d’argent : il n’est pas totalement excusé de péché.

Cependant, le péché est atténué dans une certaine mesure parce que l’action faite par crainte est moins volontaire ; car la crainte qui menace impose une certaine nécessité. Aussi Aristote dit-il de ces actions faites par crainte qu’elles ne sont pas purement volontaires, mais mêlées de volontaire et d’involontaire.

Solutions :

1. La crainte n’excuse pas en tant qu’elle est un péché, mais en tant qu’elle est involontaire.

2. Bien que la mort menace nécessairement tous les hommes, cependant l’abrégement de la vie est un mal, et par conséquent on doit le craindre.

3. Selon les stoïciens, pour qui les biens temporels n’étaient pas des biens de l’homme, il s’ensuivait que les maux temporels n’étaient pas des maux de l’homme et par conséquent n’inspiraient aucune crainte. Mais selon S. Augustin ces biens temporels sont des biens, quoique d’ordre inférieur. Ce qui était aussi l’opinion des péripatéticiens. C’est pourquoi on doit craindre ce qui s’y oppose, mais pas au point de s’écarter à cause d’eux de ce qui est bon selon la vertu.

 

 

 

QUESTION 126 — L’INTRÉPIDITÉ

1. Est-elle un péché ? - 2. Est-elle opposée à la force ?

 

            Article 1 — L’intrépidité est-elle un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car ce qu’on approuve chez un homme juste n’est pas un péché. Or dans l’éloge de l’homme juste on lit, au livre des Proverbes (28, 1) : " Le juste a l’assurance du lion, il n’aura aucune crainte. " Donc, être intrépide n’est pas un péché.

2. " De tous les maux le plus terrible est la mort ", dit Aristote. Mais il ne faut pas craindre la mort, selon ce texte (Mt 10, 28) : " Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, etc. " Ni aucune des attaques venant de l’homme, selon Isaïe (51, 12) " Qui es-tu pour craindre l’homme mortel ? " 3. La crainte naît de l’amour, on l’a vu plus haut. Mais ne rien aimer de périssable relève de la vertu parfaite, car, dit S. Augustin : " L’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi fait les citoyens de la cité céleste. " Donc ne rien redouter d’humain ne paraît pas être un péché.

En sens contraire, le juge inique est blâmé (Lc 18, 2) de ce qu’" il ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes ".

Réponse :

Parce que la crainte naît de l’amour, il faut porter le même jugement sur l’amour et sur la crainte. Or il s’agit maintenant de la crainte des maux temporels, qui provient de l’amour des biens temporels. Or il est dans la nature de chacun d’aimer sa propre vie et ce qui y est ordonné, toutefois dans la mesure requise. C’est-à-dire qu’on doit aimer tout cela non comme si l’on y mettait sa fin, mais selon qu’on l’utilise en vue de la fin ultime. Aussi, que quelqu’un manque à l’ordre requis dans l’amour de ces biens est contraire à l’inclination de sa nature, et par conséquent c’est un péché. Cependant jamais personne ne manque totalement de cet amour, parce que ce qui est naturel ne peut se perdre totalement. C’est pourquoi l’Apôtre peut dire (Ep 5, 29) : " Personne n’a jamais eu de haine pour sa propre chair. " Aussi même ceux qui se donnent la mort le font-ils par amour de leur chair, qu’ils veulent libérer des angoisses présentes.

Aussi peut-il arriver qu’un homme craigne moins qu’il ne faut la mort et les autres maux temporels, parce qu’il aime moins qu’il ne doit les biens auxquels s’opposent ces maux. Pourtant, qu’il ne craigne rien de tout cela ne peut venir d’un manque total d’amour ; mais il croit impossible que lui surviennent des maux opposés aux biens qu’il aime. Parfois cela vient de l’orgueil qui présume de soi-même et méprise les autres, selon cette parole de Job (41, 25) : " Il a été fait intrépide ; il regarde en face les plus hautains. " Parfois aussi cette absence de crainte vient d’un manque d’esprit ; c’est ainsi que pour Aristote c’est par sottise que les Celtes n’ont peur de rien. Aussi est-il clair que l’intrépidité est un vice, qu’elle soit causée par un manque d’amour, par l’orgueil ou la stupidité. Pourtant, si celle-ci est invincible, elle excuse du péché.

Solutions :

1. Ce qu’on approuve chez le juste, c’est que la crainte ne le détourne pas du bien, et non pas qu’il n’ait aucune crainte. Car on lit dans l’Ecclésiastique (1, 28 Vg) : " L’homme dénué de crainte ne pourra se justifier. "

2. La mort ou toute autre violence qu’on peut subir d’un homme mortel ne doit pas être crainte au point de faire abandonner la justice. On doit cependant les craindre en tant qu’elles peuvent empêcher un homme d’agir vertueusement, soit en lui-même soit en faisant progresser les autres. Aussi est-il écrit dans les Proverbes (14, 16) : " Le sage craint le mal et s’en détourne. "

3. Les biens temporels doivent être méprisés en tant qu’ils nous empêchent d’aimer et de craindre Dieu. Et de ce point de vue aussi on ne doit pas les craindre, selon cette parole de l’Ecclésiastique (34, 14) : " Celui qui craint le Seigneur n’a peur de rien. " Mais on ne doit pas mépriser les biens temporels en tant qu’ils nous aident, comme des instruments, à pratiquer la crainte et l’amour de Dieu

 

            Article 2 — L’intrépidité est-elle opposée à la force ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, nous jugeons les habitus d’après leurs actes. Or aucun acte de force n’est empêché par le fait que quelqu’un est intrépide, car n’ayant aucune crainte, il supporte fermement et attaque audacieusement.

2. L’intrépidité est vicieuse par manque de l’amour requis, par orgueil ou par stupidité. Mais le manque d’amour requis s’oppose à la charité ; l’orgueil, à l’humilité ; la stupidité, à la prudence ou à la sagesse. Donc le vice d’intrépidité ne s’oppose pas à la force.

3. Les vices s’opposent à la vertu comme les extrêmes au juste milieu. Mais ce milieu n’a, d’un côté, qu’un seul extrême. Donc, puisque s’opposent à la force d’un côté la crainte, et de l’autre l’audace, il semble bien que l’intrépidité ne lui soit pas opposée.

En sens contraire, Aristote oppose l’intrépidité à la force.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, la force a pour objet la crainte et l’audace. Or toute vertu morale impose la mesure de la raison à la matière qu’elle concerne. Aussi ce qui revient à la force est une crainte mesurée par la raison : l’homme doit craindre ce qu’il faut, quand il le faut, et ainsi du reste. Or cette mesure de la raison peut être détruite non seulement par excès, mais aussi par défaut. Aussi, de même que la timidité est contraire à la force par excès de crainte, parce que l’on craint ce que l’on ne doit pas craindre, ou autrement qu’il ne faut, de même l’intrépidité est contraire à la force par défaut, parce que l’on ne craint pas ce qu’il faut craindre.

Solutions :

1. L’acte de force consiste à supporter la crainte et à attaquer non pas n’importe comment, mais selon la raison. Ce que ne fait pas l’intrépide.

2. Par nature l’intrépidité détruit le juste milieu de la force et par là s’oppose directement à la force. Mais en raison de ses causes, rien n’empêche qu’elle s’oppose à d’autres vertus.

3. Le vice de l’audace s’oppose à la force par excès d’audace, et l’intrépidité par défaut de crainte. Or la force établit un juste milieu dans ces deux passions. Aussi n’est-il pas extraordinaire que, à des points de vue différents, elle ait des extrêmes différents.

 

 

 

QUESTION 127 — L’AUDACE

1. Est-elle un péché ? - 2. Est-elle contraire à la force ?

 

            Article 1 — L’audace est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Grégoire applique au bon prédicateur ce que Job (39, 21) dit du cheval : " Avec audace il s’élance au combat. " Mais personne ne parle d’un vice avec éloge. Donc ce n’est pas un péché d’être audacieux.

2. Comme dit Aristote : " Il faut prendre son temps pour délibérer, mais ensuite il faut agir rapidement. " Mais l’audace favorise cette rapidité. Donc l’audace n’est pas un péché, mais plutôt quelque chose de louable.

3. L’audace est une passion qui naît de l’espérance, a-t-on vu précédemment cl en traitant des passions. Mais l’espérance est une vertu, non un péché.

En sens contraire, on lit dans l’Ecclésiastique (8, 15) : " Ne te mets pas en route avec un audacieux, de peur qu’il ne fasse peser ses maux sur toi. " Or on ne doit éviter la compagnie de quelqu’un que pour éviter le péché. Donc l’audace est un péché.

Réponse :

Nous l’avons dit précédemment l’audace est une passion. Or, tantôt la passion est modérée par la raison, tantôt elle manque de modération, soit par excès soit par défaut, et c’est ainsi qu’elle est vicieuse. Mais il arrive que le nom même d’une passion désigne son excès : ainsi on parle de la " colère " pour désigner cette passion en tant qu’elle est excessive, donc vicieuse. C’est ainsi encore que l’audace, entendue avec excès, est considérée comme un péché.

Solutions :

1. Il s’agit ici de l’audace mesurée par la raison, et qui se rattache donc à la vertu de force.

2. Il est recommandable d’agir rapidement après avoir arrêté sa décision. Mais si l’on veut agir rapidement avant d’avoir délibéré, on tombe dans le vice de précipitation, qui s’oppose à la prudence, nous l’avons dit. C’est pourquoi l’audace qui contribue à la rapidité de l’opération est louable dans la mesure où elle est réglée par la raison.

3. Il y a des vices, et aussi des vertus, qui n’ont pas reçu de nom, comme le montre Aristote C’est pourquoi il faut les désigner par des noms de passions. Pour désigner des vices nous employons surtout des noms de passions qui ont pour objet le mal, comme la haine, la crainte, la colère et l’audace. Tandis que l’espérance et l’amour ont pour objet le bien, et c’est pourquoi nous employons plutôt leurs noms pour désigner des vertus.

 

            Article 2 — L’audace est-elle contraire à la force ?

Objections 1. Il semble que non, car l’excès qui caractérise l’audace semble venir de la présomption. Or celle-ci se rattache à l’orgueil, qui s’oppose à l’humilité. Donc l’audace s’oppose à l’humilité plus qu’à la force.

2. L’audace ne semble pas blâmable, sinon en tant qu’elle est nuisible à l’audacieux lui-même qui affronte les périls de façon déraisonnable ; ou encore nuisible aux autres qu’il attaque par audace ou qu’il entraîne dans le danger. Mais cela se rattache à l’injustice. Donc l’audace qui est un péché ne s’oppose pas à la force, mais à la justice.

3. On l’a dit plus haut la force concerne la crainte et l’audace. Mais parce que la timidité s’oppose à la force à cause de son excès de crainte, il y a un autre vice opposé à la timidité par défaut de crainte. Donc, si l’audace s’opposait à la force par son excès, au même titre la force devrait avoir un vice opposé par défaut d’audace. Mais on ne trouve pas ce vice. Donc l’audace, elle non plus, ne doit pas être donnée comme un vice opposé à la force.

En sens contraire, Aristote oppose l’audace à la force.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, il appartient à la vertu morale de garder la mesure de la raison dans la matière qu’elle concerne. C’est pourquoi tout vice qui indique la démesure quant à la matière d’une vertu morale, s’oppose à cette vertu comme le démesuré au mesuré. Or l’audace, si ce mot désigne un vice, implique un excès de la passion qu’on appelle audace. Aussi est-il évident qu’elle est opposée à la force, qui concerne les craintes et les audaces.

Solutions :

1. L’opposition d’un vice à une vertu ne se prend pas à titre principal de la cause de ce vice, mais de l’espèce de celui-ci. C’est pourquoi l’audace n’a pas à être opposée à la même vertu que la présomption, qui est sa cause.

2. De même que l’opposition directe d’un vice ne se prend pas de sa cause, elle ne se prend pas non plus de son effet. Or la nuisance qui provient de l’audace est son effet. Ainsi ne doit-on pas fonder sur elle ce qui oppose l’audace à la vertu.

3. Le mouvement de l’audace consiste à assaillir ce qui est contraire à l’homme ; la nature y incline, à moins que cette inclination ne soit arrêtée par la crainte de subir un dommage. Et c’est pourquoi le vice par excès que l’on appelle audace n’a pas d’autre défaut contraire que la timidité. Mais l’audace ne s’accompagne pas toujours du seul défaut de timidité. Car selon Aristote, " les audacieux volent au-devant du danger, mais quand celui-ci est là, ils abandonnent ", et cela par crainte.

LES PARTIES DE LA FORCE

On se demandera d’abord : Quelles sont-elles (Q. 128) ? Ensuite, on traitera de chacune d’elles (Q. 129-138).

 

 

QUESTION 128 — QUELLES SONT LES PARTIES DE LA FORCE ?

 

 

            Article UNIQUE

Objections :

1. Il semble que l’énumération des parties de la force est inadmissible. En effet Cicéron en énumère quatre - " la magnificence, la confiance, la patience et la persévérance ". Mais cela ne vaut rien. En effet la magnificence se rattache à la libéralité, car toutes deux concernent l’argent et " le magnifique est nécessairement libéral ", dit Aristote. Mais la libéralité fait partie de la justice, on l’a vu plus haut ; donc la magnificence ne fait pas partie de la force.

2. La confiance semble identique à l’espérance. Mais l’espérance n’appartient pas à la force, car elle est une vertu par elle-même. Donc la confiance ne fait pas partie de la force.

3. Par la force l’homme se comporte bien devant les dangers. Mais la magnificence et la confiance n’impliquent dans leur raison aucun rapport avec les dangers. Il ne convient donc pas de les ranger parmi les parties de la force.

4. Selon Cicéron la patience implique le support des difficultés, qu’il attribue aussi à la force. Donc la patience est identique à la force, et non l’une de ses parties.

5. Ce qui est requis en toute vertu, ne doit pas être donné comme une partie d’une vertu spéciale. Mais la persévérance est requise en toute vertu, selon cette parole (Mt 24, 13) : " Celui qui persévérera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. "

6. Macrobe donne sept parties de la force : " magnanimité, confiance, sécurité, magnificence, constance, tolérance, fermeté ". D’autre part, Andronicus admet sept vertus annexes de la force : " assurance, résolution, magnanimité, virilité, persévérance, magnificence, courage ". Donc l’énumération de Cicéron est insuffisante.

7. Aristote énumère cinq modalités de la force. 1° La politique, qui opère courageusement par crainte du déshonneur ou du châtiment. 2° La force militaire, qui est rendue courageuse par la pratique ou l’expérience de la guerre. 3° Celle qui opère courageusement sous l’empire d’une passion, et en particulier de la colère. 4° Celle qui opère courageusement par l’habitude de vaincre. 5° Celle qui opère courageusement par inexpérience du danger. Or aucune de nos énumérations ne contient ces forces-là. Donc ces énumérations sont impropres.

Réponse :

On l’a dit plus haut, une vertu peut avoir trois sortes de parties : subjectives, intégrantes et potentielles. Or on ne peut assigner à la force, en tant que vertu spéciale, des parties subjectives, du fait qu’elle ne se divise pas en plusieurs vertus spécifiquement différentes, parce qu’elle a une matière très spéciale. Mais on lui attribue des parties pour ainsi dire intégrantes et potentielles. Intégrantes, selon ce qui doit concourir à l’acte de la force. Potentielles, selon que les périls mortels étant envisagés par la force, d’autres objets moins difficiles sont envisagés par d’autres vertus ; celles-ci s’adjoignent à la force comme le secondaire au principal.

Or, nous l’avons dit plus haut, l’acte de la force est double : attaquer et supporter. A l’attaque deux conditions sont requises. D’abord qu’on ait l’esprit préparé, c’est-à-dire prompt à attaquer. C’est pour cela que Cicéron nomme la confiance par laquelle, dit-il, " l’âme se sent pleine d’espoir pour accomplir des actions grandes et glorieuses ". La seconde condition vaut pour l’exécution : il ne faut pas lâcher prise dans la réalisation de ce qu’on a entrepris avec confiance. Ici Cicéron nomme la magnificence. " La magnificence, dit-il, est le projet de la réalisation de choses grandes et sublimes, que l’âme s’est proposée avec éclat et grandeur. " Il ne faut pas que l’exécution recule devant un projet grandiose. Ces deux conditions, si on les applique à la matière propre de la force, en seront comme les parties intégrantes, indispensables à son existence. Si on les réfère à d’autres matières moins ardues, ce seront des vertus spécifiquement distinctes de la force, mais qui s’adjoignent à elle comme le secondaire au principal ; c’est ainsi que le Philosophe applique la magnificence aux grandes dépenses, et la magnanimité, qui semble identique à la confiance, aux grands honneurs.

A l’autre acte de la force, qui est de supporter, deux conditions sont requises. D’abord que devant la difficulté de maux menaçants, le cœur ne soit pas brisé par la tristesse et ne déchoie de sa grandeur. C’est à cela que Cicéron rapporte la patience. Aussi définit-il la patience " le support volontaire et prolongé d’épreuves ardues et difficiles, par un motif de service ou d’honnêteté ". L’autre condition, c’est que, en souffrant ces difficultés de façon prolongée, on ne se fatigue pas au point de renoncer, selon l’épître aux Hébreux (12, 3) : " Ne vous laissez pas fatiguer en perdant cœur. " C’est la tâche qu’il attribue à la persévérance. Elle consiste pour lui " à demeurer de façon stable et perpétuelle dans un parti adopté avec délibération ". Si ces deux conditions se restreignent à la matière propre de la force, elles en seront comme des parties intégrantes. Mais si elles se réfèrent seulement à des matières difficiles, elles seront des vertus distinctes de la force, mais qui lui sont adjointes comme des vertus secondaires à la principale.

Solutions :

1. La magnificence ajoute à la matière de la libéralité une certaine grandeur ; celle-ci augmente la difficulté, objet de l’appétit irascible, que la vertu de force perfectionne au premier chef.

2. L’espérance qui se confie à Dieu est une vertu théologale, on l’a montré plus haut. Mais par la confiance, qui figure parmi les parties de la force, l’homme met son espoir en lui-même, tout en le subordonnant à Dieu.

3. Il paraît très périlleux d’attaquer des ennemis considérables, parce que l’échec est alors très cuisant. Aussi, même si la magnificence et la confiance agissent pour opérer ou attaquer de grandes choses, elles ont une certaine affinité avec la force, en raison du péril menaçant.

4. La patience ne supporte pas seulement les périls mortels, que concerne la force, en limitant les excès de la tristesse ; elle supporte aussi d’autres difficultés et d’autres périls. A ce titre elle est une vertu annexe de la force. Mais en tant qu’elle concerne les périls de mort, elle en est partie intégrante.

5. La persévérance, en tant qu’elle signifie la continuation d’une œuvre bonne jusqu’à la fin, peut être une condition de toute vertu. Mais elle fait partie de la force comme nous venons de le dire dans la Réponse.

6. Macrobe nomme les quatre vertus déjà nommées par Cicéron : confiance, magnificence, tolérance (qui tient la place de la patience) et fermeté (qui tient la place de la persévérance). Mais il ajoute trois parties de la force. Deux d’entre elles, la magnanimité et la sécurité, sont englobées chez Cicéron par la confiance, mais Macrobe les distingue en les spécialisant. Car la confiance implique l’espérance de grandes choses. Or l’espérance de quoi que ce soit présuppose un appétit tendu par le désir vers de grandes choses, ce qui se rattache à la magnanimité ; nous avons dit plus haut en effet que l’espérance présuppose l’amour et le désir de son objet. Ou bien on peut dire, ce qui est mieux, que la confiance se rattache à la certitude de l’espérance ; la magnanimité, à la grandeur de la chose espérée.

L’espérance ne peut être ferme si l’on n’écarte pas son contraire. Parfois en effet quelqu’un, pour ce qui tient à lui, espère, mais son espérance est enlevée par la crainte, car celle-ci est d’une certaine façon opposée à l’espérance, nous l’avons montré plus haut. C’est pourquoi Macrobe ajoute la sécurité, qui exclut la crainte. Il ajoute une troisième vertu : la constance, qu’on peut englober dans la magnificence car il faut, lorsqu’on agit magnifiquement, avoir un cœur constant. C’est pourquoi Cicéron dit qu’il revient à la magnificence non seulement d’organiser de grandes affaires, mais encore de les imaginer avec de l’ampleur dans l’esprit. La constance peut encore se rattacher à la persévérance, car la persévérance est attribuée à celui qui n’est pas découragé par la durée de l’action, tandis qu’on appelle constant celui qui n’est pas découragé par n’importe quelle autre résistance.

Les vertus énumérées par Andronicus paraissent revenir au même. Il nomme la persévérance et la magnificence, comme Cicéron et Macrobe, et la magnanimité comme Macrobe. La résolution est identique à la patience et à la tolérance, car pour lui " la résolution est un habitus qui rend prêt à entreprendre comme il faut, et à résister comme la raison le demande ". L’assurance semble identique à la sécurité car, pour Andronicus, " c’est la force de l’âme pour accomplir ses œuvres ". La virilité est identique à la confiance, car il la définit " un habitus qui se suffit à lui-même, accordé aux hommes courageux ".

A la magnificence il ajoute le courage (andragathia : vertu du " bon guerrier "), que nous pouvons appeler encore bravoure. Or il revient à la magnificence non seulement de tenir bon dans la réalisation d’œuvres grandioses, ce qui revient à la constance, mais encore de les exécuter avec une prudence et un zèle viril, qui reviennent à la bravoure. Aussi Andronicus dit-il : " L’andragathia est une vertu virile pour entreprendre des œuvres utiles à la communauté. " On voit ainsi que toutes ces parties de la force se ramènent à la liste donnée par Cicéron.

7. Ces cinq parties énumérées par Aristote n’atteignent pas à la vraie raison de vertu, parce que, tout en se rejoignant dans l’acte de force, elles diffèrent cependant par leur motif, comme on l’a montré plus haut. C’est pourquoi ce sont moins des parties que des modes de la force.

I1 faut maintenant étudier chacune des parties de la force, mais en les ramenant toutes aux quatre principales données par Cicéron sauf que nous mettons à la place de la confiance la magnanimité dont traite Aristote. Nous étudierons donc : l° la magnanimité (Q. 129) ; 2° la magnificence (Q. 134-135) ; 3° la patience (Q. 136) ; 4° la persévérance (Q. 137-138). Après avoir étudié la magnanimité, nous étudierons les vices opposés (Q. 130-133).

 

 

QUESTION 129 — LA MAGNANIMITÉ

1. Concerne-t-elle les honneurs ? - 2. Seulement les grands honneurs ? - 3. Est-elle une vertu ? - 4. Une vertu spéciale ? - 5. Fait-elle partie de la force ? - 6. Quels sont ses rapports avec la confiance ? - 7. Avec la sécurité ? - 8. Avec les biens de la fortune ?

 

            Article 1 — La magnanimité concerne-t-elle les honneurs ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car la magnanimité réside dans l’appétit irascible, ce qu’on voit à son nom, car magnanimité équivaut à " grandeur d’âme ", âme signifiant ici la puissance irascible, selon Aristote qui dit : " Dans l’appétit sensible se trouvent le désir et l’âme " c’est-à-dire le concupiscible et l’irascible. Mais l’honneur est un bien pour le concupiscible, puisqu’il récompense la vertu. Il apparaît donc que la magnanimité ne concerne pas les honneurs.

2. Étant une vertu morale, la magnanimité doit concerner ou les passions ou les actions. Or elle ne concerne pas les actions, car elle serait alors une partie de la justice. Il reste donc qu’elle concerne les passions. Mais l’honneur n’est pas une passion. Donc la magnanimité ne concerne pas les honneurs.

3. La magnanimité semble se rattacher à la recherche plus qu’à la fuite, car on appelle magnanime celui qui tend à la grandeur. Or on ne loue pas les gens vertueux de désirer les honneurs, mais plutôt de les fuir.

En sens contraire, le Philosophe dit : " La magnanimité concerne les honneurs et le déshonneur. "

Réponse :

En vertu de son nom, la magnanimité implique une âme qui tend à la grandeur. Or on reconnaît la nature d’une vertu à deux choses : à la matière que son action concerne ; à son acte propre qui consiste à traiter cette matière de la façon requise. Et parce que l’habitus de la vertu se détermine au premier chef par son acte, on appelle un homme magnanime parce que son âme est orientée vers un acte plein de grandeur. Or un acte peut être appelé grand de deux façons : relativement ou absolument. Un acte peut être appelé grand de façon relative alors même qu’il consiste à employer une chose petite ou médiocre, mais de façon excellente. Mais l’acte simplement et absolument grand est celui qui consiste dans l’emploi excellent d’un bien supérieur. Or, ce qui est mis à l’usage de l’homme, ce sont les biens extérieurs, dont le plus élevé absolument est l’honneur. Cela, parce qu’il est tout proche de la vertu, en tant qu’il lui rend témoignage, comme nous l’avons établi plus haut en outre, parce qu’il est rendu à Dieu et aux êtres les plus parfaits, et parce que les hommes font tout passer après la conquête de l’honneur et le rejet de la honte. Ainsi donne-t-on le nom de magnanime à partir de ce qui est grand purement et simplement, comme on donne le nom de fort à partir de ce qui est absolument difficile. Il est donc logique que la magnanimité concerne les honneurs.

Solutions :

1. Le bien ou le mal considérés absolument relèvent de l’appétit concupiscible ; mais si on leur ajoute la raison de difficulté, ils relèvent de l’irascible. Et c’est ainsi que la magnanimité envisage l’honneur, en tant que celui-ci présente la raison de chose grande et ardue.

2. Si l’honneur n’est ni une passion ni une action, il est pourtant l’objet d’une passion, l’espérance, qui tend au bien ardu. C’est pourquoi la magnanimité concerne immédiatement la passion de l’espérance, et médiatement l’honneur ; de même avons-nous dit plus haut, au sujet de. la force, qu’elle concerne les périls mortels en tant qu’ils sont objets de crainte et d’audace.

3. On doit louer ceux qui méprisent les honneurs au point que pour les obtenir ils ne font rien de déplacé et ne leur accordent pas une valeur excessive. Mais si l’on méprisait les honneurs en ce que l’on ne se soucierait pas de faire ce qui est digne d’honneur, ce serait blâmable. Et c’est ainsi que la magnanimité concerne les honneurs : pourvu qu’on s’efforce de faire ce qui est digne d’honneur, au lieu d’estimer grandement les honneurs humains.

 

            Article 2 — La magnanimité concerne-t-elle seulement les honneurs considérables ?

Objections :

1. Il semble que cela n’appartienne pas à la raison de magnanimité. En effet, sa matière est l’honneur, on vient de le dire. Mais la grandeur et la petitesse ne s’ajoutent à l’honneur que comme des accidents.

2. La magnanimité concerne les honneurs, comme la mansuétude concerne les colères. Mais il n’appartient pas à la raison de mansuétude qu’elle concerne de grandes ou de petites colères.

3. Un petit honneur est moins éloigné d’un grand que le déshonneur. Mais la magnanimité se comporte bien devant le déshonneur. Donc de même devant des honneurs modestes.

En sens contraire, le Philosophe affirme " La magnanimité concerne les grands honneurs.

Réponse :

D’après Aristote " la vertu est une certaine perfection ", et cela s’entend d’une perfection de la puissance " portée à son comble ". La perfection de la puissance ne doit pas être envisagée dans une activité quelconque, mais dans une activité qui comporte de la grandeur ou de la difficulté. Car toute puissance, si imparfaite qu’elle soit, est capable d’une activité au moins médiocre et faible. C’est pourquoi il est essentiel à la vertu de concerner " le difficile et le bien ", selon Aristote. Or le difficile et le grand, ce qui revient au même, peut être envisagé dans l’acte vertueux de deux façons. D’abord du côté de la raison, en tant qu’il est difficile de trouver le milieu de la raison, et de le déterminer dans une certaine matière. Cette difficulté ne se trouve que dans l’acte des vertus intellectuelles, et aussi dans l’acte de la justice. Une autre difficulté est du côté de la matière qui, de soi, peut résister à la mesure de raison qu’on veut lui imposer. Cette difficulté se remarque surtout dans les autres vertus morales, qui concernent les passions car, " les passions luttent contre la raison " selon Denys.

A leur sujet il faut remarquer que certaines passions ont une grande force pour résister à la raison, principalement du fait qu’elles sont des passions ; et certaines principalement du fait des objets de ces passions. Or les passions n’ont une grande force pour lutter contre la raison que si elles sont violentes, parce que l’appétit sensible, où résident les passions, est soumis par nature à la raison. Et c’est pourquoi les vertus concernant de telles passions ne s’exercent qu’au sujet de ce qui est grand dans ces passions, comme la force concerne les grandes craintes et les grandes audaces ; la tempérance, les convoitises des plus vives délectations ; la mansuétude, les plus violentes colères.

Certaines passions s’opposent à la raison avec une grande force du fait des réalités extérieures qui sont leurs objets, comme l’amour ou cupidité de l’argent ou de l’honneur. Et en ces domaines, il faut de la vertu non seulement dans ce qu’il y a de plus intense, mais aussi pour les objets médiocres ou mineurs, parce que les réalités extérieures même petites, sont très désirables, comme nécessaires à la vie. Et c’est pourquoi, concernant l’appétit de l’argent, il y a deux vertus ; l’une concerne les richesses médiocres ou modérées, c’est la libéralité ; l’autre concerne les grandes richesses, c’est la magnificence. De même, concernant les honneurs, il y a deux vertus. L’une qui concerne les honneurs moyens, n’a pas de nom ; elle est nommée cependant par ses extrémités qu’on appelle philotimia (amour de l’honneur) et aphilotimia (absence d’amour pour l’honneur). En effet, on loue parfois celui qui aime l’honneur, et parfois celui qui n’en a cure, pour autant que chacun des deux peut le faire avec modération. Mais concernant les grands honneurs, il y a la magnanimité. C’est pourquoi il faut dire que la matière propre de la magnanimité est le grand honneur ; et le magnanime est celui qui tend à ce qui est digne d’un grand honneur.

Solutions :

1. Grand et petit surviennent par accident à l’honneur considéré en lui-même. Mais ils créent une grande différence par rapport à la raison, dont il faut observer la mesure dans la pratique des honneurs, ce qui est beaucoup plus difficile dans les grands honneurs que dans les petits.

2. La colère et les autres matières ne présentent de difficulté notable que pour le maximum, qui est seul à nécessiter de la vertu. Il en est autrement des richesses et des honneurs, qui sont des réalités existant en dehors de l’âme.

3. Celui qui use bien des grandes choses peut encore davantage user bien des petites. Donc le magnanime aspire à de grands honneurs parce qu’il en est digne, ou bien en les jugeant inférieurs à ceux dont il est digne, parce que la vertu ne peut être honorée pleinement par l’homme : c’est Dieu qui doit l’honorer. Et c’est pourquoi il ne se laisse pas enivrer par de grands honneurs, parce qu’il ne les estime pas supérieurs à lui, il les méprise plutôt. Et plus encore les honneurs mesurés et petits. Pareillement, il n’est pas abattu par les affronts, mais il les méprise comme indignes de lui.

 

            Article 3 — La magnanimité est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non, car toute vertu morale se situe dans un juste milieu. Or la magnanimité ne se situe pas dans un milieu, mais dans un maximum, parce qu’elle " s’honore de ce qu’il y a de plus grand ", dit Aristote.

2. Qui a une vertu les a toutes, on l’a vu précédemment. Mais on peut avoir une vertu sans avoir la magnanimité, car, dit le Philosophe : " Celui qui est digne d’un honneur modeste et s’en trouve haussé est un modeste, non un magnanime. "

3. La vertu est une bonne qualité de l’âme, on l’a vu précédemment. Mais la magnanimité comporte des dispositions physiques car, dit Aristote, " le magnanime se déplace lentement, sa voix est grave, son élocution posée ".

4. Aucune vertu ne s’oppose à une autre. Mais la magnanimité s’oppose à l’humilité, car " le magnanime se juge très méritant et méprise les autres ", dit Aristote.

5. Les propriétés de toute vertu sont dignes d’éloge. Mais la magnanimité a des propriétés blâmables : l’oubli des bienfaits, l’indolence et la lenteur, l’ironie envers beaucoup, la difficulté à vivre avec les autres, l’intérêt pour les choses belles plutôt que pour les choses utiles.

En sens contraire, on lit à la louange de certains guerriers (2 M 14, 18) : " Nicanor, apprenant la valeur des compagnons de judas Maccabée, et leur grandeur d’âme dans les combats pour la patrie, etc. " Or, seules les œuvres vertueuses sont louables ; donc la magnanimité, à laquelle se rattache la grandeur d’âme, est une vertu.

Réponse :

Il ressortit à la raison de vertu humaine que dans les œuvres humaines on observe le bien de la raison, qui est le bien propre de l’homme. Or, parmi les biens humains extérieurs, les honneurs occupent la première place, nous l’avons dit. Et c’est pourquoi la magnanimité, qui établit la mesure de la raison dans les grands honneurs, est une vertu.

Solutions :

1. Comme le dit aussi Aristote, " le magnanime est à l’extrême de la grandeur " en ce qu’il tend à ce qu’il y a de plus grand ; " mais il est dans le juste milieu, puisque c’est ainsi qu’il doit être " : il tend à ce qu’il y a de plus grand, mais en obéissant à la raison. " Il s’estime à sa juste valeur " parce qu’il ne prétend pas à ce qui est trop grand pour lui.

2. La connexion des vertus ne s’entend pas de leurs actes en ce sens que chacun devrait avoir les actes de toutes les vertus. Aussi l’acte de la magnanimité ne convient-il pas à tous les hommes vertueux, mais seulement aux plus grands. C’est selon les principes des vertus - la prudence et la grâce - que toutes les vertus sont connexes, par la cœxistence de leurs habitus dans l’âme, soit en acte soit en disposition prochaine. Et ainsi, quelqu’un à qui ne convient pas l’acte de magnanimité peut en avoir l’habitus qui le dispose à accomplir un tel acte si sa situation le demandait.

3. Les mouvements corporels sont divers selon les connaissances et les affections diverses de l’âme. C’est pourquoi il arrive que la magnanimité produise certains accidents déterminés concernant les mouvements du corps. En effet, la rapidité provient de ce qu’on recherche mille choses qu’on a hâte d’accomplir ; mais le magnanime ne recherche que les grandes choses, qui sont peu nombreuses et qui demandent une grande attention ; c’est pourquoi ses mouvements sont lents. Pareillement le ton élevé de la voix et la rapidité de la parole conviennent surtout à ceux qui sont prêts à discuter à propos de tout ; cela n’appartient pas aux magnanimes, qui ne s’occupent que des grandes choses. Et de même que ces allures corporelles conviennent aux magnanimes selon leurs sentiments, elles se trouvent par nature chez ceux qui par nature sont disposés à la magnanimité.

4. On trouve chez l’homme de la grandeur, qui est un don de Dieu, et une insuffisance, qui lui vient de la faiblesse de sa nature. Donc la magnanimité permet à l’homme de voir sa dignité en considérant les dons qu’il tient de Dieu. Et s’il a une grande vertu elle le fera tendre aux œuvres de perfection. Et il en est de même de tout autre bien, comme la science ou la fortune. Mais l’humilité engage l’homme à se juger peu de chose en considérant son insuffisance propre.

Pareillement, la magnanimité méprise les autres selon qu’ils ne répondent pas aux dons de Dieu, car elle ne les estime pas assez pour leur donner une estime déplacée. Mais l’humilité honore les autres et les estime supérieurs en tant qu’elle découvre en eux quelque chose des dons de Dieu. Ce qui fait dire au Psaume (15, 4) en parlant de l’homme juste : " A ses yeux le méchant est réduit à rien ", ce qui correspond au mépris du magnanime. " Mais il glorifie ceux qui craignent le Seigneur ", ce qui correspond à l’honneur rendu par l’humble.

Aussi est-il clair que la magnanimité et l’humilité ne se contredisent pas, bien qu’elles paraissent agir en sens contraire, parce qu’elles se placent à des points de vue différents.

5. Ces propriétés rattachées à la magnanimité ne sont pas blâmables mais suréminemment louables. Tout d’abord, que le magnanime ne se rappelle pas ceux dont il a reçu des bienfaits, cela doit s’entendre en ce sens qu’il n’éprouve pas de plaisir à recevoir des bienfaits s’il ne peut y répondre par de plus grands. Ce qui est la reconnaissance parfaite, qu’il veut exercer, comme les autres vertus, par un acte suréminent.

On dit ensuite qu’il est plein d’indolence et de lenteur, non parce qu’il n’agit pas selon son devoir, mais parce qu’il ne se mêle pas de toutes sortes d’affaires, mais seulement des grandes, qui lui conviennent.

On dit encore qu’il emploie l’ironie ; ce n’est pas par manque de sincérité, en ce qu’il s’attribuerait faussement des actions basses, ou qu’il nierait des actions nobles qu’il a faites ; c’est parce qu’il ne montre pas toute sa grandeur, surtout à la foule de ses inférieurs ; parce que, dit encore Aristote au même endroit, il revient au magnanime " d’être grand à l’égard de ceux qui possèdent les honneurs et les biens de la fortune mais modéré avec les gens de condition moyenne ".

On dit encore " qu’il ne peut vivre avec les autres " familièrement, " si ce ne sont des amis ", parce qu’il évite absolument l’adulation et l’hypocrisie qui sont le fait d’âmes mesquines. Mais il vit avec tout le monde, grands et petits, comme il convient, nous l’avons dit.

On dit enfin qu’il préfère les choses belles : non n’importe lesquelles, mais celles qui sont bonnes d’un bien honnête. Car en toute chose il fait passer l’honnêteté avant l’utilité, parce que plus noble. En effet, on recherche l’utile pour remédier à une insuffisance, ce qui est contraire à la magnanimité.

 

            Article 4 — La magnanimité est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il semble que non, car aucune vertu spéciale n’opère dans toutes les vertus. Mais le Philosophe affirme : " Appartient au magnanime tout ce qui est grand dans chaque vertu. "

2. On n’attribue à aucune vertu des actes émanant de vertus diverses. Mais on attribue au magnanime des actes de vertus diverses. Aristote dit en effet qu’il appartient au magnanime " de ne pas fuir celui qui vous sermonne " : c’est prudence ; " de ne pas commettre d’injustice " : c’est justice ; " d’être prompt à faire le bien ", c’est charité, et " de donner sans attendre ", ce qui est libéralité, " d’être véridique ", ce qui est vérité, et " de ne pas être plaintif ", c’est la patience.

3. Toute vertu est un ornement spécial de l’âme selon Isaïe (61, 10) : " Le Seigneur m’a revêtu des ornements du salut. " Et il ajoute aussitôt " comme une épouse parée de ses joyaux ". Mais " la magnanimité est l’ornement de toutes les vertus ", dit Aristote. Donc la magnanimité est une vertu générale.

En sens contraire, le Philosophe la distingue des autres vertus.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut il appartient à une vertu spéciale d’établir la mesure de la raison dans une matière déterminée. Pour la magnanimité, ce sont les honneurs, nous l’avons dit. Or l’honneur, considéré en lui-même, est un bien spécial. Et ainsi la magnanimité considérée en elle-même est une vertu spéciale. Mais parce que l’honneur est la récompense de toute vertu, nous l’avons montré par voie de conséquence, en raison de sa matière, elle est en relation avec toutes les vertus.

Solutions :

1. La magnanimité ne concerne pas un honneur quelconque, mais un grand honneur. De même que l’honneur est dû à la vertu, un grand honneur est dû à une grande œuvre de vertu. De là vient que le magnanime veut faire de grandes choses en toute vertu, du fait qu’il tend à ce qui mérite un grand honneur.

2. Parce que le magnanime tend aux grandes choses, il s’ensuit qu’il tend surtout à celles qui impliquent une certaine supériorité, et fuit ce qui relève d’une insuffisance. Or c’est une supériorité de faire le bien, de le répandre, et de le rendre avec usure. C’est pourquoi le magnanime s’y porte volontiers, en tant que tout cela présente une raison de supériorité, mais selon une autre raison que dans les actes des autres vertus. Ce qui relève d’une insuffisance, c’est qu’on attache tant d’importance à des biens ou à des maux extérieurs que l’on s’abaisse pour eux en s’écartant de la justice ou de n’importe quelle vertu. Pareillement, c’est pécher par insuffisance que de cacher la vérité, parce que cela paraît un effet de la peur. Que l’on soit plaintif, c’est un signe d’insuffisance, car cela montre que le cœur se laisse abattre par des maux extérieurs. C’est ainsi que le magnanime évite tout cela selon une raison spéciale, en tant que c’est contraire à la supériorité ou à la grandeur.

3. Toute vertu a un éclat ou un ornement spécifique propre à chacune. Mais il s’y ajoute une autre splendeur à cause de la grandeur de l’œuvre vertueuse procurée par la magnanimité, qui " grandit toutes les vertus ", selon Aristote.

 

            Article 5 — La magnanimité est-elle une partie de la force ?

Objections :

1. Il ne paraît pas, car on n’est pas une partie de soi-même. Mais la magnanimité paraît être identique à la force. Sénèque dit en effet : " La magnanimité, qu’on appelle aussi la force, te fera vivre dans une grande confiance, si elle est dans ton cœur. " Et Cicéron : " Les hommes forts, nous les voulons magnanimes, amis de la vérité, indemnes de mensonge. "

2. Aristote dit : " Le magnanime n’aime pas le danger. " Or il appartient à l’homme fort de s’exposer au danger. Donc la magnanimité n’a rien à voir avec la force, pour qu’on en fasse une de ses parties.

3. La magnanimité vise la grandeur dans les biens qu’il faut espérer ; la force vise la grandeur dans les maux qu’il faut craindre ou affronter. Mais le bien est davantage un principe que le mal. Donc la magnanimité est une vertu plus primordiale que la force, et elle n’en fait donc pas partie.

En sens contraire, Macrobe et Andronicus font de la magnanimité une partie de la force.

Réponse :

Comme nous l’avons dit précédemment une vertu principale est celle à laquelle il revient d’établir un mode général de vertu dans une matière principale. Or, parmi les modes généraux de la vertu, il y a la fermeté d’âme, car " tenir ferme " est requis en toute vertu. Cependant on loue surtout cette fermeté dans les vertus qui tendent à quelque chose d’ardu, où il est difficile de rester ferme. Et c’est pourquoi plus il est difficile de rester ferme dans un devoir ardu, plus la vertu qui procure à l’âme cette fermeté, est primordiale. Or il est plus difficile de rester ferme dans les dangers mortels où ce qui confirme l’âme est la force, que dans l’espoir de la conquête des plus grands biens, pour lesquels l’âme est confirmée par la magnanimité. Car de même que l’homme aime au maximum sa propre vie, il fuit au maximum les dangers de mort. Ainsi est-il clair que la magnanimité rejoint la force eh tant qu’elle fortifie l’âme pour quelque chose d’ardu. Mais elle s’en éloigne en ce qu’elle fortifie l’âme dans un domaine où il est plus facile de rester ferme. Aussi la magnanimité fait-elle partie de la force parce qu’elle s’y adjoint comme une vertu secondaire à la principale.

Solutions :

1. Comme dit Aristote, " l’absence d’un mal a raison de bien ". Aussi, ne pas être vaincu par un mal grave comme un danger de mort, ce qui regarde la force, équivaut en somme à l’acquisition d’un grand bien, ce qui regarde la magnanimité. Et ainsi peut-il y avoir équivalence entre ces deux vertus. Mais parce que la raison de difficulté est différente dans les deux cas, à parler rigoureusement, le Philosophe voit dans la magnanimité une vertu différente de la force.

2. On appelle amateur de danger celui qui s’expose indifféremment au danger. C’est le fait de celui qui estime grandes beaucoup de choses indifféremment, contrairement à la raison de magnanimité, car nul ne paraît s’exposer au danger sinon pour un motif jugé important. Mais pour des motifs vraiment importants le magnanime s’expose très volontiers au danger, parce qu’il agit grandement dans la vertu de force, comme pour les actes des autres vertus. C’est pourquoi le Philosophe dit au même endroit que " le magnanime ne s’expose pas pour de petites choses, mais pour les grandes ". Et Sénèque : " Tu seras magnanime si tu ne cherches pas les dangers comme le téméraire, si tu ne les redoutes pas comme le timide. Car une seule chose doit intimider l’âme : la conscience d’une vie coupable. "

3. Il faut fuir le mal en tant que tel ; qu’il faille y résister, c’est par accident, dans la mesure où il faut supporter le mal pour sauvegarder le bien. Mais le bien, de soi, est désirable, et qu’on le fuie ne peut venir que par accident, en tant qu’on le juge au-dessus des capacités de celui qui le désire. Or ce qui est par soi est toujours plus important que ce qui est par accident. C’est pourquoi un mal ardu contredit la raison plus qu’un bien ardu. Et c’est pourquoi la vertu de force est plus primordiale que la magnanimité ; le bien a beau être absolument plus primordial que le mal, le mal est plus primordial sous ce rapport.

 

            Article 6 — Quels sont les rapports de la magnanimité avec la confiance ?

Objections :

1. Il semble que la confiance n’ait rien à voir avec la magnanimité. En effet, on peu avoir confiance non seulement en soi, mais en un autre, selon S. Paul (2 Co 3, 4) : " Nous avons une telle confiance par Jésus Christ auprès de Dieu. Ce n’est pas que de nous-même nous soyons capables de revendiquer quoi que ce soit comme venant de nous. " Donc la confiance ne se rattache pas à la magnanimité.

2. La confiance parent opposée à la crainte selon cette parole d’Isaïe (12, 2) : " J’agirai avec confiance, je ne craindrai pas. " Mais n’avoir pas de crainte se rattache davantage à la force. Donc la confiance se rattache à celle-ci plus qu’à la magnanimité.

3. On ne doit de récompense qu’à la vertu. Mais la confiance mérite la récompense, car on lit dans l’épître aux Hébreux (3, 6) : " La maison du Christ, c’est nous, pourvu que nous gardions jusqu’à la fin la confiance et la gloire de l’espérance. " La confiance est donc une vertu distincte de la magnanimité. On le voit aussi du fait que Macrobe l’en sépare dans son énumérations.

En sens contraire, Cicéron semble mettre la confiance à la place de la magnanimité, nous l’avons dit plus haut.

Réponse :

Le mot de confiance (fiducia) semble venir du mot foi (fides). Or il revient à la foi de croire quelque chose et de croire quelqu’un. Et la confiance se rattache à l’espérance selon ce texte de Job (11, 18) : " Sois confiant, car il y a de l’espoir. " C’est pourquoi le mot de confiance semble signifier, au principe, que l’on conçoive de l’espoir parce que l’on croit les paroles de celui qui nous promet du secours. Mais parce que la foi désigne aussi une opinion convaincue, il arrive qu’on ait une forte conviction et donc de l’espoir non seulement à cause de ce qu’un autre a dit, mais aussi à cause de ce que nous observons en lui ; parfois en lui-même : ainsi en se voyant en bonne santé on a confiance de vivre longtemps ; parfois en autrui : ainsi en considérant que quelqu’un est notre ami et qu’il est puissant, nous avons confiance d’être aidés par lui.

On a dit plus haut que la magnanimité porte à proprement parler sur l’espoir d’un bien ardu. C’est pourquoi, parce que la confiance implique une considération qui rend convaincue l’opinion sur le bien poursuivi, il en découle que la confiance se rattache à la magnanimité.

Solutions :

1. Comme dit Aristote, il appartient au magnanime " de ne manquer de rien ", car ce serait une insuffisance ; mais cela doit se comprendre dans une mesure humaine, c’est pourquoi il ajoute : " ou presque ". Il est surhumain de ne manquer absolument de rien. Tout homme en effet a besoin d’abord du secours de Dieu, ensuite aussi du secours de l’homme, car l’homme, par nature, est un animal social du fait qu’il ne suffit pas à assurer sa vie. Donc, dans la mesure où il a besoin des autres, il appartient au magnanime d’avoir confiance en autrui, car cela contribue à l’excellence de l’homme d’avoir à sa disposition d’autres hommes qui puissent l’aider, mais dans la mesure où il peut agir par lui-même, le magnanime a confiance en lui-même.

2. Comme on l’a dit précédemment en traitant des passions, l’espérance s’oppose directement au désespoir, qui concerne le même objet, le bien ; mais selon la contrariété des objets, elle s’oppose à la crainte dont l’objet est le mal. Or la confiance implique une certaine vigueur de l’espérance ; c’est pourquoi, comme celle-ci, elle s’oppose à la crainte. Mais, parce que le propre de la force est de fortifier l’homme concernant les maux, et celui de la magnanimité de le fortifier concernant la conquête des biens, il en résulte que la confiance se rattache plus proprement à la magnanimité qu’à la force. Mais parce que l’espérance produit l’audace, qui se rattache à la force, il en résulte que la confiance, par voie de conséquence, se rattache à la force.

3. La confiance, on vient de le dire, implique une certaine espérance, elle est en effet une espérance fortifiée par une opinion solide. Mais la qualité d’un sentiment, si elle peut rendre l’acte plus louable et par là méritoire, ne détermine pas l’espèce de la vertu, qui dépend de sa matière. C’est pourquoi la confiance ne peut, à proprement parler, nommer une vertu, mais plutôt la condition de la vertu. C’est pourquoi elle est comptée parmi les parties de la force, non comme une vertu annexe (à moins d’en faire, comme Cicéron, l’équivalent de la magnanimité), mais une partie intégrante, nous l’avons déjà dit.

 

            Article 7 — Quels sont les rapports de la magnanimité avec la sécurité ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y en ait pas, car la sécurité, on l’a dit plus haut,. implique qu’on soit à l’abri du trouble créé par la crainte. Mais ceci est surtout l’œuvre de la force, à laquelle la sécurité s’identifie donc. Mais la force ne se rattache pas à la magnanimité, c’est plutôt le contraire. Donc la sécurité ne s’y rattache pas non plus.

2. Isidore estime que sécurité vient de sine cura (sans souci). Mais cela paraît contraire à la vertu, car celle-ci a souci du bien honnête, selon S. Paul (2 Tm 2, 15) : " Aie un vif souci de te présenter à Dieu comme un homme éprouvé. " Donc la sécurité ne se rattache pas à la magnanimité, qui apporte sa grandeur à toutes les vertus.

3. Vertu et récompense de la vertu ne sont pas identiques. Mais la sécurité est donnée comme récompensant la vertu en Job (11, 14.18) : " Si tu répudies le mal dont tu serais responsable, tu te coucheras en sécurité. " Donc la sécurité ne se rattache ni à la magnanimité ni à aucune autre vertu dont elle ferait partie.

En sens contraire, Cicéron dit qu’il appartient au magnanime " de ne se laisser abattre ni par son trouble intérieur, ni par l’homme, ni par la mauvaise fortune ". Or c’est en cela que consiste la sécurité. Donc celle-ci se rattache à la magnanimité.

Réponse :

Comme dit Aristote. " la crainte porte les hommes à prendre conseil ", parce qu’ils se soucient d’échapper à ce qu’ils redoutent. Or la sécurité se définit par l’éloignement de ce souci créé par la crainte. Elle implique que l’esprit soit en quelque sorte pleinement affranchi de la crainte, de même que la confiance fortifie l’espérance. De même que l’espérance se rattache directement à la magnanimité, la crainte se rattache directement à la force. Aussi, comme la confiance se rattache immédiatement à la magnanimité, la sécurité se rattache immédiatement à la force. Il faut cependant observer que l’espérance étant cause de l’audace, de même la crainte est cause de désespoir, comme nous l’avons montré en traitant des passions. Et c’est pourquoi, de même que par voie de conséquence la confiance se rattache à la force en tant qu’elle emploie l’audace, de même la sécurité, par voie de conséquence, se rattache à la magnanimité en tant qu’elle repousse le désespoir.

Solutions :

1. Si on loue la force, ce n’est pas surtout pour son absence de crainte, ce qui se rattache à la sécurité, mais pour sa fermeté en face des passions. Aussi la sécurité n’est-elle pas identique à la force : elle en est une condition.

2. Toute sécurité n’est pas louable, mais seulement celle qui met de côté tout souci quand on le doit, lorsqu’il n’y a pas à craindre. De cette façon elle est une condition de la force et de la magnanimité.

3. Il y a dans les vertus une ressemblance et une participation de la béatitude future, nous l’avons montré. Et c’est pourquoi rien n’empêche qu’une certaine sécurité soit la condition d’une vertu, bien que la sécurité parfaite appartienne à la récompense de la vertu.

 

            Article 8 — Quels sont les rapports de la magnanimité avec les biens de la fortune ?

Objections :

1. Il semble que les biens de la fortune ne contribuent en rien à la magnanimité. Car, selon Sénèque la vertu se suffit à elle-même. Mais on vient de dire que la magnanimité magnifie toutes les vertus. Donc les biens de la fortune ne lui ajoutent rien.

2. Aucun homme vertueux ne méprise ce qui lui est utile. Mais le magnanime méprise ce qui se rattache à la fortune matérielle car, selon Cicéron " une grande âme se signale par son mépris des biens extérieurs ". Donc la magnanimité n’est pas aidée par les biens de la fortune.

3. Au même endroit Cicéron ajoute qu’il appartient au magnanime " de supporter des épreuves cruelles sans déchoir de sa nature d’homme, ni de sa dignité de sage ". Et Aristote dit que " le magnanime, dans les coups du sort, n’est pas triste ". Mais les épreuves cruelles et les coups du sort s’opposent aux biens de la fortune, et chacun s’attriste de perdre ce qui l’aide à vivre. Donc les biens extérieurs ne contribuent pas à la magnanimité.

En sens contraire, Aristote affirme : " Les biens de la fortune semblent bien y contribuer. "

Réponse :

Comme nous l’avons montré plus haut, la magnanimité a un double objectif : l’honneur, qui est sa matière, et l’accomplissement d’une grande action qui est sa fin. Or les biens de la fortune contribuent à tous deux. En effet, l’honneur n’est pas reconnu seulement par les sages, mais aussi par la foule, qui apprécie au maximum les biens extérieurs de la fortune ; il en résulte que leurs possesseurs jouissent d’un plus grand honneur. Pareillement, les biens de la fortune se subordonnent aux actes vertueux comme des instruments, car la richesse, les pouvoirs et les amis nous donnent la faculté d’agir. Il est donc évident que les biens de la fortune favorisent la magnanimité.

Solutions :

1. On dit que la vertu se suffit à elle-même parce qu’elle peut exister même sans ces biens extérieurs. Elle en a cependant besoin pour agir à son aise.

2. Le magnanime méprise les biens extérieurs en tant qu’il ne les estime pas comme de grands biens pour lesquels il devrait s’abaisser. Cependant il ne les méprise pas au point de ne pas estimer qu’ils sont utiles pour faire œuvre de vertu.

3. Celui qui ne juge pas quelque chose comme grand, ne se réjouit pas beaucoup s’il l’obtient, et ne s’agite pas beaucoup s’il le perd. Aussi, parce que le magnanime n’estime pas comme grands les biens de la fortune, il s’ensuit qu’il ne s’enorgueillit pas beaucoup s’il les a, et ne se laisse pas abattre s’il les perd.

LES VICES OPPOSÉS A LA MAGNANIMITÉ

On étudiera d’abord les vices opposés à la magnanimité par excès : la présomption (Q. 130), l’ambition (Q. 131) et la vaine gloire (Q. 132) ; puis la pusillanimité (Q. 133), qui lui est opposée par défaut.

 

 

QUESTION 130 — LA PRÉSOMPTION

1. Est-elle un péché ? - 2. S’oppose-t-elle par excès à la magnanimité ?

 

            Article 1 — La présomption est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non. Car l’Apôtre écrit (Ph 3, 13) : " Oubliant ce qui est derrière moi, je vais droit de l’avant... vers le prix à recevoir là-haut... " Mais c’est de la présomption que de tendre vers ce qui nous dépasse. Donc la présomption n’est pas un péché.

2. Pour Aristote " il ne faut pas croire ceux qui veulent nous persuader de ne songer qu’à l’homme, et puisque nous sommes mortels, aux choses mortelles, mais autant qu’on le peut il faut rechercher l’immortalité ". Et il dit ailleurs que l’homme doit s’élever au divin autant qu’il le peut. Mais les réalités divines et immortelles sont bien les plus supérieures à l’homme. Donc, puisque il est essentiel à la présomption de tendre à ce qui nous dépasse, il apparaît que la présomption n’est pas péché, mais plutôt quelque chose de louable.

3. Selon S. Paul (2 Co 3, 5) : " Ce n’est pas que de nous-mêmes nous soyons capables de penser à quelque chose comme venant de nous. " Donc, si la présomption est un péché en nous faisant rechercher quelque chose qui nous dépasse, il apparaît que l’homme n’aura plus le droit de penser à quelque chose de bien. Ce qui est inadmissible.

En sens contraire, l’Ecclésiastique (37, 3 Vg) demande : " Ô présomption perverse, par qui as-tu été créée ? " Et la Glose répond : " Par la mauvaise volonté de la créature. " Mais tout ce qui a sa racine dans la mauvaise volonté, est péché. Donc la présomption est péché.

Réponse :

Puisque ce qui est conforme à la nature a été organisé par le plan divin, que la raison humaine doit suivre, tout ce qui est fait par la raison humaine contre l’ordre habituel qu’on découvre dans la nature, est vicieux et coupable. Or on découvre habituellement dans tous les êtres de nature que toute action se proportionne à la vertu de son agent, et qu’aucun agent naturel n’essaie d’aller au-delà de sa capacité. C’est pourquoi il est vicieux et coupable, comme s’opposant à l’ordre de la nature, qu’un être cherche à faire ce qui dépasse sa vertu. On rejoint ainsi la raison de présomption, comme le mot même l’indique. Il est donc évident que la présomption est un péché.

Solutions :

1. Rien n’empêche que quelque chose dépasse la puissance active d’un être naturel, sans dépasser sa puissance passive. En effet, il y a dans l’air une puissance passive d’être transmué en une matière qui ait l’action et le mouvement du feu, ce qui dépasse la puissance active de l’air. Ainsi, il serait vicieux et présomptueux qu’un homme en état de vertu imparfaite s’évertue à obtenir aussitôt une vertu parfaite ; mais si l’on tend à progresser vers la perfection de la vertu, ce n’est ni présomptueux ni vicieux. Et c’est ainsi que l’Apôtre s’élançait vers l’avant, par un progrès continu.

2. Selon l’ordre de la nature, les réalités divines et immortelles dépassent l’homme ; celui-ci a cependant une puissance naturelle, l’intelligence, par laquelle il peut s’unir à ces réalités. C’est en ce sens que, d’après le Philosophe, l’homme doit s’élever au divin, non pour faire ce qui convient à Dieu, mais pour s’unir à lui par l’intelligence et la volonté.

3. Comme dit Aristote : " Ce que nous pouvons faire par les autres, nous le pouvons en quelque sorte par nous-mêmes. " C’est pourquoi, puisque nous pouvons concevoir et réaliser le bien avec l’aide de Dieu, cela ne dépasse pas totalement notre capacité. Il n’est donc pas présomptueux de vouloir agir vertueusement. Ce serait présomptueux si quelqu’un s’y efforçait sans mettre sa confiance dans l’aide divine.

 

            Article 2 — La présomption s’oppose-t-elle par excès à la magnanimité ?

Objections :

1. Il semble que non, car on a vu précédemment que la présomption est une espèce du péché contre le Saint-Esprit. Et celui-ci ne s’oppose pas à la magnanimité, mais à la charité. Donc la présomption ne s’oppose pas non plus à la magnanimité.

2. Il appartient à la magnanimité de se faire valoir par de grandes actions. Mais on appelle présomptueux même celui qui se fait valoir par de petites choses, du moment que cela dépasse sa capacité.

3. Le magnanime regarde comme petits les biens extérieurs. Mais selon Aristote, " les présomptueux, quand ils sont fortunés, se mettent à mépriser et à injurier les autres ", comme attachant une grande valeur aux biens extérieurs. Donc la présomption ne s’oppose pas à la magnanimité par excès, mais seulement par défaut.

En sens contraire, Aristote dit : " Au magnanime s’oppose par excès le khaunos ", c’est-à-dire l’homme bouffi de vanité, que nous appelons le présomptueux.

Réponse :

Comme nous l’avons dit la magnanimité consiste en un juste milieu, non selon la quantité de ce qu’elle recherche car c’est le maximum, mais selon la proportion à la capacité de chacun. En effet, le magnanime tend uniquement aux grandes choses qui lui conviennent. Le présomptueux ne dépasse pas le magnanime par ce qu’il recherche ; il lui serait plutôt très inférieur. Mais il pèche par excès eu égard à sa capacité, alors que le magnanime ne dépasse pas la sienne propre. Et c’est ainsi que la présomption s’oppose à la magnanimité par excès.

Solutions :

1. On ne fait pas de n’importe quelle présomption un péché contre le Saint-Esprit, mais seulement de celle qui méprise la justice de Dieu par une confiance désordonnée en sa miséricorde.

Et une telle présomption, en raison de son objet qui lui fait mépriser quelque chose de divin, s’oppose à la charité, ou plutôt au don de crainte, qui nous fait révérer Dieu. Dans la mesure où un tel mépris n’est pas proportionné à la capacité de son auteur, on peut l’opposer à la magnanimité.

2. Comme la magnanimité, la présomption semble tendre à la grandeur, car on ne qualifie guère de présomptueux celui qui dépasse ses propres forces dans une affaire de peu d’importance. Si cependant on l’appelle présomptueux, sa présomption ne s’oppose pas à la magnanimité, mais à cette vertu dont nous avons parlé h, et qui concerne les honneurs de moyenne importance.

3. Nul ne tente quelque chose qui dépasse sa capacité, sinon parce qu’il juge cette capacité plus grande qu’elle n’est. Ce peut être seulement sous l’aspect quantitatif, par exemple lorsqu’on s’attribue une vertu ou une science plus grande qu’on ne l’a. Ce peut être aussi à cause du genre de supériorité, lorsqu’on s’estime grand, et plus digne que l’on n’est, à cause de ses richesses, ou de quelque autre avantage fortuit. Comme dit Aristote, " ceux qui, sans vertu, ont de tels avantages ne peuvent justement s’attribuer de la grandeur et n’ont pas le droit d’être appelés magnanimes ".

En outre, on peut tendre, au-dessus de ses forces, à quelque chose qui en réalité est absolument grand. C’est clair chez Pierre qui voulait souffrir pour le Christ, alors que c’était au-dessus de ses forces. Parfois aussi, ce n’est pas quelque chose de vraiment grand, mais qui est tel dans l’opinion des sots, comme de porter des vêtements de prix, mépriser et injurier les autres. Cela ressortit à l’excès dans la magnanimité, non selon la réalité, mais selon l’opinion. Aussi Sénèque dit-il : " La magnanimité, si elle s’élève au-dessus de ses limites, rendra l’homme irascible, bouffi d’orgueil, agité, inquiet et impatient de rechercher toutes les supériorités, en paroles ou en actes, sans respecter la vertu. " On voit ainsi que, dans la réalité, le présomptueux s’oppose au magnanime par défaut, alors qu’en apparence il semble s’opposer à lui par excès.

 

 

QUESTION 131 — L’AMBITION

1. Est-elle un péché ? - 2. S’oppose-t-elle par excès à la magnanimité ?

 

            Article 1 — L’ambition est-elle un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car elle implique le désir d’être honoré. Or l’honneur, de soi, est quelque chose de bon, et c’est le plus grand des biens extérieurs ; aussi blâme-t-on ceux qui ne lui attachent pas d’importance. Donc l’ambition, loin d’être un péché, est quelque chose de louable, parce qu’il est louable de désirer le bien.

2. Chacun peut désirer sans péché ce qui lui est dû comme récompense. Mais " l’honneur est la récompense de la vertu ", dit Aristote. Donc ambitionner l’honneur n’est pas un péché.

3. Ce qui provoque au bien et détourne du mal n’est pas péché. Mais l’honneur provoque les hommes à faire le bien et à éviter le mal. C’est ainsi que pour Aristote " les peuples les plus braves sont ceux chez qui les lâches sont humiliés et les braves honorés ", et pour Cicéron " l’honneur nourrit les talents ". Donc l’ambition n’est pas un péché.

En sens contraire, S. Paul (1 Co 13, 5) dit que " la charité n’est pas ambitieuse, ni intéressée ". Or rien ne s’oppose à la charité sinon le péché. Donc l’ambition est un péché.

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit, l’honneur implique une certaine vénération accordée à quelqu’un pour reconnaître sa supériorité. Or, sur la supériorité de l’homme, il faut faire attention à deux points. D’abord, que l’homme ne tient pas de lui-même la cause de sa supériorité : elle est quelque chose de divin en lui. C’est pourquoi on ne doit pas honorer soi-même en premier, mais Dieu. Ensuite il faut remarquer que cette supériorité est donnée par Dieu à l’homme pour qu’il en fasse profiter les autres. Aussi la reconnaissance de sa supériorité doit lui être agréable en tant qu’elle lui permet d’aider autrui.

Donc le désir d’être honoré peut être contraire à l’ordre de trois façons. 1° On désire voir reconnaître une supériorité que l’on ne possède pas, ce qui est désirer un honneur immérité. 2° On désire l’honneur pour soi, sans le reporter sur Dieu. 3° Le désir de l’honneur se repose dans l’honneur lui-même, sans qu’on le mette au service des autres. Or l’ambition implique un désir désordonné de l’honneur. Aussi est-il évident qu’elle est toujours un péché.

Solutions :

1. Le désir du bien doit être réglé selon la raison : s’il dépasse cette règle, il sera vicieux. Il est donc vicieux de désirer l’honneur sans se régler sur la raison. Si l’on blâme ceux qui n’attachent pas d’importance à l’honneur selon ce que dicte la raison, c’est pour qu’ils évitent ce qui est contraire à l’honneur.

2. L’honneur n’est pas la récompense de la vertu pour le vertueux lui-même, en ce sens qu’il doit le rechercher en guise de récompense ; la récompense qu’il recherche c’est la béatitude, vraie fin de la vertu. L’honneur est la récompense de la vertu du côté des autres, car ils n’ont rien de plus que l’honneur pour récompenser l’homme vertueux, et cet honneur tient sa grandeur de ce qu’il rend témoignage à la vertu. Cela montre bien qu’il n’en est pas la récompense suffisante, selon Aristote.

3. Il est vrai que par le désir de l’honneur, quand ce désir est bien réglé, on est provoqué au bien et détourné du mal. De même, si ce désir est désordonné, il peut donner l’occasion de faire beaucoup de mal, si l’on ne se soucie pas de la façon d’obtenir l’honneur. Ce qui fait dire à Salluste : " La gloire, l’honneur et le commandement sont souhaités également par le brave et par le lâche ; mais le brave prend le droit chemin ; le lâche, parce que les moyens honnêtes lui manquent, s’y efforce par la tromperie et le mensonge. " Et cependant, ceux qui ne font le bien et n’évitent le mal que pour l’honneur, ne sont pas vertueux pour Aristote. Il dit que ceux qui n’accomplissent des actes de bravoure que pour l’honneur ne sont pas de vrais braves.

 

            Article 2 — L’ambition s’oppose-t-elle par excès à la magnanimité ?

Objections :

1. Il semble que non. Car à un juste milieu ne s’oppose, d’un côté, qu’un seul extrême. Or on a vu que la présomption s’oppose par excès à la magnanimités. Donc l’ambition ne peut pas s’opposer à elle également par excès.

2. La magnanimité concerne les honneurs. Mais l’ambition vise les dignités. Car il est écrit (2 M 4, 7) : " Jason ambitionnait le pontificat. " Donc l’ambition ne s’oppose pas à la magnanimité.

3. L’ambition semble se rattacher à l’apparat extérieur. Il est écrit en effet (Ac 25, 23) qu’Agrippa et Bérénice entrèrent au prétoire " en grande pompe " (Vulgate : cum multa ambitions) et que sur le cadavre du roi Asa (2 Ch 16, 14) on brûla des aromates et des parfums " avec magnificence " (Vulgate : ambitions nimia). Mais la magnanimité ne se rattache pas à l’apparat extérieur. Donc l’ambition ne s’oppose pas à elle.

En sens contraire, Cicéron dit : " Dès qu’un homme se sent supérieur par quelque grandeur d’âme, il veut avant tout être seul le premier de tous. " Donc l’ambition se rattache à un excès de magnanimité.

Réponse :

Comme on l’a dit à l’article précédent, l’ambition implique un amour désordonné des honneurs. Or la magnanimité concerne bien les honneurs, mais elle en use comme il faut. Ainsi est-il évident que l’ambition s’oppose à la magnanimité comme ce qui est déréglé à ce qui est réglé.

Solutions :

1. La magnanimité vise deux fins. L’une est la fin queue recherche : c’est une grande œuvre que le magnanime entreprend selon sa capacité. Et à cet égard la présomption s’oppose par excès à la magnanimité, car la présomption entreprend une grande œuvre qui dépasse sa capacité. D’autre part la magnanimité vise la matière qu’elle emploie de la façon requise, et qui est l’honneur. Et à cet égard c’est l’ambition qui s’oppose par excès à la magnanimité. Or, il n’est pas contradictoire qu’à des points de vue différents il y ait plusieurs extrêmes pour un seul juste milieu.

2. Ceux qui sont constitués en dignité, à cause de la supériorité de leur position, ont droit à être honorés. Et à cet égard, l’appétit désordonné des dignités ressortit à l’ambition. Car si quelqu’un désirait de façon déréglée une dignité non pour être honoré, mais pour un exercice de cette dignité qui dépasserait sa capacité, il ne serait pas ambitieux, mais présomptueux.

3. Le faste extérieur lui-même se rattache à l’honneur, aussi est-il habituel de rendre honneur à ceux qui le déploient. Tel est le sens de Jacques (2, 2) : " S’il entre dans votre assemblée un homme à bague d’or, au costume resplendissant, et que vous lui disiez : "Toi, assieds-toi là," etc. " Aussi l’ambition ne concerne-t-elle pas le faste extérieur, sinon ce qui ressortit à l’honneur.

 

 

QUESTION 132 — LA VAINE GLOIRE

1. Le désir de la gloire est-il un péché ? - 2. S’oppose-t-il à la magnanimité ? - 3. Est-il

péché mortel ? - 4. Est-il un vice capital ? - 5. Ses filles.

 

            Article 1 — Le désir de la gloire est-il un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car on ne pèche jamais en imitant Dieu, au contraire c’est recommandé (Ep 5, 1) : " Soyez les imitateurs de Dieu, comme des enfants très chers. " Mais l’homme qui recherche la gloire semble bien imiter Dieu, qui cherche sa gloire chez les hommes selon Isaïe (43, 7) : " Ramène mes fils de loin, et mes filles du bout de la terre ; tous ceux qui invoquent mon nom, je les ai créés pour ma gloire. " Donc le désir de la gloire n’est pas un péché.

2. Ce qui provoque au bien ne peut être un péché. Or le désir de la gloire provoque au bien, car Cicéron déclare : " La gloire pousse les hommes au zèle. " Même dans la Sainte Écriture, la gloire est promise aux bonnes œuvres (Rm 2, 7) : " A ceux qui par la constance dans le bien recherchent gloire et honneur... "

3. Cicéron définit ainsi la gloire : " La renommée élogieuse de quelqu’un ", ce qui rejoint la définition de S. Ambroise : " une réputation brillante et élogieuse ". Mais désirer une réputation élogieuse n’est pas un péché, selon ces paroles de l’Ecclésiastique (41, 15 Vg) : " Prends soin de ton bon renom " et de S. Paul (Rm 12, 17 Vg) : " Ayez à cœur ce qui est bien non seulement devant Dieu, mais aussi devant tous les hommes. " En sens contraire, S. Augustin affirme : " Il voit plus juste, celui qui reconnaît un vice dans l’amour de l’éloge. "

Réponse :

La gloire signifie un certain éclat. Recevoir de la gloire, c’est recevoir de l’éclat, dit S. Augustine. Or l’éclat a une beauté qui frappe les regards. C’est pourquoi le mot de gloire implique la manifestation de quelque chose que les hommes jugent beau, qu’il s’agisse d’un bien corporel ou spirituel. Mais parce que ce qui est absolument éclatant peut être vu par la foule, et même de loin, le mot de gloire signale précisément que le bien de quelqu’un parvient à la connaissance et à l’approbation de tous, comme dit Salluste : " La gloire ne se limite pas à un individu. " Mais en prenant le mot de gloire au sens large, cela ne consiste pas seulement dans la connaissance d’une foule, mais aussi d’un petit nombre, ou même de soi seul, lorsque l’on considère son propre bien comme digne d’éloge.

Que l’on connaisse et approuve son propre bien, ce n’est pas un péché. S. Paul dit en effet (1 Co 2, 12) : " Nous n’avons pas reçu, nous, l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits. " Pareillement, ce n’est pas un péché de vouloir que ses bonnes œuvres soient approuvées par les autres, car on lit en S. Matthieu (5, 16) : " Que votre lumière brille devant les hommes. " C’est pourquoi le désir de la gloire, de soi, ne désigne rien de vicieux.

Mais l’appétit de la gloire vaine ou vide implique un vice, car désirer quelque chose de vain est vicieux, selon le Psaume (4, 3) : " Pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge ? " Or la gloire peut être appelée vaine pour trois motifs. 1° Du côté de la réalité dont on veut tirer de la gloire, lorsqu’on la demande à ce qui n’existe pas, ou à ce qui n’est pas digne de gloire, comme une réalité fragile et caduque. 2° Du côté de celui auprès de qui on recherche la gloire, comme l’homme dont le jugement est flottant. 3° Du côté de celui qui recherche la gloire, s’il ne rapporte pas l’appétit de sa gloire à la fin requise : l’honneur de Dieu ou le salut du prochain.

Solutions :

1. Sur ce texte de S. Jean (13, 13) " Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien ", S. Augustin remarque : " Il est dangereux de se complaire en soi, quand on doit se garder de l’orgueil. Mais celui qui est au-dessus de tout, quelques louanges qu’il se donne, ne s’enorgueillit pas. Car c’est à nous de connaître Dieu, non à lui ; et personne ne le connaît si lui, qui se connaît, ne se révèle pas. " Aussi est-il clair q ne Dieu ne cherche pas sa gloire pour lui, mais pour nous. Et pareillement l’homme lui-même peut louablement désirer sa propre gloire pour le service des autres, comme il est dit (Mt 5, 16) : " Pour qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est aux cieux. "

2. La gloire qu’on tient de Dieu n’est pas vaine, mais vraie. Et une telle gloire est promise en récompense pour les bonnes œuvres. C’est d’elle que parle S. Paul (2 Co 10, 17) : " Celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur. Ce n’est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé ; c’est celui que le Seigneur recommande. " Certains sont provoqués à l’action vertueuse par l’appétit de la gloire humaine, ou même par l’appétit d’autres biens ; mais celui qui agit vertueusement pour la gloire humaine n’est Pas vraiment vertueux, comme le montre S. Augustin.

3. La perfection de l’homme exige que l’homme connaisse, mais qu’il soit connu par les autres n’a rien à voir avec sa perfection et par conséquent n’a pas à être désiré pour soi-même. Cela peut cependant être désiré en tant que c’est utile à quelque chose : à ce que Dieu soit glorifié par les hommes, ou à ce que les hommes progressent par le bien qu’ils découvrent chez autrui ; ou à ce que l’homme lui-même, par les biens qu’il découvre en lui par le témoignage de louange qu’on lui donne, s’efforce d’y persévérer et de progresser encore. De cette façon il est louable de prendre garde à son bon renom, et de se faire bien voir de Dieu et des hommes, mais non à ce qu’on se délecte vainement dans l’éloge des hommes.

 

            Article 2 — Le désir de la gloire s’oppose-t-il à la magnanimité ?

Objections :

1. Il semble que non, car il appartient à la vaine gloire, on vient de le dire, de se glorifier de ce qui n’existe pas, ce qui se rattache à la fausseté ; ou de réalités terrestres ou caduques, ce qui se rattache à la cupidité ; ou du témoignage des hommes qui est flottant, ce qui se rattache à l’imprudence. Mais tous ces vices ne s’opposent pas à la magnanimité. Donc la vaine gloire non plus.

2. La vaine gloire ne s’oppose pas à la magnanimité par défaut, comme la pusillanimité, qui paraît s’opposer à la vaine gloire. Ni pareillement par excès, car c’est ainsi, on l’a dit, que s’opposent à la magnanimité la présomption et l’ambition, dont diffère la vaine gloire. Donc celle-ci ne s’oppose pas à la magnanimité.

3. Sur ce texte (Ph 2, 3) : " N’accordez rien à l’esprit de dispute, rien à la vaine gloire ", la Glose explique : " Il y avait parmi eux des gens divisés, inquiets, se disputant par vaine gloire. " Or la dispute ne s’oppose pas à la magnanimité, donc la vaine gloire non plus.

En sens contraire, Cicéron écrit " Il faut éviter le désir de la gloire, car il enlève la liberté de l’âme pour laquelle les magnanimes doivent lutter de toutes leurs forces. " Donc elle s’oppose à la magnanimité.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut la gloire est un effet de l’honneur et de la louange ; car du fait que quelqu’un est loué et qu’on lui montre du respect, on le fait briller dans la connaissance des autres. Et parce que la magnanimité, comme on l’a vu plus haut, concerne les honneurs, il s’ensuit qu’elle concerne aussi la gloire, et puisqu’elle use modérément des honneurs, elle doit aussi user modérément de la gloire. Et c’est pourquoi l’appétit désordonné de la gloire s’oppose directement à la magnanimité.

Solutions :

1. Cela même est contraire à la grandeur d’âme, d’attacher tant de prix à de petites choses qu’on s’en glorifie. Aussi Aristote dit-il du magnanime : " Pour lui les honneurs sont peu de chose. " Pareillement il estime peu ce que l’on recherche pour être honoré, comme la puissance et la richesse. Pareillement encore, il est contraire à la grandeur d’âme de se glorifier de qualités inexistantes. Aussi Aristote dit-il du magnanime : " Il se soucie de la vérité plus que de l’opinion. " Pareillement encore, il est contraire à la grandeur d’âme de se glorifier du témoignage de la louange humaine, comme si on l’estimait d’un grand prix. Aussi Aristote dit-il encore du magnanime : " Il ne se soucie pas d’être loué. " Et ainsi rien n’empêche que s’oppose à la magnanimité ce qui s’oppose à d’autres vertus, dans la mesure où est surestimé ce qui est de peu de valeur.

2. Celui qui désire la vaine gloire sans mensonge est en deçà du magnanime parce qu’il se glorifie d’avantages que le magnanime estime peu, on vient de le dire. Mais si l’on tient compte de son estimation, il s’oppose au magnanime par excès, parce qu’il considère la gloire qu’il recherche comme quelque chose de grand, et qu’il la recherche plus qu’il n’en est digne.

3. Comme nous l’avons dit plus haut, l’opposition entre les vices ne tient pas compte de leurs effets. Cependant il y a opposition à la grandeur d’âme du seul fait qu’on veut disputer ; car personne ne cherche à disputer sinon pour une chose qu’il juge grande. Aussi le Philosophe dit-il : " Le magnanime n’est pas disputeur, car rien ne lui paraît grand. "

 

            Article 3 — Le désir de la gloire est-il péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que oui, car rien n’exclut la récompense éternelle, sinon le péché mortel. Or la vaine gloire exclut la récompense éternelle, car on lit en S. Matthieu (6, 1) : " Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour vous faire remarquer par eux, sinon vous n’aurez pas de récompense auprès de mon Père qui est dans les cieux. "

2. Quiconque prend pour soi ce qui est propre à Dieu pèche mortellement. Mais par le désir de la vaine gloire on s’attribue quelque chose qui est propre à Dieu. Car il est dit en Isaïe (42, 8) : " Ma gloire, je ne la donnerai pas à un autre. " Et dans la 1ère épître à Timothée (1, 17) " A Dieu seul honneur et gloire. "

3. Le péché qui est le plus dangereux et le plus nocif est évidemment mortel. Mais tel est le péché de vaine gloire, car sur ce texte (1 Th 2, 4) : " ... A Dieu qui éprouve nos cœurs ", la Glose dit : " Combien l’amour de la gloire humaine a la force de nuire, celui-là seul le comprend qui lui a déclaré la guerre, car s’il est facile à chacun de ne pas désirer la gloire quand elle nous est refusée, il est difficile de ne pas se délecter quand on nous l’offre. " Chrysostome dit aussi : " La vaine gloire entre à la dérobée et insensiblement enlève toutes les vertus de l’âme. "

En sens contraire, Chrysostome dit, que si les autres vices se rencontrent chez les serviteurs du démon, la vaine gloire se trouve aussi chez les serviteurs du Christ. Mais chez ceux-ci il n’y a pas de péché mortel. Donc la vaine gloire n’est pas péché mortel.

Réponse :

Comme on l’a dit précédemment’, un péché est mortel du fait qu’il s’oppose à la charité. Or le péché de vaine gloire, considéré en lui-même, ne paraît pas s’opposer à la charité quant à l’amour du prochain. Relativement à l’amour de Dieu, il peut s’opposer à la charité de deux façons. D’abord en raison de la matière dont on se glorifie, par exemple si l’on se glorifie d’une chose fausse qui s’oppose au respect dû à Dieu, selon cette parole d’Ézéchiel (28, 2) : " Ton cœur s’est enorgueilli et tu as dit : "je suis Dieu." " Et S. Paul (1 Co 4, 7) : " Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu ? " Ou encore lorsqu’on fait passer avant Dieu le bien temporel dont on se glorifie, ce qui est interdit en Jérémie (9, 23) : " Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, ni le vaillant de sa vaillance, ni le riche de ses richesses, mais qui veut se glorifier, qu’il trouve sa gloire en ceci : avoir de l’intelligence et me connaître. " Ou encore lorsqu’on fait passer le témoignage des hommes avant celui de Dieu, comme ceux qui sont condamnés en S. Jean (12,43) : " Ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu. " Ensuite le péché de vaine gloire peut s’opposer à la charité du côté du vaniteux lui-même, qui reporte son intention sur la gloire comme sur sa fin ultime, car il y ordonne toutes ses œuvres de vertu, et pour obtenir cette fin, il n’hésite pas à commettre des actions contre Dieu. Il est alors mortel. Aussi S. Augustin dit-il : " Ce vice (l’amour de la louange humaine) est si ennemi de la foi fervente, lorsque le désir de la gloire triomphe dans le cœur de la crainte ou de l’amour de Dieu, qu’il a fait dire au Seigneur (Jn 5,44) : "Comment pouvez-vous croire, vous qui attendez votre gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul ?" "

Si l’amour de la gloire humaine, bien qu’elle soit vaine, ne s’oppose pas à la charité ni quant au motif de la gloire, ni quant à l’intention de celui qui la cherche, c’est un péché non pas mortel, mais véniel.

Solutions :

1. Aucun péché ne mérite la vie éternelle. Aussi l’œuvre vertueuse perd sa puissance méritoire pour la vie éternelle si elle est faite par vaine gloire, même si celle-ci n’est pas péché mortel. Mais quand on perd purement et simplement la récompense éternelle à cause de sa vaine gloire et non relativement à un acte isolé, c’est alors que la vaine gloire est péché mortel.

2. Tout homme qui désire une vaine gloire ne désire pas pour lui cette excellence qui convient à Dieu seul. Car ce n’est pas la même gloire que l’on doit à Dieu seul, et que l’on doit à un homme vertueux ou riche.

3. La vaine gloire est dite un péché dangereux non tellement à cause de sa gravité propre, mais aussi parce qu’elle dispose à des péchés graves en tant qu’elle rend l’homme présomptueux et trop confiant en lui. Et c’est ainsi que peu à peu elle le dispose à être privé de ses richesses intérieures.

 

            Article 4 — Le désir de la gloire est-il un vice capital ?

Objections :

1. Il semble que non, car un vice qui naît d’un autre vice n’est pas capital. Mais

la vaine gloire naît toujours de l’orgueil.

2. L’honneur semble plus primordial que la gloire, qui en est le résultat. Mais l’ambition, qui est un appétit déréglé d’honneur n’est pas un vice capital. Donc le désir de vaine gloire non plus.

3. Un vice capital a une certaine primauté. Mais on ne voit pas que la vaine gloire en ait aucune ; ni quant à la raison de péché, parce qu’elle n’est pas toujours péché mortel ; ni quant à la raison de bien désirable, parce que la gloire humaine est quelque chose de fragile, et d’extérieur à l’homme.

En sens contraire, S. Grégoire met la vaine gloire au nombre des sept péchés capitaux.

Réponse :

Il y a deux façons de présenter les vices capitaux. Certains y mettent l’orgueil, et alors ils n’y mettent pas la vaine gloire. S. Grégoire, dans le texte allégué au commencement, fait de l’orgueil ou superbe la " reine de tous les vices " et il donne la vaine gloire, qui en naît directement, comme un vice capital. Et cela est raisonnable. L’orgueil en effet, comme on le dira plus loin, implique un appétit déréglé de supériorité. Or toute espèce de bien désirable est cause de perfection et de supériorité. C’est pourquoi les fins de tous les vices s’ordonnent à la fin de l’orgueil. Et à cause de cela on voit qu’il a une causalité générale sur les autres vices et ne doit pas être compté parmi ces principes spécifiques des vices que sont les vices capitaux. Or, entre les biens qui confèrent à l’homme une supériorité, le plus efficace paraît être la gloire, en ce qu’elle implique la manifestation de la bonté ; car, par nature, le bien est aimé et honoré de tous. C’est pourquoi, de même que par la gloire qui se trouve chez Dieu, on obtient une supériorité dans le domaine divin, de même par la gloire que donnent les hommes, on obtient une supériorité dans le domaine humain. Aussi, à cause de cette proximité avec la supériorité que les hommes désirent au maximum, il s’ensuit qu’elle est vivement désirable et que son désir déréglé donne naissance à plusieurs vices. C’est pourquoi la vaine gloire est un vice capital.

Solutions :

1. Qu’un vice naisse de l’orgueil ne s’oppose pas à ce qui constitue un vice capital du fait que, on vient de le dire à l’instant, l’orgueil ou superbe est " la reine et la mère de tous les vices ".

2. La louange et l’honneur, on vient de le dire, se rattachent à la gloire, comme à la cause dont celle-ci découle. Aussi la gloire se rattache à elles comme étant leur fin ; car quelqu’un aime être honoré et loué en tant qu’il estime devenir ainsi célèbre auprès des autres.

3. Pour la raison qu’on vient de dire, la vaine gloire a une primauté au titre de désirable, et cela suffit à la raison de vice capital. Il n’est pas requis que le vice capital soit toujours péché mortel, car même d’un péché véniel peut naître un péché mortel, en tant que le véniel dispose au mortel.

 

            Article 5 — Les filles de la vaine gloire

Objections :

1. Il semble inacceptable de déclarer filles de la vaine gloire : la désobéissance, la jactance, l’hypocrisie, la dispute, l’entêtement, la discorde, la manie des nouveautés.

En effet, la jactance selon S. Grégoire est une des espèces de l’orgueil. Or l’orgueil ne naît pas de la vaine gloire, mais c’est le contraire, dit S. Grégoire plus loin. Donc la jactance ne doit pas être donnée comme une fille de la vaine gloire.

2. Les disputes et les discordes proviennent surtout de la colère. Mais celle-ci est un vice capital, énuméré à côté de la vaine gloire. Les disputes et les discordes ne sont donc pas filles de celle-ci.

3. S. Chrysostome dit que " la vaine gloire est toujours un mal, mais surtout dans la philanthropie ", c’est-à-dire la miséricorde. Or cela n’est pas nouveau, c’est habituel chez l’homme. Donc la manie des nouveautés ne doit pas être donnée spécialement comme une fille de la vaine gloire.

En sens contraire, il y a l’autorité de S. Grégoire qui donne cette liste des filles de la vaine gloire.

Réponse :

Comme on l’a dit précédemment . les vices qui, de soi, ont pour fin celle d’un vice capital sont appelées ses filles. Or la fin de la vaine gloire est que l’on manifeste sa propre supériorité, nous l’avons montré plus haut. Or l’homme peut y tendre de deux façons.

1° Directement, par des paroles, et c’est la jactance ; soit par des actes : s’ils sont vrais et de nature à étonner : c’est la manie des nouveautés qui étonnent toujours ; s’ils sont faux, c’est l’hypocrisie.

2° Indirectement, on tente de manifester sa supériorité en montrant qu’on n’est pas inférieur aux autres. Et cela de quatre façons. 1. Quant à l’intelligence, et c’est l’entêtement par lequel on tient trop à son avis, sans vouloir suivre un avis meilleur. 2. Quant à la volonté, et c’est la discorde, lorsque l’on ne veut pas abandonner sa volonté propre pour s’accorder avec les autres. 3. Quant au langage, et c’est la dispute lorsque l’on querelle à grands cris. 4. Quant à l’action, et c’est la désobéissance lorsque l’on ne veut pas exécuter le précepte du supérieur.

Solutions :

1. Comme on l’a dit plus haut la jactance fait partie de l’orgueil quant à sa cause intérieure qui est l’arrogance. Quant à la jactance extérieure, selon Aristote, elle est ordonnée parfois au gain, mais plus fréquemment à la gloire et à l’honneur, et c’est ainsi qu’elle naît de la vaine gloire.

2. La colère ne cause discorde et dispute que si la vaine gloire s’y ajoute, du fait que l’on estime glorieux de ne pas céder à la volonté et aux paroles des autres.

3. On blâme la vaine gloire concernant l’aumône pour le défaut de charité que l’on voit chez celui qui fait passer la vaine gloire avant le service rendu au prochain ; en effet, il emploie celui-ci comme un moyen pour celle-là. Mais on ne le blâme pas de ce qu’il prétend faire l’aumône comme quelque chose de nouveau.

 

 

QUESTION 133 — LA PUSILLANIMITÉ

1. Est-elle un péché ? - 2. A quelle vertu s’oppose-t-elle ?

 

            Article 1 — La pusillanimité est-elle un péché ?

Objections :

1. Il semble que non, car tout péché rend mauvais, tandis que toute vertu rend bon. Mais " le pusillanime n’est pas mauvais ", dit Aristote.

2. Celui-ci dit au même endroit : " On appelle surtout pusillanime celui qui est digne de grands biens et pourtant n’en tire pas de fierté. " Mais nul n’est digne de grands biens, sinon le vertueux, car, dit encore Aristote, " seul l’homme bon mérite vraiment l’honneur ". Donc le pusillanime est vertueux et la pusillanimité n’est pas un péché.

3. Il est écrit (Si 10, 15 Vg) : " La racine de tout péché, c’est l’orgueil. " Mais la pusillanimité ne procède pas de l’orgueil, car l’orgueilleux s’élève au-dessus de lui-même, tandis que le pusillanime se dérobe aux honneurs dont il est digne.

4. Pour le Philosophe, on appelle pusillanime " celui qui s’estime moins qu’il ne vaut ". Mais parfois de saints hommes s’estiment moins qu’ils ne valent, comme Moïse et Jérémie : ils étaient dignes de la tâche que Dieu leur avait destinée et que tous deux refusaient avec humilité (voir Ex 3, 10 et Jr 1, 6).

En sens contraire, en morale il ne faut éviter que le péché. Or, il faut éviter la pusillanimité, car il est écrit (Col 3, 2 1) : " Pères, n’exaspérez pas vos enfants, pour qu’ils ne deviennent pas pusillanimes. "

Réponse :

Tout ce qui est contraire à une inclination naturelle est péché, parce que cela contrarie une loi de nature. Or toute réalité naturelle a en elle une inclination à exercer une activité proportionnée à sa puissance, comme on le voit chez tous les êtres naturels, animés ou inanimés. De même que par la présomption on excède la capacité de sa puissance en visant des buts trop grands, de même le pusillanime reste au-dessous de la capacité de sa puissance, puisqu’il refuse de viser ce qui est proportionné à celle-ci. C’est pourquoi le serviteur qui enfouit dans la terre l’argent confié par son maître et ne l’a pas fait valoir par une certaine crainte pusillanime, est puni par son maître (Mt 25, 14 et Lc 19, 12).

Solutions :

1. Aristote appelle " mauvais " ceux qui nuisent à leur prochain. En ce sens on dit que le pusillanime n’est pas mauvais parce qu’il n’inflige de nuisance à personne, sauf par accident c’est-à-dire en tant qu’il omet les actions par lesquelles il pourrait rendre service. Car S. Grégoire écrit : " Ceux qui négligent la prédication et s’abstiennent ainsi d’aider le prochain sont, en stricte justice, coupables de tout le bien qu’ils auraient pu apporter à la communauté. "

2. Rien n’empêche quelqu’un qui a un habitus vertueux de pécher, véniellement bien sûr, en gardant cet habitus ; ou mortellement, ce qui détruit l’habitus de la vertu surnaturelle. C’est pourquoi il peut arriver qu’en raison de la vertu qu’on possède on soit digne d’accomplir de grandes choses, digne d’un grand honneur ; et pourtant qu’en ne cherchant pas à exercer sa vertu, on pèche parfois véniellement, parfois mortellement. Ou bien l’on peut dire que le pusillanime est capable de grandes choses selon la disposition à la vertu qui est en lui, soit par un bon tempérament, soit par la science, soit par les avantages extérieurs, mais il est rendu pusillanime parce qu’il refuse de mettre tout cela au service de la vertu.

3. Même la pusillanimité peut, d’une certaine manière, naître de l’orgueil, du fait qu’on s’appuie à l’excès sur son propre sentiment, qui fait juger qu’on est incapable à l’égard d’actions pour lesquelles on a tout ce qu’il faut. Ainsi lit-on dans les Proverbes (26, 16) : " Le paresseux est plus sage à ses yeux que sept hommes qui répondent judicieusement. " Car rien n’empêche que l’on se rabaisse pour certaines choses et qu’on s’élève à l’excès pour d’autres. Aussi S. Grégoire écrit-il au sujet de Moïse : " Il serait orgueilleux s’il recevait sans trembler la charge de guider ce peuple ; et il serait orgueilleux aussi s’il refusait d’obéir à l’ordre du Seigneur. "

4. Moïse et Jérémie étaient dignes de la fonction pour laquelle Dieu les choisissait par sa grâce. Mais en considérant leur propre faiblesse ils refusaient ; cependant ils ne s’obstinaient pas, pour ne pas tomber dans l’orgueil.

 

            Article 2 — A quelle vertu la pusillanimité s’oppose-t-elle ?

Objections :

1. Il semble que ce ne soit pas à la magnanimité, car le Philosophe nous dit : " Le pusillanime s’ignore lui-même ; car il désirerait les biens dont il est digne, s’il se connaissait. " Mais l’ignorance de soi-même s’oppose à la prudence, ce qui est donc le cas de la pusillanimité.

2. En Matthieu (25, 26), le Seigneur appelle " méchant et paresseux " le serviteur qui a refusé de faire fructifier son argent. Le Philosophe, lui aussi, dit que " les pusillanimes semblent paresseux ". Mais la paresse s’oppose au souci, qui est un acte de la prudence, nous l’avons vu plus haut.

3. La pusillanimité semble procéder d’une crainte désordonnée, d’où cette parole d’Isaïe (35,4) : " Dites aux pusillanimes : "Soyez forts, ne craignez pas." " Elle semble aussi procéder d’une colère désordonnée, selon S. Paul (Col 3, 21) : " Pères, n’exaspérez pas vos enfants, pour qu’ils ne deviennent pas pusillanimes. " Mais le dérèglement de la crainte s’oppose à la force, et le dérèglement de la colère à la mansuétude.

4. Le vice qui s’oppose à une vertu est d’autant plus grave qu’il en est plus dissemblable. Mais la pusillanimité est plus dissemblable de la magnanimité que ne l’est la présomption. Donc, si la pusillanimité s’opposait à la magnanimité, il s’ensuivrait qu’elle serait un péché plus grave que la présomption. Ce qui est contraire à la parole de l’Ecclésiastique (37, 3 Vg) : " Ô présomption très perverse, par qui as-tu été créée ? "

En sens contraire, pusillanimité et magnanimité diffèrent selon la grandeur et la petitesse de l’âme, comme les mots eux-mêmes le montrent. Mais grand et petit sont opposés. Donc la pusillanimité s’oppose à la magnanimité.

Réponse :

On peut considérer la pusillanimité de trois façons.

1° En elle-même. Et ainsi il est évident que, selon sa raison propre, elle s’oppose à la magnanimité, dont elle diffère selon la différence entre grandeur et petitesse sur la même matière ; car, de même que le magnanime, par grandeur d’âme, tend aux grandes choses, ainsi le pusillanime, par petitesse d’esprit, s’éloigne des grandes choses.

2° On peut considérer la pusillanimité du côté de sa cause qui, pour l’intelligence, est l’ignorance de sa propre condition et, pour l’appétit, la crainte d’être insuffisant en ce que l’on estime faussement dépasser sa capacité.

3° On peut considérer la pusillanimité du côté de son effet qui est l’éloignement de grandes choses dont on est digne. Mais comme nous l’avons dit plus haut l’opposition entre un vice et une vertu se mesure davantage selon son espèce propre que selon sa cause ou son effet. Et c’est pourquoi la pusillanimité s’oppose directement à la magnanimité.

Solutions :

1. Cet argument procède de la pusillanimité vue du côté de sa cause dans l’intellect. Cependant on ne peut dire, à proprement parler, qu’elle s’oppose à la prudence, même selon sa cause, parce qu’une telle ignorance ne procède pas de la sottise, mais plutôt de la paresse à évaluer sa capacité, selon Aristote, ou à exécuter ce que l’on a le pouvoir de faire.

2. Cet argument procède de la pusillanimité vue du côté de son effet.

3. Cet argument procède du côté de la cause. Cependant la crainte qui cause la pusillanimité n’est pas toujours la crainte de dangers mortels. Donc, de ce côté encore, il n’est pas nécessaire d’opposer la pusillanimité à la force. Quant à la colère, selon la raison de son mouvement propre, qui entraîne à la vengeance, elle ne cause pas la pusillanimité, qui abat l’esprit, mais plutôt elle exalte celui-ci. Mais elle engage à la pusillanimité en raison des causes de la colère, qui sont les injustices subies, lesquelles abattent l’esprit de la victime.

4. La pusillanimité, dans son espèce propre, est un péché plus grave que la présomption, parce qu’elle éloigne l’homme du bien, ce qui est très mal d’après Aristote. Mais la présomption est appelée " très perverse ", en raison de l’orgueil d’où elle procède.

 

 

QUESTION 134 — LA MAGNIFICENCE

1. Est-elle une vertu ? -2. Est-elle une vertu spéciale ? -3. Quelle est sa matière ? -4. Fait-elle partie de la force ?

 

            Article 1 — La magnificence est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non. Car celui qui a une seule vertu les a toutes, on l’a VU a. Mais on peut avoir les autres vertus sans la magnificence. Selon Aristote " tout libéral n’est pas magnifique ".

2. La vertu morale " se tient au milieu ", prouve le Philosophe. Mais ce n’est pas le cas de la magnificence, car elle dépasse grandement la libéralité. Or le grand s’oppose au petit comme un extrême à l’autre, le milieu étant à égale distance des deux. Ainsi la magnificence n’est pas au milieu, mais à l’un des extrêmes. Elle n’est donc pas une vertu.

3. Aucune vertu ne s’oppose à une inclination naturelle, elle la perfectionne plutôt, on l’a vu. Mais, comme dit le Philosophe " le magnifique n’est pas dépensier pour lui-même ", ce qui est contraire à l’inclination naturelle par laquelle on pourvoit avant tout à ses propres besoins.

4. Selon Aristote " l’art est la droite règle des choses à faire ". Mais la magnificence (magna facere) concerne les choses à faire, comme son nom le montre. Donc elle est un art plus qu’une vertu.

En sens contraire, la vertu humaine est une certaine participation de la vertu divine. Mais la magnificence appartient à la vertu divine, selon le Psaume (68,35) : " Dans les nuées, sa magnificence et sa vertu ! " Donc la magnificence est le nom d’une vertu.

Réponse :

Selon Aristote " on appelle vertu ce qui se rapporte au dernier degré de la puissance ", non du côté du défaut, mais du côté de l’excès, qui se définit par la grandeur. Et c’est pourquoi agir grandement, d’où est venu le mot " magnificence ", se rattache précisément à la raison de vertu. Aussi " magnificence " est-il le nom d’une vertu.

Solutions :

1. Tout libéral n’est pas magnifique en acte, parce qu’il lui manque les moyens nécessaires pour agir magnifiquement. Cependant tout libéral a l’habitus de la magnificence, soit en acte, soit en disposition prochaine, nous l’avons dit en traitant de la connexion des vertus.

2. La magnificence se situe bien à un extrême, si l’on considère ce qu’elle fait selon la quantité. Mais elle se situe au milieu, si l’on considère la règle de raison qu’elle observe sans la manquer ni la dépasser, comme on l’a dit au sujet de la magnanimités.

3. Il appartient à la magnificence d’agir grandement. Mais ce qui concerne la personne de chacun est peu de chose par rapport à ce qui convient aux choses divines et aux intérêts de la communauté. C’est pourquoi le magnifique ne vise pas en priorité ce qui concerne sa propre personne, non qu’il ne cherche pas son bien, mais celui-ci n’est pas grand. Mais s’il montre de la grandeur en ce qui le concerne, alors le magnifique l’entreprend magnifiquement, soit " pour ce qui se fait une seule fois, comme des noces ou des solennités analogues " ; soit encore des entreprises durables : c’est ainsi qu’il appartient au magnifique de se " préparer une habitation appropriée ".

4. Comme dit Aristote, " il faut à l’art une certaine vertu ", c’est-à-dire une vertu morale qui incline l’appétit à user droitement de la règle de l’art. Et cela s’applique à la magnificence, qui n’est donc pas un art, mais une vertu.

 

            Article 2 — La magnificence est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car il lui revient de faire quelque chose de grand. Mais cela peut convenir à n’importe quelle vertu, si elle est grande ; ainsi, celui qui a une grande tempérance réalise une grande œuvre de tempérance. Donc la magnificence n’est pas une vertu spéciale, mais désigne l’état parfait de toute vertu.

2. Faire quelque chose ou s’y appliquer, c’est identique. Mais s’appliquer à la grandeur se rattache à la magnanimité, on l’a dit plus haut. Donc faire quelque chose de grand appartient aussi à la magnanimité, dont la magnificence ne se distingue donc pas.

3. La magnificence se rattache à la sainteté. En effet, il est écrit de Dieu dans l’Exode (15, 11) : " Magnifique en sainteté ", et dans le Psaume (96, 6) : " Sainteté et magnificence dans son sanctuaire ". Mais la sainteté est identique à la religion, on l’a vu plus haut. Donc la magnificence apparaît identique à la religion et n’est pas une vertu spéciale, distincte des autres.

En sens contraire, le Philosophe la compte parmi les autres vertus spéciales.

Réponse :

Il revient à la magnificence de faire quelque chose de grand, comme son nom l’indique. Mais " faire " peut se prendre en deux sens : au sens propre ou au sens large. Au sens propre, " faire " signifie opérer quelque chose sur une matière extérieure, comme faire une maison. Au sens large, " faire " se dit de n’importe quelle action, soit qu’elle passe sur une matière extérieure, comme brûler et couper ; soit qu’elle demeure dans l’agent, comme penser et vouloir. Donc, si l’on prend la magnificence en tant qu’elle implique la confection d’une grande chose, en prenant " faire " au sens propre, alors la magnificence est une vertu spéciale. Car l’œuvre fabriquée est produite par l’art. Or, on peut être attentif dans son usage à une raison spéciale de bonté : que l’œuvre fabriquée par l’art soit grande, en quantité, en valeur, en dignité, ce qui est le fait de la magnificence. A ce point de vue la magnificence est une vertu spéciale.

Mais si l’on prend le mot de magnificence au sens de faire grand, en prenant " faire " au sens large, alors la magnificence n’est pas une vertu spéciale.

Solutions :

1. Il revient à toute vertu parfaite de faire quelque chose de grand dans son genre, en prenant " faire " au sens large ; mais non en le prenant au sens propre, car cela est propre à la magnificence.

2. Il appartient à la magnanimité non seulement de tendre au grand, mais encore " d’agir avec grandeur dans toutes les vertus " soit par une fabrication, soit par une action, mais de telle sorte que la magnanimité, à ce sujet, regarde seulement la raison de grandeur. Quant aux autres vertus, si elles sont parfaites, elles agissent grandement ; mais elles ne dirigent pas leur intention à titre principal vers ce qui est grand, mais vers ce qui est propre à chaque vertu, la grandeur découlant de la puissance de cette vertu. Tandis qu’il revient à la magnificence non seulement de faire quelque chose de grand, en prenant " faire " dans son sens propre, mais aussi de tendre à faire grand dans son intention. Aussi Cicéron définit-il la magnificence : " Un projet et une gestion d’affaires grandes et sublimes, dans une vaste et brillante perspective. " Le " projet " se rapporte à l’intention intérieure, la " gestion " à l’intention extérieure. Aussi faut-il que, comme la magnanimité vise quelque chose de grand en toute matière, la magnificence le vise dans une œuvre à produire.

3. La magnificence veut faire une grande œuvre. Or les œuvres faites par l’homme sont ordonnées à une fin. Mais aucune fin des œuvres humaines n’est aussi grande que l’honneur de Dieu. Ce qui fait dire au Philosophe : " Les dépenses les plus honorables sont celles qui offrent à Dieu des sacrifices, et ce sont elles que le magnifique pratique le plus. " C’est pourquoi la magnificence s’unit à la sainteté, parce que son effet s’ordonne surtout à la religion, ou sainteté.

 

            Article 3 — Quelle est la matière de la magnificence ?

Objections :

1. Il semble que ce ne soient pas les grandes dépenses. Car il n’y a pas deux vertus concernant la même matière. Or, concernant les dépenses, il y a déjà la libéralité, on l’a vu plus haut.

2. " Tout magnifique est libéral ", dit Aristote. Mais la libéralité concerne les dons plus que les dépenses. Donc la magnificence non plus ne concerne pas les dépenses, mais plutôt les dons.

3. Il revient à la magnificence de réaliser extérieurement un grand ouvrage. Mais toutes les dépenses ne servent pas à réaliser un ouvrage extérieur, même si elles sont considérables, par exemple si quelqu’un dépense beaucoup d’argent en cadeaux. Donc les dépenses ne sont pas la matière propre de la magnificence.

4. Il n’y a que les riches à pouvoir faire de grandes dépenses. Or les pauvres eux-mêmes peuvent avoir toutes les vertus, car celles-ci n’exigent pas nécessairement de la fortune, mais se suffisent à elles-mêmes, dit Sénèque.

En sens contraire, le Philosophe nous dit " La magnificence ne s’étend pas à toutes les activités d’ordre pécuniaire, comme la libéralité, mais seulement aux grandes dépenses, par où elle dépasse la libéralité en grandeur. "

Réponse :

Nous l’avons dit à l’article précédent, il revient à la magnificence de vouloir accomplir un grand ouvrage. Pour y parvenir, il faut des dépenses proportionnées, car on ne peut faire de grands ouvrages sans grandes dépenses. Aussi le Philosophe dit-il : " Le magnifique, à frais égaux, fait une œuvre plus magnifique. " Or la dépense est une perte d’argent qu’on pourrait refuser par cupidité. C’est pourquoi on peut attribuer comme matière à la magnificence et les dépenses que fait le magnifique pour réaliser un grand ouvrage ; et l’argent de ces grandes dépenses ; et l’amour de l’argent que le magnifique doit modérer, pour que ses grandes dépenses ne soient pas freinées.

Solutions :

1. Comme nous l’avons dit plus haut, les vertus qui concernent des réalités extérieures connaissent une certaine difficulté selon le genre de réalité concerné par telle vertu, et une autre difficulté venant de la grandeur de cette réalité. C’est pourquoi il faut deux vertus concernant l’argent et son usage : la libéralité qui les concerne d’une façon générale, et la magnificence qui concerne la grandeur dans l’usage de l’argent.

2. L’usage de l’argent appartient différemment au libéral et au magnifique. Car il appartient au libéral selon qu’il procède de l’amour de l’argent bien réglé. C’est pourquoi tout usage correct de l’argent, qui ne connaît pas d’obstacle grâce à la modération de l’amour qu’on a pour lui, ressortit à la libéralité ; ce sont les dons et les dépenses. Mais l’usage de l’argent revient au magnifique comme moyen pour réaliser un grand ouvrage. Et un tel usage ne peut se faire sans dépense.

3. Le magnifique aussi fait des dons et des cadeaux, selon le Philosophe ; non pas sous leur aspect de don, mais plutôt sous la raison de dépense ordonnée à la réalisation d’un grand ouvrage comme d’honorer quelqu’un, ou de faire quelque chose dont l’honneur rejaillit sur toute la cité, par exemple s’il réalise un ouvrage auquel toute la cité se dévoue.

4. L’acte principal de la vertu est le choix intérieur, que la vertu peut comporter sans qu’on ait de fortune. Et ainsi, même le pauvre peut être magnifique. Mais pour les actes extérieurs de vertu, il faut les biens de la fortune, à titre d’instruments. De cette façon, le pauvre ne peut exercer l’acte extérieur de magnificence dans ce qui est absolument grand. Mais peut-être en ce qui est grand relativement à un certain ouvrage qui, bien que petit en lui-même, peut être accompli magnifiquement, selon la mesure qu’il comporte. Car, pour Aristote, petit et grand se disent de façon relative.

 

            Article 4 — La magnificence fait-elle partie de la force ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car la magnificence a la même matière que la libéralité, on vient de le dire. Or la libéralité ne fait pas partie de la force, mais de la justice.

2. La force concerne la crainte et l’audace. Or la magnificence ne regarde nullement la crainte, mais seulement les dépenses, qui sont des activités. Donc la magnificence paraît se rattacher à la justice, qui concerne les activités, plus qu’à la force.

3. D’après le Philosophe, " le magnifique est comparable au savant ". Mais la science rejoint la prudence plus que la force.

En sens contraire, Cicéron, Macrobe et Andronicus font de la magnificence une partie de la force.

Réponse :

La magnificence, comme vertu spéciale, ne peut être une partie subjective de la force, parce qu’elle n’a pas la même matière ; mais elle en fait partie en tant qu’elle lui est annexée comme la vertu secondaire à la principale. Pour qu’une vertu soit annexée à une vertu principale, deux conditions sont requises, on l’a dit plus haut ; que la vertu secondaire ait quelque chose de commun avec la principale, et qu’elle soit dépassée par celle-ci. Or la magnificence a en commun avec la force de tendre à quelque chose d’ardu et de difficile, si bien qu’elle a son siège dans l’irascible, comme la force. Mais la magnificence est inférieure à la force en ce que l’ardu auquel s’applique la force tient sa difficulté du danger qui menace la personne ; l’ardu auquel s’applique la magnificence tient sa difficulté de la cherté des choses, ce qui est bien moins que le péril personnel. Voilà pourquoi la magnificence fait partie de la force.

Solutions :

1. La justice regarde les activités en elles-mêmes, en tant qu’on y considère la raison de dette. Mais la libéralité et la magnificence considèrent les activités somptuaires selon leur rapport aux passions de l’âme, mais diversement. Car la libéralité regarde la dépense par rapport à l’amour et à la convoitise de l’argent, qui sont des passions du concupiscible et n’empêchent pas le libéral de faire des donations et des dépenses. Aussi est-elle une vertu située dans le concupiscible. Mais la magnificence regarde les dépenses par rapport à l’espérance, en rencontrant quelque chose d’ardu non pas absolument, comme la magnanimité, mais dans une matière déterminée : les dépenses. Aussi la magnificence paraît-elle être dans l’irascible, comme la magnanimité.

2. La magnificence, si elle n’a pas une matière commune avec la force, a en commun avec elle la condition de la matière, en tant qu’elle s’applique à quelque chose d’ardu en matière de dépenses, comme la force en matière de craintes.

3. La magnificence règle l’emploi de l’art à une grande tâche, on vient de le dire. Or l’art est dans la raison. C’est pourquoi il appartient au magnifique de bien user de sa raison pour évaluer la proportion de la dépense avec l’œuvre à faire. Et cela est surtout nécessaire à cause de l’importance de l’ouvrage et des frais, car si l’on n’y fait pas grande attention, on risque un grand gaspillage.

Il faut étudier maintenant le vice opposé à la magnificence.

 

 

QUESTION 135 — LA PARCIMONIE (ou mesquinerie)

1. La parcimonie est-elle un vice ? - 2. Le vice qui s’oppose à elle.

 

            Article 1 — La parcimonie est-elle un vice ?

Objections :

1. Il semble que non, car la vertu gouverne les petites choses comme les grandes ; aussi les libéraux comme les magnifiques font de petites choses. Mais la magnificence est une vertu. Donc pareillement la parcimonie est plus une vertu qu’un vice.

2. Le Philosophe affirme que " la surveillance des comptes rend parcimonieux ". Mais la surveillance des comptes paraît louable, car le bien de l’homme est de se conduire selon la raison, d’après Denys. Donc la parcimonie n’est pas un vice.

3. Le Philosophe dit que le parcimonieux dépense son argent avec tristesse. Mais cela ressortit à l’avarice ou illibéralité. Donc la parcimonie n’est pas un vice distinct.

En sens contraire, Aristote fait de la parcimonie un vice spécial opposé à la magnificence.

Réponse :

Comme on l’a dit précédemment, les actes moraux sont spécifiés par leur fin. Aussi sont-ils fréquemment nommés à partir d’elle. Donc on appelle quelqu’un parcimonieux parce qu’il vise à agir petitement. Or, petit et grand, selon Aristote sont relatifs. Aussi, lorsqu’on dit que le parcimonieux veut faire quelque chose de petit, il faut le comprendre par rapport au genre de l’œuvre accomplie. Là, on peut apprécier le grand et le petit de deux façons : d’une part, du côté de l’œuvre à faire ; d’autre part du côté de la dépense. Donc le magnifique vise au premier chef la grandeur de l’œuvre, secondairement la grandeur de la dépense qu’il n’évite pas, pour accomplir un grand ouvrage. Aussi le Philosophe dit-il que " le magnifique, à frais égaux, fait une œuvre plus magnifique ". A l’inverse, le parcimonieux recherche une petite dépense et le Philosophe dit " qu’il cherche comment dépenser le minimum ". En conséquence il recherche la petitesse de l’œuvre, qu’il ne refuse pas pourvu qu’elle réclame peu de frais. Aussi le Philosophe dit-il au même endroit : " Le parcimonieux, après avoir dépensé énormément pour peu de chose " parce qu’il ne veut pas le dépenser, " perd l’avantage " que lui aurait procuré une œuvre magnifique. Il est donc évident que le parcimonieux est en dessous de la proportion qui doit exister pour la raison entre la dépense et l’ouvrage. Ce défaut par rapport à la règle raisonnable est ce qui donne la raison de vice. Il est donc évident que la parcimonie est un vice.

Solutions :

1. La vertu gouverne les petites choses selon la règle de la raison, envers laquelle le parcimonieux est en défaut, on vient de le dire. Car on n’appelle pas parcimonieux celui qui gouverne les petites choses, mais celui qui, en gouvernant de grandes ou de petites choses, est en défaut envers la règle de la raison.

2. Comme dit Aristote, " la crainte incite à prendre conseil ". C’est pourquoi le parcimonieux surveille attentivement les comptes, parce qu’il a une crainte déréglée de voir gaspiller ses biens, même en petites quantités. Aussi cela n’est-il pas louable, mais vicieux et blâmable, parce qu’il ne dirige pas son amour de l’argent selon la raison, mais met sa raison au service de cet amour déréglé.

3. De même que le magnifique s’accorde avec le libéral en ce qu’il dépense son argent avec promptitude et plaisir, de même le parcimonieux s’accorde avec l’illibéral ou avare en ce qu’il dépense avec tristesse et retard. Mais ils diffèrent en ce que l’illibéralité porte sur les dépenses ordinaires, et la parcimonie sur les grandes dépenses qu’il est plus difficile de faire. Et c’est pourquoi la parcimonie est un moindre vice que l’illibéralité. Aussi pour le Philosophe bien que la parcimonie et le vice opposé soient mauvais, " ils ne sont pas déshonorants parce qu’ils ne font pas de tort au prochain et ne sont pas ignobles ".

 

            Article 2 — Le vice qui s’oppose à la parcimonie

Objections :

1. Il semble qu’il n’en existe pas. Car le petit s’oppose au grand. Or la magnificence n’est pas un vice, mais une vertu. Donc aucun vice ne s’oppose à la parcimonie.

2. Puisque la parcimonie est un vice par défaut, on l’a dit à l’article précédent, il semble que s’il y avait un vice opposé à la parcimonie, il consisterait seulement à gaspiller l’argent à l’excès. Mais Aristote remarque : " Ceux qui dépensent beaucoup là où il faudrait dépenser peu, dépensent peu là où il faudrait dépenser beaucoup " et ainsi ils ont quelque chose de parcimonieux. Il n’y a donc pas de vice opposé à la parcimonie.

3. Les actes moraux sont spécifiés par leur fin, on l’a redit à l’article précédent. Mais ceux qui gaspillent le font pour étaler leur richesse, selon Aristote. Or cela se rattache à la vaine gloire, qui s’oppose à la magnanimité, on l’a dit. Donc aucun vice ne s’oppose à la parcimonie.

En sens contraire, il y a l’autorité d’Aristote qui place la magnificence entre deux vices opposés.

Réponse :

Le petit s’oppose au grand et tous deux se disent de façon relative. Comme il arrive que la dépense soit petite par comparaison avec l’ouvrage, il arrive aussi qu’elle soit grande sous le même rapport, si bien qu’elle dépasse la proportion qu’il doit y avoir entre la dépense et l’ouvrage, selon la règle de la raison. Aussi est-il évident qu’au vice de la parcimonie, par laquelle on est en défaut envers la juste proportion des dépenses à l’égard de l’ouvrage, en voulant dépenser moins que ne le requiert la dignité de celui-ci, il y a un vice opposé, par lequel on est en excès par rapport à cette proportion, c’est-à-dire qu’on dépense trop par rapport à l’ouvrage. En grec, ce vice s’appelle banausia, mot qui vient de la fournaise de la forge, parce qu’à la manière du feu de la fournaise, il " dévore " tout. On l’appelle aussi apyrokalia, c’est-à-dire " sans bon feu ", parce qu’à la manière du feu, il " flambe " tout. Aussi en latin, ce vice peut se nommer consumptio (en français : dilapidation, gaspillage.)

Solutions :

1. " Magnificence " se dit parce qu’on fait un grand ouvrage, non parce que la dépense y est disproportionnée. C’est cela qui ressortit au vice opposé à la parcimonie.

2. Le même vice est contraire à la vertu qui occupe le juste milieu, et au vice contraire. Ainsi donc le vice de gaspillage s’oppose à la parcimonie en ce qu’il excède ce que demande la dignité de l’ouvrage, dépensant beaucoup là où il faudrait dépenser peu. Mais il s’oppose à la magnificence par rapport à la grandeur de l’œuvre, visée première du magnifique, en ce que là où il faut beaucoup dépenser, il ne dépense rien ou presque.

3. Le gaspilleur, par l’espèce de son acte, s’oppose au parcimonieux en tant qu’il outrepasse la règle de la raison dont le parcimonieux s’éloigne par défaut. Cependant rien n’empêche qu’il ordonne sa conduite à la fin d’un autre vice, comme la vaine gloire ou tout autre.

 

 

QUESTION 136 — LA PATIENCE

1. Est-elle une vertu ? - 2. Est-elle la plus grande des vertus ? - 3. Peut-on l’avoir sans la grâce ? - 4. Fait-elle partie de la force ? - 5. Est-elle identique à la longanimité ?

 

            Article 1 — La patience est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car les vertus existent à l’état le plus parfait dans la patrie, dit S. Augustin. Mais là il n’y a pas de patience, car il n’y a pas de maux à supporter, selon Isaïe (49, 10) et l’Apocalypse (7, 16) : " Ils n’auront pas faim, ils n’auront pas soif, ils ne souffriront pas du vent brûlant ni du soleil. " Donc la patience n’est pas une vertu.

2. On ne peut trouver aucune vertu chez les mauvais, parce que la vertu rend bon celui qui la possède. Mais on trouve parfois de la patience chez les hommes mauvais, comme on le voit avec les avares qui supportent patiemment beaucoup de choses pour amasser de l’argent, selon l’Ecclésiaste (5, 16) : " Tous les jours de sa vie il les passe dans les ténèbres, dans les soucis multiples, dans la misère et la tristesse. "

3. Les fruits diffèrent des vertus, on l’a vu précédemment. Or la patience figure parmi les fruits, comme le montre S. Paul (Ga 5, 22).

En sens contraire, S. Augustin écrit dans son livre La Patience : " La vertu appelée patience est un si grand don de Dieu que l’on proclame la patience de celui-là même qui nous l’accorde. "

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut. les vertus morales sont ordonnées au bien en tant qu’elles maintiennent le bien de la raison contre l’assaut des passions. Or, parmi les autres passions, la tristesse est puissante pour empêcher le bien de la raison, selon la parole de S. Paul (2 Co 7, 10) : " La tristesse du monde produit la mort. " Et l’Ecclésiastique (30,23) : " La tristesse en a tué beaucoup, elle n’est d’aucun profit. " Aussi est-il nécessaire d’avoir une vertu qui protège le bien de la raison contre la tristesse, pour que celle-ci n’abatte pas la raison. C’est l’œuvre de la patience, et qui fait dire à S. Augustin : " La patience de l’homme nous fait supporter nos maux d’une âme égale " c’est-à-dire sans être bouleversés par la tristesse, " pour que d’une âme découragée, nous ne délaissions pas les biens qui nous font parvenir à des biens meilleurs ". Il est évident par là que la patience est une vertu.

Solutions :

1. Les vertus morales n’existent pas dans la patrie avec le même acte que dans le voyage de cette vie, c’est-à-dire par comparaison avec les biens de la vie présente, mais par comparaison avec la, fin qui existera dans la partie. Ainsi la justice n’existera plus dans la patrie au sujet des achats et des ventes et autres affaire appartenant à la vie présente, mais seulement pour nous soumettre à Dieu. Pareillement l’acte de la patience, dans la patrie, ne consistera plus à supporter, mais à jouir des biens auxquels nous voulions parvenir en étant patients. Aussi S. Augustin dit-il que dans la patrie la patience proprement dite n’existera plus " parce qu’elle n’est nécessaire que là où il y a des maux à tolérer ; mais le but auquel on parvient par la patience sera éternel ".

2. Comme le dit S. Augustin " on appelle proprement patients ceux qui supportent le mal sans le commettre plutôt que le commettre sans le supporter. Chez ceux qui supportent des maux pour faire le mal, la patience ne mérite ni louange ni admiration, car elle est nulle. Il y a là une dureté qui peut étonner, mais à laquelle il faut refuser le nom de patience ".

3. Comme on l’a dit précédemment, le fruit implique dans sa notion un certain plaisir. " Les actes des vertus sont délectables en eux-mêmes ", dit Aristote. Or le nom de vertu, habituellement, désigne aussi les actes des vertus. C’est pourquoi la patience, en tant qu’habitus, est donnée comme une vertu ; et quant à la délectation que procure son acte, elle est donnée comme un fruit. Et cela surtout du fait que la patience préserve l’âme d’être accablée par la tristesse.

 

            Article 2 — La patience est-elle la plus grande des vertus ?

Objections :

1. Il semble bien, car ce qui est parfait est le plus grand en n’importe quel genre. Mais " la patience fait œuvre parfaite " dit S. Jacques (1, 4). Elle est donc la plus grande des vertus.

2. Toutes les vertus sont ordonnées au bien de l’âme. Mais cela paraît surtout vrai de la patience, car il est dit (Lc 21, 19) : " C’est par votre patience que vous posséderez vos âmes. "

3. Ce qui produit et maintient d’autres êtres apparaît supérieur à eux. Mais, dit S. Grégoire, " la patience est la racine et la gardienne de toutes les vertus ".

En sens contraire, il y a le fait qu’elle n’est pas comptée parmi les quatre vertus que S. Grégoire et S. Augustin appellent principales.

Réponse :

Par définition les vertus sont ordonnées au bien, car Aristote définit la vertu : " Ce qui rend bon celui qui la possède et rend son œuvre bonne. " Aussi faut-il que la vertu soit d’autant plus primordiale et puissante qu’elle ordonne l’homme au bien d’une façon plus forte et plus directe. Or c’est le cas des vertus constitutives du bien, plus que des vertus destructives des oppositions qui détournent du bien. Et parmi les vertus constitutives du bien, l’une est plus puissante que l’autre en ce qu’elle établit l’homme dans un plus grand bien ; c’est le cas de la foi, de l’espérance et de la charité par rapport à la prudence et à la justice. De même, parmi les vertus destructrices des oppositions au bien, la plus puissante est celle qui lutte contre ce qui éloigne le plus du bien. Or les dangers mortels, que concerne la force, ou les plaisirs du toucher, que concerne la tempérance, détournent davantage du bien que les adversités de toute sorte que concerne la patience. Et c’est pourquoi la patience n’est pas la plus puissante des vertus, mais elle est inférieure non seulement aux vertus théologales, à la prudence et à la justice, qui établissent directement l’homme dans le bien, mais aussi à la force et à la tempérance qui détournent des plus grands empêchements.

Solutions :

1. On dit que la patience fait œuvre parfaite pour supporter les adversités, desquelles procèdent : 1° la tristesse, que gouverne la patience ; 2° la colère, que gouverne la mansuétude, 3° la haine, que supprime la charité ; 4° le dommage injuste, que la justice interdit. Car ôter le principe du mal est toujours ce qu’il y a de plus parfait. Cependant, si la patience est plus parfaite en cela, il ne s’ensuit pas qu’elle le soit absolument.

2. " Posséder " implique une domination tranquille. C’est pourquoi l’on dit que l’homme possède son âme par la patience en ce qu’il arrache radicalement les passions soulevées par les adversités, qui rendent son âme inquiète.

3. On appelle la patience racine et gardienne de toutes les vertus non parce qu’elle les cause et les maintient directement, mais parce qu’elle écarte ce qui s’y oppose.

 

            Article 3 — Peut-on avoir la patience sans la grâce ?

Objections :

1. Cela semble possible. En effet, la créature raisonnable peut mieux accomplir ce à quoi la raison l’incline davantage. Mais il est plus raisonnable de souffrir des maux en vue du bien qu’en vue du mal. Or certains souffrent des maux en vue du mal, par leurs propres efforts, sans le secours de la grâce. Car S. Augustin reconnaît que " les hommes supportent beaucoup de labeurs et de souffrances pour l’amour de leurs vices ". Donc, l’homme peut bien davantage supporter des maux pour le bien, c’est-à-dire être vraiment patient, sans le secours de la grâce.

2. Certains, sans être en état de grâce, ont plus d’horreur pour le mal de vice que pour les maux du corps. Aussi est-il raconté que certains païens ont supporté de grands maux pour ne pas trahir leur patrie ou commettre une autre action déshonorante. Mais c’est là être vraiment patient. Il parait donc qu’on peut avoir la patience sans l’aide de la grâce.

3. Il parait évident que certains supportent des maux pénibles et amers pour recouvrer la santé du corps. Or le salut de l’âme n’est pas moins désirable que la santé du corps. Donc, au même titre, quelqu’un peut supporter beaucoup de maux pour le salut de son âme, ce qui est avoir vraiment la patience, sans le secours de la grâce.

En sens contraire, on chante dans le Psaume (62, 6, Vg) : " C’est de lui (Dieu) que vient la patience. "

Réponse :

Comme dit S. Augustin dans son livre La Patience : " La violence des désirs fait supporter labeurs et souffrances ; et personne n’accepte volontiers de subir ce qui le torture, sinon pour quelque chose qui le délecte. " Et la raison en est que d’elle-même l’âme a en horreur la tristesse et la douleur, si bien qu’on ne choisirait jamais de les souffrir pour elles-mêmes, mais seulement en vue d’une fin. Il faut donc que ce bien pour lequel on veut souffrir des maux soit voulu et aimé davantage que ce bien dont la privation nous inflige la douleur que nous supportons patiemment. Or, préférer le bien de la grâce à tous les biens naturels dont la perte nous fait souffrir, cela appartient à la charité qui aime Dieu par-dessus tout. Aussi est-il évident que la patience, en tant qu’elle est une vertu, a pour cause la charité, selon S. Paul : " La charité est patiente " (1 Co 13, 4). Et il est évident qu’on ne peut avoir la charité que par la grâce. " La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné " (Rm 5, 5). Il est donc clair qu’on ne eut avoir la patience sans le secours de la grâce.

Solutions :

1. Si la nature humaine était intacte, l’inclination de la raison y prévaudrait ; mais dans la nature corrompue, ce qui prévaut c’est l’inclination de convoitise, qui domine dans l’homme. Et c’est pourquoi l’homme est plus enclin à supporter les maux là où la convoitise trouve son plaisir dès maintenant, que de supporter des maux en vue de biens futurs désirés selon la raison. C’est pourtant cela qui est la véritable patience.

2. Le bien de la vertu politique est à la mesure de la nature humaine. C’est pourquoi la volonté de l’homme peut y tendre sans le secours de la grâce sanctifiante, toutefois non sans le secours d’une grâce actuelle de Dieu. Mais le bien de la grâce est surnaturel ; aussi l’homme ne peut y tendre par la seule force de sa nature. C’est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

3. Supporter des maux pour la santé du corps procède de l’amour dont l’homme, par nature, aime sa propre chair. Et c’est pourquoi la comparaison ne vaut pas avec la patience, qui procède de l’amour surnaturel.

 

            Article 4 — La patience fait-elle partie de la force ?

Objections :

1. Il apparaît que non. Car le même être ne fait pas partie de lui-même. Or la patience semble identique à la force parce que, on l’a dit plus haut, supporter est l’acte propre de la force, et cela appartient aussi à la patience, car il est dit dans les " Sentences " de S. Prosper que la patience " consiste à supporter les maux venus du dehors ".

2. On a établir que la force concerne la crainte et l’audace et qu’ainsi elle réside dans l’irascible. Mais la patience concerne les tristesses et paraît ainsi résider dans le concupiscible. Donc la patience ne fait pas partie de la force, mais plutôt de la tempérance.

3. Un tout ne peut exister sans l’une de ses parties. Donc, si la patience fait partie de la force, la force ne pourra jamais exister sans la patience ; cependant il arrive que le fort ne supporte pas patiemment les maux : au contraire il attaque leur auteur. Donc la patience ne fait pas partie de la force.

En sens contraire, Cicéron, en fait une partie de la force.

Réponse :

La patience fait partie de la force à titre de partie potentielle, parce qu’elle s’adjoint à elle comme une vertu secondaire à la principale. En effet, il appartient à la patience " de supporter d’une âme égale les maux venus de l’extérieur ", d’après S. Grégoire. Or, parmi les maux que les autres nous infligent, les principaux et les plus difficiles à supporter sont ceux qui se rattachent aux périls mortels, que concerne la force. On voit ainsi qu’en cette matière, c’est la force qui est en tête, comme revendiquant pour elle ce qui est le plus primordial en cette matière. Et c’est pourquoi la patience s’adjoint à elle comme la vertu secondaire à la principale.

Solutions :

1. Il appartient à la force non de supporter n’importe quoi, mais seulement ce qu’il est souverainement difficile de supporter : les périls mortels. Tandis qu’à la patience il peut revenir de supporter n’importe quels maux.

2. L’acte de la force ne consiste pas seulement en ce que l’on persévère dans le bien malgré la crainte de périls futurs, mais aussi en ce que l’on ne défaille pas sous la tristesse ou souffrance présente, et à cet égard la patience a des affinités avec la force. Et cependant la force concerne au premier chef les craintes dont la nature porte à la fuite, que la force refuse. Quant à la patience, elle concerne davantage, à titre principal, les tristesses ; car on appelle patient non pas celui qui ne fuit pas, mais celui qui a une conduite digne d’éloges en souffrant ce qui nuit présentement, de telle sorte qu’il n’en ressent pas une tristesse désordonnée. Et voilà pourquoi la force est proprement dans l’irascible, et la patience dans le concupiscible. Et cela n’empêche pas que la patience fasse partie de la force, parce que l’adjonction d’une vertu à une autre ne se juge pas selon la puissance où elle siège, mais selon la matière ou la forme.

Et cependant la patience n’est pas donnée comme faisant partie de la tempérance, quoique ces deux vertus aient leur siège dans le concupiscible. Parce que la tempérance concerne seulement les tristesses qui s’opposent aux plaisirs du toucher comme celles qui viennent de l’abstinence d’aliments ou de plaisirs sexuels ; mais la patience concerne surtout les tristesses que les autres nous infligent. De plus, il revient à la tempérance de refréner ces tristesses, ainsi que les délectations opposées ; à la patience il appartient d’empêcher l’homme de s’éloigner du bien de la vertu à cause de ce genre de tristesses, si grandes soient-elles.

3. La patience peut sous un certain rapport être donnée comme une partie intégrante de la force, ce qui était le point de départ de l’objection, en tant qu’on supporte patiemment les maux qui se rattachent aux dangers mortels. Et il n’est pas contraire à la nature de la patience que l’on attaque, en cas de besoin, celui qui fait du mal ; parce que, comme dit Chrysostome sur " Arrière, Satan ! ", " il est louable d’être patient devant les injures qu’on nous adresse ; mais supporter patiemment celles qui s’adressent à Dieu, c’est par trop impie ". Et S. Augustin écrit que les préceptes de la patience ne sont pas contraires au bien de l’État puisque, pour le garder, on doit combattre l’ennemi. Mais selon son comportement envers tous les autres maux, la patience s’adjoint à la force comme une vertu secondaire à la principale.

 

            Article 5 — La patience est-elle identique à la longanimité ?

Objections :

1. C’est ce qu’il semble, car S. Augustin dit qu’on célèbre la patience de Dieu non parce qu’il souffre un certain mal, mais en ce qu’il " attend que les méchants se convertissent ". Si bien qu’on dit dans l’Ecclésiastique (5, 4) : " Le Seigneur sait attendre. " Il semble donc que la patience soit identique à la longanimité.

2. Le même habitus n’est pas opposé à deux êtres différents. Mais l’impatience s’oppose à la longanimité par laquelle on accepte un retard ; car certains ne peuvent supporter aucun retard, pas plus que les autres maux.

3. Le temps est une circonstance qualifiant les maux que l’on supporte, et de même le lieu. Or, au point de vue du lieu, on ne découvre pas une vertu distincte de la patience. Donc pareillement la longanimité, qui est relative au temps en ce qu’on subit une longue attente, ne se distingue pas de la patience.

En sens contraire, sur ce texte (Rm 2,4) " Méprises-tu les richesses de sa bonté, de sa patience, de sa longanimité ? " la Glose dit : " La longanimité paraît différer de la patience, parce que ceux qui pèchent par faiblesse plutôt que par mauvaise volonté, c’est par longanimité qu’on les supporte ; mais pour ceux qui, avec obstination, se complaisent dans leurs voluptés, il faut dire qu’on les supporte avec patience. "

Réponse :

On appelle magnanimité la vertu qui donne le courage de tendre aux grandes choses ; de même on appelle longanimité celle qui donne le courage de tendre à quelque chose qui se trouve à une longue distance. C’est pourquoi, de même que la magnanimité regarde l’espérance, qui tend au bien, plus que l’audace, la crainte ou la tristesse, qui regardent le mal, de même la longanimité. Celle-ci, par suite, rejoint davantage la magnanimité que la patience.

Cependant la longanimité peut rejoindre la patience à un double titre. D’abord parce que la patience, comme la force, supporte certains maux en vue d’un bien. Si celui-ci est proche, ce support est plus facile ; mais si ce bien est longuement différé alors que les maux à supporter sont déjà présents, l’attente devient plus difficile. Ensuite le fait même de différer le bien espéré cause de la tristesse, selon les Proverbes (13, 12) : " Un espoir différé afflige l’âme. " Aussi supporter cette affliction peut être le fait de la patience, comme de supporter n’importe quelles tristesses.

Ainsi donc, on peut englober sous la même raison de mal attristant et le retard du bien espéré, ce qui relève de la longanimité ; et l’effort que l’on soutient pour persévérer dans l’accomplissement d’une œuvre bonne, ce qui relève de la constance. De ce fait, aussi bien la longanimité que la constance sont englobées dans la patience. Si bien que Cicéron définit la patience " le support volontaire et prolongé d’épreuves ardues et difficiles, par un motif de service et d’honnêteté ". " Ardues " : il s’agit de la constance dans le bien. " Difficiles " : il s’agit de la gravité du mal, qu’envisage spécialement la patience. " Prolongé " concerne la longanimité en tant qu’elle coïncide avec la patience.

Solutions :

1 et 2. Ce qui précède répond à ces deux objections.

3. Ce qui est distant dans l’espace, bien que ce soit éloigné de nous, n’est cependant pas aussi éloigné du donné réel que ce qui est distant dans le temps. C’est pourquoi la comparaison ne vaut pas. En outre, ce qui est distant dans l’espace ne comporte de difficulté qu’en fonction du temps, parce que cela met plus longtemps à nous parvenir.

4. Nous le concédons. Cependant, il faut tenir compte du motif de la différence signalée par la Glose. Parce que chez ceux qui pèchent par faiblesse, la seule chose qui soit pénible, c’est leur longue persévérance dans le mal, et c’est pourquoi l’on dit qu’ils sont supportés par longanimité. Mais le fait même qu’on pèche par orgueil, est pénible ; et c’est pourquoi on dit supporter par patience ceux qui pèchent par orgueil.

 

 

QUESTION 137 — LA PERSÉVÉRANCE

Après elle, nous étudierons les vices opposés (Q. 138). I. La persévérance est-elle une vertu ? - 2. Fait-elle partie de la force ? - 3. Quel rapport a-t-elle avec la constance ? - 4. A-t-elle besoin du secours de la grâce ?

 

            Article 1 — La persévérance est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non, parce que, selon Aristote " la continence est plus importante que la persévérance ". " Mais la continence n’est pas une vertu ", dit-il aussi. Donc la persévérance n’est pas une vertu.

2. " La vertu est ce qui fait vivre droitement " selon S. Augustin. Mais lui-même dit aussi : " On ne peut appeler persévérant aucun homme tant qu’il vit et qu’il n’a pas persévéré jusqu’à la mort. "

3. " Tenir ferme " dans l’œuvre vertueuse est requis pour toute vertu selon Aristote. Mais cela ressortit à la fonction de la persévérance, car Cicéron définit celle-ci : " Demeurer ferme et constant pour un motif bien considéré. " Donc la persévérance n’est pas une vertu spéciale, mais une condition de toute vertu.

En sens contraire, Andronicus affirme : " La persévérance est l’habitus concernant les choses auxquelles il faut s’attacher ou non, et celles qui sont indifférentes. " Mais un habitus qui nous ordonne à bien faire quelque chose, ou à l’omettre, est une vertu. Donc la persévérance est une vertu.

Réponse :

D’après Aristote " la vertu concerne le difficile et le bien ". C’est pourquoi, lorsqu’il se présente une raison spéciale de bonté ou de difficulté, il y a une vertu spéciale. Or l’œuvre de la vertu peut comporter de la bonté et de la difficulté pour deux motifs. D’une part à cause de l’espèce même de l’acte qui tient à la raison de son objet propre. D’autre part à cause d’une durée prolongée, car le fait même de s’obstiner longtemps à une tâche difficile présente une difficulté spéciale. C’est pourquoi s’attacher à un bien jusqu’à son achèvement ressortit à une difficulté spéciale. On sait que la tempérance et la force sont des vertus spéciales parce que l’une gouverne les plaisirs du toucher, ce qui est de soi difficile, et l’autre gouverne les craintes et les audaces concernant les dangers mortels, ce qui est également difficile de soi. Et de même la persévérance est une vertu spéciale à laquelle il appartient, dans l’une ou l’autre œuvre vertueuse, de résister longuement si c’est nécessaire.

Solutions :

1. Aristote entend ici la persévérance au sens où l’on persévère dans des actions où il est très difficile de tenir bon longtemps. Or il n’est pas difficile de supporter longtemps des événements heureux, mais des maux. Or les maux que sont les dangers mortels ne sont généralement pas à supporter longtemps parce que, le plus souvent, ils passent vite. Aussi n’est-ce pas à leur sujet qu’on loue le plus la persévérance. Parmi les autres maux, les principaux sont ceux qui s’opposent aux plaisirs du toucher, parce que de tels maux sont envisagés à propos des nécessités de la vie, par exemple le manque d’aliments ou d’autres ressources, qui parfois demanderont à être supportés longtemps. Ce n’est pas une difficulté pour celui qui n’en retire pas beaucoup de tristesse et qui ne prend pas un grand plaisir dans les biens opposés : on le voit chez l’homme tempérant, en qui ces passions ne sont pas violentes. Mais cela est extrêmement difficile chez celui que ces passions touchent vivement, car il n’a pas la vertu parfaite qui peut modifier ces passions. C’est pourquoi, si l’on prend la persévérance de cette façon, elle n’est pas une vertu parfaite mais, dans le genre vertu, un être inachevé.

Mais si nous prenons la persévérance en ce sens qu’un individu s’obstine longtemps à poursuivre un bien difficile, cela peut convenir aussi à celui qui possède une vertu accomplie. Et si tenir bon lui est moins difficile, il persiste pourtant dans un bien plus parfait. Aussi une telle persévérance peut-elle être une vertu parce que la perfection de la vertu est attribuée selon la raison de bonté plus que selon la raison de difficulté.

2. On donne parfois le même nom à la vertu et à son acte. C’est ainsi que, pour S. Augustin, " la foi, c’est croire ce que tu ne vois pas ". Il peut cependant arriver que tel ait l’habitus de la vertu, sans en exercer l’acte ; ainsi un pauvre peut avoir l’habitus de la magnificence, dont pourtant il n’exerce pas l’acte. Mais parfois quelqu’un qui a un habitus commence à exercer l’acte, mais ne le termine pas, par exemple si l’entrepreneur commence à bâtir et n’achève pas la maison.

Il faut donc conclure que le nom de persévérance est pris parfois pour l’habitus dans lequel on choisit de persévérer, et parfois pour l’acte par lequel on persévère. Et parfois celui qui possède l’habitus de persévérance choisit de persévérer et commence l’exécution en persistant quelque temps ; cependant il n’achève pas l’acte parce qu’il ne persiste pas jusqu’à la fin. Or la fin est double : celle de l’œuvre, et la fin de la vie humaine. De soi, il appartient à la persévérance qu’on persévère jusqu’au terme de l’œuvre vertueuse ; ainsi, que le soldat persévère jusqu’à la fin du combat, et le magnifique jusqu’à l’achèvement de son ouvrage. Il y a des vertus dont les actes doivent durer pendant toute la vie, comme la foi, l’espérance et la charité, parce qu’elles regardent la fin ultime de toute la vie humaine. Voilà pourquoi, à l’égard de ces vertus qui sont principales, l’acte de persévérance ne s’achève pas avant la fin de la vie. C’est en ce sens que S. Augustin parle de persévérance pour désigner un acte consommé.

3. Quelque chose peut convenir à la vertu de deux façons. D’abord, en raison de l’intention portant proprement sur la fin. Ainsi, persister dans le bien jusqu’au bout relève de la persévérance, dont c’est la fin spécifique. En outre, cela convient à la vertu par comparaison de l’habitus avec son sujet. Et ainsi persister immuablement est un attribut de toute vertu, en ce qu’elle est, comme tout habitus, une qualité difficile à perdre.

 

            Article 2 — La persévérance fait-elle partie de la force ?

Objections :

1. Il semble que non, car selon Aristote la persévérance concerne les tristesses relevant du toucher. Mais cela se rattache à la tempérance. Donc la persévérance fait partie de la tempérance plus que de la force.

2. Toute partie d’une vertu morale concerne certaines passions, que cette vertu gouverne. Mais la persévérance ne comporte pas de modération apportée aux passions, car plus ces passions sont violentes, plus celui qui persévère selon la raison est digne d’éloge. Il apparaît donc que la persévérance ne fait partie d’aucune vertu morale, mais de la prudence, qui perfectionne la raison.

3. S. Augustin dit que " personne ne peut perdre la persévérance ". Mais l’homme peut perdre les autres vertus. Donc la persévérance l’emporte sur toutes. Mais la vertu principale est plus forte que sa partie. Donc la persévérance ne fait partie d’aucune vertu, c’est plutôt elle qui est la vertu principale.

En sens contraire, Cicéron fait de la persévérance une partie de la force.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, la vertu principale est celle à laquelle on attribue principalement quelque chose qui ressortit à la louange de la vertu, en tant qu’elle le réalise à l’égard de sa matière propre, dans laquelle il est très difficile et très bon de l’observer. Et par suite nous avons dit que la force est une vertu principale parce qu’elle garde la fermeté dans les domaines où il est très difficile de tenir bon, et qui sont les dangers mortels. C’est pourquoi il est nécessaire d’adjoindre à la force, comme une vertu secondaire à la principale, toute vertu dont le mérite consiste à soutenir fermement quelque chose de difficile. Soutenir la difficulté qui provient de la longue durée de l’œuvre bonne, c’est ce qui fait le mérite de la persévérance ; et ce n’est pas aussi difficile que d’affronter des périls mortels. C’est pourquoi la persévérance s’adjoint à la force comme une vertu secondaire à la principale.

Solutions :

1. L’annexion d’une vertu secondaire à la principale ne tient pas compte seulement de la matière, mais davantage du mode, parce qu’en toute chose la forme l’emporte sur la matière. Aussi, bien que la persévérance paraisse converger, quant à la matière, avec la tempérance plus qu’avec la force, cependant, pour le mode, elle converge davantage avec la force, en tant qu’elle assure la fermeté contre les difficultés provenant d’une longue durée.

2. La persévérance dont parle le Philosophe ne modère pas des passions, mais consiste seulement en une certaine fermeté de la raison et de la volonté. Mais la persévérance en tant qu’on y voit une vertu, gouverne certaines passions : la crainte de la fatigue ou de l’échec dus à la longue durée. Aussi cette vertu réside-t-elle dans l’irascible, comme la force.

3. S. Augustin parle ici de la persévérance, non en tant qu’elle désigne un habitus vertueux, mais en tant qu’elle désigne l’acte de vertu continué jusqu’à la fin selon cette parole (Mt 24, 13) : " Parce qu’il a persévéré jusqu’à la fin, il sera sauvé. " C’est pourquoi il serait contraire à la raison de persévérance ainsi entendue qu’on la perde, parce qu’alors elle ne durerait pas jusqu’à la fin.

 

            Article 3 — Quel rapport la persévérance a-t-elle avec la constance ?

Objections :

1. On n’en voit pas, car la constance se rattache à la patience, on l’a dit plus haut. Mais la patience diffère de la persévérance, donc la constance ne se rattache pas à la persévérance.

2. La vertu concerne le bien difficile. Mais il ne semble pas difficile d’être constant dans les petites affaires, comme dans les grandes œuvres qui relèvent de la magnificence. Donc la constance se rattache plus à la magnificence qu’à la persévérance.

3. Si la constance se rattachait à la persévérance, elle ne semblerait différer en rien de celle-ci, parce que l’une et l’autre implique une certaine immobilité. Elles diffèrent pourtant, car Macrobe distingue la constance de la fermeté, par laquelle on entend la persévérance, comme on l’a dit. Donc la constance ne se rattache pas à la persévérance.

En sens contraire, on dit que quelqu’un est constant parce qu’il " se tient à " quelque chose (cum - stat). Or rester attaché ainsi appartient à la persévérance telle que la définit Andronicus ? Donc la constance relève de la persévérance.

Réponse :

Sans doute la persévérance et la constance se rejoignent-elles par leur fin qui est, pour toutes deux, de persister fermement dans un certain bien. Mais elles diffèrent selon les causes qui rendent cette persistance difficile. Car la vertu de persévérance a pour rôle propre de faire persister fermement dans le bien contre la difficulté qui vient de la longue durée de l’acte ; tandis que la constance fait persister fermement dans le bien contre la difficulté qui provient d’obstacles extérieurs.

Solutions :

1. Ces obstacles extérieurs sont surtout ceux qui donnent de la tristesse. Et c’est à la patience que ressortit la tristesse, nous l’avons dit,. C’est pourquoi, selon la fin, la constance rejoint la persévérance, et selon les difficultés qu’elles rencontrent, elle rejoint la patience. Or c’est la fin qui est la plus importante, et c’est pourquoi la constance se rattache plus à la persévérance qu’à la patience.

2. Il est plus difficile de persévérer dans les grands ouvrages, mais dans les ouvrages petits et moyens il y a une difficulté, non à cause de la grandeur de l’acte, que regarde la magnificence, mais au moins à cause de sa longue durée, que regarde la persévérance. Et c’est pourquoi la constance peut se rattacher à l’une et à l’autre.

3. Il est vrai que la constance se rattache à la persévérance, à cause de ce qu’elles ont de commun ; mais elle ne lui est pas identique à cause des différences que nous venons de dire.

 

            Article 4 — La persévérance a-t-elle besoin du secours de la grâce ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car on a dit qu’elle est une vertu. Mais la vertu, dit Cicéron agit à la manière de la nature. L’inclination à la vertu suffit donc à elle seule pour produire la persévérance. Celle-ci ne requiert donc pas un autre secours venu de la grâce.

2. Le don de la grâce du Christ est plus grand que le dommage créé par Adam, comme le montre S. Paul (Rm 5,15). Mais avant le péché, l’homme avait été créé " avec tout ce qui lui était nécessaire pour persévérer ", dit S. Augustin. Donc l’homme restauré par la grâce du Christ peut bien plus encore persévérer sans le secours d’une grâce nouvelle.

3. Les œuvres du péché sont parfois plus difficiles que les œuvres de la vertu. C’est pourquoi la Sagesse (5, 7) fait dire aux impies : " Nous avons marché par des routes difficiles. " Mais certains persévèrent dans les œuvres de péché sans le secours d’autrui. Donc, même dans les œuvres de vertu, on peut persévérer sans le secours de la grâce.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Nous affirmons que la persévérance est un don de Dieu, elle qui fait persévérer dans le Christ jusqu’à la fin. "

Réponse :

On voit, d’après ce que nous avons dit, que " persévérance " s’entend en deux sens.

D’abord comme désignant l’habitus de la persévérance ; c’est alors une vertu. Et alors elle a besoin du don de la grâce habituelle, comme les autres vertus infuses. Mais aussi on peut l’entendre comme l’acte de la persévérance, qui dure jusqu’à la mort. Et en ce sens elle n’a pas besoin seulement de la grâce habituelle, mais encore du secours gratuit par lequel Dieu garde l’homme dans le bien jusqu’à la fin de sa vie, comme nous l’avons dit en traitant de la grâce. En effet, de soi, le libre arbitre est changeant, et ce défaut ne lui est pas enlevé par la grâce habituelle en cette vie. Il n’est pas au pouvoir du libre arbitre, même restauré par la grâce, de se fixer immuablement dans le bien, quoiqu’il soit en son pouvoir de faire ce choix ; en effet il arrive souvent que le choix soit en notre pouvoir, mais non l’exécution.

Solutions :

1. La vertu de persévérance, pour ce qui est d’elle, incline à persévérer. Mais parce que l’on use de l’habitus quand on veut, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’ayant l’habitus de la vertu on en usera immanquablement jusqu’à la mort.

2. Selon S. Augustin, " ce qui a été donné au premier homme, ce n’est pas de persévérer, c’est de pouvoir persévérer par son libre arbitre ", parce qu’il n’y avait alors aucune corruption dans la nature humaine qui rendît la persévérance difficile. " Mais maintenant, aux hommes prédestinés, ce qui est donné par la grâce du Christ ce n’est pas seulement de pouvoir persévérer, mais de persévérer en fait... Aussi le premier homme, sans subir aucune menace, usa de son libre arbitre pour désobéir à Dieu malgré ses menaces, et il ne s’est pas maintenu dans une telle félicité, alors qu’il lui était si facile de ne pas pécher. Tandis que les prédestinés, dont le monde attaquait la fermeté, sont restés fermes dans la foi. "

3. L’homme peut, par lui-même, tomber dans le péché, mais non s’en relever sans le secours de la grâce. Et c’est pourquoi, du fait qu’il tombe dans le péché, il se fait, autant qu’il dépend de lui, persévérant dans le péché, à moins que la grâce de Dieu ne le libère. Il a donc besoin pour cela du secours de la grâce.

 

 

QUESTION 138 — LES VICES OPPOSÉS À LA PERSÉVÉRANCE

1. La mollesse. - 2. L’entêtement.

 

            Article 1 — La mollesse est-elle opposée à la persévérance ?

Objections :

1. Sur le texte (1 Co 6,9) : " Ni adultères, ni efféminés (molles), ni sodomites... ", la Glose interprète (molles) au sens de dépravés. Mais cela s’oppose à la chasteté. Donc la mollesse n’est pas un vice opposé à la persévérance.

2. Selon le Philosophe " la délicatesse est une espèce de mollesse ". Mais la délicatesse semble se rattacher à l’intempérance. Donc la mollesse ne s’oppose pas à la persévérance, mais à la tempérance.

3. Le Philosophe dit encore que " le joueur est mou ". Mais l’amour immodéré du jeu s’oppose à l’eutrapélie, la vertu concernant les plaisirs du jeu, selon Aristote.

En sens contraire, Aristote dit que l’homme mou s’oppose au persévérant.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut le mérite de la persévérance consiste en ce que l’on ne s’éloigne pas du bien, quoi qu’on ait à supporter longuement difficultés et labeurs. Ce qui s’y oppose directement, c’est que l’on renonce facilement au bien à cause des difficultés qu’on ne peut soutenir. Et cela se rattache à la mollesse, car on définit celle-ci comme cédant facilement à la pression. Mais on ne taxe pas de mollesse ce qui cède à un assaut violent, car même les murailles s’écroulent sous les coups du bélier. On ne taxera donc pas de mollesse celui qui cède à de très graves assauts. Aussi le Philosophe dit-il : " Si quelqu’un est vaincu par des plaisirs ou des tristesses hors du commun, ce n’est pas étonnant, mais pardonnable, s’il tente de résister. " Or il est évident que la crainte du danger frappe plus fortement que le désir de la jouissance. Et Cicéron écrit : " Il n’est pas normal que celui qui résiste à la crainte soit emporté par le désir, ni que celui qu’on a vu triompher de la souffrance soit vaincu par la volupté. " Quant à celle-ci, elle meut plus fortement par son attirance que la tristesse par la suppression de la volupté, parce que le manque de volupté est une simple déficience. Aussi le Philosophe définit exactement l’homme mou : celui qui s’éloigne du bien à cause des tristesses causées par l’absence de voluptés, parce qu’il cède à une très faible impulsion.

Solutions :

1. Cette mollesse peut avoir deux causes. D’abord l’habitude : lorsque l’on est accoutumé aux voluptés, on peut plus difficilement en supporter l’absence. Ou bien la mollesse vient d’une disposition naturelle : on a une âme inconstante par fragilité de tempérament. Et de cette façon les femmes se situent par rapport aux hommes, dit Aristote. C’est pourquoi ceux qui se laissent impressionner comme des femmes sont appelés molles, au sens d’efféminés.

2. A la volupté physique s’oppose la peine de l’effort ; et c’est pourquoi l’effort est si contraire à la volupté. Or on appelle délicats ceux qui ne peuvent soutenir certains efforts, ni ce qui diminue le plaisir. Comme on lit dans le Deutéronome (28, 56) : " La femme tendre et délicate, au point qu’elle ne peut poser à terre la plante de son pied, par mollesse... " Et c’est pourquoi la délicatesse est une sorte de mollesse. Mais la mollesse regarde plutôt le manque de délectations, et la délicatesse la cause qui empêche celles-ci, comme la peine de l’effort.

3. Dans le jeu il y a deux éléments à considérer. D’abord le plaisir, et c’est ainsi que le joueur immodéré s’oppose à l’eutrapélie. Ou bien on considère dans le jeu un délassement, un repos, qui s’oppose à l’effort. Et puisque être incapable d’un effort soutenu relève de la mollesse, il en est de même pour la recherche excessive, dans le jeu, du délassement ou du repos.

 

            Article 2 — L’entêtement est-il opposé à la persévérance ?

Objections :

1. Il semble que non, car S. Grégoire dit que l’entêtement naît de la vaine gloire. Or celle-ci ne s’oppose pas à la persévérance, mais bien plutôt à la magnanimité, on l’a vu plus haut.

2. S’il s’oppose à la persévérance, ce sera ou par excès ou par défaut. Mais il ne s’oppose pas à elle par excès, car même l’entêté cède devant le plaisir ou la tristesse, car, selon le Philosophe, " il se réjouit quand il triomphe, et il s’attriste si son avis a le dessous ". Et s’il s’oppose à elle par défaut, l’entêtement sera identique à la mollesse, ce qui est évidemment faux. Donc l’entêtement ne s’oppose d’aucune manière à la persévérance.

3. De même que le persévérant demeure fidèle au bien malgré les tristesses, de même le continent et le tempérant malgré les désirs, le fort malgré les craintes, et le doux malgré les colères. Mais on appelle entêté celui qui persiste à l’excès dans sa position. Donc l’entêtement ne s’oppose pas davantage à la persévérance qu’aux autres vertus.

En sens contraire, Cicéron dit qu’il y a le même rapport entre l’entêtement et la persévérance qu’entre la superstition et la religion. Mais on a dit plus haut que la superstition s’oppose à la religion. Donc aussi l’entêtement à la persévérance.

Réponse :

Pour Isidore on appelle pertinax (entêté), quelqu’un qui est " absolument tenace " envers et contre tous. On le dit encore pervicax parce qu’il s’obstine dans son opinion jusqu’à la victoire. Et Aristote appelle ces gens-là " forts-dans-leur-opinion " ou encore " attachés-à-leur-propre-opinion " parce qu’ils s’y obstinent plus qu’il ne faut ; le mou, moins qu’il ne faut ; le persévérant, autant qu’il faut. Il est donc clair qu’on loue la persévérance, située au juste milieu ; on blâme l’entêté parce qu’il le dépasse, et le mou parce qu’il n’y atteint pas.

Solutions :

1. Si quelqu’un s’obstine exagérément dans son propre avis, c’est parce qu’il veut ainsi montrer sa supériorité, et c’est pourquoi l’entêtement est causé par la vaine gloire. Or nous avons dit plus haut que l’opposition des vices aux vertus ne se juge pas selon leur cause, mais selon leur espèce propre.

2. L’entêté pèche par excès en ce qu’il s’obstine de façon déréglée contre de nombreuses difficultés. Cependant il y trouve finalement de la jouissance, comme l’homme fort et l’homme persévérant. Mais parce que cette jouissance est vicieuse, comme trop désirée et fuyant la tristesse contraire, l’entêté ressemble à l’intempérant et au mou.

3. Les autres vertus tiennent bon contre l’assaut des passions ; cependant leur mérite propre n’est pas là, comme dans la persévérance. Le mérite de la continence consiste plutôt en sa victoire sur les plaisirs. C’est pourquoi l’entêtement s’oppose directement à la persévérance.

 

 

QUESTION 139 — LE DON DE FORCE

1. La force est-elle un don ? - 2. Qu’est-ce qui lui correspond dans les béatitudes et les fruits ?

 

            Article 1 — La force est-elle un don ?

Objections :

1. Il apparaît que non. Car les vertus diffèrent des dons. Or la force est une vertu. On ne doit donc pas l’appeler un don.

2. Les actes des dons demeurent dans la patrie, on l’a vu précédemment. Mais non l’acte de la force, car, selon S. Grégoire " la force donne confiance à celui qui tremble devant les adversités ", qui n’existeront pas dans la patrie.

3. Pour S. Augustin, il appartient à la force "de nous séparer de toute jouissance mortelle procurée par ce qui passe ". Mais les joies ou délectations sensibles regardent la tempérance plus que la force. Il semble donc que la force ne soit pas un don correspondant à la vertu du même nom.

En sens contraire, Isaïe (11, 2) énumère la force parmi les dons du Saint-Esprit.

Réponse :

La force implique une certaine fermeté d’âme, nous l’avons dit plus haut et cette fermeté d’âme est requise pour faire le bien comme pour résister au mal, et surtout dans les biens et les maux qui sont difficiles. Or l’homme, selon le mode qui lui est propre et connaturel, peut posséder cette fermeté pour ces deux objectifs : ne pas abandonner le bien à cause de la difficulté d’accomplir une œuvre ardue ou de supporter un mal cruel, et ainsi la force se présente comme une vertu spéciale ou une vertu générale, nous l’avons dit.

Mais l’âme est entraînée plus haut par le Saint-Esprit, afin de pouvoir achever toute entreprise commencée et échapper à tout péril menaçant. Mais cela dépasse la nature humaine ; car parfois il n’est pas au pouvoir de l’homme d’atteindre à la fin de son ouvrage, ou d’échapper aux dangers qui parfois lui infligent la mort. Mais c’est le Saint-Esprit qui opère cela dans l’homme, lorsqu’il le conduit jusqu’à la vie éternelle, qui est la fin de toutes les œuvres bonnes et fait échapper à tous les périls. Et le Saint-Esprit infuse dans l’âme à ce sujet une certaine confiance, excluant la crainte opposée. C’est à ce titre que la force est présentée comme un don du Saint-Esprit, car nous avons dit précédemment que les dons désignent une impulsion donnée à l’âme par l’Esprit Saint.

Solutions :

1. La force qui est une vertu soutient l’âme pour lui faire supporter tous les dangers, mais elle ne suffit pas à donner la confiance d’échapper à tous : cela revient à la force qui est un don du Saint-Esprit.

2. Les dons n’ont pas dans la patrie les mêmes actes que dans notre vie de pèlerinage. Là, ils ont les actes qui ont pour objet la jouissance plénière de la fin et qui permettent de jouir d’une totale sécurité à l’abri des peines et des maux.

3. Le don de force se rattache à la vertu non seulement dans le fait de supporter les périls, mais aussi dans l’accomplissement de toute œuvre ardue. Et c’est pourquoi il est guidé par le don de conseil qui fait choisir les biens les meilleurs.

 

            Article 2 — Qu’est-ce qui correspond au don de force dans les béatitudes et les fruits ?

Objections :

1. Il semble que la quatrième béatitude : " Heureux ceux qui ont faim et soif de justice " ne corresponde pas au don de force.

En effet, ce n’est pas le don de force qui correspond à la vertu de justice mais plutôt le don de piété. Mais être affamé et assoiffé de justice se rattache à l’acte de justice. Donc cette béatitude se rattache au don de piété plus qu’au don de force.

2. Faim et soif de justice impliquent le désir du bien. Mais cela se rattache proprement à la charité, à laquelle ne correspond pas le don de force mais plutôt le don de sagesse, nous l’avons vu.

3. Les fruits découlent des béatitudes, car la délectation appartient à la raison de béatitude, selon Aristote. Mais dans les fruits on ne voit pas ce que l’on peut mettre en rapport avec la force. Donc il n’y a pas non plus de béatitude qui y corresponde.

En sens contraire, S. Augustin écrit " La force convient aux affamés, car ils peinent dans leur désir de trouver la joie dans les vrais biens, et de détourner leur amour des biens terrestres. "

Réponse :

Comme nous l’avons vu plus haut S. Augustin rattache les béatitudes aux dons selon l’ordre d’énumération, compte tenu d’une certaine convergence. C’est pourquoi il attribue la quatrième béatitude, celle de la faim et de la soif, au quatrième don, le don de force. Il y a bien là une certaine convergences. Car, comme nous l’avons dit la force s’applique à des tâches ardues. Or il est très ardu d’accomplir non seulement les œuvres vertueuses qu’on appelle communément œuvres de justice, mais encore de les faire avec un désir insatiable, symbolisé par la faim et la soif de justice.

Solutions :

1. Comme dit S. Jean Chrysostome, on peut prendre cette justice non seulement au sens particulier, mais au sens universel, qui englobe toutes les œuvres de vertu, selon Aristote. Parmi elles, ce qui est ardu est visé par le don de force.

2. La charité est la racine de tous les dons et de toutes les vertus, nous l’avons dit. C’est pourquoi tout ce qui relève de la force peut aussi relever de la charité.

3. Parmi les fruits, on en nomme deux qui correspondent parfaitement au don de force : la patience qui concerne le support des maux, et la longanimité qui peut avoir pour objet la longue durée nécessaire pour attendre et réaliser le bien.

 

 

QUESTION 140 — LES PRÉCEPTES CONCERNANT LA FORCE

1. Ceux concernent la force elle-même. - 2. Ceux qui concernent ses parties.

 

            Article 1 — Les préceptes concernant la force elle-même ?

Objections :

1. Il apparaît que dans la loi divine, ces préceptes sont mal présentés. En effet, la loi nouvelle est plus parfaite que l’ancienne. Or, dans la loi ancienne, on trouve certains préceptes concernant la force, comme dans le Deutéronome (20, 1). Donc dans la loi nouvelle aussi on aurait dû donner des préceptes pour la force.

2. Les préceptes affirmatifs ont plus de portée que les préceptes négatifs, parce que les affirmatifs englobent les négatifs, et non l’inverse. Il est donc malheureux que la loi divine ne contienne, sur la force, que des préceptes négatifs, prohibant la crainte.

3. La force est une des vertus principales, on l’a vu plus haut. Mais les préceptes sont ordonnés aux vertus comme à leurs fins, aussi doivent-ils leur être proportionnés. Donc les préceptes visant la force auraient dû figurer dans le décalogue, où sont les principaux préceptes de la loi.

En sens contraire, le contraire apparaît dans l’enseignement de l’Écriture.

Réponse :

Les préceptes de la loi sont subordonnés à l’intention du législateur. Aussi, selon les diverses fins que vise le législateur, il faut établir les lois différemment. C’est ainsi que dans les affaires humaines les préceptes sont différents s’ils émanent de la démocratie, du roi ou du tyran. Or la fin de la loi divine, c’est que l’homme s’unisse à Dieu. Et c’est pourquoi les préceptes de la loi divine, qu’ils concernent la force ou les autres vertus, sont donnés selon qu’il convient pour ordonner l’âme à Dieu, d’où ces paroles du Deutéronome (20, 3) - " Ne les craignez pas, car le Seigneur votre Dieu est au milieu de vous, et combattra pour vous contre vos ennemis. " Au contraire, les lois humaines sont ordonnées à des biens terrestres, et c’est par rapport à eux qu’elles donnent des préceptes concernant la force.

Solutions :

1. L’ancienne alliance avait des promesses temporelles. La nouvelle en a qui sont spirituelles et éternelles, dit S. Augustin Aussi était-il nécessaire que la loi ancienne enseignât au peuple comment combattre, même physiquement, pour acquérir la terre promise. Mais dans la nouvelle alliance, il fallait enseigner aux hommes comment, par le combat spirituel, ils parviendraient à posséder la vie éternelle, selon le texte (Mt 11, 12) : " Le Royaume des cieux souffre violence, et ce sont les violents qui l’emportent. " Aussi Pierre les avertit (1 P 5, 8) : " Votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. " Et S. Jacques (4, 7) : " Résistez au diable, et il fuira loin de vous. " Cependant, parce que les hommes qui tendent aux biens spirituels peuvent en être détournés par des dangers corporels, il faudrait aussi donner dans la loi divine des préceptes de force, pour supporter courageusement les maux temporels, selon cette parole (Mt 10, 28) : " Ne craignez pas ceux qui tuent le corps. "

2. Par ses préceptes, la loi doit instruire tous les hommes. Mais ce qu’il faut faire dans le danger ne peut pas se ramener à une règle commune, comme ce qu’il faut éviter. Et c’est pourquoi les préceptes concernant la force sont donnés sous une forme négative plus qu’affirmative.

3. Comme nous l’avons dit, les préceptes du décalogue sont mis dans la loi comme des principes premiers, qui doivent être connus d’emblée par tous. Et c’est pourquoi ils ont dû concerner au premier chef les actes de la justice où se manifeste à l’évidence la raison de dette, mais non les actes de la force parce qu’il ne paraît pas aussi évident que ne pas craindre les périls de mort soit une dette.

 

            Article 2 — Les préceptes concernant les parties de la force

Objections :

1. Il apparaît qu’ils sont enseignés maladroitement dans la loi divine. En effet, comme la patience et la persévérance, de même la magnificence et la magnanimité ou confiance font partie de la force comme on l’a montré plus haut ; mais sur la patience on trouve quelques préceptes dans la loi divine ; pareillement sur la persévérance. Donc on aurait dû donner également des préceptes sur la magnificence et la magnanimité.

2. La patience est une vertu particulièrement nécessaire, puisqu’elle est pour S. Grégoire " la gardienne des autres vertus ". Mais pour celles-ci on donne des préceptes absolus. Il ne fallait donc pas donner pour la patience des préceptes qui s’entendent seulement " de la préparation de l’âme ", selon S. Augustin.

3. La patience et la persévérance font partie de la force, on l’a dit. Mais sur la force on ne donne que des préceptes négatifs, on vient de le voir. Donc ni sur la patience ni sur la persévérance on ne devrait donner de préceptes affirmatifs, mais seulement négatifs.

En sens contraire, le contraire apparaît dans l’enseignement de l’Écriture.

Réponse :

La loi divine instruit parfaitement l’homme de ce qui est nécessaire pour vivre bien. Or l’homme a besoin pour cela non seulement des vertus principales, mais aussi des vertus secondaires et annexes. C’est pourquoi, comme on donne dans la loi divine des préceptes adaptés sur les actes des vertus principales, on donne aussi des préceptes adaptés sur les actes des vertus secondaires et annexes.

Solutions :

1. La magnificence et la magnanimité se rattachent au genre de la force uniquement par une supériorité de grandeur qui les concerne à propos de leur matière propre. Or, ce qui se rattache à une supériorité tombe sous les conseils de perfection plus que sous les préceptes nécessaires au salut. Et c’est pourquoi, au sujet de la magnificence et de la magnanimité, il ne fallait pas donner des préceptes, mais plutôt des conseils. Les afflictions et les labeurs de la vie présente se rattachent à la patience et à la persévérance, non en raison de la grandeur qu’on y découvre, mais en raison de leur nature. Et c’est pour cela qu’il a fallu donner des préceptes sur la patience et sur la persévérance.

2. Comme nous l’avons dit plus haut les préceptes affirmatifs, s’ils obligent toujours n’obligent pas à tout moment, mais selon le lieu et le temps. C’est pourquoi, de même que les préceptes affirmatifs donnés sur les autres vertus sont à recevoir quant à la préparation de l’âme, en ce sens que l’homme doit être prêt à les accomplir quand il le faudra, de même les préceptes concernant la patience.

3. La force, en tant qu’elle se distingue de la patience et de la persévérance, concerne les plus graves périls, dans lesquels il faut agir avec beaucoup de précautions, sans qu’il faille déterminer dans le détail ce qu’il faut faire. Mais la patience et la persévérance concernent les afflictions et les efforts plus légers. C’est pourquoi on peut y déterminer avec moins de danger ce qu’il faut faire, surtout dans les grandes lignes.

 

LA TEMPÉRANCE

Nous devons étudier maintenant la tempérance. D’abord la nature de la tempérance (Q.170). En ce qui concerne la tempérance nous étudierons d’abord.

En ce qui concerne la tempérance nous étudierons d’abord la tempérance en elle-même (Q. 141) ; ensuite les vices opposés (Q. 142).

 

 

QUESTION 141 — LA TEMPÉRANCE

1. La tempérance est-elle une vertu ? -2. Est-elle une vertu spéciale ? -3. Concerne-t-elle seulement les désirs et les plaisirs ? - 4. Concerne-t-elle seulement les délectations du toucher ? - 5. Concerne-t-elle les délectations du goût en tant que tel, ou seulement en tant qu’il est un certain toucher ? - 6. Quelle est la règle de la tempérance ? - 7. Est-elle une vertu cardinale, c’est-à-dire principale ? - 8. Est-elle la plus importante des vertus ?

 

            Article 1 — La tempérance est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Aucune vertu en effet ne s’oppose au penchant de la nature, pour cette raison qu’" il y a en nous une aptitude naturelle à la vertu ", selon Aristote. Or la tempérance éloigne des plaisirs auxquels incline la nature. Donc elle n’est pas une vertu.

2. Les vertus sont connexes, on l’a vu antérieurement. Or il y a des gens qui possèdent la tempérance et non d’autres vertus ; ainsi on en rencontre beaucoup qui sont tempérants et qui en même temps sont avares ou lâches.

3. A toute vertu correspond un don, on l’a montré plus haut. Or il semble qu’il n’y ait pas de don qui corresponde à la tempérance : en effet tous les dons ont déjà été attribués antérieurement aux autres vertus. La tempérance n’est donc pas une vertu.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Ce que nous appelons tempérance est une vertu. "

Réponse :

On l’a dit le propre de la vertu est d’incliner l’homme au bien. Or le bien de l’homme est " d’être selon la raison ", dit Denys. C’est pourquoi la vertu humaine est celle qui incline à suivre la raison. C’est surtout le cas pour la tempérance car, son nom même l’indique, elle comporte une certaine modération, un " tempérament ", qui est un effet de la raison. C’est pourquoi la tempérance est une vertu.

Solutions :

1. La nature incline vers ce qui convient à chacun. C’est pourquoi l’homme désire naturellement la jouissance qui lui convient. Mais l’homme, en tant que tel, est un être raisonnable ; en conséquence, les jouissances qui conviennent à l’homme sont celles qu’approuve la raison. La tempérance n’éloigne pas de celles-ci, elle éloigne plutôt des jouissances contraires à la raison. Il est donc clair que la tempérance ne contrarie pas le penchant de la nature humaine, mais s’accorde avec lui. Elle contrarie cependant l’inclination de la nature bestiale qui n’est pas soumise à la raison.

2. La tempérance, en tant qu’elle répond parfaitement à la notion de vertu, n’existe pas sans la prudence, absente chez les vicieux. C’est pourquoi ceux qui manquent des autres vertus parce qu’ils sont soumis aux vices qui leur sont contraires, n’ont pas non plus la tempérance. Mais ils en font les actes soit par certaine disposition naturelle, dans la mesure où certaines vertus imparfaites sont naturelles aux hommes, nous l’avons dit ou bien par une disposition acquise par l’habitude ; mais ces dispositions, sans la prudence, n’ont pas la perfection de la raison, on l’a dit précédemment.

3. A la tempérance correspond aussi un don, le don de crainte, qui donne la maîtrise des délectations charnelles, selon le Psaume (119, 120) : " Transperce ma chair de ta crainte. " Le don de crainte regarde principalement Dieu, que l’on évite d’offenser ; en cela il correspond à la vertu d’espérance, nous l’avons dit. Mais il peut, à titre secondaire, regarder tout ce qu’il faut fuir pour éviter d’offenser Dieu. Or l’homme a surtout besoin de la crainte de Dieu pour fuir ce qui l’attire le plus fortement, ce que concerne la tempérance. C’est pourquoi à la tempérance aussi correspond le don de crainte.

 

            Article 2 — La tempérance est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il semble que non. S. Augustin dit en effet qu’" il appartient à la tempérance de se garder pour Dieu intègre et irréprochable ". Mais cela convient à toute vertu. La tempérance est donc une vertu générale.

2. S. Ambroise dit que, " dans la tempérance, c’est surtout la sérénité de l’âme qui est considérée et recherchée ". Or cela est vrai pour toute vertu.

3. Si l’on en croit Cicéron, " le beau est inséparable de l’honnête... et toutes les choses justes sont belles ". Or c’est précisément le beau que l’on considère dans la tempérance. Elle n’est donc pas une vertu spéciale.

En sens contraire, Aristote lui donne la place d’une vertu spéciale.

Réponse :

C’est une coutume dans le langage humain de restreindre certains noms communs à la désignation de ce qui est principal dans l’ensemble qu’ils recouvrent ; ainsi, par antonomase, le mot " Ville " est pris pour Rome. De même le mot " tempérance " peut avoir deux sens. En premier lieu il peut avoir une signification commune. Dans ce cas, la tempérance n’est pas une vertu particulière, mais une vertu générale, car le mot tempérance signifie alors un certain " tempérament ", c’est-à-dire une mesure que la raison impose aux actions et aux passions humaines ; ce qui est commun à toute vertu morale. La raison de tempérance diffère cependant de la raison de force, même si l’on considère ces deux vertus comme des vertus communes. La tempérance écarte en effet ce qui allèche l’appétit à l’encontre de la raison, tandis que la force pousse à rester inébranlable à l’égard de ce qui conduit l’homme à fuir le bien de la raison, ou à le combattre.

Mais si on considère la tempérance par antonomase, en ce qu’elle met un frein à la convoitise de ce qui attire l’homme le plus fortement, elle est alors une vertu spéciale, puisqu’elle a une matière spéciale comme la force.

Solutions :

1. L’appétit de l’homme est surtout corrompu par ce qui l’attire à s’écarter de la règle de la raison et de la loi divine. C’est pourquoi, de même que le mot tempérance s’entend de deux façons, d’une façon générale et d’une façon éminente, de même aussi l’intégrité, que S. Augustin attribue à la tempérance.

2. Ce que concerne la tempérance est capable de troubler l’âme au plus haut point, car c’est essentiel à l’homme, comme nous le verrons plus loin. C’est pourquoi la sérénité de l’âme est par excellence attribuée à la tempérance, bien qu’elle convienne communément à toutes les vertus.

3. Quoique la beauté convienne à toute vertu, elle est cependant attribuée éminemment à la tempérance, pour deux motifs. D’abord selon la raison commune de tempérance, à laquelle appartient une certaine proportion dans la mesure et la convenance, en quoi consiste la raison de beauté, selon Denys. Ensuite, parce que les biens dont détourne la tempérance sont les plus inférieurs chez l’homme et lui conviennent selon la nature bestiale, comme on le dira plus loin. Aussi est-ce surtout à cause d’eux que l’homme a tendance à s’avilir. En conséquence la beauté est surtout attribuée à la tempérance, qui a pour effet primordial d’écarter l’avilissement de l’homme.

Pour la même raison, l’" honnête " convient au maximum à la tempérance. En effet, selon Isidore : " Est honnête ce qui ne comporte rien de honteux ; en effet l’honorabilité est comme une situation d’honneur. " C’est cela que l’on considère avant tout dans la tempérance, qui repousse les vices les plus déshonorants, comme on le dira plus loin.

 

            Article 3 — La tempérance concerne-t-elle seulement les désirs et les plaisirs ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’en soit pas ainsi. Cicéron dit en effet que " la tempérance est une domination ferme et mesurée de la raison sur le désir sensuel et les autres mouvements désordonnés de l’âme ". Mais par mouvements de l’âme on désigne toutes les passions. La tempérance ne semble donc pas se limiter aux désirs et aux plaisirs.

2. " La vertu regarde ce qui est difficile et bon ", selon Aristote. Or, il semble plus difficile de modérer la crainte, surtout en face des périls de mort, que de modérer les convoitises et les jouissances, que les souffrances et les périls de mort font mépriser, selon S. Augustin ; il semble donc que la vertu de tempérance ne concerne pas principalement les désirs et les plaisirs.

3. A la tempérance appartient " la grâce de la modération ", dit S. Ambroise. Et, pour Cicéron, la tempérance apporte " tout apaisement des troubles de l’âme, et la mesure des choses ". Or, il faut trouver la mesure non seulement dans les désirs et les jouissances, mais aussi dans les actions et autres choses extérieures. La tempérance ne concerne donc pas seulement les désirs et les plaisirs.

En sens contraire, Isidore déclare que la tempérance " refrène le désir sensuel et la convoitise ".

Réponse :

Il appartient à la vertu morale, nous l’avons dit, de conserver le bien de la raison contre les passions qui s’opposent à la raison. Or le mouvement des passions de l’âme est double, nous l’avons dit en traitant des passions : un mouvement selon lequel l’appétit sensitif poursuit les biens sensibles et corporels, et un autre mouvement selon lequel il fuit les maux sensibles et corporels. Or, le premier mouvement de l’appétit sensitif s’oppose à la raison surtout par manque de mesure, car les biens sensibles et corporels, si on les considère selon leur nature, ne s’opposent pas à la raison mais la servent plutôt, comme des instruments dont la raison se sert pour parvenir à sa fin propre. Mais ils s’opposent à elle surtout en tant que l’appétit sensitif ne se porte pas vers eux selon la mesure de la raison. C’est pourquoi il appartient en propre à la vertu morale de modérer les passions de ce genre qui impliquent la poursuite du bien.

Le mouvement de l’appétit sensitif qui fuit les maux sensibles est, lui, principalement contraire à la raison, non pas tellement par son manque de mesure, mais à cause surtout de son effet ; car celui qui fuit les maux sensibles et corporels qui accompagnent parfois le bien de la raison, s’écarte par voie de conséquence du bien même de la raison. Et c’est pourquoi il appartient à la vertu morale de fortifier dans le bien de la raison.

La vertu de force, dont le rôle est de donner la fermeté, concerne principalement la passion qui porte à fuir les maux corporels, c’est-à-dire la crainte ; et par voie de conséquence elle concerne l’audace qui, dans l’espoir d’un bien, affronte des dangers redoutables. De même la tempérance, qui implique une certaine modération, concerne principalement les passions qui tendent aux biens sensibles, c’est-à-dire la convoitise et les délectations ; et par voie de conséquence elle concerne aussi les tristesses qui proviennent de l’absence de telles délectations. En effet, de même que l’audace présuppose des dangers redoutables, de même une telle tristesse provient de l’absence de telles délectations.

Solutions :

1. Comme nous l’avons dit en traitant des passions celles qui se rapportent à la fuite du mal présupposent celles qui se rapportent à la poursuite du bien, et les passions de l’irascible présupposent les passions du concupiscible. Ainsi donc, alors que la tempérance modère directement les passions du concupiscible tendant vers un bien, par voie de conséquence elle modère toutes les autres passions, dans la mesure où la modération de ces dernières fait suite à la modération des premières. En effet, celui qui ne désire pas de façon immodérée espère en conséquence avec modération, et s’attriste modérément de l’absence des biens désirables.

2. La convoitise implique un certain élan de l’appétit vers le délectable, élan qui a besoin de la retenue attribuée à la tempérance. Mais la crainte implique un recul de l’âme devant certains maux, contre lequel l’homme a besoin d’un affermissement de l’âme que procure la force. Voilà pourquoi la tempérance concerne les convoitises, et la force les craintes.

3. Les actes extérieurs procèdent des passions intérieures de l’âme. C’est pourquoi leur modération dépend de la modération des passions intérieures.

 

            Article 4 — La tempérance concerne-t-elle seulement les délectations du toucher ?

Objections :

1. Non, pas seulement, semble-t-il. S. Augustin dit que " le rôle de la tempérance est de réprimer et de calmer les convoitises qui nous font désirer avidement ce qui nous détourne des lois de Dieu et des biens que nous procure sa bonté ". Et peu après il ajoute que " le rôle de la tempérance est de mépriser les séductions sensibles et la louange populaire ". Or il n’y a pas que les convoitises des plaisirs du toucher qui nous détournent des lois de Dieu, mais aussi les convoitises des plaisirs que nous procurent les autres sens et qui appartiennent également aux séductions corporelles ; et de même le désir des richesses, ou encore de la gloire mondaine. Aussi S. Paul a-t-il pu dire (1 Tm 6, 10) que " l’amour de l’argent est la racine de tous les maux ". La tempérance ne concerne donc pas seulement les convoitises des plaisirs du toucher.

2. Aristote dit que " celui qui n’est digne que de petites choses et qui se juge tel, est tempérant, et non magnanime ". Or, les honneurs petits ou grands dont il est question ici ne sont pas agréables au toucher, mais à l’âme qui les perçoit.

3. Les choses qui sont d’un seul genre semblent avoir la même raison d’appartenir à la matière d’une vertu. Or tous les plaisirs des sens semblent d’un seul et même genre. Ils appartiennent donc d’égale façon à la matière de la tempérance.

4. Les jouissances de l’esprit sont plus grandes que celles du corps, nous l’avons vu en parlant des passions. Or quelquefois, par convoitise des plaisirs de l’esprit, des hommes s’écartent des lois de Dieu et perdent la vertu, ainsi par curiosité pour la science. Aussi le démon a-t-il promis la science au premier homme (Gn 3, 5) : " Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. " La tempérance ne concerne donc pas seulement les plaisirs du toucher.

5. Si les plaisirs du toucher étaient la matière propre de la tempérance, il faudrait alors que la tempérance concerne tous les plaisirs du toucher. Or elle ne les concerne pas tous : elle ne concerne pas, par exemple, les plaisirs que l’on éprouve dans les jeux.

En sens contraire, Aristote affirme que la tempérance a pour domaine propre les convoitises et les plaisirs du toucher.

Réponse :

Nous l’avons dit dans l’article précédent, la tempérance concerne les désirs et les plaisirs, comme la force concerne les frayeurs et les audaces. Mais la force concerne les frayeurs et les audaces à l’égard des maux les plus grands, qui détruisent la nature elle-même : les périls de mort. Aussi faut-il pareillement que la tempérance concerne les convoitises des plaisirs les plus grands. Et comme le plaisir accompagne l’acte qui s’accorde sur la nature, les plaisirs sont d’autant plus intenses que les actes qu’ils accompagnent sont plus naturels. Or, ce qui est par-dessus tout naturel aux êtres vivants, ce sont les actes par lesquels se conserve la nature de l’individu : le manger et le boire, et la nature de l’espèce : l’union de l’homme et de la femme. Voilà pourquoi ce sont les plaisirs de la nourriture et de la boisson et les plaisirs sexuels qui sont proprement l’objet de la tempérance. Or les plaisirs de ce genre sont produits par le sens du toucher. On en conclut donc que la tempérance concerne les plaisirs du toucher.

Solutions :

1. S. Augustin semble comprendre ici la tempérance non comme une vertu spéciale ayant une matière déterminée, mais comme une vertu apportant la mesure de raison en n’importe quelle matière, ce qui est la condition générale de la vertu. - Cependant on peut dire aussi que celui qui est capable de refréner les plus grandes jouissances peut encore davantage refréner les plaisirs moins grands. C’est pourquoi il appartient premièrement et proprement à la tempérance de modérer les convoitises des plaisirs du toucher et secondairement les autres convoitises.

2. Aristote applique ici le nom de tempérance à la modération des choses extérieures, lorsqu’on aspire à ce qui est à notre mesure ; mais non selon qu’il se réfère à la modération des affections de l’âme, qui est l’objet de la vertu de tempérance.

3. Les plaisirs des sens autres que le toucher se manifestent différemment chez les hommes et chez les autres animaux. Chez ces derniers, en effet, les sens ne procurent de jouissance qu’en référence à ce qui se rapporte au sens du toucher ; ainsi le lion a du plaisir à voir le cerf ou à entendre sa voix, mais en référence à la nourriture. Chez l’homme, au contraire, les autres sens que le toucher procurent des plaisirs non seulement en référence à celui-ci, mais aussi à cause de la convenance des sensations qu’ils donnent eux-mêmes. Ainsi les plaisirs des autres sens, en tant qu’ils se réfèrent aux plaisirs du toucher, sont du ressort de la tempérance non pas à titre principal, mais seulement par voie de conséquence. Et en tant que les impressions de ces autres sens sont agréables à cause de leur propre convenance, par exemple lorsque l’homme se réjouit à l’audition d’un son harmonieux, ce plaisir ne se rapporte pas alors à la conservation de la nature. Dès lors les passions de ce genre n’ont pas ce caractère premier qui permettrait de parler, à leur propos, de tempérance par antonomase.

4. Les plaisirs de l’esprit, même s’ils sont plus grands, selon leur nature, que les plaisirs du corps, ne sont cependant pas autant perçus par les sens. Et par conséquent ils n’affectent pas aussi violemment l’appétit sensible, contre l’assaut duquel la vertu morale a pour rôle de défendre le bien de la raison.

On peut dire encore que les plaisirs de l’esprit, à proprement parler, sont conformes à la raison. C’est pourquoi ils ne sont pas à refréner, sauf pour une raison accidentelle quand par exemple un plaisir détourne d’un autre plus important et plus légitime.

5. Les plaisirs du toucher ne se rapportent pas tous à la conservation de la nature. C’est pourquoi il ne faut pas qu’ils soient tous du ressort de la tempérance.

 

            Article 5 — La tempérance concerne-t-elle plus les délectations du goût que celles du toucher ?

Objections :

1. Il semble que oui. Les plaisirs du goût se trouvent en effet dans la nourriture et la boisson, qui sont plus nécessaires à la vie de l’homme que les plaisirs sexuels, qui relèvent du toucher. Or, selon l’article précédent, la tempérance concerne les plaisirs procurés par les choses qui sont nécessaires à la vie de l’homme. Donc la tempérance concerne davantage les plaisirs propres au goût que les plaisirs propres au toucher.

2. La tempérance concerne les passions plus que les choses elles-mêmes. Mais, dit Aristote " le toucher semble bien être le sens des aliments ", considérés dans leur substance même d’aliment. Au contraire, la saveur, qui est proprement l’objet du goût, " est comme le charme des aliments ". La tempérance regarde donc davantage le goût que le toucher.

3. Selon Aristote, " c’est à propos des mêmes choses qu’on parle de tempérance et d’intempérance, de continence et d’incontinence, de constance et de mollesse " : à quoi se rattachent les plaisirs raffinés. Or c’est aux plaisirs raffinés qu’appartient le plaisir donné par les saveurs qui relèvent du goût. La tempérance a donc trait aux plaisirs propres au goût.

En sens contraire, Aristote dit que la tempérance et l’intempérance " semblent n’avoir affaire avec le goût que peu ou pas du tout ".

Réponse :

Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, la tempérance concerne les grands plaisirs qui ont trait surtout à la conservation de la vie humaine, quant à l’espèce ou quant à l’individu. Dans ces plaisirs on peut considérer un élément principal et un élément secondaire. L’élément principal est assurément l’usage même des choses nécessaires : par exemple l’usage de la femme, qui est nécessaire à la conservation de l’espèce ou l’usage de la nourriture ou de la boisson, qui sont nécessaires à la conservation de l’individu. Et l’usage même de ces réalités nécessaires comporte une certaine jouissance essentielle qui leur est adjointe. L’élément secondaire, dans ces deux usages, est ce qui rend cet usage plus agréable : comme la beauté et la parure de la femme, et la saveur agréable de la nourriture et aussi son odeur.

C’est pourquoi la tempérance concerne à titre premier le plaisir du toucher, qui suit essentiellement l’usage même de la chose nécessaire, usage qui se fait toujours par le contact. Mais en ce qui concerne les plaisirs du goût, de l’odorat ou de la vue, la tempérance et l’intempérance ne les concernent que secondairement, en tant que les impressions de ces sens contribuent à l’usage délectable des choses nécessaires qui ressortissent au toucher. Cependant, comme le goût est plus voisin du toucher que les autres sens, la tempérance concerne le goût plus que les autres sens, pour cette raison.

Solutions :

1. L’usage même de la nourriture et le plaisir qui en est la conséquence essentielle, appartiennent également au toucher. C’est pourquoi Aristote dit que " le toucher est le sens de l’aliment ; nous nous alimentons en effet de chaud et de froid, d’humide et de sec ". Mais au goût appartient le discernement des saveurs, qui contribuent au plaisir de la nourriture, en tant qu’elles sont le signe que la nourriture nous convient.

2. Le plaisir de la saveur est comme de surcroît, tandis que le plaisir du toucher fait suite essentiellement à l’usage de la nourriture et de la boisson.

3. Les plaisirs raffinés consistent premièrement dans la substance même de l’aliment, mais secondairement dans la saveur exquise et la préparation des nourritures.

 

            Article 6 — Quelle est la règle de la tempérance ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la règle de la tempérance doive tenir compte des nécessités de la vie présente. En effet, ce qui est supérieur ne prend pas sa règle dans ce qui est inférieur. Or la tempérance, puisqu’elle est une vertu de l’âme, est supérieure aux nécessités du corps. La règle de la tempérance ne doit donc pas être prise selon les nécessités du corps.

2. Celui qui dépasse la règle commet un péché. Donc, si les nécessités corporelles étaient la règle de la tempérance, celui qui jouirait d’un plaisir dépassant les nécessités de la nature, qui se contente de très peu, pécherait contre la tempérance. Ce qui semble inadmissible.

3. Personne ne pèche en suivant la règle. Donc, si les nécessités corporelles étaient une règle pour la tempérance, celui qui jouirait d’un plaisir pour une nécessité corporelle, par exemple pour sa santé, serait exempt de péché. Or cela semble faux. Les nécessités du corps ne sont donc pas la règle de la tempérance.

En sens contraire, S. Augustin déclare " L’homme tempérant dans les choses de cette vie trouve sa règle confirmée par les deux Testaments : il n’en aime aucune, il ne pense pas devoir les désirer pour elles-mêmes, mais il s’en sert autant qu’il faut pour les nécessités de cette vie et de ses tâches, avec la modération de l’usager, et non avec la passion de l’amant. "

Réponse :

Le bien de la vertu morale, nous l’avons dit, consiste principalement dans l’ordre de la raison ; en effet, le bien de l’homme est d’être selon la raison, dit Denys. Or l’ordre principal de la raison consiste à ordonner les choses à leur fin, et c’est dans cet ordre que consiste avant tout le bien de la raison. En effet, le bien a raison de fin, et la fin elle-même est la règle de ce qui est ordonné à la fin. Or toutes les choses délectables qui se présentent à l’usage de l’homme sont ordonnées aux nécessités de cette vie comme à leur fin. Et c’est pourquoi la tempérance prend les nécessités de cette vie comme règle des choses délectables dont elle se sert ; c’est-à-dire qu’elle en use pour autant que les nécessités de cette vie le requièrent.

Solutions :

1. Les nécessités de cette vie, on vient de le dire, ont raison de règle en tant qu’elles sont des fins. Mais il faut remarquer que, parfois, autre est la fin de celui qui agit, et autre la fin de l’œuvre ; ainsi il apparaît que la fin de la construction est la maison, mais que la fin du constructeur est parfois le désir de s’enrichir. Ainsi donc la tempérance elle-même a pour fin et pour règle la béatitude, mais les choses dont la tempérance fait usage ont pour fin et pour règle les nécessités de la vie humaine, au-dessous desquelles se place ce qui est au service de la vie.

2. Les nécessités de la vie humaine peuvent s’entendre de deux façons. D’une première façon, le nécessaire signifie n " ce sans quoi un être ne peut aucunement exister " ; c’est ainsi que la nourriture est nécessaire à l’être animal. D’une autre façon, le nécessaire signifie " ce sans quoi une chose ne saurait être de la manière qui lui convient ". Or la tempérance prend en considération non seulement la première nécessité mais aussi la seconde. C’est pourquoi Aristote dit que " le tempérant désire les plaisirs en vue de sa santé, et en vue de son bien-être ".

Quant aux choses qui ne sont pas nécessaires elles peuvent se présenter de deux façons. Certaines, en effet, sont des empêchements à la santé ou au bien-être. En aucune manière le tempérant ne les utilise : car ce serait un péché contre la tempérance. Mais il en est d’autres qui ne sont pas des empêchements. Le tempérant en use avec mesure, suivant le lieu et le temps et suivant ce qui convient à son milieu. C’est pourquoi, là encore, Aristote dit que le tempérant désire aussi d’autres plaisirs qui ne sont pas nécessaires à la santé ou au bien-être, " pourvu qu’ils ne leur soient pas contraires ".

3. On vient de le dire, la tempérance considère la nécessité dans son rapport de convenance à la vie. Mais il y a lieu de tenir compte non seulement de ce qui convient au corps, mais aussi de ce qui convient en fait de réalités extérieures, telles que richesses, fonctions et davantage encore de ce qui convient à l’honorabilité. C’est pourquoi Aristote, ajoute ici même que, dans les plaisirs dont il use, le tempérant " veille non seulement à ce qu’ils ne fassent pas obstacle à la santé et au bon état physique, mais encore à ce qu’ils ne soient pas en désaccord avec le bien ", c’est-à-dire avec l’honorabilité " et à ce qu’ils ne dépassent pas non plus les moyens, c’est-à-dire les possibilités de la fortune ". S. Augustin, lui, dit que le tempérant ne regarde pas seulement " la nécessité de cette vie, mais aussi la nécessité des fonctions sociales ".

 

            Article 7 — La tempérance est-elle une vertu cardinale ?

Objections :

1. Il semble bien que non. En effet, le bien de la vertu morale dépend de la raison. Or la tempérance concerne ce qui est le plus éloigné de la raison : les plaisirs qui nous sont communs avec les animaux, dit Aristote. Elle ne semble donc pas être une vertu principale.

2. Une chose paraît d’autant plus difficile à refréner qu’elle est plus impétueuse. Or la colère, que refrène la douceur, semble plus impétueuse que la concupiscence, que refrène la tempérance. On peut lire dans le livre des Proverbes (27, 4) : " La colère n’a pas de miséricorde, ni la fureur qui éclate ; et qui pourra contenir l’assaut d’un esprit emporté ? " La douceur est donc une vertu plus primordiale que la tempérance.

3. L’espoir est un mouvement de l’âme supérieur au désir ou convoitise, on l’a vu ‘. Or l’humilité refrène le caractère présomptueux d’un espoir démesuré. L’humilité semble être donc une vertu plus primordiale que la tempérance, qui refrène la convoitise.

En sens contraire, S. Grégoire place la tempérance parmi les vertus cardinales.

Réponse :

Une vertu principale ou cardinale, nous l’avons dit antérieurement, est celle qui possède de façon éminente un des caractères communément requis à la raison de vertu. Or la modération, qui est requise en toute vertu, est particulièrement digne d’éloge quand elle se manifeste dans les plaisirs du toucher que concerne la tempérance. Et cela parce que ces plaisirs nous sont plus naturels et qu’il est donc plus difficile de s’en abstenir ou d’en refréner la convoitise ; et aussi parce que leurs objets sont plus nécessaires à la vie présente, nous l’avons montré plus haut. Voilà pourquoi l’on range la tempérance parmi les vertus principales ou cardinales.

Solutions :

1. La force d’une cause se manifeste d’autant plus qu’elle peut étendre son action à ce qui est plus éloigné. C’est pourquoi la force de la raison se montre plus grande par cela même qu’elle peut ainsi modérer les convoitises et les plaisirs les plus éloignés. C’est à cela que tient la primauté de la tempérance.

2. Un mouvement de colère a pour cause quelque chose d’accidentel, par exemple une blessure douloureuse. C’est pourquoi il passe vite, quoique son impétuosité soit grande. Au contraire, le mouvement de convoitise des plaisirs du toucher procède d’une cause naturelle ; aussi est-il plus durable et plus répandu. Et c’est pourquoi il appartient à une vertu plus capitale de le refréner.

3. Ce qu’on espère est plus noble que ce que l’on convoite ; à cause de cela l’espoir est une passion principale placée dans l’irascible. Mais les biens qui provoquent la convoitise et le plaisir du toucher émeuvent l’appétit de façon plus violente, parce qu’ils sont plus naturels. C’est pourquoi la tempérance, qui les modère, est une vertu principale.

 

            Article 8 — La tempérance est-elle la plus importante des vertus ?

Objections :

1. Il semble qu’il en soit ainsi. S. Ambroise dit en effet : " C’est la tempérance qui regarde et recherche le plus le souci de l’honneur et la considération de la bienséance. " Or une vertu est digne d’éloges quand elle est honorable et décente. La tempérance est donc la plus grande des vertus.

2. Il revient à une plus grande vertu de faire ce qui est plus difficile. Or il est plus difficile de refréner les convoitises et les plaisirs du toucher que de rectifier les actions extérieures : cela revient à la tempérance, ceci à la justice. La tempérance est donc une vertu plus grande que la justice.

3. Une chose paraît d’autant plus nécessaire et meilleure qu’elle est d’un usage plus fréquent. Or la force a trait aux périls de mort, qui se présentent plus rarement que les plaisirs du toucher, lesquels se présentent tous les jours. Aussi l’usage de la tempérance est-il plus fréquent que celui de la force. C’est pourquoi la tempérance est une vertu plus noble que la force.

En sens contraire, Aristote dit : " Les vertus les plus grandes sont celles qui sont les plus utiles aux autres ; c’est pourquoi nous honorons surtout les hommes forts et les hommes justes. "

Réponse :

Selon Aristote " le bien de la multitude est plus divin que le bien de l’individu ". C’est pourquoi une vertu est d’autant meilleure qu’elle contribue davantage au bien de la multitude. Or la justice et la force contribuent davantage au bien de la multitude que la tempérance ; car la justice règle les relations avec autrui ; la force affronte les périls des combats en vue du salut public, tandis que la tempérance modère seulement les convoitises et les plaisirs individuels. Il est donc clair que la justice et la force sont des vertus plus éminentes que la tempérance. Et la prudence et les vertus théologales sont encore plus importantes.

Solutions :

1. L’honneur et la bienséance sont surtout attribués à la tempérance non pas à cause de l’excellence de son bien propre, mais à cause de la grossièreté du mal contraire, dont elle préserve en réglant les jouissances qui nous sont communes avec les bêtes.

2. La vertu concerne " ce qui est difficile et bon ", mais on apprécie la dignité d’une vertu davantage au point de vue de la bonté, où la justice l’emporte, qu’au point de vue de la difficulté, où c’est la tempérance qui l’emporte.

3. La valeur communautaire qui rattache une vertu à la multitude des hommes lui confère une bonté plus éminente que son emploi fréquent ; cela donne la supériorité à la force, ceci à la tempérance. Aussi, de façon absolue, la force est plus importante, bien que, d’un certain point de vue, on puisse dire la tempérance plus importante que la force et même que la justice.

 

 

QUESTION 142 — LES VICES OPPOSÉS À LA TEMPÉRANCE — INSENSIBIILITÉ ET INTEMPÉRANCE.

1. L’insensibilité est-elle un péché ? - 2. L’intempérance est-elle un péché puéril ? - 3. Comparaison entre intempérance et lâcheté. - 4. Le péché d’intempérance est-il le plus déshonorant ?

 

            Article 1 — L’insensibilité est-elle un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. On appelle en effet insensibles ceux qui s’abstiennent des plaisirs du toucher. Mais s’abstenir tout à fait en ce domaine semble louable et vertueux, comme cela ressort du livre de Daniel (10, 2-3) : " En ces temps-là, moi, Daniel, je faisais une pénitence de trois semaines ; je ne mangeais point de nourriture désirable : viande ni vin n’approchaient de ma bouche, et je ne me parfumais pas. " L’insensibilité n’est donc pas un péché.

2. Le bien de l’homme est de se conformer à la raison, selon Denys. Mais s’abstenir de tout plaisir du toucher fait grandement avancer l’homme dans le bien de la raison. Daniel dit en effet (1, 17) qu’aux jeunes gens qui ne mangeaient que des légumes " Dieu donna science et intelligence en matière de lettres et en sagesse ". L’insensibilité qui repousse tous les plaisirs du toucher n’est donc pas vicieuse.

3. Ce qui écarte le plus du péché ne semble pas vicieux. Or le meilleur remède pour s’abstenir du péché est de fuir les jouissances, ce qui est une marque d’insensibilité. Aristote dit en effet " qu’en renonçant au plaisir, nous pécherons moins ". L’insensibilité n’est donc pas quelque chose de vicieux.

En sens contraire, il n’y a que le vice pour s’opposer à la vertu. Or l’insensibilité s’oppose à la vertu de tempérance, fait remarquer Aristote.

Réponse :

Tout ce qui contrarie l’ordre naturel est vicieux. Or la nature a joint le plaisir aux activités nécessaires à la vie de l’homme. C’est pourquoi l’ordre naturel requiert que l’homme se serve des plaisirs de ce genre dans la mesure où c’est nécessaire à son salut, soit pour la conservation de l’individu, soit pour la conservation de l’espèce. Donc, si quelqu’un fuyait la jouissance au point de négliger ce qui est nécessaire à la conservation de la nature, il commettrait un péché, car se serait s’opposer à l’ordre naturel. C’est en cela que consiste le vice d’insensibilité.

Il faut savoir cependant qu’il est parfois louable ou même nécessaire de s’abstenir, en vue d’une certaine fin, des jouissances qui font suite aux actes de ce genre. Ainsi, en vue de la santé du corps, certains s’abstiennent des plaisirs que procurent la nourriture, la boisson et les relations sexuelles. De même en vue de la bonne exécution d’une tâche : ainsi est-il nécessaire aux athlètes et aux soldats de s’abstenir de beaucoup de plaisirs, afin d’accomplir leur tâche propre. De même encore les pénitents, pour retrouver la santé de l’âme, font abstinence de choses délectables, comme s’ils suivaient un régime. Et les hommes qui veulent s’adonner à la contemplation et aux choses divines doivent s’abstenir davantage des désirs charnels. Mais rien de ce que l’on vient de dire n’appartient au vice d’insensibilité, car tout cela est conforme à la droite raison.

Solutions :

1. Daniel pratiquait cette abstinence des plaisirs, non parce qu’il méprisait les plaisirs comme mauvais en eux-mêmes, mais pour une fin louable, afin de se disposer à une plus haute contemplation en se privant des plaisirs corporels. C’est pourquoi le texte ajoute aussitôt qu’une révélation lui fut faite.

2. L’homme ne peut se servir de la raison sans les puissances sensibles, qui ont besoin d’un organe corporel, comme on l’a vu dans la première Partie ; il est donc nécessaire que l’homme sustente son corps pour pouvoir user de sa raison. Or la réfection du corps se fait par des actes qui procurent du plaisir. Le bien de la raison ne peut donc exister dans l’homme s’il s’abstient de tout plaisir. Cependant, comme l’homme pour faire un acte de raison a plus ou moins besoin de la puissance corporelle, il lui sera plus ou moins nécessaire d’employer des plaisirs corporels. C’est pourquoi ceux qui ont assumé la charge de s’adonner à la contemplation et de transmettre aux autres le bien spirituel comme par une espèce de propagation spirituelle, s’abstiennent de beaucoup de plaisirs, et en cela ils sont dignes de louange. Au contraire, ceux à qui il appartient, en raison de leur office, de se livrer aux œuvres corporelles et à la génération charnelle, ne mériteraient pas, la louange en s’en abstenant.

3. Il faut fuir le plaisir pour éviter le péché, non totalement, mais de sorte qu’il ne soit pas recherché au-delà de ce que la nécessité requiert.

 

            Article 2 — L’intempérance est-elle un péché puéril ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. A propos de ce verset de S. Matthieu (18, 3) : " Si vous ne retournez pas à l’état des enfants, etc. " S. Jérôme dit que " l’enfant ne demeure pas en colère, il n’a pas le souvenir du mal qu’on lui a fait, et ne se réjouit pas en voyant une belle femme ", ce qui est contraire à l’intempérance. L’intempérance n’est donc pas un péché puéril.

2. Les enfants n’ont que des convoitises naturelles. Mais, au sujet de celles-ci, peu d’hommes pèchent par intempérance, selon Aristote. L’intempérance n’est donc pas un péché puéril.

3. Il faut choyer et nourrir les enfants. Au contraire il faut toujours amoindrir et extirper la convoitise et la jouissance auxquelles a trait l’intempérance. S. Paul dit en effet (Col 3, 5) : " Mortifiez donc vos membres terrestres : fornication, impureté, etc. " L’intempérance n’est donc pas un péché puéril.

En sens contraire, Aristote dit : " Nous appliquons ce mot d’intempérance aux fautes des enfants. "

Réponse :

Quelque chose est appelé puéril de deux façons. D’une première façon, parce que cela convient aux enfants. Ce n’est pas le sens donné par Aristote quand il dit que l’intempérance est puérile. D’une autre façon, à cause d’une certaine analogie. C’est de cette façon que les péchés d’intempérance sont dits puérils. Le péché d’intempérance est en effet un péché de convoitise excessive, que l’on assimile à l’enfant selon trois points de vue.

D’abord, selon ce que l’un et l’autre convoitent. Comme l’enfant en effet, la convoitise désire quelque chose de laid. Dans les choses humaines est beau ce qui est ordonné selon la raison ; c’est pourquoi Cicéron dit que " le beau est ce qui est conforme à l’excellence de l’homme en ce qui distingue sa nature des autres animaux ". Or l’enfant ne fait pas attention à l’ordre de la raison. Et de même, selon Aristote, la convoitise n’écoute pas la raison.

Ensuite ils se rencontrent quant au résultat. Si on laisse l’enfant faire sa volonté, sa volonté propre ne cesse de grandir. Aussi, selon l’Ecclésiastique (30, 8), " un cheval mal dressé devient rétif, et un enfant laissé à lui-même devient impétueux ". Il en est de même pour la convoitise. Si on lui donne satisfaction, elle devient plus vigoureuse, comme le remarque S. Augustin : " L’asservissement à la passion crée l’habitude, et la non-résistance à l’habitude crée la nécessité. "

Enfin, il y a également similitude quant au remède qui s’applique à l’un et à l’autre. En effet on corrige l’enfant en le contraignant. C’est ainsi qu’il est dit dans les Proverbes (29, 13) : " Ne ménage pas à l’enfant sa correction. Si tu le frappes de la baguette, tu délivreras son âme de l’enfer. " De même, quand on résiste à la convoitise on la ramène à la juste mesure de l’honnête. Comme dit S. Augustin " quand l’âme s’accroche aux choses spirituelles et y demeure fixée, l’habitude - c’est-à-dire l’habitude de la convoitise charnelle - voit ses assauts brisés et peu à peu la répression l’éteint. L’habitude, en effet, quand nous la suivions, était plus grande ; mais quand nous la refrénons, elle n’est pas supprimée tout à fait, mais certainement diminuée. " Selon Aristote " de même que l’enfant doit vivre selon les commandements de son maître, de même notre faculté de désirer doit se conformer aux prescriptions de la raison ".

Solutions :

1. L’objection entend par puéril ce qui se rencontre chez l’enfant. Or ce n’est pas de cette façon que le péché d’intempérance est dit puéril, mais par similitude.

2. Une convoitise peut être dite naturelle de deux façons. D’une première façon, selon son genre. C’est ainsi que la tempérance et l’intempérance ont pour objet des convoitises naturelles : elles portent en effet sur les convoitises de la nourriture et du sexe, qui sont ordonnées à la conservation de la nature. - D’une autre façon la convoitise peut être dite naturelle quant à l’espèce de ce que la nature requiert pour sa conservation. De ce point de vue il n’arrive pas souvent de pécher en matière de convoitise naturelle. La nature n’exige en effet que ce qui permet de subvenir à la nécessité de la nature : quand on le désire il ne peut y avoir péché que par un excès quantitatif ; c’est en cela seulement que l’on pèche en matière de convoitise naturelle, dit Aristote.

Mais il en va différemment de certains excitants à la convoitise par lesquels on pèche le plus souvent, et qui sont inventés par l’ingéniosité des hommes comme les mets savamment préparés, et les parures féminines. Bien que les enfants ne recherchent pas souvent cela, l’intempérance est cependant dite un péché puéril pour la raison donnée dans la Réponse de l’article.

3. Ce qui appartient à la nature doit être développé et cultivé chez les enfants. En revanche, ce qui est déraisonnable ne doit pas être favorisé chez eux, mais corrigé, nous venons de le voir.

 

            Article 3 — Comparaison entre intempérance et lâcheté

Objections :

1. Il semble que la lâcheté soit un vice plus grand que l’intempérance. En effet, un vice est blâmé parce qu’il s’oppose au bien de la vertu. Or la lâcheté s’oppose à la force, qui est une vertu plus noble que la tempérance, à laquelle s’oppose l’intempérance. De ce fait, la lâcheté apparaît aussi comme un vice plus grand que l’intempérance.

2. On est moins à blâmer quand on succombe en ce qui est plus difficile à vaincre. C’est pourquoi Aristote dit qu’on " ne s’étonne pas de voir un homme vaincu par des délectations ou des tristesses fortes et excessives ; on est plutôt porté à lui pardonner ". Or il semble plus difficile de vaincre les jouissances que les autres passions. Selon Aristote, " il est plus difficile de résister au plaisir que de contenir la colère ". L’intempérance, qui succombe au plaisir, est donc un péché moins grand que la lâcheté, qui succombe à la crainte.

3. Le volontaire est essentiel à la raison de péché. Or la lâcheté est plus volontaire que l’intempérance. Personne en effet ne désire être intempérant, mais on désire fuir les périls de mort ; ce qui relève de la lâcheté. La lâcheté est donc un péché plus grave que l’intempérance.

En sens contraire, d’après Aristote, " l’intempérance paraît dépendre de notre volonté plus que la lâcheté ". Il y a donc plus de péché en elle.

Réponse :

Un vice peut se comparer à un autre de deux façons. Ou bien en considérant sa matière, son objet ; ou bien considérant Je pécheur lui-même. De l’une et l’autre façon l’intempérance est un vice plus grave que la lâcheté. D’abord, quand on considère la matière. Car la lâcheté fuit les périls de mort, que nous évitons à cause de la nécessité suprême : conserver la vie. Quant à l’intempérance, elle a trait aux jouissances dont la recherche n’est pas aussi nécessaire à la conservation de la vie parce que, nous l’avons dit, l’intempérance concerne davantage des jouissances ou convoitises additionnelles que les convoitises ou jouissances naturelles. Or le péché est d’autant plus léger que ce qui pousse à pécher semble plus nécessaire. C’est pourquoi l’intempérance est un vice plus grave que la lâcheté au point de vue de l’objet ou de la matière.

Il en est de même au point de vue du pécheur. Et cela pour trois raisons. D’abord, parce qu’on pèche d’autant plus gravement que l’on est davantage maître de son esprit ; c’est pourquoi on ne reproche pas leurs péchés aux aliénés. Or les craintes et les peines graves, surtout dans les dangers de mort, paralysent l’esprit de l’homme. Ce que ne fait pas le plaisir, qui conduit à l’intempérance.

Ensuite, parce qu’un péché est d’autant plus grave qu’il est plus volontaire. Or l’intempérance comporte plus de volontaire que la lâcheté.

Et cela pour deux raisons. En premier lieu, parce que l’action faite par crainte a son principe dans une impulsion extérieure : c’est pourquoi elle n’est pas purement et simplement volontaire, mais comporte du mélange, dit Aristote. Au contraire, l’action faite pour le plaisir est purement et simplement volontaire. - En second lieu, parce que les actes d’intempérance sont plus volontaires dans le particulier, mais moins volontaires dans le général : personne en effet, ne voudrait être intempérant ; cependant l’homme est attiré par des jouissances particulières qui le rendent intempérant. Aussi le meilleur remède pour éviter l’intempérance est-il de ne pas s’attarder à la considération de choses particulières. Mais, en ce qui concerne la lâcheté, c’est le contraire. Car les faits particuliers et subits, comme jeter son bouclier ou autres actes semblables, sont moins volontaires, tandis que l’attitude générale elle-même est plus volontaire, comme de chercher son salut dans la fuite. Or, ce qui est le plus volontaire purement et simplement, c’est ce qui est volontaire dans les circonstances particulières, où se situent les actes. C’est pourquoi l’intempérance qui est, de façon absolue, plus volontaire que la lâcheté, est un vice plus grand.

Enfin, on peut trouver plus facilement un remède contre l’intempérance que contre la lâcheté du fait que les plaisirs de la nourriture et de la sexualité se présentent tout au long de la vie, et envers elles l’homme peut s’exercer sans danger à devenir tempérant ; tandis que les périls de mort se présentent plus rarement, et il est plus dangereux pour l’homme de s’exercer envers eux à vaincre sa lâcheté.

L’intempérance est donc en elle-même un péché plus grand que la lâcheté.

Solutions :

1. La supériorité de la force sur la tempérance peut se considérer à deux points de vue ? : l° Au point de vue de la fin, qui ressortit à la raison de bien, parce que la force est davantage ordonnée au bien commun que la tempérance. De ce point de vue également la lâcheté a une certaine supériorité sur l’intempérance, car c’est par lâcheté qu’on abandonne la défense du bien commun. 2° Au point de vue de la difficulté, en tant qu’il est plus difficile de subir les périls de mort que de s’abstenir de certaines choses délectables. Sous ce rapport, ce n’est pas la lâcheté qui l’emporte sur l’intempérance. De même en effet qu’il y a plus de vertu à ne pas succomber à ce qui est plus fort, de même, inversement, c’est un vice moins grand d’être vaincu par le plus fort, et un vice plus grand d’être surpassé par le plus faible.

2. L’amour de la conservation de la vie, qui fait fuir les périls de mort, est beaucoup plus naturel que toutes les délectations de la nourriture et du sexe, qui sont ordonnées à la conservation de la vie. C’est pourquoi il est plus difficile de vaincre la crainte en face des périls de mort que la convoitise des plaisirs alimentaires ou sexuels. Cependant il est plus difficile de résister à ces derniers qu’à la colère, à la tristesse et à la crainte de certains autres maux.

3. Donc la lâcheté volontaire est considérée davantage en général et moins en particulier. C’est pourquoi chez elle il y a plus de volontaire relatif et pas de volontaire absolu.

 

            Article 4 — Le péché d’intempérance est-il le plus déshonorant ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. De même en effet qu’on doit honorer la vertu, de même on doit mépriser le péché. Or il y a des péchés qui sont plus graves que l’intempérance, comme l’homicide, le blasphème, etc. Le péché d’intempérance n’est donc pas le plus blâmable.

2. Les péchés qui sont les plus communs semblent moins blâmables, car on en éprouve moins de honte. Mais les péchés d’intempérance sont les plus communs, parce qu’ils ont pour matière ce qui se présente communément dans la pratique de la vie humaine, en quoi aussi la plupart commettent le péché. Les péchés d’intempérance ne semblent donc pas les plus blâmables.

3. Aristote, dit que " la tempérance et l’intempérance concernent les désirs et les plaisirs humains ". Or il y a des désirs et des plaisirs qui sont plus vils que les désirs et les plaisirs humains : ce sont ceux, selon Aristote, qui relèvent de la bestialité et de la morbidité. L’intempérance n’est donc pas la plus blâmable.

En sens contraire, selon Aristote, l’intempérance, parmi les autres vices, " apparaît à juste titre blâmable ".

Réponse :

Le déshonneur semble s’opposer à l’honneur et à la gloire. Or l’honneur est dû à la supériorité, comme on l’a vu antérieurement, et la gloire implique l’éclat. L’intempérance est donc la plus blâmable pour deux raisons : d’abord parce qu’elle contrarie au maximum la dignité humaine. En effet, elle a pour matière les plaisirs qui nous sont communs avec les bêtes, nous l’avons dit. Selon le Psaume (49, 21), " l’homme dans son luxe est sans intelligence, il ressemble au bétail qu’on abat ". Ensuite, parce queue est le plus contraire à l’éclat et à la beauté de l’homme, car c’est dans les jouissances sur lesquelles porte l’intempérance qu’apparaît le moins la lumière de la raison qui donne à la vertu tout son éclat et sa beauté. C’est pourquoi ces jouissances sont appelées les plus serviles.

Solutions :

1. Selon S. Grégoire, les péchés de la chair, qui font partie de l’intempérance, même s’ils sont moins coupables, méritent cependant un plus grand mépris. Car la grandeur de la faute se prend du désordre par rapport à la fin, tandis que le mépris regarde la honte, qui s’évalue surtout selon l’indécence du pécheur.

2. Qu’un péché se commette habituellement diminue sa honte et son déshonneur dans l’opinion des hommes, mais il n’en est pas ainsi selon la nature des vices eux-mêmes.

3. Quand on dit que l’intempérance est la plus blâmable, il faut l’entendre parmi les vices humains, qui ont trait aux passions quelque peu conformes à la nature humaine. Mais les vices qui dépassent le mode de la nature humaine sont encore plus blâmables. Cependant même ceux-ci semblent se réduire au genre de l’intempérance selon un certain excès : comme lorsque quelqu’un trouve son plaisir à manger de la chair humaine, ou à avoir des relations sexuelles avec des bêtes ou avec des personnes du même sexe.

LES PARTIES DE LA TEMPÉRANCE

Il faut maintenant étudier les parties de la tempérance : I. D’abord ces parties elles-mêmes

en général (Q. 143). II. Ensuite, chacune d’entre elles en particulier (Q. 144-169).

 

 

QUESTION 143 — LES PARTIES DE LA TEMPÉRANCE EN GÉNÉRAL.

            Article UNIQUE

Objections :

1. Il ne semble pas que Cicéron ait raison lorsqu’il cite, comme parties de la tempérance, " la continence, la clémence et la modestie ". La continence, en effet, se distingue de la vertu par opposition, d’après Aristote. Or la tempérance se range sous la vertu. La continence n’est donc pas une partie de la tempérance.

2. La clémence semble avoir pour effet d’apaiser la haine ou la colère. Or la tempérance n’a pas affaire à celles-ci, mais aux plaisirs du toucher. La clémence n’est donc pas une partie de la tempérance.

3. La modestie se trouve dans les actes extérieurs. C’est pourquoi S. Paul dit (Ph 4, 5) : " Que votre modestie soit connue de tous les hommes. "

Or les actes extérieurs sont la matière de la justice, comme on l’a dit plus haute. La modestie est donc davantage une partie de la justice que de la tempérance.

4. Macrobe cite de plus nombreuses parties de la tempérance. Il dit en effet qu’à la tempérance font suite " la modestie, la pudeur, l’abstinence, la chasteté, le sens de l’humour, la modération, la frugalité, la sobriété, la pudicité ". Andronicus dit aussi que les tempérances domestiques sont " la retenue, la continence, l’humilité, la simplicité, la distinction, la bonne ordonnance, la limitation à ce qui suffit ". Cicéron semble donc avoir donné une énumération insuffisante des parties de la tempérance.

Réponse :

Nous avons dit que la vertu cardinale pouvait avoir trois sortes de parties : intégrantes, objectives et potentielles. Les parties intégrantes d’une vertu sont les conditions qui concernent nécessairement la vertu. De ce point de vue il y a deux parties intégrantes de la tempérance : la pudeur, qui fait fuir la honte contraire à la tempérance ; et le sens de l’honneur, qui fait aimer la beauté de la tempérance. On l’a dit en effet, parmi les vertus, c’est principalement la tempérance qui revendique pour elle un certain éclat, et les vices d’intempérance sont les plus honteux.

Les parties subjectives d’une vertu sont ses espèces. Mais on doit diversifier les espèces de la vertu selon la variété de la matière ou objet. Or la tempérance a trait aux plaisirs du toucher, qui se divisent en deux genres. Les uns sont ordonnés à la nutrition. Et s’il s’agit de manger, la vertu en question est l’abstinence ; s’il s’agit de boire, c’est proprement la sobriété. - Mais d’autres plaisirs sont ordonnés à la génération. S’il s’agit du plaisir principal que procure l’union chamelle, la vertu correspondante est la chasteté ; s’il s’agit des plaisirs avoisinants, par exemple ceux que donnent les baisers, les attouchements et les étreintes, la vertu correspondante est la pudicité.

Les vertus potentielles d’une vertu principale sont les vertus secondaires qui, en certaines autres matières où l’on ne rencontre pas la même difficulté, observent une mesure identique à celle qu’observe la vertu principale envers la matière principale. Or il appartient à la tempérance de modérer les plaisirs du toucher, qui sont les plus difficiles à modérer. Aussi toute vertu régulatrice d’une matière quelconque et modératrice du désir tendu vers quelque chose, peut-elle être considérée comme une partie de la tempérance à titre de vertu annexe. Ce qui arrive de trois façons : l° dans les mouvements intérieurs de l’âme ; 2° dans les mouvements et les actes extérieurs du corps ; 3° dans les choses extérieures.

En dehors du mouvement de convoitise que modère et refrène la tempérance, on trouve dans l’âme trois mouvements tendant vers quelque chose. Le premier est celui de la volonté emportée par l’élan de la passion ; ce mouvement est retenu par la continence, qui permet à la volonté de ne pas être vaincue, bien que l’homme subisse des désirs immodérés. Un autre mouvement intérieur est celui de l’espoir et de l’audace qui lui fait suite ; ce mouvement est modéré ou refréné par l’humilité. Un troisième mouvement est celui de la colère cherchant à se venger ; ce mouvement est refréné par la douceur ou la clémence.

En ce qui concerne les mouvements et les actes du corps, c’est la modestie qui modère et qui freine. Andronicus la divise en trois éléments. Au premier il appartient de discerner ce qu’il faut faire et ne pas faire, et en quel ordre agir, et il lui appartient de persister fermement en tout cela : c’est la bonne ordonnance ; le deuxième vise à ce que l’homme, en ce qu’il fait, observe la décence : c’est la distinction ; le troisième regarde les conversations avec les amis, ou avec les autres c’est la retenue.

En ce qui concerne les choses extérieures une double modération est à observer. Il s’agit d’abord de ne pas rechercher le superflu ; pour Macrobe c’est la frugalité, pour Andronicus c’est la limitation à ce qui suffit. En second lieu, il ne faut pas que l’homme recherche ce qui est trop raffiné ; pour Macrobe c’est la modération, pour Andronicus c’est la simplicité.

Solutions :

1. La continence diffère de la vertu comme l’imparfait diffère du parfait, on le dira plus loin ; c’est en ce sens qu’elle s’en distingue. Cependant elle se rencontre avec la tempérance par sa matière, puisqu’elle se rapporte aux plaisirs du toucher, et par sa forme, puisqu’elle consiste en une certaine maîtrise. C’est pourquoi il convient d’en faire une partie de la tempérance.

2. La clémence ou mansuétude n’est pas une partie de la tempérance parce que leur matière serait la même, mais parce qu’elles se rencontrent dans leur manière de refréner et de modérer, nous venons de le dire.

3. Dans les actes extérieurs la justice s’applique à rendre à l’autre son dû. Ce n’est pas à cela que vise la modestie, mais à une certaine modération. C’est pourquoi elle n’est pas une partie de la justice, mais une partie de la tempérance.

4. Par modestie Cicéron entend tout ce qui concerne la modération des mouvements corporels et des choses extérieures ; et aussi la modération de l’espoir, que nous avons dit à l’instant appartenir à l’humilité.

Il faut maintenant traiter des parties de la tempérance en particulier. Et d’abord des parties pour ainsi dire intégrantes : la pudeur (Q. 144) et le sens de l’honneur (Q. 145).

 

 

QUESTION 144 — LA PUDEUR

1. La pudeur est-elle une vertu ? - 2. Sur quoi porte-t-elle ? - 3. Devant qui la ressent-on ? - 4. Quels sont ceux qui la ressentent ?

 

            Article 1 — La pudeur est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que la pudeur soit une vertu. Le propre de la vertu est en effet de " se tenir dans le milieu que détermine la raison " : c’est la définition donnée par Aristote. Or, selon Aristote la pudeur se trouve en un tel milieu. La pudeur est donc une vertu.

2. Tout ce qui est louable, ou bien est vertu, ou bien appartient à la vertu. Or la pudeur est quelque chose de louable. D’autre part elle n’est la partie d’aucune vertu. Elle n’est pas une partie de la prudence, puisqu’elle n’est pas dans la raison mais dans l’appétit. Elle n’est pas non plus une partie de la justice, puisqu’elle comporte une certaine passion, alors que la justice ne concerne pas les passions. De même elle n’est pas une partie de la force, puisqu’il appartient à la force de tenir et d’attaquer, alors qu’à la pudeur il appartient de fuir quelque chose. Elle n’est pas non plus une partie de la tempérance, puisque la tempérance concerne les convoitises, alors que la pudeur est " une certaine peur " selon Aristote et S. Jean Damascène. Il reste donc que la pudeur est une vertu.

3. L’honnête coïncide avec la vertu, selon Cicéron. Or la pudeur fait en quelque sorte partie du sens de l’honneur ; S. Ambroise dit en effet que " la pudeur est la compagne et l’amie de la tranquillité de l’âme : fuyant l’impudence, étrangère à toute espèce de luxe, elle aime la sobriété, elle favorise le sens de l’honneur et recherche la beauté ". La pudeur est donc une vertu.

4. Tout vice s’oppose à une vertu. Or il y a des vices qui s’opposent à la pudeur, par exemple l’impudeur qui ne rougit de rien et l’insensibilité excessive. La pudeur est donc une vertu.

5. " Les actes engendrent des habitus qui leur sont semblables ", dit Aristote. Or la pudeur implique un acte louable. La multiplication de tels actes engendre donc un habitus. Or l’habitus d’œuvres louables est une vertu, comme le montre Aristote. La pudeur est donc une vertu.

En sens contraire, Aristote dit que la pudeur n’est pas une vertu.

Réponse :

La vertu s’entend de deux façons : au sens propre, et au sens large. Au sens propre, " la vertu est une certaine perfection ", d’après Aristote. C’est pourquoi tout ce qui est incompatible avec la perfection, même s’il s’agit de quelque chose de bon, manque de ce qui est essentiel à la vertu. Or la pudeur est incompatible avec la perfection. Elle est en effet la crainte de quelque chose de honteux, c’est-à-dire de blâmable. S. Jean Damascène la définit : " La crainte de commettre un acte honteux. " Or, de même que l’espoir a pour objet un bien possible et difficile à atteindre, de même la crainte a pour objet un mal possible et difficile à éviter. C’est ce que nous avons vu en traitant des passions. Mais celui qui est parfait, parce qu’il possède l’habitus de la vertu, ne conçoit pas quelque chose à faire de blâmable et de honteux comme possible et ardu, c’est-à-dire difficile à éviter ; il ne commet pas non plus effectivement quelque chose de honteux dont il craindrait d’avoir à rougir. C’est pourquoi la pudeur n’est pas, à proprement parler, une vertu, car elle manque de la perfection exigée par la vertu.

Mais, au sens large, on appelle vertu tout ce qui est bon et louable dans les actions et les passions humaines. En ce sens la pudeur est appelée parfois vertu, puisqu’elle est une passion louable.

Solutions :

1. " Tenir le juste milieu " ne suffit pas à la raison de vertu, bien que ce soit un des éléments de la définition de la vertu : il est requis en outre qu’elle soit " un habitus électif ", c’est-à-dire opérant par choix. Or la pudeur ne désigne pas un habitus mais une passion, et son mouvement ne procède pas d’un choix, mais d’un certain élan émotif Elle n’a donc pas ce qu’il faut pour être une vertu.

2. La pudeur, nous venons de le dire, est une crainte de la honte et du blâme. Mais on a dit plus haut que le vice d’intempérance était le plus honteux et le plus blâmable. C’est pourquoi la pudeur appartient davantage à la tempérance qu’à toute autre vertu, en raison de son motif, l’objet honteux, mais non en raison de son espèce comme passion, qui est la crainte. Toutefois, en tant que les vices opposés aux autres vertus sont honteux et méritent le mépris, la pudeur peut aussi se rattacher aux autres vertus.

3. La pudeur favorise le sens de l’honneur en écartant ce qui est contraire à l’honneur, mais non au point d’atteindre à la parfaite raison d’honneur.

4. Tout manque cause un vice, mais tout bien ne suffit pas à la raison de vertu. C’est pourquoi tout ce à quoi un vice s’oppose directement n’est pas nécessairement une vertu, bien que tout vice, par son origine, s’oppose à quelque vertu. Et ainsi l’impudeur, en tant qu’elle provient d’un amour excessif pour les choses honteuses, s’oppose à la tempérance.

5. Le fait d’éprouver souvent de la pudeur engendre l’habitus de la vertu acquise qui fait éviter les choses honteuses sur lesquelles porte la pudeur, mais ce n’est pas un habitus de pudeur pour l’avenir. Toutefois cet habitus de la vertu acquise dispose à éprouver plus de pudeur là où il y aurait matière à cela.

 

            Article 2 — Sur quoi la pudeur porte-t-elle ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’elle porte sur un acte honteux. Aristote dit en effet que la pudeur est " une crainte de l’humiliation ". Mais il arrive que ceux qui ne font rien de honteux souffrent l’humiliation. Comme dit le Psaume (69, 8) : " C’est pour toi que je souffre l’insulte, que la honte me couvre le visage. " La pudeur ne porte donc pas, à proprement parler, sur l’acte honteux.

2. Seul ce qui est péché semble honteux. Or on rougit de choses qui ne sont pas des péchés, par exemple quand on accomplit des travaux serviles. Il semble donc que la pudeur ne porte pas proprement sur l’acte honteux.

3. Les actes des vertus ne sont pas honteux, mais ils sont " très beaux ", dit Aristote. Or il arrive parfois qu’on éprouve de la honte en faisant des actes de vertu. C’est ainsi qu’on lit dans S. Luc (9, 26) : " Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, de celui-là le Fils de l’homme rougira... " La pudeur ne porte donc pas sur l’acte honteux.

4. Si la pudeur se rapportait strictement à l’acte honteux, il faudrait que l’homme ait honte davantage des choses les plus honteuses. Mais il arrive que l’homme ait honte davantage des choses qui sont de moindres péchés, alors qu’au contraire il se glorifie de péchés très graves, si l’on en croit le Psaume (52, 3) - " Pourquoi te prévaloir du mal, héros d’infamie ? " La pudeur ne porte donc pas proprement sur l’acte honteux.

En sens contraire, S. Jean Damascène et S. Grégoire de Nysse disent l’un et l’autre que " la pudeur est une crainte de l’acte honteux " ou " de ce qui a été accompli de honteux ".

Réponse :

Nous avons dit en traitant de la passion de crainte, que celle-ci se rapportait essentiellement au mal ardu, c’est-à-dire difficile à éviter. Or il y a deux sortes de honte. L’une d’elle est vicieuse, celle qui consiste dans une difformité de l’acte volontaire. Celle-ci, à proprement parler, ne rentre pas dans la notion de mal difficile à éviter. Car ce qui se trouve dans la seule volonté ne semble pas être ardu et dépasser le pouvoir de l’homme, et ce n’est pas considéré pour ce motif comme quelque chose de redoutable. C’est pourquoi Aristote, dit que ces maux-là ne sont pas objet de crainte.

L’autre espèce de honte a pour ainsi dire un caractère pénal. Elle consiste en effet dans le blâme, de même qu’un certain éclat de gloire consiste dans l’honneur rendu à quelqu’un. Et parce que ce blâme est un mal difficile à supporter, de même que l’honneur est un bien difficile à acquérir, la pudeur, qui est une crainte de la honte, regarde en premier lieu et principalement le blâme ou déshonneur. Et parce que c’est le vice qui, proprement, mérite le blâme, et la vertu qui mérite l’honneur, pour cette raison et par voie de conséquence, la pudeur regarde la honte du vice. C’est pourquoi Aristote dit que l’homme éprouve moins de pudeur pour les manques qui ne proviennent pas de sa faute.

Par ailleurs, la pudeur regarde la faute de deux façons. En ce sens d’abord que l’homme se retient de commettre des choses vicieuses par crainte du blâme. Et en cet autre sens que l’homme, quand il fait des choses honteuses, se soustrait à la vue du public, par crainte du blâme. Selon S. Grégoire de Nysse, il s’agit, dans le premier cas, de la " peur d’avoir à rougir ", dans le second cas, de la " crainte de la honte ". C’est pourquoi il dit que " celui qui craint la honte se cache pour mal faire, et celui qui a peur d’avoir à rougir craint de tomber dans le déshonneur ".

Solutions :

1. La pudeur regarde proprement le déshonneur mérité par une faute qui est un défaut volontaire. C’est pourquoi Aristote dit que " l’homme a davantage honte de tout ce dont il est cause ". L’homme vertueux méprise les opprobres qui lui viennent à cause de sa vertu, car ils lui sont infligés indignement. C’est ce que dit Aristote à propos des magnanimes ; et il est dit des Apôtres (Ac 5, 41) qu’" ils s’en allèrent du Sanhédrin, tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Nom ". Il arrive cependant qu’un homme vertueux éprouve de la honte pour les injures qui lui sont faites, mais c’est à cause de l’imperfection de sa vertu. Car plus on est vertueux, plus on méprise les biens et les maux extérieurs. C’est pourquoi Isaïe peut dire (51, 7) : " Ne craignez pas les injures des hommes. "

2. L’honneur, bien qu’il soit dû à la seule vertu, nous l’avons montré, est accordé cependant pour n’importe quelle supériorité ; de même le blâme, qui n’est dû en vérité qu’à la seule faute, est infligé cependant, du moins selon l’opinion des hommes, pour n’importe quelle déficience. C’est pourquoi il arrive que l’on éprouve de la honte à cause de sa pauvreté, de sa naissance modeste, etc.

3. La pudeur ne provient pas des œuvres vertueuses considérées en elles-mêmes. Cependant il arrive par accident que quelqu’un en éprouve, soit parce qu’elles sont considérées dans l’opinion des hommes comme vicieuses, soit parce que l’on craint, dans les œuvres vertueuses, d’être taxé de présomption ou même d’hypocrisie.

4. Il arrive parfois que des péchés plus graves soient moins capables de susciter la honte, soit parce qu’ils comportent un aspect moins honteux, comme par exemple les péchés de l’esprit comparés aux péchés de la chair, soit parce qu’ils manifestent une certaine abondance de biens temporels : c’est ainsi qu’on éprouve plus de honte de sa pusillanimité que de son audace, d’un petit larcin que d’un vol important, qui donne une image de puissance. Et ainsi du reste.

 

            Article 3 — Devant qui ressent-on de la pudeur ?

Objections :

1. Il semble qu’on n’éprouve pas davantage de pudeur devant les personnes qui nous sont le plus unies. En effet, dit Aristote, " les hommes rougissent davantage devant ceux dont ils veulent être admirés ". Or l’homme désire surtout être admiré des meilleurs, qui parfois ne sont pas les plus proches. Ce n’est donc pas devant ceux qui lui sont le plus proches que l’homme rougit davantage.

2. Ceux-là paraissent être plus proches qui font des œuvres semblables. Or l’homme ne rougit pas de son péché devant ceux qu’il sait soumis à un péché semblable. Selon Aristote " ce que l’on fait soi-même, on n’empêche pas ses proches de le faire ". Ce n’est donc pas devant ceux qui lui sont le plus proches que l’homme rougit davantage.

3. Aristote dit : " L’homme éprouve davantage de pudeur devant ceux qui divulguent à tous ce qu’ils savent, comme font les moqueurs et les fabricants de fausses nouvelles. " Mais ceux qui sont les plus proches n’ont pas coutume de divulguer les vices. Ce n’est donc pas eux qu’il faut surtout craindre.

4. Au même endroit, Aristote dit que " les hommes éprouvent surtout de la honte devant ceux qui ne les ont jamais vu faillir, devant ceux dont ils attendent pour la première fois quelque chose ou dont ils désirent pour la première fois l’amitié ". Mais ces gens-là ne sont pas les plus proches. Ce n’est donc pas devant ceux qui lui sont le plus proches que l’homme rougit davantage.

En sens contraire, Aristote dit que " les hommes rougissent davantage devant ceux qui seront toujours présents ".

Réponse :

Le blâme est le contraire de l’honneur. De même que l’honneur est un témoignage rendu à la supériorité de quelqu’un, et surtout en ce qui concerne la vertu, de même le blâme, que redoute la pudeur, est le témoignage rendu à un défaut, et surtout en rapport avec quelque faute. C’est pourquoi, plus le témoignage de quelqu’un est d’un grand poids, plus on en éprouvera de confusion. Or un témoignage peut être jugé d’un grand poids ou bien à cause de sa vérité certaine ou bien à cause de ses conséquences. La certitude de la vérité est liée au témoignage de quelqu’un de deux façons.

Premièrement, à cause de la rectitude de son jugement : c’est le cas des sages et des vertueux, dont on désire surtout la louange, et dont on craint surtout le blâme. Au contraire nul n’éprouve de honte devant les enfants et devant les animaux, à cause de leur défaut de jugement droit.

Deuxièmement, à cause de la connaissance que possèdent ceux qui rendent le témoignage, parce que chacun juge bien de ce qu’il connaît. Ainsi avons-nous plus de pudeur devant ceux qui nous observent tous les jours. Au contraire nous n’avons pas de honte devant les étrangers et les inconnus qui ignorent notre conduite.

Du point de vue de ses conséquences un témoignage est d’un grand poids en fonction de l’aide ou du préjudice qui en résultent. C’est pourquoi les hommes désirent surtout être honorés par ceux qui peuvent les aider, et ils éprouvent surtout de la honte devant ceux qui peuvent nuire. C’est pourquoi, ici encore, nous redoutons surtout le blâme des personnes qui nous sont proches, avec lesquelles nous devrons toujours vivre ; car il en résulte pour nous un dommage en quelque sorte permanent. Au contraire, ce qui nous vient des étrangers et de ceux qui ne font que passer s’éloigne bientôt.

Solutions :

1. C’est pour une raison semblable que nous éprouvons de la honte devant les meilleurs et devant ceux qui sont plus proches. Car, de même que le témoignage des meilleurs est estimé plus efficace à cause de la connaissance générale qu’ils ont des choses et de leur sens immuable de la vérité, de même le témoignage des personnes qui nous sont plus familières parent plus efficace en raison de ce qu’elles connaissent mieux les choses particulières qui nous concernent.

2. Nous ne redoutons pas le témoignage de ceux qui nous sont liés par la ressemblance du péché, parce que nous ne pensons pas que notre déficience leur apparaisse comme quelque chose de honteux.

3. Nous éprouvons de la pudeur devant les bavards, parce qu’ils nous nuisent en répandant chez beaucoup leurs diffamations.

4. Nous éprouvons une plus grande pudeur même devant ceux parmi lesquels nous n’avons rien fait de mal, à cause du dommage ultérieur, en ce que par là nous perdons la bonne opinion qu’ils avaient de nous. Et en outre parce que les contraires, en se rapprochant, paraissent plus gravement éloignés : aussi lorsque, brusquement, on remarque quelque chose de honteux chez celui qu’on estimait, on juge cela plus honteux encore.

Quant à ceux de qui nous attendons quelque chose de nouveau, ou dont nous voulons pour la première fois être les amis, nous redoutons davantage leur blâme, à cause du tort qu’il nous ferait et qui nous empêcherait d’obtenir gain de cause et de gagner leur amitié.

 

            Article 4 — Quels sont ceux qui ressentent de la pudeur ?

Objections :

1. Il semble que même les hommes vertueux peuvent éprouver de la pudeur. En effet les contraires ont des effets contraires. Mais ceux qui débordent de malice n’ont pas de pudeur. Il est écrit en Jérémie (3, 3) : " Tu conservais un front de prostituée, ne sachant plus rougir. " Ceux qui sont vertueux ressentent donc davantage la pudeur.

2. Aristote dit que " les hommes rougissent non seulement des vices, mais même des apparences de vices ". Or cela arrive aussi chez les vertueux.

3. Selon Aristote la pudeur est " la crainte de donner mauvaise opinion de soi ". Mais il arrive qu’on ait mauvaise opinion d’hommes vertueux, lorsque par exemple il sont diffamés à tort, ou subissent d’indignes injures. La crainte de la honte peut donc exister chez l’homme vertueux.

4. La pudeur est une partie de la tempérance, nous l’avons dite. Mais une partie ne se sépare pas du tout. Puisque la tempérance se trouve chez l’homme vertueux, il semble donc qu’il en soit de même pour la pudeur.

En sens contraire, Aristote dit que " la pudeur est étrangère à l’homme de bien ".

Réponse :

Nous l’avons dit la pudeur est la crainte de quelque honte. Or, qu’on ne craigne pas un mal, cela peut arriver pour deux raisons : parce qu’on n’y voit pas un mal, ou parce qu’on ne le considère pas comme possible, ou comme difficile à éviter. Ce qui explique que la crainte de la honte puisse faire défaut chez quelqu’un de deux façons. D’abord parce que ce dont on devrait rougir n’est pas tenu pour honteux. C’est ainsi que la crainte de la honte manque aux hommes enfoncés dans le péché, qui n’en ont pas de déplaisir, mais plutôt s’en glorifient. Ou bien, on ne craint pas la honte parce que l’on ne croit pas possible de tomber dans le déshonneur, ou difficile de l’éviter. C’est le cas des vieillards et des hommes vertueux qui n’éprouvent pas la crainte de la honte. Ils sont cependant dans des dispositions telles que, s’ils commettaient quelque chose de honteux, ils en auraient honte. C’est pourquoi Aristote dit que c’est seulement par hypothèse qu’on pourrait attribuer la crainte de la honte à l’homme de bien.

Solutions :

1. La crainte de la honte fait défaut chez les hommes les plus mauvais et chez les meilleurs, mais pour les raisons différentes que l’on vient de dire. Elle se trouve au contraire chez ceux qui se comportent de façon médiocre, en ce sens qu’ils ont en eux un certain amour du bien, sans être totalement à l’abri du mal.

2. Il appartient au vertueux non seulement d’éviter le vice, mais aussi ce qui a une apparence de vice, comme dit S. Paul (1 Th 5, 22) : " Gardez vous de toute espèce de mal. " Et Aristote dit que l’homme vertueux doit éviter aussi bien les actes " qui sont effectivement mauvais " que ceux qui ne le sont " qu’aux yeux de l’opinion ".

3. L’homme vertueux méprise les calomnies et les injures comme imméritées, nous l’avons dit. C’est pourquoi il n’en éprouve pas beaucoup de honte. Cependant il peut y avoir un mouvement de honte, ici comme dans les autres passions, qui devance la raison.

4. La pudeur n’est pas une partie de la tempérance comme si elle entrait dans l’essence de cette vertu, mais comme disposant à elle. C’est pourquoi S. Ambroise dit que " la pudeur pose les premiers fondements de la tempérance ", en inculquant l’horreur de ce qui est honteux.

 

 

QUESTION 145 — L’HONNEUR

1. Quel rapport a-t-il avec la vertu ? - 2. Avec la beauté ? - 3. Avec l’utile et le délectable ? - 4. L’honneur est-il une partie de la tempérance ?

 

            Article 1 — Quel rapport l’honneur a-t-il avec la vertu ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas identique à la vertu. En effet, Cicéron dit que l’honneur est " ce qui est recherché pour lui-même ". Or la vertu n’est pas recherchée pour elle-même, mais pour le bonheur. Aristote dit en effet que le bonheur est " la récompense et la fin de la vertu ". L’honneur n’est donc pas la même chose que celle-ci.

2. Selon Isidore honestas signifie " comme un état d’honneur ". Mais l’honneur est dû à bien d’autres choses qu’à la vertu, car c’est " la louange qui est due en propre à la vertu ", dit Aristote.

L’honneur n’est donc pas la même chose que la vertu.

3. " L’essentiel de la vertu consiste dans le choix intérieur ", selon Aristote. Mais l’honneur semble appartenir davantage à la conduite extérieure, si l’on en croit S. Paul (1 Co 14, 40) : " Que chez vous tout se fasse honnêtement et dans l’ordre. "

4. L’honneur paraît consister dans les richesses extérieures, selon l’Ecclésiastique (11, 14) : " Bien et mal, vie et mort, pauvreté et honneur, tout vient du Seigneur. " Or la vertu ne consiste pas dans les richesses extérieures. L’honneur n’est donc pas la même chose que la vertu.

En sens contraire, Cicéron divise le bien honnête selon les quatre vertus principales, en lesquelles se divise également la vertu. Le bien honnête est donc identique à la vertu.

Réponse :

Selon Isidore, honestas signifie " comme un état d’honneur ". Il en résulte, semble-t-il, que l’on appelle honnête ce qui est digne d’honneur. Or l’honneur, nous l’avons dit plus haut, est dû à l’excellence. Et l’excellence de l’homme est appréciée surtout selon la vertu, car la vertu, selon Aristote est " la disposition de ce qui est parfait ". Le bien honnête, à proprement parler, se rapporte donc à la même chose que la vertu.

Solutions :

1. Comme Aristote le dit, parmi les choses que l’on désire pour elles-mêmes, certaines sont désirées seulement pour elles-mêmes, et jamais en vue d’autre chose, comme la félicité, qui est la fin ultime. Mais d’autres choses sont désirées pour elles-mêmes en tant qu’elles ont en elles-mêmes une raison de bonté, même si rien d’autre de bon ne nous arrivait par elle ; et elles sont cependant désirables en vue d’autre chose, en tant qu’elles nous conduisent à un bien plus parfait. C’est en ce sens que les vertus doivent être désirées pour elles-mêmes. Voilà pourquoi Cicéron dit : " Il y a des choses qui nous séduisent par elles-mêmes et nous attirent par leur dignité ", comme la vertu, la vérité, la science. Cela suffit à la raison de bien honnête.

2. Parmi les choses qui sont honorées et qui ne sont pas la vertu, il en est de plus excellentes que celle-ci, comme Dieu et la béatitude. Mais elles ne sont pas connues de nous par expérience comme les vertus, selon lesquelles nous agissons quotidiennement. C’est pourquoi la vertu revendique davantage pour elle la qualification d’honnête.

Quant aux autres choses, qui sont inférieures à la vertu, elles sont honorées en tant qu’elles aident aux œuvres de la vertu, comme le bon renom, le pouvoir, les richesses. En effet, dit Aristote. ces choses " sont honorées par certains ; mais, en réalité, seul celui qui est bon doit être honoré ". Or c’est par la vertu qu’on est bon. C’est pourquoi la louange est due à la vertu selon qu’elle est désirable en vue d’autre chose, mais l’honneur lui est dû en tant qu’elle est désirable pour elle-même. C’est à ce point de vue qu’elle a raison de bien honnête.

3. Comme on vient de le dire, le bien honnête implique un droit à l’honneur. L’honneur est une certaine reconnaissance de l’excellence de quelqu’un, et l’on n’en témoigne qu’à partir de choses connues. Or le choix intérieur ne parvient à la connaissance de l’homme que par des actes extérieurs. C’est pourquoi la conduite extérieure a raison de bien honnête selon qu’elle traduit la rectitude intérieure. Ainsi donc, l’honneur se trouve radicalement dans le choix intérieur, mais il est signifié dans la conduite extérieure.

4. Selon l’opinion du commun, l’excellence des richesses rend l’homme digne d’honneur. De là vient que parfois le nom d’honneur est transféré à la prospérité extérieure.

 

            Article 2 — Quel rapport l’honneur a-t-il avec la beauté ?

Objections :

1. Il semble que l’honnête ne soit pas identique au beau. En effet, la raison d’honnête se prend de l’appétit, car, selon Cicéron, " est honnête ce qui est désiré pour lui-même ". Or le beau concerne davantage la vue, à laquelle il plaît. Le beau n’est donc pas la même chose que l’honnête.

2. La beauté requiert un certain éclat, qui appartient à la raison de gloire, tandis que l’honnête concerne l’honneur. Comme l’honneur et la gloire sont choses distinctes, il semble donc que l’honnête diffère aussi du beau.

3. L’honnête est une même chose que la vertu, on vient de le dire (a. 1). Or il y a une beauté qui est contraire à la vertu, si l’on en croit Ézéchiel (16, 15) : " Tu t’es infatuée de ta beauté, tu as profité de ta renommée pour te prostituer. " L’honnête n’est donc pas la même chose que le beau.

En sens contraire, il y a les paroles de S. Paul (1 Co 12,23) : " Les membres que nous tenons pour les moins honorables du corps sont ceux-là mêmes que nous entourons de plus d’honneur... Nos membres décents n’en ont pas besoin. " Il appelle ici moins honorables les membres honteux, et honorables les membres qui sont beaux. L’honnête et le beau apparaissent donc comme une même chose.

Réponse :

Comme on peut le conclure des paroles de Denys " à la notion de beau ou de plaisant concourent l’éclat et la bonne proportion " ; il dit en effet que Dieu est beau " comme cause de l’harmonie et de l’éclat de l’univers ". La beauté du corps consiste donc pour l’homme à avoir les membres du corps bien proportionnés, avec un certain éclat harmonieux du teint. De même la beauté spirituelle consiste pour l’homme à avoir une conduite et des actions bien proportionnées, selon l’éclat spirituel de la raison. Mais cela, c’est l’honnête, que nous venons de déclarer identique à la vertu, laquelle règle toutes les choses humaines conformément à la raison. C’est pourquoi l’honnête est la même chose que la beauté spirituelle. Ce qui fait dire à S. Augustin : " J’appelle honnête la beauté intellectuelle ou, pour mieux dire, spirituelle. " Et il ajoute que " beaucoup de choses visibles sont belles, auxquelles convient moins bien l’épithète d’honnête ".

Solutions :

1. L’objet qui meut l’appétit est le bien que l’on connaît. Or, ce qui apparaît beau dans la perception même est tenu pour convenable et bon. Ce qui fait dire à Denys que " le beau et le bien sont aimables à tous ". C’est pourquoi l’honnête lui-même est rendu désirable en tant qu’il possède une beauté spirituelle. Comme dit Cicéron : " Voici la forme même, et comme le visage de l’honnête ; si elle apparaissait aux yeux, elle inciterait, selon Platon à un merveilleux amour de la sagesse. "

2. La gloire est un effet de l’honneur, nous l’avons dit. Car, lorsque quelqu’un est honoré et loué, il acquiert de l’éclat aux yeux des autres. C’est pourquoi, de même que ce qui donne de l’honneur et ce qui donne à la gloire sont une même chose, de même l’honnête et le beau.

3. Cette objection procède de la beauté corporelle. On peut parler néanmoins de fornication spirituelle à propos de beauté spirituelle quand quelqu’un s’enorgueillit de l’honneur lui-même. Comme dit Ézéchiel (28, 17) : " Ton cœur s’est enflé d’orgueil à cause de ta beauté. Tu as corrompu la sagesse à cause de ton éclat. "

 

            Article 3 — Quel rapport le bien honnête a-t-il avec l’utile et le délectable ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’en diffère pas. En effet, selon Cicéron, l’honnête est " ce qui est désiré pour lui-même ". Mais le délectable l’est aussi. " Il semble ridicule de chercher en vue de quoi l’on veut éprouver du plaisir ", dit Aristote. Le bien honnête ne diffère donc pas du délectable.

2. Les richesses se rangent parmi les biens utiles. Comme dit Cicéron, " il est une chose que l’on ne doit pas désirer pour elle-même et pour ce qu’elle est, mais pour le profit et l’utilité qu’on en retire, c’est l’argent ". Or les richesses répondent à l’idée d’honneur. Comme il est écrit dans l’Ecclésiastique (13,2) : " Pauvreté et honneur (c’est-à-dire la richesse), tout vient du Seigneur " ; et encore (13, 2) : " Ne te charge pas d’un lourd fardeau, ne te lie pas à plus fort et plus riche que toi. " L’honnête ne diffère donc pas de l’utile.

3. Cicérone apporte la preuve que rien ne peut être utile qui ne soit honnête. Et S. Ambroise fait de même. L’utile ne diffère donc pas de l’honnête.

En sens contraire, S. Augustin dit que " le bien honnête est ce qui doit être désiré pour lui-même, tandis que l’utile doit être rapporté à quelque chose d’autre ".

Réponse :

Le bien honnête se rencontre dans un même sujet avec l’utile et le délectable, dont cependant il diffère quant à sa raison. En effet, une chose est dite honnête, on l’a vu --, en tant qu’elle comporte une certaine beauté selon l’ordonnance de la raison. Or ce q ni est ordonné selon la raison convient naturellement à l’homme. Et toute chose trouve naturellement du plaisir en ce qui lui convient. C’est ainsi que l’honnête est naturellement délectable à l’homme, comme Aristote le démontre de l’acte vertueux. Cependant, tout ce qui est délectable n’est pas nécessairement honnête, car une chose peut convenir à la sensibilité et ne pas convenir à la raison, qui rend parfaite la nature humaine. Quant à la vertu elle-même, qui en soi est honnête, elle se rapporte à autre chose, c’est-à-dire au bonheur, comme à sa fin.

Ainsi donc, l’honnête, l’utile et le délectable sont une même chose quant au sujet, mais ils diffèrent par leur raison d’être. On appelle honnête ce qui possède une certaine excellence digne d’honneur à cause de sa beauté spirituelle ; délectable ce en quoi l’appétit se repose ; utile ce qui sert à atteindre autre chose. Cependant le délectable est plus fréquent que l’utile et l’honnête, car tout ce qui est utile et tout ce qui est honnête est en quelque manière délectable, tandis que l’inverse n’est pas vrai, Aristote le fait remarquer.

Solutions :

1. On appelle honnête ce qui, comme tel, est désiré par l’appétit rationnel, qui tend à ce qui convient à la raison. Le délectable en revanche est désiré comme tel par l’appétit sensible.

2. Les richesses se voient attribuer le nom d’honnête selon l’opinion de beaucoup de gens qui honorent les richesses ; ou encore dans la mesure où elles sont ordonnées, à titre d’instrument, aux actes des vertus, nous l’avons dit.

3. Cicéron et S. Ambroise veulent dire que rien de ce qui s’oppose à l’honneur ne peut absolument et réellement être utile, parce que cela s’oppose à la fin ultime de l’homme, qui est le bien conforme à la raison ; quoique peut-être cela puisse être utile de quelque façon, à l’égard d’une fin particulière. Mais ils ne veulent pas dire que tout ce qui est utile, considéré en soi, parvient à la notion d’honnête.

 

            Article 4 — Le sens de l’honneur est-il une partie de la tempérance ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Il n’est pas possible, en effet, que la même chose, du même point de vue, soit à la fois une partie et le tout. Or la tempérance fait partie de l’honnête, dit Cicéron. Ce n’est donc pas l’honneur qui est une partie de la tempérance.

2. Il est écrit que " le vin fait paraître honnête tous les sentiments ". Mais l’usage du vin, surtout quand il est excessif, ce qui semble ici le cas, appartient davantage à l’intempérance qu’à la tempérance. Le sens de l’honneur n’est donc pas une partie de la tempérance.

3. On appelle honnête ce qui est digne d’honneur. Mais " ce sont les justes et les forts qui sont le plus honnêtes ", dit Aristote Le sens de l’honneur n’appartient donc pas à la tempérance, mais plutôt à la justice ou à la force. C’est pourquoi Éléazar dit (2 M 6, 28) : " Je subirai avec courage une mort honorable pour nos vénérables et saintes lois. "

En sens contraire, Macrobe fait de l’honneur une partie de la tempérance. De même S. Ambroise attribue spécialement l’honneur à la tempérance.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, l’honneur est une certaine beauté spirituelle. Mais à ce qui est beau s’oppose ce qui est laid. Et les contraires se font ressortir mutuellement au maximum. Voilà pourquoi l’honneur semble spécialement appartenir à la tempérance, qui repousse ce qu’il y a de plus laid et de plus indécent pour l’homme, c’est-à-dire les voluptés bestiales. Il en résulte que le nom même de tempérance fait penser, plus que tout autre, au bien de la raison, dont le rôle est de modérer et de " tempérer " les convoitises mauvaises. Ainsi donc l’honneur, en tant qu’il est attribué pour une raison spéciale à la tempérance, en est appelé une partie, non pas partie subjective, ni partie comme le serait une vertu annexe, mais partie intégrante, comme une condition de la tempérance.

Solutions :

1. La tempérance est dite partie subjective de l’honnête, quand celui-ci est pris dans toute sa généralité. Mais ce n’est pas ainsi qu’il fait partie de la tempérance.

2. Chez ceux qui sont en état d’ébriété, le vin fait paraître honorables tous les sentiments, parce qu’il leur fait croire qu’ils sont grands et dignes d’honneur.

3. La justice et la force méritent un plus grand honneur que la tempérance à cause de l’excellence de leur bien plus grand. Mais la tempérance mérite un plus grand honneur à cause de la répression de vices plus déshonorants. Et c’est ainsi que le sens de l’honneur est davantage attribué à la tempérance, selon la règle indiquée par S. Paul que " les membres que nous tenons pour les moins honorables du corps sont ceux-là mêmes que nous entourons de plus d’honneur ", c’est-à-dire en écartant ce qui est déshonorant.

LES PARTIES SUBJECTIVES DE LA TEMPÉRANCE

I1 faut considérer maintenant les parties subjectives de la tempérance. D’abord, celles qui ont trait aux plaisirs procurés par la nourriture (Q. 146-150), ensuite celles qui ont trait aux plaisirs sexuels (Q. 151-154).

A propos des premières, nous traiterons de l’abstinence, qui concerne les aliments et les boissons (Q. 146-148), et de la sobriété, qui concerne plus spécialement la boisson (Q. 149-150).

A propos de l’abstinence nous examinerons trois questions : 1. L’abstinence en elle-même (Q. 146). - 2. L’acte de l’abstinence, qui est le jeûne (Q. 147). - 3. Le vice opposé, qui est la gourmandise (Q. 148).

 

 

QUESTION 146 — L’ABSTINENCE

1. L’abstinence est-elle une vertu ? - 2. Est-elle une vertu spéciale ?

 

            Article 1 — L’abstinence est-elle une vertu ?

Objections :

1. Réponse négative, semble-t-il.

S. Paul dit en effet (1 Co 4, 20) : " Le Royaume de Dieu ne consiste pas dans la parole mais dans la vertu. " Or le Royaume de Dieu ne consiste pas dans l’abstinence, si l’on en croit le même S. Paul (Rm 14, 17) : " Le Royaume de Dieu n’est pas affaire de nourriture ou de boisson " ; et la Glose explique : " La justice n’est pas dans le fait de s’abstenir ou de manger. " L’abstinence n’est donc pas une vertu.

2. S’adressant à Dieu, S. Augustin disait : " Tu m’as enseigné à ne prendre les aliments que comme des remèdes. " Or, régler l’usage des remèdes n’appartient pas à la vertu, mais à l’art de la médecine. Ainsi donc, au même titre, modérer l’usage des aliments, qui ressortit à l’abstinence, n’est pas un acte de vertu, mais un effet de l’art.

3. Toute vertu " consiste dans un juste milieu ", selon Aristote. Mais l’abstinence ne semble pas consister en un milieu, mais dans un manque, puisqu’elle tire son nom d’une soustraction. L’abstinence n’est donc pas une vertu.

4. Aucune vertu n’exclut une autre vertu. Or l’abstinence exclut la patience. S. Grégoire dit en effet que " bien souvent l’impatience fait sortir de la tranquillité les esprits de ceux qui font abstinence ". Et il dit aussi que " parfois l’orgueil traverse les pensées des abstinents ". Ce qui exclut ainsi l’humilité. L’abstinence n’est donc pas une vertu.

En sens contraire, on peut lire dans la 2ème épître de S. Pierre (1, 5) : " Joignez à votre foi la vertu, à la vertu la connaissance, à la connaissance l’abstinence. " L’abstinence est donc rangée parmi les vertus.

Réponse :

Le mot abstinence indique une soustraction d’aliments. Mais ce mot peut être entendu de deux façons. Ou bien il désigne une privation pure et simple d’aliments. Et alors le mot abstinence ne désigne ni une vertu, ni un acte de vertu, mais quelque chose d’indifférent au point de vue moral. Ou bien l’abstinence peut s’entendre en tant que réglée par la raison. Et alors elle signifie ou un habitus ou un acte de vertu. C’est ce que suggère le texte de S. Pierre, où l’abstinence est unie au discernement : que l’homme s’abstienne de nourriture selon qu’il est nécessaire " à la convenance de ceux avec qui il vit et à la convenance de lui-même, et selon les nécessités de la santé ".

Solutions :

1. L’usage des aliments et l’abstinence de ceux-ci, considérés en soi, ne concernent pas le royaume de Dieu. Comme dit S. Paul (1 Co 8, 8) : " Ce n’est pas un aliment, certes, qui nous rapprochera de Dieu. Si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins ; et si nous en mangeons, nous n’avons rien de plus ", au spirituel s’entend. Mais l’un et l’autre, quand ce sont des actes raisonnables inspirés par la foi et l’amour de Dieu, appartiennent au royaume de Dieu.

2. La modération dans les aliments, quant à la quantité et à la qualité, relève de l’art de la médecine s’il s’agit de la santé du corps ; mais, selon les dispositions intérieures par rapport au bien de la raison, elle relève de l’abstinence. Comme dit S. Augustin " la nature ou la quantité des aliments que l’on prend n’intéresse aucunement la vertu, pourvu qu’on le fasse à la convenance de ceux avec qui l’on vit et à sa convenance personnelle, et selon les nécessités de sa santé : ce qui importe, c’est la facilité et l’égalité d’âme dont on est capable, lorsque la nécessité s’impose de s’en abstenir. "

3. Il appartient à la tempérance de refréner les plaisirs qui séduisent le plus l’âme, de même qu’il appartient à la force d’affermir l’âme contre les craintes qui écartent du bien de la raison. C’est pourquoi de même que la force est louée pour un certain excès, d’où tirent leur nom toutes les parties de la force, de même la tempérance est louée pour un certain manque, d’où elle tire elle-même son nom, ainsi que toutes ses parties. Aussi l’abstinence, qui est une partie de la tempérance, reçoit-elle son nom d’un manque. Et cependant elle consiste dans un juste milieu, en tant qu’elle se conforme à la droite raison.

4. Ces vices proviennent de l’abstinence dans la mesure où elle ne se conforme pas à la droite raison. En effet la droite raison nous fait nous abstenir " comme il faut ", c’est-à-dire avec bonne humeur ; et " en vue de ce qu’il faut ", c’est-à-dire en vue de la gloire de Dieu, et non en vue de notre propre gloire.

 

            Article 2 — L’abstinence est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Non, à ce qu’il semble. En effet toute vertu est en elle-même digne d’éloge. Or ce n’est as le cas de l’abstinence, puisque S. Grégoire dit que " la vertu d’abstinence n’est estimable qu’en considération d’autres vertus ". L’abstinence n’est donc pas une vertu spéciale.

2. Selon S. Augustin les saints pratiquent l’abstinence dans le manger et le boire, non parce qu’une créature de Dieu serait mauvaise, mais seulement " pour châtier leur corps ". Or cela relève de la chasteté, comme les mots mêmes l’indiquent. L’abstinence n’est donc pas une vertu spéciale, distincte de la chasteté.

3. De même que l’homme doit se contenter d’une nourriture modérée, de même il doit user de modération dans le vêtement. S. Paul écrit (1 Tm 6, 8) : " Lorsque nous avons nourriture et vêtement, sachons être satisfaits. " Mais la modération dans le vêtement ne requiert pas une vertu spéciale. Il en est donc de même pour l’abstinence, qui modère l’usage des aliments.

En sens contraire, Macrobe considère l’abstinence comme une partie spéciale de la tempérance.

Réponse :

La vertu morale défend le bien de la raison contre les assauts des passions, nous l’avons dit plus haut. C’est pourquoi, là où se trouve un motif spécial pour que la passion détourne du bien de la raison, une vertu spéciale est nécessaire. Or les plaisirs de la nourriture sont de nature à détourner l’homme du bien de la raison, tant à cause de leur intensité qu’à cause de la nécessité de la nourriture, dont l’homme a besoin pour conserver sa vie, ce qu’il désire par-dessus tout. Pour cette raison l’abstinence est une vertu spéciale.

Solutions :

1. Il y a une connexion nécessaire entre les vertus, nous l’avons déjà dit. C’est pourquoi une vertu est aidée et mise en valeur par une autre, par exemple la justice par la force. Ainsi en est-il de l’abstinence qui est mise en valeur par les autres vertus.

2. L’abstinence châtie le corps et le défend non seulement contre les séductions de la luxure, mais aussi contre les séductions de la gourmandise. Car, lorsqu’il fait abstinence, l’homme devient plus fort contre les attaques de la gourmandise, alors que celles-ci sont d’autant plus puissantes que l’homme leur cède davantage. Le secours que l’abstinence prête à la chasteté ne l’empêche pas cependant d’être une vertu spéciale, car une vertu en aide une autre.

3. L’usage des vêtements est artificiel, tandis que l’usage des aliments provient de la nature. C’est pourquoi une vertu spéciale est plus nécessaire pour la modération des aliments que pour la modération dans le vêtement.

 

 

 

QUESTION 147 — LE JEÛNE

1. Le jeûne est-il un acte de vertu ? - 2. Est-il un acte d’abstinence ? - 3. Tombe-t-il sous le précepte ? - 4. Certains sont-ils dispensés d’observer ce précepte ? - 5. Le temps du jeûne. - 6. Le jeûne exige-t-il un seul repas ? - 7. L’heure du repas pour ceux qui jeûnent. - 8. Les aliments dont il faut s’abstenir.

 

            Article 1 — Le jeûne est-il un acte de vertu ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, tout acte de vertu est agréable à Dieu. Or le jeûne ne l’est pas toujours, selon Isaïe (58,3) : " Pourquoi jeûner, si tu n’y fais pas attention ? " Le jeûne n’est donc pas un acte de vertu 1.

2. Nul acte de vertu ne s’écarte du juste milieu. Or c’est ce que fait le jeûne. En effet, par la vertu d’abstinence on prend ce qui est nécessaire pour subvenir aux nécessités de la nature, et le jeûne retranche encore quelque chose à cela. Ou bien il faudrait admettre que ceux qui ne jeûnent pas n’ont pas la vertu d’abstinence. Le jeûne n’est donc pas un acte de vertu.

3. Ce qui convient communément à tous, aux bons et aux méchants, n’est pas un acte de vertu.

Or il en est ainsi du jeûne, puisque, avant de manger, tout le monde est à jeun. Le jeûne n’est donc pas un acte de vertu.

En sens contraire, S. Paul énumère le jeûne parmi les actes de vertu (2 Co 6, 5) : "... dans les jeûnes, par la chasteté, par la science... "

Réponse :

Un acte est vertueux quand il est ordonné par la raison à quelque bien honnête. Or c’est le cas du jeûne. En effet, on y recourt principalement pour trois buts. D’abord, pour réprimer les convoitises de la chair. C’est pourquoi, dans le texte cité, S. Paul parle de jeûne et de chasteté, car la chasteté est préservée par le jeûne, et S. Jérôme dit que " sans Cérès et Bacchus, Vénus reste froide ", ce qui veut dire que la luxure perd son ardeur par l’abstinence du manger et du boire. Ensuite, on jeûne pour que l’esprit s’élève plus librement à la contemplation des réalités les plus hautes. C’est pourquoi il est dit, au livre de Daniel (10, 3), qu’après un jeûne de trois semaines, il reçut une révélation de Dieu. Enfin, on jeûne en vue de satisfaire pour le péché. Aussi est-il dit au livre de Joël (2, 12) : " Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les pleurs et les cris de deuil. "

C’est ce que dit S. Augustin dans un de ses sermons : " Le jeûne purifie l’âme, élève l’esprit, soumet la chair à l’esprit, rend le cœur contrit et humilié, disperse les nuées de la convoitise, éteint l’ardeur des passions, rend vraiment brillante la lumière de la chasteté. " Cela montre bien que le jeûne est un acte de vertu.

Solutions :

1. Il arrive qu’un acte qui, par son genre, est vertueux, devienne vicieux dans certaines circonstances. C’est pourquoi Isaïe ajoute : " Ce ne sont pas des jeûnes comme ceux d’aujourd’hui qui feront là-haut entendre vos voix ", et il dit peu après : " Or, vous jeûnez dans la dispute et la querelle et en frappant le pauvre à coups de poing. " Ce que S. Grégoire commente ainsi : " La volonté aspire à la joie, mais le poing apporte la colère. C’est donc en vain que le corps est affaibli par l’abstinence, si l’esprit, chassé par les mouvements désordonnés, est détruit par les vices. " Quant à S. Augustin, il dit que " le jeûne n’aime pas la verbosité, juge la richesse superflue, méprise l’orgueil, vante l’humilité, donne à l’homme de connaître sa faiblesse et sa fragilité ".

2. Le milieu où se tient la vertu ne s’évalue pas selon la quantité, mais " selon la droite raison ", dit Aristote. Or la raison juge que tel homme, pour un motif particulier, doit prendre moins de nourriture qu’il ne lui en faudrait selon la condition commune, par exemple pour éviter la maladie, ou pour accomplir plus aisément quelques activités corporelles. Beaucoup plus encore, la droite raison y invite pour éviter des maux et obtenir des biens spirituels. Ce n’est pas cependant la droite raison qui supprimerait tellement de nourriture que la nature ne puisse se conserver ; car, comme le dit S. Jérôme " il n’y a pas de différence si tu mets longtemps ou peu de temps à te tuer " ; et " Il offre en holocauste des biens volés, celui qui afflige son corps de façon immodérée par la trop grande privation des aliments ou le manque de nourriture ou de sommeil. " De même encore, la droite raison ne retranche pas la nourriture au point de rendre l’homme incapable d’accomplir les œuvres qui lui incombent. C’est pourquoi S. Jérôme dit : " L’homme raisonnable perd sa dignité s’il fait passer le jeûne avant la charité, et les veilles avant la pleine possession de son esprit. "

3. Le jeûne naturel, dont on dit que quelqu’un est à jeun avant d’avoir mangé, consiste en une simple négation. C’est pourquoi on ne peut en faire un acte de vertu, mais seulement du jeûne par lequel on s’abstient plus ou moins de nourriture dans un dessein raisonnable. C’est pourquoi le premier est appelé " jeûne de celui qui est à jeun " et le second " jeûne de celui qui jeûne ", pour marquer que celui-ci agit de propos délibéré.

 

            Article 2 — Le jeûne est-il un acte d’abstinence ?

Objections :

1. Réponse négative, semble-t-il. En effet, à propos du texte de S. Matthieu (17, 20) : " Ce genre de démons... ", S. Jérôme dit : " Le jeûne consiste à s’abstenir non seulement d’aliments, mais de toutes les séductions. " Mais cela est vrai de n’importe quelle vertu. Le jeûne n’est donc pas spécialement un acte d’abstinence.

2. Selon S. Grégoire le jeûne de Carême est la dîme de toute l’année. Mais acquitter la dîme est un acte de religion, nous l’avons vu précédemment. Le jeûne est donc un acte de religion, et non un acte d’abstinence.

3. L’abstinence est une partie de la tempérance. Or la tempérance se distingue de la force, à laquelle il appartient de supporter les choses pénibles, ce qui semble particulièrement le cas du jeûne. Le jeûne n’est donc pas un acte d’abstinence.

En sens contraire, Isidore dit que " jeûner, c’est vivre de peu et s’abstenir de nourriture ".

Réponse :

L’acte et l’habitus ont la même matière. C’est pourquoi tout acte vertueux ayant telle matière appartient à la vertu qui établit le milieu en cette matière. Or le jeûne s’applique aux nourritures dans lesquelles l’abstinence détermine le juste milieu. Il est donc clair que le jeûne est un acte d’abstinence.

Solutions :

1. Le jeûne proprement dit consiste à s’abstenir d’aliments. Mais, entendu au sens métaphorique, il consiste à s’abstenir de tout ce qui fait du mal, donc surtout des péchés.

Ou bien l’on peut dire que le jeûne proprement dit est aussi l’abstinence de toutes les séductions, parce que cet acte vertueux cesse de l’être par tous les vices liés à ces séductions, on vient de le dire.

2. Rien n’empêche l’acte d’une vertu d’appartenir à une autre vertu, s’il se trouve ordonné à la fin de celle-ci. De ce point de vue rien n’empêche que le jeûne appartienne à la religion ou à la chasteté, ou à toute autre vertu.

3. Il n’appartient pas à la force, en tant qu’elle est une vertu spéciale, de supporter n’importe quelle chose pénible, mais seulement ces choses qui se rapportent aux périls de mort. Supporter les désagréments qui proviennent du manque des plaisirs du toucher, revient à la tempérance et à ses parties : or ce sont là les désagréments du jeûne.

 

            Article 3 — Le jeûne est-il de précepte ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, les préceptes ne portent pas sur les œuvres surérogatoires, qui tombent sous le conseil. Or le jeûne est une œuvre surérogatoire ; autrement, il devrait être observé partout et toujours de la même façon. Le jeûne ne tombe donc pas sous le précepte.

2. Quiconque transgresse un précepte commet un péché mortel. Donc, si le jeûne était de précepte, tous ceux qui ne jeûnent pas pécheraient mortellement. Ce qui semblerait un immense piège tendu aux hommes.

3. Comme dit S. Augustin, " quand la Sagesse même de Dieu eut assumé l’homme qui nous appela à la liberté, il n’y eut plus qu’un petit nombre de sacrements porteurs de salut, établis comme lien social des peuples chrétiens, c’est-à-dire de la multitude libre soumise au Dieu unique ". Mais la liberté du peuple chrétien ne semble pas moins entravée par la multiplicité des observances que par la multiplicité des sacrements. En effet, S. Augustin dit que " certains chargent de servitudes notre religion elle-même que la miséricorde de Dieu a voulue libre en lui donnant des sacrements très clairs et peu nombreux. " Il semble donc que l’Église n’a pas dû instituer un précepte du jeûne.

En sens contraire, S. Jérôme, à propos des jeûnes, écrit : " Que chaque province abonde dans son sens et estime les préceptes des Anciens comme des lois apostoliques. "

Réponse :

De même qu’il appartient aux princes séculiers de promulguer des lois précisant le droit naturel en ce qui concerne le bien commun dans le domaine temporel, de même il appartient aux prélats ecclésiastiques de prescrire par des décrets ce qui regarde le bien commun des fidèles dans le domaine spirituel. Or, nous avons dit que le jeûne est utile pour expier et réprimer la faute, et pour élever l’esprit aux choses spirituelles. Chacun est ainsi tenu par la raison naturelle de pratiquer le jeûne dans la mesure où cela lui est nécessaire pour obtenir ces résultats. C’est pourquoi le jeûne dans sa raison générale tombe sous le précepte de la loi naturelle. Mais la détermination du temps et du mode pour jeûner selon la convenance et l’utilité du peuple chrétien tombe sous le précepte du droit positif, édicté par les prélats de l’Église. C’est ce qu’on appelle le jeûne ecclésiastique ; l’autre est le jeûne naturel.

Solutions :

1. En soi, le jeûne ne signifie pas quelque chose d’attrayant, mais quelque chose de pénible. Ce qui le fait choisir, c’est son utilité pour une fin. C’est pourquoi, considéré dans l’absolu, il n’est pas nécessité par un précepte ; mais il le devient pour celui qui a besoin d’un tel remède. Et comme c’est l’ensemble des hommes qui, le plus souvent, a besoin d’un tel remède, parce qu’" à maintes reprises nous commettons des écarts, tous sans exception ", selon S. Jacques (3, 2) et parce que " la chair convoite contre l’esprit ", selon S. Paul (Ga 5, 17), il était bon que l’Église instituât des jeûnes à observer communément par tous. Ce faisant, elle n’a pas placé sous le précepte ce qui appartient simplement au surérogatoire, mais elle a déterminé dans le particulier ce qui était nécessaire en général.

2. Les préceptes qui sont proposés par mode de décret général n’obligent pas tout le monde de la même façon, mais selon ce qui est requis pour la fin que se propose le législateur. Si quelqu’un, en transgressant le décret, méprise l’autorité qui l’a établi, ou s’il le transgresse de telle façon que la fin recherchée s’en trouve empêchée, un tel transgresseur pèche mortellement. Mais si pour une cause raisonnable quelqu’un n’observe pas le décret, en particulier dans le cas où le législateur, s’il était présent, ne jugerait pas que le décret doive être observé, une telle transgression ne constitue pas un péché mortel. Pour cette raison ceux qui n’observent pas les jeûnes prescrits par l’Église ne pèchent pas tous mortellement.

3. S. Augustin parle ici de choses " qui ne sont pas contenues dans les textes de la Sainte Écriture, qui ne se trouvent pas non plus dans les décrets des conciles épiscopaux, et qui ne sont pas sanctionnées par la coutume de l’Église universelle ". Mais les jeûnes de précepte sont établis dans les conciles épiscopaux et confirmés par la coutume de l’Église universelle. Et ils ne sont pas contraires à la liberté du peuple fidèle, mais bien plutôt utiles pour empêcher la servitude du péché qui s’oppose à la liberté de l’esprit, à cette liberté dont parle S. Paul (Ga 5, 13) : " Vous, mes frères, vous avez été appelés à la liberté ; seulement, que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair. "

 

            Article 4 — Certains sont-ils dispensés d’observer ce précepte ?

Objections :

1. Il semble que tous sont tenus aux jeûnes de l’Église. En effet, les préceptes de l’Église obligent comme les préceptes de Dieu ; il est dit en S. Luc (10, 16) : " Qui vous écoute, m’écoute. " Or tous sont tenus d’observer les préceptes de Dieu. Donc tous sont tenus semblablement d’observer les jeûnes institués par l’Église.

2. Ce sont surtout les enfants qui sembleraient devoir être dispensés du jeûne, à cause de leur âge. Or les enfants ne sont pas dispensés, si l’on en croit Joël (2, 15) : " Prescrivez un jeûne ", écrit-il et un peu plus loin il ajoute : " Réunissez les petits enfants, ceux qu’on allaite au sein. " Tous les autres sont donc bien plus tenus aux jeûnes.

3. Le spirituel doit être préféré au temporel, et le nécessaire à ce qui ne l’est pas. Mais les travaux manuels sont ordonnés à un profit temporel ; et un voyage, même s’il est ordonné à des choses spirituelles, n’est pas de l’ordre du nécessaire. Puisque le jeûne est ordonné à l’utilité spirituelle et tient sa nécessité d’un décret de l’Église, il semble qu’on ne doive pas s’abstenir des jeûnes d’Église à cause d’un voyage ou de travaux manuels.

4. On doit davantage agir de sa propre volonté que par nécessité, selon S. Paul (2 Co 9, 7). Mais les pauvres ont l’habitude de jeûner par nécessité, à cause du manque de nourriture. Ils doivent donc beaucoup plus encore jeûner de leur propre volonté.

En sens contraire, il semble qu’aucun juste ne soit tenu de jeûner. En effet, les préceptes de l’Église n’obligent pas à l’encontre de la doctrine du Christ. Mais le Seigneur a dit en S. Luc (5, 34) : " Les compagnons de l’époux ne peuvent pas jeûner pendant que l’époux est avec eux. " Or il est avec tous les justes, puisqu’il habite spirituellement en eux ; c’est pourquoi il a dit en S. Matthieu (28, 20) : " Et moi, je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde. " Ainsi donc les prescriptions de l’Église n’obligent pas les justes à jeûner.

Réponse :

On l’a dit précédemment, les prescriptions communes sont proposées selon qu’elles conviennent à la multitude. C’est pourquoi, en les édictant, le législateur considère ce qui a lieu communément et dans la plupart des cas. Mais si, pour un motif spécial on trouve chez quelqu’un un empêchement à l’observance de la loi, l’intention du législateur n’est pas de l’y obliger.

Cependant une distinction est à faire. Si l’empêchement est évident, on peut licitement par soi-même se dispenser d’observer la prescription, surtout dans le cas où une coutume intervient, ou bien si l’on ne peut pas facilement recourir au supérieur. Mais si l’empêchement est douteux, on doit recourir au supérieur qui a pouvoir de dispenser en de tels cas. Telle est la conduite à tenir dans les jeûnes institués par l’Église : tous y sont communément obligés, à moins que ne se présente quelque empêchement particulier.

Solutions :

1. Les préceptes de Dieu sont des commandements de droit naturel, qui sont en eux-mêmes nécessaires au salut. Mais les prescriptions de l’Église concernent des choses qui, par soi, ne sont pas nécessaires au salut, mais ne le sont que par l’institution de l’Église. C’est pourquoi il peut y avoir des empêchements à cause desquels on n’est pas tenu d’observer les jeûnes ecclésiastiques.

2. Chez les enfants se trouve un motif tout à fait évident de ne pas jeûner, à cause de la faiblesse de leur nature qui fait qu’ils ont besoin d’une nourriture fréquente et qui ne soit pas prise trop abondamment à la fois, et aussi à cause du besoin qu’ils ont de beaucoup de nourriture, nécessaire à la croissance que procure le surplus des aliments. C’est pourquoi, aussi longtemps qu’ils se trouvent dans la période de la croissance, qui se poursuit chez la plupart jusqu’à la vingt et unième année révolue, ils ne sont pas tenus à observer les jeûnes d’Église. Il convient cependant que, même pendant cette période, ils s’exercent à jeûner plus ou moins à la mesure de leur âge.

Parfois cependant, sous la menace d’une grande calamité et en signe d’une pénitence plus sévère, les jeûnes sont prescrits même aux enfants. C’est ainsi que dans le livre de Jonas (3, 7), on les prescrit même pour le bétail : " Hommes et bêtes, gros et petit bétail ne goûteront rien, ne mangeront pas et ne boiront pas d’eau. "

3. En ce qui concerne les voyageurs et les travailleurs manuels, il semble qu’il faille distinguer. Si le voyage et le travail peuvent être aisément différés ou diminués sans détriment pour le bien du corps et la situation extérieure que requiert la conservation de la vie corporelle et spirituelle, alors les jeûnes d’Église ne doivent pas être supprimés. Mais s’il y a nécessité de partir immédiatement pour un voyage et d’accomplir de grandes étapes, ou de travailler beaucoup pour les besoins du corps ou pour ceux de l’esprit, et qu’en même temps les jeûnes d’Église ne puissent être observés, on n’est pas obligé de jeûner ; il ne semble pas en effet que l’intention de l’Église, en instituant des jeûnes, ait été d’empêcher d’autres œuvres bonnes et plus nécessaires. Il semble pourtant, en pareil cas, qu’il faille recourir à la dispense du supérieur, à moins que peut-être existe la coutume de procéder ainsi ; car du silence même de l’autorité on peut déduire qu’elle y consent.

4. Les pauvres qui ont assez de ressources pour faire un seul repas suffisant ne sont pas dispensés des jeûnes d’Église en raison de leur pauvreté. En semblent excusés cependant ceux qui, en mendiant, reçoivent morceau par morceau et ne peuvent obtenir en une fois une réfection suffisante.

5. Cette parole du Seigneur peut être interprétée de trois manières : l° Selon Chrysostome, les disciples qui sont appelés " compagnons de l’époux étaient encore trop faiblement disposés " ; aussi les compare-t-on à un " Vieux vêtement ". C’est pourquoi, tant que le Christ était corporellement présent, il valait mieux les encourager par une certaine douceur que les exercer par les austérités du jeûne. De ce point de vue il convient mieux de dispenser du jeûne les imparfaits et les novices que les anciens et les parfaits, comme le montre la Glose sur ce verset du Psaume (131, 2) : " Comme l’enfant sevré près de sa mère. "

2° Selon S. Jérôme, le Seigneur parle ici du jeûne de l’ancienne observance. Le Seigneur veut donc signifier par là que les Apôtres ne devaient plus être tenus aux anciennes observances, eux sur qui devait se répandre la nouveauté de la grâce.

3° Selon S .Augustin ,il y a lieu de distinguer un double jeûne : un jeûne qui appartient à " l’humanité de la détresse ". Celui-là ne convient pas aux parfaits, qui sont appelés " compagnons de l’époux " ; c’est pourquoi S. Luc dit (5, 34) : " Les compagnons de l’époux ne peuvent pas jeûner ", et S. Matthieu : " Les compagnons de l’époux ne peuvent mener le deuil. " Et un autre jeûne est celui qui appartient à la " joie de l’esprit fixé sur les biens spirituels ". Un tel jeûne convient aux parfaits.

 

            Article 5 — Le temps du jeûne

Objections :

1. Il semble que les époques où l’Église prescrit le jeûne soient mal choisies. Nous lisons en effet dans S. Matthieu (4, 2) que le Christ a commencé le jeûne aussitôt après son baptême.

Or nous devons imiter le Christ, S. Paul le rappelle (1 Co 4, 16) : " Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ. " Nous devons donc accomplir le jeûne aussitôt après l’Épiphanie, fête où l’on célèbre le baptême du Christ.

2. Les cérémonies rituelles de la loi ancienne ne doivent pas être observées dans la loi nouvelle. Or les jeûnes observés en certains mois déterminés appartiennent aux cérémonies de la loi ancienne, comme on peut le voir en Zacharie (8, 19) : " Le jeûne du quatrième mois, le jeûne du cinquième, le jeûne du septième et le jeûne du dixième deviendront pour la maison de Juda allégresse, joie, gais jours de fête. " Ainsi donc les jeûnes appelés jeûnes des Quatre-Temps, prévus à certains mois, ne devraient pas être observés dans l’Église.

3. Selon S. Augustin, de même qu’il y a un jeûne " d’affliction ", de même il y a un jeûne " d’exultation ". Or c’est surtout la résurrection du Christ qui apporte aux fidèles l’exultation spirituelle. C’est donc pendant la cinquantaine pascale, que l’Église solennise à cause de la résurrection du Seigneur, et les dimanches, jours où l’on en fait mémoire, que des jeûnes doivent être prescrits.

En sens contraire, il y a la coutume commune de l’Église.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, le jeûne a un double but : la destruction de la faute, et l’élévation de l’esprit vers les réalités d’en haut. C’est pourquoi des jeûnes durent être spécialement prescrits aux moments où il fallait que les hommes se purifient du péché, et que l’esprit des fidèles s’élève vers Dieu par la dévotion. Certes, cela est principalement indiqué avant la solennité pascale. C’est à ce moment que les fautes sont remises par le baptême qui se célèbre solennellement dans la vigile pascale, quand on fait mémoire de la sépulture du Seigneur. Car, dit S. Paul, " par le baptême nous avons été ensevelis avec le Christ dans la mort " (Rm 6, 4). Il faut surtout, dans la fête de Pâques, que l’esprit de l’homme soit élevé par la dévotion vers la gloire de l’éternité, que le Christ a inaugurée a sa résurrection. C’est pourquoi l’Église a décidé qu’il fallait jeûner immédiatement avant la solennité pascale, et pour la même raison à la vigile des fêtes principales, afin de nous préparer à les célébrer dévotement.

Pareillement, c’est une coutume de l’Église de conférer les saints ordres quatre fois par an. Pour le symboliser, le Seigneur rassasia de sept pains quatre milliers d’hommes, par quoi est signifiée " l’année du Nouveau Testament ", dit S. Jérôme. A la réception de ces saints ordres il faut que se préparent par le jeûne ceux qui ordonnent, ceux qui vont être ordonnés, et aussi tout le peuple pour l’utilité duquel ils sont ordonnés. C’est pourquoi on lit dans S. Luc (6, 12) que le Seigneur avant de choisir ses disciples, " s’en alla dans la montagne pour prier " ; sur quoi S. Ambroise déclare : " Que convient-il que tu fasses, lorsque tu veux entreprendre quelque pieux ministère ? Le Christ, sur le point d’envoyer ses Apôtres, commença par prier. "

Quant au nombre des jours du jeûne quadragésimal, S. Grégoire en donne trois raisons : la première, " c’est que le décalogue reçoit son accomplissement des quatre évangiles ; mais dix multiplié par quatre égale quarante ". Ou bien, c’est parce que " nous subsistons par quatre éléments dans ce corps mortel par la volonté duquel nous nous opposons aux commandements du Seigneur reçus dans le décalogue. Il est donc juste que nous affligions cette même chair pendant quatre fois dix jours ". - Ou bien, c’est parce que " nous nous efforçons d’offrir ainsi à Dieu la dîme des jours. En effet, puisque l’année comprend trois cent soixante cinq jours, nous nous affligeons pendant trente-six jours ", qui sont les jours de jeûne des six semaines de carême, donnant ainsi à Dieu la dîme de notre année. - S. Augustin ajoute une quatrième raison. Le Créateur est trinité, Père, Fils et Esprit Saint. Par ailleurs le nombre trois convient à la créature spirituelle : nous devons en effet aimer Dieu " de tout notre cœur, de toute notre âme, et de tout notre esprit ". Et le nombre quatre convient à la créature visible : à cause du chaud et du froid, de l’humide et du sec. Ainsi donc le nombre dix signifie tout ce qui existe. Si on le multiplie par quatre, qui convient au corps chargé de l’exécution, on obtient quarante.

Les jeûnes des Quatre-Temps durent chacun trois jours, soit à cause du nombre des mois se rapportant à chacun de ces temps, soit à cause du nombre des saints ordres qui se confèrent en ces temps.

Solutions :

1. Le Christ n’a pas eu besoin du baptême pour lui-même, mais pour nous recommander le baptême. C’est pourquoi il ne convenait pas qu’il jeûnât avant son baptême, mais après, pour nous inviter à jeûner avant notre baptême.

2. L’Église n’observe les jeûnes des QuatreTemps ni tout à fait dans les mêmes temps que les Juifs, ni non plus pour les mêmes raisons. En effet les Juifs jeûnaient en juillet, qui est le quatrième mois après avril, qu’ils considèrent comme le premier mois de l’année. C’est alors que Moïse, descendant du mont Sinaï, brisa les tables de la Loi (Ex 32, 19), et que, selon Jérémie (52, 6), les remparts de la cité furent forcés pour la première fois. Au cinquième mois, qui chez nous est le mois d’août, lorsque, à cause des explorateurs de la Terre promise, une sédition s’était élevée dans le peuple, ils reçurent l’ordre de ne pas gravir la montagne (Nb 14, 42) ; c’est en ce mois que le temple de Jérusalem fut incendié par Nabuchodonosor (Jr 52, 12), et ensuite par Titus. Au septième mois, qui est le mois d’octobre, Godolias fut mis à mort, et les restes d’Israël dispersés (Jr 41, 1.10). Au dixième mois, qui chez nous est le mois de Janvier, le peuple, qui se trouvait en captivité avec Ézéchiel, apprit que le Temple avait été renversé (Ez 33, 21).

3. Le " jeûne d’exultation " procède d’une inspiration de l’Esprit Saint, qui est l’Esprit de liberté. Pour cette raison ce jeûne ne doit pas tomber sous le précepte. Les jeûnes qui sont institués par un précepte de l’Église sont donc plutôt des " jeûnes d’affliction " qui ne conviennent pas aux jours de joie. C’est pourquoi il n’y a pas de jeûne institué par l’Église pour toute la durée du temps pascal, ni non plus pour les dimanches. Si quelqu’un jeûnait ces jours-là contre la coutume du peuple chrétien, qui, dit S. Augustin " doit être tenue pour loi ", ou encore en commettant une erreur, à la manière des manichéens qui jeûnent en estimant qu’un tel jeûne est nécessaire, celui-là ne serait pas exempt de péché, quoique le jeûne, considéré en lui-même, soit louable en tout temps, comme l’écrit S. Jérôme : " Plût au ciel que nous puissions jeûner en tout temps "

 

            Article 6 — Le jeûne exige-t-il un seul repas ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. On a dit en effet que le jeûne était un acte de la vertu d’abstinence, qui n’est pas moins concernée par la juste quantité dans la nourriture que par le nombre de repas. Or la quantité de nourriture n’est pas fixée pour ceux qui jeûnent. Le nombre de repas ne doit pas l’être non plus.

2. On se nourrit de boisson aussi bien que d’aliments. C’est pourquoi la boisson rompt le jeûne ; ainsi, on ne peut recevoir l’Eucharistie après avoir bu. Or il n’est pas interdit de boire plusieurs fois les jours de jeûne, à différentes heures de la journée. Il ne doit donc pas être interdit non plus de manger plusieurs fois quand on jeûne.

3. Certains remèdes, comme les électuaires, sont des aliments. Beaucoup de personnes en prennent cependant les jours de jeûne après leur repas. Le repas unique n’est donc pas essentiel au jeûne.

En sens contraire, c’est la coutume générale du peuple chrétien.

Réponse :

Le jeûne est institué par l’Église pour réprimer la convoitise, de façon cependant à respecter la nature. L’unique repas semble suffire pour atteindre ce but : l’homme peut à la fois contenter la nature, et réduire la convoitise en diminuant la fréquence des repas. C’est pourquoi, dans sa modération, l’Église a décidé que ceux qui jeûnent mangeraient une seule fois par jour.

Solutions :

1. La quantité de nourriture ne pouvait être fixée de façon uniforme pour tous, car les tempéraments sont différents, et il peut se faire que l’un ait besoin de plus de nourriture qu’un autre. Mais dans la plupart des cas tous peuvent satisfaire aux besoins de la nature par un unique repas.

2. Il y a deux sortes de jeûne - le jeûne naturel, qui est exigé pour la réception de l’eucharistie et qui est rompu par l’absorption de toute boisson même l’eau, après quoi on ne peut recevoir l’eucharistie ; et le jeûne d’Église, qui est le jeûne de " celui qui jeûne ", et qui est rompu seulement par ce que l’Église avait l’intention d’interdire en instituant le jeûne. Or l’Église n’a pas voulu interdire l’usage de la boisson, qui est prise pour désaltérer le corps et pour aider à la digestion des aliments plutôt que pour se nourrir, encore qu’elle nourrisse aussi d’une certaine façon. - Mais si l’on use de boisson de façon immodérée, on peut pécher et perdre le mérite du jeûne ; de même si l’on mange de façon immodérée dans un seul repas.

3. Ces médicaments, même s’ils nourrissent d’une certaine façon, ne sont pas pris principalement pour se nourrir, mais pour faciliter la digestion. Ils ne rompent donc pas le jeûne, pas plus que l’absorption des autres remèdes, à moins qu’on ne les prenne en grande quantité comme un moyen détourné de se nourrir.

 

            Article 7 — L’heure des repas pour ceux qui jeûnent

Objections :

1. Avoir fixé le repas à la neuvième heure, pour ceux qui jeûnent, ne semble pas justifié. En effet, le statut du Nouveau Testament est plus parfait que celui de l’Ancien. Or dans celui-ci on jeûnait jusqu’au soir. Car il est écrit dans le Lévitique (23, 32) : " C’est le sabbat - en jeûnant vous affligerez vos âmes ", et aussitôt après : " Depuis ce soir jusqu’au soir suivant, vous observerez le repos sabbatique. " Donc, bien davantage encore le jeûne doit, dans le Nouveau Testament, être prescrit jusqu’au soir.

2. Le jeûne institué par l’Église est imposé à tous. Or tous ne peuvent pas de façon précise savoir quelle est la neuvième heure. Il semble donc que la fixation de l’heure ne devrait pas tomber sous le précepte du jeûne.

3. Le jeûne est un acte de la vertu d’abstinence, on l’a dit plus haute. Mais la vertu morale ne, détermine pas le milieu de la même manière pour tous, car, selon Aristote " ce qui est beaucoup pour l’un sera peu pour un autre ". On ne doit donc pas fixer la neuvième heure à ceux qui jeûnent.

En sens contraire, le concile de Chalcédoine déclare que " pendant le carême, on ne doit aucunement considérer que l’on jeûne si l’on mange avant la célébration de l’office de vêpres " qui, pendant le temps du Carême, se dit après none. On doit donc jeûner jusqu’à none.

Réponse :

Nous l’avons dit le jeûne est ordonné à l’expiation et à la prévention de la faute. Il faut donc ajouter quelque chose à l’usage commun, sans pour autant accabler par trop la nature. Or c’est une coutume judicieuse et commune pour les hommes de prendre leur repas aux environs de la sixième heure : la digestion semble bien complète, la chaleur naturelle s’est concentrée à l’intérieur en raison du froid de la nuit, le liquide nourricier s’est répandu par tous les membres, aidé en cela par la chaleur du jour jusqu’à la montée du soleil à son zénith ; c’est alors aussi que l’organisme a surtout besoin d’être aidé contre la chaleur extérieure de l’air, pour éviter que les humeurs intérieures se dessèchent. C’est pourquoi, afin qu’en jeûnant on éprouve quelque désagrément en expiation de ses fautes, il est convenable de fixer l’heure du repas à la neuvième heure.

Cette heure convient aussi au mystère de la passion du Christ, qui s’est accomplie à la neuvième heure, quand, " inclinant la tête, il rendit l’esprit ". En effet ceux qui jeûnent en affligeant leur chair se conforment à la passion du Christ. Comme l’écrit S. Paul (Ga 5, 24) : " Ceux qui appartiennent au Christ Jésus ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises. "

Solutions :

1. Le statut de l’Ancien Testament est comparé à la nuit et celui du Nouveau Testament au jour, selon S. Paul (Rm 13, 12) : " La nuit est avancée ; le jour est tout proche. " C’est pourquoi dans l’Ancien Testament on jeûnait jusqu’à la nuit, mais non dans le Nouveau Testament.

2. Cette heure déterminée ne se calcule pas selon un examen précis mais selon une approximation : il suffit en effet qu’elle soit aux environs de la neuvième heure. Et cela, tout le monde peut facilement s’en rendre compte.

3. Une légère différence en plus ou en moins ne saurait faire grand mal. En effet l’intervalle n’est pas bien grand entre la sixième heure, où généralement les hommes prennent leur repas, et la neuvième heure, prescrite pour ceux qui jeûnent. Une telle fixation de temps ne peut donc nuire vraiment, quelle que soit la situation où l’on se trouve. Mais si, à cause de la maladie ou de l’âge ou pour quelque autre cause, un grave dommage devait en résulter, il faudrait alors dispenser du jeûne, ou avancer quelque peu l’heure du repas.

 

            Article 8 — Les aliments dont il faut s’abstenir

Objections :

1. Il ne semble pas qu’on ait raison d’interdire à ceux qui jeûnent de manger de la viande, des œufs et du laitage. En effet, on a dit plus haut que le jeûne a été institué pour réprimer les convoitises de la chair. Or l’usage du vin excite davantage à la luxure que l’usage de la viande, d’après les Proverbes (20, 1) : " La luxure est dans le vin ! ", et chez S. Paul (Ep 5, 18) : " Ne vous enivrez pas de vin : on n’y trouve que libertinage. " Puisque le vin n’est pas interdit à ceux qui jeûnent, il semble donc que l’usage de la viande ne devrait pas être interdit non plus.

2. Certains poissons procurent autant de plaisir au goût que certaines viandes. Or la convoitise est un " appétit du délectable ". C’est pourquoi, de même que l’usage du poisson n’est pas interdit dans le jeûne, qui est institué pour refréner la convoitise, de même l’usage de la viande ne doit pas être interdit non plus.

3. A certains jours de jeûne, certains mangent des œufs et du fromage. On peut donc également en user pendant le jeûne de carême.

En sens contraire, il y a la coutume générale des fidèles.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, le jeûne a été institué par l’Église pour réprimer les convoitises de la chair. Mais celles-ci portent sur les choses délectables du toucher qui se trouvent dans l’alimentation et dans les rapports sexuels. C’est pourquoi l’Église a interdit les nourritures dont la consommation procure le plus grand plaisir et celles qui excitent le plus au plaisir sexuel. Or telles sont les chairs des animaux qui vivent et respirent sur la terre, et les nourritures qui viennent d’eux, comme les laitages qui proviennent des quadrupèdes, et les œufs qui proviennent des oiseaux. En effet, comme ces nourritures sont plus proches du corps humain, elles le délectent davantage et elles contribuent davantage à sa réfection. Aussi, quand on s’en nourrit, se produit un plus grand surplus qui se transforme en la matière de la semence, dont la multiplication est le plus grand excitant à la luxure. Voilà pourquoi c’est de ces nourritures surtout que l’Église a prescrit l’abstinence à ceux qui jeûnent.

Solutions :

1. Trois facteurs concourent à l’acte de la génération : la chaleur, l’élément gazeux et l’élément liquide. A la production de la chaleur contribue surtout le vin et les autres choses qui réchauffent le corps ; à la production de l’élément gazeux semble contribuer ce qui provoque un gonflement ; mais à la production de l’élément liquide contribue surtout l’usage de la viande qui a un grand pouvoir nutritif. Mais la modification de la chaleur et l’abondance de l’élément gazeux passent rapidement, tandis que la substance de l’élément liquide demeure longtemps. C’est pourquoi l’on interdit davantage à ceux qui jeûnent l’usage de la viande que celui du vin, ou celui des légumes, qui sont des aliments qui gonflent.

2. En instituant le jeûne, l’Église est restée attentive à ce qui arrive le plus communément. Or la viande est généralement un aliment plus agréable que le poisson, bien qu’il en soit autrement chez certaines personnes. C’est pourquoi l’Église a interdit à ceux qui jeûnent de manger de la viande plutôt que de manger du poisson.

3. Les œufs et les laitages sont interdits à ceux qui jeûnent, comme provenant d’animaux à viande : la viande est donc interdite à plus forte raison. D’autre part, le jeûne de carême est le plus solennel, parce qu’on l’observe pour imiter le Christ et parce qu’il nous dispose à célébrer dévotement les mystères de notre rédemption. C’est pourquoi en tout jeûne il est interdit de manger de la viande ; mais en outre, pour le jeûne de carême, il est universellement interdit de manger des œufs et des laitages. En ce qui concerne l’abstinence des œufs et des laitages, à l’occasion des autres jeûnes que celui du carême, il existe des coutumes différentes suivant les pays ; on doit les observer en se conformant aux mœurs des habitants. C’est pourquoi S. Jérôme déclare en parlant des jeûnes : " Que chaque province abonde dans son sens, et regarde les prescriptions de ses chefs comme des lois venues des Apôtres. "

 

 

QUESTION 148 — LA GOURMANDISE

1. La gourmandise est-elle un péché ? - 2. Est-elle un péché mortel ? - 3. Est-elle le plus grand des péchés ? - 4. Ses espèces. - 5. Est-elle un vice capital ? - 6. Ses filles.

 

            Article 1 — La gourmandise est-elle un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car le Seigneur dit en S. Matthieu (15, 11) : " Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur. " Or la gourmandise concerne les nourritures qui entrent dans l’homme. Puisque tout péché souille l’homme, il semble donc que la gourmandise ne soit pas un péché.

2. Personne ne pèche en ce qui est inévitable. Or la gourmandise est un manque de modération en matière de nourriture que l’homme ne peut éviter. S. Grégoire dit en effet a : " Dans l’action de manger, le plaisir se mêle tellement à la nécessité qu’on ne sait pas ce qui est demandé par l’une ou par l’autre. " Et S. Augustin : " Seigneur! Qui donc n’a pas pris de nourriture en sortant un peu des bornes du nécessaire ? "

3. En toute espèce de péché le premier mouvement est déjà un péché. Or le premier mouvement qui conduit à prendre de la nourriture n’est pas un péché, autrement la faim et la soif seraient des péchés.

En sens contraire, S. Grégoire recommande de " ne pas nous lever pour livrer le combat spirituel sans avoir auparavant dompté l’ennemi qui se trouve en nous-même, c’est-à-dire l’appétit de gourmandise ". Or l’ennemi intérieur de l’homme, c’est le péché. La gourmandise est donc un péché.

Réponse :

La gourmandise ne qualifie pas n’importe quel désir de manger et de boire, mais le désir désordonné. Or on dit qu’un désir est désordonné lorsqu’il s’écarte de l’ordre de la raison, en quoi réside le bien de la vertu morale. Et l’on appelle péché ce qui s’oppose à la vertu. Il est donc clair que la gourmandise est un péché.

Solutions :

1. Ce qui entre dans l’homme par mode de nourriture, à ne considérer que sa substance et sa nature, ne souille pas spirituellement l’homme. Ce sont les Juifs, contre qui parlait le Seigneur, et les manichéens qui pensaient que certains aliments rendaient impur, non à cause de leur caractère figuratif, mais à cause de leur nature propre. Cependant la convoitise désordonnée des aliments souille l’homme spirituellement.

2. Comme on vient de le dire, le vice de gourmandise ne consiste pas en la substance de la nourriture, mais en la convoitise non réglée par la raison. C’est pourquoi, lorsqu’on dépasse la quantité normale de nourriture, non à cause de la convoitise, mais parce que l’on croit que c’est nécessaire, cela ne relève pas de la gourmandise mais de quelque inexpérience. Ce qui relève de la gourmandise, c’est uniquement, par convoitise d’une nourriture délectable, de dépasser sciemment la mesure lorsqu’on mange.

3. Il y a deux espèces d’appétit. L’un est l’appétit naturel, qui se trouve dans les puissances de l’âme végétative, en lesquelles il ne peut y avoir de vertu ou de vice, puisqu’elles ne peuvent être soumises à la raison. Cet appétit se contredistingue des facultés de retenir, de digérer et d’évacuer. C’est à cet appétit qu’appartiennent la faim et la soif - Mais il y a un autre appétit, l’appétit sensible, et c’est dans la convoitise de cet appétit que consiste le vice de gourmandise. Le premier mouvement de gourmandise implique donc, dans l’appétit sensible, un dérèglement qui n’est pas exempt de péché.

 

            Article 2 — La gourmandise est-elle un péché mortel ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. En effet, tout péché mortel est contraire à un précepte du décalogue, ce qui ne semble pas vrai de la gourmandise.

2. Tout péché mortel est contraire à la charité, on l’a montré plus haut. Or la gourmandise ne s’oppose pas à la charité, ni à l’amour de Dieu ni à l’amour du prochain. La gourmandise n’est donc pas péché mortel.

3. Selon S. Augustine " toutes les fois que quelqu’un, dans le manger et le boire, consomme plus qu’il n’est nécessaire, qu’il sache que cela est à compter parmi les menus péchés ". Or il s’agit là de gourmandise. La gourmandise est donc placée parmi les menus péchés, c’est-à-dire parmi les péchés véniels.

En sens contraire, S. Grégoire dit : " Lorsque le vice de gourmandise l’emporte, les hommes perdent tout ce qu’ils ont fait de fort ; et quand le ventre n’est pas réprimé, toutes les vertus sont écrasées à la fois. " Mais la vertu n’est détruite que par le péché mortel. La gourmandise est donc un péché mortel.

Réponse :

Comme on l’a vu, le vice de gourmandise consiste essentiellement en une convoitise déréglée. Or l’ordre de la raison, qui règle la convoitise, peut être détruit de deux façons : d’abord quand aux moyens relatifs à la fin, s’ils ne sont pas proportionnés à cette fin ; ensuite quant à la fin elle-même, si la convoitise détourne l’homme de la juste fin. Donc, si le désordre de la convoitise gourmande est acceptée jusqu’à détourner de la fin ultime, alors la gourmandise sera péché mortel. Ce qui arrive quand l’homme s’attache au plaisir de la gourmandise au point de mépriser Dieu, c’est-à-dire s’il est prêt à agir contre ses préceptes pour obtenir de tels plaisirs. - Mais si, dans le vice de gourmandise, le désordre de la convoitise ne se rapporte qu’aux moyens, en ce sens qu’on désire trop les plaisirs de la nourriture, mais sans faire pour cela quelque chose de contraire à la loi de Dieu, alors la gourmandise est péché véniel.

Solutions :

1. Le vice de gourmandise est péché mortel en tant qu’il détourne de la fin ultime ; il s’oppose ainsi indirectement au précepte de sanctifier le jour du Seigneur, qui nous prescrit le repos dans la fin ultime. En effet, tous les péchés mortels ne sont pas directement contraires aux préceptes du décalogue, mais seulement ceux qui renferment une injustice, car les préceptes du décalogue concernent spécialement la justice et les vertus qui en font partie, nous l’avons vu.

2. En tant qu’elle détourne de la fin ultime, la gourmandise est contraire à l’amour de Dieu qui, étant notre fin ultime, doit être aimé par-dessus tout. C’est par là seulement que la gourmandise est péché mortel.

3. Ces paroles de S. Augustin doivent s’entendre de la gourmandise selon qu’elle comporte un désordre de la convoitise par rapport aux seuls moyens.

4. La gourmandise détruit les vertus non pas tant par elle-même que par les vices dont elle est la source. S. Grégoire dit en effet : " Tandis que la gloutonnerie tend le ventre, les forces de l’âme sont anéanties par la luxure. "

 

            Article 3 — La gourmandise est-elle le plus grand des péchés ?

Objections :

1. Il semble bien. En effet, on juge la grandeur d’un péché à la grandeur de la peine. Or c’est le péché de gourmandise qui est le plus gravement puni. S. Chrysostome dit en effet . " C’est la convoitise de la nourriture qui chassa Adam du paradis ; c’est elle aussi qui amena le déluge au temps de Noé " ; et on lit dans Ézéchiel (16, 49) : " Voici quel fut le crime de Sodome, ta sœur : la voracité... " Le péché de gourmandise est donc le plus grand des péchés.

2. En tout genre, le plus important, c’est la cause. Or la gourmandise apparent comme la cause d’autres péchés. Car sur ce passage du Psaume (136, 10) : " Il frappa l’Égypte dans ses premiers-nés ", la Glose dit : " La luxure, la concupiscence, l’orgueil sont engendrés par le ventre. " La gourmandise est donc le plus grand des péchés.

3. Après Dieu, c’est lui-même que l’homme doit aimer le plus, on l’a vu. Or c’est à lui-même que l’homme cause du dommage par le vice de gourmandise, selon l’Ecclésiastique (37, 31) : " Beaucoup sont morts pour avoir trop mangé. " La gourmandise est donc le plus grand des péchés, au moins en dehors des péchés commis contre Dieu.

En sens contraire, les vices de la chair, parmi lesquels on compte la gourmandise, sont peu coupables, selon S. Grégoire.

Réponse :

On peut considérer la gravité d’un péché à un triple point de vue : l° Au point de vue de la matière du péché, et c’est le principal. De ce point de vue les péchés qui se rapportent aux choses divines sont les plus grands. C’est pourquoi le vice de gourmandise n’est pas le plus grand, car il a pour matière ce qui concerne la réfection du corps. - 2° Au point de vue de celui qui pèche. De ce point de vue le péché de gourmandise est plutôt diminué qu’aggravé, tant à cause de la nécessité de se nourrir qu’à cause de la difficulté de discerner et de mesurer ce qui convient en ce domaine. - 3° Au point de vue des conséquences. De ce point de vue, le vice de gourmandise a une certaine importance, en raison des différents péchés dont il fournit l’occasion.

Solutions :

1. Ces peines se réfèrent aux vices qui sont les conséquences de la gourmandise ou à sa racine, plus qu’à la gourmandise elle-même. En effet, le premier homme fut expulsé du paradis à cause de l’orgueil qui le conduisit à un acte de gourmandise. Quant au déluge et au châtiment des habitants de Sodome, ils furent provoqués par des péchés de luxure qui avaient précédé, et dont la gourmandise avait fourni l’occasion.

2. L’objection se réfère à des péchés qui sont nés de la gourmandise. Or la cause ne l’emporte sur l’effet que dans les cas de causalité directe. La gourmandise n’est pas cause directe de ces vices, mais pour ainsi dire cause accidentelle et occasionnelle.

3. Le gourmand n’a pas l’intention de nuire à son corps, mais de prendre son plaisir dans la nourriture. Si un dommage en résulte pour le corps, c’est par accident. Il s’ensuit que cela n’appartient pas directement à la gravité de la gourmandise. La faute de celle-ci est néanmoins aggravée si l’on encourt un dommage corporel à cause d’une absorption immodérée de nourriture.

 

            Article 4 — Les espèces de la gourmandise

Objections :

1. Il semble que les espèces de la gourmandise ne soient pas judicieusement distinguées par S. Grégoire, qui dit : " Le vice de gourmandise nous tente de cinq manières : parfois il nous fait devancer l’heure où le besoin se fait sentir, parfois rechercher des aliments exquis, parfois désirer une nourriture préparée avec trop de recherche, parfois dépasser la mesure dans la quantité même, parfois pécher par la violence même d’un désir intense. " Ce que S. Grégoire résume ainsi : " Prématurément, exquisement, excessivement, avidement, passionnément. " Les formes de gourmandise que l’on vient de dire se diversifient selon les circonstances. Or les circonstances, puisqu’elles sont des accidents de l’action, ne donnent pas lieu à des espèces différentes. Les espèces de gourmandise ne sont donc pas diversifiées ainsi.

2. Le temps constitue une certaine circonstance, de même que le lieu. Si l’on conçoit donc une espèce de gourmandise en considération du temps, il faudrait faire de même en considération du lieu et des autres circonstances.

3. De même que la tempérance considère les circonstances requises, de même les autres vertus morales. Or dans les vices qui s’opposent aux autres vertus morales on ne distingue pas d’espèces selon les différentes circonstances. On ne devrait pas le faire non plus dans la gourmandise.

En sens contraire, il y a le texte allégué de S. Grégoire.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, la gourmandise comporte une convoitise désordonnée de la nourriture. Mais dans l’action de manger on peut considérer deux choses : la nourriture même que l’on mange, et la manducation. Le désordre de la convoitise peut donc s’entendre de deux manières. D’une première manière, quant à la nourriture même que l’on prend. Ainsi, quant à la substance ou l’espèce de nourriture, il arrive que l’on recherche des aliments " exquis ", c’est-à-dire coûteux ; quant à la qualité, il arrive que l’on recherche des aliments préparés " avec trop de recherche " ; et quant à la quantité, il arrive que l’on dépasse la mesure en mangeant " excessivement ".

D’une autre manière le désordre de la convoitise s’entend encore quant à l’absorption même de la nourriture. Ou bien parce qu’on devance le temps convenable pour manger, ce qui est manger " prématurément " ; ou bien parce qu’on n’observe pas la mesure requise en mangeant, ce qui est manger " avidement ". - Isidore réunit en une seule les deux premières circonstances, et dit que le gourmand commet des excès dans la nourriture selon " la substance, la quantité, la manière et le temps ".

Solutions :

1. La corruption des circonstances diverses donne naissance à différentes espèces de gourmandise à cause des différents motifs, qui sont spécificateurs en morale. En effet, chez celui qui recherche une nourriture exquise, c’est la nature même des aliments qui excite la convoitise ; tandis que chez celui qui devance le temps, c’est l’impatience d’attendre qui produit le désordre et ainsi du reste.

2. Dans le lieu et les autres circonstances on ne trouve pas un motif spécial se rapportant à l’usage de la nourriture, et susceptible de produire une autre espèce de gourmandise.

3. Dans tous les autres vices où les diverses circonstances impliquent des motifs différents, on doit admettre qu’il y a différentes espèces de vices selon les différentes circonstances. Mais cela ne se présente pas dans tous les cas, nous l’avons dit en parlant du péché.

 

            Article 5 — La gourmandise est-elle un vice capital ?

Objections :

1. Il semble que non, car on appelle vices capitaux ceux qui, en qualité de cause finale, donnent naissance à d’autres vices. Or la nourriture, qui est la matière de la gourmandise, n’est pas une fin ; elle n’est pas recherchée en vue d’elle-même, mais en vue de la réfection corporelle.

2. Un vice capital semble avoir quelque primauté dans la raison de péché. Or ce n’est pas le cas de la gourmandise qui semble être par son genre le plus petit des péchés, comme étant plus proche de ce qui est naturel. Elle ne semble donc pas être un vice capital.

3. Il y a péché quand on s’écarte du bien honnête pour obtenir quelque chose d’utile à la vie présente, ou d’agréable aux sens. Mais en ce qui concerne les biens utiles, il n’y a qu’un seul vice capital : l’avarice. Il semble donc qu’il n’y ait aussi qu’un seul vice capital en ce qui concerne les plaisirs. Et c’est la luxure, qui est un vice plus grand que la gourmandise, et qui a trait à des plaisirs plus grands. Donc la gourmandise n’est pas un vice capital.

En sens contraire, S. Grégoire range la gourmandise parmi les vices capitaux.

Réponse :

On appelle vice capital, nous l’avons dit, celui qui donne naissance à d’autres vices selon sa raison de cause finale, c’est-à-dire celui qui présente une fin très désirable, dont la convoitise conduit les hommes à pécher de multiples façons. Mais une fin est rendue très désirable par le fait qu’elle comporte une des conditions du bonheur qui, par sa nature même, est désirable. Or, dit Aristote le plaisir appartient à la notion de bonheur. C’est pourquoi la gourmandise qui a trait aux plaisirs du toucher, les principaux de tous, est rangée à bon droit parmi les vices capitaux.

Solutions :

1. La nourriture elle-même est sans doute ordonnée à autre chose comme à sa fin. Mais comme cette fin, la conservation de la vie, est extrêmement désirable, et qu’on ne peut l’obtenir sans nourriture, il en résulte que la nourriture elle-même est extrêmement désirable. C’est à elle qu’est ordonné presque tout le labeur de la vie humaine, comme le montre cette parole de l’Ecclésiaste (6, 7) : " Toute la peine que prend l’homme est pour sa bouche. " - Il semble cependant que la gourmandise se rapporte davantage aux plaisirs procurés par la nourriture qu’à la nourriture elle-même. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Certains, méprisant la santé du corps, préfèrent manger - en quoi se trouve le plaisir - à être rassasiés... alors que le but de tous ces plaisirs est de ne pas avoir faim ni soi "

2. La fin du péché se prend du bien vers lequel il se tourne, mais la gravité du péché se prend du bien dont il se détourne. C’est pourquoi un vice capital que procure une fin très désirable peut ne pas avoir une grande gravité.

3. Le délectable est désirable en lui-même. C’est pourquoi, en fonction de sa diversité, il donne lieu à deux vices capitaux, la gourmandise et la luxure. L’utile, au contraire, n’est pas désirable en lui-même, mais à titre de moyen. En toutes les réalités utiles il semble donc n’y avoir qu’une seule raison pour qu’elle nous soient désirables. Elles ne donnent lieu, pour cette raison, qu’à un seul vice capital.

 

            Article 6 — Les filles de la gourmandise

Objections :

1. Il ne semble pas cohérent d’assigner cinq filles à la gourmandise, à savoir : " la joie inepte, la bouffonnerie, la malpropreté, le verbiage et l’hébétude de l’esprit ". En effet, la joie inepte suit tout péché, disent les Proverbes (2, 14) : " Ils trouvent leur joie à faire le mal, se complaisent dans la perversité. " De même on trouve l’hébétude de l’esprit en tout péché selon les Proverbes (14, 22) : " N’est-ce pas s’égarer que de machiner le mal ? " Les filles de la gourmandise ne sont donc pas bien énumérées.

2. La malpropreté qui suit la gourmandise consiste surtout à vomir, selon Isaïe (28, 8) : " Toutes les tables sont pleines de vomissements abjects. " Or cela ne semble pas être un péché, mais plutôt une peine, ou encore quelque chose d’utile qui fait l’objet d’un conseil, d’après l’Ecclésiastique (31, 25 Vg) : " Si tu as été forcé de trop manger, lève-toi, va vomir, et tu seras soulagé. " La malpropreté ne doit donc pas être placée parmi les filles de la gourmandise.

3. Isidore fait de la bouffonnerie une fille de la luxure. Elle ne doit donc pas être placée parmi les filles de la gourmandise.

En sens contraire, c’est S. Grégoire u qui assigne ces filles à la gourmandise.

Réponse :

Nous l’avons dit la gourmandise consiste proprement dans le plaisir immodéré qu’on prend à manger et à boire. C’est pourquoi on met au nombre des filles de la gourmandise les vices qui font suite à ce plaisir immodéré. Ces vices peuvent être vus du côté de l’âme, ou du côté du corps. Du côté de l’âme, de quatre façons :

1° Quant à la raison, dont la vivacité est émoussée par l’excès du manger et du boire. Selon ce point de vue, on fait de " l’hébétude de l’intelligence " une fille de la gourmandise, car les fumées de la nourriture et de la boisson troublent la tête. Au contraire, l’abstinence aide à découvrir la sagesse, comme dit l’Ecclésiaste (2, 3 Vg) : " J’ai décidé dans mon cœur d’arracher ma chair à l’emprise du vin, pour que mon âme se porte à la sagesse. "

2° Quant à l’appétit, qui se dérègle de multiples manières par l’excès de nourriture et de boisson, le gouvernement de la raison étant comme assoupi. Selon ce point de vue, on parle de " joie inepte ", car toutes les autres passions désordonnées conduisent, selon Aristote, à la joie et à la tristesse. Comme il est dit dans le 3ème livre d’Esdras, " le vin transforme tout l’esprit en sécurité et en joie ".

3° Quant à la parole proférée dans le désordre. Et ainsi on a " le verbiage " car, selon S. Grégoire " si un bavardage effréné n’emportait pas ceux qui s’adonnent à la gourmandise, ce riche, que l’on dit festoyer splendidement chaque jour, n’aurait pas la langue si douloureusement dévorée par le feu ".

4° Quant aux actes désordonnés. Et l’on parle alors de " bouffonnerie ", c’est-à-dire d’une certaine exubérance de mouvements provenant d’un défaut de la raison qui, ne pouvant maîtriser les paroles, ne peut pas non plus maîtriser les gestes extérieurs. A propos de ces mots de S. Paul (Ep 5, 4) : " De même pour les mépris et les facéties ", la Glose ajoute : " Il s’agit là de bouffonnerie, c’est-à-dire d’une exubérance qui provoque le rire. " - Néanmoins on pourrait rattacher l’une et l’autre aux paroles en lesquelles il arrive de pécher soit par abondance, ce qui est le " verbiage ", soit par défaut de retenue, ce qui est la " bouffonnerie ".

Du côté du corps, on parle de " malpropreté ". Ce qui peut se rapporter soit à l’émission désordonnée d’un quelconque surplus, soit plus précisément à l’émission de la semence. C’est pourquoi à propos de ces paroles de S. Paul (Ep 5, 3) : " Quant à la fornication et à la malpropreté sous toutes ses formes, etc. ", la Glose ajoute : " ... c’est-à-dire l’incontinence qui appartient de quelque façon au désir charnel. "

Solutions :

1. La joie qui concerne l’acte du péché ou sa fin accompagne tout péché, surtout le péché d’habitude. Mais la joie vague et mai définie, qui reçoit ici l’épithète d’" inepte ", provient principalement de l’absorption immodérée de la nourriture et de la boisson.

De même l’hébétude du sens, qui empêche de choisir, se retrouve communément en tout péché. Mais l’hébétude du sens concernant les choses de l’intelligence procède surtout de la gourmandise pour la raison qu’on vient de dire.

2. Quoiqu’il soit utile de vomir quand on a trop mangé, c’est pourtant une faute que de s’y obliger par la démesure dans le manger et le boire. - On peut cependant sans faute provoquer le vomissement sur le conseil du médecin comme remède à une indisposition.

3. La bouffonnerie ou inconvenance dans les paroles ou les gestes provient de l’acte de gourmandise ; elle n’est pas causée par l’acte de luxure mais par son désir. Elle peut donc se rattacher à l’un ou à l’autre vice.

Nous devons maintenant étudier la sobriété (Q. 149), puis le vice opposé, l’ivrognerie (Q. 150).

 

 

QUESTION 149 — LA SOBRIÉTÉ

1. Quelle est sa matière ? - 2. Est-elle une vertu spéciale ? - 3. L’usage du vin est-il permis - 4. A qui surtout la sobriété est-elle nécessaire ?

 

            Article 1 — Quelle est la matière propre de la sobriété ?

Objections :

1. Il ne semble pas que ce soit la boisson, car S. Paul écrit (Rm 12, 3) : " Ne vous estimez pas plus qu’il ne faut, mais soyez sages avec sobriété. " La sobriété concerne donc aussi la sagesse, et pas seulement la boisson.

2. Il est écrit (Sg 8, 7) que la Sagesse de Dieu " enseigne sobriété et prudence, justice et courage ". La sobriété est ici synonyme de tempérance. Or la tempérance n’a pas seulement comme matière la boisson, mais aussi la nourriture et la sexualité. La sobriété ne concerne donc pas seulement la boisson.

3. Le mot " sobriété " semble venir de " mesure ". Or nous devons garder la mesure en tout ce qui nous concerne. S. Paul dit (Tt 2, 2) : " Vivons sobrement dans la justice et la piété ", et la Glose ajoute : " Sobrement, en nous-mêmes. " Et S. Paul dit encore (1 Tm 2, 9) : " Que les femmes aient une tenue décente, que leur parure soit modeste et sobre. " Il semble ainsi que la sobriété ne concerne pas seulement ce qui est intérieur, mais aussi le comportement extérieur. La matière propre de la sobriété n’est donc pas la boisson.

En sens contraire, selon l’Ecclésiastique (31, 27), " le vin est la vie pour l’homme, quand on en boit avec sobriété ".

Réponse :

Les vertus qui tirent leur nom d’une condition générale de la vertu revendiquent spécialement pour elles la matière où il est le plus difficile et le plus parfait de remplir cette condition. C’est ainsi que la force concerne les périls de mort, et la tempérance les plaisirs du toucher. Or le nom de sobriété se prend de la mesure : on dit en effet que quelqu’un est sobre (sobrius) comme observant la bria (mesure à vin). C’est pourquoi la sobriété s’attribue spécialement la matière où il est spécialement louable d’observer la mesure. Or c’est le cas des boissons enivrantes ; leur usage modéré est très bienfaisant, mais le moindre excès est très nuisible, car il entrave l’usage de la raison, plus encore que ne fait l’excès de nourriture. Comme dit l’Ecclésiastique (31, 28-30) : " Gaîté du cœur et joie de l’âme, voilà le vin qu’on boit avec mesure ; amertume de l’âme, voilà le vin qu’on boit avec excès, par passion et par défi. L’ivresse excite la fureur de l’insensé pour sa perte. " C’est pourquoi la sobriété concerne spécialement la boisson, non pas n’importe laquelle, mais celle qui, par ses fumées capiteuses, est capable de troubler l’esprit, comme le vin et tout ce qui peut enivrer.

Mais si l’on prend le mot sobriété dans un sens général, il peut être appliqué à n’importe quelle matière, comme on l’a vu quand on a traité de la force et de la tempérances.

Solutions :

1. De même que le vin enivre physiquement, de même, par métaphore, dit-on que la considération de la sagesse est une boisson enivrante, car elle séduit l’âme par le plaisir qu’elle procure, ainsi que le suggère le Psaume (23, 5) : " Ma coupe enivrante , comme elle est belle " C’est pourquoi, de façon imagée, on parle de sobriété à propos de la contemplation de la sagesse.

2. Tout ce qui relève proprement de la tempérance est nécessaire à la vie présente ; c’est l’excès qui en est nuisible. Aussi est-il nécessaire en tout cela d’observer la mesure, ce qui est le rôle de la sobriété. C’est en ce sens qu’on donne à la tempérance le nom de sobriété. Mais un léger excès dans la boisson nuit davantage que dans autre chose. C’est pourquoi la sobriété concerne spécialement la boisson.

3. Quoique la mesure soit requise en tout, cependant on ne parle pas, au sens strict, de sobriété en tout, mais seulement là où la mesure est particulièrement nécessaire.

 

            Article 2 — La sobriété est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, l’abstinence vise la nourriture et la boisson. Mais il n’ y a pas de vertu spéciale concernant la nourriture. La sobriété, qui a pour matière la boisson, n’est donc pas non plus une vertu spéciale.

2. L’abstinence et la gourmandise concernent les délectations du toucher, en tant que ce sens est celui des aliments. Or la nourriture et la boisson concourent à notre alimentation. La vie animale a en effet besoin d’être nourrie tout ensemble d’humide et de sec. La sobriété, qui concerne la boisson, n’est donc pas une vertu spéciale.

3. En ce qui se rapporte à la nutrition, on distingue la nourriture de la boisson ; de même on distingue différents genres de nourritures et de boissons. Donc, si la sobriété était par elle-même une vertu spéciale, il semble qu’il faudrait alors une vertu spéciale pour toute différence de boisson ou de nourriture, ce qui ne s’impose pas. La sobriété ne semble donc pas être une vertu spéciale.

En sens contraire, Macrobe fait de la sobriété une partie spéciale de la tempérance.

Réponse :

Comme on l’a vu plus haut, il appartient à la vertu morale de sauvegarder le bien de la raison contre ce qui pourrait l’empêcher. Et c’est pourquoi, dès que l’on rencontre un empêchement spécial pour la raison, il faut nécessairement une vertu spéciale pour l’écarter. Or les boissons enivrantes ont un titre spécial à empêcher l’usage de la raison, en tant qu’elles troublent le cerveau par leurs fumées. C’est pourquoi, afin d’écarter cet obstacle à la raison, une vertu spéciale est requise, qui est la sobriété.

Solutions :

1. La nourriture et la boisson ont ceci de commun qu’elles peuvent empêcher le bien de la raison en étouffant celle-ci par l’excès du plaisir. De ce point de vue, c’est l’abstinence qui concerne aussi bien la nourriture que la boisson. Mais les boissons enivrantes créent un empêchement spécial, on vient de le dire. C’est pourquoi une vertu spéciale est requise.

2. La vertu d’abstinence n’a pas trait au aliments et aux boissons en tant qu’ils sont nourrissants, mais en tant qu’ils font obstacle à la raison. Le caractère spécial de la vertu ne doit donc pas se prendre du point de vue de la nutrition.

3. Toutes les boissons enivrantes ont une seule et même façon d’entraver l’usage de la raison. La diversité des boissons n’a donc qu’un rapport accidentel à la vertu et ne peut, en raison de cette diversité, requérir des vertus différentes. Il en est de même de la diversité des aliments.

 

            Article 3 — L’usage du vin est-il permis ?

Objections :

1. Il semble qu’il soit absolument illicite. Car on ne peut, sans la sagesse, être sur le chemin du salut. Il est écrit, en effet (Sg 7, 28) : " Dieu n’aime que celui qui vit avec la Sagesse " ; et un peu plus loin (9, 18) : " Par la Sagesse les hommes ont été instruits de ce qui te plaît et ont été sauvés. " Or l’usage du vin empêche la sagesse, selon l’Ecclésiaste (2, 3 Vg) : " J’ai pensé arracher ma chair à l’emprise du vin, pour que mon âme se porte à la Sagesse. " Boire du vin est donc absolument interdit.

2. Comme le déclare S. Paul (Rm 14, 21) " Il est bien de s’abstenir de viande et de vin et de tout ce qui fait buter ou tomber ou faiblir ton frère. " Or, manquer au bien de la vertu est une faute, et semblablement causer du scandale à ses frères. L’usage du vin est donc illicite.

3. S. Jérôme dit : " L’usage du vin avec les viandes commença après le déluge, mais le Christ est venu à la fin des temps, et ramena l’extrémité au principe. " Au temps de la loi chrétienne, l’usage du vin semble donc interdit.

En sens contraire, S. Paul écrit à Timothée (1 Tm 5, 23) : " Cesse de ne boire que de l’eau. Prends un peu de vin à cause de ton estomac et de tes fréquents malaises. " Et on peut lire dans l’Ecclésiastique (31, 28) : " Gaîté du cœur et joie de l’âme, voilà le vin qu’on boit avec mesure. "

Réponse :

Aucune nourriture et aucune boisson, considérée en elle-même n’est interdite, selon les paroles du Seigneur (Mt 15, 11) : " Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur. " En soi, boire du vin n’est donc pas illicite. Cela peut cependant le devenir par accident : parfois à cause de la condition de celui qui boit, lorsque, par exemple, il est facilement incommodé par le vin, ou lorsqu’il est obligé, par vœu spécial, à ne pas boire de vin. Parfois, à cause de la façon de boire, parce qu’il dépasse la mesure en buvant. Et parfois à cause des autres, qui en sont scandalisés.

Solutions :

1. La sagesse peut se concevoir de deux façons : d’une première façon, selon l’acception commune, en tant qu’elle suffit au salut. Pour avoir ainsi la sagesse, il n’est pas requis de s’abstenir tout à fait de vin, mais de s’abstenir seulement de son usage immodéré. - La sagesse peut se concevoir aussi selon qu’elle indique un certain degré de perfection. Et ainsi pour quelques-uns il est requis, s’ils veulent acquérir parfaitement la sagesse, de s’abstenir totalement de vin, selon la condition des personnes et des lieux.

2. S. Paul ne dit pas absolument qu’il est bon de s’abstenir de vin, mais il le conseille dans le cas où il y a danger de scandale.

3. Le Christ nous détourne de certaines choses comme absolument interdites, et de certaines autres comme s’opposant à la perfection. C’est ainsi qu’il détourne du vin, comme des richesses, etc., ceux qui visent à la perfection.

 

            Article 4 — A qui surtout la sobriété est-elle nécessaire ?

Objections :

1. Il semble qu’elle soit surtout requise chez les gens âgés et importants. En effet, la vieillesse confère à l’homme une certaine supériorité. C’est pourquoi le respect et l’honneur sont dus aux vieillards, selon cette recommandation du Lévitique (19, 32) : " Tu te lèveras devant une tête chenue, tu honoreras la personne du vieillard. " Or S. Paul dit que la sobriété doit être spécialement recommandée aux vieillards (Tt 2, 2) : " Que les vieillards soient sobres " La sobriété est donc requise chez les personnes les plus dignes.

2. L’évêque occupe dans l’Église le plus haut degré de dignité. C’est à lui que la sobriété est prescrite par S. Paul (1 Tm 3, 2) : " Il faut que l’évêque soit irréprochable, qu’il n’ait été marié qu’une fois, qu’il soit sobre, pondéré, etc. " La sobriété est donc surtout requise chez les personnes élevées en dignité.

3. La sobriété implique l’abstinence de vin.

Mais le vin est interdit aux rois, qui tiennent la place la plus élevée dans les affaires humaines, et il est permis à ceux qui se trouvent dans un état d’abaissement. On peut lire en effet dans les Proverbes (31, 4) : " Il ne convient pas aux rois de boire du vin ", et peu après (v. 6) : " Procure des boissons fortes à qui va périr, du vin au cœur rempli d’amertume. " La sobriété est donc surtout requise chez les personnes élevées en dignité.

En sens contraire, S. Paul écrit (1 Tm 3, 11) " Que les femmes soient dignes, point médisantes, sobres, etc. " et encore (Tt 2, 6) : " Exhorte les jeunes gens à être sobres. "

Réponse :

La vertu a une double relation : d’une part avec les vices contraires qu’elle exclut et les convoitises qu’elle réprime ; d’autre part avec la fin à laquelle elle conduit. Ainsi donc une vertu est davantage requise chez certains pour une double raison. D’abord, parce qu’ils se portent plus promptement aux convoitises que la vertu doit réprimer, et aux vices que la vertu doit détruire. De ce point de vue, la sobriété est surtout demandée aux jeunes gens et aux femmes ; aux jeunes gens chez qui le désir du délectable a toute sa vigueur, à cause de l’ardeur de leur âge ; et aux femmes chez qui n’existe pas une force suffisante pour résister aux convoitises. C’est pourquoi, selon Valère Maxime, chez les Romains dans l’Antiquité, les femmes ne buvaient pas de vin.

Ensuite la sobriété est davantage réclamée de ceux pour qui elle est plus nécessaire à l’accomplissement de leur tâche. En effet, le vin, quand il est pris avec excès, est ce qui entrave le plus l’usage de la raison. C’est pourquoi la sobriété est spécialement prescrite aux vieillards, chez qui la raison doit être en pleine vigueur afin d’instruire les autres ; aux évêques, et à tous les ministres de l’Église, qui doivent s’appliquer à leur ministère sacré avec un esprit de dévotion ; et aux rois, qui doivent gouverner leurs sujets avec sagesse.

Solutions :

Cela montre la réponse à faire aux différentes Objections.

 

 

QUESTION 150 — L’IVROGNERIE

1. L’ivrognerie est-elle un péché ? - 2. Est-elle un péché mortel ? - 3. Est-elle le plus grave des péchés ? - 4. Excuse-t-elle du péché ?

 

            Article 1 — L’ivrognerie est-elle un péché ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car tout péché a un autre péché qui lui est contraire. Ainsi à la lâcheté s’oppose l’audace, à la pusillanimité la présomption. Or aucun péché ne s’oppose à l’ivrognerie. Elle n’est donc pas un péché.

2. Tout péché est volontaire. Or personne ne veut s’enivrer, car personne ne veut être privé de l’usage de la raison. L’ivrognerie n’est donc pas un péché.

3. Quiconque est cause de péché pour un autre pèche également. Si donc l’ivrognerie était un péché, il s’ensuivrait que ceux qui invitent les autres à boire, ce qui cause leur ivresse, pécheraient. Ce qui paraît bien sévère.

4. Tous les péchés appellent la correction. Or on ne corrige pas les ivrognes. S. Grégoire a dit en effet : " Il faut user d’indulgence envers eux et les laisser à leur penchant, de peur qu’ils ne deviennent pires s’ils étaient arrachés à cette habitude. " L’ivrognerie n’est donc pas un péché.

En sens contraire, S. Paul écrit (Rm 13, 13) " Point de ripailles ni d’ivresses. "

Réponse :

L’ivrognerie peut s’entendre en deux sens. En un premier sens, selon qu’elle signifie la dégradation de l’homme qui a bu trop de vin, si bien qu’il n’est plus en possession de sa raison. De ce point de vue, l’ivrognerie ne désigne pas une faute, mais la déficience qui est un châtiment entraîné par la faute.

Dans un second sens, l’ivrognerie peut désigner l’acte par lequel on tombe dans cette dégradation. Cet acte peut causer l’ébriété de deux façons. Ou bien à cause de la trop grande force du vin, ignorée du buveur. Il peut ainsi arriver que l’ébriété soit sans péché, en particulier si elle se produit sans négligence de la part du buveur. Il est à croire que Noé s’est enivré de cette façon, comme on le dit dans la Genèse (9, 21). - Ou bien à cause d’une convoitise et d’un usage désordonné du vin. C’est ainsi que l’ivresse est un péché. Elle fait partie de la gourmandise comme une espèce dans un genre. La gourmandise se divise en effet en ripailles et en ivresses, comme l’indique l’autorité de S. Paul citée plus haut.

Solutions :

1. Comme dit Aristote l’insensibilité qui s’oppose à la tempérance " est assez rare ". C’est pourquoi ce vice, aussi bien que toutes ses espèces qui s’opposent aux différentes espèces de l’intempérance, ne porte pas de nom. Le vice opposé à l’ivrognerie n’a donc pas de nom. Toutefois celui qui sciemment s’abstiendrait de vin au point de nuire gravement à sa santé, ne serait pas exempt de faute.

2. Cette objection vient de ce que l’on considère la dégradation conséquente et qui n’est pas voulue. Mais l’usage immodéré du vin, en quoi consiste le péché, est volontaire.

3. De même que celui qui s’enivre est excusé du péché s’il ignore la force du vin, de même celui qui invite à boire n’est pas coupable de péché s’il ignore que le buveur, vu sa constitution, sera enivré par cette boisson. Mais s’il n’y a pas ignorance, ni l’un ni l’autre n’est excusé de péché.

4. La correction du pécheur doit parfois être différée, si elle doit le rendre pire, nous l’avons dit. C’est pourquoi S. Augustin parlant des excès de nourriture et des ivresses, écrit à l’évêque Aurélius : " Autant que j’en puisse juger, ce n’est pas la rigueur, la dureté, la violence qui suppriment ces vices, mais c’est l’enseignement plutôt que le commandement, le conseil plutôt que la menace. C’est ainsi en effet qu’il faut agir avec la plupart des pécheurs, et n’user de sévérité qu’envers le petit nombre. "

 

            Article 2 — L’ivrognerie est-elle un péché mortel ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. S. Augustin dit en effet que l’ivresse est un péché mortel " si elle est fréquente ". Or la fréquence introduit une circonstance qui, on l’a vu plus haut, ne conduit pas à une autre espèce de péché, et qui ne peut donc aggraver à l’infini, au point de transformer un péché véniel en péché mortel. Par conséquent, si par ailleurs l’ivresse n’est pas déjà un péché mortel, ce n’est pas de cette façon qu’elle pourra le devenir.

2. Dans le même sermon, S. Augustin déclare " Chaque fois que quelqu’un, en mangeant ou en buvant, prend plus qu’il n’est nécessaire, cela représente, reconnaissons-le, de menus péchés. " Mais les menus péchés sont des péchés véniels. L’ivrognerie qui a pour cause l’excès dans le boire, est donc péché véniel.

3. On ne doit commettre aucun péché mortel pour soigner sa santé. Or certains boivent surabondamment sur le conseil des médecins, afin de se purger ensuite en vomissant, et de cette boisson surabondante l’ivresse peut résulter. L’ivrognerie n’est donc pas un péché mortel.

En sens contraire, dans les " Canons des Apôtres " on peut lire : " Si un évêque, un prêtre ou un diacre s’adonne au jeu ou à l’ivrognerie, qu’ils se corrigent ou soient déposés ; si c’est un sous-diacre, un lecteur ou un chantre, qu’ils se corrigent ou soient privés de la communion ; de même si c’est un laïc. " Mais de telles peines ne sont infligées que pour un péché mortel. L’ivrognerie est donc un péché mortel.

Réponse :

Le péché d’ivrognerie, nous l’avons dit, consiste en un usage et un désir désordonnés du vin. Mais trois cas peuvent se présenter. Ou bien l’on ignore qu’il y a excès et que la boisson est enivrante. L’ivresse peut survenir dans ce cas sans qu’il y ait péché, nous l’avons dit. Ou bien on s’aperçoit qu’il y a excès, mais on ne pense pas que la boisson soit assez forte pour enivrer. Alors il peut y avoir ivresse avec péché véniel. Ou bien il peut arriver qu’on se rende parfaitement compte que la boisson est prise avec excès et queue est enivrante, mais qu’on préfère cependant risquer l’ivresse plutôt que de s’abstenir de boire. Il s’agit alors d’ivresse proprement dite, car les valeurs morales tirent leur espèce non de ce qui arrive par accident en dehors de l’intention, mais de ce qui est voulu en soi intentionnellement. Et dans ce cas l’ivresse est un péché mortel, car lorsque l’homme le voulant et le sachant, se prive de l’usage de la raison qui lui permet d’agir selon la vertu et de s’écarter du péché, il pèche mortellement en s’exposant au péril de pécher. S. Ambroise dit en effet : " Nous affirmons qu’il faut fuir l’ivrognerie, qui nous rend incapables d’éviter de commettre des crimes, car les crimes que nous évitons lorsque nous sommes sobres, nous les commettons dans l’inconscience où nous réduit l’ivresse. " C’est pourquoi l’ivrognerie, à parler strictement, est un péché mortel.

Solutions :

1. La fréquence fait de l’ivrognerie un péché mortel, non à cause de la simple répétition des actes, mais parce qu’il n’est pas possible qu’un homme qui s’enivre continuellement ne le fasse pas le sachant et le voulant, puisqu’à maintes reprises il a fait l’expérience de la force du vin et de sa propre facilité à s’enivrer.

2. Manger ou boire plus qu’il n’est nécessaire appartient au vice de gourmandise, qui n’est pas toujours péché mortel. Mais boire trop en sachant, et jusqu’à l’ivresse, c’est cela qui est péché mortel. C’est pourquoi S. Augustin a dit " L’ivrognerie est loin de moi ; ta miséricorde n lui permettra pas de m’approcher. L’intempérance, en revanche, s’insinue quelquefois chez ton serviteur ".

3. Nous l’avons dit, la nourriture et la boisson doivent se mesurer selon ce qui convient à la santé du corps. C’est pourquoi, de même que parfois une nourriture ou une boisson, qui sont modérées pour un homme en bonne santé, sont excessives pour un malade, de même aussi peut-il arriver, à l’inverse, que ce qui est excessif pour un homme en bonne santé soit modéré pour un malade. Ainsi, lorsqu’on mange ou boit beaucoup sur ordonnance des médecins, afin de provoquer un vomissement, on ne doit pas voir en cela un excès. Il n’est pas nécessaire cependant, pour provoquer le vomissement que la boisson soit enivrante, puisqu’on le produit en buvant même de l’eau tiède. Le motif invoqué ne suffirait donc pas pour excuser l’ivresse.

 

            Article 3 — L’ivrognerie est-elle le plus grave des péchés ?

Objections :

1. Il semble bien que oui. S. Chrysostome dit en effet que " rien n’est aimé du démon comme l’ivrognerie et la luxure, qui sont mères de tous les vices ". Et dans les Décrets on peut lire : " Que les clercs craignent surtout l’ivrognerie, qui fait naître et grandir tous les vices. "

2. Est péché ce qui empêche le bien de la raison. Or c’est ce que fait par-dessus tout l’ivrognerie. Elle est donc le plus grand des péchés.

3. La grandeur de la faute se voit à la grandeur du châtiment. Or l’ivrognerie semble recevoir le plus grand châtiment, car S. Ambroise dit qu’" il n’y aurait pas de servitude dans l’homme, s’il n’y avait pas l’ivrognerie ". Celle-ci est donc le plus grand des péchés.

En sens contraire, selon S. Grégoire les vices spirituels sont plus grands que les vices charnels. Or l’ivrognerie fait partie des vices charnels. Elle n’est donc pas le plus grand des péchés.

Réponse :

Le mal est la privation du bien. C’est pourquoi le mal est d’autant plus grave que le bien dont il prive est plus grand. Or il est clair que le bien divin est plus grand que le bien humain. C’est pourquoi les péchés qui vont directement contre Dieu sont plus graves que l’ivrognerie, qui s’oppose directement au bien de la raison humaine.

Solutions :

1. L’homme incline surtout aux péchés d’intempérance parce qu’il y trouve des convoitises et des plaisirs qui nous sont connaturels. C’est à ce point de vue que l’on dit que ces péchés sont surtout aimés du démon ; non parce qu’ils sont plus graves que d’autres, mais parce qu’ils sont plus fréquents chez les hommes.

2. Le bien de la raison est empêché d’une double façon : d’une première façon, par ce qui est contraire à la raison ; d’une autre façon, par ce qui enlève l’usage de la raison. Or ce qui est contraire à la raison a davantage raison de mal que ce qui enlève momentanément l’usage de la raison. En effet, l’usage de la raison, que supprime l’ivresse, peut être bon ou mauvais, tandis que les biens des vertus, qui sont supprimés par ce qui est contraire à la raison, sont toujours bons.

3. La servitude a suivi l’ivresse de façon occasionnelle. Ainsi Cham a encouru dans sa postérité la malédiction de la servitude parce qu’il s’était moqué de son père ivre. Mais la servitude n’a pas été le châtiment direct de l’ivresse.

 

            Article 4 — L’ivrognerie excuse-t-elle du péché ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Aristote, dit en effet que " l’homme en état d’ivresse mérite double malédiction ". L’ivresse aggrave donc le péché plus qu’elle ne l’excuse.

2. Un péché n’est pas excusé par le péché, mais plutôt aggravé. Or l’ivrognerie est un péché. Elle n’excuse donc pas du péché.

3. Aristote dit que la raison de l’homme est liée par l’ivresse ; de même qu’elle est liée aussi par la convoitise. Or celle-ci n’excuse pas du péché. L’ébriété non plus par conséquent.

En sens contraire, dit S. Augustin, Lot est excusé de l’inceste à cause de son ivresse.

Réponse :

Dans l’ivrognerie, nous l’avons vu deux choses sont à considérer : la dégradation qui suit, et l’acte qui précède. Du côté de la dégradation qui suit, dont l’effet est de lier l’usage de la raison, l’ivrognerie peut excuser du péché, pour autant qu’elle cause l’involontaire par ignorance. - Mais du côté de l’acte qui précède, il semble qu’il faut distinguer. Si cet acte est suivi d’ivresse mais sans qu’il y ait de péché, alors le péché qui suit est totalement excusé de culpabilité. C’est sans doute ce qui est arrivé à Lot. Mais si l’acte qui précède a été entaché de faute, alors on n’est pas totalement excusé du péché qui suit, lequel devient volontaire en raison de la volonté de l’acte précédent. C’est en effet en accomplissant un acte illicite qu’on est tombé dans le péché suivant. Ce péché qui suit est cependant diminué, de même qu’est diminué son caractère volontaire. C’est pourquoi S. Augustin, dit que " Lot doit être jugé coupable non pour son inceste, mais pour autant que son ébriété le méritait ".

Solutions :

1. Aristote ne dit pas que l’homme en état d’ivresse mérite une malédiction plus grave, mais " une double malédiction " à cause de son double péché.

On peut répondre aussi qu’il parle selon la loi d’un certain Pittacus qui avait statué : " Les ivrognes, s’ils commettent des violences, seront plus sévèrement punis que les gens sobres, parce qu’ils s’en rendent plus souvent coupables. " En quoi, remarque Aristote, " il semble qu’on ait visé à l’utilité ", afin qu’il soit mis fin aux violences, " plutôt qu’à l’indulgence qu’il faut avoir pour les ivrognes ", qui ne sont plus maîtres d’eux-mêmes.

2. L’ivresse est de nature à excuser le péché non par le côté où elle est elle-même un péché, mais par le côté où elle entraîne à sa suite une dégradation.

3. La convoitise ne lie pas totalement la raison, comme fait l’ivresse, à moins que, par hasard, cette convoitise soit telle qu’elle rende l’homme fou. Cependant la passion de convoitise diminue le péché, car il est moins grave de pécher par faiblesse que de pécher par malice.

Il faut maintenant étudier la chasteté. D’abord, la vertu même de chasteté (Q. 151) ; ensuite, la virginité, qui est une partie de la chasteté (Q. 152) ; enfin, la luxure, qui est le vice contraire (Q. 153-154).

 

 

QUESTION 151 — LA CHASTETÉ

1. La chasteté est-elle une vertu ? - 2. Est-elle une vertu générale ? - 3. Est-elle une vertu distincte de l’abstinence ? - 4. Quels sont ses rapports avec la pudicité ?

 

            Article 1 — La chasteté est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il semble que non. Nous parlons en effet maintenant de vertu de l’âme. Or la chasteté semble relever du corps. On dit en effet que quelqu’un est chaste quand il se comporte d’une certaine façon dans l’usage de certaines parties du corps. La chasteté n’est donc pas une vertu.

2. La vertu est un habitus volontaire, selon Aristote. Mais la chasteté ne semble pas être quelque chose de volontaire, puisque c’est par la violence qu’elle semble enlevée aux femmes qui ont été prises de force. Il semble donc que la chasteté ne soit pas une vertu.

3. Aucune vertu n’existe chez les infidèles. Or il y a des infidèles qui sont chastes. La chasteté n’est donc pas une vertu.

4. Les fruits se distinguent des vertus. Or la chasteté est placée parmi les fruits, comme on le voit chez S. Paul (Ga 5, 23). La chasteté n’est donc pas une vertu.

En sens contraire, S. Augustin nous dit " Alors que tu devrais précéder ton épouse dans la vertu, car la chasteté est une vertu, tu cèdes au premier assaut de la passion charnelle, et tu voudrais que ton épouse fût victorieuse. "

Réponse :

Le mot " chasteté " se prend de ce que la raison " châtie " la convoitise, qui doit être corrigée comme un enfant, dit Aristote. Or le propre de la vertu humaine consiste en ce que quelque chose est mesuré selon la raison, comme on l’a vu plus haut en traitant de la vertu. La chasteté est donc manifestement une vertu.

Solutions :

1. La chasteté se trouve sans doute dans l’âme comme dans son siège, mais elle a sa matière dans le corps. Il appartient en effet à la chasteté d’user modérément des membres du corps selon le jugement de la raison et le choix de la volonté.

2. Comme dit S. Augustin : " Tant que dure la résolution de l’âme, qui a permis au corps lui-même d’être sanctifié, la violence d’une passion étrangère n’enlève pas au corps cette sainteté, qui se conserve par la persévérance dans la continence. " Et S. Augustin ajoute : " La vertu de l’âme, qui a la force pour compagne, est décidée à supporter tous les maux plutôt que de consentir au mal. "

3. Selon S. Augustin " ne pensons pas qu’il y ait une vraie vertu chez celui qui n’est pas juste. Ne pensons pas qu’il soit vraiment juste, s’il ne vit pas de la foi ". C’est pourquoi il conclut qu’il n’y a chez les infidèles ni vraie chasteté, ni autre vertu, car ils ne se réfèrent pas à la fin requise. Et il ajoute : " Ce n’est pas par leurs fonctions ", c’est-à-dire par leurs actes, " mais par leurs fins que les vertus se distinguent des vices ".

4. La chasteté, en tant qu’elle agit selon la raison, est à considérer comme une vertu ; mais en tant qu’elle trouve du plaisir dans son acte, elle est mise au nombre des fruits.

 

            Article 2 — La chasteté est-elle une vertu générale ?

Objections :

1. Il semble que oui. S. Augustin dit en effet : " La chasteté est un mouvement ordonné de l’âme qui ne soumet pas les biens majeurs aux biens mineurs. " Or cela appartient à toute vertu. La chasteté est donc une vertu générale.

2. " Chasteté " vient de " châtiment ". Mais tout mouvement de la partie appétitive doit être châtié par la raison. Et comme toute vertu morale refrène un mouvement de l’appétit, il semble donc que toute vertu morale soit de la chasteté.

3. La fornication s’oppose à la chasteté. Or toute espèce de péché semble être une fornication. Le Psaume (73, 27) dit en effet : " Tu conduis à leur perte tous ceux qui forniquent en s’éloignant de toi. " La chasteté est donc une vertu générale.

En sens contraire, Macrobe h en fait une partie de la tempérance.

Réponse :

Le mot chasteté a deux sens. D’abord un sens propre. La chasteté est alors une vertu spéciale, ayant une matière spéciale : les convoitises de ce qui procure du plaisir en matière sexuelle.

Ensuite, un sens métaphorique. De même en effet que c’est dans l’union charnelle que consiste le plaisir sexuel, qui est proprement la matière de la chasteté et du vice opposé, la luxure, de même c’est dans une certaine union spirituelle de l’âme à certaines choses que consiste la délectation qui est l’objet d’une certaine chasteté spirituelle, ainsi appelée par métaphore, ou d’une fornication spirituelle, ainsi appelée également par métaphore. En effet, lorsque l’esprit de l’homme se délecte dans une union spirituelle avec l’être auquel il doit s’unir et qui est Dieu ; quand il s’abstient de s’unir avec plaisir à d’autres biens, contrairement aux exigences de l’être divin - alors on parle de chasteté spirituelle, selon ces paroles de S. Paul (2 Co 11, 2) : " le vous ai fiancés avec un époux unique en vous présentant au Christ comme une vierge chaste. " Mais, si l’esprit s’unit avec plaisir, contrairement à l’ordre divin, à toute autre chose, on parle de fornication spirituelle, selon ces paroles de Jérémie (3, 1) : " Et toi, tu as forniqué avec de nombreux amants. " Si l’on conçoit la chasteté de cette façon, elle est une vertu générale, car toute vertu retient l’esprit humain de s’unir avec plaisir à ce qui est illicite. Cependant la raison de cette chasteté-là consiste principalement dans la charité et dans les autres vertus théologales, par lesquelles l’esprit de l’homme s’unit à Dieu.

Solutions :

1. Cet argument procède de la chasteté entendue au sens métaphorique.

2. Comme on l’a dit plus haut, la convoitise du plaisir est comparée surtout à l’enfant, car l’appétit délectable nous est connaturel, et surtout celui des plaisirs du toucher, qui sont ordonnés à la conservation de la nature ; de là vient que, si l’on nourrit la convoitise de ces plaisirs en y consentant, elle s’accroît au maximum, tel l’enfant qu’on laisse faire ce qu’il veut. Aussi est-ce surtout la convoitise de ces plaisirs qui a besoin d’être corrigée. Voilà pourquoi c’est à propos de ces convoitises que l’on parle de chasteté par excellence, de même que l’on parle de force à propos de ce qui nous est le plus nécessaire pour que notre âme reste ferme.

3. Cette objection procède de la fornication spirituelle entendue au sens métaphorique, laquelle s’oppose à la chasteté spirituelle, on vient de le dire.

 

            Article 3 — La chasteté est-elle une vertu distincte de l’abstinence ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car pour la matière d’un seul genre une seule vertu suffit. Or ce qui appartient à un seul sens semble appartenir au même genre. Donc, puisque le plaisir trouvé dans les aliments, qui est la matière de l’abstinence, et le plaisir trouvé dans les actes sexuels, qui est la matière de la chasteté, appartiennent tous deux au sens du toucher, il ne semble pas que la chasteté soit une vertu différente de l’abstinence.

2. Aristote assimile tous les vices d’intempérance aux péchés " puérils ", qui ont besoin de châtiment. Or la " chasteté " prend son nom du " châtiment " des vices opposés. Puisque l’abstinence refrène certains vices d’intempérance, il semble que l’abstinence soit la chasteté.

3. Les plaisirs des autres sens relèvent de la tempérance, en tant qu’ils sont ordonnés aux plaisirs du toucher, matière de la tempérance. Or les plaisirs de la nourriture, qui sont la matière de l’abstinence, sont ordonnés aux plaisirs sexuels, matière de la chasteté. Aussi S. Jérôme peut-il dire : " Le ventre et les partis génitales sont voisins, de sorte que leur voisinage fait comprendre combien leurs vices sont associés. " L’abstinence et la chasteté ne sont donc pas des vertus distinctes l’une de l’autre.

En sens contraire, S. Paul (2 Co 6, 5) nomme la chasteté en la distinguant du jeûne qui relève de l’abstinence.

Réponse :

Nous l’avons dit, la tempérance a pour matière propre les convoitises des plaisirs du toucher. C’est pourquoi il est nécessaire que, là où il y a différentes sortes de plaisirs, il y ait aussi différentes vertus comprises dans la tempérance. Mais les plaisirs sont proportionnés aux opérations dont ils sont les perfections, dit Aristote. Or il est évident que les actes relevant de l’usage des aliments, par lesquels se conserve la nature de l’individu, sont d’un autre genre que les actes sexuels, par lesquels se conserve la nature de l’espèce. C’est pourquoi la chasteté, qui concerne les plaisirs sexuels, est une vertu distincte de l’abstinence, qui concerne les plaisirs de la table.

Solutions :

1. La tempérance ne consiste pas principalement, en ce qui concerne les délectations du toucher, dans le jugement que les sens portent sur les réalités qui sont touchées, car ce jugement les apprécie toutes selon la même raison, mais dans leur usage même, dit Aristote. Mais ce n’est pas pour la même raison que l’on mange et que l’on boit, ou que l’on recherche les plaisirs sexuels. C’est pourquoi il faut qu’il y ait des vertus différentes, bien qu’il s’agisse du même sens, le toucher.

2. Les délectations sexuelles sont plus violentes et contraignent davantage la raison que les plaisirs de la table. A cause de cela elles ont davantage besoin d’être corrigées et refrénées : car, si l’on y consent, la force de la convoitise s’accroît d’autant, et la vigueur de l’esprit est abaissée. C’est pourquoi S. Augustin a pu dire : " je le sens, il n’y a rien qui fasse tomber de plus haut l’intelligence de l’homme que les caresses de la femme, et ce contact des corps sans lequel on ne peut posséder une épouse. "

3. Les plaisirs des autres sens n’ont trait à la conservation de la nature humaine que dans la mesure où ils sont ordonnés aux délectations du toucher. C’est pourquoi, concernant ces délectations, il n’y a pas d’autre vertu comprise dans la tempérance. Mais les plaisirs que procurent les aliments, quoiqu’ils soient d’une certaine façon ordonnés aux jouissances sexuelles, sont néanmoins ordonnés par eux-mêmes à la conservation de la vie de l’homme. Aussi ont-ils par eux-mêmes une vertu spéciale, bien que cette vertu qu’on appelle abstinence, ordonne son acte à la fin de la chasteté.

 

            Article 4 — Rapports de la chasteté avec la pudicité

Objections :

1. Il ne semble pas que la pudicité relève spécialement de la chasteté. En effet, pour S. Augustin, " la pudicité est une vertu de l’âme ". Elle n’est donc pas quelque chose qui se rattache à la chasteté, mais elle est par elle-même une vertu distincte de la chasteté.

2. " Pudicité " vient de " pudeur ", qui semble être la même chose que la crainte de la honte. Or la crainte de la honte se rapporte, selon S. Jean Damascène " à l’acte honteux " : ce qui se vérifie en tout acte vicieux. La pudicité ne se rapporte donc pas plus à la chasteté qu’aux autres vertus.

3. Aristote dit que toute intempérance est de façon générale ce qui est le plus " blâmable ". Mais il semble qu’il appartienne à la pudicité de fuir ce qui est blâmable. La pudicité appartient donc à toutes les parties de la tempérance, et non spécialement à la chasteté.

En sens contraire, S. Augustin déclare, " Il faut prêcher la pudicité, afin que celui qui a des oreilles pour entendre ne fasse rien d’illicite avec ses organes génitaux. " Mais le bon usage des organes génitaux est du ressort de la chasteté. La pudicité appartient donc en propre à la chasteté.

Réponse :

On vient de le dire, le mot " pudicité " vient de " pudeur ", qui signifie crainte de la honte. C’est pourquoi il faut que la pudicité ait un rapport essentiel avec ce qui inspire davantage un sentiment de honte. Or c’est le fait des actes sexuels ; à tel point, dit S. Augustin que même l’acte conjugal, revêtu de l’honorabilité du mariage, n’est pas exempt de ce sentiment de honte. Et cela vient de ce que le mouvement des organes génitaux n’est pas soumis à l’empire de la raison, comme c’est le cas pour le mouvement des autres membres extérieurs. Or l’homme éprouve un sentiment de honte non seulement de cette union charnelle, mais aussi de tout ce qui en est le signe, dit Aristote. Voilà pourquoi la pudicité s’applique essentiellement aux réalités sexuelles ; et principalement aux signes de ces réalités, comme les regards impudiques, les baisers et les attouchements. Et c’est parce que ceux-ci ont coutume d’être davantage perçus que la pudicité regarde surtout les signes extérieurs de ce genre, tandis que la chasteté regarde davantage l’union sexuelle elle-même. Ainsi donc la pudicité est ordonnée à la chasteté, non comme une vertu qui en serait distincte, mais comme exprimant un certain environnement de la chasteté. Parfois cependant l’une est prise pour l’autre.

Solutions :

1. S. Augustin prend ici la pudicité pour la chasteté.

2. Quoique tous les vices aient un certain caractère honteux, c’est surtout vrai cependant pour les vices d’intempérance, comme le montre ce qui a été dit plus haut.

3. Parmi les vices d’intempérance, ceux qui méritent principalement la honte sont les vices sexuels. Parce que les organes génitaux n’obéissent pas, et parce que la raison se trouve absorbée au maximum.

 

 

QUESTION 152 — LA VIRGINITÉ

1. En quoi consiste-t-elle ? - 2. Est-elle licite ? - 3. Est-elle une vertu ? - 4. Sa supériorité

par rapport au mariage. - 5. Sa supériorité par rapport aux autres vertus.

 

            Article 1 — En quoi consiste la virginité ?

Objections :

1. Il semble qu’elle ne consiste pas dans l’intégrité charnelle. En effet, pour S. Augustin, elle est " la résolution perpétuelle de garder l’incorruptibilité dans une chair corruptible ". Or la résolution ne relève pas de la chair. La virginité ne réside donc pas dans la chair.

2. La virginité implique une certaine pudicité. Or S. Augustin dit que la pudicité réside dans l’âme. La virginité ne consiste donc pas dans l’intégrité de la chair.

3. L’intégrité de la chair semble consister dans le sceau de la pudeur virginale. Mais ce sceau est parfois brisé sans dommage pour la virginité. S. Augustin dit en effet que " ces membres peuvent en diverses circonstances être blessés et souffrir violence ; et les médecins parfois, afin de porter secours, pratiquent sur eux des opérations pénibles à voir ; une sage-femme aussi, sous prétexte de vérifier avec la main l’intégrité d’une vierge, la lui fait perdre en l’examinant ". Et S. Augustin ajoute : " je ne pense pas qu’il y ait personne d’assez sot pour croire que cette vierge a perdu la sainteté de son corps, bien qu’elle ait perdu l’intégrité de ce membre. " La virginité ne consiste donc pas dans l’intégrité de la chair.

4. La corruption de la chair consiste surtout dans l’émission du sperme, qui peut se produire sans union charnelle, pendant le sommeil ou même dans l’état de veille. Mais sans rapport charnel la virginité ne paraît pas perdue. S. Augustin dit en effet : " L’intégrité virginale et l’abstention de tout rapport charnel, c’est la condition des anges. " Ainsi donc la virginité ne consiste pas dans l’intégrité de la chair.

En sens contraire, S. Augustin déclare dans le même ouvrage que la virginité est " une continence qui voue, consacre et réserve l’intégrité de la chair au Créateur même de l’âme et de la chair ".

Réponse :

" Virginité " paraît venir de " verdure " (virer). Et de même que l’on dit " vert " et gardant sa " verdure " le végétal qui n’a pas été brûlé par une chaleur excessive, de même la virginité implique, chez celui qui la garde, d’être épargné par la brûlure de la convoitise qui semble se réaliser dans ce qui est le comble de la délectation physique : le plaisir sexuel. Aussi S. Ambroise dit-il : " La chasteté virginale est l’intégrité d’une chair restée indemne de tout contact. "

Dans le plaisir sexuel il faut considérer trois composantes : la première est simplement corporelle : c’est la violation du sceau virginal. La deuxième est dans la connexion entre l’âme et le corps : c’est l’émission même du sperme qui produit une délectation sensible. La troisième est uniquement du côté de l’âme : c’est le propos de parvenir à une telle délectation. De ces trois composantes, la première a une relation accidentelle avec l’acte moral, qui s’apprécie essentiellement par rapport à l’âme. La deuxième a une relation matérielle avec l’acte moral, car les passions sensibles sont la matière des actes moraux. Mais la troisième joue le rôle de forme et de perfection, car l’essence de la moralité se trouve achevée en ce qui relève de la raison.

Ainsi donc, puisque l’on parle de virginité lorsque la corruption qu’on vient de dire est écartée, il s’ensuit que l’intégrité du membre corporel a une relation accidentelle à la virginité. L’exemption du plaisir ressenti dans l’émission du sperme, n’a qu’une relation matérielle à la virginité. Quant au propos de s’abstenir perpétuellement d’un tel plaisir, c’est lui qui donne à la virginité sa forme et sa perfection.

Solutions :

1. Cette définition de S. Augustin touche directement ce qui est formel dans la virginité, car la résolution dont il parle est celle de la raison. L’épithète " perpétuelle ", qu’il ajoute, ne s’entend pas comme s’il fallait que celui qui est vierge ait toujours actuellement un tel propos ; mais il faut qu’il le garde dans son intention, afin d’y persévérer de façon perpétuelle. Ce qui est matériel est touché indirectement, lorsqu’il dit : " l’incorruptibilité dans une chair corruptible ". Cela est ajouté pour montrer la difficulté de la virginité, car si la chair ne pouvait pas être corrompue, il ne serait pas difficile d’avoir le propos perpétuel de l’incorruptibilité.

2. La pudicité se trouve essentiellement dans l’âme, et matériellement dans la chair ; de même la virginité. C’est pourquoi S. Augustin dit : " Bien que la virginité soit conservée dans la chair ", par quoi elle est corporelle, " elle est cependant spirituelle, car c’est la piété et la continence qui la vouent et la gardent ".

3. Comme on l’a vu l’intégrité du membre corporel a une relation accidentelle avec la virginité, en tant que l’intégrité demeure dans le membre corporel lorsque, par une détermination de la volonté, on s’abstient du plaisir sexuel. C’est pourquoi, s’il arrive que, d’une autre façon, l’intégrité du membre soit par hasard détruite, la virginité ne reçoit pas plus de dommage que d’une blessure à la main ou au pied.

4. Le plaisir qui provient de l’émission du sperme peut se produire de deux façons. D’une première façon, lorsqu’il procède d’un propos de l’esprit. Et alors il fait perdre la virginité, qu’il y ait union charnelle ou non. S. Augustin fait mention de celle-ci parce qu’elle cause habituellement et naturellement cette émission du sperme.

D’une autre façon, ce plaisir peut survenir en l’absence d’un propos de l’esprit, soit pendant le sommeil, soit à l’occasion d’une violence que l’on subit et à laquelle l’esprit ne consent pas, bien que la chair éprouve du plaisir ; soit encore par suite d’une infirmité naturelle, comme chez ceux qui souffrent d’un flux de sperme. Dans ce cas la virginité n’est pas perdue, car une telle pollution n’est pas due à l’impudicité, que la virginité exclut.

 

            Article 2 — La virginité est-elle illicite ?

Objections :

1. Il semble bien. En effet tout ce qui va contre un précepte de la loi naturelle est illicite. Or, de même qu’il y a un précepte de la loi naturelle qui vise la conservation de l’individu, comme le signifie la Genèse (2, 16) : " Mange de tous les arbres du jardin ", de même il y a un précepte de la loi naturelle qui vise la conservation de l’espèce, donné dans la Genèse (1, 28) : " Soyez féconds, multipliez et remplissez la terre. " Ainsi donc, de même que celui qui s’abstiendrait de toute nourriture pécherait, comme agissant contre le bien de l’individu, de même celui qui s’abstient totalement de l’acte de génération pèche, comme agissant contre le bien de l’espèce.

2. Ce qui s’écarte du milieu de la vertu semble vicieux. Or la virginité s’écarte du milieu de la vertu en s’abstenant de tous les plaisirs sexuels. Aristote dit en effet : " Celui qui goûte à toute espèce de plaisirs sans en refuser aucun est intempérant, mais celui qui les refuse tous est un rustre et un insensible. " La virginité est donc quelque chose de vicieux.

3. Seul le vice mérite la peine. Or dans l’Antiquité les lois punissaient ceux qui gardaient perpétuellement le célibat, dit Valère Maxime. C’est pourquoi, d’après S. Augustin, on dit que Platon avait offert un sacrifice pour que fût abolie comme un péché sa continence perpétuelle. La virginité est donc un péché.

En sens contraire, aucun péché ne relève directement d’un conseil. Or la virginité relève directement d’un conseil. S. Paul dit en effet (1 Co 7, 25) . " Pour ce qui est des vierges, je n’ai pas de précepte du Seigneur, mais je donne un conseil. " La virginité n’est donc pas illicite.

Réponse :

Dans les actes humains est vicieux ce qui s’écarte de la droite raison. Mais il appartient à la droite raison d’utiliser les moyens selon la mesure qui convient à la fin. Or il existe un triple bien pour l’homme, dit Aristote : un bien qui consiste dans les choses extérieures, les richesses par exemple ; un autre qui consiste dans les biens du corps ; et un troisième qui consiste dans les biens de l’âme, parmi lesquels les biens de la vie contemplative sont meilleurs que ceux de la vie active, comme Aristote le prouve, et le Seigneur le déclare en S. Luc (10, 42) : " Marie a choisi la meilleure part. " De ces biens, les biens extérieurs sont ordonnés aux biens du corps ; les biens du corps le sont aux biens de l’âme ; et parmi ceux-ci les biens de la vie active sont ordonnés à ceux de la vie contemplative. Il appartient donc à la rectitude de la raison d’utiliser les biens extérieurs selon la mesure convenant au corps, et ainsi de suite. Il s’ensuit que si l’on s’abstient de posséder certaines choses - que par ailleurs il serait bon de posséder - dans l’intérêt de la santé du corps, ou encore en vue de la contemplation de la vérité, cela n’est pas vicieux, mais conforme à la droite raison. De même, si l’on s’abstient des plaisirs corporels pour vaquer plus librement à la contemplation de la vérité, cela appartient à la rectitude de la raison.

Or c’est pour cela que la sainte virginités s’abstient de toute délectation sexuelle pour vaquer plus librement à la contemplation de Dieu. S. Paul dit en effet (1 Co 7, 34) : " Celle qui n’a pas de mari, comme la vierge, a souci des affaires du Seigneur ; elle cherche à être sainte de corps et d’esprit. Celle qui s’est mariée a souci des affaires du monde, des moyens de plaire à son mari. " Il faut donc conclure que la virginité n’a rien de vicieux, mais qu’elle est plutôt digne de louange.

Solutions :

1. Le précepte inclut une notion d’obligation, comme on l’a vu en traitant de la charité. Or une chose peut être obligatoire de deux façons : d’une première façon lorsqu’elle incombe à chaque individu ; elle ne peut alors être omise sans péché. Mais autre est l’obligation qui incombe à la multitude. Et l’accomplissement d’un tel devoir ne s’impose pas à chacun des membres.

 

            Article 2 — La virginité est-elle illicite ?

Objections :

1. Il semble bien. En effet tout ce qui va contre un précepte de la loi naturelle est illicite. Or, de même qu’il y a un précepte de la loi naturelle qui vise la conservation de l’individu, comme le signifie la Genèse (2, 16) : " Mange de tous les arbres du jardin ", de même il y a un précepte de la loi naturelle qui vise la conservation de l’espèce, donné dans la Genèse (1, 28) : " Soyez féconds, multipliez et remplissez la terre. " Ainsi donc, de même que celui qui s’abstiendrait de toute nourriture pécherait, comme agissant contre le bien de l’individu, de même celui qui s’abstient totalement de l’acte de génération pèche, comme agissant contre le bien de l’espèce.

2. Ce qui s’écarte du milieu de la vertu semble vicieux. Or la virginité s’écarte du milieu de la vertu en s’abstenant de tous les plaisirs sexuels. Aristote dit en effet : "

Celui qui goûte à toute espèce de plaisirs sans en refuser aucun est intempérant, mais celui qui les refuse tous est un rustre et un insensible. " La virginité est donc quelque chose de vicieux.

3. Seul le vice mérite la peine. Or dans l’Antiquité les lois punissaient ceux qui gardaient perpétuellement le célibat, dit Valère Maxime. C’est pourquoi, d’après S. Augustin on dit que Platon avait offert un sacrifice pour que fût abolie comme un péché sa continence perpétuelle. La virginité est donc un péché.

En sens contraire, aucun péché ne relève directement d’un conseil. Or la virginité relève directement d’un conseil. S. Paul dit en effet (1 Co 7, 25) : " Pour ce qui est des vierges, je n’ai pas de précepte du Seigneur, mais je donne un conseil. " La virginité n’est donc pas illicite.

Réponse :

Dans les actes humains est vicieux ce qui s’écarte de la droite raison. Mais il appartient à la droite raison d’utiliser les moyens selon la mesure qui convient à la fin. Or il existe un triple bien pour l’homme, dit Aristote : un bien qui consiste dans les choses extérieures, les richesses par exemple ; un autre qui consiste dans les biens du corps ; et un troisième qui consiste dans les biens de l’âme, parmi lesquels les biens de la vie contemplative sont meilleurs que ceux de la vie active, comme Aristote le prouve et le Seigneur le déclare en S. Luc (10, 42) : " Marie a choisi la meilleure part. " De ces biens, les biens extérieurs sont ordonnés aux biens du corps ; les biens du corps le sont aux biens de l’âme ; et parmi ceux-ci les biens de la vie active sont ordonnés à ceux de la vie contemplative. Il appartient donc à la rectitude de la raison d’utiliser les biens extérieurs selon la mesure convenant au corps, et ainsi de suite. Il s’ensuit que si l’on s’abstient de posséder certaines choses - que par ailleurs il serait bon de posséder - dans l’intérêt de la santé du corps, ou encore en vue de la contemplation de la vérité, cela n’est pas vicieux, mais conforme à la droite raison. De même, si l’on s’abstient des plaisirs corporels pour vaquer plus librement à la contemplation de la vérité, cela appartient à la rectitude de la raison.

Or c’est pour cela que la sainte virginité s’abstient de toute délectation sexuelle pour vaquer plus librement à la contemplation de Dieu. S. Paul dit en effet (1 Co 7, 34) : " Celle qui n’a pas de mari, comme la vierge, a souci des affaires du Seigneur ; elle cherche à être sainte de corps et d’esprit. Celle qui s’est mariée a souci des affaires du monde, des moyens de plaire à son mari. " Il faut donc conclure que la virginité n’a rien de vicieux, mais qu’elle est plutôt digne de louange.

Solutions :

1. Le précepte inclut une notion d’obligation, comme on l’a vu en traitant de la charité. Or une chose peut être obligatoire de deux façons : d’une première façon lorsqu’elle incombe à chaque individu ; elle ne peut alors être omise sans péché. Mais autre est l’obligation qui incombe à la multitude. Et l’accomplissement d’un tel devoir ne s’impose pas à chacun des membres de la multitude. Il y a en effet beaucoup de choses qui sont nécessaires à la multitude et qu’un seul ne suffit pas à accomplir ; elles sont accomplies par la multitude, tandis que l’un fait telle chose, et l’autre telle autre.

Il est donc nécessaire que le précepte de la loi naturelle qui ordonne à l’homme de se nourrir soit accompli par chacun ; autrement, en effet l’individu ne pourrait se conserver. Mais le précepte de la génération regarde toute la multitude des hommes, à qui il est nécessaire non seulement de se multiplier corporellement, mais aussi de progresser spirituellement. C’est pourquoi il est suffisamment pourvu à la multitude humaine si certains accomplissent l’œuvre de la génération charnelle, tandis que d’autres, qui s’en abstiennent, s’adonnent à la contemplation des choses divines, pour la beauté et le salut du genre humain tout entier. C’est ainsi, du reste, que, dans une armée, il en est qui gardent le camp, d’autres qui portent les étendards, d’autres qui combattent par les armes : tout cela s’impose à la multitude, mais ne peut être accompli par un seul.

2. Celui qui s’abstient de tout plaisir sans égard pour la droite raison, comme si le plaisir lui-même lui faisait horreur, est un insensible et un rustre. Celui qui est vierge ne s’abstient pas de tout plaisir, mais seulement du plaisir sexuel ; et il s’en abstient conformément à la droite raison, on vient de le dire. Or le juste milieu de la vertu ne se détermine pas selon la quantité, mais selon la droite raison, d’après Aristote. C’est pourquoi celui-ci dit du magnanimes qu’il " atteint le sommet sous le rapport de la grandeur, mais qu’il reste dans le juste milieu sous le rapport de la convenance ".

3. Les lois sont faites selon ce qui arrive le plus généralement. Or il était rare, dans l’Antiquité, que l’on s’abstienne de tout plaisir sexuel par amour de la contemplation : Platon seul l’aurait fait. Ce n’est donc pas parce qu’il pensait que c’était un péché qu’il offrit un sacrifice, mais pour condescendre à l’opinion fausse de ses concitoyens, remarque S. Augustin au même endroit.

 

            Article 3 — La virginité est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, selon Aristote, " aucune vertu ne se trouve en nous par nature ". Or la virginité se trouve en nous par nature. Car tout homme est vierge en naissant. La virginité n’est donc pas une vertu.

2. Quiconque possède une vertu les possède toutes, comme on l’a vu en traitant des vertus. Or il y a des hommes ayant certaines vertus, qui n’ont pas la virginité. Autrement, comme personne ne parvient au Royaume des cieux sans la vertu, personne sans la virginité ne pourrait y parvenir ; ce qui serait condamner le mariage. La virginité n’est donc pas une vertu.

3. Toute vertu est rétablie par la pénitence. Or ce n’est pas le cas pour la virginité. C’est pourquoi S. Jérôme dit " Bien que Dieu puisse tout le reste, il ne peut pas restaurer la virginité perdue. " Il semble donc que la virginité ne soit pas une vertu.

4. Aucune vertu ne se perd sans qu’il y ait péché. Or la virginité se perd sans péché : par le mariage. Donc la virginité n’est pas une vertu.

5. On énumère côte à côte la virginité, la viduité et la chasteté conjugale. Or aucune de celles-ci n’est tenue pour une vertu. La virginité n’est donc pas non plus une vertu.

En sens contraire, S. Ambroise dit " L’amour de la virginité nous invite à en dire quelque chose, de peur que le silence ne paraisse restreindre cette vertu qui est primordiale. "

Réponse :

Nous l’avons dit, ce qu’il y a de formel et d’accompli dans la virginité, c’est le propos de s’abstenir perpétuellement du plaisir sexuel, propos qui est rendu louable en considération de la fin, qui est de vaquer aux choses divines. Ce qu’il y a de matériel dans la virginité, c’est l’intégrité de la chair excluant toute expérience du plaisir sexuel. Or il est manifeste que là où il y a une matière spéciale ayant une excellence spéciale, se trouve une raison spéciale de vertu, comme il apparaît dans la magnificence, qui se livre à de grandes dépenses, et qui, pour cette raison, est une vertu spéciale, distincte de la libéralité, qui porte d’une façon générale sur tout usage des richesses. De même, se garder pur de toute expérience de la volupté sexuelle mérite plus excellemment la louange que de se garder simplement du désordre de la volupté. C’est pourquoi la virginité est une vertu spéciale, ayant le même rapport avec la chasteté que la magnificence avec la libéralité.

Solutions :

1. Les hommes ont en naissant ce qui est matériel dans la virginité, à savoir l’intégrité de la chair qui n’a pas fait l’expérience des actes sexuels. lis n’ont pas cependant ce qui est formel dans la virginité : le propos de conserver cette intégrité en vue de Dieu. Et c’est en cela que la virginité est une vertu. C’est pourquoi S. Augustin dit : " Ce que nous louons dans les vierges, ce n’est pas le fait d’être vierges, mais d’être consacrées vierges à Dieu par une religieuse continence. "

2. La connexion des vertus se prend de ce qu’il y a de formel en elles, c’est-à-dire selon la charité ou selon la prudence, comme on l’a vu plus haut et non selon ce qu’il y a de matériel. Rien n’empêche, en effet, qu’un homme vertueux ait la matière d’une vertu et non la matière d’une autre ; ainsi le pauvre a la matière de la tempérance, mais non la matière de la magnificence. C’est de cette façon que chez un homme ayant d’autres vertus peut manquer la matière de la virginité, c’est-à-dire l’intégrité de la chair, que nous avons signalée. Il peut cependant posséder ce qui est formel dans la virginité, c’est-à-dire être dans la disposition d’esprit d’avoir le propos de conserver l’intégrité en question, si cela s’imposait à lui. De même, le pauvre peut avoir, par disposition de son âme, le propos de faire des dépenses fastueuses, si cela était en son pouvoir ; de même encore celui qui se trouve dans la prospérité peut avoir, par Disposition de son âme, le propos de supporter avec patience la situation contraire. Car sans cette disposition d’âme, on ne peut être vertueux.

3. La vertu peut être réparée par la pénitence quant à ce qui est formel, mais non quant à ce qui est matériel en elle. En effet, si le magnificent a dilapidé ses richesses, ce n’est pas la pénitence de son péché qui les lui rendra. De même celui qui par le péché a perdu sa virginité ne recouvre plus la matière de la virginité en faisant pénitence, mais il recouvre son propos de virginité.

En ce qui concerne la matière de la virginité, il y a une chose qui pourrait être miraculeusement restaurée par Dieu, c’est l’intégrité du membre corporel, que nous avons dit avoir un rapport accidentel à la virginité. Mais il est une chose qui ne peut être restaurée par un miracle, c’est que celui qui a fait l’expérience de la volupté charnelle revienne à sa situation antérieure. En effet Dieu ne peut faire que ce qui a été fait ne l’ait pas été, nous l’avons dit dans la première Partie.

4. La virginité en tant qu’une vertu comporte le propos, confirmé par vœu, de garder cette perpétuelle intégrité de la chair. Selon S. Augustin, la virginité " voue, consacre et réserve l’intégrité de la chair au Créateur même de l’âme et de la chair ". La virginité en tant que vertu, ne se perd donc jamais que par le péché.

5. La chasteté conjugale mérite la louange du seul fait qu’elle s’abstient des voluptés illicites ; elle n’a donc pas de supériorité sur la chasteté commune. La viduité ajoute quelque chose à la chasteté commune ; elle ne parvient cependant pas à ce qui est parfait en cette matière : l’exemption totale de la volupté charnelle. Seule, la virginité y parvient. C’est pourquoi seule la virginité est considérée comme une vertu spéciale supérieure à la chasteté, comme la magnificence est supérieure à la libéralité.

 

            Article 4 — Supériorité de la virginité par rapport au mariage

Objections :

1. Il ne semble pas qu’elle lui soit supérieure. S. Augustin dit en effet : " Le mérite de la continence chez Jean, qui n’a pas connu le mariage, n’est pas inférieur à celui d’Abraham, qui a engendré des fils. " Mais à une plus haute vertu correspond un mérite plus grand. La virginité n’est donc. pas une vertu supérieure à la chasteté conjugale.

2. La louange accordée au vertueux dépend de la vertu. Donc, si la virginité était supérieure à la chasteté conjugale, il paraîtrait normal que toute vierge fût plus digne de louange que n’importe quelle femme mariée. Ce qui est faux. La virginité n’est donc pas supérieure au mariage.

3. Le bien commun est supérieur au bien privé d’après Aristote. Or le mariage est ordonné au bien commun. Comme dit S. Augustin : " Ce qu’est la nourriture pour la santé de l’homme, le mariage l’est pour la santé du genre humain. " La virginité, elle, est ordonnée au bien particulier, car d’après S. Paul (1 Co 7, 28) on évite " les tribulations de la chair " que supportent les gens mariés. La virginité n’est donc pas meilleure que la chasteté conjugale.

En sens contraire, selon S. Augustin, " avec une certitude rationnelle et sur l’autorité des Écritures, nous découvrons que le mariage n’est pas un péché, mais aussi qu’il n’égale en bonté ni la continence des vierges ni même celle des veuves ".

Réponse :

Comme le montre l’ouvrage de S. Jérôme ce fut l’erreur de Jovinien de déclarer que la virginité ne devait pas être préférée au mariage. Cette erreur est principalement réfutée par l’exemple du Christ qui choisit pour mère une vierge et qui garda lui-même la virginité ; par l’enseignement aussi de S. Paul (1 Co 7. 25) qui conseilla la virginité comme un bien meilleur ; et enfin par la raison. Parce que le bien divin est meilleur que le bien humain. Parce que le bien de l’âme est supérieur au bien du corps. Enfin parce que le bien de la vie contemplative est préférable au bien de la vie active. Or la virginité est ordonnée au bien de l’âme en sa vie contemplative, qui est de " penser aux choses de Dieu ". Le mariage, au contraire, est ordonné au bien du corps, qui est la propagation du genre humain ; il appartient à la vie active, car l’homme et la femme dans le mariage ont nécessairement à " penser aux choses du monde ", comme on le voit dans S. Paul (1 Co 7, 33). Il est donc hors de doute que la virginité doit être mise au-dessus de la continence conjugale.

Solutions :

1. Le mérite se mesure non seulement à l’acte mais davantage encore aux dispositions de celui qui agit. Or Abraham se trouvait prêt à garder la virginité si les circonstances le lui demandaient. Aussi le mérite de la chasteté conjugale est-il équivalent chez lui au mérite de la continence virginale chez Jean, du moins quant à la part substantielle ; mais non quant à la part accidentelle. " Le célibat de Jean, dit S. Augustin et le mariage d’Abraham ont, selon la diversité des temps, milité pour le Christ. Mais Jean pratiqua effectivement la continence qui ne fut chez Abraham qu’une disposition intérieure. "

2. Quoique la virginité soit supérieure à la chasteté conjugale, une personne mariée peut cependant être meilleure qu’une vierge pour deux raisons.

1° En considération de la chasteté elle-même, si celui qui est marié est plus disposé à garder la virginité s’il le fallait, que celui qui, en fait, est vierge. S. Augustin conseille à celui qui est vierge de se dire : " Non ; je ne suis pas meilleur qu’Abraham, quoique la chasteté du célibat soit meilleure que la chasteté du mariage. " Et il en donne ensuite la raison : " Ce qu’en effet moi je fais maintenant, il l’eût mieux fait si, à son époque, il avait dû le faire, et ce qu’il a fait, moi je ne ferais pas aussi bien, s’il me fallait le faire maintenant. "

2° Celui qui n’est pas vierge peut avoir une autre vertu plus excellente. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Une vierge, bien que soucieuse des choses du Seigneur, sait-elle que peut-être, en raison de quelque faiblesse qu’elle ignore, elle n’est pas prête à souffrir le martyre, tandis que cette épouse, qu’elle prétendait dépasser, est déjà capable de boire le calice de la passion du Seigneur ? "

3. Le bien commun est préférable au bien privé s’il est du même genre, mais il peut se faire que le bien privé soit meilleur quant à son genre. C’est de cette façon que la virginité consacrée à Dieu l’emporte sur la fécondité de la chair. C’est pourquoi S. Augustin déclare : " Il ne faut pas croire que la fécondité charnelle de celles qui, dans le mariage, n’ont en vue que les enfants qu’elles donneront au Christ, puisse compenser la perte de leur virginité. "

 

            Article 5 — La supériorité de la virginité par rapport aux autres vertus

Objections :

1. Il semble qu’elle soit la plus grande des vertus. S. Cyprien dit en effet : " Nous nous adressons maintenant aux vierges. Plus leur gloire est sublime, plus nous devons en prendre soin. C’est la fleur de l’Église, la beauté et la parure de la grâce spirituelle, la plus illustre partie du troupeau du Christ. "

2. Une plus grande récompense revient à une plus grande vertu. Or c’est à la virginité que revient la plus grande récompense, le fruit au centuple, comme le montre la Glose (d’après Mt 13, 23).

3. Une vertu est d’autant plus grande qu’elle rend plus semblable au Christ. Or c’est par la virginité qu’on est rendu le plus semblable au Christ. L’Apocalypse (14, 3) dit, en effet, des vierges qu’elles " suivent l’Agneau partout où il va ", et " chantent un cantique nouveau, que personne d’autre ne pourrait dire ". La virginité est donc la plus grande des vertus.

En sens contraire, S. Augustin déclare " Personne, je pense, n’oserait préférer la virginité au monastère ", et il dit aussi : " L’autorité ecclésiastique fournit un témoignage éclatant : les fidèles savent en effet à quel endroit des mystères de l’autel on fait mémoire des martyrs, et à quel endroit celle des vierges consacrées. " Ce qui laisse entendre que le martyre est supérieur à la virginité, et aussi l’état monastiques.

Réponse :

Quelque chose peut être dit absolument supérieur de deux façons. D’une première façon, dans un genre donné, et ainsi, dans le genre de la chasteté, la virginité est absolument supérieure. Elle l’emporte en effet sur la chasteté du veuvage et sur celle du mariage. Et comme la beauté est attribuée par excellence à la chasteté, il s’ensuit que la beauté suprême est attribuée à la virginité. C’est pourquoi S. Ambroise peut dire : " Quelle beauté peut être estimée plus grande que celle de la vierge, qui est aimée du roi, approuvée par le juge, dédiée au Seigneur, consacrée à Dieu ? " Mais, d’une autre façon, une chose peut être dite purement et simplement supérieure. Et alors la virginité n’est pas la vertu supérieure. En effet, la fin l’emporte toujours sur le moyen qui conduit à la fin ; et un moyen est d’autant meilleur qu’il conduit plus efficacement à la fin. Or la fin qui rend la virginité digne de louange, est de vaquer aux choses divines. Il s’ensuit que les vertus théologales, et même la vertu de religion, dont l’acte consiste à s’occuper des choses divines, sont supérieures à la virginité. De même encore les martyrs, qui font le sacrifice de leur propre vie, agissent avec plus d’intensité pour s’attacher à Dieu ; et aussi ceux qui vivent dans les monastères, qui ont fait, à cette fin, le sacrifice de leur volonté et de tout ce qu’ils possèdent ; ils sont supérieurs aux vierges, qui, à cette fin, ont sacrifié la volupté charnelle. Ainsi donc la virginité n’est pas purement et simplement la plus grande des vertus.

Solutions :

1. Les vierges sont " la plus illustre partie du troupeau du Christ ", et " leur gloire est plus haute " par comparaison aux veuves et aux gens mariés.

2. Le fruit de cent pour un est attribué, d’après S. Jérôme à la virginité en raison de sa supériorité sur le veuvage, qui reçoit soixante pour un, et sur le mariage, qui reçoit trente pour un. Mais, selon S. Augustin. " le fruit de cent pour un est pour les martyrs, de soixante pour un pour les vierges et de trente pour un pour les gens mariés ". Il ne s’ensuit donc pas que la virginité soit purement et simplement la plus grande de toutes les vertus, mais qu’elle l’emporte, seulement sur les autres degrés de chasteté.

3. Les vierges " suivent l’Agneau partout où il va " parce qu’elles imitent le Christ non seulement par l’intégrité de l’esprit, mais aussi par l’intégrité de la chair, dit S. Augustin ; c’est pourquoi elles suivent en tout le Christ. Cela ne veut pas dire cependant qu’elles le suivent de plus près, car il y a d’autres vertus qui font adhérer de plus près à Dieu par l’imitation de l’esprit.

Quant au " cantique nouveau " que les vierges sont seules à chanter, c’est la joie qu’elles éprouvent d’avoir conservé l’intégrité de leur chair.

LE VICE DE LA LUXURE

Nous devons examiner maintenant le vice de la luxure, qui s’oppose à la chasteté. Nous le ferons d’abord en général (Q. 153), puis dans ses différentes espèces (Q. 154).

 

 

QUESTION 153 — LA LUXURE EN GÉNÉRAL

1. Quelle est sa matière ? -2. Toute union charnelle est-elle illicite ? -3. La luxure est-elle péché mortel ? - 4. Est-elle un vice capital ? - 5. Ses filles.

 

            Article 1 — Quelle est la matière de la luxure ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’elle ait seulement pour matière les convoitises et les délectations sexuelles. Car S. Augustin écrit : " La luxure veut être appelée rassasiement et abondance. " Or le rassasiement concerne le manger et le boire, et l’abondance concerne les richesses. La luxure ne concerne donc pas proprement les convoitises et les plaisirs sexuels.

2. Il est écrit (Pr 20, 1 Vg) : " Chose luxurieuse que le vin ! " Or le vin appartient au plaisir de la nourriture et de la boisson. C’est donc elles que la luxure semble avoir surtout pour matière.

3. On dit que la luxure est " le désir de la volupté sensuelle ". Or la volupté sensuelle ne se trouve pas seulement dans les plaisirs sexuels, mais dans bien d’autres. Donc la luxure ne concerne pas seulement les convoitises et les délectations sexuelles.

En sens contraire, selon S. Augustin, la parole : " Qui sème dans sa chair récoltera de la chair la corruption " s’adresse aux luxurieux (Ga 6, 8). Or semer dans la chair se fait par les voluptés sexuelles. C’est donc à elles que se rapporte la luxure.

Réponse :

Selon Isidore, " luxurieux " se dit de celui qui " se relâche dans les voluptés ". Or ce sont les plaisirs sexuels qui sont le plus grand dissolvant de l’âme humaine. C’est pourquoi la luxure a surtout pour matière les voluptés sexuelles.

Solutions :

1. La tempérance a trait principalement et de façon précise aux plaisirs du toucher, et c’est seulement par voie de conséquence et par une certaine similitude qu’on parle d’elle en d’autres matières ; de même la luxure se rapporte principalement aux voluptés sexuelles, celles qui dissolvent le plus et tout spécialement l’âme de l’homme ; et secondairement elle se dit pour toute autre matière se rattachant à un excès. C’est pourquoi la Glose sur Galates (5, 19) dit que la luxure se trouve en " tout excès ".

2. On dit que le vin est une chose luxurieuse, ou bien en ce sens qu’en toute matière le débordement se réfère à la luxure, ou bien que l’usage exagéré du vin offre un excitant à la volupté charnelle.

3. Même si l’on parle de volupté sensuelle en d’autres matières, ce sont cependant les plaisirs sexuels qui revendiquent pour eux ce nom. C’est aussi à leur propos que l’on parle spécialement de libido, comme on le voit chez S. Augustin.

 

            Article 2 — Toute union charnelle est-elle illicite ?

Objections :

1. Il semble bien. En effet il n’y a que le péché qui entrave la vertu. Or tout acte sexuel entrave au plus haut point la vertu. S. Augustin écrit : " J’estime qu’il n’y a rien qui fasse tomber l’âme de l’homme de plus haut que les appâts de la femme, et ce contact des corps. " Aucun acte sexuel ne semble donc être sans péché.

2. Partout où l’on trouve quelque chose d’excessif qui nous éloigne du bien de la raison, il y a là quelque chose de vicieux, puisque la vertu se corrompt par l’excessif et par l’insuffisant, selon Aristote. Mais en tout acte charnel il y a un excès de jouissance, qui absorbe la raison en ce sens qu’il " est impossible de réfléchir à quelque chose à ce moment ". selon Aristote. Et, comme dit S. Jérôme’, dans cet acte l’esprit de prophétie ne touchait pas le cœur des prophètes. Aucun acte sexuel ne peut donc être sans péché.

3. La cause est plus importante que son effet. Mais le péché originel est transmis chez les enfants par le désir charnel, sans lequel il n’y aurait pas d’acte sexuel, d’après S. Augustin. Il ne peut donc pas y avoir d’acte sexuel sans péché.

En sens contraire, dit S. Augustin : " C’est une réponse suffisante aux hérétiques (à condition qu’ils comprennent) de dire qu’il n’y a pas de péché en ce qui n’est commis ni contre la nature, ni contre la coutume, ni contre le précepte. " Et il parle de l’acte charnel que les Anciens pratiquaient avec plusieurs épouses. Tout acte sexuel n’est donc pas nécessairement un péché.

Réponse :

Le péché dans les actes humains est ce qui s’oppose à l’ordre de la raison. Mais l’ordre de la raison consiste à ordonner convenablement toutes choses à leur fin. C’est pourquoi il n’y a pas de péché à user raisonnablement des choses pour la fin qui est la leur, en respectant la mesure et l’ordre qui conviennent, pourvu que cette fin soit un véritable bien. Or, de même qu’il est vraiment bon de conserver la nature corporelle de l’individu, de même c’est un bien excellent que de conserver la nature de l’espèce humaine. Et de même que la nourriture est ordonnée à la conservation de la vie individuelle, de même l’activité sexuelle est ordonnée à la conservation de tout le genre humain. C’est pourquoi S. Augustin peut dire : " Ce que la nourriture est pour le salut de l’homme, l’acte charnel l’est pour le salut de l’espèce. " Ainsi, de même que l’alimentation peut être sans péché, lorsqu’elle a lieu avec la mesure et l’ordre requis, selon ce qui convient à la santé du corps, de même l’acte sexuel peut être sans aucun péché, lorsqu’il a lieu avec la mesure et l’ordre requis, selon ce qui est approprié à la finalité de la génération humaine.

Solutions :

1. Un obstacle peut entraver la vertu de deux façons. D’abord quant à l’état commun de la vertu, et alors la vertu n’est entravée que par le péché. Ensuite, quant à l’état parfait de la vertu, et alors la vertu peut être entravée par quelque chose qui n’est pas un péché, mais qui est un moindre bien. C’est ainsi que l’activité sexuelle fait tomber l’âme, non de la vertu, mais du " plus haut ", c’est-à-dire de la perfection de la vertu. Comme dit S. Augustin, " il était bon pour Marthe d’être occupée au service des saints, mais il était meilleur pour Marie d’écouter la parole de Dieu ; de même nous louons la vertu de Suzanne dans la chasteté conjugale, mais nous plaçons au-dessus celle de la veuve Anne, et surtout celle de la Vierge Marie ".

2. Comme nous l’avons dit plus haut, le milieu de la vertu ne se mesure pas selon la quantité, mais selon ce qui convient à la droite raison. Et c’est pourquoi l’abondance du plaisir que produit un acte sexuel conforme à l’ordre de la raison n’est pas contraire au milieu de la vertu.

De plus, ce n’est pas la quantité de plaisir qu’éprouve le sens extérieur et qui résulte de la disposition du corps, qui importe à la vertu, mais la disposition où se trouve l’appétit intérieur par rapport à ce plaisir.

Que la raison ne puisse émettre un acte libre et s’élever à la considération des choses spirituelles au moment où ce plaisir est éprouvé ne signifie pas que cet acte soit contraire à la vertu. Car il n’est pas contraire à la vertu que l’acte de la raison soit parfois interrompu par une chose qu’il est raisonnable de faire ; autrement, se livrer au sommeil serait contraire à la vertu.

Que la convoitise et la jouissance sexuelles ne soient pas soumises à l’empire et à la modération de la raison, cela provient de la peine du premier péché. En effet la raison rebelle à Dieu a mérité d’éprouver la rébellion de sa chair, comme le montre S. Augustin.

3. Comme dit S. Augustin dans le même passage : " De la convoitise de la chair, fille du péché, mais qui n’est pas imputée à péché aux régénérés, l’enfant naît soumis au péché originel. " Il ne s’ensuit pas que cet acte soit un péché, mais que dans cet acte se trouve une peine qui dérive du premier péché.

 

            Article 3 — La luxure est-elle péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, par l’acte sexuel est émis le sperme, qui est un " excédent provenant de la nourriture ", d’après Aristote. Mais l’éjection des autres excédents ne constitue pas un péché. Il ne peut donc pas non plus y avoir de péché dans l’acte sexuel.

2. On peut se servir licitement, comme il nous plaît, de ce qui nous appartient. Mais dans l’acte charnel l’homme ne se sert que de ce qui lui appartient, sauf peut-être dans l’adultère et dans le rapt. Il ne peut donc y avoir de péché dans l’acte sexuel. Ainsi la luxure ne sera pas un péché.

3. Un péché a toujours un vice opposé. Or on ne voit aucun vice qui soit opposé à la luxure. La luxure n’est donc pas un péché.

En sens contraire, la cause est plus forte que son effet. Or le vin est interdit à cause de la luxure, selon S. Paul (Ep 5, 18) . " Ne vous enivrez pas de vin : on y trouve la luxure. " La luxure est donc interdite.

2. S. Paul (Ga 5, 19) la cite parmi les œuvres de la chair.

Réponse :

Plus une chose est nécessaire, plus aussi il faut que l’ordre de la raison soit observé à son sujet. Par conséquent il y a davantage de vice, si l’ordre de la raison est oublié. Or l’acte sexuel, nous l’avons dit, est extrêmement nécessaire au bien général qu’est la conservation du genre humain. C’est pourquoi l’ordre de la raison doit être tout spécialement respecté en ce qui le concerne. Et par conséquent, si l’on accomplit cet acte en dehors de ce que prévoit l’ordre de la raison, on tombera dans le vice. Mais la luxure concerne par définition ce qui viole l’ordre et la mesure de la raison dans le domaine sexuel. La luxure est donc sans aucun doute un péché.

Solutions :

1. Aristote dit que " le sperme est un excédent dont on a besoin " ; on l’appelle en effet excédent parce qu’il est un résidu de l’opération de la fonction nutritive, et cependant on en a besoin pour l’œuvre générative. Sans doute y a-t-il d’autres excédents du corps humain dont on n’a pas besoin. Aussi la manière dont ils sont rejetés n’a-t-elle pas d’importance, pourvu que la décence de la vie en commun soit sauve. Mais il n’en est pas de même de l’émission du sperme, qui doit se faire ainsi qu’il convient à la fin pour laquelle on en a besoin.

2. S’élevant contre la luxure, S. Paul déclare (1 Co 6, 20) : " Vous avez été bel et bien achetés! Glorifiez donc Dieu dans vos corps. " Donc, du fait qu’on use de son corps de façon désordonnée par la luxure, on insulte le Seigneur qui est le premier maître de notre corps. C’est pourquoi S. Augustin, a pu dire : " Le Seigneur qui gouverne ses serviteurs pour leur avantage, non pour le sien, a ordonné de ne pas détruire par les tentations et les voluptés illicites le temple que tu as commencé d’être. "

3. Ce qui est opposé à la luxure n’atteint pas grand monde, car les hommes sont davantage portés aux jouissances. Cependant le vice opposé fait partie de l’insensibilité. Ce vice se trouve chez celui qui déteste tellement s’unir à la femme qu’il en vient même à ne pas accomplir le devoir conjugal.

 

            Article 4 — La luxure est-elle un vice capital ?

Objections :

1. Il apparaît que non. En effet, la luxure paraît être la même chose que l’impureté, si l’on en croit la Glose sur Éphésiens (5, 3). Mais l’impureté est fille de la gourmandise, comme le montre S. Grégoire. Donc la luxure n’est pas un vice capital.

2. D’après Isidore : " De même que par l’orgueil de l’esprit on tombe dans la prostitution de la débauche, de même par l’humilité de l’esprit on sauve la chasteté de son corps. " Mais il est contraire à la définition du vice capital de naître d’un autre vice. La luxure n’est donc pas un vice capital.

3. La luxure est causée par le désespoir, si l’on en croit S. Paul (Ep 4, 19) : " Par désespoir ils se sont livrés à la débauche. " Mais le désespoir n’est pas un vice capital ; bien plus, c’est une fille de l’acédie, on l’a vu. A plus forte raison la luxure n’est-elle pas un vice capital.

En sens contraire, S. Grégoire place la luxure parmi les vices capitaux.

Réponse :

Nous l’avons montré, le vice capital est celui qui se propose un but très désirable, au point que ce désir conduit l’homme à commettre beaucoup d’autres péchés qui, tous, naissent de ce vice comme d’un vice primordial. Or la fin de la luxure est la délectation sexuelle, qui est la plus intense. C’est pourquoi cette délectation est souverainement désirable pour l’appétit sensible, tant à cause de la véhémence du plaisir qu’à cause du caractère connaturel de cette convoitise. Il est donc évident que la luxure est un vice capital.

Solutions :

1. Selon certains auteurs, l’impureté, que l’on range parmi les filles de la gourmandise, est une certaine malpropreté corporelle, nous l’avons dit plus haut. L’objection est donc étrangère au sujet. Mais si on l’entend comme l’impureté de la luxure, alors il faut dire qu’elle a pour cause matérielle la gourmandise, en ce sens que la gourmandise fournit la matière corporelle à la luxure ; mais il ne s’agit pas ici de la cause finale, selon laquelle on indique principalement l’origine des autres vices à partir des vices capitaux.

2. Comme on l’a dit plus haut en traitant de la vaine gloire, on tient l’orgueil pour la mère commune de tous les péchés. C’est pourquoi les vices capitaux naissent eux-mêmes de l’orgueil.

3. Il est des hommes qui s’abstiennent des plaisirs luxurieux principalement à cause de l’espérance de la gloire future, que le désespoir nous enlève. C’est ainsi que le désespoir cause la luxure, en supprimant le motif qui empêche celle-ci, mais il n’en est pas une cause directe, ce qui semble requis pour un vice soit capital.

 

            Article 5 — Les filles de la luxure

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas exact d’indiquer, comme filles de la luxure, " l’aveuglement de l’esprit, l’irréflexion, la précipitation, l’inconstance, l’amour de soi, la haine de Dieu, l’attachement à la vie présente, l’horreur ou le désespoir de la vie future ". En effet, l’aveuglement de l’esprit, l’irréflexion et la précipitation appartiennent à l’imprudence, qui se retrouve en tout péché, de même que la prudence se retrouve en toute vertu. On ne doit donc pas les tenir pour des filles ou espèces de la luxure.

2. La constance est considérée comme une partie de la force, on l’a vu. Or la luxure ne s’oppose pas à la force, mais à la tempérance. L’inconstance n’est donc pas une fille de la luxure.

3. " L’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu " est le principe de tout péché, pour S. Augustin. On ne doit donc pas le tenir pour une fille de la luxure.

4. Isidore énumère quatre filles de la luxure " les paroles obscènes, la bouffonnerie, les facéties, les sottises ". L’énumération précédente paraît donc surabondante.

En sens contraire, il y a l’autorité de S. Grégoire.

Réponse :

Quand les puissances inférieures sont vivement touchées par leurs objets, le résultat est que les facultés supérieures s’en trouvent empêchées et désorganisées dans leur activité. Mais par le vice de luxure tout particulièrement, l’appétit inférieur, le concupiscible, se tourne violemment vers son objet, c’est-à-dire le délectable, à cause de la violence de la passion et du plaisir. Il en résulte que par la luxure les facultés supérieures, la raison et la volonté, sont désorganisées au plus haut point.

Il y a, dans l’agir humain, quatre actes de la raison : 1° La " simple intelligence " qui appréhende une fin comme bonne. Cet acte est entravé par la luxure. On peut lire en Daniel (13, 56) : " La beauté t’a égaré, le désir a perverti ton cœur. " C’est l’aveuglement de l’esprit.

2° Le deuxième acte est la délibération sur ce qu’il faut faire pour atteindre la fin. Là encore la convoitise de la luxure dresse un obstacle. Comme le dit Térence, parlant de l’amour sensuel : " Cette convoitise, admet ni délibération ni mesure ; tu ne peux la maîtriser par la réflexion. " A cela correspond " la précipitation " qui implique la suppression du conseil, on l’a vu.

3° Le troisième acte est le jugement porté sur ce qu’il faut faire. Lui aussi est empêché par la luxure. Daniel (13, 9) dit des vieillards luxurieux " Ils en perdirent le sens, oubliant les justes jugements. " Voilà l’" irréflexion ".

4° Le quatrième acte est le précepte d’agir, venant de la raison. Nouvel obstacle posé par la luxure, car l’assaut de la convoitise empêche l’homme d’accomplir ce qu’il a décidé de faire. Aussi Térence dit-il à propos de celui qui se disait sur le point de quitter une maîtresse : " Belles paroles, qui ne tiendront pas devant une petite larme hypocrite. "

Du côté de la volonté, le désordre s’introduit dans deux actes. L’un est l’appétit de la fin. De ce point de vue, on cite " l’amour de soi ", pour autant qu’il s’élance vers le plaisir de façon tout à fait désordonnée, et par opposition on cite " la haine de Dieu ", pour autant que Dieu interdit le plaisir trop avidement désiré. - L’autre est l’appétit de ce qui conduit à la fin. De ce point de vue, on cite " l’attachement à la vie présente " en laquelle on veut jouir de la volupté, et, pas opposition, on cite " le désespoir de la vie future " car celui qui est trop retenu par les désirs charnel ne cherche pas à parvenir aux joies spirituelles mais les prend en dégoût.

Solutions :

1. Aristote dit que l’intempérance corrompt au plus haut point la prudence. C’est pourquoi les vices opposés à la prudence naissent surtout de la luxure, qui est la principale espèce d’intempérance.

2. La constance dans les choses difficiles et redoutables est donnée comme une partie de la force. Mais manifester de la constance dans l’abstention des plaisirs appartient à la continence, qui est une partie de la tempérance. C’est pourquoi l’inconstance qui lui est opposée se présente comme une fille de la luxure.

Cependant la première inconstance est également causée par la luxure, qui amollit le cœur de l’homme et le rend efféminé. Selon Osée (4, 11) : " La fornication, le vin et l’ivresse étouffent le cœur. " Végèce dit : " Celui-là craint moins la mort, qui a connu moins de plaisirs dans sa vie. " Il n’est pas nécessaire, nous l’avons souvent dit, que les filles d’un vice capital aient la même matière que lui.

3. L’amour de soi, considéré par rapport à tous les biens que l’on désire pour soi, est le principe commun des péchés. Mais il se rapporte spécialement au désir que l’on a pour soi des plaisirs de la chair ; l’amour de soi est alors placé parmi les filles de la luxure.

4. Les filles de la luxure que cite Isidore sont des actes extérieurs désordonnés, se rapportant principalement à la parole. En celle-ci le désordre s’introduit de quatre façons : l° A cause de la matière. Ce sont alors " les paroles obscènes ". Comme en effet " la bouche parle de l’abondance du cœur ", selon S. Matthieu (12, 34), ceux qui se livrent à la luxure et dont le cœur est rempli de convoitises honteuses, se répandent facilement en propos obscènes. 2° Du côté de la cause. En effet, parce que la luxure entraîne l’irréflexion et la précipitation, le résultat est qu’elle fait se répandre en des paroles légères et inconsidérées, qu’on appelle " bouffonneries ". 3° Quant à la fin, en effet, parce que le luxurieux recherche le plaisir, il ordonne aussi ses paroles au plaisir, et se répand aussi en " facéties ". 4° Quant au sens des paroles que la luxure pervertit, à cause de l’obscurcissement de l’esprit qu’elle cause. Et le débauché se répand en " sottises " en tant que, dans ses paroles, il préfère à toute autre chose les délectations qu’il désire.

 

 

QUESTION 154 — LES PARTIES DE LA LUXURE

1. Comment diviser les parties de la luxure ? - 2. La fornication simple est-elle péché mortel ? - 3. Est-elle le plus grand des péchés ? - 4. Y a-t-il péché mortel dans les attouchements et les baisers, et dans les autres caresses de ce genre ? - 5. La pollution nocturne est-elle un péché ? - 6. Le stupre. - 7. Le rapt. - 8. L’adultère. - 9. L’inceste. - 10. Le sacrilège. - 11. Le péché contre nature. - 12. L’ordre de gravité entre ces espèces.

 

            Article 1 — Comment diviser les parties de la luxure ?

Objections :

1. Il ne convient pas, semble-t-il, de fixer six espèces de la luxure : " la fornication simple, l’adultère, l’inceste, le stupre, le rapt ". et le " vice contre nature ". En effet la diversité de la matière ne constitue pas une diversité spécifique. Or la division ci-dessus se prend d’une diversité de la matière selon qu’il y a commerce charnel avec l’épouse d’un autre, ou avec une vierge, ou avec une femme d’une autre condition. Il ne semble donc pas que cela puisse diversifier les espèces de la luxure.

2. Les espèces d’un même vice ne sont pas diversifiées, semble-t-il, par ce qui appartient à un autre vice. Or l’adultère ne diffère de la fornication simple que par le fait qu’on s’approche de la femme d’un autre, et que l’on commet ainsi une injustice. Il ne semble donc pas que l’on doive tenir l’adultère pour une espèce particulière de la luxure.

3. De même qu’il arrive d’avoir un commerce charnel avec une femme qui est liée à un autre homme par le mariage, de même il arrive de s’unir charnellement à une femme liée à Dieu par vœu. Puisqu’on tient l’adultère pour une espèce de la luxure, on devrait donc dire aussi que le sacrilège est une espèce de la luxure.

4. Celui qui est marié pèche non seulement s’il s’approche d’une autre femme que la sienne, mais aussi s’il use de sa propre épouse d’une manière contraire à l’ordre. Or ce péché appartient à la luxure. Il devrait donc être compté parmi ses espèces.

5. S. Paul écrit (2 Co 12, 21) : " je crains qu’à ma prochaine visite, mon Dieu ne m’humilie à votre sujet, et que je n’aie à pleurer sur plusieurs de ceux qui ont péché précédemment et n’ont pas fait pénitence pour leurs actes d’impureté, de fornication et d’impudicité. " Il semble donc que l’impureté et l’impudicité doivent également être placées parmi les espèces de la luxure, comme la fornication.

6. Ce qu’on divise n’est pas à mettre dans le même groupe que les membres de la division. Or la luxure est placée dans le même groupe que ceux-ci, car S. Paul dit (Ga 5, 19) : " On sait tout ce que produit la chair : fornication, impureté, débauche, luxure. " Il ne semble donc pas cohérent de donner la fornication comme une partie de la luxure.

En sens contraire, la division ci-dessus se trouve dans les Décrets de Gratien.

Réponse :

Nous l’avons dit le péché de luxure consiste en ce que l’on use du plaisir sexuel d’une manière qui n’est pas conforme à la droite raison. Ce qui arrive de deux manières : l° selon la matière en laquelle ce plaisir est recherché ; 2° lorsque la matière requise étant présente, on n’observe pas les autres conditions requises. Puisque la circonstance, comme telle, ne donne pas son espèce à l’acte moral, mais que son espèce se prend de l’objet, c’est-à-dire de la matière de l’acte, il a donc fallu fixer les espèces de la luxure en partant de la matière ou de l’objet.

Cette matière peut ne pas s’accorder avec la droite raison de deux façons. D’une première façon, quand elle s’oppose à la fin de l’acte sexuel. On a ainsi, lorsque la génération de l’enfant est empêchée, le " vice contre nature ", qui a lieu en tout acte sexuel d’où la génération ne peut suivre. - Mais lorsqu’il est seulement porté atteinte à l’éducation et à la promotion requise pour l’enfant qui est né, on a la " fornication simple " qui se commet entre un homme libre et une femme libre.

D’une autre façon, la matière dans laquelle s’exerce l’acte sexuel peut ne pas s’accorder avec la droite raison par rapport à d’autres êtres humains. Et cela doublement. 1° Du côté de la femme même à laquelle on s’unit charnellement, lorsque l’honneur à laquelle elle a droit n’est pas respecté. On a alors " l’inceste " qui consiste dans l’abus de femmes qui vous sont liées par la consanguinité ou par l’affinité. 2° Du côté de celui qui a pouvoir sur la femme. Si la femme est au pouvoir d’un mari, on a " l’adultère ". Si elle est sous puissance paternelle, on a " le stupre ", sans violence ; et le " rapt " s’il y a violence.

Ces espèces de luxure se diversifient davantage du côté de la femme que du côté de l’homme, parce que, dans l’acte sexuel, la femme se comporte comme celle qui pâtit par mode de matière, et l’homme comme celui qui agit. Or on a dit que les espèces susdites sont déterminées selon la différence de matière.

Solutions :

1. Cette diversité de matière comporte une diversité formelle d’objet qui lui est adjointe, laquelle se prend des différents modes d’opposition à la droite raison.

2. Rien n’empêche que dans un même acte se rencontrent les difformités de différents vices, nous l’avons dit. C’est de cette manière que l’adultère se trouve à la fois appartenir à la luxure et à l’injustice. Et ce n’est aucunement de façon accidentelle que la difformité de l’injustice affecte la luxure. En effet, la luxure se montre plus grave si elle obéit tellement à la convoitise qu’elle conduit à l’injustice.

3. La femme qui a fait vœu de continence a conclu comme un mariage spirituel avec Dieu. Et le sacrilège que l’on commet en profanant une telle femme est une sorte d’adultère spirituel. C’est de façon semblable que les autres modes de sacrilège se ramènent aux autres espèces de la luxure.

4. Le péché d’un homme marié avec son épouse ne se commet pas selon une matière illicite, mais selon d’autres circonstances. Or celles-ci, comme on l’a dit. ne constituent pas l’espèce de l’acte moral.

5. Comme dit la Glose, l’impureté est mise là pour la luxure contre nature. Et l’impudicité est la luxure commise avec des femmes qui ne sont pas mariées ; elle semble donc appartenir au stupre.

Ou encore on peut dire que l’impudicité se rapporte à certains actes qui entourent l’acte charnel, comme les baisers, les attouchements, etc.

6. Le mot luxure est pris ici, comme dit la Glose, pour " toutes sortes d’excès ".

 

            Article 2 — La fornication simple est-elle péché mortel ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, les choses qui sont énumérées ensemble paraissent être de la même espèce. Or la fornication est citée à côté de certaines pratiques qui ne sont pas des péchés mortels. Ainsi on peut lire au livre des Actes (15, 29) : " Abstenez-vous des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées et de la fornication. " Mais l’usage de ces viandes n’est pas un péché mortel, si l’on en croit S. Paul (1 Tm 4, 4) : " Tout ce que Dieu a créé est bon, et aucun aliment n’est à proscrire si on le prend avec action de grâce. " La fornication n’est donc pas péché mortel.

2. Aucun péché mortel ne tombe sous un précepte divin. Or Osée reçoit ce commandement du Seigneur (Os 1, 2) : " Va, prends une femme portée à la fornication et des enfants de fornication. "

3. Aucun péché mortel n’est mentionné dans la Sainte Écriture sans une réprobation. Or la fornication simple est mentionnée sans réprobation dans l’Écriture à propos des anciens Pères.

Ainsi dit-on d’Abraham qu’il alla vers Agar, sa servante (Gn 16, 4), de Jacob qu’il s’unit aux servantes de ses femmes, Bilha et Zilpa (30, 5), de Juda qu’il s’approcha de Tamar (38, 15) qu’il avait prise pour une prostituée. La fornication simple n’est donc pas péché mortel.

4. Le péché mortel est contraire à la charité. Or la fornication simple n’est pas contraire à la charité : ni à l’amour de Dieu, car elle n’est pas directement un péché contre Dieu ; ni non plus à l’amour du prochain, car, en la commettant, on ne fait tort à aucun autre homme. La fornication simple n’est donc pas péché mortel.

5. Tout péché mortel conduit à la perdition éternelle. Or cela, la fornication simple ne le fait pas. En effet de ce passage de S. Paul (1 Tm 4, 8) : " La piété est utile à tout ", la glose d’Ambroise donne ce commentaire : " Tout l’ensemble de la conduite chrétienne se trouve dans la miséricorde et la piété. Celui qui leur reste fidèle, même s’il subit les périls de la chair, subira sans aucun doute des défaites mais ne périra pas. " La fornication simple n’est donc pas péché mortel.

6. S. Augustin dit que " la nourriture sert au salut du corps, et l’union charnelle au salut du genre humain ". Or l’usage désordonné des nourritures n’est pas toujours péché mortel. Il en est donc de même de l’usage désordonné de l’union charnelle. Et cela semble particulièrement vrai de la fornication simple, qui est la moindre parmi les espèces de la luxure qu’on a énumérées.

En sens contraire, il est écrit dans le livre de Tobie (4, 13) : " Garde-toi de toute fornication, évite de commettre ce crime, et contente-toi de ta femme. " Or le crime constitue un péché mortel. Donc la fornication, et toute union charnelle avec une autre que son épouse, est péché mortel.

2. Seul le péché mortel exclut du royaume de Dieu. Or c’est ce que fait la fornication. S. Paul, après avoir cité la fornication et quelques autres vices, conclut (Ga 5, 19) : " Ceux qui commettent ces fautes-là n’hériteront pas le royaume de Dieu. "

3. On trouve dans les Décrets de Gratien : " Il faut savoir qu’on doit imposer pour le faux serment la même pénitence que pour l’adultère et la fornication, pour l’homicide spontanément commis et pour les autres vices criminels. " Ainsi donc la fornication est un péché criminel, c’est-à-dire mortel.

Réponse :

Il faut tenir sans aucune hésitation que la fornication est péché mortel, bien que, sur ce passage du Deutéronome (23, 17) : " Il n’y aura pas de prostituée sacrée parmi les filles d’Israël... ", la Glose ajoute : " Il défend d’approcher celles dont la turpitude est vénielle. " Car il ne faut pas dire " vénielle ", mais " vénale ", ce qui est la caractéristique des prostituées.

Pour le comprendre, on doit considérer que tout péché commis directement contre la vie de l’homme est péché mortel. Or la fornication simple comporte un désordre qui tourne au détriment de la vie chez celui qui va naître d’une telle union charnelle. Nous voyons en effet que chez tous les animaux où la sollicitude du mâle et de la femelle est requise pour l’éducation des petits, il n’y a pas chez eux d’accouplement au hasard des rencontres, mais du mâle avec une femelle déterminée, que cette femelle soit unique ou multiple ; on le voit bien chez tous les oiseaux. Mais il en est autrement chez les animaux dont la femelle suffit à élever seule sa progéniture ; chez ceux-là, l’accouplement a lieu au hasard des rencontres, comme on le voit chez les chiens ou chez d’autres animaux. Or il est manifeste que pour l’éducation d’un être humain, non seulement sont requis les soins de la mère, qui le nourrit de son lait, mais aussi, et bien plus encore, les soins du père, qui doit l’instruire et le défendre, et le faire progresser dans les biens tant intérieurs qu’extérieurs. Et c’est pourquoi il est contraire à la nature de l’homme de s’accoupler au hasard des rencontres ; mais il faut que cela se fasse entre le mâle et une femme déterminée, avec qui il demeure longtemps, ou même pendant toute la vie. Il s’ensuit qu’il est naturel aux mâles de l’espèce humaine de chercher à être certains de leurs enfants, parce que l’éducation de ceux-ci leur incombe. Or, cette certitude serait impossible s’il y avait accouplement fortuit. - Mais ce choix d’une femme déterminé s’appelle mariage. C’est pourquoi l’on dit qu’il est de droit naturel. Mais parce que l’union charnelle est ordonnée au bien commun du genre humain tout entier, et que, d’autre part, les biens communs tombent sous la détermination de la loi, nous l’avons vu, il en résulte que cette union de l’homme et de la femme, qui s’appelle le mariage, est déterminée par la loi. De quelle façon se fait chez nous cette détermination, nous le dirons dans la troisième Partie de cet ouvrage, lorsque nous traiterons du sacrement de mariage. - Puisque la fornication est un accouplement fortuit, ayant lieu en dehors du mariage, elle est donc contre le bien de l’enfant à élever. C’est pourquoi elle est péché mortel.

Cette conclusion conserve sa valeur même si le fornicateur qui a connu la femme pourvoit suffisamment a l’éducation de l’enfant. Car ce qui tombe sous la détermination de la loi est jugé selon ce qui arrive communément, et non ce qui peut arriver dans tel cas particulier.

Solutions :

1. La fornication est mise au nombre de ces pratiques, non parce qu’elle constitue une même espèce de faute, mais parce que de telles pratiques pouvaient diviser juifs et païens et les empêcher de s’entendre. En effet, chez les païens, la fornication simple n’était pas considérée comme illicite, à cause de la corruption de la raison naturelle, tandis que les Juifs, instruits par la loi divine, l’estimaient illicite. Quant aux autres pratiques, les Juifs les avaient en horreur, à cause d’habitudes héritées de l’observance de la Loi. C’est la raison pour laquelle les Apôtres les interdirent aux païens, non comme étant en elles-mêmes illicites, mais comme faisant horreur aux Juifs, nous l’avons déjà dit.

2. On dit que la fornication est un péché en tant qu’elle est contraire à la droite raison. Mais la raison de l’homme est droite selon qu’elle se règle sur la volonté divine, qui est la première et suprême règle. C’est pourquoi ce que l’homme fait parce que Dieu le veut, en obéissant à son commandement, n’est pas contraire à la droite raison, quoique semblant aller contre l’ordre commun de la raison de même que ce qui se fait miraculeusement par la puissance divine n’est pas contraire à la nature, quoique ce soit contre le cours commun de la nature. Et c’est pourquoi Abraham ne pécha point en voulant immoler son fils innocent, car il obéissait à Dieu, quoique cela, considéré en soi, fût communément contraire à la rectitude de la raison humaine ; et de même Osée ne pécha pas en forniquant sur l’ordre de Dieu. Une telle union charnelle ne doit pas être appelée proprement une fornication, quoiqu’elle soit appelée ainsi par référence à l’usage commun.

Ainsi S. Augustin écrit-il : " Quand Dieu étonne un ordre qui heurte les mœurs ou les habitudes de qui que ce soit, même si cela ne s’est jamais fait, il faut le faire. " Et peu après il ajoute : " De même que dans la société humaine le pouvoir supérieur doit être obéi des pouvoirs inférieurs, de même Dieu doit être obéi par tous. "

3. Abraham et Jacob s’approchèrent de ces servantes, mais ce n’était pas pour un acte de fornication, comme nous le verrons plus tard quand il sera question du mariage. - En revanche, il n’est pas nécessaire d’excuser Juda de péché, lui qui fut aussi responsable de la vente de Joseph.

4. La fornication simple est contraire à l’amour du prochain en ce qu’elle s’oppose au bien de la progéniture à naître, nous venons de le montrer. Si elle contribue à la génération, ce n’est pas selon ce qu’il faut à l’enfant qui va naître.

5. En accomplissant des œuvres de piété, celui qui subit la lubricité de la chair se libère de la perdition éternelle ; en effet, par ces œuvres, il se dispose à obtenir une grâce de conversion, et par elles il fait réparation pour le péché sensuel qu’il a commis. Mais il ne faut pas croire qu’il serait libéré par ses œuvres de piété s’il persévérait dans son péché jusqu’à la mort, sans se convertir.

6. Un seul accouplement peut donner naissance à un être humain. C’est pourquoi le désordre de l’acte charnel, qui fait obstacle au bien de l’enfant à naître, est péché mortel en raison même de l’acte, et non seulement en raison du désordre de la convoitise. Tandis qu’un seul repas ne fait pas obstacle au bien de toute la vie d’un homme ; et c’est pourquoi un acte de gourmandise n’est pas, à considérer seulement son genre, péché mortel. Il le serait en revanche si quelqu’un mangeait sciemment une nourriture qui changerait la condition de sa vie tout entière : ce qui fut le cas pour Adam. - Cependant, la fornication n’est pas le moindre des péchés appartenant à la luxure. En effet, l’union charnelle avec son épouse lorsqu’elle se fait sous la poussée d’un désir désordonné, est moins grave.

 

            Article 3 — La fornication est-elle le plus grand des péchés ?

Objections :

1. Il semble bien. En effet, un péché semble d’autant plus grave qu’il procède d’une plus grande convoitise. Or le plus grand désir charnel se trouve dans la fornication. En effet la Glose, commentant S. Paul (1 Co 6, 18), dit que l’ardeur du désir charnel atteint son maximum dans la luxure. Il semble donc que la fornication soit le péché le plus grave.

2. Quelqu’un pèche d’autant plus gravement qu’il commet une faute envers un être qui lui est plus proche. Ainsi celui qui frappe son père pèche plus gravement que celui qui frappe un étranger. Or, dit S. Paul (1 Co 6, 18), " celui qui fornique pèche contre son propre corps ", l’être qui lui est le plus uni. Il semble donc que la fornication soit le péché le plus grave.

3. Plus un bien est grand, plus le péché qui se commet contre lui semble grave. Or le péché de fornication semble aller contre le bien du genre humain tout entier, comme on le déduit de l’article précédent. Il va aussi contre le Christ, si l’on en croit S. Paul (1 Co 6, 15) : " J’irais prendre les membres du Christ pour en faire des membres de prostituée ? " La fornication est donc le péché le plus grave.

En sens contraire, S. Grégoire dit que les péchés de la chair sont moins coupables que les péchés de l’esprit.

Réponse :

La gravité du péché peut se prendre de deux points de vue : en soi, ou selon une considération accidentelle. En soi, la gravité du péché est prise en raison de son espèce, qui s’apprécie selon le bien auquel le péché s’oppose. Or la fornication va contre le bien de l’homme qui va naître. C’est pourquoi elle est un péché plus grave selon son espèce que les péchés contre les biens extérieurs, comme le vol ou autres péchés de ce genre. Mais elle est moins grave que les péchés qui vont directement contre Dieu, et que le péché contre la vie de l’homme déjà né, comme l’homicide.

Solutions :

1. Le désir charnel qui aggrave le péché est celui qui consiste dans l’inclination de la volonté. Au contraire le désir charnel qui est dans l’appétit sensible diminue le péché, car le péché est d’autant plus léger que celui qui pèche est entraîné par une plus grande passion. Or c’est de cette manière que le désir charnel, dans la fornication, est le plus grand. Aussi S. Augustin dit : " Parmi toutes les guerres des chrétiens, les plus dures sont les combats de la chasteté, où la lutte est quotidienne, mais rare la victoire. " Et Isidore dit : " Le genre humain est davantage soumis au diable par la luxure de la chair que par tout autre chose. " Car il est très difficile de vaincre la violence de cette passion.

2. On dit que celui qui fornique pèche " contre son corps ", non seulement parce que le plaisir de la fornication se consomme dans la chair, ce qui a lieu aussi dans la gourmandise, mais aussi parce que celui qui fornique agit contre le bien de son propre corps, en tant qu’il le laisse aller et le souille de façon illicite, et l’accouple à un autre. Ce n’est pas cependant une raison pour conclure que la fornication est le péché le plus grave. Car dans l’homme la raison l’emporte en valeur sur le corps, c’est pourquoi, si le péché s’oppose davantage à la raison, il est plus grave.

3. La péché de fornication va contre le bien de l’espèce humaine en tant qu’il entrave la génération individuelle d’un homme destiné à naître. Mais celui qui participe déjà en acte à l’espèce appartient à la raison de l’espèce plus que celui qui n’est homme qu’en puissance. De ce point de vue l’homicide est plus grave que la fornication et que toutes les espèces de luxure, comme s’opposant davantage au bien de l’espèce humaine. - Mais le bien divin est plus grand que le bien de l’espèce humaine. C’est pourquoi les péchés qui vont contre Dieu sont encore plus graves. - La fornication n’est pas directement un péché contre Dieu, comme si celui qui fornique se proposait d’offenser Dieu : elle l’est seulement par voie de conséquence, comme tous les péchés mortels. De même en effet que les membres de notre corps sont les membres du Christ, de même aussi notre esprit, qui ne fait qu’un avec le Christ comme l’affirme S. Paul (1 Co 6, 17) : " Celui qui s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un seul esprit. " C’est pourquoi les péchés spirituels sont également plus contraires au Christ que la fornication.

 

            Article 4 — Y a-t-il péché mortel dans les attouchements et les baisers, et dans les autres caresses de ce genre ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. S. Paul déclare (Ep 5, 3) : " Quant à la fornication, à l’impureté sous toutes ses formes, ou encore à la cupidité, que leurs noms ne soient même pas prononcés parmi vous ; c’est ce qui convient. " Ensuite il ajoute l’obscénité - et la Glose commente, " comme dans les baisers " et les " étreintes ", les sots discours - selon la Glose : " les paroles caressantes " ; les bouffonneries - selon la Glose : " Ce que la cour demande aux fous, c’est-à-dire la farce. " Un peu plus loin S. Paul ajoute encore : " Sachez-le bien, ni le fornicateur, ni l’impudique, ni le cupide n’ont droit à l’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu. " Ici S. Paul ne rappelle plus l’obscénité, les sots discours et la bouffonnerie. Ce ne sont donc pas des péchés mortels.

2. La fornication est qualifiée de péché mortel parce queue fait obstacle au bien de la progéniture à engendrer et à élever. Mais les baisers, les attouchements et les étreintes n’y font rien. Il ne peut donc s’y trouver de péché mortel.

3. Les actes qui sont en soi des péchés mortels ne peuvent jamais être bons. Or les baisers, les attouchements, etc., peuvent parfois être sans péché. Ils ne sont donc pas en soi des péchés mortels.

En sens contraire, le regard sensuel est moindre que l’attouchement, l’étreinte ou le baiser. Or le regard libidineux est péché mortel, selon S. Matthieu (5, 28) : " Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis dans son cœur l’adultère avec elle. " Encore bien plus par conséquent le baiser sensuel et autres actes semblables, sont-ils des péchés mortels.

S. Cyprien écrit : " Déjà le seul fait de partager la même couche, de s’embrasser, de tenir des conversations, de se donner des baisers, et de dormir à deux dans le même lit, quelle honte et quel crime! " Par tout cela, l’homme se rend donc coupable de crime, c’est-à-dire de péché mortel.

Réponse :

Un acte est qualifié de péché mortel de deux façons. D’une première façon, selon son espèce. De cette façon, le baiser, l’embrassement ou l’attouchement, selon leur espèce, ne désignent pas un péché mortel. Ils peuvent en effet être faits sans désir charnel, soit à cause des coutumes du pays, soit en raison d’une nécessité ou pour une cause raisonnable.

D’une autre façon, une chose est dite péché mortel en raison de sa cause. Ainsi par exemple celui qui fait l’aumône pour entraîner quelqu’un dans l’hérésie pèche mortellement en raison de l’intention corrompue. Or nous avons dit plus haut que le consentement au plaisir du péché mortel est aussi un péché mortel, et non seulement le consentement à l’acte. Ainsi donc, comme la fornication est péché mortel, et plus encore les autres espèces de luxure, il en résulte que le consentement au plaisir de ce péché est péché mortel, et non seulement le consentement à l’acte. C’est pourquoi, lorsque les baisers, les étreintes et actions semblables sont faits en vue du plaisir sexuel, ce sont péchés mortels. C’est dans ce cas seulement qu’ils sont dits libidineux. Ainsi de tels actes, selon qu’ils sont libidineux, sont péchés mortels.

Solutions :

1. S. Paul ne rappelle pas ces trois actes parce qu’ils ne reçoivent le nom de péché que dans la mesure où ils conduisent aux actes nommés précédemment.

2. Les baisers et les attouchements, bien qu’en soi ils n’empêchent pas le bien de la progéniture, procèdent néanmoins du désir sensuel, qui est la racine de cet empêchement. C’est à cause de cela qu’ils ont raison de péché mortel.

3. Cet argument permet seulement de conclure que de tels actes ne sont pas des péchés selon leur espèce.

 

            Article 5 — La pollution nocturne est-elle un péché ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. En effet, le mérite et le démérite concernent le même objet. Or on peut acquérir des mérites en dormant. Il en fut ainsi de Salomon qui, en dormant, obtint du Seigneur le don de sagesse, dit la Bible (1 R 3, 5 ; 2 Ch 1, 7). Donc on peut démériter en dormant. Il semble donc que la pollution nocturne soit un péché.

2. Tout homme ayant l’usage de la raison peut pécher. Or, en dormant, on conserve l’usage de la raison, car fréquemment on raisonne dans le sommeil, on préfère une chose à une autre, on donne son accord ou son désaccord. Et ainsi le sommeil n’empêche pas que la pollution nocturne soit un péché, puisque, par le genre de l’acte, elle est un péché.

3. C’est en vain qu’on réprimande ou qu’on instruit celui qui ne peut agir selon la raison ou contre la raison. Or l’homme est instruit ou réprimandé par Dieu dans le sommeil, comme on le voit dans le livre de Job (33, 15) : " Par des songes, par des visions nocturnes, quand une torpeur s’abat sur les humains et qu’ils sont endormis sur leur couche, alors Dieu parle à l’oreille de l’homme et lui donne ses instructions. " Dans le sommeil on peut donc agir selon la raison ou contre la raison, ce qui signifie agir bien ou pécher. Il semble donc que la pollution nocturne soit un péché.

En sens contraire, voici ce que dit S. Augustin : " L’image qui naît dans la pensée de celui qui parle de ces choses apparaît dans le rêve avec un tel relief qu’on ne la distingue plus d’une véritable union charnelle, si bien que la chair s’émeut aussitôt et que s’ensuivent les effets qui sont les conséquences ordinaires de ce mouvement. En cela il n’y a pas davantage péché qu’il n’y a péché à parler de ces choses à l’état de veille, car on ne peut évidemment en parler sans y penser. "

Réponse :

On peut considérer la pollution nocturne de deux façons. Premièrement, en elle-même. De cette façon elle n’a pas raison de péché. En effet tout péché dépend du jugement de la raison, parce que même le premier mouvement de la sensualité ne peut être un péché que dans la mesure où il peut être réprimé par le jugement de la raison. C’est pourquoi, quand le jugement de la raison est supprimé, la raison de péché est enlevé. Or, dans le sommeil, la raison n’a pas son jugement libre. Il n’est personne en effet qui, en dormant, ne se porte vers quelque représentation imagée comme vers les choses elles-mêmes nous l’avons montré dans la première Partie. C’est pourquoi ce que l’homme fait en dormant, alors qu’il n’a pas le libre jugement de la raison, ne lui est pas imputé à péché ; de même non plus ce que fait le furieux ou le dément.

D’autre part, on peut considérer la pollution nocturne par rapport à la cause, laquelle peut être triple. D’abord, corporelle. En effet, lorsque le liquide séminal est en surabondance dans le corps ou lorsqu’il se fait une éjection de ce liquide, soit par la trop grande chaleur du corps, soit par n’importe quel autre trouble, le dormeur songe à ce qui se rattache à l’éjaculation de cette humeur surabondante ou plus liquide, comme il arrive aussi quand la nature est alourdie par quelque autre surplus ; en sorte que se forment parfois dans l’imagination des images se rapportant à leur éjection. Donc, si la surabondance d’un tel liquide provient d’une cause coupable, par exemple d’un excès de nourriture ou de boisson, alors la pollution nocturne a raison de faute du fait de sa cause. Mais si la surabondance ou éjection d’un tel liquide n’est pas l’effet d’une cause coupable, la pollution nocturne n’est pas coupable, ni en elle-même ni dans sa cause.

Une autre cause de pollution nocturne peut être intérieure à l’âme, lorsqu’il arrive par exemple que celui qui dort ait une pollution par suite de pensées antérieures. Mais la pensée qui précède dans l’état de veille est parfois purement spéculative, par exemple lorsque l’on pense aux péchés charnels à cause d’un débat théologique ; parfois au contraire elle s’accompagne d’un mouvement de convoitise ou de répulsion. Or la pollution se produit de préférence quand on a pensé aux vices charnels en convoitant de tels plaisirs, car, dans ce cas, une certaine trace et inclination demeure dans l’âme, en sorte que le dormeur est conduit plus facilement dans son imagination à consentir aux actes qui amènent la pollution. C’est en ce sens qu’Aristote dit : " Dans la mesure où certains actes passent insensiblement de l’état de veille à l’état de sommeil, les songes des gens de bien sont meilleurs que ceux du premier venu. " De même S. Augustin dit : " A cause de la bonne inclination de l’âme, certains de ses mérites peuvent, même dans le sommeil, sa manifester avec éclat. " Et ainsi il est clair que la pollution nocturne a raison de faute du côté de sa cause. - Cependant il arrive parfois qu’à la suite d’une pensée concernant des actes charnels, même spéculative ou accompagnée de répulsion, une pollution se produise dans le sommeil. Elle n’a pas alors raison de faute, ni en elle-même ni dans sa cause.

Il existe encore une troisième cause qui est spirituelle et extrinsèque, lorsque, par exemple, sous l’action du démon les représentations imaginaires du dormeur sont troublées en vue d’un tel effet. Cela vient parfois d’un péché antérieur, lorsqu’on a négligé de se prémunir contre les illusions du démon. C’est pourquoi on chante le soir à Complies : " Empêche notre ennemi de souiller nos corps. " - Mais parfois c’est sans aucune faute de l’homme et par la seule malice du démon. Dans les Conférences des Pères, on peut lire le cas de ce moine qui, les jours de fête, souffrait toujours d’une pollution nocturne que le diable provoquait pour l’empêcher de s’approcher de la sainte communion.

Ainsi donc il apparaît que la pollution nocturne n’est jamais un péché, mais parfois la séquelle d’un péché antérieur.

Solutions :

1. Ce n’est pas par son sommeil que Salomon a mérité que Dieu lui donne la sagesse, mais ce fut le signe d’un désir qui avait précédé. C’est pourquoi, selon S. Augustin, il est écrit que cette demande avait plu à Dieu.

2. Selon que les facultés sensitives intérieures sont plus ou moins appesanties par le sommeil, selon l’agitation ou la pureté des vapeurs, l’usage de la raison est plus ou moins entravé chez le dormeur. Il y a cependant toujours quelque empêchement qui ne lui permet pas d’avoir un jugement tout à fait libre, comme nous l’avons dit dans la première Partie. C’est pourquoi on ne peut lui imputer à péché ce qu’il fait alors.

3. L’appréhension de la raison n’est pas empêchée dans le sommeil de la même manière que son jugement, car celui-ci s’accomplit par recours aux choses sensibles, premiers principes de la connaissance humaine. C’est pourquoi rien n’empêche que l’homme, en dormant, appréhende selon la raison quelque chose de nouveau, soit à partir de ce qui reste des pensées antérieures et à partir des images qui se présentent, soit encore à partir d’une révélation divine, ou d’une suggestion d’un ange, bon ou mauvais.

 

            Article 6 — Le stupre

Objections :

1. Il ne semble pas que le stupre doive être placé parmi les espèces de la luxure. En effet, il implique " la défloration illicite d’une vierge ", selon les Décrets. Mais cela peut avoir lieu entre un homme libre de tout lien et une femme qui l’est aussi, ce qui ressortit à la fornication. Le stupre ne doit donc pas être considéré comme une espèce de la luxure, distinguée de la fornication.

2. Comme dit S. Ambroise : " Que personne ne se flatte d’échapper aux lois humaines : tout stupre est un adultère. " Or, parmi les espèces qui se distinguent par opposition, l’une n’est pas comprise dans l’autre. Donc, puisque l’adultère est une espèce de la luxure, il semble que le stupre ne doive pas être considéré comme une autre espèce.

3. Causer du dommage à quelqu’un semble relever davantage de l’injustice que de la luxure. Or celui qui commet le stupre cause un dommage à autrui, c’est-à-dire au père de la jeune fille qu’il déshonore, lequel peut considérer qu’un dommage lui a été fait, et intenter une action en justice contre le séducteur. Le stupre ne doit donc pas être considéré comme une espèce de la luxure.

En sens contraire, le stupre consiste exactement dans l’acte sexuel par lequel une vierge est déflorée. La luxure portant exactement sur les choses sexuelles, il semble donc que le stupre soit une espèce de la luxure.

Réponse :

Lorsque, concernant la matière d’un vice, une difformité spéciale se rencontre, on doit parler d’une espèce déterminée de ce vice. Or la luxure, on l’a vu, est un péché relatif au domaine sexuel. Quand une vierge, se trouvant sous la garde paternelle, est déflorée, on rencontre une difformité spéciale. Tant du côté de la jeune fille qui, du fait qu’elle est déflorée sans qu’aucun contrat de mariage ait précédé, se trouve empêchée de conclure par la suite un mariage légitime, et mise sur la voie de la prostitution, dont elle se gardait pour ne pas perdre le sceau de sa virginité. Tant du côté du père, qui a la charge de la garder selon l’Ecclésiastique (42, 11) : " Ta fille est légère ? Surveille-la bien, qu’elle n’aille pas faire de toi la risée de tes ennemis. " Il est donc manifeste que le stupre, qui comporte la défloration illicite des vierges vivant sous la garde de leurs parents, est une espèce déterminée de la luxure.

Solutions :

1. Bien que la vierge soit libre du lien matrimonial, elle n’est pas libre cependant de la puissance paternelle. En outre, le sceau de la virginité, qui ne doit être enlevé que par le mariage, constitue un empêchement spécial à l’union charnelle par fornication. C’est pourquoi le stupre n’est pas une fornication simple, comme l’union charnelle " avec des prostituées ", donc avec des femmes déjà déflorées, comme le montre S. Paul (2 Co 12, 21) : " Ceux qui n’ont pas fait pénitence pour leurs actes d’impureté, de fornication, etc. "

2. S. Ambroise entend le mot " stupre " dans un autre sens : selon que ce mot est pris de façon générale pour désigner tout péché de luxure. Le stupre désigne donc ici l’union charnelle d’un homme marié avec toute autre femme que son épouse. On le voit par ce que S. Ambroise dit ensuite : " Ce qui n’est pas permis à la femme n’est pas permis non plus à l’homme. " C’est ainsi que l’entend également le texte des Nombres (5, 13) : " Si un homme, à l’insu du mari, a couché avec une femme, si donc elle est déshonorée dans le secret, sans qu’il y ait de témoins contre elle et sans qu’on l’ait surprise dans le stupre, etc. "

3. Rien n’empêche qu’un péché devienne plus difforme par l’adjonction d’un autre. C’est le cas du péché de luxure qui devient plus difforme quand s’y adjoint un péché d’injustice, car la convoitise qui ne s’abstient pas du délectable pour éviter l’injustice semble être plus désordonnée. Or le stupre comporte une double injustice qui lui est adjointe. Une injustice du côté de la vierge. Même si le séducteur ne lui fait pas violence, il la déprave cependant, et il est tenu à lui faire réparation. C’est pourquoi on peut lire dans l’Exode (22, 16) : " Si quelqu’un séduit une vierge non encore fiancée et couche avec elle, il devra verser le prix et la prendre pour épouse. Si le père de la jeune fille refuse de la lui accorder, le séducteur versera une somme d’argent équivalent au prix fixé pour les vierges. "

Il commet une autre injustice à l’égard du père de la jeune fille. C’est pourquoi il est tenu, selon la loi, à une peine à son endroit. On peut lire dans le Deutéronome (22, 28) : " Si un homme rencontre une jeune fille vierge qui n’est pas fiancée, la saisit et couche avec elle, pris sur le fait, l’homme qui a couché avec elle donnera au père de la jeune fille cinquante pièces d’argent ; elle sera sa femme, puisqu’il a usé d’elle, et il ne pourra jamais la répudier. " Et cela, " pour qu’il ne semble pas qu’on lui ai fait outrage ", dit S. Augustin.

 

            Article 7 — Le rapt

Objections :

1. Il ne semble pas être une espèce de la luxure distincte du stupre. Isidore dit en effet que " le rapt est de façon précise l’union charnelle illicite : il vient du mot "corrompre". Il s’ensuit que celui qui réussit un rapt jouit de son stupre ". Il semble donc que le rapt ne doit pas être considéré comme une espèce de la luxure distincte du stupre.

2. Le rapt semble comporter une certaine violence. On dit en effet dans les Décrets - que " le rapt est commis lorsque par violence on enlève une jeune fille de la maison de son père, afin de la déflorer et d’en faire sa femme ". Mais faire violence à quelqu’un n’a qu’un rapport accidentel avec la luxure, qui a trait, de soi, à la jouissance de l’union charnelle. Le rapt ne semble donc pas devoir être donné comme une espèce déterminée de la luxure.

3. Le péché de luxure est maîtrisé par le mariage. En effet, S. Paul écrit (1 Co 7, 2) : " En raison du péril d’impudicité, que chaque homme ait sa femme... " Or le rapt empêche de se marier ensuite. Il est dit en effet au Concile de Meaux : " On a décidé que ceux qui enlèvent des femmes, s’en emparent ou les séduisent, ne les aient en aucune façon pour épouses, même si, par la suite, ils les ont reçues en mariage avec le consentement de leurs parents. " Le rapt n’est donc pas une espèce déterminée de la luxure.

4. On peut s’unir à son épouse sans péché de luxure. Or le rapt peut être commis si, de manière violente, on enlève sa femme de la maison paternelle et si on la connaît charnellement. Le rapt n’est donc pas une espèce déterminée de la luxure.

En sens contraire, pour Isidore " le rapt est une union charnelle illicite ". Or c’est là un péché de luxure. Le rapt est donc une espèce de celle-ci.

Réponse :

Le rapt, tel que nous en parlons maintenant, est une espèce de la luxure. Parfois, il est vrai, le rapt rejoint le stupre ; parfois aussi le rapt se trouve sans le stupre ; et parfois le stupre existe sans le rapt. Ils se rejoignent quand on fait violence à une vierge pour la déflorer illicitement. Cette violence est parfois commise tant à l’égard de la vierge elle-même qu’à l’égard du père ; parfois elle est commise à l’égard du père, mais non à l’égard de la vierge, lorsque par exemple celle-ci consent à être enlevée par violence de la maison paternelle. La violence du rapt diffère encore d’une autre façon ; car parfois la jeune fille est enlevée de force de la maison paternelle et violée contre son gré ; et parfois, même si elle est enlevée de force, elle n’est pas cependant souillée par la violence, mais de son plein gré, soit que cela se fasse dans une union par fornication, ou dans une union matrimoniale. Quelle que soit en effet la façon dont la violence se présente, la raison de rapt se trouve vérifiée. - On rencontre aussi le rapt sans défloration ; si par exemple le ravisseur s’empare d’une veuve ou d’une fille qui n’est plus vierge. C’est pourquoi le pape Symmaque dit : " Nous maudissons les ravisseurs des veuves ou des vierges, pour la monstruosité d’un tel crime. " - On rencontre enfin le stupre sans le rapt, quand quelqu’un déflore illicitement une vierge sans avoir fait intervenir la violence.

Solutions :

1. Comme la plupart du temps le rapt se rencontre avec le stupre, il arrive parfois que l’on prenne l’un pour l’autre.

2. Si l’on fait violence, cela semble provenir de l’intensité de la convoitise, qui conduit à ne pas fuir le péril.

3. Il faut parler différemment du rapt des jeunes filles qui sont fiancées, et du rapt de celles qui ne le sont pas. En effet, celles qui sont fiancées doivent être rendues à leur promis, qui ont un droit sur elles en raison des fiançailles mêmes. Mais celles qui ne sont pas fiancées doivent être rendues d’abord au pouvoir paternel, et alors, selon la volonté des parents, on peut licitement les recevoir pour épouses. Mais si l’on agit autrement, le mariage est contracté illicitement ; quiconque en effet ravit un bien est tenu à restitution. Le rapt ne rompt pas cependant le mariage déjà contracté, même s’il empêche celui qui doit être contracté.

Ce qui est dit dans le Concile dont on parle l’a été en abomination de ce crime, et a été abrogé. C’est pourquoi S. Jérôme déclare le contraire : " On peut trouver dans l’Écriture trois genres de mariages légitimes. Le premier, lorsqu’une vierge chaste ayant gardé sa virginité est donnée légitimement à un homme. Le deuxième, lorsqu’une vierge a été enlevée dans la ville par un homme et a été contrainte par lui à l’union charnelle ; si telle est la volonté du père, cet homme la dotera autant que le père le voudra, et il paiera le prix de sa pudicité. Le troisième enfin, lorsque la femme lui est refusée et accordée à un autre par la volonté du père. " - Ou bien on peut l’entendre de celles qui sont fiancées et surtout en raison des verbes au présent.

4. Le fiancé, en raison des fiançailles mêmes, a des droits sur sa fiancée. C’est pourquoi, bien qu’il pèche en faisant violence, il est cependant excusé du crime de rapt. Aussi le pape Gélase précise-t-il : " Cette loi des anciens chefs disait qu’un rapt était commis, lorsqu’une jeune fille était enlevée sans que rien eût été fait au sujet de ses noces. "

 

            Article 8 — L’adultère

Objections :

1. Il semble que l’adultère ne soit pas une espèce déterminée de la luxure, distincte des autres. On parle en effet d’" adultère " (adulterium) quand quelqu’un s’approche " d’une autre " (ad alteram) comme de la sienne, dit une glose sur l’Exode. Mais une autre femme que la sienne peut être de différentes conditions : ce peut être une vierge se trouvant sous le pouvoir paternel, ou une prostituée, ou une femme de tout autre condition. Il ne semble donc pas que l’adultère soit une espèce de la luxure distincte des autres.

2. S. Jérôme dit que " peu importe pour quelle raison on délire ". Selon Sixte le pythagoricien, " est adultère l’amant trop ardent de sa femme ". Et semblablement de toute autre femme. Or, en toute luxure, il y a un amour plus ardent qu’il n’est dû. L’adultère se trouve donc en toute luxure, et l’on ne doit pas en faire une espèce particulière de la luxure.

3. Là où l’on aperçoit la même raison de difformité, il ne semble pas qu’il y ait une autre espèce de péché. Or dans le stupre comme dans l’adultère il semble qu’il y ait une même raison de difformité : ici et là, on viole une femme soumise au pouvoir d’un autre.

En sens contraire, le pape S. Léon dit que " l’adultère est commis lorsque, poussé par sa propre convoitise charnelle ou avec le consentement de l’autre, on couche avec un autre ou une autre contrairement au pacte conjugal ". Or cela comporte une difformité spéciale de luxure. L’adultère est donc une espèce déterminée de la luxure.

Réponse :

L’adultère, comme le mot l’indique, est " l’action de s’approcher d’un lit étranger " (ad alienum forum). En cela on commet une double faute contre la chasteté et contre le bien de la génération humaine. Une première faute parce qu’on s’approche d’une femme qui ne nous est pas liée par le mariage, ce qui est requis pour le bien de l’éducation de ses propres enfants. Une autre faute parce qu’on s’approche d’une femme qui est liée par le mariage à un autre, et qu’on empêche ainsi le bien des enfants de cet autre. Il en est de même de la femme mariée qui se souille par l’adultère. C’est pourquoi on lit dans l’Ecclésiastique (23, 23) : " Toute femme pèche en étant infidèle à son mari. Tout d’abord elle a désobéi à la loi du Très-Haut (où se trouve le précepte : "Tu ne commettras pas l’adultère") - ; ensuite elle est coupable envers son mari (parce qu’elle lui enlève toute certitude au sujet de ses enfants) ; en troisième lieu elle s’est souillée par l’adultère et a conçu des enfants d’un étranger " - ce qui va contre le bien de sa propre progéniture. Le premier point est commun à tous les péchés mortels ; les deux autres appartiennent spécialement à la difformité de l’adultère. Il est donc manifeste que l’adultère est une espèce déterminée de la luxure, comme ayant une difformité spéciale en ce qui concerne les actes sexuels.

Solutions :

1. Le péché de celui qui a une épouse et qui s’approche d’une autre femme peut être nommé par rapport à lui, et alors c’est toujours un adultère, car il agit contre la fidélité du mariage ; soit par rapport à la femme de laquelle il s’approche. Alors c’est parfois un adultère quand par exemple l’homme marié s’approche de l’épouse d’un autre ; et parfois son péché est un stupre, ou une autre faute, selon les différentes conditions des femmes dont il s’approche. Or on a dit plus haut que les espèces de luxure se prennent selon les différentes conditions de la femme.

2. Le mariage est spécialement ordonné, nous l’avons dit, au bien de la progéniture humaine. Or l’adultère est spécialement contraire au mariage en tant qu’on viole la loi du mariage que l’on doit à son conjoint. Et parce que celui qui est l’amant trop ardent de son épouse agit contre le bien du mariage, en pratiquant celui-ci d’une manière déshonnête, quoique sans violer la fidélité, il peut d’une certaine façon être appelé adultère, et davantage même que celui qui est l’amant passionné de la femme d’un autre.

3. L’épouse est au pouvoir du mari comme unie à lui par le mariage. La jeune fille est au pouvoir du père comme devant être unie par lui dans le mariage. C’est pourquoi le péché d’adultère va contre les liens du mariage d’une façon différente que le péché de stupre. Et pour cette raison ils sont considérés comme des espèces différentes de la luxure.

Quant aux autres questions concernant l’adultère, on en parlera dans la troisième Partie, quand il sera traité du mariage.

 

            Article 9 — L’inceste

Objections :

1. Il semble que ce ne soit pas une espèce déterminée de la luxure. En effet, " inceste " signifie " non chaste ". Or, c’est la luxure tout entière qui s’oppose à la chasteté. Il semble donc que l’inceste ne soit pas une espèce de la luxure, mais la luxure elle-même.

2. Dans les Décrets il est dit que " l’inceste consiste à abuser des femmes auxquelles on est lié par la consanguinité ou l’affinité ". Mais l’affinité diffère de la consanguinité. L’inceste n’est don pas une seule espèce de la luxure, mais plusieurs.

3. Ce qui, de soi, n’implique pas quelque difformité ne constitue pas une espèce déterminée de vice. Or s’approcher des consanguins ou des alliés n’est pas de soi quelque chose de difforme : autrement cela n’eût été permis à aucune époque. L’inceste n’est donc pas une espèce déterminée de la luxure.

En sens contraire, les espèces de la luxure se distinguent selon la condition des femmes dont on abuse. Or dans l’inceste est impliquée une condition spéciale de la femme, puisque c’est, on vient de le dire, " l’abus des femmes auxquelles on est lié par la consanguinité ou l’affinité ". L’inceste est donc une espèce déterminée de luxure.

Réponse :

Nous l’avons dit, il est nécessaire de trouver une espèce déterminée de la luxure là où l’on trouve quelque chose qui s’oppose à l’usage licite des réalités sexuelles. Or, dans les relations avec des femmes auxquelles on est lié par la consanguinité ou l’affinité, on trouve quelque chose qui ne convient pas à l’union charnelle, et cela pour une triple raison.

La première, c’est que l’homme doit naturellement un certain respect à ses parents, et par conséquent aux consanguins, car ils tirent, de façon proche, leur origine des mêmes parents. C’est à tel point que dans l’Antiquité, comme le rapporte Valère Maxime, il n’était pas permis à un fils de se baigner en même temps que son père, de peur que tous deux ne se voient nus. Or il est évident, d’après ce que nous avons dit que c’est surtout les actes sexuels qui comportent une certaine honte contraire au respect ; aussi est-ce de ces actes que les hommes rougissent. C’est pourquoi il est inconvenant que l’union charnelle se fasse entre de telles personnes. C’est cette raison qui semble exprimée dans le Lévitique, où il est dit (18, 7) : " C’est ta mère ; tu ne découvriras pas sa nudité. " Et ensuite on dit la même chose pour les autres parents.

La deuxième raison, c’est qu’il est nécessaire aux personnes liées par le sang de vivre ensemble ou de se fréquenter. C’est pourquoi, si les hommes n’étaient pas détournés de l’union charnelle, une trop grande occasion leur serait donnée de s’unir, et ainsi leurs âmes s’amolliraient trop par la luxure. C’est la raison pour laquelle, dans la loi ancienne, ces personnes obligées de vivre ensemble, semblent avoir été spécialement objet de cette prohibition.

La troisième raison, c’est qu’alors on empêcherait la multiplication des amis. En effet, lorsque l’homme prend une épouse hors de sa parenté, tous les consanguins de sa femme se lient à lui par une amitié spéciale, comme s’ils étaient ses propres consanguins. C’est ainsi que S. Augustin peut dire : " Une très juste raison de charité invite les hommes, pour qui la concorde est utile et honorable, à multiplier leurs liens de parenté ; un seul homme ne devait pas en concentrer trop en lui-même, il fallait les répartir entre sujets différents. "

Aristote ajoute encore une quatrième raison comme l’homme aime naturellement celle qui est du même sang, si cet amour s’ajoutait à l’amour qui vient de l’union charnelle, l’ardeur de l’amour deviendrait trop grande, et le stimulant du désir charnel deviendrait extrême, ce qui est contraire à la chasteté.

Il est donc évident que l’inceste est une espèce déterminée de la luxure.

Solutions :

1. Ce désordre avec des personnes qui nous sont liées entraînerait au maximum la destruction de la chasteté, tant à cause de la fréquence des occasions qu’à cause aussi de la trop grande ardeur d’amour, comme on vient de le voir. C’est pourquoi ce désordre avec de telles personnes est appelé " inceste " par excellence.

2. Une personne est liée avec quelqu’un par affinité à cause de la personne qui lui est liée par le sang. C’est pourquoi, puisque l’affinité existe à cause de la consanguinité, on trouve en l’une et l’autre une inconvenance fondée sur la même raison.

3. Dans l’union charnelle des personnes qui sont liées par la parenté il y a quelque chose d’indécent en soi et qui répugne à la raison naturelle, comme par exemple que l’union charnelle se fasse entre parents et enfants, dont la parenté est essentielle et immédiate. En effet c’est par nature que les enfants doivent honorer leurs parents. C’est ainsi qu’Aristote raconte qu’un cheval, qu’on avait fait par ruse s’accoupler avec sa mère, se jeta de lui-même dans un précipice, comme frappé d’horreur, car même chez certains animaux il existe un respect naturel à l’égard des parents.

Quant aux autres personnes qui ne sont pas liées directement mais par degrés à leurs parents, l’indécence de leur union ne tient pas à elles-mêmes ; en ce domaine la décence ou l’indécence varie selon la coutume, la loi humaine ou divine. Car, nous l’avons dit la pratique sexuelle, parce qu’elle est ordonnée au bien commun, est soumise à la loi. C’est pourquoi S. Augustin, a pu dire que " plus l’union charnelle entre frères et sœurs fut recommandable autrefois sous la pression de la nécessité, plus elle devint par la suite condamnable par une prohibition religieuse ".

 

            Article 10 — Le sacrilège

Objections :

1. Il semble que le sacrilège ne, puisse être une espèce de la luxure. En effet, une même espèce ne se trouve pas dans différents genres qui ne sont pas subalternes. Or le sacrilège est une espèce de l’irréligion, comme on l’a établi antérieurement. Le sacrilège ne peut donc pas être une espèce de la luxure.

2. Dans les Décrets le sacrilège n’est pas placé parmi les espèces de la luxure.

3. Si, par luxure, un attentat est commis contre une chose sainte, cela arrive aussi par des vices d’autres genres. Or le sacrilège n’est pas placé parmi les espèces de la gourmandise, ni parmi les espèces d’un autre vice semblable. On ne doit donc pas davantage le placer parmi les vices de la luxure.

En sens contraire, S. Augustin dit : " De même qu’il est injuste de franchir les limites d’un champ par avidité de posséder, de même il est injuste de renverser les barrières des mœurs par convoitise des rapports sexuels. " Or, franchir les limites d’un champ dans un domaine sacré est un péché de sacrilège. Pour la même raison, renverser les barrières des mœurs par convoitise des rapports sexuels dans un domaine sacré constitue le vice de sacrilège. Or la convoitise des rapports sexuels ressortit à la luxure. Le sacrilège est donc une espèce de la luxure.

Réponse :

Comme nous l’avons dit précédemment, l’acte d’une vertu ou d’un vice, lorsqu’il est ordonné à la fin d’une autre vertu ou d’un autre vice, prend l’espèce de ceux-ci ; c’est ainsi qu’un vol commis en vue d’un adultère passe dans l’espèce de l’adultère. Or il est clair qu’observer la chasteté en vue du culte à rendre à Dieu est un acte de religion - on le voit chez ceux qui vouent et gardent la virginité, comme le montre S. Augustin. Il est donc manifeste que la luxure, lorsqu’elle viole quelque chose qui appartient au culte divin, ressortit à l’espèce du sacrilège. C’est de cette façon que le sacrilège peut être placé parmi les espèces de la luxure.

Solutions :

1. La luxure, selon qu’elle est ordonnée à la fin d’un autre vice, devient une espèce de ce vice. C’est ainsi qu’une espèce de la luxure peut être aussi une espèce de l’irréligion, entrant pour ainsi dire dans un genre supérieur.

2. Les Décrets énumèrent les fautes qui sont en elles-mêmes des espèces de la luxure, mais le sacrilège est une espèce de la luxure selon qu’il est ordonné à la fin d’un autre vice. Il peut d’ailleurs se rencontrer avec différentes espèces de la luxure. Si en effet on abuse d’une personne qui nous est liée selon la parenté spirituelle, on commet un sacrilège par mode d’inceste. Mais si l’on abuse d’une vierge qui est consacrée à Dieu, en tant qu’elle est une épouse du Christ, c’est un sacrilège par mode d’adultère ; si c’est en tant qu’elle est commise à la garde d’un père spirituel, ce sera une sorte de stupre de nature spirituelle ; et si l’on emploie la violence, ce sera un rapt de nature spirituelle, qui, même selon les lois civiles, est puni plus gravement qu’un autre rapt. C’est pourquoi l’empereur Justinien dit : " Si quelqu’un a l’audace, je ne dis pas d’enlever, mais de violenter seulement les vierges très saintes pour les épouser, qu’il soit frappé de la peine capitale. "

3. Le sacrilège est commis contre une chose sainte. Mais une chose sainte peut être soit une personne consacrée que l’on convoite pour coucher avec elle, et cela appartient alors à la luxure ; soit quelque chose que l’on convoite pour se l’approprier, et cela appartient à l’injustice. Le sacrilège peut encore appartenir à la colère, quand par exemple quelqu’un, par colère, commet un préjudice envers une personne consacrée. Ou bien on commet un sacrilège en absorbant par gourmandise une nourriture consacrée. Cependant on attribue plus spécialement le sacrilège à la luxure, qui s’oppose à la chasteté, que certaines personnes sont spécialement consacrées à observer.

 

            Article 11 — Le péché contre nature

Objections :

1. Il semble que le vice contre nature ne soit pas une espèce de la luxure. En effet, dans l’énumération des espèces de la luxure que donne l’article précédent, on ne fait pas mention du vice contre nature.

2. La luxure s’oppose à la vertu, et c’est de cette manière qu’elle est comprise dans la malice. Or le vice contre nature n’est pas compris dans la malice mais dans la bestialité, comme le montre Aristote. Le vice contre nature n’est donc pas une espèce de la luxure.

3. La luxure porte sur les actes ordonnés à la génération humaine, on l’a dit plus haut. Mais le vice contre nature porte sur des actes qui ne peuvent être suivis de la génération. Le vice contre nature n’est donc pas une espèce de la luxure.

En sens contraire, S. Paul énumère ce vice parmi les autres espèces de luxure, quand il dit (2 Co 12, 21) : " ... Ils n’ont pas fait pénitence pour leurs actes d’impureté, de fornication et d’impudicité. " Et la Glose précise : " Impureté, c’est-à-dire luxure contre nature. "

Réponse :

Comme on l’a vu plus haut, il y a une espèce déterminée de luxure là où se rencontre une raison spéciale de difformité rendant l’acte sexuel indécent. Mais cela peut exister de deux façons : d’une première façon, parce que cela s’oppose à la droite raison, ce qui est commun à tout vice de luxure ; d’une autre façon, parce que, en outre, cela contredit en lui-même l’ordre naturel de l’acte sexuel qui convient à l’espèce humaine ; c’est là ce qu’on appelle " vice contre nature ". Il peut se produire de plusieurs manières.

D’une première manière, lorsqu’en l’absence de toute union charnelle, pour se procurer le plaisir vénérien, on provoque la pollution : ce qui appartient au péché d’impureté que certains appellent masturbation. - D’une autre manière, lorsque l’on accomplit l’union chamelle avec un être qui n’est pas de l’espèce humaine : ce qui s’appelle bestialité. - D’une troisième manière, lorsqu’on a des rapports sexuels avec une personne qui n’est pas du sexe complémentaire, par exemple homme avec homme ou femme avec femme : ce qui se nomme vice de Sodome. - D’une quatrième manière, lorsqu’on n’observe pas le mode naturel de l’accouplement, soit en n’utilisant pas l’organe voulu soit en employant des pratiques monstrueuses et bestiales pour s’accoupler.

Solutions :

1. En cet endroit on énumère les espèces de luxure qui ne s’opposent pas à la nature humaine. C’est pourquoi on omet le vice contre nature.

2. La bestialité diffère de la malice, qui s’oppose à la vertu humaine, en ce qu’elle comporte un certain excès concernant la même matière. C’est pourquoi elle peut être ramenée au même genre.

3. Le luxurieux ne recherche pas la génération humaine, mais la jouissance sexuelle, que l’on peut éprouver sans les actes qui ont pour suite la génération humaine. C’est ce qui est recherché dans le vice contre nature.

 

            Article 12 — L’ordre de gravité entre les espèces de la luxure

Objections :

1. Il semble que le vice contre nature ne soit pas le péché le plus grave parmi les espèces de la luxure. En effet, un péché est d’autant plus grave qu’il est plus contraire à la charité. Or l’adultère, le stupre et le rapt, qui portent préjudice au prochain, paraissent plus contraires à la charité envers le prochain que les péchés contre nature, par lesquels on ne porte aucun préjudice à autrui. Le péché contre nature n’est donc pas le péché le plus grand parmi les espèces de la luxure.

2. Les péchés les plus graves paraissent ceux qui se commettent contre Dieu. Or le sacrilège est directement commis contre Dieu, puisqu’il s’attaque au culte divin. Le sacrilège est donc un péché plus grave que le vice contre nature.

3. Un péché semble d’autant plus grave qu’il s’exerce sur une personne que nous devons aimer davantage. Or, selon l’ordre de la charité, nous devons aimer les personnes qui nous sont proches, lesquelles sont souillées par l’inceste, plus que les personnes étrangères, lesquelles sont souillées par le vice contre nature. L’inceste est donc un péché plus grave que le vice contre nature.

4. Si le vice contre nature est le plus grave, il semble alors qu’il soit d’autant plus grave qu’il est davantage contre nature. Or l’impureté ou masturbation semble être davantage contre nature, puisque ce qui paraît plus conforme à la nature est que l’agent et le patient soient différents. D’après cela l’impureté serait donc le plus grave des péchés contre nature. Or cela est faux. Donc les vices contre nature ne sont pas les plus graves parmi les péchés de luxure.

En sens contraire, S. Augustin dit que " de tous les vices qui relèvent de la luxure, le pire est celui qui se fait contre nature ".

Réponse :

En tout genre ce qu’il y a de pire est la corruption du principe dont tout le reste dépend. Mais les principes de la raison sont ce qui est conforme à la nature, car la raison, compte tenu de ce qui est déterminé par la nature, dispose le reste selon ce qui convient. Il en est ainsi dans le domaine spéculatif aussi bien que dans celui de l’action. C’est pourquoi, de même que dans le domaine spéculatif l’erreur concernant ce dont l’homme a naturellement la connaissance constitue l’erreur la plus grave et la plus difforme, de même dans l’action agir contre ce qui est déterminé selon la nature constitue ce qu’il y a de plus grave et de plus difforme. Donc puisque, dans les vices contre nature, l’homme transgresse ce qui est déterminé selon la nature quant aux activités sexuelles, il s’ensuit qu’en une telle matière ce péché est le plus grave. - Après lui vient l’inceste qui, nous l’avons dit . est contraire au respect naturel que nous devons à nos proches.

Par les autres espèces de la luxure on omet seulement ce qui est déterminé selon la droite raison, les principes naturels restant saufs. Or ce qui répugne le plus à la raison est d’utiliser le sexe non seulement à l’encontre de ce qui convient à la progéniture qu’il faut engendrer, mais aussi en portant préjudice à autrui. C’est pourquoi la fornication simple, qui se commet sans porter préjudice à une autre personne, est la moindre parmi les espèces de la luxure. Si l’on abuse d’une femme soumise au pouvoir d’un autre en vue de la génération, c’est une injustice plus grave que si elle est seulement confiée à la garde de son protecteur. C’est pourquoi l’adultère est plus grave que le stupre. - L’un et l’autre sont aggravés par la violence. A cause de cela le rapt d’une vierge est plus grave que le stupre, et le rapt d’une épouse plus grave que l’adultère. - Et toute ces fautes sont encore aggravées s’il y a sacrilège, nous l’avons dit.

Solutions :

1. De même que l’ordre de la raison droite vient de l’homme, de même l’ordre de la nature vient de Dieu lui-même. C’est pourquoi dans les péchés contre nature, où l’ordre même de la nature est violé, il est fait injure à Dieu lui-même, l’ordonnateur de la nature. Aussi S. Augustin dit-il : " Les turpitudes contre nature doivent être partout et toujours détestées et punies, comme celles des habitants de Sodome.

Quand même tous les peuples imiteraient Sodome, ils tomberaient tous sous le coup de la même culpabilité, en vertu de la loi divine qui n’a pas fait les hommes pour user ainsi d’eux-mêmes.

C’est violer jusqu’à cette société qui doit exister entre Dieu et nous de souiller par les dépravations de la sensualité la nature dont il est l’auteur. "

2. Les vices contre nature sont aussi contre Dieu, on vient de le dire. Et ils l’emportent d’autant plus sur la corruption du sacrilège, que l’ordre de la nature humaine est plus primitif et plus stable que tout autre ordre surajouté.

3. A tout individu la nature de l’espèce est plus étroitement unie que n’importe quel individu. C’est pourquoi les péchés qui se commettent contre la nature de l’espèce sont les plus graves.

4. Le péché par lequel on use mal de quelque chose est plus grave que celui qui omet le bon usage de cette chose. C’est pourquoi, parmi les vices contre nature, le péché d’impureté, qui consiste dans la seule omission de l’union charnelle avec autrui occupe le dernier rang. - Mais le plus grave est la bestialité, où l’on n’observe pas la relation requise avec l’espèce. C’est pourquoi, sur ce passage de la Genèse (37, 2 Vg) : " Il accusa ses frères du crime le plus bas ", la Glose ajoute : " Parce qu’ils avaient eu des relations avec les bêtes de leur troupeau. " - Après ce crime se place le vice de l’homosexualité, où l’on ne tient pas compte du sexe requis. - Ensuite, c’est le péché de celui qui n’observe pas le mode qui convient pour l’union sexuelle. Et si l’on n’utilise pas l’organe sexuel qui convient, le vice est plus grave que si le désordre concerne seulement le mode de l’union.

 

LES PARTIES POTENTIELLES DE LA TEMPÉRANCE

Nous devons étudier maintenant les parties potentielles de la tempérance. Et d’abord la continence ; puis la clémence (Q. 157-159) ; enfin, la modestie (Q. 160). A propos de la première de ces parties, nous étudierons la continence (Q. 155) et l’incontinence (Q. 156).

 

 

QUESTION 155 — LA CONTINENCE

1. La continence est-elle une vertu ? - 2. Quelle est sa matière ? - 3. Quel est son siège ? - 4. Comparaison de la continence avec la tempérance.

 

            Article 1 — La continence est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet une espèce ne se distingue pas de son genre par opposition. Or la continence se distingue de la vertu par opposition, selon Aristote. La continence n’est donc pas une vertu.

2. Personne ne pèche en pratiquant la vertu, car, selon S. Augustin " la vertu est ce dont personne n’use mal ". Or on peut pécher en se contenant : par exemple si l’on désire faire quelque chose de bon et qu’on se retienne de le faire. La continence n’est donc pas une vertu.

3. Aucune vertu ne fait s’abstenir l’homme de ce qui est licite, mais seulement de ce qui est illicite. Or la continence fait s’abstenir l’homme des biens qui sont licites. En effet, la Glose, à propos de S. Paul (Ga 5, 23) dit que, par la continence, " on s’abstient aussi de choses licites ". La continence n’est donc pas une vertu.

En sens contraire, tout habitus louable semble être une vertu. Or c’est le cas de la continence. Car pour Andronicus " elle est un habitus qui n’est pas vaincu par la délectation ". La continence est donc une vertu.

Réponse :

Le mot " continence " s’emploie en un double sens. En effet, certains parlent de continence quand on s’abstient de tout plaisir sexuel. C’est pourquoi S. Paul (Ga 5, 23) joint la continence à la chasteté. Ainsi la continence parfaite est primordialement la virginité, et secondairement la viduité. A ce point de vue, par conséquent, la continence a la même raison que la virginité, dont nous avons dit qu’elle est une vertu.

Mais d’autres disent que la continence est ce qui permet à quelqu’un de résister aux convoitises mauvaises qui l’agitent violemment. C’est de cette manière qu’Aristote entend la continence. C’est aussi de cette manière qu’elle est comprise dans les Conférences des Pères En ce sens, la continence a quelque chose de la vertu, en tant que la raison est affermie contre les passions, afin de ne pas être entraînée par elles ; cependant elle n’atteint pas à la perfection de la vertu, qui fait que même l’appétit sensible est soumis à la raison, si bien qu’il ne connaît plus l’insurrection de passions violentes contraires à la raison. C’est pourquoi Aristote dit que " la continence n’est pas une vertu, mais qu’elle est un certain mélange ", en tant qu’elle a quelque chose de la vertu, et qu’elle manque en quelque chose à la vertu. - Cependant si, dans un sens plus large, nous entendons le mot vertu de tout principe d’œuvres louables, nous pouvons dire que la continence est une vertu.

Solutions :

1. Aristote distingue la continence par opposition à la vertu, quand il considère ce qui lui manque par rapport à celle-ci.

2. C’est le propre de l’homme d’être selon la raison. C’est pourquoi l’on dit que quelqu’un se " tient " en lui-même, quand il se tient conformément à la raison. Or ce qui appartient à la perversion de la raison n’est plus conforme à la raison. Aussi appelle-t-on vraiment continent celui qui se tient selon la raison droite, et non selon la raison pervertie. Or les mauvais désirs s’opposent à la raison droite, de même que les bons désirs s’opposent à la raison pervertie. C’est pourquoi on appelle proprement et vraiment continent celui qui persiste dans la raison droite en s’abstenant des désirs mauvais, et non celui qui persiste dans la raison pervertie en s’abstenant des bons désirs ; on dit plutôt de ce dernier qu’il est obstiné dans le mal.

3. La Glose parle ici de la continence en l’entendant dans le premier sens, selon qu’elle désigne une vertu parfaite, qui s’abstient non seulement des biens illicites, mais aussi de certains biens licites qui sont moins bons, afin de tendre totalement aux biens plus parfaits.

 

            Article 2 — Quelle est la matière de la continence ?

Objections :

1. Il ne semble pas que sa matière soit les convoitises des plaisirs du toucher. S. Ambroise dit en effet : " La beauté générale, comme forme constante et intégrale de l’honneur, est ce que vise le continent dans tous ses actes. " Or les actes humains ne se rattachent pas tous aux délectations du toucher. La continence n’a donc pas seulement pour matière les convoitises des plaisirs du toucher.

2. Le mot " continence ", nous venons de le voir, vient de ce que l’on se " tient " dans le bien de la raison droite. Mais il y a d’autres passions qui détournent plus violemment de la raison droite que les convoitises des délectations du toucher : la crainte des périls de mort par exemple, qui paralyse ; la colère aussi, qui ressemble à la démence, dit Sénèque. Donc la continence ne concerne pas seulement les convoitises des délectations du toucher.

3. Cicéron dit que " la continence est ce qui fait que la cupidité est dirigée par le conseil ". Mais on a coutume de parler davantage de cupidité à propos des richesses qu’à propos des plaisirs du toucher, selon S. Paul (1 Tm 6, 10) : " La cupidité est la racine de tous les vices. " La continence n’a donc pas comme matière propre les convoitises des plaisirs du toucher.

4. Les plaisirs du toucher ne se trouvent pas seulement dans les activités sexuelles, mais aussi dans la nourriture. Or on a l’habitude de ne parler de continence qu’à propos de la vie sexuelle. Sa matière propre n’est donc pas la convoitise des délectations du toucher.

5. Parmi les délectations du toucher, il en est qui ne sont pas humaines, mais bestiales : aussi bien en ce qui concerne les aliments, lorsqu’on se réjouit de manger de la chair humaine par exemple, qu’en ce qui concerne les actes sexuels, lorsqu’on abuse, par exemple, des animaux ou des enfants. Or, d’après Aristote, ces abus ne relèvent pas de la continence. Les désirs des plaisirs du toucher ne sont donc pas la matière propre de la continence.

En sens contraire, Aristote dit que " la continence et l’incontinence ont la même matière que la tempérance et l’intempérance ". Or la tempérance et l’intempérance ont pour matière les convoitises des plaisirs du toucher. Il en est donc de même pour la continence et l’incontinence.

Réponse :

Le mot " continence " implique une certaine retenue, en ce sens que l’on se " contient " de suivre la passion. C’est pourquoi l’on parle proprement de continence à propos de ces passions qui incitent à rechercher quelque chose, et en lesquelles il est louable que la raison retienne l’homme en cette poursuite ; mais elle ne concerne pas proprement les passions qui impliquent un certain retrait, comme la crainte et les autres passions semblables, en lesquelles il est louable en effet de conserver de la fermeté dans la poursuite de ce que la raison prescrit, ainsi que nous l’avons dit antérieurement. Or il faut bien voir que les inclinations naturelles sont les principes de tout ce qui advient par la suite. C’est pourquoi les passions poussent à poursuivre quelque chose avec d’autant plus de véhémence qu’elles suivent davantage une inclination de la nature. Mais la nature incline principalement à ce qui lui est nécessaire, ou bien pour la conservation de l’individu, comme c’est le cas de la nourriture ou bien pour la conservation de l’espèce, comme c’est le cas des actes sexuels. Or les délectations qu’ils procurent appartiennent au toucher. C’est pourquoi la continence et l’incontinence sont dites proprement concerner les convoitises des plaisirs du toucher.

Solutions :

1. De même que le mot tempérance peut être pris en un sens général et s’appliquer alors à toute matière, et s’appliquer cependant au sens strict à cette matière où il est surtout bon que l’homme soit refréné, de même la continence s’applique strictement à la matière où il est très bon et très difficile de se contenir : les convoitises du toucher. Mais en un sens général et d’un certain point de vue, elle peut s’appliquer à n’importe quelle autre matière. C’est en ce sens que S. Ambroise emploie le mot de continence.

2. En ce qui concerne la crainte, ce n’est pas proprement la continence qui est louée, mais plutôt la fermeté d’âme que la force implique.

Quant à la colère, elle donne, il est vrai, un élan pour poursuivre quelque chose ; cependant cet élan fait suite à une appréhension de l’esprit, selon laquelle on s’estime lésé par un autre, beaucoup plus qu’à une inclination naturelle. C’est pourquoi l’on dit que quelqu’un, d’un certain point de vue, est continent quant à la colère, mais on ne dit pas cela de manière pure et simple.

3. Les biens extérieurs comme les honneurs, la richesse, et autres choses semblables, semblent bien selon Aristote " être par eux-mêmes dignes d’être choisis, mais non comme s’ils étaient nécessaires " à la conservation de la nature. C’est pourquoi, en ce qui les concerne, " nous ne parlons pas simplement de continents ou d’incontinents ", mais à un certain point de vue, " en précisant qu’ils sont continents ou incontinents vis-à-vis des avantages pécuniaires ou des honneurs ", etc. Il faut en conclure que Cicéron, ou bien utilise le mot " continence " en un sens général, en tant que ce mot inclut aussi la continence envisagée d’un certain point de vue, ou bien que par " cupidité " il entend strictement la convoitise des choses délectables au toucher.

4. Les plaisirs procurés par le sexe sont plus véhéments que les plaisirs procurés par la nourriture. Aussi est-ce à propos du domaine sexuel que nous avons l’habitude de parler de continence et d’incontinence plus qu’à propos des plaisirs de la nourriture ; bien que, d’après Aristote, on puisse en parler à propos des uns et des autres.

5. La continence est un bien de la raison humaine : aussi se rapporte-t-elle aux passions qui peuvent être connaturelles à l’homme. C’est pourquoi Aristote dit que, " si quelqu’un tenant un enfant désire le dévorer, ou trouver un plaisir charnel inconvenant, qu’il suive ou non son désir, il n’est pas possible de parler à son propos de continence purement et simplement, mais sous un certain rapport ".

 

            Article 3 — Quel est le siège de la continence ?

Objections :

1. Il semble que ce soit la puissance concupiscible. Il faut en effet que le siège d’une vertu soit proportionné à sa matière. Or la matière de la continence, on l’a vu, est la convoitise de ce qui est délectable au toucher, convoitise qui appartient à la faculté du concupiscible.

2. " Les choses opposées appartiennent au même domaine. " Or l’incontinence est dans le concupiscible, dont les passions l’emportent sur la raison. Andronicus dit en effet que l’incontinence est " la malice du concupiscible, qui choisit les plaisirs mauvais, malgré la défense de l’appétit raisonnable ". La continence, pour la même raison, est donc dans le concupiscible.

3. Le sujet de la vertu humaine est ou bien la raison, ou bien la faculté de l’appétit, qui se divise en volonté, en concupiscible et en irascible. Or la continence n’est pas dans la raison, car elle serait alors une vertu intellectuelle. Elle ne se trouve pas non plus dans la volonté, car la continence a pour matière les passions, qui ne sont pas dans la volonté. Elle n’est pas non plus dans l’irascible, car elle n’a pas comme matière propre les passions de l’irascible, on l’a vu. Il reste donc qu’elle se trouve dans le concupiscible.

En sens contraire, toute vertu se trouvant dans une puissance supprime l’acte mauvais de cette puissance. Or la continence ne supprime pas l’acte mauvais du concupiscible, puisque, dit Aristote, " le continent a des désirs mauvais ". La continence n’est donc pas dans le concupiscible.

Réponse :

Toute vertu existant dans une faculté fait que celle-ci n’a pas la même disposition que lorsqu’elle est soumise au vice opposé. Or le concupiscible se comporte de la même façon en celui qui est continent et en celui qui est incontinent, car en l’un et en l’autre il a de violents accès de convoitise mauvaise. Il est donc clair que la continence ne siège pas dans le concupiscible. Pareillement, la raison se comporte de la même façon dans les deux cas, car le continent et l’incontinent ont une raison droite, et tous deux, en l’absence de passion, ont l’intention de ne pas suivre les convoitises illicites. - Mais une première différence entre eux se trouve dans le choix, car le continent, quoique soumis à de violentes convoitises, choisit cependant de ne pas les suivre, conformément à la raison, tandis que l’incontinent choisit de les suivre, malgré l’opposition de la raison. Et c’est pourquoi il faut que la continence ait son siège dans cette puissance de l’âme qui a pour acte le choix, et qui est, nous l’avons vu, la volonté.

Solutions :

1. La continence a pour matière les convoitises des plaisirs du toucher, non en ce sens qu’elle les modère, ce qui appartient à la tempérance, laquelle réside dans le concupiscible, mais en ce sens qu’elle leur résiste. Il faut donc qu’elle soit dans une autre puissance, car la résistance suppose deux antagonistes.

2. La volonté est intermédiaire entre la raison et le concupiscible, et peut être actionnée par l’une et l’autre. En celui qui est continent la volonté obéit à la raison ; en celui qui est incontinent elle obéit au concupiscible. C’est pourquoi la continence peut être attribuée à la raison comme à ce qui la meut en premier, et l’incontinence au concupiscible, bien que l’un et l’autre relèvent immédiatement de la volonté comme de leur siège propre.

3. Quoique les passions n’aient pas leur siège dans la volonté, celle-ci a le pouvoir de leur résister. C’est ainsi que la volonté du continent résiste aux convoitises.

 

Article 4 - Comparaison de la continence avec la tempérance

Objections :

1. Il semble que la continence est meilleure que la tempérance. On lit en effet dans l’Ecclésiastique (26, 15 Vg) : " L’âme continente n’a pas de prix. " Aucune vertu ne peut donc équivaloir à la continence.

2. Une vertu est d’autant meilleure qu’elle mérite une plus grande récompense. Mais la continence semble mériter la récompense la plus grande, car S. Paul a écrit (2 Tm 2, 5) : " L’athlète ne recevra la couronne que s’il a loyalement combattu. " Or le continent qui subit l’assaut violent des passions et des convoitises mauvaises combat davantage que le tempérant, qui ne connaît pas de ces violences. La continence est donc une vertu meilleure que la tempérance.

3. La volonté est une puissance plus noble que l’appétit concupiscible. Or la continence se trouve dans la volonté, tandis que la tempérance se trouve dans l’appétit concupiscible, on vient de le voir. La continence est donc une vertu meilleure que la tempérance.

En sens contraire, Cicéron et Andronicus rattachent la continence à la tempérance comme à la vertu principale.

Réponse :

On l’a vu plus haut, la continence se prend en un double sens. En un premier sens, selon qu’elle implique la cessation de tous les plaisirs sexuels. Si on l’entend ainsi, la continence est meilleure que la simple tempérance, comme il ressort de ce que nous avons dit plus haut de l’excellence de la virginité par rapport à la simple chasteté.

En un autre sens la continence peut être entendue selon qu’elle comporte une résistance de la raison aux convoitises mauvaises qui nous agitent violemment. De ce point de vue la tempérance est bien meilleure que la continence, car le bien de la vertu mérite la louange en ce qu’il est conforme à la raison. Or, le bien de la raison a plus de vigueur chez le tempérant, en qui l’appétit sensible lui-même est également soumis à la raison et comme dominé par elle, que chez le continent, en qui l’appétit sensible résiste violemment à la raison par ses convoitises mauvaises. C’est pourquoi la continence se compare à la tempérance comme l’imparfait au parfait.

Solutions :

1. Cette citation peut s’entendre de deux façons. D’une première façon, en tant que l’on comprend la continence comme une abstention de tout ce qui a rapport au sexe. En ce sens on dit que " l’âme continente n’a pas de prix ", dans le genre chasteté, car la fécondité de la chair, que l’on recherche dans le mariage n’égale pas la continence des vierges ou des veuves, comme on l’a vu plus haut.

D’une autre façon, cette citation peut s’entendre en tant que le mot continence est pris en général pour toute abstention des choses illicites. On dit alors que " l’âme continente n’a pas de prix ", car on ne l’estime pas comme l’or ou l’argent, qui se mesurent au poids.

2. La force de la convoitise, ou sa faiblesse, peut provenir d’une double cause. Elle provient en effet parfois d’une cause corporelle. Car certains, en raison de leur tempérament naturel, sont plus prompts que d’autres à la convoitise. En outre, certains ont, plus que d’autres, des occasions de plaisirs qui enflamment leur convoitise. Et alors la faiblesse de la convoitise diminue le mérite, tandis que la force de la convoitise augmente le mérite. Mais parfois la faiblesse ou la force de la convoitise provient d’une cause spirituelle méritoire, par exemple d’une charité fervente, ou d’une raison vigoureuse, comme c’est le cas chez l’homme tempérant. Et alors la faiblesse de la convoitise, en raison de sa cause, augmente le mérite, tandis que sa force le diminue.

3. La volonté est plus proche de la raison que l’appétit concupiscible. Il en résulte que le bien de la raison pour lequel on loue la vertu, apparaît plus grand quand il atteint non seulement la volonté, mais aussi l’appétit concupiscible - ce qui est le cas chez le tempérant - que lorsqu’il atteint seulement la volonté, ce qui est le cas chez le continent.

 

 

 

QUESTION 156 — L’INCONTINENCE

1. L’incontinence relève-t-elle de l’âme ou du corps ? - 2. L’incontinence est-elle un péché ? - 3. Comparaison entre l’incontinence et l’intempérance. - 4. Quel est le plus laid : ne pas contenir sa colère, ou sa convoitise ?

 

            Article 1 — L’incontinence relève-t-elle de l’âme ou du corps ?

Objections :

1. Il semble que l’incontinence ne relève pas de l’âme, mais du corps. En effet, la différence des sexes ne se trouve pas du côté de l’âme, mais du côté du corps. Or la différence des sexes entraîne une différence quant à la continence. Aristote a dit en effet que les femmes ne sont ni continentes ni incontinentes. La continence ne relève donc pas de l’âme mais du corps.

2. Ce qui relève de l’âme n’est pas une conséquence du tempérament corporel. Or l’incontinence dépend du tempérament. Aristote dit en effet que " ce sont surtout les gens emportés ", c’est-à-dire les colériques " et les atrabilaires qui, du fait de leur convoitise sans frein, sont incontinents ". L’incontinence relève donc du corps.

3. La victoire appartient plutôt au triomphateur qu’au vaincu. Mais on dit que quelqu’un est incontinent quand " la chair, qui convoite contre l’esprit ", triomphe de lui. L’incontinence relève donc davantage de la chair que de l’âme.

En sens contraire, si l’homme diffère des bêtes, c’est à titre premier par son âme. Il en diffère aussi selon la raison de continence ou d’incontinence, car nous ne disons pas des animaux qu’ils sont continents ou incontinents, comme le montre Aristote. L’incontinence se trouve donc surtout du côté de l’âme.

Réponse :

Tout être est attribué davantage à ce qui en est la cause par soi qu’à ce qui en offre seulement l’occasion. Or ce qui se trouve du côté du corps offre seulement l’occasion de l’incontinence. En effet, par la disposition du corps, il peut arriver que des passions véhémentes se lèvent dans l’appétit sensible, qui est une puissance de l’organe corporel. Mais ces passions, quelque véhémentes qu’elles soient, ne sont pas une cause suffisante d’incontinence, mais une occasion seulement, car, tant que dure l’usage de la raison, l’homme peut toujours résister aux passions. Mais si les passions grandissent au point de supprimer totalement l’usage de la raison, comme il arrive chez ceux qui, à cause de la véhémence des passions, tombent dans la démence, il ne sera plus question de continence ou d’incontinence ; parce que chez eux a disparu le jugement de la raison, que le continent observe tandis que l’incontinent l’abandonne. Il faut donc conclure que la cause directe de l’incontinence se trouve du côté de l’âme, qui n’emploie pas la raison pour résister aux passions. Cela peut se produire de deux façons, d’après Aristote. D’une première façon, l’âme cède aux passions avant même d’avoir consulté la raison : c’est " l’incontinence effrénée ", ou " impétuosité ". D’une autre façon, l’homme ne s’en tient pas à ce qui lui a été conseillé, du fait qu’il est faiblement attaché au jugement que la raison a porté, aussi appelle-t-on cette incontinence-là une " débilité ". Il est donc clair que l’incontinence relève premièrement de l’âme.

Solutions :

1. L’âme humaine est la forme du corps, et elle possède certaines facultés qui emploient des organes corporels, dont les opérations servent aussi à ces œuvres de l’âme qui ne sont pas corporelles, c’est-à-dire à l’acte de l’intelligence et de la volonté ; c’est ainsi que l’intelligence reçoit des sens ses images, et que la volonté est poussée par la passion de l’appétit sensible. De ce point de vue, parce que la femme possède corporellement une complexion fragile, il arrive dans la plupart des cas qu’elle donne faiblement son adhésion, même si parfois, chez certaines, il en va autrement, comme on le voit dans les Proverbes (31, 10) : " Une femme forte, qui la trouvera ? " Et parce que ce qui est faible ou débile " est considéré comme nul ", il s’ensuit qu’Aristote parle des femmes comme n’ayant pas un jugement ferme de la raison, quoique chez certaines femmes ce soit le contraire qui arrive. Et c’est pourquoi il dit que " les épouses ne sont pas appelées continentes, car elles n’ont pas le commandement ", comme ayant une solide raison, " mais sont commandées ", comme suivant facilement les passions.

2. Sous l’assaut de la passion, il arrive que l’on suive immédiatement la passion avant le conseil de la raison. Or l’entraînement de la passion provient habituellement soit de sa soudaineté, comme chez les colériques, soit de sa véhémence, comme chez les atrabilaires qui, à cause de leur constitution terrestre, s’enflamment de façon très violente. Mais il arrive à l’inverse que quelqu’un ne persiste pas dans ce qui lui est conseillé, parce que son adhésion est faible, à cause de la mollesse de sa complexion, comme on l’a dit des femmes. Il semble que cela se produise aussi chez les indolents, pour la même cause que chez les femmes. Or tout cela arrive en tant que la complexion du corps fournit une occasion d’incontinence ; il n’y a pas là cependant une cause suffisante, on l’a vu.

3. La convoitise de la chair chez l’incontinent triomphe de l’esprit, non par nécessité, mais par une certaine négligence de l’esprit qui ne résiste pas fortement.

 

            Article 2 — L’incontinence est-elle un péché ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. S. Augustin dit en effet que " nul ne pèche en ce qu’il ne peut éviter ". Or nul ne peut, de lui-même, éviter l’incontinence, selon la Sagesse (8, 21 Vg) : " je sais que je ne puis être continent à moins que Dieu me le donne. " L’incontinence n’est donc pas un péché.

2. Tout péché semble se trouver dans la raison. Or, chez l’incontinent, le jugement de la raison est vaincu.

3. Personne ne pèche par le fait qu’il aime Dieu violemment. Or on peut devenir incontinent par la violence de l’amour divin. En effet Denys déclare que " Paul, par incontinence d’amour divin, a dit : "je vis, non plus moi, etc." " L’incontinence n’est donc pas un péché.

En sens contraire, S. Paul l’énumère parmi d’autres péchés, quand il dit (2 Tm 3, 3) " médisants, incontinents, intraitables, etc. "

Réponse :

L’incontinence peut s’entendre de trois façons.

1° Au sens propre et absolu. En ce sens l’incontinence a pour matière les convoitises des plaisirs du toucher, de même que l’intempérance comme il a été dit plus haut au sujet de la continence. Et alors l’incontinence est un péché pour une double raison ; d’abord parce que l’incontinent s’écarte de ce qui est conforme à la raison ; ensuite parce qu’il se plonge dans des jouissances honteuses. C’est pourquoi Aristote dit que " l’incontinence encourt le blâme non seulement comme tout péché ", qui consiste à s’écarter de la raison, " mais comme une certaine malice ", en tant qu’elle poursuit des convoitises mauvaises.

2° On parle d’incontinence relative, au sens propre sans doute, en tant que l’homme s’écarte de ce qui est conforme à la raison, mais non au sens strict : lorsque, par exemple, on n’observe pas la mesure de la raison dans le désir des honneurs, des richesses ou d’autres choses semblables, qui paraissent en soi être bonnes. En cette matière il n’y a pas incontinence au sens strict, mais au sens relatif, comme on l’a dit plus haute de la continence. En ce cas l’incontinence est un péché, non parce qu’on se livre à des convoitises mauvaises, mais parce qu’on n’observe pas la mesure de raison qui est nécessaire, même quand on désire des choses qui, de soi, méritent d’être recherchées.

3° On parle d’incontinence relative non au sens propre, mais par analogie : lorsqu’on désire, par exemple, quelque chose dont on ne peut mal user, comme les vertus. En cette matière on peut dire par analogie que quelqu’un est incontinent ; car, de même que celui qui est incontinent se laisse totalement entraîner par la convoitise mauvaise, de même on peut se laisser totalement entraîner par la convoitise bonne, qui est conforme à la raison. Une telle incontinence n’est pas un péché, mais appartient à la perfection de la vertu.

Solutions :

1. L’homme peut éviter le péché et faire le bien, non cependant sans le secours divin, comme il est dit en S. Jean (15, 5) : " Sans moi vous ne pouvez rien faire. " Que l’homme ait besoin du secours divin pour être continent n’empêche donc pas que l’incontinence soit un péché, car, dit Aristote : " Ce que nous pouvons par nos amis, nous le pouvons en quelque sorte par nous-même. "

2. En celui qui est incontinent le jugement de la raison est vaincu, non par nécessité, ce qui supprimerait la raison de péché, mais par une certaine négligence de l’homme qui ne s’applique pas fermement à résister à la passion selon le jugement de la raison qui lui appartient.

3. Cet argument vaut pour l’incontinence entendue au sens métaphorique, et non au sens propre.

 

            Article 3 — Comparaison entre l’incontinence et l’intempérance

Objections :

1. Il semble que l’incontinent pèche plus gravement que l’intempérant. Il apparaît en effet que l’on pèche d’autant plus gravement que l’on agit davantage contre sa conscience, selon S. Luc (12, 47) : " Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n’aura rien tenu prêt et n’aura pas agi selon cette volonté, recevra un grand nombre de coups. " Or l’incontinent semble agir davantage que l’intempérant contre sa conscience, car d’après Aristote, l’incontinent qui sait que ce qu’il convoite est mauvais, agit néanmoins selon la passion ; tandis que l’intempérant juge que ce qu’il convoite est bon. L’incontinent pèche donc plus gravement que l’intempérant.

2. Un péché semble d’autant moins guérissable qu’il est plus grave. C’est pourquoi les péchés contre le Saint-Esprit, qui sont les plus graves, sont dits irrémissibles. Or le péché d’incontinence semble être plus inguérissable que le péché d’intempérance. En effet, le péché se guérit par l’admonition et la correction, qui ne semblent d’aucune utilité à l’incontinent, lequel sait qu’il agit mal et n’en continue pas moins ; l’intempérant, au contraire, croit agir bien, et par suite l’admonition pourrait lui être de quelque utilité. L’incontinent semble donc pécher plus gravement que l’intempérant.

3. On pèche d’autant plus gravement que l’on pèche avec une plus grande sensualité. Or l’incontinent pèche avec une sensualité plus grande que l’intempérant, car il a des convoitises violentes que l’intempérant n’a pas toujours. L’incontinent pèche donc davantage que l’intempérant.

En sens contraire, l’impénitence aggrave tout péché, au point que S. Augustin peut dire que l’impénitence est le péché contre le Saint-Esprit. Or " l’intempérant, dit Aristote, n’est pas capable de se repentir, car il demeure dans son choix ; au contraire, tout incontinent est prompt à se repentir ". L’intempérant pèche donc plus gravement que l’incontinent.

Réponse :

Le péché, selon S. Augustin, se trouve surtout dans la volonté. En effet, " c’est par la volonté que l’on pèche et que l’on vit dans la droiture ". Il s’ensuit que là où il y a une plus grande inclination de la volonté vers le péché, celui-ci est plus grave. Or chez l’intempérant la volonté est inclinée à pécher par son propre choix, qui procède d’un habitus acquis par la coutume. Chez l’incontinent, au contraire, la volonté est inclinée à pécher par une passion. Et parce que la passion passe rapidement tandis que l’habitus est " une qualité qui change difficilement ", il en résulte que l’incontinent se repent aussitôt que la passion a cessé ; ce qui n’arrive pas à l’intempérant, qui se réjouit plutôt d’avoir péché, car l’acte du péché lui est devenu connaturel en raison de l’habitus. C’est pourquoi dans les Proverbes (2, 14), on dit des intempérants : " Ils trouvent leur joie à mal faire, et se complaisent dans les choses les plus mauvaises. " Ainsi donc il est clair que " l’intempérant est bien pire que l’incontinent ", dit également Aristote.

Solutions :

1. C’est vrai, l’ignorance intellectuelle précède parfois l’inclination de l’appétit, et en est la cause. Dans ce cas, plus l’ignorance est grande, plus elle diminue le péché, ou même elle l’excuse totalement, dans la mesure où elle le rend involontaire. D’autres fois, au contraire, l’ignorance de la raison suit l’inclination de l’appétit. Dans ce cas le péché est d’autant plus grave que l’ignorance est plus grande, car cela montre que l’inclination de l’appétit est plus forte. Or l’ignorance de l’incontinent aussi bien que de l’intempérant provient de ce que l’appétit est incliné vers quelque chose : soit par la passion, comme chez l’incontinent ; soit par l’habitus, comme chez l’intempérant. Mais l’ignorance causée par là est plus grande chez l’intempérant que chez l’incontinent. D’abord, quant à la durée, parce que chez l’incontinent cette ignorance ne dure que le temps de la passion, de même que l’accès de fièvre tierce dure aussi longtemps que dure le trouble de l’humeur. L’ignorance de l’intempérant, en revanche, dure longuement, à cause de la permanence de l’habitus : c’est pourquoi " elle est assimilée à la phtisie, ou à toute autre maladie chronique ", dit Aristote. - D’autre part l’ignorance de l’intempérant est plus grande aussi quant à ce qui est ignoré. Car l’ignorance de l’incontinent se rapporte à un objet particulier, qu’il estime devoir actuellement choisir, tandis que l’ignorance de l’intempérant se rapporte à la fin elle-même, en ce qu’il juge bon de poursuivre sans frein ses convoitises. C’est pourquoi Aristote dit que " l’incontinent est meilleur que l’intempérant, car en lui ce qu’il y a de meilleur, le principe, est sauvegardé ", c’est-à-dire la juste estimation concernant la fin.

2. La connaissance seule ne suffit pas à la guérison de l’incontinent, mais il y faut le secours intérieur d’une grâce apaisant la convoitise, comme aussi le remède extérieur de l’admonition et de la correction, grâce auxquelles l’incontinent commence à résister à la convoitise, ce qui affaiblit celle-ci, comme on l’a vu plus haut. C’est aussi par les mêmes moyens que l’intempérant peut être guéri, mais sa guérison est plus difficile pour deux motifs. Le premier se prend du point de vue de la raison, qui est faussée quant à l’estimation de la fin ultime, laquelle se comporte comme le fait un principe dans la démonstration ; il est en effet plus difficile de ramener à la vérité celui qui se trompe quant au principe, et pareillement, en matière d’action, celui qui se trompe quant à la fin. L’autre motif se prend du point de vue de l’inclination de l’appétit, qui, chez l’intempérant, provient de l’habitus, difficile à détruire ; l’inclination de l’incontinent, au contraire, provient de la passion, qu’il est plus facile de réprimer.

3. La convoitise de la volonté, qui accroît le péché, est plus grande chez l’intempérant que chez l’incontinent, nous venons de le voir. Mais la convoitise de l’appétit sensible est parfois plus grande chez l’incontinent, car celui-ci ne pèche que sous l’effet d’une forte convoitise, tandis que l’intempérant pèche aussi sous l’effet d’une faible convoitise, et parfois même la devance. C’est pourquoi Aristote dit que " nous blâmons davantage l’intempérant qui, dépourvu de désirs ou n’en éprouvant que de faibles ", c’est-à-dire désirant en pleine liberté, n’en recherche pas moins les plaisirs. " Que ne ferait-il pas, en effet, sous l’empire d’une ardente passion ? "

 

            Article 4 — Quel est le plus laid — ne pas contenir sa colère, ou sa convoitise ?

Objections :

1. Il semble que l’incontinence dans la colère soit pire que l’incontinence dans la convoitise. L’incontinence semble en effet d’autant plus légère qu’il est plus difficile de résister à la passion. C’est pourquoi Aristote dit : " Il n’y a pas lieu de s’étonner qu’on soit vaincu par des plaisirs et des peines violents et excessifs ; bien plus, on mérite le pardon. " Mais, dit Héraclite, " il est plus difficile de combattre la convoitise que la colère ". L’incontinence dans la convoitise est donc plus légère que l’incontinence dans la colère.

2. Si la passion, à cause de sa violence, détruit totalement le jugement de la raison, on est tout à fait excusé du péché, comme cela se voit chez celui qui, sous l’empire de la passion, devient fou furieux. Or le jugement de la raison demeure davantage chez celui qui est incontinent dans la colère que chez celui qui est incontinent dans la convoitise. En effet, comme le montre Aristote, " la colère prête l’oreille en quelque mesure à la raison, mais non la convoitise ". L’incontinence dans la colère est donc pire que l’incontinence dans la convoitise.

3. Un péché semble d’autant plus grave qu’il présente plus de danger. Or l’incontinence dans la colère semble plus dangereuse, car elle peut conduire l’homme à un péché plus grand, à l’homicide par exemple, qui est un péché plus grand que l’adultère, auquel conduit l’incontinence dans la convoitise. L’incontinence dans la colère est donc plus grave que l’incontinence dans la convoitise.

En sens contraire, d’après Aristote, " l’incontinence dans la colère est moins laide que l’incontinence dans la convoitise ".

Réponse :

Le péché d’incontinence peut être considéré d’un double point de vue.

Premièrement, du côté de la passion qui domine la raison. Et alors l’incontinence dans la convoitise charnelle est plus laide que l’incontinence dans la colère, car le mouvement de convoitise comporte un désordre plus grand que le mouvement de colère. De cela Aristote donne quatre motifs : 1° Le mouvement de colère participe en quelque manière de la raison, pour autant que celui qui est en colère cherche à venger une injustice qui lui a été faite, ce que dicte plus ou moins la raison ; non parfaitement cependant, car il ne fait pas attention à la juste mesure de la vindicte. Au contraire, le mouvement de la convoitise est totalement selon le sens, et en aucune façon selon la raison. 2° Le mouvement de colère suit davantage la complexion du corps : à cause de la rapidité du mouvement de la bile, qui se tourne en colère. C’est pourquoi il est plus facile, à celui qui, par tempérament, est disposé à la colère, de s’irriter, qu’à celui qui est disposé à la convoitise, de s’enflammer de désir. Aussi est-il également plus fréquent aux coléreux d’avoir pour ascendants des coléreux, qu’aux sensuels de naître de sensuels. Or ce qui provient d’une disposition naturelle du corps est estimé mériter davantage l’indulgence. 3° La colère cherche à agir en plein jour, tandis que la convoitise cherche l’ombre et s’introduit par tromperie. 4° Celui qui est saisi par la convoitise agit en éprouvant du plaisir, tandis que celui qui est saisi par la colère agit comme forcé par une tristesse antérieure.

Deuxièmement on peut considérer le péché d’incontinence d’un autre point de vue, quant au mal dans lequel on tombe en s’écartant de la raison. Et alors l’incontinence dans la colère est, la plupart du temps, d’une gravité plus grande, car elle conduit à nuire au prochain.

Solutions :

1. Il est plus difficile de combattre assidûment la convoitise que la colère, car la convoitise est plus continue. Mais, sur le moment, il est plus difficile de résister à la colère, à cause de son impétuosité.

2. La convoitise est dite dépourvue de raison, non parce qu’elle supprime totalement le jugement de la raison, mais parce qu’elle ne procède en rien d’un jugement de la raison. Et à cause de cela elle est plus grave.

3. Cet argument procède de la considération des résultats de l’incontinence.

Nous devons étudier la clémence et la mansuétude (Q. 157), et ensuite les vices qui leur sont contraires (Q. 158-159).

 

 

QUESTION 157 — LA CLÉMENCE ET LA MANSUÉTUDE

1. La clémence et la mansuétude sont-elles identiques ? - 2. Sont-elles des vertus ? - 3. Sont-elles des parties de la tempérance ? - 4. Leur comparaison avec les autres vertus.

 

            Article 1 — La clémence et la mansuétude sont-elles identiques ?

Objections :

1. Il semble que la clémence et la mansuétude soient tout à fait identiques. La mansuétude en effet est modératrice des colères, dit Aristote. Or la colère est un désir de vengeance. Puisque la clémence est " l’indulgence du supérieur à l’égard de l’inférieur dans la détermination des peines ", d’après Sénèque et que la vengeance s’exerce par le châtiment, il semble que la clémence et la mansuétude soient identiques.

2. D’après Cicéron, " la clémence est la vertu par laquelle l’âme excitée à la haine est retenue par la bonté ". Et ainsi il semble que la clémence soit modératrice de la haine. Or la haine, d’après S. Augustin, est causée par la colère, que concerne la mansuétude. Il semble donc que la mansuétude et la clémence soient identiques.

3. Un même vice ne s’oppose pas à différentes vertus. Or un même vice, la cruauté, s’oppose à la mansuétude et à la clémence.

En sens contraire, selon la définition de Sénèque, la clémence est " la douceur du supérieur à l’égard de l’inférieur ", tandis que la mansuétude ne s’exerce pas seulement de supérieur à inférieur, mais de quiconque à l’égard de quiconque. La mansuétude et la clémence ne sont donc pas tout à fait la même chose.

Réponse :

Comme dit Aristote " La vertu morale concerne les passions et les actions. " Or les passions intérieures sont les principes des actions extérieures, ou encore en sont des empêchements. C’est pourquoi les vertus qui modèrent les passions concourent d’une certaine façon au même effet que les vertus qui modèrent les actions, quoiqu’elles diffèrent d’espèce. C’est ainsi qu’il appartient en propre à la justice de détourner l’homme du vol, à quoi il est incliné par l’amour et le désir désordonné de l’argent, lesquels sont modérés par la libéralité. Et c’est pourquoi la libéralité se retrouve avec la justice dans son effet qui est de s’abstenir du vol.

Il en va de même dans la question présente. En effet, c’est par la passion de la colère que quelqu’un est incité à infliger un châtiment plus grave. Il appartient, au contraire, directement à la clémence de diminuer les châtiments ; ce qui pourrait être empêché par l’excès de la colère. C’est pourquoi la mansuétude, en tant qu’elle réprime l’emportement de la colère, rejoint l’effet de la clémence. Elles diffèrent cependant en ce que la clémence est modératrice de la punition extérieure, tandis que la mansuétude a pour fonction propre d’atténuer la passion de la colère.

Solutions :

1. La mansuétude vise proprement le désir même de vengeance. La clémence, elle, vise les peines employées extérieurement à la vengeance.

2. L’affectivité incline à atténuer ce qui par soi ne plaît pas. Or l’amour que l’on éprouve pour quelqu’un fait que son châtiment ne plaît pas par lui-même, mais seulement parce qu’il est ordonné à autre chose, à la justice par exemple, ou à la correction du coupable. C’est pourquoi l’amour rend prompt à atténuer les peines, ce qui appartient à la clémence ; et la haine, au contraire, empêche cette atténuation. C’est la raison pour laquelle Cicéron dit que " l’âme excitée par la haine ", c’est-à-dire à punir plus gravement, " est retenue par la clémence ", afin de ne pas infliger une peine trop sévère ; non que la clémence soit directement modératrice de la haine, mais de la peine.

3. A la mansuétude, qui concerne directement les colères, s’oppose proprement le vice d’" irascibilité ", qui implique un excès de colère. La " cruauté ", elle, implique un excès dans la punition. C’est pourquoi Sénèque dit : " L’on appelle cruels ceux qui ont un motif de punir, mais ne gardent pas la mesure. "

Quant à ceux qui prennent plaisir aux châtiments en tant que tels, sans s’occuper du motif, on peut les appeler sauvages ou féroces, comme n’ayant pas le sentiment humain par lequel l’homme aime naturellement l’homme.

 

            Article 2 — La clémence et la mansuétude sont-elles des vertus ?

Objections :

1. Elles ne semblent l’être ni l’une ni l’autre. En effet, aucune vertu ne s’oppose à une autre vertu. Or la clémence et la mansuétude semblent l’une et l’autre s’opposer à la sévérité qui est une vertu.

2. " La vertu se corrompt par le trop et par le trop peu. " Or aussi bien la clémence que la mansuétude consistent en une certaine diminution. En effet la clémence diminue les peines, et la mansuétude, la colère. Ni la clémence ni la mansuétude ne sont donc des vertus.

3. La mansuétude, ou douceur, est placée, en S. Matthieu (5, 4), parmi les béatitudes, et par S. Paul (Ga 5, 23), parmi les fruits. Or les vertus diffèrent à la fois des béatitudes et des fruits. Donc la mansuétude ne fait pas partie des vertus.

En sens contraire, selon Sénèque, " tous les hommes de bien se distingueront par la clémence et la mansuétude ". Or la vertu est proprement ce qui appartient aux hommes de bien, car " la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède, et qui rend bon ce qu’il fait ", dit Aristote. La clémence et la mansuétude sont donc des vertus.

Réponse :

La raison de vertu morale consiste en ce que l’appétit est soumis à la raison, Aristote l’a montré. Or c’est ce que l’on trouve aussi bien dans la clémence que dans la mansuétude, car la clémence, en diminuant les peines, " s’inspire de la raison ", dit Sénèque, de même la douceur modère la colère en se conformant à la droite raison, dit Aristote. Il s’ensuit manifestement que la clémence aussi bien que la mansuétude sont des vertus.

Solutions :

1. La mansuétude ne s’oppose pas directement à la sévérité, car elle concerne les colères, tandis que la sévérité a rapport au fait extérieur d’infliger des peines. De ce point de vue la sévérité semblerait donc s’opposer davantage à la clémence qui, elle aussi, a rapport à la punition extérieure, nous l’avons dit. Il n’y a pas cependant opposition car l’une et l’autre s’inspirent de la droite raison. En effet, la sévérité est inflexible en ce qui concerne le fait d’infliger des peines, quand la droite raison le réclame ; la clémence, elle, diminue les peines en se conformant aussi à la droite raison, c’est-à-dire quand il le faut, et dans le cas où il le faut. C’est pourquoi elles ne sont pas opposées, car elles n’ont pas le même point de vue.

2. D’après Aristote, l’habitus qui tient le milieu dans la colère n’a pas reçu de nom ; et c’est pourquoi la vertu reçoit son nom d’une diminution de la colère qui est signifiée par le mot de mansuétude. La raison en est que la vertu est plus proche de la diminution que de l’augmentation, car il est plus naturel à l’homme de désirer la vengeance des injures qui lui ont été faites que de rester en deçà. En effet, dit Salluste, " il n’est guère de gens à qui paraissent trop petites les injures qui leur sont faites ".

Quant à la clémence, elle fixe les peines, en deçà non de ce qui est conforme à la droite raison, mais de ce qui est conforme à la loi commune, objet de la justice légale : considérant certaines circonstances particulières, la clémence diminue les peines, comme discernant que l’homme ne doit pas être puni davantage. C’est pourquoi Sénèque dit que " la clémence a pour objet premier de déclarer que ceux qu’elle acquitte n’étaient passibles de rien de plus ; le pardon, au contraire, est une remise de la peine méritée ". Il est donc clair que la clémence est à la sévérité ce que l’épikie est à la justice légale, dont l’un des éléments est la sévérité dans l’application des peines prévues par la loi. La clémence diffère cependant de l’épikie, comme on le montrera plus loin.

3. Les béatitudes sont les actes des vertus ; les fruits, eux, sont les jouissances provenant des actes des vertus. Rien n’empêche donc de placer la mansuétude à la fois parmi les vertus, les béatitudes et les fruits.

 

            Article 3 — La clémence et la mansuétude sont-elles des parties de la tempérance ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, la clémence a pour fonction de diminuer des peines, on l’a dit. Or Aristote, attribue cette fonction à l’épikie, qui appartient à la justice, comme on l’a vu antérieurement. Il semble donc que la clémence ne soit pas une partie de la tempérance.

2. La tempérance concerne les convoitises. Or la mansuétude et la clémence ne concernent pas les convoitises, mais plutôt la colère et la vengeance. On ne doit donc pas les considérer comme des parties de la tempérance.

3. Selon Sénèque, " c’est de la folie que de prendre plaisir à la cruauté ". Or cela s’oppose à la clémence et à la mansuétude. Puisque la folie est opposée à la prudence, il semble donc que la clémence et la mansuétude soient des parties de la prudence, plutôt que de la tempérance.

En sens contraire, Sénèque dit que " la clémence est la tempérance d’une âme qui a le pouvoir de se venger ". Cicéron, lui aussi, fait de la clémence une partie de la tempérance.

Réponse :

Les parties sont attribuées aux vertus principales selon qu’elles imitent celles-ci en quelques matières secondaires, quant au mode d’où dépend principalement leur dignité de vertu, et d’où elles tirent leur nom. Ainsi le mode et le nom de justice consistent en une certaine égalité ; ceux de la force en une certaine fermeté, ceux de la tempérance en une certaine répression, en tant qu’elle réprime les convoitises très véhémentes des plaisirs du toucher. Or la clémence et la mansuétude consistent de même en une certaine répression, puisque la clémence diminue les peines, et que la mansuétude tempère la colère, comme on le voit par ce que nous avons dit. C’est pourquoi aussi bien la mansuétude que la clémence sont adjointes à la tempérance comme à la vertu principale. C’est ainsi qu’on en fait des parties de la tempérance.

Solutions :

1. Dans l’atténuation des peines il y a deux choses à considérer. La première est que l’atténuation des peines se fasse selon l’intention du législateur, en dépit des termes de la loi. Et à ce titre elle appartient à l’épikie. La seconde est une certaine modération du sentiment, en sorte que l’homme n’use pas de son pouvoir en punissant. Et cela appartient proprement à la clémence ; à cause de quoi Sénèque dit que la clémence est " la tempérance d’une âme qui a le pouvoir de se venger ". Cette modération de l’âme provient d’une certaine douceur de sentiment qui fait que l’on répugne à tout ce qui peu contrister le prochain. C’est pourquoi Sénèque dit que la clémence est une certaine " douceur " d l’âme ; car, à l’inverse, la dureté de l’âme semble être chez celui qui ne craint pas de contrister les autres.

2. L’adjonction de vertus secondaires aux vertus principales s’apprécie d’après le mode de la vertu, lequel est un peu comme sa forme, plutôt que d’après sa matière. Or la mansuétude et la clémence se rencontrent avec la tempérance dans le mode, on vient de le dire, quoiqu’elles ne se rencontrent pas dans la matière.

3. On parle de folie (insania) par destruction de la santé (sanitas). De même que la santé du corps se gâte lorsque le corps s’écarte de la complexion normale de l’espèce humaine, de même on parle de folie lorsque l’âme humaine s’écarte de la disposition normale de l’espèce humaine. Cela arrive quant à la raison, par exemple lorsque quelqu’un perd l’usage de la raison ; et quant à la puissance de l’appétit, par exemple lorsque quelqu’un perd les sentiments humains, qui font que " l’homme est naturellement l’ami de l’homme ", comme dit Aristote. Or la folie qui exclut l’usage de la raison s’oppose à la prudence. Mais lorsque quelqu’un prend plaisir aux peines des hommes, on parle alors de folie parce que, en cela, l’homme semble privé de ces sentiments humains qui inspirent la clémence.

 

            Article 4 — Comparaison de la clémence et de la mansuétude avec les autres vertus

Objections :

1. Il semble que ces vertus soient les plus importantes. En effet, le mérite de la vertu consiste surtout en ce qu’elle ordonne l’homme à la béatitude, qui consiste en la connaissance de Dieu. Or c’est, plus que tout, la mansuétude qui ordonne l’homme à la connaissance de Dieu, car S. Jacques écrit (1, 21) : " Recevez avec douceur la Parole qui a été implantée en vous " ; et l’Ecclésiastique (5, 13 Vg) : " Sois docile à écouter la parole de Dieu. " Et Denys, : " C’est à cause de sa grande mansuétude que Moïse fut trouvé digne de l’apparition de Dieu. " La mansuétude est donc la plus grande des vertus.

2. Une vertu semble d’autant plus importante qu’elle est plus agréable à Dieu et aux hommes. Mais la mansuétude est tout ce qu’il y a de plus agréable à Dieu. L’Ecclésiastique dit en effet (1, 27) : " Ce que Dieu aime, c’est la fidélité et la mansuétude. " C’est pourquoi le Christ nous invite spécialement à imiter sa mansuétude en disant (Mt 11, 29) : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. " Et S. Hilaire a dit : " C’est par la mansuétude de notre esprit que le Christ habite en nous. " Elle est aussi très agréable aux hommes. C’est pourquoi on peut lire dans l’Ecclésiatique (3, 19 Vg) : " Mon fils, conduis tes affaires avec douceur, et tu seras plus aimé qu’un homme munificent. " A cause de cela il est dit dans les Proverbes (20, 28) : " Le trône du roi est fortifié par la clémence. " La mansuétude et la clémence sont donc les vertus les plus importantes.

3. S. Augustin dit : " Les doux sont ceux qui cèdent devant les méchancetés et ne résistent pas au mal mais triomphent du mal par le bien. " Or cela semble appartenir à la miséricorde (ou piété), qui paraît être la plus grande des vertus puisque, sur cette parole de S. Paul (1 Tm 4, 8) : " La piété est utile à tout ", la glose d’Ambroise dit que " toute la religion chrétienne se résume dans la piété ". La mansuétude et la clémence sont donc les plus grandes vertus.

En sens contraire, la clémence et la mansuétude ne sont pas placées parmi les vertus principales, mais sont annexées à une autre vertu tenue pour plus primordiale.

Réponse :

Rien n’empêche que des vertus ne soient pas les plus importantes d’un point de vue absolu et universel, mais le soient d’un point de vue relatif, dans un certain genre. Or il n’est pas possible que la clémence et la douceur soient absolument les meilleures des vertus. Car leur mérite se prend de ce qu’elles éloignent du mal, en ce sens qu’elles atténuent la colère ou le châtiment. Or il est plus parfait de poursuivre le bien que de s’abstenir du mal. Et c’est pourquoi les vertus qui ordonnent directement au bien, comme la foi, l’espérance, la charité, et aussi la prudence et la justice, sont, d’un point de vue absolu, des vertus plus grandes que la clémence et la mansuétude.

Mais, relativement, rien n’empêche que la mansuétude et la clémence aient une certaine supériorité parmi les vertus qui résistent aux affections mauvaises. En effet la colère, que la mansuétude atténue, empêche au plus haut point, à cause de son impétuosité, l’esprit de l’homme de juger librement de la vérité. C’est la raison pour laquelle la mansuétude est ce qui, plus que tout, rend l’homme maître de lui-même. Aussi l’Ecclésiastique dit-il (10, 31 Vg) : " Mon fils, garde ton âme dans la douceur. " Il reste que les convoitises des plaisirs du toucher sont plus honteuses et assiègent de façon plus continue. C’est à cause de cela que la tempérance est davantage considérée comme une vertu principale, nous l’avons vue.

Quant à la clémence, du fait qu’elle atténue les peines, elle semble surtout approcher de la charité, la plus excellente des vertus, par laquelle nous faisons du bien au prochain et lui épargnons le mal.

Solutions :

1. La mansuétude prépare l’homme à la connaissance de Dieu en écartant les obstacles. Et cela de deux façons. D’abord, en rendant l’homme maître de lui-même par l’atténuation de sa colère, nous venons de le dire. D’une autre façon encore, parce qu’il appartient à la mansuétude d’empêcher l’homme de contredire les paroles de vérité, ce que certains font souvent sous le coup. de la colère. C’est pourquoi S. Augustin dit : " Être doux c’est ne pas contredire la Sainte Écriture, parce qu’on la comprend et qu’elle fustige certains de nos vices, ou parce qu’on ne la comprend pas, comme si, par nous-mêmes, nous étions capables d’être plus sages et de voir plus juste. "

2. La mansuétude et la clémence rendent l’homme agréable à Dieu et aux hommes, en ce qu’elles concourent au même effet que la charité, la plus grande des vertus, en diminuant les maux du prochain.

3. La miséricorde et la piété se rencontrent avec la mansuétude et la clémence en ce qu’elles concourent à un même effet, qui est d’écarter les maux du prochain. Elles diffèrent cependant quant à leur motif. En effet, la piété écarte les maux du prochain en raison de la révérence qu’elle a pour un supérieur comme Dieu ou les parents. La miséricorde, elle, écarte les maux du prochain parce qu’elle en éprouve de la tristesse, les estimant siens ; ce qui provient de l’amitié, qui fait que les amis se réjouissent et s’attristent des mêmes choses. La mansuétude fait cela en écartant la colère qui pousse à la vengeance. Et la clémence le fait par douceur d’âme, en jugeant équitable que quelqu’un ne soit pas puni davantage.

Étudions maintenant les vices opposés. Et d’abord la colère, qui s’oppose à la mansuétude (Q. 158) ; ensuite la cruauté, qui s’oppose à la clémence (Q. 159).

 

 

QUESTION 158 — LA COLÈRE

1. Peut-il être permis de se mettre en colère ? - 2. La colère est-elle un péché ? - 3. Est-elle péché mortel ? - 4. Est-elle le plus grave des péchés ? - 5. Les espèces de la colère. - 6. La colère est-elle un vice capital ? - 7. Quelles sont les filles de la colère ? - 8. Y a-t-il un vice opposé ?

 

            Article 1 — Peut-il être permis de se mettre en colère ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, commentant le passage de S. Matthieu (5, 22) : " Celui qui se met en colère contre son frère, etc. ", S. Jérôme dit : " Certains manuscrits ajoutent : sans motif ; mais dans les meilleurs cette addition n’existe pas, et la colère est tout à fait exclue. " En aucune façon il n’est donc légitime de se mettre en colère.

2. D’après Denys, " le mal de l’âme est d’être dépourvue de raison ". Or la colère est toujours sans raison. Aristote, dit en effet que " la colère n’écoute pas parfaitement la raison ". Et S. Grégoire que " lorsque la colère frappe la tranquillité de l’âme, elle la déchire en quelque sorte, la partage et la trouble ". Comme dit Cassien " quelle que soit la cause de la colère, son bouillonnement aveugle l’œil du cœur ". Se mettre en colère est donc toujours un mal.

3. La colère est " un désir de vengeance ", comme dit la Glose à propos du Lévitique (1 9, 17) : " Tu n’auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère. " Or désirer la vengeance ne semble pas légitime, car cela doit être réservé à Dieu, selon cette parole du Deutéronome (32, 35) : " A moi la vengeance. " Il semble donc que se mettre en colère soit toujours un mal.

4. Tout ce qui nous détourne de la ressemblance divine est un mal. Or se mettre en colère nous détourne toujours de cette ressemblance, puisque Dieu " juge avec tranquillité ", selon la Sagesse (12, 18). Se mettre en colère est donc toujours un mal.

En sens contraire, Chrysostome dit en commentant S. Matthieu : " Celui qui s’irrite sans motif sera coupable, mais celui qui le fait avec raison ne sera pas coupable. Car si la colère n’existe pas, ni l’instruction ne progresse, ni les jugements ne sont portés, ni les crimes ne sont réprimés. " Se mettre en colère n’est donc pas toujours un mal.

Réponse :

La colère (ira) est à proprement parler une passion de l’appétit sensible, d’où la faculté de l’" irascible " tire son nom, comme on l’a vu dans le traité des passions. Or, en ce qui concerne les passions de l’âme, il faut voir que le mal peut se trouver en elles de deux façons. D’une première façon, en raison de la nature même de la passion, qui se détermine par son objet. C’est ainsi que l’envie, selon son espèce, comporte un certain mal ; elle est en effet une tristesse du bien des autres, ce qui, en soi, est contraire à la raison. C’est pourquoi l’envie, " à peine nommée, suggère aussitôt quelque chose de mal ", dit Aristote. Mais cela ne s’applique pas à la colère, qui est un appétit de vengeance. En effet, le désir de vengeance peut être bon ou mauvais. Le mal se trouve aussi dans une passion selon la quantité de celle-ci, c’est-à-dire selon sa surabondance ou son défaut. C’est ainsi que le mal peut se trouver dans la colère, par exemple, lorsque quelqu’un se met trop ou pas assez en colère, sortant de la mesure de la droite raison. Mais si l’on s’irrite selon la droite raison, se mettre en colère est louable.

Solutions :

1. Les stoïciens considéraient la colère et toutes les autres passions comme des émotions échappant à l’ordre de la raison et, à cause de cela, ils déclaraient que la colère et toutes les autres passions étaient mauvaises, comme nous l’avons rapporté au traité des passions. C’est ainsi que S. Jérôme considère la colère - il parle en effet de la colère par laquelle on s’irrite contre le prochain en désirant son mal. - Mais pour les péripatéticiens, dont S. Augustin approuve davantage l’opinion, la colère et les autres passions de l’âme sont des mouvements de l’appétit sensible, réglés ou non selon la raison. De ce point de vue, la colère n’est pas toujours mauvaise.

2. La colère peut être en rapport avec la raison de deux façons. Elle peut la précéder, et ainsi faire sortir la raison de sa rectitude : elle est alors mauvaise. Mais elle peut aussi la suivre, en ce sens que l’appétit sensible s’élève contre les vices, conformément à l’ordre de la raison. Alors cette colère est bonne : on l’appelle " la colère par zèle ". C’est pourquoi S. Grégoire dit : " Il faut avoir grand soin que la colère, que l’on prend comme un instrument de la vertu, ne commande pas à l’esprit ; qu’elle ne marche pas devant comme une maîtresse, mais qu’elle ne quitte jamais sa place en arrière de la raison, comme une servante prête à faire son service. " Même si, dans l’exécution de l’acte, cette colère gêne quelque peu le jugement de la raison, elle ne lui enlève pas sa rectitude. C’est pourquoi S. Grégoire, au même endroit dit que " la colère provoquée par le zèle trouble l’œil de la raison, mais que la colère provoquée par le vice l’aveugle ". Or il n’est pas contraire à la notion de vertu que la délibération de la raison soit interrompue pendant l’exécution de ce que celle-ci a délibéré de faire. Car, de même, l’art serait gêné dans son action si, dans le temps qu’il doit agir, il délibérait sur ce qu’il faut faire.

3. Désirer la vengeance pour le mal de celui qu’il faut punir est illicite. Mais désirer la vengeance pour la correction des vices et le maintien du bien de la justice est louable. L’appétit sensible peut tendre à cela sous l’impulsion de la raison. Et lorsque la vengeance s’accomplit conformément à un jugement rendu, cela vient de Dieu, dont le pouvoir punitif est l’instrument dit S. Paul (Rm 13, 4).

4. Nous pouvons et nous devons ressembler à Dieu dans le désir du bien, mais nous ne pouvons tout à fait lui ressembler dans le mode de ce désir, car il n’y a pas en Dieu, comme en nous, d’appétit sensible, dont le mouvement doive servir la raison. C’est pourquoi S. Grégoire dit que " la raison se dresse plus vigoureusement contre les vices, quand la colère qui lui est soumise lui apporte ses services ".

 

            Article 2 — La colère est-elle un péché ?

Objections :

1. Non semble-t-il. En effet, nous déméritons en péchant. Mais "par les passions nous ne déméritons pas, de même que nous n’encourons pas de blâme", dit Aristote. Aucune passion n’est donc un péché. Or la colère est une passion, on l’a vu plus haut en traitant des passions. Donc la colère n’est pas un péché.

2. En tout péché il y a conversion à un bien périssable. Mais dans la colère on ne se tourne pas vers un bien périssable, mais vers le mal d’autrui. La colère n’est donc pas un péché.

3. "Nul ne pèche en ce qu’il ne peut éviter", dit S. Augustin. Mais l’homme ne peut éviter la colère, puisque, à propos de cette parole du Psaume (4, 5) : "Irritez-vous, mais ne péchez pas", la Glose dit que "le mouvement de colère n’est pas en notre pouvoir". Aristote dit aussi que "celui qui se met en colère agit avec tristesse" ; or la tristesse est contraire à la volonté. La colère n’est donc pas un péché.

4. Le péché est "contraire à la nature", dit S. Jean Damascène. Or se mettre en colère n’est pas contraire à la nature humaine, puisque c’est un acte de la faculté naturelle qu’est l’irascible. C’est pourquoi S. Jérôme, dit que "s’irriter est une chose humaine".

En sens contraire, il y a la parole de S. Paul (Ep 4, 3 1) : "Que tout emportement et toute colère soient extirpés de chez vous."

Réponse :

La colère, on l’a vu, désigne proprement une passion. Or une passion de l’appétit sensible est bonne pour autant qu’elle est réglée par la raison ; mais si elle exclut l’ordre de la raison, elle est mauvaise. Or dans la colère l’ordre de la raison peut se rapporter à deux choses 1° A la chose désirable vers laquelle on tend, et qui est la vengeance. Si l’on désire que la vengeance se fasse selon l’ordre de la raison, l’appétit de colère est louable, et on l’appelle " colère provoquée par le zèle ". Mais si l’on désire que, de quelque manière, la vengeance se fasse contre l’ordre de la raison, si par exemple on désire punir quelqu’un qui ne l’a pas mérité, ou plus qu’il ne l’a mérité, ou encore ne pas le faire selon l’ordre légitime, ou non en vue de la juste fin, qui est la conservation de la justice et la correction de la faute, l’appétit de colère sera vicieux. Et on l’appelle "colère provoquée par le vice".

2° L’ordre de la raison, en ce qui concerne la colère, se rapporte aussi à la mesure à garder dans la colère, en sorte que, par exemple, le mouvement de colère ne s’enflamme pas de façon immodérée, ni intérieurement ni extérieurement. Si cela est oublié, la colère ne sera pas sans péché, même si l’on recherche une juste vengeance.

Solutions :

1. Puisque la passion peut être réglée ou non par la raison, la notion de mérite ou de démérite, de louange ou de blâme, ne se prend donc pas selon la passion considérée absolument. Cependant, selon qu’elle est réglée par la raison, on peut la tenir pour méritoire et louable ; au contraire, selon qu’elle n’est pas réglée par la raison, on peut la tenir pour déméritoire ou blâmable. Ce qui fait dire à Aristote, au même endroit : " Celui qui s’irrite de quelque manière est digne de louange ou de blâme. "

2. L’homme en colère ne désire pas le mal d’autrui pour lui-même, mais en vue de la vengeance vers laquelle son désir se tourne comme vers un bien périssable.

3. L’homme est maître de ses actes par l’arbitrage de la raison. C’est pourquoi les mouvements qui devancent le jugement de la raison ne sont pas au pouvoir de l’homme dans leur généralité, c’est-à-dire qu’ils ne le sont pas au point que nul d’entre eux ne surgisse, bien que la raison puisse les empêcher de surgir, chacun individuellement. C’est en ce sens que l’on dit que le mouvement de colère n’est pas au pouvoir de l’homme, c’est-à-dire au point que nul ne surgisse. Cependant, parce qu’il est d’une certaine manière au pouvoir de l’homme, il ne perd pas totalement son caractère peccamineux, lorsqu’il est désordonné. - Quand Aristote dit que " l’homme en colère agit avec tristesse ", il ne faut pas le comprendre comme s’il s’attristait de se mettre en colère, mais il s’attriste de l’injure qu’il estime lui avoir été faite, et cette tristesse le pousse à désirer la vengeance.

4. Dans l’homme, l’irascible est naturellement soumis à la raison. Son acte est donc naturel à l’homme pour autant qu’il est conforme à la raison ; et il est contraire à la nature de l’homme pour autant qu’il est en dehors de l’ordre de la raison.

 

            Article 3 — Toute colère est-elle péché mortel ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. job dit en effet (5, 2) " L’irritation fait périr le sot ", et il parle de la mort spirituelle, d’où le péché mortel tire son nom. Toute colère est donc péché mortel.

2. Rien ne mérite la damnation éternelle, si ce n’est le péché mortel. Or la colère mérite la damnation éternelle. Le Seigneur dit en effet en S. Matthieu (5, 22) : " Quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal, etc. " ; et la Glose précise que " par les trois choses " dont il est ici question, à savoir " le tribunal, le Sanhédrin et la géhenne, sont désignées individuellement, eu égard au mode du péché, les différentes demeures dans la damnation éternelle ". La colère est donc péché mortel.

3. Tout ce qui est contraire à la charité est péché mortel. Or la colère, en soi, est contraire à la charité, comme le montre S. Jérôme qui, commentant ce même passage de S. Matthieu : " Celui qui se met en colère contre son frère, etc. ", dit que cela est contraire à la dilection du prochain. Donc la colère est péché mortel.

En sens contraire, à propos de ce passage du Psaume (4, 5) : " Irritez-vous, mais ne péchez pas ", la Glose précise : " La colère qui n’est pas poussée jusqu’à son effet est vénielle. "

Réponse :

Un mouvement de colère peut être un désordre et un péché de deux façons, nous l’avons dit :

1° Du côté de ce que l’on désire, lorsque par exemple on désire une injuste vengeance. La colère est alors, par sa nature, péché mortel, car elle est contraire à la charité et à la justice. Il peut arriver cependant qu’un tel désir soit un péché veniel, à cause de l’imperfection de l’acte. Cette imperfection se prend ou bien du côté du sujet qui désire, lorsque, par exemple, le mouvement de colère devance le jugement de la raison, ou bien du côté de la chose désirée, lorsque l’on a la volonté de se venger dans une question minime, qu’il faut considérer comme rien, au point que cette volonté, même mise à exécution, ne serait pas un péché mortel : lorsque, par exemple, on tire un peu les cheveux à un enfant, ou autre chose semblable.

2° Le mouvement de colère peut être désordonné quant au mode de se mettre en colère, lorsque, par exemple, on se met intérieurement trop ardemment en colère, ou lorsqu’on manifeste extérieurement trop de signes de colère. Alors, la colère n’a pas en soi, par sa nature, raison de péché mortel. Il peut cependant arriver qu’elle soit péché mortel, si, par exemple, à cause de l’impétuosité de la colère, on se détache de l’amour de Dieu et du prochain.

Solutions :

1. De ce texte de Job il ne ressort pas que toute colère soit péché mortel, mais qu’elle conduit à la mort spirituelle les insensés qui, n’usant pas de la raison pour refréner le mouvement de colère, se laissent entraîner à des péchés mortels, par exemple au blasphème contre Dieu, ou au tort causé au prochain.

2. Le Seigneur a prononcé cette parole au sujet de la colère en complément de ce texte de la loi : " Quiconque tuera en répondra au tribunal. " Le Seigneur parle donc là du mouvement de colère qui va jusqu’au désir de tuer le prochain, ou de le blesser gravement. Si le consentement de la raison s’ajoute à un tel désir, il y aura sans aucun doute un péché mortel.

3. Dans le cas où la colère va contre la charité, elle est péché mortel. Mais cela n’arrive pas toujours, comme on le voit par ce qui a été dit.

 

            Article 4 — La colère est-elle le plus grave des péchés ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. S. Chrysostome dit en effet que " rien n’est plus affreux à voir qu’un homme en fureur, et rien n’est plus laid qu’un visage et, beaucoup plus encore, qu’une âme irrités ".

2. Il semble qu’un péché soit d’autant plus mauvais qu’il est plus nuisible, car dit S. Augustin, " on appelle mal ce qui nuit ". Or la colère nuit au plus haut point, car elle retire à l’homme la raison, par laquelle il est maître de lui-même. S. Chrysostome a dit en effet : " Il n’y a aucune différence entre la colère et la folie : La colère est un démon passager, bien plus pénible que la possession démoniaque. "

3. Les mouvements intérieurs se jugent d’après leurs effets extérieurs. Or un des effets de la colère est l’homicide, qui est le plus grave des péchés.

En sens contraire, la colère se compare à la haine comme la paille à la poutre. S. Augustin dit en effet : " Prenez garde que la colère ne se tourne en haine, et ne transforme en poutre une paille. " La colère n’est donc pas le plus grave des péchés.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, le désordre de la colère se considère de deux points de vue : selon le caractère indu de ce qu’elle désire, et selon la façon indue dont elle se produit. Si l’on considère ce que désire l’homme irrité, la colère paraît être le moindre des péchés. La colère désire en effet le mal de la peine d’autrui sous l’aspect du bien qu’est la vengeance. C’est pourquoi, du côté du mal qu’elle désire, le péché de colère se rencontre avec ces péchés qui recherchent le mal du prochain, par exemple avec l’envie et la haine. Mais la haine veut le mal d’autrui de façon absolue, en tant que tel ; l’envieux, lui, veut le mal d’autrui à cause du désir de sa propre gloire ; tandis que le coléreux veut le mal d’autrui sous l’aspect de la juste vengeance. Il est donc clair que la haine est plus grave que l’envie, et l’envie plus grave que la colère, car il est plus mauvais de désirer le mal sous son aspect de mal que sous son aspect de bien, et plus mauvais de désirer le mal sous l’aspect du bien extérieur que constitue l’honneur ou la gloire, que sous l’aspect de la rectitude de la justice.

Du côté du bien qui est pour celui qui se met en colère le motif de vouloir le mal, la colère se rencontre avec le péché de convoitise, qui tend vers un bien. Ici encore, le péché de colère semble, absolument parlant, être moindre que la convoitise ; le bien de la justice que désire celui qui se met en colère est en effet meilleur que le bien délectable ou utile que désire la convoitise. C’est pourquoi Aristote dit : " L’incontinent en matière de convoitise est plus méprisable que l’incontinent en matière de colère. "

Mais quant au désordre qui se produit selon la façon de se mettre en colère, la colère a une certaine primauté, à cause de la véhémence et de la rapidité de son mouvements. On peut lire dans les Proverbes (27, 4) : " La colère est cruelle, comme aussi la fureur dans ses emportements ; et qui pourrait supporter le déchaînement d’un esprit surexcité ? " Ce qui fait dire à S. Grégoire : " Sous l’aiguillon de la colère, le cœur bat violemment, le corps tremble, la langue se paralyse, le visage s’enflamme, les yeux se durcissent, on ne connaît plus personne, on crie sans savoir ce que l’on dit. "

Solutions :

1. S. Chrysostome parle de la laideur des gestes extérieurs que provoque l’accès de la colère.

2. Cet argument procède du mouvement désordonné de la colère qui provient de son impétuosité qu’on vient de signaler.

3. L’homicide ne provient pas moins de la haine ou de l’envie que de la colère.

La colère est cependant plus légère, en tant qu’elle s’inspire d’un sentiment de justice, nous venons de le dire.

 

            Article 5 — Les espèces de la colère

Objections :

1. Il semble que les espèces de colère ne sont pas bien définies par Aristote lorsqu’il dit que, parmi ceux qui se mettent en colère, il y en a qui sont " emportés ", d’autres " rancuniers ", d’autres " insociables " ou " implacables ". D’après lui les " rancuniers " sont ceux " dont la colère est difficile à apaiser et dure longtemps ". Mais cela semble se rapporter à des circonstances de temps. Il semble donc que, selon d’autres circonstances, on pourrait aussi concevoir d’autres espèces de colère.

2. Les " insociables ", ou " implacables ", sont présentés par lui comme ceux " dont la colère ne se dissipe pas sans sévices ou punition ". Mais cela appartient aussi à l’inflexibilité de la colère. Il semble donc que les " insociables " soient identiques aux " rancuniers ".

3. En S. Matthieu (5, 22) le Seigneur indique trois degrés de colère, lorsqu’il dit : " Quiconque se fâche contre son frère ", puis : " Celui qui dit à son frère - "crétin" ", enfin : " Celui qui dit à son frère : "renégat". " Mais ces degrés ne se rapportent pas aux espèces distinguées par Aristote. Les divisions de la colère par celui-ci ne semblent donc pas appropriées.

En sens contraire, S. Grégoire de Nysse dit qu’" il y a trois espèces de colère : la colère fielleuse, la maniaque ", qu’on appelle folie, " et la furieuse ". Ces trois colères semblent les mêmes que celles indiquées par Aristote. Car la colère fielleuse est " celle qui possède en elle-même son principe et son mouvement ", et qu’Aristote attribue aux emportés ; la colère maniaque est " celle qui demeure et qui dure ", et qu’Aristote attribue aux rancuniers ; la colère furieuse est " celle qui épie le moment propice au châtiment ", et qu’Aristote attribue aux insociables. S. Jean Damascène adopte la même division. La distinction donnée par Aristote n’est donc pas à rejeter.

Réponse :

La distinction indiquée peut se rapporter ou bien à la passion de colère ou bien au péché de colère lui-même. Nous avons montré , en traitant des passions, comment cette distinction se rapportait à la passion de colère. C’est surtout de cette façon que l’envisagent S. Grégoire de Nysse et le Damascène. Maintenant il nous faut examiner la distinction de ces espèces selon qu’elles se rapportent au péché de colère, comme fait Aristote.

On peut en effet considérer le désordre de la colère à deux points de vue. 1° Au point de vue de l’origine même de la colère. C’est le cas des " emportés ", qui se mettent trop vite en colère, et pour une cause légère. 2° On peut considérer le désordre de la colère au point de vue de sa durée, en ce qu’elle persiste trop longtemps. Ce qui peut se produire de deux façons. D’abord, parce que le motif de la colère, l’injure reçue, demeure trop longtemps en mémoire : il s’ensuit que l’homme en conçoit une tristesse durable ; aussi est-on lourd et amer à soi-même. Ensuite, cela se produit en raison de la vengeance elle-même, que l’on recherche avec obstination. C’est le fait des insociables ou des implacables, qui n’abandonnent pas la colère jusqu’à ce qu’ils aient puni.

Solutions :

1. Dans les espèces indiquées ce n’est pas principalement le temps que l’on considère, mais la facilité de l’homme à la colère ou son obstination dans la colère.

2. Les rancuniers et les implacables ont les uns et les autres une colère qui dure, mais pour un motif différent. Car les rancuniers ont une colère permanente à cause de la persistance de la tristesse qu’ils tiennent enfermée en eux-mêmes ; et comme ils ne se répandent pas en signes extérieurs de colère, ils ne peuvent être apaisés par les autres ; ils ne s’écartent pas non plus par eux-mêmes de la colère, à moins qu’avec le temps la tristesse ne s’efface, et qu’ainsi cesse la colère. - Mais chez les implacables la colère est durable à cause de leur violent désir de vengeance. Et c’est pourquoi elle ne s’élimine pas avec le temps, et seule la punition l’apaise.

3. Les degrés de colère indiqués par le Seigneur n’appartiennent pas aux diverses espèces de colère, mais se prennent selon le processus de l’acte humain. En eux il y a d’abord quelque chose qui prend naissance dans le cœur. A ce propos le Seigneur dit : " Quiconque se fâche contre son frère. " Puis, c’est quand la colère se manifeste au-dehors par quelques signes extérieurs, même avant de s’exprimer dans l’effet. A ce propos le Seigneur dit : " Celui qui dit à son frère : " crétin" ", ce qui est l’exclamation d’un homme en colère. Le troisième degré est atteint quand le péché, conçu intérieurement, est parvenu à son effet. Or l’effet de la colère est le dommage causé à autrui dans un but de vengeance. Mais le moindre des dommages est celui qui se fait par la parole seule. C’est pourquoi le Seigneur dit à ce propos : " Celui qui dit à son frère : "renégat". " Ainsi l’on voit que le deuxième degré ajoute au premier, et le troisième aux deux autres. Donc, si le premier est un péché mortel, dans le cas dont parle le Seigneur, à plus forte raison les deux autres. C’est pourquoi pour chacun d’eux sont assignés des degrés de condamnation correspondants. Pour le premier est assigné le " jugement ", qui est ce qu’il y a de moindre, car, dit S. Augustin " dans le jugement il y a encore place pour la défense ". Pour le second est assignée la " délibération ", au cours de laquelle " les juges discutent entre eux de la peine qu’il faut infliger ". Pour le troisième est assignée la " géhenne du feu ", qui est la " condamnation ".

 

            Article 6 — La colère est-elle un vice capital ?

Objections :

1. Non semble-t-il. En effet, la colère naît d’une tristesse. Or la tristesse est un vice capital, que l’on appelle " acédie ". La colère ne doit donc pas être considérée comme un vice capital.

2. La haine est un péché plus grave que la colère. On devrait donc, plus que la colère, en faire un vice capital.

3. A propos de ce texte des Proverbes (29, 22) " L’homme irascible engage la querelle ", la Glose déclare : " La colère est la porte de tous les vices : si cette porte est fermée, le repos intérieur sera donné aux vertus ; mais si elle est ouverte, l’âme sera mobilisée pour tous les forfaits. " Or aucun vice capital n’est le principe de tous les péchés, mais de certains en particulier. La colère ne doit donc pas être placée parmi les vices capitaux.

En sens contraire, S. Grégoire place la colère parmi les vices capitaux.

Réponse :

Comme on le voit par ce qui a été dit antérieurement, le vice capital est celui d’où naissent beaucoup d’autres vices. Or c’est un fait que beaucoup de vices peuvent naître de la colère, et pour une double raison.

1° En raison de son objet, qui a un caractère très désirable, puisque la vengeance est désirée sous l’aspect du juste ou de l’honnête, qui attire par sa dignité, on l’a vu plus haut.

2° En raison de son impétuosité, qui précipite l’esprit dans tous les désordres. Il est donc manifeste que la colère est un vice capital.

Solutions :

1. Cette tristesse d’où naît la colère n’est pas, dans la plupart des cas, le vice d’acédie, mais la passion de tristesse qui fait suite à une injure reçue.

2. Comme on l’a vu plus haut, le vice capital est celui qui a une fin très désirable, de sorte qu’ainsi, à cause du désir qu’on a d’elle, beaucoup de péchés se commettent. Or la colère, qui désire un mal sous la raison de bien, a une fin plus désirable que la haine qui désire un mal sous la raison de mal. C’est pourquoi la colère, plus que la haine, est un vice capital.

3. La colère est dite " porte des vices " pour une raison accidentelle, parce qu’elle supprime ce qui leur fait obstacle, en empêchant le jugement de la raison, par lequel l’homme s’éloigne du mal. Mais directement et par elle-même elle est cause de certains péchés particuliers qu’on appelle ses filles.

 

            Article 7 — Quelles sont les filles de la colère ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’on ait raison d’assigner six filles à la colère : " la querelle, l’excitation de l’esprit, l’outrage, la clameur, l’indignation, le blasphème ". Le blasphème est considéré par Isidore, comme un fille de l’orgueil. Il n’est donc pas une fille de la colère.

2. La haine naît de la colère, dit S. Augustin Elle devrait donc être comptée parmi les filles de la colère.

3. L’excitation de l’esprit semble être la même chose que l’orgueil. Or l’orgueil n’est pas la fille de quelque vice, mais " la mère de tous les vices ", comme S. Grégoire le rappelle. L’agitation tumultueuse de l’esprit ne doit donc pas être comptée parmi les filles de la colère.

En sens contraire, il y a que S. Grégoire attribue ces filles-là à la colère.

Réponse :

La colère peut être considérée d’une triple manière : d’abord, selon qu’elle est dans le cœur. A ce titre, elle engendre deux vices. L’un se prend du côté de celui contre qui l’homme s’irrite, qu’il estime indigne pour lui avoir fait une telle chose : c’est " l’indignation " ; l’autre vice se prend du côté de celui qui s’irrite, en tant qu’il rumine les différents moyens de se venger, et ces pensées gonflent son cœur comme dit Job (15, 2) : " Le sage se gonfle-t-il de vent ? " Et c’est " l’excitation de l’esprit ".

Ensuite la colère est considérée selon qu’elle est dans la bouche. Et ainsi elle engendre un double désordre : l’un qui fait que l’homme la manifeste dans sa manière de parler ; c’est lui que désigne le texte : " Celui qui dit à son frère : "renégat". " On a alors affaire à la " clameur ", par laquelle il faut entendre des mots désordonnés et confus. L’autre désordre fait que l’on se répand en paroles injurieuses. Si elles sont proférées contre Dieu, ce sera le " blasphème " ; si elles le sont contre le prochain, ce sera " l’outrage ".

Enfin la colère est considérée selon qu’elle va jusqu’à des voies de fait. Et ainsi de la colère naît " la querelle ", par laquelle il faut entendre tous les dommages que, de fait, la colère inflige au prochain.

Solutions :

1. Le blasphème que l’on profère de propos délibéré procède de l’orgueil de l’homme qui se dresse contre Dieu. L’Ecclésiastique dit en effet (10, 12) : " Le principe de l’orgueil, c’est d’abandonner le Seigneur ", ce qui veut dire que perdre le respect de Dieu est la première partie de l’orgueil, et fait naître le blasphème. Mais le blasphème que l’on profère parce que l’esprit a été bouleversé procède de la colère.

2. La haine, même si elle naît parfois de la colère, a néanmoins une cause antérieure d’où elle procède directement, et qui est la tristesse ; de même, à l’inverse, l’amour naît de la délectation. Or, de la tristesse ressentie on passe parfois à la colère et parfois à la haine. C’est pourquoi il est plus normal de dire que la haine naît de l’acédie (ou tristesse spirituelle) que de la colère.

3. L’excitation de l’esprit n’est pas prise ici pour l’orgueil, mais pour une certaine violence ou audace de l’homme qui cherche à se venger. Or l’audace est un vice opposé à la force.

 

            Article 8 — Y a-t-il un vice opposé à la colère ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’il y ait un vice opposé à la colère, provenant d’un manque d’irascibilité. Car il n’y a rien de vicieux qui fasse ressembler l’homme à Dieu. Or, lorsque l’homme est tout à fait sans colère, il ressemble à Dieu qui juge avec tranquillité. Il ne semble donc pas qu’il soit vicieux de manquer tout à fait de colère.

2. Le manque de ce qui n’est utile à rien n’est pas vicieux. Or le mouvement de colère n’est utile à rien, comme le prouve Sénèque u dans son traité de la colère. Il semble donc que le défaut de colère ne soit pas vicieux.

3. Le mal de l’homme, selon Denys est " d’être en dehors de la raison ". Or, en l’absence de tout mouvement de colère, le jugement de la raison demeure encore intact. Le défaut de colère ne cause donc jamais un vice.

En sens contraire, S. Chrysostome, commentant S. Matthieu, dit : " Celui qui ne se met pas en colère, quand il y a une cause pour le faire, commet un péché. En effet la patience déraisonnable sème les vices, entretient la négligence, et invite à mal faire non seulement les méchants, mais les bons eux-mêmes. "

Réponse :

La colère peut s’entendre de deux façons. D’une première façon, comme le simple mouvement de la volonté par lequel, non par passion, mais en vertu du jugement de la raison, on inflige une peine. En ce sens un manque de colère est sans aucun doute un péché. C’est de cette façon que S. Chrysostome conçoit la colère, lorsqu’il dit : " La colère qui est motivée n’est pas colère mais jugement. En effet la colère proprement dite signifie un ébranlement de la passion. Or celui qui s’irrite avec raison ne le fait pas par passion. C’est pourquoi on dit qu’il fait justice, et non qu’il se met en colère. "

D’une autre façon on entend par colère le mouvement de l’appétit sensible, qui s’accompagne de passion et d’une modification physique. Dans l’homme, ce mouvement fait suite nécessairement au simple mouvement de la volonté, parce que l’appétit inférieur suit naturellement le mouvement de l’appétit supérieur, à moins qu’il n’y ait un obstacle. C’est pourquoi le mouvement de colère ne peut faire totalement défaut dans l’appétit sensible, sauf par carence ou débilité du mouvement volontaire. Par voie de conséquence, le manque de la passion de colère est donc aussi un vice, de même que le défaut du mouvement volontaire pour punir conformément au jugement de la raison.

Solutions :

1. Celui qui ne se met pas du tout en colère alors qu’il le doit, imite peut-être Dieu quant au manque de passion, mais il ne l’imite pas à un autre point de vue, en ce que Dieu punit en vertu de son jugement.

2. La passion de colère est utile, comme tous les autres mouvements de l’appétit sensible, pour faire exécuter plus promptement ce que dicte la raison. Autrement, ce serait en vain qu’existerait en l’homme un appétit sensible, alors que la nature ne fait rien d’inutiles.

3. En celui qui agit de façon ordonnée, le jugement de la raison est non seulement cause du simple mouvement de la volonté, mais aussi de la passion de l’appétit sensible, nous venons de le dire. C’est pourquoi, de même que l’absence de l’effet signale l’absence de la cause, de même l’absence de colère signale l’absence du jugement de raison.

 

 

QUESTION 159 — LA CRUAUTÉ

1. S’oppose-t-elle à la clémence ? - 2. Comparaison de la cruauté avec la férocité ou sauvagerie.

 

            Article 1 — La cruauté s’oppose-t-elle à la clémence ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Sénèque dit en effet qu’" on appelle cruels ceux qui dépassent la mesure dans le châtiment ", ce qui est contraire à la justice. Or la clémence n’est pas considérée comme une partie de la justice, mais comme une partie de la tempérance. La cruauté ne semble donc pas s’opposer à la clémence.

2. Jérémie (6, 23) parle d’un peuple " cruel et sans pitié ". Il semble ainsi que la cruauté s’oppose à la miséricorde. Or la miséricorde n’est pas identique à la clémence, on l’a dit plus haute. La cruauté ne s’oppose donc pas à la clémence.

3. La clémence a trait à l’infliction des peines, on l’a dit, tandis que la cruauté se rapporte aussi à la suppression des bienfaits, d’après les Proverbes (11, 17 Vg) : " L’homme cruel afflige même ses proches. " La cruauté ne s’oppose donc pas à la clémence.

En sens contraire, Sénèque dit qu’" à la clémence s’oppose la cruauté, qui n’est rien d’autre que la barbarie de l’âme dans l’application des peines ".

Réponse :

Le mot cruauté (crudelitas) semble venir de crudité (cruditas). De même que les choses qui sont bien cuites et rendues digestes ont d’ordinaire une saveur agréable et douce, de même les choses qui sont crues ont une saveur repoussante et rude. Or on a dit plus haute que la clémence comporte une certaine douceur ou tendresse d’âme qui porte à diminuer les peines. La cruauté s’oppose donc directement à la clémence.

Solutions :

1. La diminution des peines, qui se fait conformément à la raison, relève de l’épikie, mais la douceur du sentiment qui y incline relève de la clémence ; de même l’excès du châtiment, si l’on considère l’action extérieure, relève de l’injustice, mais, si l’on considère la dureté d’âme qui rend prompt à augmenter les peines, cet excès relève de la cruauté.

2. La miséricorde et la clémence se rencontrent en ce que l’une et l’autre fuient et ont en horreur la misère d’autrui, de façon différente cependant. Car il appartient à la miséricorde de soulager la misère en accordant des bienfaits, tandis qu’il appartient à la clémence de diminuer la misère en atténuant les peines. Puisque la cruauté comporte une exagération dans les peines infligées, elle s’oppose, plus directement à la clémence qu’à la miséricorde. Cependant, à cause de la similitude de ces vertus, on tient parfois la cruauté pour un manque de miséricorde.

3. La cruauté est prise ici pour un manque de miséricorde, dont le propre est de ne pas accorder de bienfaits. Cependant on peut dire aussi que la suppression même du bienfait est une certaine peine.

 

            Article 2 — Comparaison de la cruauté avec la férocité ou sauvagerie

Objections :

1. Il semble que la cruauté ne diffère pas de la férocité ou sauvagerie. En effet, il semble qu’à une vertu soit opposé, d’un seul côté, un seul vice. Or à la clémence sont opposées par excès et la férocité et la cruauté. Il semble donc que la cruauté et la férocité soient identiques.

2. Isidore dit que " l’homme sévère (severus) est ainsi appelé comme étant sauvage et vrai (saevus et venus), car il fait justice sans indulgence ", et, par suite, la sévérité ou férocité semble exclure la rémission des peines dans les jugements, qui ressortit à la bonté. Or c’est là le fait de la cruauté, on l’a dit. La cruauté est donc la même chose que la férocité.

3. A la vertu s’oppose un vice par excès, et aussi un vice par défaut, lequel est à la fois contraire à la vertu, qui se trouve dans un juste milieu, et au vice par excès. Or un même vice par défaut s’oppose à la cruauté et à la férocité, c’est la lâcheté ou faiblesse. En effet S. Grégoire déclare : " Qu’il y ait de l’amour, mais sans mollesse ; de la rigueur, mais sans rudesse. Qu’il y ait du zèle, mais sans sévérité immodérée ; de la bonté, mais ne pardonnant pas plus qu’il ne convient. " La férocité est donc identique à la cruauté.

En sens contraire, pour Sénèque, " celui qui, sans avoir subi de dommage, s’irrite contre quelqu’un qui n’est pas un pécheur, n’est pas appelé cruel, mais féroce ou sauvage ".

Réponse :

Les mots de " férocité " et de " sauvagerie " se prennent par comparaison avec les bêtes sauvages, qui sont aussi appelées féroces. En effet, ces animaux s’attaquent aux hommes pour se repaître de leur chair, et ils ne le font pas pour une cause de justice, dont la considération appartient à la raison seule. C’est pourquoi, à proprement parler, on parle de sauvagerie ou de férocité à propos de celui qui, en infligeant des peines, ne considère pas la faute commise par celui qu’il punit, mais seulement le plaisir qu’il prend à la souffrance des hommes. Il est clair que cela fait partie de la bestialité, car une telle délectation n’est pas humaine, mais bestiale, provenant d’une habitude mauvaise ou d’une corruption de la nature, comme toutes les autres tendances bestiales de ce genre. La cruauté, au contraire, considère la faute en celui qui est puni ; toutefois, elle dépasse la mesure dans le châtiment. C’est pourquoi la cruauté diffère de la férocité ou sauvagerie, comme la malice humaine diffère de la bestialité, dit Aristote.

Solutions :

1. La clémence est une vertu humaine ; aussi la cruauté, qui est une malice humaine, s’oppose-t-elle à elle directement. La férocité ou sauvagerie, au contraire, fait partie de la bestialité. Il s’ensuit qu’elle ne s’oppose pas directement à la clémence, mais à une vertu plus excellente, qu’Aristote appelle " héroïque ou divine ", et qui semble, selon nous, appartenir aux dons du Saint-Esprit. On peut donc dire que la férocité s’oppose directement au don de piété.

2. " Sévère " n’équivaut pas purement et simplement à " féroce ", terme qui évoque le vice, mais à " féroce en ce qui concerne la vérité ", à cause d’une certaine ressemblance avec la férocité, qui n’adoucit pas les peines.

3. La rémission dans le fait de punir n’est un vice que si elle néglige l’ordre de la justice, selon lequel on devrait punir à proportion de la faute, ce que la cruauté dépasse. Mais la férocité, elle, ne fait aucune attention à cet ordre. C’est pourquoi la rémission dans le châtiment s’oppose directement à la cruauté, et non à la férocité.

Nous devons maintenant parler de la modestie. D’abord de la modestie en général (Q. 160) ; ensuite, de chacune de ses espèces en particulier (161-169).

 

 

QUESTION 160 — LA MODESTIE

1. Est-elle une partie de la tempérance ? - 2. Quelle est la matière de la modestie ?

 

            Article 1 — La modestie est-elle une partie de la tempérance ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. En effet modestie vient de " mesure " (modus). Or dans toutes les vertus la mesure est nécessaire, car la vertu est ordonnée au bien, et le bien, dit S. Augustin consiste dans " la mesure, l’espèce et l’ordre ". La modestie est donc une vertu générale, et on ne doit pas en faire une partie de la tempérance.

2. Le mérite de la tempérance semble consister principalement dans une certaine " modération ". Or c’est de celle-ci que vient le mot modestie. La modestie semble donc être identique à la tempérance, et non être l’une de ses parties.

3. La modestie semble porter sur la correction des autres, d’après S. Paul (2 Tm 2, 24) . " Le serviteur de Dieu ne doit pas être querelleur, mais doux à l’égard de tous, corrigeant avec modestie ceux qui résistent à la vérité. " Or la correction de ceux qui sont en faute est un acte de justice ou de charité, on l’a vu précédemment. Il semble donc que la modestie soit plutôt une partie de la justice que de la tempérance.

En sens contraire, Cicéron fait de la modestie une partie de la tempérance.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut la tempérance use de modération en ce qu’il y a de plus difficile à modérer : les convoitises des délectations du toucher. Or, partout où se trouve une vertu se rapportant spécialement à ce qui est plus important, il faut qu’il y ait une autre vertu se rapportant à ce qui l’est moins, car il est nécessaire que la vie de l’homme soit réglée en tout selon les vertus. C’est ainsi, comme on l’a vu plus haut, que la magnificence se rapporte aux grandes dépenses d’argent, et qu’à côté d’elle la libéralité est nécessaire, qui se rapporte aux dépenses de médiocre importance. Il est donc nécessaire qu’il y ait une vertu modératrice des petites choses, qu’il n’est pas aussi difficile de modérer. Cette vertu s’appelle la modestie, et elle est annexée à la tempérance comme à la vertu principale.

Solutions :

1. Un nom commun est parfois attribué aux plus petites choses ; c’est ainsi qu’on donne le nom commun d’" anges ", au dernier ordre des anges. De même aussi la " mesure ", qui se remarque communément en toute vertu, est attribuée spécialement à la vertu qui apporte la mesure dans les petites choses.

2. Certaines choses ont besoin d’être tempérées à cause de leur véhémence, comme on " tempère " le vin fort. Mais la modération est nécessaire en toutes choses. C’est pourquoi la tempérance a davantage trait aux passions violentes, et la modestie aux passions moindres.

3. La modestie s’entend ici de la mesure prise communément, selon qu’elle est nécessaire dans toutes les vertus.

 

Article 2 — Quelle est la matière de la modestie ?

Objections :

1. Il semble que la modestie ne concerne que les actes extérieurs. En effet, les mouvements intérieurs des passions ne peuvent pas être connus des autres. Or S. Paul demande (Ph 4, 5) que " notre modestie soit connue de tous les hommes ". La modestie ne se rapporte donc qu’aux actions extérieures.

2. Les vertus qui ont pour matière les passions se distinguent de la vertu de justice qui a pour matière les actions. Or la modestie semble être une seule vertu. Si donc elle a trait aux actions extérieures, elle n’aura pas trait aux passions intérieures.

3. Aucune vertu, demeurant une et la même, ne porte à la fois sur les choses se rapportant à l’appétit, ce qui est le propre des vertus morales ; sur les choses se rapportant à la connaissance, ce qui est le propre des vertus intellectuelles ; et sur les choses se rapportant à l’irascible et au concupiscible. Donc, si la modestie est une seule vertu, elle ne peut avoir tout cela pour matière.

En sens contraire, en tout ce dont on vient de parler, on doit observer la " mesure ", d’où la modestie tire son nom. La modestie concerne donc tout cela.

Réponse :

La modestie diffère de la tempérance, on l’a vu en ce que la tempérance modère ce qui est le plus difficile à réprimer, tandis que la modestie modère ce qui l’est médiocrement. Cependant les auteurs semblent avoir parlé diversement de la modestie. Partout où ils ont discerné une raison spéciale de bien ou de difficulté en matière de modération, ils ont soustrait cela à la modestie, réservant celle-ci aux modérations de moindre importance. Or il est clair pour tous que la répression des plaisirs du toucher présente une difficulté spéciale. C’est pourquoi tous ont distingué la tempérance de la modestie. Mais, en outre, Cicéron a vu qu’un certain bien spécial existait dans la modération des châtiments. Et c’est pourquoi il a soustrait la clémence à la modestie, réservant celle-ci pour toutes les autres choses qui restent à modérer.

Ces choses paraissent être au nombre de quatre. La première est le mouvement de l’âme vers une certaine supériorité, que modère l’humilité. La deuxième est le désir de ce qui se rapporte à la connaissance, ce que modère la studiosité, qui s’oppose à la curiosité. La troisième est ce qui se rapporte aux mouvements et aux actions du corps, afin qu’ils se fassent de façon décente et honnête, tant dans les choses faites sérieusement que dans celles faites par jeu. La quatrième est ce qui se rapporte aux apprêts extérieurs, dans les vêtements et les autres choses de ce genre.

Mais concernant certaines de ces choses, d’autres auteurs ont parlé de vertus particulières ; ainsi Andronicus mentionne " la mansuétude, la simplicité et l’humilité ", et autres vertus de ce genre, dont nous avons parlé plus haut. Aristote, lui, concernant les plaisirs des jeux, a mentionné " l’eutrapélie ". Tout cela rentre dans la modestie, au sens où l’entend Cicéron. Et, de cette manière, la modestie se rapporte non seulement aux actions extérieures, mais aussi aux mouvements intérieurs.

Solutions :

1. S. Paul parle de la modestie selon qu’elle porte sur les choses extérieures. Cependant la modération des mouvements intérieurs peut aussi se manifester par certains signes extérieurs.

2. Sous la modestie sont comprises différentes vertus, assignées par différents auteurs. Par conséquent rien n’empêche que la modestie ait pour matière des choses qui requièrent différentes vertus. Cependant il n’y a pas, entre les parties de la modestie, une différence aussi grande qu’entre la justice, qui porte sur les opérations, et la tempérance, qui porte sur les passions. Car, dans les actions et les passions en lesquelles il n’y a pas une difficulté exceptionnelle du côté de la matière, mais seulement du côté de la modération, il n’est question que d’une seule vertu, sous le rapport de la modération.

3. Et cela éclaire la réponse à donner à la troisième objection.

LES ESPÈCES DE LA MODESTIE

I1 faut maintenant étudier les différentes espèces de la modestie. I. L’humilité et l’orgueil qui s’oppose à elle (Q. 161-165). - II. La studiosité (Q. 166) et la curiosité qui lui est opposée (Q. 167). - III. La modestie dans les paroles et dans les gestes (Q. 168). - IV. La modestie dans la toilette extérieure (Q. 169).

 

 

QUESTION 161 — L’HUMILITÉ

1. Est-elle une vertu ? 2. Siège-t-elle dans l’appétit, ou dans le jugement de la raison ? - 3. Doit-on, par humilité, se mettre au-dessous de tous ? - 4. Fait-elle partie de la modestie ou de la tempérance ? - 5. Comparaison de l’humilité avec les autres vertus. - 6. Les degrés de l’humilité.

 

            Article 1 — L’humilité est-elle une vertu ?

Objections :

1. Il ne semble pas. La vertu implique en effet une notion de bien. Or l’humilité semble impliquer la raison de mal pénal, selon le Psaume (105, 18) : " On l’humilia en affligeant ses pieds d’entraves. " L’humilité n’est donc pas une vertu.

2. La vertu et le vice sont opposés. Or l’humilité se manifeste parfois dans le vice. L’Ecclésiastique dit en effet (19, 23 Vg) " Il y a celui qui s’humilia frauduleusement. "

3. Nulle vertu ne s’oppose à une autre vertu. Or l’humilité semble s’opposer à la vertu de magnanimité, qui tend aux grandes choses, alors que l’humilité les fuit.

4. La vertu, selon Aristote est " la disposition de ce qui est parfait ". Or l’humilité semble convenir aux imparfaits. C’est pourquoi il ne convient pas à Dieu de s’humilier, lui qui ne peut être au-dessous de personne. L’humilité n’est donc pas une vertu.

5. " Toute vertu morale a pour matière les actions ou les passions ", d’après Aristote. Or l’humilité n’est pas mise par lui au nombre des vertus qui ont trait aux passions, et elle n’est pas non plus rangée par lui sous la justice, qui porte sur les actions. Il semble donc qu’elle ne soit pas une vertu.

En sens contraire, Origène commentant ce verset de S. Luc (1, 48) : " Il a, regardé l’humilité de sa servante ", dit que, dans l’Écriture, l’humilité est expressément déclarée l’une des vertus, puisque le Sauveur a dit (Mt 11, 9) : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit antérieurement en traitant des passions, le bien ardu a quelque chose par quoi il attire l’appétit, à savoir sa raison de bien, et il a quelque chose qui provoque la répulsion, à savoir sa difficulté d’être atteint ; le premier de ces éléments fait naître un mouvement d’espoir, et le second un mouvement de découragement. Or nous avons dit plus haut qu’à des mouvements de l’appétit qui se comportent par mode d’impulsion, il faut qu’il y ait une vertu morale qui modère et refrène ; et à l’égard de ceux qui se comportent par mode de répulsion et de recul du côté de l’appétit, il faut qu’il y ait une vertu morale qui affermisse et pousse en avant. C’est pourquoi, en ce qui concerne l’appétit du bien ardu, deux vertus sont nécessaires : l’une qui tempère et refrène l’esprit, pour qu’il ne tende pas de façon immodérée aux choses élevées, et c’est la vertu d’humilité ; l’autre qui fortifie l’esprit contre le découragement, et le pousse à poursuivre ce qui est grand conformément à la droite raison, et c’est la magnanimité. Il apparaît donc ainsi que l’humilité est une vertu.

Solutions :

1. Selon Isidore " humble (humilis) signifie pour ainsi dire appuyé à terre (humi) ", c’est-à-dire adhérant à ce qui est bas. Ce qui se réalise de deux façons.

1° En vertu d’un principe extrinsèque, lorsque par exemple un homme est abaissé par un autre. Et alors l’humilité a un caractère pénal.

2° En vertu d’un principe intrinsèque. Cela peut parfois être bon, lorsque quelqu’un, par exemple, considérant ce qui lui manque, s’abaisse selon sa condition, comme Abraham disant au Seigneur (Gn 18, 27) : " Je parlerai à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre. " L’humilité est alors une vertu. Mais parfois cela peut être mauvais, lorsque, par exemple, " l’homme, oubliant sa dignité, se compare aux bêtes stupides, et devient semblable à elles " (Ps 49, 13).

2. Comme on vient de le dire, l’humilité, selon qu’elle est une vertu, comporte dans sa raison un certain abaissement louable vers le bas. Mais parfois cela a lieu seulement selon les signes extérieurs, selon les apparences. Aussi est-ce là " une fausse humilité ", dont S. Augustin dit qu’elle est " un grand orgueil ", car il semble qu’elle tende à une gloire supérieure. - Mais parfois cela a lieu selon le mouvement intérieur de l’âme. C’est en ce sens que l’humilité est appelée proprement une vertu, car la vertu ne consiste pas dans des choses extérieures, mais principalement dans le choix intérieur de l’esprit, comme le montre Aristote.

3. L’humilité réprime l’appétit, de peur qu’il ne tende vers ce qui est grand en s’écartant de la droite raison. La magnanimité, elle, pousse l’esprit vers ce qui est grand en se conformant à la droite raison. Il apparaît donc que la magnanimité ne s’oppose pas à l’humilité, mais au contraire qu’elles ont en commun de se conformer toutes deux à la droite raison.

4. Il y a deux façons de dire qu’un être est parfait. D’une première façon, un être est dit parfait purement et simplement, quand aucun défaut ne se trouve en lui, ni selon sa nature, ni par rapport à quelque autre chose. Et ainsi Dieu seul est parfait, et l’humilité ne lui convient donc pas selon la nature divine, mais seulement selon la nature humaine qu’il a assumée. - D’une autre façon on peut dire qu’un être est parfait sous quelque rapport, par exemple selon sa nature, ou selon sa condition, ou selon le temps. En ce sens l’homme vertueux est parfait. Sa perfection cependant reste déficiente en comparaison de Dieu. C’est ainsi qu’Isaïe (40, 17) peut dire : " Toutes les nations sont comme rien devant lui. " Et c’est ainsi que l’humilité peut convenir à tout homme.

5. Aristote voulait traiter des vertus selon qu’elles sont ordonnées à la vie civique, où la soumission d’un homme à un autre est déterminée selon l’ordre de la loi, et fait partie de la justice légale. Mais l’humilité, selon qu’elle est une vertu spéciale, regarde principalement la subordination de l’homme à Dieu, à cause de qui il se soumet aussi aux autres lorsqu’il s’humilie.

 

            Article 2 — L’humilité siège-t-elle dans l’appétit, ou dans le jugement de la raison ?

Objections :

1. Il ne semble pas que l’humilité siège dans l’appétit, mais plutôt dans le jugement de la raison. En effet, l’humilité s’oppose à l’orgueil. Or l’orgueil consiste surtout en ce qui se rapporte à la connaissance. S. Grégoire dit en effet : " L’orgueil, quand il s’étend extérieurement jusqu’au corps, se fait d’abord connaître par les yeux ", ce qui faisait dire au Psalmiste (131, 1) : " Seigneur, mon cœur ne s’est pas enflé d’orgueil, et mes regards n’ont pas été hautains. " Or les yeux servent surtout à la connaissance. Il semble donc que l’humilité se rapporte surtout à la connaissance que l’on prend de soi et qu’on estime petite.

2. Selon S. Augustin " l’humilité est presque toute la doctrine chrétienne ".. Il n’y a donc rien dans la doctrine chrétienne qui soit inconciliable avec l’humilité. Or la doctrine chrétienne nous invite à désirer ce qu’il y a de meilleur, comme dit S. Paul (1 Co 12, 3 1) : " Aspirez aux charismes les meilleurs. " L’humilité ne consiste donc pas à réprimer le désir des choses ardues, mais porte plutôt sur leur estimations.

3. Il appartient à la même vertu de réprimer un élan excessif et d’affermir l’âme contre un recul excessif Ainsi, c’est la même vertu de force qui réprime l’audace et qui affermit l’âme contre la peur. Or la magnanimité affermit l’âme contre les difficultés qui se rencontrent dans la poursuite des grandes choses. Donc, si l’humilité réprimait l’appétit des grandes choses, il s’ensuivrait qu’elle ne serait pas une vertu distincte de la magnanimité. Ce qui semble faux. L’humilité ne porte donc pas sur l’appétit des grandes choses mais plutôt sur leur estimation.

4. Andronicus place l’humilité dans le train de vie extérieur. Il dit en effet que l’humilité est " un habitus qui évite les excès dans les dépenses et les apprêts ". Elle ne règle donc pas le mouvement de l’appétit.

En sens contraire, S. Augustin dit que l’homme humble est " celui qui choisit d’être abaissé dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter dans la demeure des pécheurs ". Or le choix relève de l’appétit. L’humilité se trouve donc dans l’appétit, plutôt que dans l’estimation.

Réponse :

Comme on l’a dit, il appartient en propre à l’humilité que nous nous réprimions nous-mêmes, afin de ne pas être entraînés à ce qui nous dépasse. Mais il est nécessaire pour cela que nous prenions conscience de ce qui nous manque en comparaison de ce qui excède nos forces. C’est pourquoi la connaissance du manque qui nous est propre fait partie de l’humilité comme règle directrice de l’appétit. Pourtant, c’est dans l’appétit lui-même que l’humilité réside essentiellement. Aussi doit-on dire que le propre de l’humilité est de diriger et de modérer le mouvement de l’appétit.

Solutions :

1. L’élévation du regard est un signe d’orgueil, en tant qu’il exclut le respect et la crainte. Car ce sont surtout les gens timides et respectueux qui ont coutume de baisser les yeux, comme s’ils n’osaient pas se comparer aux autres. Il ne s’ensuit pas pour autant que l’humilité soit essentiellement dans la connaissance.

2. Prétendre à quelque chose de grand en se fiant à ses propres forces est contraire à l’humilité. Mais il n’est pas contraire à l’humilité de tendre à de grandes choses en mettant sa confiance dans le secours divin, surtout puisque l’on est d’autant plus élevé aux regards de Dieu que l’on se soumet davantage à lui par humilité. " Autre chose, dit S. Augustin est de s’élever vers Dieu, autre chose de s’élever contre Dieu. Celui qui s’abaisse devant lui est élevé par lui, et celui qui se dresse contre lui est abaissé par lui. "

3. On trouve dans la vertu de force une même et unique raison de réprimer l’audace et d’affermir l’âme contre la crainte. Cette unique raison est en effet que l’homme doit faire passer le bien de la raison avant les périls de la mort. Au contraire, la raison que nous avons de refréner la présomption de l’espérance, ce qui relève de l’humilité, est différente de la raison que nous avons d’affermir l’âme contre le désespoir, ce qui relève de la magnanimité. En effet, la raison que nous avons d’affermir l’âme contre le désespoir, est la conquête de notre bien propre, car il ne faut pas qu’en désespérant l’homme se rende indigne du bien qui lui convenait. S’agit-il en revanche de réprimer la présomption de l’espérance, la raison principale est prise alors de la révérence due à Dieu, qui fait que l’homme ne s’attribue pas plus qu’il ne lui revient selon le rang qu’il a reçu de Dieu. Ainsi donc l’humilité semble impliquer principalement la sujétion de l’homme à Dieu. C’est pourquoi S. Augustin, qui assimile l’humilité à la pauvreté en esprit, la fait dépendre du don de crainte, par lequel on révère Dieu. De là vient que la force se comporte autrement vis-à-vis de l’audace que l’humilité vis-à-vis de l’espoir. Car la force se sert de l’audace plus queue ne la réprime ; c’est pourquoi l’excès a plus de ressemblance avec elle que le défaut. L’humilité, au contraire, réprime l’espoir ou la confiance en soi-même plus qu’elle ne s’en sert ; c’est pourquoi l’excès est davantage en opposition avec elle que le défaut.

4. L’excès dans les dépenses et les apprêts extérieurs est d’ordinaire le fait d’une certaine fierté, que l’humilité réprime. De ce point de vue l’humilité se trouve secondairement dans les choses extérieures, selon qu’elles sont les signes du mouvement intérieur de l’appétit.

 

            Article 3 — Doit-on, par humilité, se mettre au-dessous de tous ?

Objections :

1 : Il ne semble pas. Car, on l’a dit l’humilité consiste principalement dans la sujétion de l’homme à Dieu. Mais ce qui est dû à Dieu ne doit pas être donné à l’homme, comme c’est clair pour tous les actes d’adoration. L’homme ne doit donc pas par humilité se mettre au-dessous de l’homme.

2. D’après S. Augustin, " l’humilité doit être placée du côté de la vérité, non du côté de la fausseté ". Or il y a des hommes qui occupent une très haute situation : s’ils se mettaient au-dessous de leurs inférieurs, cela ne pourrait pas se faire sans fausseté.

3. Nul ne doit faire ce qui tourne au détriment du salut d’autrui. Mais si par humilité l’on se mettait au-dessous d’un autre, cela tournerait parfois au détriment de celui à qui l’on se soumet, car cela pourrait lui inspirer de l’orgueil ou du mépris. C’est pourquoi S. Augustin a pu dire : " ... de peur qu’en observant une trop grand humilité, on ne détruise l’autorité qui doit gouverner. " Il ne faut donc pas que l’homme se mette au-dessous de tous par humilité.

En sens contraire, il y a ces paroles de S. Paul (Ph 2, 3) : " Que chacun par humilité estime les autres supérieurs à soi. "

Réponse :

On peut considérer deux points de vue en l’homme : ce qui est de Dieu, et ce qui est de l’homme. Mais tout ce qui est défaut est de l’homme, et tout ce qui est salut et perfection est de Dieu, selon Osée (13, 9) : " Ô Israël, ta perte vient de toi-même, ton secours de moi seul. " Or l’humilité, nous l’avons dit, regarde proprement la révérence par laquelle l’homme se soumet à Dieu. C’est pourquoi tout homme, s’il considère ce qui est de lui, doit se mettre au-dessous du prochain en considérant ce qui, en celui-ci, est de Dieu.

Mais l’humilité n’exige pas que l’on mette ce qui, en soi-même, est de Dieu, au-dessous de ce qui apparaît être de Dieu en l’autres. Car ceux qui reçoivent en partage les dons de Dieu savent bien qu’ils les ont. S. Paul dit en effet (1 Co 2, 12) que nous avons reçu l’Esprit qui vient de Dieu " afin de connaître les dons que Dieu nous a faits ". C’est pourquoi, sans manquer à l’humilité, on peut préférer les dons que l’on a soi-même reçus aux dons de Dieu qui paraissent avoir été attribués aux autres. Ce mystère, dit S. Paul (Ep 3, 5), " n’avait pas été communiqué aux hommes des temps passés comme il vient d’être révélé maintenant à ses saints Apôtres ".

De même l’humilité n’exige pas non plus que l’on mette ce que l’on a d’humain au-dessous de ce qui est humain dans le prochain. Autrement, il faudrait que tout homme se jugeât plus pécheur que tous les autres, et cependant S. Paul a pu dire sans manquer à l’humilité (Ga 2, 15) : " Nous sommes, nous, des juifs de naissance, et non de ces pécheurs de païens. "

Néanmoins, tout homme peut juger qu’il y a dans le prochain quelque chose de bon que lui-même n’a pas, ou qu’il y a en lui-même quelque chose de mauvais qui ne se trouve pas chez l’autre, ce qui lui permet de se mettre par humilité au-dessous du prochain.

Solutions :

1. Non seulement nous devons révérer Dieu en lui-même, mais aussi révérer en toute chose ce qui est de lui, non cependant par le même mode dont nous révérons Dieu. C’est pourquoi nous devons, par l’humilité, nous mettre au dessous de tous les autres à cause de Dieu. " Soyez soumis, dit S. Pierre (1 P 2, 13), à toute créature humaine à cause de Dieu. " Pour Dieu seul cependant nous devons montrer de l’adoration.

2. Si nous préférons ce qui est de Dieu dans le prochain à ce qui est propre en nous, nous ne pouvons tomber dans la fausseté. C’est pourquoi ce passage de S. Paul : " Que chacun par l’humilité estime les autres supérieurs à soi ", est ainsi commenté par la Glose . " Nous ne devons pas estimer cela par une sorte de feinte : estimons vraiment, au contraire, qu’il peut y avoir en l’autre quelque chose de caché qui nous soit supérieur, même si notre bien, par quoi nous paraissons lui être supérieur, n’est pas caché. "

3. L’humilité, comme du reste les autres vertus, réside principalement à l’intérieur de l’âme. On peut ainsi, selon l’acte intérieur de l’âme, se mettre au-dessous d’un autre, sans pour autant donner occasion à ce qui pourrait être au détriment de son salut. C’est en ce sens qu’Augustin dit dans sa " Règle " : " Que le supérieur, par un sentiment de crainte de Dieu, se mette sous vos pieds. " Mais dans les actes extérieurs d’humilité, comme aussi dans les actes des autres vertus, il faut user de la modération qui convient, pour qu’ils ne puissent tourner au détriment de l’autre. Si cependant quelqu’un fait ce qu’il doit, et que les autres en prennent occasion de pécher, cela n’est pas imputé à celui qui agit avec humilité, car il ne commet pas de scandale, bien qu’un autre soit scandalisé.

ARTICILE 4 : L’humilité fait-elle partie de la modestie ou tempérance ?

Objections :

1. Il semble que non. L’humilité, en effet, regarde principalement la révérence par laquelle on se soumet à Dieu, on l’a dit. Or il appartient à la vertu théologale d’avoir Dieu pour objet. L’humilité doit donc être considérée plutôt comme une vertu théologale que comme une partie de la tempérance ou modestie.

2. La tempérance est dans le concupiscible. Or l’humilité semble être dans l’irascible, comme aussi l’orgueil, qui lui est opposé, et qui a l’ardu pour objet. Il semble donc que l’humilité ne soit pas une partie de la tempérance ou modestie.

3. L’humilité et la magnanimité portent sur les mêmes choses, cela ressort de ce que nous avons dit. Or la magnanimité n’est pas une partie de la tempérance, mais plutôt de la force, ainsi qu’on l’a vu antérieurement. Il semble donc que l’humilité ne soit pas une partie de la tempérance ou modestie.

En sens contraire, commentant S. Luc, Origène dit : " Si tu veux savoir le nom de cette vertu, et comment l’appellent les philosophes, remarque que l’humilité sur laquelle Dieu abaisse ses regards est la même vertu que celle que les philosophes appellent métriotès ", c’est-à-dire mesure ou modération, laquelle appartient manifestement à la modestie ou tempérance. L’humilité fait donc partie de la modestie ou tempérance.

Réponse :

En assignant des parties aux vertus on fait principalement attention, nous l’avons dit plus haut à la ressemblance dans la manière d’agir de la vertu. Or la manière d’agir de la tempérance, d’où elle tire surtout son mérite, c’est le freinage ou la répression de l’emportement d’une passion. Voilà pourquoi toutes les vertus qui refrènent ou répriment l’élan des affections, ou qui modèrent les actions, sont considérées comme des parties de la tempérance. Or, de même que la douceur réprime le mouvement de colère, de même l’humilité réprime le mouvement d’espoir, qui est un élan de l’esprit tendant vers de grandes choses.

C’est pourquoi, de même que la douceur est une partie de la tempérance, de même l’humilité. Pour cette raison Aristote dit que celui qui tend vers de petites choses, selon ses possibilités, n’est pas appelé magnanime, mais " tempéré " : nous, nous pouvons l’appeler humble. Et, pour la raison dite plus haut, l’humilité, parmi les autres parties de la tempérance, est contenue sous la modestie, de la manière dont en parle Cicéron : en tant que l’humilité n’est rien d’autre qu’une certaine modération de l’esprit. " Ayez, dit S. Pierre (1 P 3, 4), la parure incorruptible d’une âme douce et humble. "

Solutions :

1. Les vertus théologales, qui se rapportent à la fin ultime . premier principe dans . le domaine du désirable, sont causes de toutes les autres vertus. Que l’humilité soit causée par la vénération de Dieu n’exclut donc pas qu’elle soit une partie de la modestie ou tempérance.

2. Les parties sont assignées aux vertus principales, non selon leur ressemblance quant au sujet ou à la matière mais selon leur ressemblance quant à leur forme d’agir, on l’a dit. C’est pourquoi, bien que l’humilité ait son siège dans l’irascible, elle n’en est pas moins placée parmi les parties de la modestie et de la tempérance à cause de son mode d’agir.

3. Quoique la magnanimité et l’humilité se rencontrent dans une même matière, elles diffèrent cependant par leur mode d’agir. C’est la raison pour laquelle la magnanimité est une partie de la force, et l’humilité une partie de la tempérance.

 

            Article 5 — Comparaison de l’humilité avec les autres vertus

Objections :

1. Il semble que l’humilité soit la plus importante des vertus. En effet, commentant ce qui est dit en S. Luc du pharisien et du publicain, S. Jean Chrysostome dit que " si l’humilité, même mêlée de fautes, court si facilement qu’elle dépasse la justice accompagnée d’orgueil, où n’ira-t-elle pas si elle est jointe à la justice ? Elle sera présente au tribunal de Dieu au milieu des anges ". Il apparaît ainsi que l’humilité l’emporte sur la justice. Or la justice est la plus remarquable de toutes les vertus, et renferme en elle toutes les vertus, comme le montre Aristote. L’humilité est donc la plus grande des vertus.

2. " Envisages-tu, dit S. Augustin, par l’homme qu’il a daigné assumer, fut un enseignement moral ". Or c’est principalement son humilité qu’il nous a proposé d’imiter, lorsqu’il a dit (Mt 11, 29) : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. " Et S. Grégoire affirme : " On découvre la preuve de notre rachat dans l’humilité de Dieu. " L’humilité semble être donc la plus grande des vertus.

En sens contraire, la charité l’emporte sur toutes les vertus, selon S. Paul (Col. 3, 14) : " Par-dessus tout, ayez la charité. " L’humilité n’est donc pas la plus grande des vertus.

Réponse :

Le bien de la vertu humaine réside dans l’ordre de la raison, lequel se prend principalement par rapport à la fin. C’est pourquoi les vertus théologales, qui ont la fin ultime pour objet, sont les plus grandes.

Secondairement, on prête attention à la manière dont les moyens sont ordonnés à la fin. Et cette ordonnance se trouve essentiellement dans la raison elle-même qui ordonne, et, par participation, dans l’appétit ordonné par la raison. Cette ordonnance est faite de manière universelle par la justice, surtout par la justice légale. L’humilité, elle, fait que l’homme demeure bien soumis en toutes choses à l’ordre, d’une façon universelle, tandis que toute autre vertu le fait en telle ou telle matière particulière. C’est pourquoi, après les vertus théologales, après aussi les vertus intellectuelles qui ont pour siège la raison elle-même, et après la justice, surtout légale, l’humilité est plus importante que les autres vertus.

Solutions :

1. L’humilité ne l’emporte pas sur la justice, mais sur " la justice à laquelle est joint l’orgueil " et qui a cessé d’être une vertu ; de même que, en sens inverse, le péché est remis par l’humilité : il est dit en effet du publicain que, en récompense de son humilité, " il s’en retourna chez lui justifié " (Lc 18, 14). C’est pourquoi S. Jean Chrysostome peut dire " Prête-moi deux attelages : l’un composé de la justice et de l’orgueil, l’autre du péché et de l’humilité. Tu verras le péché dépasser la justice, non par ses propres forces, mais par les forces de l’humilité qui lui est jointe ; et tu verras l’autre couple vaincu, non par la faiblesse de la justice, mais par le poids et l’enflure de l’orgueil. "

2. De même que l’assemblage ordonné des vertus est comparé, en raison d’une certaine ressemblance, à un édifice, de même ce qui est premier dans l’acquisition des vertus est comparé à la fondation qui est posée en premier dans l’édifice. Mais les véritables vertus sont infusées par Dieu. C’est pourquoi ce qui est premier dans l’acquisition des vertus peut s’entendre de deux façons : d’une première façon, parce qu’on enlève un obstacle. Et, à ce titre, l’humilité tient la première place, en tant qu’elle chasse l’orgueil auquel Dieu résiste, et rend l’homme docile et ouvert à l’influx de la grâce divine, en tant qu’elle vide l’enflure de la superbe. " Dieu résiste aux orgueilleux, écrit S. Jacques (4, 6), mais il donne sa grâce aux humbles. " C’est de cette façon que l’humilité est appelée le fondement de l’édifice spirituel.

D’une autre façon, dans les vertus quelque chose est premier directement, en donnant dès maintenant accès à Dieu. Or le premier accès à Dieu se fait par la foi. " Celui qui s’approche de Dieu doit croire " (He 11, 6). Et à ce titre c’est la foi qui est le fondement, d’une façon plus noble que l’humilité.

3. A qui méprise la terre, le ciel est promis. Ainsi à ceux qui méprisent les richesses terrestres sont promis les trésors célestes, selon cette parole (Mt 6, 19) : " Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, ... mais amassez-vous des trésors dans le ciel. " De même, à ceux qui méprisent les joies du monde sont promises les consolations célestes (Mt 5, 5) " Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. " De même encore l’élévation spirituelle est promise à l’humilité, non parce qu’elle la mérite à elle seule, mais parce qu’il lui appartient en propre de mépriser la grandeur terrestre. C’est pourquoi S. Augustin dit : " Ne crois pas que celui qui s’humilie sera toujours à terre, puisqu’il est dit : "Il sera exalté". Mais ne crois pas qu’il le sera aux yeux des hommes par les grandeurs terrestres. "

4. Le Christ nous a principalement recommandé l’humilité, parce que c’est le grand moyen d’écarter ce qui fait obstacle au salut qui consiste pour l’homme à tendre vers les biens célestes et spirituels, biens dont il est empêché quand il cherche la gloire dans le domaine terrestre. C’est pourquoi le Seigneur, pour faire disparaître l’obstacle au salut, a montré par des exemples d’humilité qu’il fallait mépriser la grandeur qui paraît au-dehors. L’humilité est ainsi comme une disposition qui permet d’accéder librement aux biens spirituels et divins. Donc, de même que la perfection est supérieure à la disposition, de même la charité et les autres vertus par lesquelles l’homme est directement conduit à Dieu sont supérieures à l’humilité.

 

            Article 6 — Les degrés de l’humilité

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse accepter la distinction de l’humilité en douze degrés que l’on trouve dans la " Règle " de S. Benoît (ch.7) : 1° " se montrer toujours humble de cœur et de corps, en tenant les yeux fixés à terre " ; 2° " parler peu, de choses sérieuses, et sans élever la voix " ; 3° " ne pas rire avec facilité et promptitude " ; 4° " garder le silence jusqu’à ce que l’on soit interrogé " ; 5° " observer la règle commune du monastère " ; 6° " se croire et se dire le plus méprisable de tous " ; 7° " s’avouer et se croire indigne et inutile en tout " ; 8° " confesser ses péchés " ; 9° " embrasser patiemment par obéissance les choses dures et pénibles " ; 10° " se soumettre avec obéissance au supérieur " ; 1l° " ne pas prendre plaisir à faire sa volonté propre " ; 12° " craindre Dieu et se rappeler tous ses commandements ". En effet, on énumère ici des choses qui se rapportent à d’autres vertus : à l’obéissance par exemple et à la patience. On énumère aussi des choses qui semblent relever d’une opinion fausse, qui n’est le fait d’aucune vertu, comme " se croire et se dire le plus méprisable de tous ", ou " s’avouer et se croire indigne et inutile en tout ". On a tort de placer tout cela parmi les degrés de l’humilité.

2. L’humilité, comme d’ailleurs les autres vertus, va de l’intérieur à l’extérieur. Dans les degrés indiqués on a donc tort de placer ce qui appartient aux actes extérieurs avant ce qui appartient aux actes intérieurs.

3. S. Anselme lui, distingue sept degrés d’humilité : 1° " se savoir méprisable " ; 2° " en être affligé " ; 3° " le confesser " ; 4° " le persuader ", c’est-à-dire vouloir qu’on le croie ; 5° " supporter patiemment qu’on le dise " ; 6° " supporter d’être traité avec mépris " ; 7° " aimer cela ". Les degrés indiqués plus haut semblent donc en surnombre.

4. A propos de S. Matthieu (3, 15), la Glose ajoute : " L’humilité parfaite a trois degrés : le premier est de se soumettre à ses supérieurs, et de ne pas se préférer à ses égaux, et c’est bien ; le deuxième est de se soumettre à ses égaux, et de ne pas se préférer à ses inférieurs, et c’est mieux ; le troisième est de se soumettre à ses inférieurs, et c’est la perfection. " Donc, les degrés indiqués semblent trop nombreux.

5. " La mesure de l’humilité, écrit S. Augustin est donnée à chacun à la mesure de sa grandeur. L’orgueil, qui est d’autant plus insidieux qu’on est plus grand, la met en danger. " Or la mesure de la grandeur humaine ne peut pas être fixée par un nombre déterminé de degrés. Il semble donc qu’on ne puisse assigner des degrés déterminés à l’humilité.

Réponse :

Comme on le voit par ce qui a été dit plus haut l’humilité se trouve essentiellement dans l’appétit, selon que l’homme refrène le mouvement de son âme pour l’empêcher de tendre à la grandeur de façon désordonnée. Mais l’humilité a sa règle dans la connaissance, afin que l’homme ne s’estime pas supérieur à ce qu’il est. Et le principe et la racine de cette double conduite, c’est la révérence de l’homme envers Dieu. Mais de cette humble disposition intérieure procèdent certains signes extérieurs dans les paroles, et dans les faits et gestes, qui manifestent ce qui se cache à l’intérieur, comme cela se passe aussi pour les autres vertus. En effet " à son air on connaît un homme, à son visage on connaît l’homme de sens ", dit l’Ecclésiastique (19, 29).

Dans les degrés indiqués de l’humilité se trouve quelque chose qui appartient à la racine de l’humilité, à savoir le douzième degré : " Craindre Dieu et se rappeler tous ses commandements. " On trouve aussi quelque chose qui appartient à l’appétit : ne pas tendre de façon désordonnée vers sa propre supériorité. Ce qui a lieu de trois manières : l° lorsque l’homme ne suit pas sa propre volonté, ce qui appartient au onzième degré ; 2° lorsqu’il règle sa volonté sur le jugement du supérieur, ce qui appartient au dixième degré ; 3° lorsqu’il ne s’écarte pas de cette voie dans les moments durs et pénibles de l’existence, ce qui appartient au neuvième degré.

On trouve encore certaines choses se rapportant à l’estimation de l’homme reconnaissant ses défauts, et cela de trois manières : l° par le fait que l’homme reconnaît et confesse ses propres défauts, ce qui appartient au huitième degré ; 2° par le fait que, considérant ses défauts, il s’estime incapable de grandes choses, ce qui appartient au septième degré ; 3° par le fait qu’il estime les autres supérieurs à lui sous ce rapport, ce qui appartient au sixième degré.

On trouve enfin certaines choses se rapportant aux signes extérieurs. Parmi ces signes il en est un dans les faits, lorsque l’homme, dans ses œuvres, ne s’écarte pas de la voie commune, ce qui appartient au cinquième degré. Il en est deux autres dans les paroles, lorsque l’homme ne devance pas le moment de parler, ce qui appartient au quatrième degré, et lorsqu’il ne dépasse pas la mesure en parlant, ce qui appartient au deuxième degré. Les autres signes se trouvent dans les gestes extérieurs, quand on réprime par exemple la hardiesse du regard, ce qui appartient au premier degré, et quand on retient le rire extérieur et les autres signes d’une joie inepte, ce qui appartient au troisième degré.

Solutions :

1. On peut sans fausseté " se croire et se déclarer le plus méprisable de tous ", selon les défauts cachés qu’on reconnaît en soi, et les dons de Dieu qui sont cachés dans les autres. C’est pourquoi S. Augustin peut dire : " Songez que certains ont sur vous de secrètes supériorités, même si vous apparaissez extérieurement meilleurs qu’eux. "

De même, on peut sans fausseté " s’avouer et se croire indigne et inutile en tout " si l’on considère ses propres forces, et que l’on rapporte tout son pouvoir à Dieu. " Ce n’est pas que de nous-mêmes, écrit S. Paul (2 Co 3, 5), nous ayons qualité pour revendiquer quoi que ce soit comme venant de nous ; notre capacité vient de Dieu. "

Il n’est pas illogique non plus de mettre au compte de l’humilité ce qui appartient à d’autres vertus puisque, de même qu’un vice sort d’un autre vice, de même, par un ordre naturel, l’acte d’une vertu procède de l’acte d’une autre vertu.

2. L’homme a deux moyens pour parvenir à l’humilité : le premier et le principal, c’est le don de la grâce. A ce point de vue, ce qui est intérieur précède ce qui est extérieur. Le second moyen, c’est l’effort de l’homme. A ce point de vue, l’homme commence par réprimer l’extérieur, et il parvient ensuite à extirper la racine intérieure. C’est en suivant cet ordre que sont indiqués ici les degrés de l’humilité.

3. Tous les degrés indiqués par S. Anselme se ramènent à connaître, à exprimer et à vouloir sa propre abjection. En effet, le premier degré appartient à la connaissance de ses propres défauts. Mais, parce qu’il serait blâmable d’aimer ses propres défauts, cela est exclu par le deuxième degré. A la manifestation de ses défauts se rapportent le troisième et le quatrième degré, de sorte qu’on ne déclare pas seulement ses défauts, mais qu’on veut en persuader les autres. Les trois autres degrés concernent l’appétit, qui ne cherche pas l’honneur mais l’abjection extérieure, ou la supporte avec égalité d’âme, qu’elle lui vienne par des paroles ou par des faits. Car, comme le dit S. Grégoire, " c’est peu d’être humble vis-à-vis de ceux qui nous honorent, puisque les séculiers en font autant ; mais nous devons surtout être humble vis-à-vis de eux qui nous font souffrir ". Et cela appartient aux cinquième et sixième degrés. Ou bien encore on embrasse volontiers les humiliations extérieures, ce qui appartient au septième degré. Et ainsi tous ces degrés sont compris dans les sixième et septième degrés de la liste de S. Benoît.

4. Ces degrés sont pris non en considérant la réalité elle-même, c’est-à-dire la nature de l’humilité, mais par comparaison avec le niveau des hommes, qui sont ou bien des supérieurs, des inférieurs ou des égaux.

5. Cet argument procède lui aussi des degrés d’humilité considérés non selon la nature même de l’humilité comme fait la liste de S. Benoît, mais selon les différentes conditions des hommes.

L’ORGUEIL

Nous allons maintenant étudier l’orgueil : d’abord, l’orgueil en général (Q. 162) ; ensuite, le péché du premier homme qui fut un péché d’orgueil (Q. 163-165).

 

 

QUESTION 162 — L’ORGUEIL EN GÉNÉRAL

1. L’orgueil est-il un péché ? - 2. Est-il un vice spécial ? - 3. Quel en est le siège ? - 4. Quelles sont ses espèces ? - 5. L’orgueil est-il péché mortel ? - 6. Est-il le plus grave de tous les péchés ? - 7. Ses rapports avec les autres péchés. - 8. Doit-on y voir un vice capital ?

 

            Article 1 — L’orgueil est-il un péché ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Aucun péché en effet ne fait l’objet d’une promesse divine. Dieu promet ce que lui-même va faire, mais il n’est pas l’auteur d’un péché. Or l’orgueil est cité parmi les promesses divines, comme on le voit dans Isaïe (60, 15) : "Je ferai de toi un objet d’éternel orgueil, un motif de joie d’âge en âge."

2. Désirer la ressemblance divine n’est pas un péché : il est en effet naturel à toute créature de le désirer, et en cela consiste la perfection. Cela convient surtout à la créature raisonnable, qui a été faite "à l’image et à la ressemblance de Dieu". Mais, dit Prosper d’Aquitaine l’orgueil est "l’amour de sa propre excellence", par laquelle l’homme ressemble à Dieu, l’excellence même. C’est ce qui fait dire à S. Augustin : "L’orgueil veut imiter ta grandeur, car toi seul, ô Dieu, es élevé au-dessus de tout." L’orgueil n’est donc pas un péché.

3. Le péché est non seulement contraire à une vertu, mais aussi à un vice opposé, comme le montre Aristote. Or on ne trouve pas de vice qui soit opposé à l’orgueil. L’orgueil n’est donc pas un péché.

En sens contraire, il y a dans le livre de Tobie (4,14) : "Ne laisse jamais l’orgueil dominer dans ton cœur ou dans tes paroles."

Réponse :

L’orgueil (superbia) tire son nom de ce que l’on prétend volontairement à ce qui nous dépasse. Comme dit Isidore : "Le "superbe" est ainsi appelé parce qu’il veut paraître "supérieur" à ce qu’il est : en effet celui qui veut dépasser ce qu’il est est un orgueilleux." Or la raison droite exige que la volonté de chacun se porte à ce qui lui est proportionné. Il est donc clair que l’orgueil implique quelque chose qui s’oppose à la droite raison. Or cela constitue un péché, car, selon Denys le mal de l’âme est "d’être en dehors de la raison". L’orgueil est donc manifestement un péché.

Solutions :

1. L’orgueil peut s’entendre de deux façons : d’abord en ce sens qu’il dépasse la règle de la raison. C’est ainsi que nous disons qu’il est un péché. D’autre part, l’orgueil peut simplement tirer son nom de la surabondance. En ce sens, tout ce qui est surabondant peut être appelé orgueil. C’est ainsi que l’orgueil est promis par Dieu, à la manière d’une surabondance de biens. C’est pourquoi la Glose de Jérôme commentant ce passage, dit qu’il y a un orgueil bon et un orgueil mauvais. On pourrait dire encore que l’orgueil est entendu ici de façon matérielle pour l’abondance de biens dont les hommes peuvent s’enorgueillir.

2. La raison est ordonnatrice de ce que l’homme désire par nature. Et ainsi, si quelqu’un s’écarte de la règle de raison, soit en plus soit en moins, un tel appétit sera vicieux, comme on le voit pour l’appétit de la nourriture, qu’il est cependant naturel de désirer. Or l’orgueil désire l’excellence en excédant ce qui convient à la raison droite. C’est pourquoi S. Augustin dit que l’orgueil est "le désir d’une grandeur déréglée". Et il dit encore : "L’orgueil est une imitation perverse de Dieu. Il déteste en effet l’égalité avec les égaux sous la dépendance de Dieu, et veut au contraire leur imposer sa propre domination à la place de celle de Dieu."

3. L’orgueil s’oppose directement à la vertu d’humilité qui, en un certain sens, concerne les mêmes objets que la magnanimité, nous l’avons vu plus haut. Il en résulte que le vice qui s’oppose par défaut à l’orgueil est proche du vice de pusillanimité, qui s’oppose par défaut à la magnanimité. En effet, de même qu’il appartient à la magnanimité de pousser l’âme à de grandes choses à l’encontre du désespoir, de même il appartient à l’humilité de retenir l’âme du désir désordonné des grandes choses, à l’encontre de la présomption. Or la pusillanimité, quand elle comporte un défaut dans la poursuite des grandes choses, s’oppose à proprement parler à la magnanimité par défaut ; et quand elle comporte une application de l’âme à des choses plus viles qu’il ne convient à l’homme, elle s’oppose à l’humilité par défaut : l’un et l’autre aspect procède en effet d’une petitesse d’âme. Et de même, à l’inverse, l’orgueil peut par excès s’opposer à la fois à la magnanimité et à l’humilité, selon des aspects différents : il s’oppose à l’humilité en tant qu’il méprise la sujétion, et à la magnanimité en tant qu’il prétend de façon désordonnée aux grandes choses. Cependant, comme l’orgueil implique une certaine supériorité, il s’oppose plus directement à l’humilité ; et de même la pusillanimité, qui implique une petitesse d’âme dans la poursuite des grandes choses s’oppose plus directement à la magnanimité.

 

            Article 2 — L’orgueil est-il un vice spécial ?

Objection : 1. Il ne semble pas. En effet, S. Augustin dit : " Tu ne trouveras aucun péché qui ne fasse appel à l’orgueil. " Prosper d’Aquitaine lui aussi, dit qu’" aucun péché ne peut être, n’a pu être ou ne pourra être sans l’orgueil ". L’orgueil est donc un péché général.

2. Commentant ce passage de Job (33, 17) " ... pour le détourner de ses œuvres et mettre fin à son orgueil ", la Glose dit que " s’enorgueillir contre le Créateur c’est transgresser ses commandements par le péché ". Or, selon S. Ambroise, tout péché est " une transgression de la loi divine et une désobéissance aux commandements venus du ciel ". Tout péché est donc orgueil.

3. Un péché particulier s’oppose toujours à une vertu particulière. Or l’orgueil s’oppose à toutes les vertus, si l’on en croit S. Grégoire : " L’orgueil ne se contente nullement de la destruction d’une seule vertu. Il se lève en toutes les parties de l’âme, et, comme une maladie générale et pestilentielle, il corrompt le corps tout entier. " Quant à Isidore il dit que l’orgueil " est la ruine de toutes les vertus ". L’orgueil n’est donc pas un péché spécial.

4. Tout péché particulier a une matière particulière. Or l’orgueil a une matière générale. S. Grégoire dit en effet : " L’un s’enorgueillit de la richesse, l’autre de l’éloquence, un autre de choses basses et terrestres, un autre encore de vertus sublimes. " L’orgueil n’est donc pas un péché spécial.

En sens contraire, il y a ce que dit S. Augustin : " Que l’on cherche, et l’on trouvera que, selon la loi de Dieu, l’orgueil est un vice tout à fait distinct des autres. " Or le genre ne se distingue pas de ses espèces. L’orgueil n’est donc pas un péché général, mais un péché particulier.

Réponse :

On peut considérer le péché d’orgueil de deux façons : d’une première façon, selon le caractère spécifique, qui se prend de l’objet propre. A ce point de vue l’orgueil est un péché particulier, parce qu’il a un objet particulier ; c’est en effet l’appétit désordonné de sa propre excellence, nous l’avons dit.

D’une autre façon, on peut considérer l’orgueil selon l’influence qu’il exerce sur les autres péchés. A ce point de vue il a une certaine généralité, en ce sens que l’orgueil peut engendrer tous les péchés, et cela de deux manières : directement d’abord, en tant que les autres péchés sont ordonnés à la fin de l’orgueil, qui est la supériorité du sujet, à laquelle peut être ordonné tout ce que l’on désire de façon désordonnée ; indirectement ensuite et par accident, par la suppression de l’obstacle au péché, en tant que par l’orgueil l’homme méprise la loi divine, qui l’empêche de pécher. Rappelons ce que dit Jérémie (2, 20) : " Tu as brisé ton joug, rompu tes liens, tu as dit : "je ne servirai pas". "

Il faut savoir cependant que ce caractère général de l’orgueil signifie que tous les vices peuvent naître de l’orgueil, mais cela ne veut pas dire que tous naissent toujours de lui. En effet, quoique l’on puisse transgresser tous les préceptes de la loi en péchant de quelque façon par mépris, ce qui est le propre de l’orgueil, ce n’est cependant pas toujours par mépris que l’on transgresse les préceptes divins, mais parfois par ignorance, et parfois par faiblesse. C’est pourquoi S. Augustin peut dire : " Beaucoup de choses se font de façon vicieuse, qui ne se font pas par orgueil. "

Solutions :

1. Ce n’est pas ici une parole de S. Augustin lui-même, mais la parole d’un autre avec lequel il discute. Il la rejette plus loin, en montrant qu’on ne pèche pas toujours par orgueil.

On peut dire cependant que ces citations se comprennent quand on considère l’effet extérieur de l’orgueil, qui est une transgression des préceptes, ce qui se retrouve en tout péché, mais non quand on considère l’acte intérieur de l’orgueil, qui est mépris du précepte. Car le péché ne se commet pas toujours par mépris, mais parfois par ignorance, et parfois par faiblesse, on vient de le dire.

2. On commet parfois un péché effectivement, mais sans que l’affection y prenne part. Ainsi celui qui, sans le savoir, tue son père, commet un parricide en fait, mais non selon l’affection, car il n’en avait pas l’intention. C’est en ce sens qu’on dit que transgresser un précepte de Dieu c’est s’enorgueillir contre Dieu : c’est toujours vrai en fait, mais pas toujours selon l’affection.

3. Un péché peut détruire la vertu de deux façons : d’une première façon, parce qu’il est directement contraire à une vertu. Et de cette façon l’orgueil ne détruit pas toute vertu, mais seulement l’humilité ; de même que tout autre péché spécial détruit la vertu spéciale qui lui est opposée, en agissant En sens contraire.

D’une autre façon un péché détruit la vertu en usant mal de la vertu elle-même, et ainsi l’orgueil détruit toute vertu, en tant qu’il prend occasion des vertus pour s’enorgueillir, comme aussi de toute autre chose permettant de se faire valoir. Il ne s’ensuit pas que l’orgueil soit un péché général.

4. L’orgueil a un objet d’une espèce particulière, objet qui peut cependant se retrouver en différentes matières. Il est en effet un amour désordonné de sa propre excellence. Or l’excellence peut se retrouver en différents domaines.

 

            Article 3 — Quel est le siège de l’orgueil ?

Objections :

1. Il semble que l’orgueil ne siège pas dans l’irascible. En effet, d’après S. Grégoire, "l’obstacle à la vérité, c’est l’enflure de l’esprit, car, tandis qu’il se gonfle, il s’obscurcit". Or la connaissance de la vérité n’appartient pas à l’irascible, mais à la faculté rationnelle. L’orgueil n’est donc pas dans l’irascible.

2. S. Grégoire dit : "Les orgueilleux ne considèrent pas la vie de ceux à qui ils devraient se juger inférieurs par humilité, mais de ceux à qui ils se jugent supérieurs par orgueil." Ainsi, semble-t-il, l’orgueil procède d’une considération indue. Or la considération ne relève pas de l’irascible, mais plutôt du rationnel. L’orgueil n’est donc pas dans l’irascible, mais plutôt dans le rationnel.

3. L’orgueil recherche l’excellence non seulement dans les choses sensibles, mais aussi dans les choses spirituelles. Il consiste même principalement dans le mépris de Dieu, comme dit l’Ecclésiastique (10, 12) : "Le principe de l’orgueil : c’est d’abandonner le Seigneur." Mais l’irascible, qui fait partie de l’appétit sensible, ne peut pour cette raison s’étendre à Dieu et aux réalités intelligibles. L’orgueil ne peut donc pas être dans l’irascible.

4. Selon Prosper d’Aquitaine, " l’orgueil est l’amour de sa propre excellence ". Or l’amour n’est pas dans l’irascible mais dans le concupiscible. L’orgueil n’est donc pas dans l’irascible.

En sens contraire, S. Grégoire oppose à l’orgueil le don de crainte. Or la crainte appartient à l’irascible. L’orgueil est donc dans l’irascible.

Réponse :

Le siège d’une vertu ou d’un vice doit se déterminer d’après leur objet propre. En effet, un habitus ou un acte ne sauraient avoir un objet différent de celui de la puissance qui est leur siège. Or l’objet propre de l’orgueil est quelque chose d’ardu : l’orgueil est en effet le désir de la propre excellence, on l’a vu. Il faut donc que, de quelque manière, l’orgueil appartienne à la puissance irascible.

Mais on peut entendre l’irascible en deux sens : 1° Au sens propre. Il est alors une partie de l’appétit sensible, de même que la colère (ira), entendue au sens propre, est une passion de l’appétit sensible. 2° L’irascible peut s’entendre en un sens plus large et être attribué aussi à l’appétit intellectuel. A celui-ci est attribuée parfois également la colère ; ainsi attribue-t-on la colère à Dieu et aux anges, non sans doute comme passion, mais comme un acte de justice. Ce n’est pas cependant en ce sens général que l’irascible est une puissance distincte du concupiscible, comme on le voit par ce qui a été dit dans la première Partie.

Donc, si l’ardu qui est l’objet de l’orgueil était seulement quelque chose de sensible, à quoi pourrait tendre l’appétit sensible, il faudrait que l’orgueil soit dans l’irascible, qui est une partie de l’appétit sensible. Mais comme l’ardu, que regarde l’orgueil, se trouve généralement à la fois dans le domaine sensible et dans le domaine spirituel, il est nécessaire de dire que le siège de l’orgueil est l’irascible entendu non seulement au sens propre, selon qu’il est une partie de l’appétit sensible, mais aussi en un sens plus général, selon qu’il se trouve dans l’appétit intellectuel ou volonté. C’est pourquoi on attribue de l’orgueil aux démons.

Solutions :

1. La connaissance de la vérité est double. L’une est purement spéculative. L’orgueil fait obstacle à celle-ci de façon indirecte, en supprimant la cause. En effet, l’orgueilleux ne soumet pas son intelligence à Dieu pour recevoir de lui la connaissance de la vérité. On peut lire en S. Matthieu (11, 25) : " Tu as caché ces choses aux sages et aux habiles ", c’est-à-dire aux orgueilleux, qui se croient sages et habiles, " et tu les as révélées aux petits ", c’est-à-dire aux humbles. L’orgueilleux ne daigne pas non plus s’instruire auprès des hommes, alors que l’Ecclésiastique a dit (6, 33) : " Si tu prêtes l’oreille ", en écoutant avec humilité, " tu recevras la doctrine ".

Mais il y a une autre connaissance de la vérité, qui est une connaissance affective. L’orgueil empêche directement cette connaissance de la vérité. Car les orgueilleux, prenant plaisir en leur propre excellence, ont en dégoût l’excellence de la vérité. S. Grégoire dit que les orgueilleux " ont quelque perception des choses secrètes, mais ne peuvent en expérimenter la douceur ; s’ils en ont la science, ils en ignorent la saveur ". C’est pourquoi on peut lire dans les Proverbes (11, 2) " Chez les humbles se trouve la sagesse. "

2. Comme on l’a vu, l’humilité observe la règle de la droite raison, selon laquelle on a une juste estimation de soi. L’orgueil, au contraire, n’observe pas cette règle de la raison droite, mais s’estime au-dessus de ce qu’il est. Cela provient d’un appétit désordonné de sa propre excellence, car ce que l’on désire ardemment, on le croit facilement. Il en résulte aussi que son désir se porte plus haut qu’il ne convient. C’est pourquoi tout ce qui porte l’homme à s’estimer au-dessus de ce qu’il est, le conduit à l’orgueil. En particulier, cela se produit quand on considère les défauts des autres, alors qu’au contraire, dit S. Grégoire " les saints hommes mettent les autres au-dessus d’eux-mêmes en considérant leurs vertus ". Cela ne prouve donc pas que l’orgueil soit dans le rationnel, mais qu’il y ait dans la raison quelque cause d’orgueil.

3. L’orgueil n’est pas seulement dans l’irascible selon qu’il est une partie de l’appétit sensible, mais selon que l’irascible est entendu en un sens plus large, on vient de le voir.

4. Comme dit S. Augustin. l’amour précède toutes les autres affections de l’âme et en est la cause. C’est pourquoi il peut être engagé dans chacune des autres affections. C’est ainsi que l’orgueil se définit un amour de sa propre excellence, en tant que c’est l’amour qui provoque la présomption désordonnée d’être supérieur aux autres, ce qui appartient proprement à l’orgueil.

 

            Article 4 — Quelles sont les espèces de l’orgueil ?

Objections :

1. Il ne semble pas juste d’attribuer à l’orgueil les quatre espèces que lui assigne S. Grégoire : " L’enflure des orgueilleux se manifeste de quatre manières : lorsqu’ils estiment que le bien qu’ils possèdent leur vient d’eux-mêmes ; ou lorsqu’ils pensent l’avoir reçu pour leurs mérites, s’ils croient que ce bien leur a été donné d’en haut ; ou lorsqu’ils se vantent d’avoir ce qu’ils n’ont pas ; ou, lorsque, méprisant les autres, ils désirent paraître posséder seuls le bien qu’ils ont. " En effet, l’orgueil est un vice distinct de l’infidélité, de même que l’humilité est une vertu distincte de la foi. Or, quand on estime que le bien qu’on a ne vient pas de Dieu, ou qu’on obtient la grâce de Dieu par ses propres mérites, cela ressortit à l’infidélité. Il n’y a donc pas là des espèces de l’orgueil.

2. Une même réalité ne doit pas être donnée comme une espèce appartenant à des genres différents. Or on a dit que la vantardise est une espèce du mensonge. On ne doit donc pas en faire une espèce de l’orgueil.

3. Il y a d’autres vices qui semblent appartenir à l’orgueil et qui ne sont pas énumérés par S. Grégoire. S. Jérôme dit en effet que " rien ne paraît aussi orgueilleux qu’un ingrat ". Et S. Augustin déclare : " S’excuser d’un péché que l’on a commis appartient à l’orgueil. " La présomption aussi, par laquelle on cherche à acquérir ce qui nous dépasse, semble appartenir surtout à l’orgueil. Les espèces d’orgueil ne sont donc pas toutes comprises dans la division de S. Grégoire.

4. On trouve d’autres divisions de l’orgueil. S. Anselme distingue trois exaltations de l’orgueil, lorsqu’il dit qu’il y en a une " dans la volonté ", une autre " dans les paroles ", et une autre " dans les actions ". S. Bernard compte douze degrés de l’orgueil : " La curiosité, la légèreté d’esprit, la joie inepte, la jactance, la singularité, l’arrogance, la présomption, l’excuse des péchés, la fausse confession, la rébellion, le désir de liberté, l’habitude de pécher. " Ces formes d’orgueil ne paraissent pas comprises parmi les espèces assignées par S. Grégoire. Sa division ne paraît donc pas exacte.

En sens contraire, l’autorité de S. Grégoire suffit.

Réponse :

Comme on l’a vu, l’orgueil comporte un désir immodéré d’excellence, qui n’est pas conforme à la droite raison. Or il faut remarquer que toute excellence découle d’un bien réellement possédé. Ce bien peut être considéré de trois manières.

1° En lui-même ; il est évident que plus le bien que l’on a est grand, plus l’excellence qui en résulte est grande. C’est pourquoi lorsqu’on s’attribue un bien plus grand que celui que l’on a, il en résulte que l’appétit tend vers une excellence propre qui dépasse la mesure qui convient. C’est la troisième espèce d’orgueil : " Quand on se vante d’avoir ce que l’on n’a pas. "

2° En sa cause. Il est plus excellent d’avoir un bien par soi-même que de le tenir d’un autre. C’est pourquoi, quand quelqu’un considère le bien qu’il a d’un autre comme si ce bien lui venait de lui-même, son appétit se porte vers sa propre excellence au-dessus de sa mesure. Or quelqu’un est cause de son bien de deux façons : l° Effectivement ; 2° en raison du mérite. C’est de ce point de vue que sont retenues les deux premières espèces d’orgueil : " quand on pense avoir par soi-même ce que l’on a de Dieu ", ou " quand on croit que ce qui nous a été donné d’en haut est dû à nos propres mérites ".

3° Dans la manière de posséder : quelqu’un acquiert une excellence supérieure quand il possède un bien d’une manière plus excellente que les autres. De cela aussi il résulte que l’appétit se porte de façon désordonnée vers sa propre excellence. De ce point de vue est retenue la quatrième espèce d’orgueil : " Quand, méprisant les autres, on veut paraître le seul. "

Solutions :

1. La juste appréciation peut être faussée de deux manières : 1° D’une manière universelle. Ainsi, dans ce qui touche à la fin, la juste appréciation est faussée par le manque de foi ; 2° d’une manière particulière, quand il s’agit d’un bien particulier désirable. Cela ne constitue pas un manque de foi. Celui qui fornique, par exemple, estime, à ce moment-là, qu’il est bon pour lui de forniquer ; il ne manque pas à la foi cependant, comme il le ferait s’il disait de manière universelle que la fornication est bonne.

Cette distinction s’applique à l’orgueil. Car dire de manière universelle qu’un bien ne vient pas de Dieu, et que la grâce est donnée par suite des mérites de l’homme, c’est un manque de foi. Mais lorsque quelqu’un, par appétit désordonné de sa propre excellence, se glorifie de ses biens comme s’il les avait par soi ou en vertu de ses propres mérites, cela relève de l’orgueil et non, à proprement parler, du manque de foi.

2. La jactance ou vantardise est une espèce du mensonge, quand on considère l’acte extérieur par lequel quelqu’un s’attribue faussement ce qu’il n’a pas. Mais quand on considère l’arrogance intérieure du cœur, elle est placée par Grégoire parmi les espèces d’orgueil.

3. L’ingrat est celui qui s’attribue à lui-même ce qu’il tient d’un autre. Les deux premières espèces d’orgueil ressortissent donc à l’ingratitude. Mais si quelqu’un se disculpe du péché qu’il a commis, cela appartient à la troisième espèce, car cela revient à s’attribuer le bien de l’innocence qu’on n’a pas. Et quand on a la présomption de tendre à ce qui nous dépasse, cela semble appartenir principalement à la quatrième espèce, par laquelle on veut se préférer aux autres.

4. Les trois espèces distinguées par S. Anselme s’entendent selon le processus de tout péché, qui d’abord est conçu dans le cœur ; ensuite est proféré par la bouche ; enfin est consommé par l’acte.

Les douze degrés indiqués par S. Bernard sont pris par opposition aux douze degrés d’humilité dont nous avons parlé plus haut. En effet, le premier degré d’humilité est " de se montrer toujours humble de cœur et de corps, en tenant ses regards fixés à terre ". A quoi s’oppose la curiosité, qui promène partout ses regards avec indiscrétion et sans retenue. Le deuxième degré d’humilité est " de parler peu et de façon raisonnable, sans éclats de voix ". A quoi s’oppose la légèreté d’esprit, qui fait que l’homme se comporte avec superbe dans ses propos. Le troisième degré d’humilité est " de ne pas rire avec facilité et promptitude ". A quoi s’oppose la joie inepte. Le quatrième degré d’humilité est " de garder le silence jusqu’à ce que l’on soit interrogé ". A quoi s’oppose la jactance. Le cinquième degré d’humilité est " d’observer la règle commune du monastère ". A quoi s’oppose la singularité, par laquelle on veut paraître plus saint que l’on n’est. Le sixième degré d’humilité est " de se croire et de se déclarer le plus méprisable de tous ". A quoi s’oppose l’arrogance, qui fait que tous se préfère aux autres. Le septième degré d’humilité est " de s’avouer et de se croire inutile et incapable en tout ". A quoi s’oppose la présomption que l’on croit capable des plus grandes choses. Le huitième degré de l’humilité est l’aveu de ses péchés. A quoi s’oppose la promptitude à s’en excuser. Le neuvième degré est " de faire preuve de patience dans les moments durs et pénibles ". A quoi s’oppose la fausse confession, qui manifeste le refus de subir la peine pour les péchés que l’on a fait semblant de regretter. Le dixième degré d’humilité est " l’obéissance ". A quoi s’oppose la rébellion. Le onzième degré d’humilité est " de ne pas prendre plaisir à faire sa volonté ". A quoi s’oppose la liberté par où l’on se réjouit de faire librement ce que l’on veut. Le dernier degré d’humilité est " la crainte de Dieu ". A quoi s’oppose l’habitude de pécher, qui implique le mépris de Dieu. Dans ces douze degrés on signale non seulement les espèces de l’orgueil, mais aussi certaines de ses causes et de ses conséquences. Nous avons dit plus haut la même chose à propos de l’humilité.

 

            Article 5 — L’orgueil est-il péché mortel ?

Objections :

1. Il semble que non. A propos du Psaume (7, 4) : " Seigneur mon Dieu, si j’ai fait cela ", la Glose ajoute : " ... c’est-à-dire tout péché, qui est orgueil. " Donc, si l’orgueil était péché mortel, tout péché serait mortel.

2. Tout péché est contraire à la charité. Or l’orgueil ne semble pas toujours contraire à la charité, ni quant à l’amour de Dieu, ni quant à l’amour du prochain, car l’excellence que l’on recherche par orgueil de façon désordonnée n’est pas toujours contraire à l’honneur de Dieu ou à l’utilité du prochain.

3. Tout péché mortel est contraire à la vertu. Or l’orgueil n’est pas contraire à la vertu, mais il en procède plutôt. " L’homme, dit S. Grégoire s’enorgueillit parfois des vertus les plus hautes et les plus célestes. " L’orgueil n’est donc pas un péché mortel.

En sens contraire, S. Grégoire dit que " l’orgueil est le signe le plus évident des réprouvés ; et l’humilité, à l’inverse, celui des élus ". Or les hommes ne sont pas réprouvés pour des péchés véniels. L’orgueil n’est donc pas un péché véniel, mais un péché mortel.

Réponse :

L’orgueil s’oppose à l’humilité. Or l’humilité concerne proprement la sujétion de l’homme à Dieu, on l’a vu plus haut. C’est pourquoi, à l’inverse, l’orgueil concerne proprement le manque de cette sujétion : on s’élève au-dessus de ce qui nous a été fixé selon la règle ou mesure divine, contrairement à ce que dit S. Paul (2 Co 10, 13) : " Pour nous, nous n’irons pas nous vanter hors de mesure, mais nous prendrons comme mesure la règle même que Dieu a assignée. " Aussi lit-on dans l’Ecclésiastique (10, 12) que " le principe de l’orgueil de l’homme, c’est d’abandonner le Seigneur ", car la racine de l’orgueil se montre à ce que l’homme, en quelque manière, ne se soumet pas à Dieu et à la règle qu’il a tracée. Or il est clair que le fait même de ne pas se soumettre à Dieu constitue un péché mortel, puisque c’est se détourner de lui. Il en résulte que l’orgueil, par son genre, est un péché mortel.

Cependant, de même qu’en d’autres dérèglements qui sont, par leur genre, péchés mortels, la fornication et l’adultère par exemple, il y a des mouvements qui sont des péchés véniels à cause de leur imperfection, lorsqu’ils devancent le jugement de la raison et échappent à son consentement, de même en matière d’orgueil arrive-t-il que des mouvements d’orgueil soient des péchés véniels, du moment que la raison n’y consent pas.

Solutions :

1. Comme nous l’avons dit plus haut l’orgueil n’est pas un péché universel par essence, mais il l’est par un certain rejaillissement, en ce sens que tous les péchés peuvent naître de lui. Il ne s’ensuit donc pas que tous les péchés sont mortels, mais seulement lorsqu’ils naissent d’un orgueil complet, qui est, nous venons de le dire, péché mortel.

2. L’orgueil est toujours contraire à l’amour de Dieu, car l’orgueilleux ne se soumet pas à la règle divine comme il le doit. Parfois aussi il est contraire à l’amour du prochain, quand on se place, de façon désordonnée, au-dessus du prochain, et qu’on se soustrait à la sujétion qu’on lui doit. En cela aussi on déroge à la règle divine qui a établi une hiérarchie entre les hommes, certains devant être soumis à d’autres.

3. L’orgueil ne naît pas des vertus comme d’une cause directe, mais comme d’une cause accidentelle, dans la mesure où l’on tire des vertus une occasion d’orgueil. Mais rien n’empêche qu’une chose soit cause accidentelle d’une autre chose qui lui est contraire, dit Aristote. Ainsi arrive-t-il que certains s’enorgueillissent de l’humilité elle-même.

 

            Article 6 — L’orgueil est-il le plus grave de tous les péchés ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, un péché semble d’autant plus léger qu’il est plus difficile à éviter. Or l’orgueil est difficile à éviter, car, dit S. Augustin, " les autres péchés s’emploient à produire des œuvres mauvaises, mais l’orgueil s’attaque aux œuvres bonnes, pour les détruire ". L’orgueil n’est donc pas le plus grave des péchés.

2. D’après Aristote, " un plus grand mal s’oppose à un plus grand bien ". Or l’humilité, à laquelle s’oppose l’orgueil, n’est pas la plus grande des vertus, on l’a dit plus haut. Donc les vices qui s’opposent à de plus grandes vertus, comme le manque de foi, le désespoir, la haine de Dieu, l’homicide, et autres semblables, sont des péchés plus graves que l’orgueil.

3. Un mal plus grand n’est pas puni par un mal qui l’est moins. Or il arrive que l’orgueil soit puni par d’autres péchés, comme on peut le voir dans S. Paul, quand il dit (Rm 1, 28) que les philosophes, à cause de l’arrogance de leur cœur, " ont été livrés à leur esprit sans jugement, pour faire ce qui ne convient pas ". L’orgueil n’est donc pas le plus grave des péchés.

En sens contraire, à cette parole du Psaume (119, 5 1) : " Les orgueilleux m’ont bafoué à plaisir ", la Glose ajoute : " Le plus grand péché dans l’homme est l’orgueil. "

Réponse :

Dans le péché il faut envisager deux éléments : la conversion à un bien fini, qui constitue la matière du péché, et l’aversion loin du bien immuable, qui est la raison formelle et achevée du péché. Ce n’est pas le côté de la conversion qui fait de l’orgueil le plus grave des péchés, car l’élévation, que l’orgueilleux désire de façon désordonnée, n’est pas en elle-même ce qui est le plus opposé au bien de la vertu. Mais c’est du côté de l’aversion que l’orgueil a la plus grande gravité, car dans les autres péchés l’homme se détourne de Dieu soit par ignorance, soit par faiblesse, soit parce qu’il désire quelque autre bien, tandis que l’orgueil détourne de Dieu par le refus même de se soumettre à Dieu et à ses lois. C’est pourquoi Boèce dit que " tous les vices fuient loin de Dieu, mais seul l’orgueil s’oppose à Dieu ". C’est ce qui fait dire aussi à S. Jacques (4, 6) : " Dieu résiste aux orgueilleux. " Ainsi donc, se détourner de Dieu et de ses préceptes qui, pour les autres péchés, est comme une conséquence, appartient essentiellement à l’orgueil, dont l’acte est le mépris de Dieu. Et parce que l’essentiel est plus important que l’accidentel, il s’ensuit que l’orgueil est, par son genre, le plus grave des péchés, parce qu’il les dépasse dans cette aversion, qui donne sa forme complète au péché.

Solutions :

1. Un péché est difficile à éviter de deux façons : d’une première façon, à cause de la violence de son attaque. C’est ainsi que l’attaque de la colère est violente à cause de son emportement soudain. Et " il est plus difficile encore de résister à la convoitise ", à cause, de son affinité avec la nature, dit Aristote. Cette difficulté d’éviter le péché diminue sa gravité, car le péché est d’autant plus grave que la poussée de la tentation qui nous fait tomber est moindre, dit S. Augustin.

D’une autre façon le péché est difficile à éviter à cause de son caractère caché. A ce point de vue il est difficile d’éviter l’orgueil, car il prend aussi occasion des biens eux-mêmes, on l’a vu. C’est pourquoi S. Augustin, dit expressément qu’ " il s’attaque aux œuvres bonnes ". De même on peut lire dans le Psaume (142, 4) : " Sur la voie où je marchais, les orgueilleux m’ont dressé un piège. " Un mouvement d’orgueil se glissant subrepticement n’a pas une très grande gravité, avant qu’il soit aperçu par le jugement de la raison. Mais ensuite, on l’évite facilement. C’est facile si l’on considère sa propre infirmité. " Pourquoi, dit l’Ecclésiastique (10, 9), tant d’orgueil dans la terre et la cendre ? " C’est facile aussi si l’on considère la grandeur de Dieu. " Pourquoi, dit un ami de Job (15, 13 Vg), ton esprit s’enfle-t-il contre Dieu ? " C’est facile encore à cause de l’imperfection des biens dont l’homme s’enorgueillit. " Toute chair, dit Isaïe (40, 6) est comme l’herbe, et toute sa gloire est comme la fleur des champs. " Et encore (64, 6) : " Toutes nos justices sont comme du linge Souillé. "

2. L’opposition du vice à la vertu se prend de l’objet vers lequel se fait la conversion. A ce point de vue l’orgueil n’est pas le plus grand des péchés, de même que l’humilité n’est pas non plus la plus grande des vertus. Mais si l’on considère l’aversion, l’orgueil est le plus grand des péchés, comme apportant une aggravation aux autres péchés. En effet, le péché d’infidélité lui-même est rendu plus grave lorsqu’il procède du mépris de l’orgueil, que lorsqu’il provient de l’ignorance ou de la faiblesse. On doit en dire autant du désespoir ou des autres péchés analogues.

3. De même que dans le raisonnement par l’absurde on est parfois convaincu en étant amené à une absurdité plus manifeste, de même pour convaincre l’orgueil des hommes, Dieu les punit parfois en permettant qu’ils s’effondrent en des péchés charnels qui, même s’ils sont moins graves, comportent néanmoins une honte plus manifeste. C’est pourquoi S. Isidore déclare : " L’orgueil est le pire de tous les vices, soit parce qu’il est le fait des personnes les plus éminentes, soit parce qu’il naît des œuvres de justice et de vertu, et que sa faute est moins ressentie. Au contraire, la luxure de la chair est perceptible à tous, car elle apparaît immédiatement comme honteuse. Cependant, Dieu a voulu qu’elle fût moins grave que l’orgueil, mais aussi que celui qui est retenu par l’orgueil et ne le perçoit pas, tombe dans la luxure de la chair afin qu’après avoir été humilié par elle, la confusion lui permette de se relever. " C’est aussi ce qui montre la gravité de l’orgueil. En effet, de même que le sage médecin laisse le malade tomber dans une maladie plus bénigne pour le guérir d’une maladie plus grave, de même la plus grande gravité du péché d’orgueil apparaît par cela même que Dieu, pour y remédier, permet que l’on tombe en d’autres péchés.

 

            Article 7 — Les rapports de l’orgueil avec les autres péchés

Objections :

1. Il semble que l’orgueil ne soit pas le premier de tous les péchés. En effet, ce qui est premier se retrouve en tout ce qui suit. Or les péchés ne sont pas tous entachés d’orgueil. S. Augustin dit en effet : " Il y a beaucoup de choses qui se font de façon vicieuse et qui ne se font pas par orgueil. " L’orgueil n’est donc pas le premier de tous les péchés.

2. L’Ecclésiastique dit (10, 12) que " le principe de l’orgueil, c’est l’abandon du Seigneur ". L’apostasie ou abandon du Seigneur est donc antérieure à l’orgueil.

3. L’ordre des péchés semble devoir suivre l’ordre des vertus. Or l’humilité n’est pas la première des vertus, c’est plutôt la foi. L’orgueil n’est donc pas le premier des péchés.

4. " Tous les hommes mauvais et les séducteurs, écrit S. Paul (2 Tm 3, 13), font toujours plus de progrès dans le mal. " Il semble ainsi que le principe de la malice humaine ne vienne pas du plus grand des péchés. Or l’orgueil est le plus grand des péchés, on l’a dit. Il n’est donc pas le premier péché.

5. Ce qui est apparent et fictif est postérieur à ce qui est véritable. Or Aristote dit : " L’orgueilleux feint la force et l’audace. " Le vice de l’audace est donc antérieur au vice de l’orgueil.

En sens contraire, d’après l’Ecclésiastique (10, 15, Vg) : " Le principe de tout péché est l’orgueil. "

Réponse :

En tout genre ce qui est par soi est premier. Or nous avons dit plus haut que l’aversion qui nous détourne de Dieu, et qui donne au péché sa forme et son achèvement, appartient par soi à l’orgueil, tandis qu’elle n’appartient aux autres péchés que par voie de conséquence. Il s’ensuit que l’orgueil est essentiellement le premier des péchés ; et il est aussi le principe de tous les péchés, comme nous l’avons dit, en traitant des causes du péché, du côté de l’aversion, qui est dans le péché l’élément principal.

Solutions :

1. On dit que l’orgueil est " le commencement de tout péché " non parce que tout péché, individuellement pris, naît de l’orgueil, mais parce qu’il est de la nature de tous les genre, de péché de naître de l’orgueil.

2. On dit que s’écarter de Dieu est le commencement de l’orgueil de l’homme, non comme si c’était un péché différent de l’orgueil, mais parce que c’est la première partie de l’orgueil. On a dit en effet que l’orgueil vise principalement la soumission à Dieu, pour laquelle il a du mépris. Ensuite il méprise aussi de se soumettre aux créatures à cause de Dieu.

3. L’ordre des vertus et celui des vices ne sont pas nécessairement les mêmes. En effet le vice détruit la vertu. Mais ce qui est le premier à naître est le dernier à disparaître. C’est pourquoi, de même que la foi est la première des vertus, de même l’infidélité est le dernier des péchés, auquel l’homme est parfois conduit par les autres péchés. Commentant ce passage du Psaume (137, 7) : " Détruisez, détruisez jusqu’aux fondements ", la Glose ajoute : " L’incrédulité se faufile dans l’entassement des vices. " Et S. Paul dit (1 Tm 1, 19) : " Pour s’être affranchis de la bonne conscience, certains ont fait naufrage dans la foi. "

4. On dit que l’orgueil est le péché le plus grave du point de vue de ce qui constitue le péché, d’où se prend la gravité dans le péché. C’est pourquoi l’orgueil est cause de la gravité des autres péchés. Il arrive donc qu’avant l’orgueil il y ait des péchés plus légers, qui sont commis par ignorance ou par faiblesse. Mais parmi les péchés graves l’orgueil est le premier, parce qu’il est la cause qui aggrave les autres péchés. Et comme ce qui est le premier à causer les péchés est aussi le dernier à disparaître, sur ce passage du Psaume (19, 14) : " Alors je serai pur du grand péché ", la Glose commente : " Il s’agit du péché d’orgueil, qui est le dernier chez ceux qui reviennent à Dieu, et le premier chez ceux qui s’écartent de Dieu 5. "

5. Aristote dit que l’orgueil feint la force, non parce qu’il consiste seulement en cela, mais parce que l’homme pense pouvoir acquérir une supériorité aux yeux des autres, surtout s’il paraît audacieux ou fort.

 

            Article 8 — Doit-on voir dans l’orgueil un vice capital ?

Objections :

1. Il semble que oui. Isidore en effet, et aussi Cassien comptent l’orgueil parmi les vices capitaux.

2. L’orgueil paraît être identique à la vaine gloire, car l’un et l’autre recherchent la supériorité. Or on fait de la vaine gloire un vice capital. On doit donc en faire un aussi de l’orgueil.

3. S. Augustin dit : " L’orgueil engendre l’envie, et ne va jamais sans cette compagne. " Or l’envie est un vice capital, on l’a vu. Donc bien plus encore l’orgueil.

En sens contraire, Grégoire n’énumère pas l’orgueil parmi les vices capitaux.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haute, l’orgueil peut être considéré de deux façons, en lui-même, selon qu’il est un péché spécial ; et selon qu’il a une certaine influence sur tous les péchés. Or on appelle vices capitaux des péchés spéciaux d’où naissent de nombreux genres de péchés. C’est pourquoi certains, considérant l’orgueil selon qu’il est un péché spécial, l’ont rangé au nombre des vices capitaux. S. Grégoire, au contraire, considérant l’influence universelle qu’il exerce sur tous les vices, comme nous l’avons dit ne le range pas au nombre des vices capitaux, mais en fait " la reine et la mère de tous les vices ". " Lorsque la superbe reine des vices, dit-il s’est emparée du cœur et en a triomphé, elle le livre bientôt, pour être dévasté, aux sept vices principaux, qui sont comme ses chefs d’armée, et d’où naissent une multitude d’autres vices. "

Solutions :

1. La réponse ressort de ce qui vient d’être dit.

2. L’orgueil n’est pas identique à la vaine gloire ; il en est la cause. En effet, l’orgueil désire l’excellence de façon désordonnée, tandis que la vaine gloire désire manifester cette excellence.

3. De ce que l’envie, qui est un vice capital, naît de l’orgueil, il ne résulte pas que l’orgueil est un vice capital, mais qu’il est quelque chose de plus primordial que les vices capitaux.

I1 faut maintenant étudier le péché du premier homme, qui fut commis par orgueil (Q. 163). Et d’abord son péché ; ensuite, le châtiment du péché (Q. 164) ; enfin, la tentation, par laquelle l’homme fut induit à pécher (Q. 165).

 

 

QUESTION 163 — LE PÉCHÉ DU PREMIER HOMME

1. Le premier péché de l’homme fut-il de l’orgueil ? - 2. Que désirait le premier homme en péchant ? - 3. Son péché fut-il plus grave que tous les autres péchés ? - 4. Qui pécha davantage, l’homme ou la femme ?

 

            Article 1 — Le premier péché de l’homme fut-il de l’orgueil ?

Objections 1. Non, semble-t-il. S. Paul dit (Rm 5,19) " Par la désobéissance d’un seul homme la multitude a été constituée pécheresse. " Or le péché du premier homme fut le péché originel par quoi tous furent constitués pécheurs. La désobéissance fut donc le péché du premier homme, et non l’orgueil.

2. Commentant S. Luc, S. Ambroise dit que le diable tenta le Christ selon le même ordre qui fit tomber le premier homme. Or le Christ fut d’abord tenté de gourmandise, comme on le voit dans S. Matthieu (4, 3) : " Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres se changent en pains. " Le premier péché du premier homme ne fut donc pas l’orgueil, mais la gourmandise.

3. L’homme a péché sur la suggestion du diable. Mais le diable, induisant l’homme en tentation, lui a promis la science, comme on le voit dans la Genèse deviendraient pareils à des dieux ; comme si lui, qui les avait faits hommes, était jaloux de la divinité. " Or croire cela relève du manque de foi. Le premier péché de l’homme fut donc un péché d’infidélité, et non un péché d’orgueil.

En sens contraire, il y a les paroles de l’Ecclésiastique (10, 15 Vg) : " Au principe de tout péché, il y a l’orgueil. " Or le péché du premier homme est le principe de tout péché, d’après S. Paul (Rm 5, 12) : " Par un seul homme le péché est entré dans le monde. " Le premier péché de l’homme fut donc l’orgueil.

Réponse :

A un même péché peuvent concourir plusieurs mouvements, parmi lesquels celui en qui le désordre se trouve d’abord est à considérer comme le premier péché. Or il est clair que le désordre se trouve d’abord dans le, mouvement intérieur de l’âme, avant de se trouver dans le mouvement extérieur du corps. En effet, dit S. Augustin " la sainteté du corps ne se perd pas, si la sainteté de l’âme demeure ". Mais, parmi les mouvements intérieurs, le désir de la fin se produit avant le désir de ce qui est recherché en vue de la fin. C’est pourquoi le premier péché de l’homme fut là où put se trouver le premier désir d’une fin désordonnée. Or, l’homme se trouvait constitué dans l’état d’innocence de telle manière qu’aucune rébellion ne pouvait avoir lieu de la chair contre l’esprit. Aussi le premier désordre de l’appétit humain ne put-il provenir de ce qu’il aurait désiré quelque bien sensible auquel aurait tendu la convoitise de la chair hors de l’ordre de la raison. Il reste donc que le premier désordre de l’appétit humain est venu de ce qu’il a désiré de façon désordonnée un bien spirituel. Mais il n’aurait pas eu un désir désordonné s’il avait désiré ce bien selon la mesure à lui prescrite par la règle divine. Il en résulte donc que le premier péché de l’homme résida en ce qu’il désira un bien spirituel au-delà de la mesure convenable. Ce qui relève de l’orgueil. Il est donc évident que le péché du premier homme fut un péché d’orgueil.

Solutions :

1. La désobéissance de l’homme au précepte divin ne fut pas voulue pour elle-même, car cela ne pouvait se produire à moins de présupposer un désordre de la volonté. Il reste donc qu’elle a été voulue en vue d’autre chose. Or la première chose que l’homme a voulue de façon désordonnée fut sa propre supériorité. La désobéissance fut donc une conséquence de l’orgueil. C’est ce qui fait dire à S. Augustin que " l’homme, enflé d’orgueil et obéissant aux suggestions du serpent, méprisa les ordres de Dieu ".

2. La gourmandise eut aussi sa part dans le péché de nos premiers parents. On lit en effet dans la Genèse : " La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir... Elle prit de son fruit et mangea. " Cependant, ce ne fut pas la bonté de la nourriture, ni sa beauté, qui fut le premier motif pour pécher, mais plutôt l’invitation du serpent, qui avait dit : " Vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux. " En cédant à ce désir, la femme a commis un péché d’orgueil. C’est pourquoi le péché de gourmandise a découlé du péché d’orgueil.

3. Le désir de la science fut causé, chez nos premiers parents, par le désir désordonné de leur supériorité. C’est pourquoi dans les paroles du serpent il y a d’abord : " Vous serez comme des dieux ", et ensuite : " connaissant le bien et le mal. "

4. Comme dit S. Augustin : " La femme n’aurait pas ajouté foi aux paroles du serpent, elle n’aurait pas cru que Dieu leur eût défendu une chose bonne et utile, s’il n’y avait déjà eu dans son esprit l’amour de sa propre puissance, et une certaine présomption orgueilleuse. " Cela ne veut pas dire que l’orgueil précéda l’invitation du serpent, mais qu’aussitôt après cette invitation, la prétention envahit son esprit, et il résulta qu’elle crut vrai ce que lui disait le démon.

 

            Article 2 — Que désirait l’homme en péchant ?

Objections :

1. Il semble que l’orgueil du premier homme n’a pas consisté à désirer la ressemblance avec Dieu. En effet, personne ne pèche en désirant ce qui lui convient selon sa nature. Or la ressemblance de Dieu convient à l’homme selon sa nature, puisqu’on lit dans la Genèse (1,26) : " Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. " L’homme ne pécha donc pas en désirant la ressemblance avec Dieu.

2. Il semble que l’homme a désiré la ressemblance avec Dieu afin de posséder la science du bien et du mal. C’est en effet ce qui lui était suggéré par le serpent : " Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. " Or le désir de la science est naturel à l’homme, comme dit Aristote : " Tous les hommes désirent naturellement savoir. " L’homme n’a donc pas péché en désirant la ressemblance avec Dieu.

3. Aucun sage ne choisit ce qui lui est impossible. Or le premier homme était doté de sagesse, d’après l’Ecclésiastique (17, 7) : " Dieu les remplit de science et d’intelligence. " Comme tout péché consiste en un désir délibéré, qui est un choix, il semble donc que le premier homme n’a pas péché en désirant quelque chose d’impossible.

Or il est impossible que l’homme soit semblable à Dieu, comme le montre cette parole de l’Exode (15, 11) : " Qui est semblable à toi parmi les dieux, Seigneur ? " Le premier homme n’a donc pas péché en désirant ressembler à Dieu.

En sens contraire, commentant cette parole du Psaume (69, 5) : " Ce que je n’ai pas pris, il me faut le rendre ", S. Augustin dit : " Adam et Ève voulurent ravir la divinité, et perdirent la félicité. "

Réponse :

Il y a deux ressemblances. L’une, d’égalité absolue. Nos premiers parents n’ont pas désiré cette ressemblance, car une telle ressemblance avec Dieu ne peut être envisagée, surtout par le sage. Mais il y a une autre ressemblance d’imitation, que la créature peut avoir avec Dieu, en tant qu’elle participe quelque peu, selon sa propre mesure, de la ressemblance avec Dieu. Car Denys a dit : " Les mêmes choses, par rapport à Dieu, sont à la fois semblables et dissemblables ; semblables parce que l’effet ressemble à sa cause autant qu’il peut ; dissemblables parce que l’effet est toujours inférieur à sa cause. " Or tout bien existant dans la créature est une similitude participée du bien premier. C’est pourquoi, en désirant un bien spirituel dépassant sa mesure, nous l’avons dit à l’article précédent, l’homme désire la ressemblance divine de façon désordonnée.

Il faut cependant remarquer que le désir se porte à proprement parler sur une chose que l’on n’a pas. Or le bien spirituel, par lequel la créature raisonnable participe de la ressemblance divine, peut s’entendre de trois façons. 1° Selon l’être de la nature. Une telle ressemblance a été imprimée en l’homme au principe même de la création, et la Genèse dit que " Dieu fit l’homme à son image et à sa ressemblance " ; et en l’ange, ce que dit Ézéchiel (28, 12) : " Toi, un modèle de ressemblance. " 2° Selon la connaissance. L’ange, au moment de sa création, a reçu aussi cette ressemblance. C’est pourquoi, après avoir dit : " Toi, un modèle de ressemblance ", Ézéchiel ajoute aussitôt : " rempli de sagesse ". Le premier homme, lui, au moment de sa création, n’avait pas encore reçu cette ressemblance en acte, mais seulement en puissance. 3° Selon le pouvoir d’agir. Ni l’ange ni l’homme n’avaient encore obtenu cette ressemblance en acte au principe même de la création, car il restait à l’un et à l’autre quelque chose à faire pour parvenir à la béatitude.

Ainsi donc, puisque l’un et l’autre, le diable et le premier homme, ont désiré de façon désordonnée la ressemblance avec Dieu, ce n’est pas en désirant la ressemblance de nature qu’ils on" péché. Mais le premier homme a péché principale ment en désirant la ressemblance avec Dieu quant à la " science du bien et du mal ", comme le serpent le lui suggéra : il voulait, par la vertu de sa propre( nature, se fixer à lui-même ce qu’il était bon e ce qu’il était mauvais de faire ; ou bien encore prévoir par lui-même ce qui allait arriver de bien ou de mauvais. Il a péché aussi secondairement en désirant la ressemblance avec Dieu quant à soi propre pouvoir d’action, afin d’agir par la vertu de sa propre nature pour acquérir la béatitude Aussi S. Augustin dit-il : " L’amour de son propre pouvoir se grava dans l’esprit de la femme. " Quant au diable, il a péché en désirant la ressemblance de Dieu quant au pouvoir. C’est pourquoi S. Augustin dit qu’ " il a voulu jouir de sa propre puissance plus que de celle de Dieu ". Pourtant, l’un et l’autre ont désiré à un certain point de vue s’égaler à Dieu, puisqu’ils ont voulu l’un et l’autre s’appuyer sur eux-mêmes, en méprisant l’ordre de la règle divine.

Solutions :

1. Cet argument procède de la ressemblance de nature : ce n’est pas à cause du désir de cette ressemblance que l’homme a péché, on vient de le dire.

2. Désirer la ressemblance avec Dieu quant à la science, sans plus, n’est pas un péché. Mais désirer cette ressemblance de manière désordonnée, c’est-à-dire en dépassant la mesure, est un péché. Commentant ce passage du Psaume (71, 19) : " Dieu, qui sera semblable à toi ? " S. Augustin dit : " Celui qui veut être Dieu par lui-même a un désir pervers d’être semblable à Dieu ; comme le diable, qui refusa de lui être soumis ; et comme l’homme, qui refusa, comme serviteur, d’observer les commandements. "

3. Cet argument procède de la ressemblance d’égalité.

 

            Article 3 — Le péché de nos premiers parents fut-il plus grave que tous les autres péchés ?

Objections :

1. Il semble bien que oui. S. Augustin dit en effet : " Ce fut un grand mal que de pécher, alors qu’il était si facile de ne pas pécher. " Nos premiers parents eurent une grande possibilité de ne pas pécher, car il n’y avait rien à l’intérieur d’eux-mêmes qui les poussait à pécher. Le péché de nos premiers parents fut donc plus grave que les autres.

2. Le châtiment est Proportionné à la faute. Mais le péché de nos premiers parents fut puni de la façon la plus grave, puisque c’est par lui que " la mort est entrée dans le monde ", selon S. Paul (Rm 5, 12).

3. Ce qui est premier en un genre semble être ce qu’il y a de plus grand, dit Aristote. Or le péché de nos premiers parents fut le premier parmi les autres péchés des hommes. Il fut donc le plus grand.

En sens contraire, Origène écrit : " je ne pense pas qu’aucun de ceux qui se sont trouvés au degré le plus haut et le plus parfait en soit rejeté ou s’en détache subitement, mais il faut qu’il le fasse peu à peu et graduellement. " Or nos premiers parents étaient établis dans le degré le plus haut et le plus parfait. Leur premier péché ne fut donc pas le plus grand de tous les péchés.

Réponse :

La gravité d’un péché peut être considérée de deux points de vue. D’un premier point de vue, selon l’espèce même du péché. C’est ainsi que nous disons que l’adultère est un péché plus grave que la fornication simple. D’un autre point de vue la gravité d’un péché est relative à une circonstance de lieu, de personne ou de temps. Or la première de ces gravités est la plus essentielle au péché, et la principale. C’est pourquoi c’est d’après elle plutôt que d’après la seconde qu’un péché est appelé grave.

Il faut donc dire que le péché du premier homme ne fut pas plus grave que tous les autres péchés humains si l’on considère l’espèce de péché. En effet, même si l’orgueil, par son propre genre, a une certaine primauté parmi les autres péchés, cependant l’orgueil par lequel on nie ou l’on blasphème Dieu est plus grave que l’orgueil par lequel on désire de façon désordonnée la ressemblance divine, ce qui fut l’orgueil de nos premiers parents, on l’a vu.

Mais si l’on considère la condition des personnes qui ont péché, ce péché eut une très grande gravité, à cause de la perfection de leur état. C’est pourquoi il faut dire que ce péché fut le plus grave à un certain point de vue, mais non de façon absolue.

Solutions :

1. Cet argument procède de la gravité du péché résultant de la condition du pécheur. 2. La grandeur du châtiment qui suivit ce premier péché ne correspond pas à la gravité de son espèce propre, mais au fait qu’il fut le premier, car, à cause de lui, l’innocence du premier état cessa, et, celle-ci étant supprimée, toute la nature humaine se trouva désorganisée.

3. Dans les choses qui sont ordonnées par soi, la première est nécessairement la plus grande. Mais un tel ordre ne se trouve pas dans les péchés, car un péché peut faire suite à un autre par accident. Il ne s’ensuit donc pas que le premier péché fut le plus grand.

 

            Article 4 — Qui pécha davantage, l’homme ou la femme ?

Objections :

1. Il semble bien que le péché d’Adam fut le plus grave. S. Paul dit en effet (1 Tm 2, 14) : " Ce n’est pas Adam qui se laissa séduire, mais la femme qui, séduite, se rendit coupable de transgression. " Il semble ainsi que le péché de la femme se produisit par ignorance, tandis que le péché de l’homme fut commis avec une science certaine. Dès lors ce péché est plus grave, selon S. Luc (12, 47) : " Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître... n’aura pas agi selon cette volonté, recevra un grand nombre de coups. Quant à celui qui, sans la connaître, aura par sa conduite mérité des coups, il n’en recevra qu’un petit nombre. " Adam a donc péché plus gravement qu’Ève.

2. " Si l’homme est le chef, dit S. Augustin, il doit vivre mieux et précéder son épouse en toutes les bonnes actions, afin que celle-ci imite son mari. " Mais si celui qui doit agir mieux tombe dans le péché, il pèche plus gravement. Adam a donc péché plus gravement qu’Eve.

3. Le péché contre le Saint-Esprit semble être le plus grave. Or Adam semble avoir péché contre le Saint-Esprit, car il a péché en présumant de la miséricorde divine, ce qui relève du péché de présomption. Il semble donc qu’Adam ait péché plus gravement qu’Ève.

En sens contraire, le châtiment répond à la faute. Or la femme a été punie plus gravement que l’homme, comme on le voit dans la Genèse (3,16). Elle a donc péché plus gravement que lui.

Réponse :

Nous l’avons dit à l’article précédent la gravité d’un péché s’apprécie davantage d’après l’espèce du péché que d’après la condition du pécheur. Il faut donc dire que, si nous considérons la condition des personnes, celle de l’homme et de la femme, le péché de l’homme est plus grave, car il était plus parfait que la femme.

Mais si l’on considère le genre même du péché, il faut dire que le péché de tous deux fut égal car, pour tous deux, ce fut l’orgueil. C’est pourquoi S. Augustin dit que la femme eut une excuse à son péché " en raison de son sexe inégal, mais qu’elle pécha avec un orgueil égal ".

Si l’on considère maintenant l’espèce de l’orgueil, la femme pécha plus gravement pour une triple raison. D’abord parce que la prétention fut plus grande chez la femme que chez l’homme. En effet, la femme a cru vrai ce que le serpent lui persuada : que Dieu leur avait interdit de manger du fruit de peur qu’ils ne parviennent à lui ressembler. Et ainsi, voulant acquérir, en mangeant du fruit défendu, la ressemblance avec Dieu, son orgueil s’éleva à vouloir obtenir quelque chose contre la volonté de Dieu. L’homme, au contraire, n’a pas cru que cela était vrai. C’est pourquoi il n’a pas voulu acquérir la ressemblance divine contre la volonté de Dieu, mais son orgueil consista à vouloir l’acquérir par lui-même. - Ensuite, parce que la femme a non seulement péché elle-même, mais a suggéré aussi le péché à l’homme. Elle a donc péché contre Dieu et contre le prochain. - Enfin, parce que le péché de l’homme fut diminué en ce qu’il consentit au péché " par cette espèce de bienveillance amicale, qui fait que très souvent on offense Dieu pour ne pas d’un ami se faire un ennemi ; mais la sentence divine montra qu’il n’aurait pas dû le faire ". Ainsi parle S. Augustin. Il apparaît donc ainsi que le péché de la femme fut plus grave que le péché de l’homme.

Solutions :

1. Cette séduction de la femme a suivi une prétention antérieure. C’est pourquoi une telle ignorance n’excuse pas, mais aggrave le péché, car par ignorance elle s’est élevée à une plus grande prétention.

2. Cet argument procède de la circonstance relative à la condition de la personne, qui fit que le péché de l’homme fut plus grave d’un certain point de vue.

3. L’homme n’a pas présumé de la miséricorde divine jusqu’au mépris de la justice divine, ce que fait le péché contre le Saint-Esprit. Mais, dit S. Augustin, " n’ayant pas l’expérience de la sévérité de Dieu, il crut que ce péché était véniel ", c’est-à-dire facile à pardonner.

 

 

QUESTION 164 — LE CHÂTIMENT DU PREMIER PÉCHÉ DE L’HOMME

1. La mort, qui est le châtiment commun. - 2. Les autres châtiments particuliers qui sont indiqués dans la Genèse.

 

            Article 1 — La mort, qui est le châtiment commun

Objections :

1. Il semble que la mort ne soit pas le châtiment du péché de nos premiers parents. En effet, ce qui est naturel à l’homme ne peut être appelé châtiment du péché, car le péché ne parfait pas la nature, mais la vicie. Or la mort est naturelle à l’homme ; ce qui le montre, c’est que son corps est composé d’éléments contraires ; et aussi que le mot " mortel " fait partie de la définition de l’homme. La mort ne fut donc pas le châtiment du péché de nos premiers parents.

2. La mort et les autres déficiences corporelles se retrouvent pareillement chez l’homme et chez les autres animaux, selon l’Ecclésiaste (3, 19) : " Le sort de l’homme et celui de la bête est le même : l’un meurt, l’autre aussi. " Or chez les bêtes la mort n’est pas un châtiment du péché.

3. Le péché de nos premiers parents fut commis par des personnes particulières. Or la mort atteint la nature humaine tout entière. Il ne semble donc pas qu’elle soit le châtiment du péché de nos premiers parents.

4. Tous les hommes descendent également de nos premiers parents. Donc, si la mort était le châtiment du péché de nos premiers parents, il s’ensuivrait que tous les hommes souffriraient la mort de la même façon. Ce qui paraît faux, car certains meurent plus tôt ou plus douloureusement que d’autres. La mort n’est donc pas la peine du premier péché.

5. Le mal de peine vient de Dieu, on l’a dit antérieurement. Or la mort ne semble pas venir de Dieu, puisqu’il est écrit dans la Sagesse (1, 13) " Dieu n’a pas fait la mort. "

6. Les châtiments ne semblent pas être méritoires, car le mérite se place dans la catégorie du bien, et le châtiment dans la catégorie du mal. Or la mort est parfois méritoire, comme on le voit pour la mort des martyrs. Il semble donc que la mort ne soit pas un châtiment.

7. Le châtiment paraît être affligeant. Or la mort ne peut être affligeante, à ce qu’il semble.

Car, quand la mort est là, l’homme ne sent pas, et quand elle n’est pas là, elle ne peut être sentie. La mort n’est donc pas un châtiment du péché.

8. Si la mort était un châtiment du péché, elle l’aurait suivi immédiatement. Or cela n’est pas vrai, car nos premiers parents ont vécu longtemps après leur péché, comme on le voit dans la Genèse. Donc la mort ne semble pas être le châtiment du péché.

En sens contraire, il y a les paroles de S. Paul (Rm 5, 12) : " Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort. "

Réponse :

Lorsque quelqu’un est privé, à cause de sa faute, d’un bienfait qui lui avait été accordé, la privation de ce bienfait est le châtiment de sa faute. Comme nous l’avons dit dans la première Partie l’homme, dans son état primitif, avait reçu de Dieu ce don : aussi longtemps que son esprit resterait soumis à Dieu, les puissances inférieures de son âme seraient soumises à son esprit raisonnable, et son corps soumis à son âme. Mais comme, par le péché, l’esprit de l’homme s’éloigna de la soumission à Dieu, il s’ensuivit que les forces inférieures ne furent plus soumises totalement à la raison, et il en résulta une rébellion de l’appétit charnel contre la raison ; il s’ensuivit aussi que le corps ne fut plus totalement soumis à l’âme, et il en résulta la mort, et les autres déficiences corporelles. En effet, la vie et l’intégrité du corps consistent en ce qu’il reste soumis à l’âme, comme le perfectible à son principe de perfection. C’est pourquoi, à l’inverse, la mort et la maladie, et toutes les déficiences corporelles, relèvent du défaut de soumission du corps à l’âme. C’est donc clair : de même que la rébellion de l’appétit charnel contre l’esprit est un châtiment du péché de nos premiers parents, de même la mort et toutes les déficiences corporelles.

Solutions :

1. On appelle naturel ce qui est causé par les principes de la nature. Or les principes essentiels de la nature sont la forme et la matière. La forme de l’homme est l’âme raisonnable, qui est de soi immortelle. C’est pourquoi la mort n’est pas naturelle à l’homme si l’on considère sa forme. Mais la matière de l’homme est tel corps, composé de contraires, ce qui entraîne nécessairement la corruptibilité. A ce point de vue la mort est naturelle à l’homme. Cependant cette condition du corps humain matériel est une conséquence nécessaire de la matière, car il fallait que le corps de l’homme fût un organe du toucher, et par conséquent un intermédiaire entre les choses tangibles, ce qui ne pouvait se faire s’il n’était composé de contraires, comme le montre Aristote. Cependant, cette condition ne dispose pas la matière à la forme, car, si c’était possible, il faudrait plutôt, puisque la forme est incorruptible, que la matière le fût aussi. De même, que la scie soit en fer, cela est dû à sa forme et à son action, afin qu’elle soit apte à scier par sa dureté ; mais qu’elle soit sujette à la rouille, cela est une conséquence nécessaire de cette matière, et cela ne tient pas au choix de l’agent ; car si l’ouvrier le pouvait, il ferait en fer une scie qui ne pourrait rouiller. Or Dieu, qui est le Créateur de l’homme, est tout-puissant. C’est pourquoi par un don gratuit, il affranchit l’homme, en le créant, de la nécessité de mourir qui était une conséquence de la matière. Cependant ce privilège fut supprimé par le péché de nos premiers parents. Ainsi donc la mort est naturelle, à cause de la condition de la matière, et elle est un châtiment, à cause de la perte du don divin préservant de la mort.

2. Cette ressemblance de l’homme avec les autres animaux se prend de la condition de la matière, c’est-à-dire du corps composé de contraires, et non de la forme. En effet, l’âme de l’homme est immortelle, tandis que les âmes des bêtes sont mortelles.

3. Nos premiers parents ont été établis par Dieu non seulement comme des personnes individuelles, mais comme les principes de toute la nature humaine qui devait, à partir d’eux, passer à leurs descendants, en même temps que le don divin préservant de la mort. C’est pourquoi toute la nature humaine, ayant été par leur péché destituée d’un si grand don pour leurs successeurs, a encouru la mort.

4. Un manque peut provenir du péché de deux manières. D’une première manière, par mode de châtiment fixé par le juge. Un tel manque doit être égal chez tous ceux à qui le péché appartient d’égale façon. Un autre manque est celui qui fait suite par accident à un châtiment de ce genre : par exemple la chute sur la route de celui qui s’est rendu aveugle par sa faute. Un tel manque n’est pas proportionné à la faute, et il n’est pas pris en considération par le juge humain, qui ne peut connaître à l’avance les événements fortuits.

Ainsi donc, le châtiment fixé pour le premier péché, qui lui répond de façon proportionnée, fut la suppression du don divin par lequel étaient maintenues la rectitude et l’intégrité de la nature humaine. Mais les défauts qui sont la conséquence de la suppression de ce don, sont la mort et les autres peines de la vie présente. C’est pourquoi ces peines ne sont pas nécessairement égales en tous ceux qu’atteint également le premier péché.

A la vérité, comme Dieu connaît à l’avance tous les événements futurs, ces peines, distribuées par la prescience et la providence divine, se trouvent différemment chez les uns et chez les autres, non pas à cause des mérites précédant cette vie, comme l’a déclaré Origène d - ce qui va à l’encontre de ce qu’a dit S. Paul (Rm 9, 11) : " ... quand ils n’avaient fait ni bien ni mal ", à l’encontre aussi de ce qui a été montré dans notre première Partie, : que l’âme n’est pas créée avant le corps -, mais soit à cause du châtiment des péchés des parents, souvent punis dans les enfants, en tant que le fils est quelque chose du père, soit à cause du remède salutaire de celui qui est soumis aux peines de ce genre, pour qu’il soit par là préservé de pécher, ou qu’il ne s’enorgueillisse pas non plus de ses vertus, et soit couronné par la patience.

5. On peut considérer la mort de deux façons. D’une première façon, selon qu’elle est un certain mal de la nature humaine, et ainsi elle ne vient pas de Dieu, mais elle est une certaine déficience provenant de la faute humaine. - D’une autre façon, elle peut être considérée en tant qu’elle a raison de bien, c’est-à-dire comme juste châtiment. Et ainsi elle vient de Dieu. C’est pourquoi S. Augustin dit que Dieu n’est pas l’auteur de la mort, sinon en tant qu’elle est un châtiment.

6. Comme dit S. Augustin : " De même que les méchants usent mal non seulement des maux, mais aussi des biens, de même les justes usent bien non seulement des biens, mais aussi des maux. C’est ainsi que les méchants font un mauvais usage de la loi, bien que la loi soit un bien, et les bons un bon usage de la mort, bien que la mort soit un mal. " C’est donc en tant que les saints font un bon usage de la mort que pour eux la mort devient méritoire.

7. La mort peut s’entendre de deux façons. D’une première façon elle s’entend de la privation de la vie. Ainsi elle ne peut être sentie, puisqu’elle est une privation du sens et de la vie. Elle n’est pas alors une peine sensible, mais simplement un châtiment.

D’une autre façon la mort signifie la corruption qui se termine à la privation qu’on vient de dire. Or, de la corruption, comme aussi de la génération, nous pouvons parler en un double sens. En un sens, selon qu’elle est le terme de l’altération. Et ainsi, à l’instant où la vie cesse, on dit que la mort est présente. En ce sens la mort n’est pas non plus une peine sensible. - En un autre sens la corruption peut s’entendre de l’altération qui précède, selon que l’on dit que quelqu’un meurt quand il va vers la mort, de même que l’on dit que quelque chose est engendré, quand le mouvement va vers sa génération. Et ainsi la mort peut être affligeante.

8. Comme dit S. Augustin : " Quoique nos premiers parents aient vécu de longues années après le péché, ils commencèrent cependant à mourir le jour où ils subirent la sentence de mort qui les condamnait à vieillir. "

 

            Article 2 — Les autres châtiments particuliers qui sont indiqués dans la Genèse

Objections :

1. Il semble que l’Écriture ne détermine pas bien les châtiments particuliers de nos premiers parents. En effet, on ne doit pas qualifier comme châtiment du péché ce qui existerait même sans péché. Or, les douleurs de l’enfantement existeraient même sans le péché, semble-t-il, car la disposition du sexe féminin requiert que l’enfant ne puisse naître sans douleur pour celle qui enfante. De même aussi la soumission de la femme à l’homme est une conséquence de la perfection du sexe masculin et de l’imperfection du sexe féminin. De même encore, la production des épines et des ronces fait partie de la nature de la terre, qui aurait existé même en l’absence du péché. Il n’est donc pas juste de présenter tout cela comme des châtiments du premier péché.

2. Ce qui appartient à la dignité de quelqu’un ne semble pas être pour lui un châtiment. Mais la multiplicité des grossesses appartient à la dignité de la femme et ne doit donc pas être considérée comme un châtiment.

3. Le châtiment du péché de nos premiers parents découle sur tous, comme on l’a dit de la mort. Or la multiplicité des grossesses n’est pas le fait de toutes les femmes, et tous les hommes ne mangent pas leur pain à la sueur de leur front. Ce ne sont donc pas là des châtiments qui conviennent au premier péché.

4. Le lieu du paradis avait été fait pour l’homme. Or rien dans l’ordre des choses ne doit être vain. Il semble donc que cela n’a pas été une peine convenable pour l’homme, d’être chassé du paradis.

5. On dit que le lieu du paradis terrestre est de soi inaccessibles C’est donc inutilement que d’autres obstacles furent placés pour empêcher que l’homme y retourne, comme " les chérubins et la flamme du glaive tournoyant " (Gn 3, 22).

6. Après le péché l’homme fut aussitôt soumis à la nécessité de la mort, et ainsi il ne pouvait plus, grâce à l’arbre de vie, recouvrer l’immortalité. C’est donc inutilement qu’il lui fut interdit de manger de l’arbre de vie, comme il est dit dans la Genèse (3, 22) : " Pour éviter qu’il ne cueille de l’arbre de vie et ne vive à jamais. "

7. Insulter le misérable semble inconciliable avec la miséricorde et la clémence qui, dans l’Écriture, semblent surtout attribuées à Dieu, selon la parole du Psaume (145,9) : " Ses tendresses vont à toutes ses œuvres. " Il est donc choquant de montrer Dieu insultant nos premiers parents déjà réduits à la misère par le péché, lorsqu’il dit : " Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous pour connaître le bien et le mal "

8. Le vêtement est nécessaire à l’homme, comme la nourriture, selon S. Paul (1 Tm 6, 8) : " Lorsque nous avons nourriture et vêtement, sachons être satisfaits. " Ainsi donc, de même que la nourriture fut donnée à nos premiers parents avant le péché, de même aussi le vêtement a dû leur être donné. Il ne convient donc pas de dire que, après le péché, Dieu, leur " fit des tuniques de peau " (Gn 3, 2 1).

9. Le châtiment qui frappe quelqu’un pour son péché doit l’emporter dans le mal sur le profit qu’il retire de son péché : autrement, le châtiment ne détournerait pas du péché. Or nos premiers parents obtinrent de leur péché que " leurs yeux s’ouvrirent ", dit la Genèse (3, 7). Et cela surpasse en bien tous les châtiments qui sont indiqués comme conséquence du péché. Les châtiments qui furent les conséquences du péché de nos premiers parents sont donc décrits de façon maladroite.

En sens contraire, des châtiments furent imposés par Dieu qui " fait tout avec nombre, poids et mesure ", dit le livre de la Sagesse (11, 21).

Réponse :

Nous l’avons dit, nos premiers parents furent privés, à cause de leur péché, du don divin qui maintenait en eux l’intégrité de la nature humaine, et sa suppression fit tomber la nature humaine dans des déficiences ayant un caractère pénal. C’est pourquoi ils furent doublement punis. D’abord, en ce que leur fut retiré ce qui convenait à l’état d’intégrité, le lieu du paradis terrestre : " Et le Seigneur Dieu le renvoya du jardin d’Éden. " Et comme l’homme ne pouvait revenir par lui-même à cet état de première innocence, c’est avec raison que furent ajoutés les obstacles l’empêchant de retrouver ce qui convenait à ce premier état, à savoir la nourriture, " afin qu’il ne cueille pas de l’arbre de vie ", et le lieu : " Dieu posta devant le jardin d’Éden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant. "

Mais secondairement ils furent punis en ce qu’ils furent assujettis à ce qui correspond à la nature lorsqu’elle est privée d’un tel don. Et cela quant au corps et quant à l’âme. Quant au corps, auquel appartient la différence des sexes, une peine fut affectée à la femme, et une autre à l’homme. A la femme une peine fut affectée selon les deux liens qui l’unissent à l’homme : la génération des enfants et le partage des activités familiales. Quant à la génération des enfants, la femme fut punie doublement. D’abord, quant aux fatigues qu’elle éprouve en portant l’enfant lorsqu’il est conçu, ce qui est signifié par ces paroles : " Je multiplierai les peines de tes grossesses. " Ensuite, quant à la douleur dont elle souffre en enfantant -. " Dans la peine tu enfanteras. " Quant à la vie familiale, la femme est punie en ce qu’elle est soumise à la domination de son mari, selon ces paroles : " Tu seras sous le pouvoir de ton mari. " - Mais, de même qu’il appartient à la femme d’être soumise à son mari en ce qui concerne l’économie familiale, de même il appartient à l’homme de procurer ce qui est nécessaire à la vie. En cela il est puni d’une triple façon. D’abord, par la stérilité de la terre : " Maudit soit le sol à cause de toi " Ensuite, par la préoccupation du travail, sans lequel on ne retire pas les fruits de la terre " A force de peine, tu en retireras subsistance tous les jours de ta vie. " Enfin, quant aux obstacles que rencontreront ceux qui cultivent la terre : " Elle produira pour toi épines et chardons. "

Pareillement aussi, en ce qui concerne l’âme, est décrit le triple châtiment qui fut le leur. Premièrement, quant à la confusion qu’ils éprouvèrent de la rébellion de la chair contre l’esprit ; c’est pourquoi il est dit : " Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus. " Deuxièmement, quant au remords de leur propre faute ; c’est pourquoi il est dit : " Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous pour connaître le bien et le mal. " Troisièmement, quant au rappel de la mort à venir ; c’est pourquoi il est dit à l’homme : " Tu es glaise, et tu retourneras à la glaise. " Que " Dieu leur fit des tuniques de peau " est aussi un signe de leur mortalité.

Solutions :

1. Dans l’état d’innocence, l’enfantement aurait eu lieu sans douleur. S. Augustin dit en effet : " A l’enfantement, les entrailles de la femme se seraient dilatées non dans les gémissements de la douleur, mais par la poussée de la maturité ; de même que, pour la fécondation, l’union se serait accomplie par l’intervention de la volonté, non par le désir de la volupté. "

Il faut comprendre que la soumission de la femme à son mari a pris un caractère de châtiment pour la femme non en ce qui regarde le pouvoir de commander, car même avant le péché l’homme aurait été " le chef de la femme " et aurait gouverné, mais selon que la femme, contre sa propre volonté, doit maintenant nécessairement obéir à la volonté de son mari.

Si l’homme n’avait pas péché, la terre aurait produit des épines et des ronces pour servir à la nourriture des animaux, mais non pour le châtiment de l’homme, car de leur production n’auraient résulté aucune fatigue ou punition pour l’homme travaillant la terre, dit S. Augustin. Alcuin dit cependant qu’avant le péché la terre n’aurait aucunement produit d’épines ni de ronces. Mais la première opinion paraît la meilleure.

2. La multiplicité des grossesses est devenue un châtiment pour la femme, non à cause de la mise au monde des enfants, qui aurait eu lieu même avant le péché, mais à cause de la multiplicité des fatigues dont souffre la femme lorsqu’elle porte l’enfant quelle a conçu. C’est pourquoi il est ajouté à juste titre : " Je multiplierai les peines de tes grossesses. "

3. Ces châtiments sont d’une certaine manière le lot de tous. En effet, quelle que soit la femme qui conçoit, elle éprouve nécessairement des tourments et enfante dans la douleur, à l’exception de la Sainte Vierge qui " conçut sans corruption et enfanta sans douleur ", car sa conception ne fut pas selon la loi naturelle découlant de nos premiers parents. Et si une femme ne conçoit pas et n’enfante pas, elle souffre d’une autre déficience : la stérilité, plus grave que tous ces châtiments. De même, il faut que quiconque travaille la terre, mange son pain à la sueur de son front. Quant à ceux qui ne sont pas eux-mêmes dans l’agriculture, ils se livrent à d’autres travaux, car " l’homme est né pour le travail ", dit le livre de Job (5, 7 Vg). Et ainsi il mange le pain produit par autrui à la sueur de son front.

4. Ce lieu du paradis terrestre, bien qu’il ne serve pas à l’homme pour son usage, lui sert pour son enseignement : l’homme apprend en effet qu’il a été privé d’un tel lieu par le péché ; et, par les choses qui existent de façon matérielle dans ce paradis, il est instruit de celles qui appartiennent au paradis céleste, dont l’accès est préparé à l’homme par le Christ.

5. Sans nier les mystères du sens spirituel, ce lieu semble inaccessible principalement à cause de la chaleur intense provenant de la proximité du soleil dans les régions intermédiaires. Cela est signifié par la " flamme du glaive " : elle est dite " tournoyante " à cause de la propriété du mouvement circulaire qui cause cette chaleur. Et comme le ministère des anges préside au mouvement du monde des corps, selon S. Augustin, il est juste d’adjoindre les " chérubins " au glaive flamboyant, " pour garder le chemin de l’arbre de vie ". C’est pourquoi S. augustin écrit : " Il faut croire que les choses se sont passées ainsi dans le paradis visible avec le concours des puissances célestes, afin que, par le ministère des anges, il y eût là comme un rempart de flammes. "

6. Si l’homme avait mangé de l’arbre de vie après le péché, il n’aurait pas, pour autant, retrouvé l’immortalité, mais il aurait pu, grâce à cette nourriture, prolonger sa vie davantage. C’est pourquoi lorsqu’il est dit : " ... et qu’il vive à jamais ", " à jamais " est pris ici pour " longtemps ". Mais il n’était pas avantageux pour l’homme de demeurer plus longtemps dans les misères de cette vie.

7. Comme dit S. Augustin : " Les paroles de Dieu ne sont pas tellement celles de quelqu’un qui insulte nos premiers parents que de quelqu’un qui détourne de l’orgueil ceux pour qui elles ont été écrites. Adam en effet non seulement n’est pas devenu ce qu’il avait voulu devenir, mais il n’est pas resté ce qu’il avait été. "

8. Le vêtement est nécessaire à l’homme selon son état de misère présente pour deux raisons. D’abord, pour le prémunir des dommages extérieurs, par exemple de l’excès de la chaleur et du froid ; ensuite, pour voiler sa honte, de peur que n’apparaisse le déshonneur des membres où se manifeste principalement la rébellion de la chair contre l’esprit. Or ces deux choses n’existaient pas dans le premier état. Alors en effet le corps de l’homme ne pouvait pas être blessé par quelque chose d’extérieures, comme nous l’avons dit dans la première Partie. Il n’y avait pas non plus, dans ce premier état, de honte dans le corps de l’homme qui le rende confus c’est pourquoi il est écrit dans la Genèse (2, 25) " Tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, sans en avoir honte. " Mais il en était autrement pour la nourriture, nécessaire pour entretenir la chaleur naturelle et donner au corps sa croissance.

9. Comme dit S. Augustin, il ne faut pas croire que nos premiers parents avaient été créés les yeux clos : en particulier lorsqu’il est dit de la femme qu’elle " vit que le fruit de l’arbre était beau et bon à manger ". Leurs yeux à tous d’eux s’ouvrirent, en ce sens qu’ils virent et comprirent quelque chose qu’ils n’avaient jamais remarqué : la convoitise mutuelle, qui n’existait pas auparavant.

 

 

QUESTION 165 — LA TENTATION DE NOS PREMIERS PARENTS

1. Convenait-il que l’homme fût tenté par le diable ? - 2. Le mode et l’ordre de cette tentation.

 

            Article 1 — Convenait-il que l’homme fût tenté par le diable ?

Objections :

1. Il semble que non. La même peine finale est en effet réservée au péché de l’ange et au péché de l’homme, selon S. Matthieu (25, 41) : " Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. " Or le péché du premier ange n’est pas venu d’une tentation extérieure. Le premier péché de l’homme n’aurait donc pas dû se produire non plus par suite d’une tentation extérieure.

2. Dieu, qui prévoit l’avenir, savait que l’homme tomberait dans le péché par la tentation du démon. Ainsi savait-il bien qu’il ne lui était pas avantageux d’être tenté. Il semble donc que Dieu n’aurait pas dû permettre cette tentation.

3. Que quelqu’un ait un agresseur semble relever d’un châtiment comme aussi, à l’inverse, la fin de l’agression semble une récompense, selon cette parole des Proverbes (16, 7) : " Si le Seigneur se plaît à la conduite d’un homme, il lui réconcilie même ses ennemis. " Or le châtiment ne doit pas précéder la faute. Il ne convenait donc pas que l’homme fût tenté avant le péché.

En sens contraire, il y a la parole de l’Ecclésiastique (34, 10) : " Celui qui n’a pas été tenté, que sait-il ? "

Réponse :

La sagesse divine " dispose tout de manière bienfaisante ", selon le livre de la Sagesse (8, 1), ce qui veut dire que sa providence attribue à chaque chose ce qui lui convient selon sa nature, car, pour Denys " il n’appartient pas à la providence de détruire la nature, mais de la sauver ". Or c’est la condition de la nature humaine que de pouvoir être aidée ou empêchée par les autres créatures. C’est pourquoi il fut convenable que Dieu permît que l’homme dans l’état d’innocence fût tenté par les mauvais anges, et fit que l’homme fût aidé par les bons. Par un bienfait spécial de la grâce il était d’ailleurs accordé à l’homme que nulle créature extérieure ne pût lui nuire contre sa propre volonté. Grâce à celle-ci il pouvait résister même à la tentation du démon.

Solutions :

1. Au-dessus de la nature humaine il y a une nature où peut se trouver le mal du péché, mais il n’y en a pas au-dessus de la nature angélique. Or, tenter en induisant au mal ne peut venir que d’un être déjà dépravé par la faute. Et c’est pourquoi il convenait que l’homme fût poussé au péché par le mauvais ange ; comme aussi, selon l’ordre de la nature, il est incité à la perfection par le bon ange. Quant à l’ange, celui qui lui était supérieur, c’est-à-dire Dieu, pouvait le faire progresser dans le bien, mais non l’induire à pécher, car, dit S. Jacques (1, 13) : " Dieu ne tente pas pour le mal. "

2. De même que Dieu savait que l’homme, par la tentation, allait tomber dans le péché, de même il savait que, par son libre arbitre, il pouvait résister au tentateur. Or la condition de sa nature demandait qu’il fût laissé à sa propre volonté, selon cette parole de l’Ecclésiastique (15, 14) : " Dieu a laissé l’homme aux mains de son conseil. " C’est pourquoi S. Augustin dit : " Il ne me semble pas que l’homme eût mérité une grande louange s’il pouvait vivre bien pour cette seule raison que personne ne l’invitait à vivre mal, alors qu’il avait par sa nature le pouvoir et, dans ce pouvoir, la volonté, de ne pas consentir au tentateur. "

3. L’assaut contre lequel on résiste avec difficulté a un caractère pénal. Mais l’homme, dans l’état d’innocence., pouvait sans difficulté résister à la tentations. C’est pourquoi l’assaut du tentateur n’eut pas pour lui un caractère pénal.

 

            Article 2 — Le mode et l’ordre de cette tentation

Objections :

1. Il semble que le mode et l’ordre de cette première tentation ne sont pas satisfaisants. En effet, de même que, dans l’ordre de la nature, l’ange était supérieur à l’homme, de même l’homme était supérieur à la femme. Or le péché est venu de l’ange à l’homme. Donc, pour une raison semblable, il aurait dû venir de l’homme à la femme, de sorte que la femme aurait été tentée par l’homme, et non pas l’inverse.

2. La tentation de nos premiers parents s’exerça par suggestion. Or le diable peut exercer une suggestion sur l’homme sans l’aide d’une créature sensible extérieure. Comme nos premiers parents étaient dotés d’une intelligence spirituelle et qu’ils s’attachaient moins aux choses sensibles qu’aux choses intelligibles, il eût donc été plus convenable que l’homme fût seulement tenté par une tentation spirituelle que par une tentation extérieure.

3. On ne peut convenablement suggérer le mal que par un bien apparent. Or beaucoup d’autres animaux ont une plus grande apparence de bien que le serpent. Il n’était donc pas convenable que l’homme fût tenté par le diable à l’aide du serpent.

4. Le serpent est un animal dépourvu de raison, à qui ne conviennent ni sagesse, ni élocution, ni châtiment. Il n’est donc pas juste de représenter le serpent comme " le plus rusé des animaux ", ou comme " le plus intelligent ", selon une autre version. De plus, il n’est pas raisonnable de le représenter comme ayant parlé à la femme, et comme puni par Dieu.

En sens contraire, ce qui est premier dans un genre doit se retrouver proportionnellement chez ses dérivés dans le même genre. Or en tout péché se retrouve l’ordre de la première tentation : ainsi, dans la sensualité, représentée par le serpent, la convoitise du péché marche en premier ; puis vient le plaisir dans la raison inférieure, représentée par la femme ; enfin le consentement au péché dans la raison supérieure, représentée par l’homme. C’est ce que dit S. Augustin. L’ordre de la première tentation fut donc ce qu’il devait être.

Réponse :

L’homme est composé d’une double nature, intelligente et sensible. C’est pourquoi le diable, dans la tentation de l’homme, se servit d’un double excitant au péché. D’abord, en ce qui concerne l’intelligence ; il promit une ressemblance de la divinité grâce à l’acquisition de la science, que l’homme désire naturellement. Ensuite, en ce qui concerne le sens : il se servit de ces choses sensibles qui ont avec l’homme la plus grande affinité ; en partie dans la même espèce, tentant l’homme par la femme ; en partie dans le même genre, tentant la femme par le serpent ; en partie dans un genre voisin, lui proposant de manger le fruit de l’arbre défendu.

Solutions :

1. Dans l’acte de la tentation le diable était comme l’agent principal, mais la femme était employée comme l’instrument de la tentation pour faire tomber l’homme. Cela, parce que la femme était plus faible que l’homme ; aussi pouvait-elle plus facilement être séduite. Et en outre à cause de son union avec l’homme ; c’est donc par elle surtout que le diable pouvait séduire l’homme. Cependant il n’en est pas de même de l’agent principal et de l’instrument. Car, s’il faut que l’agent principal soit supérieur, cela n’est pas exigé de l’agent instrumental.

2. La suggestion par laquelle le diable insinue quelque chose à l’homme de façon spirituelle suppose chez le diable un plus grand pouvoir sur l’homme que la suggestion extérieure. En effet, par la suggestion intérieure c’est au moins l’imagination de l’homme qui est modifiée par le diable, tandis que par la suggestion extérieure c’est seulement la créature extérieure qui est modifiée. Or le diable, avant le péché, avait le minimum de pouvoir sur l’homme. C’est pourquoi il ne put pas le tenter par une suggestion intérieure, mais seulement par une tentation extérieure.

3. Comme dit S. Augustin : " Nous ne devons pas penser que le diable ait été libre de choisir le serpent pour exercer la tentation. Mais comme il avait le désir de tromper, il n’a pu le faire que par cet animal, dont il lui fut permis de se servir. "

4. Comme dit S. Augustin : " Le serpent est dit sage ou rusé ou malin à cause de la fourberie du diable, qui en lui machinait sa tromperie, de même qu’on appelle prudente ou rusée la langue qu’un homme prudent ou rusé met en mouvement pour conseiller quelque chose avec prudence ou ruse. " Et le serpent ne comprenait pas la signification des paroles qui s’adressaient par lui à la femme, et il ne faut pas croire que son âme s’était transformée en une nature raisonnable, puisque les hommes eux-mêmes, dont la nature est raisonnable, ne savent pas non plus ce qu’ils disent, lorsque le démon parle en eux. " Ainsi donc le serpent a parlé à l’homme comme l’ânesse que montait le prophète Balaam, avec cette différence que dans le premier cas ce fut une œuvre diabolique, dans le second cas une œuvre angélique. C’est pourquoi ce n’est pas au serpent qu’il fut demandé pourquoi il avait fait cela, car ce n’est pas lui-même, dans sa nature, qui l’avait fait, mais au diable présent en lui, qui déjà, à cause de son péché, avait été destiné au feu éternel. Ce que Dieu dit au serpent s’adresse à celui qui a agi par le serpent. "

Comme dit encore S. Augustin " le châtiment du serpent ", c’est-à-dire du diable, " est celui dont nous devons nous garder, et non celui qui est réservé au dernier jugement ". En effet, par ce qui est dit au serpent : " Maudit sois-tu entre tous les bestiaux et toutes les bêtes sauvages ", " ces animaux sont placés au-dessus de lui, non par la puissance, mais par la conservation de leur nature, car les animaux n’ont pas perdu quelque béatitude céleste qu’ils auraient jamais eue, mais ils continuent de vivre dans la nature qu’ils ont reçue ". - Il est dit aussi au serpent : " Tu marcheras sur la poitrine et sur le ventre ", selon une autre version. " Par le mot "poitrine" est signifié l’orgueil, car c’est là que domine l’impétuosité de l’âme ; et par le mot "ventre" est signifié le désir charnel, car cette partie du corps est reconnue comme plus voluptueuse. C’est par là qu’il rampe vers ceux qu’il veut tromper. " - Les paroles : " Tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie ", peuvent être comprises de deux façons. " Ou bien - A toi appartiendront ceux que tu as fait tomber par la cupidité terrestre, c’est-à-dire les pécheurs, qui sont désignés par le mot "terre". Ou bien un troisième genre de tentation, c’est-à-dire de cupidité, est figuré par ces paroles, et c’est la curiosité ; en effet, celui qui mange de la terre pénètre ce qui est profond et ténébreux. " - Par ces paroles : " je mettrai une hostilité entre toi et la femme ", il est montré que nous ne pouvons être tentés pas le diable que par cette partie de l’âme qui, dans l’homme, porte ou montre pour ainsi dire l’image de la femme. Or la postérité du diable est la suggestion perverse ; la postérité de la femme est le fruit des bonnes œuvres, qui résistent. C’est pourquoi le serpent guette le talon de la femme, afin que le plaisir la saisisse quand elle tombe dans les choses défendues. Et la femme guette la tête du serpent, afin de l’exclure dès le début de la suggestion mauvaise.

Il faut maintenant étudier la studiosité (Q. 166), et la curiosité qui lui est opposée (Q. 167).

 

 

QUESTION 166 — LA STUDIOSITÉ

1. Quelle est la matière de la studiosité ? - 2. La studiosité est-elle une partie de la tempérance ?

 

            Article 1 — Quelle est la matière de la studiosité ?

Objections 1. Il semble que ce ne soit pas proprement la connaissance, car on appelle studieux celui qui s’applique avec soin à certaines occupations. Mais c’est en toute matière que l’homme doit s’appliquer, afin de bien accomplir sa tâche. Donc la connaissance n’est pas la matière spéciale de l’application studieuse.

2. La studiosité s’oppose à la curiosité. Or la curiosité, qui vient de cura, souci, recherche, peut s’appliquer à l’élégance des vêtements, et à d’autres choses qui concernent le corps. C’est pourquoi S. Paul dit (Rm 13,14) : " Ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises. " La studiosité n’a donc pas pour seule matière la connaissance.

3. Selon Jérémie (6, 13), " du plus petit au plus grand, tous s’appliquent à l’avarice ". Or l’avarice ne concerne pas proprement la connaissance, mais plutôt la possession des richesses, on l’a dit antérieurement. La studiosité, qui vient de studium, application, ne concerne donc pas proprement la connaissance.

En sens contraire, il y a cette parole des Proverbes (27, 11 Vg) : " Applique-toi à l’étude de la sagesse, mon fils, et réjouis mon cœur, afin de pouvoir répondre au blasphémateur. " Or, c’est la même studiosité qui est louée comme une vertu et à laquelle invite la loi. La studiosité concerne donc proprement la connaissance.

Réponse :

L’application studieuse comporte principalement une vive application de l’esprit à une chose. Or l’esprit ne s’applique à une chose qu’en la connaissant. L’esprit s’applique donc en premier lieu à la connaissance, et secondairement au but vers lequel la connaissance le dirige. C’est pourquoi l’application studieuse regarde en premier lieu la connaissance, et en second lieu toutes les autres choses pour l’exécution desquelles nous avons besoin d’être dirigés par la connaissance. Or les vertus se réservent en propre la matière qui les concerne en premier lieu et principalement : par exemple la force se réserve les périls de mort, et la tempérance les plaisirs du toucher. La studiosité s’applique donc proprement à la connaissance.

Solutions :

1. Dans les autres matières on ne peut faire quelque chose correctement si ce n’est selon ce qui a été ordonné préalablement par la raison connaissante. C’est pourquoi la studiosité, quelle que soit la matière à laquelle elle s’applique, regarde tout d’abord la connaissance.

2. L’affection de l’homme entraîne l’esprit de celui-ci à prêter attention à ce qui le touche, selon cette parole en S. Matthieu (6, 21) : " Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur. " Et comme l’homme s’affectionne surtout à ce qui flatte la chair, il en résulte que sa réflexion se tourne vers ce qui flatte la chair, c’est-à-dire qu’il cherche comment la soutenir le mieux possible. C’est de cette façon que la curiosité est rattachée aux choses qui appartiennent à la chair, en raison de ce qui appartient à la connaissance.

3. L’avarice aspire à acquérir des richesses, ce qui exige surtout l’expérience des affaires de ce monde. C’est de ce point de vue que l’application studieuse est attribuée à la matière de l’avarice.

 

            Article 2 — La studiosité est-elle une partie de la tempérance ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. " Studieux " se dit en effet de quelqu’un qui possède la studiosité. Or, de façon générale, tout homme vertueux est appelé studieux, comme cela se voit chez Aristote qui emploie fréquemment en ce sens le mot studieux. La studiosité est donc une vertu générale, et non une partie de la tempérance.

2. Comme on l’a dit à l’article précédent, la studiosité ressortit à la connaissance. Or la connaissance ne relève pas des vertus morales, qui se trouvent dans la partie appétitive de l’âme, mais plutôt des vertus intellectuelles, qui se trouvent dans la partie cognoscitive. C’est pourquoi la sollicitude est un acte de la prudence, on l’a vu plus haut. La studiosité n’est donc pas une partie de la tempérance.

3. La vertu qui figure comme partie d’une vertu principale lui est assimilée quant au mode. Or la studiosité n’est pas assimilée à la tempérance de ce point de vue. " Tempérance " s’entend en effet d’une certaine répression ; c’est pourquoi elle s’oppose plutôt au vice qui se trouve dans l’excès. " Studiosité " au contraire s’entend d’une application de l’âme à quelque chose ; c’est pourquoi elle s’oppose au vice qui se trouve dans un manque, par exemple à la négligence dans l’étude, plutôt qu’au vice qui se trouve dans l’excès, par exemple à la curiosité. Ainsi, à cause de cette ressemblance, Isidore dit que " studieux " signifie " curieux des études ". La studiosité n’est donc pas une partie de la tempérance.

En sens contraire, il y a ce que dit S. Augustine : " On nous interdit d’être curieux, et c’est la grande tâche de la tempérance. " Or, on empêche la curiosité par une studiosité modérée. La studiosité est donc une partie de la tempérance.

Réponse :

Nous l’avons dit il appartient à la tempérance de modérer le mouvement de l’appétit, pour éviter qu’il ne tende de façon excessive vers ce qui est naturellement désiré. Or, de même que, selon sa nature corporelle, l’homme désire naturellement les plaisirs de la nourriture et du sexe, de même, selon sa nature spirituelle, il désire naturellement connaître. C’est pourquoi Aristote a pu dire que " tous les hommes désirent naturellement savoir ". Or la modération de cet appétit de connaissance appartient à la vertu de studiosité. Il s’ensuit donc que la studiosité est une partie potentielle de la tempérance, en tant que vertu secondaire qui lui est adjointe comme à la vertu principale. Et elle est comprise sous la modestie, pour la raison qui a été dite plus haut.

Solutions :

1. La prudence apporte leur complément à toutes les vertus morales, dit Aristote. C’est donc en tant que la connaissance prudentielle s’applique à toutes les vertus que le mot " studiosité ", qui a trait proprement à la connaissance, s’applique par dérivation à toutes les vertus.

2. L’acte de la faculté cognitive est commandé par la faculté appétitive, qui est motrice de toutes les puissances, on l’a dit antérieurement. C’est pourquoi, en ce qui concerne la connaissance, on peut discerner un double bien : un bien quant à l’acte même de connaissance. Ce bien-là appartient aux vertus intellectuelles, et consiste en ce que l’homme juge ce qui est vrai dans les singuliers. - Un autre bien appartient à l’acte de la faculté appétitive et consiste pour l’homme à avoir un désir droit d’appliquer sa faculté de connaissance de telle ou telle façon, à ceci ou à cela. Et cela appartient à la vertu de studiosité, qui se range donc parmi les vertus morales.

3. Selon Aristote, pour que l’homme devienne vertueux, il faut qu’il se préserve des tendances les plus fortes de sa nature. C’est pourquoi, parce que la nature incline principalement à craindre les périls de mort et à poursuivre les plaisirs de la chair, le mérite de la vertu de force consiste principalement en une certaine fermeté à résister à ces périls, et celui de la vertu de tempérance en une certaine répression des plaisirs de la chair. Mais, en ce qui concerne la connaissance, il y a dans l’homme deux inclinations contraires. Par son âme en effet l’homme est incliné à désirer la connaissance des choses ; aussi doit-il réprimer humblement ce désir, de peur qu’il ne recherche la connaissance de façon immodérée. Au contraire, par sa nature corporelle l’homme est incliné à éviter la fatigue qu’entraîne l’investigation de la science. C’est pourquoi, relativement à la première inclination, la studiosité consiste à réprimer les excès, et de ce point de vue elle est considérée comme une partie de la tempérance. Mais, relativement à la seconde inclination, le mérite de la studiosité réside en une certaine ardeur d’intention visant à acquérir la science et c’est de là qu’elle tire son nom. La première fonction est plus essentielle à cette vertu que la seconde, car le désir de connaître se rapporte directement à la connaissance, à laquelle la studiosité est ordonnée. Au contraire, la fatigue d’apprendre représente un certain empêchement à la connaissance ; aussi n’est-elle considérée dans cette vertu qu’accidentellement, comme un obstacle à écarter.

 

 

QUESTION 167 — LA CURIOSITÉ

1. Le vice de curiosité peut-il exister dans la connaissance intellectuelle ? - 2. Existe-t-il dans la connaissance sensible ?

 

            Article 1 — Le vice de curiosité peut-il exister dans la connaissance intellectuelle ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, dit Aristote dans les choses qui sont bonnes ou mauvaises par soi il ne peut y avoir de milieu ni d’extrêmes. Or la connaissance intellectuelle est bonne en elle-même. En effet, la perfection de l’homme semble consister en ce que son intelligence passe de la puissance à l’acte. ce qui se réalise par la connaissance de la vérité ; . De même Denys dit que " le bien de l’âme humaine est d’être en conformité avec la raison " ; sa perfection consiste dans la connaissance de la vérité. Il ne peut donc y voir de vice de curiosité en ce qui concerne la connaissance intellectuelle.

2. Ce par quoi l’homme ressemble à Dieu, et qu’il reçoit de Dieu, ne peut pas être un mal. Or toute abondance de connaissance vient de Dieu selon l’Ecclésiastique (1, 1) : " Toute sagesse vient du Seigneur Dieu ", et selon le livre de la Sagesse (7, 17) : " C’est lui qui m’a fait connaître la structure du monde et les propriétés des éléments, etc. " C’est aussi par là que l’homme ressemble à Dieu, en ce qu’il connaît la vérité, car " tout est nu et découvert aux yeux de Dieu " (He 4, 13). C’est pourquoi il est écrit au premier livre de Samuel (2, 3) : " Le Seigneur est un Dieu plein de savoir. " Ainsi donc, quelque abondante que soit la connaissance de la vérité, elle n’est pas mauvaise, mais bonne. Or le désir du bien n’est pas vicieux. Il ne peut donc y avoir un vice de curiosité en ce qui concerne la connaissance intellectuelle de la vérité.

3. S’il pouvait y avoir un vice de curiosité en ce qui concerne la connaissance intellectuelle, ce serait principalement dans les sciences philosophiques. Mais il ne semble pas qu’il soit vicieux de s’y adonner. Commentant le livre de Daniel, S. Jérôme dit en effet : " Ceux qui ne voulurent pas goûter aux mets et au vin du roi par crainte de souillure, s’ils avaient su que la science et la doctrine des Babyloniens étaient un péché, n’auraient jamais accepté d’apprendre ce qui n’était pas permis. " Quant à S. Augustin, il dit : " Si les philosophes ont exprimé quelques vérités, nous devons les leur réclamer comme à d’injustes possesseurs et les revendiquer pour notre usage. " Il ne peut donc y avoir de curiosité vicieuse en ce qui concerne la connaissance intellectuelle.

En sens contraire, il y a ces paroles de S. Jérôme : " Ne vous semble-t-il pas qu’il s’engage dans la vanité du sens et l’obscurité de l’esprit, celui qui, jour et nuit, se torture dans l’art de la dialectique, et le physicien qui veut scruter le ciel en levant les yeux ? " Or la vanité du sens et l’obscurité de l’esprit sont vicieuses. Il peut donc y avoir une curiosité vicieuse en ce qui concerne les sciences intellectuelles.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, la studiosité ne concerne pas directement la connaissance elle-même, mais son désir et l’application à l’acquérir. Or il faut juger différemment la connaissance de la vérité et, d’autre part, le désir et l’application qui y conduisent. En effet, la connaissance de la vérité, absolument parlant, est bonne. Elle peut néanmoins être mauvaise, par accident, en raison de ses conséquences, par exemple lorsque quelqu’un s’enorgueillit de la connaissance de la vérité, comme dit S. Paul (1 Co 8, 1) : " La science enfle " ; ou bien lorsque l’homme s’en sert pour pécher.

Au contraire, le désir ou l’application conduisant à la connaissance de la vérité peuvent être droits ou pervers. D’une première façon lorsque, en tendant par son application à la connaissance de la vérité, on y joint accidentellement un élément mauvais ; c’est le cas de ceux qui s’appliquent à la science de la vérité afin d’en retirer un motif d’orgueil. C’est pourquoi S. Augustin dit : " Certains, abandonnant toute vertu et ignorant qui est Dieu et combien est grande la majesté de sa nature immuable, pensant faire quelque chose de grand en se livrant avec une curiosité et une ardeur insatiables à la connaissance de cette masse universelle de matière que nous appelons le monde. De là naît un tel orgueil qu’ils se figurent habiter le ciel pour cette raison qu’ils en parlent souvent. " De même aussi ceux qui cherchent à apprendre quelque chose en vue de pécher, ont une application vicieuse. Comme dit Jérémie (9, 5), " ils ont exercé leur langue à proférer le mensonge, ils ont travaillé afin de mal faire ".

D’une autre façon encore il peut y avoir vice en raison précisément du désordre dans le désir et l’application à apprendre la vérité. Et cela de quatre manières.

1° Lorsqu’une étude moins utile nous arrache à l’étude que la nécessité nous impose. C’est pourquoi S. Jérôme écrit : " Nous voyons des prêtres, ayant abandonné les Évangiles et les Prophètes, lire des comédies et chanter les poèmes d’amour des bucoliques. "

2° Lorsqu’on cherche à être instruit par celui à qui il n’est pas permis de s’adresser : c’est le cas de ceux qui interrogent les démons sur l’avenir, ce qui est une curiosité superstitieuse. C’est pourquoi S. Augustin dit : " Je ne sais pas si les philosophes n’ont pas été détournés de la foi par leur curiosité vicieuse à consulter les démons. "

3° Lorsque l’homme désire connaître la vérité concernant les créatures sans se référer à la vraie fin, c’est-à-dire à la connaissance de Dieu. C’est pourquoi S. Augustin dit : " Dans la considération des créatures il ne faut pas exercer une vaine et périssable curiosité, mais en faire un désir pour arriver à ce qui est immortel et durable. "

4° Lorsqu’on cherche à connaître la vérité en dépassant les possibilités de notre propre talent, car alors on tombe facilement dans l’erreur. C’est pourquoi on lit dans l’Ecclésiastique (3, 21) : " Ne cherche pas ce qui est trop difficile pour toi, ne scrute pas ce qui est au-dessus de tes forces. " Et on lit ensuite : " Car beaucoup se sont fourvoyés dans leur présomption, une prétention coupable a égaré leurs pensées. "

Solutions :

1. Le bien de l’homme consiste dans la connaissance du vrai. Cependant le souverain bien de l’homme ne consiste pas dans la connaissance de n’importe quel vrai, mais dans la connaissance parfaite de la vérité suprême, comme le montre Aristote. C’est pourquoi il peut y avoir un vice dans la connaissance de certaines vérités, lorsque un tel désir n’est pas ordonné de façon droite à la connaissance de la vérité suprême, où se trouve la souveraine félicité.

2. Même si cet argument prouve que la connaissance de la vérité est bonne par elle-même, il n’exclut pas cependant qu’il soit possible d’abuser de la connaissance de la vérité en vue du mal, ou de désirer la connaissance de la vérité de façon désordonnée, car il faut encore que l’appétit du bien soit réglé selon le mode voulu.

3. L’étude de la philosophie est en elle-même licite et digne d’éloge, en raison de la vérité que les philosophes ont aperçue, Dieu la leur révélant, comme dit S. Paul (Rm 1, 19). Cependant, comme certains philosophes en ont abusé pour combattre la foi, S. Paul a donné cet avertissement (Col 2, 8) : " Prenez garde qu’il ne se trouve quelqu’un pour vous réduire en esclavage par le vain leurre de la philosophie, selon une tradition toute humaine, selon les éléments du monde, et non selon le Christ. " Et à propos de certains philosophes Denys écrit : " Avec impiété ils retournent des armes divines contre les réalités divines, lorsqu’ils essaient de détruire le respect qui est dû à Dieu, au nom de cette sagesse même qui vient de Dieu. "

 

            Article 2 — Le vice de curiosité existe-t-il dans la connaissance sensible ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, de même que certaines réalités sont connues par le sens de la vue, de même aussi certaines sont connues par le sens du toucher et du goût. Or, en ce qui concerne ce que l’on peut toucher et goûter, il n’est pas question d’un vice de curiosité, mais plutôt d’un vice de luxure et de gourmandise. Il semble donc que le vice qui concerne les choses connues par la vue ne soit pas le vice de curiosité.

2. Il semble qu’il y ait de la curiosité à regarder les jeux. C’est pourquoi S. Augustin dit : " A un moment donné du combat, un grand cri poussé par tout le peuple ayant vivement frappé Alypius, la curiosité l’emporta et lui fit ouvrir les yeux. " Or la vue des jeux ne semble pas être un vice, car cette vue est rendue agréable à cause du spectacle, où l’on trouve un plaisir naturel, dit Aristote. Il n’y a donc pas de vice de curiosité en ce qui concerne la connaissance des choses sensibles.

3. Il semble qu’il appartienne à la curiosité d’examiner les actes du prochain, d’après Bède". Or examiner la conduite des autres ne paraît pas être un vice, car, dit l’Ecclésiastique (17, 14) : " Dieu a donné à chacun des commandements à l’égard de son prochain. " Le vice de curiosité ne se trouve donc pas dans les choses sensibles particulières qu’il faut connaître.

En sens contraire, S. Augustin dit que " c’est la convoitise des yeux qui rend les hommes curieux ". De même, dit Bède : " La convoitise des yeux ne se trouve pas seulement dans l’étude des arts magiques ", mais encore " dans l’assistance aux spectacles ainsi que dans l’examen et la critique des vices du prochain ", toutes choses qui sont des réalités particulières tombant sous les sens. Comme " la convoitise des yeux " est un vice, de même que " l’orgueil de la vie " et " la convoitise de la chair ", dit S. Jean dans sa première épître (2, 16), il semble donc que le vice de curiosité concerne la connaissance des réalités sensibles.

Réponse :

La connaissance sensible a deux buts. D’une part, chez les hommes comme chez les autres animaux, elle est ordonnée au soutien du corps, car c’est par cette connaissance que les hommes et les autres animaux évitent ce qui est nuisible et trouvent ce qui est nécessaire à la vie du corps. D’autre part, spécialement chez l’homme, la connaissance sensible est ordonnée à la connaissance intellectuelle, spéculative ou pratique. S’appliquer à l’étude de ce qui tombe sous les sens peut donc être vicieux de deux façons. D’une première façon, dans la mesure où la connaissance sensible n’est pas ordonnée à quelque chose d’utile, mais détourne plutôt l’homme d’une réflexion profitable. C’est pourquoi S. Augustin a écrit : " je ne vais plus au cirque voir un chien courir après un lièvre ; mais que le hasard, dans un champ où je passe, m’offre cette chasse, elle m’accapare, me détourne peut-être même d’une profonde méditation... Et si vous ne m’avertissez sur-le-champ, en me montrant ma faiblesse, j’ai l’absurdité de rester là bouche bée. " - D’une autre façon, dans la mesure où la connaissance est ordonnée à quelque chose de nuisible, lorsque par exemple le regard porté sur une femme est ordonné à la convoitise ; ou bien lorsque l’examen attentif de ce que font les autres est ordonné au dénigrement.

Au contraire, si l’on s’applique à la connaissance des choses sensibles de façon réglée, à cause de la nécessité où l’on est de maintenir sa nature, ou en vue d’arriver à la connaissance de la vérité, la studiosité au sujet de la connaissance sensible est vertueuse.

Solutions :

1. La luxure et la gourmandise ont pour matière les plaisirs que procure l’usage des réalités que l’on touche, tandis que la curiosité a pour matière le plaisir de la connaissance qu’offrent tous les sens. Cette curiosité, dit S. Augustin, " s’appelle concupiscence des yeux, car les yeux ont le rôle principal dans la connaissance sensible ; c’est pourquoi on emploie le mot "voir", à propos de toutes les réalités sensibles. " Et S. Augustin poursuit : " On peut discerner par là plus clairement la part de la volupté et la part de la curiosité dans l’activité des sens. La volupté recherche ce qui est beau, exquis à sentir, mélodieux à entendre, agréable au goût, doux au toucher, tandis que la curiosité s’attache même à des objets contraires pour les éprouver, non pour y trouver des sensations désagréables, mais par désir d’expérimenter et de connaître.

2. Ce qui rend mauvaise l’assistance aux spectacles, c’est qu’ils portent l’homme aux vices de luxure ou de cruauté, qu’ils représentent. C’est pourquoi S. Jean Chrysostome dit que " la vue de tels spectacles rend adultère et impudique ".

3. Examiner ou rechercher ce que font les autres dans une bonne intention, soit pour son utilité personnelle, afin d’être poussé à mieux faire à la vue des bonnes œuvres du prochain, soit pour l’utilité du prochain, afin de le corriger s’il fait quelque chose de mauvais, en se conformant à la règle de charité et à l’obligation de sa charge, cela est louable, dit S. Paul (He 10, 24) : " Faisons attention les uns aux autres pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes. " Mais s’appliquer à considérer les vices du prochain pour le mépriser ou le dénigrer, ou au moins pour le troubler inutilement, cela est vicieux. C’est pourquoi on lit au livre des Proverbes (24, 15) : " Ne guette pas, méchant, la demeure du juste, ne dévaste pas son habitation. "

 

 

QUESTION 168 — LA MODESTIE DANS LES MOUVEMENTS EXTÉRIEURS DU CORPS

1. Dans les mouvements extérieurs du corps qui se font avec sérieux, peut-il y avoir vertu et vice ? - 2. Peut-il y avoir une vertu dans les activités de jeu ? - 3. Le péché par excès de jeu. - 4. Le péché par défaut de jeu.

 

            Article 1 — Dans les mouvements extérieurs du corps peut-il y avoir vertu et vice ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, toute vertu est un ornement spirituel de l’âme. Comme dit le Psaume (45, 14) : " Toute la gloire de la fille du roi est à l’intérieur " ; et la Glose ajoute : " ... c’est-à-dire dans la conscience. " Or les mouvements corporels ne sont pas à l’intérieur, mais à l’extérieur. Il ne peut donc y avoir de vertu à leur sujet.

2. " Les vertus ne sont pas données par la nature ", comme le montre Aristote. Or les mouvements corporels extérieurs sont donnés aux hommes par la nature : selon la nature certains ont des mouvements rapides et certains des mouvements lents, et il en est de même des autres différences concernant les mouvements extérieurs. On n’observe donc pas de vertu dans ces mouvements.

3. Toute vertu morale concerne les actions qui sont relatives à autrui, comme la justice, ou concerne les passions, comme la tempérance et la force. Or les mouvements extérieurs du corps ne se rapportent pas à autrui ; ils ne sont pas non plus des passions. Il n’y a donc pas de vertu les concernant.

4. En toute œuvre de vertu il faut une application studieuse, on l’a dit plus haut. Or s’appliquer à harmoniser ses mouvements extérieurs est un souci répréhensible ; S. Ambroise dit en effet : " Il y a une démarche digne d’approbation, celle qui dénote l’autorité, la gravité, la tranquillité, mais qui n’a cependant rien d’étudié, ni d’affecté, où le mouvement est pur et simple. " Il semble donc qu’il n’y ait pas une vertu dans l’harmonie des mouvements extérieurs.

En sens contraire, l’idéal de la dignité se rattache à la vertu. Or l’harmonie des mouvements extérieurs contribue à l’idéal de la dignité ; S. Ambroise dit en effet : " Je n’approuve pas que le son de la voix ou les gestes du corps soient mous et languissants, et pas davantage qu’ils soient grossiers et lourds. Imitons la nature : son image est une règle de conduite, elle est l’idéal de la dignité. " Il y a donc une vertu concernant l’harmonie des mouvements extérieurs.

Réponse :

La vertu morale consiste à ordonner par la raison tout ce qui est humain. Or il est clair que les mouvements extérieurs de l’homme doivent être ordonnés par la raison, car les membres extérieurs se meuvent au commandement de la raison. Il est donc évident qu’il existe une vertu morale dans l’ordonnance de ces mouvements.

Celle-ci s’envisage à deux points de vue : d’une part, selon leur convenance à la personne qui en est le sujet ; d’autre part, selon leur convenance aux autres personnes, aux affaires ou aux lieux. C’est pourquoi S. Ambroise dit : " C’est s’appliquer à vivre en beauté que de respecter ce qui convient à chaque sexe et à chaque personne ", et cela se rapporte au premier point. Quant au second, S. Ambroise ajoute : " Voilà le meilleur ordre des mouvements ; voilà l’ornement adapté à toute action. "

C’est pourquoi, en ce qui concerne les mouvements extérieurs de ce genre, Andronicus distingue deux choses : " la bonne tenue ", qui se rapporte à ce qui convient à la personne elle-même, et qui se définit " la science de la bienséance dans les gestes et le maintien ", et " la bonne ordonnance ", qui se rapporte aux diverses affaires et à leurs circonstances, et qui se définit " la pratique du discernement ", c’est-à-dire du bien-faire diversifié selon les actions.

Solutions :

1. Les mouvements extérieurs sont des signes de la disposition intérieure, dit l’Ecclésiastique (19, 30) : " Le vêtement d’un homme, le rire de ses lèvres et sa démarche révèlent ce qu’il est. " Et S. Ambroise dit que " la disposition de l’esprit se voit dans l’attitude du corps " et que " le mouvement du corps est comme l’expression de l’âme ".

2. Bien que ce soit par une disposition naturelle que l’homme ait une aptitude à telle ou telle ordonnance des mouvements extérieurs, il lui est possible cependant de suppléer à ce qui manque à la nature par un effort de la raison. C’est pourquoi S. Ambroise dit : " La nature donne une forme au mouvement, mais l’effort, s’il y a quelque vice dans la nature, y remédie. "

3. Comme on l’a dit, les mouvements extérieurs sont des signes de la disposition intérieure, qui dépend principalement des passions de l’âme. Et c’est pourquoi la modération des mouvements extérieurs requiert la modération des passions intérieures. Ainsi S. Ambroise dit-il que, par les mouvements extérieurs, " l’homme révèle le secret de son cœur, léger, vaniteux, agité, ou au contraire, pondéré, constant, pur et parvenu à maturité ".

C’est aussi aux mouvements extérieurs que les autres hommes nous jugent. Comme dit l’Ecclésiastique (19,29) : " A son air on connaît un homme, à son visage on connaît l’homme de sens. " Et c’est pourquoi la modération des mouvements extérieurs s’adresse d’une certaine manière aux autres. Comme le dit S. Augustin : " Que rien dans vos mouvements n’offense les regards de personne, mais convienne à votre sainteté. "

C’est pourquoi la modération des mouvements extérieurs peut se ramener à deux vertus que signale Aristote. En effet, en tant que par les mouvements extérieurs nous nous trouvons en rapport avec les autres, la modération de ces mouvements appartient à l’amitié ou affabilité, qui exprime en paroles et en actes la part que l’on prend aux joies et aux tristesses de ceux avec qui l’on vit. En tant que les mouvements extérieurs sont le signe de la disposition intérieure, la modération de ces mouvements appartient à la vertu de vérité, par laquelle on se montre dans ses paroles et ses actes tel que l’on est intérieurement.

4. L’application à harmoniser ses mouvements extérieurs est blâmable lorsqu’on y commet un certain mensonge, en sorte que, en sorte qu’ils ne correspondent pas à la disposition intérieure. On doit cependant user d’une telle application pour corriger ce qu’il y a de désordonné en eux. C’est pourquoi S. Ambroise dit : " Qu’on n’emploie pas d’artifice, mais qu’on ne néglige pas de se corriger. "

 

            Article 2 — Peut-il y avoir une vertu dans les activités de jeu ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. S. Ambroise dit en effet : " Le Seigneur a dit : "Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez !" je crois donc qu’il faut éviter non seulement les excès, mais aussi tous les jeux. " Or ce qui peut se pratiquer avec vertu n’est pas totalement à éviter. Il ne peut donc y avoir de vertu en ce qui concerne les jeux.

2. La vertu est " une qualité que le Seigneur opère en nous sans nous ", comme il a été dit antérieurement. Or, selon S. Jean Chrysostome, " ce n’est pas Dieu qui inspire de jouer, mais le diable. Écoutez ce qui advint à ceux qui jouaient : "Le peuple s’assit pour manger et pour boire, puis ils se levèrent pour jouer" " (Ex 32, 6). Il ne peut donc y avoir de vertu concernant les jeux.

3. Aristote dit : " L’activité de jeu n’est pas ordonnée à quelque chose d’autre. " Or il est requis de la vertu " que l’on choisisse d’agir en vue d’autre chose ", comme lui-même le montre,. Il ne peut donc y avoir de vertu dans les jeux.

En sens contraire, il y a ce que dit S. Augustin : " Enfin je veux que tu te ménages : car il est bon que le sage relâche de temps en temps la vigueur de son application au devoir. " Or, une certaine détente de l’esprit par rapport au devoir s’obtient par les paroles et les actions de jeu. Il appartient donc au sage et au vertueux d’en faire parfois usage. D’ailleurs Aristote affecte aux jeux une vertu qu’il appelle " eutrapélie ", que nous pourrions traduire par enjouement.

Réponse :

De même que l’homme a besoin d’un repos physique pour refaire les forces de son corps qui ne peut travailler de façon continue, car il a une vigueur limitée, proportionnée à des travaux déterminés, il en est de même de l’âme, dont la vigueur aussi est limitée, proportionnée à des œuvres déterminées. Et c’est pourquoi, quand elle se livre à l’activité en dépassant la mesure, elle peine et par suite se fatigue ; d’autant plus que, dans les œuvres de l’âme, le corps travaille en même temps, puisque l’âme, même intellectuelle, se sert de facultés qui agissent par les organes du corps. Or il s’agit de biens sensibles qui sont connaturels à l’homme. C’est pourquoi, quand l’âme s’élève au-dessus des réalités sensibles pour s’appliquer aux œuvres de la raison, il en résulte une fatigue psychique, que l’homme s’applique aux œuvres de la raison pratique ou de la raison spéculative. Davantage cependant s’il s’applique aux œuvres de la contemplation, car c’est ainsi qu’il s’élève davantage au-dessus des choses sensibles ; bien que, dans les œuvres extérieures de la raison pratique, il puisse y avoir une plus grande fatigue physique. Dans les deux cas cependant on se fatigue d’autant plus qu’on s’applique plus intensément aux œuvres de la raison. Or, de même que la fatigue corporelle se relâche par le repos du corps, de même la fatigue de l’âme se relâche par le repos de l’âme.

Le repos de l’âme, c’est le plaisir, on l’a vu quand on a traité des passions. C’est pourquoi il faut remédier à la fatigue de l’âme en s’accordant quelque plaisir, qui interrompe l’effort de la raison. Dans les Conférences des Pères on peut lire que S. Jean l’Évangéliste, comme certains s’étaient scandalisés de l’avoir trouvé en train de jouer avec ses disciples, demanda à l’un d’eux qui portait un arc de tirer une flèche. Lorsque celui-ci l’eut fait plusieurs fois, il lui demanda s’il pourrait continuer toujours. Le tireur répondit que, s’il continuait toujours, l’arc se briserait. S. Jean fit alors remarquer que, de même, l’esprit de l’homme se briserait s’il ne se relâchait jamais de son application.

Ces paroles et actions, où l’on ne recherche que le plaisir de l’âme, s’appellent divertissements ou récréations. Il est donc nécessaire d’en user de temps en temps, comme moyens de donner à l’âme un certain repos. C’est ce que dit Aristote lorsqu’il déclare que, " dans le cours de cette vie, on trouve un certain repos dans le jeu ". C’est pourquoi il faut de temps en temps en user.

A ce sujet il semble qu’il y ait cependant trois défauts à éviter surtout. Le premier et le principal c’est qu’on ne cherche pas le plaisir dont on vient de parler dans des actions ou paroles honteuses ou nocives. C’est pourquoi Cicéron dit : " Il y a un genre de plaisanterie qui est grossier, insolent, déshonorant et obscène. " - Il faut aussi veiller à ce que la gravité de l’âme ne se dissipe pas totalement. C’est pourquoi S. Ambroise dit : " Prenons garde, en voulant détendre notre esprit, de ne pas perdre toute harmonie, qui est comme l’accord des bonnes actions. " Cicéron dit aussi : " De même qu’on ne donne pas aux enfants toute permission de jouer, mais seulement cette permission qui n’est pas étrangère aux actions honnêtes, de même dans le jeu lui-même doit briller la lumière d’un esprit vertueux. " - En troisième lieu il faut encore veiller, comme dans toutes les actions humaines, à ce que le jeu convienne aux personnes, aux temps et aux lieux, et qu’il soit bien ordonné selon les autres circonstances, c’est-à-dire qu’il soit " digne du moment et de l’homme ", comme dit Cicéron.

Tout cela est ordonné selon la règle de la raison. Or l’habitus qui opère selon la raison est une vertu morale. C’est pourquoi, en ce qui concerne les jeux, il peut y avoir une vertu, qu’Aristote appelle " eutrapélie " (enjouement). Et on dit que quelqu’un est " enjoué " (eutrapélos) c’est-à-dire a le " retournement facile ", parce qu’il transforme facilement les paroles ou les actes en délassement. Et cette vertu, par cela même qu’elle empêche de manquer à la mesure dans les jeux, se rattache à la modestie.

Solutions :

1. Les plaisanteries, comme on l’a dit, doivent être en harmonie avec les questions traitées et avec les personnes. C’est pourquoi, selon Cicéron, quand les auditeurs sont las, " il n’est pas inutile à l’orateur de faire diversion en racontant quelque chose de nouveau ou qui prête à rire, à moins toutefois que le sérieux de la question traitée ne permette pas de plaisanter. " Or la doctrine sacrée se rapporte aux choses les plus hautes ; on peut le lire dans les Proverbes (8, 6) : " Écoutez, car j’ai à vous parler de grandes choses. " C’est pourquoi S. Ambroise n’exclut pas absolument la plaisanterie de la vie humaine, mais de l’enseignement sacré. Il avait dit avant le texte cité par l’objection : " Quoique les plaisanteries soient parfois honnêtes et agréables, elles sont incompatibles avec l’enseignement de l’Église ; comment pourrions-nous employer ce que nous ne trouvons pas dans les Saintes Écritures ? "

2. Ces paroles de Chrysostome visent ceux qui font usage des jeux de façon désordonnée, et principalement ceux qui n’ont pas d’autre but que le plaisir du jeu, ceux dont parle le livre de la Sagesse (15, 12) : " Ils ont estimé que notre vie était un amusement. "Contre cela Cicéron dit : " Nous ne paraissons pas engendrés par la nature pour le jeu et la plaisanterie, mais plutôt pour l’austérité, et pour l’application à des choses plus sérieuses et plus hautes. "

3. Les actions mêmes que l’on fait en jouant, considérées en elles-mêmes ne sont pas ordonnées à une fin. Mais le plaisir que l’on trouve en de telles actions est ordonné à la récréation et au repos de l’âme. De la sorte, si on le fait modérément, il est permis de se servir du jeu. C’est pourquoi Cicéron a dit aussi : " Il est permis d’utiliser le jeu et la plaisanterie, mais comme le sommeil et les autres délassements, c’est-à-dire après avoir satisfait aux obligations graves et sérieuses. "

 

            Article 3 — Le péché par excès de jeu

Objections :

1. Il ne semble pas qu’il puisse y avoir de péché à jouer trop. En effet, ce qui excuse du péché n’est pas appelé péché. Or le jeu excuse parfois du péché. En effet beaucoup de choses, si elles étaient faites sérieusement, seraient des péchés graves, alors que, faites par jeu, elles ne sont plus des péchés, ou seulement des péchés légers. Il semble donc qu’il n’y ait pas de péché dans l’excès du jeu.

2. Tous les vices se ramènent aux sept vices capitaux, dit S. Grégoire. Or l’excès dans les jeux ne semble pas se ramener à l’un des vices capitaux. Il ne semble donc pas qu’il soit un péché.

3. Ce sont surtout les comédiens, dont toute la vie a pour but de jouer, qui paraissent donner trop d’importance au jeu. Donc, si l’excès du jeu était un péché, tous les comédiens seraient en état de péché. Pécheraient aussi, comme favorisant le péché, tous ceux qui emploient leurs services, ou qui leur accordent des subsides. Ce qui paraît être faux. Nous lisons en effet dans la Vie des Pères qu’il fut révélé au bienheureux Paphnuce qu’un jongleur allait devenir son compagnon dans la vie future.

En sens contraire, on lit dans les Proverbes (14,13) : " Dans le rire même le cœur trouve la peine, et la joie s’achève en chagrin. " Et la Glose ajoute " ... chagrin éternel ". Or c’est dans l’excès du jeu qu’il y a un rire désordonné et une joie déréglée. Il y a donc là un péché mortel, seul passible d’un chagrin éternel.

Réponse :

Dans tout ce qui peut être dirigé selon la raison, l’excès consiste à dépasser la règle imposée par la raison, et le défaut ou manque consiste à rester au-dessous de la règle de raison. Or nous avons dite que les jeux ou les plaisanteries, en paroles ou en actes, peuvent être dirigés par la raison. C’est pourquoi l’excès dans le jeu s’entend de ce qui excède la règle de raison, ce qui peut se produire de deux manières. D’une première manière, par la nature des actions distrayantes, genre de plaisanterie que Cicéron qualifie de " grossier, insolent, déshonorant et obscène " ; ce qui a lieu quand on emploie pour jouer des paroles ou des actions honteuses, ou encore de ces choses qui tournent au dommage du prochain et qui, de soi, sont des péchés mortels. Et ainsi il est clair que l’excès dans le jeu est un péché mortel.

D’une autre manière, il peut y avoir aussi un excès dans le jeu quand font défaut les circonstances requises ; lorsque par exemple on se livre au jeu à des moments ou en des lieux prohibés, ou encore d’une façon qui ne convient pas aux affaires traitées, ou aux personnes. Parfois cela peut devenir péché mortel, à cause de la violence de l’attachement au jeu, dont on préfère le plaisir à l’amour de Dieu, au point de ne pas craindre de pratiquer de tels jeux contre les commandements de Dieu ou de l’Église. Mais parfois cela n’est qu’un péché véniel lorsque, par exemple, on n’est pas tellement attaché au jeu qu’on veuille, à cause de lui, commettre quelque chose contre Dieu.

Solutions :

1. Certaines actions sont des péchés à cause de la seule intention, c’est-à-dire quand elles sont faites pour nuire à quelqu’un. Bien sûr, le jeu exclut cette intention, puisqu’on cherche à trouver du plaisir, et non à nuire. Dans ce cas le jeu excuse du péché, ou diminue le péché. - Mais il y a des actions qui, par leur espèce, sont des péchés, comme l’homicide, la fornication etc. De telles actions ne sont pas excusées par le jeu ; bien plus, elles rendent le jeu " déshonorant et obscène ".

2. L’excès dans le jeu fait partie de la " joie inepte ", dont S. Grégoire dit qu’elle est fille de la gourmandise. C’est pourquoi il est dit dans l’Exode : " Le peuple s’assit pour manger et pour boire, et ils se levèrent pour jouer. "

3. Comme nous l’avons dit le jeu est une nécessité de la vie humaine. Or tout ce qui est utile à la vie humaine peut être accompli par des métiers licites. C’est pourquoi même le métier de comédien, qui a pour but de délasser les hommes, n’est pas de soi illicite ; les comédiens ne sont pas en état de péché, pourvu qu’ils pratiquent le jeu avec modération, c’est-à-dire en n’y employant pas de propos ou d’actions illicites, et en ne s’y livrant pas en des circonstances et des temps défendus. Alors même qu’en matière humaine ils n’auraient pas d’autre fonction envers les autres hommes, ils ont néanmoins, vis-à-vis d’eux-mêmes et de Dieu, d’autres occupations sérieuses et vertueuses ; par exemple lorsqu’ils prient, lorsqu’ils mettent en ordre leurs passions et leurs actions, et parfois aussi lorsqu’ils font l’aumône aux pauvres. C’est pourquoi ceux qui leur accordent des subsides modérés ne pèchent pas, mais agissent avec justice, en leur attribuant le salaire de leurs services.

Mais ceux qui dépensent leurs biens avec excès pour de telles gens, ou encore qui soutiennent les comédiens pratiquant des jeux illicites, ceux-là pèchent, car ils encouragent leur péché. C’est en ce sens que S. Augustin dit que " donner ses biens aux comédiens est un grand vice ". A moins, par hasard, qu’un comédien se trouve dans une extrême nécessité : il faudrait alors lui venir en aide. Car S. Ambroise écrit : " Donne à manger à celui qui meurt de faim. Celui que tu aurais pu sauver en lui donnant à manger, si tu ne l’as pas nourri tu l’as tué. "

 

            Article 4 — Le péché par défaut de jeu

Objections :

1. Il semble que le défaut de jeu ne comporte aucun péché. Car aucun péché n’est prescrit au pénitent. Or S. Augustin, à propos du pénitent, parle ainsi : " Qu’il s’abstienne des jeux et des spectacles, celui qui veut obtenir une grâce parfaite de pardon. " Il n’y a donc pas de péché dans l’absence de jeu.

2. Aucun péché ne trouve place dans l’éloge des saints. Or certains sont loués pour s’être abstenus du jeu. Jérémie dit en effet (15, 17) : " jamais je ne me suis assis dans une assemblée de rieurs. " Et Tobie (3, 17 Vg) : " jamais je ne me suis mêlé aux joueurs ; et je n’ai pas fréquenté ceux qui ont une conduite légère. " Il ne peut donc y avoir de péché dans l’absence de jeu.

3. Andronicus dit que l’" austérité ", qu’il range au nombre des vertus, est " un habitus selon lequel on n’apporte pas aux autres les plaisirs de la conversation, et on ne les reçoit pas des autres ". Or cela se rapporte à un refus du jeu. L’abstention de jeu appartient donc davantage à la vertu qu’au vice.

En sens contraire, Aristote, déclare que le défaut de jeu est un vice.

Réponse :

Tout ce qui, dans les actions humaines s’oppose à la raison est vicieux. Or il est contraire à la raison d’être un poids pour les autres, lorsque par exemple on n’offre rien de plaisant, et qu’on empêche aussi les autres de se réjouir. C’est pourquoi Sénèque dit : " Conduis-toi sagement de façon que personne ne te tienne pour désagréable, ni ne te méprise comme vulgaire. " Or ceux qui refusent le jeu " ne disent jamais de drôleries et rebutent ceux qui en disent ", parce qu’ils n’acceptent pas les jeux modérés des autres. C’est pourquoi ceux-là sont vicieux, et on les appelle " pénibles et mal élevés ", avec Aristote.

Mais, parce que le jeu est utile en vue du plaisir et du repos, comme aussi le plaisir et le repos ne sont pas recherchés dans la vie humaine pour eux-mêmes mais au service de l’activité, d’après Aristote, il en résulte que le défaut de jeu est moins vicieux que l’excès de jeu. C’est pourquoi Aristote dit qu’ " en vue du plaisir il faut avoir peu d’amis ", car il suffit de peu de plaisir pour vivre, à la manière d’un condiment, de même qu’il suffit de peu de sel pour la nourriture.

Solutions :

1. Aux pénitents on prescrit de pleurer leurs péchés ; c’est pourquoi le jeu leur est interdit. Ce n’est pas là un vice par défaut, car il est conforme à la raison que pour eux le jeu soit diminué.

2. Jérémie parle là en accord avec un temps dont la situation réclamait plutôt des larmes. C’est pourquoi il ajoute : " je m’asseyais solitaire, car tu m’avais rempli d’amertume. " En revanche, ce qui est dit dans le livre de Tobie se rapporte à un excès de jeu. On le voit par ce qui suit : " ... et je n’ai pas fréquenté ceux qui ont une conduite légère. "

3. " L’austérité ", selon qu’elle est une vertu, n’exclut pas tous les plaisirs, mais seulement les plaisirs excessifs et désordonnés. C’est pourquoi elle semble se rattacher à l’" affabilité ", qu’Aristote appelle " amitié " ou à l’" eutrapélie " ou " enjouement ". Cependant Andronicus la nomme et la définit de cette façon à cause de son rapport avec la tempérance, qui réprime les plaisirs.

 

 

QUESTION 169 — LA MODESTIE DANS LA TENUE EXTÉRIEURE

1. Peut-il y avoir vertu et vice dans la tenue extérieure ? - 2. Les femmes pèchent-elles mortellement en se parant avec excès ?

 

            Article 1 — Peut-il y avoir vertu et vice dans la tenue extérieure ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, la tenue extérieure ne nous est pas dictée par la nature. C’est pourquoi elle varie selon les temps et les lieux. Aussi S. Augustin écrit-il que " chez les Romains de l’antiquité il était déshonorant de porter de longues tuniques à manches ; aujourd’hui, au contraire, il serait déshonorant aux hommes bien nés de ne pas en porter. " Or, dit Aristote " il y a en nous une aptitude naturelle à la vertu ". A ce sujet il n’y a donc pas de vertu ni de vice.

2. S’il y avait, dans la manière de se vêtir, une vertu et un vice, il faudrait en ce domaine, que l’excès fût un vice, et que le défaut lui aussi fût un vice. Or l’excès dans l’habillement extérieur ne semble pas vicieux, puisque même les prêtres et les ministres de l’autel se servent, pour leur ministère sacré, des vêtements les plus précieux. De même le défaut en cette matière ne semble pas vicieux lui non plus car l’épître aux Hébreux (11, 37) dit de certains pour leur éloge : " Ils sont allés çà et là sous des peaux de moutons et des toisons de chèvres. " Il semble donc qu’il n’y ait pas de vertu et de vice en matière d’habillement.

3. Une vertu est théologale, ou morale, ou intellectuelle. Or en matière d’habillement il ne s’agit pas d’une vertu intellectuelle, qui rend parfait dans la connaissance de la vérité. De même il n’y a pas là une vertu théologale, qui a Dieu pour objet. Enfin, il n’y a pas là non plus une des vertus morales dont parle Aristote. Il semble donc qu’en ce qui concerne la toilette il ne puisse y avoir de vertu et de vice.

En sens contraire, la dignité appartient à la vertu. Or la tenue extérieure révèle notre dignité. Car S. Ambroise écrit : " Que l’ornement du corps ne soit pas affecté, mais naturel ; simple, négligé plutôt que recherché ; qu’on ne se serve pas de vêtements précieux et éclatants, mais ordinaires, afin que rien ne manque de ce qui est honorable et nécessaire, mais que rien ne vise à l’éclat. " Il peut donc y avoir une vertu et un vice dans l’habillement extérieur.

Réponse :

Ce n’est pas dans les réalités extérieures que l’homme emploie, qu’il y a du vice, mais chez l’homme qui les emploie d’une façon mal réglée. Ce manque de mesure peut exister de deux façons : d’une première façon, par rapport aux coutumes des hommes avec qui l’on vit. C’est pourquoi S. Augustin a pu dire : " On doit éviter le scandale qui brave les coutumes humaines en ne respectant pas leur diversité. Il ne faut pas que la convention confirmée dans une cité ou chez un peuple par la coutume ou la loi soit violée par le caprice d’un concitoyen ou d’un étranger. Toute partie qui ne s’harmonise pas au tout est difforme. "

D’une autre façon, il peut y avoir un manque de mesure dans l’usage de telles choses à cause de l’attachement désordonné de celui qui s’en sert, ce qui arrive parfois quand l’homme les utilise de façon trop sensuelle, qu’il se conforme ou non aux usages de ses concitoyens. C’est pourquoi S. Augustine a dit : " Dans l’usage des choses il faut éviter la passion désordonnée : non seulement celle-ci abuse frauduleusement de la coutume de ceux avec qui l’on vit, mais encore bien souvent, dépassant les bornes, elle manifeste, par des éclats très scandaleux, la laideur qu’elle cachait sous le couvert des mœurs publiques. "

Or il arrive que ce désordre de la passion se manifeste de trois manières en ce qui concerne l’excès.

1° Lorsque l’on recherche la célébrité par un raffinement superflu des vêtements dans la mesure où ceux-ci illustrent ceux qui les portent. C’est pourquoi S. Grégoire dit : " Certains pensent que le goût des vêtements fins et précieux n’est pas un péché. Mais si ce n’était pas une faute, jamais la parole de Dieu n’aurait dit avec tant de précision que le riche, tourmenté en enfer, avait été revêtu de fin lin et de pourpre. Non, nul ne recherche les vêtements précieux (c’est-à-dire qui dépassent sa condition) si ce n’est par vaine gloire. "

2° Lorsque, dans la recherche excessive de beaux vêtements, on recherche un plaisir raffiné, du fait que le vêtement est conçu pour flatter le corps.

3° Lorsque l’on a un souci excessif du beau vêtement, même si l’on ne se propose pas une fin mauvaise.

A ce triple désordre Andronicus oppose trois vertus ayant pour matière la toilette extérieure : " l’humilité ", qui exclut la recherche de vaine gloire. C’est pourquoi il dit : " L’humilité est un habitus qui ne commet pas d’excès dans les dépenses et les apprêts. " - " Le contentement de peu ", qui exclut la recherche des plaisirs délicats. C’est pourquoi il dit que " le contentement de peu est un habitus qui se contente du nécessaire et détermine ce qui suffit à la vie ", conformément à ce que dit S. Paul (1 Tm 6, 8) : " Lorsque nous avons nourriture et vêtement, sachons être satisfaits. " - " La simplicité ", enfin, qui exclut la recherche excessive à ce sujet. C’est pourquoi Andronicus dit que " la simplicité est un habitus qui se satisfait de ce qui arrive ".

Du côté du péché par défaut, il peut aussi y avoir deux dérèglements dans notre disposition intérieure. Le premier par la négligence de l’homme qui ne prend ni souci ni peine pour être habillé comme il faut. C’est pourquoi Aristote appelle efféminé " celui qui laisse trainer son manteau, pour s’éviter la fatigue de le soulever ". - Un autre désordre se remarque chez ceux qui font servir à leur gloire ce manque de tenue extérieure. C’est pourquoi S . Augustin dit " qu’il peut y avoir de la vanité non seulement dans l’éclat et le luxe de ce qui tient au corps, mais aussi dans la tenue négligée et triste. Cette vanité est d’autant plus dangereuse qu’elle cherche à tromper sous le prétexte de servir Dieu ". Aristote dit aussi : " L’excès et le défaut poussés à l’extrême relèvent de la prétention. "

Solutions :

1. Bien que le vêtement extérieur ne soit pas en lui-même donné par la nature, il appartient néanmoins à la raison naturelle de régler ce vêtement extérieur. Aussi sommes-nous " disposés de naissance à recevoir cette vertu " qui met de l’ordre dans le vêtement extérieur.

2. Les personnes constituées en dignité ou encore les ministres de l’autel mettent des habits précieux, non pour leur propre gloire, mais pour signifier l’excellence de leur fonction ou du culte divin. C’est pourquoi ce n’est pas un vice chez eux. C’est ce qui permet à S. Augustin de dire : " Celui qui, dans l’usage des choses extérieures, dépasse les bornes fixées par la coutume des gens de bien avec lesquels il vit, le fait ou bien pour signifier quelque chose, ou bien pour choquer ", puisqu’il les utilise alors en vue de plaisirs raffinés ou par ostentation.

Dans le défaut en matière d’habillement il arrive également qu’il y ait péché ; cependant, celui qui se sert de vêtements plus vils que les autres ne pèche pas toujours. En effet, si l’on agit ainsi par vanité ou orgueil, pour se faire valoir plus que les autres, c’est un vice de superstition. Au contraire, si l’on agit ainsi pour macérer la chair ou humilier l’esprit, cela se rapporte à la vertu de tempérance. C’est pourquoi S. Augustin dit : " Quiconque use des biens passagers plus sobrement que ne le demandent les mœurs de ceux au milieu desquels il vit est ou bien tempérant ou bien superstitieux. " Se servir de vêtements vils convient tout spécialement à ceux qui exhortent les autres à la pénitence par l’exemple et la parole, comme le firent les prophètes dont parle ici S. Paul. C’est pourquoi, commentant S. Matthieu (3, 4), la Glose ajoute : " Celui qui prêche la pénitence présente un habit de pénitence. "

3. L’habillement extérieur est un certain indice de la condition humaine. C’est pourquoi l’excès, le défaut et le juste milieu en cette matière peuvent se ramener à la vertu de " vérité " à laquelle Aristote assigne pour matière les faits et les paroles qui révèlent plus ou moins la condition d’un homme.

 

            Article 2 — Les femmes pèchent-elles mortellement en se parant avec excès ?

Objections :

1. Il semble que la coquetterie féminine ne soit pas exempte de péché mortel. Tout ce qui est contraire à un commandement de la loi divine est en effet péché mortel. Or la coquetterie féminine est contraire à un commandement de la loi divine. S’adressant aux femmes, S. Pierre dit (1 P 3, 3) : " Que votre parure ne soit pas extérieure, faite de cheveux tressés, de cercles d’or et de toilettes bien ajustées. " Ce que la Glose de Cyprien commente ainsi : " Celles qui se revêtent de soie et de pourpre ne peuvent sincèrement revêtir le Christ ; celles qui se parent d’or, de perles et de bijoux, ont perdu la parure de l’âme et du corps. " Or cela ne se produit que par le péché mortel. La coquetterie féminine ne peut donc être exempte de péché mortel.

2. " Ce n’est pas seulement aux vierges ou aux veuves, dit S. Cyprien, mais aussi aux femmes mariées et à toutes les femmes sans exception qu’il faut dire qu’elles ne doivent en aucune façon falsifier l’œuvre et la créature de Dieu en usant de teinture blonde, ou de poudre noire, ou de rouge, ou de quelque autre préparation destinée à modifier leurs traits naturels. " Et S. Cyprien ajoute : " Elles font violence à Dieu quand elles s’efforcent de refaire ce que lui-même a fait. C’est un assaut contre l’œuvre divine, une trahison de la vérité. Tu ne pourras plus voir Dieu, quand tu n’auras plus les yeux que Dieu a faits, mais ceux que le diable a défaits : Tu t’es fait parer par ton ennemi, tu brûleras tout autant que lui. " Mais cela ne s’impose qu’au péché mortel. La coquetterie féminine n’est donc pas exempte de péché mortel.

3. Il ne convient pas plus à la femme de faire une toilette contraire à la règle, qu’il ne convient de se servir de vêtements masculins. Or cela est un péché, selon le Deutéronome (22,5) : " Une femme ne portera pas un costume masculin, et un homme ne mettra pas un vêtement féminin. " Il semble donc que l’excès dans la coquetterie féminine soit un péché mortel.

En sens contraire, à ce compte, il semble que les artisans qui préparent ces parures pécheraient eux-mêmes mortellement.

Réponse :

En ce qui concerne la parure féminine, il faut faire les mêmes observations que celles faites plus haut de façon générale à propos du vêtement extérieur ; en ajoutant cependant cette remarque particulière que la toilette féminine provoque les hommes à la sensualité, comme on le voit dans les Proverbes (7, 10) : " Voilà qu’une femme l’aborde, parée comme une courtisane, et préparée à tromper. " Cependant une femme peut licitement s’employer à plaire à son mari, de peur qu’en la dédaignant il ne tombe dans l’adultère. C’est pourquoi S. Paul dit (1 Co 7, 34) : " La femme qui s’est mariée a souci des affaires du monde, des moyens de plaire à son mari. " Si une femme mariée se pare afin de plaire à son mari, elle peut donc le faire sans péché. Mais les femmes qui ne sont pas mariées, qui ne veulent pas se marier, et qui sont dans une situation de célibat ne peuvent sans péché vouloir plaire aux regards des hommes afin d’exciter leur convoitise, car ce serait les inviter à pécher. Si elles se parent dans cette intention de provoquer les autres à la convoitise, elles pèchent mortellement. Mais si elles le font par légèreté, ou même par vanité à cause d’un certain désir de briller, ce n’est pas toujours un péché mortel, mais parfois un péché véniel. Et sur ce point, les mêmes principes s’appliquent aux hommes. C’est pourquoi S. Augustin écrit à Possidius : " je ne veux pas que tu prennes une décision précipitée en interdisant les parures d’or et les vêtements précieux, si ce n’est à l’égard de ceux qui ne sont pas mariés et qui, ne désirant pas se marier, ne doivent penser qu’aux moyens de plaire à Dieu. Pour les autres, ils ont les pensées du monde : les maris cherchent à plaire à leurs épouses, et les épouses à leurs maris. Toutefois il ne convient pas aux femmes, même mariées, de laisser voir leurs cheveux, car l’Apôtre leur ordonne de se voiler la tête. " Dans ce cas cependant, certaines pourraient ne pas commettre de péché, si elles ne le font pas par vanité, mais à cause d’une coutume contraire, bien que cette coutume ne soit pas à recommandera.

Solutions :

1. Comme dit la Glose au même endroit, " les femmes de ceux qui étaient dans la tribulation méprisaient leurs maris et, pour plaire à d’autres, se paraient de beaux atours ; ce que l’Apôtre leur interdit ". S. Cyprien parle lui aussi du même cas, mais il n’interdit pas aux femmes mariées de se parer pour plaire à leurs maris, afin de leur enlever l’occasion de pécher avec d’autres femmes. C’est pourquoi S. Paul écrit (1 Tm 2, 9) : " Que les femmes aient une tenue décente ; que leur parure, modeste et réservée, ne soit pas faite de cheveux tressés, d’or, de pierreries, de somptueuses toilettes. " Ce qui laisse à entendre qu’une parure sobre et modérée n’est pas interdite aux femmes, mais seulement une parure excessive, insolente et impudique.

2. Les fards dont parle S. Cyprien sont une espèce de mensonge qui ne peut éviter le péché. C’est pourquoi S. Augustin écrit à Possidius : " Se farder, pour paraître plus rouge ou plus blanche, est un artifice fallacieux. Les maris eux-mêmes, je n’en doute pas, ne veulent pas être trompés de la sorte. Or c’est pour eux seuls qu’il est permis aux femmes de se parer ; encore est-ce une tolérance, et non un ordre. " L’utilisation de ces fards n’est cependant pas toujours péché mortel, mais seulement quand elle se fait par luxure ou par mépris de Dieu ; ce sont les cas visés par S. Cyprien.

Il faut néanmoins distinguer entre feindre une beauté que l’on n’a pas, et cacher une laideur qui provient de quelque cause, comme la maladie. En effet, ceci est licite, car, selon S. Paul (1 Co 12, 23), " les membres du corps que nous tenons pour les moins honorables sont ceux-là mêmes que nous entourons de plus d’honneur ".

3. Nous l’avons dit, la toilette extérieure doit être en rapport avec la condition de la personne, conformément aux usages communément reçus. C’est pourquoi il est de soi vicieux qu’une femme mette des vêtements masculins, ou l’inverse ; et principalement parce que cela peut être une cause de débauche. C’est spécialement interdit par la loi, parce que les païens utilisaient de tels changements de vêtements pour se livrer à la superstition idolâtrique.- Parfois cependant, lorsqu’il y a nécessité, cela peut se faire sans péché : ou bien pour se cacher des ennemis, ou bien par manque d’autres vêtements, etc.

4. Si un art avait pour but de fabriquer des produits dont les hommes ne pourraient se servir sans péché, il en résulterait que les ouvriers commettraient un péché en fabriquant de tels articles, car ils offriraient alors directement aux autres une occasion de pécher ; ce serait le cas de celui qui fabriquerait des idoles ou objets servant au culte idolâtrique. Au contraire, si un art se rapporte à des ouvrages dont les hommes peuvent faire un bon ou un mauvais usage, comme les glaives, les flèches, etc., la pratique de cet art n’est pas un péché. Seul celui-ci d’ailleurs mérite le nom d’art. Comme dit S. Jean Chrysostome,, " il faut appeler arts ceux-là seuls qui fournissent et fabriquent des choses nécessaires et qui contribuent à maintenir notre vie ". - Cependant, si l’on faisait la plupart du temps un mauvais usage des produits d’un art, bien qu’ils ne soient pas en eux-mêmes illicites, ce serait le devoir du prince, selon Platon. de les exclure de la cité.

Donc, puisqu’il est permis aux femmes de se parer, pour maintenir ce qui convient à leur condition, ou même pour ajouter quelque ornement afin de plaire à leurs maris, il en résulte que les ouvriers qui fabriquent de telles parures ne pèchent pas en pratiquant leur art, à moins qu’ils n’en viennent à inventer des modes excessives et étranges. C’est ce qui fait dire à S. Jean Chrysostome : " Il y aurait beaucoup à retrancher même à l’art de la chaussure et du vêtement. On l’a dirigé en effet vers la luxure, en altérant sa nécessité, et en mêlant un art à un autre pour un but mauvais. "

 

 

QUESTION 170 — LES PRÉCEPTES DE LA TEMPÉRANCE

1. Les préceptes concernant la tempérance proprement dite. - 2. Les préceptes concernant ses parties.

 

            Article 1 — Les préceptes concernant la tempérance proprement dite

Objections :

1. Il semble que les préceptes de la tempérance sont mal présentés dans la loi divine. En effet, la force est une vertu plus grande que la tempérance, on l’a vu. Or il n’y a pas de précepte concernant la force parmi les préceptes du décalogue, qui sont les préceptes majeurs de la loi. Il n’est donc pas normal que parmi les préceptes du décalogue soit placée une interdiction de l’adultère, qui est contraire à la tempérance, comme on a pu le voir plus haut.

2. La tempérance ne concerne pas seulement les plaisirs sexuels, mais aussi le plaisir de la nourriture et de la boisson. Or dans les préceptes du décalogue on n’interdit pas de vice se rapportant à ce dernier plaisir, ni à une autre espèce de luxure que l’adultère. On ne devrait donc pas y trouver non plus un précepte interdisant l’adultère, qui se rapporte au plaisir sexuel.

3. Dans l’intention du législateur il est plus primordial de conduire aux vertus que d’interdire les vices. Les vices sont en effet interdits afin que soient supprimés les obstacles aux vertus. Or les préceptes du décalogue occupent la première place dans la loi divine. Il aurait donc fallu que, parmi eux, se trouvât placé un précepte positif conduisant directement à la vertu de tempérance, plutôt qu’un précepte négatif interdisant l’adultère, qui lui est directement opposé.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture.

Réponse :

Comme dit S. Paul (1 Tm 1, 5), " la fin du précepte, c’est la charité ", à laquelle nous sommes conduits par les deux préceptes se rapportant à l’amour de Dieu et du prochain. C’est pourquoi dans le décalogue on trouve les préceptes qui sont plus directement ordonnés à l’amour de Dieu et du prochain. Or, parmi les vices opposés à la tempérance, celui qui semble s’opposer le plus à l’amour du prochain est l’adultère, par quoi on prend pour soi quelque chose qui appartient à autrui, en abusant de la femme du prochain. C’est pourquoi parmi les préceptes du décalogue on interdit surtout l’adultère, et non seulement selon qu’il est accompli en fait, mais aussi selon qu’il est désiré dans le cœur.

Solutions :

1. Parmi les espèces de vice qui s’opposent à la force, aucune n’est aussi contraire à l’amour du prochain que l’adultère, qui est une espèce de la luxure, contraire à la tempérance. - Cependant le vice d’audace, qui s’oppose à la force, peut parfois devenir une cause d’homicide, qui est interdit parmi le préceptes du décalogue. " Ne te mets pas en route avec un audacieux, est-il écrit dans l’Ecclésiastique (8, 15), de peur qu’il ne fasse peser sur toi ses mauvais desseins. "

2. La gourmandise ne s’oppose pas directement à l’amour du prochain, comme l’adultère ; les autres espèces de la luxure non plus. L’injustice commise à l’égard d’un père par l’homme déflorant sa fille vierge, alors qu’elle ne lui est pas destinée en mariage, n’est pas aussi grande que l’injustice commise à l’égard du mari par l’adultère ; car c’est le mari qui a pouvoir sur le corps de son épouse, et non celle-ci.

3. Les préceptes du décalogue, on l’a dit antérieurement, sont comme les principes universels de la loi divine. Il en résulte qu’ils doivent être généraux. Or des préceptes généraux et positifs ne pouvaient être donnés à propos de la tempérance, car l’application de celle-ci varie selon les époques, dit S. Augustin, et selon la diversité des lois et des coutumes.

 

            Article 2 — Les préceptes concernant les parties de la tempérance

Objections :

1. Il semble que les préceptes portant sur les vertus annexes de la tempérance soient mal présentés dans la loi divine. En effet, les préceptes du décalogue sont, on l’a vu, comme les principes universels de toute la loi divine. Or " l’orgueil est le principe de tous les vices ", écrit l’Ecclésiastique (10, 13 Vg). Parmi les préceptes du décalogue il aurait donc fallu placer l’interdiction de l’orgueil.

2. Dans le décalogue doivent surtout figurer les préceptes par lesquels les hommes sont le plus inclinés à l’accomplissement de la loi, car ceux-ci paraissent être les principaux. Or, c’est par l’humilité surtout qui soumet l’homme à Dieu, que l’on est disposé à observer la loi divine. Aussi l’obéissance est-elle comptée parmi les degrés d’humilité, on l’a dit plus haut. Il semble qu’on doive en dire autant de la douceur, qui permet à l’homme " de ne pas s’opposer à la divine Écriture ", selon S. Augustin. Il semble donc que des préceptes concernant l’humilité et la douceur auraient dû trouver place dans le décalogue.

3. L’adultère est interdit dans le décalogue parce qu’il est contraire à l’amour du prochain. Mais le désordre dans les mouvements extérieurs, qui est contraire à la modestie, s’oppose également à l’amour du prochain. C’est pourquoi S. Augustin a dit : " Que rien dans tous vos mouvements n’offense les regards de personne. " Il semble donc que ce désordre aurait dû aussi être interdit par un précepte du décalogue.

En sens contraire, l’autorité de l’Écriture suffit.

Réponse :

Les vertus annexes de la tempérance peuvent être considérées de deux façons : d’une part, en elles-mêmes elles n’ont pas une relation directe à l’amour de Dieu et du prochain, mais elles se rapportent plutôt à une certaine modération de ce qui concerne l’homme lui-même. Mais considérées dans leurs effets, elles peuvent être en rapport avec l’amour de Dieu et du prochain. Aussi y a-t-il dans le décalogue des préceptes visant à empêcher les effets des vices opposés aux parties de la tempérance. Ainsi par la colère, qui s’oppose à la douceur, on est parfois conduit à l’homicide qui est interdit dans le décalogue, ou à refuser l’honneur dû aux parents. Mais cela peut aussi provenir de l’orgueil, par lequel beaucoup transgressent aussi les préceptes de la première table du décalogue.

Solutions :

1. L’orgueil est à l’origine du péché, mais il est caché dans le cœur ; son désordre n’est d’ailleurs pas évalué de la même manière par tous. C’est pourquoi son interdiction ne devait pas figurer parmi les préceptes du décalogue, qui sont des principes premiers évidents par eux-mêmes.

2. Les préceptes qui conduisent directement à observer la loi, présupposent déjà la loi. C’est pourquoi ils ne peuvent être les premiers préceptes de la loi, pour figurer au décalogue.

3. Le désordre des mouvements extérieurs ne constitue pas une offense au prochain, selon la nature même de leur acte, comme l’homicide, l’adultère et le vol, qui sont interdits dans le décalogue, mais seulement selon qu’ils sont des signes du désordre intérieur, nous l’avons dit tout à l’heure.

 

LA PROPHÉTIE

Après avoir étudié en détail les vertus et les vices qui appartiennent à la condition et à l’état de tout homme, il reste à étudier ce qui concerne spécialement certaines catégories de personnes.

Or sous le rapport des habitus et des actes de l’âme raisonnable, on trouve chez les hommes une triple différence :

1° La diversité des charismes " A l’un, écrit S. Paul (1 Co 12, 4), l’esprit octroie une parole de sagesse, à l’autre une parole de science " etc.

2° La diversité des formes de vie : la vie active ou la vie contemplative (Q. 179) qui se distinguent par leurs opérations, ainsi que le dit encore S. Paul (1 Co 12, 6). Autre, en effet, est le genre d’occupations de Marthe, " qui s’inquiétait et s’empressait aux soins du service " : c’est la vie active ; autre la manière de vivre de Marie, qui " s’était assise aux pieds du Seigneur et écoutait ses paroles " (Lc 10, 39) : c’est la vie contemplative.

3° La diversité des fonctions et des états. S. Paul écrit aux Éphésiens (4, 11) : " Dieu a établi les uns apôtres, d’autres prophètes, d’autres évangélistes, d’autres pasteurs et docteurs. " Ce sont là les divers ministères dont parle l’Apôtre dans sa première épître aux Corinthiens (12, 5) en disant " Il y a diversité de ministères. "

Les charismes forment l’objet de notre présent propos. A ce sujet, il faut remarquer que, parmi les dons gratuits, certains ressortissent à la connaissance, d’autres au discours (Q. 176-177), et d’autres à l’action.

Tous les dons qui sont relatifs à la connaissance peuvent être compris sous le nom de " prophéties. " Car la révélation prophétique s’étend non seulement aux événements humains futurs, mais encore aux réalités divines, tant aux vérités qui sont proposées à la croyance de tous et qui sont du domaine de la foi, qu’aux plus hauts mystères qui sont l’apanage des plus parfaits et se rapportent à la sagesse. La révélation prophétique a aussi pour objet les substances spirituelles par lesquelles nous sommes poussés au bien ou au mal ; c’est le don du " discernement des esprits ". La révélation prophétique s’étend encore à la direction des actes humains : c’est le don de science, on le verra plus loin (Q. 177).

Nous étudierons donc tout d’abord la prophétie, et le ravissement (Q. 175) qui est un degré spécial de la prophétie.

Au sujet de la prophétie quatre points retiendront notre attention. 1° Son essence (Q. 171). - 2° Sa cause (Q. 172). - 3° Le mode de la connaissance prophétique (Q. 173). - 4° Les diverses espèces de la prophétie (Q. 174).

 

 

QUESTION 171 — L’ESSENCE DE LA PROPHÉTIE

1. La prophétie appartient-elle à l’ordre de la connaissance ? - 2. Est-elle un habitus ? - 3. A-t-elle seulement pour objet les futurs contingents ? - 4. Le prophète connaît-il tout ce qui peut être prophétisé ? - 5. Distingue-t-il ce qu’il saisit divinement de ce qu’il voit par son propre esprit ? - 6. La prophétie peut-elle comporter de la fausseté ?

 

            Article 1 — La prophétie appartient-elle à l’ordre de la connaissance ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. On lit, en effet dans l’Ecclésiastique (48, 13) que " le corps d’Élisée après sa mort, prophétisa " ; et plus loin (49, 18 Vg) on nous rapporte le même fait au sujet des ossements de Joseph. Or, après la mort, il ne demeure, dans le corps ou dans les ossements, aucune possibilité de connaissance.

2. Ainsi que l’écrit S. Paul (1 Co 14, 3) : " Celui qui prophétise parle aux hommes pour les édifier. " La prophétie est donc bien plutôt un discours qu’une connaissance.

3. Toute perfection relative à la connaissance exclut la sottise et l’insanité. Cependant, celles-ci peuvent se rencontrer avec la prophétie. Osée s’écrie en effet (9, 7) : " Apprends, Israël, que le prophète est fou et délire. " La prophétie n’est donc pas une perfection qui relève de la connaissance.

4. Si la révélation appartient à l’intelligence, l’inspiration semble se rattacher à la volonté ; car elle implique une motion. Or, d’après Cassiodore, la prophétie est " une inspiration ou une révélation ". Il semble donc que la prophétie n’appartienne pas plus à l’intelligence qu’à la volonté.

En sens contraire, il est écrit (1 S 9, 9) : " Celui qui aujourd’hui porte le nom de prophète, était autrefois appelé voyant. " Or la vision est un acte de connaissance. La prophétie appartient donc à l’ordre de la connaissance.

Réponse :

La prophétie est premièrement et principalement un acte de connaissance ; en effet les prophètes connaissent les réalités qui échappent à la connaissance ordinaire des hommes. Aussi peut-on dire que le nom de " prophète " est composé de pro, c’est-à-dire " loin " et de phanos qui signifie " apparition ", parce que les prophètes voient apparaître ce qui est éloigné. Voilà pourquoi, d’après S. Isidore, " ils étaient nommés voyants dans l’Ancien Testament, car ils voyaient ce qui échappait aux autres, et ils percevaient ce qui était enveloppé de mystères ". Dans le paganisme, on les appelait vates à cause de la force de leur esprit (vi mentis).

La prophétie est secondairement un discours.

L’Apôtre écrit (1 Co 12, 7) : " La manifestation de l’Esprit est donnée à chacun pour l’utilité commune. " Et " en vue de l’édification de l’Église ". Ce que les prophètes instruits par Dieu connaissent, ils l’annoncent aux autres afin de les édifier, comme dit Isaïe (21, 10) : " Ce que j’ai entendu du Seigneur des armées, du Dieu d’Israël, je vous l’ai annoncé. " A la suite de S. Isidore on peut donc considérer les prophètes comme des " prédisants " parce qu’ils " disent de loin " (porro) c’est-à-dire d’événements éloignés, " et annoncent la vérité sur l’avenir ".

La prophétie implique le miracle, qui en est comme la confirmation. En effet, les vérités que Dieu révèle et qui surpassent la connaissance des hommes ne sauraient être confirmées par la raison humaine qu’elles dépassent, mais par l’action de la puissance divine ; comme le remarque S. Marc (16, 20) " Les Apôtres prêchèrent en tous lieux, le Seigneur les assistant et confirmant leur parole par les miracles qui l’accompagnaient. " On lit aussi dans le Deutéronome (34, 10) : " En ce qui concerne les signes et les miracles, il ne s’est plus levé en Israël de prophète semblable à Moïse, que le Seigneur connaissait face à face. "

Solutions :

1. L’Ecclésiastique donne le nom de prophétie à ces miracles dans le sens de preuve c’est la troisième signification du mot.

2. Dans le texte allégué, l’Apôtre parle du discours prophétique : c’est le second sens du mot " prophétie ".

3. Les prophètes qui sont fous et qui délirent ne sont pas de vrais, mais de faux prophètes. " N’écoutez pas la parole des prophètes qui vous enseignent et vous séduisent, dit à leur sujet Jérémie (23, 16). Ils vous annoncent la vision de leur propre cœur et non celle qui vient de la bouche de Dieu. " On lit aussi dans Ézéchiel (13, 3) : " Voici ce que dit le Seigneur : malheur aux prophètes insensés qui suivent leur propre esprit et n’ont aucune vision. "

4. La prophétie requiert que la portée de l’esprit humain soit accrue afin de percevoir les réalités divines ; c’est ce que veut dire ce texte d’Ézéchiel (2, 1) : " Fils d’homme, tiens-toi debout et je te parlerai. " Or cette surélévation de la capacité intellectuelle se fait sous la motion du Saint-Esprit ; aussi Ézéchiel poursuit-il : " L’esprit entra en moi et me fit tenir debout. " Lorsque la portée de l’esprit humain est surélevée pour lui faire saisir les réalités supérieures, il perçoit les mystères divins. Voilà pourquoi Ézéchiel ajoute " Et j’ai entendu celui qui me parlait. "

Ainsi donc la prophétie exige, d’une part, une inspiration, c’est-à-dire une surélévation de l’esprit : " l’inspiration du Tout-Puissant donne l’intelligence ", écrit job (32, 8). D’autre part, elle requiert une révélation, c’est-à-dire une perception des réalités divines ; par là s’achève la prophétie, puisque la révélation fait tomber le voile d’obscurité et d’ignorance suivant le mot de Job (12, 22) : " Dieu révèle les choses cachées au fond des ténèbres. "

 

            Article 2 — La prophétie est-elle un habitus ?

Objections :

1. A première vue, on le croirait ; car, d’après Aristote " il y a trois catégories d’êtres dans l’âme : la puissance, la passion et l’habitus. " Or la prophétie n’est pas une puissance ; sans quoi elle existerait chez tous les hommes, puisque les puissances de l’âme leur sont communes à tous. Elle n’est pas non plus une passion ; car les passions appartiennent aux facultés appétitives, comme on l’a établie, et l’on vient de dire que la prophétie relève surtout de la connaissance. La prophétie est donc un habitus.

2. Toute perfection de l’âme qui n’est pas toujours en acte, est un habitus. Or, la prophétie qui est une perfection de l’âme n’est pas toujours en acte, autrement on n’appellerait pas prophète un homme qui dort.

3. La prophétie fait partie des grâces gratuitement données. Or, dans l’âme, la grâce est un don habituel, on l’a dit La prophétie est donc un habitus.

En sens contraire, le commentateur d’Aristote définit l’habitus : " Ce par quoi un être agit quand il le veut. " Or personne ne peut user de la prophétie à son gré. S. Grégoire observe en effet, à propos d’Élisée (2 R 3, 15) : " Comme Josaphat s’enquérait des événements futurs et que l’esprit de prophétie faisait défaut à Élisée, celui-ci fit jouer de la harpe afin que l’esprit de prophétie descende en lui, grâce à la psalmodie, et remplisse son intelligence des réalités futures. " La prophétie n’est donc pas un habitus.

Réponse :

Comme dit S. Paul (Ep 5,13) toute manifestation de connaissance suppose une lumière : lumière corporelle pour une vision corporelle, lumière intellectuelle pour une vision intellectuelle ; bref, il faut une proportion entre la lumière et ce qu’elle fait voir, comme entre une cause et son effet. Donc, puisque la prophétie consiste à connaître des vérités qui sont au-dessus de la raison naturelle, il faudra queue bénéficie d’une lumière qui dépasse celle-ci. Aussi le prophète Michée dit-il (7, 8) : " Lorsque je suis dans les ténèbres, le Seigneur est ma lumière. " Or la lumière peut exister de deux manières dans un sujet : l° à l’état de forme permanente telle la lumière corporelle dans le soleil et dans le feu ; 2° par mode d’impression passagère, telle la lumière dans l’air. Mais la lumière prophétique n’existe pas, dans l’intelligence du prophète, à l’état de forme permanente ; autrement il faudrait que le prophète ait toujours la faculté de prophétiser, ce qui est manifestement faux. S. Grégoire dit en effet à propos d’Ézéchiel : " Quelquefois, l’esprit de prophétie fait défaut aux prophètes, et il n’est pas toujours à la disposition de leur intelligence, afin qu’ils reconnaissent, quand ils ne l’ont pas, qu’ils ne peuvent l’avoir que par un don lorsqu’ils l’ont. " Et c’est pourquoi Élisée disait au sujet de la Sunamite (2 R 4, 27) : " Son âme est dans l’amertume, le Seigneur me l’a caché et ne me l’a point fait connaître. "

Et voici la raison de ce mode d’être passager la lumière intellectuelle qui existe chez un sujet à l’état de forme permanente et parfaite perfectionne l’intelligence spécialement en vue de lui faire connaître le principe de toutes les vérités que cette lumière manifeste ; ainsi, par la lumière de l’intellect agent, l’intelligence connaît surtout le principes premiers de tout ce qu’elle comprendre naturellement. Or le principe des vérités surnaturelles, que manifeste la prophétie, c’est Dieu lui-même, et Dieu ne peut être connu dans son essence par les prophètes. Mais, dans la patrie céleste, les bienheureux, en qui se trouve la lumière à l’état de forme permanente et parfaite, le contemplent, selon la parole du Psaume (36, 10) : " C’est dans ta lumière que nous verrons la lumière. "

Il reste donc que la lumière prophétique existe dans l’âme du prophète par mode d’impression passagère. C’est le sens de cette parole de l’Exode (33, 22) : " Tandis que passera ma gloire, je t’établirai dans les grottes de pierre, etc. " et de celle-ci au sujet d’Élie (1 R 19, 11) : " Sors, et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur, car voici que le Seigneur passe, etc. " Il résulte de là que, semblable à l’air qui a toujours besoin d’une nouvelle clarté, l’esprit du prophète exige constamment une nouvelle révélation ; ainsi l’élève qui n’est pas encore initié aux principes de l’art doit-il être instruit de tout dans le détail. Aussi Isaïe écrit-il (50, 4) : " Chaque matin le Seigneur éveille mon oreille, afin que je l’écoute comme un maître. " C’est ce que signifient également certaines expressions qui introduisent la prophétie dans les livres saints : " Le Seigneur a parlé " à tel ou tel prophète, ou " la parole du Seigneur lui a été adressée ", ou " la main du Seigneur s’est posée sur lui ".

L’habitus étant une forme permanente, il est donc évident que la prophétie, à proprement parler, n’est pas un habitus.

Solutions :

1. La division donnée par le Philosophe n’est pas exhaustive : elle n’inclut pas tout ce qui se trouve dans l’âme, mais seulement ce qui peut devenir principe d’actes moraux. Certaines actions, en effet, sont faites par passion, d’autres par habitus, d’autres ne relèvent que de la puissance toute nue ; par exemple chez ceux qui agissent en vertu d’un jugement de leur raison, avant qu’ils aient acquis un habitus. On pourrait cependant accepter cette division d’Aristote et dire que la prophétie se ramène à la passion, mais en entendant par ce mot de passion n’importe quelle influence subie par un sujet ; en ce sens Aristote a écrit que " l’intellection est une passion ". Dans la connaissance naturelle, l’intellect passif est soumis à l’action de la lumière et de l’intellect agent ; pareillement, dans la connaissance prophétique, l’intelligence humaine subit une passion du fait de la lumière divine qui l’illumine.

2. Dans les réalités corporelles, une fois la passion disparue, il reste une aptitude à la subir de nouveau ; ainsi le bois qui a déjà pris feu s’enflamme ensuite plus facilement. Il en va de même de l’intelligence du prophète ; quand la lumière divine a cessé de l’illuminer, il subsiste dans le prophète une aptitude à être pus facilement à nouveau soumis à l’influx divin. Pareillement, l’esprit qui s’est excité à la dévotion retourne ensuite plus aisément à sa ferveur première. S. Augustin remarque en effet que les prières fréquentes sont nécessaires pour que la piété acquise ne s’éteigne pas complètement.

On peut encore avancer une autre raison d’appeler quelqu’un prophète, même après que la lumière prophétique a cessé de l’illuminer : c’est en vertu de la députation divine qu’il a reçue, selon cette parole en Jérémie (1, 5) : " je t’ai établi comme prophète pour les nations. "

3. Tout don de la grâce surélève l’homme en vue de lui faire produire des actes qui sont au-dessus de sa nature, et cela de deux manières : l° par rapport à la substance de l’acte, comme de faire des miracles ou de connaître les secrets et les mystères de la sagesse divine ; pour accomplir ces actes, l’homme ne reçoit pas le don habituel de la grâce ; 2° par rapport au mode de l’acte, et non plus quant à sa substance, comme d’aimer Dieu et de le reconnaître dans le miroir des créatures ; en ce cas il y a un don de la grâce habituelle.

 

            Article 3 — La prophétie a-t-elle seulement pour objet les futurs contingents ?

Objections :

1. C’est à quoi l’on pense tout d’abord. Cassiodore dit en effet : " La prophétie est une inspiration ou une révélation divine qui annonce les événements avec une vérité immuable. " Or ces événements, ce sont des futurs contingents. La révélation prophétique s’applique donc exclusivement aux futurs contingents.

2. La grâce de la prophétie se distingue de la sagesse et de la foi qui concernent les réalités divines, du discernement des esprits qui vise les esprits créés, et de la science qui a pour objet les réalités humaines, comme cela ressort de la 1ère épître de S. Paul aux Corinthiens (12, 8). Or les habitus et les actes se distinguent d’après leurs objets, on l’a déjà montré. Il semble donc que la prophétie ne se rapporte à aucun des objets précités ; et que par suite elle ne concerne que les futurs contingents.

3. A la diversité des objets correspond une diversité d’espèces, on l’a dit au même endroit. Donc, si la prophétie s’applique tantôt à des futurs contingents, tantôt à d’autres réalités, il semble qu’il y ait diverses espèces de prophétie.

En sens contraire, d’après S. Grégoire la prophétie peut s’appliquer, soit au futur : " Voici qu’une Vierge concevra et enfantera un fils ", lit-on dans Isaïe (7, 14) ; soit au passé : " Au commencement, dit la Genèse (1, 1), Dieu créa le ciel et la terre " ; soit enfin au présent : " Si tous prophétisent, écrit l’Apôtres et que survienne un infidèle, les secrets de son cœur sont dévoilés " (1 Co 14, 24). La prophétie n’a donc pas seulement pour objet les futurs contingents.

Réponse :

Toute connaissance qui se fait par la lumière peut s’étendre à tout ce que cette lumière manifeste ; ainsi la vision corporelle s’étend à toutes les couleurs, et la connaissance naturelle de l’âme à tout ce qui est soumis à la lumière par l’intellect agent. Or la connaissance prophétique se fait par une lumière divine qui permet de connaître toutes les réalités, qu’elles soient divines ou humaines, spirituelles ou corporelles. La révélation prophétique s’étend donc à toutes ces réalités. C’est ainsi que cette révélation aura pour objet, selon Isaïe, soit l’excellence de Dieu et les liturgies des esprits angéliques (6, 1) : " J’ai vu le Seigneur assis sur un trône haut et élevé " ; soit les corps naturels (40, 12) : " Qui a mesuré les eaux dans sa main ? " Soit aussi les mœurs des hommes (58, 7) : " Partage ton pain avec celui qui a faim. " Soit encore les événements futurs (47, 9) : " Ces deux malheurs t’arriveront soudain, en un même jour, la perte de tes enfants et le veuvage. " Il faut cependant remarquer que, la prophétie ayant pour objet ce qui est éloigné de notre connaissance humaine, plus les réalités échapperont à la connaissance humaine, plus elles appartiendront proprement à la prophétie. Or ces réalités comprennent trois degrés. Le premier degré est formé des réalités sensibles ou intellectuelles qui échappent à la connaissance, non de tous les hommes, mais de tel ou tel homme en particulier. Ainsi, l’un connaît par ses sens les objets qui lui sont localement présents, alors qu’un autre les ignore parce qu’ils lui sont absents : Élisée, par exemple, a perçu d’une façon prophétique ce qu’avait fait en son absence son disciple Giézi (2 É, 5, 26). Pareillement, les pensées intimes de certains sont manifestées à d’autres grâce à la prophétie, dit S. Paul (1 Co 14, 24). De même encore, ce dont l’un possède la science démonstrative, un autre peut en avoir la révélation prophétique. Le deuxième degré comprend les vérités qui dépassent universellement la connaissance de tous les hommes, non qu’elles soient inconnaissables en elles-mêmes, mais à cause de l’imperfection de la raison humaine : par exemple, le mystère de la Trinité. Ce mystère a été révélé par les Séraphins qui s’écriaient, d’après Isaïe (6, 3) " Saint, Saint, Saint, etc. "

Le dernier degré se compose des réalités qui excèdent la connaissance de tous les hommes, parce qu’elles ne sont pas connaissables en elles-mêmes ; par exemple, les événements futurs contingents, dont la vérité objective n’est pas encore fixée. Or ce qui est " universel et par soi " est premier par rapport à ce qui est " particulier et par un autre ". Voilà pourquoi la révélation des événements futurs appartient de la façon la plus rigoureuse à la prophétie ; c’est même de là que semble venir le nom de prophétie. S. Grégoire a donc pu écrire : " La prophétie, dont la nature est de prédire l’avenir, perd la raison de son nom, quand elle parle du passé ou du présent. "

Solutions :

1. La prophétie est définie par Cassiodore selon sa signification rigoureuse. 2. Et c’est aussi de cette manière qu’on la distingue des autres dons gratuits. D’où la réponse à la deuxième objection. Mais on peut encore distinguer ces charismes de la façon suivante : toutes les réalités qui tombent sous la prophétie ont ceci de commun que l’homme ne peut les connaître que par révélation divine. Il en va différemment des vérités qui relèvent des dons de sagesse, de science et d’interprétation des discours : la raison naturelle de l’homme peut arriver à les connaître, bien que la clarté de la lumière divine leur confère une évidence supérieure. Quant à la foi, bien qu’elle porte sur des réalités invisibles à l’homme, elle ne donne pas la connaissance des vérités que l’on croit ; elle permet seulement à l’homme d’adhérer avec certitude aux vérités qui sont connues par d’autres.

3. L’élément formel, dans la connaissance prophétique, c’est la lumière divine, et c’est de l’unité de cette lumière que la prophétie tire sa propre unité spécifique, malgré la diversité des objets que cette lumière manifeste au prophète.

 

            Article 4 — Le prophète connaît-il tout ce qui peut être prophétisé ?

Objections :

1. Oui, semble-t-il. On lit en effet dans le prophète Amos (3,7) : " Le Seigneur ne fait rien sans avoir révélé son secret à ses serviteurs, les prophètes. " Or toutes les vérités qui sont révélées prophétiquement font partie de ce secret divin. Il n’est donc aucune de ces vérités qui ne soit révélée au prophète.

2. " Les œuvres de Dieu sont parfaites ", dit le Deutéronome (32,4). Or la prophétie est une révélation divine, on vient de le dire. Elle est donc parfaite. Ce qui ne serait pas si les vérités prophétiques n’étaient pas toutes révélées au prophète ; car, d’après le Philosophe, " le parfait, c’est ce à quoi rien ne manque ". Les vérités prophétiques sont donc toujours révélées au prophète.

3. La lumière divine qui cause la prophétie est plus puissante que la lumière de la raison naturelle d’où procède la science humaine. Or l’homme qui possède une science connaît tout ce qui se rapporte à cette science. Ainsi le grammairien connaît tout le contenu de la grammaire. Le prophète connaît donc toutes les vérités prophétiques.

En sens contraire, on lit dans S. Grégoire " L’esprit de prophétie peut avoir pour objet le présent sans toucher à l’avenir, ou porter sur l’avenir sans viser le présent. " Le prophète ne connaît donc pas toutes les vérités prophétiques.

Réponse :

Des réalités diverses ne peuvent exister ensemble que s’il y a une réalité où elles se rejoignent et dont elles dépendent. Ainsi avons-nous dit précédemment que toutes les vertus doivent exister ensemble à cause de la prudence ou de la charité. Or toutes les réalités qui sont connues par un principe sont liées les unes aux autres dans ce principe et en dépendent. C’est pourquoi celui qui connaît parfaitement un principe dans toute sa force saisit en même temps toutes les vérités qui sont connues par ce principe. Mais celui qui l’ignore, ou ne le connaît que d’une manière générale, ne saisit pas par le fait même toutes les vérités qui en dépendent. Il a besoin, au contraire, que chacune de ces vérités lui soit montrée en elle-même ; il en résulte que certaines peuvent être connues et d’autres ignorées ; or le principe de toutes les réalités qui sont manifestées d’une manière prophétique par la lumière divine, c’est la vérité première, que les prophètes ne peuvent voir en elle-même.

Il n’est donc pas requis qu’ils connaissent tout ce qui peut être prophétisé ; chaque prophète en connaît une partie, suivant que lui est révélé spécialement ceci ou cela.

Solutions :

1. Le Seigneur révèle aux prophètes tout ce qui est nécessaire à l’instruction du peuple fidèle. Cependant, il ne révèle pas toutes les vérités à chacun, mais seulement certaines d’entre elles à tel ou tel.

2. La révélation divine est comme un genre, dont la prophétie constitue un degré imparfaits. Voilà pourquoi S. Paul écrit (1 Co 13, 8) que " les prophéties prendront fin ", et que la prophétie n’est qu’une connaissance " partielle ", c’est-à-dire imparfaite. La perfection de la révélation divine se réalisera au ciel. Aussi ajoute-t-il : " Quand sera venu ce qui est parfait, ce qui n’est que partiel prendra fin. " Il n’est donc pas nécessaire que rien ne manque à la révélation prophétique ; il faut seulement qu’il ne manque rien pour la mission assignée à la prophétie.

3. Le savant saisit les principes scientifiques dont dépendent toutes les vérités du même ordre. Aussi, lorsqu’il possède parfaitement l’habitus d’une science, connaît-il toutes les vérités qui s’y rapportent. Mais le prophète ne saisit pas en lui-même le principe de toutes les connaissances prophétiques, c’est-à-dire Dieu. Son cas n’est donc pas le même que celui du savant.

 

            Article 5 — Le prophète distingue-t-il toujours ce qu’il saisit divinement de ce qu’il voit par son propre esprit ?

Objections :

1. Il semble bien. S. Augustin, rapporte en effet une expérience de sa mère - " Elle disait qu’elle discernait, je ne sais par quel goût qu’elle ne pouvait exprimer en paroles, quelle différence il y avait entre la révélation divine et le songe de son âme. " Or la prophétie est une révélation divine. Le prophète peut donc discerner ce qui relève de l’esprit de prophétie, et ce qu’il dit par son propre esprit.

2. " Dieu ne commande rien d’impossible ", dit S. Jérôme. Or, dans Jérémie (23, 28), on lit ce précepte : " Que le prophète qui a un songe raconte ce songe ; et que celui qui possède ma parole la rapporte fidèlement. " Le prophète peut donc discerner ce qu’il perçoit par l’esprit prophétique, et ce qu’il entrevoit d’une autre manière.

3. La certitude que donne la lumière divine est plus grande que celle qui est due à la lumière de la raison naturelle. Or celui qui, par la lumière de la raison naturelle, a acquis une science sait avec certitude qu’il la possède. Donc quiconque a reçu la prophétie par la lumière divine est encore beaucoup plus certain de la posséder.

En sens contraire, S. Grégoire écrit " Quelquefois les saints prophètes, par l’exercice fréquent de leur ministère, publient, lorsqu’ils sont consultés, des oracles qui viennent de leur propre esprit, et ils s’imaginent qu’ils les rendent en vertu du don de prophétie. "

Réponse :

Il y a deux manières pour Dieu d’instruire l’âme du prophète ; la révélation expresse et, suivant les termes de S. Augustin, " une certaine impulsion, que les hommes subissent quelquefois même à leur insu ".

Dans la révélation expresse, le prophète possède la plus grande certitude des réalités qu’il connaît par le don de prophétie, et il tient aussi pour certain que ces réalités lui sont divinement révélées. " C’est en vérité, dit Jérémie (26, 15), que le Seigneur m’a envoyé vers vous, pour faire entendre à vos oreilles toutes ces paroles. " Autrement, si les prophètes eux-mêmes n’avaient cette certitude, la foi qui s’appuie sur leurs allégations ne serait pas certaine. Nous avons un signe de la certitude qui s’attache à la prophétie dans ce fait qu’Abraham, après avoir été averti dans une vision prophétique, s’est préparé à immoler son fils unique ; ce qu’il n’aurait pas fait s’il n’avait été tout à fait sûr de la révélation divine.

Mais dans l’impulsion prophétique, il arrive parfois que le prophète ne puisse pas pleinement discerner si ses paroles et ses pensées sont le résultat d’une inspiration divine, ou de son propre esprit. Or tout ce que nous connaissons par une impulsion divine ne nous est pas manifesté avec une certitude prophétique ; car cette impulsion divine est un degré imparfait dans le genre que constitue la prophétie. Et c’est en ce sens qu’il faut entendre les paroles de S. Grégoire citées plus haut. Cependant, pour que l’erreur en ce cas ne puisse se produire, ajoute S. Grégoire au même endroit, " le Saint-Esprit corrige au plus vite les prophètes en leur faisant entendre la vérité, et ils se reprennent eux-mêmes d’avoir tenu de faux discours ".

Solutions :

Les premiers arguments se rapportent aux vérités qui sont révélées par un véritable esprit prophétique. Il a donc été répondu clairement aux objections.

 

            Article 6 — La prophétie peut-elle comporter de la fausseté ?

Objections :

1. Cela paraît possible. La prophétie, en effet, a pour objet les futurs contingents, on l’a vu. Or les événements futurs contingents peuvent ne pas se réaliser ; sinon, ils se produiraient nécessairement. La prophétie peut donc être fausse.

2. Isaïe avertit prophétiquement Ézéchias lorsqu’il lui annonça : " Donne tes ordres à la maison, car tu vas mourir " ; cependant Ézéchias vécut encore quinze années (2 R 20, 6 ; Is 38, 5). De même le Seigneur dit à Jérémie (18, 7) : " Soudain je parle, contre une nation et contre un royaume, d’arracher, de détruire et de disperser. Mais si cette nation contre laquelle j’ai proféré ces menaces revient de sa méchanceté, je me repens du mal que j’avais résolu de lui faire. " On le voit par l’exemple des Ninivites, selon ce texte de Jonas (3, 10) : " Dieu se repentit du mal qu’il devait leur faire et ne le fit pas. " La prophétie peut donc comporter de la fausseté.

3. Dans toute proposition conditionnelle, si l’antécédent est absolument nécessaire, le conséquent l’est aussi ; le conséquent, dans cette proposition, est en effet à l’antécédent ce que la conclusion est aux prémisses dans un syllogisme. Et Aristote montre que, de prémisses nécessaires, il ne résulte jamais qu’une conclusion nécessaire. Or, si la prophétie ne peut être sujette à l’erreur, il est requis que cette proposition conditionnelle soit vraie ; " Si quelque événement a été prédit, il se produira ". L’antécédent de cette proposition est absolument nécessaire, puisqu’il porte sur le passé ; le conséquent sera donc aussi absolument nécessaire. Ce qu’on ne saurait admettre car la prophétie ne pourrait plus viser des événements contingents. Il est donc faux que la prophétie ne puisse être sujette à l’erreur.

En sens contraire, Cassiodore nous dit : " La prophétie est une inspiration ou une révélation divine qui annonce les événements avec une vérité immuable. " Or la vérité de la prophétie ne serait pas immuable s’il pouvait s’y glisser une erreur. La prophétie ne peut donc être fausse.

Réponse :

On l’a vu plus haut, la prophétie est une connaissance imprimée par la révélation divine dans l’intelligence du prophète, sous la forme d’un enseignement. Or la vérité de la connaissance est la même chez le disciple et chez le maître. La connaissance du disciple est en effet la reproduction de celle du maître, de même que dans les réalités naturelles la forme de l’engendré reproduit celle de l’engendrant. Voilà pourquoi S. Jérôme dit que la prophétie est comme une " empreinte de la prescience divine ". Il faut donc que la vérité des connaissances et des messages prophétiques soit la même que celle de la connaissance divine. Or on a montré dans la première Partie que la connaissance divine ne peut être sujette à l’erreur. Il s’ensuit que l’erreur ne peut pas non plus se glisser dans la prophétie 11.

Solutions :

1. Comme nous l’avons dit dans la première Partie, la certitude de la prescience divine n’exclut pas la contingence des événements particuliers à venir, car elle se porte sur eux en tant qu’ils sont présents et déjà déterminés dans leur réalisation. Ainsi la prophétie, qui est l’empreinte ou le signe de la prescience divine, n’exclut pas non plus, par son immuable vérité, la contingence des événements futurs.

2. La prescience divine regarde de deux manières les événements futurs : l° en eux-mêmes, en tant qu’elle les considère comme réalisés de façon présente ; 2° dans leurs causes, en tant qu’elle envisage le rapport des causes à leurs effets. Considérés en eux-mêmes, les événements futurs contingents sont déjà déterminés dans leur réalisation ; mais si on les prend dans leurs causes, leur détermination n’est pas telle qu’ils ne puissent se produire autrement. Cette double connaissance existe toujours simultanément dans l’intelligence divine, mais il n’en est pas de même dans la révélation prophétique, parce que l’empreinte de la cause n’est pas toujours égale à sa puissance. Aussi la révélation prophétique est-elle quelquefois une empreinte de la prescience divine selon qu’elle considère les événements futurs contingents en eux-mêmes ; ceux-ci se produisent alors tels qu’ils ont été prédits, comme la prophétie d’Isaïe : " Voici qu’une vierge concevra. " D’autres fois, la révélation prophétique ne reproduit de la prescience divine que la connaissance du rapport des causes à leurs effets ; les événements peuvent alors se produire autrement qu’ils n’ont été prédits. La prophétie n’est cependant pas pour cela sujette à l’erreur, car le sens de cette prophétie est que les causes inférieures, êtres naturels ou actes humains, sont ainsi disposées que tel effet doit se produire. Ainsi faut-il entendre cette prédiction d’Isaïe : " Tu vas mourir ", c’est-à-dire : " L’état de ton corps te dispose à la mort. " Et cette prophétie de Jonas : " Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ", signifie : " Ses fautes exigent qu’elle soit détruite. " S’il est dit de Dieu qu’" il se repent ", c’est par métaphore ; Dieu se comporte à la manière de quelqu’un qui se repent ; " il change sa décision, mais ne modifie pas son conseil ".

3. La vérité de la prophétie est la même que celle de la prescience divine, comme on vient de l’exposer ; par suite, cette proposition conditionnelle : " Si quelque événement a été prédit, il se produira " reste vraie, comme celle-ci : " Si quelque événement a été prévu, il se produira. " Dans les deux propositions, il est impossible que l’antécédent ne soit pas. Il en résulte que le conséquent est nécessaire non pas si on le prend comme futur par rapport à nous, mais si on le considère dans sa réalisation présente, soumis qu’il est alors à la prescience divine, comme on l’a vu dans la première Partie.

 

 

QUESTION 172 — LA CAUSE DE LA PROPHÉTIE

1. La prophétie est-elle naturelle ? - 2. Vient-elle de Dieu par l’intermédiaire des anges ? - 3. Requiert-elle des dispositions naturelles ? - 4. Requiert-elle de bonnes mœurs ? - 5. Y a-t-il une prophétie d’origine démoniaque ? - 6. Les prophètes des démons annoncent-ils quelquefois la vérité ?

 

            Article 1 — La prophétie est-elle naturelle ?

Objections :

1. Cela semble possible. S. Grégoire écrit en effet : " Parfois l’âme elle-même possède une telle subtilité qu’elle est capable de prévoir certains événements. " S. Augustin dit de même que l’âme humaine abstraite des sens corporels est apte à prévoir l’avenir. Or c’est là le rôle de la prophétie. L’âme peut donc parvenir naturellement à la prophétie.

2. La vigueur de l’âme humaine est plus puissante dans l’état de veille que pendant le sommeil. Or il y a des gens qui dans leurs songes prévoient certains événements, observe le Philosophe. A plus forte raison l’homme peut-il naturellement connaître l’avenir.

3. L’homme est par sa nature plus parfait que les animaux. Or certains animaux possèdent une connaissance anticipée de l’avenir qui les concerne ; ainsi les fourmis savent à l’avance qu’il pleuvra, on le voit à ce qu’avant la pluie elles se mettent à enfouir leurs graines. De même les poissons prévoient les tempêtes, puisqu’ils fuient le lieu où elles vont éclater. Les hommes peuvent donc à plus forte raison connaître à l’avance par nature l’avenir qui les intéresse, ce qui est de la prophétie. La prophétie est donc naturelle.

4. On lit, en outre, au livre des Proverbes (29, 18 Vg) : " Enlevez la prophétie, il n’y a plus de peuple. " La prophétie est donc nécessaire à la conservation des hommes. Or la nature ne manque pas de ce qui lui est nécessaire. La prophétie est donc naturelle.

En sens contraire, S. Pierre dit (2 P 1, 21) " Ce n’est pas par une volonté d’homme qu’une prophétie a jamais été apportée ; mais c’est poussés par l’Esprit Saint que les saints hommes de Dieu ont parlé. " La prophétie ne vient donc pas de la nature ; c’est un don du Saint-Esprit.

Réponse :

Il peut y avoir, comme on l’a vu à l’article précédent, une double connaissance prophétique des événements futurs ; en eux-mêmes et dans leurs causes. Or, connaître les événements futurs en eux-mêmes est le propre de l’intelligence divine, à l’éternité de laquelle toutes choses sont présentes, comme il a été prouvé dans la première Partie ; aussi une telle connaissance de l’avenir ne peut-elle venir de la nature, mais seulement d’une révélation divine.

Toutefois les événements futurs peuvent être connus dans leurs causes en vertu d’une connaissance naturelle, même par l’homme ; c’est ainsi que le médecin connaît à l’avance la santé ou la mort dans leurs causes, grâce à l’expérience qu’il a du rapport de ces causes à leurs effets. Cette connaissance des événements futurs que l’homme possède par sa nature, on peut l’entendre de deux manières : 1° En ce sens que l’âme serait immédiatement capable de connaître l’avenir, en vertu du sens inné qu’elle possède ; ainsi, remarque S. Augustin " certains prétendaient que l’âme humaine avait en elle-même une puissance de divination ". Ce fut, semble-t-il, l’opinion de Platon : d’après lui les âmes ont une connaissance de toutes choses par la participation aux idées ; mais cette connaissance est obnubilée du fait que les âmes sont unies à un corps, et plus ou moins d’après les individus, suivant que leur corps est plus ou moins pur. En cette hypothèse, on pourrait soutenir que les hommes dont l’âme n’est pas très enténébrée par suite de l’union avec leur corps sont capables de connaître certains événements futurs, en vertu de leur propre science. Mais à cette théorie S. Augustin fait cette objection : " Pourquoi l’âme ne peut-elle pas l’avoir toujours, cette puissance de divination alors qu’elle la désire toujours ? "

2° Mais il semble plus vraisemblable que l’âme acquière ses connaissances par l’intermédiaire des réalités sensibles, d’après l’enseignement d’Aristote, comme on l’a vu dans la première Partie. Il est donc préférable d’adopter l’opinion suivante : les hommes n’ont pas la connaissance de ces événements futurs ; mais ils peuvent l’acquérir par voie expérimentale ; ils sont alors aidés par leurs dispositions naturelles, suivant que leur puissance imaginative est plus parfaite, et leur intelligence plus lucide.

Toutefois, cette connaissance des événements futurs diffère de celle qui relève de la révélation divine sur deux points. 1° Celle-ci peut porter sur n’importe quel événement, et elle est infaillible ; au contraire, la connaissance acquise naturellement ne vise que les effets qui sont du ressort de l’expérience humaine. 2° La prophétie surnaturelle possède une " vérité immuable " ; l’autre au contraire peut être sujette à l’erreur.

La première connaissance appartient en propre à la prophétie, mais non pas la seconde ; car la connaissance prophétique, on le sait déjà, a pour objet des réalités qui dépassent universellement la connaissance humaine. Il faut donc dire que la prophétie proprement dite ne peut venir de la nature, mais seulement d’une révélation divine.

Solutions :

1. Lorsque l’âme s’abstrait des réalités corporelles, elle est plus apte à percevoir l’influx des substances spirituelles ; elle ressent aussi plus facilement les mouvements subtils que laissent dans l’imagination humaine les impressions des causes naturelles ; toutes influences que l’âme ne peut recevoir quand elle est occupée de choses sensibles. C’est pourquoi S. Grégoire écrit que l’âme, à l’approche de la mort, " prévoit certains événements futurs, grâce à la subtilité de sa nature ", parce qu’elle perçoit alors les moindres impressions. Elle peut aussi connaître l’avenir par une révélation angélique. En tout cas, ce n’est pas par sa propre puissance. Autrement, remarque S. Augustin elle aurait en son pouvoir de prévoir l’avenir chaque fois qu’elle le voudrait ; ce qui est évidemment faux.

2. La prescience de l’avenir que l’on a dans les songes provient, soit d’une révélation des substances spirituelles, soit d’une cause corporelle, comme nous l’avons dit au sujet de la divinations. Ces modes de connaissance sont plus actifs pendant le sommeil que pendant la veille ; car l’âme de celui qui veille est occupée par des réalités extérieures et sensibles ; elle est donc moins apte à percevoir les impressions subtiles des substances spirituelles, ou même des causes naturelles. Cependant le jugement est alors plus parfait, car la raison a plus de vigueur dans la veille que dans le sommeil.

3. Les bêtes elles-mêmes ne prévoient pas les événements futurs, sinon dans les causes de ceux-ci, qui mettent en branle leur imagination. A ce point de vue, elles sont supérieures aux hommes ; car l’imagination des hommes, surtout dans l’état de veille, agit plus d’après la raison que d’après l’impression des causes naturelles. Or, chez l’homme, la raison exerce une action beaucoup plus féconde que l’impression des causes naturelles chez l’animal. Toutefois la grâce divine qui inspire les prophètes est pour l’homme un adjuvant encore bien plus puissant.

4. La lumière prophétique s’étend aussi à la direction des actes humains ; et, en ce sens, la prophétie est nécessaire au gouvernement du peuple. Surtout en vue du culte divin ; or à cela la nature ne suffit pas, mais la grâce est indispensable.

 

            Article 2 — La prophétie vient-elle de Dieu par l’intermédiaire des anges ?

Objections :

1. La réponse semble négative. On lit, en effet (Sg 7, 27) . " La sagesse de Dieu se répand dans les âmes saintes et en fait des amis de Dieu et des prophètes. " Mais c’est immédiatement, sans l’intermédiaire des anges, que des hommes sont faits amis de Dieu. Il doit donc en aller de même pour les prophètes.

2. De plus, la prophétie prend place parmi les dons gratuits ; or ceux-ci viennent de l’Esprit Saint, selon S. Paul (1 Co 12, 4) : " Les dons sont différents, mais l’esprit est le même. " La révélation prophétique ne se fait donc pas par l’intermédiaire des anges.

3. Enfin, selon Cassiodore. " la prophétie est une révélation divine ". Mais, si elle était faite par les anges, on la nommerait " révélation angélique ". Elle n’est donc pas faite par les anges.

En sens contraire, Denys écrit : " Les visions divines parvenaient à nos glorieux pères par le moyen des vertus célestes. " Or il parle ici des visions prophétiques. La révélation prophétique se fait donc par l’intermédiaire des anges.

Réponse :

D’après l’Apôtre (Rm 13, 1) : " Ce qui vient de Dieu se fait avec ordre. " Et c’est une loi de l’ordre divin, selon Denys, de gouverner les êtres inférieurs par des êtres intermédiaires. Or les anges tiennent le milieu entre Dieu et les hommes. Plus que les hommes en effet ils participent de la perfection de la bonté divine, et c’est la raison pour laquelle les illuminations et les révélations divines parviennent de Dieu aux hommes par le moyen des anges. D’autre part, la connaissance prophétique dépend de l’illumination et de la révélation divines. Il est donc manifeste que les anges en sont les intermédiaires.

Solutions :

1. La charité, qui rend l’homme ami de Dieu, est une perfection de la volonté, sur laquelle Dieu seul peut agir. Mais la prophétie est une perfection de l’intelligence, et sur celle-ci l’ange peut aussi exercer une action comme on l’a vu dans la première Partie. Le cas est donc différent.

2. Les dons gratuits sont attribués à l’Esprit Saint en tant que principe premier ; il distribue pourtant ces grâces aux hommes par le ministère des anges.

3. C’est à l’agent principal, en vertu duquel il agit, qu’on attribue l’œuvre de l’instrument. Or le ministre peut être comparé à un instrument. Voilà pourquoi la prophétie, qui se fait par le ministère des anges, est appelée divine.

 

            Article 3 — La prophétie requiert-elle des dispositions naturelles ?

Objections :

1. On pourrait le croire. La prophétie s’accommode en effet aux dispositions du prophète qui la reçoit. Ainsi, au sujet de cette parole d’Amos (1, 2) : " Le Seigneur rugira de Sion ", S. Jérôme écrit : " Il est naturel que tous ceux qui veulent faire des comparaisons en prennent les termes dans leur cercle d’expérience ou dans leur milieu d’éducation ; par exemple les matelots comparent leurs ennemis à des vents contraires, et leur perte à un naufrage. De même Amos, qui fut berger, assimile la colère de Dieu au rugissement du lion. " Or ce qui est reçu chez quelqu’un suivant son mode de réception requiert en lui une disposition naturelle. La prophétie exige donc une disposition naturelle.

2. La vision de la prophétie constitue un degré plus élevé que celui de la science acquise. Beaucoup, en effet, en raison de dispositions défectueuses, ne peuvent saisir les sciences spéculatives. A plus forte raison, des dispositions naturelles sont-elles requises pour la contemplation prophétique.

3. De mauvaises dispositions naturelles entravent davantage qu’un obstacle accidentel. Or la contemplation prophétique se trouve compromise même par un empêchement accidentel ; on lit, en effet, dans le commentaire de S. Jérôme sur S. Matthieu : " Au moment où s’accomplit l’acte conjugal, on ne recevra pas la présence de l’Esprit Saint, même si celui qui accomplit cette fonction d’engendrer semble être un prophète. " Bien plus encore, de mauvaises dispositions naturelles empêchent-elles la prophétie. Celle-ci requiert donc de bonnes dispositions naturelles.

En sens contraire, S. Grégoire écrit dans une homélie : " L’Esprit Saint inspire un enfant qui joue de la cithare et en fait un psalmiste ; il enflamme un pasteur de bœufs, qui traite les sycomores, et en fait son prophète. " Aucune disposition préalable n’est donc requise pour la prophétie ; celle-ci dépend uniquement de la volonté de l’Esprit Saint. C’est ce qu’exprime l’Apôtre (1 Co 12, 11) : " Un seul et même Esprit produit tous ces dons, les distribuant à chacun en particulier, comme il lui plaît. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit à l’article précédent, la prophétie, au sens vrai et absolu du mot, provient de l’inspiration divine ; la prophétie qui dépend d’une cause naturelle n’est appelée prophétie que d’une manière relative. Or il faut remarquer que Dieu, qui est la cause universelle dans l’ordre de l’action, ne présuppose, dans les effets corporels, ni la matière ni aucune disposition matérielle ; mais il peut apporter tout ensemble la matière, la disposition et la forme. De même, pour les effets spirituels, Dieu n’exige aucune disposition antérieure ; mais il peut aussi causer, en même temps que l’effet spirituel, la disposition convenable, requise selon l’ordre de la nature. Bien plus, il pourrait même, par création, produire le sujet lui-même : en créant l’âme, Dieu la disposerait à la prophétie, et lui donnerait la grâce prophétique.

Solutions :

1. Il est indifférent à la prophétie que la réalité prophétique soit exprimée par telle ou telle comparaison. C’est pour cette raison que l’opération divine n’apporte aucun changement à la manière de s’exprimer du prophète. La puissance de Dieu n’écarte que ce qui s’oppose à la prophétie.

2. La vision de la science a une cause naturelle. Or la nature ne peut agir que s’il existe une disposition préalable dans la matière. Mais il n’en est pas de même pour Dieu qui est la cause de la prophétie.

3. De mauvaises dispositions naturelles pourraient mettre obstacle à la révélation prophétique s’il n’y était porté remède ; tel serait le cas de celui qui serait totalement dépourvu de sens naturel. De même qu’on peut être empêché de prophétiser par une passion violente, comme la colère, la convoitise charnelle dans l’acte conjugal, ou toute autre passion. Mais la puissance divine, qui est la cause de la prophétie, remédie à ces mauvaises dispositions naturelles.

 

            Article 4 — La prophétie requiert-elle de bonnes mœurs ?

Objections :

1. Il y a des raisons de le croire. Il est écrit (Sg 7, 27) : " La sagesse de Dieu se répand à travers les nations dans l’âme des saints ; elle en fait des amis de Dieu et des prophètes. " Or la sainteté ne peut exister sans les bonnes mœurs et la grâce sanctifiante. Il en est donc de même de la prophétie.

2. Les secrets ne sont révélés qu’aux amis (Jn 15, 15) : " je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître. " Or Dieu " révèle ses secrets aux prophètes ", comme on le dit dans Amos (3, 7). Les prophètes sont donc les amis de Dieu, ce qui ne peut être sans la charité, et celle-ci suppose la grâce sanctifiante.

3. Le Seigneur dit en S. Matthieu (7, 15) " Défiez-vous des faux prophètes qui viennent à vous revêtus de peaux de brebis et qui, à l’intérieur, sont des loups voraces. " Mais ceux qui n’ont pas la grâce intérieure semblent être des loups voraces. Ils sont donc tous de faux prophètes. Nul par suite n’est donc un vrai prophète, s’il n’est rendu bon par la grâce.

4. Le Philosophe écrit . " Si la divination des songes vient de Dieu, il est inadmissible qu’elle soit accordée à n’importe qui, et non pas aux meilleurs. " Or il est certain que la prophétie vient de Dieu. Le don de prophétie ne peut donc être attribuée qu’aux hommes les meilleurs.

En sens contraire, selon S. Matthieu (6,22), à ceux qui disent : " Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? ", il est répondu : " je ne vous ai jamais connus. " Or " le Seigneur connaît ceux qui sont les siens ", affirme l’Apôtre (2 Tm 2, 19). La prophétie peut donc exister chez ceux qui n’appartiennent pas à Dieu par la grâce.

Réponse :

Les bonnes mœurs peuvent s’entendre de deux manières - 1° Dans leur racine intérieure : la grâce sanctifiante. 2° Par rapport aux passions intérieures de l’âme et aux actes extérieurs.

La grâce sanctifiante est surtout donnée pour que l’âme de l’homme soit unie à Dieu par la charité ; aussi S. Augustin écrit-il : " Celui à qui l’Esprit Saint n’est pas accordé pour aimer Dieu et le prochain, celui-là ne passera pas de la gauche à la droite (du juge). " Tout ce qui peut exister sans la charité peut donc se trouver sans la grâce sanctifiante et par conséquent sans de bonnes mœurs. Or c’est le cas de la prophétie ; celle-ci peut, en effet se rencontrer sans la charité. En voici deux raisons : 1° D’abord à cause de leurs actes respectifs ; la prophétie relève, en effet, de l’intelligence, tandis que la charité perfectionne la volonté ; or l’acte de l’intelligence précède celui de la volonté. Aussi l’Apôtre (1 Co 13, 1) énumère-t-il la prophétie parmi les dons qui se rapportent à l’intelligence et qui peuvent exister sans la charité. 2° La seconde raison est tirée de leurs fins : la prophétie est donnée en effet, comme les autres charismes, en vue de l’utilité de l’Église, selon ces paroles de l’Apôtre (1 Co 12, 7) : " La manifestation de l’Esprit est donnée à chacun en vue de l’utilité. " Elle n’a donc pas directement comme but d’unir à Dieu la volonté du prophète, ce qui est la fin de la charité. Voilà pourquoi la prophétie peut exister sans de bonnes mœurs, si l’on envisage la racine.

Si au contraire nous considérons les bonnes mœurs par rapport aux passions de l’âme et aux actions extérieures, la malice morale, sous cet aspect, peut être un obstacle à la prophétie. La prophétie exige en effet une très grande élévation de l’esprit, pour contempler les réalités spirituelles : or à cela s’oppose la véhémence des passions ou la préoccupation désordonnée des réalités extérieures. Aussi lit-on (2 R 4, 38), au sujet des fils des prophètes, qu’" ils habitaient avec Elisée " ; menant ainsi une vie solitaire, ils n’étaient pas détournés du don de prophétie par les occupations de ce monde.

Solutions :

1. Le don de prophétie est quelquefois accordé à certains hommes pour éclairer leur propre esprit, en même temps que pour le bien des autres. Ce sont ceux chez lesquels la sagesse divine descend par la grâce sanctifiante et qu’elle rend amis de Dieu et prophètes. Au contraire, il y en a qui ne reçoivent le don de prophétie que pour le bien d’autrui ; ils sont alors comme les instruments de l’action divine. S. Jérôme écrit : " Prophétiser, faire des miracles, chasser les démons, sont parfois autant d’actes charismatiques qui ne sont pas dus au mérite de ceux qui les produisent ; mais, ou bien ils relèvent du Christ dont on a invoqué le nom, ou bien ils sont accordés pour la condamnation de ceux qui invoquent ce nom, ou pour l’utilité de ceux qui les voient et les entendent. "

2. Commentant la parole citée de S. Jean, S. Grégoire écrit : " En aimant les secrets célestes qui nous sont révélés, nous connaissons déjà ces secrets aimés ; car l’amour lui-même est une connaissance. jésus a donc fait connaître toutes choses à ses disciples, parce que, délivrés des désirs terrestres, ils brûlaient des feux du suprême amour. " En ce sens, les secrets divins ne sont pas toujours révélés aux prophètes.

3. Tous les méchants ne sont pas des loups voraces, mais seulement ceux qui cherchent à nuire au prochain. " Les docteurs catholiques, dit en effet S. Jean Chrysostome, même s’ils ont perdu la grâce, sont appelés des serviteurs de la chair, mais ne sont pas pour autant des loups voraces, car ils n’ont pas le dessein de perdre les chrétiens. " Et parce que la prophétie est destinée au bien d’autrui, il est manifeste que les faux prophètes ont ce mauvais dessein et méritent d’être appelés loups voraces ; car ce n’est pas pour cela qu’ils ont reçu mission de Dieu.

4. Les dons divins ne sont pas toujours donnés aux meilleurs dans le sens absolu du mot ; mais parfois seulement à ceux qui sont les plus aptes à les recevoir. C’est ainsi que Dieu confère la prophétie à ceux auxquels il juge meilleur de l’accorder.

 

            Article 5 — Y a-t-il une prophétie d’origine démoniaque ?

Objections :

1. Cela ne semble pas possible. Car, Cassiodore dit : " La prophétie est une révélation divine. " Or ce qui se fait par le démon n’est pas divin.

2. On l’a dit une illumination spirituelle est nécessaire pour parvenir à la connaissance prophétique. Or, les démons ne peuvent pas éclairer l’intellect humain, comme on l’a vu dans la première Partiez. Aucune prophétie ne peut donc venir des démons.

3. Un signe n’a aucune valeur s’il sert à prouver des choses contraires. Or la prophétie vise à confirmer la foi. Aussi, à propos de ces paroles de l’Apôtre (Rm 12, 6) : " Nous avons la prophétie selon la mesure de notre foi ", la Glose fait ce commentaire : " Remarquez-le, la prophétie est en tête de l’énumération des grâces faite par S. Paul ; elle est la première preuve que notre foi est vraie, car les croyants qui avaient reçu l’Esprit prophétisaient. " La prophétie ne peut donc venir des démons.

En sens contraire, on lit (1 R 18,19) " Rassemble tout Israël auprès de moi, à la montagne du Carmel, ainsi que les trois cent cinquante prophètes de Baal et les quatre cents prophètes d’Astarté, qui mangent à la table de Jézabel. " Or ces cultes étaient ceux des démons ; il semble donc qu’une certaine prophétie puisse venir aussi des démons.

Réponse :

Comme nous l’avons dit a, la prophétie implique la connaissance de réalités qui sont éloignées de la connaissance humaine. Or il est évident qu’une intelligence d’un ordre supérieur peut connaître ce qui est caché à la connaissance d’une intelligence inférieure. Au-dessus de l’intelligence humaine se trouve non seulement l’intelligence divine, mais aussi, selon l’ordre de la nature, celle des bons et des mauvais anges. Aussi les démons connaissent-ils, même par leur faculté naturelle, certaines choses qui sont cachées à la connaissance des hommes, et ils peuvent les leur révéler. Mais ce qui est absolument et souverainement au-dessus de nous, Dieu seul le connaît. C’est pour cette raison que la prophétie proprement dite ne saurait venir que de la révélation divine. Toutefois la révélation faite par les démons peut, sous un certain rapport, être appelée prophétie. Aussi ceux à qui les démons font une révélation ne reçoivent-ils pas le nom de prophètes tout court, mais on leur adjoint un qualificatif ; on dit, par exemple, " faux prophètes " ou " prophètes des idoles ". " Lorsque l’esprit du mal, dit S. Augustin ravit l’homme jusqu’à des visions, il en fait des démoniaques, des possédés ou de faux prophètes. "

Solutions :

1. Cassiodore définit ici la prophétie dans son sens propre et absolu.

2. Les démons manifestent aux hommes ce qu’ils connaissent, non en éclairant leur intelligence, mais en leur donnant une vision imaginative, ou même en leur parlant d’une manière sensible. Et sur ce point leur prophétie est inférieure à la vraie.

3. Certains signes, même extérieurs, permettent de discerner la prophétie des démons de celle de Dieu. " Il en est, dit S. Jean Chrysostome, qui prophétisent par l’esprit du diable, comme les devins. Nous les reconnaissons à ceci : le diable, dit parfois des choses fausses ; l’Esprit Saint, jamais. " On lit, en effet, dans le Deutéronome (18, 2 1) : " Peut-être vas-tu dire dans ton cœur : "Comment saurons-nous que cette parole, le Seigneur ne l’a pas dite ?" Tu auras ce signe - si ce prophète a parlé au nom du Seigneur, et que sa parole reste sans effet. alors le Seigneur n’a pas dit cette parole-là. "

 

            Article 6 — Les prophètes des démons annoncent-ils quelquefois la vérité ?

Objections :

1. On ne saurait l’admettre. S. Ambroise écrit en effet : " Toute vérité, dite par qui que ce soit, vient de l’Esprit Saint. " Or les prophètes des démons ne parlent pas par l’Esprit Saint, car " il n’y a pas d’alliance entre le Christ et Bélial ", dit S. Paul (2 Co 6, 15). Ces prophètes ne peuvent donc jamais prédire la vérité.

2. En outre, si les vrais prophètes sont inspirés par un esprit de vérité, les prophètes des démons le sont par un esprit de mensonge : on lit à leur sujet (1 R 22, 22) : " je sortirai et je serai un esprit menteur dans la bouche de tous ces prophètes. " Or, on le sait, les prophètes inspirés par l’Esprit Saint n’enseignent jamais l’erreur. Les prophètes des démons n’annoncent donc jamais la vérité.

3. Il est dit du diable (Jn 8, 44) : " Lorsqu’il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu’il est menteur et le père du mensonge. " Or, en inspirant ces prophètes, le diable ne parle que de son propre fonds, il n’est pas en effet établi ministre de Dieu pour annoncer la vérité, puisque dit S. Paul (2 Co 6, 14) : " Il n’y a pas d’accord entre la lumière et les ténèbres. " Les prophètes des démons ne prédisent donc jamais la vérité.

En sens contraire, une Glose sur le livre des Nombres (22, 20) remarque : " Balaam était devin, par le ministère des démons et l’art de la magie il connaissait parfois les réalités futures. " Or a prédit beaucoup de choses vraies, comme ce qu’est rapporté dans les Nombres (24, 17) : " Une étoile sortira de Jacob, un sceptre s’élèvera d’Israël. " Les prophètes des démons peuvent donc aussi annoncer à l’avance des vérités.

Réponse :

Le bien a le même rapport avec les réalités que le vrai avec la connaissance. Or, parmi les réalités, il est impossible d’en rencontrer une qui soit complètement privée de bien. Ainsi, pour la connaissance, il est impossible d’en trouver une qui soit absolument fausse, sans aucun mélange de vérité. C’est pourquoi S. Bède écrit " Il n’y a pas de fausse doctrine qui n’entremêle parfois certaines vérités avec l’erreur. " C’est le cas des démons ; la doctrine dont ils instruisent leurs prophètes contient certaines vérités qui la rendent recevable ; ainsi l’intelligence est amenée à l’erreur par l’apparence de la vérité, comme la volonté est amenée au mal par l’apparence du bien. Aussi S. Jean Chrysostome dit-il " Il est quelquefois permis au diable de dire vrai, afin que son mensonge se recommande de cette rare vérité. "

Solutions :

1. Les prophètes des démons ne parlent pas toujours par une révélation des démons, mais quelquefois par une inspiration divine ; ainsi en est-il clairement pour Balaam dont il est dit, dans les Nombres (22, 8), que le Seigneur lui avait parlé, bien qu’il fût prophète des démons ; car Dieu se sert même des méchants pour l’utilité des bons. De là vient qu’il utilise même les prophètes des démons et leur fait annoncer certaines choses vraies ; soit pour donner plus de crédit à la vérité, puisqu’elle reçoit un témoignage même de ses adversaires ; soit aussi pour y amener plus facilement les hommes, lorsqu’ils croient de tels oracles. C’est ainsi que même les Sibylles ont fait beaucoup de prédictions vraies sur le Christ.

Et même quand les prophètes des démons reçoivent leur révélation des démons eux-mêmes, ils prédisent parfois certaines vérités, que ces mauvais esprits ont pu connaître, soit en vertu de leur propre nature dont l’auteur est l’Esprit Saint ; soit encore par une révélation des bons esprits, dit S. Augustin. Ainsi, même cette vérité qu’annoncent les démons vient aussi de l’Esprit Saint.

2. Le vrai prophète est toujours inspiré par l’esprit de vérité, en qui on ne trouve aucune fausseté ; et voilà pourquoi il n’enseigne jamais l’erreur. Au contraire, le faux prophète n’est pas toujours instruit par l’esprit de mensonge, mais quelquefois aussi par l’esprit de vérité. En outre, cet esprit de mensonge révèle lui-même tantôt la vérité, tantôt l’erreur, comme on vient de le voir.

3. Ce qui est propre aux démons, c’est ce qu’ils possèdent par eux-mêmes : le mensonge et le péché. Mais ce qui se rapporte à leur nature, ils ne le possèdent pas par eux-mêmes, ils le tiennent de Dieu. Or c’est par la vertu de leur propre nature qu’ils annoncent parfois la vérité. Enfin, Dieu se sert aussi des démons pour proclamer par eux la vérité en leur révélant les mystères divins par l’intermédiaire des anges, nous l’avons dit.

 

 

QUESTION 173 — LE MODE DE LA CONNAISSANCE PROPHÉTIQUE

1. Les prophètes voient-ils l’essence même de Dieu ? - 2. La révélation prophétique se fait-elle par infusion de certaines représentations, ou seulement par infusion d’une lumière ? - 3. Comporte-t-elle toujours l’abstraction des sens ? - 4. La prophétie comporte-t-elle toujours la connaissance de ce qui est prophétisé ?

 

            Article 1 — Les prophètes voient-ils l’essence même de Dieu ?

Objections :

1. La réponse semble affirmative. Au sujet de ce passage d’Isaïe (38, 1) : " Prépare ta demeure, etc. ", la Glose remarque : " Les prophètes peuvent lire dans le livre même de la prescience de Dieu, où tout est écrit. " Or la prescience de Dieu, c’est son essence. Les prophètes voient donc l’essence même de Dieu.

2. S. Augustin a écrit : " C’est dans cette éternelle vérité, de laquelle toutes les réalités temporelles ont été faites, que nous voyons, avec le regard de l’âme, la forme de notre être et de notre action. " Or, parmi tous les hommes, ce sont les prophètes qui ont la plus haute connaissance des réalités divines. Ce sont donc eux surtout qui voient l’essence divine.

3. Les événements futurs contingents sont connus à l’avance par les prophètes selon l’immuable vérité. Or ils ne sont tels qu’en Dieu lui-même. Les prophètes voient donc Dieu lui-même.

En sens contraire, la vision de l’essence divine ne cessera pas dans la patrie. Or " la prophétie disparaîtra " (1 Co 13, 8). La prophétie ne se produit donc pas par la vision de l’essence divine.

Réponse :

La prophétie comporte une connaissance divine qui est comme éloignée de nous. Aussi lit-on dans l’épître aux Hébreux (11, 13) à propos des prophètes : " C’est de loin qu’ils regardaient. " Or ceux qui sont au ciel, dans la béatitude, ne voient pas comme de loin mais, pour ainsi dire, de tout près, selon ce mot du Psaume (140, 14) : " Les justes demeureront devant ta face. " Il est donc évident que la connaissance prophétique est autre que la connaissance parfaite du ciel. Elle s’en distingue comme l’imparfait du parfait ; et elle s’évanouira lorsque l’autre surviendra, comme le montre l’Apôtre (1 Co 13, 8).

Certains, voulant distinguer la connaissance des prophètes de celle des bienheureux, ont prétendu que les prophètes voyaient l’essence divine, qu’ils appellent " miroir éternel ", non pas pourtant en tant qu’elle est l’objet de béatitude, mais en tant qu’elle contient les raisons des événements futurs. Or cela est absolument impossible. En effet, Dieu est objet de béatitude selon son essence même[4458]. S. Augustin le remarque : " Bienheureux celui qui te connaît, même s’il ignore les créatures. " Mais il n’est pas possible de voir les raisons des créatures dans l’essence divine même[4459], si l’on ne connaît pas cette essence. D’une part, en effet, l’essence divine est la raison de tout ce qui se fait[4460] ; or la raison idéale n’ajoute à l’essence divine qu’un rapport aux créatures. D’autre part, on connaît d’abord une réalité en soi avant de la connaître par comparaison avec autre chose, ce qui revient ici à connaître Dieu comme objet de béatitude, avant de le connaître selon les raisons des choses qui existent en lui. C’est pourquoi les prophètes ne peuvent voir Dieu selon les raisons des créatures, sans qu’ils le connaissent comme objet de béatitude.

Il faut donc soutenir que la vision prophétique n’est pas la vision de l’essence divine elle-même ; et ce n’est pas non plus dans cette essence divine que les prophètes contemplent ce qu’ils voient[4461], mais dans certaines similitudes qu’éclaire la lumière divine[4462]. Aussi lit-on chez Denys, au sujet des visions prophétiques : " Le sage théologien appelle divine la vision produite par la similitude des réalités qui manquent de forme corporelle, parce que les voyants remontent du plan de la similitude à celui des choses divines. " Ce sont ces similitudes, éclairées par la lumière divine, qui méritent le nom de miroir, bien plutôt que l’essence divine. Car dans un miroir se reflètent les images des autres réalités, ce qu’on ne peut dire de Dieu ; tandis que cette illumination de l’esprit par mode prophétique peut être appelée miroir, en tant qu’il s’y reflète une image de la vérité, de la prescience divine. C’est pourquoi on la nomme " miroir éternel ", parce qu’elle représente la prescience de Dieu qui, dans son éternité[4463], voit toutes choses d’une manière présente, comme on l’a établi plus haut[4464].

Solutions :

1. Les prophètes lisent dans le livre de la prescience de Dieu pour autant que, de cette prescience même de Dieu, la vérité se reflète dans l’esprit du prophète.

2. On dit de l’homme qu’il voit dans la vérité première la propre forme de son être, en tant que la ressemblance de cette vérité première se reflète dans l’esprit humain. Et c’est ainsi que l’âme a le pouvoir de se connaître elle-même.

3. Les futurs contingents sont en Dieu selon une immuable vérité. Dieu peut donc imprimer dans l’esprit des prophètes une connaissance semblable, sans que pour cela les prophètes voient Dieu par essence.

 

            Article 2 — La révélation prophétique se fait-elle par infusion de certaines représentations, ou seulement par infusion d’une lumière ?

Objections :

1. Il semble que Dieu imprime seulement une nouvelle lumière. D’après S. Jérôme en effet, les prophètes utilisent les images du milieu dans lequel ils ont vécu. Mais, si la vision prophétique se faisait par l’impression de représentations nouvelles, leur vie antérieure ne leur servirait de rien. Des représentations ne sont donc pas imprimées à nouveau dans l’esprit du prophète, mais seulement une lumière prophétique.

2. Selon S. Augustin ce n’est pas la vision imaginative qui fait un prophète, mais seulement la vision intellectuelle. Voilà pourquoi on lit aussi dans Daniel (10, 1) ; " La vision a besoin d’intelligence. " Or la vision intellectuelle, remarque encore S. Augustin ne se produit pas par certaines similitudes, mais par la vérité même des réalités. La révélation prophétique ne semble donc pas se faire par l’impression de représentations.

3. Par le don de prophétie, l’Esprit Saint montre aux hommes ce qui dépasse leur faculté naturelle. Or l’homme peut, par sa faculté naturelle, se former des représentations de toutes les réalités. Ce ne sont donc pas des images ou des idées qui sont données dans la vision prophétique, mais seulement la lumière intelligible.

En sens contraire, le Seigneur dit dans Osée (12, 11) : " je leur ai multiplié les visions et, grâce aux prophètes, on a connu ma ressemblance. " Or la multiplication des visions ne se fait pas selon la lumière intelligible, qui est commune à toutes les visions prophétiques, mais, seulement par la diversité des représentations, selon lesquelles se fait aussi la ressemblance. Il semble donc que, dans la vision prophétique, sont imprimées de nouvelles représentations des réalités, et non pas seulement une lumière intelligible.

Réponse :

D’après S. Augustin " la connaissance prophétique a surtout pour siège l’esprit ". Or, au sujet de la connaissance de l’esprit humain, il y a deux choses à considérer : le mode de réception ou de représentation des réalités, et le jugement sur les réalités représentées. Les réalités sont représentées à l’esprit humain par des idées (ou species) ; normalement, il est nécessaire que ces représentations passent par les sens, puis par l’imagination, et aboutissent à l’intellect possible ; celui-ci est modifié par les représentations d’images qu’éclaire l’intellect agent. Or l’imagination ne fait pas que recevoir les formes des choses sensibles telles qu’elles viennent des sens, elle subit aussi diverses transformations ; soit par suite de modifications corporelles, comme il arrive dans le sommeil ou la folie, soit par suite d’une intervention de la raison, qui dispose les images en vue de ce qu’il faut comprendre. En effet, quand on change l’ordre des lettres dans un mot, le sens diffère ; de même aussi, si l’on dispose de diverses manières les images, il en résulte dans l’intelligence des idées intelligibles différentes. Quant au jugement de l’esprit humain sur ces représentations, il dépend de la force de la lumière intellectuelle qui les éclaire.

Or, par le don de prophétie, l’esprit humain est surélevé au-dessus de ses facultés naturelles quant aux deux éléments qu’on vient de dire ; d’abord quant au jugement, par l’influx d’une lumière intellectuelle ; ensuite quant à la représentation des réalités, qui se fait par les images ou les idées. Sous ce second rapport seulement, on peut comparer l’enseignement humain à la révélation prophétique ; en effet, le maître présente à son disciple les réalités au moyen du langage, mais il ne peut l’illuminer intérieurement, comme Dieu le fait. Or, dans la prophétie, c’est la surélévation du jugement qui est la plus importante, car c’est dans un jugement que s’achève la connaissance. C’est pourquoi, si quelqu’un est gratifié par Dieu de la vision de certaines réalités à l’aide de similitudes imaginatives, comme le furent Pharaon et Nabuchodonosor, ou encore à l’aide de similitudes corporelles, comme Balthazar, il ne faut pas le considérer comme un prophète, à moins que son esprit n’ait reçu une lumière qui le rende capable de porter un jugement ; cette vision sans jugement est une espèce imparfaite dans l’ordre de la prophétie ; aussi certains l’appellent-ils " une prophétie fortuite, involontaire ", comme l’est la divination des songes. Mais il sera prophète, celui dont l’intelligence seule aura été éclairée pour juger même ce que d’autres ont vu dans leur imagination : ainsi joseph qui expliqua le songe de Pharaon. Toutefois, remarque S. Augustin : " Celui-là surtout mérite le nom de prophète, qui excelle en l’un et l’autre genres : voir en esprit les similitudes désignant les réalités corporelles, et en même temps, les comprendre par la vivacité de son esprit. "

Voici de quelles manières les réalités sont manifestées par Dieu à l’esprit du prophète. Tantôt c’est par l’intermédiaire des sens extérieurs, au moyen de formes sensibles ; par exemple Daniel vit des inscriptions sur la muraille. Tantôt c’est au moyen de formes imprimées dans l’imagination, soit que Dieu les imprime directement, sans qu’elles soient reçues par les sens ; tel serait le cas d’un aveugle-né dans l’imagination duquel s’imprimeraient les images des couleurs ; soit aussi que Dieu arrange de façon spéciale les formes reçues par les sens : tel le cas de Jérémie (1, 13), qui vit " bouillir une chaudière venant du nord ". Tantôt enfin, c’est au moyen d’idées imprimées dans l’esprit du prophète ; c’est le cas de ceux qui reçoivent la science ou la sagesse infuses, comme Salomon et les Apôtres.

Quant à la lumière intelligible, elle est donnée par Dieu à l’esprit humain, soit pour juger ce qui a été vu par d’autres : on l’a remarqué pour Joseph, et il en est de même des Apôtres auxquels " le Seigneur ouvrit l’esprit afin qu’ils comprennent les Écritures " (Le 24, 45) ; c’est là l’objet de " l’interprétation des discours ", soit pour juger selon la vérité divine ce que l’homme saisit avec ses facultés naturelles ; soit aussi pour juger d’une manière vraie et efficace ce qui est à faire, selon cette parole d’Isaïe (63, 14) : " L’esprit du Seigneur a été son guide. "

Il ressort donc de cet exposé que la révélation prophétique se fait quelquefois seulement par influx de lumière ; d’autres fois par l’impression de représentations nouvelles ou organisées différemment.

Solutions :

1. On l’a vu, lorsque dans la révélation prophétique Dieu ordonne les images précédemment reçues par les sens, afin de les rendre aptes à révéler une vérité, la vie menée antérieurement apporte quelque chose à ces analogies ; il n’en est pas de même lorsqu’elles sont entièrement imprimées de l’extérieur.

2. La vision intellectuelle ne se produit pas à l’aide de similitudes corporelles et individuelles, pourtant elle requiert une certaine similitude intellectuelle. Aussi S. Augustin dit-il que l’âme possède quelque ressemblance avec la forme qu’elle connaît ". Et cette similitude intellectuelle, dans la vision prophétique, est parfois immédiatement imprimée par Dieu ; d’autres foi, elle résulte, avec l’aide de la lumière prophétique, des formes imprimées dans l’imagination ; car, sous ces formes, l’esprit découvre une vérité plus profonde, à la clarté d’une lumière plus vive.

3. L’homme a la faculté naturelle de produire toutes les formes situées dans l’imagination, si on les considère d’une manière absolue ; mais non pas celle de les combiner de telle sorte qu’elles puissent représenter des vérités intelligibles qui dépassent son intelligence ; aussi lui faut-il pour cela le secours d’une lumière surnaturelle.

 

            Article 3 — La vision prophétique est-elle toujours accompagnée de l’aliénation des sens ?

Objections :

1. Il semble bien. On lit en effet dans les Nombres (12, 6) : " S’il y a parmi vous un prophète, je lui apparaîtrai dans une vision ou je lui parlerai dans un songe. " Et la Glose dit sur le début du Psautier : " L’apparition qui se fait dans les songes et dans les visions n’est qu’une apparence. " Or, s’il n’y a qu’apparence là où il devrait y avoir réalité, c’est qu’il s’est produit une aliénation des sens. La prophétie requiert donc toujours cette aliénation des sens.

2. Lorsqu’une puissance s’applique avec intensité à son opération, les autres puissances suspendent leur exercice ; par exemple, ceux qui apportent une grande attention à écouter quelque chose sont incapables de voir ce qui se passe devant eux. Or, dans la vision prophétique, l’intelligence, par suite de l’élévation de ses pensées, s’applique avec une suprême intensité à son acte. Voilà pourquoi il semble qu’il y ait toujours abstraction des sens.

3. Il est impossible de se tourner à la fois de deux côtés opposés. Or, dans la vision prophétique, l’esprit est orienté vers la réalité supérieure qui l’inspire ; il ne peut donc en même temps se tourner vers les réalités sensibles. Il semble donc nécessaire que la révélation prophétique se fasse toujours avec abstraction des sens.

En sens contraire, S. Paul écrit (1 Co 14, 32) " L’esprit des prophètes est soumis aux prophètes. " Or cela serait impossible si le prophète n’était pas maître de lui-même, étant devenu étranger à ses sens. La vision prophétique ne s’accompagne donc pas de l’aliénation des sens.

Réponse :

La révélation prophétique, on l’a vu à l’article précédent, se fait de quatre manières : par l’influx d’une lumière intelligible ; par octroi d’idées nouvelles ; par impression ou nouvelles combinaisons de formes dans l’imagination ; par la représentation de formes sensibles. Or il est évident qu’il n’y a pas abstraction des sens lorsqu’une réalité est présentée à l’esprit du prophète par des formes sensibles, soit que Dieu les forme spécialement à cette fin, tels le buisson montré à Moïse ou l’inscription montrée à Daniel ; soit même que d’autres causes les produisent, mais avec un dessein voulu par la providence divine ; ainsi l’arche de Noé symbolisant l’Église.

Il n’est pas davantage nécessaire qu’il y ait aliénation des sens extérieurs lorsque le prophète est éclairé par une lumière intellectuelle ou doté d’idées nouvelles ; car en nous le jugement de l’intelligence exige pour sa perfection un retour vers les réalités sensibles, qui sont à l’origine de notre connaissance comme nous l’avons établi dans la première Partie.

Au contraire, lorsque la révélation prophétique se fait à l’aide de formes de l’imagination, l’abstraction des sens est nécessaire pour que cette apparition des images ne soit pas confondue avec les réalités perçues par les sens extérieurs. En ce cas, l’abstraction des sens peut être parfaite ou imparfaite : elle est parfaite lorsque l’on n’a plus aucune perception sensible ; elle est imparfaite lorsque l’on continue de percevoir par les sens, sans toutefois discerner complètement les objets extérieurs de ce que l’on voit par l’imagination. Aussi S. Augustin écrit-il : " On voit les images des corps qui sont produites dans l’âme comme on perçoit les corps en réalité, de sorte que l’on ne fait pas de différence entre un homme présent et un homme absent que l’on considère en imagination comme avec les yeux. " Toutefois, cette aliénation des sens n’est pas, chez les prophètes, l’effet d’un désordre de nature, comme chez les possédés et les fous, mais le résultat d’une cause ordonnée, soit naturelle comme le sommeil, soit spirituelle comme l’intensité de la contemplation ; ainsi dans le cas de Pierre qui en priant dans la chambre haute (Ac 10, 9) " fut ravi hors de ses sens ", soit divine, selon cette parole du livre d’Ézéchiel (1, 3) : " La main du Seigneur s’est posée sur lui. "

Solutions :

1. Ces textes parlent des prophètes qui reçoivent de nouvelles formes dans l’imagination ou un nouvel arrangement de formes antérieurement acquises, soit pendant le sommeil, d’où le terme de " songe ", soit pendant la veille, d’où le terme de " vision ".

2. Lorsque l’esprit applique son attention à saisir des réalités absentes, qui sont cachées aux sens, l’intensité de cette application produit une aliénation des sens. Mais quand l’esprit s’applique à combiner ou à juger les réalités sensibles, il ne faut pas qu’il soit abstrait des sens.

3. Chez le prophète, le mouvement de l’esprit ne dépend pas de sa puissance propre, mais de celle d’une lumière supérieure. C’est pourquoi, lorsque par une lumière supérieure l’esprit du prophète est conduit à juger ou à combiner ce qui se rapporte aux réalités sensibles, il n’y a pas aliénation des sens ; celle-ci ne se produit que quand l’esprit est surélevé pour contempler de plus hautes vérités.

4. S’il est dit que l’esprit des prophètes leur est soumis, cela vise le discours prophétique dont parle ici l’Apôtre ; car, lorsque les prophètes annoncent ce qu’ils ont vu, c’est de leur propre gré, et non avec un esprit troublé comme les possédés, ainsi que le prétendaient Priscille et Montan. Mais, dans la révélation prophétique elle-même, les prophètes sont bien plutôt soumis à l’esprit de prophétie, c’est-à-dire au charisme prophétique.

 

            Article 4 — La prophétie comporte-t-elle toujours la connaissance de ce qui est prophétisé ?

Objections :

1. Il semble que oui. S. Augustin écrit : " Pour ceux à qui des signes étaient montrés en imagination par des ressemblances de réalités corporelles, il n’y avait pas encore de prophétie, tant que l’esprit n’était pas intervenu pour comprendre ces signes. " Or ce qui est compris ne peut rester inconnu. Le prophète n’ignore donc pas ce qu’il prophétise.

2. La lumière prophétique est plus parfaite que celle de la raison naturelle. Or celui qui possède la science par la lumière naturelle n’ignore pas ce qu’il sait. Celui qui énonce quelque vérité par la lumière prophétique ne peut donc pas l’ignorer non plus.

3. Enfin, la prophétie a pour but d’éclairer l’homme (2 P 1, 19) : " Vous avez les oracles prophétiques, auxquels vous faites bien de prêter attention, comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur. " Or, qui pourrait éclairer les autres, s’il n’était pas éclairé lui-même ? Il semble donc que le prophète soit d’abord éclairé lui-même pour connaître ce qu’il annonce aux autres.

En sens contraire, on lit en S. Jean (11, 5 1) " Caïphe ne dit pas cela de lui-même, mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour le peuple, etc. " Or Caïphe ne comprit pas ce qu’il disait. Tous ceux qui prophétisent ne connaissent donc pas ce qu’ils annoncent.

Réponse :

Dans la révélation prophétique l’esprit du prophète est mû par l’Esprit Saint comme un instrument déficient par rapport à l’agent principal. Or le Saint-Esprit pousse l’esprit du prophète, soit à comprendre, soit à annoncer, soit à faire quelque chose ; tantôt à ces trois actes ensemble, tantôt à deux d’entre eux, tantôt à un seul. Et il peut se produire, dans chacun de ces cas, qu’il y ait chez le prophète un défaut de connaissance.

Car, puisque l’esprit du prophète est mû pour juger ou pour saisir une vérité, il arrive parfois qu’il saisisse cette vérité, mais sans se rendre compte qu’elle lui a été révélée par Dieu ; d’autres fois au contraire il s’en rend compte. De même, dans le cas d’annonce prophétique, l’esprit du prophète, tantôt comprend ce que l’Esprit Saint affirme par sa bouche, comme David qui disait (2 S 23, 2) : " L’esprit du Seigneur a parlé par moi ", - tantôt ne saisit pas ce que l’Esprit Saint a voulu signifier par les paroles qu’il prononce, comme Caïphe. Enfin il en va de même dans le cas d’action prophétique ; parfois les prophètes comprennent la signification de leur acte, tel Jérémie qui cache sa ceinture dans l’Euphrate (3, 59) ; parfois ils n’en ont aucune conscience : par exemple les soldats qui se sont partagé les vêtements du Christ ne comprirent pas ce que cela figurait.

Donc, lorsque quelqu’un a conscience qu’il est conduit par l’Esprit Saint soit à juger une vérité, soit à l’exprimer par la parole ou par l’action, cela relève en propre de la prophétie. Tandis que, lorsqu’il est mû par l’Esprit Saint, mais sans le savoir, il n’y a pas prophétie parfaite, mais impulsion prophétique. Cependant, il faut reconnaître que, l’esprit du prophète étant un instrument déficients, nous l’avons dit, même les vrais prophètes ne connaissent pas tout ce que l’Esprit Saint veut obtenir, soit par leurs visions, soit par leurs paroles, soit même par leurs actions. Cela donne clairement la réponse aux objections car ces arguments d’introduction parlent des vrais prophètes, dont l’esprit est parfaitement éclairé par Dieu.

 

 

QUESTION 174 — LES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE LA PROPHÉTIE

1. Quelles sont les espèces de la prophétie ? - 2. La prophétie la plus haute est-elle celle qui se produit sans vision de l’imagination ?- 3. Les divers degrés de la prophétie. -4. Moïse fut-il le plus grand des prophètes ? -5. Un compréhenseur peut-il être un prophète ? -6. La prophétie a-t-elle progressé dans la suite des temps ?

 

            Article 1 — Quelles sont les espèces de la prophétie ?

Objections :

1. La division donnée par la Glose à l’occasion du texte de S. Matthieu (1, 23) : " Voici qu’une vierge concevra ", ne semble pas convenir. Cette division est la suivante : " Il y a une prophétie qui vient de la prédestination de Dieu : cette prophétie se réalise nécessairement de toutes manières, indépendamment de notre libre arbitre ; c’est de cette prophétie qu’il est question dans le texte de S. Matthieu. Il y en a une autre qui relève de la prescience divine ; notre libre arbitre y a sa part. Enfin une troisième prophétie est la prophétie de menace, qui est un signe de colère divine. " Ce qui est commun à toute prophétie ne doit pas en former une espèce. Or toute prophétie relève de la prescience divine, car, dit une Glose sur Isaïe (38, 1) : " Les prophètes lisent dans le livre de la prescience. " Il ne faut donc pas donner la prophétie de prescience comme une des espèces de la prophétie.

2. Si une prophétie peut contenir une menace, elle peut aussi porter sur une promesse ; ces deux sortes de prophétie s’entremêlent. Dans Jérémie (18, 7) Dieu dit en effet : " Tantôt je parle, touchant une nation et touchant un royaume, d’arracher, de détruire, de disperser. Mais cette nation revient-elle de sa méchanceté ? Alors je me repens du mal que j’avais résolu de lui faire. " Voilà la prophétie de menace. Et voici la prophétie de promesse : " Tantôt je parle, touchant une nation et touchant un royaume, de bâtir et de planter. Mais cette nation fait-elle ce qui est mal à mes yeux ? Alors je me repens du bien que j’avais parlé de lui faire. " De même qu’il y a une prophétie de menace, ainsi faut-il admettre une prophétie de promesse.

3. En outre, S. Isidore a écrit " Il y a sept formes de prophétie. La première est l’extase ou ravissement de l’esprit : ainsi S. Pierre, quand il vit comme une nappe envoyée du ciel et remplie d’animaux divers. La deuxième est la vision : tel est le cas d’Isaïe disant : " J’ai vu le Seigneur assis, etc. " La troisième est le songe : par exemple Jacob qui vit une échelle pendant son sommeil. La quatrième est la nuée : c’est ainsi que Dieu parlait à Moïse. La cinquième est une voix qui vient du ciel, comme celle qui dit à Abraham : " Ne touche pas à l’enfant. " La sixième est la parabole : tel fut le cas pour Balaam. Enfin la septième est la plénitude de l’Esprit Saint : c’est le don qui existe chez presque tous les prophètes. S. Isidore distingue aussi trois genres de visions - " Le premier selon les yeux du corps ; le deuxième selon l’imagination ; le troisième par le regard de l’esprit. " Or toutes ces formes de prophéties ne sont pas exprimées dans la division de la Glose que nous avons citée. Celle-ci est donc insuffisante.

En sens contraire, il y a l’autorité de S. Jérôme à qui est attribuée cette Glose.

Réponse :

Les espèces des habitus et des actes, en morale, se distinguent d’après les objets. Or la prophétie a pour objet ce qui, dans la connaissance divine, dépasse la faculté humaine. C’est pourquoi l’on répartit la prophétie, d’après la différence de ces objets, en diverses espèces, selon la division donnée ci-dessus. D’autre part, on a dit plus haut que Dieu connaissait l’avenir de deux manières ; 1° Tel qu’il est dans sa cause ; ainsi faut-il entendre la prophétie de menace ; celle-ci ne s’accomplit pas toujours, mais elle marque à l’avance l’ordre d’une cause à ses effets, ordre qui est parfois entravé par certains événements qui viennent à la traverse.

2° Dieu connaît certaines réalités futures en elles-mêmes. Ou bien ces réalités doivent être produites par lui : la prophétie qui les concerne est la prophétie de prédestination ; car, d’après S. Jean Damascène " Dieu a prédestiné ce qui n’est pas en nous ". Ou bien elles sont soumises au libre arbitre de l’homme : c’est la prophétie de prescience. Cette prophétie peut se rapporter aux bons et aux mauvais ; la prophétie de prédestination au contraire ne concerne que les bons.

La prédestination étant comprise sous la prescience, une Glose, sur le début du Psautier, ne donne que deux espèces de prophéties : la prophétie de " prescience " et la prophétie de " menace "

Solutions :

1. Au sens propre, la prescience est la connaissance par avance des événements futurs selon qu’ils existent en eux-mêmes ; c’est en ce sens qu’elle forme une espèce de la prophétie. Mais si l’on entend la prescience à l’égard des événements futurs, soit selon qu’ils existent en eux-mêmes, soit selon qu’ils existent dans leurs causes, elle joue le rôle d’un genre par rapport à toutes les espèces de prophétie.

2. La prophétie de " promesse " rentre dans la prophétie de " menace ", car elles comportent toutes deux la même raison de vérité. Toutefois, c’est la menace qui lui a donné son nom, parce que Dieu est plus porté à remettre une peine qu’à retirer les bienfaits qu’il a promis.

3. S. Isidore divise la prophétie d’après le, divers modes de révélation. On peut les distingue selon les puissances cognitives de l’homme : les, sens, l’imagination, l’intellect. C’est pourquoi S. Isidore admet, avec S. Augustin, trois espèces de visions. La distinction peut encore se prendre de la différence dans l’influx prophétique. Quant à l’illumination de l’intelligence, la prophétie se caractérise par la plénitude de l’Esprit Saint (septième espèce de la classification de S. Isidore). Quant à l’impression des formes dans l’imagination, S. Isidore signale trois sortes de prophétie : le songe (troisième espèce) ; la vision qui se produit pendant la veille et concerne une vérité quelconque (deuxième espèce) ; enfin l’extase qui élève l’esprit jusqu’à la contemplation de certaine, vérités plus hautes (première espèce). Quant aux signes sensibles, il admet trois cas : le signe sensible est, ou bien une réalité corporelle apparaissant extérieurement à la vue, comme la Nuée (quatrième espèce), ou bien une Voix venant de l’extérieur à l’oreille de l’homme (cinquième espèce), ou enfin des mots formés par l’homme pour indiquer une comparaison, c’est la Parabole (sixième espèce).

 

            Article 2 — La prophétie la plus haute est-elle celle qui se produit sans vision de l’imagination ?

Objections :

1. Apparemment non. Sur ce texte (1 Co 14, 2) : " L’Esprit révèle des mystères ", la Glose cite cette opinion de S. Augustin : " Il est moins prophète, celui qui voit seulement en esprit les images des réalités signifiées ; il l’est davantage, celui qui en a seulement l’intelligence ; mais il l’est au plus haut degré, celui qui excelle dans ces deux genres. " Or, dans ce dernier cas, il s’agit du prophète qui jouit à la fois de la vision intellectuelle et de la vision par l’imagination. Cette forme de la prophétie est donc la plus élevée.

2. Plus la puissance d’un être est forte, plus elle s’étend à des objets éloignés. Or, on le sait la lumière prophétique intéresse principalement l’esprit. La prophétie qui descend jusqu’à l’imagination semble donc plus parfaite que celle qui reste dans l’intelligence.

3. S. Jérôme distingue les prophètes des hagiographes. Or tous ceux qu’il nomme prophètes - Isaïe, Jérémie, etc., ont eu en même temps qu’une vision intellectuelle, une vision dans l’imagination. Mais il n’en est pas de même de ceux qu’il désigne sous le nom d’hagiographes (saints écrivains), parce qu’ils écrivaient sous l’inspiration de l’Esprit Saint, tels Job, David, Salomon, etc. Il vaut donc mieux appeler prophètes, au sens propre, ceux qui ont une vision à la fois dans l’imagination et dans l’intellect, plutôt que ceux qui n’ont qu’une vision intellectuelle.

4. D’après Denys " il est impossible qu’un rayon divin nous éclaire s’il n’est pas enveloppé de voiles sacrés ". Or la révélation prophétique se fait par l’émission d’un rayon divin. Il semble donc que cela soit impossible sans le voile des images.

En sens contraire, la Glose dit sur le début du Psautier - " Le mode de prophétie le plus digne est celui qui se fait par la seule inspiration de l’Esprit Saint, sans le secours extérieur d’action, de parole, de vision ou de songe. "

Réponse :

La dignité des moyens est envisagée surtout en considération de la fin. Or la fin de la prophétie est la manifestation d’une vérité qui est au-dessus de l’homme. C’est pourquoi, dans la mesure où cette manifestation est plus haute, la prophétie est aussi plus digne. Mais il est évident que la manifestation de la vérité divine qui se fait par la pure contemplation de cette vérité l’emporte sur celle qui utilise le symbolisme des réalités corporelles : elle se rapproche davantage, en effet, de la vision du ciel, où la vérité est contemplée dans l’essence de Dieu[4465]. Il s’ensuit que la prophétie où la vérité surnaturelle est vue dans sa nudité par une vision intellectuelle, est supérieure à celle qui utilise le symbole des réalités corporelles, dans une vision de l’imagination. Elle montre en même temps que l’esprit du prophète est plus élevé ; dans l’enseignement humain, l’élève qui peut recevoir la vérité intelligible présentée dans sa nudité par le maître est considéré comme plus intelligent que celui qui réclame le secours d’exemples sensibles. Voilà pourquoi David a dit à la louange de la prophétie (2 S 23, 3) : " Le Fort d’Israël m’a parlé ", en ajoutant aussitôt : " C’est comme la lumière de l’aurore, dans le soleil levant, par un matin sans nuages. "

Solutions :

1. Lorsqu’une vérité surnaturelle doit être révélée sous des symboles corporels, le prophète qui a tout ensemble la lumière intellectuelle et la vision de l’imagination est plus grand que celui qui a seulement l’une ou l’autre ; sa prophétie est en effet plus parfaite. C’est ce qu’a voulu exprimer S. Augustin. Mais la prophétie dans laquelle la vérité intelligible est révélée à découvert l’emporte sur toute autre.

2. Il faut juger différemment ce qui est recherché pour soi et ce qui est recherché en vue d’un autre but. En effet, dans ce qui est recherché pour soi, plus la puissance de l’agent s’étend à des réalités nombreuses et difficiles, plus elle est forte ; ainsi un médecin est d’autant plus réputé qu’il peut guérir plus de personnes et ramener à la santé ceux qui en manquaient le plus. Mais, dans ce qui n’est recherché qu’en vue d’un autre but, moins sont nombreux et plus sont abordables les moyens dont un agent se sert pour arriver à ses fins, plus sa puissance est grande ; c’est ainsi qu’on estime davantage le médecin qui, pour guérir un malade emploie les remèdes les moins nombreux et les plus doux. Or, dans la connaissance prophétique, la vision de l’imagination n’est pas recherchée pour elle-même, mais seulement afin de manifester la vérité intelligible. Par suite, la prophétie est d’autant plus haute qu’elle a moins besoin de cette vision sensible.

3. Rien n’empêche une réalité d’être meilleure dans un sens absolu, alors qu’elle reçoit une qualification dans un sens moins propre ; ainsi la connaissance de la patrie est plus noble que celle de notre voyage terrestre ; et cependant celle-ci reçoit plus proprement le nom de " foi ", parce que ce nom comporte une imperfection de la connaissance. Il en est de même de la prophétie, qui suppose une certaine obscurité et un éloignement de la vérité intelligible. C’est pourquoi on appelle plus proprement prophètes ceux qui ont des visions de l’imagination, bien que la prophétie qui se fait par la vision intellectuelle soit plus noble, à condition toutefois qu’il s’agisse d’une même vérité révélée dans les deux cas. Car si la lumière intellectuelle est donnée à quelqu’un, non pour connaître certaines réalités surnaturelles, mais pour juger avec une certitude divine ce qu’il est possible de connaître avec la raison humaine, alors cette prophétie intellectuelle est inférieure à celle qui s’accompagne d’une vision de l’imagination conduisant à une vérité surnaturelle, prophétie dont ont joui tous ceux que l’on compte dans l’ordre des prophètes. En outre ceux-ci ont été appelés prophètes, particulièrement parce qu’ils ont rempli un office prophétique ; aussi parlaient-ils à la place de Dieu en disant au peuple : " Voilà ce que dit le Seigneur. " Ce que ne faisaient pas les hagiographes : la plupart d’entre eux ont parlé le plus souvent, non au nom de Dieu, mais en leur propre nom, des vérités que la raison humaine peut connaître, mais avec le secours de la lumière divine.

4. Les rayons divins ne nous éclairent pas dans la vie présente sans être voilés de quelques images, parce qu’il est naturel à l’homme dans l’état de la vie présente, de ne rien comprendre sans images. Parfois cependant, il suffit des images qui sont abstraites des sens suivant le mode ordinaire, et il n’est pas nécessaire qu’intervienne une vision de l’imagination fournie par Dieu. C’est ainsi que la révélation prophétique peut se faire sans vision de l’imagination.

 

            Article 3 — Les divers degrés de la prophétie

Objections :

1. Il semble que les degrés de la prophétie ne puissent pas se distinguer selon la vision de l’imagination. En effet, le degré d’une réalité ne se juge pas selon l’accidentel, qui est pour autre chose, mais selon l’essentiel, qui est pour soi. Or, dans la prophétie, la vision intellectuelle est cherchée pour elle-même, tandis que la vision de l’imagination est ordonnée à autre chose, on l’a vu. Il semble donc que le degré de la prophétie ne puisse pas s’établir d’après la vision de l’imagination, mais seulement d’après la vision intellectuelle.

2. Un même prophète jouit d’un seul degré de prophétie. Cependant, à ce même prophète la révélation est faite selon différentes visions de l’imagination. La diversité de ces visions de l’imagination ne diversifie donc pas le degré de prophétie.

3. D’après une glose au début du Psautier, la prophétie consiste " en paroles et en actions, en songes et en visions ". Il ne faut donc pas distinguer davantage le degré de la prophétie d’après la vision de l’imagination à laquelle se rapportent la vision et le songe, que d’après les paroles et les actions.

En sens contraire, à tel moyen de connaissance correspond tel degré de connaissance : ainsi la science de l’essence (propter quid) l’emporte sur la science de l’existence (quia) ou même sur l’opinion, parce que le moyen de connaissance en est plus noble. Or, dans la prophétie, la vision de l’imagination est comme un moyen de connaissance. On doit donc distinguer les degrés de la prophétie d’après la vision de l’imagination.

Réponse :

La prophétie dans laquelle une vérité surnaturelle est révélée par la lumière intelligible, au moyen d’une vision de l’imagination, tient, comme on vient de le voir, le milieu entre la prophétie où la vérité surnaturelle est révélée sans vision de l’imagination, et celle où, par la lumière intelligible, sans vision sensible, l’homme arrive à savoir ou à faire ce qui est du ressort de la conduite humaine.

Or, plus que l’action, la connaissance est l’objet propre de la prophétie. Il en résulte donc que le degré le plus bas de la prophétie est celui dans lequel l’homme est amené par une impulsion intérieure à faire des actes extérieurs ; ainsi est-il dit de Samson, au livre des Juges (15, 14) : " L’Esprit du Seigneur fondit sur lui ; et, comme les fils de lin se consument à l’ardeur du feu, de même les liens qui l’enchaînaient tombèrent et le dégagèrent. "

Le deuxième degré de la prophétie est celui où l’homme est éclairé par une lumière intérieure pour connaître des vérités qui ne dépassent cependant pas les limites de la connaissance naturelle ; c’est ainsi qu’on lit au sujet de Salomon (1 R 4, 13) : " Il parlait en paraboles, dissertant sur les arbres, depuis le cèdre qui pousse dans le Liban jusqu’à l’hysope qui sort des murailles, ainsi que sur les bêtes de somme, les oiseaux, les reptiles et les poissons. " Et tout cela venait d’une inspiration divine, car il est dit un peu auparavant (4, 9) : " Dieu donna à Salomon la sagesse et une très grande prudence. " Toutefois ces deux degrés sont inférieurs à la prophétie proprement dite, car ils n’atteignent pas à la vérité surnaturelle.

Quant à la prophétie dans laquelle se manifeste une vérité surnaturelle au moyen d’une vision de l’imagination, voici comment on peut en distinguer les degrés. 1° Par la différence entre le " songe " qui a lieu pendant le sommeil, et la " vision " qui se produit pendant la veille. Celle-ci constitue un plus haut degré de prophétie : il semble en effet que la lumière prophétique doit avoir de la force pour détacher l’âme occupée pendant la veille à des réalités sensibles et la tourner vers les vérités surnaturelles, plus que pour l’instruire lorsqu’elle est déjà détachée des objets sensibles par le sommeil. 2° Par la diversité des symboles imagés sous lesquels s’exprime la vérité intelligible. Or, parce que les symboles qui expriment le mieux la vérité intelligible sont les paroles, il semble que la prophétie où l’on entend, soit pendant la veille, soit durant le sommeil, des paroles exprimant une vérité intelligible l’emporte sur la prophétie ou l’on voit seulement certains symboles de la vérité, comme les " sept beaux épis " qui désignaient " sept années de prospérité " (Gn 41, 5.28). Et ici encore le degré de la prophétie est d’autant plus élevé que les symboles sont plus expressifs : Jérémie (1, 13) rapporte, par exemple qu’il vit l’incendie de la ville sous l’image d’une " marmite qui bouillonne ". 3° Nous avons affaire à un degré plus élevé de prophétie lorsque le prophète, non seulement perçoit des paroles ou des actions symboliques ; mais encore voit, pendant la veille ou le sommeil, quelqu’un qui s’entretient avec lui ou qui lui montre quelque chose ; cela prouve en effet que l’esprit du prophète s’approche davantage de la cause qui produit la révélation. 4° D’après la condition de celui que voit le prophète. Si celui qui parle ou qui montre, pendant la veille ou le sommeil, a l’apparence d’un ange, c’est mieux que s’il avait celle d’un homme. Et le degré de prophétie sera encore plus élevé si, dans la veille comme dans le sommeil, on entrevoit la forme de Dieu, ainsi que le dit Isaïe (6, 1) : " J’ai vu Dieu sur son trône. "

Toutefois au-dessus de tous ces degrés, se place le troisième genre de prophétie, dans lequel la vérité intelligible et surnaturelle est révélée sans vision de l’imagination. Mais ce genre dépasse, on l’a vu[4466], la notion de prophétie au sens propre. Il en résulte que les degrés de la prophétie proprement dite se distinguent d’après la vision de l’imagination.

Solutions :

1. On ne peut connaître la nature exacte de la lumière intelligible que si on la discerne par des symboles imaginés et sensibles. C’est donc d’après ces visions de l’imagination que l’on mesure la diversité de la lumière intellectuelle.

2. La prophétie n’est pas donnée sous forme d’habitus immanent, mais par mode de passion transitoire. Il n’est donc pas impossible qu’un seul et même prophète reçoive à des reprises différentes la révélation prophétique selon des degrés divers.

3. Les paroles et les actions dont il est fait mention ne se rapportent pas à la révélation de la prophétie, mais à son annonce ; celle-ci se proportionne à ceux qui reçoivent les révélations du prophète, lequel se sert tantôt de paroles, tantôt d’actions. Mais cette annonce et l’accomplissement des miracles ne sont que des aspects secondaires de la prophétie, on l’a vu précédemment.

 

            Article 4 — Moïse fut-il le plus grand des prophètes ?

Objections :

1. Il ne semble pas, puisque la Glose dit sur le commencement du Psautier que David est le prophète par excellence.

2. Josué qui arrêta le soleil et la lune (11, 12), et Isaïe qui fit reculer le soleil (38, 8) ont accompli de plus grands miracles que Moïse qui divisa les eaux de la mer Rouge. De même aussi Élie, dont l’Ecclésiastique dit (48, 4) : " Qui pourra se vanter d’être semblable à toi, qui as arraché un mort aux enfers ? " Moïse n’est donc pas le plus grand des prophètes.

3. Il est dit en S. Matthieu (11, 11) : " Entre les enfants des femmes, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean Baptiste. " Moïse ne fut donc pas plus grand que tous les prophètes.

En sens contraire, " il ne s’est plus levé, en Israël, de prophète semblable à Moïse " (Dt 34, 10).

Réponse :

Sous certains rapports, tel ou tel des prophètes a été plus grand que Moïse ; mais, absolument parlant, il les surpasse tous. On a vu ce qu’il faut considérer dans la prophétie : la connaissance, tant selon la vision intellectuelle que selon la vision de l’imagination ; l’annonce ; et la confirmation par le miracle. Or Moïse a été le plus grand de tous.

1° Quant à la vision intellectuelle, il a contemplé l’essence même de Dieu, comme S. Paul dans son ravissement. S. Augustin en fait la remarque. Aussi lit-on dans les Nombres (12, 8) que Moïse " a vu Dieu directement et non sous des figures ".

2° Quant à la vision de l’imagination, il l’avait pour ainsi dire à sa disposition ; non seulement il entendait des paroles, mais il voyait celui qui lui parlait, même sous la forme de Dieu, et cela non seulement pendant le sommeil, mais aussi durant la veille. L’Exode dit en effet (39, 11) : " Le Seigneur lui parlait face à face, comme un homme parle à son ami. "

3° Quant à l’annonce prophétique, il s’adressait à tout le peuple fidèle à la place de Dieu, en lui proposant comme une nouvelle loi ; les autres prophètes, au contraire, parlaient au peuple au nom de Dieu, et l’amenaient à l’observance de la loi de Moïse, selon cette parole du Seigneur en Malachie (3,22) : " Souvenez-vous de la loi de Moïse, mon serviteur. "

4° Quant aux miracles, il les accomplit devant tout un peuple d’infidèles. Aussi lit-on au Deutéronome (34, 10) : " Il ne s’est plus levé en Israël de prophète semblable à Moïse, lui que le Seigneur connaissait face à face. Que de signes et de prodiges Dieu l’envoya faire dans le pays d’Égypte, sur Pharaon, sur tous ses serviteurs, et sur tout son pays. "

Solutions :

1. La prophétie de David se rapproche de celle de Moïse par la vision intellectuelle ; car ils ont reçu l’un et l’autre la révélation de la vérité intelligible et surnaturelle, sans vision de l’imagination. Toutefois la vision de Moïse l’a emporté en ce qui concerne la connaissance de Dieu ; en revanche David a connu et exprimé plus complètement le mystère de l’incarnation du Christ.

2. Les miracles de certains autres prophètes ont été plus grands quant à la substance du fait ; mais ceux de Moïse les ont surpassés par la manière de les produire, car c’est devant tout un peuple qu’ils ont été accomplis.

3. S. Jean Baptiste appartient au Nouveau Testament, dont les ministres passent avant Moïse lui-même, puisque, dit S. Paul (2 Co 3, 18) : " Le visage découvert, nous réfléchissons la gloire du Seigneur comme dans un miroir. "

 

            Article 5 — Un compréhenseur peut-il être prophète ?

Objections :

1. Il semble bien. On a dit - que Moïse a vu l’essence divine et pourtant on l’appelle prophète. Donc, au même titre, les bienheureux peuvent être appelés prophètes.

2. La prophétie est une révélation divine. Or des révélations divines se font aussi aux anges bienheureux. Ceux-ci peuvent donc être appelés prophètes.

3. Le Christ fut compréhenseur dès sa conception ; cependant il se nomme lui-même prophète, lorsqu’il dit en S. Matthieu (13, 57) : " Un prophète n’est sans honneurs que dans sa patrie. Les compréhenseurs ou bienheureux peuvent donc aussi être appelés prophètes.

4. Il est dit de Samuel dans l’Ecclésiastique (46, 20) : " Du sein de la terre, il éleva la voix en prophétisant, afin d’effacer l’iniquité du peuple. " Pour la même raison, d’autres saints peuvent, après leur mort, être appelés prophètes.

En sens contraire, S. Pierre (2 Pi, 19) compare " le discours prophétique à une lumière brillant dans un lieu obscur ". Or chez les bienheureux il n’y a pas d’obscurité. Ils ne peuvent donc être appelés prophètes.

Réponse :

La prophétie implique la vision d’une vérité surnaturelle existant au loin. Cet éloignement peut provenir de deux causes : 1° De la connaissance elle-même, lorsque la vérité surnaturelle n’est pas connue en elle-même, mais dans quelques-uns de ses effets. De plus, l’éloignement sera plus grand encore si cette connaissance se fait par les symboles de réalités corporelles plutôt que par des effets intellectuels. Et tel est bien le cas spécial de la vision prophétique, qui utilise des symboles corporels. 2° De la personne du voyant, qui n’est pas arrivé totalement à la perfection dernière, comme le rappelle l’Apôtre (2 Co 5, 6) : " Tant que nous sommes dans le corps, nous voyageons loin du Seigneur. " Or les bienheureux ne connaissent d’éloignement en aucune de ces deux façons. On ne peut donc pas les appeler prophètes.

Solutions :

1. La vision de l’essence divine par Moïse a eu lieu dans un ravissement, par mode de passion subie, et non d’une manière permanente, par mode de béatitude. Aussi contemplait-il encore de loin. Voilà pourquoi cette vision ne perd pas totalement la raison de prophétie.

2. Aux anges, la révélation divine ne se fait pas comme à des êtres éloignés, mais comme à des êtres qui sont totalement unis à Dieu. Cette révélation n’a donc pas raison de prophétie.

3. Le Christ était en même temps compréhenseur et voyageur. En tant qu’il était compréhenseur, la raison de prophétie ne lui convenait pas, mais seulement en tant qu’il était voyageur.

4. Samuel n’était pas encore parvenu à l’état de béatitude. Il s’ensuit que, si l’âme même de Samuel a annoncé a Saül, par la volonté divine, le résultat de la guerre que Dieu lui avait révélé, cela rejoint la raison de prophétie. Mais il n’en est pas de même pour les saints qui sont actuellement dans la patrie. Il n’y a pas non plus d’inconvénient à dire que cela s’est fait par l’art des démons ; ceux-ci ne peuvent pas, à vrai dire, évoquer l’âme d’un saint ni la contraindre à agir ; mais cela peut se faire par une force divine, alors, tandis qu’on consulte le démon, c’est Dieu lui-même qui énonce la vérité par son messager. C’est ainsi que Dieu fit connaître par Élie la vérité aux messagers du roi qui étaient envoyés pour consulter le dieu d’Accaron (2 R 1, 3). Enfin on peut encore dire que ce ne fut pas l’âme de Samuel qui apparut, mais le démon parlant en son nom ; le Sage de l’Ecclésiastique le nomme Samuel, et traite son annonce de prophétie, d’après l’opinion de Saül et des assistants qui avaient ce sentiment.

 

            Article 6 — La prophétie a-t-elle progressé dans la suite des temps ?

Objections :

1. Il semble que les degrés de la prophétie aient varié dans la suite des temps. En effet comme on l’a dit n, la prophétie est ordonnée à la connaissance des vérités divines. Or S. Grégoire dit que " la connaissance de Dieu a augmenté avec la suite des temps ". Les degrés de la prophétie doivent donc être distingués selon le progrès du temps.

2. La révélation prophétique se fait par mode de discours adressé par Dieu aux hommes. Et les prophètes annoncent par la parole et les écrits ce qui leur a été révélé. Or il est écrit (1 S 3, 1) qu’avant Samuel " la parole du Seigneur était rare " ; mais ensuite Dieu l’adressa à beaucoup d’autres. De même encore, on ne trouve pas de livre des prophètes qui ait été écrit avant le temps d’Isaïe, à qui il fut dit (8, 1) : " Prends avec toi un grand livre pour y écrire avec un stylet ordinaire. " Mais à partir de ce moment, plusieurs prophètes ont rédigé leurs oracles. La prophétie a donc fait des progrès avec le temps.

3. Le Seigneur dit en S. Matthieu (11, 13) : " La loi et les prophètes ont régné jusqu’à Jean. " Mais ensuite le don de prophétie a existé chez les disciples du Christ suivant un mode plus parfait que chez les anciens prophètes, selon S. Paul (Ep 3, 5) : le mystère du Christ " n’a pas été manifesté aux hommes dans les âges antérieurs, comme il a été révélé de nos jours par l’Esprit aux saints apôtres et prophètes de jésus Christ ". Il semble donc que le degré de prophétie a progressé avec la suite des temps.

En sens contraire, Moïse, on l’a vu, a été le plus grand des prophètes, bien qu’il ait précédé tous les autres. Le degré de prophétie n’a donc pas progressé avec le temps.

Réponse :

La prophétie, nous l’avons dit, est ordonnée à la connaissance de la vérité divine ; et la contemplation de cette vérité a un double but : éclairer notre foi et diriger notre activité selon le Psaume (43, 3) : " Envoie ta lumière et ta vérité, ce sont elles qui m’ont conduit. " Or notre foi comprend surtout deux vérités. 1° La vraie connaissance de Dieu, car d’après l’épître aux Hébreux (11, 6) : " Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe. " 2° Le mystère de l’incarnation du Christ : " Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi ", dit le Seigneur en S. Jean (14, 1). Donc, si nous parlons de la prophétie qui est ordonnée à la foi en Dieu, elle a subi des accroissements selon trois périodes de temps : avant la loi, sous la loi et sous la grâce. En effet, avant la loi, Abraham et les autres Pères furent instruits prophétiquement des vérités qui se rapportent à la foi en Dieu ; aussi sont-ils appelés prophètes, d’après le Psaume (105, 15) - " Ne faites pas de mal à mes prophètes ", ce qui vise spécialement Abraham et Isaac. Mais sous la loi les vérités concernant Dieu furent l’objet de révélations prophétiques supérieures aux précédentes, car il fallait alors instruire de ces vérités, non seulement quelques personnes ou quelques familles, mais tout un peuple ; aussi le Seigneur dit-il à Moïse (Ex 3, 14) : " je suis le Seigneur, qui suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme Dieu tout puissant, mais je ne leur a fait connaître mon nom d’Adonaï. " Les patriarches antérieurs avaient en effet appris à connaître sous une forme commune la toute-puissance du Dieu unique ; mais dans la suite, Moïse fut plus pleinement instruit de la simplicité de l’essence divine, lorsqu’il lui fut dit (Ex 3, 14) : " je suis celui qui suis. " C’est ce nom que les Juifs ont remplacé par celui d’Adonaï, à cause de la vénération due à ce nom qu’on ne peut prononcer. Enfin, au temps de la grâce, le mystère de la Trinité a été révélé par le Fils de Dieu lui-même (Mt 28, 19) - " Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. "

Toutefois, en chacune de ces périodes, la première en date des révélations fut la plus haute. Avant la loi, la première révélation fut faite à Abraham ; c’est de son temps, en effet, que les hommes commencèrent à s’éloigner de la foi au Dieu unique pour tomber dans l’idolâtrie ; auparavant cette révélation n’était pas nécessaire, puisque tous persévéraient dans le culte du Dieu unique. A Isaac fut octroyée une révélation de moindre importance, qui était comme fondée sur celle d’Abraham ; aussi lui fut-il dit (Gn 26, 24) : " Je suis le Dieu d’Abraham, ton père. " Et de même à Jacob (Gn 28, 13) : " je suis le Dieu d’Abraham, ton père, et le Dieu d’Isaac. Pareillement, durant la période de la loi, la première révélation fut accordée à Moïse, et elle fut la plus parfaite ; sur elle fut fondée la révélation faite à tous les prophètes. Et au temps de la grâce, c’est aussi sur la révélation qui a été faite aux Apôtres, et qui concernait la foi en l’Unité et en la Trinité, que s’appuie toute la foi de l’Église, d’après ces paroles du Seigneur (Mt 16, 18) : " Sur cette pierre ", c’est-à-dire ta confession de foi, " je bâtirai mon Église. "

Quant à la foi en l’incarnation du Christ, il est évident que plus les fidèles furent proches du Christ, soit avant, soit après, plus aussi, dans l’ensemble, ils reçurent de lumière sur cette vérité. Toutefois, davantage après qu’avant, comme le remarque l’Apôtre (Ep 3, 5).

Par rapport au second but de la révélation prophétique : diriger l’activité humaine, on ne remarque pas de variation dans la suite des temps, mais selon les nécessités des circonstances ; car, comme il est écrit au livre des Proverbes (29, 18) : " Quand il n’y aura plus de vision, le peuple sera sans direction. " C’est la raison pour laquelle, en chaque temps, les hommes ont été instruits par Dieu de ce qu’ils devaient faire, selon ce qui était utile au salut des élus.

Solutions :

1. Les paroles de S. Grégoire visent la période qui a précédé l’incarnation du Christ et se rapportent à la connaissance de ce mystère.

2. On lit dans S. Augustin : "De même qu’aux premiers temps de la domination des Assyriens se Abraham, et que lui furent faites les promesses les plus claires ; de même aux débuts de la Babylone d’Occident ", c’est-à-dire de Rome, " sous l’empire de laquelle le Christ devait venir pour accomplir en lui ces promesses, il convenait que les oracles des prophètes, orateurs ou écrivains ", qui rappelaient les promesses faites à Abraham, " rendent témoignage au si grand événement qui allait se produire. Les prophètes n’avaient, presque jamais manqué au peuple d’Israël, du jour où il avait commencé à avoir des roi, mais ils n’avaient servi qu’à ces rois et n’avaient pas profité, aux nations. Mais lorsque s’ouvrit l’ère de l’Écriture, au contenu plus manifestement prophétique, qui devait être utile un jour aux nations, c’est alors que fut fondée cette Rome qui devait commander aux nations ". Aussi est-ce surtout au temps des rois que les prophètes apparurent nombreux en Israël, parce qu’alors ce peuple n’était pas opprimé par des étrangers et avait son propre souverain ; il fallait donc qu’il fût instruit par les prophètes de la conduite à tenir, puisqu’il jouissait de la liberté.

3. Les prophètes qui annonçaient la venue du Christ n’ont pu exister que jusqu’à S. Jean qui, lui, a montré du doigt le Christ en personne. Cependant S. Jérôme écrit sur ce même passage : " Il n’est pas dit qu’après S. Jean il n’y ait plus eu de prophètes ; nous lisons, en effet, dans les Actes des Apôtres, qu’Agabus a prophétisé, ainsi que les quatre vierges, filles de Philippe. " En outre, l’Apôtre Jean a écrit aussi un livre prophétique sur la fin de l’Église. Et, à chaque période, il n’a pas manqué d’hommes ayant l’esprit de prophétie, non sans doute pour développer une nouvelle doctrine de foi, mais pour diriger l’activité humaine. S. Augustin rapporte que l’empereur Théodose " envoya une délégation à un moine nommé Jean, qui vivait dans le désert d’Égypte et dont il avait appris la réputation grandissante de prophète, et qu’il reçut de lui l’annonce d’une victoire absolument certaine ".

 

 

QUESTION 175 — LE RAVISSEMENT

1. L’âme humaine est-elle ravie en Dieu ? - 2. Le ravissement relève-t-il de la faculté de connaissance, ou d’appétit ? - 3. Dans son ravissement, S. Paul a-t-il vu l’essence de Dieu ? - 4. A-t-il été hors de sens ? - 5. Dans cet état, son âme a-t-elle été complètement séparée de son corps ? - 6. Ce que S. Paul a su et ce qu’il a ignoré, au sujet de son ravissement.

 

            Article 1 — L’âme humaine est-elle ravie en Dieu ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Certains définissent en effet le ravissement : " Être élevé de ce qui est selon la nature à ce qui dépasse la nature, par la puissance d’une nature supérieure. " Or il est selon la nature de l’homme d’être élevé jusqu’aux réalités divines, car S. Augustin écrit . " Seigneur, tu nous a faits pour toi ; et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en toi. " L’âme de l’homme n’a donc pas à être ravie en Dieu.

2. Denys déclare : " La justice de Dieu se reconnaît à ce qu’il dispense à tous les êtres ce qui convient à la condition et à la dignité de chacun. " Or il n’appartient pas à la condition de l’homme ni à sa dignité d’être élevé au-dessus de sa nature. L’esprit de l’homme ne peut donc être ravi par Dieu jusqu’aux réalités divines.

3. Le ravissement implique une certaine violence. Or Dieu ne nous régit pas par violence ni contrainte, remarque S. Jean Damascène. L’esprit de l’homme n’est donc pas ravi en Dieu.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (2 Co 12, 2) " je connais un homme dans le Christ qui a été ravi jusqu’au troisième ciel ", et la Glose explique : " Ravi, c’est-à-dire élevé contrairement à la nature. "

Réponse :

Le ravissement, on vient de le dire, implique une certaine violence. Or Aristote nomme " violent, ce dont le principe est extérieur, à condition que ce qui souffre violence n’y apporte aucun concours ". Mais tout être apporte son concours à ce qui est dans le sens de son inclination propre, que cette inclination soit volontaire ou naturelle. Celui qui est ravi par une puissance extérieure doit donc être ravi autrement que dans le sens de son inclination. Cela est possible de deux manières. 1° Par rapport au but de l’inclination ; par exemple si la pierre qui a pour inclination naturelle de tomber en bas est projetée en haut. 2° Par rapport au mode d’attrait, par exemple si la pierre est projetée en bas avec un mouvement plus rapide que celui qui lui est naturel.

L’âme humaine peut être ravie de ces deux manières vers ce qui est en dehors de sa nature. 1° Quant au terme du ravissement : par exemple lorsqu’elle est entraînée à subir des peines, selon cette parole du Psaume (50, 22) " de peur qu’il entraîne sans que personne délivre ". 2° Quant au mode connaturel à l’homme, qui est de comprendre la vérité par les réalités sensibles ; c’est ainsi que, lorsque l’âme est abstraite des réalités sensibles, elle est dite ravie, même si elle est élevée à des réalités auxquelles elle est naturellement ordonnée ; mais il faut que ce soit en dehors de sa propre intention. C’est ainsi que, le sommeil étant naturel, on ne peut pas l’appeler un ravissement.

Or cette abstraction, quel que soit son but, peut avoir trois causes 1° une cause physique, tel est le cas des aliénés 2° la puissance des démons : c’est le cas des possédés ; 3° la puissance divine. C’est ici le véritable ravissement : être élevé par l’Esprit divin vers les réalités surnaturelles avec abstraction des sens. " L’esprit s’éleva entre ciel et la terre, lit-on dans Ézéchiel (8, 3), et m’amena, Jérusalem, dans des visions divines. "

Cependant, on dit aussi que quelqu’un est ravi, non seulement quand il est abstrait de ses sens, niai, encore quand il est distrait des choses auxquelles il s’appliquait, tel celui dont l’esprit en dehors de son sujet ; mais c’est là un moins propre du terme.

Solutions :

1. Il est naturel à l’homme de tendre vers les réalités divines, mais au moyen des choses Ensables, d’après S. Paul (Rm 1, 20) : " Les perfections invisibles de Dieu sont rendues visibles à l’intelligence par les œuvres de la création. " .\lais il ne lui est pas naturel d’être élevé aux réalités divines avec abstraction des sens.

2. Il appartient à la condition et à la dignité de l’homme d’être élevé vers les réalités divines, parce que l’homme a été créé à l’image de Dieu. Mais, le bien divin dépassant d’une manière infinie la faculté humaine, l’homme a besoin d’être surnaturellement aidé pour atteindre ce bien ; cela se produit par un bienfait de grâce. Dès lors, que l’esprit soit élevé par Dieu au moyen d’un ravissement, ce n’est pas contraire à la nature mais seulement au-dessus d’elle.

3. Les paroles de S. Jean Damascène valent pour les choses qui doivent être faites par l’homme ; mais pour ce qui dépasse la faculté du libre arbitre, il est nécessaire que l’homme soit surélevé par une action plus puissante ; celle-ci peut bien être appelée une contrainte sous un certain rapport, c’est-à-dire si l’on considère son mode, mais non si l’on envisage le terme de cette activité, c’est-à-dire la fin à laquelle sont ordonnées la nature de l’homme et sa tendance.

 

            Article 2 — Le ravissement relève-t-il de la faculté de connaissance, ou d’appétit ?

Objections :

1. Il semble que le ravissement relève plutôt de la puissance appétitive. Denys dit en effet : " C’est l’amour divin qui cause l’extase. " Or l’amour relève de l’affectivité. Il en est donc de même de l’extase ou du ravissement.

2. " Celui qui gardait les pourceaux, dit S. Grégoire est tombé, par la débauche de l’esprit et de l’impudicité, au-dessous de lui-même, tandis que Pierre, qui a été sauvé par un ange et dont l’esprit a été ravi en extase, fut sans doute hors de lui-même, mais au-dessus de lui-même. " Or ce fils prodigue, c’est par l’affectivité qu’il est tombé si bas. Donc ceux dont l’esprit est ravi vers le ciel subissent cet attrait dans leur affectivité.

3. La Glose commente ainsi le titre du Psaume 31 : " Ce que les Grecs appellent "extase", les Latins le nomment "transport de l’esprit" ; ce transport se produit de deux manières : par la crainte des réalités terrestres, ou par le ravissement de l’esprit qui est attiré vers les choses d’en haut et oublie les réalités inférieures. " Or la crainte des réalités terrestres relève de l’affectivité. Il en est donc ainsi pour son contraire : le ravissement de l’esprit qui se porte vers les choses d’en haut.

En sens contraire, au sujet de ces mots du Psaume (116, 11) : " J’ai dit dans mon transport : tout homme est menteur ", la Glose explique : " On parle ici d’extase, puisque l’esprit n’est pas hors de lui par la peur, mais surélevé par une révélation inspirée. " Or la révélation relève de la connaissance. Donc aussi l’extase ou le ravissement.

Réponse :

Nous pouvons entendre le ravissement de deux manières.

1° Par rapport à son objet. Ainsi, à proprement parler, le ravissement ne peut pas concerner la puissance appétitive, mais seulement la puissance cognitive. On vient de voir en effet que le ravissement se fait en dehors de l’inclination naturelle de celui qui est ravi. Or le mouvement de la puissance appétitive est une inclination vers le bien désirable. Par suite, à proprement parler, l’homme qui désire un bien n’est pas ravi, mais se meut par lui-même.

2° Par rapport à sa cause. Sous cet aspect, le ravissement peut avoir sa cause dans la puissance appétitive. En effet, si le désir s’attache fortement à quelque chose, il peut arriver que, par la violence de cet amour, l’homme devienne étranger à tout le reste.

Le ravissement produit aussi un effet dans l’appétit : on se délecte dans l’objet du ravissement. Voilà pourquoi l’Apôtre dit (2 Co 12, 2-4) qu’il a été ravi, non seulement au " troisième ciel ", qui appartient à la contemplation intellectuelle, mais au " paradis " qui relève de l’affectivité.

Solutions :

1. Le ravissement ajoute quelque chose à l’extase. Celle-ci implique seulement qu’on est hors de soi-même, c’est-à-dire en dehors de son état habituel ; mais le ravissement y ajoute une certaine violence. L’extase peut donc relever de l’appétit, par exemple lorsque le désir d’un sujet tend vers des réalités qui lui sont extérieures ; et c’est en ce sens que Denys peut dire : " L’amour divin cause l’extase ". Or l’amour de l’homme vers les réalités aimées. Aussi ajoute-t-il ensuite que " même Dieu, qui est la cause universelle, sort de lui-même par l’abondance de sa bonté aimante, quand il pourvoit à tous les êtres ". D’ailleurs, même s’il disait cela expressément du ravissement, cela expliquerait seulement que l’amour en est la cause.

2. Dans l’homme il y a deux sortes d’appétit l’appétit intellectuel ou volonté ; l’appétit sensible appelé sensualité. Et il est propre à l’homme que l’appétit inférieur soit soumis à l’appétit supérieur, et que celui-ci dirige celui-là. L’homme peut donc d’une double manière être hors de lui-même sous le rapport de l’appétit. 1° Quand il tend de tout son appétit intellectuel vers les réalités divines, sans tenir compte des réalités auxquelles incline l’appétit sensible ; ainsi Denys dit-il : " C’est en vertu de l’amour divin qui produit l’extase que S. Paul s’est écrié : "je vis, mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi." " 2° Quand il se porte tout entier vers les réalités qui intéressent la puissance inférieure, tout en négligeant l’appétit supérieur ; et c’est ainsi que " celui qui gardait les pourceaux est tombé au-dessous de lui-même ". Ce deuxième transport, ou extase, réalise mieux la raison de ravissement que le premier parce que l’appétit supérieur est plus propre à l’homme ; aussi, lorsque l’homme est soustrait au mouvement de son appétit supérieur par la violence de l’appétit inférieur, est-il davantage rendu étranger à ce qui lui est propre. Pourtant, parce qu’il n’y a pas là violence, puisque la volonté peut résister à la passion, cela reste inférieur à la véritable raison de ravissement ; à moins que la violence de la passion ne soit telle qu’elle retire totalement l’usage de la raison, comme on le voit chez ceux qui deviennent fous par la violence de la colère ou de l’amour.

Il faut cependant remarquer que ces deux transports de l’appétit peuvent causer un ravissement de la puissance cognitive ; soit parce que l’esprit, rendu étranger aux réalités sensibles, est ravi vers les vérités intelligibles ; soit parce qu’il est ravi par une vision de l’imagination, c’est-à-dire par une apparition imaginaire.

3. De même que l’amour est le mouvement de l’appétit par rapport au bien, la crainte en est le mouvement par rapport au mal. Aussi le transport de l’esprit peut-il être produit de la même manière pour l’une et l’autre causes, étant donné surtout, d’après S. Augustin, que la crainte est elle-même causée par l’amour.

 

            Article 3 — Dans son ravissement, S. Paul a-t-il vu l’essence de Dieu ?

Objections :

1. Cela semble impossible. De même que S. Paul " fut ravi jusqu’au troisième ciel ", les Actes des Apôtres (10, 10) disent de S. Pierre " qu’il tomba en extase ". Or, S. Pierre dans son extase ne vit pas l’essence de Dieu ; il eut seulement une vision sensible. S. Paul ne paraît donc pas non plus avoir vu l’essence de Dieu.

2. La vision de Dieu rend l’homme bienheureux. Mais S. Paul n’est pas devenu bienheureux dans son ravissement, sinon il ne serait jamais revenu à la misère de cette vie, et son corps aurait été glorifié par un rejaillissement de l’âme, comme cela se produira chez les saints après la résurrection ; or ce ne fut certainement pas son cas. Il n’a donc pas vu dans son ravissement l’essence divine.

3. La foi et l’espérance ne peuvent cœxister avec la vision de l’essence divine, (1 Co 13, 8). Or, pendant son ravissement, S. Paul avait la foi et l’espérance. Il n’a donc pas vu l’essence de Dieu.

4. D’après S. Augustin dans la vision sensible on voit " certaines similitudes " des corps. Or S. Paul semble avoir vu diverses images dans son ravissement : par exemple, celles du troisième ciel du paradis, comme il le rapporte (2 Co 12, 2.4). Il paraît donc avoir été ravi vers une vision sensible, plutôt que vers la vision de l’essence Vil".

En sens contraire, S. Augustin affirme : " La substance même de Dieu peut être vue par certains hommes établis en cette vie ; Moïse, par exemple, et Paul qui, dans son ravissement, a entendu des S ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter. "

Réponse :

Certains ont prétendu que S. Paul, dans son ravissement, n’avait pas vu l’essence même de Dieu, mais seulement un reflet de sa clarté. Pourtant S. Augustin professe manifestement l’opinion contraire non seulement dans sa lettre Sur la vision de Dieu mais encore dans son commentaire littéral de la Genèse, et cette opinion se trouve également dans la Glose (sur 2 Co 12). D’ailleurs les termes même de l’Apôtre l’affirment. 1° dit en effet qu’" il a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter ". Or ces termes paraissent bien se rapporter à la vision béatifique, dont l’état surpasse la vie présente, selon ce mot d’Isaïe (64, 3) : " L’œil n’a pas vu, ô Dieu, excepté toi, ce que tu as préparé à ceux qui comptent sur toi. " Par conséquent il est préférable de dire que S. Paul a vu Dieu dans son essence.

Solutions :

1. Lorsque l’esprit de l’homme est ravi, jusqu’à la contemplation de la vérité divine, est d’une triple manière qu’il peut contempler cette vérité. 1° Dans des similitudes sensibles ; est un tel transport d’esprit qui emporta S. Pierre. 2° Dans des effets intelligibles : tel fut cas de David s’écriant (Ps 115, 11) : " J’ai dit dans mon transport : tout homme est menteur. " Dans son essence, et ce fut le ravissement de Paul, et aussi de Moïse. Cela s’accorde d’ailleurs usez bien : de même que Moïse avait été le dernier docteur des juifs, ainsi S. Paul a été le premier " docteur des nations ".

2. L’essence divine ne peut être vue par une intelligence créée qu’avec l’aide de la lumière de gloire dont parle le Psalmiste (36, 10) : " Dans ta lumière, nous verrons la lumière. " Mais cette lumière, on peut la recevoir de deux manières. Par mode de forme immanente : c’est ce qui rend bienheureux les saints dans le ciel. Par mode de passion transitoire : on a vu un exemple de ce mode dans le cas de la lumière prophétique. Et c’est de cette dernière manière que S. Paul reçut la lumière quand il fut ravi. C’est pourquoi il ne devint pas bienheureux au sens plénier du mot, au point que la gloire rejaillit sur son corps ; mais il ne fut bienheureux que sous un certain rapport. C’est pourquoi un tel ravissement appartient en quelque façon à la prophétie.

3. Paul, dans son ravissement, n’a pas été bienheureux d’une manière habituelle, mais il exerça seulement l’acte des bienheureux ; il en résulte qu’il n’y a pas eu alors chez lui un acte de foi en même temps, mais il n’en possédait pas moins cette vertu, à l’état d’habitus.

4. L’expression de " troisième ciel " peut s’entendre d’une manière corporelle. En ce sens, le troisième ciel est le ciel empyrée, appelé troisième par rapport au ciel atmosphérique et au ciel astral ; ou plutôt par rapport au ciel astral et au ciel liquide ou cristallin. Paul se dit " ravi au troisième ciel ", non pour contempler la similitude d’une réalité corporelle, mais parce que ce lieu est celui de la contemplation des bienheureux. Aussi lit-on dans la Glose sur la 2ème épître aux Corinthiens que " le troisième ciel est spirituel, là où les anges et les âmes saintes jouissent de la contemplation de Dieu. Pour S. Paul, être ravi jusqu’à ce ciel, cela signifie que Dieu lui a montré la vie dans laquelle il sera contemplé pendant l’éternité ".

On peut encore entendre par troisième ciel une vision qui dépasse la vue de ce monde. Et cela de trois manières 1° Selon l’ordre des puissances cognitives en ce sens, le premier ciel désigne la vision corporelle ou sensible, par exemple, dans Daniel, celle de la main qui écrivait sur le mur ; le deuxième ciel est la vision dans l’imagination, comme celle dont a bénéficié Isaïe, et aussi S. Jean dans l’Apocalypse ; le troisième ciel est la vision intellectuelle, comme l’explique S. Augustin. - 2° Selon l’ordre des réalités à connaître : " Le premier ciel est alors la connaissance des corps célestes ; le deuxième, celle des esprits célestes ; et le troisième, celle de Dieu même. " - 3° Selon le degré de la contemplation par laquelle on voit Dieu : le premier de ces degrés appartient aux anges de la hiérarchie la moins élevée, le deuxième aux anges de la hiérarchie moyenne, et le troisième à ceux de la hiérarchie suprême, comme le remarque la Glose sur la 2ème épître aux Corinthiens.

Et parce que la vision de Dieu ne peut exister sans délectation, l’Apôtre dit avoir été ravi non seulement " au troisième ciel " en raison de la contemplation, mais encore " au Paradis " à cause de la délectation qui en a découlé.

 

            Article 4 — Dans son ravissement, S. Paul a-t-il été hors de sens ?

Objections 1. Il ne semble pas. S. Augustin écrit en effet " Pourquoi ne pas croire que Dieu, par ce ravissement qui est allé jusqu’au degré suprême de la vision, a voulu montrer à un si grand Apôtre, le docteur des nations, la vie dans laquelle, après cette vie, il vivra éternellement ? " Or, dans la vie future, après la résurrection, les saints verront l’essence de Dieu, sans qu’il y ait abstraction des sens corporels. Cette abstraction ne s’est donc pas produite non plus dans le cas de S. Paul.

2. Le Christ, qui a été vraiment voyageur sur cette terre, a joui continuellement de la vision de l’essence divine, sans qu’il y eût pourtant abstraction des sens. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle ait existé en S. Paul pour lui permettre de voir l’essence de Dieu.

3. S. Paul, après avoir vu Dieu par essence, se souvenait des réalités qu’il avait contemplées dans cette vision ; aussi disait-il (2 Co 12, 4) : " J’ai entendu des paroles secrètes qu’il n’est pas permis à l’homme de répéter. " Or la mémoire relève de la partie sensible, comme le montre Aristote. Il semble donc que S. Paul, en voyant l’essence de Dieu, n’a pas été abstrait de ses sens.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " A moins de mourir en quelque sorte à cette vie, soit en quittant complètement le corps, soit en étant détourné et abstrait des sens corporels, personne ne peut être élevé à cette vision. "

Réponse :

L’homme ne peut voir l’essence divine par une autre puissance cognitive que son intelligence. Or l’intelligence humaine ne se tourne vers les réalités sensibles qu’au moyen des images ; par les images elle reçoit à partir des réalités sensibles les idées, et c’est en considérant des idées dans les images qu’elle juge les réalités sensibles et les organise. C’est pourquoi dans toute activité où l’intelligence fait abstraction des images, il est nécessaire qu’elle fasse aussi abstraction des sens. Or il faut que l’homme, dans l’état de voyageur, ait l’intelligence abstraite des images pour voir l’image de Dieu. Cette essence, en effet, ne peut être vue par une image, ni même par une idée créée, car elle dépasse à l’infini non seulement tous les corps d’où viennent les images, mais aussi toute créature intelligible[4467]. Lorsque par son intelligence l’homme est élevé à la sublime vision de l’essence de Dieu, il faut donc qu’il y applique son esprit tout entier de manière à ne plus avoir aucune autre pensée qui lui viendrait des images, mais à être totalement porté vers Dieu. Aussi est-il impossible que l’homme en l’état présent voie Dieu dans son essence sans abstraction des sens.[4468]

Solutions :

1. On l’a dit à l’article précédent, après la résurrection, chez les bienheureux qui contempleront l’essence de Dieu, il y aura rejaillissement de l’intelligence sur les puissances inférieures et jusque sur le corps. Voilà pourquoi, en vertu même de la vision divine, l’âme se tournera alors vers les images et les réalités sensibles. Mais un tel rejaillissement n’a pas lieu chez tous ceux qui sont ravis, ainsi qu’on l’a montré. Le cas n’est donc pas le même.

2. L’intelligence du Christ était glorifiée par la lumière habituelle de gloire, dans laquelle il voyait l’essence divine beaucoup plus parfaitement que ne peut le faire aucun être angélique ou humain. Mais il était voyageur à cause de la possibilité de son corps, en vertu de laquelle " il était abaissé un peu au-dessous des anges ", dit l’épître aux Hébreux (2, 7) et cela en raison d’une dispensation de Dieu, non à cause d’une déficience de son intelligence. Le cas n’est donc pas le même pour i ci pour les autres hommes voyageurs.

3. Enfin S. Paul, après qu’il eut cessé de voir essence de Dieu, s’est souvenu des réalités qu’il avait connues dans cette vision, grâce à certaines idées qui étaient demeurées à l’état habituel dans son intelligence ; de même que, lorsque les réalités sensibles ont disparu, il en reste dans l’âme certaines impressions. Ces idées, il se les remémorait dans la suite, en se tournant vers des images[4469]. Voilà pourquoi il ne pouvait penser ou exprimer par des paroles toute cette connaissance.

 

            Article 5 — Dans cet état, l’âme de S. Paul a-t-elle été complètement séparée de son corps ?

Objections :

1. On le croirait volontiers, car il dit lui-même (2 Co 5, 6) : " Tant que nous sommes dans le corps, nous sommes exilés loin du Seigneur ; car nous marchons par la foi et non par la claire vision. " Or Paul, dans son état de ravissement, n’était pas exilé loin du Seigneur, puisqu’il voyait Dieu dans une claire vision, on l’a dit’. Il n’était donc pas dans son corps.

2. Une faculté de l’âme ne peut être élevée au-dessus de son essence, dans laquelle elle s’enracine. Or l’intelligence, qui est une puissance de l’âme, a été, dans le ravissement, abstraite des réalités corporelles par son élévation jusqu’à la contemplation de Dieu. Donc, à plus forte raison, l’essence de l’âme a-t-elle été séparée du corps.

3. Les puissances de l’âme végétative sont plus matérielles que celles de l’âme sensible. Mais il fallait, comme on l’a dit, que l’intelligence fût abstraite des puissances de l’âme sensitive pour être ravie jusqu’à la vision de l’essence divine. Il convenait donc encore bien plus qu’elle fût abstraite des puissances de l’âme végétative. Mais quand celles-ci cessent d’agir, l’âme ne demeure plus unie au corps d’aucune manière. Il fallait donc que l’âme de S. Paul, dans son ravissement, fût complètement séparée du corps.

En sens contraire, S. Augustin écrit " Il n’est pas incroyable que certains saints, qui n’étaient pas encore délivrés de la vie au point de ne laisser que leurs cadavres à ensevelir, se soient vu accorder cette forme excellente de révélation ", qui est de voir Dieu par essence. Il n’était donc pas nécessaire que, dans son ravissement, l’âme de S. Paul ait été complètement séparée du corps.

Réponse :

Dans le ravissement dont nous parlons, l’homme, on l’a vu, est élevé par la puissance divine " de ce qui est selon la nature à ce qui est au-dessus de la nature ". Il faut donc considérer deux choses : 1° Ce qui convient à l’homme selon la nature. 2° Ce que la puissance divine doit faire en l’homme au-dessus de sa nature. Or, du fait que l’âme est unie au corps comme sa forme naturelle, il en résulte chez elle une tendance naturelle à comprendre par un retour aux images. Cette tendance n’est pas abolie par la puissance divine dans le ravissement, car l’état de l’âme n’est pas changé, nous l’avons montré. Toutefois, tandis que cet état demeure, le retour en acte vers les images et les réalités sensibles est retiré à l’âme afin qu’il n’y ait point d’obstacle à son élévation vers ce qui, on l’a vu, dépasse toute image. Par conséquent, dans le ravissement de S. Paul, il n’était pas nécessaire que son âme soit séparée de son corps au point de ne plus lui être unie comme sa forme ; mais il fallait que son intelligence soit abstraite des images et de la perception des réalités sensibles.

Solutions :

1. S. Paul dans ce ravissement était exilé loin du Seigneur par son état, car il était encore voyageur ; mais non par son acte, où il voyait Dieu dans une claire vision, comme on l’a montré.

2. Une puissance de l’âme ne peut être élevée par une force naturelle au-dessus du mode qui convient à son essence ; mais la force divine peut l’élever à quelque chose de plus haut. De même le corps, par la violence que lui fait une puissance plus forte, peut être élevé au-dessus du lieu qui lui convient selon sa nature spécifique.

3. Les puissances de l’âme Végétative n’agissent pas en vertu d’une attention de l’âme comme font les puissances sensitives, mais à la manière de la nature. Aussi le ravissement ne requiert-il pas que l’on soit abstrait de ces puissances végétatives comme des puissances sensibles, car l’activité de celles-ci diminuerait l’attention de l’âme par rapport à la connaissance intellectuelle.

 

            Article 6 — Ce que S. Paul a su et ce qu’il a ignoré, au sujet de son ravissement

Objections :

1. Il semble que S. Paul n’a pas ignoré si son âme avait été séparée de son corps. Car il dit lui-même (2 Co 12, 2) : " je connais un homme qui a été ravi dans le Christ jusqu’au troisième ciel. " Or le mot " homme " désigne le composé de l’âme et de corps ; et le " ravissement " diffère de la mort. Il semble donc bien avoir su que son âme n’avait pas été séparée du corps par la mort. D’autant plus que cette opinion est communément admise par les docteurs.

2. Il ressort encore de ces paroles de l’Apôtre qu’il a su lui-même où il avait été ravi, à savoir " au troisième ciel ". Il en résulte qu’il a su s’il était ou non avec son corps ; car, s’il s’est rendu compte que le troisième ciel était une réalité corporelle, il a su par suite que son âme n’était pas séparée du corps. Il n’y a en effet que le corps qui puisse voir une réalité corporelle. Il semble donc qu’il n’a pas ignoré si son âme avait été séparée du corps.

3. D’après S. Augustin, l’Apôtre, dans son ravissement, a vu Dieu par la même vision que celle des saints dans la patrie. Or, du fait qu’ils voient Dieu, les saints savent si leurs âmes sont séparées de leurs corps. Paul eut donc aussi cette connaissance.

En sens contraire, S. Paul écrit (2 Co 12, 2) " Avec le corps ou sans le corps, je l’ignore, Dieu le sait. "

Réponse :

Il convient de chercher la réponse à cette question dans les paroles mêmes de l’Apôtre : celui-ci dit qu’il sait une chose, qu’il " a été ravi au troisième ciel ", et qu’il en ignore une autre " si c’est avec son corps ou sans son corps ". y a deux interprétations possibles :

1° Ces mots " soit avec son corps, soit sans son corps " ne se rapporteraient pas à l’être même de l’homme ravi, comme si S. Paul avait ignoré si son âme était ou non dans son corps, mais viseraient le mode de ravissement : l’Apôtre aurait ignoré si son corps avait été ou non ravi au troisième ciel en même temps que son âme, ou si celle-ci seule l’avait été, comme ce fut le cas d’Ézéchiel qui déclare (8, 3) qu’il " fut emmené dans Jérusalem en des visions divines ". Cette dernière exégèse fut avancée par un certain juif, d’après S. Jérôme. Il écrit en rapportant l’opinion de ce Juif - " Enfin même notre Apôtre n’a pas eu l’audace d’affirmer qu’il avait été ravi avec son corps ; mais il a dit : soit avec mon corps, soit sans mon corps, je ne sais. "

Toutefois, S. Augustin rejette ce sens, précisément pour cette raison que l’Apôtre dit avoir su qu’il avait été ravi jusqu’au troisième ciel. Il savait donc que le troisième ciel, où il avait été ravi, était un ciel réel et non pas imaginaire ; autrement, s’il avait appelé troisième ciel une simple image de celui-ci, il aurait pu dire de même qu’il avait été ravi avec son corps, en entendant par là l’image de son corps, telle qu’elle apparaît dans le sommeil. Mais alors, s’il se rendait compte qu’il s’agissait réellement du troisième ciel, il savait si c’était quelque chose de spirituel et d’incorporel, et en ce cas son corps ne pouvait y être ravi ; ou si c’était quelque chose de corporel, et alors son âme ne pouvait y être ravie sans son corps, à moins d’être séparée de celui-ci.

2° Il faut donc donner un autre sens à ces paroles de l’Apôtre : S. Paul a connu qu’il avait été ravi selon son âme et non selon son corps, mais il a ignoré comment s’était comportée son âme par rapport à son corps, c’est-à-dire si elle fut sans corps ou non pendant la durée de son ravissement.

Mais il y a encore ici diverses interprétations. Certains disent en effet : l’Apôtre a su que son âme était unie à son corps en tant que forme, mais il ignorait s’il avait subi l’aliénation des sens, ou s’il avait fait abstraction des activités de l’âme végétative. - Cependant, qu’il y ait eu abstraction des sens, S. Paul n’a pas pu l’ignorer, du fait qu’il avait conscience de son ravissement. Quant à une abstraction des activités de l’âme végétative, ce n’était pas un fait assez important pour mériter une mention si expresse. Il reste donc que l’Apôtre a ignoré si son âme était restée unie à son corps en tant que forme, ou s’était séparée de lui par la mort.

D’autres cependant, tout en admettant cette explication, disent que l’Apôtre n’a pas pu se rendre compte de son état au moment de son ravissement, car toute son attention était tournée vers Dieu, mais qu’il l’a compris ensuite, en réfléchissant sur ce qu’il avait vu. - Cette opinion est également contraire au paroles de l’Apôtres qui a soin de distinguer le passé du futur. Il dit en effet, au présent, qu’il " sait " avoir été ravi il y a quatorze ans, et, au présent encore, qu’il " ignore " si ce fut avec son corps ou sans son corps.

C’est pourquoi il faut dire que, avant et après, il a ignoré si son âme avait été séparée de son corps. S. Augustin conclut après une longue recherche : " Il nous reste de comprendre ce que lui-même ignorait : si, au moment où il fut ravi au troisième ciel, il était dans son corps à la manière dont l’âme est dans le corps quand on dit que celui-ci est vivant (soit qu’il ait été éveillé, ou endormi, ou que l’âme ait été en extase, devenue étrangère aux sens) ; ou bien s’il était tout à fait sorti de son corps, au point que celui-ci gisait Mort. "

Solutions :

1. Par synecdoque, on appelle quelquefois " homme " l’une de ses parties seulement, et surtout l’âme qui en est la partie supérieure. On peut toutefois entendre aussi que celui qui avait été ravi n’était plus un homme lors de son ravissement, mais qu’il l’est maintenant " après quatorze ans ". Aussi dit-il : " je connais un homme ", et non : " je connais un homme ravi. " - Rien n’empêcherait non plus que l’on appelle ravissement la mort produite par une intervention spéciale de Dieu. Et, comme l’écrit S. Augustin : " Si l’Apôtre est resté dans le doute, qui de nous peut avoir une certitude ? " Ceux qui proposent une opinion sur ce sujet parlent donc plus par conjecture que par certitude.

2. L’Apôtre a su, ou que le troisième ciel était quelque chose d’incorporel, ou qu’il avait vu une réalité incorporelle dans le ciel ; cependant cette connaissance pouvait être obtenue par son intelligence, même si son âme n’était pas séparée de son corps.

3. La vision de S. Paul dans le ravissement fut semblable, par un certain côté, à celle des bienheureux quant à l’objet de vision ; et différente par un autre côté, quant au mode de vision ; car il n’a pas contemplé aussi parfaitement que les saints qui sont dans le ciel. Aussi S. Augustin écrit-il : " A S. Paul enlevé à ses sens charnels jusqu’au troisième ciel, il manqua quelque chose pour la pleine et parfaite connaissance des réalités, qui existe chez les anges ; c’est qu’il ne savait pas si son ravissement avait lieu dans son corps ou sans son corps. C’est pourquoi cette connaissance ne fera pas défaut lors du recouvrement des corps dans la résurrection des morts, lorsque cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité. "

Nous avons à considérer à présent les charismes gratuits qui se rapportent au langage. I. Le charisme des langues. - II. Le charisme du discours de sagesse ou de science.

 

 

QUESTION 176 — LE CHARISME DES LANGUES

1. Par ce charisme obtient-on la connaissance de toutes les langues ? - 2. Comparaison entre ce charisme et celui de la prophétie ?

 

            Article 1 — Par ce don obtient-on la connaissance de toutes les langues ?

Objections :

1. Il semble que ceux qui recevaient le charisme des langues ne parlaient pas toutes les langues. En effet, ce qui est accordé par la puissance divine est le meilleur en son genre ; c’est ainsi que le Seigneur changea l’eau en un vin excellent (Jn 2, 10). Mais ceux qui eurent le charisme des langues parlaient mieux leur propre langue. La Glose dit en effet, au sujet de l’épître aux Hébreux : " Il n’est pas étonnant que cette épître soit plus éloquente que les autres. Il est en effet naturel à chacun de mieux parler sa propre langue qu’une langue étrangère. Or les autres épîtres, l’Apôtre les a composées dans une langue étrangère, le grec, mais celle-ci il l’a écrit en hébreu. " Par le charisme des langues, les Apôtres n’ont donc pas reçu la science de toutes les langues.

2. La nature n’emploie pas plusieurs moyens là où elle peut se contenter d’un seul ; et encore moins Dieu, qui opère avec plus d’ordre que la nature. Or Dieu pouvait faire que ses disciples, en ne parlant qu’une seule langue, fussent compris de tous ; aussi, à propos de ce passage des Actes des Apôtres (2, 6) : " Chacun les entendait parler sa propre langue ", la Glose commente : " C’est qu’ils parlaient toutes les langues ; ou bien ils ne parlaient que la leur, c’est-à-dire l’hébreu, mais ils étaient compris de tous comme s’ils s’étaient exprimés dans la langue de chaque auditeur. " Il semble donc qu’ils n’aient pas reçu le don de parler toutes les langues.

3. Toutes les grâces découlent du Christ en son corps qui est l’Église, selon cette parole de S. Jean (1, 16) : " De sa plénitude nous avons tous reçu. " Mais on ne dit pas que le Christ ait parlé plus d’une langue. Et actuellement encore, chaque fidèle ne parle qu’une seule langue. Il semble donc que les disciples du Christ n’ont pas reçu le don de parler toutes les langues.

En sens contraire, il est dit dans les Actes des Apôtres (2, 4) : " Ils furent tous remplis de l’Esprit Saint et se mirent à parler diverses langues, selon que l’Esprit Saint leur en donnait le pouvoir. " Une glose de S. Grégoire a ajoute : " L’Esprit Saint est descendu sur les disciples sous forme de langues de feu, et il leur a donné la science de toutes les langues. "

Réponse :

Les premiers disciples du Christ ont été choisis par lui pour parcourir la terre et prêcher sa foi en tous lieux, selon S. Mathieu (28,19) : " Allez, enseignez toutes les nations. " Or il ne convenait pas que ceux qui étaient envoyés instruire les autres aient besoin d’apprendre d’eux la manière de leur parler ou comment comprendre leur langage, alors surtout que ces missionnaires de la foi appartenaient à une même nation, la nation juive, comme l’avait prédit Isaïe (27, 6 Vg) : " Ceux qui sortiront impétueusement de Jacob rempliront de leur race la face de la terre. " De plus, les disciples étaient pauvres et impuissants ; ils n’auraient pas trouvé facilement dès le début des interprètes pour traduire exactement leurs paroles ou leur expliquer celles des autres ; et cela d’autant plus qu’ils étaient envoyés aux infidèles. Il était donc nécessaire que Dieu y pourvoie par le don des langues. De même que la diversité des langues s’est introduite au moment où les nations versaient dans l’idolâtrie selon la Genèse (11, 7), de même quand il fallut ramener les nations au culte du Dieu unique, on remédia à cette diversité par le don des langues.

Solutions :

1. D’après S. Paul (1 Co 12, 7), " la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune ". Aussi a-t-il suffi à Paul et aux autres Apôtres d’être instruits par Dieu de la langue de tous les peuples autant que le requérait l’enseignement de la foi. Mais quant aux ornements que l’art ajoute au langage, S. Paul en eut le don dans sa propre langue, mais non dans une langue étrangère. Il en est de même pour la science et la sagesse : les Apôtres en furent instruits pour autant que l’exigeait l’enseignement de la foi ; mais ils n’eurent pas la connaissance de tout ce qui est du domaine des sciences apprises, par exemple des conclusions de l’arithmétique ou de la géométrie.

2. Les deux solutions étaient possibles : ou bien à l’aide d’une seule langue les Apôtres seraient compris de tous, ou bien ils parleraient toutes les langues. Toutefois cette seconde solution convenait davantage : cela rassortissait à la perfection de leur science, d’être capables non seulement de s’exprimer en n’importe quelle langue, mais encore de pouvoir comprendre ce que les autres leur disaient. Dans la première solution, où tous auraient compris l’unique langue parlée par les Apôtres, cela se serait produit, soit en vertu de la science des auditeurs, qui auraient traduit aussitôt la langue qui leur étaient parlée, soit par une sorte d’illusion, les mots parvenant aux oreilles des auditeurs autrement qu’ils n’étaient proférés. Ainsi la Glose dit-elle sur ce deuxième chapitre des Actes des Apôtres : " Ce fut un plus grand miracle, qu’ils aient parlé toutes sortes de langues. " Et S. Paul écrit (1 Co 14, 18 Vg) : " je rends grâce à Dieu de parler les langues de vous tous. "

3. Le Christ, personnellement, n’avait à prêcher qu’à un seul peuple, aux juifs. Bien qu’il ait eu, sans aucun doute, de la façon la plus parfaite, la science de toutes les langues, il ne fut donc pas nécessaire qu’il les parle toutes. - Quant aux chrétiens d’aujourd’hui, selon la remarque de S. Augustin " si actuellement personne de ceux qui reçoivent le Saint-Esprit ne parle toutes les langues, c’est parce que l’Église elle-même les parle toutes ; et nul ne reçoit le Saint-Esprit, s’il n’est dans cette Église ".

 

            Article 2 — Comparaison entre ce charisme et celui de la prophétie

Objections :

1. Il semble que le don des langues soit supérieur à la grâce de la prophétie. En effet, des qualités propres aux êtres les meilleurs apparaissent comme les meilleures, selon Aristote. Or le don des langues est propre au Nouveau Testament, comme on le chantait dans une séquence de la Pentecôte : " C’est lui qui aujourd’hui gratifie les Apôtres du Christ d’un présent extraordinaire, inconnu à tous les siècles. " Mais la prophétie convient plutôt à l’Ancien Testament, selon l’épître aux Hébreux (1, 1) : " A maintes reprises et de bien des façons, Dieu a jadis parlé à nos Pères par les Prophètes. " Il paraît donc bien que le don des langues est supérieur à celui de la prophétie.

2. Ce qui nous ordonne à Dieu semble plus excellent que ce qui nous ordonne aux hommes. Or, par le don des langues, on s’ordonne à Dieu, tandis que par la prophétie, on s’ordonne aux hommes. S. Paul écrit en effet (1 Co 14, 2) : " Celui qui parle en langues ne parle pas aux hommes, mais à Dieu ; tandis que celui qui prophétise s’adresse aux hommes pour leur édification. " Il semble donc que le don des langues soit supérieur au don de la prophétie.

3. Le don des langues demeure d’une manière habituelle chez celui qui le possède, et l’homme a le pouvoir de l’utiliser lorsqu’il le veut. Aussi S. Paul dit-il (1 Co 14, 18 Vg) : " je rends grâce à Dieu de parler les langues de vous tous. " Or, on l’a vu il n’en va pas ainsi avec le don de la prophétie ; le don des langues lui est donc supérieur.

4. L’interprétation des discours semble se ranger sous la prophétie, car on interprète les Écritures par le même Esprit qui les a produites. Or l’interprétation des discours figure dans la 1" épître aux Corinthiens (19,29) après le don des langues. Il semble donc que le charisme des langues soit supérieur à celui de la prophétie, surtout par rapport à l’une de ses parties.

En sens contraire, l’Apôtre dit (1 Co 14, 15) " Celui qui prophétise est supérieur à celui qui parle en langues. "

Réponse :

Le charisme de la prophétie surpasse celui des langues d’une triple manière.

1° Le don des langues se rapporte à des mots, qui ne sont que les signes d’une vérité intelligible, comme les images qui apparaissent dans la vision de l’imagination ; aussi S. Augustin compare-t-il le don des langues à cette sorte de vision. Or on a dit plus haut que le don de prophétie consiste dans l’illumination même de l’esprit en vue de connaître la vérité intelligible ; et l’on a vu que cette illumination intellectuelle est plus excellente que la vision de l’imagination. On dira donc parallèlement que la prophétie surpasse le don des langues considéré en lui-même.

2° Le don de la prophétie fait connaître les réalités elles-mêmes ; ce qui est plus noble que la connaissance des mots procurée par le don des langues.

3° Le don de la prophétie est enfin plus utile. L’Apôtre le prouve de trois manières. 1) La prophétie est plus profitable à l’édification de l’Église ; celui qui parle en langues n’y contribue en rien, à moins qu’il n’y ajoute une explication. - 2) Elle est plus utile à celui qui parle ; son esprit ne serait pas édifié, s’il parlait en diverses langues sans les comprendre, ce qui revient au don de prophétie. - 3) Elle est plus utile aux infidèles. C’est surtout pour eux qu’est accordé le don des langues ; cependant il pourrait bien arriver qu’ils traitent parfois d’insensés ceux qui parlent en langues, de même que les juifs considéraient les Apôtres comme des gens ivres parce qu’ils parlaient en langues, nous disent les Actes (2, 13). Les prophéties, au contraire, convainquent les infidèles en révélant les secrets de leur cœur.

Solutions :

1. Comme il a été dit plus haut, ce qui fait la supériorité de la prophétie, c’est non seulement qu’elle éclaire par une lumière intelligible, mais aussi qu’elle fait percevoir une vision, dans l’imagination. De même aussi appartient-il à la perfection de l’opération de l’Esprit Saint non seulement de remplir l’esprit humain de la lumière prophétique, et l’imagination de la vision sensible, comme cela se produisait dans l’Ancien Testament, mais encore de disposer extérieurement la langue à proférer les différents signes du langage. Cette totale perfection est atteinte dans le Nouveau Testament, selon cette parole (1 Co 14,26) : " Chacun de vous a son cantique, ou son enseignement, ou son discours en langues, ou son apocalypse ", c’est-à-dire sa révélation prophétique.

2. L’homme, par le don de prophétie, est ordonné à Dieu selon l’esprit, ce qui est plus noble que de lui être ordonné selon le langage seulement. De plus, celui qui parle en langues " ne parle pas aux hommes ", parce qu’il ne s’adresse pas à leur intelligence ou ne s’exprime pas pour leur utilité ; mais il ne s’adresse qu’à l’intelligence de Dieu et ne s’exprime que pour sa gloire. Par la prophétie, au contraire, l’homme se tourne vers Dieu et vers le prochain ; c’est pourquoi elle est un don plus parfait.

3. La révélation prophétique s’étend à tous les objets de connaissance surnaturelle ; aussi arrive-t-il, en vertu de sa perfection même, que dans l’état d’imperfection de cette vie, on ne puisse la recevoir d’une manière parfaite et habituelle, mais seulement d’une façon imparfaite et transitoire. Au contraire, le don des langues ne s’étend qu’à la connaissance d’une réalité particulière : le langage des hommes. C’est pourquoi l’imperfection de cette vie ne s’oppose pas à ce qu’on le possède parfaitement et par mode d’habitus.

4. L’interprétation des discours peut se ranger sous le don de prophétie, dans la mesure où l’esprit reçoit une lumière qui lui permet de comprendre et d’exposer ce qui est obscur dans les discours, soit en raison de la difficulté des sujets traités, soit à cause des mots inconnus qui sont employés, soit par suite des images dont on se sert, selon ces paroles du livre de Daniel (5, 16) : " J’ai entendu dire de toi que tu peux interpréter les choses obscures et résoudre les questions difficiles. " Il s’ensuit que l’interprétation des discours l’emporte sur le don des langues ; l’Apôtre dit lui-même (1 Co 14, 5) : " Celui qui prophétise est plus grand que celui qui parle en langues, à moins que ce dernier n’interprète ce qu’il dit. " Si l’interprétation des discours est cependant placée après le don des langues, c’est précisément parce qu’elle s’étend aussi à l’explication des divers genres de langues.

 

 

QUESTION 177 — LE CHARISME DU DISCOURS

L’Apôtre le cite en ces termes (1 Co 12, 8) : " A l’un l’Esprit donne le discours de la sagesse, à l’autre le discours de la science. "

A ce sujet, nous nous demandons : 1. Y a-t-il un charisme du discours ? - 2. A qui ce charisme convient-il ?

 

            Article 1 — Y a-t-il un charisme du discours ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, la grâce donne à l’homme ce qui dépasse les forces de la nature. Or, c’est la raison naturelle qui a inventé l’art de la rhétorique, laquelle permet à l’homme " d’instruire, de plaire, de toucher ", dit S. Augustin. Mais tout cela concerne la grâce du discours. Il semble donc que cette grâce ne soit pas un charisme.

2. Tout charisme se rapporte au règne de Dieu. Or l’Apôtre dit (1 Co 4, 20) : " Le règne de Dieu ne consiste pas en discours, mais en puissance. " Il n’y a donc aucun charisme dans le discours.

3. Nulle grâce n’est donnée en raison des mérites ; car " si elle venait des œuvres, ce ne serait plus une grâce " (Rm 11, 6). Or le discours est donné à chacun en raison de ses mérites. Commentant en effet le Psaume (119, 43) : " Ne retirez pas de ma bouche la parole de vérité ", S. Grégoire écrit : " Le Dieu tout-puissant accorde la parole de vérité à ceux qui la mettent en pratique, et il la retire à ceux qui ne le font pas. " Le don du discours n’est donc pas un don gratuit.

4. De même que l’homme doit exprimer par son discours ce qui relève du don de sagesse ou de science, de même doit-il exposer ce qui relève de la vertu de foi. Donc, si l’on admet que le discours de sagesse et le discours de science sont des dons gratuits, pour la même raison il faut aussi ranger le discours de foi parmi les charismes.

En sens contraire, on lit dans l’Ecclésiastique (6, 5 Vg) : " Le discours gracieux abondera chez l’homme de bien. " Or la bonté de l’homme vient de la grâce. Par suite aussi la grâce du discours.

Réponse :

Les dons gratuits sont donnés en vue de l’utilité commune, on l’a dit. Or la connaissance que l’on reçoit de Dieu ne saurait servir à l’utilité d’autrui qu’au moyen du discours. Et comme le Saint-Esprit n’omet rien de ce qui est utile à l’Église, il assiste aussi ses membres dans leurs discours, non seulement pour qu’ils soient compris de tous, ce qui appartient au don des langues, mais encore pour qu’ils parlent avec efficacité, ce qui relève de la grâce du discours.

Cette grâce du discours a un triple effet 1. Instruire l’intelligence des auditeurs -2. Plaire à leur cœur, afin qu’ils écoutent volontiers la parole divine. - 3. Toucher leur âme, pour qu’ils aiment la vérité et la mettent en pratique. Pour cela, le Saint-Esprit se sert de la langue humaine comme d’un instrument ; mais c’est lui-même qui achève intérieurement le travail. Aussi S. Grégoire dit-il dans une homélie de la Pentecôte : " Si le Saint-Esprit ne remplit pas le cœur des auditeurs, c’est en vain que la voix des prédicateurs résonne à leurs oreilles. "

Solutions :

1. Dieu opère quelquefois miraculeusement, et d’une façon supérieure, ce que peut faire aussi la nature ; ainsi le Saint-Esprit réalise par le charisme du discours ce que l’art oratoire peut faire moins bien.

2. Nous venons de le dire, l’Apôtre parle du discours qui s’appuie sur l’éloquence humaine, sans le secours du Saint-Esprit. Aussi a-t-il écrit d’abord : " Je tiendrai compte, non pas du discours de ces orgueilleux, mais de leur puissance. " Et il avait dit de lui-même auparavant (2, 4) : " Mon discours et ma prédication ne s’appuyèrent pas sur les paroles persuasives de la sagesse humaine, mais sur la manifestation de l’Esprit et de sa puissance. "

3. Le charisme du discours, on vient de le dire, est donnée à certains pour l’utilité d’autrui. Aussi est-il parfois retirée par suite de la faute, soit de l’auditeur, soit de l’orateur. Ce ne sont pas les bonnes œuvres de l’un et de l’autre qui méritent directement cette grâce, mais elles écartent les obstacles. De même pour la grâce sanctifiante : on la perd par sa faute, mais on ne la méritait pas par ses bonnes œuvres, encore que celles-ci en enlèvent les obstacles.

4. Redisons-le, la grâce du discours a pour but l’utilité commune. Or celui qui communique sa foi le fait par le discours de la science ou de la sagesse. C’est pourquoi on lit dans S. Augustin : " Savoir les moyens que la foi emploie pour secourir les âmes pieuses et pour se défendre contre les impies, voilà ce que l’Apôtre semble appeler la science. " Aussi S. Paul n’a-t-il pas eu à mentionner un discours de foi ; il lui a suffi d’admettre un discours de science et de sagesse.

 

            Article 2 — A qui ce charisme convient-il ?

Objections :

1. Il semble que le charisme du discours de sagesse et de science convienne aussi aux femmes. On l’a vu en effet, l’enseignement se rattache à ce charisme. Or enseigner convient aux femmes, car il est dit dans les Proverbes (4, 3-4 Vg) : " Fils unique, j’étais devant ma mère, et elle m’enseignait. "

2. La grâce de la prophétie l’emporte sur la grâce du discours, comme la contemplation de la vérité l’emporte sur son annonce. Or la prophétie est accordée aux femmes ; l’Écriture parle, en effet au livre des Juges (4,4), de Débora ; au livre des Rois (2 R 22, 14), de Holda la prophétesse, femme de Sellum ; et dans les Actes des Apôtres (21, 9) des quatre filles de Philippe. En outre l’Apôtre écrit (1 Co 11, 5) : " Toute femme qui prie ou qui prophétise... "

À plus forte raison, semble-t-il, la grâce du discours convient-elle aux femmes.

3. S. Pierre écrit (1 P 4, 10) : " Que chacun mette au service des autres le don qu’il a reçu. " Or certaines femmes reçoivent le don de sagesse et de science, dont elles ne peuvent faire bénéficier les autres que par la grâce du discours. Celle-ci leur appartient donc aussi.

En sens contraire, l’Apôtre dit (1 Co 14, 34) " Dans les assemblées, que les femmes se taisent ", et (1 Tm 2, 12) : " je ne permets pas aux femmes d’enseigner. " Or c’est là le but principal de la grâce du discours. Celle-ci ne convient donc pas aux femmes.

Réponse :

Le discours peut-être pratiqué de deux façons. 1. En particulier, à l’adresse d’une ou de quelques personnes, dans un entretien familier. Dans ce cas la grâce du discours peut convenir aux femmes.

2. En public, devant toute l’assemblée. Cela est interdit aux femmes : tout d’abord et principalement, parce que la femme doit être soumise à comme, selon la Genèse (3,16). Or enseigner et persuader publiquement dans l’assemblée convient, non aux sujets, mais aux supérieurs. Si pendant des hommes qui sont des inférieurs peuvent accomplir cet office, c’est en vertu d’une d’une commission, et parce que leur sujétion ne leur vient pas, comme aux femmes, de la nature, mais par suite d’une cause accidentelle. - Ensuite, par crainte que le cœur des hommes ne soit séduit par désir, selon l’Ecclésiastique (9, Il Vg) : " Les entretiens des femmes sont comme un feu dévorant. " - Enfin, parce que les femmes, généralement, ne sont pas assez instruites en sagesse pour qu’il soit possible de leur confier sans inconvénient un enseignement public.

Solutions :

1. L’Écriture parle ici de l’enseignement privé en vertu duquel la mère instruit son fils.

2. Dans la grâce de la prophétie, c’est l’esprit qui est illuminé par Dieu. Or, sous ce rapport de l’esprit, il n’y a pas de différence de sexe entre les humains, selon cette parole (Col 3, 10) : " Vous avez revêtu l’homme nouveau, qui se renouvelle suivant l’image de celui qui l’a créé. Dans ce renouvellement, il n’y a plus ni homme, ni femme. " Mais la grâce du discours a pour objet l’instruction des gens, et là se retrouve la différence des sexes. La comparaison n’est donc pas valable.

3. C’est de manière différente, et selon sa condition particulière, que chacun met au service des autres le don qu’il a reçu de Dieu. Aussi les femmes qui ont reçu le don de sagesse et de science peuvent-elles en faire usage pour l’enseignement privé, mais non pour l’enseignement public.

 

 

QUESTION 178 — LE CHARISME DES MIRACLES

1. Y a-t-il un charisme des miracles ? - 2. A qui convient-il ?

 

            Article 1 — Y a-t-il un charisme des miracles ?

Objections :

1. Il semble qu’aucun charisme ne Dit ordonné à faire des miracles. Toute grâce, en effet, apporte quelque chose dans l’âme de celui qui elle est accordée. Or ce n’est pas ici le cas, puisque des miracles se font aussi par le contact e cadavres, comme on le lit au livre des Rois (2 R 13, 2l) : " Un cadavre ayant été jeté dans , sépulcre d’Élisée, à peine eut-il touché les ossements du prophète que l’homme reprit vie et se tint debout. " Le pouvoir de faire des miracles n’est donc pas un charisme.

2. Les charismes viennent du Saint-Esprit selon S. Paul (1 Co 12, 4) : " Il y a diversité de grâces, mais c’est le même Esprit qui les distribue. " Or les miracles peuvent se faire aussi par l’intervention de l’esprit impur, d’après cette parole de notre Seigneur (Mt 24, 24) : " Il surgira de faux prophètes, qui produiront de grands signes et des prodiges. " Le pouvoir de faire des miracles ne relève donc pas du charisme.

3. Les miracles se distinguent en " signes ", " prodiges " et " vertus ". Il est donc illogique de ranger l’activité des vertus parmi les charismes, plutôt que celle des prodiges ou des signes.

4. La guérison miraculeuse se fait par la vertu divine. On ne doit donc pas distinguer la grâce des guérisons de l’activité des vertus.

5. L’activité miraculeuse vient de la foi, soit de celui qui les accomplit, d’après cette parole (1 Co 13, 2) : " Si je possédais toute la foi, au point de transporter des montagnes... ", soit de ceux pour lesquels on fait des miracles, selon ce mot en S. Matthieu (13, 58) : " Il ne fit pas beaucoup de miracles en ce lieu, à cause de leur incrédulité. " Donc si la foi est classée parmi les charismes, il est superflu d’en admettre une autre pour l’activité des signes.

En sens contraire, l’Apôtre cite entre autres charismes (1 Co 12, 9) : " Celui-ci reçoit le don de guérir, cet autre d’opérer des miracles. "

Réponse :

On l’a vu plus haut l’Esprit Saint pourvoit suffisamment son Église de tout ce qui est utile au salut, et tel est le but des charismes. Or, s’il est nécessaire que la transmission de la vérité divine soit assurée par le don des langues et la grâce du discours, ainsi convient-il que le discours soit confirmé pour devenir croyable. C’est à cela que vise l’opération des miracles, comme on le dit en S. Marc (16, 20) : " Leur discours fut confirmé par les signes qui suivirent. " Et cela à juste titre. Car il est naturel à l’homme de saisir la vérité intelligible au moyen des effets sensibles. C’est ainsi que l’homme, conduit par sa raison naturelle, peut parvenir à une certaine connaissance de Dieu par le spectacle de la nature ; de même, à la vue de certains effets surnaturels qu’on appelle miracles, il sera amené à une connaissance surnaturelle des vérités à croire. C’est pourquoi l’activité miraculeuse fait partie des dons gratuits ou charismes.

Solutions :

1. De même que la prophétie englobe tout ce que l’on peut connaître surnaturellement, l’activité miraculeuse a pour objet tout ce que l’on peut produire surnaturellement. Or les miracles ont pour cause la toute-puissance divine, qui ne peut être communiquée à aucune créature. Il est donc impossible que le pouvoir d’opérer les miracles soit une qualité qui demeure habituellement dans l’âme.

Cependant, de même que l’esprit du prophète est mû par l’inspiration divine à connaître surnaturellement une vérité, il peut arriver de la même manière que l’esprit du thaumaturge soit mû à faire un acte suivi par un miracle que Dieu produit par sa puissance. Parfois, c’est à la suite d’une prière ainsi S. Pierre ressuscitant Tabitha (Ac 9, 40) d’autres fois, sans qu’il y ait de prière apparente, Dieu agit selon la volonté de l’homme : c’est le cas de S. Pierre reprochant leur mensonge à Ananie et à Saphire, et les livrant à une mort subite (5, 3). Voilà pourquoi S. Grégoire écrit : " Les saints font des miracles, tantôt par leur puissance, tantôt par leur prière. " Dans les deux cas, c’est Dieu qui est l’auteur principal et qui se sert instrumentalement, soit du mouvement intérieur de l’homme, soit de sa parole, soit d’un acte extérieur, soit d’un contact corporel, même celui d’un cadavre. Aussi, après que Josué eut ordonné, comme par sa propre puissance (Jos 10, 12) : " Soleil, tiens-toi contre Gabaon ", le texte ajoute aussitôt : " Il n’y eut ni auparavant ni depuis un jour aussi long, le Seigneur obéissant à la voix de l’homme. "

2. Le Seigneur parle ici des miracles qui se produiront au temps de l’Anti-Christ et dont S. Paul dit (2 Th 2, 9 Vg) : " Il viendra avec l’appareil de Satan, accompagné de toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges trompeurs. " Sur quoi S. Augustin écrit : " On peut se demander pourquoi ces signes et ces prodiges sont appelés trompeurs : est-ce parce qu’ils trompent les sens des hommes par des fantômes, en paraissant faire ce qu’ils ne feront pas en réalité ? Ou est-ce parce que, tout en étant de vrais prodiges, ils entraîneront les hommes au mensonge ? " Les prodiges sont vrais si les choses elles-mêmes sont réelles ; c’est ainsi que les magiciens de Pharaon ont produit de vraies grenouilles et de vrais serpents. Pourtant ce ne seront pas des miracles au sens propre du mot, car ils se feront en vertu de causes naturelles, comme nous l’avons montré dans la première Partie. Au contraire, l’opération des miracles, qui est due à un charisme, se fait par la puissance divine et a pour but l’utilité des hommes.

3. Dans les miracles, il y a deux choses à distinguer : 1° L’action elle-même qui dépasse les forces de la nature ; c’est ce qui fait donner aux miracles le nom de " vertus ". - 2° Le but des miracles, qui est de manifester quelque réalité surnaturelle ; à ce point de vue, on les appelle généralement des " signes " ; mais à cause de leur excellence, on les nomme " prodiges ", en tant qu’ils produisent quelque chose au loin.

4. La grâce des guérisons est mentionnée séparément parce qu’elle confère à l’homme un bienfait particulier, la santé du corps, en plus du bienfait commun à tous les miracles, qui est de mener les hommes à la connaissance de Dieu.

5. On attribue l’activité miraculeuse à la foi pour deux raisons : d’abord parce qu’elle sert à confirmer la foi ; ensuite, parce qu’elle procède de la toute-puissance divine, sur laquelle s’appuie la foi. Et cependant, outre la grâce de la foi, il faut la grâce du discours pour enseigner cette foi ; il n’est donc pas surprenant que l’opération des miracles soit nécessaire aussi pour la confirmer.

 

            Article 2 — A qui le charisme des miracles convient-il ?

Objections :

1. Il apparaît que les méchants ne peuvent en faire. Car on vient de dire qu’ils s’obtiennent par la prière. Or la prière du pécheur ne saurait être exaucée, selon S. Jean (9, 31) : " Nous savons que Dieu n’écoute pas les pécheurs ", et, dans les Proverbes (28, 9) : " La prière de celui qui ne suit pas la loi sera exécrable. "

2. On attribue les miracles à la foi, d’après cette affirmation du Seigneur (Mt 17, 19) : " Si vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à cette montagne de se déplacer, et elle le ferait. " Or " la foi sans les œuvres est morte ", dit S. Jacques (2, 20) ; elle ne paraît donc pas avoir d’opération propre. Il en résulte que les méchants, qui ne peuvent accomplir d’œuvres bonnes, ne sauraient non plus faire de miracles.

3. Les miracles sont des témoignages divins, car on lit dans l’épître aux Hébreux (2, 4) : " Dieu a donné son attestation par des signes, des prodiges et toutes sortes de miracles. " Voilà pourquoi l’Église canonise les saints sur le témoignage des miracles. Or Dieu ne peut être le témoin de la fausseté. Il apparaît donc que les méchants ne peuvent faire de miracles.

4. Les bons sont plus étroitement unis à Dieu que les méchants. Or tous les bons ne font pas des miracles. Donc beaucoup moins encore les méchants.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (1 Co 13, 2) " Quand bien même j’aurais toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. " Mais celui qui ne possède pas la charité se range parmi les méchants ; car, écrit S. Augustin " c’est le seul " don du Saint-Esprit " qui distingue les fils du royaume des fils de perdition ". Il semble donc que même les méchants peuvent accomplir des miracles.

Réponse :

Parmi les miracles, il y en a qui ne sont pas de vrais miracles, mais seulement des faits imaginaires qui mystifient l’homme pour lui faire croire ce qui n’existe pas. D’autres sont des faits réels, mais ils ne méritent pas vraiment le nom de miracles, parce qu’ils sont le produit de certaines causes naturelles. Ces deux catégories de prétendus miracles peuvent être accomplis par les démons, comme on vient de le dire.

Les vrais miracles, au contraire, ne peuvent se faire que par la puissance divine : Dieu les produit pour l’utilité des hommes. Et cela pour deux fins : 1° pour confirmer la vérité prêchée ; 2° pour montrer la sainteté d’un homme que Dieu veut proposer en exemple de vertu.

Dans le premier cas, les miracles peuvent être accomplis par quiconque prêche la vraie foi et invoque le nom du Christ. Or on voit parfois les méchants agir de cette façon. Aussi, sous ce rapport, même les méchants peuvent accomplir des miracles. Sur la parole en S. Matthieu (7, 22) : " N’avons-nous pas prophétisé en ton nom ? " S. Jérôme écrit : " Prophétiser, faire des miracles, chasser des démons n’est pas toujours une preuve du mérite de celui qui agit ; mais c’est l’invocation du nom du Christ qui obtient tout cela, afin que les hommes honorent la divinité de celui au nom de qui se font tant de miracles. "

Dans le second cas, les miracles ne sont accomplis que par les saints : c’est en effet pour prouver leur sainteté que des miracles sont accomplis, pendant leur vie ou après leur mort, par eux-mêmes ou par d’autres. On lit dans les Actes des Apôtres (19, 11) : " Dieu faisait des prodiges par les mains de Paul ; on appliquait même sur les malades des linges qui avaient touché son corps, et les malades étaient guéris. " A ce point de vue encore, rien n’empêche qu’un pécheur fasse des miracles par l’invocation d’un saint. Toutefois, on ne devra pas les attribuer à ce pécheur, mais à celui dont le miracle manifeste la sainteté.

Solutions :

1. On l’a dit précédemment à propos de la prière : si elle est exaucée, c’est en s’appuyant non sur le mérite de celui qui la fait, mais sur la miséricorde divine, qui s’étend jusqu’aux méchants. Aussi Dieu exauce-t-il parfois même la prière des pécheurs. On lit dans S. Augustin, à propos de l’aveugle-né : " L’aveugle parlera ainsi avant d’être oint ", c’est-à-dire avant d’avoir été parfaitement éclairé, " car Dieu exauce les pécheurs ". - Quant à la parole des Proverbes que " la prière de celui qui ne suit pas la loi sera exécrable ", il faut l’entendre du mérite du pécheur. Mais parfois cette prière obtient son effet en vertu de la miséricorde de Dieu, soit en vue du salut de celui qui prie, comme il arriva au publicain dont parle S. Luc (18, 13), soit et vue du salut des autres et de la gloire de Dieu

2. La foi sans les œuvres est morte pour celui qui croit, puisqu’il ne vit pas par elle de la vii de la grâce. Mais rien n’empêche un instrument mort de produire une œuvre vivante. Ainsi l’homme utilise un bâton. Et c’est ainsi que Dieu agit en prenant comme instrument la foi pécheur.

3. Les miracles sont toujours de vrais témoignages de ce qu’ils confirment. Aussi les méchants qui enseignent de fausses doctrines ne sauraient-il jamais faire de véritables miracles pour confirmer leur enseignement, bien que parfois ils puissent en accomplir pour glorifier le nom du Christ qu’il invoquent, et par la vertu des sacrements qui. pratiquent. Quant aux méchants qui annoncent la vérité, ils font parfois de vrais miracles pour confirmer leur enseignement, mais non pour attester leur sainteté. S. Augustin remarque à ce sujet : " Il y a une grande différence entre les miracles des magiciens, ceux des bons chrétien et ceux des mauvais chrétiens : les magiciens les font en vertu de pactes privés avec les démon les bons chrétiens en vertu de la justice publique ; les mauvais chrétiens en vertu des signes seulement de cette justice. "

4. Il dit aussi : " Cela n’est pas accordé à tous les saints, pour éviter que les faibles ne tombent dans une erreur très pernicieuse, en imaginant qu’il y a dans de tels exploits des grâces plus précieuses que dans les œuvres de justice par lesquelles on obtient la vie éternelle. "

LES ÉTATS DE VIE : VIE ACTIVE ET VIE CONTEMPLATIVE

Nous devons étudier à présent la vie active et la vie contemplative’., Quatre questions sont à examiner, qui ont trait : I. A la division de la vie en active et en contemplative (Q. 179). II. A la vie contemplative (Q. 180). - III. A la vie active (Q. 181). - IV. A la comparaison de la vie active avec la contemplative (Q. 182).

 

 

QUESTION 179 — LA DIVISION ENTRE VIE ACTIVE ET VIE CONTEMPLATIVE

1. Cette division est-elle fondée ? - 2. Cette division est-elle adéquate ?

 

            Article 1 — La division entre vie active et vie contemplative est-elle fondée ?

Objections :

1. Il semble que cette manière de diviser la vie ne soit pas correcte. En effet, l’âme est le principe de la vie par son essence, suivant Aristote : " Pour les vivants, être c’est vivre. " Or c’est par ses facultés que l’âme devient principe d’action et de contemplation. Il semble donc qu’il ne soit pas correct de diviser la vie en active et contemplative.

2. On ne divise pas une chose en fonction de différences qui ne se vérifient que dans une autre chose postérieure à la première. Mais actif et contemplatif ou encore spéculatif et pratique représentent des fonctions diverses de l’intellect b. Or la vie précède l’intelligence. C’est, en effet, remarque Aristote, sous forme végétative que la vie apparaît d’abord chez les vivants. Il semble donc que la vie ne se laisse pas diviser en active et contemplative.

3. Qui dit vie dit mouvement, remarque Denys. Or la contemplation évoque plutôt l’idée de repos. " J’entrerai dans ma maison et m’y reposerai dans la compagnie de la Sagesse " (Sg 8, 16). Il ne semble donc pas que la vie puisse se diviser en active et contemplative.

En sens contraire, S. Grégoire, déclare qu’il " existe deux vies, où le Dieu Tout-Puissant nous instruit par sa sainte parole : la vie active et la vie contemplative ".

Réponse :

Les êtres qui méritent à proprement parler le nom de vivants sont ceux qui se meuvent ou agissent d’eux-mêmes. Mais, plus que tout, ce qui convient à un être en raison de lui-même, est ce qui lui est propre et à quoi le porte sa principale inclination. Aussi la vie d’un vivant se révèle-t-elle dans l’activité qui plus que toute autre lui est propre, et vers laquelle le porte sa principale inclination. C’est ainsi que la vie des plantes se définit par la nutrition et la génération, celle des animaux par la sensation et le mouvement local, celle des hommes par la pensée et l’agir rationnel.

En vertu du même principe, chez les hommes, la vie de chacun sera ce en quoi il prend son principal plaisir et à quoi il s’applique particulièrement. Et c’est pourquoi, remarque Aristote, chacun veut plus spécialement " avoir commerce avec ses amis ". Et puisqu’il y a des hommes qui s’adonnent principalement à la contemplation de la vérité, tandis que d’autres font leur occupation préférée des actions extérieures, on est fondé à diviser la vie humaine en active et contemplative.

Solutions :

1. Parce qu’elle le fait être en acte, la forme propre de chaque être est le principe de son opération propre. Donc, lorsque l’on dit que, pour les vivants, être c’est vivre, cela signifie que les vivants, du fait qu’ils ont l’être par leur forme, agissent de telle manière.

2. Ce n’est pas la vie dans sa généralité, mais la vie humaine que l’on divise en active et contemplative. Or l’homme doit précisément à son intelligence de former une espèce distincte. Il est donc normal que la division de la vie humaine reproduise celle de l’intelligence elle-même.

3. Le repos de la contemplation s’entend par rapport aux mouvements extérieurs. L’acte de contempler n’en est pas moins en lui-même un mouvement, au sens où toute activité est appelée un mouvement. Suivant Aristote en effet, la sensation et la pensée sont des mouvements, le mouvement étant défini " l’acte d’un être parfait ". C’est dans le même sens que Denys distingue trois mouvements de l’âme qui contemple rectiligne, circulaire et en spirale.

 

            Article 2 — Cette division de la vie en active et contemplative est-elle adéquate ?

Objections :

1. Il semble que non : En effet, Aristote assure qu’il existe trois vies de souveraine excellence : la vie voluptueuse, la vie civile, qui doit être la même chose que la vie active, et la vie contemplative. La division en active et contemplative est donc insuffisante.

2. S. Augustin énumère trois vies différentes la vie de repos ou contemplative, la vie d’action ou active, et une troisième, de repos et d’action mêlés.

3. Enfin la vie humaine se diversifie en fonction des actions diverses auxquelles les hommes s’appliquent. Or il n’y a pas deux manières seulement d’employer son temps et ses forces.

En sens contraire, ces deux vies se voient figurées par les deux femmes de Jacob : la vie active par Lia, et la vie contemplative par Rachel ; et par les deux hôtesses du Seigneur : la vie contemplative par Marie, et la vie active par Marthe. S. Grégoire le dit expressément. Or ce symbolisme disparaîtrait s’il y avait plus de deux vies. La division de la vie active et contemplative est donc adéquate.

Réponse :

Cette division, on l’a déjà dit, concerne la vie humaine, qui se définit elle-même en fonction de l’intellect. Or l’intellect se divise en actif et en contemplatif. L’activité intellectuelle, en effet, peut avoir pour fin, soit la connaissance même de la vérité, et c’est l’affaire de l’intellect contemplatif ; soit quelque action extérieure, et c’est l’affaire de l’intellect pratique ou actif D’où il suit que la vie elle-même est adéquatement divisée en active et en contemplative.

Solutions :

1. La vie voluptueuse met sa fin dans la jouissance corporelle, qui nous est commune avec les bêtes. Aussi Aristote la qualifie-t-il au même endroit de vie bestiale. Il en résulte qu’elle ne saurait rentrer dans notre division, où il s’agit de la vie humaine, qui est soit active, soit contemplative.

2. Les intermédiaires sont faits de la combinaison des extrêmes, qui les contiennent déjà virtuellement. C’est ainsi que le tiède se trouve contenu dans le chaud et le froid, le gris dans le blanc et le noir. Pareillement, dans l’action et la contemplation est incluse la vie composée à la fois de l’une et de l’autre. Sans compter que, de même que l’un des composants domine toujours dans le composé, la contemplation ou l’action, suivant les cas, l’emporte dans ce genre de vie intermédiaire.

3. Les entreprises diverses de l’activité humaine, lorsque la droite raison les ordonne à subvenir aux nécessités de la vie présente, relèvent toutes de la vie active, dont c’est le rôle d’y pourvoir. Si elles sont mises au service d’une convoitise quelconque, elles relèvent de la vie voluptueuse qui n’est pas englobée dans la vie active. Mais les entreprises humaines qui sont ordonnées à connaître la vérité, relèvent de la vie contemplative.

 

 

QUESTION 180 — LA VIE CONTEMPLATIVE

1. La vie contemplative appartient-elle à l’intelligence seule, ou bien fait-elle appel aussi à la volonté ? - 2. Les vertus morales appartiennent-elles à la vie contemplative ? - 3. La vie contemplative comporte-t-elle un seul acte, ou plusieurs ? - 4. La considération de n’importe quelle vérité appartient-elle à la vie contemplative ? - 5. Dans l’état présent, la vie contemplative peut-elle atteindre à la vision de l’essence divine ? - 6. Les mouvements de la contemplation distingués par Denys au chapitre 4 des " Noms divins ". - 7. La joie de la contemplation. - 8. La durée de la contemplation.

 

            Article 1 — La vie contemplative appartient-elle à l’intelligence seule, ou bien fait-elle appel aussi à la volonté ?

Objections :

1. Il semble que la vie contemplative n’ait rien à voir avec la volonté. Au dire d’Aristote " la contemplation a pour fin la vérité ". Or la vérité regarde l’intelligence seule. Et donc la vie contemplative aussi, semble-t-il.

2. " La vie contemplative, écrit S. Grégoire est figurée par Rachel, dont le nom signifie : vision du principe. " Or la vision est proprement affaire d’intelligence, et donc aussi la vie contemplative.

3. S. Grégoire encore tient que la vie contemplative demande qu’on se retire de l’action extérieure. La volonté, au contraire, y incline, et semble donc n’avoir aucun rôle dans la vie contemplative.

En sens contraire, S. Grégoire écrit aussi " La vie contemplative consiste à garder de tout son esprit la charité pour Dieu et le prochain et à s’attacher au seul désir du Créateur. " Or le désir et l’amour relèvent, nous l’avons vu, de la volonté. Il faut donc que la vie contemplative intéresse pour une part la volonté.

Réponse :

Nous avons dit plus haut qu’on appelait contemplative la vie de ceux dont l’intention primordiale est de contempler la vérité. Or nous savons que l’intention est un acte de la volonté. En effet, l’intention a pour objet la fin, qui est elle-même l’objet de la volonté. D’où il suit que la vie contemplative, qui relève de l’intelligence pour ce qui regarde son opération essentielle, fait appel, pour ce qui regarde l’exercice de cette opération, à la volonté, dont c’est précisément le rôle de mouvoir vers leur acte toutes les autres facultés., y compris l’intelligence. Nous l’avons dit précédemment.

Or la puissance appétitive meut aussi bien le sens que l’intellect à regarder quelque chose, parfois par amour de la réalité que nous voyons, car " là où est ton trésor, là est ton cœur " (Mt 6, 2 1), et parfois par amour de la connaissance même acquise par ce regard. Et c’est pour cela que S. Grégoire situe la vie contemplative dans " la charité pour Dieu ", en tant que cet amour nous embrase du désir de contempler la beauté divine. Et parce que chacun se délecte dans la possession de ce qu’il aime, la vie contemplative a pour terme la délectation. Or celle-ci se trouve dans l’affectivité, et rend l’amour plus intense.

Solutions :

1. Du fait même que la vérité est la fin de la contemplation, elle a raison de bien désirable, aimable et délectable. De ce point de vue la contemplation relève de la puissance appétitive.

2. L’amour de Dieu, notre premier principe, nous incite à rechercher sa vision. Ce qui fait dire à S. Grégoire : " La vie contemplative, méprisant tout autre souci, brûle du désir de voir la face de son Créateur. "

3. La volonté meut non seulement les membres du corps à exercer leurs activités extérieures, mais aussi, nous venons de le dire, elle meut l’intellect à exercer l’activité contemplative.

 

            Article 2 — Les vertus morales appartiennent-elles à la vie contemplative ?

Objections :

1. Il semble bien que oui car, selon S. Grégoire " la vie contemplative consiste à garder de tout son esprit la charité pour Dieu et le prochain ". Mais les vertus morales, dont les commandements de la loi prescrivent l’exercice, se ramènent toutes à l’amour de Dieu et du prochain. " L’accomplissement de la loi, c’est l’amour " dit en effet S. Paul (Rm 13, 10). Au même titre que l’amour, les vertus morales doivent donc se rattacher à la vie contemplative.

2. La vie contemplative est principalement ordonnée à la contemplation de Dieu. S. Grégoire l’a dit : " Méprisant tout autre souci, elle brûle du désir de voir la face de son Créateur. " A cela nul ne peut parvenir que par la pureté du cœur, fruit des vertus morales. Il est écrit en effet (Mt 5, 8) : " Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ", et ailleurs (He 12, 14) : " Recherchez la paix avec tout le monde, et la sainteté sans laquelle nul ne verra Dieu. " Il semble donc que les vertus morales appartiennent à la vie contemplative.

3. S. Grégoire déclare que " la vie contemplative est belle dans l’âme ". Aussi est-elle figurée par Rachel dont il est dit (Gn 29, 17) qu’elle " était belle de visage ". Mais, selon la remarque de S. Ambroise. c’est aux vertus morales et particulièrement à la tempérance que l’âme est redevable de sa beauté.

En sens contraire, les vertus morales sont ordonnées à des actions extérieures. La vie contemplative au contraire implique d’après S. Grégoire - " la cessation de l’activité extérieure ". Les vertus morales n’appartiennent donc pas à la vie contemplative.

Réponse :

Il y a deux façons d’appartenir à la vie contemplative ; à titre d’élément essentiel, ou à titre de disposition.

Les vertus morales n’appartiennent pas à l’essence de la vie contemplative. La raison en est que la fin de la vie contemplative est la considération de la vérité. Or, déclare Aristote " le savoir, qui relève de la considération de la vérité, n’a qu’une minime valeur quand il s’agit d’exercer les vertus morales ". Aussi rapporte-t-il les vertus morales à la félicité de la vie active, et non pas à la félicité de la vie contemplative.

Mais les vertus morales se rattachent à la vie contemplative à titre de dispositions préalables. En effet, l’acte de contemplation qui fait l’essence de la vie contemplative se heurte à un double obstacle : à la violence des passions, qui détourne l’intention de l’âme de l’intelligible vers le sensible, et aux agitations extérieures. Or les vertus morales refrènent la violence des passions et apaisent les agitations qui proviennent des occupations extérieures. C’est pourquoi les vertus morales se rattachent à la vie contemplative à titre de dispositions.

Solutions :

1. La vie contemplative, nous l’avons dit, trouve son motif dans la volonté. C’est à ce titre que l’amour de Dieu et du prochain est requis pour la vie contemplative. Mais les causes motrices ne font pas partie de l’essence même d’un être. Elles le préparent et le conduisent à sa perfection. Il ne s’ensuit donc pas que les vertus morales appartiennent essentiellement à la vie contemplative.

2. La sainteté, au sens de pureté, est produite par les vertus qui s’occupent des passions entravant la pureté de la raison. La paix, elle, est l’œuvre de la justice, vertu régulatrice des actions, selon la parole d’Isaïe (32, 17) : " L’œuvre de la justice, c’est la paix. " Celui, en effet, qui s’abstient de porter préjudice à autrui, supprime les occasions de litiges et de troubles. Et c’est ainsi que les vertus morales disposent à la vie contemplative, en créant la paix et la pureté.

3. Nous avons vu que la beauté consiste dans un certain éclat et une harmonie de proportions. Or ces deux facteurs ont leurs racines dans la raison, car il revient à celle-ci d’organiser, dans tout le reste de l’homme, la lumière qui manifeste la vérité, et l’harmonie des proportions. C’est pourquoi la beauté se trouve directement et essentiellement dans la vie contemplative, qui consiste dans un acte de la raison. Aussi est-il écrit de la contemplation de la sagesse (Sg 8, 2) : " je suis devenu amoureux de sa beauté. "

Dans les vertus morales, ce qu’on trouve c’est une beauté participée en tant qu’elles participent de l’ordre rationnel ; et à titre premier dans la tempérance qui réprime les convoitises, lesquelles obscurcissent au maximum la lumière de la raison. De là vient que c’est au maximum la vertu de chasteté qui rend apte à la contemplation, du fait que les délectations sexuelles sont ce qui rabaisse le plus l’esprit au niveau du sensible, dit S. Augustin.

 

            Article 3 — La vie contemplative comporte-t-elle des actes divers ?

Objections :

1. Il semble que oui. Richard de S. Victor distingue en effet la contemplation, la méditation et la cogitation, qui toutes semblent appartenir à la vie contemplative. Cela fait plusieurs actes.

2. S. Paul a dit (2 Co 3, 18) : " Pour nous, considérant à visage découvert la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même clarté. " Or cela relève de la vie contemplative. Cela fait donc à son bénéfice un acte de plus la considération ou spéculation.

3. S. Bernard écrit que " la première et suprême contemplation, c’est l’admiration de la Majesté ". Or S. Jean Damascène’ fait de l’admiration une espèce de crainte. La vie contemplative comporterait donc bien plusieurs actes.

4. Enfin on rattache à la vie contemplative la prière, la lecture et la méditation. De même l’audition. De Marie, qui représente la vie contemplative, il est écrit (Lc 10, 39) : " Assise aux pieds du Seigneur, elle écoutait ses paroles. " Plusieurs actes semblent donc appartenir à la vie contemplative.

En sens contraire, la vie se définit ici par l’opération dont l’homme fait sa visée principale. Donc, si la vie contemplative comportait plusieurs opérations, il y aurait, non pas une, mais plusieurs vies contemplatives.

Réponse :

Nous parlons ici de la vie contemplative, qui convient à l’homme. Or il y a, d’après Denys, cette différence entre l’homme et l’ange, que l’ange voit la vérité d’un simple regard, tandis que l’homme ne parvient à cette intuition de la simple vérité que par une suite d’opérations et à partir de données multiples. Ainsi donc la vie comtemplative consiste en un acte unique dans elle se consomme finalement, et qui est la contemplation de la vérité. Et de cet acte final elle tire son unité. Mais elle comporte beaucoup d’autres actes, qui la préparent à cet acte suprême. Certains de ces actes se rapportent à l’acquisition des principes, d’où l’on procède à la contemplation de la vérité ; d’autres ont pour objet de déduire à partir des principes la vérité que l’on cherche à connaître. L’acte final et qui consomme tout, c’est la contemplation même de la vérité.

Solutions :

1. La cogitation, au sentiment de Richard de S. Victor, consiste, semble-t-il, à examiner un grand nombre de choses, d’où l’on pose d’extraire une vérité simple. Ce mot cogitation couvrirait donc, tout ensemble, les perceptions sensibles destinées à nous faire naître certains effets, les imaginations et les raisonnements portant sur des signes divers, ou ut ce qui peut nous acheminer à la connaissance de la vérité recherchée. Cependant, suivant S. Augustin, toute opération actuelle de l’intelligence peut être qualifiée de cogitation ou de pensée. La méditation s’entend, à ce qu’il semble, du progrès de la raison, qui à partir de certains principes, s’achemine à la contemplation d’une vérité. D’après S. Bernard, le mot considération aurait le même sens. Cependant Aristote l’entend de toute opération de l’esprit. Quant à la contemplation, elle désigne la simple intuition de la vérité. C’est bien la pensée de Richard qui écrit : " La contemplation est le pénétrant et libre regard de l’esprit sur les choses qu’il regarde ; la Méditation est le regard de l’esprit en quête de la vérité ; la cogitation c’est l’esprit en train d’inspecter les choses, mais qui ne fixe encore rien. "

2. La Glose, qui est de S. Augustin, explique que speculantes évoque l’idée de speculum, miroir, et non de specula, observatoire. Or voir un objet dans un miroir, c’est voir une cause dans son effet, où se reflète son image. Spéculation équivaudrait donc à méditation.

3. L’admiration est une espèce de crainte consécutive à l’appréhension d’une chose qui surpasse notre capacité. L’admiration est donc un acte consécutif à la contemplation d’une vérité sublime. Nous avons déjà signalé, en effet, que la contemplation se consommait dans la volonté.

4. L’homme parvient à la connaissance de la vérité par deux voies différentes. Tantôt par le moyen de ce qu’il reçoit d’autrui. Or, pour ce qui regarde ce que l’homme reçoit de Dieu, la prière est nécessaire, suivant cette parole (Sg 7, 7) : " J’ai prié et l’esprit de sagesse est venu en moi. " A l’égard de ce qu’il reçoit des hommes, l’audition est nécessaire s’il s’agit d’un enseignement oral ; et la lecture s’il s’agit d’un enseignement écrit. Tantôt, et c’est l’autre voie, il lui faut employer l’étude personnelle ; d’où la nécessité de la méditation.

 

            Article 4 — La considération de n’importe quelle vérité appartient-elle à la vie contemplative ?

Objections :

1. Il semble que la vie contemplative consiste, non pas seulement dans la contemplation de Dieu, mais dans la considération de n’importe quelle vérité. Il est dit dans le Psaume (139, 14) : " Admirables sont tes œuvres, et cette science me dépasse. " Mais la connaissance des œuvres divines représente une contemplation de la vérité. La vie contemplative comporterait donc non seulement la contemplation de la Vérité divine, mais encore celle de n’importe quelle vérité.

2. S. Bernard écrit : " La première contemplation consiste dans l’admiration de la majesté, la deuxième a pour objet les jugements de Dieu, la troisième ses bienfaits, la quatrième ses promesses. " Or, de ces quatre contemplations, la première seule se rapporte à la vérité divine, les trois autres ayant pour objet les œuvres de Dieu. La vie contemplative admet donc, outre la contemplation de la Vérité divine, la considération de la vérité dans les œuvres de Dieu.

3. Richard de S. Victor distingue six espèces de contemplation. La première, purement sensible, a pour objet les êtres corporels. La deuxième, sensible encore mais avec intervention de la raison, considère l’ordre et la disposition des êtres sensibles. La troisième rationnelle mais à base sensible, s’élève de la considération des choses visibles aux invisibles. Là quatrième, purement rationnelle, applique l’esprit aux réalités invisibles, ignorées de l’imagination. La cinquième est supra-rationnelle ; en elle nous connaissons par la révélation des choses que la raison humaine est incapable de comprendre. La sixième, supra et extra-rationnelle, existe quand nous connaissons par l’illumination divine des vérités qui semblent contredire la raison humaine, par exemple ce qui est dit du mystère de la Trinité. Or cette dernière contemplation seulement semble atteindre la vérité divine. La contemplation n’aurait donc pas pour objet la seule vérité divine, mais encore la vérité qui se trouve dans les créatures.

4. Ce que l’on cherche dans la vie contemplative, c’est la contemplation de la vérité en tant que perfection de l’homme. Or toute vérité a valeur de perfection pour l’esprit humain. N’importe quelle contemplation de la vérité réalise donc la vie contemplative.

En sens contraire, S. Grégoire a dit : " Dans la contemplation, ce que l’on cherche c’est le principe, qui est Dieu. "

Réponse :

Nous avons signalé qu’il y avait deux manières d’appartenir à la vie contemplative : en qualité d’élément principal, et en qualité d’élément secondaire ou de disposition. La contemplation de la vérité divine constitue l’élément principal de la vie contemplative. Cette sorte de contemplation est en effet la fin même de la vie humaine. " La contemplation de Dieu, écrit S. Augustin. nous est promise comme la fin de toutes nos actions et l’éternelle perfection de nos joies. " Cette contemplation sera parfaite dans la vie future, quand nous verrons Dieu " face à face " ; elle nous rendra alors parfaitement heureux. Dans ce temps-ci, la contemplation de la vérité divine ne nous est possible que de façon imparfaite, dans un miroir, sous forme d’énigmes (1 Co 13, 12). Nous lui devons une béatitude imparfaite, qui commence ici-bas pour parvenir plus tard à sa consommation. C’est pourquoi Aristote e fait consister la félicité dernière de l’homme dans la contemplation du suprême intelligible.

Mais les œuvres divines nous mènent à la contemplation de Dieu, selon qu’il est écrit (Rm 1, 20) : " Les perfections invisibles de Dieu nous sont rendues accessibles et mises sous les yeux par le moyen des créatures. " Il s’ensuit que la contemplation des œuvres de Dieu appartient aussi, en second lieu, à la vie contemplative, en tant que par elle l’homme se trouve acheminé à la connaissance de Dieu. D’où cette parole de S. Augustin : " Dans la considération des créatures il ne s’agit pas de porter une vaine et périssable curiosité, mais de nous élever aux réalités immortelles et qui ne passent pas. "

Ainsi devient-il manifeste que quatre éléments, dans un certain ordre, appartiennent à la vie contemplative : 1° les vertus morales ; 2° certains actes, outre la contemplation elle-même ; 3° la contemplation des œuvres divines ; 4° la contemplation même de la vérité divine.

Solutions :

1. David cherchait à connaître les œuvres divines pour être acheminé par elles à la connaissance de Dieu. Aussi dit-il dans un autre Psaume (143, 5) : " Je méditerai sur les œuvres de tes mains, j’ai levé mes mains vers toi. "

2. La considération des jugements divins achemine l’homme à la contemplation de la justice de Dieu ; la considération des bienfaits de Dieu et de ses promesses mène l’homme à la connaissance de la miséricorde ou bonté de Dieu, comme par le moyen de ses œuvres, présentes et à venir.

3. Ces six espèces de contemplation représentent autant de degrés par où l’on s’élève des créatures à la contemplation de Dieu. La perception des choses sensibles est située au premier degré. Le mouvement par où l’on s’élève des choses sensibles aux intelligibles constitue le deuxième. Le jugement porté sur les choses sensibles à la lumière des intelligibles compose le troisième. La considération des intelligibles eux-mêmes, formés à partir des choses sensibles, constitue le quatrième. La contemplation des intelligibles qui ne sauraient s’acquérir par le moyen des réalités sensibles, mais que la raison peut connaître, constitue le cinquième. Enfin le sixième est formé des intelligibles que la raison ne peut ni acquérir ni connaître, mais qui appartiennent à la sublime contemplation de la vérité divine, en laquelle s’achève finalement la contemplation.

4. L’ultime perfection de l’intelligence humaine, c’est la vérité divine. Les autres vérités perfectionnent l’intelligence humaine en vue de la vérité divine.

 

            Article 5 — Dans l’état présent, la vie contemplative peut-elle atteindre à la vision de l’essence divine ?

Objections :

1. Cela semble possible. Car Jacob a dit (Gn 32, 30) : " J’ai vu Dieu face à face, et j’ai eu la vie sauve. " Or la vision de la face de Dieu, c’est la vision de son essence. Il semble donc qu’on puisse, dans la vie présente, se hausser par la contemplation jusqu’à voir l’essence de Dieu.

2. S. Grégoire écrit à propos des contemplatifs : " Ils reviennent à eux-mêmes vers le dedans, quand ils méditent les choses spirituelles et qu’ils ne traînent pas avec eux les ombres des choses corporelles ou que, les ayant traînées, ils les chassent par le discernement ; quand, avides de la lumière sans bornes, ils repoussent toutes images où ils ont coutume de s’enfermer et qu’il se dépassent eux-mêmes dans leur effort saisir ce qui est au-dessus d’eux. " Mais l’homme n’est empêché de voir l’essence divine, la lumière sans bornes, que par la nécessité où il est de s’attacher aux images corporelles. Il semble donc que la contemplation de la vie présente puisse atteindre jusqu’à la vision de la lumière sans bornes dans son essence même.

3. S. Grégoire écrit encore : " A l’âme qui voit le Créateur, toute créature paraît misérable. Aussi l’homme de Dieu (c’est-à-dire S. Benoît), qui sur la tour voyait un globe de feu et des anges qui remontaient au ciel, ne pouvait assurément voir ces choses que dans la lumière de Dieu. " Mais S. Benoît vivait encore de la vie présente. C’est donc qu’il est possible, dans la vie présente, d’atteindre à la vision de l’essence divine.

En sens contraire, le même S. Grégoire déclare : " Aussi longtemps qu’il vit dans une chair mortelle, nul ne fait dans la contemplation assez de progrès pour qu’il puisse fixer le regard de son esprit sur le foyer même de la lumière sans bornes. "

Réponse :

S. Augustin écrit : " Nul ne voit Dieu tout en vivant de cette vie que vivent les mortels dans les sens corporels. A moins qu’il ne meure de quelque façon à cette vie, soit en sortant purement et simplement du corps, soit par la suspension de l’activité de sens corporels, jamais il ne sera élevé à cette vision. " C’est une question qui a été traitée en détail plus haut à propos du ravissements et dans la première partie’ à propos de la vision de Dieu. Il faut comprendre qu’on peut être dans la vie présente de deux manières.

1° De façon actuelle et avec l’usage actuel des sens corporels. A prendre les choses ainsi, la contemplation de la vie présente ne peut aucunement atteindre à la vision de l’essence divine.

2° De façon simplement potentielle et non pas actuelle. C’est-à-dire que l’âme, tout en étant unie au corps mortel comme sa forme, se trouve à un moment donné ne point user des sens corporels ni de l’imagination, phénomène qui se vérifie dans le ravissement. Et dans ce second cas, la contemplation de cette vie peut atteindre à la vision de l’essence divine. D’où il suit que le degré suprême de la contemplation, dans la vie présente, est celui de S. Paul lors de son ravissement. Il s’y trouvait dans un état intermédiaire entre l’état de la vie présente et celui de la vie future.

Solutions :

1. Denys a écrit : " Si quelqu’un, qui voit Dieu, comprend ce qu’il voit, ce n’est pas Dieu qu’il voit mais quelqu’une des choses qui lui appartiennent. " S. Grégoire s’exprime ainsi : " Le Dieu Tout-Puissant n’est pas vu le moins du monde en sa lumière. L’âme entrevoit quelque chose d’inférieur à cette lumière, qui lui permet de progresser droitement et de parvenir ensuite à la gloire de la vision. " Donc, lorsque Jacob dit : " J’ai vu Dieu face à face ", on ne doit pas comprendre qu’il aurait vu l’essence divine, mais qu’il a vu une forme, une image, en laquelle Dieu lui a parlé. Ou encore, " il appelle face de Dieu la connaissance qu’il en a eue. Nous connaissons en effet quelqu’un à son visage ". C’est l’explication de la Glose de S. Grégoire sur ce texte.

2. La contemplation humaine, selon la condition de la vie présente, ne peut être sans images.

Il est en effet conforme à la nature de l’homme de voir les idées intelligibles dans les images, dit Aristote. Cependant, la connaissance intellectuelle n’a pas pour objet les images elles-mêmes. Mais elle contemple en elles la pureté de la vérité intelligible. Cette loi ne se vérifie pas seulement dans la connaissance naturelle, mais pour ce qui regarde les choses mêmes que nous connaissons par révélation. Denys a écrit : " La lumière divine nous manifeste les hiérarchies angéliques en des images symboliques, par le moyen desquelles nous sommes ramenés au rayon simple ", c’est-à-dire à la connaissance simple de la vérité intelligible. C’est en ce sens qu’il faut interpréter S. Grégoire quand il parle des contemplatifs qui " ne traînent pas avec eux les images de choses corporelles ". Cela veut dire que leur contemplation ne s’arrête pas à elles, mais plutôt à la considération de la vérité intelligible.

3. Par ces paroles, il ne semble pas que S. Grégoire veuille dire que, dans cette vision, S. Benoît a vu l’essence divine. Mais il veut montrer que, " toute créature paraissant misérable à celui qui a vu Dieu ". il en résulte que sous la clarté de la lumière divine, toutes choses peuvent être vues facilement. Aussi ajoute-t-il, : " Si peu qu’il ait entrevu de la lumière du Créateur, le créé quel qu’il soit est devenu pour lui peu de chose. "

 

            Article 6 — Les mouvements de contemplation distingués par Denys

Objections :

1. Dans l’activité de contemplation Denys distingue trois mouvements : circulaire, rectiligne, en spirale. Cette distinction est sans portée, car la contemplation ressortit au repos, selon l’Écriture (Sg 8, 16) : " Rentré dans ma maison, je me reposerai près d’elle " (la Sagesse). Or le repos s’oppose au mouvement. Les actes de la vie contemplative ne doivent donc pas être désignés comme des mouvements.

2. L’activité de la vie contemplative relève de l’intelligence par laquelle l’homme rejoint les anges. Or, lorsqu’il parle des anges, Denys caractérise ces mouvements d’une autre manière que dans l’âme. Il dit en effet que chez l’ange, le mouvement circulaire consiste " dans les illuminations du beau et du bien. " Au contraire, quand il s’agit de l’âme, il distingue plusieurs éléments dans la définition de ce mouvement circulaire. D’abord c’est le mouvement de l’âme " se retirant des choses extérieures et rentrant en elle-même ". Ensuite, c’est un enroulement de ses puissances sur elles-mêmes, par où l’âme se libère de l’erreur et des occupations extérieures. Enfin, c’est " l’union de l’âme à ce qui est au-dessus d’elle ". Mêmes divergences dans la description du mouvement rectiligne chez l’ange et chez l’homme. Chez l’ange, le mouvement rectiligne consiste à " se porter au gouvernement des êtres qui lui sont soumis ". Dans l’âme, le mouvement rectiligne comporte deux éléments : d’abord en ce qu’elle " sort vers ce qui l’entoure " ; et ensuite en ce qu’elle " s’élève des réalités extérieures vers les contemplations simples ". Nouvelles différences pour ce qui regarde le mouvement en spirale chez l’ange et chez l’homme. Chez les anges, Denys fait consister ce mouvement en ce qu’ils " pourvoient au bien de leurs inférieurs tout en demeurant dans le même état vis-à-vis de Dieu ". Pour l’âme en revanche, il le place dans " son illumination par les connaissances divines suivant un mode discursif et par diffusion progressive ". La distinction des opérations contemplatives énoncée plus haut semble donc inadéquate.

3. Richard de S. Victor propose nombre d’autres distinctions, qui se représente à l’image du vol des oiseaux. " On en voit, dit-il, qui montent et redescendent tour à tour et à maintes reprises. D’autres se portent vers la droite puis vers la gauche un grand nombre de fois. D’autres, c’est en avant et puis en arrière, fréquemment. D’autres décrivent des circuits, tantôt plus amples et tantôt plus restreints. D’autres enfin demeurent suspendus, en un point de l’espace, comme immobiles. " Il y aurait donc plus de trois mouvements dans la contemplation.

En sens contraire, nous avons l’autorité de Denys.

Réponse :

Nous avons exposé plus haut que l’opération de l’intelligence, en laquelle consiste essentiellement la contemplation, est appelée un mouvement au sens où le mouvement se définit avec Aristote : l’acte d’un être parfait. Nous parvenons en effet à la connaissance des réalités intelligibles par le moyen des réalités sensibles. Or les opérations sensibles ne s’accomplissent pas sans quelque mouvement proprement dit. Ce qui conduit à décrire les opérations intellectuelles elles-mêmes comme des mouvements, et à assimiler les différences qui s’y observent aux divers types de mouvements proprement dits. Mais parmi les mouvements proprement dit ou corporels, les plus parfaits et les premiers sont d’après Aristote, les mouvement locaux. C’est donc par comparaison avec eux que l’on a coutume de décrire les opérations intellectuelles.

Or il y a trois sortes de mouvements locaux. Le mouvement est dit circulaire lorsqu’une chose se déplace uniformément autour d’un même centre. Il est dit rectiligne lorsqu’une chose se porte d’un point à un autre. Il est dit en spirale lorsqu’il combine les deux précédents. Les opérations intellectuelles où s’observe une constante uniformité sont donc assimilées au mouvement circulaire. Celles où l’on procède d’une chose à une autre sont comparées au mouvement rectiligne. Celles enfin où se combine une certaine uniformité avec un certain progrès vers des termes divers se voient assimiler au mouvement en spirale.

Solutions :

1. Les mouvements corporels extérieurs s’opposent effectivement au repos de la contemplation, lequel se définit par opposition aux occupations extérieures. Mais ces mouvements que sont les opérations intellectuelles appartiennent au repos même de la contemplation.

2. L’homme et l’ange se ressemblent par l’intelligence, d’une ressemblance générique. Mais la puissance intellectuelle est chez l’ange beaucoup plus grande que chez l’homme. Il est donc normal de décrire différemment ces mouvements dans les âmes et chez les anges, en considération de la manière différente dont ils se comportent touchant l’uniformité. L’intelligence angélique possède une connaissance qui est uniforme à deux titres. En premier lieu, cette intelligence n’extrait pas la vérité intelligible de la diversité des choses composées. En second lieu, elle ne saisit pas la vérité intelligible de façon discursive, mais par un simple regard. L’intelligence de l’âme, au contraire, tire les vérités intelligibles des choses sensibles et les saisit par voie de raisonnement.

C’est pourquoi Denys fait consister le mouvement circulaire chez les anges en ce qu’ils voient Dieu de façon uniforme et ininterrompue, sans commencement ni fin, de même que le mouvement circulaire, n’ayant ni commencement ni fin, se développe uniformément autour d’un centre.

L’âme au contraire, avant de parvenir à cette uniformité, doit éliminer au préalable une double infériorité. Celle, premièrement, que constitue la diversité des choses extérieures, ce que l’âme réalise en s’en désoccupant. Et c’est à quoi pense Denys, lorsqu’il rattache au mouvement circulaire de l’âme cette " retraite des choses extérieures pour rentrer en elle-même ". Celle, secondement, que constitue le raisonnement, ce qui se fait en ramenant toutes les opérations de l’âme à la simple contemplation de la vérité intelligible. Et c’est ce qu’il a en vue quand il donne en second lieu comme nécessaire " l’uniforme enroulement des puissances intellectuelles ". Cela veut dire que les raisonnements prennent fin et que le regard de l’esprit se fixe dans la contemplation d’une vérité simple. Dans cette opération de l’intelligence, il n’y a pas de place pour l’erreur. C’est ainsi que l’erreur n’est pas possible en ce qui regarde l’intelligence des premiers principes, que nous connaissons par simple regard. Ces deux opérations préliminaires accomplies, apparaît enfin, semblable à celle des anges, cette uniformité, qui consiste en ce que, tout le reste ayant été écarté, l’âme se fixe en la seule contemplation de Dieu. C’est ce que signifie cette phrase : " Puis, devenue en quelque manière uniforme, ramenée à l’unité ou à la conformité, toutes ses puissances étant unifiées, elle est acheminée au beau-et-bien. "

Chez les anges, le mouvement rectiligne ne peut consister en ce qu’ils procèdent de la considération d’une chose à celle d’une autre. Il ne peut se rencontrer que dans la sphère de leur providence, où il consiste en ce que l’ange le plus élevé illumine les anges du dernier rang par le moyen des anges intermédiaires. C’est là ce que Denys appelle se mouvoir en ligne droite, " ce que font les anges quand ils exercent leur providence à l’endroit de leurs inférieurs et qu’ils traversent tout ce qui se trouve devant eux ", c’est-à-dire en suivant l’ordre de rectitude. Dans l’âme, en revanche, Denys fait consister le mouvement rectiligne en ce qu’elle procède des réalités extérieures sensibles à la connaissance des réalités intelligibles.

Chez les anges, le mouvement en spirale, qui est un composé de circulaire et de rectiligne, se rencontre, d’après lui, lorsqu’ils pourvoient au bien de leurs inférieurs en puisant dans leur contemplation de Dieu. Le mouvement en spirale dans l’âme, pareillement composé de rectiligne et de circulaire, consiste à se servir des illuminations divines pour raisonner.

3. Ces divers mouvements, en haut et en bas, à droite et à gauche, en avant et en arrière et sous forme de circuits, se ramènent tous au mouvement rectiligne et à celui en spirale. Ils figurent en effet les divers procédés discursifs de la raison. Celui qui va du genre à l’espèce, du tout à la partie, correspond, explique Richard lui-même, au mouvement en haut et en bas. Celui qui va d’un terme au terme opposé, c’est le mouvement à droite et à gauche. Celui qui part des causes pour aboutir aux effets, c’est le mouvement en avant et en arrière. Celui qui s’attache aux accidents, proches ou éloignés, qui entourent une réalité, est figuré par le circuit. Mais quand le progrès discursif de la raison s’effectue des réalités sensibles aux intelligibles selon l’ordre naturel de la raison, nous avons le mouvement rectiligne. Quand il s’effectue au contraire selon les illuminations divines, nous avons le mouvement en spirale. Seule, l’immobilité dont il fait mention, relève du mouvement circulaire. D’où il apparaît que l’analyse des mouvements de la contemplation par Denys est beaucoup plus adéquate et subtile.

 

            Article 7 — Le plaisir de la contemplation

Objections :

1. Il semble que la contemplation ne comporte pas de plaisir. Car celui-ci relève de l’appétit, tandis que la contemplation appartient principalement à l’intelligence. Le plaisir semble donc étranger à la contemplation.

2. La contention et la lutte empêchent la joie. Or, on rencontre dans la contemplation contention et lutte. D’après S. Grégoire, " lorsque l’âme s’efforce de contempler Dieu, elle se trouve engagée dans une sorte de lutte. Tantôt elle l’emporte et, par l’esprit et la volonté, jouit en quelque mesure de la lumière infinie. Tantôt elle succombe, défaillant dans cette jouissance même ". La vie contemplative ne connaît donc pas le plaisir, ou délectation.

3. La délectation est le fruit de l’opération parfaite, observe Aristote. Mais en cette vie, la contemplation demeure imparfaite. D’après S. Paul (1 Co 13, 12) : " Nous voyons présentement dans un miroir et par énigmes. " Donc la vie contemplative ne comporte pas de délectation.

4. Ce qui blesse le corps empêche la joie. Mais la contemplation produit une lésion physique. Aussi, lorsque Jacob a dit : " J’ai vu le Seigneur face à face " la Genèse (32, 30) ajoute : " Il boitait d’une jambe ; car touché par l’adversaire, le nerf de sa cuisse était paralysé. " Il semble donc que dans la vie contemplative il n’y ait pas de délectation.

En sens contraire, il est écrit à propos de la contemplation de la Sagesse (Sg 8, 16) : " Son commerce n’a rien d’amer. La vie avec elle ignore l’ennui. Il n’y a qu’allégresse et joie. " S. Grégoire dit aussi : " La vie contemplative est d’une bien aimable douceur. "

Réponse :

La contemplation peut comporter une double délectation. D’abord en raison de l’activité elle-même. Toute activité en effet, est source de plaisir, si elle correspond à la nature ou à la disposition de celui qui l’exerce. Or la contemplation de la vérité correspond à la nature de l’homme, animal raisonnable. C’est ce qui fait que tout homme a le désir naturel de savoir et jouit par conséquent de connaître la vérité. Plus délectable encore est-elle pour celui qui, possédant les vertus de sagesse et de science, se trouve en état de contempler sans difficulté. Il y a ensuite la délectation qui vient de l’objet, en ce sens que l’on contemple ce qu’on aime. Cette double joie se rencontre même dans la vision corporelle. C’est une chose délectable que de voir ; c’en est une seconde, plus délectable encore, de voir une personne que l’on aime. Donc, parce que la vie contemplative consiste principalement en la contemplation de Dieu, à laquelle la charité nous pousse, nous l’avons dit il s’ensuit que dans la vie contemplative il n’y a pas seulement délectation à cause de la contemplation elle-même, mais encore en raison de l’amour divin.

Et sur les deux plans, cette délectation surpasse toute délectation humaine. Car la délectation spirituelle est plus puissante que la délectation charnelle, nous l’avons vu en traitant des passions ; et l’amour de charité envers Dieu surpasse tout amour. C’est pourquoi on chante dans le Psaume (34, 9) : " Voyez et goûtez comme est bon le Seigneur. "

Solutions :

1. Si la vie contemplative réside essentiellement dans l’intelligence, elle n’en a pas moins sa source dans l’affectivité, en tant que la charité nous incite à contempler Dieu. Et parce que la fin répond au principe, il s’ensuit que la vie contemplative s’achève et se consomme dans l’affectivité. On éprouve de la joie à contempler ce qu’on aime, et cette joie que nous donne l’objet contemplé accroît encore notre amour. C’est ce que dit S. Grégoire : " Voir celui que nous aimons nous enflamme pour lui de plus d’amour encore. " Et telle est l’ultime perfection de la vie contempla Ève, qui consiste, non pas à voir simplement, mais aussi à aimer la vérité divine.

2. La contention ou la lutte qui provient de ce qu’une réalité extérieure nous est contraire, nous empêche d’y trouver de la joie. Ce que l’on combat ne saurait nous donner de la joie. Mais cela, une fois possédé, nous donne, toutes choses égales d’ailleurs, une joie plus vive. " Plus grand fut le péril dans le combat, plus grande est la joie dans le triomphe ", dit S. Augustin. Or dans la contemplation, la contention et la lutte que nous avons à soutenir ne viennent pas de ce que la vérité contemplée nous est contraire. La cause en est dans l’insuffisance de notre intelligence et dans l’infirmité de notre corps, qui nous tire vers le bas, selon la Sagesse (9, 15) : " Le corps, sujet à la corruption, pèse de tout son poids sur l’âme ; sa demeure terrestre accable l’esprit aux pensées innombrables. " Aussi, lorsque l’homme parvient à la contemplation de la vérité, il l’en aime plus ardemment, tandis qu’il hait davantage cette impuissance qui lui vient de la pesanteur du corps corruptible. Avec l’Apôtre (Rm 7, 24) il s’écrie : " Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps voué à la mort ? " Et S. Grégoire : " Lorsque, par le désir et l’intelligence, Dieu vient à être connu, il affadit toutes les voluptés corporelles. "

3. La contemplation de Dieu en cette vie est imparfaite, comparée à la contemplation du ciel. Et pareillement la délectation que nous donne cette contemplation, si on la met en balance avec celle de la contemplation céleste. C’est à celle-ci que s’applique le mot du Psaume (36, 9) : " Tu nous abreuveras au torrent de tes délices. " Cependant la contemplation des choses divines, telle qu’elle est possible ici-bas, n’en comporte pas moins, tout imparfaite qu’elle soit, plus de joie que la contemplation, si parfaite soit-elle, de quoi que ce soit d’autre, à cause de l’excellence de son objet. " Il arrive, écrit Aristote, que touchant ces sublimes et divines réalités, nous ne possédions que de moindres lumières. Mais si peu que nous les connaissions, il est si glorieux d’en savoir quelque chose qu’elles nous donnent plus de joie que tout le reste, qui est davantage à notre portée. " C’est ce que dit aussi S. Grégoire : " La vie contemplative est une douceur bien désirable, elle qui ravit l’âme au-dessus d’elle-même, lui ouvre le ciel et découvre aux yeux de l’esprit les réalités spirituelles. "

4. Si Jacob boitait, au sortir de sa contemplation, c’est, nous dit S. Grégoire " parce qu’il est nécessaire que l’amour du monde faiblisse pour que l’amour de Dieu devienne plus robuste. Et c’est pourquoi, lorsque nous avons goûté la suavité de Dieu, une de nos jambes reste saine, tandis que l’autre boite. Car tout homme qui boite d’une jambe s’appuie seulement sur la jambe saine. "

 

            Article 8 — La durée de la contemplation

Objections :

1. Il semble que la vie contemplative ne soit pas faite pour durer. En effet, elle se rattache essentiellement à l’intelligence. Mais toutes les perfections d’ordre intellectuel, que nous pouvons posséder dans la vie présente, seront réduites à néant selon S. Paul (1 Co 13, 8) : " Les prophéties disparaîtront, les langues prendront fin, la science disparaîtra. " Donc la vie contemplative aussi.

2. L’homme ne savoure la douceur de la contemplation qu’à la dérobée et en passant. " Tu m’introduis, écrit S. Augustin, au fond de moi-même, dans un émoi tout à fait insolite, vers je ne sais quelle douceur ; mais je reviens à ces pénibles fardeaux. " Et S. Grégoire, commentant ce texte de job (4, 15) : " Comme l’esprit passait, moi présent, " écrit : " L’esprit ne demeure pas longtemps dans la suavité de l’intime contemplation ; il est rappelé à lui-même précisément par l’infini resplendissement de la lumière. " La vie contemplative ne saurait donc durer.

3. Ce qui n’est pas connaturel à l’homme n’est pas durable. Or la vie contemplative est " au-dessus de la condition humaine ", observe Aristote. De ce chef encore, il ne semble pas qu’elle soit faite pour durer.

En sens contraire, le Seigneur a dit (Lc 10, 42) : " Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera pas ôtée. " " Car, écrit S. Grégoire la vie contemplative commence ici-bas pour atteindre sa perfection dans la patrie céleste. "

Réponse :

On peut dire d’une chose qu’elle est durable à deux points de vue : selon sa nature propre ou par rapport à nous.

Que la vie contemplative soit durable en elle-même, c’est évident pour deux raisons. Premièrement, parce que son objet est incorruptible et immuable. Secondement, parce qu’il n’y a rien qui lui soit contraire. En effet, d’après Aristote, " il n’y a rien qui soit contraire à la joie de contempler ".

Mais par rapport à nous aussi, la vie contemplative est durable. D’abord, parce qu’elle est l’œuvre de ce qu’il y a en nous d’incorruptible, c’est-à-dire de l’intelligence ; il en résulte qu’elle peut se prolonger au-delà de la vie présente. Ensuite, parce que les œuvres de la vie contemplative n’impliquent pas de labeur corporel ; ce qui fait, remarque Aristote, que nous pouvons y persister plus longuement.

Solutions :

1. On ne contemple pas de la même manière ici-bas et au ciel. Mais on dit que la vie contemplative demeure, à cause de la charité qui est son principe et sa fin. C’est la pensée de S. Grégoire. " La vie contemplative commence ici-bas pour trouver au ciel son achèvement. Car le feu de l’amour qui commence à brûler ici-bas, mis en présence de son objet, jettera de plus vives flammes d’amour. "

2. Aucune action ne peut durer longtemps à son maximum. Or la contemplation connaît son maximum lorsqu’elle parvient à l’uniformité de la contemplation divine, suivant la doctrine de Denys exposée plus haut. Il faut donc reconnaître que sous cette forme la contemplation ne saurait se prolonger beaucoup. Mais elle le peut pour ce qui regarde d’autres actes.

3. Si la vie contemplative, au dire d’Aristote, est au-dessus de la condition humaine, c’est en ce sens qu’elle " concerne ce qu’il y a en nous de divin ", c’est-à-dire l’intelligence. Mais l’intelligence est, en elle-même, incorruptible et impassible. Son action est donc susceptible d’une longue durée.

 

 

QUESTION 181 — LA VIE ACTIVE

1. Tous les actes des vertus morales appartiennent-ils à la vie active ? - 2. La prudence lui appartient-elle ? - 3. L’enseignement lui appartient-il ? - 4. Est-elle appelée à durer ?

 

            Article 1 — Tous les actes des vertus morales appartiennent-ils à la vie active ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Car la vie active semble consister uniquement dans la vie de relations avec autrui. " La vie active, écrit S. Grégoire, c’est donner du pain à qui a faim. " Et finalement, après avoir énuméré un grand nombre d’actions relatives à autrui, il ajoute : " et tout ce qu’il convient de dispenser à chacun ". Mais toutes les vertus morales n’ont pas pour objet de nous ordonner à autrui. On a montré plus haut que c’est le rôle de la vertu de justice seule, et de ses parties. Les actes de toutes les vertus morales n’appartiennent donc pas à la vie active.

2. En outre, S. Grégoire nous dit que Lia, malade des yeux, mais féconde, représente la vie active. Et il poursuit, parlant de cette vie : " Occupée à agir, elle voit moins ; mais tandis qu’elle provoque le prochain à l’imiter, tantôt par ses paroles et tantôt par ses exemples, elle enfante beaucoup de fils pour ce qui est des œuvres bonnes. " En quoi elle paraît relever de la charité, qui nous fait aimer le prochain, plutôt que des vertus morales. Il semble donc que les actes des vertus morales ne relèvent pas de la vie active.

3. Enfin nous avons dit plus haut que les vertus morales disposent à la vie contemplative. Or ce qui dispose et ce qui est parfait vont ensemble. Les vertus morales ne doivent donc pas appartenir à la vie active.

En sens contraire, S. Isidore a écrite : " Il faut d’abord extirper la totalité des vices par l’exercice des bonnes œuvres dans la vie active. On pourra alors s’appliquer, d’un esprit dont le regard est déjà purifié, à la contemplation de Dieu dans la vie contemplative. " Mais les vices ne sont extirpés dans leur totalité que par les actes des vertus morales. Les actes de toutes les vertus morales appartiennent donc bien à la vie contemplative.

Réponse :

Nous avons expliqué plus haut que la division de la vie humaine en active et contemplative se prenait de la diversité des occupations et des fins auxquelles s’appliquent les hommes : la considération de la vérité, qui est la fin de la vie contemplative, et l’activité extérieure, qui est la fin de la vie active. Or, il est évident que ce que l’on demande principalement aux vertus morales, ce n’est pas la contemplation de la vérité et quelles sont ordonnées à l’action. Aussi Aristote dit-il que " savoir, quand il s’agit de vertu, n’a que peu ou point de valeur ". D’où il paraît clairement que les vertus morales relèvent essentiellement de la vie active. Et c’est pourquoi Aristote ordonne les vertus morales à la félicité de la vie active.

Solutions :

1. La principale des vertus morales est la justice, qui nous ordonne à autrui, comme le prouve Aristote. C’est pourquoi l’on décrit la vie active par les actions relatives à autrui, en quoi elle consiste principalement quoique non exclusivement.

2. Ce privilège de guider le prochain vers le bien par l’exemple, que S. Grégoire attribue à la vie active, vaut pour les actes de toutes les vertus morales.

3. La vertu qu’on ordonne à la fin d’une autre vertu, passe en quelque façon dans l’espèce de celle-ci. Ainsi lorsque l’on accomplit les œuvres de la vie active uniquement en tant qu’elles disposent à la vie contemplative, ces œuvres relèvent de la vie contemplative. Mais chez ceux qui s’adonnent aux œuvres des vertus morales pour leur bonté propre, et non pas en tant qu’elles disposent à la vie contemplative, ces vertus relèvent de la vie active. Cependant on peut encore dire que la vie active dispose à la vie contemplative.

 

            Article 2 — La prudence appartient-elle à la vie active ?

Objections :

1. Il semble que non. De même en effet que la vie contemplative ressortit à l’intelligence, la vie active ressortit à la volonté. Or la prudence ne relève pas de la volonté mais plutôt de l’intelligence. Elle n’appartient donc pas à la vie active.

2. S. Grégoire a écrit : " La vie active, occupée d’agir, voit moins. " C’est pourquoi elle est figurée par Lia aux yeux malades. Or la prudence veut des yeux clairs, pour que l’homme puisse bien juger de ce qu’il convient de faire.

3. La prudence occupe une place intermédiaire entre les vertus morales et les vertus intellectuelles. Or, si les vertus morales relèvent de la vie active, les vertus intellectuelles relèvent de la vie contemplative. Il semble donc que la prudence n’appartienne ni à la vie active ni à la vie contemplative et qu’elle relève de ce genre de vie intermédiaire dont parle S. Augustin.

En sens contraire, la prudence, dit Aristote appartient à cette félicité de la vie active dont relèvent les vertus morales .

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, ce qui est ordonné à autre chose comme à sa fin, surtout dans le domaine moral, passe à l’espèce de la fin à laquelle il est ordonné. Ainsi, " celui qui commet l’adultère pour pouvoir voler, mérite d’être appelé voleur plus encore qu’adultère ", observe Aristote. Or il est manifeste que la connaissance prudentielle est ordonnée à l’exercice des vertus morales comme à sa fin, car elle est, d’après Aristote " la droite raison appliquée à diriger l’action ". C’est pourquoi la prudence a pour principe les fins des vertus morales, dit encore Aristote. Or, nous venons de le dire, les vertus morales, chez celui qui les ordonne au repos de la contemplation, appartiennent à la vie contemplative. Donc, de même, la connaissance prudentielle, ordonnée de soi à l’exercice des vertus morales, relève directement de la vie active. A la condition toutefois qu’on prenne la prudence au sens propre et telle que l’envisage Aristote. Si on la prenait au sens large et comme signifiant toute espèce de connaissance humaine, elle appartiendrait alors par une partie d’elle-même à la vie contemplative. C’est en ce sens que Cicéron écrit : " Celui qui peut, avec acuité et promptitude, discerner le vrai et le mettre en lumière, est habituellement tenu pour très prudent et très sage. "

Solutions :

1. Les actes moraux, nous l’avons dit se spécifient par leur fin. C’est pourquoi se rattache à la vie contemplative l’activité intellectuelle, qui a pour fin de connaître la vérité. Mais la connaissance prudentielle, qui a plutôt pour fin un acte de la puissance appétitive, relève de la vie active.

2. Les occupations extérieures rendent l’homme moins apte à voir dans le domaine des réalités intelligibles, lesquelles se trouvent séparées des réalités sensibles, objet de la vie active. Tout au contraire, les occupations extérieures en quoi consiste la vie active, font que l’homme voit plus clair dans le discernement de ce qu’il convient de faire. Et c’est précisément ce qui ressortit à la prudence. L’expérience en est cause pour une part, et pour une autre part, l’application de l’esprit : " Où tu appliques ton attention, écrit Salluste, l’esprit prend toute sa force. "

3. On dit que la prudence occupe une place intermédiaire entre les vertus intellectuelles et les vertus morales en ce qu’elle a le même sujet que les vertus intellectuelles et la même matière, totalement, que les vertus morales. Quant à ce troisième genre de vie dont parle S. Augustin, c’est en raison des réalités dont il s’occupe (de sa matière), qu’il peut être dit intermédiaire entre la vie active et la vie contemplative. Tantôt en effet il s’applique à contempler la vérité, et tantôt il s’occupe d’œuvres extérieures.

 

            Article 3 — L’enseignement appartient-il à la vie active ?

Objections :

1. Il semble être un acte de la vie contemplative. S. Grégoire écrit en effet : " Les hommes parfaits font part à leurs frères des biens célestes qu’il leur a été donné de contempler, et allument dans leur cœur l’amour de la lumière intérieure. " Or c’est là enseigner, et c’est donc bien un acte de la vie contemplative.

2. L’acte et son habitus semblent se ramener au même genre de vie. Or enseigner est un acte de sagesse. " On connaît le savant à ce qu’il est capable d’enseigner ", remarque Aristote. Donc, puisque la sagesse ou la science relèvent de la vie contemplative, il faut qu’il en soit de même pour l’enseignement.

3. La prière est un acte de la vie contemplative au même titre que la contemplation. Faite au bénéfice d’autrui, elle ne cesse pas d’appartenir à la vie contemplative. Il doit en être de même pour l’enseignement, par lequel on porte à la connaissance d’autrui la vérité méditée.

En sens contraire, S. Grégoire a écrit : " La vie active consiste à donner du pain à celui qui a faim, à enseigner l’ignorant par la parole de sagesse. "

Réponse :

L’acte d’enseigner a un double objet. En effet, l’enseignement se fait par la parole, et la parole elle-même est le signe, perceptible pour l’oreille, du concept intérieur.

L’enseignement a donc pour premier objet la matière même ou l’objet de la conception intérieure. A l’égard de cet objet, l’enseignement relève tantôt de la vie active et tantôt de la vie contemplative. De la vie active, quand l’homme conçoit quelque vérité pour y trouver la lumière directrice de son activité extérieure. De la vie contemplative, quand l’homme conçoit quelque vérité intelligible pour se délecter à la considérer et à l’aimer. Ce qui fait dire à S. Augustin dans un sermon : " Qu’ils choisissent la meilleure part ", qui est la vie contemplative ; " qu’ils se donnent à la parole ; qu’ils aspirent à la douceur de l’enseignement ; qu’ils s’appliquent à la science qui sauve ". Il affirme ainsi clairement que l’enseignement appartient à la vie contemplative.

Le second objet de l’enseignement vient du discours perceptible à l’oreille. Et cet objet, c’est l’auditeur lui-même. Par rapport à cet objet, tout enseignement relève de la vie active, à laquelle appartiennent toutes les actions extérieures.

Solutions :

1. Cette parole vise expressément l’enseignement considéré dans sa matière et en tant qu’on s’y propose simplement la considération et l’amour de la vérité.

2. L’habitus et son acte s’unifient dans l’objet. Aussi est-il clair que cet argument est valable pour la matière du concept intérieur. Le sage ou le savant est qualifié pour enseigner dans la mesure où il est apte à traduire au-dehors le concept intérieur, afin d’amener autrui à l’intelligence de la vérité.

3. Celui qui prie pour autrui n’exerce aucune action réelle sur celui pour qui il prie, mais sur Dieu seul, qui est la vérité intelligible. Au contraire, celui qui enseigne autrui exerce à son endroit une action extérieure. La comparaison n’est donc pas valable.

 

            Article 4 — La durée de la vie active

Objections :

1. Il semble qu’elle demeure après cette vie. Car nous avons dit que les actes des vertus morales lui appartiennent. Mais les vertus morales persistent au-delà de la vie présente, assure S. Augustin. Donc la vie active aussi.

2. Nous venons de dire que l’enseignement relève de la vie active. Mais dans la vie future, où nous serons semblables aux anges, l’enseignement demeurera possible. C’est ce qui se vérifie,

semble-t-il, pour les anges, parmi lesquels il y en a " qui illuminent, et purifient, et perfectionnent les autres ", et donc les " initient à la science ", comme l’explique Denys. Il semble donc que la vie active persiste au-delà de la vie présente.

3. Ce qui est de soi plus durable est particulièrement apte à durer après cette vie. Or il semble que de soi la vie active soit tout spécialement apte à durer. " Dans la vie active, écrit en effet S. Grégoire, nous sommes capables d’une application prolongée, tandis que dans la vie contemplative, nous ne pouvons aucunement soutenir longtemps notre effort d’attention. " La vie active, bien plus que la vie contemplative, semble donc faite pour se prolonger au-delà de cette vie.

En sens contraire, S. Grégoire a dit : " Avec le siècle présent, la vie active disparaîtra. Mais la vie contemplative commence ici-bas, pour trouver son achèvement dans la patrie céleste. "

Réponse :

Nous avons déjà dit que la vie active avait pour fin les actes extérieurs, et que si l’on ordonne ceux, au repos de la contemplation, ils relèvent déjà de la vie contemplative. Or, dans la vie future des bienheureux, on ne s’occupera plus d’actes extérieurs, et s’il s’en accomplit encore, ce ne sera qu’en vue de la contemplations. C’est la doctrine de S. Augustin : " Là, nous serons au repos (vacabimus), et nous verrons, nous verrons et nous aimerons, nous aimerons et nous louerons. " Et auparavant, il avait écrit : " On y verra Dieu, sans fin, on l’y aimera sans se lasser, on l’y louera sans se fatiguer. Tel sera l’office, le goût, l’exercice de tous. "

Solutions :

1. Nous l’avons dit : les vertus morales subsisteront, non pas quant à ceux de leurs actes qui ont pour objet les moyens d’atteindre la fin, mais seulement quant aux actes qui portent sur la fin elle-même. Or c’est précisément par ces actes relatifs à la fin que ces vertus créent le repos propice à la contemplation. C’est ce repos que S. Augustin, dans le texte cité appelle vacatio, c’est-à-dire " vacance ", " libération ". Il faut comprendre que nous serons délivrés non seulement de ce qui regarde les agitations extérieures, mais encore ce qui regarde le tumulte intérieur des passions.

2. La vie contemplative consiste principalement, avons-nous dit". dans la contemplation de Dieu. Or, à cet égard un ange n’enseigne pas un autre ange. Il est écrit en effet (Mt 18, 10) : " Les anges de ces tout-petits ", qui appartiennent à l’ordre le moins élevé, " voient sans cesse la face du Père ". C’est ainsi que dans la vie future aucun homme n’en enseignera un autre sur Dieu. " Tous nous le verrons tel qu’il est " (1 Jn 3, 2). C’est ce que nous lisons dans Jérémie (31, 34) : " Aucun homme désormais n’enseignera son prochain ni ne lui dira : "Apprends à connaître le Seigneur". Car ils me connaîtront tous, du plus petit au plus grand. "

Mais en ce qui concerne la répartition des ministères divins, un ange en instruit un autre, le purifie, l’illumine, le rend parfait. A ce point de vue, ils exercent en quelque mesure la vie active, tant que dure le monde présent, en s’appliquant à l’administration des créatures inférieures. C’est le sens de la vision de Jacob. Il voyait les anges gravir une échelle, ce qui relève de la contemplation, et la descendre, ce qui relève de l’action. Mais, écrit S. Grégoire : " Ils ne sortent pas de la vision de Dieu de telle façon qu’ils soient privés des joies de la contemplation intérieure. " C’est pourquoi l’on ne distingue pas pour eux la vie active de la vie contemplative, comme on le fait pour nous, qui sommes écartés de la contemplation par les œuvres de la vie active.

Mais la ressemblance avec les anges ne nous est pas promise pour ce qui regarde l’administration des créatures inférieures. Le rang occupé par notre nature ne nous qualifie pas pour cette mission, tandis que les anges sont désignés pour l’accomplir. Ce qui nous est promis, c’est que nous leur serons semblables dans la vision de Dieu.

3. Si, dans l’état présent, la vie active plus que la vie contemplative, est susceptible de se prolonger, cela ne tient pas à la nature respective de ces deux vies considérées en elles-mêmes. Cela vient de notre infirmité, du poids du corps qui nous fait descendre des hauteurs de la contemplation. Aussi S. Grégoire ajoute-t-il : " Rejeté par sa faiblesse loin de ce domaine de la sublimité, l’esprit retombe sur lui-même. "

 

 

QUESTION 182 — COMPARAISON DE LA VIE ACTIVE AVEC LA VIE CONTEMPLATIVE

1. Quelle est la plus importante ou la plus digne ? - 2. Quelle est la plus méritoire ? - 3. La vie contemplative est-elle empêchée par la vie active ? - 4. Quel ordre de priorité doit-on établir entre ces deux vies ?

 

            Article 1 — Laquelle est la plus importante ou la plus digne ?

Objections :

1. Il semble que ce soit la vie active. Car " ce qui appartient aux meilleurs doit être tenu pour le meilleur ", dit Aristote. Mais la vie active est le fait des personnes les plus considérables, c’est-à-dire des prélats, qui sont constitués en dignité et en puissance. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Dans l’action, Ce qu’il faut aimer ce n’est ni les honneurs du monde ni la puissance. " Il semble donc bien que la vie active l’emporte en dignité sur la vie contemplative.

2. En toute espèce d’habitus et d’actes, le commandement revient au principal. C’est ainsi que l’art militaire commande à la sellerie. Or il appartient à la vie active de disposer et de diriger la vie contemplative, comme en témoigne cet ordre donné à Moïse (Ex 19, 21) : " Descends, et avertis solennellement le peuple de ne pas franchir les limites fixées pour voir Dieu. " La vie active est donc plus digne que la vie contemplative.

3. Nul ne doit être retiré d’une occupation plus élevée pour être appliqué à une occupation moindre. Car S. Paul nous dit (1 Co 12, 31) : Recherchez les dons les meilleurs. " Mais il y des personnes qu’on arrache à la vie contemplative pour les jeter dans la vie active, celles par exemple que l’on nomme à quelque prélature 1. ,a vie active fait donc l’impression d’être plus digne que la vie contemplative.

En sens contraire, le Seigneur a dit (Lc 10, 42) : " Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée. " Or Marie figure la vie Contemplative. Donc cette vie l’emporte en dignité sur la vie active.

Réponse :

Rien n’empêche qu’une chose soit en elle-même de plus haut prix qu’une autre, tout en étant à tel point de vue particulier surpassée par cette autre. Tel est le cas de la vie Contemplative, dont il faut dire qu’elle est, absolument parlant, supérieure à la vie active. Ce dont Aristote donne huit raisons. 1° La vie Contemplative convient à l’homme selon ce qu’il i a de meilleur en lui, qui est l’intelligence, et à .’égard de l’objet propre de l’intelligence, que sont es intelligibles. La vie active, elle, est occupée de choses extérieures. Aussi le nom de Rachel, figure le la vie contemplative, s’interprète-t-il : le principe vu, tandis que la vie active est figurée ,par Lia aux yeux malades, selon S. Grégoire. - 2° La vie contemplative peut durer plus longtemps, quoique non pas dans son degré suprême, nous l’avons établie. Aussi nous montre-t-on Marie figure de la vie contemplative, assise sans bouger aux pieds du Seigneur. - 3° Il y a plus de délectation dans la vie contemplative, que dans la vie active. D’où la parole de S. Augustin : Marthe s’agitait, Marie festoyait. " 4° Dans la aie contemplative l’homme se suffit davantage à lui-même, ayant besoin de moins de choses pour s’y livrer. D’où cette parole - " Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et te troubles pour beaucoup de choses. " 5° La vie contemplative est davantage aimée pour elle-même, tandis que la vie active est ordonnée à autre chose. " J’ai demandé au Seigneur une seule chose, est-il écrit, et c’est elle que j’entends poursuivre, qui est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour voir les délices du Seigneur " (Ps 27, 4). - 6° La vie contemplative se présente comme un loisir et un repos selon le Psaume (46, 11) : " Donnez-vous du loisir et voyez que je suis Dieu. " - 7° La vie contemplative concerne le divin, la vie active concerne l’humain. " Au commencement était le Verbe, écrit S. Augustin : Voilà celui que Marie écoutait. Le Verbe s’est fait chair : Voilà celui que Marthe servait. " - 8° La vie contemplative appartient à ce qu’il y a de proprement humain dans l’homme, c’est-à-dire à l’intelligence, tandis que les facultés inférieures, communes à l’homme et à la bête, ont part aux opérations de la vie active. D’où le Psaume (36, 7.10) après avoir dit : " Tu sauveras, Seigneur les hommes et les bêtes ", ajoute ceci, qui est spécial à l’homme : " Dans ta lumière nous verrons la lumière. " 9° Une autre raison, ajoutée par le Seigneur, s’appuie sur Luc (10, 42) : " Marie a choisi la meilleur part. Elle ne lui sera pas ôtée. " Et S. Augustin explique : " Tu n’en as pas choisi une mauvaise, mais elle, une meilleure, car elle ne lui sera pas ôtée. Un jour on te retirera les nécessités de la vie ; la douceur de la vérité est éternelle ! "

Mais d’un point de vue particulier et dans un cas donné, à cause des nécessités de la vie présente, il arrive que la vie active doive être choisie de préférence. Même Aristote le reconnaît : " Il vaut mieux philosopher que gagner de l’argent ; mais pour celui qui est dans le besoin, gagner de l’argent est préférable. "

Solutions :

1. Les prélats ne sont pas appelés uniquement à exercer la vie active. Ils doivent aussi exceller dans la vie contemplative. C’est ce que dit S. Grégoire : " Que celui qui commande soit au premier rang dans l’action et, plus que tous les autres, absorbé dans la contemplation. "

2. La vie contemplative consiste en une certaine liberté de l’âme. S. Grégoire écrit en effet : " La vie contemplative passe à une certaine liberté d’esprit lorsqu’elle médite non les réalités temporelles, mais les éternelles. " Et Boèce : " Les âmes humaines deviennent nécessairement plus libres quand elles s’établissent dans la contemplation de l’intelligence divine et moins libres quand elles s’affaissent vers les corps. " Cela montre bien que la vie active ne commande pas directement à la vie contemplative. Mais, en y disposant, elle prescrit certaines œuvres de la vie active, et en cela elle sert la vie contemplative plus qu’elle ne lui commande. C’est ce que dit S. Grégoire : " La vie active est nommée un service, et la vie contemplative une liberté. "

3. Il arrive en effet que l’on soit arraché à la contemplation en vue de pourvoir à quelque nécessité de la vie présente. Pas à tel point cependant qu’on doive délaisser entièrement la contemplation. Aussi S. Augustin écrit-il : " L’amour de la vérité aspire au saint loisir ; les nécessités de la charité imposent le juste travail ", c’est-à-dire celui de la vie active. " Si nul ne nous met sur les épaules ce fardeau, il n’y a qu’à vaquer à la recherche et à la contemplation de la vérité. Si on nous l’impose, la charité exige que nous le portions. Mais, même dans ce cas, nous ne devons pas délaisser entièrement la délectation de la vérité, si nous ne voulons pas être privés de cette suavité et écrasés par cette nécessité. " Cela montre que, lorsque l’on est arraché à la vie contemplative pour être appliqué à la vie active, il ne s’agit pas d’abandonner la contemplation, mais d’y joindre l’action.

 

            Article 2 — Quelle est la plus méritoire ?

Objections :

1. Il semble que ce soit la vie active. Car le mérite s’entend par rapport au salaire et celui-ci est dû au travail, selon l’Apôtre (1 Co 3, 8) : " Chacun recevra son propre salaire pour son propre travail. " Or la vie active, c’est le travail ; et la vie contemplative, le repos. " Quiconque, dit en effet S. Grégoire, se convertit au Seigneur, doit premièrement se fatiguer au travail c’est-à-dire accueillir Lia, pour se reposer ensuite parmi les embrassements de Rachel, dans la contemplation du principe. " Il y a donc plus de mérite dans la vie active que dans la vie contemplative.

2. La vie contemplative appartient déjà en quelque façon à la béatitude future. Aussi, à propos de cette parole (Jn 21, 22) : " je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ", S. Augustin écrit-il : " Plus clairement, cela veut dire : que l’action parfaite me suive, formée sur le modèle de ma passion ; mais que la contemplation demeure à l’état de commencement jusqu’à ce que je vienne, pour être rendue parfaite lorsque je serai venu. " Et S. Grégoire : " La vie contemplative commence ici-bas pour recevoir son achèvement dans la patrie céleste. " Or cette vie à venir n’est pas destinée à mériter, mais à recevoir la rémunération des mérites acquis. Tandis que la vie active semble davantage destinée à mériter, la vie contemplative a donc plutôt valeur de récompense.

3. S. Grégoire l’a dit : " Aucun sacrifice n’est plus agréable à Dieu que le zèle des âmes. " Mais le zèle des âmes nous engage dans les entreprises de la vie active. La vie active n’est donc pas moins méritoire que la vie contemplative.

En sens contraire, S. Grégoire affirme " Grands sont les mérites de la vie active, mais plus grands encore ceux de la vie contemplative. "

Réponse :

La racine du mérite c’est la charité, nous l’avons démontré plus hauts. Et, puisque la charité consiste dans l’amour de Dieu et du prochain, on l’a vu précédemment. il y a plus de mérite, à prendre les choses en soi, à aimer Dieu que le prochain, on l’a montré. Donc, ce qui ressortit plus directement à l’amour de Dieu est par nature plus méritoire que ce qui relève directement de l’amour du prochain pour Dieu. Or la vie contemplative relève directement et immédiatement de l’amour de Dieu. C’est la doctrine de S. Augustin : " L’amour de la vérité ", cette vérité divine qui fait la principale occupation de la vie contemplative, nous l’avons dit u, " aspire au saint loisir ", celui de la contemplation. La vie active, en revanche, se rapporte plus directement à l’amour du prochain, puisque " elle est tout occupée du service " (Lc 10, 40). Par sa nature même, la vie contemplative est donc plus méritoire que la vie active. C’est ce que dit S. Grégoire : " La vie contemplative l’emporte en mérite sur la vie active. Car celle-ci travaille aux œuvres de la vie présente ", où il est nécessaire d’assister le prochain. " Celle-là, par un goût intime, savoure déjà le repos à venir " dans la contemplation de Dieu.

Il peut cependant arriver qu’une personne acquière, dans les œuvres de la vie active, des mérites supérieurs à ceux de telle autre personne dans celles de la vie contemplative. S’il se trouve, par exemple, que par surabondance d’amour divin et en vue d’accomplir la volonté de Dieu pour sa gloire elle supporte parfois d’être privée pour un temps de la douceur de la contemplation divine. C’est ce que disait S. Paul (Rm 9, 3) : " je souhaiterais d’être anathème loin du Christ pour mes frères. " S. Jean Chrysostome explique : " L’amour du Christ avait à ce point submergé son âme que cela même qu’il jugeait plus aimable que tout, c’est-à-dire être avec le Christ, il en arrivait à le mépriser parce qu’il pourrait ainsi plaire au Christ. "

Solutions :

1. Le travail extérieur contribue à accroître la récompense accidentelle, mais à l’égard de la récompense essentielle, le mérite augmente principalement en proportion de la charité. Or, de cette charité, le travail extérieur supporté pour le Christ est un signe. Mais c’en est un aussi, et beaucoup plus expressif, que de renoncer à tout ce qui intéresse la vie présente pour se délecter uniquement de la contemplation divine.

2. Dans la béatitude finale, l’homme atteint l’état parfait. Il n’y a plus de place pour le progrès par voie de mérite. S’il en restait, le mérite y serait d’autant plus efficace que la charité y est plus grande. Mais la contemplation de cette vie s’accompagne d’une certaine imperfection et demeure susceptible de progrès. Aussi n’exclut-elle pas le mérite. Tout au contraire, elle s’affirme source de mérite, comme représentant l’œuvre majeure de la divine charité.

3. Tout ce qu’on offre à Dieu prend valeur de sacrifice spirituel. Au premier rang des choses que Dieu agrée comme sacrifice, figure ce bien humain par excellence qu’est l’âme elle-même. Or nous devons offrir à Dieu, premièrement notre âme, selon cette parole (Si 30, 24 Vg) : " Prends pitié de ton âme en plaisant à Dieu ", puis celle des autres, selon cette parole (Ap 22, 17) : " Que celui qui entend, dise : "Viens." Et plus nous unissons intimement à Dieu notre âme ou celle des autres, plus notre sacrifice plaît à Dieu. D’où il suit qu’il est plus agréable à Dieu de nous voir appliquer notre âme et celle des autres à la contemplation plutôt qu’à l’action. Cette parole : " Aucun sacrifice n’est plus agréable à Dieu que le zèle des âmes ", ne prétend donc pas mettre le mérite de la vie active au-dessus du mérite de la vie contemplative. Elle signifie simplement qu’il est plus méritoire d’offrir à Dieu son âme et celle des autres que n’importe quels biens extérieurs.

 

            Article 3 — La vie contemplative est-elle empêchée par la vie active ?

Objections :

1. Il semble bien. Car la vie contemplative requiert une certaine disponibilité de l’esprit, selon le Psaume (46, 11) : " Donnez-vous du loisir, et voyez que je suis Dieu. " Mais la vie active est pleine de soucis, suivant cette parole (Lc 10, 41) : " Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et t’agites pour beaucoup de choses ! " La vie active empêche donc la vie contemplative.

2. Pour contempler, il faut voir clair, et la vie active y fait obstacle : " Elle, qui a de mauvais yeux, est féconde, observe S. Grégoire, c’est-à-dire que, toute livrée à l’action, elle voit moins clair. " Donc la vie active empêche de contempler.

3. Les contraires sont incompatibles, mais l’action et la contemplation paraissent être des manières de vivre opposées. La vie active s’affaire autour d’une quantité de choses. La vie contemplative s’applique à la contemplation d’un unique objet. Aussi leur distinction va-t-elle jusqu’à l’opposition. Il semble donc bien que la vie contemplative soit entravée par la vie active.

En sens contraire, S. Grégoire a écrit " Ceux qui veulent occuper la citadelle de la contemplation doivent s’éprouver au préalable sur le champ de bataille de l’action. "

Réponse :

La vie active peut être envisagée sous un double aspect. D’abord quant au goût et à la pratique des actions extérieures. En ce sens, il est évident que la vie active empêche la vie contemplative. Il est impossible de s’adonner simultanément à l’activité extérieure et à la contemplation de Dieu.

Mais on peut envisager la vie active en tant que discipline les passions intérieures de l’âme et les soumet à l’ordre de la raison. Prise en ce sens, la vie active représente un secours pour la contemplation, à laquelle fait obstacle le dérèglement des passions de l’âme. C’est ce qui a fait dire à S. Grégoire : " Ceux qui veulent occuper la citadelle de la contemplation doivent s’éprouver au préalable sur le champ de bataille de l’action. Ils doivent s’assurer qu’ils ne causent plus aucun préjudice à leur prochain, qu’ils supportent patiemment celui que le prochain peut leur causer, que devant l’abondance des biens temporels leur âme ne s’abandonne pas à une joie déréglée, que la perte de ces biens ne les afflige pas sans mesure. Ils doivent s’assurer aussi que, lorsqu’ils rentrent en eux-mêmes pour y méditer les vérités spirituelles, ils ne traînent pas avec eux les images des affaires corporelles ou, s’il en a traîné, qu’ils les discernent et les chassent. " Donc l’exercice de la vie active est profitable à la vie contemplative en ce qu’il apaise les passions intérieures d’où proviennent ces imaginations qui empêchent la contemplation.

Solutions :

Cela répond aux objections. Elles valent pour ce qui regarde l’application aux œuvres extérieures, mais non pour ce qui regarde ce résultat de la vie active qui est la modération des passions.

 

            Article 4 — L’ordre de priorité entre ces deux vies

Objections :

1. Il semble que la vie active ne précède pas la vie contemplative. Car celle-ci relève directement de l’amour de Dieu, et la vie active de l’amour du prochain. Or l’amour de Dieu précède l’amour du prochain, en tant que nous aimons le prochain à cause de Dieu. Il semble donc que la vie contemplative a la priorité sur la vie active.

2. S. Grégoire écrit " Il faut savoir que, le bon ordre de la vie consistant à tendre de la vie active à la vie contemplative, il est pareillement utile, le plus souvent, que l’esprit revienne de la vie contemplative à la vie active. " La priorité de la vie active par rapport à la vie contemplative n’est donc pas absolue.

3. Ce qui convient à des personnes différentes ne semble pas comporter nécessairement un ordre. Mais la vie active et la vie contemplative conviennent à des personnes différentes. C’est la pensée de S. Grégoire : " Il est arrivé souvent que des personnes qui, étant en repos, se trouvaient capables de contempler Dieu, ont succombé sous le poids des occupations. Souvent aussi, des personnes qui, occupées, vivaient bien dans le train des affaires humaines, trouvent dans le repos lui-même le glaive qui les tue. " La vie active ne peut donc revendiquer la priorité sur la vie contemplative.

En sens contraire, nous avons cette parole de S. Grégoire " La vie active a une priorité de temps sur la vie contemplative, car c’est à partir des bonnes œuvres qu’on tend à la contemplation. "

Réponse :

On parle de priorité dans un double sens. Celui, d’abord, de priorité de nature. En ce sens, la vie contemplative a la priorité sur la vie active, les objets auxquels elle s’applique étant premiers et meilleurs. Aussi meut-elle et dirige-t-elle la vie active, car la raison supérieure, dont c’est la fonction de contempler, se trouve envers la raison inférieure, préposée à l’action, dans le même rapport que l’homme envers la femme oui doit être gouvernée par lui, selon S. Augustin.

Ensuite, il y a une priorité par rapport à nous, c’est-à-dire dans l’ordre de génération. En ce sens, la vie active a la priorité sur la vie contemplative, à laquelle elle nous dispose, comme nous l’avons montré[4470]. En effet, dans l’ordre de génération, la disposition précède la forme, qui n’en possède pas moins sur elle une priorité absolue et de nature.

Solutions :

1. La vie contemplative n’est pas ordonnée à un amour quelconque de Dieu, mais à l’amour parfait. La vie active en revanche est requise par l’amour, même élémentaire, du prochain. " Sans la vie contemplative, écrit S. Grégoire ceux qui ne négligent pas de faire le bien qui est en leur pouvoir, peuvent entrer dans la patrie céleste, tandis qu’ils ne sauraient y entrer s’ils négligent de faire le bien qui est en leur pouvoir, c’est-à-dire sans la vie active. " La vie active précède donc la vie contemplative, comme ce qui est commun à tous précède, dans l’ordre de génération, ce qui est propre aux parfaits.

2. On va de la vie active à la vie contemplative pour ce qui regarde l’ordre de génération. Mais on revient de la vie contemplative à la vie active dans l’ordre de direction, en vue de soumettre la vie active à la direction de la vie contemplative. C’est ainsi que l’habitus s’acquiert par les actes mais, une fois acquis, devient le principe d’actes plus parfaits, selon la remarque d’Aristote.

3. Ceux qui sont enclins à la passion à cause de leur besoin d’activité ont pareillement une aptitude particulière pour la vie active, en raison de leur esprit sans cesse en mouvement. Aussi S. Grégoire écrit-il : " Certaines personnes ont l’esprit si remuant que, s’il arrivait qu’elles fussent désœuvrées, ce serait pour elles la source d’un plus pénible labeur. Les agitations du cœur deviennent chez elles d’autant plus accablantes qu’elles ont davantage le loisir de penser. " D’autres au contraire, ont l’esprit naturellement simple et tranquille, ce qui les rend aptes à la contemplation. S’il arrivait qu’elles fussent jetées tout entières dans l’action, ce leur serait un préjudice. D’où le mot de S. Grégoire : " Certaines personnes ont l’esprit si peu actif que, jetées dans les occupations extérieures, elles y succombent sur le champ. "

Mais, ajoute-t-il, " on voit souvent l’amour exciter à l’ouvrage des esprits paresseux, et la crainte apaiser dans la contemplation des esprits agités ". De la sorte, ceux qui sont plus aptes à la vie active peuvent, en exerçant cette vie, se disposer à la vie contemplative, et d’autre part, ceux qui sont plus aptes à la vie contemplative peuvent néanmoins aborder les exercices de la vie active, pour y trouver un surcroît de préparation à la vie contemplative.

 

LA DIVERSITÉ DES ÉTATS ET DES OFFICES

Nous étudierons d’abord en général les offices et les états des hommes. Ensuite en particulier l’état des parfaits (Q. 184-189).

 

 

QUESTION 183 — LES OFFICES ET LES ÉTATS EN GÉNÉRAL PARMI LES HOMMES

1. Qu’est-ce qui constitue un état de vie parmi les hommes ? - 2. Doit-il y avoir, parmi les hommes, diversité d’états ou d’offices ? - 3. La diversité des offices. - 4. La diversité des états.

 

            Article 1 — Qu’est-ce qui constitue un état de vie parmi les hommes ?

Objections :

1. Il ne semble pas que l’état de vie tienne compte de la condition d’homme libre ou d’esclave. En effet, le mot " état " (statue) évoque l’idée de station (stando). Et celle-ci, à son tour, implique l’idée de position droite (rectitude). D’où cet ordre (Ez 2, 1) : " Fils d’homme, tiens-toi (sta) debout. " Et S. Grégoire : " Ceux qui se laissent aller à des paroles nuisibles déchoient de tout état de rectitude. " Or l’homme acquiert la rectitude spirituelle en soumettant à Dieu sa volonté. Aussi, sur ce mot du Psaume (33, 1) : " La louange sied aux hommes droits ", la Glose porte-t-elle : " Ceux-là sont droits qui gouvernent leur cœur selon la volonté de Dieu. " Il semble donc que la seule obéissance aux commandements de Dieu suffise à définir un état.

2. Le mot " état " semble impliquer l’immobilité (selon 1 Co 15, 58) : " Soyez stables et immobiles. " D’où cette parole de S. Grégoire : " C’est une pierre carrée, stable sur toutes ses faces, celui qui, ne changeant pas, ne risque pas de choir. " Mais la vertu a ce caractère de faire agir de façon immuable, selon la définition qu’en donne Aristote. Il semble donc qu’il suffise d’exercer la vertu pour acquérir un état.

3. L’état évoque une certaine élévation. Celui qui se tient debout (stat), se dresse en hauteur. Or la diversité des offices fait qu’une personne est plus élevée qu’une autre. Pareillement, les grades et les ordres divers valent à leurs bénéficiaires des situations diversement élevées. La seule différence le grade, d’ordre ou d’office suffit donc à créer une diversité d’états.

En sens contraire, nous lisons dans les Décrets : " S’il arrive qu’ils soient saisis d’une affaire capitale ou d’une question d’état, ils doivent agir par eux-mêmes et non par des enquêteurs. " Et par ( question d’état ", le droit entend une question relative à la liberté ou à la servitude. Il n’y aurait donc, à pouvoir modifier l’état d’un homme, que ce qui intéresse la liberté ou la servitude.

Réponse :

L’état (statue), au sens propre, est une position particulière. Non pas quelconque, mais conforme à la nature de l’homme et avec une certaine stabilité. Or il est naturel à l’homme d’avoir la tête en haut, les pieds sur le sol et les membres intermédiaires chacun à sa place. Ce qui ne se vérifie pas chez l’homme couché, assis ou accroupi, mais chez l’homme debout. On ne dit pas davantage qu’il se tient debout s’il marche, mais s’il est en repos. Pareillement, dans le domaine des actions humaines, on dit d’une affaire quelconque qu’elle a un statut, un état, lorsqu’elle a trouvé le règlement qu’elle comportait, avec une relative immobilité et le repos.

Par conséquent, ce qu’il y a de facilement variable et extérieur chez les hommes ne saurait Constituer leur état. La richesse ou la pauvreté, par exemple, n’y suffisent pas. Ni non plus le fait d’être élevé en dignité, ou d’être de basse condition. C’est ce qui explique que, pour le droit civil, l’exclusion du Sénat ne représente pas la perte d’un état mais d’une dignité. Il semble donc que seul intéresse l’état d’un homme, ce qui regarde l’obligation de la personne même, suivant qu’elle est maîtresse d’elle-même ou qu’elle dépend d’autrui. Encore faut-il que ce soit à titre permanent, et non pas pour quelque raison futile ou passagère. C’est dire qu’il s’agit de liberté ou de servitude. La notion d’état est donc corrélative à celles de liberté ou de servitude, soit dans l’ordre spirituel soit dans l’ordre civil.

Solutions :

1. La position droite n’appartient pas par elle-même au concept d’état, mais seulement en tant queue est connaturelle à l’homme et qu’on y joint l’idée de repos. Chez les autres animaux, cette position n’est donc pas requise pour qu’on puisse dire qu’ils se tiennent debout (stars). Et l’on ne dit pas des hommes qu’ils se tiennent debout du seul fait qu’ils sont dressés sur leurs pieds. Il faut encore qu’ils soient en repos.

2. L’immobilité ne constitue pas l’état à elle seule. L’homme assis ou couché est immobile ; on ne dit pas pour autant qu’il se tient debout.

3. L’office se rapporte à l’acte. Le grade évoque l’idée de supériorité et d’infériorité. L’état requiert l’immobilité dans la condition de la personne.

 

            Article 2 — Doit-il y avoir, parmi les hommes, diversité d’états ou d’offices ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne doit pas y avoir dans l’Église diversité d’offices ou d’états. Car la diversité s’oppose à l’unité. Or les fidèles du Christ sont appelés à l’unité, selon cette parole (Jn 17, 21) : " Qu’ils soient un en nous, comme nous-mêmes nous sommes un. " Il ne doit donc pas y avoir dans l’Église diversité d’offices ou d’états.

2. La nature n’emploie pas plusieurs choses là où il suffit d’une seule. Mais il y a beaucoup plus d’ordre encore dans les œuvres de la grâce que dans celles de la nature. Ce serait donc bien mieux si tout ce qui regarde les opérations de la grâce se trouvait remis à l’administration des mêmes hommes, de telle manière qu’il n’y ait pas dans l’Église diversité d’offices et d’états.

3. Le bien de l’Église semble consister avant tout dans la paix, selon le mot du Psaume (147, 3 Vg) : " Il a établi la paix à tes frontières. " Et S. Paul (2 Co 13, 11) : " Possédez la paix, et le Dieu de la paix sera avec vous. " Mais la diversité fait obstacle à la paix, qui naît, semble-t-il, de la ressemblance, selon l’Ecclésiastique (13, 15) : " Tout animal aime son semblable. " Et Aristote déclare qu’une minime différence suffit à créer le dissentiment dans la cité. Donc, semble-t-il, il n’est pas opportun qu’il y ait dans l’Église diversité d’états et d’offices.

En sens contraire, il est écrit à la louange de l’Église (Ps 45, 10) : " Elle est vêtue d’une robe bigarrée. " Sur quoi la Glose explique :." La reine, c’est-à-dire l’Église, est parée de l’enseignement des Apôtres, de la confession des martyrs, de la pureté des vierges, du deuil des pénitents. "

Réponse :

La diversité des états et des offices dans l’Église est requise, pour trois fins. D’abord, pour la perfection de l’Église elle-même. Dans l’ordre naturel nous voyons la perfection, qui en Dieu est simple et unique, ne pouvoir se réaliser chez les créatures que sous des formes diverses et multiples[4471]. Il en va de même pour la plénitude de la grâce, qui se trouve concentrée chez le Christ comme dans la tête. Elle se répand dans ses membres sous des formes diverses, pour que le corps de l’Église soit parfait. C’est la doctrine de S. Paul 10 (Ep 4, 11) : " Il a établi lui-même certains comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres en qualité d’évangélistes, d’autres en qualité de pasteurs et de docteurs, pour conduire les saints à la perfection. "

Elle est requise ensuite pour l’accomplissement des actions nécessaires à l’Église. Il faut en effet qu’à des actions diverses soient préposées des personnes différentes, si l’on veut que tout se fasse aisément et sans confusion. C’est la pensée de S. Paul (Rm 12, 4) : " Ainsi que dans notre corps, qui est un, nous avons plusieurs membres et que tous les membres n’ont pas le même rôle, nous ne faisons à nous tous qu’un seul corps dans le Christ. "

Enfin, cette diversité intéresse la dignité et beauté de l’Église, qui consiste en un certain ordre. C’est ce que signifie cette parole : (1 R 10, 4) : " Devant la sagesse de Salomon, devant les logements destinés à ses serviteurs et l’organisation en ordres distincts des gens qui le servaient, la reine de Saba était éperdue d’admiration. " Et S. Paul (2 Tm 2, 20) : " Dans une grande maison, on ne trouve pas seulement des vases d’or et d’argent, mais aussi de bois et d’argile. "

Solutions :

1. La diversité des états et des offices n’empêche pas l’unité de l’Église. Cette unité, en effet, résulte de l’unité de la foi, de la charité, du service mutuel. S. Paul a dit (Ep 4, 16) : " C’est sous son influence (celle du Christ) que tout le corps est assemblé par la foi, et unifié par la charité, grâce aux divers organes de service, c’est-à-dire en tant que chacun sert les autres. "

2. La nature n’emploie pas plusieurs choses là où il suffit d’une seule. Mais elle ne se restreint pas davantage à une seule chose là où il en faut plusieurs, selon S. Paul (1 Co 12, 17) : " Si tout le corps était œil, comment entendrait-on ? " C’est pourquoi il fallait que dans l’Église, corps du Christ, les membres soient différenciés suivant la diversité des offices, des états et des grades.

3. Dans le corps physique, les membres divers sont maintenus dans l’unité par l’action de l’esprit, qui vivifie et dont le retrait entraîne la disjonction des membres. De même dans le corps de l’Église, la paix entre les divers membres se conserve par la vertu du Saint-Esprit, dont S. Jean nous dit (6, 63) qu’il vivifie le corps de l’Église. D’où l’exhortation de S. Paul (Ep 4, 3) : " Soyez attentifs à conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix. " Celui qui cherche son bien propre s’exclut de cette unité de l’Esprit, de même que, dans la cité terrestre, la paix disparaît lorsque les citoyens cherchent leur intérêt particulier. Autrement, la distinction des offices et des états est plutôt favorable au maintien de la paix tant de l’esprit que de la cité, en tant queue rend possible la participation d’un plus grand nombre de personnes aux actes publics. Ce qui fait dire à S. Paul (1 Co 12, 24) : " Dieu a organisé le corps de telle manière qu’il n’y ait pas de division, mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres. "

 

            Article 3 — La diversité des offices

Objections :

1. Il semble que les offices ne se distinguent pas par leurs actes. En effet, la diversité des actes humains est infinie, aussi bien dans le temporel que dans le spirituel. Or l’infini ne se prête pas à des distinctions précises. La diversité des actes humains ne saurait donc servir à distinguer nettement les offices.

2. Nous avons dit que la vie active et la vie contemplative se distinguent par leurs actes. Mais la distinction des offices est autre, semble-t-il, que celle des vies. Les offices ne se distinguent donc pas par leurs actes.

3. Il semble que les ordres ecclésiastiques, les états et les grades se distinguent par leurs actes. Donc, si les actes spécifient pareillement les offices, la distinction des offices, grades et états, devient identique. Ce qui est faux, parce que leurs éléments se divisent de façon différente. Il ne semble donc pas que les offices se distinguent par leurs actes.

En sens contraire, pour S. Isidore : " Office vient de efficiendo, officium équivaut à efficium, avec changement d’o en e par euphonie. " Mais l’efficience appartient à l’action. Donc les offices se distinguent par leurs actes.

Réponse :

Nous avons dit à l’article précédent que la diversité parmi les membres de l’Église a trois buts : la perfection, l’action et la beauté. En fonction de cette triple fin, on peut donc reconnaître parmi les fidèles une triple diversité. La première est relative à la perfection. C’est celle des états, qui fait que certains sont plus parfaits que d’autres. La deuxième est relative à l’action. C’est celle des offices. On considère en effet, comme exerçant des offices différents, ceux qui sont préposés à des actions différentes. La troisième intéresse la beauté de l’Église. C’est celle des grades, suivant laquelle, dans le même état ou dans le même office, se rencontrent des supérieurs et des inférieurs. D’où ce mot du Psaume (48, 4), d’après une variante : " Dans les degrés (de Sion), Dieu se révélera. "

Solutions :

1. La diversité matérielle des actes humains est infinie. Et ce n’est pas elle qui distingue les offices, mais leur distinction formelle, selon les diverses espèces d’actes, qui ne va pas à l’infini.

2. Le mot " vie " est un terme absolu. Aussi les actes dont la diversité fait la diversité des genres de vie sont-ils ceux qui conviennent à l’homme considéré en lui-même. L’efficience, au contraire, d’où l’on a formé le mot " office " évoque une action qui tend à un terme distinct de l’agent, dit Aristote. C’est pourquoi les offices se distinguent par des actes relatifs à autrui ; ainsi le docteur ou le juge sont considérés comme exerçant un office. Et S. Isidore écrit : " L’office consiste à faire ce qui ne nuit à personne mais est utile à tout le monde. "

3. Nous avons dit que là distinction des états, offices et grades, se prend de points de vue différents. Mais il peut arriver que dans un cas donné, on les rencontre chez le même individu. Par sa députation à un acte relevé, il arrive qu’un homme acquière tout ensemble un office et un grade. Et s’il s’agit d’un acte encore plus relevé, il peut se faire qu’il acquière en outre un état de perfection. C’est le cas de l’évêque. Quant aux ordres ecclésiastiques, ils se distinguent spécialement en fonction des offices divins. " Des offices, écrit S. Isidore, il en existe de bien des genres, mais le principal est celui des offices relatifs aux choses sacrées et divines. "

 

            Article 4 — La diversité des états

Objections :

1. Il semble que la diversité des états ne se distingue pas selon les commençants, les progressants et les parfaits. En effet, lorsqu’il s’agit de réalités différentes, les espèces et leurs différences sont diverses. Or, le commencement, le progrès et la perfection représentent les différents degrés de la charité, nous l’avons dit en traitant de celle-ci. Ils ne sauraient donc servir à différencier les états.

2. On a dit que l’état regarde la condition de la personne même, qui est esclave ou libre. Cette distinction de commençants, progressants et parfaits, y semble tout à fait étrangère.

3. Entre les commençants, les progressants et les parfaits, ce n’est jamais qu’une question de plus ou de moins, et donc de degré. Mais la division des degrés et celle des états sont différentes, on l’a dit. Il n’y a donc pas lieu de distinguer ainsi les états.

En sens contraire, S. Grégoire a écrit " Il y a trois manières d’être des convertis, suivant qu’ils sont au début, au milieu ou au terme. " Et ailleurs : " Les débuts dans la vertu sont une chose, le progrès en est une autre, et la perfection une autre. "

Réponse :

Nous avons dit que l’état s’entend par rapport à la liberté et à la servitude. Or, dans l’ordre spirituel, il existe une double liberté et une double servitude. Il y a une servitude du péché et une servitude de la justice. Pareillement, il y a une liberté à l’égard du péché, et il y a une liberté à l’égard de la justice. C’est ce que montre l’Apôtre (Rm 6, 20) : " Lorsque vous étiez esclaves du péché, vous étiez libres à l’égard de la justice. Maintenant que vous êtes libérés du péché, vous êtes devenus pour Dieu des esclaves. " Il y a servitude du péché ou de la justice, toutes les fois qu’une personne se trouve portée au mal par l’habitus du péché, ou inclinée au bien par l’habitus de la justice. En retour, il y a liberté à l’endroit du péché lorsqu’une personne n’est pas dominée par l’incarnation au péché, et liberté à l’égard de la justice lorsque l’amour de la justice ne la retient plus de pécher. Il y a toutefois entre l’un et l’autre cas cette différence que l’homme est incliné à la justice par la raison naturelle tandis que le péché est contre la raison naturelle. Il s’ensuit que la liberté à l’égard du péché, à laquelle se trouve jointe la servitude à l’égard de la justice, est la vraie liberté. Par l’une et l’autre, l’homme tend au bien conforme à sa nature. La vraie servitude, pareillement, c’est la servitude à l’égard du péché, accompagnée de la liberté à l’égard de la justice, qui entrave l’homme dans la poursuite du bien qui lui est propre.

Or dans cette servitude envers la justice ou le péché l’homme s’engage par son effort humain, dit S. Paul (Rm 6, 16) : " A l’égard de celui à qui vous vous êtes livrés comme pour lui obéir, vous êtes effectivement des esclaves, que ce soit du péché pour la mort, ou de l’obéissance pour la justice. " Mais dans tout effort humain, on est fondé à distinguer le commencement, le milieu et la fin. Donc, dans l’état de servitude et de liberté spirituelles aussi, nous distinguerons : le commencement, auquel appartient l’état des commençants, le milieu, auquel appartient l’état des progressants et le terme, auquel appartient l’état des parfaits.

Solutions :

1. L’affranchissement du péché se réalise par la charité, dont S. Paul dit (Rm 5, 5) qu’elle " est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit ". D’où cette autre parole (2 Co 3, 17) : " Où est l’Esprit du Seigneur, là se trouve la liberté. " C’est pourquoi la division des états relatifs à la liberté spirituelle est la même que celle de la charité.

2. Ces cornmençants, progressants et parfaits, par rapport auxquels se différencient les états, ne le sont pas relativement à un effort quelconque. Il s’agit de la poursuite des choses qui intéressent la liberté et la servitude spirituelles, on l’a spécifié.

3. Rien ne s’oppose à ce que grade et état puissent se rencontrer chez le même individu. Nous l’avons fait observer plus haut. Dans les choses de ce monde aussi, nous voyons que l’homme libre diffère du serf, non seulement par l’état, mais par le grade.

 

L’ÉTAT DE PERFECTION

Nous avons maintenant à parler de ce qui regarde l’état de perfection, auquel sont ordonnés les autres états. L’étude des Offices, pour ceux d’entre eux qui sont relatifs aux ministères sacrés, appartient au traité de l’Ordre et à la troisième Partie de cet ouvrage, et, pour ceux d’entre eux qui, se rapportent à d’autres actes, elle est l’affaire des juristes.

Sur l’état des parfaits, notre étude comprendra trois parties. I. L’état de perfection en général (Q. 184). - II. Ce qui concerne la perfection des évêques (Q. 185). - Ce qui concerne la perfection des religieux (Q. 186-189).

 

 

QUESTION 184 — L’ÉTAT DE PERFECTION EN GÉNÉRAL

1. La perfection tient-elle à la charité ? - 2. Peut-on être parfait en cette vie ? - 3. La perfection de cette vie consiste-t-elle principalement dans les conseils, ou dans les préceptes ? - 4. Quiconque est parfait se trouve-t-il dans l’état de perfection ? - 5. Les prélats et les religieux sont-ils spécialement dans l’état de perfection ? - 7. Quel est le plus parfait : l’état religieux, ou l’état épiscopal ? - 8. Comparaison des religieux avec les curés et les archidiacres.

 

            Article 1 — La perfection de la vie chrétienne tient-elle à la charité ?

Objections :

1. Il semble que la perfection de la vie chrétienne ne tient pas spécialement à la charité. En effet, S. Paul a écrit (1 Co 14, 20) : " Pour la malice, soyez de petits enfants, mais pour le jugement, soyez des hommes faits. " Or la charité n’est pas affaire de jugement mais plutôt de sentiments. Il semble donc que la perfection de la vie chrétienne ne consiste pas principalement dans la charité.

2. S. Paul écrit aussi (Ep 6, 13) : " Prenez l’armure de Dieu pour pouvoir résister au jour mauvais et demeurer parfaits en tout. " Et à propos de cette armure de Dieu, il ajoute : " Ayez le ceinturon de la vérité, revêtez la cuirasse de la justice, prenez en toutes choses le bouclier de la foi. " Donc la perfection de la vie chrétienne ne semble pas consister dans la seule charité, mais dans les autres vertus aussi.

3. De même que les autres habitus, les vertus sont spécifiées par leurs actes. Or S. Jacques (1, 4) dit : " La patience fait œuvre parfaite. " Il semble donc que l’état de perfection se prenne plutôt de la patience.

En sens contraire, il est écrit (Col 3, 14) " Par-dessus tout, ayez la charité, qui est le lien de la perfection. " Ce qui veut dire qu’elle rassemble en quelque sorte les autres vertus dans une parfaite unité.

Réponse :

On dit qu’un être est parfait dans la mesure où il atteint sa fin propre, qui est sa perfection ultime. Or c’est la charité qui nous unit à Dieu, fin ultime de l’âme humaine. En effet : " Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui " (1 Jn 4, 16). La perfection de la vie chrétienne tient donc spécialement à la charité.

Solutions :

La perfection des jugements humains semble résider principalement dans leur unification dans la vérité selon S. Paul (1 Co 1, 10) : " Soyez parfaits dans le même jugement et les mêmes sentiments. " Mais cette unité est l’œuvre de la charité, qui fait l’accord parmi les hommes. La perfection des jugements eux-mêmes a donc sa racine dans la perfection de la charité.

2. On peut dire de quelqu’un qu’il est parfait en deux sens. Absolument, et dans ce cas la perfection s’entend par rapport à sa nature même. C’est ainsi qu’un animal est considéré comme parfait quand rien ne lui manque en ce qui regarde la disposition des membres et autres qualités semblables, de ce que requiert la vie animale. Relativement, et dans ce second cas la perfection s’entend par rapport à quelque qualité extérieure surajoutée, la blancheur, par exemple, ou la noirceur. Or la vie chrétienne consiste spécialement dans la charité, qui unit l’âme à Dieu. D’où cette parole (1 Jn 3, 14) : " Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. " C’est pourquoi la perfection de la vie chrétienne entendue au sens absolu tient à la charité et, au sens relatif seulement, aux autres vertus. Et parce que l’être qui existe absolument a valeur de principe envers tout le reste, la perfection de la charité est le principe de cette perfection relative qui tient aux autres vertus.

3. La patience fait œuvre parfaite par sa liaison avec la charité. C’est de l’abondance de la charité que vient la patience avec laquelle on supporte l’adversité, selon cette parole (Rm 8, 35) : " Qui nous séparera de la charité du Christ ? La détresse ? L’angoisse ?... "

 

Article 2 : Peut-on être parfait en cette vie ?

Objections :

1. Il semble que personne ne puisse être parfait en cette vie. En effet S. Paul a écrit (1 Co 13, 10) : " Lorsque viendra ce qui est parfait l’imparfait sera aboli. " Or, dans cette vie, jamais l’imparfait n’est aboli, car la foi et l’espérance, qui sont imparfaites, demeurent en cette vie.

2. " Est parfait, dit Aristote celui à qui il ne manque rien. " Mais il n’est personne en cette vie à qui il ne manque quelque chose. " Nous tombons tous en beaucoup de fautes ", dit S. Jacques (3, 2). Et le Psaume (139, 16) : " Tes yeux ont vu mon imperfection. "

3. La perfection de la vie chrétienne, on l’a dit à l’article précédent, tient à la charité, qui englobe l’amour de Dieu et du prochain. Pour ce qui regarde l’amour de Dieu, nul ne peut posséder ici-bas la charité parfaite. " Le feu de l’amour, écrit S. Grégoire, qui commence à brûler ici-bas, lorsqu’il verra celui qu’il aime, s’enflammera pour lui d’un plus grand amour. " Pas davantage pour ce qui regarde l’amour du prochain. Car, dans cette vie, nous sommes incapables d’amour actuel pour tous les prochains, bien que nous les aimions d’amour habituel. Or l’amour seulement habituel demeure imparfait. Il semble donc que nul ne peut être parfait en cette vie.

En sens contraire, la loi divine ne nous convie pas à l’impossible. Or elle nous invite à la perfection selon S. Matthieu (5, 48) : " Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. " Il semble donc qu’il soit possible d’être parfait en cette vie.

Réponse :

La perfection de la vie chrétienne, avons-nous dit, réside dans la charité. Or la perfection renferme une certaine idée d’universalité. " Est parfait, dit Aristote. celui à qui il ne manque rien. " On peut donc envisager une triple perfection de la charité.

1° Une perfection absolue. La charité alors est totale, non seulement par rapport à celui qui aime, mais encore par rapport à celui qui est aimé. C’est-à-dire que Dieu est aimé autant qu’il est aimable. Cette perfection de la charité n’est possible à aucune créature. Elle est le privilège de Dieu, qui possède le bien intégralement et par essence.

2° Une perfection répondant à toute la capacité de celui qui aime, dont l’amour se porte vers Dieu selon tout son pouvoir et de façon actuelle. Cette perfection n’est pas possible dans l’état de voyageur, mais elle existera dans la patrie.

3° Une perfection qui n’est totale ni par rapport à l’être aimé ni même par rapport à celui qui aime, en ce que celui qui aime Dieu le ferait de façon toujours actuelle, mais qui l’est en cet autre sens qu’elle exclut tout ce qui contrarie le mouvement de l’amour divin. C’est ce que dit S. Augustin : " Le poison de la charité, c’est la cupidité... Sa perfection, c’est l’absence de cupidité. " Or cette perfection-là est possible dans la vie présente.

Et cela de deux façons. D’abord, en tant qu’elle implique le rejet par la volonté humaine de tout ce qui est contraire à la charité, entendez le péché mortel. Sans cette perfection-là, la charité ne peut exister. Aussi est-elle nécessaire au salut. Puis, en tant queue implique le rejet par la volonté humaine, non plus seulement de ce qui est contraire à la charité, mais encore de ce qui l’empêche de se porter vers Dieu de tout son élan. La charité peut exister sans cette seconde perfection, comme c’est le cas chez les commençants et les progressants.

Solutions :

1. S. Paul parle en cet endroit de la perfection de la patrie, qui n’est pas possible dans l’état de voyageur.

2. Ceux qui sont parfaits en cette vie commettent beaucoup de fautes vénielles dues à l’infirmité de la vie présente. En quoi ils gardent quelque chose d’imparfait par comparaison avec la perfection de la patrie.

3. De même que la condition de la vie présente ne permet pas à l’homme d’être toujours uni à Dieu d’amour actuel, elle ne lui permet pas d’avoir pour chacun de ses frères individuellement un amour actuel et distinct. Il suffit qu’il les aime tous ensemble universellement et chacun en particulier d’un amour habituel, sous forme de disposition du cœur.

On peut d’ailleurs envisager, pour l’amour du prochain comme pour l’amour de Dieu, une double perfection. La première, sans laquelle il ne saurait y avoir de charité, consiste à n’avoir rien dans le cœur qui soit contraire à l’amour du prochain. La charité, en revanche, peut exister sans la seconde perfection, qui s’entend en trois sens divers.

Perfection, d’abord, pour ce qui regarde l’extension : que l’on aime non seulement ses amis et connaissances, mais encore les personnes qui nous sont étrangères et jusqu’à nos ennemis. " C’est, dit S. Augustin, le propre des fils parfaits de Dieu. " Perfection, ensuite, pour ce qui regarde l’intensité. Elle paraît aux choses que l’on méprise pour le prochain. L’homme en vient à mépriser pour le prochain non seulement les biens extérieurs mais les afflictions corporelles et la mort même, suivant S. Jean (15, 13) : " Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. " Perfection, enfin, en ce qui concerne les effets. Elle consiste à prodiguer au prochain, avec les bienfaits de l’ordre temporel, ceux de l’ordre spirituel, et à se donner finalement soi-même, suivant le mot de l’Apôtre (2 Co 12, 15) : " je dépenserai volontiers et me dépenserai moi-même pour vos âmes. "

 

            Article 3 — La perfection de cette vie consiste-t-elle principalement dans les préceptes, ou dans les conseils ?

Objections :

1. Il semble qu’elle ne réside pas dans les préceptes mais dans les conseils. En effet, le Seigneur a dit (Mt 19, 21) : " Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu possèdes, puis donne-le aux pauvres. Viens ensuite et suis-moi. " Or c’est là un conseil. La perfection se prend donc des conseils et non pas des préceptes.

2. Tout le monde est tenu d’observer les préceptes, puisqu’ils sont nécessaires au salut. Donc, si la perfection de la vie chrétienne réside dans les préceptes, il s’ensuit que la perfection est nécessaire au salut et que tous y sont obligés. Ce qui est évidemment faux.

3. La perfection de la vie chrétienne, nous l’avons dit, tient à la charité. Mais il ne semble pas que la perfection de la charité consiste dans l’observation des préceptes. Le commencement et le progrès de la charité précèdent en effet, sa perfection, suivant la remarque de S. Augustin. Or il n’y a pas de charité, même à l’état de commencement, avant l’observation des préceptes, comme il est dit en S. Jean (14, 23) : " Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole. " La perfection de cette vie ne tient donc pas aux préceptes mais aux conseils.

En sens contraire, il est dit (Dt 6, 5) : " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. " Et (Lv 19, 18) : " Tu aimeras ton prochain comme toi-même. " Ce sont les deux préceptes dont le Seigneur a dit (Mt 22, 40) : " Toute la Loi et les Prophètes dépendent de ces deux commandements. " Or la perfection de la charité, qui fait la perfection de la vie chrétienne, tient à ce que nous aimons Dieu de tout notre cœur et le prochain comme nous-même. Il semble donc que la perfection consiste en l’observation des préceptes.

Réponse :

Que la perfection consiste en quelque chose peut se dire de deux façons : directement par soi et essentiellement, ou de façon secondaire et par accident. Directement et essentiellement, la perfection de la vie chrétienne consiste dans la charité, principalement dans l’amour de Dieu, et secondairement dans l’amour du prochain, amours auxquels se rapportent les préceptes principaux de la loi divine, on l’a dit. Or l’amour de Dieu et du prochain ne tombe pas sous le précepte suivant une mesure limitée seulement, si bien que le surplus serait réservé au conseil. On le voit clairement par la formulation même du précepte qui souligne la perfection : " Tu aimeras le Seigneur Dieu de tout ton cœur. " " Tout et parfait s’équivalent ", remarque Aristote. De même : " Tu aimeras ton prochain comme toi-même "‘ car chacun s’aime soi-même au maximum. Et tout cela parce que, dit S. Paul (1 Tm 1, 5) : " La charité est la fin du précepte. " Or, quand il s’agit de fin, il ne saurait y avoir de mesure à garder mais seulement quand il s’agit de ce qui est relatif à la fin, dit Aristote. Ainsi le médecin ne met pas de mesure dans la santé qu’il prétend rétablir, tandis qu’il en met dans le remède ou le régime qu’il prescrit en vue de la guérison. Ces considérations prouvent que la perfection consiste essentiellement dans les préceptes. D’où la question de S. Augustin : " Pourquoi cette perfection ne serait-elle pas commandée à l’homme, bien que nul ne la possède en cette vie ? "

Secondairement et à titre de moyen, la perfection consiste dans les conseils. De même que les préceptes, les conseils sont tous ordonnés à la charité, mais d’une manière différente. Les préceptes autres que celui de la charité sont ordonnés à l’éloignement de ce qui s’oppose à la charité et dont la présence rend la charité impossible. Les conseils, eux, sont ordonnés à éloigner ce qui entraverait l’acte de charité tout en n’étant pas contraire à la charité elle-même, comme le mariage, les affaires, etc. C’est ce que dit S. Augustin : " Tout ce que Dieu commande, par exemple : "Tu ne commettras pas l’adultère", et tout ce qu’il conseille sans le commander, par exemple : "Il est bon à l’homme de ne pas toucher de femme" tout cela s’observe comme il faut quand on le rapporte à l’amour de Dieu et du prochain pour Dieu, dans ce siècle-ci et dans l’autre. " De même l’abbé Moïse - : " Les jeûnes, les veilles, la méditation des Écritures, la nudité, le dénuement de toutes ressources ne sont pas la perfection même, mais les moyens de perfection. ce n’est pas en eux que réside la fin de ce régime de vie, mais c’est par eux qu’on parvient à cette fin. " Auparavant il avait dit : " Nous nous efforçons de nous élever par ces degrés à la perfection de la charité. "

Solutions :

1. Dans ces paroles du Seigneur il faut distinguer ce qui trace la voie à suivre pour parvenir à la perfection, c’est-à-dire : " Va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres "et ce qui a trait à la perfection elle-même, c’est-à-dire " Suis-moi. " C’est pourquoi S. Jérôme écrit " Parce qu’il ne suffit pas de tout quitter Pierre ajoute ce qui est la perfection même : Nous t’avons suivi. " Et S. Ambroise fait cette remarque sur " Suis-moi " (Lc 5, 27) : " Il ordonne de suivre, non par la démarche du corps, mais par l’affection de l’âme ", c’est-à-dire par la charité. Il ressort donc des termes mêmes que les conseils représentent des moyens de parvenir à la perfection, puisqu’il dit : " Si tu veux être parfait, va, vends, etc. " comme s’il disait : " En faisant cela, tu parviendras à cette fin. "

2. Comme dit S. Augustin : " Si la perfection de la charité est commandée à l’homme en cette vie, c’est qu’il est impossible de bien courir si l’on ignore vers quel but on doit courir. Et comment le saurions-nous si nul précepte ne nous l’apprenait ? " Mais il y a plusieurs manières d’observer un précepte, et ce n’est pas le transgresser que de ne pas l’observer de la manière la plus parfaite possible. Il suffit de l’accomplir, de quelque manière que ce soit. La perfection de l’amour divin tombe bien sous le précepte dans toute son étendue. Même la perfection de la patrie ne demeure pas en dehors de ce précepte, observe S. augustin. Mais celui qui, d’une manière quelconque, atteint à la perfection de l’amour divin échappe au reproche d’avoir transgressé le précepte. Le plus bas degré de l’amour divin, c’est de ne rien aimer plus que Dieu ou contre Dieu ou autant que Dieu. Celui qui n’atteint pas ce degré de perfection n’observe aucunement le précepte. Il est un autre degré d’amour, le plus élevé, qu’il est impossible, on l’a dit à l’article précédent, d’atteindre ici-bas. Il est manifeste que celui qui n’y est pas parvenu ne viole pas le précepte. Celui qui n’atteint pas les degrés intermédiaires de perfection ne l’enfreint pas davantage, pourvu qu’il atteigne le plus bas.

3. Il est une perfection naturelle que l’homme possède dès sa naissance sous peine de n’être pas un homme, et une autre perfection à laquelle il parvient en grandissant. De même, il existe une certaine perfection spécifique de la charité : qu’on aime Dieu par-dessus toutes choses, et qu’on n’aime rien contre lui. Et il existe, même en cette vie, une autre perfection de la charité à laquelle on parvient par voie de croissance spirituelle. Par exemple, lorsque l’on s’abstient même de choses permises pour vaquer plus librement au service de Dieu.

 

            Article 4 — Quiconque est parfait se trouve-t-il dans l’état de perfection ?

Objections :

1. Il semble bien. Nous venons de remarquer que l’on parvenait à la perfection spirituelle par la croissance spirituelle, de même que l’on parvient à la perfection corporelle par la croissance corporelle. Or on dit de celui qui a accompli sa croissance corporelle qu’il se trouve dans l’état d’âge parfait. Donc il semble aussi qu’on doit dire, de celui que la croissance spirituelle a conduit à la perfection, qu’il se trouve dans l’état de perfection.

2. " Les mouvements qui s’effectuent du contraire au contraire et du moins au plus sont de même type ", dit Aristote. Mais lorsqu’un homme passe du péché à la grâce, on dit qu’il change d’état en tant qu’on distingue l’état de péché et l’état de grâce. Il semble donc au même titre, lorsqu’on progresse d’une grâce moindre à une grâce plus grande jusqu’à la perfection, que l’on atteint l’état de perfection.

3. Un homme acquiert un état du fait qu’il se trouve affranchi de la servitude. Mais la charité nous affranchit de la servitude du péché, puisque " la charité couvre toutes les fautes ", disent les Proverbes (10, 12). Mais on a dit que la charité rend l’homme parfait. Donc, semble-t-il, quiconque est parfait possède par cela même l’état de perfection.

En sens contraire, certains sont dans l’état de perfection et n’ont ni la charité, ni la grâce, par exemple les mauvais évêques et les mauvais religieux. Il semble donc qu’à l’inverse certains puissent avoir une vie parfaite sans se trouver dans l’état de perfection.

Réponse :

Nous avons dit que l’état relève, à proprement parler, de la condition de liberté ou de servitude. Or, chez l’homme, la liberté ou la servitude spirituelle peuvent se présenter sous deux formes, l’une intérieure, l’autre extérieure. Et, comme il est écrit (1 S 16, 7) : " Les hommes ne voient que ce qui parent au-dehors, tandis que Dieu regarde le cœur. " Aussi la disposition intérieure de l’homme détermine-t-elle un état spirituel à l’égard du jugement de Dieu, tandis que ses actes extérieurs lui valent de posséder un état spirituel devant l’Église. Or c’est en ce dernier sens que nous parlons présentement des états, en tant que leur diversité procure à l’Église une certaine beauté.

Remarquons d’autre part que pour acquérir parmi les hommes un état de liberté ou de servitude, il faut premièrement qu’intervienne un acte par où l’on se trouve soit lié, soit affranchi. Le seul service d’autrui ne fait pas l’esclave, car les hommes libres aussi peuvent servir, suivant S. Paul (Ga 5, 13) : " Par la charité de l’esprit, mettez-vous au service les uns des autres. " Et le fait de cesser de servir ne suffit pas non plus à rendre libre. Il y a des esclaves fugitifs. Celui-là est vraiment serf qui est obligé à servir, et celui-là est vraiment libre qui est délié de l’obligation de servir. Secondement, il faut que l’acte par où l’on se trouve obligé revête une certaine solennité. Ainsi en va-t-il parmi les hommes pour tout ce qui doit avoir une valeur perpétuelle.

On dira de même qu’un homme se trouve dans l’état de perfection, non pas en raison de l’acte intérieur de charité qui est parfait en lui, mais parce qu’il s’est obligé, pour toujours et par un acte solennel, à une vie de perfection. Il arrive qu’après avoir promis on ne tienne pas sa promesse, tandis que d’autres font ce qu’ils n’ont pas promis. Par exemple, ces deux fils de l’Évangile (Mt 21, 28) dont l’un, à son père qui lui disait : " Travaille à ma vigne ", répondit : " je ne veux pas ", et puis y alla, tandis que l’autre répondit : " J’y vais ", et n’y alla pas. Rien n’empêche donc que certains soient parfaits sans être dans l’état de perfection, et que d’autres soient dans l’état de perfection sans être parfaits.

Solutions :

1. Par la croissance physique on progresse dans l’ordre de la nature et donc on parvient à l’état réclamé par la nature, surtout parce que ce qui est en conformité avec la nature est immuable de quelque façon, la nature étant déterminée à une certaine manière d’être. De même, par le progrès spirituel, on acquiert l’état intérieur de perfection pour ce qui regarde le jugement de Dieu. Mais, pour ce qui regarde la diversité des états ecclésiastiques, on n’acquiert l’état de perfection que par un progrès affectant la manière extérieure d’agir.

2. Cet argument vise encore l’état intérieur. D’ailleurs, lorsque quelqu’un passe du péché à la grâce, il passe effectivement de la servitude à la liberté. Ce qui n’arrive pas lorsqu’il s’agit d’un simple progrès dans la grâce, à moins qu’on ne s y oblige.

3. Cet argument vaut lui aussi pour l’état intérieur. Et cette fois encore, il faut distinguer entre la charité elle-même, qui change la condition de servitude et de liberté spirituelles, et le simple progrès dans la charité, qui n’a pas ce pouvoir.

 

            Article 5 — Les prélats et les religieux sont-ils spécialement dans l’état de perfection ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car l’état de perfection se distingue de l’état des commençants et des progressants. Mais il n’y a pas de gens spécialement affectés à l’état de progressants ou de commençants. Donc il ne semble pas qu’ils doivent y avoir des catégories d’hommes affectés à l’état de perfection.

2. L’état extérieur doit répondre à l’état intérieur. Autrement, on commet le mensonge lequel, dit S. Ambroise, " ne consiste pas seulement en paroles fausses mais en œuvres simulées ". Mais il y a beaucoup de prélats ou de religieux qui n’ont pas la perfection intérieure de la charité. Donc, si les religieux et les prélats étaient tous dans l’état de perfection, il s’ensuivrait que tous ceux d’entre eux qui ne sont pas parfaits seraient en état de péché mortel, comme simulateurs et menteurs.

3. Nous avons dit que la perfection tient à la charité. Or il semble que la charité la plus parfaite se rencontre chez les martyrs : " Il n’y a pas de plus grande charité que de donner sa vie pour ses amis " (Jn 15, 13). Et sur ce texte (He 12, 4) : " Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang ", la Glose dit " Il n’y a pas en cette vie d’amour plus parfait que celui auquel les martyrs ont atteint, eux qui ont combattu le péché jusqu’à verser le sang. " L’état de perfection semble donc devoir être attribué aux martyrs plutôt qu’aux religieux et aux évêques.

En sens contraire, Denys attribue la perfection aux évêques comme à des " agents de perfection ". Et ailleurs il l’attribue aux religieux, qu’il appelle " moines " ou " thérapeutes ", ce qui veut dire serviteurs de Dieu, comme à des " perfectionnés ".

Réponse :

L’état de perfection requiert, on l’a dit v la perpétuelle obligation, accompagnée de solennité, à une vie de perfection. Or l’une et l’autre condition se vérifie dans le cas des religieux et des évêques. Les religieux s’engagent par vœu à s’abstenir des biens du siècle, dont il leur était loisible d’user, en vue de vaquer à Dieu plus librement, et c’est en cela que consiste la perfection de la vie présente. D’où ces paroles de Denys, sur les religieux : " certains les appellent "thérapeutes", c’est-à-dire serviteurs, parce qu’ils sont voués au culte et service de Dieu ; d’autres les appellent "moines", parce que leur vie, loin d’être divisée, demeure parfaitement une, parce qu’ils s’unifient eux-mêmes par un saint recueillement qui exclut toute division, de façon à tendre vers la perfection de l’amour divin ". D’autre part, l’engagement qu’ils prennent s’accompagne de la solennité de la profession et de la bénédiction. Aussi Denys ajoute-t-il : " C’est pourquoi la législation sacrée, leur octroyant une grâce parfaite, les honore d’une prière consécratoire. "

Les évêques pareillement s’obligent à une vie de perfection lorsqu’ils assument l’office pastoral qui les oblige à donner leur vie pour leurs brebis (Jn 10, 3). C’est ce qui fait dire à S. Paul (1 Tm 6, 12) : " Tu as fait une belle profession devant un grand nombre de témoins ", c’est-à-dire, explique la Glose, " lors de ton ordination ". Et cette profession s’accompagne d’une consécration solennelle, d’après S. Paul (2 Tm 1, 6) : " Ravive la grâce de Dieu que tu as reçue par l’imposition de mes mains ", ce que la Glose entend de la grâce épiscopale. Denys écrit : " Le souverain prêtre, c’est-à-dire l’évêque, se voit imposer sur la tête, dans son ordination, la sainte Parole, pour signifier qu’il reçoit la plénitude du pouvoir hiérarchique et qu’il lui appartient non seulement d’interpréter toutes les formules et les actions saintes mais encore de les communiquer aux autres. "

Solutions :

1. Le commencement et la croissance ne sont pas recherchés pour eux-mêmes, mais en vue de la perfection. C’est donc au seul état de perfection que certaines personnes sont promues avec obligation et solennité.

2. Les hommes qui embrassent l’état de perfection ne font pas profession d’être parfaits, mais de tendre à la perfection. Aussi S. Paul dit-il (Ph 3, 12) : " Non pas que j’aie déjà obtenu le prix ou que je sois parfait ; non, je poursuis ma course pour tâcher de saisir. " Et il ajoute : " Nous tous, qui sommes des "parfaits", c’est ainsi qu’il nous faut penser. " Celui qui, n’étant pas parfait, embrasse l’état de perfection n’est donc ni un menteur ni un simulateur. Il ne le devient que s’il révoque son propos de perfection.

3. Le martyre constitue l’acte suprême de la charité. Mais, nous l’avons dit, un acte de perfection ne suffit pas à créer un état.

 

            Article 6 — Tous les prélats sont-ils dans l’état de perfection ?

Objections :

1. Il semble que tous les prélats ecclésiastiques soient dans l’état de perfection. S. Jérôme dit en effet : " Autrefois prêtre et évêque ne se distinguaient pas. " Et il ajoute : " Les prêtres doivent savoir que la coutume de l’Église les soumet à celui qui leur est préposé. Mais les évêques, de leur côté, se souviendront que c’est moins à la réelle disposition du Seigneur qu’à la coutume qu’ils doivent d’être supérieurs aux prêtres, et qu’ils ont à gouverner l’Église en union avec eux. " Or les évêques sont dans l’état de perfection. Donc aussi les prêtres, qui ont charge d’âmes.

2. Comme les évêques, les curés reçoivent charge d’âmes et bénéficient d’une consécration. Les archidiacres de même, dont, à propos des Actes (6, 3) : " Cherchez, frères, sept hommes de bon renom ", la Glose nous dit : " Les Apôtres, par ces paroles, prescrivaient la désignation par l’Église de sept diacres qui occuperaient un rang plus élevé et se tiendraient comme des colonnes près de l’autel. " Il semble donc qu’eux aussi soient dans l’état de perfection.

3. De même que les évêques, les curés et archidiacres sont obligés de donner leur vie pour leurs brebis. Or cela appartient, on l’a dit, à la perfection de la charité. Il semble donc que les curés aussi et les archidiacres soient dans l’état de perfection.

En sens contraire, Denys écrit : " L’ordre des pontifes a mission de consommer et de conduire à la perfection, celui des prêtres d’illuminer et d’éclairer, celui des diacres de purifier et de discerner. " D’où il ressort que la perfection appartient aux seuls évêques.

Réponse :

Chez les prêtres et les diacres ayant charge d’âmes, on peut distinguer l’ordre et la charge. Or l’ordre se rapporte à un acte particulier dans les offices divins. C’est pourquoi nous avons dit plus haut que la distinction des ordres rentrait dans la distinction des offices. Ceux qui reçoivent un ordre sacré reçoivent donc le pouvoir d’accomplir certains actes sacrés. Mais ils ne sont pas obligés par le fait même à une vie de perfection, à ceci près que, dans l’Église occidentale, la réception des ordres sacrés implique l’émission du vœu de continence, qui est l’un de ceux que requiert la perfection, comme on le verra plus loin. Ainsi donc, celui qui reçoit un ordre sacré n’est pas placé, à proprement parler, dans l’état de perfection, bien que la perfection intérieure soit requise pour exercer dignement ces sortes d’actes.

La charge qu’ils assument ne les place pas non plus dans l’état de perfection. En effet, ils ne sont pas obligés de ce chef et par un vœu perpétuel à conserver toute leur vie la charge d’âmes. Ils peuvent l’abandonner en entrant en religion, même sans la permission de l’évêque, comme il est spécifié dans les Décrets. Et avec la permission de l’évêque, ils peuvent même abandonner un archidiaconé ou une paroisse pour recevoir une simple prébende sans charge d’âmes. Ce qui ne leur serait aucunement permis s’ils étaient dans l’état de perfection. " Nul, en effet, s’il regarde en arrière après avoir mis la main à la charrue, n’est apte au royaume de Dieu " (Lc 9, 62). Les évêques, par contre, qui sont dans l’état de perfection, ne peuvent abandonner la charge épiscopale que par l’autorité du souverain pontife, auquel il appartient de dispenser en matière de vœux perpétuels et pour des motifs déterminés, comme on le dira plus loin. Il est donc manifeste que tous les prélats ne sont pas dans l’état de perfection, mais seulement les évêques.

Solutions :

1. Lorsqu’on parle de prêtre et d’évêque, on peut se placer à deux points de vue différents. Au point de vue du nom : il est exact que jadis on ne distinguait pas entre prêtre et évêque. L’évêque est un " surintendant ", explique S. Augustin. Le prêtre est un " ancien ". S. Paul, pour les désigner l’un et l’autre, emploie indifféremment le mot soit de prêtre (1 Tm 5. 17) : " Les prêtres qui exercent bien leur présidence sont dignes d’un double honneur ", soit d’évêque, car il dit aux prêtres d’Éphèse (Ac 20, 28) : " Faites attention à vous et à tout le troupeau, au sein duquel l’Esprit Saint vous a établis comme évêques pour régir l’Église de Dieu. "

Mais au point de vue de la réalité, ils ont toujours été distincts, même au temps des Apôtres, comme on le voit chez Denys. Et sur le texte de Luc (10, 1), la Glose écrit : " De même que nous avons dans les Apôtres le prototype des évêques, nous avons dans les soixante douze disciples celui des prêtres du second ordre. "

Dans la suite, pour écarter le péril de schisme, il devint nécessaire de distinguer même les noms, les plus grands étant qualifiés d’évêques, et les moindres de prêtres. Prétendre que les prêtres ne diffèrent pas des évêques, c’est une erreur que S. Augustin range parmi les dogmes hérétiques lorsqu’il rapporte que les ariens se refusaient à mettre aucune différence entre prêtre et évêque.

2. C’est l’évêque, à titre principal, qui a la charge de toutes les âmes de son diocèse. Les curés et archidiacres exercent les ministères moindres qui leur sont confiés sous l’autorité de l’évêque. Aussi sur ce mot de S. Paul (1 Co 12, 28) : " A d’autres l’assistance, à d’autres le gouvernement ", la Glose explique : " L’assistance : c’est la fonction de ceux qui jouent le rôle d’auxiliaires près des supérieurs, comme Tite pour l’Apôtre ou les archidiacres pour les évêques. Le gouvernement, c’est l’autorité dont jouissent les personnes de moindre rang, tels les prêtres, chargés de former le peuple. " Et Denys : " De même que nous voyons la hiérarchie universelle culminer en Jésus, chacune des hiérarchies particulières atteint son sommet dans le divin hiérarque qui lui est propre, c’est-à-dire dans l’évêque. " Et on lit dans les Décrets : " Les prêtres et les diacres doivent tous prendre garde de ne rien faire sans la permission de leur propre évêque. " C’est dire qu’ils sont par rapport à l’évêque ce que sont les baillis et prévôts par rapport au roi. En conséquence, de même que le roi seul, entre toutes les puissances séculières, reçoit une bénédiction solennelle, les autres étant instituées par simple commission, de même, dans l’Église, la charge épiscopale est conférée par une solennelle consécration, tandis que les charges archidiaconale et curiale le sont par simple injonction. Cependant, avant même d’avoir cette charge, archidiacres et curés sont consacrés par leur ordination.

3. Les curés et archidiacres, n’ayant pas charge d’âmes à titre principal, mais une simple administration confiée par l’évêque, n’exercent pas en premier l’office pastoral et ne sont pas obligés de donner leur vie pour le troupeau, si ce n’est dans la mesure où ils ont part à la charge d’âmes. Il s’agit donc dans leur cas d’un office se rattachant à la perfection plutôt que d’un état de perfection.

 

            Article 7 — Quel est le plus parfait — l’état religieux, ou l’état épiscopal ?

Objections :

1. Il semble que l’état religieux soit plus parfait que l’état épiscopal. En effet, le Seigneur a dit (Mt 19, 21) : " Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres. " C’est ce que font les religieux. Mais les évêques n’y sont pas tenus. " Les évêques, est-il dit dans les Décrets, laisseront à leurs héritiers quelque chose de leurs biens patrimoniaux ou acquis, ou leur appartenant personnellement. " Les religieux sont donc dans un état plus parfait que les évêques.

2. La perfection réside dans l’amour de Dieu plus que dans l’amour du prochain. Or l’état des religieux est directement ordonné à l’amour de Dieu, ce qui leur vaut, selon Denys " de tirer leur nom du culte et service de Dieu ". L’état épiscopal, lui, semble ordonné à l’amour du prochain, dont les évêques ont la charge en qualité de surintendants, comme l’atteste leur nom, suivant la remarque de S. Augustin. L’état religieux semble donc plus parfait que l’état épiscopal.

3. L’état religieux est ordonné à la vie contemplative, qui l’emporte sur la vie active à laquelle l’état épiscopal est ordonné selon S. Grégoire : " Isaïe, aspirant à l’office de la prédication, souhaitait d’être utile au prochain dans la vie active, tandis que Jérémie, voulant s’attacher diligemment à l’amour du Créateur par la contemplation, déclinait la mission de prédicateur. " Il apparaît donc que l’état religieux est plus parfait que l’état épiscopal.

En sens contraire, il n’est permis à personne de passer d’un état plus relevé à un état inférieur. Ce serait " regarder en arrière ". Mais on peut passer de l’état religieux à l’état épiscopal. Les Décrets disent en effet que " l’ordination sacrée fait du moine un évêque ". Il faut donc que l’état épiscopal soit plus relevé que l’état religieux.

Réponse :

Comme dit S. Augustin " l’agent est toujours supérieur au patient ". Or, dans l’ordre de la perfection, les évêques, d’après Denys sont agents de perfection (perfectores) et les religieux, perfectionnés (perfecti). De ces deux conditions, l’une évoque l’idée d’activité, l’autre de passivité. D’où il est évident que l’état de perfection est supérieur chez les évêques à ce qu’il est chez les religieux.

Solutions :

1. Le renoncement aux biens propres peut revêtir deux formes différentes. D’abord, la forme de réalité actuelle : ainsi considéré, il n’est pas la perfection même, mais un simple moyen de perfection, nous l’avons dit. Donc rien ne s’oppose à ce que l’état de perfection puisse exister sans lui. Et ainsi des autres observances extérieures. D’autre part, le renoncement peut avoir la forme de disposition intérieure, l’homme étant prêt, s’il en était besoin, à tout abandonner ou distribuer. Et cela appartient directement à la perfection. " Le Seigneur, écrit S. Augustin fait voir que les fils de la Sagesse se rendent parfaitement compte que la justice ne consiste ni à jeûner ni à manger, mais à supporter l’indigence d’une âme égale. " Et S. Paul (Ph 4, 12) : " je sais vivre dans l’abondance, et manquer du nécessaire. " Or les évêques sont tenus plus que personne de mépriser tous leurs biens pour l’honneur de Dieu et le salut de leur troupeau, lorsque les circonstances l’exigeront, soit en les distribuant aux pauvres, soit en supportant avec joie qu’on les leur ravisse.

2. Si les évêques s’appliquent aux choses qui relèvent de l’amour du prochain, cela provient de l’abondance de leur amour pour Dieu. C’est pourquoi le Seigneur commença par demander à Pierre s’il l’aimait, et lui confia ensuite la charge du troupeau. S. Grégoire écrit : " Si la charge pastorale est une preuve d’amour, quiconque, pourvu des vertus nécessaires, refuse de paître le troupeau de Dieu, se trouve convaincu de ne pas aimer le Pasteur suprême. " C’est un signe de plus grand amour d’accepter, pour son ami, de servir un tiers, que de vouloir servir cet ami exclusivement.

3. Selon S. Grégoire. " que l’évêque soit le premier pour l’action et qu’il soit néanmoins plus que personne attaché à la contemplation ". Il lui appartient en effet de contempler, non pas seulement pour lui-même mais pour l’instruction d’autrui. C’est ce qui fait dire à S. Grégoire : " Aux hommes parfaits qui sortent de la contemplation s’applique le mot du Psaume (145, 7 Vg) : " Le goût de ta douceur leur revient à la bouche. "

 

            Article 8 — Comparaison des religieux avec les curés et les archidiacres

Objections :

1. Il semble que ces derniers soient eux aussi plus parfaits que les religieux. Car S. Jean Chrysostome dit : " Donne-moi un moine qui soit, disons, un autre Élie. Eh bien, on ne doit pas lui comparer celui qui, livré au peuple et obligé de porter les péchés de beaucoup, demeure immuable et fort. " Et un peu plus loin : " Si l’on me donnait à choisir où j’aimerais mieux plaire à Dieu : dans l’office sacerdotal, ou dans la solitude monacale, je choisirais d’emblée le premier " Et dans un autre endroit : " Si l’on compare au sacerdoce bien administré les sueurs de la profession monastique, on trouvera entre eux la même distance qui sépare un roi d’un simple particulier. " Il semble donc que les prêtres ayant charge d’âmes soient plus parfaits que les religieux.

2. S. Augustin écrit " Que ta religieuse prudence veuille considérer qu’il n’y a rien de plus difficile dans la vie, surtout en ce temps-ci, ni de plus laborieux, ni de plus périlleux, que l’office épiscopal, presbytéral ou diaconal ; mais devant Dieu rien ne les surpasse en béatitude, si l’on combat comme le commande notre chef " Les religieux ne sont donc pas plus parfaits que les prêtres et les diacres.

3. S. Augustin écrit encore : " Ce serait trop triste si nous exposions les moines à un orgueil si pernicieux, et si nous considérions les clercs comme méritant un si grave affront, que de dire qu’un mauvais moine fait un bon clerc, alors que c’est tout juste si un bon moine arrive à faire un bon clerc. " Et un peu plus haut, il avait dit : " N’allons pas donner lieu aux serviteurs de Dieu ", c’est-à-dire aux moines, " de penser qu’ils seront plus facilement choisis pour la cléricature s’ils deviennent pires ", c’est-à-dire s’ils abandonnent la vie monastique. Il semble donc que ceux qui sont dans l’état clérical soient plus parfaits que les religieux.

4. Il n’est pas permis de passer d’un état supérieur à un état inférieur. Mais on peut passer de l’état monastique à l’office de curé, comme le prouve ce décret du pape Gélase : " S’il se trouve un moine vénérable par le mérite de sa vie, estimé digne du sacerdoce, et si l’Abbé sous le commandement duquel il combat pour le Christ, demande qu’on le fasse prêtre, l’évêque devra le choisir et l’ordonner où il le jugera bon. " Et S. Jérôme écrit : " Vis dans le monastère de telle sorte que tu mérites de devenir clerc. " Donc curés et archidiacres sont plus parfaits que les religieux.

5. Les évêques sont, avons-nous dit à l’article précédent, dans un état plus parfait que les religieux. Or les curés et archidiacres, ayant charge d’âmes, ressemblent plus aux évêques que les religieux. Donc ils sont plus parfaits que ceux-ci.

6. " La vertu a pour objet le bien difficile ", dit Aristote. Mais il est plus difficile de bien vivre dans l’office de curé ou d’archidiacre que dans l’état religieux. Il s’ensuit que la vertu est plus parfaite chez les curés et les archidiacres que chez les religieux.

En sens contraire, il est dit dans les Décrets : " Si quelqu’un gouverne sous l’autorité de l’évêque le peuple de son Église et mène la vie séculière, et que le désir lui vienne, sous l’inspiration du Saint-Esprit, d’aller faire son salut parmi les moines ou les chanoines réguliers, c’est la loi particulière qui le guide et il n’y a pas lieu de lui opposer la loi publique. " Mais nul n’est conduit par la loi de l’Esprit Saint, que l’on appelle ici loi particulière, si ce n’est à un bien plus parfait. Il semble donc que les religieux soient plus parfaits que les curés et archidiacres.

Réponse :

Il ne peut être question de supériorité des uns sur les autres sinon là où ils diffèrent, nullement là où ils se rejoignent. Chez les curés et archidiacres, trois points sont à considérer : l’état, l’ordre et l’office. Leur état, c’est l’état séculier ; leur ordre, c’est le sacerdoce ou le diaconat ; leur office, c’est la charge d’âmes qui leur est confiée.

Donc, si nous plaçons d’autre part des religieux qui soient prêtres ou diacres et qui aient en outre charge d’âmes, comme c’est le cas de la plupart des moines et des chanoines réguliers, les religieux l’emportent sur le premier point et sont à égalité sur les autres. Si les seconds diffèrent des premiers par l’état et l’office, et leur ressemblent pour ce qui est de l’ordre, comme il arrive pour les religieux prêtres ou diacres qui n’ont pas charge d’âmes, ils leur seront supérieurs pour l’état, inférieurs pour l’office, égaux pour l’ordre.

Cela nous conduit à examiner laquelle de ces prééminences doit être tenue pour principale, celle de l’état ou celle de l’office. A ce propos il semble qu’on doive considérer deux choses, à savoir la bonté et la difficulté. Si la comparaison porte sur la bonté, l’état religieux doit être mis au-dessus de l’office de curé ou d’archidiacre. Le religieux s’engage pour toute la durée de sa vie à la poursuite de la perfection. Le curé et l’archidiacre ne s’engagent pas au soin des âmes pour toute la vie, à la différence de l’évêque. De plus cette charge des âmes qui leur sont confiées, ils ne l’exercent pas en premier : c’est le propre de l’évêque ; leur office se limite à certains actes déterminés de la charge d’âmes, nous l’avons montrée. L’état religieux est donc par rapport à leur office comme l’universel par rapport au particulier, comme l’holocauste par rapport au simple sacrifice, qui est inférieur à l’holocauste comme le montre S. Grégoire. Aussi lit-on dans les Décrets : " Aux clercs qui veulent devenir moines parce qu’ils aspirent à mener une vie meilleure, l’évêque doit accorder la liberté d’entrer au monastère. " Cette comparaison porte, bien entendu, sur les deux genres d’activité pris en eux-mêmes. Car, selon la charité du sujet, il arrive parfois qu’une œuvre, en soi moindre qu’une autre, devienne plus méritoire étant faite avec une plus grande charité.

Mais si l’on fait porter la comparaison sur la difficulté de bien vivre dans l’état religieux et dans la charge d’âmes, c’est cette dernière qui l’emporte. Du moins pour ce qui regarde les dangers extérieurs, car la vie religieuse est la plus difficile quant à la nature de l’œuvre à accomplir, en raison de la rigueur de l’observance régulière.

Mais s’il s’agit d’un religieux qui n’est pas dans les ordres, ce qui est le cas des convers, il est manifeste que le clerc dans les ordres l’emporte, et de beaucoup, pour la dignité. Par l’ordre sacré, le clerc se trouve député aux ministères les plus dignes qui soient, parce qu’il sert le Christ dans ce sacrement de l’autel qui requiert une sainteté supérieure à celle que demande l’état religieux lui-même. Comme dit Denys : " L’ordre monastique doit suivre les ordres sacerdotaux et s’élever aux choses divines en les imitant. " Aussi le clerc dans les ordres sacrés, s’il fait quelque chose de contraire à la sainteté, pèche-t-il plus gravement, toutes choses égales d’ailleurs, que le religieux non engagé dans les ordres sacrés. Cependant, il reste toujours que le religieux non clerc est astreint aux observances régulières, auxquelles ne sont pas obligés ceux qui sont dans les ordres sacrés.

Solutions :

1. On pourrait répondre à ces paroles de S. Jean Chrysostome qu’il n’a pas en vue les curés mais l’évêque, souverain prêtre. C’est bien le propos réel de ce livre, par lequel il se console, lui-même et S. Basile, de leur élection à l’épiscopat.

Mais laissons cela, et disons qu’il se place au point de vue de la difficulté. Il vient en effet de dire : " Lorsque le pilote sera au milieu des flots et qu’il aura réussi à sauver son bateau de la tempête, c’est à juste titre que tout le monde, reconnaissant son mérite, le saluera du nom de parfait pilote. " A quoi fait suite ce qu’il dit du moine, et qui a été transcrit plus haut : " Le moine ne peut être comparé à celui qui, livré au peuple, demeure immuable. " Et il en donne la raison : " Il a su se gouverner lui-même dans la tempête comme dans la tranquillité. " Or tout cela prouve une seule chose : que l’état de celui qui a charge d’âmes est plus périlleux que celui du moine. Et se conserver innocent dans un plus grand péril est le signe d’une vertu supérieure. Mais c’est aussi le signe d’une grande vertu d’éviter le péril en entrant en religion. Aussi ne dit-il pas qu’il aimerait mieux être dans l’office sacerdotal que dans la solitude, mais qu’il préférerait plaire à Dieu en celui-là qu’en celle-ci, ce qui est, en effet, la preuve ‘une plus grande vertu.

2. Cette parole de S. Augustin vise elle aussi la difficulté, laquelle, on l’a dit, fait valoir la supériorité de la vertu chez ceux qui s’y comportent bien.

3. S. Augustin compare ici les moines aux clercs quant à la distance que l’ordre met entre eux, et nullement quant à la valeur respective de la vie religieuse et de la vie séculière.

4. Ceux qui sont pris à l’état religieux pour être appliqués au soin des âmes, alors qu’ils sont déjà engagés dans les ordres sacrés, acquièrent quelque chose qu’ils n’avaient pas : l’office de la charge d’âmes, sans abandonner ce qu’ils avaient : l’état religieux. Les Décrets le disent expressément : " S’il arrive que des moines, qui ont vécu longtemps au monastère, parviennent aux ordres de la cléricature, nous statuons qu’ils ne doivent pas abandonner leur premier propos. " Les curés ou archidiacres, au contraire, quand ils entrent en religion, abandonnent la charge pour acquérir la perfection de l’état, ce qui montre bien la supériorité de la vie religieuse. Si des religieux laïcs sont élus pour la cléricature et les ordres sacrés, il est manifeste qu’ils sont promus à quelque chose de meilleur. On l’a dit plus haut et cela ressort de la manière de parler de S. Jérôme : " Vis dans le monastère de manière à mériter de devenir clerc. "

5. Les curés et archidiacres ressemblent davantage aux évêques sur un point : par la charge d’âmes qu’ils ont en second. Mais, pour ce qui est de l’obligation perpétuelle requise par l’état de perfection, ce que nous avons dit’ montre que ce sont les religieux qui ressemblent le plus aux évêques.

6. La difficulté qui tient au caractère ardu de l’œuvre elle-même ajoute quelque chose à la perfection de la vertu. Mais pour la difficulté qui vient des obstacles extérieurs, c’est différent. Tantôt elle diminue la perfection de la vertu, dans le cas de celui qui n’aime pas assez la vertu pour éviter les obstacles à la vertu, selon S. Paul (1 Co 9, 25) : " Celui qui lutte dans le stade s’abstient de tout. " Tantôt elle démontre la perfection de la vertu, dans le cas de celui devant qui surgissent inopinément ou par suite d’un juste motif des obstacles à la vertu, mais qui ne parviennent pas à l’en détourner. Dans l’état religieux, la difficulté qui vient des œuvres mêmes, qui sont ardues, est plus grande. Mais chez ceux qui vivent dans le siècle à un titre quelconque, la difficulté est plus grande du fait de ces obstacles que les religieux ont eu la sagesse d’éviter.

 

 

QUESTION 185 — L’ÉTAT ÉPISCOPAL

1. Est-il permis de désirer l’épiscopat ? - 2. Est-il permis de refuser absolument l’épiscopat ? - 3. Faut-il élire le meilleur pour l’épiscopat ? - 4. L’évêque peut-il entrer en religion ? - 5. Peut-il abandonner physiquement ses sujets ? - 6. Peut-il posséder quelque chose en propre ? - 7. Pèche-t-il mortellement en ne distribuant pas aux pauvres les biens de l’Église ? - 8. Les religieux élevés à l’épiscopat sont-ils tenus aux observances régulières ?

 

            Article 1 — Est-il permis de désirer l’épiscopat ?

Objections :

1. Il semble que oui, car S. Paul a écrit (1 Tm 3, 1) : " Celui qui désire l’épiscopat désire une œuvre bonne. " Or c’est une chose licite et louable de désirer une œuvre bonne.

2. L’épiscopat est plus parfait que l’état religieux, nous venons de le dire. Or il est louable de désirer embrasser l’état religieux. Il l’est donc aussi de souhaiter être promu à l’épiscopat.

3. Il est écrit (Pr 11, 26) : " Celui qui cache le blé sera maudit parmi les peuples, tandis qu’ils béniront celui qui le vend. " Mais celui que la vie et la science qualifient pour l’épiscopat, semble cacher le blé spirituel s’il s’y dérobe, tandis qu’en l’acceptant, il se trouve en situation de dispenser le blé spirituel. Il semble donc que ce soit chose louable de désirer l’épiscopat, et chose blâmable de s’y dérober.

4. Les actes des saints rapportés dans l’Écriture nous sont donnés en exemple, selon cette parole (Rm 15, 4) : " Tout ce qui est écrit l’est pour notre instruction. " Or nous lisons qu’Isaie (6, 8) s’offrit à remplir l’office de la prédication, qui est très spécialement celui des évêques. C’est donc, semble-t-il, un louable désir que celui de l’épiscopat.

En sens contraire, S. Augustin écrit " Cette fonction supérieure, dont l’existence est nécessaire au gouvernement du peuple, même si on l’administre comme il convient, il ne convient pas de la désirer. "

Réponse :

Dans l’épiscopat, il y a trois éléments à considérer. Le premier qui est primordial et a valeur de fin, c’est le ministère épiscopal lui-même, par où l’on s’applique à procurer le bien du prochain, selon cette parole (Jn 21, 17) : " Pais mes brebis. " Le deuxième, c’est le grade élevé. En effet, l’évêque se trouve placé au-dessus des autres selon Mt (24, 45) : " Le serviteur fidèle et prudent que le Seigneur a établi sur sa famille. " Le troisième est la conséquence des deux autres. Il consiste dans la révérence, l’honneur, l’abondance de biens temporels dont parle S. Paul (1 Tm 5, 17) : " Les prêtres qui exercent bien leur présidence sont dignes d’un double honneur. " Désirer l’épiscopat pour les avantages qui s’y trouvent joints, c’est manifestement illicite. Cette manière d’agir relève de la cupidité et de l’ambition. Et c’est cela même que le Seigneur reprochait aux pharisiens (Mt 23, 6) : " Ils aiment les premières places dans les repas, les premiers sièges à la synagogue, d’être salués sur la place publique et qu’on les appelle : "Rabbi". " Quant à désirer l’épiscopat pour le rang élevé qu’il procure, c’est présomption. Aussi le Seigneur reprend-il les disciples pour leur recherche de la primauté (Mt 20, 25) : " Vous savez que les rois des nations exercent sur elles la domination. " Sur quoi S. Jean Chrysostome remarque : " Ainsi leur donne-t-il à comprendre que c’est le fait de païens d’ambitionner les primautés. Et en comparant leur conduite à celle des païens il convertit leur cœur ambitieux. "

Mais souhaiter être utile au prochain est de soi, chose louable et vertueuse. Pourtant, le service épiscopal du prochain entraînant l’élévation du rang, il semble que ce soit présomption, hors le cas d’urgente nécessité, d’aspirer à cette prééminence en vue d’être utile à ses inférieurs. " Le désir de l’épiscopat, écrit S. Grégoire, était louable au temps où il signifiait la certitude de supplices plus cruels. " Ce qui faisait que les candidats n’abondaient pas. Ce désir est surtout louable lorsqu’on y est divinement poussé par le zèle des âmes. C’était, au dire de S. Grégoire, le cas d’Isaïe, " qui, désireux d’être utile au prochain, ambitionna méritoirement la charge du prédicateur ". Ce que chacun cependant peut souhaiter sans présomption, c’est de faire de telles œuvres, s’il lui arrivait d’avoir cet office, ou encore d’être digne de les accomplir, si bien que ce qu’on désire, c’est l’œuvre bonne, non la primauté. Aussi S. Jean Chrysostome écrit-il : " Désirer l’œuvre bonne est bon. Mais c’est vanité d’ambitionner la primauté d’honneur. La primauté cherche qui la fuit, et fuit qui la cherche. "

Solutions :

1. Selon S. Grégoire, " l’apôtre a écrit cela en un temps où celui qui se trouvait placé à la tête des Églises se voyait désigné le premier pour les tourments du martyre. " Aussi l’épiscopat, offrait-il rien qu’on pût désirer en dehors de l’œuvre bonne. C’est ce qui fait dire à S. Augustin : " L’Apôtre, en écrivant : "Celui qui désire l’épiscopat désire une œuvre bonne", veut faire comprendre ce que c’est que l’épiscopat : ce mot parle de labeur et non d’honneur. Scopos, en grec signifie : " attention, soin ". Episcopein peut donc se traduire en latin par superintendere, " veiller sur " ; dès lors, celui qui veut commander sans servir ne doit pas s’imaginer être un évêque. " Un peu plus haut disait : " Dans l’action, ici-bas, ce n’est ni l’honneur ni la puissance qu’il faut aimer, car tout est vanité sous le soleil ; c’est l’œuvre même qui s’accomplit par le moyen de cet honneur et de cette puissance. " Et cependant, dit S. Grégoire : " L’Apôtre qui vient de louer le désir de cette œuvre bonne tourne en sujet d’effroi ce qu’il vient de louer, lorsqu’il poursuit : "Il faut donc que l’évêque soit irréprochable." C’est comme s’il disait : "je loue ce que vous désirez mais apprenez bien vous-mêmes ce que vous avez à désirer." "

2. Il est différent de désirer l’état religieux ou de désirer l’état épiscopal. Et cela pour deux raisons. D’abord parce que l’état épiscopal présuppose la vie parfaite. Avant de lui confier la charge de pasteur, le Seigneur demanda à Pierre s’il l’aimait plus que les autres. L’état religieux, lui, ne présupposé pas la perfection, il est une voie qui y conduit. Aussi le Seigneur n’a-t-il pas dit : " Si tu es parfait, va et vends tout ce que tu possèdes ", mais (Mt 19, 2 1) : " Si tu veux être parfait... " La raison de cette différence est, selon Denys, que la perfection appartient à l’évêque dans le sens actif, comme à celui qui perfectionne, et au moine dans le sens passif, comme à celui qui est perfectionné. Or, pour pouvoir conduire les autres à la perfection, il est requis d’être soi-même parfait, ce qui n’est pas exigé de celui qui doit être conduit à la perfection. Mais si c’est présomption de s’estimer soi-même parfait, ce ne l’est pas de s’appliquer à le devenir.

La deuxième différence est que celui qui embrasse l’état religieux se soumet à d’autres pour recevoir d’eux une formation spirituelle. C’est une conduite permise à tous. " La recherche de la vérité, écrit S. Augustin., n’est interdite à personne ; elle fait partie du loisir digne de louange. " Mais celui qui est élevé à l’état épiscopal est ainsi promu afin de pourvoir aux besoins des autres. Or cette promotion, nul ne doit y prétendre de soi-même, selon l’épître aux Hébreux (5, 4) : " Nul ne peut s’emparer de cette dignité. Il faut y être appelé par Dieu. " S. Jean Chrysostome fait cette réflexion : " Il n’est ni juste ni utile de convoiter la présidence dans l’Église. Quel est le sage qui se jette de lui-même dans cette servitude et ce péril d’avoir à rendre compte de toute une Église ? Il faudrait ne pas craindre le jugement de Dieu et vouloir abuser de la primauté ecclésiastique comme d’un avantage séculier, c’est-à-dire se muer soi-même en séculier. "

3. La dispensation du blé spirituel ne doit pas se faire au gré de chacun. C’est à Dieu d’abord qu’il appartient d’en juger et décider. Ensuite, c’est aux prélats ecclésiastiques, que l’Écriture fait parler en ces termes (1 Co 4, 1) : " Que l’homme nous considère comme les serviteurs du Christ, les dispensateurs des mystères de Dieu. " On n’accuse donc pas de cacher le blé spirituel celui qui n’a pas reçu de charge ni d’ordre de ses supérieurs, s’il s’abstient de corriger ou de gouverner les autres. On ne peut le lui reprocher que s’il néglige ce service qui lui incomberait, ou il refusait obstinément l’ordre de l’accepter. Ce qui fait dire à S. Augustin : " L’amour de la vérité recherche le saint loisir ; la nécessité de la charité se soumet au juste labeur. Si personne ne nous impose ce fardeau, que l’on vaque à l’étude et à la contemplation. S’il est imposé, qu’on s’y soumette par nécessité de charité. "

4. Voici la réponse de S. Grégoire : " Isaïe, qui voulut être envoyé s’était vu purifier au préalable par le feu de l’autel. Car il importe que nul n’ose, sans purification préalable, se mêler des ministères sacrés. Et comme il est très difficile de s’assurer qu’on a été purifié, il est plus sûr de décliner l’office de la prédication. "

 

            Article 2 — Est-il permis de refuser absolument l’épiscopat ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car, selon S. Grégoire, " Isaïe, désireux de se rendre utile au prochain dans la vie active, aspire à l’office de la prédication, tandis que Jérémie désirant s’attacher étroitement à l’amour du Créateur par la vie contemplative refuse d’être envoyé prêcher. " Or nul ne pèche en refusant d’abandonner un bien meilleur pour s’attacher à un bien moindre. Donc, puisque l’amour de Dieu l’emporte sur l’amour du prochain, et la vie contemplative sur la vie active, comme en l’a dit précédemment. celui qui refuse obstinément l’épiscopat semble bien ne pas pécher.

2. S. Grégoire dit encore : " Il est très difficile à quelqu’un d’avoir l’assurance qu’il a été purifié. Et nul ne doit, s’il ne l’a été, se mêler des ministères sacrés. " Donc, si quelqu’un n’a pas cette assurance, il ne doit à aucun prix accepter l’épiscopat qu’on voudrait lui imposer.

3. S. Jérôme dit de S. Marc qu’il " se coupa, assure-t-on, le pouce, alors qu’il avait déjà embrassé la foi, pour se rendre inapte au sacerdoce ". D’autres s’obligent par vœu à ne jamais accepter l’épiscopat. Or, mettre obstacle à quelque chose ou s’y refuser absolument, c’est tout un. Il apparaît donc qu’on peut sans péché récuser absolument l’épiscopat.

En sens contraire, S. Augustin a écrit : " S’il arrive que la mère Église désire votre secours, vous ne devez pas accueillir sa demande avec un présomptueux empressement, ni la refuser par amour de la tranquillité. " Et il ajoute : " Ne mettez pas votre repos au-dessus des besoins de l’Église. Si nul d’entre les bons ne consentait à l’assister dans son enfantement, vous-mêmes auriez été bien empêchés de naître. "

Réponse :

Deux points sont à considérer dans l’élévation à l’épiscopat. 1° Ce qu’il convient de désirer spontanément. 2° Ce qu’il convient d’accorder à la volonté d’autrui. Pour ce qui regarde le désir personnel, il convient de s’appliquer principalement à son propre salut, tandis que veiller au salut d’autrui, cela dépend des dispositions prises par l’autorité, on l’a montré plus haut. S’employer de soi-même à obtenir d’être préposé au gouvernement des autres, et refuser obstinément ce gouvernement en dépit de l’ordre des supérieurs, c’est donc pareillement faire preuve de volonté déréglée. Ce dernier refus s’oppose en premier lieu à la charité envers le prochain, pour le bien duquel on doit consentir à s’exposer soi-même en temps et lieu. D’où la parole de S. Augustin : " C’est le devoir de la charité qui fait accepter le travail légitime. " Elle s’oppose, en second lieu, à l’humilité, qui fait qu’on se soumet aux ordres des supérieurs. Aussi S. Grégoire a-t-il dit : " L’humilité est vraie devant Dieu lorsqu’elle ne s’obstine pas à rejeter ce que l’on nous commande d’accepter pour le bien général. "

Solutions :

1. A parler simplement et absolument, la vie contemplative l’emporte sur la vie active, et l’amour de Dieu sur celui du prochain. Mais d’un autre point de vue, le bien commun l’emporte sur le bien particulier. D’où la parole de S. Augustin : " Ne mettez pas votre repos au-dessus des besoins de l’Église. " D’autant plus que cela aussi intéresse l’amour de Dieu : prendre soin, comme pasteur, des brebis du Christ. Aussi, sur ce texte en S. Jean (21, 17) : " Sois le pasteur de mes brebis " S. Augustin nous dit : " Que ce soit un service d’amour de paître le troupeau du Seigneur, comme ce fut un témoignage de crainte de renier le pasteur. " En outre, les prélats ne sont pas transférés dans la vie active pour devoir abandonner la vie contemplative. C’est ce que dit S. Augustin : " Si le fardeau de l’office pastoral nous est mis sur les épaules, ce n’est pas une raison pour abandonner la délectation de la vérité " qu’on trouve dans la contemplation.

2. Nul n’est obligé d’obéir au prélat qui lui commande une action illicite, comme nous l’avons montré à propos de l’obéissance. Il peut arriver que celui auquel on veut imposer l’office de prélature sente en lui quelque chose qui lui interdit de l’accepter. Parfois cet obstacle peut être écarté par celui auquel on veut imposer la charge pastorale, par exemple, s’il a une volonté de pécher, qu’il peut abandonner. C’est pourquoi il n’est pas excusé de l’obligation finale d’obéir au prélat qui lui commande. D’autre fois, cet obstacle qui lui interdit d’accepter l’office pastoral, il ne peut l’écarter lui-même, mais bien le prélat qui lui commande, par exemple s’il était irrégulier ou excommunié. Il doit alors révéler son état au prélat qui lui commande, et si ce dernier juge bon de lever l’empêchement, il n’a plus qu’à obéir humblement. A Moïse qui venait de dire (Ex 4, 10. 12) : " je ne suis pas éloquent, ni d’hier, ni d’avant-hier ", le Seigneur répondit : " je serai dans ta bouche et je t’enseignerai ce que tu devras dire. " Mais parfois l’obstacle ne peut être écarté ni par le prélat qui commande ni par celui auquel il commande, par exemple si l’archevêque n’a pas le pouvoir de dispenser d’une irrégularité. Dans ce cas l’inférieur n’est pas tenu de lui obéir et de recevoir l’épiscopat ou même les ordres sacrés, s’il est irrégulier.

3. L’acceptation de l’épiscopat n’est pas en elle-même nécessaire au salut. Mais elle peut le devenir du fait qu’un supérieur commande. Aux choses qui sont nécessaires au salut dans ce sens spécial, il est licite de mettre obstacle tant qu’il n’y a pas de précepte. Autrement, il faudrait dire par exemple, qu’il est interdit de se remarier pour ne pas se rendre inapte à l’épiscopat ou aux ordres sacrés. Mais faire obstacle n’est pas permis quand il s’agit de choses qui, par elles-mêmes, sont nécessaires au salut. Cette distinction permet de comprendre que S. Marc n’a pas agi contre le commandement en se coupant le pouce. Encore doit-on croire qu’il l’a fait par une impulsion du Saint-Esprit, sans laquelle il n’est permis à personne de se mutiler.

Quant à celui qui fait le vœu de ne pas recevoir l’épiscopat, de deux choses l’une. Ou bien il entend s’obliger à ne pas l’accepter, même par obéissance aux supérieurs, et alors son vœu est illicite. Ou bien il entend s’obliger, pour autant que cela dépend de lui, à ne pas rechercher ni même accepter l’épiscopat, sauf en cas de nécessité. Alors son vœu est licite, car il s’engage à faire ce qu’il convient à l’homme de faire.

 

            Article 3 — Faut-il élire le meilleur pour l’épiscopat ?

Objections :

1. Il semble bien qu’il doive être meilleur que les autres. Sur le point de confier l’office pastoral à S. Pierre, le Seigneur lui demanda s’il l’aimait plus que les autres. Or c’est le fait d’aimer Dieu davantage qui rend l’homme meilleur.

2. Le pape Symmaque a écrit : " Celui qui l’emporte par la dignité doit être tenu pour très vil s’il ne l’emporte en même temps par la science et la sainteté. " Or le meilleur est celui qui l’emporte par la science et la sainteté. Donc nul ne doit être promu à l’épiscopat s’il n’est meilleur que les autres.

3. En tout ordre de choses, le moindre est régi par le plus grand. C’est ainsi que les êtres corporels sont régis par les spirituels, et les corps inférieurs par les supérieurs, remarque S. Augustin. Mais l’évêque est établi pour gouverner les autres. Il doit donc être meilleur qu’eux.

En sens contraire, une décrétale porte qu’il suffit de choisir un bon candidat, sans qu’il soit nécessaire de choisir le meilleur.

Réponse :

Au sujet de l’élévation à l’épiscopat, il faut envisager d’une part le sujet, d’autre part l’auteur de cette élévation. Chez celui-ci, qui nomme par élection ou par provision, il est requis qu’il soit fidèle dans l’attribution des ministères divins. Or ceux-ci doivent être dispensés pour l’utilité de l’Église, selon S. Paul (1 Co 14, 12) : " Recherchez les dons spirituels en abondance pour édifier l’Église. " Les ministères divins ne sont pas confiés aux hommes comme une récompense ; ils ne doivent attendre celle-ci que de la vie future. C’est pourquoi celui qui doit choisir ou pourvoir à la nomination d’un évêque n’est pas tenu de choisir le meilleur absolument, c’est-à-dire au plan de la charité, mais le meilleur pour le gouvernement de l’Église, c’est-à-dire qu’il puisse l’organiser, la défendre et la gouverner pacifiquement. C’est pourquoi S. Jérôme a fait ce reproche à certains : " Ils ne cherchent pas à ériger comme des colonnes de l’Église ceux qu’ils savent les plus capables de la servir, mais ceux qu’ils aiment davantage, qui les ont conquis ou charmés par leurs assiduités, ou qui leur ont été recommandés par de hauts personnages, ou enfin, pour ne rien dire de pire, qui ont sollicité par des présents d’entrer dans le clergé. " Cette conduite relève de l’acception des personnes qui, en ces matières, est un péché grave. Aussi, sur ce mot de S. Jacques (2, 1) : " Mes frères, ne faites pas acception des personnes ", la Glose dit-elle : " Si nous rapportons aux dignités ecclésiastiques cette différence entre être assis ou debout, il ne faut pas croire que ce soit une faute légère de faire acception des personnes lorsqu’il s’agit de confier le soin de la gloire de Dieu. Qui pourrait souffrir de voir choisir un riche pour occuper dans l’Église le siège d’honneur à l’exclusion d’un pauvre plus instruit et plus saint ? "

Du côté de celui qui est élevé à l’épiscopat, il n’est pas requis qu’il s’estime meilleur que les autres. De sa part, ce serait de l’orgueil et de la présomption. Il suffit qu’il ne découvre rien en lui qui rende illicite l’acceptation de l’office épiscopal. Aussi, bien que le Seigneur eût demandé à Pierre s’il l’aimait plus que les autres, celui-ci, dans sa réponse, ne se mit pas au-dessus d’eux mais se contenta d’affirmer simplement qu’il l’aimait.

Solutions :

1. Le Seigneur savait que Pierre, par sa grâce, était capable pour tout le reste de gouverner l’Église. Il l’interroge donc sur son plus grand amour pour montrer que, s’il se trouve un homme propre, par ailleurs, au gouvernement de l’Église, l’excellence de l’amour divin est ce qu’il faut rechercher surtout en lui.

2. Cette parole doit s’interpréter du zèle de celui qui est établi en dignité. Car il doit faire son possible pour se comporter de manière à surpasser les autres en science et en sainteté. Ce qui fait dire à S. Grégoire : " La conduite de l’évêque doit surpasser celle du peuple dans la mesure où la vie du pasteur diffère de celle du troupeau. " Mais il n’y a pas lieu de lui faire grief de ce que, avant d’être élevé à l’épiscopat, il n’avait rien de plus que les autres, et de le tenir à cause de cela pour méprisable.

3. " Il y a diverses sortes de dons spirituels, de ministères et d’opérations ", dit S. Paul (1 Co 12, 4). Rien n’empêche donc quelqu’un d’être plus apte à l’office de gouverner, sans exceller dans la grâce de la sainteté. Il en est autrement dans le gouvernement de l’ordre naturel, où ce qui est supérieur par sa nature est par cela même plus apte à diriger ses inférieurs.

 

            Article 4 — L’évêque peut-il entrer en religion ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’ait pas le droit d’abandonner sa charge épiscopale pour passer à la vie religieuse. Car il n’est permis à personne de passer à un état inférieur ; c’est regarder en arrière, ce que le Seigneur a condamné (Lc 9, 62) : " Celui qui met la main à la charrue puis regarde en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu. " Or nous avons dit que l’état épiscopal est supérieur à l’état religieux. Passer de l’état épiscopal à l’état religieux n’est donc pas plus licite que de quitter l’état religieux pour revenir au siècle.

2. L’ordre de la grâce est plus harmonieux que celui de la nature. Or, dans l’ordre naturel, le même être n’est pas mû dans des directions opposées. Il est impossible que la pierre, dont c’est la nature d’être attirée en bas soit par sa nature encore attirée en haut. Or, dans l’ordre de la grâce, il est permis de passer de l’état religieux à l’état épiscopal. Il n’est donc pas permis, à l’inverse, de quitter l’état épiscopal pour revenir à l’état religieux.

3. Il ne doit rien y avoir d’inutile dans les œuvres de la grâce. Mais celui qui a été promu à l’épiscopat conserve toujours le pouvoir spirituel de conférer les ordres et d’accomplir les autres actes qui appartiennent à l’office épiscopal ; pouvoir qui semble demeurer inutile chez celui qui renonce à la charge épiscopale. Donc il apparaît que l’évêque n’a pas le droit d’abandonner la charge épiscopale pour entrer en religion.

En sens contraire, nul ne peut être contraint à ce qui est illicite en soi. Or ceux qui demandent à se retirer de la charge épiscopale s’y voient contraindre, d’après une décrétale. Donc il n’est pas illicite d’abandonner la charge épiscopale.

Réponse :

La perfection de l’office épiscopal consiste en ce qu’un homme s’oblige, par amour pour Dieu, à se consacrer au salut du prochain. Aussi est-il obligé de conserver la charge épiscopale aussi longtemps qu’il lui est possible de contribuer au salut de ses sujets. Il ne doit pas négliger ce salut, même pour jouir du repos de la contemplation divine, puisque S. Paul supportait avec patience le retard de la contemplation bienheureuse pour le bien de ceux qui lui étaient confiés. Il écrivait (Ph 1, 22) : " J’hésite à faire un choix. je me sens pris dans cette alternative : d’une part, j’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ, ce qui serait, et de beaucoup, bien préférable ; mais de l’autre, demeurer dans la chair est plus urgent pour votre bien. Et cela me persuade : je sais que je vais rester. " Il ne doit pas davantage s’en aller par souci d’éviter des difficultés ou d’obtenir des profits, car il est dit (Jn 10, 11) : " Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. "

Mais il peut arriver qu’un évêque se trouve empêché de procurer le salut de ses sujets. Pour des raisons très diverses. Celle, par exemple, d’un défaut personnel, de l’ordre de la conscience, s’il est homicide ou simoniaque ; ou de l’ordre corporel, s’il est vieux ou infirme ; ou de l’ordre intellectuel, s’il n’a pas la science voulue pour gouverner ; ou de l’ordre des irrégularités canoniques, par exemple s’il a été marié deux fois. Cela peut venir aussi, chez ses sujets, d’une déficience qu’il ne peut surmonter. Ce qui fait dire à S. Grégoire : " Il faut supporter patiemment les méchants là où se trouve un certain nombre de bons auxquels on puisse rendre service. Mais là où, faute de bons, le fruit manque complètement, le mal que l’on se donne pour les mauvais devient superflu. Souvent il arrive aux âmes les plus parfaites que, voyant l’inutilité de leur labeur, elles émigrent ailleurs pour travailler avec fruit. " Enfin ces obstacles peuvent venir de tierces personnes, lorsque par exemple telle promotion à l’épiscopat est un sujet de grave scandale. Comme dit S. Paul (1 Co 8, 13) : " Si l’aliment que je prends scandalise mon frère, je ne mangerai plus jamais de viande. " Encore faut-il que ce scandale ne vienne pas de gens malintentionnés qui veulent détruire la foi ou la justice de l’Église. Pour ce scandale-là, on ne doit pas abandonner la charge pastorale, selon cette parole concernant ceux que scandalisait l’enseignement du Christ (Mt 15, 14) : " Laissez-les, ce sont des aveugles conducteurs d’aveugles. " Il faut cependant, pour abandonner la charge du gouvernement qu’on a assumée, même avec les motifs qu’on vient de dire, avoir la permission des supérieurs par l’autorité desquels on l’avait reçue. C’est pourquoi Innocent III a dit : " Il se peut que tu aies des ailes et qu’elles veuillent t’emporter dans la solitude. Elles sont liées par les préceptes, et tu n’as pas le droit de t’envoler sans notre permission. " En effet, il appartient au pape seul de dispenser de ce vœu perpétuel par lequel l’évêque s’est obligé à prendre soin de ses sujets lorsqu’il a reçu l’épiscopat.

Solutions :

1. La perfection des religieux et celle des évêques ne s’apprécient pas du même point de vue. La perfection de la vie religieuse tient à l’application de chacun à son propre salut. La perfection de l’état épiscopal tient au soin du salut d’autrui. Donc, aussi longtemps que l’évêque peut procurer efficacement le salut du prochain, il rétrograderait s’il entrait en religion pour y vaquer uniquement à son propre salut, lui qui s’est obligé à assurer tout ensemble son salut personnel et celui des autres. C’est pourquoi le même Innocent III écrit dans la même décrétale : " Il est plus facile d’accorder à un moine la permission de s’élever à l’épiscopat qu’à un évêque celle de descendre à la vie monastique. Cependant, s’il lui est impossible de procurer le salut des autres, il convient qu’il s’applique au sien propre. "

2. L’homme ne saurait abandonner, pour quelque obstacle que ce soit, la recherche de son propre salut, qui appartient à l’état religieux. Au contraire, il peut y avoir des obstacles à procurer le salut des autres. C’est pourquoi le moine peut être élevé à l’épiscopat, où il peut aussi pourvoir à son propre salut. De même, l’évêque a le droit d’entrer en religion, s’il surgit quelque obstacle qui l’empêche de procurer le salut du prochain. Cet obstacle disparaissant, il peut être rétabli dans la charge épiscopale, s’il arrive par exemple que ses sujets reviennent à de meilleurs sentiments ou que le scandale s’apaise, ou qu’il ait lui-même rétabli sa santé ou remédié à son ignorance par l’acquisition de la science suffisante. Ou encore si, promu à son insu à la suite de manœuvres simoniaques, il a démissionné pour entrer en religion, il peut à nouveau être nommé à un autre évêché. Mais lorsqu’un évêque a été déposé en punition d’une faute, et relégué dans un monastère pour y faire pénitence, il ne peut être rétabli dans sa charge.

On lit donc dans les Décrets : " Le saint Synode ordonne, si quelqu’un est descendu de la dignité pontificale à la vie monastique et au régime de la pénitence, qu’il ne soit plus jamais promu au pontificat. "

3. Même dans le domaine naturel, il arrive qu’une puissance demeure sans pouvoir passer à l’acte à cause d’un obstacle. L’œil malade, par exemple, se trouve empêché de voir. Il n’y a donc rien d’anormal à ce que, par suite d’un obstacle survenu, la puissance épiscopale demeure sans passer à l’acte.

 

            Article 5 — Est-il permis à l’évêque d’abandonner physiquement ses sujets ?

Objections :

1. Il ne semble pas que l’évêque puisse s’autoriser de la persécution pour s’éloigner de son troupeau, car le Seigneur a dit (Jn 10, 12) : " C’est un mercenaire et non pas un vrai pasteur, celui qui abandonne les brebis et s’enfuit quand il voit venir le loup. " Or, dit S. Grégoire, le loup vient sur les brebis lorsqu’un homme injuste et ravisseur opprime les fidèles et les humbles. " Donc, si l’évêque s’éloigne du troupeau qui lui est confié à cause des persécutions de quelque tyran, il semble bien être un mercenaire et non un pasteur. "

2. Il est écrit (Pr 6, 1 Vg) : " Mon fils, si tu as cautionné un ami, tu as engagé ta main à un étranger. " Et plus loin : " Cours, hâte-toi, et dégage ton ami. " Ce que S. Grégoire commente ainsi : " Cautionner son ami, c’est venir en aide à l’âme en danger. Celui qui est préposé aux autres pour que sa vie leur serve d’exemple doit non seulement veiller lui-même, mais porter secours à son ami. " Or l’évêque ne le peut pas s’il s’éloigne de son troupeau. Il semble donc que l’évêque n’ait pas le droit, pour cause de persécution, d’abandonner physiquement son troupeau.

3. La perfection de l’état épiscopal comporte l’obligation de prendre soin du prochain. Mais celui qui a fait profession de l’état de perfection ne peut abandonner entièrement ce qui touche à la perfection. Il semble donc que l’évêque ne puisse se soustraire physiquement à l’exercice de sa charge sinon, le cas échéant, pour vaquer aux œuvres de perfection dans un monastère.

En sens contraire, le Seigneur a prescrit aux Apôtres dont les évêques sont les successeurs : " Si l’on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre " (Mt 10, 23).

Réponse :

En toute obligation, il faut considérer principalement quelle en est la fin. Or les évêques s’obligent à remplir la charge pastorale pour le salut de leurs sujets. C’est pourquoi, toutes les fois où le salut du troupeau exige la présence personnelle du pasteur, celui-ci n’a pas le droit de s’éloigner de son troupeau, ni pour un avantage temporel, ni à cause de l’imminence d’un danger personnel, puisque le bon pasteur est tenu de donner sa vie pour ses brebis. S’il est possible de pourvoir suffisamment par un autre au salut du troupeau, en l’absence du pasteur, c’est différent. Dans ce cas, il est permis au pasteur de s’éloigner de son troupeau, soit pour procurer à l’Église quelque avantage, soit pour échapper à quelque danger personnel. Aussi S. Augustin a-t-il écrit : " Que les serviteurs du Christ fuient de ville en ville, lorsque l’un d’entre eux est spécialement recherché par les persécuteurs, de façon néanmoins que ceux qui ne font pas l’objet de recherches aussi particulières n’abandonnent pas l’Église. Lorsque le danger est général, ceux qui ont besoin des autres ne doivent pas être abandonnés par les personnes dont ils ont besoin. " - " Si c’est de la part du pilote une conduite blâmable d’abandonner son bateau par beau temps, combien plus dans la tempête ", écrit le pape Nicolas Ier

Solutions :

1. Il agit comme un mercenaire, celui qui met son avantage temporel ou même sa vie corporelle au-dessus du salut du prochain. C’est la pensée de S. Grégoire. " Il ne peut tenir bon quand les brebis sont en danger, celui qui leur commande sans les aimer mais par recherche d’un gain terrestre. Il craint, en s’opposant au danger, de perdre ce qu’il aime. " Mais celui qui se dérobe au péril sans dommage pour le troupeau ne fuit pas comme un mercenaire.

2. Il suffit pour celui qui cautionne autrui, qu’il remplisse ses engagements par un autre, s’il ne peut le faire lui-même. Aussi le prélat qui se trouve empêché de pourvoir lui-même au soin de ses sujets, satisfait-il à ses engagements s’il y pourvoit par un autre.

3. Celui qui est élevé à l’épiscopat assume l’état de perfection suivant une certaine forme. Si cette forme lui devient impossible, il n’est pas tenu d’en embrasser une autre, en ce sens qu’il soit obligé d’entrer en religion. Il est cependant de son devoir de conserver l’intention de s’employer au salut du prochain, si l’occasion lui en est offerte et que la nécessité l’exige.

 

            Article 6 — Est-il permis à l’évêque de posséder quelque chose en propre ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, le Seigneur a dit (Mt 19, 21) : " Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres ; puis viens et suis-moi. " Il en ressort que la pauvreté volontaire est requise pour la perfection. Or les évêques sont élevés à l’état de perfection. Il semble donc qu’ils ne puissent rien posséder en propre. ,

2. Les évêques tiennent dans l’Église la place des Apôtres, dit la Glose sur Luc (10). Or le Seigneur commande aux Apôtres de ne rien avoir en propre (Mt 10, 9) : " Ne possédez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures. " Ce qui fait dire à S. Pierre, parlant en son nom et en celui des autres Apôtres (Mt 19, 27) : " Voici que nous avons tout abandonné et que nous t’avons suivi. " Il semble que les évêques soient tenus d’observer ce commandement et de ne rien posséder à titre personnel.

3. S. Jérôme parle dans le même sens : " Le mot grec klèros a pour équivalent latin sers, c’est-à-dire lot. Le nom de "clercs" signifie que ceux qui le portent forment le lot du Seigneur, ou bien que le Seigneur en leur lot ou leur part. Or celui dont le Seigneur est la part d’héritage ne peut rien avoir en dehors du Seigneur. S’il possède de l’or, de l’argent, de biens, un abondant mobilier, le Seigneur ne se prête pas à faire figure de lot surajouté à tous ses lots. " Donc, semble-t-il, les évêques et même les clercs sont obligés de renoncer à avoir des biens propres.

En sens contraire, il est dit dans les Décrets : " L’évêque laissera à ses héritiers quelque chose de ses biens patrimoniaux ou acquis, ou des biens quelconques qu’il possède à titre personnel. "

Réponse :

Nul n’est tenu, à moins de s’y être engagé par un vœu spécial, aux œuvres de surérogation. C’est la doctrine de S. Augustin : " Tu as fait vœu, tu es donc lié, et il ne t’est pas loisible d’agir autrement. Avant d’avoir fait vœu, tu avais la liberté d’être moins parfait. " Or il est manifeste que ne rien avoir en propre est une œuvre surérogatoire ; ce n’est pas matière de précepte, mais de conseil. C’est seulement après avoir dit au jeune homme (Mt 19, 17) : " Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements ", que le Seigneur poursuivit, ajoutant quelque chose à ce qu’il venait de prescrire : " Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres. " Or les évêques ne s’obligent pas, dans leur ordination, à vivre sans avoir rien en propre. En outre, ce n’est pas exigé par cet office pastoral auquel ils s’obligent. Les évêques ne sont donc pas tenus à ne rien posséder en propre.

Solutions :

1. La perfection de la vie chrétienne, nous l’avons déjà fait observera, ne consiste pas essentiellement dans la pauvreté volontaire. La pauvreté volontaire est un simple instrument pour acquérir la perfection. On ne doit donc pas croire que la perfection s’accroît à proportion que la pauvreté est plus absolue. Bien plus, la souveraine perfection est compatible avec l’opulence. Il fut dit à Abraham (Gn 17, 1) : " Marche en ma présence et sois parfait. " Et cependant il est écrit qu’il était riche.

2. Ces paroles du Seigneur peuvent recevoir trois interprétations. La première est d’ordre mystique : ne posséder ni or ni argent, cela veut dire que les prédicateurs ne doivent pas s’appuyer principalement sur la sagesse et l’éloquence séculières. C’est l’explication de S. Jérôme.

En voici une deuxième, qui est de S. Augustin. Ce n’est pas un ordre que le Seigneur donne là, mais plutôt une permission. Il leur permet de s’en aller en prédication sans prendre d’or ou d’argent, ni aucun moyen de subsistance. Il sera pourvu à leurs besoins par les personnes auxquelles ils prêcheront. Aussi ajoute-t-il : " L’ouvrier mérite sa nourriture. " Si bien cependant que, si quelqu’un pourvoit lui-même à sa subsistance tandis qu’il prêche l’Évangile, il fait en cela œuvre de surérogation. Ainsi se comportait S. Paul d’après ses propres dires (1 Co 9, 12. 15).

La troisième explication a été proposée par S. Jean Chrysostome. Les instructions du Seigneur visaient leur mission particulière de prêcher aux Juifs ; elles devaient les exercer à avoir confiance en leur Maître qui pourvoirait à tous leurs besoins sans qu’ils aient rien à débourser. Ni eux-mêmes ni leurs successeurs ne se trouvaient obligés pour autant de prêcher l’Évangile sans aucune ressource. Nous lisons de S. Paul lui-même (2 Co 11, 8) qu’il recevait une subvention d’autres Églises pour pouvoir prêcher aux Corinthiens ; on voit ainsi qu’il possédait des ressources envoyées par d’autres. D’ailleurs c’est une folie de penser que tant de saints pontifes, Athanase, Ambroise, Augustin auraient transgressé ces préceptes du Seigneur, s’ils avaient cru y être obligés.

3. La partie est toujours moindre que le tout. Donc, celui dont le zèle pour les intérêts de Dieu diminue parce qu’il s’attache à ceux du monde, celui-là n’a plus Dieu pour seul partage. Ni les évêques ni les clercs ne doivent rien posséder en propre de telle manière qu’en se souciant de leurs possessions, ils négligent le culte divin.

 

            Article 7 — L’évêque pèche-t-il mortellement en ne distribuant pas aux pauvres les biens de l’Église ?

Objections 1. Il semble bien. Sur cette parole (Lc 12,16) " Le domaine d’un homme riche produisit des fruits abondants ", S. Ambroise écrit : " Que personne ne s’approprie ce qui est le bien de tous. C’est violence de s’attribuer plus de biens qu’il n’en faut pour vivre. " Et plus loin : " C’est un crime égal de prendre à quelqu’un ce qui lui appartient et, lorsqu’on le peut et qu’on est dans l’abondance, de refuser aux indigents. " Mais prendre de force le bien d’autrui est péché mortel. Donc les évêques pèchent mortellement en ne donnant pas aux pauvres leur superflu.

2. Sur le texte d’Isaïe (3, 14) : " Le butin fait sur les pauvres est dans votre maison ", la Glose de S. Jérôme porte que les biens d’Église sont les biens des pauvres. Mais quiconque s’approprie le bien d’autrui ou le donne à d’autres pèche mortellement et est tenu à restitution. Donc, si les évêques gardent pour eux ou donnent à leurs parents et amis le superflu des biens ecclésiastiques, il apparaît qu’ils sont tenus à restitution.

3. User des biens de l’Église pour pourvoir à ses nécessités est beaucoup plus normal que de se constituer une réserve avec le superflu. Or S. Jérôme écrit : " Les clercs dont les parents et les proches n’assurent pas la subsistance peuvent vivre des subsides de l’Église. Quant à ceux qui peuvent vivre de leur patrimoine, ils commettent un sacrilège s’ils acceptent ce qui appartient aux pauvres. " S. Paul s’exprime de même (1 Tm 5, 16) : " Si quelque fidèle a des veuves (dans sa parenté), qu’il pourvoie à leurs besoins et qu’elles ne soient pas à la charge de l’Église, afin que celle-ci puisse assister celles qui sont réellement veuves. " Donc, et à beaucoup plus forte raison, les évêques pèchent mortellement s’ils ne font pas bénéficier les pauvres des biens ecclésiastiques qu’ils ont en trop.

En sens contraire, beaucoup d’évêques ne distribuent pas aux pauvres le superflu des revenus ecclésiastiques. Ils les emploient à accroître les ressources de l’Église, ce qui semble’ louable.

Réponse :

Il faut distinguer entre les biens personnels que les évêques peuvent posséder, et les biens ecclésiastiques. A l’égard de leurs biens personnels, les évêques sont de vrais propriétaires. Dans ces conditions, ils ne sont pas obligés de les donner à d’autres. Ils peuvent soit les conserver, soit les distribuer à leur guise. Ils peuvent cependant pécher dans l’usage qu’ils en font, soit par attache excessive en se réservant plus qu’il ne leur faut, soit en ne subvenant pas aux besoins d’autrui selon que l’exige la dette de la charité. Toutefois, ils ne sont pas tenus à restitution, car ils ont sur ces biens un vrai droit de propriété.

Mais à l’égard des biens ecclésiastiques, ils ne sont que des dispensateurs ou des administrateurs.

S. Augustin écrit en effet : " Si nous avons des biens personnels qui nous suffisent, ces autres biens ne sont pas à nous, mais aux personnes de qui nous avons reçu procuration. N’allons pas, par une damnable usurpation, en revendiquer la propriété. " Or, pour remplir l’office de dispensateur la bonne foi est nécessaire, selon S. Paul (1 Co 4, 2) : " Au bout du compte ce qu’on demande à des dispensateurs c’est d’être fidèles. " Mais les biens ecclésiastiques sont destinés non seulement à soulager les pauvres, mais encore à assurer l’exercice du culte divin et à subvenir aux besoins des ministres. Les Décrets sont explicites : " Sur les revenus de l’Église et les oblations des fidèles, une seule part revient à l’évêque ; deux autres doivent être attribuées par le prêtre, sous peine de déposition, aux fonds d’entretien de l’Église et à la caisse destinée à alimenter les aumônes ; la dernière sera répartie entre les clercs, qui recevront chacun ce qui lui revient. " Si les biens destinés à l’évêque sont distincts de ceux qui doivent être employés au bénéfice des pauvres ou à l’entretien des ministres et du culte divin, l’évêque qui s’approprierait quelque chose des biens destinés aux pauvres, aux ministres ou au culte agirait, sans le moindre doute, contre la fidélité qui s’impose à un dispensateur. Il pécherait mortellement et serait tenu à restitution. Quant aux biens réservés à son usage, ils sont assimilables aux biens propres. L’évêque pèche par attachement et usage immodéré, s’il en conserve plus qu’il ne lui en faut et si il n’assiste pas autrui comme la charité l’y oblige. Si les biens dont il vient d’être parlé ne sont pas distincts, leur distribution est remise à sa fidélité. S’il s’écarte de la règle en plus ou en moins mais de peu, sa bonne foi peut n’être pas en cause. Car en ces sortes de choses il est difficile à l’homme d’atteindre une précision mathématique. Si, au contraire, c’est de beaucoup, il est impossible qu’il ne s’en aperçoive pas. Dans ce cas, la bonne foi est difficile à admettre, et le péché mortel apparaît. En effet, il est écrit (Mt 24, 48) : " Si le mauvais serviteur se dit -. "Mon maître tarde à venir" (ici perce le mépris du jugement de Dieu), et s’il se met à battre ses compagnons (ce qui est le fait de l’orgueil) puis à faire bonne chère avec des ivrognes (à quoi l’on reconnaît la luxure) le maître de ce serviteur viendra au jour qu’il ne l’attend pas, il le séparera" de la société des bons, " et il lui assignera sa place parmi les hypocrites " (c’est-à-dire en enfer).

Solutions :

1. Cette parole de S. Ambroise ne doit pas être appliquée seulement à la dispensation de biens ecclésiastiques, mais à celle de tous les bien sur lesquels on est tenu, par dette de charité, secourir ceux qui sont dans le besoin. Mais il est impossible de déterminer les cas où l’on se trouve en présence d’une nécessité obligeant sous peint de péché mortel. Pas plus qu’on ne peut déterminer les circonstances particulières où les actes humains sont susceptibles de se présenter. Cette détermination est laissée à la prudence humaine

2. Les biens ecclésiastiques, nous venons de le dire, ne sont pas destinés seulement à secourir les pauvres, mais à d’autres usages encore. C’est pourquoi si, des biens destinés à l’usage d’un évêque ou d’un clerc, l’intéressé juge bon de réserver quelque chose pour le donner à ses parents ou à d’autres, il ne pèche pas. A la condition qu’il le fasse avec modération, c’est-à-dire pour subvenir à leurs besoins, et non pour les enrichir. D’où la parole de S. Ambroise : " C’est une libéralité digne d’approbation, si tu vois tes proches dans le besoin, de ne pas t’en désintéresser. Il en serait autrement s’ils prétendaient s’enrichir avec ce que tu peux donner aux indigents. "

3. La totalité des biens ecclésiastiques n’a pas à être donnée aux pauvres, sauf le cas de nécessité où, pour le rachat des captifs et les autres besoins des pauvres, on peut, d’après S. Ambroise, aller jusqu’à vendre les vases sacrés. Dans une pareille nécessité, le clerc pécherait si, ayant des ‘biens patrimoniaux, il voulait vivre sur ceux de l’Église.

4. Les biens de l’Église doivent pourvoir aux besoins réels des pauvres. Si donc, sans aucune nécessité de les assister, on emploie le superflu des revenus ecclésiastiques à acheter des biens, ou si on les met en réserve pour les besoins à venir de l’Église et des pauvres, cette conduite est louable. Mais s’il était urgent d’assister les pauvres, ce serait un soin superflu et déréglé, que le Seigneur condamne lorsqu’il dit (Mt 6, 34) - " Ne vous préoccupez pas du lendemains. "

 

            Article 8 — Les religieux élevés à l’épiscopat sont-ils tenus aux observances régulières ?

Objections :

1. Il semble que non, d’après les Décrets. " L’élection canonique affranchit le moine du joug de la règle monastique ; et l’ordination sacrée fait du moine un évêque. " Or les observances régulières font partie du joug de la règle. Les religieux élevés à l’épiscopat ne sont donc plus tenus aux observances régulières.

2. Celui qui s’élève d’un rang inférieur à un rang supérieur ne semble plus tenu aux obligations du rang inférieur, comme nous avons dit que le religieux n’est pas tenu d’observer les vœux qu’il avait pu faire dans le siècle. Mais le religieux promu à l’épiscopat s’élève à un rang supérieur ; cela résulte de ce que nous avons dit plus haut. Il semble donc que l’évêque ne soit plus obligé aux observances de l’état religieux.

3. Il semble que les deux principales obligations du religieux soient l’obéissance et la renonciation aux biens propres. Or les religieux promus à l’épiscopat ne sont plus tenus d’obéir à leurs prélats réguliers leur étant devenus supérieurs. Ils ne sont pas non plus astreints à la pauvreté. Les Décrets cités plus haut le disent clairement : " Le moine dont l’ordination a fait un évêque a le droit de revendiquer la succession paternelle en qualité de légitime héritier. " De plus, il arrive qu’on leur accorde le droit de tester. Ils sont donc à plus forte raison dégagés de l’obligation de pratiquer les autres observances régulières.

En sens contraire, nous lisons dans les Décrets : " Au sujet des moines qui, après avoir longtemps vécu dans les monastères, se trouvent promus aux ordres de la cléricature, nous statuons qu’ils ne doivent pas abandonner leur premier propos. "

Réponse :

L’état religieux, avons-nous dit, se rattache à la perfection au sens d’une voie par laquelle on tend à la perfection ; l’état épiscopal, lui, est un état de perfection, comme étant un magistère de perfection. L’état religieux est donc à l’égard de l’état épiscopal ce qu’est l’état de disciple à l’égard de celui de maître : ce qu’est la disposition par rapport à la perfection proprement dite. Or la disposition ne disparaît pas lorsque survient la perfection, sauf ce qui dans la disposition pourrait être incompatible avec la perfection. Mais, pour ce qui s’harmonise avec celle-ci, la disposition se trouve plutôt confirmée. Le disciple devenu maître n’a plus à être auditeur, mais il lui convient de lire et de méditer, et même plus qu’auparavant.

On doit dire pareillement que, s’il se trouve dans la vie religieuse des observances qui ne sont pas incompatibles avec la fonction pontificale, et qui contribuent plutôt à sauvegarder la perfection, comme la continence, la pauvreté, etc., le religieux, même promu à l’épiscopat, y demeure obligé. Donc aussi à porter l’habit religieux, qui est le signe de son obligation.

Mais si, parmi les observances régulières, il s’en trouve qui soient incompatibles avec la fonction de pontife, comme la solitude, le silence, certaines abstinences ou veilles pénibles, qui le rendraient physiquement incapable d’exercer sa charge, le religieux promu à l’épiscopat n’est pas tenu de les pratiquer.

Cependant, pour ce qui regarde les autres observances, il peut user de dispenses selon que l’exigent ses besoins personnels, les devoirs de sa charge ou la condition de son entourage, de la même manière que les prélats des religieux se donnent à eux-mêmes des dispenses en ces matières.

Solutions :

1. Celui qui de moine devient évêque est affranchi du joug de la profession monastique, non pas en tout mais relativement aux points qui sont incompatibles avec la fonction pontificale, nous venons de le dire.

2. Les vœux de la vie séculière, comparés aux vœux de religion, se trouvent dans la situation du particulier envers l’universel. Les vœux de religion, au contraire, sont avec la dignité pontificale dans le même rapport que la disposition avec la perfection. Le particulier devient superflu quand on possède l’universel. Mais la disposition est encore nécessaire après l’acquisition de la perfection.

3. C’est par accident que les évêques religieux ne sont plus tenus d’obéir aux prélats de leur ordre, parce qu’ils ont cessé d’être leurs sujets, comme les prélats des religieux eux-mêmes. L’obligation issue du vœu demeure virtuellement, au point que si on leur donnait légitimement un supérieur religieux, ils seraient tenus de lui obéir, de la même manière qu’ils sont tenus d’observer les prescriptions de la règle comme nous venons de le dire, et d’obéir à leurs supérieurs hiérarchiques, s’ils en ont. Quant aux biens propres, ils ne peuvent aucunement en posséder. Ils ne revendiquent pas l’héritage paternel- comme- leur appartenant en propre, mais comme dû à l’Église. C’est pourquoi les Décrets ajoutent : " Devenu évêque, il doit restituer ce qu’il a pu acquérir, à l’autel auquel il est consacré. " Il ne peut pas davantage faire de testament. Il n’a que l’administration des biens ecclésiastiques, et la mort y met fin, à partir de laquelle, selon S. Paul (He 9, 16) le testament devient valide. S’il arrive qu’il obtienne du pape la permission de tester, il ne faut pas l’entendre en ce sens qu’il dispose de quoi que ce soit comme d’un bien personnel. Cette permission se comprend comme une extension, par l’autorité apostolique, de son pouvoir d’administration, pour qu’il prenne encore effet après la mort.

L’ÉTAT RELIGIEUX

Nous avons maintenant à étudier l’état religieux. A son propos, quatre questions se posent. Elles concernent : I. Les éléments principaux de l’état religieux (Q. 186). II. Les fonctions qui peuvent convenir licitement aux religieux (Q. 187). III. La distinction des ordres religieux (Q. 188). IV. L’entrée en religion (Q. 189).

 

 

QUESTION 186 — LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE L’ÉTAT RELIGIEUX

1. L’état religieux est-il parfait ? - 2. Les religieux sont-ils tenus d’observer tous les conseils ? - 3. La pauvreté volontaire est-elle requise à l’état religieux ? - 4. La continence ? -5. L’obéissance ? -6. Est-il requis que ces trois dispositions soient sanctionnées par des vœux ? - 7. Ces trois vœux suffisent-ils ? - 8. Comparaison des trois vœux. - 9. Les religieux commettent-ils un péché mortel toutes les fois qu’ils transgressent leur règle ? - 10. Toutes choses égales et dans le même genre de péché, le religieux pèche-t-il davantage que le séculier ?

 

            Article 1 — L’état religieux est-il parfait ?

Objections :

1. Il semble que la vie religieuse n’implique pas l’état de perfection, car ce qui est nécessaire au salut ne semble pas appartenir à l’état de perfection. Mais la religion est nécessaire au salut, puisque, dit S. Augustin c’est par elle que " nous sommes reliés au seul vrai Dieu ". Ou, comme il dit encore ce mot de religion signifie que " nous choisissons à nouveau le Dieu que notre négligence avait perdu ". La religion ne saurait donc désigner un état de perfection.

2. La religion, d’après Cicéron. " rend culte et hommage, à la nature divine ". Or rendre à Dieu culte et hommage se réfère plutôt aux ministères des ordres sacrés qu’à la diversité des états, nous l’avons dit précédemment. Il semble donc que la religion ne désigne pas un état de perfection.

3. L’état de perfection s’oppose à l’état des commençants et à celui des progressants. Mais dans l’état religieux même, il se rencontre des commençants et des progressants. L’état religieux ne désigne donc pas un état de perfection.

4. La vie religieuse semble bien être un lieu de Pénitence. Selon les Décrets, " le saint Synode prescrit que quiconque sera descendu de la dignité épiscopale à la vie monastique et au régime de a pénitence, ne pourra jamais remonter au rang Épiscopat ". Mais le régime de pénitence s’oppose l’état de perfection. Aussi Denys place-t-il les pénitents au dernier rang, c’est-à-dire parmi ceux qui ont à se purifier. Il semble donc que la vie religieuse ne soit pas un état de perfection.

En sens contraire, l’abbé Moïse, parlant des religieux, dit : " Il importe de comprendre que nous devons embrasser la macération des jeûnes, les veilles, les travaux, la nudité corporelle, la lecture et les autres vertus, pour que nous puissions, par ces degrés, nous élever à la perfection de la charité. " Mais ce qui appartient au domaine des actes humains tire de la fin poursuivie sa spécification et son nom. Donc les religieux sont dans l’état de perfection. Et Denys écrit : " Ceux que l’on appelle serviteurs de Dieu s’unissent à l’aimable perfection par le moyen du culte sincère et du service de Dieu.

Réponse :

Comme nous l’avons montré. une qualité commune à plusieurs êtres s’attribue par antonomase à l’être auquel elle convient par excellence. C’est ainsi que le nom de force se trouve réservé à la vertu qui affermit l’âme devant les choses les plus difficiles, et celui de tempérance, à la vertu qui modère les plus vives délectations. Or nous avons montrés que la religion est une vertu grâce à laquelle nous rendons à Dieu service et culte. C’est pourquoi l’on donne par antonomase le nom de religieux à ceux qui se consacrent entièrement au service de Dieu et qui s’offrent pour ainsi dire en holocauste à Dieu. C’est ce qui fait dire à S. Grégoire : " Certains ne se réservent rien. Leur pensée, leur langue, leur vie et tout ce qu’ils peuvent avoir de biens, ils l’immolent au Dieu tout-puissant. Or la perfection consiste pour l’homme, nous l’avons vu, dans l’union totale à Dieu. C’est ainsi que l’état religieux désigne un état de perfection. "

Solutions :

1. Il est nécessaire au salut de donner quelque chose au culte de Dieu. Mais se consacrer tout entier, personne et biens, au culte divin relève de la perfection.

2. Nous avons dit, en étudiant la vertu de religion, qu’elle dirige non seulement l’oblation des sacrifices et les autres actes qui lui appartiennent en propre, mais encore les actes de toutes les autres vertus : en tant que nous les ordonnons au service et à l’honneur de Dieu, ils deviennent des œuvres de religion. Donc, si quelqu’un consacre sa vie entière au service de Dieu, toute sa vie devient une œuvre de religion. C’est pourquoi, à cause de la vie religieuse qu’ils mènent, on appelle religieux ceux qui sont dans l’état de perfection.

3. Comme nous l’avons dit (argument en sens contraire), la religion désigne un état de perfection à cause de la fin poursuivie. Aussi n’est-il pas requis que tout religieux soit déjà parfait. Ce qui est requis, c’est qu’il tende à la perfection. Aussi sur cette parole (Mt 19, 2 1) : " Si tu veux être parfait etc. " Origène remarque : " Celui qui a échangé les richesses contre la pauvreté en vue de devenir parfait, ne le devient pas à l’instant même où il abandonne ses biens aux pauvres. Mais à partir de ce moment, la contemplation de Dieu commence de l’acheminer à toutes les vertus. " Ainsi, dans la vie religieuse, tous ne sont pas parfaits, mais certains sont des commençants, et certains des progressants.

4. L’état religieux est principalement institué pour l’acquisition de la perfection par le moyen de certains exercices, grâce auxquels se trouvent écartés les obstacles à la charité parfaite. Une fois écartés ces obstacles, les occasions de péché disparaissent, et à bien plus forte raison de ce péché qui entraînerait la perte totale de la charité. Et puisqu’il appartient au pénitent de supprimer les causes du péché, il s’ensuit que l’état religieux se trouve être le plus efficace des lieux de pénitence. C’est pourquoi les Décrets conseillent à un homme qui avait tué sa femme d’entrer dans un monastère, ce qu’ils disent " meilleur et plus facile ", que de faire pénitence publique dans le monde.

 

            Article 2 — Les religieux sont-ils tenus d’observer tous les conseils ?

Objections :

1. Il semble que tout religieux soit tenu d’observer tous les conseils. Car celui qui professe un état de vie est tenu d’observer tout ce qui convient à cet état. Or tout religieux professe l’état de perfection. Donc tout religieux est tenu d’observer tous les conseils, qui appartiennent tous à l’état de perfection.

2. Selon S. Grégoire : " Celui qui quitte le siècle et fait tout le bien qu’il peut, offre dans le désert le sacrifice qui suit la sortie d’Égypte. " Mais quitter le siècle, c’est précisément ce que font les religieux. Il leur incombe donc aussi de faire tout le bien qu’ils peuvent, ce qui revient, semble-t-il, à observer tous les conseils.

3. S’il n’est pas requis pour l’état de perfection d’observer tous les conseils, c’est qu’il suffit apparemment d’en observer quelques-uns. Or c’est faux, car beaucoup dans la vie séculière observent certains conseils, par exemple gardent la continence. Il semble donc que tout religieux, du fait qu’il se trouve dans l’état de perfection, doit pratiquer tout ce qui regarde la perfection et c’est le cas de tous les conseils.

En sens contraire, nul n’est tenu aux œuvres de surérogation que dans la mesure où il s’y est personnellement obligé. Mais chaque religieux s’oblige à certaines œuvres déterminées, l’un à celles-ci, l’autre à celles-là. Ils ne sont donc pas tenus tous à toutes.

Réponse :

Quelque chose peut appartenir à la perfection de trois manières. D’abord essentiellement. Et c’est le cas, avons-nous dit, du parfait accomplissement des préceptes de la charité. Ensuite, à titre de conséquence. C’est le cas de tout ce qui se présente comme la suite normale de la parfaite charité, par exemple bénir qui nous maudit, etc. Le précepte divin exige que l’âme y soit préparée, pour les accomplir s’il arrive que les circonstances le requièrent. Mais c’est l’effet d’une charité surabondante de s’y porter parfois, en dehors même du cas de nécessité. Enfin à titre de moyen et de disposition. C’est le cas de la pauvreté, de la continence, de l’abstinence etc.

Or nous avons dit plus haut que la perfection de la charité est la fin de l’état religieux. L’état religieux lui-même se définit un régime de vie où l’on se forme et où l’on s’exerce à la perfection. Cela peut se faire par des exercices divers de même que le médecin peut employer, pour guérir, différents remèdes. Il est évident que celui qui travaille en vue d’une fin n’est pas obligé de l’avoir déjà obtenue. Ce qui est requis, c’est qu’il y tende par quelque moyen. Aussi celui qui embrasse l’état religieux n’est pas obligé de posséder la charité parfaite, mais d’y tendre et de s’y employer. Il n’est pas tenu davantage d’accomplir ce qui est la suite naturelle d’une charité parfaite, mais il est tenu d’en avoir l’intention. A quoi s’oppose le mépris. Il ne pèche donc pas s’il ne l’accomplit pas, mais bien s’il le méprise. Il n’est pas tenu non plus à tous les exercices par où l’on parvient à la perfection, mais à ceux-là précisément qui lui sont prescrits par la règle dont il a fait profession.

Solutions :

1. Celui qui entre en religion ne fait pas profession d’être parfait, mais de travailler à le devenir. Pas plus que celui qui entre à l’école, ne fait profession d’être savant, mais d’étudier pour le devenir. C’est pourquoi, remarque S. Augustin. Pythagore ne voulut pas prendre le nom de sage, et se contenta de celui " d’ami de la sagesse ". Le religieux ne viole donc pas sa profession s’il n’est point parfait, mais seulement s’il dédaigne de tendre à la perfection.

2. Tout le monde est tenu d’aimer Dieu de tout son cœur. Cependant cela n’empêche pas qu’il y ait, dans cette totalité, une perfection qui ne peut pas être négligée sans péché, et une autre qui peut l’être sans péché, pourvu qu’il n’y ait pas de mépris. Nous avons expliqué cela à l’article précédent. Ainsi tous, religieux et séculiers, sont tenus de faire en quelque manière tout le bien qu’ils peuvent. C’est à tout le monde, en effet, que s’adresse la parole (Qo 9, 10) : " Tout ce dont ta main est capable, fais-le sans tarder. " Il y a cependant une certaine manière d’observer ce précepte qui suffit à faire éviter le péché : que chacun fasse ce qu’il peut selon que la condition de son état requiert. Pourvu qu’il n’ait pas envers des œuvres meilleures ce mépris qui bloque la volonté contre le progrès spirituel.

3. Il y a des conseils dont la négligence auraitpour effet d’engager la vie humaine tout entière dans les affaires séculières. Par exemple, le fait d’avoir des biens propres, d’user du mariage ou de faire quelque chose qui porte atteinte aux vœux essentiels de l’état religieux. Aussi les religieux sont-ils tenus d’observer tous les conseils de cette sorte. Mais il y a d’autres conseils relatifs à certaines actions meilleures plus spéciales, que l’on peut ne pas suivre sans que la vie humaine se trouve engagée pour autant dans les embarras du siècle. Et ces sortes de conseils, il n’est pas nécessaire que les religieux les observent tous.

 

            Article 3 — La pauvreté est-elle requise à l’état religieux ?

Objections :

Il semble que non. En effet, ce qui est illicite ne semble pas appartenir à l’état de perfection. Mais qu’un homme abandonne tous ses biens, c’est, semble-t-il, illicite. S. Paul formule en ces termes la règle que les fidèles doivent suivre en matière d’aumônes (2 Co 8, 12) : " Si le cœur y est, le don est bien accueilli qui est proportionné à l’avoir de chacun, c’est-à-dire en vous réservant le nécessaire. " Ce qu’il explique en disant : " Pour que le soulagement des autres ne vous apporte pas la tribulation ", " c’est-à-dire, précise la Glose, la pauvreté. " Et sur une autre parole de S. Paul (1 Tm 6, 8) : " Ayant la nourriture, et le vêtement " la Glose remarque : " Quoique nous n’ayons rien apporté en ce monde et n’en devions rien emporter, ce n’est pas un motif pour rejeter entièrement les biens temporels. " Il semble donc que la pauvreté volontaire n’est pas requise pour la perfection de la vie religieuse.

2. Quiconque s’expose au danger, pèche. Mais celui qui, par l’abandon de tous ses biens, embrasse la pauvreté volontaire s’expose au danger, même spirituel, d’après les Proverbes (30, 9) : " De peur que, pressé par la pauvreté, je ne vole et ne déshonore le nom de Dieu. " Et ailleurs (Si 27, 1 Vg) : " Beaucoup ont péri à cause de leur pauvreté. " Au danger corporel aussi. En effet, il est écrit (Qo 7, 12) - " L’argent est une protection, comme la sagesse en est une. " Et Aristote : " La perte des richesses semble être la perte de l’homme lui-même, dont les richesses assurent l’existence. " Il semble donc que la pauvreté volontaire ne puisse être requise pour la perfection de la vie religieuse.

3. " La vertu, d’après Aristote, consiste dans un juste milieu. " Mais celui qui abandonne tout par la pauvreté volontaire ne paraît pas tenir dans le juste milieu, mais plutôt aller à l’extrême. Il n’agit donc pas vertueusement, et cela n’appartient pas à la vie parfaite.

4. L’ultime perfection de l’homme réside en la béatitude. Or les richesses contribuent à la béatitude. " Bienheureux l’homme riche qui a été trouvé sans tache. " (Si 31, 8). Et le Philosophe Il déclare que les richesses sont d’utiles moyens de félicité. La pauvreté volontaire n’est donc pas requise pour la perfection de la vie religieuse.

5. L’état épiscopal est plus parfait que l’état religieux. Or nous avons vu que les évêques peuvent posséder des biens propres. Donc les religieux aussi.

6. Faire l’aumône est une œuvre souverainement agréable à Dieu, et selon S. Jean Chrysostome, " le remède le plus efficace en matière de pénitence ". Mais la pauvreté exclut la possibilité de faire l’aumône. La pauvreté ne semble donc pas appartenir à la perfection de la vie religieuse.

En sens contraire, S. Grégoire a écrit : " Il y a des justes qui, s’étant ceint les reins pour atteindre le sommet de la perfection, abandonnent tous les biens extérieurs dans leur désir des biens intérieurs plus relevés. " Mais c’est justement le fait des religieux de se ceindre les reins pour entreprendre l’ascension de la perfection, nous l’avons dit. Donc il leur convient de tout abandonner, en fait de biens extérieurs, par la pauvreté volontaire.

Réponse :

Nous avons défini plus haut l’état religieux un régime de vie où l’on s’exerce et se forme à la perfection de la charité. Pour y parvenir, il est nécessaire de renoncer entièrement à l’amour du monde, car S. Augustin parle ainsi à Dieu : " Celui-là t’aime moins, qui aime en dehors de toi quelque chose qu’il n’aime pas en toi. " C’est ce qui lui fait dire ailleurs : " L’aliment de la charité, c’est la diminution de la convoitise ; sa perfection, l’absence de convoitise. " Or, du fait qu’on possède des biens terrestres, le cœur est attiré à les aimer. D’où ce mot encore de S. Augustin : " Les biens de la terre sont aimés davantage quand on les possède que quand on les désire. Pourquoi, en effet, ce jeune homme s’en alla-t-il tout triste, sinon parce qu’il avait de grands biens ? Il est bien différent de ne pas s’approprier ce qu’on ne possède pas, et de rejeter ce qu’on s’est déjà approprié. Dans le premier cas, ce ne sont jamais que des choses extérieures que l’on repousse ; dans le second, ce sont comme des membres qu’il faut se retrancher. " S. Jean Chrysostome écrit aussi : " L’afflux des richesses active la flamme, et la convoitise en devient plus vive. " C’est pourquoi, pour acquérir la perfection de la charité, le fondement premier est la pauvreté volontaire, qui fait vivre sans rien avoir en propre. Le Seigneur lui-même l’a dit (Mt 19, 2 1) : " Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, puis viens et suis moi. "

Solutions :

1. Voici la Glose sur ce passage " L’Apôtre n’a pas écrit cela (c’est-à-dire : "pour qu’il n’en résulte pas pour vous la tribulation qui est la pauvreté, parce que ce serait meilleur. Mais il craint pour les faibles, et il les invite à donner de manière à ne pas souffrir de la pauvreté. " D’où il suit qu’on ne doit pas entendre l’autre Glose en ce sens qu’il est interdit de se dépouiller entièrement de ses biens temporels. Elle veut dire simplement que cette conduite n’est pas indispensable. C’est la pensée de S. Ambroise : " Le Seigneur ne veut pas, c’est-à-dire par la rigueur d’un précepte, que l’on disperse d’un seul coup ses biens, mais qu’on les distribue. A moins cependant que l’on n’imite Élisée, qui tua ses bœufs et nourrit les pauvres de ce qu’il en obtint pour se débarrasser de tout souci domestique. "

2. Celui qui abandonne tous ses biens pour le Christ ne s’expose à aucun danger, ni spirituel ni corporel. La pauvreté peut devenir une cause de danger spirituel quand elle n’est pas volontaire. Car ce désir d’amasser des richesses, qui tourmente ceux dont la pauvreté est involontaire, peut les jeter en beaucoup de péchés, selon S. Paul (1 Tm 6, 9) : " Ceux qui veulent amasser des richesses tombent dans la tentation et dans les pièges du diable. " Mais ce désir est abandonné par ceux qui embrassent la pauvreté volontaire. Il est, au contraire, plus impérieux chez ceux qui possèdent des richesses, comme nous venons de le montrer.

Le péril corporel ne menace pas non plus ceux qui, dans l’intention de suivre le Christ, abandonnent tous leurs biens en se confiant à la providence divine. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Ceux qui cherchent le royaume de Dieu et sa justice ne doivent pas s’inquiéter de manquer du nécessaire. "

3. Le juste milieu de la vertu se mesure, d’après Aristote, en fonction de la droite raison et nullement au point de vue de la quantité. C’est pourquoi tout ce que la droite raison approuve ne saurait être tenu pour vicieux, si grande qu’en soit la quantité. Cette quantité au contraire rend l’acte plus vertueux. Ce serait aller contre la droite raison que de dépenser tous ses biens par intempérance ou sans utilité, mais c’est faire acte de raison droite que de s’en dépouiller pour vaquer à la contemplation de la sagesse, ce que même des philosophes ont fait, dit-on. Car S. Jérôme écrit : " Le fameux Cratès de Thèbes avait été fort riche. Se rendant à Athènes pour y vivre en philosophe, il jeta à terre une grosse quantité d’or. Il ne croyait pas pouvoir posséder à la fois la richesse et la vertu. " Donc, et bien plus encore, il est conforme à la droite raison de tout abandonner pour suivre parfaitement le Christ. D’où ce mot de S. Jérôme : " Suis nu le Christ nu. "

4. La béatitude ou félicité est double : la béatitude parfaite que nous attendons dans l’autre vie, et cette béatitude imparfaite qui vaut à certains, dès cette vie, le nom d’hommes heureux. La félicité de la vie présente est elle-même double : celle de la vie active et celle de la vie contemplative, comme Aristote l’a montré. A la félicité de la vie active, qui consiste en des opérations extérieures, la richesse concourt à titre d’instrument. En effet, observe Aristote : " Nous faisons beaucoup de choses, par nos amis, par la richesse, par la puissance publique, qui représentent autant de moyens d’action. " En revanche, la richesse a peu de valeur pour la félicité de la vie contemplative. Elle est même plutôt un empêchement, en tant que son souci empêche la tranquillité de l’âme, nécessaire par-dessus tout à celui qui contemple. C’est ce que dit Aristote : " Beaucoup de choses sont nécessaires pour l’action. L’homme qui contemple n’a pas besoin de tout cela ", c’est-à-dire des biens extérieurs. " Indispensables pour l’action, ils sont des obstacles à la contemplation. "

En ce qui regarde la béatitude future l’homme y est ordonné par la charité. Et parce que la pauvreté volontaire représente un exercice efficace pour parvenir à la parfaite charité, son pouvoir est grand pour obtenir la béatitude céleste. Aussi le Seigneur a-t-il dit : " Va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres ; tu auras ainsi un trésor dans le ciel. " Au contraire, la possession des richesses est de nature à empêcher la perfection de la charité, principalement en ce qu’elle séduit le cœur et le distrait. D’où cette parole (Mt 13, 22) : " Le souci du siècle et la séduction des richesses étouffent la parole de Dieu ", parce que, remarque S. Grégoire, " en fermant l’accès du cœur au bon désir, ils y interdisent l’entrée du souffle vivifiant ". C’est pourquoi il est difficile de conserver la charité parmi les richesses. Le Seigneur l’a dit (Mt 19, 23) : " Le riche entrera difficilement dans Le Royaume des cieux. " Ce qu’il faut entendre de celui qui possède effectivement des richesses.

Car pour celui qui a mis son cœur dans la richesse, il déclare la chose impossible, d’après S. Jean Chrysostome, quand le Seigneur ajoute " Il est ,)lus facile à un chameau de passer par le trou ,l’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des cieux. "

C’est pourquoi ce n’est pas le riche qui est ,appelé bienheureux, mais " celui qui a été trouvé sans tache et n’a pas couru après l’or " (Si 31, 8). Et cela, parce qu’il a fait une chose difficile, car on ajoute : " Qui est-il, pour que nous lui décernions des louanges ? Il a réalisé dans sa vie, un prodige ", lorsque, se trouvant entouré de richesses, il n’a pas aimé les richesses.

5. L’état épiscopal n’est pas ordonné à l’acquisition de la perfection mais, à partir de la perfection supposée acquise, à gouverner les autres par la dispensation des biens non seulement spirituels, mais aussi temporels. Cela relève de la vie active, où beaucoup de choses, nous venons de le dire, veulent pour être exécutées ce moyen d’action qu’est la richesse. C’est pourquoi il n’est pas exigé des évêques, qui font profession de régir le troupeau du Christ, qu’ils ne possèdent rien, comme cela est exigé des religieux, qui font profession d’une discipline destinée à leur procurer la perfection.

6. Le renoncement aux biens propres, comparé à l’aumône, apparaît comme l’universel par rapport au particulier, comme l’holocauste en regard du simple sacrifice. C’est ce qui fait dire à S. Grégoire : " Ceux qui assistent les indigents de leurs ressources, avec ce qu’ils donnent de leurs biens offrent un sacrifice. C’est-à-dire qu’ils font deux parts, l’une qu’ils immolent à Dieu, l’autre qu’ils se réservent à eux-mêmes. Ceux qui ne se réservent rien offrent un holocauste, ce qui est plus qu’un sacrifice. " S. Jérôme s’exprime de même dans Contre Vigilantius : " Quand tu prétends qu’il est meilleur de profiter de ses biens et d’en distribuer peu à peu les revenus aux pauvres, ce n’est pas moi, c’est Dieu qui répond : "Si tu veux être parfait", etc. " Il ajoute plus loin : " Cette conduite que tu loues ne vient qu’au deuxième et troisième rang. Nous l’approuvons nous aussi, mais sous cette réserve de garder le premier rang à ce qui le mérite. " Toujours contre cette erreur de Vigilantius, on lit dans le livre Des Croyances ecclésiastiques : " Il est bien de distribuer peu à peu sa fortune aux pauvres.

Il est mieux, dans l’intention de suivre le Christ, de la donner d’un seul coup et, libre de soucis, d’être indigent avec le Christ. "

 

            Article 4 — La continence est-elle requise à l’état religieux ?

Objections :

1. Il semble que la continence perpétuelle ne soit pas requise pour la perfection de l’état religieux. En effet, toute la perfection de la vie chrétienne a commencé à partir des Apôtres du Christ. Or nous ne voyons pas que les Apôtres aient pratiqué la continence : Pierre, par exemple était marié puisqu’on nous parle (Mt 8, 14) de sa belle-mère. Il semble donc que la continence perpétuelle n’est pas exigée pour la perfection de la vie religieuse.

2. Le premier modèle de perfection qui nous ait été montré, c’est Abraham à qui le Seigneur a dit (Gn 17, 1) : " Marche en ma présence et sois parfait. " Or la copie n’a pas à surpasser le modèle. La continence perpétuelle n’est donc pas requise pour la perfection de l’état religieux.

3. Ce qui est exigé pour la perfection de la vie religieuse doit se trouver en tout religieux. Or il y a des religieux qui vivent dans le mariage. La perfection de l’état religieux n’exige donc pas la continence perpétuelle.

En sens contraire, S. Paul a dit (2 Co 7, 1) " Purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit, et rendons parfaite notre sanctification dans la crainte de Dieu. " Or la pureté de la chair et de l’esprit se conserve par la continence. Il est écrit, en effet, (1 Co 7, 34) : " La femme non mariée, comme la vierge, se préoccupe de ce qui regarde le Seigneur pour être sainte d’esprit et de corps. " Donc la perfection de l’état religieux exige la continence.

Réponse :

L’état religieux demande l’éloignement de tout ce qui empêche la volonté humaine de se porter tout entière au service de Dieu. Or la pratique de l’union charnelle empêche l’âme de se consacrer totalement au service de Dieu. Et cela de deux façons. D’abord à cause de la violence des délectations, dont l’expérience fréquente accroît la convoitise, observe Aristote. Par suite, la pratique de la vie sexuelle retire l’âme de cette parfaite intention de tendre à Dieu. C’est ce que dit S. Augustin : " je ne connais rien qui précipite de sa citadelle une âme virile comme les séductions de la femme et ce contact des corps sans lequel on ne peut posséder son épouse. "

Ensuite, à cause des soucis qu’apporte à l’homme le gouvernement de la femme, des enfants, et des biens temporels que demande leur entretien. Comme dit S. Paul (1 Co 7, 32) : " Celui qui n’a pas de femme se préoccupe des choses du Seigneur et de plaire à Dieu ; celui qui est marié se préoccupe des choses du monde et de plaire à sa femme. "

C’est pourquoi, au même titre que la pauvreté volontaire, la continence perpétuelle est requise pour la perfection de l’état religieux. Et de même que l’Église a condamné Vigilantius qui égalait la richesse à la pauvreté, elle a condamné Jovinien qui égalait le mariage à la virginité.

Solutions :

1. C’est le Christ qui a introduit la perfection, non seulement de la pauvreté, mais aussi de la continence, lorsqu’il a dit (Mt 19, 12) : " Il y a des eunuques qui se sont volontairement rendus tels pour le Royaume des cieux. " Et il ajoute. " Celui qui est capable de comprendre qu’il comprenne ! " Cependant, pour que l’espoir de parvenir à la perfection ne fût enlevé à personne, il a appelé à l’état de perfection même ceux qu’il trouvait engagés dans les liens du mariage. Or il était impossible que, sans leur faire tort, des maris abandonnent leur femme alors que des hommes pouvaient abandonner leurs richesses sans faire de tort. C’est pourquoi, il ne sépara pas de sa femme Pierre qu’il avait trouvé marié. " Cependant il détourna du mariage Jean qui s’y disposait. "

2. S. Augustin écrit : " La chasteté du célibat vaut mieux que la chasteté des noces. Abraham n’a pratiqué en fait que la seconde, mais toutes les deux par habitus. Il vivait chastement dans le mariage, et il était disposé à observer la chasteté du célibat. Mais le temps où il vivait ne la comportait pas. " C’était, chez les anciens Pères, la preuve d’une très grande vertu que de posséder la perfection de l’âme dans la richesse et dans le mariage. Les faibles ne doivent donc pas s’en prévaloir pour présumer de leur vertu au point de se croire capables de parvenir à la perfection parmi les richesses et dans le mariage ; comme si un homme sans armes avait la présomption d’attaquer des ennemis sous prétexte que Samson en tua un grand nombre sans autres armes qu’une mâchoire d’âne. D’ailleurs si le temps avait été venu de garder la continence et la pauvreté, ces Pères l’auraient fait avec un grand zèle.

3. Les régimes de vie où l’on use du mariage ne constituent pas, simplement et absolument parlant, des formes de vie religieuse. Ils ne le sont que d’une manière relative et pour autant qu’ils possèdent quelques-uns des éléments de l’état religieux.

 

            Article 5 — L’obéissance est-elle requise à l’état religieux ?

Objections :

1. Il semble queue ne soit pas requise à sa perfection. Car ce qui semble appartenir à sa perfection, ce sont des œuvres surérogatoires auxquelles tous ne sont pas tenus. Mais tout le monde est tenu d’obéir à ses supérieurs, selon l’Apôtre (He 13,17) : " Obéissez à ceux qui vous sont préposés et soyez-leur soumis. " Il semble donc que l’obéissance n’appartienne pas à la perfection de l’état religieux.

2. L’obéissance semble convenir en propre à ceux qui doivent être régis par le jugement d’autrui, parce qu’ils manquent de discernement. Mais S. Paul a écrit (He 5,14) : " La nourriture solide est réservée aux parfaits, dont les facultés sont exercées à discerner le bien et le mal. " Donc il apparaît que l’obéissance ne convient pas à l’état de perfection.

3. Si l’obéissance était requise à la perfection de l’état religieux, tous les religieux devraient la pratiquer. Or ce c’est pas ce qui arrive, car certains religieux vivent en ermites et n’ont pas de supérieurs à qui obéir. En outre, dans les ordres religieux, les supérieurs ne semblent pas astreints à l’obéissance. Donc l’obéissance ne paraît pas appartenir à la perfection de l’état religieux.

4. Si le vœu d’obéissance était requis à l’état religieux, il s’ensuivrait que les religieux seraient tenus d’obéir en toutes choses à leurs supérieurs. C’est ce qui arrive pour le vœu de continence, qui oblige à s’abstenir de tout ce qui appartient à la vie sexuelle. Or ils ne sont pas tenus d’obéir en tout, nous l’avons expliqué Il en traitant de la vertu d’obéissance.

5. La manière de servir Dieu qui lui est le plus agréable est celle qu’inspire la libéralité et non pas la nécessité, selon S. Paul (2 Co 9, 7) : " Que chacun donne... non avec tristesse ou par nécessité. " Mais ce qui se fait par obéissance se fait sous la nécessité d’un précepte. Les bonnes œuvres auxquelles on se porte spontanément méritent donc plus de louange. Le vœu d’obéissance ne convient donc pas à la vie religieuse, par laquelle on cherche à atteindre ce qu’il y a de meilleur.

En sens contraire, la perfection de la vie religieuse consiste par-dessus tout à imiter le Christ suivant cette parole (Mt 19, 2 1) : " Si tu veux être parfait... suis-moi. " Mais la vertu la plus louée, chez le Christ, c’est l’obéissance (Ph 2, 8) " Il s’est rendu obéissant jusqu’à la mort. " Il apparaît donc bien que l’obéissance appartient à la perfection religieuse.

Réponse :

Nous avons déjà dit que l’état religieux représente un régime de vie organisé en vue de former et d’exercer à la perfection. Celui qui est formé et exercé en vue d’atteindre une fin, doit suivre la direction d’un mettre, sous la conduite duquel, tel un disciple, il s’instruit et s’entraîne. Il faut donc que les religieux, en ce qui regarde la vie religieuse, soient soumis à la direction et au commandement de quelqu’un. Aussi est-il dit dans les Décrets : " La vie des moines signifie l’assujettissement et la condition de disciple. " Or c’est l’obéissance qui soumet un homme au commandement et à la direction d’un autre. C’est pourquoi l’obéissance est requise à la perfection de la vie religieuse.

Solutions :

1. Obéir aux supérieurs en ce que la vertu exige n’est pas surérogatoire et s’impose à tous. Ce qui appartient en propre aux religieux, c’est obéir en ce qui regarde l’apprentissage de la perfection. Cette seconde obéissance est à la première ce qu’est l’universel au particulier. En effet, ceux qui vivent dans le siècle se réservent quelque chose, et accordent quelque chose à Dieu, et c’est dans cette mesure qu’ils se soumettent à leurs supérieurs. Ceux qui vivent dans l’état religieux se donnent entièrement à Dieu, eux et leurs biens, nous l’avons montré. Aussi leur obéissance est-elle universelle.

2. D’après Aristote, ceux qui s’exercent à une activité finissent par acquérir l’habitus correspondant, et quand ils l’ont acquis, ils peuvent exercer cette activité au maximum. C’est ainsi qu’en obéissant, ceux qui ne sont pas parfaits parviennent à la perfection. Ceux qui sont déjà parfaits sont les plus prompts à l’obéissances. Non pas comme ayant besoin d’être dirigés pour parvenir à la perfection, mais comme persévérant ainsi dans la perfection.

3. La sujétion des religieux les soumet principalement aux évêques, qui jouent à leur égard le rôle d’agents de perfection vis-à-vis de sujets à perfectionner, selon Denys : " L’ordre des moines est soumis aux vertus perfectionnantes des évêques et s’instruit par leurs illuminations. " Donc nul religieux, sans excepter les ermites et les supérieurs réguliers, n’est complètement exempté de l’obéissance aux évêques. S’ils se trouvent soustraits, en tout ou en partie, à l’autorité des évêques diocésains, ils demeurent tenus d’obéir au souverain pontife, non seulement dans ce qui est commun à tous, mais encore dans ce qui regarde la discipline religieuse elle-même.

4. Le vœu religieux d’obéissance s’étend à toute la conduite de la vie humaine. Cela lui donne une certaine universalité, bien qu’il ne s’étende pas à tous les actes particuliers. Certains actes en effet n’ont rien à voir avec la religion, parce qu’ils n’intéressent pas l’amour de Dieu et du prochain, comme se frotter la barbe, ramasser un fétu, etc., qui ne tombent ni sous le vœu ni sous la vertu d’obéissance. D’autres sont même contraires à l’état religieux. Cela ne peut se comparer au vœu de continence par lequel on renonce à des actes qui sont entièrement contraires à la perfection de l’état religieux.

5. La nécessité qui vient de la contrainte rend l’acte involontaire et s’oppose à ce qu’il soit tenu pour louable et méritoire. Mais la nécessité issue de l’obéissance, bien loin d’exercer une contrainte sur la volonté, implique sa liberté, en tant que l’on veut obéir, bien que peut-être on n’aurait pas voulu accomplir l’objet du commandement considéré en lui-même. On se soumet donc pour Dieu, par le vœu d’obéissance, à la nécessité de faire certaines choses qui, en elles-mêmes, ne plaisent pas. De ce fait, ce que l’on accomplit plaît davantage à Dieu, même si c’est peu de chose, parce qu’on ne peut rien donner à Dieu de plus grand que de soumettre sa volonté propre à celle d’un autre, à cause de lui. Aussi lisons-nous dans les Conférences des Pères que " la pire catégorie de moines, ce sont les sarabaïtes, qui se gouvernant eux-mêmes, affranchis du joug des anciens, ont la liberté de faire ce qui leur plaît. Et pourtant, bien plus que ceux qui vivent en communauté, ils se tuent de travail jour et nuit ".

 

            Article 6 — Est-il requis que ces trois dispositions soient sanctionnées par des vœux ?

Objections :

1. Il ne semble pas. La discipline de la perfection vient de la tradition du Seigneur. Or le Seigneur a formulé en ces termes le programme de la vie parfaite (Mt 19, 2 1) : " Si tu veux être parfait, va, vends, tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres ", sans qu’il soit parlé de vœu. Il apparaît donc que le vœu n’est pas requis à la discipline de la vie religieuse.

2. Le vœu est une promesse faite à Dieu. C’est pourquoi le Sage (Qo 5,3), après avoir dit : " Si tu as voué quelque chose à Dieu, hâte-toi de t’acquitter ", ajoute aussitôt : " Car la promesse menteuse et sotte lui déplaît. " Mais là où la réalité est présente, la promesse est superflue. Il suffit donc, pour la perfection de l’état religieux, de pratiquer la pauvreté, la continence et l’obéissance, sans qu’on fasse de vœu.

3. S. Augustin nous dit : " Nos devoirs les plus méritoires sont ceux dont nous pourrions nous dispenser, mais que nous accomplissons par amour. " Mais ce qui se fait sans qu’un vœu soit intervenu, il est loisible de ne pas le faire ; dans l’hypothèse d’un vœu, la situation est à l’opposé. Il semble donc que ce soit chose plus agréable à Dieu de pratiquer la pauvreté, la continence et l’obéissance sans vœu. Donc le vœu n’est pas requis à la perfection de la vie religieuse.

En sens contraire, dans la loi ancienne, les nazaréens étaient consacrés par un vœu (Nb 6, 2) : " Lorsqu’un homme ou une femme auront fait le vœu de se sanctifier et qu’ils voudront se consacrer au Seigneur, etc. " Or, d’après la Glose de S. Grégoire sur ce texte, ils figurent " ceux qui embrassent la suprême perfection ". Donc le vœu est requis à l’état de perfection.

Réponse :

De ce que nous avons dit il ressort que les religieux doivent être dans l’état de perfection. Or celui-ci requiert l’obligation à la perfection, et l’obligation envers Dieu, c’est précisément le vœu. D’autre part, nous avons établi que la perfection de la vie chrétienne postulait la pauvreté, la continence et l’obéissance. C’est pourquoi l’état religieux exige qu’on s’oblige à ces trois choses par vœu. C’est la pensée de S. Grégoire : " Lorsqu’un homme voue au Dieu Tout-Puissant tout ce qu’il a, tout ce qui fait sa vie, tout ce qu’il aime, c’est un holocauste. " Et, Ajoute-t-il, " c’est ce que font ceux qui quittent siècle présent ".

Solutions :

1. Le Seigneur a dit que la vie parfaite consiste à le suivre, non pas de façon quelconque, mais de telle sorte qu’on ne retourne pas en arrière (Lc 9, 62) : " Nul, s’il met la main à la charrue et garde ensuite en arrière, n’est apte au royaume de Dieu. " Certains de ses disciples, à la vérité, retournèrent en arrière. Mais Pierre, au nom de tous, au Seigneur qui lui demandait (Jn 6, 67) " Et vous, voulez-vous partir aussi ? " répondit " Seigneur, qui irions-nous ? " Aussi S. Augustin fait-il cette flexion : " Suivant le récit de Matthieu et de Marc, erre et André, sans amener leur barque au rivage dans une pensée de retour, le suivirent comme on suit quelqu’un qui vous en donne l’ordre. " Or cette persévérance à suivre le Christ est fortifiée par le vœu. C’est pourquoi celui-ci est requis à la perfection de la vie religieuse.

2. La perfection de la vie religieuse requiert, selon S. Grégoire qu’on donne à Dieu " toute sa vie ". Or l’homme ne peut donner effectivement" toute sa vie à Dieu, parce que sa vie n’existe jamais tout entière à la fois, mais est vécue dans une succession. L’homme ne peut donc donner toute sa vie à Dieu autrement qu’en s’y obligeant par vœu.

3. Parmi ce qu’il nous est permis de ne pas donner figure précisément notre liberté, ce que l’homme a de plus cher. Aussi est-ce un acte très agréable à Dieu que de s’ôter librement, par le moyen du vœu, la liberté même de s’abstenir de ce qui se rattache au service de Dieu. C’est ce qui fait dire à S. Augustin : " Ne regrette pas de t’être lié par un vœu. Réjouis-toi plutôt de n’avoir plus le droit de faire ce qui ne t’était permis qu’à ton détriment. Heureuse nécessité, qui oblige au meilleur. "

 

            Article 7 — Ces trois vœux suffisent-ils ?

Objections :

1. Il semble inadmissible d’affirmer que la perfection de la religion consiste en ces trois vœux. En effet, la perfection de la vie réside plutôt en des actes intérieurs qu’en des œuvres extérieures, car il est écrit (Rm 14, 17) : " Le royaume de Dieu n’est pas dans ce qui se mange et se boit ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint. " Or c’est par le vœu de religion que l’on s’engage à la perfection. La religion devrait donc comporter des vœux portant sur des actes intérieurs, tels que la contemplation, l’amour de Dieu et du prochain etc., plutôt que les vœux de pauvreté, de continence et d’obéissance, qui ont pour matière des actes extérieurs.

2. Ces trois dispositions font l’objet des vœux de religion en tant qu’elles concernent un certain exercice en vue de la perfection. Mais les religieux s’exercent en beaucoup d’autres choses : les abstinences les veilles, etc. Il semble donc illogique de faire consister essentiellement l’état de perfection dans ces trois vœux.

3. Par le vœu d’obéissance on se trouve obligé d’accomplir, selon que le supérieur le commande, tout ce qui regarde l’apprentissage de la perfection. Le vœu d’obéissance suffit donc sans les deux autres.

4. Les biens extérieurs comprennent non seulement les richesses mais aussi les honneurs. Donc, si les religieux renoncent à la fortune par le vœu de pauvreté, il faut qu’il y ait un autre vœu par lequel ils renoncent aux honneurs du monde.

En sens contraire, le droit porte que " la garde de la chasteté et l’abdication de toute propriété sont annexées à la règle monacale ".

Réponse :

L’état religieux peut être considéré sous un triple aspect : 1° Comme un exercice par où l’on tend à la perfection de la charité ; 2° Comme un régime de vie propre à affranchir le cœur humain des soucis extérieurs, selon cette parole : (1 Co 7, 32) : " je vous veux exempts de soucis. " 3° Comme un holocauste par lequel on s’offre à Dieu tout entier, personne et biens. Sous ces divers aspects, l’état religieux se trouve réellement constitué par les trois vœux.

1° En tant qu’exercice de perfection, il est nécessaire que le religieux se débarrasse de ce qui pourrait empêcher sa volonté de tendre à Dieu tout entière, en quoi consiste la perfection de la charité. Or ces obstacles sont au nombre de trois. Il y a d’abord l’amour des biens extérieurs. Le vœu de pauvreté l’abolit. Il y a ensuite la convoitise des jouissances sensibles, au premier rang desquelles se placent les voluptés charnelles. Le vœu de continence les exclut. Il y a enfin le dérèglement de la volonté humaine. Le vœu d’obéissance l’exclut.

2° Pareillement, le trouble des soucis du siècle envahit l’homme surtout sur trois points. Le premier est la gérance des biens extérieurs. Le vœu de pauvreté volontaire délivre de ce souci. Le deuxième est le gouvernement de sa femme et de ses enfants. Le vœu de continence en dispense. Le troisième est la conduite de sa propre vie. Le vœu d’obéissance y pourvoit, par lequel on se remet au gouvernement d’un autre.

3° " L’holocauste est, d’après S. Grégoire l’offrande à Dieu de tout ce qu’on possède. " Or l’homme possède, selon Aristote, un triple bien. Le premier consiste dans les biens extérieurs. Par le vœu de pauvreté volontaire, il les offre à Dieu totalement. Le deuxième est l’ensemble des jouissances dont son corps est le siège. Il y renonce pour Dieu principalement par le vœu de continence, où il s’interdit tout usage volontaire des plus grandes délectations corporelles. Le troisième est le bien de l’âme. On l’offre totalement à Dieu par l’obéissance, grâce à laquelle on offre à Dieu sa volonté propre par laquelle l’homme est maître de toutes les puissances et habitus de son âme.

C’est donc très justement que l’on fait consister l’état religieux dans ces trois vœux.

Solutions :

1. L’état religieux, nous venons encore de le dire, est ordonné à la perfection de la charité comme à sa fin. Or, tous les actes intérieurs des vertus relèvent de la charité qui est leur mère, selon qu’il est écrit (1 Co 13,4) : " La charité est patiente, la charité est bénigne, etc. " Les actes intérieurs des vertus, d’humilité par exemple, de patience, et les autres, ne sauraient donc constituer la matière des vœux de religion, qui leur sont ordonnés comme à une fin.

2. Toutes les autres observances religieuses sont ordonnées à ces trois vœux principaux. Les unes peuvent être destinées à assurer la subsistance, par exemple le travail, la mendicité religieuse, etc. Elles sont ordonnées au vœu de pauvreté. C’est pour en assurer l’observation qu’il est prescrit aux religieux de pourvoir à leurs besoins de quelqu’une de ces manières. Celles qui ont pour objet la macération du corps : jeûnes, veilles, etc., sont directement ordonnées à la sauvegarde du vœu de continence. Celles qui ont trait aux actes humains par lesquels le religieux poursuit la fin qui lui est assignée, c’est-à-dire l’amour de Dieu et du prochain, ces activités, comme la lecture, la prière, la visite des malades, etc. sont comprises dans le vœu d’obéissance. Car celui-ci se rattache à la volonté, qui se conforme à ce que les autres ont disposé, pour ordonner ses actes à leur fin. Or le port d’un habit déterminé se rattache aux trois vœux, comme signifiant leur obligation. Si bien que l’habit régulier est donné ou bénit en même temps que l’on fait profession.

3. Par l’obéissance on offre à Dieu sa volonté, dont relèvent toutes les réalités humaines, mais plus spécialement les actions humaines, dont elle est seule maîtresse, car les passions relèvent en outre de l’appétit sensible.

Aussi, pour réprimer les passions relatives aux jouissances charnelles et aux biens extérieurs, les vœux de continence et de pauvreté sont-ils nécessaires. Mais le vœu d’obéissance est requis pour conduire nos propres actions conformément aux exigences de l’état de perfection.

4. Suivant Aristote, l’honneur n’est dû, proprement et en vérité, qu’à la vertu. Si les biens extérieurs, lorsqu’ils sont considérables, valent à ceux qui les possèdent d’être honorés, par le vulgaire surtout qui ne connaît guère d’autre supériorité que celle-là, c’est, au bout du compte, parce qu’ils représentent des moyens de pratiquer certains actes de vertu. Les religieux qui tendent à la perfection de la vertu n’ont donc pas à renoncer à l’honneur que Dieu et les personnes saintes rendent à la vertu, selon le Psaume (139,17) : " Tes amis, mon Dieu, je les ai en grand honneur. " Quant à l’honneur dont on entoure la grandeur extérieure, ils y renoncent par le fait même qu’ils abandonnent la vie séculière. Ils n’ont donc pas à faire pour cela de vœu spécial.

 

            Article 8 — Comparaison des trois vœux

Objections :

1. Le vœu d’obéissance ne semble pas être le plus important, car la perfection de a vie religieuse a commencé avec le Christ. Or on ne voit pas que le Christ, qui a fait de la pauvreté l’objet d’un conseil spécial, ait donné celui de pratiquer l’obéissance. Le vœu de pauvreté est donc supérieur au vœu d’obéissance.

2. Il est écrit (Si 26, 2OVg) : " Tout l’or du monde ne vaut pas une âme continente. " Mais la valeur du vœu croît avec celle de son objet. Donc le vœu de continence surpasse en valeur le vœu d’obéissance.

3. Il semble que plus un vœu a de valeur, plus est difficile d’en dispenser. Or les vœux de pauvreté et de continence " sont si étroitement liés à la règle monacale, disent les Décrets, que le souverain pontife lui-même ne peut accorder aucune permission à leur encontre ", alors qu’on peut dispenser le religieux d’obéir à son supérieur. Cela suppose que le vœu d’obéissance est inférieur ,aux vœux de pauvreté et de continence.

En sens contraire, S. Grégoire déclare : " C’est à bon droit que l’obéissance est mise au-dessus des sacrifices. Dans le sacrifice, c’est la chair d’un autre, dans l’obéissance, c’est sa propre volonté que l’on immole. " Or les vœux de religion sont, avons-nous dit, des holocaustes. Le vœu d’obéissance est donc le principal parmi les vœux de religion.

Réponse :

Le vœu d’obéissance est le principal pour trois raisons. 1° Parce que, dans le vœu d’obéissance, l’homme offre à Dieu quelque chose de plus grand que le reste : sa volonté, dont la valeur surpasse celle de son corps, qu’on offre à Dieu par le vœu de continence, et celle des biens extérieurs, qu’il offre à Dieu par le vœu de pauvreté. Aussi ce que l’on fait par obéissance est-il plus agréable à Dieu que ce qui procède du libre choix : " Tout mon discours n’a qu’un but : t’apprendre qu’il ne faut pas t’en rapporter à ta seule volonté ", écrit S. Jérôme. Et un peu plus loin : " Ne fais pas ta volonté : mange ce qu’on te sert, contente toi de ce que tu reçois, porte le vêtement qu’on te donne. " Le jeûne lui-même ne plaît pas à Dieu, s’il vient de la volonté propre, comme dit Isaïe (58, 3) : " Voici que dans vos jours de jeûne parait votre volonté propre. "

2° Parce que le vœu d’obéissance contient les autres vœux, tandis que la réciproque n’est pas vraie. En effet, quoique le religieux soit tenu, par un vœu spécial, de pratiquer la continence et la pauvreté, elles n’en tombent pas moins sous le vœu d’obéissance, lequel porte aussi sur beaucoup d’autres choses.

3° Le vœu d’obéissance vise proprement des actes qui sont tout proches de la fin même de la vie religieuse. Or, plus une chose est proche de la fin, plus elle a de valeur. C’est ce qui fait que le vœu d’obéissance est le plus essentiel à l’état religieux. Quelqu’un peut observer, et même par vœu, la pauvreté volontaire et la continence, s’il n’a pas fait vœu d’obéissance, il n’est pas vraiment religieux. Et l’état religieux est supérieur même à la virginité consacrée par un vœu, car S. Augustin écrit : " Personne, je pense, n’osera mettre la virginité au-dessus du monastère. "

Solutions :

1. Le conseil d’obéissance est inclus dans l’invitation à suivre le Christ. Car celui qui obéit suit la volonté d’un autre. C’est pourquoi, il est plus essentiel à la perfection que le vœu de pauvreté. " Car, dit S. Jérôme, Pierre a précisé ce qui fait la perfection, lorsqu’il a dit : Et nous t’avons suivi. "

2. Ce texte n’élève pas la continence au-dessus de tous les autres actes de vertu. Elle la met seulement au-dessus de la chasteté conjugale, ou encore de richesses extérieures, or ou argent, qui s’évaluent au poids. Ou bien encore, elle entend par continence l’abstention générale de tout ce qui est mal comme il a été dit plus haut.

3. Le pape ne peut dispenser un religieux du vœu d’obéissance au point qu’il ne soit plus obligé d’obéir à aucun supérieur dans le domaine de la perfection. Car il ne peut le dispenser de lui obéir à lui-même. Ce qu’il peut faire, c’est le dispenser d’obéir au prélat inférieur. Mais ce n’est pas là dispenser vraiment du vœu d’obéissance.

 

            Article 9 — Les religieux commettent-ils un péché mortel toutes les fois quels transgressent leur règle ?

Objections :

1. Il semble que le religieux commette un péché mortel chaque fois qu’il transgresse la règle. En effet, agir contre son vœu est un péché grave. S. Paul le suppose clairement quand il dit (1 Tm 5, 11) que les veuves qui veulent se remarier méritent condamnation pour manquement à la foi donnée. Or leur vœu astreint les religieux à observer la règle. Donc ils pèchent mortellement en transgressant ce qui est dans la règle.

2. La règle est imposée au religieux comme une loi. Mais celui qui viole les prescriptions de la loi pèche mortellement. Il semble donc que le moine, en violant celles de la règle, pèche mortellement.

3. Le mépris entraîne le péché mortel. Or celui qui réitère souvent ce qu’il ne doit pas faire paraît bien pécher par mépris. Donc, si le religieux transgresse fréquemment la règle, il apparaît qu’il pèche mortellement.

En sens contraire, l’état religieux est plus sûr que la vie séculière. Aussi S. Grégoire compare-t-il la vie séculière à la mer agitée, et la vie religieuse au port tranquille. Mais si toute transgression du contenu de la règle entraînait péché mortel, l’état religieux serait infiniment dangereux, à cause de la multitude des observances. Toute transgression des prescriptions de la règle n’est donc pas péché mortel.

Réponse :

1. Il y a deux façons d’être contenu dans la règle, d’après ce que nous avons montré. Ce peut être à titre de fin, et c’est le cas des actes des vertus. La transgression de ce contenu particulier de la règle, dans la mesure du moins où il fait partie de ce qui est prescrit à tous, est péché mortel. Il n’en va pas de même si ce contenu dépasse l’obligation commune. Sa transgression n’entraîne alors un péché mortel que si elle procède du mépris, car, nous l’avons dit, le religieux, n’est pas tenu à être parfait, mais seulement à tendre à la perfection, ce que contredit le mépris de la perfection.

Autre chose peut être dans la règle à titre d’exercice extérieur, et tel est le cas de toutes les observances extérieures. A certaines, le religieux est obligé par son vœu même de religion. Or le vœu vise principalement la pauvreté, la continence et l’obéissance, à quoi tout le reste est ordonné. Il en résulte que la transgression de ces trois vœux entraîne un péché mortel. La transgression des autres observances ne constitue un péché mortel que s’il y a mépris de la règle (le mépris étant directement contraire à la profession que le religieux a faite de mener la vie régulière) ; ou s’il y a précepte, qu’il soit formulé de vive voix par le supérieur ou qu’il soit inscrit dans la règle même, parce que sa transgression va contre le vœu d’obéissance.

Solutions :

1. Celui qui professe une règle ne s’engage pas à observer tout ce qui se trouve dans la règle, mais il s’engage à la vie régulière, laquelle consiste essentiellement dans les trois vœux. Aussi dans certains ordres fait-on profession non pas de la règle, mais, ce qui est plus judicieux, de vivre selon la règle. Ce qui veut dire qu’on promet de s’appliquer à conformer sa vie à la règle considérée comme un modèle. Et c’est ce que le mépris supprime.

Dans certains ordres religieux, avec plus de prudence encore, on professe l’obéissance selon la règle, si bien que l’on ne s’oppose à sa profession que si l’on va contre le précepte de la règle. La transgression ou omission des autres points ne fait encourir que le péché véniel. Car, nous l’avons dit, ces autres points ne sont que des dispositions favorisant l’observance des vœux principaux. Et le péché véniel, nous l’avons dit plus haut, est lui-même une disposition au péché mortel, en tant qu’il fait obstacle à ce qui nous disposerait à l’observation des préceptes principaux de la loi du Christ, qui sont ceux de la charité.

Il existe cependant une religion, celle de l’ordre des Frères Prêcheurs, où cette transgression ou omission n’entraîne par elle-même aucune faute, ni mortelle ni vénielle, mais seulement une peine déterminée. La raison en est qu’ils se sont obligés de cette façon à l’observation de ces sortes de règlements. Il reste qu’ils peuvent pécher, véniellement ou mortellement, si leur conduite procède de la négligence, de la passion ou du mépris.

2. Tout ce qui est dans la loi, n’est pas promulgué à titre de précepte. Certains points représentent de simples règlements ou ordonnances, prescrits sous la sanction d’une peine déterminée à subir en cas d’infraction, de même que la loi civile ne punit pas de mort toute transgression d’une ordonnance légale. Dans la loi ecclésiastique non plus, tous les règlements ou ordonnances n’obligent pas sous peine de péché mortel. Il en va de même pour toutes les prescriptions de la règle.

3. Une transgression ou omission implique mépris lorsque la volonté de celui qui la commet se rebelle contre la prescription de la loi et de la règle, et lorsque c’est cette rébellion même qui le fait agir contre la loi ou la règle. Au contraire, quand c’est un motif particulier, la convoitise par exemple, ou la colère, qui le pousse à enfreindre les prescriptions de la loi ou la règle, il ne pèche point par mépris mais par quelque autre motif, même s’il lui arrive de réitérer fréquemment sa faute pour le même motif ou pour quelque autre semblable. De même, S. Augustin observe que tous les péchés n’ont pas pour origine le mépris d’orgueil. Cependant la fréquence de la faute dispose au mépris, selon cette parole (Pr 18, 3 Vg) : " L’impie, lorsqu’il est parvenu au fond des péchés, tombe dans le mépris. "

 

            Article 10 — Toutes choses égales et dans le même genre de péché, le religieux pèche-t-il davantage que le séculier ?

Objections :

1. Il semble que sa faute ne soit pas plus grave. Car il est écrit (2 Ch 30, 18) : " Le Seigneur, qui est bon, se montrera propice à tous ceux qui cherchent de tout leur cœur le Dieu de leurs pères, et il ne leur fera pas grief d’être moins saints qu’ils ne devraient. " Mais il semble que les religieux recherchent de tout leur cœur le Dieu de leurs pères, plus que les séculiers qui, d’après S. Grégoire, donnent à Dieu une partie d’eux-mêmes et de leurs biens, et gardent l’autre pour eux. Il semble donc que si la sainteté n’est pas chez les religieux tout ce queue devrait être, on le leur reproche moins.

2. Du fait qu’un homme accomplit des œuvres bonnes, Dieu s’irrite moins contre ses péchés : " Tu prêtes secours à l’impie et tu es lié d’amitié avec les ennemis de Dieu, et c’est pourquoi tu méritais la colère de Dieu ; mais des œuvres bonnes ont été trouvées en toi " (2 Ch 19, 2). Or les religieux accomplissent plus d’œuvres bonnes que les séculiers. Donc, s’il arrive qu’ils commettent des péchés, Dieu s’irrite moins contre eux.

3. La vie présente ne se passe pas sans péché, suivant cette parole (Jc 3, 2) : " Nous commettons tous beaucoup de fautes. " Donc, si les péchés des religieux étaient plus graves que ceux des séculiers, il s’ensuivrait que la condition des premiers serait pire que celle des seconds. Et ce ne serait pas un propos salutaire d’entrer en religion.

En sens contraire, d’un plus grand mal il semble qu’on doive s’affliger davantage. Mais il semble qu’on doive se désoler davantage des péchés de ceux qui sont dans un état de sainteté et de perfection. Comme dit Jérémie (23, 9) : " Mon cœur en moi est brisé. " Et il ajoute : " C’est que le prophète et le prêtre sont souillés et que dans ma maison j’ai vu leur iniquité. " Donc les religieux et tous ceux qui sont dans l’état de perfection pèchent plus gravement.. toutes choses égales d’ailleurs.

Réponse :

Le péché que commettent des religieux, peut être plus grave que le même péché commis par des séculiers, de trois manières. D’abord, si ce péché atteint les vœux de religion ; par exemple, si un religieux se rend coupable de vol ou de fornication, sa fornication viole le vœu de continence et son vol celui de pauvreté, et non pas seulement le précepte de la loi divine. Ensuite, si ce péché procède du mépris. Le religieux, dans ce cas, semble faire preuve de plus d’ingratitude à l’endroit des bienfaits de Dieu qui l’ont élevé à l’état de perfection. Comme dit l’Apôtre (He 10, 29), le croyant mérite de plus graves châtiments pour ce fait que, par son péché, " il foule aux pieds ", c’est-à-dire méprise " le Fils de Dieu ". Aussi le Seigneur élève-t-il cette plainte en Jérémie (11, 15) : " Comment se peut-il que mon bien-aimé, dans ma maison, accumule les forfaits ? " Enfin, le péché du religieux peut avoir une gravité particulière en raison du scandale. Un plus grand nombre de gens, en effet, le regardent vivre. D’où cette parole (Jr 23, 14) : " J’ai vu chez les prophètes de Jérusalem l’image de l’adultère et la voie du mensonge. Ils se sont déclarés pour les méchants de telle sorte que nul ne s’est converti de sa malice. "

Mais si le religieux, sans y mettre de mépris, mais par faiblesse ou ignorance, commet sans scandale, en secret, quelque péché qui n’est pas contraire au vœu de sa profession, son péché est moins grave que le même péché chez le séculier. Car son péché, s’il est léger, est comme absorbé par les nombreuses œuvres bonnes qu’il accomplit. Et s’il arrive que ce péché soit mortel, il s’en relève plus facilement. Premièrement à cause de son intention, qu’il dirige ordinairement vers Dieu, et qui, un moment déviée, se redresse comme d’elle-même. C’est pourquoi Origène sur le Psaume (37, 24) : " S’il tombe, il ne se brisera pas ", a écrit : " L’homme injuste, s’il pèche, ne se repent pas, il ignore comment réparer sa faute. Le juste, lui, sait la réparer, la corriger. Ainsi fit celui qui venait de dire : "je ne connais pas cet homme", et qui un peu après, le Seigneur l’ayant regardé, se mit à verser des larmes amères (Mc 14, 72). Ou cet autre (2 S 11, 2) qui, de sa terrasse, ayant vu une femme et l’ayant désirée, sut dire : "J’ai péché, j’ai fait le mal devant toi." De plus, ses frères l’aident à se relever, suivant cette parole (Qo 4, 10) : "S’il y en a un qui tombe, l’autre le soutiendra. Mais malheur à l’isolé ; s’il tombe, il n’a personne qui lui porte secours." "

Solutions :

1. Ce texte s’entend des péchés de faiblesse ou d’ignorance et ne s’applique pas aux péchés de mépris.

2. Josaphat, lui aussi, dont il est question dans ce texte, avait péché non par malice mais par une certaine faiblesse d’affection humaine.

3. Les justes n’en viennent pas facilement à pécher par mépris, tandis qu’il leur arrive de tomber en quelque faute d’ignorance ou de faiblesse, dont ils se relèvent facilement. Mais quand ils se trouvent conduits à pécher par mépris, ils sont pires que les autres et rebelles à toute correction. C’est la pensée de Jérémie (2, 20) : " Tu as brisé ton joug, tu as rompu tous tes liens, tu as dit : "je ne servirai pas." Sur toute colline élevée, sous tout arbre feuillu, tu te couchais en prostituée. " Ce qui fait dire à S. Augustin : " Depuis que j’ai commencé de servir Dieu, j’ai expérimenté que si j’ai difficilement trouvé de plus saintes gens que ceux qui ont progressé dans les monastères, je n’en ai pas rencontré de pires que ceux qui, dans les monastères sont tombés. "

 

 

QUESTION 187 — LES ACTIVITÉS QUI CONVIENNENT AUX RELIGIEUX

1. Leur est-il permis d’enseigner, de prêcher et d’exercer d’autres activités semblables ? -2. Leur est-il permis de se mêler d’affaires séculières ? -3. Sont-ils tenus de travailler de leurs mains ? - 4. Ont-ils le droit de vivre d’aumônes ? - 5. Leur est-il permis de mendier ? - 6. Leur est-il permis de porter des vêtements plus grossiers que les autres ?

 

            Article 1 — Leur est-il permis d’enseigner, de prêcher et d’exercer d’autres fonctions semblables ?

Objections :

1. Il apparaît que non. En effet, nous lisons dans les Décrets : " La vie monastique signifie sujétion et apprentissage ; il n’y est pas question d’enseigner, d’exercer la présidence, ni l’office de pasteur. " De même S. Jérôme : " L’office du moine n’est pas d’enseigner mais de pleurer. " Le pape S. Léon dit aussi : " En dehors des prêtres du Seigneur, que nul ne se permette de prêcher, moine ou laïque, et quel que soit son renom de science. " Or il n’est pas permis d’outrepasser son office propre et de transgresser le statut de l’Église. Il semble donc bien que les religieux ne puissent enseigner, prêcher, etc.

2. Un décret du concile de Nicée porte " Nous donnons à tous l’ordre catégorique et immuable que les moines n’accordent la pénitence à personne, sauf entre eux, comme il est juste. Qu’ils ne fassent pas les funérailles d’un mort, à moins qu’il ne s’agisse d’un moine de ce monastère ou de quelque frère reçu comme hôte au monastère, s’il arrive qu’il y meure. " Mais la prédication et l’enseignement, tout autant que ces fonctions, appartiennent à l’office clérical. Et puisque, dit S. Jérôme, " autre est la situation du moine et autre celle du clerc ", il s’ensuit, semble-t-il, qu’il n’est pas permis aux religieux de prêcher, d’enseigner ni d’avoir d’autres activités semblables.

3. S. Grégoire écrit : " Nul ne peut accomplir les ministères ecclésiastiques et persévérer comme il faut sous la règle monastique. " Or les moines sont tenus de persévérer dans la vie monastique. On doit en conclure qu’ils ne peuvent exercer les ministères ecclésiastiques. Il ne leur est donc pas permis d’enseigner, de prêcher et d’accomplir d’autres activités qui sont d’authentiques ministères ecclésiastiques.

En sens contraire, S. Grégoire dit au même endroit : " En vertu de ce décret, que nous avons porté par l’autorité apostolique et pour le bien de la religion, qu’il soit permis aux moines prêtres qui, eux aussi, représentent les Apôtres, de prêcher, de baptiser, de donner la communion, de prier pour les pécheurs, d’imposer une pénitence et d’absoudre les péchés. "

Réponse :

Quand on dit qu’une chose n’est pas permise à quelqu’un, cela peut s’entendre de deux manières. En ce sens d’abord qu’il y a chez cette personne quelque chose d’inconciliable avec l’acte qu’on assure lui être interdit. C’est ainsi qu’il n’est pas permis à l’homme de pécher parce qu’il a en lui-même la raison et l’obligation d’obéir à la loi divine, auxquelles s’oppose le péché. On dit en ce sens qu’il n’est pas permis à telle personne de prêcher, d’enseigner ou d’exercer quelque autre office semblable, parce qu’il y a en elle quelque chose qui s’y oppose. Ce peut être un précepte, comme dans le cas de ceux qui se trouvent sous le coup d’une irrégularité et auxquels le droit de l’Église interdit l’accès des ordres sacrés. Ce peut être le péché, selon ce mot du Psaume (50, 16) : " Dieu a dit au pécheur : "Qu’as tu à réciter mes lois ?" "

Dans ce sens, il n’est pas interdit aux religieux de prêcher, d’enseigner et d’exercer d’autres offices semblables. Ni leur vœu ni leur règle ne les obligent de s’en abstenir. D’autre part ils n’y sont pas rendus moins aptes à raison de quelque péché qu’ils auraient commis. Tout au contraire, cette application à la sainteté, dont ils se sont fait une obligation, les y dispose. C’est une absurdité de dire que le progrès en sainteté rend moins apte à exercer des fonctions spirituelles. Certains ont même professé cette opinion absurde que, par lui-même, l’état religieux constituerait un empêchement à l’accomplissement de telles fonctions. Cette opinion, le pape Boniface la réprouve en ces termes . " Il y a des gens qui, sans avoir le moindre canon à alléguer, et tout brûlants d’un zèle impudent, non pas d’amour mais d’amertume, prétendent que les moines sont indignes de la puissance de l’office sacerdotal, parce qu’ils sont morts au monde et parce qu’ils vivent pour Dieu. Mais ils se trompent absolument. " Ce qu’il montre en observant que ce n’est pas contre la règle : " Car, ajoute-t-il, S. Benoît, le maître bienfaisant des moines, ne le défend aucunement, lui non plus. " Les autres règles ne l’interdisent pas davantage. Il réprouve ensuite cette erreur, en affirmant la capacité des moines : " Plus un homme est parfait, écrit-il à la fin du chapitre, et plus il a de puissance dans ces sortes de choses, c’est-à-dire dans les œuvres spirituelles. "

On dit encore dans un autre sens qu’une activité n’est pas permise à telle personne. Non que cette personne ait en elle-même rien qui s’y oppose. Mais il lui manque ce qu’il faut pour pouvoir l’accomplir. C’est ainsi qu’il n’est pas permis au diacre de célébrer la messe, pour cette raison qu’il ne possède pas l’ordre sacerdotal ; qu’il n’est pas permis au prêtre de prononcer une sentence, parce qu’il n’a pas l’autorité épiscopale. Là-dessus il faut encore distinguer. Les fonctions qui relèvent d’un ordre ne sauraient être confiées à celui qui ne possède pas cet ordre. Le diacre ne peut être autorisé à célébrer la messe, s’il n’est pas promu au sacerdoce. En revanche, les actes qui font appel au pouvoir de juridiction peuvent être délégués à ceux qui ne possèdent pas la juridiction ordinaire. C’est ainsi que l’évêque peut déléguer à un simple prêtre le pouvoir de prononcer une sentence. Et en ce sens il est juste de dire qu’il n’est pas permis aux moines et aux autres religieux de prêcher, d’enseigner et d’exercer d’autres fonctions semblables, parce que l’état religieux ne leur en confère pas le pouvoir. Mais ils peuvent les remplir s’ils reçoivent l’ordre requis, ou la juridiction ordinaire, ou encore la délégation de ceux qui la détiennent.

Solutions :

1. Ces paroles impliquent que les moines ne détiennent pas, du seul fait qu’ils sont moines, le pouvoir d’exercer ces sortes de fonctions. Elles ne signifient pas que le fait d’être moines les rende inapte à les remplir.

2. Ce décret du concile de Nicée prescrit pareillement aux moines de ne pas s’approprier, sous prétexte qu’ils sont moines, le pouvoir d’exercer de tels actes. Il n’interdit pas, en revanche, de leur accorder ce pouvoir.

3. Ce qui est incompatible, c’est d’avoir la charge ordinaire des ministères ecclésiastiques et d’observer la règle monastique dans le monastère. Mais il n’est pas exclu pour autant que les moines et les autres religieux puissent de temps à autre s’appliquer aux ministères ecclésiastiques, par commission des prélats qui en ont la charge ordinaire. Cette remarque vaut très particulièrement pour ceux qui appartiennent à des Ordres spécialement institués à cette fin. Nous y reviendrons plus loin.

 

            Article 2 — Est-il permis aux religieux de se mêler d’affaires séculières ?

Objections :

1. Il semble que non. Nous lisons dans le décret déjà cité du pape Boniface : " S. Benoît leur a commandé de rester étrangers aux affaires séculières. C’est ce que prescrivent les enseignements apostoliques et les institutions, sans exception, des saints Pères, non seulement aux moines mais aux chanoines quels qu’ils soient, selon cette parole (2 Tm 2, 4) : "Nul, engagé au service de Dieu, ne doit se mêler d’affaires séculières." " Or il incombe à tous les religieux s’employer au service de Dieu. Il ne leur est donc pas permis de s’occuper d’affaires séculières.

2. S. Paul écrit (1 Th 4, 11) : " Mettez votre application à vivre en paix, et à vous occuper des propres affaires. " La Glose précise : " En il citant de vous mêler de celles des autres, ce qui importe à l’amendement de votre vie. " Mais c’est la tâche spéciale des religieux d’amender leur vie. Donc ils n’ont pas à se mêler d’affaires séculières.

3. A propos du mot rapporté en S. Matthieu (11, 8) " Les gens aux vêtements délicats vivent dans la demeure des rois " S. Jérôme écrit : " Ceci montre qu’une vie rigoureuse et une prédication austère doivent éviter la cour des rois et se tenir à l’écart des gens délicatement vêtus. " Mais le soin des affaires séculières contraint à fréquenter le palais des rois. Donc il n’est pas permis aux religieux de traiter des affaires séculières.

En sens contraire, S. Paul a écrit (Rm 16, 1) " je vous recommande Phœbé, notre sœur. " Puis il ajoute : " Assistez-la dans toute affaire pour laquelle elle aura besoin de votre appui. "

Réponse :

Nous avons dit plus haut que l’état religieux est ordonné à l’acquisition de la charité parfaite : premièrement de l’amour de Dieu et, secondement, de l’amour du prochain. C’est pourquoi les religieux doivent surtout et essentiellement viser à être disponibles pour Dieu. Mais si l’intérêt du prochain l’exige, ils doivent par charité prendre en main ses affaires, selon cette parole (Ga 6, 5) : " Portez les fardeaux les uns des autres et vous accomplirez ainsi la loi du Christ. " En servant le prochain pour Dieu, ils font œuvre d’amour de Dieu. C’est pourquoi il est écrit (Jc 1, 27) : " La religion pure et sans tache devant Dieu notre Père, la voici : visiter les orphelins et les veuves dans leurs épreuves. " C’est-à-dire, précise la Glose, " assister dans leurs nécessités ceux qui n’ont pas d’appui ".

Disons donc qu’il n’est permis ni aux moines ni aux clercs de gérer des intérêts séculiers par cupidité. Mais ils peuvent, par charité et avec la permission de leurs supérieurs, s’occuper d’affaires séculières, soit comme agents d’exécution soit comme conseillers, bien entendu avec la modération qui s’impose. C’est pourquoi il est dit dans les Décrets : " Le concile décide que nul clerc ne pourra désormais gérer des propriétés ni se mêler d’affaires séculières, sauf pour le service des mineurs, des orphelins ou des veuves, ou encore dans le cas où son évêque lui imposerait l’administration des biens ecclésiastiques. " Ce qui est dit des clercs s’applique aux religieux, parce que nous avons fait remarquer que les affaires séculières leur sont pareillement interdites.

Solutions :

1. Il est interdit aux moines de traiter les affaires séculières par cupidité, mais non par charité.

2. Ce n’est pas curiosité mais charité, de s’occuper d’affaires lorsque la nécessité le demande.

3. Il ne convient pas aux religieux de fréquenter le palais des rois pour le plaisir, la gloire ou le profit. Mais s’y rendre pour des motifs de miséricorde est bien dans leur rôle. C’est pourquoi il est rapporté qu’Élisée dit à la Sunamite (2 R 4, 13) " As-tu quelque affaire, et veux-tu que j’en parle au roi ou au chef de l’armée ? " Pareillement il appartient aussi aux religieux de se rendre dans le palais des rois pour leur correction et direction. Qu’on se rappelle Jean Baptiste et ses remontrances à Hérode (Mt 14,4).

 

            Article 3 — Les religieux sont-ils tenus de travailler de leurs mains ?

Objections :

1. Il semble bien. En effet, ils ne sont pas dispensés d’observer les commandements. Mais le travail manuel est de précepte, selon cette parole (1 Th 4, 11) : " Travaillez de vos mains comme nous vous l’avons commandé. " S. Augustin dit aussi : " Qui pourrait supporter de voir ces obstinés " (il s’agit de religieux qui ne voulaient pas travailler), " qui résistent aux salutaires monitions de l’Apôtres au lieu d’être tolérés comme les plus faibles, être célébrés comme les plus saints ? " Donc, semble-t-il, les religieux sont obligés de travailler de leurs mains.

2. Sur ce texte (2 Th 3, 10) : " Celui qui ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus ", la Glose porte : " Certains prétendent que l’Apôtre parle du travail spirituel et non pas du labeur corporel auquel s’adonnent les laboureurs et les ouvriers... Mais c’est en vain qu’ils s’appliquent à se boucher les yeux et ceux des autres, non seulement pour se dispenser eux-mêmes de suivre ce salutaire avis de la charité, mais pour ne pas même le comprendre. " Et plus loin : " L’Apôtre veut que les serviteurs de Dieu demandent leur subsistance au travail des mains. " Mais ce nom de serviteurs de Dieu désigne plus spécialement les moines qui d’après Denys - se sont entièrement consacrés au service de Dieu. Comment ne seraient-ils pas tenus au travail des mains ? -

3. S. Augustin écrit : " Je voudrais bien savoir ce que font ceux qui refusent de travailler de leurs mains. Ce que nous ferons, répondent-ils, mais nous nous adonnerons à la prière, aux psaumes, à la lecture, à la prédication " Or il montre en détail que rien de tout cela ne les excuse. Ce n’est pas la prière : " Une seule prière de l’homme obéissant, remarque-t-il, est plus vite exaucée que dix mille prières chez l’arrogant. " Il entend par ces hommes dont la prière est indigne d’être exaucée ceux qui refusent de travailler de leurs mains. Ce ne sont pas les louanges divines qui les dispensent de travailler : " Les cantiques divins, même ceux qui travaillent manuellement peuvent facilement les chanter. " Ce n’est pas la lecture : " N’ont-ils pas rencontré dans leur lecture ce que l’Apôtre commande ? Quelle perversité de prétendre lire, et de ne pas mettre en pratique ce qu’on lit ? " Ce n’est pas la prédication : " Si quelqu’un doit faire un sermon et que ce soit une occupation telle qu’il devienne impossible de se livrer au travail manuel, tout le monde au monastère en est-il capable ? Et si tous n’en sont pas capables, pourquoi, sous ce prétexte tous prétendent-ils se reposer ? Même s’ils en sont tous capables, ils doivent le faire à tour de rôle, non seulement pour faire les travaux indispensables, mais aussi parce qu’il suffit d’un seul qui parle pour de nombreux auditeurs. " Il ne semble donc pas que les religieux doivent abandonner le travail manuel pour se livrer à ces sortes d’œuvres spirituelles.

4. Sur ce mot du Seigneur (Lc 12, 33) " Vendez ce que vous possédez ", la Glose remarque : " Ce n’est pas seulement votre pain qu’il faut partager avec les pauvres, ce sont vos biens qu’il faut vendre. Ayant ainsi méprisé toutes choses pour le Seigneur, vous gagnerez en travaillant de vos mains de quoi vivre et faire l’aumône. " Mais c’est le propre des religieux de se dépouiller de tout ce qu’ils possèdent. Il semble donc qu’à eux aussi s’adresse cet appel à gagner, par le travail de leurs mains, de quoi vivre et faire l’aumône.

5. Il semble que les religieux soient particulièrement obligés d’imiter la vie des Apôtres, parce qu’ils professent l’état de perfection. Or les Apôtres travaillaient de leurs mains, selon cette parole (1 Co 4, 12) : " Nous prenons la peine de travailler de nos mains. "

En sens contraire, religieux et séculiers sont tenus au même titre d’observer les préceptes donnés à tous indistinctement. Mais le précepte du travail manuel est donné à tous sans distinction, comme il paraît par ce texte (2 Th 3, 6) : " Éloignez-vous de tout frère qui se conduit de façon désordonnée ", etc. (Il appelle frère un chrétien quelconque, comme dans cet autre endroit (1 Co 7, 12) : " Si quelque frère a une femme incroyante ", etc.) D’autre part, il dit au même endroit : " Si quelqu’un refuse de travailler, qu’il se passe aussi de manger. " Les religieux ne sont donc pas obligés, plus que les séculiers, à travailler de leurs mains.

Réponse :

Le travail manuel a un quadruple but. Le premier et principal, c’est d’assurer la subsistance. D’où cette parole adressée au premier homme (Gn 3, 19) : " Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. " Et cette autre d’un Psaume (128, 2) : " Alors tu te nourris du travail de tes mains. " Le deuxième, c’est de supprimer l’oisiveté, mère d’un grand nombre de maux. C’est pourquoi il est écrit : (Si 33, 28) : " Envoie ton serviteur travailler pour qu’il ne reste pas oisif l’oisiveté est une grande maîtresse de malice. " Le troisième, c’est de refréner les désirs mauvais en macérant le corps. Aussi est-il écrit (2 Co 6, 5) : " Dans les travaux, les jeûnes, les veilles, la chasteté. " Le quatrième, c’est de faire l’aumône, d’où cette parole (Ep 4, 28) : " Celui qui volait, qu’il ne vole plus. Qu’il travaille plutôt de ses mains à quelque ouvrage honnête, pour avoir de quoi donner à l’indigent. "

Or le travail manuel, en tant qu’il représente un moyen de gagner sa vie, est obligatoire dans la mesure où il est nécessaire. Ce qui est ordonné à une fin tire sa nécessité de cette fin même. C’est-à-dire qu’il est nécessaire dans la mesure où cette fin le requiert. Aussi, celui qui n’a pas de quoi vivre par ailleurs doit-il travailler de ses mains, quelle que soit sa condition. C’est ce que veut dire S. Paul : " Celui qui refuse de travailler, qu’il se passe aussi de manger. " C’est comme s’il disait : Nécessité de travailler de ses mains et nécessité de manger, cela ne fait qu’un. Donc, si quelqu’un pouvait se passer de manger, il serait dispensé de travailler. Il en va de même pour ceux qui ont par ailleurs de quoi pouvoir vivre honnêtement. Car l’on ne doit pas entendre qu’ils le puissent, si on n’est pas honnête. Aussi ne voit-on pas que S. Paul ait prescrit le travail des mains autrement que pour réprouver le péché de ceux qui se procuraient de quoi vivre par des moyens illicites. Il prescrit en effet le travail manuel d’abord pour éviter le vol : " Celui qui volait, qu’il ne vole plus. Qu’il travaille plutôt de ses mains à quelque ouvrage. " Ensuite, pour éviter la convoitise du bien d’autrui (1 Th 4, 11) : " Travaillez de vos mains, comme nous vous l’avons prescrit, afin de vous conduire honnêtement à l’égard de ceux du dehors. " Enfin, pour éviter les honteux trafics par lesquels certains gagnent leur vie (2 Th 3, 10) : " Lorsque nous étions parmi vous, nous vous disions que si quelqu’un refuse de travailler, il ne doit pas manger non plus. Nous avons appris, en effet, que certains d’entre vous mènent une vie agitée, ne faisant rien et se mêlant de tout (Glose : "Des gens qui se procurent le nécessaire par des moyens honteux.") A ceux-là, nous adressons cette déclaration, cette prière plutôt : qu’ils travaillent en silence pour manger du pain qui soit à eux. " C’est pourquoi S. Jérôme remarque que l’Apôtre agit ici " moins en docteur qu’en correcteur des vices ".

Il faut pourtant savoir que par " travail manuel " on doit entendre toutes les industries humaines propres à assurer honnêtement la subsistance, qu’elles mettent en œuvre les mains, les pieds ou la langue. Les veilleurs, courriers et autres gens vivant de leur travail, sont censés vivre du travail de leurs mains. La main étant l’outil par excellence, le travail des mains en est venu à désigner toute activité par laquelle on peut honnêtement gagner sa vie.

Si maintenant nous considérons le travail manuel comme un moyen d’écarter l’oisiveté ou de mortifier le corps, il n’est pas en lui-même obligatoire par précepte. Il y a bien d’autres moyens de mortifier la chair ou de supprimer l’oisiveté. Les jeûnes et les veilles mortifient la chair. La méditation des Saintes Écritures et la louange de Dieu empêchent l’oisiveté. Commentant le mot du Psaume (119, 82 Vg) : " Mes yeux ont défailli sur ta parole ", la Glose remarque : " Celui-là n’est pas oisif, qui se consacre à l’étude de la parole de Dieu. Celui qui se livre au travail matériel ne l’emporte pas sur celui qui s’applique à la connaissance de la vérité. " C’est pourquoi les religieux ne sont pas pour ces motifs obligés aux travaux manuels, pas plus d’ailleurs que les séculiers. A moins toutefois que les statuts de leur ordre ne leur en fassent une obligation. Tel est le cas visé par S. Jérôme : " Les monastères égyptiens ont cette coutume de ne recevoir aucun moine qui ne veuille s’occuper et travailler, moins pour se procurer la subsistance matérielle qu’en vue du salut de l’âme, et pour empêcher les pernicieuses divagations de l’esprit. "

Si nous considérons enfin le travail manuel comme moyen de faire l’aumône, il n’est pas non plus l’objet d’aucun précepte. Exceptons seulement le cas où l’on se trouverait dans la nécessité de faire l’aumône et où l’on ne pourrait se procurer autrement de quoi subvenir aux besoins des pauvres. Dans ce cas, religieux et séculiers seraient pareillement obligés de travailler de leurs mains.

Solutions :

1. Ce précepte, formulé par S. Paul est de droit naturel. Aussi sur ce texte (2 Th 3, 6) : " Pour que vous vous teniez à l’écart de tout frère dont la conduite est déréglée ", la Glose dit-elle : " C’est-à-dire n’est pas conforme à ce que demande l’ordre de la nature. " Il s’agit de ceux qui abandonnaient le travail des mains. En effet, la nature elle-même a donné des mains à l’homme, au lieu des armes et des revêtements protecteurs dont elle a pourvu les autres animaux, afin que, par ses mains, l’homme se procure ces secours, et tout ce qui lui est nécessaire. Cela montre que ce précepte, comme tous les préceptes de la loi naturelle, oblige pareillement les religieux et les séculiers.

Cependant, tous ceux qui ne travaillent pas de leurs mains ne pèchent pas. Ces préceptes de la loi naturelle, qui regardent le bien général, n’obligent pas chaque individu. Il suffit que celui-ci vaque à tels offices et celui-là à tel autre. Certains sont artisans, d’autres laboureurs, d’autres juges, d’autres docteurs, et ainsi de suite, selon le mot de S. Paul (1 Co 12, 17) : " Si tout ton corps est œil, où sera l’oreille ; s’il est tout entier oreille, où sera l’odorat ? "

2. Cette Glose est empruntée au livre que S. Augustin a dirigé contre certains moines qui déclaraient le travail manuel illicite pour les serviteurs de Dieu, alléguant la parole du Seigneur (Mt 6, 25) : " Ne vous inquiétez pas pour votre vie, ni de ce que vous mangerez. " Mais de ce texte de S. Augustin on ne peut conclure à la nécessité pour les religieux de se livrer au travail manuel, si leur subsistance est assurée par ailleurs. Il suffit, pour s’en convaincre, de prendre garde à ce qu’il écrit : " Il veut que les serviteurs de Dieu se procurent de quoi vivre par leur travail manuel. " Cette règle ne s’applique pas moins aux séculiers qu’aux religieux. Deux remarques suffiront à le montrer. D’abord, c’est assez de prendre garde aux termes mêmes dont S. Paul se sert (2 Th 3, 6) : " Tenez-vous à l’écart de tout frère qui mène une vie déréglée. " (Il appelle frères tous les chrétiens, car il n’y avait pas encore d’ordres religieux en ce temps-là.) Ensuite, les religieux n’ont, en plus des séculiers, que les obligations issues de la règle dont ils ont fait profession. Donc, si la règle ne leur impose rien en fait de travail manuel, ils n’ont pas sur ce point d’autres obligations que les séculiers.

3. On peut vaquer de deux manières à ces œuvres spirituelles dont parle S. Augustin : soit pour l’utilité commune, soit pour son utilité personnelle. Ceux qui s’adonnent à ces œuvres spirituelles pour un motif d’ordre public sont excusés par elles du travail manuel. D’abord, parce qu’ils doivent s’employer complètement à ces œuvres spirituelles. Ensuite, parce que l’exercice de ces œuvres leur donne droit à recevoir leur subsistance de ceux pour lesquels ils travaillent.

Mais ceux qui vaquent à ces œuvres non pas à titre officiel, mais à titre privé, ne sont pas dispensés par elles de travailler de leurs mains, et n’en retirent pas le droit de vivre aux dépens des fidèles. C’est d’eux que parle S. Augustin. Il dit : " On peut chanter des cantiques divins tout en travaillant des mains, comme le prouve l’exemple des artisans qui racontent toutes sortes d’histoires sans interrompre leur travail manuel. " Mais cela ne peut s’appliquer à ceux qui chantent à l’église les heures canoniques ; sa remarque concerne manifestement ceux qui disent des psaumes ou des hymnes comme prières privées. De même, ce qu’il dit de la lecture et de la prière s’entend des prières et lectures privées que font parfois les laïques eux-mêmes. Cela ne s’applique pas à ceux qui font des prières publiques dans les églises, ni à ceux qui font des cours publics dans les écoles. Aussi ne dit-il pas : qui prétendent vaquer à l’enseignement ou à l’instruction, mais bien : qui prétendent vaquer à la lecture. Enfin, c’est dans le même sens qu’il parle de la prédication. Il ne s’agit pas de celle qui se fait publiquement au peuple, mais d’une prédication qui s’adresse à un seul ou à un petit nombre, plutôt par manière d’admonition privée. Aussi est-ce à dessein qu’il dit : Si quelqu’un doit faire une causerie (sermo). Sur quoi la Glose remarque : " Le sermo se fait en privé, la praedicatio en public. " 4. Ceux qui méprisent tout pour Dieu sont tenus à travailler de leurs mains quand ils n’ont pas autrement de quoi vivre, ou de quoi faire l’aumône, dans le cas où faire l’aumône tombe sous le précepte, mais non autrement, nous venons de le dire. C’est en ce sens que parle la Glose.

5. Si les Apôtres ont travaillé de leurs mains, ils l’ont fait parfois par nécessité, parfois comme œuvre de surérogation. Par nécessité, quand ils ne pouvaient recevoir des autres la subsistance. S. Paul écrit : " Nous prenons la peine de travailler de nos mains " (1 Co 4, 12). Et la Glose explique : " Parce que nul ne nous donne. " A titre d’œuvre de surérogation, ainsi qu’il ressort du mot de S. Paul (1 Co 9, 1. 14) rappelant qu’il n’a pas usé du droit qu’il avait de vivre de l’Évangile. Il agissait ainsi par surérogation pour trois motifs. D’abord, pour enlever le prétexte de prêcher aux faux apôtres, qui prêchaient uniquement pour des gains temporels. Car il dit (2 Co 11, 12) . " Ce que j’ai fait, je le ferai encore pour leur ôter tout prétexte, etc. " Ensuite, pour n’être pas à charge à ceux qu’il évangélisait, car il écrivait (2 Co 12, 13) : " Qu’avez-vous eu de moins que les autres, si ce n’est que, moi, je ne vous ai pas été à charge ? " Enfin, pour donner aux oisifs l’exemple du travail (2 Th 3, 8) : " Au travail jour et nuit pour vous donner l’exemple à suivre. " L’Apôtre, cependant, ne le faisait pas là où il trouvait la facilité de prêcher chaque jour, par exemple à Athènes, comme le remarque S. Augustin.

Les religieux ne sont pas pour cela tenus d’imiter S. Paul, attendu qu’ils ne sont pas astreints à toutes les œuvres de surérogation. Les autres Apôtres non plus ne travaillaient pas de leurs mains.

 

            Article 4 — Les religieux ont-ils le droit de vivre d’aumônes ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, l’Apôtre (1 Tm 5, 16) défend aux veuves de vivre des aumônes de l’Église si elles peuvent subsister autrement, " afin que l’Église puisse subvenir aux besoins des veuves qui le sont vraiment ". S. Jérôme écrit : " Ceux qui peuvent être aidés dans leurs besoins par les biens de leurs parents, s’ils reçoivent ce qui revient aux pauvres, se rendent manifestement coupables de sacrilège et, par cet abus, mangent et boivent leur propre condamnation. " Or les religieux peuvent vivre du travail de leurs mains s’ils sont valides. Ils semblent donc qu’ils pèchent en mangeant les aumônes destinées aux pauvres.

2. Vivre aux dépens des fidèles, c’est le salaire réservé aux prédications de l’Évangile pour leur travail, selon cette parole (Mt 10, 10) : " L’ouvrier mérite, sa nourriture. " Mais la prédication de l’Évangile n’est pas l’office des religieux. C’est surtout celui des prélats, qui sont pasteurs et docteurs. Donc les religieux ne peuvent vivre licitement sur les aumônes des fidèles.

3. Les religieux sont dans l’état de perfection. Mais il est plus parfait de donner l’aumône que de la recevoir, selon cette parole (Ac 20, 35) " Il est plus heureux de donner que de recevoir. " Donc ils ne doivent pas vivre d’aumônes, mais plutôt faire l’aumône avec le produit du travail de leurs mains.

4. Il appartient aux religieux d’éviter les obstacles à la vertu et les occasions de péché. Mais l’usage de recevoir l’aumône fait naître des occasions de péché et empêche l’exercice de la vertu. C’est pourquoi sur ce texte (2 Th 3, 9) : " Pour vous proposer en nous-mêmes l’exemple etc. ", la Glose remarque : " Celui qui, adonné à l’oisiveté, prend l’habitude de s’asseoir à une table étrangère, en vient nécessairement à flatter qui le nourrit. " Il est écrit ailleurs (Ex 23, 8) : " Tu n’accepteras pas de présents. Car le présent aveugle les gens clairvoyants et ruine les causes des justes. " Et encore (Pr 22, 7) : " L’emprunteur devient l’esclave du prêteur ", ce qui est contraire à la religion. Aussi sur ce texte : " Pour vous proposer en nous-mêmes, etc. ", la Glose note-t-elle : " Notre religion appelle les hommes à la liberté. " Il semble donc que les religieux ne doivent pas vivre d’aumônes.

5. Les religieux sont spécialement tenus d’imiter la perfection des Apôtres. " Nous tous, qui sommes des parfaits, c’est ainsi que nous devons penser " a dit S. Paul (Ph 3, 15). Mais S. Paul ne voulait pas vivre aux dépens des fidèles pour enlever aux faux apôtres, dit-il lui-même, tout prétexte de le faire (2 Co 11, 12), et pour ne pas scandaliser les faibles, explique-t-il ailleurs (1 Co 9, 12). Il semble donc que, pour les mêmes raisons, les religieux doivent s’abstenir de vivre d’aumônes. D’où le mot de S. Augustin : " Supprimez les occasions de honteux trafics, qui portent atteinte à votre bon renom et qui scandalisent les faibles. Montrez aux hommes que vous ne cherchez pas une vie facile dans l’oisiveté, mais le royaume de Dieu par le chemin étroit et resserré. "

En sens contraire, selon S. Grégoire, pendant trois ans, S. Benoît dans la grotte d’où il ne sortait pas, se nourrit, ayant quitté sa maison et ses proches, de ce que lui donnait un moine appelé Romain. Et quoiqu’il fût en bonne santé, on ne nous dit pas qu’il ait gagné sa vie par le travail de ses mains. Donc les religieux peuvent légitimement vivre d’aumônes.

Réponse :

Chacun a le droit de vivre de ce qui est à lui ou de ce qui lui est dû. Or un bien devient à nous par la libéralité du donateur. C’est pourquoi les religieux et les clercs, dont les monastères ou les églises, par la munificence des princes ou des autres fidèles, ont reçu des ressources pour assurer leur subsistance, peuvent légitimement vivre de ces biens sans avoir à travailler de leurs mains. Et cependant, il est certain que c’est là vivre d’aumônes. Pareillement, si les religieux reçoivent des fidèles des biens meubles, ils ont le droit d’en vivre. Il est absurde de prétendre qu’il est permis de recevoir de grandes propriétés en aumônes, mais qu’il est défendu d’accepter du pain ou un peu d’argent. Mais parce que ces libéralités semblent faites aux religieux pour qu’ils puissent vaquer plus librement aux activités de leur vie religieuse, dont leurs bienfaiteurs temporels souhaitent bénéficier, l’usage de ces dons deviendrait illicite si les religieux cessaient de s’appliquer à ces activités, car, autant qu’il dépend d’eux, ils décevraient l’intention de ceux qui leur ont fait ces largesses.

Quant à ce qui nous est dû, cela peut l’être à deux titres différents. Celui, d’abord, de la nécessité qui, d’après S. Ambroise fait toutes choses communes. Donc, si les religieux sont dans le besoin, ils peuvent licitement vivre d’aumônes. Et cette nécessité peut avoir plusieurs causes. L’infirmité corporelle, par exemple, qui les empêche de gagner leur vie en travaillant. Ou bien le peu que leur travail leur rapporte et qui ne suffit pas à leur subsistance. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Les aumônes des fidèles ne doivent pas manquer aux serviteurs de Dieu qui travaillent de leurs mains, comme un secours pour suffire à leurs nécessités. Il ne faut pas que les heures qu’ils consacrent à la formation de l’esprit, et qui excluent toute occupation manuelle, deviennent la source d’une gêne excessive. " Une troisième cause de cette nécessité de l’aumône est la condition première de ceux qui n’avaient pas l’habitude du travail manuel. S. Augustin a écrit : " Si dans le siècle, ils avaient de quoi vivre sans pratiquer un métier, fortune qu’ils ont distribuée aux pauvres lors de leur conversion à Dieu, il faut croire à leur faiblesse et la supporter. D’ordinaire de telles gens, élevés trop mollement, ne peuvent endurer la fatigue des travaux corporels. "

D’autre part l’aumône est due à quelqu’un pour le service temporel ou spirituel qu’il fournit (1 Co 9, 11) : " Si nous avons semé en vous les biens spirituels, est-il extraordinaire que nous récoltions vos biens matériels ? " Et de ce point de vue, les religieux peuvent vivre d’aumônes comme leur étant dues dans l’un ou l’autre des quatre cas suivants. 1° S’ils prêchent par l’autorité de prélats. 2° S’ils sont ministres de l’autel (1 Co 9, 13) : " Ceux qui sont au service de l’autel ont part aux revenus de l’autel. De même, le Seigneur a établi que ceux qui prêchent l’Évangile, vivent de l’Évangile. " Et S. Augustin : " S’ils sont prédicateurs, je l’accorde, ils l’ont (la faculté de vivre aux dépens des fidèles) ; s’ils sont ministres de l’autel, dispensateurs des sacrements, j’accorde qu’ils n’usurpent pas, mais qu’ils sont fondés à revendiquer cette faculté. " Et la raison en est que le sacrement de l’autel, partout où il s’accomplit, intéresse le bien de tout le peuple fidèle. 3° S’ils s’appliquent à étudier la Sainte Écriture pour la commune utilité de toute l’Église. Aussi S. Jérôme écrit-il : " En Judée, cette coutume a persévéré jusqu’à maintenant, non seulement parmi nous mais parmi les juifs, que ceux qui méditent jour et nuit la loi du Seigneur et n’ont pas sur terre d’autre père que Dieu, bénéficient de l’assistance du monde entier. " 4° Si les biens qu’ils possédaient ont été donnés au monastère, ils peuvent vivre des aumônes faites au monastère. C’est ce que dit S. Augustin Il : " Ceux qui après avoir abandonné ou distribué leur fortune, grande ou médiocre, ont voulu prendre rang, par une pieuse et salutaire humilité, parmi les pauvres du Christ, ont le droit en retour de voir leur subsistance assurée par les ressources communes et la charité fraternelle. S’ils travaillent de leurs mains, cela mérite d’être loué. Mais s’ils ne le veulent pas, qui oserait les y contraindre ? " Et il ajoute " Il n’y a pas lieu de faire attention en quel monastère ou en quel endroit la fortune dont il s’agit a été distribuée à des frères pauvres : tous les chrétiens forment un seul état. "

Mais s’il se rencontre des religieux qui, sans cette excuse de la nécessité ou des services rendus, prétendent vivre dans l’oisiveté d’aumônes destinées aux pauvres, leur conduite est inadmissible, selon S. Augustin : " Le plus souvent, ce sont des gens de condition servile, des paysans, ou des artisans habitués au travail des mains qui veulent s’engager au service de Dieu par la profession religieuse. Il n’est pas toujours facile de voir si c’est le service de Dieu qui les attire, ou le désir d’échanger une vie pauvre et laborieuse contre une autre qui leur assurera, sans qu’ils aient à s’inquiéter de rien, le vivre et le vêtement, et par-dessus le marché, la considération de ceux dont ils avaient coutume de recevoir mépris et brutalités. Ceux-là seraient mal venus d’alléguer leur débilité corporelle pour échapper à l’obligation de travailler. Leur condition antérieure suffit à les réfuter. " Et plus loin : " S’ils ne veulent pas travailler, qu’ils ne mangent pas non plus. Car ce n’est pas vraiment pour que les pauvres fassent les fiers que les riches s’humilient jusqu’à embrasser la piété monastique. Dans une vie où les sénateurs se font laborieux, il n’est pas admissible que les ouvriers deviennent oisifs, et que là où viennent les possesseurs de grands domaines renonçant à leurs délices, les rustres fassent les délicats. "

Solutions :

1 - Ces textes visent le cas de nécessité, où il est impossible de subvenir autrement aux besoins des pauvres. Dans ce cas, les religieux seraient obligés, non seulement de ne pas accepter d’aumônes, mais de donner leurs biens, s’ils en ont, pour le soulagement des pauvres.

2. La prédication appartient aux prélats par office ; elle peut appartenir aux religieux par délégation. Et ainsi, puisqu’ils sont admis à travailler dans le champ du Seigneur, ils peuvent en vivre, selon S. Paul (2 Tm 2, 6) : " Il faut que le laboureur qui travaille bénéficie le premier de la récolte. " Cela s’entend, explique la Glose, " du prédicateur qui, dans le champ de l’Église, cultive, avec le soc de la divine parole, le cœur de ceux qui l’écoutent ". Peuvent aussi vivre d’aumônes les personnes qui servent les prédicateurs. A propos du mot de S. Paul (Rm 15, 27) : " Si les païens sont devenus participants de leurs biens spirituels, ils doivent les assister de leurs ressources matérielles ", la glose observe qu’il s’agit " des Juifs qui, de Jérusalem, ont envoyé des prédicateurs ". Nous avons énuméré d’autres motifs encore qui assurent à quelqu’un le droit de vivre aux dépens des fidèles.

3. Toutes choses égales d’ailleurs, il est plus parfait de donner que de recevoir. Mais donner ou abandonner pour le Christ tous ses biens, puis recevoir le peu qu’il faut pour vivre, nous venons de le montrer : c’est mieux que de faire aux pauvres des aumônes partielles.

4. Recevoir des dons pour accroître sa fortune, ou même recevoir d’un autre les aliments qu’il ne vous doit pas, sans qu’il y ait ni service rendu ni nécessité, expose en effet à pécher. Mais nous avons vu que ce n’est pas le cas des religieux.

5. Lorsque la nécessité et l’utilité, en raison desquelles certains religieux vivent d’aumônes sans travailler de leurs mains, apparaissent manifestement, il ne peut être question de scandale des faibles. Il n’y a de scandale que pour les pharisiens, et le Seigneur a commandé de le mépriser (Mt 15, 14). Mais s’il n’y avait pas de nécessité et d’utilité évidentes, les faibles pourraient s’en trouver scandalisés, ce que l’on doit éviter. Cependant, le même scandale peut venir de ceux qui vivent paresseusement des ressources communes.

 

            Article 5 — Est-il permis aux religieux de mendier ?

Objections :

1. Non. Car S. Augustin a écrit " L’astucieux ennemi a dispersé jusqu’à maintenant un si grand nombre d’hypocrites en habit de moines, qui vagabondent par les provinces... " Et plus loin : " Tous demandent, tous réclament qu’on assiste leur pauvreté lucrative ou qu’on récompense leur sainteté simulée. " Il semble donc que l’on doive réprouver la vie des religieux mendiants.

2. Il est écrit (1 Th 4, 11) : " Travaillez de vos mains, comme nous vous l’avons prescrit, conduisez-vous honnêtement envers ceux du dehors et ne demandez rien à personne. " Ce que la Glose commente ainsi : " Il faut travailler et ne pas rester oisif, par dignité et pour être une lumière aux yeux des incroyants. Ne désirez même pas le bien d’autrui, bien loin de demander ou de prendre quelque chose. " Sur cet autre texte (2 Th 3, 10) : " Si quelqu’un ne veut pas travailler, etc. " elle remarque : " Il veut que les serviteurs de Dieu gagnent leur vie par leur travail corporel, pour qu’ils ne soient pas contraints par l’indigence à demander le nécessaire ", c’est-à-dire à mendier ; Donc il ne convient pas aux religieux de mendier.

3. Une conduite prohibée par la loi et contraire à la justice ne convient pas aux religieux. Mais la mendicité est prohibée par la loi de Dieu (Dt 15, 4) : " Il n’y aura parmi vous aucun indigent, aucun mendiant. " Et dans le Psaume (37, 25) : " je n’ai pas vu le juste dans l’abandon, ni ses enfants chercher leur pain. " Le droit civil punit de même le mendiant valide : c’est dans le code. Donc il ne convient pas aux religieux de mendier.

4. " On ne doit rougir que d’un acte honteux ", déclare S. Jean Damascène. Mais d’après S. Ambroise " la honte de demander trahit l’homme de bonne naissance ". Donc il est honteux de mendier et cela ne convient pas à des religieux.

5. Les prédicateurs de l’Évangile sont qualifiés entre tous pour vivre d’aumônes. Il existe à leur égard un ordre du Seigneur qui a été cité plus haut. Et cependant il ne leur appartient pas de mendier. Sur ce texte (2 Tm 2, 6) : " Le laboureur qui travaille, etc. ", la Glose dit : " L’Apôtre veut que l’évangéliste comprenne que s’il demande à ceux parmi lesquels il travaille d’assurer sa subsistance, ce n’est pas par mendicité, mais par autorité. " Il semble donc que les religieux n’aient pas le droit de mendier.

En sens contraire, il appartient aux religieux de vivre à l’imitation du Christ. Mais le Christ a mendié d’après le Psaume (40, 18) : " Pour moi, je suis mendiant et pauvre. " A ce sujet la Glose affirme : " Le Christ a dit cela de lui-même à cause de sa condition d’esclave. " Et plus loin : " Le mendiant est celui qui demande à autrui, et le pauvre est celui qui ne se suffit pas à lui-même. " Nous lisons dans un autre Psaume (70, 6) : " Moi, je suis indigent, c’est-à-dire un homme qui tend la main, et pauvre, c’est-à-dire incapable de me suffire, faute de ressources. " Et S. Jérôme dans une de ses lettres : " Prends garde, pendant que ton Seigneur mendie, lui le Christ, d’entasser des richesses qui appartiennent à autrui. " Donc, pour des religieux il est convenable de mendier.

Réponse :

Au sujet de la mendicité, deux points de vue sont à envisager. Le premier part de l’acte même de mendier, qui implique une certaine abjection. En effet, parmi tous les hommes, on considère comme les plus vils ceux qui ne sont pas seulement pauvres, mais qui sont contraints d’obtenir d’autrui leur subsistance. De ce point de vue, mendier devient pour certains un acte louable d’humilité, comme c’en est un d’embrasser certaines pratiques humiliantes à titre de remèdes efficaces contre l’orgueil que l’on veut détruire en soi-même ou, par l’exemple, chez les autres. Ainsi le mal qui vient d’un excès de chaleur se guérit très efficacement par des applications extrêmement froides. De même, la tendance à s’enorgueillir se traite avantageusement par les excès de l’humiliation. C’est pourquoi il est dit dans les Décrets : " C’est s’exercer à l’humilité que de se livrer à des tâches viles et à des services particulièrement indignes ; car on peut ainsi guérir le vice de l’arrogance et la gloire humaine. " Aussi S. Jérôme loue Fabiola parce qu’elle " souhaita après avoir distribué tous ses biens, recevoir elle-même l’aumône pour l’amour du Christ " C’est ce qu’a fait S. Alexis. Ayant tout quitté pou le Christ, il se faisait une joie de recevoir l’aumône de ses propres esclaves. De S. Arsène nous lisons pareillement qu’il rendit grâce de s’être trouvé dans la nécessité de demander l’aumône. C’est pourquoi l’on enjoint parfois comme pénitence pour des fautes graves de faire quelque pèlerinage en mendiant son pain. Cependant l’humilité, comme les autres vertus, doit s’accompagner de discrétion. Aussi convient-il de n’exercer qu’avec discernement la mendicité comme moyen de s’humilier, pour ne pas encourir le reproche de cupidité ou de tout autre vice.

L’autre point de vue considère le résultat de la mendicité. A cet égard on peut être poussé à mendier par deux motifs différents. Par le désir de se procurer de l’argent ou une vie de paresse. Cette mendicité est illicite. Ou bien par raison de nécessité ou d’utilité. De nécessité, si l’on ne peut assurer par un autre moyen sa subsistance. D’utilité, si l’on se propose de faire quelque chose d’utile qui ne peut se réaliser que grâce aux aumônes des fidèles. Tel est le cas, par exemple, d’un pont ou d’une église à construire, et de toutes les entreprises qui intéressent le bien commun, comme d’entretenir des étudiants pour qu’ils puissent vaquer à l’étude de la sagesse. A cet égard, la mendicité est permise aux religieux comme aux séculiers.

Solutions :

1. S. Augustin, dans ce passage, vise expressément ceux qui mendient par cupidité.

2. La première Glose parle d’une demande inspirée par la cupidité, comme il ressort des paroles de S. Paul. La seconde vise ceux qui, sans rendre aucun service, demandent leur nécessaire pour vivre dans l’oisiveté. Mais on ne vit pas dans l’oisiveté si l’on se rend utile, de quelque manière que ce soit.

3. Ce précepte de la loi divine ne prohibe pas la mendicité. Il défend aux riches d’être d’une telle ladrerie que certains hommes se voient obligés de mendier par indigence. La loi civile punit les mendiants valides que ni l’utilité ni la nécessité n’obligent à mendier.

4. Il y a deux sortes de honte, celle qui s’attache au vice et celle qui s’attache à quelque défaut extérieur, l’infirmité, par exemple, ou la pauvreté. C’est dans ce second sens que la mendicité est dite honteuse. Elle n’a donc rien à voir avec le péché mais éventuellement avec l’humilité, nous venons de le dire.

5. La nourriture est due aux prédicateurs par ceux qu’ils évangélisent. S’il leur plaît toutefois de ne pas faire valoir leurs droits mais de tendre la main et de faire figure de mendiants, cette conduite tend à une plus grande humilité.

 

            Article 6 — Est-il permis aux religieux de porter des vêtements plus grossiers que les autres ?

Objections :

1. Il semble que non. S. Paul écrit que nous devons nous abstenir de tout ce qui a mauvaise apparence (1 Th 5, 22). Tel est le cas du vêtement grossier à l’excès, car le Seigneur a dit (Mt 7, 15) : " Méfiez-vous des faux prophètes qui viennent à vous vêtus de peaux de moutons. " Sur ce texte (Ap 6, 8) : " Voici un cheval verdâtre, etc. ", la Glose explique : " Voyant qu’il ne gagne rien par les tribulations violentes ni par les hérésies manifestes, le diable envoie de faux frères qui, sous l’habit religieux, se muent en chevaux noirs et roux, pour pervertir la foi. " Il semble donc que les religieux ne doivent pas porter des vêtements grossiers.

2. S. Jérôme a écrit : " Évite les vêtements sombres, tout autant que les blancs. Le luxe et la malpropreté sont pareillement à éviter ; l’un sent la recherche du plaisir, l’autre la vaine gloire. " Mais la vaine gloire étant un péché plus grave que la recherche du plaisir, les religieux, qui doivent tendre à la perfection, doivent éviter de porter des habits grossiers plus encore qu’un vêtement de prix.

3. Les religieux surtout doivent s’adonner aux œuvres de pénitence. Mais on doit s’abstenir, quand on fait pénitence, des marques extérieures de tristesse ; il est requis d’avoir l’air joyeux comme dit le Seigneur (Mt 6, 16) : " Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites. " Et plus loin : " Quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage. " Ce que S. Augustin commente ainsi - : " On doit bien prendre garde, en lisant ce chapitre, que la prétention peut se rencontrer, non pas seulement dans la netteté et le luxe du corps, mais aussi dans la saleté et les habits de deuil ; et cette prétention là est la plus périlleuse, car elle séduit par l’apparence du service de Dieu. " Il semble donc que les religieux ne doivent pas porter de vêtements grossiers.

En sens contraire, l’Apôtre a dit (He 11, 37) " Ils erraient vêtus de peaux de moutons et de lièvres ", c’est-à-dire, selon la Glose, " comme Elie et ses pareils ". Nous lisons pareillement dans les Décrets : " Si on les voit se moquer des personnes qui portent des habits vils et religieux, qu’on les punisse. Car, aux temps anciens, toute personne consacrée portait un vêtement pauvre et grossier. "

Réponse :

Quand il s’agit de biens extérieurs, observe S. Augustin, " ce n’est pas leur usage, mais la passion qu’on y met, qui fait la faute ". Pour discerner ce qu’il en est, on doit prendre garde qu’un habit rude et grossier peut s’envisager de deux manières différentes. Il peut être le signe d’une disposition ou d’un état. " Un homme se fait connaître à la manière dont il est vêtu " (Si 19, 30). Ainsi considérée, la grossièreté de l’habit peut signifier la tristesse. Aussi les personnes qui sont dans le chagrin ont-elles coutume de s’habiller grossièrement. Tandis qu’au contraire, en temps de fête et de réjouissance, on porte des vêtements plus recherchés. C’est pourquoi les pénitents sont revêtus d’habits grossiers. Témoins ce roi, au livre de Jonas (3, 6) qui " était vêtu d’un sac ", et Achab (1 R 21, 27) qui " se couvrit d’un cilice ". D’autres fois, elle signifie le mépris des richesses et du faste mondain. " Le vêtement sale est le signe d’une âme propre, écrit S. Jérôme ; une tunique grossière prouve le mépris du siècle. A condition toutefois que l’âme n’en conçoive pas d’orgueil et que l’habit ne soit pas en désaccord avec le langage. " Selon ces deux points de vue, il convient aux religieux de porter des vêtements grossiers parce que la vie religieuse est un état de pénitence et de mépris de la gloire mondaine.

Mais on peut avoir trois motifs d’en faire état vis-à-vis d’autrui. D’abord celui de s’humilier. De même, en effet, que l’éclat du vêtement rend fier le cœur d’un homme, sa bassesse l’humilie. Parlant d’Achab, qui s’était couvert d’un cilice, le Seigneur dit à Élie (l R 21, 29) : " As-tu vu Achab humilié devant moi ? " Ensuite le motif de donner l’exemple sur ce texte (Mt 3, 4) : " Il portait un vêtement de poils de chameau, etc. ", la Glose dit : " Celui qui prêchait la pénitence, portait un vêtement de pénitence. " Enfin, un motif de vaine gloire, selon la parole de S. Augustin : " La prétention peut se trouver aussi dans la saleté et les habits de deuil. " Il est louable de porter des vêtements grossiers pour les deux premiers motifs ; pour le troisième, cela est vicieux.

Enfin un habit rude et grossier peut être considéré comme dénonçant l’avarice ou la négligence. Et de cette manière aussi, il y a là du vice.

Solutions :

1. La grossièreté du vêtement, par elle-même, ne reflète pas le mal. Elle reflète le bien, comme signifiant le mépris de la gloire mondaine. C’est pour cela que les méchants cachent leur malice sous la grossièreté du vêtement. D’où ce mot de S. Augustin : " Les brebis ne vont pas haïr leur vêtement parce que les loups ont coutume de s’y cacher. "

2. S. Jérôme parle en cet endroit de vêtements grossiers portés en vue de la gloire humaine.

3. L’enseignement du Seigneur est que les hommes ne doivent rien faire pour l’apparence en matière d’œuvres saintes. Ce qui est surtout à craindre lorsqu’on fait du nouveau. C’est pourquoi S. Jean Chrysostome écrit : " Celui qui prie ne fera rien d’insolite qui attire le regard des hommes, comme de crier, de se frapper la poitrine, d’étendre les bras en croix. " La nouveauté même de ces choses provoquerait l’attention. Ce qui ne veut pas dire que toute nouveauté, propre à attirer l’attention des hommes, soit répréhensible. On peut en user bien et mal. Aussi S. Augustin écrit-il : " Celui qui en professant le christianisme, attire sur lui le regard des hommes par une tenue sordide et une malpropreté insolite, s’il le fait par choix et non par nécessité, on peut voir d’après ses autres œuvres si c’est de sa part mépris de la recherche superflue, ou ambition. Quant aux religieux, il y a peu d’apparence qu’ils le fassent par ambition, puisqu’ils portent un habit grossier comme signe de leur profession, qui est justement celle de mépriser le monde. "

 

 

QUESTION 188 — LES DIVERSES FORMES DE VIE RELIGIEUSE

1. Y a-t-il plusieurs formes de vie religieuse, ou une seule ? - 2. Un ordre religieux peut-il avoir pour but les œuvres de la vie active ? - 3. Un ordre religieux peut-il avoir pour but de faire la guerre ? - 4. Un ordre religieux peut-il être institué en vue de la prédication et des œuvres analogues ? - 5. Un ordre religieux peut-il être institué en vue de l’étude ? - 6. Un ordre religieux voué à la vie contemplative est-il supérieur à un ordre voué à la vie active ? - 7. Posséder quelque chose en commun rabaisse-t-il la perfection de la vie religieuse ? - 8. La vie religieuse des solitaires doit-elle être mise au-dessus de la vie en communauté ?

 

            Article 1 — Y a-t-il plusieurs formes de vie religieuse, ou une seule ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne puisse y en avoir qu’une. En effet, nulle diversité n’est possible en ce qui représente une réalisation totale et parfaite. C’est pour cela qu’il ne peut y avoir qu’un seul bien premier et suprême, comme nous l’avons établi dans la première Partie. Or S. Grégoire a dit : " Si quelqu’un voue au Dieu Tout-Puissant tout ce qu’il a, tout ce qui fait sa vie, tout ce que aime, c’est un holocauste ", et sans cela on ne peut parler de vie religieuse.

2. Ce qui, pour l’essentiel, est identique, ne saurait présenter que des différences accidentelles. Or nous avons établi que les trois vœux de religion composent l’essentiel de toute vie religieuse. Il semble donc qu’il ne puisse y avoir, entre les formes de la vie religieuse, de différence spécifique, mais seulement accidentelle.

3. Nous avons dit d que religieux et évêques sont pareillement dans l’état de perfection. Or il n’y a pas plusieurs sortes de vie épiscopale mais une seule. Aussi S. Jérôme écrit-il : " Partout où il y a un évêque, à Rome ou à Gubbio, à Constantinople ou à Reggio, il a la même dignité et le même sacerdoce. " Au même titre il n’y a qu’une forme de vie religieuse.

4. Il faut exclure de l’Église tout ce qui peut engendrer la confusion. Or la diversité des formes de vie religieuse semble propre à jeter la confusion dans le peuple chrétien. C’est d’ailleurs, ce que dit une décrétale relative à l’état des moines et chanoines réguliers. Donc il ne doit pas y avoir plusieurs formes de vie religieuse.

En sens contraire, il est écrit dans le Psaume (45, 10 Vg) que la reine " porte un vêtement de couleurs variées ".

Réponse :

Nous l’avons dit, l’état religieux nous exerce à la perfection de la charité. Or les œuvres de charité auxquelles l’homme peut s’adonner sont diverses, et diverses aussi les manières de s’y exercer. C’est pourquoi l’on peut distinguer à deux points de vue les formes de vie religieuse. Tout d’abord, en fonction de la diversité des fins auxquelles elles sont ordonnées. Tel ordre religieux, par exemple, est destiné à héberger les pèlerins, tel autre à visiter ou à racheter les prisonniers. Ensuite, en fonction de la diversité des exercices prescrits. Tel ordre châtie le corps par l’abstinence, tel autre par le travail manuel, ou par la pauvreté du vêtement, etc. Mais parce que la fin est en toute affaire ce qui est le plus important, la diversité des ordres religieux qui tient à la diversité des fins qu’ils poursuivent est plus importante que celle qui tient à la diversité de leurs exercices.

Solutions :

1. Le don total de soi-même au service de Dieu se rencontre pareillement dans toutes les formes de vie religieuse. A cet égard il n’y a aucune différence entre les ordres religieux, comme si dans tel ordre on se réservait une chose et dans tel autre ordre, une autre. Leur diversité se prend des manières diverses dont il est possible de servir Dieu et des manières diverses dont on peut s’y disposer.

2. Les trois vœux essentiels de religion appartiennent à l’exercice de la vie religieuse à titre de parties principales auxquelles se ramènent les autres, nous l’avons dit plus haut. Mais on peut se préparer différemment à l’observation de chacun d’eux. C’est ainsi qu’on peut se disposer à l’observation du vœu de continence par la retraite dans un lieu solitaire, par l’abstinence, par la mutuelle sauvegarde de la vie en commun, et par beaucoup d’autres moyens analogues. Cela montre que la pratique commune de vœux essentiels admet la diversité des formes de vie religieuse, soit à cause de la diversité des dispositions choisies, soit à cause de la diversité des fins, on vient de l’expliquer.

3. L’évêque, à l’égard de la perfection, fait figure d’agent et le religieux de patient, nous l’avons dit plus haut. Même dans les choses de la nature, plus l’agent est élevé, plus il tend à l’unité ; au contraire, les patients sont multiples. Il est donc normal que l’état épiscopal soit un, et les formes de vie religieuse, multiples.

4. La confusion s’oppose à la distinction et à l’ordre. Ainsi donc, la multiplication des ordres religieux engendrerait la confusion s’il en existait plusieurs à poursuivre le même but par les mêmes moyens, sans nécessité ni utilité. Pour éviter cela on a établi cette règle salutaire qu’aucun ordre nouveau ne puisse être institué sans l’approbation du souverain pontife.

 

            Article 2 — Un ordre religieux peut-il avoir pour but les œuvres de la vie active ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’on doive instituer d’ordre religieux pour les œuvres de la vie active. Tout ordre religieux, nous l’avons montrés, doit réaliser l’état de perfection. Or la perfection de l’état religieux consiste dans la contemplation des choses divines. Selon Denys " On les appelles moines parce qu’ils exercent de façon pure le culte, c’est-à-dire le service de Dieu, et parce que leur vie, loin d’être divisée, demeure parfaitement une, parce qu’ils s’unifient eux-mêmes par un saint recueillement qui exclut tout divertissement, de façon à tendre vers l’unité d’une vie déiforme et vers la perfection de l’amour divin. " Il semble donc qu’on ne puisse instituer d’ordre religieux pour les œuvres de la vie active.

2. Il semble que " l’on doive juger des chanoines réguliers comme des moines ", suivant une décrétale’. Une autre décrétale porte que les chanoines réguliers " ne sont pas regardés comme séparés de la société des saints moines ". Et la même remarque vaut pour tous les autres religieux. Or la vie monastique est instituée en vue de la contemplation. D’où le mot de S. Jérôme : " Si tu veux justifier ton nom de moine qui signifie seul, qu’as-tu à faire dans les villes ? " La même pensée se retrouve dans les Décrétales. Il semble donc que toute vie religieuse soit ordonnée à la contemplation, et aucune à l’action.

3. La vie active appartient au siècle présent. Or tous les religieux sont censés sortir du siècle. C’est ce que dit S. Grégoire : " Celui qui quitte le siècle et accomplit, le bien qu’il peut, comme s’il était déjà sorti d’Égypte, offre au désert un sacrifice. " Il semble donc qu’aucune forme de vie religieuse ne puisse se proposer pour but la vie active.

En sens contraire, il est écrit (Jc 1, 27) : " La religion pure et sans tache devant Dieu notre père, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur épreuve. " Mais cela relève de la vie active. Donc il est juste de donner la vie active pour but à un ordre religieux.

Réponse :

L’état religieux, avons-nous dit, est ordonné à la perfection de la charité, qui comprend l’amour de Dieu et du prochain. A l’amour de Dieu ressortit directement la vie contemplative, où l’on désire vaquer à Dieu seul. A l’amour du prochain ressortit la vie active, qui se met au service des nécessités du prochain. Et de même que la charité aime le prochain pour Dieu, de même le service du prochain prend valeur de service de Dieu, selon cette parole (Mt 25, 40) : " Ce que vous faites au moindre des miens, c’est à moi que vous le faites. " C’est pourquoi ces services rendus au prochain, parce qu’ils se réfèrent ultérieurement à Dieu, sont qualifiés de sacrifices, suivant cette parole (He 13, 16) : " N’oubliez pas la bienfaisance et la mise en commun des ressources ; c’est par de tels sacrifices qu’on plaît à Dieu. "

Or il appartient proprement à la religion d’offrir des sacrifices à Dieu, nous l’avons montré. Il s’ensuit donc que des ordres religieux peuvent parfaitement être institués pour les œuvres de la vie active. Aussi l’abbé Nesteros a-t-il dit. en distinguant les divers objectifs des ordres religieux : " Certains concentrent leur attention sur la solitude du désert et la pureté du cœur ; d’autres sur la discipline des frères et des couvents ; d’autres trouvent leur joie dans le service de l’hospitalité. "

Solutions :

1. On observe aussi le culte et le service de Dieu dans les œuvres de la vie active, par lesquelles, nous venons de le dire, on sert le prochain pour l’amour de Dieu. On y observe aussi la vie unifiée, non en ce sens qu’on n’a aucun commerce avec les hommes, mais en ce sens qu’on s’adonne exclusivement aux œuvres qui regardent le service de Dieu. Et puisque ces religieux s’appliquent aux œuvres de la vie active en vue de Dieu, il s’ensuit que chez eux l’action dérive de la contemplation des choses divines. Ils ne sont donc pas entièrement privés du fruit de la vie contemplative.

2. Les moines et tous les autres religieux sont, en effet, à égalité pour ce qu’il y a de commun dans toutes les formes de vie religieuse. Tous doivent pareillement se donner tout entiers au service de Dieu, observer les vœux essentiels de religion, et se tenir éloignés des affaires séculières. Mais la comparaison ne tient plus pour les autres éléments propres à la profession monastique, et qui ont spécialement pour objet la vie contemplative. Aussi la décrétale alléguée ne dit pas simplement qu’il " faut appliquer aux chanoines réguliers la même règle qu’aux moines ", mais " pour ce qui regarde les choses dont elle a parlé ", à savoir qu’ils " ne doivent pas exercer l’office d’avocat dans les causes judiciaires ". Quant à la seconde décrétale, après avoir dit que les chanoines réguliers " ne sont pas regardés comme séparés de la société des moines ", elle ajoute : " Ils suivent néanmoins une règle plus large. " D’où il apparaît qu’ils ne sont pas astreints à toutes les obligations des moines.

3. On peut-être dans le siècle de deux manières : par le corps ou par l’esprit. Parlant à ses disciples, le Seigneur disait, en effet (Jn 15, 19) : " je vous ai choisis en vous tirant du monde. " Parlant d’eux à son Père, il disait en revanche (Jn 17, 11) : " Ceux-ci sont dans le monde, et moi je vais à toi. " Les religieux occupés aux œuvres de la vie active sont dans le monde par leur corps. Mais ils n’y sont pas par l’esprit. Car s’ils s’occupent de choses extérieures, ce n’est pas qu’ils cherchent quelque bien dans le monde, c’est uniquement pour le service de Dieu. Ils " usent de ce monde comme n’en usant pas ", ainsi qu’il est écrit (1 Co 7, 31). Aussi, après le texte déjà cité : " La religion pure et sans tache, c’est de visiter les orphelins et les veuves ", lisons-nous cet autre (Jc 1, 27) : " et se garder sans tache à l’écart du monde ", ce qui veut dire qu’on ne doit pas laisser son cœur s’attacher au monde.

 

            Article 3 — Un ordre religieux peut-il avoir pour but de faire la guerre ?

Objections :

1. Il apparaît que non. Tout ordre religieux doit réaliser l’état de perfection. Or la perfection de la vie chrétienne implique ce que disait le Seigneur (Mt 5, 39) : " Et moi je vous dis de ne pas résister au mal ; si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui la gauche ", ce qui s’oppose au devoir militaire. Donc aucun ordre religieux ne peut être institué en vue de la vie militaire.

2. Le corps à corps des combats est plus brutal que les luttes verbales du prétoire. Mais l’office d’avocat est interdit aux religieux par la décrétale alléguée plus haut. A plus forte raison, semble-t-il, la vie militaire.

3. L’état religieux est un état de pénitence, on l’a dit. Mais le droit interdit la vie militaire aux pénitents : " Il est absolument contraire aux règles ecclésiastiques, lisons-nous dans les Décrets, de revenir à la milice séculière après qu’on s’est adonné à la pénitence. " Donc aucun ordre ne peut être institué en vue du métier des armes.

4. Aucun ordre religieux ne peut se proposer un but injuste. Or, d’après S. Isidore, " la guerre juste est celle qui s’entreprend en vertu d’un ordre de l’empereur ". Les religieux étant des personnes privées, il semble donc qu’il ne leur soit pas permis de faire la guerre. Il ne saurait donc être question d’instituer un ordre religieux à cette fin.

En sens contraire, S. Augustin a écrit : " Ne crois pas que nul de ceux qui portent les armes ne puisse plaire à Dieu. Parmi eux nous trouvons David, auquel le Seigneur a rendu un beau témoignage. " Or les ordres religieux sont institués pour que les hommes plaisent à Dieu. Rien n’empêche donc d’en instituer en vue de la vie militaire.

Réponse :

Un ordre religieux, nous l’avons dit, peut être institué non seulement pour les œuvres de la vie contemplative, mais pour celles de la vie active en tant qu’elles concernent l’assistance du prochain et le service de Dieu, et non pas en tant qu’on s’y propose quelque objectif humain. Or la fonction militaire est susceptible d’être ordonnée au bien du prochain, et non pas au bien des particuliers uniquement, mais encore à la défense de tout l’état. Aussi est-il écrit de Judas Maccabée (1 M 3, 2) : " Il menait joyeusement le combat d’Israël, et il accrut la gloire de son peuple. " Le métier des armes peut aussi servir au maintien du culte divin. Or rapporte justement ce mot de Judas Maccabée (1 M 3, 21) : " Nous combattrons pour nos âmes et pour notre loi. " Et celui-ci, de Simon (1 M 13, 3) : " Vous savez tout ce que moi et mes frères et la maison de mon père avons soutenu de combats pour notre loi et notre sanctuaire. " Il est donc convenable d’instituer un ordre religieux pour la vie militaire, non certes en vue d’un intérêt temporel, mais pour la défense du culte divin et le salut public, ou encore la défense des pauvres et des opprimés. Car il est écrit (Ps 82, 4) : " Sauvez le pauvre, arrachez l’indigent au pouvoir du pécheur. "

Solutions :

1. Il y a deux façons de ne pas résister au mal. La première consiste à pardonner une injure personnelle. Cette manière d’agir peut contribuer à la perfection, quand elle favorise le salut d’autrui. La seconde consiste à souffrir sans impatience l’injure faite à autrui. Et cela relève de l’imperfection ou même du vice, si l’on était capable de résister à l’insulteur. C’est pourquoi S. Ambroise écrit : " Ce courage qui, à la guerre, protège la patrie contre les barbares et, chez soi, défend les faibles et les familiers contre les bandits, c’est une parfaite justice. "

" Ne revendique pas ce qui t’appartient ", a dit le Seigneur (Lc 6, 30). Et pourtant, si l’on ne revendiquait pas ce qui appartient à autrui et dont on est chargé, on pécherait. Car il est louable d’abandonner ses propres biens, non ceux d’autrui. Et bien moins encore devons-nous nous désintéresser de ce qui appartient à Dieu. " C’est un excès d’impiété, dit S. Jean Chrysostome, de ne pas se soucier des injures faites à Dieu. "

2. Exercer l’office d’avocat dans un intérêt terrestre est en effet contraire à l’état religieux. Mais non pas l’exercer, sur l’ordre de son supérieur, pour le bien de son monastère. La décrétale citée fait elle-même cette distinction.

Il n’est pas contraire non plus à l’état religieux d’exercer l’office dont il s’agit pour la défense des pauvres et des veuves. D’après les Décrets, " le saint Synode a décidé que nul clerc ne devra dorénavant se charger de l’administration d’un domaine ou se mêler d’affaires temporelles, sauf pour le service des mineurs, etc. ". Il en va de même pour le métier des armes. L’exercer au bénéfice d’intérêts temporels est contraire à toute vie religieuse, mais non pas s’y engager en vue de servir Dieu.

3. Le service militaire séculier est interdit aux pénitents, mais le service militaire pour la cause de Dieu l’est si peu qu’on l’impose à l’occasion comme pénitence. C’est ainsi qu’on enjoint à certains de prendre les armes pour la défense de la Terre sainte.

4. L’ordre religieux institué en vue de la vie militaire ne confère pas aux religieux le droit de faire la guerre de leur propre autorité. Ils ne le peuvent que par l’autorité des princes ou de l’Église.

 

            Article 4 — Un ordre religieux peut-il être institué en vue de la prédication et des œuvres analogues ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Nous lisons en effet dans les Décrets : " Les moines, leur nom le dit, sont des sujets et des disciples. Il ne leur appartient pas d’enseigner, de présider ni de faire les pasteurs. " Il semble en être de même pour les autres religieux. Mais prêcher et confesser, c’est faire l’office de pasteur et de docteur. Il ne peut donc être institué d’ordre religieux à cette fin.

2. Le but que se propose un ordre religieux doit être éminemment propre à la vie religieuse elle-même, on l’a dit. Or ces activités, bien loin d’appartenir en propre aux religieux, relèvent plutôt de l’office des prélats. On ne peut donc instituer un ordre religieux pour de tels ministères.

3. Il y aurait des inconvénients à ce que le droit de prêcher et de confesser soit conféré à un nombre infini de gens. Mais le nombre de sujets qu’on peut recevoir dans un ordre religieux n’est pas déterminé. Donc il y aurait des inconvénients à instituer un ordre religieux en vue de ces activités.

4. Les fidèles du Christ doivent aux prédicateurs leur subsistance, d’après S. Paul (1 Co 9). Donc, si la prédication était confiée à un ordre religieux institué à cette fin, il s’ensuivrait que les fidèles se trouveraient obligés de faire vivre une infinité de gens, ce qui serait une lourde charge. On ne doit donc pas instituer d’ordre religieux pour exercer ce ministère.

5. L’institution de l’Église doit se modeler sur l’institution du Christ. Or le Christ a envoyé prêcher, premièrement les douze Apôtres, et deuxièmement les soixante-douze disciples (Lc 10, 1). Et la Glose fait cette remarque : " Les évêques tiennent la place des Apôtres, et les prêtres du second ordre, c’est-à-dire les curés, celle des soixante-douze disciples. " Donc, en plus des évêques et des prêtres de paroisse, on ne doit pas instituer d’ordre religieux chargé de prêcher ou de confesser.

En sens contraire, parlant de la diversité des familles religieuses, l’abbé Nesteros dit : " Certains ont préféré le soin des malades, d’autres la protection des malheureux et des opprimés, d’autres se consacrent à l’enseignement, d’autres enfin se vouent au soulagement des pauvres par l’aumône. Et tous ont brillé parmi les plus grands pour leur bonté et leur piété. " Donc, comme il est permis d’instituer un ordre religieux pour prendre soin des malades, il est permis d’en instituer pour instruire le peuple par la prédication et des activités analogues.

Réponse :

Nous avons dit qu’un ordre religieux pouvait fort bien être institué en vue des œuvres de la vie active, selon que celles-ci sont ordonnées à l’utilité du prochain, au service de Dieu et à la conservation de son culte. Or, on rend un plus grand service au prochain par ce qui concerne le salut de son âme, que par ce qui concerne ses besoins d’ordre corporel, dans la mesure où le spirituel l’emporte sur le corporel. Aussi a-t-on dit plus haut que les aumônes spirituelles sont supérieures aux aumônes matérielles. Les actes par où l’on concourt à assurer le bien spirituel du prochain intéressent aussi dans un plus haut degré le service de Dieu, auquel " nul sacrifice ne plaît autant que le zèle des âmes ", assure S. Grégoire. C’est une œuvre plus relevée, pareillement, de défendre les fidèles par les armes spirituelles contre les erreurs que propagent les hérétiques et contre les tentations que les démons suscitent, que de protéger le peuple chrétien par les armes matérielles. Aussi est-il souverainement convenable d’instituer un ordre religieux pour la prédication et les autres ministères utiles au salut des âmes.

Solutions :

1. Celui qui agit par la vertu d’un autre joue le rôle d’instrument. Or le ministre, d’après le Philosophe, peut être défini " un instrument vivant ". Donc le fait de prêcher ou d’exercer quelque autre fonction semblable par l’autorité des prélats ne fait pas sortir le religieux du rang des disciples et des sujets qui est le sien.

2. Les ordres religieux institués pour exercer le métier des armes ne le font pas de leur propre autorité, mais par celle du prince ou de I’Eglise, qui ont qualité pour cela. De même, certains ordres sont institués pour prêcher et confesser par délégation des prélats, supérieurs et subalternes, dont c’est l’office, et nullement par leur propre autorité. C’est justement le rôle propre de ces ordres d’assister les prélats dans ce ministère.

3. Les prélats ne concèdent pas à ces ordres le pouvoir d’appliquer à la prédication et à la confession tous leurs sujets indistinctement, mais ceux que leurs supérieurs en jugent capables, ou encore jusqu’à concurrence d’un chiffre fixé par les prélats eux-mêmes.

4. Le peuple chrétien n’est tenu en justice à assurer la subsistance que des prélats ordinaires, auxquels il appartient de percevoir les dîmes et oblations des fidèles et les autres revenus ecclésiastiques. Si les religieux veulent servir gratuitement les fidèles dans ces sortes de ministères sans exiger une rétribution, cela n’accable pas les fidèles. Ceux-ci peuvent avoir la libéralité de reconnaître les services de ces prédicateurs volontaires par l’octroi de subsides temporels. S’ils n’y sont pas tenus en justice, ils y sont obligés en charité. Non pas toutefois de telle manière qu’ils " en soient éprouvés, les autres étant soulagés " (2 Co 8, 13).

Cependant, s’il ne se trouvait personne pour évangéliser ainsi gratuitement le peuple chrétien, les prélats ordinaires seraient tenus, au cas où ils ne suffiraient pas à la tâche, de chercher des auxiliaires capables, dont ils auraient à assurer eux-mêmes la subsistance.

5. Les soixante-douze disciples ne figurent pas seulement les curés, mais tous ceux qui, inférieurs aux évêques, les assistent dans leur office. On ne voit pas en effet que le Seigneur ait assigné des paroisses déterminées à ces soixante-douze disciples (Lc 10, 1) : " Il les envoyait devant lui en toute ville et localité où il allait se rendre. " Or on a trouvé opportun d’appliquer certaines personnes à ce ministère en plus des prélats ordinaires, à cause de l’importance numérique du peuple fidèle et de la difficulté de trouver assez de responsables pour chaque groupe. C’est pour une raison analogue : le défaut de princes chrétiens capables de résister aux infidèles dans certaines régions, qu’on s’est vu obligé d’instituer des ordres religieux destinés au métier des armes.

 

            Article 5 — Un ordre religieux peut-il être institué en vue de l’étude ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet il est écrit (Ps 71, 15 Vg) : " Pour n’avoir pas connu la littérature, j’entrerai dans les puissances du Seigneur ", c’est-à-dire, explique la Glose, " dans la vertu chrétienne ". Mais la perfection de la vertu chrétienne semble regarder surtout les religieux. Ils n’ont donc pas à s’appliquer aux lettres.

2. Ce qui est un principe de dissentiments ne sied pas aux religieux, qui s’assemblent en vue de l’unité de la paix. Or l’étude engendre les dissentiments, d’où la multiplicité des sectes philosophiques. Aussi S. Jérôme a-t-il écrit : " Avant qu’on n’ait fait des études en religion à l’instigation du diable, et qu’on n’ait dit chez les gens : "Moi je suis de Paul, moi d’Apollos et moi de Céphas, etc. " Il semble donc qu’un ordre religieux ne puisse être institué en vue de l’étude.

3. La profession chrétienne doit différer de celle des païens. Or, parmi les païens, certains faisaient profession de philosophie. Maintenant encore, il se rencontre parmi les séculiers des professeurs de telle ou telle science. L’étude des lettres ne convient donc pas aux religieux.

En sens contraire, S. Jérôme écrivant à S. Paulin, l’invite à se consacrer à l’étude dans l’état monastique : " Étudions sur terre ce dont la science se maintiendra pour notre bonheur dans le ciel. " Et plus loin : " Toutes tes questions, je tâcherai d’y répondre avec toi. "

Réponse :

Nous avons dit que la vie religieuse pouvait se proposer comme fin la vie active et la vie contemplative. Parmi les œuvres de la vie active, les principales sont celles qui ont pour objet le salut des âmes, comme la prédication et autres ministères semblables. L’étude des lettres convient donc à la vie religieuse à trois titres.

D’abord, au titre de la vie contemplative elle-même, pour laquelle l’étude des lettres offre une double utilité. 1° Une utilité directe, en éclairant l’esprit. La vie contemplative, dont nous parlons présentement, est principalement ordonnée à la contemplation des choses divines, dans laquelle l’homme est dirigé par l’étude. C’est pourquoi nous lisons à la louange de l’homme juste (Ps 1, 2) : " Dans la loi du Seigneur, il médite jour et nuit. " Et ailleurs (Si 39, 1) : " Le sage scrutera la sagesse des anciens et s’appliquera à l’étude des prophètes. " 2° Une utilité indirecte, en écartant les dangers de la contemplation, à savoir les erreurs où tombent souvent, dans la contemplation des choses divines, ceux qui ignorent les Écritures. C’est ainsi qu’on raconte de l’abbé Sérapion qu’il tomba, par simplicité, dans l’erreur des anthropomorphes, qui attribuent à Dieu une forme humaine. Sur quoi S. Grégoire remarque : " Certains cherchant dans la contemplation à dépasser leur capacité, en viennent à s’engager dans des dogmes pervers, et au lieu de demeurer les humbles disciples de la vérité deviennent des maîtres d’erreur. " C’est pourquoi il est écrit (Qo 2, 3 Vg) : " J’ai formé le dessein de priver mon corps de vin pour introduire mon esprit dans la sagesse et éviter la sottise. "

L’étude des lettres est nécessaire, en deuxième lieu, aux ordres religieux institués en vue de la prédication et des ministères analogues. Aussi l’Apôtre écrit-il au sujet de l’évêque, dont l’office comporte ces ministères (Tt 1, 9) : " Qu’il soit attaché à l’enseignement sûr, conforme à la doctrine, pour être capable d’exhorter dans la saine doctrine et de réduire les contradicteurs. " Qu’on n’objecte pas que les Apôtres ont été envoyés prêcher sans avoir étudié. Car, dit S. Jérôme, " Tout ce que l’ascèse et la méditation quotidienne de la loi divine a coutume de procurer aux autres, l’Esprit Saint le leur suggérait. "

En troisième lieu, l’étude des lettres convient aux ordres religieux en fonction de ce qui leur est commun à tous. La sensualité y trouve un remède efficace : " Aime l’étude des Écritures, écrivait S. Jérôme et tu n’aimeras pas les vices de la chair. " En effet, elle détourne l’esprit de la pensée de ces dérèglements, et elle mortifie la chair par le labeur quelle impose, selon cette parole (Si 31, 1 Vg) : " Les veilles de l’honnêteté épuisent la chair. " Elle est efficace aussi pour abolir l’amour des richesses. C’est pourquoi il est écrit (Sg 7, 8) : " Auprès d’elle, il m’a paru que les richesses n’étaient rien. " Et ailleurs (1 M 12, 9) : " Pour nous, nous n’avons eu besoin de rien de tout cela, ayant pour nous consoler les saints livres qui sont entre nos mains. " Elle vaut enfin pour former à l’obéissance, ce qui fait dire à S. Augustin : " Quelle est donc cette contradiction : ne pas vouloir obéir à ce qu’on lit tout en s’adonnant à la lecture ? "

Il est donc manifeste qu’il est parfaitement légitime d’instituer un ordre religieux en vue de l’étude des lettres.

Solutions :

1. La Glose entend ce texte de la lettre de la loi ancienne, dont l’Apôtre dit (2 Co 3, 6) : " La lettre tue. " " Ne pas connaître la littérature ", ce serait donc ne pas approuver la circoncision au sens littéral, et les autres observances charnelles.

2. L’étude est ordonnée à la science ; sans la charité, celle-ci enfle et produit des dissensions, selon cette parole (Pr 13, 10) : " Entre orgueilleux, ce ne sont que disputes. " Mais, accompagnée de charité, elle édifie et engendre la concorde. Aussi l’Apôtres qui vient de dire (1 Co 1, 5) : " Vous êtes devenus riches en toute espèce de discours et de science ", ajoute-t-il - " Dites tous de même, et qu’il n’y ait pas de divisions parmi vous. " Cependant S. Jérôme, en cet endroit, ne parle pas de l’étude des lettres mais de ce goût de dispute que les hérétiques et schismatiques ont introduit dans la religion chrétienne.

3. Les philosophes professaient l’étude des lettres sous l’angle des sciences humaines. Les religieux s’appliquent principalement à l’étude des lettres qui relèvent " de la piété ", pour employer la formule de S. Paul (Tt 1, 1). Pour ce qui regarde les autres enseignements, ce n’est pas l’affaire des religieux, dont la vie appartient tout entière au ministère divin, si ce n’est en tant qu’ils sont ordonnés à la théologie. C’est ce que dit S. Augustin : " Pour nous, estimant que nous ne pouvons nous désintéresser de ceux que les hérétiques trompent par la fausse promesse de donner les raisons et la science des choses, nous nous attardons à considérer les chemins par où l’on passe. Encore n’oserions-nous pas le faire, si nous ne constations qu’un grand nombre de fils pieux de l’Église ont fait de même, et pour ce même motif de réfuter les hérétiques. "

 

            Article 6 — Un ordre religieux voué à la vie contemplative est-il supérieur à un ordre voué à la vie active ?

Objections :

1. Il semble que les ordres contemplatifs ne sont pas supérieurs aux ordres actifs. Nous lisons en effet dans une décrétale : " De même qu’un bien plus grand l’emporte sur un bien moindre, de même l’utilité commune l’emporte sur l’utilité particulière. Dans ce cas, il est juste de préférer l’enseignement au silence, le souci à la contemplation, le labeur à la tranquillité. " Or l’ordre religieux ordonné au plus grand bien est le meilleur. Il semble donc que les ordres religieux voués à la vie active sont supérieurs à ceux qui sont voués à la vie contemplative.

2. Tous les ordres religieux, nous l’avons vu, sont ordonnés à la perfection de la charité. Mais sur ce texte (He 12, 4) : " Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang ", la Glose dit : " Il n’y a pas en cette vie de charité plus parfaite que celle à laquelle sont parvenus les saints martyrs qui ont lutté jusqu’au sang contre le péché. " Lutter jusqu’au sang contre le péché, c’est le rôle des ordres religieux militaires, qui sont voués à la vie active. Donc ces ordres-là sont les plus importants.

3. Un ordre religieux est d’autant plus parfait que l’observance y est plus stricte. Or rien n’empêche que les ordres voués à la vie active aient une observance plus rigoureuse que les ordres contemplatifs. Ils leur sont donc supérieurs.

En sens contraire, le Seigneur dit (Lc 10, 42) que la bonne part appartient à Marie, qui figure la vie contemplative.

Réponse :

Nous avons déjà fait observer qu’un ordre religieux diffère d’un autre principalement par la fin poursuivie, secondairement par les exercices à l’aide desquels il y tend. Et parce qu’un ordre religieux ne peut être dit supérieur à un autre que sur les points où il en diffère, la supériorité de l’un sur l’autre tient principalement à la valeur de leurs fins respectives, et secondairement à celle de leurs exercices. On remarquera toutefois la portée différente que prend la comparaison suivant qu’elle porte sur la fin ou sur les exercices. Par rapport à la fin, sa valeur est absolue puisque recherchée pour elle-même. Par rapport aux exercices, la supériorité est relative, puisque l’exercice n’est pas recherché pour lui-même, mais en vue de la fin. C’est pourquoi on estime supérieur l’ordre religieux voué à une fin absolument supérieure, soit parce qu’elle est un bien plus grand, soit parce qu’elle est ordonnée à un plus grand nombre de biens.

Mais, si deux ordres ont la même fin, celui qui l’emporte est jugé non selon l’importance quantitative de ses exercices, mais selon leur adaptation à la fin recherchée. C’est pourquoi les Conférences des Pères rapportent une consultation de S. Antoine faisant passer la discrétion, qui règle tout, avant les jeûnes, les veilles et toutes les observances analogues.

Ainsi donc faut-il dire que l’œuvre de la vie active est double. L’une découle de la plénitude de la contemplation, comme l’enseignement et la prédication. Aussi S. Grégoire dit-il : " Il est écrit dans le Psaume (145, 7) au sujet des hommes parfaits sortant de leur contemplation : "Ils savourent encore le souvenir de ta douceur." " Et cela est au-dessus de la simple contemplation. En effet, il est plus beau d’éclairer que de briller seulement ; de même est-il plus beau de transmettre aux autres ce qu’on a contemplé que de contempler seulement.

Il y a une autre occupation de la vie active qui ne comporte que des actions extérieures comme faire l’aumône, exercer l’hospitalité, etc. Ces œuvres-là sont inférieures aux œuvres de la contemplation, hormis le cas de nécessité, nous l’avons montré plus haut.

Ainsi donc, parmi les ordres religieux, ceux-là occupent le plus haut rang qui sont ordonnés à l’enseignement et à la prédication. Ils sont, de tous, les plus proches de la perfection des évêques. C’est la vérification du principe connu formulé par Denys : " Dans toute hiérarchie, ce que le premier ordre a de moins relevé se prolonge en quelque sorte dans ce que le second ordre a de plus parfait. " Le second rang appartient aux ordres voués à la contemplation. Au troisième rang se placent les ordres qui s’occupent d’activités extérieures.

Dans chacun de ces rangs la prééminence vient de ce qu’un ordre est voué à un acte plus élevé dans la même catégorie. C’est ainsi que, parmi les œuvres de la vie active, racheter les captifs l’emporte sur l’hospitalité ; et dans la vie contemplative, la prière l’emporte sur la lecture.

Un ordre religieux peut encore prétendre à la prééminence s’il est voué à un plus grand nombre d’œuvres bonnes, ou si ses statuts sont mieux adaptés au but qu’il poursuit.

Solutions :

1. Cette décrétale vise la vie active ordonnée au salut des âmes.

2. Les ordres militaires sont ordonnés à verser le sang des ennemis plus directement qu’à verser leur propre sang, ce qui appartient typiquement aux martyrs. Rien n’empêche d’ailleurs, que ces religieux puissent prétendre, dans un cas particulier, au mérite du martyre. Et alors ils prennent le premier rang par rapport aux autres religieux. Il peut arriver pareillement que les œuvres de la vie active l’emportent dans un cas donné sur la contemplation.

3. Ce qui fait la principale valeur d’un ordre religieux, S. Antoine l’a remarqué, ce n’est pas la rigueur de son observance. Et il est écrit (Is 58, 5) : " Est-ce là le jeûne que je demande, se mortifier toute la journée ? " Cette rigueur de l’observance est un élément de la vie religieuse en tant que nécessaire à la macération de la chair. Mais, suivant la remarque de S. Antoine, la macération de la chair pratiquée sans discrétion risque d’aboutir à ruiner les forces corporelles. Un ordre n’est donc pas supérieur à un autre pour avoir simplement des observances plus rigoureuses. Il ne l’est que si elles sont plus discrètes et mieux adaptées à son but. Telles manières, par exemple, de macérer la chair assureront mieux la continence que telles autres. La macération par l’abstinence dans le boire et le manger, et donc par la faim et la soif, se révèle plus efficace que la macération par la privation de vêtements, c’est-à-dire par le froid et la nudité, ou que la macération par l’effort physique.

 

            Article 7 — Posséder quelque chose en commun rabaisse-t-il la perfection de la vie religieuse ?

Objections :

1. Il semble bien. En effet, le Seigneur a dit (Mt 19, 21) : " Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres. " Cela montre que la perfection de la vie chrétienne comporte le dépouillement des biens terrestres. Mais ceux qui possèdent quelque chose en commun ne peuvent prétendre à ce dépouillement. Il semble donc qu’ils n’atteignent pas du tout à la perfection de la vie chrétienne.

2. La perfection des conseils demande que l’homme soit délivré des soucis terrestres. C’est ce que suppose l’Apôtre lorsqu’il conseille la virginité (1 Co 7, 32) : " je voudrais vous voir exempts de soucis. " Mais la mise en réserve de ressources pour l’avenir trahit le souci de la vie présente, souci que le Seigneur interdit à ses disciples (Mt 6, 34) : " N’ayez pas le souci du lendemain. " Il semble donc que la possession commune porte atteinte à la perfection de la vie chrétienne.

3. Dans une communauté, les biens de tous sont d’une certaine manière les biens de chacun. Parlant de certains, S. Jérôme écrit : " Moines, ils sont plus riches qu’ils n’étaient, séculiers. Sous le Christ pauvre, ils possèdent des biens qu’ils n’avaient jamais eus sous le diable riche. L’Église gémit de voir riches ceux que le monde tenait naguère pour des mendiants. " Mais la possession privée de richesses porte préjudice à la perfection religieuse. Donc pareillement, leur possession en commun.

4. A propos d’un saint homme nommé Isaac, S. Grégoire raconte ceci : " Ses disciples le suppliaient humblement de vouloir accepter pour l’usage du monastère les biens qu’on lui offrait. Mais lui, soucieux de sauvegarder sa pauvreté, maintenait son courageux propos : " Le moine qui cherche des propriétés sur la terre, disait-il, ce n’est pas un moine. " Or il s’agit de propriétés communes, que l’on offrait pour l’usage commun du monastère. Il semble donc que la possession de quelque chose en commun détruise la perfection religieuse.

5. Enseignant à ses disciples la perfection religieuse, le Seigneur leur disait (Mt 10, 9) : " Ne possédez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures, ni besace. " C’était, remarque S. Jérôme " condamner ces philosophes que le peuple appelle les porte-besaces et qui, soi-disant contempteurs du siècle et tenant toutes choses pour néant, portent leur garde-manger avec eux ". Il semble donc que se constituer une réserve, soit en particulier, soit en commun, diminue la perfection religieuse.

En sens contraire, les Décrets se sont approprié cette maxime de S. Prosper " Il est bien clair que la perfection exige l’abandon des biens propres et qu’elle est compatible avec la possession des biens d’Église, qui sont manifestement des biens communs. "

Réponse :

Nous avons déjà dit d que la perfection ne consiste pas essentiellement dans la pauvreté, mais dans l’application à suivre le Christ, selon S. Jérôme : " Parce que ce n’est pas assez de tout laisser, S. Pierre ajoute ce qui fait la perfection même : "Nous t’avons suivi". " La pauvreté joue le rôle de moyen ou d’exercice propre à conduire à la perfection. Ainsi l’abbé Moïse dit-il : " Les jeûnes, les veilles, la méditation des Écritures, la nudité, l’absence de ressources ne sont pas la perfection, mais les instruments de la perfection. " Or l’absence de toutes les ressources, ou pauvreté, est un instrument de perfection en ce que l’abandon des richesses écarte certains obstacles à la charité. Il y en a trois principaux. D’abord, le souci que la richesse apporte avec elle : " Le grain semé dans les épines, a dit le Seigneur (Mt 13, 22), c’est celui qui a entendu la parole, mais chez qui le souci de ce siècle et la séduction des richesses étouffent la parole. " Ensuite, l’amour des richesses, que leur possession développe. " Parce qu’il est difficile de mépriser les richesses qu’on possède, dit S. Jérôme le Seigneur n’a pas dit : "Il est impossible, mais il est difficile au riche d’entrer dans le royaume des cieux." " Le troisième obstacle à la charité c’est la vaine gloire et l’orgueil, causés par la richesse. " Ceux qui se fient à leur puissance, qui tirent gloire de la multitude de leurs richesses " (Ps 49, 7).

De ces trois obstacles, le premier ne peut être totalement séparé de la possession des richesses, qu’elles soient grandes ou petites. C’est une nécessité pour l’homme de prendre quelque souci d’acquérir ou de conserver les biens extérieurs. Mais si l’on ne recherche ou possède ces biens qu’en petite quantité et dans la mesure requise pour une vie modeste, le souci qu’ils donnent n’est pas un grand obstacle. C’est pourquoi il n’est pas contraire à la perfection chrétienne. Le Seigneur ne défend pas toute sollicitude mais seulement celle qui serait excessive et nuisible. Aussi sur ce texte (Mt 6, 25) : " Ne vous inquiétez pas de votre vie, de ce que vous mangerez, etc. " S. Augustin écrit-il : " Par ces paroles, il n’entend pas leur interdire de se procurer le nécessaire, mais de se faire un but de ces biens, et de porter dans la prédication de l’Évangile la préoccupation de les acquérir. " Mais la possession de grandes richesses entraîne de grands soucis, qui distraient et accaparent l’esprit humain et l’empêchent de s’appliquer entièrement à Dieu. Quant aux deux autres obstacles, l’amour des richesses et l’orgueil qu’elles inspirent, ils ne se rencontrent que dans le cas de personnes très riches.

Cependant, qu’il s’agisse de richesses modiques ou considérables, la situation est bien différente suivant qu’on les possède à titre individuel ou en commun. En effet, le soin que l’on prend de ses biens personnels relève de l’amour naturel dont on s’aime soi-même, tandis que la sollicitude pour les choses communes relève de cet amour de charité qui ne cherche pas son intérêt particulier, mais l’utilité commune. La vie religieuse étant ordonnée à la perfection de la charité, laquelle s’achève dans l’amour de Dieu poussé jusqu’au mépris de soi-même, il s’ensuit que la possession de biens personnels s’oppose à la perfection de l’état religieux. Mais le soin que l’on prend des biens de la communauté peut constituer une œuvre de charité, quoique susceptible d’en empêcher de plus relevées, telles que la contemplation divine et l’instruction du prochain. Il en découle que la possession, même commune, de biens surabondants, meubles ou immeubles, est un obstacle à la perfection, bien qu’elle ne l’exclue pas entièrement. La possession commune de biens mobiliers ou immobiliers en quantité simplement suffisante pour assurer la subsistance ne met pas obstacle à la perfection religieuse, pour autant du moins que l’on considère la pauvreté par rapport à la fin commune de toute vie religieuse, qui est de vaquer au service de Dieu. Mais il faut la considérer aussi en regard des fins particulières de tel ordre, qui demandent une plus ou moins grande pauvreté. Un ordre religieux est parfait à l’égard de la pauvreté, dans la mesure où il pratique une pauvreté mieux adaptée à la fin qu’il poursuit. Or il est évident que les œuvres extérieures et corporelles de la vie active exigent des ressources plus abondantes ; la contemplation, en revanche, n’a que peu de besoins. " Pour l’action, écrit Aristote, il faut une quantité de choses, et plus l’action est étendue et relevée, plus il en faut. Le contemplatif, lui, n’a pas besoin de tout cela. Le nécessaire lui suffit et le surplus ne ferait que l’encombrer. " Les ordres voués à l’action et aux œuvres corporelles, par exemple au métier des armes, à l’exercice de l’hospitalité, etc. seraient donc imparfaits s’ils ne possédaient pas en commun les ressources nécessaires. Au contraire, les ordres voués à la vie contemplative sont d’autant plus parfaits que la pauvreté diminue chez eux le souci des affaires matérielles. D’autre part, plus un ordre impose à ses membres le souci du spirituel, et plus la sollicitude des affaires matérielles lui est un obstacle. Or il est évident qu’un ordre voué à la contemplation et à la prédication, impose à ses membres un plus grand souci du spirituel que les ordres qui se consacrent exclusivement à la contemplation. C’est pourquoi les ordres de ce type veulent un régime de pauvreté qui réduise au minimum les soucis matériels. Or il est manifeste que ce qui donne le moins de souci est de conserver les biens nécessaires, réunis en temps opportun.

Aux trois formes de vie religieuse dont il vient d’être question répondent donc trois degrés de pauvreté. Les ordres voués aux œuvres corporelles de la vie active possèdent normalement une certaine abondance de richesses communes. Les ordres voués à la vie contemplative peuvent se contenter de biens moins importants, hormis le cas où ils devraient directement ou indirectement pratiquer l’hospitalité ou assister les pauvres. Enfin les ordres qui ont mission de communiquer à autrui la vérité contemplée, doivent mener une vie aussi affranchie que possible des soucis extérieurs. Cela se réalise lorsqu’ils conservent le peu qui est nécessaire à leur subsistance, après se l’être procuré en temps voulu.

C’est ce que le Seigneur, qui a institué la pauvreté, nous a enseigné par son exemple. Il avait en effet une bourse, confiée à Judas, où était rangé ce qu’on lui offrait (Jn 12, 6). Qu’on n’objecte pas la réflexion de S. Jérôme : " Quelqu’un demandera peut-être : "Comment se fait-il que judas portait de l’argent dans sa bourse ?" Je répondrai : "Parce que (jésus) n’avait pas cru pouvoir employer à son usage personnel" ", c’est-à-dire pour acquitter le tribut, " ce qui appartenait aux pauvres ". Car, au premier rang de ces pauvres, se trouvaient les disciples, pour la subsistance desquels le Christ dépensait l’argent de cette bourse. En effet, il est écrit (Jn 4, 8) : " Les disciples étaient partis acheter des vivres à la ville ", et ailleurs (Jn 13, 29) - " Judas ayant la bourse, les disciples croyaient que Jésus lui avait dit : "Achète ce qu’il nous faut pour la fête", ou : "Fais une aumône aux pauvres." " Cela nous montre que conserver de l’argent ou d’autres biens communs pour assurer la subsistance des religieux de la communauté, ou celle des pauvres, est conforme à la perfection que le Christ nous a enseignée par son exemple. Les disciples, par qui toute forme de vie religieuse a débuté, conservaient après la résurrection le produit des biens vendus, et distribuaient à chacun ce dont il avait besoin.

Solutions :

1. Cette parole du Seigneur, nous l’avons déjà remarqué, ne signifie pas que la pauvreté est la perfection même. Ce n’est qu’un moyen de perfection et, nous l’avons montre, le moindre parmi les trois principaux moyens de perfection. Car le vœu de continence est supérieur à celui de pauvreté, et le vœu d’obéissance leur est supérieur à tous deux. Or le moyen n’est pas employé pour lui-même, mais pour une fin. Aussi n’est-il pas plus avantageux à proportion qu’il est plus grand. Ce qui fait sa valeur, c’est d’être proportionné à la fin. Le médecin ne guérit pas d’autant plus qu’il ordonne un médicament plus actif, mais dans la mesure où le remède est adapté à la maladie. On ne doit pas non plus penser que la perfection d’un ordre religieux augmente avec sa pauvreté. Mais elle est d’autant plus grande que sa pauvreté est mieux adaptée à sa fin commune et à sa fin particulière.

Admettons qu’une religion plus pauvre soit au titre de la pauvreté une religion plus parfaite, ce ne serait pas de façon absolue. Une autre religion pourrait l’emporter sur celle-là pour ce qui regarde la continence et l’obéissance, ce qui la rendrait plus parfaite de façon absolue. Car ce qui l’emporte sur des points de plus haute valeur selon une échelle absolue des valeurs est plus parfait absolument.

2. Cette parole du Seigneur : " N’ayez pas le souci du lendemain ", ne doit pas s’entendre comme une défense de rien mettre en réserve pour l’avenir. S. Antoine explique que ce serait une conduite périlleuse : " Ceux qui poursuivent le dénuement jusqu’à ne pas vouloir garder la subsistance d’un seul jour ou d’une seule pièce de monnaie " et ainsi du reste, " nous les voyons si rapidement déçus qu’ils sont incapables de conduire à bon terme leur entreprise ". S. Augustin fait remarquer de même que si ce mot du Seigneur : " N’ayez pas le souci du lendemain ", devait s’entendre comme une défense de rien garder pour le lendemain, " ceux qui, retirés pour de longs jours du commerce des hommes, s’enferment vivants dans une pratique intense de l’oraison, ne pourraient l’observer ". Sur quoi il poursuit : " Ou bien, plus ils seront saints, moins ressembleront-ils aux oiseaux ? " Et plus loin : " Si l’on veut les contraindre, au nom de l’Évangile, à ne faire aucune provision pour le lendemain, ils répondent fort bien : "Pourquoi, dans ces conditions, le’ Seigneur avait-il une bourse pour y mettre l’argent reçu ? Pourquoi si longtemps auparavant, les saints patriarches furent-ils approvisionnés de blé ? Pourquoi les Apôtres ont-ils pourvu du nécessaire les saints tombés dans l’indigence ?" "

Aussi " n’ayez pas le soin du lendemain " est-il ainsi expliqué par S. Jérôme : " La pensée du présent nous suffit ; laissons à Dieu le souci de l’avenir qui est incertain. " Et S. Jean Chrysostome : " Il suffit du labeur que tu endures pour le nécessaire ; ne peine pas pour le superflu. " Et S. Augustin : " Lorsque nous faisons quelque bien, ne songeons pas aux biens temporels que signifie le lendemain, mais aux biens éternels. "

3. Le mot de S. Jérôme trouve son application dans le cas de richesses surabondantes regardées plus ou moins comme des biens propres, ou dont l’usage abusif achemine les membres de la communauté à l’intempérance et à l’orgueil. Il ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de ressources modérées, conservées en commun en vue des besoins réels de chacun. L’usage individuel et la conservation en commun sont pareillement légitimes, lorsqu’il s’agit des choses nécessaires à la vie.

4. Si cet Isaac refusait d’accepter des biens, c’est qu’il craignait qu’on n’en vînt par cette voie aux richesses superflues, dont l’abus mettrait obstacle à la perfection de la vie religieuse. Aussi S. Grégoire, dit-il ensuite : " Il redoutait de perdre la sécurité de sa pauvreté, comme les riches avares craignent d’ordinaire de perdre leurs biens. " Mais on ne nous dit pas qu’il ait refusé de recevoir et de conserver en commun de quoi subsister.

5. Aristote qualifie le pain, le vin et autres choses semblables de richesses naturelles, et l’argent de richesses artificielles. Aussi certains philosophes repoussaient-ils l’usage de l’argent pour n’accepter que le reste, en vue de vivre selon la nature. C’est ce qui amène S. Jérôme, alléguant la sentence du Seigneur qui condamne pareillement ces deux richesses, à montrer que cela revient au même d’avoir de l’argent ou d’avoir les autres biens nécessaires à la vie. Cependant, bien que le Seigneur ait ordonné à ceux qui étaient envoyés en prédication de ne pas emporter avec eux ces sortes de biens, il n’a pas défendu de les conserver en commun. Nous avons d’ailleurs expliqué plus haut de quelle manière il fallait entendre ces paroles du Seigneur.

 

            Article 8 — La vie religieuse des solitaires doit-elle être mise au-dessus de la vie en communauté ?

Objections :

1. Il semble que la vie religieuse communautaire soit plus parfaite que la vie solitaire 9. Car il est écrit (Qo 4, 9) : " Mieux vaut être deux qu’un seul, car on a l’avantage d’être en société. " La vie religieuse des cénobites semble donc la plus parfaite.

2. Il est dit en S. Matthieu (18, 20) : " Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là moi-même au milieu d’eux. " Or rien ne peut être meilleur que la société du Christ. Il semble donc que la vie en communauté soit meilleure que la vie solitaire.

3. Parmi les vœux de religion, le plus excellent est celui d’obéissance, et l’humilité est souverainement agréable à Dieu. Mais l’obéissance et l’humilité se pratiquent mieux dans la vie commune qu’au désert. " Dans la solitude, écrit S. Jérôme. on est vite gagné par l’orgueil, on dort autant qu’on veut, on fait ce qu’on veut. " Mais il enseigne w tout le contraire à celui qui vit en communauté : " N’agis pas à ta guise. Mange ce qu’on te sert, contente-toi de ce qu’on te donne. Obéis contre ta volonté. Sers tes frères. Révère le supérieur du monastère comme Dieu même et chéris-le comme un père. " Il semble donc que la vie cénobitique soit plus parfaite que la vie solitaire.

4. Le Seigneur dit (Lc 11, 33) : " Personne n’allume une lampe pour la mettre dans un endroit caché ou sous le boisseau. " Or les solitaires mènent une vie cachée et dont les hommes ne tirent aucune utilité. Leur vie ne paraît donc pas être la plus parfaite.

5. Ce qui est contraire à la nature de l’homme ne peut appartenir à la perfection de la vertu. Or " l’homme est par nature un animal social ", assure Aristote. La vie solitaire ne doit donc pas être plus parfaite que la vie en société.

En sens contraire, S. Augustin tient pour " plus saints, ceux qui, retirés du commerce des hommes, et ne donnant accès à personne, vivent dans une pratique intense de l’oraison ".

Réponse :

La solitude comme la pauvreté, n’est pas l’essence de la perfection. Ce n’en est qu’un instrument. Aussi l’abbé Moïse dit-il : " C’est en vue de la pureté du cœur que l’on doit adopter la solitude " de même que les jeûnes, etc. Il n’est personne qui ne comprenne que la solitude n’est pas un moyen adapté à l’action mais à la contemplation, selon Osée (2, 14) : " je la conduirai dans la solitude et je lui parlerai cœur à cœur. " Aussi ne convient-elle pas aux ordres religieux qui se livrent aux œuvres de la vie active corporelle et spirituelle. A moins que ce ne soit pour un temps, à l’exemple du Christ dont il est écrit (Lc 6, 12) qu’il " s’en alla prier dans la montagne et qu’il passait la nuit en prière ". En revanche, elle convient aux ordres contemplatifs.

Il faut cependant considérer que le solitaire doit être capable de se suffire à lui-même. Cela suppose qu’il ne lui manque rien, et c’est la définition même de l’homme parfait. La solitude convient donc au contemplatif déjà parvenu à la perfection. Ce qui arrive de deux manières. Par le seul don de Dieu. C’est le cas de Jean Baptiste, qui fut rempli de l’Esprit Saint alors qu’il était encore dans le sein de sa mère (Lc 1, 15). Aussi, tout enfant encore, " était-il dans les déserts " (Lc 1, 80). Ou bien par la pratique de la vie vertueuse, selon cette parole (He 5, 14) : " La nourriture solide convient aux parfaits qui, par une longue pratique, ont acquis le sûr discernement du bien et du mal. " Or, pour cet exercice de la vie vertueuse, l’homme trouve un double secours dans la société de ses semblables. Un secours pour son intelligence, sous forme d’instruction touchant l’objet de la contemplation. Comme dit S. Jérôme : " je préfère que tu sois dans une sainte communauté, et que tu ne sois pas ton propre maître. " Un secours pour la volonté qui assure la répression des sentiments nuisibles par l’exemple et la correction des autres. En effet, sur ce texte (Jb 39, 6 Vg) " A qui j’ai donné une demeure dans la solitude ", S. Grégoire écrit : " A quoi bon la solitude du corps, si la solitude du cœur fait défaut ? " Ainsi la vie en société est nécessaire à qui s’exerce à la perfection, tandis que la solitude convient à ceux qui l’ont déjà atteinte.

Aussi S. Jérôme écrit-il : " Nous n’avons que bien peu de part à la vie solitaire, que nous avons souvent louée. Mais nous voulons que l’exercice de ces monastères forme des lutteurs, que les rudiments n’effraient pas, qui aient fait longuement leurs preuves. "

Ainsi donc, la perfection acquise l’emporte sur son apprentissage. Pareillement, la vie solitaire, si on l’embrasse dans les conditions voulues, l’emporte sur la vie cénobitique. Mais si l’on se jette dans ce genre de vie sans s’être exercé au préalable, il peut être extrêmement dangereux. A moins que la grâce divine ne supplée à ce qui s’acquiert communément par l’exercice, comme ce fut le cas de S. Antoine et de S. Benoît.

Solutions :

1. Salomon montre que la vie à deux est meilleure que la vie solitaire, à cause du secours qu’ils peuvent se prêter l’un à l’autre, soit pour se relever, soit pour s’encourager, soit pour accroître leur ardeur spirituelle. Mais ceux qui sont déjà parfaits n’ont plus besoin de ce secours.

2. Il est écrit (1 Jn 4, 16) : " Celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu, et Dieu en lui. " De même donc qu’il habite au milieu de ceux que l’amour du prochain assemble en société, le Christ fait son séjour dans le cœur de celui qui s’applique à la contemplation divine par amour pour Dieu.

3. L’obéissance effective est indispensable à ceux qui ont besoin d’être exercés à la perfection sous la direction d’autrui. Mais ceux qui sont déjà parfaits sont suffisamment conduits par le Saint-Esprit et n’ont pas besoin d’obéir à d’autres. Cependant ils demeurent prêts à obéir.

4. " La connaissance de la vérité, écrit S. Augustin, n’est interdite à personne : elle conduit à un loisir digne de louange. " Pour ce qui est " d’être placé sur le chandelier ", ce n’est pas l’intéressé mais ses supérieurs que cela regarde. " Si ce fardeau ne lui est pas imposé, ajoute S. Augustin, qu’il se consacre à la contemplation de la vérité ", à laquelle la solitude est si favorable. D’ailleurs ceux qui mènent la vie solitaire sont très utiles à l’humanité. S. Augustin écrit à leur sujet : " Se contentant de pain, qui leur est fourni à intervalles réguliers, et d’eau, ils vivent en des déserts écartés et y jouissent du colloque avec Dieu, auquel ils se sont attachés d’une âme pure. Quelques-uns jugeraient volontiers qu’ils se désintéressent plus qu’il ne faut des choses humaines. C’est qu’ils ne comprennent pas à quel point leur esprit de prière nous est utile, et profitable l’exemple de leur vie. Qu’importe que nous ne soyons pas admis à voir leur corps ! "

5. L’homme peut rechercher la solitude pour des raisons bien différentes. Ce peut être par inaptitude à la vie en société à cause d’une humeur sauvage, et c’est se comporter comme une bête. Ce peut être pour se donner tout entier aux choses divines, et c’est s’élever au-dessus de l’humanité. Aristote l’a dit : " Celui qui se soustrait au commerce des hommes, est une bête, ou un Dieu ", c’est-à-dire un homme divin.

 

 

QUESTION 189 — L’ENTRÉE EN RELIGION

1. Ceux qui ne se sont pas exercés à l’observation des préceptes doivent-ils entrer en religion ? -2. Est-il licite d’obliger par vœu certaines personnes à entrer en religion ? -3. Ceux qui se sont obligés par vœu à entrer en religion sont-ils tenus d’accomplir leur vœu ? - 4. Ceux qui font vœu d’entrer en religion sont-ils obligés d’y demeurer toujours ? - 5. Doit-on recevoir les enfants dans la vie religieuse ? - 6. Faut-il détourner certains d’entrer en religion à cause du devoir d’assister leurs parents ? - 7. Les curés ou archidiacres peuvent-ils entrer en religion ? - 8. Peut-on passer d’un ordre religieux à un autre ? - 9. Doit-on engager les autres à entrer en religion ? - 10. Est-il requis de délibérer longuement avec sa parenté et ses amis pour entrer en religion.

 

            Article 1 — Ceux qui ne se sont pas exercés à l’observation des préceptes doivent-ils entrer en religion ?

Objections :

1. Il semble que seuls doivent entrer en religion ceux qui se sont entraînés à l’obéissance des préceptes. C’est à un jeune homme qui venait de dire qu’il avait observé les commandements depuis son jeune âge que le Seigneur a donné le conseil de perfection (Mt 19, 20). Or la vie religieuse doit au Christ son origine. Il semble donc qu’on ne doit pas admettre en religion des sujets qui ne se seraient pas exercés au préalable à l’observation des préceptes.

2. S. Grégoire dit : " Nul ne parvient tout d’un coup au sommet. Dans la vie vertueuse, on commence au plus bas pour parvenir au plus haut. " Ce qui est " haut ", ce sont les conseils qui relèvent de la perfection ; " le plus bas " ce sont les préceptes qui concernent la justice commune. On ne doit donc pas, semble-t-il, entrer en religion et y entreprendre d’observer les conseils avant de s’être entraîné à la pratique des commandements.

3. Comme les ordres sacrés, l’état religieux possède dans l’Église une certaine supériorité. Mais d’après une parole de S. Grégoire reproduite dans les Décrets : " Il faut accéder aux ordres dans l’ordre. Celui-là va au-devant de la chute, qui prétend escalader le sommet sans se soucier des degrés par où l’on y monte. Nous voyons en effet que les murs nouvellement bâtis ne reçoivent pas le poids de la charpente avant d’avoir séché. Il serait à craindre, s’ils devaient supporter ce poids avant d’avoir pris consistance, que toute la bâtisse ne s’écroule. " Il semble donc que ceux-là seulement doivent entrer en religion qui ont commencé par s’exercer dans l’observation des préceptes.

4. Sur ce texte (Ps 131, 2) : " Comme l’enfant sevré sur le sein de sa mère ", la Glose remarque : " Nous sommes premièrement conçus au sein de l’Église, lorsque nous sommes instruits des rudiments de la foi. Puis, nous sommes amenés à la lumière lorsque, par le baptême, nous sommes régénérés. Puis, nous sommes pour ainsi dire portés dans les bras de l’Église et nourris de son lait, quand, après le baptême, nous sommes formés aux bonnes œuvres et nourris du lait de la doctrine spirituelle jusqu’à ce que, déjà grandelets, nous puissions passer du lait maternel à la table paternelle, c’est-à-dire de l’enseignement élémentaire relatif au Verbe fait chair au Verbe du Père, qui dès le commencement était avec Dieu. " Plus loin, il revient sur cette idée : " Les nouveaux baptisés du Samedi saint sont pour ainsi dire portés dans les bras de l’Église et nourris de son lait jusqu’à la Pentecôte. Durant tout ce temps, il n’est rien imposé de difficile ; on ne jeûne pas, on ne se lève pas la nuit. Ensuite, lorsqu’ils ont été confirmés par le Saint-Esprit, pareils à des enfants sevrés, ils commencent de jeûner et d’accomplir d’autres choses difficiles. Or beaucoup renversent ce bel ordre, à l’exemple des hérétiques et schismatiques, et prétendent abandonner prématurément le régime du lait ; le résultat, c’est qu’ils périssent. " Mais ceux qui entrent en religion ou induisent les autres à y entrer avant de s’être exercés dans l’observation plus aisée des préceptes semblent, eux aussi, bouleverser l’ordre naturel. Ils font donc figure d’hérétiques et de schismatiques.

5. Il faut aller de ce qui vient en premier à ce qui vient ensuite. Or les préceptes viennent avant les conseils, étant plus généraux. Les conseils supposent, en effet, les préceptes tandis que la réciproque n’est pas vraie. Il est évident que quiconque observe les conseils observe les préceptes, mais non pas réciproquement. L’ordre normal, d’autre part, veut qu’on commence par les choses qui viennent en premier, et qu’on passe ensuite à celles qui viennent en second. Donc on ne doit pas se porter à la pratique des conseils dans l’état religieux avant de s’être exercé à l’observation des préceptes.

En sens contraire, le Seigneur a appelé le publicain Matthieu, qui ne s’était pas exercé dans la pratique des préceptes, à observer les conseils, car il est dit (Lc 5, 28) " qu’ayant tout laissé, il le suivit ". Il n’est donc pas nécessaire de s’être exercé au préalable dans l’observation des préceptes pour passer à la perfection des conseils.

Réponse :

Nous avons défini l’état religieux un exercice spirituel en vue d’acquérir la perfection de la charité. Ce qui se fait quand on écarte par les observances de la vie religieuse ce qui fait obstacle à la charité parfaite, c’est-à-dire l’attachement de l’homme aux biens de la terre. Or il peut arriver que cet attachement, non seulement fasse obstacle à la perfection de la charité, mais encore détruise la charité elle-même. C’est ce qui se produit lorsque l’homme, poursuivant indûment les biens temporels, se détourne du Bien impérissable et pèche mortellement. Cela montre que les observances de la vie religieuse suppriment pareillement les obstacles à la charité parfaite et les occasions de péché. Il est évident par exemple que les jeûnes, les veilles, l’obéissance éloignent l’homme des péchés de gourmandise, de luxure et de tous les autres. C’est pourquoi l’entrée en religion est appropriée non seulement à ceux qui sont déjà exercés dans les préceptes, afin de parvenir à une perfection plus haute, mais aussi à ceux qui ne le sont pas, afin d’éviter plus facilement le péché et d’atteindre la perfection.

Solutions :

1. S. Jérôme répond : " Le jeune homme ment. S’il avait réellement observé ce qui se trouve dans les commandements, à savoir : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même", pourquoi s’en serait-il allé tout triste pour avoir entendu : "Va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres." "

Il faut toutefois entendre ce mensonge relativement à la parfaite observation de ce précepte. Nous lisons dans Origène : " Il est écrit dans l’Évangile selon les Hébreux que ce jeune homme riche, lorsqu’il eut entendu : "Va et vends tout ce que tu possèdes", se mit à s’arracher les cheveux. Sur quoi le Seigneur lui dit : "Comment peux-tu dire : ‘J’ai accompli la loi et les prophètes ?’ Il y a dans la loi : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même.’ Or voici qu’un grand nombre de tes frères, fils d’Abraham comme toi, sont vêtus d’ordure et meurent de faim, tandis que ta maison regorge de biens et que l’on ne voit rien en sortir à leur intention ?" C’est pourquoi le Seigneur, condamnant sa conduite, lui dit : "Si tu veux être parfait", etc. Il est impossible d’accomplir le précepte qui porte : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" et d’être riche, de l’être à ce point surtout. " Ce qu’il faut entendre de la parfaite observation de ce précepte. Autrement, il est vrai qu’il avait observé les préceptes, mais d’une manière imparfaite et commune. Car, nous l’avons dit la perfection réside principalement dans l’observation des préceptes de la charité.

Le Seigneur donc, pour montrer que la perfection des conseils est avantageuse et aux innocents et aux pécheurs, n’a pas appelé seulement le jeune homme innocent, mais Matthieu le pécheur. Et c’est Matthieu et non pas le jeune homme, qui a répondu à l’appel du Seigneur. Les pécheurs se convertissent et entrent en religion plus facilement que ceux qui se glorifient de leur innocence et auxquels s’adresse la parole du Seigneur (Mt 21, 31) : " Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. "

2. On peut entendre de trois manières le plus haut et le plus bas. D’abord, par rapport au même état et à la même personne. Il est évident qu’en ce sens nul ne parvient d’un seul coup au plus haut, car tout homme qui mène une vie droite progresse tout au long de sa vie pour parvenir au plus haut. En deuxième lieu, par rapport à des états différents. Et alors, il n’est pas nécessaire que quiconque veut parvenir à un état supérieur commence par le plus bas ; il n’est pas nécessaire, par exemple, que celui qui veut être clerc commence par s’exercer dans la vie laïque. En troisième lieu, par rapport à diverses personnes. Et alors il est manifeste que tel se trouve établi dès le début, non seulement dans un état, mais dans une sainteté supérieure à l’état ou la sainteté les plus élevés, atteints par tel autre au cours de sa vie toute entière. C’est ce qui fait dire à S. Grégoire : " Que tous reconnaissent la grâce de Dieu dans la vie de Benoît enfant. Par quelle perfection a-t-il commencé ! "

3. Les ordres sacrés, nous l’avons dit, exigent la sainteté au préalable, tandis que l’état religieux n’est qu’un exercice en vue de l’acquérir. C’est pourquoi la charge des saints ordres doit être imposée aux murs que la sainteté a déjà séchés. La charge de la vie religieuse, au contraire, donne elle-même cette consistance aux murs, en épuisant le suintement des vices.

4. Il est manifeste que cette Glose vise surtout l’ordre à suivre dans l’enseignement, où il faut aller du plus facile au plus difficile. Et quand elle dit que les hérétiques et les schismatiques pervertissent cet ordre, ce qui suit montre bien qu’il s’agit de l’ordre à suivre dans la doctrine : " Celui-ci affirme avec serment qu’il a observé l’ordre susdit en ces termes ou à peu près : J’ai été humble dans la science comme en tout le reste. Humble, j’ai d’abord été nourri de lait, c’est-à-dire du Verbe fait chair, pour devenir capable de manger le pain des Anges, c’est-à-dire le Verbe qui est au commencement avec Dieu. "

Quant à l’exemple allégué, c’est-à-dire qu’on n’impose pas de jeûnes aux nouveaux baptisés avant la Pentecôte, il prouve simplement qu’on ne doit pas les contraindre par voie d’autorité aux œuvres difficiles, avant qu’ils ne soient poussés par le Saint-Esprit à s’y appliquer de bon cœur. Aussi, après la Pentecôte et la réception du Saint-Esprit, l’Église célèbre-t-elle des jeûnes. " Or, remarque S. Ambroise. le Saint-Esprit n’est pas empêché par l’âge, la mort ne l’arrête pas, le sein ne lui est pas fermé. " Et S. Grégoire : " Il remplit l’enfant qui jouait de la cithare, et il en fait un psalmiste. Il remplit l’enfant qui jeûnait, et il le fait juge des vieillards. " Et plus loin : " Il n’a pas besoin de délai pour enseigner. Il lui suffit de toucher une âme pour lui enseigner tout ce qu’il veut. " Selon l’Ecclésiaste (Qo 8, 8) : " Aucun homme n’a le pouvoir d’arrêter l’Esprit. " Et S. Paul (1 Th 5, 19) : " N’allez pas éteindre l’Esprit. " enfin dans les Actes (7, 5 1), on dit contre certaines gens : " Toujours, vous résistez à l’Esprit Saint "

5. Parmi les préceptes, il y en a qui sont principaux et qui sont des fins pour les préceptes et les conseils. Ce sont les préceptes de la charité. Les conseils leur sont ordonnés, non pas qu’on ne puisse observer les préceptes si l’on ne pratique les conseils, mais ce sont des moyens d’en procurer une observation plus parfaite. Les autres préceptes sont secondaires. Ils sont ordonnés aux préceptes de la charité qui, sans eux, ne peuvent être aucunement accomplis. Ainsi donc, la parfaite observation des préceptes de la charité précède les conseils dans l’intention ; mais il arrive qu’elle les suive dans le temps. Tel est en effet l’ordre de la fin et des moyens. - L’observation des préceptes de la charité suivant la manière commune, et pareillement celle des autres préceptes sont avec les conseils dans le même rapport que le commun avec le propre parce que l’observation des préceptes peut exister sans les conseils, mais ce n’est pas réciproque. Ainsi donc l’observation des préceptes prise en général, est par nature antérieure à la pratique des conseils. Mais il n’est pas nécessaire qu’elle la précède dans le temps, pas plus que le genre n’existe avant ses espèces. - L’observation des préceptes sans les conseils est ordonnée à l’observation des préceptes avec les conseils, de la même manière que l’espèce imparfaite est ordonnée à l’espèce parfaite et l’animal sans raison à l’animal raisonnable. Or le parfait précède naturellement l’imparfait. " La nature, a dit Boèce commence par le parfait. " Pour ce qui regarde l’ordre dans le temps, il n’est aucunement nécessaire d’observer les préceptes sans les conseils avant d’observer les préceptes avec les conseils. Pas plus qu’il n’est requis d’être un âne avant de devenir un homme, ou d’avoir été marié avant d’embrasser la virginité. Il n’est pas davantage nécessaire de pratiquer les commandements dans le siècle avant d’entrer en religion. D’autant moins nécessaire que la vie séculière ne prépare pas à la perfection religieuse, mais bien plutôt l’empêche.

 

            Article 2 — Est-il licite d’obliger par vœu certaines personnes à entrer en religion ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne doive pas obliger par vœu à entrer en religion. En effet, par la profession on astreint au vœu de religion. Mais, avant la profession on accorde une année de probation selon la règle de S. Benoît et un statut d’Innocent IV, qui a même défendu de contraindre personne à faire profession avant l’achèvement de cette année de probation. Il semble donc que l’on puisse bien moins encore lier les personnes vivant dans le siècle par le vœu d’entrer en religion.

2. S. Grégoire a écrit ceci, que les Décrets sont appropriés : " On doit induire les Juifs à se convertir non pas par contrainte mais par persuasion. " Or c’est une nécessité pour celui qui s’est lié par un vœu de l’accomplir. Donc on ne doit obliger personne à entrer en religion.

3. Nul ne doit créer à autrui d’occasion de chute. Il est écrit (Ex 21, 33) : " Si quelqu’un ouvre une citerne, et qu’un bœuf ou un âne y tombe, le maître de la citerne paiera le prix de l’animal. " Mais il arrive souvent que, pour s’être obligés par vœu à entrer en religion, des gens tombent dans le désespoir et en divers péchés. Il semble donc que personne ne doit être obligé par vœu à entrer en religion.

En sens contraire, il est dit dans le Psaume (76, 12) : " Faites des vœux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les. " Ce que la Glose commente ainsi : " Il y a des vœux appropriés à chaque personne, comme la chasteté, la virginité, etc. ; l’Écriture nous incite donc à faire des vœux. Or elle ne nous invite qu’à ce qui est meilleur. " Il est donc meilleur de s’obliger par vœu à entrer en religion.

Réponse :

Nous avons dit plus haut , en parlant du vœu, qu’une même action accomplie en exécution d’un vœu mérite plus de louange que faite sans vœu. Faire un vœu est un acte de religion, c’est-à-dire d’une vertu particulièrement éminente. De plus, le vœu affermit la volonté de l’homme dans l’intention de bien faire. Or, de même que le péché est plus grave lorsqu’il procède d’une volonté obstinée dans le mal, de même l’œuvre bonne est plus louable lorsqu’elle vient d’une volonté confirmée dans le bien par un vœu. Il est donc louable en soi de s’obliger par vœu à entrer en religion.

Solutions :

1. Le vœu de religion est double. Il y a le vœu solennel qui d’un homme fait un moine ou un frère d’un autre ordre, qu’on appelle profession. Il doit effectivement être précédé d’une année de probation, comme le dit l’objection. Il y a aussi le vœu simple. Celui qui le prononce n’est pas moine ou religieux pour autant. Il est simplement obligé d’entrer en religion. Et ce vœu-là n’a pas besoin d’être précédé d’une année de probation.

2. Ce texte de S. Grégoire s’entend d’une violence absolue. Or la nécessité issue d’un vœu n’est pas une nécessité absolue, mais dépendant d’une fin. C’est-à-dire que celui qui a fait un vœu ne peut plus parvenir au salut à moins d’accomplir son vœu. Ce n’est pas une nécessité que l’on doive éviter. Tout au contraire, dit S. Augustin : " Heureuse nécessité qui nous conduit vers le meilleur ! "

3. Faire le vœu d’entrer en religion, c’est affermir sa volonté dans la poursuite du meilleur. Aussi ce vœu, considéré en lui-même, n’apporte-t-il pas à l’homme une occasion de chute, il l’écarte plutôt. Mais si quelqu’un, en transgressant son vœu, fait une chute plus grave, cela n’enlève rien à la bonté du vœu, pas plus que la bonté du baptême n’est compromise si certains, après le baptême, pèchent plus gravement.

 

            Article 3 — Ceux qui se sont obligés par vœu à entrer en religion sont-ils tenus d’accomplir leur vœu ?

Objections :

1. Non, semble-t-il. Il est dit, en effet, dans les Décrets : " Le prêtre Consaldus, sous le coup de la maladie, promit de se faire moine. Cependant il ne se donna pas à un monastère ou à un abbé, ni ne mit par écrit sa promesse. Il se contenta de résigner son bénéfice entre les mains d’un avocat. Ayant ensuite recouvré sa santé, il refusa de se faire moine. " Or les Décrets ajoutent : " Nous décidons que le prêtre susdit recevra un bénéfice et des autels et qu’il en jouira en paix. " Ce qui n’aurait pas été possible s’il avait été tenu d’entrer en religion.

Donc on n’est pas tenu d’accomplir le vœu qu’on a pu faire d’entrer en religion.

2. Nul n’est tenu de faire ce qui n’est pas en son pouvoir. Mais il n’est pas au pouvoir de chacun d’entrer en religion. Il faut que ceux qui auraient à le recevoir y consentent. Il semble donc qu’on ne soit pas tenu d’accomplir le vœu par où l’on s’est obligé d’entrer en religion.

3. Un vœu moins utile ne saurait préjudicier à un vœu plus utile. Mais le vœu d’entrer en religion peut empêcher d’accomplir le vœu de se croiser pour secourir la Terre sainte. Or ce dernier vœu paraît plus utile, parce qu’il entraîne la rémission des péchés. Il semble donc que le vœu d’entrer en religion ne doive pas nécessairement être accompli.

En sens contraire, il est écrit (Qo 5, 3) : " Si tu fais un vœu à Dieu, ne tarde pas à t’acquitter. C’est une chose qui déplaît à Dieu qu’une promesse sotte et qu’on ne tient pas. " Et sur ce mot du Psaume (76, 12) : " Faites des vœux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les ", la Glose porte : " Faire un vœu est matière de conseil. Mais quand le vœu a été fait, son accomplissement est rigoureusement exigé. "

Réponse :

Nous avons expliqué plus haut, en parlant du vœu, que le vœu est une promesse faite à Dieu et portant sur des choses qui ont relation à Dieu. Or, dit S. Grégoire " si c’est une règle parmi les hommes que les contrats passés de bonne foi ne peuvent être rompus pour quelque motif que ce soit, combien plus cet engagement pris envers Dieu doit-il être tenu sous peine de châtiment " C’est pourquoi l’on est tenu en rigueur de faire ce qu’on a voué, du moment qu’il s’agit de quelque chose qui soit relatif à Dieu. Or il est manifeste que l’entrée en religion est très particulièrement dans ce cas, puisqu’elle représente, nous l’avons dit, une consécration totale au service de Dieu. En conclusion, celui qui a fait vœu d’entrer en religion y est tenu suivant l’intention qu’il a eue de s’y obliger. C’est-à-dire que s’il a eu l’intention de s’y obliger absolument, il est tenu d’entrer le plus tôt possible et dès que les empêchements légitimes auront disparu. S’il s’est obligé pour une date déterminée ou sous telle condition, il est tenu d’entrer en religion au temps prévu ou lorsque la condition se trouve réalisée.

Solutions :

1. Ce prêtre n’avait pas fait un vœu solennel mais un vœu simple. De la sorte il n’était pas devenu moine et il n’y avait pas lieu de le contraindre à vivre dans un monastère, et à abandonner son église. Cependant, au for de la conscience, il s’imposait de lui conseiller de tout abandonner et d’entrer en religion. C’est ainsi que, dans une décrétale. on conseilla à un évêque de Grenoble, qui avait reçu l’épiscopat après avoir fait le vœu d’entrer en religion et sans l’avoir Accomplis " de résigner le gouvernement de son Église, s’il désirait mettre ordre à sa conscience, et de rendre au Très-Haut ce qu’il avait voué ".

2. Nous l’avons expliqué plus haut en traitant du vœu : celui qui s’oblige par vœu à entrer dans tel ordre religieux, est tenu de faire son possible pour être admis dans cet ordre. S’il a eu l’intention de s’obliger purement et simplement à entrer en religion, il doit, si un ordre religieux refuse de l’accueillir, s’adresser à un autre. Si au contraire il a eu l’intention de s’obliger à entrer dans tel ordre déterminé, c’est à cela qu’il est tenu, et pas à autre chose.

3. Le vœu de religion, puisqu’il est perpétuel, l’emporte sur le vœu de faire le pèlerinage de Terre sainte, qui est temporaire. Les Décrets nous ont conservé cette décision d’Alexandre III : " Celui qu’on voit changer un service temporaire en l’observance perpétuelle de la vie religieuse n’est pas le moins du monde coupable d’avoir violé son vœu. "

Mais on peut raisonnablement prétendre que par l’entrée en religion on obtient aussi la rémission de tous ses péchés. Si l’on peut satisfaire pour ses péchés moyennant quelques aumônes, selon cette parole (Dn 4, 24) : " Rachète tes péchés par des aumônes ", à plus forte raison doit-on considérer comme satisfaction suffisante la consécration totale de soi-même au service de Dieu par l’entrée en religion. Cette manière de satisfaire surpasse toutes les autres, y compris, d’après les Décrets, la pénitence publique. S. Grégoire précise : " comme l’holocauste surpasse le sacrifice. " Aussi lisons-nous dans les Vies des Pères que ceux qui entrent en religion reçoivent la même grâce que les baptisés. Si cependant ils ne recevaient pas remise entière de la peine du péché, l’entrée en religion n’en demeurerait pas moins plus utile que le pèlerinage de Terre sainte pour ce qui regarde le progrès dans le bien. Et c’est une considération qui l’emporte sur le souci de se voir absous de la peine due au péché.

 

            Article 4 — Ceux qui font vœu d’entrer en religion sont-ils obligés d’y demeurer toujours ?

Objections :

1. Il semble bien. Il vaut mieux en effet ne pas entrer en religion que d’en sortir après y être entré, selon cette parole (2 P 2, 2 1) : " Il valait mieux pour eux ne pas connaître la vérité que de l’abandonner après l’avoir connue. " Et dans S. Luc (9, 62) : " Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au royaume de Dieu. " Or celui qui a fait vœu d’entrer en religion est obligé d’y entrer, avons-nous dit. Donc il est tenu aussi d’y demeurer toujours.

2. On doit éviter ce qui scandaliserait les autres et leur donnerait un mauvais exemple. Mais sortir de la vie religieuse après y être entré, et retourner au siècle, c’est donner un mauvais exemple aux autres et les scandaliser, en les détournant d’entrer en religion et en les provoquant à en sortir. Il semble donc que celui qui a fait vœu d’entrer en religion doit y demeurer toujours.

3. Le vœu de religion est considéré comme un vœu perpétuel. C’est même pour cela, avons-nous dit, qu’il doit être mis au-dessus des vœux temporaires. Mais cela ne serait pas si quelqu’un, ayant fait vœu d’entrer en religion, y entrait avec le propos d’en sortir. Il semble donc que celui qui a fait vœu d’entrer en religion, soit tenu, non seulement d’y entrer, mais d’y demeurer toujours.

En sens contraire, le vœu qui constitue la profession même, précisément parce qu’il oblige à demeurer toujours dans la vie religieuse, exige au préalable une année de probation, qui n’est pas requise pour le vœu simple, par où l’on s’oblige à entrer en religion. Il semble donc que celui qui fait vœu d’entrer en religion ne soit pas tenu d’y demeurer toujours.

Réponse :

L’obligation du vœu a son origine dans la volonté. " Faire vœu, observe en effet S. Augustin, est un acte de volonté. " L’obligation du vœu a donc exactement la même étendue que la volonté et l’intention de celui qui fait vœu. Donc, s’il entend s’engager, non seulement à entrer en religion, mais à y demeurer toujours, il est tenu d’y persévérer. Mais s’il s’est proposé d’embrasser la vie religieuse à titre d’essai et en gardant la liberté d’y rester ou d’en sortir, il est évident qu’il n’est pas obligé de persévérer. Si sa pensée a été de s’obliger à entrer en religion, simplement et sans rien préciser touchant la possibilité d’en sortir ou la nécessité d’y demeurer, il semble que son obligation doive s’interpréter conformément au droit commun, qui accorde aux candidats à la vie religieuse une année de probation. D’où il suit qu’il n’est pas tenu de persévérer dans la vie religieuse.

Solutions :

1. Il vaut mieux entrer dans la vie religieuse à titre d’essai que de ne pas y entrer du tout. On se dispose, ce faisant, à y demeurer toujours. On n’est fondé à reprocher à quelqu’un de retourner ou de regarder en arrière que s’il n’accomplit pas ce qu’il a promis. Autrement, quiconque accomplit une œuvre bonne pendant un temps donné, s’il ne continuait pas indéfiniment, devrait être tenu pour inapte au royaume de Dieu. Ce qui est évidemment faux.

2. Celui qui entre en religion, s’il en sort, surtout pour un motif raisonnable, ne scandalise pas, ni ne donne le mauvais exemple. S’il arrivait que quelqu’un en fût scandalisé, ce scandale lui serait imputable à lui-même, nullement à celui qui abandonne. Celui-ci a fait ce qu’il avait le droit de faire, et avec une bonne raison, comme la maladie ou la faiblesse.

3. Celui qui n’entre que pour sortir sur-le-champ ne semble pas satisfaire à son vœu parce qu’il ne voulait pas cela quand il a fait son vœu. Il doit donc changer de propos et vouloir à tout le moins faire l’essai de la vie religieuse, pour expérimenter si elle lui convient. Mais il n’est pas tenu d’y demeurer toujours.

 

            Article 5 — Doit-on recevoir les enfants dans la vie religieuse ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, une décrétale porte : " Que nul ne reçoive la tonsure s’il n’a l’âge requis et ne le demande. " Mais il ne semble pas que les enfants aient l’âge ou la liberté voulus, puisqu’ils n’ont pas l’usage parfait de la raison. Donc, semble-t-il, on ne doit pas les recevoir dans la vie religieuse.

2. L’état religieux semble être un état de pénitence. Le mot religion vient, en effet, de relier (religare) ou de réélire (reeligere), si nous en croyons S. Augustin. Mais la pénitence ne convient pas aux enfants. Il semble donc qu’ils ne doivent pas entrer en religion.

3. L’obligation du vœu est pareille à celle du serment. Or, avant l’âge de quatorze ans, les enfants, disent les Décrets, ne doivent pas se lier par un serment. Il semble donc qu’ils ne puissent pas non plus se lier par un vœu.

4. Il semble illicite d’imposer à quelqu’un une obligation qui pourra être légitimement annulée. Or s’il arrive que des impubères s’obligent à la vie religieuse, leurs parents ou tuteurs ont le droit de les empêcher. C’est spécifié dans les Décrets : " S’il arrive qu’une jeune fille, avant d’avoir atteint douze ans, prenne d’elle-même le voile, ses parents et tuteurs, s’ils le veulent, peuvent sur-le-champ annuler son acte. " Il est donc illicite de recevoir les enfants à la vie religieuse ou de les laisser s’y obliger, surtout avant qu’ils aient atteint la puberté.

En sens contraire, le Seigneur a dit (Mt 19, 14) : " Laissez venir à moi les enfants et gardez-vous de les en empêcher. " Ce qu’Origène commente ainsi : " Avant d’avoir compris ce que c’est que la justice, les disciples de Jésus reprennent ceux qui présentent au Christ des adolescents et des enfants. Mais le Seigneur engage ses disciples à prendre à cœur le bien de ces petits. C’est à quoi nous devons faire attention pour ne pas mépriser, sous prétexte de sagesse supérieure, et comme des personnes qui se croient grandes, les petits parmi nos frères, en empêchant les enfants de venir à Jésus. "

Réponse :

Nous l’avons dit, il y a deux sortes de vœux de religion. Il y a le vœu simple, qui consiste uniquement dans une promesse faite à Dieu après une juste délibération intérieure. Ce vœu tient son efficacité du droit divin. Il peut cependant être empêché pour deux raisons. D’abord, parce qu’il n’y a pas eu délibération. C’est ainsi que les Décrétales déclarent sans valeur les vœux des déments. Les enfants qui n’ont pas encore le parfait usage de la raison, ce qui les rend incapables de tromperie se trouvent dans le même cas. Communément, cet âge de raison, ou, comme l’on dit, de puberté, se place à quatorze ans pour les garçons, à douze ans pour les filles. Plus tôt chez certains, plus tard chez d’autres, selon les dispositions naturelles de chacun. Le vœu simple est sans effet, en outre, si l’on voue à Dieu ce dont on n’a pas la libre jouissance. Tel est le cas de l’esclave, même jouissant de l’usage de la raison, qui fait le vœu d’entrer en religion, ou qui reçoit les ordres à l’insu de son maître. Le maître, disent les Décrets, peut annuler cela. Or le petit garçon ou la petite fille qui n’ont pas encore atteint l’âge de puberté sont naturellement au pouvoir de leur père pour disposer de leur vie. Le père pourra donc révoquer leur vœu ou l’accepter, selon qu’il lui plaira. C’est ce qui est dit expressément au livre des Nombres (30, 4) au sujet de la femme. Ainsi donc, si un enfant, avant l’âge de puberté et n’ayant pas encore le plein usage de la raison, émet un vœu simple, il n’est pas lié par son vœu. Si, bien que n’ayant pas l’âge de puberté, il a l’usage de la raison, son vœu l’oblige pour ce qui le regarde. Mais cette obligation peut être enlevée par l’autorité de son père, au pouvoir duquel il se trouve toujours, parce que la loi en vertu de laquelle une personne est soumise à une autre envisage le cours habituel des choses. Mais s’il a dépassé l’âge de puberté, l’autorité des parents ne peut plus révoquer son vœu.

Toutefois, s’il n’avait pas l’usage parfait de la raison, son vœu ne l’obligerait pas devant Dieu. Il en est autrement du vœu solennel, qui fait le moine ou le religieux. Ce vœu est soumis au pouvoir de l’Église en raison de la solennité qui lui est jointe. Or l’Église envisage le cours habituel des choses. C’est pourquoi la profession faite avant l’âge de puberté, même par quelqu’un qui a le plein usage de la raison et qui est capable de tromperie, ne saurait faire un religieux de celui qui l’a émise.

Mais si les enfants ne peuvent faire profession avant l’âge de puberté, ils peuvent, du consentement de leurs parents, être reçus en religion pour y être élevés. Nous lisons au sujet de S. Jean Baptiste (Lc 1, 80) " L’enfant grandissait et se fortifiait en esprit et vivait dans les déserts. " Aussi au dire de S. Grégoire, " les nobles romains se mirent-ils à donner leurs fils à S. Benoît, qui les élèverait pour le Dieu Tout-Puissant ". Et c’est une - excellente chose, selon cette parole (Lm 3, 27) : " C’est un bien pour l’homme d’avoir porté le joug depuis son adolescence. " C’est d’ailleurs la pratique commune d’appliquer les enfants aux professions et métiers où ils devront vivre.

Solutions :

1. L’âge légitime pour être tonsuré en faisant le vœu solennel de religion, c’est l’âge de puberté, où l’homme devient capable d’exercer sa libre volonté. Mais l’âge légitime pour être tonsuré en vue d’être élevé dans la vie religieuse peut devancer les années de la puberté.

2. Nous avons dit que l’état religieux était principalement ordonné à acquérir la perfection. A ce point de vue, il convient aux enfants, qui se laissent facilement former. C’est par voie de conséquence qu’on l’appelle un état de pénitence, en tant que les occasions de péché se trouvent supprimées par l’observance religieuse.

3. Les enfants, ainsi que le disent les Décrets, ne doivent pas être forcés de faire vœu pas plus que de faire serment. Mais s’ils s’obligent à quelque chose par vœu ou par serment, ils sont liés devant Dieu, pourvu qu’ils aient l’usage de la raison, bien qu’ils ne le soient pas devant l’Église avant l’âge de quatorze ans.

4. Ce texte des Nombres ne blâme pas la femme qui, n’étant encore qu’un enfant, fait un vœu sans le consentement de ses parents. Les parents peuvent cependant le révoquer. Ce qui montre bien qu’elle ne pèche pas en faisant un vœu. Il est seulement entendu qu’elle s’oblige pour ce qui la regarde elle-même, sans préjudice de l’autorité paternelle.

 

            Article 6 — Faut-il détourner certains d’entrer en religion à cause du devoir d’assister leurs parents ?

Objections :

1. Il semble bien. En effet, il n’est pas permis d’omettre un devoir nécessaire au profit d’un acte facultatif Or l’assistance aux parents tire sa nécessité du précepte qui ordonne de les honorer. Aussi S. Paul a-t-il écrit (1 Tm 5. 4 Vg) : " Si une veuve a des enfants ou des petits-enfants, la première chose à lui apprendre, c’est à gouverner sa maison et à payer ses proches de retour. " L’entrée en religion, en revanche, est facultative. Il ne semble donc pas qu’on puisse, pour entrer en religion, négliger ses devoirs envers ses parents.

2. La dépendance du fils envers ses parents semble plus grande que celle de l’esclave envers son maître. Car la filiation est un fait naturel, tandis que l’esclavage a son origine dans la malédiction du péché (Gn 9, 25-26). Or l’esclave n’a pas le droit d’abandonner le service de son maître pour entrer en religion ou pour recevoir un ordre sacré. C’est dit dans les Décrets. Donc, on n’a pas le droit, et beaucoup moins encore, d’abandonner le service de ses parents pour entrer en religion.

3. La dette d’un fils vis-à-vis de ses parents est plus sacrée que celle d’un débiteur vis-à-vis d’un créancier. Mais ceux qui doivent de l’argent à d’autres ne peuvent entrer en religion. C’est interdit par les Décrets : " Ceux que la loi oblige à des redditions de comptes, s’il arrive qu’ils demandent à être reçus dans un monastère, on ne doit pas y consentir tant qu’ils n’ont pas obtenu décharge. " Donc beaucoup moins encore, semble-t-il, des fils ont-ils le droit de laisser le service de leurs parents pour entrer en religion.

En sens contraire, il est écrit de Jacques et Jean (Mt 4, 22) : " Laissant leurs filets et leur père, ils suivirent le Seigneur. " Sur quoi S. Hilaire remarque : " Cela nous apprend que nous devons suivre le Christ sans nous laisser retenir par le souci de la vie du siècle et l’attachement à la maison paternelle. "

Réponse :

Nous l’avons dit à propos de la piété filiale, les parents en tant que tels ont qualité de principes. C’est pourquoi il leur revient essentiellement d’avoir la charge de leurs enfants. Aussi ne serait-il pas permis à quelqu’un qui aurait des enfants d’entrer en religion sans se soucier aucunement d’eux et sans avoir pourvu à leur éducation. Il est écrit, en effet (1 Tm 5, 8) : " Si quelqu’un néglige de prendre soin des siens, il a renié la foi., il est pire qu’un infidèle. " Toutefois, par accident, il peut arriver que les parents aient droit à l’assistance de leurs enfants, s’ils se trouvent en quelque nécessité.

Donc, si les parents se trouvent dans une telle nécessité que seule l’aide de leurs enfants peut convenablement y pourvoir, ces enfants n’ont pas le droit d’abandonner le soin de leurs parents pour entrer en religion. Si leur nécessité n’est pas telle qu’ils aient sérieusement besoin de l’assistance de leurs enfants, ceux-ci peuvent abandonner le service de leurs parents et entrer en religion même contre leur défense. Parvenu à l’âge de puberté, quiconque n’est pas esclave jouit du droit de disposer de sa vie, et très particulièrement pour ce qui regarde le service de Dieu. " Nous devons, pour vivre, plus d’obéissance au Père des Esprits qu’à nos parents selon la chair ", dit l’Apôtre (He 12, 9). Aussi lisons-nous (Mt 8, 21 ; Lc 9, 59), que le Seigneur reprit ce disciple qui refusait de le suivre immédiatement en alléguant la nécessité de donner la sépulture à son père. " Il y avait d’autres personnes capables d’y pourvoir ", remarque S. Jean Chrysostome.

Solutions :

1. Le précepte d’honorer ses parents ne vise pas seulement l’assistance matérielle, mais encore le service spirituel, et les témoignages de respect. Ainsi ceux qui sont en religion peuvent-ils continuer d’observer ce précepte en priant pour leurs parents, en leur donnant les témoignages de respect et l’assistance compatibles avec l’état religieux. Ceux qui vivent dans le siècle observent eux-mêmes ce précepte de façon assez différente suivant la situation qu’ils occupent.

2. L’esclavage, étant un châtiment du péché, prive l’homme de droits qui, autrement, lui appartiendraient. C’est ainsi que l’esclave ne peut plus disposer de sa personne. " L’esclave, en tout ce qu’il est, appartient à son maître. " Mais l’enfant ne doit pas souffrir préjudice du fait de sa dépendance à l’égard de son père, au point de ne pouvoir disposer librement de lui-même pour se consacrer au service de Dieu, car cela intéresse au plus haut degré le bien de l’homme.

3. Celui qui est sous le coup d’une obligation déterminée n’a pas le droit de s’y soustraire, même s’il en a la possibilité. Donc, si quelqu’un se trouve obligé de rendre des comptes ou d’acquitter une dette précise, il n’a pas le droit de passer outre à cette obligation pour entrer en religion. Toutefois, s’il doit de l’argent et qu’il n’ait pas de quoi s’acquitter, il est tenu de faire ce qu’il peut, comme d’abandonner une partie de ses biens à son créancier. Selon le droit civile un homme libre répond de ses dettes sur ses biens, mais non sur sa personne même. La personne d’un homme libre surpasse toute estimation pécuniaire. Aussi, lorsqu’il a fait abandon de ses biens, a-t-il le droit d’entrer en religion, sans être obligé de demeurer dans le monde pour y gagner de quoi éteindre sa dette. Mais le fils n’a pas vis-à-vis de son père de dette précise, du moins en dehors du cas de nécessité, comme nous venons de le dire.

 

            Article 7 — Les curés ou archidiacres peuvent-ils entrer en religion ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Parlant de celui qui a charge d’âmes, S. Grégoire a dit : " C’est pour lui un avertissement terrible que cette parole (Pr 6, 1 Vg) : "Mon fils, en cautionnant ton ami, tu t’es rendu prisonnier d’un étranger." Et il poursuit : "Cautionner son ami, c’est prendre à ses propres risques la responsabilité d’un autre." " Mais celui qui est lié à un autre en qualité de débiteur ne peut entrer en religion avant de s’être acquitté de sa dette s’il le peut. Donc, puisque le prêtre peut prendre soin des âmes dont il a accepté la charge au péril de son salut, il apparaît qu’il n’a pas le droit de laisser sa charge pour entrer en religion.

2. Ce qui est permis à l’un est permis au même titre à tous ses semblables. Mais, si tous les prêtres ayant charge d’âmes entraient en religion, le peuple chrétien demeurerait sans pasteurs, ce qui est inadmissible. Donc les curés n’ont pas le droit d’entrer en religion.

3. Entre tous les actes auxquels sont ordonnés les religieux, le principal est la communication à autrui de leur contemplation. Mais ces sortes d’actes sont de la compétence des curés et archidiacres, dont c’est justement l’office de prêcher et de confesser. Il ne semble donc pas permis au curé et à l’archidiacre d’entrer en religion.

En sens contraire, nous lisons dans les Décrets : " S’il arrive qu’un prêtre séculier, gouvernant, sous l’autorité de l’évêque, une Église confiée à ses soins, se sent poussé par l’Esprit Saint d’aller faire son salut dans un monastère ou chez des chanoines réguliers, qu’il aille librement, de par notre autorité, même si l’évêque s’y oppose. "

Réponse :

Nous avons dit plus haut que l’obligation du vœu perpétuel l’emporte sur toute autre. Or c’est le privilège des évêques et des religieux de s’obliger par un vœu perpétuel et solennel à s’appliquer au service de Dieu. Mais les curés et archidiacres ne sont pas, comme les évêques, voués au soin des âmes par un vœu perpétuel et solennel. Les évêques ne peuvent pour aucun motif se démettre de leur charge, à moins d’y avoir été autorisés par le pontife romain, d’après une décrétale. Mais les curés et archidiacres peuvent résigner leur charge entre les mains de l’évêque sans avoir besoin de la permission du pape, qui a seul le droit de dispense en matière de vœux perpétuels. Il est donc évident que curés et archidiacres sont libres d’entrer en religion.

Solutions :

1. Les curés et archidiacres se sont obligés de prendre soin de leurs sujets aussi longtemps qu’ils conserveraient leur charge. Mais ils ne se sont pas engagés à la conserver toujours.

2. S. Jérôme répond : " Et cependant, les religieux subissent la cruelle morsure de ta langue de vipère ! Si tout le monde se cloître, dis-tu, et se retire au désert, qui assurera le service des Églises ? Qui gagnera (à Dieu) les gens du monde ? Qui exhortera les pécheurs à la vertu ? A ce compte-là, si tout le monde se laisse gagner à ta folie, qui pourra être sage ? La virginité non plus, il ne faudra pas l’approuver. Si tout le monde allait e mettre à la pratiquer et à délaisser les noces, ce serait la fin du genre humain. Mais la vertu est rare et n’est pas désirée par le plus grand nombre. " Il est donc évident que cette crainte est stupide, comme celle de l’homme qui craindrait de puiser de l’eau pour ne pas mettre le fleuve à sec.

 

            Article 8 — Peut-on passer d’un ordre religieux à un autre ?

Objections :

1. Il ne semble pas, même pour embrasser une vie plus rigoureuse. " Ne désertez pas notre assemblée, comme certains en ont l’habitude, " a écrit l’Apôtre (He 10, 25). Et la Glose commente : " C’est le cas de ceux qui cèdent à la crainte de la persécution ou qui, par le sentiment présomptueux de leur mérite propre, s’éloignent des pécheurs et des imparfaits pour faire figure de justes. " Mais c’est ce que semblent faire ceux qui passent d’une religion à une autre plus parfaite. Donc cela paraît interdit.

2. La profession des moines est plus rigoureuse que celle des chanoines réguliers, déclare une décrétale. Mais il n’est pas permis aux chanoines réguliers d’embrasser l’état monastique. Un Décret le leur défend : " Nous mandons et défendons à quiconque a fait profession de chanoine régulier d’entrer chez les moines, à moins qu’il n’ait commis, ce qu’à Dieu ne plaise, une faute publique. " Il semble donc qu’il ne soit pas permis de passer d’une religion à une autre, même plus parfaite.

3. Aussi longtemps qu’on le peut, on est obligé d’accomplir ce qu’on a promis par vœu. Si quelqu’un, par exemple, a voué la continence, même après avoir contracté mariage par l’échange des consentements et avant de s’unir charnellement à sa femme, il est tenu d’observer son vœu, ce qu’il peut faire en entrant en religion. Donc, si l’on peut passer licitement d’une religion à une autre, celui qui en aurait fait le vœu lorsqu’il était encore dans le monde se trouverait dans l’obligation de l’exécuter. Ce qu’on ne peut admettre, parce que cela ne va généralement pas sans scandale. Donc un religieux ne peut passer d’un ordre à un autre, même plus strict.

En sens contraire, nous lisons dans les Décrets : " Si des vierges consacrées, pour le salut de leur âme et en vue d’y trouver une vie plus sévère, veulent passer à un autre monastère pour, demeurer, le Concile le leur permet. " Apparemment, cette règle vaut pour tous les religieux. Donc on peut passer d’un ordre à un autre.

Réponse :

Il n’est pas louable de passer d’un ordre à un autre, hormis le cas de grande utilité ou de nécessité. D’abord, c’est d’ordinaire un sujet de scandale pour ceux que l’on quitte. Ensuite, il est plus facile de progresser dans une religion à laquelle on est accoutumé que dans une religion à laquelle on ne l’est pas, toutes choses égales d’ailleurs. C’est ce que dit l’abbé Nesteros : " Il est utile à chacun de persévérer dans le dessein qu’il a formé et, avec grande application et diligence, de se hâter de conduire à sa perfection l’ouvrage qu’il a entrepris. jamais il ne faut Abandonner la profession qu’on a embrassée. " Et il en donne la raison : " Il est impossible à un homme d’exceller également dans toutes les vertus. S’il veut l’entreprendre, il se condamne fatalement, pour avoir voulu les poursuivre toutes, à n’en atteindre aucune parfaitement. " Or les divers ordres se surpassent mutuellement en telle ou telle œuvre de vertu.

Il peut cependant arriver qu’il soit louable de passer d’un ordre à un autre dans l’un ou l’autre des trois cas suivants. D’abord, lorsqu’on y est poussé par le désir d’une vie religieuse plus parfaite. Seulement, on voudra bien se rappeler ce que nous avons dit : que l’excellence d’un ordre religieux ne se mesure pas à la rigueur de sa discipline, mais premièrement à la valeur des fins qu’il poursuit, et secondement à la judicieuse adaptation de ses observances à la fin voulue. Ensuite, parce que l’ordre auquel on appartient est déchu de sa nécessaire régularité. Si, dans un ordre plus parfait, les religieux s’abandonnent à une vie relâchée, il peut devenir louable de passer à un ordre moins relevé mais de plus grande régularité. C’est ainsi que l’abbé Jeans raconte qu’il passa de la vie érémitique, dont il avait fait profession, à la vie cénobitique, moins parfaite, parce que la vie érémitique avait commencé de décliner et d’être médiocrement observée. Enfin, pour cause de maladie ou de mauvaise santé. Il arrive en effet que l’on ne puisse plus observer la discipline d’un ordre plus sévère, tout en demeurant capable de suivre l’observance d’un ordre plus large.

Il y a cependant une différence entre ces trois cas. Dans le premier, il convient par humilité de demander la permission. S’il est reconnu que l’ordre nouveau est plus parfait, cette permission ne peut être refusée. " S’il y a doute, c’est le jugement du supérieur qui fait loi ", déclare une décrétale. Le jugement du supérieur est pareillement requis dans le deuxième cas. Dans le troisième, il faut en plus une dispense proprement dite.

Solutions :

1. Ceux qui passent à un ordre plus relevé ne le font pas par présomption et pour paraître saints, mais par dévotion et pour le devenir.

2. L’une et l’autre religion, celle des moines et celle des chanoines réguliers, sont vouées aux œuvres de la vie contemplative. Parmi ces œuvres, les principales consistent dans la célébration des mystères divins, célébration à laquelle est directement ordonné l’ordre des chanoines réguliers, qui sont proprement des religieux clercs. Les moines au contraire, précisent les Décrets ne sont pas, nécessairement et de soi, des clercs. Aussi, bien que l’ordre monastique soit de plus stricte observance, les moines laïcs auraient-ils le droit de passer à l’ordre des chanoines. C’est la pensée de S. Jérôme : " Vis dans le monastère de façon à mériter d’être promu au rang des clercs. " Mais la réciproque n’est pas vraie, comme on peut le voir dans les Décrets. Cependant, si les moines sont des clercs voués aux saints mystères, ils possèdent ce qui fait le chanoine régulier, dans une observance sévère. C’est ce qui permet aux chanoines réguliers de passer à l’ordre monastique, après avoir demandé la permission à leur supérieur. Les Décrets le disent expressément.

3. Le vœu solennel par lequel le religieux s’est obligé à une vie religieuse de moindre perfection l’emporte sur le vœu simple par lequel il s’est engagé à une forme plus relevée de vie religieuse. S’il contractait mariage, ce mariage serait valide en dépit de son vœu simple, tandis qu’il ne l’est pas après le vœu solennel. Aussi celui qui a déjà fait profession dans un ordre moindre n’est-il pas tenu d’accomplir le vœu simple qu’il a émis d’entrer dans un ordre plus relevés.

 

            Article 9 — Doit-on engager les autres à entrer en religion ?

Objections :

1. Il semble que personne ne doit engager les autres à entrer en religion. En effet, S. Benoît ordonne dans sa " Règle " " de ne pas accueillir facilement ceux qui demandent à entrer en religion et de s’assurer que c’est l’Esprit de Dieu qui les y pousse ". Cassien enseigne la même doctrine. Beaucoup moins encore est-il permis d’engager quelqu’un à entrer en religion.

2. Le Seigneur a dit (Mt 23, 15) : " Malheur à vous qui courez mers et continents pour faire un seul prosélyte. Et lorsque vous y avez réussi vous le rendez digne de la géhenne deux fois plus que vous " Mais c’est bien ce que semblent faire ceux qui recrutent des candidats pour la vie religieuse. Il semble donc que leur conduite soit blâmable.

3. Il n’est pas permis d’induire autrui à ce qui doit lui être préjudiciable. Or il arrive qu’en persuadant à quelqu’un d’entrer en religion, on lui porte préjudice. Il peut se faire en effet qu’il se soit obligé à embrasser une forme plus parfaite de vie religieuse. Il semble donc que ce ne soit pas une pratique louable d’engager certains à la vie religieuse.

En sens contraire, il est écrit (voir Ex 26, 3) " La courtine doit tirer à soi la courtine. " Donc un homme doit en attirer un autre au service de Dieu.

Réponse :

Non seulement ceux qui en attirent d’autres à la vie religieuse ne pèchent pas, mais ils méritent une grande récompense. Il est écrit, en effet (Jc 5, 20) : " Celui qui ramène un pécheur de son égarement sauvera son âme de la mort et couvrira la multitude de ses péchés. " Et aussi (Dn 12, 3) : " Ceux qui enseignent la justice à un grand nombre brilleront comme des étoiles pour toute l’éternité. "

Un triple désordre pourrait cependant se produire dans cet appel. 1° Si l’on contraignait quelqu’un à entrer en religion en usant de violence, ce qui est interdit par les Décrets. 2° Si l’on attirait quelqu’un à la vie religieuse par des présents, ce qui est de la simonie, interdite aussi par les Décrets. Mais il ne s’agit pas de cela si l’on procure le nécessaire à un pauvre vivant dans le monde, pour l’élever en vue de la vie religieuse, où, si on lui fait de petits cadeaux pour gagner son amitié. 3° Si on l’alléchait par des mensonges, car on risquerait le danger de voir revenir en arrière, lorsqu’il découvrirait la tromperie, le candidat à la vie religieuse, dont " l’état final deviendrait ainsi pire que son état antérieur " (Lc 11, 26).

Solutions :

1. Ceux qui sont attirés à la vie religieuse n’en auront pas moins à subir une année de probation, où ils feront l’épreuve de ses difficultés. Il n’est donc pas question d’accueillir facilement ceux qui veulent entrer en religion.

2. D’après S. Hilaire, cette parole du Seigneur vise le zèle pervers des Juifs, qui, après la prédication du Christ, attirent au culte judaïque les païens et même les chrétiens. Par là ils les font deux fois fils de la géhenne, puisque leurs péchés antérieurs ne sont pas remis dans le judaïsme, et qu’ils y ajoutent la faute nouvelle de l’incroyance judaïque. En ce sens, la parole qu’on nous objecte ne se rapporte pas à la question.

Mais d’après S. Jérôme elle viserait les juifs eux-mêmes de l’âge antérieur au Christ, où la pratique des observances légales était permise. Et voici quel en serait le sens : " Le converti au judaïsme, du temps qu’il était païen, était simplement dans l’erreur. Devant les vices de ses maîtres, il retourne à son vomissement et redevient païen ; le voilà donc prévaricateur et digne d’un châtiment plus sévère. " En attirer d’autres au culte de Dieu ou à la vie religieuse n’est donc l’objet d’aucun blâme. Ce qui est répréhensible, c’est de donner le mauvais exemple à celui qu’on a converti, et de le rendre ainsi pire qu’il n’était.

3. Le moins est inclus dans le plus. C’est pourquoi celui qui est obligé par vœu ou par serment d’entrer dans un ordre moindre, peut parfaitement être attiré à un ordre plus parfait. Il faut cependant réserver le cas où quelque raison particulière y ferait obstacle, comme un motif de santé, ou l’espoir d’un plus grand progrès dans un ordre moindre. En revanche, celui qui est obligé par vœu ou par serment d’entrer dans un ordre plus parfait ne peut être légitimement attiré dans un ordre moindre. Sauf, bien entendu, pour une raison particulière et évidente, et avec dispense du supérieur.

 

            Article 10 — Est-il requis de délibérer longuement avec sa parenté et ses amis pour entrer en religion ?

Objections :

1. Il paraît qu’on ne peut approuver celui qui entrerait en religion sans avoir pris conseil de beaucoup de gens et avoir commencé par une longue délibération. En effet, il est écrit (1 Jn 4, 1) : " N’allez pas croire à toutes les inspirations. Éprouvez-les pour voir si elles viennent de Dieu. " Or il arrive que le propos d’entrer en religion ne vienne pas de Dieu, puisque très souvent il est anéanti par la sortie du candidat. Car on lit dans les Actes (5, 38) : " Si ce dessein vient de Dieu, vous n’arriverez pas à le détruire. " Il semble donc qu’il faille longuement examiner toutes choses avant d’entrer en religion.

2. " Examine ton affaire avec ton ami ", disent les Proverbes (25, 9 Vg). Mais c’est pour un homme une grande affaire que de changer d’état. Donc, il semble qu’on ne doit pas entrer en religion sans en avoir d’abord discuté avec ses amis.

3. Le Seigneur présente cette parabole (Lc 14, 28) " de l’homme qui a conçu le projet de bâtir une tour, et qui commence par s’asseoir pour supputer la dépense nécessaire et voir s’il a ce qu’il faut pour mener à terme une pareille entreprise ". Il ne veut pas s’exposer à cette injure : " Voici an homme qui a commencé à bâtir, mais qui n’a pas pu achever. " Ces ressources nécessaires pour bâtir une tour, remarque S. Augustin, " ce n’est rien d’autre que l’abandon que chacun doit faire de tous ses biens ". Or il arrive que beaucoup n’en sont pas capables, pas plus que de porter le poids des autres observances religieuses. C’est à eux que pense l’Écriture lorsqu’elle dit (1 S 17, 39) : " David ne pouvait pas marcher avec l’armure de Saül, dont il n’avait pas l’habitude. " Il semble donc que l’on ne doive pas entrer en religion avant d’avoir longuement délibéré et pris conseil tout autour de soi.

En sens contraire, il est écrit (Mt 4, 20) qu’à l’appel du Seigneur Pierre et André, " sur-le-champ, abandonnant leurs filets, le suivirent. " Sur quoi S. Jean Chrysostome remarque : " Le Christ veut de nous une obéissance telle que nous ne tardions pas même un instant. "

Réponse :

Les entreprises importantes et douteuses, dit Aristote, demandent qu’on en délibère longuement et qu’on s’entoure de conseils. En revanche, les consultations sont superflues lorsqu’il s’agit d’affaires sûres et bien déterminées. Touchant l’entrée en religion, on peut considérer trois choses. 1° Cette entrée elle-même, dont il est évident qu’elle représente un bien supérieur. Celui qui en doute fait injure au Christ, qui en fait l’objet d’un conseil. " L’Orient t’appelle, c’est-à-dire le Christ, s’écrie S. Augustin et tu t’attardes à regarder le couchant ", c’est-à-dire l’homme mortel et faillible. 2° On peut considérer cette entrée par rapport aux forces de celui qui se dispose à l’accomplir. De ce point de vue non plus l’hésitation ne se justifie pas. En effet, ceux qui entrent en religion n’attendent pas leur persévérance de leur propre vertu, mais du secours de la puissance divine, selon Isaïe (40, 3 1) : " Ceux qui espèrent dans le Seigneur prendront de nouvelles forces. Ils élèveront leur vol comme les aigles. Ils courront et ne se fatigueront pas. Ils marcheront et n’éprouveront pas de lassitude. " Si toutefois il se présentait quelque empêchement spécial : mauvaise santé, dettes à régler, etc., il y aurait lieu d’en délibérer et de consulter des gens dont on peut espérer de l’aide plutôt que de l’opposition. Aussi nous est-il dit (Si 37, 12 Vg) : " Discute de sainteté avec un homme irréligieux, et de justice avec un injuste ", ce qui est une manière de dire : ne le fais pas. Aussi lit-on ensuite (37, 14-15 Vg) : " Ne les consulte pas à tout propos, mais fréquente assidûment le saint. " Cependant, sur ces questions, il ne faut pas délibérer longuement. Comme dit S. Jérôme : " Hâte-toi, je te prie ; ta barque est attachée au rivage ; coupe le cordage, plutôt que de le dénouer. " 3° On peut enfin considérer la façon d’entrer en religion, et dans quel ordre. Et là-dessus on peut aussi prendre conseil de ceux qui ne mettront pas d’obstacle au projet.

Solutions :

1. Cette règle trouve son application dans les affaires où l’on a sujet de douter que nos aspirations viennent réellement de Dieu. C’est ainsi par exemple que les religieux eux-mêmes peuvent se demander si le candidat à la vie religieuse est conduit par l’Esprit de Dieu, ou si sa démarche ne serait pas entachée de simulation. C’est pourquoi ils ont le devoir de l’éprouver et de s’assurer que sa démarche est bien inspirée par l’Esprit divin. Quant à celui qui veut entrer en religion, il ne peut douter que son propos vienne de l’Esprit de Dieu, auquel il appartient de " conduire l’homme dans le droit chemin ".

Le fait que quelques-uns retournent en arrière ne prouve pas que leur vocation ne vient pas de Dieu. Car tout ce qui vient de Dieu n’est pas incorruptible. Autrement les créatures corruptibles ne seraient pas l’œuvre de Dieu ; c’est ce que disent les manichéens. Ou bien encore il faudrait dire que ceux qui ont reçu de Dieu la grâce ne peuvent la perdre, ce qui est encore hérétique. Ce qui est indissoluble, c’est le conseil même de Dieu, suivant lequel il fait les réalités corruptibles et changeantes, selon cette parole d’Isaïe (46, 10) : " Mon conseil demeurera, et mon vouloir s’exécutera. "

Donc le propos d’entrer en religion n’a pas à être examiné sur le point de savoir s’il vient de Dieu. " Il ne comporte pas de discussion stricte ", dit la Glose sur ce texte (1 Th 5, 21) : " Vérifiez tout. "

2. Il est écrit (Ga 5, 17) : " La chair convoite contre l’esprit. " De même, les amis charnels s’opposent souvent au progrès spirituel, selon cette parole (Mi 7, 6) : " Chacun a pour ennemis les gens de sa maison. " La parole rapportée par S. Luc : " Laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison " est ainsi commentée par S. Cyrille : " Ce souci laisse apercevoir le secret partage de l’esprit. Informer ses proches, consulter des gens réfractaires à la juste estimation des choses, c’est une pensée qui trahit l’âme molle et qui se dérobe. C’est pourquoi elle s’entend dire par le Seigneur : "Nul, s’il met la main à la charrue et regarde en arrière, n’est apte au royaume de Dieu." Car c’est regarder en arrière que de tirer les choses en longueur sous prétexte de retourner chez soi et de conférer avec ses proches. "

3. Cette tour qu’on bâtit, c’est la perfection de la vie chrétienne. La dépense nécessaire à sa construction, c’est l’abandon de ses biens. Or nul n’hésite ni ne délibère pour savoir s’il veut avoir les ressources nécessaires ou, supposé qu’il les ait, s’il peut bâtir cette tour. Toute la question est de savoir si l’on possède les ressources voulues. Pareillement, il n’y a pas à délibérer sur le point de savoir si l’on doit abandonner tout ce qu’on possède, ni si, l’ayant fait, on pourra parvenir à la perfection. La seule chose sur laquelle on ait à délibérer est celle-ci : ce que l’on fait représente-t-il bien le total abandon de ses biens ? Car si cet abandon n’est pas réel, qui représente les ressources qu’il faut avoir, il est impossible, est-il précisé dans le même livre (Lc 14, 33), d’être " disciple du Christ ", c’est-à-dire de bâtir la tour.

La crainte dont certains sont agités, cette inquiétude de savoir si, par leur entrée en religion, ils pourront parvenir à la perfection, est déraisonnable et se voit contredite par l’exemple d’un grand nombre. Aussi S. Augustin écrit-il : " Du côté où j’avais tendu mon visage et où je tremblais de passer, je contemplais la chaste et noble figure de la continence qui m’encourageait à approcher sans crainte et qui, pour m’accueillir et m’embrasser, tendait vers moi ses mains pleines d’une multitude de beaux exemples. C’était une foule d’enfants, garçons et filles, une jeunesse innombrable, tous les âges, de graves veuves, des vierges à cheveux blancs. Elle m’invitait d’un si engageant sourire ! C’était comme si elle m’avait dit : "Eh quoi tu ne pourrais pas ce qu’ont pu ceux-ci et celles-là ? Crois-tu donc qu’ils l’ont pu par eux-mêmes, et non pas par leur Seigneur ? Pourquoi se tenir en toi-même ? Que dis-je : Te tenir, alors que tu ne tiens pas debout ! Allons, jette-toi en lui. N’aie pas peur. Il ne va pas se retirer et te laisser choir. jette-toi sans crainte. Il va te recevoir et te guérir." "

Quant à l’exemple de David qu’on allègue, il n’a rien à voir avec ce dont il s’agit. " Cette armure de Saül, dit la Glose, ce sont les sacrements de la Loi et leur pesanteur. " La vie religieuse, elle, c’est " le joug si doux du Christ ". S. Grégoire l’a dit : " Quel fardeau met-il sur les épaules de notre âme, celui qui commande de fuir les désirs troublants, qui enseigne à éviter les chemins laborieux de ce monde ? " A ceux qui prennent sur eux ce joug très doux il promet, pour se refaire, la jouissance de Dieu et l’éternel repos de l’âme. A quoi daigne nous conduire celui-là même qui nous en a fait la promesse, Jésus Christ, notre Seigneur, qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour l’éternité. Amen.

 

 

 

 

 

IIIa PARS — LE CHRIST, LES SACREMENTS

 

 

 

QUESTION 1 — LA CONVENANCE DE L’INCARNATION

1. Convenait-il à Dieu de s’incarner ? - 2. L’Incarnation était-elle nécessaire à la restauration du genre humain ? - 3. Si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait-il incarné ? - 4. Dieu s’est-il incarné principalement pour enlever le péché originel, plutôt que le péché actuel ? - 5. Aurait-il convenu que Dieu s’incarne dès le commencement du monde ? - 6. L’Incarnation aurait-elle dû être retardée jusqu’à la fin du monde ?

 

            Article 1 — Convenait-il à Dieu de s’incarner ?

Objections :

1. De toute éternité, Dieu est l’essence même de la bonté, et son être est, de toute éternité, le meilleur possible. Il n’y avait donc pas de convenance à ce que Dieu s’incarne.

2. Il est incongru d’unir des êtres infiniment éloignés l’un de l’autre, comme de peindre une image où le cou d’un cheval se joindrait à une tête d’homme. Mais Dieu et la chair sont infiniment éloignés, puisque Dieu est souverainement simple, tandis que la chair, surtout chez l’homme, est complexe.

3. Le corps est aussi éloigné de l’esprit suprême que le mal est éloigné de la bonté suprême. Mais il serait absolument hors de convenance que Dieu, bonté suprême, s’unisse au mal. Il n’y aurait donc pas de convenance à ce que l’esprit suprême incréé assume un corps.

4. Il est inconcevable que celui qui dépasse toute grandeur se renferme dans ce qu’il y a de plus petit, et que l’être chargé des grandes choses s’abaisse à des petitesses. Mais Dieu, qui a la charge de tout l’univers, ne peut être renfermé dans cet univers. Il semble donc impossible, comme Volusianus l’écrit à S. Augustin, que " celui pour qui l’univers est comme rien, aille se cacher dans le corps vagissant d’un enfant, que ce Souverain s’absente si longtemps de son palais, et que tout le gouvernement du monde se transporte dans ce petit corps ".

En sens contraire, il apparaît de la plus haute convenance que par les choses visibles soient manifestés les attributs invisibles de Dieu. Le monde entier a été créé pour cela, selon l’Apôtre (Rm 1, 20) : " Les perfections invisibles de Dieu se découvrent à la pensée par ses œuvres. " Mais, dit S. Jean Damascène, c’est par le mystère de l’Incarnation que nous sont manifestées à la fois la bonté, la sagesse, la justice et la puissance de Dieu : sa bonté, car il n’a pas méprisé la faiblesse de notre chair ; sa justice car, l’homme ayant été vaincu par le tyran du monde, Dieu a voulu que ce tyran soit vaincu à son tour par l’homme lui-même, et c’est en respectant notre liberté qu’il nous a arrachés à la mort ; sa sagesse, car, à la situation la plus difficile, il a su donner la solution la plus adaptée ; sa puissance infinie, car rien n’est plus grand que ceci : Dieu qui se fait homme.

Réponse :

Pour tout être, ce qui est convenable est ce qui lui incombe en raison de sa nature propre ; c’est ainsi qu’il convient à l’homme de raisonner puisque, par nature, il est un être raisonnable. Or la nature même de Dieu, c’est l’essence de la bonté, comme le montre Denys. Aussi tout ce qui ressortit à la raison de bien convient à Dieu. Or, il appartient à la raison de bien qu’il se communique à autrui comme le montre Denys. Aussi appartient-il à la raison du souverain bien qu’il se communique souverainement à la créature. Et cette souveraine communication se réalise quand Dieu " s’unit à la nature créée de façon à ne former qu’une seule personne de ces trois réalités : le Verbe, l’âme et la chair ", selon S. Augustin. La convenance de l’Incarnation apparaît donc à l’évidence.

Solutions :

1. Le mystère de l’Incarnation ne s’est pas accompli du fait que Dieu aurait changé de quelque manière l’état dans lequel il existe de toute éternité, mais du fait qu’il s’est uni à la créature, ou plutôt qu’il se l’est unie, de façon nouvelle. Or, il convient que la créature, qui est changeante par définition, n’existe pas toujours de la même façon. Aussi, de même que la créature a commencé d’exister alors qu’elle n’existait pas auparavant, ainsi est-il convenable que n’ayant pas été auparavant unie à Dieu dans la personne, elle l’ait été postérieurement.

2. Être unie à Dieu dans la personne ne convenait pas à la chair de l’homme selon la condition de sa nature, car cela était au-dessus de sa dignité. Cependant il convenait à Dieu, selon la transcendance infinie de sa bonté, de s’unir la chair pour le salut de l’homme.

3. Toutes les conditions qui rendent la créature différente du Créateur ont été instituées par la sagesse de Dieu et ordonnées à sa bonté. En effet, c’est par bonté que Dieu, immobile et incorporel, produit des créatures changeantes et corporelles ; de même, le mal de peine a été introduit par la justice de Dieu en vue de la gloire de Dieu. Tandis que le mal de faute est commis par éloignement du plan de la sagesse divine, et de l’ordre de la bonté divine. Et c’est pourquoi il a pu être convenable que Dieu assume une nature créée, changeante, corporelle et soumise au châtiment ; mais il n’aurait pas été convenable qu’il assume le mal du péché.

4. Voici la réponse de S. Augustin à Volusianus : " La doctrine chrétienne ne comporte pas que Dieu, pour s’introduire dans la chair humaine, aurait délaissé ou perdu le gouvernement de l’univers, ni qu’il l’ait rétréci pour l’introduire dans ce corps fragile. Une telle conception vient de la pensée humaine, incapable d’imaginer autre chose que des corps. Dieu n’est pas grand par la masse, mais par la puissance. Si la parole de l’homme, en se propageant, est entendue tout entière et en même temps par beaucoup et par chacun, il n’est pas incroyable que le Verbe de Dieu, qui est éternel, soit tout entier partout à la fois. " Aussi, que Dieu se soit incarné n’a rien d’inadmissible.

 

            Article 2 — L’Incarnation était-elle nécessaire à la restauration du genre humain ?

Objections :

1. Le Verbe de Dieu, étant parfaitement Dieu, comme on l’a vu dans la première Partie, sa puissance n’a reçu de l’Incarnation aucun accroissement. Donc, si le Verbe incarné a restauré la nature humaine, il pouvait le faire même sans s’incarner.

2. Pour restaurer la nature humaine, ruinée par le péché, rien ne paraissait requis, sinon que l’homme satisfasse pour le péché. Or l’homme le pouvait, semble-t-il, car Dieu ne peut pas lui demander plus qu’il ne peut faire ; et puisqu’il est plus enclin à faire miséricorde qu’à punir, de même qu’il impute à l’homme l’acte de son péché pour le punir, de même doit-il lui imputer l’acte contraire pour son mérite. Il n’était donc pas nécessaire à la restauration de la nature humaine que le Verbe de Dieu s’incarne.

3. Le respect envers Dieu est une des conditions principales pour que l’homme obtienne le salut ; ce qui fait dire à Malachie (1, 6) : " Si je suis père, où est l’honneur qui m’est dû ? Si je suis maître, où est la crainte qui m’est due ? " Mais ce respect des hommes envers Dieu sera d’autant plus grand qu’ils le considéreront comme élevé au-dessus de tous et éloigné de la connaissance humaine. D’où la parole du Psaume (113, 4) : " Le Seigneur est élevé au-dessus de tous les peuples, sa gloire au-dessus de tous les cieux. Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ? " Donc, il ne convient pas à notre salut que Dieu nous devienne semblable en assumant notre chair.

En sens contraire, ce qui délivre le genre humain de la perdition est nécessaire au salut. Mais c’est ce que fait le mystère de l’incarnation divine selon S. Jean (3, 6) : " Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle. " Donc l’Incarnation était nécessaire au salut des hommes.

Réponse :

Quelque chose est dit nécessaire à une fin de deux façons : de telle façon que sans cela quelque chose ne puisse pas exister ; c’est ainsi que la nourriture est nécessaire à la conservation de la vie humaine. Ou bien parce que cela permet de parvenir à la fin de façon meilleure et plus adaptée ; c’est ainsi qu’un cheval est nécessaire pour voyager. De la première façon l’Incarnation n’était pas nécessaire à la restauration de notre nature ; car Dieu, par sa vertu toute-puissante, aurait pu restaurer notre nature de bien d’autres manières. De la seconde façon, il était nécessaire que Dieu s’incarne pour restaurer notre nature. C’est ce que dit S. Augustin : " Montrons que Dieu, à la puissance de qui tout est également soumis, avait la possibilité d’employer un autre moyen, mais qu’il n’y en a eu aucun plus adapté à notre misère et à notre guérison. "

Et on peut l’envisager au point de vue de notre progrès dans le bien. 1° Notre foi devient plus assurée, du fait que l’on croit Dieu qui nous parle en personne. Selon S. Augustin : " Pour que l’homme marche avec plus de confiance vers la vérité, la Vérité en personne, le Fils de Dieu, en assumant l’humanité, a constitué et fondé la foi. " - 2° L’espérance est par là soulevée au maximum. Selon S. Augustin : " Rien n’était aussi nécessaire pour relever notre espérance que de nous montrer combien Dieu nous aimait. Quel signe plus évident pouvons-nous en avoir que l’union du Fils de Dieu à notre nature ? " - 3° Notre charité est réveillée au maximum par ce mystère, et S. Augustin dit ailleurs : " Quel plus grand motif y a-t-il de la venue du Seigneur que de nous montrer son amour pour nous ? " Il ajoute plus loin : " Si nous avons tardé à l’aimer, maintenant au moins ne tardons pas à lui rendre amour pour amour. " - 4° L’Incarnation nous donne un modèle de vie, par l’exemple que Jésus a présenté. Selon S. Augustin, " l’homme, que l’on pouvait voir, il ne fallait pas le suivre ; il fallait suivre Dieu, que l’on ne pouvait voir. C’est donc pour donner à l’homme un modèle visible par l’homme et que l’homme pouvait suivre, que Dieu s’est fait homme ". - 5° L’Incarnation est nécessaire à la pleine participation de la divinité qui est la béatitude véritable de l’homme et la fin de la vie humaine. C’est cela qui nous a été conféré par l’humanité du Christ. Car S. Augustin - l’a prêché : " Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. "

Pareillement, l’Incarnation était utile pour nous éloigner du mal. - l° Par ce mystère l’homme apprend à n’avoir ni préférence ni respect pour le démon qui est l’auteur du péché. S. Augustin dit à ce sujet : " Si la nature humaine a été unie à Dieu au point de devenir une seule personne, que ces esprits mauvais et orgueilleux n’osent plus se préférer à l’homme sous prétexte qu’ils n’ont pas de chair. " - 2° Par ce mystère nous découvrons toute la dignité de la nature humaine, et qu’il ne faut pas la souiller par le péché. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Dieu nous a montré la place éminente occupée par la nature humaine dans la création, par le fait qu’il est apparu aux hommes comme un homme véritable. " Et S. Léon dit aussi : " Chrétien, reconnais ta dignité et, après avoir été uni à la nature divine, ne va pas, par une conduite honteuse, retourner à ton ancienne bassesse. " - 3° Pour détruire la présomption de l’homme " la grâce de Dieu est mise en valeur pour nous, sans aucun mérite de notre part, chez le Christ homme ". - 4° " L’orgueil de l’homme, qui est le plus grand obstacle à l’union avec Dieu, peut être réfuté et guéri par cette grande humilité de Dieu. " - 5° L’Incarnation est utile pour délivrer l’homme de la servitude du péché. Cela, dit S. Augustin, " devait se faire de telle sorte que le diable fût vaincu par la justice de l’homme Jésus Christ ". Et cela s’est fait parce que le Christ a satisfait pour nous. Un simple homme ne pouvait pas satisfaire pour tout le genre humain ; et Dieu ne devait pas satisfaire ; il fallait donc que Jésus Christ fût à la fois Dieu et homme. C’est aussi l’affirmation de S. Léon : " La puissance assume la faiblesse, et la majesté la bassesse ; ainsi ce qui convenait à notre guérison, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes pouvait mourir d’une part, et ressusciter de l’autre. S’il n’avait pas été vrai Dieu, il n’aurait pas apporté le remède, s’il n’avait pas été vrai homme, il n’aurait pas offert un modèle. "

Il y a encore beaucoup d’autres avantages venus de l’Incarnation, qui dépassent la connaissance humaine.

Solutions :

1. Cet argument s’applique au premier mode de la nécessité, sans lequel la fin ne peut être atteinte.

2. On peut dire qu’une satisfaction est suffisante de deux façons. D’abord parfaitement, parce qu’elle compense par une équivalence absolue la faute commise. En ce sens, la satisfaction offerte par un simple homme ne pouvait pas être suffisante, parce que toute la nature humaine était désorganisée par le péché, et que le bien d’une personne, ou même de plusieurs, ne pouvait compenser d’une façon équivalente le désastre de toute une nature. En outre, le péché commis contre Dieu reçoit une certaine infinité en raison de l’infinie majesté divine ; car l’offense est d’autant plus grave que l’offensé est de plus haut rang. Ainsi fallait-il, pour une satisfaction adéquate, que l’acte de celle-ci ait une efficacité infinie, comme venant de l’homme-Dieu.

Mais on peut parler aussi d’une satisfaction qui soit suffisante, mais imparfaitement, parce qu’elle est acceptée, malgré sa faiblesse, par celui qui veut bien s’en contenter. En ce sens la satisfaction offerte par un simple homme est suffisante. Et parce que l’imparfait suppose toujours une réalité parfaite qui le fonde, il s’ensuit que la satisfaction de tout homme ordinaire tient son efficacité de la satisfaction du Christ.

3. En assumant la chair, Dieu n’a pas diminué sa majesté, ni par conséquent le motif que nous avons de le révérer. Celui-ci s’accroît dans la mesure où s’accroît la connaissance de Dieu. Or, du fait qu’il a voulu se rendre proche de nous par l’Incarnation, il nous a attirés davantage à le connaître.

 

            Article 3 — Si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait-il incarné ?

Objections :

1. Il semble que Dieu se serait incarné de toute façon, car l’effet demeure tant que demeure la cause. Mais, dit S. Augustin : " On peut penser à bien d’autres effets de l’Incarnation " en dehors de la libération du péché, dont on vient de parler. Donc, même si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait incarné.

2. Il revient à la toute-puissance divine d’accomplir parfaitement ses œuvres et de se manifester par un effet infini. Mais une simple créature ne peut être considérée comme un effet infini, puisqu’elle est finie par son essence. C’est seulement dans l’œuvre de l’Incarnation que se manifeste principalement l’effet infini de la puissance divine, puisqu’elle unit deux êtres infiniment éloignés l’un de l’autre, en tant qu’elle réalise l’hominisation de Dieu. C’est même dans cette œuvre que l’univers atteint sa perfection, puisque l’aboutissement de la création, qui est l’homme, s’unit à son premier principe, qui est Dieu. Donc, même si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait incarné.

3. Le péché n’a pas rendu la nature humaine plus capable de recevoir la grâce. Mais après le péché elle a été capable de l’union hypostatique, qui est la plus haute des grâces. Donc, si l’homme n’avait pas péché, la nature humaine aurait été capable de cette grâce. Et Dieu n’aurait pas privé la nature humaine de ce bien dont elle était capable.

4. La prédestination divine est éternelle. Mais il est dit du Christ, dans l’épître aux Romains (1, 4) : " Il a été prédestiné Fils de Dieu avec puissance. " Donc, même avant le péché, il était nécessaire que le Fils de Dieu s’incarne pour que la prédestination divine s’accomplisse.

5. Le mystère de l’Incarnation a été révélé au premier homme, comme le montre ce qu’il a dit (Gn 2, 23) : " Cette fois, c’est l’os de mes os, et la chair de ma chair ! " Et l’Apôtre déclare (Ep 5, 32) : " C’est un grand mystère, relativement au Christ et à l’Église. " Mais l’homme ne pouvait prévoir sa chute, pour le même motif qui la faisait ignorer à l’ange, comme le prouve S. Augustin. Donc, même si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait incarné.

En sens contraire, sur le texte de S. Luc (19, 10) : " Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ", S. Augustin affirme : " Donc, si l’homme n’avait pas péché, le Fils de l’homme ne serait pas venu. " Et sur cette parole (1 Tm 1, 5) : " Le Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ", la Glose affirme : " Il n’y a pas d’autre motif à la venue du Christ Seigneur que le salut des pécheurs. Supprimez la maladie, supprimez les blessures, et il n’y a pas de motif pour recourir aux remèdes. "

Réponse :

Diverses opinions ont été émises à ce sujet. Certains prétendent que, même si l’homme n’avait pas péché, le Fils de Dieu se serait incarné. D’autres soutiennent le contraire, et c’est plutôt à leur opinion qu’il faut se rallier. En effet, ce qui dépend de la seule volonté de Dieu et à quoi la créature n’a aucun droit, ne peut nous être connu que dans la mesure où c’est enseigné dans la Sainte Écriture, qui nous a fait connaître la volonté de Dieu. Aussi, puisque dans la Sainte Écriture le motif de l’Incarnation est toujours attribué au péché du premier homme, on dit avec plus de justesse que l’œuvre de l’Incarnation est ordonnée à remédier au péché, à tel point que si le péché n’avait eu lieu, il n’y aurait pas eu l’Incarnation. Cependant la puissance de Dieu ne se limite pas à cela, car il aurait pu s’incarner même en l’absence du péché.

Solutions :

1. Tous les autres motifs assignés à l’Incarnation se rattachent à la guérison du péché. Car si l’homme n’avait pas péché, il aurait été inondé par la lumière de la sagesse divine, et Dieu lui aurait donné la perfection de la justice pour tout ce qu’il avait besoin de connaître et de faire. Mais parce que l’homme, en abandonnant Dieu, s’était effondré au niveau des réalités corporelles, il convenait que Dieu, en s’incarnant, lui apporte le remède du salut par des moyens corporels. C’est pourquoi, sur la parole de Jean (1, 14) : " Le Verbe s’est fait chair ", S. Augustin affirme : " La chair t’avait aveuglé, la chair te guérit ; car le Christ est venu pour éteindre par la chair les passions de la chair. "

2. Dans le mode de production des choses à partir de rien, la puissance infinie de Dieu se manifeste déjà. En outre, il suffit à la perfection de l’univers que la créature s’oriente vers Dieu comme vers sa fin, en vertu de sa nature. Mais que la créature s’unisse à Dieu dans la personne, cela dépasse les limites de sa perfection naturelle.

3. On peut considérer une double capacité dans la nature humaine. L’une est dans l’ordre de la puissance naturelle. Celle-là est toujours comblée par Dieu, qui donne à chaque être ce que demande la capacité de sa nature. L’autre capacité se mesure à la puissance divine, à qui toute créature obéit sans hésitation. Et c’est à celle-ci que se rapporte la capacité alléguée dans l’objection. Mais Dieu ne comble pas totalement cette capacité de la nature ; autrement il faudrait dire que Dieu n’aurait pas pu faire dans sa créature autre chose que ce qu’il a fait, ce qui est faux, comme on l’a établi dans la première Partie.

Mais rien n’empêche que la nature humaine ait été élevée à un niveau supérieur après le péché ; car Dieu permet le mal pour en tirer un plus grand bien. Comme dit S. Paul (Rm 5, 20) : " Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. " Et l’on chante dans la bénédiction du cierge pascal : " Heureuse faute, qui nous valut d’avoir un si grand Rédempteur ! "

4. La prédestination suppose la prescience de l’avenir. C’est pourquoi, de même que Dieu prédestine un homme au salut pour exaucer la prière d’autres hommes, de même a-t-il prédestiné l’œuvre de l’Incarnation à guérir le péché des hommes.

5. Rien n’empêche de révéler à quelqu’un un effet dont on ne lui révèle pas la cause. Le mystère de l’Incarnation a donc pu être révélé au premier homme sans qu’il puisse prévoir sa chute : car quiconque connaît un effet ne connaît pas toujours sa cause.

 

            Article 4 — Dieu s’est-il incarné principalement pour enlever le péché originel, plutôt que le péché actuel ?

Objections :

1. Plus un péché est grave, plus il s’oppose au salut de l’homme, en vue duquel Dieu s’est incarné. Mais le péché actuel est plus grave que le péché originel, auquel est due une peine minime selon S. Augustin. L’incarnation du Christ est donc ordonnée primordialement à la destruction du péché actuel.

2. Par le péché originel l’homme est tenu à la peine du dam, et non à la peine du sens, comme on l’a établi dans la deuxième Partie. Or le Christ a satisfait en subissant la peine du sens sur la croix et non la peine du dam, car il n’a été aucunement privé de la vision et de la jouissance de Dieu. Donc il est venu pour effacer le péché actuel plus que pour effacer le péché originel.

3. Selon S. Jean Chrysostome, " tel est l’amour du serviteur fidèle que les bienfaits de son maître, accordés communément à tous, il les estime faits à lui seul (Ga 2, 20) : "Il m’a aimé, il s’est livré pour moi. " " Mais les péchés qui nous sont propres sont les péchés actuels, tandis que le péché originel est commun. Donc nous devons avoir cet amour, de penser que le Christ est venu pour expier en premier lieu nos péchés actuels.

En sens contraire, il est dit (Jn 1, 29) : " Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève le péché du monde. " Ce que Bède commente ainsi : " Ce qu’on appelle péché du monde, c’est le péché originel, qui est commun au monde entier. "

Réponse :

Il est certain que le Christ est venu en ce monde pour effacer non seulement le péché qui s’est transmis par origine à la postérité, mais encore tous les péchés qui s’y sont ajoutés par la suite. Tous, il est vrai, ne sont pas effacés, mais cela vient de la déficience des hommes qui ne s’unissent pas au Christ, selon la parole de S. Jean (3, 19) : " La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière. " Mais le Christ, lui, a offert une satisfaction suffisante pour tous les péchés, selon S. Paul (Rm 5,16) : " Il n’en va pas du don comme de la faute ; le jugement porté sur une seule faute aboutit à une condamnation ; la grâce appliquée à de nombreux péchés aboutit à la justification Il. " Mais si le Christ est venu principalement pour détruire un péché, c’est dans la mesure où ce péché est le plus important. Or quelque chose est plus important de deux façons. Ce peut être en intensité, comme on appelle plus grande la blancheur la plus intense. De ce point de vue, le péché actuel est plus grand que le péché originel, parce que la raison de volontaire s’y réalise davantage, comme nous l’avons établi dans la deuxième Partie. D’un autre point de vue, quelque chose est plus grand en extension, comme on parle d’une blancheur plus grande parce qu’elle est plus étendue. Et de cette façon le péché originel, qui atteint le genre humain tout entier, est plus grand que le péché actuel, propre à une personne individuelle. Et à cet égard, le Christ est venu principalement pour enlever le péché originel, en tant que, selon Aristote " le bien de la nation est plus divin et plus éminent que le bien d’un seul ".

Solutions :

1. Cet argument s’appuie sur l’importance intensive du péché.

2. Dans la rétribution future le péché originel ne sera pas châtié de la peine du sens ; mais les pénalités sensibles que nous souffrons en cette vie : la faim, la soif, la mort, etc. proviennent du péché originel. C’est pourquoi le Christ, afin de satisfaire pleinement pour le péché originel, a voulu souffrir la douleur sensible afin d’abolir en lui la mort et les autres pénalités.

3. Comme dit S. Jean Chrysostome au même endroit, l’Apôtre parlait ainsi " non pour diminuer les dons immenses et universels du Christ, mais afin de se désigner, lui seul, comme en bénéficiant au nom de tous. A quoi bon les attribuer aux autres, lorsque ce que tu reçois est aussi complet et parfait que si rien ne leur avait été accordé ? ". De ce que l’on doit estimer les bienfaits du Christ comme accordés à soi-même, on ne doit pas estimer qu’ils n’ont pas été accordés aux autres. C’est pourquoi il n’est pas exclu que le Christ soit venu principalement pour abolir le péché de toute l’humanité plus que celui de l’individu. Mais ce péché de nature a été guéri aussi parfaitement en chacun que s’il avait été guéri chez un seul. Aussi, à cause de l’union réalisée par la charité, tout ce qui a été prodigué à tous, chacun peut le prendre en compte pour soi-même.

 

            Article 5 — Aurait-il convenu que Dieu s’incarne dès le commencement du monde ?

Objections :

1. L’œuvre de l’Incarnation provient de l’immense amour de Dieu, selon S. Paul (Ep 2, 4) : " Dieu, dans la richesse de sa miséricorde et poussé par le grand amour dont il nous a aimés, alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a rendu la vie avec le Christ. " Mais l’amour se porte sans retard au secours de l’ami dans le besoin ; il est écrit en effet (Pr 3, 28) : " Ne dis pas à ton ami : "Va-t’en, repasse, je te donnerai demain", quand tu peux donner sur l’heure. " Il semble donc que Dieu ne devait pas retarder l’œuvre de l’Incarnation, mais venir dès le début au secours du genre humain par l’Incarnation.

2. S. Paul écrit (1 Tm 1, 15) : " Le Christ est venu en ce monde sauver les pécheurs. " Mais ils auraient été sauvés en plus grand nombre si Dieu s’était incarné dès le début du genre humain ; car le plus grand nombre au cours des siècles, dans leur ignorance de Dieu, se sont perdus par leur péché.

3. L’œuvre de la grâce n’est pas moins organisée que l’œuvre de la nature. Or " la nature débute par ce qui est parfait ", dit Boèce Donc l’œuvre de la grâce aurait dû être parfaite dès le début. Mais c’est dans l’Incarnation que l’on découvre la perfection de la grâce, selon cette parole : " Le Verbe s’est fait chair ", à laquelle fait suite : " plein de grâce et de vérité " (Jn 1, 14). Donc le Christ aurait dû s’incarner au début du genre humain.

En sens contraire, S. Paul écrit (Ga 4, 4) : " Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme. " Et la Glose nous dit que " la plénitude des temps désigne le temps fixé par Dieu pour envoyer son Fils ". Or Dieu a tout fixé dans sa sagesse. C’est donc au temps le plus opportun qu’il s’est incarné. Et ainsi ne convenait-il pas qu’il se soit incarné au commencement du monde.

Réponse :

Puisque l’œuvre de l’Incarnation est ordonnée de façon primordiale à la restauration de la nature humaine par l’abolition du péché, il est évident que l’Incarnation de Dieu dès le commencement du genre humain, avant le péché, n’aurait pas eu de motif, car on ne donne de remède qu’à celui qui est déjà malade, selon cette parole du Seigneur (Mt 9, 12) : " Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. "

Mais il ne convenait pas non plus que Dieu s’incarne aussitôt après le péché. 1° A cause de la condition du péché de l’homme, fruit de l’orgueil : il fallait que l’homme soit libéré après s’être humilié pour reconnaître son besoin d’un libérateur. C’est pourquoi, sur cette parole (Ga 3, 19). " La loi a été établie par le ministère des anges et l’intervention d’un médiateur ", la Glose explique : " C’est par une haute prudence qu’après la chute de l’homme, le Fils de Dieu n’a pas été envoyé aussitôt. En effet, Dieu a d’abord laissé l’homme à son libre arbitre, afin de lui faire connaître ainsi les forces de sa nature. Puis, à cause de son incapacité, l’homme reçut la loi.

Ensuite sa maladie s’aggrava, non par la faute de la loi, mais par celle de sa nature viciée ; ainsi, connaissant sa faiblesse, il appellerait le médecin et rechercherait le secours de la grâce. " 2° La progression dans le bien fait passer de l’imparfait au parfait, selon S. Paul (1 Co 15, 46) : " Ce n’est pas l’être spirituel qui paraît d’abord, c’est l’être naturel ; le spirituel ne vient qu’ensuite. Le premier homme, qui vient de la terre, est terrestre, le second homme, qui vient du ciel, est céleste. "

3° Ce délai convenait à la dignité du Verbe incarné car, à propos du texte des Galates. " Quand vint la plénitude des temps ", la Glose explique : " Plus le juge à venir était éminent, plus devait être longue la suite des hérauts qui l’annonçaient. "

4° Il ne fallait pas que la ferveur de la foi s’attiédisse au cours d’une trop longue durée. Car il est écrit (Mt 24, 12) : " La charité de beaucoup se refroidira ", et (Lc 18, 8) : " Quand le Fils de l’homme viendra, croyez-vous qu’il trouvera encore la foi sur la terre ? "

Solutions :

1. Sans doute, la charité n’attend pas pour venir en aide à un ami, mais elle tient compte de l’opportunité des circonstances et de la condition des personnes. Car si un médecin donnait tel remède au malade dès le début de la maladie, ce serait peu efficace et peut-être même plus nocif qu’utile. C’est pourquoi Dieu n’a pas proposé dès le début le remède de l’Incarnation, pour éviter que l’homme ne le méprise par orgueil, s’il n’avait pas commencé par prendre conscience de sa faiblesse.

2. S. Augustin répond à cette objection en disant : " Le Christ a voulu apparaître aux hommes et leur prêcher sa doctrine dans le temps et le lieu où il savait rencontrer ceux qui croiraient en lui. Il prévoyait en effet que de tels hommes - non pas tous, mais beaucoup - en sa présence et malgré sa résurrection d’entre les morts, ne voudraient pas croire en lui. "

Mais le même S. Augustin rejette ailleurs cette réponse et déclare : " Pouvons-nous dire que les habitants de Tyr et de Sidon n’auraient pas voulu croire si de tels miracles avaient été accomplis parmi eux, alors que Dieu lui-même affirme qu’ils se seraient grandement repentis et humiliés ? " Ensuite, il ajoute : " Comme dit S. Paul (Rm 9, 16) : "Il n’est pas question de l’homme qui veut et qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. " Dieu prévoit en effet quels sont ceux qui croiraient à ses miracles s’ils en étaient témoins ; il vient en aide aux uns parce qu’il le veut ; il ne vient pas en aide aux autres parce que dans sa prédestination, cachée mais juste, il en a jugé autrement. Croyons donc sans hésiter à sa miséricorde envers ceux qu’il sauve, et à sa justice envers ceux qu’il punit. "

3. Le parfait précède l’imparfait : c’est vrai lorsqu’il s’agit de réalités diverses par leur époque et leur nature ; l’être imparfait suppose l’être parfait pour que celui-ci le mène à son achèvement. Mais dans une seule et même réalité, l’imparfait, bien que postérieur en nature, est antérieur temporellement. Ainsi, par rapport à l’imperfection de la nature humaine, la perfection éternelle de Dieu est antérieure en durée, mais l’achèvement de cette même nature par l’union à Dieu est postérieure.

 

            Article 6 — L’Incarnation aurait-elle dû être retardée jusqu’à la fin du monde ?

Objections :

1. On dit dans le Psaume (92, 11 Vg) : " Ma vieillesse connaîtra une abondante miséricorde ", c’est-à-dire, d’après la Glose, " à la fin des temps ". Mais le temps de l’Incarnation est au plus haut point le temps de la miséricorde, selon le Psaume (102, 14) : " Car le temps est venu de prendre Sion en pitié. " Donc, l’Incarnation aurait dû être retardée jusqu’à la fin du monde.

2. Dans la même réalité, nous venons de le voir, le parfait est postérieur temporellement à l’imparfait. Donc, le plus haut degré de perfection doit occuper la dernière place dans le temps. Or la perfection suprême de la nature humaine est dans son union au Verbe. Car, selon S. Paul (Col 1, 19) : " Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la plénitude de la divinité. " Donc l’Incarnation aurait dû être retardée jusqu’à la fin du monde.

3. Il ne convient pas de réaliser par deux moyens ce qui peut l’être par un seul. Mais un seul avènement du Christ pouvait suffire à sauver la nature humaine, celui qui se produira à la fin du monde. Il ne fallait donc pas qu’il viennent auparavant par l’Incarnation, qui aurait donc dû être retardée jusqu’à la fin du monde.

En sens contraire, il est écrit dans Habacuc (3, 2 Vg) : " Tu te révéleras au milieu des années. " Le mystère de l’Incarnation, qui devait révéler le Christ au monde ne devait donc pas être retardé jusqu’à la fin du monde.

Réponse :

Comme il ne convenait pas que l’Incarnation se produise dès le commencement du monde, de même ne convenait-il pas qu’elle soit retardée jusqu’à la fin du monde.

1° Cela se voit quand on considère l’union de la nature divine et de la nature humaine. Nous avons déjà dit qu’en un sens l’imparfait précède temporellement le parfait, et en autre sens le suit : dans une réalité qui progresse, l’imparfait précède le parfait ; dans une réalité qui est cause de progrès, le parfait au contraire précède l’imparfait. En effet, dans l’Incarnation la nature humaine est portée au degré suprême d’excellence ; c’est pourquoi il ne convenait pas que l’Incarnation se produise dès le commencement du genre humain. Mais d’autre part, le Verbe incarné est cause efficiente de perfection humaine, puisque " nous avons tous reçu de sa plénitude " (Jn 1, 16). Et c’est pourquoi l’Incarnation ne devait pas être retardée jusqu’à la fin du monde. Ce qui se produira alors, ce sera la consommation de la gloire à laquelle le Verbe incarné doit conduire la nature humaines.

2° Cela se déduit aussi de l’effet produit par le salut de l’homme. Selon un Père de l’Église : " Il est au pouvoir du donateur de faire miséricorde à l’époque et dans la mesure où il lui plaît. Donc le Christ est venu quand il a su qu’il devait nous secourir et que son bienfait serait bien accueilli. En effet, lorsque, par une certaine langueur du genre humain, la connaissance de Dieu commençait à s’effacer et les mœurs à se dégrader, Dieu daigna élire Abraham pour rénover en lui la connaissance de Dieu et la conscience morale. Puis, comme le respect avait encore diminué, Dieu donna par Moïse le texte de la loi. Parce que les païens le méprisèrent et refusèrent de s’y soumettre, et parce que ceux qui l’avaient reçu ne l’observèrent pas, le Seigneur, mû par sa miséricorde, envoya son Fils pour que celui-ci, après avoir donné à tous la rémission de leurs péchés, puisse offrir à Dieu le Père les hommes justifiés. " Mais si ce remède avait été retardé jusqu’à la fin du monde, la connaissance et le culte de Dieu, comme l’honnêteté des mœurs, auraient totalement disparu sur la terre.

3° Ce retard n’était pas compatible avec la manifestation de la puissance divine, qui sauve l’homme de multiples façons : non seulement par la foi au Christ à venir, mais encore par la foi au Christ présent, et au Christ déjà venu.

Solutions :

1. La miséricorde dont la Glose parle là, c’est la miséricorde de Dieu conduisant à la gloire. Si cependant on veut la rapporter à la miséricorde manifestée au genre humain par l’Incarnation, il faut savoir que, selon S. Augustin, le temps de l’Incarnation peut se comparer à la jeunesse du genre humain " à cause de la vigueur et de la ferveur de la foi, qui agit par la charité " ; à sa vieillesse aussi, " car le Christ est venu au sixième âge ". Et bien que " dans le corps la jeunesse et la vieillesse ne puissent être simultanées, elles peuvent pourtant cœxister dans l’âme : la jeunesse par son élan, la vieillesse par sa dignité ". C’est pourquoi S. Augustin affirme ailleurs : " Le Maître divin ne pouvait venir que dans la jeunesse de l’humanité pour l’élever par son exemple à la plus haute perfection morale. " Et ailleurs il dit qu’il est venu au sixième âge du genre humain, qui est la vieillesse.

2. Il ne s’agit pas seulement de considérer l’Incarnation comme terme du progrès de l’humanité, mais aussi comme principe de perfection dans notre nature humaine, nous venons de le dire.

3. Sur la parole de Jean (3, 17) : " Dieu n’a pas envoyé son Fils pour qu’il juge le monde ", Chrysostome déclare. " Il y a deux avènements du Christ : le premier pour qu’il remette les péchés, le second pour qu’il juge le monde. S’il n’avait pas fait cela, tous les hommes auraient été perdus ensemble, car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. " Il est donc évident que l’avènement de la miséricorde ne devait pas être retardé jusqu’à la fin du monde.

I1 faut étudier maintenant la manière dont le Verbe s’est incarné : l° La nature de cette union (Q. 2). - 2° Cette union quant à la personne qui assume (Q. 3). - 3° Quant à la nature assumée (Q. 4).

 

 

QUESTION 2 — LE MODE D’UNION DU VERBE INCARNÉ

1. L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans la nature ? - 2. S’est-elle faite dans la personne ? - 3. S’est-elle faite dans le suppôt ou hypostase ? - 4. La personne ou hypostase du Christ après l’Incarnation, est-elle composée ? - 5. S’est-il produit une union entre l’âme et le corps dans le Christ ? - 6. La nature humaine s’est-elle unie au Verbe de façon accidentelle ? - 7. Cette union elle-même est-elle quelque chose de créé ? - 8. Est-elle identique à l’assomption ? - 9. Est-elle la plus parfaite de toutes les unions ? - 10. L’union des deux natures dans le Christ a-t-elle été réalisée par la grâce ? - 11. A-t-elle été précédée par des mérites ? - 12. La grâce d’union fut-elle naturelle au Christ en tant qu’homme ?

 

            Article 1 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans la nature ?

Objections :

1. S. Cyrille a dit, ce qui figure dans les actes du concile de Chalcédoine : " On ne doit pas concevoir deux natures du Verbe de Dieu incarné, mais une seule. " Ce qui ne serait pas si l’union n’avait pas réalisé une seule nature.

2. S. Athanase dit, dans son Symbole : " De même que l’âme rationnelle et la chair, par leur union, forment une seule nature humaine, de même Dieu et l’homme, par leur union, forment une seule nature. " Donc l’union s’est faite dans la nature.

3. Une nature ne peut tirer sa dénomination d’une autre si elles ne sont de quelque manière changées l’une en l’autre. Mais dans le Christ la nature divine et la nature humaine sont dénommées l’une par l’autre. En effet, S. Cyrille dit que la nature divine " s’est incarnée " et S. Grégoire de Nazianze que la nature humaine " a été déifiée ", comme le montre le Damascène. Il apparent donc que ces deux natures en ont fait une seule.

En sens contraire, il y a la définition du concile de Chalcédoine : " Nous confessons la venue à la fin des temps du Fils de Dieu, unique engendré, que nous devons reconnaître en deux natures sans mélange, sans changement, sans division ni séparation, sans que l’union ait supprimé la différence de natures. " Donc l’union ne s’est pas faite dans la nature.

Réponse :

Pour éclairer cette question, il faut d’abord considérer ce qu’on entend par "nature". Ce mot vient du verbe latin signifiant "naître", aussi a-t-il été employé d’abord pour désigner la génération des vivants, ce qu’on appelle naissance ou propagation. Puis le mot "nature" a signifié le principe de cette génération. Et, parce que le principe de la génération chez les vivants leur est intrinsèque, le mot "nature" en est venu à désigner tout principe intérieur de mouvement. C’est en ce sens qu’Aristote donne cette définition : "La nature est principe du mouvement dans l’être où ce mouvement existe par soi et non par accident."

Or ce principe est soit la forme, soit la matière ; le mot "nature" signifiera donc tantôt l’une et tantôt l’autre. Et parce que la fin de la génération est, dans l’être engendré, l’essence de l’espèce, que signifie la définition, il s’ensuit que l’essence de l’espèce, elle aussi, est appelée "nature". C’est ainsi que Boèce définit la nature : "La différence spécifique informant un être", c’est-à-dire qui achève la définition de l’espèce. C’est donc ainsi que nous parlons de la nature, selon qu’elle signifie l’essence, ou la quiddité de l’espèce.

Or, selon cette acception du mot "nature", il est impossible que l’union du Verbe incarné se soit faite dans la nature. Car c’est de trois façons qu’une seule réalité peut être faite de deux autres ou de davantage.

1. Elle est faite de deux réalités parfaites qui demeurent dans leur intégrité. Cela ne peut se produire autrement que par des réalités ayant pour forme la juxtaposition, l’ordre ou la figure.

Ainsi, avec beaucoup de pierres rassemblées sans ordre, simplement mises ensemble, on a un tas. Avec des pierres et des poutres disposées selon un certain ordre, de façon à présenter une certaine figure, on a une maison. Et certains ont prétendu que l’union était réalisée ainsi, par confusion, c’est-à-dire sans ordre ; ou bien par proportion, c’est-à-dire avec ordre.

Mais cela est impossible. 1° Parce que ni la juxtaposition, ni l’ordre, ni la figure n’est une forme substantielle, mais accidentelle. Il s’ensuivrait donc que l’union de l’Incarnation n’existerait pas par soi mais par accident, ce que nous repoussons plus loin - 2° Parce que l’unité ainsi réalisée ne serait pas absolue, mais sous un certain point de vue : en fait, il demeurerait plusieurs réalités. - 3° Parce que les formes de ce genre ne viennent pas de la nature, mais de l’art, comme la forme de la maison. Et ainsi, on n’aboutit pas à une seule nature dans le Christ, comme le veulent justement les partisans de cette opinion.

2. Selon une autre explication, une réalité peut être constituée de deux autres, parfaites en elles-mêmes, mais transformées par leur union, comme il arrive lorsque plusieurs éléments se mélangent. Et ainsi, pour certains, l’union de l’Incarnation se serait faite à la manière d’une combinaison.

Mais cela est impossible. 1° Parce que la nature divine est absolument immuable, nous l’avons dit dans la première Partie. Ainsi, ni elle-même ne peut être convertie en autre chose, puisqu’elle est incorruptible, ni autre chose ne peut être converti en elle, puisqu’elle-même ne peut être engendrée. - 2° Parce que le mélange n’est pas de même espèce que ses composants, car la chair diffère spécifiquement de chacun de ses éléments. Le Christ ne serait donc pas de la même nature que son Père, ni de la même nature humaine que sa mère. - 3° Parce qu’on ne peut pas constituer un mélange avec des éléments trop éloignés les uns des autres, car alors l’un des deux voit son espèce disparaître, comme la goutte d’eau mise dans une amphore de vin. Et ainsi, puisque la nature divine dépasse à l’infini la nature humaine, il n’y aura pas mélange : seule demeurera la nature divine.

3. La troisième manière envisage des réalités qui ne sont ni changées, ni mélangées, mais imparfaites, comme l’âme et le corps qui constituent l’homme, et de même ses divers membres. Mais on ne peut attribuer cela au mystère de l’Incarnation. - 1° En effet, les deux natures, divine et humaine, sont parfaites chacune en son genre. - 2° Elles ne peuvent être unies comme des parties quantitatives, ainsi que le sont les membres du corps, car la nature divine est incorporelle. Ni comme forme et matière, surtout corporelle. En outre, il s’ensuivrait une espèce nouvelle, communicable à plusieurs, et ainsi il y aurait plusieurs Christs. -3° Le Christ n’appartiendrait ni à la nature humaine, ni à la nature divine ; car une différence ajoutée fait changer l’espèce, comme l’unité dans les nombres selon Aristote.

Solutions :

1. L’affirmation de S. Cyrille est ainsi expliquée par le Ve Concile œcuménique : " Si quelqu’un, reconnaissant une seule nature incarnée du Verbe de Dieu, ne l’entend pas selon l’enseignement des Pères, en ce sens que, de la nature divine et de la nature humaine, l’union selon l’hypostase étant réalisée, il est résulté un Christ, qu’il soit anathème. " Il ne s’agit donc pas, sur l’autorité de S. Cyrille, de reconnaître dans l’Incarnation une nature composée de deux autres, mais d’admettre que l’unique nature du Verbe de Dieu s’est unie une chair dans la personne.

2. L’âme et le corps constituent en chacun de nous une double unité : de nature et de personne.

De nature en tant que l’âme s’unit au corps comme une forme qui lui donne son achèvement, et les deux constituent une nature unique, car ils sont l’un pour l’autre comme l’acte et la puissance, ou comme la forme et la matière. Ce n’est pas de ce point de vue que l’on peut trouver une ressemblance avec l’Incarnation, car la nature divine ne peut être la forme d’un corps, comme nous l’avons prouvé dans la première Partie. Mais il y a aussi en nous unité de personne en tant qu’un seul individu subsiste dans la chair et l’âme. Et sous ce rapport on peut trouver une ressemblance avec l’Incarnation car un seul Christ subsiste dans la nature divine et la nature humaine.

3. Selon le Damascène, on peut dire que la nature divine est incarnée en ce sens qu’elle est unie personnellement à la chair, non en ce sens qu’elle se serait convertie en elle. On peut dire également que la chair est déifiée, non par conversion, mais par son union au Verbe, ses propriétés naturelles étant sauves ; en d’autres termes, la chair est déifiée non parce qu’elle serait devenue Dieu, mais parce qu’elle est devenue la chair du Verbe de Dieu.

 

            Article 2 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans la personne ?

Objections :

1. La personne de Dieu ne diffère pas de sa nature, comme on l’a établi dans la première Partie. Donc si l’union ne s’est pas faite dans la nature, il s’ensuit qu’elle ne s’est pas faite dans la personne.

2. La nature humaine n’est pas d’une moindre dignité chez le Christ que chez nous. Or la personnalité est un élément de la dignité, on l’a montré dans la première Partie. Donc, puisque la nature humaine a en nous une personnalité propre, à bien plus forte raison en a-t-elle une chez le Christ.

3. Selon Boèce, " la personne est la substance individuelle d’une nature rationnelle ". Mais le Verbe de Dieu a pris une nature humaine individuelle car, remarque S. Jean Damascène " la nature universelle n’existe pas réellement, mais seulement dans la pure contemplation de l’intelligence ". La nature humaine du Christ a donc sa personnalité propre, et donc l’union n’a pu se faire dans la personne.

En sens contraire, on lit dans les Actes du concile de Chalcédoine : " Nous confessons un seul et même Fils unique, Dieu le Verbe, notre Seigneur Jésus Christ, qui n’est ni partagé ni divisé en deux personnes. " Donc l’union du Verbe s’est faite dans la personne.

Réponse :

Le mot "personne" signifie autre chose que le mot nature. Car la nature, on vient de le dire, signifie "l’essence qui spécifie un être et qui est désignée par la définition". Et si rien d’autre de ce qui constitue la raison de l’espèce ne venait s’adjoindre, il ne serait pas nécessaire de distinguer la nature de son suppôt, qui est l’individu subsistant dans cette nature, car tout individu subsistant dans une nature quelconque serait absolument identique à celle-ci. Mais il arrive que, dans certaines réalités subsistantes, on trouve des éléments qui n’appartiennent pas à l’essence, comme les accidents et les principes individuants ; et cela apparaît surtout dans les êtres composés de matière et de forme. Dans ces réalités, par conséquent, la nature et le suppôt diffèrent réellement, non pas sans doute comme des éléments complètement séparés, mais parce que le suppôt renferme, outre la nature, certains autres éléments qui n’appartiennent pas à la raison de l’espèce. Aussi le suppôt apparaît-il comme un tout dont la nature est la partie formelle et perfective. Et de là vient que dans les composés de matière et de forme, on n’identifie pas la nature au suppôt ; on ne dit pas en effet que cet homme est son humanité. S’il se trouve au contraire une réalité en laquelle il n’y a rien que son essence ou sa nature, comme il arrive pour Dieu, nous n’aurons pas dans ce cas de distinction réelle entre suppôt et nature, mais seulement une distinction purement conceptuelle ; cette réalité sera dite "nature" parce quelle représente une certaine essence ; elle sera dite "suppôt" parce qu’elle est une nature subsistante. Ce que nous disons du suppôt, il faut l’entendre aussi à propos de la créature rationnelle ou intellectuelle, de la personne ; car la personne n’est pas autre chose, selon Boèce, que la substance individuelle d’une nature rationnelle.

Tout ce qui appartient à un être personnel, que cela appartienne en propre à sa nature ou non, lui est donc uni dans la personne. Donc, si la nature humaine n’est pas unie dans la personne au Verbe de Dieu, elle ne lui est unie d’aucune façon. Et du coup disparaît entièrement notre foi à l’Incarnation, et toute la foi chrétienne est ruinée. Donc, puisque le Verbe possède une nature humaine qui lui est unie, nature qui n’appartient pas à sa nature divine, il s’ensuit que l’union se fait dans la personne du Verbe et non dans sa nature.

Solutions :

1. En Dieu, nature et personne sont réellement identiques, mais n’ont pas la même signification, parce que le mot "personne", appliqué à Dieu, le désigne comme un être subsistant. Puisque l’union de la nature humaine au Verbe fait que le Verbe subsiste en elle sans aucune addition ni transformation pour la nature divine, c’est donc bien que cette union se fait dans la personne et non dans la nature.

2. La personnalité est requise à la dignité et à la perfection d’un être dans la mesure où cette dignité et cette perfection exigent qu’il existe par soi, car c’est cela que signifie le mot " personne ". Mais il est plus noble pour un être d’exister dans un autre plus parfait que d’exister par soi. Et c’est pourquoi la nature humaine a plus de grandeur dans le Christ qu’en nous ; car en nous, ayant une existence propre, elle possède aussi sa propre personnalité, tandis que dans le Christ elle existe dans la personne du Verbe. Ainsi, il appartient à la dignité de la forme de constituer l’espèce ; pourtant l’élément sensitif qui, chez l’animal, représente une forme complète et capable de constituer une espèce, est moins noble que chez l’homme où il se trouve uni à une forme qui l’achève.

3. "Le Verbe de Dieu, dit Jean Damascène, n’a pas pris une nature humaine universelle, mais individuelle." Autrement, il faudrait admettre qu’il convient à tout homme, aussi bien qu’au Christ, d’être le Verbe de Dieu. Mais il faut savoir que tout ce qui, dans le genre substance, est individuel, même s’il s’agit d’une nature rationnelle, ne constitue pas nécessairement une personne ; il faut pour cela qu’il existe par soi et non dans un être supérieur. La main de Socrate est quelque chose d’individuel ; elle n’est pas une personne, car elle n’existe pas par soi, mais dans un tout plus parfait. C’est ce que l’on veut dire lorsque l’on définit la personne une substance individuelle, car la main n’est pas une substance complète, mais une partie de la substance. Et donc, bien que la nature humaine soit individuelle et appartienne au genre substance, cependant, parce qu’elle n’existe pas par soi et séparément, mais dans un être plus parfait qui est la personne du Verbe de Dieu, il s’ensuit qu’elle n’a pas de personnalité propre. C’est pourquoi l’union se fait dans la personne.

 

            Article 3 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans le suppôt ou hypostase ?

Objections :

1. S. Augustin écrit : "La substance divine et la substance humaine ne constituent l’une et l’autre qu’un seul Fils de Dieu, mais représentent autre chose par rapport au Verbe, et autre chose par rapport à l’homme." Et S. Léon, pape, écrit : "L’un des deux brille par les miracles, l’autre succombe aux coups." Or ce qui est autre diffère par le suppôt. L’union du Verbe incarné ne s’est donc pas faite dans le suppôt.

2. L’hypostase, dit Boèce, n’est rien d’autre qu’une substance particulière. Mais il est manifeste que dans le Christ, en plus de l’hypostase du Verbe, il y a d’autres substances particulières, telles que le corps et l’âme et leur composé. Donc il y a en lui une autre hypostase à côté de celle du Verbe.

3. L’hypostase du Verbe n’est renfermée ni dans un genre ni dans une espèce, comme on l’a vu dans la première Partie. Et pourtant le Christ, en tant qu’homme, appartient à l’espèce humaine, car Denys affirme : "Celui qui par sa nature surpasse suréminemment tout l’ordre de la nature, s’est enfermé lui-même dans notre nature." Or, pour appartenir à l’espèce humaine, il faut être une hypostase de cette espèce. Il y a donc dans le Christ une autre hypostase que celle du Verbe de Dieu.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit : " Nous reconnaissons dans le Seigneur Jésus Christ deux natures en une seule hypostase. "

Réponse :

Certains, ignorant le rapport de l’hypostase à la personne, tout en reconnaissant dans le Christ une seule personne, ont prétendu qu’il s’y trouvait l’hypostase de Dieu et celle de l’homme, comme si l’union s’était faite dans la personne et non dans l’hypostase. Une telle conception est erronée pour trois motifs.

1. Parce que "personne" n’ajoute rien à "hypostase", sinon une nature déterminée, c’est-à-dire douée de raison, selon la définition de Boèce : "La personne est la substance individuelle d’une nature rationnelle." Et c’est pourquoi cela revient au même d’attribuer à la nature humaine du Christ une hypostase qui lui serait propre, et de lui attribuer une personne propre. C’est ce que les Pères du Ve concile œcuménique célébré à Constantinople ont compris lorsqu’ils ont porté cette condamnation : "Si quelqu’un essaie d’introduire dans le mystère du Christ deux subsistances ou deux personnes, qu’il soit anathème : car, même par l’incarnation de l’un (des trois) de la sainte Trinité divine, le Dieu Verbe, cette sainte Trinité n’a subi aucune adjonction de personne ou de subsistance." Or "subsistance" signifie ici réalité subsistante ; et c’est le propre de l’hypostase d’être telle, comme le montre Boèce.

2. A supposer que la personne ajoute à l’hypostase quelque chose en quoi l’union pourrait se faire, ce ne pourrait être autre chose qu’un certain caractère de dignité, et c’est en ce sens que l’on définit parfois la personne : "Une hypostase dont le caractère distinctif est la dignité." Donc, si l’union s’est faite dans la personne et non dans l’hypostase, il s’ensuit qu’il faut la concevoir comme se réalisant du point de vue de la dignité. Et c’est précisément ce que Cyrille d’Alexandrie, approuvé par le concile d’Éphèse, condamne en ces termes : "Si quelqu’un, dans le Christ un, divise les hypostases après l’union, les associant par une simple association de dignité ou d’autorité ou de puissance, au lieu d’admettre entre elles une union naturelle, qu’il soit anathème."

3. C’est à l’hypostase que sont attribuées les opérations et les propriétés de la nature et tout ce qui, dans le concret, relève de la nature elle-même. On dit en effet de "cet homme" qu’il raisonne, qu’il possède la faculté de rire, qu’il est animal raisonnable. Et pour cette raison on lui donne le nom de suppôt, car il est sous-jacent à tout ce qui appartient à l’homme et il en reçoit l’attribution. Si donc, dans le Christ, il y avait une autre hypostase que celle du Verbe, il faudrait en conclure que ce qui se vérifie en lui au sujet de l’homme n’appartient pas au Verbe, mais à un autre sujet, comme par exemple qu’il est né de la Vierge, qu’il a souffert, qu’il a été crucifié et enseveli. Doctrine condamnée encore avec l’approbation du concile d’Éphèse, par ces paroles : "Si quelqu’un distribue entre deux personnes ou subsistances les expressions employées au sujet du Christ dans les écrits évangéliques et apostoliques, par les saints Pères ou par le Christ lui-même, et attribue les unes à l’homme considéré à part du Verbe de Dieu le Père, et les autres au seul Verbe de Dieu le Père, qu’il soit anathème."

C’est donc manifestement une hérésie, condamnée jadis par l’Église, de soutenir que, dans le Christ, il y a deux hypostases ou deux suppôts, c’est-à-dire que l’union ne se fait ni dans l’hypostase, ni dans le suppôt. Aussi lit-on dans le même concile : "Si quelqu’un ne confesse pas que le Verbe de Dieu le Père est uni à la chair selon l’hypostase, et ne fait qu’un seul Christ avec sa propre chair, c’est-à-dire que le même est Dieu et homme tout ensemble, qu’il soit anathème."

Solutions :

1. La différence accidentelle rend une réalité "autre" qualitativement ; la différence essentielle la rend autre substantiellement, elle en fait "autre chose". Or, il est bien certain que, dans l’ordre des choses créées, plusieurs différences accidentelles peuvent se trouver réunies dans la même hypostase et le même suppôt ; il suffit pour cela qu’il y ait plusieurs accidents dans un seul et même sujet ; mais ce que l’on ne rencontre pas, c’est un même sujet subsistant en diverses essences ou natures substantielles. Dans le cas du Christ, au contraire, un seul et même sujet subsiste en deux natures. Dès lors si l’on dit à propos d’une créature : autre et autre est cette réalité, on signifiera par là non pas la diversité de suppôt, mais la diversité des formes accidentelles. De même, si l’on dit du Christ qu’il est autre chose et autre chose, cela n’impliquera pas une diversité de suppôt ou d’hypostase, mais seulement une diversité dans les natures. Aussi S. Grégoire de Nazianze écrit-il : "Autre chose et autre chose sont les éléments dont est constitué le Sauveur, mais lui n’est pas un autre et un autre. je dis autre chose et autre chose, contrairement à ce qui existe dans la Trinité ; car là il y a un autre et un autre, pour que nous ne confondions pas les hypostases, mais non pas autre chose et autre chose."

2. L’hypostase signifie une substance particulière non pas quelconque, mais achevée et complète. Une substance particulière qui entre en union avec une autre plus complète, comme il arrive pour la main et le pied, n’est pas une hypostase. Ainsi, la nature humaine du Christ est une substance particulière, mais parce qu’elle est unie à ce tout achevé qu’est le Christ, Dieu et homme, elle ne saurait être appelée hypostase ou suppôt ; c’est cet être complet dont elle fait partie qui est hypostase ou suppôt.

3. Déjà, dans l’ordre des choses créées, une réalité individuelle n’appartient pas à un genre ou à une espèce en raison de son individuation, mais en raison de sa nature, que la forme détermine ; car l’individuation se fait plutôt par la matière dans les êtres composés. De même le Christ appartient à l’espèce humaine en raison de la nature qu’il s’est unie, et non en raison de l’hypostase par laquelle cette nature subsiste.

 

            Article 4 — La personne ou hypostase du Christ, après l’Incarnation, est-elle composée ?

Objections :

1. La personne du Christ n’est autre que la personne ou hypostase du Verbe, on l’a montré. Mais la personne du Verbe est identique à sa nature, comme on l’a établi dans la première Partie. Et puisque la nature du Verbe est simple, comme on l’a montré dans la première Partie, il est impossible que la personne du Christ soit composée.

2. Toute composition apparaît constituée de parties. Mais la nature divine ne peut être partie d’un tout, car toute partie implique imperfection. Il est donc impossible que la personne du Christ soit composée de deux natures.

3. Le composé semble devoir être homogène à ses parties ; si par exemple les parties sont corporelles, le tout lui aussi sera corporel. Donc, si dans le Christ il y a un composé de deux natures, il s’ensuivra que ce composé ne sera pas une personne, mais une nature. L’union dans le Christ se fera donc dans la nature, contrairement à tout ce qu’on vient de dire.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit " Dans le Seigneur Jésus Christ nous reconnaissons deux natures, mais une seule hypostase, composée de l’une et de l’autre. "

Réponse :

La personne ou hypostase du Christ peut être considérée à un double point de vue. En elle-même d’abord, et sous ce rapport elle est tout ce qu’il y a de plus simple, comme la nature du Verbe. Puis, en tant qu’elle est une personne ou hypostase à qui il revient de subsister dans une nature ; à ce point de vue, la personne du Christ subsiste en deux natures. Sans doute, il n’y a qu’un seul être subsistant, mais il y a deux motifs de subsister. Et en envisageant cet être unique subsistant en deux natures, on peut dire que la personne est composée.

Solutions :

1. Celle-ci ressort de ce qu’on vient de dire.

2. Nous disons que la personne est composée de deux natures, non en raison des parties qu’elles formeraient, mais plutôt en raison de leur nombre, de même que tout être en qui se réunissent deux éléments peut être dit composé de ceux-ci.

3. Le composé n’est pas nécessairement homogène aux composants ; cela ne se produit qu’à partir du continu dont les parties sont elles-mêmes continues. Mais l’animal est composé d’un corps et d’une âme, et ni l’un ni l’autre n’est l’animal.

 

            Article 5 — S’est-il produit une union entre l’âme et le corps dans le Christ ?

Objections :

1. En nous l’union de l’âme et du corps produit la personne ou hypostase d’un homme. Donc, si l’âme et le corps sont unis dans le Christ, il s’ensuit que leur union constitue une hypostase. Or ce n’est pas l’hypostase du Verbe de Dieu, qui est éternelle. Il y aura donc dans le Christ une personne ou hypostase en plus de celle du Verbe, ce qui s’oppose à tout ce qu’on a dit.

2. L’union de l’âme et du corps constitue une nature de l’espèce humaine. Mais, d’après S. Jean Damascène, " on ne doit pas mettre dans le Seigneur Jésus Christ une espèce commune ". Il n’y a donc pas eu en lui union de l’âme et du corps.

3. L’âme n’est unie au corps que pour lui donner la vie. Mais le corps du Christ pouvait très bien être vivifié par le Verbe de Dieu, qui est source et principe de vie. Donc il n’y a pas eu dans le Christ union de l’âme et du corps.

En sens contraire, un corps ne peut être dit animé que s’il est uni à l’âme. Or le corps du Christ est qualifié ainsi selon ce que chante l’Église : " Prenant un corps animé, il daigna naître de la Vierge. " C’est donc qu’il y a eu chez le Christ union de l’âme et du corps.

Réponse :

Le Christ est appelé homme de façon univoque, dans le même sens que les autres hommes, en ce qu’il existe dans la même espèce, selon S. Paul (Ph 2, 7) : "Il est devenu semblable aux hommes." Mais il appartient à la raison de l’espèce humaine que l’âme soit unie au corps ; la forme en effet ne constitue l’espèce qu’à condition de devenir l’acte de la matière, et c’est précisément à cela que se termine la génération, en laquelle une nature tend à atteindre l’espèce. Par conséquent, il est nécessaire de dire que dans le Christ l’âme a été unie au corps ; soutenir le contraire est hérétique, car c’est nier la réalité du Christ.

Solutions :

1. Certains auteurs, voyant que l’union de l’âme et du corps, dans les hommes ordinaires, constituait une personne, ont refusé d’admettre cette union dans le Christ, pour éviter de placer en lui une nouvelle personne ou hypostase. Mais s’il en est ainsi chez les autres hommes, c’est que l’union de l’âme et du corps a pour résultat chez eux de les faire exister par eux-mêmes. Chez le Christ, au contraire, cette union aboutit à adjoindre la nature ainsi composée à une réalité supérieure qui subsistera en elle. Aussi l’union de l’âme et du corps chez le Christ ne constitue-t-elle pas une nouvelle hypostase ou personne, mais se fait au profit d’une personne ou d’une hypostase déjà préexistantes.

Il ne s’ensuit pas pour autant que l’union de l’âme et du corps ait moins d’efficacité chez le Christ que chez nous. L’adjonction d’une réalité à quelque chose de plus noble ne lui enlève pas sa puissance ou sa dignité, elle l’accroît plutôt ; c’est ainsi que l’âme sensitive qui, dans les animaux dont elle est la forme dernière, constitue l’espèce, croît encore en noblesse et en puissance chez l’homme, du fait que la perfection propre à l’âme rationnelle se trouve lui être ajoutée, comme nous l’avons dit plus haut.

2. On peut entendre la parole de S. Jean Damascène d’une double manière. Premièrement en la rapportant à la nature humaine. En ce sens, la nature humaine ne peut être une espèce commune qu’en tant qu’elle est abstraite par l’esprit de tout individu, ou en tant qu’elle se trouve chez tous les individus qui en participent. Or il est très vrai que le Fils de Dieu n’a pas pris une nature humaine existant seulement dans l’esprit, car alors il n’aurait pas assumé la réalité de la nature humaine. A moins que l’on ne tienne la nature humaine pour une idée séparée, comme les platoniciens qui posaient l’existence d’un homme sans matière. Mais alors le Fils de Dieu n’aurait pas pris chair, ce qui est opposé à sa parole dans l’Évangile (Lc 24, 39) : " Un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. " De même le Fils de Dieu n’a pas pu s’unir la nature humaine telle qu’elle se trouve dans tous les individus de l’espèce, autrement il se serait uni à tous les hommes. Il faut donc reconnaître, comme le dit un peu plus loin S. Jean Damascène, que le Christ a pris une nature humaine concrète et individuelle, mais qui ne constituait pas un individu, au sens de suppôt ou d’hypostase de cette nature, autre que la personne du Fils de Dieu.

On peut encore entendre la parole du Damascène en ce sens que l’union des deux natures divine et humaine ne produit pas une troisième nature, qui serait commune, c’est-à-dire attribuable à d’autres individus. Et c’est en effet ce que le saint Docteur a voulu dire, car il ajoute, après le texte allégué : " jamais il n’a été engendré, ni ne sera engendré un autre Christ, à partir de la divinité et de l’humanité, et subsistant en elles, qui serait à la fois parfaitement Dieu et parfaitement homme. "

3. Il y a un double principe de vie corporelle. Un principe efficient, et sous ce rapport le Verbe de Dieu est principe de toute vie. Et un principe formel ; car " vivre, pour les vivants, c’est leur être même ", dit le Philosophe. De même que tout être existe formellement par sa forme, de même le corps vit par l’âme. En ce sens, le Verbe ne peut pas faire vivre le corps, car il ne peut pas être sa forme.

 

            Article 6 — La nature humaine s’est-elle unie au Verbe de façon accidentelle ?

Objections :

1. S. Paul écrit (Ph 2, 7) au sujet du Fils de Dieu qu’il a été reconnu comme un homme à son " vêtement " (en latin : habitue).

Mais l’habitue s’ajoute à celui qui le possède comme un accident ; soit en tant qu’il est l’un des dix prédicaments ; soit en tant qu’il est une espèce de la qualité. Donc la nature humaine est unie de façon accidentelle au Fils de Dieu.

2. Tout ce qui appartient à un être déjà achevé lui est accidentel ; l’accident, c’est en effet ce qui peut être présent à un être ou lui manquer sans le détruire. Mais la nature humaine est advenue dans le temps au Fils de Dieu, qui possède toute éternité un être parfait. Cette union est donc accidentelle.

3. Tout ce qui n’appartient pas à la nature ou à l’essence d’un être en est l’accident, parce que tout ce qui est, est ou substance, ou accident. Mais la nature humaine n’appartient pas à l’essence ou à la nature divine du Fils de Dieu puisque, on l’a dit, l’union ne se fait pas dans la nature. Elle lui est donc unie accidentellement.

4. Tout instrument est employé de façon accidentelle. Or la nature humaine fut dans le Christ l’instrument de la divinité, selon S. Jean Damascène. Il semble donc qu’il n’y ait eu qu’une union accidentelle entre la nature humaine et le Fils de Dieu.

En sens contraire, l’accident ne s’attribue pas absolument comme étant quelque chose, mais par manière de quantité, de qualité ou de quelque autre mode d’être. Donc, si la nature humaine était unie accidentellement au Verbe, quand nous disons que le Christ est homme, nous ne lui attribuons pas quelque chose d’absolu, mais une qualité ou une quantité, ou quelque autre mode d’être. Or une telle manière de voir s’oppose à la décrétale du pape Alexandre III qui dit : " Puisque le Christ est Dieu parfait et homme parfait, par quelle téméraire audace certains prétendent-ils que le Christ, en tant qu’homme, n’est pas quelque chose ? "

Réponse : Pour voir clair dans cette question, il faut savoir qu’au sujet du mystère de l’union des deux natures dans le Christ, deux hérésies ont surgi. L’une aboutissait à la confusion des natures : Eutychès et Dioscore prétendirent que les deux natures n’en formaient plus qu’une seule. Ils professèrent donc que le Christ est constitué de deux natures distinctes avant leur union, mais qu’il ne subsiste pas en deux natures, la distinction de celles-ci cessant aussitôt après leur union.

L’autre hérésie fut celle de Nestorius et de Théodore de Mopsueste, qui séparaient les personnes. Ils soutenaient que la personne du Fils de Dieu était autre que celle du Fils de l’homme. A les en croire, ces deux personnes se trouvent unies - 1° par mode d’habitation, en ce sens que le Verbe de Dieu habite dans l’homme comme dans un temple ; 2° par l’unité de sentiment, en ce sens que la volonté de cet homme est toujours conforme à la volonté de Dieu ; 3° selon l’opération, car cet homme est l’instrument du Verbe de Dieu ; 4° du point de vue de la dignité et de l’honneur, car tout honneur rendu au Fils de Dieu, l’est aussi au Fils de l’homme, en vertu de son union au Fils de Dieu ; 5° du point de vue de la communication réciproque de leurs noms, en ce sens que nous appelons cet homme : Dieu et Fils de Dieu. Or, il est bien évident que toutes ces manières d’envisager l’union rendent celle-ci purement accidentelle.

Certains théologiens postérieurs, tout en croyant éviter ces hérésies, y sont tombés par ignorance. Les uns reconnurent une seule personne dans le Christ, mais y placèrent deux hypostases ou deux suppôts, affirmant qu’un homme, composé d’une âme et d’un corps, a été dès le principe de sa conception assumé par le Verbe de Dieu. C’est la première opinion citée par le Maître des Sentences. D’autres, voulant sauver l’unité de personne, ont prétendu que l’âme du Christ n’était pas unie à son corps, mais que tous les deux, pris séparément, se trouvaient unis au Verbe de façon accidentelle ; ce qui évitait d’augmenter le nombre des personnes. C’est la troisième opinion rapportée par le Maître des Sentences au même endroit.

Ces deux opinions reviennent à l’hérésie de Nestorius. La première parce que mettre deux hypostases ou deux suppôts dans le Christ équivaut à mettre en lui deux personnes, nous l’avons dit plus haut. Et si l’on insiste sur la signification spéciale du mot "personne", il faut se rappeler que Nestorius, lui aussi, entendait par unité de personne l’unité de dignité et d’honneur. D’où l’anathème porté par le cinquième concile œcuménique contre celui qui dit qu’il y a "unité de personne sous le rapport de la dignité de l’honneur et de l’adoration, comme l’ont écrit dans leur folie Théodore et Nestorius".

Quant à l’autre opinion, elle rejoint l’erreur de Nestorius qui admettait une union accidentelle. Il n’y a pas de différence entre soutenir que le Verbe de Dieu est uni au Christ homme parce qu’il habite en lui comme dans un temple, ce que disait Nestorius, et soutenir, comme la troisième opinion, que le Verbe est uni à l’homme parce qu’il s’en revêt comme d’un vêtement. Elle a même quelque chose de pire que l’erreur de Nestorius, puisque pour elle le corps et l’âme ne sont pas unis.

La foi catholique tient le juste milieu entre ces positions ; elle n’affirme pas que l’union de Dieu et de l’homme s’est faite dans l’essence et la nature, ni d’une façon accidentelle ; entre ces deux extrêmes, elle professe que l’union s’est faite selon la subsistance ou hypostase. Aussi lit-on dans les Actes du cinquième concile œcuménique : "Comme on a compris cette union de diverses manières, les sectateurs de l’impiété d’Apollinaire et d’Euchychès, partisans de la disparition de ce qui est uni", c’est-à-dire détruisant les deux natures, "parlent d’une union par confusion, et les sectateurs de Théodore et de Nestorius, favorables à la division, introduisent une union provisoire. Mais la sainte Église de Dieu, rejetant l’impiété de ces deux hérésies, confesse l’union du Verbe de Dieu à la chair par composition, c’est-à-dire selon l’hypostase".

Il est donc évident que, parmi les trois opinions rapportées par le Maître des Sentences, la deuxième, qui affirme l’unité d’hypostase entre Dieu et l’homme dans l’Incarnation, ne doit pas être regardée comme une simple opinion, mais comme l’affirmation de la foi catholique. En revanche, la première opinion qui pose deux hypostases, et la troisième qui professe une union accidentelle, ne doivent pas être tenues comme des opinions, mais comme de véritables hérésies condamnées par l’Église dans ses conciles.

Solutions :

1. Selon S. Jean Damascène " Il n’est pas nécessaire qu’une comparaison s’applique à son objet exactement et de toutes manières ; car ce qui est semblable en tout n’est plus exemplaire mais identique. Et surtout dans l’étude des réalités divines, car il est impossible de trouver un modèle semblable en tout, aussi bien en "théologie", où l’on étudie la divinité des personnes, qu’en "économie", où l’on étudie le mystère de l’Incarnation. " Donc, si l’on compare la nature humaine du Christ à un habitue au sens de vêtement, ce n’est pas quant à l’union accidentelle, mais en tant que le Verbe se rend visible par cette nature, à la manière dont un homme nous apparaît par son vêtement. Et aussi en tant que le vêtement se modifie, c’est-à-dire prend la forme de celui qui le revêt, et dont la forme n’est pas changée par le vêtement. C’est ainsi que la nature humaine reçoit une promotion, du fait de son assomption par le Verbe de Dieu, tandis que le Verbe de Dieu n’est pas changé lui-même, comme l’explique S. Augustin.

2. Ce qui advient à un être déjà achevé ne lui est accidentel qu’à la condition que cet être ne lui soit pas communiqué. Ainsi, lors de la résurrection, le corps ne sera pas réuni à l’âme déjà existante d’une façon simplement accidentelle, mais il participera à son être même, puisque le corps n’a de vie que par l’âme. Au contraire, la blancheur, advenant à un homme, lui est accidentelle car elle possède un être différent de l’être de l’homme. Or, le Verbe de Dieu possède de toute éternité un être complet sous le rapport de l’hypostase ou personne ; la nature humaine lui advient dans le temps, et se trouve unie à lui dans l’unité d’être, non pas sous le rapport de la nature, comme il arrive pour le corps uni à l’être de l’âme, mais sous le rapport de l’hypostase ou personne. Aussi faut-il reconnaître que la nature humaine n’est pas unie accidentellement au Fils de Dieu.

3. L’être se divise en substance et accident. Mais la substance possède une double signification, selon Aristote ; elle désigne soit l’essence ou nature, soit le suppôt ou hypostase. Pour qu’il n’y ait pas union accidentelle, il suffit donc que l’union se fasse sous le rapport de l’hypostase, et il n’est pas nécessaire qu’elle se produise sous le rapport de la nature.

4. Il est bien certain que tout instrument n’est pas uni dans l’être à l’hypostase de celui qui s’en sert, ainsi la hache ou le glaive. Mais rien n’empêche que ce qui se trouve élevé jusqu’à l’unité de l’hypostase se comporte à la manière d’un instrument, comme le corps de l’homme ou ses membres. Nestorius prétendait que la nature humaine est assumée par le Verbe à la manière d’un instrument qui ne participerait pas à l’unité de l’hypostase. Et c’est pourquoi il n’admettait pas que l’homme, dans le Christ, soit vraiment le Fils de Dieu, mais seulement son instrument. Aussi S. Cyrille écrit-il dans sa lettre aux moines d’Égypte : " L’Écriture ne regarde pas cet Emmanuel (entendez le Christ) comme un simple instrument, mais comme un Dieu vraiment hominisé ", c’est-à-dire devenu homme. Quant au Damascène, dans le texte allégué, c’est comme un instrument participant à l’unité de l’hypostase, qu’il considère la nature humaine dans le Christ.

 

            Article 7 — L’union de la nature divine et de la nature humaine est-elle quelque chose de créé ?

Objections :

1. Rien de créé ne peut se trouver, en Dieu, parce que tout ce qui est en Dieu est Dieu. Mais cette union est en Dieu, puisque Dieu lui-même est uni à la nature humaine. Il ne semble donc pas que cette union soit quelque chose de créé.

2. En toute chose, c’est la fin qui est le plus important. Or la fin de l’union, c’est l’hypostase ou personne divine à laquelle se termine l’union. Il semble donc que l’on doive juger de l’union surtout d’après la condition de l’hypostase divine, laquelle est incréée. Par suite, l’union elle-même ne saurait être quelque chose de créé.

3. Ce que l’on attribue à l’effet doit être à plus forte raison attribué à la cause, dit Aristote. Mais dans le Christ, l’homme est dit Créateur à cause de l’union. A plus forte raison, par conséquent, devra-t-on reconnaître que l’union elle-même n’est pas quelque chose de créé, mais le Créateur.

En sens contraire, tout ce qui a un commencement dans le temps est créé. Or cette union n’est pas éternelle, mais a commencé dans le temps. Elle est donc quelque chose de créé.

Réponse :

L’union dont nous parlons consiste en une certaine relation entre la nature divine et la nature humaine, résultat de leur conjonction en l’unique personne du Fils de Dieu. Or, nous l’avons dit dans la première Partie, toute relation entre Dieu et la créature est réelle dans la créature, parce qu’elle provient d’un changement opéré en celle-ci ; mais en Dieu elle n’est qu’une relation de raison, parce qu’elle ne suppose en lui aucun changement. Il faut donc admettre que l’union dont nous parlons n’est pas réelle en Dieu, mais seulement de raison, tandis qu’elle est réelle dans la nature humaine, puisque celle-ci est une créature. Et c’est pourquoi l’on doit dire qu’elle est quelque chose de créé.

Solutions :

1. Cette union, en Dieu, n’est pas réelle, mais seulement de raison. Car nous disons que Dieu est uni à la créature parce que dans la réalité la créature se trouve unie à Dieu, sans aucun changement en lui.

2. La nature de la relation, comme celle du mouvement, est déterminée par son terme ou sa fin ; mais son existence dépend du sujet en lequel elle se trouve. Et puisque l’union n’a d’existence réelle que dans la nature créée, il s’ensuit qu’elle possède un être créé.

3. L’homme, dans le Christ, est appelé Dieu en raison de l’union dont le terme est l’hypostase divine. Mais il ne s’ensuit pas que l’union elle-même soit le Créateur ou Dieu, car la qualification de créé se rapporte plutôt à l’existence même de la relation qu’à sa nature ou à son essence.

 

            Article 8 — L’union est-elle identique à l’assomption ?

Objections :

1. Les relations, comme les mouvements, sont spécifiées par leur terme. Mais le terme de l’assomption est le même que celui de l’union : c’est l’hypostase divine. Il ne semble donc pas qu’il y ait entre elles de différence.

2. Dans le mystère de l’Incarnation, il paraît y avoir identité entre ce qui unit et ce qui assume, entre ce qui est uni et ce qui est assumé. Mais l’union et l’assomption résultent de l’action et de la passion considérées soit dans ce qui unit et ce qui est uni, soit dans ce qui assume et ce qui est assumé. L’union semble donc identique à l’assomption.

3. S. Jean Damascène écrit : " L’union signifie seulement la conjonction, sans déterminer encore son terme. Tandis que l’hominisation et l’Incarnation déterminent le terme auquel aboutit la conjonction. Mais pareillement l’assomption ne détermine pas l’aboutissement de la conjonction. " Il paraît donc bien que l’union et l’assomption sont identiques.

En sens contraire, on dit de la nature divine qu’elle est unie, on ne dit pas qu’elle est assumée.

Réponse :

Comme nous venons de le dire, l’union implique une relation entre la nature divine et la nature humaine, selon qu’elles se rejoignent en une personne unique. Or, toute relation qui commence dans le temps provient d’un changement. Le changement comporte action et passion. Ainsi donc, la première et principale différence entre l’union et l’assomption consiste en ceci : l’union implique la relation elle-même, tandis que l’assomption implique l’action si nous parlons de celui qui assume, ou la passion si nous parlons de ce qui est assumé.

De cette première différence en dérive une deuxième. L’assomption signifie un devenir, au lieu que l’union signifie le fait accompli. Il en résulte que nous pouvons dire de celui qui réalise l’union, qu’il est uni, mais non, de celui qui assume, qu’il est assumé. En effet, la nature humaine, considérée au terme de son assomption à l’hypostase divine, possède une signification concrète, que l’on traduit en l’appelant homme ; et c’est pourquoi nous disons avec vérité que le Fils de Dieu, unissant à lui la nature humaine, est homme. Au contraire, la nature humaine, considérée en elle-même, c’est-à-dire abstraitement, est signifiée comme assumée ; or nous ne pouvons pas dire que le Fils de Dieu est la nature humaine.

Une troisième différence vient de ce que la relation, surtout la relation d’équivalence, se réfère indifféremment à l’un ou l’autre de ses termes ; l’action et la passion, au contraire, se réfèrent diversement à l’agent ou au patient, et aux différents termes. Et c’est pourquoi l’assomption suppose un point de départ et un point d’arrivée : qui dit assomption dit qu’un être est comme pris par un autre, qui l’attire à soi. Mais l’union ne précise rien de tout cela. D’où l’on peut dire indifféremment que la nature divine est unie à la nature humaine et réciproquement. Mais on ne peut pas dire que la nature divine est assumée par la nature humaine ; le contraire seul est vrai ; car la nature humaine s’est jointe à la personnalité divine de manière que la personne divine subsiste dans la nature humaine.

Solutions :

1. Comme on l’a dit au cours de l’article, l’union et l’assomption ne se réfèrent pas de la même manière à leur terme.

2. Le facteur de l’union et le facteur de l’assomption ne sont pas tout à fait identiques. Car toutes les personnes divines concourent à l’union, mais non à l’assomption. La personne du Père a uni la nature humaine au Fils et non pas à elle-même ; et c’est pourquoi on dit qu’elle unit, et non qu’elle assume, au sens de prendre pour elle-même. De même, il n’y a pas identité entre ce qui est uni et ce qui est assumé, puisque la nature divine peut être dite unie et non pas assumée.

3. L’assomption précise pour qui est faite l’union du côté de celui qui assume, puisque assumer signifie Prendre pour soi. L’Incarnation et l’humanisation précisent ce qui est assumé : la chair ou la nature humaine. L’assomption diffère donc conceptuellement et de l’union, et de l’Incarnation ou humanisation.

 

            Article 9 — L’union du Verbe incarné est-elle l’union la plus parfaite ?

Objections :

1. Ce qui est uni n’atteint pas aussi parfaitement la raison d’unité que ce qui est un, du fait qu’on est dit uni par participation, et non par essence. Or, dans les réalités créées, il n’est pas impossible de trouver un être qui soit purement et simplement un ; comme on le voit surtout avec l’unité qui est principe du nombre. L’union dont nous parlons ne possède donc pas le maximum d’unité.

2. L’union est d’autant plus faible que ses éléments sont plus éloignés l’une de l’autre. Or les éléments de l’union hypostatique, nature divine et nature humaine, sont à une distance infinie l’une de l’autre. Une telle union est donc la plus faible.

3. L’union aboutit à quelque chose d’un. Mais par l’union en nous de l’âme et du corps se trouve réalisé un être qui est un à la fois sous le rapport de la personne et de la nature ; tandis que l’union de la nature divine et de la nature humaine ne constitue un être un que sous le rapport de la personne. L’union de l’âme et du corps est donc plus étroite que celle de la nature divine et de la nature humaine.

En sens contraire, S. Augustin affirme " L’homme est plus intimement uni au Fils, que le Fils au Père. " Mais le Fils est uni au Père par l’unité de leur essence, l’homme est uni au Fils par l’union de l’Incarnation. Donc l’union de l’Incarnation est plus parfaite que l’unité de l’essence divine, laquelle pourtant réalise une souveraine unité ; et par conséquent l’union de l’Incarnation implique le maximum d’unité.

Réponse :

L’union implique la conjonction de divers éléments en une réalité unique. L’union de l’Incarnation peut donc être envisagée d’une telle manière : soit du point de vue des éléments unis, soit du point de vue de la réalité en laquelle ils sont unis. Sous ce dernier rapport, l’union de l’Incarnation l’emporte sur toutes les autres unions, car l’unité de la personne divine, en laquelle sont unies les deux natures, est la plus grande qui soit[4472]. Mais elle n’a pas la prééminence du côté des composants de l’union.

Solutions :

1. L’unité de la personne divine est plus grande que l’unité numérique, principe du nombre. Car l’unité de la personne divine est une unité subsistante, non reçue dans un autre être par participation, complète en elle-même, et possédant en soi tout ce qui relève du concept d’unité[4473]. Il ne lui appartient pas d’être partie, comme à l’unité numérique qui est partie du nombre et qui se trouve participée par les réalités sujettes au nombre. Aussi, à cet égard, l’union de l’Incarnation l’emporte sur l’unité numérique, en raison de l’unité de la personne, mais non pas en raison de la nature humaine ; car cela n’est pas l’unité de la personne divine : elle lui est seulement unie.

2. L’objection vaut du point de vue des éléments unis, non pas sous le rapport de la personne en laquelle se fait l’union.

3. L’unité de la personne divine est plus grande que l’unité de personne et de nature en nous. C’est pourquoi l’union de l’Incarnation l’emporte sur l’union de l’âme et du corps.

4. Quant à l’argument en sens contraire, opposé aux objections précédentes, il suppose faussement que l’union de l’Incarnation est plus grande que l’unité essentielle des personnes divines. Le texte de S. Augustin ne doit pas s’entendre en ce sens que la nature humaine est davantage dans le Fils de Dieu que celui-ci n’est dans le Père. Elle l’est beaucoup moins. Mais, sous un certain rapport, elle l’est davantage, en tant que l’homme est dans le Fils plus que le Fils n’est dans le Père, c’est-à-dire en tant que lorsque je dis " l’homme ", ce mot désigne le Christ aussi bien que lorsque je dis : " le Fils de Dieu ". Tandis qu’il n’y a pas identité de suppôt entre le Père et le Fils.

 

            Article 10 — L’union des deux natures dans le Christ a-t-elle été réalisée par la grâce ?

Objections :

1. La grâce est un accident, comme on l’a vu dans la deuxième Partie. Mais on a montré plus haut que l’union de la nature humaine à la nature divine ne s’est pas réalisée par accident. Il apparaît donc que l’union de l’Incarnation n’a pas été réalisée par la grâce.

2. Le siège de la grâce, c’est l’âme. Mais, dit S. Paul (Col 2, 9) : " Dans le Christ habite corporellement la plénitude de la divinité. " Il apparat donc que cette union n’a pas été réalisée par la grâce.

3. Tous les saints sont unis à Dieu par la grâce. Donc, si l’union de l’Incarnation a été réalisée par la grâce, il semble que le Christ n’est pas appelé Dieu en un autre sens que les autres saints hommes.

En sens contraire, il y a cette affirmation de S. Augustin : " Cette grâce qui fait de tout homme un chrétien dès qu’il a commencé à croire, c’est la grâce qui a fait de cet homme le Christ, dès qu’il a commencé d’être. " Mais cet homme est devenu le Christ par son union à la nature divine. Donc cette union a été réalisée par la grâce.

Réponse :

Comme nous l’avons dit dans la deuxième Partie, " grâce " se dit en deux sens. D’une part elle signifie la volonté de Dieu donnant gratuitement quelque chose ; d’autre part elle signifie le don lui-même fait gratuitement par Dieu. Or, la nature humaine a besoin de la volonté miséricordieuse de Dieu pour être élevée jusqu’à lui, car c’est au-dessus des capacités de sa nature. Et cette surélévation est double ; tantôt elle affecte l’opération par laquelle les saints connaissent et aiment Dieu ; tantôt elle affecte l’être personnel ; c’est le cas particulier du Christ, dont la nature humaine est assumée pour qu’il devienne la personne du Fils de Dieu. Il est évident que, pour parfaire l’opération, la faculté doit être elle-même surélevée par une disposition habituelle ; pour qu’une nature existe dans son suppôt, au contraire, il n’est nullement besoin d’une telle disposition.

Concluons donc : si par grâce on entend la volonté de Dieu dispensant quelque don gratuit ou accordant à quelqu’un son agrément ou sa bienveillance, il est très vrai que l’union de l’Incarnation se fait par grâce, comme l’union des saints à Dieu par la connaissance et l’amour. Mais si l’on entend par grâce le don gratuit de Dieu, alors le fait pour la nature humaine d’être unie à la personne divine peut être appelé une grâce, puisqu’il n’a été précédé d’aucun mérite ; mais on ne peut admettre qu’une telle union se soit faite par le moyen d’une grâce habituelle.

Solutions :

1. La grâce, considérée comme un accident, est une certaine ressemblance de la divinité, participée par l’homme. Mais on ne peut pas dire que, par l’Incarnation, la nature humaine participe d’une ressemblance avec la nature divine. Il faut dire qu’elle est unie à la nature divine elle-même en la personne du Fils. Or la réalité l’emporte sur la ressemblance participée de cette même réalité.

2. La grâce habituelle existe seulement dans l’âme. Mais la grâce ou le don gratuit de Dieu qui consiste à être uni à une personne divine, appartient à toute la nature humaine, composée de l’âme et du corps. Et pour cette raison il est dit que la plénitude de la divinité habite corporellement dans le Christ, parce que la nature divine est unie non seulement à l’âme, mais aussi au corps.

Cependant on pourrait dire aussi qu’elle habite dans le Christ corporellement, pour l’opposer aux sacrements de la loi ancienne, qui sont " l’ombre des réalités à venir, tandis que le corps, ou la réalité, c’est le Christ " (Col 2, 17).

Certains expliquent encore que la divinité est dite habiter corporellement dans le Christ parce qu’elle s’y trouve de trois manières, de même que le corps a trois dimensions. Elle s’y trouve en effet d’abord par essence, présence et puissance, comme chez toutes les créatures ; en outre, par la grâce sanctifiante, comme chez les saints ; enfin par l’union personnelle qui est propre au Christ.

3. Cela donne la réponse à la dernière objection : l’union du Christ à Dieu ne se fait pas seulement par la grâce habituelle, comme chez les autres saints ; mais elle se fait selon l’hypostase ou personne.

 

            Article 11 — Cette union a-t-elle été précédée par des mérites ?

Objections :

1. Sur le Psaume (33, 22) : " Que ta miséricorde soit sur nous comme notre espoir est en toi ", la Glose donne cette interprétation : " Ceci fait allusion au désir de l’Incarnation chez les prophètes, et au mérite qui en obtint l’accomplissement. " Donc l’Incarnation est objet de mérite.

2. Lorsqu’on mérite quelque chose, on mérite ce qui est nécessaire pour l’obtenir. Or, les anciens Pères méritaient la vie éternelle, à laquelle ils ne pouvaient parvenir que par l’Incarnation, comme dit S. Grégoire : " Ceux qui sont venus en ce monde avant la venue du Christ, quelle que fût la valeur de leur justice, ne pouvaient aucunement, sortis de leur corps, être accueillis aussitôt dans le sein de la patrie céleste, parce qu’il n’était pas encore venu, celui qui établirait les âmes des justes dans leur séjour perpétuel ". Il semble donc qu’ils ont mérité l’Incarnation.

3. On chante de la Bienheureuse Vierge : " Elle a mérité de porter le Seigneur de tous ", ce qui s’est fait par l’Incarnation. Donc celle-ci est objet de mérite.

En sens contraire, S. Augustin déclare" Quiconque aura trouvé dans notre Chef des mérites qui aient précédé sa génération sans pareille, qu’il cherche en nous, ses membres, des mérites qui aient précédé nos innombrables régénérations ! " Mais notre génération n’est précédé d’aucun mérite selon S. Paul (Tt 3, 5) : " Ce n’est pas à cause d’œuvres de justice que nous aurions accomplies par nous-mêmes, mais selon sa miséricorde qu’il nous a sauvés par le bain de la régénération. " Donc aucun mérite non plus n’a précédé la génération du Christ.

Réponse :

En ce qui concerne le Christ lui-même, il est évident, d’après ce que nous avons déjà dit qu’aucun de ses mérites n’a pu précéder l’union hypostatique. Nous ne prétendons pas en effet, comme Photin, qu’il fut d’abord un homme ordinaire et qu’ensuite, par le mérite d’une vie sainte, il obtint d’être le Fils de Dieu. Nous tenons que, dès le début de sa conception, cet homme-là fut vraiment le Fils de Dieu, comme n’ayant d’autre hypostase que celle du Fils de Dieu, selon S. Luc (1, 35) : " L’être saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. " C’est pourquoi toute activité de cet homme-là est consécutive en lui à l’union. Aucune de ses actions n’a donc pu mériter cette union.

Bien moins encore les œuvres d’un autre homme, quel qu’il soit, n’ont pu mériter en stricte justice l’union de l’Incarnation. - 1° Parce que les œuvres méritoires de l’homme sont ordonnées à la béatitude, qui est la récompense de la vertu et consiste dans la pleine jouissance de Dieu. Or l’union de l’Incarnation, qui se réalise en l’être personnel du Verbe, dépasse l’union de l’esprit bienheureux à Dieu, qui s’opère par un acte de l’élu. - 2° Parce que la grâce, étant principe de mérite, ne peut être objet de mérite. Bien moins encore l’Incarnation ne l’est-elle pas, car elle est principe de la grâce selon S. Jean (1, 17) : "La grâce et la vérité nous sont venues par Jésus Christ." - 3° Parce que l’incarnation du Christ restaure la nature humaine tout entière ; elle ne saurait donc être méritée par un homme particulier, car la bonté d’un homme ordinaire ne peut causer la bonté de toute une nature.

Cependant il est exact que les saints Pères, par leurs désirs et leurs prières, ont mérité l’Incarnation d’un mérite de convenance. Il convenait en effet que Dieu exauce ceux qui lui obéissaient.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. Il n’est pas vrai que toutes les conditions nécessaires pour obtenir la récompense sont objet de mérite. Certaines conditions, en effet, sont requises préalablement non seulement à la récompense, mais encore au mérite lui-même, comme la bonté de Dieu, sa grâce, et la nature de l’homme elle-même. Pareillement, le mystère de l’Incarnation est principe de mérite car " de la plénitude du Christ nous avons tous reçu " (Jn 1, 16).

3. On dit que la Bienheureuse Vierge a mérité de porter le Seigneur de tous, non pas qu’elle ait mérité l’Incarnation, mais parce que, en vertu de la grâce qui lui était donnée, elle a mérité un degré de pureté et de sainteté telles qu’elle puisse être dignement la Mère de Dieu 18.

 

            Article 12 — La grâce d’union fut-elle naturelle au Christ en tant qu’homme ?

Objections :

1. L’union de l’Incarnation s’est faite dans la personne et non dans la nature, on l’a vu Il. Mais tout être est déterminé par son terme. La grâce d’union doit donc être dite personnelle plutôt que naturelle.

2. Grâce et nature s’opposent comme les dons gratuits, qui viennent de Dieu, se distinguent des dons naturels qui viennent d’un principe intrinsèque. Mais deux réalités opposées ne peuvent être dénommées l’une par l’autre. On ne peut donc pas dire que la grâce du Christ lui soit naturelle.

3. On appelle naturel ce qui est conforme à la nature. Mais la grâce d’union n’est pas naturelle au Christ, parce que conforme à la nature divine, autrement elle conviendrait aussi aux autres personnes divines. Elle ne lui est pas davantage naturelle parce que conforme à la nature humaine ; car alors elle conviendrait à tous les hommes, qui possèdent la même nature que le Christ. Il semble donc que d’aucune façon la grâce d’union ne soit naturelle au Christ.

En sens contraire, S. Augustin écrit : "Dans l’assomption de la nature humaine par le Verbe, la grâce, qui rend cet homme impeccable, devient pour lui en quelque sorte naturelle."

Réponse :

D’après Aristote, le mot "nature" signifie tantôt la naissance d’un être, tantôt son essence. En sorte qu’une réalité peut être dite naturelle de deux façons. En ce sens qu’elle procède uniquement de ses principes essentiels : ainsi est-il naturel au feu de s’élever. Ou bien on dit qu’une réalité est naturelle à l’homme parce qu’il la possède de naissance. Ainsi est-il écrit (Ep 2, 3) : "Nous étions par nature des fils de colère", et (Sg 12, 10) : "Leur nation est perverse, et la malice leur est naturelle."

Donc la grâce du Christ, grâce d’union ou grâce habituelle, ne peut être dite naturelle au sens où elle serait causée par les principes de la nature humaine. Mais elle peut être dite naturelle en tant qu’elle provient, dans la nature humaine du Christ, de sa propre nature divine qui la cause. Et l’une comme l’autre grâce est naturelle chez le Christ en ce sens qu’il la possède depuis sa naissance ; car, dès le premier instant de sa conception, la nature humaine fut unie à la personne divine, et l’âme du Christ fut remplie du don de la grâce.

Solutions :

1. Bien que l’union ne se soit pas faite dans la nature, elle est cependant produite par la puissance de la nature divine, laquelle est vraiment la nature du Christ. De plus elle appartient au Christ dès sa naissance.

2. Nous n’appliquons pas au Christ sous le même rapport les mots "grâce" et "naturel". Nous parlons de grâce pour désigner ce qui n’est pas objet de mérite ; mais nous disons que cette grâce est naturelle, parce qu’elle provient dans l’humanité du Christ de la puissance de sa nature divine, et qu’il la possède dès sa naissance.

3. La grâce d’union n’est pas naturelle au Christ selon la nature humaine, comme si elle dérivait des principes de cette nature. Et c’est pourquoi il ne faut pas qu’elle convienne à tous les hommes. Elle lui est cependant naturelle sous ce rapport de la nature humaine, parce qu’elle lui appartient dès sa naissance : le Christ, parce qu’il a été conçu du Saint-Esprit, fut à la fois par nature fils de Dieu et fils de l’homme. Mais la grâce d’union est naturelle au Christ sous le rapport de la nature divine qui en est la cause. Il convient d’ailleurs à toute la Trinité d’être le principe actif de cette grâce.

 

 

QUESTION 3 — LE MODE D’UNION DU VERBE INCARNÉ QUANT A LA PERSONNE QUI ASSUME

1. Assumer convient-il à une personne divine ? - 2. Assumer convient-il à la nature divine ? - 3. La nature peut-elle assumer, abstraction faite de la personnalité ? - 4. Une personne divine peut-elle assumer sans une autre ? - 5. N’importe quelle personne divine peut-elle assumer ? - 6. Plusieurs personnes peuvent-elles assumer une seule nature ? - 7. Une seule personne peut-elle assumer deux natures ? - 8. Convenait-il à la personne du Fils, plutôt qu’à une autre personne divine, d’assumer la nature humaine ?

 

            Article 1 — Assumer convient-il à une personne divine ?

Objections :

1. "Personne divine" signifie un être très parfait. Or, à ce qui est parfait on ne peut rien ajouter. Donc, puisque assumer c’est prendre pour soi, en sorte que ce qui est assumé s’ajoute à ce qui assume, il parait qu’il ne convient pas à une personne divine d’assumer une nature créée.

2. Le terme de l’assomption se communique de quelque façon à la réalité assumée ; ainsi la dignité se communique à ce qui est assumé en vue de la dignité. Mais, par définition, la personne est incommunicable, on l’a dit dans la première Partie. Donc il ne convient pas à une personne divine d’assumer, c’est-à-dire de prendre pour soi.

3. La nature est constitutive de la personne. Mais il est contradictoire que le constitué assume le constituant, car l’effet n’agit pas sur sa cause.

En sens contraire, d’après S. Augustin, le Fils unique de Dieu " a pris en sa personne la forme, c’est-à-dire la nature, de l’esclave ". Or le Fils unique de Dieu est une personne. Il revient donc de façon tout à fait propre à la personne de prendre la nature, c’est-à-dire de l’assumer.

Réponse :

Le mot "assomption" implique deux éléments : le principe de l’acte et son terme. Or la personne est à la fois principe et terme de l’assomption. Elle est principe, car agir appartient en propre à la personne, et l’assomption de la chair a été réalisée par une action divine. Pareillement, la personne est encore le terme de cette prise de possession, parce que, nous l’avons dit, l’union s’est faite dans la personne, non dans la nature. Il est donc évident qu’assumer la nature revient de façon tout à fait propre à la personne.

Solutions :

1. Puisque la personne divine est infinie, rien ne peut lui être ajouté. Et c’est pourquoi S. Cyrille écrit : "Nous n’admettons pas un mode d’union qui serait une juxtaposition." Ainsi, dans l’union de l’homme à Dieu par la grâce d’adoption, rien n’est ajouté à Dieu, mais le divin est communiqué à l’homme, si bien que ce n’est pas Dieu, mais l’homme, qui en est perfectionné.

2. La personne est dite incommunicable, en ce sens qu’elle ne peut être attribuée à plusieurs suppôts. Mais rien n’empêche que plusieurs qualités soit attribuées à la personne. Aussi, que la personne soit communiquée de façon à subsister en plusieurs natures, cela ne va pas contre sa raison de personne. Déjà, dans une personne créée, plusieurs natures peuvent se rencontrer par accident : ainsi la quantité et la qualité dans la personne d’un seul homme. Il appartient en propre à la personne divine, en raison de son infinité, de réaliser en elle une convergence de natures, non pas par accident, mais sous le rapport de la subsistance.

3. On l’a déjà dit la nature humaine ne constitue pas la personne divine de façon absolue ; elle la constitue seulement selon que cette personne reçoit son nom d’une telle nature. Elle ne donne pas au Fils de Dieu l’être pur et simple, puisqu’il existe de toute éternité, elle lui donne seulement d’être homme. Au contraire, la nature divine constitue absolument la personne divine, et c’est pourquoi on ne dit pas que la personne divine assume la nature divine, mais la nature humaine.

 

            Article 2 — Assumer convient-il à la nature divine ?

Objections :

1. On l’a vu, assumer signifie prendre pour soi. Mais la nature divine n’a pas pris pour elle la nature humaine, parce que l’union ne s’est pas faite dans la nature mais dans la personne, on l’a vu aussi. Ce n’est donc pas à la nature divine d’assumer la nature humaine.

2. La nature divine est commune aux trois personnes. Donc, s’il convient à la nature d’assumer, il s’ensuivra que cela conviendra aux trois personnes. Et ainsi le Père a assumé la nature humaine, comme le Fils. Ce qui est faux.

3. Assumer, c’est agir. Or, agir convient à la personne, non à la nature, qui désigne plutôt le principe par lequel l’agent agit. Assumer ne convient donc pas à la nature.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Cette nature qui demeure toujours engendrée par le Père ", c’est-à-dire qui est reçue du Père par la génération éternelle, " a pris notre nature sans le péché ".

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, le mot assomption implique deux éléments : le principe de l’acte et son terme. Or être principe d’assomption convient à la nature divine en elle-même, car c’est par sa puissance que l’assomption s’est réalisée. Au contraire, être terme de l’assomption ne convient pas à la nature divine en elle-même, mais seulement en raison de la personne en qui on la considère. Aussi, premièrement et en toute rigueur de terme, est-ce la personne qui assume ; mais on peut dire secondairement que la nature aussi assume pour sa propre personne une autre nature.

Et c’est en ce sens que l’on parle de nature incarnée, non qu’elle se soit changée en chair, mais parce qu’elle a assumé une nature charnelle. De là cette parole du Damascène : "Nous confessons, avec les bienheureux Athanase et Cyrille, que la nature divine s’est incarnée."

Solutions :

1. Dans l’expression "prendre pour soi", le mot "soi" est réfléchi et se rapporte au sujet lui-même ou suppôt. Or, la nature divine est identique à ce suppôt qu’est la personne du Verbe. C’est pourquoi quand la nature divine unit la nature humaine à la personne du Verbe, on peut dire qu’elle prend pour soi cette nature. Mais s’il est vrai que le Père unit la nature humaine à la personne du Verbe, cependant, de ce fait, il ne la prend pas pour soi ; car le Père et le Fils sont deux suppôts différents. Aussi, à proprement parler, ne peut-on pas dire que le Père assume la nature humaine.

2. Ce qui convient à la nature divine, en raison de ce qu’elle est, convient aux trois personnes, comme la bonté, la sagesse, etc. Mais l’assomption ne lui convient qu’en raison de la personne du Verbe, et c’est pourquoi elle appartient seulement à cette personne.

3. De même qu’en Dieu il y a identité entre "ce qui est" et "ce par quoi il est", de même y a-t-il en lui identité entre "ce qui agit" et "ce par quoi il agit", parce que tout ce qui agit le fait en tant qu’il est de l’être. La nature divine est donc à la fois ce par quoi Dieu agit, et Dieu lui-même agissant.

 

            Article 3 — La nature peut-elle assumer, abstraction faite de la personnalité ?

Objections :

1. On vient de le dire : s’il convient à la nature d’assumer, c’est en raison de la personne. Mais ce qui convient à une réalité en raison d’une autre ne peut lui convenir encore lorsque le corps, lorsque cette réalité est supprimée ; ainsi le corps, visible en raison de la couleur, ne l’est plus sans elle. Donc, si l’intelligence fait abstraction de la personnalité, la nature ne peut l’assumer.

2. L’assomption, on l’a dit, implique le terme de l’union. Or l’union ne peut se faire dans la nature, mais seulement dans la personne. Abstraction faite de la personne, la nature divine ne peut donc pas assumer.

3. On a dit dans la première Partie que, dans la divinité, si l’on abstrait la personnalité, il ne reste rien. Mais celui qui assume est quelque chose de réel. C’est donc que, sans la personnalité, la nature divine ne peut assumer.

En sens contraire, la personnalité, en Dieu, représente une triple propriété personnelle, à savoir la paternité, la filiation et la procession, comme on l’a vu dans la première Partie. Or, si l’on abstrait par l’intelligence ces trois propriétés, il reste encore la toute-puissance de Dieu, par laquelle s’est faite l’Incarnation, selon cette parole de l’Ange (Lc 1, 37) : " Il n’est rien d’impossible à Dieu. " Il semble donc que, même si l’on enlève la personnalité, la nature divine peut assumer.

Réponse :

L’intellect a un double rapport avec le divin. Premièrement, pour connaître Dieu tel qu’il est. Et de cette manière, il est impossible de délimiter quelque chose chez Dieu en l’isolant d’autre chose, car tout ce qui est en Dieu est un, sauf la distinction des personnes ; cependant, si l’une d’elles est enlevée, l’autre l’est également, car elles ne se distinguent que par leurs relations, qui sont forcément simultanées.

Mais l’intellect a un autre rapport avec le divin, connaissant Dieu non pas tel qu’il est, mais à sa manière à lui, c’est-à-dire en considérant de façon multiple et divisée ce qui en Dieu est un. De cette manière, notre intellect peut saisir la bonté, la sagesse divine et les autres attributs essentiels, comme la paternité ou la filiation. A cet égard, en faisant abstraction de la personnalité par notre intellect, nous pouvons comprendre que la nature assume.

Solutions :

1. En Dieu il y a identité entre "ce par quoi il est" et "ce qu’il est". Donc, tout ce que l’on attribue à Dieu par abstraction, et que l’on considère séparément du reste, est nécessairement quelque chose de subsistant. Par conséquent, c’est une personne, puisqu’un tel attribut appartient à une nature intellectuelle. Dès lors, de même qu’en posant en Dieu les propriétés personnelles, nous pouvons parler de trois personnes, de même, en abstrayant par l’intelligence ces mêmes propriétés, il nous reste encore à considérer la nature divine comme subsistante et personnelle. De cette manière, on comprend qu’elle puisse assumer la nature humaine en raison de sa subsistance ou de sa personnalité.

2. Même si l’intellect isole les personnalités des trois personnes, il reste encore dans l’intellect un Dieu personnel unique, ainsi que les Juifs le comprennent. A cette personne l’assomption peut se terminer, tout aussi bien qu’à la personne du Verbe.

3. Lorsque, par l’intellect, on fait abstraction de la personnalité, on dit que rien ne reste en Dieu lorsque cette abstraction est faite par mode de séparation, comme s’il y avait une diversité entre le sujet de la relation et la relation elle-même ; or tout ce que l’on considère en Dieu, on le considère comme un suppôt subsistant. Cependant on peut considérer certains attributs de Dieu sans les autres, non par mode de séparation, mais de la façon présentée dans la Réponse.

 

            Article 4 — Une personne divine peut-elle assumer sans une autre ?

Objections :

1. Il semble impossible qu’une personne assume la nature créée sans qu’une autre personne l’assume. En effet, "les œuvres de la Trinité sont indivises" selon S. Augustin. De même en effet qu’il n’y a pour les trois personnes qu’une seule essence, de même aussi n’y a-t-il pour elles qu’une seule opération. Mais assumer est une opération. Elle ne peut donc convenir à une personne divine sans convenir à une autre.

2. Nous disons que la personne du Fils est incarnée, et nous le disons aussi bien de sa nature car, selon S. Jean Damascène, "toute la nature divine s’est incarnée en l’une de ses hypostases".

Mais la nature est commune aux trois personnes ; donc aussi l’assomption.

3. De même que la nature humaine dans le Christ est assumée par Dieu, de même les hommes sont assumés par lui en vertu de la grâce. C’est ainsi que S. Paul dit d’un homme (Rm 14, 3) : "Dieu l’a assumé." Mais cette assomption est l’œuvre commune des trois personnes. Donc aussi celle du Christ.

En sens contraire, Denys enseigne que le mystère de l’Incarnation appartient à cette théologie selon laquelle on fait une distinction entre ce qui se dit de chacune des personnes divines.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit l’assomption comporte deux éléments : l’acte de celui qui assume, et le terme de l’assomption. Or, l’acte de celui qui assume procède de la puissance divine, qui est commune aux trois personnes ; mais le terme de l’assomption est la personne, nous l’avons dit. C’est pourquoi ce qui, dans l’assomption, relève de l’agir est commun aux trois personnes ; ce qui au contraire a raison de terme convient à une seule personne et non aux autres. En effet, les trois personnes ont fait que la nature humaine soit unie à la seule personne du Fils.

Solutions :

1. Cet argument est valable du côté de l’opération, indépendament de son terme, qui est la personne.

2. On dit que la nature est incarnée, comme on dit qu’elle assume, en raison de la personne à laquelle se termine l’union, nous l’avons dit, et non pas en ce sens que l’union est commune aux trois personnes. On dit encore que "toute la nature divine est incarnée", non parce que toutes les personnes se seraient incarnées, mais parce que rien ne manque à la personne incarnée de ce qui fait la perfection de la nature divine.

3. L’assomption qui se fait par la grâce d’adoption a pour terme une certaine participation de la nature divine par assimilation à sa bonté, selon la parole de S. Pierre (2 P 1, 4) : "Pour que vous deveniez participants de la nature divine. . ." Et c’est pourquoi une telle assomption est commune aux trois personnes tant du côté de son principe que du côté de son terme. Mais l’assomption qui s’accomplit par la grâce de l’union ne leur est commune que du côté du principe, non du côté du terme, ainsi qu’on l’a dit dans la Réponse.

 

            Article 5 — N’importe quelle personne divine peut-elle assumer ?

Objections :

1. Il semble qu’aucune personne divine, autre que celle du Fils, n’ait pu assumer la nature humaine. Car une telle assomption devait aboutir à ce que Dieu soit fils de l’homme. Mais il serait incohérent pour le Père ou l’Esprit Saint d’être fils, car cela aboutirait à la confusion des personnes divines. Donc le Père ou l’Esprit Saint ne pouvait s’incarner.

2. Par l’incarnation divine, les hommes ont reçu la filiation adoptive selon S. Paul (Rm 8, 15) : "Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclavage pour retomber dans la crainte, mais un esprit de fils adoptifs." Mais la filiation adoptive est une ressemblance participée de la filiation naturelle, qui ne convient ni au Père ni à l’Esprit Saint, selon cette parole (Rm 8, 29) : "Ceux qu’il a discernés d’avance, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils." Il semble donc qu’aucune personne autre que le Fils ne pouvait s’incarner.

3. On dit du Fils qu’il est envoyé et engendré par une naissance temporelle, en tant qu’il s’est incarné ; mais il ne convient pas au Père d’être envoyé, de même qu’il ne peut naître, nous l’avons dit dans la première Partie. Donc, au moins la personne du Père ne pouvait s’incarner.

En sens contraire, tout ce que peut le Fils, le Père peut le faire également. Autrement les trois personnes ne posséderaient pas la même puissance. Or le Fils a pu s’incarner. Donc pareillement le Père et le Saint-Esprit.

Réponse :

Nous l’avons dit, on distingue dans l’assomption l’acte d’assumer et le terme de l’assomption. Le principe de l’acte est, la vertu divine ; le terme est la personne. La vertu divine est commune et se rapporte indifféremment à toutes les personnes, bien que les propriétés personnelles soient différentes. Or, quand une vertu active se porte indifféremment sur plusieurs objets, son action peut se terminer à l’un aussi bien qu’à l’autre ; c’est ce que l’on voit dans les puissances rationnelles qui sont indifférentes à l’égard de deux opposés et dont l’action peut se terminer à l’un ou à l’autre. Ainsi la vertu divine pouvait unir la nature humaine soit à la personne du Père, soit à la personne de l’Esprit Saint, aussi bien qu’à celle du Fils. Et c’est pourquoi le Père et le Saint-Esprit auraient pu s’incarner, comme le Fils.

Solutions :

1. La filiation temporelle, selon laquelle le Christ est dit fils de l’homme, ne constitue pas sa personne, comme la filiation éternelle. Mais elle est une conséquence de sa naissance temporelle. C’est pourquoi, si de cette manière le nom de fils était appliqué au Père ou à l’Esprit Saint, il ne s’ensuivait aucune confusion entre les personnes divines.

2. La filiation adoptive est une ressemblance participée de la filiation naturelle. Par appropriation, nous disons qu’elle est produite en nous par le Père, qui est le principe de la filiation naturelle ; et par le don du Saint-Esprit, qui est l’amour du Père et du Fils selon l’Apôtre (Ga 4, 6) : " Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie : Abba, Père " C’est pourquoi le Fils s’étant incarné, nous recevons la filiation adoptive à l’image de sa filiation naturelle ; et de même, si le Père s’était incarné, nous recevrions de lui la filiation adoptive comme du principe de la filiation naturelle ; et si le Saint-Esprit s’était incarné, nous la recevrions de lui, comme de celui qui est le lien d’amour entre le Père et le Fils.

3. Il convient au Père, selon sa génération éternelle, de ne pouvoir naître ; mais cela n’exclut pas la possibilité d’une naissance temporelle. D’autre part, on dit du Fils qu’il est " envoyé " dans son incarnation, parce qu’il procède d’une autre personne. L’Incarnation à elle seule ne suffirait pas à la notion de mission divine.

 

            Article 6 — Plusieurs personnes divines peuvent-elles assumer une seule nature ?

Objections :

1. Il semble que deux personnes divines ne puissent pas assumer une seule et même nature individuelle. Car alors, ou il y aurait un seul homme, ou il y en aurait plusieurs. Or il ne peut pas y en avoir plusieurs ; de même qu’une seule nature divine en plusieurs personnes ne saurait constituer plusieurs dieux, de même une seule nature humaine en plusieurs personnes ne saurait constituer plusieurs hommes. Pareillement, il ne peut y avoir un seul homme, car un seul homme, c’est " tel " homme, c’est-à-dire une personne unique ; cela détruirait la distinction des trois personnes divines. Deux ou trois personnes ne peuvent donc assumer une seule nature humaine.

2. L’assomption, a-t-on dit, se termine à l’unité de la personne. Mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne forment pas une personne unique. Trois personnes ne peuvent donc assumer une seule nature humaine.

3. Selon S. Jean Damascène et S. Augustin, une des conséquences de l’Incarnation est que tout ce qui se dit du Fils de Dieu se dit aussi du fils de l’homme, et réciproquement. Donc, si les trois personnes assumaient une seule nature humaine, tout ce qui se dit de chacune des trois personnes se dirait également de cet homme-là ; et réciproquement, ce qui serait attribué à cet homme-là pourrait l’être aussi à chacune des trois personnes. Ainsi on pourrait attribuer à cet homme ce qui est propre au Père, à savoir d’engendrer le Fils de toute éternité, et par suite on pourrait l’attribuer également au Fils de Dieu. Cela est inadmissible. Il n’est donc pas possible que les trois personnes divines assument une seule nature humaine.

En sens contraire, la personne incarnée subsiste en deux natures, la divine et l’humaine. Mais les trois personnes subsistent en une seule nature divine. Elles peuvent donc aussi subsister en une seule nature humaine, de telle sorte qu’une seule nature soit assumée par les trois personnes.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, l’union de l’âme et du corps dans le Christ ne forme pas une nouvelle personne ou une seule hypostase, mais une nature assumée en la personne ou hypostase divine. Et cela se fait non par la puissance de la nature humaine, mais par la puissance de la personne divine. Or, telle est la condition des personnes divines que l’une n’exclut pas l’autre de la communion d’une même nature, mais seulement de la communion à une même personnalité. Donc, puisque, selon S. Augustin, il ne faut pas chercher d’autre raison à ce qui s’est fait en ce mystère que la puissance de celui qui l’a produit, il faut plutôt en juger d’après la condition de la personne qui assume que d’après la condition de la nature humaine assumée. C’est pourquoi il n’est pas impossible que deux ou trois personnes divines assument une seule nature humaine.

Cependant, il serait impossible qu’elles assument une seule hypostase ou personne humaine ; comme dit S. Anselme : " Plusieurs personnes ne peuvent assumer un seul et même homme. "

Solutions :

1. Supposons que les personnes assument une seule nature humaine. Il serait vrai de dire que les trois personnes seraient un seul homme à cause de l’unité de la nature humaine. De même qu’il est vrai de dire qu’elles ne sont qu’un seul Dieu à cause de l’unité de la nature divine. " Un seul " n’impliquerait pas l’unité de personne, mais l’unité de la nature humaine. De ce que les trois personnes font un seul homme, on ne pourrait conclure à l’unité pure et simple, car rien n’empêche de dire que des hommes qui sont plusieurs, absolument parlant, ne font qu’un sous un certain rapport, par exemple quand ils forment un seul peuple. Comme dit S. Augustin : " L’esprit de l’homme et l’esprit de Dieu sont divers, mais leur union en fait un seul esprit, selon S. Paul (1 Co 6, 17) : "Celui qui s’unit à Dieu ne fait avec lui qu’un seul esprit. " "

2. Dans l’hypothèse envisagée, la nature humaine serait assumée non dans l’unité d’une seule personne, mais dans l’unité de chacune d’elles ; et de même que la nature divine possède une unité naturelle en chacune des trois personnes, ainsi la nature humaine, par l’assomption, ne ferait qu’un avec chacune d’elles.

3. Dans le mystère de l’Incarnation, il y a communication des propriétés appartenant à la nature ; car tout ce qui convient à la nature peut être attribué à la personne subsistant en cette nature, quelle que soit la nature désignée par tel ou tel nom. Dès lors, dans l’hypothèse où l’on se place, les propriétés de la nature humaine et celles de la nature divine pourront être attribuées à la personne du Père ; de même à la personne du Fils et à la personne du Saint-Esprit. Mais ce qui convient à la personne du Père, à raison même de sa personne propre, ne saurait convenir à la personne du Fils ou à celle du Saint-Esprit, à cause de la distinction des personnes, qui demeurerait. On pourrait donc dire : de même que le Père est inengendré, de même cet homme est inengendré, au sens où les mots " cet homme " représenteraient la personne du Père. Mais si l’on continuait à raisonner ainsi : cet homme est inengendré, or le Fils est homme, dont le Fils est inengendré, on commettrait un sophisme de mots ou un sophisme d’accident. C’est ainsi que nous disons que Dieu est inengendré, et cependant nous ne pouvons conclure que le Fils est inengendré, bien qu’il soit Dieu.

 

            Article 7 — Une seule personne divine peut-elle assumer deux natures ?

Objections :

1. Il ne semble pas. La nature assumée dans le mystère de l’Incarnation n’a pas d’autre suppôt que le suppôt de la personne divine comme on l’a montré précédemment. Par conséquent, dans l’hypothèse où une seule personne divine assumerait deux natures humaines, il y aurait un seul suppôt pour les deux natures de même espèce. Cela semble impliquer contradiction ; car les natures d’une même espèce ne se multiplient que par la distinction des suppôts.

2. Dans cette même hypothèse, on ne pourrait pas dire que la personne divine incarnée serait un homme unique, puisqu’elle n’aurait pas une nature humaine unique. Pareillement, on ne pourrait parler davantage de plusieurs hommes, puisque plusieurs hommes sont autant de suppôts distincts et qu’il n’y aurait ici qu’un seul suppôt. Une telle hypothèse est donc totalement impossible.

3. Dans le mystère de l’Incarnation, toute la nature divine est unie à la nature assumée, et donc à chacune de ses parties. Le Christ est en effet, selon S. Jean Damascène, " Dieu parfait et homme parfait, Dieu total et homme total ". Mais deux natures humaines ne peuvent être totalement unies l’une à l’autre ; il faudrait en effet que l’âme de l’une soit unie au corps de l’autre, et que les deux corps soient ensemble, ce qui amènerait la confusion des natures. Il n’est donc pas possible qu’une seule personne divine assume deux natures humaines.

En sens contraire, tout ce que le Père peut faire, le Fils le peut aussi. Mais le Père, après l’incarnation du Fils, peut assumer une nature humaine autre numériquement que celle assumée par le Fils ; par l’incarnation du Fils, la puissance du Père ou du Fils n’a été diminuée en rien. Il semble donc qu’après l’incarnation, le Fils puisse assumer une nature humaine en dehors de celle qu’il a déjà prise.

Réponse :

Pouvoir faire une chose déterminée et pas davantage, c’est posséder une puissance limitée. Or, la puissance d’une personne divine est infinie et ne peut se limiter à quelque chose de créé. On ne doit donc pas dire qu’en assumant une nature humaine, la personne divine se rend incapable d’en assumer une autre. Ce serait en effet admettre que la personnalité de la nature divine est limitée à ce point par une nature humaine qu’une autre ne puisse être encore assumée par elle. Et cela est impossible, car l’incréé ne peut être renfermé dans le créé. Donc, soit que nous la considérions dans sa puissance qui est principe de l’union, soit que nous la considérions dans sa personnalité qui est terme de l’union, il faut dire que la personne divine, en plus de la nature humaine qu’elle s’est unie, pourrait encore en assumer une autre.

Solutions :

1. Une nature créée est accomplie dans son espèce par la forme ; et elle se multiplie par la division de la matière. C’est pourquoi, si la composition de matière et de forme constitue un nouveau suppôt, il s’ensuit que la nature se multiplie selon la multiplication des suppôts. Mais dans le mystère de l’Incarnation, l’union de la forme et de la matière, c’est-à-dire de l’âme et du corps, ne constitue pas un nouveau suppôt, on l’a dit plus haut. La nature peut donc être multiple numériquement, par division de la matière, sans qu’il y ait distinction de suppôts.

2. Dans l’hypothèse envisagée, il semble au premier abord qu’il y aurait deux hommes, puisqu’il y aurait deux natures, sans pourtant qu’il y ait deux suppôts ; de même qu’à l’inverse trois personnes seraient considérées comme un seul homme, s’il n’y avait qu’une seule nature humaine assumée. Mais cela ne paraît pas vrai. En effet, on doit se servir des mots d’après leur signification, et cette signification se trouve déterminée par l’usage commun. Or jamais un nom concret désignant le sujet d’une forme quelconque ne se met au pluriel, si ce n’est en raison de la pluralité des suppôts. C’est ainsi qu’à propos d’un homme qui porte deux vêtements, on ne parle pas de deux sujets vêtus mais d’un seul, vêtu de deux habits ; de même celui qui possède deux qualités est qualifié au singulier selon l’une et l’autre. Précisément, la nature assumée joue, sous un certain rapport, le rôle d’un vêtement, bien que l’analogie ne soit pas parfaite, on l’a vue. C’est pourquoi, si une personne divine assumait deux natures humaines, on devrait parler, du fait qu’il y a un seul suppôt, d’un seul homme ayant deux natures humaines. Il arrive qu’un grand nombre d’hommes sont dits former un seul peuple, parce qu’ils sont unis sous un certain rapport, mais non quant à l’unité de suppôt. Pareillement, si deux personnes divines assumaient une seule nature humaine, elles formeraient, comme on l’a dit, un seul homme, non pas à cause de l’unité de suppôt, mais en tant qu’elles se rejoignent dans une certaine unité.

3. La nature divine et la nature humaine ne se rapportent pas dans le même ordre à une personne divine". En premier lieu et par soi, il appartient à la nature divine d’être rapportée à la personne avec laquelle elle ne fait qu’un de toute éternité. Tandis que la nature humaine se rapporte à la personne divine postérieurement, du fait de son assomption dans le temps par cette personne, et le résultat de cette assomption n’est pas que la nature s’identifie à la personne, mais bien que la personne subsiste en la nature. En effet, le Fils de Dieu est sa propre déité, mais il n’est pas son humanité. Dès lors, pour que la nature humaine soit assumée par la personne divine, il faut que la nature divine soit unie personnellement à toute la nature assumée, c’est-à-dire à toutes ses parties. Mais s’il y avait deux natures assumées, la relation de l’une et de l’autre à la personne divine serait uniforme, et l’une n’assumerait pas l’autre. Par suite, il ne faudrait pas que l’une d’elles soit unie à l’autre, c’est-à-dire que toutes les parties de l’une soient unies à toutes les parties de l’autre.

 

            Article 8 — Convenait-il à la personne du Fils, plutôt qu’à une autre personne divine, d’assumer la nature humaine ?

Objections :

1. Par le mystère de l’Incarnation, les hommes sont conduits à la véritable connaissance de Dieu selon cette parole (Jn 18, 37) : " je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. " Mais, pour beaucoup, l’incarnation de la personne du Fils de Dieu a été un obstacle à la connaissance véritable de Dieu, parce qu’ils attribuaient les propriétés de la nature humaine à la personne même du Fils. Ainsi Arius a-t-il prétendu que les personnes étaient inégales, pour cette raison que Jésus dit en S. Jean (14, 28) : " Le Père est plus grand que moi. " Or, cette erreur ne se serait pas produite si la personne du Père s’était incarnée : personne en effet n’aurait pensé à juger le Père inférieur au Fils. Il était donc préférable, semble-t-il, que la personne du Père s’incarne, plutôt que la personne du Fils.

2. L’Incarnation semble devoir aboutir à une nouvelle création de la nature humaine selon l’épître aux Galates (6, 15 Vg) : "Dans le Christ Jésus la circoncision n’est rien, ni l’incirconcision ; il s’agit d’être une créature nouvelle." Mais le pouvoir de créer appartient par appropriation au Père. Il aurait donc été plus indiqué que le Père s’incarne, de préférence au Fils.

3. L’Incarnation est ordonnée à la rémission des péchés selon la parole (Mt 1, 21) : "Tu lui donneras le nom de Jésus, car il sauvera son peuple de leurs péchés." Or la rémission des péchés est attribuée au Saint-Esprit, selon cette parole (Jn 20, 22) : "Recevez le Saint-Esprit : ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis." S’incarner convenait donc à la personne du Saint-Esprit, plutôt qu’à celle du Fils.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit : "Dans le mystère de l’Incarnation ont été manifestées la sagesse et la puissance de Dieu ; sa sagesse, car il a su donner la solution la meilleure à la situation la plus difficile ; sa puissance, car d’un vaincu il a fait un vainqueur." Mais la puissance et la sagesse appartiennent par appropriation au Christ, puisque S. Paul écrit (1 Co 1, 24) : "Le Christ puissance de Dieu et sagesse de Dieu." Il était donc convenable que la personne du Fils s’incarnât.

Réponse :

Il convenait parfaitement à la personne du Fils de s’incarner.

1° Du point de vue de l’union. Il convient que celle-ci se réalise entre semblables. Or la personne du Fils, qui est le Verbe de Dieu, possède une relation commune avec toute créature. Le verbe ou la conception de l’artiste, en effet, est l’image exemplaire de ses œuvres. Aussi le Verbe de Dieu, qui est son concept éternel, est aussi l’image exemplaire de toute la création. Puisque, en participant de cette image, les créatures sont constituées dans leurs espèces propres, tout en étant changeantes et corruptibles, il était normal que, par l’union personnelle au Verbe, et non plus seulement par simple participation, la créature déchue soit restaurée dans sa relation à la perfection éternelle et immuable. En effet, c’est par le moyen de la forme idéale qui lui a fait réaliser son œuvre que l’artisan restaure celle-ci, si elle s’est effondrée.

D’autre part, le Verbe de Dieu a un point de contact spécial avec la nature humaine, du fait qu’il est le concept de la Sagesse éternelle, de laquelle dérive toute sagesse humaine. C’est pourquoi le perfectionnement de l’homme dans la sagesse, en quoi se réalise sa perfection d’être raisonnable, se mesure à ce qu’il participe du Verbe de Dieu. C’est ainsi que le disciple s’instruit dans la mesure où il reçoit la parole du maître, expression de son verbe intérieur. De là cette parole de l’Ecclésiastique (1, 5 Vg) : "La source de la sagesse, c’est le Verbe de Dieu, au plus haut des cieux." Il convenait donc, pour consommer la perfection de l’homme, que le Verbe de Dieu fût uni personnellement à la nature humaine.

2° On peut trouver un nouveau motif à cette convenance dans la fin de l’union hypostatique : cette fin, c’est l’accomplissement de la prédestination pour ceux qui ont été ordonnés d’avance à l’héritage céleste, dû seulement aux fils, selon S. Paul (Rm 8, 17) : "Si nous sommes fils, nous sommes aussi héritiers." Il revenait donc à celui qui est le Fils naturel de Dieu de communiquer aux hommes une image de cette filiation par l’adoption divine, ainsi que l’Apôtre l’écrit au même chapitre (v. 29) : "Ceux qu’il a discernés d’avance, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils."

3° On peut encore tirer une raison de convenance du péché de notre premier père, auquel vient remédier l’Incarnation. Le premier, homme avait péché en désirant la science, comme il ressort des paroles mêmes du serpent lui promettant la science du bien et du mal. Il convenait donc qu’après s’être éloigné de Dieu par un désir déréglé de science, l’homme soit ramené à Dieu par le Verbe de la vraie sagesse.

Solutions :

1. Il n’est rien dont la malice humaine ne puisse abuser, même de la bonté de Dieu, dit S. Paul (Rm 2, 4) : "Méprises-tu les richesses de sa bonté ?" Si la personne du Père s’était incarnée, l’homme aurait pu tomber dans quelque autre erreur, et s’imaginer par exemple que le Fils ne pouvait à lui seul restaurer la nature humaine.

2. La première création des choses vient de la puissance de Dieu le Père, par son Verbe. Cette nouvelle création doit venir, elle aussi, par le Verbe, de la puissance de Dieu le Père. Ainsi la seconde création répond à la première, selon S. Paul (2 Co 5, 9) : "C’était Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le monde."

3. Le propre de l’Esprit Saint, c’est d’être le don du Père et du Fils. Or, la rémission des péchés se fait par l’Esprit Saint en ce sens que, l’Esprit Saint nous étant donné par Dieu, nous sommes purifiés de nos fautes. Il est donc plus approprié, pour la justification de l’homme, que l’incarnation soit celle du Christ, qui nous donne l’Esprit Saint.

Il faut maintenant étudier l’union du côté de ce qui est assumé. À ce sujet, il faut étudier : 1° Les réalités assumées par le Verbe. 2° Les réalités assumées par voie de conséquence, qui sont les perfections et les déficiences (Q. 7).

Mais le Fils de Dieu a assumé la nature humaine et ses parties. D’où, sur le premier point, une triple étude se présente : I. Quant à la nature humaine elle-même (Q. 4). - II. Quant à ses parties (Q. 5). - III. Quant à l’ordre de leur assomption (Q. 6).

 

 

QUESTION 4 — LE MODE DE L’UNION, DU CÔTÉ DE LA NATURE HUMAINE ASSUMÉE

1. La nature humaine était-elle plus apte que toute autre nature à être assumée par le Fils de Dieu ? - 2. Le Fils de Dieu a-t-il assumé une personne ? - 3. A-t-il assumé un homme ? - 4. Aurait-il été convenable qu’il assume la nature humaine abstraite de tous ses individus ? - 5. Aurait-il été convenable qu’il assume la nature humaine dans tous ses individus ? - 6. A-t-il été convenable qu’il assume la nature humaine dans un homme de la descendance d’Adam ?

 

            Article 1 — La nature humaine était-elle plus apte que toute autre nature à être assumée par le Fils de Dieu ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car S. Augustin a écrit : "Dans les événements miraculeux, ce qui se produit n’a d’autre explication que la puissance de celui qui opère." Mais la puissance de Dieu opérant l’Incarnation, l’œuvre la plus miraculeuse qui soit, ne se limite pas à une nature déterminée, puisque cette puissance est infinie. La nature humaine n’est donc pas plus apte à être assumée par Dieu que toute autre créature.

2. On a vu que la ressemblance est une raison de convenance pour l’incarnation d’une personne divine. Mais si, dans la nature raisonnable, se trouve la ressemblance propre à l’image, dans la nature irrationnelle il y a la ressemblance propre au vestige. La créature irrationnelle est donc, comme la nature humaine, apte à être assumée.

3. En introduisant le texte d’Ézéchiel (28, 12) : " Tu étais le sceau de la ressemblance ", S. Grégoire affirme qu’il y a dans la nature angélique une ressemblance avec Dieu plus frappante que dans la nature humaine. En outre, on trouve le péché chez l’ange comme chez l’homme, selon Job (4,18) : " Chez ses anges il a trouvé du mal. " Donc la nature angélique était aussi apte que la nature de l’homme à être assumée.

4. Puisque la souveraine perfection appartient à Dieu, plus un être est semblable à Dieu, plus il est parfait. Mais tout l’univers est plus parfait que ses parties, parmi lesquelles il y a la nature humaine. L’univers tout entier était donc plus digne d’assomption que la nature humaine.

En sens contraire, le livre des Proverbes (8, 31) fait parler ainsi la Sagesse engendrée : " je trouve mes délices parmi les enfants des hommes. " Il semble donc qu’il y ait quelque convenance à ce que le Fils de Dieu s’unisse la nature humaine.

Réponse :

On dit d’un être qu’il est assumable pour désigner son aptitude à être assumé par une personne divine. Cette aptitude ne peut s’entendre d’une puissance passive naturelle, car celle-ci ne s’étend pas à ce qui transcende l’ordre de la nature, lequel se trouve dépassé par l’union personnelle de la créature à Dieu. Il reste donc que l’on entende cette aptitude au sens d’une convenance à l’union en question. Or, une telle convenance peut se prendre, à propos de la nature humaine, à deux points de vue : selon la dignité et selon la nécessité. Selon la dignité, la nature humaine, parce qu’elle est rationnelle et intellectuelle, est capable d’atteindre de quelque manière le Verbe lui-même par son opération, en le connaissant et en l’aimant. Selon la nécessité, la nature humaine étant soumise au péché originel avait besoin d’être restaurée. Ces deux raisons de convenance sont valables pour la seule nature humaine : à la créature irrationnelle en effet manque le motif de dignité ; à la nature angélique, le motif de nécessité. Il s’ensuit par conséquent que seule la nature humaine est assumable.

Solutions :

1. Les créatures sont qualifiées d’après les caractères qu’elles tiennent de leurs causes propres, et non d’après les caractères qu’elles tiennent des causes premières et universelles. C’est ainsi que l’on parle d’une maladie incurable, non parce qu’elle ne peut être guérie par Dieu, mais parce qu’elle ne peut pas l’être par les principes propres du sujet. Donc, si l’on dit qu’une créature n’est pas apte à être assumée, ce n’est pas pour soustraire quelque chose à la puissance divine, mais pour montrer la condition d’une créature qui ne possède pas cette aptitude.

2. La ressemblance par image est considérée dans la nature humaine en ce qu’elle est capable de Dieu, c’est-à-dire capable de l’atteindre par son opération propre de connaissance et d’amour. La ressemblance par vestige consiste seulement en une certaine représentation que la frappe divine laisse dans la créature ; et c’est la seule ressemblance qui se trouve dans la créature irrationnelle, incapable d’atteindre Dieu par son opération. Or ce qui n’est pas apte à moins ne l’est pas davantage à plus ; ainsi le corps, qui n’est pas adapté à recevoir son achèvement d’une âme sensible, est encore bien moins adapté à être achevé par une âme intellectuelle. Mais l’union à Dieu dans l’être personnel est beaucoup plus haute et plus parfaite que l’union dans l’opération. Par conséquent la créature irrationnelle, qui ne peut être unie à Dieu dans l’opération, ne se trouve pas adaptée à l’union dans l’être personnel.

3. Certains prétendent que l’ange n’est pas apte à être assumé, parce que, dès le principe de sa création, il fut constitué dans sa personnalité, et que d’autre part il n’est susceptible ni de génération, ni de corruption. Il n’aurait donc pu être élevé à l’unité de la personne divine qu’à la condition que sa propre personnalité fût détruite, ce qui ne convient ni à l’incorruptibilité de sa nature, ni à la bonté de celui qui assume ; cette bonté s’oppose en effet à ce qu’aucune perfection soit détruite dans la créature assumée. - Mais ces raisons ne semblent pas exclure entièrement toute convenance d’assomption dans la nature angélique. En effet, Dieu peut produire une nouvelle créature angélique et se l’unir personnellement ; et ainsi aucune perfection préexistante ne serait détruite dans cette nature. Mais, comme nous venons de le dire, ce qui fait défaut ici, c’est un motif de convenance du point de vue de la nécessité. Car, bien que la nature angélique, en certains de ses représentants, soit coupable de péché, cependant ce péché est sans remède, comme on l’a établi dans la première Partie.

4. La perfection de l’univers n’est pas la perfection d’une personne ou d’un suppôt unique ; c’est une perfection d’ordre et d’harmonie ; et la plupart des êtres qui composent cet ordre ne sont pas dignes d’assomption, nous venons de le dire. Il reste donc que seule la nature humaine est apte à être assumée.

 

            Article 2 — Le Fils de Dieu a-t-il assumé une personne ?

Objections :

S. Jean Damascène écrit : " Le Fils de Dieu a assumé la nature humaine dans un être concret ", c’est-à-dire dans un individu. Mais un individu de nature rationnelle est une personne, comme le montre Boèce. Le Fils de Dieu a donc assumé une personne.

2. S. Jean Damascène écrit que le Fils de Dieu a assumé " les éléments qu’il a établis dans notre nature ". Mais parmi ces éléments se trouve la personnalité. Le Fils de Dieu a donc assumé une personne.

3. Rien n’est consumé que ce qui est. Mais Innocent III écrit dans une décrétale que " la personne de Dieu a consumé la personne de l’homme ". Il semble donc que la personne de l’homme a dû d’abord être assumée.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Dieu a assumé la nature de l’homme et non la personne. "

Réponse :

Être assumé, c’est être pris pour être uni à quelque chose. Ce qui est assumé doit donc être présupposé à l’assomption ; de même le mobile est présupposé au mouvement local lui-même. Or, d’après ce que nous avons déjà dit, dans la nature humaine assumée la personne n’est pas présupposée à l’assomption ; elle doit plutôt être envisagée comme le terme de l’assomption. Si elle était présupposée, en effet, ou bien elle se trouverait dissoute et par suite serait assumée inutilement ; ou bien elle demeurerait après l’union, et alors il y aurait deux personnes, l’une assumant et l’autre assumée ; ce qui est erroné, nous l’avons montré plus haut. Il reste donc que d’aucune manière le Fils de Dieu n’a assumé une personne humaine.

Solutions :

1. Le Fils de Dieu a assumé la nature humaine dans un être concret, c’est-à-dire dans un individu qui n’était autre que ce suppôt incréé qui est la personne même du Fils de Dieu. On ne peut donc pas dire qu’il a assumé une personne.

2. La personnalité propre ne fait pas défaut à la nature assumée par suite de la privation d’une perfection propre à la nature humaine, mais en raison de l’addition d’un élément nouveau qui dépasse cette nature, et qui est l’union à la personne divine.

3. Consumer ne signifie pas ici détruire ce qui existait déjà, mais faire obstacle à ce qui aurait pû être autrement. En effet, si la nature humaine n’avait pas été assumée par la personne divine, elle aurait eu sa personnalité propre. Et pour autant on dit que la personne a consumé la personne, bien qu’en un sens impropre, parce que la personne divine, par son union, a empêché la nature humaine d’avoir sa propre personnalité.

 

            Article 3 — Le Fils de Dieu a-t-il assumé un homme ?

Objections :

1. Il semble que la personne divine ait assumé un homme. Il est écrit en effet (Ps 65, 5) : " Bienheureux celui que tu as choisi et que tu as assumé " ; parole que la Glose applique au Christ. D’autre part, S. Augustin écrit : " Le Fils de Dieu a assumé l’homme, et en lui il a souffert la misère humaine. "

2. Ce mot " homme " signifie la nature humaine. Mais puisque le Fils de Dieu a assumé la nature humaine, il a donc assumé l’homme.

3. Le Fils de Dieu est homme ; mais il n’est pas l’homme qu’il n’a pas assumé ; car alors il serait tout aussi bien Pierre ou un homme quelconque. Il est donc bien l’homme qu’il a assumé.

En sens contraire, voici l’enseignement de S. Félix pape et martyr, reproduit par le concile d’Ephèse : " Nous croyons en Notre Seigneur Jésus Christ, né de la Vierge Marie, parce qu’il est Fils éternel et Verbe de Dieu, non pas homme assumé par Dieu pour être autre que lui, car le Fils de Dieu en effet n’a pas assumé un homme qui serait autre que lui-même. "

Réponse :

Nous l’avons dit, ce qui est assumé n’est pas le terme de l’assomption, mais se trouve présupposé à elle. Et nous savons aussi que l’individu en lequel la nature humaine a été assumée n’est autre que la personne divine, terme de l’assomption. Et ce mot "homme" signifie la nature humaine en tant qu’elle est destinée à exister dans un suppôt. En effet, selon S. Jean Damascène, "de même que le mot "Dieu" signifie celui qui possède la nature divine, de même le mot "homme" signifie celui qui possède la nature humaine". Et c’est pourquoi on ne dit pas à proprement parler que le Fils de Dieu a assumé un homme, si l’on sous-entend par là, ce qui est vrai, que dans le Christ il y a un seul suppôt et une seule hypostase. Mais, selon ceux qui mettent dans le Christ deux hypostases ou deux suppôts, on pourrait dire à juste titre et en propriété de termes que le Fils de Dieu a assumé un homme. C’est pourquoi la première opinion rapportée par le Maître des Sentences concède qu’un homme a été assumé. Mais cette opinion est erronée, nous l’avons dit plus haut.

Solutions :

1. Il ne faut pas trop pousser ces expressions, comme si elles étaient exactes. Mais il faut les expliquer avec délicatesse quand on les rencontre chez les saints Pères. On parle ici d’homme assumé parce que sa nature a été assumée, et parce que l’assomption a eu pour terme que le Fils de Dieu soit un homme.

2. Le mot "homme" signifie la nature humaine au concret, en tant qu’elle se trouve dans un suppôt. De même qu’il est impossible de dire que le suppôt a été assumé, de même ne peut-on soutenir que l’homme a été assumé.

3. Le Fils de Dieu n’est pas l’homme qu’il a assumé, mais il est celui dont il a assumé la nature.

 

            Article 4 — Aurait-il été convenable que le Fils de Dieu assume la nature humaine abstraite de tous ses individus ?

Objections :

1. L’assomption de la nature humaine s’est faite en vue du salut général de tous les hommes, et c’est pourquoi l’Apôtre déclare (1 Tm 4, 10) que le Christ est " le Sauveur de tous les hommes, surtout des croyants ". Mais la nature, en tant qu’elle existe dans les individus, perd son universalité. Le Fils de Dieu devait donc assumer la nature humaine en tant qu’elle est abstraite de tous les individus.

2. Il faut toujours attribuer à Dieu ce qu’il y a de plus noble. Or, dans n’importe quel genre, le plus important est ce qui est par soi. Le Fils de Dieu a donc dû assumer l’homme en tant que tel et par soi ; mais, d’après les platoniciens, cet homme n’est pas autre chose que la nature humaine abstraite des individus. C’est donc bien cette nature que le Fils de Dieu a dû assumer.

3. D’après ce que nous avons dit à l’article précédent, on ne peut pas soutenir que le Fils de Dieu a pris une nature humaine telle que l’on puisse la signifier au concret par le mot " homme ". Or, la nature ne possède une telle signification que dans les singuliers. C’est donc que le Fils de Dieu a pris la nature humaine en tant qu’elle est abstraite des individus.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit : " La nature que le Verbe incarné a assumée n’est pas celle que nous contemplons dans un acte de pure intellection. Ce ne serait pas là l’incarnation, mais une illusion et un mensonge. " Or la nature humaine, en tant qu’elle est séparée ou abstraite des individus, est objet de pensée et d’intellection pure, car, dit encore le Damascène au même endroit, elle ne subsiste pas par elle-même. Donc le Fils de Dieu n’a pas assumé la nature humaine en tant qu’elle est séparée des singuliers.

Réponse :

La nature de l’homme, ou de toute autre réalité sensible, en dehors de l’être qu’elle possède dans les singuliers, peut être envisagée d’une double manière. On peut la considérer comme ayant l’être par elle-même, en dehors de la matière, comme le prétendaient les platoniciens ; ou bien on peut encore la considérer comme existant dans l’intelligence, soit divine, soit humaine.

À vrai dire, une telle nature ne peut subsister par elle-même, ainsi que le prouve le Philosophe, car la matière sensible appartient à la nature spécifique des réalités sensibles, et entre dans leur définition ; par exemple, les chairs et les os font partie de la définition de l’homme. Il n’est donc pas possible que la nature humaine existe en dehors de la nature sensible.

Si pourtant la nature humaine existait de cette manière, il ne conviendrait pas qu’elle soit assumée par le Verbe de Dieu. - 1° Parce que l’assomption se termine à la personne ; or il est contraire à la nature d’une forme universelle d’exister dans une personne ; personnifiée en effet, elle serait individuée. - 2° Parce que, à une nature commune, on ne peut attribuer que des opérations communes et universelles, qui ne peuvent pas être principes de mérite ou de démérite ; et cependant, c’est afin de mériter pour nous que le Fils de Dieu a assumé la nature humaine. - 3° Parce qu’une telle nature n’est pas objet de connaissance sensible, mais intelligible. Or, le Fils de Dieu a pris la nature humaine pour se rendre visible aux hommes, selon Baruch (3, 38) : "Puis il est apparu sur la terre, et il a vécu avec les hommes."

De même encore, la nature humaine, en tant qu’elle se trouve dans l’intelligence divine, n’a pu être assumée par le Fils de Dieu. Car sous ce rapport elle ne diffère pas de la nature divine ; et par suite c’est de toute éternité que la nature humaine aurait été unie au Fils de Dieu.

Pareillement, il ne convient pas de dire que le Fils de Dieu a assumé la nature humaine en tant qu’elle se trouve dans l’intelligence humaine. Cela signifierait simplement que l’assomption de la nature humaine est objet de connaissance intellectuelle. Et si la nature n’était pas réellement assumée, une telle connaissance serait fausse. L’assomption de la nature humaine ne serait pas autre chose, comme dit le Damascène, qu’une incarnation fictive.

Solutions :

1. Le Fils de Dieu incarné est le Sauveur universel, non pas en ce sens qu’il possède cette universalité de genre ou d’espèce que l’on attribue à une nature abstraite des singuliers, mais en ce sens qu’il est la cause universelle du salut du genre humain.

2. L’homme par soi ne se trouve pas dans la réalité en dehors des individus, comme ont prétendu les platoniciens. Certains disent, il est vrai, que Platon n’aurait admis l’existence de l’homme séparé que dans l’intelligence divine. Mais même en ce sens l’assomption serait impossible, puisque de toute éternité la nature humaine est présente à l’intelligence du Verbe divin.

3. La nature humaine n’a pas été assumée au concret en ce sens que le suppôt aurait été préalable à l’assomption ; mais elle a été assumée dans un individu parce qu’elle a été assumée pour exister individuellement.

 

            Article 5 — Aurait-il été convenable que le Fils de Dieu assume la nature humaine dans tous ses individus ?

Objections :

1. Ce qui est assumé premièrement et par soi, c’est la nature humaine. Or, ce qui convient par soi à une nature convient à tous les individus qui possèdent cette nature. Il convenait donc que la nature humaine soit assumée dans tous ses individus par le Verbe de Dieu.

2. L’Incarnation procède de la charité divine ; de là cette parole de S. Jean (3, 16) -. " Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique. " Mais l’amour fait que l’on se donne à ses amis dans toute la mesure du possible. Or, nous l’avons vu, il était possible au Fils de Dieu d’assumer plusieurs natures humaines, et toutes au même titre. Il convenait donc que le Fils de Dieu assume la nature humaine dans tous ses individus.

3. Un bon ouvrier mène son œuvre à la perfection par le plus court chemin possible. Or le chemin aurait été plus court si tous les hommes avaient été assumés pour réaliser une filiation naturelle, au lieu qu’un seul Fils naturel " en conduise un grand nombre à la filiation adoptive " selon l’épître aux Galates (4, 5). Donc la nature humaine aurait dû être assumée dans tous ses individus par le Fils de Dieu.

En sens contraire, le Damascène écrit : " Le Fils de Dieu n’a pas pris la nature humaine dans son universalité spécifique ; il ne l’a pas davantage assumée dans tous ses suppôts. "

Réponse :

Il ne convient pas que la nature humaine soit assumée par le Verbe dans tous ses suppôts. - 1° Cela aurait enlevé à la nature humaine la pluralité de suppôts qui lui est naturelle. En effet, il n’y a pas dans la nature assumée d’autre suppôt que la personne qui assume ; donc, si la nature humaine entière était assumée, il n’y aurait plus qu’un seul suppôt en elle, à savoir la personne qui assume. - 2° Cela dérogerait à la dignité du Fils de Dieu incarné qui, selon la nature humaine, est "le premier-né parmi beaucoup de frères", comme il est, selon la nature divine "le premier-né de toute créature". Tous les hommes en effet posséderaient la même dignité. - 3° Il convient que, si une seule personne divine s’incarne, une seule nature humaine aussi soit assumée, afin que l’unité se trouve des deux côtés.

Solutions :

1. Il revient en propre à la nature humaine d’être assumée, en ce sens que cela ne lui appartient pas en raison de la personne, comme il arrive pour la nature divine à laquelle il convient d’assumer précisément en raison de la personne. Mais l’assomption ne relève pas des principes essentiels de la nature humaine, ni ne constitue une de ses propriétés naturelles, qu’il faudrait attribuer à tous les suppôts de cette nature.

2. L’amour de Dieu envers les hommes ne se manifeste pas seulement par l’assomption de la nature humaine, mais surtout par les souffrances qu’il a endurées dans sa nature humaine pour les autres hommes, selon S. Paul (Rom 5, 8) : " La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions des ennemis. " Or cela n’aurait pas eu lieu si le Fils de Dieu avait assumé la nature humaine dans tous les hommes.

3. La méthode brève, qu’observe un opérateur avisé, demande qu’on n’emploie pas de multiples moyens là où un seul suffit. C’est pourquoi il était excellent que par un seul homme tous les autres soient sauvés.

 

            Article 6 — A-t-il été convenable que le Fils de Dieu assume la nature humaine dans un homme de la descendance d’Adam ?

Objections :

1. Il semble que non. L’Apôtre écrit en effet (He 7, 26) : "Il convenait que notre grand prêtre fût séparé des pécheurs." Mais il l’aurait été davantage s’il n’avait pas pris une nature humaine de la race d’Adam pécheur.

2. Dans toute catégorie de l’être, le principe est plus noble que ses dérivés. Donc, si le Fils de Dieu voulait prendre la nature humaine, il aurait dû plutôt l’assumer chez Adam lui-même.

3. Les païens furent de plus grands pécheurs que les Juifs, si l’on en croit la Glose interprétant l’épître aux Galates (2, 5) : "Nous sommes Juifs de naissance, et non pécheurs comme les païens." Donc, si le Fils de Dieu voulait assumer une nature humaine tirée d’une race de pécheurs, il aurait dû la prendre chez les païens, plutôt que dans la race d’Abraham le juste.

En sens contraire, dans l’évangile de S. Luc (3,,23) la généalogie du Seigneur remonte jusqu’à à Adam.

Réponse :

Comme dit S. Augustin : "Dieu pouvait prendre un homme ailleurs que dans la race d’Adam qui avait enchaîné le genre humain à son péché. Mais il jugea qu’il valait mieux prendre, dans une race de vaincus, un homme qui deviendrait vainqueur de l’ennemi du genre humain." Et cela pour trois raisons. - 1° Il semble appartenir à la justice que celui qui a péché satisfasse ; il convenait donc que ce fût de la nature corrompue par le péché que fût tiré ce qui servirait à satisfaire pour toute la nature. - 2° Il est plus honorable pour l’homme que le vainqueur du diable sorte de la race vaincue par le diable. - 3° La puissance de Dieu se trouve par là davantage manifestée puisqu’il assume, dans une nature corrompue et faible, ce qui est élevé à une telle puissance et à une si haute dignité.

Solutions :

1. Le Christ devait être séparé des pécheurs sous le rapport de la faute qu’il venait détruire, non sous le rapport de la nature qu’il venait sauver, selon laquelle "il devait être en tout semblable à ses frères", comme dit la même épître aux Hébreux (2, 17). En outre, en assumant cette nature prise dans la masse humaine esclave du péché, il a montré une innocence et une pureté d’autant plus admirables.

2. Comme nous venons de le dire, il fallait que le Christ soit séparé des pécheurs quant à la faute ; or Adam était coupable, et le Christ l’"a délivré de son péché" (Sg 10, 2). Celui qui venait purifier les autres ne devait pas avoir besoin d’être purifié lui-même ; car dans tout système de mouvement le premier moteur est immobile par rapport à ce mouvement même et le premier agent d’une altération est lui-même inaltérable. Il ne convenait donc pas d’assumer la nature humaine chez Adam lui-même.

3. Puisque le Christ devait absolument être séparé des pécheurs quant à la faute et atteindre le degré le plus élevé de pureté, il convenait qu’à partir du premier homme pécheur on parvienne au Christ en passant par quelques justes en qui brilleraient les marques de la sainteté future. C’est pourquoi, dans le peuple dont le Christ devait naître, Dieu institua certains signes de sainteté, à commencer par Abraham qui le premier reçut la promesse du Christ à venir et fut circoncis en témoignage d’une alliance durable, comme il est écrit dans la Genèse (17, 11).

 

 

QUESTION 5 — LES MODES DE L’UNION DU CÔTÉ DES PARTIES DE LA NATURE HUMAINE ASSUMÉE

1. Le Fils de Dieu devait-il assumer un corps véritable ? - 2. Devait-il assumer un corps terrestre, c’est-à-dire fait de chair et de sang ? - 3. A-t-il assumé l’âme ? - 4. Devait-il assumer l’intelligence ?.

 

            Article 1 — Le Fils de Dieu devait-il assumer un corps véritable ?

Objections :

1. S. Paul écrit "Il est devenu semblable aux hommes" (Ph 2, 7). Mais on n’appelle pas "semblable" ce qui est réel. Ce n’est donc pas un véritable corps que le Fils de Dieu a assumé.

2. L’assomption d’un corps n’a dérogé en rien à la dignité divine. Le pape Léon écrit en effet : " Le resplendissement de la gloire divine n’a pas absorbé la nature inférieure, et l’assomption n’a pas amoindri la nature supérieure. " Mais il revient à la dignité de Dieu d’être totalement incorporel. Il semble donc que, par l’assomption, Dieu ne s’est pas uni à un corps.

3. Le signe doit répondre à la chose signifiée. Mais les apparitions de l’Ancien Testament qui préfiguraient la manifestation du Christ, ne se firent pas avec un corps réel, mais dans une vision de l’imagination, comme on le voit chez Isaïe (6, 1) : " J’ai vu le Seigneur assis, etc. " Il semble donc que la venue du Fils de Dieu ne s’est pas faite avec un corps véritable, mais pour l’imagination.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Si le corps du Christ n’a été qu’un fantôme, le Christ nous a trompés. Et s’il nous a trompés, il n’est pas la vérité. Or le Christ est la vérité. Donc son corps ne fut pas un fantôme. " Il est donc évident que le Christ a assumé un corps véritable.

Réponse :

On lit dans le livre des Croyances ecclésiastiques : " Ce n’est pas d’une manière fictive que le Fils de Dieu est né, comme s’il avait eu un corps imaginaire, mais il est né avec un corps véritable. " On peut assigner à cette conduite de Dieu un triple motif : le premier se tire du concept de la nature humaine à laquelle il appartient d’avoir un véritable corps. Si l’on suppose, d’après ce qui précède qu’il convient au Fils de Dieu d’assumer la nature humaine, il s’ensuit qu’il a dû prendre un corps véritable.

Le deuxième motif se prend des actes accomplis dans le mystère de l’Incarnation. Si le Christ n’a eu qu’un corps imaginaire, alors sa mort n’a pas été véritable ; et tout ce que les évangélistes nous racontent à son sujet ne s’est pas produit réellement, mais seulement en apparence. Il faudrait donc conclure que le salut de l’homme n’a pas été obtenu en réalité, car l’effet est analogue à la cause.

Le troisième motif peut être pris de la dignité de la personne qui assume : elle est la vérité, et il ne convient pas que dans son œuvre il y ait du mensonge. D’ailleurs le Seigneur a pris soin de dissiper lui-même cette erreur, lorsqu’il se présenta à ses disciples troublés et terrifiés, qui croyaient voir un esprit et non un corps véritable ; et qu’il leur dit (Lc 24, 37) - " Touchez et constatez qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. "

Solutions :

1. La ressemblance dont il s’agit exprime la vérité de la nature humaine dans le Christ, parce qu’elle est prise au sens où l’on dit que tous ceux qui possèdent la nature humaine sont semblables spécifiquement. Il ne s’agit donc pas d’une ressemblance seulement apparente ; et c’est pourquoi l’Apôtre ajoute : " Il s’est rendu obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ", ce qui ne pourrait se faire s’il s’agissait seulement d’une ressemblance apparente.

2. Le fait pour le Fils de Dieu d’avoir pris un véritable corps n’a diminué en rien sa dignité. Et c’est pourquoi S. Augustin déclare : " Il s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave, afin de devenir esclave ; mais il n’a pas perdu la plénitude de la forme de Dieu. " En effet, le Fils de Dieu n’a pas assumé un véritable corps en vue de devenir forme de ce corps ; cela est contraire à la simplicité et à la pureté divines ; car ce serait assumer un corps dans l’unité de la nature, ce qui est impossible, nous l’avons vu Mais la distinction des natures étant sauve, le Fils de Dieu a assumé un corps dans l’unité de la personne.

3. La figure doit correspondre à la réalité sous le rapport de la ressemblance, non sous le rapport de la réalité elle-même. Si la ressemblance était totale en effet, ce ne serait plus un signe, mais la chose signifiée elle-même, dit S. Jean Damascène. Il convenait donc que les apparitions de l’Ancien Testament, qui étaient des figures, se produisent selon l’apparence ; tandis que la manifestation du Fils de Dieu dans le monde devait se faire avec un corps réel, celui-ci étant la réalité représentée par ces figures. Aussi S. Paul écrit-il (Col 2, 17) : " Ce n’est là que l’ombre de ce qui devait venir ensuite ; la réalité appartient au Christ. "

 

            Article 2 — Le Fils de Dieu devait-il assumer un corps terrestre, c’est-à-dire fait de chair et de sang ?

Objections :

1. L’Apôtre écrit (1 Co 15, 47) : " Le premier homme était terrestre, venant de la terre ; le second homme est céleste, venant du ciel ; " Mais le corps du premier homme, Adam, fut formé de la terre, comme le montre la Genèse ; donc le corps du second homme, le Christ, est du ciel.

2. S. Paul écrit aux Corinthiens (1 Co 15, 50) : " La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu. " Mais le royaume de Dieu se trouve principalement dans le Christ ; c’est donc qu’en lui il n’y a ni chair ni sang, mais plutôt un corps céleste.

3. On doit attribuer à Dieu tout ce qui est le meilleur ; mais parmi tous les corps, le plus noble est le corps céleste, c’est donc un tel corps que le Christ a assumé.

En sens contraire, le Seigneur dit en Luc (24, 39) : " Un esprit n’a pas de chair ni d’os, comme vous voyez que j’en ai. " Or la chair et les os ne viennent pas de la matière d’un corps céleste, mais des éléments inférieurs. Donc le corps du Christ n’était pas un corps céleste, mais un corps charnel et terrestre.

Réponse :

Les raisons qui montrent que le corps du Christ ne pouvait être imaginaire valent également pour montrer qu’il ne devait pas être un corps céleste. 1° De même que la réalité de la nature humaine du Christ ne serait pas sauvegardée s’il avait un corps imaginaire, comme le voulaient les manichéens ; de même elle ne le serait pas davantage si, comme le prétendait Valentin, le Christ possédait un corps céleste. Puisque la forme de l’homme est une réalité naturelle, elle requiert une matière déterminée, avec de la chair et des os qu’il faut faire entrer dans la définition de l’homme, comme le montre le Philosophe. - 2° Une telle conception s’oppose à la vérité des actes accomplis par le Christ avec son corps. Puisque le corps céleste est impassible et incorruptible, comme le démontre Aristote. si le Fils de Dieu avait assumé un corps céleste, il n’aurait pas eu vraiment faim ni vraiment soif ; il n’aurait pu ni souffrir ni mourir. - 3° Cette conception attenterait à la vérité divine. Puisque le Fils de Dieu s’est montré aux hommes comme ayant un corps charnel et terrestre, une telle manifestation serait fausse, s’il avait eu un corps céleste. Et c’est pourquoi il est écrit au livre des Croyances ecclésiastiques : " Le Fils de Dieu est né en prenant sa chair du corps de la Vierge, et non en l’apportant avec lui du ciel. "

Solutions :

1. On dit que le Christ est descendu du ciel en deux sens différents. Premièrement en raison de sa nature divine ; non pas que la nature divine ait cessé d’être au ciel, mais parce qu’elle a commencé d’être ici-bas d’une nouvelle manière, à savoir dans une nature assumée, selon S. Jean (3, 13) : " Personne n’est monté au ciel, si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans les cieux. "

Deuxièmement, le Christ est descendu du ciel en raison de son corps, non pas que ce corps, dans sa substance, soit descendu du ciel ; mais parce qu’il a été formé par la puissance céleste du Saint-Esprit. C’est pourquoi S. Augustin explique ainsi la parole alléguée : " Je dis que le Christ est céleste, parce qu’il n’a pas été conçu d’une semence humaine. " Et c’est de la même manière que parle S. Hilaire.

2. " La chair et le sang " ne sont pas pris ici pour la réalité substantielle, chair et sang ; mais pour la corruption de la chair et du sang. Cette corruption ne se trouvait pas dans le Christ comme étant une faute, mais comme étant une peine temporaire, pour lui faire accomplir l’œuvre de notre rédemption.

3. Le fait même, pour un corps infirme et terrestre, d’être élevé à une telle sublimité contribue à la plus grande gloire de Dieu. Et c’est ce qu’enseigne le concile d’Éphèse, rapportant la parole de S. Théophile : " Les bons artisans ne sont pas seulement dignes d’admiration lorsqu’ils travaillent sur des matières précieuses ; ils le sont bien plus encore lorsque, avec de la boue grossière et de la terre détrempée, ils manifestent la vigueur de leur talent. C’est ainsi que l’Artisan suprême, le Verbe de Dieu, est venu à nous sans prendre la matière précieuse d’un corps céleste, mais a montré avec la boue d’un corps terrestre la magnificence de son art. "

 

            Article 3 — Le Fils de Dieu a-t-il assumé l’âme ?

Objections :

1. S. Jean, écrit au sujet du mystère de l’Incarnation : " Le Verbe s’est fait chair ", sans faire aucune mention de l’âme. Or, quand on dit que le Verbe s’est fait chair, cela ne veut pas dire qu’il s’est changé en la chair, mais qu’il l’a assumée. Il ne semble donc pas qu’il ait assumé l’âme.

2. L’âme est nécessaire au corps. Mais le corps du Christ n’avait pas besoin d’âme pour cela, puisqu’il est dit dans un Psaume (36, 10), au sujet du Verbe de Dieu : " Seigneur, la source de la vie est en toi. " L’âme n’avait donc pas de raison d’être, là où le Verbe se trouvait présent. Et comme " Dieu et la nature ne font rien d’inutile ", selon le Philosophe, il semble que le Fils de Dieu n’a pas dû assumer l’âme.

3. L’union de l’âme et du corps constitue une nature commune qui est l’espèce humaine. " Mais dans le Seigneur Jésus Christ, dit S. Jean Damascène, " il ne peut y avoir une espèce commune. " Le Fils de Dieu n’a donc pas assumé l’âme.

En sens contraire, S. Augustin déclare " N’écoutons pas ceux qui prétendent que le Verbe de Dieu n’a pris qu’un corps humain, et qui entendent cette parole : (Le Verbe s’est fait chair) en ce sens que, se faisant homme, il n’aurait assumé ni l’âme, ni rien d’humain, que la chair seule. "

Réponse :

Comme l’écrit S. Augustin ce fut d’abord l’opinion d’Arius, puis d’Apollinaire, que le Fils de Dieu avait assumé une chair sans âme, et que le Verbe lui tenait lieu d’âme. Il s’ensuivrait que dans le Christ, il n’y avait pas deux natures, mais une seule, car c’est l’union de l’âme et du corps qui constitue la nature humaine.

Or une telle opinion ne peut se soutenir pour trois raisons. - 1° Elle est contraire à l’enseignement de l’Écriture, où nous voyons le Seigneur lui-même faire mention de son âme (Mt 26, 38) : " Mon âme est triste jusqu’à la mort ", et (Jn 10, 18) : " J’ai le pouvoir de déposer mon âme. " Apollinaire répondait que, dans ces textes, l’âme est prise métaphoriquement ; c’est en ce sens, par exemple, que dans l’Ancien Testament, on parle de l’âme de Dieu (Is 1, 14) : " Mon âme a en horreur vos fêtes et vos solennités. " Mais, ainsi que le note S. Augustin les évangélistes racontent que Jésus a admiré, qu’il s’est mis en colère, qu’il s’est attristé, qu’il a eu faim. De tels faits démontrent qu’il a eu vraiment une âme, comme le fait de manger, de dormir, d’être fatigué prouve qu’il avait un véritable corps humain. Autrement, si l’on voit dans toutes ces expressions des métaphores, sous prétexte que des choses semblables se lisent au sujet de Dieu dans l’Ancien Testament, notre foi au récit évangélique disparaîtra. Autre chose est l’annonce prophétique faite en langage symbolique, autre chose le récit historique des évangélistes portant sur la réalité même des faits.

2° Cette erreur détruit l’utilité de l’Incarnation, en empêchant la rédemption de l’homme. Voici en effet comment argumente S. Augustin, : "Si le Fils de Dieu a assumé la chair en omettant l’âme, ou bien, la considérant comme innocente, il n’a pas cru qu’elle eût besoin de remède ; ou bien, estimant qu’elle lui était étrangère, il ne lui a pas accordé le bienfait de la rédemption ; ou bien encore, la jugeant absolument incurable, il n’a pu la guérir ; ou bien enfin, la jugeant trop vile et impropre à tout usage, il l’a rejetée. Or, deux de ces hypothèses constituent un blasphème contre Dieu. Comment serait-il le Tout-Puissant, s’il n’a pu guérir un cas désespéré ? Ou comment serait-il le Dieu de tous les êtres, si ce n’est pas lui qui a créé notre âme ? Quant aux deux autres hypothèses, l’une ignore le cas spécial de l’âme, l’autre ne tient pas compte de sa valeur. Est-ce comprendre le cas de l’âme que de s’efforcer de la rendre innocente de tout péché de transgression volontaire, alors que la raison naturelle la rendait apte à connaître et à accepter la loi ? Est-ce apprécier sa valeur que la dire méprisée et vile ? Si l’on regarde son origine, la substance de l’âme est plus précieuse que la chair ; si l’on considère le péché, par lequel elle transgresse la loi, l’âme, à cause de son intelligence, est pire que la chair. Mais moi, je dis et je sais que le Christ est la parfaite sagesse, et ne mets pas en doute sa très grande miséricorde ; en raison de sa sagesse, il n’a pas méprisé l’excellence de l’âme et son aptitude à la vertu ; à cause de sa miséricorde, il l’a prise et assumée, parce qu’elle était blessée davantage." 3° L’opinion d’Arius et d’Apollinaire va contre la vérité même de l’Incarnation. En effet, la chair et les autres parties de l’homme n’acquièrent leur nature spécifique que par l’âme ; s’il n’y a pas d’âme, les os, la chair ne sont tels que dans un sens équivoque, comme le prouve Aristote.

Solutions :

1. Quand on dit : " Le Verbe s’est fait chair ", la chair est prise ici pour l’homme tout entier ; c’est comme si l’on disait : " Le Verbe s’est fait homme. " Ainsi est-il dit dans Isaïe (40, 5) : " Toute chair verra le salut de Dieu. " Cette manière de parler est motivée par ce fait que, dans la chair, le Fils de Dieu nous a été rendu visible ; et c’est pourquoi le texte de Jean ajoute : " Et nous avons vu sa gloire. " On peut encore donner cette autre raison avec S. Augustin : " Dans toute cette assomption très une, le Verbe est l’élément principal, la chair l’élément inférieur et dernier. Aussi l’évangéliste, voulant nous faire aimer l’humilité de Dieu, a nommé le Verbe et la chair, et a passé sous silence l’âme qui est inférieure au Verbe et supérieure à la chair. " Il convenait en effet de nommer la chair qui est plus éloignée du Verbe et paraît le moins susceptible d’être assumée.

2. Le Verbe est source de la vie, comme sa première cause efficiente. Mais l’âme est principe de la vie corporelle, en tant que forme du corps. Or, la forme est un effet de la cause efficiente. Aussi, de la présence du Verbe, on peut conclure davantage que ce corps a une âme ; comme de la présence du feu, on peut conclure que le corps, avec lequel il est en contact, est chaud.

3. Rien n’empêche, et il est même nécessaire de dire que, dans le Christ, il y a une nature, constituée par l’âme unie au corps. Ce que nie le Damascène, c’est qu’il y ait dans le Christ une espèce commune, sorte de composé résultant de l’union de la divinité et de l’humanité.

 

            Article 4 — Le Fils de Dieu devait-il assumer l’intelligence ?

Objections :

1. Le Fils de Dieu ne semble pas avoir assumé l’esprit ou l’intelligence humaine. Là, en effet, où se trouve présente la réalité, l’image est inutile. Mais " l’homme, par son esprit, est à l’image de Dieu " enseigne S. Augustin. Par conséquent, dans le Christ où se trouvait présent le Verbe divin, il ne devait pas y avoir d’esprit humain.

2. Une forte lumière fait disparaître une lumière moins vive. Mais le Verbe de Dieu, " lumière qui illumine tout homme venant en ce monde " (Jn 1, 9), est à l’esprit humain ce qu’une puissante lumière est à une autre moins vive ; l’esprit humain est comme une lampe éclairée par la lumière éternelle, selon cette parole (Pr 20, 27) : " L’âme de l’homme est une lampe du Seigneur. " Dans le Christ, qui est le Verbe de Dieu, il n’y avait donc pas besoin d’esprit humain.

3. L’assomption de la nature humaine par le Verbe de Dieu est appelée son incarnation. Mais l’intelligence n’est ni chair, ni l’acte d’une chair, car, comme le prouve Aristote, elle n’est l’acte d’aucun corps. Il semble donc que le Fils de Dieu n’a pas assumé l’intelligence humaine.

En sens contraire, S. Augustin déclare "Tiens fermement et sans hésitation que le Christ, Fils de Dieu, a une véritable chair, comme la nôtre, et une âme rationnelle. Il dit en effet au sujet de sa chair (Lc 24, 39) : "Touchez et voyez qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai" ; il démontre qu’il a une âme lorsqu’il dit (Jn 10, 17) : "je dépose mon âme, et de nouveau je la reprends" ; il manifeste qu’il a une intelligence, lorsqu’il dit (Mt 11, 29) "Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur". Et c’est de lui que Dieu dit par le prophète (Is 52,13) : "Voici que mon serviteur aura l’intelligence.""

Réponse :

Comme dit S. Augustin : "Les apollinaristes se séparèrent de l’Église catholique au sujet de l’âme du Christ, en soutenant, comme les ariens, que le Christ Dieu n’avait pris qu’une chair sans âme ; puis, vaincus sur ce point par les témoignages évangéliques, ils prétendirent que l’intelligence avait fait défaut à l’âme du Christ, et que le Verbe lui-même en tenait lieu."

Mais cette opinion se réfute par les mêmes raisons que précédemment. - 1° Elle contredit le récit évangélique qui rapporte que le Christ a admiré (Mt 8, 10) ; or l’admiration n’est pas possible sans la raison, car elle suppose la comparaison de l’effet et de sa cause, et se produit quand, voyant un effet, on ignore et on cherche sa cause, selon Aristote.

2° Elle contredit l’utilité de l’Incarnation, qui est de justifier l’homme du péché. L’âme humaine n’est capable de péché et de grâce sanctifiante qu’en raison de l’intelligence ; il fallait donc que l’intelligence humaine surtout fût assumée. Et c’est pourquoi le Damascène affirme : " Le Verbe de Dieu a pris un corps, et une âme intellectuelle et rationnelle " ; puis il ajoute : " Le tout est uni au tout, afin qu’à tout moi-même le salut soit accordé ; car ce qui n’est pas assumé ne peut être guéri. "

3° Cette opinion contredit la vérité de l’Incarnation. Puisque le corps est proportionné à l’âme comme la matière à sa forme propre, une chair qui ne possède pas une âme humaine rationnelle n’est pas une véritable chair humaine. C’est pourquoi, si le Christ avait eu une âme sans intelligence, il n’aurait pas eu une chair véritablement humaine, mais une chair animale ; car c’est par la seule intelligence que notre âme diffère de l’âme des bêtes. Et c’est pourquoi S. Augustin affirme qu’en suivant cette erreur, il faudrait conclure que le Fils de Dieu " aurait assumé un animal à figure humaine " ce qui s’oppose à la vérité divine laquelle ne supporte pas de faux semblant.

Solutions :

1. Là où la réalité elle-même est présente, l’image n’est pas nécessaire pour tenir sa place ; c’est ainsi que lorsque l’empereur était présent, les soldats ne vénéraient pas son image. Mais l’image est requise avec la réalité, quand la présence de celle-ci doit la parfaire ; c’est ainsi que l’image dans la cire n’est produite que par l’impression du sceau ; de même l’image d’un homme ne se reflète dans le miroir que si cet homme est présent. Aussi était-il nécessaire que le Verbe de Dieu unît à lui-même l’intelligence humaine pour le parfaire.

2. Une lumière puissante fait disparaître la lumière moins vive d’un autre corps éclairant, mais elle n’efface pas l’éclat d’un corps éclairé, elle le renforce. C’est ainsi qu’en présence du soleil, la lumière de l’air s’accroît. Or l’intelligence humaine est comme une lumière éclairée par celle du Verbe divin, c’est pourquoi la personne du Verbe ne fait pas disparaître, mais plutôt perfectionne l’intelligence humaine.

3. Sans doute la faculté intellectuelle n’est pas l’acte d’un corps. Mais l’essence de l’âme humaine qui est forme du corps exige, pour être la plus noble, d’avoir la faculté de l’intelligence ; et c’est pourquoi il lui faut un corps mieux disposé.

 

 

QUESTION 6 — LE MODE DE L’UNION QUANT À L’ORDRE DANS LEQUEL S’EST RÉALISÉE L’ASSOMPTION DES PARTIES DE LA NATURE HUMAINE

1. Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme ? 2. A-t-il assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit ou de l’intelligence ? - 3. L’âme a-t-elle été assumée avant la chair ? - 4. La chair du Christ a-t-elle été assumée par le Verbe avant d’être unie à l’âme ? - 5. La nature humaine tout entière a-t-elle été assumée par l’intermédiaire de ses parties ? - 6. A-t-elle été assumée par l’intermédiaire de la grâce ?

 

            Article 1 — Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme ?

Objections :

1. Le mode d’union du Fils de Dieu à la nature humaine est plus parfait que celui par lequel il existe dans toutes les créatures. Or il y existe de façon immédiate par son essence, sa puissance et sa présence. A plus forte raison par conséquent se trouve-t-il uni immédiatement à la chair, sans intermédiaire de l’âme.

2. L’âme et la chair sont unies au Verbe de Dieu dans l’unité de l’hypostase ou personne ; mais le corps appartient immédiatement à l’hypostase ou personne de l’homme. Bien plus, il semble que le corps de l’homme, qui constitue la matière, soit plus près de l’hypostase que l’âme, qui constitue la forme de l’être humain ; car le principe d’individuation impliqué dans le terme " hypostase " semble être la matière. Ce n’est donc pas par l’intermédiaire de l’âme que le Fils de Dieu a assumé la chair.

3. Quand on supprime un intermédiaire, les extrêmes dont il est le lien se trouvent séparés ; ainsi supprimez la surface, et la couleur qui se trouve dans le corps par son intermédiaire est séparée du corps. Or, l’âme ayant été séparée du corps par la mort, l’union du Verbe à la chair est demeurée, comme on le montrera plus tarda. Le Verbe n’est donc pas uni à la chair par l’intermédiaire de l’âme.

En sens contraire, S. Augustin affirme : " La grandeur de la puissance divine s’est uni une âme rationnelle, et par elle un corps humain ; elle s’est ajusté l’homme tout entier afin de le rendre meilleur. "

Réponse :

L’intermédiaire est ainsi appelé à l’égard du principe et de la fin. Aussi, de même que le principe et la fin impliquent un ordre, de même l’intermédiaire. Or il y a deux sortes d’ordre : l’ordre de temps et l’ordre de nature. Selon l’ordre temporel, on ne peut parler d’intermédiaire dans le mystère de l’Incarnation, parce que le Verbe de Dieu s’est uni à la fois toute la nature humaine, comme on le montrera dans la suite. Quand à l’ordre de nature, il peut s’entendre de deux manières : ou bien il s’agit d’un ordre de dignité ; c’est ainsi que nous disons que les anges sont intermédiaires entre les hommes et Dieu ; ou bien il s’agit d’un ordre de causalité ; c’est ainsi que l’on parle d’une cause intermédiaire entre la cause première et l’effet ultime. Ce second ordre est de quelque façon une conséquence du premier, car, dit Denys : " Dieu, par les substances qui sont les plus proches de lui, agit sur les plus éloignées. " Donc, si nous considérons le degré de dignité, l’âme apparaît comme un intermédiaire entre Dieu et la chair ; et en ce sens on peut dire que le Fils de Dieu s’est uni la chair par l’intermédiaire de l’âme. Mais si nous considérons l’ordre de causalité, l’âme est de quelque manière cause de l’union de la chair au Fils de Dieu. Car celle-ci n’est susceptible d’être assumée que par le rapport qu’elle soutient avec l’âme rationnelle, qui en fait une chair humaine. Comme nous l’avons dit la nature humaine est plus que toute autre nature susceptible d’être assumée.

Solutions :

1. On peut envisager un double rapport entre la créature et Dieu. Le premier tient à ce que les créatures sont causées par Dieu et dépendent de lui comme du principe de leur existence. De ce point de vue, en vertu de l’infinité de sa puissance, Dieu atteint immédiatement toutes choses, en les causant et en les conservant. C’est à cela qu’il faut rattacher son existence en toutes choses par son essence, sa présence et sa puissance.

Le second rapport vient de ce que les choses se ramènent à Dieu comme à leur fin. De ce point de vue, on trouve des intermédiaires entre la créature et Dieu ; car " les créatures inférieures se ramènent à Dieu par les supérieures ", enseigne Denys. C’est à ce rapport qu’appartient l’assomption de la nature humaine par le Verbe de Dieu, qui est le terme de l’assomption. Et c’est pourquoi il est uni à la chair par l’âme.

2. Si l’hypostase du Verbe de Dieu était constituée simplement par la nature humaine, le corps serait plus près de cette hypostase, puisqu’il est la matière, laquelle est principe d’individuation ; comme l’âme, qui est la forme spécifique, est en relation plus prochaine avec la nature humaine. Mais parce que l’hypostase du Verbe est première et plus haute, ce seront les parties supérieures de la nature humaine qui seront les plus proches de cette hypostase. Et c’est pourquoi l’âme est plus proche du Verbe de Dieu que le corps.

3. Ce qui est cause sous le rapport de l’aptitude, ou de la convenance, peut disparaître sans que l’effet soit supprimé ; car un être qui dépend d’un autre dans son devenir, n’en dépend plus une fois réalisé. Ainsi l’amitié est produite parfois par une circonstance, qui disparaît ensuite sans que l’amitié cesse ; ainsi encore, dans le mariage, la beauté de la femme concourt à l’union conjugale, laquelle n’en demeure pas moins, une fois la beauté disparue. C’est de la même manière qu’une fois l’âme séparée du corps, l’union du Verbe à la chair demeure.

 

            Article 2 — Le Fils de Dieu a-t-il assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit ou de l’intelligence ?

Objections :

1. Une même réalité ne peut être intermédiaire entre elle-même et autre chose. Or l’esprit ou intelligence n’est pas autre chose essentiellement que l’âme elle-même, comme on l’a établi dans la première Partie. Le Fils de Dieu n’a donc pas assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit ou intelligence.

2. Ce qui est moyen d’assomption semble devoir être lui-même plus susceptible d’être assumé. Mais l’esprit ou intelligence ne l’est pas plus que l’âme ; et la preuve en est que les esprits angéliques ne le sont pas, nous l’avons dit. Le Fils de Dieu n’a donc pas assumé l’âme par le moyen de l’esprit.

3. Le moyen d’assomption doit être antérieur à ce qui est assumé ; mais par l’âme nous entendons l’essence elle-même qui est logiquement antérieure à sa puissance, à savoir l’intelligence. Il ne semble donc pas que le Fils de Dieu ait assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit ou de l’intelligence.

En sens contraire, S. Augustin affirme " La vérité invisible et immuable a assumé l’âme par le moyen de l’esprit, et le corps par le moyen de l’âme. "

Réponse :

Nous avons montré que, soit au point de vue de l’ordre de dignité, soit au point de vue de la possibilité d’être assumé, on peut dire que le Fils de Dieu a assumé la chair par le moyen de l’âme. Ces deux points de vue se retrouvent si nous comparons l’intelligence que l’on appelle aussi l’esprit, aux autres parties de l’âme. En effet, l’âme est susceptible d’être assumée sous le rapport de la convenance uniquement parce qu’elle est capable de Dieu et faite à son image ; et cela selon l’intelligence ou esprit, d’après S. Paul (Ep 4, 23) : " Renouvelez-vous dans l’esprit de votre intelligence. " Pareillement, l’intelligence est de toutes les parties de l’âme la plus haute, la plus digne, la plus semblable à Dieu. On peut donc dire avec S. Jean Damascène : " Le Verbe de Dieu s’est uni à la chair par l’intermédiaire de l’intelligence ; l’intelligence est en effet la partie la plus pure de l’âme ; or Dieu est intelligence. "

Solutions :

1. L’intelligence ne se distingue pas essentiellement de l’âme ; mais comme puissance, elle se distingue des autres parties de l’âme ; et en ce sens il lui revient d’être intermédiaire.

2. Ce n’est pas par défaut de dignité que l’esprit angélique est inapte à l’assomption, mais parce que sa faute est irréparable ; or on ne peut en dire autant de l’esprit humain, d’après ce que nous avons montré dans la première Partie.

3. Par l’âme, qui a l’intelligence pour intermédiaire entre elle et le Verbe de Dieu, nous n’entendons pas l’essence de l’âme, commune à toutes les puissances, mais les puissances inférieures, communes à toute âme.

 

            Article 3 — L’âme a-t-elle été assumée avant la chair ?

Objections :

1. Le Fils de Dieu, on l’a dit, a assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme. Mais on parvient à l’intermédiaire avant de parvenir au terme. Le Fils de Dieu a donc assumé l’âme avant le corps.

2. L’âme du Christ est plus noble que les anges, selon cette parole du Psaume (97, 7) : " Vous tous, ses anges, adorez-le. " Mais les anges ont été créés dès le principe, selon notre première Partie. Donc aussi l’âme du Christ. Or cette âme n’a pas été créée avant d’être assumée, car, comme dit le Damascène : " Jamais l’âme ni le corps du Christ n’ont eu d’hypostase propre. " Il semble donc que l’âme fut assumée avant la chair, laquelle fut conçue dans le sein de la Vierge.

3. On lit dans S. Jean (1, 14) : " Nous l’avons vu plein de grâce et de vérité ", et l’évangéliste ajoute que " nous recevons tous de sa plénitude ". Tous, c’est-à-dire, explique S. Jean Chrysostome, tous les fidèles à quelque époque que ce soit. Mais cela ne serait pas si l’âme du Christ n’avait pas eu la plénitude de la grâce et de la vérité avant tous les saints qui existèrent depuis l’origine du monde, car la cause ne peut être postérieure à son effet. Donc, la plénitude de grâce et de vérité était dans l’âme du Christ à cause de son union au Verbe, selon cette parole : " Nous avons vu sa gloire, comme celle du Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. "

Il semble en découler que dès le commencement du monde l’âme du Christ fut assumée par le Verbe de Dieu.

En sens contraire, le Damascène écrit " L’intelligence n’a pas été unie au Dieu Verbe, comme certains le prétendent mensongèrement, avant l’Incarnation, qui s’est faite de la Vierge, et à partir de laquelle le Fils de Dieu s’est appelé le Christ. "

Réponse :

Origène a prétendu que toutes les âmes avaient été créées dès le principe, et parmi elles l’âme du Christ. Mais c’est déraisonnable, car si l’on admet qu’elle fut créée à ce moment, sans être aussitôt unie au Verbe, il s’ensuivrait qu’à un moment donné cette âme a eu une substance propre en dehors du Verbe. Et quand elle a été assumée par le Verbe, ou bien l’union ne se serait pas faite sous le rapport de la subsistance, ou bien la première subsistance de l’âme aurait été détruite.

On aboutit à un inconvénient semblable, si l’on admet que dès le principe l’âme a été unie au Verbe, et qu’ensuite elle a été incarnée dans le sein de la Vierge. Car alors l’âme du Christ ne semblerait pas être de même nature que les nôtres, qui sont créées en même temps qu’elles sont unies à leurs corps. De là cette parole du pape S. Léon : " Sa chair n’était pas d’une nature différente de la nôtre, son âme n’est pas vivifiée par un principe différent de celui des autres hommes. "

Solutions :

1. Comme on l’a déjà vu quand nous disons que l’âme du Christ est intermédiaire dans l’union de la chair au Verbe, il s’agit d’un ordre de nature et non d’un ordre temporel.

2. Comme l’écrit le pape S. Léon : " L’âme du Christ surpasse les nôtres non par un genre différent, mais par l’élévation de sa puissance. " En effet, elle est du même genre que les nôtres, mais elle dépasse même les anges en plénitude de grâce et de vérité. Or le mode de création pour l’âme correspond à sa nature ; parce qu’elle est forme du corps, elle doit être unie au corps en même temps que créée ; ce qui ne convient pas aux anges, dont les substances sont totalement indépendantes d’un corps.

3. Tous les hommes reçoivent de la plénitude du Christ selon la foi qu’ils ont en lui, car S. Paul affirme (Rm 3, 22) : " La justice de Dieu par la foi en Jésus Christ est octroyée à tous ceux qui croient en lui. " Or, de même que nous croyons en lui comme déjà né, ainsi les anciens ont cru en lui comme devant naître : " Possédant le même esprit de foi, nous aussi nous croyons " (2 Co 4, 13). Or la foi au Christ a la vertu de justifier, selon le dessein de la grâce de Dieu, d’après S. Paul (Rm 4, 5) : " L’homme qui n’a pas d’œuvres, mais qui croit en celui qui justifie l’impie, sa foi lui est imputée à justice selon le dessein de la grâce de Dieu. " Et puisque ce dessein est éternel, rien n’empêche que par la foi au Christ Jésus certains soient justifiés même avant que son âme ait été pleine de grâce et de vérité.

 

            Article 4 — La chair du Christ a-t-elle été assumée par le Verbe avant d’être unie à l’âme ?

Objections :

1. S. Augustin affirme. " Tiens fermement et sans aucune hésitation que la chair du Christ n’a pas été conçue dans le sein de la Vierge avant d’être assumée par le Verbe. " Or il semble que la chair du Christ a été conçue avant d’être unie à l’âme rationnelle ; en effet, la matière ou la disposition est antérieure, dans l’ordre de génération, à la forme perfective. La chair du Christ a donc été assumée avant d’être unie à l’âme.

2. L’âme est une partie de la nature humaine ; de même le corps. Mais l’âme humaine, chez le Christ, n’a pas un autre principe d’existence que chez les autres hommes, comme le montre l’enseignement de S. Léon rapporté plus haut. Il semble donc que le corps du Christ, lui non plus, ne doit pas avoir un principe d’existence différent du nôtre. Mais chez nous la chair est conçue avant que l’âme rationnelle lui soit unie ; donc aussi chez le Christ. Et ainsi la chair a été assumée par le Verbe avant d’être unie à l’âme.

3. On lit dans le livre Des Causes : " La cause première influe davantage sur l’effet que la cause seconde et lui est unie avant celle-ci. " Or, l’âme du Christ par rapport au Verbe est comme la cause seconde par rapport à la cause première. Le Verbe est donc uni à la chair, avant de l’être à l’âme.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit : " C’est en même temps que la chair est devenue la chair du Verbe de Dieu et la chair animée d’une âme rationnelle et intellectuelle. " L’union du Verbe à la chair n’a donc pas précédé son union à l’âme.

Réponse :

La chair humaine peut être assumée par le Verbe selon le rapport qu’elle soutient avec l’âme rationnelle, qui est sa forme propre. Mais elle ne possède pas ce rapport avant d’être unie à l’âme rationnelle, car une matière ne devient matière propre d’une forme quelconque que lorsqu’elle reçoit cette forme, et de là vient que l’altération n’est achevée qu’au moment même où la forme substantielle est introduite. C’est pourquoi la chair n’a pas été assumée avant d’être devenue une chair humaine, c’est-à-dire avant d’être unie à l’âme rationnelle. De même donc que l’âme ne pouvait être assumée avant la chair, parce qu’il est contraire à la nature de l’âme d’exister avant d’être unie au corps ; de même la chair ne pouvait être assumée avant l’âme, parce qu’elle n’est pas chair humaine avant de posséder une âme rationnelle.

Solutions :

1. La chair humaine acquiert son être par l’âme. Et c’est pourquoi, avant son union à l’âme, elle n’est pas chair humaine, mais seulement en disposition à devenir telle. Pourtant, dans la conception du Christ, l’Esprit Saint, agent d’une puissance infinie, a disposé la matière et au même instant lui a donné son achèvement.

2. La forme donne la spécification en acte ; la matière, pour autant qu’il est en elle, est en puissance à cette spécification. C’est pourquoi il est contraire à la raison de forme de préexister à la nature spécifiée, car celle-ci n’est constituée que par son union à la forme ; mais rien ne s’oppose à ce que la matière préexiste. La différence qu’il y a entre notre génération et celle du Christ, c’est que notre chair est conçue avant d’être animée, tandis qu’il n’en est pas ainsi du Christ. De même, nous sommes conçus à partir d’une semence virile, mais non pas le Christ. Nous ne pouvons en dire autant au sujet de la production de l’âme : ce serait admettre entre celle du Christ et la nôtre une diversité de nature.

3. Nous admettons que le Verbe de Dieu est uni à la chair avant de l’être à l’âme, s’il s’agit de cette union commune qui le fait se trouver dans les créatures par essence, puissance et présence ; cependant je parle d’une priorité de nature et non d’une priorité temporelle. Il faut en effet reconnaître que la chair est un être, et que le Verbe la constitue telle, avant qu’elle soit animée par l’âme. Mais s’il s’agit de l’union personnelle, il faut concevoir que la chair est unie à l’âme avant de l’être au Verbe, car c’est son union à l’âme qui la rend apte à être unie à la personne du Verbe, étant donné surtout qu’il n’y a de personne que dans une nature rationnelle.

 

            Article 5 — La nature humaine tout entière a-t-elle été assumée par l’intermédiaire de ses parties ?

Objections :

1. S. Augustin écrit : " La Vérité invisible et immuable a assumé l’âme par le moyen de l’esprit, le corps par le moyen de l’âme, et de cette manière l’homme dans sa totalité. " Mais l’esprit, l’âme et le corps sont les parties du tout humain. Ce tout a donc été assumé par l’intermédiaire des parties.

2. Le Fils de Dieu a assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme, parce que l’âme est plus semblable à Dieu que le corps. Mais les parties de la nature humaine étant plus simples que le tout, il semble qu’elles sont plus semblables à Dieu qui est absolument simple. Le Fils de Dieu a donc assumé le tout par l’intermédiaire des parties.

3. Le tout résulte de l’union des parties ; mais l’union doit être regardée comme le terme de l’assomption, tandis que les parties sont comprises préalablement à l’assomption. L’assomption du tout se fait donc par les parties.

En sens contraire, S. Jean Damascène déclare : " En notre Seigneur Jésus Christ nous n’envisageons pas les parties des parties, mais seulement les composants immédiats, c’est-à-dire la divinité et l’humanité. " Or l’humanité est un tout composé de l’âme et du corps qui sont ses parties. Le Fils de Dieu a donc assumé les parties par l’intermédiaire du tout.

Réponse :

Quand on parle d’intermédiaire dans l’assomption de l’Incarnation, il ne s’agit pas d’un ordre temporel, car l’assomption du tout et de toutes ses parties s’est faite en même temps. Nous avons montré qu’au même instant le corps et l’âme ont été unis pour constituer la nature humaine dans le Verbe. Il s’agit ici seulement d’un ordre de nature, et ce qui est postérieur en nature est assumé par l’intermédiaire de ce qui est premier. Mais la priorité de nature est double, selon que l’on se place du côté de l’agent, ou du côté de la matière ; car ces deux causes préexistent à l’effet. Du côté de l’agent, est absolument premier ce qui se trouve dans son intention ; n’est premier que relativement ce qui constitue le point de départ de l’opération, et cela parce que l’intention est antérieure en effet à l’opération. Du côté de la matière est premier ce qui se trouve au début de la transformation de la matière.

Mais, dans l’Incarnation, ce qu’il faut surtout considérer, c’est l’ordre du côté de l’agent, car, comme l’écrit S. Augustin : " En ces sortes de choses, toute l’explication de l’œuvre se trouve dans la puissance de celui qui opère " Or, il est manifeste que dans l’intention de celui qui opère, l’achevé est antérieur à l’inachevé, et donc le tout précède les parties. Par conséquent, il faut reconnaître que le Verbe de Dieu a assumé les parties de la nature humaine par l’intermédiaire du tout. De même qu’il a assumé le corps à cause du rapport qu’il soutient avec l’âme rationnelle, de même il a assumé le corps et l’âme à cause du rapport qu’ils ont avec la nature humaine.

Solutions :

1. Le texte cité signifie seulement que le Verbe, en assumant les parties de la nature humaine, a assumé toutes les parties de cette nature. Ainsi, pour l’esprit, l’assomption des parties est première dans l’ordre de réalisation, non dans le temps. Dans l’ordre d’intention, au contraire, l’assomption de la nature est première, et cette priorité-là est absolue, comme on vient de le dire.

2. Dieu est si simple qu’il est la perfection absolue. C’est pourquoi le tout, en tant qu’il est plus parfait, est plus semblable à Dieu que les parties.

3. L’union personnelle est le terme de l’assomption ; mais non l’union de nature qui résulte de la conjonction des parties.

 

            Article 6 — La nature humaine a-t-elle été assumée par l’intermédiaire de la grâce ?

Objections :

1. La grâce nous unit à Dieu. Mais dans le Christ la nature humaine fut unie à Dieu au maximum. Donc cette union a été réalisée par la grâce.

2. De même que le corps vit par l’âme qui le perfectionne, de même l’âme vit par la grâce. Mais la nature humaine est rendue apte à l’assomption par l’âme. Donc l’âme est rendue apte à l’assomption par la grâce, et le Fils de Dieu a assumé l’âme par le moyen de la grâce.

3. S. Augustin dit que le Verbe incarné est comparable à notre verbe intérieur se manifestant par la voix ; mais notre verbe est uni à la parole par l’intermédiaire de l’esprit (ou souffle). Le Verbe de Dieu est donc uni à la chair par l’intermédiaire de l’Esprit Saint, et ainsi par l’intermédiaire de la grâce, que l’Apôtre attribue à l’Esprit Saint (1 Co 12, 4) : " Les grâces sont diverses, mais l’Esprit est unique. "

En sens contraire, la grâce est un accident de l’âme, comme on l’a vu dans la première Partie. Or l’union du Verbe à la nature humaine s’est faite hypostatiquement et non par accident, on l’a montré plus haut. Donc la nature humaine n’a pas été assumée par l’intermédiaire de la grâce.

Réponse :

Dans le Christ on discerne la grâce d’union et la grâce habituelle. Donc, que nous parlions de l’une ou de l’autre, on ne peut faire de la grâce un intermédiaire dans l’assomption de la nature humaine. En effet, la grâce d’union, c’est l’être personnel lui-même qui a été donné gratuitement par Dieu à la nature humaine en la personne du Verbe, lequel est le terme de l’assomption. Quant à la grâce habituelle, qui sanctifie cet homme spirituel, elle est un effet de l’union, selon S. Jean (1, 14) : " Nous avons vu sa gloire, comme celle du Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. " Cela signifie que, du fait que cet homme est Fils unique du Père (et il l’est par l’union), il possède la plénitude de la grâce et de la vérité.

Mais si, par grâce, on entend la volonté de Dieu faisant un don gratuit, il est vrai de dire que l’union s’est faite par grâce : la grâce n’est pas alors moyen, mais cause efficiente de l’union.

Solutions :

1. Notre union à Dieu se fait par notre activité, en tant que nous le connaissons et l’aimons. C’est pourquoi une telle union se fait par la grâce habituelle, en tant que l’opération parfaite procède de l’habitus. Mais l’union de la nature humaine au Verbe de Dieu se fait dans l’être personnel, lequel ne dépend pas d’un habitus, mais immédiatement de la nature elle-même.

2. L’âme parfait le corps substantiellement, la grâce parfait l’âme accidentellement. Et c’est pourquoi la grâce ne peut ordonner l’âme à cette union, qui n’est pas accidentelle, pas plus que celle de l’âme et du corps.

3. Notre verbe est uni à la voix, par l’intermédiaire de l’esprit (ou souffle) 8 ; Celui-ci n’est pas l’intermédiaire formel, mais plutôt l’intermédiaire efficient ; car de notre verbe conçu intérieurement procède l’esprit qui forme la voix parlée. Pareillement, du Verbe éternel procède l’Esprit Saint, qui a formé le corps du Christ, comme nous le verrons plus loin Mais il ne s’ensuit pas que la grâce du Saint-Esprit soit le moyen formel de cette union.

I1 faut maintenant étudier les réalités assumées par le Fils de Dieu dans la nature humaine par voie de conséquence. Ce sont : 1° Celles qui ressortissent à sa perfection. - 2° Celles qui ressortissent à ses déficiences (Q. 14).

Au sujet de sa perfection, il faudra étudier : I. La grâce du Christ (Q. 7-8). - II. Sa science (Q. 9-12). - III. Sa puissance (Q. 13).

Sur la grâce du Christ, l’étude se partagera en deux. Premièrement sa grâce en tant qu’il est un homme individuel (Q. 7). Deuxièmement sa grâce en tant qu’il est la tête, le chef de l’Église (Q. 8).

 

 

QUESTION 7 — LA GRÂCE DU CHRIST EN TANT QU’HOMME INDIVIDUEL

1. Y a-t-il dans l’âme du Christ la grâce habituelle ? - 2. Y a-t-il eu chez lui des vertus ? - 3. A-t-il eu la foi ? - 4. A-t-il eu l’espérance ? - 5. A-t-il possédé les dons du Saint-Esprit ? - 6. A-t-il eu le don de crainte ? - 7. A-t-il eu les charismes ? - 8. A-t-il eu le charisme de prophétie ? - 9. A-t-il eu la plénitude de la grâce ? - 10. Une telle plénitude lui est-elle propre ? - 11. La grâce du Christ est-elle infinie ? - 12. A-t-elle pu s’accroître ? - 13. Quel rapport cette grâce a-t-elle avec l’union hypostatique ?

 

            Article 1 — Y a-t-il dans l’âme du Christ la grâce habituelle ?

Objections :

1. La grâce est, chez la créature raisonnable, une certaine participation de la divinité, selon S. Pierre (2 P 1, 4) : " Les précieuses, les plus grandes promesses nous été données pour que nous devenions participants de la nature divine. " Or le Christ n’est pas Dieu par participation, il l’est en vérité. Donc il n’y avait pas en lui de grâce habituelle.

2. La grâce est nécessaire à l’homme pour qu’il agisse bien, comme dit S. Paul (2 Co 15, 10) : " J’ai travaillé plus que tous. Quand je dis Moi, j’entends la grâce de Dieu avec moi. " Et aussi pour qu’il obtienne la vie éternelle : " La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle " (Rm 6, 23). Mais le Christ, du seul fait qu’il était Fils de Dieu par nature, avait droit à l’héritage de la vie éternelle. Du fait également qu’il était le Verbe, par qui tout a été fait, il avait le pouvoir de bien agir en tout. Sa nature humaine n’avait donc aucun besoin d’une autre grâce que celle de l’union au Verbe.

3. L’être qui opère à la manière d’un instrument n’a pas besoin d’un habitus pour accomplir ses activités propres ; mais l’habitus a son fondement dans l’agent principal. Or la nature humaine du Christ était " l’instrument de sa divinité " pour S. Jean Damascène. Donc le Christ n’avait pas besoin de la grâce habituelle.

En sens contraire, il y a l’oracle d’Isaïe (11, 2) : " L’Esprit du Seigneur reposera sur lui. " Or cet Esprit existe dans l’homme par la grâce habituelle, on l’a dit dans la première Partie. Le Christ avait donc la grâce habituelle.

Réponse :

Il est nécessaire d’admettre la grâce habituelle dans le Christ, pour trois motifs.

1° A cause de l’union de son âme avec le Verbe de Dieu. En effet, plus l’être qui reçoit est proche de la cause qui l’influence, plus il participe de celle-ci. Or l’influx de la grâce vient de Dieu, selon le Psaume (84, 12) : " Le Seigneur donne la grâce et la gloire. " Et c’est pourquoi il convenait souverainement que l’âme du Christ reçoive l’influx de la grâce divine.

2° À cause de la noblesse de cette âme : elle exigeait que celle-ci pût atteindre Dieu au plus près par ses activités de connaissance et d’amour, ce qui exige que la nature raisonnable soit surélevée par la grâce.

3° À cause de la relation du Christ lui-même avec le genre humain. En effet, le Christ en tant qu’homme est " le médiateur entre Dieu et les hommes " (1 Tm 2, 5). Et c’est pourquoi il lui fallait posséder aussi une grâce rejaillissant sur les autres, selon S. Jean (1, 26) : " Nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce après grâce. "

Solutions :

1. Le Christ est vrai Dieu selon la personne et la nature divines. Mais, parce que l’unité de personne laisse subsister la distinction des natures, on l’a dit, il s’ensuit que l’âme du Christ n’est pas divine par essence. C’est pourquoi il faut qu’elle devienne divine par participation, c’est-à-dire selon la grâce.

2. Le Christ, Fils de Dieu par nature, a droit à l’héritage éternel, c’est-à-dire à la béatitude incréée qui se consomme en l’acte incréé de connaissance et d’amour de Dieu, l’acte même par lequel le Père se connaît et s’aime. Or l’âme n’est pas capable d’un tel acte à cause de la différence de nature. Il fallait donc qu’elle puisse atteindre Dieu par un acte créé de béatitude, lequel ne peut exister que par la grâce.

Pareillement, en tant qu’il est le Verbe de Dieu, le Christ a le pouvoir de bien agir en tout par son opération proprement divine. Mais, en dehors de cette opération, il y a aussi en lui une activité humaine : c’est pour la parfaire que la grâce habituelle est requise, comme on le verrait.

3. L’humanité du Christ n’est pas pour la divinité un instrument inanimé qui serait mû sans se mouvoir lui-même. C’est un instrument animé par une âme rationnelle, qui se meut en même temps qu’il est mû. Et c’est pourquoi, pour parfaire son action propre, il lui faut la grâce habituelle.

 

            Article 2 — Y a-t-il chez le Christ des vertus ?

Objections :

1. Le Christ possède la grâce en abondance. Or, pour bien agir en toutes choses, il n’est requis que la grâce, selon cette parole (2 Co 12, 9) : " Ma grâce te suffit. "

2. Si l’on en croit Aristote, il faut distinguer nettement la vertu et l’héroïsme, qui est un état d’âme en quelque sorte divin et ne s’attribue qu’à des humains. Mais cela convient souverainement au Christ. Le Christ n’a donc pas eu de vertus, étant élevé à un plan d’activité supérieur.

3. On ne peut posséder les vertus que toutes ensemble, nous l’avons dit dans la deuxième Partie. Or la libéralité et la magnificence, qui ont pour objet le bon emploi des richesses, ne sont pas de mise chez le Christ, qui les a méprisées, selon cette parole (Mt 8, 20) : " Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. " Et comment le Christ aurait-il pu posséder la tempérance et la continence qui s’exercent à réfréner les mauvais désirs, qui ne se trouvaient pas en lui ? C’est donc que le Christ n’avait pas de vertus.

En sens contraire, à propos de cette parole du Psaume (1, 2) " Il met son plaisir dans la loi du Seigneur ", il est écrit dans la Glose : " Ce passage montre qu’il y avait dans le Christ une plénitude de bonté. " Mais, une qualité de l’âme ordonnée au bien, c’est la vertu. Il devait donc y avoir dans le Christ une plénitude de vertu.

Réponse :

Comme on l’a dit dans la deuxième Partie de même que la grâce se rapporte à l’essence de l’âme, ainsi la vertu se rapporte à ses puissances. C’est pourquoi, de même que les puissances de l’âme dérivent de son essence, ainsi les vertus sont comme des dérivations de la grâce. Or, plus un principe a de perfection, plus cette perfection rejaillit sur ses effets. La grâce du Christ étant très parfaite, les vertus qui en procèdent devaient donc parfaire également toutes les puissances de son âme, et leurs actes. D’où il suit que le Christ a possédé toutes les vertus.

Solutions :

1. La grâce suffit à l’homme pour tout ce qui a rapport à la béatitude. Sur certains points cependant, elle le parfait par elle-même immédiatement, par exemple en le rendant agréable à Dieu ; sur d’autres points, elle ne le parfait que par le moyen des vertus, qui procèdent de la grâce.

2. L’héroïsme ne diffère de la vertu commune que par le degré plus élevé de perfection morale auquel il dispose l’homme. Il ne suit donc pas, du fait que le Christ a été héroïque, qu’il n’a pas eu toutes les vertus, mais qu’il les a possédées d’une manière très parfaite et supérieure au commun des hommes. C’est en ce sens que Plotin parle d’un mode sublime des vertus, qu’il appelle les vertus de l’âme purifiée.

3. La libéralité et la magnificence sont louables en ce que l’on n’estime pas les richesses au point de manquer à son devoir pour les retenir. Mais ce n’est avoir aucune estime des richesses, que de les mépriser et les rejeter par amour de la perfection. En manifestant son mépris pour les richesses, le Christ démontrait donc qu’il possédait à leur degré suprême les vertus de libéralité et de magnificence. Ce qui ne l’a pas empêché d’exercer comme il le fallait sa libéralité, en faisant distribuer aux pauvres les dons qui lui étaient faits. Nous en avons une preuve dans cette parole à judas (Jn 13, 27) : " Ce que tu as à faire, fais-le vite ", où les Apôtres crurent voir un ordre de donner aux pauvres quelque aumône.

Quant aux convoitises mauvaises, le Christ ne les a connues d’aucune manière, comme on le verrai. Il n’en a pourtant pas moins possédé la vertu de tempérance, qui est d’autant plus parfaite chez un homme que celui-ci n’a pas de convoitises mauvaises. Pour Aristote en effet, le tempérant diffère du continent en ce qu’il n’y a pas en lui de tendances dépravées. Et en ce sens, il est très vrai que le Christ ne connaissait pas la continence, qui ne mérite pas le nom de vertu, étant quelque chose d’inférieur à la vertu.

 

            Article 3 — Le Christ a-t-il eu la foi ?

Objections :

1. La foi est une vertu plus noble que les vertus morales, comme la tempérance et la libéralité. Mais puisque le Christ possédait ces vertus, comme on l’a dit, il a eu bien davantage la foi.

2. Le Christ ne nous a pas appris à pratiquer des vertus qu’il n’avait pas, selon les Actes des Apôtres (1, 1) : " Jésus se mit à agir et à enseigner. " Or, selon l’épître aux Hébreux (12, 2), le Christ est " l’auteur et le consommateur de la foi ". C’est donc qu’il possédait lui-même cette vertu.

3. Il ne peut y avoir d’imperfection chez les bienheureux. Or les bienheureux ont la foi : la Glose en effet, commentant cette parole de l’Apôtre (Rm 1, 17) : " En lui la justice de Dieu se révèle, qui va de la foi à la foi ", explique qu’il faut l’entendre " de la foi aux paroles d’espoir, à la foi aux réalités vues ". Le Christ, en qui ne se trouve aucune imperfection, devait donc lui aussi avoir la foi.

En sens contraire, il est écrit (He 11, 1) : " La foi est une assurance de ce qu’on ne voit pas. " Or rien n’était caché au Christ, selon cette parole de S. Pierre (Jn 21, 17) : " Seigneur, tu connais toutes choses. " Le Christ ne pouvait donc avoir la foi.

Réponse :

Nous l’avons dit dans la deuxième Partie, la foi a pour objet la réalité divine, en tant qu’elle n’est pas vue. Et l’habitus vertueux, comme tout habitus, est spécifié par son objet. C’est pourquoi, si l’on admet que la réalité divine soit vue, la raison de foi est exclue. Or le Christ, dès le premier instant de sa conception, a vu l’essence divine, comme on le montrera plus loin ; il n’a donc pas pu avoir la foi.

Solutions :

1. La foi est plus noble que les vertus morales, parce que son objet est plus noble ; cependant, par rapport au même objet, elle comporte une certaine déficience, qui ne se trouvait pas dans le Christ. Et c’est pourquoi il ne pouvait pas avoir la foi, bien qu’il ait eu les vertus morales, dont la raison n’implique pas cette déficience à l’égard de leurs objets.

2. Le mérite de la foi consiste en ce que l’homme, par soumission volontaire à Dieu, donne son assentiment à ce qu’il ne voit pas, selon l’Apôtre (Rm 1, 5) : " Pour amener en son nom à l’obéissance de la foi tous les païens. " Or le Christ a manifesté une parfaite obéissance à l’égard de Dieu, ainsi qu’il est écrit aux Philippiens (2, 8) : " Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort. " Aussi pouvons-nous dire qu’il ne nous a rien enseigné qui se rapporte au mérite sans l’avoir pratiqué lui-même excellemment.

3. Comme dit la Glose : " La foi consiste à croire ce que l’on ne voit pas. " C’est en un sens impropre que l’on parle de foi aux réalités vues, parce que cette vision s’accompagne d’une certitude et d’une fermeté d’adhésion qui ressemblent à celles de la foi.

 

            Article 4 — Le Christ avait-il l’espérance ?

Objections :

1. On lit dans le Psaume (30, 2), qui fait parler le Christ, d’après la Glose : " Seigneur, j’ai espéré en toi. " Mais c’est par la vertu d’espérance que l’homme espère en Dieu. Le Christ possédait donc cette vertu.

2. L’espérance est l’attente de la béatitude future, on l’a dit dans la deuxième Partie. Or, le Christ était dans l’attente d’une certaine béatitude, à savoir la gloire corporelle. Il avait donc l’espérance.

3. Est objet d’espérance ce qui a rapport à notre perfection dans l’avenir. Mais certains éléments de la perfection du Christ ne devaient se réaliser que dans l’avenir, puisqu’il est écrit (Ep 4, 12) : " En vue du perfectionnement des saints, pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps du Christ. " Il semble donc que le Christ pouvait posséder l’espérance.

En sens contraire, il est écrit (Rm 8, 24) " Voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer. " Il apparaît donc que l’espérance, comme la foi, a pour objet ce qu’on ne voit pas. Or le Christ, n’ayant pas eu la foi, ne devait pas avoir non plus l’espérance.

Réponse :

De même qu’il appartient à la notion même de foi de donner son assentiment à ce qu’on ne voit pas, de même il appartient en propre à la notion d’espérance d’attendre ce qu’on n’a pas encore. Et comme la foi, vertu théologale, n’a pas pour objet n’importe quelle réalité non vue, mais seulement Dieu lui-même ; ainsi l’espérance, vertu théologale, a pour objet la jouissance même de Dieu, que l’on attend avant tout par la vertu d’espérance. Par voie de conséquence, la vertu d’espérance se porte sur les secours divins par lesquels il nous est possible de parvenir jusqu’à Dieu ; il en va de même pour la foi qui, sur la parole de Dieu, adhère non pas seulement aux réalités divines, mais encore à toutes les autres réalités divinement révélées.

Le Christ, dès le premier instant de sa conception, a joui pleinement de la possession de Dieu, comme nous le dirons plus loin n. Il ne pouvait donc avoir la vertu d’espérance. Cependant, il pouvait avoir l’espérance de certaines réalités qu’il ne possédait pas encore, bien qu’il n’ait pas eu la foi à l’égard de quoi que ce fût. Car, bien qu’il connût parfaitement toutes choses, ce qui excluait de lui toute foi, il ne se trouvait pas encore en possession de tout ce qui convenait à sa perfection, comme l’immortalité et la gloire corporelles il pouvait donc les espérer.

Solutions 1. La parole du Psaume ne s’applique pas à l’espérance, vertu théologale, mais à l’espérance que le Christ pouvait avoir de certaines choses non encore possédées, comme on vient de le dire.

2. La gloire du corps n’est pas l’objet principal de la béatitude, étant un rejaillissement de la gloire de l’âme, comme on l’a dit dans la deuxième Partie. C’est pourquoi l’espérance, vertu théologale, n’a pas pour objet la béatitude du corps, mais bien celle de l’âme, qui consiste dans la jouissance de Dieu.

3. L’édification de l’Église par la conversion des fidèles ne contribue pas à la perfection personnelle du Christ ; ce sont au contraire les fidèles qu’il fait participer de sa propre perfection. Et puisque l’espérance se dit formellement par rapport à ce que l’on espère pour soi, on ne peut, pour attribuer cette vertu au Christ, alléguer un tel motif.

 

            Article 5 — Le Christ a-t-il possédé les dons du Saint-Esprit ?

Objections :

1. On admet communément que le rôle des dons est de venir en aide aux vertus. Mais ce qui est parfait en soi n’a nul besoin de secours extérieur. Et puisque les vertus du Christ étaient parfaites, il ne paraît pas qu’il ait possédé les dons.

2. Il n’appartient pas au même individu de donner et de recevoir ; car celui-là donne qui possède, et celui-là reçoit qui ne possède pas. Mais il revient au Christ de communiquer les dons du Saint-Esprit, selon cette parole du Psaume (68, 19) : " Il a accordé ses dons aux hommes. " Il n’a donc pas à les recevoir.

3. Parmi les dons, quatre appartiennent à la vie contemplative d’ici-bas : ce sont la sagesse, la science, l’intelligence et le conseil, qui se rattache à la prudence ; aussi le Philosophe les range-t-il parmi les vertus intellectuelles. Mais le Christ a possédé la contemplation du ciel ; il n’avait donc pas les dons en question.

En sens contraire, il est écrit dans Isaïe (4, 1) : " sept femmes saisiront un homme ", et la Glose applique ce texte aux sept dons du Saint-Esprit possédés par le Christ.

Réponse :

D’après ce qui a été dit dans la deuxième Partie les dons sont des perfections apportées aux puissances de l’âme, pour les rendre aptes à être mues par le Saint-Esprit. Or il est manifeste que l’âme du Christ était mue de la manière la plus parfaite par le Saint-Esprit, car il est écrit en S. Luc (4, 1) : " Jésus, rempli de l’Esprit Saint, revint du Jourdain, et il fut poussé par l’Esprit dans le désert. " Il est donc évident que les dons se trouvaient dans le Christ sous un mode très excellents.

Solutions :

1. Ce qui est parfait dans les limites de sa propre nature a besoin d’être aidé par ce qui est d’une nature plus élevée ; c’est ainsi que l’homme, si parfait qu’il soit, a besoin cependant du secours de Dieu. En ce sens nous disons que les vertus doivent être aidées par les dons qui viennent parfaire les puissances de l’âme et leur permettre d’être mues par le Saint-Esprit.

2. Ce n’est pas sous le même rapport que le Christ reçoit et communique les dons du Saint-Esprit : il les donne comme Dieu, il les reçoit comme homme. Et c’est pourquoi S. Grégoire écrit : " L’Esprit Saint, qui procède de la divinité du Christ, n’a jamais abandonné son humanité. "

3. Il n’y eut pas seulement dans le Christ la connaissance propre à la vie du ciel, mais aussi la connaissance propre à la vie terrestre, comme on le dira plus loin. Pourtant, même dans la patrie, les dons du Saint-Esprit demeurent de quelque manière, ainsi que nous l’avons noté dans la deuxième Partie.

 

            Article 6 — Le Christ a-t-il eu le don de crainte ?

Objections :

1. L’espérance est plus importante que la crainte, car elle a pour objet le bien, tandis que la crainte a pour objet le mal. Mais le Christ ne possédait pas la vertu d’espérance ; à plus forte raison ne devait-il pas avoir le don de crainte.

2. Par le don de crainte, on redoute soit la séparation d’avec Dieu : c’est alors la crainte " chaste " ; soit les châtiments qu’il inflige : et c’est la crainte " servile ", pour employer les expressions de S. Augustin. Mais le Christ n’avait pas à redouter d’être séparé de Dieu par le péché, ni d’être puni par lui pour ses fautes, puisqu’il lui était impossible de pécher, comme on le dira plus loin ; on ne craint pas en effet un mal impossible. Le Christ n’avait donc pas le don de crainte.

3. S. Jean a écrit (1 Jn 4, 8) : " L’amour parfait bannit la crainte. " Or, la charité du Christ était très parfaite, puisque l’apôtre (Ep 3, 19) parle de " l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance ". Le don de crainte ne pouvait donc se trouver dans le Christ.

En sens contraire, nous lisons dans Isaïe (11, 3) : " L’Esprit de la crainte du Seigneur le comblera de sa plénitude. "

Réponse :

Comme nous l’avons noté dans la deuxième Partie, la crainte a un double objet : elle porte soit sur un mal redoutable, soit sur celui qui a le pouvoir de l’infliger ; c’est ainsi que l’on craint le roi, parce qu’il a le pouvoir de mettre à mort. Cependant l’on ne craint l’auteur possible d’un mal que s’il possède un pouvoir auquel il est difficile de résister : car, ce que nous pouvons facilement écarter, nous ne le craignons pas. On ne craint donc quelqu’un que pour sa supériorité.

Ceci posé, il faut reconnaître que le Christ n’avait à redouter ni d’être séparé de Dieu par le péché, ni d’être puni par lui pour une faute. Sa crainte de Dieu se référait seulement à la supériorité divine, car c’est par un mouvement d’affectueuse révérence que l’Esprit Saint portait son âme vers Dieu. Aussi lisons-nous dans l’épître aux Hébreux (5, 7) qu’il fut exaucé en tout à cause de sa piété révérentielle. Cette affectueuse révérence envers Dieu, le Christ, comme homme, l’a possédée plus pleinement que tous les autres. Et c’est pourquoi l’Écriture lui attribue la plénitude du don de crainte.

Solutions :

1. Les habitus des vertus et des dons visent le bien proprement et essentiellement, et le mal seulement par voie de conséquence. Car il est essentiel à la vertu de rendre l’œuvre bonne, dit Aristote. C’est pourquoi l’objet essentiel du don de crainte n’est pas le mal envisagé par la passion de crainte, mais la supériorité du bien divin, dont la puissance peut infliger du mal. Or, l’espérance en tant que vertu, envisage non seulement celui qui produit le bien, mais encore ce bien lui-même en tant qu’il n’est pas possédé. Et c’est pourquoi, parce que le Christ avait déjà le bien parfait de la béatitude, on ne lui attribue pas la vertu d’espérance, mais le don de crainte.

2. Cet argument procède de la crainte, selon qu’elle envisage le mal comme son objet.

3. La charité parfaite bannit la crainte servile, qui envisage principalement le châtiment. Mais cette crainte-là n’existait pas chez le Christ.

 

            Article 7 — Le Christ a-t-il eu les charismes ?

Objections :

1. Il ne convient pas à celui qui possède un bien en plénitude de le posséder par participation. Or le Christ a eu la plénitude de la grâce, étant " plein de grâce et de vérité " (Jn 1, 14). Or les charismes semblent être des participations divines accordées différemment et partiellement à des bénéficiaires divers, car " il y a diversité de dons " (1 Co 7, 11). Il semble donc que le Christ n’a pas eu de charismes.

2. Ce que l’on doit à quelqu’un ne peut lui être donné gratuitement. Or le Christ avait le droit de posséder en abondance une parole de sagesse et une parole de science ; il avait aussi, par droit, le pouvoir de faire des miracles, et tous ces autres pouvoirs que les charismes confèrent gratuitement, car il est " la puissance et la sagesse de Dieu " (1 Co 1, 24). Il ne lui convenait donc pas de posséder ces dons gratuits que sont les charismes.

3. Les charismes sont ordonnés au bien des fidèles, selon cette parole de l’Apôtre (1 Co 7, 7) : " A chacun la manifestation de l’Esprit est départie selon que le demande l’utilité commune. " Or, tout habitus ou disposition dont l’homme ne se sert pas semble parfaitement inutile, car " à quoi servent une sagesse cachée et un trésor invisible ? " (Si 20, 30). Mais on ne voit pas que le Christ ait usé de tous les charismes, et particulièrement du don des langues. Il ne possédait donc pas tous les charismes.

En sens contraire, S. Augustin écrit que, comme dans la tête se trouvent les cinq, sens, de même dans le Christ, qui est tête de l’Église, se trouvent toutes les grâces.

Réponse :

Comme on l’a vu les charismes sont ordonnés à la manifestation de la foi et de l’enseignement spirituel. Il faut en effet que celui qui enseigne ait les moyens de manifester la vérité de son enseignement, autrement celui-ci serait inutile. Or, le Christ est le premier et le principal Maître de l’enseignement spirituel et de la foi, selon l’épître aux Hébreux (2, 3) : " Le message du salut, publié en premier lieu par le Seigneur, nous a été attesté par ceux qui l’avaient entendu, Dieu confirmant leur témoignage par des signes, des prodiges, etc. " Il est donc manifeste que le Christ a dû, comme premier et principal Docteur de la foi, posséder excellemment tous les charismes.

Solutions :

1. Tandis que la grâce sanctifiante est ordonnée aux actes méritoires intérieurs ou extérieurs, le charisme est ordonné à certains actes extérieurs qui manifestent la vérité de la foi, comme les miracles ou autres choses semblables. Or, dans ces deux domaines, le Christ a eu la plénitude de la grâce ; son âme, en effet, unie à la divinité, se trouvait parfaitement apte à accomplir tous les actes de ces deux domaines. Au contraire, les autres saints qui ne sont pas, entre les mains de Dieu, des instruments conjoints, mais des instruments séparés, ne reçoivent que partiellement le pouvoir de produire de tels actes. Et c’est pourquoi, à la différence du Christ, ils ne possèdent pas tous les charismes.

2. C’est en tant que Fils éternel de Dieu, que le Christ est appelé " puissance et sagesse de Dieu ". Sous ce rapport il ne lui appartient pas de posséder la grâce, mais plutôt de la communiquer. Il lui revient au contraire de la posséder selon sa nature humaine.

3. Le don des langues a été accordé aux Apôtres parce qu’ils étaient envoyés pour enseigner toutes les nations. Mais le Christ n’a voulu prêcher personnellement qu’au seul peuple juif. Il disait (Mt 15, 24) : " je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël " et l’Apôtre écrivait (Rm 15, 8) : " J’affirme que le Christ Jésus a été ministre des circoncis. " Aussi le Christ n’a-t-il pas eu à employer diverses langues. Pourtant la connaissance de ces langues ne lui a pas fait défaut, car les pensées secrètes des cœurs, dont les mots ne sont que les signes, ne lui étaient pas cachées. Cette connaissance ne fut pourtant pas inutile : pas plus que n’est inutile un habitus dont on ne se sert pas quand cela n’est pas nécessaire.

 

            Article 8 — Le Christ a-t-il eu le charisme de prophétie ?

Objections :

1. La prophétie comporte une certaine connaissance confuse et imparfaite, selon ce texte (Nb 12, 6) : " S’il y a un prophète parmi vous, c’est dans un songe et en vision que je lui parlerai. " Mais le Christ a eu une connaissance parfaite, bien supérieure même à celle de Moïse dont il est dit ensuite (v. 8) : " Il vit Dieu à découvert et non par énigme. " Le Christ ne fut donc pas prophète.

2. De même que la foi concerne ce que l’on ne voit pas, et l’espérance ce que l’on ne possède pas, ainsi la prophétie concerne ce qui n’est pas présent, mais éloigné, car prophète vient de proculfans (parlant de loin). Or on n’attribue au Christ ni foi ni espérance, on ne doit pas non plus lui attribuer la prophétie.

3. Le prophète est d’un rang inférieur à l’ange ; aussi avons-nous dit de Moïse dans la deuxième Partie, qu’il fut le prophète suprême, et il est écrit dans les Actes (7, 38) : " Il conversait avec l’ange au désert. " Mais le Christ n’est pas inférieur aux anges en connaissance intellectuelle, il l’est seulement " sous le rapport de la possibilité corporelle " (He 2, 9). Il apparaît donc que le Christ ne fut pas prophète.

En sens contraire, il y a la prédiction du Deutéronome (18, 15) : " Dieu vous suscitera un prophète parmi vos frères ", et ce que le Christ disait en parlant de lui-même (Mt 13, 57 ; Jn 4,44) : " Un prophète n’est sans honneur que dans sa patrie. "

Réponse :

On appelle prophète celui qui annonce ou qui voit ce qui est éloigné, en ce sens qu’il connaît et dit des choses qui dépassent la portée de la connaissance humaine, selon S. Augustin. Mais, pour être prophète, il ne suffit pas de connaître et d’annoncer ce qu’ils ignorent à des gens dont on est éloigné. Et cela est évident, tant pour le lieu que pour le temps. Par exemple, si un habitant de la France annonçait à ses compatriotes résidant en France ce qui se passe en Syrie, il serait prophète : c’est ainsi qu’Elisée annonça à Giesi qu’un homme descendait de son char et venait à sa rencontre (2 R 5, 26). Il n’y aurait rien de prophétique au contraire, pour un individu résidant en Syrie, à annoncer ce qui se passe dans ce pays. De même en ce qui concerne le temps, Isaïe (44, 28) était prophète lorsqu’il prédisait que Cyrus, roi des Perses, réédifierait le temple de Dieu ; tandis que Esdras (Ch 1 et 3) ne l’était pas lorsqu’il narrait le fait, qui se passait de son temps.

Donc, quand Dieu, les anges ou les bienheureux connaissent et annoncent des choses qui échappent à notre connaissance, cela ne relève pas de la prophétie, car ils ne partagent d’aucune manière notre état de vie. Le Christ, au contraire, avant sa passion, se trouvait dans le même état que nous, puisqu’il était non seulement compréhenseur, mais encore voyageur. Il pouvait donc, à la manière d’un prophète, connaître et annoncer les choses qui n’étaient pas à la portée des autres voyageurs. Sous ce rapport on peut dire qu’il possédait le don de prophétie.

Solutions :

1. Le texte cité ne signifie pas que la connaissance énigmatique par songe et vision fait partie de la raison de prophétie ; mais il tend à comparer les autres prophètes, qui connurent les réalités divines en songe et par vision, avec Moïse qui vit Dieu à découvert et sans énigme, ce qui ne l’empêche pas d’être appelé prophète, selon cette parole : " Il ne s’est plus levé en Israël de prophète semblable à Moïse (Dt 34, 10).

On peut dire néanmoins que le Christ, tout en ayant une pleine et parfaite connaissance intellectuelle, eut encore dans son imagination des images où il pouvait contempler un reflet du divin, précisément parce qu’il n’était pas seulement compréhenseur, mais aussi voyageur.

2. La foi a pour objet ce qui n’est pas vu par celui qui croit ; de même, l’espérance a pour objet ce qui n’est pas possédé par celui qui espère. Mais la prophétie vise des réalités qui ne sont pas à la portée de la connaissance commune des hommes, et que le prophète possède et communique, tout en demeurant dans l’état de voyage. C’est pourquoi, dans le Christ, la foi et l’espérance s’opposent à la perfection de son état bienheureux, mais non à la prophétie.

3. L’ange, puisqu’il est compréhenseur, est au-dessus du prophète, qui n’est pas simple voyageur terrestre ; mais il n’est pas au-dessus du Christ qui fut à la fois voyageur et compréhenseur.

 

            Article 9 — Le Christ a-t-il eu la plénitude de la grâce ?

Objections :

1. Comme on l’a vu dans la deuxième Partie, les vertus dérivent de la grâce. Mais le Christ n’a pas possédé toutes les vertus, puisqu’il n’avait, nous l’avons vu. ni la foi ni l’espérance. La grâce ne se trouvait donc pas chez lui en plénitude.

2. Nous savons en outre que la grâce se divise en opérante et coopérante. Mais la grâce opérante est celle qui justifie l’impie ; or le Christ n’a pas à être justifié, puisqu’il n’a jamais connu le péché. Il n’a donc pas eu la plénitude de la grâce.

3. On lit dans l’épître de S. Jacques (1, 17) " Tout don excellent, toute grâce parfaite vient d’en-haut et descend du Père des lumières. " Mais ce qui descend par dérivation n’est reçu que partiellement, et non en plénitude. Aucune créature par conséquent, pas même l’âme du Christ, ne peut posséder la plénitude des dons de la grâce.

En sens contraire, il est écrit en S. Jean (1, 14) : " Nous l’avons vu plein de grâce et de vérité. "

Réponse :

Posséder quelque chose en plénitude, c’est en avoir la possession totale et parfaite. Cependant cette totalité et cette perfection peuvent être envisagées de deux points de vue. Ou bien par rapport à l’intensité quantitative selon laquelle une chose est possédée : c’est ainsi que l’on dit de quelqu’un qu’il possède la blancheur en plénitude lorsqu’il la détient au plus haut degré. Ou bien selon un point de vue dynamique : ainsi l’on possède pleinement la vie, quand on bénéficie de tous ses effets et de toutes ses opérations ; sous ce rapport l’homme est pleinement vivant, à la différence de l’animal ou de la plante.

A l’un ou l’autre point de vue, le Christ a eu la plénitude de la grâce. Il l’a eue tout d’abord au plus haut degré où il soit possible de la posséder. Et cela tient premièrement à ce que l’âme du Christ était proche de la cause de la grâce. Comme nous l’avons déjà dit en effet, plus un être, soumis à l’action d’une cause, est à proximité de celle-ci, plus il reçoit de son influence. Et puisque l’âme du Christ est plus intimement unie à Dieu que toutes les créatures rationnelles, elle se trouve de la manière la plus parfaite sous l’influence de sa grâce. - En second lieu, cela se rapporte à l’effet que l’âme du Christ avait mission de produire, car il lui fallait recevoir la grâce de manière à pouvoir de quelque façon la diffuser sur les autres. Pour cela, l’âme du Christ devait avoir la grâce à son plus haut degré ; comme le feu qui, étant cause de la chaleur des autres corps, possède celle-ci au maximum.

D’autre part, sous le rapport de sa puissance de rayonnement, le Christ a encore possédé la grâce en plénitude, car il la possédait selon tous ses effets et toutes ses opérations. La grâce lui était donnée comme à un principe universel commandant toute la catégorie des êtres qui ont la grâce. Or, la puissance du premier principe dans un genre donné s’étend universellement à tous les effets inclus dans ce genre : ainsi le soleil qui, selon Denys est cause universelle de la génération, déploie sa puissance sur tout ce qui a trait à la génération. De même, la grâce du Christ comportait cette plénitude qui la faisait s’épanouir selon toutes ses virtualités vertus, dons et autres effets du même genre.

Solutions :

1. La foi et l’espérance sont des effets de la grâce qui impliquent une certaine déficience chez leur sujet : car la foi a pour objet ce que l’on ne voit pas, et l’espérance ce que l’on ne possède pas. Il ne fallait donc pas que le Christ, qui est l’auteur de la grâce, connût les déficiences inhérentes à la foi et à l’espérance. Mais tout ce qu’il y a de perfection dans ces deux vertus se trouvait d’une manière plus parfaite encore chez lui. Ainsi le feu ne possède pas tous les modes imparfaits de chaleur qui tiennent à la défectuosité de leur sujet, mais seulement tout ce qui se rattache à la perfection de la chaleur.

2. Il appartient à la grâce opérante de produire la justification ; mais qu’elle justifie un impie, cela lui est accidentel, et provient de ce que le sujet justifié se trouvait en état de péché. L’âme du Christ a donc été justifiée par la grâce opérante, en ce sens que celle-ci l’a rendue juste et sainte dès le premier instant de la conception, non pas en ce sens qu’elle aurait été pécheresse, ou encore sans justice.

3. La plénitude de la grâce accordée à l’âme du Christ doit se juger d’après la capacité de la créature, et non d’après l’infinie richesse de la bonté divine.

 

            Article 10 — La plénitude de la grâce est-elle propre au Christ ?

Objections :

1. Ce qui appartient en propre à quelqu’un ne convient qu’à lui seul. Mais la plénitude de la grâce est attribuée à d’autres qu’au Christ. C’est ainsi que l’Ange salue la Vierge en ces termes : " je te salue, pleine de, grâce " ; et nous lisons dans les Actes (6, 8) : " Étienne était plein de grâce et de force. "

2. Ce que le Christ peut communiquer à d’autres ne semble pas lui appartenir en propre. Mais comme l’écrit S. Paul (Ep 2, 19) : " Vous serez comblés jusqu’à entrer dans la plénitude de Dieu. "

3. L’état du voyage doit correspondre proportionnellement à l’état de la patrie. Mais dans cet état nous goûterons une certaine plénitude, car, selon S. Grégoire, dans la patrie céleste, où se trouve la plénitude de tout bien, quoique certains dons soient accordés d’une manière excellente, il n’y en a pas qui soient possédés par un élu d’une manière exclusive. Par suite, dans l’état de voyageur aussi tous doivent posséder la plénitude de la grâce ; celle-ci n’appartient donc pas en propre au Christ.

En sens contraire, on attribue au Christ la plénitude de la grâce en tant qu’il est le Fils unique du Père. Il est écrit en effet dans S. Jean (1, 14) :

" Nous l’avons vu comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. " Mais une telle filiation est propre au Christ ; la plénitude de grâce et de vérité doit donc aussi lui appartenir en propre.

Réponse :

La plénitude de la grâce peut être envisagée d’une double manière : soit du côté de la grâce elle-même, soit du côté du sujet qui la possède. Du côté de la grâce elle-même, la plénitude consiste à la recevoir à son plus haut degré, quant à son essence ou quant à son dynamisme : on possède alors la grâce à la fois de la manière la plus excellente dont il est possible de la posséder, et selon toute sa puissance effective de rayonnement. Une telle plénitude de grâce est propre au Christ. - Du côté du sujet, la plénitude consiste en ce qu’il reçoit la grâce dans toute la mesure réclamée par sa condition ; soit qu’il s’agisse du degré d’intensité fixé par Dieu, selon cette parole de l’Apôtre (Ep 4, 7) : " A chacun de nous la grâce a été donnée selon la mesure du don du Christ " ; soit qu’il s’agisse du degré d’extension virtuelle, par lequel le sujet se trouve capable d’accomplir tous les devoirs de sa charge ou de son état, selon cette autre parole de l’Apôtre (Ep 3, 8) : " C’est à moi, le moindre de tous les saints, qu’a été accordée cette grâce d’éclairer les hommes ", etc. Une telle plénitude de grâce n’est pas propre au Christ, mais est communiquée par lui aux autres hommes.

Solutions :

1. La Bienheureuse Vierge est appelée pleine de grâce, non en raison de la grâce elle-même, qu’elle n’a pas eue à son plus haut degré et dont elle n’a pas mis en œuvre tous les effets ; mais parce qu’elle a reçu la grâce qui devait suffire à cet état de mère de Dieu pour lequel Dieu l’avait choisie. De même on dit que S. Étienne était " plein de grâce ", parce qu’il avait reçu la grâce appropriée à la fonction pour laquelle il avait été choisi, de ministre et de témoin de Dieu. Même chose pour les autres saints. Néanmoins, parmi toutes ces plénitudes, il y a des degrés qui tiennent à ce qu’un saint a été prédestiné par Dieu à un état plus ou moins éminent.

2. L’Apôtre parle de la plénitude de la grâce considérée du côté du sujet, et par rapport à sa prédestination divine. Cette prédestination peut être commune et s’appliquer à tous les saints ; ou bien elle est plus spéciale et se rapporte à l’excellence de quelques-uns d’entre eux. Au premier sens, on peut parler d’une plénitude de grâce, commune à tous, qui leur permet de mériter la vie éternelle, c’est-à-dire la pleine jouissance de Dieu. C’est précisément cette plénitude que l’Apôtre souhaite aux fidèles d’Éphèse.

3. Les dons qui sont communs dans la patrie céleste, comme la vision, la possession et la jouissance, ont des dons qui leur correspondent dans l’état de voyage, et qui sont aussi communs à tous les états. Mais ü y a, au ciel et sur la terre, certaines prérogatives qui sont particulières à quelques-uns, et que tous ne possèdent pas.

 

            Article 11 — La grâce du Christ est-elle infinie ?

Objections :

1. Tout ce qui est sans mesure est infini ; mais la grâce du Christ est sans mesure, puisqu’il est dit en S. Jean (3, 34) : " Dieu ne lui donne pas l’Esprit avec mesure. " La grâce du Christ est donc infinie.

2. Un effet infini manifeste une puissance infinie ; celle-ci à son tour ne peut se fonder que sur une essence infinie. Mais la grâce du Christ produit un effet infini, puisqu’elle a pour résultat le salut de tout le genre humain, selon cette parole de S. Jean (1 Jn 2, 2) : " Il est lui-même victime de propitiation pour les péchés du monde entier. " La grâce du Christ est donc infinie.

3. Toute quantité finie peut parvenir par addition à égaler tout autre quantité, si grande soit-elle. Donc, si la grâce du Christ est finie, il n’est pas de grâce, conférée à un autre homme, qui ne puisse croître jusqu’à l’égaler. Or, d’après S. Grégoire, c’est contre une telle conception qu’il est écrit dans Job (28, 17) : " Ni l’or ni le verre n’atteignent sa valeur. " La grâce du Christ est donc infinie.

En sens contraire, la grâce est quelque chose de créé dans l’âme. Mais tout ce qui est créé est fini, selon cette parole de la Sagesse (11, 21) : " Tu as tout disposé avec nombre, poids et mesure. " La grâce du Christ n’est donc pas infinie.

Réponse :

D’après ce qui a été dit précédemment, il y a lieu de distinguer dans le Christ une double grâce : l’une est la grâce d’union, et qui consiste dans l’union personnelle au Fils de Dieu, accordée gratuitement à la nature humaine. Il est évident que cette grâce est infinie, comme la personne du Verbe elle-même.

L’autre grâce est la grâce habituelle. On peut l’envisager sous un double point de vue : premièrement en tant qu’elle consiste en un certain être. A cet égard, elle est nécessairement un être fini ; car elle se trouve dans l’âme du Christ comme dans son sujet ; or l’âme du Christ étant une créature, a une capacité finie. Et puisque l’être de la grâce ne peut dépasser celui de son sujet, il ne peut pas non plus être infini.

En second lieu, on peut considérer la grâce habituelle du Christ sous sa raison propre de grâce. A ce point de vue elle peut être dite infinie, parce qu’illimitée ; elle possède en effet tout ce qui appartient à l’essence de la grâce, sans aucune restriction ; et cela tient à ce que, selon le plan de Dieu, auquel il appartient de mesurer la grâce, celle-ci est conférée au Christ comme à un principe universel, qui donne la grâce à la nature humaine, selon cette parole de S. Paul (Ep 1, 6) : " Il nous a dotés de sa grâce dans son Fils bien-aimé. " Ainsi pouvons-nous dire que la lumière du soleil est infinie, non pas certes dans son être, mais comme lumière, en ce sens qu’elle possède tout ce qui appartient à l’essence de la lumière.

Solutions :

1. Quand on dit que " le Père ne lui donne pas l’Esprit avec mesure " on peut l’entendre du don que Dieu le Père fait éternellement au Fils, en lui communiquant la nature divine qui est un don infini. Et c’est en ce sens qu’une Glose ajoute : " En sorte que le Fils est aussi grand que le Père. "

Mais on peut l’entendre aussi du don qui est fait à la nature humaine par son union à une personne divine, don qui est infini lui aussi. Et c’est pourquoi la Glose explique ainsi le texte en question : " De même que le Père a engendré un Verbe accompli et parfait, de même ce Verbe, dans sa plénitude et sa perfection, a été uni à la nature humaine. "

Enfin, on peut l’entendre encore de la grâce habituelle, en tant que la grâce du Christ s’étend à tout ce qui relève de la grâce. D’où ce commentaire de S. Augustin : " La mesure est une division des dons : à l’un, en effet, est accordée, par le moyen de l’Esprit une parole de sagesse ; à l’autre, une parole de science. Mais le Christ qui donne ne reçoit pas avec mesure. " 2. La grâce du Christ possède un effet infini, en raison de son infinité, expliquée comme nous venons de le dire, et aussi en raison de l’unité de la personne divine, à laquelle l’âme du Christ se trouve jointe.

3. Le moins peut parvenir par addition à égaler le plus, lorsqu’il s’agit de quantités de même nature. Mais la grâce d’un autre homme est envers la grâce du Christ comme une puissance particulière envers une puissance universelle. Aussi, de même que la puissance du feu, si grand que soit son accroissement, ne parviendra jamais à égaler la puissance du soleil, ainsi la grâce d’un autre homme, quel que soit son accroissement, n’égalera jamais la grâce du Christ.

 

            Article 12 — La grâce du Christ a-t-elle pu s’accroître ?

Objections :

1. A tout être fini on peut ajouter. Or, on vient de voir que la grâce du Christ était finie. Donc elle a pu s’accroître.

2. L’augmentation de la grâce se fait par la puissance divine, selon l’Apôtre (2 Co 9, 8) : " Dieu a le pouvoir de faire abonder en vous toute grâce. " Et puisque la puissance divine est infinie, elle ne saurait être enfermée en des limites. Il semble donc que la grâce du Christ aurait pu être plus grande. 3. On lit en S. Luc (2, 52) : " L’enfant Jésus progressait en âge, en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes. " C’est donc que la grâce du Christ a pu s’accroître.

En sens contraire, il est dit en S. Jean (1, 14) : " Nous l’avons vu comme le Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. " Mais on ne peut rien concevoir de plus grand que d’être le Fils unique du Père. C’est donc qu’il ne peut pas exister, et qu’on ne peut pas concevoir, une grâce plus grande que celle dont le Christ fut rempli.

Réponse :

L’accroissement d’une forme peut être impossible pour un double motif : soit en raison du sujet de cette forme, soit en raison de la forme elle-même. En raison du sujet, quand celui-ci a atteint la limite de participation qui revient à sa nature ; ainsi disons-nous que la chaleur de l’air ne peut pas augmenter, quand elle est parvenue à l’ultime degré au-delà duquel la nature de l’air est détruite, ce qui n’empêche pas qu’un degré de chaleur supérieur puisse exister dans la nature, avec le feu par exemple. - En raison de la forme, la possibilité d’augmentation se trouve exclue quand un sujet réalise cette forme en la perfection la plus haute avec laquelle elle puisse être possédée : ainsi la chaleur du feu ne peut s’accroître parce qu’il n’est pas de degré de chaleur plus parfait que celui du feu.

Or, de même qu’aux autres formes la sagesse divine a fixé une limite qui leur est propre, ainsi en est-il pour la grâce, selon cette parole du livre de la Sagesse (11, 21) : " Tu as disposé toutes choses avec nombre, poids et mesure. " Cette limite propre à chaque forme est déterminée par sa fin ; ainsi il n’est pas, pour la pesanteur, d’attraction plus forte que celle de la terre, parce qu’il n’est pas de lieu inférieur à celui de la terre. Or, la fin de la grâce, c’est l’union de la nature rationnelle à Dieu ; et il n’est pas possible de réaliser, ni même de concevoir union plus intime que celle qui se fait dans la personne. C’est pourquoi la grâce atteint son degré suprême dans le Christ, et il est manifeste que, en tant que grâce, elle n’a pu augmenter.

Même impossibilité si l’on considère le sujet de cette grâce. Le Christ, comme homme, fut, dès le premier instant de sa conception, vraiment et pleinement compréhenseur. Il ne peut donc y avoir eu en lui augmentation de la grâce, pas plus qu’il ne peut y avoir augmentation chez les autres bienheureux qui, du fait qu’ils sont parvenus au terme, ne peuvent croître en grâce. Au contraire, chez les hommes qui sont uniquement voyageurs, la grâce peut grandir, tant du côté de sa forme qui n’atteint pas en eux son degré suprême, que du côté de son sujet qui n’est pas encore parvenu au terme.

Solutions :

1. Lorsqu’il s’agit de quantités mathématiques, on peut ajouter à toute quantité finie ; car, dans la quantité finie, il n’y a rien qui s’oppose à une addition. Mais s’il s’agit d’une quantité naturelle, il peut y avoir opposition du côté de la forme qui, comme tout accident déterminé, exige une quantité définie. Aussi le Philosophe écrit-il que, pour toutes les réalités stables, la nature est le terme et la raison de leur grandeur et de leur croissance. C’est pour ce motif qu’à la quantité de tout le ciel on ne peut rien ajouter. A plus forte raison, dans les formes elles-mêmes, faut-il reconnaître un terme au-delà duquel il leur est impossible de progresser. Aussi, bien que la grâce du Christ soit finie en son essence, est-il impossible d’y faire une addition quelconque.

2. La puissance divine pourrait sans doute faire quelque chose de plus grand et de meilleur que la grâce habituelle du Christ ; mais elle ne pourrait pas faire que cela soit ordonné à quelque chose de plus grand que l’union personnelle au Fils unique du Père. A cette union répond d’une manière très suffisante telle mesure de grâce définie par la sagesse divine.

3. On peut croître en sagesse et en grâce d’une double manière ; en ce sens tout d’abord que les habitus eux-mêmes de sagesse et de grâce augmentent : sous ce rapport le Christ n’a pas progressé ; en ce sens encore que l’on réalise des effets plus considérables de sagesse et de vertu : sous ce rapport le Christ a progressé en sagesse et en grâce aussi bien qu’en âge, car à mesure qu’il avançait en âge, il produisait des œuvres plus parfaites : il montrait ainsi qu’il était homme véritable, aussi bien à l’égard de Dieu qu’à l’égard des hommes.

 

            Article 13 — Quel rapport la grâce habituelle du Christ a-t-elle avec l’union hypostatique ?

Objections :

1. Une réalité ne peut être à elle-même sa propre conséquence. Mais cette grâce habituelle parait être identique à la grâce d’union, puisque S. Augustin écrit - : " Cette grâce par laquelle, dès le principe de sa foi, un homme quelconque devient chrétien, est celle-là même par laquelle dès le premier instant cet homme-ci a été fait Christ. " De ces deux grâces, la première appartient à la grâce habituelle, la seconde à la grâce d’union. C’est donc que la grâce habituelle n’est pas une conséquence de la grâce d’union.

2. La disposition précède l’achèvement, soit dans l’ordre du temps, soit au moins dans l’ordre des concepts. Mais la grâce habituelle apparaît comme une certaine disposition préparant la nature humaine à l’union personnelle. C’est donc que, loin de suivre l’union, elle la précède plutôt.

3. Ce qui est commun est antérieur à ce qui est propre. Mais la grâce habituelle est commune au Christ et aux saints hommes ; la grâce d’union, elle, est propre au Christ. Logiquement, la grâce habituelle est donc antérieure à la grâce d’union, elle ne la suit pas.

En sens contraire, il est écrit dans Isaïe (42, 1) : " Voici mon serviteur, je le soutiendrai " ; et ensuite : " je lui ai donné mon Esprit ", parole qui se réfère à la grâce habituelle. Il apparaît donc que chez le Christ l’assomption de la nature humaine dans l’unité de personne précède la grâce habituelle.

Réponse :

L’union de la nature humaine à la personne divine, que nous avons appelée grâce d’union précède la grâce habituelle dans le Christ, non selon l’ordre chronologique, mais selon l’ordre de la nature et de l’intellect. Et cela pour un triple motif :

1° Selon l’ordre des principes de ces deux grâces. En effet, le principe de l’union est la personne du Fils qui assume la nature humaine, et qui, pour cette raison, est dite " envoyée en ce monde " (Jn 3, 17). Le principe de la grâce habituelle, laquelle est donnée avec la charité, est le Saint-Esprit, et celui-ci est dit envoyé, parce qu’il habite dans l’âme par la charité. Or, la mission du Fils est, selon l’ordre de nature, antérieure à la mission du Saint-Esprit ; de même que, dans cet ordre, l’Esprit Saint procède du Fils, et l’amour procède de la sagesse. Par conséquent l’union personnelle, considérée comme découlant de la mission du Fils, est antérieure à la grâce habituelle, considérée comme découlant de la mission du Saint-Esprit.

2°Le motif de cet ordre tient au rapport de la grâce avec sa cause. La grâce, en effet, est causée dans l’homme par la présence de la divinité, de même que la lumière est produite dans l’air par la présence du soleil. C’est pourquoi il est dit dans Ézéchiel (43, 2) : " La gloire du Dieu d’Israël venait du côté de l’orient. . . et la terre resplendissait de sa gloire. " Mais la présence de Dieu dans le Christ s’entend de l’union de la nature humaine avec la personne divine. On comprend donc que, a grâce habituelle du Christ résulte de cette union, comme l’éclat de la lumière résulte de la présence du soleil.

3° La raison de cet ordre peut se prendre de la fin de la grâce. Celle-ci est ordonnée à nous permettre de bien agir ; mais les actions appartiennent aux suppôts et aux individus. Aussi l’action, et donc la grâce qui ordonne à l’action, présupposent-elles l’hypostase ou le suppôt. Mais, ainsi que nous l’avons montré, l’hypostase, dans la nature humaine du Christ, n’est pas présupposée à l’union. La grâce d’union précède donc logiquement la grâce habituelle.

Solutions :

1. Par grâce, S. Augustin entend ici la volonté libérale de Dieu qui dispense ses bienfaits gratuitement. Et en ce sens il dit que la même grâce qui rend chrétien un homme quelconque fait aussi qu’un homme est devenu Christ, car ces deux effets proviennent, sans aucun mérite, de la bonté toute gratuite de Dieu.

2. Pour les choses qui se réalisent progressivement, la disposition précède, dans l’ordre de la génération, l’achèvement auquel elle prépare ; au contraire, elle suit naturellement l’achèvement quand celui-ci est déjà acquis. Ainsi la chaleur, qui est la disposition à la forme de feu, est aussi l’effet qui résulte de cette forme, lorsque celle-ci préexiste. Or, la nature humaine du Christ est unie à la personne du Verbe dès le principe et sans étapes progressives. Par suite, la grâce habituelle ne peut pas être envisagée comme précédant l’union, mais comme en résultant, à la manière d’une propriété naturelle ; et c’est en ce sens que S. Augustin écrit : " La grâce est en quelque sorte naturelle au Christ homme. "

3. Ce qui est commun est antérieur à ce qui est propre, s’il s’agit de réalités du même genre ; mais dans les réalités de genres différents, rien n’empêche que ce qui est propre précède ce qui est commun. Or, la grâce d’union n’est pas dans le genre de la grâce habituelle ; elle est au-dessus de tout genre, comme la personne divine elle-même. Aussi rien n’empêche que cette réalité propre au Christ soit antérieure à la réalité commune ; car elle ne vient pas s’ajouter à l’élément commun, mais elle en est plutôt le principe et l’origine.

 

 

QUESTION 8 — LA GRÂCE DU CHRIST COMME TÊTE DE L’ÉGLISE

1. Le Christ est-il la tête de l’Église ? - 2. Est-il la tête des hommes pour leurs corps, ou seulement pour leurs âmes ? - 3. Est-il la tête de tous les hommes ? - 4. Est-il la tête des anges ? - 5. Sa grâce comme tête de l’Église est-elle identique à la grâce habituelle d’homme individuel ? - 6. Lui appartient-il en propre d’être la tête de l’Église ? - 7. Le diable est-il la tête de tous les méchants ? - 8. L’Anti-Christ peut-il être appelé la tête de tous les méchants ?

 

            Article 1 — Le Christ est-il la tête de l’Église ?

Objections :

1. La tête communique le sens et le mouvement aux membres ; or le sens et le mouvement spirituels, qui supposent la grâce, ne nous sont pas communiqués par le Christ homme, car, dit S. Augustin, ce n’est pas comme homme, mais comme Dieu que le Christ donne le Saint-Esprit. Le Christ en tant qu’homme, n’est donc pas la tête de l’Église.

2. Celui qui possède déjà une tête ne peut soi-même être tête. Mai le Christ, comme homme, a Dieu pour tête, selon cette parole de l’Apôtre (1 Co 11, 3) : " Le chef du Christ, c’est Dieu. " Le Christ n’est donc pas tête.

3. Chez l’homme, la tête est un membre particulier sur lequel le cœur exerce son influence. Mais le Christ est pour toute l’Église un principe universel : il ne peut donc être tête de l’Église.

En sens contraire, il est écrit (Ep 1, 22) : " (Dieu) l’a donné pour tête de toute l’Église. "

Réponse :

De même que l’on donne à toute l’Église le nom de corps mystique par analogie avec le corps naturel de l’homme, dont les divers membres ont des actes divers, ainsi que l’enseigne l’Apôtre (Rm 12, 4 ; 1 Co 12, 12), de même on appelle le Christ tête de l’Église par analogie avec la tête humaine. Celle-ci en effet peut être considérée à trois points de vue différents : au point de vue de l’ordre, de la perfection et de la puissance. Sous le rapport de l’ordre, la tête est l’élément premier de l’homme, en commençant par le haut ; de là vient que l’on a coutume d’appeler tête tout ce qui est un principe, selon cette expression d’Ézéchiel (16, 24) : " A la tête des rues, tu as élevé le signe de la prostitution. " - Sous le rapport de la perfection, c’est dans la tête que se trouvent tous les sens intérieurs et extérieurs, alors que dans les autres membres, il n’y a que le sens du toucher ; de là vient qu’il est dit dans Isaïe (9, 15) : " L’ancien et le dignitaire, c’est la tête. " - Sous le rapport de la puissance, c’est encore la tête qui, par sa vertu sensible et motrice, donne aux autres membres force et mouvement, et les gouverne dans leurs actes. Voilà pourquoi l’on donne au chef du peuple le titre de tête, selon cette parole (1 S 16, 17) : " Lorsque tu étais petit à tes propres yeux, n’es-tu pas devenu la tête des tribus d’Israël ? "

Or ces trois fonctions de la tête appartiennent spirituellement au Christ. En raison de sa proximité avec Dieu, sa grâce est en effet la plus élevée et la première, sinon chronologiquement, du moins en ce sens que tous ont reçu la grâce en relation avec la sienne, selon cette parole (Rm 8, 29) : " Ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, afin qu’il soit le premier-né parmi un grand nombre de frères. " - De même, sous le rapport de la perfection, le Christ possède la plénitude de toutes les grâces, selon cette parole (Jn 1, 14) : " Nous l’avons vu plein de grâce et de vérité. " - Enfin pour ce qui est de la puissance, le Christ peut communiquer la grâce à tous les membres de l’Église, ainsi qu’il est dit encore (Jn 1, 16) " De sa plénitude nous avons tous reçu. " apparaît donc avec évidence que l’on peut à bon droit donner au Christ le titre de tête de l’Église.

Solutions :

1. En tant que Dieu, il convient au Christ de donner la grâce ou le Saint-Esprit par autorité. En tant qu’homme, cela lui convient encore comme instrument, parce que son humanité était l’instrument de sa divinité. Et ainsi ses actions, par la puissance de sa divinité, nous donnaient le salut en causant en nous la grâce, à la fois par mérite et par une certaine efficience. S. Augustin nie que le Christ, comme homme, puisse nous communiquer d’autorité le Saint-Esprit ; mais par mode instrumental ou ministériel, même d’autres saints peuvent communiquer le Saint-Esprit, selon cette parole (Ga 3, 5) : " Celui qui vous confère l’Esprit ", etc.

2. Dans le langage métaphorique, l’analogie ne s’applique pas sous tous les rapports ; autrement ce ne serait plus une analogie, mais l’expression exacte de la réalité. Sans doute, dans la nature, la tête ne peut dépendre d’une autre tête, car le corps humain ne fait pas partie d’un autre corps. Mais le corps, que l’on appelle ainsi par analogie, et qui représente une multitude ordonnée, peut faire partie d’une autre multitude ; ainsi la société domestique fait partie de la société civile. Et c’est pourquoi le père de famille, qui est la tête de la société domestique, a au-dessus de lui une autre tête qui est le gouvernement de la cité. En ce sens rien n’empêche que Dieu soit la tête du Christ, alors que le Christ est la tête de l’Église.

3. La tête a une supériorité manifeste sur les autres membres extérieurs ; le cœur, lui, exerce une influence cachée. C’est pourquoi l’on compare au cœur le Saint-Esprit, qui vivifie et unifie invisiblement l’Église ; et l’on compare à la tête le Christ, dans sa nature visible, parce que, comme homme, il l’emporte sur les autres hommes.

 

            Article 2 — Le Christ est-il la tête des hommes pour leurs corps, ou seulement pour leurs âmes ?

Objections :

1. Le Christ est appelé tête de l’Église en tant qu’il lui communique le sens spirituel et le mouvement de la grâce. Mais le corps n’est susceptible ni de l’un ni de l’autre. Donc le Christ n’est pas la tête des hommes pour leurs corps.

2. Le corps est ce que nous avons de commun avec les animaux. Si le Christ était la tête des hommes sous le rapport du corps, il le serait aussi des animaux, ce qui est inadmissible.

3. Le Christ a reçu son corps des autres hommes, comme il est manifeste d’après les généalogies de Matthieu et de Luc. Or la tête est première parmi tous les autres membres, on vient de le dire. Le Christ ne peut donc pas être tête de l’Église du point de vue corporel.

En sens contraire, nous lisons dans l’épître aux Philippiens (3, 11) : " Il transformera notre corps misérable, en le rendant semblable à son corps de gloire. "

Réponse :

Le corps humain est ordonné par nature à l’âme raisonnable, qui est sa forme propre et son moteur. En tant quelle est sa forme, l’âme lui communique la vie et les autres propriétés qui appartiennent spécifiquement au corps humain ; en tant qu’elle est son moteur, l’âme se sert du corps instrumentalement.

Ainsi doit-on dire que l’humanité du Christ possède un pouvoir d’influence, parce qu’elle est conjointe au Verbe de Dieu, auquel le corps est uni par l’intermédiaire de l’âme, comme nous l’avons dit plus hauts. De ce fait l’humanité du Christ, aussi bien son âme que son corps, exerce une influence sur les hommes, sur leurs âmes comme sur leurs corps ; premièrement sur leurs âmes, il est vrai ; et sur leurs corps secondairement. En ce sens d’abord que, selon l’Apôtre (Rm 6, 13) : " Les membres du corps sont offerts pour être des armes de la justice " qui, grâce au Christ, se trouve dans l’âme ; en ce sens encore que la vie de gloire dérive de l’âme jusqu’au corps, comme il est écrit (Rm 8, 11) : " Celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts, rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de son Esprit qui habite en vous. "

Solutions :

1. Le sens spirituel de la grâce ne parvient pas au corps premièrement et principalement, mais d’une manière secondaire et instrumentale, on vient de le dire.

2. Le corps de l’animal n’a pas, comme le corps humain, de rapport à l’âme rationnelle ; et par conséquent le cas n’est pas semblable.

3. Bien que le Christ ait reçu d’autres hommes la matière de ; ; son corps, cependant tous les hommes reçoivent de lui la vie immortelle du corps, selon cette parole (1 Co 15, 22) : " Comme tous meurent, en Adam, de même aussi c’est dans le Christ que tous revivront. "

 

            Article 3 — Le Christ est-il la tête de tous les hommes ?

Objections :

1. La tête n’a de rapport qu’aux membres de son corps. Mais les infidèles ne sont d’aucune manière membres de l’Église " qui est le corps du Christ " (Ep 1, 23). Le Christ n’est donc pas la tête de tous les hommes.

2. L’Apôtre écrit (Ep 5, 25. 27) : " Le Christ s’est livré pour l’Église ; il voulait se la présenter glorieuse, sans tache ni ride ni rien de semblable. " Mais il y en a beaucoup, même parmi les fidèles, en qui se trouve la tache ou la ride du péché. Le Christ n’est donc pas la tête de tous les fidèles.

3. Les sacrements de l’ancienne loi se rattachent au Christ, comme l’ombre au corps, dit l’épître aux Colossiens (2, 17). Mais les Pères de l’Ancien Testament, en leur temps, servaient Dieu par ces sacrements (He 8, 5) : " Ils célèbrent un culte qui n’est qu’une image et une ombre des choses célestes. " Ils n’appartenaient donc pas au corps du Christ, et par suite le Christ n’est pas la tête de tous les hommes.

En sens contraire, S. Paul affirme (1 Tm4, 10) -. " Il est le sauveur de tous les hommes, et spécialement des fidèles " ; et la 1ère épître de S. Jean (2, 2) : " Il est lui-même victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier. " Or, sauver les hommes, être victime de propitiation pour leurs péchés, revient au Christ précisément parce qu’il est tête. Le Christ est donc la tête de tous les hommes.

Réponse :

Il y a cette différence entre le corps naturel de l’homme et le corps mystique de l’Église, que les membres du corps naturel existent tous en même temps, mais non les membres du corps mystique ; ni quant à leur être de nature, car le corps de l’Église est constitué par les hommes qui vécurent depuis le commencement du monde jusqu’à sa fin ; ni quant à leur être de grâce, car, parmi les membres de l’Église qui vivent à la même époque, certains sont privés de la grâce et l’auront plus tard, tandis que d’autres la possèdent déjà. Il faut donc regarder comme membres du corps mystique non seulement ceux qui le sont en acte, mais aussi ceux qui le sont en puissance. Parmi ces derniers, les uns le sont en puissance sans jamais le devenir en acte ; les autres le deviennent en acte à un moment donné selon trois degrés : par la foi, par la charité en cette vie, et enfin par la béatitude de la patrie céleste.

Donc, si nous considérons en général toutes les époques du monde, le Christ est la tête de tous les hommes, mais à divers degrés : 1° d’abord et avant tout, il est la tête de ceux qui lui sont unis en acte par la gloire ; 2° il est la tête de ceux qui lui sont unis en acte par la charité ; 3° de ceux qui lui sont unis en acte par la foi ; 4° de ceux qui lui sont unis en puissance mais qui, dans les desseins de la prédestination divine, le seront un jour en acte ; 5° il est la tête de ceux qui lui sont unis en puissance et ne le seront jamais en acte, comme les hommes qui vivent en ce monde et ne sont pas prédestinés. Ceux-ci, quand ils quittent cette vie, cessent entièrement d’être membres du Christ, car ils ne sont plus en puissance à lui être unis.

Solutions :

1. Les infidèles, bien qu’ils ne soient pas en acte membres de l’Église, lui appartiennent cependant en puissance. Cette puissance a deux fondements : d’abord, et comme principe, la vertu du Christ qui suffit au salut de tout le genre humain ensuite le libre arbitre.

2. L’Église " glorieuse, sans tache ni ride ", est la fin ultime à laquelle nous sommes conduits par la passion du Christ. Elle ne se réalisera donc que dans la patrie céleste, et non en cette vie où " nous nous trompons nous-mêmes si nous prétendons être sans péché " (1 Jn 1, 8). Il y a cependant certains péchés, les péchés mortels, dont sont indemnes les membres du Christ qui lui sont unis en acte par la charité. Quant à ceux qui sont esclaves de tels péchés, ils ne sont pas membres du Christ en acte, mais en puissance, sauf peut-être d’une manière imparfaite par la foi informe. Car celle-ci unit au Christ de façon relative, et non de cette façon absolue qui permet à l’homme d’obtenir par le Christ la vie de la grâce, selon S. Jacques (2, 20) : " La foi sans les œuvres est morte. " De tels membres reçoivent du Christ l’acte vital de croire, et ils sont semblables à un membre mort que l’homme parvient à remuer quelque peu.

3. Les saints Pères ne s’arrêtaient pas aux sacrements de l’ancienne loi comme à des réalités, mais comme à des images et à des ombres de ce qui devait venir. Or, c’est par le même sacrement que l’on se porte et sur l’image en tant que telle, et sur la réalité qu’elle représente, comme le montre Aristote. C’est pourquoi les anciens Pères, en ‘observant les sacrements de l’ancienne loi, étaient portés vers le Christ par la même foi et le même amour qui nous portent nous-mêmes vers lui. Ils appartenaient donc bien, comme nous, au corps de l’Église.

 

            Article 4 — Le Christ est-il la tête des anges ?

Objections :

1. La tête et les membres sont de même nature ; mais le Christ, en tant qu’homme, n’est pas de même nature que les anges, car il est écrit : " Ce n’est pas à des anges qu’il vient en aide, mais à la postérité d’Abraham " (He 2, 16). Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête des anges.

2. Le Christ est la tête de ceux qui appartiennent à l’Église, " qui est son corps ", selon l’épître aux Éphésiens (1, 23). Mais les anges n’appartiennent pas à l’Église : celle-ci est en effet l’assemblée des fidèles ; or les anges n’ont pas la foi, ils marchent non dans la foi, mais dans la vision ; autrement, ils seraient " en exil, loin du Seigneur ", comme le remarque l’Apôtre (2 Co 5, 6). Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête des anges.

3. S. Augustin écrit : De même que le Verbe " qui dès le principe était auprès du Père " vivifie les âmes, de même " le Verbe fait chair " vivifie les corps. Mais les anges n’ont pas de corps ; et le Verbe fait chair, c’est le Christ homme. Donc le Christ, en tant qu’homme, n’exerce pas d’influence vitale sur les anges, et n’est pas leur tête.

En sens contraire, l’Apôtre écrit aux Colossiens (2, 10) : " Il est la tête de toute Principauté et de toute Puissance. " Or ceci vaut aussi bien pour tous les anges. Le Christ est donc la tête des anges.

Réponse :

Là où il y a un seul corps, il faut nécessairement placer une seule tête : or, par analogie, nous appelons corps une multitude ordonnée dans l’unité, selon des activités et des fonctions distinctes ; et il est manifeste que les hommes et les anges sont ordonnés à une seule fin qui est la gloire de la béatitude divine. Le corps mystique de l’Église ne se compose donc pas seulement des hommes, mais aussi des anges.

De toute cette multitude, le Christ est la tête ; il est plus près de Dieu en effet et reçoit ses dons avec une plus entière plénitude que les homme et même que les anges ; en outre, les anges, aussi bien que les hommes, reçoivent son influence : il est écrit en effet aux Éphésiens (1, 20) : " (Dieu le Père) l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux, au-dessus de toute Principauté, Vertu, Seigneurie, et de tout autre Puissance, nom qui peut se nommer, non seulement dans le siècle présent, mais encore dans le siècle à venir : et il a tout mis sous ses pieds. " Le Christ n’est donc pas seulement la tête des hommes, mais aussi des anges. Aussi est-il écrit (Mt 4, 11) : " Les anges s’approchèrent et ils le servaient. "

Solutions :

1. L’influence du Christ sur les hommes s’exerce en premier lieu quant à leurs âmes ; selon celles-ci, les hommes sont de même nature que les anges, bien qu’ils diffèrent d’eux spécifiquement. En raison de cette conformité, le Christ peut être dit la tête des anges, bien que cette conformité n’existe pas quant aux corps.

2. L’Église, dans son état de voyage, c’est l’ensemble des croyants ; mais, dans l’état de la patrie, c’est l’assemblée des élus qui voient Dieu. Or le Christ ne fut pas seulement voyageur ; il fut aussi compréhenseur. A ce titre, et parce qu’il possède en plénitude la grâce et la gloire, il est la tête non seulement des croyants, mais aussi de ceux qui voient Dieu.

3. S. Augustin parle ici en assimilant la cause à l’effet, en tant que la réalité corporelle agit sur les corps, et la réalité spirituelle sur les réalités du même genre. Cependant l’humanité du Christ, en vertu de sa nature spirituelle, c’est-à-dire divine, peut agir non seulement sur les esprits des hommes, mais encore sur les esprits des anges, à cause de son union intime avec Dieu, qui est une union personnelle.

 

            Article 5 — La grâce du Christ comme tête de l’Église est-elle identique à sa grâce habituelle d’homme individuel ?

Objections :

1. S. Paul affirme (Rm 6, 15) : " Si par la faute d’un seul tous les hommes sont morts, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d’un seul homme, Jésus Christ, se sont-ils répandus à profusion sur la multitude. " Mais le péché actuel d’Adam n’est pas le même que le péché originel qu’il transmet à sa postérité. Par conséquent, autre est la grâce personnelle, propre au Christ, et autre celle qu’il possède comme tête de l’Église et qui découle de lui sur les autres.

2. Les habitus se distinguent par leurs actes.

Mais la grâce personnelle du Christ est ordonnée à un acte qui est la sanctification de son âme ; sa grâce capitale est ordonnée à un autre acte qui est la sanctification des hommes. Donc la grâce personnelle du Christ est distincte de sa grâce en tant que tête de l’Église.

3. Comme on l’a dit, dans le Christ on distingue une triple grâce : la grâce d’union, la grâce capitale et la grâce individuelle. Mais la grâce individuelle du Christ est différente de sa grâce d’union ; elle doit donc l’être également de sa grâce capitale.

En sens contraire, il est écrit en S. Jean (1, 16) : " De sa plénitude nous avons tous reçu. " Or, c’est parce que nous recevons de lui que le Christ est notre tête ; il est donc aussi notre tête parce qu’il a possédé la plénitude de la grâce. Mais si le Christ a possédé la plénitude de la grâce, c’est que la grâce qui lui était donnée à titre personnel, était parfaite en lui, ainsi que nous l’avons déjà noté. Donc, c’est par sa grâce personnelle que le Christ est notre tête, et par conséquent sa grâce capitale ne diffère pas de sa grâce personnelle.

Réponse :

Tout être agit autant qu’il est en acte ; d’où il suit que le même acte est à la fois pour un être raison de son actualité et de son agir. Ainsi c’est la même chaleur qui fait que le feu est chaud et qu’il chauffe. Pourtant, l’acte qui donne à un être son actualité n’est pas toujours principe suffisant d’actualité au-dehors. Étant donné que l’agent doit être supérieur au patient, ainsi que le remarquent S. Augustin et Aristote il en résulte que celui qui exerce une activité sur les autres doit être en acte d’une manière éminente. Or nous avons vu que l’âme du Christ possède une grâce suréminente. Donc, en raison de cette supériorité de sa grâce, il lui revient de la faire dériver vers les autres. C’est précisément en quoi consiste la grâce de chef. Par conséquent la grâce personnelle, qui justifie l’âme du Christ, est essentiellement la même que celle qui lui permet d’être tête de l’Église et de justifier les autres : il n’y a entre elles qu’une distinction de raison.

Solutions :

1. En Adam le péché originel, qui est un péché de nature, vient de son péché actuel qui est un péché personnel. Chez lui, en effet, la personne a corrompu la nature, et, par cette corruption, le péché du premier homme est passé à ses descendants, chez lesquels la nature corrompue corrompt à son tour la personne. Mais la grâce ne se transmet pas du Christ à nous par la nature humaine ; elle nous est communiquée par la seule action personnelle du Christ. C’est pourquoi il ne faut pas distinguer dans le Christ une double grâce, dont l’une répondrait à la nature et l’autre à la personne, de la même manière que nous distinguons en Adam le péché de nature et le péché de personne.

2. Des actes divers, dont l’un est la raison et la cause de l’autre, se diversifient par l’habitus. Or, l’acte de la grâce personnelle qui rend son sujet formellement saint est aussi cause de justification pour les autres, justification qui relève de la grâce de chef. La diversité que nous rencontrons ici ne suffit donc pas à diversifier l’habitus.

3. La grâce personnelle et la grâce de chef ont rapport à une certaine activité, tandis que la grâce d’union se réfère à l’être personnel. C’est pourquoi la grâce personnelle et la grâce de chef appartiennent essentiellement au même habitus, et non la grâce d’union. Pourtant, d’une certaine manière, la grâce personnelle peut être appelée grâce d’union, en ce sens qu’elle crée une certaine convenance à l’union. De ce point de vue, grâce d’union, grâce personnelle et grâce de chef sont essentiellement une seule et même grâce, avec une distinction de pure raison.

 

            Article 6 — Appartient-il en propre au Christ d’être la tête de l’Église ?

Objections :

1. Il est écrit (1 S 15, 17) : " Lorsque tu étais petit à tes propres yeux, tu es devenu la tête des tribus d’Israël. " Or, il n’y a qu’une seule Église sous l’ancienne et la nouvelle alliance. Il semble donc, par le fait même, que quelqu’un d’autre que le Christ a pu être la tête de l’Église.

2. C’est parce que le Christ communique la grâce aux membres de l’Église que nous l’appelons tête de l’Église. Mais il appartient à d’autres que lui de communiquer la grâce, selon cette parole (Ep 4, 29) : " Qu’il ne sorte de votre bouche aucune parole mauvaise, mais quelque bon discours propre à édifier, selon le besoin, afin de donner la grâce à ceux qui l’entendent. " Il apparaît donc que d’autres que le Christ peuvent être tête de l’Église.

3. Du fait de sa primauté sur l’Église, le Christ n’est pas seulement a pelé tête, mais aussi pasteur ,et fondement de l’Église. Or, le Christ ne s’est pas réservé le titre de pasteur, puisqu’il est écrit (1 P 5, 4) : " Quand le Prince des pasteurs paraîtra, vous recevrez la couronne de gloire. " Il ne s’est pas davantage réservé le titre de fondement, puisque nous lisons dans l’Apocalypse (21, 14) : " La muraille de la ville a douze fondements. " On ne voit donc pas pourquoi le Christ se serait réservé le titre de tête.

En sens contraire, on lit dans l’épître aux Colossiens (2, 19) " Il est la tête de l’Église, par l’influence de laquelle tout le corps qui se nourrit et tient ensemble grâce aux jointures et ligaments, réalise sa croissance divine. " Or cela convient seulement au Christ. Le Christ seul est donc la tête de l’Église.

Réponse :

La tête exerce son influence sur les membres d’une double manière. Tout d’abord par influx intérieur, en transmettant par sa vertu le mouvement et la sensibilité aux autres membres. Puis par gouvernement extérieur, dans la mesure où l’homme se dirige dans son activité extérieure par la vue et les autres sens siégeant dans la tête.

Or, l’influx intérieur de la grâce nous vient du Christ seul, dont l’humanité, par son union à la divinité, possède la vertu de justifier. Mais l’influence exercée sur les membres de l’Église par mode de gouvernement extérieur peut appartenir à d’autres qu’au Christ, et c’est en ce sens que certains sont appelés têtes de l’Église, selon cette parole d’Amos (6, 1) : " Les princes sont les têtes des peuples. " Il faut cependant noter des différences avec le Christ. En premier lieu, le Christ est la tête de tous ceux qui appartiennent à l’Église, en quelque lieu, temps ou situation qu’ils se trouvent ; les autres hommes ne sont têtes que par rapport à certains lieux déterminés, comme les évêques pour leurs Églises ; ou par rapport à un temps déterminé, comme le pape qui est tête de toute l’Église durant le temps de son pontificat ; et par rapport enfin à une situation déterminée, à savoir l’état de voyageur sur terre. En second lieu, le Christ est la tête de l’Église par sa propre puissance et sa propre autorité, tandis que les autres ne sont têtes que parce qu’ils tiennent la place du Christ, selon cette parole (2 Co 2, 10) : " Si j’ai donné quelque chose, c’est pour vous et en la personne du Christ " ; et encore (2 Co 5, 20) : " C’est pour le Christ que nous faisons fonction d’ambassadeur, Dieu lui-même exhortant par nous. "

Solutions :

1. Cette parole doit s’entendre au sens où la tête signifie le gouvernement extérieur, et où nous disons que le roi est la tête de son royaume.

2. L’homme ne donne pas la grâce par influx intérieur, mais par une persuasion extérieure concernant les moyens de la grâce.

3. S. Augustin écrit : " Si les chefs de l’Église sont Pasteurs, comment y a-t-il un seul pasteur, sinon parce que tous sont membres du pasteur unique ? " Ainsi donnons-nous à d’autres que le Christ le titre de fondement et de tête, parce qu’ils sont membres d’une tête et d’un fondement unique. Et cependant, comme l’écrit encore S. Augustin : " S’il a donné à ses membres d’être pasteurs, il s’est réservé à lui seul d’être la porte " ; car la porte signifie l’autorité principale, puisque c’est par elle que tous entrent dans la maison ; et c’est par le Christ seul que " nous avons accès à cette grâce en laquelle nous demeurons " (Rm 5, 2). Au contraire, les autres noms peuvent se rapporter non seulement à une autorité principale, mais aussi à une autorité secondaire.

 

            Article 7 — Le diable est-il la tête de tous les méchants ?

Objections :

1. Il est essentiel à la tête de communiquer aux membres la sensibilité et le mouvement, comme dit la Glose sur le texte de l’épître aux Éphésiens (1, 22) : " Il en a fait la tête. . . " etc. Mais le diable n’a pas le pouvoir de communiquer la malice du péché, qui provient de la volonté du pécheur. Le diable ne peut donc être appelé la tête des méchants.

2. Tout péché rend l’homme mauvais ; mais tous les péchés ne viennent pas du diable. Cela est manifeste s’il s’agit des péchés des démons, car ceux-ci n’ont pas péché sous l’influence d’un autre. Mais cela est encore vrai de certains péchés des hommes : on lit en effet dans le livre des Croyances ecclésiastiques : " Toutes nos pensées mauvaises ne sont pas inspirées par le diable ; quelquefois elles surgissent par un mouvement de notre libre arbitre. " Le diable n’est donc pas la tête de tous les méchants.

3. Une seule tête préside à un corps unique. Mais toute la multitude des méchants ne semble pas avoir un principe d’unité, car il arrive que les maux se contrarient lorsqu’ils proviennent de défauts divers, remarque Denys. Le diable ne peut donc être appelé la tête de tous les méchants.

En sens contraire, au sujet de cette parole de Job (8, 17) : " Que sa mémoire disparaisse de la terre ", nous lisons dans la Glose : " Ce vœu s’applique à tout méchant, pour qu’il fasse retour à son chef, c’est-à-dire au diable. "

Réponse :

Comme il a été dit précédemment non seulement la tête exerce une influence intérieure sur les membres, mais encore elle les gouverne extérieurement en dirigeant leur activité vers une fin. On peut donc donner à quelqu’un le nom de tête par rapport à une multitude, ou bien dans les deux sens d’influx intérieur et de gouvernement extérieur, et c’est ce qui arrive pour le, Christ quand nous disons qu’il est tête de l’Église. Ou bien seulement au sens de gouvernement extérieur : en ce dernier sens tout prince ou prélat est tête de la multitude qui lui est soumise. C’est également de cette manière que le diable est la tête de tous les méchants, car ainsi qu’il est dit dans Job (41, 26) " Il est le roi de tous les fils d’orgueil. "

Or il appartient à celui qui gouverne de conduire ses sujets à sa propre fin. La fin du diable, c’est que la créature rationnelle se détourne de Dieu ; c’est pourquoi, dès le commencement, il chercha à détourner l’homme de l’obéissance au précepte divin. Et l’aversion loin de Dieu a raison de fin quand elle est désirée par le libre arbitre, selon Jérémie (2, 20) : " Depuis longtemps tu as brisé le joug, tu as rompu tes liens, et tu as dit : je ne servirai pas. " Donc, lorsque des hommes, en commettant le péché, sont conduits à cette fin, ils tombent sous le régime et le gouvernement du diable, et celui-ci peut être appelé leur tête.

Solutions :

1. Le diable n’exerce pas une influence intérieure sur l’âme rationnelle, mais, par ses suggestions, il induit au mal.

2. Celui qui gouverne ne pousse pas chacun de ses sujets à obéir à sa volonté, mais à tous il notifie sa volonté par un signe ; les uns se trouvent excités à la suivre, les autres le font spontanément. Ainsi arrive-t-il que les soldats suivent l’étendard de leur chef, sans qu’il soit nécessaire de les y pousser. Le diable a péché le premier, car il est écrit (1 Jn 3, 8) : " Il pèche dès le commencement ", et son péché fut proposé à tous les autres comme un exemple à suivre certains l’imitèrent parce qu’ils y furent poussés par lui, d’autres le firent de leur propre mouvement et sans aucune suggestion de sa part. En ce sens le diable est tête de tous les méchants, parce qu’ils suivent son exemple, selon cette parole de la Sagesse (2, 24) : " C’est par l’envie du diable que la mort est venue dans le monde. Ceux-là l’imitent qui lui appartiennent. "

3. Tous les péchés se ressemblent quant à l’aversion loin de Dieu ; ils diffèrent selon la conversion à des biens changeants et divers.

 

            Article 8 — L’Anti-Christ peut-il être appelé la tête de tous les méchants ?

Objections :

1. Un corps unique ne peut avoir plusieurs têtes ; mais nous venons de dire que le diable est la tête de la multitude des méchants ; l’Anti-Christ ne peut donc être aussi leur tête.

2. L’Anti-Christ est membre du diable ; mais la tête se distingue des membres ; l’Anti-Christ n’est donc pas la tête des méchants.

3. La tête exerce une influence sur les membres ; mais l’Anti-Christ ne peut agir d’aucune manière sur les méchants qui l’ont précédé. Il ne peut donc être leur tête.

En sens contraire, au sujet de cette parole de Job (21, 29) : " Interrogez l’un des voyageurs " la Glose écrit : " Tandis que l’auteur parlait du corps de tous les méchants, subitement il tourne son discours vers leur tête, l’Anti-Christ. "

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit il y a trois choses à considérer au sujet de la tête naturelle : l’ordre, la perfection et le pouvoir d’influence. Dans l’ordre du temps, l’Anti-Christ n’est pas la tête des méchants, car son péché ne les a pas précédés, comme cela s’est produit pour le péché du diable. Il ne l’est pas davantage au point de vue du pouvoir d’influence, bien qu’il doive en effet, par suggestion extérieure, entraîner au mal ceux qui vivront de son temps ; cependant ceux qui ont vécu avant lui n’ont pu être entraînés par lui, ni même imiter sa malice. En ce sens, il ne pourrait être la tête que de quelques méchants. Mais il reste qu’il est appelé la tête de tous les méchants, en raison de la perfection de sa malice. Aussi, à propos de cette parole (2 Th 2, 4) : " Il se présente comme s’il était Dieu ", la Glose écrit-elle : " De même que dans le Christ habite la plénitude de la divinité, ainsi dans l’Anti-Christ se trouve la plénitude de toute malice. " Certes, l’humanité de l’Anti-Christ ne doit pas être assumée par le diable dans l’unité de personne, comme l’a été l’humanité du Christ par le Fils de Dieu ; mais le diable lui communiquera par suggestion sa malice plus qu’à tous les autres. Et c’est pourquoi tous les autres méchants qui l’ont précédé sont comme une image de l’Anti-Christ, selon cette parole de l’Apôtre (2 Th 2, 7) : " Dès maintenant le mystère de l’impiété est à l’œuvre. "

Solutions :

1. Le diable et l’Anti-Christ ne constituent pas deux têtes, mais une seule ; car l’Anti-Christ est appelé tête parce qu’en lui la malice du diable se trouve reproduite en plénitude. C’est pourquoi au sujet de cette parole (2 Th 2,4) : " Il se présente comme s’il était Dieu ", la Glose écrit encore : " En lui se trouve la tête de tous les méchants c’est-à-dire le diable qui est le roi de tous les fils d’orgueil. " Mais il ne s’y trouve pas par union personnelle ou par habitation intime, car il appartient à la Trinité seule de pénétrer l’intime de l’âme. Il ne s’y trouve que par l’effet de sa malice, selon le livre des Croyances ecclésiastiques.

2. Comme nous l’avons déjà dit, bien que Dieu soit la tête du Christ, le Christ n’en est pas moins la tête de l’Église ; ainsi tout en étant membre du diable, l’Anti-Christ est la tête des méchants.

3. Quand nous disons que l’Anti-Christ est appelé la tête de tous les méchants, nous faisons porter l’analogie non sur son influence, mais sur sa perfection. En lui en effet le diable porte sa malice au degré suprême, tout comme nous disons que quelqu’un mène son dessein au sommet de la perfection, lorsqu’il l’a pleinement réalisé.

Il faut maintenant étudier la science du Christ : I. Son étude globale (Q. 9). II. L’étude de chacune de ses sciences (Q. 10-12).

 

 

QUESTION 9 — LA SCIENCE DU CHRIST

1. Le Christ a-t-il possédé une autre science que la science divine ? - 2. A-t-il possédé la science des bienheureux ou compréhenseurs ? - 3. A-t-il possédé la science infuse ? - 4. A-t-il possédé une science acquise ?.

 

            Article 1 — Le Christ a-t-il possédé une science autre que la science divine ?

Objections :

1. La science est nécessaire pour connaître certaines choses. Mais par sa science divine le Christ connaissait tout. En lui une autre science aurait donc été superflue.

2. Une lumière moindre disparaît dans une lumière plus vive. Mais toute science créée comparée à la science de Dieu incréée, est une lumière moindre. Donc le Christ n’a pas eu la lumière d’une science autre que la science divine.

3. L’union de la nature humaine à la nature divine s’est réalisée dans la personne, on l’a montré précédemment. Or certains mettent dans le Christ une science d’union par laquelle il connaît beaucoup plus parfaitement qu’un autre ce qui concerne le mystère de l’Incarnation. Puisque l’union personnelle englobe deux natures, il semble donc qu’il ne puisse y avoir dans le Christ deux sciences, mais une seule appartenant aux deux natures.

En sens contraire, S. Ambroise écrit : " Dieu a assumé dans la chair la perfection de la nature humaine ; il a pris le sens de l’homme, mais non le sens orgueilleux de la chair. " Mais la science créée appartient au sens de l’homme ; il y eut donc dans le Christ une science créée.

Réponse :

Comme nous l’avons déjà montré, le Fils de Dieu a pris une nature humaine complète, non seulement un corps, mais aussi une âme ; non seulement une âme sensible, mais aussi une âme rationnelle. Il devait donc posséder une science créée pour trois motifs.

1° Pour la perfection de son âme. L’âme, en effet, considérée en elle-même, est en puissance à connaître tous les intelligibles ; elle est comme un tableau sur lequel rien ne se trouve écrit, mais où l’on peut écrire, car, par l’intellect possible, elle peut " devenir toutes choses ", selon Aristote. Or, ce qui est en puissance est imparfait tant qu’il n’est pas amené à l’acte. D’autre part, il ne convenait pas que le Fils de Dieu assume une nature humaine imparfaite, puisque, par son intermédiaire, il devait conduire tout le genre humain à la perfection. Il fallait donc que l’âme du Christ fût dotée d’une science qui constituât sa perfection propre, et par suite d’une science distincte de la science proprement divine. Autrement l’âme du Christ serait plus imparfaite que les âmes des autres hommes.

2° Étant donné que toute chose existe en vue de son opération, dit Aristote, c’est en vain que le Christ aurait une âme intellectuelle, s’il ne pouvait faire acte d’intelligence. Ce qui relève d’une science créée.

3° Il y a une science créée qui est naturelle à l’âme humaine ; c’est celle par laquelle nous connaissons les premiers principes ; nous prenons en effet ici le mot science au sens large, pour toute connaissance de l’intellect humain. Mais rien de ce qui est naturel ne pouvait manquer au Christ, puisqu’il a assumé toute la nature humaine, nous l’avons dit C’est pourquoi le sixième Concile œcuménique a condamné la doctrine de ceux qui nient que dans le Christ il y ait eu deux sciences ou deux sagesses.

Solutions :

1. Le Christ a connu toutes choses par la science divine dans l’opération incréée qui est l’essence même de Dieu ; l’intellection de Dieu est en effet sa propre substance, comme le démontre le Philosophe. Cette intellection n’a donc pu être un acte de l’âme du Christ, puisque cette âme est d’une autre nature. Donc, si dans l’âme du Christ, il n’y avait pas eu d’autre science que la science divine, son âme n’aurait rien connu. Elle aurait donc été assumée en vain, puisque toute chose existe en vue de son opération.

2. Lorsqu’on a deux lumières de même ordre, la plus faible disparaît devant la plus forte ; c’est ainsi que la lumière du soleil efface celle d’un simple flambeau, parce que l’un et l’autre sont des sources de lumière ; mais si l’on a deux lumières dont l’une est source d’illumination, et dont l’autre ne fait que recevoir cette illumination, la première, loin d’affaiblir la seconde, ne fait que l’accroître en proportion de son éclat ; ainsi la lumière de l’air est augmentée par la lumière du soleil. De même, dans l’âme du Christ, la lumière de la science n’est pas effacée, mais bien plutôt renforcée par la lumière de la science divine, laquelle est " la véritable lumière illuminant tout homme venant en ce monde " (Jn 1, 9).

3. En se plaçant au point de vue des réalités unies, nous mettons dans le Christ une science se référant et à sa nature divine et à sa nature humaine. Ainsi, à cause de l’union de l’homme et de Dieu en une même hypostase, nous attribuons à l’homme ce qui est de Dieu, et à Dieu ce qui est de l’homme, nous l’avons déjà dit. Mais si l’on se place au point de vue de l’union elle-même, on ne saurait poser dans le Christ une science quelconque, car l’union se rapporte à l’être personnel, et la science ne convient à la personne qu’en raison d’une nature donnée.

 

            Article 2 — Le Christ a-t-il possédé la science des bienheureux ou compréhenseurs ?

Objections :

1. La science des bienheureux est une participation de la lumière divine, selon le Psaume (35, 10) : " Dans ta lumière, nous verrons la lumière. " Mais le Christ n’a pas eu la lumière divine en participation, puisque la divinité demeurait en lui substantiellement. Nous lisons en effet dans l’épître aux Colossiens (2, 9) : " Toute la plénitude de la divinité habite corporellement en lui. " Le Christ n’a donc pas eu la science des bienheureux.

2. La science des bienheureux fait leur béatitude, selon ce qui est écrit en S. Jean (17, 3) : " La vie éternelle est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. " Mais le Christ homme fut bienheureux par le fait même de son union personnelle à Dieu, selon cette parole du Psaume (65, 5) : " Bienheureux celui que tu as choisi et que tu as assumé. " Il n’y a donc pas lieu de placer dans le Christ la science des bienheureux.

3. Une double science convient à l’homme l’une conforme à sa nature, l’autre qui la dépasse. Mais la science des bienheureux, qui consiste dans la vision de Dieu, est au-dessus de la nature humaine. Or dans le Christ il y avait une science surnaturelle beaucoup plus élevée, à savoir la science divine elle-même. Le Christ n’a donc pas eu la science des bienheureux.

En sens contraire, la science des bienheureux consiste dans la connaissance de Dieu ; or le Christ, même en tant qu’homme, a connu Dieu pleinement, selon cette parole en S. Jean (6, 55) : " je le connais et je garde sa parole. " Le Christ possédait donc la science des bienheureux.

Réponse :

Ce qui est en puissance est amené à l’acte par ce qui est déjà en acte ; ainsi faut-il qu’un corps soit chaud pour chauffer d’autres corps. Or, l’homme est en puissance à la science des bienheureux qui consiste dans la vision de Dieu, et il se trouve ordonné à elle comme à sa fin ; créature raisonnable, en effet, il est capable de cette connaissance bienheureuse, parce qu’il est à l’image de Dieu. Et les hommes sont conduits à cette fin de la béatitude par l’humanité du Christ selon l’épître aux Hébreux (2, 10) : " Il convenait que, voulant conduire à la gloire un grand nombre de fils, celui pour qui et par qui sont toutes choses, rendît parfait par des souffrances le chef qui devait les guider vers leur salut. " Et c’est pourquoi il fallait que sa connaissance bienheureuse qui consiste en la vision de Dieu, convienne souverainement au Christ homme, parce que la cause doit toujours être plus parfaite que son effet.

Solutions :

1. La divinité est unie à l’humanité du Christ selon la personne et non selon la nature, mais l’unité personnelle ne supprime pas la distinction des natures. Et c’est pourquoi l’âme du Christ, qui fait partie de sa nature humaine, a été, par une lumière participée de la nature divine, élevée à la science bienheureuse par laquelle Dieu est vu dans son essence.

2. Par l’union, cet homme qu’est le Christ est bienheureux de la béatitude incréée, tout aussi bien que, par l’union, il est Dieu. Mais en dehors de la béatitude incréée, il faut que la nature humaine du Christ possède une béatitude créée qui lui permette d’atteindre sa fin ultime.

3. La vision ou science bienheureuse est d’une certaine manière au-dessus de la nature de l’âme rationnelle, car celle-ci ne peut y parvenir par sa propre vertu. En un autre sens pourtant elle est conforme à sa nature, car, par nature, l’âme est capable de Dieu, étant créée à son image, comme on vient de le dire. Mais la science incréée dépasse de toutes manières la nature de l’âme humaine.

 

            Article 3 — Le Christ a-t-il possédé la science infuse ?

Objections :

1. Comparée à la science bienheureuse, toute autre science est imparfaite. Or la présence d’une connaissance parfaite exclut toute connaissance imparfaite ; c’est ainsi que la claire vision face à face exclut la vision obscure de la foi. Puisque le Christ possédait la science bienheureuse, comme on vient de le voir, il ne semble donc pas qu’il ait pu exister en lui une autre science, qui aurait été infuse.

2. Un mode moins parfait de connaissance dispose au mode plus parfait ; ainsi l’opinion fondée sur le syllogisme dialectique dispose à la science, laquelle se fonde sur le syllogisme démonstratif Mais lorsqu’on est parvenu à la perfection, la disposition devient inutile ; quand on a atteint le but, le mouvement n’est plus nécessaire. Puisque toute autre connaissance créée, comparée à la connaissance bienheureuse, est imparfaite, et qu’elle est comme la disposition qui prépare au terme, et puisque le Christ a possédé la connaissance bienheureuse, il ne semble pas nécessaire de mettre en lui une autre connaissance.

3. De même que la matière corporelle est en puissance à la forme sensible, de même l’intellect possible est en puissance à la forme intelligible. Mais la matière corporelle ne peut recevoir à la fois deux formes sensibles, l’une plus parfaite et l’autre moins parfaite. Par conséquent l’âme non plus ne peut recevoir une double science, l’une plus parfaite et l’autre moins parfaite. Il faut donc conclure comme précédemment.

En sens contraire, S. Paul nous dit (Col 2,. 3) : " Dans le Christ se trouvent, cachés, tous les trésors de la sagesse et de la science. "

Réponse :

Nous l’avons déjà remarqués, il convenait que la nature humaine assumée par le Verbe de Dieu ne soit pas imparfaite. Or, tout ce qui est en puissance est imparfait, s’il n’est amené à l’acte par les espèces intelligibles qui sont comme des formes qui l’achèvent, d’après Aristote. C’est pourquoi il faut placer dans le Christ une science infuse : par le Verbe de Dieu qui lui est uni personnellement, l’âme du Christ reçoit les espèces intelligibles de tout ce envers quoi l’intellect possible est en puissance ; de la même manière, par le Verbe de Dieu, au moment de la création du monde,

furent imprimées des espèces intelligibles dans l’intelligence angélique, selon la doctrine de S. Augustin. De même, au dire encore de S. Augustin, il faut placer dans les anges une double connaissance : l’une, celle " du matin ", qui leur fait connaître les réalités dans le Verbe ; l’autre, celle " du soir ", qui leur fait connaître les réalités en elles-mêmes, par le moyen d’espèces infuses. De même, en dehors de la science divine et incréée, il faut attribuer au Christ une science bienheureuse qui lui fait voir le Verbe et les réalités dans le Verbe, et une science infuse qui lui permet de connaître les choses dans leur nature propre par des espèces intelligibles proportionnées à l’esprit humain.

Solutions :

1. La vision imparfaite de la foi inclut par sa nature même l’opposé de la claire vision ; car il est essentiel à la foi d’avoir pour objet ce qu’on ne voit pas, comme nous l’avons dit dans la deuxième Partie. Mais la connaissance par espèces infuses ne comporte en soi rien qui s’oppose à la connaissance bienheureuse. Le cas n’est donc pas le même.

2. La disposition possède un double rapport à la perfection : en premier lieu elle est comme la voie qui y conduit ; en second lieu elle est comme l’effet qui en procède. Ainsi par la chaleur la matière est disposée à recevoir la forme de feu ; et, celle-ci étant acquise, la chaleur ne cesse pas pour autant, mais elle demeure comme un effet de cette forme. De même, l’opinion produite par le syllogisme dialectique est la voie qui mène à la science, laquelle s’acquiert par démonstration ; une fois la science obtenue, la connaissance par syllogisme dialectique peut demeurer comme une conséquence de la science démonstrative qui établit la cause des faits ; car celui qui connaît la cause peut à plus forte raison connaître les signes de probabilité sur lesquels s’appuie le syllogisme dialectique. De même, dans le Christ, la science infuse peut cœxister avec la science bienheureuse, non pas comme conduisant à la béatitude, mais comme affermie et confirmée par elle.

3. La connaissance bienheureuse n’emploie pas d’espèce intelligible qui serait l’image de l’essence divine et des réalités connues en elle, ainsi que nous l’avons montré dans la première Partie. Elle est une connaissance immédiate de l’essence divine, car celle-ci se trouve unie à l’esprit bienheureux comme l’intelligible l’est à l’intellect. Mais parce que l’essence divine est pour la créature une forme qui la dépasse, rien n’empêche l’âme rationnelle de recevoir en même temps des espèces intelligibles proportionnées à sa nature.

 

            Article 4 — Le Christ a-t-il possédé une science acquise ?

Objections :

1. Tout ce qui convient au Christ, celui-ci l’a possédé de la manière la plus excellente. Mais le Christ n’a pas possédé à un tel degré la science acquise, il ne s’est pas appliqué à l’étude des lettres, qui lui eût permis de l’acquérir, puisqu’il est dit en S. Jean (7, 15) : " Les Juifs s’étonnaient et disaient : "Comment, sans avoir appris, connaît-il les Écritures ?" " Il n’y a donc pas eu dans le Christ de science acquise.

2. A ce qui est comble on ne peut rien ajouter ; mais la puissance de l’âme du Christ fut comblée par les espèces intelligibles divinement infuses, comme on vient de le dire. Des espèces acquises ne pouvaient donc s’ajouter à son âme.

3. Celui qui possède déjà l’habitus de la science n’acquiert pas un nouvel habitus quand il reçoit des sens de nouvelles connaissances ; autrement il faudrait admettre qu’il peut y avoir dans un même sujet deux formes de même espèce. Mais l’habitus qui existait déjà se trouve confirmé et accru par ces connaissances nouvelles. Il ne semble donc pas, puisque le Christ possédait déjà l’habitus de science infuse, qu’il ait pu, par les connaissances qu’il a reçues des sens, acquérir une nouvelle science.

En sens contraire, il est écrit (He 5, 8) : " Tout Fils de Dieu qu’il était,. il apprit par ses propres souffrances, à obéir ", ce que la Glose entend d’une connaissance expérimentale. Il y a donc eu dans le Christ une science expérimentale ou science acquise.

Réponse :

Nous l’avons montré plus haut, rien de ce que Dieu a mis dans notre nature n’a fait défaut à la nature humaine assumée par le Verbe de Dieu. Or, il est manifeste que, dans la nature humaine, Dieu a mis non seulement un intellect possible, mais aussi un intellect agent. Il faut donc admettre que, dans l’âme du Christ, il y a eu, en plus de l’intellect possible, un intellect agent. Mais s’il est vrai, comme l’enseigne Aristote, que, dans les autres êtres, Dieu et la nature ne font rien en vain, à plus forte raison en devra-t-il être ainsi pour l’âme du Christ. D’autre part, toute réalité qui n’a pas d’opération propre est vaine et inutile, car toute chose n’existe qu’en vue de son opération, dit encore Aristote. L’opération propre de l’intellect agent, c’est de rendre les espèces intelligibles en acte, en les abstrayant des images ; aussi lisons-nous encore chez Aristote qu’il appartient à l’intellect agent " de faire (intelligibles) toutes choses ". Ainsi est-il nécessaire de dire que chez le Christ, il y eut des espèces intelligibles reçues dans son intellect possible par l’action de l’intellect agent. C’est donc qu’il y eut en lui une science acquise, que certains appellent expérimentale.

C’est pourquoi, bien que j’aie soutenu dans un écrit antérieur une opinion différente, on doit dire que le Christ a possédé une science acquise. Cette science en effet est proprement à la mesure humaine, non seulement du côté du sujet qui la reçoit, mais aussi du côté de la cause qui la produit ; on l’attribuera donc au Christ en raison de la lumière de l’intellect agent qui est connaturel à l’âme humaine. Au contraire, la science infuse n’est attribuée à l’âme humaine qu’en raison d’une lumière donnée d’en haut, mode de connaissance qui est propre à la nature angélique. Quant à la science bienheureuse, qui nous fait voir l’essence divine elle-même, elle est propre et connaturelle à Dieu seul, comme nous l’avons dit dans la première Partie.

Solutions :

1. Il y a une double manière d’acquérir la science : par découverte personnelle ou par enseignement reçu. La première manière est supérieure, l’autre n’est que secondaire. Aussi le Philosophe dit-il : " Celui-là est parfait qui comprend tout par lui-même ; celui-là est bon qui se montre docile envers un bon maître. " Il revenait donc au Christ d’acquérir la science par découverte personnelle plutôt que par enseignement reçu étant donné surtout que le Christ était établi par Dieu docteur de tous les hommes, selon Joël (2, 23) : " Réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, parce qu’il vous a donné un docteur de justice. "

2. L’esprit humain possède un double rapport l’un aux réalités supérieures, et c’est pourquoi l’âme du Christ fut remplie de science infuse ; l’autre aux réalités inférieures, c’est-à-dire aux images qui sont aptes à mouvoir l’esprit par la vertu de l’intellect agent. A ce point de vue encore il fallait que le Christ fût rempli de science, non pas que la première plénitude ne puisse suffire par elle-même à l’esprit humain, mais celui-ci devait atteindre sa perfection en ce qui concerne son rapport aux images.

3. Autre est la nature de l’habitus de science acquise, et autre la nature de l’habitus infus. Le premier s’acquiert en effet par le recours de l’esprit humain aux images, et sous ce rapport on ne peut acquérir deux habitus de même espèce. Le second est tout différent, car il descend d’en haut dans l’âme, sans aucun recours aux images. on ne peut donc le comparer au premier.

I1 faut maintenant étudier chacune des sciences dont nous venons de parler. Mais, parce que l’on a traité de la science divine dans la première Partie (Q. 14), il reste maintenant à parler des trois autres sciences : I. La science bienheureuse (Q. 10). - II. La science infuse (Q. 11). - III. La science acquise (Q. 12).

Mais parce que, de la science bienheureuse, qui consiste dans la vision de Dieu, nous avons longuement parlé aussi dans la première Partie (Q. 12) nous nous contenterons d’étudier ce qui concerne proprement l’âme du Christ.

 

 

QUESTION 10 — LA SCIENCE BIENHEUREUSE DE L’ÂME DU CHRIST

1. L’âme du Christ a-t-elle eu la compréhension du Verbe, c’est-à-dire de l’essence divine ? - 2. Dans le Verbe a-t-elle connu toutes choses ? - 3. Dans le Verbe a-t-elle connu une infinité de choses ? - 4. Voit-elle le Verbe, ou l’essence divine, plus clairement qu’aucune autre créature ?

 

            Article 1 — L’âme du Christ a-t-elle eu la compréhension du Verbe ou de l’essence divine ?

Objections :

1. S. Isidore a dit que la Trinité est connue d’elle seule et de l’homme assumé. Donc cette connaissance d’elle-même, qui est propre à la sainte Trinité, se trouve communiquée à l’homme assumé. Or cette connaissance est compréhensive. L’âme du Christ comprend donc l’essence divine.

2. Il est plus parfait d’être uni à Dieu selon l’existence personnelle que selon la vision. Mais ainsi que l’enseigne S. Jean Damascène " toute la divinité en l’une de ses personnes est unie dans le Christ à la nature humaine ". A plus forte raison toute la nature divine est-elle vue par l’âme du Christ ; cette âme a donc eu la compréhension de l’essence divine.

3. " Ce qui convient au Fils de Dieu par nature, convient au Fils de l’homme par grâce ", remarque S. Augustin. Mais comprendre l’essence divine est naturel au Fils de Dieu ; cette compréhension appartient donc par grâce au Fils de l’homme. Dès lors, il semble que l’âme du Christ a eu, par grâce, la compréhension du Verbe.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " On enferme dans ses propres limites ce que l’on comprend. " Mais l’essence divine dépasse infiniment l’âme du Christ, et ne saurait être limitée par elle. L’âme du Christ n’a donc pas la compréhension du Verbe.

Réponse :

Comme nous l’avons déjà montré, l’union des natures s’est faite en la personne du Christ, sans que leurs propriétés se soient confondues, en sorte que " l’incréé est demeuré l’incréé, et le créé est resté dans les limites de la créature ", dit S. Jean Damascène. Or, il est impossible à une créature de comprendre l’essence divine, ainsi que nous l’avons démontré dans la première Partie, car l’infini ne peut être compris par le fini. Il faut donc admettre que d’aucune manière l’âme du Christ n’a eu la compréhension de l’essence divine.

Solutions :

1. L’homme assumé est comparé, dans le texte cité, à la Trinité divine, non parce que sa connaissance serait compréhensive, mais parce queue surpasse celle de toutes les créatures.

2. Il n’est pas vrai que, même dans son union personnelle, la nature humaine comprend le Verbe de Dieu ou la nature divine, car, bien que toute la nature divine soit, en la personne du Fils, unie à la nature humaine, la puissance de la divinité ne se trouve pas pour autant circonscrite par elle. Aussi S. Augustin écrit-il : " je veux que tu le saches, l’enseignement chrétien n’admet pas que Dieu, en s’unissant à la chair, ait abandonné ou perdu le gouvernement du monde, ou qu’il ait rétréci sa puissance aux limites d’un pauvre corps. " Pareillement, l’âme du Christ voit toute l’essence de Dieu ; mais elle n’en a pas la compréhension, car elle ne la voit pas d’une manière totale, c’est-à-dire aussi parfaitement queue est visible, comme on l’a exposé dans la première Partie.

3. Cette parole de S. Augustin doit s’entendre de la grâce d’union, selon laquelle tout ce que l’on dit du Fils de Dieu considéré en sa nature divine, peut être dit également du Fils de l’homme, à cause de l’identité de suppôt. En ce sens on peut dire que le Fils de l’homme a la compréhension de l’essence divine non par son âme, mais par sa nature divine. C’est aussi de cette façon que l’on peut dire que le Fils de l’homme est créateur.

 

            Article 2 — Dans le Verbe, l’âme du Christ a-t-elle connu toutes choses ?

Objections :

1. On lit en S. Marc (13, 32) " Personne, ni les anges dans le ciel, ni le Fils ne connaît ce jour, si ce n’est le Père. " L’âme du Christ ne connaît donc pas toutes choses dans le Verbe.

2. On connaît d’autant plus de choses dans un principe que l’on connaît celui-ci plus parfaitement. Mais Dieu voit son essence d’une manière plus parfaite que l’âme du Christ ne la voit. Dieu connaît donc plus de choses dans le Verbe, et par suite l’âme du Christ ne les connaît pas toutes.

3. La richesse d’une science se mesure à la quantité de réalités connaissables. Donc, si l’âme du Christ connaissait dans le Verbe tout ce que le Verbe lui-même connaît, sa science égalerait sa science divine, le créé égalerait l’incréé, ce qui est impossible.

En sens contraire, quand l’Apocalypse (5,12) dit : " L’Agneau immolé est digne de recevoir divinité et sagesse ", la Glose interprète ce dernier mot comme signifiant la connaissance de toutes choses.

Réponse :

Quand on se demande si le Christ a connu toutes choses dans le Verbe, on peut l’entendre au sens propre de tout ce qui est, a été ou sera fait, dit ou pensé par qui que ce soit, en n’importe quel temps. En ce sens, l’âme du Christ connaît toutes choses dans le Verbe. L’intelligence créée, en effet, si elle ne connaît pas absolument tout dans le Verbe, saisit cependant d’autant plus de choses queue connaît le Verbe plus parfaitement. Et chaque intelligence bienheureuse connaît dans le Verbe tout ce qui a rapport à elle-même. Or, toutes choses ont rapport d’une certaine manière au Christ et à sa dignité, car toutes choses lui sont soumises. Il est " le juge universel constitué par Dieu, parce qu’il est Fils de l’homme ", dit S. Jean (5,27). C’est pourquoi l’âme du Christ connaît dans le Verbe toutes les réalités, à quelque moment qu’elles existent, et même les pensées des hommes, dont il est le juge. Aussi cette parole de S. Jean (2, 25) : " Il savait ce qu’il y avait dans l’homme ". peut s’entendre non seulement de sa science divine, mais aussi de cette science que son âme possédait dans la vision du Verbe.

Par ailleurs, on peut prendre " toutes choses " en un sens plus large, englobant non seulement tout ce qui existe en acte, à n’importe quelle époque, mais même tout ce qui est en puissance et ne sera jamais amené à l’acte. De telles choses n’ont d’existence que dans la puissance divine. En ce sens, l’âme du Christ ne connaît pas toutes choses dans le Verbe. Il lui faudrait en effet comprendre tout ce que Dieu peut faire, en d’autres termes comprendre la puissance divine et par suite l’essence divine elle-même. La puissance d’un être se détermine en effet par la connaissance de tout ce qu’il peut faire.

Pourtant s’il s’agit de tout ce qui est non pas seulement dans la puissance divine, mais aussi dans la puissance de la créature, l’âme du Christ connaît toutes choses dans le Verbe. Car elle comprend en lui l’essence de toute créature, et par conséquent la puissance, la vertu et tout ce qui est au pouvoir de la créature.

Solutions :

1. Arius et Eunomius ont appliqué ce texte non pas à la science de l’âme du Christ, dont ils n’admettaient pas l’exigences mais à la connaissance divine du Fils, prétendant qu’il était sous ce rapport inférieur au Père. Cette doctrine est inadmissible, car " par le Verbe toutes choses ont été faites ", dit S. Jean (1, 3), et parmi elles également tous les temps. Or, rien n’a été fait par le Verbe qui fût ignoré de lui.

On doit donc dire que, dans ce cas, ignorer le jour et l’heure du jugement signifie ne pas le faire connaître. Interrogé en effet à ce sujet par ses Apôtres, le Christ n’a rien voulu leur révéler. C’est ainsi qu’en sens contraire nous lisons dans la Genèse (22, 12) : " Maintenant j’ai connu que tu crains Dieu ", ce qui signifie : j’ai fait connaître que tu crains Dieu. On dit que le Père connaît le jour du jugement, parce qu’il communique cette connaissance au Fils. Dès lors cette expression : " si ce n’est le Père ", signifie précisément que le Fils connaît le jour du jugement, non seulement selon sa nature divine, mais même selon sa nature humaine. Comme le montre en effet S. Jean Chrysostome," s’il a été donné au Christ homme de savoir de quelle manière il devait juger, à plus forte raison devait-il connaître l’époque du jugement, qui est une chose moins importante ".

Origène il est vrai, entend ce texte du corps du Christ, qui est l’Église et qui ignore cette époque. D’autres enfin disent qu’il faut l’entendre du fils adoptif de Dieu et non de son Fils par nature.

2. Dieu connaît plus parfaitement sa propre essence que ne la connaît l’âme du Christ, parce qu’il en a la compréhension. Aussi connaît-il toutes choses, non seulement les réalités qui existent en acte à n’importe quelle époque, et qui sont l’objet de sa science de vision, mais aussi tout ce qu’il peut faire et qui se rapporte à sa science de simple intelligence, comme on l’a vu dans la première Partie. L’âme du Christ sait donc tout ce que Dieu connaît en lui-même par sa science de vision, mais non ce qu’il connaît par sa science de simple intelligence. Et par suite Dieu sait en lui-même plus de choses que l’âme du Christ.

3. La richesse d’une science ne se mesure pas seulement au nombre de choses sues, mais aussi à la clarté avec laquelle on les connaît. Aussi, bien que la science du Christ dans le Verbe égale la science de vision de Dieu sous le rapport du nombre des choses sues, cependant celle de Dieu la dépasse infiniment sous le rapport de la clarté. Car la lumière incréée de l’intelligence divine surpasse à l’infini toute lumière créée reçue par l’âme du Christ. Ce qui n’empêche pas la science divine, absolument parlant, de dépasser celle du Christ, même sous le rapport du nombre des choses connues, on vient de le dire.

 

            Article 3 — Dans le Verbe, l’âme du Christ a-t-elle connu une infinité de choses ?

Objections :

1. Que l’infini soit objet de connaissance, cela contredit la notion d’infini, car, selon Aristote, " l’infini suppose une grandeur qui dépasse toujours la considération que l’on peut en prendre ". Or il est impossible d’enlever à un objet sa définition, ce qui équivaudrait à admettre la cœxistence de deux contradictoires. Il est donc impossible que l’âme du Christ connaisse une infinité de choses.

2. La science d’une infinité de choses est elle-même infinie. Or la science de l’âme du Christ ne peut être infinie, puisque, étant créée, elle comporte nécessairement des limites. L’âme du Christ ne peut donc connaître une infinité de choses.

3. Il ne peut y avoir rien de plus grand que l’infini ; mais la science divine embrasse, absolument parlant, beaucoup plus de choses que la science du Christ, on l’a dit". L’âme du Christ ne connaît donc pas une infinité de choses.

En sens contraire, l’âme du Christ connaît toute sa puissance, et toutes les possibilités de celle-ci. Or elle peut nous purifier d’une infinité de péchés, selon cette parole (1 Jn 2, 2) : " Il est lui-même victime de propiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier. " L’âme du Christ connaît donc une infinité de choses.

Réponse :

Il n’y a de science que de l’être, car l’être et le vrai sont convertibles. Mais on donne à une chose le nom d’être d’une double manière : d’une manière absolue, s’il s’agit d’un être en acte ; d’une manière relative, s’il s’agit d’un être en puissance. Et comme d’autre part, selon Aristote rien n’est connu sinon autant qu’il est en acte, et non en puissance, il s’ensuit que l’objet premier et principal de la science, c’est l’être en acte ; son objet secondaire, c’est l’être en puissance. Mais celui-ci n’est pas connaissable en lui-même, il ne l’est que par l’être en la puissance duquel il existe.

Donc, en ce qui regarde le premier mode de connaissance, l’âme du Christ ne connaît pas une infinité de choses, car cette infinité ne se trouve jamais réalisée en acte, même si l’on considère tout ce qui existe en acte, en quelque temps que ce soit ; car l’état des choses qui sont soumises à la génération et à la corruption ne dure pas indéfiniment ; aussi y a-t-il un nombre limité non seulement des réalités inengendrées et incorruptibles, mais même des réalités soumises à la génération et à la corruption.

Pour ce qui est du second mode de connaissance, il faut reconnaître que l’âme du Christ connaît dans le Verbe une infinité de choses. Elle connaît, ainsi que nous venons de le dire, tout ce qui se trouve dans la puissance de la créature. Et comme, dans la puissance de la créature, il y a une infinité de choses, elle peut donc sous ce rapport atteindre à l’infini par la science de simple intelligence, et non par la science de vision.

Solutions :

1. L’infini, nous l’avons dit dans la première Partie revêt un double aspect selon qu’on le considère du point de vue de la forme ou du point de vue de la matière. Du point de vue de la forme, on l’appelle infini par négation ; la forme ou l’acte n’est pas limité par la matière ou le sujet qui le reçoit. Un tel infini, de soi, est parfaitement connaissable en raison de la perfection de l’acte, bien qu’il ne soit pas compréhensible par la puissance finie de la créature. C’est de cette manière que nous disons que Dieu est infini : cet infini, l’âme du Christ le connaît, sans pourtant le comprendre totalement.

Ce qui est infini du point de vue de la matière est appelé ainsi par privation, du fait qu’il ne possède pas la forme qu’il est apte à recevoir. C’est le cas de l’infini qui se rapporte à la quantité. Un tel infini est inconnu par définition, selon Aristote, or la connaissance n’est possible que par la forme ou l’acte. Connaître cet infini selon le mode qui lui est propre est donc impossible, car ce mode suppose que l’on considère les parties l’une après l’autre, comme dit encore Aristote. En ce sens, il est vrai que l’infini est une grandeur qui dépasse toujours la considération que l’on peut en prendre, puisqu’on ne peut l’envisager que partie par partie, en allant toujours plus loin. Mais, de même que les réalités matérielles peuvent être appréhendées par l’intellect d’une manière immatérielle, et que le multiple peut être appréhendé par le mode de l’unité de même une infinité de choses peut être saisie par l’intellect non pas sous le mode de l’infinité, mais pour ainsi dire d’une manière finie ; de cette façon des réalités infinies en soi deviennent finies dans l’intellect de celui qui les connaît. Et c’est ainsi que l’âme du Christ connaît une infinité de choses, non pas en les parcourant une par une, mais en les envisageant dans une réalité unique, dans une créature par exemple, en la puissance de laquelle se trouvent une infinité de choses, et d’abord dans le Verbe lui-même.

2. Rien n’empêche qu’une réalité soit infinie sous un certain rapport, et ce sous un autre : ainsi nous pouvons imaginer, dans l’ordre de la quantité, une surface infinie en longueur et finie en largeur. Ainsi encore des hommes qui seraient en nombre infini posséderaient une infinité relative à la multitude, et n’en demeureraient pas moins finis dans leur essence, car l’essence de tous les êtres est limitée par l’unité de leur espèce ; seul Dieu est infini absolument sous le rapport de son essence, nous l’avons dit dans la première Partie’. Or " l’objet propre de l’intellect est la quiddité " dit Aristote", et c’est à cette essence propre que s’applique la notion d’espèce.

Ainsi donc l’âme du Christ, ayant une capacité finie, peut bien atteindre en son essence ce qui est infini absolument, mais elle ne peut le comprendre totalement, nous l’avons dit. Au contraire, l’infini qui se trouve en puissance dans la créature peut être objet de compréhension pour l’âme du Christ qui atteint cet infini par le moyen de l’essence, et sous ce rapport la créature n’est pas infinie. Car même notre intellect atteint l’universel, comme la nature du genre ou de l’espèce, universel qui est infini d’une certaine manière, puisqu’il peut être attribué à une infinité d’individus.

3. Ce qui est infini de toutes manières, ne peut être qu’un ; c’est pourquoi le Philosophe observe que, le corps étant soumis à la dimension dans toutes ses parties, il est impossible qu’il y ait plusieurs corps infinis. Mais si une chose est infinie en un sens seulement, rien n’empêcherait qu’il y ait plusieurs choses infinies ; ainsi on peut concevoir plusieurs lignes infinies en longueur, tracées sur une surface finie en largeur. Puisque l’infini dans les choses n’est pas une substance mais un accident, selon les Physiques, en même temps que se multiplie l’infini d’après ses divers sujets, se multiplient aussi les propriétés de l’infini, c’est-à-dire que ses propriétés lui conviennent en chacun des sujets qui le possèdent. Or, c’est une des propriétés de l’infini qu’il n’y ait rien de plus grand que lui. Ainsi donc, si nous considérons une ligne infinie, il n’y a en elle rien de plus grand que l’infini ; de même si nous considérons l’une quelconque des autres lignes infinies, il est manifeste qu’en chacune d’elles les parties sont infinies. Il faut donc que, dans une ligne donnée, il n’y ait rien de plus grand que l’infinité de toutes ses parties ; pourtant, dans une autre ligne, et dans une troisième, il pourra y avoir une infinité plus grande de parties. C’est ce que l’on peut constater encore pour les nombres : les nombres pairs constituent une infinité, et de même les nombres impairs ; et cependant les nombres pairs et impairs forment ensemble une infinité plus grande que les nombres pairs.

Concluons donc que, s’il s’agit d’un infini pur et simple, et en toutes ses parties, il n’y a rien de plus grand que lui. Mais s’il s’agit d’un infini relatif, il n’y a pas plus grand que lui dans cet ordre, bien qu’il puisse y avoir plus grand que lui dans un autre ordre. Sous ce rapport, les choses qui sont en la puissance de la créature constituent une infinité, et cependant il y a plus de choses dans la puissance de Dieu que dans la puissance de la créature. Pareillement, l’âme du Christ connaît une infinité de choses par science de simple intelligence ; et Dieu néanmoins, par ce même mode de science, en connaît davantage.

 

            Article 4 — L’âme du Christ voit-elle le Verbe, ou l’essence divine, plus clairement qu’aucune autre créature ?

Objections :

1. La perfection de la connaissance se juge d’après le moyen de connaitre : ainsi la connaissance par syllogisme démonstratif est plus parfaite que la connaissance par syllogisme dialectique. Mais tous les bienheureux voient le Verbe immédiatement par l’essence divine, nous l’avons dit dans la première Partie. L’âme du Christ ne voit donc pas le Verbe plus parfaitement que ne le voit toute autre créature.

2. La perfection de la vision ne dépasse pas la puissance de voir ; mais la puissance rationnelle d’une âme comme celle du Christ est inférieure à la puissance intellectuelle de l’ange, ainsi que le montre Denys. L’âme du Christ ne voit donc pas le Verbe plus parfaitement que ne le voient les anges.

3. Dieu voit son Verbe d’une façon infiniment plus parfaite que ne le voit l’âme du Christ ; il peut donc y avoir des degrés à l’infini entre la manière dont Dieu voit son Verbe, et celle dont l’âme du Christ le voit. On ne peut donc affirmer que l’âme du Christ voit plus parfaitement que toute autre créature le Verbe ou l’essence divine.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Ep 1, 20) : " Dieu a fait asseoir le Christ à sa droite dans les cieux au-dessus de toute Principauté, Puissance, Vertu, Domination et de tout nom quel qu’il soit, non seulement dans ce siècle-ci, mais dans le siècle à venir. " Or, plus un élu se trouve élevé dans la gloire céleste, plus il voit Dieu parfaitement. L’âme du Christ voit donc Dieu plus parfaitement que ne le voit aucune autre créature.

Réponse :

La vision de l’essence divine convient à tous les bienheureux dans la mesure où ils participent de la lumière qui leur est communiquée par le Verbe de Dieu, selon cette parole de l’Ecclésiastique (1, 5 Vg) : " La source de la sagesse, c’est le Verbe de Dieu au plus haut des cieux. " Or l’âme du Christ, unie au Verbe dans sa personne, est plus proche de lui qu’aucune autre créature. Elle reçoit donc plus parfaitement qu’une autre la communication de la lumière en laquelle Dieu est vu par le Verbe. Elle voit donc plus parfaitement que les autres créatures la vérité première, qui est l’essence de Dieu. C’est pourquoi S. Jean écrit (1, 14) : " Nous avons vu sa gloire, comme celle du Fils unique du Père plein " non seulement " de grâce ", mais aussi " de vérité ".

Solutions :

1. Oui, la perfection de la connaissance, à l’égard de ce qui est connu, se juge d’après le moyen de connaître ; mais à l’égard du sujet connaissant, elle se juge d’après la puissance ou l’habitus. De là vient que, parmi les hommes qui emploient un même moyen de connaître, les uns connaissent une conclusion plus parfaitement que les autres. Ainsi l’âme du Christ, remplie d’une lumière plus abondante, connaît plus parfaitement l’essence divine que les autres bienheureux, bien que tous voient l’essence divine par elle-même.

2. La vision de l’essence divine dépasse la puissance de toute créature’. Il faut donc juger son degré de perfection d’après l’ordre de la grâce, où le Christ occupe la place la plus haute, plutôt que d’après l’ordre de la nature, où la nature angélique l’emporte sur la nature humaine.

3. Comme nous l’avons dit plus haut. il ne peut y avoir de grâce plus grande que celle du Christ, parce qu’elle se trouve en rapport avec l’union hypostatique. Ce que nous disons de la grâce, il faut le dire aussi de la perfection de la vision divine, bien qu’absolument parlant on puisse concevoir un degré plus élevé, selon l’infinité de la puissance divine.

 

 

QUESTION 11 — LA SCIENCE INFUSE DE L’ÂME DU CHRIST

1. Par cette science le Christ connaît-il toutes choses ? - 2. A-t-il pu employer cette science sans recourir aux images ? - 3. Cette science était-elle discursive ? - 4. Son rapport avec la science angélique. - 5. Était-elle à l’état d’habitus ? - 6. Y distinguait-on plusieurs habitus ?

 

            Article 1 — Par sa science infuse, le Christ connaît-il toutes choses ?

Objections :

1. Cette science a été infusée au Christ pour perfectionner son intellect possible. Or l’intellect possible de l’âme humaine ne parait pas être en puissance à toutes choses absolument, mais seulement à celles pour lesquelles l’intellect agent, qui est son principe actif propre, peut l’amener à l’acte : ce sont les réalités connaissables par la raison naturelle. Donc, selon cette science, le Christ n’a pas connu les réalités qui dépassent la raison naturelle.

2. Les images sont dans le même rapport avec l’intelligence humaine que les couleurs avec la vue, enseigne Aristote. Mais la perfection de la puissance visuelle ne requiert pas la connaissance des objets totalement incolores. De même par conséquent la perfection de l’intelligence humaine n’exige pas la connaissance des réalités qui ne peuvent être imaginées ; or, tel est le cas des substances séparées. Et puisque la science infuse du Christ n’a d’autre but que de parfaire son âme intellectuelle, on ne voit pas qu’il soit nécessaire que cette science lui donne la connaissance des substances séparées.

3. La perfection de l’intelligence ne requiert pas non plus la connaissance des singuliers. Il semble donc que par cette science le Christ n’a pas connu les singuliers.

En sens contraire, on lit dans Isaïe (11, 2) " Sur lui reposera l’esprit de sagesse et d’intelligence, de science et de conseil. " Or, sous ces expressions, il faut entendre tout ce que l’on peut connaître. A la sagesse, en effet, revient la connaissance de toutes les choses divines ; à l’intelligence, la connaissance de toutes les réalités immatérielles ; à la science, la connaissance de toutes les conclusions ; au conseil, la connaissance de tout ce qui concerne l’action. Il semble donc que le Christ, par la science infuse que le Saint-Esprit lui communique, a connu toutes choses.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit il convenait, pour que l’âme du Christ soit de tout point parfaite, que toute sa potentialité soit amenée à l’acte. Or il faut considérer que dans l’âme du Christ, comme d’ailleurs en toute créature, il y a une double puissance passive : l’une a rapport à l’agent naturel, l’autre se réfère au premier Agent, lequel peut amener toute créature à un acte plus élevé que ne peut le faire l’agent naturel. On a coutume de donner à cette dernière puissance de la créature le nom de puissance obédientielle. Précisément, l’une et l’autre puissance, dans l’âme du Christ, furent amenées à l’acte par la science divinement infuse ; en sorte que par elle, l’âme du Christ connut d’abord tout ce qui peut être connu par la lumière de l’intellect agent, comme par exemple tout ce qui relève des sciences humaines. Puis, par cette même science, l’âme du Christ connut encore tout ce que les hommes connaissent par révélation divine, que cela relève du don de sagesse, de prophétie, ou de tout autre don du Saint-Esprit. Et toutes ces choses, le Christ les connut d’une manière plus abondante et plus achevée que les autres hommes. Pourtant cette science ne lui fit pas connaître l’essence même de Dieu ; un tel objet appartient à la première science dont nous avons parlé dans la question précédente.

Solutions :

1. Un tel argument n’envisage que la puissance naturelle de l’âme intellectuelle ; or, cette puissance se réfère à son agent naturel, qui est l’intellect agent.

2. L’âme humaine, dans l’état de la vie présente, est comme liée au corps et ne peut, sans image, faire acte d’intelligence ; c’est pourquoi elle ne peut connaître les substances séparées. Mais après cette vie, l’âme humaine pourra d’une certaine façon connaître par elle-même ces substances, comme nous l’avons dit dans la première Partie. Et cela est surtout vrai des âmes des bienheureux. Or le Christ, avant sa passion, ne fut pas seulement voyageur, mais aussi compréhenseur. Son âme pouvait donc connaître les substances séparées de la façon dont l’âme séparée les connaît.

3. La connaissance des singuliers n’appartient pas à la perfection de l’âme intellectuelle, s’il s’agit de la connaissance spéculative ; mais elle en relève s’il s’agit de la connaissance pratique, car il n’y a pas d’opération possible sans la connaissance des singuliers, dit Aristote. De là vient que la prudence requiert le souvenir du passé, la connaissance du présent et la prévision de l’avenir, enseigne Cicéron. Et puisque le Christ a eu, dans le don de conseil, la plénitude de la prudence, il s’ensuit qu’il a connu tous les singuliers, présents, passés et futurs.

 

            Article 2 — Le Christ a-t-il pu employer cette science sans recourir aux images ?

Objections :

1. Selon Aristote les images sont avec l’âme intellectuelle humaine dans le même rapport que les couleurs avec la vue. Mais la puissance visuelle du Christ ne pouvait exercer son acte sans recourir aux couleurs ; de même, semble-t-il, son âme intellectuelle ne pouvait comprendre quelque chose qu’en recourant aux images.

2. L’âme du Christ est de même nature que la nôtre, autrement le Christ appartiendrait à une autre espèce que nous, ce qui est contredit par cette parole de l’Apôtre (Ph 2, 7) : " Il est devenu semblable aux hommes. " Or notre âme ne peut faire acte d’intelligence qu’en ayant recours aux images ; donc l’âme du Christ non plus.

3. Les sens ont été donnés à l’homme pour servir son intelligence. Donc, si l’âme du Christ pouvait faire acte d’intelligence sans avoir recours aux images perçues par les sens, il s’ensuivrait que ceux-ci ne lui serviraient à rien, ce qui est absurde. Il semble donc que l’âme du Christ n’a pu faire acte d’intelligence sans se tourner vers les images.

En sens contraire, l’âme du Christ connaît certaines réalités, comme les substances séparées, qui ne peuvent être connues par le moyen des images. Elle a donc pu faire acte d’intelligence sans se tourner vers les images.

Réponse :

Le Christ, avant sa passion, fut à la fois voyageur et compréhenseur, nous le montrerons mieux plus loin. Il fut soumis à la condition du voyageur avant tout sous le rapport du corps en tant qu’il était capable de souffrir. Il participa à la condition du compréhenseur surtout sous le rapport de l’âme intellectuelle. Et cette condition de l’âme du compréhenseur, c’est qu’elle n’est en aucune manière soumise à son corps ni dépendante de lui, mais qu’elle le domine totalement ; et de là vient qu’après la résurrection, la gloire rejaillira de l’âme sur le corps. Quant à l’âme du voyageur, si elle a besoin de se tourner vers les images, c’est qu’elle est liée au corps comme soumise à lui et comme dépendant de lui. C’est pourquoi les âmes bienheureuses, avant comme après la résurrection, peuvent faire acte d’intelligence sans se tourner vers les images. Et c’est ce qu’il faut dire également de l’âme du Christ, qui avait toute la capacité de compréhenseur.

Solutions :

1. Cette analogie, affirmée par le Philosophe, entre la vue et l’intelligence, ne vaut pas à tous les points de vue. Il est manifeste en effet que le but de la puissance visuelle est de connaître les couleurs ; tandis que la fin de la puissance intellectuelle n’est pas de connaître les images, mais les espèces intelligibles qu’elles appréhendent à partir des images et dans les images, selon la condition de la vie présente. Il y a donc analogie du point de vue de l’objet qui tombe sous le regard de l’une et l’autre puissance ; mais non du point de vue du terme auquel aboutit la condition de chacune. Or, rien n’empêche une chose de parvenir à sa fin de diverses manières selon ses différents états ; cette fin qui lui est propre reste toujours unique. Dès lors, s’il apparaît impossible que la vue puisse connaître sans couleur, on comprend que l’intelligence, dans un état donné, peut connaître sans image, mais non sans espèce intelligible.

2. L’âme du Christ, tout en étant de même nature que les nôtres, a possédé un état que nos âmes ne possèdent pas en réalité, mais seulement en espérance, à savoir l’état où l’on comprend Dieu.

3. L’âme du Christ pouvait faire acte d’intelligence sans recourir aux images ; mais elle pouvait tout aussi bien y faire appel. Les sens ne lui étaient donc pas inutiles, d’autant moins que les sens sont donnés à l’homme non seulement pour sa connaissance intellectuelle, mais aussi pour les besoins de sa vie animale.

 

            Article 3 — Cette science était-elle discursive ?

Objections :

l. S. Jean Damascène écrit : "Nous n’attribuons au Christ ni le conseil ni l’élection. " Or ces actes sont écartés du Christ uniquement parce qu’ils impliquent comparaison et discours. Il apparaît donc que la science du Christ n’était ni comparative ni discursive.

2. L’homme a besoin du raisonnement et du discours rationnel pour rechercher ce qu’il ignore ; mais l’âme du Christ a connu toutes choses, on l’a dit ; elle n’a donc pas eu de science discursive, impliquant le raisonnement.

3. L’âme du Christ a possédé la science à la manière des compréhenseurs, qui sont assimilés aux anges (Mt 22, 30). Mais les anges n’ont pas de science discursive ou comparative, comme le montre Denys ; il en fut donc de même pour le Christ.

En sens contraire, le Christ a possédé une âme rationnelle, nous l’avons vu. Or l’opération propre de l’âme rationnelle, c’est d’inférer et de progresser d’un point à un autre. Il y a donc eu chez le Christ une science discursive, ou comparative.

Réponse :

Une science peut être discursive de deux façons. D’abord quant à son acquisition, ce qui nous arrive quand nous connaissons une chose par l’intermédiaire d’une autre, comme les effets par les causes, ou inversement. En ce sens, la science du Christ ne fut pas discursive, car cette science dont nous parlons ne fut pas acquise par investigation rationnelle, mais donnée par Dieu.

En second lieu, une science peut-être dite discursive pour l’usage que l’on en fait ; ainsi les savants déduisent les effets des causes non pour les réapprendre, mais pour utiliser une science qu’ils possèdent déjà. En ce sens, la science du Christ pouvait être discursive, car il pouvait à son gré conclure une chose à partir d’une autre. Ainsi, selon S. Matthieu (17, 24), il avait un jour demandé à Pierre de qui les rois de la terre perçoivent le tribut, de leurs fils ou des étrangers. Pierre lui ayant répondu : " Des étrangers ", le Christ conclut : " Donc les fils en sont exempts. "

Solutions :

1. On n’attribue pas le conseil au Christ pour autant qu’il comporte quelque hésitation, ni par suite l’élection, dont la nature est d’inclure un tel genre de conseil. Mais il n’est pas exclu que le Christ ait fait usage du conseil.

2. Cet argument envisage le raisonnement discursif dans l’acquisition de la science.

3. Les bienheureux sont assimilés aux anges sous le rapport des dons de la grâce ; mais la différence demeure du point de vue de la nature. C’est pourquoi l’usage du raisonnement est connaturel aux âmes bienheureuses, non aux anges.

 

            Article 4 — La science infuse du Christ a-t-elle été inférieure à celle des anges ?

Objections :

1. La perfection se mesure au sujet queue doit parfaire ; mais l’âme humaine, dans l’ordre naturel, est inférieure à la nature angélique. Puisque la science dont nous parlons est communiquée à l’âme du Christ en vue de la parfaire, il semble donc que cette science ait été inférieure à celle qui vient parfaire la nature angélique.

2. La science du Christ fut de quelque manière discursive, ce que l’on ne peut pas dire de la science angélique. C’est là une infériorité pour la science du Christ.

3. Plus une science est immatérielle, plus elle est puissante. Mais la science des anges est plus immatérielle que celle du Christ, car l’acte du Christ est l’acte d’un corps, et elle peut recourir aux images, tandis que l’on ne saurait en dire autant des anges. La science des anges est donc plus puissante que celle du Christ.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (He 2, 9) " Abaissé un moment au-dessous des anges, il a reçu une couronne de gloire et d’honneur parce qu’il a souffert la mort. " D’où il ressort que c’est uniquement pour avoir souffert la mort que le Christ a été abaissé au-dessous des anges, et non en raison de sa science.

Réponse :

La science infusée à l’âme du Christ peut être envisagée à deux points de vue : premièrement par rapport à la cause qui la produit ; deuxièmement par rapport au sujet qui la reçoit. Sous le premier point de vue la science du Christ fut plus excellente que celle des anges, soit pour le nombre des objets connus, soit pour la certitude de la connaissance ; car la lumière surnaturelle communiquée à l’âme du Christ est beaucoup plus parfaite que celle qui revient à la nature angélique. Sous le second point de vue, la science infusée à l’âme du Christ est inférieure à la science angélique, car le mode de connaissance naturel à l’âme humaine implique le recours aux images et le raisonnement.

Solutions :

Et par là, nous résolvons les Objections.

 

            Article 5 — Cette science était-elle à l’état d’habitus ?

Objections :

1. On a dit qu’une science souverainement parfaite convenait à l’âme du Christ. Mais il est plus parfait pour une science d’exister en acte que d’exister à l’état de puissance ou d’habitus. Il convenait donc, semble-t-il, que le Christ connaisse toutes choses en acte, et non seulement d’une manière habituelle.

2. Tout habitus est ordonné à l’acte, et par conséquent un habitus de science qui n’est jamais amené à l’acte semble inutile. D’autre part, le Christ savait toutes choses, on l’a déjà dit, mais il ne pouvait pourtant les considérer les unes après les autres, car on ne saurait épuiser l’infini par énumération. Une science à l’état d’habitus eût donc été inutile chez le Christ, ce qui est choquant. Le Christ a donc connu toutes choses d’une manière actuelle et non d’une manière habituelle.

3. Une science à l’état d’habitus est une perfection pour celui qui la possède ; mais la perfection est plus noble que ce qui est perfectible. Donc, s’il y avait eu dans l’âme du Christ un habitus créé de science, il s’ensuivrait que quelque chose de créé serait plus noble que l’âme du Christ.

En sens contraire, quand nous parlons de science chez le Christ, ce mot se dit dans le même sens que pour nous, de même que son âme était de la même espèce que la nôtre. Or notre science appartient au genre de l’habitus ; c’est donc que la science du Christ fut aussi à l’état d’habitus.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, le mode de cette science infuse était en rapport de convenance avec le sujet auquel elle était communiquée ; car ce qui est reçu dans un sujet se conforme à la manière d’être de ce sujet. Or, il est connaturel à l’âme humaine d’être intelligente tantôt en acte et tantôt en puissance. D’autre part, l’habitus est intermédiaire entre la pure puissance et l’acte réalisé ; et, comme l’intermédiaire appartient au même genre que les extrêmes, il est donc connaturel à l’âme humaine de recevoir la science par manière d’habitus. D’où l’on doit conclure que la science infuse du Christ était à l’état d’habitus, et qu’il pouvait en faire usage quand il voulait.

Solutions :

1. Dans l’âme du Christ il y eut une double connaissance, et chacune était très parfaite en son genre. La première dépassait le mode de la nature humaine et faisait voir au Christ l’essence divine et en elle tout le reste. Ce fut une connaissance absolument parfaite ; elle n’était pas à l’état d’habitus, mais en acte à l’égard de tous ses objets. La seconde connaissance se trouvait dans le Christ sous un mode proportionné à la nature humaine ; elle lui faisait connaître les réalités par des espèces intelligibles divinement infuses. Cette connaissance, dont il s’agit ici, ne fut pas parfaite de façon absolue, mais elle fut très parfaite dans son genre de connaissance humaine. Et c’est pourquoi il n’était pas requis qu’elle fût toujours en acte.

2. L’habitus est amené à l’acte sur l’ordre de la volonté, car l’habitus est ce qui permet à quelqu’un d’agir à sa guise. Par ailleurs la volonté est indéterminée envers une infinité de choses ; pour autant, cette indétermination n’est pas vaine, bien que la volonté ne se porte pas actuellement vers toutes choses, car il suffit quelle s’y porte au moment et dans le lieu qui conviennent. De même l’habitus, lui non plus, n’est pas inutile, même si tout ce qui lui est soumis n’est pas amené à l’acte. Il suffit que cette actualisation se produise conformément aux fins de la volonté et aux exigences des circonstances et du temps.

3. Le bien, comme l’être, possède une double signification : l’une absolue et que l’on applique à la substance qui subsiste dans son être et dans sa bonté ; l’autre relative et que l’on applique à l’accident, non qu’il possède l’être et la bonté, mais parce que son sujet, lui, est être et bonté. Ainsi l’habitus de science n’est pas meilleur et plus noble que l’âme du Christ d’une manière absolue, mais seulement d’une manière relative ; et en définitive toute la bonté de l’habitus de science aboutit à la bonté du sujet.

 

            Article 6 — Distinguait-on dans cette science plusieurs habitus ?

Objections :

1. Plus la science est parfaite, plus elle est unifiée ; de là vient que les anges supérieurs connaissent par des formes plus universelles, on l’a vu dans la première Partie,. Mais la science du Christ fut très parfaite ; elle fut donc très une, et ne se divisait pas en plusieurs habitus.

2. Notre foi dérive de la science du Christ de là cette parole (He 12, 2) : " Gardons les yeux fixés sur l’auteur et le consommateur de notre foi. " Mais il n’y a qu’un seul habitus de foi pour toutes les vérités à croire, nous l’avons dit dans la deuxième Partie ; à plus forte raison n’y eut-il dans le Christ qu’un seul habitus de science.

3. Les sciences se distinguent d’après leurs différents objets formels ; mais l’âme du Christ connut toutes choses sous un seul objet formel, à savoir sous la lumière divinement infusée par Dieu. Il n’y eut donc en lui qu’un seul habitus de science.

En sens contraire, nous lisons dans Zacharie (3, 9) que " sur la pierre unique ", c’est-à-dire sur le Christ, " il y a sept yeux ". Or par œil il faut entendre ici la science ; il semble donc qu’il y avait dans le Christ plusieurs habitus de science.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, la science infuse se trouvait dans le Christ sous un mode connaturel à l’âme humaine. Or ce qui est connaturel à l’âme humaine, c’est de recevoir des espèces intelligibles moins universelles que celles des anges ; de là vient qu’il y a en nous autant d’habitus de science que de genres d’objets à connaître, tout ce qui appartient à un même genre se trouvant connu par le même habitus de science. C’est pourquoi nous lisons dans Aristote : " L’unité de science tient à l’unité numérique de sujet. " La science infuse de l’âme du Christ comprenait donc plusieurs habitus.

Solutions :

1. Nous l’avons déjà dit. la science du Christ est très parfaite et surpasse la science des anges si on la considère du côté de Dieu qui la cause. Mais elle est inférieure à la science angélique en ce qui regarde le mode de réception dans le sujet, car ce mode suppose qu’elle se distingue en de nombreux habitus, comme en autant d’espèces intelligibles plus particulières.

2. Notre foi se fonde sur la vérité première ; et c’est par sa science divine absolument une que le Christ est l’auteur de notre foi.

3. La lumière divinement infuse est le moyen commun que nous avons de connaître ce qui nous est révélé par Dieu ; de même que la lumière de l’intellect agent nous permet d’atteindre les objets de notre connaissance naturelle. Aussi devait-il y avoir dans l’âme du Christ des espèces particulières de chaque chose, pour qu’il pût en prendre une connaissance propre, d’où la nécessité d’admettre en lui plusieurs habitus de science.

 

 

QUESTION 12 — LA SCIENCE ACQUISE OU EXPÉRIMENTALE DE L’ÂME DU CHRIST

1. Par cette science le Christ a-t-il connu toutes choses ? - 2. A-t-il progressé dans cette science ? - 3. A-t-il été instruit par l’homme ? - 4. A-t-il été instruit par les anges ?

 

            Article 1 — Par cette science le Christ a-t-il connu toutes choses ?

Objections :

1. Une telle science s’acquiert par l’expérience ; mais le Christ n’a pas tout expérimenté. Il n’a donc pas connu toutes choses par cette science.

2. L’homme acquiert la science par le moyen des sens. Mais tous les objets sensibles n’ont pas été proposés aux sens corporels du Christ. Le Christ n’a donc pas connu toutes choses par cette science.

3. Le degré d’une science s’apprécie au nombre de ses objets. Si le Christ avait connu toutes choses par cette science, sa science acquise eût été égale à sa science infuse et à sa science bienheureuse, ce qui est inadmissible.

En sens contraire, il n’y eut dans le Christ, en ce qui regarde l’âme, rien d’imparfait. Or, cette science eût été imparfaite si par elle il n’avait pas connu toutes choses. Car ce à quoi on peut ajouter quelque chose est imparfait. Par cette science, le Christ a donc connu toutes choses.

Réponse :

La science acquise, avons-nous dit a sa place dans l’âme du Christ, parce qu’il convient que l’intellect agent ne reste pas oisif, mais exerce son action qui est de rendre les objets intelligibles en acte. Ainsi avons-nous requis la science infuse dans l’âme du Christ pour la perfection de l’intellect possible. Par celui-ci, en effet, on devient, comme dit Aristote intelligiblement toutes choses ; par l’intellect agent on rend toutes choses intelligibles. C’est pourquoi, de même que, par la science infuse, l’âme du Christ a connu tout ce à quoi l’intellect possible est en puissance de quelque manière que ce soit ; ainsi, par la science acquise, elle a obtenu tout ce qui peut être connu par l’action de l’intellect agent.

Solutions :

1. La science des choses peut être acquise non seulement par l’expérience que l’on fait à leur sujet, mais aussi par l’expérience que l’on a d’autres choses. Par la vertu de la lumière de l’intellect agent, l’homme peut arriver à connaître les effets par leurs causes, les causes par leurs effets, le semblable par le semblable, le contraire par le contraire. C’est de cette manière que le Christ, bien que son expérience ne fût pas universelle, est parvenu à la connaissance de toutes choses, grâce à celles qu’il a pu expérimenter.

2. Tous les objets sensibles n’ont pas été proposés aux sens corporels du Christ ; cependant un certain nombre lui furent proposés, grâce auxquels il a pu, à cause de la puissance extraordinaire de sa raison, parvenir à la connaissance des autres. C’est ainsi qu’en voyant les corps célestes, il a pu se rendre compte de leurs vertus, et des effets qu’ils produisent sur les corps inférieurs, effets qui échappaient à ses sens. Pour la même raison, il a pu, à partir de n’importe quelles réalités, parvenir à la connaissance d’autres réalités.

3. Par cette science, l’âme du Christ n’a pas connu absolument tout, mais seulement tout ce qui est connaissable à l’homme par la lumière de l’intellect agent. Cette science ne lui a donc pas fait connaître les substances séparées, ni les singuliers passés et futurs, objets de sa science infuse.

 

            Article 2 — Le Christ a-t-il progressé dans cette science ?

Objections :

1. On vient de voir que, par sa science acquise, le Christ a connu toutes choses. Il en était de même pour sa science infuse et sa science bienheureuse ; mais il n’a pas progressé dans ces deux dernières, et donc non plus, semble-t-il, dans la science acquise.

2. Progresser appartient à ce qui est imparfait, car on ne peut rien ajouter à ce qui est parfait. Mais on ne peut pas admettre chez le Christ une science imparfaite. Le Christ n’a donc pas progressé dans sa science acquise.

3. S. Jean Damascène écrit : " Ceux qui prétendent que le Christ a progressé dans la sagesse et la grâce, comme recevant un accroissement de celles-ci, ne respectent pas l’union " qu’on appelle hypostatique. Or il est impie de ne pas respecter cette union ; il est donc impie de prétendre que la science acquise du Christ s’est accrue de quelque connaissance.

En sens contraire, nous lisons chez S. Luc (2, 52) : " Jésus croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes ", et S. Ambroise expliquer : " Il croissait en sagesse humaine. " Mais la sagesse humaine est celle qui s’acquiert d’une manière humaine. Le Christ a donc progressé en science acquise.

Réponse :

Il y a un double progrès de la science. L’un dans son essence, parce que l’habitus de science s’accroît. L’autre dans ses effets, et qui consiste, avec un habitus de science de même intensité, par exemple, à démontrer aux autres, d’abord des vérités moins importantes, puis des choses plus difficiles et plus subtiles.

Il est évident qu’à ce second point de vue, le Christ a progressé en sagesse et en grâce, tout aussi bien qu’en âge car, à mesure qu’il croissait en âge, il faisait des œuvres plus grandes qui manifestaient une science et une grâce plus élevées. Mais, sous le rapport de l’habitus même de science, il est évident que son habitus de science infuse ne s’est pas développé puisque, dès le principe, il a possédé pleinement la science infuse de toutes choses.

Encore moins sa science bienheureuse a-t-elle pu s’accroître ; quant à la science proprement divine, nous avons montré dans la première Partie qu’elle ne peut pas grandir.

Certains estiment, et je l’ai pensé moi-même autrefois qu’en plus de l’habitus de science infuse, il n’y avait pas dans le Christ un habitus de science acquise. Mais alors aucune science n’aurait progressé chez le Christ en elle-même. Il n’y aurait eu de progrès que par l’expérience, c’est-à-dire par l’application aux images des espèces intelligibles infuses. Dans cette ligne, on dit que la science du Christ a progressé par l’expérience, en appliquant les espèces intelligibles aux données nouvelles reçues par les sens.

Mais il semble inadmissible qu’une action naturelle à l’intelligence ait fait défaut au Christ. Abstraire les espèces intelligibles à partir des images est une opération de l’intellect agent qui est naturelle à l’homme. Il est donc normal de reconnaître cette opération chez le Christ. Il s’ensuit qu’il y a eu chez le Christ un habitus de science qui pouvait s’accroître par cette abstraction des espèces. De ce fait, l’intellect agent, après avoir abstrait les premières espèces intelligibles à partir des images, pouvait encore en abstraire d’autres, et ainsi de suite.

Solutions :

1. La science infusée dans l’âme du Christ aussi bien que sa science bienheureuse fut l’effet d’un agent de puissance infinie qui peut tout produire du premier coup. C’est ainsi que le Christ n’a progressé en aucune de ces deux sciences : dès le début il les a possédées en perfection. Mais la science acquise est produite par l’intellect agent qui n’opère pas de façon simultanée. C’est pourquoi, par cette science, le Christ n’a pas connu toutes choses dès le principe, mais peu à peu, et après un certain temps, c’est-à-dire à l’âge parfait ; et c’est ce que montre manifestement l’évangéliste lorsqu’il dit qu’il progressait en science et en âge.

2. Cette science acquise fut toujours parfaite, relativement à l’âge du Christ ; elle ne fut pas parfaite de façon absolue ni par nature, et c’est pourquoi elle put progressera.

3. La parole du Damascène doit s’appliquer à ceux qui disent que la science du Christ a progressé, sans préciser laquelle ; et surtout à ceux qui attribuent ce progrès à la science infuse, laquelle est causée dans l’âme du Christ par son union au Verbe. Mais il en va tout autrement s’il s’agit du progrès de la science produite par une cause naturelle.

 

            Article 3 — Le Christ a-t-il été instruit par l’homme ?

Objections :

1. On lit dans S. Luc (2, 46) que les parents de Jésus le découvrirent dans le Temple au milieu des docteurs, " les interrogeant et leur répondant ". Or interroger et répondre est le propre de celui qui s’instruit. Donc le Christ a été instruit par les hommes.

2. Acquérir la science d’un homme qui enseigne semble plus noble que l’acquérir des réalités sensibles, car, dans l’âme de l’homme qui enseigne, les espèces intelligibles sont en acte, tandis qu’elles ne se trouvent dans les réalités sensibles qu’en puissance. Mais nous avons vu que le Christ recevait sa science expérimentale des réalités sensibles. A plus forte raison par conséquent pouvait-il acquérir la science en l’apprenant des hommes.

3. Nous venons de voir que le Christ, par sa science expérimentale, n’a pas connu toutes choses dès le principe, mais qu’il y a eu progrès dans sa connaissance.

Or, quiconque entend un discours signifiant quelque chose, peut en apprendre ce qu’il ignore. Le Christ a donc pu apprendre des hommes certaines choses que sa science acquise ne lui avait pas encore fournies.

En sens contraire, on lit dans Isaïe (55, 4) " Voici le témoin que j’ai établi auprès des peuples, le chef et le docteur que j’ai donné aux nations. " Or, il n’appartient pas au docteur d’être enseigné, mais d’enseigner. Le Christ n’a donc acquis aucune science par l’enseignement d’un homme.

Réponse :

Dans un genre donné, le premier moteur n’est pas mû de ce mouvement spécial qu’il lui revient de communiquer, de même que le premier principe de l’altération n’est pas lui-même altéré. Or le Christ a été constitué tête de l’Église, mieux encore tête de tous les hommes, nous l’avons dit, si bien que tous reçoivent de lui non seulement la grâce, mais aussi la doctrine de vérité. C’est pourquoi il dit lui-même en S. Jean (18, 37) : " je suis né et je suis venu en ce monde pour rendre témoignage à la vérité. " Il ne convenait donc pas à la dignité du Christ d’être enseigné par un homme.

Solutions :

1. Origène expliquant ce texte de S. Luc, écrit : "Le Seigneur interrogeait non pour apprendre quelque chose, mais pour instruire en interrogeant ; car d’une même source de doctrine émanent et les interrogations et les réponses sages." C’est pourquoi l’évangile ajoute à cet endroit : "Tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses."

2. Celui qui reçoit un enseignement d’un homme n’acquiert pas la science immédiatement à l’aide des espèces intelligibles qui sont dans l’esprit de celui-ci, mais par le moyen des paroles sensibles, signes des conceptions de l’intelligence. Or, de même que les mots formés par l’homme sont comme les signes de sa science, de même les créatures fondées par Dieu sont les signes de sa sagesse ; d’où cette parole de l’Ecclésiastique (1, 8) : "Dieu a répandu sa sagesse sur toutes ses œuvres." Et comme il est plus noble d’être enseigné par Dieu que par l’homme, il vaut mieux acquérir la science par le moyen des créatures sensibles que par un enseignement humain.

3. Jésus progressait en science expérimentale en même temps qu’il croissait en âge, nous l’avons dit. Mais il est un âge requis pour que l’homme acquière la science par ses propres recherches, et un autre pour qu’il la reçoive par enseignement. Or le Seigneur n’a rien fait qui ne convînt à son âge. C’est pourquoi il n’a prêté l’oreille aux discours de doctrine que dans le temps où il pouvait acquérir les mêmes connaissances par la voie de l’expérience. De là cette parole de S. Grégoire : "Lors de sa douzième année, il daigna interroger les hommes sur la terre, parce que, selon le développement de la raison, on n’est capable d’enseigner que dans l’âge parfait "

 

            Article 4 — Le Christ a-t-il été instruit par les anges ?

Objections :

1. Il est écrit en S. Luc (22, 43) " Du ciel apparut au Christ un ange qui le réconfortait. " Mais le réconfort se fait par des paroles d’encouragement doctrinal, comme il est écrit dans Job (4, 3) : " Voici que tu as enseigné la sagesse à beaucoup, tu as fortifié les mains débiles, tes paroles ont relevé ceux qui chancelaient. " Le Christ a donc été instruit par les anges.

2. Denys écrit : " je constate que Jésus lui-même, cause suressentielle des essences supracélestes, venu jusqu’à notre niveau sans perdre son immutabilité, se soumet docilement aux desseins de Dieu son Père, que lui transmettent les anges. " Il semble donc que le Christ a voulu se soumettre à l’ordre de la loi divine selon lequel les hommes sont instruits par l’intermédiaire des anges.

3. De même que le corps humain est soumis par nature aux corps célestes, de même l’esprit humain est soumis aux esprits angéliques. Mais le corps du Christ fut soumis aux impressions des corps célestes : il a éprouvé en effet la chaleur en été et le froid en hiver, ainsi que les autres impressions humaines. Son esprit humain était donc lui aussi soumis aux illuminations des esprits supra-célestes.

En sens contraire, le même Denys écrit : " Les anges supérieurs interrogent Jésus et apprennent à connaître son œuvre divine et son incarnation ; et lui-même les enseigne sans intermédiaire. " Or, un même individu ne peut à la fois enseigner et être enseigné. Le Christ n’a donc pas reçu sa science des anges.

Réponse :

L’âme humaine tient le milieu entre les substances spirituelles et les réalités corporelles ; aussi lui revient-il d’être perfectionnée de deux manières : d’une part au moyen de la science qu’elle tire des réalités sensibles ; d’autre part au moyen de la science infuse, imprimée en elle par l’illumination des substances spirituelles. Or l’âme du Christ fut perfectionnée de ces deux manières : des réalités sensibles elle reçut sa science expérimentale, ce qui ne requiert pas la lumière angélique, la lumière de l’intellect agent étant suffisante. Quant à la science infuse, l’âme du Christ la reçut par une influence supérieure qui venait immédiatement de Dieu. C’est d’une manière extraordinaire que son âme fut unie au Verbe de Dieu en l’unité de personne, et c’est également d’une manière extraordinaire qu’elle fut immédiatement remplie de science par ce même Verbe de Dieu. Cela ne se fit pas par l’intermédiaire des anges, car ceux-ci reçurent du Verbe la connaissance des choses dès leur principe, dit S. Augustin.

Solutions :

1. Ce réconfort, apporté par l’ange, ne se fit pas par manière d’enseignement ; son but était seulement de manifester la réalité de la nature humaine dans le Christ. C’est pourquoi Bède écrit : " C’est pour manifester l’une et l’autre nature que nous voyons les anges d’une part le servir, et d’autre part le réconforter. Le Créateur en effet n’a pas besoin du secours de sa créature, mais, s’étant fait homme, de même qu’il consent pour nous à être triste, de même pour nous il consent à être réconforté ", afin qu’en nous la foi en son incarnation se trouve affermie.

2. Denys dit que le Christ a été soumis aux instructions angéliques, non pas pour lui-même, mais en raison de ce qui devait se produire lors de son incarnation et en raison du service que les anges devaient lui rendre pendant son enfance. Aussi ajoute-t-il que " par l’intermédiaire des anges Joseph apprit du Père que Jésus devait se rendre en Égypte, puis revenir en Judée ".

3. Le Fils de Dieu a pris un corps passible, nous le dirons plus loin mais son âme fut parfaite en science et en grâce. C’est pourquoi il convenait que son corps fût soumis à l’influence des corps célestes, tandis que son âme devait rester indépendante de l’action des esprits célestes.

 

 

QUESTION 13 — LA PUISSANCE DE L’ÂME DU CHRIST

1. L’âme du Christ a-t-elle possédé la toute-puissance de façon absolue ? - 2. A-t-elle possédé la toute-puissance pour les changements à produire dans les créatures ? - 3. A-t-elle possédé la toute-puissance relativement à son propre corps ? - 4. A-t-elle possédé la toute-puissance relativement à l’exécution de sa propre volonté ?

 

            Article 1 — L’âme du Christ a-t-elle possédé la toute-puissance de façon absolue ?

Objections :

1. S. Ambroise a écrit : " La puissance que le Fils de Dieu possède naturellement, l’homme devait la recevoir dans le temps. "

Mais cela devait se faire, semble-t-il, avant tout quant à l’âme qui est la partie principale de l’homme. Puisque le Fils de Dieu possède éternellement la toute-puissance, il apparaît donc que l’âme du Christ a dû recevoir la toute-puissance dans le temps.

2. La puissance de Dieu est infinie, comme sa science. Mais l’âme du Christ a eu d’une certaine manière la science dé tout ce que Dieu connaît, on l’a dit plus haut. Il semble donc qu’elle a eu également la puissance sur toutes choses, et qu’elle était par le fait même toute-puissante.

3. L’âme du Christ a possédé toute science. Mais la science se distingue en science pratique et science spéculative. Le Christ a donc eu la science pratique des choses qu’il connaissait ; en d’autres termes, il savait faire les choses qu’il connaissait ; et par suite il semble qu’il pouvait faire toutes choses.

En sens contraire, ce qui est propre à Dieu ne saurait convenir à la créature. Mais la toute-puissance appartient en propre à Dieu, selon cette parole de l’Exode (15, 2) : " C’est lui qui est mon Dieu, et je le glorifierai ", parole suivie de cette autre : " Son nom est le Tout-Puissant. " L’âme du Christ, étant une créature, ne possède donc pas la toute-puissance.

Réponse :

Dans le mystère de l’Incarnation, nous l’avons déjà dite. l’union est faite dans la personne, tout en maintenant la distinction des natures, qui conservent ce qui leur est propre. Or, la puissance active d’une chose suit sa forme, laquelle est principe d’agir. Tantôt la forme s’identifie à la nature même de la chose, comme dans les êtres simples ; tantôt elle est le constitutif de cette nature, comme dans les êtres composés de matière et de forme. Il est donc manifeste que la puissance active d’une chose suit sa propre nature. C’est de cette manière que la toute-puissance est une conséquence de la nature divine. Car la nature divine, comme le montre Denys. c’est l’être même de Dieu incirconscrit ; sa puissance active s’étend donc à tout ce qui peut exister, et c’est précisément en quoi consiste la toute-puissance, de même que les autres choses ont une puissance active déterminée par tout ce à quoi s’étend la perfection de leur nature : le corps chaud peut chauffer. Puisque l’âme du Christ est une partie de la nature humaine, il lui est donc impossible de posséder la toute-puissance.

Solutions :

1. Si l’homme reçoit dans le temps la toute-puissance que le Fils de Dieu possède de toute éternité, c’est par le fait de l’union personnelle. Grâce à elle, on peut dire que l’homme est Dieu, et l’on peut dire de même qu’il est tout-puissant ; non pas que la toute-puissance, pas plus qu’un autre attribut divin, attribuée à l’homme, soit différente de celle du Fils de Dieu, mais parce qu’il n’y a qu’une seule personne, à la fois Dieu et homme.

2. Certains répondent à cette difficulté en disant qu’il n’en va pas de la science comme de la puissance active. En effet, la puissance active est pour une chose la conséquence de sa propre nature, car l’action nous apparaît comme émanant de l’agent. Au contraire, la science ne vient pas de la nature de celui qui connaît ; elle s’acquiert par l’association du connaissant aux choses connues, à l’aide de similitudes qu’il reçoit.

Mais cette réponse semble insuffisante. S’il est vrai que la connaissance s’acquiert par similitude reçue d’un autre, il est également vrai que l’on peut agir par le moyen d’une forme reçue du dehors ; ainsi l’eau ou le fer chauffent par le moyen de la chaleur qu’ils reçoivent du feu. Une telle réponse n’empêche donc pas que l’âme du Christ, qui peut connaître toutes choses à l’aide des similitudes qui lui sont infusées par Dieu, ne puisse également, par ces mêmes similitudes, produire toutes choses.

Il faut donc aller plus loin, et considérer ceci ce qu’une nature inférieure reçoit d’une nature supérieure est toujours possédé par elle d’une manière moins parfaite ; en effet, la chaleur ne se trouve pas dans l’eau avec la même perfection et la même puissance que dans le feu. Puisque l’âme du Christ est d’une nature inférieure à la nature divine, les similitudes des choses ne seront donc pas reçues en elle avec la perfection et la puissance qu’elles ont dans la nature divine. De là vient que la science de l’âme du Christ est inférieure à la science divine, soit en ce qui concerne le mode de connaître, puisque Dieu connaît d’une manière plus parfaite que l’âme du Christ ; soit en ce qui concerne le nombre des choses sues, puisque l’âme du Christ ne connaît pas toutes les choses que Dieu peut faire et qui sont l’objet de sa science de simple intelligence ; néanmoins elle connaît tout le présent, le passé et le futur que Dieu connaît par sa science de vision. De même, les similitudes des choses, imprimées dans l’âme du Christ, n’élèvent pas son activité jusqu’à égaler la puissance divine ; elles ne lui permettent pas de faire tout ce que Dieu peut faire, ni non plus d’agir de la manière dont Dieu agit, c’est-à-dire par une puissance infinie, dont la créature n’est pas capable. En outre, aucune chose ne requiert, pour être connue de quelque manière, une puissance infinie, bien qu’il y ait un mode de connaître qui suppose cette puissance infinie ; au contraire, il y a des choses que l’on ne peut faire qu’à la condition de posséder une puissance infinie, telles la création et autres actions semblables, nous l’avons montré dans la première Partie. L’âme du Christ, parce qu’elle est une créature et qu’elle possède une puissance limitée, peut sans doute connaître toutes choses, mais non les connaître de toute manière ; et elle ne peut pas produire toutes choses, car cela appartient en propre à la toute-puissance ; en particulier, il est manifeste qu’elle ne peut se créer elle-même.

3. L’âme du Christ a possédé la science pratique et la science spéculative ; il n’était pas nécessaire cependant qu’elle eût la science pratique de toutes les réalités dont elle avait la science spéculative. Pour posséder la science spéculative il suffit en effet de la seule conformité ou assimilation du connaissant à la chose connue ; pour la science pratique au contraire, il faut que les formes des choses qui se trouvent dans l’intelligence soient opérationnelles. Or, posséder une forme et imprimer cette forme dans un autre être, c’est davantage que posséder simplement la forme ; de même, être à la fois lumineux et éclairant, c’est davantage que d’être simplement lumineux. C’est pourquoi l’âme du Christ possède sans doute la science spéculative de la création car elle sait de quelle manière Dieu crée ; mais elle n’en possède pas la science pratique, parce qu’elle n’a pas la science opérationnelle de la création.

 

            Article 2 — L’âme du Christ a-t-elle possédé la toute-puissance pour transformer les créatures ?

Objections :

1. Nous lisons en S. Matthieu (28, 18) : " Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. " Mais par ces mots " ciel " et " terre " il faut entendre toute créature, comme le montre bien la parole de la Genèse : " Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. " L’âme du Christ a donc possédé la toute-puissance pour transformer les créatures.

2. L’âme du Christ est plus parfaite que toute autre créature. Mais toute créature peut être mue par une autre ; S. Augustin écrit en effet : " De même que les corps grossiers et inférieurs sont régis par de plus subtils et de plus puissants selon un certain ordre, ainsi tous les corps sont régis par l’esprit, principe rationnel de vie ; à son tour, l’esprit dévoyé et pécheur se trouve régi par l’esprit qui est demeuré pieux et juste. " Or, l’âme du Christ meut même les esprits suprêmes, en les éclairant, affirme Denys. Il semble donc qu’elle possède la toute-puissance pour transformer les créatures.

3. L’âme du Christ a possédé en plénitude la grâce des miracles, aussi bien que les autres grâces. Mais tout changement opéré sur la créature peut appartenir à la grâce des miracles ; c’est ainsi que miraculeusement les corps célestes ont pu subir un changement dans leur cours, comme le prouve Denys. L’âme du Christ a donc possédé la toute-puissance pour transformer les créatures.

En sens contraire, changer les créatures appartient à celui qui les conserve. Or cela est l’œuvre de Dieu seul, selon l’épître aux Hébreux (1, 3) : " Il soutient l’univers par sa parole puissante. " Dieu seul possède donc la toute-puissance pour changer les créatures. Cela ne convient donc pas à l’âme du Christ.

Réponse :

Il faut faire ici une double distinction. La première concerne le changement des créatures.

Il y en a trois sortes : l’un, naturel, qui a pour cause un agent propre et qui respecte l’ordre de la nature ; le deuxième, miraculeux, qui a pour cause un agent surnaturel, et qui dépasse l’ordre et le cours ordinaires de la nature : ainsi la résurrection des morts ; le troisième enfin est que toute créature peut retourner au néant.

La seconde distinction concerne l’âme du Christ, que l’on peut envisager à un double point de vue : premièrement dans sa propre nature, et dans sa puissance de nature ou de grâce ; deuxièmement en tant qu’elle est l’instrument du Verbe de Dieu uni personnellement à elle.

Si nous envisageons l’âme du Christ dans sa propre nature, et dans sa puissance de nature ou de grâce, on doit dire qu’elle pouvait produire les effets qui lui sont appropriés : ainsi elle pouvait gouverner son corps, régler ses actes humains ; de même elle pouvait, par la plénitude de la grâce et de la science, éclairer toutes les créatures rationnelles, inférieures à elle en perfection, de la manière qui convient à la créature rationnelle.

Mais si nous envisageons l’âme du Christ en tant qu’elle est l’instrument du Verbe qui lui est uni, elle possédait ainsi une puissance instrumentale capable de produire tous les changements miraculeux se référant à la fin de l’Incarnation qui est " de restaurer toutes choses, celles qui sont au ciel et celles qui sont sur la terre " (Ep 1, 10).

Quant au changement qui consiste à faire retourner les créatures au néant, il correspond à la création, puisque les choses y sont tirées du néant. Aussi, de même que Dieu seul peut créer, de même lui seul peut annihiler les créatures ; lui seul également les conserve dans l’être pour les empêcher de retomber au néant. Il faut donc conclure que l’âme du Christ ne possède pas la toute-puissance en ce qui concerne les changements à produire dans les créatures.

Solutions :

1. Comme le dit S. Jérôme. " la puissance a été donnée à celui qui ayant été crucifié et enseveli dans le tombeau, ressuscita ensuite ", c’est-à-dire au Christ en tant qu’homme. On dit que la toute-puissance lui a été donnée en raison de l’union, qui a rendu l’homme tout-puissant, nous l’avons signalée. Et bien que cette vérité fût connue des anges avant la résurrection, elle ne fut connue de tous les hommes qu’après la résurrection, ainsi que l’enseigne Rémi. Or on dit qu’un événement se produit quand il parvient à notre connaissance. C’est donc en ce sens que le Seigneur déclare, après sa résurrection, que toute puissance lui a été donnée au ciel et sur la terre.

2. Il est vrai que toute créature peut subir un changement de la part d’une autre créature, sauf l’ange le plus élevé, qui peut cependant être éclairé par l’âme du Christ. Mais il n’est pas vrai que tout changement possible dans une créature peut être accompli par une créature : certains ne peuvent être faits que par Dieu. Cependant tous les changements que peuvent accomplir les créatures peuvent également être accomplis par l’âme du Christ selon qu’elle est l’instrument du Verbe. Mais cela n’est pas possible selon sa nature et son pouvoir propres, car certains de ces changements dépassent la puissance de son âme tant dans l’ordre de la nature que dans l’ordre de la grâce.

3. Nous l’avons déjà remarqué dans la deuxième Partie la grâce des miracles permet à l’âme d’un saint de les produire, non par sa propre puissance, mais par la puissance divine. Or cette grâce a été accordée à l’âme du Christ d’une manière très excellente, à tel point qu’il pouvait non seulement faire des miracles, mais encore communiquer ce pouvoir à d’autres. Et c’est pourquoi nous lisons (Mt 10, 1) : " Ayant appelé ses douze disciples, il leur donna pouvoir sur les esprits impurs, pour qu’ils les chassent et qu’ils guérissent toute maladie et toute infirmité. "

 

            Article 3 — L’âme du Christ a-t-elle possédé la toute-puissance relativement à son propre corps ?

Objections :

1. S. Jean Damascène écrit que tout ce qui nous est naturel était volontaire chez le Christ : " C’est en effet parce qu’il l’a voulu qu’il a eu faim et soif, qu’il a éprouvé de la crainte et qu’il est mort. " Mais on dit que Dieu est tout-puissant, précisément parce qu’" il a réalisé tout ce qu’il a voulu " (Ps 113, 11). Donc l’âme du Christ a possédé toute puissance par les opérations naturelles de son propre corps.

2. La nature humaine du Christ était plus parfaite que celle d’Adam ; or, dans l’état d’innocence et de justice originelle, le corps d’Adam était entièrement soumis à son âme, si bien que rien ne pouvait s’y produire contre la volonté de l’âme. A plus forte raison, par conséquent, l’âme du Christ devait-elle être toute-puissante relativement à son propre corps.

3. Comme nous l’avons montré dans la première Partie les changements du corps dépendent naturellement de l’imagination, et cette dépendance est d’autant plus grande que l’imagination est plus forte. Mais l’imagination du Christ, comme les autres facultés de son âme, était très parfaite. L’âme du Christ était donc toute-puissante sur son propre corps.

En sens contraire, on lit dans l’épître aux Hébreux (2, 17) : " Il a dû devenir en tout semblable à ses frères ", et principalement en ce qui regarde la condition de la nature humaine. Or, dans cette condition, la santé du corps, sa nutrition, sa croissance, ne sont pas soumis aux décisions de la raison ni de la volonté ; car les propriétés naturelles ne dépendent que de Dieu, auteur de la nature. Elles ne pouvaient donc dépendre du Christ ; et par suite son âme ne fut pas toute-puissante sur son propre corps.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, l’âme du Christ peut être envisagée à un double point de vue : premièrement selon la puissance et la nature qui lui sont propres ; sous ce rapport, de même que son âme ne pouvait détourner les corps extérieurs de leur cours et de leur ordre naturel, de même elle ne pouvait modifier la disposition naturelle de son propre corps ; car l’âme, par sa nature propre, est adaptée de façon déterminée à son propre corps.

En second lieu, on peut considérer l’âme du Christ en tant qu’elle est l’instrument uni personnellement au Verbe de Dieu. A cet égard, toute disposition de son propre corps était entièrement en son pouvoir. Mais, étant donné que la puissance active ne se réfère pas à proprement parler à l’instrument, mais à l’agent principal, cette toute-puissance à l’égard du corps est attribuée davantage au Verbe de Dieu lui-même qu’à l’âme du Christ.

Solutions :

1. Cette parole doit s’entendre de la volonté divine du Christ ; car, dit le Damascène au chapitre précédent : " La volonté divine permettait à la chair de souffrir et d’opérer ce qui lui était propre. "

2. La justice originelle, qu’Adam possédait dans l’état d’innocence, ne lui permettait pas de transformer son corps à volonté, mais seulement de le préserver de tout ce qui pouvait lui nuire. Le Christ aurait pu assumer une telle puissance s’il l’avait voulu. Mais il y a pour l’homme trois états : l’état d’innocence, l’état de culpabilité et l’état de gloire. De l’état de gloire le Christ a assumé la vision béatifique ; de l’état d’innocence il a assumé l’exemption de péché ; enfin de l’état de culpabilité il a assumé la nécessité de se soumettre aux pénalités de cette vie, ainsi que nous le verrons plus loin.

3. Quand l’imagination est forte, le corps lui obéit par nature, en certains cas ; c’est ainsi qu’elle fait tomber d’une poutre haut placée ; l’imagination est en effet par nature principe du mouvement local, enseigne Aristote. De même, en ce qui concerne les altérations de chaleur et de froid subies par le corps, et leurs suites, du fait que l’imagination provoque naturellement les passions de l’âme : celles-ci mettent en mouvement le cœur, et par l’ébranlement des esprits animaux, tout le corps se trouve altéré. Mais il y a d’autres dispositions corporelles qui n’ont pas de rapport naturel avec l’imagination et ne sauraient être atteintes par elle, quelque puissante qu’elle soit ; ainsi la forme de la main ou du pied, ou autre chose semblable.

 

            Article 4 — L’âme du Christ a-t-elle possédé la toute-puissance pour l’exécution de sa propre volonté ?

Objections :

1. On lit en S. Marc (7, 24) : " Étant entré dans une maison, il voulait que personne ne le sût, mais il ne put demeurer caché. " C’est donc que le Christ n’a pas pu réaliser tout ce qu’il voulait.

2. Le précepte est un signe de volonté, nous l’avons dit dans la première Partie. Mais le Seigneur a formulé certains préceptes, et c’est le contraire qui s’est produit ; on lit en effet (Mt 9, 30) qu’à des aveugles guéris " il dit d’un ton sévère : "Prenez garde que personne ne le sache. " Mais s’en étant allés, ils publièrent ses louanges dans tout le pays. " Le Christ n’a donc pas pu réaliser tout ce que se proposait sa volonté.

3. Ce que l’on peut faire soi-même, on ne le demande pas à un autre. Or, dans la prière, le Seigneur a demandé à son Père ce qu’il désirait ; il est dit en effet (Lc 6, 12) : " Il se retira sur la montagne pour prier, et il passa toute la nuit à prier Dieu. " Le Christ n’a donc pas pu réaliser lui-même tous les objectifs de sa volonté.

En sens contraire, S. Augustin, écrit : " Il est impossible que la volonté du Sauveur ne s’accomplisse pas ; et il ne peut pas vouloir ce qu’il sait ne devoir pas se réaliser. "

Réponse :

L’âme du Christ a voulu quelque chose de deux façons : premièrement en voulant ce quelle pouvait accomplir par elle-même ; et en ce sens, il est très vrai que tout ce qu’elle a voulu, elle a pu le réaliser, car il ne convenait pas à sa sagesse de vouloir faire par elle-même ce qui ne dépendait pas de son pouvoir.

En second lieu, l’âme du Christ a voulu quelque chose qui devait s’accomplir par la puissance divine, comme la résurrection de son propre corps, et les autres œuvres miraculeuses du même genre. A vrai dire, elle ne pouvait pas accomplir de telles œuvres par sa propre puissance, mais seulement en tant qu’instrument de la divinité, comme nous l’avons déjà dit.

Solutions :

1. Selon S. Augustin il faut dire que " le Christ a voulu ce que rapporte Marc. Il faut remarquer, en effet, que cela se passait aux frontières de la gentilité, où le temps n’était pas encore venu de porter la prédication. Pourtant, il eût été odieux de ne pas accueillir ceux qui venaient à la foi. Le Christ n’a donc pas voulu être annoncé par les siens ; mais il a consenti à ce qu’on le cherchât et c’est ce qui s’est passé ".

Ou bien l’on peut dire que cette volonté du Christ concernait un objet à réaliser non par lui-même, mais par d’autres et qui n’était pas soumis à sa volonté humaine. Aussi lisons-nous dans la lettre du pape Agathon au sixième Concile : " Le Créateur et le Rédempteur du monde ne pouvait-il donc pas se cacher, alors qu’il le voulait ? A moins que nous rapportions ce texte à la volonté humaine qu’il a daigné assumer dans le temps. "

2. Comme le dit S. Grégoire, " le Seigneur en prescrivant de taire ses miracles, donnait l’exemple aux serviteurs qui le suivent, afin qu’eux-mêmes cherchent à cacher leurs miracles, mais que d’autres se sanctifient à cet exemple involontaire ". Le précepte en question indiquait donc la volonté du Maître de fuir la gloire humaine, selon sa parole en S. Jean (8, 50) : " je ne cherche pas ma propre gloire. " Mais Jésus voulait d’une façon réelle et absolue, surtout par sa volonté divine, que le miracle accompli fût publié, pour le bien d’autrui.

3. Le Christ priait pour les choses qui devaient être réalisées par la puissance divine, mais aussi pour celles que sa volonté humaine devait produire car la puissance et l’opération de l’âme du Christ se trouvaient en dépendance de Dieu " qui opère en nous le vouloir et le faire " (Ph 2, 13).

I1 faut envisager maintenant les déficiences que le Christ a assumées avec la nature humaine.

Les déficiences du corps (Q. 14). - II. Les déficiences de l’âme (Q. 15).

 

 

QUESTION 14 — LES DÉFICIENCES DU CORPS ASSUMÉES PAR LE FILS DE DIEU

1. Le Fils de Dieu a-t-il dû assumer, avec la nature humaine, les déficiences du corps ? - 2. A-t-il assumé la nécessité de les subir ? - 3. A-t-il contracté ces déficiences ? - 4. A-t-il assumé toutes les déficiences de ce genre ?

 

            Article 1 — Le Fils de Dieu a-t-il dû assumer, avec la nature humaine, les déficiences du corps ?

Objections :

1. De même que l’âme est unie dans la personne au Verbe de Dieu, de même le corps. Mais l’âme du Christ avait une perfection universelle quant à la grâce et quant à la science, on l’a dit plus haut. Donc son corps aussi devait être parfait à tous égards, sans aucune déficience.

2. L’âme du Christ voyait le Verbe de Dieu de cette vision dont les bienheureux le voient, on l’a déjà dit : ainsi l’âme du Christ était bienheureuse. Mais par la béatitude de l’âme, le corps est glorifié, dit S. Augustin : " Dieu a donné à l’âme une nature si puissante que sa béatitude plénière rejaillit sur la nature inférieure qui est le corps ; et celui-ci ne reçoit pas la béatitude qui appartient en propre à la jouissance et à l’intelligence, mais cette plénitude de santé qu’est la vigueur de l’incorruption. " Le corps du Christ était donc incorruptible et par suite sans aucune déficience.

3. La peine est une conséquence de la faute. Mais chez le Christ, il n’y avait aucune faute, selon cette parole (1 P 2, 22) : " Il n’a pas commis de péché. " Il ne devait donc pas y avoir en lui ces déficiences corporelles qui sont les peines du péché.

4. Aucun sage n’assume ce qui l’empêche d’atteindre sa fin propre. Mais il semble que les déficiences corporelles créent de multiples obstacles à la fin de l’Incarnation. En premier lieu elles empêchent l’homme de la connaître, selon Isaïe (5, 22) : " Il était méprisé et le dernier des hommes, homme de douleurs et connaissant la souffrance : son visage était comme caché et en butte au mépris ; c’est pourquoi nous n’avons fait de lui aucun cas. " En second lieu, le souhait des saints patriarches ne semble pas s’être réalisé, alors qu’il s’exprimait ainsi dans Isaïe (51, 9) : " Lève-toi, lève-toi, revêts-toi de force, bras du Seigneur. "

Enfin il aurait été normal que la puissance du diable fût vaincue, et l’infirmité humaine guérie, par la force plutôt que par la faiblesse. Il ne convenait donc pas que le Fils de Dieu assumât la nature humaine avec ses infirmités ou ses déficiences corporelles.

En sens contraire, nous lisons (He 2, 8) " Parce qu’il a souffert et a été lui-même éprouvé, il peut secourir ceux qui sont éprouvés. " Or le Fils de Dieu est venu en ce monde précisément pour nous venir en aide ; et c’est pourquoi David disait (Ps 121, 1) : " J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours. " Il convenait donc que le Fils de Dieu assumât une chair soumise aux infirmités humaines, afin de pouvoir en elle souffrir, être éprouvé, ainsi nous porter secours.

Réponse :

Il convenait que le corps assumé par le Fils de Dieu fût soumis aux infirmités et aux souffrances humaines principalement pour trois motifs.

1° Le Fils de Dieu, en assumant la chair, est venu en ce monde satisfaire pour le péché du genre humain. Or, on satisfait pour le péché d’un autre en prenant sur soi la peine due au péché de l’autre. Les infirmités corporelles, comme la mort, la faim, la soif, etc. , sont le châtiment du péché, lequel a été introduit dans le monde par Adam, selon l’épître aux Romains (5, 11) : " Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort. " Il était donc convenable, relativement à la fin de l’Incarnation, que le Christ assumât pour nous ces pénalités de notre chair, selon la parole d’Isaïe (53, 4) " Il a véritablement porté nos souffrances. "

2° Il le fallait pour confirmer notre foi en l’Incarnation. La nature humaine n’était connue des hommes qu’avec cette sujétion à des déficiences corporelles. Si le Fils de Dieu avait assumé la nature humaine sans ces déficiences on aurait donc pu croire qu’il n’était pas homme véritable, et qu’il n’avait qu’une chair irréelle, comme l’ont prétendu les manichéens. C’est pourquoi, dit l’épître aux Philippiens (2, 7) : " Il s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’un esclave, en se rendant semblable aux hommes, et il a été reconnu pour homme en tout ce qui a paru de lui. " C’est pourquoi également Thomas fut ramené à la foi par la vue des plaies (Jn 20, 26).

3° Le Christ nous donne l’exemple de la patience en supportant courageusement les souffrances et les infirmités humaines. De là cette parole (He 12, 3) : " Il a soutenu de la part des pécheurs une violente opposition, afin que vous ne vous laissiez pas abattre par le découragement. "

Solutions :

1. La satisfaction pour les péchés d’autrui a, en guise de matière, les peines qu’on souffre pour eux, mais elle a pour principe la disposition habituelle de l’âme qui incline la volonté à satisfaire pour autrui, et dont la satisfaction tire son efficacité. Car cette satisfaction ne serait pas efficace si elle ne procédait pas de la charité, comme on le dira plus tard. Il a donc fallu que l’âme du Christ soit parfaite quant aux habitus de science et de vertu, pour être capable de satisfaire ; il a fallu que son corps soit sujet aux infirmités pour que la satisfaction ne soit pas privée de matière.

2. Selon le rapport naturel qui existe entre l’âme et le corps, il est très vrai que la gloire de l’âme rejaillit sur le corps. Mais ce rapport naturel était soumis chez le Christ à la volonté divine qui renfermait la béatitude dans l’âme et l’empêchait de rejaillir sur le corps. La chair éprouvait les souffrances d’une nature passible, dit le Damascène : " La volonté divine permettait à la chair de pâtir et d’agir conformément à ses propriétés naturelles. "

3. La peine suit toujours la faute, actuelle ou originelle, soit de celui qui est puni, soit d’un autre, pour lequel satisfait celui qui subit la peine. Ce dernier cas est celui du Christ, selon Isaïe (53, 6) : " Il a été transpercé à cause de nos iniquités, broyé à cause de nos crimes. "

4. La faiblesse assumée par le Christ, loin d’être un obstacle à la fin de l’Incarnation, l’a extrêmement favorisée, nous venons de le dire. Et bien qu’elle ait voilé sa divinité, elle manifestait néanmoins son humanité, qui est la voie par laquelle nous parvenons à la divinité, selon l’épître aux Romains (5, 1) : " Nous avons accès à Dieu par Jésus Christ. " - D’autre part, ce que les anciens patriarches désiraient chez le Christ, ce n’était pas la force corporelle, mais bien la force spirituelle par laquelle le Sauveur a vaincu le diable et guéri notre faiblesse humaine.

 

            Article 2 — Le Christ a-t-il assumé la nécessité de subir les déficiences du corps ?

Objections :

1. En effet, on lit dans Isaïe (53, 7) " Il s’est offert parce que lui-même l’a voulu ", et il s’agit de son offrande à la passion. Or la volonté s’oppose à la nécessité. Donc ce n’est pas par nécessité que le Christ a été soumis aux déficiences du corps.

2. S. Jean Damascène écrit : " On ne doit admettre rien de forcé dans le Christ ; tout en lui est volontaire. " Mais ce qui est volontaire ne saurait être nécessaire. Les déficiences corporelles ne se trouvaient donc pas dans le Christ d’une manière nécessaire.

3. La nécessité est imposée par quelqu’un de plus puissant. Mais aucune créature n’est plus puissante que l’âme du Christ, à laquelle il appartenait de conserver son propre corps. Les déficiences ou les infirmités corporelles n’étaient donc pas nécessaires chez le Christ.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 8, 3) : " Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché. " Or la condition de notre chair de péché, c’est de se trouver dans la nécessité de mourir et de subir les autres genres de souffrance. Il faut donc également admettre une telle nécessité dans la chair du Christ.

Réponse :

Il y a un double genre de nécessité la nécessité de coaction imposée par un agent extérieur : cette nécessité contrarie à la fois la nature et la volonté, qui sont toutes deux des principes intrinsèques ; - et une nécessité naturelle, qui vient des principes naturels d’un être, tels que la forme : c’est ainsi qu’il est nécessaire que le feu chauffe ; - ou la matière : ainsi est-il nécessaire que le corps composé d’éléments contraires soit corruptible.

Si l’on considère la nécessité qui vient de la matière, le corps du Christ était nécessairement soumis à la mort et aux autres déficiences analogues car, on l’a dit " la volonté divine permettait à la chair de pâtir et d’agir conformément à ses propriétés naturelles ". Or une telle nécessité, nous venons de le voir, vient des principes du corps humain.

Mais si nous parlons de la nécessité de coaction en tant qu’elle contrarie la nature corporelle, ici aussi le corps du Christ, selon la condition de sa nature propre, était soumis par nécessité aux clous qui le perdaient et au fouet qui le frappait. Mais en tant qu’une telle nécessité contrarie la volonté, il est évident que le Christ ne subissait pas ces déficiences par nécessité, ni à l’égard de la volonté divine, ni à l’égard de la volonté humaine considérée absolument, en tant qu’elle suit la délibération de la raison, mais seulement par rapport au mouvement naturel de sa volonté, en tant que, par nature, elle fuit la mort et tout dommage corporel.

Solutions :

1. Il faut dire que le Christ " s’est offert parce qu’il l’a voulu " par sa volonté divine, et par sa volonté humaine délibérée. Mais la mort était contraire au mouvement naturel de la volonté humaine, remarque S. Jean Damascène.

2. Cette objection est résolue par ce que nous venons de dire.

3. Rien ne fut plus puissant que l’âme du Christ, absolument parlant. Pourtant, il n’en reste pas moins vrai que quelque chose pouvait être plus puissant qu’elle par rapport à un effet particulier, comme par exemple la pénétration des clous dans sa chair, si l’on considère l’âme du Christ dans la nature et la puissance qui lui sont propres.

 

            Article 3 — Le Christ a-t-il contracté les déficiences du corps ?

Objections :

1. On dit que nous " contractons " ce que nous tirons, avec la nature, de notre origine. Mais le Christ, par son origine, a dû recevoir de sa mère, avec la nature humaine, les déficiences et les infirmités corporelles, car la chair de sa mère était soumise à ces mêmes déficiences. Il semble donc que le Christ les a vraiment contractées.

2. Ce qui vient des principes mêmes de la nature est reçu en même temps qu’elle, et par là se trouve contracté. Or les pénalités dont nous parlons viennent des principes de la nature humaine. Le Christ les a donc contractées.

3. Par ces déficiences, le Christ est rendu semblable aux autres hommes, selon l’épître aux Hébreux (2, 17). Mais les autres hommes ont contracté ces déficiences. Il semble donc que le Christ, lui aussi, les a contractées.

En sens contraire, ces déficiences sont contractées du fait du péché (Rm 5, 12) : " Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort. " Mais chez le Christ le péché n’avait pas sa place. Le Christ n’a donc pas contracté les déficiences corporelles.

Réponse :

Le verbe " contracter " (contrahere : attirer : de tirer : trahere ; ensemble : cum) signifie un rapport entre l’effet et sa cause, c’est-à-dire que l’on " contracte " ce que l’on attire nécessairement à soi en même temps que sa cause. Or, la cause de la mort et des déficiences de la nature humaine, c’est le péché ; car " par le péché la mort est entrée dans ce monde " (Rm 5, 12). Donc ces déficiences sont " contractées " à proprement parler par ceux-là seulement qui les encourent du fait de la dette du péché. Mais le Christ n’a pas connu ces déficiences à cause de la dette du péché ; car, en commentant S. Jean (3, 31) : " Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tout ", S. Augustin nous dit : " Le Christ vient d’en haut, c’est-à-dire de ces hauteurs que connut la nature humaine avant le péché du premier homme. " Il a pris en effet la nature humaine sans péché, avec cette pureté où elle se trouvait dans l’état d’innocence.

Et de la même manière il aurait pu assumer une nature humaine sans ses déficiences. Il est donc évident que le Christ n’a pas contracté les déficiences corporelles comme s’il les avait reçues en vertu d’une dette de péché, mais qu’il les a assumées de sa propre volonté.

Solutions :

1. La chair de la Vierge a été conçue dans le péché originel : et c’est pourquoi elle a contracté ces déficiences. Mais le Christ a assumé de la Vierge une nature sans péché. De la même manière il aurait pu assumer une nature exempte de peine ; mais pour accomplir l’œuvre de notre rédemption, il a voulu prendre sur lui la peine, nous l’avons dit. Il n’a donc pas contracté les déficiences corporelles, mais il les a assumées volontairement.

2. Il faut dire que la cause de la mort et des autres misères corporelles de la nature humaine est double. Il y a une cause éloignée qui vient des principes matériels du corps humain, en tant qu’il est composé d’éléments contraires. Mais cette cause se trouvait empêchée par la justice originelle. C’est pourquoi la cause prochaine de la mort et des autres misères est le péché qui détruit la justice originelle. Et puisque le Christ était sans péché, on ne peut pas dire qu’il avait contracté les déficiences corporelles, mais qu’il les avait assumées volontairement.

3. Le Christ a été rendu semblable aux autres hommes par ces déficiences quant à leur qualité, non quant à leur cause. Et c’est pourquoi il ne les a pas contractées comme les autres hommes.

 

            Article 4 — Le Christ a-t-il assumé toutes les déficiences corporelles ?

Objections :

1. Selon S. Jean Damascène : " Ce qui ne peut être assumé ne peut être guéri. " Mais le Christ venait guérir toutes nos déficiences. Il devait donc les assumer toutes.

2. On a dit précédemment que le Christ, afin de satisfaire pour nous, devait posséder dans l’âme des habitus capables de la parfaire, et dans le corps, des déficiences. Mais dans son âme, le Christ a assumé la plénitude de toute grâce ; il a donc dû, dans son corps, assumer toutes les déficiences.

3. Parmi toutes les déficiences corporelles, la mort tient la première place. Mais le Christ a voulu mourir. A plus forte raison devait-il assumer toutes les déficiences.

En sens contraire, des réalités opposées ne peuvent se trouver en même temps dans le même sujet. Or certaines infirmités se contrarient mutuellement, étant causées par des principes opposés. Le Christ n’a donc pas pu assumer toutes les infirmités humaines.

Réponse :

Le Christ a assumé les déficiences de l’homme afin de satisfaire pour le péché de la nature humaine ; pour cela il fallait qu’il possédât aussi dans son âme la perfection de la science et de la grâce. Le Christ devait donc assumer les déficiences qui viennent du péché commun à toute la nature, et qui pourtant ne s’opposent pas à la perfection de la science et de la grâce.

Ainsi donc il ne convenait pas qu’il prît sur lui toutes les déficiences ou infirmités humaines. Il y en a parmi elles, en effet, qui s’opposent à la perfection de la science et de la grâce, telles l’ignorance, l’inclination au mal, la difficulté à faire le bien.

D’autre part il y a certaines déficiences qui ne sont pas encourues par toute la nature humaine à cause du péché de notre premier père. Elles se trouvent chez certains individus et ont des causes spéciales, comme la lèpre, l’épilepsie, etc. Tantôt elles sont produites par la faute de l’homme, comme une vie déréglée ; tantôt elles proviennent d’une malformation. Or ni l’une ni l’autre de ces causes ne s’appliquent au Christ, car sa chair a été conçue du Saint-Esprit, dont la sagesse et la puissance sont infinies, et qui ne peut ni errer ni faillir ; et le Christ lui-même n’a mis aucun désordre dans la conduite de sa vie.

Mais il y a certaines déficiences qui se trouvent communément chez tous les hommes, du fait du péché de notre premier père : ce sont la mort, la faim, la soif, etc. Toutes ces déficiences, le Christ les a prises à son compte. Le Damascène les appelle " les passions naturelles et irréprochables " : naturelles, parce que communes à toute la nature humaine ; irréprochables, parce qu’elles n’impliquent pas un manque de science ou de grâce.

Solutions :

1. Toutes les déficiences particulières des hommes proviennent de la corruptibilité et de la possibilité du corps, auxquelles se surajoutent certaines causes particulières. Le Christ est venu en aide à la possibilité et à la corruptibilité de notre corps en les prenant sur lui, et par voie de conséquence il a guéri toutes nos autres déficiences.

2. La plénitude de toute grâce et de toute science était due à l’âme du Christ, considérée en elle-même du fait qu’elle était assumée par le Verbe de Dieu. C’est pourquoi le Christ possédait absolument toute plénitude de sagesse et de grâce. Mais il n’assuma nos déficiences que par miséricorde, afin de satisfaire pour notre péché, et non parce qu’elles lui convenaient par elles-mêmes ; aussi ne devait-il pas les assumer toutes, mais seulement celles qui. lui permettaient de satisfaire pour le péché de toute la nature humaine.

3. La mort s’est transmise à tous les hommes à partir du péché de notre premier père ; il n’en est pas de même de certaines autres déficiences, moins graves pourtant que la mort. C’est pourquoi la comparaison alléguée ne vaut pas.

 

 

QUESTION 15 — LES DÉFICIENCES DE L’ÂME ASSUMÉES PAR LE CHRIST

1. Y a-t-il eu chez le Christ du péché ? - 2. Y avait-il chez le Christ le foyer du péché ? - 3. Y a-t-il eu chez le Christ de l’ignorance ? - 4. L’âme du Christ était-elle passible ? - 5. Y a-t-il eu chez le Christ de la douleur sensible ? - 6. De la tristesse ? - 7. De la crainte ? - 8. De l’étonnement ? - 9. De la colère ? - 10. Le Christ a-t-il été à la fois voyageur et compréhenseur ?

 

            Article 1 — Y a-t-il eu chez le Christ du péché ?

Objections :

1. On dit dans le Psaume (22, 2) " Mon Dieu, mon Dieu, regarde-moi, pourquoi m’as-tu abandonné ? Le cri de mes fautes éloigne de moi le salut. " Or ces paroles s’appliquent au Christ en personne, puisque lui-même les a prononcées sur la croix. C’est donc qu’il y eut en lui des fautes.

2. L’Apôtre écrit (Rm 5, 12) : " Tous ont péché en Adam, parce que tous se trouvent en lui par leur origine. " Il a donc péché en Adam.

3. L’Apôtre écrit (He 2, 18) : " Du fait que le Christ a souffert et a été éprouvé, il peut secourir ceux qui ont été éprouvés. " Mais c’est surtout contre le péché que nous avons besoin de son secours. Il apparaît donc qu’il y avait chez lui du péché.

4. Il est écrit (2 Co 5, 21) : " Celui qui n’avait pas connu le péché ", le Christ, " Dieu l’a fait péché pour nous. " Mais ce qui est fait par Dieu existe vraiment. Donc, chez le Christ, il y a eu vraiment du péché.

5. Selon S. Augustin " dans le Christ homme, le Fils de Dieu s’est offert à nous en exemple de vie ". Mais l’homme avait besoin d’exemple non seulement pour bien vivre, mais aussi pour se repentir de ses péchés. Il semble donc que le Christ a dû connaître le péché afin de pouvoir donner par son repentir l’exemple de la pénitence.

En sens contraire, le Christ lui-même a dit (Jn 8, 46) : " Qui de vous me convaincra de péché ? "

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, le Christ a pris nos déficiences afin de satisfaire pour nous, pour manifester la vérité de sa nature humaine, et enfin pour nous donner l’exemple de la vertu. De ces trois points de vue, il est évident qu’il ne devait pas assumer la déficience du péché. En premier lieu parce que le péché ne sert à rien pour la satisfaction ; bien plus il empêche son efficacité car, selon

l’Ecclésiastique (34, 19) : " Le Très-Haut n’agrée pas les dons des méchants. " De même, le péché n’est pas une preuve de la vérité de la nature humaine, car il ne fait pas partie de cette nature qui a Dieu pour cause ; il est plutôt introduit contre la nature " par une semence du diable ", comme dit le Damascène. Enfin, en péchant, le Christ ne pouvait pas donner l’exemple de la vertu, le péché étant son contraire. Le Christ n’a donc d’aucune manière assumé la déficience du péché, ni originel, ni actuel, selon S. Pierre (1 P 2, 22) " Il n’a pas commis de péché. "

Solutions 1. Comme dit le Damascène on attribue quelque chose au Christ tantôt par appropriation naturelle et hypostatique, comme lorsqu’on dit qu’il s’est fait homme et qu’il a souffert pour nous ; tantôt par appropriation personnelle et relative en ce qu’on lui attribue en notre nom personnel certaines choses qui ne lui conviennent d’aucune façon lorsqu’on le considère en lui-même. Aussi, parmi les sept règles de Ticonius présentées par S. Augustin, la première a trait " au Seigneur et à son corps, le Christ et l’Église étant regardés comme une seule personne ". Sous ce rapport, le Christ parle, au nom de ses membres, du cri de ses fautes, alors qu’en lui, qui est la tête, il n’y avait aucune faute.

2. Comme le dit encore S. Augustin, le Christ ne se trouvait pas tout à fait de la même manière que nous en Adam et en les autres patriarches. Car nous avons été en Adam en ce sens que nous procédons de lui selon le principe séminal et selon la substance corporelle. En effet, poursuit S. Augustin, " il y a dans la semence une matière corporelle visible et un principe invisible : tous les deux proviennent d’Adam. Mais si le Christ a pris la substance visible de sa chair du corps de la Vierge, en revanche le principe de sa conception ne vient pas de la semence d’un homme, il est tout autre et vient d’en haut ". Le Christ ne se trouvait donc pas en Adam par voie d’origine séminale, mais seulement par voie d’origine matérielle. Voilà pourquoi le Christ n’a pas reçu sa nature d’Adam, comme d’un principe actif, mais seulement d’une manière matérielle, et le principe actif en fut le Saint-Esprit. De même Adam a pris son corps matériellement du limon de la terre, tandis qu’il l’a reçu de Dieu comme principe actif Voilà pourquoi le Christ n’a pas péché en Adam, car il ne se trouvait en lui qu’en raison de sa matière.

3. Le Christ, par ses épreuves et ses souffrances, nous a porté secours en satisfaisant pour nous.

Mais le péché, loin de concourir à la satisfaction, l’entrave bien plutôt, nous venons de le dire. Aussi était-il nécessaire que le Christ fût pur de tout péché ; autrement la peine qu’il endurait eût été due pour ses propres fautes.

4. Dieu " a fait le Christ péché ", non en ce sens qu’il y a chez lui du péché, mais en ce sens qu’il a fait de lui une victime pour le péché. C’est ainsi qu’il est dit dans Osée (4, 8), à propos des prêtres qui, selon la loi, mangeaient les victimes offertes pour le péché : " Ils mangeront les péchés de mon peuple. " De même il est dit dans Isaïe (53, 6) : " Le Seigneur a placé sur lui les iniquités de nous tous ", ce qui signifie que Dieu a livré le Christ en victime pour les péchés de tous les hommes.

Ou bien on pourrait dire que Dieu " l’a fait péché " parce qu’il lui a donné " une chair semblable à celle du péché " (Rm 8, 3) : ce qui se réfère au corps passible et mortel assumé par le Christ.

5. Le pénitent peut donner un louable exemple, non pas du fait qu’il a péché, mais parce qu’il subit volontiers la peine due à son péché. Aussi le Christ a-t-il donné un plus grand exemple aux pénitents en acceptant de subir la peine non pour ses propres fautes, mais pour les péchés des autres.

 

            Article 2 — Y avait-il chez le Christ le foyer du péché ?

Objections :

1. Le foyer du péché dérive du même principe que la possibilité ou la mortalité du corps, à savoir la perte de la justice originelle. C’est grâce à celle-ci en effet que les puissances inférieures de l’âme se trouvaient soumises à la raison, et le corps à l’âme. Or, le corps du Christ était passible et mortel. Il devait donc y avoir chez lui aussi le foyer du péché.

2. S. Jean Damascène écrit : " La volonté divine permettait à la chair du Christ de souffrir et d’opérer ce qui lui était propre. " Mais le propre de la chair est de désirer ce qui lui procure du plaisir. Et puisque le foyer du péché n’est autre que la convoitise, ainsi que le remarque la Glose sur l’épître aux Romains (7, 8), il semble bien qu’il y avait chez le Christ le foyer du péché.

3. En raison de ce foyer du péché, " la chair convoite contre l’esprit " (Ga 5, 17). Mais l’esprit se montre d’autant plus fort et digne de la couronne qu’il maîtrise davantage son ennemi, c’est-à-dire la convoitise de la chair, selon cette parole (2 Tm 2, 5) : " On ne couronnera que celui qui aura combattu selon les règles. " Or, le Christ avait un esprit très fort, très victorieux et suprêmement digne de la couronne, selon l’Apocalypse (6, 2) : " La couronne lui a été donnée, et il partit en vainqueur, pour vaincre encore. " Il semble donc qu’il devait y avoir, chez le Christ surtout, le foyer du péché.

En sens contraire, il est décrit (Mt 1, 20) " Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit. " Mais le Saint-Esprit exclut le péché, et cette inclination au mal que l’on appelle le foyer du péché. Ce foyer ne pouvait donc se trouver dans le Christ.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit le Christ a possédé d’une manière très parfaite la grâce et toutes les vertus. Or, la vertu morale qui se trouve dans la partie irrationnelle de l’âme, rend cette partie soumise à la raison, et elle le fait d’autant plus qu’elle-même est plus parfaite. Ainsi la tempérance soumet le concupiscible ; la force et la douceur soumettent l’irascible, comme nous l’avons montré dans la deuxième Partie. D’autre part le foyer du péché consiste dans une inclination de l’appétit sensible vers ce qui est contraire à la raison. Il apparaît donc avec évidence que plus la vertu est parfaite dans un individu, plus elle affaiblit le foyer du péché. Et puisque le Christ possédait la vertu au suprême degré, il s’ensuit que le foyer du péché n’existait pas chez lui, d’autant plus qu’une telle déficience ne peut s’ordonner à la satisfaction, mais porte plutôt vers son contraire.

Solutions :

1. Les puissances inférieures appartenant à l’appétit sensible sont aptes par nature à obéir à la raison ; il n’en est pas de même des forces et des humeurs corporelles, ni non plus de l’âme végétative comme le montre Aristote. C’est pourquoi la vertu parfaite, qui se conforme à la droite raison, n’exclut pas la possibilité du corps ; tandis qu’elle exclut le foyer du péché, qui se définit par la résistance de l’appétit sensible à la raison.

2. La chair convoite naturellement tout ce qui lui apporte du plaisir, par la convoitise de l’appétit sensible. Mais l’homme étant animal raisonnable, sa chair ne convoite un objet que conformément à l’ordre de la raison. C’est ainsi que la chair du Christ, par un désir de l’appétit sensible, convoitait naturellement le manger, le boire, le sommeil et les autres biens de ce genre, qui sont objet de désir raisonnable, comme le montre S. Jean Damascène ; il ne suit donc pas de là que le Christ avait en lui le foyer du péché, qui suppose un désir déraisonnable des biens sensibles.

3. Une certaine force de l’esprit se manifeste par la résistance aux convoitises de la chair qui la contrarient ; mais cette force de l’esprit se manifeste bien davantage, si elle est capable de dominer totalement la chair pour qu’elle ne puisse plus convoiter contre l’esprit. Et tel était le cas du Christ, dont l’esprit atteignait le plus haut degré de force. Et bien que le Christ n’ait pas eu à soutenir ces combats intérieurs suscités par le foyer du péché, il a enduré les assauts extérieurs du monde et du diable ; c’est en les repoussant qu’il a mérité la couronne du vainqueur.

 

            Article 3 — Y a-t-il eu chez le Christ de l’ignorance ?

Objections :

1. Il existe vraiment chez le Christ ce qui lui revient selon la nature humaine, bien que cela ne lui revienne pas selon la nature divine, comme la souffrance et la mort. Mais l’ignorance convient au Christ selon la nature humaine, car le Damascène dit : " Il assuma une nature ignorante et servile. " Il y eut donc vraiment de l’ignorance chez le Christ.

2. On est ignorant pas défaut de connaissance. Mais il y a au moins une connaissance qui fit défaut au Christ, puisque l’Apôtre écrit (2 Co 5, 21) : " Celui qui n’a pas connu le péché a été fait péché pour nous. " Le Christ ignorait donc quelque chose.

3. Nous lisons dans Isaïe (8, 4) : " Avant que l’enfant sache dire "papa" et "maman", la puissance de Damas sera enlevée. " Or l’enfant en question, c’est le Christ. Le Christ ignorait donc certaines choses.

En sens contraire, on ne supprime pas l’ignorance par l’ignorance. Or le Christ est venu pour détruire nos ignorances, car il est venu pour apporter la lumière à ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. Il ne pouvait donc y avoir de l’ignorance dans le Christ.

Réponse :

De même que le Christ possédait la plénitude de la grâce et de la vertu, de même il possédait aussi la plénitude de toute science, comme nous l’avons montré. Et de même que la plénitude de grâce et de vertu exclut en lui le foyer du péché, ainsi la plénitude de science exclut l’ignorance à laquelle elle s’oppose. Il n’y eut donc pas plus d’ignorance en lui qu’il n’y eut de foyer de péché.

Solutions :

1. La nature assumée par le Christ peut être envisagée à un double point de vue : ‘ tout d’abord dans sa raison spécifique ; c’est sous ce rapport que le Damascène la déclare ignorante et servile, car il ajoute : " La nature de l’homme est en effet au service de Dieu qui l’a faite, et elle ne possède pas la connaissance de l’avenir. " En second lieu on peut considérer la nature assumée par le Christ dans son union à l’hypostase divine, d’où lui vient la plénitude de science et de grâce, selon S. Jean : " Nous l’avons vu, comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. " A ce point de vue, il n’y avait pas d’ignorance dans la nature humaine du Christ.

2. On dit que le Christ n’a pas connu le péché, en ce sens qu’il n’en a pas fait l’expérience. Il l’a connu cependant par connaissance objective.

3. Le prophète parle ici de la connaissance humaine du Christ. Il veut donc dire ceci : Avant que l’enfant sache humainement nommer son père, c’est-à-dire Joseph, qui était son père putatif, et sa mère, c’est à dire Marie, la puissance de Damas sera enlevée. Il ne faut pas l’entendre en ce sens qu’à un moment donné le Christ fut homme et ignora quelque chose : mais " avant qu’il sache ", c’est-à-dire avant qu’il devienne un homme possédant une science humaine, la puissance de Damas et les dépouilles de Samarie devaient être enlevées par le roi d’Assyrie, si l’on prend le texte au sens littéral ; et si on le prend au sens spirituel, comme le fait S. Jérôme " Avant sa naissance, le Christ devait sauver son peuple par la seule invocation de son nom. "

Pourtant S. Augustin, dans un sermon sur l’Épiphanie, explique que la prophétie s’est accomplie au moment de l’adoration des Mages. Il dit en effet : " Avant que son corps humain pût proférer des paroles humaines, il a reçu la puissance de Damas, c’est-à-dire les richesses dont Damas s’enorgueillissait ; et, parmi les richesses, on donne le premier rang à l’or. Quant au dépouilles de Samarie, elles lui appartenaient également. La Samarie en effet est mise ici pour l’idolâtrie, car le peuple de ce pays s’est tourné vers le culte des idoles. Ce furent donc les premières dépouilles que l’enfant arracha à l’idolâtrie. Comme on le voit d’après cette interprétation, les mots " avant que l’enfant sache " signifient " avant qu’il montre sa science ".

 

            Article 4 — L’âme du Christ était-elle passible ?

Objections :

1. Aucun être ne pâtit que par l’action d’un plus puissant que lui, car " l’agent l’emporte sur le patient ", ainsi que le démontrent S. Augustin et Aristote. Mais aucune créature ne fut plus éminente que l’âme du Christ. Celle-ci n’a donc pu pâtir d’aucune créature. Ainsi elle ne devait pas être passible, car la puissance de pâtir aurait été vaine en lui.

2. Cicéron dit que les passions de l’âme sont des maladies. Mais l’âme du Christ ne pouvait être malade, car la maladie de l’âme est une conséquence du péché, selon le Psaume (41, 5). " Guéris mon âme, parce que j’ai péché contre toi. " Il n’y avait donc pas de passions de l’âme chez le Christ.

3. Les passions de l’âme semblent être identiques au foyer du péché ; et c’est pour cette raison que l’apôtre les appelle " passions pécheresses " (Rm 7,5). Or dans le Christ, il n’y avait pas de foyer de péché comme on l’a dit. Il n’y eut donc passions pas en lui semble t-il, de passion ; et par conséquent son âme n’était pas passible.

En sens contraire, le psalmiste parlant au nom du Christ, dit (88, 4) " Mon âme est rassasiée de maux ", ce qui s’entend non de péchés, mais de maux humains, ou comme l’explique la Glose, " de douleurs ". L’âme du Christ était donc passible.

Réponse :

L’âme, unie au corps, peut pâtir d’une double manière, selon qu’il s’agit d’une passion corporelle ou d’une passion psychique, animale. Elle pâtit corporellement par une lésion du corps. L’âme, en effet, étant la forme du corps, ne constitue avec lui qu’un seul être ; aussi, quand le corps subit une passion corporelle, l’âme se trouve-t-elle atteinte par accident, sous le rapport de son existence dans le corps. Et comme le corps du Christ, nous l’avons dit était passible et mortel, il s’ensuit nécessairement que l’âme aussi était passible de cette manière.

Mais l’âme peut pâtir encore d’une passion psychique ou animale, dans les opérations qui lui sont propres, et dans celles où elle a plus de part que le corps. Et l’on dit, de ce point de vue, que l’âme pâtit, même selon l’intellection et la sensation. Cependant, comme nous l’avons dit dans la deuxième Partie, les véritables passions de l’âme, à proprement parler, sont les affections de l’appétit sensible. Or, celles-ci se trouvaient dans le Christ tout aussi bien que les autres éléments de la nature humaine. De là cette parole de S. Augustin : " Quand, sous la forme d’esclave, le Seigneur a daigné vivre de la vie humaine, lui-même a fait des affections l’usage qu’il jugeait nécessaire. Si le corps et l’âme humaine sont en lui une vérité, la sensibilité humaine en lui n’est pas un mensonge. "

Il faut reconnaître néanmoins que ces passions ne se trouvaient pas dans le Christ de la même manière qu’en nous, selon une triple différence.

1° Sous le rapport de leur objet : les passions nous portent la plupart du temps vers des biens illicites, ce qui ne pouvait se produire dans le Christ.

2° Sous le rapport de leur principe : nos passions devancent souvent le jugement de la raison, tandis que, dans le Christ, tous les mouvements de l’appétit sensible naissaient sous le contrôle de la raison. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Ces mouvements, le Christ les a accueillis quand il l’a voulu, en vertu d’un plan très précis, de même qu’il est devenu homme quand il l’a voulu. "

3° Sous le rapport de leur effet : en nous il arrive que les mouvements passionnels ne se cantonnent pas dans l’appétit sensible, mais qu’ils entraînent la raison. Cela ne se produit pas chez le Christ. Il maîtrisait les mouvements de la nature charnelle de telle sorte qu’ils demeuraient dans l’appétit sensible sans entraver d’aucune manière le droit usage de la raison. Et c’est ce que dit S. Jérôme : " Notre Seigneur, pour montrer qu’il était devenu homme véritable, a éprouvé véritablement de la tristesse ; mais, parce que cette passion ne dominait pas son âme, il est dit seulement dans l’Évangile qu’il commença à s’attrister, comme s’il s’agissait plutôt d’une pro-passion. " D’après ce texte, la passion proprement dite serait donc celle qui domine l’esprit, c’est-à-dire la raison ; la pro-passion, c’est la passion qui, commencée dans l’appétit sensible, ne s’étend pas au-delà.

Solutions :

1. L’âme du Christ, surtout par la puissance divine, pouvait résister aux passions et les empêcher de dominer. Mais, de sa propre volonté, le Christ consentait à les subir, tant dans son corps que dans son âme.

2. Cicéron se range ici à l’opinion des stoïciens qui ne donnaient pas le nom de passions à tous les mouvements de l’appétit sensible, mais seulement à ceux qui étaient désordonnés. Il est bien évident que des passions de ce genre ne se trouvaient pas chez le Christ.

3. Les " passions pécheresses " sont des mouvements de l’appétit sensible inclinant aux actions illicites. Il ne peut pas en être question à propos du Christ, pas plus que du foyer du péché.

 

            Article 5 — Y a-t-il eu chez le Christ de la douleur sensible ?

Objections :

1. S. Hilaire écrit : " Puisque mourir pour le Christ, c’est vivre, pourquoi s’imaginer que dans le mystère de sa mort, il a éprouvé de la douleur, lui qui donne la vie en récompense à ceux qui meurent pour lui ? " Et plus loin : " Le Fils unique de Dieu s’est fait homme véritable sans cesser d’être Dieu : frappé de coups, accablé de blessures, chargé de chaînes, suspendu à la croix, tout cela le faisait sans doute pâtir du choc reçu, mais sans lui faire éprouver de douleur. " Le Christ n’a donc pas éprouvé de véritable douleur.

2. C’est le propre de la chair conçue dans le péché, que d’être soumise à la nécessité de la douleur. Mais la chair du Christ n’a pas été conçue avec le péché, puisqu’elle a été conçue du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge. Elle n’a donc pas été soumise à la nécessité de connaître la douleur.

3. La jouissance que l’on éprouve à contempler les choses divines diminue le sentiment de la douleur : c’est ainsi que la considération de l’amour divin, chez les martyrs soumis aux supplices, rendait leur douleur plus tolérable. Or l’âme du Christ jouissait souverainement de la contemplation de Dieu, dont elle voyait l’essence, comme on l’a dit plus haut. Elle ne pouvait donc pas éprouver de douleur.

En sens contraire, nous lisons dans Isaïe (53, 4) : ". Il a véritablement porté nos douleurs. "

Réponse :

Comme il ressort de ce que nous avons dit dans la deuxième Partie, pour qu’il y ait véritablement douleur sensible, il faut une lésion du corps, et le sentiment de cette lésion. Or le corps du Christ pouvait subir une lésion, étant passible et mortel, nous l’avons dit plus haut. D’autre part, le sentiment de cette lésion ne pouvait lui faire défaut, puisque son âme était en possession parfaite de toutes ses puissances naturelles. Sans aucun doute par conséquent, le Christ a véritablement éprouvé de la douleur.

Solutions :

1. Dans le passage cité et d’autres semblables, S. Hilaire n’entend pas exclure de la chair du Christ la vérité de la douleur, mais seulement sa nécessités. Aussi, après les paroles que nous avons rapportées, ajoute-t-il : " Ce n’est pas parce qu’il avait faim ou soif, ou parce qu’il pleurait que le Seigneur s’est montré en train de boire, de manger ou de s’affliger, mais c’était afin de prouver la réalité de son corps ; il s’est plié aux habitudes du corps, en leur donnant satisfaction, conformément à notre nature. Autrement dit, lorsqu’il a pris de la boisson ou de la nourriture, il n’a pas cédé à une nécessité corporelle, mais à la manière de faire habituelle. " Et en parlant de nécessité, l’auteur se réfère ici à la cause première de ces déficiences, qui est le péché, comme nous l’avons dite, ce qui revient à dire que la chair du Christ n’a pas été soumise nécessairement à ces déficiences, du fait qu’elle n’a pas connu le péché. C’est pourquoi S. Hilaire ajoute : " Le Christ a possédé un corps avec une origine propre ; son existence ne lui vient pas d’une conception humaine viciée, mais c’est de la vertu de sa propre puissance qu’il subsiste en la forme de notre corps. " Néanmoins, si l’on considère la cause prochaine de ces déficiences, qui est le rassemblement d’éléments contraires, il faut reconnaître que la chair du Christ s’y est trouvée soumise nécessairement.

2. La chair conçue dans le péché est soumise à la douleur non seulement par le déterminisme de ses principes naturels, mais encore par la nécessité que crée la responsabilité du péché. Or cette nécessité ne se trouve pas chez le Christ, mais seulement le déterminisme des principes naturels.

3. Comme on l’a dit. par une dispensation de la puissance divine du Christ, la béatitude était contenue et, ne rejaillissant pas sur le corps, ne lui enlevait pas la possibilité ni la mortalité. Pour la même raison, la jouissance de la contemplation était contenue dans l’esprit, et ne s’écoulait pas vers les puissances sensibles, ce qui les aurait préservées de la douleur.

 

            Article 6 — Y a-t-il eu chez le Christ de la tristesse ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y a pas eu en lui de tristesse, selon Isaïe (42, 4 Vg) " Il ne sera ni triste ni turbulent. "

2. On lit dans les Proverbes (12, 21 Vg) " Aucun malheur ne contristera le juste. " Et les stoïciens en donnaient cette raison que l’on ne s’attriste que de la perte de ses biens ; or, le juste ne regarde comme ses biens propres que la justice et la vertu, qu’il ne peut pas perdre. Car il serait soumis à la fortune, s’il s’attristait de la perte des richesses. Mais le Christ fut souverainement juste, selon Jérémie (23, 6) : " Voici le nom qu’on lui donnera : le Seigneur, notre juste. " Donc il n’y a pas eu de tristesse chez le Christ.

3. Le Philosophe dit que toute tristesse est un mal, qu’il faut fuir. Mais dans le Christ il n’y avait pas de mal, ni rien qui dût être évité. Il n’y avait donc pas en lui de tristesse.

4. S. Augustin écrit : " La tristesse a pour objet les choses qui nous arrivent contre notre volonté. " Mais le Christ n’a rien souffert qu’il n’ait voulu ; il est dit en effet dans Isaïe (53, 7) : " Il s’est offert, parce qu’il l’a voulu. " Le Christ n’a donc pas connu la tristesse.

En sens contraire, nous lisons (Mt 26, 38) cette parole du Seigneur : " Mon âme est triste jusqu’à la mort. " Et Ambroise écrit : " Comme homme, il a éprouvé de la tristesse, car il s’est chargé de ma tristesse. C’est avec confiance que je parle de tristesse, moi qui prêche la croix. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit, par une dispensation de la puissance divine, la jouissance de la contemplation de Dieu était contenue dans l’esprit du Christ et, ne rejaillissant pas sur les puissances sensibles, ne les préservait pas de la douleur. Or la tristesse, comme la douleur sensible, se trouve dans l’appétit sensible ; elle a seulement un motif ou un objet différent. L’objet et le motif de la douleur, c’est la lésion perçue par le sens du toucher, comme il arrive lorsque l’on est blessé. L’objet et le motif de la tristesse, c’est un dommage ou un mal appréhendé intérieurement soit par la raison, soit par l’imagination, comme nous l’avons montré dans la deuxième Partie ; c’est ainsi que l’on s’attriste d’avoir perdu une protection ou de l’argent.

Or, l’âme du Christ pouvait appréhender intérieurement un objet comme constituant un dommage soit pour elle-même, comme sa passion et sa mort ; soit pour les autres, comme les péchés de ses disciples ou des juifs qui le mirent à mort. De même que le Christ pouvait éprouver une véritable douleur, de même il pouvait éprouver une véritable tristesse. Il y avait cependant de ce point de vue entre lui et nous cette triple différence que nous avons déjà signalées en parlant de la possibilité du Christ en général.

Solutions :

1. La tristesse doit être écartée du Christ, comme passion proprement dite ; il n’y avait en lui qu’un commencement de tristesse, une pro-passion. C’est pourquoi il est dit dans S. Matthieu (26, 37) : " Il commença à éprouver de la tristesse et de l’angoisse. " Et, comme l’écrit S. Jérôme : " Autre chose est de s’attrister, autre chose de commencer à s’attrister. "

2. Selon S. Augustin : " A la place des trois perturbations de l’âme (le désir, le plaisir et la crainte), les stoïciens plaçaient dans l’âme du sage trois passions bonnes ; à la place du désir, la volonté ; à la place du plaisir, la joie ; à la place de la crainte, la prudence. Mais à la place de la tristesse, ils prétendaient qu’il ne pouvait rien y avoir dans l’âme du sage, car la tristesse a pour objet le mal déjà survenu ; or ils estimaient qu’aucun mal ne pouvait arriver au sage ". Car ils ne pensaient pas qu’il y eût d’autre bien que le bien honnête, qui rend les hommes bons ; ni d’autre mal que le mal déshonnête, qui rend les hommes mauvais.

Sans doute, le bien honnête est le plus grand bien de l’homme, et le mal déshonnête est son plus grand mal, car ils se rapportent à la raison qui est la partie principale de son être. Néanmoins il y a pour l’homme des biens secondaires, relatifs à son corps, ou aux choses extérieures qui lui sont utiles. Sous ce rapport, l’âme du sage peut éprouver de la tristesse dans l’appétit sensible, par l’appréhension de maux sensibles, pourvu que cette tristesse ne trouble pas sa raison. En ce sens, on comprend qu’" aucun malheur ne contristera le juste ", car aucun accident n’est capable de troubler sa raison. Et c’est de cette manière que la tristesse pouvait se trouver dans le Christ, à titre de pro-passion, non à titre de passion.

3. Toute tristesse est un mal de peine ; mais elle n’est un mal de faute que lorsqu’elle procède d’une affectivité désordonné. Aussi S. Augustin écrit-il " Si ces affections suivent la droite raison, et si l’on en fait usage au temps et au lieu voulus, qui donc oserait les qualifier de passions morbides ou vicieuses ? "

4. Rien ne s’oppose à ce qu’un objet qui en lui-même contrarie la volonté, soit cependant voulu en raison de la fin à laquelle il est ordonné ; ainsi une médecine amère n’est pas voulue pour elle-même, mais pour obtenir la santé. C’est de cette manière que la mort et la passion, considérées en elles-mêmes, furent involontaires chez le Christ et lui causèrent de la tristesse ; ce qui ne les empêcha pas d’être voulues pour obtenir la rédemption du genre humain.

 

            Article 7 — Y a-t-il eu chez le Christ de la crainte ?

Objections :

1. On lit dans les Proverbes (28, 1 Vg) - " Le juste possédera l’assurance d’un lion ; il sera sans terreur. " Mais le Christ fut souverainement juste. Donc il n’y a eu aucune crainte chez lui.

2. S. Hilaire écrit " je le demande à ceux qui pensent ainsi : Serait-il raisonnable que le Christ ait craint la mort, lui qui, après avoir détruit chez ses Apôtres toute crainte de la mort, les a exhortés à la gloire du martyre ? "

3. La crainte semble avoir pour seul objet le mal que l’homme ne peut éviter. Mais le Christ pouvait éviter et le mal de peine qu’il a souffert, et le mal de faute qui affecte les autres hommes. Il n’y a donc pas eu de crainte chez le Christ.

En sens contraire, on lit en S. Marc (14, 33) : " Jésus commença à éprouver de la crainte et de l’angoisse. "

Réponse :

De même que la tristesse est produite par la connaissance du mal présent, de même la crainte est produite par la connaissance d’un mal futur. Cependant la connaissance d’un mal futur qui se présente avec une certitude absolue n’engendre pas la crainte. Le Philosophe dit que la crainte n’existe que là où l’on espère échapper au mal ; car, lorsqu’il n’y a aucun espoir d’y échapper, le mal est connu comme présent, et ainsi il cause de la tristesse plus que de la crainte.

Ainsi la crainte peut être envisagée à deux points de vue. Selon le premier, l’appétit sensible s’oppose à toute atteinte corporelle : par la tristesse si elle est présente, et par la crainte si elle est future. A ce point de vue, on peut dire que le Christ a eu de la crainte, aussi bien que de la tristesse.

En second lieu, on peut envisager l’incertitude de l’événement futur ; c’est ainsi que la nuit un bruit insolite nous fait peur parce que nous n’en connaissons pas l’origine. En ce sens, dit le Damascène, le Christ n’a pas éprouvé de crainte.

Solutions :

1. On dit que le juste est " sans crainte " en ce que la terreur implique une véritable passion, qui détourne l’homme du bien raisonnable. Or la crainte ne se trouvait pas ainsi chez le Christ, mais sous la forme d’une propassion. C’est pourquoi l’évangile dit que Jésus " commença à éprouver de la crainte et de l’angoisse ", signifiant par là, explique S. Jérôme, qu’il s’agit d’une pro-passion.

2. S. Hilaire exclut chez le Christ la crainte comme il exclut la tristesse, quant à leur nécessité.

Mais afin de manifester la vérité de sa nature humaine, le Christ a ressenti volontairement de la crainte et aussi de la tristesse.

3. Le Christ pouvait, par sa puissance divine, éviter les maux qui le menaçaient ; mais ils étaient inévitables, ou difficilement évitables, à cause de la faiblesse de sa chair.

 

            Article 8 — Y a-t-il eu chez le Christ de l’étonnement ?

Objections :

1. Le Philosophe enseigne que l’étonnement est produit par un effet dont on ignore la cause : ainsi l’étonnement vient de l’ignorance. Mais le Christ n’ignorait rien, on l’a montré.

2. S. Jean Damascène, écrit : " L’étonnement est une crainte produite par une forte imagination " et d’après le Philosophe, " le magnanime ne s’étonne de rien ". Le Christ, qui fut souverainement magnanime, n’a donc pas eu d’étonnement.

3. Nul ne s’étonne de ce qu’il peut faire lui-même. Mais le Christ pouvait réaliser les plus grandes choses. Il ne pouvait donc s’étonner de rien.

En sens contraire, on lit (Mt 8, 10) : " Jésus, entendant " les paroles du centurion " fut dans l’étonnement ".

Réponse :

L’étonnement a pour objet propre quelque chose de nouveau et d’insolite. Or, chez le Christ, il ne pouvait rien y avoir de nouveau ni d’insolite pour sa science divine, ni pour sa science humaine, par laquelle il connaît les réalités dans le Verbe, ou par laquelle il les connaît par des espèces infuses. Mais il a pu rencontrer du nouveau et de l’insolite selon sa science expérimentale, qui lui permettait de rencontrer chaque jour du nouveau.

Par conséquent au point de vue de la science divine, de la science bienheureuse, ou de la science infuse du Christ, il n’y a pas eu chez lui d’étonnement. Mais il n’en est pas de même pour sa science expérimentale : avec celle-ci, il a pu connaître l’étonnement. Et il a assumé cette déficience pour nous instruire, et pour nous apprendre à nous étonner de ce qui l’étonnait lui-même. Aussi S. Augustin écrit-il : " L’étonnement du Seigneur signifie qu’il faut nous étonner, nous aussi, car nous en avons encore besoin. De tels mouvements ne sont donc pas chez lui le signe d’une perturbation de l’âme, mais font partie de l’enseignement du Maître. "

Solutions :

1. Le Christ n’ignorait rien ; pourtant quelque chose de nouveau pouvait devenir l’objet de sa science expérimentale et produire en lui de l’étonnement.

2. Le Christ s’étonnait de la foi du centurion, non pas qu’elle fût quelque chose de grand par rapport à lui-même, mais par rapport aux autres.

3. Le Christ pouvait tout faire par sa puissance divine ; de ce point de vue, rien ne pouvait l’étonner. Mais il était capable d’éprouver l’étonnement selon sa science humaine expérimentale, nous venons de le dire.

 

            Article 9 — Y a-t-il eu chez le Christ de la colère ?

Objections :

1. Il est écrit (Jc 1, 20) : " La colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu. " Mais il n’y avait rien dans le Christ qui n’appartînt à la justice de Dieu, car lui-même " par Dieu est devenu pour nous justice " (1 Co 1, 30). Il semble donc qu’il n’a pas dû y avoir de la colère chez le Christ.

2. La colère est opposée à la mansuétude, ainsi que le prouve Aristote. Mais le Christ fut plein de mansuétude. Il n’a donc pas éprouvé de colère.

3. S. Grégoire dit que " la colère causée par le péché aveugle l’œil de l’esprit, tandis que la colère causée par le zèle le trouble ". Mais dans le Christ, le regard de l’esprit ne fut jamais aveuglé ou troublé. Ni le péché ni le zèle n’ont donc poussé le Christ à la colère.

En sens contraire, on lit en S. Jean (2, 17) qu’il a réalisé la prophétie du Psaume (69, 10) " Le zèle de ta maison me dévore. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit dans la deuxième Partie, la colère est un effet de la tristesse ; car, lorsque l’on cause de la tristesse à quelqu’un, celui-ci éprouve, dans sa partie sensible, le désir de repousser l’injustice commise, que celle-ci s’adresse à lui ou à d’autres. Ainsi la colère est-elle une passion composée de tristesse et de désir de vengeance. Or nous avons vu que le Christ pouvait éprouver de la tristesse. Quant au désir de vengeance, il peut quelquefois s’accompagner de péché, quand on cherche à se venger d’une manière déraisonnable. En ce sens, le Christ n’a pu connaître la colère, car une telle colère est celle qu’on appelle " colère provoquée par le vice ". Mais il peut y avoir aussi un désir de vengeance qui non seulement est sans péché, mais qui est digne de louange ; c’est le cas du désir qui se conforme à l’ordre de la justice, et qu’on appelle " colère provoquée par le zèle ". S. Augustin a écrit est en effet " Il est dévoré du zèle de la maison de Dieu, celui qui désire corriger tout le mal qu’il voit, et qui, lorsqu’il ne peut le corriger, le tolère en gémissant. " Telle fut la colère du Christ.

Solutions :

1. Comme le remarque S. Grégoire, la colère chez l’homme se présente sous une double forme. Tantôt elle surprend la raison et l’entraîne avec elle dans l’action ; et alors on peut dire que la colère " opère ", car l’opération s’attribue à l’agent principal. A ce point de vue l’on comprend que " la colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu ". Tantôt la colère suit la raison et devient comme son instrument. Et alors l’opération qui a pour objet la justice ne s’attribue pas à la colère, mais à la raison.

2. La colère qui transgresse l’ordre de la raison est opposée à la mansuétude ; mais non la colère qui est modérée et maintenue par la raison dans un juste milieu, car ce juste milieu, c’est précisément la mansuétude.

3. Chez nous, dans l’ordre naturel, les puissances de l’âme se gênent naturellement si bien que, lorsque l’opération d’une puissance est intense, l’opération d’une autre puissance s’affaiblit. Cela explique que le mouvement de la colère, même lorsqu’il est mesuré selon la raison brouille plus ou moins le regard de l’âme en contemplation. Mais dans le Christ, par la modération venant de la puissance divine, il était permis à chaque puissance d’exercer son activité propre, si bien qu’aucune puissance n’était paralysée par une autre. C’est pourquoi, de même que la délectation de l’âme en train de contempler n’entravait pas la tristesse ou la douleur des facultés inférieures, de même les passions de celles-ci ne mettaient aucun obstacle à l’activité de la raison.

 

            Article 10 — Le Christ a-t-il été à la fois voyageur et compréhenseur ?

Objections :

1. Il appartient au voyageur de se mouvoir vers la fin de la béatitude ; et au compréhenseur il appartient de se reposer dans cette fin. Mais il est impossible à un même sujet de se mouvoir vers une fin et en même temps de se reposer en elle. Donc il était impossible que le Christ soit en même temps voyageur et compréhenseur.

2. Se mouvoir vers la béatitude, ou l’obtenir ne concerne pas le corps, mais l’âme. Aussi S. Augustin dit-il : " Ce qui rejaillit de l’âme sur la nature inférieure qui est le corps, ce n’est pas la béatitude, (car celle-ci est propre à ce qui, en nous, jouit et comprend), mais c’est la plénitude de la santé, la vigueur indestructible. " Or le Christ, tout en ayant un corps passible, jouissait pleinement de Dieu dans son esprit. Donc il n’était pas voyageur, mais uniquement compréhenseur.

3. Les saints, dont les âmes sont au ciel et les corps au tombeau, jouissent dans leur âme de la béatitude, bien que leurs corps demeurent soumis à la mort. pourtant on ne les appelle pas voyageurs, mais seulement compréhenseurs. Pour la même raison, bien que le corps du Christ fût mortel, il semble, puisque son esprit jouissait de Dieu, qu’il fut seulement compréhenseur et nullement voyageur.

En sens contraire, il est écrit (Jr 14, 8) " Pourquoi seras-tu comme un étranger sur la terre et comme un voyageur qui fait un détour pour t’arrêter ? "

Réponse :

On est appelé " voyageur " lorsque l’on tend vers la béatitude ; on est dit compréhenseur lorsqu’on l’a déjà saisie, selon S. Paul : " Courez afin de saisir (comprehendere) le prix " (1 Co 9, 24) ; et : " Je poursuis ma course afin de saisir " (Ph 3, 12). Or la béatitude parfaite réside dans l’âme et dans le corps, comme nous l’avons établi dans la deuxième Partie. Celle de l’âme, quant à ce qui lui est propre, qui lui fait voir Dieu et jouir de lui. Celle du corps, selon que celui-ci " ressuscitera corps spirituel, dans la puissance, la gloire et l’incorruptibilité " (1 Co 15, 42).

Or le Christ, avant la Passion, voyait pleinement Dieu par son esprit ; ainsi possédait-il la béatitude en ce qui est propre à l’âme. Quant au reste, cela manquait à la béatitude, parce que son âme était passible, son corps était passible et mortel, comme nous l’avons montré plus haut. C’est pourquoi il était en même temps compréhenseur, parce qu’il possédait la béatitude propre à l’âme, et voyageur parce que, pour tout le reste qui manquait à la béatitude, il tendait vers celle-ci.

Solutions :

1. Il est impossible de se mouvoir vers une fin et de se reposer en elle sous le même rapport. Mais cela est possible sous des rapports différents ; ainsi un homme peut en même temps connaître ce qu’il sait déjà, et apprendre ce qu’il ne sait pas encore.

2. La béatitude, dans l’âme, siège proprement et de façon primordiale dans l’esprit. Mais à titre secondaire et comme instrumental, les biens du corps sont nécessaires à la béatitude, selon Aristote pour qui les biens extérieurs contribuent à la béatitude à titre d’instruments.

3. La comparaison entre les âmes des saints et le Christ est sans valeur pour deux motifs. D’abord les âmes des saints ne sont pas passibles, comme était l’âme du Christ. Ensuite parce que leur corps ne font rien pour tendre à la béatitude, alors que le Christ, par ses souffrances corporelles, tendait à la béatitude, quant à la gloire de son corps.

Il faut maintenant étudier les conséquences de l’union hypostatique : 1° Ce qui convient au Christ lui-même (Q. 16-19). - 2° Ce qui convient au Christ par rapport à Dieu le Père (Q. 20-24). - 3° Ce qui convient au Christ par rapport à nous (Q. 25-26).

Sur ce qui convient au Christ lui-même, nous étudierons : I. Ce qui lui convient selon l’être et le devenir (Q. 16). II. Ce qui lui convient en raison de son unité (Q. 17-19).

 

 

QUESTION 16 — LES CONSÉQUENCES DE L’UNION HYPOSTATIQUE POUR CE QU’ON PEUT ATTRIBUER AU CHRIST SELON L’ÊTRE ET LE DEVENIR

1. Est-il vrai de dire : " Dieu est homme " ? - 2. Est-il vrai de dire : " L’homme est Dieu " ? - 3. Le Christ peut-il être appelé " homme du Seigneur " ? - 4. Ce qui convient au Fils de l’homme peut-il être attribué à la nature divine, et inversement ? - 5. Ce qui convient au Fils de l’homme peut-il être attribué au Fils de Dieu, et ce qui convient au Fils de Dieu, à la nature humaine ? - 6. Est-il vrai de dire : " Le Fils de Dieu a été fait homme " ? - 7. Est-il vrai de dire " L’homme a été fait Dieu " ? - 8. Est-il vrai de dire : " Le Christ est une créature " ? 9. Est-il vrai de dire du Christ : " Cet homme a commencé d’exister " ? - 10. Est-il vrai de dire : " Le Christ, en tant qu’homme, est une créature " ? - 11. Est-il vrai de dire : " Le Christ, en tant qu’homme, est Dieu " ? - 12. Est-il vrai de dire : " le Christ, en tant qu’homme, est une hypostase ou personne " ?

 

            Article 1 — Est-il vrai de dire — " Dieu est homme " ?

Objections :

1. Toute proposition affirmative qui unit deux termes éloignés est fausse. Or, c’est le cas de cette proposition, parce que les formes signifiées par le sujet et le prédicat sont éloignées au maximum. Donc, puisque la proposition en question est affirmative, il apparent qu’elle est fausse.

2. Trois personnes divines ont plus de proximité entre elles que la nature divine et la nature humaine. Or, dans le mystère de la Trinité, on n’attribue pas une personne à une autre : nous ne disons pas que le Père est le Fils, ou réciproquement. Il apparaît donc que l’on ne peut pas attribuer à Dieu la nature humaine en disant " Dieu est homme. "

3. S. Athanase dit : " De même que l’âme raisonnable et le corps font un homme, de même Dieu et l’homme font un Christ. " Mais cette proposition : " L’âme est le corps " est fausse, donc également : " Dieu est homme. "

4. Comme on l’a établi dans la première Partie ce que l’on attribue à Dieu d’une façon non pas relative mais absolue convient à toute la Trinité et à chacune des personnes. Or, le mot " homme " n’est pas relatif, mais absolu. Donc si on l’attribue véritablement à Dieu, il s’ensuivra que toute la Trinité est un homme, et aussi chaque personne. Ce qui est évidemment faux.

En sens contraire, il est écrit (Ph 2, 6). " Lui, de condition divine, s’anéantit, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes et se comportant comme un homme. " Ainsi, celui qui est de condition divine est un homme. Mais celui qui est de condition divine est Dieu. Donc Dieu est homme.

Réponse :

Cette proposition : " Dieu est homme " est acceptée par tous les chrétiens ; cependant elle n’est pas entendue par tous dans le même sens. Quelques-uns l’acceptent en effet, mais non pas en propriété de termes. Les manichéens disent que le Verbe de Dieu est un homme, non véritablement, mais par métaphore en tant qu’il aurait assumé un corps irréel ; ainsi peut-on dire qu’il est homme comme on le dit d’une statue de bronze qui a la figure d’un homme. Pareillement, ceux pour qui, dans le Christ, l’âme et le corps n’étaient pas unis, ne peuvent dire que Dieu est un homme véritable, mais qu’on l’appelle homme à cause de son apparence, en raison des parties qui le constituent. Mais ces deux opinions ont été désapprouvées plus haut.

D’autres, à l’opposé, soutiennent la réalité du côté de l’homme, mais la nient du côté de Dieu. Car ils affirment que le Christ, Dieu et homme, est Dieu non par nature mais de façon participée, c’est-à-dire par la grâce, de même qu’on appelle tous les saints hommes des dieux. Mais ils accordent plus d’excellence au Christ, à cause de sa grâce plus abondante. Ainsi lorsqu’on dit : " Dieu est homme ", le terme " Dieu " ne représente pas le vrai Dieu dans sa nature propre. Et c’est l’hérésie de Photin, que nous avons déjà réfutée

Mais d’autres acceptent cette proposition en accordant à ses deux termes leur sec -, réaliste, ils affirment que le Christ est vrai Dieu et vrai homme ; cependant, ils ne sauvegardent pas la vérité de l’attribution. Ils disent en effet que " homme " est attribué à Dieu à cause d’un certain lien : de dignité, d’autorité, ou encore d’affection et d’habitation. C’est en ce sens que Nestorius admettait que Dieu soit homme. Mais de telle façon que Dieu serait uni à l’homme par une union qui ferait que Dieu habite en lui et lui serait uni, par l’amour et par une participation de l’autorité et de la gloire divines.

Ils se trompent pareillement, tous ceux qui mettent dans le Christ deux hypostases ou deux suppôts. Parce qu’il est impossible de concevoir que, de deux réalités distinctes au point de vue du suppôt ou hypostase, l’une soit attribuée à l’autre en propriété de termes ; ce n’est possible que par métaphore et pour autant qu’il y a entre elles un certain lien ; ainsi disons-nous que Pierre est Jean,parce qu’une certaine liaison les réunit. Et ces opinions, elles aussi, ont été réfutées plus haute.

C’est pourquoi, en professant selon la vraie foi catholique que la véritable nature divine s’est unie à une nature humaine véritable, non seulement dans la personne mais aussi dans le suppôt ou hypostase, nous disons que cette proposition : " Dieu est homme " est vraie en propriété de termes, non seulement à cause de la vérité des termes, c’est-à-dire que le Christ est vrai Dieu et vrai homme -, mais encore à cause de la vérité de cette attribution. Car le mot qui signifie une nature commune au concret peut représenter n’importe lequel des êtres englobés dans cette nature commune ; ainsi le mot " homme " peut représenter tout individu humain. Et ainsi le mot " Dieu ", étant donné son mode de signification, peut représenter la personne du Fils de Dieu, comme nous l’avons montré dans la première Partie. Et d’autre part, on peut vraiment et proprement attribuer à tout suppôt d’une nature quelconque le nom qui représente cette nature au concret, attribuer par exemple le nom d’homme à Socrate et à Platon. Donc, puisque la personne du Fils de Dieu est suppôt de la nature humaine, on peut attribuer vraiment au sens propre le mot " homme " au mot " Dieu " pour autant que celui-ci représente la personne du Fils.

Solutions :

1. Quand deux formes diverses ne peuvent se rejoindre dans un seul et même suppôt, la proposition que l’on établit alors est nécessairement en matière éloignée, le sujet signifiant l’une de ces formes, et le prédicat l’autre forme. Mais quand deux formes peuvent se rejoindre dans un seul et même suppôt, la matière de la proposition n’est pas éloignée, mais naturelle, ou contingente, comme lorsque je dis : " Ce qui est blanc est musicien. " Or la nature divine et la nature humaine, bien qu’extrêmement éloignées, se rejoignent par le mystère de l’Incarnation en un seul suppôt, auquel ni l’une ni l’autre n’est unie par accident, mais par elle-même. Et c’est pourquoi cette proposition : " Dieu est homme " ne concerne ni une matière éloignée ni une matière contingente, mais une matière naturelle. Et le prédicat " homme " n’est pas attribué à Dieu par accident, mais par soi, comme il le serait à la personne divine elle-même ; non pas que l’attribut convienne au sujet en raison de la forme signifiée par le mot " Dieu ", mais en raison du suppôt, qui est l’hypostase d’une nature humaine.

2. Les trois personnes divines se rejoignent dans la nature, mais se distinguent par leur suppôt, et c’est pourquoi on ne peut attribuer l’une à l’autre. Mais dans le mystère de l’Incarnation, les natures, parce qu’elles sont distinctes, ne peuvent être attribuées l’une à l’autre sous leur forme abstraite ; en effet, la nature divine n’est pas la nature humaine. Mais, parce qu’elles sont unies dans un même suppôt, l’attribution peut se faire réciproquement de manière concrète.

3. L’âme et la chair ont une signification abstraite, comme la divinité et l’humanité. Au concret, on parle d’" animé " et de " charnel ", comme on dit " Dieu " et " homme ". L’attribution d’un terme abstrait à un autre n’est pas possible, mais seule l’attribution concrète est légitime.

4. Le mot " homme " est attribué à Dieu en raison de l’union dans la personne, et cette union implique une relation. De là vient que la règle des noms absolus, attribués à Dieu de toute éternité, ne s’applique pas ici.

 

            Article 2 — Est-il vrai de dire " L’homme est Dieu " ?

Objections :

1. Le nom de Dieu est incommunicable, et l’Écriture (Sg 14, 21) reproche aux idolâtres de " donner à des morceaux de bois et à des pierres ce nom incommunicable ". Pour la même raison, il semble inadmissible d’attribuer ce nom à l’homme.

2. Tout ce qui est attribué au prédicat est attribué au sujet. Or il est vrai de dire : " Dieu est Père ", ou : " Dieu est Trinité. " Et s’il est vrai de dire : " L’homme est Dieu ", il semble qu’il sera aussi vrai de dire : " L’homme est le Père ", ou : " L’homme est la Trinité. " Mais ces propositions sont fausses, donc la première aussi.

3. Dans le Psaume (81, 10 Vg), il est écrit : " Il n’y aura pas chez toi de dieu nouveau. " Mais l’homme est quelque chose de récent, car le Christ n’a pas toujours été un homme. Donc la proposition : " L’homme est Dieu " est fausse.

En sens contraire, il est écrit (Rm 9, 5) " C’est d’eux (les Israélites) que le Christ est issu selon la chair, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement! " Or, selon la chair, le Christ est homme. Il est donc vrai de dire : " L’homme est Dieu. "

Réponse :

Une fois posée la vérité des deux natures, divine et humaine, et leur union dans la personne et l’hypostase, cette proposition : " L’homme est Dieu " est vraie en propriété de termes comme celle-ci : " Dieu est homme. " En effet, ce mot " homme " peut représenter toute hypostase de la nature humaine, et ainsi peut-il représenter la personne du Fils de Dieu, que nous affirmons être l’hypostase de la nature humaine. Or, il est évident que le mot " Dieu " peut être véritablement et proprement attribué à la personne du Fils, comme nous l’avons démontré dans la première Partie. Il reste donc que cette proposition est vraie en propriété de termes : " L’homme est Dieu. "

Solutions :

1. Les idolâtres attribuent le nom de la déité à des pierres et à des morceaux de bois considérés dans leur nature propre parce qu’ils mettaient en eux quelque chose de divin. Quant à nous, nous n’attribuons pas la divinité à l’homme en raison de sa nature humaine, mais seulement parce que le suppôt éternel se trouve être, du fait de l’union, suppôt de la nature humaine, comme nous venons de le dire.

2. Le mot " Père " est attribué au mot " Dieu " parce que " Dieu " représente ici la personne du Père. En ce sens, on ne l’attribue pas à la personne du Fils, car la personne du Fils n’est pas la personne du Père. On ne doit donc pas attribuer le mot " Père " au mot " homme ", puisque ce dernier terme représente ici la personne du Fils.

3. Bien que la nature humaine soit, dans le Christ, quelque chose de nouveau, le suppôt de cette nature n’est pas nouveau, il est éternel. Et puisque le mot " Dieu " n’est pas attribué à l’homme en raison de la nature humaine, mais en raison du suppôt, il ne s’ensuit pas que nous posions un dieu nouveau. Ce serait vrai si nous ans que " l’homme ", dans le Christ, représente un suppôt créé, comme sont obligés de le dire ceux qui placent en lui deux suppôts.

 

            Article 3 — Le Christ peut-il être appelé " homme du Seigneur " ?

Objections :

1. Il semble que le Christ peut être appelé homo dominicus : " homme du Seigneur ". En effet, S. Augustin affirmer : " Il faut espérer ces biens qui existaient chez cet homme du Seigneur. " Or il parle du Christ, qui est donc " homme du Seigneur ".

2. De même que la seigneurie (dominium) convient au Christ en raison de sa nature divine, de même l’humanité convient à la nature humaine. Mais on dit de Dieu qu’il est " hominisé ", comme on le voit chez le Damascène appelant " hominisation ce qui montre l’union à l’homme ". Donc, au même titre, on peut dire pour désigner le Christ qu’il est " l’homme du Seigneur ".

3. Dominicus dérive de Dominus (Seigneur comme divinus dérive de Deus. Mais Denys nomme le Christ : " le très divin Jésus ". On peut donc au même titre dire que le Christ est l’homme du Seigneur.

En sens contraire, S. Augustin déclare dans le livre de ses Révisions : " je ne vois pas s’il est juste d’appeler homo dominicus (homme du Seigneur) Jésus Christ, puisqu’il est vraiment le Seigneur. "

Réponse :

Nous l’avons dit à l’article précédent, quand nous parlons de " l’homme qui est le Christ Jésus ", nous désignons un suppôt éternel qui est la personne du Fils de Dieu, à cause du fait que deux natures ont un unique suppôt. Or, les termes " Dieu " et " Seigneur " sont attribués essentiellement à la personne du Fils de Dieu. C’est pourquoi on ne doit pas les lui attribuer sous une forme dérivée, car cela ne satisfait pas à la vérité de l’union. Et, puisque dominicus dérive de Dominus, " Seigneur ", on ne peut pas dire, à proprement parler, que cet homme est " du Seigneur ", mais plutôt qu’il est " le Seigneur ".

Mais si, en parlant de cet homme qui est le Christ Jésus, on désignait un suppôt créé, comme font ceux qui placent deux suppôts dans le Christ, on pourrait dire alors que cet homme est " du Seigneur ", selon ceux qui mettent en lui deux suppôts, en tant que participant des honneurs divins. C’est la position des nestoriens.

En outre, de cette manière on ne dit pas que la nature humaine est essentiellement divine, mais déifiée, non parce qu’elle serait changée en la nature divine, mais par sa conjonction à cette même nature en une seule hypostase, comme le montre bien S. Jean Damascène.

Solutions :

1. S. Augustin a corrigé cette affirmation comme bien d’autre, dans le livre de ses Révisionso, où nous lisons après les paroles citées dans l’objection : " Partout où j’ai employé cette expression " - que le Christ est homo dominicus -, " je voudrais ne l’avoir pas fait. J’ai vu en effet plus tard qu’il ne fallait pas parler ainsi, bien qu’on puisse avancer quelques motifs pour le faire ". On pourrait dire, en effet, que le Christ est " homme du Seigneur " en raison de la nature humaine que signifie le mot " homme ", mais non en raison du suppôt.

2. Ce suppôt unique de la nature divine et de la nature humaine l’est premièrement de la nature divine, puisqu’il l’est éternellement ; puis, dans le temps et du fait de l’Incarnation, il est devenu suppôt de la nature humaine. Pour ce motif, on le dit " hominisé ", non qu’il ait assumé un homme, mais parce qu’il s’est uni une nature humaine. Il n’est pas vrai, inversement, que le suppôt de la nature humaine ait assumé la nature divine ; on ne pourra donc pas dire que l’homme est déifié, ou qu’il est " du Seigneur ".

3. On donne ordinairement l’attribut de " divin " aux réalités qui reçoivent essentiellement pour attribut le mot " Dieu ". En effet, nous disons que l’essence divine est Dieu, pour motif d’identité ; et que l’essence est celle de Dieu, ou qu’elle est divine, à cause des divers modes de signification. Nous parlons du Verbe divin, quoique le Verbe soit Dieu. Et pareillement nous parlons de la personne de Platon, à cause des divers modes de signification. Mais on n’appelle pas " du Seigneur " les réalités auxquelles on attribue le terme de Seigneur.

En effet, on n’a pas coutume d’appeler " du Seigneur " un homme qui est seigneur. Mais tout ce qui lui appartient d’une façon ou d’une autre est appelé " du Seigneur " : on parle de volonté du seigneur, de main du seigneur, de passion du seigneur. C’est pourquoi cet homme qu’est le Christ et qui est Seigneur, ne peut être appelé " du Seigneur ", mais on peut parler de sa chair ou de sa passion comme de la chair du Seigneur, ou de la passion du Seigneur.

 

            Article 4 — Ce qui convient au Fils de l’homme peut-il être attribué au Fils de Dieu, et réciproquement ?

Objections :

1. Il est impossible d’attribuer à un même sujet des réalités opposées. Or les attributs qui appartiennent à la nature humaine sont contraires à ceux qui sont propres à Dieu ; en effet Dieu est incréé, immuable, éternel ; la nature humaine est créée, temporelle et changeante. On ne peut donc attribuer à Dieu ce qui appartient à la nature humaine.

2. Attribuer à Dieu des déficiences, c’est lui enlever l’honneur divin qui lui est dû, ce qui constitue un blasphème. Mais la nature humaine comporte des déficiences, telles que la mort, la souffrance, etc. Or ne peut donc d’aucune manière attribuer à Dieu cc qui convient à la nature humaine.

3. Être assumé convient à la nature humaine, mais non à Dieu. Donc ce qui appartient à, nature humaine ne peut se dire de Dieu.

En sens contraire, S. Jean Damascène, affirme : " Dieu a assumé les propriétés de la chair, car on dit que Dieu est passible, et que le Dieu de gloire a été crucifié. "

Réponse :

Sur cette question il y a eu divergence entre les nestoriens et les catholiques. Les nestoriens voulaient séparer les termes attribués au Christ : ce qui appartient à la nature humaine ne devait pas se dire de Dieu, ni ce qui appartient à la nature divine, se dire de l’homme. Si bien que Nestorius a soutenu : " Si quelqu’un ose attribuer les passions au Verbe de Dieu, qu’il soit anathème. " Mais si certains noms peuvent se rattacher aux deux natures, on les attribuait aux réalités communes aux deux, comme les mots " Christ " ou " Seigneur ". Aussi concédaient-ils que le Christ est né de la Vierge, qu’il a existé de toute éternité, mais ils ne disaient pas que Dieu est né de la Vierge, ni que l’homme ait existé éternellement.

Les catholiques, au contraire, affirmèrent que de tels attributs qui se disent du Christ soit selon la nature divine, soit selon la nature humaine, peuvent se dire aussi bien de Dieu que de l’homme. En ce sens, S. Cyrille a déclaré : " Si quelqu’un partage entre deux personnes ou hypostases les expressions qui se trouvent dans les écrits évangéliques ou apostoliques, ou celles qu’ont employées les saints sur le Christ ou celles qu’il a employées sur lui-même, et s’il rapporte les unes à un homme, et les autres au seul Verbe de Dieu : qu’il soit anathème. "

En voici la raison : puisque les deux natures ont une seule hypostase, c’est celle-ci qui est représentée par le nom de l’une et l’autre nature ; et donc, que l’on emploie le mot " homme " ou le mot " Dieu ", il représente toujours la même hypostase sous le nom d’une nature ou de l’autre. Et c’est pourquoi on peut attribuer à l’homme ce qui appartient à la nature divine, comme concernant l’hypostase de la nature divine ; et à Dieu ce qui appartient à la nature humaine.

Remarquons cependant que, dans une proposition où une réalité est attribuée à une autre, il convient de prêter attention non seulement à la nature du sujet, mais aussi au mode d’attribution. Et, bien que nous ne fassions pas de différence entre, les réalités attribuées au Christ, néanmoins nous distinguons le mode selon lequel elles sont attribuées. Et effet, ce qui appartient à la nature divine est attribué au Christ selon sa nature divine, et ce qui relève de la nature humaine selon sa nature humaine. C’est pourquoi. Augustin écrit : " Distinguons dans les Écritures ce qui, par l’expression, a rapport à la forme divine, et ce qui a rapport à la forme d’esclave. " Et plus loin il ajoute, : " Un lecteur prudent, diligent et pieux saisira la raison et le mode de l’attribution. "

Solutions :

1. Il est impossible d’attribuer des réalités opposées à un même sujet et sous le même rapport, mais non selon des rapports différents. De cette manière on attribue au Christ des réalités contraires non selon le même rapport, mais selon les diverses natures.

2. Attribuer à Dieu des déficiences concernant sa nature divine serait blasphématoire, car ce serait diminuer son honneur ; mais on ne lui fait pas injure si on les lui attribue selon la nature assumée. Aussi dit-on dans un discours au concile d’Éphèse : " Dieu ne regarde pas comme une injure ce qui est occasion de salut pour les hommes ; car aucun des abaissements qu’il a choisi de souffrir pour nous ne fait injure à cette nature qui ne peut être atteinte par les injures. Cela abaisse ce qui nous appartient, afin de sauver notre nature. Donc, quand ces injures sont abjectes et viles, qu’elles ne font aucun tort à la nature divine, mais produisent notre salut, comment peux-tu dire qu’elles occasionnent un outrage envers Dieu ? "

3. Être assumé convient à la nature humaine non en raison du suppôt, mais en raison d’elle-même. Et c’est pourquoi cela ne convient pas à Dieu.

 

            Article 5 — Ce qui convient au Fils de l’homme peut-il être attribué à la nature divine, et réciproquement ?

Objections :

1. Ce qui appartient à la nature humaine s’attribue au Fils de Dieu et à Dieu. Mais Dieu est sa nature ; on peut donc attribuer à la nature divine ce qui appartient à la nature humaine.

2. La chair appartient à la nature humaine. Mais selon S. Jean Damascène : " Nous disons que la nature du Verbe s’est incarnée, selon les bienheureux Athanase et Cyrille. " Il paraît donc que ce qui appartient à la nature humaine, on peut l’attribuer à la nature divine.

3. Ce qui appartient à la nature divine convient à la nature humaine du Christ, comme connaître l’avenir, avoir la puissance de sauver. Il semble donc qu’au même titre, ce qui appartient à la nature humaine peut se dire de la nature divine.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit : " Quand nous parlons de la déité, nous ne lui attribuons pas ce qui est propre à l’humanité ; nous ne disons pas que la déité est passible ou qu’elle peut être créée. " Or la déité, c’est la nature divine. Donc, ce qui appartient à la nature humaine, ne peut être dit de la nature divine.

Réponse :

Les propriétés d’un être ne peuvent vraiment être attribuées qu’à une réalité qui lui soit identique ; c’est ainsi qu’il convient à l’homme seulement de pouvoir rire. Or, dans le mystère de l’Incarnation, la nature divine et la nature humaine ne sont pas identiques ; il n’y a d’identique que l’hypostase des deux natures. C’est pourquoi, quand on prend ces deux natures abstraitement, ce qui appartient à l’une ne peut pas être attribué à l’autre. Au contraire, les noms concrets représentent la nature hypostasiée. Aussi peut-on attribuer indifféremment des noms concrets à ce qui convient aux deux natures ; soit que le nom en question désigne à la fois les deux natures, comme le mot " Christ " qui signifie et la divinité, principe d’onction, et l’humanité qui est ointe ; soit qu’il désigne seulement la nature divine comme le mot " Dieu " ou " Fils de Dieu ", ou seulement la nature humaine comme le mot " homme " ou " Jésus ". De là cette parole du pape S. Léon : " Il importe peu de savoir à partir de quelle nature nous nommons le Christ, car, l’unité de personne demeurant inséparablement, c’est le même qui est tout entier Fils de l’homme en raison de la chair, et tout entier Fils de Dieu en raison de la divinité possédée dans l’unité avec le Père. "

Solutions :

1. En Dieu, personne et nature sont réellement identiques, et en raison de cette identité la nature divine est attribuée au Fils de Dieu. Pourtant les deux mots n’ont pas le même mode de signification, et c’est pour cela qu’on attribue au Fils de Dieu des choses que l’on n’attribue pas à la nature divine ; ainsi nous disons que le Fils de Dieu est engendré, et nous ne le disons pas de la nature divine, comme nous l’avons montré dans la première Partie. De même, dans le mystère de l’Incarnation, nous disons que le Fils de Dieu a souffert, mais nous ne disons pas que la nature divine a souffert.

2. Le mot " incarnation " implique plutôt l’union à la chair qu’une propriété de celle-ci. Or chacune des natures dans le Christ a été unie à l’autre dans la personne et, en raison de cette union, on dit que la nature divine est incarnée, et que la nature humaine est déifiée, comme nous l’avons déjà vu.

3. Ce qui appartient à la nature divine se dit de la nature humaine non pas selon que cela convient essentiellement à la nature divine, mais selon que cela en dérive sur la nature humaine par mode de participation. Ce qui ne peut être participé par la nature humaine, comme d’être incréé ou tout-puissant, ne peut donc lui être attribué en aucune manière. Or la nature divine ne reçoit rien de la nature humaine par mode de participation ; on ne pourra donc rien lui attribuer de ce qui appartient à la nature humaine.

 

            Article 6 — Est-il vrai de dire — " Le Fils de Dieu a été fait homme " ?

Objections :

1. Puisque " homme " désigne une substance, être fait homme est être fait tout court, c’est un devenir absolu. Mais il est faux de dire : " Dieu a été fait. " Donc il est faux de dire : " Dieu a été fait homme. "

2. Être fait homme, c’est subir un changement. Mais Dieu ne peut être soumis au changement, selon cette parole (Mt 3, 6) : " je suis le Seigneur, et je ne change pas. "

3. Le mot homme, attribué au Christ, représente la personne du Fils de Dieu. Mais il est faux de dire : " Dieu a été fait personne du Fils de Dieu. "

En sens contraire, il y a la parole en S. Jean (1, 14) : " Le Verbe a été fait chair ", et S. Athanase explique : " C’est comme si l’on disait : "Dieu a été fait homme. "

Réponse :

On dit qu’un être a été fait ceci, quel qu’il soit, lorsqu’on lui attribue ceci à nouveau. Or, être homme est véritablement attribué à Dieu, nous l’avons dit, de telle façon cependant qu’il ne lui convient pas d’être homme de toute éternité, mais dans le temps, par l’assomption de la nature humaine. Il est donc vrai de dire : " Dieu a été fait homme. " Toutefois cette proposition est entendue diversement par divers auteurs comme " Dieu est homme ", dont nous avons parlé plus haut.

Solutions :

1. Être fait homme est un devenir absolu dans tous les cas où la nature humaine commence d’exister dans un suppôt nouvellement créé. Mais on dit que Dieu a été fait homme en ce sens que la nature humaine commence d’exister dans le suppôt de la nature divine qui préexiste de toute éternité. Ce n’est donc pas là pour Dieu un devenir absolu.

2. " Être fait " implique une attribution différente et nouvelle. Aussi, toutes les fois que cette attribution nouvelle comporte un changement dans celui dont on parle, " devenir " est synonyme de " changer ". Et c’est le cas de toutes les attributions absolues ; ainsi la blancheur et la grandeur ne sont données à un être que si celui-ci change nouvellement pour acquérir la blancheur ou la grandeur. Mais ce qui est relatif peut être attribué nouvellement à un être sans que celui-ci soit changé. C’est ainsi que par le déplacement d’un objet qui passe à sa gauche, un homme peut se trouver à sa droite sans subir lui-même aucun changement. Dans ce cas, tout ce qui devient n’est pas forcément changé, parce que cela a pu devenir par le changement d’autrui. On dit à Dieu, en ce sens (Ps 90, 1) : " Seigneur tu es devenu pour nous un refuge. " Or, être homme convient à Dieu en raison de l’union hypostatique, qui est une relation. On peut donc faire à Dieu une attribution nouvelle, en disant qu’il est homme, sans que cela comporte d’autre changement que celui de la nature humaine assumée dans la personne divine. Et c’est pourquoi, lorsqu’on dit : " Dieu a été fait homme ", on n’entend pas mettre un changement du côté de Dieu, mais seulement du côté de la nature humaine.

3. Le mot " homme " représente la personne du Fils de Dieu, non pas dans l’abstrait, mais en tant qu’elle subsiste dans la nature humaine. Mais, bien qu’il soit faux de dire : " Dieu a été fait la personne du Fils ", il est vrai de dire : " Dieu a été fait homme " parce qu’il est uni à la nature humaine.

 

            Article 7 — Est-il vrai de dire — " L’homme a été fait Dieu " ?

Objections :

1. Il est écrit (Rm 1, 2) : Cet évangile que Dieu " avait promis par ses prophètes dans les Saintes Écritures, concernant son Fils qui a été fait pour lui de la descendance de David selon la chair. . . " Mais le Christ en tant qu’homme est de la descendance de David selon la chair. Donc l’homme a été fait Fils de Dieu.

2. S. Augustin écrit : " Cette assomption était capable de faire de Dieu un homme, et de l’homme un Dieu. " Mais, à cause de cette assomption, il est vrai de dire : " Dieu a été fait homme. " Pareillement, il est donc vrai de dire : " L’homme a été fait Dieu. "

3. S. Grégoire de Nazianze écrit : " Dieu a été humanisé, et l’homme a été déifié, que vous le disiez de n’importe quelle façon. " Mais Dieu a été humanisé en ce sens qu’il a été fait homme. Au même titre, nous disons que l’homme est déifié parce qu’il a été fait Dieu. Ainsi est-il vrai de dire : " L’homme a été fait Dieu. "

4. Quand on dit : " Dieu a été fait homme ", le sujet du changement n’est pas Dieu, mais la nature humaine signifiée par le mot " homme ". Mais il semble que le sujet du changement est celui à qui on l’attribue. Il est donc plus véridique de dire : " L’homme a été fait Dieu ", plutôt que " Dieu a été fait homme. "

En sens contraire, S. Jean Damascène précise : " Nous ne disons pas que l’homme a été déifié, mais que Dieu a été humanisé. " Or devenir Dieu et être déifié sont synonymes. Donc il est faux de dire : " L’homme a été fait Dieu. "

Réponse :

Cette proposition peut s’entendre de trois manières.

1° Le participe " fait " détermine d’une façon absolue soit le sujet, soit le prédicat. En ce sens, la proposition est fausse, car ni le prédicat " a été fait Dieu " ne se dit absolument de l’homme, ni " être fait " ne se dit absolument de Dieu, nous le dirons plus loin Dans le même sens il serait faux de dire : " Dieu a été fait homme. " Mais ce n’est pas ce sens qui est ici en question.

2° Le participe " fait " peut être compris comme déterminant la composition du sujet et du prédicat, si bien que " l’homme a été fait Dieu " signifierait : " Il a été fait que l’homme est Dieu. " En ce sens il est vrai de dire aussi bien : " L’homme a été fait Dieu " et " Dieu a été fait homme. " Mais tel n’est pas le sens propre des locutions de ce genre ; à moins peut-être de ne pas représenter par le mot " homme " une personne, mais l’homme en général. On ne peut pas dire en effet que cet homme a été fait Dieu, puisque cet homme ou ce suppôt n’est autre que la personne du Fils de Dieu, qui est Dieu de toute éternité ; il reste vrai cependant que l’homme, à le prendre en général, n’a pas toujours été Dieu.

3° Enfin, au sens propre de la proposition, le participe " fait " implique un devenir de l’homme, dont le terme serait Dieu. Sous ce rapport, étant donné qu’il n’y a qu’une seule personne, hypostase ou suppôt, de l’homme et de Dieu, comme nous l’avons montré plus haut, la proposition est fausse. Car, quand nous disons : " L’homme a été fait Dieu ", le mot " homme " désigne une personne ; ce n’est pas en effet en raison de la nature humaine que l’homme peut être dit Dieu, mais en raison du suppôt. Or ce suppôt de la nature humaine, dont nous disons qu’il est Dieu, n’est pas autre chose que l’hypostase ou la personne du Fils de Dieu, qui a toujours été Dieu. On ne peut donc pas dire que cet homme a commencé d’être Dieu, ou qu’il devient Dieu, ou qu’il a été fait Dieu.

Les nestoriens prétendent au contraire que Dieu et l’homme constituent, dans le Christ, des personnes ou hypostases distinctes, et qu’on les attribue l’un à l’autre en les associant sous le rapport de la dignité personnelle, ou de l’amour, ou de l’habitation. Dans cette opinion, l’on pourrait dire au même titre : " L’homme a été fait Dieu ", c’est-à-dire uni à Dieu, ou : " Dieu a été fait homme ", c’est-à-dire uni à l’homme.

Solutions :

1. Dans le texte de l’Apôtres le relatif " qui ", se rapportant à la personne du Fils de Dieu, ne doit pas se comprendre du côté du prédicat, comme si un être déjà existant, issu de David selon la chair, avait été fait Fils de Dieu. C’est le sens de l’objection. Il faut comprendre ce relatif du côté du sujet. Le sens est alors que " le Fils de Dieu a été fait ", c’est-à-dire homme, " pour lui ", c’est-à-dire, selon la Glose, à l’honneur du Père, alors qu’il existe comme issu de la race de David selon la chair. C’est comme si l’on disait : " Le Fils de Dieu est devenu possesseur d’une chair issue de la race de David, pour la gloire de Dieu. "

2. La parole de S. Augustin doit s’entendre en ce sens que, du fait de l’Incarnation, il s’est fait que l’homme soit Dieu et que Dieu soit homme. Les deux locutions, entendues de cette manière, sont vraies, nous l’avons noté.

3. La même réponse s’applique ici, car être déifié et être fait Dieu sont synonymes.

4. Le terme sujet doit être pris matériellement, comme désignant le suppôt ; au contraire, le terme prédicat doit être pris formellement comme signifiant la nature. Par conséquent, lorsqu’on dit : " L’homme a été fait Dieu ", le devenir est attribué, non à la nature humaine, mais au suppôt de cette nature, lequel, étant Dieu de toute éternité, ne peut pas devenir Dieu. Et quand on dit : " Dieu a été fait homme ", on signifie que le devenir se termine à la nature humaine elle-même. C’est pourquoi on peut dire, à proprement parler : " Dieu a été fait homme ", tandis qu’il est faux d’affirmer : " L’homme a été fait Dieu. " Ainsi, lorsque Socrate, qui est déjà homme, devient ensuite blanc, on peut dire en désignant Socrate : " Cet homme, aujourd’hui, est devenu blanc " ; mais on ne peut pas dire : " Ce blanc, aujourd’hui, a été fait homme. "

Pourtant, à supposer que l’on représente la nature humaine par un nom abstrait, on pourrait en faire le sujet du devenir et employer l’expression suivante : " La nature humaine a été faite nature du Fils de Dieu. "

 

            Article 8 — Est-il vrai de dire " Le Christ est une créature " ?

Objections :

1. Nous lisons dans un sermon de S. Léon pape : " Quelle union nouvelle et inouïe! Dieu qui est et qui était, devient créature. " Mais ce que le Fils de Dieu est devenu du fait de l’Incarnation, on peut l’attribuer au Christ. Il est donc vrai de dire : " Le Christ est une créature. "

2. Les propriétés des deux natures peuvent être attribuées à l’hypostase qui leur est commune, quel que soit le nom par lequel on désigne cette hypostase, nous l’avons dit. Or, être créature est une propriété de la nature humaine, de même que le fait d’être Créateur relève en propre de la nature divine. Ces deux choses peuvent donc se dire du Christ : qu’il est une créature, et qu’il est incréé et Créateur.

3. La partie principale de l’homme, c’est l’âme plutôt que le corps. Mais, en raison du corps qu’il a reçu de la Vierge, on dit purement et simplement que le Christ est né de la Vierge Marie. On devra donc dire purement et simplement en raison de son âme qui a été créée par Dieu, que le Christ est une créature.

En sens contraire, S. Ambroise écrit " Est-ce que, sur une parole, le Christ a été fait ? Est-ce que, sur un commandement, le Christ a été créé ? " Cette interrogation équivaut à une négation, car l’auteur ajoute aussitôt : " Comment peut-il y avoir de la créature en Dieu ? Car Dieu possède une nature simple et non composée. " On ne peut donc admettre que le Christ soit une créature.

Réponse :

Comme dit S. Jérôme " en parlant inconsidérément, on tombe dans l’hérésie ". Aussi nos expressions ne doivent-elles avoir rien de commun avec celles des hérétiques, pour ne pas paraître favoriser leur erreur. Or les ariens disaient que le Christ est une créature, et qu’il est inférieur au Père, non seulement du point de vue de sa nature humaine, mais même en tant que personne divine. C’est pourquoi nous ne devons pas dire d’une manière absolue que le Christ est une créature, ni qu’il est inférieur au Père ; il faut toujours ajouter cette réserve que le Christ est tel selon sa nature humaine. Quant aux choses qui, sans aucun doute possible, ne peuvent convenir à la personne divine en elle-même, nous pouvons les dire du Christ purement et simplement en raison de sa nature humaine ; c’est ainsi que nous affirmons sans autre précision que le Christ a souffert, est mort et a été enseveli. Ainsi, dans le domaine corporel et humain, quand il peut y avoir erreur, nous n’attribuons pas au tout ce qui convient à la partie ; nous ne disons pas par exemple purement et simplement qu’un nègre est blanc, mais qu’il a les dents blanches. Mais nous disons tout court qu’il est crépu, car cela ne peut convenir qu’à sa chevelure.

Solutions :

1. Quelquefois, il est vrai, les saints Docteurs, pour faire bref, ont omis de préciser, en tant que le Christ est une créature ; mais il faut sous-entendre une limite.

2. Toutes les propriétés de la nature humaine, comme celles de la nature divine, peuvent être attribuées de quelque manière au Christ. Et c’est pourquoi, selon S. Jean Damascène, " le Christ, qui est Dieu et homme, est à la fois susceptible d’être créé et de ne pas être créé, d’être partagé et de ne pas l’être ". Mais quand il y a hésitation sur l’une ou sur l’autre nature, on ne doit pas parler sans précision. C’est pourquoi il dit plus loin : " Une seule et même hypostase ", celle du Christ, " est incréée du fait de sa déité, et créée du fait de son humanité ". De même, en sens inverse, il ne faudrait pas dire sans précision : le Christ est incorporel, ou impassible, pour éviter l’erreur des manichéens pour qui le Christ n’avait pas un corps véritable et n’a pas véritablement souffert. Mais il faut ajouter cette précision que le Christ, selon sa divinité, est incorporel et impassible.

3. Jésus est né de la Vierge : il ne peut y avoir aucun doute que cela convienne à la personne du Fils de Dieu, alors qu’on peut en douter sur le fait d’être créé. La comparaison n’est donc pas valable.

 

            Article 9 — Est-il vrai de dire du Christ " Cet homme a commencé d’exister " ?

Objections :

1. S. Augustin écrit : " Avant que le monde fût, nous n’existions pas, ni non plus le médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Jésus Christ. " Mais ce qui n’a pas toujours existé a commencé. Donc cet homme - désignant le Christ - a commencé d’exister.

2. Le Christ a commencé d’être homme. Mais être homme, c’est être absolument. Donc cet homme a commencé d’exister absolument.

3. " Homme " implique un suppôt de la nature humaine. Mais le Christ n’a pas toujours été suppôt de la nature humaine. On peut donc dire de lui : " Cet homme a commencé d’exister. "

En sens contraire, il est écrit (He 13, 8) : " Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui, il le sera à jamais. "

Réponse :

On ne doit pas dire, en montrant le Christ : " Cet homme a commencé d’exister ", sans ajouter aucune précision. Et cela pour un double motif.

1° Parce que cette façon de parler est fausse de façon absolue car, selon l’enseignement de la foi catholique, il n’y a dans le Christ qu’un seul suppôt, une seule hypostase, une seule personne. Les mots " cet homme " appliqués au Christ désignent donc un suppôt éternel, dont l’éternité est incompatible avec un commencement dans l’existence. Aussi la proposition : " Cet homme a commencé d’exister " est-elle fausse. Sans doute, commencer d’exister convient à la nature humaine signifiée par ce mot " homme ", mais le sujet de la proposition n’est pas pris formellement pour la nature, mais matériellement pour le suppôt, nous l’avons dit plus haut.

2° Parce que, même si cette proposition était vraie, il ne faudrait pas l’employer sans précision, afin d’éviter l’hérésie d’Arius. Celui-ci prétendait que la personne du Fils de Dieu était une créature inférieure au Père, et de même il lui attribuait d’avoir commencé d’exister, en affirmant qu’il fut un temps où il n’existait pas.

Solutions :

1. La parole de S. Augustin doit s’entendre en ce sens que l’homme Jésus Christ, selon son humanité, n’a pas existé avant que le monde fût.

2. Avec le verbe " commencer " on ne peut passer, comme fait l’objection, d’un genre inférieur à un genre supérieur et dire par exemple : " Ceci a commencé d’être blanc, donc ceci a commencé d’être coloré. " Tout commencement, en effet, implique un fait nouveau en acte, qui n’existant pas antérieurement. On ne peut pas dire : " Ceci n’était pas blanc auparavant, donc ceci n’était pas coloré auparavant. " De même, exister de façon absolue représente un genre supérieur au fait d’exister comme homme. On ne pourra donc pas faire cette déduction : " Le Christ a commencé d’être homme donc il a commencé d’exister. "

3. Le mot " homme " en tant qu’il désigne le Christ, signifie bien la nature humaine qui a commencé d’exister, mais il implique aussi le suppôt éternel qui, lui, n’a pas eu de commencement. Et, puisque le sujet d’une proposition se réfère au suppôt, tandis que le prédicat se rapporte à la nature, il sera faux de dire : " L’homme Christ a commencé d’exister " ; mais on pourra affirmer : " Le Christ a commencé d’être homme. "

 

            Article 10 — Est-il vrai de dire — " Le Christ, en tant qu’homme, est une créature " ?

Objections :

1. Rien n’est créé dans le Christ, sauf la nature humaine. Mais il est faux de dire : " Le Christ, en tant qu’homme, est la nature humaine. " Donc cela encore est faux : " Le Christ, en tant qu’homme, est une créature. "

2. Le prédicat ne se réfère pas tellement au sujet de la proposition qu’au terme qui vient préciser le sujet. Si je dis, par exemple, que le corps, en tant que coloré, est visible, il s’ensuivra que le coloré est visible. Mais, nous venons de le dire on ne peut admettre que l’homme Christ soit une créature. Donc, pas davantage : " Le Christ, en tant qu’homme, est une créature. "

3. Tout ce que l’on attribue à un homme en tant que tel lui est attribué par soi et absolument. Car, selon Aristote, les expressions " par soi " et " en tant que tel " sont synonymes. Donc, il est faux de dire : " Le Christ est par soi et absolument une créature. " Il sera également faux d’affirmer : " Le Christ, en tant qu’homme, est une créature. "

En sens contraire, tout ce qui existe est ou bien le Créateur, ou bien une créature. Or il est faux de dire : " Le Christ, en tant qu’homme, est le Créateur. " Il est donc vrai de dire : " Le Christ, en tant qu’homme, est une créature. "

Réponse :

Dans l’expression : " Le Christ en tant qu’homme ", le mot " homme " peut désigner soit le suppôt, soit la nature. S’il désigne le suppôt, étant donné que le suppôt de la nature humaine dans le Christ est éternel et incréé, il est faux de dire : " Le Christ, en tant qu’homme, est une créature. " Mais si le mot " homme " désigne la nature humaine, la proposition est vraie, car du point de vue de sa nature humaine, le Christ, nous l’avons dit, est une créature.

Remarquons cependant que, dans la formule employée, le mot " homme " se réfère davantage à la nature qu’au suppôt, car il y joue le rôle d’un prédicat et doit être pris formellement ; l’expression : " Le Christ en tant qu’homme " équivaut en effet à celle-ci : " Le Christ en tant qu’il est homme. " Il vaut donc mieux accepter que refuser l’expression : " Le Christ, en tant qu’homme, est une créature. " Cependant, si l’on ajoutait un terme qui orienterait vers le suppôt, il en irait autrement, et l’on devrait refuser une proposition telle que : " Le Christ, en tant qu’il est cet homme, est une créature. "

Solutions :

1. Bien que le Christ ne soit pas sa nature humaine, il possède cependant la nature humaine. Or le terme de créature peut être attribué non seulement aux noms abstraits, mais aussi aux noms concrets. Nous disons en effet tout aussi bien : " L’humanité est une créature ". et " L’homme est une créature. "

2. Le mot " homme " pris comme sujet, désigne plutôt le suppôt ; mis en apposition au sujet, il signifie plutôt la nature, comme on vient de le dire. Et parce que la nature est créée, tandis que le suppôt est incréé, on ne peut pas admettre telle quelle la proposition : " L’homme Christ est une créature ", mais on admet celle-ci : " Le Christ en tant qu’homme est une créature. "

3. Tout homme qui est suppôt de la seule nature humaine ne possède l’existence que selon cette nature. C’est pourquoi le fait, pour un tel suppôt, d’être en tant qu’homme une créature, le constitue créature purement et simplement. Mais le Christ n’est pas seulement suppôt de la nature humaine, il l’est aussi de la nature divine, qui lui donne une existence incréée. Et c’est pourquoi, du fait que le Christ en tant qu’homme est une créature, il ne s’ensuit pas qu’il soit purement et simplement une créature.

 

            Article 11 — Est-il vrai de dire — " Le Christ, en tant qu’homme, est Dieu " ?

Objections :

1. Le Christ est Dieu par la grâce d’union. Mais c’est en tant qu’homme que le Christ possède cette grâce ; donc le Christ, en tant qu’homme, est Dieu.

2. Remettre les péchés est le propre de Dieu, selon Isaïe (43, 25) : " C’est moi qui efface les iniquités pour l’amour de moi. " Mais le Christ, en tant qu’homme, remet les péchés, puisqu’il dit (Mt 9, 6) : " Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés ", etc. Donc le Christ, en tant qu’homme, est Dieu.

3. Le Christ n’est pas l’homme en général, mais il est cet homme en particulier. Or le Christ, en tant qu’il est cet homme, est Dieu, car l’expression " cet homme " désigne un suppôt éternel qui est Dieu par nature. Donc, le Christ, en tant qu’homme, est Dieu.

En sens contraire, ce qui convient au Christ en tant qu’homme, convient à tout homme. Donc, si le Christ, en tant qu’homme, est Dieu, il s’ensuit que tout homme est Dieu. Ce qui est évidemment faux.

Réponse :

Le mot " homme ", placé en apposition, peut être pris en deux sens. Premièrement quant à la nature ; et alors il n’est pas vrai que le Christ, en tant qu’homme, soit Dieu, car il y a, entre la nature humaine et la nature divine, une différence essentielle. En un second sens, le mot " homme " est employé en raison du suppôt. Or, le suppôt de la nature humaine dans le Christ, c’est la personne du Fils de Dieu, qui, par elle-même, est Dieu ; sous ce rapport, il est donc vrai que le Christ, en tant qu’homme, est Dieu.

Mais parce que le terme placé en apposition signifie proprement la nature plutôt que le suppôt, comme nous l’avons dit. il faut plutôt récuser cette affirmation : " Le Christ, en tant qu’homme, est Dieu. "

Solutions :

1. Ce n’est pas sous le même rapport qu’on est mû vers un terme, et que l’on est ce terme en acte ; le mouvement s’applique en effet à la matière ou au sujet, tandis que l’être en acte relève de la forme. Pareillement, ce n’est pas sous le même rapport qu’il convient au Christ d’être ordonné à être Dieu par la grâce d’union, et d’être Dieu. L’un lui convient selon sa nature humaine, et l’autre selon sa nature divine. C’est pourquoi il est vrai de dire : " Le Christ, en tant qu’homme, possède la grâce d’union " ; mais non pas : " Le Christ, en tant qu’homme, est Dieu. "

2. " Le Fils de l’homme a le pouvoir, sur la terre, de remettre les péchés ", en vertu non de sa nature humaine, mais de sa nature divine, où réside le pouvoir souverain de remettre les péchés. Dans la nature humaine, ce pouvoir n’existe qu’à titre d’instrument, par ministère. C’est pourquoi S. Jean Chrysostome explique ainsi ce texte : " Il a dit de façon caractéristique : "pouvoir, sur la terre, de remettre les péchés", pour montrer l’union indivisible qui existe entre la puissance divine et la nature humaine. Car, bien qu’il soit devenu homme, il est demeuré le Verbe de Dieu. "

3. Dans l’expression " cet homme ", le mot " homme ", par le pronom démonstratif, oriente vers le suppôt. C’est pourquoi dire : " Le Christ, en tant qu’il est cet homme est Dieu ", vaut mieux que de dire : " Le Christ, en tant qu’homme, est Dieu. "

 

            Article 12 — Est-il vrai de dire — " Le Christ, en tant qu’homme, est une hypostase ou personne " ?

Objections :

1. Ce qui convient à tout homme convient au Christ en tant qu’il est homme, selon ce texte (Ph 2, 7) : " Il est devenu semblable aux hommes. " Or tout homme est une personne. Donc le Christ, en tant qu’homme, est une personne.

2. Le Christ, en tant qu’homme, est une substance de nature rationnelle, non une substance universelle, mais une substance individuelle. Or, selon Boèce v, la personne n’est pas autre chose qu’une substance individuelle de nature rationnelle. Donc, le Christ, en tant qu’homme, est une personne.

3. Le Christ, en tant qu’homme, est une réalité de la nature humaine, un suppôt, une hypostase de cette même nature. Mais tout suppôt humain, toute hypostase, toute nature humaine réelle est une personne. Donc, le Christ, en tant qu’homme, est une personne.

En sens contraire, le Christ, en tant qu’homme, n’est pas une personne éternelle. Donc, s’il est une personne en tant qu’homme, il s’ensuit qu’il y aura en lui deux personnes, l’une temporelle et l’autre éternelle. Ce qui est faux, nous l’avons dit.

Réponse :

Comme nous l’avons déjà montré, le mot " homme ", placé en apposition, peut être pris soit pour le suppôt, soit pour la nature. Donc, quand on dit : " Le Christ, en tant qu’homme, est une personne ", si l’on prend le mot " homme " au sens de suppôt, il est évident que la proposition est vraie ; car le suppôt de la nature humaine n’est pas autre que la personne du Fils de Dieu.

Mais si l’on prend le mot " homme " au sens de nature, cela peut avoir deux sens. Ou bien l’on veut dire qu’il convient à la nature humaine d’exister dans une personne ; et cette manière de parler est vraie, car tout ce qui subsiste dans la nature humaine est une personne. Ou bien l’on entend que la nature humaine doit avoir dans le Christ une personnalité propre, causée par les principes mêmes de cette nature, et sous ce rapport le Christ en tant qu’homme n’est pas une personne ; car sa nature humaine n’existe pas par elle-même séparément de la nature divine, ce qui serait requis pour qu’elle soit une personne.

Solutions :

1. Il convient à tout homme d’être une personne, en ce sens que tout ce qui subsiste dans une nature humaine est une personne. Mais ceci est propre à l’homme qu’est le Christ : la personne qui subsiste dans sa nature humaine n’est pas causée par les principes de cette nature ; elle est éternelle. Et c’est pourquoi, d’une manière, le Christ en tant qu’homme est une personne ; mais, d’une autre manière, il ne l’est pas, au sens où nous venons de le dire.

2. La substance individuelle dont il est question dans la définition de Boèce est une substance complète, subsistant par soi et séparément des autres substances. Autrement, il faudrait dire que la main de l’homme est une personne, puisqu’eue est une substance individuelle, alors que cette substance individuelle existe dans un sujet et ne peut être appelée une personne. Pour la même raison, la nature humaine dans le Christ, n’est pas une personne, bien qu’elle puisse être appelée un être individuel et singulier.

3. La personne, l’hypostase, le suppôt, la réalité substantielle signifient quelque chose de complet et de subsistant par soi. Aussi, puisque la nature humaine n’existe pas par soi, séparément de la personne du Fils de Dieu, on ne peut pas dire qu’elle soit par elle-même une hypostase, ou un suppôt, ou une réalité substantielle.

C’est pourquoi, dans le sens où nous nions la proposition : " Le Christ, en tant qu’homme, est une personne ", il faut également nier toutes les autres propositions semblables.

I1 faut maintenant étudier ce qui se rattache à l’unité du Christ en général. Car ce qui se rattache à l’unité ou à la pluralité sur des points particuliers doit être précisé en son lieu. C’est ainsi qu’on a déterminé plus haut qu’il n’y a pas dans le Christ qu’une seule science

(Q. 9-12) ; et plus loin on déterminera que chez le Christ il n’y a qu’une seule naissance (Q. 35 ,a. 2).

Il faut donc étudier : I. L’unité du Christ quant à l’existence (Q. 17). - Il. Quant au vouloir (Q. 18). - III. Quant à l’activité (Q. 19).

 

 

QUESTION 17 — L’UNITÉ DU CHRIST QUANT A SON ÊTRE

1. Le Christ est-il une unité ou une dualité ? - 2. N’y a-t-il dans le Christ qu’une seule existence ?

 

            Article 1 — Le Christ est-il une unité, ou une dualité ?

Objections :

1. S. Augustin a écrit : " Puisque la forme de Dieu a pris la forme d’esclave, l’un et l’autre est Dieu en raison de Dieu qui assume ; l’un et l’autre est homme, en raison de l’homme assumé. " Mais " l’un et l’autre " ne peut se dire que là où il y a dualité. Donc le Christ est une dualité.

2. Partout où il y a " autre chose et autre chose " il y a dualité. Mais c’est le cas du Christ selon S. Augustin : " Alors qu’il était en la forme de Dieu, il prit la forme d’esclave ; l’un et l’autre ne font qu’un, mais différemment : l’un par rapport au Verbe, et l’autre par rapport à l’homme. " Le Christ est donc une dualité.

3. Le Christ n’est pas seulement homme ; car il serait alors un homme comme les autres. Il y a donc en lui autre chose qu’un homme, et par conséquent une dualité.

4. Le Christ est identique au Père et différent du Père. Il est donc une dualité.

5. De même que dans le mystère de la Trinité il y a trois personnes en une seule nature, de même dans le mystère de l’Incarnation il y a deux natures en une seule personne. Mais en raison de l’unité de nature et malgré la distinction des personnes, on dit que le Père et le Fils sont un, selon cette parole en S. Jean (10, 30) : " Moi et le Père, nous sommes un. " Ainsi, semble-t-il, en raison de la dualité des natures et malgré l’unité de personne, le Christ est deux.

6. Aristote écrit que les termes " un " et " deux " se disent par mode de dénomination. Le Christ possède une dualité de natures. Donc le Christ est deux.

7. Selon Porphyre, la forme accidentelle rend autre le sujet, tandis que la forme substantielle en fait autre chose. Mais dans le Christ il y a deux natures substantielles, la divine et l’humaine. Donc le Christ est autre chose et autre chose, et il constitue une dualité.

En sens contraire, nous lisons dans Boèce : " Tout être, sous le rapport où il est être, est un. " Mais, dans notre foi, nous attribuons l’être au Christ. Donc le Christ est un.

Réponse :

La nature, considérée en elle-même et exprimée sous une forme abstraite, ne saurait être attribuée au suppôt ou à la personne, si ce n’est en Dieu où " ce qui est " et " ce par quoi il est " sont identiques, comme nous l’avons montré dans la première Partie Or, dans le Christ, il y a deux natures : divine et humaine. La nature divine peut lui être attribuée aussi bien sous une forme abstraite que sous une forme concrète ; nous disons en effet que le Fils de Dieu, qui est représenté par le nom de Christ, est sa nature divine, et qu’il est Dieu. Mais la nature humaine ne saurait être attribuée au Christ en elle-même et abstraitement ; elle ne peut l’être qu’au concret, en tant qu’elle est signifiée comme existant dans le suppôt. On ne peut pas dire en vérité que le Christ est sa nature humaine, car la nature humaine n’est pas attribuable à son suppôt ; mais on dit que le Christ est homme de la même manière dont on dit que le Christ est Dieu.

Or le mot " Dieu " signifie celui qui possède la divinité, et le mot " homme " celui qui possède l’humanité. Mais celui qui possède l’humanité est désigné différemment par le nom d’homme, ou par le nom de Pierre ou de Jésus. Car " homme " implique celui qui possède l’humanité sans distinction, comme le nom " Dieu " implique celui qui possède la divinité sans distinction. Au contraire " Pierre " ou " Jésus " signifient un sujet humain d’une façon précise et avec des propriétés individuelles déterminées ; de même, le nom de " Fils de Dieu " désigne un sujet divin avec une propriété personnelle précise.

Or, la dualité se trouve dans le Christ quant à ses natures. C’est pourquoi, si les deux natures pouvaient être attribuées au Christ sous une forme abstraite, il s’ensuivrait que le Christ serait une dualité. Mais puisqu’elles ne peuvent l’être qu’en tant qu’elles sont signifiées comme étant dans le suppôt, l’unité ou la pluralité ne se diront du Christ qu’en raison du suppôt. Certains auteurs ont prétendu qu’il y avait dans le Christ deux suppôts et une personne unique, la personne n’étant d’après eux, que l’ultime complément du suppôt. Dès lors, à les entendre, en raison des deux suppôts, le Christ serait deux, si l’on met le mot " deux " au neutre ; au contraire, à cause de l’unité de personne, le Christ serait un, en mettant le mot " un " au masculin ; car le genre neutre désigne quelque chose d’informe et d’imparfait, et le genre masculin, quelque chose de parfait et d’achevé. - Les nestoriens qui mettaient dans le Christ deux personnes, prétendaient qu’il était deux, en prenant le mot aussi bien au masculin qu’au neutre. - Mais nous, qui plaçons dans le Christ une seule personne et un suppôt unique, nous disons que le Christ est un, en prenant le mot " un " non seulement au masculin, mais même au neutre.

Solutions :

1. Dans le texte de S. Augustin, on ne doit pas entendre l’expression " l’un et l’autre " à la manière d’un prédicat, comme si l’on disait : " le Christ est l’un et l’autre " ; mais à la manière d’un sujet. En ce sens " l’un et l’autre " est mis non pour deux suppôts, mais pour deux noms signifiant les deux natures au concret. je puis dire en effet : " l’un et l’autre ", c’est-à-dire Dieu et l’homme, " est Dieu en raison de Dieu qui assume " ; - et : " l’un et l’autre ", à savoir Dieu et l’homme, " est homme en raison de l’homme assumé ".

2. Quand on dit que le Christ est autre chose et autre chose, il faut l’entendre en ce sens que le Christ possède deux natures différentes. Et c’est l’explication donnée par S. Augustin. lorsqu’après avoir écrit : " Dans le médiateur entre Dieu et les hommes, autre chose est le Fils de Dieu et autre chose est le fils de l’homme ", il ajoute : " Autre chose, dis-je, en raison de la distinction des substances ; mais non pas un autre en raison de l’unité de personne. " - Et S. Grégoire de Nazianze écrit : " A parler brièvement, autre chose et autre chose sont les éléments dont est constitué le Sauveur, car le visible n’est pas l’invisible, le temporel n’est pas l’éternel. Mais le Christ n’est pas un autre et un autre, car ces deux choses ne font qu’un. "

3. La proposition : " Le Christ est seulement un homme ", est fausse, car elle exclut la possibilité non d’un autre suppôt, mais d’une autre nature, le prédicat signifiant formellement la nature. Si l’on ajoutait une précision qui orienterait vers le suppôt, la proposition serait vraie. Ainsi l’on pourrait dire : " Le Christ est seulement ce sujet qui est homme. " Cependant, du fait que le Christ n’est pas seulement homme, on ne peut pas conclure " qu’il est quelqu’autre chose qu’homme " ; car le mot " autre ", ayant rapport à la diversité des substances, se réfère proprement au suppôt ; et il en est ainsi de tous les relatifs qui établissent une relation personnelle. La conclusion est seulement : donc, le Christ possède une autre nature.

4. Quand on dit que le Christ est quelque chose d’identique au Père, le mot " quelque chose " est mis pour la nature divine, laquelle peut être attribuée, même abstraitement, au Père et au Fils. Mais quand on dit : " Le Christ est quelque chose de différent du Père ", le " quelque chose " désigne la nature humaine au concret, sans préciser le suppôt qui hypostasie, ni marquer ses propriétés individuelles. On ne peut donc pas conclure que le Christ est autre chose et autre chose, ou qu’il est une dualité ; car le suppôt de la nature humaine, qui est la personne du Fils de Dieu, ne compose pas numériquement avec la nature divine qui est attribuée au Père et au Fils.

5. Dans le mystère de la Trinité, la nature divine est attribuée encore sous une forme abstraite aux trois personnes ; c’est pourquoi l’on peut dire absolument que les trois personnes sont un. Mais, dans le mystère de l’Incarnation, les deux natures ne sont pas attribuées abstraitement au Christ ; et c’est pourquoi l’on ne peut dire absolument que le Christ est une dualité.

6. Le mot " deux " signifie une dualité qui est possédée par le sujet même auquel on l’attribue. Or, ici, l’attribution est faite au suppôt, car c’est lui qui est signifié par le mot " Christ ". Donc, bien qu’il y ait dans le Christ une dualité de natures, cependant, comme il n’y a pas en lui une dualité de suppôts, on ne peut pas dire qu’il soit deux.

7. Le mot " autre " signifie une diversité accidentelle ; et c’est pourquoi une simple différence accidentelle suffit pour que l’on puisse dire purement et simplement d’une réalité qu’elle est autre. Mais l’expression " autre chose " comporte une diversité substantielle. Or on donne le nom de substance non seulement à la nature mais aussi au suppôt, comme dit Aristote. C’est pourquoi une diversité de nature ne suffit pas pour que l’on puisse dire purement et simplement d’une réalité qu’elle est autre chose ; il y faut une diversité de suppôt. Quand celle-ci n’existe pas, la réalité n’est autre chose que sous un certain rapport, à savoir sous le rapport de la nature.

 

            Article 2 — N’y a-t-il dans le Christ qu’une seule existence ?

Objections :

1. Selon le Damascène’, tout ce qui est une conséquence de la nature implique dans le Christ une dualité. Mais l’existence est une conséquence de la nature, car elle est donnée par la forme. Donc il y a deux existences dans le Christ.

2. L’existence du Fils de Dieu, c’est la nature divine elle-même, et elle est éternelle. Or l’existence du Christ n’est pas la nature divine, mais une existence temporelle. Donc, dans le Christ, il n’y a pas une seule existence.

3. Dans la Trinité, bien qu’il y ait trois personnes, il n’y a pourtant qu’une seule existence à cause de l’unité de nature. Mais dans le Christ il y a deux natures, bien qu’il y ait une seule personne. Donc, dans le Christ, il n’y aura pas, seulement une existence, mais deux.

4. Dans le Christ, l’âme donne une certaine existence au corps, puisqu’elle est sa forme. Mais elle ne lui donne pas une existence divine, qui serait incréée. Elle lui confère donc une autre existence, distincte de l’existence divine.

En sens contraire, toute réalité, dans la mesure où elle mérite le nom d’être, est une, car l’unité et l’être sont convertibles. Donc, s’il y a deux existences dans le Christ, il faudra dire que le Christ n’est pas un, mais qu’il est une dualité.

Réponse :

Puisque, dans le Christ, il y a deux natures et une seule hypostase, tout ce qui se rapporte à la nature implique nécessairement en lui une dualité ; au contraire, tout ce qui se rapporte à l’hypostase est un. Or, l’existence relève à la fois de la nature et de l’hypostase : de l’hypostase, car l’hypostase est " ce qui " possède l’existence ; de la nature, car la nature est " ce par quoi " quelque chose possède l’existence. Nous nous représentons en effet la nature à la manière d’une forme, et lui donnons le nom d’être parce que, par elle, quelque chose est ; ainsi par la blancheur une réalité est blanche ; par l’humanité, un individu est homme.

Il convient de remarquer en outre que, lorsqu’une forme ou une nature n’appartient pas en propre à l’existence personnelle d’une hypostase subsistante, l’existence de cette forme ou de cette nature ne doit pas s’attribuer purement et simplement à la personne en question, mais seulement sous un certain rapport ; ainsi l’existence qui revient à Socrate du fait de sa blancheur, ne lui appartient pas en tant précisément qu’il est Socrate, mais en tant qu’il est blanc. A ce point de vue, rien n’empêche de multiplier l’existence dans une hypostase ou une personne ; est autre en effet l’existence qui fait de Socrate un individu blanc, et autre l’existence qui le rend musicien. On ne saurait, au contraire, multiplier l’existence qui appartient en propre à l’hypostase ou à la personne ; car à une réalité unique doit répondre une existence unique.

Donc, si la nature humaine s’ajoutait au Fils de Dieu, non pas hypostatiquement ou personnellement, mais par une union accidentelle, comme certains l’ont prétendus, il faudrait mettre dans le Christ deux existences : l’une en tant qu’il est Dieu ; l’autre en tant qu’il est homme. Ainsi met-on en Socrate une existence selon qu’il est blanc, et une autre selon qu’il est homme, parce qu’être blanc n’appartient pas à l’existence personnelle de Socrate. Or avoir une tête, un corps, une âme, tout cela appartient à l’unique personne de Socrate, et c’est pourquoi toutes ces composantes ne font qu’une seule existence en Socrate. Et s’il arrivait qu’après la constitution de la personne de Socrate, on lui ajoutait des mains, des pieds ou des yeux comme il est arrivé à l’aveugle-né, cela n’ajouterait pas à Socrate une nouvelle existence, mais seulement une relation à ces différents membres, parce qu’ainsi l’on dirait qu’il existe non seulement selon ses éléments antérieurs, mais encore selon ceux qui lui ont été ajoutés ensuite.

Ainsi donc, puisque la nature humaine s’unit au Fils de Dieu de façon hypostatique, c’est-à-dire personnelle, comme nous l’avons dit plus haut, et non de manière accidentelle, il s’ensuit que, selon la nature humaine, il ne lui est pas ajouté une nouvelle existence personnelle, mais seulement une nouvelle relation de son existence personnelle préexistant à l’égard de la nature humaine ; c’est-à-dire que désormais cette personne subsiste non seulement selon la nature divine, mais aussi selon la nature humaine.

Solutions :

1. L’existence suit la nature non pas en ce sens que la nature est " ce qui " a l’existence, mais en ce sens qu’elle est " ce par quoi " quelque chose existe. L’existence suit la personne ou hypostase parce que la personne est " ce qui " possède l’existence. Et c’est pourquoi l’unité lui appartient selon l’union hypostatique plus que la dualité ne lui appartient selon la dualité des deux natures.

2. L’existence éternelle du Fils de Dieu, qui est identique à la nature divine, devient l’existence de l’homme en tant précisément que la nature humaine est assumée par le Fils de Dieu dans l’unité de la personne.

3. Nous l’avons dit dans la première Partie parce que la personne divine est identique à sa nature, chez les personnes divines l’existence de la personne n’est pas différente de l’existence de la nature ; et c’est pourquoi les trois personnes n’ont qu’une seule existence. Tandis qu’elles en auraient une triple si chez elles l’existence de la personne était différente de celle de la nature.

4. Chez le Christ, l’âme donne l’existence au corps en tant qu’elle l’anime en acte, lui donnant par là l’achèvement de sa nature et de son espèce. Mais si nous concevons un corps achevé par l’âme, sans que l’hypostase possède l’un et l’autre, ce tout, composé d’une âme et d’un corps que nous désignons par le mot " humanité ", ne s’entend pas comme quelque chose qui existe, mais ce par quoi quelque chose existe. C’est pourquoi l’existence appartient à la personne subsistante, en tant qu’elle possède une relation à telle nature ; et dans le cas présent, cette relation est produite par l’âme, du simple fait que celle-ci achève la nature humaine en informant le corps.

 

 

QUESTION 18 — L’UNITÉ DU CHRIST QUANT À SA VOLONTÉ

1. Y a-t-il chez le Christ deux volontés, l’une divine et l’autre humaine ? -2. Dans la nature humaine du Christ, y a-t-il une volonté de sensualité, et une autre de raison ? - 3. Dans la raison y a-t-il eu chez le Christ plusieurs volontés ? - 4. Le Christ avait-il le libre arbitre ? - 5. La volonté humaine du Christ a-t-elle été, dans tous ses vouloirs, conforme à la volonté du Père ? - 6. Y eut-il chez le Christ contrariété entre les volontés ?

 

            Article 1 — Y a-t-il chez le Christ deux volontés, l’une divine et l’autre humaine ?

Objections :

1. Chez un être qui veut, la volonté est le premier principe qui met en mouvement et qui commande. Mais chez le Christ ce premier principe était la volonté divine, parce que, chez lui, tout ce qu’il y avait d’humain était mis en mouvement selon la volonté divine. Il semble donc qu’il n’y avait chez le Christ que la seule volonté divine.

2. L’instrument n’est pas mû par sa propre volonté mais par la volonté de celui qui le meut. Or chez le Christ la nature humaine était comme l’instrument de sa divinité. Donc elle n’était pas mue par sa propre volonté, mais par la volonté divine.

3. On ne doit multiplier chez le Christ que ce qui ressortit à la nature ; or tel n’est pas le cas de la volonté. Car ce qui est naturel est nécessaire ; ce qui est volontaire ne l’est pas. Donc la volonté est unique chez le Christ.

4. S. Jean Damascène enseigne que " vouloir d’une certaine manière, cela ne relève pas de la nature, mais de notre intelligence " ; c’est donc une activité personnelle. Mais toute volonté est une volonté particulière, car on ne fait partie d’un genre qu’en faisant partie de l’une de ses espèces. Donc toute volonté relève de la personne. Mais dans le Christ il n’y a eu et il n’y a qu’une seule personne, et donc une seule volonté.

En sens contraire, il y a la parole du Seigneur (Lc 22, 42) " Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe Cependant que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse. " En citant ce texte, S. Ambroise écrit : " Comme il avait pris ma volonté, il a pris ma tristesse. " Et il dit ailleurs " Il rapporte sa volonté à son humanité, celle du Père à la divinité. Car la volonté de l’homme est temporelle ; la volonté de Dieu est éternelle. "

Réponse :

Certains ont affirmé qu’il y avait dans le Christ une seule volonté, mais ils sont venus à cette position pour des motifs différents. Pour Apollinaire, il n’y avait pas d’âme intellectuelle chez le Christ, c’est le Verbe qui tenait lieu d’âme, ou même d’intelligence. Aussi, puisque " la volonté est dans la raison " selon Aristote. il s’ensuivait qu’il n’y avait pas de volonté humaine chez le Christ, et ainsi il n’y avait chez lui qu’une seule volonté. Et pareillement Eutychès, comme tous ceux qui n’admettaient dans le Christ qu’une seule nature composée, étaient contraints de ne mettre en lui qu’une seule volonté. Nestorius également, parce qu’il prétendait que l’union de l’homme et de Dieu se fait seulement par l’amour et la volonté, ne mettait qu’une seule volonté dans le Christ.

Plus tard, Macaire patriarche d’Antioche, Cyrus d’Alexandrie, Sergius de Constantinople et leurs partisans ne reconnurent chez le Christ qu’une seule volonté, tout en maintenant l’union des deux natures sous le rapport de l’hypostase ; ils pensaient que la nature humaine du Christ n’était jamais mue de son propre mouvement mais uniquement par la divinité, comme on le voit par la " lettre synodales " du pape Agathon. Et c’est pourquoi le VIe Concile œcuménique célébré à Constantinople détermina qu’il fallait admettre deux volontés dans le Christ, en ces termes : " Conformément à ce que les prophètes nous ont jadis enseigné sur le Christ, à ce que lui-même nous a enseigné et à ce que nous a transmis le Symbole des saints Pères, nous proclamons qu’il y a dans le Christ deux volontés et deux opérations selon ses deux natures. "

Et il était nécessaire de parler ainsi. Car il est évident que le Fils de Dieu a assumé une nature humaine parfaite, nous l’avons montré plus haut. Or la volonté appartient à la perfection de la nature humaine, dont elle est une puissance naturelle, comme l’intelligence, cela se déduit de nos exposés de la première Partie. Aussi est-il nécessaire de dire que le Fils de Dieu devait assumer, avec la nature humaine, une volonté humaine. Toutefois, en assumant la nature humaine, le Fils de Dieu n’a éprouvé aucun amoindrissement dans ce qui appartient à la nature divine, à laquelle convient la volonté, nous l’avons établi dans la première Partie. Aussi est-il nécessaire de dire que dans le Christ il y a deux volontés : divine et humaine.

Solutions :

1. Tout ce qui se trouvait dans la nature humaine du Christ était mû au gré de la volonté divine ; mais il ne s’ensuit pas qu’il n’y avait pas chez le Christ de mouvement volontaire propre à sa nature humaine. Parce que les volontés pieuses des autres saints, elles aussi, sont mues conformément à la volonté de Dieu " qui opère en eux le vouloir et le faire " (Ph 2, 13). Car bien que la volonté ne puisse être mue du dedans par aucune créature, elle peut l’être par Dieu, comme nous l’avons dit dans la première Partie. Et ainsi le Christ, selon sa volonté humaine, suivait la volonté divine, selon le Psaume (40, 9) : " Mon Dieu, j’ai voulu faire ta volonté. " Et S. Augustin écrit : " Quand le Fils dit au Père : "Non ce que je veux, mais ce que tu veux", à quoi bon ajouter ce commentaire : "Il montre par là que sa volonté est vraiment soumise à son Père". Comme si nous pouvions nier que la volonté de l’homme doit être soumise à celle de Dieu ? "

2. Il est propre à l’instrument d’être mû par l’agent principal, mais différemment selon les propriétés de sa nature. Car l’instrument inanimé, comme la hache ou la scie, n’est mû par l’artisan que d’un mouvement matériel. Un instrument animé par une âme sensible est mû par l’appétit sensible, comme le cheval par son cavalier. Mais l’instrument animé par l’âme raisonnable est mû par sa volonté, comme l’esclave est mû par l’ordre de son maître à faire un travail, " car l’esclave est comme un instrument animé " selon Aristote. Ainsi donc la nature humaine chez le Christ fut l’instrument de la divinité en ce qu’elle était mue par sa propre volonté.

3. La puissance de la volonté est naturelle et découle nécessairement de la nature. Mais le mouvement ou acte de cette puissance, appelé aussi volonté, est parfois naturel et nécessaire, par exemple dans la visée du bonheur, et parfois émane du libre arbitre, qui n’est ni naturel ni nécessaires nous avons montré comment dans la première Partie. Et cependant, même la raison, principe de ce mouvement, est naturelle. Et c’est pourquoi, outre la volonté divine, il faut mettre chez le Christ une volonté humaine, non seulement en tant qu’elle est une puissance ou un mouvement naturel, mais aussi en tant queue est un mouvement rationnel.

4. Vouloir d’une certaine manière désigne bien un mode déterminé du vouloir. Mais un mode déterminé affecte la réalité même dont il est le mode. De ce fait, puisque la volonté appartient à la nature, le fait de vouloir d’une certaine manière relève aussi de la nature, non pas considérée en elle-même absolument, mais envisagée dans telle hypostase. La volonté humaine du Christ, se trouvant dans l’hypostase divine, possédait donc un mode déterminé, car elle était toujours mue au gré de la volonté divine.

 

            Article 2 — Dans la volonté humaine du Christ y a-t-il une volonté de sensualité, et une autre de raison ?

Objections :

1. Le Philosophe enseigne : " La volonté est dans la raison ; dans l’appétit sensible, il y a l’irascible et le concupiscible. " Mais la sensualité désigne l’appétit sensible. Donc il n’y a pas eu chez le Christ une volonté de sensualité.

2. D’après S. Augustin, la sensualité est symbolisée par le serpent. Or le Christ n’avait rien de commun avec le serpent, car il eut la ressemblance de cet animal venimeux sans en avoir le venin, dit encore S. Augustin en commentant la parole de S. Jean (3, 14) : " De même que Moïse éleva le serpent dans le désert. . . " Donc il n’y avait pas chez le Christ de volonté de sensualité.

3. La volonté découle de la nature, nous l’avons dit. Mais chez le Christ il n’y avait qu’une seule nature, en dehors de la nature divine. Donc il n’y avait chez le Christ qu’une seule volonté humaine.

En sens contraire, S. Ambroise, écrit " C’est ma volonté qu’il appelle la sienne car, en tant qu’homme, il a pris ma tristesse. Il faut comprendre par là que la tristesse se rattache, chez le Christ, à la sensualité, comme on l’a montré dans la deuxième Partie. Il apparaît donc qu’il y a chez le Christ, outre la volonté de raison, la volonté de sensualité.

Réponse :

Comme nous l’avons dit à l’article précédent, le Fils de Dieu a assumé la nature humaine avec tout ce qui appartient à la perfection de celle-ci. Or la nature animale est incluse dans la nature humaine, comme le genre est inclus dans l’espèce. Aussi faut-il que le Fils de Dieu ait assumé avec la nature humaine tout ce qui appartient aussi à la perfection de la nature animale, dont fait partie l’appétit sensible appelé sensualité. Et c’est pourquoi il faut dire qu’il y avait de la sensualité chez le Christ.

Il faut encore savoir que la sensualité ou appétit sensuel, en tant qu’il est fait par nature pour obéir à la raison, est dit rationnel par participation, comme le montre Aristote. Et parce que la volonté " est dans la raison v ", on peut dire au même titre que la sensualité est une volonté par participations.

Solutions :

1. Le motif invoqué vaut pour la volonté proprement dit, qui ne se trouve que dans la partie intellectuelle de l’âme. Mais la volonté participée peut se trouver dans la partie sensitive, pour autant que celle-ci obéit à la raison.

2. La sensualité symbolisée par le serpent n’est pas la nature sensible assumée par le Christ, mais se réfère au foyer de péché et de corruption, qui ne se trouvait pas chez le Christ.

3. Quand une réalité existe en vue d’une autre, les deux semblent ne faire qu’un, ainsi la surface rendue visible par la couleur constitue avec elle un seul objet visible. Pareillement, la sensualité n’est appelée volonté que pour sa participation à la volonté rationnelle ; de même donc qu’il n’y a qu’une nature humaine chez le Christ, de même il n’y aura en lui qu’une seule volonté humaine.

 

            Article 3 — Y a-t-il eu chez le Christ deux volontés rationnelles ?

Objections :

1. S. Jean Damascène écrit que la volonté humaine est double : l’une naturelle, qu’on appelle thélèsis ; l’autre rationnelle, qu’on appelle boulèsis. Mais le Christ possédait, avec la nature humaine, tout ce qui appartient à la perfection de celle-ci. Donc ces deux volontés ont existé chez le Christ.

2. Chez l’homme, la distinction des facultés appétitives correspond à la distinction des facultés de connaissance ; et c’est pourquoi l’appétit sensible et l’appétit intellectuel se distinguent de la même manière que les sens et l’intellect. Mais on distingue également, du point de vue de la connaissance, la raison et l’intellect, qui ont existé tous deux chez le Christ. Il y a donc eu chez lui une double volonté : intellectuelle et rationnelle.

3. Certains mettent chez le Christ une " volonté de piété ", qui ne peut se trouver que du côté de la raison. Donc il y a dans le Christ plusieurs volontés rationnelles.

En sens contraire, dans un ordre donné, il y a toujours un premier moteur unique. Or, dans l’ordre des actes humains, la volonté est premier moteur. Il ne peut donc y avoir chez un homme qu’une seule volonté proprement dite, qui est la volonté rationnelle ; et puisque le Christ est un homme, il n’y a en lui qu’une seule volonté humaine.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, la volonté se prend tantôt pour la puissance, et tantôt pour l’acte. En ce dernier sens, il est vrai qu’il faut reconnaître chez le Christ deux volontés, c’est-à-dire deux espèces d’actes volontaires. Nous avons vu en effet, dans la deuxième Partie, que la volonté a pour objet d’une part la fin, et d’autre part ce qui a rapport à la fin, et qu’elle ne se porte pas de la même manière sur l’un et l’autre objet. Elle se porte vers la fin d’une façon absolue, comme vers ce qui est bon purement et simplement, elle se porte au contraire vers le moyen ordonné à la fin parce qu’elle le rapporte à cette fin, et qu’elle trouve en lui de la bonté, du fait de son ordre à autre chose que lui. L’acte volontaire qui se porte sur un objet voulu pour lui-même, comme la santé, n’est donc pas de même sorte que l’acte volontaire qui se porte sur un objet voulu seulement dans son rapport à autre chose comme l’absorption d’un remède. Le premier acte est appelé par S. Jean Damascène thélèsis ou simple vouloir et les Maîtres lui donnent le nom de volonté de nature ; le second est appelé par le Damascène boulèsis ou volonté prudentielle ; et les Maîtres lui donnent le nom de volonté de raison. Mais cette diversité d’actes ne diversifie pas la puissance, car tous deux visent dans l’objet la même raison de bien. C’est pourquoi, si nous parlons de la puissance volontaire, nous devons dire que, chez le Christ, il n’y a qu’une seule volonté humaine, essentielle et non participée. Mais si nous parlons de l’acte volontaire, nous distinguons alors chez le Christ une volonté de nature, appelée thélèsis et une volonté de raison, appelée boulèsis.

Solutions :

1. Les volontés en question ne se distinguent pas sous le rapport de la puissance, mais sous le rapport de l’acte, ainsi que nous l’avons exposé dans la Réponse.

2. On a montré dans la première Partie que l’intelligence et la raison ne sont pas des puissances diverses.

3. La volonté de piété n’est pas autre chose, semble-t-il, que la volonté de nature envisagée sous cet aspect queue fuit le mal d’autrui comme un mal absolu.

 

            Article 4 — Le Christ avait-il le libre arbitre ?

Objections :

1. S. Jean Damascène écrit : " Si nous voulons parler en propriété de termes, il est impossible d’attribuer au Christ la gnomè (perspicacité morale), et la proairésis " (principe de choix), impliquant une réflexion laborieuse. Or, la propriété des termes est surtout importante en matière de foi. On ne peut donc pas attribuer au Christ le choix, ni donc le libre arbitre, qui agit par choix ou élection.

2. Selon Aristote, " l’élection est l’acte de l’appétit qui suit le conseil ". Mais le Christ ne semble pas avoir possédé le conseil, car celui-ci ne s’exerce que pour les problèmes où nous n’avons pas de certitude. Il n’y a donc pas chez le Christ d’élection, ni par conséquent de libre arbitre.

3. Le libre arbitre est indifférent à l’égard des contraires. Mais la volonté du Christ était déterminée au bien, puisqu’elle ne pouvait pas pécher, on l’a dit plus haut’. Le Christ n’avait donc pas le libre arbitre.

En sens contraire, nous lisons dans Isaïe (7, 15) : " Il mangera de la crème et du miel, jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien ", ce qui est l’acte du libre arbitre. Le Christ avait donc le libre arbitre.

Réponse :

Nous l’avons dit, il y avait dans le Christ deux actes de volonté ; l’un par lequel sa volonté se portait sur un objet voulu pour lui-même ; l’autre par lequel elle se portait sur un objet en raison de son rapport à un autre pour lequel il a raison de moyen. Or l’élection, dit Aristote, diffère de la volonté en ce que celle-ci " a pour objet, à proprement parler, la fin, tandis que l’élection a pour objet les moyens ". Ainsi, le simple vouloir n’est pas autre chose que ce que nous avons appelé la volonté de nature ; et l’élection est identique à la volonté de raison ; de plus, elle est l’acte propre du libre arbitre, comme nous l’avons montré dans la première Partie C’est pourquoi, du moment que nous admettons chez le Christ la volonté de raison, nous devons aussi admettre chez lui la volonté d’élection, et par conséquent le libre arbitre, dont l’élection est l’acte.

Solutions :

1. Le Damascène refuse au Christ l’élection pour autant qu’elle comporte de l’hésitation. Mais elle n’en comporte pas nécessairement ; car Dieu même fait acte d’élection, selon S. Paul (Ep 1, 4) : " Il nous a élus en lui avant la création du monde ", alors qu’en Dieu il n’y a pas d’hésitation. Celle-ci intervient en tant que l’élection est le fait d’une nature ignorante. Il faut en dire autant des autres faiblesses mentionnées par ce texte.

2. L’élection suppose le conseil ; mais celui-ci est déterminé par le jugement ; car nous choisissons après l’enquête du conseil, ce que nous jugeons devoir faire, dit Aristote Et c’est pourquoi si l’on juge que l’on doit agir de telle façon sans qu’il y ait eu auparavant hésitation ni enquête, cela suffit pour qu’il y ait élection. Il est donc clair que l’hésitation ou l’enquête n’appartiennent pas essentiellement à l’élection, mais seulement si celle-ci est le fait d’une nature ignorante.

3. La volonté du Christ, bien que déterminée au bien, n’est cependant pas déterminée à tel ou tel bien. C’est pourquoi il appartenait au Christ de faire un choix par son libre arbitre, comme font les bienheureux.

 

            Article 5 — La volonté humaine du Christ a-t-elle dans tous ses vouloirs, conforme à la volonté du Père ?

Objections :

1. Il semble que la volonté humaine, chez le Christ, n’a pas voulu autre chose que ce que Dieu veut. En effet, il est dit dans un Psaume (40, 9) mis dans la bouche du Christ : " Mon Dieu, j’ai voulu faire ta volonté. " Or, faire la volonté de quelqu’un, c’est vouloir ce qu’il veut. La volonté humaine du Christ avait donc le même objet que sa volonté divine.

2. L’âme du Christ a eu une charité très parfaite, et même qui dépasse tout ce que nous pouvons comprendre, selon l’Apôtre (Ep 9, 19) : " La charité du Christ surpasse toute connaissance. " Mais, par la charité, l’homme conforme son vouloir à celui de Dieu : au dire d’Aristote l’un des caractères de l’amitié, c’est de vouloir et de choisir les mêmes choses. La volonté humaine du Christ ne pouvait donc vouloir autre chose que la volonté divine.

3. Le Christ était véritablement compréhenseur ; or les saints qui sont compréhenseurs dans la patrie, ne veulent pas autre chose que ce que Dieu veut ; autrement ils ne seraient pas bienheureux, puisqu’ils ne posséderaient pas tout ce qu’ils veulent. Car le bienheureux, dit S. Augustin " est celui qui a tout ce qu’il veut, et ne veut rien de mal ". Donc le Christ, par sa volonté humaine, n’a rien voulu d’autre que ce que voulait sa volonté divine.

En sens contraire, selon S. Augustin : " En disant : "Non ce je veux, mais ce que tu veux", le Christ montre qu’il a voulu autre chose que ce que voulait le Père. Or il ne le pouvait que par son cœur humain. Ayant pris sur lui notre faiblesse, il en avait fait sa propre affectivité, non pas divine, mais humaine. "

Réponse :

Nous l’avons dit il y a dans la nature humaine du Christ plusieurs volontés : une volonté de sensualité, que l’on appelle volonté par participation, et une volonté rationnelle que l’on peut envisager soit comme volonté de nature, soit comme volonté de raison. Nous avons remarqué également que, par une disposition providentielle, le Fils de Dieu permettait à sa chair d’agir et de pâtir en conformité avec ses propriétés naturelles. Semblablement, il permettait à toutes les facultés de son âme d’agir conformément à leur nature. Or il est manifeste que la volonté de sensualité s’oppose naturellement à la douleur sensible et à toute lésion corporelle ; de même la volonté de nature s’oppose à tout ce qui est contraire à la nature et mauvais en soi, comme la mort, etc. Néanmoins, la volonté de raison peut parfois choisir ces maux en considération de la fin ; ainsi, chez un homme ordinaire, la sensibilité et la volonté de nature fuient la brûlure, mais la volonté de raison l’accepte pour guérir. Précisément, la volonté de Dieu était que le Christ subît la douleur, la passion et la mort. Non pas que ces maux fussent voulus par Dieu pour eux-mêmes, mais parce qu’ils étaient ordonnés, comme à leur fin, au salut du genre humain. De ce fait il est clair que le Christ, par sa volonté de sensualité et par sa volonté de nature, pouvait vouloir autre chose que ce que Dieu voulait ; mais sa volonté de raison demeurait toujours conforme à celle de Dieu. Et nous le voyons clairement à cette parole : " Non ce que je veux, mais ce que tu veux. " Sa volonté de raison voulait accomplir la volonté divine, tandis qu’il affirmait vouloir autre chose selon son autre volonté.

Solutions :

1. Le Christ voulait par sa volonté de raison que la volonté de son Père fût accomplie ; mais ce vouloir ne relevait pas de sa volonté de sensualité qui ne peut s’élever jusqu’à la volonté de Dieu ; il n’était pas davantage le fait de la volonté de nature qui se porte sur un objet considéré absolument, et non dans son rapport à la volonté divine.

2. La conformité de la volonté humaine à la volonté divine relève de la volonté de raison, et c’est sous ce rapport que les vouloirs des amis concordent, car la raison considère l’objet dans sa relation avec la volonté de l’ami.

3. Le Christ était à la fois compréhenseur et voyageur, en tant que par l’esprit il jouissait de Dieu et en tant qu’il avait une chair capable de souffrir. Et c’est pourquoi, de ce côté, il pouvait rencontrer des objets qui contrariaient sa volonté naturelle, et même son appétit sensible.

 

            Article 6 — Y a-t-il eu contrariété entre les volontés du Christ ?

Objections :

1. Il semble bien, car la contrariété des volontés se prend de la contrariété de leurs objets, de même que la contrariété des mouvements se prend de la contrariété de leurs termes, selon Aristote. Mais, par ses diverses volontés, le Christ voulait des objets contraires ; en effet, par sa volonté divine il voulait la mort, et par sa volonté humaine il la fuyait. D’où cette parole de S. Athanase" : " Quand le Christ dit : "Père, si c’est possible, que cette coupe passe loin de moi, et pourtant que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui ne fasse", et encore : "L’esprit est résolu, mais la chair est faible", il montre deux volontés : l’une, humaine, qui fuyait la passion, à cause de la faiblesse de la chair ; l’autre, divine, résolue à souffrir la passion. " Le Christ a donc eu des volontés contraires.

2. Nous lisons dans l’épître aux Galates (5, 17) : " La chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair. " Il y a donc on’trariété de volontés quand l’esprit désire une chose, et la chair une autre. Mais ce fut le cas du Christ ; car, par l’amour de charité que le Saint-Esprit produisait en son âme, il voulait la souffrances selon Isaïe (53, 7) " Il s’est offert parce qu’il !’a voulu. " Et cependant, selon la chair, il fuyait la souffrance. Il y avait donc en lui contrariété de volontés.

3. Nous lisons dans S. Luc (22, 43, " Entré en agonie, il priait avec plus d’insisistance. " Mais l’agonie semble comporter un conflit intérieur entre tendances contraires. Il y avait donc dans le Christ contrariété de volontés.

En sens contraire, nous lisons dans les décret du sixième Concile œcuméniques : " Nous proclamons (dans le Christ) deux volontés naturelles, qui ne sont pas contraires, comme prétendaient les hérétiques impies ; mais sa volonté humaine, obéissant sans résistance ni révolte, est pleinement soumise à sa volonté dite toute-puissante. "

Réponse :

La contrariété ne peut être qu’une opposition considérée dans un même sujet et sous le même point de vue. Une diversité existant chez des sujets et à des points de vue différents ne suffit pas à constituer la contrariété, ni non plus la contradiction : ainsi un homme peut être beau et bien portant quant à sa main, et ne pas l’être quant à son pied, sans qu’il y ait contrariété.

Pour qu’il y ait contrariété de volontés chez quelqu’un, il est donc requis tout d’abord que la diversité de ses vouloirs considère le même point de vue. Quand un homme veut quelque chose pour un motif général, et qu’un autre homme n’en veut pas pour un motif particulier, il n’y a nullement contrariété de volontés. Ainsi le roi, qui veut qu’un voleur soit pendu pour le bien de l’États et le parent de ce voleur qui, en raison de son affection particulière, veut qu’il ne soit pas pendu, n’ont pas pour autant des vouloirs contraires. Mais il en serait autrement si l’amour du bien privé allait, pour le sauvegarder, jusqu’à vouloir empêcher le bien général ; alors en effet les vouloirs seraient opposés sous le même point de vue.

Ensuite, pour qu’il y ait contrariété de vouloirs, il est encore requis que cette contrariété concerne la même puissance volontaire. Quand un homme veut une chose par son appétit intellectuel, et en veut une autre par son appétit sensible, il n’en résulte pas une contrariété, sauf si l’appétit sensible l’emportait sur l’appétit rationnel au point de changer ou d’entraver celui-ci ; car ainsi la volonté rationnelle elle-même serait influencée par le mouvement contraire de l’appétit sensible.

Il faut donc reconnaître que la volonté naturelle et la volonté de sensualité du Christ voulaient autre chose que sa volonté divine et sa volonté rationnelle, mais qu’elles ne leur étaient pas contraires.

1° Ni sa volonté naturelle ni sa volonté de sensualité ne repoussaient le motif qui portait la volonté divine et la volonté humaine rationnelle à vouloir la Passion. La volonté de nature voulait absolument le salut du genre humain, mais il ne lui appartenait pas de vouloir ceci comme moyen de cela ; quant au mouvement de la volonté de sensualité, il ne pouvait s’étendre jusque-là.

2° Ni la volonté divine ni la volonté rationnelle du Christ n’étaient empêchées ou entravées par la volonté naturelle ou par l’appétit de sensualité. De même, et à l’inverse, le mouvement de ces deux dernières facultés n’était entravé ni retardé par les deux premières. Car le Christ jugeait bon, selon la volonté divine et la volonté rationnelle, qu’en lui la volonté naturelle et la volonté de sensualité soient mues selon la loi de leur nature.

Aussi est-il clair qu’il n’y avait chez le Christ aucune opposition ou contrariété des vouloirs.

Solutions :

1. Le fait, pour la volonté humaine du Christ, de vouloir autre chose que sa volonté divine, avait pour principe cette volonté divine elle-même ; car c’était avec son consentement que la nature humaine était animée de ses mouvements propres, selon le Damascène.

2. En nous la convoitise de la chair empêche ou retarde ce que convoite l’esprit, ce qui ne se produisait pas chez le Christ. C’est pourquoi chez lui il n’y avait pas comme chez nous opposition entre la chair et l’esprit.

3. Il n’y a pas eu d’agonie chez le Christ quant à la partie rationnelle de son âme, comme s’il y avait eu lutte entre les vouloirs découlant de la diversité des motifs, par exemple lorsque, selon que la raison considère ceci, on le veut ; et selon qu’elle considère cela, on veut le contraire. Ceci tient à la faiblesse de notre raison, qui ne sait pas discerner ce qui est absolument meilleur. Ce n’est pas le cas du Christ ; par sa raison il jugeait absolument meilleur d’accomplir par sa Passion la volonté divine concernant le salut du genre humain. Néanmoins il connut l’agonie dans la partie sensible de son âme, du fait qu’il éprouva la crainte d’un malheur imminent, selon le Damascène.

 

 

QUESTION 19 — L’UNITÉ D’OPÉRATION CHEZ LE CHRIST

1. N’y a-t-il chez le Christ qu’une seule opération, à la fois divine et humaine ? - 2. Y a-t-il chez le Christ plusieurs opérations selon sa nature humaine ?- 3. Par l’activité de sa nature humaine, le Christ a-t-il pu mériter pour lui-même ? - 4. Par cette même activité, a-t-il mérité pour nous ?

 

            Article 1 — N’y a-t-il chez le Christ qu’une seule opération, à la fois divine et humaine ?

Objections :

1. Nous lisons chez Denys " L’action miséricordieuse de Dieu à notre égard s’est manifestée en ce que, comme nous et à partir de nous, le Verbe suressentiel s’est entièrement et vraiment humanisé, et qu’il a accompli et souffert tout ce qui convenait à son opération humano-divine. " L’auteur, on le voit, ne parle que d’une opération à la fois divine et humaine, que les Grecs appellent théandrique, c’est-à-dire divino-humaine. Il semble donc qu’il y a chez le Christ une opération unique, mais composée.

2. L’agent principal et son instrument ont une même et unique opération. Or, nous l’avons déjà dit la nature humaine chez le Christ fut l’instrument de la nature divine. C’est donc que les deux natures, dans le Christ, ont une même opération.

3. Puisque les deux natures du Christ sont unies en une seule hypostase ou personne, il en résulte nécessairement un seul et même être appartenant à l’hypostase ou personne. Mais l’opération appartient elle aussi à l’hypostase ou personne, car il n’y a à agir que les suppôts subsistants ; de là ce mot du Philosophe - " L’action relève des êtres individuels. " Dans le Christ, il y aura donc une seule et même opération, à la fois divine et humaine.

4. L’agir, comme l’être, appartient à l’hypostase subsistante. Or, en raison de l’unité d’hypostase, il y a dans le Christ une existence unique, comme on l’a vu ; il y aura donc aussi une seule opération.

5. A une œuvre unique répond une opération unique. Or une même œuvre du Christ, comme la guérison d’un lépreux ou la résurrection d’un mort, relevait à la fois de sa divinité et de son humanité. Il y avait donc chez le Christ une seule opération.

En sens contraire, S. Ambroise écrit " Comment la même opération peut-elle provenir de puissances diverses ? Une puissance inférieure peut-elle agir de la même manière qu’une puissance supérieure ? Peut-il enfin y avoir une seule opération là où il y a diversité de substance ? "

Réponse :

Nous l’avons noté, les hérétiques qui prétendent ne mettre dans le Christ qu’une seule volonté affirmaient également en lui une seule opération. Pour mieux comprendre leur erreur, il faut remarquer que, lorsque plusieurs agents sont ordonnés entre eux, l’agent inférieur est toujours mû par l’agent supérieur ; ainsi, chez l’homme, le corps est mû par l’âme, et les facultés inférieures par la raison. Ainsi donc les actions et les mouvements du principe inférieur sont plutôt des actions opérées que de véritables opérations ; et c’est au principe suprême que l’opération appartient à proprement parler. Ainsi le fait de marcher et le fait de palper sont des œuvres humaines que l’âme opère par le moyen des pieds, dans le premier cas, et par le moyen des mains dans le second cas ; et puisque c’est la même âme qui opère chaque fois, du côté de l’agent lui-même, qui est premier principe du mouvement, il n’y a qu’une opération unique et indifférenciée ; la différence ne se trouve que du côté des œuvres produites. Or, de même que, chez un homme ordinaire, le corps est mû par l’âme, et l’appétit sensible par l’appétit rationnel, de même, chez le Christ Jésus, la nature humaine était mue et régie par la nature divine. C’est pourquoi les hérétiques prétendaient que, du côté de la divinité agissante, l’opération était identique et indifférenciée ; mais que les œuvres produites étaient diverses ; tantôt en effet la divinité du Christ agissait par sa propre vertu ; ainsi lisons-nous qu’" elle portait tout par sa parole toute-puissante " (He 1, 3) ; tantôt elle agissait par le moyen de la nature humaine, comme en marchant corporellement. De là les paroles de l’hérétique Sévère rapportées par le sixième Concile œcuménique : " Les œuvres accomplies et produites par le Christ sont très différentes : les unes sont attribuées à Dieu ; les autres sont humaines. Ainsi marcher corporellement sur le sol est évidemment humain ; guérir ceux auxquels leurs jambes malades interdisent de marcher est attribuable à Dieu. Mais c’est un être unique, le Verbe incarné, qui accomplit l’une et l’autre œuvre ; il ne faut nullement attribuer telle œuvre à telle nature, et telle autre œuvre à telle autre nature. Et du fait qu’il y a diversité dans les œuvres produites, nous aurions tort de prétendre qu’il y a deux natures ou formes agissantes. "

Sur ce point, les hérétiques se trompaient.

L’action de celui qui est mû par un autre, est double : l’une qu’il tient de sa propre forme ; l’autre, qu’il reçoit de l’agent qui le meut. Ainsi la hache posssède par sa forme une action, qui est de couper ; en tant qu’elle est actionnée par l’artisan, son action est de fabriquer un escabeau. L’opération qu’une chose possède par sa forme, lui est donc propre, et elle ne devient celle de l’agent moteur que parce que celui-ci s’en sert pour sa propre opération ; l’action de chauffer est propre au feu, et elle devient celle de l’ouvrier en tant que celui-ci utilise le feu pour chauffer le fer.

Quant à l’opération que la chose tient de celui qui la meut, elle ne diffère pas de l’opération du moteur lui-même ; faire un escabeau n’est pas pour la hache une opération séparée de celle de l’artisan. Par conséquent, toutes les fois que le moteur et le mobile ont des formes ou des puissances d’action diverses, l’opération propre du moteur sera nécessairement différente de l’opération propre du mobile ; mais le mobile participera de l’opération du moteur, et le moteur utilisera l’opération du mobile ; chacun d’eux agira donc en communion avec l’autre.

Or, chez le Christ, la nature humaine a une forme propre et une puissance qui est principe d’opération ; de même, la nature divine. Par conséquent, la nature humaine possède une opération propre distincte de l’opération divine, et réciproquement. Cependant la nature divine se sert de l’opération de la nature humaine à la manière dont l’agent principal utilise l’opération de son instrument. Pareillement la nature humaine participe à l’opération de la nature divine, comme l’instrument à l’opération de l’agent principal. C’est ce qu’affirme le pape S. Léon : " L’une et l’autre forme ", c’est-à-dire la nature divine et la nature humaine " accomplissent ce qui leur est propre en communion l’une avec l’autre : le Verbe opère ce qui appartient au Verbe, et la chair exécute de qui est propre à la chair ".

S’il n’y avait qu’une seule opération attribuable à la fois à la divinité et à l’humanité chez le Christ, il faudrait dire que la nature humaine n’a pas de forme ou de vertu propre (car évidemment on ne peut pas le dire de la nature divine) ; il s’ensuivrait que chez le Christ, il n’y aurait que l’opération divine, ou bien que la vertu divine et la vertu humaine se fondraient en une seule. Ces deux hypothèses sont inadmissibles, car, dans le premier cas, la nature humaine du Christ serait imparfaite, et, dans le second, on aboutirait à la confusion des natures.

C’est donc avec raison que le sixième Concile œcuménique condamne cette opinion, et définit ainsi la doctrine catholiques : " Nous proclamons qu’il y a dans le même Seigneur Jésus Christ, notre vrai Dieu, deux opérations naturelles, sans division, sans changement, sans confusion, sans séparation " : l’opération divine et l’opération humaine.

Solutions :

1. Denys admet dans le Christ une opération théandrique ou divino-humaine, non pas en confondant les opérations ou les vertus des deux natures, mais parce que l’opération divine utilise l’opération humaine, et que celle-ci participe de la vertu de la première. Aussi écrit-il : " Le Christ opérait d’une manière surhumaine des choses propres à la nature humaine, comme le montrent sa conception surnaturelle dans le sein de la Vierge, et sa marche sur les eaux. " Il est manifeste en effet qu’être conçu et marcher relèvent de la nature humaine, mais furent accomplis chez le Christ surnaturellement. De même le Christ opérait humainement des choses divines, par exemple il guérissait un lépreux en le touchant. C’est pourquoi Denys ajoute dans cette même lettre " Il n’a pas accompli à titre de Dieu des opérations divines, et à titre d’homme des opérations humaines ; mais à titre de Dieu fait homme, il a fait des choses inouïes par une opération divine et humaine. "

Cela veut dire qu’il y a dans le Christ deux opérations, l’une appartenant à la nature divine et l’autre à la nature humaine, car notre auteur affirme que, pour les choses qui relèvent de la nature humaine, " le Père et le Saint-Esprit n’y ont aucune part, à moins qu’on ne l’entende de leur bienveillante et miséricordieuse volonté ", en tant que le Père et le Saint-Esprit ont voulu dans leur miséricorde que le Christ agisse et souffre humainement. Et le même Denys ajoute ". . . à moins qu’on ne l’entende de la très sublime et ineffable opération divine que le Christ, devenu semblable à nous, mais demeurant immuable, accomplissait en tant que Dieu et Verbe de Dieu. " Ainsi donc il est évident qu’autre est l’opération humaine du Christ à laquelle le Père et le Saint-Esprit ne participent que sous le rapport de leur consentement miséricordieux ; et autre son opération en tant que Verbe de Dieu, en laquelle communient le Père et le Saint-Esprit.

2. On appelle instrument ce qui est mû par un agent principal, mais qui peut très bien avoir en outre une opération propre, laquelle lui vient de sa forme ; ainsi en est-il du feu, nous l’avons vu. En sorte que l’action de l’instrument comme tel n’est pas différente de l’action de l’agent principal ; mais cela ne l’empêche pas d’avoir une autre opération selon sa réalité propre. Ainsi donc, chez le Christ, l’opération de la nature humaine, en tant qu’elle est instrument de la divinité, ne diffère pas de l’opération divine ; notre salut est l’œuvre unique de l’humanité et de la divinité du Christ. Mais la nature humaine du Christ, en tant que telle, a une opération propre différente de celle de la nature divine, on vient de le dire.

3. L’action appartient à l’hypostase subsistante, mais dérive de la forme ou nature qui spécifie cette action. C’est pourquoi là où il y a diversité de formes ou de natures, il y a aussi diversité spécifique dans les opérations ; l’unité de l’hypostase donne seulement à l’opération son unité numérique. Ainsi le feu a deux opérations spécifiques différentes : éclairer et chauffer, qui lui viennent de la différence entre lumière et chaleur. Pourtant, au moment où il éclaire, sa clarté est numériquement unique. Pareillement, dans le Christ, il y a deux opérations spécifiques différentes, relatives à ses deux natures ; et cependant, chacune de ses opérations, au moment où elle se produit, est une numériquement ; elle constitue, par exemple, une marche unique, une guérison unique.

4. L’existence et l’agir relèvent de la personne par la nature, mais de façon différente. L’être appartient à la constitution même de la personne, et sous ce rapport il a raison de terme ; c’est pourquoi l’unité de personne requiert l’unité de l’être même, complet et personnel. Mais l’opération est un effet de la personne, et elle est produite en fonction d’une forme ou nature. La pluralité des opérations ne porte donc pas préjudice à l’unité personnelle.

5. Dans le Christ, l’œuvre propre à l’agir divin est distincte de l’œuvre propre à l’agir humain ; l’agir divin consistera par exemple à guérir un lépreux ; l’agir humain à toucher ce même lépreux. Pourtant les deux opérations concourent à une même œuvre, sous le rapport où une nature agit en communion avec l’autre, ainsi que nous l’avons expliqué.

 

            Article 2 — Y a-t-il chez le Christ plusieurs opérations selon sa nature humaine ?

Objections :

1. Le Christ, en tant qu’homme, participe de la nature végétative des plantes, de la nature sensible des animaux, de la nature intellectuelle des anges, ainsi que les autres hommes. Mais l’opération de la plante comme plante est différente de l’opération de l’animal comme animal. Donc le Christ, en tant qu’il est homme, a plusieurs opérations.

2. Les puissances et les habitus se distinguent selon leurs actes. Mais il y avait dans l’âme du Christ des puissances et des habitue divers, et donc des opérations diverses.

3. Les instruments doivent être adaptés à leurs opérations. Or le corps humain possède des membres de formes différentes, adaptés par conséquent à des opérations diverses. Il y a donc chez le Christ, selon sa nature humaine, plusieurs opérations distinctes.

En sens contraire, le Damascène écrit " L’opération suit la nature. " Mais chez le Christ il n’y avait qu’une seule nature humaine. Il n’y eut donc en lui qu’une seule opération humaine.

Réponse :

L’homme étant par essence un être raisonnable, l’opération proprement humaine sera celle qui procédera de la raison par le moyen de la volonté, qui est un appétit rationnel. S’il y a chez l’homme une opération qui ne procède pas de la raison et de la volonté, on ne peut pas dire qu’elle soit proprement humaine ; elle convient seulement à l’homme considéré en l’une des parties de sa nature : tantôt elle est le fait des éléments corporels qui la composent, comme d’être soumis aux lois de la pesanteur ; tantôt elle est le fait de la puissance végétative de l’âme, comme de se nourrir et de grandir ; tantôt elle relève de la partie sensible comme voir et entendre, imaginer et se souvenir, désirer et se mettre en colère. Entre ces multiples opérations, il y a cependant une certaine différence. Car les opérations sensibles de l’âme obéissent de quelque manière à la raison ; et dans la mesure même où elles lui sont soumises, elles sont raisonnables et humaines, comme le montre Aristote. Au contraire, les opérations qui relèvent de l’âme végétative ou des éléments matériels du corps ne sont pas soumises à la raison ; par conséquent elles ne sont aucunement raisonnables ni humaines de façon absolue, mais rattachées seulement à une partie de la nature humaine.

Or, nous l’avons dit, lorsqu’un agent inférieur agit par sa forme propre, son opération et celle de l’agent supérieur sont distinctes ; au contraire, quand l’agent inférieur n’agit que sous la motion de l’agent supérieur, il n’y a qu’une seule et même opération, attribuable à l’un et à l’autre. Ainsi donc, chez tout homme ordinaire, l’action des éléments corporels et de l’âme végétative est distincte de l’opération volontaire qui est proprement humaine. Pareillement, l’action de l’âme sensitive, pour autant que celle-ci n’est pas mue par la raison ; mais, dans le cas contraire, il n’y a qu’une même opération de la partie sensible et de la partie rationnelle. Quant à l’opération de l’âme rationnelle elle-même, elle est unique, si nous envisageons le principe de cette opération qui est la raison ou la volonté ; mais elle se diversifie selon son rapport à divers objets. Certains, il est vrai, attribuent cette diversité aux œuvres produites plutôt qu’aux opérations ; ils estiment que l’unité d’opération doit se juger d’après l’unité du principe actif ; et c’est en ce sens que nous posons la question de l’unité ou de la pluralité des opérations dans le Christ.

Ainsi donc, chez tout homme ordinaire, il n’y a qu’une seule opération qui soit proprement humaine : les autres opérations ne sont pas humaines à proprement parler. Mais, chez l’homme Jésus Christ, il n’y avait aucun mouvement de la partie sensible qui ne fût réglé par la raison. Bien plus, les opérations naturelles et corporelles relevaient en quelque façon de sa volonté, car, nous l’avons dit, le Christ voulait que " sa chair accomplisse et souffre tout ce qui lui revenait en propre ". C’est pourquoi il y a beaucoup plus d’unité dans l’opération du Christ que dans celle d’aucun autre homme.

Solutions :

1. L’opération de la partie sensible et de la partie végétative n’est pas proprement humaine, on vient de le dire. Néanmoins, chez le Christ elle l’était davantage que chez les autres hommes.

2. Les puissances et les habitus se diversifient par rapport à leurs objets ; par suite, la diversité des opérations répond à la diversité des puissances et des habitue, aussi bien qu’à la diversité des objets. Une telle diversité d’opérations, nous n’entendons pas l’exclure de l’activité humaine du Christ, ni celle qui a pour origine la diversité des instruments. Nous ne voulons exclure ici que la pluralité d’opérations, envisagée par rapport au premier principe actif, comme on l’a dit dans la Réponse.

3. Cela répond également à la troisième objection.

 

            Article 3 — Par l’activité de sa nature humaine, le Christ a-t-il pu mériter pour lui-même ?

Objections :

1. Le Christ avant sa mort était compréhenseur, comme il l’est maintenant. Mais le compréhenseur ne mérite plus ; sa charité appartient à la récompense de la béatitude, car c’est par la charité qu’il jouit de celle-ci. La charité ne peut donc être principe de mérite, car le mérite et la récompense sont distincts. Donc lé Christ, avant sa passion, ne méritait pas plus qu’il ne mérite maintenant.

2. Nul ne mérite ce qui lui est dû. Mais du fait que le Christ est Fils de Dieu par nature, l’héritage éternel, que les autres hommes méritent par leurs bonnes œuvres, lui est dû. Fils de Dieu dès le principe, il ne pouvait donc mériter pour lui-même.

3. Quand on possède ce qui est le principe, on ne mérite pas à proprement parler ce qui en est la conséquence. Or, le Christ possédait la gloire de l’âme, d’où découle ordinairement la gloire du corps, selon S. Augustin ; dans le Christ cependant, par une dispensation divine, la gloire de l’âme ne découlait pas sur le corps. Le Christ n’a donc pas mérité la gloire corporelle.

4. La manifestation de l’excellence du Christ n’est pas un bien appartenant au Christ lui-même, mais à ceux qui le connaissent ; aussi cette manifestation est-elle la récompense promise à ceux qui aiment le Christ, selon sa parole en S. Jean (14, 21) : " Celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; et je l’aimerai et je me manifesterai à lui. " Le Christ n’a donc pas mérité la manifestation de son élévation.

En sens contraire, S. Paul écrit (Ph 2, 6) " Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort ; et c’est pourquoi Dieu l’a exalté. " Le Christ, par son obéissance, a donc mérité son exaltation, et ainsi il a mérité pour lui-même.

Réponse :

Il est plus noble de posséder un bien par soi-même que de le tenir d’un autre car, selon Aristote " la cause par soi est toujours préférable à celle qui vient d’autrui ". Or, on possède par soi-même ce dont on est de quelque manière cause pour soi. Or, la cause première et souveraine de tous nos biens, c’est Dieu ; sous ce rapport, la créature ne possède rien de bon par elle-même selon S. Paul (1 Co 4, 7) : " Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? " Pourtant on peut, à titre de cause seconde, c’est-à-dire en coopérant avec Dieu, être cause d’un bien que l’on acquiert. En ce sens, celui qui possède quelque chose par son propre mérite le possède d’une certaine manière par lui-même. C’est pourquoi il est plus noble de posséder un bien par mérite que de le posséder sans le mériter.

Parce que l’on doit attribuer au Christ toute perfection et toute noblesse, il a dû posséder par mérite ce que les autres acquièrent eux-mêmes par mérite ; sauf le cas où l’absence de tel bien porterait à sa dignité et à sa perfection un préjudice que le mérite ne saurait compenser. En conséquence, le Christ n’a mérité ni la grâce, ni la science, ni la béatitude de l’âme, ni sa divinité ; car on ne mérite que ce que l’on ne possède pas. Il aurait alors fallu qu’à un moment donné, le Christ ait manqué de ces biens ; et ce manque eût porté atteinte à sa dignité, plus que le mérite ne l’augmente. Mais la gloire du corps, ou tout autre avantage analogue, est inférieure à la valeur du mérite, qui se rattache à la vertu de charité. Il faut donc affirmer que le Christ a mérité cette gloire corporelle et tous les biens qui contribuent à son excellence extérieure, comme l’Ascension, la vénération des hommes, etc. Il est donc clair qu’il a pu mériter pour lui-même.

Solutions :

1. La jouissance, qui est un acte de la charité, appartient à la gloire de l’âme, que le Christ n’a pas méritée. Donc, si le Christ a mérité par sa charité, il ne s’ensuit pas que mérite et récompense s’identifient. Cependant, cette charité par laquelle il a mérité n’était pas la sienne en tant que compréhenseur mais en tant que voyageur ; car il fut à la fois l’un et l’autre, nous l’avons montré. Et c’est parce qu’il n’est plus voyageur maintenant qu’il n’est pas en état de mériter.

2. La gloire divine et la maîtrise sur toutes choses sont dues au Christ, comme au premier et suprême Seigneur, en tant qu’il est Dieu et Fils de Dieu par nature. Toutefois la gloire lui est due comme à un homme bienheureux ; elle lui est due pour une part sans mérite, et pour une autre part avec mérite, comme nous l’avons montré dans la Réponse.

3. Le rejaillissement de la gloire de l’âme sur le corps vient d’une dispensation divine qui tient compte des mérites humains ; de même que l’homme mérite par l’action que l’âme exerce sur le corps, ainsi est-il récompensé par la gloire de l’âme rejaillissant sur le corps. C’est pourquoi non seulement la gloire de l’âme, mais aussi celle du corps est objet de mérite selon S. Paul (Rm 8, 11) : " Il vivifiera nos corps mortels par sien esprit qui habite en nous. " La gloire corporelle pouvait donc être objet de mérite pour le Christ.

4. La manifestation de l’excellence du Christ contribue à son bien, selon l’être nouveau qu’elle lui procure dans la connaissance d’autrui, bien qu’elle contribue en premier lieu au bien de ceux qui le connaissent, selon qu’ils le possèdent en eux-mêmes. Mais cela même se rapporte au Christ en tant qu’ils sont ses membres.

 

            Article 4 — Par l’activité de sa nature humaine, le Christ a-t-il mérité pour nous ?

Objections :

1. Il est écrit (Ez 18, 20) : " L’âme qui a péché, c’est elle qui mourra. " Pour la même raison, l’âme qui méritera, c’est elle qui sera récompensée. Il n’est donc pas possible que le Christ ait mérité pour les autres.

2. " C’est de la plénitude de la grâce du Christ que tous reçoivent " (Jn 1, 16). Mais les autres hommes qui possèdent la grâce du Christ ne peuvent pas mériter pour les autres. On lit en effet (Ez 18, 20) : " S’il y avait dans la ville Noé, Daniel et Job, ils ne sauveraient ni fils ni fille ; mais eux, par leur justice, sauveront leurs âmes. " Donc le Christ non plus n’a pu mériter pour nous.

3. " La récompense que l’on mérite est due en justice et non par grâce " (Rm 4, 4). Donc, si le Christ a mérité notre salut, il s’ensuit que notre salut ne vient pas de la grâce de Dieu, mais de sa justice, et que Dieu agit injustement avec ceux qu’il ne sauve pas, puisque le mérite du Christ s’étend à tous.

En sens contraire, il est écrit (Rm 5, 18) " Comme la faute d’un seul a entraîné la condamnation de tous les hommes, ainsi la justice d’un seul procure à tous les hommes la justification qui donne la vie. " Or le démérite d’Adam a entraîné la condamnation des autres hommes. A plus forte raison le mérite du Christ rejaillit sur les autres.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, le Christ ne possédait pas seulement la grâce à titre individuel, mais aussi comme tête de toute l’Église, à qui tous sont unis comme les membres à leur tête, pour constituer avec lui une seule personne mystique. Aussi le mérite du Christ s’étend-il aux autres hommes en tant qu’ils sont ses membres ; ainsi, dans un individu, l’action de la tête appartient de quelque manière à tous ses membres, car ce n’est pas seulement pour elle que ses sens agissent, mais pour tous ses membres.

Solutions :

1. Le péché d’un individu ne fait de mal qu’à lui-même. Mais Adam ayant été constitué par Dieu principe de toute la nature humaine, son péché se transmet aux autres par la propagation de la vie charnelle. Et pareillement, le Christ ayant été constitué par Dieu tête de tous les hommes à l’égard de la grâce, son mérite s’étend à tous ses membres.

2. Les autres reçoivent de la plénitude du Christ non pas la source de la grâce, mais une grâce individuelle. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que les autres hommes méritent pour autrui, à la différence du Christ.

3. De même que le péché d’Adam ne se transmet aux autres hommes que par voie de génération charnelle, de même le mérite du Christ ne leur est communiqué que par une régénération spirituelle qui se réalise dans le baptême et par laquelle ils sont incorporés au Christ, selon l’épître aux Galates (2, 27) : " Vous tous, qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. " Et cela même est l’œuvre de la grâce, qu’il soit accordé à l’homme d’être régénéré dans le Christ. Et c’est ainsi que le salut de l’homme vient de la grâce.

Il faut étudier maintenant les activités qui conviennent au Christ par rapport au Père.

Certaines lui sont attribuées selon que lui-même se rattache au Père : par exemple qu’il lui est soumis ; qu’il l’a prié ; qu’il l’a servi par son sacerdoce.

D’autres activités lui sont attribuées, ou peuvent l’être, selon la relation du Père à son égard. Par exemple on peut se demander si le Père l’a adopté, et étudier sa prédestination par le Père.

Il faut donc étudier ; I. La soumission du Christ à son père (Q. 20). - II. Sa prière (Q. 21). - III. Son sacerdoce (Q. 22). IV. Lui convient-il d’être adopté ? (Q. 23). - V. Sa prédestination (Q. 24).

 

 

QUESTION 20 — LA SOUMISSION DU CHRIST À SON PÈRE

1. Le Christ a-t-il été soumis à son Père ? - 2. A-t-il été soumis à lui-même ?

 

            Article 1 — Le Christ a-t-il été soumis à son Père ?

Objections :

1. Tout ce qui est soumis à Dieu le Père est créature, ainsi qu’il est dit dans le livre des Croyances ecclésiastiques,, : " Dans la Trinité, personne ne sert ni n’est soumis. " Or, on ne peut dire purement et simplement que le Christ soit une créature, nous l’avons montré plus haut. On ne peut donc pas dire non plus à proprement parler que le Christ a été soumis à Dieu le Père.

2. La soumission à Dieu suppose la servitude à l’égard de sa domination suprême. Mais on ne peut attribuer à la nature humaine du Christ la servitude, car, selon S. Jean Damascène : " Nous ne pouvons pas dire qu’elle (la nature humaine du Christ) est servante. La servitude et la domination ne sont pas des propriétés révélant la nature, mais de simples relations, comme la paternité et la filiation. " Le Christ, selon sa nature humaine, n’est donc pas soumis à Dieu le Père.

3. S. Paul nous dit (1 Co 15, 28) : " Quand tout lui aura été soumis, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a tout soumis. " Mais selon l’épître aux Hébreux (2, 8) : " Pour le moment, nous ne voyons pas encore que tout lui soit soumis. " C’est donc que le Christ n’était pas encore soumis au Père qui lui a soumis toutes choses.

En sens contraire, le Seigneur déclare en S. Jean (14, 28) : " Le Père est plus grand que moi. " Et S. Augustin commente ainsi cette parole : " C’est à bon droit que l’Écriture affirme les deux choses : d’une part que le Fils est égal au Père, et d’autre part que le Père est plus grand que le Fils. Il faut entendre la première de la forme de Dieu ; la seconde de la forme de serviteur, mais sans les confondre. " Or le plus petit est soumis au plus grand. Le Christ, considéré sous sa forme de serviteur, est donc soumis au Père.

Réponse :

Les propriétés d’une nature conviennent au sujet qui possède cette nature. Or la nature humaine, par sa condition même, est soumise à Dieu de trois manières.

1° Sous le rapport de la bonté, en tant que la nature divine est la bonté par essence, comme le montre Denys, la nature humaine ne possède qu’une certaine participation de la bonté divine, et se trouve soumise pour ainsi dire au rayonnement de cette bonté.

2° La nature humaine est soumise à Dieu en raison de la puissance de Dieu parce que, comme toute créature, elle obéit à l’activité réglée par lui.

3° Sous le rapport de son acte propre, en tant que la nature humaine doit une obéissance volontaire aux préceptes divins.

Cette triple soumission, le Christ la confesse à l’égard de son Père. En ce qui concerne la première, nous lisons (Mt 19, 17) : " Pourquoi m’interroges-tu sur ce qui est bon ? Dieu seul est bon. " S. Jérôme explique : " Parce que le jeune homme l’avait appelé bon Maître, et ne l’avait pas proclamé Dieu ou Fils de Dieu, Jésus répond que, malgré sa sainteté humaine, et en comparaison avec Dieu, il n’est pas bon. " Il nous faisait comprendre ainsi que, sous le rapport de la nature humaine, il n’atteignait pas au degré de la bonté divine. Et puisque, selon S. Augustin " en ces matières qui ne relèvent pas de la quantité matérielle, plus grand est synonyme de meilleur ", pour cette raison on dit que le Père est plus grand que le Christ selon sa nature humaine.

La deuxième soumission est encore attribuée au Christ en tant que tous les faits se rapportant à son humanité ont été l’objet d’une disposition providentielle de Dieu. C’est pourquoi Denys affirme que " le Christ est soumis aux ordres de son Père ". Et c’est la soumission de servitude selon laquelle toute créature sert Dieu, en se soumettant à son ordonnance, selon cette parole (Sg 16, 24) : " La création est à ton service, à toi son Créateur. " C’est en ce sens encore qu’il est écrit aux Philippiens (2, 7) : Le Fils de Dieu " a pris la forme de serviteur ".

Enfin, la troisième soumission, le Christ se l’attribue à lui-même quand il dit (Jn 8, 29) : " Tout ce qui lui plaît, je le fais toujours. " C’est la soumission d’obéissance. De là cette parole aux Philippiens (2, 8) : " Il s’est fait obéissant au Père jusqu’à la mort. "

Solutions :

1. Comme nous l’avons expliqué, quand on dit que le Christ est une créature, il ne faut pas l’entendre de façon absolue, mais selon sa nature humaine, que cette précision soit explicite ou non. De même dans le cas présent, il ne faut pas croire que le Christ a été soumis à son Père de façon absolue, mais seulement selon la nature humaine, même si l’on n’apporte pas explicitement cette précision. Il est préférable néanmoins de le faire, afin d’éviter l’erreur d’Arius qui prétendait que le Fils est inférieur au Père.

2. La relation de serviteur à maître se fonde sur l’action et la passion, car il appartient au maître de mouvoir son serviteur par le commandement. Or, l’agir ne s’attribue pas à la nature comme sujet de l’action, mais à la personne : " Les actes appartiennent aux suppôts et aux individus ", dit Aristote. L’action est attribuée à la nature comme au principe selon lequel la personne ou hypostase agit. Dès lors, bien qu’on ne puisse dire qu’une nature est maîtresse ou servante, on peut le dire néanmoins d’une personne ou hypostase selon telle ou telle nature. Et à ce titre rien n’empêche de dire que le Christ est soumis au Père, ou qu’il est son serviteur, sous le rapport de la nature humaine.

3. Comme le remarque S. Augustin. " le Christ remettra le royaume à Dieu son Père, quand il aura conduit à la vision directe les justes sur lesquels il règne maintenant par la foi ", si bien qu’ils verront l’essence divine elle-même, commune au Père et au Fils. Alors il sera soumis totalement au Père non seulement en lui-même, mais dans ses membres, par une participation plénière de la bonté divine. Alors aussi toutes choses lui seront pleinement soumises par l’accomplissement dernier de sa volonté en elles. Et pourtant, dès à présent toutes choses sont soumises à sa puissance, selon sa parole en S. Matthieu (28, 18) : " Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. "

 

            Article 2 — Le Christ a-t-il été soumis à lui même ?

Objections :

1. S. Cyrille écrit dans une lettre approuvée par le Concile d’Éphèse : " Le Christ n’a été, par rapport à lui-même, ni serviteur ni maître. Il est fou et impie de parler et de penser ainsi. " Et S. Jean Damascène affirme aussi : " Le Christ, puisqu’il est un être unique, ne peut être serviteur ni maître par rapport à lui-même. " Or, nous disons que le Christ est serviteur du Père en tant qu’il lui est soumis. Le Christ n’est donc pas soumis à lui-même.

2. " Serviteur " est relatif à " maître ". Or on n’est pas en relation avec soi-même car, dit S. Hilaire " rien n’est semblable ou égal à soi ". Donc le Christ ne peut être dit serviteur de lui-même, ni par suite soumis à lui-même.

3. Selon S. Athanase. " de même que l’âme et la chair constituent un homme unique, ainsi Dieu et l’Homme constituent un seul Christ ". Mais on ne dit pas que l’homme est soumis à lui-même, ni qu’il est serviteur de lui-même, ni qu’il est plus grand que lui-même, du seul fait que son corps est soumis à son âme. Donc on ne dit pas non plus que le Christ est soumis à lui-même parce que son humanité est soumise à sa divinité.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " A ce point de vue (c’est-à-dire en tant que le Père est plus grand que le Christ selon la nature humaine), le Fils est inférieur à lui-même. ". Comme le prouve S. Augustin, au même endroit, le Fils de Dieu a pris la forme de serviteur sans perdre la forme de Dieu. Mais selon la forme divine, qui est commune au Père et au Fils, le Père est plus grand que le Fils selon la nature humaine. Le Fils est donc plus grand que lui-même selon la nature humaine.

6. Le Christ, selon la nature humaine, est serviteur de Dieu le Père selon sa parole en S. Jean (20, 17) : " je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. " Mais quiconque est serviteur du Père l’est aussi du Fils ; autrement, tout ce qui appartient au Père n’appartiendrait pas au Fils. Donc le Christ est serviteur de lui-même, et soumis à lui-même.

Réponse :

Comme nous venons de le dire, être seigneur et serviteur est attribuable à l’hypostase ou personne selon une nature donnée. Quand on dit que le Christ est Seigneur ou serviteur de lui-même, ou que le Verbe de Dieu est Seigneur du Christ homme, on peut donc l’entendre d’une double manière. D’abord en ce sens que ce serait affirmé en raison de personnes différentes : la personne du Verbe de Dieu exerçant sa domination sur une autre personne, celle de l’homme, soumise à cette domination ; c’est l’hérésie de Nestorius. Aussi lisons-nous dans sa condamnation par le Concile d’Éphèse : " Si quelqu’un ose dire que le Verbe de Dieu le Père est Dieu ou maître du Christ, plutôt que de confesser qu’il est à la fois Dieu et homme, puisque "Verbe fait chair" selon les Écritures, qu’il soit anathème. " On trouve la même négation chez S. Cyrille et chez le Damascène. Et dans le même sens on doit nier que le Christ soit inférieur ou soumis à lui-même.

Dans un autre sens, on peut l’entendre selon la diversité des natures dans une même personne ou hypostase. Ainsi nous pouvons dire que, selon la nature qui lui est commune avec nous, le Christ est sujet et serviteur. Et c’est en ce sens que S. Augustin peut dire que le Christ est inférieur à lui-même.

Cependant, il faut savoir que le nom de Christ est un nom personnel, comme celui de Fils. Aussi, tout ce qui convient au Christ en raison de sa personne, qui est éternelle, peut lui être attribué essentiellement et absolument, surtout ces relations dont nous parlons, qui semblent appartenir plus proprement à la personne ou hypostase. Mais ce qui convient au Christ selon la nature humaine doit plutôt lui être attribué avec des précisions. On dira donc de manière absolue que le Christ est le Très-Haut, le Seigneur et le Maître ; mais quand on dira qu’il est sujet, serviteur ou inférieur, il conviendra de préciser : selon la nature humaine.

Solutions :

1. S. Cyrille et S. Jean Damascène nient que le Christ soit Seigneur par rapport à lui-même au sens où cela impliquerait une pluralité de suppôts, et si l’on dit de façon absolue que quelqu’un est le maître d’un autre. .

2. A parler de façon absolue, il faut que maître et serviteur désignent des êtres différents’. On peut cependant sauvegarder les notions de maîtrise et de service quand on dit que le même être est maître et serviteur de soi-même selon des points de vue différents.

3. En raison des diverses parties de l’homme, dont l’une est supérieure et l’autre inférieure, Aristote reconnaît qu’il y a une justice que l’homme se doit à lui-même, en tant que l’irascible et le concupiscible obéissent à la raison. Sous ce rapport, un même homme peut être dit sujet et serviteur de lui-même, selon les diverses parties de son être.

4. 5. 6. Quant aux arguments en sens contraire, la réponse est claire. S. Augustin affirme en effet que le Christ est inférieur ou soumis à lui-même selon sa nature humaine, et non selon la diversité des suppôts.

 

 

QUESTION 21 — LA PRIÈRE DU CHRIST

1. Convient-il au Christ de prier ? - 2. Cela convient-il selon sa sensualité ? - 3. Lui convient-il de prier pour lui-même, ou seulement pour les autres ? - 4. Toute prière du Christ est-elle exaucée ?

 

            Article 1 — Convient-il au Christ de prier ?

Objections :

1. Selon S. Jean Damascène, " la prière est une demande à Dieu de ce qui est opportun ". Mais le Christ pouvait tout faire ; il n’avait donc rien à demander à personne.

2. On ne demande pas ce que l’on sait devoir arriver certainement ; ainsi nous ne prions pas pour que le soleil se lève demain. Il ne convient pas davantage de demander ce dont on sait que cela ne se réalisera en aucune façon. Or le Christ avait une science certaine de l’avenir ; il n’avait donc rien à demander par la prière.

3. Le Damascène écrit : " La Prière est une élévation de l’intelligence vers Dieu. " Mais l’intelligence du Christ n’avait nul besoin de monter vers Dieu, puisqu’elle lui était unie non seulement par l’union hypostatique, mais encore par la vision bienheureuse.

En sens contraire, on lit dans S. Luc (6, 12) " En ces jours-là il sortit dans la montagne pour prier, et il passait la nuit à. prier Dieu. "

Réponse :

Nous l’avons dit dans la deuxième Partie, la prière est un exposé fait à Dieu de notre vouloir propre, pour qu’il l’exauce. Donc, s’il n’y avait dans le Christ qu’une seule volonté, la volonté divine, il ne lui conviendrait aucunement de prier, car la volonté divine est par elle-même réalisatrice de ses propres vouloirs, selon le Psaume (135, 6) : " Tout ce que le Seigneur a voulu, il l’a fait. " Mais chez le Christ il y a une volonté divine et une volonté humaine ; et la volonté humaine n’est capable de réaliser ce qu’elle veut que grâce à la puissance divine. C’est pourquoi il convient au Christ de prier, en tant qu’homme possédant une volonté humaine.

Solutions :

1. Le Christ pouvait faire tout ce qu’il voulait en tant que Dieu, mais non en tant qu’homme ; car en tant que tel il n’avait pas la toute-puissance, nous l’avons dit. Et bien qu’il fût à la fois Dieu et homme, il voulut néanmoins présenter la prière à son Père, non pas par impuissance, mais afin de nous instruire. D’abord pour nous montrer qu’il vient du Père. C’est pourquoi il dit lui-même (Jn 11, 42) : " J’ai prié à cause du peuple qui m’entoure, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé. " Aussi, S. Hilaire écrit-il : " Il n’avait pas besoin de prière, mais il pria à cause de nous, pour que nous n’ignorions pas qu’il est le Fils. "

Ensuite il a prié pour nous donner l’exemple, dit S. Ambroise : " Ne l’écoutez pas avec malveillance, vous figurant que le Christ demande par faiblesse pour obtenir ce qu’il ne peut accomplir. Auteur du pouvoir, maître d’obéissance, il nous façonne par son exemple aux préceptes de la vertu. " Et S. Augustin : " Le Seigneur, en sa forme d’esclave, pouvait, s’il en était besoin, prier silencieusement. Mais il voulait se faire voir en train de prier son Père, pour rappeler qu’il est chargé de nous instruire. "

2. Parmi les choses que le Christ savait devoir arriver, il savait que certaines se réaliseraient à sa prière ; il convenait donc qu’il les demande à Dieu.

3. L’ascension n’est pas autre chose qu’un mouvement vers le haut. Or on peut parler de mouvement de deux manières, selon Aristote. D’une manière, il peut s’agir d’un mouvement proprement dit, qui comporte un passage de la puissance à l’acte, et qui est l’acte d’un être imparfait. En ce sens, monter se dit de celui qui est en puissance, mais non en acte, à être en haut. Sous ce rapport, le Damascène écrit : " Le Christ n’a pas besoin de monter vers Dieu, car il est toujours uni à Dieu par son être personnel et par sa contemplation bienheureuse. " D’une autre manière, le mouvement peut signifier l’acte d’un être parfait, qui est déjà en acte ; en ce sens comprendre et sentir sont appelés des mouvements. Et c’est de cette manière que l’intelligence du Christ monte toujours vers Dieu, parce qu’elle le contemple toujours comme étant au-dessus d’elle-même.

 

            Article 2 — Convient-il au Christ de prier selon sa sensualité ?

Objections :

1. C’est vraisemblable puisqu’il est dit dans un Psaume (84, 3) mis sur les lèvres du Christ : " Mon cœur et ma chair ont tressailli vers le Dieu vivant. " Donc la sensualité du Christ a pu monter vers le Dieu vivant en tressaillant, et donc aussi en le priant.

2. Prier est le fait de celui qui désire ce qu’il demande. Or le Christ a demandé ce que désirait sa sensualité lorsqu’il a dit : " Que cette coupe s’éloigne de moi " (Mt 21, 39). Donc la sensualité du Christ a prié.

3. Il est mieux d’être uni à Dieu dans la personne que de monter vers lui par la prière. Mais la sensualité fut assumée par Dieu dans l’unité de la personne, comme toutes les composantes de la nature humaine. A plus forte raison a-t-elle pu monter vers Dieu par la prière.

En sens contraire, il est écrit (Ph 2, 7) que le Fils de Dieu par la nature qu’il a assumée " a été fait semblable aux hommes ". Mais les autres hommes ne prient pas selon leur sensualité. Le Christ n’a donc pas, lui non plus, prié de cette manière.

Réponse :

Prier selon la sensualité peut s’entendre en deux sens. En ce sens, tout d’abord, que la prière serait un acte de la sensualité ; en ce sens le Christ n’a pas prié selon la sensualité. Car la sienne était de même nature que la nôtre ; or, en nous, la sensualité ne peut prier pour une double raison. D’abord parce que le mouvement de la sensualité ne peut dépasser le domaine du sensible, et donc monter vers Dieu, ce qui est requis pour la prière. Ensuite, parce que la prière suppose un certain ordre, en tant que l’on désire un bien comme devant être réalisé par Dieu ; et cela, la raison seule peut le faire. C’est pourquoi, nous l’avons dit dans la deuxième Partie la prière est un acte de la raison.

Dans un autre sens, on peut dire que quelqu’un prie selon sa sensualité en ce sens que la raison, dans la prière, expose à Dieu le désir de son appétit sensible. Sous ce rapport, le Christ a prié selon sa sensualité en tant que sa prière se faisait l’avocat de sa sensualité. Et le Christ a agi ainsi pour nous instruire en nous montrant trois choses : 1° qu’il a assumé une véritable nature humaine avec toute son affectivité naturelle ; 2° qu’il est permis à l’homme de vouloir d’une affection naturelle ce que Dieu ne veut pas ; 3° que l’homme doit soumettre sa propre affectivité à la volonté divine. De là ces paroles de S. Augustin : " Le Christ, se comportant en homme, montre la volonté particulière de l’homme, quand il dit : "Que cette coupe s’éloigne de moi. " Il y avait là en effet une volonté humaine ayant un objet propre et comme privé. Mais parce qu’il veut être un homme droit et aller à Dieu, il ajoute : "Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. " Comme s’il disait à chacun de nous : Regarde-toi en moi ; car tu peux vouloir personnellement quelque chose, bien que Dieu veuille autrement. "

Solutions :

1. La chair tressaille vers le Dieu vivant, non par un acte de la chair montant vers Dieu, mais par rejaillissement du cœur sur la chair, en tant que l’appétit sensible suit le mouvement de l’appétit rationnel.

2. Bien que la sensualité ait voulu ce que la raison demandait, le demander dans la prière n’appartient pas à la sensualité, mais à la raison, nous l’avons dit dans la Réponse.

3. L’union hypostatique se fait selon l’être personnel, qui se rattache à toutes les composantes de la nature humaine. Mais l’ascension de la prière se fait par un acte qui ne convient qu’à la raison. Donc la comparaison ne vaut pas.

 

            Article 3 — Convenait-il au Christ de prier pour lui-même, ou seulement pour les autres ?

Objections :

1. S. Hilaire écrit : " Les paroles de sa prière ne lui profitaient pas, mais il parlait au profit de notre foi. " Il apparaît donc ainsi que le Christ n’a pas prié pour lui-même, mais pour nous.

2. Nul ne prie que pour obtenir ce qu’il désire, car, nous l’avons noté In, la prière est un exposé fait à Dieu de notre vouloir, pour qu’il l’exauce.

Mais le Christ voulait subir sa passion ; S. Augustin écrit : " L’homme, la plupart du temps, s’attriste sans le vouloir ; il dort sans le vouloir, sans le vouloir il a faim et soif. Le Christ au contraire a subi tout cela parce qu’il l’a voulu. " Il ne lui convenait donc pas de prier pour lui-même.

3. S. Cyprien écrit : " Le maître de la paix et de l’unité n’a pas voulu prier en particulier et privément, pour éviter qu’on prie seulement pour soi. " Mais le Christ a accompli ce qu’il enseignait : " Jésus commença à agir et à enseigner. " Donc le Christ n’a jamais prié pour lui seul.

En sens contraire, le Seigneur lui-même a dit dans sa prière : " Glorifie ton Fils " (Jn 17, 1).

Réponse :

Le Christ a prié pour lui-même d’une double manière. D’abord en exprimant le sentiment de sa sensualité, comme nous l’avons dit plus haut ou de sa volonté considérée comme nature, ainsi lorsqu’il pria pour que s’éloigne la coupe de sa passion. D’une autre manière en exprimant le sentiment de sa volonté délibérée, considérée comme raison, ainsi lorsqu’il demanda la gloire de la résurrection. Et cela était logique. Car, nous l’avons dit le Christ a voulu prier son Père pour nous donner l’exemple de la prière ; et aussi pour montrer que le Père est l’auteur duquel il procède éternellement selon la nature divine, et de qui, selon la nature humaine, il possède tout ce qu’il a de bon. Or, dans sa nature humaine, de même qu’il possédait déjà certains biens venus du Père, de même il en attendait d’autres qu’il lui restait à obtenir. Et c’est pourquoi, pour les biens déjà reçus par sa nature humaine, il rendait grâce au Père qu’il reconnaissait en être l’auteur, comme on le voit clairement dans l’évangile (Mt 26, 17 ; Jn 11, 41). Et c’est encore pour reconnaître le Père comme l’auteur de tout bien qu’il lui demandait par la prière ce qui lui manquait selon sa nature humaine, comme la gloire du corps. En cela aussi le Christ nous donnait l’exemple, afin que nous rendions grâce pour les dons reçus, et que nous demandions par la prière les bienfaits que nous ne possédons pas encore.

Solutions :

1. S. Hilaire parle de la prière vocale, qui n’était pas nécessaire au Christ pour lui-même, mais seulement pour nous. Aussi dit-il expressément : " Les paroles de sa prière ne lui profitaient pas. " En effet si, selon le Psaume (10, 17), " le Seigneur exauce le désir des pauvres ", à bien plus forte raison la volonté du Christ à elle seule a-t-elle force de prière auprès du Père. Si bien que le Christ affirmait lui-même (Jn 11, 42) : " je savais que tu m’exauces toujours, mais j’ai parlé à cause du peuple qui m’entoure, pour qu’ils croient que tu m’as envoyé. "

2. Certes, le Christ voulait subir toutes les souffrances de sa passion au moment de celle-ci, mais il voulait, après celle-ci, obtenir la gloire temporelle qu’il ne possédait pas encore. Et cette gloire il l’attendait du Père comme de son auteur. Et c’est pourquoi il convenait qu’il la demande.

3. La gloire qu’il demandait dans sa prière se rattachait aussi au salut des autres hommes, selon S. Paul (Rm 4, 25) : " Il est ressuscité pour notre justification. " La prière qu’il faisait pour lui-même était d’une certaine façon pour les autres. Ainsi tout homme qui demande à Dieu un bien pour l’employer au profit des autres ne prie pas pour lui seul, mais aussi pour les autres.

 

            Article 4 — Toute prière du Christ est-elle exaucée ?

Objections :

1. Il semble que non, car le Christ a demandé l’éloignement de la coupe (Mt 26, 39), qui ne s’est pas fait.

2. Il a prié pour le pardon de ceux qui le crucifiaient (Lc 23, 34). Cependant tous n’ont pas eu le pardon de leur péché, car les Juifs furent punis pour ce péché.

3. Il a prié pour ceux qui croiraient en lui par la parole des Apôtres, pour que tous soient un et parviennent à être avec lui. Mais tous n’y parviennent pas.

4. Il est dit dans un Psaume (22, 3) mis sur les lèvres du Christ : " je crierai tout le jour, et tu ne m’exauceras pas. "

En sens contraire, il est écrit (He 5, 7) " Ayant présenté, avec un grand cri et des larmes, des prières et des supplications, il a été exaucé pour sa piété. "

Réponse :

Nous l’avons dit. la prière est comme l’expression de la volonté humaine. On peut donc dire que la prière de quelqu’un est exaucée quand sa volonté est accomplie. Or, la volonté de l’homme comme tel est une volonté rationnelle, car nous voulons absolument ce que nous voulons par délibération de la raison. Au contraire, ce que nous voulons par un mouvement de sensualité, ou même par un mouvement de notre volonté considérée comme émanant de la nature, nous ne le voulons pas absolument, mais seulement sous cette condition : si la délibération de la raison n’y met aucun obstacle. Il y a là une velléité plutôt qu’une volonté absolue, parce qu’on le voudrait si autre chose ne s’y opposait pas.

Selon sa volonté rationnelle, le Christ n’a rien voulu d’autre que ce qu’il savait être voulu par Dieu. C’est pourquoi toute volonté absolue du Christ, même humaine, fut accomplie, parce que conforme à la volonté de Dieu, et par conséquent toutes ses prières furent exaucées. Car c’est ainsi que les prières des autres hommes sont exaucées selon S. Paul (Rm 8, 27) : " Celui qui sonde les cœurs connaît ", c’est-à-dire approuve, " ce que l’Esprit désire ", c’est-à-dire ce qu’il fait désirer aux saints, " car selon Dieu ", c’est-à-dire conformément à la volonté divine, " il intercède pour les saints ".

Solutions :

1. La demande du Christ : que la coupe passe loin de lui, a été diversement présentée par les Pères. Car S. Hilaire, dit " Il demande que la coupe passe non pour que lui-même l’évite, mais pour qu’elle aboutisse à un autre. Il prie pour ceux qui devront souffrir après lui ; c’est comme s’il disait : De même que cette coupe de la Passion est bue par moi, qu’elle soit bue par eux, sans perdre l’espérance, sans ressentir la douleur, sans craindre la mort. "

Ou bien, selon S. Jérôme’. " C’est expressément qu’il dit : "Cette coupe", c’est-à-dire celle du peuple des Juifs qui ne peuvent avoir l’excuse de l’ignorance, s’ils me mettent à mort, car ils ont la Loi et les Prophètes qui me prophétisent chaque jour. "

Ou bien, selon Denys d’Alexandrie : " Le Christ dit : "Éloigne de moi cette coupe". Cela ne signifie pas : qu’elle ne s’approche pas de moi, car si elle ne s’est pas approchée, elle ne peut pas être éloignée. Mais, de même que ce qui passe seulement ne touche pas et ne demeure pas, ainsi le Sauveur demande que l’épreuve qui l’assaille légèrement soit repoussée. "

Mais S. Ambroise Origène et Chrysostome disent qu’il fit cette demande comme un homme qui repousse la mort par sa volonté de nature.

Ainsi donc, si l’on comprend avec S. Hilaire qu’il demanda ainsi que les autres martyrs deviennent les imitateurs de sa passion ; ou qu’il demanda de ne pas être bouleversé par la crainte de boire la coupe ; ou de ne pas être retenu par la mort, on peut dire que sa prière fut entièrement exaucée.

Mais si l’on comprend qu’il a demandé de ne pas boire la coupe de la mort et de la Passion, ou de ne pas la recevoir des Juifs, ce qu’il demandait ne s’est pas réalisé parce que la raison qui présentait cette demande ne voulait pas son accomplissement. Mais il voulait, pour nous instruire, nous faire connaître sa volonté de nature et le mouvement de sensualité qu’il avait comme homme.

2. Le Seigneur n’a pas prié pour tous ceux qui le crucifiaient, ni pour tous ceux qui croiraient en lui, mais seulement pour ceux qui étaient prédestinés à obtenir par lui la vie éternelles.

3. Cela répond également à la troisième objection.

4. Lorsqu’il dit : " Je crierai et tu n’exauceras pas ", il faut le comprendre du désir de sa sensualité, qui fuyait la mort. Il est cependant exaucé quant au désir de sa raison.

 

 

QUESTION 22 — LE SACERDOCE DU CHRIST

1. Convient-il au Christ d’être prêtre ? - 2. La victime de ce sacerdoce. - 3. L’effet de ce sacerdoce. - 4. Cet effet le concerne-t-il, ou seulement les autres hommes ? - 5. L’éternité de ce sacerdoce - 6. Le Christ doit-il être appelé prêtre à la manière de Melchisédech ?

 

            Article 1 — Convient-il au Christ d’être prêtre ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car le prêtre est inférieur à l’ange, selon Zacharie (3, 1) : " Dieu m’a montré un grand prêtre se tenant devant l’ange du Seigneur. " Or le Christ est supérieur aux anges selon l’épître aux Hébreux (1, 4) : " Il est d’autant supérieur aux anges qu’il possède par héritage un nom bien plus grand que les leurs. " Il ne convient donc pas au Christ d’être prêtre.

2. Les événements de l’Ancien Testament préfigurent le Christ, selon S. Paul (Col 2, 17) : " Tout cela n’est que l’ombre des choses à venir. . . " Mais le Christ n’a pas tiré son origine humaine des prêtres de l’ancienne loi, car l’Apôtre écrit (He 7, 14) " Il est manifeste que notre Seigneur est issu de Juda, tribu dont Moïse ne dit rien quand il parle des prêtres. "

3. Dans l’ancienne loi, qui préfigure le Christ, le même homme ne fut pas législateur et prêtre. C’est pourquoi le Seigneur dit à Moïse (Ex 28, 1) : " Prends Aaron, ton frère, pour qu’il soit prêtre à mon service. " Or le Christ est le législateur de la loi nouvelle selon Jérémie (31, 3) : " je mettrai une loi dans leur cœur. " Donc il ne convenait pas au Christ d’être prêtre.

En sens contraire, il y a l’affirmation de l’épître aux Hébreux : " Nous avons un grand prêtre qui a pénétré dans les cieux : Jésus, le Fils de Dieu. "

Réponse :

L’office propre du prêtre est d’être médiateur entre Dieu et le peuple en tant qu’il transmet au peuple les biens divins, d’où son nom de sacer-dos, c’est-à-dire sacra dans : " qui donne les choses saintes " ; selon Malachie (2, 7) : " C’est de sa bouche qu’on attend l’enseignement. " De plus, le prêtre est médiateur en tant qu’il offre à Dieu les prières du peuple et satisfait à Dieu en quelque manière pour les péchés ; de là cette parole (He 5, 1) : " Tout grand prêtre, pris d’entre les hommes, est établi en faveur des hommes dans ce qui a rapport à Dieu, afin d’offrir des oblations et des sacrifices pour les péchés. " Or cela convient parfaitement au Christ. Par lui en effet, les dons de Dieu sont transmis aux hommes, selon S. Pierre (2 P 1, 4) : " Par lui nous avons été mis en possession de grandes et précieuses promesses, afin de devenir ainsi participants de la nature divine. " De même le Christ a réconcilié avec Dieu le genre humain, comme il est écrit aux Colossiens (1, 19) : " Il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la Plénitude, et par lui de tout se réconcilier. " Il convient donc souverainement au Christ d’être prêtre.

Solutions :

1. La puissance hiérarchique convient aux anges, en tant qu’ils sont eux-mêmes intermédiaires entre Dieu et l’homme, comme l’enseigne Denys ; c’est pourquoi le prêtre, parce qu’il est lui aussi intermédiaire entre Dieu et le peuple, reçoit le nom d’ange selon Malachie : " Il est l’ange du Seigneur de l’univers. " Or le Christ fut supérieur aux anges, non seulement sous le rapport de sa divinité, mais même sous le rapport de son humanité, car il possède la plénitude de grâce et de gloire. Il avait donc de façon beaucoup plus excellente que les anges la puissance hiérarchique ou sacerdotale ; à tel point que les anges eux-mêmes furent les ministres de son sacerdoce, comme dit S. Matthieu (4, 11) : " Des anges s’approchèrent et le servaient. " Pourtant, sous le rapport de la possibilité, il fut abaissé un moment au-dessous des anges (He 2, 9). Et en cela il fut semblable aux hommes voyageurs constitués dans le sacerdoce.

2. Selon S. Jean Damascène " la similitude absolue constitue une identité, non une exemplarité ". Et puisque le sacerdoce de l’ancienne loi n’était que la figure de celui du Christ, le Christ n’a pas voulu naître de la race des prêtres préfiguratifs, afin de montrer que son sacerdoce n’était pas identique à l’ancien, mais en différait comme la vérité de sa préfiguration.

3. Comme nous l’avons déjà dit les autres hommes possèdent certaines grâces particulières, mais le Christ, tête de tous les hommes, a reçu en perfection toutes les grâces. C’est pourquoi, en ce qui regarde les autres hommes, l’un est législateur, l’autre prêtre, l’autre roi ; chez le Christ au contraire, tout cela se rejoint, comme chez celui qui est la source de toutes les grâces. Aussi lisons-nous dans Isaïe (33,22) : " Le Seigneur est notre juge, le Seigneur est notre législateur, notre roi ; il viendra et nous sauvera. "

 

            Article 2 — Le Christ a-t-il été lui-même et à la fois, le prêtre et la victime ?

Objections :

1. Il appartient au prêtre de tuer la victime. Mais le Christ ne s’est pas tué. Donc il n’a pas été à la fois prêtre et victime.

2. Le sacerdoce du Christ ressemble davantage à celui des juifs, qui fut constitué par Dieu, qu’à celui des païens qui rendaient un culte aux démons. Or, dans la loi ancienne on n’offrait jamais un homme en sacrifice ; c’est ce que l’Écriture reproche le plus aux païens (Ps 106, 38) : " Ils ont répandu le sang innocent, le sang de leurs fils et de leurs filles, en les immolant aux idoles de Canaan. " Donc, dans le sacerdoce du Christ, le Christ homme ne devait pas être victime.

3. Toute victime, du fait qu’on l’offre à Dieu, lui est consacrée. Mais l’humanité du Christ fut consacrée et unie à Dieu dès le principe. On ne peut donc pas dire que le Christ, en tant qu’homme, fut victime.

En sens contraire, il y a cette parole de l’Apôtre (Ep 5, 2) : " Le Christ nous a aimés et s’est livré pour nous en oblation et en victime d’agréable odeur. "

Réponse :

S. Augustin écrit : " Tout sacrifice visible est le sacrement ou signe sacré d’un sacrifice invisible. " Or le sacrifice invisible consiste pour l’homme à offrir son esprit à Dieu, selon le Psaume (51, 19) : " Le sacrifice à Dieu, c’est un esprit broyé. " C’est pourquoi tout ce qui est offert à Dieu en vue de porter l’esprit de l’homme vers Dieu, peut être appelé sacrifice.

L’homme a donc besoin du sacrifice pour trois motifs. 1° Pour la rémission du péché qui le détourne de Dieu ; c’est pourquoi l’Apôtre dit (He 5, 1) qu’il appartient au prêtre " d’offrir des dons et des sacrifices pour les péchés ". 2° Pour que l’homme se maintienne dans l’état de grâce et d’union à Dieu en qui se trouvent sa paix et son salut. De là, dans l’ancienne loi, l’immolation de la victime pacifique pour le salut de ceux qui l’offraient, prescrit par le Lévitique (chap. 3).

3° Pour que l’esprit de l’homme soit parfaitement uni à Dieu, ce qui se réalisera dans la gloire. C’est pourquoi, dans l’ancienne loi, on offrait l’holocauste où tout était brûlé, comme dit encore le Lévitique (chap. 1).

Or tous ces bienfaits nous sont venus à travers l’humanité du Christ. Par elle, en effet, nos péchés ont été effacés, selon l’épître aux Romains (4, 25) : " Il s’est livré pour nos péchés. " Par le Christ encore nous recevons la grâce qui nous sauve, comme dit l’épître aux Hébreux (5, 9) : " Il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel. " Par lui enfin nous obtenons la perfection de la gloire, car, dit l’épître aux Hébreux (10, 19) : " Voici que nous possédons, par le sang de Jésus, l’accès assuré dans le sanctuaire ", c’est-à-dire dans la gloire céleste. Le Christ, en tant qu’homme, fut donc non seulement prêtre, mais victime parfaite, étant à la fois victime pour le péché, victime pacifique, et holocauste.

Solutions :

1. Le Christ ne s’est pas tué lui-même, mais il s’est livré volontairement à la mort, selon Isaïe (53, 7) : " Il s’est offert parce qu’il l’a voulu. " Il s’est donc offert lui-même.

2. La mort du Christ homme peut se référer à une double volonté. La volonté de ceux qui l’ont tué, et sous ce rapport le Christ n’a pas eu raison de victime ; ses bourreaux n’ont pas offert une victime à Dieu, mais ont péché gravement. En ce sens, ils étaient semblables aux païens qui, dans leurs sacrifices, immolaient des hommes aux idoles. La mort du Christ peut aussi être considérée par référence à la volonté du patient qui volontairement s’est offert à la souffrance. A ce point de vue, le Christ a raison de victime, et son sacrifice n’a aucun rapport avec celui des païens.

3. La sanctification, dès le commencement, de l’humanité du Christ, n’empêche pas que sa nature humaine elle-même, lorsqu’elle fut offerte à Dieu dans la Passion, ait été sanctifiée d’une manière nouvelle, comme une victime effectivement présentée à Dieu. Elle acquit alors une sanctification effective de victime, à partir de la charité antécédente et de la grâce d’union qui le sanctifiait de façon absolue.

 

            Article 3 — Le sacerdoce du Christ a-t-il pour effet l’expiation des péchés ?

Objections :

1. Il appartient à Dieu seul d’effacer les péchés, selon Isaïe (43, 25) : " C’est moi seul qui efface les iniquités pour l’amour de moi. " Or ce n’est pas en tant qu’il est Dieu, que le Christ est prêtre, mais en tant qu’il est homme. Son sacerdoce ne produit donc pas l’expiation des péchés.

2. L’Apôtre écrit (He 10, 1) que les sacrifices de l’ancienne loi " ne purent rendre parfaits ceux qui y prenaient part ; autrement on aurait cessé de les offrir parce que, purifiés une bonne fois, ceux qui rendaient ce culte n’auraient plus eu aucune conscience de leurs péchés, alors qu’au contraire on renouvelait chaque année, par ces sacrifices, le souvenir des péchés. " Or, de même, sous le sacerdoce du Christ, on rappelle le souvenir des péchés, quand on dit : " Pardonnez-nous nos offenses. " On offre aussi continuellement dans l’Église le sacrifice ; de là cette prière : " Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. " Donc, par le sacerdoce du Christ, nos péchés ne sont pas expiés.

3. Dans l’ancienne loi, on immolait un bouc pour le péché du prince, une chèvre pour le péché d’un membre du peuple, un jeune taureau pour le péché d’un prêtre (Lv 4, 3. 23. 28). Or, le Christ n’est comparé à aucun de ces animaux, mais à l’agneau, selon Jérémie (11, 19) : " je suis comme un agneau confiant qu’on mène à l’abattoir. " Il semble donc que le sacerdoce du Christ ne soit pas capable d’expier les péchés.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (He 9, 14) " Le sang du Christ qui, par l’Esprit Saint s’est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera nos consciences des œuvres mortes pour servir le Dieu vivant. " Or les œuvres mortes sont les péchés. C’est donc que le sacerdoce du Christ a la puissance de purifier les péchés.

Réponse :

Deux choses sont nécessaires à la purification parfaite des péchés, en tant qu’il y a deux éléments à considérer dans le péché : la tache de la faute et l’obligation à la peine. La tache de la faute est enlevée par la grâce qui tourne le cœur du pécheur vers Dieu ; l’obligation à la peine disparaît du fait que l’homme satisfait à Dieu. Or ces deux effets sont réalisés par le sacerdoce du Christ. Par la vertu de ce sacerdoce la grâce nous est donnée et nos cœurs sont tournés vers Dieu, selon l’épître aux Romains (3, 24) : " Tous sont justifiés gratuitement par sa grâce, en vertu de la rédemption qui est dans le Christ Jésus, que Dieu a établi d’avance comme moyen de propitiation par la foi en son sang. " De plus, le Christ a pleinement satisfait pour nous, car " il s’est chargé de nos infirmités et il a porté nos douleurs " (Is 53, 4). Il est donc bien évident que le sacerdoce du Christ a pleine puissance pour expier les péchés.

Solutions :

1. Bien que le Christ ne soit pas prêtre en tant que Dieu, mais en tant qu’homme, c’est la même et unique personne qui est à la fois prêtre et Dieu. C’est pourquoi nous lisons dans les actes du concile d’Éphèse : " Si quelqu’un dit que notre Pontife et Apôtre n’est pas le Verbe de Dieu quand il s’est fait chair, et homme comme nous, mais un autre distinct de lui et fils de la femme. . . qu’il soit anathème. " Aussi, en tant que son humanité agissait en vertu de sa divinité, son sacrifice était parfaitement efficace pour effacer les péchés. De là cette parole de S. Augustin : " Quatre choses sont à considérer dans le sacrifice : à qui il est offert, par qui il est offert, ce qui est offert et ceux pour qui il est offert. Or l’unique et véritable médiateur, en nous réconciliant avec Dieu par un sacrifice de paix, demeurait un avec celui à qui il offrait, unifiait en lui ceux pour lesquels il offrait, réalisait enfin l’unité entre l’offrant et la victime offerte. "

2. Si dans la loi nouvelle nous rappelons le souvenir des péchés, ce n’est pas à cause de l’inefficacité du sacerdoce du Christ, ou de son insuffisance à expier les péchés ; mais c’est à cause de ceux qui ne veulent pas participer à son sacrifice, tels les infidèles pour lesquels nous prions afin qu’ils se convertissent de leurs péchés ; c’est encore à cause de ceux qui, après avoir participé au sacrifice du Christ, s’en écartent en tombant dans le péché.

Quant au sacrifice quotidien qui est offert dans l’Église, il n’est pas un sacrifice différent de celui du Christ, mais il en est la communication. C’est pourquoi S. Augustin écrit : " Le Christ est le prêtre qui offre, et il est lui-même l’oblation ; et de cette offrande et de cette oblation, il a voulu que le sacrifice de l’Église soit le sacrement quotidien. "

3. Ainsi que le remarque Origène h, bien que dans l’ancienne loi divers animaux fussent offerts en sacrifice, cependant le sacrifice quotidien, offert matin et soir, consistait en un agneau, comme disent les Nombres (28, 8). Par là était signifié que l’oblation du véritable agneau, c’est-à-dire du Christ, devait consommer tous les autres sacrifices, selon cette parole en S. Jean (1, 29) : " Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève les péchés du monde. "

 

            Article 4 — Cet effet concerne-t-il le Christ, ou seulement les autres hommes ?

Objections :

1. Il appartient à l’office du prêtre de prier pour le peuple, car il est écrit (2 M 1, 23) : " Les prêtres faisaient la prière pendant que se consumait le sacrifice. " Or Christ n’a pas seulement prié pour les autres, mais aussi pour lui-même, comme nous l’avons déjà dit et comme il est dit expressément dans l’épître aux Hébreux (5, 7) : " Durant sa vie mortelle, avec de grands cris et des larmes, il adressa des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort. " C’est donc que son sacerdoce a eu effet non seulement pour les autres, mais aussi pour lui.

2. Le Christ s’est offert lui-même en sacrifice dans sa passion. Mais, par sa passion, il n’ai pas seulement mérité pour les autres, mais aussi pour lui-même, comme nous l’avons remarqués Sort sacerdoce a donc produit son effet non seulement pour les autres, mais aussi pour lui-même.

3. Le sacerdoce de l’ancienne loi fut la figure du sacerdoce du Christ. Or le prêtre de l’ancienne loi n’offrait pas seulement le sacrifice pour les autres, mais aussi pour lui. Nous lisons en effet dans le Lévitique(16,17) : " Le grand prêtre était dans le sanctuaire afin de prier pour lui, pour sa maison et pour toute l’assemblée des fils d’Israël. " Le sacerdoce du Christ ne profite donc pas seulement aux autres, mais au Christ

En sens contraire, nous lisons dans les actes du concile d’Éphèse : " Si quelqu’un dit que le Christ a offert son oblation pour lui, et non pas seulement pour nous (car celui qui n’a pas péché n’a pas besoin de sacrifice), qu’il soit anathème. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit, le prêtre est constitué intermédiaire entre Dieu et le peuple. Or, celui qui ne peut accéder à Dieu par lui-même a besoin d’un intermédiaire pour aller à Dieu. Ce qui ne s’applique évidemment pas au Christ ; l’Apôtre écrit en effet (He 7, 25) " Il a accès par lui-même auprès de Dieu, et il est toujours vivant pour intercéder en notre faveur. " Il ne convient donc pas au Christ de recevoir l’effet de son sacerdoce, mais plutôt de le communiquer aux autres. Dans un ordre donné, l’agent premier exerce une influence qu’il ne reçoit pas : le soleil éclaire, mais il n’est pas éclairé ; le feu chauffe, mais il n’est pas chauffé. Or le Christ est la source de tout le sacerdoce, car le prêtre de l’ancienne loi était la figure du Christ ; et le prêtre de la loi nouvelle agit en sa personne, selon S. Paul (2 Co 2, 10) : " Ce que j’ai pardonné, si vraiment j’ai pardonné quelque chose, par considération pour vous, je l’ai fait en la personne du Christ. " Il ne convient donc pas que le Christ reçoive l’effet de son sacerdoce.

Solutions :

1. La prière, bien qu’elle convienne aux prêtres, n’est cependant pas leur office propre ; il appartient à quiconque de prier pour soi et pour les autres, selon cette parole de S. Jacques (5, 16) : " Priez les uns pour les autres afin d’être sauvés. " On pourrait donc dire que la prière du Christ pour lui-même n’était pas un acte de son sacerdoce.

Mais cette réponse semble exclue par l’enseignement de l’Apôtres quand il dit (He 5, 6) : " Tu es prêtre pour l’éternité à la manière de Melchisédech ", et il ajoute : " Durant sa vie mortelle, le Christ adressa des prières, " etc. Il semble donc que la prière du Christ appartienne à son sacerdoce. C’est pourquoi il faut dire que les autres prêtres bénéficient de l’effet de leur sacerdoce, non en tant que prêtres, mais en tant que pécheurs, comme nous allons le dire. Le Christ au contraire, absolument parlant, n’eut pas de péché ; il eut seulement " une chair semblable à celle du péché ", selon l’épître aux Romains (8, 3). On ne doit donc pas soutenir que le Christ bénéficia, absolument parlant, de l’effet de son sacerdoce, mais seulement sous un certain rapport, à savoir au point de vue de la possibilité de la chair : de là précisément cette parole (He 5, 7) " Dieu pouvait le sauver de la mort. "

2. Dans l’oblation du sacrifice par n’importe quel prêtre, on peut considérer deux éléments : le sacrifice offert, en lui-même ; la dévotion de l’offrant. Or l’effet propre du sacerdoce est ce qui découle du sacrifice en lui-même. Et le Christ a obtenu par sa passion la gloire de sa résurrection, non en vertu du sacrifice, offert par mode de satisfaction, mais en vertu de la dévotion qui lui a fait supporter humblement sa passion par charité.

3. La préfiguration ne peut égaler la vérité. Aussi le prêtre de la loi ancienne préfigurative ne pouvait atteindre à une perfection telle qu’il n’eût pas besoin de sacrifice satisfactoire. Mais le Christ n’en avait pas besoin. Aussi la comparaison est-elle impossible. Et c’est ce que dit l’Apôtre (He 7, 28) : " La loi établit comme grands prêtres des hommes sujets à la faiblesse ; mais la parole du serment - postérieur à la loi - établit le Fils rendu parfait pour l’éternité. "

 

            Article 5 — L’éternité du sacerdoce du Christ

Objections :

1. Nous l’avons dit, les pécheurs seuls ont besoin de participer aux effets du sacerdoce, car leurs fautes sont expiées par le sacrifice du prêtre. Mais ce ne sera pas éternel, car les saints ne connaîtront plus de défaillances, selon Isaïe (60, 11) : " Ton peuple ne comprendra que les justes " ; quant à la faiblesse des pécheurs, elle ne pourra pas être pardonnée, car en enfer, il n’y a pas de rédemption. Le sacerdoce du Christ n’est donc pas éternel.

2. Le sacerdoce du Christ s’est surtout manifesté dans sa passion et dans sa mort, lorsque le Christ " par son propre sang pénétra dans le sanctuaire ", dit l’épître aux Hébreux (9, 12). Mais la passion et la mort du Christ ne sont pas éternelles, car, selon l’épître aux Romains (6, 9), " le Christ ressuscité ne meurt plus ". Son sacerdoce n’est donc pas éternel.

3. Le Christ est prêtre, non pas en tant que Dieu, mais en tant qu’homme. Or le Christ n’a pas toujours été homme, par exemple pendant son séjour au tombeau. Son sacerdoce n’est donc pas éternel.

En sens contraire, il est écrit dans le Psaume (110, 4) " Tu es prêtre pour l’éternité. "

Réponse :

Dans l’office du prêtre on peut considérer deux choses : l’oblation du sacrifice, et la consommation de celui-ci. Elle consiste en ce que ceux pour lesquels le sacrifice est offert obtiennent la fin poursuivie. Or, la fin du sacrifice offert par le Christ, ce ne sont pas les biens temporels, mais les biens éternels qu’il nous a acquis par sa mort ; de là cette parole de l’épître aux Hébreux (9, 11) : " Le Christ est le grand prêtre des biens à venir. " Sous ce rapport, son sacerdoce est éternel. Cette consommation du sacrifice du Christ était préfigurée par ce fait que le prêtre de l’ancienne loi entrait une fois par an dans le Saint des saints, selon le Lévitique (16, 11), avec le sang des boucs et des taureaux, lesquels n’étaient pas immolés au sanctuaire, mais en dehors. Pareillement, le Christ est entré dans le sanctuaire, c’est-à-dire le ciel, et il nous a frayé la voie pour que nous entrions par la vertu de son sang, qu’il a répandu sur la terre pour nous.

Solutions :

1. Les saints qui seront dans la patrie n’auront pas besoin d’expiation ultérieure par le sacerdoce du Christ, mais, pardonnés, ils auront besoin d’être portés à la perfection par le Christ, dont leur gloire dépend ce qui a fait écrire dans l’Apocalypse (21, 23) " La gloire de Dieu l’illumine (la cité des saints) et l’Agneau est son flambeau. "

2. Bien que la passion et la mort n’aient pas été renouvelées, cependant la vertu d’une telle victime, offerte une seule fois, demeure éternellement.

3. Cela répond à la troisième objection car, dit l’épître aux Hébreux (10, 14) : " Par une oblation unique, il a rendu parfaits pour toujours ceux qui sont sanctifiés. "

L’unité de cette oblation était préfigurée dans l’ancienne loi par ce fait que le grand prêtre entrait dans le sanctuaire une seule fois par an, pour l’oblation solennelle du sang, comme il est prescrit par le Lévitique (16, 11). Mais la figure était inférieure à la réalité en ce qu’une telle victime n’avait pas une vertu perpétuelle, et qu’il fallait renouveler le sacrifice chaque année.

 

            Article 6 — Le Christ doit-il être appelé prêtre selon l’ordre de Melchisédech ?

Objections :

1. Le Christ, comme prêtre principal, est la source de tout sacerdoce. Or ce qui est principal ne peut suivre l’acte d’autrui, c’est aux autres de suivre le sien. Donc le Christ ne doit pas être appelé prêtre selon l’ordre de Melchisédech.

2. Le sacerdoce de l’ancienne loi est plus proche de celui du Christ que le sacerdoce antérieur à la loi. Or les sacrements signifiaient d’autant plus expressément le Christ qu’ils étaient plus proches de lui, ainsi que nous l’avons montré dans la deuxième Partie. Donc le sacerdoce du Christ doit être nommé d’après le sacerdoce de la loi plutôt que d’après le sacerdoce de Melchisédech, antérieur à la loi.

3. Il est écrit (He 7, 2) : Melchisédech " veut dire : "roi de la paix". Sans père, sans mère, sans généalogie, dont les jours n’ont pas de commencement et dont la vie n’a pas de fin ". Tout cela convient uniquement au Fils de Dieu. Le Christ ne doit donc pas être appelé prêtre selon l’ordre de Melchisédech, comme de quelqu’un d’autre, mais selon un ordre qui est propre à lui-même.

En sens contraire, il est écrit dans le Psaume (110, 4) : " Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit, le sacerdoce légal fut la préfiguration du sacerdoce du Christ, non certes en égalant la vérité, mais d’une manière très inférieure : et parce que le sacerdoce légal ne purifiait pas les péchés, et parce qu’il n’était pas éternel comme celui du Christ. Or, cette supériorité du sacerdoce du Christ sur le sacerdoce lévitique fut préfigurée dans le sacerdoce de Melchisédech, lequel perçut la dîme sur Abraham, et en celui-ci sur le sacerdoce lévitique qui devait descendre de lui. Aussi dit-on que le sacerdoce du Christ est " selon l’ordre de Melchisédech ", à cause de la supériorité du sacerdoce véritable sur le sacerdoce légal, qui n’était que préfiguratif.

Solutions :

1. Cette façon de parler ne comprend pas Melchisédech comme étant le prêtre principal, mais comme préfigurant la supériorité du sacerdoce du Christ sur le sacerdoce lévitique.

2. Dans le sacerdoce du Christ on peut distinguer son oblation et sa participation. Quant à l’oblation elle-même, le sacerdoce du Christ était préfiguré plus expressément par le sacerdoce légal, qui répandait le sang, que par le sacerdoce de Melchisédech, où le sang n’est pas répandu. Mais quant à la participation à ce sacrifice et à son effet, à quoi on mesure surtout la supériorité du sacerdoce du Christ sur le sacerdoce légal, elle était plus expressément préfigurée par le sacerdoce de Melchisédech qui offrait du pain et du vin lesquels, pour S. Augustin symbolisent l’unité de l’Église, que constitue la participation au sacrifice du Christ. Et c’est pourquoi, dans la loi nouvelle, le véritable sacrifice du Christ est communiqué aux fidèles sous les espèces du pain et du vin.

3. Si l’on dit que Melchisédech est " sans père, sans mère et sans génération ", que " ses jours n’ont pas de commencement ni de fin ", ce n’est pas parce qu’il n’en avait pas, mais parce que la Sainte Écriture n’en parle pas. Et par cela même, comme l’Apôtre le dit au même endroit, " il est assimilé au Fils de Dieu " qui sur terre est sans père, et au ciel sans mère et sans généalogie, selon Isaïe (53,8) : " Qui racontera sa génération ? " Et selon sa divinité il n’a ni commencement ni fin de ses jours.

 

 

QUESTION 23 — L’ADOPTION DU CHRIST

Il faut maintenant étudier si l’adoption convient au Christ.

1. Convient-il à Dieu d’adopter des fils ? - 2. Cela convient-il à toute la Trinité ? - 3. Être adoptés comme fils de Dieu est-il propre aux hommes ? - 4. Le Christ peut-il être appelé fils adoptif ?

 

            Article 1 — Convient-il à Dieu d’adopter des fils ?

Objections :

1. Juridiquement, on ne peut adopter que des personnes étrangères. Mais aucune personne n’est étrangère à Dieu, puisqu’il est le créateur de toutes. Il ne convient donc pas à Dieu d’adopter.

2. L’adoption semble être introduite pour remédier au défaut de filiation naturelle. Mais en Dieu, il y a une filiation naturelle, ainsi que nous l’avons montré dans la première Partie. L’adoption ne convient donc pas à Dieu.

3. On est adopté pour succéder à l’adoptant dans la possession de l’héritage. Mais on ne peut succéder à Dieu qui ne meurt pas. Dieu n’a donc pas à adopter des fils.

En sens contraire, il est écrit (Ep 1, 5) " Il nous a prédestinés à être fils adoptifs de Dieu. " Or la prédestination divine ne saurait être sans effet. C’est donc que Dieu adopte certains hommes comme fils.

Réponse :

Un homme en adopte un autre comme fils, lorsque par bonté il l’admet à la participation de son héritage. Or Dieu est l’infinie bonté ; en vertu de cette bonté, il appelle les créatures à la participation de ses biens, et spécialement les créatures rationnelles qui, créées à l’image de Dieu, sont capables de la béatitude divine. Celle-ci consiste en la jouissance de Dieu, par laquelle Dieu lui-même est bienheureux et riche par lui-même en tant qu’il jouit de lui-même. En effet, on parle de l’héritage d’un homme lorsqu’il est riche. Et c’est pourquoi quand Dieu par bonté admet des hommes à hériter sa béatitude, on dit qu’il les adopte.

Mais l’adoption divine est supérieure à l’adoption humaine, car Dieu, en adoptant un homme, le rend capable, par le don de sa grâce, de recevoir l’héritage céleste ; tandis que l’homme ne crée pas d’aptitude chez celui qu’il adopte, mais plutôt il choisit de l’adopter à cause de son aptitude.

Solutions :

1. L’homme, considéré dans sa nature, n’est pas étranger à Dieu quant aux biens naturels qu’il reçoit, mais lui est étranger quant aux biens de la grâce et de la gloire ; et c’est ainsi qu’il est adopté.

2. L’homme agit pour suppléer à son indigence ; mais Dieu agit pour communiquer l’abondance de sa perfection. C’est pourquoi, de même que, par l’acte créateur, la bonté divine est communiquée à toutes les créatures, de même, par l’acte d’adoption, une ressemblance de la filiation naturelle est communiquée aux hommes, selon l’épître aux Romains (8, 29) - " Ceux qu’il a distingués d’avance pour être conformes à l’image de son Fils. "

3. Les biens spirituels peuvent être possédés par plusieurs à la fois, mais non les biens corporels. C’est pourquoi l’héritage corporel ne peut être perçu par le successeur qu’à la mort du propriétaire. L’héritage spirituel au contraire est possédé intégralement par tous sans aucun détriment pour le Père toujours vivant.

On pourrait cependant parler du décès de Dieu, en ce sens qu’il cesse d’être en nous par la foi, pour commencer d’exister en nous par, la vision, comme dit la Glose sur ce texte (Rm 8, 17) : " Fils, et donc héritiers. "

 

            Article 2 — Adapter des fils convient-il à toute la Trinité ?

Objections :

1. L’adoption est appliquée à Dieu par analogie avec ce qui se passe chez l’homme. Or, chez l’homme, celui-là seul peut adopter qui peut engendrer, ce qui, chez Dieu, ne convient qu’au Père. Donc, seul Dieu le Père peut adopter.

2. Par l’adoption les hommes deviennent frères du Christ, selon S. Paul (Rm 8, 29) : " Pour qu’il soit le premier-né d’une multitude, de frères. " Or on appelle frères ceux qui sont nés du même père, ce qui fait dire au Seigneur (Jn 20, 17) : " je monte vers mon Père et votre Père. " Seul, le Père du Christ peut donc avoir des fils adoptifs.

3. On lit dans l’épître aux Galates (4,4) : " Dieu envoya son Fils pour que nous recevions l’adoption. Parce que vous êtes fils de Dieu, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie - "Abba, Père". " Donc, celui-là seul peut adopter qui possède le Fils et le Saint-Esprit ; mais cela n’appartient qu’à la personne du Père, c’est donc à elle seule qu’il revient d’adopter des fils.

En sens contraire, nous adopter comme fils appartient à celui que nous pouvons appeler Père, selon l’épître aux Romains (8, 15) : " Vous avez reçu un esprit d’adoption dans lequel nous crions : "Abba, Père". " Mais, lorsque nous disons, " Notre Père " cela s’adresse à toute la Trinité, de même que les autres noms attribués à Dieu par relation à la créature, nous l’avons montré dans la première Partie. Donc adopter convient à la Trinité tout entière.

Réponse :

Il y a cette différence entre le fils adoptif de Dieu et son Fils par nature que celui-ci est " engendré, non fait ", tandis que le fils adoptif est fait tel, selon S. Jean (1, 12) : " Il leur a donné le pouvoir d’être faits fils de Dieu. " Pourtant on dit parfois que le fils adoptif est engendré, à cause de sa régénération spirituelle, qui vient de la grâce non de la nature, ainsi que dit S. Jacques (1, 8) : " Il a voulu nous engendrer par la parole de vérité. " Bien que la génération en Dieu soit propre à la personne du Père, cependant toute production d’un effet quelconque chez les créatures est commune à toute la Trinité, en raison de son unité de nature, parce que là où il y a unité de nature il y a unité de puissance et d’opération. D’où cette parole du Seigneur (Jn 5, 19) : " Tout ce que fait le Père, le Fils le fait également. " Aussi est-ce à toute la Trinité qu’il convient d’adopter des hommes pour en faire des fils de Dieu.

Solutions :

1. Toutes les personnes humaines ne forment pas une seule nature individuelle, ce qu’il faudrait pour produire une seule opération ou un seul effet, comme il arrive en Dieu. Sur ce point on ne peut admettre une analogie entre les deux cas.

2. Par l’adoption nous devenons frères du Christ, ayant un même Père avec lui ; mais, il est de manière différente le Père du Christ et notre Père. C’est pourquoi notre Seigneur disait clairement (Jn 20, 17) : " Mon Père " et séparément : " Votre Père ". Car il est le Père du Christ par génération de nature ; et il est notre Père en agissant par sa volonté, ce qui lui est commun avec le Fils et le Saint-Esprit. C’est pourquoi le Christ n’est pas, comme nous, fils de toute la Trinité.

3. Nous l’avons dit la filiation adoptive est une image de la filiation éternelle, comme tout ce qui a été créé dans le temps est une image des réalités éternelles. Or, l’homme est assimilé à la splendeur du Fils éternel par la lumière de la grâce que l’on attribue au Saint-Esprit. En sorte que l’adoption, bien qu’elle soit commune à toute la Trinité, est appropriée au Père comme à son auteur, au Fils comme à son exemplaire, au Saint-Esprit comme à ce qui imprime en nous l’image de cet exemplaire.

 

            Article 3 — Être adoptés comme fils de Dieu est-il propre aux hommes ?

Objections :

1. Dieu n’est appelé Père de la créature rationnelle que du fait de l’adoption. Mais on le nomme aussi Père de la créature irrationnelle, selon Job (28, 28) : " Qui est père de la pluie ? Qui engendre les gouttes de rosée ? " Il n’appartient donc pas en propre à la créature rationnelle d’être adoptée.

2. On est appelé fils de Dieu à cause de l’adoption. Or ce titre de fils de Dieu semble être réservé, dans l’Écriture, aux anges, ainsi qu’il est écrit dans Job (1, 6) : " Il arriva un jour que les fils de Dieu étaient venus se présenter devant le Seigneur. " Ce n’est donc pas le fait de toute créature rationnelle d’être adoptée.

3. Ce qui est propre à une nature convient à tous ceux qui la possèdent ; ainsi la faculté de rire convient à tous les hommes. Mais être adopté ne convient pas à toute nature rationnelle ; cela ne lui appartient donc pas en propre.

En sens contraire, il est écrit (Rm 8, 17) que les fils adoptés sont " héritiers de Dieu ". Or un tel héritage convient à la seule créature rationnelle. Être adopté lui revient donc en propre.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, la filiation adoptive est une image de la filiation naturelle. Or le Fils de Dieu, par nature, procède du Père comme Verbe intellectuel, demeurant un avec lui. L’assimilation à ce Verbe peut se faire de trois manières. Tout d’abord au point de vue de la forme et non de l’intellectualité. C’est ainsi que la forme extérieure de la maison est assimilée au verbe mental de l’architecte, sans l’être au point de vue de l’intelligibilité ; la forme de la maison réalisée dans la matière n’est pas intelligible comme elle l’est dans l’esprit de l’architecte. Sous ce rapport, toute créature est assimilée au Verbe éternel, car elle a été faite par lui. - Ensuite, une créature peut être assimilée au Verbe non seulement sous son aspect formel, mais encore en raison de son intellectualité ; ainsi la science possédée par l’esprit du disciple est une ressemblance du verbe qui se trouve dans l’esprit du maître. A ce point de vue, la créature rationnelle, même selon sa nature, est assimilée au Verbe de Dieu. - Enfin la créature peut être assimilée au Verbe éternel selon l’unité que celui-ci possède avec le Père, et une telle assimilation se fait par la grâce et la charité ; d’où la prière du Seigneur (Jn 17, 21) : " Qu’ils soient en un nous, comme nous sommes un. " C’est par cette ressemblance que se réalise l’adoption, et c’est à ceux qui en sont les bénéficiaires qu’est dû l’héritage éternel.

Il est donc manifeste qu’être adopté convient aux seules créatures rationnelles, non pas à toutes, mais à celles-là seulement qui possèdent la charité, laquelle " est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit ", selon S. Paul (Rm 5, 15), qui appelle donc le Saint-Esprit " l’Esprit des fils d’adoption " (Rm 8, 15).

Solutions :

1. Si l’on peut dire que Dieu est Père de la créature irrationnelle, ce n’est pas à proprement parler du fait de l’adoption, mais du fait de la création, et en se plaçant au point de vue du premier mode d’assimilation.

2. Les anges sont appelés fils de Dieu parce qu’ils le sont par adoption, non pas que l’adoption leur convienne en premier, mais parce qu’ils l’ont reçue les premiers.

3. L’adoption n’est pas une propriété de la nature, mais une conséquence de la grâce dont la nature rationnelle est capable. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle convienne à toute créature rationnelle, il suffit que celle-ci puisse la recevoir.

 

            Article 4 — Le Christ peut-il être appelé fils adoptif ?

Objections :

1. Il semble bien, car S. Hilaire dit en parlant du Christ : " La dignité de la puissance n’est pas perdue du fait que l’humanité de la chair est adoptée. " Donc le Christ, en tant qu’homme, est fils adoptif.

2. S. Augustin écrit : " La grâce qui fait de cet homme le Christ, est la même qui, dès le premier mouvement de foi, fait de tout homme un chrétien. " Or les autres hommes sont chrétiens par la grâce d’adoption ; c’est donc que la grâce du Christ est aussi une grâce d’adoption, et qu’il est lui-même fils adoptif.

3. Le Christ, en tant qu’homme, est serviteur, mais il est plus digne d’être fils adoptif que d’être serviteur. A plus forte raison par conséquent le Christ, en tant qu’homme, est fils adoptif.

En sens contraire, S. Ambroise écrit : " Nous ne disons pas que le fils adoptif est fils par nature ; nous réservons ce titre au seul vrai fils. " Or le Christ est le fils véritable et naturel de Dieu, selon S. Jean (1 Jn 5, 20) : " Nous sommes dans le Véritable, en son Fils, Jésus Christ. " Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas fils adoptif.

Réponse :

La filiation convient proprement à l’hypostase ou personne, mais non à la nature ; et c’est pourquoi nous avons dit dans la première Partie que la filiation est une propriété personnelle. Or, dans le Christ, il n’y a pas d’autre personne que la personne incréée à laquelle il convient d’être Fils par nature. Et, nous l’avons dit plus haut, la filiation adoptive est une similitude participée de la filiation naturelle. Comme ce qui est attribué par soi ne peut l’être par participation, il s’ensuit que, d’aucune manière, le Christ, Fils de Dieu par nature, ne peut être dit fils adoptif

Pour ceux au contraire qui placent dans le Christ deux personnes ou deux hypostases ou deux suppôts, rien ne s’oppose à ce que le Christ puisse être dit fils adoptif.

Solutions :

1. L’adoption, pas plus que la filiation, ne convient proprement à la nature. Aussi est-ce d’une manière impropre que l’on dit que " l’humanité de la chair a été adoptée ". Le mot " adoption " désigne ici l’union de la nature humaine à la personne du Fils.

2. Cette comparaison de S. Augustin porte sur le point de départ de la grâce accordée au Christ et au chrétien ; en effet, c’est sans aucun mérite de leur part qu’un homme ordinaire obtient de devenir chrétien, et que l’homme dans le Christ a été élevé à la dignité de Christ. Mais il y a une différence quant au terme ; car le Christ, par la grâce d’union, est Fils naturel ; tandis que l’homme, par la grâce habituelle, est fils adoptif En sorte que la grâce habituelle, dans le Christ, ne rend pas fils adoptif quelqu’un qui n’était pas encore fils ; elle est seulement, dans l’âme du Christ, un effet de sa propre filiation, selon cette parole de S. Jean (1, 14) : " Nous avons vu sa gloire, comme celle qu’un fils unique tient de son Père, plein de grâce et de vérité. "

3. Le fait d’être une créature, ou d’être au service de Dieu, soumis à lui, ne regarde pas seulement la personne, mais aussi la nature ; on ne peut en dire autant de la filiation.

 

 

QUESTION 24 — LA PRÉDESTINATION DU CHRIST

1. Le Christ a-t-il été prédestiné ? - 2. A-t-il été prédestiné en tant qu’homme ? - 3. Sa prédestination est-elle le modèle de la nôtre ? - 4. Est-elle la cause de la nôtre ?

 

            Article 1 — Le Christ a-t-il été prédestiné ?

Objections :

1. Le terme de toute prédestination, c’est la filiation adoptive selon S. Paul (Ep 1, 5) : " Il nous a prédestinés à devenir ses fils adoptifs. " Or, nous l’avons dit, le Christ ne peut être fils adoptif ; il ne lui convient donc pas d’avoir été prédestiné.

2. Il faut considérer chez le Christ la nature humaine et la personne. Mais on ne peut pas dire qu’il a été prédestiné en raison de la nature humaine, car il est faux de dire : " La nature humaine est Fils de Dieu. " Ce ne peut être davantage en raison de la personne, car cette personne n’est pas Fils de Dieu par grâce, mais par nature ; et la prédestination est un effet de la grâce, comme nous l’avons dit dans la première Partie. Le Christ n’a donc pas été prédestiné à être Fils de Dieu.

3. Comme tout ce qui a été fait n’a pas toujours existé, de même ce qui a été prédestiné, du fait que la prédestination suppose une antériorité. Mais, puisque le Christ a toujours été Dieu et Fils de Dieu, on ne peut pas dire que cet homme a été fait Fils de Dieu. Donc, pour la même raison, on ne peut pas dire que le Christ a été prédestiné comme Fils de Dieu.

En sens contraire, l’Apôtre écrit en parlant du Christ (Rm 1, 4) : " Lui qui a été prédestiné à être Fils de Dieu avec puissance. "

Réponse :

Comme le montre clairement ce que nous avons dit dans la première Partie,, la prédestination proprement dite est une prédestination divine éternelle, touchant les réalités qui doivent se réaliser dans le temps par la grâce de Dieu. Or, par la grâce d’union, Dieu a réalisé dans le temps que l’homme fût Dieu, et que Dieu fût homme. On ne peut soutenir que Dieu n’a pas ordonné de toute éternité cette réalisation dans le temps, parce qu’il s’ensuivrait que, pour l’entendement divin, quelque chose de nouveau peut se produire. Aussi faut-il dire que l’union des deux natures dans la personne du Christ tombe sous la préordination éternelle de Dieu. Pour cette raison, l’on dit que le Christ a été prédestinés.

Solutions :

1. Dans le texte cité, l’Apôtre parle de notre prédestination à être fils adoptifs. Mais, de même que le Christ, par un privilège très particulier, est Fils de Dieu par nature, de même a-t-il été prédestiné d’une façon très particulière.

2. Comme dit la Glose, certains ont soutenu que cette prédestination devait s’entendre de la nature, et non de la personne, en ce sens que la nature humaine a cette grâce d’être unie au Fils de Dieu dans l’unité de la personne.

Mais ainsi entendue, l’expression de l’Apôtre est impropre, pour deux motifs. D’abord pour un motif général. Nous ne disons pas que la nature de quelqu’un est prédestinée, mais bien son suppôt, car être prédestiné c’est être conduit au salut, et cela appartient au suppôt, lequel agit en vue de la béatitude qui est la fin. Ensuite pour un motif spécial, parce qu’il ne convient pas à la nature humaine d’être Fils de Dieu, car il est faux de dire : la nature haine est Fils de Dieu. A moins qu’on ne veuille expliquer la parole de S. Paul : " Il a été prédestiné à être Fils de Dieu avec puissance " en ce sens forcé : que la nature humaine soit unie au Fils de Dieu dans la personne, cela a été objet de prédestination.

Il reste donc que la prédestination doit être attribuée à la personne même du Fils, non pas considérée en elle-même ou selon qu’elle subsiste dans la nature divine, mais selon qu’elle subsiste dans la nature humaine. C’est pourquoi, après avoir dit : " Celui qui a été fait de la race de David selon la chair ", l’Apôtre ajoute : " Qui a été à être Fils de Dieu avec puissance ", pour faire comprendre que, sous le rapport où le Fils de Dieu a été fait de la race de David selon la chair, il a été prédestiné à être Fils de Dieu avec puissance. Bien qu’il soit naturel à cette personne considérée en elles-mêmes d’être telle, cependant, considérée dans sa nature humaine, cela ne lui est pas naturel et ne lui convient que par la grâce de l’union.

3. Origène dit que le texte de l’Apôtre est celui-ci : " Lui qui a été destiné à être Fils de Dieu avec puissance " ; de cette manière il n’est pas question d’antériorité et la difficulté disparaît.

Selon d’autres, l’antériorité contenue dans le mot " pré-destiné " ne porte pas sur le fait d’être Fils de Dieu mais sur sa manifestation, car c’est une manière de parler courante dans l’Écriture : on dit qu’une chose se fait quand elle est connue. Ce sens serait que le Christ a été prédestiné à être manifesté comme Fils de Dieu. Mais ce n’est pas la véritable acceptation du mot " prédestination ". Car on dit en toute propriété que quelqu’un est prédestiné en tant qu’il est conduit à sa fin : la béatitude ; or la béatitude du Christ ne dépend pas de notre connaissance.

Aussi vaut-il mieux dire que cette antériorité impliquée dans la participe " prédestiné " ne se réfère pas à la personne considérée en elle-même, mais à la personne considérée en raison de la nature de la humaine ; en ce sens, s’il est vrai que cette personne a été de toute éternité Fils de Dieu, il n’est pas vrai de dire depuis toujours une personne subsistant dans une nature humaine a été Fils de Dieu. De là cette affirmation de S. Augustin : " Jésus, qui allait être Fils de David selon la chair, a été prédestiné à être Fils de Dieu avec puissance ".

En outre, il faut considérer que si le participe " prédestiné " implique une antériorité, il faut en dire autant du participe " fait ", mais différemment. Car " être fait " appartient à la chose elle-même dans la réalité ; " être prédestiné " appartient à quelqu’un selon qu’il existe dans la connaissance de celui qui prédestine. Or, ce qui possède une forme ou une nature dans la réalité peut être appréhendé par l’esprit soit en tant qu’il possède cette forme, soit de façon absolue. Et parce qu’il ne convient pas à la personne du Christ, prise absolument, de commencer d’être Fils de Dieu, cela lui convient selon qu’elle est conçue ou appréhendée comme existant dans une nature humaine ; car, à un moment donné, il commence à être Fils de l’homme existe dans la nature humaine. Cette proposition : " Le Christ a été prédestiné à être Fils de Dieu " est donc plus vraie que celle-ci : " Le Christ a été fait Fils de Dieu. "

 

            Article 2 — Le Christ a-t-il été prédestiné en tant qu’homme ?

Objections :

1. Chacun réalise en un certain temps ce qu’il est prédestiné à être, parce que la prédestination divine est infaillible. Donc, si le Christ, en tant qu’homme, a été prédestiné à être Fils de Dieu, il apparaît en conséquence qu’il est Fils de Dieu en tant qu’homme. Or, cela est faux, et aussi la proposition antécédente.

2. Ce qui convient au Christ en tant qu’homme convient à tout homme du fait qu’il est de la même espèce que les autres hommes. Donc, si le Christ a été prédestiné, en tant qu’homme, à être Fils de Dieu, il devrait s’ensuivre que l’on peut en dire autant de tous les autres hommes. Or cela est faux, et aussi la proposition antécédente.

3. Ce qui doit s’accomplir un jour dans le temps a été éternellement prédestiné. Mais il est plus vrai de dire : " Le Fils de Dieu a été fait homme ", que de dire : " L’homme a été fait fils de Dieu ", comme on l’a vu Donc il sera plus vrai de dire : " Le Christ, en tant que Fils de Dieu, a été prédestiné à être homme ", que l’inverse : " Le Christ, en tant qu’homme, a été prédestiné à être Fils de Dieu. "

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Nous disons que le Seigneur de gloire lui-même a été prédestiné en tant que le Fils de Dieu a été fait homme. "

Réponse :

On peut envisager deux points de vue dans la prédestination. D’abord, du côté de la prédestination éternelle elle-même, qui implique une antériorité par rapport à son objet. En second lieu, on peut considérer son effet temporel, qui est un certain don de Dieu. Or, à ce double point de vue, la prédestination est attribuée au Christ en raison de sa seule nature humaine, car celle-ci n’a pas toujours été unie au Verbe ; et en outre, c’est par grâce qu’elle a été unie au Fils de Dieu dans la personne. Et c’est pourquoi la prédestination n’appartient au Christ qu’en raison de la nature humaine. D’où cette parole de S. Augustin : " Elle a été l’objet d’une prédestination, cette assomption de la nature humaine qui l’élevait à une si grande, si sublime hauteur qu’elle ne pouvait être élevée plus haut. " Et ce qui convient à quelqu’un en raison de sa nature humaine lui est attribué en tant qu’homme. C’est pourquoi il faut dire que le Christ, en tant qu’homme, a été prédestiné à être le Fils de Dieu.

Solutions :

1. Quand on parle ainsi, l’expression " en tant qu’homme " peut se rapporter de deux manières à l’acte signifié par le participe. D’abord, comme représentant l’objet matériel de la prédestination, et en ce sens la proposition est fausse. Car elle signifie : " Il a été prédestiné que le Christ, précisément parce qu’il est homme, serait le Fils de Dieu. " Tel est d’ailleurs le sens supposé par l’objection.

Mais cette même expression " en tant qu’homme " peut se rapporter à l’acte de prédestination en tant que celui-ci implique dans sa raison même une antériorité et un effet gratuit. En ce sens la prédestination convient au Christ en raison de sa nature humaine, et l’on peut dire qu’il a été prédestiné en tant qu’homme.

2. Quelque chose peut convenir à un homme en raison de sa nature humaine d’une double manière. Premièrement, du fait que la nature humaine est cause de l’attribut en question ; ainsi la faculté de rire convient à Socrate en raison de sa nature humaine qui en est cause. En ce sens la prédestination ne convient ni au Christ ni à aucun autre homme. Et l’objection supposerait ce sens.

En second lieu, quelque chose peut convenir à un homme en raison de sa nature humaine, du fait que sa nature est capable de le recevoir. Et c’est ainsi que nous disons que le Christ a été prédestiné en raison de sa nature humaine ; car la prédestination se rapporte à l’exaltation de la nature humaine en lui, comme on vient de le dire.

3. S. Augustin écrit : " Telle est la singularité de cette ineffable assomption de l’homme par le Dieu Verbe, que le Christ peut être dit vraiment et proprement fils de l’homme à cause de l’homme assumé, et Fils de Dieu à cause du Fils de Dieu assumant. " Et c’est pourquoi, puisque cette assomption, en tant que gratuite, tombe sous la prédestination, on peut dire également que le Fils de Dieu a été prédestiné à être homme, et que le Fils de l’homme a été prédestiné à être le Fils de Dieu. Pourtant, étant donné que le fait d’être homme n’est pas une grâce pour le Fils de Dieu, tandis que c’est une grâce pour la nature humaine d’être unie au Fils de Dieu, il sera plus juste de dire, à proprement parler : " Le Christ, en tant qu’homme, a été prédestiné à être le Fils de Dieu ", que de dire : " Le Christ, en tant que Fils de Dieu, a été prédestiné à être homme. "

 

            Article 3 — La prédestination du Christ est-elle le modèle de la nôtre ?

Objections :

1. Un modèle préexiste nécessairement à son image. Or, rien ne préexiste à l’éternel. Donc, puisque notre prédestination est éternelle, il apparaît que celle du Christ ne peut en être le modèle.

2. C’est d’après le modèle que l’on conçoit l’image qui le représente. Mais Dieu n’avait pas besoin d’être amené par autre chose à la connaissance de notre prédestination puisqu’il est écrit (Rm 8, 29) : " Ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés. " La prédestination du Christ n’est donc pas le modèle de la nôtre.

3. Le modèle est conforme à l’image. Mais la prédestination du Christ n’est pas de la même nature que la nôtre ; car nous sommes prédestinés à être fils adoptifs, tandis que le Christ est prédestiné à être " Fils de Dieu avec puissance. " Sa prédestination n’est donc pas le modèle de la nôtre.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Le Christ Jésus, dans son humanité, Sauveur et rnédiateur entre Dieu et les hommes, est la très glorieuse lumière de la prédestination et de la grâce ", ce qui signifie que par sa prédestination et sa grâce notre prédestination est manifestée ; et c’est là précisément le rôle du modèle. La prédestination du Christ est donc bien le modèle de la nôtre.

Réponse :

La prédestination peut s’entendre d’une double manière. D’abord en tant qu’elle désigne l’acte même de celui qui prédestine. Sous ce rapport, on ne peut pas dire que la prédestination du Christ soit le modèle de la nôtre ; car c’est par un seul et même acte que Dieu nous prédestine et qu’il prédestine le Christ.

On peut entendre aussi par prédestination ce à quoi l’on est prédestiné, c’est-à-dire le terme et l’effet de la prédestination. En ce sens, la prédestination du Christ est le modèle de la nôtre. Elle l’est tout d’abord quant au bien auquel nous sommes prédestinés. Le Christ a été prédestiné à être Fils de Dieu par nature ; nous, nous sommes prédestinés à être fils par l’adoption qui est une ressemblance participée de la filiation naturelle. C’est pourquoi S. Paul dit (Rm 8, 29) : " Ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils. "

Cela est encore vrai quant au mode d’acquisition de ce bien, qui est acquis par grâce. Cela est surtout manifeste pour le Christ, car la nature humaine a été unie au Fils de Dieu sans qu’elle y ait aucun mérite antécédent. Quant à nous, " de la plénitude de sa grâce nous avons tous reçu " (Jn 1, 16).

Solutions :

1. L’objection est valable du côté de l’acte qui prédestine.

2. Même réponse.

3. Il n’est pas nécessaire que l’image soit de tout point conforme au modèle ; il suffit qu’elle lui ressemble en quelque manière.

ARTICILE 4 : La prédestination du Christ est-elle la cause de la nôtre ?

Objections :

1. Ce qui est éternel n’a pas de cause. Or notre prédestination est éternelle. Donc celle du Christ ne peut en être cause.

2. Ce qui dépend du simple vouloir de Dieu n’a d’autre cause que ce même vouloir. Or telle est bien notre prédestination, car nous lisons (Ep 1, 11) : " Prédestinés suivant le dessein de celui qui accomplit toute chose au gré de sa volonté. " La prédestination du Christ n’est donc pas cause de la nôtre.

3. Si l’on enlève la cause, l’effet se trouve supprimé. Mais à supposer que la prédestination du Christ n’existe pas, la nôtre n’en demeure pas moins ; car, même si le Fils de Dieu ne s’était pas incarné, nous aurions pu être sauvés d’une autre manière, remarque S. Augustin. Donc la prédestination du Christ n’est pas cause de la nôtre.

En sens contraire, il est écrit (Ep 1, 5) : " Il nous a prédestinés à être ses fils adoptifs par Jésus Christ. "

Réponse :

Si l’on considère la prédestination dans son acte même, celle du Christ n’est pas cause de la nôtre, puisque c’est par un seul et même acte que Dieu nous a prédestinés, le Christ et nous. Si au contraire on considère la prédestination dans son terme, alors celle du Christ est vraiment cause de la nôtre, car Dieu a décrété de toute éternité que notre salut serait accompli par le Christ. En effet, la prédestination éternelle règle non seulement ce qui doit être réalisé dans le temps, mais encore le mode et l’ordre selon lesquels cela doit être réalisé.

Solutions :

1 et 2. Ces objections valent pour la prédestination considérée dans son acte.

3. Si le Christ ne s’était pas incarné, Dieu aurait préordonné notre salut selon d’autres moyens. Mais, ayant décrété l’incarnation du Christ, il a préordonné en même temps qu’elle serait cause de notre salut.

I1 faut maintenant étudier ce qui appartient au Christ par rapport à nous. D’abord l’adoration du Christ, c’est-à-dire celle que nous lui rendons (Q. 25). Puis nous l’envisagerons comme notre médiateur auprès de Dieu (Q. 26).

 

 

QUESTION 25 — NOTRE ADORATION DU CHRIST

1. Est-ce une seule et même adoration que nous rendons à la divinité du Christ et à son humanité ? - 2. Doit-on rendre un culte de latrie à sa chair ? - 3. A son image ? - 4. A sa croix ? - 5. A sa mère ? - 6. L’adoration des reliques des saints.

 

            Article 1 — Est-ce une seule et même adoration que nous rendons à la divinité du Christ et à son humanité ?

Objections :

1. Il faut adorer la divinité du Christ parce qu’elle est commune au Père et au Fils. Aussi est-il écrit en S. Jean (5, 23) : " Que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. " Mais l’humanité du Christ ne lui est pas commune avec le Père. Donc on ne doit pas la même adoration à son humanité qu’à sa divinité.

2. " L’honneur est à proprement parler la récompense de la vertu ". dit Aristote. Or la vertu mérite la récompense par ses actes ; et puisque chez le Christ l’activité de la nature divine et celle de la nature humaine sont distinctes, on doit honorer son humanité autrement que sa divinité.

3. L’âme du Christ, si elle n’était pas unie au Verbe, aurait droit à la vénération en raison de l’excellence de sa sagesse et de sa grâce. Mais l’union au Verbe ne lui a rien enlevé de sa dignité. La nature humaine a donc droit à une vénération propre, distincte de celle que l’on rend à sa divinité.

En sens contraire, nous lisons dans les chapitres du cinquième Concile œcuménique de Constantinople : " Si quelqu’un dit que le Christ est adoré dans ses deux natures de telle manière que cela implique deux adorations. . . , et s’il n’adore pas d’une seule adoration Dieu Verbe incarné avec sa propre chair, comme le veut la tradition constante de l’Église de Dieu, qu’il soit anathème. "

Réponse :

Chez celui auquel on rend honneur, nous pouvons considérer deux points : celui-là même que l’on honore, et le motif de l’honneur. A proprement parler, l’honneur est rendu à tout l’être subsistant ; ce n’est pas la main de l’homme que l’on honore, mais l’homme lui-même. Et s’il arrive parfois que l’on parle d’honorer la main ou le pied de quelqu’un, cela signifie non pas que l’on vénère ces membres pour eux-mêmes, mais dans ces membres on honore le tout. C’est de cette manière que l’on peut honorer un homme en quelque chose qui lui est extérieur, comme un vêtement, une image ou un messager.

Le motif de l’honneur se prend d’une certaine excellence possédée par celui qui est objet de vénération. L’honneur est la révérence témoignée à quelqu’un en raison de son excellence, comme nous l’avons dit dans la deuxième Partie. C’est pourquoi, s’il y a chez un homme plusieurs motifs d’honneur, comme la prélature, la science et la vertu, l’honneur rendu à cet homme sera un quant à son sujet, multiple quant à ses motifs ; car c’est le même homme qui est honoré en raison de sa science et en raison de sa vertu.

Puisque dans le Christ il n’y a qu’une seule personne en deux natures, une seule hypostase, un seul suppôt, il n’y aura, par rapport au sujet honoré, qu’une seule adoration et un seul honneur. Mais au point de vue des motifs, on pourra dire qu’il y a plusieurs adorations, l’une par exemple ayant pour motif la sagesse incréée, l’autre, la sagesse créée du Christ.

Si l’on admettait dans le Christ plusieurs personnes ou hypostases, il s’ensuivrait qu’il y aurait purement et simplement plusieurs adorations. Et c’est ce qui est réprouvé par les conciles. Nous lisons en effet dans les chapitres de S. Cyrille : " Si quelqu’un ose dire qu’il faut adorer l’homme assumé en même temps que le Dieu verbe, comme différents l’un de l’autre, et s’il n’adore pas plutôt d’une seule adoration l’Emmanuel, en tant qu’il est le Verbe fait chair, qu’il soit anathème. "

Solutions :

1. Dans la Trinité, trois personnes sont honorées, mais le motif d’honneur est unique. Dans le mystère de l’Incarnation, c’est le contraire. Ce n’est donc pas dans le même sens que nous pouvons parler d’honneur unique à propos de la Trinité et à propos du Christ.

2. L’opération n’est pas sujet, mais motif d’honneur. Du fait qu’il y a dans le Christ deux opérations, il ne s’ensuit donc pas qu’il y a deux adorations, mais deux motifs d’adoration.

3. L’âme du Christ, si elle n’était pas unie au Verbe de Dieu, serait ce qu’il y a de principal chez cet homme. Et c’est pourquoi on lui devrait un honneur particulier, car l’homme serait ce qu’il y a de meilleur en lui. Mais parce que l’âme du Christ est unie à une personne plus digne, c’est à cette personne que l’honneur doit aller avant tout. Pour autant, la dignité de l’âme du Christ n’en est pas diminuée, mais plutôt augmentée, nous l’avons déjà dit.

 

            Article 2 — Doit-on adorer la chair du Christ d’une adoration de latrie ?

Objection : 1. Sur le Psaume (99, 5) : " Adorez l’escabeau de ses pieds, parce qu’il est saint ", la Glose nous dit : " La chair assumée par le Verbe de Dieu est adorée par nous sans impiété, car personne ne mange spirituellement sa chair s’il ne l’adore auparavant, non pas cependant de cette adoration de latrie qui est due au Créateur seul. " Or la chair fait partie de l’humanité du Christ : celle-ci ne doit donc pas être l’objet d’une adoration de latrie.

2. Le culte de latrie ne doit être rendu à aucune créature ; c’est pourquoi S. Paul (Rm 1, 25) blâme les païens, parce qu’" ils adorent et servent la créature ". Mais l’humanité du Christ est une créature ; on ne lui doit donc pas un culte de latrie.

3. L’adoration de latrie est due à Dieu en reconnaissance de son souverain domaine sur toutes choses, selon le Deutéronome (6, 13) : ,Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul. " Or le Christ, comme homme, est inférieur au Père. On ne doit donc pas à son humanité une adoration de latrie.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit : " Dieu le Verbe s’étant incarné, la chair du Christ est adorée, non pour elle-même, mais parce que le Verbe de Dieu lui est uni selon l’hypostase. " Et au sujet de la parole du Psaume (99, 5) : " Adorez l’escabeau de ses pieds ", la Glose écrit : " Celui qui adore le corps du Christ ne regarde pas la terre, mais plutôt celui dont elle est l’escabeau, et en l’honneur de qui il adore l’escabeau. " Or, le Verbe incarné est adoré d’une adoration de latrie. Donc aussi son corps ou son humanité.

Réponse :

Nous l’avons dit l’honneur de l’adoration est dû proprement à l’hypostase subsistante ; cependant le motif de l’adoration peut être pris d’une réalité non subsistante, pour laquelle on honore la personne qui en est dotée. L’adoration de l’humanité du Christ peut donc être envisagée à un double point de vue. Premièrement, en tant qu’elle appartient à celui que l’on adore. Ainsi, adorer la chair du Christ n’est pas autre chose qu’adorer le Verbe de Dieu incarné, comme vénérer le vêtement du roi n’est pas autre chose que vénérer le roi qui le porte. De ce chef, l’adoration de l’humanité du Christ est une adoration de latrie.

En second lieu, on peut adorer l’humanité du Christ en raison de l’humanité elle-même perfectionnée par tous les dons de la grâce. En ce sens, une telle adoration n’est pas une adoration de latrie, mais de dulie. Si bien que la même et unique personne du Christ est adorée d’une adoration de latrie à cause de sa divinité, et d’une adoration de dulie à cause de la perfection de son humanité.

Cela n’a rien de contradictoire ; car Dieu le Père lui-même doit recevoir une adoration de latrie en raison de sa divinité, et une adoration de dulie pour la souveraineté avec laquelle il gouverne les créatures. Aussi, à propos de cette parole du Psaume (7, 1) : " Seigneur mon Dieu, j’ai espéré en toi ", lisons-nous dans la Glose : Seigneur de tous " à cause de la puissance ", à qui est dû le culte de dulie ; Dieu de tous " par la création ", à qui est dû le culte de latrie.

Solutions :

1. Cette glose ne doit pas s’entendre en ce sens que l’on doit adorer la chair du Christ séparément de sa divinité ; cela ne serait possible que s’il y avait une hypostase humaine distincte de l’hypostase divine. Mais, comme remarque S. Jean

Damascène : " Si l’on divise (dans le Christ), par des concepts subtils, ce qui est objet de vision et ce qui est objet d’intellection, on ne peut adorer le Christ, comme créature, d’une adoration de latrie. Ainsi donc, à la créature, en tant que conçue comme séparée du Verbe de Dieu, on doit une adoration de dulie, non pas quelconque et semblable à celle qui est communément rendue aux créatures, mais plus excellente, et que l’on appelle hyperdulie.

2. 3. Nous répondons par là aux autres objections. Car l’adoration de latrie n’est pas rendue à l’humanité du Christ pour elle-même, mais pour la divinité à laquelle elle est unie et selon laquelle le Christ n’est pas inférieur au Père.

 

            Article 3 — Doit-on rendre un culte de latrie à l’image du Christ ?

Objections :

1. Il est écrit (Ex 20, 4) : " Tu ne feras pas de statue ni aucune image. " Or, on doit éviter toute adoration contraire au précepte divin. Donc on ne doit pas rendre à l’image du Christ l’adoration de latrie.

2. Nous ne devons avoir rien de commun avec les œuvres des païens, nous dit l’Apôtre (Ep 5, 11). Mais ce que l’on reproche surtout aux païens c’est " qu’ils ont échangé la majesté du Dieu incorruptible contre l’image d’un homme corruptible " (Rm 1, 23).

3. On doit au Christ une adoration de latrie en raison de sa divinité, non en raison de son humanité. Mais l’image de sa divinité, imprimée dans l’âme rationnelle, n’a pas droit à une telle adoration. Bien moins encore l’image corporelle qui représente son humanité.

4. On ne doit rien faire dans le culte divin qui n’ait été institué par Dieu. Aussi l’Apôtre lui-même, quand il va donner un enseignement sur le sacrifice de l’Église, dit-il (1 Co 11, 23) : " J’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis. " Or on ne trouve dans l’Écriture aucun enseignement en faveur de l’adoration des images du Christ.

En sens contraire, S. Jean Damascène dit en citant S. Basile : " L’honneur rendu à l’image atteint le prototype ", c’est-à-dire le modèle. Mais le modèle, qui est le Christ, doit recevoir une adoration de latrie. Donc aussi son image.

Réponse :

Comme dit Aristote il y a un double mouvement de l’âme vers l’image : l’un se portant vers l’image elle-même en tant qu’elle est une réalité, l’autre se portant vers l’image en tant qu’elle est l’image d’autre chose. Il y a cette différence entre ces deux mouvements, que le premier est différent de celui qui se porte vers la réalité représentée, tandis que le second, qui se porte vers l’image en tant qu’image, est identique à celui qui se porte vers la réalité représentée. Ainsi donc, il faut dire qu’on ne doit aucune vénération à l’image du Christ en tant qu’elle est une chose, comme du bois sculpté ou peint, parce qu’on ne doit de vénération qu’à la créature raisonnable. Il reste donc qu’on lui manifeste de la vénération seulement en tant qu’elle est une image. Et il en résulte qu’on doit la même vénération à l’image du Christ et au Christ lui-même. Donc, puisque le Christ est adoré d’une adoration de latrie, il est logique d’adorer de même son image.

Solutions :

1. Le précepte en question n’interdit pas de faire une sculpture ou une image, mais de la faire en vue de l’adorer, si bien que l’Exode ajoute : " Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, et tu ne les adoreras pas. " Et puisque, nous venons de le dire, c’est le même mouvement qui se porte sur l’image et sur la réalité, la même défense interdit l’adoration de la réalité et celle de l’image. Il faut donc comprendre que l’adoration prohibée est celle des images que les païens fabriquaient pour vénérer leurs dieux, c’est-à-dire les démons ; et c’est pourquoi le texte avait dit d’abord : " Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi. " Quant à Dieu lui-même, puisqu’il est incorporel, aucune image de lui ne pouvait être proposée car, dit S. Jean Damascène : " C’est le comble de la sottise et de l’impiété que de modeler une image de ce qui est divin. " Mais parce que sous la nouvelle alliance Dieu s’est fait homme, il peut être adoré sous son image corporelle.

2. L’Apôtre interdit de communier aux " œuvres stériles " des païens (Ep 5, 4), mais non à leurs œuvres utiles. Or l’adoration des images doit être comptée parmi les œuvres stériles pour deux motifs. D’abord en ce que certains des païens adoraient les images comme des réalités, croyant qu’elles contenaient quelque chose de divin à cause des réponses que les démons donnaient par elles, ou à cause d’autres prodiges. Puis du fait que ces images représentaient des créatures auxquelles ils rendaient un culte de latrie. Quant à nous, nous rendons une adoration de latrie à l’image du Christ, vrai Dieu, non pas à cause de l’image elle-même, mais à cause de la réalité qu’elle représente.

3. On doit à la créature rationnelle comme telle une certaine vénération. C’est pourquoi si, parce qu’elle est l’image de Dieu, on lui rendait une adoration de latrie, on pourrait tomber dans l’erreur, car le mouvement d’adoration pourrait s’arrêter à l’homme en tant qu’il est une réalité, et ne pas se porter jusqu’à Dieu dont il est l’image. Le même danger n’est pas à craindre pour une image sculptée ou peinte dans une matière insensible.

4. Les Apôtres, guidés par l’impulsion intérieure de l’Esprit Saint, ont transmis aux Églises certaines traditions qu’ils n’avaient pas laissées dans leurs écrits, mais dans la pratique de l’Église, que les fidèles se transmettaient. C’est ainsi que S. Paul dit aux Thessaloniciens (2 Th 2,14) : " Tenez ferme et attachez-vous aux traditions que vous avez reçues de nous, de vive voix ou par lettre. " Et parmi ces traditions il y a l’adoration des images du Christ. C’est pourquoi on attribue à S. Luc une peinture du Christ qui se trouve à Rome.

 

            Article 4 — Doit-on rendre un culte de latrie à la croix du Christ ?

Objections :

1. Un fils affectueux ne vénère pas ce qui a outragé son père, par exemple le fouet avec lequel celui-ci a été flagellé, ou le gibet auquel il a été suspendu. Il en aurait plutôt de l’horreur. Or, sur le bois de la croix, le Christ a subi la mort la plus ignominieuse, selon la Sagesse (2, 20). " Condamnons-le à la mort la plus honteuse. " Nous ne devons donc pas vénérer la croix, mais l’avoir en horreur.

2. On rend à l’humanité du Christ l’adoration de latrie en tant qu’elle est unie à la personne du Fils de Dieu ; ce qu’on ne peut pas dire de la croix. On ne peut donc pas rendre à celle-ci un culte de latrie.

3. La croix du Christ fut l’instrument de sa passion et de sa mort, mais il y en eut bien d’autres : les clous, la couronne d’épines, la lance ; pourtant nous ne leur rendons pas un culte de latrie. Donc on ne doit pas le rendre non plus à la croix.

En sens contraire, nous adorons d’un culte de latrie ce en quoi nous mettons l’espérance de notre salut. Or nous mettons une telle espérance dans la croix du Christ, puisque l’Église chante : " Salut, ô croix, unique espérance! donne aux coupables le pardon. " Donc la croix du Christ a droit à l’adoration de latrie.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, l’honneur ou la vénération n’est dû qu’à la créature raisonnable ; c’est seulement à cause d’elle que l’on honore ou révère une créature insensible. Et cela pour deux motifs : soit parce qu’elle représente la créature raisonnable soit parce qu’elle lui est unie de quelque façon. Pour le premier motif, les hommes ont coutume de révérer l’image du roi ; pour le second, son vêtement. Ils vénèrent ces objets comme le roi lui-même.

Donc, si nous parlons de la croix même sur laquelle le Christ a été cloué, on doit la révérer pour les mêmes motifs : et parce qu’elle nous présente la figure du Christ étendu sur elle, et aussi parce qu’elle a été touchée par ses membres et inondée de son sang. Pour ce double motif nous devons lui rendre le même culte de latrie qu’au Christ lui-même. C’est pourquoi nous invoquons la croix, et nous la prions comme le Crucifié en personne.

Mais s’il s’agit de l’effigie de la croix, faite de toute autre matière : pierre, bois, argent ou or, la croix n’est vénérée que comme image du Christ, à laquelle nous rendons un culte de latrie, au sens dont nous avons parlé à l’article précédent.

Solutions :

1. Dans l’intention et l’opinion des infidèles, la croix est considérée comme un outrage pour le Christ ; mais, quant à la réalisation de notre salut, on considère sa vertu divine, qui a triomphé des ennemis, selon l’Apôtre (Col 2, 14) : " Il a supprimé le billet de notre dette en le clouant à la croix. Il a dépouillé les Principautés et les Puissances et les a traînées dans le triomphe de sa victoire. " Ce qui fait dire encore à S. Paul (1 Co 1, 18) : " Le langage de la croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu. "

2. Si la croix du Christ n’a pas été unie personnellement au Verbe de Dieu, elle lui a été unie d’une autre manière : par représentation et par contact. C’est pour ce seul motif qu’on la révère.

3. Nous n’adorons pas seulement la croix, mais aussi tout ce qui a été en contact avec les membres du Christ. C’est pourquoi S. Jean Damascène écrit : " Le bois précieux, sanctifié par le contact du corps sacré et du sang, doit être à juste raison adoré ; de même les clous, les vêtements, la lance ; de même ses saintes demeures comme la mangeoire, la grotte, etc. " Cependant, ces objets ne présentent pas l’image du Christ comme la croix, qui est appelée dans l’Écriture " le signe du Fils de l’homme ", et qui " apparaîtra dans le ciel ", comme il est dit en S. Matthieu (24, 30). C’est pourquoi l’Ange dit aux saintes femmes (Mc 16, 6) : " Vous cherchez Jésus de Nazareth qui a été crucifié ", et non " qui a été percé de la lance ", mais " qui a été crucifié ". Aussi vénérons-nous toute représentation de la croix, en quelque matière qu’elle soit faite, mais non l’image des clous ou de quelque autre objet.

 

            Article 5 — Doit-on rendre un culte de latrie à la mère du Christ ?

Objections :

1. On doit rendre les mêmes honneurs au roi et à la mère du roi, puisqu’on lit (1 R 2, 19) : " Un trône fut dressé pour la mère du roi, et elle s’assit à sa droite. " Et S. Augustin dit : " Celle qui est la mère de Dieu, la couche nuptiale du Seigneur du ciel, la tente du Christ, est digne de se trouver là où il se trouve lui-même. " Or on rend au Christ un culte de latrie ; on doit donc agir ainsi envers sa mère.

2. S. Jean Damascène écrit : " L’honneur que l’on rend à la mère se reporte sur le fils. " Mais le Christ reçoit un culte de latrie. Donc sa mère aussi.

3. La mère du Christ lui fut plus intimement unie que ne fut la croix. Or on rend à celle-ci un culte de latrie. Donc à la mère du Christ aussi.

En sens contraire, la mère du Christ est une simple créature. Donc on ne doit pas lui rendre un culte de latrie.

Réponse :

Parce que le culte de latrie est dû à Dieu seul, on ne le doit à aucune créature, si nous vénérons la créature pour elle-même. Or, si les créatures insensibles ne peuvent être vénérées pour elles-mêmes, il en va autrement de la créature raisonnable. Aussi ne doit-on jamais rendre un culte de latrie à une simple créature raisonnable. Et puisque la Bienheureuse Vierge est une simple créature raisonnable, on ne lui doit pas un culte de latrie, mais seulement une vénération de dulie ; vénération plus haut qu’aux autres créatures, parce qu’elle est la mère de Dieu. C’est pourquoi le culte qu’on lui doit n’est pas un culte de dulie quelconque, mais d’hyperdulie.

Solutions :

1. On ne doit pas à la mère du roi le même honneur qu’au roi, mais seulement un honneur comparable en raison d’une certaine excellence. C’est ce que signifient les textes allégués.

2. L’honneur se reporte sur le fils parce que la mère est honorée à cause du fils. Mais il ne s’agit pas ici de l’honneur rendu à l’image en tant que cet honneur se reporte sur le modèle, car l’image en elle-même, considérée comme une réalité, ne mérite aucune vénération.

3. La croix considérée en elle-même n’est pas, nous l’avons vu, objet de vénération. Au contraire, la Bienheureuse Vierge en elle-même, est digne de vénération. Donc la comparaison ne vaut pas.

 

            Article 6 — L’adoration des reliques des saints

Objections :

1. On ne doit rien faire qui puisse être occasion d’erreur. Or, adorer les restes des morts semble se rattacher à l’erreur des païens, qui rendaient un culte aux défunts.

2. Il est sot de vénérer un objet insensible, ce que sont pourtant les restes des saints.

3. Un corps mort n’est pas de la même espèce que le corps vivant ; il n’est donc pas numériquement le même. Il apparaît donc qu’après la mort d’un saint, on ne doit pas adorer son corps.

En sens contraire, on lit dans le livre des Croyances ecclésiastiques : " Nous croyons que l’on doit vénérer très sincèrement les corps des saints, et principalement les restes des bienheureux martyrs, comme s’ils étaient les membres du Christ. " Et plus loin : " Si quelqu’un contredit cette doctrine, il n’est pas chrétien, mais sectateur d’Eunomius et de Vigilantius. "

Réponse :

S. Augustin écrit : " Si les vêtements et l’anneau d’un père sont d’autant plus chers aux enfants qu’ils aiment davantage leurs parents, on ne doit aucunement mépriser les corps qui nous sont encore beaucoup plus familiers et intimement unis que les vêtements que nous portons ; ils se rattachent en effet à la nature même de l’homme. " Il est clair que celui qui aime quelqu’un vénère après sa mort ce qui reste de lui ; non seulement son corps et des parties de son corps, mais aussi des objets extérieurs, comme des vêtements. Il est donc évident que nous devons avoir de la vénération pour les saints de Dieu, qui sont les membres du Christ, les fils et les amis de Dieu et nos intercesseurs auprès de lui. Il est donc évident aussi que nous devons, en souvenir d’eux, vénérer dignement tout ce qu’ils nous ont laissé, et principalement leurs corps, qui furent les temples et les organes du Saint-Esprit, habitant et agissant en eux, et qui doivent être configurés au corps du Christ par la résurrection glorieuse. C’est pourquoi Dieu lui-même glorifie comme il convient leurs reliques, par les miracles qu’il opère en leur présence.

Solutions :

1. Ce fut le motif invoqué par Vigilantius et rapporté par S. Jérôme dans le livre écrit contre lui : " C’est un rite presque païen que nous voyons s’introduire sous prétexte de religion. Ils adorent, en la baisant, je ne sais quelle poussière enfermée dans un petit vase enveloppé dans un linge précieux. " Contre quoi Jérôme écrit : " Nous n’adorons pas les reliques des saints, ni non plus le soleil, la lune ni les anges " d’une adoration de latrie. Mais nous honorons les reliques des martyrs, afin d’adorer celui dont ils sont les martyrs ; nous honorons les serviteurs afin que l’honneur rendu à ceux-ci rejaillisse sur le Seigneur. " Ainsi donc, en honorant les reliques des saints, nous ne tombons pas dans l’erreur des païens qui rendaient aux morts un culte de latrie.

2. Nous n’adorons pas ce corps insensible pour lui-même, mais à cause de l’âme qui lui fut unie et qui jouit maintenant de Dieu, et à cause de Dieu, dont l’âme et le corps furent les serviteurs.

3. Le corps mort d’un saint n’est pas identique numériquement à son corps vivant, lequel avait une forme différente : l’âme. Mais il est le même par identité de matière, laquelle sera de nouveau unie à l’âme, sa forme.

 

 

QUESTION 26 — LA MÉDIATION DU CHRIST ENTRE DIEU ET LES HOMMES

1. Est-il propre au Christ d’être médiateur entre Dieu et les hommes ? - 2. Cela lui convient-il selon sa nature humaine ?

 

            Article 1 — Est-il propre au Christ d’être médiateur entre Dieu et les hommes ?

Objections :

1. De même que le prêtre, le prophète paraît être un médiateur entre Dieu et les hommes, comme dit Moïse (Dt 5, 5) : " je me tenais alors entre le Seigneur et vous. " Mais être prophète et prêtre n’est pas propre au Christ, donc être médiateur non plus.

2. Ce qui convient aux anges, bons ou mauvais, ne peut être attribué en propre au Christ. Or il convient aux bons anges d’être intermédiaires entre Dieu et les hommes, affirme Denys. Cela convient aussi aux mauvais anges ou démons ; ils ont en effet certains points communs avec Dieu comme l’immortalité, et certains en commun avec les hommes, comme d’être sujets aux passions quant à l’âme, et donc malheureux, d’après S. Augustin. Donc, être médiateur entre Dieu et les hommes n’est pas propre au Christ.

3. La fonction du médiateur le fait intercéder auprès de l’un des extrêmes en faveur de l’autre. Mais S. Paul écrit (Rm 8, 26) : " L’Esprit Saint intercède pour nous auprès de Dieu par des gémissements inexprimables. " Donc l’Esprit Saint est médiateur entre Dieu et les hommes, et cette fonction n’est pas propre au Christ.

En sens contraire, il est écrit (1 Tm 2, 5) " Il y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus Christ. "

Réponse :

L’office de médiateur consiste à unir ceux entre lesquels il est médiateur, car les extrêmes sont unis par le milieu. Or, unir parfaitement les hommes à Dieu convient au Christ puisque, par lui, les hommes sont réconciliés avec Dieu, selon S. Paul (2 Co 5, 19) : " Dieu réconciliait le monde avec lui dans le Christ. " C’est pourquoi le Christ seul, en tant que par sa mort il a réconcilié le genre humain avec Dieu, est le parfait médiateur entre Dieu et les hommes. C’est pourquoi l’Apôtres après avoir dit : " L’homme Jésus Christ est médiateur entre Dieu et les hommes " ajoute : " lui qui s’est livré pour le rachat de tous ".

Rien n’empêche cependant que quelques autres soient appelés, sous un certain rapport, médiateurs entre Dieu et les hommes en tant qu’ils coopèrent à unir les hommes à Dieu de façon diapositive et subordonnée.

Solutions :

1. Les prophètes et les prêtres de l’ancienne alliance étaient médiateurs entre Dieu et les hommes de cette façon diapositive et subordonnée, en tant qu’ils annonçaient et préfiguraient le médiateur véritable et parfait.

Quant aux prêtres de la nouvelle alliance, ils peuvent être appelés médiateurs entre Dieu et les hommes parce qu’ils sont les ministres du véritable médiateur, et qu’ils confèrent aux hommes en son nom les sacrements du salut.

2. Les bons anges, remarque S. Augustin ne peuvent être appelés vraiment des médiateurs entre Dieu et les hommes : " Puisqu’ils ont en commun avec Dieu la béatitude et l’immortalité, mais n’ont rien de commun avec les hommes misérables et mortels, comment ne sont-ils pas plutôt éloignés des hommes et unis à Dieu, que placés comme intermédiaires entre les deux ? " Cependant Denys les appelle des intermédiaires parce que, selon le degré de leur nature, ils sont au-dessous de Dieu et au-dessus de l’homme. Et ils exercent l’office de médiateurs non pas d’une manière primordiale et perfective, mais ministérielle et dispositive, selon S. Matthieu (4, 11) " Les anges s’approchaient et ils le servaient " entendez le Christ.

Quant aux démons, ils ont en commun avec Dieu l’immortalité, et avec l’homme la misère. " Et c’est pourquoi le démon immortel et malheureux s’interpose comme médiateur pour nous empêcher de parvenir à l’immortalité bienheureuse et pour nous conduire au malheur éternel. Il agit donc comme " un mauvais médiateur qui sépare des amis ".

Le Christ, lui, a en commun avec Dieu la béatitude, et avec l’homme la nature mortelle. C’est pourquoi " il s’est interposé comme médiateur afin que, ayant passé par la mort, il nous rendît immortels, nous qui étions mortels, et il nous en a donné la preuve dans sa résurrection ; afin encore de nous rendre bienheureux, nous qui étions misérables, lui qui n’a jamais abandonné la béatitude. " Et c’est pourquoi il est " le bon médiateur qui réconcilie les ennemis ".

3. L’Esprit Saint étant en toutes choses égal à Dieu, ne peut être appelé intermédiaire ou médiateur entre Dieu et les hommes. Cela appartient au Christ seul qui, tout en étant égal au Père sous le rapport de la divinité, lui est cependant inférieur sous le rapport de l’humanité, nous l’avons dit plus haut’. Aussi, à propos de cette parole de l’épître aux Galates (3, 20) : " Le Christ est médiateur ", lisons-nous dans la Glose : " Non pas le Père ni l’Esprit Saint. " Et si l’on dit que le Saint-Esprit interpelle pour nous, c’est en ce sens qu’il nous pousse à interpeller.

 

            Article 2 — La médiation convient-elle au Christ selon sa nature humaine ?

Objections :

1. Nous lisons chez S. Augustin, : " Le Christ est une personne unique ; loin de nous la pensée de dire que le Christ n’est pas un, n’est pas une seule substance, qu’il n’est pas médiateur selon le plan divin, ou qu’il est Fils de Dieu seulement ou Fils de l’homme. " Or, si le Christ est fils de Dieu et de l’homme, ce n’est pas en tant qu’homme, mais en tant que Dieu et homme. On ne doit donc pas dire non plus qu’il est médiateur simplement en tant qu’homme.

2. Le Christ, en tant que Dieu, rejoint le Père et le Saint-Esprit ; en tant qu’homme, il rejoint les autres hommes. Précisément, puisque, en tant que Dieu, il rejoint le Père et le Saint-Esprit, il ne peut sous ce rapport être médiateur ; aussi, à propos du texte de l’Apôtre (1 Tm 2, 5) : " Médiateur entre Dieu et les hommes ", la Glose écrit : " En tant que Verbe, il n’est pas intermédiaire ; car il est égal à Dieu, Dieu auprès de Dieu, le même Dieu unique. " Mais le Christ ne peut davantage être médiateur en tant qu’homme, à cause de son égalité avec les autres hommes.

3. Le Christ est appelé médiateur en tant qu’il nous a réconciliés avec Dieu, en enlevant le péché qui nous séparait de Dieu. Or, le fait d’enlever le péché convient au Christ non pas en tant qu’homme, mais en tant que Dieu. Ce n’est donc pas en tant qu’homme que le Christ est médiateur, mais en tant que Dieu.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Ce n’est pas en tant que Verbe que le Christ est médiateur, car le Verbe, souverainement immortel et souverainement bienheureux, est loin des mortels malheureux. " Mais il est médiateur en tant qu’homme.

Réponse :

Deux points sont à considérer dans un médiateur : la raison qui fait de lui un intermédiaire, et son office de liaison. L’intermédiaire, par sa nature même, est à distance des deux extrêmes ; il fait office de liaison en transmettant à l’un des extrêmes ce qui appartient à l’autre. Or, aucun de ces deux caractères ne convient au Christ en tant que Dieu, mais seulement en tant qu’homme. En tant que Dieu, en effet, il ne diffère du Père et du Saint-Esprit ni en nature ni en puissance dominatrice. De plus, le Père et le Saint-Esprit n’ont rien qui ne soit au Fils, en sorte que le Fils puisse transmettre à d’autres, et comme quelque chose venant d’autres que lui, ce qui appartient au Père et au Saint-Esprit. Mais il n’en est pas de même si l’on considère le Christ en tant qu’homme ; sous ce rapport, en effet, il est à distance de Dieu par nature, et des hommes par dignité de grâce et de gloire. De plus, il lui revient, comme homme, d’unir les hommes à Dieu en apportant aux hommes les préceptes et les dons de Dieu, et en satisfaisant et en intercédant pour les hommes auprès de Dieu. En toute vérité, le Christ est donc médiateur en tant qu’homme.

Solutions :

1. Si l’on enlève au Christ sa nature divine, on lui enlèvera par le fait même sa plénitude singulière de grâce, qui lui convient en tant qu’il est " le Fils unique du Père ", comme dit S. Jean (1, 14). C’est cette plénitude qui le situe au-dessus de tous les hommes, et lui permet d’avoir accès auprès de Dieu.

2. Le Christ, en tant que Dieu est en tout égal au Père ; mais encore, dans sa nature humaine, il dépasse les autres hommes. Et c’est pourquoi il est médiateur en tant qu’homme et non en tant que Dieu.

3. Bien qu’il convienne au Christ, en tant que Dieu, d’enlever le péché par son autorité, il lui revient en tant qu’homme, de satisfaire pour le péché du genre humain ; et c’est à ce titre que le Christ est appelé médiateur entre Dieu et les hommes.

 

LA VIE DU CHRIST

Nous venons d’étudier l’union entre Dieu et l’homme, puis ses conséquences. Il reste à examiner quelles ont été, dans la nature humaine qu’il s’est unie, les actions et les souffrances du Fils de Dieu incarné.

Cette étude comportera quatre grande parties : I. L’entrée du Fils de Dieu en ce monde (Q. 27-39). - II. Le déroulement de sa vie en ce monde (Q. 40-45). - III. Sa sortie de ce monde (Q. 45-52). - IV. Ce qui concerne son exaltation après cette vie (Q. 53-59).

Sur son entrée en ce monde, 4 autre points sont à étudier : 1. Sa conception (Q. 27-34). - 2. Sa nativité (Q. 35-36). - 3. Sa circoncision (Q. 37). - 4. Son baptême (Q. 38-39).

Sur sa conception il faut envisager : 1° La mère qui l’a conçu (Q. 27-30). - 2° Le mode de cette conception (Q. 31-33). - 3° La perfection de l’enfant ainsi conçu (Q. 34).

Enfin, au sujet de la mère du Christ, on examinera : I. Sa sanctification (Q. 27). - II. Sa virginité (Q. 28). - III. Ses fiançailles (Q. 29). - IV. Son annonciation, c’est-à-dire sa préparation à la conception (Q. 30).

 

 

QUESTION 27 — LA SANCTIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE

1. La bienheureuse Vierge Mère de Dieu a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance ? - 2. A-t-elle été sanctifiée avant son animation ? - 3. Cette sanctification a-t-elle supprimé totalement en elle le foyer du péché ? - 4. Lui a-t-elle donné de ne jamais pécher ? - 5. Lui a-t-elle procuré la plénitude de grâces ? - 6. Lui est-il propre d’avoir été ainsi sanctifiée ?

 

            Article 1 — La Bienheureuse Vierge Mère de Dieu a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance ?

Objections :

1. S. Paul écrit (1 Co 15, 46) : " Ce n’est pas l’être spirituel qui paraît d’abord, c’est l’être animal ; l’être spirituel vient ensuite. " Mais c’est par la grâce sanctifiante que l’homme naît spirituellement pour devenir fils de Dieu selon S. Jean (1, 13) : " Ils sont nés de Dieu. " Or la naissance hors du sein maternel est une naissance animale. Donc la Vierge Marie n’a pas été sanctifiée avant de naître du sein maternel.

2. S. Augustin écrit : " La sanctification qui fait de nous le temple de Dieu n’appartient qu’à ceux qui renaissent. " Or, pour renaître, il faut d’abord être né.

3. Être sanctifié par la grâce, c’est être purifié du péché originel et du péché actuel. Donc, si la Bienheureuse Vierge avait été sanctifiée avant sa naissance, il s’ensuivrait qu’elle fut purifiée alors du péché originel. Mais seul le péché originel pouvait lui interdire l’entrée du Royaume céleste. Si donc elle était morte alors, il semble qu’elle aurait franchi l’entrée du Royaume céleste. Cependant cela ne pouvait se réaliser avant la passion du Christ, car selon l’épître aux Hébreux (10, 19) : " C’est par son sang que nous avons l’assurance d’entrer dans le sanctuaire. " Il semble donc que la Bienheureuse Vierge n’a pas été sanctifiée avant de naître.

4. Le péché originel se contracte par origine, comme le péché actuel par un acte. Or, tant que dure l’acte peccamineux, on ne peut être purifié du péché actuel. Donc, la Vierge ne pouvait être purifiée du péché originel tandis qu’elle était encore en acte d’origine, puisqu’elle se trouvait dans le sein de sa mère.

En sens contraire, l’Église célèbre la Nativité de la Bienheureuse Vierge. Or on ne célèbre de fête, dans l’Église, que pour un saint. Donc la Bienheureuse Vierge était sainte à sa naissance même. Elle avait donc été sanctifiée dans le sein de sa mère.

Réponse :

L’Écriture sainte ne nous apprend rien à ce sujet ; elle ne fait même pas mention de la naissance de Marie. Cependant S. Augustin, dans un sermon sur l’Assomption, établit de façon rationnelle qu’elle a été enlevée au ciel avec son corps, ce que l’Écriture ne nous révèle pas. De même peut-on établir de façon rationnelle qu’elle fut sanctifiée dès le sein de sa mère. En effet, on a de bonnes raisons de croire qu’elle a reçu des privilèges de grâce supérieurs à ceux de tous les autres hommes, elle qui a unique du Père, plein de grâce et de vérité " (Jn 1, 14). Aussi l’ange lui dit-il " Je vous salut Marie, comblée de grâce " (Lc 1, 28). Et nous voyons que le privilège de la sanctification dans le sein maternel a été accordé à certains hommes, à Jérémie, par exemple, à qui Dieu adresse ces paroles (1, 5) : " Avant de te former au sein maternel, je t’ai connu " ; et à Jean Baptiste dont il est dit (Lc 1, 15) : " Il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère. " Il est donc raisonnable de croire que la Bienheureuse Vierge fut sanctifiée avant de naître.

Solutions :

1. Même chez la Bienheureuse Vierge ce qui est animal a précédé ce qui est spirituel, car elle a d’abord été conçue selon la chair, et ensuite sanctifiée selon l’esprit.

2. S. Augustin parle selon la loi commune : on ne peut être régénéré par les sacrements avant d’être né. Mais Dieu n’a pas lié sa puissance à cette loi des sacrements ; par privilège spécial il peut conférer sa grâce à certains hommes avant leur naissance.

3. Si la Bienheureuse Vierge a été purifiée du péché originel dans le sein de sa mère, ce fut quant à la souillure-ci communique la nature humaine, qui est atteinte en elle-même par le péché originel. Cela se produit quand le fruit de la conception est doté d’une âme. Aussi rien n’empêche que le fruit de la conception soit sanctifié après son animation ; ensuite s’il demeure personnelle ; elle n’a pas été soustraite à la peine qui atteignait toute la nature humaine. C’est dire qu’elle n’aurait pu entrer au paradis que par le sacrifice du Christ, comme les patriarches antérieurs à celui-ci.

4. Le péché originel se transmet par l’origine, en tant que celle-ci communique la nature humaine, qui est atteinte en elle-même par le péché originel. Cela se produit quand le, fruit de la conception est doté d’une âme. Aussi rien n’empêche que le fruit de la conception soit sanctifié avant son animation ; ensuite s’il demeure dans le sein maternel, ce n’est plus pour recevoir la nature humaine, mais un perfectionnement de ce qu’il a déjà reçu.

 

            Article 2 — La Bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant son animation ?

Objections :

1. On vient de le dire, la Vierge Mère de Dieu a reçu plus de grâce que n’importe quel saint. Mais certains ont été sanctifiés avant leur animation. Dieu dit à Jérémie (1, 5) : " Avant que tu sois sorti du sein maternel, je t’ai sanctifié. " Or l’âme n’est pas infusée avant que le corps soit formé. Pareillement pour S. Jean Baptiste, dont S. Ambroise affirme : " L’esprit de vie n’était pas encore en lui que déjà l’Esprit Saint l’habitait. " Donc, à plus forte raison, la Bienheureuse Vierge a pu être sanctifiée avant son animation.

2. Il convenait, a dit S. Anselme " que cette Vierge brillât d’une pureté telle qu’on ne peut en concevoir une plus éclatante, hormis celle de Dieu ". Aussi est-il dit dans le Cantique des Cantiques (4, 7) : " Tu es toute belle, ma bien-aimée, et il n’y a pas de tache en toi. " Or, si la Bienheureuse Vierge n’avait jamais été souillée par la contagion du péché originel, sa pureté eût été plus grande. Il lui a donc été accordé que sa chair fut sanctifiée avant même d’être dotée d’une âme.

3. On l’a dit plus haut, on ne célèbre la fête que des saints. Or certaines Églises célèbrent la fête de la Conception de la Bienheureuse Vierge. Il apparaît donc que Marie a été sainte dans sa conception même et ainsi a été sanctifiée avant son animation.

4. Suivant l’Apôtre (Rm 11, 16), " si la racine est sainte, les branches le sont aussi ". Or la racine des enfants, ce sont leurs parents. Donc la Bienheureuse Vierge a pu être sanctifiée en ses parents, avant d’avoir une âme.

En sens contraire, les événements de l’Ancien Testament préfigurent le Nouveau selon la 1ère épître aux Corinthiens (10, 11) : " Cela leur arrivait en figure. " Mais le Psaume (47, 5) dit que " le Très-Haut a sanctifié son tabernacle " et cela paraît symboliser la sanctification de la Mère de Dieu, selon un autre Psaume (19, 6) : " Il a établi son tabernacle dans le soleil ", et l’Exode (40, 31) dit au sujet de ce tabernacle : " Lorsque tout fut terminé, la nuée recouvrit le tabernacle du Témoignage, et la gloire du Seigneur le remplit. " De même, la Bienheureuse Vierge n’a été sanctifiée qu’après l’achèvement de tout son être, corps et âme.

Réponse :

La sanctification de la Bienheureuse Vierge n’a pu s’accomplir avant son animation pour deux raisons :

1° La sanctification dont nous parlons désigne la purification du péché originel ; en effet, d’après Denys la sainteté est " la pureté parfaite ". Or la faute ne peut être purifiée que par la grâce, et celle-ci ne peut exister que dans une créature raisonnable. C’est pourquoi la Bienheureuse Vierge n’a pas été sanctifiée avant que l’âme rationnelle lui ait été donnée.

2° Seule la créature raisonnable est susceptible de faute. Le fruit de la conception n’est donc sujet à la faute que lorsqu’il a reçu l’âme rationnelle. Si la Bienheureuse Vierge avait été sanctifiée, de quelque manière que ce fût, avant son animation, elle n’aurait jamais encouru la tache de la faute originelle. Ainsi elle n’aurait pas eu besoin de la rédemption et du salut apportés par le Christ, dont il est dit en S. Matthieu (1, 21) : " Il sauvera son peuple de ses péchés. " Or il est inadmissible que le Christ ne soit pas " le sauveur de tous les hommes " (1 Tm 4, 10). Il reste donc que la sanctification de la Bienheureuse Vierge Marie s’est accomplie après son animations.

Solutions :

1. Lorsque le Seigneur dit avoir connu Jérémie avant qu’il fût formé dans le sein maternel, c’est d’une connaissance de prédestination ; il ajoute même expressément qu’il l’a sanctifié non pas avant sa formation, mais " avant qu’il sortît du sein de sa mère ".

Quant à l’affirmation de S. Ambroise, que l’esprit de vie n’était pas encore en Jean Baptiste, quand il avait déjà l’Esprit de grâce, l’esprit de vie désigne ici non pas l’âme qui vivifie, mais l’air que l’on respire au-dehors. - On peut dire aussi qu’il n’avait pas encore l’esprit de vie, c’est-à-dire l’âme, quant aux actes visibles et achevés de celle-ci.

2. Si l’âme de la Bienheureuse Vierge n’avait jamais été souillée par la contagion du péché originel, c’eût été une atteinte à la dignité du Christ, qui est le Sauveur universel de tous les hommes. Voilà pourquoi la pureté de la Bienheureuse Vierge est la plus grande, mais après celle du Christ, qui n’avait pas besoin d’être sauvé puisqu’il est le Sauveur universel. Car le Christ n’a nullement contracté le péché originel ; mais il a été saint dans sa conception même, selon S. Luc (2, 35) : " Ce qui naîtra de toi sera saint, et on l’appellera Fils de Dieu. " La Bienheureuse Vierge, elle, a contracté le péché originel, mais elle en a été purifiée avant de naître du sein maternel. C’est là ce que vise le livre de Job (3, 9), où il est dit de la nuit du péché originel : " Qu’elle attende la lumière ", c’est-à-dire le Christ, " et qu’elle ne voie pas le lever de l’aurore naissante ", c’est-à-dire de la Bienheureuse Vierge, qui à sa naissance fut indemne du péché originel, car, d’après la Sagesse (7, 25), " rien de souillé n’est entré en elle ".

3. Bien que l’Église romaine ne célèbre pas la fête de la Conception de la Vierge, elle tolère la coutume de certaines Églises qui la célèbrent. Mais, du fait qu’on célèbre la fête de la Conception, il ne faut pas penser que la Bienheureuse Vierge a été sainte dans sa conception. Toutefois, parce que l’on ignore à quel moment elle a été sanctifiée, on célèbre, le jour même de sa conception, la fête de sa sanctification.

4. Il y a deux sortes de sanctification. L’une concerne la nature tout entière, qui sera délivrée de toute corruption de péché et de peine. Cette sanctification se fera à la résurrection. L’autre est la sanctification personnelle. Elle ne se transmet pas au fruit engendré charnellement, car elle regarde non la chair, mais l’esprit. Donc, si les parents de la Bienheureuse Vierge ont été purifiés du péché originel, la Bienheureuse Vierge l’a néanmoins contracté, puisqu’elle a été conçue selon la convoitise de la chair et par le commerce de l’homme et de la femme, " Tout ce qui naît de ce commerce, écrit S. Augustin est chair de péché. "

 

            Article 3 — Cette sanctification a-t-elle totalement supprimé chez la Bienheureuse Vierge le foyer du péché ?

Objections :

1. Le " foyer de péché ", qui consiste en la rébellion des puissances inférieures contre la raison, est une peine sanctionnant le péché originel. De même la mort et les autres pénalités corporelles. Mais la Bienheureuse Vierge a subi ces dernières pénalités. Pareillement le foyer du péché n’a pu être totalement détruit en elle.

2. S. Paul écrit (2 Co 12, 9) : " Ma vertu trouve sa perfection dans la faiblesse ", et il parle là de la faiblesse du foyer de péché qui lui faisait sentir " l’aiguillon de la chair ". Or rien de ce qui touche à la perfection de la vertu ne doit être enlevé à la Bienheureuse Vierge. La sanctification n’a don pas supprimé complètement son foyer de péché

3. S. Jean Damascène déclare : " Chez la Bienheureuse Vierge survint le Saint-Esprit, qui la purifia avant qu’elle conçût le Fils de Dieu. Il ne peut s’agir que du " foyer ", car elle n’a pas commis de péché, affirme S. Augustin. Donc la sanctification dans le sein de sa mère ne l’a pas entièrement purifiée du foyer de péché.

En sens contraire, il est écrit (Ct 4, 7) " Tu es toute belle, ma bien-aimée, et il n’y a pas d tache en toi. " Or le foyer de péché est une tache au moins pour la chair. Il n’y en a donc pas eu chez la Bienheureuse Vierge.

Réponse :

Sur cette question on observe une grande diversité d’opinions. - Certains ont dit que le foyer de péché aurait été totalement supprimé chez la Bienheureuse Vierge par la sanctification qu’elle a reçue dans le sein de sa mère. - D’autres soutenaient que le foyer de péché lui serait resté, mais seulement pour autant qu’il rend difficile de faire le bien ; il lui aurait été enlevé en ce qui concerne le penchant au mal. - Selon d’autres, la Bienheureuse Vierge n’aurait plus eu le foyer de péché en tant qu’il est une corruption de la personne, qui pousse au mal et entrave le bien ; il lui serait demeuré en tant qu’il est une corruption de la nature d’où provient la transmission du péché originel à la descendance. - D’après certains enfin, le foyer pris en lui-même aurait subsisté chez la Bienheureuse Vierge lors de sa première sanctification, mais lié ; et au moment même de la conception du Fils de Dieu, il aurait été totalement supprimé.

Afin de pouvoir comprendre ce problème, il faut considérer ce qu’est le " foyer " : rien d’autre qu’une convoitise désordonnée de l’appétit sensible. Convoitise habituelle, car la convoitise actuelle constitue un véritable mouvement de péché. Or on appelle " désordonnée " la convoitise de sensualité lorsqu’elle s’oppose à la raison c’est-à-dire lorsqu’elle incline au mal ou fait obstacle au bien. Et c’est pourquoi l’inclination au mal ou l’obstacle au bien appartiennent à la raison même de " foyer ". Aussi soutenir que ce foyer est demeuré chez la Bienheureuse Vierge sans l’incliner au mal, c’est vouloir concilier deux réalités opposées.

Pareillement, on semble aboutir à une contradiction si l’on admet chez la Bienheureuse Vierge la persistance du foyer en tant qu’il ressortit à la corruption de la nature, non à celle de la personne. Car, selon S. Augustin. c’est le désir sensuel qui transmet aux enfants le péché originel. Or la sensualité implique une convoitise déréglée qui ne se soumet pas totalement à la raison. Et c’est pourquoi, si le foyer était totalement enlevé en tant qu’il ressortit à la corruption de la personne, il ne pourrait pas subsister en tant qu’il ressortit à la corruption de la nature.

Il ne reste donc plus que cette alternative : ou bien le foyer a été complètement enlevé chez la Bienheureuse Vierge par sa première sanctification, ou bien il est demeuré, mais lié.

Voici comment expliquer que le foyer aurait été totalement enlevé chez elle : cela lui aurait été accordé en tant que, par l’abondance des grâces descendant sur elle, les puissances de son âme auraient été disposées de telle sorte que les puissances inférieures n’auraient jamais agi sans l’accord de sa raison. Nous avons dit qu’il en était ainsi chez le Christ, dont il est certain qu’il n’a pas eu le foyer de péché, et chez Adam avant le péché par l’effet de la justice originelle. A cet égard, la grâce de sanctification chez la Vierge aurait eu la même efficacité que la justice originelles. Et bien que cette position semble contribuer à la dignité de la Vierge Mère, elle porte atteinte sur un point à la dignité du Christ en ce que, hors de sa vertu, personne n’est délivré de la première condamnation. Sans doute, par une foi au Christ inspirée par l’Esprit, certains ont été délivrés, selon l’esprit, de cette condamnation ; cependant, la chair de personne ne pouvait en être délivrée qu’après l’incarnation du Christ. Car si quelqu’un devait être libéré, selon la chair, de cette condamnation, il semble que cette immunité devait apparaître en lui d’abord.

C’est pourquoi personne n’a pu bénéficier de l’immortalité corporelle avant que le Christ ait ressuscité dans son immortalité corporelle. Et de même il semble inadmissible de dire qu’avant la chair du Christ, qui fut sans péché, la chair de la Vierge sa mère ou de n’importe qui, aurait été exempte de ce foyer appelé " loi de la chair ", ou " des membres ".

C’est pourquoi il vaut mieux dire, semble-t-il, que la sanctification dans le sein de sa mère n’a pas délivré la Bienheureuse Vierge du foyer, dans ce qu’il y a d’essentiel ; il est demeuré, mais lié. Ce ne fut pas par un acte de sa raison, comme chez les saints, car dans le sein de sa mère elle n’avait pas l’usage de son libre arbitre. Cela est le privilège spécial du Christ. Ce fut par l’abondance de la grâce qu’elle reçut dans sa sanctification, et plus parfaitement encore par la providence divine qui préserva son appétit de tout mouvement désordonné. Mais ensuite, lorsqu’elle conçut la chair du Christ, dans laquelle devait resplendir en premier l’exemption de tout péché, on doit croire que celle-ci rejaillit de l’enfant sur la mère, et que le foyer fut totalement supprimé. C’est ce qu’annonçait symboliquement Ezéchiel (43, 2) : " Voici que la gloire du Dieu d’Israël arrivait par la route de l’orient ", c’est-à-dire par la Bienheureuse Vierge, " et la terre ", c’est-à-dire la chair de celle-ci, " resplendissait de sa gloire ", celle du Christ.

Solutions :

1. De soi, la mort et les autres pénalités corporelles n’inclinent pas au péché. Aussi le Christ, bien qu’il les ait assumées, n’a-t-il pas assumé le foyer. Aussi encore, chez la Bienheureuse Vierge qui devait être conforme à son Fils qui, de sa plénitude lui donnait la grâce, le foyer fut-il d’abord lié, et ensuite supprimé. Mais elle n’a pas été libérée de la mort et des autres pénalités.

2. La faiblesse de la chair se rattache au foyer de péché. Chez les saints elle est bien l’occasion d’une vertu parfaite, mais non une cause indispensable de perfection. Il suffit donc d’attribuer à la Bienheureuse Vierge une vertu parfaite et une abondance de grâce, sans mettre en elle toutes les occasions de perfection.

3. Le Saint-Esprit a produit chez la Bienheureuse Vierge une double purification. La première la préparait pour ainsi dire à concevoir le Christ, et elle a eu pour effet non pas de lui enlever l’impureté d’une faute ou du foyer de péché, mais d’unifier davantage son esprit et de la soustraire à la dispersion. C’est ainsi que l’on parle de purification pour les anges chez lesquels, selon Denys, on ne trouve aucune impureté. - Une autre purification a été accomplie en elle par le Saint-Esprit au moyen de la conception du Christ, qui est l’œuvre du Saint-Esprit. Et à cet égard on peut dire qu’il l’a purifiée totalement du foyer.

 

            Article 4 — Cette sanctification a-t-elle donné à la Bienheureuse de ne jamais pécher ?

Objections :

1. On vient de le dire, ce foyer de péché est demeuré en elle après sa première sanctification. Or le mouvement du foyer, même s’il devance la raison, est un péché véniel, mais " très léger " selon S. Augustin. Donc il y a eu chez la Bienheureuse Vierge quelque péché véniel.

2. Sur ce texte de Luc (2, 35) : " Toi-même, une épée te transpercera l’âme ", S. Augustin dit que la Bienheureuse Vierge " à la mort du Seigneur douta, dans son accablement ". Mais douter de la foi est un péché.

3. Pour expliquer ce texte (Mt 12, 47) : " Voici dehors ta mère et tes frères qui te demandent ", S. Jean Chrysostome nous dit : " Il est évident qu’ils n’agissaient que par vaine gloire. " Et sur la parole : " Ils n’ont pas de vin " (Jn 2, 3) Chrysostome dit encore : " Elle voulait se concilier la faveur de son entourage et se mettre en vue grâce à son Fils. Peut-être même éprouvait-elle un sentiment humain, comme les frères de Jésus qui lui disaient : "Manifeste-toi au monde. " " Et il ajoute un peu plus loin : " Elle n’avait pas encore sur Jésus l’opinion qu’il fallait. " Il est évident que tout cela est du péché. Donc la Bienheureuse Vierge n’a pas été préservée de tout péché.

En sens contraire, voici ce que dit S. Augustin : " Quand il s’agit de péché, je ne veux pas, pour l’honneur du Christ, qu’il soit aucunement question de la Sainte Vierge Marie. C’est à cela que nous connaissons quel surcroît de grâce lui a été attribué pour vaincre totalement le péché, qu’elle a obtenu de concevoir et d’enfanter celui qui, à l’évidence, n’a jamais eu aucun péché. "

Réponse :

Ceux que Dieu a choisis pour une tâche, il les prépare et les dispose pour qu’ils soient reconnus capables de cette tâche, selon S. Paul (2 Co 3, 6) : " Dieu nous a rendus capables d’être ministres de la nouvelle alliance. " Or la Bienheureuse Vierge a été divinement choisie pour être la mère de Dieu. Aussi ne peut-on douter que Dieu, par sa grâce, l’ait rendue digne d’un tel honneur, selon la parole de l’ange (Lc 1, 30) : " Tu as trouvé grâce auprès de Dieu, voici que tu concevras, etc. " Or elle n’aurait pas été la digne mère de Dieu si elle avait jamais péché.

D’abord parce que l’honneur des parents rejaillit sur les enfants, selon les Proverbes (17, 6) : " La gloire des enfants, c’est leur père. " Aussi, à l’inverse, l’indignité de la mère aurait rejailli sur le Fils.

Ensuite, la Vierge avait avec le Christ une affinité sans pareille, puisqu’il avait reçu d’elle sa chair. Or il est écrit (2 Co 6, 15) : " Quelle complicité peut-il y avoir entre le Christ et Bélial ? "

Enfin le Fils de Dieu, qui est " Sagesse de Dieu " (1 Co 1, 24), a résidé en elle, d’une façon unique, non seulement dans son âme, mais dans son sein. Or il est écrit (Sg 1, 4) : " La Sagesse n’entrera pas dans une âme mauvaise ; elle n’habitera pas un corps esclave du péché. "

Pour toutes ces raisons, il faut proclamer sans aucune réserve que la Bienheureuse Vierge n’a commis aucun péché actuel, ni mortel ni véniel, si bien que s’accomplit en elle la parole du Cantique (4, 7) : " Tu es toute belle, ma bien-aimée, et il n’y a pas de tache en toi. "

Solutions :

1. Si le foyer de péché a subsisté chez la Vierge après la sanctification reçue dans le sein de sa mère, il était cependant lié ; il ne pouvait donner naissance à aucun mouvement désordonné qui eût devancé la raison. A cela contribuait la grâce de sanctification, sans pourtant y suffire ; autrement, l’efficacité de cette grâce eût été telle que dans l’appétit sensible de la Vierge aucun mouvement n’aurait pu se produire sans être devancé par la raison ; et ainsi la Vierge n’aurait pas eu de foyer de péché, contrairement à ce qu’on a dit,. Il faut donc dire que la perfection de cette maîtrise venait de la providence divine, qui ne permettait pas qu’un mouvement déréglé émanât du foyer de péché.

2. Cette parole de Siméon, Origène et d’autres docteurs la rapportent à la douleur que la Bienheureuse Vierge souffrit dans la passion du Christ. S. Ambroise dit que le glaive symbolise " la prudence de Marie, informée du mystère céleste. Car la parole de Dieu est vivante et vigoureuse, plus aiguë que le glaive le plus tranchant ". S. Basile écrit en effet : " La Bienheureuse Vierge, auprès de la croix, regardait toutes choses ; après le témoignage de Gabriel, après la connaissance inexprimable de la conception divine, après la grande manifestation des miracles du Christ, son âme était incertaine. " D’une part elle le voyait souffrir ignominieusement, et d’autre part elle méditait ses merveilles.

3. Ces paroles de Chrysostome vont trop loin. On peut cependant les expliquer, en comprenant que le Seigneur aurait réprimé dans la Vierge non pas un mouvement déréglé de vaine gloire qui serait né en elle, mais ce qui pouvait être jugé tel par d’autres.

 

            Article 5 — Cette sanctification a-t-elle procuré à la Bienheureuse Vierge la plénitude de grâces ?

Objections :

1. Cela paraît être un privilège du Christ, selon S. Jean (1, 14) : " Nous l’avons vu, comme le Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. " Mais ce qui est propre au Christ ne doit pas être attribué à quelqu’un d’autre. Donc la Bienheureuse Vierge n’a pas reçu, dans sa sanctification, la plénitude de grâces.

2. A la plénitude et à la perfection rien ne peut s’ajouter, parce que, dit Aristote " est parfait ce à quoi rien ne manque ". Mais la Vierge Marie a reçu dans la suite un surcroît de grâce quand elle a conçu le Christ, car il lui fut dit (Lc 1, 35) : " L’Esprit Saint viendra sur toi ", et ensuite lorsqu’elle a été enlevée dans la gloire. On voit donc qu’elle n’a pas reçu la plénitude de grâces dans sa première sanctification.

3. " Dieu ne fait rien en vain ", dit Aristote. Or elle aurait eu certaines grâces pour rien, parce queue n’en aurait jamais usé, car on ne lit pas qu’elle ait enseigné, ce qui est un acte de la sagesse, ni qu’elle ait fait des miracles, ce qui est l’exercice d’un charisme. Elle n’a donc pas eu plénitude de grâces.

En sens contraire, l’Ange lui a dit (Lc 1, 28) " Salut, comblée de grâce. " Ce que S. Jérôme commente ainsi : " Oui, pleine de grâce, car les autres n’ont reçu la grâce que de façon fragmentaire ; mais en Marie la plénitude de la grâce s’est répandue tout entière à la fois. "

Réponse :

Plus on est proche du principe, en n’importe quel genre, plus on participe de son effet. Ainsi Denys dit-il que les anges qui sont tout près de Dieu participent des bontés divines plus que les hommes. Or le Christ est principe de la grâce : par sa divinité comme premier auteur ; par son humanité comme instrument : " La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ " (Jn 1, 17). Or la Vierge Marie fut la plus proche du Christ selon l’humanité, parce qu’il a reçu d’elle la nature humaine. Et c’est pourquoi elle devait obtenir du Christ, plus que tous les autres, plénitude de grâce.

Solutions :

1. Dieu donne à chacun la grâce conforme à la tâche pour laquelle il l’a choisi. Et parce que le Christ en tant qu’homme a été prédestiné et choisi pour être Fils de Dieu avec puissance de sanctifier, il lui appartenait en propre d’avoir une telle plénitude de grâce qu’elle rejaillirait sur tous selon la parole (Jn 1, 16) : " De sa plénitude nous avons tous reçu. " La Bienheureuse Vierge Marie a obtenu une plénitude de grâce assez grande pour être la plus proche possible de l’auteur de la grâce, au point de recevoir en elle celui qui est plein de toute grâce ; et en l’enfantant elle a pour ainsi dire fait découler la grâce vers tous.

2. Dans les êtres de la nature, il y a d’abord la perfection de la disposition de la matière à la forme, en ce sens que la matière est parfaitement disposée à recevoir la forme. Deuxièmement, il y a la perfection de la forme, qui est plus puissante, car la chaleur qui provient de la forme du feu est plus parfaite que celle qui disposait seulement à recevoir cette forme. Troisièmement, il y a la perfection de la fin ; c’est ainsi que le feu manifeste plus parfaitement ses qualités propres quand il est parvenu à son lieu propre.

Pareillement, chez la Bienheureuse Vierge, il y a eu une triple perfection de la grâce. La première était comme diapositive et la rendait capable d’être la mère du Christ ; ce fut la perfection de sa sanctification. Sa deuxième perfection de grâce est venue à la Bienheureuse Vierge de la présence du Fils de Dieu incarné dans son sein. La troisième perfection est celle de la fin, qu’elle possède dans la gloire.

Que la deuxième perfection soit plus puissante que la première, et la troisième que la deuxième, cela se manifeste quant à la libération du mal. Car l°, dans sa sanctification elle a été libérée de la faute originelle ; 2°, en concevant le Fils de Dieu elle a été totalement délivrée du foyer de convoitise ; 3° dans sa glorification elle a été délivrée de toute la misère humaine.

On retrouve cette progression dans la relation au bien. Dans sa sanctification elle a obtenu la grâce l’inclinant au bien ; ensuite, dans la conception du Fils de Dieu sa grâce a été consommée allant jusqu’à la confirmer dans le bien ; enfin dans sa glorification a été consommée la grâce qui lui donnait cette perfection où l’on jouit de tout bien.

3. Il n’y a aucun doute que la Vierge a reçu, comme le Christ, selon un mode éminent, le don de sagesse, la grâce des miracles et aussi la grâce de la prophétie. Cependant elle n’a pas reçu toutes ces grâces, ni d’autres semblables, pour les exercer comme l’a fait le Christ, mais selon ce qui convenait à sa condition. En effet, elle a usé du don de sagesse dans sa contemplation, car " Marie gardait toutes ces paroles, les méditant dans son cœur " (Lc 2, 19). Mais elle n’avait pas à employer cette sagesse dans l’enseignement, car cela ne convenait pas aux femmes, selon S. Paul (1 Tm 2, 12) : " je ne permets pas à la femme d’enseigner. " Quant aux miracles, il ne lui convenait pas d’en faire pendant sa vie parce qu’à ce moment les miracles devaient servir à confirmer l’enseignement du Christ, et c’est pourquoi faire des miracles convenait seulement au Christ et à ses disciples, messagers de sa doctrine. Aussi est-il dit de Jean Baptiste lui-même : " Il n’a fait aucun miracle " (Jn 10, 41), afin que tous fussent attentifs au Christ. Quant au charisme de prophétie, Marie l’a exercé, comme on le voit dans son cantique : " Mon âme exalte le Seigneur. . . "

 

            Article 6 — Est-il propre à la Bienheureuse Vierge d’avoir été ainsi sanctifiée ?

Objections :

1. On a dit a que la Vierge a été sanctifiée ainsi pour être digne de devenir la mère de Dieu. Or cela lui est propre.

2. Jérémie et Jean Baptiste, dit-on, furent sanctifiés dans le sein maternel. Mais d’autres semblent avoir été plus proches du Christ. Celui-ci est appelé spécialement " fils de David, fils d’Abraham " (Mt 1, 1) parce qu’il leur avait été spécialement promis. En outre, Isaïe l’a prophétisé de la façon la plus claire. Puis les Apôtres ont vécu avec lui. Et pourtant l’Écriture ne nous dit pas qu’ils ont été sanctifiés dans le sein maternel. Donc il ne convenait pas non plus à Jérémie et à Jean Baptiste d’être ainsi sanctifiés.

3. Job dit de lui-même (31, 18 Vg) : " Dès mon enfance la miséricorde a grandi avec moi, elle est sortie avec moi du sein maternel. " Nous ne disons pas pour autant qu’il a été sanctifié dans le sein de sa mère. Nous ne sommes donc pas tenus de le dire pour Jérémie et Jean Baptiste.

En sens contraire, il est écrit au sujet de Jérémie (1, 5) : " Avant que tu sois sorti du sein, je t’ai sanctifié ", et au sujet de Jean Baptiste (Lc 1, 15) : " Il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère. "

Réponse :

S. Augustin semble avoir laissé planer un doute sur leur sanctification. Quant au tressaillement de Jean dans le sein de sa mère, " il a pu, écrit-il, être l’indice d’une si grande réalité " qu’une femme était la mère de Dieu, " que ses parents et non l’enfant reconnaîtraient. Voilà pourquoi l’Évangile ne dit pas l’enfant, dans le sein de sa mère, eut la foi, mais il tressaillit. Or, nous voyons tressaillir, outre les enfants, les animaux eux-mêmes. Ce qui est inhabituel, c’est que ce tressaillement s’est produit dans le sein. Ainsi - telle est la loi de tout miracle, - s’est-il produit divinement chez cet enfant, et non humainement, par lui. Même si ce petit avait eu par anticipation, dès le sein maternel, l’usage de la raison et de la volonté, au point de pouvoir déjà connaître, croire, consentir, - toutes opérations qui requièrent normalement un certain âge -, je pense que cet événement serait à classer parmi les miracles de la puissance divine. "

Néanmoins l’Écriture déclare expressément que Jean Baptiste " sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère. " De même pour Jérémie : " Avant que tu sois sorti du sein maternel, je t’ai sanctifié. " Il faut donc affirmer, semble-t-il, qu’ils ont été sanctifiés dans le sein de leur mère, bien qu’ils n’y aient pas eu l’usage de leur libre arbitre. Sur cette question, soulevée par S. Augustin, on remarquera de même que les enfants sanctifiés par le baptême n’ont pas aussitôt l’usage du libre arbitre. - Et il ne faut pas croire qu’en dehors de Jérémie et de Jean Baptiste, d’autres, que l’Écriture ne mentionne pas, auraient reçu cette sanctification dans le sein maternel. Ces privilèges de la grâce, qui sortent de la loi commune, sont ordonnés à l’utilité d’autrui selon S. Paul (1 Co 12, 7) : " A chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité de tous. " Or cette sanctification n’en aurait aucune si elle était ignorée de l’Église.

Sans doute on ne peut assigner une raison aux desseins de Dieu. Pourquoi, en effet, ce don de la grâce est-il départi aux uns et non aux autres ? Il est possible toutefois d’indiquer un motif de convenance pour lequel Jérémie et Jean Baptiste ont été sanctifiés ainsi. Ce fut apparemment afin de préfigurer la sanctification que le Christ devait apporter. D’abord par sa passion, selon l’épître aux Hébreux (13, 12) : " Jésus, pour sanctifier le peuple par son sang, a souffert hors de la porte. " Or cette passion, Jérémie l’a annoncée très clairement par ses oracles et ses actions mystérieuses et l’a figurée aussi de façon très expressive par ses propres souffrances. Ensuite il convenait de préfigurer la sanctification apportée aux hommes par le baptême du Christ : " Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés " (1 Co 6, 11). Or c’est à ce baptême que Jean a préparé les hommes par le baptême qu’il administrait.

Solutions :

1. La Bienheureuse Vierge, élue par Dieu pour être sa mère, eut une plus grande grâce de sanctification que Jean Baptiste et Jérémie, élus pour être des préfigurations partielles de la sanctification du Christ. Nous en avons ce signe : à la Bienheureuse Vierge il fut donné de ne jamais commettre aucun péché, ni mortel ni véniel. Aux autres sanctifiés on croit qu’il fut accordé de ne pas pécher mortellement, par protection de la grâce divine.

2. Il est vrai que, sous d’autres rapporter des saints ont pu être unis au Christ plus étroitement que Jean Baptiste et Jérémie. Mais, comme nous venons de le dire, si l’on envisage la sanctification du Christ que ceux-ci ont figurée expressément, c’est eux qui lui ont été le plus unis.

3. La miséricorde dont parle Job dans ce texte ne désigne pas la vertu infuse, mais seulement une inclination naturelle à l’acte de cette vertu.

 

 

QUESTION 28 — LA VIRGINITÉ DE LA BIENHEUREUSE MARIE

1. La Mère de Dieu a-t-elle été vierge en concevant le Christ ? - 2. Est-elle demeurée vierge en l’enfantant ? - 3. L’est-elle demeurée après l’enfantement ? - 4. Avait-elle fait vœu de virginité ?

 

            Article 1 — La Mère de Dieu a-t-elle été vierge en concevant le Christ ?

Objections :

1. Aucun enfant ayant père et mère n’est conçu d’une vierge mère. Mais on ne dit pas que le Christ a eu seulement une mère, mais aussi un père : " Son père et sa mère étaient dans l’étonnement de ce qui se disait de lui " (Lc 1, 33). Et plus loin sa mère lui dit : " Ton père et moi nous te cherchions, angoissés " (1, 48). Donc le Christ n’a pas été conçu par une mère vierge.

2. Le début de S. Matthieu prouve que le Christ fut le fils d’Abraham et de David par le fait que Joseph descendait de David. Cette preuve ne vaudrait rien si Joseph n’avait pas été le père du Christ. Il semble donc que la mère du Christ l’a conçu par l’union avec S. Joseph et qu’ainsi elle n’a pas été vierge dans la conception du Christ.

3. Il est écrit (Ga 4, 4) : " Dieu envoya son Fils, né d’une femme. " Or ce terme de " femme " dans le langage courant désigne l’épouse d’un homme.

4. Ce qui est de même espèce requiert le même mode de génération, parce que la génération, comme tout mouvement, est spécifiée par son terme. Or le Christ a été de même espèce que nous, dit l’Apôtre (Ph 2, 7) : " Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement. " Puisque les autres hommes sont engendrés par l’union de l’homme et de la femme, il semble que le Christ aussi a été engendré de cette manière.

5. Toute forme naturelle a une matière qui lui est destinée, hors de laquelle elle ne peut exister. Or la matière de la forme humaine, c’est la semence du père et de la mère. Donc si le corps du Christ n’avait pas été conçu ainsi, il n’aurait pas été un vrai corps d’homme.

En sens contraire, il y a l’oracle d’Isaïe (7, 14) : " Voici que la Vierge concevra. "

Réponse :

Il faut absolument confesser que la mère du Christ a conçu en restant vierge. Soutenir le contraire serait verser dans l’hérésie des ébionites et de Cérinthe, qui faisaient du Christ un homme ordinaire et attribuaient sa naissance à l’union des sexes.

Que le Christ ait été conçu d’une vierge, cela convient pour quatre motifs : 1° Pour sauvegarder la dignité de celui qui l’envoie. En effet, puisque le Christ est vraiment Fils de Dieu par nature, il ne convenait pas qu’il eût un autre père que Dieu, pour que la dignité de Dieu ne se reporte pas sur un autre.

2° Cela convenait à ce qui est le propre du Fils de Dieu, qui est envoyé. Il est le Verbe de Dieu. Or le verbe (la parole) est conçu sans aucune corruption de notre cœur ; au contraire, la corruption du cœur est incompatible avec la conception d’un verbe parfait. Parce que la chair a été assumée par le Verbe de Dieu pour être vraiment sa chair, il convenait qu’elle-même fût conçue sans aucune atteinte à l’intégrité de la mère.

3° Cela convenait à la dignité de l’humanité du Christ, où le péché ne pouvait trouver place, puisque c’est elle qui devait enlever le péché du monde selon la parole rapportée par S. Jean (1, 29) : " Voici l’Agneau de Dieu ", l’être innocent, " qui enlève le péché du monde ". Dans une nature déjà corrompue par l’acte conjugal, la chair n’aurait pu naître sans être imprégnée du péché originel. C’est pourquoi S. Augustin a pu écrire : " Une seule absence ici ", dans le mariage de Marie et de Joseph, " celle des rapports conjugaux, car ils ne pouvaient s’accomplir dans la chair de péché, sans cette convoitise de la chair qui vient du péché et sans laquelle voulut être conçu celui qui devait être sans péché. "

4° Cela convenait à cause de la fin même de l’incarnation du Christ, qui est de faire renaître les hommes en fils de Dieu " non d’un vouloir de chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu " (Jn 1, 13) c’est-à-dire par la puissance divine. Le modèle de cette renaissance devait se montrer dans la conception du Christ. S. Augustin l’affirme : " Il fallait que notre tête naquît, selon la chair, d’une vierge par un miracle insigne, pour montrer que ses membres devaient naître, selon l’esprit, de cette vierge qu’est l’Église. "

Solutions :

1. D’après S. Bède, " Joseph est appelé le père du Sauveur, non qu’il le fût vraiment, comme disent les photiniens, mais parce qu’il passait pour tel afin de sauvegarder la réputation de Marie. " Ce qui fait dire à S. Luc (3, 23) : " On croyait Jésus fils de Joseph. "

Ou bien, selon S. Augustin. Joseph est appelé père du Christ de la même manière " qu’il est connu comme l’époux de Marie, sans commerce charnel, par le lien même du mariage, ce qui l’unissait plus étroitement au Christ que s’il l’avait adopté autrement. On devait l’appeler le père du Christ non parce qu’il l’aurait engendré par une union charnelle, mais parce qu’il aurait été le père de l’enfant qu’il aurait adopté, même si son épouse ne l’avait pas mis au monde ".

2. Selon S. Jérôme " la généalogie du Sauveur est amenée jusqu’à Joseph d’abord parce que ce n’est pas l’usage des Écritures de constituer une généalogie par les femmes. Ensuite parce que Marie et Joseph étaient de la même tribu. Aussi était-il obligé par la loi de l’épouser ". Et comme dit S. Augustin " Il fallait faire aboutir la série des générations jusqu’à Joseph pour ne pas déprécier, à propos de ce mariage, le sexe masculin qui est le plus fort, et la vérité n’y perdrait rien, puisque Joseph et Marie descendaient tous deux de David. "

3. Comme dit la Glose, " le mot "femme" désigne, selon l’usage des Hébreux, non celles qui ont perdu leur virginité, mais toutes celles du sexe féminin ".

4. Cet argument est valable pour les êtres qui viennent à l’existence par des voies naturelles, du fait que la nature, de même qu’elle est déterminée à produire un seul effet, est aussi déterminée à le produire d’une seule façon. Mais la vertu surnaturelle de Dieu, qui est infinie, n’est pas déterminée à produire un seul effet, ni à le produire d’une façon particulière. Voilà pourquoi la puissance divine a pu former le premier homme " de la glaise du sol " et le corps du Christ du sein d’une vierge, sans intervention de l’homme.

5. Selon le Philosophe, la semence du mâle ne joue pas le rôle de matière dans la conception de l’être vivant. Elle en est seulement le principe actif ; c’est la femme seule qui fournit la matière de la conception. Aussi, du fait que la semence du mâle a fait défaut dans la conception du corps du Christ, il ne s’ensuit pas que ce corps n’ait pas eu la matière qui lui était due.

Mais à supposer que chez les animaux la semence du mâle soit vraiment la matière de la conception, il est évident que cette matière ne subsiste pas sous la même forme, mais qu’elle doit se transformer. De même que Dieu a transformé la glaise du sol pour en faire le corps d’Adam, de même a-t-il pu transformer la matière fournie par la mère pour en faire le corps du Christ, même si ce n’était pas une matière suffisante pour une conception naturelle.

 

            Article 2 — La Mère de Dieu est-elle demeurée vierge en l’enfantant ?

Objections :

1. S. Ambroise écrit : " Celui qui a sanctifié, en vue de la naissance d’un prophète, un sein étranger, c’est lui qui a ouvert le sein de sa propre mère pour en sortir immaculé. " Mais un sein ne peut s’ouvrir sans exclure la virginité.

2. Rien, dans le mystère du Christ, ne devait faire paraître son corps comme imaginaire. Mais qu’il puisse traverser des lieux clos, cela ne peut convenir qu’à un corps non réel, mais imaginaire, du fait que deux corps ne peuvent cœxister dans le même lieu. Donc le corps du Christ ne pouvait sortir du sein maternel si celui-ci demeurait fermé.

3. Comme dit S. Grégoire dans une homélie sur l’octave de Pâques, du fait qu’après sa résurrection le Seigneur a pénétré à travers les portes closes jusqu’à ses disciples " montre que son corps avait gardé sa nature et reçu une nouvelle gloire ". Ainsi, traverser les lieux clos doit être attribué au corps glorieux. Or dans sa conception, le corps du Christ n’était pas glorieux mais passible car, selon l’Apôtre (Rm 8, 3), " le Christ avait une chair semblable à celle du péché ". Il n’est donc pas sorti du sein de la Vierge resté fermé.

En sens contraire, on dit dans un discours du Concile d’Éphèse : " La nature, après l’enfantement, ne connaît plus de vierge. Mais la grâce a montré une mère qui enfante sans que sa virginité en souffre. "

Réponse :

Sans aucun doute, il faut affirmer que la mère du Christ est demeurée vierge même en enfantant. Car le prophète ne dit pas seulement " Voici que la Vierge concevra ", mais il ajoute " Elle enfantera un fils. " Et l’on peut en donner trois raisons de convenance.

1° Cela convenait à ce qui est le propre de celui qui naîtrait, et qui est le Verbe de Dieu. Car non seulement le verbe est conçu dans notre cœur sans le corrompre, mais c’est aussi sans corruption qu’il sort du cœur. Aussi, pour montrer qu’il y avait là le corps du Verbe de Dieu en personne, convenait-il qu’il naquît du sein intact d’une vierge. On lit encore dans un discours du Concile d’Éphèse : " Celle qui engendre la chair seule cesse d’être vierge. Mais parce que le Verbe est né de la chair, il protège la virginité de sa mère, montrant par là qu’il est le Verbe. . . Car ni notre verbe, lorsqu’il est engendré, ne corrompt notre âme, ni Dieu, le Verbe substantiel, lorsqu’il choisit de naître, ne supprime la virginité. "

2° Cela convient quant à l’effet de l’Incarnation. Car le Christ est venu pour enlever notre corruption. Aussi n’aurait-il pas été convenable qu’il détruisît par sa naissance la virginité de sa mère. Aussi S. Augustin dit-il " Il aurait été malheureux que l’intégrité fût détruite par la naissance de celui qui venait guérir la corruption. "

3° Celui qui a prescrit d’honorer ses parents ne pouvait en naissant diminuer l’honneur de sa mère.

Solutions :

1. Ce passage de S. Ambroise commente la loi citée par l’Évangile (Lc 2, 23) : " Tout mâle qui ouvre le sein maternel sera consacré au Seigneur. " C’est ainsi, explique Bède, " qu’on parle d’une naissance ordinaire ; il ne faudrait pas en conclure que le Seigneur, après avoir sanctifié cette demeure en y entrant, lui ait fait perdre, en en sortant, sa virginité ". Aussi " ouvrir le sein " ne signifie pas comme d’ordinaire que le sceau de la pudeur virginale est brisé, mais seulement que l’enfant est sorti du sein de sa mère.

2. Tout en voulant attester la réalité de son corps, le Christ a voulu aussi manifester sa divinité. C’est pourquoi il a mêlé les prodiges avec l’humilité. Aussi, afin de montrer la réalité de son corps, il naît d’une femme. Mais afin de montrer sa divinité, il procède d’une vierge. " Un tel enfantement convient à Dieu ", chante S. Ambroise dans un hymne de Noël.

3. Certains ont dit qu’à sa naissance le Christ avait pris la subtilité des corps glorieux, de même qu’en marchant sur la mer il a pris leur agilité.

Mais cela ne s’accorde pas avec ce que nous avons précisé antérieurement. En effet, ces " dots ", ou qualités des corps glorieux, proviennent de ce que la gloire de l’âme rejaillit sur le corps, comme nous le dirons plus loin en traitant des corps glorieux. Mais nous avons dit plus haut que le Christ, avant la passion, permettait à sa chair d’agir et de souffrir comme cela lui est propre, et que ce rejaillissement de la gloire de l’âme sur le corps ne se produisait pas. Et c’est pourquoi il faut dire que tout cela a été réalisé miraculeusement par la vertu divine. Aussi S. Augustin dit-il : " Les portes closes n’ont pas été un obstacle pour la masse du corps où se trouvait la divinité. Il a pu entrer sans qu’elles s’ouvrent comme, en naissant, il avait laissé inviolée la virginité de sa mère. " Et Denys, écrit : " Le Christ produisait d’une manière surhumaine ce qui appartient à l’homme. C’est ce que montrent une vierge qui le conçoit surnaturellement, et une eau fluide qui supporte la charge de ses pas terrestres. "

 

            Article 3 — La Mère de Dieu est-elle demeurée vierge après l’enfantement ?

Objections :

1. On lit en S. Matthieu (1, 18) " Avant que Joseph et Marie se fussent unis, elle se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit. " L’évangéliste n’aurait pas dit : " Avant qu’ils se fussent unis " s’ils ne devaient pas le faire, car personne ne dit de quelqu’un qui ne va pas déjeuner : " avant qu’il ne déjeune ". Il apparaît donc qu’à un moment donné la Bienheureuse Vierge s’est unie charnellement à Joseph et qu’elle n’est donc pas demeurée vierge après l’enfantement.

2. On trouve un peu plus loin, dans les paroles adressées à Joseph par l’ange : " Ne crains pas de prendre Marie ton épouse. " Or les épousailles se consomment par l’union charnelle. Il apparaît donc qu’à un certain moment, celle-ci est intervenue entre Marie et Joseph.

3. On trouve un peu plus loin " Il prit chez lui son épouse, et il ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta son fils premier-né. " " Or ce mot "jusque" désigne habituellement un délai après lequel on fait ce qu’on n’avait pas fait jusqu’à ce moment Il. " Et le Verbe " connaître " a ici un sens charnel comme lorsqu’il est dit (Gn 4, 1). " Adam connut son épouse. " Il semble donc qu’après l’enfantement la Vierge a eu des rapports charnels avec Joseph.

4. On ne peut appeler " premier-né " que le fils suivi de plusieurs frères. S. Paul dit (Rm 8, 29) : " Il les a prédestiné à reproduire l’image de son Fils, pour qu’il soit le premier-né d’une multitude de frères. " Mais l’évangéliste (Lc 2, 7) appelle le Christ le - Premier-né " de sa mère. Elle a donc eu d’autres fils après lui.

5. On lit (Jn 2, 5) : " Après cela (le Christ) descendit à Capharnaüm ainsi que sa mère et ses frères. " Mais on appelle frères ceux qui sont nés du même lit. Il semble donc que la Bienheureuse Vierge a eu d’autres fils après le Christ.

6. Nous lisons (Mt 25, 55) : " Il y avait là ", près de la croix du Christ, " beaucoup de femmes venues de loin qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée pour le servir. Parmi elles étaient Marie Madeleine, Marie mère de Jacques et de Joseph et la mère des fils de Zébédée ". Cette Marie appelée ici mère de Jacques et de Joseph semble être aussi la mère du Christ, car Jean nous dit (19, 25) : " Debout près de la croix se tenait Marie, sa mère. " Il semble donc que la mère du Christ n’est pas demeurée vierge après l’enfantement de celui-ci.

En sens contraire, il est écrit dans Ézéchiel (44, 2) : " Cette porte sera fermée ; elle ne s’ouvrira point ; et l’homme n’y passera pas parce que le Seigneur Dieu d’Israël est entré par elle. " S. Augustin explique ainsi ce texte : " Que signifie cette porte fermée dans la maison du Seigneur, sinon que Marie sera toujours intacte ? Et que "l’homme n’y passera pas" sinon que Joseph ne la connaîtra pas ? Que signifie : "Seul le Seigneur entre et sort par elle", sinon que le Saint-Esprit la fécondera et que le Seigneur des anges naîtra d’elle ? Et "elle sera fermée pour toujours", sinon que Marie est vierge avant l’enfantement, vierge dans l’enfantement et vierge après l’enfantement ? "

Réponse :

Il faut sans aucun doute rejeter l’erreur d’Helvidius, qui a osé dire que la mère du Christ, après l’avoir enfanté, a eu des rapports conjugaux avec Joseph et a engendré d’autres fils.

1° Cela porte atteinte à la perfection du Christ. Étant, selon sa nature divine, le fils unique du Père, comme étant parfait à tous égards, il convenait qu’il fût le fils unique de sa mère, son fruit très parfait.

2° Cette erreur fait injure au Saint-Esprit, car le sein virginal fut le sanctuaire où il forma la chair du Christ ; aussi aurait-il été indécent qu’il fût ensuite profané par une union avec l’homme.

3° Elle rabaisse la dignité et la sainteté de la Mère de Dieu, qui aurait paru très ingrate si elle ne s’était pas contentée d’un Fils pareil et si elle avait voulu perdre par une union chamelle la virginité qui s’était miraculeusement conservée en elle.

4° On devrait encore reprocher à Joseph la plus grande audace s’il avait essayé de souiller celle dont l’ange lui avait révélé qu’elle a conçu Dieu par l’opération du Saint-Esprit. C’est pourquoi il faut affirmer sans aucune réserve que la Mère de Dieu, qui était restée vierge en concevant et en enfantant, est encore restée perpétuellement vierge après avoir enfanté.

Solutions :

1. Comme dit S. Jérôme " Il faut comprendre que cette préposition, avant, bien qu’elle indique souvent des faits postérieurs, montre parfois les faits qu’on avait placés auparavant par la pensée ; et il n’est pas nécessaire que ces faits se réalisent, parce que autre chose est intervenu pour empêcher ce projet de se réaliser. Par exemple, si quelqu’un dit : "Avant de déjeuner dans le port, j’ai navigué", on ne comprend pas qu’il a déjeuné au port après avoir navigué, mais seulement qu’il avait l’intention de déjeuner au port. " Pareillement, l’évangéliste dit : " Avant qu’ils fussent unis, elle se trouve enceinte par l’action du Saint-Esprit " non parce qu’ils se seraient unis ensuite mais parce que, tandis qu’ils paraissaient devoir le faire, ils ont été devancés par la conception due au Saint-Esprit, à cause de quoi ils ne se sont pas unis dans la suite.

2. Comme dit S. Augustin. la Mère de Dieu est appelée " épouse de Joseph en raison du premier engagement des fiançailles avec celle qu’il n’avait pas connue ni ne devait connaître charnellement ". Comme dit S. Ambroise : " L’Écriture n’affirme pas la perte de la virginité, mais le lien conjugal et la célébration des noces. "

3. Certains disent que dans ce texte " connaître " n’est pas à prendre au sens de l’union charnelle, mais concerne la connaissance qui éclaire l’esprit. En effet, S. Jean Chrysostome dit : " Avant que Marie eût enfanté, Joseph ne connut pas sa dignité, mais il la connut ensuite car, par son enfantement, elle devint plus belle et plus noble que tout l’univers parce que, celui que l’univers entier ne pouvait contenir, elle seule l’avait reçu dans le secret de ses entrailles. "

Mais d’autres parlent de " connaissance " par la vue. De même que le visage de Moïse s’entretenant avec le Seigneur fut resplendissant de gloire au point que les fils d’Israël ne pouvaient plus le regarder, de même Marie, que l’éclat de la vertu du Très-Haut recouvrait de son ombre, ne pouvait être regardée par Joseph avant d’enfanter. Mais après l’enfantement, Joseph la connut à l’aspect de son visage et non par un contact charnel.

S. Jérôme, lui, concède qu’on doit entendre cette " connaissance " dans son acception charnelle. Mais il dit que " jusque ", dans l’Écriture, peut s’entendre de deux façons. Parfois il désigne un temps déterminé, par exemple (Ga 3, 19) : " La loi fut ajoutée en vue des transgressions, jusqu’à la venue de la descendance à qui était destinée la promesse. " Mais parfois elle désigne un temps indéterminé comme dans le Psaume (123, 2) : " Nos regards sont tournés vers le Seigneur notre Dieu jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié ", ce qui ne doit pas se comprendre comme si, après avoir obtenu miséricorde, nos regards devaient se détourner de Dieu. Et selon cette manière de parler on exprime " ce dont on pourrait douter si ce n’était pas écrit, mais tout le reste est confié à notre intelligence b ". Et c’est en ce sens que l’évangéliste dit que la Mère de Dieu " n’a pas été connue d’un homme jusqu’à son enfantement, afin que nous comprenions bien plutôt qu’elle ne l’a pas été après ".

4. L’usage de la Sainte Écriture est d’appeler premier-né non seulement celui qui a des frères après lui, mais celui qui est né le premier. " Autrement, s’il n’y a de premier-né que lorsque des frères le suivent, la loi ne devait pas réclamer les prémices avant une autre naissances. " Il est évident que c’est faux, puisque la loi prescrivait de racheter les premiers-nés dans le délai d’un mois.

5. "Certains, dit S. Jérôme supposent que les frères du Seigneur étaient les fils d’une première épouse de Joseph. Mais nous, nous comprenons que les frères du Seigneur n’étaient pas des fils de Joseph, mais des cousins germains du Sauveur, fils d’une sœur de Marie, mère du Seigneur. " En effet l’Écriture parle de " frères " en quatre sens : " par la nature, la nation, la parenté, l’affection ". Aussi les frères du Seigneur sont-ils appelés ainsi non selon la nature, car ils ne sont pas nés de la même mère, mais selon la parenté, car ils sont du même sang que lui. Quant à Joseph, selon S. Jérôme il semble plus croyable qu’il est resté vierge, car " l’Écriture ne dit pas qu’il a eu une autre épouse, et un saint homme ne succombe pas à la fornication ".

6. Cette Marie " mère de Jacques et de Joseph " ne doit pas être prise pour la mère du Seigneur, car dans l’Évangile, celle-ci est habituellement signalée par sa dignité de mère de Jésus. Tandis que cette Marie est identifiée comme l’épouse d’Alphée, dont le fils est Jacques le Mineur, appelé frère du Seigneur.

 

            Article 4 — La Mère de Dieu avait-elle fait vœu de virginité ?

Objections :

1. Il est écrit (Dt 8, 14) " Il n’y aura chez toi ni homme ni femme stérile. " Or la stérilité est une conséquence de la virginité. Donc observer la virginité était contraire au précepte de la loi ancienne. Mais celle-ci demeurait en vigueur tant que le Christ n’était pas né. Donc, à cette époque, la Bienheureuse Vierge ne pouvait licitement faire vœu de virginité.

2. L’Apôtre déclare (1 Co 7, 25) : " Au sujet des vierges je n’ai aucun précepte du Seigneur, mais je donne un conseil. " Or la perfection des conseils devait commencer avec le Christ, qui est " la fin de la loi " (Rm 10, 4). Il ne convenait donc pas que la Vierge fit vœu de virginité.

3. L’Apôtre déclare (1 Tm 5, 12) : " Pour ceux qui font vœu de chasteté, non seulement le mariage, mais le désir du mariage est condamnable. " Or, la mère du Christ n’a commis aucun péché condamnable, comme on l’a établi précédemment. Donc, puisqu’elle a été " fiancée " dit S. Luc (1, 27), il apparaît qu’elle n’avait pas fait vœu de virginité.

En sens contraire, S. Augustin, écrit " A l’annonce faite par l’Ange, Marie répond : "Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ?" " Ce qu’elle n’aurait certainement pas dit si elle n’avait pas antérieurement consacré à Dieu sa virginité.

Réponse :

Comme nous l’avons dit dans la deuxième Partie, les œuvres de perfection méritent plus de louanges quand elles sont solennisées par un vœu. Or, chez la Mère de Dieu, c’est la virginité qui devait avoir le plus d’éclat, comme cela apparat d’après nos arguments. Il convenait donc que sa virginité fût consacrée à Dieu par un vœu. Il est vrai qu’au temps de la loi il fallait pousser à la fécondité les femmes aussi bien que des hommes, parce que c’était par la descendance charnelle que se propageait le culte de Dieu, avant que le Christ naquit de ce peuple. Aussi ne croit-on pas que la Mère de Dieu, avant ses fiançailles avec Joseph, ait fait catégoriquement le vœu de virginité ; mais bien qu’elle en ait eu le désir, elle a remis sur ce point sa volonté à la décision de Dieu. Plus tard, quand elle eut pris un époux, comme l’exigeaient les mœurs du temps, elle fit avec lui vœu de virginité.

Solutions :

1. Parce qu’il semblait interdit par la loi de ne pas travailler à laisser une descendance sur terre, la Mère de Dieu ne fit pas vœu de virginité sans réserve, mais sous la condition que cela plairait à Dieu. Ensuite, sachant que cela lui plairait, elle fit vœu de virginité avant l’annonciation.

2. De même que la plénitude de la grâce fut parfaite dans le Christ, mais qu’une ébauche la précéda chez sa mère, de même l’observation des conseils qui se fait par la grâce de Dieu, a trouvé sa première perfection chez le Christ, mais avait en quelque sorte commencé chez la Vierge sa mère.

3. La parole de S. Paul est à entendre de ceux qui ont voué la virginité d’une manière absolue. Ce n’était pas le cas de la Mère de Dieu avant ses fiançailles avec Joseph. Mais après ses fiançailles, en même temps que son époux et d’un commun accord, elle fit vœu de virginité.

 

 

QUESTION 29 — LES FIANÇAILLES DE LA MÈRE DE DIEU

1. Le Christ devait-il naître d’une fiancée ? - 2. Y eut-il un vrai mariage entre Marie, mère du Seigneur, et Joseph ?

 

            Article 1 — Le Christ devait-il naître d’une fiancée ?

Objections :

1. Les fiançailles sont ordonnées à l’acte du mariage. Mais la Mère du Seigneur n’a jamais voulu user du mariage parce qu’elle aurait ainsi dérogé à sa virginité spirituelle.

2. Que le Christ soit né d’une vierge, ce fut un miracle. Aussi S. Augustin écrit-il : " La vertu même de Dieu a fait sortir les membres d’un enfant à travers le sein virginal de sa mère inviolée, comme plus tard elle fera entrer les membres d’un adulte par des portes closes. Si l’on en cherche une raison, la merveille s’évanouit ; si l’on veut y trouver un exemple, ce n’est plus un cas unique. " Mais les miracles ont pour but de confirmer la foi et c’est pourquoi ils doivent être évidents. Donc, puisque les fiançailles auraient obscurci ce miracle, il ne semble pas que le Christ naquit d’une fiancée.

3. D’après S. Jérôme le martyr S. Ignace donne de ces fiançailles le motif suivant : " Pour que son enfantement soit caché au diable, parce que celui-ci le croirait engendré non d’une vierge mais d’une épouse. " Mais ce motif semble sans aucune valeur. D’abord parce que le diable connaît, grâce à sa perspicacité, tout ce qui concerne les corps. En outre, les démons ont plus tard quelque peu connu le Christ par de nombreux signes évidents. On lit ainsi (Mc 1, 23) " Un homme possédé de l’esprit impur s’écria "Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu avant le temps pour nous perdre ? je sais qui tu es : le Saint de Dieu. " " Il ne parait donc pas que la Mère de Dieu ait été fiancée.

4. S. Jérôme indique un autre motif : " Pour qu’elle ne soit pas lapidée par les juifs comme adultère. " Mais ce motif paraît sans valeur, car si elle n’avait pas été fiancée, elle n’aurait pas pu être condamnée pour adultère. Ainsi ne paraît-il pas rationnel que le Christ naquît d’une vierge fiancée.

En sens contraire, on lit chez S. Matthieu (1, 18) : " Marie, la mère de Jésus, était fiancée à Joseph. " Et chez S. Luc (1, 26) : " L’ange Gabriel fut envoyé à Marie, une vierge fiancée à un homme appelé Joseph. "

Réponse :

Il convenait que la vierge dont le Christ devait naître fût fiancée, à cause du Christ lui-même, à cause de sa mère et à cause de nous.

A cause du Christ pour quatre raisons. 1° Afin qu’il ne soit pas rejeté par les infidèles comme un enfant illégitime. " Qu’aurait-on pu reprocher aux Juifs et à Hérode, demande S. Ambroise s’ils avaient persécuté un enfant apparemment né de l’adultère ? " - 2° Afin que l’on pût dresser la généalogie du Christ, selon l’usage, en ligne masculine. Ce qui fait dire à S. Ambroise : " Celui qui est venu dans le monde est décrit à la manière du monde. On recherche l’homme à qui doivent échoir, au Sénat ou dans les autres assemblées, les honneurs dus à une famille. C’est le même usage qu’attestent les Écritures, en recherchant toujours l’origine d’un homme. " - 3° Afin de protéger le nouveau-né contre les attaques que le diable aurait lancées contre lui avec plus de violence. Et c’est pourquoi S. Ignace soutient qu’elle fut fiancée " afin que son enfantement fût caché au diable ".

En outre, cela convenait à l’égard de la Vierge elle-même. 1° Elle échappait ainsi au châtiment " afin de ne pas être lapidée par les juifs comme adultère " selon S. Jérôme. - 2° Elle était ainsi protégée contre le déshonneur, ce qui fait dire à S. Ambroise : " Elle a été fiancée pour soustraire au stigmate infamant d’une virginité perdue celle dont la grossesse aurait semblé faire éclater la déchéance. " - 3° " Pour montrer l’aide que lui apporta S. Joseph ", dit S. Jérôme.

Cela convenait aussi en ce qui nous concerne.

1° Parce que le témoignage de Joseph atteste que le Christ est né d’une vierge, comme le remarque S. Ambroise : " Personne ne témoigne avec plus d’autorité de la pudeur d’une femme que son mari qui pourrait ressentir l’injure et venger l’affront s’il n’avait reconnu là un mystère. " - 2° Parce que les propres paroles de la Vierge affirmant sa virginité en reçoivent plus de crédit. S. Ambroise le dit aussi : " Cela donne plus de poids aux paroles de Marie et enlève tout motif de mensonge. Car une vierge qui aurait été enceinte sans être mariée aurait voulu voiler sa faute par un mensonge. Fiancée, elle n’avait aucune raison de mentir puisque, pour les femmes, la fécondité est la récompense du mariage et le bienfait des noces. " Ces deux motifs viennent confirmer notre foi. - 3° Pour enlever toute excuse aux vierges qui, par leur imprudence, n’évitent pas le déshonneur. Ce que dit encore S. Ambroise : " Il ne convenait pas de laisser aux vierges dont la conduite a mauvaise réputation le prétexte et l’excuse de voir diffamée jusqu’à la Mère du Seigneur. " 4° Parce qu’il y avait là un symbole de toute l’Église qui, " bien que vierge, a été fiancée à un unique époux, le Christ ", dit S. Augustin. - On peut encore ajouter une cinquième raison à ce que la Mère du Seigneur fût une vierge fiancée : en sa personne sont honorés et la virginité et le mariage, contre les hérétiques qui rabaissent l’un ou l’autre.

Solutions :

1. Il faut croire que la Bienheureuse Vierge Mère de Dieu a voulu se fiancer par une impulsion secrète du Saint-Esprit. Comptant sur le secours divin pour n’avoir jamais à s’unir charnellement, elle a cependant remis cela à la décision divine, si bien que sa virginité n’a subi aucune atteinte.

2. Comme dit S. Ambroise, " le Seigneur a préféré laisser certains mettre en doute son origine plutôt que la pureté de sa mère. Il savait combien est délicate la pudeur d’une vierge et fragile son renom de pureté, et il n’a pas jugé devoir établir la vérité de son origine en faisant mal juger sa mère ". Il faut pourtant savoir que parmi les miracles de Dieu, certains sont de foi comme celui de l’enfantement virginal et celui de la résurrection du Seigneur, et aussi celui du sacrement de l’autel. Et c’est pourquoi le Seigneur a voulu qu’ils soient plus cachés afin qu’on ait plus de mérite à y croire. Mais certains miracles ont pour but de confirmer la foi, et ceux-là doivent être manifestes.

3. Comme dit S. Augustin, le diable a par nature une grande puissance, mais celle-ci est empêchée par la puissance divine. Et ainsi peut-on dire que si, par la puissance de sa nature, le diable pouvait savoir que la Mère de Dieu n’avait pas été souillée mais était demeurée vierge, Dieu l’empêchait de connaître le mode de l’enfantement divin. Que par la suite le diable ait pu découvrir que Jésus était le Fils de Dieu, cela ne s’y oppose pas, parce qu’il était temps alors pour le Christ de montrer sa puissance contre le diable et de subir la persécution soulevée par celui-ci. Aussi S. Léon dit-il : " Les mages trouvèrent Jésus petit comme un enfant, ayant besoin de l’aide d’autrui, incapable de parler, bref ne différant en rien de tous les autres enfants des hommes. " Cependant S. Ambroise semble appliquer cela plutôt aux membres du diable. En effet, après avoir donné ce motif : de tromper le prince de ce monde, il ajoute : " Mais il a plus encore trompé les princes de ce monde. Car la nature des démons parvient à pénétrer même les choses cachées, mais ceux qui sont absorbés par les vanités de ce monde ne peuvent connaître les réalités divines. "

4. Selon la loi, le châtiment des adultères, c’est-à-dire la lapidation était infligée non seulement à la femme déjà fiancée ou mariée, mais encore à la vierge gardée dans la maison paternelle en attendant le mariage. Aussi est-il écrit (Dt 22, 20) : " Si une jeune fille n’a pas été trouvé vierge, elle sera lapidée par les gens de la cité et elle mourra, parce qu’elle a commis une infamie en Israël, en se prostituant dans la maison de son père. " Ou bien l’on peut dire que la Bienheureuse Vierge était de la race d’Aaron, d’où sa parenté avec Élisabeth notée par Luc (1, 36). Or la vierge de race sacerdotale, quand elle se déshonorait, était mise à mort selon le Lévitique (21, 9) : " Si la fille d’un prêtre est surprise à se prostituer et déshonore le nom de son père, elle sera brûlée. " Certains rattachent la parole de S. Jérôme à cette lapidation pour déshonneur.

 

            Article 2 — Y eut-il un vrai mariage entre Marie, mère du Seigneur, et Joseph ?

Objections :

1. S. Jérôme dit que " Joseph fut le gardien de Marie plutôt que son époux ". Mais s’il y avait eu un vrai mariage, Joseph aurait été vraiment son époux.

2. Sur le texte (Mt 1, 16) : " Jacob engendra Joseph époux de Marie ", S. Jérôme nous dit : " Que ce terme d’époux n’évoque pas en toi l’idée de mariage. Souviens-toi que c’est l’habitude des Écritures d’appeler épouses les fiancées. " Or ce qui fait le vrai mariage, ce ne sont pas les fiançailles, mais les noces. Il n’y a donc pas eu mariage entre la Bienheureuse Vierge et Joseph.

3. On lit en S. Matthieu (1, 19) : " Joseph, son époux, parce qu’il était juste et ne voulait pas l’emmener " (dans sa maison pour une cohabitation constante, selon une Glose), " résolut de la répudier secrètement ", c’est-à-dire de retarder la date des noces, explique S. Rémi d’Auxerre Donc, puisque les noces n’avaient pas été célébrées, il n’y avait pas encore de vrai mariage, d’autant plus qu’après avoir contracté mariage, il n’était plus permis de répudier son épouse.

En sens contraire, il y a l’affirmation de S. Augustin : " Il serait impie de croire que, d’après l’évangéliste, Joseph aurait refusé de prendre Marie pour épouse parce que, sans s’être unie à lui, elle aurait enfanté le Christ en restant vierge. Par cet exemple il est clairement manifesté aux fidèles mariés qu’ils peuvent demeurer de véritables époux et en mériter le nom tout en gardant la continence d’un commun accord, sans avoir de relations conjugales. "

Réponse :

On appelle véritable le mariage ou union conjugale qui atteint sa perfection. Or il y a une double perfection pour un être : la première et la seconde. La première perfection d’un être consiste proprement dans sa forme, qui lui donne son espèce. La perfection seconde consiste dans l’opération par laquelle cet être atteint en quelque sorte sa fin. Or la forme du mariage consiste en l’union indissoluble des esprits, par laquelle chaque époux est tenu de garder une foi inviolable à son conjoint. Quant à la fin du mariage, elle est d’engendrer et d’élever des enfants. On les engendre par l’acte conjugal ; et ils sont élevés par les services que le père et la mère se rendent réciproquement pour nourrir leurs enfants.

Ainsi donc, en ce qui concerne la perfection première du mariage, il faut dire que l’union entre la Vierge Marie, mère de Dieu, et S. Joseph fut un mariage absolument véritable. Car l’un et l’autre ont consenti à l’union conjugale, mais non expressément à l’union charnelle, sauf sous condition : si Dieu le voulait. Aussi l’ange appelle-t-il Marie l’épouse de Joseph quand il dit à celui-ci (Mt 1, 20) : " Ne crains pas de prendre chez toi Marie ton épouse. " Ce que S. Augustin explique ainsi : " Elle est appelée épouse en raison du premier engagement des fiançailles, elle qui n’avait connu et ne devait jamais connaître l’union charnelle. "

Mais quant à la perfection seconde, laquelle s’accomplit par l’acte du mariage, si l’on entend celui-ci de l’union charnelle qui engendre les enfants, ce mariage n’a pas été consommé. Ce qui fait dire à S. Ambroise : " Ne sois pas ému si l’Écriture l’appelle souvent épouse : ce n’est pas pour lui enlever sa virginité, mais pour attester le lien du mariage et la célébration des noces. " - Cependant ce mariage a eu aussi la perfection seconde quant à l’éducation de l’enfant, comme dit S. Augustin : " Tout le bien du mariage est accompli chez les parents du Christ : l’enfant, la fidélité et le sacrement. L’enfant, nous le reconnaissons en le Seigneur Jésus ; la fidélité en ce qu’il n’y eut aucun adultère ; le sacrement en ce qu’il n’y eut aucune séparation. Une seule chose est absente : l’union charnelle. "

Solutions :

1. S. Jérôme prend le mot " époux " en l’entendant d’un mariage consommé.

2. S. Jérôme appelle " noces " l’union nuptiale.

3. Comme dit S. Jean Chrysostome : La Bienheureuse Vierge fut fiancée à S. Joseph de telle manière qu’elle habitait déjà sa maison. " Car si, chez la femme qui conçoit au domicile de son mari, la conception est estimée légitime, ainsi prête-t-on des relations suspectes à celle qui conçoit ailleurs. " Et ainsi la réputation de la Bienheureuse Vierge n’aurait pas été suffisamment sauvegardée par ses fiançailles, si elle n’avait pas déjà habité la maison de Joseph. Aussi la parole " il ne voulait pas l’emmener " se comprend-elle mieux, puisqu’" il ne voulait pas la diffamer en public ", plutôt que dans le fait de la conduire dans sa maison. Aussi l’évangéliste ajoute-t-il " qu’il voulait la répudier en secret ". Bien quelle habitât la maison de Joseph à cause de l’engagement des fiançailles, il n’y avait pas encore eu la célébration solennelle des noces ; et c’est pourquoi il n’y avait pas eu de rapports conjugaux. Aussi, remarque Chrysostome, " l’évangéliste ne dit pas : avant d’être conduite dans la maison de l’époux, car elle y était déjà. En effet, la coutume des anciens était très souvent d’avoir chez eux leurs fiancées. " Et c’est encore pour cela que l’ange dit à Joseph : " Ne crains pas de prendre Marie ton épouse ", c’est-à-dire : " Ne crains pas de célébrer avec elle la solennité des noces. "

Cependant, pour d’autres auteurs, elle n’avait pas encore été introduite dans la maison, elle n’était que fiancée. Mais la première explication s’harmonise mieux avec l’Évangile.

Il faut maintenant étudier en elle-même la conception du Sauveur. I. Quant à la matière a partir de laquelle son corps fut conçu (Q. 31). - II. Quant à l’auteur de cette conception (Q. 32). - III. Quant au mode et à son ordre (Q. 33).

 

 

QUESTION 30 — L’ANNONCIATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE

1. Convenait-il de lui annoncer ce qui allait se faire en elle ? - 2. Qui devait lui faire cette annonce ? - 3. De quelle manière ? - 4. Dans quel ordre ?

 

            Article 1 — Convenait-il d’annoncer à la Bienheureuse Vierge ce qui allait se faire en elle ?

Objections :

1. Cette annonce paraissait uniquement nécessaire pour obtenir son consentement. Mais celui-ci ne paraît pas avoir été nécessaire ; car cette conception par une Vierge avait été annoncée à l’avance par une prophétie de prédestination " qui s’accomplit sans notre décision ", dit une Glose sur S. Matthieu (1, 22). Donc une telle annonciation n’était pas nécessaire.

2. La Bienheureuse Vierge avait la foi en l’incarnation, foi sans laquelle personne ne pouvait être en état de salut parce que, dit l’Apôtre aux Romains (3, 22), " la justice de Dieu est donnée par la foi en Jésus Christ ". Mais lorsque l’on croit quelque chose avec certitude, on n’a pas besoin d’être instruit davantage. Donc il n’était pas nécessaire à la Bienheureuse Vierge que l’incarnation du Fils de Dieu lui soit annoncée.

3. De même que la Bienheureuse Vierge a conçu le Christ corporellement, ainsi toute âme sainte le conçoit spirituellement, ce qui fait dire à S. Paul (Ga 4, 19) : " Mes petits enfants, vous que j’enfante à nouveau jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous. " Mais à ceux qui doivent concevoir le Christ spirituellement, une telle conception n’est pas annoncée. Il n’y avait donc pas à annoncer à la Bienheureuse Vierge qu’elle concevrait dans son sein le Fils de Dieu.

En sens contraire, on trouve en S. Luc (1, 31) que l’ange lui a dit : " Voici que tu concevras dans ton sein, et que tu enfanteras un fils. "

Réponse :

Il convenait d’annoncer à la Bienheureuse Vierge qu’elle concevrait le Christ.

1° Pour suivre l’ordre qui convenait à cette union du Fils de Dieu avec la Vierge : que son esprit soit informé avant qu’elle le conçoive dans sa chair. Ce qui a fait dire à S. Augustin : " Marie fut plus heureuse de recevoir la foi au Christ que de concevoir la chair du Christ. " Et il ajoute peu après : " Cette intimité maternelle n’aurait servi de rien à Marie, si elle n’avait eu plus de bonheur à porter le Christ dans son cœur que dans sa chair. "

2° Pour lui permettre d’attester avec plus de certitude ce mystère quand elle en avait été instruite par Dieu.

3° Pour qu’elle offrît à Dieu les services volontaires de son dévouement, ce qu’elle fit avec promptitude en disant : " Voici la servante du Seigneur. "

4° Pour montrer ainsi un certain mariage spirituel entre le Fils de Dieu et la nature humaine. Et voilà pourquoi l’annonciation demandait le consentement de la Vierge représentant toute la nature humaine.

Solutions :

1. La prophétie de prédestination s’accomplit sans que notre libre arbitre en soit cause, mais non sans qu’il y consente.

2. La Bienheureuse Vierge avait une foi expresse en l’Incarnation future. Mais son humilité l’empêchait d’avoir une si haute idée d’elle-même. C’est pourquoi il fallait qu’elle en fût instruite.

3. La conception spirituelle du Christ qui se réalise par la foi est bien précédée d’une annonciation par la prédication de la foi selon ce principe " la foi vient de ce qu’on entend " (Rm 10, 17). Cependant cela ne nous donne pas la certitude d’avoir la grâce, mais nous enseigne que la foi reçue par nous est la vraie.

 

            Article 2 — Qui devait faire cette annonce ?

Objections :

1. Les anges suprêmes sont en relation immédiate avec Dieu, dit Denys. Mais la Mère de Dieu a été élevée au-dessus de tous les anges. Il semble donc que le mystère de l’Incarnation aurait dû lui être annoncé immédiatement par Dieu et non par un ange.

2. S’il fallait en cela observer l’ordre commun selon lequel les mystères divins sont annoncés aux hommes par les anges, c’est aussi par l’homme que les mystères divins sont proposés à la femme. Car S. Paul dit (1 Co 14, 34) : " Que les femmes gardent le silence dans l’église ; si elles veulent apprendre quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris à la maison. " Il semble donc qu’à la Bienheureuse Vierge le mystère de l’Incarnation aurait dû être annoncé par un homme, étant donné surtout que S. Joseph, son époux, en avait été instruit par un ange (Mt 1, 20).

3. Nul ne peut annoncer comme il faut ce qu’il ignore. Or même les anges les plus élevés n’ont pas connu pleinement le mystère de l’Incarnation ; aussi Denys dit-il qu’il faut leur attribuer la question posée en Isaïe (63, 1) : " Qui est celui-ci qui vient d’Édom ? " Il semble donc qu’aucun ange n’a pu annoncer comme il faut la réalisation de l’Incarnation.

4. Les plus grandes nouvelles doivent être annoncées par les plus grands messagers. Mais le mystère de l’Incarnation est le plus grand de tous ceux qui ont été annoncés aux hommes par les anges. Il semble donc que, s’il devait être annoncé par un ange, celui-ci aurait dû appartenir à l’ordre le plus élevé. Or ce n’est pas le cas de Gabriel, qui appartient à l’ordre des archanges, lequel n’est pas le plus haut, mais l’avant-dernier ; aussi l’Église chante-t-elle : " Nous savons que l’archange Gabriel t’a parlé de la part de Dieu. " Donc l’annonciation n’aurait pas dû, semble-t-il, être faite par l’ange Gabriel.

En sens contraire, il y a cette parole en S. Luc : " L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu. . . "

Réponse :

Il convenait que le mystère de l’incarnation divine fût annoncé à la Mère de Dieu par un ange, et cela pour trois raisons.

1° Afin d’observer en cela aussi l’ordonnance divine selon laquelle les mystères divins parviennent aux hommes par l’intermédiaire des anges. Aussi Denys enseigne-t-il : " Au divin mystère de l’amour de Jésus pour les hommes, des anges d’abord furent initiés, et ensuite par eux la grâce de cette naissance nous fut communiquée. Ainsi donc le très divin Gabriel révéla à Zacharie que l’enfant qui naîtrait de lui serait le prophète Jean, et à Marie comment s’accomplirait en elle le mystère théarchique de l’ineffable formation de Dieu. "

2° Cela convenait à la régénération du genre humain qui devait être accomplie par le Christ. Aussi Bède dit-il : " Il convenait, pour commencer la restauration de l’humanité, que Dieu envoie un ange à la Vierge qui devait être consacrée par l’enfantement de Dieu. Car la première cause de la perdition de l’humanité fut l’envoi à la femme, par le diable, du serpent qui devait la tromper par un esprit d’orgueil. "

3° Cela convenait à la virginité de la Mère de Dieu. Aussi S. Jérôme dit-il : " Il est bien qu’un ange soit envoyé à la Vierge, parce que la virginité a toujours été apparrentée aux anges. Certes, vivre hors de la chair quand on est dans la chair, ce n’est pas une vie terrestre, mais céleste. "

Solutions :

1. La Mère de Dieu était supérieure aux anges quant à la dignité à laquelle l’élevait le choix de Dieu. Mais son état de vie la rendait alors inférieure aux anges. Parce que le Christ lui-même, en raison de sa vie exposée à la souffrance, était " abaissé un peu au-dessous des anges " (He 2, 9). Cependant, parce que le Christ était à la fois voyageur et compréhenseur, il n’avait pas besoin d’être instruit des mystères divins par les anges. Mais la Mère de Dieu, qui n’était pas encore dans l’état des compréhenseurs, avait besoin d’apprendre par les anges qu’elle concevrait Dieu.

2. Comme dit S. Augustin c’est à juste titre que la Vierge Marie est considérée comme échappant à certaines lois communes, " car ses conceptions ne se sont pas multipliées et elle n’a pas vécu au pouvoir d’un mari, elle qui avait reçu du Saint-Esprit le Christ dans son sein très pur. " Et c’est pourquoi elle ne devait pas être instruite du mystère de l’Incarnation par un homme, mais par un ange. C’est pourquoi, en outre, c’est elle qui fut instruite la première, avant Joseph, car elle le fut avant la conception, et Joseph après.

3. Comme le montre bien ce texte de Denys, les anges ont eu connaissance du mystère de l’Incarnation. Leur interrogation témoigne du désir qu’ils avaient d’apprendre plus parfaitement du Christ les raisons de ce mystère, qui sont incompréhensibles pour tout esprit créé. Ce qui fait dire à Maxime le Confesseur, : " Que les anges aient connu par avance l’Incarnation, il ne faut pas en douter. Ce qui leur est demeuré caché, c’est la mystérieuse conception du Seigneur et le mode suivant lequel le Fils, tout entier dans le Père qui l’a engendré, pouvait aussi demeurer tout entier en tous, et aussi dans un sein virginal. "

4. Certains affirment que Gabriel appartient à l’ordre suprême des anges, et c’est pourquoi S. Grégoire écrit : " Il était digne du plus élevé des anges d’annoncer le plus élevé des mystères. " Mais on ne peut en conclure qu’il occupe le premier rang par rapport à tous les ordres ; il est seulement le plus élevé par rapport aux anges, car il appartient à l’ordre des archanges. L’Église l’appelle ainsi, et S. Grégoire dit : " On appelle archanges les messagers des plus hauts mystères. " Il est donc plausible qu’il soit au sommet de l’ordre des archanges et, dit S. Grégoire : " Son nom convient à son office, car Gabriel signifie "force de Dieu". " C’est donc bien par la force de Dieu que devait être annoncé celui qui, Seigneur de l’univers et puissant dans le combat, venait pour vaincre les puissances mauvaises répandues dans l’air.

 

            Article 3 — De quelle manière l’annonciation devait-elle se faire ?

Objections :

1. Selon S. Augustin, " la vision spirituelle est plus noble que la vision corporelle ", et surtout elle convient davantage pour un ange, car par une vision spirituelle on voit l’ange dans sa substance, tandis que dans une vision corporelle on le voit sous une forme corporelle d’emprunt. Il semble donc que l’ange de l’Annonciation est apparu à la Vierge Marie dans une vision intellectuelle.

2. La vision en imagination paraît aussi plus noble que la vision corporelle, de même que l’imagination est une puissance supérieure au sens. Or " l’ange apparut en songe à Joseph " (Mt 1, 20 et 2, 13) selon une vision de l’imagination. Il semble donc qu’il aurait dû apparaître aussi à la Bienheureuse Vierge dans une vision de l’imagination, et non dans une vision corporelle.

3. L’apparition corporelle d’une substance spirituelle ne peut que stupéfier ceux qui la voient, c’est pourquoi on chante : " La Vierge fut épouvantée par la lumière. " Il ne convenait donc pas que cette annonce se fit par une vision corporelle.

En sens contraire, S. Augustin dans un sermon prête à la Bienheureuse Vierge ces paroles : " L’archange Gabriel vint à moi, le visage brillant, dans un vêtement éclatant, avec une démarche admirable. " Mais cela ne peut appartenir qu’à une vision corporelle. C’est donc sous une forme corporelle que l’ange annonciateur apparut à la Mère de Dieu.

Réponse :

L’ange annonciateur apparut à la Mère de Dieu de façon corporelle. Cela convenait pour trois raisons.

1° Quant au contenu de son message. Il venait en effet annoncer l’incarnation du Dieu invisible. Aussi est-il approprié, pour dévoiler ce fait, qu’une créature invisible assume pour apparaître une forme visible. En outre, toutes les apparitions de l’Ancien Testament préfiguraient cette apparition du Fils de Dieu dans la chair.

2° Cela s’accordait avec la dignité de la Mère de Dieu, qui devait accueillir le Fils de Dieu non seulement dans son esprit mais dans ses entrailles. C’est pourquoi non seulement son esprit, mais encore ses sens corporels devaient être réconfortés par la vision de l’ange.

3° Cela convenait à la certitude du message. Nous appréhendons avec plus de certitude ce que nous avons sous les yeux. Aussi Chrysostome dit-il que l’ange ne s’est pas présenté à la Vierge dans son sommeil, mais de façon visible. " Car, ayant à recevoir de l’ange une grande révélation, elle avait besoin d’une apparition solennelle avant un événement d’une telle importance. "

Solutions :

1. La vision intellectuelle est supérieure à la vision par l’imagination ou par les sens si elle est seule. Mais S. Augustin lui même dit que la prophétie qui comporte à la fois vision par l’intellect et vision par l’imagination est supérieure à la prophétie qui comporte seulement l’une des deux. Or la Vierge n’a pas perçu seulement une apparition corporelle, mais aussi une illumination intellectuelle. Aussi cette apparition fut-elle plus noble. Elle l’aurait été davantage encore si la Vierge avait vu l’ange lui-même dans sa substance par une vision intellectuelle. Mais l’état de l’homme voyageur ne permettait pas de voir l’ange dans son essence.

2. L’imagination est une puissance plus haut que le sens extérieur ; cependant, parce que le sens est le principe de la connaissance humaine, c’est en lui que réside la plus grande certitude, parce qu’il faut toujours que, dans la connaissance, les principes soient le plus assurés. C’est pourquoi Joseph à qui l’ange est apparu dans son sommeil n’a pas eu une apparition aussi excellente que la Bienheureuse Vierge.

3. Comme dit S. Ambroise : " Nous sommes troublés et hors de notre sens quand nous sommes saisis par la rencontre de quelque puissance supérieure. " Et cela n’arrive pas seulement dans la vision corporelle mais aussi dans celle qui frappe l’imagination. Aussi est-il écrit (Gn 15, 12) : " Au coucher du soleil, une torpeur tomba sur Abraham et un grand effroi le saisit. " Toutefois, ce trouble n’est pas tellement dangereux pour l’homme qu’il devienne nécessaire d’éviter toute apparition angélique. D’abord parce que, du fait que l’homme est soulevé au-dessus de lui-même, ce qui contribue à sa dignité, ses puissances inférieures sont affaiblies, et c’est ce qui produit son trouble ; ainsi, quand la chaleur naturelle se concentre au-dedans de nous, nos extrémités se mettent à trembler. Ensuite parce que, selon Origène, " l’ange qui apparaît connaît la nature humaine et s’empresse de remédier au trouble qu’il produit ". C’est pourquoi l’ange a dit à Zacharie comme à Marie, après ce trouble : " Ne crains pas. " Et c’est pourquoi, comme on le lit dans la vie de S. Antoine : " Le discernement est facile entre esprits bons et mauvais. Car si la joie succède à la crainte, nous savons que ce secours est venu du Seigneur, parce que la sécurité de l’âme indique la présence de la majesté divine. Mais si la terreur persiste, c’est que l’apparition vient de l’ennemi. " L’émoi de la Vierge s’accordait bien avec sa pudeur virginale, parce que, selon S. Ambroise : " C’est le fait des vierges d’être troublées et intimidées chaque fois qu’un homme les aborde, de redouter tout entretien avec un homme. "

Cependant, certains disent que la Bienheureuse Vierge, étant accoutumée aux apparitions angéliques, ne fut pas troublée par la vue de l’ange, mais par l’étonnement d’entendre tout ce que l’ange lui disait, parce qu’elle n’avait pas une si haute idée d’elle-même. Aussi l’évangéliste ne dit pas qu’elle fut troublée par la vue de l’ange, mais par sa parole.

 

            Article 4 — Dans quel ordre s’est accompli l’Annonciation ?

Objections :

1. La dignité de la Mère de Dieu dépend de l’enfant qu’elle conçoit. Mais on doit manifester la cause avant son effet. Donc l’ange aurait dû annoncer à la Vierge la dignité de son enfant avant de proclamer sa dignité en la saluant.

2. La preuve doit être omise dans les matières qui ne soulèvent aucun doute, ou bien on doit commencer par donner la preuve dans ce qui peut être douteux. Or l’ange semble avoir annoncé d’abord ce dont la Vierge douterait, et qui lui ferait demander dans son doute : " Comment cela se fera-t-il ? " Ensuite seulement il a apporté une preuve, tirée de l’exemple d’Élisabeth et de la toute-puissance de Dieu. Donc l’annonciation a été réalisée par l’ange dans un ordre peu satisfaisant.

3. On ne prouve pas le plus par le moins. Mais l’enfantement par une vierge est un plus grand prodige que l’enfantement par une vieille femme. Donc la preuve donnée par l’ange pour faire admettre qu’une vierge concevrait était insuffisante.

En sens contraire, il est écrit (Rm 12, 1) " Tout ce qui vient de Dieu se fait avec ordre. " Or, dit S. Luc, " l’ange fut envoyé par Dieu " pour porter l’annonce à Marie. Donc l’annonciation fut accomplie par l’ange de la façon la mieux ordonnée.

Réponse :

L’annonciation s’est accomplie dans un ordre bien adapté. En effet, l’ange avait un triple devoir concernant la Vierge.

1° Rendre son esprit attentif à considérer une si haute réalité. Il le fait en lui adressant une salutation nouvelle et insolite, car, observe Origène " si la vierge avait su qu’une parole semblable avait été adressée à quelqu’un d’autre, car elle avait la science de la loi, jamais une telle salutation ne l’eût apeurée par son étrangeté ".

Dans cette salutation il a mentionné en premier lieu que la Vierge était digne de cette conception lorsqu’il a dit : " pleine de grâce ". Il a révélé qui serait conçu en disant : " Le Seigneur avec toi " et il a annoncé d’avance l’honneur qui en découlait : " Tu es bénie entre toutes les femmes. " 2° Il voulait l’instruire du mystère de l’Incarnation, qui allait s’accomplir en elle. Il l’a fait en annonçant d’avance la conception et l’enfantement : " Voici que tu concevras dans ton sein. . . " et en montrant le mode de la conception, lorsqu’il dit : " le Saint-Esprit viendra sur toi. . . ".

3° Il voulait amener son esprit à consentir. Il le fait par l’exemple d’Élisabeth et un argument tiré de la toute-puissance divine.

Solutions :

1. Rien n’est plus étonnant pour un cœur humble que d’entendre proclamer sa supériorité. Mais l’étonnement rend l’esprit particulièrement attentif. Et c’est pourquoi l’ange, voulant rendre l’esprit de la Vierge attentif à entendre un si grand mystère, a commencé par son éloge.

2. S. Ambroise dit expressément que la Bienheureuse Vierge n’a pas douté des paroles de l’ange. Il dit en effet : " Combien la réponse de la Vierge est plus mesurée que celle du prêtre ! Elle demande : "Comment cela se fera-t-il ?" Et lui réplique : "Comment le saurai-je ?" Il refuse de croire, en refusant de savoir. Mais elle ne doute pas que cela ait lieu, puisqu’elle demande comment cela pourra se faire. "

Cependant S. Augustin semble dire qu’elle a douté " A Marie qui doute de cette conception, l’ange affirme sa possibilité. " Mais un tel doute vient de l’étonnement plus que de l’incrédulité. Et c’est pourquoi l’ange apporte une preuve non pour dissiper l’incrédulité de Marie, mais plutôt pour mettre un terme à son étonnement.

3. Comme dit S. Ambroise " c’est pour cela que beaucoup de femmes stériles ont précédé " Marie, pour que l’on croie que la Vierge enfanterait. Et c’est pourquoi la conception d’une femme stérile chez Elisabeth est invoquée par l’ange non comme un argument contraignant, mais par manière d’exemple préfiguratif. Et c’est pourquoi, afin de confirmer cet exemple, l’ange ajoute un argument décisif tiré de la toute-puissance divine.

Il faut maintenant étudier en elle-même la conception du Sauveur. I. Quant à la matière a partir de laquelle son corps fut conçu (Q. 31). - II. Quant à l’auteur de cette conception (Q. 32). - III. Quant au mode et à son ordre (Q. 33).

 

 

QUESTION 31 — LA MATIÈRE À PARTIR DE LAQUELLE FUT CONÇU LE CORPS DU SAUVEUR

1. La chair du Christ a-t-elle été prise d’Adam ? - 2. A-t-elle été prise de David ? - 3. La généalogie du Christ d’après les évangiles. - 4. Convenait-il que le Christ naisse d’une femme ? - 5. Son corps a-t-il été formé du sang le plus pur de la Vierge ? - 6. La chair du Christ a-t-elle existé chez les anciens patriarches selon un élément déterminé ? - 7. La chair du Christ, chez les patriarches, fut-elle sujette au péché ? - 8. Le Christ a-t-il payé la dîme comme étant présent dans son aïeul Abraham ?

 

            Article 1 — La chair du Christ a-t-elle été prise d’Adam ?

Objections :

1. L’Apôtre a écrit (1 Co 15, 47) -. " Le premier homme venu de la terre, est terrestre ; le second homme, venu du ciel, est céleste. " Or le premier homme est Adam et le second, le Christ. Donc le Christ ne vient pas d’Adam, car il a une origine différente.

2. La conception du Christ a dû être hautement miraculeuse. Or former le corps de l’homme avec le limon de la terre est un plus grand miracle que de le former avec une matière humaine tirée d’Adam. Il ne convenait donc pas que le Christ ait tiré sa chair d’Adam, et son corps n’aurait pas dû être formé de la masse du genre humain dérivée d’Adam, mais d’une autre matière.

3. " Le péché est entré dans le monde par un seul homme ", Adam, parce que tous les hommes ont péché originellement du fait qu’ils existaient en lui, comme le montre S. Paul (Rm 5, 12). Mais si le corps du Christ avait été tiré d’Adam, lui-même aurait existé originellement en celui-ci quand il péchait. Donc il aurait contracté le péché originel, ce qui ne convenait pas à la pureté du Christ. Donc son corps n’a pas été formé avec une matière tirée d’Adam.

En sens contraire, il y a l’affirmation de l’Apôtre (He 2, 16) : " jamais le Fils de Dieu n’a assumé des anges, mais c’est la descendance d’Abraham qu’il a assumée. " Or cette descendance a été tirée d’Adam. Donc le corps du Christ a été formé par une matière tirée d’Adam.

Réponse :

Le Christ a assumé la nature humaine pour la purifier de la corruption. Or cette nature humaine avait besoin de purification uniquement parce qu’elle avait été atteinte par l’origine viciée qu’elle tenait d’Adam. C’est pourquoi il convenait que le Christ prenne une chair dont la matière venait d’Adam, afin de guérir, en l’assumant, la nature humaine elle-même.

Solutions :

1. Le second homme, le Christ, est appelé céleste non quant à la matière de son corps, mais ou bien quant à la puissance qui a formé son corps, ou même quant à sa divinité. Mais, selon la matière, le corps du Christ était terrestre, comme le corps d’Adam.

2. Nous l’avons dit plus haut le mystère de l’incarnation du Christ est quelque chose de miraculeux, non parce qu’il serait destiné à confirmer la foi, mais en tant qu’il est un article de foi. Et c’est pourquoi il n’est pas requis qu’il soit un miracle parmi les plus grands, comme ceux qui doivent confirmer la foi, mais qu’il soit le mieux accordé à la sagesse divine et le plus profitable au salut de l’homme, ce qui est requis de tous les objets de foi.

On peut dire aussi que dans le mystère de l’Incarnation non seulement on apprécie le miracle d’après la matière de ce qui est conçu, mais davantage d’après le mode de la conception et de l’enfantement, du fait qu’une vierge a conçu et enfanté.

3. Comme nous l’avons dit plus haut, le corps du Christ existait en Adam selon sa substance corporelle, en ce sens que sa matière a dérivé de celle d’Adam, mais non selon un principe séminal, puisqu’elle n’a pas été conçue par le sperme d’un homme. Aussi le Christ n’a-t-il pas contracté le péché originel, comme les autres hommes qui descendent d’Adam par origine séminale.

 

            Article 2 — La chair du Christ a-t-elle été prise de David ?

Objections :

1. S. Matthieu, en composant sa généalogie, l’a conduite jusqu’à Joseph. Or Joseph n’était pas le père du Christ, on l’a dit plus haut’. Il ne paraît donc pas que le Christ descende de David.

2. Aaron était de la tribu de Lévi (Ex 6, 16). Marie, mère du Christ, est appelée " parente d’Élisabeth ", qui est " fille d’Aaron " (Le 1, 5). Donc, puisque David était de la tribu de Juda (Mt 1, 3), il apparaît que le Christ ne descendait pas de David.

3. Il est écrit (Jr 22, 30) au sujet de Jéchonias : " Inscrivez cet homme : "Sans enfant" car nul de sa race ne réussira à siéger sur le trône de David. " Donc le Christ ne descendait pas de Jéchonias, ni par conséquent de David, parce que S. Matthieu fait passer par Jéchonias la série des générations à partir de David.

En sens contraire, il est écrit (Rm 1, 3) : le Christ " est issu de la race de David selon la chair ".

Réponse :

Le Christ est appelé spécialement le fils de deux anciens Pères : Abraham et David (Mt 1, 1), pour plusieurs raisons.

1° C’est à eux que la promesse du Christ a été adressée spécialement. Car il a été dit à Abraham (Gn 22, 38) : " Toutes les nations de la terre seront bénies dans ta descendance ", ce que S. Paul (Ga 3, 6) applique au Christ : " Les promesses ont été faites au Christ et à sa descendance. L’Écriture ne dit pas : et à ses descendants, comme s’ils étaient plusieurs mais, comme à un seul : "et à sa descendance", c’est-à-dire au Christ. " Quant à David, il lui a été dit (Ps 132, 11) : " C’est le fruit de tes entrailles que je mettrai sur ton trône. " Voilà pourquoi le peuple juif, pour accueillir son roi avec honneur, criait : " Hosanna au fils de David ! " (Mt 21, 9).

2° Le Christ devait être roi, prophète et prêtre. Or Abraham fut prêtre, comme on le voit à ce que le Seigneur lui a dit (Gn 15, 9) : " Prends une génisse de trois ans, etc. " Il fut aussi prophète selon cette parole (Gn 30, 7) : " Il est prophète et il intercédera pour toi. " Quant à David il fut roi et prophète.

3° C’est avec Abraham qu’a commencé la circoncision (Gn 17, 10). Mais c’est surtout en David que s’est manifestée l’élection divine (1 S 13, 14) : " Le Seigneur s’est cherché un homme selon son cœur. " Et c’est pourquoi le Christ est appelé très spécialement le fils de l’un et l’autre, pour montrer qu’il venait apporter le salut et aux Juifs de la circoncision, et aux païens bénéficiant de l’élection.

Solutions :

1. C’était là l’objection du manichéen Faustus : il voulait prouver que le Christ n’était pas fils de David parce qu’il n’avait pas été conçu par Joseph, qui est le dernier terme de la généalogie selon S. Matthieu. S. Augustin lui répond ainsi : " Puisque le même évangéliste nous dit que l’époux de Marie était Joseph, que la mère du Christ était vierge, et que le Christ est de la descendance de David, que reste-t-il à croire, sinon que Marie n’était pas étrangère à la parenté de David ; qu’elle n’est pas appelée en vain l’épouse de Joseph, à cause de l’union de leurs âmes, bien qu’il n’ait pas eu avec elle de rapports charnels ; et que si la série des générations est poussée jusqu’à Joseph, c’est par considération pour la dignité du mari. Ainsi donc, nous croyons que Marie aussi était de la parenté de David, parce que nous croyons les Écritures qui nous disent l’un et l’autre : et que le Christ descend de David selon la chair, et que Marie est sa mère sans qu’elle eût de commerce avec son époux, mais en demeurant vierge. " S. Jérôme dit en effet : " Joseph et Marie étaient de la même tribu, et d’après la loi il était contraint de l’épouser, comme étant sa parente. Et c’est pourquoi ils se font recenser à Bethléem, comme étant issus de la même souche. "

2. A cette objection S. Grégoire de Nazianze répond que, par décision divine, une race royale s’est unie à une race sacerdotale, afin que le Christ, qui est roi et prêtre, naisse selon la chair de l’une et de l’autre. C’est ainsi qu’Aaron, le premier grand prêtre de la loi ancienne, a pris une épouse dans la tribu de Juda : Élisabeth, fille d’Aminadab. Ainsi donc il a pu se faire que le père d’Élisabeth ait épousé une femme de la race de David, si bien que la Bienheureuse Vierge Marie, qui descendait de David, était la parente d’Élisabeth. Ou plutôt, inversement, le père de la Bienheureuse Vierge, descendant de David, aurait épousé une descendante d’Aaron.

Ou encore, selon S. Augustin si Joachim, père de la Bienheureuse Vierge, était descendant d’Aaron, comme l’hérétique Faustus l’affirmait d’après certains écrits apocryphes, il faut croire que la mère de Joachim, ou encore son épouse, descendait de David. Ainsi dirions-nous que, de toute façon, Marie descendait de David.

3. L’oracle de Jérémie, selon S. Ambroise ne nie pas que Jéchonias aura des descendants, et ainsi le Christ est de sa race ". Et que le Christ ait régné, cela n’est pas contraire à la prophétie, car il n’a pas été roi avec les honneurs du monde, lui qui a dit (Jn 18, 36) : " Mon règne n’est pas de ce monde. "

 

            Article 3 — La généalogie du Christ d’après les évangiles

Objections :

1. Il semble que la généalogie du Christ ait été mal composée par les évangélistes. Car il est écrit au sujet du Christ (Is 53, 8 Vg) : " Sa génération, qui la racontera ? " Il ne fallait donc pas la raconter.

2. Il est impossible à un seul homme d’avoir deux pères. Or Matthieu dit : " Jacob engendra Joseph, époux de Marie. " Et S. Luc : " Joseph était fils d’Héli. " Leurs affirmations sont donc inconciliables.

3. Ils diffèrent sur d’autres points. En effet, Matthieu, au début de son livre, commençant à Abraham pour descendre jusqu’à Joseph, énumère quarante-deux générations. Luc donne la généalogie du Christ après son baptême ; il commence au Christ et il parcourt soixante-dix-sept générations, compte tenu des deux extrêmes. Il apparaît donc qu’ils rapportent la généalogie du Christ d’une façon inacceptable.

4. Il est écrit (2 R 8, 24) que Joram engendra Ochozias, à qui succéda son fils Joas, à qui succéda son fils Amazias. Ensuite régna son fils Azarias, appelé Ozias, à qui succéda joathan son fils. Or S. Matthieu dit : " Joram engendra Ozias. " Donc il semble qu’il ait mal composé sa généalogie du Christ, puisqu’il y a omis les noms de trois rois.

5. Tous ceux qui sont énumérés dans la généalogie du Christ ont eu des pères et des mères, et la plupart ont eu des frères, et S. Matthieu, dans sa généalogie du Christ, énumère trois mères seulement : Thamar, Ruth et l’épouse d’Urie. Il nomme les frères de Juda et de jéchonias, et aussi Pharès et Zara. Luc ne dit rien de tous ces gens. Donc il apparaît que les évangélistes ont mal organisé leur généalogie du Christ.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture.

Réponse :

Selon S. Paul (2 Tm 3, 16) : " Toute, l’Écriture sainte est inspirée par Dieu. " Or ce qui est fait par Dieu s’accomplit dans un ordre parfait selon cette parole (Rm 13, 1) : " Tout ce qui vient de Dieu est parfaitement ordonné. " Donc la généalogie du Christ a été présentée par les évangélistes dans un ordre satisfaisant.

Solutions :

1. Comme dit S. Jérôme, Isaïe parle de la génération divine du Christ, tandis que Matthieu rapporte sa génération humaine. Non qu’il explique le mode de l’Incarnation, qui est inexplicable, mais il énumère les ancêtres desquels le Christ procède selon la chair.

2. On a répondu de façon diverse à cette objection, soulevée par julien l’Apostat. Car certains, comme S. Grégoire de Nazianze, disent que les deux évangélistes nomment les mêmes personnages, mais sous des noms différents, comme ayant chacun deux noms. Mais cela ne tient pas, car Matthieu nomme un fils de David qui est Salomon, et Luc un autre qui est Nathan ; or nous voyons par les livres historiques (2 S 5, 14) qu’ils étaient frères.

Aussi d’autres ont soutenu que Matthieu a donné la généalogie réelle du Christ, et Luc sa généalogie légale, puisqu’il la commence en disant : " Il était, croyait-on, le fils de Joseph. " Car certains juifs croyaient, à cause des péchés des rois de Juda, que le Messie ne naîtrait pas de David par les rois, mais par une autre branche de simples particuliers.

D’autres encore ont dit que Matthieu énumérait les pères charnels, et Luc, les pères spirituels, appelés pères à cause d’une dignité comparable.

Mais dans le livre Questions sur le Nouveau et l’Ancien Testament on répond : " Il ne faut pas comprendre que Luc fait de Joseph le fils d’Héli, mais que Héli et Joseph furent des ancêtres du Christ, descendant de David selon des lignes différentes. " Aussi est-il dit du Christ (Lc 3, 23) : " On le croyait fils de Joseph ", et que lui encore, le Christ, " était fils d’Héli ". Cela veut dire que le Christ, pour la même raison qui le fait appeler fils de Joseph, peut être appelé fils d’Héli et de tous les descendants de David. L’Apôtre le dit (Rm 9, 5) : " C’est d’eux (les Juifs) que le Christ est né selon la chair. "

S. Augustin propose une triple solution " Trois partis se présentent que l’évangéliste a pu adopter. Ou bien l’un d’eux a nommé le père qui a engendré Joseph, tandis que l’autre a désigné son grand-père maternel, ou l’un de ses parents les plus anciens. - Ou bien l’un était le père naturel de Joseph, et l’autre le père adoptif. - Ou bien, d’après la coutume des Juifs, lorsqu’un homme mourait sans enfants, l’un de ses proches épousait sa femme, et le fils qu’il engendrait était considéré comme celui du mort. " Comme le dit ailleurs S. Augustin, c’était un genre d’adoption légale. Et ce dernier motif est le plus vrai. Il est avancé par S. Jérôme, et Eusèbe de Césarée assure qu’il a été donné par l’historien Jules l’Africain. Ils disent en effet que Nathan et Melchi avaient eu, à des époques différentes, d’une seule et même épouse nommée Estha, plusieurs enfants. Nathan, qui descendait de Salomon l’avait eue le premier pour épouse, et il mourut en laissant un seul fils du nom de Jacob. Après sa mort, sa veuve, que la loi n’empêchait pas d’épouser un autre homme, avait été épousée par Melchi qui était de la même tribu, mais non de la même lignée. Melchi en avait eu un fils, appelé Héli. C’est ainsi que, nés de deux pères différents, Jacob et Héli, ont été frères utérins. L’un d’eux, Jacob, son frère Héli étant mort sans enfants, épousa, conformément à la loi la femme de son frère et engendra Joseph, qui était son fils selon la nature mais qui, selon la disposition de la loi est devenu le fils d’Héli. Et voilà pourquoi Matthieu dit " Jacob engendra Joseph ", tandis que Luc, qui suit la génération légale, ne dit d’aucun homme qu’il " engendra).

Et le Damascène a beau dire que la Bienheureuse Vierge se rattachait à Joseph selon cette origine par laquelle son père s’appelait Héli, puisqu’il dit qu’elle descendait elle-même de Melchi, il faut croire aussi qu’elle est issue de Salomon, de quelque manière, par ces anciens énumérés par Matthieu, dont on dit qu’il établit une généalogie selon la chair, d’autant plus que, selon S. Ambroise, le Christ descend de Jéchonias.

3. Comme dit S. Augustin, " Matthieu avait cherché à suggérer le rôle royal du Christ, Luc son rôle sacerdotal. Aussi la généalogie de Matthieu symbolise-t-elle que le Christ s’est chargé de nos péchés " en tant que, par son origine charnelle, il a assumé la ressemblance de notre chair de péché. Dans la généalogie de Luc est symbolisée la purification de nos péchés, qui s’opère par le sacrifice du Christ. " Et c’est pourquoi Matthieu énumère les générations dans un ordre descendant, et Luc dans un ordre ascendant. " De là vient encore que " Matthieu fait Descendre Jésus de David par Salomon parce que c’est avec la mère de celui-ci que David a péché. Luc remonte vers David par Nathan car Dieu avait pardonné le péché de David par un prophète de ce nom. "

Il en découle encore ceci : " Matthieu, voulant marquer que le Christ était descendu jusqu’à notre condition mortelle, a rappelé, dès le début de son évangile, sa généalogie descendante, d’Abraham jusqu’à Joseph, et jusqu’à la naissance du Christ lui-même. Quant à Luc, il a inséré sa généalogie non au début de son évangile mais après le baptême du Christ, et voici pourquoi : en plaçant sa généalogie au moment où Jean (1, 29) rend ce témoignage : "Voici celui qui enlève le péché du monde", Luc tenait surtout à ce que l’on considère le Christ comme le prêtre chargé d’effacer les péchés ; en suivant un ordre ascendant qui passe par Abraham pour aboutir à Dieu, il laissait entendre que c’est avec Dieu que, purifiés et pardonnés, nous sommes réconciliés.

" C’est ainsi à juste titre que Luc a indiqué, dans sa généalogie, l’ordre d’adoption, car c’est par adoption que nous sommes fils de Dieu, tandis que par la génération charnelle, le Fils de Dieu est devenu fils de l’homme. Luc a montré assez clairement que s’il a dit Joseph fils d’Héli, ce n’est pas parce que celui-ci l’avait engendré, mais parce qu’il l’avait adopté. Il l’a fait comprendre en nommant Adam lui-même "fils de Dieu", alors que Dieu l’a créé. "

Le nombre de quarante se rapporte au temps de la vie présente, à cause des quatre parties du monde où nous menons cette vie sous le règne du Christ. Or quarante contient quatre fois dix, et le nombre dix lui-même résulte de l’addition des nombres qui vont de un à quatre. Le nombre dix pourrait aussi se rapporter au décalogue, le nombre quatre à la vie présente, ou encore aux quatre évangiles, selon lesquels le Christ règne en nous. Voilà pourquoi, remarque encore S. Augustin, : " Matthieu, pour mettre en valeur la personne royale du Christ, a énuméré quarante personnages, sans compter le Christ lui-même. " Mais ce calcul ne se comprend que si, comme le veut S. Augustin, Jéchonias, qui vient à la fin de la deuxième série de quatorze générations, est le même que celui mentionné au début de la troisième série. D’après S. Augustin, cette double mention de Jéchonias signifie que " par lui s’est fait un détour vers les nations étrangères, quant il fut déporté à Babylone ; cela préfigurait que le Christ passerait des peuples circoncis aux nations des incirconcis ".

S. Jérôme dit qu’il y a eu deux Joachim, ou Jéchonias, le père et le fils, qui figurent tous deux dans la généalogie du Christ, comme le prouve le nombre des générations que l’évangéliste répartit en trois séries de quatorze. Ce qui monte à quarante-deux personnes. Et ce nombre saint convient encore à la sainte Église. Car ce nombre vient de six, qui signifie le labeur de la vie présente, et de sept qui signifie le repos de la vie future, et six fois sept fait quarante-deux. En outre, quatorze, formé par l’addition de dix et de quatre peut se rattacher à la même signification attribuée à quarante, qui est le produit des mêmes chiffres par multiplication.

Quant au nombre employé par Luc dans sa généalogie du Christ, il symbolise l’universalité des péchés. " Car dix, comme chiffre de la justice, apparaît dans les dix commandements de la loi. Or le péché consiste à transgresser la loi. Mais le chiffre qui transgresse dix, c’est onze. " Or sept symbolise l’universalité " parce que tout le temps se déroule selon le chiffre de sept jours ". Sept fois onze fait soixante dix-sept. C’est ainsi que ce chiffre symbolise l’universalité des péchés enlevés par le Christ.

4. Selon S. Jérôme " la race de l’impie Jézabel s’étant mêlée à celle de Joram, l’évangéliste en fait disparaître le souvenir jusqu’à la troisième génération pour qu’elle ne soit point placée dans la généalogie de la sainte Nativité. " Et ainsi, dit Chrysostome, " autant Jéhu a été béni pour avoir exercé la vengeance sur la maison d’Achab et Jézabel, autant la maison de Joram a été maudite à cause de la fille de l’impie Achab et de Jézabel, si bien que ses enfants ont été retranchés du nombre des rois jusqu’à la quatrième génération, comme il est écrit (Ex 20, 5) : " Je punis le péché du père sur les enfants, jusqu’à la troisième et quatrième génération. "

Il faut encore noter que d’autres rois furent des pécheurs, parmi ceux qui figurent dans la généalogie du Christ, mais leur impiété ne fut pas constante. Car, comme on le lit au livre des Questions sur le Nouveau et l’Ancien Testament, " Salomon fut pardonné comme roi par le mérite de son père, et Roboam par celui de son descendant Asa. Tandis que l’impiété des trois rois dont nous parlions fut constante.

5. Comme dit S. Jérôme : " La généalogie du Sauveur ne comporte la mention d’aucune sainte femme, mais seulement de celles que blâme l’Écriture, pour faire comprendre que celui qui étant venu pour les pécheurs, descendant de pécheurs, effacerait les péchés de tous. " C’est ainsi qu’on nomme Thamar qui est blâmée pour ses relations avec son beau-père ; Rahab, qui était une prostituée ; Ruth qui était une étrangère ; et Bethsabée, l’épouse d’Urie, qui commit l’adultère. Mais celle-ci n’est pas désignée par son nom mais par celui de son mari, pour indiquer qu’elle eut conscience de l’adultère et de l’homicide, tandis qu’on nomme son mari pour rappeler le souvenir du péché de David. Et Luc ne mentionne pas ces femmes parce qu’il veut présenter le Christ comme celui qui expie les péchés.

Matthieu mentionne les frères de Juda afin de montrer qu’ils appartiennent au peuple de Dieu, tandis qu’Ismaël, frère d’Isaac, et Ésaü, frère de Jacob, ont été séparés du peuple de Dieu, ce pourquoi la généalogie du Christ les omet. Si les frères de Juda sont mentionnés, c’est aussi pour exclure tout orgueil nobiliaire, car beaucoup des frères de Juda étaient fils de servantes, mais ils étaient tous à égalité patriarches et chefs de tribus. Pharès et Zara sont nommés ensemble, dit S. Ambroise parce qu’ils montrent les deux vies que doivent mener les peuples : selon la loi, symbolisée par Zara ; selon la foi, symbolisée par Pharès.

Quant aux frères de Jéchonias, Matthieu les nomme parce que tous ont régné à diverses époques, ce qui ne s’était pas produit avec les autres rois. Et c’est aussi parce qu’ils se ressemblent dans leur iniquité et dans leur misère.

 

            Article 4 — Convenait-il que le Christ naisse d’une femme ?

Objections :

1. Le sexe masculin est plus noble que le sexe féminin. Mais il convenait souverainement que le Christ assume ce qui est parfait dans la nature humaine. Il apparaît donc qu’il n’aurait pas dû prendre sa chair à la femme, mais plutôt à l’homme, comme Ève fut formée à partir du côté d’Adam.

2. Celui qui est conçu par la femme est enfermé dans son sein. Dieu qui " remplit le ciel et la terre " (Jr 23, 24) ne peut donc s’enfermer dans ces étroites limites. Il semble donc qu’il n’aurait pas dû être conçu par la femme.

3. Ceux qui sont conçus par la femme subissent une certaine impureté. Comme il est dit dans le livre de Job (25, 4) : " L’homme serait juste devant Dieu ? Il serait pur, l’enfant de la femme ? " Or le Christ est la Sagesse de Dieu, dont il est écrit (Sg 7, 24) : " Rien de souillé n’entre en elle. " Il ne semble donc pas qu’il aurait dû prendre chair de la femme.

En sens contraire, il y a la parole de S. Paul (Ga 4, 4) : " Dieu envoya son Fils, né d’une femme. "

Réponse :

Le Fils de Dieu aurait pu à son gré tirer sa chair humaine de n’importe quelle matière, mais il fut souverainement convenable qu’il prît chair de la femme.

1° Parce qu’ainsi la nature humaine tout entière a été ennoblie. Aussi S. Augustin dit-il : " Il fallait que la libération de l’homme apparaisse dans les deux sexes. Donc, puisque c’est l’humanité mâle qu’il convenait d’assumer, comme le sexe le plus honorable, il convenait que la libération du sexe féminin apparaisse du fait que cet homme naîtrait de la femme. "

2° Parce que cela garantit la réalité de l’Incarnation. Aussi S. Ambroise dit-il : " Tu trouveras dans le Christ beaucoup de choses conformes à la nature, et beaucoup de choses qui la dépassent. Il était conforme à la condition naturelle qu’il fût dans le sein d’une femme. Mais il était au-dessus de cette condition qu’une vierge conçoive, qu’une vierge enfante. Afin que tu croies qu’il était Dieu, lui qui transformait la nature ; et qu’il était homme, lui qui naîtrait d’un être humain selon la nature. " Et S. Augustin : " Si Dieu tout-puissant avait créé un homme je ne sais comment, mais non à partir d’un sein maternel, et qu’il l’eût présenté subitement à nos regards, n’aurait-il pas fortifié le sentiment d’une illusion ? On aurait cru qu’il n’avait aucunement assumé un homme réel. Et lui, qui produit tout de façon admirable, il aurait détruit l’œuvre de sa miséricorde ? Au contraire, médiateur entre Dieu et l’homme, réunissant dans l’unité de sa personne l’une et l’autre nature, il a voulu surélever l’habituel par l’insolite, et atténuer l’insolite par l’habituel. " 3° Parce que cela complète les diverses manières dont l’homme a été engendré. En effet, le premier homme a été tiré " du limon de la terre ", sans le concours de l’homme ni de la femme. Ève a été tirée de l’homme sans l’intervention d’une femme. Les autres hommes sont engendrés à la fois par l’homme et par la femme. Un quatrième mode de production : être issu de la femme sans intervention de l’homme a été pour ainsi dire laissé au Christ comme lui appartenant en propre.

Solutions :

1. Le sexe masculin est plus noble que le sexe féminin ; c’est pourquoi le Christ a pris la nature humaine avec le sexe masculin. Toutefois, afin que le sexe féminin ne soit pas méprisé, il convenait que le Christ prenne chair d’une femme. C’est ce qui fait dire à S. Augustin : " Ne vous méprisez pas vous-mêmes, hommes : le Fils de Dieu a revêtu un homme. Ne vous méprisez pas vous-mêmes, femmes. le Fils de Dieu est né d’une femme. "

2. Comme dit S. Augustin contre Faustus qui employait cette objection : " La foi catholique croit que le Christ Fils de Dieu est né, selon la chair, d’une vierge ; mais elle n’entend aucunement l’enfermer dans le sein d’une femme comme s’il n’était pas ailleurs, comme s’il avait abandonné le gouvernement du ciel et de la terre, comme s’il s’était éloigné du Père. Mais c’est vous, manichéens, qui ne pouvez aucunement comprendre ces mystères, avec un cœur incapable de dépasser les images corporelles. "

Et comme il dit ailleurs : " Ces hommes ont un esprit incapable de se représenter autre chose que des corps, dont aucun ne peut être tout entier partout, puisqu’il doit se trouver différemment, dans ses parties innombrables, en divers endroits. La nature de l’âme est bien différente de celle des corps. Et combien plus encore la nature de Dieu, créateur de l’âme et du corps ! Lui, il peut être tout entier partout sans qu’un lieu le contienne ; il peut venir dans un endroit sans s’éloigner de celui où il était ; il sait qu’il peut s’en aller d’un lieu sans quitter celui où il était venu. "

3. Dans la conception de l’homme par la femme il n’y a rien d’impur en tant que c’est l’œuvre de Dieu, comme il est dit dans les Actes (10, 15) : " Ce que Dieu a créé, garde-toi de le déclarer impur. " Cependant, il y a là une certaine impureté provenant du péché, pour autant que toute conception s’accompagne de convoitise charnelle dans l’union de l’homme et de la femme. Mais cela était absent de la conception du Christ, nous l’avons montré. Si cependant il y avait là une impureté, elle ne souillerait pas le Verbe de Dieu qui ne peut, en aucune manière, subir de changement ou d’altération. D’où cette interrogation formulée par S. Augustin : " Dieu parle, le créateur de l’homme : Qu’est-ce qui t’émeut dans cette naissance ? je n’ai pas été conçu dans la convoitise charnelle. La mère dont je devais naître, c’est moi qui l’ai créée. Si le rayon de soleil peut dessécher les immondices des égoûts sans en être souillé, combien plus la splendeur de la lumière éternelle peut-elle purifier ce qu’elle irradie, sans être elle-même salie! "

 

            Article 5 — Le corps du Christ a-t-il été formé du sang le plus pur de la Vierge ?

Objections :

1. On dit dans une collecte " Seigneur, tu as voulu que ton Verbe prît chair dans le sein de la Vierge Marie. . . " Mais la chair est autre chose que le sang. Donc le corps du Christ n’est pas tiré du sang de la Vierge.

2. De même que la femme a été formée miraculeusement de l’homme, ainsi le corps du Christ a été formé miraculeusement de la Vierge. Mais on ne dit pas que la femme a été formée du sang de l’homme, mais plutôt de sa chair et de ses os, selon la Genèse (2, 23) : " Cette fois, celle-ci est chair de ma chair et os de mes os. "

Il semble donc que le corps du Christ non plus n’aurait pas dû être formé du sang de la Vierge, mais de sa chair et de ses os.

3. Le corps du Christ était de la même espèce que les corps des autres hommes. Mais ceux-ci ne sont pas formés du sang le plus pur, mais du sperme et du sang menstruel. Il apparaît donc que le corps du Christ non plus ne fut pas conçu du sang le plus pur de la Vierge.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit " Le Fils de Dieu s’est édifié une chair animée par l’âme raisonnable, à partir du sang le plus chaste et le plus pur de la Vierge. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut dans la conception du Christ, ce qui est conforme aux conditions de la nature, c’est qu’il soit né d’une femme ; ce qui dépasse la nature, c’est qu’il soit né d’une vierge. Or la condition naturelle dans la génération d’un animal, c’est que la femme fournisse la matière, et que le principe actif de la génération vienne du mari, comme le prouve Aristote. Or la femme qui conçoit des œuvres de l’homme n’est pas vierge. Et c’est pourquoi le mode surnaturel consiste en ce que, dans cette génération-là, le principe actif a été la vertu divine ; mais le mode naturel consiste en ce que la matière de laquelle son corps a été conçu était semblable à celle que fournissent les autres femmes pour la conception de leur enfant. Or cette matière, selon le Philosophe, n’est pas un sang quelconque, mais le sang qu’une transformation ultérieure, due à la puissance génératrice de la mère, rend apte à la conception. C’est donc d’une telle matière que le corps du Christ fut conçu.

Solutions :

1. Puisque la Bienheureuse Vierge était de la même nature que les autres femmes, il s’ensuit qu’elle avait de la chair et des os de même nature. Or la chair et les os des autres femmes sont des parties en acte de leur corps, qui confèrent à celui-ci son intégrité ; et c’est pourquoi on ne peut rien en soustraire sans détruire ou diminuer le corps. Le Christ, venant réparer ce qui était détruit, ne devait infliger ni destruction ni diminution à l’intégrité de sa mère, nous l’avons déjà dit. Et c’est pourquoi le Christ ne devait pas être formé de la chair ou des os de la Vierge, mais de son sang, car celui-ci n’est pas encore une partie en acte du corps, mais il est tout le corps en puissance, dit Aristote. Et c’est pourquoi l’on dit qu’il a pris chair de la Vierge, non parce que la matière de son corps aurait été de la chair en acte, mais du sang, qui est de la chair en puissance.

2. Comme nous l’avons dit dans la première Partie, Adam avait été créé comme un principe de la nature humaine. A ce titre il avait dans son corps de la chair et des os qui ne rassortissaient pas à son intégrité personnelle mais seulement à sa fonction de principe. Et c’est de cela que la femme a été formée, sans aucun dommage pour lui. Mais dans le corps de la Vierge il n’y avait rien de tel qui eût permis la formation du corps du Christ sans destruction du corps maternel.

3. La semence de la femme n’est pas apte à la génération ; c’est une semence imparfaite, et qui le demeure en raison de l’insuffisance de la puissance féminine. Et c’est pourquoi une telle semence n’est pas la matière nécessairement requise à la conception, selon le Philosophe. C’est pourquoi il n’y en eut pas dans la conception du Christ, d’autant plus que, tout imparfaite qu’elle soit, cette semence est émise, comme le sperme de l’homme, avec une certaine convoitise ; or, dans cette conception virginale, la convoitise ne pouvait avoir de place et c’est pourquoi S. Jean Damascène, écrit : " Le corps du Christ n’a pas été conçu par un processus séminal. "

Quant au sang menstruel, il contient une impureté naturelle, comme les autres superfluités que le corps élimine parce qu’il n’en a pas besoin. La conception ne se fait pas avec ce sang corrompu, mais avec un sang plus pur et plus parfait qu’une transformation rend apte à cette fin. Néanmoins, dans la conception des autres hommes, ce sang, pur par lui-même, conserve une certaine impureté due à la sensualité ; car il n’est attiré dans le lieu propre à la génération que par l’union de l’homme et de la femme. Mais cela n’a pas existé dans la conception du Christ. C’est en effet par l’opération du Saint-Esprit que ce sang s’est amassé dans le sein de la Vierge pour former le corps du Christ. Voilà pourquoi S. Jean Damascène a écrit que le corps du Christ a été " formé du sang le plus pur et le plus chaste de la Vierge ".

 

            Article 6 — La chair du Christ a-t-elle existé chez les anciens patriarches selon un élément déterminé ?

Objections :

1. S. Augustin dit que la chair du Christ a existé chez Adam et Abraham " selon sa substance corporelle ". Mais celle-ci est quelque chose de déterminé. Donc la chair du Christ existait chez Adam, Abraham et les autres ancêtres selon un élément déterminé.

2. Il est écrit (Rm 1, 3) que le Christ " est né de la semence de David selon la chair ". Mais la semence de David était en lui un élément déterminé. Donc le Christ existait en David selon un élément déterminé et, au même titre, chez les autres pères.

3. Le Christ s’apparente au genre humain en tant qu’il a pris de lui sa chair. Or, si cette chair n’a pas existé en Adam selon un élément déterminé, il semble qu’elle n’ait aucune parenté avec le genre humain, qui descend d’Adam. Elle est plutôt apparentée à d’autres réalités d’où la matière de sa chair a été prise. Il apparaît donc que la chair du Christ a existé en Adam et d’autres pères selon un élément déterminé.

En sens contraire, selon S. Augustin de quelque manière que le Christ ait existé en Adam, Abraham et les autres pères, tous les autres hommes y ont existé aussi, mais la réciproque n’est pas vraie. Or les autres hommes n’ont pas existé en Adam et Abraham selon une matière déterminée, mais seulement selon leur origine, comme nous l’avons établi dans la première Partie. Donc le Christ non plus ni, pour la même raison, chez les autres patriarches.

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, la matière du corps du Christ, ce ne furent pas la chair et les os de la Bienheureuse Vierge, ni quoi que ce soit qui ait été en acte une partie de son corps, mais son sang qui est de la chair en puissance. Or tout ce qui était en la Sainte Vierge comme reçu de ses parents a été en acte une partie de son corps. Donc rien de tout cela ne fut la matière du corps du Christ. Et c’est pourquoi il faut dire que le corps du Christ n’a pas existé en Adam ni chez les autres pères selon un élément déterminé, en ce sens qu’une partie du corps d’Adam, ou d’un autre, pourrait être désignée avec précision comme devant fournir une matière déterminée pour former le corps du Christ ; il n’y a existé que par son origine, comme la chair des autres hommes. En effet, le corps du Christ se rattache au corps d’Adam et des autres patriarches par l’intermédiaire du corps de sa mère. Donc ce corps n’a pas existé dans les patriarches autrement que le corps de sa mère, qui n’a pas existé chez ses ancêtres selon une matière déterminée, pas plus que les corps des autres hommes, comme nous l’avons dit dans la première Partie.

Solutions :

1. Lorsque l’on dit que le Christ a existé en Adam selon sa substance corporelle, il ne faut pas le comprendre en ce sens que le corps du Christ aurait existé en Adam comme une substance corporelle ; mais que la substance corporelle du corps du Christ, c’est-à-dire la matière qu’il a prise de la Vierge, a existé en Adam comme en son principe actif, non comme dans son principe matériel. Ainsi, par la vertu génératrice d’Adam, et de ses autres descendants jusqu’à la Bienheureuse Vierge, cette matière a été préparée à recevoir le corps du Christ. Mais cette matière ne fut pas formée dans le corps du Christ par une vertu séminale venue d’Adam. Et c’est pourquoi l’on peut dire que le Christ a existé en Adam originellement selon sa substance corporelle, mais non par raison séminale.

2. Bien que le corps du Christ n’ait pas existé en Adam et chez les autres ancêtres par raison séminale, le corps de la Bienheureuse Vierge, qui a été conçu par la semence d’un homme, a été conçu ainsi. C’est pourquoi on peut dire que le Christ " est né de la semence de David selon la chair ", par l’intermédiaire de la Bienheureuse Vierge et en raison de son origine.

3. La parenté du Christ avec le genre humain consiste en une ressemblance spécifique. Or celle-ci ne tient pas à la matière éloignée, mais à la matière prochaine, et selon le principe actif qui engendre un être spécifiquement semblable à lui. Ainsi donc la parenté du Christ avec le genre humain est suffisamment sauvegardée du fait que le corps du Christ a été formé du sang de la Vierge, qui a son origine en Adam et les autres patriarches. Peu importe pour cette parenté d’où vient la matière du sang de la Vierge ; cela n’a pas d’importance non plus dans la génération des autres hommes, comme nous l’avons dit dans la première Partie.

 

            Article 7 — La chair du Christ, chez les patriarches, fut-elle sujette au péché ?

Objections :

1. Il est écrit (Sg 7, 25) de la Sagesse divine : " Rien de souillé ne s’introduit en elle ", c’est-à-dire dans le Christ qui est " Sagesse de Dieu " (1 Co 1, 24). Donc la chair du Christ n’a jamais été souillée par le péché.

2. Le Damascène écrit : " Le Christ a assumé les prémices de notre nature. " Mais dans son premier état la chair humaine n’était pas atteinte par le péché. Donc la chair du Christ n’en a été atteinte ni en Adam ni chez les autres Pères.

3. S. Augustin dit : " La nature humaine a toujours eu, avec la blessure, le remède à la blessure. " Or ce qui est infecté ne peut être le remède à la blessure, mais c’est cela plutôt qui a besoin de remède. Donc il y a toujours eu dans la nature humaine quelque chose de non infecté, d’où le corps du Christ a été ensuite formé.

En sens contraire, le corps du Christ ne se rattache à Adam et aux autres Pères que par l’intermédiaire de la Bienheureuse Vierge sa mère, dont il a pris chair. Mais le corps de la Bienheureuse Vierge fut conçu tout entier dans le péché originel, nous l’avons dit plus haut ; et ainsi même, selon qu’il a existé chez les Pères, il fut sujet au péché. Donc la chair du Christ, selon qu’elle a existé chez les Pères, a été sujette au péché.

Réponse :

Lorsque nous disons que le Christ, selon sa chair, a existé en Adam et les autres ancêtres, nous le comparons, lui ou sa chair, à Adam et aux autres ancêtres. Or il est évident que leur condition est différente de celle du Christ, car les ancêtres ont été soumis au péché, et le Christ en a été totalement indemne. Or dans cette comparaison il y a deux manières de se tromper. La première est d’attribuer au Christ ou à sa chair la condition qui fut celle des ancêtres, par exemple si nous disons que le Christ a péché en Adam parce qu’il a, d’une certaine manière, existé en lui. Ce qui est faux, parce qu’il n’a pas existé en Adam de telle sorte que le péché d’Adam parvienne jusqu’à lui, car il ne descend pas d’Adam selon la loi de la convoitise ou par raison séminale, nous l’avons dit.

On se trompe d’une autre manière si l’on attribue aux patriarches la condition du Christ ou de sa chair, en ce sens que la chair du Christ, selon qu’elle existait en lui, n’était pas sujette au péché, si bien qu’en Adam et les autres Pères il y aurait eu une partie du corps qui n’ait pas été sujette au péché, parce que postérieurement elle devait servir à former le corps du Christ, comme certains l’ont soutenu. Mais cela est impossible. D’abord parce que, comme on l’a vu à l’article précédent, il n’y a pas eu chez Adam et les autres Pères un élément déterminé, qu’on pût distinguer du reste de la chair comme on distingue le pur de l’impur, nous l’avons dit aussi. Ensuite, c’est impossible parce que, la chair humaine étant atteinte par le péché du fait qu’elle est conçue par convoitise, elle est souillée tout entière par le péché. C’est pourquoi il faut dire que toute la chair des anciens pères fut sujette au péché, et qu’il n’y avait en elle aucune partie qui échappât au péché et dont, par la suite, le corps du Christ serait formé.

Solutions :

1. Le Christ a assumé la chair du genre humain non pas soumise au péché, mais purifiée de toute atteinte de péché. Et c’est pourquoi rien de souillé ne s’introduit dans la Sagesse de Dieu.

2. On dit que le Christ a " assumé les prémices de notre nature " en ce sens qu’il en a revêtu la condition première, c’est-à-dire qu’il a assumé une chair indemne de péché comme celle de l’homme avant la chute. Mais on ne veut pas signifier par là que cette chair du premier homme a toujours conservé cette pureté, comme si cette chair d’un homme ordinaire devait demeurer indemne de péché jusqu’à la formation du corps du Christ.

3. Avant le Christ il y avait dans la nature humaine une blessure en acte : l’infection du péché originel. Tandis que le remède à la blessure n’y était pas en acte, mais seulement par la vertu de son origine, en tant que la chair du Christ devait descendre de ces patriarches.

 

            Article 8 — Le Christ a-t-il payé la dîme comme étant présent dans son aïeul Abraham ?

Objections :

1. D’après l’Apôtre (He 7, 9), Lévi, arrière-petit-fils d’Abraham, a payé la dîme en la personne d’Abraham parce que, lorsque celui-ci versa la dîme à Melchisédech, Lévi était présent dans ses reins. Donc le Christ aussi a payé la dîme en la personne d’Abraham.

2. Le Christ est de la descendance d’Abraham selon la chair qu’il a reçue de sa mère. Mais celle-ci a payé la dîme dans la chair d’Abraham, donc le Christ au même titre.

3. Selon S. Augustin, " ce qui était soumis à la dîme dans la chair d’Abraham, c’est ce qui avait besoin de guérison ". Or ce qui avait besoin de guérison, c’est toute chair sujette au péché. Et puisque c’était le cas de la chair du Christ, nous l’avons dit à l’article précédent, il apparaît qu’en Abraham la chair du Christ a payé la dîme.

4. Cela ne semble en aucune manière déroger à la dignité du Christ. Car si le père d’un pontife paie la dîme à un prêtre, rien n’empêche son fils, qui est pontife, d’être supérieur au simple prêtre. Que le Christ ait payé la dîme en ce qu’Abraham l’a payée à Melchisédech, n’empêche pas le Christ d’être supérieur à Melchisédech.

En sens contraire, S. Augustin affirme : " Le Christ n’a pas payé la dîme en Abraham parce que sa chair n’a pas trouvé en celui-ci l’inflammation d’une blessure mais la matière d’un remède. "

Réponse :

Selon la perspective de l’épître aux Hébreux, il faut dire que par sa présence dans les reins d’Abraham le Christ n’a pas payé la dîme. En effet, l’Apôtre prouve que le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech est supérieur au sacerdoce lévitique. Il en donne comme preuve qu’Abraham a payé la dîme à Melchisédech, alors que Lévi, à qui appartient le sacerdoce légal, était déjà dans ses reins. Si le Christ, lui aussi, avait payé la dîme en Abraham, son sacerdoce ne serait pas selon l’ordre de Melchisédech, mais d’une nature inférieure. Et c’est pourquoi il faut dire que le Christ n’a pas offert la dîme, comme Lévi, dans les reins d’Abraham.

En effet, celui qui acquitte la dîme garde neuf parts pour lui et donne la dixième ; cette dixième part est symbole de perfection, car elle est en quelque sorte le terme de tous les nombres qui vont jusqu’à dix. Celui qui paie la dîme atteste donc qu’il est imparfait par rapport au décimateur à qui il reconnaît la perfection. Or l’imperfection du genre humain vient du péché ; elle a besoin de la perfection de celui qui guérit le péché. Et guérir le péché est réservé au Christ, dont il est dit (Jn 1, 29) qu’il est " l’Agneau qui enlève le péché du monde ".

Mais Melchisédech préfigurait le Christ comme le prouve l’Apôtre (He 7). Donc, du fait qu’Abraham a versé la dîme à Melchisédech, il avoue en figure que lui, qui a été conçu dans le péché, et avec lui tous ceux qui descendent de lui, pour ce motif qu’ils contracteraient le péché originel, ont besoin de la guérison apportée par le Christ. Or Isaac, Jacob, Lévi et tous les autres ont existé en Abraham comme devant descendre de lui non seulement selon leur substance corporelle, mais aussi selon la raison séminale par laquelle on contracte le péché originel. Et c’est pourquoi tous ont payé la dîme, c’est-à-dire ont préfiguré leur besoin d’être guéris par le Christ. Lui seul a existé en Abraham de telle façon qu’il ne descendrait pas de lui selon la raison séminale, mais selon la substance corporelle. Et c’est pourquoi il a préexisté en Abraham non comme ayant besoin de guérison, mais plutôt comme étant le remède à la blessure. Voilà pourquoi il n’a pas payé la dîme dans les reins d’Abraham.

Solutions :

1. Cela répond à la première objection.

2. Parce que la Bienheureuse Vierge a été conçue dans le péché originel, elle a existé en Abraham comme ayant besoin de guérison. Et c’est pourquoi elle y a payé la dîme, comme descendant de lui par raison séminale. Il n’en est pas ainsi pour le corps du Christ, on vient de le dire.

3. On dit que la chair du Christ fut sujette au péché dans les anciens Pères selon la condition qu’elle avait chez ces anciens qui ont payé la dîme. Mais non selon la condition qu’elle eut comme existant en acte dans le Christ, qui n’a pas payé la dîme.

4. Le sacerdoce lévitique se transmettait selon l’origine charnelle. Aussi n’existait-il pas moins chez Abraham que chez Lévi. Aussi en payant la dîme à Melchisédech comme à son supérieur, Abraham montre-t-il que le sacerdoce de Melchisédech, en tant que celui-ci préfigure le Christ, est plus grand que le sacerdoce lévitique. Or le sacerdoce du Christ ne vient pas de l’origine charnelle, mais d’une grâce spirituelle. Aussi un pontife, dont le père aurait reconnu la supériorité d’un prêtre en lui offrant la dîme, peut-il lui même demeurer supérieur à ce prêtre, non pas en raison de son origine charnelle, mais en vertu de sa grâce spirituelle, qu’il détient du Christ.

 

 

QUESTION 32 — LE PRINCIPE ACTIF DE LA CONCEPTION DU CHRIST

1. Le Saint-Esprit a-t-il été le principe actif de la conception du Christ ? - 2. Peut-on dire que le Christ a été conçu du Saint-Esprit ? - 3. Peut-on dire que le Saint-Esprit est père du Christ selon la chair ? - 4. La Bienheureuse Vierge a-t-elle eu un rôle actif dans la conception du Christ ?

 

            Article 1 — Le Saint-Esprit a-t-il été le principe actif de la conception du Christ ?

Objections :

1. Selon S. Augustin a, " les œuvres de la Trinité sont indivises, comme son essence ". Or c’est une œuvre divine que réaliser la conception du Christ. Il apparaît donc que cela ne doit pas s’attribuer au Saint-Esprit plus qu’au Père et au Fils.

2. S. Paul écrit (Ga 4, 4) : " Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme ", ce que S. Augustin explique ainsi : " Assurément il a été envoyé par celui qui l’a fait naître " d’une femme. Mais l’envoi du Fils est attribué surtout au Père, comme on l’a montré dans la première Partie. Donc la conception selon laquelle il est né de la femme doit être attribuée surtout au Père.

3. On lit dans les Proverbes (9, 1) : " La Sagesse s’est bâti une maison. " Or la Sagesse de Dieu, c’est le Christ en personne selon S. Paul (1 Co 1, 24) : " Le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. " La maison de cette Sagesse est le corps du Christ qu’on appelle son temple d’après S. Jean (2, 21) : " Il disait cela du temple de son corps. " Il apparaît donc que réaliser la conception du corps du Christ doit être surtout attribué au Christ et non au Saint-Esprit.

En sens contraire, S. Luc a cette affirmation (1, 35) : " L’Esprit Saint viendra sur toi. "

Réponse :

La conception du corps du Christ est l’œuvre de toute la Trinité. Cependant on l’attribue au Saint-Esprit pour trois raisons.

1° Cela convient au motif de l’Incarnation envisagé du côté de Dieu. En effet, l’Esprit Saint est l’amour du Père et du Fils, comme nous l’avons établi dans la première Partie. Or, que le Fils de Dieu ait assumé la chair dans un sein virginal, cela vient d’un très grand amour de Dieu : " Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique " (Jn 3, 16).

2° Cela convient au motif de l’Incarnation envisagé du côté de la nature assumée. On veut dire par là que cette assomption de la nature humaine par le Fils de Dieu dans l’unité de sa personne ne vient pas de ses mérites mais uniquement de la grâce, laquelle est attribuée au Saint-Esprit : " Il y a diversité de grâces, mais c’est le même Esprit " (2 Co 12, 4). Ce qui fait dire à S. Augustin : " Le mode par lequel le Christ est né du Saint-Esprit nous fait comprendre la grâce de Dieu ; par elle l’homme, au moment même où sa nature a commencé d’exister, a été uni au Verbe de Dieu dans une si intime unité de personne que lui-même était identiquement Fils de Dieu. "

3° Cela convient au terme de l’Incarnation, qui consiste en ce que cet homme, une fois conçu, était le Saint et le Fils de Dieu, deux effets que l’on attribue au Saint-Esprit. Car c’est par lui que les hommes deviennent fils de Dieu, selon l’Apôtre (Ga 4, 6) : " La preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’esprit de son Fils qui crie : Abba ! Père ! " Et en outre il est " l’Esprit de sanctification " (Rm 2, 4). Donc, comme nous-mêmes sommes sanctifiés spirituellement par le Saint-Esprit pour devenir fils adoptifs de Dieu, ainsi le Christ a-t-il été conçu dans la sainteté par le Saint-Esprit pour être Fils de Dieu selon la nature divine. C’est ainsi que, selon une Glose, le début du texte de Paul : " Celui qui a été établi fils de Dieu avec puissance. . . " est éclairé par ce qui suit immédiatement : " selon l’Esprit qui sanctifie ", c’est-à-dire par le fait qu’il est conçu de l’Esprit Saint. Et l’ange annonciateur, parce qu’il dit d’abord : " Le Saint-Esprit viendra sur toi " conclut : " C’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. "

Solutions :

1. Sans doute, l’œuvre de conception est commune à toute la Trinité ; cependant, suivant tel ou tel aspect on peut l’attribuer à chacune des personnes. Ainsi l’on attribue au Père l’autorité sur la personne de son Fils qui, par la conception, a assumé la nature humaine ; au Fils, l’assomption même de la chair ; mais au Saint-Esprit la formation du corps que le Fils a assumé. Le Saint-Esprit est en effet l’Esprit du Fils, selon l’épître aux Galates (4, 6) : " Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils. " De même que, dans la génération des autres hommes, la force de l’âme contenue dans la semence forme le corps par l’intermédiaire de l’esprit vital que renferme celle-ci, de même, la force de Dieu, qui est le Christ selon S. Paul (1 Co 1, 24), a formé, par l’intermédiaire de l’Esprit Saint, le corps qu’il a assumé. Et c’est ce que montrent encore les paroles de l’ange : " L’Esprit Saint viendra sur toi " comme pour préparer et former la matière du corps du Christ ; et " la force du Très-Haut ", c’est-à-dire le Christ, " te couvrira de son ombre ". Selon S. Grégoire, " la lumière divine incorporelle recevra en toi un corps humain ; car l’ombre naît d’une lumière et d’un corps ". Le Très-Haut désigne ici le Père, dont le Fils est la force.

2. Dans l’Incarnation, la mission se rapporte à la personne qui l’assume et qui est envoyée par le Père. La conception se rapporte au corps assumé par la personne, lequel est formé par l’opération du Saint-Esprit. Et c’est pourquoi, bien que mission et conception s’identifient dans le sujet, comme elles diffèrent en raison, envoyer est attribué au Père, réaliser la conception est attribué au Saint-Esprit, mais assumer la chair est attribué au Fils.

3. Comme dit S. Augustin " la maison du Christ peut s’entendre en un double sens. Car la première maison, c’est l’Église, qu’il a bâtie par son sang. Ensuite on peut appeler maison son corps, de même que celui-ci est appelé un temple. L’œuvre du Saint-Esprit est l’œuvre du Fils de Dieu à cause de leur unité de nature et de volonté ".

 

            Article 2 — Peut-on dire que le Christ a été conçu du Saint-Esprit ?

Objections :

1. Sur ce texte (Rm 11, 36) : " Tout est à partir de lui, par lui et en lui ", la Glose de S. Augustin remarque : " Il faut prendre garde qu’il ne dit pas "de lui" (de ipso) mais "à partir de lui" (ex ipso). "A partir de lui" sont le ciel et la terre, parce qu’il les a créés. Mais non "de lui" parce qu’ils ne sont pas de sa substance. " Mais l’Esprit Saint n’a pas formé le corps de sa substance. On ne doit donc pas dire que le Christ a été conçu " de " l’Esprit Saint.

2. Le principe actif par lequel un être est conçu se comporte comme la semence dans la génération. Mais ce n’a pas été le fait du Saint-Esprit dans la génération du Christ. S. Jérôme écrit : " Nous ne disons pas, comme certains le pensent avec une grande impiété, que le Saint-Esprit a tenu lieu de père, ton créateur ? N’est-ce pas lui qui t’a façonné, formé et créé ? " Mais l’Esprit Saint a fait le corps du Christ, comme on l’a dit aux articles précédents. Donc l’Esprit Saint doit être appelé père du Christ, en raison du corps qu’il a formé.

En sens contraire, S. Augustin déclare : " le Christ n’est pas né fils du Saint-Esprit, mais fils de la Vierge Marie ".

Réponse :

Les noms de père, de mère et de fils sont la conséquence d’une génération ; non pas génération quelconque, mais génération au sens propre d’êtres vivants, et surtout d’animaux. Nous ne disons pas, en effet, que le feu est fils du feu qui l’engendre, sinon peut-être par métaphore. Mais nous parlons ainsi des animaux, dont la génération est plus parfaite. Cependant, tout ce qu’engendrent les animaux n’est pas appelé fils. Comme dit S. Augustin, nous ne disons pas que le cheveu, qui vient de l’homme, soit fils de l’homme ; et nous ne disons pas non plus que l’homme qui naît soit fils de la semence, parce que ni le cheveu ne ressemble à l’homme, ni le nouveau-né de la semence ne ressemble à celle-ci, mais à l’homme qui engendre. Et si la ressemblance est parfaite, il y aura filiation parfaite aussi bien sur le plan humain que sur le plan divin. Aussi y a-t-il en l’homme une certaine ressemblance imparfaite en tant qu’il a été créé à l’image de Dieu, et en tant qu’il a été recréé selon la ressemblance de la grâce ; et c’est pourquoi des deux manières l’homme peut être appelé fils de Dieu : et parce qu’il a été créé à son image, et parce qu’il est venu à la ressemblance que donne la grâce.

Or il faut considérer que, lorsqu’un nom convient selon son sens parfait à un être, on ne doit pas le lui appliquer suivant les sens imparfaits qu’il comporte. Par exemple, Socrate étant un homme dans toute la propriété de cette raison d’homme, on ne devra pas dire de lui qu’il est un homme au sens où l’est un portrait, même à supposer que Socrate lui-même ressemble à un autre homme.

Or le Christ est Fils de Dieu selon une parfaite raison de filiation ; aussi, bien que selon la nature humaine il ait été créé et justifié, il ne doit être appelé Fils de Dieu ni en raison de la création ni en raison de la justification, mais seulement en raison de la génération éternelle qui fait de lui le Fils du Père seul. Et voilà pourquoi on ne doit l’appeler d’aucune manière ni Fils du Saint-Esprit, ni même Fils de toute la Trinité.

Solutions :

1. Le Christ a été conçu de la Vierge Marie qui lui fournissait la matière d’une ressemblance spécifique, et c’est pourquoi on l’appelle son fils. Mais, en tant qu’homme, il a été conçu du Saint-Esprit comme d’un principe actif, mais non selon la ressemblance spécifique d’un fils à l’égard de son Père. Et c’est pourquoi le Christ n’est pas appelé fils du Saint-Esprit.

2. Les hommes spirituellement formés par le Saint-Esprit ne peuvent être appelés fils de Dieu selon une raison parfaite de filiation ; et c’est pourquoi ils sont appelés fils de Dieu selon une filiation imparfaite, en vertu de la ressemblance divine que leur donne la grâce et qui vient de la Trinité tout entière. Mais, comme on vient de le dire, le cas du Christ est différent.

3. La même réponse vaut pour cette objection.

 

            Article 4 — La Bienheureuse Vierge a-t-elle eu un rôle actif dans la conception du Christ ?

Objections :

1. S. Jean Damascène écrit " L’Esprit Saint venant sur la Vierge, l’a purifiée et lui a donné la force de recevoir le Verbe de Dieu en même temps que de l’engendrer. " Or elle avait déjà par nature, comme toutes les femmes, la force passive d’engendrer. Donc la vertu qu’il lui a donnée était active, et elle a joué un rôle actif dans la conception du Christ.

2. Toutes les puissances de l’âme végétative sont des puissances actives selon le Commentateur d’Aristote. Or la puissance génératrice, tant du père que de la mère, est une puissance de l’âme végétative. Il y a donc chez la femme comme chez l’homme une contribution active à la conception de l’enfant.

3. Dans la conception, la femme fournit la matière à partir de laquelle le corps de l’enfant est formé par la nature. Mais la nature est un principe intrinsèque de mouvement. Il apparaît donc que précisément par la matière qu’elle a fournie à la conception du Christ, la Bienheureuse Vierge a été un principe actif.

En sens contraire, le principe actif de la génération est appelé raison séminale. Mais, dit S. Augustin, le corps du Christ " a été pris à cette seule matière corporelle du corps de la Vierge, selon le plan divin de sa conception et de sa formation, sans recours à une raison séminale humaine. " Donc la Bienheureuse Vierge n’est pas intervenue activement dans la conception du corps du Christ.

Réponse :

Certains prétendent que, dans la conception du Christ, la Bienheureuse Vierge a agi activement de deux façons : par une force naturelle, et par une force surnaturelle.

Tout d’abord par une force naturelle. Ils avancent en effet que dans toute matière naturelle il y a un principe actif. Autrement, croient-ils, il n’y aurait pas de transformation naturelle. En cela ils se trompent. Car une transformation n’est pas seulement naturelle quand un principe intrinsèque est actif ; elle l’est encore quand ce principe n’est que passif. Le Philosophe le dit expressément : dans les corps lourds et légers, le principe du mouvement naturel n’est pas actif, mais uniquement passif. Et il n’est pas possible que la matière agisse pour se donner une forme à elle-même, puisqu’elle n’est pas en acte. Il est pareillement impossible qu’un être se meuve lui-même s’il ne se compose pas de deux parties, l’une motrice, l’autre mue, ce qui arrive seulement dans les êtres animés comme il est prouvé dans le même ouvrage.

En second lieu, d’après ces mêmes théologiens, la Vierge aurait agi par une force surnaturelle. Dans la conception, la mère fournirait non seulement une matière, le sang menstruel, mais aussi une semence qui, mêlée à celle de l’homme, aurait une vertu active dans la génération. Or, la Bienheureuse Vierge n’ayant produit aucune semence à cause de sa parfaite virginité, le Saint-Esprit lui aurait octroyé surnaturellement, dans la conception du Christ, la force active qu’exerce ordinairement la mère. Mais ce raisonnement ne tient pas. Car, dit Aristote, " tout être existe en vue de son opération ". Or la nature n’aurait pas distingué les deux sexes pour l’œuvre de la génération, si l’action du père n’était pas différente de celle de la mère. Dans la génération on distingue l’action de l’agent et celle du patient. Il reste donc que toute la force active vient du père, tandis que la mère n’est que principe passif. Et c’est la raison pour laquelle dans les plantes, où les deux forces, active et passive, sont mêlées, il n’y a pas de distinction entre mâle et femelle.

Donc, parce que la Bienheureuse Vierge n’a pas été chargée d’être le père du Christ, mais sa mère, il s’ensuit qu’elle n’a pas reçu de puissance active dans la conception du Christ. Car, si elle avait agi activement, elle aurait été le père du Christ ; si, comme certains le disent, elle n’avait rien fait, il s’ensuivrait que cette puissance active lui aurait été donnée pour rien. Il faut donc tenir que dans la conception du Christ, la Bienheureuse Vierge n’a exercé aucune activité, elle n’a fournit que la matière. Néanmoins, avant la conception, elle a été active en préparant la matière, pour qu’elle soit apte à la conception.

Solutions :

1. Cette conception a comporté trois privilèges : d’échapper au péché originel ; de venir non de l’homme seul, mais de Dieu et de l’homme ; d’être une conception viriginale. Et ces trois privilèges lui sont venus du Saint-Esprit. Du premier S. Jean Damascène dit : " L’Esprit Saint, venant sur la Vierge, l’a purifiée ", c’est-à-dire qu’il l’a préservée de concevoir ayant le péché originel. Relativement au deuxième il dit " Il lui a donné la force de recevoir le Verbe de Dieu ", c’est-à-dire de le concevoir. Et quant au troisième, il dit : " en même temps que de l’engendrer ", c’est-à-dire qu’en demeurant vierge, elle puisse engendrer, non certes d’une manière active, mais d’une manière passive, comme les autres mères qui tiennent cela de la semence du père.

2. Chez la mère la puissance génératrice est imparfaite, en regard de celle du père. Aussi, de même que, dans les arts, l’art subalterne dispose la matière, tandis que l’art supérieur, selon Aristote, imprime la forme ; de même, la vertu génératrice de la femme prépare la matière, et la vertu active du mari communique la forme à la matière préparée.

3. Nous venons de le dire, pour qu’une transformation soit naturelle, il n’est pas exigé qu’il y ait dans la matière un principe actif, mais seulement un principe passif.

 

 

QUESTION 33 — LE MODE ET L’ORDRE DE LA CONCEPTION DU CHRIST

1. Le corps du Christ a-t-il été formé au premier instant de sa conception ? - 2. A-t-il été animé dès ce premier instant ? - 3. A-t-il été assumé par le Verbe dès ce premier instant ? - 4. Cette conception a-t-elle été naturelle ou surnaturelle ?

 

            Article 1 — Le corps du Christ a-t-il été formé au premier instant de sa conception ?

Objections :

1. On lit en S. Jean (2, 20) : " Ce temple a été construit depuis quarante-six ans ", ce que S. Augustin explique ainsi : " Ce nombre convient parfaitement à la perfection du corps du Christ. " Et ailleurs : " Il n’est pas absurde de dire qu’on a bâti en quarante-six ans le Temple qui préfigurait son corps, de sorte qu’il y eut autant de jours pour la formation du corps du Seigneur qu’il y eut d’années pour la construction du Temple. " Le corps du Christ ne fut donc pas parfaitement formé dès le premier instant de sa conception.

2. Sa formation exigeait un mouvement local, le sang très pur de la Vierge ayant à passer de son corps dans le lieu favorable à la génération. Or aucun corps ne peut se mouvoir localement de façon instantanée, comme le prouve Aristote, parce que le temps du mouvement se divise selon la division du mobile.

3. Le corps du Christ fut formé du sang le plus pur de la Vierge, comme on l’a établi plus haut.

Or ce sang n’a pu être au même instant du sang et de la chair, car la même matière aurait alors existé en même temps sous deux formes. Il y a donc eu un instant ultime où cette matière a cessé d’être du sang, et un instant où elle a commencé à être de la chair. Mais entre ces deux instants il y a un temps intermédiaire. Il s’ensuit que le corps du Christ a été formé non instantanément, mais pendant un certain temps.

4. De même que la puissance qui fait grandir exige un temps déterminé pour agir, de même la puissance génératrice, car l’une comme l’autre est une puissance naturelle ressortissant à l’âme végétative. Mais le corps du Christ a grandi pendant un temps déterminé, comme celui des autres hommes, car on lit en S. Luc (2, 52) : " Il progressait en sagesse et en âge. " Il semble donc qu’au même titre la formation de son corps, qui ressortit à la puissance génératrice, ne s’est pas réalisée instantanément mais dans le délai fixé pour cette formation chez les autres hommes.

En sens contraire, il y a cette affirmation de S. Grégoire : " A l’annonce de l’ange et à la venue de l’Esprit Saint, aussitôt que le Verbe est dans le sein de la Vierge, il devient chair. "

Réponse :

Dans la conception du corps du Christ il faut envisager trois phases : 1) le mouvement local du sang vers le lieu de la génération ; 2) la formation du corps à partir de telle matière ; 3) la croissance qui l’amène à sa quantité parfaite.

C’est dans la phase intermédiaire que se réalise la raison de conception proprement dite ; la première phase ne fait qu’y préparer, et la troisième en est la conséquence.

La première phase n’a pu être instantanée parce que c’est contraire à la raison même de mouvement local chez n’importe quel corps, dont les parties n’entrent que successivement dans un lieu nouveau.

Pareillement la troisième phase est forcément successive, parce que la croissance ne peut se faire sans mouvement local, et aussi parce que cette croissance provient de la vertu de l’âme agissant dans le corps déjà formé, et qui ne peut agir que dans le temps.

Mais la formation même du corps, en quoi consiste principalement la conception, s’est produite en un instant pour un double motif. D’abord à cause de la vertu infinie de l’agent, c’est-à-dire du Saint-Esprit, par qui le corps du Christ est formé, nous l’avons dit récemment En effet, un principe actif peut disposer la matière d’autant plus rapidement que sa puissance est plus grande. Aussi l’agent d’une puissance infinie peut-il instantanément disposer la matière à la forme qui lui est due.

Ensuite cette formation a été instantanée du côté de la personne du Christ dont le corps se formait. Car il ne lui convenait pas d’assumer un corps humain qui n’aurait pas été formé. Mais, si la conception avait exigé un certain délai avant la formation complète, la conception n’aurait pu être attribuée tout entière au Fils de Dieu, car on ne la lui attribue qu’en raison de l’assomption d’un corps humain. Et c’est pourquoi, au premier instant où la matière s’est trouvée rassemblée et parvenait au lieu de la génération, le corps du Christ a été parfaitement formé et assumé. Et c’est ainsi que l’on peut dire que le Fils de Dieu lui-même a été conçu, - ce que l’on ne pourrait dire autrement.

Solutions :

1. Les deux textes de S. Augustin ne se rapportent pas uniquement à la formation du corps du Christ, mais aussi à sa croissance jusqu’au temps de l’enfantement. Aussi le nombre de jours indiqués amène à sa perfection le temps de neuf mois que le Christ a passés dans le sein de la Vierge.

2. Le mouvement local en question ne fait pas partie de la conception proprement dite, mais fi la précède.

3. On peut fixer non pas l’instant ultime où cette matière était encore du sang, mais la fin du temps qui se relie sans aucun intervalle au premier instant où fut formée la chair du Christ. Et cet instant fut aussi la fin du temps du mouvement local de la matière jusqu’au lieu de la génération.

4. La croissance se fait bien par la puissance de croissance de celui-là même qui grandit ; tandis que la formation du corps se fait par la puissance génératrice non de celui qui est engendré, mais de celui qui engendre par sa semence, dans laquelle opère la vertu formatrice dérivée de l’âme du père. Or le corps du Christ n’a pas été formé à partir d’une semence virile, nous l’avons dit, mais de l’opération du Saint-Esprit. Il a donc fallu que cette formation soit digne du Saint-Esprit. Mais la croissance du corps du Christ s’est faite par la puissance de l’âme du Christ ; et puisque cette âme est de la même espèce que la nôtre, fi fallait que son corps augmente de la même manière que ceux des autres hommes, pour montrer la réalité de sa nature humaine.

 

            Article 2 — Le corps du Christ a-t-il été animé dès le premier instant de sa conception ?

Objections :

1. Le pape S. Léon écrit à Julien d’Éclane : " La chair du Christ n’était pas d’une autre nature que la nôtre ; et son âme ne lui a pas été insufflée par un autre principe qu’à nous. " Mais l’âme des autres hommes ne leur est pas infusée au premier moment de leur conception. Donc l’âme ne devait pas être infusée dans le corps du Christ au premier instant de sa conception.

2. L’âme, comme toute forme matérielle, requiert une quantité déterminée de matière. Or, au premier instant de sa conception, le corps du Christ n’a pas eu autant de volume qu’en ont les corps des autres hommes au moment de leur animation. Autrement, s’il avait continué à se développer, ou bien il serait né trop tôt, ou bien il aurait été à sa naissance plus gros que les autres enfants. La première hypothèse contredit S. Augustin affirmant que le Christ est resté neuf mois dans le sein de sa mère. La seconde contredit le pape S. Léon pour qui " les mages trouvèrent l’enfant Jésus, qui ne différait en rien de l’ensemble des enfants des hommes ".

3. Partout où il y a un avant et un après, il y a forcément plusieurs instants. Mais, selon le Philosophe, la génération de l’homme requiert un avant et un après : il y a d’abord le vivant, ensuite l’animal et ensuite l’homme. Donc l’animation du Christ ne pouvait se réaliser au premier instant de sa conception.

En sens contraire, S. Jean Damascène nous dit : " C’est en même temps qu’il y a eu la chair, la chair du Verbe de Dieu, et la chair animée par une âme rationnelle et intellectuelle. "

Réponse :

Pour que la conception soit attribuée au Fils de Dieu lui-même, comme nous le confessons quand nous disons dans le Symbole. " Qui a été conçu du Saint-Esprit ", nous devons dire que le corps même, pendant qu’il était conçu, était assumé par le Verbe de Dieu. Or nous avons montré plus haut que le Verbe de Dieu a assumé le corps par l’intermédiaire de l’âme, et l’âme par l’intermédiaire de l’esprit, c’est-à-dire de l’intellect. Aussi a-t-il fallu qu’au premier instant de sa conception le corps du Christ soit animé par une âme rationnelle.

Solutions :

1. Le principe de l’insufflation de l’âme peut être envisagé de deux côtés. D’une part, selon la disposition du corps, et à cet égard l’âme n’a pas été insufflée au corps du Christ autrement qu’aux corps des autres hommes. De même en effet qu’un homme reçoit son âme aussitôt que son corps est formé, de même le Christ. Mais d’autre part on peut envisager ce principe seulement par rapport au temps. Et ainsi, parce que le corps du Christ fut parfaitement formé plus tôt que le nôtre, c’est plus tôt aussi qu’il fut animé.

2. L’âme ne peut être infusée que dans une matière ayant atteint un certain volume ; mais ce volume admet une certaine latitude, il peut être plus ou moins grand. Le volume que le corps possède quand l’âme lui est infusée est proportionnel au volume parfait auquel il parviendra en grandissant, si bien que les corps des hommes destinés à avoir une grande taille sont déjà plus volumineux au moment de leur animation. La taille du Christ à l’âge parfait était dans un juste milieu, auquel était proportionné le volume que son corps avait à l’époque où les corps des autres hommes sont animés ; il était cependant plus petit au moment de son animation. Cependant ce petit volume a été suffisant, comme chez les hommes de petite taille, dont les corps sont animés malgré leur petit volume.

3. Ce que dit là le Philosophe s’applique à la génération des autres hommes, parce que c’est de façon progressive que leur corps se forme et se dispose à recevoir l’âme. Étant d’abord imparfaitement disposé, il reçoit une âme imparfaite. Ensuite, quand il est parfaitement disposé, il reçoit une âme parfaite. Mais le corps du Christ, à cause de la puissance infinie de l’agent, fut instantanément disposé de façon parfaite. Aussi reçut-il dès le premier instant une forme parfaite, c’est-à-dire une âme rationnelles.

 

            Article 3 — Le corps du Christ a-t-il été assumé par le Verbe dès le premier instant de sa conception ?

Objections :

1. Ce qui n’existe pas ne peut être assumé. Mais la chair du Christ a commencé d’exister par la conception. Il apparaît donc qu’elle fut assumée par le Verbe de Dieu après avoir été conçue.

2. Le Verbe de Dieu a assumé la chair du Christ par l’intermédiaire de l’âme rationnelle. Mais c’est au terme de la conception que la chair a reçu cette âme, et donc que celle-ci fut assumée. Or, au terme de la conception, elle était déjà conçue. Donc elle fut conçue d’abord, et assumée ensuite.

3. Chez tout être engendré, ce qui est imparfait précède dans le temps ce qui est parfait, comme le montre Aristote. Mais le corps du Christ est engendré. Donc, il n’est pas parvenu à l’ultime perfection, qui consiste dans l’union du Verbe de Dieu dès le premier instant de la conception ; la chair fut conçue d’abord, et assumée ensuite.

En sens contraire, S. Augustin nous dit " Tiens avec la plus grande fermeté et ne doute aucunement que la chair du Christ n’a pas été conçue dans le sein de la Vierge avant d’être prise par le Verbe. "

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit, c’est au sens propre que Dieu s’est fait homme, mais nous ne disons pas au sens propre que l’homme est devenu Dieu. Parce que Dieu a assumé ce qui appartient à l’homme sans que cela ait d’abord existé comme subsistant par soi avant d’être pris par le Verbe. Or, si la chair du Christ avait été conçue avant d’être unie au Verbe, elle aurait eu à ce moment une hypostase autre que celle du Verbe de Dieu. Ce qui est contraire à la notion d’Incarnation, selon laquelle le Verbe de Dieu s’est uni à la nature humaine et à tous ses éléments dans l’unité de son hypostase ; et il ne convenait pas que le Verbe de Dieu détruise par son union l’hypostase préexistante de la nature humaine ou de l’un de ses éléments. C’est pourquoi il est contraire à la foi de soutenir que la chair du Christ a d’abord été conçue, et ensuite assumée par le Verbe de Dieu.

Solutions :

1. Si la chair du Christ n’avait pas été formée ou conçue en un instant, mais dans une succession de temps, il faudrait choisir une de ces hypothèses : ou bien que le Verbe s’est uni à ce qui n’était pas encore de la chair, ou bien que la conception de la chair précéda son assomption. Or, puisque nous soutenons que la conception fut instantanément parfaite, il s’ensuit que, dans cette chair, l’acte de la conception et son résultat ont été simultanés. Et, selon S. Augustin : " Nous disons que le Verbe de Dieu a été conçu par son union à la chair, et que cette chair elle-même a été conçue par l’incarnation du Verbe. "

2. Cela répond aussi à la deuxième objection. Car c’est simultanément, quand cette chair a été conçue, qu’elle reçoit conception et animation.

3. Dans le mystère de l’Incarnation on n’envisage pas une montée, comme si une réalité préexistante se haussait jusqu’à la dignité de l’union, selon la position de l’hérétique Photin. On doit plutôt considérer l’Incarnation comme une descente, en tant que le Verbe de Dieu a assumé l’imperfection de notre nature, selon sa parole en S. Jean (6, 38. 51) : " je suis descendu du ciel. "

 

            Article 4 — La conception du Christ a-t-elle été naturelle ou surnaturelle ?

Objections :

1. Le Christ est appelé fils de l’homme selon la conception de sa chair. Or il est véritablement et par nature fils de l’homme comme il est véritablement et par nature le Fils de Dieu. Donc sa conception fut naturelle.

2. Aucune créature ne réalise une action miraculeuse. Mais la conception du Christ est attribuée à la Bienheureuse Vierge, qui n’est qu’une créature ; car on dit que la Vierge a conçu le Christ. Il apparaît donc que cette conception n’a pas été miraculeuse mais naturelle.

3. Pour qu’une transformation soit naturelle il suffit que son principe passif soit naturel, comme on l’a vu plus haut. Mais le principe passif dans la conception du Christ a été naturel du côté de sa mère, on le voit par ce qui a été dit. Donc la conception du Christ fut naturelle.

En sens contraire, Denys écrit : " Le Christ faisait les actions de l’homme d’une manière surhumaine, et c’est ce que montre la Vierge qui conçoit surnaturellement. "

Réponse :

Selon S. Ambroise," tu rencontreras dans ce mystère beaucoup de choses conformes à la nature, et beaucoup supérieures à la nature ". En effet, si nous considérons la conception du côté de la matière fournie par la mère, tout est naturel. Mais si nous la considérons du côté de son principe actif, tout est miraculeux. Or, le jugement que l’on porte sur un être quelconque doit tenir compte de sa forme plus que de sa matière, et de l’agent plus que du patient. Il s’ensuit que la conception du Christ doit être dite absolument miraculeuse et surnaturelle, bien qu’elle soit naturelle à certains égards.

Solutions :

1. Le Christ est dit fils de l’homme au sens naturel en tant qu’il a une nature humaine véritable, par laquelle il est fils d’homme, bien qu’il l’ait reçue miraculeusement. C’est ainsi qu’un aveugle recouvrant la vue a bien une vision naturelle par la puissance visuelle qu’il a reçue d’un miracle.

2. La conception est attribuée à la Bienheureuse Vierge non parce qu’elle en serait le principe actif, mais parce qu’elle a fourni la matière de la conception et que celle-ci s’est accomplie dans son sein.

3. Un principe passif naturel suffit pour une transformation naturelle quand il est mû lui-même d’une manière naturelle et ordinaire par un principe qui lui est propre. Mais cela n’a pas lieu dans le cas envisagé. C’est pourquoi la conception du Christ ne peut pas être appelée purement naturelle.

 

 

QUESTION 34 — LA PERFECTION DU CHRIST DÈS SA CONCEPTION

1. Au premier instant de sa conception, le Christ a-t-il été sanctifié par la grâce ? - 2. A-t-il eu alors l’usage de son libre arbitre ? - 3. A-t-il pu alors mériter ? - 4. A-t-il alors pleinement joui de la vision béatifique ?

 

            Article 1 — Au premier instant de sa conception, le Christ a-t-il été sanctifié par la grâce ?

Objections :

1. Il est écrit (1 Co 15, 16) : " Ce qui vient en premier n’est pas le spirituel. " Or la sanctification de la grâce appartient au spirituel. Ce n’est donc pas aussitôt, dès le premier instant de sa conception, que le Christ a reçu la grâce de la sanctification, mais après un certain délai.

2. La sanctification implique l’éloignement du péché, selon S. Paul (1 Co 6, 11) : " Et cela ", c’est-à-dire pécheurs, " vous l’avez été jadis. Mais vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés ". Mais chez le Christ il n’y a jamais eu de péché. Il ne lui convient donc pas d’être sanctifié par la grâce.

3. De même que tout a été fait par le Verbe de Dieu, ainsi, par le Verbe incarné ont été sanctifiés tous les hommes qui le sont, selon l’épître aux Hébreux (2, 11) : " Le sanctificateur et les sanctifiés ont tous même origine. " Mais, selon S. Augustin a " le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, n’a pas été fait ". Donc le Christ, par qui tous sont sanctifiés, n’a pas été sanctifié lui-même.

En sens contraire, il est écrit en S. Luc (1, 35) : " L’être saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. " Et en S. Jean (10, 36) : " Celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, l’abondance de la grâce qui sanctifie l’âme du Christ dérive de son union au Verbe, selon cette parole en S. Jean (1, 14) : " Nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique plein de grâce et de vérité. " Or nous venons de montrer que le corps du Christ a été animé et assumé dès le premier instant de sa conception par le Verbe de Dieu. Il s’ensuit qu’au premier instant de sa conception, le Christ a eu la plénitude de la grâce qui sanctifiait son âme et son corps.

Solutions :

1. L’ordre présenté dans ce texte par S. Paul concerne ceux qui progressent vers un état spirituel. Or dans le mystère de l’Incarnation on envisage la descente de la plénitude divine dans la nature humaine plutôt que la progression jusqu’à Dieu d’une nature humaine préexistante. Et c’est pourquoi l’état spirituel de l’homme Christ fut parfait dès le principe.

2. La sanctification consiste en ce que quelque chose devient saint. Or on devient quelque chose non seulement à partir d’un état contraire, mais aussi à partir d’un terme opposé seulement par négation ou privation ; ainsi devient-on blanc à partir du noir, mais aussi à partir du non-blanc. Nous, de pécheurs que nous étions, devenons saints, et c’est ainsi que notre sanctification part du péché. Mais le Christ en tant qu’homme est devenu saint parce qu’il n’a pas toujours eu cette sainteté de la grâce ; cependant il n’est pas devenu saint après avoir été pécheur parce qu’il n’a jamais eu de péché ; mais en tant qu’homme il est devenu saint, de non saint qu’il était ; mais ce n’est pas à entendre à partir d’une privation : c’est-à-dire qu’à un moment il aurait été homme sans être saint ; mais d’une négation : c’est-à-dire que lorsqu’il n’était pas homme, il n’avait pas de sainteté humaine. Et c’est pourquoi il est devenu à la fois homme et homme saint. Ce qui fait dire à l’ange (Lc 1, 35) : " L’être saint qui naîtra de toi. " Parole que S. Grégoire explique ainsi : " Pour distinguer de la nôtre la sainteté de Jésus, on dit qu’il naîtra saint. Nous, nous devenons saints, nous ne naissons pas saints parce que nous sommes captifs par la condition de notre nature corruptible. Lui seul est vraiment saint de naissance, lui qui n’a pas été conçu dans une union charnelle. "

3. Le Père ne réalise pas la création du monde par son Fils de la même manière dont toute la Trinité opère la sanctification des hommes par le Christ homme. Car le Verbe de Dieu a la même vertu et la même opération que Dieu le Père ; aussi le Père n’agit-il pas par le Fils comme par un instrument qui meut en étant mû, nous l’avons dit plus haut. Tandis que l’humanité du Christ est à la fois sanctifiante et sanctifiée.

 

            Article 2 — Au premier instant de sa conception, le Christ a-t-il eu l’usage de son libre arbitre ?

Objections :

1. Un être doit exister avant d’agir. Or, user de son libre arbitre, c’est agir. L’âme du Christ ayant commencé d’exister au premier instant de sa conception ainsi qu’on l’a il paraît impossible qu’au premier instant de sa conception, il ait eu l’usage de son libre arbitre.

2. L’usage du libre arbitre consiste dans le choix. Or le choix doit être précédé par la délibération du conseil ; car, selon le Philosophe " le choix est un désir de ce dont on a délibéré ". Il semble donc impossible qu’au premier instant de sa conception, le Christ ait eu l’usage de son libre arbitre.

3. Le libre arbitre est une faculté de volonté et de raison, comme on l’a établi dans la première Partie ; ainsi son usage est un acte de volonté et de raison, c’est-à-dire d’intellect. Mais l’acte d’intellect présuppose un acte du sens, qui ne peut se produire sans une harmonie des organes qui ne semblent pas avoir existé au premier instant de la conception du Christ.

En sens contraire, voici une affirmation de S. Augustin : " Dès que le Verbe vint dans le sein de sa mère, il a vraiment gardé sa propre nature et il est devenu chair et homme parfait. " Or un homme parfait a l’usage de son libre arbitre. Donc le Christ, au premier instant de sa conception, a eu l’usage de son libre arbitre.

Réponse :

Nous l’avons dit à l’article précédent la nature humaine assumée par le Christ doit avoir la perfection spirituelle qu’elle n’a pas atteinte progressivement, mais qu’elle a possédée dès le début. Or la perfection ultime ne se trouve ni dans la puissance ni dans l’habitus, mais dans l’opération, aussi Aristote dit-il que celle-ci est l’acte second. C’est pourquoi il faut affirmer que le Christ, au premier instant de sa conception, eut cette opération de l’âme qui peut être instantanée. Telle est l’opération de la volonté et de l’intelligence en quoi consiste l’usage du libre arbitre. Car elle s’effectue soudainement et en un seul instant, avec plus de rapidité encore que la vision corporelle ; la raison en est que les actes de comprendre, de vouloir et de sentir ne sont pas des mouvements, c’est-à-dire " les actes d’un sujet imparfait " accomplis de façon successive, mais " les actes d’un sujet déjà parfait " selon Aristote. On en conclura donc que le Christ a eu l’usage du libre arbitre dès le premier instant de sa conception.

Solutions :

1. Un être a toujours une antériorité de nature par rapport à son activité, non une antériorité de temps, mais au moment même où l’agent possède son être parfait, il commence d’agir, à moins d’un obstacle. Ainsi le feu, en même temps qu’il est engendré, commence à chauffer et à éclairer ; mais tandis qu’il ne chauffe que progressivement, l’illumination est instantanée. Et l’usage du libre arbitre est une opération de ce genre, on vient de le dire.

2. Le choix peut coïncider avec le terme du conseil, ou délibération. Ceux qui ont besoin de délibérer font leur choix aussitôt que, leur conseil achevé, ils ont la certitude du choix à faire, et c’est pourquoi ils ne choisissent pas aussitôt. Cela montre que la délibération n’est requise avant le choix que pour examiner ce qui est incertain. Or le Christ, au premier instant de sa conception, comme il a eu la plénitude de la grâce sanctifiante, a eu de même la plénitude de la vérité comme il a eu celle de la grâce sanctifiante selon la parole de S. Jean : " plein de grâce et de vérité ". Aussi, ayant la certitude de toutes choses, il a pu faire son choix instantanément.

3. L’intellect du Christ, selon sa science infuse, pouvait comprendre même sans se tourner vers les images, nous l’avons montré plus haut. Aussi pouvait-il y avoir en lui activité de la volonté et de l’intellect sans activité sensible. Cependant il a pu y avoir en lui une première opération du sens également, au premier instant de sa conception, surtout pour le sens du toucher, sens par lequel l’enfant dans le sein de sa mère éprouve des sensations avant même d’avoir reçu une âme raisonnable, dit Aristote. Puisque le Christ, au premier instant de sa conception, a eu une âme raisonnable, parce que son corps était déjà formé et doté de ses organes, à beaucoup plus forte raison pouvait-il au même instant exercer son sens du toucher.

 

            Article 3 — Au premier instant de sa conception, le Christ a-t-il pu mériter ?

Objections :

1. Le libre arbitre a le même rapport à l’égard du mérite ou du démérite. Mais le démon, au premier instant de sa création, n’a pas pu pécher, ainsi qu’on l’a montré dans la première Partie. Donc l’âme du Christ non plus, au premier instant de sa création, qui fut le premier instant de la conception du Christ, n’a pas pu mériter.

2. Ce que l’homme possède au premier instant de sa conception semble lui être naturel parce que c’est à cela que se termine sa génération naturelle.

Mais nous ne méritons pas par les dons naturels, comme on l’a montré dans la deuxième Partie,. Il apparaît donc que l’usage du libre arbitre, que le Christ a possédé en tant qu’homme au premier instant de sa conception, n’a pas été méritoire.

3. Ce qu’on a mérité une seule fois, on l’a en quelque sorte acquis comme sien, et il semble ainsi qu’on ne peut plus le mériter, car personne ne mérite ce qui lui appartient. Donc, si le Christ avait mérité au premier instant de sa conception, il s’ensuivrait qu’il n’a rien mérité ensuite, ce qui est évidemment faux.

En sens contraire, S. Augustin affirme : " Le Christ n’a eu absolument rien, quant au mérite de l’âme, par où il puisse progresser. " Or il aurait pu progresser en mérite s’il n’avait pas mérité au premier instant de sa conception. Donc, au premier instant de sa conception, le Christ a mérité.

Réponse :

On l’a dit plus haut le Christ, au premier instant de sa conception, fut sanctifié par la grâce. Or il y a une double sanctification : celle des adultes, qui se sanctifient par leurs propres actes, et celle des enfants, qui sont sanctifiés non par leur propre acte de foi, mais selon la foi de leurs parents ou de l’Église. La première de ces sanctifications est plus parfaite que la seconde, de même que l’acte est plus parfait que l’habitus, et ce qui est par soi plus que ce qui est par un autre. Donc, puisque la sanctification du Christ a été absolument parfaite, parce qu’il était sanctifié ainsi pour sanctifier les autres, il s’ensuit que lui-même a été sanctifié selon le propre mouvement de son libre arbitre. Mouvement qui est méritoire. En conséquence, le Christ a mérité au premier instant de sa conception.

Solutions :

1. Non, le libre arbitre n’est pas dans le même rapport avec le bien et avec le mal ; car il se porte vers le bien par lui-même et selon sa nature, et vers le mal par déficience et hors de sa nature. Comme dit le Philosophe. " ce qui est contraire à la nature est postérieur à ce qui lui est conforme ; parce que ce qui est contraire à la nature est comme une brisure par rapport à ce qui lui est conforme ". Et c’est pourquoi le libre arbitre de la créature peut dès le premier instant de sa création se mouvoir vers le bien en méritant, et non vers le mal en péchant, du moins si la nature est intègre.

2. Ce que l’homme possède au principe de sa création, selon le cours commun de la nature, il est naturel. Cependant rien n’empêche qu’aussitôt créée une créature reçoive de Dieu quelque bienfait de la grâce. Et c’est de cette manière que l’âme du Christ, au principe de sa création a reçu la grâce qui lui permettrait de mériter. Pour cette raison l’on dit que cette grâce, selon une certaine ressemblance, a été naturelle à cet homme qu’était le Christ, selon S. Augustin.

3. Rien n’empêche de posséder une même réalité en vertu de causes différentes. C’est ainsi que le Christ a mérité la gloire de son immortalité dès le premier instant de sa conception, et il a pu la mériter encore par ses actions et ses souffrances postérieures. Non que cette gloire lui ait été due davantage, mais elle lui était due pour de plus nombreux motifs.

 

            Article 4 — Le Christ a-t-il pleinement joui de la vision béatifique au premier instant de sa conception ?

Objections :

1. Le mérite précède la récompense de même que la faute précède la peine. Or, on vient de le dire à l’article précédent, le Christ a mérité au premier instant de sa conception. Puisque l’état de compréhenseur est la récompense primordiale, il apparaît que le Christ n’en a pas joui dès le premier instant de sa conception.

2. Le Seigneur a dit (Lc 24, 26) : " Ne fallait-il pas que le Christ souffrît et entrât ainsi dans sa gloire ? " Mais la gloire appartient à l’état de compréhenseur. Donc le Christ n’a pas été dans cet état dès le premier instant de sa conception, 3. Ce qui ne convient ni à l’homme ni à l’ange apparaît comme le propre de Dieu et ainsi ne convient pas au Christ en tant qu’homme. Mais être toujours bienheureux ne convient ni à l’homme ni à l’ange ; car s’ils avaient été créés dans la béatitude, ils n’auraient pas péché par la suite. Donc le Christ en tant qu’homme n’a pas été dans la béatitude au premier instant de sa conception.

En sens contraire, il y a le Psaume (65, 5) qui dit : " Bienheureux, celui que tu as choisi et assumé. " Ce que la Glose a appliqué à la nature humaine du Christ, qui a été assumée par le Verbe de Dieu dans l’unité de sa personne. Mais c’est au premier instant de sa conception que la nature humaine a été assumée ainsi. Donc en ce même instant le Christ en tant qu’homme a été bienheureux, c’est-à-dire compréhenseur.

Réponse :

Comme le montraient les considérations précédentes’, il ne convenait pas que le Christ, dans sa conception, reçoive la grâce à l’état habituel sans en exercer l’acte. Or il a reçu la grâce sans mesure, comme nous l’avons établi plus haut. Or la grâce du voyageur, puisqu’elle n’égale pas celle du compréhenseur, a une mesure moindre. Il est donc évident que le Christ, au premier instant de sa conception, a reçu non seulement autant de grâce que les compréhenseurs, mais même une grâce supérieure à celle de tous les bienheureux. Et puisque cette grâce n’a pas existé sans s’exercer en acte, il s’ensuit qu’il a eu en acte la vision bienheureuse : il a vu Dieu dans son essence plus clairement que n’ont pu le faire les autres créatures.

Solutions :

1. Nous l’avons dit précédemment le Christ n’a pas mérité la gloire de son âme, selon laquelle il est appelé compréhenseur, mais la gloire de son corps, à laquelle il est parvenu par sa passion.

2. Cela répond aussi à la deuxième objection.

3. Il faut dire que le Christ, du fait qu’il fut Dieu et homme, a eu dans son humanité même cette supériorité sur toutes les autres créatures : d’avoir été bienheureux dès le début de sa conception.

Après avoir étudié la conception du Christ il faut traiter de sa naissance : I. Sa naissance elle-même (Q. 35) II. La manifestation du Christ à sa naissance (Q. 36).

 

 

QUESTION 35 — LA NAISSANCE DU CHRIST

1. La naissance appartient-elle à la nature ou à la personne ? - 2. Faut-il attribuer au Christ une autre naissance que sa naissance éternelle ? - 3. La Bienheureuse Vierge est-elle la mère du Christ selon sa naissance temporelle ? - 4. Doit-elle être appelée Mère de Dieu ? - 5. Le Christ est-il Fils de Dieu le Père et de la Vierge-Mère selon deux filiations ? - 6. Le mode de sa naissance. - 7. Le lieu de sa naissance. - 8. L’époque de sa naissance.

 

            Article 1 — La naissance appartient-elle à la nature ou à la personne ?

Objections :

1. S. Augustin écrit : " La nature éternelle et divine ne peut être conçue et naître de la nature humaine que selon la réalité de cette nature. " Donc, s’il convient à la nature divine d’être conçue et de naître en raison de la nature humaine, cela convient bien davantage à la nature humaine elle-même.

2. Selon Aristote, "nature" dérive de "naître". Or ces dérivations de mots correspondent à des ressemblances entre les réalités. Il semble donc que la naissance se rattache à la nature plus qu’à la personne.

3. On ne parle de "naître" au sens propre, que pour ce qui commence d’exister par la naissance. Or ce qui commence d’exister par la naissance du Christ, ce n’est pas sa personne, c’est sa nature humaine. La naissance convient donc en propre à la nature, non à la personne.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit : "La naissance regarde l’hypostase, non la nature."

Réponse :

On peut attribuer la naissance à un être de deux façons : comme à un sujet, ou comme à un terme. Comme à un sujet, on l’attribue à ce qui naît. Or l’être qui naît, c’est proprement l’hypostase, non la nature. En effet, puisque naître, c’est être engendré, le but de la naissance est le même que celui de la génération : qu’un être existe. Or l’existence n’appartient proprement qu’à l’être subsistant ; à la forme non subsistante on attribue l’existence pour autant seulement que par elle un être existe. D’autre part, la personne ou hypostase possède tous les caractères de l’être subsistant, tandis que la nature se définit à la manière d’une forme en laquelle un être subsiste. Donc, si l’on veut désigner le véritable sujet de la naissance, il faudra attribuer celle-ci à la personne ou hypostase, non à la nature.

En revanche, si l’on pense au terme de la naissance, on attribuera celle-ci à la nature. Car le terme de la génération et de n’importe quelle naissance, c’est la forme. Or, la nature se définit à la manière d’une forme. Aussi la naissance est-elle définie par Aristote, "une voie qui mène à la nature" - l’intention de la nature, en effet, vise la forme ou la nature de l’espèce.

Solutions :

1. En Dieu l’identité entre la nature et l’hypostase fait que parfois on parle de nature au sens de personne. C’est la raison pour laquelle le texte allégué dit que la nature a été conçue et est née : il faut l’entendre en ce sens que la personne du Fils a été conçue et est née selon la nature humaine.

2. Quant aux dérivations de mots, on remarquera que tout mouvement ou changement ne tire pas son nom du sujet soumis au mouvement, mais du terme auquel il aboutit et qui lui donne son espèce. Voilà pourquoi la "naissance" ne reçoit pas son nom de la personne qui naît, mais de la "nature" à laquelle aboutit la naissance.

3. En rigueur de termes, ce n’est pas la nature qui commence d’exister, c’est plutôt la personne qui commence d’exister dans une nature. Car, on vient de le voir, la nature est ce par quoi un être existe, tandis que la personne est ce qui possède l’être subsistant.

 

            Article 2 — Faut-il attribuer au Christ une autre naissance que sa naissance éternelle ?

Objections :

1. " La naissance est comme le mouvement d’une réalité qui n’existait pas avant de naître et à laquelle le bienfait de la naissance donne d’exister. " Or le Christ a existé de toute éternité. Il n’a donc pas pu naître temporellement.

2. Ce qui est parfait en soi n’a bas besoin de naissance. Or la personne du Christ a été parfaite de toute éternité. Elle n’a donc pas eu besoin de naissance temporelle.

3. La naissance convient en propre à la personne. Mais dans le Christ il n’y a qu’une seule personne. Donc il n’y a en lui qu’une seule naissance.

4. S’il y avait eu deux naissances, le Christ serait né deux fois. Or cela est faux, car la naissance par laquelle il est né du Père ne souffre pas d’interruption, étant éternelle. Pour parler de " deux fois ", il faudrait pourtant qu’il y ait eu interruption ; car on ne dit de quelqu’un qu’il a couru deux fois que s’il a interrompu sa course. Il semble donc que l’on ne doit pas poser dans le Christ une double naissance.

En sens contraire, avec S. Jean Damascène " nous confessons deux naissances du Christ ; l’une éternelle qui est du Père ; et l’autre qui a lieu dans les derniers temps, pour nous ".

Réponse :

Comme nous l’avons dit à l’article précédent, la nature a le même rapport avec la naissance que le terme avec le mouvement ou changement. Or des termes divers appellent des mouvements divers, dit Aristote. Et dans le Christ il y a deux natures : l’une qu’il a reçue du Père, de toute éternité ; l’autre qu’il a reçue de sa mère, dans le temps. Il est donc nécessaire d’attribuer au Christ deux naissances : l’une par laquelle il est né éternellement du Père ; l’autre par laquelle il est né de sa mère dans le temps.

Solutions :

1. Cette objection a été soulevée par un hérétique appelé Félicien, et S. Augustin l’a résolue ainsi : " Imaginons, comme plusieurs le veulent, qu’il y a dans le monde une âme commune qui, par un mouvement inexplicable, vivifie tous les germes, de telle manière qu’elle ne soit pas produite avec ce qui est engendré, mais qu’elle donne elle-même la vie à ce qu’elle engendre. Cette âme commune, quand elle sera parvenue dans le sein où elle doit former à son usage une matière passible, composera une seule personne avec cette réalité, qui n’a pourtant pas la même substance qu’elle ; de l’union de ces deux substances : l’âme commune qui agit et la matière qui subit son action, résultera un seul homme. Et ainsi nous dirons que l’âme naît de sa mère, non pas toutefois, qu’avant de naître, en ce qui la concerne, elle n’ait pas existé du tout. De même donc, et d’une manière bien plus sublime, le Fils de Dieu est né de sa mère en tant qu’homme, dans les mêmes conditions qu’un esprit naît avec un corps ; ni l’esprit ni le corps ne sont de même substance, mais de l’un et l’autre résulte une seule personne. Toutefois, nous ne disons pas que le Fils de Dieu a commencé d’exister à partir de ce moment, pour qu’on ne croie pas que la divinité est dans le temps. Nous ne reconnaissons pas non plus que la chair du Fils de Dieu a existé de toute éternité, pour qu’on ne pense pas que le Fils de Dieu n’avait pas pris un corps humain réel, mais seulement une image de ce corps. "

2. Cette objection, c’est l’argument de Nestorius. S. Cyrille y répond de la façon suivante : " Nous ne disons pas que le Fils de Dieu ait eu besoin nécessairement pour lui-même d’une seconde naissance après celle qui vient du Père ; c’est faire preuve de sottise et d’ignorance de soutenir que le Fils, antérieur à tous les siècles et coéternel au Père, a eu besoin d’un commencement pour exister une seconde fois. On dit qu’il est né selon la chair parce que, pour nous et pour notre salut, en unissant à lui, de façon permanente, ce qui est humain, il a procédé de la femme. "

3. La naissance appartient à la personne comme à son sujet, à la nature comme à son terme. Or un même sujet peut être soumis à plusieurs changements, et ces changements varient nécessairement selon leurs termes. Néanmoins, nous parlons ainsi, non parce que la naissance éternelle serait un changement ou un mouvement, mais parce qu’on la présente à la manière d’un changement ou d’un mouvement.

4. On peut dire que le Christ est né deux fois, en raison de ses deux naissances. Comme le coureur qui court à deux moments différents est dit courir deux fois, de même peut-on dire que naître une fois dans l’éternité, et une fois dans le temps, qui désignent tous deux une mesure de durée, diffèrent entre eux beaucoup plus que deux moments du temps.

 

            Article 3 — La Bienheureuse Vierge est-elle la mère du Christ selon sa naissance temporelle ?

Objections :

1. On l’a dit plus haut la Bienheureuse Vierge Marie n’a rien opéré dans la génération du Christ par mode de principe actif, elle a seulement fourni la matière. Mais cela ne semble pas suffire pour qu’elle soit considérée comme mère, autrement le bois serait appelé la mère du lit ou du banc. Il apparaît donc que la Bienheureuse Vierge ne peut être appelée la mère du Christ.

2. Le Christ est né miraculeusement de la Bienheureuse Vierge. Mais la génération miraculeuse ne suffit pas à fonder la raison de maternité ou de filiation, car nous ne disons pas qu’Ève est la fille d’Adam. Il semble donc que le Christ ne doit pas non plus être appelé le fils de la Bienheureuse Vierge.

3. Il revient à la mère d’émettre sa semence. Mais, dit S. Jean Damascène : " Le corps du Christ n’a pas été formé par voie séminale, mais par l’action créatrice de l’Esprit Saint. " Il semble donc que la Bienheureuse Vierge ne doit pas être appelée la mère du Christ.

En sens contraire, il y a ce texte de S. Matthieu (1, 18) : " Telle fut la génération du Christ. Marie sa mère était fiancée à Joseph. "

Réponse :

La Bienheureuse Vierge est vraiment et au sens naturel la mère du Christ. On l’a dit déjà le corps du Christ n’a pas été apporté du ciel comme le prétendait l’hérétique Valentin, mais il a été pris de la Vierge mère, et formé de son sang le plus pur. Et cela seul est requis pour constituer la raison de mère, nous l’avons montré. Donc la Bienheureuse Vierge est vraiment la mère du Christ.

Solutions :

1. On sait déjà que la paternité, la maternité et la filiation ne se trouvent pas dans n’importe quelle génération, mais seulement dans la génération des vivants. Lorsque des êtres inanimés proviennent d’une matière, il n’en découle pas pour autant une relation de maternité et de filiation, mais seulement dans la génération des vivants, qui est appelée à proprement parler une naissance.

2. Selon S. Jean Damascène, la naissance temporelle, par laquelle le Christ naquit pour notre salut, est d’une certaine façon " conforme à la nôtre, puisqu’il est né homme, d’une femme, et au temps requis après la conception ; mais elle dépasse la nôtre parce qu’il n’est pas né d’une semence, mais du Saint-Esprit et de la Sainte Vierge, par-dessus la loi de la conception ". Ainsi, du côté de la mère, cette naissance a été naturelle, mais du côté de l’opération du Saint-Esprit, elle a été miraculeuse. La Bienheureuse Vierge est donc vraiment, et au sens naturel, mère du Christ.

3. La semence de la femme n’est pas nécessaire à la conception, vous l’avons vu. Elle n’est donc pas requise à la maternité.

 

            Article 4 — La Bienheureuse Vierge doit-elle être appelée Mère de Dieu ?

Objections :

1. Au sujet des mystères divins, il ne faut dire que ce qu’on trouve dans la Sainte Écriture. Or celle-ci ne dit jamais que la Bienheureuse Vierge soit la mère ou la génératrice de Dieu, mais qu’elle est " la mère du Christ (Mt 1, 8), ou la mère de l’enfant " (Mt 2, 11. 19).

2. Le Christ est appelé Dieu selon sa nature divine. Mais celle-ci n’a pas commencé d’exister par la Vierge. Donc on ne doit pas appeler mère de Dieu la Bienheureuse Vierge.

3. Ce nom de Dieu est attribué à la fois au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Donc, si la Bienheureuse Vierge est la mère de Dieu, il s’ensuivrait qu’elle est la mère du Père et du Saint-Esprit, ce qui est absurde.

En sens contraire, on lit dans les chapitres de S. Cyrille approuvés par le Concile d’Éphèse : " Si quelqu’un ne confesse pas que l’Emmanuel est vraiment Dieu, et que, par suite, la Sainte Vierge est mère de Dieu, puisqu’elle a engendré selon la chair, la chair qui est devenue celle du Dieu Verbe, qu’il soit anathème. "

Réponse :

On l’a dit ailleurs. tout nom qui désigne une nature au concret peut représenter l’hypostase ou personne qui possède cette nature. Or, ainsi qu’on l’a montré, l’union de l’Incarnation s’étant faite dans la personne, il est clair que ce nom : " Dieu " peut représenter une personne ayant la nature humaine et la nature divine. C’est pourquoi tout ce qui convient à la nature divine et à la nature humaine peut être attribué à cette personne, qu’il s’agisse de noms désignant la nature divine, ou se rapportant à la nature humaine. Or, on dit d’une personne ou hypostase qu’elle est conçue et qu’elle naît, en raison de la nature où se produisent la conception et la naissance. Étant donné que dès le début de sa conception la nature humaine a été assumée par la personne divine, comme nous l’avons dit plus haut, il s’ensuit que l’on peut dire en toute vérité que Dieu a été conçu et est né de la Vierge. Or, on donne à une femme le titre de mère de tel enfant parce qu’elle l’a conçu et engendré. Aussi est-il logique que la Bienheureuse Vierge soit appelée en toute vérité mère de Dieu.

On ne pouvait nier, en effet, que la Bienheureuse Vierge est mère de Dieu que dans deux hypothèses. Ou bien parce que l’humanité aurait été le sujet de la conception et de la naissance, avant que cet homme ait été Fils de Dieu : c’est la position de Photin. Ou bien parce que l’humanité n’aurait pas été assumée dans l’unité de la personne ou hypostase du Verbe de Dieu : c’est la position de Nestorius. Mais l’une et l’autre position est erronée. Il est donc hérétique de nier que la Bienheureuse Vierge est la mère de Dieu.

Solutions :

1. C’est l’objection de Nestorius. Voici comment on peut la résoudre ; Quoiqu’on ne trouve pas expressément dans l’Écriture que la Vierge soit la mère de Dieu, on y trouve pourtant explicitement que Jésus Christ est " le Dieu véritable " (1 Jn 5, 20) et que la Bienheureuse Vierge est " mère de Jésus Christ " (Mt 1, 18). Il résulte donc nécessairement des paroles de l’Écriture que la Vierge est mère de Dieu.

En outre, il est écrit (Rm 9, 5) : " C’est des Juifs qu’est issu le Christ selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement ! " Or, il n’est issu des juifs que par l’intermédiaire de la Bienheureuse Vierge. Par conséquent, celui qui " est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement " est véritablement né de la Bienheureuse Vierge et l’a eue pour mère.

2. C’est là encore une objection de Nestorius. Mais S. Cyrille la résout ainsi : " L’âme humaine naît avec son propre corps et est considérée comme ne faisant qu’un avec lui ; donc, si quelqu’un veut dire que la Vierge a engendré la chair sans avoir engendré l’âme, il parle pour ne rien dire. Nous percevons quelque chose d’analogue dans la génération du Christ ; car le Verbe de Dieu est né de la substance de Dieu le Père ; mais parce qu’il a assumé la chair, il est nécessaire de confesser qu’il est né d’une femme selon la chair. " Il faut donc affirmer que la Bienheureuse Vierge est appelée " mère de Dieu ", non pas qu’elle soit la mère de la divinité, mais parce qu’elle est la mère, selon l’humanité, de la personne qui possède la divinité et l’humanité.

3. Ce nom de Dieu a beau être attribué à la fois au Père, au Fils et au Saint-Esprit, tantôt il représente la seule personne du Père, tantôt la seule personne du Fils, ou celle du Saint-Esprit, comme nous l’avons montré ailleurs". Ainsi, lorsqu’on dit : " La Bienheureuse Vierge est mère de Dieu ", le nom " Dieu " représente uniquement la personne du Fils incarné.

 

            Article 5 — Le Christ est-il Fils de Dieu le Père et de la Vierge-Mère selon deux filiations ?

Objections :

1. La naissance est cause de filiation. Mais dans le Christ il y a deux naissances. Il y a donc aussi deux filiations.

2. La filiation, qui est la relation du fils à son père ou à sa mère, dépend en quelque manière de ce fils, parce que l’être de la relation est de se trouver en rapport avec autre chose ; si l’un des termes disparaît, l’autre disparaît aussi. Or la filiation éternelle du Christ, en vertu de laquelle il est Fils de Dieu le Père, ne dépend pas de sa mère, puisque rien d’éternel ne dépend d’un être temporel. Le Christ n’est donc pas Fils de sa mère par une filiation éternelle. Ou bien donc le Christ n’est d’aucune manière son fils, à l’encontre de ce qu’on vient d’établir, ou bien il est son fils par une filiation temporelle. Il y a donc dans le Christ deux filiations.

3. Dans la définition d’un terme relatif figure toujours l’autre, ce qui montre que chacun d’eux est spécifié par l’autre. Mais un seul et même être ne peut exister dans des espèces diverses. Il paraît donc impossible qu’une seule et même relation ait pour termes des extrêmes totalement divers. Or le Christ est le Fils du Père éternel et d’une mère temporelle ; ce sont là des termes totalement divers. Il apparaît donc que le Fils ne peut être le Fils du Père et de sa mère par la même relation. Il y a donc dans le Christ deux filiations.

En sens contraire, d’après S. Jean Damascène, on peut multiplier dans le Christ tout ce qui convient à la nature, mais non ce qui relève de sa personne. Or, la filiation appartient au premier chef à la personne, car c’est une propriété personnelle, comme on a pu le voir dans la première partie. Il n’y a donc dans le Christ qu’une seule filiation.

Réponse :

À ce sujet on a émis des opinions diverses. Certains, attentifs à la cause de la filiation, qui est la naissance, mettent dans le Christ deux filiations comme deux naissances. D’autres, attentifs au sujet de la filiation qui est la personne ou hypostase, mettent dans le Christ une seule filiation comme il n’y a qu’une seule hypostase ou personne.

En effet, l’unité ou la pluralité de la relation ne tient pas aux termes, mais à la cause ou au sujet. Car si elle tenait aux termes, il faudrait que tout homme ait en lui deux filiations. l’une se rapportant à son père, et l’autre à sa mère. Mais, à bien considérer, il apparaît que chacun est en rapport avec son père et sa mère par la même relation, à cause de l’unité de la cause. En effet, par une même naissance on naît de son père et de sa mère, si bien qu’on se rattache à tous deux par la même relation. Et il en est de même pour le maître qui dispense le même enseignement à de nombreux élèves, comme pour le seigneur qui gouverne divers sujets par le même pouvoir.

Au contraire, lorsque les causes diffèrent spécifiquement, les relations qu’elles produisent diffèrent aussi spécifiquement. Alors rien n’empêche que plusieurs relations de cette nature se trouvent dans le même sujet. C’est ainsi que le maître qui enseigne aux uns la grammaire, et à d’autres la logique, n’exerce pas le même magistère. Les relations d’un seul et même maître seront donc différentes avec des élèves différents, ou avec les mêmes, auxquels il donne des enseignements différents.

Il arrive parfois que l’on soit en relation avec plusieurs personnes pour des causes diverses, mais de même espèce ; on peut par exemple être père de divers fils en vertu d’actes divers de génération. En ce cas la paternité ne peut différer spécifiquement puisque les actes de générations sont de même espèce. Et parce que plusieurs formes de même espèce ne peuvent exister simultanément dans un même sujet, il est impossible qu’il y ait plusieurs paternités en celui qui a engendré plusieurs fils. Mais il en serait autrement si l’on était père de l’un par génération naturelle, et de l’autre par adoption.

Or, il est évident que ce n’est pas par une seule et même naissance que le Christ est né de son Père dans l’éternité, et de sa mère dans le temps. Ces naissances ne sont pas les mêmes spécifiquement. En se plaçant à ce point de vue, il faudrait donc dire qu’il y a dans le Christ des filiations diverses, l’une temporelle, l’autre éternelle. Mais, parce que le sujet de la filiation n’est pas la nature ou une partie de la nature, mais seulement la personne ou hypostase ; et parce qu’il n’y a dans le Christ pas d’autre hypostase ou personne que la personne éternelle, il ne peut y avoir en lui qu’une seule filiation : celle qui est dans sa personne éternelle. Toute relation que l’on applique à Dieu en fonction du temps ne pose rien de réel en Dieu. lui-même qui est éternel, mais seulement un être de raison, comme on l’a montré dans la première Partie. Voilà pourquoi la filiation qui met le Christ en rapport avec sa mère ne peut pas être une relation réelle, mais seulement une relation de raison.

Les deux opinions exposées plus haut ont donc chacune une part de vérité. Car, si l’on envisage les raisons parfaites de filiation, on dira qu’il y a deux filiations, puisqu’il y a deux naissances. Mais si l’on considère le sujet de la filiation, qui ne peut être que le suppôt éternel, il ne peut y avoir dans le Christ, comme relation réelle, que la filiation éternelle.

Toutefois, on donne au Christ le nom de fils relativement à sa mère, en vertu d’une relation que l’on conçoit simultanément avec celle qui unit sa mère à lui. Il en va de même pour Dieu, que l’on appelle Seigneur en vertu de la relation que l’on conçoit simultanément avec la relation réelle par laquelle la créature est soumise à Dieu. En Dieu, cette relation de domination n’est pas réelle, et pourtant Dieu est vraiment Seigneur, en vertu de la soumission réelle de la créature envers lui. Pareillement, le Christ est appelé réellement fils de la Vierge sa mère, en raison de la relation réelle de maternité entre elle et le Christ.

Solutions :

1. La naissance temporelle causerait dans le Christ une filiation temporelle réelle, s’il y avait là un sujet capable de recevoir cette relation. Mais cela est impossible ; car le suppôt éternel ne peut lui-même recevoir une relation temporelle, on vient de le voir.

On ne peut pas dire non plus que le Christ reçoit une filiation temporelle en raison de la nature humaine, de même qu’il est sujet à une naissance temporelle ; car il faudrait que la nature humaine soit d’une certaine manière sujette à la filiation, comme elle est, d’une certaine manière sujette à la naissance ; lorsque l’on dit du nègre qu’il est blanc en raison de ses dents, il faut que ses dents soient le sujet de la blancheur. Or, la nature humaine ne peut d’aucune manière être le sujet de la filiation, car cette relation regarde directement la personne.

2. La filiation éternelle ne dépend pas d’une mère temporelle ; mais avec cette filiation éternelle on conçoit un rapport temporel qui dépend de cette mère, et qui suffit pour affirmer du Christ qu’il est fils de sa mère.

3. Comme dit Aristote, " l’un et l’être s’engendrent réciproquement ". Aussi parfois, dans l’un des deux extrêmes en relation, la relation est un être réel, alors qu’elle n’est dans l’autre extrême qu’un être de raison ; c’est le cas de la science et de son objet, ainsi que le dit encore Aristote. Parfois aussi, dans l’un des deux extrêmes en relation, il n’y a qu’une seule relation, alors que du côté de l’autre on en compte un grand nombre. C’est ainsi que chez les parents on trouve une double relation : l’une de paternité, l’autre de maternité ; ces deux relations sont différentes spécifiquement, car c’est pour des raisons différentes que le père et la mère sont principes de génération. (En revanche, si c’était sous le même aspect que plusieurs individus seraient principes d’une seule action, par exemple du halage d’un bateau, il n’y aurait chez tous qu’une seule et même relation. ) Du côté de l’enfant, il n’existe qu’une seule relation selon la réalité ; mais cette filiation est conçue comme double par la raison, en tant qu’elle correspond aux deux relations que l’on constate chez les parents, selon deux points de vue de l’esprit. Pareillement donc, d’une certaine manière, il n’y a dans le Christ qu’une seule filiation réelle, celle qui regarde le Père éternel ; et cependant on y conçoit aussi un autre point de vue, temporel, celui qui regarde la mère temporelle.

 

            Article 6 — Le mode de naissance du Christ

Objections :

1. La mort des hommes dérive du péché des premiers parents (Gn 2, 17) : " Le jour où vous en mangerez, vous mourrez certainement. " De même aussi les douleurs de l’enfantement (Gn 3, 16) : " Tu enfanteras tes fils dans la douleur. " Mais le Christ a voulu subir la mort. Il semble au même titre que son enfantement a dû s’accompagner de douleurs.

2. La fin est proportionnelle au principe. Or, la vie du Christ s’est achevée dans la douleur (Is 53, 4) : " Il a vraiment porté nos douleurs. " Il apparent donc que même dans sa naissance il devait y avoir les douleurs de l’enfantement.

3. Dans le Protévangile de Jacques on voit des sages-femmes accourir à la naissance du Christ, qui semblent avoir été nécessaires à cause des douleurs de l’enfantement. Il semble donc que la Bienheureuse Vierge a enfanté dans la douleur.

En sens contraire, dans un sermon qu’on lui attribue, S. Augustin s’adresse ainsi à la Vierge Marie : " Tu n’as connu ni flétrissure en concevant, ni douleur en enfantant. "

Réponse :

Les douleurs de l’enfantement sont causées par la distension des organes à travers lesquels l’enfant sort du sein de la mère. Or, nous avons dit précédemment que le Christ est sorti du sein de sa mère resté fermé, ce qui n’a imposé aucune violence aux organes. C’est pourquoi cet enfantement n’a comporté aucune douleur, ni aucune lésion physique. Au contraire, il y a eu là une très grande joie, du fait que l’homme Dieu est né dans le monde, selon la parole d’Isaïe (75, 1) : " La terre fleurira comme le lis, elle exultera dans la joie et la louange. "

Solutions :

1. Les douleurs de l’enfantement sont chez la femme une conséquence de son union charnelle avec l’homme. C’est ce que suggère la Genèse quand, après avoir dit (3, 16) " Tu enfanteras dans la douleur ", elle ajoute " Et l’homme te dominera. " Mais comme le remarque un sermon attribué à S. Augustin, sur l’Assomption de la Vierge mère de Dieu a été exceptée de cette sentence : " Ayant reçu le Christ sans la souillure du péché et sans l’abaissement d’un commerce charnel avec l’homme, elle a engendré sans douleur, et sans atteinte à son intégrité, et elle est demeurée dans une parfaite virginité. ,Et si le Christ a subi la mort, c’est volontairement, afin de satisfaire pour nous ; il n’y fut point comme forcé par cette sentence, car lui-même n’était pas astreint à la mort.

2. De même que le Christ en mourant a détruit notre mort, ainsi, par sa douleur, nous a-t-il délivrés de nos douleurs ; c’est pourquoi il a voulu mourir dans la souffrance. Mais les douleurs de l’enfantement qu’aurait subies sa mère ne concernaient pas le Christ qui venait satisfaire pour nos péchés. C’est pourquoi il n’a pas fallu que sa mère l’enfante dans la douleur.

3. D’après S. Luc (2, 7), la Bienheureuse Vierge elle-même " enveloppa de langes et posa dans une mangeoire " l’enfant qu’elle venait de mettre au monde : ce qui montre la fausseté du Protévangile de Jacques, livre apocryphe. Aussi S. Jérôme, écrit-il : " Il n’y eut là aucune sage-femme, aucune activité de commères, Marie fut à la fois la mère et la sage-femme. "Elle enveloppa son enfant de langes et le posa dans une mangeoire" : cette phrase condamne les extravagances des apocryphes. "

 

            Article 7 — Le lieu de la naissance du Christ

Objections :

1. Il est dit en Isaïe (2, 3) : " C’est de Sion que sortira la Loi, et la parole du Seigneur, de Jérusalem. " Mais le Christ est véritablement la Parole de Dieu. Il aurait donc dût venir au monde à Jérusalem.

2. Selon S. Matthieu (2, 23), il était écrit du Christ : " On l’appellera Nazaréen ", ce qui vient de la prophétie d’Isaïe (11, 1) : " Une fleur montera de sa tige ", Nazareth en effet veut dire " fleur ". Mais on tire son nom surtout de son lieu de naissance. Il semble donc qu’il aurait dû naître à Nazareth, où il avait été conçu et où il devait grandir.

3. Le Seigneur est venu en ce monde pour annoncer la foi en la Vérité, comme il le dit en S. Jean (18, 37) : " je suis né et je suis venu dans le monde afin de rendre témoignage à la vérité. " Mais cette mission lui aurait été facilitée s’il était né dans la ville de Rome, qui tenait alors le monde sous sa domination. C’est ce qui faisait dire à S. Paul écrivant aux Romains (1, 8) : " Votre foi est annoncée à tout l’univers. " On voit donc qu’il n’aurait pas dû naître à Bethléem.

En sens contraire, il est écrit dans Michée (5, 2) : " Et toi, Bethléem Éphrata, tu es toute petite parmi les chefs-lieux de Juda ; c’est de toi que sortira pour moi celui qui doit régner sur Israël. "

Réponse :

Le Christ a voulu naître à Bethléem pour deux motifs. Le premier, c’est que " il est né de la race de David selon la chair " (Rm 1, 3). C’est à David qu’avait été faite une promesse spéciale au sujet du Christ (2 S 23, 1) : " Oracle de l’homme haut placé, du Messie du Dieu de Jacob. " Et c’est pourquoi le Christ voulut naître à Bethléem, où David était né, afin de montrer par le lieu même de sa naissance l’accomplissement de la promesse qui lui avait été faite. C’est ce que souligne l’évangile disant (Lc 2, 4) : " Parce que Joseph était de la maison et de la famille de David. "

Deuxième motif pour naître à Bethléem. Comme dit S. Grégoire : " Bethléem se traduit : Maison du pain. Or le Christ est celui qui a dit : "je suis le pain vivant, qui suis descendu du ciel. " "

Solutions :

1. De même que David est né à Bethléem, c’est Jérusalem qu’il a choisie pour établir le siège de sa royauté et y construire le temple de Dieu ; c’est ainsi qu’il choisit Jérusalem pour qu’elle soit une cité à la fois royale et sacerdotale. Or le sacerdoce du Christ et sa royauté se sont consommés surtout dans sa passion. Ainsi convenait-il que le Christ ait choisi Bethléem comme lieu de sa naissance, et Jérusalem comme lieu de sa passion.

Par là, en outre, le Christ a confondu la vaine gloire des hommes qui s’enorgueillissent de naître dans des villes réputées et cherchent à y être honorés. A l’inverse, le Christ a voulu naître dans une cité sans gloire, et souffrir l’opprobre dans une cité illustre.

2. Le Christ voulut se signaler par sa vie vertueuse, et non par son origine charnelle. C’est pourquoi il voulut être élevé et formé dans la ville de Nazareth, tandis qu’il ne voulut naître à Bethléem que comme un hôte de passage. Selon S. Grégoire : " Par l’humanité qu’il avait assumée, il naissait comme à l’étranger, non selon sa puissance, mais selon sa nature. " Et, dit encore Bède, " il cherchait une place à l’hôtellerie pour nous préparer de nombreuses demeures dans la maison de son Père ".

3. Comme il est dit dans un sermon du Concile d’Éphèse : " Si le Christ avait choisi la grande cité de Rome, on aurait attribué la conversion du monde au prestige de ses concitoyens. S’il avait été le fils de l’Empereur, on aurait rattaché sa réussite à sa puissance. Mais afin de faire reconnaître que sa divinité avait transformé le monde, il choisit une mère très pauvre et une patrie plus pauvre encore. " Comme dit S. Paul (1 Co 1, 27) : " Dieu choisit ce qui est faible ici-bas pour confondre ce qui est fort. " C’est pourquoi, afin de montrer davantage son pouvoir, c’est de Rome même, capitale du monde, qu’il fit la capitale de son Église, en signe de victoire parfaite. De là devait se répandre la foi dans le monde entier, selon cet oracle d’Isaïe (26, 8) : " Il humiliera la cité altière. Elle sera foulée aux pieds par le pauvre ", c’est-à-dire le Christ, " par les pas des indigents ", c’est-à-dire des Apôtres Pierre et Paul.

 

            Article 8 — L’époque de la naissance du Christ

Objections :

1. Le Christ venait pour rendre aux siens la liberté. Or il est né au temps de l’esclavage, où le monde entier est recensé sur l’ordre d’Auguste, parce que soumis à l’impôt, selon S. Luc (2, 1).

2. Ce n’est pas aux païens qu’avait été promise la naissance du Christ, d’après S. Paul (Rm 9, 4) : " Les promesses appartiennent à Israël. " Mais le Christ est né à l’époque où dominait en Judée un roi étranger : " Jésus étant né au temps du roi Hérode " (Mt 2, 1).

3. Le temps de la présence du Christ dans le monde est comparé au jour parce qu’il est lui-même la lumière du monde ; ce qui lui fait dire (Jn 9, 4) : " Tant qu’il fait jour, il faut que j’accomplisse les œuvres de celui qui m’a envoyé " Mais en été les jours sont plus longs qu’en hiver. Donc, puisqu’il est né au cœur de l’hiver, le huit des calendes de janvier (25 décembre), il apparat que l’époque de sa naissance était mal choisie.

En sens contraire, il y a cette parole de S. Paul (Ga 4, 4) : " Lorsqu’est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, né sujet de la loi. "

Réponse :

Il y a cette différence entre le Christ et les autres hommes que ceux-ci naissent soumis à la nécessité du temps, et que le Christ, comme Seigneur et Créateur de tous les temps, a choisi la date où il naîtrait, ainsi que sa mère et le lieu de sa naissance. Et parce que ce qui vient de Dieu est parfaitement ordonné et harmonieusement disposé, il s’ensuit que le Christ naîtrait au moment le mieux choisi.

Solutions :

1. Oui, le Christ était venu pour nous ramener de l’état de servitude à l’état de liberté. Et c’est pourquoi, de même qu’il a adopté notre mortalité afin de nous ramener à la vie, de même, dit S. Bède " il a daigné s’incarner au moment où, dès sa naissance, il serait enregistré par le recensement de César et, pour notre libération, se soumettrait lui-même à la servitude. "

De plus, à cette époque où l’univers entier vivait sous un seul prince, une paix parfaite régnait sur le monde. Et c’est pourquoi il convenait que le Christ naisse à cette époque, lui qui est " notre paix, faisant de deux peuples un seul " (Ep 2,14). Aussi, S. Jérôme dit-il : " Déroulons l’histoire ancienne : nous y trouvons que la discorde a régné dans le monde entier jusqu’à la vingt-huitième année de César Auguste ; mais à la naissance du Seigneur, toutes les guerres cessèrent ", selon cette prédiction d’Isaïe (2, 4) : " Aucun peuple ne lèvera l’épée contre un autre. "

En outre, il convenait que sa naissance ait lieu au temps où un seul prince dominait le monde, puisque lui-même venait " rassembler les siens dans l’unité, afin qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau et un seul pasteur " (Jn 10, 16).

2. Le Christ a voulu naître au temps d’un roi étranger, pour accomplir la prophétie de Jacob disant (Gn 50, 10) : " Le sceptre ne s’éloignera pas de Juda, ni le chef ne s’éloignera de sa race, jusqu’à ce que vienne celui qui doit être envoyé. " S. Jean Chrysostome explique : " Tant que la nation juive fut régie par des rois juifs, même pécheurs, les prophètes lui furent envoyés pour lui porter remède. Mais, lorsque la loi de Dieu fut sous le pouvoir d’un roi inique, le Christ naquit ; car le mal souverain et implacable appelait un médecin d’autant plus habile. "

3. " Ce fut quand la lumière du jour commence à croître que le Christ a voulu naître m " pour montrer qu’il venait pour faire grandir les hommes dans la lumière divine, selon la prophétie (Lc 1, 79) : " Éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort. " De même encore, il a choisi pour naître les rigueurs de l’hiver afin de souffrir pour nous, dès ce moment, dans sa chair.

 

 

QUESTION 36 — LA MANIFESTATION DU CHRIST À LA NAISSANCE

1. La naissance du Christ devait-elle être manifestée à tous ? -2. Devait-elle être manifestée à quelques-uns ? - 3. A qui devait-elle être manifestée ? - 4. Devait-il se manifester lui-même, ou plutôt par d’autres ? - 5. Par quels autres moyens aurait-il dû se manifester ? - 6. L’ordre de ses manifestations. - 7. L’étoile par laquelle sa naissance fut manifestée. - 8. L’adoration des mages qui ont connu par l’étoile la naissance du Christ.

 

            Article 1 — La naissance du Christ devait-elle être manifestée à tous ?

Objections :

1. L’accomplissement doit correspondre à la promesse. Or un Psaume (50, 3) promet ainsi l’avènement du Christ : " Dieu viendra d’une façon manifeste. " Or il est venu par sa naissance charnelle. Il semble donc que cette naissance aurait dû être manifeste pour le monde entier.

2. Paul écrit (1 Tm 1, 15) : " Le Christ est venu en ce monde pour sauver les pécheurs. " Mais cela ne se réalise que dans la mesure où la grâce de Dieu se manifeste à eux selon l’épître à Tite (2, 11) : " La grâce du Sauveur notre Dieu s’est manifestée à tous les hommes, nous enseignant à renoncer à l’impiété et aux convoitises mondaines pour que nous vivions en ce monde avec tempérance, piété et justice. " Il apparaît donc que la naissance du Christ aurait dû être manifeste à tous.

3. Dieu est enclin par-dessus tout à faire miséricorde, selon le Psaume (145, 9) : " Ses miséricordes sont pour toutes ses œuvres. " Mais au second avènement, où la justice exercera son jugement, sa venue sera manifeste à tous selon S. Matthieu (25, 27) : " Comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. " Donc, à plus forte raison, le premier avènement, par lequel il est né charnellement dans le monde, doit être manifeste à tous.

En sens contraire, on lit dans Isaïe (45, 15) " Vraiment tu es un Dieu caché, Saint d’Israël, Sauveur. " Et on y lit encore (53, 3) : " Son visage était comme caché et méprisé. "

Réponse :

La naissance du Christ ne devait pas être manifestée communément à tous.

1° Parce que cela aurait empêché la rédemption des hommes, qui s’est réalisée par la croix du Christ, car, dit S. Paul (1 Co 2, 8), " s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire ".

2° Parce que cela aurait diminué le mérite de la foi, par laquelle il était venu justifier les hommes selon cette parole (Rm 3, 22) : " La justice de Dieu est par la foi en Jésus Christ. " Car si, à la naissance du Christ, des indices manifestes l’avaient révélé à tous, la foi aurait perdu sa raison d’être puisqu’elle est d’après l’épître aux Hébreux (11, 1) " la conviction des réalités qu’on ne voit pas ".

3° Parce que cela aurait jeté le doute sur la réalité de son humanité. Aussi S. Augustin écrit-il : " S’il était passé directement de la petite enfance à la jeunesse, s’il n’avait pris aucune nourriture, aucun sommeil, n’aurait-il pas donné des armes à l’erreur ? N’aurait-on pas cru qu’il n’avait en rien assumé l’homme véritable ? En produisant tout par miracle, n’aurait-il pas détruit l’œuvre de sa miséricorde ?

Solutions :

1. Ce Psaume s’entend de la venue du Christ pour le jugement, selon l’explication de ce passage par la Glose.

2. Il fallait bien que tous les hommes soient instruits pour leur salut de la grâce du Christ, non dès sa naissance mais plus tard, au cours des temps, après qu’il aurait " opéré le salut au milieu de la terre " (Ps 74, 12). Voilà pourquoi le Christ, après sa passion et sa résurrection, a dit à ses disciples : " Allez, enseignez toutes les nations. " 3. Il est requis pour le jugement que l’autorité du juge soit connue ; aussi faut-il que l’avènement du Christ pour le jugement soit manifeste. Mais son premier avènement s’est fait pour le salut de tous, qui s’obtient par la foi, laquelle a pour objet des réalités qu’on ne voit pas. Et c’est pourquoi le premier avènement du Christ devait être caché.

 

            Article 2 — La naissance du Christ devait-elle être manifestée à quelques-uns ?

Objections :

1. On vient de le dire, il convenait au salut de l’humanité que le premier avènement du Christ soit caché. Mais le Christ est venu pour sauver tous les hommes, selon S. Paul (1 Tm 4, 10) " Il est le Sauveur de tous les hommes, surtout des croyants. " Donc sa naissance n’aurait dû être manifestée à personne.

2. La future naissance du Christ avait été manifestée à la Bienheureuse Vierge et à Joseph. Il n’était donc pas nécessaire, après sa naissance, de manifester celle-ci à d’autres.

3. Le sage ne manifeste pas ce qui provoque du trouble et du dommage chez les autres. Or la manifestation de la naissance du Christ a provoqué du trouble selon S. Matthieu (2, 3) : " A cette nouvelle, Hérode fut troublé et tout Jérusalem avec lui. " En outre, on sait le mal que cela fit à d’autres, car à cette occasion " Hérode fit massacrer à Bethléem et aux alentours, les enfants âgés de deux ans et au-dessous ".

En sens contraire, la naissance du Christ n’aurait profité à personne si elle avait été cachée à tous. Mais il fallait que sa naissance soit profitable ; autrement il serait né pour rien. Il semble donc qu’elle devait être manifestée à quelques-uns.

Réponse :

Comme dit l’Apôtre (Rm 13, 1), " ce qui vient de Dieu est fait avec ordre ". Or, c’est une loi de la sagesse divine que les dons de Dieu et les secrets de sa sagesse ne parviennent pas uniformément à tous. Ils sont d’abord communiqués directement à certains, et par leur intermédiaire les autres en bénéficient. Il en fut ainsi pour le mystère de la Résurrection : on lit dans les Actes (10, 40) : " Dieu a donné au Christ ressuscité de se faire voir, non à tout le peuple, mais aux témoins qu’il avait choisis d’avance. " La même règle s’était imposée au sujet de la naissance du Christ : manifester celle-ci non pas à tous, mais à quelques-uns, par l’entremise desquels la connaissance en parviendrait aux autres hommes.

Solutions :

1. Il aurait été également préjudiciable au salut de l’humanité que la naissance de Dieu soit manifestée à tous les hommes, ou qu’elle ne soit connue d’aucun. Dans les deux cas, la foi disparaissait. Dans le premier, parce que cette naissance aurait été entièrement manifeste ; dans le second, parce qu’elle n’aurait été connue par personne dont on puisse entendre le témoignage ; car, suivant l’Apôtre (Rm 10, 17), " la foi vient de ce qu’on a entendu ".

2. Marie et Joseph devaient être instruits de la naissance du Christ parce qu’il leur revenait de montrer du respect à l’enfant attendu, et de l’accueillir à sa naissance. Mais leur témoignage, à cause de son caractère familial, n’aurait pas été reçu comme un hommage à la grandeur du Christ. Il fallait donc que sa naissance soit manifestée à des étrangers dont le témoignage ne pouvait être suspect.

3. Le trouble qui a suivi cette manifestation s’harmonise lui-même avec la naissance du Christ. D’abord parce que la dignité céleste du Christ s’y révèle, comme dit S. Grégoire : " A la naissance du roi du ciel, le roi de la terre se trouble : la grandeur humaine est confondue quand se découvre la dignité céleste. "

Ensuite on y voyait préfiguré le pouvoir judiciaire du Christ. C’est ce qui fait dire à S. Augustin dans un sermon sur l’Épiphanie " Que sera le tribunal du Christ, si déjà le berceau d’un enfant a terrorisé les rois orgueilleux ? "

Enfin ce trouble symbolisait la destruction du règne des démons. Car, selon S. Léon, " Hérode n’est pas tellement troublé en lui-même que le démon en Hérode. Car Hérode voyait un homme terrestre là où le démon voyait Dieu. Et tous deux redoutaient un successeur à leur royauté : le démon un successeur céleste, Hérode un successeur terrestre ". Mais cette crainte était superflue parce que le Christ n’était pas venu pour régner sur terre. Comme dit le pape S. Léon en s’adressant à Hérode : " Ton royaume ne suffit pas à contenter le Christ, et le maître du monde ne peut être enfermé dans les étroites limites de ton pouvoir. "

Que les Juifs se soient troublés, alors qu’ils auraient dû se réjouir, cela tient, dit Chrysostome " à ce que des gens iniques ne pouvaient se réjouir de l’avènement du juste " ; ou bien, c’est parce qu’ils voulaient flatter Hérode qu’ils craignaient, car " la foule flatte plus qu’il n’est juste ceux dont elle subit la cruauté ".

Et que des enfants aient été massacrés par Hérode, cela n’a pas été à leur détriment, mais à leur avantage. Car S. Augustin dit dans un sermon pour l’Épiphanie : " Ne croyez pas que le Christ, venu afin de délivrer les hommes, n’a rien fait pour récompenser ceux qui étaient massacrés pour lui, alors que sur la croix il priait pour ses meurtriers. "

 

            Article 3 — A qui la naissance du Christ devait-elle être manifestée ?

Objections :

1. Le Seigneur a ordonné à ses disciples (Mt 10, 5) : " Ne prenez pas le chemin des païens ", parce qu’il voulait d’abord se manifester aux Juifs. Il était encore beaucoup moins indiqué que la naissance du Christ soit révélée à des païens " qui venaient d’Orient " (Mt 2, 1).

2. La manifestation de la vérité divine doit se faire d’abord aux amis de Dieu, selon le livre de Job (36, 33 Vg) : " Il l’annoncera à son ami. " Mais les mages étaient des ennemis de Dieu, selon ce texte (Lv 19, 31 Vg) : " N’allez pas vers les mages et ne consultez pas les devins. " La naissance du Christ n’aurait donc pas dû être manifestée aux mages.

3. Le Christ était venu délivrer le monde entier de la puissance du diable, aussi est-il dit en Malachie (1, 11) : " Du levant au couchant, mon nom est grand parmi les nations. " Il ne devait donc pas se manifester seulement à l’orient, mais aussi sur toute la terre.

4. Tous les sacrements de l’ancienne loi préfiguraient le Christ. Or ils étaient dispensés par le ministère des prêtres de cette loi. Il semble donc que la naissance du Christ aurait dû être manifestée aux prêtres dans le Temple, plutôt qu’à des bergers dans la campagne.

5. Le Christ est né d’une vierge mère, et c’était un tout-petit. Il aurait donc paru mieux de manifester sa naissance à des jeunes gens et à des vierges, plutôt qu’à des gens âgés et mariés comme Syméon et Anne.

En sens contraire, il y a cette parole du Christ (Jn 13, 18) : " je connais ceux que j’ai choisis. " Or, ce qui se fait selon la sagesse de Dieu est bien fait. Donc ceux à qui a été manifestée la naissance du Christ ont été bien choisis.

Réponse :

Le salut qui devait être réalisé par le Christ concernait toutes les catégories d’hommes parce que, dit S. Paul (Col 3, 11), " dans le Christ Jésus il n’y a plus ni homme ni femme, ni païens ni Juifs, ni esclaves ni homme libre " et ainsi des autres différences. Et pour que cela soit préfiguré dans la naissance même du Christ il a été manifesté à des hommes de toutes conditions. Parce que, dit S. Augustin, " les bergers étaient des Israélites et les mages des païens. Les uns habitaient tout près, les autres venaient de loin. Les uns et les autres se rejoignirent en s’unissant à la pierre angulaire ". Il y eut entre eux d’autres différences : les mages étaient sages et puissants, les bergers ignorants et grossiers. Il s’est aussi manifesté à des justes comme Syméon et Anne, et à des pécheurs comme les mages ; il s’est encore manifesté à des hommes et à des femmes, comme Anne, pour montrer que nulle condition humaine n’est exclue du salut du Christ.

Solutions :

1. Cette manifestation de la naissance du Christ fut comme les prémices de la manifestation plénière qui se produirait plus tard. " Et de même qu’à cette seconde manifestation la grâce du Christ fut annoncée par le Christ et ses Apôtres d’abord aux Juifs et ensuite aux païens ; de même les premiers à s’approcher du Christ furent les bergers, qui étaient les prémices des juifs comme étant ses voisins ; et ensuite les mages qui venaient de loin, eux qui furent les prémices des nations ", selon S. Augustin.

2. Comme dit encore S. Augustin : " Si le manque de culture domine dans la rusticité des bergers, l’impiété domine dans les sacrilèges des mages. Et pourtant, celui qui était la pierre angulaire s’est adjoint les uns et les autres ; car il venait choisir ce qui était ignorant pour confondre les sages, et appeler non les justes, mais les pécheurs, afin qu’aucune grandeur ne pût s’enorgueillir et aucune faiblesse désespérer. " Toutefois, certains disent que les mages n’étaient pas des magiciens, mais de savants astronomes, appelés " mages " par les Perses ou les Chaldéens.

3. Selon S. Jean Chrysostome, " les mages sont venus de l’orient parce que la foi a commencé là où naît le jour, parce que la foi est la lumière des âmes ". Ou bien " parce que tous ceux qui viennent au Christ, viennent de lui et par lui ", dont Zacharie nous dit (6, 12 Vg) : " Voici un homme, Orient est son nom. " On dit qu’ils sont venus d’Orient, littéralement, c’est-à-dire du fond de l’Orient, pour certains ; ou bien de régions proches de la Judée, mais à l’orient de celle-ci. Cependant il est vraisemblable que certains signes de la naissance du Christ sont apparus aussi dans d’autres parties du monde. Ainsi de l’huile a jailli à Rome, et en Espagne apparurent trois soleils qui, peu à peu, se réunirent en un seul.

4. Comme dit Chrysostome, pour manifester la naissance du Christ, " l’ange n’est pas allé à Jérusalem, et n’a pas appelé les scribes et les pharisiens, car ils étaient corrompus et dévorés d’envie. Mais les bergers étaient sincères, pratiquant l’ancien mode de vie des patriarches et de Moïse ". De plus ces bergers préfiguraient les docteurs de l’Église, à qui sont révélés les mystères du Christ, qui échappaient aux Juifs.

5. Selon S. Ambroise, " la naissance du Seigneur devait recevoir le témoignage non seulement des bergers, mais aussi des vieillards et des justes ", dont le témoignage, à cause de leur justice, avait plus de crédit.

 

            Article 4 — Le Christ devait-il se manifester lui-même ou par d’autres ?

Objections :

1. " La cause qui agit par soi est supérieure à celle qui agit par autrui ", dit Aristote". Mais le Christ a manifesté sa naissance par d’autres, ainsi aux bergers par des anges, aux mages par une étoile. Il aurait donc dû bien davantage la manifester par lui-même.

2. On lit (Si 20, 30) : " Sagesse cachée et trésor ignoré, à quoi cela sert-il ? " Mais le Christ, dès le début de sa conception a possédé pleinement le trésor de la sagesse et de la grâce. Donc, s’il n’avait pas manifesté cette plénitude par des œuvres et des paroles, cette sagesse et cette grâce lui auraient été données pour rien. Ce qui est inadmissible, car " Dieu ne fait rien en vain " selon Aristote.

3. Dans le Protévangile de Jacques on lit que le Christ, dans son enfance, a fait beaucoup de miracles. Et l’on voit ainsi qu’il a manifesté sa naissance par lui-même.

En sens contraire, S. Léon dit que les mages trouvèrent l’enfant Jésus " qui ne différait en rien de l’ensemble des enfants des hommes ". Mais les autres enfants ne se manifestent pas eux-mêmes. Il ne convenait donc pas que le Christ manifeste sa naissance par lui-même.

Réponse :

La naissance du Christ était ordonnée au salut des hommes, et ce salut s’obtient par la foi. Or la foi salutaire confesse la divinité et l’humanité du Christ. Il fallait donc manifester la naissance du Christ en montrant sa divinité sans nuire à la foi en son humanité. Cela s’est réalisé du fait que le Christ a montré en lui-même une naissance pareille à celle des faibles hommes, tandis qu’il a montré par l’intermédiaire des créatures de Dieu qu’il possédait la puissance de la divinité. Voilà pourquoi ce n’est pas par lui-même que le Christ a manifesté sa naissance, mais par d’autres créatures.

Solutions :

1. En toute génération et en tout mouvement, l’imparfait mène au parfait. Aussi le Christ a-t-il d’abord été manifesté par d’autres créatures ; puis il s’est manifesté par lui-même d’une manifestation parfaite.

2. Sans doute la sagesse cachée est inutile. Cependant, il appartient au sage de se manifester lui-même en temps opportun et non à n’importe quel moment. " Tel se tait parce qu’il n’a rien à répondre : tel autre se tait parce qu’il connaît le temps propice " (Si 20, 6). Ainsi donc la donnée au Christ n’a pas été inutile, parce qu’il s’est manifesté lui-même en temps opportun. Et le fait qu’il se cachait au temps voulu est une preuve de sagesse.

3. Ce livre est un apocryphe. Et S. Jean Chrysostome soutient que le Christ n’a pas fait de miracle avant de changer l’eau en vin puisque S. Jean (2, 11) dit : " Tel fut le commencement des signes de Jésus. " En effet, " s’il avait accompli des miracles dès le premier âge, les Israélites n’auraient eu besoin de personne d’autre pour le leur manifester ". Et cependant Jean Baptiste déclare (Jn 1, 3) : " C’est pour qu’il soit manifesté à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau. " " C’est donc avec raison que Jésus n’a pas commencé à faire des miracles dès le premier âge. En effet, les juifs auraient pensé que son incarnation était une illusion et, rongés d’envie, ils l’auraient livré à la croix avant le temps fixé. "

 

            Article 5 — Par quels autres moyens le Christ aurait-il dû se manifester ?

Objections :

1. Les anges sont des créatures spirituelles selon le Psaume (104, 4) : " Des esprits il fait ses anges. " Mais la naissance du Christ concernait sa chair, non sa substance spirituelle. Elle ne devait donc pas être manifestée par des anges.

2. Les justes ont plus d’affinités avec les anges qu’avec n’importe quelle créature, selon le Psaume (34, 8) : " L’Ange du Seigneur campera à l’entour pour libérer ceux qui le craignent. " Mais ce ne sont pas des anges qui ont manifesté la naissance du Christ aux justes que sont Syméon et Anne. Donc ce ne sont pas des anges qui auraient dû la manifester aux bergers.

3. Il semble qu’elle n’aurait pas dû non plus se manifester aux mages par une étoile. Car il semble que ce soit une occasion d’erreur pour ceux qui croient que les astres président à la naissance des hommes. Mais on doit éloigner des hommes les occasions de pécher.

4. Pour qu’un signe manifeste quelque chose, il faut qu’il soit certain. Mais une étoile ne semble pas être un signe certain de la naissance du Christ.

En sens contraire, on lit (Dt 32, 4) : " Les œuvres de Dieu sont parfaites. " Or cette manifestation fut une œuvre de Dieu. Donc elle fut réalisée par des signes appropriés.

Réponse :

La manifestation d’une vérité au moyen d’un syllogisme passe par des notions connues de celui à qui s’adresse cette manifestation. De même la manifestation au moyen de signes doit employer ceux qui sont familiers aux destinataires de cette manifestation. Or, il est évident que les justes sont intimement et ordinairement enseignés par une impulsion intérieure du Saint-Esprit, sans production de signes sensibles, c’est-à-dire par l’esprit de prophétie.

D’autres, adonnés à des activités corporelles, sont conduits par des moyens sensibles aux vérités intelligibles. Or les juifs étaient accoutumés à recevoir les réponses divines par l’entremise des anges, qui leur avaient aussi transmis la loi, comme le rappelle le livre des Actes (7, 53) : " Vous avez reçu la loi par le ministère des anges. " Mais les païens, et surtout les astrologues, étaient accoutumés à observer le cours des étoiles ;. Et c’est pourquoi, aux justes, Syméon et Anne, la naissance du Christ a été manifestée par une impulsion intérieure du Saint-Esprit, selon S. Luc (2, 26) : " Il avait été divinement averti par l’Esprit Saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. " Aux bergers et aux mages, comme adonnés à des activités corporelles, la naissance du Christ a été manifestée par des apparitions visibles. Et parce que cette naissance n’était pas purement terrestre mais aussi, en un sens, céleste, c’est par des signes célestes qu’elle a été manifestée aux uns et aux autres, car selon S. Augustin, : " Les cieux sont habités par les anges et embellis par les astres ; c’est donc par les uns et les autres que les cieux racontent la gloire de Dieu. "

Cela est logique : puisque les bergers étaient des juifs chez qui les apparitions d’anges étaient fréquentes, la naissance du Christ leur a été révélée par des anges ; quant aux mages, accoutumés à observer les corps célestes, elle leur fut manifestée par le signe de l’étoile. Comme dit S. Jean Chrysostome : " Par condescendance, Dieu a voulu les appeler par des signes qui leur étaient familiers. " S. Grégoire découvre un autre motif : " Les Juifs, comme usant de la raison, devaient être avertis par la prédication d’un être raisonnable, l’ange. Mais les païens, qui ne savaient pas employer leur raison à connaître le Seigneur, sont conduits non par la parole, mais par des signes. Et de même que des prédicateurs annoncèrent aux païens le Seigneur qui avait pris la parole, de même des éléments muets le prêchèrent lorsqu’il ne parlait pas encore. "

Il y a encore un autre motif donné par S. Augustin : " Abraham avait reçu la promesse d’une postérité innombrable, qui ne serait pas engendrée selon la chair, mais selon la fécondité de sa foi ; postérité que l’on comparait à la multitude des étoiles, pour faire espérer une descendance céleste. " C’est pourquoi les païens " désignés par ces astres sont encouragés par le lever d’un astre nouveau " à rejoindre le Christ, par qui ils deviendront postérité d’Abraham.

Solutions :

1. Ce qui de soi est caché a besoin d’être manifesté, mais non ce qui, de soi, est manifesté. Or la chair du nouveau-né était manifeste, mais sa divinité était cachée. Voilà pourquoi cette naissance a été manifestée par des anges, qui sont les ministres de Dieu. Et si l’ange est apparu dans la clarté, c’était pour montrer que le nouveau-né était le resplendissement de la gloire du Père.

2. Les justes n’avaient pas besoin d’une apparition visible des anges mais, à cause de leur perfection, l’impulsion intérieure du Saint-Esprit leur suffisait.

3. L’étoile, en manifestant la naissance du Christ, a supprimé toute occasion d’erreur. Comme dit S. Augustin : " Aucun des astrologues n’a établi le destin des hommes par l’influence des étoiles de telle façon qu’à la naissance d’un homme il affirmerait que l’une d’elles aurait abandonné le tracé de son orbite pour se rendre auprès du nouveau-né ", comme c’est arrivé à l’étoile qui manifesta la naissance du Christ. Et c’est pourquoi cette étoile n’a pas confirmé l’erreur de ceux qui " estiment que le destin des hommes est lié à la disposition des astres au moment de leur naissance, mais qui ne croient pas que cette disposition puisse changer à la naissance d’un homme ". Pareillement, dit S. Jean Chrysostome " la tâche de l’astronomie n’est pas de connaître, d’après les étoiles, quels sont les nouveaux-nés, mais de prédire leur avenir d’après les étoiles ". Les mages n’ont pas connu l’époque de la naissance afin de découvrir l’avenir par le mouvement des étoiles à partir de cette naissance, mais plutôt à l’inverse.

4. Selon S. Chrysostome : " Dans certaines Écritures apocryphes, on lit qu’une nation d’Extrême-Orient, proche de l’Océan, conservait un écrit attribué à Seth, sur cette étoile et les offrandes des mages. Cette nation observait attentivement l’apparition de cette étoile en postant douze veilleurs qui, à dates fixes, montaient de nuit sur la montagne. De là, par la suite, ils l’observèrent ayant pris la forme d’un enfant, et surmontée de l’image de la croix. "

On peut encore dire : " Ces mages suivaient la tradition de Balaam, qui a dit (Nb 24, 17) : "Une étoile sortira de Jacob. " Aussi, en voyant une étoile en dehors du cours ordinaire de l’univers, ils comprirent que c’était celle dont Balaam avait prophétisé qu’elle signalerait le roi des Juifs. "

On peut dire aussi, avec S. Augustin : " Ces mages ont appris, par un avertissement des anges ", que l’étoile annonçait la naissance du Christ. Et il semble probable que ces anges " furent de bons anges, puisque les mages cherchaient leur salut dans l’adoration du Christ ". Enfin on peut dire avec S. Léon : " Outre l’éclat qui frappait leur regard corporel, un rayon plus brillant encore de la vérité pénétrait jusque dans leur cœur et les enseignait : ce qui se rattache à la lumière de la foi. "

 

            Article 6 — L’ordre de ces manifestations

Objections :

1. La naissance du Christ aurait dû être manifestée en premier à ceux qui étaient plus proches de lui et qui le désiraient davantage, selon ce qui est écrit de la Sagesse (6, 13) : " Elle devance ceux qui la désirent en se faisant connaître la première. " Or, ce sont les justes qui étaient les plus proches du Christ par la foi, et qui désiraient le plus son avènement. S. Luc (2, 25) dit de Syméon : " Il était un homme juste et craignant Dieu, attendant la délivrance d’Israël. " C’est donc à lui que devait être manifestée la naissance du Christ, avant de l’être aux bergers et aux mages.

2. Selon S. Augustin les mages étaient " les prémices des nations " qui devaient croire au Christ. Mais d’abord, c’est " la totalité des nations qui entre dans la foi ", et ensuite " tout Israël sera sauvé " (Rm 11, 25). Donc la naissance du Christ aurait dû être manifestée aux mages avant de l’être aux bergers.

3. S. Matthieu (2, 16) nous dit : " Hérode envoya tuer à Bethléem et dans les environs tous les enfants de moins de deux ans, d’après le temps qu’il s’était fait préciser par les mages. " Il semble donc que les mages n’ont trouvé le Christ que deux ans après sa naissance. On est choqué qu’il ait fallu un si long délai avant que la naissance du Christ soit manifestée aux païens.

En sens contraire, il est écrit (Dn 2, 21) : " C’est Dieu qui fait alterner périodes et temps. " Aussi le temps où s’est manifestée la naissance du Christ paraît-il avoir été organisé de façon satisfaisante.

Réponse :

1° La naissance du Christ s’est manifestée d’abord aux bergers le jour même. Comme dit en effet S. Luc (2, 8. 15) " Il y avait aux environs des bergers qui passaient la nuit aux champs veillant la nuit sur leurs troupeaux. . . quand les anges les eurent quittés pour le ciel, ils se dirent entre eux : "Allons jusqu’à Bethléem". Ils y allèrent en hâte. "

2° Les mages arrivèrent auprès du Christ treize jours après la naissance, jour où l’on célèbre l’Épiphanie. Car s’ils étaient venus après un an ou même deux, ils ne l’auraient pas trouvé à Bethléem, puisqu’il est écrit (Lc 2, 39) : " Après avoir tout accompli selon la loi du Seigneur ", c’est-à-dire avoir offert l’enfant Jésus dans le Temple " ils retournèrent en Galilée dans leur ville de Nazareth ".

3° La manifestation aux justes dans le Temple eut lieu le quarantième jour après la naissance du Christ (Lc 2, 12).

Et voici la raison de cet ordre. Les bergers symbolisaient les Apôtres et les autres Juifs croyants, auxquels la foi au Christ fut manifestée en premier, parmi lesquels, dit S. Paul (1 Co 1, 20), il n’y eut " pas beaucoup de puissants ni beaucoup de nobles ". Ensuite la foi au Christ parvint à la plénitude des nations, préfigurée par les mages, et enfin à la plénitude des juifs, préfigurée par les justes. De là vient aussi que le Christ leur fut manifesté dans le temple des juifs.

Solutions :

1. Selon l’apôtre (Rm 9, 30) : " Israël, qui cherchait une loi de justice, ne l’a pas atteinte " ; mais les païens qui " ne cherchaient pas la justice " ont généralement devancé les Juifs dans la justice de la foi. Pour figurer cela, Syméon, " qui attendait la consolation d’Israël " n’a connu la naissance du Christ que le dernier ; les mages et les bergers l’ont devancé, alors qu’ils n’attendaient pas la naissance du Christ avec autant d’ardeur.

2. Sans doute, la plénitude des nations est venue à la foi avant la masse des Juifs ; cependant, les prémices de Juifs ont devancé dans la foi les prémices des nations. Aussi la naissance du Christ a-t-elle été manifestée aux bergers avant de l’être aux mages.

3. En ce qui concerne l’apparition de l’étoile aux mages, on constate une double opinion. Pour S. Jean Chrysostome et S. Augustin, l’étoile est apparue aux mages deux ans avant la naissance du Christ ; c’est alors que les mages, après avoir réfléchi et s’être préparés au voyage, arrivèrent auprès du Christ le treizième jour après sa naissance. Voilà pourquoi Hérode, aussitôt après le départ des mages, ordonna, quand il se vit joué par eux, de tuer les enfants de deux ans et au-dessous, car il se demandait si le Christ n’était pas né au moment où, d’après les mages, l’étoile était apparue.

D’après la seconde opinion, l’étoile est apparue aussitôt que le Christ est né, et aussitôt qu’ils l’eurent aperçue, les mages se mirent en route et, parcourant cette très longue distance en treize jours, grâce à l’assistance spéciale de Dieu et aussi à la vélocité de leurs dromadaires. Et je dis cela pour le cas où ils seraient venus du fond de l’orient. Cependant, certains pensent qu’ils vinrent de la contrée toute proche d’où était originaire Balaam, dont ils avaient adopté l’enseignement ; cette contrée se trouvant à l’est du pays des Juifs, on dit qu’ils sont venus de l’orient. En ce cas, Hérode n’a pas fait tuer les enfants aussitôt après le départ des mages, mais au bout de deux ans. Soit parce que, dans l’intervalle, il aurait gagné Rome pour se défendre contre une accusation ; soit que, agité par la terreur d’autres dangers, il ait été momentanément détourné du projet de ce massacre. Ou encore Hérode a pu croire que les mages, " trompés par la vision d’une étoile imaginaire, n’avaient pas trouvé le nouveau-né qu’ils cherchaient et auraient eu honte de revenir vers lui ", comme le suppose S. Augustin Et c’est pourquoi Hérode fit tuer non seulement les enfants de deux ans, mais encore les plus jeunes, parce que, selon S. Augustin " il craignait que cet enfant, servi par les astres, n’eût changé son aspect pour paraître plus âgé ou moins âgé ".

 

            Article 7 — L’étoile par laquelle la naissance du Christ fut manifestée

Objections :

1. Il semble que l’étoile apparue aux mages fut une des étoiles du ciel, car S. Augustin a dit : " Tandis que Dieu est suspendu à un sein et qu’il est revêtu de misérables langes, un nouvel astre répand du ciel sa clarté. " L’étoile apparue aux mages était donc véritablement une étoile du ciel.

2. S. Augustin dit encore : " Aux bergers, ce sont les anges qui montrent le Christ ; aux mages c’est une étoile. Aux uns et aux autres n’est-ce pas le langage des cieux qui se fait entendre, puisque la langue des prophètes s’était tue ? " Mais les anges qui apparurent aux bergers étaient de vrais anges célestes. Donc l’étoile des mages était vraiment, elle aussi, une étoile du ciel.

3. Les étoiles qui ne sont pas au ciel mais dans l’air s’appellent des comètes, qui n’apparaissent pas à la naissance des rois, mais qui sont plutôt les présages de leur mort. Mais cette étoile désignait la naissance du roi, si bien que les mages demandent (Mt 2, 2) : " Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile à l’orient. " Donc il apparaît que c’était une étoile du ciel.

En sens contraire, S. Augustin le nie

" Ce n’était pas l’une des étoiles qui, depuis le début de la création, gardent l’ordre de leur course sous la loi du Créateur, mais c’est un astre nouveau apparu pour l’enfantement nouveau d’une vierge. "

Réponse :

Comme le dit S. Jean Chrysostome, que cette étoile apparue aux mages n’ait pas été une étoile du ciel, de nombreux indices le manifestent.

1° Aucune autre étoile ne suit cette direction, car celle-ci se portait du nord au midi ; c’est en effet la situation de la Judée par rapport à la Perse, d’où les mages sont venus.

2° C’est évident quant au temps. Car non seulement cette étoile apparaissait la nuit, mais aussi en plein jour. Ce qui n’est au pouvoir d’aucune étoile, ni même de la lune.

3° Parfois elle se montrait et parfois elle se cachait. En effet, quand les mages entrèrent à Jérusalem elle se cacha ; ensuite, quand ils quittèrent Hérode, elle se montra.

4° Elle n’avait pas un mouvement continu, mais quand il fallait que les mages se mettent en marche, elle marchait, et quand ils devaient s’arrêter, elle s’arrêtait.

5° Elle ne montrait pas seulement l’enfantement de la Vierge en demeurant en l’air, mais aussi en descendant. On lit en effet (Mt 2, 9) : " L’étoile qu’avaient vue les mages à l’orient les précédait jusqu’à ce qu’elle s’arrêtât au-dessus du lieu où était l’enfant. " Cela montre que la parole des mages : " Nous avons vu son étoile à l’orient " ne doit pas se comprendre comme si, eux-mêmes étant situés à l’orient, l’étoile leur apparut alors qu’elle se trouvait en Judée, mais en ce sens qu’ils la virent située à l’orient et qu’elle les précéda jusqu’en Judée ; bien que cela demeure encore douteux pour certains. Elle n’aurait pas pu indiquer distinctement la maison, si elle n’avait été voisine de la terre. Et comme Chrysostome le dit lui-même, ce n’est pas là le fait d’une étoile, mais d’une puissance raisonnable. Aussi apparaît-il que cette étoile était une vertu invisible qui aurait emprunté cette apparence.

Aussi certains disent-ils que le Saint-Esprit est apparu aux mages sous l’aspect d’une étoile, de même qu’il est descendu sur le Seigneur à son baptême sous l’aspect d’une colombe. D’autres disent que l’ange apparu aux bergers sous un aspect humain apparut aux mages sous l’aspect d’un étoile.

Cependant, il semble plus probable qu’elle a été une étoile créée à nouveau, non dans le ciel, mais dans l’air proche de la terre, et qu’elle se mouvait selon la volonté de Dieu. Aussi S. Léon a-t-il prêché : " Trois mages des pays de l’orient voient apparaître une étoile d’une clarté nouvelle : plus brillante, plus belle que les autres astres, elle attire aisément les regards et captive les cœurs de ceux qui l’observent ; ils comprennent d’emblée qu’un fait aussi insolite n’est pas sans portée. "

Solutions :

1. Dans la Sainte Écriture, on dit parfois " le ciel " pour parler de l’air, ainsi : " Les oiseaux du ciel et les poissons de la mer " (Ps 8, 9).

2. Les anges célestes, en vertu de leur office doivent descendre jusqu’à nous, puisqu’ils sont " envoyés pour le service " (He 1, 14). Mais les étoiles du ciel ne peuvent changer de position. Aussi la comparaison ne vaut pas.

3. Cette étoile ne suivait pas le mouvement des étoiles du ciel, ni non plus, par conséquent, le mouvement des comètes, car celles-ci n’apparaissent pas durant le jour, ni ne modifient leur cours ordinaire. Et pourtant le symbolisme que l’on attribue aux comètes n’était pas complètement absent ici. Le royaume céleste du Christ, en effet, " brisera et anéantira tous les royaumes de la terre, tandis que lui-même subsistera toujours " (Dn 2, 44).

 

            Article 8 — L’adoration des mages

Objections :

1. Il semble que la façon dont les mages sont venus vénérer le Christ n’était pas ce qu’elle aurait dû être. En effet, tout roi doit recevoir l’hommage de ses propres sujets. Or les mages n’appartenaient pas au royaume des Juifs. Donc, lorsque la vue de l’étoile leur fit connaître la naissance du roi des Juifs, il semble qu’ils n’auraient pas dû venir l’adorer.

2. Il est sot, quand le roi est vivant, d’annoncer un roi étranger. Mais le royaume de Judée avait Hérode pour roi. Les mages ont donc agi sottement en annonçant la naissance d’un autre roi.

3. Un renseignement venu du ciel est plus sûr qu’un renseignement humain. Mais les mages étaient venus d’orient en Judée, guidés par un renseignement venu du ciel. Ils ont donc agi déraisonnablement, alors qu’une étoile les guidait, en cherchant un renseignement humain par cette question : " Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? "

4. L’offrande de présents et les marques d’adoration ne sont dues qu’aux rois qui règnent déjà. Mais les mages n’ont pas trouvé le Christ décoré de la dignité royale. C’est donc sans raison qu’ils lui ont offert des présents et rendu des honneurs royaux.

En sens contraire, il y a l’oracle d’Isaïe (60, 3) : " Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois vers la clarté de ton aurore. " Or ceux qui sont conduits par la lumière divine ne se trompent pas. C’est donc sans erreur que les mages ont montré de la vénération envers le Christ.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, les mages sont les prémices des nations qui croient au Christ. En eux apparurent, comme en un présage, la foi et la dévotion des nations venues de loin vers le Christ. C’est pourquoi, de même que la dévotion et la foi des nations est préservée de l’erreur par l’inspiration du Saint-Esprit, de même faut-il croire que les mages, inspirés par l’Esprit Saint, ont agi sagement en rendant hommage au Christ.

Solutions :

1. Comme dit S. Augustin : " Alors que beaucoup de rois des Juifs étaient nés et étaient morts, les mages n’ont cherché à en adorer aucun. " " Ce n’est donc pas à un roi des Juifs ordinaire que ces visiteurs, venus de loin et totalement étrangers à ce royaume, pensaient devoir rendre de si grands honneurs. Mais le roi dont ils avaient appris la naissance était tel qu’en l’adorant, ils ne doutaient absolument pas d’obtenir le salut auprès de Dieu. "

2. Cette annonce par les mages préfigurait la constance des nations qui confesseraient le Christ jusqu’à la mort. D’après S. Jean Chrysostome, en considérant le Roi à venir, ils ne craignaient pas le roi présent. Ils n’avaient pas encore vu le Christ et déjà ils étaient prêts à mourir pour lui.

3. Dans le même sermon pour l’Épiphanie, S. Augustin ajoute : " L’étoile qui avait guidé les mages jusqu’au lieu où l’enfant Dieu se trouvait avec sa mère vierge, pouvait les conduire jusqu’à la cité même de Bethléem où était né le Christ. Cependant elle se déroba jusqu’à ce que les Juifs eux-mêmes eussent rendu témoignage au sujet de la cité où devait naître le Christ. " Et, comme dit S. Léon : " Rassurés par deux témoignages convergents, ils se mettent à chercher avec une foi plus ardente celui que leur manifestent et la clarté de l’étoile et l’autorité de la prophétie. "

Selon S. Augustin, " eux-mêmes annoncent " aux Juifs la naissance du Christ, " et leur demandent " le lieu, " ils croient et ils cherchent, comme pour symboliser ceux qui marchent par la foi et désirent la claire vision ". Quant aux juifs, qui leur indiquèrent le lieu de la naissance du Christ " ils ressemblèrent aux ouvriers qui bâtirent l’arche de Noé : ils fournirent aux autres le moyen d’échapper, mais eux-mêmes périrent dans le déluge. Alors que ceux qui enquêtaient écoutèrent et partirent, les savants parlèrent et restèrent, pareils aux bornes milliaires, qui indiquent la route, mais ne marchent pas ".

Ce fut aussi par la volonté divine que les mages, qui avaient perdu de vue l’étoile, se rendirent avec bon sens à Jérusalem, cherchant dans la cité royale le roi qui venait de naître, afin que la naissance du Christ soit annoncée publiquement pour la première fois à Jérusalem, selon la prophétie d’Isaïe (2, 3) : " De Sion sortira la Loi, et de Jérusalem la parole du Seigneur. " En outre, l’empressement des mages venus de loin condamnerait la paresse des juifs tout proches.

4. Selon S. Jean Chrysostome, " si les mages étaient venus chercher un roi de la terre, ils auraient été déçus ; car ils auraient supporté sans raison la fatigue d’un si long trajet ". Mais, cherchant le roi du ciel, " quoique ne voyant rien en lui de la dignité royale, ils se contentèrent cependant du témoignage de l’étoile, et ils l’adorèrent ". En effet, ils voient un homme et ils reconnaissent Dieu. Et ils offrent des présents accordés à la dignité du Christ. " L’or, comme au grand Roi ; l’encens, qui sert dans les sacrifices divins, comme à Dieu ; la myrrhe, dont on embaume les corps des défunts, comme à celui qui doit mourir pour le salut des hommes. " S. Grégoire dit encore : Nous apprenons par là " à offrir au Roi nouveau-né l’or ", qui symbolise la sagesse, " lorsque nous resplendissons en sa présence de la lumière de la sagesse ; l’encens " qui exprime le don de soi dans la prière, " nous l’offrons quand, par l’ardeur de notre prière, nous exhalons devant Dieu une bonne odeur ; et la myrrhe, qui symbolise la mortification de la chair, nous l’offrons si nous mortifions nos vices charnels par l’abstinence ".

 

 

QUESTION 37 — LES PRESCRIPTIONS LÉGALES OBSERVÉES AU SUJET DE JÉSUS ENFANT

I1 faut maintenant considérer la circoncision du Christ. Or la circoncision est une profession de la loi à observer selon l’épître aux Galates (5,3) : " je l’atteste à tout homme qui se fait circoncire : il est tenu à l’observance de la loi. " C’est pourquoi, avec la circoncision a faut étudier les autres prescriptions de la loi observées au sujet de Jésus enfant.

1. Sa circoncision. - 2. L’imposition du nom de Jésus. - 3. Son oblation au Temple. - 4. La purification de sa mère.

 

            Article 1 — La circoncision du Christ

Objections :

1. Lorsque survient la réalité, la figure disparaît. Or la circoncision avait été prescrite à Abraham en signe de l’alliance qui se ferait avec ses descendants (Gn 17). Or cette alliance s’est accomplie par la naissance du Christ. Elle aurait donc dû cesser aussitôt.

2. " Toutes les actions du Christ doivent nous instruire " si bien qu’on lit en S. Jean (13, 15) : " Je vous ai donné l’exemple afin que, ce que je vous ai fait, vous le fassiez vous-mêmes. " Or, nous ne devons pas nous faire circoncire, selon l’avertissement de S. Paul (Ga 5, 2) : " Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien. " Donc il semble que le Christ non plus n’aurait pas dû être circoncis.

3. La circoncision est ordonnée à remédier au péché originel. Or, on l’a vu, le Christ n’a pas contracté le péché originel. Donc il n’aurait pas dû être circoncis.

En sens contraire, il y a cette mention chez S. Luc (2, 21) : " Les huit jours écoulés, l’enfant fut circoncis. "

Réponse :

Le Christ devait être circoncis pour plusieurs motifs.

1° Pour montrer la réalité de sa chair humaine contre le manichéisme qui lui attribuait un corps irréel ; contre Apollinaire, qui disait le corps du Christ consubstantiel à la divinité ; contre Valentin d’après qui le Christ avait apporté son corps du ciel.

2° Pour approuver la circoncision, jadis instituée par Dieu.

3° Pour prouver que le Christ était de la descendance d’Abraham, qui avait reçu le précepte de la circoncision.

4° Pour retirer aux Juifs une excuse de ne pas le recevoir, sous prétexte qu’il était incirconcis.

5° Pour nous recommander par son exemple la vertu d’obéissance. Aussi a-t-il été circoncis le huitième jour selon le précepte de la loi.

6° Puisqu’il était venu dans la ressemblance avec la chair du péché, pour qu’il ne repousse pas le remède qui purifiait ordinairement la chair du péché.

7° Pour délivrer les autres du fardeau de la loi, en portant ce fardeau lui-même, selon l’épître aux Galates (4, 4) : " Dieu a envoyé son Fils né sous la loi pour racheter ceux qui étaient sous la loi. "

Solutions :

1. La circoncision, en dénudant le membre de la génération, signifiait que l’on dépouillait l’ancienne génération. De cet ancien état de choses nous sommes libérés par la passion du Christ. Et c’est pourquoi la vérité de cette figure ne fut pas pleinement accomplie à la naissance du Christ, mais à sa passion, avant laquelle la circoncision gardait son efficacité et son statut. Voilà pourquoi il convenait que le Christ, en tant que fils d’Abraham, fût circoncis.

2. Le Christ a reçu la circoncision à l’époque où elle était de précepte. Nous devons donc imiter son action en observant ce qui est de précepte à notre époque car " il y a un temps opportun pour tout ", dit l’Ecclésiaste (8, 6). Et en outre, dit Origène " si nous sommes morts avec la mort du Christ, et ressuscités avec sa résurrection, de même sommes-nous circoncis spirituellement par le Christ. Et c’est pourquoi nous n’avons pas besoin de circoncision charnelle ". Et c’est ce que S. Paul écrivait (Col 2, 11) : " En lui (le Christ) vous avez été circoncis, d’une circoncision qui n’est pas de main d’homme, par l’entier dépouillement de votre corps charnel, dans la circoncision du Christ. "

3. Le Christ, par sa propre volonté, a accepté notre mort, qui est l’effet du péché, alors qu’il n’avait en lui aucun péché, pour nous délivrer de la mort et nous faire mourir spirituellement au péché. Pareillement, il a accepté la circoncision qui est un remède contre le péché originel, alors qu’il n’avait pas le péché originel, pour nous libérer du joug de la loi et produire en nous la circoncision spirituelle ; c’est-à-dire qu’il voulait, en acceptant la figure, accomplir la réalité.

 

            Article 2 — L’imposition du nom de Jésus

Objections :

1. La réalité évangélique doit correspondre à l’annonce prophétique. Or les prophètes avaient annoncé un autre nom pour le Christ. Car on lit en Isaïe (7, 14) : " Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils> et on lui donnera le nom d’Emmanuel. " Et encore (8, 3) : " Appelle-le Prompt-Butin, Proche-Pillage. " Et encore (9, 6) : " On lui donnera comme nom : Admirable, Conseiller, Dieu, Fort, Père du monde à venir, Prince de la paix " Et Zacharie (6, 12) avait prédit : " Voici un homme dont le nom est Orient " Il ne convenait donc pas de le nommer Jésus.

2. On lit dans Isaïe (42, 2) : " On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur nommera. " Or le nom de Jésus n’est pas un nom nouveau, car il avait été donné à plusieurs personnages de l’Ancien Testament. On le voit même dans la généalogie du Christ (Lc 3, 29).

3. Ce nom de Jésus signifie " salut ", comme le montre cette parole (Mt 1, 21) : " Elle enfantera un fils, et elle lui donnera le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. " Mais le salut par le Christ n’a pas été accordé seulement " aux circoncis, mais également aux incirconcis " (Rm 4, 11). Il était donc mal à propos de donner ce nom au Christ lors de sa circoncision.

En sens contraire, il y a l’autorité de la Sainte Écriture, où il est dit (Lc 2, 21) : " Quand fut écoulé le huitième jour, celui de la circoncision, l’enfant reçut le nom de Jésus. "

Réponse :

Les noms doivent correspondre aux propriétés des choses. C’est évident pour les noms des genres et des espèces parce que, dit Aristote, " l’idée ou raison signifiée par le nom est la définition ". qui désigne la nature propre de la chose.

Or le nom individuel que l’on donne à chaque homme est toujours justifié par une particularité de celui qui reçoit le nom. Soit d’une circonstance de temps, comme on donne à certains hommes le nom de certains saints fêtés le jour de leur naissance. Soit de la parenté, comme lorsque l’on donne à un fils le nom de son père ou d’un parent de celui-ci ; c’est ainsi que les proches de Jean Baptiste voulaient l’appeler " Zacharie du nom de son père ", et non pas Jean " parce qu’il n’y avait personne dans sa parenté qui portait ce nom-là ". Ou bien encore à partir d’un événement comme Joseph " appela son premier-né Manassé car, dit-il, Dieu m’a fait oublier toutes mes peines " (Gn 41, 51). Ou encore d’une caractéristique de celui que l’on nomme, comme on lit dans la Genèse (15, 25) : " Celui qui sortit le premier du sein de sa mère était roux et tout entier comme un manteau de poil, aussi fut-il appelé Esaü " qui se traduit par " roux ".

Quant aux noms donnés par Dieu, ils signifient toujours un don gratuit de sa part. Ainsi dans la Genèse (17, 5) il est dit à Abraham : " Tu t’appelleras Abraham, car je t’ai établi père de nombreuses nations. " Et en S. Matthieu (16, 18), il est dit à Pierre : " Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église. "

Le Christ en tant qu’homme avait reçu ce don gratuit de sauver tous les hommes ; c’est donc très justement qu’on l’a appelé du nom de Jésus, c’est-à-dire Sauveur ; l’ange avait annoncé ce nom d’avance non seulement à sa mère mais aussi à Joseph, qui allait être son père nourricier.

Solutions :

1. Dans tous ces noms on retrouve la signification du nom de Jésus qui signifie le salut. Car en l’appelant " Emmanuel, ce qui se traduit : Dieu avec nous " on désigne la cause du salut qui est l’union de la nature divine à la nature humaine dans la personne du Fils de Dieu, union par laquelle Dieu serait avec nous, comme participant de notre nature. - En lui disant : " Appelle-le Prompt-Butin, Proche-Pillage ", on désigne l’ennemi dont il nous a sauvés, le démon, dont il a enlevé les dépouilles, selon l’épître aux Colossiens (2, 15) : " Il a dépouillé les principautés et les puissances et les a livrées en spectacle. "

Les noms : " Admirable, etc. " expriment la voie et le terme de notre salut ; c’est en effet par le conseil et la force admirables de la divinité que nous sommes conduits à l’héritage du monde à venir, dans lequel sera la paix parfaite des fils de Dieu, avec Dieu lui-même comme Prince.

Quant à la parole. " Voici un homme dont le nom est Orient ", elle se réfère elle aussi au mystère de l’Incarnation, selon que " la lumière s’est levée dans les ténèbres pour les cœurs droits " (Ps 112, 4).

2. Le nom de Jésus a pu convenir à des personnages qui ont vécu avant le Christ, par exemple parce qu’ils ont procuré un salut particulier et temporel. Mais si l’on envisage le salut dans son sens spirituel et universel, ce nom est propre au Christ. Et c’est dans ce sens qu’on l’appelle un nom nouveau.

3. Comme il est écrit (Gn 17), Abraham a reçu tout à la fois l’imposition de son nom par Dieu et le précepte de la circoncision. Aussi, chez les Juifs, avait-on coutume de donner leur nom aux enfants le jour même de leur circoncision, comme si auparavant les enfants n’avaient pas encore atteint leur être parfait ; comme aujourd’hui encore on donne un nom aux enfants quand on les baptise. Sur le texte des Proverbes (4, 3) : " Je fus un fils pour mon père, un enfant tendre et unique aux yeux de ma mère ", la Glose donne ce commentaire : " Pourquoi Salomon se désigne-t-il comme un enfant unique aux yeux de sa mère, alors que l’Écriture nous affirme qu’il avait été précédé par un frère utérin, sinon parce que ce frère, mort sans avoir porté de nom, est sorti de la vie comme s’il n’avait jamais existé. " Voilà pourquoi le Christ a reçu son nom au moment où il a été circoncis.

 

            Article 3 — L’oblation de Jésus au Temple

Objections :

1. Il semble étrange que Jésus ait été offert au Temple. Car il est écrit (Ex 3, 2) : " Consacre-moi tout premier-né qui ouvrira le sein de sa mère, parmi les fils d’Israël. " Mais le Christ est sorti du sein de sa mère sans l’ouvrir, Donc, en vertu de cette loi il ne devait pas être offert dans le Temple.

2. On ne présente pas à quelqu’un ce qui lui est toujours présent. Mais l’humanité du Christ a toujours été suprêmement présente à Dieu puisqu’elle lui a toujours été unie dans l’unité de personne. Elle n’avait donc pas à être présentée devant le Seigneur.

3. Le Christ est la victime principale à laquelle toutes les victimes de l’ancienne loi se réfèrent, comme les figures à la réalité. Mais une victime n’exige pas une autre victime. Il n’a donc pas été normal qu’une autre victime soit offerte à la place du Christ.

4. Parmi les victimes légales, la principale était l’agneau qui était " le sacrifice perpétuel " (Nb 28, 3. 6). Voilà pourquoi le Christ aussi est appelé agneau par S. Jean (Jn 1, 28) : " Voici l’Agneau de Dieu " Il eût donc été juste d’offrir pour le Christ un agneau plutôt qu’" une paire de tourterelles ou deux jeunes colombes ".

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture qui atteste ce fait (Lc 2, 22).

Réponse :

Comme nous l’avons dit, le Christ a voulu naître sous la loi afin de racheter tous ceux qui étaient sous la loi, et afin d’accomplir spirituellement dans ses membres la justification de la loi. Or, au sujet des nouveau-nés, la loi comportait deux préceptes. L’un, général, concernait toutes les naissances : au terme des jours de la purification de la mère, on devait offrir un sacrifice pour le fils ou la fille, prescrit par le Lévitique (12, 6). Et ce sacrifice avait pour but d’expier le péché dans lequel l’enfant avait été conçu et était né, et aussi de le consacrer en quelque sorte, parce qu’on le présentait alors au Temple pour la première fois. Et c’est pourquoi on faisait une offrande en holocauste, et une autre pour le péché.

L’autre précepte était spécial et ne visait que les premiers-nés, chez les animaux comme chez les hommes, car le Seigneur s’était réservé tout premier-né des fils d’Israël du fait que, pour libérer son peuple, " il avait frappé les premiers-nés de l’Égypte, hommes et bêtes ", et ce commandement se trouve dans l’Exode (13, 2. 12). Cela préfigurait aussi le Christ " premier-né d’une multitude de frères " (Rm 8, 29).

Donc, parce que le Christ était né de la femme comme un premier-né et avait voulu être sous la loi, l’évangéliste Luc montre que ces deux préceptes ont été observés à son propos. D’abord ce qui concerne les premiers-nés, lorsqu’il dit : " Ils le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon qu’il est écrit dans la loi du Seigneur : "Tout mâle ouvrant le sein de sa mère sera consacré au Seigneur. " " Puis, en ce qui concerne toutes les naissances, lorsqu’il dit : " Pour offrir en sacrifices, selon ce qui était dit dans la loi du Seigneur : "une paire de tourterelles ou deux jeunes colombes". "

Solutions :

1. D’après Grégoire de Nysse " le précepte de l’Exode paraît s’être accompli dans le Dieu incarné d’une manière spéciale et différente des autres. Lui seul, en effet, a été conçu d’une manière inexprimable et mis au monde d’une manière incompréhensible. Il a ouvert le sein virginal de sa mère, sans que le mariage l’eût préalablement défloré, car il gardait intact, même après l’enfantement, le sceau de sa virginité ". Les mots : " Il a ouvert le sein " signifient donc que rien auparavant n’y était entré ni n’en était sorti. Le terme de " mâle " indique " que le Christ n’a rien porté de la faute de la femme ", " lui à qui toute atteinte de la corruption terrestre a été épargnée par la nouveauté de son enfantement sans tache ".

2. Le Fils de Dieu " s’est fait homme et a été circoncis dans sa chair, non pour lui-même, mais en vue de nous faire dieux par sa grâce et de nous circoncire spirituellement ; pareillement, c’est pour nous qu’il est présenté au Seigneur afin de nous enseigner à nous présenter nous-mêmes à Dieu ". Et cela s’est fait après la circoncision du Christ pour montrer que " personne n’est digne d’être regardé par Dieu, s’il n’est pas circoncis de ses vices ".

3. Le Christ, qui était la vraie victime, a voulu que les victimes prescrites par la loi fussent offertes à sa place, afin que la figure se joignît à la réalité et fût approuvée par elle : cela contredit ceux qui nient que le Christ, par l’Évangile, ait proclamé ce Dieu de la loi. Car on ne doit pas croire, dit Origène " que le Dieu bon aurait soumis son Fils à la loi de son ennemi, une loi qu’il n’aurait pas accordée lui-même ".

4. Le Lévitique (12, 6) " prescrit à ceux qui le peuvent d’offrir pour leur fils ou leur fille un agneau en même temps qu’une tourterelle ou une colombe ", et que ceux qui n’ont pas les moyens d’offrir un agneau présentent deux tourterelles ou deux jeunes colombes. Donc le Seigneur " qui étant riche, s’est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir par sa pauvreté " (2 Co 8, 9), a voulu qu’on offre pour lui le sacrifice des pauvres, de même qu’à sa naissance il est enveloppé de langes et couché dans une mangeoire.

Néanmoins ces oiseaux ont une portée figurative. En effet, la tourterelle qu’on entend sans cesse symbolise la prédication de la profession de foi ; parce qu’elle est chaste, elle symbolise la chasteté ; parce qu’elle est solitaire, elle symbolise la contemplation. Quant à la colombe, animal doux et simple, elle symbolise la douceur et la simplicité. En outre, c’est un animal grégaire si bien qu’elle symbolise la vie active. Et c’est pourquoi une telle victime préfigurait la perfection du Christ et de ses membres. " Ces deux oiseaux à cause de leurs gémissements symbolisent les pleurs actuels des saints ; mais la tourterelle, qui est solitaire, symbolise les larmes secrètes de la prière ; et la colombe, qui est grégaire symbolise les prières publiques de l’Église. " Et chacun de ces oiseaux est offert par paire, pour que la sainteté ne soit pas seulement dans l’âme, mais aussi dans le corps.

 

            Article 4 — La purification de la Mère de Dieu

Objections :

1. On ne purifie que d’une souillure. Mais chez la Bienheureuse Vierge, il n’y avait aucune souillure, comme on l’a montré.

2. Il est prescrit dans le Lévitique (12, 2) : " La femme qui, de la semence de l’homme, aura enfanté un enfant mâle sera impure pendant sept jours. " Et il est donc prescrit " qu’elle n’entrera pas au sanctuaire jusqu’à ce que soient accomplis les jours de sa purification ". Mais la Bienheureuse Vierge a enfanté un garçon sans avoir eu de relation chamelle.

3. La purification d’une souillure ne se fait que par la grâce. Or les sacrements de l’ancienne loi ne conféraient pas la grâce, mais la Vierge avait beaucoup mieux avec elle : l’auteur de la grâce.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture qui affirme (Lc 2, 22) que " furent accomplis les jours de la purification de Marie, selon la loi de Moïse ".

Réponse :

De même que la plénitude de la grâce découle du Christ sur sa mère, il convenait que la mère se modelât sur l’humilité de son fils car, dit S. Jacques (4, 6), " Dieu donne sa grâce aux humbles ". C)est pourquoi, bien qu’il ne fût pas soumis à la loi, le Christ a cependant voulu subir la circoncision et les autres contraintes de la loi afin de donner l’exemple de L’humilité et de l’obéissance, d’approuver la loi et d’enlever aux Juifs l’occasion de le calomnier. Pour la même raison, il a voulu que sa mère aussi accomplît les observances de la loi, auxquelles pourtant elle n’était pas soumise.

Solutions :

1. Bien que la Bienheureuse Vierge n’ait eu aucune souillure, elle a voulu cependant accomplir l’observance de la purification, non par nécessité, mais à cause du précepte de la loi. Et c’est pourquoi l’évangéliste dit que les jours de sa purification furent accomplis " selon la Loi " ; car, personnellement, elle n’avait pas besoin de purification.

2. Moïse paraît avoir choisi intentionnellement ses termes, afin d’excepter de la souillure la Mère de Dieu, qui n’a pas enfanté " de la semence de l’homme ". Il est donc évident qu’elle n’était pas tenue d’accomplir ce précepte, mais qu’elle a volontairement accompli l’observance de la purification, comme nous venons de le dire.

3. Les sacrements de la loi ne purifient pas de la souillure de la faute, ce qui est l’œuvre de la grâce ; ils ne pouvaient que préfigurer cette purification, en purifiant, d’une certaine manière charnelle, de la souillure qui consiste en une irrégularité, comme on l’a montré dans la deuxième Partie.

I1 faut maintenant étudier le baptême reçu par le Christ’. Et parce que le Christ a reçu le baptême de Jean, il faut étudier : I. Le baptême de Jean en général (Q. 38). - II. Le baptême reçu par le Christ (Q. 39).

 

 

QUESTION 38 — LE BAPTÊME DE JEAN

1. Convenait-il à Jean de baptiser ? - 2. Ce baptême venait-il de Dieu ? - 3. Conférait-il la grâce ? - 4. D’autres que le Christ devaient-ils le recevoir ? - 5. Ce baptême devait-il cesser après avoir été reçu par le Christ ? - 6. Ceux qui avaient reçu le baptême de Jean devaient-ils recevoir ensuite le baptême institué par le Christ ?

 

            Article 1 — Convenait-il à Jean de baptiser ?

Objections :

1. Tout rite sacramentel se rattache à une loi. Or Jean n’a pas introduit de loi nouvelle. Il ne convenait donc pas qu’il introduisît un rite nouveau.

2. Jean a été envoyé par Dieu en témoignage comme prophète, selon le texte de S. Luc (1, 76) : " Toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut. " Or, les prophètes antérieurs au Christ n’ont pas établi de nouveau rite, mais poussaient à observer les rites de la loi, comme faisait Malachie (3, 22) : " Rappelez-vous la loi de Moïse, mon serviteur. "

3. On n’ajoute pas à ce qui est déjà surabondant. Or les Juifs multipliaient les baptêmes, comme l’explique S. Marc (7, 3 Vg) : " Les pharisiens et les Juifs ne mangent pas sans s’être soigneusement lavé les mains ; lorsqu’ils reviennent du marché, ils ne mangent pas sans avoir pratiqué des ablutions. Ils pratiquent encore beaucoup d’autres observances traditionnelles, la purification des coupes, des cruches, des vases de bronze et des lits. " Il était donc superflu que Jean baptise.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture en S. Matthieu (3, 5), où, après avoir fait mention de la sainteté de S. Jean, elle ajoute que beaucoup allaient vers lui " et étaient baptisés dans le Jourdain ".

Réponse :

Il convenait que Jean baptisât pour quatre raisons.

1° Il fallait que le Christ soit baptisé par lui afin de consacrer le baptême, dit S. Augustin.

2° Afin de manifester le Christ. Aussi Jean Baptiste lui-même déclare-t-il : " C’est afin que le Christ soit manifesté que moi je suis venu baptiser dans l’eau. " Aux foules accourues vers lui, Jean annonçait le Christ, ce qu’il n’aurait pu faire aussi facilement s’il avait dû aller trouver chacun, dit S. Jean Chrysostome.

3° Afin d’accoutumer les hommes, par son baptême, à celui du Christ. S. Grégoire dit que Jean a baptisé " afin de remplir sa fonction de précurseur : sa naissance avait précédé celle du Seigneur ; de même son baptême préparait celui du Seigneur ".

4° Afin de pousser les hommes à la pénitence et par là les préparer à recevoir dignement le baptême du Christ. Aussi Bède dit-il sur le même passage : " On peut comparer le profit que retirent les catéchumènes de l’enseignement de la foi avant leur baptême, au bien que procurait le baptême de Jean avant celui du Christ. Jean prêchait, en effet, la pénitence, annonçait le baptême du Christ, et attirait à la connaissance de la vérité qui s’est manifestée au monde ; pareillement les ministres du Christ, qui commencent par enseigner, réprouvent ensuite les péchés et en promettent la rémission dans le baptême du Christ. "

Solutions :

1. Le baptême de Jean n’était pas par lui-même un sacrement, mais comme une sorte de sacramental disposant au baptême du Christ ; aussi se rattachait-il quelque peu à la loi du Christ et non à la loi de Moïse.

2. Jean ne fut pas seulement un prophète mais, comme dit le Christ en S. Matthieu (11, 9), " plus qu’un prophète ". Il fut en effet le terme de la loi et le commencement de l’Évangile. Il lui revenait donc d’amener les hommes, par sa parole et par ses actes, à la loi du Christ plutôt qu’à l’observance de l’ancienne loi.

3. Les ablutions (ou baptêmes) des pharisiens étaient inutiles, car elles ne visaient qu’à purifier la chair. Mais le baptême de Jean visait à purifier l’esprit, car il amenait les hommes à la pénitence, comme nous venons de le montrer.

 

            Article 2 — Le baptême de Jean venait-il de Dieu ?

Objections :

1. Aucune réalité sacramentelle venant de Dieu ne porte le nom d’un homme. Ainsi le baptême de la loi nouvelle n’est-il pas appelé baptême de Pierre ou de Paul, mais du Christ. Or le baptême administré par Jean porte son nom, car on lit en S. Matthieu (21, 25) : " Le baptême de Jean, d’où venait-il ? Du ciel, ou des hommes ? " Il ne pouvait donc venir de Dieu.

2. Tout enseignement nouveau qui vient de Dieu doit être confirmé par des signes ; c’est pourquoi le Seigneur a donné à Moïse le pouvoir d’en accomplir (Ex 4, 2) et on lit dans l’épître aux Hébreux (2, 3) : " Notre foi, inaugurée par la prédication du Seigneur, nous a été confirmée par ceux qui l’ont entendue, Dieu appuyant leur témoignage par des signes et des prodiges. " Or, on nous dit dans le quatrième évangile (10, 41) : " Jean n’a fait aucun signe ". Il semble donc que son baptême ne venait pas de Dieu.

3. Les sacrements institués par Dieu sont prescrits par la Sainte Écriture. Mais ce n’est pas le cas du baptême de Jean, qui ne vient donc pas de Dieu.

En sens contraire, Jean Baptiste déclare lui-même, selon le quatrième évangile (1, 33) : " Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est lui qui m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit, etc. "

Réponse :

Dans le baptême de Jean on peut considérer deux réalités : le rite même du baptême, et l’effet du baptême. Le rite du baptême n’a pas été institué par les hommes mais par Dieu ; c’est Dieu qui, par une révélation intime du Saint-Esprit, a envoyé Jean baptiser. En revanche, l’effet de ce baptême venait de l’homme, car ce baptême ne produisait rien que l’homme ne puisse faire. Par suite, le baptême de Jean n’est pas venu de Dieu seul, sinon dans la mesure où Dieu agit dans l’homme.

Solutions :

1. Par le baptême de la loi nouvelle, les hommes sont baptisés intérieurement par le Saint-Esprit, ce qui est l’œuvre de Dieu seul. Mais par le baptême de Jean le corps seul était purifié par l’eau. Voilà pourquoi Jean lui-même affirme (Mt 3, 11) : " Moi, je vous baptise dans l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. " Aussi le baptême administré par Jean porte-il son nom, car tout ce qui s’y faisait était fait par lui. Mais le baptême de la loi nouvelle ne porte pas le nom du ministre, car celui-ci ne produit pas l’effet principal du baptême, qui est la purification intérieure.

2. L’enseignement et l’action de Jean étaient tout entiers ordonnés au Christ, qui a confirmé par une multitude de signes sa propre doctrine et celle de Jean. Si Jean avait fait des miracles, les hommes lui auraient porté la même attention qu’au Christ. Pour que les hommes s’attachent principalement au Christ, il n’a pas été accordé à Jean de faire des miracles. Cependant, aux juifs qui lui demandaient pourquoi il baptisait, il a confirmé sa mission par l’autorité de la Sainte Écriture en disant (Jn 1, 19) : " je suis la voix qui crie dans le désert. " L’austérité de sa vie était encore une preuve de sa mission car, d’après S. Jean Chrysostome, " c’était chose étonnante de voir dans un corps humain une telle endurance ".

3. Le baptême de Jean ne fut prévu par Dieu que pour durer peu de temps, on a dit pourquoi à l’article précédent. Aussi ne fut-il pas recommandé par précepte promulgué pour tous dans la Sainte Écriture, mais par une révélation intime de l’Esprit Saint, comme nous venons de le dire.

 

            Article 3 — Le baptême de Jean conférait-il la grâce ?

Objections :

1. On lit en S. Marc (1, 4) : " Jean baptisait dans le désert, et il prêchait un baptême de pénitence pour la rémission des péchés. " Or la pénitence et la rémission des péchés requièrent la grâce. Donc le baptême de Jean conférait la grâce.

2. Ceux que Jean devait baptiser confessaient leurs péchés, comme on le lit en Matthieu (3, 6) et Marc (1, 5). Or la confession des péchés se fait en vue de leur pardon, qui se réalise par la grâce. Le baptême de Jean conférait donc la grâce.

3. Le baptême de Jean était plus proche du baptême du Christ que la circoncision. Or la circoncision remettait le péché originel ; car, d’après Bède, " sous la loi, la circoncision apportait contre la blessure du péché originel le même remède de guérison salutaire que le baptême apporte maintenant au temps de la révélation de la grâce ". Donc, à plus forte raison, le baptême de Jean apportait-il la rémission des péchés ; ce qui ne peut se faire sans la grâce.

En sens contraire, Jean Baptiste déclare en saint Matthieu (3, 11) : " Moi, je vous baptise dans l’eau, pour la pénitence. " Ce que S. Grégoire explique ainsi : " Jean ne baptisa pas dans l’Esprit, mais dans l’eau, parce qu’il ne pouvait pas enlever les péchés. " Or la grâce vient du Saint-Esprit, et c’est par elle que les péchés sont enlevés. Le baptême de Jean ne conférait donc pas la grâce.

Réponse :

On le sait par l’article précédent, l’enseignement et l’action de Jean ne faisaient que préparer ceux du Christ. C’est ainsi que l’apprenti et l’ouvrier subalterne préparent une matière à recevoir la forme que lui donnera le maître d’œuvre. Or la grâce devait être conférée aux hommes par le Christ, suivant cette parole de Jean l’évangéliste (1, 17) : " La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. " Il en résulte que le baptême de Jean ne conférait pas la grâce, mais y préparait seulement. De trois manières : 1° par l’enseignement de Jean, qui amenait les auditeurs à la foi au Christ ; 2° en accoutumant les hommes au rite du baptême du Christ ; 3° par la pénitence, qui les préparait à recevoir l’effet du baptême du Christ.

Solutions :

1. D’après Bède, le mot " baptême " peut se comprendre de deux façons. Ou bien c’est le baptême administré par Jean lui-même, lequel est un " baptême de pénitence " en ce sens qu’il incite à pratiquer la pénitence et constitue une protestation par laquelle on professait qu’on ferait pénitence. Le baptême du Christ est différent : ce baptême-là, qui remet les péchés, Jean ne pouvait pas le donner ; il ne faisait que le prêcher en disant : " Lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint. "

On peut soutenir aussi que Jean prêchait le baptême de pénitence, c’est-à-dire le baptême qui conduit à la pénitence, laquelle conduit à son tour à la rémission des péchés.

Ou bien encore on peut suivre l’opinion de S. Jérôme : " La grâce qui remet gratuitement les péchés est donnée par le, baptême du Christ. Mais ce qui est achevé par l’Époux est commencé par l’ami de l’Époux ", c’est-à-dire Jean. Si donc " Jean baptisait et prêchait le baptême de la pénitence pour la rémission des péchés ", cela ne veut pas dire qu’il achevait toute cette œuvre de la grâce ; mais il la commençait en y préparant les hommes.

2. Cette confession des péchés ne se faisait pas pour obtenir immédiatement leur pardon par le baptême de Jean, mais pour le recevoir par la pénitence qui suivait, et par le baptême du Christ auquel cette pénitence préparait.

3. La circoncision avait été instituée comme remède du péché originel. Mais le baptême de Jean n’avait pas été institué à cette fin ; il ne faisait que préparer au baptême du Christ, comme nous venons de le dire. Si les sacrements sont efficaces, c’est en vertu de l’institution divine.

 

            Article 4 — D’autres que le Christ devaient-ils recevoir le baptême de Jean ?

Objections :

1. On l’a dit, Jean baptisait pour que le Christ soit baptisé, selon S. Augustin. Mais ce qui est propre au Christ ne doit pas convenir aux autres. Donc il ne fallait pas qu’un autre reçoive le baptême de Jean.

2. Quiconque est baptisé ou bien reçoit quelque effet du baptême, ou bien lui confère quelque qualité. Or, personne ne pouvait rien recevoir du baptême de Jean, qui ne donnait pas la grâce, nous venons de le dire. Et personne ne pouvait rien conférer au baptême de Jean, sauf le Christ, qui " a sanctifié les eaux par le contact de sa chair très pure ". Donc le Christ seul devait recevoir le baptême de Jean.

3. Si d’autres recevaient ce baptême, ce n’était que pour se préparer à celui du Christ ; ainsi, de même que le baptême du Christ est administré à tous, grands et petits, païens et Juifs, il aurait convenu que tous reçoivent le baptême de Jean. Mais l’Écriture ne dit pas que celui-ci ait baptisé des enfants ni des païens car, selon S. Marc (1, 5), " tous les Israélites allaient à Jean et étaient baptisés par lui ". Il semble donc que le Christ aurait dû être le seul à recevoir le baptême de Jean.

En sens contraire, on lit en S. Luc (3, 21) : " Une fois que tout le peuple eut été baptisé, Jésus fut baptisé lui aussi et pendant qu’il priait le ciel s’ouvrit. "

Réponse :

D’autres que le Christ devaient être baptisés par Jean, pour deux motifs. D’abord, dit S. Augustin, " si le Christ seul avait reçu le baptême de Jean, il n’aurait pas manqué d’hommes pour dire que le baptême de Jean, reçu par le Christ, était supérieur à celui du Christ, reçu par les autres ". Ensuite il fallait, comme nous l’avons dit, que les autres soient préparés par le baptême de Jean à recevoir le baptême du Christ.

Solutions :

1. Si le baptême de Jean a été institué, ce n’était pas seulement pour que le Christ soit baptisé, mais aussi pour d’autres motifs, comme nous l’avons dit à l’article premier. Pourtant, même si le baptême de Jean avait été institué uniquement pour cela, il aurait fallu éviter les inconvénients indiqués, en donnant ce baptême à d’autres.

2. Les autres hommes qui venaient au baptême de Jean ne pouvaient rien conférer à ce baptême ; cependant ils n’en recevaient pas la grâce, mais seulement le signe de la pénitence.

3. Puisque ce baptême était " de pénitence " et que celle-ci ne convient pas aux enfants, il n’était pas donné à ceux-ci. Quant aux païens, leur ouvrir le chemin du salut était réservé au Christ " attente des nations " (Gn 49, 10 Vg). Et lui-même a interdit aux Apôtres de prêcher l’Évangile aux païens avant sa passion et sa résurrection. Aussi convenait-il beaucoup moins que Jean admette des païens au baptême.

 

            Article 5 — Ce baptême devait-il cesser après avoir été reçu par le Christ ?

Objections :

1. Il est écrit (Jn 1, 31) : " C’est pour qu’il soit manifesté à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau. " Or, après son baptême, le Christ était suffisamment manifesté : par le témoignage de Jean, par la descente de la colombe, par le témoignage de la voix du Père. Il semble donc que le baptême de Jean n’aurait pas dû continuer ensuite.

2. S. Augustin l’affirme : " Le Seigneur a été baptisé du baptême de Jean, et celui-ci a pris fin. "

3. Le baptême de Jean préparait à celui du Christ. Or le baptême administré par le Christ a commencé aussitôt que celui-ci eut été baptisé, car, dit Bède, " c’est par le contact de sa chair très pure qu’il a conféré aux eaux la vertu de régénérer ". Il apparaît donc que le baptême de Jean a pris fin aussitôt que le Christ l’eut reçu.

En sens contraire, il est écrit (Jn 3, 22) : " Jésus vint au pays de Judée... et il y baptisait. Jean aussi baptisait. " Mais le Christ n’a baptisé qu’après avoir reçu le baptême. Il apparaît donc que Jean a continué ensuite de baptiser.

Réponse :

Le baptême de Jean ne devait pas prendre fin après que le Christ eut été baptisé.

1° Parce que, selon S. Jean Chrysostome, " si Jean avait cessé de baptiser après le baptême du Christ, on aurait pensé que c’était par jalousie ou par colère ".

2° Parce que s’il avait cessé de baptiser au moment où le Christ baptisait, " il aurait accru la jalousie de ses disciples ".

3° En continuant à baptiser, " il envoyait ses auditeurs au Christ ".

4° Comme dit Bède " l’ombre de la loi ancienne demeurait encore, et le Précurseur ne devait pas cesser son ministère jusqu’à la manifestation de la vérité ".

Solutions :

1. Une fois baptisé, le Christ n’était pas encore pleinement manifesté. Il était donc nécessaire que Jean continue à baptiser.

2. On peut dire que, le Christ une fois baptisé, le baptême de Jean a pris fin ; non aussitôt, mais après l’emprisonnement du Précurseur. Ce qui fait dire à S. Jean Chrysostome : " A mon sens, voici pourquoi la mort de Jean a été permise et pourquoi, après sa disparition, le Christ s’est mis à prêcher abondamment : pour que tout l’attachement de la foule se reporte sur le Christ, et qu’on ne soit plus divisé par l’opinion que l’on avait de l’un et de l’autre. "

3. Le baptême de Jean était une préparation non seulement au baptême que le Christ devait recevoir, mais aussi à ce que d’autres parviennent au baptême du Christ. Ce qui ne s’était pas encore réalisé lorsque le Christ fut baptisé.

 

            Article 6 — Ceux qui avaient reçu le baptême de Jean devaient-ils recevoir ensuite le baptême institué par le Christ ?

Objections :

1. Jean n’était pas inférieur aux Apôtres, puisqu’il est écrit de lui (Mt 11, 11) : " Parmi les enfants des hommes, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean Baptiste. " Or ceux à qui les Apôtres avaient donné le baptême n’étaient pas baptisé à nouveau, mais on se bornait à leur imposer les mains ; on dit en effet dans les Actes (8, 16) de ceux qui " avaient été seulement baptisés par Philippe au nom du Seigneur Jésus, que les Apôtres Pierre et Jean leur imposaient les mains et ils recevaient le Saint-Esprit ". Il semble donc que ceux qui avaient été baptisés par Jean n’avaient pas dû recevoir le baptême du Christ.

2. Les Apôtres ont reçu le baptême de Jean, car quelques-uns avaient été ses disciples comme on le voit dans le quatrième évangile (1, 37). Mais les Apôtres ne semblent pas avoir reçu le baptême du Christ : " Jésus ne baptisait pas lui-même, mais seulement ses disciples " (Jn 4, 2).

3. Celui qui est baptisé est inférieur à celui qui baptise. Or nous ne lisons pas que Jean lui-même ait reçu le baptême du Christ. Donc, bien moins encore ceux que Jean avait baptisés ont-ils eu besoin du baptême du Christ.

4. On lit dans les Actes (19, 1) : " Paul, ayant rencontré quelques disciples, leur dit : "Avez-vous reçu le Saint-Esprit, quand vous avez cru ?" Ils lui répondirent : "Nous n’avons même pas entendu dire qu’il y ait un Saint-Esprit. " Il dit : "Quel baptême avez-vous donc reçu ?" Et ils répondirent : "Le baptême de Jean. " Ils furent alors baptisés à nouveau au nom du Seigneur Jésus Christ. " Il semble donc qu’il avait fallu les baptiser à nouveau parce qu’ils ignoraient l’Esprit Saint ; telle est l’opinion de S. Jérôme dans un commentaire sur Joël et sa lettre " Sur l’époux d’une seule femme u ", et celle de S. Ambroise. Mais certains de ceux qui reçurent le baptême de Jean avaient une pleine connaissance de la Trinité. Ceux-là n’avaient donc pas à recevoir le baptême du Christ.

5. La parole de S. Paul (Rm 10, 8) : " Voici la parole de foi que nous prêchons " est ainsi commentée par une Glose de S. Augustin : " D’où vient à l’eau une vertu telle qu’en touchant le corps elle lave le cœur, sinon de l’efficacité de la parole, celle que l’on croit, non celle qui est prononcée ? " Cela montre bien que là vertu du baptême dépend da la foi. Or la forme du baptême de Jean signifiait la foi au Christ, en laquelle nous sommes baptisés ; Paul déclare en effet, d’après les Actes (19, 11) : " Jean a baptisé du baptême de pénitence, disant au peuple de croire en celui qui venait après lui, c’est-à-dire en Jésus. " Il semble donc que ceux qui avaient reçu le baptême de Jean n’avaient pas besoin de recevoir celui de Jésus.

En sens contraire, S. Augustin nous dit " Ceux qui ont été baptisés du baptême de Jean, il fallait qu’ils soient baptisés du baptême du Christ. "

Réponse :

Selon l’opinion du Maître des Sentences : " Ceux qui avaient reçu le baptême de Jean en ignorant l’existence du Saint-Esprit et en mettant leur espérance dans ce baptême, ont été baptisés ensuite du baptême du Christ. Quant à ceux qui n’avaient pas mis leur espoir dans ce baptême et qui croyaient au Père, au Fils et au Saint-Esprit, on ne les baptisa pas dans la suite ; mais ils reçurent l’Esprit Saint par l’imposition des mains que les Apôtres firent sur eux. "

La première partie de cette opinion est vraie de multiples autorités la confirment.

La seconde partie est tout à fait déraisonnable. D’abord parce que le baptême de Jean ne conférait pas la grâce, ni n’imprimait de caractère ; il était seulement donné dans l’eau, comme Jean le dit lui-même en Matthieu (3, 11). La foi ou l’espérance que le baptisé avait dans le Christ ne pouvait donc pas suppléer à ce défaut. En second lieu parce que, si l’on omet dans un sacrement quelque chose de nécessaire, non seulement il faut suppléer ce qui a été omis, mais il faut tout recommencer. Or, le baptême du Christ exige nécessairement qu’il soit fait non seulement dans l’eau, mais aussi dans le Saint-Esprit, selon S. Jean (3, 5) : " Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu. " Aussi, pour ceux qui, par le baptême de Jean, n’avaient été baptisés que dans l’eau, il ne fallait pas seulement suppléer ce qui manquait, en leur donnant l’Esprit Saint par l’imposition des mains, il fallait encore les baptiser à nouveau totalement dans l’eau et dans le Saint-Esprit.

Solutions :

1. D’après S. Augustin " On a baptisé après Jean, parce qu’il ne donnait pas le baptême du Christ, mais le sien. . . Le baptême donné par Pierre, et celui qu’a pu donner judas était le baptême du Christ. . . Et c’est pourquoi si judas a célébré des baptêmes, on n’a pas rebaptisé. . . "

" Car la valeur du baptême vient de celui par le pouvoir de qui il est donné, et non en fonction de celui qui l’administre. " C’est aussi la raison pour laquelle ceux qu’avait baptisés le diacre Philippe, qui administrait le baptême du Christ, n’ont pas été baptisés à nouveau, mais ont reçu des Apôtres l’imposition des mains ; de même que ceux que les prêtres ont baptisés sont confirmés par les évêques.

2. S. Augustin écrit : " Nous croyons que les disciples du Christ ont reçu soit le baptême de Jean, comme quelques-uns le pensent, soit plus probablement le baptême du Christ. Car il aurait bien pu administrer le baptême afin d’avoir des serviteurs qui le donneraient à d’autres, lui qui a exercé le ministère de l’humilité en leur lavant les pieds. "

3. Comme dit S. Jean Chrysostome, " lorsque, à Jean qui lui dit : "C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi", le Christ répond : "laisse maintenant", cela montre que, par la suite, le Christ baptisa Jean ". Il ajoute : " Cela est écrit dans certains livres apocryphes. "

Il est cependant certain, d’après S. Jérôme, " que si le Christ devait être baptisé dans l’eau, Jean devait l’être par le Christ dans l’Esprit ".

4. Quant à ceux dont on nous dit qu’ils furent baptisés à nouveau après le baptême de Jean, tout le motif n’en est pas qu’ils ignoraient l’existence du Saint-Esprit, mais qu’ils n’avaient pas reçu le baptême du Christ.

5. Comme écrit S. Augustin : " Nos sacrements sont des signes de la grâce présente, tandis que les sacrements de l’ancienne loi étaient les signes de la grâce future. Aussi, du fait même que Jean baptisait au nom de celui qui doit venir, nous devons comprendre qu’il n’administrait pas le baptême du Christ, qui est un sacrement de la loi nouvelle. "

 

 

QUESTION 39 — LE BAPTÊME REÇU PAR LE CHRIST

1. Le Christ devait-il être baptisé ? - 2. Devait-il être baptisé du baptême de Jean ? - 3. L’âge auquel le Christ reçut le baptême. - 4. Le lieu de ce baptême. - 5. " Les cieux se sont ouverts. " - 6. L’apparition du Saint-Esprit sous forme de colombe. - 7. Cette colombe fut-elle un véritable animal ? - 8. Le témoignage de la voix du Père.

 

            Article 1 — Le Christ devait-il être baptisé ?

Objections :

1. Être baptisé, c’est être lavé. Mais il ne convenait pas au Christ d’être lavé, puisqu’il n’y avait en lui aucune impureté.

2. Le Christ a été circoncis pour accomplir la loi. Mais le baptême ne faisait pas partie de la loi. Donc le Christ ne devait pas être baptisé.

3. En chaque genre de mouvements, le premier moteur ne peut lui-même recevoir le mouvement qu’il imprime. Ainsi le ciel, qui est le premier agent d’altération, ne peut subir lui-même d’altération. Mais le Christ a été le premier à baptiser, selon cette parole (Jn 1, 33) : " Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. " Mais il ne convenait pas que lui-même reçût le baptême.

En sens contraire, on lit (Mt 3, 13) : " Jésus arrive de la Galilée au Jourdain vers Jean, pour être baptisé par lui. "

Réponse :

Il convenait que le Christ soit baptisé. 1° Selon S. Ambroise, " le Seigneur fut baptisé non pour être purifié mais pour purifier les eaux, afin que, purifiées par la chair du Christ, qui n’a pas connu le péché, elles aient le pouvoir de baptiser ". Et, dit S. Jean Chrysostome " afin qu’il les laisse sanctifiées pour ceux qui seraient baptisés dans la suite ".

2° Parce que, dit Chrysostome, " bien qu’il ne fût pas pécheur lui-même, il a pris une nature pécheresse et une chair semblable à la chair du péché. C’est pourquoi, bien qu’il n’eût pas besoin du baptême pour lui, la nature charnelle des autres en avait besoin ". Et, dit S. Grégoire de Nazianze " le Christ fut baptisé afin d’engloutir dans l’eau le vieil Adam tout entier ".

3° Il a voulu être baptisé, dit S. Augustin " parce qu’il a voulu faire ce qu’il a demandé à tous de faire ". Et c’est ce qu’il dit lui-même (Mt 3, 15) : " C’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. " " Car, déclare S. Ambroise la justice, c’est que l’on fasse le premier ce que l’on veut que les autres fassent, et qu’on les entraîne par son exemple. "

Solutions :

1. Le Christ n’a pas été baptisé pour être purifié, mais pour purifier, on vient de le dire.

2. Le Christ ne devait pas seulement accomplir les prescriptions de la loi ancienne, mais aussi inaugurer ce que commande la loi nouvelle. Et c’est pourquoi il n’a pas voulu seulement être circoncis, mais aussi être baptisé.

3. Le Christ a été le premier à baptiser dans l’Esprit. Et ce n’est pas ainsi qu’il a été baptisé, mais seulement dans l’eau.

 

            Article 2 — Le Christ devait-il être baptisé du baptême de Jean ?

Objections :

1. Le baptême de Jean fut un baptême de pénitence. Mais la pénitence ne convient pas au Christ, car il n’eut aucun péché.

2. Le baptême de Jean, dit S. Chrysostome, a tenu le milieu entre le baptême des juifs et le baptême chrétien. Mais ce qui est au milieu est homogène à la nature des deux extrêmes. Donc, puisque le Christ n’a pas reçu le baptême juif, ni non plus son propre baptême, il semble que, à titre égal, il n’aurait pas dû recevoir le baptême de Jean.

En sens contraire, il est écrit (Mt 3, 13) : " Jésus arrive au Jourdain pour être baptisé par Jean ".

Réponse :

Comme dit S. Augustin, " une fois baptisé, le Seigneur baptisait, mais non du baptême dont lui-même avait été baptisé ". De ce fait, puisque lui-même baptisait de son baptême à lui, il s’ensuit qu’il n’a pas été baptisé de son baptême à lui, mais du baptême de Jean. Et c’est cela qui convenait.

1° A cause de ce qui caractérise le baptême de Jean, baptême non dans l’Esprit, mais dans l’eau seulement. Or, le Christ n’avait pas besoin d’un baptême dans l’Esprit, lui qui, dès le commencement de sa conception, fut rempli de la grâce du Saint-Esprit, comme on l’a montré précédemment Et tel est le motif donné par S. Chrysostome.

2° Selon Bède le Christ fut baptisé du baptême de Jean " afin d’approuver le baptême de Jean en le recevant lui-même ".

3° Selon S. Grégoire de Nazianze, " Jésus est venu au baptême de Jean afin de sanctifier le baptême ".

Solutions :

1. Nous l’avons dit à l’article précédent, le Christ a voulu recevoir le baptême pour nous y inciter par son exemple. Aussi, pour rendre son imitation plus efficace, il a voulu recevoir un baptême dont manifestement il n’avait pas besoin, afin que les hommes s’approchent du baptême dont ils avaient besoin. Ce qui fait dire à S. Ambroise - : " Que personne ne se dérobe au bain de la grâce, quand le Christ ne s’est pas dérobé au bain de la pénitence. "

2. Le baptême prescrit dans la loi juive était seulement figuratif ; mais le baptême de Jean contenait déjà une certaine réalité, en tant qu’il incitait les hommes à s’abstenir du péché ; quant au baptême chrétien, il est efficace pour purifier du péché et pour conférer la grâce. Or, le Christ n’avait pas besoin de recevoir la rémission des péchés, puisqu’il n’avait pas de péché, ni de recevoir la grâce, puisqu’il la possédait en plénitude. En outre, et pareillement, étant la vérité en personne, ce qui était une simple figure ne lui convenait pas. Et c’est pourquoi il lui convenait de recevoir le baptême placé entre le baptême juif et le baptême chrétien, plutôt que l’un de ceux-ci.

3. Le baptême est un remède spirituel. Or, plus on est parfait, moins on a besoin de remède. Aussi, du fait même que le Christ est souverainement parfait, il convenait qu’il ne reçoive pas le baptême le plus parfait, comme celui qui est en bonne santé n’a pas besoin d’un traitement efficace.

 

            Article 3 — L’âge auquel le Christ reçut le baptême

Objections :

1. Le Christ a été baptisé pour inciter les autres, en leur donnant l’exemple, à se faire baptiser. Mais il est louable pour les fidèles du Christ d’être baptisés non seulement avait trente ans, mais dans la petite enfance. Il semble donc que le Christ n’aurait pas dû être baptisé à l’âge de trente ans.

2. L’Écriture ne dit pas que le Christ ait enseigné ou fait des miracles avant son baptême. Or, s’il avait commencé plus tôt à enseigner, dès sa vingtième année ou même avant, cela aurait été plus avantageux pour le monde. Donc, le Christ, qui était venu pour le bien des hommes, aurait dû être baptisé avant l’âge de trente ans.

3. C’est surtout chez le Christ qu’a dû se manifester la sagesse divine. Or, elle s’est manifestée chez Daniel dans son enfance (Dn 13, 43) : " Le Seigneur suscita l’esprit saint d’un jeune enfant nommé Daniel. " Donc, à plus forte raison, le Christ aurait dû être baptisé et se mettre à enseigner dans son enfance.

4. Le baptême est ordonné au baptême reçu par le Christ comme à sa fin. Or la fin est première dans l’ordre d’intention, mais dernière dans l’ordre d’exécution. Donc le Christ devait être baptisé par Jean soit le premier, soit le dernier.

En sens contraire, il y a le texte de Luc (3, 21) : " Il advint, une fois que tout le peuple eut été baptisé et au moment où Jésus, baptisé lui aussi, se trouvait en prière. . . " et plus loin : " Jésus, lors de ses débuts, avait environ trente ans. "

Réponse :

Il est tout à fait convenable que le Christ ait été baptisé à trente ans.

1° Il a été baptisé pour commencer dès lors à enseigner et à prêcher. Ce qui requiert l’âge parfait, qui est trente ans. Aussi lit-on dans la Genèse (41, 46) que " Joseph avait, trente ans " quand il reçut le gouvernement de l’Égypte. Il est écrit également de David ( 2 S 5, 4) " qu’il avait trente ans quand il commença de régner ". Ézéchiel aussi (1, 1) commença de prophétiser " à trente ans ".

2° Selon S. Chrysostome, " après le baptême du Christ, la loi allait prendre fin. Et c’est pourquoi le Christ est venu au baptême à l’âge où l’on peut endosser tous les péchés ; ainsi, puisqu’il avait observé la loi, personne ne dirait qu’il l’avait abolie parce qu’il ne pouvait pas l’accomplir ".

3° Le fait que le Christ est baptisé à l’âge parfait, nous donne à entendre que le baptême engendre des hommes parfaits, selon S. Paul (Ep 4, 13) : " Nous devons parvenir tous ensemble à ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ. " A cela semble se rattacher ce qui est propre au chiffre trente. Il est le produit de trois par dix ; trois évoque la foi en la Trinité ; et dix, l’accomplissement des préceptes de la loi : c’est en ces deux points que consiste la perfection de la vie chrétienne.

Solutions :

1. Comme dit S. Grégoire de Nazianze, le Christ n’a pas été baptisé " comme s’il avait besoin d’être purifié. . . ou comme s’il eût été dangereux pour lui de retarder le baptême. Mais pour tout autre, ce serait un grand danger de sortir de ce monde sans avoir revêtu la robe d’immortalité ", la grâce. Et s’il est bon de garder sa pureté après le baptême, " il vaut mieux ", dit le même auteur, " recevoir parfois quelques taches que d’être entièrement démuni de la grâce ".

2. Le bien que le Christ apporte aux hommes leur vient principalement de la foi et de l’humilité. Or, pour l’une et l’autre, il importe que le Christ n’ait pas commencé à enseigner dans son enfance ou son adolescence, mais à l’âge parfait. Pour la foi, parce que la réalité de l’humanité du Christ se manifeste par la croissance de son corps ; et pour que cette croissance ne soit pas tenue pour imaginaire, il n’a pas voulu manifester sa sagesse ou sa force avant d’avoir atteint l’âge parfait de son développement physique. Pour l’humilité, afin que personne, avant d’avoir atteint l’âge parfait, n’ait la prétention de prendre un titre de supérieur ni une fonction d’enseignement.

3. Le Christ était proposé en exemple aux hommes en toutes choses. C’est pourquoi il devait montrer en lui ce qui convient à tous selon la loi commune, et donc n’enseigner qu’à l’âge parfait. Mais, dit S. Grégoire de Nazianze : " La loi commune n’est pas ce qui arrive rarement, de même qu’une hirondelle ne fait pas le printemps ". Car il a été accordé à quelques-uns, par une disposition spéciale voulue par la sagesse divine et contraire à la loi commune, de recevoir avant l’âge parfait la fonction de gouverner ou d’enseigner, comme ce fut le cas pour Salomon, Daniel et Jérémie.

4. Le Christ ne devait être baptisé par Jean ni le premier, ni le dernier. Car, dit S. Chrysostome le Christ était baptisé " pour confirmer la prédication et le baptême de Jean, et pour recevoir le témoignage de celui-ci ". Or, on n’aurait pas cru au témoignage de Jean si d’abord beaucoup d’hommes n’avaient été baptisés par lui. Et c’est pourquoi le Christ ne devait pas être baptisé le premier. Et non plus le dernier. Car, ajoute le même auteur, " de même que le soleil n’attend pas que décline l’étoile du matin, mais qu’il se lève tandis que celle-ci poursuit sa course, et qu’il en efface l’éclat par sa lumière, de même le Christ n’a pas attendu que Jean ait accompli sa course, mais est apparu tandis que celui-ci continuait à enseigner et à baptiser "

 

            Article 4 — Le lieu de baptême du Christ

Objections :

1. La vérité doit correspondre à la figure. Mais la préfiguration du, baptême fut le passage de la mer Rouge, où les Égyptiens furent engloutis comme les péchés sont effacés par le baptême. Il semble donc que le Christ aurait dû être baptisé dans la mer plutôt que dans le Jourdain.

2. " Jourdain " se traduit par " descente ". Mais dans le baptême on monte beaucoup plus qu’on ne descend, aussi est-il écrit (Mt 3, 16) : " Jésus, aussitôt baptisé, remonta de l’eau. "

3. Lorsque les fils d’Israël passèrent le Jourdain, " ses eaux retournèrent en arrière " (Jos 3, 16. 17 ; Ps 114, 3. 5). Or les baptisés ne retournent pas en arrière, ils vont de l’avant. Il ne convenait donc pas que le Christ soit baptisé dans le Jourdain.

En sens contraire, il est écrit (Mc 1, 9) : " Jésus fut baptisé par Jean dans le Jourdain. "

Réponse :

C’est en traversant le Jourdain que les fils d’Israël entrèrent dans la Terre promise. Or le baptême du Christ a ceci de particulier par rapport aux autres baptêmes, qu’il introduit dans le royaume de Dieu, symbolisé par la Terre promise. D’où ce texte de S. Jean (3, 5) : " Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. " A cela se rattache le fait qu’Élie a divisé les eaux du Jourdain avant d’être enlevé au ciel par un char de feu (2 R 2, 7), parce que, pour ceux qui traversent les eaux du baptême, le feu de l’Esprit Saint ouvre l’accès au ciel. Aussi convenait-il que le Christ fût baptisé dans le Jourdain.

Solutions :

1. Le passage de la mer Rouge préfigurait le baptême en ce que celui-ci efface les péchés. Mais le passage du Jourdain le préfigurait en ce qu’il ouvre la porte du royaume céleste, ce qui est l’effet principal du baptême, et qui n’est accompli que par le Christ. Il convenait donc que le Christ soit baptisé dans le Jourdain plutôt que dans la mer.

2. Il y a dans le baptême une montée par le progrès de la grâce ; elle requiert la descente par l’humilité, selon S. Jacques (4, 6) : " Aux humbles le Seigneur donne la grâce. " Et c’est à cette descente que se rapporte le nom de Jourdain.

3. Selon S. Augustin " de même que jadis les eaux du Jourdain sont retournées en arrière, de même, le Christ une fois baptisé, les péchés sont retourner en arrière ".

Ou bien cela peut symboliser qu’à l’opposé des eaux qui descendent, le fleuve des bénédictions se portait vers le haut.

 

            Article 5 — " Les cieux se sont ouverts "

Objections :

1. Les cieux doivent s’ouvrir pour celui qui a besoin d’y entrer parce qu’il se trouve en dehors. Or le Christ se trouvait toujours dans le ciel, selon la parole en S. Jean (3, 13) : " Le Fils de l’homme, qui est dans le ciel. . . "

2. L’ouverture des cieux peut s’entendre ou d’une manière spirituelle, ou d’une manière physique. On ne peut l’entendre d’une manière physique, car les corps célestes sont inaltérables et infrangibles selon le livre de Job (37, 18) : " C’est peut-être toi qui as fabriqué les cieux, aussi solides que le bronze ? " On ne peut l’entendre non plus d’une manière spirituelle, car aux regards du Fils de Dieu, les cieux n’étaient pas fermés auparavant. C’est pourquoi il est inexact de dire qu’après le baptême du Christ " les cieux se sont ouverts ".

3. Pour les fidèles le ciel s’est ouvert par la passion du Christ, selon l’épître aux Hébreux (10, 19) : " Nous avons confiance d’entrer dans le Saint des saints par le sang du Christ. " C’est pourquoi même les baptisés du baptême du Christ, s’ils étaient morts avant sa passion, n’auraient pu entrer au ciel. Donc les cieux auraient dû s’ouvrir pendant sa passion et non après son baptême.

En sens contraire, il y a l’affirmation de Luc (3, 21) : " Au moment où Jésus, après son baptême, était en prière, le ciel s’ouvrit. "

Réponse :

Nous l’avons dit. le Christ a voulu être baptisé pour consacrer par son baptême celui que nous recevrions. Aussi le baptême qu’il a reçu devait-il manifester ce qui ressortit à l’efficacité de notre baptême. A ce sujet trois points sont à considérer.

1° La vertu principale d’où le baptême tient son efficacité, et qui est une vertu céleste. C’est pourquoi, au baptême du Christ, le ciel s’est ouvert pour montrer que désormais une vertu céleste sanctifierait notre baptême.

2° Ce qui agit pour l’efficacité du baptême. C’est la foi de l’Église et du baptisé ; de là vient que les baptisés professent la foi et que le baptême est appelé " sacrement de la foi ". Or, par la foi notre regard pénètre les mystères célestes qui dépassent le sens et la raison de l’homme. C’est pour symboliser cela que les cieux se sont ouverts après le baptême du Christ.

3° C’est spécialement par le baptême du Christ que nous est ouverte l’entrée du royaume céleste, que le péché avait fermée au premier homme. Aussi, au baptême du Christ, les cieux s’ouvrirent-ils afin de montrer que le chemin du ciel était ouvert aux baptisés.

D’autre part, après le baptême, pour que l’homme entre au ciel, la prière continuelle lui est nécessaire. Certes, par le baptême les péchés sont remis, mais il reste le foyer de convoitise qui nous attaque intérieurement, et le monde et les démons qui nous attaquent extérieurement. C’est pourquoi S. Luc dit nettement : " Au moment où Jésus, après son baptême, était en prière ", parce que la prière est nécessaire aux fidèles après le baptême.

Ou bien on veut nous faire entendre que le fait même de l’ouverture du ciel aux croyants par le baptême, tient à la vertu de la prière du Christ. Aussi Matthieu (3, 16) écrit-il nettement : " Le ciel fut ouvert pour lui ", c’est-à-dire " à tous à cause de lui ", comme si un empereur disait à quelqu’un qui l’implore pour un autre : " Ce bienfait, je ne le donne pas à lui, mais à toi ", c’est-à-dire " à cause de toi ", selon le commentaire de S. Jean Chrysostome.

Solutions :

1. Comme dit S. Jean Chrysostome u, " de même que le Christ selon sa condition humaine a été baptisé, quoiqu’il n’eût pas besoin de baptême pour lui-même ; de même, selon cette condition humaine, les cieux se sont ouverts pour lui, mais selon sa nature divine, il était toujours dans les cieux ".

2. D’après S. Jérôme, " les cieux s’ouvrirent pour le Christ baptisé, non par une ouverture matérielle mais pour les yeux de son esprit, ces yeux avec lesquels Ézéchiel aussi les vit ouverts, comme il le rapporte au début de son livre ". Et S. Jean Chrysostome le prouve en disant : " Si la créature (les cieux) s’était brisée, on n’aurait pas dit : "les cieux lui furent ouverts", car ce qui s’ouvre corporellement est ouvert pour tous. " Aussi Marc (1, 10) dit-il expressément : " Aussitôt, Jésus, remonta de l’eau, vit les cieux s’ouvrir ", comme si l’ouverture des cieux était en relation avec la vision du Christ. Certains la ramènent à une vision physique, disant qu’autour du Christ, au moment du baptême, il y eut une telle splendeur que les cieux parurent ouverts. Cela peut encore se rattacher à une vision par l’imagination, à la manière dont Ézéchiel vit les cieux ouverts ; car elle était formée dans l’imagination du Christ par la vertu divine et la volonté rationnelle, pour signifier que par le baptême l’entrée du ciel est ouverte aux hommes. On peut encore la rattacher à une vision intellectuelle, en tant que le Christ vit, quand le baptême venait d’être sanctifié, que le ciel est ouvert aux hommes ; mais déjà avant son baptême, il avait vu que cela devait se réaliser.

3. La passion du Christ ouvre le ciel aux hommes comme une cause universelle de l’ouverture des cieux. Mais il faut encore appliquer cette cause universelle aux individus ; ce qui se fait par le baptême, selon S. Paul (Rm 6, 3) : " Nous tous, qui avons été baptisés dans le Christ, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés. " Et c’est pourquoi l’on fait mention de l’ouverture des cieux au baptême du Christ plutôt, que lors de sa passion. Ou bien, dit S. Jean Chrysostome : " Au baptême du Christ, les cieux se sont seulement ouverts, mais c’est plus tard qu’il a vaincu le tyran par la croix. Alors les portes n’étaient plus nécessaires, le ciel ne devant plus être fermé. C’est pourquoi les anges ne disent pas : "Ouvrez les portes" car elles étaient déjà ouvertes, mais : "Enlevez les portes" (Ps 24, 7. 9). " Chrysostome donne ainsi à entendre que les obstacles empêchant les âmes des défunts d’entrer au ciel ont été totalement enlevés par la passion du Christ ; mais au baptême du Christ, elles ont été ouvertes en ce sens que la route par laquelle les hommes entreraient au ciel, avait déjà été montrée.

 

            Article 6 — L’apparition du Saint-Esprit sous forme de colombe

Objections :

1. L’Esprit Saint habite dans l’homme par la grâce. Mais l’homme Christ a eu la plénitude de la grâce dès le principe de sa conception comme Fils unique du Père, on l’a dit plus haut. Donc ce n’est pas au baptême que le Saint-Esprit devait lui être envoyé.

2. On dit que le Christ " est descendu " dans le monde par le mystère de l’Incarnation, quand " il s’est anéanti lui-même prenant condition d’esclave " (Ph 2, 7). Mais le Saint-Esprit ne s’est pas incarné. Il n’est donc pas juste de dire que le Saint-Esprit " est descendu sur lui ".

3. Le baptême du Christ devait, comme une sorte de prototype, montrer ce qui se passerait dans notre propre baptême. Mais le nôtre ne comporte pas de mission visible du Saint-Esprit. Donc le baptême du Christ, lui non plus, n’aurait pas dû en comporter.

4. Le Saint-Esprit découle du Christ sur tous les autres hommes, selon S. Jean (1, 16) : " De sa plénitude nous avons tous reçu. " Mais sur les Apôtres le Saint-Esprit n’est pas descendu sous la forme d’une colombe, mais sous la forme du feu. Il aurait donc dû en être de même au baptême du Christ.

En sens contraire, l’évangile (Lc 3, 22) est formel : " Le Saint-Esprit descendit sur lui sous une forme corporelle, pareil à une colombe. "

Réponse :

Selon S. Jean Chrysostome, ce qui s’est accompli au sujet du Christ dans son baptême se rattache au mystère accompli en tous ceux qui devaient être baptisés ensuite. Or, tous ceux qui reçoivent le baptême du Christ reçoivent le Saint-Esprit, sauf s’ils ne sont pas sincères, selon cette parole du Baptiste (Mt 3, 11) : " C’est lui qui vous baptisera dans l’Esprit Saint. " Et c’est pourquoi il convenait que celui-ci descende sur le Christ lors de son baptême.

Solutions :

1. Pour S. Augustin, " il est absolument ridicule de croire que le Christ avait déjà trente ans quand il reçut l’Esprit Saint ; quand il vint au baptême, il était sans péché, il n’était donc pas dans l’Esprit Saint. S’il est écrit de Jean qu’il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère, que devons-nous dire du Christ homme, dont la chair n’a pas été conçue charnellement, mais spirituellement ?. . . Alors donc ", dans le baptême, " il a daigné préfigurer son corps, c’est-à-dire l’Église, en laquelle on reçoit le Saint-Esprit, spécialement au moment du baptême "

2. Comme dit S. Augustin, si le Saint-Esprit est descendu sur le Christ sous une forme corporelle semblable à une colombe, ce n’est pas qu’on ait vu la substance même du Saint-Esprit, qui est invisible. Ce n’est pas non plus que cette créature visible ait été assumée dans l’unité de la personne divine ; car on ne dit pas que le Saint-Esprit est une colombe comme on dit que le Fils de Dieu est un homme, en raison de son union avec lui. Ce n’est pas davantage qu’on ait vu alors le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe de la façon dont Jean a vu l’agneau immolé selon l’Apocalypse (5, 6). Car cette vision s’est faite en esprit, par les images spirituelles des corps, tandis que la colombe du baptême, personne n’a jamais douté qu’on l’ait vue de ses yeux. Le Saint-Esprit n’est pas apparu non plus sous l’apparence d’une colombe, ainsi qu’il est écrit (1 Co 10, 4) : " Le rocher était le Christ. " Car ce rocher faisait partie de la création, mais on lui a donné le nom de Christ, qu’il préfigurait par sa manière d’agir. Mais cette colombe a existé soudainement pour exercer son symbolisme et a disparu ensuite, comme la flamme apparue à Moïse dans le buisson.

On dit donc que le Saint-Esprit est descendu sur le Christ non en raison de son union avec la colombe, mais ou bien en raison du symbolisme de la colombe elle-même à l’égard du Saint-Esprit, elle qui est venue sur le Christ en descendant ; ou encore en raison de la grâce spirituelle qui découle de Dieu sur la créature par une sorte de descente spirituelle, selon S. Jacques (1, 17) : " Tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières. "

3. Selon S. Jean Chrysostome, " au début des communications spirituelles apparaissent toujours des visions sensibles, au profit de ceux qui ne peuvent avoir aucune intelligence de la nature incorporelle ; mais ensuite, si ces visions ne se produisent plus, on accepte la foi parce qu’elles se sont produites un jour ". Et c’est pourquoi le Saint-Esprit est descendu visiblement sous une apparence corporelle, afin que l’on crût dans la suite qu’il descend invisiblement sur tous les baptisés.

4. Que le Saint-Esprit ait apparu sur le Christ à son baptême sous la forme d’une colombe, on peut en donner quatre raisons.

1° A cause de la disposition requise du baptisé qu’il ne vienne pas sans sincérité. Car, selon le livre de la Sagesse (1, 5) : " L’Esprit Saint, l’éducateur, fuit l’hypocrisie. " La colombe est en effet un animal simple, sans ruse ni tromperie. Aussi nous est-il dit (Mt 10, 16) : " Soyez simples comme des colombes. "

2° Pour symboliser les sept dons du Saint-Esprit par les caractéristiques de la colombe. Elle niche près des cours d’eau, et dès qu’elle voit l’épervier, elle plonge et s’échappe. Cela se rattache au don de la sagesse, par lequel les saints demeurent le long des eaux de la divine Écriture et échappent ainsi aux assauts du démon. - La colombe choisit les meilleurs grains. Cela se rattache au don de science, par lequel les saints choisissent pour leur nourriture les opinions saines. - La colombe nourrit les petits qui lui sont étrangers. Cela se rattache au don de conseil par lequel les saints nourrissent les hommes qui furent les petits du démon, c’est-à-dire ses imitateurs, par leur enseignement et leur exemple. - La colombe ne déchire pas avec son bec, ce qui se rattache au don d’intelligence, par lequel les saints ne pervertissent pas les opinions saines en les lacérant, comme font les hérétiques. - La colombe n’a pas de fiel, ce qui se rattache au don de piété, par lequel les saints évitent la colère déraisonnable. - La colombe fait son nid dans les anfractuosités des rochers. Cela se rattache au don de force, par lequel les saints font leur nid, c’est-à-dire mettent leur refuge et leur espoir dans les plaies et la mort du Christ. - La colombe gémit au lieu de chanter. Cela se rattache au don de crainte, par lequel les saints se plaisent à déplorer leurs péchés.

3° Le Saint-Esprit est apparu sous la forme d’une colombe pour indiquer l’effet propre du baptême, qui est la rémission des péchés et la réconciliation avec Dieu ; or la colombe est un animal plein de douceur. Et c’est pourquoi, note S. Jean Chrysostome " au déluge cet animal est apparu portant un rameau d’olivier et annonçant ainsi la tranquillité générale de tout l’univers ; et maintenant c’est encore la colombe qui apparaît au baptême du Christ, nous annonçant la délivrance ".

4° Le Saint-Esprit est apparu ainsi pour désigner l’effet général du baptême, qui est de construire l’unité de l’Église. Comme dit S. Paul (Ep 5, 25) : " Le Christ s’est livré afin de se présenter à lui-même l’Église toute resplendissante, sans tache ni ride, en la purifiant par le bain d’eau dans la parole de vie. " Et c’est pourquoi il convenait qu’au baptême l’Esprit-Saint se montrât sous la forme d’une colombe, animal aimable et social. Aussi, dans le Cantique (6, 8) est-il dit de l’Église : " Elle est unique, ma colombe. "

Mais sur les Apôtres, c’est sous forme de feu que le Saint-Esprit est descendu, pour deux motifs. D’abord pour montrer la ferveur qui devait animer leur cœur pour prêcher partout le Christ au milieu des persécutions. Et c’est aussi pourquoi il est apparu sous forme de langues de feu. Aussi S. Augustin remarque-t-il : " Le Seigneur a rendu visible l’Esprit Saint de deux manières : par la colombe sur le Seigneur après son baptême ; par le feu sur les disciples réunis. Là nous est montrée la simplicité ; ici, la ferveur. . . La colombe enseigne à ceux qui sont sanctifiés par l’Esprit à ne pas employer la ruse ; et le feu enseigne à la simplicité qu’elle ne doit pas demeurer froide. Ne te laisse pas ébranler par la division des langues : reconnais l’unité dans la colombe. "

Le deuxième motif, d’après Chrysostome est, puisqu’il fallait pardonner les fautes, ce qui se fait dans le baptême, " la douceur était nécessaire ", et la colombe en était le symbole. Mais, quand nous avons reçu la grâce, reste le temps du jugement, figuré par le feu ".

 

            Article 7 — Cette colombe fut-elle un véritable animal ?

Objections :

1. Dans une apparition, ce que l’on voit n’a qu’une apparence de réalité. Mais S. Luc (3, 2) nous dit : " L’Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, pareil à une colombe. " Ce ne fut donc pas une colombe véritable, mais un semblant de colombe.

2. " La nature ne fait rien en vain, ni Dieu ", dit Aristote. Or cette colombe ne venant " que pour symboliser et ensuite disparaître ", dit S. Augustin. aurait été inutilement une colombe véritable, parce que ce rôle pouvait être joué par un simulacre de colombe. Elle n’a donc pas été un animal réel.

3. Les propriétés d’un être font connaître sa nature. Donc si cette colombe avait été un animal réel, ses propriétés auraient révélé la nature d’un animal réel, non les effets du Saint-Esprit.

En sens contraire, S. Augustin affirme " Nous ne prétendons pas dire que seul le Seigneur Jésus Christ eut un vrai corps et que l’Esprit Saint est apparu aux yeux des hommes sous une forme trompeuse. Nous croyons bien que ces deux corps étaient de vrais corps. "

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit il ne convenait pas que le Fils de Dieu, qui est la Vérité du Père, emploie de faux semblants, et c’est pourquoi il n’a pas pris un corps irréel, mais un vrai corps. Et parce que le Saint-Esprit est appelé " l’Esprit de Vérité " (Jn 16, 13), lui-même aussi a formé une colombe véritable dans laquelle il apparaîtrait, bien qu’il ne l’ait pas assumée pour l’unir à sa personne. Aussitôt après les paroles citées plus haut, S. Augustin écrit : " Il ne fallait pas que le Fils de Dieu trompe les hommes ; de même il ne convenait pas que le Saint-Esprit les trompe. Mais, au Dieu tout-puissant, qui a fabriqué de rien la création universelle, il n’était pas difficile de former un vrai corps de colombe, sans l’aide d’autres colombes, pas plus qu’il ne lui avait été difficile de façonner un vrai corps dans le sein de Marie sans la semence d’un homme. Puisque la nature corporelle, aussi bien dans les entrailles d’une femme pour former un homme, que dans le monde pour former une colombe, obéit au commandement et à la volonté du Seigneur. "

Solutions :

1. On dit que l’Esprit Saint est descendu sous l’apparence ou la ressemblance d’une colombe non pour exclure sa réalité, mais pour montrer qu’il n’est pas apparu sous la forme de sa substance.

2. Il n’était pas superflu de former une colombe véritable, afin que le Saint-Esprit apparaisse en elle, car précisément la réalité de la colombe symbolise la réalité de l’Esprit Saint et de ses effets.

3. C’est de la même manière que les propriétés de la colombe conduisent à découvrir et la nature de la colombe et les effets du Saint-Esprit. Car, par le fait même que la colombe possède de telles propriétés, il se trouve qu’elle symbolise le Saint-Esprit.

 

            Article 8 — Le témoignage de la voix du Père

Objections :

1. On dit du Fils et de l’Esprit-Saint, du fait qu’ils sont apparus d’une manière sensible, qu’ils ont été chargés d’une mission visible. Mais il ne convenait pas au Père d’être envoyé, comme l’a montré S. Augustin. Donc il ne lui convenait pas non plus d’apparaître.

2. La voix signifie le verbe conçu dans le cœur. Mais le Père n’est pas le verbe. Il est donc étrange qu’il se soit manifesté par une voix.

3. Le Christ homme n’a pas commencé d’être Fils de Dieu au baptême, comme certains hérétiques l’ont pensé ; il était Fils de Dieu dès le début de sa conception. C’est donc à sa naissance que la voix du Père aurait dû attester la divinité du Christ, plutôt qu’à son baptême.

En sens contraire, on lit en S. Matthieu (3, 17) : " Voici qu’une voix venue des cieux disait : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour. " "

Réponse :

Nous l’avons dit : dans le baptême du Christ devait se montrer tout ce qui s’accomplit dans notre baptême, dont il est le prototype. Or le baptême que reçoivent les fidèles est consacré par l’invocation et la vertu de la Trinité, selon S. Matthieu (28, 19) : " Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. " Et c’est pourquoi au baptême du Christ, dit S. Jérôme " c’est le mystère de la Trinité qui se manifeste. Car le Seigneur, dans sa nature humaine, est baptisé ; l’Esprit Saint descend sous l’aspect d’une colombe ; on entend la voix du Père rendant témoignage au Fils ". Et c’est pourquoi il convenait que, dans ce baptême, le Père se manifeste par sa voix.

Solutions :

1. La mission visible implique que non seulement l’envoyé apparaisse, mais que l’envoyeur ait autorité. Et c’est pourquoi du Fils et du Saint-Esprit, qui dépendent d’un autre, on ne dit pas seulement qu’ils apparaissent, mais aussi qu’ils sont envoyés d’une manière visible. Tandis que le Père, qui ne dépend pas d’un autre, peut bien apparaître, mais non être envoyé de façon visible.

2. Le Père ne se fait connaître par une voix que comme l’auteur de cette voix, ou celui qui parle par elle. Et parce qu’il est propre au Père de produire le Verbe, ce qui est dire ou parler, il convient parfaitement que le Père se manifeste par la voix, laquelle signifie le Verbe. Il en résulte que la voix émise par le Père atteste la filiation du Verbe. Et de même que la forme de colombe, où se montre le Saint-Esprit, n’est pas la nature même de celui-ci ; de même que la forme d’homme, où se montre le Fils en personne n’est pas non plus la nature même du Fils de Dieu : de même encore cette voix n’appartient pas à la nature du Verbe, ou du Père, qui parlait. Le Seigneur le dit en S. Jean (5, 37) : " Vous n’avez jamais entendu la voix du Père, vous n’avez jamais vu sa figure. " Par là, dit S. Jean Chrysostome, " Jésus les introduisant peu à peu dans une croyance philosophique, leur montre qu’il n’y a en Dieu ni voix ni figure, mais que Dieu est supérieur aux formes extérieures et à de telles paroles. "

Et de même que la Trinité tout entière a formé la colombe, ainsi que la nature humaine assumée par le Christ, c’est elle aussi qui a formé cette voix.

Pourtant, le Père est seul à se manifester dans la voix parce qu’il parle, de même que le Fils seul a assumé la nature humaine, et ainsi le Saint-Esprit seul s’est manifesté dans la colombe, comme le montre S. Augustin.

3. La divinité du Christ ne devait pas se manifester à tous dès sa naissance, mais plutôt se cacher sous les faiblesses de l’enfance. Mais dès qu’il est venu à l’âge parfait, où il lui fallait enseigner, faire des miracles et attirer à lui les hommes, c’est alors que sa divinité devait être manifestée par le témoignage du Père pour rendre son enseignement plus crédible. Aussi dit-il lui-même (Jn 5, 37) : " Le Père qui m’a envoyé, c’est lui qui rend témoignage de moi. " Et cela surtout au baptême, par lequel les hommes renaissent en fils adoptifs de Dieu ; en effet, les fils adoptifs de Dieu sont constitués tels à la ressemblance de son Fils par nature, comme dit S. Paul (Rm 5, 29) : " Ceux que d’avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils. " Aussi, d’après S. Hilaire, le Saint-Esprit descendit sur Jésus après son baptême, et l’on entendit la voix du Père disant : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé ". Ainsi " d’après ce qui se réalisait pleinement dans le Christ, nous apprendrions qu’après le baptême d’eau, le Saint-Esprit vole sur nous depuis les portes des cieux, et que nous devenons fils de Dieu en vertu de l’adoption déclarée par la voix du Père ".

Nous venons d’étudier ce qui concerne l’entrée du Christ dans le monde, c’est-à-dire ses débuts. Il nous faut, à la suite, étudier ce qui concerne le déploiement de son activité.

Son genre de vie (Q. 40). - Il. Sa tentation (Q. 41). - III. Son enseignement (Q. 42). - IV. Ses miracles (Q. 43-44).

 

 

QUESTION 40 — LE GENRE DE VIE DU CHRIST

1. Devait-il mener la vie solitaire, ou bien vivre parmi les hommes ? - 2. Devait-il mener une vie austère en matière de nourriture, de boisson et de vêtements, ou bien vivre comme tout le monde ? - 3. Devait-il vivre en ce monde en étant méprisé, ou bien riche et honoré ? - 4. Devait-il vivre selon la loi.

 

            Article 1 — Le Christ devait-il mener la vie solitaire, ou bien vivre parmi les hommes ?

Objections :

1. La vie du Christ ne devait pas seulement montrer qu’il était homme, mais aussi qu’il est Dieu. Mais il ne convient pas que Dieu vive avec les hommes, comme il est écrit (Dn 2, 11) : " Les dieux ne demeurent pas parmi les mortels " et Aristote écrit : " Celui qui mène la vie solitaire, ou bien est une brute ", s’il le fait par sauvagerie, " ou bien est un dieu ", s’il le fait pour contempler la vérité. Donc il apparaît qu’il ne convenait pas au Christ de vivre parmi les hommes.

2. Tant qu’il vivait dans une chair mortelle, le Christ devait mener la vie la plus parfaite, qui est la vie contemplative, comme on l’a montré dans la deuxième Partie. Or la solitude convient souverainement à la vie contemplative selon Osée (2, 4) : " je la conduirai au désert, et je parlerai à son cœur. "

3. La vie du Christ devait être constante, car il devait toujours montrer ce qui est le meilleur. Or parfois il cherchait la solitude en s’éloignant de la foule, ce qui fait dire à Rémi d’Auxerre : " Le Seigneur avait trois refuges : la barque, la montagne et le désert ; il recourait à l’un d’eux chaque fois qu’il était pressé par la foule. " Donc il aurait dû mener constamment la vie solitaire.

En sens contraire, il y a le texte de Baruch (3, 38 Vg) : " Après cela Dieu se fit voir sur la terre et vécut parmi les hommes. "

Réponse :

Le genre de vie du Christ devait s’accorder avec la fin de l’Incarnation, selon laquelle il est venu dans le monde.

1° Il est venu d’abord pour manifester la vérité, comme il l’a dit lui-même (Jn 18, 37) : " je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. " C’est pourquoi il ne devait pas se cacher en menant la vie solitaire, mais se montrer en public en prêchant ouvertement. A ceux qui voulaient le retenir il a dit (Lc 4, 42) : " Il faut aussi que j’aille annoncer le règne de Dieu aux autres cités, car c’est pour cela que j’ai été envoyé. "

2° Il est venu pour délivrer les hommes de leurs péchés : " Le Christ Jésus est venu en ce monde pour sauver les pécheurs " (1 Tm 1, 15). Et c’est pourquoi, dit S. Jean Chrysostome " le Christ aurait pu en demeurant au même endroit attirer à lui tous les auditeurs de sa prédication, mais il ne l’a pas fait ; il nous a donné l’exemple pour que nous allions à la recherche de ceux qui se perdent, comme le pasteur cherche la brebis perdue et le médecin vient auprès du malade ".

3° Il est venu afin que " par lui nous ayons accès à Dieu " (Rm 5, 2). Et ainsi convenait-il que, vivant familièrement avec les hommes, il inspire à tous la confiance d’aller vers lui. On lit en S. Matthieu (9, 10) " Il arriva, comme il était à table dans la maison, que beaucoup de publicains et de pécheurs vinrent s’attabler avec lui et ses disciples. " Ce que S. Jérôme commente ainsi : " Ils avaient vu un publicain converti de ses péchés à une vie meilleure, admis à la pénitence. Aussi eux-mêmes ne désespéraient-ils pas de leur salut. "

Solutions :

1. C’est par son humanité que le Christ a voulu manifester sa divinité. Par suite, c’est en vivant avec les hommes, (ce qui est le propre de l’homme), qu’il a manifesté à tous sa divinité, en prêchant, en faisant des miracles, et en menant parmi les hommes une vie innocente et juste.

2. Comme on l’a vu dans la deuxième Partie, la vie contemplative est meilleure absolument que la vie active qui ne comporte que des activités corporelles. Mais la vie active par laquelle on transmet aux autres par l’enseignement et la prédication ce que l’on a contemplé est plus parfaite que la vie qui se borne à la contemplation seule, parce que cette vie présuppose que l’on contemple beaucoup. C’est pourquoi le Christ a choisi celle-là.

3. Les actions du Christ ont eu pour objet notre instruction. C’est pourquoi, pour donner aux prédicateurs l’exemple de ne pas se donner toujours en public, il a voulu quelquefois s’éloigner de la foule. On voit qu’il l’a fait pour trois motifs. Parfois pour obtenir un repos physique. D’après S. Marc (6, 31), " il disait à ses disciples : "Venez à l’écart dans un désert et reposez-vous un peu. " Car les gens ne cessaient d’aller et venir, et on n’avait plus le temps de manger ". Parfois, c’était pour prier. S. Luc nous dit (6, 12) : " En ces jours-là, il se retira dans la montagne pour prier, et il passait la nuit à prier Dieu. " Sur quoi S. Ambroise dit : " Le maître nous façonne par son exemple aux préceptes de la vertu. " Parfois il le faisait pour enseigner à éviter la faveur humaine. Aussi, sur S. Matthieu (5, 1) : " Voyant les foules, Jésus gravit la montagne ", S. Jean Chrysostome nous dit : " En siégeant non pas dans la ville et sur le forum, mais dans la montagne et la solitude, il nous a enseigné à ne jamais agir par ostentation et à nous éloigner de l’agitation, surtout lorsqu’il faut discuter de ce qui est nécessaire au salut. "

 

            Article 2 — Le Christ devait-il mener une vie austère ?

Objections :

1. Le Christ a prêché la perfection beaucoup plus que Jean Baptiste. Mais celui-ci a mené une vie austère afin de provoquer les hommes par son exemple à la vie parfaite. S. Matthieu (3, 4) nous dit " Il portait un vêtement de poils de chameau et une ceinture de cuir autour des reins ; et il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. " S. Jean Chrysostome commente ainsi ce verset : " Il était étonnant de voir une telle endurance dans un corps humain, c’est ce qui attirait le plus les Juifs. " Il semble donc que cette austérité aurait convenu bien davantage au Christ.

2. L’abstinence est ordonnée à la continence, selon Osée (4, 10) : " Ils mangeront et ne seront pas rassasiés ; ils se prostitueront, mais sans s’accroître. " Or le Christ a gardé lui-même la continence et a proposé aux autres de l’observer, lorsqu’il dit (Mt 19, 12) : " Il y a des eunuques qui le sont volontairement en vue du Royaume des cieux ; qui peut comprendre, qu’il comprenne ! " Il semble donc que le Christ aurait dû lui-même, avec ses disciples, mener une vie austère.

3. Il semble ridicule de commencer par mener une vie sévère pour en revenir vers lus de relâchement ; car en peut dire alors (Lc 14, 30) : " Cet homme a commencé par bâtir et n’a pas pu achever. " Or le Christ a mené une vie très sévère après son baptême, demeurant au désert et jeûnant quarante jours et quarante nuits. Il ne semble pas normal qu’après une si grande rigueur, il soit revenu à la vie de tout le monde.

En sens contraire, il y a cette affirmation (Mt 11, 19) : " Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant. . . "

Réponse :

On l’a dit à l’article précédent, il était conforme au but de l’Incarnation que le Christ ne mène pas la vie solitaire, mais vive parmi les hommes. Or il convient souverainement que celui qui vit parmi d’autres se conforme à leur genre de vie, selon l’Apôtre (1 Co 9, 22) : " je me suis fait tout à tous. " C’est pourquoi il était souverainement convenable que le Christ fasse comme tout le monde en matière de nourriture et de boisson. Aussi S. Augustin écrit-il : " On disait que Jean ne mangeait pas, ne buvait pas, parce qu’il ne se nourrissait pas comme les Juifs. Donc, si le Seigneur n’avait pas fait comme eux, on n’aurait pas dit de lui, par comparaison, qu’il était mangeur et buveur. "

Solutions :

1. Dans son genre de vie, le Seigneur a donné l’exemple de la perfection en tout ce qui se rapporte essentiellement au salut. Ce n’est pas le cas de l’abstinence dans la nourriture et la boisson, selon S. Paul (Rm 14, 17) : " Le règne de Dieu n’est pas dans le manger et le boire. " Et sur la parole (Mt 11, 19) : " La sagesse de Dieu a été justifiée par ses enfants ", S. Augustin donne ce commentaire : " Parce que les saints Apôtres ont compris que le règne de Dieu ne consiste pas dans le manger et le boire mais dans une parfaite égalité d’âme ", eux que l’abondance n’enfle pas et que la disette ne déprime pas. Et il dit encore : " En tout cela ce n’est pas l’usage des biens qui est coupable, mais la sensualité de celui qui en use. " Les deux façons de vivre sont licites et louables : qu’on observe l’abstinence en se séparant de la compagnie des hommes, ou que, dans leur société, on vive comme tout le monde. Et c’est pourquoi le Seigneur a voulu donner aux hommes l’exemple de ces deux genres de vie.

Quant au Baptiste, dit Chrysostome, " il ne pouvait montrer autre chose que sa vie et sa justice ; tandis que le Christ avait en outre le témoignage de ses miracles. Laissant donc à Jean le prestige de son jeûne, il a suivi un chemin contraire : il a pris place à la table des publicains, il y a mangé et il y a bu ".

2. Comme les autres hommes obtiennent par l’abstinence le pouvoir de garder la continence, de même le Christ, en lui-même et en ses disciples, dominait la chair par la vertu de sa divinité. Aussi comme il est écrit (Mt 9, 4) : " Les pharisiens et les disciples de Jean jeûnaient, mais non les disciples du Christ " ; S. Bède dit à ce propos : " Jean ne buvait ni vin ni boisson fermentée, parce que l’abstinence augmente le mérite de celui qui ne trouvait aucune aide dans sa nature. Mais le Seigneur, qui possédait par nature le pouvoir de remettre les péchés, pourquoi aurait-il éloigné ceux qu’il était capable de rendre plus purs que les abstinents ? "

3. Selon S. Jean Chrysostome, " pour que tu apprennes comme est grand le bienfait du jeûne, comment il est un bouclier contre le diable, et combien après le baptême il faut s’adonner non à l’intempérance mais au jeûne, lui-même a jeûné, non qu’il en eût besoin, mais pour nous former. Mais il n’a pas poussé son jeûne plus loin que Moïse et Élie, afin que son incarnation ne parût pas incroyable ".

S. Grégoire donne cette explication mystique : " On observe le chiffre quarante dans le jeûne à l’exemple du Christ, parce que la vertu du décalogue atteint sa plénitude dans les quatre évangiles, car quatre fois dix donne quarante. Ou bien, c’est parce que nous subsistons grâce aux quatre éléments dans ce corps mortel, dont la volonté s’oppose aux préceptes du Seigneur que nous recevons du décalogue. " Selon S. Augustin, " toute l’initiation à la sagesse, qui a pour but l’instruction de l’homme, consiste à distinguer le Créateur et la créature. Le Créateur, c’est la Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit. Quant aux créatures, il en est d’invisibles, comme l’âme. A l’invisible convient le chiffre trois, car il nous est prescrit d’aimer Dieu triplement : de tout notre cœur, de toute notre âme, et de tout notre esprit ". Au visible, comme le corps, convient le chiffre quatre, à cause du chaud, du froid, de l’humide et du sec. " Et le chiffre dix, qui suggère toute la connaissance, multiplié par quatre, chiffre de la complexion corporelle, donne le chiffre quarante. Voilà pourquoi l’on célèbre quarante jours le temps que nous passons dans les gémissements et l’affliction. "

Et pourtant il n’a pas été anormal qu’après avoir jeûné au désert, le Christ soit revenu à la vie ordinaire. Car cela convenait au genre de vie selon laquelle on transmet le fruit de sa contemplation, genre de vie qu’il a adopté pour vaquer d’abord à la contemplation et ensuite descendre à l’action publique en vivant avec les autres hommes. C’est ce qui fait dire à S. Bède : " Le Christ a jeûné pour que tu ne te détournes pas du précepte. Il a mangé avec les pécheurs pour qu’en voyant sa miséricorde tu reconnaisses son pouvoir. "

 

            Article 3 — Le Christ devait-il vivre en ce monde en étant méprisé, ou bien riche et honoré ?

Objections :

1. Le Christ aurait dû adopter la vie la plus souhaitable. Mais la plus souhaitable est celle qui tient le milieu entre la richesse et la pauvreté. Car il est écrit (Pr 30, 8) : " Ne me donne ni pauvreté ni richesse, mais seulement ce qui est nécessaire pour vivre. " Donc le Christ n’aurait pas dû mener une vie pauvre, mais une vie modeste.

2. Les richesses extérieures sont au service du corps, pour le nourrir et le vêtir. Mais le Christ, sur ce point, a mené la vie ordinaire des gens qu’il fréquentait. Il semble donc que même sur le chapitre des richesses et de la pauvreté, il aurait dû mener la vie de tout le monde, et non pratiquer une pauvreté extrême.

3. Le Christ a proposé aux hommes avant tout un exemple d’humilité, lui qui a dit (Mt 11, 9) : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. " Mais c’est surtout en matière de richesses que l’humilité est recommandée, aussi S. Paul écrit-il (1 Tm 6, 17) : " Prescris aux riches de ce monde de ne pas juger de haut. "

En sens contraire, on trouve en S. Matthieu (8, 20) : " Le Fils de l’homme n’a pas de lieu où reposer la tête. " Comme s’il disait, selon S. Jérôme : " Pourquoi veux-tu me suivre pour les richesses et les profits du siècle, quand ma pauvreté est si grande que je n’ai pas le moindre petit asile, et que le toit qui m’abrite n’est pas à moi ? " Et sur cette parole (Mt 17, 26) : " Pour éviter de les scandaliser, va à la mer jeter l’hameçon ", S. Jérôme écrit " Même dans son sens littéral, l’épisode édifie le lecteur : il découvre que la pauvreté du Seigneur était si grande qu’il n’a pas de quoi payer le tribut pour lui-même et son Apôtre. "

Réponse :

Il convenait au Christ de mener une vie pauvre en ce monde.

1° Parce que cela s’accordait avec l’office de la prédication pour lequel il dit être venu (Mc 1, 38) : " Allons dans les bourgs et les cités voisines pour que j’y prêche, car c’est pour cela que je suis venu. " Or il faut que les prédicateurs de la parole de Dieu, pour se consacrer totalement à la prédication, soient totalement affranchis du souci des affaires séculières. Cela est impossible à ceux qui possèdent des richesses. C’est pourquoi lorsqu’il envoie ses Apôtres prêcher, le Seigneur leur dit (Mt 10, 9) : " Ne possédez ni or ni argent. " Et les Apôtres disent eux-mêmes (Ac 6, 2) - " Il ne faut pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. "

2° De même qu’il a assumé la mort corporelle pour nous conférer la vie spirituelle, de même a-t-il supporté la pauvreté corporelle pour nous accorder les richesses spirituelles, comme dit S. Paul (2 Co 8, 9) : " Vous connaissez la libéralité de notre Seigneur Jésus Christ qui pour nous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin de nous enrichir par sa pauvreté. "

3° Parce que, s’il avait possédé des richesses, on aurait pu attribuer sa prédication à la cupidité. Aussi S. Jérôme écrit-il que, si les disciples avaient eu des richesses " ils auraient semblé prêcher non pour le salut des hommes, mais pour le gain ". Et le même motif aurait valu pour le Christ.

4° Afin que la vertu de sa divinité se montre d’autant mieux que sa pauvreté semblait l’abaisser davantage. ,Aussi est-il dit dans un sermon du Concile d’Ephèse : " Il a choisi tout ce qu’il y avait de pauvre et de vil, tout ce qu’il y avait de modeste et d’obscur, pour faire reconnaître que sa divinité avait transformé le monde. C’est pourquoi il a choisi une mère pauvre, et une patrie plus pauvre encore. Voilà ce que la crèche te fait comprendre. "

Solutions :

1. La surabondance de richesses et la mendicité sont à éviter par ceux qui veulent vivre vertueusement, en tant qu’elles sont des occasions de pécher, car l’abondance de richesses est une occasion d’orgueil, tandis que la mendicité expose à voler, à mentir ou même à se parjurer. Mais parce que le Christ n’était pas capable de péché, il n’a pas évité ces extrêmes pour la même raison qui les faisait éviter à Salomon, auteur des Proverbes. Cependant toute mendicité n’est pas occasion de voler et de se parjurer, comme Salomon semble le sous-entendre dans ce passage, mais seulement celle que l’on subit malgré soi, si bien que l’on vole et que l’on se parjure pour l’éviter. Mais la pauvreté volontaire ne présente pas ce danger, et c’est elle que le Christ a choisie.

2. On peut vivre comme tout le monde en matière de nourriture et de vêtements non seulement en possédant des richesses, mais aussi en recevant des riches le nécessaire. C’est ce qui s’est produit pour le Christ. S. Luc nous dit en effet (8, 2. 3) que des femmes suivaient le Christ " et l’aidaient de leurs ressources ". Ainsi que S. Jérôme Il l’écrit : " C’était un usage chez les Juifs, et personne n’eût jugé coupable cette ancienne coutume, que des femmes prennent sur leur fortune pour donner à leurs guides spirituels nourriture et vêtement. S. Paul rappelle qu’il a rejeté cet usage parce qu’il aurait pu scandaliser chez les peuples païens. " Ainsi donc on pouvait suivre la manière commune de vivre sans se charger d’un souci qui aurait entravé, comme la possession des richesses, la tâche de la prédication.

3. Chez celui qui est pauvre par nécessité, l’humilité n’est pas d’un grand mérite. Mais chez celui qui pratique la pauvreté volontaire, comme le Christ, la pauvreté est elle-même l’indice de la plus profonde humilité.

 

            Article 4 — Le Christ devait-il vivre selon la loi ?

Objections :

1. La loi prescrivait de ne faire aucun travail le jour du sabbat, comme " Dieu qui, le septième jour, s’était reposé de tout son travail " (Gn 2, 2). Mais le Christ a guéri un homme le jour du sabbat et lui a ordonné d’emporter son grabat. Il apparaît donc qu’il ne vivait pas conformément à la loi.

2. Selon les Actes (1, 1) " Jésus se mit à agir et à enseigner ". Et lui-même a enseigné (Mt 15, 11) que " tout ce qui entre dans la bouche ne souille pas l’homme ", ce qui est contraire au précepte de la loi qui déclarait impurs ceux qui avaient mangé ou touché certains animaux, comme on le voit au chapitre 11 du Lévitique. Il semble donc que le Christ ne vivait pas conformément à la loi.

3. On porte le même jugement sur celui qui accomplit une action et sur celui qui l’approuve, selon S. Paul (Rm 1, 32). Mais le Christ a été d’accord avec ses disciples qui enfreignaient la loi en arrachant des épis le jour du sabbat, car il les excusait, comme on le voit en S. Matthieu (12,1-8).

En sens contraire, Il y a cette parole du Seigneur en S. Matthieu (5, 17) : " Ne croyez pas que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes ", ce que S. Jean Chrysostome commente ainsi : " Le Christ a accompli la loi, d’abord en ne transgressant aucune de ses prescririons, ensuite en justifiant par la foi ce que la lettre de la loi ne pouvait pas faire. "

Réponse :

Le Christ a mené une vie entièrement conforme aux préceptes de la loi. En signe de cela, il a voulu être circoncis, car la circoncision équivaut à professer qu’on accomplira la loi, selon S. Paul (Ga 5, 3) : " J’atteste à tout homme qui se fait circoncire qu’il est tenu d’accomplir toute la loi. "

Or le Christ a voulu vivre conformément à la loi. 1° Pour approuver la loi ancienne. - 2° Pour, en l’observant, la porter en lui-même à sa consommation et à son terme, et se montrer lui-même comme étant la fin assignée à la loi. - 3° Pour enlever aux Juifs un prétexte à le calomnier. - 4° Afin de libérer les hommes de l’esclavage de la loi, selon cette parole (Ga 4, 5) : " Dieu a envoyé son Fils né sous la loi pour qu’il rachète ceux qui étaient sujets de la loi. "

Solutions :

1. Sur ce point, le Seigneur s’excuse de trois façons d’avoir transgressé la loi.

1° Le précepte de sanctifier le sabbat n’interdit pas un ouvrage divin, mais un ouvrage humain car, bien que Dieu ait cessé le septième jour de produire des créatures nouvelles, il est toujours à l’œuvre pour la conservation et le gouvernement du monde. Or, faire des miracles était bien, de la part du Christ, une œuvre divine. Aussi dit-il lui-même (Jn 5, 17) : " Mon Père est à l’œuvre jusqu’à présent, et moi aussi. "

2° Ce précepte n’interdisait pas les œuvres nécessaires au salut, même à celui du corps. Aussi Jésus demanda-t-il (Lc 13, 15) : " Chacun de vous ne détache-t-il pas de la mangeoire son bœuf ou son âne pour le mener boire ? " Et il dit plus loin (14, 5) : " Lequel d’entre vous, si son âne ou son bœuf tombe dans un puits ne l’en retire pas le jour du sabbat ? " Or, il est évident que les miracles du Christ avaient pour but le salut du corps et de l’âme.

3° Ce précepte n’interdisait pas les œuvres qui rassortissaient au culte divin. C’est pourquoi il dit (Mt 12, 5) : " Ne lisez-vous pas, dans la loi, qu’à chaque sabbat les prêtres, dans le Temple, enfreignent la loi du sabbat sans être coupables ? "

Il est donc évident que le Christ ne violait pas le sabbat, bien que ce fût le reproche que les Juifs lui faisaient faussement, d’après Jean (9, 16) : " Cet homme ne vient pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le sabbat. "

2. Par ces paroles, le Christ a voulu montrer que l’homme n’est pas souillé dans son âme par certains aliments en raison de leur nature, mais en raison de leur symbolisme. S. Augustin écrit à ce sujet : " Si l’on nous demande au sujet du porc ou de l’agneau, s’il est pur par nature, nous répondons que toute créature de Dieu est bonne, mais en raison de leur symbolisme, l’agneau est pur, le porc est impur. "

3. Même les disciples qui, ayant faim, arrachaient des épis, étaient excusés d’enfreindre la loi, à cause de leur faim qui les y contraignait ; de même David n’avait pas transgressé la loi quand, poussé par la faim, il avait mangé les pains sacrés qui étaient interdits.

 

 

QUESTION 41 — LA TENTATION DU CHRIST

1. Était-il convenable que le Christ fût tenté ? - 2. Le lieu de la tentation. - 3. Son moment. - 4. Le genre et l’ordre des tentations.

 

            Article 1 — Était-il convenable que le Christ fût tenté ?

Objections :

1. Tenter, c’est faire une expérience, ce qu’on ne fait que pour une chose inconnue. Mais la vertu du Christ était connue des démons eux-mêmes, puisqu’on lit en S. Luc (4,41) : " Il ne laissait pas les démons parler, parce qu’ils savaient qu’il était le Christ. " Donc il apparaît que la tentation du Christ ne se justifiait pas.

2. " Le Christ est apparu afin de ruiner les œuvres du démon " (1 Jn 3, 8). Mais ruiner ses œuvres est tout autre chose que les subir. Ainsi semble-t-il étrange que le Christ ait subi la tentation démoniaque.

3. La tentation vient de la chair, du monde ou du démon. Mais Jésus, qui n’a été tenté ni par la chair ni par le monde, ne devait pas non plus l’être par le démon.

En sens contraire, il est écrit (Mt 4, 1) : " Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert, pour y être tenté par le diable. "

Réponse :

C’est le Christ qui a voulu être tenté. 1° Pour nous fournir un secours contre la tentation. C’est ainsi que S. Grégoire nous dit : " Il n’était pas indigne de notre Rédempteur de vouloir être tenté, lui qui était venu pour être mis à mort ; de la sorte il vaincrait nos tentations par les siennes, comme il a triomphé de notre mort par la sienne. "

2° Pour notre sauvegarde, afin que personne, si saint soit-il, ne se juge en sécurité et à l’abri de toute tentation. Aussi a-t-il voulu être tenté après le baptême, dit S. Hilaire. parce que " les tentations du diable s’acharnent surtout contre les sanctifiés, car c’est sur les saints qu’il désire le plus remporter la victoire ". D’où la parole de l’Ecclésiastique (2, 1). " Mon fils, si tu entreprends de servir Dieu, demeure dans la justice et la crainte, et prépare ton âme à la tentation. "

3° Pour nous donner l’exemple, c’est-à-dire nous apprendre comment vaincre les tentations du diable. S. Augustin écrit : " Le Christ s’offrit au démon pour être tenté, afin d’être le médiateur qui nous ferait surmonter nos tentations non seulement par son aide, mais aussi par son exemple. "

4° Pour nous donner confiance en sa miséricorde : " Nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses : il a été tenté en toutes choses, comme nous, à l’exception du péché " (He 4, 15).

Solutions :

1. Selon S. Augustin, " les démons ont connu le Christ dans la mesure où il l’a voulu, non par le fait qu’il est la vie éternelle, mais par certains effets temporels de sa puissance " qui leur faisait plus ou moins conjecturer qu’il était le Fils de Dieu. Mais d’autre part, voyant en lui des signes de la faiblesse humaine, ils n’en étaient pas sûrs. Et c’est pourquoi le démon a voulu le tenter. S. Matthieu (4, 2) le signale en disant : " Quand il eut faim, le tentateur s’approcha de lui. " En effet, dit S. Hilaire, " le diable n’aurait pas osé tenter le Christ, s’il n’avait pas reconnu ce qui est propre à l’homme dans la faiblesse de la faim ". Et cela se voit bien à la manière dont le démon l’a tenté, en disant : " Si tu es le Fils de Dieu. . . " Ce que S. Ambroise explique ainsi : " Que signifie cette entrée en matière, sinon qu’il savait que le Fils de Dieu viendrait, mais sans se douter qu’il viendrait dans la faiblesse du corps humain ? "

2. Oui, le Christ venait ruiner les œuvres du démon, non en agissant avec puissance mais plutôt en souffrant de la part du démon et de ses membres, de façon à vaincre " non par la puissance de Dieu mais par la justice " dit S. Augustin. Et c’est pourquoi il faut distinguer, dans la tentation du Christ, ce qu’il a fait par sa propre volonté, et ce qu’il a souffert du diable. Qu’il se soit présenté au tentateur était volontaire. Aussi est-il écrit (Mt 4, 1) : " Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert, pour y être tenté par le diable. " S. Grégoire explique qu’il faut l’entendre de l’Esprit Saint en ce sens que " celui-ci le conduirait là où l’esprit malin le trouverait pour le tenter ". Mais c’est du diable qu’il souffrit d’être emporté soit sur le pinacle du Temple, soit sur une haute montagne. Et il n’est pas étonnant, ajoute S. Grégoire, " qu’il ait permis de le conduire sur la montagne à celui qui permettrait aux membres de son corps de le crucifier ". Et l’on comprend qu’il ait été enlevé par le diable en ce sens qu’il n’a pas subi de contrainte, mais qu’il le suivait " pour rejoindre le lieu de la tentation ", dit Origène " comme un athlète qui s’avance librement ".

3. Selon l’Apôtre (He 4, 15) : " Le Christ voulut être tenté en toutes choses, mais sans pécher. " La tentation qui vient de l’ennemi peut être sans péché, car elle n’est qu’une suggestion extérieure. La tentation qui vient de la chair ne peut pas être sans péché parce qu’elle a pour cause le plaisir et la convoitise. Et, dit S. Augustin, " il y a du péché lorsque la chair convoite contre l’esprit ". C’est pourquoi le Christ a bien voulu être tenté par l’ennemi, mais non par la chair.

 

            Article 2 — Le lieu de la tentation

Objections :

1. Le Christ a voulu être tenté, on vient de le dire, pour nous donner l’exemple. Mais on doit proposer l’exemple de façon manifeste, pour qu’il forme les intéressés. Le Christ n’aurait donc pas dû être tenté dans le désert.

2. S. Jean Chrysostome dit " que le diable s’obstine surtout à tenter ceux qu’il voit solitaires. Aussi, à l’origine, a-t-il tenté la femme lorsqu’il l’a trouvée sans son mari ". Il apparaît ainsi qu’en allant au désert pour y être tenté, le Christ s’est exposé à la tentation. Donc, puisque sa tentation est notre modèle, il semble que nous devrions aussi aller au-devant des tentations. Ce qui semble périlleux, puisque nous devons plutôt en éviter les occasions.

3. Pour la deuxième tentation, S. Matthieu (4, 5) nous dit : " Le diable emporta le Christ dans la cité sainte et le plaça sur le pinacle du Temple ", qui n’était pas dans le désert. Donc celui-ci ne fut pas le seul lieu de la tentation.

En sens contraire, on lit en S. Marc (2, 13) " Jésus demeurait quarante jours et quarante nuits dans le désert, et il était tenté par Satan. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit à l’article précédent, le Christ s’est présenté volontairement au diable pour être tenté, de même qu’il devait se présenter volontairement à ses membres pour être mis à mort ; autrement le diable n’aurait pas pu l’aborder. Et le diable s’attaque davantage à celui qui est solitaire parce que, dit l’Ecclésiaste (4, 12), " là où un homme seul est vaincu, deux tiennent bon ". Et c’est pourquoi le Christ s’en est allé au désert, comme sur un terrain de combat, pour y être tenté par le diable. Aussi S. Ambroise dit-il : " Jésus était conduit dans le désert à dessein pour provoquer le diable, car si celui-ci n’avait pas combattu, le Seigneur n’aurait pas vaincu. " Il ajoute encore d’autres motifs : " Il l’a fait pour réaliser le mystère, en délivrant de l’exil Adam ", qui avait été chassé du paradis dans le désert, " et pour donner l’exemple, en montrant que le diable jalouse ceux qui s’efforcent de progresser ".

Solutions :

1. C’est par la foi que le Christ est proposé à nous tous en exemple, selon l’épître aux Hébreux (12, 2) : " Fixons nos regards sur l’auteur de notre foi, qui la mène à sa perfection. " Or la foi " vient de ce qu’on entend " (Rm 10, 17), non de ce qu’on voit ; au contraire, il est dit en S. Jean (20, 29) : " Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru. " Et c’est pourquoi, pour nous servir d’exemple, la tentation du Christ n’avait pas besoin d’être vue par les hommes, il suffisait qu’elle leur soit racontée.

2. Il y a deux sortes d’occasions de tentation. L’une vient de l’homme, par exemple lorsque l’on s’approche du péché en n’évitant pas les occasions de pécher. Et il faut éviter de telles occasions, selon ce qui est dit à Lot (Gn 19, 17) : " Ne t’arrête pas dans toute la région qui entoure Sodome. " Une autre sorte d’occasion vient du diable qui " jalouse ceux qui s’efforcent de progresser ", selon S. Ambroise. Et cette occasion-là, il ne faut pas l’éviter. Selon S. Jean Chrysostome : " Le Christ n’est pas le seul à être conduit au désert par l’Esprit, mais il y a aussi tous les fils de Dieu qui ont le Saint-Esprit. Car ils ne se contentent pas de rester oisifs, mais l’Esprit Saint nous presse d’entreprendre une grande œuvre ; c’est cela, être au désert pour le démon, car on n’y trouve pas l’injustice où le démon se complaît. Et de même, toute œuvre bonne est un désert pour la chair et le monde, parce qu’elle n’est pas conforme à la volonté de la chair et du monde. " Offrir au démon une telle occasion de tentation est sans danger parce que le secours du Saint-Esprit, auteur de toute œuvre parfaite, triomphe des assauts du démon jaloux.

3. Pour certains, toutes les tentations ont eu lieu au désert. Certains d’entre eux disent que le Christ a été emmené dans la cité sainte en imagination, et non réellement. D’après d’autres, la cité sainte elle-même, Jérusalem, serait le désert parce qu’elle avait été abandonnée par Dieu. Mais cela n’est pas nécessaire. S. Marc dit qu’au désert Jésus était tenté par le diable, mais il ne dit pas que ce fut seulement au désert.

 

            Article 3 — Le moment de la tentation

Objections :

1. Nous avons vu plus haut qu’il ne convenait pas au Christ de mener une vie austère. Mais qu’il n’ait rien mangé pendant quarante jours et quarante nuits est d’une austérité extrême car, dit S. Grégoire, " pendant ce temps il n’a pris absolument aucune nourriture ". Donc il semble qu’il n’aurait pas dû faire précéder sa tentation d’un jeûne pareil.

2. On lit dans S. Marc (1, 13) " Il demeurait quarante jours et quarante nuits dans le désert, et il était tenté par Satan. " Or c’est pendant tout ce temps qu’il a jeûné. Il apparaît donc que ce n’est pas après son jeûne, mais en même temps, qu’il fut tenté par le diable.

3. D’après les textes, le Christ n’a jeûné qu’une seule fois. Mais il a été tenté plus d’une fois par le diable puisque S. Luc nous dit (4, 13) : " Après avoir épuisé tous les genres de tentation, le démon s’éloigna de lui pour un temps. " De même que le jeûne n’a pas précédé cette deuxième tentation, il ne devait pas non plus précéder la première.

En sens contraire, on lit dans S. Matthieu (4, 2) : " Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim " ; et c’est alors que " le tentateur s’approcha de lui ".

Réponse :

C’est à juste titre que le Christ voulut être tenté après son jeûne.

1° Pour l’exemple. Parce que, nous l’avons dit il s’impose à tous de se prémunir contre les tentations ; du fait que le Christ a jeûné avant la tentation, il nous a enseigné à nous armer par le jeûne contre la tentation, et c’est pourquoi l’Apôtre énumère les jeûnes parmi " les armes de la justice " (2 Co 6, 5. 7).

2° Pour montrer que le démon assaille de ses tentations ceux qui jeûnent comme ceux qui s’adonnent aux bonnes œuvres. Et c’est pourquoi le Christ est tenté après son baptême et après son jeûne. " Apprenez, dit S. Jean Chrysostome. quel est le bienfait du jeûne, quel bouclier il constitue contre le démon ; et puisque, après le baptême, il ne faut pas s’adonner au plaisir, mais au jeûne, le Christ a jeûné non parce qu’il en avait besoin, mais pour nous instruire. "

3° Parce que son jeûne fut suivi de la faim qui donna au démon l’audace de l’attaquer, comme nous l’avons dit. Mais lorsque le Seigneur eut faim, dit S. Hilaire. " ce ne fut pas l’effet sournois de l’inanition, mais l’abandon de l’homme à sa nature. Car le diable devait être vaincu non par Dieu mais par la chair ". Aussi encore, dit S. Jean Chrysostome, " il n’est pas allé plus loin dans son jeûne que Moïse et Elie, pour ne pas rendre incroyable son incarnation ".

Solutions :

1. Il ne convenait pas au Christ de mener une vie austère, pour se montrer semblable à ceux auxquels il prêchait. Cependant nul ne doit assumer l’office de la prédication avant d’être purifié et rendu parfait en vertu, à l’exemple du Christ, qui, selon les Actes (1, 1) a " commencé par agir et enseigner ". c’est pourquoi le Christ, aussitôt après son baptême, a adopté une vie austère afin d’enseigner qu’on ne doit aborder l’office de prêcher aux autres qu’après avoir dompté sa chair, selon cette parole de S. Paul (1 Co 9, 7) : " Je châtie mon corps et je le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé. "

2. On peut comprendre ainsi le texte de S. Marc : " Jésus était dans le désert pendant quarante jours et quarante nuits ", et c’est alors qu’il jeûna. La suite : " Et il était tenté par Satan " doit s’entendre non pendant quarante jours et quarante nuits, mais après, car S. Matthieu dit : " Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, ensuite il eut faim ", ce qui a fourni au tentateur l’occasion de s’approcher. Aussi ce qui suit -. " Et les anges le servaient " doit s’entendre comme un événement consécutif, du fait qu’il est dit en Matthieu : " Alors le diable le quitta ", c’est-à-dire après la tentation " et voici que les anges s’approchèrent et ils le servaient ". Quant à l’incise de Marc " et il était avec les bêtes sauvages ", elle est là pour indiquer, selon Chrysostome v, la nature de ce désert : inaccessible aux hommes et rempli de bêtes sauvages.

Cependant, d’après le commentaire de S. Bède, le Seigneur a été tenté pendant quarante jours et quarante nuits. Mais il ne s’agit pas des tentations visibles racontées par Matthieu et Luc, qui ont lieu évidemment après le jeûne, mais d’autres attaques que le Christ a pu subir de la part du diable pendant ce temps de jeûne.

3. S. Ambroise dit que le diable s’éloigna du Christ pour un temps, parce qu’ensuite " il ne viendra plus le tenter mais le combattre ouvertement ", c’est-à-dire au temps de la Passion. Et cependant, par ce nouvel assaut, il semble tenter le Christ en lui suggérant la tristesse et la haine de ses proches, comme il l’avait tenté au désert pour le faire jouir par la gourmandise et mépriser Dieu par l’idolâtrie.

 

            Article 4 — Le genre et l’ordre des tentations

Objections :

1. Il semble que leur genre et leur ordre aient été mal adaptés. Car la tentation du diable pousse à pécher. Mais, si le Christ avait soulagé sa faim corporelle en changeant les pierres en pains, il n’aurait pas plus péché que lorsqu’il a multiplié les pains, ce qui ne fut pas un moindre miracle, pour subvenir à la faim de la multitude. Il semble donc qu’il n’y a eu là aucune tentation.

2. Aucun séducteur ne cherche à persuader du contraire de ce qu’il veut obtenir. Mais le diable, en plaçant le Christ sur le pinacle du Temple, visait à le tenter par l’orgueil ou la vaine gloire. Donc il est absurde de l’inviter à se jeter en bas, contrairement à l’orgueil et à la vaine gloire qui poussent toujours à monter.

3. Une tentation efficace doit porter sur un seul péché. Mais dans la tentation sur la montagne, le démon a suggéré deux péchés : la cupidité et l’idolâtrie. L’agencement de cette tentation semble donc maladroit.

4. Les tentations sont ordonnées au péché. Mais on a vu dans la deuxième Partie qu’il y a sept vices capitaux. Or le diable n’a tenté que sur trois : la gourmandise, la vaine gloire et la cupidité. Il semble donc que la méthode de cette tentation était insuffisante.

5. Après avoir triomphé de tous les vices, l’homme est exposé à la tentation d’orgueil et de vaine gloire parce que " l’orgueil s’insinue jusque dans les œuvres bonnes pour les détruire ", dit S. Augustin. Il est donc malheureux que Matthieu place en dernier la tentation de cupidité sur la montagne, et au milieu la tentation de vaine gloire au Temple, d’autant plus que Luc suit l’ordre inverse.

6. S. Jérôme dit que " le propos du Christ fut de vaincre le diable par l’humilité, non par la puissance ". Il n’aurait donc pas dû le repousser de façon impérieuse et sévère en lui disant " Arrière, Satan ! "

7. Le récit de l’évangile semble contenir des erreurs. Car il ne semble pas possible que le Christ ait été placé sur le pinacle du Temple sans que d’autres l’aient vu. Et il n’existe pas de montagne assez haute pour que, de son sommet, on puisse voir le monde entier et montrer au Christ tous les royaumes de la terre. Le récit de la tentation du Christ semble donc mal fait.

En sens contraire, il y a l’autorité de la Sainte Écriture.

Réponse :

Selon S. Grégoire " la tentation qui vient de l’ennemi se fait par mode de suggestion ". Or, on ne peut pas suggérer quelque chose à tout le monde de la même manière, mais on suggère à chacun selon son penchant. Et c’est pourquoi le diable commence par tenter l’homme spirituel en lui proposant non des péchés graves, mais des péchés légers, à partir desquels il le conduira à des péchés plus graves. Aussi, dans son commentaire sur Job (39, 25) : " Il flaire de loin le combat, les appels des chefs et les clameurs de l’armée ", S. Grégoire nous dit : " On a raison de dire que les chefs appellent et que l’armée pousse des clameurs. Car les premiers vices trompent l’âme et s’y insinuant sous des apparences de raison. Mais les vices innombrables qui suivent et qui entraînent l’âme à toutes sortes d’actions honteuses, se fondent dans une sorte de clameur bestiale. "

Et le démon a observé cette tactique dans la tentation du premier homme. Car il a commencé par inquiéter son âme à propos du fruit de l’arbre défendu, en disant (Gn 3, 1) : " Pourquoi Dieu vous a-t-il prescrit de ne manger le fruit d’aucun arbre du paradis ? " Puis, il lui a suggéré de la vaine gloire, lorsqu’il a dit : " Vos yeux s’ouvriront. " Enfin, il a poussé la tentation au comble de l’orgueil, quand il a dit : " Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. "

Et il a encore suivi le même ordre pour tenter le Christ. Car il l’a d’abord tenté sur ce que désirent, si peu que ce soit, les hommes spirituels : soutenir sa vie par la nourriture. Ensuite, il s’est avancé jusqu’à ce qui fait tomber les hommes spirituels : agir par ostentation, ce qui relève de la vaine gloire. Enfin, il a poussé la tentation jusqu’à ce qui n’appartient plus aux hommes spirituels, mais aux hommes charnels : la convoitise des richesses et de la gloire du monde, poussée jusqu’au mépris de Dieu. Et c’est pourquoi, s’il a dit dans les deux premières tentations : " Si tu es le Fils de Dieu ", il ne le dit plus pour la troisième, car elle ne peut convenir aux hommes spirituels qui sont par adoption fils de Dieu, contrairement aux deux premières.

Ces tentations, le Christ les repousse par des textes de la loi, non par sa puissance divine. " Par là même il honorait davantage l’homme et il punissait l’adversaire davantage, puisque l’ennemi du genre humain paraissait vaincu non par Dieu mais par l’homme ", dit le pape S. Léon.

Solutions :

1. Pourvoir aux nécessités de la vie pour se sustenter n’est pas pécher par gourmandise ; mais ce qui peut relever de ce vice, c’est que l’on agisse de façon désordonnée par désir de se sustenter. Or, il est désordonné, lorsqu’on peut recourir à des moyens humains, de vouloir obtenir de la nourriture par un miracle, pour le soutien du corps seul. Aussi le Seigneur a-t-il procuré miraculeusement la manne aux fils d’Israël, dans le désert, où l’on ne pouvait trouver de nourriture autrement. Pareillement, le Christ a nourri miraculeusement les foules dans le désert où elles ne pouvaient se procurer de nourriture autrement. Mais le Christ, pour subvenir à sa faim, pouvait se pourvoir autrement qu’en faisant des miracles. Il pouvait se nourrir comme faisait Jean Baptiste (Mt 3, 4) ou même en gagnant des localités voisines. C’est pourquoi le démon escomptait que le Christ pécherait si, pour subvenir à sa faim, il essaierait de faire des miracles, alors qu’il ne serait qu’un homme.

2. Par abaissement extérieur on cherche souvent la gloire qui nous élèvera dans le domaine des biens spirituels. Aussi S. Augustin dit-il : " Remarquez-le : ce n’est pas seulement dans l’éclat et la pompe des ornements extérieurs que peut se loger la prétention, mais aussi dans les haillons crasseux. "

3. Désirer les richesses et les honneurs du monde est un péché quand on le fait de façon désordonnée. Cela se manifeste surtout lorsque, pour les obtenir, on commet une action déshonnête. Et c’est pourquoi le démon ne s’est pas contenté de pousser à la convoitise de la richesse et des honneurs, mais il a engagé le Christ à l’adorer pour les obtenir, ce qui est un très grand crime, qui va contre Dieu. Et il n’a pas dit seulement : " Si tu m’adores ", il a ajouté : " en te prosternant ". Parce que, dit S. Ambroise " l’ambition comporte un péril intérieur : pour dominer les autres, elle commence par être esclave : elle se prodigue en courbettes pour recevoir des honneurs, et plus elle a de hautes visées, plus elle fait de bassesses ".

Pareillement encore, dans les tentations précédentes, le démon s’est efforcé d’amener du désir d’un péché à un autre péché, par exemple du désir de nourriture à la vanité de faire des miracles sans motif ; et du désir de la gloire il a essayé de conduire au péché de tenter Dieu en se précipitant du haut du Temple.

4. Selon S. Ambroise, " l’Écriture n’aurait pas dit que le diable s’était éloigné de lui après avoir épuisé toutes sortes de tentation, si ces trois points ne renfermaient pas toute la matière du péché. Car les causes des tentations sont les causes des convoitises : la jouissance de la chair, l’espérance de la gloire et l’avidité du pouvoir ".

5. Comme dit S. Augustin : " On ne sait pas quelle a été la première tentation : les royaumes de la terre lui ont-ils été montrés tout d’abord, et a-t-il été ensuite placé sur le pinacle du Temple ? Ou bien est-ce l’inverse ? Cependant c’est sans importance pourvu qu’il soit bien évident que tout cela a eu lieu. " Il semble que les évangélistes n’ont pas suivi le même ordre parce que l’on peut parfois aller de la vaine gloire à la cupidité, et parfois inversement.

6. Lorsque le Christ a subi l’assaut de la tentation, quand le diable lui disait : " Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ", il n’a pas été troublé et il n’a pas fait de reproche au démon. Mais c’est quand celui-ci a usurpé l’honneur dû à Dieu en disant : " je te donnerai tout cela si tu m’adores en te prosternant ", que le Christ s’est irrité et le repoussa en disant : " Arrière, Satan ! " pour que nous sachions à son exemple supporter avec magnanimité les offenses qui nous sont faites, et ne pas même supporter d’entendre offenser Dieu.

7. Selon S. Jean Chrysostome " le diable plaçait ainsi le Christ " sur le pinacle du Temple " pour le faire voir à tous ; mais lui, à l’insu du démon, s’arrangerait pour n’être vu de personne ". Quant à la parole : " Il lui montra tous les royaumes du monde avec leur gloire ", il ne faut pas l’entendre en ce sens " qu’il aurait vu les royaumes eux-mêmes, leurs cités, leur population, leur or et leur argent, mais les régions de la terre où se situait chaque royaume ou chaque cité. . . Le diable les désignait du doigt au Christ, et il présentait en paroles les honneurs et la situation de chaque royaume ".

Ou bien, selon Origène " le démon lui montra comment lui-même, par des vices divers, régnait sur le monde ".

 

 

QUESTION 42 — L’ENSEIGNEMENT DU CHRIST

1. Le Christ devait-il prêcher aux Juifs seulement ou bien aux païens aussi ? - 2. Dans sa prédication aurait-il dû éviter de heurter les Juifs ? - 3. Devait-il enseigner en public ou secrètement ? - 4. Devait-il enseigner seulement par la parole, ou aussi par l’écrit ?

Quant au temps où il a commencé à enseigner, on en a parlé plus haut, en traitant de son baptême (Q. 39, a. 3).

 

            Article 1 — Le Christ devait-il prêcher aux Juifs seulement ou bien aux païens aussi ?

Objections :

1. On lit en Isaïe (49, 6) : " C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus d’Israël et ramener les survivants de Jacob ; je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne jusqu’aux extrémités de la terre. " Mais le Christ a apporté la lumière et le salut par son enseignement. Cela semble donc trop peu qu’il n’ait prêché qu’aux Juifs et non aux païens.

2. Selon S. Matthieu (7, 29), " il enseignait comme ayant autorité ". Mais la puissance de l’enseignement se montre dans l’instruction de ceux qui n’ont reçu aucun enseignement, ce qui était le cas des païens. Aussi S. Paul écrit-il (Rm 15, 20) : " J’ai proclamé l’Évangile là où le nom du Christ n’avait pas encore été prononcé, afin de ne pas construire sur les fondations d’un autre. " Donc, le Christ aurait dû bien davantage prêcher à la multitude des païens.

3. Instruire plusieurs est plus utile que d’instruire un seul individu. Mais le Christ a instruit quelques païens, comme la Samaritaine (Jn 4, 7) et la Cananéenne (Mt 15, 22). Il semble donc que, bien davantage, le Christ aurait dû prêcher à la multitude des païens.

En sens contraire, le Seigneur déclare en S. Matthieu (15, 24) : " je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. " Mais on lit en S. Paul (Rm 10, 15) : " Comment prêcher, si l’on n’a pas été envoyé ? "

Réponse :

Il convenait que la prédication du Christ, par lui-même et par les Apôtres, fût adressée aux seuls Juifs pour commencer.

1° Afin de montrer que la venue du Christ accomplissait les promesses faites anciennement aux Juifs, mais non aux païens. Et S. Paul le dit bien (Rm 15, 8) : " J’affirme que le Christ Jésus a été ministre des circoncis ", c’est-à-dire apôtre et prédicateur des juifs, " pour manifester la fidélité de Dieu, en accomplissant les promesses faites à leurs pères ".

2° Cela prouvait que sa venue était voulue par Dieu car, dit S. Paul (Rm 13, 1), " tout ce qui vient de Dieu s’accomplit avec ordre ". Or cet ordre nécessaire exigeait que l’enseignement du Christ fût d’abord proposé aux Juifs, qui étaient plus proches de Dieu par leur foi et leur culte monothéiste, pour être ensuite transmis par eux aux païens. C’est ainsi que, dans la hiérarchie céleste, les illuminations divines parviennent aux anges inférieurs par l’intermédiaire des anges supérieurs. Aussi, sur cette parole en S. Matthieu : " Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ", S. Jérôme fait-il ce commentaire : " Il ne dit pas cela parce qu’il n’aurait pas été envoyé aussi aux païens, mais parce qu’il l’a été d’abord à Israël. " Aussi Isaïe (66, 19) avait-il écrit : " J’enverrai, parmi les sauvés ", c’est-à-dire les Juifs, " vers les nations, auxquelles ils annonceront ma gloire.

3° Pour enlever aux Juifs un prétexte à calomnie. En effet, sur cette parole (Mt 15, 24), " N’allez pas chez les païens ", S. Jérôme ; écrit " Il fallait annoncer la venue du Messie tout d’abord aux Juifs, pour qu’ils n’aient pas une juste excuse en disant qu’ils l’avaient rejeté parce qu’il avait envoyé ses Apôtres auprès des païens et des Samaritains. "

4° Parce que le Christ a mérité le pouvoir et la domination sur les païens par la victoire de la croix. C’est pourquoi on lit dans l’Apocalypse (2, 26-28) : " Au vainqueur je donnerai pouvoir sur les nations. . . comme je l’ai reçu de mon Père. " Et dans l’épître aux Philippiens (2, 8) : " Parce qu’il s’est fait obéissant jusqu’à la mort de la croix, Dieu l’a exalté pour qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse et que toute langue le proclame. " C’est pourquoi, avant sa passion, le Christ n’a pas voulu prêcher aux païens son enseignement, mais après la passion, il a dit aux disciples (Mt 28, 19) : " Allez, enseignez toutes les nations. " Cela explique ce qu’on lit en S. Jean (12, 20) : la Passion étant imminente, lorsque certains païens voulurent voir Jésus, celui-ci répondit : " Si le grain de froment ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. " Et comme dit S. Augustin sur ce passage : " Ce grain était destiné à mourir, en sa personne, par l’incroyance des Juifs, et à se multiplier par la foi des nations païennes. "

Solutions :

1. Le Christ a été la lumière et le salut des païens par les disciples qu’il a envoyés leur prêcher.

2. Faire quelque chose par d’autres montre une plus grande puissance que le faire par soi-même.

Et c’est pourquoi la puissance divine du Christ s’est manifestée hautement du fait qu’il a conféré à ses disciples une telle efficacité d’enseignement qu’ils convertissaient à lui des païens qui n’avaient jamais entendu parler de lui. Or la puissance de l’enseignement du Christ se mesure aux miracles par lesquels il confirmait cet enseignement, à son efficacité de persuasion, et à l’autorité de celui qui parle, parce qu’il s’exprimait comme ayant autorité sur la loi, quand il disait : " Eh bien, moi, je vous dis. . . " Et sa puissance divine s’est manifestée par la rectitude vertueuse où il vivait, sans aucun péché.

3. De même que le Christ ne devait pas, dès le début, communiquer sa doctrine indifféremment aux païens, de même il ne devait pas repousser totalement ceux-ci, pour ne pas leur enlever l’espérance du salut. Et c’est pourquoi quelques païens en particulier ont été accueillis à cause de l’éminence de leur foi et de leur dévouement.

 

            Article 2 — Dans sa prédication, le Christ aurait-il dû éviter de heurter les juifs ?

Objections :

1. S. Augustin a dit : " Dans l’homme Jésus Christ, le Fils de Dieu s’est offert à nous en modèle de vie. " Mais nous devons éviter de scandaliser, non seulement les fidèles mais aussi les infidèles, selon cette recommandation de S. Paul (1 Co 10, 32) : " Ne scandalisez ni les Juifs, ni les païens, ni l’Église de Dieu. " Il semble donc que le Christ aussi, dans son enseignement aurait dû éviter de heurter les Juifs.

2. Aucun sage ne doit empêcher son œuvre de réussir. Mais, du fait que Jésus troublait les Juifs par son enseignement, il empêchait celui-ci de porter ses fruits. S. Luc (11, 53) rapporte en effet que les pharisiens et les scribes, après avoir été repris par lui, " se mirent à lui en vouloir terriblement et à le faire parler sur une foule de choses, lui tendant des pièges pour surprendre ses paroles et pouvoir l’accuser ".

3. L’Apôtre conseille (1 Tm 5, 1) : " Ne rudoie pas le vieillard, honore-le comme un père. " Or les prêtres et les chefs des Juifs étaient les anciens de ce peuple. Ils n’auraient donc pas dû recevoir de durs reproches.

En sens contraire, il était prophétisé en Isaïe (8, 14) que le Messie serait " un caillou qui fait tomber, et une pierre de scandale pour les deux dynasties d’Israël ".

Réponse :

Le salut de la multitude doit passer avant la paix de quelques individus. C’est pourquoi, quand certains empêchent par leur perversité le salut du grand nombre, il ne faut pas craindre qu’un prédicateur ou un docteur les heurte afin de pourvoir au salut de la multitude. Or les scribes, les pharisiens et les chefs des Juifs empêchaient gravement le salut du peuple par leur malice, parce qu’ils s’opposaient à l’enseignement du Christ qui seul pouvait procurer le salut, et parce qu’ils corrompaient la vie du peuple par leur conduite mauvaise. Et c’est pourquoi le Seigneur, sans se laisser arrêter par leur scandale, enseignait publiquement la vérité et leur reprochait leurs vices. Et c’est pourquoi il est rapporté (Mt 15, 12. 14) que, les disciples de Jésus lui disant : " Sais-tu que les Juifs, en entendant cette parole, en sont scandalisés ? " Jésus répondit : " Laissez-les. Ce sont des aveugles conducteurs d’aveugles. Si un aveugle se fait le guide d’un aveugle, tous deux tombent dans un trou. "

Solutions :

1. On doit éviter de scandaliser quiconque pour ne donner à personne, par une action ou une parole déplacée, une occasion de chute. " Mais quand le scandale naît de la vérité, il vaut mieux endurer le scandale qu’abandonner la vérité ". dit S. Grégoire.

2. En blâmant publiquement les scribes et les pharisiens, le Christ n’a pas empêché mais plutôt favorisé l’effet de son enseignement. Parce que, leurs vices étant connus du peuple, celui-ci n’était guère détourné du Christ à cause des paroles des scribes et des pharisiens, qui s’opposaient toujours à l’enseignement du Christ.

3. Cette parole de l’Apôtre doit s’entendre des " anciens " qui ne le sont pas seulement par l’âge et l’autorité, mais qui sont aussi des vieillards par leur dignité morale, selon les Nombres (11, 16) : " Rassemble-moi soixante-dix des anciens d’Israël, que tu connais comme de vrais anciens du peuple. " Mais ceux qui font servir à la malice le prestige de la vieillesse en péchant publiquement, il faut les condamner ouvertement et sévèrement comme l’a fait Daniel (13, 52) : " Toi qui as vieilli dans le crime. . . "

 

            Article 3 — Le Christ devait-il enseigner en public ou secrètement ?

Objections :

1. On lit que le Christ a dit bien des choses à ses disciples en particulier, comme on le voit dans le discours de la Cène. Aussi a-t-il dit (Mt 10, 27) : " Ce que vous entendez à l’oreille dans votre chambre, proclamez-le sur les toits. " Donc il n’a pas tout enseigné en public.

2. On ne doit exposer qu’aux parfaits les profondeurs de la sagesse, selon S. Paul (1 Co 2, 6) : " Nous parlons de sagesse parmi les parfaits. " Mais l’enseignement du Christ contenait une très profonde sagesse. Il ne fallait donc pas le communiquer à la multitude imparfaite.

3. C’est pareil, de cacher une vérité en la taisant, ou en l’enveloppant de mots obscurs. Mais, pour les foules, le Christ dissimulait la vérité qu’il prêchait sous l’obscurité de ses paroles, car " il ne leur parlait pas sans paraboles " (Mt 13, 34). Donc, au même titre, il pouvait cacher la vérité par le silence.

En sens contraire, il y a cette parole du Christ lui-même (Jn 18, 20) : " je n’ai rien dit en secret. "

Réponse :

Un enseignement peut être dissimulé de trois façons.

1° Par la volonté de l’enseignant qui ne désire pas manifester son enseignement à beaucoup, mais plutôt le cacher. Cela se produit de deux façons.

Parfois cela vient de ce que l’enseignant est envieux : parce qu’il veut dominer par sa science, il ne veut pas la communiquer à d’autres. Ce qui était impossible chez le Christ, car c’est en son nom que la Sagesse parle ainsi (Sg 7,13) : " je l’ai apprise sans arrière-pensée ; je la communique sans envie ; et je ne cache pas sa dignité. " Mais parfois cela se produit à cause de l’immoralité de l’enseignement, dont S. Augustin nous dit : " Il y a certains maux que la pudeur humaine ne peut aucunement supporter. C’est pourquoi il est dit de la doctrine des hérétiques (Pr 9, 17) : "Les eaux dérobées sont les plus douces. " Et c’est pourquoi le Seigneur demande (Mc 4, 21) : "Est-ce que la lampe", l’enseignement véritable et honorable, vient pour être mise sous le boisseau ?" "

Une deuxième façon d’être caché, pour un enseignement, c’est qu’on le propose à un petit nombre. Et de cette façon non plus, le Christ n’a rien enseigné en secret, parce qu’il a proposé sa doctrine ou bien à toute la foule, ou bien à tous ses disciples rassemblés. Aussi, S. Augustin remarque-t-il : " Parle-t-il dans le secret, celui qui parle devant tant de gens ? Surtout s’il parle à un petit nombre parce qu’il veut, par ceux-ci, instruire beaucoup de gens ? "

Il y a une troisième façon pour un enseignement d’être caché, qui tient à la manière d’enseigner. Et c’est ainsi que le Christ parlait aux foules de façon secrète, en employant des paraboles pour leur enseigner des mystères spirituels dont elles étaient incapables ou indignes. Et cependant il valait mieux pour elles d’entendre cette doctrine spirituelle ainsi, sous l’écorce des paraboles, que d’en être totalement privés. Cependant le Seigneur en expliquait la vérité claire et nue à ses disciples, qui la transmettraient à ceux qui en seraient capables, selon l’invitation de S. Paul (2 Tm 2, 2) : " Les enseignements que tu as entendus de moi en présence de nombreux témoins, confie-les à des hommes sûrs, capables de les transmettre à d’autres. " Et cette conduite est symbolisée par l’ordre donnée aux fils d’Aaron d’envelopper les vases du sanctuaire, que les lévites porteraient enveloppés (Nb 4, 5).

Solutions :

1. Comme dit S. Hilaire en commentant la parole citée dans l’objection : " Nous ne lisons pas que le Seigneur avait l’habitude de faire des déclarations la nuit et de donner son enseignement dans les ténèbres, mais il parle ainsi parce que tout propos de lui est ténèbres pour les hommes charnels, que sa parole est obscurité pour les incroyants. C’est pourquoi ce qu’il a dit doit être annoncé parmi les incroyants avec la liberté de professer la foi. "

Ou bien, selon S. Jérôme i, il faut entendre cette proposition en ce que le Christ enseignait dans un petit coin de Judée, comparativement au monde entier où la prédication des Apôtres devait répandre son enseignement.

2. Dans son enseignement, le Seigneur n’a pas manifesté aux foules toutes les profondeurs de sa sagesse, ni même à ses disciples, auxquels il a dit (Jn 16, 12) : " J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. " Cependant, tout ce que sa Sagesse a jugé digne d’être communiqué aux autres, il l’a proposé non en secret mais ouvertement, bien que tous n’en aient pas eu l’intelligence. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Quand le Seigneur dit "J’ai parlé ouvertement", cela veut dire Beaucoup m’ont entendu. . . Et d’ailleurs, ce n’était pas ouvertement car ils ne comprenaient pas. "

3. Comme nous l’avons dit à l’instant, le Seigneur parlait en paraboles aux foules parce qu’elles n’étaient ni dignes ni capables de saisir la vérité nue qu’il exposait aux disciples. Quant à l’affirmation qu’il ne leur parlait pas sans paraboles, il faut la comprendre selon S. Jean Chrysostome : cela ne concerne que ce discours précis car, d’autres fois, Jésus à enseigné beaucoup de choses sans paraboles.

Ou bien, selon S. Augustin, on dit cela " non parce qu’il n’a jamais parlé en termes propres, mais parce qu’il n’a développé presque aucun discours sans y avoir employé de paraboles, bien qu’il y ait aussi donné certains enseignements en termes clairs ".

 

            Article 4 — Le Christ devait-il enseigner seulement par la parole, ou aussi par l’écrit ?

Objections :

1. L’écriture a été inventée pour permettre de confier une doctrine à la mémoire en vue de l’avenir. Or la doctrine du Christ doit durer pour toujours, comme il l’a dit (Lc 21, 33) : " Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. " Il semble donc que le Christ aurait dû confier sa doctrine à l’écriture.

2. La loi ancienne a précédé le Christ pour le préfigurer selon l’épître aux Hébreux (10, 1) : " La loi n’avait que l’ombre des biens à venir. " Mais la loi ancienne fut écrite par Dieu, selon l’Exode (24, 12) : " je te donnerai deux tables de pierre, avec la loi et les commandements que j’ai écrits. " Il semble donc que le Christ aurait dû écrire sa doctrine.

3. Puisque le Christ était venu " éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort " (Lc 1, 79), il lui appartenait d’exclure les occasions d’erreur et d’ouvrir le chemin de la foi. Mais il l’aurait fait en écrivant son enseignement. En effet, selon S. Augustin, " souvent certains s’étonnent de ce que le Christ lui-même n’ait rien écrit, si bien qu’on est obligé de croire ceux qui ont écrit sur lui. Ces gens-là et surtout les païens se le demandent sans oser inculper le Christ ou blasphémer contre lui, et ils lui attribuent une sagesse très profonde, mais en le considérant comme un homme. Ils disent que ses disciples ont accordé à leur maître plus qu’il n’était, pour déclarer qu’il est le Fils de Dieu et le Verbe de Dieu par qui tout a été fait ". Et il ajoute plus loin : " Ils semblent avoir été prêts à croire de lui ce qu’il aurait écrit de lui-même, non ce que d’autres en ont prêché à leur manière. " Il semble donc que le Christ en personne aurait dû confier par écrit son enseignement.

En sens contraire, le canon des Écritures ne contient aucun livre qui aurait été écrit par le Christ.

Réponse :

Il convenait que le Christ n’ait pas mis par écrit son enseignement.

1° A cause de sa dignité. Plus un docteur est éminent, et plus le mode de son enseignement doit l’être. Et c’est pourquoi il convenait au Christ, comme au plus éminent des docteurs, de graver sa doctrine dans le cœur de ses auditeurs. C’est pourquoi il est dit en S. Matthieu (7, 29) : " Il les enseignait comme ayant autorité. " Aussi, même chez les païens, Pythagore et Socrate, qui furent les plus éminents docteurs, ne voulurent rien écrire. En effet l’écriture n’est qu’un moyen ordonné, comme à sa fin, à graver la doctrine dans le cœur des auditeurs.

2° A cause de la supériorité de la doctrine du Christ, qui ne pouvait s’enfermer dans un texte comme il est dit en S. Jean (21, 25) " Jésus a fait encore beaucoup d’autres choses si on les rapportait en détail, je ne crois pas que le monde entier pourrait contenir les livres qu’il faudrait écrire. " S. Augustin nous demande de " ne pas l’entendre en ce sens que le monde ne pourrait les loger, mais qu’ils dépassent la capacité des lecteurs ". Mais si le Christ avait consigné par écrit sa doctrine, on penserait qu’on n’y trouve rien de plus profond que ce qui est dans la formulation écrite.

3° Le Christ n’a rien écrit afin que son enseignement parvienne à tous, à partir de lui, dans un certain ordre, c’est-à-dire que lui-même instruisait immédiatement ses disciples, qui ensuite ont instruit les autres par leur parole et par leurs écrits. Tandis que, si lui-même avait écrit, son enseignement serait parvenu immédiatement à tous. Il est dit de la Sagesse de Dieu (Pr 9, 3) " qu’elle a envoyé ses servantes inviter vers les hauteurs de la ville " à son festin.

Cependant il faut savoir, à la suite de S. Augustin que certains païens ont cru le Christ auteur de certains livres contenant des formules magiques pour ses miracles, alors que la discipline chrétienne condamne la magie. " Et cependant, ceux qui affirment avoir lu de tels livres n’opèrent rien de ce qui, dans ces livres, fait leur admiration. Par le jugement de Dieu, ils poussent si loin leur erreur qu’ils affirment que ces livres portent une dédicace à Pierre et à Paul. . . parce qu’en plusieurs endroits ils ont vu des peintures qui les représentaient avec le Christ. . . il n’est pas surprenant qu’ils aient été induits en erreur par ces peintures mêmes. Car tout le temps que le Christ a vécu avec ses disciples dans sa chair mortelle, Paul n’était pas encore son disciple. "

Solutions :

1. Comme le dit S. Augustin : " Par rapport à tous les disciples qui sont ses membres, le Christ est comme la tête. Aussi, puisque c’est eux qui ont écrit ce qu’il avait montré et déclaré, on ne doit pas dire que ce n’est pas lui qui a écrit, puisque ses membres ont consigné ce qu’ils ont appris sous la dictée de la tête. Tout ce qu’il a voulu nous faire lire, au sujet de ses actions et de ses paroles, il leur a commandé de l’écrire comme s’ils étaient ses mains. "

2. Puisque la loi ancienne était donnée sous des figures sensibles, il convenait aussi qu’elle soit écrite avec des caractères visibles. Mais l’enseignement du Christ, qui est la loi de l’Esprit de vie devait être écrit " non avec de l’encre, mais par l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur les tables de chair du cœur ", dit S. Paul (2 Co 3, 3).

3. Ceux qui n’ont pas voulu croire les écrits des Apôtres sur le Christ n’auraient pas cru davantage au Christ écrivain, car ils pensaient que ses miracles étaient accomplis par des procédés magiques.

LES MIRACLES DU CHRIST

Nous étudierons : I. Leur ensemble (Q. 43). - II. Le détail des diverses catégories de miracles (Q. 44). - III. Le cas particulier de la Transfiguration (Q. 45).

 

 

QUESTION 43 — LES MIRACLES DU CHRIST DANS LEUR ENSEMBLE

1. Le Christ devait-il faire des miracles ? - 2. Les a-t-il faits par une vertu divine ? - 3. A quel moment a-t-il commencé d’en faire ? - 4. Ont-ils suffisamment montré sa divinité ?

 

            Article 1 — Le Christ devait-il faire des miracles ?

Objections :

1. Il aurait dû agir conformément à ses paroles. Il a dit (Mt 16, 4) : " Cette génération perverse et adultère demande un signe, et il ne lui en sera pas donné, sinon le signe du prophète Jonas. " 2. Si le Christ, lors de son second avènement, doit venir " en grande puissance et majesté " (Mt 24, 30), dans son premier avènement il vient dans la faiblesse selon Isaïe (53, 3) : " Homme de douleurs, connaissant la faiblesse. " Mais l’accomplissement des miracles ressortit à la puissance plus qu’à la faiblesse. Donc il aurait été bien qu’à son premier avènement il ne fit pas de miracles.

3. Le Christ est venu pour sauver les hommes par la foi, selon l’épître aux Hébreux (12,2) : " Celui qui est l’initiateur de la foi et qui la mène à son accomplissement, Jésus. " Mais les miracles diminuent le mérite de la foi, aussi le Seigneur dit-il (Jn 4, 48) : " Si vous ne voyez pas des signes et des prodiges, vous ne croyez pas. " Il semble donc que le Christ n’aurait pas dû faire de miracles.

En sens contraire, ce sont ses adversaires qui disent (Jn 11, 47) : " Qu’allons-nous faire ? Cet homme accomplit un grand nombre de miracles. "

Réponse :

Dieu concède à l’homme de faire des miracles pour deux motifs. D’abord et à titre primordial pour confirmer la vérité que quelqu’un enseigne. En effet, les vérités de foi dépassent la raison humaine et ne peuvent être prouvées par des raisonnements humains ; elles doivent être prouvées par l’argument de la puissance divine, afin que, lorsqu’un homme accomplit des œuvres que Dieu seul peut faire, on croie que ce qu’il dit vient de Dieu. Ainsi, lorsque quelqu’un présente une lettre marquée par le sceau royal, on croit que son contenu procède de la volonté royale.

Enfin, Dieu accomplit des miracles pour montrer la présence de Dieu dans l’homme par la grâce du Saint-Esprit : lorsqu’un homme accomplit les œuvres de Dieu, on croit que Dieu habite en lui par la grâce. D’où cette parole (Ga 3, 5) : " Celui qui nous a donné l’Esprit Saint accomplit par nous des miracles. "

Au sujet du Christ, il fallait manifester aux hommes ces deux vérités : que Dieu était en lui par la grâce, grâce d’union et non d’adoption ; et que sa doctrine surnaturelle venait de Dieu. Et c’est pourquoi il convenait au plus haut point qu’il fit des miracles. Aussi dit-il lui-même (Jn 10, 38) : " Si vous ne voulez pas me croire, croyez mes œuvres. " Et aussi (Jn 5, 36) : " Les œuvres que mon Père m’a données à faire, c’est elles qui rendent témoignage de Moi. "

Solutions :

1. Cette parole du Christ : " Il ne lui sera pas donné de signe, sinon celui du prophète Jonas " signifie, d’après S. Jean Chrysostome, qu’alors " ils ne reçurent pas le genre de signe qu’ils demandaient ", c’est-à-dire un signe du ciel, " mais non qu’il ne leur a donné aucun signe. Ou bien qu’il faisait des signes, non pour eux qu’il savait de pierre, mais afin d’amender les autres ". Et c’est pourquoi ce n’est pas à eux, mais aux autres, que ces signes étaient donnés.

2. Bien que le Christ soit venu " dans la faiblesse de la chair ", ce que manifestent ses souffrances, il est cependant venu dans la force de Dieu. Ce qu’il allait manifester par ses miracles.

3. Les miracles diminuent le mérite de la foi dans la mesure où ils montrent la dureté de ceux qui ne veulent pas croire ce qui est prouvé par la Sainte Écriture à moins qu’il ne voient des miracles. Cependant, il valait mieux pour eux d’être convertis à la foi, fût-ce par des miracles, que de demeurer entièrement dans l’infidélité. S. Paul dit en effet (1 Co 14, 22) que " les miracles sont pour les incrédules " afin qu’ils se convertissent à la foi.

 

            Article 2 — Le Christ a-t-il fait des miracles par une vertu divine ?

Objections :

1. La vertu divine est toute-puissante. Mais il semble que le Christ, dans l’accomplissement de ses miracles, n’était pas tout-puissant, car on lit dans S. Marc (6, 5) " Il ne pouvait faire là ", dans sa patrie, " aucun miracle ".

2. Il n’appartient pas à Dieu de prier. Mais le Christ priait parfois en faisant des miracles, comme on le voit à la résurrection de Lazare (Jn 11, 41) et à la multiplication des pains (Mt 14, 19).

3. Ce qui se fait par la vertu divine ne peut se faire en vertu d’une créature. Mais les miracles que Jésus faisait pouvaient se faire en vertu d’une créature ; aussi les pharisiens disaient-ils : " C’est par Béelzéboul, prince des démons, qu’il chasse les démons " (Lc 11, 15).

En sens contraire, le Seigneur dit (Jn 14, 10) : " C’est le Père, qui demeure en moi, qui fait toutes ces œuvres. "

Réponse :

Comme nous l’avons établi dans la première Partie, les vrais miracles ne peuvent s’accomplir que par la vertu divine, parce que Dieu seul peut changer l’ordre de la nature, ce qui relève de la raison de miracle. Aussi le pape S. Léon écrit-il que, le Christ ayant deux natures, l’une, la nature divine, " brille par les miracles " ; l’autre, la nature humaine, " est accablée par les outrages " et cependant " chacune agit en communication avec l’autre ", parce que la nature humaine est l’instrument de la nature divine, et l’action humaine a reçu une vertu de la nature divine, nous l’avons dit plus haut.

Solutions :

1. Cette façon de parler " Il ne put faire aucun miracle " ne doit pas être rapportée à la puissance absolue, mais à ce qui pouvait se faire de façon cohérente, car il n’était pas cohérent d’accomplir des miracles parmi les incrédules. Aussi ajoute-t-on : " Et il s’étonnait de leur incrédulité. " C’est de la même manière que Dieu dit (Gn 18, 17) : " je ne peux pas cacher à Abraham ce que je vais faire ", et aussi (Gn 19, 22) : " je ne puis rien faire (contre Sodome) avant que tu n’y sois arrivé. "

2. Voici ce que dit S. Jean Chrysostome sur cette prière au moment de la multiplication des pains : " Il fallait croire que le Christ vient du Père, et qu’il est égal à lui. Et c’est pourquoi, afin de montrer l’un et l’autre, il fait ses miracles tantôt avec puissance, tantôt en priant. C’est dans les miracles moindres qu’il regarde vers le ciel, comme à la multiplication des pains ; dans les grands miracles, qui viennent de Dieu seul, il agit avec puissance, ainsi quand il a remis les péchés ou ressuscité les morts. " Si l’on dit qu’à la résurrection de Lazare " il leva les yeux vers le ciel ", il l’a fait non parce qu’il avait besoin d’appui, mais pour donner l’exemple. Aussi dit-il : " J’ai parlé ainsi à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé. "

3. Le Christ ne chassait pas les démons de la façon dont agissait la vertu des démons. Car, par la vertu des démons supérieurs, les démons sont bien chassés des corps, mais de telle sorte qu’ils gardent leur pouvoir sur l’âme, car le démon n’agit pas contre son règne. Tandis que le Christ chassait les démons du corps, mais bien davantage de l’âme. Aussi a-t-il condamné le blasphème des pharisiens prétendant qu’il chassait les démons par la vertu des démons : 1° Parce que Satan n’est pas divisé contre lui-même. 2° Par l’exemple de ceux qui chassaient les démons par l’Esprit de Dieu. 3° Parce qu’il ne pourrait chasser les démons s’il ne les avait pas vaincus par la vertu divine. 4° Parce qu’il n’y avait dans ses œuvres ou dans leurs effets aucun accord entre lui et Satan, puisque Satan cherchait à disperser ce que lui-même, le Christ, rassemblait.

 

            Article 3 — A quel moment le Christ a-t-il commencé de faire des miracles ?

Objections :

1. Il semble que le Christ n’a pas commencé de faire des miracles aux noces de Cana, en changeant l’eau en vin. Car on lit dans le Protévangile de Jacques qu’il a fait beaucoup de miracles dans son enfance, tandis qu’il a fait le miracle des noces de Cana dans sa trentième ou trente-et-unième année. Ce n’est donc pas alors qu’il a commencé à faire des miracles.

2. Le Christ faisait des miracles par la vertu divine. Or celle-ci fut en lui dès le début de sa conception, car il fut Dieu et homme dès ce moment. Il semble donc qu’il a fait des miracles dès le début.

3. D’après S. Matthieu (4, 18) et S. Jean (1, 35) le Christ a commencé de rassembler ses disciples après son baptême et après sa tentation. Or les disciples se sont rassemblés autour de lui surtout à cause de ses miracles. Ainsi S. Luc (5, 4) raconte qu’il appela Pierre, stupéfait de la pêche miraculeuse. Il semble donc qu’il a fait d’autres miracles avant celui des noces de Cana.

En sens contraire, on lit en S. Jean (2, 11) : " Ce fut le commencement des miracles de Jésus à Cana de Galilée. "

Réponse :

Le Christ a fait des miracles pour confirmer son enseignement, et pour montrer qu’il avait la puissance divine. Et c’est pourquoi, relativement au premier point, il ne devait pas faire de miracles avant d’avoir commencé à enseigner, et il ne devait pas enseigner avant d’être parvenu à l’âge parfait comme nous l’avons établit à propos de son baptême.

Quant au second point, il devait par ses miracles montrer sa divinité de telle manière que l’on crût à la réalité de son humanité. Et c’est pourquoi, selon S. Jean Chrysostome " il a eu raison de ne pas commencer à faire des miracles dès son premier âge, car on aurait estimé que son incarnation était irréelle, et on l’aurait livré à la croix avant le temps opportun ".

Solutions :

1. D’après la parole du Baptiste (Jn 1, 31) : " je suis venu baptiser dans l’eau pour qu’il soit manifesté en Israël ", " il est évident, dit S. Jean Chrysostome que les miracles accomplis par le Christ dans son enfance ne sont que mensonges et inventions. Car si le Christ avait fait des miracles dans son premier âge, il n’aurait pas été inconnu de Jean, et le reste de la foule n’aurait pas eu besoin d’un maître pour le lui manifester ".

2. La vertu divine agissait dans le monde où c’était nécessaire pour le salut des hommes, but de l’Incarnation. Et c’est pourquoi il a fait des miracles par la vertu de Dieu de telle sorte que cela ne nuise pas à la foi en la réalité de sa chair.

3. Cela même est à l’éloge des disciples, " qu’ils ont suivi le Christ alors qu’ils ne lui avaient vu accomplir aucun miracle ", dit S. Grégoire. Et, selon S. Jean Chrysostome : " Il était surtout nécessaire de faire des miracles quand les disciples étaient déjà rassemblés, dévoués, attentifs à tout ce qui se faisait. Aussi ajoute-t-on (Jean 2, 11) : "Et ses disciples crurent en lui", non parce qu’ils crurent alors pour la première fois, mais parce qu’alors ils crurent avec plus de zèle et de perfection. " Ou bien, explique S. Augustin on appelle disciples " ceux qui le seraient plus tard ".

 

            Article 4 — Les miracles du Christ ont-ils suffisamment montré sa divinité ?

Objections :

1. Être Dieu et homme est propre au Christ. Mais les miracles accomplis par le Christ ont été faits aussi par d’autres. Il semble donc qu’ils ne suffisaient pas à montrer sa divinité.

2. Rien n’est plus grand que la vertu divine. Mais certains ont fait de plus grands miracles que le Christ, car il dit lui-même (Jn 14, 12) : " Celui qui croit en moi fera lui-même les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes. " Il semble donc que les miracles accomplis par Jésus n’ont pas été suffisants pour montrer sa divinité.

3. Le particulier n’est pas suffisant pour montrer l’universel. Mais chaque miracle du Christ fut une œuvre particulière. Donc aucun d’entre eux n’a pu manifester suffisamment la divinité du Christ, à laquelle il appartient de posséder un pouvoir universel sur toutes choses.

En sens contraire, il y a cette parole du Seigneur (Jn 5, 36) : " Les œuvres que mon Père m’a données à faire, ce sont elles qui rendent témoignage de moi. "

Réponse :

Il faut affirmer que les miracles du Christ étaient suffisants pour manifester sa divinité selon trois points de vue.

1° En raison de la nature spécifique de ces œuvres, qui dépassaient la puissance de toute vertu créée et par conséquent ne pouvaient être accomplies que par la vertu divine. Et c’est pourquoi l’aveugle-né disait après sa guérison (Jn 9, 32) : " On n’a jamais entendu dire que quelqu’un ait rendu la vue à un aveugle de naissance. Si celui-ci ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. " 2° A cause de la façon d’accomplir ces miracles, en ce sens que Jésus les accomplissait comme par son propre pouvoir, sans prier, comme les autres. Aussi est-il écrit (Le 6, 19) : " Une vertu sortait de lui et les guérissait tous. " Cela montre, dit S. Cyrille " qu’il ne recevait pas une vertu étrangère mais, puisqu’il était Dieu par nature, il montrait sa propre puissance sur les malades. Et c’est pourquoi il faisait d’innombrables miracles ". Aussi, sur ces paroles (Mt 8, 16) : " D’un mot il chassait les esprits et il guérissait tous les malades ", S. Jean Chrysostome - nous dit : " Remarquez quelle multitude de guérisons nous rapportent les évangélistes. Ils ne racontent pas chaque cure en détail, mais ils évoquent d’un mot une mer infinie de miracles. " Et par là il montrait qu’il avait une puissance égale à celle du Père selon cette parole (Jn 5, 19. 21) : " Tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement. . . De même que le Père ressuscite les morts et leur donne la vie, ainsi le Fils de l’homme donne la vie à qui il veut. " 3° En raison de la doctrine par laquelle il se disait Dieu : si elle n’avait pas été vraie, elle n’aurait pas été confirmée par des miracles dus à la puissance divine. D’où cette réflexion (Mc 1, 27) : " Quel est cet enseignement nouveau ? Il commande avec autorité aux esprits mauvais, et ceux-ci lui obéissent ! "

Solutions :

1. C’était là l’objection des païens. Aussi S. Augustin écrit-il : " Une si grande majesté, disent-ils, n’est ni prouvée ni éclairée par des signes suffisants. Car cette expulsion de spectres ", quand il chassait les démons, " cette guérison des malades, cette résurrection des morts, et tout le reste, c’est peu de chose pour Dieu ". A cela S. Augustin répond : " Nous-mêmes reconnaissons que les prophètes ont fait des miracles semblables. . . Moïse et les autres prophètes ont prophétisé le Seigneur Jésus et lui ont donné une grande gloire. . . C’est pour cela que lui-même a voulu faire des miracles semblables, de peur qu’il n’eût semblé absurde qu’il ne fit point par lui-même ce qu’il avait fait par eux. Cependant il devait faire aussi des miracles qui lui fussent propres : naître de la Vierge, ressusciter d’entre les morts, monter au ciel. Celui qui estime que pour Dieu c’est peu de chose, j’ignore ce qu’il peut attendre de plus. Après s’être uni l’homme, aurait-il dû créer un autre monde pour que nous puissions croire que le monde a été fait par lui ? Mais il n’aurait pu faire en ce monde un monde supérieur ni égal à celui-ci. Et s’il avait fait un monde inférieur, on aurait encore trouvé que c’était peu de chose. "

Mais ce que d’autres ont fait, le Christ l’a fait d’une manière supérieure. Aussi, sur cette parole (Jn 15, 24) : " Si je n’avais pas fait en eux ce que personne d’autre n’a fait. . . ", S. Augustin,, explique : " Parmi les œuvres du Christ, aucune ne semble plus grande que la résurrection des morts, et nous savons que les anciens prophètes l’ont aussi accomplie. . . Cependant le Christ a fait certains miracles que personne d’autre n’a faits. Mais on nous répond que d’autres en ont faits que ni lui ni aucun autre n’ont faits. Cependant, qu’il ait guéri tant d’infirmités, de maladies, de détresses humaines avec une telle puissance, on ne lit cela d’aucun ancien. Car pour ne pas parler des guérisons individuelles qu’il accordait à tous ceux qui se présentaient, Marc dit (6, 56) : "En tout lieu où il pénétrait, villages, villes ou fermes, on mettait les malades sur les places et le priait de les laisser toucher ne fût-ce que la frange de son manteau, et tous ceux qui le touchaient étaient sauvés. " Cela, personne d’autre ne l’a fait en eux. On doit comprendre en effet qu’il a bien dit "en eux". Ni "parmi eux", ni "devant eux", mais bien "en eux", parce qu’il les a guéris. Et personne n’a fait en eux de telles œuvres, car si un autre homme a fait l’une ou l’autre, c’est parce que lui-même les a faites ; mais lui-même les a faites sans que d’autres les aient faites. "

2. S. Augustin, expliquant ce texte de S. Jean, se demande : " Quelles sont ces œuvres plus grandes " que doivent faire ceux qui croient en lui ? " Serait-ce que les malades, à leur passage, étaient guéris par leur ombre ? Que l’ombre guérisse, c’est un miracle plus grand que d’obtenir la guérison en touchant une frange de manteau. Néanmoins, quand le Christ parlait ainsi, il mettait en valeur les faits et les œuvres de ses propres paroles. En effet, quand il a dit (Jn 14, 10) : "C’est le Père demeurant en moi qui fait ces œuvres" de quelles œuvres parlait-il, sinon de ses propres paroles ? Et le fruit de ses paroles, c’était la foi de ses disciples. Toutefois, lorsque ceux-ci annoncèrent l’Évangile, ceux qui crurent ne furent pas aussi peu nombreux qu’eux-mêmes : ce sont les nations qui ont cru. "

" N’est-ce pas sur une parole de sa bouche que le riche se retira tout triste ? Et pourtant ce que ce seul homme n’avait pas fait après avoir entendu le Christ, de nombreux riches l’ont fait après avoir entendu les disciples. Voilà comment, prêché par des croyants, le Christ a fait des œuvres plus grandes que lorsqu’il parlait lui-même. ‘ "

" Pourtant ceci encore nous ébranle : ces œuvres plus grandes, il les a faites par les Apôtres, et pourtant il ne désignait pas seulement eux lorsqu’il disait : "Celui qui croit en moi, fera aussi les œuvres que je fais. . . " Écoute donc et comprends ainsi : "Celui qui croit en moi, les œuvres que je fais, il les fera aussi. " C’est moi qui fais d’abord, et ensuite c’est lui qui les fera, car je fais qu’il les fasse. " Quelles œuvres sinon la justification de l’impie ? C’est en lui, mais ce n’est pas sans lui que le Christ agit. Certes, je dirai que c’est une œuvre plus grande que la création du ciel et de la terre, car le ciel et la terre passeront, mais le salut et la justification des prédestinés dureront toujours. Mais dans les cieux les anges sont les œuvres du Christ. Est-ce qu’il n’accomplit pas des œuvres plus grandes, celui qui coopère avec le Christ pour sa propre justification ? Qu’on juge, si c’est possible, si créer des justes est une œuvre plus grande que de justifier des impies ? Certes, si ces deux œuvres demandent une égale puissance, la seconde demande plus de miséricorde. Mais rien ne nous oblige à penser que, lorsque le Christ dit : "Il fera des œuvres plus grandes", cela concerne toutes les œuvres du Christ. Peut-être parlait-il seulement de celles qu’il faisait à ce moment. Alors il disait des paroles de foi et, certes, proclamer des paroles de justice, ce qu’il a fait sans nous, est une œuvre moins grande que justifier des impies, ce qu’il fait en nous, afin que nous le fassions à notre tour. "

3. Lorsque l’œuvre particulière d’un agent lui est propre, elle prouve toute la vertu de cet agent. Ainsi, puisque raisonner est le propre de l’homme, un individu montre qu’il est un homme du fait qu’il raisonne sur n’importe quel sujet particulier. Pareillement, puisque faire des miracles par sa propre puissance appartient à Dieu seul, le fait que le Christ a accompli par sa propre puissance n’importe quel miracle montre suffisamment qu’il est Dieu.

 

 

QUESTION 44 — LES DIVERSES CATÉGORIES DE MIRACLES DU CHRIST

1. Ses miracles sur les substances spirituelles. - 2. Sur les corps célestes. - 3. Sur les hommes. - 4. Sur les créatures dépourvues de raison.

 

            Article 1 — Les miracles opérés par le Christ sur les substances spirituelles

Objections :

1. Parmi les substances spirituelles, les saints anges l’emportent sur les démons, parce que, dit S. Augustin " les esprits pécheurs qui ont déserté la vie spirituelle sont régis par les esprits justes et pieux ". Mais l’Évangile ne dit pas que le Christ ait fait des miracles concernant les bons anges. Il n’aurait donc pas dû en faire concernant les démons.

2. Les miracles du Christ étaient ordonnés à manifester sa divinité. Mais celle-ci n’avait pas à être manifestée aux démons, parce que cela aurait empêché le mystère de sa passion, selon S. Paul (2 Co 2, 8) : " S’ils l’avaient connu, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. " Le Christ ne devait donc pas faire de miracles sur les démons.

3. Les miracles du Christ étaient ordonnés à la gloire de Dieu. C’est pourquoi S. Matthieu (9, 8) écrit : " Les foules en voyant cela (le paralytique guéri par le Christ), furent saisies de crainte et rendirent gloire à Dieu qui a donné aux hommes une telle puissance. " Mais il ne revient pas aux démons de glorifier Dieu, parce que " la louange n’est pas belle dans la bouche du pécheur " (Si 15, 9). Aussi, nous disent Marc (1, 34) et Luc (4, 41) " il ne permettait pas aux démons de parler " de ce qui touchait à sa gloire. Il ne semble donc pas bien ordonné qu’il ait fait des miracles sur les démons.

4. Les miracles du Christ étaient ordonnés au salut des hommes. Mais il est arrivé que des hommes aient souffert du dommage, lorsque le Christ en chassa les démons. Soit un dommage corporel, par exemple (Mc 9, 24) lorsque le démon, sur l’ordre du Christ, " poussa un grand cri et sortit de l’enfant en l’agitant avec violence et en le laissant inanimé ", si bien que beaucoup disaient : " Il est mort. " Soit du dommage pécuniaire, par exemple (Mt 8, 31) quand, à la prière des démons, le Christ envoya ceux-ci dans des porcs qu’ils précipitèrent dans la mer, de sorte que les habitants de cette région " lui demandèrent de quitter leur territoire ". On voit donc les inconvénients de tels miracles.

En sens contraire, Zacharie (13, 2) avait prédit cela quand il disait : " J’ôterai du pays l’esprit impur. "

Réponse :

Les miracles du Christ venaient à l’appui de la foi qu’il enseignait. Or, il devait se faire que, par la puissance de sa divinité, il détruirait le pouvoir des démons chez les hommes qui croiraient en lui, selon sa parole (Jn 12, 31) : " Maintenant, le prince de ce monde va être jeté dehors. " Et c’est pourquoi il était bon que, entre autres miracles, il délivre les hommes esclaves du démon.

Solutions :

1. De même que les hommes devaient être délivrés par le Christ du pouvoir des démons, de même devaient-ils être par lui associés aux anges, selon la parole de S. Paul (Col 1, 20) : " Pacifiant par le sang de sa croix ce qui est au ciel et ce qui est sur terre. " Et c’est pourquoi, concernant les anges, il ne convenait pas de montrer aux hommes d’autres miracles que ceux de leurs apparitions, qui se sont produites à sa naissance, à sa résurrection et à son ascension.

2. Selon S. Augustin : " Le Christ s’est fait connaître aux démons autant qu’il l’a voulu ; et il l’a voulu dans la mesure où il l’a fallu. Mais il s’est fait connaître à eux, non comme aux saints anges par le fait qu’il est la vie éternelle, mais par certains effets temporels de sa puissance. " Et d’abord, en voyant le Christ avoir faim après son jeûne, ils ont pensé qu’il n’était pas le Fils de Dieu. C’est pourquoi, sur ce texte (Lc 4, 3) : " Si tu es le Fils de Dieu. . . " S. Ambroise écrit : " Que signifie cette entrée en matière, sinon qu’il savait que le Fils de Dieu viendrait ; mais il ne pensait pas qu’il viendrait dans la faiblesse d’un corps. " Mais plus tard, après avoir vu ses miracles, il soupçonna par conjecture que le Christ était le Fils de Dieu. Aussi, sur le texte de Marc (1, 24) : " je sais que tu es le Fils de Dieu ", S. Jean Chrysostome nous dit-il : " Il n’avait pas une connaissance certaine et ferme de la venue de Dieu. " Il savait cependant qu’il était " le Messie promis dans la Loi ", aussi Luc dit-il (4, 41) : " Parce qu’ils savaient qu’il était le Messie. " Mais, s’ils reconnaissaient en lui le Fils de Dieu, c’était davantage un soupçon qu’une certitude. Ce qui fait dire à Bède : " Les démons confessent le Fils de Dieu et, comme on dit dans la suite, ils savaient qu’il était le Messie. " Parce que le diable, le voyant fatigué par le jeûne, comprit qu’il était réellement un homme ; mais parce qu’il n’avait pu le vaincre par la tentation, il se demandait s’il était le Fils de Dieu. " Plus tard la puissance des miracles lui fit comprendre, ou plutôt soupçonner, qu’il était le Fils de Dieu. Donc, s’il persuada aux juifs de le crucifier, ce n’était pas parce qu’il ne pensait pas qu’il était le Messie ou le Fils de Dieu, mais parce qu’il ne prévit pas que lui-même serait condamné par sa mort. Car l’Apôtre dit (1 Co 2, 8) de ce mystère : "Nul des princes de ce monde ne l’a connu. Car s’ils l’avaient connu, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. "

3. Le Christ n’a pas fait le miracle d’expulser des démons dans leur intérêt, mais dans l’intérêt des hommes afin que ceux-ci le glorifient. Et c’est pourquoi il leur interdisait de publier ce qui aurait servi à sa propre louange. D’abord, pour donner l’exemple. Selon S. Athanase : " il faisait taire le démon, bien que celui-ci proclamât la vérité, pour nous habituer à ne pas attacher d’importance à de tels propos, même s’ils semblent vrais. Il serait impie, en effet, quand nous avons la divine Écriture, de nous faire instruire par le démon. " C’est dangereux, d’ailleurs, parce que les démons mêlent souvent des mensonges à la vérité. - Ensuite, dit Chrysostome " il ne fallait pas permettre aux démons d’usurper la gloire du ministère apostolique, et il ne convenait pas que le mystère du Christ soit publié par une langue fétide, parce que "la louange n’est pas belle dans la bouche des pécheurs" (Si 15, 9). - Enfin, parce que, dit Bède il ne voulait pas attiser la haine des Juifs ". Et c’est aussi pourquoi " il ordonne aux Apôtres eux-mêmes de se taire à son sujet, pour éviter que la révélation de sa majesté divine ne retarde l’échéance de la Passion ".

4. Le but spécial de la venue du Christ a été d’enseigner et de faire des miracles dans l’intérêt des hommes, principalement quant au salut de leur âme. Et c’est pourquoi il permit aux démons qu’il expulsait de nuire aux hommes, soit dans leur corps, soit dans leurs biens, en vue du salut de leur âme, c’est-à-dire pour leur instruction. S. Jean Chrysostome dit que le Christ " permit aux démons d’aller dans les porcs, non parce qu’il se serait plié à leur volonté, mais premièrement pour faire connaître la grandeur du dommage que les pièges du démon infligent aux hommes ; deuxièmement pour apprendre à tous qu’ils n’auraient rien osé faire aux porcs si lui-même n’y avait consenti ; troisièmement pour montrer que les démons auraient fait un mal plus grand aux hommes qu’à ces porcs, si les hommes n’avaient pas été secourus par la providence divine ".

Et pour les mêmes motifs, il a permis que l’enfant délivré des démons fût plus gravement affligé momentanément, puisqu’il le délivra aussitôt de cette affliction. Cela montre, selon Bède, " que souvent lorsque nous essayons, après nos péchés, de nous convertir à Dieu, l’antique ennemi nous assaille par des ruses plus dangereuses et nouvelles. Il agit ainsi soit pour inspirer la haine de la vertu, soit pour se venger de la honte de son expulsion ". En outre, l’enfant guéri a semblé mort, d’après S. Jérôme " parce que c’est aux hommes guéris que l’on dit : "Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu" (Col 3, 3) ".

 

            Article 2 — Les miracles opérés par le Christ sur les corps célestes

Objections :

1. Selon Denys, " il ne convient pas à la providence divine de détruire la nature, mais de la conserver ". Or les corps célestes sont, par leur nature, indestructibles et inaltérables, comme le prouve Aristote. Donc il ne convenait pas que le Christ apporte aucun changement à l’ordre des corps célestes.

2. Le mouvement des astres sert à marquer le cours du temps, selon la Genèse (2, 14) : " Qu’il y ait des luminaires dans le firmament du ciel, et qu’ils servent de signes pour les fêtes, les jours et les années. " Tout changement dans le cours des astres change donc la distinction et l’ordre des temps. Mais on ne lit nulle part que cela ait été constaté par des astronomes qui, selon Isaïe (47, 13), " contemplent les astres et comptent les mois ". Il apparaît donc que le Christ n’a opéré aucun changement dans le cours des astres.

3. Il convenait davantage au Christ de faire des miracles tandis qu’il vivait et enseignait, plutôt qu’au moment de sa mort parce que, dit S. Paul (2 Co 13, 4) " il a été crucifié en raison de sa faiblesse, mais il est vivant par la puissance de Dieu " selon laquelle il faisait ses miracles. Et aussi parce que ses miracles servaient à confirmer son enseignement. Mais on ne lit pas que, pendant sa vie, le Christ ait fait aucun miracle sur les astres. Bien au contraire, aux pharisiens qui lui demandaient " un signe du ciel " il a refusé (Mt 12, 38 et 16, 1). Il apparaît donc que, dans sa mort non plus, il n’aurait pas dû faire de miracle sur les astres.

En sens contraire, on lit en S. Luc (23, 44) " Les ténèbres s’étendirent sur la terre jusqu’à la neuvième heure, et le soleil s’obscurcit. "

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut. les miracles du Christ devaient pouvoir suffire à montrer qu’il est Dieu. Or cela n’est pas montré avec autant d’évidence par des transformations de corps inférieurs, qui peuvent être actionnés par d’autres causes, que par une transformation du cours des astres, dont l’ordre immuable est fixé par Dieu seul. Et c’est ce que dit Denys : " Certaines perturbations dans l’ordre et le mouvement des astres ne peuvent avoir d’autre cause que l’intervention de celui qui crée tout et qui change tout par sa parole. " Aussi convenait-il que le Christ fit aussi des miracles concernant les astres.

Solutions :

1. De même qu’il est naturel pour les corps inférieurs d’être mus par les corps célestes qui leur sont supérieurs dans l’ordre de la nature, de même est-il naturel pour toute créature de subir les changements que Dieu lui impose par sa volonté. Aussi S. Augustin dit-il : " Dieu " qui a créé et constitué tous les êtres, " ne fait rien de contraire à la nature, car la nature de chaque être, c’est ce qu’il crée ". Ainsi la nature des astres n’est pas détruite quand leur cours est changé par Dieu, alors qu’elle serait détruite si elle était changée par toute autre cause.

2. Le miracle accompli par le Christ n’a pas renversé l’ordre des temps. Car, pour certains, ces ténèbres, cet obscurcissement du soleil qui arriva au cours de la Passion, s’explique par le fait que le soleil a ramené à lui ses rayons, sans que se produise aucune modification dans les mouvements des astres qui mesurent le temps. C’est pourquoi S. Jérôme écrit : " Le grand luminaire retira ses rayons pour ne pas voir le Seigneur suspendu au gibet, ou pour priver de sa lumière des blasphémateurs impies. "

Il ne faut pas comprendre cette rétraction comme si le soleil avait le pouvoir d’émettre ou de retirer ses rayons ; car il n’est pas libre d’émettre ses rayons, mais il le fait par nature, dit Denys. On dit que le soleil a retiré ses rayons en ce sens que la vertu divine empêchait ses rayons de parvenir jusqu’à la terre.

Origène dit qu’ils ont été arrêtés par des nuages : " Il faut comprendre que des nuages très obscurs et très étendus se sont amassés au-dessus de Jérusalem et de la Judée, et c’est ainsi que se sont produites des ténèbres profondes de la sixième à la neuvième heure. J’estime en effet que, comme les autres signes qui ont marqué la Passion, tels que le voile qui se déchire, la terre qui tremble, etc. ne se sont produits qu’à Jérusalem, il en est de même en ce cas ; ou bien si l’on veut que ces ténèbres se soient étendues davantage, ce serait à toute la terre de Judée, parce qu’il est dit (Lc 23, 44) : "Les ténèbres couvrirent toute la terre", et que cela peut s’entendre de la terre de Judée. C’est ainsi qu’Obadya dit à Élie (1 R 18, 10) : "Par le Seigneur qui est vivant il n’y a pas de nation ni de royaume où mon maître m’ait envoyé te chercher", alors qu’on l’avait évidemment cherché seulement dans les nations qui avoisinent la Judée. "

Mais à ce sujet il vaut mieux se fier à Denys qui fut témoin oculaire. Il a vu que c’est arrivé parce que la lune s’est interposée entre le soleil et nous. Il écrit en effet dans sa lettre à Polycarpe : " De façon imprévisible ", de l’Égypte où il se trouvait, dit-il, " nous voyions la lune passer devant le soleil ". Et il note quatre miracles.

1° L’éclipse naturelle du soleil par interposition de la lune n’arrive qu’au moment où tous deux se rencontrent. Alors, pourtant, la lune était à l’opposite, puisqu’elle en était à son quinzième jour, où l’on célébrait la Pâque des Juifs.

2° C’était encore un miracle que la lune, qu’on voyait cachant le soleil au milieu du ciel à la sixième heure, soit apparue le soir à sa place, c’est-à-dire à l’Orient, à l’opposé du soleil. C’est pourquoi Denys écrit : " Nous l’avons revue (la lune) à partir de la neuvième heure " où elle s’est éloignée du soleil, ce qui a fait cesser les ténèbres ; " jusqu’à l’heure de vêpres, quand elle eût été ramenée surnaturellement dans une direction diamétralement opposée à celle du soleil ". Ainsi voit-on clairement que le cours habituel des temps n’a pas été troublé, puisque c’est par la vertu divine que la lune s’approcha surnaturellement du soleil en dehors du temps normal, et qu’elle s’en éloigna pour revenir à son lieu propre en temps voulu.

3° Autre miracle. Une éclipse naturelle commence toujours à l’ouest pour finir à l’est ; et cela parce que la lune, selon son mouvement propre, qui va de l’ouest en est, est plus rapide que celui du soleil qui se fait d’est en ouest. Et c’est pourquoi la lune, venant à l’ouest, atteint le soleil et le dépasse, en allant vers l’est. Mais alors la lune avait déjà dépassé le soleil et en était distante d’environ la moitié du cercle, puisqu’elle se trouvait à l’opposé. Aussi fallait-il qu’elle revînt de l’est vers le soleil et l’atteignît d’abord dans sa partie orientale, en progressant vers l’ouest. Et c’est bien ce qu’écrit Denys : " Nous avons même vu l’éclipse elle-même commencer par l’est et gagner jusqu’à l’extrémité du soleil " parce qu’elle cacha le soleil entier, " puis revenir en arrière ".

4° Dans une éclipse naturelle, le soleil commence à reparaître du côté par lequel il a commencé de s’obscurcir ; car la lune, en se plaçant devant le soleil, le dépasse par son mouvement naturel vers l’est ; et ainsi la partie occidentale du soleil, qu’elle a d’abord cachée, est aussi la première qu’elle découvre. Or, ce jour-là, la lune, revenant miraculeusement de l’est à l’ouest, n’a pas dépassé le soleil de façon à être plus à l’ouest que lui ; mais, après avoir atteint l’extrémité occidentale du soleil, elle retourna vers l’est ; et ainsi, la partie du soleil qu’elle avait cachée en dernier lieu fut aussi la première qu’elle découvrit. L’éclipse commença donc par la partie orientale du soleil, mais la lumière réapparut tout d’abord dans sa partie occidentale. Denys écrit en effet : " Puis nous vîmes la disparition et le retour de la lumière, non pas du même côté du soleil, mais du côté diamétralement opposé. "

5° S. Jean Chrysostome" ajoute un autre miracle : " Les ténèbres durèrent trois heures, alors que l’éclipse du soleil ne dure qu’un moment, comme le savent les observateurs. " On donne à entendre par là que la lune s’est attardée sous le soleil. A moins que cela ne veuille dire que la durée des ténèbres se compte de l’instant où le soleil a commencé à s’obscurcir jusqu’à celui où il a retrouvé tout son éclat.

Mais, dit Origène : " Contre ce miracle, les fils de ce siècle objectent : "Comment aucun auteur, Grec ou Barbare, n’a-t-il signalé un fait aussi étonnant ?" Et il répond qu’un certain Phlégon " a écrit dans ses Chroniques que le fait s’est passé sous le règne de l’empereur Tibère, mais sans signaler que c’était au moment de la pleine lune ". Ce silence peut donc s’expliquer par le fait que les astronomes existant alors dans le monde n’avaient pas eu leur attention attirée sur cette éclipse inopinée et attribuèrent cette obscurité à une perturbation atmosphérique. Mais en Égypte où les nuages sont rares, à cause de la sérénité du climat, Denys et ses compagnons furent amenés à faire sur cet obscurcissement les observations que nous avons citées.

3. Il fallait que le Christ montre par ses miracles sa divinité, alors qu’apparaissait surtout la faiblesse de sa nature humaine. C’est pourquoi, à sa naissance, apparut dans le ciel une étoile nouvelle. Aussi S. Maxime de Turin dit-il, dans un sermon de Noël : " Si tu dédaignes la mangeoire, lève un peu les yeux et regarde dans le ciel l’étoile nouvelle qui annonce au monde la naissance du Seigneur. " Mais dans sa passion, la faiblesse du Christ dans son humanité apparut plus grande encore. Et c’est pourquoi il fallait que des miracles plus extraordinaires se fassent voir concernant les principaux luminaires du monde. Et, dit S. Jean Chrysostome : " Tel est le signe qu’il promettait de donner quand il disait : "Cette génération perverse et adultère demande un signe, et on ne lui en donnera pas d’autre que celui du prophète Jonas", qui symbolisait la croix et la résurrection. En effet, ce signe était beaucoup plus merveilleux, accompli au moment de sa crucifixion, que s’il avait encore cheminé sur cette terre. "

 

            Article 3 — Les miracles accomplis par le Christ sur les hommes

Objections :

1. Chez l’homme, l’âme est supérieure au corps. Or le Christ a fait beaucoup de miracles en faveur des corps, mais on ne lit jamais qu’il ait fait des miracles en faveur des âmes. Car, s’il a converti certains incrédules à la foi, cela n’a jamais été par miracle, mais par des exhortations et la présentation de miracles extérieurs ; de même on ne lit pas qu’il ait donné la sagesse à des fous.

2. On l’a dit, le Christ faisait ses miracles par la puissance divine, dont le propre est d’agir instantanément et sans aucune aide. Or le Christ n’a pas toujours guéri les corps instantanément, car S. Marc (8, 22) raconte : " Prenant l’aveugle par la main, Jésus le fit sortir de la ville. Après lui avoir mis de la salive sur les yeux, et lui avoir imposé les mains, il lui demandait : "Aperçois-tu quelque chose ?" Et l’autre, qui commençait à voir, répondit : "je vois les gens, ils sont comme des arbres qui marchent. " Après cela il lui imposa de nouveau les mains sur les yeux, et l’homme vit clair, il fut rétabli et il voyait tout clairement. " Il est donc évident que la guérison n’a pas été instantanée, mais qu’elle a été d’abord imparfaite et que la salive y a contribué. Il apparaît donc que les miracles du Christ sur les hommes se présentent mal.

3. Quand des effets ne sont pas réciproques, il ne s’impose pas de les supprimer ensemble. Or la maladie physique n’a pas toujours le péché pour cause, le Seigneur l’a dit lui-même (Jn 9, 2) : " Ni lui-même ni ses parents n’ont péché, pour que cet homme soit né aveugle. " Il ne fallait donc pas remettre les péchés aux hommes cherchant une guérison physique, comme Jésus l’a fait pour un paralytique (Mt 9, 2) ; d’autant plus que la guérison physique, étant un effet moindre que la guérison des péchés, ne peut constituer une preuve suffisante que le Christ pouvait remettre les péchés.

4. Les miracles du Christ avaient pour but de confirmer son enseignement et d’attester sa divinité, on l’a dit plus haut. Mais nul ne doit empêcher ce qui est le but de son activité. Il parait donc incohérent que le Christ ait prescrit à ceux qu’il avait miraculeusement guéris, de ne le dire à personne, comme on le voit dans l’évangile (Mt 9, 30 ; Mc 8, 26). D’autant plus qu’il a prescrit à d’autres de publier les miracles dont ils avaient bénéficié ; ainsi lit-on (Mc 5, 19) qu’il dit à un homme qu’il avait délivré des démons : " Rentre chez toi, auprès des tiens, et annonce leur tout ce que Seigneur a fait pour toi. "

En sens contraire, on lit (Mc 7, 37) " Il a bien fait toutes choses : il a rendu l’ouïe aux sourds, et la parole aux muets. "

Réponse :

Les moyens ordonnés à une fin doivent lui être proportionnés. Or, si le Christ était venu dans le monde et enseignait, c’était pour sauver les hommes, selon ce texte de S. Jean (3, 17) : " Car le Fils de l’homme n’est pas venu dans le monde pour le juger, mais afin que par lui le monde soit sauvé. " Et c’est pourquoi il était bon que le Christ guérisse miraculeusement certains hommes en particulier, afin de montrer qu’il est le Sauveur universel et spirituels.

Solutions :

1. Les moyens ordonnés à la fin se distinguent de celle-ci. Or les miracles du Christ étaient ordonnés, comme à leur fin, au salut de la partie rationnelle, qui consiste en l’illumination de celle-ci par la sagesse, et en sa purification. Le premier de ces deux effets présuppose le second, car il est écrit (Sg 1, 4) : " La sagesse n’entrera pas dans une âme malfaisante et n’habitera pas un corps esclave du péché. " Or justifier les hommes ne convenait qu’à ceux qui le veulent ; autrement on serait allé contre la notion de justice, qui implique la rectitude de la volonté et aussi contre la notion de nature humaine, qui doit être amenée au bien par son libre arbitre et non par la contrainte. Donc le Christ, par sa vertu divine, a justifié les hommes intérieurement, mais non malgré eux. Et cela n’est pas un miracle, mais c’est le but auquel sont ordonnés les miracles.

Semblablement aussi, par la vertu divine, le Christ a infusé la sagesse à des hommes simples qu’étaient ses disciples, car il leur a dit (Lc 21, 15) : " Moi, je vous donnerai une parole et une sagesse que tous vos adversaires ne pourront ni supporter ni contredire. " L’illumination intérieure de cette sagesse n’est pas comptée parmi les miracles visibles, sinon par son effet extérieur, c’est-à-dire en tant qu’on voyait ces hommes, connus pour être ignorants et sans culture, parler avec tant de sagesse et de fermeté. Aussi dit-on dans les Actes (4, 13) : " Les juifs, voyant la constance de Pierre et de Jean, et sachant que ces hommes étaient des ignorants de condition modeste, étaient dans l’étonnement. " Et cependant, ces effets spirituels, bien qu’ils se distinguent des miracles visibles, sont des témoignages à l’appui de l’enseignement et de la puissance du Christ selon l’épître aux Hébreux (2, 4) : le salut annoncé, " Dieu l’atteste par des signes, des prodiges, des miracles de toutes sortes, ainsi que par des communications d’Esprit Saint qu’il distribue à son gré ".

Cependant, le Christ a fait quelques miracles concernant les âmes des hommes, surtout en agissant sur leurs puissances inférieures. Ainsi S. Jérôme sur ce texte (Mt 9, 9) : " Il se leva et le suivit ", explique-t-il : " L’éclat et la majesté de la divinité cachée qui resplendissait même sur son visage humain avaient le pouvoir d’attirer à lui dès le premier regard. " Et sur le texte (Mt 21, 12) : " Il chassait tous ceux qui vendaient et achetaient. . . " S. Jérôme encore nous dit : " De tous les miracles du Seigneur, celui-ci me paraît le plus étonnant : qu’un homme, alors méprisable, ait pu à coups de fouet chasser une telle multitude. C’est que ses yeux jetaient une flamme céleste et que la majesté divine brillait sur son visage. " Et Origène dit aussi : " C’est là un plus grand miracle que de changer l’eau en vin, parce que là subsiste une matière inanimée, alors qu’ici il domine les esprits de milliers d’hommes. " Et sur le texte de S. Jean (18, 6) : " Ils reculèrent et tombèrent sur le sol ", S. Augustin écrit : " Un seul mot, sans aucune arme, a frappé, repoussé et renversé une troupe à la haine féroce et aux armes terribles, car Dieu était caché dans la chair. " Et sur ce texte : " Jésus, passant au milieu d’eux, allait son chemin " (Lc 4, 30), S. Jean Chrysostome exprime la même idée : " Passer au milieu d’ennemis menaçants sans se laisser prendre, montrait l’éminence de sa divinité. " Et sur cette notation (Jn 8, 59) : " Jésus se cacha et sortit du Temple ", S. Augustin dit : " Il ne se cacha pas dans un recoin du Temple comme apeuré, derrière un mur ou une colonne, mais par la puissance divine il se rendit invisible à ses ennemis et sortit en passant au milieu d’eux. "

De tout cela il ressort que le Christ, quand il le voulut, changea les âmes des hommes, non seulement en les justifiant et en y infusant la sagesse, ce qui est le but même des miracles, mais aussi en agissant extérieurement par un attrait, une terreur ou une stupéfaction, qui relèvent du miracle.

2. Le Christ était venu sauver le monde non seulement par la vertu divine, mais par le mystère de son incarnation. Et c’est pourquoi, dans la guérison des malades, non seulement il employait souvent la puissance divine en guérissant par mode de commandement, mais aussi en y ajoutant une action relevant de sa nature humaine. C’est pourquoi sur ce texte (Lc 4, 40) : " En imposant les mains à chacun, il les guérissait tous ", S. Cyrille remarque : " Comme Dieu, il aurait pu chasser d’un mot toutes les maladies, mais il les touche tous pour montrer que sa chair est efficace pour y porter remède. " Et sur ce texte de S. Marc (8, 23) : " Avoir mis de la salive sur les yeux de l’aveugle, il lui imposa les mains ", S. Jean Chrysostome dit : " Il fait de la salive et il impose les mains à l’aveugle afin de prouver que la parole divine jointe à l’action, accomplit des merveilles ; car la main indique l’action, et la salive, la parole proférée par la bouche. " Et sur le texte de S. Jean (9, 6) : " Il fit de la boue avec sa salive et enduisit de cette boue les yeux de l’aveugle ", S. Augustin donne ce commentaire : " Il a fait de la boue avec sa salive, parce que le Verbe s’est fait chair. " Ou encore, pour symboliser que c’était lui qui avait formé l’homme de la boue de la terre, selon S. Jean Chrysostome.

Il faut encore, au sujet des miracles du Christ, remarquer ceci : il accomplissait constamment des œuvres absolument parfaites. Sur la remarque (Jn 2, 10) : " Tout homme sert d’abord le bon vin ", S. Jean Chrysostome explique : " Les miracles du Christ sont tels qu’ils dépassent, en beauté et en utilité, les œuvres de la nature. " Pareillement, il conférait instantanément aux malades une santé parfaite. Sur cette phrase de S. Matthieu (8, 15) : " La belle-mère de Pierre se leva et se mit à les servir ", S. Jérôme - souligne : " La santé que confère le Seigneur revient tout entière d’un seul coup. "

Le cas de l’aveugle est spécial, et le Christ a agi de façon opposée à cause de l’incroyance de cet homme, selon Chrysostome. Ou bien, pour S. Bède " celui qu’il aurait pu guérir tout entier d’un mot, il le guérit progressivement pour montrer la gravité de l’aveuglement humain qui, péniblement et par degrés, revient à la lumière, et afin de nous faire prendre garde à la grâce par laquelle se soutient chacun de nos progrès vers la perfection ".

3. Nous l’avons dit plus haut le Christ accomplissait des miracles par la vertu divine. Or " les œuvres de Dieu sont parfaites " (Dt 32, 4). Mais une action n’est parfaite que si elle réalise sa fin. Or la fin de la guérison extérieure opérée par le Christ, c’est la guérison de l’âme. C’est pourquoi il ne convenait pas que le Christ guérisse un corps sans guérir aussi l’âme. Aussi sur cette parole (Jn 7, 23) : " J’ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat ", S. Augustin nous dit : " Il fut guéri pour avoir la santé dans son corps ; il crut pour avoir la santé dans son âme. "

Au paralytique, il est dit spécialement : " Tes péchés te sont remis " parce que, dit S. Jérôme : " Par là, il nous est donné de comprendre que la plupart des infirmités corporelles sont l’effet de péchés ; et peut-être, si la rémission des péchés précède, c’est pour que, une fois disparues les causes de l’infirmité, la santé soit rétablie. " Aussi est-il dit au paralytique guéri (Jn 5, 14) : " Ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pire ", et S. Jean Chrysostome en conclut : " Nous apprenons que cette maladie avait été produite par le péché. "

Pourtant, dit le même Père " Autant l’âme vaut mieux que le corps, autant remettre le péché est une œuvre plus grande que guérir le corps. Mais parce que ce n’est pas manifeste, le Christ accomplit l’œuvre moindre, qui est visible, afin de montrer l’œuvre qui est la plus grande et la plus cachée. "

4. Sur cette parole (Mt 9, 30) : " Prenez garde! Que personne ne le sache " S. Jean Chrysostome commente : " Ce qui est dit là ne contredit pas ce qui est dit à un autre (Lc 9, 60) : "Va et annonce la gloire de Dieu. " Cela nous enseigne à faire taire ceux qui veulent nous louer pour nous-mêmes. Mais si cette louange est rapportée à la gloire de Dieu, nous ne devons pas l’interdire, mais au contraire la prescrire. "

 

            Article 4 — Les miracles accomplis par le Christ sur des créatures dépourvues de raison

 

Objections :

1. Les bêtes sont supérieures aux plantes. Or le Christ a fait des miracles sur les plantes, par exemple quand le figuier s’est desséché sur son ordre (Mt 21, 19). Il semble donc qu’il aurait dû faire des miracles sur les bêtes.

2. On n’inflige de châtiment que pour une faute. Mais il n’y avait pas de faute chez le figuier où le Christ ne trouva pas de fruits quand ce n’était pas la saison. Il est donc choquant qu’il l’ait desséché.

3. L’eau et l’air son intermédiaires entre le ciel et la terre. Mais le Christ a fait des miracles dans le ciel, comme on l’a vu à l’article 2. Pareillement dans la terre quand, au moment de sa passion, celle-là a tremblé. Il semble donc qu’il aurait dû en faire aussi dans l’air et dans l’eau, en divisant la mer comme Moïse, ou même le Jourdain, comme Josué et Élie ; et aussi dans les airs, produire du tonnerre comme au Sinaï quand la loi fut donnée, et comme le fit Élie (1 R 18, 45).

4. Les œuvres miraculeuses ressortissent à l’œuvre du gouvernement du monde par la providence divine. Or cette œuvre présuppose la création. Il paraît donc désordonné que le Christ, dans ses miracles, ait usé du pouvoir créateur, lorsqu’il a multiplié les pains. Les miracles sur les créatures irrationnelles semblent donc difficiles à admettre.

En sens contraire, le Christ est la " sagesse de Dieu " (1 Co 1, 24) dont il est dit (Sg 8, 1) " qu’elle dispose tout harmonieusement ".

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut, les miracles du Christ étaient ordonnés à faire connaître que la vertu de la divinité était en lui pour procurer le salut des hommes. Or il appartient à la puissance divine que toute créature lui soit soumise. Et c’est pourquoi il fallait qu’il fasse des miracles sur toutes les catégories de créatures, et non seulement sur les hommes, mais aussi sur les créatures dépourvues de raison.

Solutions :

1. Par leur genre, les bêtes sont proches de l’homme, et c’est pourquoi elles ont été créées le même jour que lui. Et ce n’est pas parce qu’il faisait beaucoup de miracles sur les hommes qu’il aurait dû en faire sur les corps des bêtes, d’autant plus que, pour la nature sensible et corporelle, les hommes sont pareils aux animaux, surtout terrestres. Les poissons, du fait qu’ils vivent dans l’eau, sont plus différents des hommes par nature, et c’est pourquoi il ont été créés un autre jour. Le Christ a fait des miracles sur eux avec la pêche miraculeuse rapportée par Luc (5, 4) et Jean (21, 6), et aussi avec le poisson que Pierre pêcha et dans lequel il trouva une pièce d’un statère. Que des porcs se soient précipités dans la mer, ce n’était pas l’effet d’un miracle divin, mais d’une activité démoniaque permise par Dieu.

2. Selon S. Jean Chrysostome, " lorsque le Seigneur agit ainsi sur des plantes ou des bêtes, ne cherchez pas à savoir s’il était juste de dessécher le figuier, parce que ce n’était pas la saison des fruits, car une telle recherche est de la dernière démence ", car en tout cela on ne trouve ni faute ni châtiment, " mais contemple le miracle et admire son auteur ". Et le Créateur ne fait aucun tort au propriétaire, s’il use librement de sa créature pour le salut d’autrui ; mais plutôt, dit S. Hilaire " nous trouvons là une preuve de la bonté divine. En effet, quand il a voulu offrir un exemple du salut qu’il apporte, il a exercé la puissance de sa vertu sur les corps humains ; mais là où il fixait la norme de sa sévérité envers les obstinés, il révéla la figure de l’avenir dans le dommage causé à cet arbre ". Et surtout parce que c’est un figuier : " Cet arbre étant gorgé d’eau, le miracle devait paraître d’autant plus grand. "

3. Même dans l’eau et dans l’air le Christ a fait des miracles qui convenaient à sa mission, par exemple quand on lit (Mt 8, 26) " Il commanda à la mer et aux vents, et il se fit un grand calme. " Mais il ne lui convenait pas, à lui qui venait ramener toutes choses à la paix et à la tranquillité, de produire des perturbations dans l’air ou de diviser les eaux. D’où cette parole (He 12, 18) : " Vous ne vous êtes pas approchés d’une réalité palpable : feu ardent, tourbillon, ténèbres et tempête. "

Cependant, au moment de la Passion " le voile se déchira " (Mt 27, 51) pour montrer que les mystères de la loi étaient dévoilés ; " les tombeaux s’ouvrirent " pour montrer que par sa mort les morts recevaient la vie ; " la terre trembla et les rochers se fendirent ", pour montrer que les cœurs de pierre des humains seraient attendris par sa Passion, et que par la vertu de sa Passion, le monde entier allait s’améliorer.

4. La multiplication des pains ne s’est pas réalisée par mode de création, mais par addition d’une matière étrangère, convertie en pain. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Comme il multiplie quelques grains en moissons, il a multiplié dans ses mains les cinq pains. " Or il est évident que c’est par conversion que les grains se multiplient pour donner des moissons.

 

 

QUESTION 45 — LA TRANSFIGURATION DU CHRIST

1. Convenait-il que le Christ soit transfiguré ? - 2. La lumière de la Transfiguration est-elle la lumière de gloire ? - 3. Les témoins de la Transfiguration. - 4. Le témoignage de la voix du Père.

 

            Article 1 — Convenait-il que le Christ soit transfiguré ?

Objections :

1. Il ne convient pas à un corps réel mais à un corps imaginaire de changer en présentant diverses figures. Or le corps du Christ n’était pas un corps imaginaire, mais un corps réel on l’a établi plus haut. Il semble donc qu’il n’aurait pas dû se transfigurer.

2. La " figure " rentre dans la quatrième espèce de qualité, et la clarté, puisqu’elle est une qualité sensible, dans la troisième. Donc, que le Christ ait été enveloppé de clarté ne doit pas être appelé une " transfiguration ".

3. Les corps glorieux ont quatre " dots " ou propriétés, comme on le verra plus loin. Le Christ ne devait donc pas plus se transfigurer en étant revêtu de clarté que par les autres propriétés.

En sens contraire, on lit dans l’évangile (Mt 17, 2) : " Jésus fut transfiguré " devant trois de ses disciples.

Réponse :

Le Seigneur, après avoir annoncé sa passion à ses disciples les avait engagés à suivre sa passion. Or, pour que quelqu’un marche avec assurance sur une route, il faut qu’il connaisse plus ou moins par avance le but du voyage, de même que l’archer ne lance pas bien la flèche s’il n’a pas vu la cible qu’il faut viser. C’est ainsi que Thomas disait (Jn 14, 5) : " Seigneur, nous ne savons pas où tu vas : comment pourrions-nous connaître le chemin ? " Et cela est particulièrement nécessaire quand la voie est difficile et escarpée, le trajet pénible, et la fin joyeuse. Or le Christ par sa passion est parvenu à obtenir la gloire non seulement de l’âme, gloire qu’il avait depuis le premier instant de sa conception, mais aussi du corps, comme il l’a dit (Lc 24, 26) : " Il fallait que le Christ souffrit cela et entrât ainsi dans sa gloire. " C’est à elle qu’il conduit ceux qui suivent les traces de sa passion, selon la parole de S. Paul -. " Il nous faut traverser bien des épreuves pour entrer dans le Royaume des cieux " (Ac 14, 21). Et c’est pourquoi il convenait qu’il montre à ses disciples sa gloire lumineuse, qui est sa transfiguration, à laquelle il configurera les siens, selon l’épître aux Philippiens (3, 24) " Il transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire. " Si bien que Bède déclare : " Il a pourvu dans sa bonté à ce que ses disciples, ayant goûté peu de temps la contemplation de la joie définitive, soient capables de supporter plus courageusement l’adversité. "

Solutions :

1. S. Jérôme le dit bien : " Que personne ne pense que le Christ ", parce qu’il s’est transfiguré, " ait perdu la figure et le visage qu’il avait auparavant, où qu’il ait abandonné son corps réel pour prendre un corps spirituel ou aérien. Comment il s’est transformé, l’évangéliste nous le dit : "Son visage resplendit comme le soleil, ses vêtements devinrent blancs comme neige". Si l’on montre la splendeur de son visage, si l’on décrit l’éclat de son vêtement, ce n’est pas que la substance disparaisse, mais elle est transformée par la gloire ".

2. La figure caractérise ce qui limite le corps elle est en effet ce qui est inclus dans des limites. Et c’est pourquoi tout ce qui concerne l’extérieur d’un corps semble appartenir plus ou moins à la figure. Comme la couleur, la lumière d’un corps non transparent s’observe à la surface de ce corps. C’est pourquoi on le dit transfiguré quand il se revêt de clarté.

3. Parmi ces quatre propriétés, la clarté seule est une qualité de la personne en elle-même ; les autres propriétés ne se perçoivent que dans un acte, ou un mouvement, c’est-à-dire une passion. Donc le Christ a présenté dans son corps quelques indices de ces trois propriétés : l’agilité quand il a marché sur les eaux de la mer ; la subtilité quand il est sorti du sein intact de la Vierge Marie ; l’impassibilité quand il a échappé indemne aux mains des juifs qui voulaient le précipiter d’une hauteur, ou le lapider. Cependant on ne le dit pas transfiguré à cause de ces qualités ; on le dit uniquement à cause de la clarté qui concerne l’aspect de sa personne même.

 

            Article 2 — La lumière de la Transfiguration était-elle la lumière de gloire ?

Objections :

1. Sur Matthieu (17, 2) " Il fut transfiguré devant eux ", une glose de Bède nous dit : " Il montra dans son corps mortel non l’immortalité, mais une clarté semblable à l’immortalité future. " Or la clarté de gloire est celle de l’immortalité. Donc cette clarté que le Christ montra à ses disciples n’était pas la lumière de gloire.

2. Sur Luc (9, 27) : " Ils ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le règne de Dieu ", la glose interlinéaire précise : " C’est-à-dire la glorification du corps dans une image représentant la béatitude future. " Mais l’image d’une réalité n’est pas la réalité elle-même. Donc cette clarté n’était pas celle de la béatitude.

3. La lumière de gloire ne se trouve que dans le corps humain. Mais cette lumière de la Transfiguration n’apparut pas seulement dans le corps du Christ, mais aussi dans ses vêtements, et dans la nuée lumineuse qui recouvrit les disciples. Il semble donc que cette lumière n’était pas la lumière de gloire.

En sens contraire, sur " il fut transfiguré devant eux ", S. Jérôme déclare : " Tel il sera au jugement, tel il apparut à ses Apôtres. " Et sur " jusqu’à ce qu’ils voient le Fils de l’homme venir dans son règne " (Mt 16, 18), Chrysostome dit aussi : " Voulant montrer quelle est cette gloire dans laquelle il reviendra plus tard, il la leur révèle dans la vie présente, autant qu’il était possible de le leur apprendre, pour qu’ils ne se laissent pas accabler par la douleur de sa mort. "

Réponse :

Cette clarté que le Christ a revêtue dans sa Transfiguration était la lumière de gloire quant à son essence, mais non quant à son mode d’être. En effet, la clarté du corps glorieux dérive de la clarté de l’âme, écrit S. Augustin. Et pareillement la clarté du corps du Christ transfiguré dérivait de sa divinité, dit le Damascène. et de la gloire de son âme.

Car si, dès le début de la conception du Christ, la gloire de son âme ne rejaillissait pas sur son corps, cela venait d’un plan divin, afin qu’il puisse accomplir les mystères de notre rédemption dans un corps passible, comme nous l’avons dit plus haut.

Mais cela n’enlevait pas au Christ le pouvoir de faire dériver sur le corps la gloire de l’âme. Et c’est ce qu’il a fait, quant à la lumière de gloire, dans la Transfiguration, mais d’une autre manière que dans un corps glorifié. Car, sur un corps glorifié la clarté rejaillit, venant de l’âme, comme une qualité qui affecte le corps d’une façon permanente. Aussi le resplendissement corporel dans un corps glorieux n’est-il par un miracle. Mais, dans la Transfiguration, la clarté a dérivé de sa divinité et de son âme sur son corps non comme une qualité permanente affectant le corps lui-même, mais plutôt par mode de passion transitoire, comme lorsque l’air est illuminé par le soleil. Aussi ce resplendissement qui apparut alors dans le corps du Christ, était-il miraculeux, comme sa marche sur les eaux. C’est pourquoi Denys écrit : " Le Christ opérait d’une manière surhumaine les actes propres à l’homme ; et c’est ce que montrent sa conception surnaturelle par la Vierge, et sa marche sur une eau liquide qui supporte le poids de ses pas matériels et terrestres. "

Aussi ne faut-il pas dire, comme Hugues de Saint-Victor, que le Christ a revêtu les quatre propriétés des corps glorieux : la clarté dans la Transfiguration, l’agilité en marchant sur la mer, la subtilité en sortant du sein intact de la Vierge, et l’impassibilité à la Cène, quand il a donné son corps en nourriture sans qu’il soit divisé, car ces " dots ", ou propriétés, désignent des qualités immanentes aux corps glorieux. Mais il a possédé miraculeusement ce qui relève de ces propriétés. Et c’est comparable, chez l’âme, à la vision par laquelle S. Paul vit Dieu dans un ravissement, comme nous l’avons montré dans la deuxième Partie.

Solutions :

1. Cette phrase de Bède ne prouve pas que la clarté du Christ n’était pas la lumière de gloire, mais qu’elle n’était pas la clarté d’un corps glorieux, parce que son corps n’était pas encore immortel. Car, de même que, grâce à une disposition spéciale de Dieu, chez le Christ la gloire de l’âme ne rejaillissait pas sur le corps, il a pu se faire par une disposition analogue qu’elle rejaillisse sur le corps seulement quant à la clarté, et non quant à l’impassibilité.

2. On dit que cette clarté a été une image, non pour nier qu’elle ait été une réelle clarté de gloire, mais en ce sens qu’elle représentait cette perfection de la gloire en vertu de laquelle le corps sera glorieux.

3. De même que la clarté qui enveloppait le corps du Christ transfiguré représentait la clarté future de son corps, ainsi la clarté de ses vêtements désigne la future clarté des saints, qui sera surpassée par celle du Christ, comme l’éclat de la neige est surpassé par la splendeur du soleil. Aussi S. Grégoire dit-il que les vêtements du Christ sont devenus resplendissants " parce que, au sommet de la clarté céleste, tous les saints adhéreront à lui, resplendissant de la lumière de justice. Car ses vêtements symbolisent les justes qu’il unira à lui ", selon la parole d’Isaïe (49, 18) : " Ils sont tous comme une parure dont tu te vêtiras. "

Quant à la nuée lumineuse, elle symbolise la gloire du Saint-Esprit, ou " la naissance du Père " selon Origène, par laquelle les saints seront protégés dans la gloire future. Cependant elle peut aussi symboliser de façon vraisemblable la clarté du monde renouvelé qui sera la tente des saints. Aussi, tandis que Pierre se dispose à dresser des tentes, la nuée lumineuse recouvrit-elle les disciples.

 

            Article 3 — Les témoins de la Transfiguration

Objections :

1. On ne peut porter témoignage que sur des faits connus. Mais quelle serait la gloire future, aucun homme ne le savait encore par expérience, au moment de la transfiguration du Christ, mais seulement les anges. Les témoins de la Transfiguration auraient donc dû être des anges plutôt que des hommes.

2. Ce qui convient aux témoins de la vérité, ce n’est aucune fiction, mais la vérité. Or Moïse et Élie n’étaient pas présents réellement, mais pour l’imagination. C’est ce que dit une Glose sur Luc (9, 30) : " Il y avait là Moïse et Élie. . . " : " Il faut savoir que ni les corps ni les âmes de Moïse et d’Élie n’ont apparu là, mais que ces corps ont été formés d’une créature d’emprunt. On peut croire aussi que ce fut réalisé par le ministère des anges, qui figurèrent ces deux personnages. " Il semble donc que ce n’étaient pas des témoins valables.

3. Il est écrit (Ac 10, 43) que " tous les prophètes rendent témoignage " au Christ. Donc Moïse et Élie n’auraient pas dû être les seuls témoins présents, mais aussi tous les prophètes.

4. La gloire du Christ est promise à tous les fidèles, et par sa transfiguration lui-même a voulu attiser en eux le désir de cette gloire. Il n’aurait donc pas dû prendre seulement Pierre, Jacques et Jean comme témoins de sa transfiguration, mais tous les disciples.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture évangélique.

Réponse :

Le Christ a voulu être transfiguré pour montrer sa gloire aux hommes et les provoquer à la désirer, comme nous l’avons dit à l’article premier. Or le Christ amène à la gloire de la béatitude éternelle non seulement les hommes qui ont existé après lui, mais aussi ceux qui l’ont précédé ; ainsi, tandis qu’il s’acheminait vers sa passion, " aussi bien les foules qui le suivaient que celles qui le précédaient criaient : Hosanna ", selon Matthieu (21, 9), comme pour lui demander le salut. Et c’est pourquoi il était justifié que, parmi ses témoins, soient présents quelques-uns de ceux qui l’avaient précédé : Moïse et Elie, et de ceux qui le suivaient : Pierre, Jacques et Jean " pour que sur la parole de deux témoins le fait soit garanti " (Mt 18, 16).

Solutions :

1. Le Christ, par sa transfiguration, manifesta à ses disciples sa gloire corporelle, qui n’intéresse que les hommes. Logiquement, ce n’est donc pas des anges, mais des hommes qui sont appelés comme témoins.

2. La glose en question est empruntée au livre Des Merveilles de la Sainte Écriture, qui n’a pas d’autorité, étant attribué faussement à S. Augustin. Et c’est pourquoi il ne faut pas s’appuyer sur cette glose. Car selon S. Jérôme : " Il faut remarquer qu’aux scribes et aux pharisiens demandant des signes venus du ciel, il les refusa. Ici, au contraire, pour fortifier la foi des Apôtres, il donne un signe venu du ciel : Élie descend d’où il était monté, et Moïse remonte des enfers. " Ce n’est pas à comprendre comme si l’âme de Moïse aurait repris son corps, mais son âme apparut au moyen d’un corps qu’elle aurait pris, comme les anges lorsqu’ils apparaissent. Quant à Élie, il apparut avec son propre corps venu non du ciel empyrée, mais du lieu supérieur où il avait été enlevé dans un char de feu.

3. Comme dit Chrysostome, " Moïse et Élie entrent en scène pour de multiples raisons ".

1° " Parce que les foules disaient qu’il était Élie, Jérémie ou l’un des prophètes, le Christ amène avec lui les chefs de file des prophètes, afin qu’au moins par là apparaisse la différence entre les serviteurs et le Seigneur. "

2° " Parce que Moïse a donné la loi, tandis qu’Élie fut le zélateur de la gloire divine. " Aussi, leur présence avec le Christ exclut la calomnie des Juifs " qui accusaient le Christ de transgresser la loi et de blasphémer en s’appropriant la gloire de Dieu ".

3° " Afin de montrer qu’il a pouvoir sur la mort et sur la vie, et qu’il est juge des vivants et des morts, par le fait qu’il amène avec lui Moïse déjà mort, et Élie toujours vivant. "

4° Parce que, selon S. Luc (9, 31), " ils parlaient avec lui de son départ qui devait s’accomplir à Jérusalem ", c’est-à-dire de sa passion et de sa mort. Et c’est pourquoi, " afin de fortifier les cœurs de ses disciples à ce sujet ", il met en scène ceux qui se sont exposés à la mort pour Dieu, car c’est en risquant la mort que Moïse s’est présenté devant le Pharaon, et Elie devant le roi Achab.

5° " Parce qu’il voulait inviter ses disciples à imiter la douceur de Moïse et le zèle d’Elie. "

6° Cette raison est ajoutée par S. Hilaire : afin de montrer que lui-même avait été annoncé par la loi, que donna Moïse, et par les prophètes, dont le principal fut Élie.

4. Les profonds mystères ne doivent pas être exposés à tous mais, par le moyen des supérieurs, parvenir aux autres hommes en temps voulu. Et c’est pourquoi, dit S. Jean Chrysostome " il prit les trois disciples les plus importants ". Car Pierre " fut éminent par l’amour qu’il portait au Christ ", et aussi à cause du pouvoir qui lui fut confié ; Jean par le privilège de l’amour dont le Christ l’aimait à cause de sa virginité, et aussi à cause de la supériorité doctrinale de son évangile. Jacques à cause de la primauté que lui conférerait son martyre. Et cependant il leur interdit d’annoncer ce qu’ils avaient vu, de crainte, dit S. Jérôme. que " à cause de son caractère prodigieux, l’événement ne soit incroyable, et qu’après une si grande gloire, la croix ne soit scandale ", ou même qu’elle soit empêchée par le peuple ; " en sorte qu’ils soient les témoins de ces événements spirituels seulement après avoir été remplis de l’Esprit Saint ".

 

            Article 4 — Le témoignage de la voix du Père

Objections :

1. Selon le livre de Job (33, 14 Vg), " Dieu parle une fois et ne répète pas deux fois la même chose ". Mais au baptême, la voix du Père avait déjà donné cette attestation.

2. Au baptême, en même temps que la voix du Père, le Saint-Esprit avait été présent sous la forme d’une colombe. Mais cela ne s’est pas produit à la Transfiguration. L’attestation du Père n’y avait donc pas sa place.

3. Le Christ a commencé à enseigner après son baptême. Et pourtant au baptême la voix du Père n’avait pas engagé les hommes à l’écouter. Donc il n’aurait pas dû le faire à la Transfiguration.

4. Il ne faut pas dire aux gens ce qu’ils ne peuvent porter, selon cette parole (Jn 16, 12) : " J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant. " Or les disciples ne pouvaient pas supporter la voix du Père, car il est dit (Mt 17, 6) : " En l’entendant les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis de crainte. " Donc la voix du Père n’aurait pas dû s’adresser à eux.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Écriture évangélique.

Réponse :

L’adoption des fils de Dieu se fait par une certaine image qui les rend conformes au Fils de Dieu par nature. Cela se fait d’une double manière, d’abord par la grâce du voyage, qui donne une conformité imparfaite. Ensuite par la gloire de la patrie qui donnera une conformité parfaite, selon ce que dit S. Jean (1 Jn 3, 2) : " Dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore paru. Nous savons que lorsque cela paraîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est. " Donc, parce que nous obtenons la grâce par le baptême, ce qui nous est montré dans la Transfiguration, c’est la clarté de la gloire future ; et c’est pourquoi, tant au baptême du Christ qu’à sa transfiguration, il convenait de manifester la filiation naturelle du Fils par le témoignage du Père, parce que lui seul a parfaitement conscience de cette génération parfaite, avec le Fils et l’Esprit Saint.

Solutions :

1. Ce texte doit être rapporté à la parole éternelle du Père par laquelle Dieu le Père a proféré le Verbe unique qui lui est coéternel. Et pourtant on peut dire que, si Dieu a rendu deux fois le même témoignage, ce n’est pas pour le même but mais pour montrer les différents modes selon lesquels les hommes peuvent recevoir en participation une ressemblance de la filiation éternelle.

2. Dans le baptême où fut mis en lumière le mystère de la première régénération, c’est l’opération de la Trinité tout entière qui fut montrée, du fait qu’il y avait là le Fils incarné, que le Saint-Esprit apparut sous la forme d’une colombe, et que le Père fit entendre sa voix. De même dans la Transfiguration, qui est le sacrement de la seconde régénération, toute la Trinité apparut : le Père par sa voix, le Fils en tant qu’homme, l’Esprit Saint dans la nuée lumineuse. Car, de même qu’au baptême il donne l’innocence, symbolisée par la simplicité de la colombe, de même à la résurrection il donnera à ses élus la lumière de gloire et le rafraîchissement contre tout mal, dont la nuée lumineuse est la figure.

3. Le Christ était venu donner effectivement la grâce, et promettre la gloire par sa parole. Et c’est pourquoi il convenait d’engager les hommes à l’écouter lors de la Transfiguration plutôt que lors du baptême.

4. Il était normal que les disciples soient terrifiés par la voix du Père et se prosternent pour montrer que la supériorité de la gloire ainsi manifestée dépasse toute convenance et toute capacité des mortels, selon cette parole de l’Exode (33, 20) : " L’homme ne peut pas me voir et vivre. " S. Jérôme le dit aussi : " La fragilité ne soutient pas la vue d’une trop grande gloire. " Mais le Christ guérit les hommes de cette fragilité quand il les introduit dans la gloire. C’est le sens de ce qu’il leur dit alors : " Levez-vous, soyez sans crainte. "

I1 faut maintenant étudier comment le Christ est sorti du monde, c’est-à-dire : I. Sa passion (Q. 46-49). - II. Sa mort (Q. 50). - III. Son ensevelissement (Q. 51). - IV. La descente aux enfers (Q. 52).

L’étude de sa passion comporte trois parties : I. Sa passion en elle-même (Q. 46). - 2. La cause efficiente de sa passion (Q. 47-48). - 3. Le fruit de sa passion (Q. 49).

 

 

QUESTION 46 — LA PASSION DU CHRIST

1. Était-il nécessaire que le Christ souffrit pour délivrer les hommes ? - 2. Y avait-il une autre manière possible de délivrer les hommes ? - 3. Cette manière était-elle la plus appropriée ? - 4. Convenait-il que le Christ souffre sur la croix ? - 5. Le caractère universel de sa passion. - 6. La douleur qu’il a endurée dans sa passion fut-elle la plus grande ? - 7. Toute son âme a-t-elle souffert ? - 8. Sa passion a-t-elle empêché la joie de la jouissance béatifique ? - 9. Le temps de sa passion. - 10. Le lieu de sa passion. - 11. Convenait-il qu’il soit crucifié avec des bandits ? - 12. La passion du Christ doit-elle être attribuée à la divinité ?

 

            Article 1 — Était-il nécessaire que le Christ souffrît pour délivrer les hommes ?

Objections :

1. Le genre humain ne pouvait être libéré que par Dieu, selon Isaïe (45,21) : " N’est-ce pas moi, le Seigneur ? Il n’y a pas d’autre Dieu que moi. Un Dieu juste et sauveur, il n’y en a pas excepté moi. " Or Dieu ne subit aucune nécessité, car cela serait contraire à sa toute-puissance. Donc il n’était pas nécessaire que le Christ souffrît.

2. Le nécessaire s’oppose au volontaire. Or le Christ a souffert par sa propre volonté (Is 53, 7) : " Il a souffert parce que lui-même l’a voulu. " Sa souffrance n’était donc pas nécessaire.

3. Il est dit dans le Psaume (25, 10) : " Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité. " Mais il ne semble pas nécessaire qu’il souffre, ni du côté de la miséricorde divine, qui distribue gratuitement ses dons, si bien qu’elle remet gratuitement les dettes sans exiger aucune satisfaction ; ni non plus du côté de la justice divine, selon laquelle l’homme avait mérité la damnation éternelle.

4. La nature angélique est supérieure à la nature humaine, comme le montre Denys. Mais le Christ n’a pas souffert pour restaurer la nature angélique, qui avait péché. Il n’était donc pas nécessaire non plus qu’il souffrît pour le salut du genre humain.

En sens contraire, il y a cette parole de S. Jean (3, 16) : " De même que Moïse à élevé le serpent dans le déserts il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. " Ce qui s’entend de l’élévation du Christ en croix. Il apparaît donc que le Christ devait souffrir.

Réponse :

Selon l’enseignement d’Aristote, " nécessaire " se dit en plusieurs sens.

I. Au sens de ce qui, par sa nature, ne peut pas être autrement. En ce sens, il est évident que la souffrance du Christ n’était pas nécessaire, ni de la part de Dieu, ni de la part de l’homme.

II. Au sens où quelque chose est nécessaire du fait d’une cause extérieure. Si c’est une cause extérieure ou motrice, elle produit une nécessité de contrainte, par exemple si quelqu’un ne peut marcher à cause de la violence de celui qui le retient. Mais si la cause extérieure qui introduit la nécessité est une cause finale, l’acte sera dit nécessaire en raison de la fin, par exemple dans le cas où une fin ne peut être aucunement réalisée, ou ne peut l’être de façon appropriée, si telle autre fin n’est pas présupposée.

Donc la souffrance du Christ n’a pas été nécessaire d’une nécessité de contrainte, ni de la part de Dieu qui a décidé cette souffrance, ni de la part du Christ qui a souffert volontairement. Mais elle a été nécessaire en raison de la fin, ce qu’on peut comprendre à trois points de vue.

1° Par rapport à nous, qui avons été délivrés par la passion, selon la parole de S. Jean (3, 15) : " Il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. "

2° Par rapport au Christ lui-même : par l’abaissement de sa passion, il a mérité la gloire de l’exaltation, comme il le dit en S. Luc (24, 26) : " Ne fallait-il pas que le Christ souffrît tout cela pour entrer dans la gloire ? "

3° Par rapport à Dieu : il fallait accomplir ce qu’il avait décidé touchant la passion du Christ prophétisée dans l’Écriture et préfigurée dans l’ancienne loi : " Le Fils de l’homme s’en va selon ce qui a été décidé ", dit-il en S. Luc (22, 22) ; et encore (Lc 24, 44. 46) : " C’est là ce que je vous disais étant encore avec vous : il fallait que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes. . . Car il était écrit que le Christ devait souffrir, et ressusciter d’entre les morts le troisième jour. "

Solutions :

1. Cet argument procède de la nécessité de contrainte du côté de Dieu.

2. Celui-ci procède de la nécessité de contrainte du côté de l’humanité du Christ.

3. Que l’homme soit délivré par la passion du Christ, cela convenait et à la justice et à la miséricorde de celui-ci. A sa justice parce que le Christ par sa passion a satisfait pour le péché du genre humain, et ainsi l’homme a été délivré par la justice du Christ. Mais cela convenait aussi à la miséricorde parce que, l’homme ne pouvant par lui-même satisfaire pour le péché de toute la nature humaine, comme nous l’avons déjà dit Dieu lui a donné son Fils pour opérer cette satisfaction ; S. Paul le dit (Rm 3, 24) : " Vous avez été justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus, lui que Dieu a destiné à servir d’expiation par la foi en son sang. " Et cela venait d’une miséricorde plus abondante que s’il avait remis les péchés sans satisfaction : " Dieu qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, alors que nous étions morts du fait de nos péchés, nous a vivifiés dans le Christ " (Ep 2, 4).

4. Le péché de l’ange n’était pas réparable comme celui de l’homme, nous l’avons montré dans la première Partie.

 

            Article 2 — Y avait-il une autre manière possible de délivrer les hommes ?

Objections :

1. Le Seigneur a dit (Jn 12, 24) " Si le grain de froment tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt il porte beaucoup de fruit. " Et S. Augustin explique : " C’est lui-même qu’il désignait comme le grain. " Donc, s’il n’avait pas subi la mort, il n’aurait pas pu produire le fruit de notre libération.

2. Le Seigneur a dit à son Père (Mt 26, 42) " Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite. " La coupe dont il parle est celle de sa passion. Donc la passion du Christ ne pouvait être esquivée, comme dit S. Hilaire : " Si le calice ne peut pas passer loin de lui sans qu’il le boive, c’est parce que nous ne pouvons être rachetés que par sa passion. "

3. La justice de Dieu exigeait que l’homme soit délivré du péché par la satisfaction que procurait la passion du Christ. Mais le Christ ne pouvait transgresser sa propre justice, car S. Paul dit (2 Tm 2, 13) : " Si nous devenons infidèles, lui demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même ". Or il se renierait s’il reniait sa justice, puisqu’il est lui-même la justice. Il semble donc qu’il aurait été impossible que l’homme ait été libéré autrement que par la passion du Christ.

4. La foi ne peut comporter d’erreur. Mais les anciens pères ont cru que le Christ souffrirait. Il semble donc avoir été impossible que le Christ ne souffre pas.

En sens contraire, voici ce qu’écrit S. Augustin : " Ce moyen que Dieu a daigné choisir pour nous libérer : par le médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus Christ, nous affirmons qu’il est bon et conforme à la dignité divine, et même nous montrerons que Dieu pouvait employer un autre moyen, car tous les êtres sont également soumis à sa puissance. "

Réponse :

Possible et impossible peuvent s’entendre de deux façons différentes : ou bien simplement et absolument, ou bien en tenant compte d’une condition. A parler simplement et absolument, il était possible que Dieu délivre l’homme par un autre moyen que la passion du Christ " parce que rien n’est impossible à Dieu " (Lc 1, 37).

Mais si l’on se place dans une condition donnée, cela était impossible. En effet, il est impossible que la prescience de Dieu se trompe ou que sa volonté ou son plan soit annulé. Or, si l’on tient comme établi que la passion du Christ a été connue et préordonnée par Dieu, il n’était pas possible en même temps que le Christ ne souffre pas, ou que l’homme soit libéré autrement que par sa passion. Et l’argument est le même pour tout ce qui est su et ordonné préalablement par Dieu, comme on l’a vu dans la première Partie.

Solutions :

1. A cet endroit, le Seigneur parle en supposant la prescience et la préordination divine ; dans cette hypothèse, le fruit du salut de l’humanité ne pouvait être obtenu que par la passion du Christ.

2. Même réponse. " Si cette coupe ne peut passer sans que je la boive ", c’est parce que tu l’as ainsi disposé. Aussi le Seigneur ajoute-t-il " Que ta volonté se fasse. "

3. La justice de Dieu dépend elle-même de la volonté divine, qui exige du genre humain satisfaction pour le péché. Car si Dieu avait voulu libérer l’homme du péché sans aucune satisfaction, il n’aurait pas agi contre la justice. Un juge ne peut sans léser la justice remettre une faute ou une peine, car il est là pour punir la faute commise contre un autre, soit un tiers, soit tout l’État, soit le chef qui lui commande. Mais Dieu n’a pas de chef, il est lui-même le bien suprême et commun de tout l’univers. C’est pourquoi, s’il remet le péché, qui a raison de faute en ce qu’il est commis contre lui, il ne fait de tort à personne, pas plus qu’un homme ordinaire qui remet, sans exiger de satisfaction, une offense commise contre lui ; il agit alors avec miséricorde, non d’une manière injuste. Et c’est pourquoi David demandait miséricorde en disant (Ps 51, 6) : " Contre toi seul j’ai péché " comme pour dire : Tu peux me pardonner sans injustice.

4. La foi de l’homme, et aussi les Saintes Écritures qui l’établissent s’appuient sur la prescience et la préordination divines. Aussi la nécessité qui découle des assertions de la foi est-elle de même nature que la nécessité qui provient de la prescience et de la volonté divines.

 

            Article 3 — Cette manière de délivrer les hommes était-elle la plus appropriée ?

Objections :

1. La nature, dans son activité, imite les œuvres divines, car elle est mue et réglée par Dieu. Mais la nature n’emploie pas deux moyens là où elle peut agir par un seul. Puisque Dieu aurait pu délivrer l’homme par sa seule volonté, il ne semble pas normal d’y ajouter la passion du Christ pour le même but.

2. Ce qui se fait selon la nature se fait mieux que par la violence, parce que, dit Aristote, " la violence est une brisure ou une chute de ce qui est conforme à la nature ". Mais la passion du Christ entraîne sa mort violente. Donc le Christ aurait délivré l’homme de façon plus appropriée par une mort naturelle que par la souffrance.

3. Il semble tout à fait approprié que celui qui retient un butin par la violence et l’injustice en soit dépouillé par une puissance supérieure. Car, selon Isaïe (52, 3) : " Vous avez été vendus pour rien, vous serez rachetés sans argent. " Mais le démon n’avait aucun droit sur l’homme, il l’avait trompé par le mensonge et le maintenait en esclavage par une sorte de violence. Il semble donc qu’il aurait été tout à fait approprié, pour le Christ, de dépouiller le diable par sa seule puissance, et sans endurer la passion.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Pour guérir notre misère, il n’y avait pas de moyen plus adapté " que la passion du Christ.

Réponse :

Un moyen est d’autant plus adapté à une fin qu’il procure à cette fin un plus grand nombre d’avantages. Or, du fait que l’homme a été délivré par la passion du Christ, celle-ci, outre la libération du péché, lui a procuré beaucoup d’avantages pour son salut.

1° Par elle, l’homme connaît combien Dieu l’aime et par là il est provoqué à l’aimer, et c’est en cet amour que consiste la perfection du salut de l’homme. Aussi S. Paul dit-il (Rm 5, 8) : " La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous. "

2° Par la passion, le Christ nous a donné l’exemple de l’obéissance, de l’humilité, de la constance, de la justice et des autres vertus nécessaires au salut de l’homme. Comme dit S. Pierre (1 P 2, 21) : " Le Christ a souffert pour nous, nous laissant un modèle afin que nous suivions ses traces. "

3° Le Christ, par sa passion, n’a pas seulement délivré l’homme du péché ; il lui a en outre mérité la grâce de la justification et la gloire de la béatitude, comme nous le dirons plus loin.

4° Du fait de la Passion, l’homme comprend qu’il est obligé de se garder pur de tout péché lorsqu’il pense qu’il a été racheté du péché par le sang du Christ, selon S. Paul (1 Co 6, 20) : " Vous avez été rachetés assez cher ! Glorifiez donc Dieu dans votre corps. "

5° La Passion a conféré à l’homme une plus haute dignité : vaincu et trompé par le diable, l’homme devait le vaincre à son tour, ayant mérité la mort, il devait aussi, en mourant, la dominer elle-même, et S. Paul nous dit (1 Co 15, 57) : " Rendons grâce à Dieu qui nous a donné la victoire par Jésus Christ. "

Et pour toutes ces raisons, il valait mieux que nous soyons délivrés par la passion du Christ plutôt que par la seule volonté de Dieu.

Solutions :

1. La nature elle-même, pour mieux accomplir son œuvre, utilise parfois plusieurs moyens, par exemple elle nous donne deux yeux pour voir. Et on pourrait citer d’autres exemples.

2. S. Jean Chrysostome répond ainsi à cette objection : " Le Christ est venu afin de consommer non sa propre mort, puisqu’il est la vie, mais celle des hommes. Il ne déposa pas son corps par une mort qui aurait été naturelle, mais il accepte celle que lui infligeaient les hommes. Si son corps avait été malade, et que le Verbe s’en soit séparé à la vue de tous, il n’aurait pas été convenable que celui qui avait guéri le corps des autres ait son corps épuisé par la maladie. Mais s’il était mort sans aucune maladie, et qu’il ait caché son corps quelque part pour se montrer ensuite, on ne l’aurait pas cru lorsqu’il aurait affirmé qu’il était ressuscité. Comment la victoire du Christ sur la mort aurait-elle éclaté, si en supportant la mort devant tous, il n’avait pas prouvé qu’elle était anéantie par l’incorruption de son corps ? "

3. Le diable avait attaqué l’homme injustement ; cependant il était juste que l’homme, en raison de son péché, soit abandonné par Dieu à la servitude du diable. C’est pourquoi il convenait que l’homme soit libéré en justice, grâce à la satisfaction payée pour lui par le Christ dans sa passion.

Il convenait aussi, pour vaincre l’orgueil du diable " qui fuit la justice et recherche la puissance ", que le Christ " vainque le démon et libère l’homme, non par la seule puissance de la divinité, mais aussi par la justice et l’humilité de sa passion ", remarque S. Augustin.

 

            Article 4 — Convenait-il que le Christ souffre sur la croix ?

Objections :

1. La réalité doit répondre à la figure. Mais dans tous les sacrifices de l’Ancien Testament qui ont préfiguré le Christ, les animaux étaient mis à mort par le glaive, puis brûlés. Il semble donc que le Christ ne devait pas mourir sur la croix, mais plutôt par le glaive et par le feu.

2. Selon S. Jean Damascène le Christ ne devait pas accepter des " souffrances dégradantes ". Mais la mort de la croix paraît avoir été souverainement dégradante et ignominieuse. Comme il est écrit (Sg 2, 20) : " Condamnons-le à la mort la plus honteuse. "

3. On a acclamé le Christ en disant : " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur " (Mt 21, 5). Or la mort de la croix était un supplice de malédiction, selon le Deutéronome (21, 23) : " Il est maudit de Dieu, celui qui est pendu au bois. " Donc la crucifixion du Christ n’était pas acceptable.

En sens contraire, il est écrit (Ph 2, 3) " Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort, la mort sur une croix. "

Réponse :

Il convenait au plus haut point que le Christ souffre la mort de la croix.

1° Pour nous donner un exemple de vertu. C’est ce qu’écrit S. Augustin" : " La Sagesse de Dieu assume l’humanité pour nous donner l’exemple d’une vie droite. Or une condition de la vie droite, c’est de ne pas craindre ce qui n’est pas à craindre. . . Or il y a des hommes qui, sans craindre la mort elle-même, ont horreur de tel genre de mort. Donc, que nul genre de mort ne soit à craindre par l’homme dont la vie est droite, c’est ce que nous a montré la croix de cet homme, car, entre tous les genres de mort, c’est le plus odieux et le plus redoutable. "

2° Ce genre de mort était parfaitement apte à satisfaire pour le péché de notre premier père ; celui-ci l’avait commis en mangeant le fruit de l’arbre interdit, contrairement à l’ordre de Dieu. Il convenait donc que le Christ, en vue de satisfaire pour ce péché, souffre d’être attaché à l’arbre de la croix, comme pour restituer ce qu’Adam avait enlevé, selon le Psaume (69, 5) : " Ce que je n’ai pas pris, devrai-je le rendre ? " C’est pourquoi S. Augustin dit : " Adam méprise le précepte en prenant le fruit de l’arbre, mais tout ce qu’Adam avait perdu, le Christ l’a retrouvé sur la croix. "

3° Comme dit S. Jean Chrysostome : " Le Christ a souffert sur un arbre élevé et non sous un toit, afin de purifier la nature de l’air. La terre elle-même a ressenti les effets de la Passion ; car elle a été purifiée par le sang qui coulait goutte à goutte du côté du Crucifié. " Et à propos de ce verset de S. Jean (3, 4) : " Il faut que le Fils de l’homme soit élevé ", il écrit r : " Par "fut élevé", entendons que le Christ fut suspendu entre ciel et terre, afin de sanctifier l’air, lui qui avait sanctifié la terre en y marchant. "

4° " Par sa mort sur la croix, le Christ a préparé notre ascension au ciel ", d’après Chrysostome,. C’est pourquoi il a dit lui-même (Jn 12, 32) : " Moi, lorsque j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi. "

5° Cela convenait au salut de tout le genre humain. C’est pourquoi S. Grégoire de Nysse a pu dire : " La figure de la croix, où se rejoignent au centre quatre branches opposées, symbolise que la puissance et la providence de celui qui y est suspendu se répandent partout. " Et S. Jean Chrysostome dit encore : " Il meurt en étendant les mains sur la croix ; de l’une il attire l’ancien peuple, de l’autre ceux qui viennent des nations. "

6° Par ce genre de mort sont symbolisées diverses vertus, selon S. Augustin : " Ce n’est pas pour rien que le Christ a choisi ce genre de mort, pour montrer qu’il est le maître de la largeur et de la hauteur, de la longueur et de la profondeur " dont parle S. Paul (Ep 3, 18). " Car la largeur se trouve dans la traverse supérieure : elle figure les bonnes œuvres parce que les mains y sont étendues. La longueur est ce que l’on voit du bois au-dessus de la terre, car c’est là qu’on se tient pour ainsi dire debout, ce qui figure la persistance et la persévérance, fruits de la longanimité. La hauteur se trouve dans la partie du bois située au-dessus de la traverse ; elle se tourne vers le haut, c’est-à-dire vers la tête du crucifié parce qu’elle est la suprême attente de ceux qui ont la vertu d’espérance. Enfin la profondeur comprend la partie du bois qui est cachée en terre ; toute la croix semble en surgir, ce qui symbolise la profondeur de la grâce gratuite. " Et comme S. Augustin le dit ailleurs : " Le bois auquel étaient cloués les membres du crucifié était aussi la chaire d’où le maître enseignait. "

7° Ce genre de mort répond à de très nombreuses préfigurations. Comme dit S. Augustin : " Une arche de bois a sauvé le genre humain du déluge. Lorsque le peuple de Dieu quittait l’Égypte, Moïse a divisé la mer à l’aide d’un bâton et, terrassant ainsi le pharaon, il a racheté le peuple de Dieu. Ce même bâton, Moïse l’a plongé dans une eau amère qu’il a rendue douce. Et c’est encore avec un bâton que Moïse a fait jaillir du rocher préfiguratif une eau salutaire. Pour vaincre Amalec, Moïse tenait les mains étendues sur son bâton. La loi de Dieu était confiée à l’arche d’Alliance, qui était en bois. Par là tous étaient, comme par degrés, amenés au bois de la croix. "

Solutions :

1. L’autel des holocaustes, sur lequel on offrait les sacrifices d’animaux, était fait de bois (Ex 27, 1). Et à cet égard la réalité correspond à la figure. " Mais il ne faut pas qu’elle y corresponde totalement, sinon la figure serait déjà la réalité ", remarque S. Jean Damascène. Toutefois, d’après Chrysostome. " on ne l’a pas décapité comme Jean Baptiste, ni scié comme Isaïe, pour qu’il garde dans la mort son corps entier et indivis, afin d’enlever tout prétexte à ceux qui veulent diviser l’Église ". Mais au lieu d’un feu matériel, il y eut dans l’holocauste du Christ le feu de la charité.

2. Le Christ a refusé de se soumettre aux souffrances qui proviennent d’un défaut de science, de grâce, ou même de force, mais non aux atteintes infligées de l’extérieur. Bien plus, selon l’épître aux Hébreux (12, 2) " Il a enduré, sans avoir de honte, l’humiliation de la croix. "

3. Selon S. Augustin, le péché est une malédiction, et par conséquent la mort et la mortalité qui résultent du péché. " Or la chair du Christ était mortelle, puisqu’elle était semblable à une chair de péché. " Et c’est ainsi que Moïse l’a qualifiée de " maudite " ; de la même manière, l’Apôtre l’appelle " péché " (2 Co 5, 21) : " Il a fait péché celui qui ne connaissait pas le péché ", c’est-à-dire qu’il lui a imposé la peine du péché. Lorsque Moïse prédit du Christ qu’il est " maudit de Dieu ", " il ne marque donc pas une plus grande haine de la part de Dieu. Car, si Dieu n’avait pas détesté le péché et, par suite, notre mort, il n’aurait pas envoyé son Fils endosser et supprimer cette mort. . . Donc, confesser qu’il a endossé la malédiction pour nous revient à confesser qu’il est mort pour nous ". C’est ce que dit S. Paul (Ga 3, 13) : " Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi en se faisant pour nous malédiction. "

 

            Article 5 — Le caractère universel de la Passion

Objections :

1. S. Hilaire écrit : " Le Fils unique de Dieu, pour accomplir le mystère de sa mort, a attesté qu’il avait consommé tous les genres de souffrances humaines lorsqu’il inclina la tête et rendit l’esprit. " Il semble donc qu’il a enduré toutes les souffrances humaines.

2. Isaïe (52, 13) avait prédit : " Voici que mon serviteur prospérera et grandira, il sera exalté et souverainement élevé. De même, beaucoup ont été dans la stupeur en le voyant, car son apparence était sans gloire parmi les hommes, et son aspect parmi les fils des hommes. " Or le Christ a été exalté en ce sens qu’il a possédé toute grâce et toute science, ce qui a plongé dans la stupeur beaucoup de ses admirateurs. Il semble donc qu’il a été sans gloire en endurant toutes les souffrances humaines.

3. La passion du Christ, on l’a dit ‘ était ordonnée à libérer l’homme du péché. Or le Christ est venu délivrer les hommes de tous les genres de péché. Il semble donc qu’il devait supporter tous les genres de souffrances.

En sens contraire, nous savons par S. Jean (19, 32) que " les soldats brisèrent les jambes du premier, puis du second qui avaient été crucifiés avec Jésus ; mais venant à lui, ils ne lui rompirent pas les jambes ". Le Christ n’a donc pas enduré toutes les souffrances humaines.

Réponse :

Les souffrances humaines peuvent être considérées à deux points de vue.

Tout d’abord selon leur espèce. De ce point de vue, il n’était pas nécessaire que le Christ les endure toutes. Beaucoup de ces souffrances sont, par leur espèce, opposées les unes aux autres, comme par exemple être dévoré par le feu ou submergé par l’eau. Nous n’envisageons ici, en effet, que les souffrances infligées de l’extérieur ; celles qui ont une cause intérieure, comme les infirmités corporelles, ne lui auraient pas convenu, nous l’avons déjà montré.

Mais, selon leur genre, le Christ les a endurées toutes, sous un triple rapport.

1° De la part des hommes qui les lui ont infligées. Il a souffert de la part des païens et des juifs, des hommes et des femmes, comme on le voit avec les servantes qui accusaient Pierre. Il a encore souffert de la part des chefs et de leurs serviteurs, et aussi de la part du peuple, comme l’avait annoncé le psalmiste (2, 1) : " Pourquoi ce tumulte des nations, ce vain murmure des peuples ? Les rois de la terre se soulèvent, les grands se liguent entre eux contre le Seigneur et son Christ. " Il a aussi été affligé par tous ceux qui vivaient dans son entourage et sa familiarité, puisque Judas l’a trahi et que Pierre l’a renié.

2° Dans tout ce qui peut faire souffrir un homme. Le Christ a souffert dans ses amis qui l’ont abandonné ; dans sa réputation par les blasphèmes proférés contre lui ; dans son honneur et dans sa gloire par les moqueries et les affronts qu’il dut supporter ; dans ses biens lorsqu’il fut dépouillé de ses vêtements ; dans son âme par la tristesse, le dégoût et la peur ; dans son corps par les blessures et les coups.

3° Dans tous les membres de son corps. Le Christ a enduré : à la tête les blessures de la couronne d’épines ; aux mains et aux pieds le percement des clous ; au visage les soufflets, les crachats et, sur tout le corps, la flagellation. De plus il a souffert par tous ses sens corporels : par le toucher quand il a été flagellé et cloué à la croix ; par le goût quand on lui a présenté du fiel et du vinaigre ; par l’odorat quand il fut suspendu au gibet en ce lieu, appelé Calvaire, rendu fétide par les cadavres des suppliciés ; par l’ouïe, lorsque ses oreilles furent assaillies de blasphèmes et de railleries ; et enfin par la vue, quand il vit pleurer sa mère et le disciple qu’il aimait.

Solutions :

1. Les paroles de S. Hilaire visent tous les genres de souffrances endurées par le Christ, mais non leurs espèces.

2. Cette comparaison ne porte pas sur le nombre des souffrances et des grâces, mais sur leur grandeur. Si le Christ a été élevé au-dessus de tous les hommes par les dons de la grâce, il a été abaissé au-dessous de tous par l’ignominie de sa passion.

3. En ce qui concerne leur efficacité, la moindre des souffrances du Christ aurait suffi pour racheter le genre humain de tous les péchés ; mais si l’on considère ce qui convenait il suffisait qu’il endure tous les genres de passion, comme on vient de le dire.

 

            Article 6 — La douleur que le Christ a endurée dans sa passion fut-elle la plus grande ?

Objections :

1. La douleur augmente avec la violence et la durée de la souffrance. Mais certains martyrs ont enduré des supplices plus terribles et plus prolongés que le Christ, par exemple S. Laurent qui a été rôti sur un gril, ou S. Vincent dont la chair a été déchirée par des crocs de fer. Il apparaît donc que la douleur du Christ dans sa passion n’a pas été la plus grande.

2. La force de l’esprit atténue la douleur, si bien que les stoïciens prétendaient que " la tristesse ne s’introduit pas dans l’âme du sage ". Et Aristote enseigne que la vertu morale fait garder le juste milieu dans les passions. Or le Christ possédait la force morale la plus parfaite. Il apparaît donc que sa douleur n’a pas été la plus grande.

3. Plus le patient est sensible, plus sa souffrance lui inflige de douleur. Or l’âme est plus sensible que le corps, puisque le corps est sensible par elle. Et même, dans l’état d’innocence Adam eut un corps plus sensible que le Christ, qui a assumé un corps humain avec ses défauts de nature. Il apparaît donc que la douleur de l’âme, chez celui qui souffre au purgatoire ou en enfer, ou même la douleur d’Adam s’il avait souffert, aurait été plus grande que celle du Christ dans sa passion.

4. Plus le bien que l’on perd est grand, plus la douleur est grande. Mais l’homme, en péchant, perd un plus grand bien que le Christ en souffrant, parce que la vie de la grâce est supérieure à la vie naturelle. Et même, le Christ, qui a perdu la vie pour ressusciter trois jours plus tard, a perdu moins que ceux qui perdent la vie pour demeurer dans la mort. Il apparaît donc que la douleur du Christ ne fut pas la pire des douleurs.

5. L’innocence de celui qui souffre diminue sa douleur. Or le Christ a souffert innocemment selon Jérémie (11, 19) : " Mais moi, je suis comme un agneau docile que l’on mène à l’abattoir. "

6. Dans le Christ il n’y avait rien de superflu. Mais la plus petite douleur du Christ aurait suffi pour obtenir le salut du genre humain, car elle aurait eu, en vertu de sa personne divine, une puissance infinie. Il aurait donc été superflu qu’il assume le maximum de douleurs.

En sens contraire, on lit dans les Lamentations (1, 12) cette parole attribuée au Christ : " Regardez et voyez s’il est une douleur comparable à ma douleur. "

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, à propos des déficiences assumées par le Christ : dans sa passion, le Christ a ressenti une douleur réelle et sensible, causée par les supplices corporels ; et une douleur intérieure, la tristesse, produite par la perception de quelque nuisance. L’une et l’autre de ces douleurs, chez le Christ, furent les plus intenses que l’on puisse endurer dans la vie présente. Et cela pour quatre raisons.

1° Par rapport aux causes de la douleur. La douleur sensible fut produite par une lésion corporelle. Elle atteignit au paroxysme, soit en raison de tous les genres de souffrances dont il a été parlé à l’article précédent, soit aussi en raison du mode de la passion ; car la mort des crucifiés est la plus cruelle : ils sont en effet cloués à des endroits très innervés et extrêmement sensibles, les mains et les pieds. De plus le poids du corps augmente continuellement cette douleur ; et à tout cela s’ajoute la longue durée du supplice, car les crucifiés ne meurent pas immédiatement, comme ceux qui périssent par le glaive. - Quant à la douleur intérieure du cœur, elle avait plusieurs causes ; en premier lieu, tous les péchés du genre humain pour lesquels il satisfaisait en souffrant, si bien qu’il les prend à son compte en parlant dans le Psaume (22, 2) du "cri de mes péchés". Puis, particulièrement, la chute des juifs et de ceux qui lui infligèrent la mort, et surtout des disciples qui tombèrent pendant sa Passion. Enfin, la perte de la vie corporelle, qui par nature fait horreur à la nature humaine.

2° On peut mesurer l’intensité de la douleur à la sensibilité de celui qui souffre, dans son âme et dans son corps. Or le corps du Christ était d’une complexion parfaite, puisqu’il avait été formé miraculeusement par l’Esprit Saint. Rien n’est plus parfait que ce qui est produit par miracle ; S. Jean chrysostome le remarque au sujet du vin en lequel le Christ avait changé l’eau des noces de Cana. Et c’est ainsi que, chez le Christ, le sens du toucher, dont les perceptions produisent la douleur, était extrêmement délicat. Son âme aussi percevait avec la plus grande acuité, dans ses puissances intérieures, toutes les causes de la tristesse.

3° L’intensité de la douleur du Christ peut ainsi s’apprécier par la pureté de sa douleur et de sa tristesse. Car chez d’autres êtres souffrants la tristesse intérieure, et même la douleur extérieure sont tempérées par la raison, en vertu de la dérivation ou rejaillissement des puissances supérieures sur les puissances inférieures. Or, chez le Christ souffrant, cela ne s’est pas produit, puisque, à chacune de ses puissances "il permit d’agir selon sa loi propre", dit S. Jean Damascène.

4° On peut enfin évaluer l’intensité de la douleur du Christ d’après le fait que sa souffrance et sa douleur furent assumées volontairement en vue de cette fin : libérer l’homme du péché. Et c’est pourquoi il a assumé toute la charge de douleur qui était proportionnée à la grandeur ou fruit de sa passion.

Toutes ces causes réunies montrent à l’évidence que la douleur du Christ fut la plus grande.

Solutions :

1. Cette objection est fondée sur une seule des causes de souffrance que nous avons énumérées : la lésion corporelle qui cause la douleur sensible. Mais la douleur du Christ en sa passion s’est accrue bien davantage en raison des autres causes, nous venons de le dire.

2. La vertu morale n’atténue pas de la même façon la tristesse intérieure et la douleur sensible extérieure, car elle y établit un juste milieu, et c’est là sa matière propre. Or c’est la vertu morale qui établit le juste milieu dans les passions, nous l’avons montré dans la deuxième Partie non d’après une quantité matérielle, mais selon une quantité de proportion, de sorte que la passion n’outrepasse pas la règle de raison. Et parce qu’ils croyaient que la tristesse n’avait aucune utilité, les stoïciens la croyaient en désaccord total avec la raison ; par suite ils jugeaient que le sage devait l’éviter totalement. Il est pourtant vrai, comme le prouve S. Augustin, qu’une certaine tristesse mérite l’éloge lorsqu’elle procède d’un saint amour ; ainsi lorsque l’on s’attriste de ses propres péchés ou de ceux des autres ; la tristesse a aussi son utilité lorsqu’elle a pour but de satisfaire pour le péché, selon S. Paul (2 Co 7, 10) : " La tristesse selon Dieu produit un repentir salutaire que l’on ne regrette pas. " Et c’est pourquoi le Christ, afin de satisfaire pour les péchés de tous les hommes, a souffert la tristesse la plus profonde, en mesure absolue, sans néanmoins qu’elle dépasse la règle de la raison.

Quant à la douleur extérieure des sens, la vertu morale ne la diminue pas directement ; car cette douleur n’obéit pas à la raison, mais elle suit la nature du corps. Cependant, la vertu morale diminue indirectement la tristesse, par voie de rejaillissement des puissances supérieures sur les puissances inférieures. Ce qui ne s’est pas produit chez le Christ, nous l’avons dit.

3. La douleur de l’âme séparée appartient à l’état de damnation, qui dépasse tous les maux de cette vie, comme la gloire des saints en dépasse tous les biens. Lorsque nous disons que la douleur du Christ était la plus grande, nous ne voulons donc pas la comparer à celle de l’âme séparée.

D’autre part, le corps d’Adam ne pouvait souffrir avant de pécher et de devenir ainsi mortel et passible ; et ses souffrances furent alors moins douloureuses que celles endurées par le Christ, nous venons d’en donner les raisons. Ces raisons montrent aussi que, même si, par impossible, Adam avait pu souffrir dans l’état d’innocence, sa douleur aurait été moindre que celle du Christ.

4. Le Christ s’est affligé non seulement de la perte de sa vie corporelle, mais aussi des péchés de tous les autres hommes. Sous cet aspect, sa douleur a dépassé celle que pouvait provoquer la contrition chez n’importe quel homme. Car elle avait sa source dans une sagesse et une charité plus grandes et augmentait en proportion. D’autre part, le Christ souffrait pour tous les péchés à la fois, selon Isaïe (53, 4) " Il a vraiment porté nos douleurs. "

Quant à la vie corporelle, elle était dans le Christ d’une dignité telle, surtout par la divinité qui se l’était unie, qu’il souffrit davantage de sa perte, même momentanée, qu’un homme ne peut souffrir en la perdant pour un grand laps de temps. Aussi, remarque Aristote, le vertueux aime-t-il d’autant plus sa vie qu’il la sait meilleure, mais il l’expose à cause du bien de la vertu. De même le Christ a offert, pour le bien de la charité, sa vie qu’il aimait au plus haut point, comme l’a dit Jérémie (12, 7 Vg) : " J’ai remis mon âme bien-aimée aux mains de mes ennemis. "

5. L’innocence diminue la douleur de la souffrance quant au nombre, parce que le coupable souffre non seulement de la peine, mais aussi quant à la coulpe, tandis que l’innocent souffre uniquement de la peine. Toutefois cette douleur augmente en lui en raison de son innocence, en tant qu’il saisit combien ce qu’il souffre est plus injuste. C’est pourquoi les autres sont plus répréhensibles s’ils ne compatissent pas à sa peine, selon Isaïe (57, 1) : " Le juste périt, et nul ne s’en inquiète. "

6. Le Christ a voulu délivrer le genre humain du péché, non seulement par sa puissance, mais encore par sa justice. C’est ainsi qu’il a tenu compte, non seulement de la puissance que sa douleur tirait de l’union à, sa divinité, mais aussi de l’importance qu’elle aurait selon la nature humaine, pour procurer une si totale satisfaction

 

            Article 7 — Toute l’âme du Christ a-t-elle souffert dans sa passion ?

Objections :

1. Si l’âme souffre en même temps que le corps, c’est par accident, en tant qu’elle est l’acte de ce corps. Or, elle n’est pas l’acte du corps dans toutes ses parties, car l’intellect n’est l’acte d’aucun corps, écrit Aristote. Il semble donc que le Christ n’a pas souffert selon toute son âme.

2. Chaque puissance de l’âme pâtit de son objet propre. Mais l’objet de la partie supérieure de l’âme consiste dans les idées éternelles, " qu’elle s’applique à contempler et à consulter ", dit S. Augustin. Or le Christ ne pouvait ressentir aucune souffrance des idées éternelles, puisqu’elles ne lui étaient contraires en rien.

3. Lorsque la passion sensible va jusqu’à la raison, on le nomme une passion accomplie. Or il n’y eut pas chez le Christ de passion parfaite, mais seulement, selon S. Jérôme une " propassion ". Aussi Denys écrit-il à S. Jean l’Évangéliste : " Tu ne ressens les souffrances qui te sont infligées que dans la mesure où tu les perçois. "

4. La passion ou souffrance cause la douleur. Mais dans l’intellect spéculatif il n’y a pas de douleur parce que, selon Aristote, " on ne peut opposer aucune tristesse à la délectation qui naît de la contemplation ". Le Christ n’a donc pas souffert, semble-t-il, selon toute son âme.

En sens contraire, il y a cette parole du Psaume (88, 4) mise sur les lèvres du Christ : " Mon âme est rassasiée de maux " qui, selon la Glose, " ne sont pas des vices, mais des douleurs par lesquelles l’âme compatit à la chair, ou aux maux du peuple en train de se perdre ". Donc le Christ a souffert selon toute son âme.

Réponse :

Le tout se dit par rapport aux parties. On appelle les parties de l’âme ses puissances. Pour l’âme, pâtir tout entière, c’est pâtir selon son essence, ou selon toutes ses puissances.

Mais il faut remarquer que chaque puissance de l’âme peut pâtir d’une double manière : en premier lieu d’une souffrance qui lui vient de son objet propre ; la vue, par exemple pâtit d’un objet visible éblouissant. En second lieu, la puissance pâtit de la souffrance de l’organe où elle siège ; la vue pâtit si l’on touche l’œil qui est son organe, par exemple si on le pique, ou s’il est affecté par la chaleur’

Donc, si l’on entend " toute l’âme " selon son essence, il est évident que l’âme du Christ a pâti ; car l’essence de l’âme est tout entière unie au corps, de telle sorte qu’elle est tout entière dans tout le corps et dans chacune de ses parties. Voilà pourquoi, lorsque le corps du Christ souffrait et allait être séparé de l’âme, toute son âme pâtissait.

Mais si l’on entend par " toute l’âme " toutes ses puissances, en parlant des passions propres à chacune d’elles, l’âme du Christ pâtissait selon toutes ses puissances inférieures ; car, dans chacune de ses puissances qui ont pour objet les réalités temporelles, il se trouvait une cause de douleur dans le Christ, ainsi que nous l’avons montré. Mais sous ce rapport, la raison supérieure, dans le Christ, n’a point pâti de la part de son objet, qui est Dieu, car Dieu n’était pas pour l’âme du Christ une cause de douleur, mais de délectation et de joie.

Cependant, si l’on considère la souffrance qui affecte une puissance du fait de son sujet, on peut dire que toutes les puissances de l’âme ont pâti. Car elles sont toutes enracinées dans l’essence de l’âme, et l’âme pâtit quand le corps, dont elle est l’acte, souffre.

Solutions :

1. L’intellect, en tant que puissance, n’est pas l’acte du corps ; c’est l’essence de l’âme qui en est l’acte, et c’est en elle que s’enracine la puissance intellective, comme nous l’avons vu dans la première Partie.

2. Cet argument se fonde sur la souffrance ou passion qui vient de l’objet propre, selon laquelle la raison supérieure, chez le Christ, n’a pas souffert.

3. La douleur est appelée une passion accomplie, qui trouble l’âme, lorsque la souffrance de la partie sensible va jusqu’à faire dévier la raison de la rectitude de son acte au point qu’elle suit la passion et ne la dirige plus par son libre arbitre. Mais chez le Christ la souffrance sensible n’est point parvenue jusqu’à la raison ; elle ne l’a atteinte que par l’intermédiaire du sujet, comme nous venons de le préciser.

4. L’intellect spéculatif ne peut endurer ni douleur ni tristesse de la part de son objet. Celui-ci est le vrai, considéré de façon absolue, et qui est la perfection de l’intellect. La douleur ou sa cause peuvent toutefois l’atteindre de la manière exposée dans la Réponse.

 

            Article 8 — Sa passion a-t-elle empêché le Christ d’éprouver la joie béatifique ?

Objections :

1. Il est impossible de souffrir et de se réjouir en même temps, puisque la tristesse et la joie sont contraires l’une à l’autre. Mais l’âme du Christ souffrait tout entière pendant sa passion, comme on l’a vu à l’article précédent. Il lui était donc impossible de jouir tout entière.

2. Aristote enseigne que la tristesse violente empêche non seulement la délectation qui lui est directement contraire, mais encore toute délectation et réciproquement. Or la douleur de la passion du Christ a été la plus intense, on l’a vu plus haut et, de même, la délectation de la jouissance béatifique est la plus intense, comme on l’a établi dans la première section de la deuxième Partie. Il a donc été impossible que l’âme du Christ tout entière ait souffert et joui en même temps.

3. La jouissance bienheureuse se rattache à la connaissance et à l’amour des réalités divines, dit S. Augustin. Or toutes les puissances de l’âme ne parviennent pas à connaître et à aimer Dieu. L’âme du Christ n’a donc pas joui tout entière de la vision béatifique.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit : "La divinité du Christ a permis à sa chair de faire et de souffrir ce qui lui était propre." Au même titre, la jouissance qui était propre à l’âme du Christ en tant que bienheureuse n’a pas été empêchée par sa passion.

Réponse :

Comme nous l’avons dit à l’article précédent, on peut entendre "toute l’âme" ou selon son essence ou selon toutes ses puissances. Selon son essence, toute l’âme du Christ jouissait, en tant qu’elle est le siège de la partie supérieure de l’âme à laquelle appartient la jouissance de Dieu, de même que, réciproquement, la jouissance est attribuée à l’essence en raison de la partie supérieure de l’âme.

Mais, selon toutes ses puissances, l’âme ne jouissait pas tout entière ; ni directement, la jouissance ne pouvant être l’acte de chacune des parties de l’âme ; ni non plus par un rejaillissement de gloire, car, lorsque le Christ était voyageur sur cette terre, il n’y avait pas rejaillissement de gloire de la partie supérieure de son âme sur la partie inférieure, ni de l’âme sur le corps. Mais, réciproquement, la partie supérieure de l’âme du Christ, n’étant pas entravée dans son opération propre par la partie inférieure, il en résulte qu’elle a joui parfaitement de la vision bienheureuse tandis que le Christ souffrait.

Solutions :

1. La joie de la vision n’est pas directement contraire à la douleur de la passion, car l’une et l’autre n’ont pas le même objet. Rien n’empêche, en effet, que des contraires existent dans un même être quand ils ne portent pas sur un même objet. Ainsi la joie de la vision peut appartenir à la partie supérieure de la raison par son acte propre, et la douleur de la passion par le sujet qui la supporte. La douleur de la passion appartient à l’essence de l’âme, du côté du corps dont cette âme est la forme ; et la joie de la vision, du côté de la puissance dont elle est le siège.

2. Cet enseignement du Philosophe est vrai, en raison du rejaillissement qui se fait naturellement d’une puissance de l’âme sur l’autre ; mais cela n’a pas eu lieu chez le Christ, nous l’avons dit.

3. Cette objection est valable pour la totalité de l’âme selon ses puissances.

 

            Article 9 — Le temps de la Passion

Objections 1. Cette passion était préfigurée par l’immolation de l’Agneau pascal, selon l’Apôtre (1 Co 5, 7) " Notre Agneau pascal, le Christ, a été immolé. " Mais l’Agneau pascal était immolé le quatorzième jour au soir, comme le prescrit l’Exode (12, 6). Il apparaît donc que le Christ aurait dû souffrir à ce moment. Or cela est évidemment faux, car c’est alors qu’il célébra la Pâque avec ses disciples, selon S. Marc (14, 12) : " Ils immolaient la Pâque, le premier jour des azymes. " Et il n’a souffert que le lendemain.

2. La passion du Christ est appelée son exaltation, selon S. Jean (3, 14) : " Il faut que le Fils de l’homme soit exalté. " Or le Christ est désigné par Malachie (3, 20) comme " le Soleil de justice ". Il semble donc qu’il aurait dû souffrir à la sixième heure (midi) où le soleil est le plus élevé. Tout au contraire, S. Marc (15, 25) rapporte : " C’est vers la troisième heure qu’ils le crucifièrent. "

3. De même que le soleil est le plus élevé chaque jour à midi, de même est-ce au solstice d’été qu’il est le plus élevé chaque année. Le Christ aurait donc dû souffrir sa passion au solstice d’été plutôt qu’à l’équinoxe de printemps.

4. Le monde a été éclairé par la présence du Christ : " Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde " (Jean 9, 5). Il convenait donc au salut du genre humain qu’il vive plus longtemps en ce monde, ce qui l’aurait fait mourir dans sa vieillesse et non dans sa jeunesse.

En sens contraire, on lit en S. Jean (13, 1) " Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père. . . " Et aussi (Jn 2, 4) : " Mon heure n’est pas encore venue. " Ce que S. Augustin commente ainsi : " Dès qu’il eut accompli ce qu’il jugea suffisant, l’heure vint, non celle de la nécessité, mais celle de la volonté. " Il a donc subi sa passion au moment approprié.

Réponse :

La passion du Christ était soumise à sa volonté, nous l’avons dit plus haut. Or sa volonté était régie par la sagesse divine qui, d’après l’Écriture (Sg 8, 1) dispose tout avec harmonie et douceur. Il faut donc dire que la passion du Christ a eu lieu au temps voulu. Aussi S. Augustin écrit-il : " Le Sauveur a accompli toutes choses aux lieux et temps appropriés. "

Solutions :

1. Certains pensent que Jésus a souffert le quatorzième jour de la lune, quand les juifs immolaient la Pâque. Ils s’appuient sur ces paroles de S. Jean (13, 18) : " Les Juifs n’entrèrent pas dans le prétoire " de Pilate le jour même de la Passion, " afin de ne pas se souiller mais de pouvoir manger la Pâque ". Aussi S. Jean Chrysostome écrit-il : " C’est alors que les Juifs ont célébré la Pâque ; mais le Christ l’avait célébrée la veille, réservant son immolation pour le vendredi, alors que s’accomplirait la Pâque ancienne. " Cette opinion s’accorde avec un autre texte de S. Jean (13, 1) : " Avant la fête de la Pâque, après le repas, le Christ lava les pieds de ses disciples. "

Au contraire on lit dans Matthieu (26, 17) : " Le premier jour des azymes, les disciples vinrent trouver Jésus et lui dirent : "Où veux-tu que nous préparions le repas pascal ?" Or, le premier jour des azymes, remarque S. Jérôme " tombait le quatorzième jour du premier mois, lorsque l’on immolait l’agneau et que l’on était à la pleine lune ". D’où il résulte que c’est le quatorzième jour de la lune que le Christ a célébré la Cène, et le quinzième qu’il a souffert. Et ceci est manifesté plus explicitement par ce que dit S. Marc (14, 12) : " Le premier jour des azymes, lorsqu’ils immolaient la Pâque…"

C’est pourquoi certains disent que le Christ mangea la Pâque avec ses disciples au jour voulu, c’est-à-dire le quatorzième, " montrant ainsi jusqu’au dernier jour qu’il ne s’opposait pas à la loi ", observe S. Jean Chrysostome ; les Juifs, occupés à faire condamner le Christ, remirent au lendemain, malgré la loi, la célébration de la Pâque ; c’est la raison pour laquelle, le jour de la passion du Christ, ils ne voulurent pas entrer dans le prétoire, afin de ne pas se souiller et de pouvoir manger la Pâque.

Mais cela non plus ne s’accorde pas avec les paroles de S. Marc : " Le premier jour des azymes, lorsqu’ils immolaient la Pâque… " Donc le Christ et les Juifs ont célébré le même jour l’ancienne Pâque. Et comme dit S. Bède, " bien que le Christ, qui est notre Pâque, ait été crucifié le jour suivant, à savoir le quinzième du mois, ce fut toutefois dans la nuit où l’on immolait l’agneau qu’il livra son corps et son sang à ses disciples pour la célébration des saints mystères ; et que, pris et ligoté par les Juifs, il consacra le début de son immolation, c’est-à-dire de sa passion ".

Lorsqu’on lit dans S. Jean : "Avant la fête de la Pâque", il faut entendre que ce fut le quatorzième jour du mois, qui était cette année-là un jeudi ; car c’était le quinzième jour de la lune qui était le jour le plus solennel de la Pâque pour les Juifs. Il s’ensuit que le jour désigné par S. Jean comme "avant la fête de la Pâque" en suivant la division naturelle des jours, est appelé par Matthieu "le premier des azymes" ; selon le rite de la fête juive, en effet, la solennité commençait au soir du jour précédent. En outre, lorsqu’il est dit que les Juifs devaient manger la Pâque le quinzième jour du mois, "la Pâque" ne désigne pas ici l’agneau pascal, qui était immolé le quatorzième jour, mais la nourriture pascale, c’est-à-dire les pains azymes qui devaient être mangés par ceux qui étaient purs.

S. Jean Chrysostome donne une autre explication : il dit que la Pâque peut s’entendre de toute la fête des Juifs, qui durait sept jours.

2. Comme dit S. Augustin : " Ce fut aux environs de la sixième heure que le Christ fut livré pour être crucifié, dit S. Jean (19, 14). En effet, ce n’était pas la sixième heure, mais environ la sixième heure : la cinquième était passée, et la sixième commencée. Lorsque celle-ci s’acheva, le Christ étant en croix, l’obscurité se fit. Ce fut à la troisième heure que les Juifs demandèrent à grands cris la crucifixion du Seigneur. On peut donc dire en toute vérité qu’ils le crucifièrent quand ils poussèrent des cris. Afin qu’on ne décharge pas les juifs pour accuser les soldats d’avoir eu le dessein d’un tel crime, S. Marc écrit : "On était à la troisième heure lorsqu’ils le crucifièrent" faisant ainsi ressortir qu’on doit attribuer la crucifixion du Christ surtout à ceux qui avaient réclamé sa mort à la troisième heure. " " Cependant certains veulent l’interpréter de la troisième heure du jour de la Parascève dont parle S. Jean (19, 14) : "C’était la Parascève de la Pâque, vers la sixième heure. " Parascève se traduit "Préparation". La préparation de la vraie Pâque, célébrée dans la passion du Seigneur, a commencé à la neuvième heure de la nuit, lorsque tous les chefs des prêtres dirent (Mt 26, 66) "il mérite la mort !" C’est à partir de cette heure de la nuit jusqu’à la crucifixion que se compte la sixième heure de la Parascève, d’après S. Jean, et la troisième heure du jour, d’après S. Marc. "

D’autres pensent toutefois que cette divergence d’heures est due à une erreur de copiste chez les grecs, la forme des chiffres trois et six étant presque semblable chez eux.

3. Selon le livre Questions du Nouveau et de l’Ancien Testament, " le Seigneur voulut racheter et restaurer le monde par sa passion à l’époque même où il l’avait créé, c’est-à-dire à l’équinoxe : c’est à cette saison que le monde a commencé et c’est alors que le jour augmente par rapport à la nuit car, par sa passion, le Seigneur nous a conduits des ténèbres à la lumière ". L’illumination parfaite se produira au second avènement du Christ ; aussi, selon S. Matthieu (24, 32), ce second avènement est-il comparé à l’été : " Lorsque les rameaux du figuier deviennent tendres et que poussent les feuilles, vous savez que l’été est proche. Ainsi vous, lorsque vous verrez tout cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, qu’il est à la porte. " Et ce sera alors l’exaltation suprême du Christ.

4. Le Christ a voulu subir sa passion dans sa jeunesse pour trois motifs. 1° Pour mettre davantage son amour en valeur, parce qu’il a donné sa vie pour nous dans l’état le plus parfait. - 2° Parce qu’il ne convenait pas qu’apparaisse en lui une diminution physique, pas plus que de la maladie, nous l’avons dit plus haut. - 3° Pour montrer en lui par avance, en mourant et ressuscitant dans sa jeunesse, la nature que posséderont les corps après la résurrection. Comme dit S. Paul (Ep 4, 13) : " Jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ. "

 

            Article 10 — Le lieu de la Passion

Objections :

1. Le Christ a souffert dans sa chair d’homme, qui a été conçue de la Vierge Marie à Nazareth et est née à Bethléem. Ce n’était donc pas à Jérusalem, mais à Nazareth ou à Bethléem, que le Christ devait souffrir.

2. La réalité doit correspondre à la figure. Or les sacrifices de l’ancienne loi, qui symbolisaient la Passion, étaient offerts dans le Temple. Il semble donc que le Christ aurait dû souffrir dans le Temple, et non hors des portes de la ville.

3. Le remède doit s’adapter à la maladie. Or Adam n’a pas été enterré à Jérusalem, mais à Hébron, car on lit dans Josué (14, 15 Vg) : " Autrefois le nom d’Hébron était Qiryat-Arba ; Adam était le plus grand des Anaqim. " Il semble donc que le Christ devait souffrir à Hébron, et non à Jérusalem.

En sens contraire, le Seigneur dit en S. Luc (13, 33) : " Il ne convient pas qu’un prophète meure hors de Jérusalem. " Mais le Christ était prophète. Il convenait donc qu’il souffre à Jérusalem.

Réponse :

Selon S. Augustin, " le Seigneur a accompli toutes choses aux lieux et temps appropriés " parce que, si tous les temps sont en son pouvoir, il en est de même pour les lieux. C’est pourquoi, de même que le Christ a souffert au temps approprié, il a souffert au lieu qui convenait.

Solutions :

1. Il convenait au plus haut point que le Christ souffre à Jérusalem.

1° Parce que c’était le lieu choisi par Dieu pour qu’on lui offre des sacrifices. Ces sacrifices figuratifs symbolisaient la passion du Christ, sacrifice véritable, selon S. Paul (Ep 5, 2) : " Il s’est livré lui-même comme une victime et une oblation d’agréable odeur. " Selon S. Bède, " tandis qu’approchait l’heure de la passion, le Seigneur voulut s’approcher du lieu de la passion ", c’est-à-dire de Jérusalem, où il arriva six jours avant la Pâque, le sixième jour de la lune, selon la loi, au lieu de son immolation.

2° La vertu de sa passion devant se répandre dans le monde entier, le Christ a voulu souffrir au centre de la terre habitable, à Jérusalem, car il est écrit (Ps 75, 12 Vg) : " Mon Roi dès l’origine a opéré le salut au milieu de la terre ", à Jérusalem, centre du monde.

3° Ce lieu convenait au plus haut point à l’humilité du Christ, lui qui avait choisi le genre de mort le plus honteux, il ne devait pas refuser de souffrir la honte dans un lieu aussi fréquenté. C’est pourquoi S. Léon disait : " Celui qui avait assumé la condition de l’esclave choisit à l’avance Bethléem pour sa naissance, Jérusalem pour sa passion. "

4° Il a voulu mourir à Jérusalem où résidaient les chefs du peuple juif pour montrer qu’ils étaient responsables de l’iniquité commise par ses meurtriers. D’où cette affirmation du livre des Actes (4,27) : " Ils se sont ligués dans cette ville contre ton serviteur Jésus, consacré par ton onction, Hérode et Ponce Pilate, avec les païens et les peuples d’Israël. "

2. Le Christ a souffert non pas dans le Temple ou dans la ville, mais hors des portes, pour trois raisons.

1° Pour que la réalité réponde à la figure. Car le taureau et le bouc, offerts dans le sacrifice le plus solennel pour l’expiation de tout le peuple, étaient brûlés hors du camp, selon la prescription du Lévitique (16, 27). Aussi lit-on dans l’épître aux Hébreux (13, 17) : " Les animaux dont le sang est porté par le grand prêtre dans le sanctuaire ont leur corps brûlé hors du camp. Et c’est pour cela que Jésus, afin de sanctifier le peuple par son sang, a souffert hors de la porte. "

2° Afin de nous enseigner à quitter la vie du monde. On lit donc au même endroit : " Pour aller au Christ, sortons hors du camp en portant son opprobre. "

3° D’après S. Jean Chrysostome : " Le Seigneur n’a pas voulu souffrir sous un toit ni dans le Temple juif pour empêcher les juifs d’accaparer ce sacrifice du salut en faisant croire qu’il avait été offert seulement pour leur peuple. Aussi a-t-il souffert hors de la ville, hors des remparts, pour vous faire savoir que ce sacrifice a été offert pour tous, puisqu’il est l’oblation de toute la terre, et la purification de tous. "

3. A cette objection, il faut répondre avec S. Jérôme : " Quelqu’un a soutenu que le Calvaire, ou Lieu-du-Crâne, était celui où fut enterré Adam, et aurait été ainsi appelé parce que la tête du premier homme y aurait été ensevelie. Interprétation séduisante, qui flatte l’oreille du peuple, mais qui n’est pas exacte. En effet, c’est en dehors de la ville, hors des portes, que se trouvent les lieux où l’on tranchait la tête des condamnés, et ils ont pris le nom de Lieu-du-Crâne, c’est-à-dire des décapités. C’est là que fut crucifié Jésus pour que, là où précédemment se trouvait le champ des condamnés, se dresse l’étendard du martyre. Quant à Adam, il fut enseveli près d’Hébron, comme on le lit dans le livre de Josué. " Le Christ devait être crucifié dans le terrain commun des condamnés plutôt qu’auprès du tombeau d’Adam, pour montrer que la croix du Christ guérissait non seulement le péché personnel d’Adam, mais aussi le péché du monde entier.

 

            Article 11 — Convenait-il que le Christ soit crucifié avec des bandits ?

Objections :

1. Selon S. Paul (2 Co 6, 14) - " Quel rapport y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? " Mais le Christ " a été constitué pour nous justice venant de Dieu " (1 Co 1, 30), tandis que l’iniquité appartient aux bandits.

2. Ce texte (Mt 26, 35) : " Quand il faudrait mourir avec toi, je ne te renierai pas " est ainsi commenté par Origène : " Mourir avec Jésus qui mourait pour tous n’était pas l’affaire des hommes. " Et sur le texte de Luc (22, 33) : " je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort ", S. Ambroise nous dit : " La passion du Seigneur a des imitateurs, elle n’a pas d’égaux. " Il convenait donc encore moins que le Christ souffre en même temps que des malfaiteurs.

3. On lit dans S. Matthieu (27, 44) : " Les bandits qui étaient en croix avec lui l’insultaient. " Mais S. Luc rapporte que l’un d’eux disait au Christ : " Souviens-toi de moi, Seigneur, quand tu viendras régner. " Il semble donc qu’en plus des bandits qui blasphémaient il y en avait un autre qui ne blasphémait pas. Il semble donc peu exact, de la part des évangélistes, de dire que le Christ a été crucifié avec des malfaiteurs.

En sens contraire, c’est une prophétie d’Isaïe (53, 12) : " Il a été compté parmi les criminels. "

Réponse :

Les raisons pour lesquelles le Christ a été crucifié entre deux bandits ne sont pas les mêmes selon qu’on les regarde par rapport à l’intention des juifs, ou par rapport au plan divin.

Par rapport à l’intention des Juifs, S. Jean Chrysostome fait observer : " Ils crucifièrent deux bandits de part et d’autre ", pour lui faire partager leur honte. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Car on ne parle plus des bandits, tandis que la croix du Christ est honorée partout : les rois, déposant les diadèmes, prennent la croix : sur la pourpre, sur les diadèmes, sur les armes, sur l’autel, dans tout l’univers, brille la croix.

Par rapport au plan divin, le Christ a été crucifié avec des bandits pour trois raisons.

1° D’après S. Jérôme. " de même que pour nous le Christ s’est fait malédiction sur la croix, il a été crucifié comme un criminel entre des criminels pour le salut de tous ".

2° Selon S. Léon. " deux bandits furent crucifiés, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, pour que même le spectacle du gibet montre la séparation qui sera opérée entre tous les hommes au jour du jugement par le Christ ". Et S. Augustin dit aussi : " Si tu fais attention, la croix elle-même est un tribunal ; le juge en effet siégeait au milieu, l’un des voleurs qui a cru a été libéré, l’autre qui a outragé le Seigneur a été condamné. Il manifestait déjà ce qu’il ferait un jour à l’égard des vivants et des morts en plaçant les uns à sa droite et les autres à sa gauche. " 3° Selon S. Hilaire, " à sa droite et à sa gauche sont crucifiés deux bandits qui montrent que la totalité du genre humain est appelée au mystère de la passion du Seigneur. Le partage des fidèles et des infidèles se fait entre la droite et la gauche ; aussi le bandit placé à droite est-il sauvé par la justification de la foi ".

4° Selon S. Bède, " les bandits crucifiés avec le Seigneur représentent ceux qui sous la foi et la confession du Christ subissent le combat du martyre ou embrassent une forme de vie plus austère. Ceux qui agissent pour la gloire éternelle sont figurés par le bandit de droite ; mais ceux qui agissent pour recevoir la louange des hommes imitent le bandit de gauche dans son esprit et dans ses actes ".

Solutions :

1. Le Christ n’était pas tenu à la mort comme à un dû, mais il a subi la mort volontairement afin de vaincre la mort par sa puissance. De même il n’avait pas mérité d’être placé avec les bandits, mais il a voulu être compté avec des gens iniques afin de détruire l’iniquité par sa puissance. Aussi S. Jean Chrysostome dit-il : " Convertir le bandit sur la croix et l’introduire en paradis, ce ne fut pas une œuvre moins grande que de briser les rochers. "

2. Il ne convenait pas que d’autres souffrent avec le Christ pour la même cause, ce qui fait dire à Origène : " Tous étaient pécheurs et tous avaient besoin qu’un autre meure pour eux, mais non eux pour les autres. "

3. D’après S. Augustin, " nous pouvons entendre que Matthieu a employé le pluriel pour le singulier, quand il a dit : "les bandits l’insultaient" ".

Selon S. Jérôme " tous deux ont blasphémé d’abord, puis, à la vue des miracles, l’un d’eux se mit à croire ".

 

            Article 12 — La passion du Christ doit-elle être attribuée à sa divinité ?

Objections :

1. S. Paul a dit (1 Co 2, 8) : " S’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire. " Mais le Seigneur de gloire c’est le Christ selon sa divinité. La passion du Christ doit donc lui être attribuée selon sa divinité.

2. Le principe du salut du genre humain appartient à la divinité selon le Psaume (37, 39) : " Le salut des justes vient du Seigneur. " Si la passion du Christ ne se rattachait pas à sa divinité, il semblerait donc qu’elle ne pouvait pas être fructueuse pour nous.

3. Les juifs ont été punis pour le péché d’avoir tué le Christ, comme les meurtriers de Dieu lui-même, ce que montre la grandeur du châtiment. Or cela ne serait pas si la passion du Christ n’avait pas atteint sa divinité.

En sens contraire, S. Athanase écrit : " Le Verbe, demeurant Dieu par nature, est impassible. " Mais ce qui est impassible ne peut souffrir. Donc la passion du Christ ne se rattachait pas à sa divinité.

Réponse :

Nous l’avons dit, l’union de la nature humaine et de la nature divine s’est faite dans la personne, l’hypostase et le suppôt, mais les natures sont restées distinctes. Aussi, bien que l’hypostase ou la personne soit la même pour la nature divine et la nature humaine, les propriétés de chaque nature sont demeurées sauves. Et c’est pourquoi, d’après ce que nous avons établi plus haut, il faut attribuer la passion au suppôt de la nature divine, non pas en raison de cette nature qui est impassible, mais en raison de la nature humaine. C’est pourquoi on lit dans une lettre de S. Cyrille : " Si quelqu’un refuse de confesser que le Verbe de Dieu a souffert et a été crucifié dans sa chair, qu’il soit anathème ! " La passion du Christ appartient donc au suppôt de la nature divine, en raison de la nature passible qu’il a assumée, non en raison de la nature divine, qui est impassible.

Solutions :

1. On dit que le Seigneur de gloire a été crucifié, non en tant qu’il est Seigneur de gloire, mais en tant qu’il était un homme passible.

2. On lit dans un sermon du concile d’Éphèse : " La mort du Christ, parce qu’elle était celle de Dieu " par l’union dans la personne, " a détruit la mort, parce que celui qui souffrait était Dieu et homme. Car ce n’est pas la nature de Dieu, mais la nature humaine, qui a été blessée, et les souffrances ne lui ont apporté aucun changement ".

3. Le même sermon ajoute : " Les juifs n’ont pas crucifié seulement un homme. C’est à Dieu même qu’ils se sont attaqués. Supposez un prince qui donne des instructions orales, et les consigne dans des lettres qu’il envoie à ses villes. Si un rebelle déchire la lettre, il sera condamné à mort non pour avoir déchiré du papier, mais pour avoir déchiré la parole impériale. Les juifs ne doivent donc pas se croire en sécurité comme s’ils n’avaient crucifié qu’un homme. Ce qu’ils voyaient, c’était comme le papier, mais ce qui y était caché, c’était le Verbe, la parole impériale, née de la nature divine, non proféré par la langue. "

 

 

QUESTION 47 — LA CAUSE EFFICIENTE DE LA PASSION

1. Le Christ a-t-il été mis à mort par autrui ou par lui-même ? - 2. Pour quel motif s’est-il livré à la Passion ? - 3. Est-ce le Père qui l’a livré à la Passion ? - 4. Convenait-il qu’il souffre par la main des païens, ou plutôt des Juifs ? - 5. Ses meurtriers l’ont-ils connu ? - 6. Le péché de ses meurtriers.

 

            Article 1 — Le Christ a-t-il été mis à mort par autrui ou par lui-même ?

Objections :

1. Le Christ lui-même dit (Jn 10, 18) : " Personne ne me prend ma vie, c’est moi qui la donne. " Le Christ n’a donc pas été mis à mort par d’autres, mais par lui-même.

2. Ceux qui sont mis à mort par d’autres s’éteignent peu à peu par l’affaiblissement de leur nature ; cela se remarque surtout chez les crucifiés car, selon S. Augustin ils " étaient torturés par une longue agonie ". Mais ce ne fut pas le cas du Christ car " poussant un grand cri, il expira " (Mt 27, 50). Le Christ n’a donc pas été mis à mort par d’autres, mais par lui-même.

3. Être mis à mort, c’est mourir d’une mort violente et par suite, ce qui est violent s’opposant à ce qui est volontaire, mourir d’une mort subie contre son gré. Or, S. Augustin le fait observer, " l’esprit du Christ n’a pas quitté sa chair malgré lui, mais parce qu’il le voulut, quand il le voulut, et comme il le voulut ". C’est donc par lui-même et non par autrui que le Christ a été mis à mort.

En sens contraire, le Christ annonçait en parlant de lui-même (Lc 18, 33) : " Après l’avoir flagellé, ils le tueront. "

Réponse :

Il y a deux manières d’être cause d’un effet.

1° En agissant directement pour cela. C’est de cette manière que les persécuteurs du Christ l’ont mis à mort ; car ils lui ont fait subir les traitements qui devaient amener la mort, avec l’intention de la lui donner. Et la mort qui s’en est suivie a été réellement produite par cette cause.

2° Indirectement, en n’empêchant pas cet effet ; par exemple on dira qu’on mouille quelqu’un en ne fermant pas la fenêtre par laquelle entre la pluie. En ce sens, le Christ n’a pas écarté de son propre corps les coups qui lui étaient portés, mais a voulu que sa nature corporelle succombe sous ces coups, on peut dire que le Christ a donné sa vie ou qu’il est mort volontairement.

Solutions :

1. " Personne ne prend ma vie ", dit le Christ ; entendez : " sans que j’y consente ", car prendre, au sens propre du mot, c’est enlever quelque chose à quelqu’un contre son gré et sans qu’il puisse résister.

2. Pour montrer que la passion qu’il subissait par violence ne lui arrachait pas son âme, le Christ a gardé sa nature corporelle dans toute sa force ; aussi, à ses derniers instants, a-t-il poussé un grand cri ; c’est là un des miracles de sa mort. D’où la parole de Marc (15, 39) : " Le centurion qui se tenait en face, voyant qu’il avait expiré en criant ainsi, déclara : "Vraiment cet homme était le Fils de Dieu !" "

Il y eut encore ceci d’admirable dans la mort du Christ, qu’il mourut plus rapidement que les hommes soumis au même supplice. On lit dans S. Jean (19, 32) qu’on " brisa les jambes " de ceux qui étaient crucifiés avec le Christ " pour hâter leur mort " : mais " lorsqu’ils vinrent à Jésus, ils virent qu’il était déjà mort et ils ne lui rompirent pas les jambes ". D’après S. Marc (15, 44), " Pilate s’étonna qu’il fût déjà mort ". De même que, par sa volonté, sa nature corporelle avait été gardée dans toute sa vigueur jusqu’à la fin, de même c’est lorsqu’il le voulut qu’il céda aux coups qu’on lui avait porté.

3. En mourant, le Christ, tout à la fois, a subi la violence et est mort volontairement, puisque la violence faite à son corps n’a pu dominer celui-ci que dans la mesure où il l’a voulu lui-même.

 

            Article 2 — Pour quel motif le Christ s’est-il livré à la Passion ?

Objections :

1. L’obéissance répond au précepte. Or aucun texte ne nous dit que le Christ ait reçu la précepte de souffrir.

2. On ne fait par obéissance que ce que l’on accomplit sous la contrainte d’un précepte. Or le Christ n’a pas souffert par contrainte mais volontairement.

3. La charité est une vertu supérieure à l’obéissance. Mais il est écrit que le Christ a souffert par charité (Ep 5, 2) : " Vivez dans l’amour, de même que le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous. " La passion du Christ doit donc être attribuée à la charité plus qu’à l’obéissance.

En sens contraire, il est écrit (Ph 2, 8) " Il s’est fait obéissant à son Père jusqu’à la mort. "

Réponse :

Il est de la plus haute convenance que le Christ ait souffert par obéissance.

1° Parce que cela convenait à la justification des hommes : " De même que par la désobéissance d’un seul, beaucoup ont été constitués pécheurs, de même aussi, par l’obéissance d’un seul, beaucoup sont constitués justes " (Rm 5, 19).

2° Cela convenait à la réconciliation de Dieu avec les hommes. " Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils " (Rm 5, 10), c’est-à-dire en tant que la mort du Christ fut elle-même un sacrifice très agréable à Dieu : " Il s’est livré lui-même à Dieu pour nous en oblation et en sacrifice d’agréable odeur " (Ep 5, 2). Or l’obéissance est préférée à tous les sacrifices d’après l’Écriture (1 S 15, 22) : " L’obéissance vaut mieux que les sacrifices. " Aussi convenait-il que le sacrifice de la passion du Christ eût sa source dans l’obéissance.

3° Cela convenait à la victoire par laquelle il triompha de la mort et de l’auteur de la mort. Car un soldat ne peut vaincre s’il n’obéit à son chef. Et ainsi l’homme Christ a obtenu la victoire en obéissant à Dieu : " L’homme obéissant remportera la victoire " (Pr 21, 28 Vg).

Solutions :

1. Le Christ avait reçu de son Père le précepte de souffrir. On lit en effet en S. Jean (10, 18) : " J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir de la reprendre, tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. "

S. Jean Chrysostome explique : " Ce n’est pas qu’il ait dû entendre ce commandement et qu’il ait eu besoin de l’apprendre, mais il a montré qu’il agissait volontairement, et il a détruit tout soupçon d’opposition à son Père. "

Cependant, parce que la foi ancienne a atteint son terme avec la mort du Christ, puisqu’il a dit lui-même en mourant (Jn 19, 30) : " Tout est consommé ", on peut comprendre que par sa passion le Christ a accompli tous les préceptes de la loi ancienne. Les préceptes moraux fondés sur le précepte de la charité, il les a accomplis en tant qu’il a souffert par amour pour son Père, d’après sa parole en S. Jean (14, 31) : " Pour que le monde sache que j’aime mon Père, et que j’agis comme mon Père me l’a ordonné, levez-vous, sortons d’ici " pour aller au lieu de la Passion ; et il a souffert également par amour du prochain, selon S. Paul (Ga 2, 20) " Il m’a aimé et s’est livré pour moi ".

Quant aux préceptes cérémoniels de la loi, qui sont surtout ordonnés aux sacrifices et aux oblations, il les a accomplis par sa passion, en tant que tous les anciens sacrifices étaient des figures de ce vrai sacrifice que le Christ a offert en mourant pour nous. Aussi est-il écrit (Col 2, 16) : " Que personne ne vous critique sur la nourriture et la boisson, ou à cause des jours de fête ou des néoménies, qui ne sont que l’ombre des choses à venir, tandis que la réalité, c’est le corps du Christ ", en ce sens que le Christ leur est comparé comme le corps à l’ombre.

Quant aux préceptes judiciaires de la loi, qui ont surtout pour but de satisfaire aux dommages subis, le Christ les a aussi accomplis par sa passion ; car, selon le Psaume (69, 5), " ce qu’il n’a pas pris, il l’a rendu ", permettant qu’on le cloue au bois à cause du fruit que l’homme avait dérobé à l’arbre du paradis, contre le commandement de Dieu.

2. L’obéissance implique une contrainte à l’égard de ce qui est prescrit ; mais elle suppose aussi l’acceptation volontaire à l’égard de l’accomplissement du précepte. Et telle fut l’obéissance du Christ. La passion et la mort, considérées en elles-mêmes, étaient opposées à sa volonté naturelle ; cependant il a voulu accomplir sur ce point la volonté de Dieu d’après le Psaume (40, 9) : " Faire ta volonté, mon Dieu, je l’ai voulu ", ce qui lui a fait dire (Mt 26, 42) : " Si cette coupe ne peut passer loin de moi sans que je la boive, que ta volonté soit faite. "

3. Que le Christ ait souffert par charité et par obéissance, c’est pour une seule et même raison : il a accompli les préceptes de la charité par obéissance, et il a été obéissant par amour pour le Père lui donnait ces préceptes.

 

            Article 3 — Est-ce le Père qui a livré le Christ à la Passion ?

Objections :

1. Il semble inique et cruel qu’un innocent soit livré à la passion et à la mort. Or " Dieu est fidèle et sans aucune iniquité " (Dt 32, 4). Donc il n’a pas livré le Christ innocent à la passion et à la mort.

2. On n’est pas livré à la mort par soi-même en même temps que par un autre. Or le Christ s’est livré lui-même pour nous selon Isaïe (53, 12) : " Il s’est livré à la mort. " Donc il ne semble pas que Dieu le Père l’ait livré.

3. Judas est incriminé d’avoir livré le Christ aux Juifs, selon cette parole rapportée par S. Jean (6, 70) : " "L’un de vous est un démon. " Jésus parlait de judas qui devait le livrer. " De même encore les Juifs sont incriminés de l’avoir livré à Pilate, qui disait lui-même (Jn 18, 35) : " Ta nation et tes grands prêtres t’ont livré à moi. " Pilate aussi " le livra pour qu’il soit crucifié " ( Jn 19, 16). Or, dit S. Paul (2 Co 6, 14), " il n’y a aucun rapport entre la justice et l’iniquité ". Il semble donc que Dieu le Père n’a pas livré le Christ à la passion.

En sens contraire, il est écrit (Rm 8, 32) : " Dieu n’a pas épargné son Fils unique, mais il l’a livré pour nous tous. "

Réponse :

Nous l’avons montré à l’article précédent : le Christ a souffert volontairement, par obéissance à son Père. Aussi Dieu le Père a-t-il livré le Christ à la passion de trois façons.

1° Selon sa volonté éternelle, il a ordonné par avance la passion du Christ à la libération du genre humain, selon cette prophétie d’Isaïe (53, 6) : " Le Seigneur a fait retomber sur lui l’iniquité de nous tous. " Et il ajoute : " Le Seigneur a voulu le broyer par la souffrance. "

2° Il lui a inspiré la volonté de souffrir pour nous, en infusant en lui la charité. Aussi Isaïe ajoute-t-il " Il s’est livré en sacrifice parce qu’il l’a voulu. " 3° Il ne l’a pas mis à l’abri de la passion, mais il l’a abandonné à ses persécuteurs. C’est pourquoi il est écrit (Mt 27, 46) que, sur la croix, le Christ disait : " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? " Parce que, remarque S. Augustin Dieu a abandonné le Christ à ses persécuteurs.

Solutions :

1. Il est impie et cruel de livrer un homme innocent à la passion et à la mort contre sa volonté. Ce n’est pas ainsi que le Père a livré le Christ, mais en lui inspirant la volonté de souffrir pour nous. Par là on constate tout d’abord la sévérité de Dieu qui n’a pas voulu remettre le péché sans châtiment, ce que souligne l’Apôtre (Rm 8, 32) : " Il n’a pas épargné son propre Fils " ; et sa bonté en ce que l’homme ne pouvant pas satisfaire en souffrant n’importe quel châtiment, il lui a donné quelqu’un qui satisferait pour lui, ce que l’Apôtre a souligné ainsi : " Il l’a livré pour nous tous. " Et il dit (Rm 3, 25) : " Lui dont Dieu a fait notre propitiation par son sang. "

2. En tant que Dieu, le Christ s’est livré lui-même à la mort par le même vouloir et la même action par lesquels le Père le livra. Mais en tant qu’homme, le Christ s’est livré lui-même, par un vouloir que son Père inspirait. Il n’y a donc aucune opposition en ce que le Père a livré le Christ, et que celui-ci s’est livré lui-même.

3. La même action se juge diversement, en bien ou en mal, suivant la racine dont elle procède. En effet, le Père a livré le Christ et le Christ s’est livré lui-même, par amour, et on les en loue. Mais Judas a livré le Christ par cupidité, les Juifs par envie, Pilate par crainte ambitieuse envers César, et c’est pourquoi on les blâme.

 

            Article 4 — Convenait-il que le Christ souffre de la part des païens ?

Objections :

1. Par la mort du Christ, les hommes devaient être libérés du péché, et il paraissait convenable que très peu d’entre eux commettent le péché de le faire mourir. Or les Juifs ont commis le péché, car c’est à eux que l’on attribue cette parole (Mt 21, 38) : " Voici l’héritier, venez, tuons-le. " Donc il aurait été convenable que dans le péché du meurtre du Christ, les païens n’aient pas été impliqués.

2. La vérité doit correspondre à la figure. Or les sacrifices figuratifs de l’ancienne loi n’étaient pas offerts par les païens, mais par les juifs. Donc la passion du Christ qui était le sacrifice véritable, n’aurait pas dû non plus être accompli par les païens.

3. D’après S. Jean (5, 18), " les Juifs cherchaient à faire périr Jésus non seulement parce qu’il violait le sabbat, mais aussi parce qu’il appelait Dieu son Père, se faisant ainsi l’égal de Dieu ". Mais cela paraissait s’opposer seulement à la loi des Juifs. Du reste eux-mêmes le disaient (Jn 19, 7) : " Selon notre loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. " Il aurait donc été convenable que le Christ ait dû souffrir non de la part des païens, mais de celle des Juifs, et il semble que ceux-ci ont menti en disant : " Il ne nous est pas permis de mettre à mort quelqu’un " (Jn 18, 31) puisque beaucoup de péchés étaient punis de mort selon la loi, comme on le voit dans le Lévitique (20, 31).

En sens contraire, il y a cette parole du Seigneur lui-même (Mt 20, 19) : " Ils le livreront aux païens pour qu’il soit bafoué, flagellé et crucifié. "

Réponse :

Les circonstances mêmes de la passion du Christ ont préfiguré l’effet de celle-ci. D’abord, elle a eu un effet salutaire sur les Juifs, dont beaucoup furent baptisés, d’après les Actes (2, 41 et 4, 42), dans la mort du Christ. Mais ensuite, par la prédication des Juifs, l’effet de la passion du Christ est passé aux païens. Et c’est pourquoi il convenait que le Christ commence à souffrir de la part des Juifs, et ensuite, les juifs le livrant aux païens, que sa passion soit achevée par ceux-ci.

Solutions :

1. Afin de montrer l’abondance de sa charité, à cause de laquelle il souffrait, le Christ en croix a imploré le pardon de ses persécuteurs ; et c’est pour que le fruit de cette prière parvienne aux Juifs et aux païens que le Christ a voulu souffrir de la part des uns et des autres.

2. La passion du Christ a été l’oblation d’un sacrifice en tant que, de son plein gré, il a subi la mort par amour. Mais en tant que le Christ a souffert de la part de ses persécuteurs, ce ne fut pas un sacrifice mais un péché infiniment grave.

3. Comme dit S. Augustin : " Les Juifs en disant : "Il ne nous est pas permis de mettre à mort quelqu’un", veulent dire que cela ne leur est pas permis à cause de la sainteté de la fête dont ils avaient commencé la célébration. " Ou bien ils parlaient ainsi, d’après Chrysostome, parce qu’ils voulaient le mettre à mort non comme transgressent de la loi, mais comme ennemi public, parce qu’il s’était fait roi, ce dont il ne leur appartenait pas de juger. Ou bien parce qu’ils n’avaient pas le droit de crucifier, ce qu’ils désiraient, mais de lapider, ce qu’ils ont fait pour S. Étienne.

La meilleure réponse est que les Romains, dont ils étaient les sujets, leur avaient enlevé le pouvoir de mettre à mort.

 

            Article 5 — Les meurtriers du Christ l’ont-ils connu ?

Objections :

1. D’après S. Matthieu (21, 38) " Les vignerons, en le voyant, dirent entre eux "Voici l’héritier, venez, tuons-le. " " S. Jérôme commente : " Par ces paroles, le Seigneur prouve clairement que les chefs des juifs ont crucifié le Fils de Dieu non par ignorance, mais par envie. Car ils ont compris qu’il est celui à qui le Père avait dit par le prophète (Ps 2, 8) : "Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage. " " Il semble donc qu’ils ont connu qu’il était le Christ, ou le Fils de Dieu.

2. Le Seigneur dit (Jn 15, 24) : " Maintenant ils ont vu, et ils nous haïssent, moi et mon Père. " Or, ce qu’on voit, on le connaît clairement. Donc, les Juifs connaissant le Christ, c’est par haine qu’ils lui ont infligé la passion.

3. On lit dans un sermon du concile d’Éphèse " Celui qui déchire une lettre impériale est traité comme s’il déchirait la parole de l’empereur et condamné à mort. Ainsi le juif qui a crucifié celui qu’il voyait sera châtié comme s’il avait osé s’attaquer au Dieu Verbe lui-même. " Il n’en serait pas ainsi s’ils n’avaient pas su qu’il était le Fils de Dieu, parce que leur ignorance les aurait excusés. Il apparaît donc que les Juifs qui ont crucifié le Christ ont su qu’il est le Fils de Dieu.

En sens contraire, il y a la parole de S. Paul (1 Co 2, 8) : " S’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire ", et celle-ci de S. Pierre aux Juifs (Ac 3, 17) : " je sais que vous avez agi par ignorance, comme vos chefs " et le Seigneur sur la croix demande (Lc 23, 34) : " Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. "

Réponse :

Chez les Juifs, il y avait les grands et les petits.

Les grands, qui étaient leurs chefs, comme dit un auteur ont su " qu’il était le Messie promis dans la loi ; car ils voyaient en lui tous les signes annoncés par les prophètes ; mais ils ignoraient le mystère de sa divinité ". Et c’est pourquoi S. Paul dit : " S’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire. "

Il faut cependant remarquer que leur ignorance n’excusait pas leur crime, puisque c’était en quelque manière une ignorance volontaire. En effet, ils voyaient les signes évidents de sa divinité ; mais par haine et jalousie, ils les prenaient en mauvaise part, et ils refusèrent de croire aux paroles par lesquelles il se révélait comme le Fils de Dieu. Aussi dit-il lui-même à leur sujet (Jn 15, 22) : " Si je n’étais pas venu, et si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché ; mais maintenant ils n’ont pas d’excuse à leur péché. " Et il ajoute : " Si je n’avais fait parmi eux les œuvres que personne d’autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché. " On peut donc leur appliquer ce texte (Job 21, 14) : " Ils ont dit à Dieu : "Éloigne-toi de nous, nous ne voulons pas connaître tes chemins". "

Quant aux petits, c’est-à-dire les gens du peuple, qui ne connaissaient pas les mystères de l’Écriture, ils ne connurent pleinement ni qu’il était le Messie, ni qu’il était le Fils de Dieu. Car bien que quelques-uns aient cru en lui, la multitude n’a pas cru. Parfois elle se demanda si Jésus n’était pas le Messie, à cause de ses nombreux miracles et de l’autorité de son enseignement, comme on le voit chez S. Jean (7, 31). Mais ces gens furent ensuite trompés par leurs chefs au point qu’ils ne croyaient plus ni qu’il soit le Fils de Dieu ni qu’il soit le Messie. Aussi Pierre leur dit-il : " je sais que vous avez agi par ignorance, comme vos chefs " ; c’est-à-dire que ceux-ci les avaient trompés.

Solutions :

1. Ces paroles sont attribuées aux vignerons, qui symbolisent les dirigeants du peuple. Et ceux-ci savaient bien qu’il était l’héritier, le connaissant comme le Messie promis dans la loi.

Mais cette réponse semble contredite par les paroles du Psaume (2) : " Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage ", adressées au même personnage que celles-ci : " Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. " Donc, s’ils avaient su que c’est à Jésus quéraient adressés ces mots : " Demande-moi. . . " ils devaient par suite savoir qu’il était le Fils de Dieu. Chrysostome dit aussi à cet endroit : " Ils savaient qu’il était le Fils de Dieu. " Et sur la parole : " Car ils ne savent pas ce qu’ils font ", Bède précise : " Il faut croire qu’il ne prie pas pour ceux qui ont compris qu’il était le Fils de Dieu, mais qui ont préféré le crucifier plutôt que le confesser. " 2. Avant de dire ces paroles, Jésus avait dit " Si je n’avais pas fait parmi eux les œuvres que personne d’autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché. " Et il dit ensuite : " Mais maintenant ils ont vu, et ils ont haï moi et mon Père. " Cela montre que, voyant les œuvres admirables du Christ, ce fut par haine qu’ils ne le reconnurent pas comme le Fils de Dieu.

3. L’ignorance volontaire n’excuse pas la faute, mais l’aggrave plutôt ; car elle prouve que l’on veut si violemment accomplir le péché que l’on préfère demeurer dans l’ignorance pour ne pas éviter le péché, et c’est pourquoi les Juifs ont péché comme ayant crucifié le Christ non seulement comme homme, mais comme Dieu.

 

            Article 6 — Le péché des meurtriers du Christ

Objections :

1. Le péché qui a une excuse n’est pas le plus grave. Or le Seigneur lui-même a excusé le péché de ceux qui l’ont crucifié, en disant : " Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. "

2. Le Seigneur a dit à Pilate (Jn 19, 11) : " Celui qui m’a livré à toi a commis un péché plus grand. " Or Pilate a fait crucifier Jésus par ses subordonnés. Il apparaît donc que le péché de judas qui l’a livré était plus grand que celui des exécuteurs.

3. Selon le Philosophe, " personne ne souffre d’injustice, s’il y consent ", et comme il le dit au même endroit, " si nul ne souffre une injustice, nul ne la commet ". Donc on ne commet pas d’injustice contre celui qui est consentant. Or on a vu que le Christ a souffert volontairement. Donc les bourreaux du Christ n’ont rien fait d’injuste, et ainsi leur péché n’est pas le plus grave.

En sens contraire, sur le texte de S. Matthieu (23, 32) : " Et vous, vous dépassez la mesure de vos pères ", il y a ce commentaire de S. Jean Chrysostome : " En vérité, ils ont dépassé la mesure de leurs pères. Car ceux-là tuaient des hommes, et eux ils ont crucifié Dieu. "

Réponse :

Nous l’avons dit à l’article précédent, les chefs des juifs ont connu le Christ, et s’il y a eu chez eux de l’ignorance, elle fut volontaire et ne peut les excuser. C’est pourquoi leur péché fut le plus grave, que l’on considère le genre de leur péché ou la malice de leur volonté.

Quant aux " petits ", aux gens du peuple, ils ont péché très gravement, si l’on regarde le genre de leur péché, mais celui-ci est atténué quelque peu à cause de leur ignorance. Aussi sur la parole : " Ils ne savent pas ce qu’ils font ", Bède nous dit-il : " Le Christ prie pour ceux qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient, ayant le zèle de Dieu, mais dépourvus de connaissance. "

Beaucoup plus excusable fut le péché des païens qui l’ont crucifié de leurs mains, parce qu’ils n’avaient pas la science de la loi.

Solutions :

1. Cette excuse du Seigneur ne vise pas les chefs des Juifs, nous venons de le montrer, mais les petites gens du peuple.

2. Judas a livré le Christ non à Pilate mais aux chefs des prêtres, qui le livrèrent à Pilate selon cette parole (Jn 18, 35) : " Ta nation et tes grands prêtres t’ont livré à moi. " Cependant le péché de tous ces gens fut plus grave que celui de Pilate qui tua le Christ par peur de César ; et il fut plus grand que celui des soldats qui crucifièrent le Christ sur l’ordre de leurs chefs, non par cupidité comme judas, ni par envie et par haine comme les chefs des prêtres.

3. Le Christ a voulu sa passion, c’est vrai, comme Dieu l’a voulue, mais il n’a pas voulu l’action inique des juifs. Et c’est pourquoi les meurtriers du Christ ne sont pas excusés d’injustice. Et pourtant celui qui met à mort un homme ne fait pas tort seulement à cet homme, mais aussi à Dieu et à la société, comme du reste celui qui se tue, selon le Philosophe. Aussi

David condamna-t-il à mort celui qui n’avait pas craint de porter la main sur le Messie du Seigneur afin de le tuer, quoique celui-ci l’eût demandé (2 S 1, 6).

I1 faut maintenant étudier les effets de la passion du Christ. D’abord le mode de son efficacité (Q. 48). Ensuite ses effets proprement dits (Q. 49).

 

 

QUESTION 48 — LA MANIÈRE DONT LA PASSION DU CHRIST A PRODUIT SES EFFETS

1. La passion du Christ a-t-elle causé notre salut par mode de mérite ? - 2. Par mode de satisfaction ? - 3. Par mode de sacrifice ? - 4. Par mode de rachat ? - 5. Est-il propre au Christ d’être le Rédempteur ? - 6. A-t-il produit les effets de notre salut par mode d’efficience ?

 

            Article 1 — La passion du Christ a-t-elle causé notre salut par mode de mérite ?

Objections :

1. Les principes des passions que l’on souffre ne sont pas en nous. Or, on ne reçoit du mérite ou de la louange que pour ce dont le principe est en nous. Donc la passion du Christ n’a rien opéré par mode de mérite.

2. Le Christ a mérité pour lui et pour nous dès le début de sa conception, on l’a vu plus haut. Or il est superflu de mériter de nouveau ce qu’on a déjà mérité auparavant.

3. La racine du mérite est la charité. Or la charité du Christ n’a pas progressé davantage pendant sa passion qu’auparavant. Il n’a donc pas plus mérité notre salut en souffrant qu’il ne l’avait mérité auparavant.

En sens contraire, sur ce texte (Ph 2, 9) " C’est pourquoi Dieu l’a exalté. . . ", S. Augustin écrit : " L’humilité de la passion est ce qui mérite la gloire. La gloire est la récompense de l’humilité. " Or le Christ a été glorifié en lui-même et aussi dans ses fidèles, comme il le dit lui-même (Jn 17, 10). Donc il apparaît que lui-même a mérité le salut de ses fidèles.

Réponse :

Nous l’avons dit précédemment, le Christ a reçu la grâce non seulement à titre individuel, mais aussi comme tête de l’Église, de telle façon que sa grâce rejaillisse de lui sur ses membres. Voilà pourquoi les actions du Christ ont pour ses membres aussi bien que pour lui les mêmes effets que les actions d’un homme en état de grâce en ont pour lui-même. Or, il est évident que tout homme en état de grâce qui souffre pour la justice mérite par le fait même le salut pour lui, d’après cette parole en S. Matthieu : " Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice. " Il s’ensuit que le Christ par sa passion a mérité le salut non seulement pour lui, mais aussi pour tous ses membres.

Solutions :

1. La passion, en tant que telle, n’est pas méritoire, car elle a son principe à l’extérieur. Mais en tant qu’on la supporte volontairement, elle a son principe à l’intérieur, et sous ce rapport elle est méritoire.

2. Dès le début de sa conception le Christ nous a mérité le salut éternel, mais, de notre part, il y avait certains obstacles qui nous empêchaient d’obtenir l’effet des mérites acquis précédemment ; aussi, pour écarter ces obstacles, a-t-il fallu que le Christ souffre, comme on l’a dit plus haut.

3. La passion du Christ a eu un effet que n’avaient pas produit ses mérites antérieurs, non pas en raison d’une plus grande charité, mais en raison du genre d’action qui convenait à cet effet, comme on l’a vu quand on a indiqué les motifs de la passion du Christ.

 

            Article 2 — La passion du Christ a-t-elle causé notre salut par mode de satisfaction ?

Objections :

1. Celui qui a péché est celui qui doit satisfaire, comme c’est évident pour les autres parties de la pénitence ; car c’est à celui qui a péché qu’il appartient de se repentir et de se confesser. Mais le Christ, selon S. Pierre (1 P 2, 22) " n’a pas commis de péché ". Il n’a donc pas satisfait par sa propre passion.

2. On n’opère aucune satisfaction en commettant une plus grande offense. Or la plus grande offense fut commise dans la passion du Christ, puisque ceux qui l’ont tué ont commis le plus grave des péchés, comme on l’a vu plus haut Il semble donc que l’on ne pouvait fournir de satisfaction à Dieu par la passion du Christ.

3. Toute satisfaction implique une certaine égalité avec la faute, puisque c’est un acte de justice. Or la passion du Christ ne peut égaler tous les péchés du genre humain. Le Christ, en effet, n’a pas souffert selon sa divinité, mais " selon sa chair ", dit S. Pierre (1 P 4, 1). Et l’âme, qui est le siège du péché, est plus importante que la chair. Le Christ n’a donc pas satisfait pour nos péchés par sa passion.

En sens contraire, on attribue au Christ cette parole du Psaume (69, 5 Vg) : " Ce que je n’ai pas pris, je l’ai rendu. " Or on ne rend pas si l’on ne satisfait pas intégralement. Il apparaît donc que le Christ, en souffrant, a parfaitement satisfait pour nos péchés.

Réponse :

On satisfait évidemment pour une offense, si l’on offre à l’offensé ce que celui-ci aime autant ou davantage qu’il n’a détesté l’offense. Or le Christ, en souffrant par charité et par obéissance, a offert à Dieu quelque chose de plus grand que ne l’exigeait la compensation de toutes les offenses du genre humain : 1° à cause de la grandeur de la charité en vertu de laquelle il souffrait ; 2° à cause de la dignité de la vie qu’il donnait comme satisfaction, parce que c’était la vie de celui qui était Dieu et homme ; 3° à cause de l’universalité de ses souffrances et de l’acuité de sa douleur, nous l’avons dit plus haut. Et c’est pourquoi la passion du Christ a été une satisfaction non seulement suffisante, mais surabondante pour les péchés du genre humain, selon S. Jean (1 Jn 2, 2) : " Il est lui-même propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier ".

Solutions :

1. La tête et les membres forment comme une seule personne mystique ; aussi la satisfaction du Christ s’étend-elle à tous les fidèles, comme à ses membres. De plus, en tant que deux hommes sont unis dans la charité, l’un d’eux peut aussi satisfaire pour l’autre, nous le dirons plus loin.

2. La charité du Christ souffrant a surpassé la malice de ceux qui l’ont crucifié ; aussi la satisfaction offerte par le Christ dans sa passion a-t-elle été plus grande que l’offense que ses meurtriers ont commise en le tuant. C’est au point que la passion du Christ a été une satisfaction suffisante et même surabondante pour les péchés de ses meurtriers.

3. La dignité de la chair du Christ n’est pas à estimer seulement d’après la nature de cette chair, mais aussi d’après la personne qui l’a prise. En tant qu’elle était la chair de Dieu elle possédait une dignité infinie.

 

            Article 3 — La passion du Christ a-t-elle causé notre salut par mode de sacrifice ?

Objections :

1. La réalité doit correspondre à la figure. Or, dans les sacrifices de l’ancienne loi, qui étaient des figures du Christ, on n’offrait jamais de chair humaine. Au contraire, les sacrifices humains étaient tenus pour abominables selon ce texte du Psaume (106, 38) : " Ils ont répandu le sang innocent, le sang de leurs fils et de leurs filles, qu’ils ont immolés aux idoles de Canaan. " Il semble donc que la passion du Christ n’est pas un sacrifice.

2. " Le sacrifice visible, dit S. Augustin est le sacrement, c’est-à-dire le signe sacré du sacrifice invisible. " Or la passion du Christ n’est pas un signe, elle est plutôt symbolisée par d’autres signes.

3. Offrir un sacrifice, c’est faire du sacré, comme le mot même de sacrifice le montre. Or ceux qui ont tué le Christ n’ont pas fait quelque chose de sacré, mais ont agi avec une grande méchanceté. La passion du Christ fut donc un maléfice, un crime, plutôt qu’un sacrifice.

En sens contraire, il y a ce texte de S. Paul (Ep 5, 2) : " Il s’est livré lui-même à Dieu pour nous en oblation et en sacrifice d’agréable odeur. "

Réponse :

Le sacrifice, au sens propre, désigne ce que l’on offre à Dieu pour lui rendre l’honneur qui lui est dû, en vue de l’apaiser. De là vient cette définition de S. Augustin : " Le vrai sacrifice est toute œuvre qui contribue à nous unir à Dieu dans une sainte société, c’est-à-dire rapportée à ce bien suprême grâce auquel nous pouvons être véritablement heureux. " Or le Christ " s’est offert lui-même pour nous dans sa passion " ; et cette œuvre : supporter volontairement sa passion, fut souverainement agréable à Dieu, comme provenant de la charité. Il est donc évident que la passion du Christ fut un véritable sacrifice. Et comme S. Augustin le remarque un peu plus loin : " De ce vrai sacrifice les anciens sacrifices des saints étaient les signes multiples et variés, ne figurant que lui sous des formes nombreuses, de même qu’une seule chose se dit en beaucoup de mots pour la faire valoir au maximum et sans ennui. " Il note aussi : " Il y a quatre choses à considérer en tout sacrifice : celui à qui on l’offre, celui qui l’offre, ce qu’on offre, ceux pour qui on l’offre. Or le seul, unique et véritable médiateur, qui nous réconcilie avec Dieu par le sacrifice de paix devait demeurer un avec celui à qui il offrait ce sacrifice, faire un en lui ceux pour qui il l’offrait, être le seul et le même qui offrait, et ce qu’il offrait. "

Solutions :

1. La réalité correspond à la figure dans une certaine mesure, mais non totalement, car la vérité dépasse forcément la figure. Aussi convenait-il que la figure du sacrifice où la chair du Christ est offerte pour nous, n’utilisât que la chair des animaux et non celle des hommes. La chair du Christ est le sacrifice le plus parfait. Voici pourquoi.

1° Appartenant à la nature humaine, elle est offerte à juste titre pour des hommes, et elle est consommée par eux sacramentellement. 2° Passible et mortelle, elle se prêtait à l’immolation. 3° Sans péché, elle était efficace pour purifier les péchés. 4° Étant la chair de l’offrant lui-même, elle était agréée de Dieu à cause de la charité de celui qui offrait sa chair.

C’est l’avis de S. Augustin : " Qu’est-ce que les hommes pouvaient prendre et offrir pour eux-mêmes, de plus adapté qu’une chair humaine ? Quoi de plus apte à l’immolation qu’une chair mortelle ? Quoi d’aussi pur pour purifier les vices des mortels qu’une chair née sans la corruption de la convoitise charnelle, dans un sein et d’un sein virginal ? Qu’est-ce qui pouvait être offert et accepté avec plus de grâce que la chair de notre sacrifice, devenu le corps de notre prêtre ? "

2. Dans ce texte S. Augustin parle des sacrifices figuratifs visibles. En outre, la passion même du Christ, bien que symbolisée par les autres sacrifices figuratifs, est à son tour le signe d’une réalité que nous devons observer (1 P 4, 1) : " Le Christ ayant souffert dans sa chair, armez-vous aussi de cette pensée : celui qui a souffert dans sa chair a rompu avec le péché, afin de passer le temps qu’il reste à passer dans la chair, non plus selon les convoitises des hommes, mais selon la volonté de Dieu. "

3. La passion, considérée de la part de ceux qui ont tué le Christ fut un maléfice, un crime, mais de la part du Christ qui a souffert par charité, elle fut un sacrifice. Aussi dit-on que c’est le Christ lui-même qui l’a offert, et non pas ses meurtriers.

 

            Article 4 — La passion du Christ a-t-elle causé notre salut par mode de rachat ?

Objections :

1. Nul n’achète ni ne rachète ce qui n’a pas cessé de lui appartenir. Or les hommes n’ont pas cessé d’être à Dieu : " Au Seigneur le monde et sa richesse, la terre et tous ses habitants " (Ps 24, 1).

2. D’après S. Augustin, " le démon devait être dominé par la justice du Christ ". Mais la justice exige que le ravisseur frauduleux du bien d’autrui en soit dépouillé, parce que " la fraude et la ruse ne doivent profiter à personne " ainsi que le dit le droit humain lui-même. Donc, puisque le diable a trompé frauduleusement et asservi la créature de Dieu qu’est l’homme, il apparaît que l’homme n’aurait pas dû être arraché à son pouvoir par mode de rachat.

3. Quiconque achète ou rachète un objet en verse le prix à celui qui le possédait. Or le Christ n’a pas versé le sang, prix de notre rédemption, au démon qui nous tenait captifs. Le Christ ne nous a donc pas rachetés par sa passion.

En sens contraire, S. Pierre écrit (1 P 1, 18) " Ce n’est pas avec de l’or ou de l’argent corruptible que vous avez été rachetés des vaines pratiques que vous teniez de vos pères, mais par le sang précieux du Christ, comme d’un agneau sans tache et sans souillure. " Et S. Paul aux Galates (3, 13) : " Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi en se faisant pour nous malédiction. " Or, si le Christ s’est fait pour nous malédiction, c’est en souffrant pour nous sur l’arbre de la croix, comme nous l’avons déjà dit. Donc il nous a rachetés par sa passion.

Réponse :

Par le péché l’homme avait contracté une double obligation.

1° Celle de l’esclavage du péché, car " celui qui pèche est esclave du péché " (Jn 8, 35), et " on est esclave de celui par qui on s’est laissé vaincre " (2 P 2, 19). Donc, parce que le démon avait vaincu l’homme en l’induisant à pécher, l’homme était soumis à l’esclavage du démon.

2° Quant à la responsabilité de la peine, l’homme était débiteur envers la justice divine. Et c’est là aussi un esclavage, car c’est un esclavage, que de subir ce qu’on ne veut pas, alors que l’homme libre dispose de lui-même comme il veut.

Donc, parce que la passion du Christ a été une satisfaction adéquate et surabondante pour le péché et pour la peine due par le genre humain, sa passion a été comme une rançon par laquelle nous avons été libérés de cette double obligation. Car la satisfaction offerte pour soi ou pour autrui, est comme une rançon par laquelle on rachète soi-même ou autrui du péché et de la peine, selon cette parole de Daniel (4, 24) : " Rachète tes péchés par des aumônes. " Or, si le Christ a satisfait, ce n’est évidemment pas en donnant de l’argent ou quelque chose de semblable, mais en donnant pour nous ce qui était le plus précieux, c’est-à-dire lui-même. Et voilà pourquoi on dit que la passion du Christ est notre rachat et notre rédemption.

Solutions :

1. L’homme appartient à Dieu de deux manières. 1° En tant qu’il est soumis à sa puissance. Et sous ce rapport, l’homme n’a jamais cessé d’appartenir à Dieu, selon le texte de Daniel (4, 29) : " Le Très-Haut domine sur le royaume des hommes, et il le donne à qui il veut. " 2° L’homme appartient à Dieu en lui étant uni par la charité, dit S. Paul (Rm 8, 9) : " Qui n’a pas l’esprit du Christ ne lui appartient pas. "

De la première manière, l’homme n’a jamais cessé d’être à Dieu. De la deuxième manière, il l’a cessé par le péché. Et c’est pourquoi, en tant qu’il a été libéré par le Christ qui satisfaisait en souffrant pour lui, on dit qu’il a été racheté par la passion du Christ.

2. En péchant, l’homme avait contracté une obligation envers Dieu et envers le démon. Quant à la faute, il avait offensé Dieu et s’était soumis au démon, en lui cédant. Aussi, en raison de la faute, il n’était pas devenu l’esclave de Dieu, mais il s’était plutôt écarté de son service et il était tombé sous la servitude du démon, Dieu le permettant avec justice à cause de l’offense commise contre lui. Mais quant à la peine, c’est envers Dieu que l’homme s’était lié, comme envers son souverain juge ; et envers le démon comme envers son bourreau, selon cette parole de S. Matthieu (5, 25) : " De peur que ton adversaire ne te livre au juge, et que le juge ne te livre à l’exécuteur ", c’est-à-dire, selon S. Jean Chrysostome, " à l’ange cruel du châtiment ". Si le démon gardait injustement sous son esclavage autant qu’il était en lui, l’homme trompé par sa ruse et quant à la faute et quant à la peine, il était juste cependant que l’homme souffre cela, car Dieu avait permis quant à la faute, et l’avait prescrit quant à la peine. Voilà pourquoi la justice exigeait par rapport à Dieu que l’homme soit racheté.

3. Pour libérer l’homme, le rachat était requis par rapport à Dieu, non par rapport au démon. Le prix ne devait donc pas en être payé au démon, mais à Dieu. Aussi ne dit-on pas que le Christ a offert son sang, prix de notre rachat, au démon, mais à Dieu.

 

            Article 5 — Est-il propre au Christ d’être le Rédempteur ?

Objections :

1. On dit dans le Psaume (31, 6) " Tu m’as racheté, Seigneur, Dieu de vérité. " Mais être " Seigneur, Dieu de vérité " convient à toute la Trinité et n’est donc pas propre au Christ.

2. Est rédempteur celui qui verse le prix du rachat. Mais Dieu le Père a donné son Fils en rédemption pour nos péchés selon le Psaume (111, 9) : " Le Seigneur à envoyé la rédemption à son peuple ", c’est-à-dire, pour la Glose, " le Christ qui donne la rédemption aux captifs ". Donc, non seulement le Christ, mais aussi Dieu le Père nous a rachetés.

3. Non seulement la passion du Christ, mais celle des autres saints a été profitable à notre salut selon S. Paul (Col 1, 24) : " je me réjouis dans mes souffrances pour vous, et j’achève dans ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ, pour son corps qui est l’Église. " Le Christ ne doit donc pas être seul à être appelé le Rédempteur, mais aussi les autres saints.

En sens contraire, il y a cette parole de S. Paul (Ga 3, 13) : " Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, en se faisant pour nous malédiction. " Or, seul le Christ est devenu pour nous malédiction. Seul donc, il doit être appelé notre Rédempteur.

Réponse :

Pour un rachat, deux choses sont requises : l’acte de paiement et le prix à payer. Si, pour un rachat, on paie non avec son bien, mais avec le bien d’autrui, on n’est pas l’acheteur principal : c’est celui dont le bien a servi au paiement. Or, le prix de notre rédemption, c’est le sang du Christ ou sa vie corporelle, qui est dans le sang, et c’est le Christ lui-même qui l’a payé. Il s’ensuit que l’acte du paiement et le prix du paiement appartiennent immédiatement au Christ en tant qu’homme ; ils appartiennent aussi à la Trinité tout entière, comme à leur cause première et éloignée ; car la vie même du Christ appartenait à la Trinité, comme à son premier auteur, et c’est la Trinité qui a inspiré au Christ homme de souffrir pour nous. Voilà pourquoi il est propre au Christ, en tant qu’homme, d’être le Rédempteur d’une manière immédiate, mais la rédemption elle-même peut être attribuée à la Trinité comme à sa cause première.

Solutions :

1. La Glose explique ainsi ce texte " "Toi, Seigneur, Dieu de vérité, tu m’as racheté" : cela s’est accompli lorsque le Christ a crié : "En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit. " " Et ainsi la rédemption appartient immédiatement au Christ homme, et à Dieu comme principe.

2. La rançon de notre rachat, le Christ homme l’a payée, sans intermédiaire, mais sur l’ordre du Père, auteur primordial.

3. Les souffrances des saints profitent à l’Église, non par mode de rédemption, mais à titre d’exhortation et d’exemple, comme dit S. Paul (2 Co 1, 6) : " Nous sommes dans la détresse pour votre exhortation et votre salut. "

 

            Article 6 — La passion du Christ a-t-elle produit les effets de notre salut par mode d’efficience ?

Objections :

1. La cause efficiente de notre salut, c’est la grandeur de la puissance divine, d’après Isaïe (59, 1) : " Non, la main du Seigneur n’est pas trop courte pour nous sauver. " Or le Christ, dit S. Paul (2 Co 13, 4), " a été crucifié en raison de sa faiblesse ". La passion du Christ n’a donc pas produit notre salut par efficience.

2. Une cause corporelle n’agit d’une manière efficiente que par contact. C’est ainsi que le Christ a guéri le lépreux en le touchant, " afin de montrer, dit S. Jean Chrysostome, que sa chair avait une vertu salutaire ". Mais la passion du Christ n’a pas pu être en contact avec tous les hommes. Donc elle n’a pas pu opérer leur salut par efficience.

3. Le même homme ne peut pas agir à la fois par mode de mérite et par mode d’efficience, car celui qui mérite attend d’autrui sa réalisation. Or la passion du Christ a produit notre salut par mode de mérite. Elle ne l’a donc pas produit par efficience.

En sens contraire, on lit dans la première épître aux Corinthiens (1, 18) : " La parole de la croix, pour ceux qui se sauvent, est vertu de Dieu. " Or la vertu de Dieu produit notre salut par efficience.

Réponse :

Il y a une double cause efficiente principale et instrumentale. La cause efficiente principale du salut des hommes est Dieu. Mais l’humanité du Christ, étant l’instrument de sa divinité, comme on l’a dit précédemment il s’ensuit que toutes les actions et souffrances du Christ agissent instrumentalement, en vertu de la divinité, pour le salut des hommes. A ce titre, la passion du Christ cause le salut des hommes par efficience.

Solutions :

1. La passion du Christ, par rapport à sa chair, convient à la faiblesse qu’il a prise ; mais, par rapport à sa divinité, elle en retire une vertu infinie, d’après S. Paul (1 Co 1, 25) : " Ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que les hommes ", car la faiblesse du Christ, en tant qu’elle appartient à Dieu, possède une puissance qui dépasse toute puissance humaine.

2. Quoique corporelle, la passion du Christ est dotée cependant d’une puissance spirituelle en raison de la divinité qui se l’est unie. Aussi obtient-elle son efficacité par un contact spirituel c’est-à-dire par la foi et les sacrements de la foi, selon la parole de S. Paul (Rm 3, 25) : " Dieu a destiné le Christ à servir de propitiation par la foi en son sang. "

3. Par rapport à sa divinité, la passion du Christ agit par mode de cause efficiente ; par rapport à la volonté de l’âme du Christ, elle agit par mode de mérite ; par rapport à la chair même du Christ, elle agit par mode de satisfaction, en tant que par elle nous sommes délivrés de l’obligation de la peine ; par mode de rachat ou rédemption, en tant que par elle nous sommes délivrés de l’esclavage de la faute ; par mode de sacrifice, en tant que par elle nous sommes réconciliés avec Dieu, comme on le dira à la question suivante.

 

 

QUESTION 49 — LES EFFETS DE LA PASSION DU CHRIST

1. Par la passion du Christ sommes-nous délivrés du péché ? - 2. Sommes-nous délivrés de la puissance du démon ? - 3. Sommes-nous délivrés de l’obligation du châtiment ? - 4. Sommes-nous réconciliés avec Dieu ? - 5. Par elle, la porte du ciel nous a-t-elle été ouverte ? 6. Est-ce par elle que le Christ a obtenu son exaltation dans la gloire ?

 

            Article 1 — Par la passion du Christ sommes-nous délivrés du péché ?

Objections :

1. Délivrer des péchés est propre à Dieu, selon Isaïe (43, 25) : " C’est moi qui efface tes iniquités, par égard pour moi. " Or le Christ n’a pas souffert en tant que Dieu, mais en tant qu’homme. Donc nous ne sommes pas délivrés du péché par sa passion.

2. Le corporel n’agit pas sur le spirituel. Or la passion du Christ est corporelle, tandis que le péché n’existe que dans l’âme, qui est une créature spirituelle. La passion du Christ n’a donc pas pu nous purifier du péché.

3. Nul ne peut être délivré du péché qu’il n’a pas commis, mais qu’il commettra dans la suite. Donc, puisque beaucoup de péchés ont été commis après la passion du Christ et qu’il s’en commet tous les jours, il apparaît que nous ne sommes pas délivrés du péché par la passion du Christ.

4. Une fois posée la cause suffisante pour produire un effet, rien d’autre n’est requis. Or, pour la rémission des péchés, on requiert encore le baptême et la pénitence. Il semble donc que la passion du Christ ne soit pas cause suffisante de la rémission des péchés.

5. Il est écrit dans les Proverbes (10, 12) : " La charité couvre toutes les offenses. " Et aussi (15, 27 Vg) : " Les péchés sont purifiés par la miséricorde et la foi. " Or la foi a beaucoup d’autres objets, et la charité beaucoup d’autres motifs que la passion du Christ.

En sens contraire, il est écrit dans l’Apocalypse (1, 5) : " Il nous a aimés et il nous a lavés de nos péchés dans son sang. "

Réponse :

La passion du Christ est la cause propre de la rémission des péchés de trois manières.

1° Par mode d’excitation à la charité ; car selon S. Paul (Rm 6, 8) : " La preuve que Dieu nous aime, c’est que dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. " Or, par la charité, nous obtenons le pardon des péchés, suivant cette parole (Lc 7, 47) : " Ses nombreux péchés lui ont été remis parce qu’elle a beaucoup aimé. "

2° Par mode de rédemption. En effet, le Christ est notre tête. Par la passion qu’il a subie en vertu de son obéissance et de son amour, il nous a délivrés de nos péchés, nous qui sommes ses membres, comme si sa passion était le prix de notre rachat. C’est comme si un homme, au moyen d’une œuvre méritoire accomplie par sa main, se rachetait du péché commis par ses pieds. Car, de même que le corps naturel est un, alors qu’il consiste en membres divers, l’Église tout entière, corps mystique du Christ, est comptée pour une seule personne avec sa tête, qui est le Christ.

3° Par mode d’efficience. La chair dans laquelle le Christ a souffert sa passion est l’instrument de sa divinité, et c’est en raison de sa divinité que ses souffrances et ses actions agissent dans la vertu divine, en vue de chasser le péché.

Solutions :

1. Le Christ n’a pas souffert en tant que Dieu ; cependant sa chair a été l’instrument de sa divinité. De ce fait sa passion a eu, comme on vient de le dire, la vertu divine de remettre les péchés.

2. La passion du Christ est corporelle ; cependant elle reçoit une vertu spirituelle de la divinité à laquelle sa chair a été unie comme instrument. Par cette vertu la passion du Christ est cause de la rémission des péchés.

3. Par sa passion le Christ nous a délivrés de nos péchés par mode de causalité : elle institue en effet la cause de notre libération, cause par laquelle peuvent être remis, à tout moment, n’importe quels péchés, présents ou futurs ; comme un médecin qui ferait un remède capable de guérir n’importe quelle maladie, même dans l’avenir.

4. La passion du Christ, nous venons de le dire, est comme la cause préalable de la rémission des péchés. Il est pourtant nécessaire qu’on l’applique à chacun, pour que ses propres péchés soient effacés. Cela se fait par le baptême, la pénitence et les autres sacrements, qui tiennent leur vertu de la passion du Christ, comme on le dira plus loin.

5. C’est aussi par la foi que la passion du Christ nous est appliquée, afin que nous en percevions les fruits, d’après S. Paul (Rm 9, 25) : " Dieu a destiné le Christ à servir de propitiation par la foi en son sang. " Or, la foi par laquelle nous sommes purifiés du péché, n’est pas la foi informe, qui peut subsister même avec le péché, mais la foi informée par la charité ; la passion du Christ nous est donc appliquée non seulement quant à l’intelligence, mais aussi quant à l’affectivité. Et de cette manière encore, c’est par la vertu de la passion du Christ que les péchés sont remis.

 

            Article 2 — Par la passion du Christ sommes-nous délivrés de la puissance du démon ?

Objections :

1. On n’a aucun pouvoir si l’on ne peut l’exercer sans la permission d’un autre. Or, c’est le cas du démon, comme on le voit dans le livre de Job : ce n’est qu’après en avoir reçu de Dieu le pouvoir que le démon a frappé Job, d’abord dans ses biens, puis dans son corps. On lit aussi (Mt 8, 31) que les démons n’ont pu entrer dans les porcs qu’avec la permission du Christ.

Donc le démon n’a jamais eu de pouvoir sur les hommes. Et ainsi on ne peut pas dire que par la passion du Christ nous avons été libérés de la puissance du démon.

2. Le démon exerce son pouvoir sur les hommes par ses tentations et par ses vexations corporelles. Or, il continue, après la passion du Christ, à exercer ce pouvoir sur les hommes. Donc nous n’avons pas été libérés de son pouvoir par la passion du Christ.

3. La vertu de la passion du Christ dure perpétuellement d’après l’épître aux Hébreux (10, 14) : " Par une seule oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qui ont été sanctifiés. " Or les hommes ne sont pas délivrés en tous lieux du pouvoir du démon, car en beaucoup de parties du monde il y a encore des idolâtres ; et ils n’en sont pas non plus délivrés pour toujours, car au temps de l’Antéchrist le démon exercera sa puissance au maximum pour nuire aux hommes, car " il viendra par l’opération de Satan, au milieu de toutes sortes de miracles, de signes, de prodiges mensongers, et avec toutes les tromperies du mal " (2 Th 2, 9). Il semble donc que la passion du Christ n’a pas délivré le genre humain de la puissance du démon.

En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (12, 31) à l’approche de la passion : " Maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi. " Or le Christ a été élevé de terre par la passion de la croix. C’est donc par elle que le démon a été dépouillé de son pouvoir sur les hommes.

Réponse :

Au sujet du pouvoir que le diable exerçait sur les hommes avant la passion du Christ, trois points de vue entrent en ligne de compte.

1° Celui de l’homme qui, par son péché, a mérité d’être livré au pouvoir du péché, dont la tentation l’avait dominé. - 2° Celui de Dieu que l’homme avait offensé en péchant, et qui en vertu de la justice l’avait abandonné au pouvoir du diable. - 3° Celui du démon qui, par sa volonté très perverse, empêchait l’homme d’atteindre son salut.

Or, 1° l’homme a été délivré du pouvoir du démon par la passion du Christ en tant que celle-ci est cause de la rémission des péchés. - 2° Elle nous a délivrés du pouvoir du démon en tant qu’elle nous a réconciliés avec Dieu, comme on le verra tout à l’heure. - 3° Elle nous a délivrés du pouvoir du démon en tant que celui-ci a dépassé la mesure du pouvoir que Dieu lui avait accordé, en complotant la mort du Christ, qui n’avait pas mérité la mort, puisqu’il était sans péché. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Le démon a été vaincu par la justice de Jésus Christ, parce qu’il l’a tué, bien qu’il n’ait rien trouvé en lui qui mérite la mort. Dès lors il est juste que les débiteurs retenus par lui soient libérés, puisqu’ils mettent leur confiance en celui que le démon a mis à mort sans aucun droit. "

Solutions :

1. On ne dit pas que le démon a eu pouvoir sur les hommes au point qu’il aurait pu leur nuire sans la permission de Dieu. Mais il lui était permis en toute justice de nuire aux hommes qu’il avait amenés, en les tentant, à lui obéir.

2. Encore maintenant le démon peut, avec la permission de Dieu, tenter les hommes dans leurs âmes, et les tourmenter dans leurs corps ; cependant ils trouvent dans la passion du Christ un remède préparé pour qu’ils se protègent contre les assauts de l’ennemi en évitant d’être entraînés dans le désastre de la mort éternelle. Avant la passion du Christ, tous ceux qui résistaient au démon le pouvaient grâce à leur foi en la passion du Christ, quoique cette passion ne fût pas accomplie. Sur un point cependant, personne n’avait pu échapper au pouvoir du démon en ne descendant pas aux enfers. Mais après la passion du Christ et grâce à sa vertu, les hommes peuvent en être préservés.

3. Dieu permet au démon de tromper les hommes quant à certaines personnes, certains temps et certains lieux, selon le dessein caché de ses jugements. Toujours, cependant, par la passion du Christ, les hommes trouvent un remède préparé pour se protéger contre les fourberies du démon, même au temps de l’Anti-Christ. Mais si quelques-uns négligent d’employer ce remède, cela n’enlève rien à l’efficacité de la passion du Christ.

 

            Article 3 — Par la passion du Christ sommes-nous délivrés de l’obligation du châtiment ?

Objections :

1. Le principal châtiment du péché, c’est la damnation éternelle. Or ceux qui étaient damnés en enfer pour leurs péchés n’ont pas été délivrés par la passion du Christ, car en enfer il n’y a pas de rédemption.

2. A ceux qui ont été délivrés de leur obligation à la peine, on ne doit pas en imposer une autre. Or on impose aux pénitents une peine satisfactoire. Donc la passion du Christ n’a pas délivré de l’obligation du châtiment.

3. La mort est le châtiment du péché selon S. Paul (Rm 6, 23) : " Le salaire du péché, c’est la mort. " Or après la passion du Christ les hommes continuent à mourir. Donc par la passion du Christ les hommes n’ont pas été délivrés de l’obligation du châtiment.

En sens contraire, il y a la prophétie d’Isaïe (53, 4) : " Vraiment il a pris nos maladies, il a porté lui-même nos douleurs. "

Réponse :

Par la passion du Christ nous avons été libérés de l’obligation de la peine de deux manières. 1° Directement : la passion du Christ a été une satisfaction adéquate et surabondante pour les péchés de tout le genre humain. Or, dès que la satisfaction adéquate est fournie, l’obligation de la peine est enlevée. - 2° Indirectement : la passion du Christ est la cause de la rémission du péché, sur lequel se fonde l’obligation de la peine.

Solutions :

1. La passion du Christ obtient son effet sur ceux à qui elle est appliquée par la foi et la charité, et par les sacrements de la foi. Et c’est pourquoi les damnés en enfer, qui ne sont pas unis de cette manière à la passion du Christ, ne peuvent percevoir ses effets.

2. Nous l’avons déjà dit d, pour obtenir les effets de la passion du Christ, il faut que nous lui soyons configurés sacramentellement. " Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort ", dit S. Paul (Rm 6, 4). C’est pourquoi on n’impose aucune peine satisfactoire aux baptisés, car ils sont totalement libérés par la satisfaction du Christ. Mais étant donné que " le Christ est mort une seule fois pour nos péchés ", selon S. Pierre (1 P 3, 18), l’homme ne peut une seconde fois être configuré au Christ par le sacrement de baptême. Il faut donc que ceux qui pèchent après le baptême soient configurés au Christ souffrant par une pénalité ou par une souffrance qu’ils subissent en eux-mêmes. Cependant cette peine suffit, tout en étant beaucoup moindre que ne le réclamait le péché, à cause de la satisfaction du Christ q-. ii agit avec elle.

3. Si la satisfaction du Christ a ses effets en nous, c’est en tant que nous sommes incorporés au Christ, comme les membres à leur tête, ainsi qu’on vient de le dire. Or il faut que les membres soient conformes à la tête. Le Christ a eu d’abord la grâce dans l’âme, tout en ayant un corps passible, et il est parvenu à la gloire de l’immortalité par le moyen de la passion. De même nous, qui sommes ses membres, sommes libérés de toute obligation de peine par sa propre passion. Cependant, nous recevons d’abord dans l’âme l’Esprit des fils d’adoption, qui nous marque pour l’héritage de la gloire immortelle, tandis que nous avons maintenant un corps passible et mortel ; puis, configurés aux souffrances et à la mort du Christ, nous sommes conduits à la gloire immortelle, selon l’Apôtre (Rm 8, 17) : " Si nous sommes enfants de Dieu, nous sommes aussi ses héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ ; à condition toutefois que nous souffrions avec lui pour être glorifiés avec lui. "

 

            Article 4 — Par la passion du Christ sommes-nous réconciliés avec Dieu ?

Objections :

1. Il n’y a pas de réconciliation entre amis. Or Dieu nous a toujours aimés : " Tu aimes tout ce qui existe et tu ne hais rien de ce que tu as fait " (Sg 11, 25).

2. La même réalité ne peut être à la fois principe et effet ; c’est pourquoi la grâce, qui est principe de mérite n’est pas méritoire. Or l’amour de Dieu est le principe de la passion du Christ, comme le montre S. Jean (3, 16) : " Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique. " Il ne semble donc pas que par la passion du Christ nous avons été réconciliés avec Dieu de telle sorte qu’il ait commencé de nous aimer à nouveau.

3. La passion du Christ a été accomplie par les meurtriers du Christ qui, de ce fait, ont gravement offensé Dieu. La passion est donc pour Dieu un motif d’indignation plus que de réconciliation.

En sens contraire, il y a cette parole de S. Paul (Rm 5, 10) : " Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils. "

Réponse :

La passion du Christ est la cause de notre réconciliation avec Dieu sous deux rapports : 1° En tant qu’elle écarte le péché, par lequel les hommes sont constitués ennemis de Dieu, selon le livre de la Sagesse (14, 9) : " Dieu déteste également l’impie et son impiété ", et selon le Psaume (5, 7) : " Tu hais tous les malfaisants. " 2° En tant qu’elle est un sacrifice souverainement agréable à Dieu. Car l’effet propre du sacrifice, c’est de nous rendre Dieu favorable. Ainsi un homme pardonne une offense commise contre lui, à cause d’un service agréable qu’on lui rend. Aussi est-il écrit (1 S 26, 19) : " Si c’est le Seigneur qui t’excite contre moi, qu’il soit apaisé par l’odeur d’un sacrifice. " Et pareillement, que le Christ ait souffert volontairement, ce fut un si grand bien que Dieu, à cause de ce si grand bien trouvé dans la nature humaine, s’est apaisé au sujet de toute offense du genre humain, pour tous ceux qui s’unissent de la manière qu’on a indiquée au Christ qui a souffert.

Solutions :

1. Dieu aime dans tous les hommes la nature que lui-même a faite. Mais il les hait quant à la faute commise contre lui, selon l’Ecclésiastique (12, 6) : " Le Très-Haut a les pécheurs en haine. "

2. On ne dit pas que le Christ nous a réconciliés avec Dieu en ce sens qu’il aurait commencé de nous aimer à nouveau, puisqu’il est écrit dans Jérémie (31, 3) : " je t’ai aimé d’un amour éternel. " C’est parce que la passion du Christ a supprimé toute cause de haine, aussi bien en enlevant le péché qu’en le compensant par un bien plus agréable.

3. Si les meurtriers du Christ étaient des hommes, de même le Christ mis à mort. Or la charité du Christ souffrant a été plus grande que l’iniquité des meurtriers. Et c’est pourquoi la passion du Christ a été plus puissante pour réconcilier Dieu avec tout le genre humain que pour provoquer sa colère.

 

            Article 5 — Par la passion du Christ, la porte du ciel nous a-t-elle été ouverte ?

Objections :

1. Il est écrit (Pr 11, 18) : " A qui sème la justice, la récompense est assurée. " Mais la récompense de la justice, c’est l’entrée dans le royaume céleste. Donc il apparaît que les saints patriarches, qui ont accompli des œuvres de justice, auraient obtenu assurément l’entrée dans le royaume céleste, même sans la passion du Christ. Elle n’est donc pas la cause qui a ouvert la porte du royaume céleste.

2. Avant la passion du Christ, Élie fut enlevé au ciel (2 R 2, 11). Mais l’effet ne précède pas la cause. Il apparaît donc que l’ouverture de la porte du ciel n’est pas l’effet de la passion du Christ.

3. On lit en S. Matthieu (3, 16) qu’au baptême du Christ " les cieux se sont ouverts ". Mais son baptême a précédé la passion.

4. On lit en Michée (2, 13) : " Il monte, frayant le chemin devant eux. " Mais frayer le chemin du ciel est identique à en ouvrir la porte. Il semble donc que la porte du ciel nous a été ouverte non par la passion du Christ, mais par son ascension.

En sens contraire, il est écrit (He 10, 19) : " Nous avons l’assurance d’entrer au sanctuaire " c’est-à-dire au ciel, " par le sang du Christ ".

Réponse :

La fermeture d’une porte est un obstacle qui empêche les gens d’entrer. Or les gens étaient empêchés d’entrer dans le royaume céleste par le péché, parce que, dit Isaïe (35, 8) : " On appellera cette voie la voie sacrée, et l’impur n’y passera pas. " Le péché qui empêche d’entrer dans le royaume du ciel est de deux sortes : 1° L’un est le péché commun à toute la nature humaine : c’est le péché du premier père. Par ce péché l’entrée du royaume céleste était fermée à tout homme. Aussi lit-on dans la Genèse (3, 24) qu’après le péché du premier homme " Dieu plaça un Chérubin avec un glaive de feu tournoyant pour garder le chemin de l’arbre de vie ". - 2° L’autre est le péché spécial à chaque personne : c’est le péché que chaque homme commet par son acte personnel.

Or, par la passion du Christ non seulement nous avons été délivrés du péché commun à toute la nature humaine et quant à la faute, et quant à l’obligation de la peine, lui-même en payant le prix à notre place ; mais encore nous sommes délivrés des péchés individuels de chacun de ceux qui communient à sa passion par la foi et la charité, et par les sacrements de la foi, on l’a dit Et c’est pourquoi la passion du Christ nous a ouvert la porte du royaume céleste. C’est ce que dit l’Apôtre (He 9, 11. 12) : " Le Christ, survenu comme grand prêtre des biens à venir, entra une fois pour toutes dans le sanctuaire par son sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle. " Et cela est symbolisé au livre des Nombres (35, 25 s. ) : L’homicide " demeurera là ", dans la ville de refuge, " jusqu’à ce que meure le grand prêtre consacré par l’huile sainte " ; après la mort de celui-ci, il pourra retourner dans sa maison.

Solutions :

1. Les saints patriarches, en accomplissant des œuvres de justice, ont mérité d’entrer dans le royaume céleste par leur foi en la passion du Christ, selon l’épître aux Hébreux (11, 33) : " Les saints, par la foi, ont vaincu des royaumes, ils ont pratiqué la justice. " C’est aussi par cette foi que chacun d’eux était purifié de ses péchés en ce qui regarde leur purification strictement personnelle. Néanmoins, la foi ni la justice de personne ne suffisait pour enlever l’obstacle produit par la culpabilité de toute la race humaine ; cet obstacle n’a été enlevé que par la rançon du sang du Christ. Aussi, avant la passion du Christ, personne ne pouvait entrer dans le royaume céleste en obtenant la béatitude éternelle, qui consiste en la jouissance plénière de Dieu.

2. Élie fut enlevé dans le ciel de l’air, non dans le ciel empyrée qui est le lieu des bienheureux. De même Énoch, qui a été enlevé dans le paradis terrestre où l’on croit qu’il vit avec Élie jusqu’à l’avènement de l’Anti-Christ.

3. Comme nous l’avons dit plus haut lorsque le Christ eut été baptisé, les cieux s’ouvrirent, non pas pour le Christ lui-même, à qui le ciel était toujours ouvert, mais pour signifier que le ciel s’ouvre à ceux qui sont baptisés du baptême du Christ, lequel tient son efficacité de la Passion.

4. Par sa passion, le Christ nous a mérité l’entrée du royaume céleste et en a écarté l’obstacle, mais par son ascension, il nous a introduits dans la possession de ce royaume. Voilà pourquoi Michée écrit " Il monte, frayant le chemin devant eux. "

 

            Article 6 — Est-ce par la passion que le Christ a obtenu son exaltation dans la gloire ?

Objections :

1. Comme la connaissance de la vérité, la sublimité est propre à Dieu, selon le Psaume (113, 4) : " Le Seigneur domine tous les peuples, sa gloire s’élève au-dessus des cieux. " Or le Christ, en tant qu’homme, a eu la connaissance de toute vérité, non pas en raison d’un mérite antérieur, mais en vertu de l’union même entre Dieu et l’homme, selon la parole de S. Jean (1, 14) : " Nous avons vu sa gloire, qu’il tient de son Père, comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. " Le Christ n’a donc pas reçu non plus son exaltation du mérite de sa passion, mais uniquement en raison de l’union hypostatique.

2. Comme on l’a vu plus haut c’est dès le premier instant de sa conception que le Christ a mérité pour lui-même. Or sa charité n’a pas été plus grande au temps de la Passion qu’elle ne l’était auparavant. Donc, la charité étant le principe du mérite, il semble que le Christ n’a pas plus mérité son exaltation glorieuse qu’il ne l’avait méritée auparavant.

3. La gloire du corps résulte de la gloire de l’âme, dit S. Augustin. Or, par sa passion, le Christ n’a pas mérité l’exaltation glorieuse de son âme. Car celle-ci fut bienheureuse dès le premier instant de sa conception. Il n’a donc pas non plus mérité par sa passion l’exaltation glorieuse de son corps.

En sens contraire, il est écrit (Ph 2, 8) " Le Christ s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ; et c’est pourquoi Dieu l’a exalté. "

Réponse :

Le mérite comporte une certaine égalité de justice. Selon S. Paul (Rm 4, 4), " à celui qui travaille, le salaire est imputé comme un dû ". Si quelqu’un, par une volonté injuste s’attribue plus qu’il ne lui est dû, il est juste qu’on lui enlève même ce qui lui était dû : " Celui qui vole une brebis en rendra quatre ", prescrit l’Exode (22, 1). En ce cas l’on dit qu’il le mérite, pour autant que l’on punit ainsi sa volonté injuste. De même encore, celui qui, par volonté de justice, se retranche ce qu’il devait avoir, mérite quelque chose de plus en récompense de son acte de justice. C’est pourquoi, d’après S. Luc (14, 11) " Qui s’abaisse sera élevé. "

Or le Christ, dans sa passion, s’est abaissé au-dessous de sa dignité, de quatre manières : 1° Quant à sa passion et à sa mort, qui ne lui étaient pas dues. - 2° Quant au lieu, car son corps a été déposé dans le sépulcre, et son âme est descendue aux enfers. - 3° Quant à la confusion et aux opprobres qu’il a subis. - 4° Quant au fait qu’il a été livré à un pouvoir humain, selon ce qu’il dit à Pilate (Jn 19, 4) : " Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’avait été donné d’en haut. "

Et c’est pourquoi, par sa passion, le Christ a mérité d’être exalté dans la gloire, de quatre manières également : Quant à sa résurrection glorieuse ; aussi est-il dit dans le Psaume (139, 2) : " Tu as connu mon abaissement ", c’est-à-dire l’humilité de ma passion, " et ma résurrection ". - 2° Quant à son ascension au ciel, qui fait dire à S. Paul (Ep 4, 9) : " Il est d’abord descendu dans les parties inférieures de la terre ; lui qui est descendu, c’est lui qui monte au-dessus de tous les cieux. " - 3° Quant à sa session à la droite du Père et à la manifestation de sa propre divinité, selon Isaïe (52, 13) : " Il grandira, il sera exalté, souverainement élevé ; beaucoup ont été dans la stupeur en le voyant, tant son apparence parmi les hommes était sans gloire. " Comme dit la lettre aux Philippiens (2, 8) : " Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur la croix ; et c’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tous les noms ", c’est-à-dire qu’il doit être nommé Dieu par tous, et que tous doivent lui rendre hommage comme à Dieu. Et c’est ce que Paul dit ensuite : " Afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et dans les enfers. " - 4° Quant au pouvoir judiciaire ; car il est écrit dans Job (36, 17 Vg) " Ta cause a été jugée comme celle d’un impie tu recevras toute cause et tout jugement. "

Solutions :

1. Le principe du mérite est dans l’âme, et le corps est l’instrument de l’acte méritoire. C’est pourquoi la perfection de l’âme du Christ, qui est au principe du mérite, ne devait pas être acquise en lui par voie de mérite, comme la perfection du corps, qui fut le sujet de sa passion et a été par là l’instrument du mérite lui-même.

2. Par ses mérites antérieurs, le Christ a mérité l’exaltation glorieuse de son âme, dont la volonté était informée par la charité et les autres vertus. Mais, dans sa passion, il a mérité l’exaltation glorieuse de son corps par mode de récompense. Il était juste, en effet, que son corps, qui avait été soumis à la passion par charité, reçut sa récompense dans la gloire.

3. C’était par une économie divine que, chez le Christ, la gloire de son âme ne rejaillissait pas sur son corps avant la passion. Ainsi obtiendrait-il avec plus d’honneur la gloire de son corps, quand il l’aurait méritée par sa passion. Quant à la gloire de son âme, il ne convenait pas de la retarder, car son âme était unie immédiatement au Verbe, et, de ce fait, elle devait être comblée de gloire par le Verbe lui-même. Le corps, au contraire, était uni au Verbe par l’intermédiaire de l’âme.

 

 

QUESTION 50 — LA MORT DU CHRIST

1. Convenait-il au Christ de mourir ? - 2. Par la mort sa divinité a-t-elle été séparée de sa chair ? - 3. Sa divinité a-t-elle été séparée de son âme ? - 4. Durant les trois jours de sa mort, le Christ est-il resté homme ? - 5. Y avait-il identité numérique entre son corps mort et son corps vivant ? - 6. Sa mort a-t-elle contribué à notre salut ?

 

            Article 1 — Convenait-il au Christ de mourir ?

Objections :

1. Le premier principe dans un genre donné ne reçoit aucune altération de ce qui est contraire à ce genre ; le feu, par exemple, ne peut jamais être froid, parce qu’il est le principe de la chaleur. Or. le Fils de Dieu est la source et le principe de toute vie, d’après le psaume (36, 10) : " En toi est la source de la vie. " Donc il ne convenait pas au Christ de mourir.

2. La mort est pire que la maladie, car la maladie est le chemin qui mène à la mort. Or, il ne convient pas au Christ d’être affecté d’une maladie, dit S. Jean Chrysostome. Il ne convenait donc pas non plus au Christ de mourir.

3. Le Seigneur déclare (Jn 10, 10) : " je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient avec surabondance. " Or, le contraire d’une qualité ne peut produire celle-ci. Il semble donc qu’il ne convenait pas au Christ de mourir.

En sens contraire, on lit en S. Jean (11, 50) " Il est bon qu’un seul homme meure pour le peuple, et que toute la nation ne périsse pas. " Cette sentence,, Caïphe l’a prononcée de façon prophétique, l’Évangéliste l’atteste.

Réponse :

Il convenait au Christ de mourir pour cinq raisons : 1° Satisfaire pour le genre humain qui était condamné à la mort à cause du péché, selon la Genèse (2, 17) : " Le jour où vous mangerez du fruit de l’arbre, vous mourrez de mort. " Or, c’est bien satisfaire pour un autre, que de se soumettre à la peine qu’il a méritée. C’est pourquoi le Christ a voulu mourir, afin de satisfaire pour nous en mourant : " Le Christ est mort une seule fois pour nos péchés " (1 P 3, 18) 2.

2° Prouver la réalité de la nature qu’il avait prise ; car, comme l’écrit Eusèbe, " si, après avoir vécu avec les hommes, il s’était échappé subitement, en disparaissant et en évitant la mort, tous l’auraient pris pour un fantôme ".

3° Nous délivrer, en mourant, de la crainte de la mort ; aussi est-il écrit (He 2, 14) : Il a participé avec nous " à la chair et au sang, afin de détruire par sa mort celui qui détenait l’empire de la mort, le démon, et de libérer ceux qui, par peur de la mort, étaient pour toute leur vie soumis à la servitude ".

4° Nous donner l’exemple, en mourant corporellement à la " similitude du péché ", c’est-à-dire à la pénalité, de mourir spirituellement au péché, comme dit S. Paul (Rm 6, 10) : " S’il est mort au péché, il est mort une seule fois ; et s’il vit, il vit pour Dieu ; ainsi vous, estimez-vous morts au péché et vivants pour Dieu. "

5° Montrer, en ressuscitant des morts, la vertu par laquelle il a triomphé de la mort, et nous inculquer l’espoir de ressusciter des morts. " Si l’on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment quelques-uns parmi vous disent-ils qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? " (1 Co 15,12).

Solutions :

1. Le Christ est source de la vie en tant que Dieu, mais non en tant qu’homme. Or, s’il est mort, c’est en tant qu’homme et non en tant que Dieu. Aussi S. Augustin écrit-il : " Il faut exclure que le Christ ait subi la mort, comme s’il avait perdu la vie en tant qu’il est la vie elle-même ; s’il en était ainsi, la source de la vie aurait tari. Il a donc subi la mort en raison de la nature humaine qu’il avait prise spontanément ; mais il n’a pas perdu la puissance de la nature divine, par laquelle il vivifie toutes choses. "

2. Si le Christ n’a pas subi une mort provenant de la maladie, c’est qu’il ne voulait pas paraître mourir par nécessité, par faiblesse de nature ; mais il a souffert une mort qui lui était imposée de l’extérieur et à laquelle il s’est soumis spontanément pour montrer que sa mort était volontaire.

3. De soi, le contraire d’une qualité ne saurait produire celle-ci, mais parfois on trouve la production accidentelle d’une qualité par son contraire ; le froid, par exemple, peut accidentellement réchauffer. C’est de cette manière que le Christ nous a conduits à la vie par sa mort, puisque par sa mort il a détruit notre mort ; pareillement, celui qui subit une peine pour un autre écarte la peine que celui-ci devait subir.

 

            Article 2 — Par la mort du Christ, sa divinité a-t-elle été séparée de sa chair ?

Objections :

1. Le Seigneur, attaché à la croix, s’est écrié ; " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? " (Mt 27, 46). Ce que S. Ambroise commente ainsi : " Il a crié comme un homme que sa séparation de la divinité allait faire mourir ; car, la divinité étant exempte de mort, la mort ne pouvait se produire que si la divinité se retirait ; et la vie, c’est la divinité. " Il semble donc qu’à la mort du Christ, sa divinité a été séparée de sa chair.

2. Enlevez l’intermédiaire, et les termes qu’il unissait se séparent. Or, la divinité a été unie à la chair par l’intermédiaire de l’âme, on l’a vue. A la mort du Christ, son âme ayant été séparée de sa chair, il s’ensuit que sa divinité a été aussi séparée de sa chair.

3. La puissance vivificatrice de Dieu est plus forte que celle de l’âme. Or, le corps du Christ ne pouvait mourir que si son âme en était séparée. Il y avait donc encore moins de raison qu’il meure, si sa divinité n’en était pas séparée.

En sens contraire, ce qui appartient à la nature humaine ne se dit du Fils de Dieu qu’en raison de l’union, comme on l’a montré. Or, on attribue au Fils de Dieu ce qui convient au corps du Christ après la mort, par exemple d’avoir été enseveli, comme on le voit dans le symbole de foi où l’on dit que le Fils de Dieu " a été conçu, est né de la Vierge, a souffert, est mort et a été enseveli ". Le corps du Christ, à la mort, n’a donc pas été séparé de la divinité.

Réponse :

Ce que Dieu concède par grâce, il ne le reprend jamais sans qu’il y ait eu faute : " Les dons de Dieu et son appel sont sans repentance " (Rm 11, 29). Or, la grâce d’union, en vertu de laquelle la divinité a été unie à la chair du Christ dans la même personne, dépasse de beaucoup la grâce d’adoption, en vertu de laquelle nous sommes sanctifiés ; elle est même plus permanente, de sa nature, parce que cette grâce est ordonnée à une union personnelle, tandis que la grâce d’adoption est ordonnée à une union d’affection. Et pourtant, nous voyons que la grâce d’adoption n’est jamais perdue sans une faute. Puisqu’il n’y a eu aucun péché dans le Christ, il a été impossible que l’union de sa divinité à sa chair ait été dissoute. Et c’est pourquoi la chair du Christ ayant été unie au Fils de Dieu dans la même personne et hypostase avant la mort, elle lui est demeurée unie même après la mort. Comme le remarque S. Jean Damascène après la mort du Christ l’hypostase de la chair du Christ n’a pas été autre que l’hypostase du Verbe de Dieu.

Solutions :

1. Il ne faut pas rapporter l’abandon du Christ sur la croix à une rupture de l’union personnelle, mais à ce fait que Dieu le Père a exposé le Christ à la passion ; abandonner, ici, n’a pas d’autre signification que celle de ne pas protéger contre les persécuteurs.

Ou bien encore, comme le note S. Augustin, le Christ se dit abandonné, eu égard à la prière où il disait : " Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ! "

2. Le Verbe de Dieu s’est uni à la chair par l’intermédiaire de l’âme, en ce sens que la chair appartient par l’âme à la nature humaine, que le Fils de Dieu voulait assumer ; mais non en ce sens que l’âme serait l’intermédiaire qui relie entre elles la divinité et la chair. La chair doit à l’âme d’appartenir à la nature humaine, même après que l’âme en a été séparée ; car le cadavre conserve, en vertu du plan divin, un ordre à la résurrection. Aussi l’union de la divinité à la chair n’a-t-elle pas été détruite.

3. L’âme du Christ possède la vertu de vivifier le corps à titre de principe formel ; aussi, tant qu’elle est présente et unie formellement au corps, est-il nécessaire que celui-ci soit vivant. Mais la divinité possède la vertu de vivifier non à titre de principe formel, mais comme cause efficiente ; la divinité, en effet, ne peut être forme du corps ; aussi n’est-il pas nécessaire que la chair soit vivante tant que dure son union à la divinité, car Dieu n’agit point par nécessité, mais par volonté.

 

            Article 3 — A la mort du Christ, la divinité a-t-elle été séparée de son âme ?

Objections :

1. Le Seigneur dit (Jn 10, 18) " Personne ne m’enlève mon âme, mais je la donne de moi-même ; j’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la reprendre. " Or, le corps ne peut livrer son âme en se séparant d’elle, car l’âme n’est pas soumise au pouvoir du corps, mais c’est plutôt l’inverse. Par suite, c’est au Christ, comme Verbe de Dieu, qu’il appartient de donner son âme. Or, c’est là s’en séparer. Par la mort du Christ, son âme a donc été séparée de la divinité.

2. S. Athanase écrit : " Maudit celui qui ne confesse pas que tout l’homme assumé par le Fils de Dieu a été repris ou libéré pour ressusciter des morts le troisième jour. " Mais tout l’homme ne pouvait pas être repris s’il n’avait pas été séparé quelque temps du Verbe de Dieu. Or, l’homme en sa totalité est composé d’âme et de corps. Il y a donc eu une séparation momentanée entre la divinité d’une part, et le corps et l’âme d’autre part.

3. C’est par son union à l’homme tout entier que le Fils de Dieu mérite le nom d’homme. Donc, si l’union entre son âme et son corps étant dissoute, le Verbe de Dieu était demeuré uni à l’âme, il s’ensuivrait qu’on aurait pu donner le nom d’âme au Fils de Dieu. Or, cela est faux ; car, l’âme étant forme du corps, il en résulterait que le Verbe de Dieu aurait été forme du corps, ce qui est impossible. A la mort du Christ, son âme a donc été séparée du Verbe de Dieu.

4. Lorsque l’âme et le corps sont séparés l’un de l’autre, il n’y a plus une seule hypostase, mais deux. Donc, si le Verbe de Dieu est demeuré uni tant au corps qu’à l’âme du Christ, séparés tous deux l’un de l’autre par la mort, il paraît s’ensuivre que le Verbe de Dieu, aussi longtemps qu’a duré la mort du Christ, a eu deux hypostases. Ce qui est inadmissible. Après la mort du Christ, son âme n’est donc pas demeurée unie au Verbe.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit : " Bien que le Christ soit mort comme homme, et que sa sainte âme se soit séparée de son corps non soumis à la corruption, sa divinité est demeurée inséparable de l’un et de l’autre, de son âme et de son corps. "

Réponse :

L’âme est unie au Verbe de Dieu d’une manière plus immédiate et plus prochaine que le corps ; car le corps est uni au Verbe de Dieu par l’intermédiaire de l’âme, nous l’avons déjà dit. Donc, puisque le Verbe de Dieu n’a pas été, à la mort, séparé du corps, il a été encore moins séparé de l’âme. Aussi, de même que l’on attribue au Fils de Dieu ce qui appartient au corps séparé de l’âme, à savoir qu’" il a été enseveli ", de même dit-on dans le Symbole qu’" il est descendu aux enfers ", parce que son âme, séparée du corps, y est descendue.

Solutions :

1. S. Augustin, commentant ce texte de S. Jean se demande, puisque le Christ est " Verbe, âme et chair, en vertu de quel principe il a livré son âme ; comme Verbe, comme âme, ou comme chair ? " Et il répond : " Si l’on prétend que c’est comme Verbe, il s’ensuit qu’à un moment son âme a été séparée du Verbe ; ce qui est faux, car la mort a séparé le corps de l’âme ; mais je ne dis pas que l’âme a été séparée du Verbe. Si l’on affirme au contraire que l’âme s’est livrée elle-même ; il en résulte que l’âme a été séparée d’elle-même : ce qui est absurde. " Il reste donc que " la chair elle-même a livré son âme et l’a reprise ensuite, non par sa propre puissance, mais par la puissance du Verbe qui habitait dans la chair " ; car, on vient de le dire, par la mort la divinité du Verbe n’a pas été séparée de la chair.

2. Ces paroles ne signifient pas que l’homme tout entier, c’est-à-dire toutes ses composantes, a é repris, comme si le Verbe de Dieu avait quitté par la mort les deux composantes de la nature humaine. Mais que la totalité de la nature qui avait été assumée avait été réintégrée dans la résurrection en vertu de l’union rétablie entre le corps et l’âme.

3. Le Verbe de Dieu, en raison de son union avec la nature humaine, n’est pas une nature humaine, mais un homme, ce qui veut dire qu’il possède la nature humaine. Or, l’âme et le corps sont des parties essentielles de la nature humaine. Aussi, à cause de l’union du Verbe avec l’un et l’autre, il ne s’ensuit pas que le Verbe de Dieu soit une âme ou un corps, mais qu’il existe en ayant une âme et un corps.

4. D’après S. Jean Damascène " au fait qu’à la mort du Christ l’âme a été séparée de la chair, l’hypostase unique ne s’est pas trouvée divisée en deux hypostases ; car le corps et l’âme du Christ ont existé au même titre dès le principe dans l’hypostase du Verbe ; et dans la mort, quoique divisés l’un et l’autre, ils sont restés chacun avec la même et unique hypostase du Verbe. est pourquoi la même et unique hypostase du Verbe est demeurée l’hypostase et du Verbe, et de l’âme, et du corps. jamais en effet ni l’âme, ni le corps n’ont eu d’hypostase propre en dehors de l’hypostase du Verbe, car il y eut toujours une seule hypostase, celle du Verbe ; il n’y en eut jamais deux. "

 

            Article 4 — Durant les trois jours de sa mort, le Christ est-il resté homme ?

Objections :

1. S. Augustin écrit : " Telle était cette union qu’elle ferait Dieu homme, et l’homme Dieu. " Or, cette union n’a pas cessé par la mort. Il semble donc que par la mort le Christ n’a pas cessé d’être homme.

2. D’après le Philosophe, " tout homme est son intelligence " ; aussi, après la mort de S. Pierre par exemple, nous adressons-nous à son âme en disant : " S. Pierre, priez pour nous. " Or, après la mort, le Fils de Dieu n’a pas été séparé de son âme intellectuelle. Donc, pendant les trois jours de sa mort, le Fils de Dieu est resté homme.

3. Tout prêtre est homme. Or, pendant ces trois jours, le Christ est demeuré prêtre ; autrement, il n’aurait pas été vrai de dire avec le Psaume (110, 4) : " Tu es prêtre pour toujours. " Donc, le Christ est resté homme pendant les trois jours de sa mort.

En sens contraire, enlevez le genre supérieur, le genre inférieur disparaît. Or, l’être vivant et animé est supérieur à l’animal ou à l’homme. L’animal est en effet une substance animée sensible. Pendant les trois jours de sa mort, le corps du Christ, ayant cessé d’être vivant et animé, il s’ensuit qu’il n’était plus homme.

Réponse :

Que le Christ ait été vraiment mort est un article de foi. Il en résulte que toute affirmation qui va contre la réalité de la mort du Christ est une erreur contre la foi. Aussi est-il dit dans la lettre synodale de S. Cyrille : " Si quelqu’un ne confesse pas que le Verbe de Dieu a souffert, a été crucifié et a goûté la mort dans sa chair, qu’il soit anathème. " Or, pour que la mort d’un homme ou d’un animal soit réelle, il importe que par la mort on cesse d’être homme ou animal ; en effet, la mort d’un homme ou d’un animal provient de la séparation de l’âme, élément qui complète l’idée d’homme ou d’animal. Et voilà pourquoi affirmer que le Christ, pendant les trois jours de sa mort, a été homme, en parlant d’une manière simple et absolue, est erroné. On peut dire cependant que le Christ, pendant ces trois jours, a été " un homme mort ".

Néanmoins, certains ont soutenu que le Christ avait été un homme durant ces trois jours ; s’il est vrai qu’ils ont avancé une proposition erronée, on ne peut les incriminer d’erreur dans la foi. Ainsi, Hugues de Saint-Victor a prétendu que le Christ, pendant les trois jours de sa mort, avait été homme, parce qu’il pensait que l’âme constituait l’homme ; ce qui est faux, ainsi que nous l’avons montré dans la première Partie.

Le Maître des Sentences a soutenu la même opinion, mais pour une autre raison ; il a cru que l’union de l’âme et du corps n’était pas impliquée dans l’idée d’homme, mais qu’il suffisait pour être homme d’avoir une âme et un corps, unis ou non entre eux ; cela aussi est faux d’après ce que nous avons prouvé dans la première Partie’, et ce que nous avons dit plus haut sur le mode d’union.

Solutions :

1. Le Verbe de Dieu a pris une âme et une chair qu’il s’est unies ; ce fut donc cette union avec le Verbe qui a fait Dieu homme, et l’homme Dieu. Or, cette union n’a pas cessé d’exister, comme si le Verbe s’était séparé de l’âme ou de la chair ; ce qui a cessé d’exister, pourtant, c’est l’union de la chair et de l’âme.

2. On dit que l’homme est son intelligence : non pas que l’intelligence soit tout l’homme, mais l’intelligence est sa partie principale, et en elle se trouve virtuellement toute l’ordonnance de l’homme : ainsi le chef de la cité est appelé parfois toute la cité, parce qu’en lui se trouve tout le gouvernement de la ville.

3. L’homme est prêtre en raison de son âme, qui reçoit le caractère de l’ordre ; aussi, par la mort, l’homme ne perd-il pas son caractère sacerdotal. Et beaucoup moins encore, le Christ, source de tout le sacerdoce.

 

            Article 5 — Y avait-il identité numérique entre son corps mort et son corps vivant ?

Objections :

1. Le Christ est mort vraiment, comme meurent les autres hommes. Or, au point de vue numérique, le corps de n’importe quel autre homme n’est pas purement et simplement le même, lorsqu’il est vivant et lorsqu’il est mort ; car il intervient là une différence essentielle. Le corps du Christ non plus n’est donc pas purement et simplement le même, au point de vue numérique.

2. D’après le Philosophe, ce qui est divers spécifiquement l’est aussi numériquement. Or, le corps du Christ vivant et du Christ mort a été divers spécifiquement. Comme dit Aristote, l’œil ou la chair d’un mort ne sont appelés tels que d’une manière équivoque. Le corps du Christ vivant et du Christ mort ne fut donc pas le même purement et simplement, au point de vue numérique.

3. La mort est une corruption. Or, ce qui est soumis à une corruption substantielle n’existe plus après qu’il a été corrompu, puisque la corruption est un passage de l’être au non-être. Le corps du Christ n’est donc pas demeuré le même numériquement après la mort, puisque la mort est une corruption substantielle.

En sens contraire, S. Athanase écrit : " Le corps qui a été circoncis, qui a bu et mangé, qui a souffert, qui a été cloué à la croix, était le corps du Verbe impassible et incorporel ; c’est le même qui a été déposé dans le sépulcre. " Or le corps qui a été circoncis et cloué à la croix, c’est le corps vivant du Christ ; et le corps qui a été déposé dans le sépulcre, c’est son corps mort. Donc le corps qui avait été vivant est le même que celui qui était mort.

Réponse :

L’expression " purement et simplement " a deux sens : 1° Celui d’" absolument " ; d’après le Philosophe, " purement et simplement équivaut à : sans qu’on y ajoute rien ". En ce sens, le corps du Christ mort et vivant, est demeuré le même purement et simplement, au point de vue numérique. Car un être demeure le même purement et simplement au point de vue numérique lorsqu’il a le même suppôt. Or, le corps du Christ, vivant et mort, a eu le même suppôt ; car, vivant et mort, il n’a eu d’autre hypostase que celle du Verbe, nous l’avons montré plus haut. Et c’est en ce sens que parle S. Athanase dans le texte cité en sens contraire.

2° Celui de " tout à fait " ou de " totalement ". De la sorte, le corps du Christ, mort et vivant, ne fut pas purement et simplement le même, au point de vue numérique ; car il ne fut pas tout à fait le même, puisque la vie fait partie de l’essence du corps vivant ; en effet, c’est un attribut essentiel et non accidentel ; d’où il résulte que le corps qui cesse d’être vivant ne demeure pas tout à fait le même.

Si l’on disait que le corps du Christ mort est demeuré totalement le même, il s’en suivrait qu’il n’aurait pas été soumis à la corruption, je veux dire à la corruption de la mort : c’est là l’hérésie des gaïanites, ainsi que le rapporte S. Isidore, et comme on le trouve dans les Décrets. D’après S. Jean Damascène " le mot de corruption a deux significations : tout d’abord la séparation de l’âme et du corps, et autres choses semblables ; en second

lieu, la dissolution complète d’un être en ses éléments ". Par suite, dire que le corps du Seigneur était, au sens de Julien et de Gaïen, incorruptible selon le premier mode de corruption, avant la résurrection, est une chose impie ; car le corps du Christ ne nous aurait pas été consubstantiel, il ne serait pas mort en toute vérité, et nous ne serions pas sauvés réellement. Mais, suivant la seconde signification du mot corruption, le corps du Christ n’a pas été soumis à la corruption.

Solutions :

1. Le corps mort d’un homme, quel qu’il soit, ne demeure pas uni à une hypostase permanente, comme le corps mort du Christ. Aussi le corps mort d’un homme ne reste-t-il pas le même purement et simplement, mais d’une manière toute relative : il conserve la même matière, mais non la même forme. Or, le corps du Christ demeure le même purement et simplement, à cause de l’identité du suppôt, comme on vient de le dire.

2. L’identité numérique se prend du suppôt, l’identité spécifique se prend de la forme. Là où le suppôt subsiste dans une seule nature, il est nécessaire que l’unité spécifique étant détruite, l’unité numérique disparaisse également. Mais l’hypostase du Verbe de Dieu subsiste en Ceux natures : il s’ensuit que dans le Christ le corps peut ne pas conserver l’unité. spécifique, propre à la nature humaine ; l’unité numérique demeure pourtant, en raison du suppôt du Verbe de Dieu.

3. La corruption et la mort ne conviennent pas au Christ en raison du suppôt, qui donne l’unité numérique, mais en raison de la nature qui, elle, peut se trouver sous les états différents de vie ou de mort.

 

            Article 6 — La mort du Christ a-t-elle contribué à notre salut ?

Objections :

1. La mort est la privation de la vie ; or, une privation, n’étant rien, ne peut avoir aucune puissance active. Elle n’a donc pu avoir aucun effet pour notre salut.

2. La passion du Christ a produit notre salut par mode de mérite. La mort du Christ n’a pu agir de cette manière ; car, à la mort, l’âme est séparée du corps ; et c’est elle qui est principe de mérite.

3. Ce qui est corporel ne peut-être cause de ce qui est spirituel. Or, la mort du Christ a été corporelle. Elle n’a donc pu être cause spirituelle de notre salut.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Une seule mort de notre Sauveur ", sa mort corporelle, " a été salutaire pour nos deux morts à nous ", la mort de l’âme et la mort du corps.

Réponse :

On peut parler de la mort du Christ de deux manières : pendant qu’elle est en devenir et quand elle est achevée. La mort est en devenir lorsque, par une souffrance naturelle ou violente, on s’achemine vers la mort : parler de cette manière de la mort du Christ, c’est parler de sa passion. A ce point de vue, la mort du Christ est cause de notre salut de la façon que nous avons dit plus haut à propos de la passion.

La mort du Christ est achevée lorsqu’on l’envisage après la séparation du corps et de l’âme. Et c’est ainsi que nous en parlons présentement. Or, sous cet aspect, la mort du Christ ne peut pas être cause de notre salut par mode de mérite, elle ne l’est que par mode d’efficience ; par la mort, en effet, la divinité n’a pas été séparée de la chair du Christ ; aussi tout ce qui a rapport à la chair du Christ, même séparée de son âme, nous a-t-il été salutaire en vertu de la divinité qui lui était unie.

Or, lorsque l’on considère un effet en tant que tel, on y découvre une ressemblance avec sa cause. Aussi, parce que la mort est la privation de la vie, l’effet de la mort du Christ visera à écarter ce qui peut-être contraire à notre salut : la mort de l’âme et la mort du corps. Et voilà pourquoi l’on dit que la mort du Christ a détruit en nous la mort de l’âme, produite par notre péché, selon S. Paul (Rm 4,25) : " Il s’est livré " à la mort " à cause de nos péchés ". Et la mort du Christ a aussi détruit la mort du corps produite par la séparation de l’âme : " La mort a été engloutie dans la victoire " (1 Co 15, 54).

Solutions :

1. La mort du Christ a produit notre salut, en vertu de la divinité qui lui était unie, et non pas au seul titre de la mort.

2. Considérée dans son achèvement, la mort du Christ n’a pas produit notre salut par mode de mérite ; mais elle l’a pourtant produite par mode d’efficience, on vient de le dire.

3. La mort du Christ a été corporelle ; mais ce corps a été l’instrument de la divinité qui lui était unie ; il agissait par sa vertu, même étant mort.

 

 

QUESTION 51 — L’ENSEVELISSEMENT DU CHRIST

1. Convenait-il au Christ d’être enseveli ? - 2. Le mode de son ensevelissement. - 3. Dans le sépulcre son corps s’est-il décomposé ? - 4. Combien de temps est-il resté dans le sépulcre ?

 

            Article 1 — Convenait-il au Christ d’être enseveli ?

Objections :

1. Le Psaume (88, 5) dit du Christ : " Il est devenu comme un homme sans secours, libre parmi les morts. " Or, dans le tombeau, les corps des morts sont enfermés ; ce qui est contraire à leur liberté. Il semble donc qu’il ne convenait pas d’ensevelir le corps du Christ.

2. Tout ce qui arrivait au Christ devait nous être salutaire. Or que le Christ ait été enseveli ne semble avoir aucun rapport avec notre salut.

3. Dieu est élevé au-dessus des cieux. Il est donc choquant qu’il soit enseveli dans la terre. Or ce qui convient au Christ mort est attribué à Dieu, en raison de l’union hypostatique. Il est donc choquant que le Christ ait été enseveli.

En sens contraire, le Seigneur dit de la femme qui l’avait oint (Mt 26,10) : " Elle a fait une bonne œuvre à mon égard " ; et il ajoute : " En répandant ce parfum sur mon corps, elle l’a fait en vue de mon ensevelissement. "

Réponse :

Il convenait que le Christ soit enseveli : 1° Afin de prouver la réalité de sa mort : en effet, on ne met un corps au tombeau, que si l’on est certain de la réalité de la mort. Aussi lit-on dans S. Marc (15, 44) que Pilate, avant de permettre que le Christ soit enseveli, s’assura, par une enquête soigneuse, qu’il était bien mort.

2° Afin de donner par sa résurrection du sépulcre, l’espoir de ressusciter par lui à ceux qui sont dans le tombeau, d’après ce texte de S. Jean (5, 28) : " Tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de l’homme, et ceux qui l’auront entendue vivront. "

3° Afin de donner l’exemple à ceux qui par la mort du Christ meurent spirituellement aux péchés, c’est-à-dire à " ceux qui sont protégés contre les perturbations des hommes " (Ps 31, 21). Aussi S. Paul dit-il (Col 3, 3) : " Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. " De là vient que les baptisés, qui par la mort du Christ meurent aux péchés, sont comme ensevelis avec le Christ par l’immersion, d’après cette parole : " Nous avons été ensevelis avec le Christ dans la mort par le baptême " (Rm 6, 4).

Solutions :

1. Le Christ enseveli a montré qu’il était resté libre parmi les morts, en ce que le tombeau n’a pu l’empêcher d’en sortir par la résurrection.

2. De même que la mort du Christ a opéré notre salut de façon efficiente, de même son ensevelissement. Aussi S. Jérôme écrit-il : " Nous ressuscitons par l’ensevelissement du Christ. " Le texte d’Isaïe (53, 9 Vg) : " Il donnera les impies pour sa sépulture ", la Glose l’interprète de cette manière : " Il donnera à Dieu son Père les nations qui étaient sans pitié ; car il les a acquises par sa mort et son ensevelissement. "

3. Il est dit dans un sermon du concile d’Éphèse : " De tout ce qui sauve les hommes, rien ne fait insulte à Dieu, car cela montre non qu’il est passible, mais qu’il est clément. " Et dans un autre sermon du même concile on lit : " Dieu ne se juge insulté par rien de ce qui est occasion de salut pour les hommes. Et toi, garde-toi de tenir la nature de Dieu pour si vile qu’elle ait pu être exposée jamais à l’insulte. "

 

            Article 2 — Le mode de l’ensevelissement du Christ

Objections :

1. Son ensevelissement répond à sa mort. Or, le Christ a subi la mort la plus infâme, d’après cette parole : " Condamnons-le à la mort la plus honteuse " (Sg 2, 29). Il semble donc incohérent qu’on ait offert au Christ une sépulture honorable, puisqu’il a été mis au tombeau par des notables, comme Joseph d’Arimathie, " noble décurion " d’après S. Marc (15, 43 Vg), et Nicodème, " prince des Juifs " selon S. Jean (3, 1).

2. On n’aurait pas dû, en faveur du Christ, donner un exemple de prodigalité. C’est ce que semble avoir fait " Nicodème venu porter un mélange de myrrhe et d’aloès d’environ cent livres " (Jn 19, 39), d’autant plus que d’après S. Marc (14, 8), " une femme avait par avance oint son corps en vue de la sépulture ".

3. Il ne convient pas qu’un fait comporte des éléments contradictoires. Or, d’un côté, l’ensevelissement du Christ fut simple, puisque Joseph " enveloppa le corps dans un linceul propre " (Mt 27, 59) " et non dans l’or, les gemmes et la soie ", dit S. Jérôme. Et d’un autre côté, il semble avoir été fastueux, en tant qu’on a enseveli le Christ avec des aromates.

4. D’après S. Paul (Rm 15, 4), " tout ce qui se trouve dans l’Écriture a été écrit pour notre instruction ". Mais on trouve dans les évangiles des détails sur la sépulture du Christ qui semblent n’avoir aucun rapport avec notre instruction : qu’il a été enseveli dans un jardin, dans un sépulcre neuf qui ne lui appartenait pas, et taillé dans le roc. . .

En sens contraire, il est prédit dans Isaïe (11, 10 Vg) : " Son sépulcre sera glorieux. "

Réponse :

On peut indiquer trois raisons qui justifient la manière dont le Christ a été enseveli : - 1° Confirmer la foi en sa mort et sa résurrection. - 2° Louer la piété de ceux qui l’ont enseveli : " C’est avec louange, écrit S. Augustin qu’on , mentionne dans l’Évangile ceux qui ont pris soin d’envelopper et d’ensevelir avec sollicitude et honneur le corps du Christ descendu de la croix. " - 3° Instruire par ce mystère ceux qui sont ensevelis avec le Christ dans la mort.

Solutions :

1. Dans la mort du Christ se manifestent sa patience et sa constance, et cela d’autant plus que sa mort a été ignominieuse. Mais dans son ensevelissement honorable se montre la vertu du Christ mourant, qui, même après sa mort, a été enseveli avec honneur contre l’intention de ses meurtriers ; en cette sépulture se trouve aussi symbolisée la dévotion des fidèles, qui se mettraient au service du Christ mort.

2. D’après S. Augustin en disant qu’" on a enseveli Jésus selon la coutume des Juifs ", S. Jean " nous avertit qu’en ces sortes de devoirs rendus aux morts il faut suivre les usages de chaque nation. Or, c’était la coutume des Juifs d’oindre d’aromates divers les corps des morts, afin de les conserver plus longtemps intacts ". Ailleurs, S. Augustin remarque que " dans de tels cas ce n’est pas l’usage, mais la passion de celui qui en use, qui est coupable " ; et il ajoute : " Ce qui pour d’autres est le plus souvent un opprobre est, pour une personne divine ou pour un prophète, le signe d’un très grand honneur. " La myrrhe et l’aloès, en effet, à cause de leur amertume, symbolisent la pénitence, par laquelle on conserve en soi le Christ sans la corruption du péché. Et le parfum des aromates est le symbole d’une bonne renommée.

3. La myrrhe et l’aloès furent employés pour le corps du Christ, afin de le garder à l’abri de la corruption, ce qui paraissait une nécessité. Cela nous montre que nous pouvons user de certains remèdes coûteux afin de conserver notre corps. Mais, si l’on a enveloppé le corps du Christ, ce fut par décence, et en de telles circonstances il faut nous contenter de choses simples. Cependant, S. Jérôme apporte une raison mystique : " Celui-là enveloppe Jésus dans un linceul propre, qui le reçoit dans un cœur pur. " De là vient, d’après S. Bède, que " l’usage s’est établi dans l’Église de célébrer le sacrifice de l’autel, non pas sur des linges de soie ou de couleur, mais sur des linges de lin, comme le corps du Christ avait été enseveli dans un linge blanc ".

4. Le Christ est enseveli " dans un jardin " afin de symboliser que par sa mort et sa sépulture nous sommes libérés de la mort que nous avons encourue par le péché d’Adam commis dans le jardin du paradis.

Comme dit S. Augustin : " Si le Sauveur est déposé dans un tombeau étranger, c’est parce qu’il était mort pour le salut des autres ; or, le tombeau est la demeure de la mort. " - Par là aussi on peut mesurer le degré de la pauvreté acceptée pour nous par le Christ. Car celui qui durant sa vie n’avait pas eu de maison est enfermé aussi après sa mort dans un tombeau étranger et sa nudité est recouverte par le linceul de Joseph d’Arimathie.

Selon S. Jérôme, il est déposé dans un " tombeau neuf ", " pour éviter qu’après la résurrection, s’il y avait eu d’autres cadavres dans le tombeau, on crût que c’était l’un d’entre eux qui était ressuscité. Le tombeau neuf peut aussi symboliser le sein virginal de Marie ". - Autre symbolisme : par la sépulture du Christ, nous sommes " renouvelés ", la mort et la corruption étant détruites.

Le Christ a été enfermé dans un tombeau " taillé dans le roc ", afin que, " s’il avait été construit en pierres, qu’on ne puisse pas dire, écrit S. Jérôme qu’on avait dérobé le Christ en enlevant les fondements du tombeau ". Aussi la " grande pierre ", qui fut roulée devant le tombeau, " prouve-t-elle que le sépulcre n’aurait pu être ouvert sans l’aide de plusieurs hommes ". " Pareillement, si le Christ avait été enseveli en terre, on aurait pu prétendre : ils ont fouillé la terre et ils ont dérobé le corps ", note S. Augustin. - A ce dernier détail du tombeau taillé dans le roc, S. Hilaire trouve un sens mystique : " Par la doctrine des Apôtres, le Christ est introduit dans le cœur dur des païens, entamé par la prédication, cœur non taillé et nouveau, jadis impénétrable à la crainte de Dieu. Et, parce que rien, sauf lui, ne doit plus pénétrer dans notre cœur, une pierre est roulée devant l’entrée.

Comme l’observe aussi Origène, " ce n’est point par hasard qu’il est écrit que Joseph enveloppa le corps du Christ dans un linceul blanc, le déposa dans un sépulcre neuf et roula une grande pierre ; car tout ce qui touche au corps du Christ, est pur, nouveau et aussi très grand ".

 

            Article 3 — Dans le sépulcre, le corps du Christ s’est-il décomposé ?

Objections :

1. Il est vraisemblable que dans le sépulcre le corps du Christ a été réduit en poussière. Car c’est là, comme de mourir, une peine du péché du premier père. Il a été dit au premier homme après son péché : " Tu es poussière et tu retourneras en poussière. " Or le Christ a subi la mort pour nous délivrer d’elle. Son corps devait donc aussi être réduit en poussière, afin de nous délivrer de la décomposition.

2. Le corps du Christ était de même nature que le nôtre. Or, notre corps, aussitôt après la mort, commence à se décomposer et est soumis à la corruption ; car, tandis que se dissipe la chaleur naturelle, survient une chaleur étrangère qui produit la corruption. Il semble donc qu’il en fut de même pour le corps du Christ.

3. On l’a dit, le Christ a voulu être enseveli pour donner aux hommes l’espoir qu’ils ressusciteraient aussi du tombeau. Il a donc dû aussi être réduit en poussière, afin de donner à tous l’espoir qu’ils en ressusciteraient.

En sens contraire, il est écrit dans le Psaume (16, 10) : " Tu ne permettras pas à ton Saint de voir la corruption ", ce que S. Jean Damascène entend de la corruption qui se produit par le retour aux éléments naturels.

Réponse :

Il ne convenait pas au corps du Christ de se corrompre ou d’être réduit en poussière, de quelque manière que ce fût. La corruption d’un corps provient de la faiblesse de sa nature, qui ne peut plus le maintenir dans son unité. Or, nous l’avons dit ‘ la mort du Christ ne devait pas être causée par la faiblesse de sa nature, car on aurait pu croire que cette mort n’était pas volontaire. Aussi a-t-il voulu mourir non pas de maladie, mais par la Passion à laquelle il s’était offert spontanément. Et c’est pourquoi le Christ, afin d’éviter que l’on attribue sa mort à la faiblesse de sa nature, n’a pas voulu que son corps se corrompe, ou soit réduit en ses éléments, de quelque manière que ce fût. Afin de montrer sa vertu divine, il a voulu au contraire que son corps demeure sans corruption. S. Jean Chrysostome remarque : " Pour les hommes, s’ils agissent avec vaillance durant leur vie, leurs actions leur sourient ; mais avec leur mort tout disparaît. Dans le Christ, ce fut tout l’opposé. Car, avant la croix, tout est triste et faible ; mais dès qu’il a été crucifié, tout devient éclatant. Reconnais que ce n’est pas un pur homme qui a été crucifié. "

Solutions :

1. N’ayant pas été soumis au péché, le Christ n’était nullement tenu de mourir ni d’être réduit en poussière. Toutefois, c’est volontairement qu’il a subi la mort à cause de notre salut, pour les raisons que nous avons exposées. Mais, si son corps avait été soumis à la corruption ou réduit en cendres, cela aurait plutôt tourné au détriment de notre salut : n’aurait-on pas pensé qu’il n’y avait pas en lui de vertu divine ? C’est en son nom que parle le Psalmiste (30, 10) en s’écriant : " Quelle utilité y a-t-il dans mon sang, si je descends dans la corruption ? " C’est comme s’il disait : " Si mon corps se corrompt, l’utilité du sang que j’ai versé sera perdue. "

2. Par sa nature passible, le corps du Christ était apte à se corrompre ; mais cette corruption, il ne la méritait pas ; car c’est par le péché qu’on la mérite. Toutefois, la vertu divine a préservé le corps du Christ de la corruption, de même qu’elle l’a ressuscité.

3. Si le Christ est ressuscité du sépulcre, c’est par la vertu divine, qui ne connaît aucune limite. Voilà pourquoi il suffisait qu’il ressuscitât du tombeau pour prouver aux hommes que, par la vertu divine, ils ressusciteraient, non seulement de leurs sépulcres, mais aussi de n’importe quelles cendres.

 

            Article 4 — Combien de temps le Christ est-il resté dans le sépulcre ?

Objections :

1. Le Christ a dit lui-même " Comme Jonas fut dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits " (Mt 12, 40).

2. S. Grégoire écrit : " De même que Samson enleva les portes de Gaza au milieu de la nuit, c’est aussi au milieu de la nuit que le Christ enleva les portes de l’enfer et ressuscita. " Il n’est donc pas resté dans le sépulcre deux nuits entières.

3. Par la mort du Christ la lumière a triomphé des ténèbres. Or, la nuit appartient aux ténèbres, tandis que le jour appartient à la lumière. Il aurait donc mieux valu que le Christ demeurât dans le sépulcre deux jours et une nuit, plutôt que deux nuits et un jour.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Du soir de la sépulture à l’aube de la résurrection se sont écoulées trente six-heures, c’est-à-dire une journée complète entre deux nuits entières. "

Réponse :

Le temps où le Christ a demeuré au tombeau symbolise les effets de sa mort. Or, nous l’avons dit, par la mort du Christ nous sommes libérés d’une double mort, la mort de l’âme et la mort du corps ; ces deux morts sont symbolisées par les deux nuits que le Christ a passées au tombeau. Quant à sa mort, elle ne venait pas du péché, mais elle avait été acceptée par amour ; elle ressemblait donc au jour et non à la nuit ; aussi est-elle symbolisée par le jour complet que le Christ a passé dans le sépulcre. Il convenait donc que le Christ demeurât dans le tombeau un jour et deux nuits.

Solutions :

1. S. Augustin écrit : " Certains ignorent le mode de parler des Écritures ; ils ont voulu compter pour une nuit les trois heures durant lesquelles, de sexte à none, le soleil s’est obscurci ; et pour un jour, les trois autres heures durant lesquelles le soleil a été rendu à la terre, c’est-à-dire de none à son coucher. Vient ensuite la nuit du samedi ; si on la compte avec son jour, on obtient comme total deux nuits et deux jours. Au samedi succède la nuit du dimanche, jour où le Seigneur ressuscita. Mais, même ainsi, on n’obtient pas le compte des trois jours et des trois nuits. On ne peut le trouver que si, d’après la manière de parler des Écritures, on admet que le tout est compris dans la partie. " Il faut donc prendre une nuit et un jour pour un jour naturel. De cette façon, le premier jour comprend la fin du vendredi, où le Christ est mort et a été enseveli ; le deuxième jour est entier avec ses vingt-quatre heures de nuit et de jour ; quant à la nuit suivante, elle fait partie du troisième jour. " Les premiers jours du monde étaient comptés de la lumière à la nuit, à cause de la future chute de l’homme ; mais les trois jours du tombeau sont comptés des ténèbres à la lumière à cause de la restauration de l’homme. "

2. Comme l’observe S. Augustin, le Christ ressuscita au matin, alors que la lumière apparaît déjà, mais qu’il reste encore un peu des ténèbres de la nuit. Aussi S. Jean (20, 1) écrit-il à propos des femmes : " Elles vinrent au tombeau tandis qu’il y avait encore des ténèbres. " A cause de ces ténèbres, S. Grégoire écrit que le Christ ressuscita en pleine nuit, non pas juste au milieu, mais au cours de la nuit ; car l’aube peut-être appelée une partie de la nuit ou une partie du jour, à cause de son union avec la nuit et avec le jour.

3. Dans la mort du Christ, la lumière (désignée par un seul jour) a prévalu pour autant qu’elle a écarté les ténèbres de deux nuits, c’est-à-dire de notre double mort, nous l’avons dit dans la réponse.

 

 

QUESTION 52 — LA DESCENTE DU CHRIST AUX ENFERS

1. Convenait-il au Christ de descendre aux enfers ? - 2. En quel enfer est-il descendu ? - 3. A-t-il été tout entier dans les enfers ? - 4. Y a-t-il séjourné quelque temps ? - 5. A-t-il délivré de l’enfer les saints patriarches ? - 6. A-t-il délivré de l’enfer des damnés ? - 7. A-t-il délivré les enfants morts avec le seul péché originel ? - 8. A-t-il délivré les hommes du purgatoire ?

 

            Article 1 — Convenait-il au Christ de descendre aux enfers ?

Objections :

1. S. Augustin écrit : " Nulle part, dans les Écritures, je n’ai pu trouver ce mot employé dans un sens favorable. " Or, l’âme du Christ n’est pas descendue en un lieu mauvais, pas plus que les âmes des justes. Le Christ n’est donc pas descendu aux enfers.

2. Il ne pouvait y descendre avec sa nature divine, qui est tout à fait immuable ; il ne le pouvait qu’avec la nature qu’il avait assumée. Or, ce que le Christ a fait ou souffert dans cette nature est ordonné au salut des hommes. Celui-ci ne paraît pas exiger qu’il descende aux enfers, puisque, par la passion qu’il avait subie en ce monde, il nous avait délivrés de la faute et de la peine, comme on l’a prouvé’.

3. Par la mort du Christ, son âme a été séparée de son corps, qui a été déposé dans le sépulcre, on vient de le voir. Comment le Christ serait-il descendu aux enfers avec son âme seulement ? L’âme étant incorporelle ne peut se mouvoir d’un mouvement local ; ce mouvement est propre au corps, comme le démontre Aristote. Or, descendre implique un mouvement corporel.

En sens contraire, on dit dans le Symbole : " Il est descendu aux enfers. " Et S. Paul écrit (Ep 4, 9) : " S’il est monté, qu’est-ce à dire, sinon qu’il est d’abord descendu dans les régions inférieures de la terre ? " Ce que la Glose entend des " enfers ".

Réponse :

Il convenait que le Christ descende aux enfers pour plusieurs raisons : 1° Afin de nous arracher à la peine qu’il était venu supporter, d’après Isaïe (53, 4) : " En vérité, il a pris nos maladies et porté lui-même nos douleurs. " Or, par le péché, l’homme avait mérité non seulement la mort du corps, mais aussi la descente aux enfers. Donc, si le Christ devait mourir pour nous délivrer de la mort, il convenait aussi qu’il descende aux enfers, afin de nous préserver d’y descendre nous-mêmes. De là cette parole d’Osée (13, 14) : " je serai ta mort, ô mort ; je serai ta destruction, ô enfer ! "

2° Puisqu’il avait vaincu le démon par sa passion, il convenait qu’il aille délivrer ceux que celui-ci détenait captifs en enfer, selon Zacharie (9, 11 Vg) : " Toi aussi, dans le sang de ton alliance tu as retiré les captifs de la fosse. " Et S. Paul : " Dépouillant les principautés et les puissances, il les a emmenées triomphalement " (Col 2, 15).

3° De même qu’il avait montré son pouvoir en vivant et en mourant sur terre, il lui convenait de montrer aussi son pouvoir dans les enfers en les visitant et en y répandant la lumière. Aussi le Psalmiste s écrie-t-il (24, 7) : " Élevez vos portes, ô princes " ; et la Glose commente : " Princes de l’enfer, renoncez à la puissance en vertu de laquelle vous déteniez jusqu’à présent les hommes dans l’enfer " ; et ainsi, " au nom de Jésus tout genou fléchit ", non seulement " dans les cieux ", mais aussi " dans les enfers ", selon S. Paul (Ph 2, 10).

Solutions :

1. Le nom d’enfers évoque le mal de peine, mais non le mal de faute. Il convenait donc que le Christ descende dans les enfers, non comme si lui-même portait la dette de la peine, mais pour délivrer ceux qui l’avaient contractée.

2. La passion du Christ est comme la cause universelle du salut des hommes, tant vivants que morts. Or. pour appliquer une cause universelle à des effets particuliers, il faut une action spéciale. Aux vivants, la vertu de la passion du Christ est appliquée par le moyen des sacrements qui nous configurent à la passion du Christ ; aux morts, elle a été appliquée par la descente du Christ aux enfers. Aussi est-ce à dessein que Zacharie écrit (9, 11) qu’il a " retiré les captifs de la fosse, dans le sang de son alliance ", c’est-à-dire par la vertu de sa passion.

3. L’âme du Christ n’est pas descendue aux enfers à la manière des corps, mais à la manière dont les anges se meuvent, ce dont nous avons traité dans la première Partie.

 

            Article 2 — En quel enfer le Christ est-il descendu ?

Objections :

1. Il est dit par la bouche de la Sagesse divine (Si 24, 45 Vg) : " je pénétrerai toutes les parties inférieures de la terre. " Or, parmi ces parties inférieures de la terre, on compte aussi l’enfer des damnés (Psaume 63, 10 Vg) : " Ils entreront dans les lieux inférieurs de la terre. " Donc le Christ, qui est la Sagesse de Dieu, est descendu aussi jusqu’à l’enfer des damnés.

2. De plus, S. Pierre dit (Ac 2, 24) : " Dieu a ressuscité le Christ, le délivrant des douleurs de l’enfer ; car il était impossible qu’il y soit retenu. " Or, il n’y a pas de douleurs dans l’enfer des patriarches ; il n’y en a pas non plus dans l’enfer des enfants, qui ne sont pas punis de la peine du sens à cause du péché actuel, mais seulement de la peine du dam à cause du péché originel. Donc le Christ est descendu dans l’enfer des damnés, ou même au purgatoire, où les hommes sont punis de la peine du sens pour leurs péchés actuels.

3. S. Pierre écrit (1 P 3, 19) : " Le Christ est venu par l’esprit pour prêcher à ceux qui étaient retenus en prison et qui avaient été autrefois incrédules. " S. Athanase interprète ce texte de la descente du Christ aux enfers. Il dit en effet : " Le corps du Christ fut mis au tombeau, quand lui-même alla prêcher aux esprits qui étaient en prison, comme dit S. Pierre. " Il est évident d’autre part, que les incrédules se trouvaient dans l’enfer des damnés. Le Christ y est donc descendu.

4. S. Augustin écrit : " Si la Sainte Écriture avait dit que le Christ était venu dans le sein d’Abraham, sans nommer l’enfer et ses douleurs, je m’étonnerais qu’on ose affirmer qu’il est descendu aux enfers. Mais des témoignages évidents mentionnent l’enfer et ses douleurs ; aussi n’y a-t-il aucune raison de croire que le Sauveur y soit venu sinon pour délivrer de ces douleurs. " Or, le lieu de douleurs, c’est l’enfer des damnés.

5. S. Augustin enseigne encore qu’en descendant aux enfers le Christ " a délié tous les justes qui y étaient attachés par le péché originel ". Or, parmi ceux-ci, se trouvait aussi Job qui dit de lui-même (17, 16 Vg) : " Tout ce qui est à moi descendra au plus profond de l’enfer. " Le Christ aussi est donc descendu au plus profond de l’enfer.

En sens contraire, de l’enfer des damnés il est dit dans Job (10, 21) : " Avant que j’aille, sans en revenir, à la terre ténébreuse et couverte de l’ombre de la mort, où il n’y a aucun ordre, mais où habite une horreur éternelle. " Or, dit S. Paul (2 Co 6, 14) : " Il n’y a rien de commun entre la lumière et les ténèbres. " Donc le Christ, qui est la lumière, n’est pas descendu dans l’enfer des damnés.

Réponse :

On peut se trouver dans un lieu de deux manières.

1° D’abord, par l’effet qu’on y produit. De cette manière, le Christ est descendu dans chacun des enfers ; mais de façon différente. Car, dans l’enfer des damnés, il est descendu pour les confondre de leur incrédulité et de leur malice. A ceux qui étaient détenus dans le purgatoire, il a donné l’espoir d’obtenir la gloire ; quant aux saints patriarches qui étaient retenus dans les enfers à cause du seul péché originel, il leur a donné la lumière de la gloire éternelle.

2° En second lieu par son essence, et de cette manière l’âme du Christ n’est descendue que dans les enfers où les justes étaient retenus, afin de visiter aussi, dans leur lieu même et par son âme, ceux qu’il visitait intérieurement par sa divinité en leur accordant sa grâce. C’est ainsi que, en se trouvant en l’une seulement des parties de l’enfer, il a fait rayonner d’une certaine façon son action dans l’enfer entier, de même qu’en souffrant en un seul lieu de la terre il a libéré par sa passion le monde tout entier.

Solutions :

1. Le Christ, qui est la Sagesse de Dieu, " a pénétré toutes les parties inférieures de la terre ", non pas en les parcourant toutes localement avec son âme, mais en étendant à toutes en quelque sorte l’effet de sa puissance. Néanmoins, il n’a communiqué sa lumière qu’aux seuls justes. Aussi l’Ecclésiastique ajoute-t-il : " J’illuminerai tous ceux qui espèrent dans le Seigneur. "

2. On distingue deux sortes de douleurs. L’une est celle de la peine que souffrent les hommes pour un péché actuel : " Les douleurs de l’enfer m’ont enveloppé ", dit le Psaume (18, 6). - L’autre est celle qui est causée par le délai de la gloire que l’on espère : " L’espérance qui est différée afflige l’âme ", disent les Proverbes (13, 18). C’est cette douleur que ressentaient les saints patriarches en enfer ; et pour la décrire S. Augustin dit : " Ils priaient le Seigneur en le suppliant avec larmes. " En descendant aux enfers, le Christ a mis un terme à ces deux douleurs, mais diversement. Car à la douleur des peines il a mis fin en en préservant les patriarches, comme un médecin coupe court à une maladie dont il préserve par un remède. Quant aux douleurs causées par le retard de la gloire, il en a délivré sur-le-champ, en accordant la gloire aux patriarches.

3. Certains rapportent le texte de S. Pierre à la descente du Christ aux enfers, et le commentent de la façon suivante : " A ceux qui étaient retenus en prison ", c’est-à-dire en enfer, " par l’esprit ", à savoir son âme, " le Christ est venu prêcher, à eux qui autrefois avaient été incrédules ". Aussi S. Jean Damascène écrit : " Il a évangélisé ceux qui étaient en enfer comme il avait porté la bonne nouvelle à ceux qui se trouvaient sur la terre ", non pas certes pour convertir des incrédules à la foi, mais " pour confondre les incrédules ". Car cette prédication elle-même ne peut pas être autre chose que la manifestation de sa divinité, manifestation faite à ceux qui étaient en enfer, et produite par la descente pleine de puissance du Christ aux enfers.

Cependant S. Augustin fournit une meilleure explication dans une lettres : il ne rapporte pas le texte de S. Pierre à la descente du Christ aux enfers, mais à l’action de sa divinité, qu’il a exercée depuis le début du monde. Le sens du passage devient le suivant : " A ceux qui étaient retenus en prison ", c’est-à-dire à ceux qui vivaient dans un corps mortel, qui est comme une prison de l’âme, " par l’esprit " de sa divinité, " il est venu prêcher ", au moyen d’inspirations intérieures, et aussi d’avertissements extérieurs donnés par la bouche des justes ; " à ceux-là il a prêché, à eux qui autrefois avaient été incrédules ", lors de la prédication de Noé, " tandis qu’ils se reposaient sur la patience de Dieu ", qui différait le châtiment du déluge ; aussi S. Pierre ajoute-t-il : " Aux jours de Noé, pendant qu’on construisait l’arche. "

4. Le sein d’Abraham peut se considérer sous deux aspects : 1°Sous celui du repos que l’on goûtait là sans aucune peine sensible ; à ce point de vue, le nom d’enfer ne lui convient pas et il n’y a là aucune douleur. 2° Sous celui de privation de la gloire escomptée ; à ce point de vue, le sein d’Abraham évoque l’idée d’enfer et de douleur. Aussi cette expression du sein d’Abraham désigne-t-elle le repos des bienheureux ; on ne lui donne plus le nom d’enfer ; et on ne parle plus maintenant de douleurs à son sujet.

5. D’après S. Grégoire : " Ce sont les lieux supérieurs de l’enfer que Job appelle le plus profond de l’enfer. Comparée, en effet, à la hauteur du ciel, toute atmosphère est un enfer ténébreux ; comparée à la hauteur de cette atmosphère, la terre, qui se trouve au-dessous, peut-être appelée un enfer et un lieu profond ; comparée à la hauteur de cette terre, les lieux de l’enfer qui sont au-dessus de tous les autres réceptacles de l’enfer peuvent aussi être désignés par l’expression : le plus profond de l’enfer.

 

            Article 3 — Le Christ a-t-il été tout entier dans les enfers ?

Objections :

1. L’une des composantes du Christ, son corps, n’a pas été dans les enfers.

2. De plus, on ne peut donner le nom de " tout " à ce dont les parties sont séparées l’une de l’autre. Or, on le sait, après la mort, le corps et l’âme, qui sont les composantes de la nature humaine, ont été séparés l’un de l’autre dans le Christ, et c’est seulement après la mort que le Christ est descendu dans les enfers. Il n’a donc pas pu y être tout entier.

3. D’ailleurs, on dit exister tout entier dans un lieu l’être dont aucune partie n’existe ailleurs. Or, le Christ avait hors de l’enfer son corps, qui se trouvait dans le sépulcre, et sa divinité, qui était partout. Il ne fut donc pas tout entier dans les enfers.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Le Fils était tout entier chez le Père, tout entier dans le ciel, sur la terre, dans le sein de la Vierge, tout entier sur la croix, tout entier en enfer, tout entier dans le paradis où il a introduit le bon larron. "

Réponse :

On a noté dans la première Partie que les noms masculins se rapportent à l’hypostase ou personne ; les noms neutres à la nature. A la mort du Christ, si son âme fut séparée de son corps, ni son âme ni son corps ne furent pourtant séparés de la personne du Fils de Dieu, nous l’avons montré plus haut. C’est pourquoi, pendant les trois jours de sa mort, le Christ fut tout entier dans le sépulcre, car toute sa personne s’y trouva par le corps qui lui était uni. Et, pareillement, il fut tout entier dans les enfers, car toute sa personne s’y trouva en raison de l’âme qu’il s’était unie. De même aussi le Christ était tout entier partout, en raison de sa nature divine.

Solutions :

1. Le corps du Christ, qui était alors dans le sépulcre, n’était pas une composante de sa personne incréée, mais de la nature qu’il avait assumée. Aussi, que le corps du Christ n’ait pas été dans les enfers, cela n’exclut pas que le Christ y était tout entier, mais cela prouve que tout ce qui appartient à la nature humaine ne s’y trouvait pas.

2. La totalité de la nature humaine est constituée par l’union de l’âme et du corps ; mais non la totalité de la personne divine. Aussi, quand l’union de l’âme et du corps a été rompue par la mort, le Christ est-il demeuré tout entier, mais la nature humaine n’est pas restée dans sa totalité.

3. La personne du Christ est tout entière dans chaque lieu, mais elle n’y est pas totalement ; car elle n’est circonscrite par aucun lieu. Même tous les lieux pris ensemble ne peuvent pas enfermer son immensité. Mais c’est bien plutôt la personne du Christ elle-même qui, par son immensité, enferme toutes choses. Il n’y a que les réalités qui sont corporellement dans leur lieu et qui sont circonscrites par lui, dont on puisse dire que, si elles sont tout entières quelque part, aucune de leurs parties ne se trouve ailleurs. Or, tel n’est pas le cas de Dieu. Aussi S. Augustin affirme-t-il ; " Ce n’est pas en raison de la diversité des temps ou des lieux que nous disons le Christ tout entier partout, comme si maintenant il était tout entier ici, et ensuite tout entier autre part ; mais il est tout entier partout et toujours. "

 

            Article 4 — Le Christ a-t-il séjourné quelque temps dans les enfers ?

Objections :

1. Si le Christ est descendu aux enfers, ce fut pour libérer les hommes. Or, cette libération s’est faite aussitôt, dans sa descente même. k( Il est facile de relever subitement le pauvre en présence de Dieu ", dit l’Ecclésiastique (11, 22 Vg). Il semble donc que le Christ n’a pas prolongé son séjour dans les enfers.

2. S. Augustin s’écrie : " Sans aucun retard, au commandement du Seigneur et Sauveur, tous les verrous de fer se sont brisés. " Aussi est-il dit, à l’adresse des anges qui accompagnaient le Christ : " Enlevez vos portes, ô princes " (Ps 24, 7). Or, le Christ est descendu pour briser les verrous des enfers. Le Christ n’a donc pas séjourné dans les enfers.

3. S. Luc (23, 43) rapporte que le Christ sur la croix a annoncé au bon larron : " Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. " Il est donc clair que le Christ fut dans le paradis le jour même. Or, ce ne fut pas avec son corps, qui avait été mis au tombeau, mais avec son âme, qui était descendue dans les enfers. Il semble ainsi que le Christ ne séjourna pas dans les enfers.

En sens contraire, S. Pierre dit (Ac 2, 24) " Dieu l’a ressuscité, en brisant les douleurs de l’enfer, parce qu’il était impossible qu’il y soit retenu. " Il semble donc que le Christ a demeuré dans les enfers jusqu’à l’heure de la résurrection.

Réponse :

Pour prendre sur lui nos peines, le Christ a voulu que son corps soit déposé dans le sépulcre, et aussi que son âme descende aux enfers. Or, son corps est demeuré dans le sépulcre pendant un jour entier et deux nuits, afin de prouver la réalité de sa mort. Par conséquent, il faut croire que son âme a demeuré dans les enfers juste aussi longtemps, afin que simultanément son âme soit tirée des enfers et son corps du tombeau.

Solutions :

1. En descendant aux enfers, le Christ a délivré aussitôt les saints qui s’y trouvaient ; à la vérité, il ne les a pas emmenés immédiatement du lieu de l’enfer, mais il les a illuminés de la lumière de sa gloire dans les enfers mêmes. Et pourtant il convenait que son âme demeure dans les enfers aussi longtemps que son corps restait dans le sépulcre.

2. Les verrous de l’enfer, ce sont les obstacles qui empêchaient les saints patriarches de sortir des enfers, en raison de la faute du premier père. Ces verrous, le Christ les a brisés par la vertu de sa passion et de sa mort, aussitôt qu’il fut descendu aux enfers. Toutefois, il a voulu y demeurer quelque temps, pour le motif que venons de dire.

3. La parole du Seigneur au bon larron est à entendre non du paradis terrestre et corporel, mais du paradis spirituel, où se trouvent tous ceux qui jouissent de la gloire divine. Aussi le bon larron, en ce qui concerne le lieu, est-il descendu aux enfers avec le Christ, afin d’être avec lui, ainsi qu’il lui avait été promis : " Tu seras avec moi dans le paradis. " Toutefois, en ce qui regarde la récompense, il fut au paradis, car il jouissait là de la divinité du Christ, comme les autres saints.

 

            Article 5 — Le Christ a-t-il délivré des enfers les saints patriarches ?

Objections :

1. S. Augustin écrit : " Chez les justes qui étaient dans le sein d’Abraham, je n’ai pas encore trouvé quel bienfait le Christ leur aurait apporté en descendant aux enfers ; car je ne vois pas qu’il se soit jamais retiré d’eux quant à la présence béatifiante de sa divinité. " Or, il leur aurait apporté un grand bienfait, s’il les avait délivrés des enfers.

2. Personne n’est retenu dans les enfers sinon pour un péché. Or, durant leur vie, les saints patriarches avaient été justifiés de leur péché par la foi au Christ. Ils n’avaient donc pas besoin d’être libérés par la descente du Christ aux enfers. 3. Si l’on écarte la cause, on supprime l’effet. Mais la cause de la descente aux enfers est le péché, qui avait été écarté, nous l’avons dit, par la passion du Christ. Les saints patriarches n’ont donc pas été ramenés des enfers par le Christ qui y était descendu.

En sens contraire, S. Augustin dit que lorsque le Christ est descendu aux enfers, " il en a brisé la porte et les verrous de fer, et il a délivré tous les justes qui s’y trouvaient enchaînés par le péché originel ".

Réponse :

On vient de le dire lors de sa descente aux enfers, le Christ a agi en vertu de sa passion. Par sa passion, il a libéré le genre humain non seulement du péché, mais aussi de l’obligation de la peine, nous l’avons montré plus haut. Les hommes étaient astreints à l’obligation de la peine d’une double manière : 1° à cause du péché actuel, que chacun commet personnellement ; 2° à cause du péché de toute la nature humaine, qui, dit S. Paul (Rm 5, 12), passe du premier père chez tous les hommes, par voie d’origine. La peine de ce péché originel, c’est la mort corporelle et la perte de la vie de gloire, comme on le voit dans la Genèse (2, 17 ; 3, 3) ; car l’homme que Dieu avait menacé de mort, s’il venait à pécher, il l’a chassé du paradis après le péché. Et c’est pourquoi, en descendant aux enfers, le Christ, par la vertu de sa passion, a délivré les saints de cette contrainte en raison de laquelle ils étaient exclus de la vie de gloire, de sorte qu’ils ne pouvaient voir Dieu par essence, ce qui constitue la parfaite béatitude de l’homme, comme nous l’avons dit dans la deuxième Partie. Or, les saints patriarches étaient retenus dans les enfers parce que l’entrée dans la vie de gloire ne leur était pas ouverte à cause du péché du premier père. Et ainsi, en descendant aux enfers, le Christ en a délivré les saints patriarches. C’est ce qu’avait dit le prophète Zacharie (9, 11 Vg) : " Toi, c’est dans le sang de ton alliance, que tu as retiré les captifs de la fosse sans eau. " Et S. Paul écrit (Col 2, 15) : " Dépouillant les principautés et les puissances, le Christ les a emmenées. " La Glose commente en disant que " le Christ a dépouillé les principautés et les puissances de l’enfer, et, ayant enlevé Abraham, Isaac, Jacob et les autres justes, les a emmenés au ciel loin de ce royaume de ténèbres ".

Solutions :

1. Dans le texte cité, S. Augustin s’élève contre ceux qui croyaient que, avant la venue du Christ, les anciens justes avaient été soumis dans les enfers à des peines douloureuses. Aussi un peu auparavant avait-il écrit : " Certains prétendent qu’aux anciens justes avait été aussi concédé le bienfait d’être délivrés des douleurs, lorsque le Seigneur était venu dans les enfers. Mais, comment entendre qu’Abraham, dans le sein duquel le saint pauvre Lazare avait été reçu, aurait subi ces douleurs, moi je ne le vois pas. " Voilà pourquoi, quand S. Augustin ajoute ensuite " qu’il n’a pas encore trouvé quel bienfait la descente du Christ aux enfers avait pu apporter aux anciens justes ", il faut l’entendre d’une délivrance de peines douloureuses.

Toutefois, le Christ leur a procuré l’acquisition de la gloire et, par conséquent, les a délivrés de la douleur qu’ils ressentaient de la voir retardée. Cependant, l’espoir qu’ils avaient de posséder cette gloire leur donnait une grande joie, d’après cette parole en S. Jean (3, 56) : " Abraham, votre père, exulta à la pensée de voir mon jour. " Et voilà pourquoi S. Augustin continue : " je ne vois pas qu’il se soit jamais retiré d’eux quant à la présence bienfaisante de sa divinité " ; avant l’arrivée du Christ, en effet, ils étaient bienheureux en espérance, quoique sans l’être parfaitement en réalité.

2. Durant leur vie, les saints patriarches ont été libérés, par la foi au Christ, de tout péché, aussi bien originel qu’actuel ; ils ont été libérés aussi de l’obligation à la peine due pour leurs péchés actuels, mais non de la peine due pour le péché originel, qui les excluait de la gloire, tant que n’était pas acquitté le prix de la rédemption humaine. Pareillement, maintenant, les fidèles du Christ sont délivrés, par le baptême, de la peine due pour leurs péchés actuels ; quant à la peine due pour le péché originel, ils ne sont plus condamnés à être exclus de la gloire, mais ils demeurent pourtant encore soumis à la nécessité de mourir d’une mort corporelle, car ils sont renouvelés selon l’esprit, mais pas encore selon la chair, selon le mot de S. Paul (Rm 8, 10) : " Le corps est mort, à cause du péché ; mais l’esprit est vivant, à cause de la justification. "

3. Aussitôt que le Christ eut subi la mort, son âme descendit aux enfers et communiqua le fruit de sa passion aux saints qui y étaient enfermés. Cependant, ils ne sont pas sortis de ce lieu tant que le Christ est demeuré dans les enfers, car la présence même du Christ les comblait de gloire.

 

            Article 6 — Le Christ a-t-il délivré de l’enfer des damnés ?

Objections :

1. Isaïe écrit (24, 22) : " Ils seront réunis en groupe dans la fosse et enfermés là dans une prison ; après de nombreux jours, ils seront visités. " Comme l’explique S. Jérôme , Isaïe parle ici des damnés qui ont adoré " la milice du ciel ". Il semble donc que, lorsque le Christ est descendu aux enfers, même les damnés ont été visités. Ce qui devait être pour leur libération.

2. Ce texte de Zacharie (3, 11 Vg) : " Toi, c’est dans le sang de ton alliance que tu as retiré les captifs de la fosse sans eau ", la Glose le commente ainsi : " Tu as délivré ceux qui étaient tenus captifs dans les prisons où aucune miséricorde ne les rafraîchissait, cette miséricorde à laquelle faisait appel le riche de l’Évangile. " Or, seuls les damnés sont enfermés dans les prisons sans aucune miséricorde. Donc le Christ en a délivré quelques-uns de l’enfer.

3. La puissance du Christ n’est pas moindre dans l’enfer qu’en ce monde ; car, de part et d’autre, le Christ a opéré par la puissance de sa divinité. Or, dans ce monde, il a délivré certains hommes de toutes sortes d’état. Donc, dans l’enfer aussi, il a libéré certains hommes de la damnation.

En sens contraire, il est dit dans Osée (13, 14) : " je serai ta mort, ô mort, ta destruction, ô enfer! " La Glose ajoute : " En emmenant les élus et en y laissant les réprouvés. " Or, seuls, les réprouvés sont dans l’enfer des damnés. Donc, par la descente du Christ aux enfers, personne n’a été libéré de l’enfer des damnés.

Réponse :

On vient de le voir, en descendant aux enfers, le Christ a opéré en vertu de sa passion.

Aussi sa descente aux enfers n’a-t-elle apporté le fruit de la délivrance qu’à ceux qui avaient été unis à la passion du Christ par la foi jointe à la charité, qui en est la forme et qui enlève les péchés. Or, ceux qui se trouvaient dans l’enfer des damnés ou bien n’avaient possédé la foi d’aucune manière, comme les infidèles, ou bien, s’ils avaient possédé la foi, n’avaient eu aucune conformité avec la charité du Christ souffrant. Ils n’avaient donc pas été purifiés de leurs péchés. Telle est la raison pour laquelle la descente du Christ aux enfers ne leur a pas apporté la délivrance de leur obligation à la peine de l’enfer.

Solutions :

1. Lors de la descente du Christ aux enfers, tous ceux qui se trouvaient dans quelque partie de l’enfer ont été d’une certaine façon visités ; les uns pour leur consolation et leur délivrance ; les autres pour leur condamnation et leur confusion ; ceux-ci sont les damnés. Aussi Isaïe ajoute-t-il dans le texte cité (24, 23) : " La lune rougira et le soleil sera confondu. "

On peut aussi rapporter ce texte d’Isaïe à la visite que recevront les damnés au jour du jugement, non pour être délivrés, mais pour être condamnés davantage encore, selon le mot de Sophonie (1, 12). " je visiterai les hommes qui croupissent sur leurs ordures. "

2. Le commentaire de la Glose : " Là, aucune miséricorde ne les rafraîchissait ", doit s’entendre du rafraîchissement que donne la délivrance parfaite ; car les saints patriarches ne pouvaient être délivrés de ces prisons de l’enfer avant l’arrivée du Christ.

3. Ce ne fut pas à cause de l’impuissance du Christ que des âmes n’ont pas été délivrées de chacun des états où elles pouvaient se trouver dans les enfers, comme des hommes ont été délivrés de chacun des états où ils se trouvaient en ce monde ; mais ce fut à cause de la différence de leurs conditions. Car les hommes, tant qu’ils vivent, peuvent se convertir à la foi et à la charité, étant donné que durant cette vie ils ne sont pas confirmés dans le bien ou dans le mal comme ils le seront après leur sortie de ce monde.

 

            Article 7 — Le Christ a-t-il délivré les enfants morts avec le seul péché originel ?

Objections :

1. Les enfants morts avec le péché originel n’étaient détenus dans les enfers que pour ce péché originel. De même que les anciens patriarches. Mais on vient de voir que ceux-ci ont été libérés des enfers par le Christ. Donc pareillement les enfants.

2. S. Paul écrit (Rm 5, 15) : " Si, par la faute d’un seul, beaucoup sont morts, à plus forte raison la grâce de Dieu et ses dons ont-ils abondé en un plus grand nombre dans la grâce d’un seul homme : Jésus Christ. " Or, c’est à cause du péché du premier père que les enfants morts avec le seul péché originel sont détenus dans les enfers. Donc, à plus forte raison, ont-il été délivrés par la grâce du Christ.

3. De même que le baptême agit en vertu de la passion, de même la descente du Christ aux enfers, comme il est clair par ce que l’on vient de dire. Or, par le baptême, les enfants sont délivrés du péché originel et de l’enfer. Donc, pareillement, ils sont délivrés par la descente du Christ aux enfers.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 3, 25) : " Dieu a exposé le Christ comme instrument de propitiation par la foi en son sang. " Or, les enfants qui étaient morts avec le seul péché originel n’avaient participé d’aucune manière à la foi dans le Christ. Ils n’ont donc pas perçu le fruit de la propitiation du Christ, en vue d’être délivrés par lui de l’enfer.

Réponse :

La descente du Christ aux enfers n’a apporté la délivrance qu’à ceux qui étaient unis par la foi et la charité à sa passion ; c’est en effet par elle seulement que la descente du Christ était libératrice. Or, les enfants qui étaient morts avec le péché originel n’étaient nullement unis à la passion du Christ par la foi et par l’amour. La foi, ils n’avaient pu l’avoir en propre, puisqu’ils n’avaient pas eu l’usage de leur libre arbitre ; et ils n’avaient pas non plus été purifiés du péché originel par la foi de leurs parents, ni par quelque sacrement de la foi. C’est pour cela que la descente du Christ aux enfers n’a pas délivré les enfants qui s’y trouvaient.

D’ailleurs, si les saints patriarches ont été délivrés des enfers, c’est qu’ils ont été admis à la gloire de la vision divine. Or, à cette gloire personne ne peut parvenir que par la grâce, d’après S. Paul (Rm 6, 23) : " La vie éternelle est une grâce de Dieu. " Puisque les enfants morts avec le péché originel, n’ont pas reçu la grâce, ils n’ont pas été libérés des enfers.

Solutions :

1. Si les saints patriarches encouraient encore la contrainte du péché originel en tant qu’elle concerne la nature humaine, cependant par la foi au Christ ils avaient été délivrés de toute souillure du péché. Aussi étaient-ils capables de cette délivrance que le Christ a apportée en descendant aux enfers. Mais, on vient de le montrer, il n’en était pas de même pour les enfants.

2. Lorsque l’Apôtre écrit que " la grâce de Dieu a abondé en un plus grand nombre ", ce plus grand nombre ne doit pas, être pris comparativement, comme si les hommes sauvés par la grâce du Christ étaient plus nombreux que les hommes damnés par le péché d’Adam ; mais il faut l’entendre d’une manière absolue, comme si S. Paul disait que la grâce d’un seul, le Christ, a abondé en beaucoup d’hommes, de même que le péché d’un seul, Adam, est parvenu a beaucoup d’hommes aussi. Or le péché d’Adam a atteint seulement ceux qui étaient nés d’Adam d’une manière charnelle et par voie séminale. Pareillement, la grâce du Christ parvient seulement à ceux qui sont devenus ses membres par une régénération spirituelle. Ce qui n’est pas le cas des enfants morts avec le péché originel.

3. Le baptême est conféré en cette vie, où l’on peut passer de la faute à la grâce ; mais la descente du Christ aux enfers n’eut d’effet sur les âmes que dans l’au-delà, où un tel passage à la grâce n’est plus possible. Aussi les enfants sont-ils libérés du péché originel par le baptême, mais non par la descente du Christ aux enfers.

 

            Article 8 — Par sa descente aux enfers, le Christ a-t-il libéré les hommes du purgatoire ?

Objections :

1. S. Augustin écrit : " Des témoignages évidents mentionnent l’enfer avec ses douleurs ; il n’y a aucun motif de croire que le Sauveur y soit venu, sinon pour délivrer de ces douleurs. Mais a-t-il délivré tous ceux qu’il y a trouvés, ou seulement ceux qu’il a jugé dignes de cette faveur, je le cherche encore. Il est pourtant indubitable que le Christ est venu dans les enfers et qu’il a octroyé le bienfait de la délivrance à ceux qui s’y trouvaient dans les douleurs. " Or, ainsi qu’on l’a vu il n’a pas accordé ce bienfait aux damnés. En dehors d’eux, il n’y a, pour souffrir ces peines, que ceux qui sont au purgatoire. Donc le Christ a délivré les âmes du purgatoire.

2. La présence du Christ n’aurait pas eu moins d’effet que ses sacrements. Or, par les sacrements du Christ, les âmes sont délivrées du purgatoire ; surtout par le sacrement de l’eucharistie, on le montrera plus loin. Donc à plus forte raison, par la présence même du Christ qui était descendu aux enfers, les âmes ont été délivrées du purgatoire.

3. Tous ceux qu’il a guéris en cette vie, le Christ les a guéris totalement, ainsi que l’écrit S. Augustin. Le Seigneur lui-même le dit aussi (Jn 7, 23) : " J’ai sauvé totalement cet homme le jour du sabbat. " Or, ceux qui se trouvaient dans le purgatoire, le Christ les a délivrés de l’obligation à la peine du dam, qui les excluait de la gloire. Il les a donc aussi libérés de la peine du purgatoire.

En sens contraire, S. Grégoire écrit : " Après avoir franchi les portes de l’enfer, notre Créateur et Rédempteur en a ramené les âmes des élus ; il ne souffre donc pas que nous allions dans les lieux où il est déjà descendu, pour libérer d’autres âmes. " Or, il souffre que nous allions dans le purgatoire. En descendant dans les enfers, il n’a donc pas délivré les âmes du purgatoire.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises. la descente du Christ aux enfers a produit la délivrance en vertu de sa passion. Or, cette passion ne possède pas une vertu temporaire et transitoire, mais une vertu éternelle : " Par une seule oblation, il a parfait pour toujours les sanctifiés " (He 10, 14). Et ainsi, il est clair que la passion du Christ n’a pas eu alors plus d’efficacité qu’elle n’en a maintenant. Voilà pourquoi ceux qui étaient à ce moment dans l’état où sont maintenant les âmes du purgatoire n’ont pas été délivrés du purgatoire par la descente du Christ aux enfers. Si, toutefois, certaines âmes se sont alors trouvées dans la condition où sont actuellement les âmes qui sont délivrées du purgatoire, rien ne s’oppose à ce qu’elles aient été libérées du purgatoire par la descente du Christ aux enfers.

Solutions :

1. Du texte de S. Augustin on ne peut conclure que tous ceux qui se trouvaient dans le purgatoire en ont été délivrés, mais que cette faveur a été octroyée à quelques-uns d’entre eux, c’est-à-dire à ceux qui étaient déjà suffisamment purifiés, ou même à ceux qui avaient mérité durant leur vie, par leur foi et leur dévotion à la mort du Christ, d’être libérés de la peine temporelle du purgatoire, lorsque le Christ descendrait aux enfers.

2. La vertu du Christ agit dans les sacrements par mode de guérison et d’expiation. Le sacrement de l’eucharistie libère donc l’homme du purgatoire autant qu’elle est un sacrifice satisfactoire pour le péché. Or, la descente du Christ aux enfers n’a pas été satisfactoire. Elle agissait pourtant en vertu de la passion, qui, a été satisfactoire, ainsi qu’on l’a vu plus haut ; mais la passion n’était elle-même satisfactoire qu’en général ; sa vertu devait être appliquée aux hommes par des moyens particuliers et spéciaux à chacun d’entre eux. Il n’était donc pas nécessaire que la descente du Christ aux enfers les libère tous du purgatoire.

3. Les faiblesses, dont le Christ guérissait simultanément les hommes en cette vie, étaient personnelles et propres à chacun d’eux. Mais l’exclusion de la gloire de Dieu était une déficience générale qui atteignait toute la nature humaine. Aussi rien n’empêche que ceux qui étaient dans le purgatoire aient été délivrés par le Christ de cette peine qu’est l’exclusion de la gloire, sans être libérés de l’obligation à la peine du purgatoire, qui est personnelle à chacun. Les saints patriarches, au contraire, ont été libérés, avant l’arrivée du Christ, de leurs peines personnelles, mais non de la peine commune, comme on l’a dit plus haut.

L’EXALTATION DU CHRIST

1. Sa résurrection (Q. 53-56). - II. Son ascension (Q. 57). - III. Sa session à la droite du Père (Q. 58). - IV. Son pouvoir judiciaire (Q. 59).

SA RÉSURRECTION

L’étude de la résurrection considérera : 1° La résurrection en elle-même. (Q. 53) - 2° Les qualités du Christ ressuscité (Q. 54). - 3° La manifestation de la résurrection (Q. 55). - 4° La causalité de la résurrection (Q. 56).

 

 

QUESTION 53 — LA RÉSURRECTION DU CHRIST EN ELLE-MÊME

1. Sa nécessité. - 2. Au troisième jour. - 3. Dans quel ordre elle s’est accomplie. - 4. Sa cause.

 

            Article 1 — La nécessité de la Résurrection

Objections :

1. S. Jean Damascène écrit : " Pour un être vivant, la résurrection c’est le fait de se relever quand son corps s’était dissous ou était tombé. " Or. le Christ n’est pas tombé par le péché, ni son corps ne s’est dissous, on vient de le montrer. Il ne lui convient donc pas au sens propre de ressusciter.

2. Ressusciter, c’est être promu à un état plus élevé. Car c’est surgir, et surgir implique un mouvement vers le haut. Or, le corps du Christ, après la mort, est demeuré uni à la divinité, et il ne pouvait pas monter plus haut. Il ne lui convenait donc pas de ressusciter.

3. Tout ce qui touche l’humanité du Christ est ordonné à notre salut. Or, la passion du Christ suffisait pleinement à notre salut, puisque par elle nous sommes délivrés de la peine et de la faute, on l’a montré. Il n’était donc pas nécessaire que le Christ ressuscite d’entre les morts.

En sens contraire, on lit dans S. Luc (24, 46) : " Il fallait que le Christ souffre et ressuscite d’entre les morts. "

Réponse :

Qu’il ait été nécessaire que le Christ ressuscite, on peut en donner cinq raisons :

1° La glorification de la justice divine. Il lui convient en effet d’exalter ceux qui s’humilient à cause de Dieu, d’après S. Luc (1, 52) : " Il a déposé les puissants de leur trône, et il a élevé les humbles. " Le Christ s’étant humilié jusqu’à la mort de la croix par charité et par obéissance à Dieu, il fallait que Dieu l’exalte jusqu’à la résurrection glorieuse. C’est en sa personne que le Psalmiste dit (139, 2) : " Tu as connu ", c’est-à-dire tu as approuvé, " ma chute ", c’est-à-dire mon humiliation et ma passion, " et aussi ma résurrection ", c’est-à-dire ma glorification dans la résurrection : ces explications du Psaume sont de la Glose.

2° L’instruction de notre foi. Par la résurrection notre foi en la divinité du Christ se trouve confirmée car, dit S. Paul (2 Co 13,4) : " Quoiqu’il ait été crucifié en raison de sa faiblesse, il vit cependant par la vertu de Dieu. " Aussi dit-il encore (1 Co 15, 14) : " Si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est notre prédication, vaine aussi notre foi. " Et le Psalmiste (30, 10) affirme : " Quelle utilité y a-t-il dans mon sang ", c’est-à-dire dans l’effusion de mon sang, " tandis que je descends ", comme par une échelle de malheurs, " dans la corruption ? ". Comme s’il disait : Il n’y a aucune utilité. " Si, en effet, je ne ressuscite pas aussitôt et que mon corps se corrompe, explique la Glose, je ne l’annoncerai à personne, je ne gagnerai personne. "

3° Le relèvement de notre espérance. En voyant ressusciter le Christ, qui est notre tête, nous espérons ressusciter nous aussi. Aussi est-il écrit (1 Co 15, 12) : " Si l’on prêche que le Christ est ressuscité, comment certains parmi vous disent-ils qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? " Et Job (19, 25) assurait : " je sais ", par la certitude de la foi, " que mon Rédempteur ", le Christ, " est vivant ", ressuscité d’entre les morts ; aussi " au dernier jour me lèverai-je de terre ; telle est l’espérance qui est fixée dans mon cœur ".

4° La formation morale des fidèles. S. Paul écrit (Rm 6, 4) - " Le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père ; de même, nous, marchons dans une vie renouvelée. " Et il ajoute : " Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus ; de même vous, croyez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu. "

5° L’achèvement de notre salut. Si en mourant il a supporté les maux afin de nous en délivrer, en ressuscitant il a été glorifié afin de nous pousser vers le bien, suivant cette parole (Rm 4, 25) : " Il s’est livré pour nos péchés, et il a ressuscité pour notre justification. "

Solutions :

1. Le Christ n’est pas tombé par le péché, et pourtant il est tombé par la mort ; car, si le péché est une chute par rapport à la justice, la mort en est une par rapport à la vie. Aussi peut-on considérer comme dit par le Christ cette parole de Michée (7, 8) : " Ne te réjouis pas à mon sujet, ô mon ennemie, parce que je suis tombé ; car je me relèverai. "

De même aussi le corps du Christ ne s’est pas dissous comme s’il avait été réduit en poussière ; cependant on peut appeler dissolution la séparation de l’âme et du corps.

2. La divinité était unie à la chair du Christ, après sa mort, d’une union personnelle ; elle ne l’était pas d’une union de nature, selon laquelle l’âme est unie au corps comme une forme afin de constituer la nature humaine. Voilà pourquoi, en s’unissant de nouveau à l’âme, le corps du Christ a été promu a un état plus élevé dans l’ordre de la nature, mais non pas plus élevé dans l’ordre de la personne.

3. La passion du Christ a accompli notre salut, à proprement parler, en écartant les maux qui s’y opposaient ; mais la résurrection l’a accompli en ouvrant la série des biens dont elle est le modèle.

 

            Article 2 — La résurrection du Christ au troisième jour

Objections :

1. Les membres doivent se conformer à leur tête. Or nous, qui sommes les membres du Christ, nous ne ressuscitons pas le troisième jour après notre mort, mais notre résurrection est retardée jusqu’à la fin du monde. Il semble donc que le Christ, notre tête, n’aurait pas dû ressusciter le troisième jour, mais que sa résurrection aurait dû être retardée jusqu’à la fin du monde.

2. S. Pierre dit (Ac 2, 24) : " Il était impossible que le Christ fût détenu par l’enfer " et par la mort. C’est donc le jour même de sa mort que le Christ aurait dû ressusciter, et non le troisième jour. D’autant plus que la Glose citée à l’article précédent remarque : " Il n’y aurait eu aucune utilité dans l’effusion du sang du Christ, s’il n’était ressuscité aussitôt. "

3. Le jour commence au lever du soleil, dont la présence cause le jour. Or, le Christ est ressuscité avant le lever du soleil. On lit, en effet, en S. Jean (20, 1) : " Le premier jour après le sabbat, Marie-Madeleine vint le matin au tombeau, alors qu’il faisait encore sombre. " Et pourtant, le Christ était déjà ressuscité, car S. Jean ajoute : " Et elle vit la pierre roulée de devant le tombeau. " Le Christ n’est donc pas ressuscité le troisième jour.

En sens contraire, il est prédit en S. Matthieu (20, 19) : " Ils livreront le Fils de l’homme aux païens afin de le bafouer, de le flageller et de le crucifier, et il ressuscitera le troisième jour. "

Réponse :

On vient de le dire, la résurrection du Christ était nécessaire à l’instruction de notre foi.

Or, notre foi porte sur la divinité et sur l’humanité du Christ ; comme nous l’avons montré il ne suffit pas de croire à l’une sans croire à l’autre. C’est pourquoi, afin de confirmer la foi en la réalité de la divinité du Christ, il a fallu qu’il ressuscite promptement, et que sa résurrection ne soit pas différée jusqu’à la fin du monde. D’autre part, afin de confirmer la foi en la réalité de son humanité et de sa mort, il était nécessaire qu’il y ait un intervalle de temps entre la mort et la résurrection. Si, en effet, il avait ressuscité aussitôt après sa mort, il aurait pu sembler que sa mort n’était pas réelle, et que, par conséquent, sa résurrection ne l’était pas non plus. Or, pour manifester la réalité de la mort du Christ, il suffisait que sa résurrection soit retardée jusqu’au troisième jour ; il n’est pas possible, en effet, que durant ce laps de temps un homme qui paraît mort continue à vivre sans donner des signes de vie.

Le fait que le Christ est ressuscité le troisième jour souligne aussi la perfection du nombre trois ; c’est le nombre de toute réalité, puisqu’" il a un commencement, un milieu et une fin ", selon Aristote.

Ce fait offre aussi un autre symbolisme : par son unique mort corporelle, qui a été lumière en raison de la justice, le Christ a détruit nos deux morts, celle du corps et celle de l’âme, qui sont ténébreuses en raison du péché ; et c’est pourquoi le Christ est demeuré dans la mort pendant un jour entier et deux nuits, remarque S. Augustin Ce fait montre encore que par la résurrection du Christ une troisième période commençait. La première s’était déroulée avant la loi, la seconde se place sous la réalité de la foi, le troisième allait se dérouler sous la grâce.

Avec la résurrection du Christ a commencé aussi une troisième époque pour les saints. La première se situait sous les figures de la loi, la seconde sous la réalité de la foi, la troisième se placera dans l’éternité de la gloire, que le Christ a inaugurée en ressuscitant.

Solutions :

1. La tête et les membres sont conformes en nature, mais non en puissance ; car la puissance de la tête est plus forte que celle des membres. Aussi, pour démontrer l’excellence de la puissance du Christ, convenait-il que le Christ ressuscite le troisième jour, tandis que notre résurrection est retardée jusqu’à la fin du monde.

2. Toute détention implique une violence. Or, le Christ n’était nullement détenu par la mort, mais il restait " libre parmi les morts ". S’il est demeuré quelque temps dans la mort, ce ne fut donc pas comme un détenu, mais de son plein gré, aussi longtemps qu’il le jugea nécessaire à l’instruction de notre foi. Or, ce qui se fait après un bref intervalle est dit se produire tout de suite.

3. On l’a remarqué plus haut le Christ est ressuscité au point du jour, quand la lumière commence à paraître, afin de symboliser que par sa résurrection il nous introduisait à la lumière de la gloire ; pareillement, il est mort lorsque le jour s’approchait du soir et des ténèbres, afin de montrer que par sa mort il détruisait les ténèbres de la faute et de la peine. On dit toutefois qu’il a ressuscité le troisième jour, en prenant le mot " jour " dans le sens de jour naturel comprenant un es ace de vingt-quatre heures. D’après S. Augustin," la nuit jusqu’au matin où la résurrection du Seigneur s’est manifestée appartient au troisième jour. Dieu a dit en effet : "Que la lumière sorte des ténèbres", afin que la grâce du Nouveau Testament et par la participation à la résurrection du Christ nous comprenions le sens de cette parole (Ep 5, 8) : "Vous avez été jadis ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. " Par là il nous suggère en quelque sorte que le jour tire de la nuit son commencement. Les premiers jours du monde étaient comptés de la lumière à la nuit, à cause de la future chute de l’homme ; mais les trois jours du tombeau sont comptés des ténèbres à la lumière, à cause de la restauration de l’homme. "

Et ainsi il est clair que, même si le Christ avait ressuscité au milieu de la nuit, on pourrait dire encore qu’il a ressuscité le troisième jour, en l’entendant du jour naturel. Mais, étant donné qu’il a ressuscité au point du jour, on peut dire qu’il a ressuscité le troisième jour, même en le comprenant du jour solaire, puisque déjà le soleil commençait à éclairer l’atmosphère. - Aussi S. Marc (16, 2) dit-il que les femmes vinrent au tombeau " lorsque le soleil était déjà levé " ; ce qui ne contredit pas le mot de S. Jean : " Alors qu’il faisait encore sombre " ; car, observe S. Augustin, " quand le jour se lève, les ténèbres disparaissent peu à peu, à mesure que monte la lumière. Quant à la précision de S. Marc : "Lorsque le soleil était déjà levé", il ne faut pas l’entendre comme si le soleil lui-même avait déjà paru au-dessus de l’horizon, mais comme près de se lever pour ces régions.

 

            Article 3 — Dans quel ordre s’est accomplie la résurrection du Christ ?

Objections :

1. Dans l’Ancien Testament, Élie et Elisée ont ressuscité des morts. Comme l’affirme l’épître aux Hébreux (11, 35) : " Des femmes ont retrouvé leurs morts ressuscités par eux. " Pareillement, le Christ avant sa passion a ressuscité trois morts. Donc il n’est pas le premier des ressuscités.

2. Entre autres miracles qui se sont produits lors de la passion du Christ, S. Matthieu raconte (7, 52) : " Les tombeaux s’ouvrirent, et de nombreux corps de saints qui étaient morts ressuscitèrent. "

3. Par sa résurrection le Christ est cause de notre résurrection, comme par sa grâce il est cause de notre grâce, car il est dit en S. Jean (1, 16) : " De sa plénitude nous avons tous reçu. " Or, avant le Christ, certains avaient reçu la grâce, par exemple les saints patriarches de l’Ancien Testament. Certains sont donc aussi parvenus à la résurrection corporelle avant le Christ.

En sens contraire, sur le texte (1 Co 15, 20) " Le Christ est ressuscité d’entre les morts, premier de ceux qui dorment ", la Glose explique : " C’est lui qui est ressuscité en premier, comme il convenait à sa dignité. "

Réponse :

La résurrection est le retour de la mort à la vie. Or, on peut être arraché à la mort de deux manières : 1° en commençant à mener sa vie dans les mêmes conditions que jadis, après avoir subi la mort : 2° en étant délivré non seulement de la mort, mais même de la nécessité, et, qui plus est, de la possibilité de mourir. Et telle est la vraie et parfaite résurrection ; car, aussi longtemps que l’on vit soumis à la nécessité de mourir, on demeure dominé en quelque façon par la mort : " Le corps est mort à cause du péché " (Rm 8, 10). De même, pouvoir être, ce n’est être que d’une manière relative, c’est-à-dire en puissance. Par où il est clair que la résurrection en vertu de laquelle on est arraché seulement à la mort actuelle est une résurrection imparfaite.

Ainsi donc, si l’on parle de résurrection parfaite, le Christ est le premier des ressuscités ; car, en ressuscitant, lui-même est parvenu le premier à la vie pleinement immortelle, selon l’épître aux Romains (6, 9) : " Le Christ, ressuscité des morts, ne meurt plus. " Mais, si l’on parle de résurrection imparfaite, certains autres ont ressuscité avant le Christ, afin de montrer à l’avance, comme dans un symbole, sa résurrection à lui.

Solutions :

1. Par là se trouve résolue la première objection ; car ceux qui ont été ressuscités dans l’Ancien Testament, ou ceux qui ont été ressuscités par le Christ sont revenus à la vie, mais pour mourir de nouveau.

2. Au sujet de ceux qui ont ressuscité avec le Christ, on constate une double opinion. Certains affirment qu’ils sont revenus à la vie pour ne plus mourir ; ce leur eût été en effet un plus grand tourment de mourir une seconde fois que de ne pas ressusciter. En ce sens, il faut entendre avec S. Jérôme, qu’" ils ne ressuscitèrent pas avant la résurrection du Seigneur ". Aussi l’Évangéliste écrit-il : " Ils sortirent de leurs tombeaux après la résurrection du Christ et vinrent dans la cité sainte, où ils apparurent à beaucoup. "

Mais, en citant cette opinion, S. Augustin remarque : " je sais que, d’après certains, lors de la mort du Christ Seigneur, la résurrection telle qu’elle nous est promise pour la fin aurait déjà été accordée à quelques justes. Pourtant, si ces justes ne se sont pas de nouveau endormis en laissant une seconde fois leurs corps, comment comprendre que le Christ soit le premier-né d’entre les morts, puisqu’un si grand nombre l’ont précédé dans cette résurrection ? On répondra peut-être que l’Évangéliste parle par anticipation : les tombeaux se seraient ouverts au moment du tremblement de terre, pendant que le Christ était suspendu à la croix, tandis que les corps des justes ne seraient pas ressuscités à cet instant, mais seulement après la résurrection du Christ. Il reste alors une difficulté : comment S. Pierre aurait-il pu affirmer devant les Juifs qu’il fallait appliquer non à David mais au Christ la prédiction que sa chair ne verrait pas la corruption, pour ce motif que le tombeau de David était encore parmi eux ? Les aurait-il convaincus, si le corps de David ne s’était plus trouvé dans le tombeau ? Car, même si David était ressuscité auparavant et peu de temps après sa mort, et que sa chair n’ait pas vu la corruption, son tombeau pouvait néanmoins subsister. Par ailleurs, il semble dur que David n’ait pas été parmi les justes ressuscités, si cette résurrection leur est déjà donnée pour l’éternité, puisque le Christ est acclamé comme descendant de David. En outre, comment soutenir ce que l’épître aux Hébreux (11, 40) dit des anciens justes : "Ils ne seront pas conduits sans nous à leur consommation finale", s’ils avaient déjà été établis dans l’incorruptibilité de la résurrection qui nous est promise pour la fin comme notre perfection dernière ? "

Ainsi donc, S. Augustin semble être d’avis que les justes ont ressuscité pour mourir de nouveau. De ce sentiment se rapproche ce qu’écrit S. Jérôme : " Comme Lazare, beaucoup de corps de saints ont ressuscité pour prouver la résurrection du Seigneur. " Toutefois, ailleurs il laisse la chose en doute. En fin de compte, les arguments de S. Augustin paraissent beaucoup plus efficaces.

3. Ce qui a précédé l’arrivée du Christ fut une préparation à sa venue ; de même la grâce est une disposition à la gloire. C’est pourquoi, tout ce qui appartient à la gloire, soit de l’âme, comme la jouissance parfaite de Dieu, soit du corps, comme la résurrection glorieuse, devait d’abord se produire dans le Christ, auteur de la gloire. Mais il convenait que la grâce soit d’abord en ceux qui étaient ordonnés au Christ.

 

            Article 4 — La cause de la résurrection du Christ

Objections :

1. Lorsque l’on est ressuscité par un autre, on ne saurait être la cause de sa résurrection. Or le Christ a été ressuscité par Dieu, dit S. Pierre (Ac 2, 24) : " Dieu l’a ressuscité, brisant les douleurs de l’enfer. " Et S. Paul (Rm 8, 11) : " Dieu qui a ressuscité Jésus Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à nos corps mortels. "

2. On ne mérite pas et on ne demande pas à un autre ce dont on est soi-même la cause. Or, par sa passion, le Christ a mérité sa résurrection ; comme dit S. Augustin n, " l’humilité de la Passion mérite la gloire de la Résurrection ". Lui-même a demandé aussi à son Père de le ressusciter : " Toi, Seigneur, s’écrie le Psalmiste (41, 11), aie pitié de moi et ressuscite-moi. " Il n’a donc pas été cause de sa résurrection.

En sens contraire, le Seigneur dit (Jn 10, 17) : " Personne ne m’enlève la vie ; mais moi-même je la dépose et de nouveau je la prends. " Or, ressusciter n’est pas autre chose que prendre de nouveau sa vie. Il semble donc que le Christ a ressuscité par sa propre vertu.

Réponse :

On l’a déjà noté, la mort n’a séparé la divinité ni de l’âme du Christ, ni de son corps. L’âme du Christ mort, aussi bien que son corps, peut donc être considérée à un double point de vue : ou au titre de la divinité, ou au titre de la nature créée elle-même. Au titre de la divinité qui lui était unie, le corps du Christ a repris l’âme qu’il avait déposée et son âme a repris le corps qu’elle avait quittée. Et c’est ce que S. Paul (2 Co 13, 4) déclare du Christ : " S’il a été crucifié en raison de l’infirmité de sa chair, le Christ vit par la vertu de Dieu. "

Mais si nous considérons le corps et l’âme du Christ mort selon la vertu de la nature créée, ils ne pouvaient pas se réunir l’un à l’autre, mais il a fallu que le Christ soit ressuscité par Dieu.

Solutions :

1. La vertu divine du Père et du Fils et leur action sont les mêmes ; ces deux propositions s’impliquent l’une l’autre, que le Christ ait été ressuscité par la vertu du Père, ou qu’il ait ressuscité par sa propre vertu.

2. C’est comme homme et non comme Dieu que le Christ a demandé par la prière et mérité sa résurrection.

3. Selon sa nature créée, le corps n’est pas plus puissant que l’âme du Christ ; il l’est pourtant selon la vertu divine. L’âme, à son tour, selon son union à la divinité, est plus puissante que le corps selon sa nature créée. Voilà pourquoi le corps et l’âme se sont repris mutuellement l’un l’autre selon la vertu divine, mais non selon la vertu de la nature créée.

 

 

QUESTION 54 — LES QUALITÉS DU CHRIST RESSUSCITÉ

1. Après la résurrection, le Christ a-t-il eu un corps véritable ? - 2. Son corps était-il glorieux ? -3. Est-il ressuscité avec l’intégrité de son corps ? -4. Les cicatrices que l’on voyait sur son corps.

 

            Article 1 — Après la résurrection, le Christ a-t-il eu un corps véritable ?

Objections :

1. Un corps véritable ne peut-être simultanément avec un autre dans le même lieu. Or, après la résurrection le corps du Christ s’est trouvé simultanément avec un autre dans le même lieu, car il est entré chez ses disciples " les portes étant fermées ", dit S. Jean (20, 26). Il semble donc qu’après la résurrection le Christ n’a pas eu un corps véritable.

2. Un corps véritable ne peut disparaître à la vue de ceux qui le regardent, sauf s’il se corrompt. Or, d’après S. Luc (24, 31), " le corps du Christ a disparu aux yeux des disciples " qui le regardaient. 3. Tout véritable corps a un aspect déterminé. Or, le corps du Christ, d’après S. Marc (16, 12), a apparu aux. disciples " sous un autre aspect ". Il semble donc que le Christ, après sa résurrection, n’a pas eu un corps humain véritable.

En sens contraire, d’après S. Luc (24, 37), lorsque le Christ apparut aux disciples, ceux-ci " furent troublés et effrayés, car ils croyaient voir un esprit ", comme s’il n’avait pas un corps véritable, mais imaginaire. Pour écarter cette erreur, le Christ lui-même ajoute ensuite ; " Touchez et voyez ; car un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. " Le Christ n’a donc pas eu un corps imaginaire, mais un corps véritable.

Réponse :

Selon S. Jean Damascène, " ne se relève que ce qui est tombé ". Or, le corps du Christ est tombé par la mort, parce que son âme qui était la perfection formelle du corps, en a été séparée. Il a donc fallu pour que la résurrection du Christ soit véritable, que le même corps soit de nouveau uni à la même âme. Et parce que la réalité de la nature du corps vient de sa forme, il s’ensuit que le corps du Christ, après la résurrection, a été un corps véritable et a eu la même nature que précédemment. Si le corps du Christ avait été imaginaire, sa résurrection n’aurait été qu’apparente et non pas réelle.

Solutions :

1. Ce ne fut pas par un miracle, mais par suite des conditions de la gloire, comme le soutiennent certains, que le corps du Christ, après la résurrection, entra chez les disciples les portes étant closes, et se trouva simultanément avec un autre corps dans le même lieu. Était-ce en vertu d’une propriété qui lui était inhérente ? On en discutera plus loin, en traitant de la résurrection en général. Pour notre propos, il suffit de dire que ce n’est pas en raison de la nature du corps, mais plutôt en raison de la divinité qui lui était unie, que ce corps, tout en étant véritable, est entré chez les disciples les portes closes. Aussi S. Augustin rapporte-t-il que certains se demandent : " Si c’était un corps, si c’était le même corps qui avait été pendu à la croix et qui était ressuscité, comment a-t-il pu entrer portes closes ? " Et il répond : " Si vous comprenez comment, ce n’est plus un miracle. La foi commence là où la raison fait défaut " Ailleurs il écrit : " A la masse du corps où se trouvait la divinité les portes closes n’ont pas opposé d’obstacle. Car il put entrer sans les ouvrir, celui dont la naissance avait laissé inviolée la virginité de sa mère. "

S. Grégoire exprime les mêmes pensées dans son homélie pour l’octave de Pâques.

2. On l’a dit précédemment le Christ est ressuscité à la vie immortelle de la gloire. Or, telle est la condition du corps glorieux qu’il soit " spirituel " comme l’écrit S. Paul (1 Co 15, 44) c’est-à-dire soumis à l’esprit. Pour que le corps soit entièrement soumis à l’esprit, il est requis que toute action du corps soit soumise à la volonté de l’esprit. D’après le Philosophe la vision s’explique par l’action de l’objet visible sur la vue. C’est pourquoi quiconque a un corps glorifié possède en son pouvoir d’être vu ou de ne pas être vu, à son gré. Ce pouvoir, le Christ l’a eu non seulement par sa condition de corps glorieux, mais aussi en vertu de sa divinité ; par cette divinité il peut se faire que même les corps non glorieux échappent miraculeusement aux regards ; ce fut le privilège de S. Barthélemy qui pouvait miraculeusement, à son gré, être vu ou non. " Donc, si le Christ disparut aux yeux des disciples, ce ne fut pas parce que son corps fut détruit ou dissous en des éléments invisibles, mais parce qu’il cessa, par la volonté du Christ, d’être vu, soit qu’il restât présent, soit même qu’il se fût éloigné rapidement grâce à l’agilité, propriété du corps glorieux.

3. Comme le remarque Sévérien " personne ne doit penser que le Christ, par sa résurrection, ait changé l’aspect de son visage ". Ce qu’il faut entendre de ses traits ; car, dans le corps du Christ formé par le Saint-Esprit, il n’y avait rien de désordonné ou de difforme qui dût être rectifié à la résurrection. Pourtant, quand il ressuscita, le Christ reçut la gloire de la clarté. Aussi Sévérien ajoute-t-il : " Toutefois son aspect a changé, lorsque de mortel il est devenu immortel ; c’est-à-dire qu’il a acquis un visage de gloire, mais non qu’il a perdu la réalité de son visage. "

Néanmoins, ce n’est pas sous son aspect glorieux qu’il apparut à ses disciples. Mais, comme il était en son pouvoir que son corps fût vu ou non, de même dépendait-il de sa volonté que son aspect produisît dans les yeux de ceux qui le voyaient une forme glorieuse ou non, ou même une forme intermédiaire, ou n’importe quelle autre forme. Il suffit d’ailleurs d’une très légère modification que l’on change d’aspect aux yeux de quelqu’un.

 

            Article 2 — Le corps du Christ ressuscité était-il glorieux ?

Objections :

1. Les corps glorieux sont brillants. " Les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père " (Mt 13, 43). Or, les corps brillants tombent sous le regard parce qu’ils sont lumineux, non parce qu’ils sont colorés. Le corps du Christ ayant été vu avec les couleurs de jadis, il semble donc ; qu’il n’a pas été glorieux.

2. Un corps glorieux est incorruptible. Or, le corps du Christ ne semble pas avoir été incorruptible. On pouvait le toucher : " Touchez et voyez ", dit le Christ lui-même (Lc 24, 39) ; mais, d’après S. Grégoire " ce qui se touche doit nécessairement se corrompre, et ce qui ne se corrompt pas ne peut se toucher ". Le corps du Christ n’a donc pas été glorieux.

3. D’après S. Paul (1 Co 15, 36), le corps glorieux n’est pas animal, mais spirituel. Or le corps du Christ semble avoir eu encore la vie animale, puisque d’après S. Luc (24, 41) et S. Jean (21, 9) le Christ a mangé et bu avec ses disciples. Il semble donc que le corps du Christ n’a pas été glorieux.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Ph 3, 21) " Le Christ transfigurera notre corps de misère, le rendant semblable à son corps de gloire. "

Réponse :

Le corps du Christ ressuscité fut glorieux. On peut en donner trois raisons :

1° La résurrection du Christ est le modèle et la cause de la nôtre, comme le montre S. Paul (1 Co 15, 12). Or, les saints, à la résurrection, auront un corps glorieux (1 Co 15, 43) " Il est semé dans l’ignominie ; il ressuscitera dans la gloire. " La cause l’emportant sur l’effet et le modèle sur la copie, à plus forte raison le corps du Christ ressuscité a-t-il été glorieux.

2° Par l’humilité de sa passion, le Christ a mérité la gloire de sa résurrection. Aussi lui-même disait-il (Jn 12, 27) : " Maintenant, mon âme est troublée ", ce qui a trait à la Passion. Et il ajoutait : " Père, glorifie ton nom ", par quoi il demandait la gloire de la résurrection.

3° Nous l’avons dit précédemment’, l’âme du Christ a été glorieuse dès le début de sa conception grâce à la jouissance parfaite de la divinité. Or, nous l’avons vu, c’est par un dessein providentiel que dans le Christ la gloire n’a pas rejailli de l’âme sur le corps, afin qu’il accomplisse par sa passion le mystère de notre rédemption. C’est pourquoi, lorsque ce mystère de la passion et de la mort du Christ fut accompli, aussitôt l’âme fit rejaillir sa gloire sur le corps qu’elle avait repris à la résurrection ; et c’est ainsi que le corps est devenu glorieux.

Solutions :

1. Tout ce qui est reçu dans un sujet l’est selon le mode de ce sujet. S. Augustin remarque que, la gloire du corps dérivant de l’âme, l’éclat ou la clarté du corps glorieux s’accorde avec la couleur naturelle à ce corps ; c’est ainsi que le verre de telle ou telle teinte reçoit des rayons du soleil une lumière qui varie suivant sa teinte. On vient de dire qu’il est au pouvoir de l’homme glorifié que son corps soit vu ou non ; il dépend pareillement de lui que sa clarté frappe ou non les regards. Tout corps glorifié peut donc être vu suivant sa propre couleur, sans aucune clarté. Et telle est la manière dont le Christ apparut à ses disciples après la résurrection.

2. Un corps est palpable, non seulement en raison de sa résistance, mais aussi en raison de sa densité. Selon qu’il est raréfié ou dense, un corps est lourd ou léger, chaud ou froid ; ces qualités contraires, et d’autres encore sont les principes de corruption des corps élémentaires. Il en résulte que le corps palpable au toucher de l’homme est naturellement corruptible. Mais un corps qui résiste au toucher et n’offre pas ces qualités, objets propres du sens du toucher, le corps céleste, par exemple, n’est pas palpable. Or, après la résurrection, le corps du Christ par sa nature était vraiment composé d’éléments et possédait en lui ces qualités perceptibles au toucher. Il était donc naturellement palpable, et, s’il n’avait eu que sa nature de corps humain, il aurait aussi été corruptible. Mais il possédait quelque chose d’autre qui le rendait incorruptible, non pas une nature de corps céleste, comme le prétendent quelques-uns, ainsi qu’on le verra mieux plus loin,,, mais la gloire qui rejaillissait de l’âme bienheureuse ; car, " Dieu a fait l’âme d’une nature si puissante, écrit S. Augustin, que de la parfaite plénitude de sa béatitude rejaillit sur le corps la plénitude de la santé, C’est-à-dire une force d’incorruptibilité ". Et c’est pourquoi, d’après S. Grégoire : " Le corps du Christ, après la résurrection, se montre d’une même nature, mais d’une gloire différentes. "

3. Comme dit S. Augustin : " Après la résurrection, notre Sauveur a eu une chair spirituelle, quoique véritable ; il a pris avec ses disciples de la nourriture et de la boisson, non par nécessité, mais en vertu du pouvoir qu’il avait de le faire. " De son côté, S. Bède, remarque : " Ce n’est pas de la même manière que la terre assoiffée et le rayon d’un soleil brûlant absorbent l’eau : l’une, c’est par besoin, l’autre, c’est par puissance. " Donc, si le Christ a pris de la nourriture, après la résurrection, ce n’est pas par nécessité, mais pour montrer la nature de son corps ressuscité. Il ne s’ensuit donc pas que ce corps ait été un corps animal, qui aurait eu besoin de se nourrir.

 

            Article 3 — Le Christ est-il ressuscité avec l’intégré de son corps ?

Objections :

1. La chair et le sang font partie de l’intégrité du corps humain. Le Christ ne semble pas les avoir eus, car il est dit (1 Co 15, 50). " La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu. " Or, le Christ est ressuscité dans la gloire du royaume de Dieu. Il semble donc qu’il n’a eu ni chair ni sang.

2. Le sang est une des quatre humeurs. Si donc le Christ a eu du sang, pour la même raison il a eu les autres humeurs, qui causent la corruption dans le corps des animaux. Par suite, le corps du Christ aurait été corruptible, ce qui est inadmissible. Le Christ n’a donc pas eu de chair et de sang.

3. Le corps du Christ ressuscité est monté au ciel. Or, certaines Églises conservent comme une relique un peu de sang du Christ. Son corps n’est donc pas ressuscité dans l’intégrité de toutes ses parties.

En sens contraire, le Seigneur dit en parlant à ses disciples après la résurrection (Lc 24, 39) : " Un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. "

Réponse :

On vient de le dire, le corps du Christ, à la résurrection, " s’est montré d’une même nature, mais d’une gloire différente ". Or, tout ce qui appartient à la nature du corps humain, s’est trouvé intégralement dans le corps du Christ ressuscité. Il est évident qu’à la nature du corps humain appartiennent les chairs, les os, le sang, etc. Aussi tout cela s’est-il trouvé dans le corps du Christ ressuscité, et même intégralement, sans aucune diminution ; autrement, si tout ce qui était tombé par la mort n’avait pas été réintégré, il n’y aurait pas eu de résurrection parfaite. De là vient que le Seigneur a fait cette promesse à ses fidèles, d’après S. Matthieu (10, 30) : " Les cheveux de votre tête sont tous comptés. " Et encore d’après S. Luc (21, 18) : " Pas un cheveu de votre tête ne périra. "

Dire que le corps du Christ n’a pas eu la chair, les os, et les autres parties naturelles au corps humain relève de l’erreur d’Eutychès, évêque de Constantinople, qui prétendait que " notre corps, à la résurrection glorieuse, sera impalpable et plus subtil que le vent et l’air ; et que le Seigneur, après avoir réconforté le cœur des disciples qui le touchaient, avait rendu subtil tout ce que l’on pouvait toucher en lui ". S. Grégoire combat cette erreur, car le corps du Christ, après la résurrection, n’a pas été changé : " Le Christ ressuscité d’entre les morts désormais ne meurt plus " (Rm 6, 9). Aussi Eutychès, à sa mort, a-t-il rétracté son opinion. S’il est faux, en effet, que le Christ ait reçu lors de sa conception un corps d’une autre nature, par exemple, un corps céleste, comme l’affirmait Valentin, il est bien plus faux encore que lors de sa résurrection il ait repris un corps d’une autre nature ; il a repris alors pour une vie immortelle le corps qu’il avait assumé pour une vie mortelle lors de sa conception.

Solutions :

1. La chair et le sang dont parle S. Paul désigne non leur nature physique, mais, d’après S. Grégoire, la faute dont ils sont le siège, ou encore, d’après S. Augustin, la corruption à laquelle ils sont soumis ; celui-ci écrit, en effet : " Il n’y aura là ni corruption ni mortalité de la chair et du sang. " Par conséquent, la chair, dans sa réalité physique, possédera le royaume de Dieu, selon le mot du Seigneur en S. Luc : " Un esprit n’a point de chair ni d’os, comme vous voyez que j’en ai " ; mais la chair sujette à la corruption n’entrera pas dans ce royaume ; aussi S. Paul ajoute-t-il aussitôt après le texte cité dans la première objection : " La corruption ne possédera pas l’incorruptibilité. "

2. S. Augustin continue dans le même traité ; " Peut-être, à l’occasion du sang, notre contradicteur insistera-t-il pour nous embarrasser en disant : "Si le sang s’est trouvé dans le corps du Christ ressuscité, pourquoi pas aussi la pituite", c’est-à-dire le flegme ? "Pourquoi pas le fiel jaune", c’est-à-dire la bile ? "Pourquoi pas le fiel noir", c’est-à-dire l’humeur noire ? La science médicale elle-même ne nous atteste-t-elle pas que la nature de la chair résulte de ces quatre humeurs ? Qu’on ajoute tout ce que l’on voudra, pourvu qu’on évite d’y mettre la corruption ; autrement l’on corromprait la santé et la pureté de sa foi. La puissance divine est capable d’enlever de cette nature visible et palpable des corps les qualités qu’il lui plaît, et de laisser celles qu’il veut, de sorte que l’aspect demeure sans aucune souillure (de la corruption), que le mouvement subsiste sans aucune fatigue, que le pouvoir de se nourrir existe sans aucun besoin de nourriture. "

3. Puisque tout le sang qui a coulé du corps du Christ appartenait à la réalité de la nature humaine, il a ressuscité avec le corps du Christ. La raison est la même pour toutes les autres parties du corps qui appartiennent à la réalité et à l’intégrité de la nature humaine. Quant au sang que certaines Églises gardent comme une relique, il n’a pas coulé du côté du Christ, mais miraculeusement, dit-on, d’une image du Christ qu’on avait frappée.

 

            Article 4 — Les cicatrices que l’on voyait sur le corps du Ressuscité

Objections :

1. Il est écrit (1 Co 15, 32) : " Les morts ressuscitent incorruptibles. " Or, les cicatrices et les blessures impliquent une corruption et une déficience. Il ne convenait donc pas que le Christ, auteur de la résurrection, ressuscite avec ses cicatrices.

2. Le corps du Christ est ressuscité dans on intégrité, on l’a dit précédemment. Or, les ouvertures des plaies sont contraires à l’intégrité du corps dont elles rompent la continuité. Il ne convenait donc pas que dans le corps du Christ demeurent les ouvertures de ses plaies ; certaines traces de ces blessures suffisaient pour qu’on y croie, comme Thomas à qui il fut dit (Jn 20, 29) : " Parce que tu as vu, Thomas, tu as cru. "

3. Selon S. Jean Damascène, " après la résurrection, le Christ a présenté certaines particularités, qu’il possédait non pas naturellement, mais selon un dessein providentiel, afin de certifier que le corps qui avait souffert était le même qui était ressuscité, par exemple les cicatrices ". L’effet cesse avec la cause. Il semble donc que, lorsque les disciples furent certains de la résurrection, le Christ n’aurait plus eu de cicatrices. Mais il ne convenait pas à l’immortalité de la gloire que le Christ assume ce qui ne demeurerait pas, toujours en lui. Il semble donc qu’à la résurrection il ne devait pas reprendre son corps avec ses cicatrices.

En sens contraire, il y a la parole du Christ à Thomas (20, 27) : " Mets ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté. "

Réponse :

Il convenait que l’âme du Christ à la résurrection reprenne son corps avec ses cicatrices pour plusieurs raisons :

1° A cause de la gloire du Christ lui-même. S. Bède écrit que, si le Christ a gardé ses cicatrices, ce n’est pas par impuissance de les guérir, mais " pour faire connaître à jamais le triomphe de sa victoire ". Aussi S. Augustin fait-il cette remarque : " Sans doute, dans le royaume de Dieu, verrons nous dans les corps des martyrs les cicatrices des blessures qu’ils ont reçues pour le nom du Christ. Car ce ne sera pas chez eux une difformité, mais un honneur ; et en eux resplendira une beauté qui ne sera pas celle du corps, tout en étant dans le corps, mais celle de la vertu. "

2° Pour raffermir les cœurs de ses disciples au sujet " de la foi en sa résurrection b ".

3° " Pour montrer constamment à son Père, en suppliant pour nous, quel genre de mort il avait subi pour l’humanité. "

4° " Pour insinuer à ceux qu’il rachetait par sa mort, avec quelle miséricorde il les avait aidés, en mettant sous leurs yeux les marques de sa mort même. "

5° Enfin, " pour faire connaître, au jour du jugement, combien juste sera la condamnation portée ". Aussi, comme l’observe S. Augustin, : " Le Christ savait pourquoi il conservait dans son corps ses cicatrices. Il les a montrées à Thomas, qui ne voulait pas croire à moins de les toucher et de les voir ; il les montrera aussi un jour à ses ennemis et leur dira en les convainquant par sa vérité : "Voilà l’homme que vous avez crucifié ; voyez les blessures que vous lui avez faites ; reconnaissez le côté que vous avez percé ; car c’est par vous et pour vous qu’il a été ouvert, pourtant vous n’avez pas voulu y croire. " "

Solutions :

1. Les cicatrices qui sont restées dans le corps du Christ n’impliquent ni corruption ni déficience, mais marquent le plus haut comble de gloire ; car elles sont comme des traces de sa vertu, et une beauté spéciale apparaîtra aux emplacements de ces blessures.

2. L’ouverture des plaies implique une solution de continuité dans le corps du Christ ; néanmoins tout cela est compensé par un plus grand éclat de gloire. Donc, si le corps est moins intègre, il est plus parfait. Quant à Thomas, non seulement il a vu les blessures, mais il les a touchées, car, dit le pape S. Léon d, " il lui suffisait, pour sa foi personnelle, de voir ; mais il a travaillé pour nous en touchant ce qu’il voyait ".

3. Le Christ a voulu que les cicatrices de ses blessures demeurent dans son corps non seulement pour rendre certaine la foi de ses disciples, mais aussi pour les raisons que l’on a dites. Ces raisons montrent que les cicatrices resteront toujours dans son corps. S. Augustin écrit : " je crois que le corps du Seigneur se trouve dans le ciel tel qu’il était au moment de son ascension. " Et S. Grégoire écrit à son tour : " Si quelque chose a pu changer dans le corps du Christ après la résurrection, c’est que, contrairement à la doctrine véridique de S. Paul, le Seigneur après la résurrection est retourné à la mort. Qui oserait l’affirmer, sinon l’insensé qui nierait que la chair est vraiment ressuscitée ? " Il est donc évident que les cicatrices que le Christ a montrées sur son corps après la résurrection n’ont jamais, dans la suite, disparu de ce corps.

 

 

QUESTION 55 — LA MANIFESTATION DE LA RÉSURRECTION

1. La résurrection du Christ devait-elle être manifestée à tous, ou seulement à quelques personnes en particulier ? - 2. Aurait-il convenu qu’il ressuscite à la vue de ses disciples ? - 3. Après sa résurrection aurait-il dû continuer à vivre avec ses disciples ? - 4. Convenait-il qu’il apparaisse à ses disciples sous un autre visage - 5. Devait-il manifester sa résurrection par des preuves ? - 6. Ces preuves ont-elles été suffisantes ?

 

            Article 1 — La résurrection du Christ devait-elle être manifestée à tous ?

Objections :

1. A un péché public est due une peine publique, selon la 1ère lettre à Timothée (5,20). - " Les pécheurs, reprends-les devant tous. " Aussi, à un mérite public est due pareillement une récompense publique. Or, d’après S. Augustin, " l’éclat de la résurrection récompense l’humilité de la passion ". Donc, puisque la passion du Christ a été montrée à tous, car il avait souffert publiquement, il semble que la gloire de la résurrection devait aussi être manifestée à tous.

2. Comme la passion du Christ, sa résurrection est ordonnée à notre salut, selon S. Paul (Rm 4, 25) : " Il est ressuscité pour notre justification. " Or, ce qui concerne l’utilité commune doit être signalé à tous. Il en est donc de même de la résurrection.

3. Ceux à qui a été dévoilée la résurrection du Christ en ont été ensuite les témoins ; aussi, lit-on dans les Actes (3, 15) : " Nous sommes les témoins de celui que Dieu a ressuscité d’entre les morts. " Ce témoignage, ils l’ont rendu en prêchant publiquement. Or, la prédication est interdite aux femmes, d’après S. Paul (1 Co 14, 34) : " Que les femmes se taisent dans les assemblées ", et encore (1 Tm 2, 18) : " je ne permets pas à la femme d’enseigner. " Ce fut donc mal à propos que la résurrection du Christ a été manifestée aux femmes, avant de l’être à tous en général.

En sens contraire, on lit dans les Actes (10, 40) : " Dieu l’a ressuscité le troisième jour et l’a manifesté non à tout le peuple, mais aux témoins que Dieu avait désignés d’avance. "

Réponse :

Parmi les réalités connues, les unes le sont en vertu d’une loi commune de la nature, d’autres par un don de la grâce, comme ce qui est révélé par Dieu. Or, telle est la loi qui préside, d’après Denys, à ces révélations : c’est que Dieu les fasse connaître immédiatement aux êtres supérieurs et par leur intermédiaire aux êtres inférieurs, ainsi qu’on le voit dans la hiérarchie des êtres célestes. D’autre part, ce qui appartient à la gloire future dépasse la connaissance commune des hommes, d’après Isaïe (64, 4) : " L’œil n’a pas vu, ô Dieu, en dehors de toi, ce que tu as préparé à ceux qui t’attendent. " Il s’ensuit que ces réalités ne peuvent être connues que par une révélation divine, dit l’Apôtre (1 Co 2, 10) : " C’est Dieu qui nous l’a révélé par son esprit. " Donc, parce que le Christ a eu une résurrection glorieuse, cette résurrection n’a pas été dévoilée à tout le peuple, mais seulement à certains, dont le témoignage l’a portée à la connaissance de tous.

Solutions :

1. La passion du Christ s’est accomplie dans un corps qui avait encore une nature passible. Or, cette nature passible avait été connue de tous, suivant la loi commune. C’est pourquoi la Passion a pu être montrée immédiatement à tout le peuple. Mais la résurrection du Christ s’est faite " par la gloire du Père ", dit l’Apôtre (Rm 6, 4). Aussi a-t-elle été manifestée immédiatement, non à tous, mais à certains’

Qu’on impose une peine publique aux pécheurs publics, il faut l’entendre des peines de la vie présente. De même, il faut récompenser publiquement les mérites publics, afin de stimuler les autres. Tandis que les peines et les récompenses de la vie future ne sont pas révélées publiquement à tous, mais spécialement à ceux que Dieu a désignés d’avance.

2. La résurrection du Christ intéresse le salut commun de tous ; elle est donc parvenue à la connaissance de tous. Elle n’a pourtant pas été montrée à tous immédiatement, mais à certains, par qui l’attestation en parviendrait à tous.

3. On ne permet pas à la femme d’enseigner publiquement dans l’église ; mais il lui est permis d’instruire en particulier sous forme d’admonition privée. Voilà pourquoi, dit S. Ambroise : " On envoie la femme à ceux qui sont de la maison ", mais on ne la délègue pas pour porter au peuple le témoignage de la résurrection.

Ainsi donc, le Christ est apparu d’abord aux femmes, afin que la femme, qui la première avait porté à l’homme le principe de la mort, fût la première aussi à proclamer les débuts du Christ ressuscité dans la gloire. Aussi S. Cyrille écrit-il : " La femme, qui avait été jadis l’instrument de la mort, a perçu et annoncé, la première, le mystère de la vénérable résurrection. Toutes les femmes ont donc reçu l’absolution de leur honte et ont rompu avec la malédiction. "

Cela montre aussi que, à cause de leur sexe, les femmes ne souffriront aucun dommage au point de vue de l’état de gloire ; mais si elles font preuve d’une plus grande charité, elles jouiront d’une plus grande gloire dans la vision divine. Car les femmes, qui avaient aimé plus étroitement le Seigneur, puisqu’elles n’avaient pas quitté le sépulcre comme les disciples, furent les premières à voir le Seigneur ressuscitant dans la gloire.

 

            Article 2 — Aurait-il convenu que le Christ ressuscite à la vue de ses disciples ?

Objections :

1. Il appartenait, en effet, aux disciples d’attester la résurrection du Christ (Ac 4, 33) : " Avec grande puissance, les Apôtres rendaient témoignage à la résurrection de Jésus Christ, notre Seigneur. " Or, le témoignage oculaire est le plus certain. Il convenait donc que les disciples voient directement la résurrection du Christ.

2. Afin d’avoir une foi certaine, les disciples ont assisté à l’ascension du Christ, selon les Actes (1, 9) : " Sous leurs regards, il s’éleva. " Or, pareillement, il est nécessaire d’avoir une foi certaine à la résurrection du Christ. Il semble donc que le Christ aurait dû ressusciter sous les yeux des disciples.

3. La résurrection de Lazare était un signe de la résurrection du Christ. Or, le Seigneur a ressuscité Lazare sous les yeux de ses disciples. Il semble donc que le Christ aurait dû lui aussi ressusciter à leurs yeux.

En sens contraire, on lit en S. Marc (16, 9) " Le Seigneur étant ressuscité le matin du premier jour après le sabbat apparut d’abord à Marie Madeleine. " Or, Marie Madeleine ne l’a pas vu ressusciter ; mais tandis qu’elle le cherchait dans le sépulcre, elle entendit l’ange lui dire : " Il est ressuscité, il n’est pas ici. " Donc personne ne l’a vu ressusciter.

Réponse :

Selon S. Paul (Rm 10, 1) : " Ce qui vient de Dieu se fait avec ordre. " Or, l’ordre institué par Dieu exige que ce qui dépasse les hommes leur soit révélé par les anges, comme le montre Denys. Le Christ ressuscité n’est pas revenu à la vie que connaissent ordinairement les hommes, mais il est entré dans une vie immortelle et conforme à Dieu, selon l’épître aux Romains (Rm 6, 10) : " Ce qui vit, vit pour Dieu. " C’est pourquoi la résurrection même du Christ ne devait pas être directement vue par les hommes, mais leur être annoncée par les anges. Aussi S. Hilaire écrit-il : " L’ange est le premier annonciateur de la résurrection afin d’être le messager de la volonté du Père pour proclamer la résurrection. "

Solutions :

1. Les Apôtres ont pu attester la résurrection du Christ même comme témoins oculaires ; car ils ont vu de leurs yeux celui auquel ils croyaient, le Christ, vivant après la résurrection, alors qu’ils avaient vu sa mort. Mais, s’il est vrai que l’on ne parvient à la vision bienheureuse que par l’audition de la foi, les hommes ne sont parvenus également à la vision du Christ que par ce qu’ils en avaient d’abord entendu de la part des anges.

2. L’ascension du Christ ne dépassait pas la connaissance commune des hommes quant à son point de départ, mais seulement quant à son point d’arrivée. Et c’est pourquoi les disciples ont pu voir l’ascension du Christ à son point de départ, lorsqu’il s’est élevé de terre ; mais ils ne le virent pas à son point d’arrivée, car ils n’assistèrent pas à son accueil dans le ciel. Mais la résurrection du Christ dépassait la connaissance commune quant à son point de départ : lorsque l’âme du Christ est revenue des enfers et que son corps est sorti du sépulcre fermé ; et quant à son point d’arrivée : lorsque le Christ a acquis la vie glorieuse. La résurrection ne devait donc pas se faire de manière à être vue par des hommes.

3. Lazare a été ressuscité pour revenir à la vie qu’il avait menée précédemment, et cette vie ne dépasse pas la connaissance commune des hommes. C’est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

 

            Article 3 — Après sa résurrection, le Christ aurait-il dû continuer à vivre avec ses disciples ?

Objections :

1. Le Christ apparut à ses disciples après la résurrection pour leur donner la certitude de la foi en sa résurrection et apporter la consolation à leurs âmes troublées, d’après S. Jean (20, 20) : " Les disciples furent dans la joie à la vue du Seigneur. " Or, leur certitude et leur consolation auraient été bien plus grandes s’il leur avait offert une présence continuelle.

2. Le Christ ressuscité d’entre les morts n’est pas monté aussitôt au ciel, mais seulement " après quarante jours " (Ac 2, 3). Or, durant ce temps intermédiaire, il ne pouvait être mieux à sa place que là où ses disciples étaient tous rassemblés.

3. Le jour même de sa résurrection, le Christ apparut cinq fois, d’après S. Augustin : " 1. aux femmes près du tombeau ; 2. aux femmes sur leur chemin de retour du tombeau ; 3. à S. Pierre ; 4. aux deux disciples qui allaient au bourg d’Emmaüs ; 5. à plusieurs à Jérusalem lorsque S. Thomas n’était pas là. " Il semble donc aussi que le Christ aurait dû apparaître au moins plusieurs fois les autres jours, jusqu’à son ascension.

4. Avant sa passion, le Christ avait dit à ses disciples (Mt 26, 32) : " Lorsque je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. " Après la résurrection, l’ange et le Seigneur lui-même font aux femmes la même annonce. Et pourtant, auparavant, à Jérusalem, le Christ apparut aux regards des disciples le jour même de la résurrection, comme on vient de le dire, et aussi huit jours après, ainsi qu’on le lit en S. Jean (20, 26). Il ne semble donc pas qu’après la résurrection, le Christ ait vécu avec ses disciples, comme cela convenait.

En sens contraire, S. Jean écrit que, " huit jours après ", le Christ apparut à ses disciples. Il n’a donc pas vécu continuellement avec eux.

Réponse :

Au sujet de la résurrection du Christ, deux choses devaient être claires pour les disciples : la réalité même de la résurrection, et la gloire du ressuscité. Pour montrer la réalité de la résurrection, il a suffit qu’il leur apparaisse plusieurs fois, qu’il leur parle familièrement, qu’il mange et boive, et qu’il les invite à le toucher. C’est pour manifester la gloire du ressuscité, qu’il n’a pas voulu vivre continuellement avec eux, comme il l’avait fait jadis, car ils auraient pu croire qu’il était revenu à la même vie qu’auparavant. Aussi, d’après S. Luc (24, 44), leur dit-il : " Telles sont les paroles que je vous adressais lorsque j’étais encore avec vous. " Certes, il leur était maintenant présent corporellement ; jadis, outre cette présence corporelle, il avait avec eux une ressemblance : comme eux il était mortel. Aussi S. Bède commente-t-il ces paroles de la manière suivante : " Lorsque j’étais encore dans la chair mortelle en laquelle vous êtes. Il était, en effet, ressuscité dans la même chair, mais il n’avait plus leur mortalité. "

Solutions :

1. Les apparitions fréquentes du Christ suffisaient à rendre les disciples certains de la réalité de la résurrection ; mais une vie continuelle avec eux auraient pu les induire en erreur en leur faisant croire qu’il était revenu à la vie d’autrefois. Quant à la consolation que pouvait leur apporter sa présence continuelle, c’est pour une autre vie qu’il l’a promise par ces paroles conservées en S. Jean (16, 22) : " je vous verrai de nouveau ; votre cœur se réjouira, et votre joie, personne ne vous l’enlèvera. "

2. Si le Christ n’a pas vécu continuellement avec ses disciples, ce n’est pas parce qu’il jugeait qu’il lui convenait mieux d’être ailleurs, mais parce qu’il estimait que cela était préférable pour instruire ses disciples, pour le motif que nous venons de dire. Quant aux lieux où il a pu se trouver corporellement durant cet intervalle, ils sont inconnus ; car la Sainte Écriture ne nous fournit aucune donnée à ce sujet, et c’est en tout lieu que s’exerce sa domination.

3. Le Christ apparut plus fréquemment le premier jour parce qu’il fallait donner aux disciples plus de preuves afin de faire accepter la foi à la résurrection dès le premier moment. Mais, dès qu’ils l’eurent acceptée, il n’y avait plus à les instruire par d’autres apparitions fréquentes, eux qui étaient maintenant établis dans la certitude. Aussi l’Évangile ne nous rapporte-t-il, après le premier jour, que cinq autres apparitions. Selon S. Augustin, après les cinq premières apparitions, il leur apparut : " 6. quand S. Thomas le vit ; 7. au bord du lac de Tibériade, lors de la pêche ; 8. sur la montagne de Galilée, d’après S. Matthieu ; 9. selon S. Marc, lorsqu’ils prirent avec lui leur dernier repas, car ils ne devaient plus vivre avec lui sur cette terre ; 10. le même jour, non plus ici-bas, mais dans la nuée où il s’élevait puisqu’il montait au ciel. Cependant, comme le reconnaît S. Jean (20, 30 ; 21, 25), toutes les apparitions ne nous sont pas décrites. Les rapports du Christ avec ses disciples furent fréquents avant son ascension ", et cela en vue de leur consolation ; aussi S. Paul rapporte-t-il (1 Co 15, 6) : " Il apparut à plus de cinq cents frères réunis ; il apparut ensuite à Jacques. " Apparitions dont l’Évangile ne fait pas mention.

4. Ce texte : " Lorsque je serai ressuscité je vous précéderai en Galilée ", S. Jean Chrysostome le commente ainsi : " Pour leur apparaître, il ne s’en va pas dans une région lointaine, mais il demeure dans son propre pays et presque dans les mêmes régions " où il avait vécu avec eux le plus longtemps. " Ils pourraient ainsi se convaincre que celui qui avait été crucifié était aussi le même qui était ressuscité. " Pareillement " il leur dit qu’il va en Galilée, pour les délivrer de la crainte des juifs ".

" Ainsi donc, d’après S. Ambroise. le Seigneur avait prescrit à ses disciples d’aller le voir en Galilée, mais puisque la peur les tenait enfermés dans le Cénacle, il vint d’abord lui-même à leur rencontre ; ce n’est pas là une transgression de sa promesse, mais bien plutôt une anticipation due à sa bonté. Plus tard, quand leurs âmes eurent été réconfortées, ils gagnèrent la Galilée. " Rien n’empêche non plus de dire que dans le Cénacle ils étaient peu nombreux, mais qu’ils étaient bien plus sur la montagne. " Car, explique Eusèbe deux Évangélistes, S. Luc et S. Jean, écrivent que le Christ apparut à Jérusalem à onze disciples seulement, mais les deux autres disent que l’ange et le Sauveur ont ordonné non seulement aux onze, mais à tous les disciples et à tous les frères, de se rendre en hâte en Galilée. " C’est d’eux que parle S. Paul quand il écrit : " Ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères réunis. " " La vraie solution est donc que le Christ a été vu une ou deux fois d’abord à Jérusalem par les disciples qui s’y cachaient, afin de les consoler ; en Galilée au contraire au contraire, ce n’est ni en secret, ni une fois ou deux, mais dans un grand déploiement de puissance qu’il s’est montré vivant après sa passion par de nombreux signes, comme l’atteste S. Luc dans les Actes. "

Avec S. Augustin on pourrait dire que "l’annonce de l’ange et du Seigneur", qu’il les précéderait en Galilée, " est à prendre comme une prophétie. Galilée, en effet, signifie "transmigration" ; par où il faut entendre que la grâce du Christ émigrerait du peuple d’Israël aux païens ; ceux-ci n’ajouteraient pas foi à la prédication des Apôtres si le Seigneur lui-même ne préparait les voies dans le cœur des hommes ; c’est là ce que signifient ces mots : "Il vous précédera en Galilée. " Galilée a aussi le sens de "révélation" ; il ne faut plus alors l’entendre du Christ dans sa forme d’esclave, mais dans la forme où il est égal à son Père ; cette forme, il l’a promise à ceux qui l’aiment ; et il nous a précédés là où il ne nous a pas abandonnés en nous précédant ".

 

            Article 4 — Convenait-il que le Christ apparaisse à ses disciples sous un autre visage ?

Objections :

1. Ne peut apparaître réellement que ce qui existe. Or le Christ n’a eu qu’un seul visage. Donc, s’il est apparu sous d’autres traits, ce ne fut pas une apparition réelle, mais simulée. Ce qui est inadmissible, car d’après S. Augustin " si le Christ trompe, il n’est plus la vérité ; or, le Christ est la vérité ". Il semble donc que le Christ n’a pas dû apparaître aux disciples sous un autre visage.

2. Pour apparaître sous un autre visage que le sien, il faut que des prodiges captivent les yeux des spectateurs. Or, des prodiges, opérés par magie, ne conviennent pas au Christ, d’après S. Paul (2 Co 10, 25) : " Qu’y a-t-il de commun entre le Christ et Bélial ? "

3. Notre foi est certifiée par la Sainte Écriture mais la foi des disciples à la résurrection a été certifiée par les apparitions du Christ. Or, dit S. Augustin dans sa lettre à S. Jérôme, " si l’on accepte un seul mensonge dans la Sainte Écriture, toute autorité en est ruinée ". Pareillement, si le Christ, dans une seule de ses apparitions, apparut à ses disciples autrement qu’il n’était, tout ce que les disciples ont vu dans le Christ après la résurrection en sera infirmé : ce qui est inadmissible. Le Christ n’a donc pas dû apparaître sous un autre visage.

En sens contraire, il est écrit (Mc 16, 12) " Ensuite, le Christ apparut sous un autre aspect à deux de ses disciples qui s’en allaient à la campagne. "

Réponse :

On vient de le dire la manifestation de la résurrection du Christ revêt le mode de la révélation des réalités divines. Or, les réalités divines sont connues des hommes suivant la diversité de leurs dispositions. Car ceux qui ont l’esprit bien disposé perçoivent ces réalités dans leur vérité ; mais ceux qui ont des dispositions contraires les perçoivent avec un mélange de doute ou d’erreur ; en effet, " livré à ses seules forces, l’homme ne perçoit pas les réalités divines ", dit S. Paul (1 Co 2, 14). C’est pourquoi, après la résurrection, le Christ apparut sous son propre visage à ceux qui étaient disposés à croire ; mais à ceux qui n’avaient qu’une foi tiède il apparut sous un autre ; aussi disaient-ils (Lc 24, 21) : " Nous espérions que c’était lui qui rachèterait Israël. " Selon S. Grégoire " il s’est montré corporellement tel qu’il était dans leur esprit ; dans leur cœur, en effet, il était encore comme un étranger loin de la foi, aussi feignit-il d’aller plus loin ", comme s’il était vraiment un voyageur.

Solutions :

1. D’après S. Augustin " tout ce que nous simulons n’est pas mensonge ; il n’y a mensonge que lorsque nous simulons ce qui n’a aucune réalité. Donc, lorsque nos simulations ont un sens, ce ne sont pas des mensonges, mais des symboles ; autrement tout ce que les sages, les saints, ou même Dieu ont exprimé sous une forme figurée sera tenu pour mensonge ; car, selon le sens ordinaire, il n’y a pas de vérité dans ces symboles. A l’instar de ces simulations parlées, des faits peuvent être pris sans aucun mensonge pour symboliser une réalité ". On vient de dire que c’est précisément le cas ici.

2. Au témoignage encore de S. Augustin, " le Seigneur pouvait transformer sa chair de manière à lui donner un visage différent de celui qu’on avait coutume de lui voir ; c’est ainsi qu’avant sa passion il s’était transfiguré sur la montagne, au point que sa face brillait comme le soleil. Mais ce ne fut pas le cas ici. Ce n’est pas en effet sans raison que nous pouvons attribuer à Satan le fait que leurs yeux n’ont pas reconnu Jésus". Aussi S. Luc écrit-il (24, 16) : " Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. "

3. L’objection porterait si les disciples n’avaient pas été ramenés, de cette apparence d’un visage étranger, à reconnaître le véritable visage du Christ. Comme dit S. Augustin : "Le Christ a permis que leurs yeux soient ainsi empêchés jusqu’au mystère du pain, pour que la participation à l’unité de son corps écarte l’obstacle par lequel l’ennemi les empêchait de reconnaître le Christ. " Aussi S. Luc ajoute-t-il que " leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent" ; ils ne marchaient pas auparavant les yeux fermés, mais il y avait comme un voile ou comme un brouillard qui ne leur permettait pas de reconnaître ce qu’ils voyaient.

 

            Article 5 — Le Christ devait-il manifester la réalité de sa résurrection par des preuves ?

Objections :

1. S. Ambroise écrit : " Enlève les preuves, là où tu cherches la foi. " Or, au sujet de la résurrection du Christ, ce qu’on cherche, c’est la foi. Les preuves ne sauraient donc trouver place ici.

2. S. Grégoire remarque : " La foi n’a pas de mérite là où la raison humaine fournit des arguments. " Or, il n’appartenait pas au Christ d’affaiblir le mérite de la foi. Donc il ne lui convenait pas de confirmer sa résurrection par des preuves.

3. Le Christ est venu dans le monde pour procurer aux hommes le bonheur. Il dit lui-même en S. Jean (10, 10) : " je suis venu pour qu’ils aient la vie, et qu’ils l’aient en surabondance. " Or, en offrant des preuves, il semble que l’on mette obstacle au bonheur des hommes : " Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ", dit le Christ lui-même (Jn 20, 19). Selon toute apparence, le Christ n’aurait donc pas dû manifester sa résurrection par des preuves.

En sens contraire, il est écrit (Ac 1, 3) : " Le Christ apparut à ses disciples durant quarante jours, leur donnant beaucoup de preuves et leur parlant du royaume de Dieu. "

Réponse :

Il y a deux sortes de preuves : tout d’abord n’importe quelle " raison qui fait foi en matière douteuse " ; puis le signe sensible qui est donné pour manifester une vérité, et c’est ainsi qu’Aristote emploie parfois dans ses livres le mot de preuve. Si l’on entend le mot de preuve dans le premier sens, le Christ n’a pas démontré à ses disciples sa résurrection par des preuves. Car une telle argumentation aurait dû procéder de certains principes ; si ces principes n’avaient pas été connus des disciples, ils ne leur auraient rien manifesté ; de l’inconnu, en effet, on ne peut rien tirer de connu ; mais si ces principes leur étaient connus, c’est qu’ils ne dépassaient pas la vertu humaine et, en ce cas, ils n’avaient aucune efficacité pour établir la foi en la résurrection, car la résurrection dépasse la raison humaine. Or, il est nécessaire, dit Aristote que les principes soient toujours du même genre que la conclusion. - En revanche, le Christ a prouvé sa résurrection aux disciples par l’autorité de la Sainte Écriture qui, elle, est le fondement de la foi, lorsqu’il a dit, d’après S. Luc (24, 44) " Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi, les Psaumes et les Prophètes. "

Si l’on entend le mot de preuve dans le second sens, on peut dire que le Christ a manifesté sa résurrection par des preuves, car il a montré par des signes évidents qu’il était vraiment ressuscité. Aussi le grec, là où nous avons : " beaucoup de preuves ", porte le mot tekmèrion, qui veut dire " signe manifeste pour prouver ".

Ces signes de la résurrection, le Christ les a montrés à ses disciples pour deux motifs : 1° Parce que leur cœur n’était pas disposé à accepter facilement la foi en la résurrection ; aussi leur dit-il lui-même (Lc 24, 25) : "Ô insensés et lents à croire ! " Et encore (Mc 16, 14) : " Il leur reprocha leur incrédulité et leur dureté de cœur. " - 2° Afin qu’à la suite de ces signes leur témoignage soit rendu plus efficace, selon cette parole de S. Jean (1 Jn 1, 1) : " Ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, ce que nous avons touché, voilà ce dont nous sommes témoins. "

Solutions :

1. S. Ambroise dans son texte parle des preuves que trouve la raison humaine ; on vient de le voir, ces preuves n’ont pas de valeur pour démontrer les vérités de foi.

2. Le mérite de la foi vient de ce que l’homme croit, sur l’ordre de Dieu, ce que son esprit ne voit pas. La preuve, qui fait voir par la science ce qui est proposé à la foi, est donc seule à exclure le mérite, et c’est le cas de la raison démonstrative. Mais le Christ n’apporte pas de raisons de cette sorte pour manifester sa résurrection.

3. On vient de le dire, le mérite de la béatitude, causé par la foi, n’est totalement exclu que si l’homme ne veut croire que ce qu’il voit ; mais si, à la vue de certains signes, on croit ce que l’on ne voit pas, la foi n’est pas rendue totalement vaine, ni son mérite non plus ; S. Thomas, par exemple, à qui il a été dit : " Parce que tu m’as vu, tu as cru ", a vu une chose et en a cru une autre : il a vu les blessures et il a cru Dieu. Mais la foi qui ne requiert pas de tels secours pour croire est plus parfaite. Aussi, pour blâmer le manque de foi chez certains, le Seigneur dit-il (Jn 4, 48) : " Si vous ne voyez pas des signes et des prodiges, vous ne croyez pas. " Et, de ce point de vue, on peut comprendre que ceux qui ont le cœur assez docile pour croire en Dieu, même lorsqu’ils ne voient pas de signes, sont heureux en comparaison de ceux qui ne croient que s’ils en voient.

 

            Article 6 — Les preuves apportées par le Christ ont-elles suffisamment manifesté la réalité de sa résurrection ?

Objections :

1. Après sa résurrection, le Christ n’a rien fait voir à ses disciples que les anges en apparaissant aux hommes n’aient montré ou n’aient pu montrer eux-mêmes ; car les anges se sont présentés fréquemment sous une forme humaine et ils ont parlé, vécu et mangé avec eux, comme s’ils avaient été des hommes véritables, par exemple, dans la Genèse (18), les anges qu’Abraham a reçus dans son hospitalité, et dans le livre de Tobie (5, 5), l’ange qui a conduit et ramené celui-ci. Pourtant, les anges n’ont pas de corps véritable qui leur soit uni naturellement. Or, cela est requis pour une résurrection. Les preuves que le Christ a présentées à ses disciples n’ont donc pas été suffisantes pour manifester sa résurrection.

2. Le Christ a eu une résurrection glorieuse, c’est-à-dire qu’il a possédé une nature humaine en même temps que la gloire. Or, le Christ a manifesté à ses disciples certains signes qui semblent contraires à la nature humaine, comme de "disparaître à leurs yeux " (Lc 24, 31), ou d’entrer auprès d’eux "les portes closes" (Jn 20, 19. 26). D’autre part, certaines actions semblent contraires à la gloire, comme de manger et de boire (Lc 24, 43 ; Ac 1, 4 ; 10, 41), et de porter les cicatrices de ses blessures (Jn 20, 20. 27). Il semble donc que ces signes n’aient pas été suffisants ni appropriés pour éveiller la foi en sa résurrection.

3. Le corps du Christ n’était pas tel après la résurrection qu’il puisse être touché par un mortel, aussi dit-il lui-même à Madeleine (Jn 20, 17) : "Ne me touche pas, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père. " Il ne lui convenait donc pas de se donner à toucher à ses disciples, afin de manifester la réalité de sa résurrection.

4. Parmi les propriétés du corps glorifié, la principale semble être la clarté. Or, cette clarté, il ne la montre par aucune preuve dans la résurrection.

5. Les anges, donnés comme témoins de la résurrection, ne sont pas présentés de la même manière par les évangélistes. D’après S. Matthieu, l’ange est assis sur la pierre qu’on a roulée près du monument ; d’après S. Marc, l’ange se trouve à l’intérieur du sépulcre, et c’est là qu’il fut aperçu par les femmes qui y étaient entrées. Ces deux évangélistes ne parlent que d’un seul ange ; S. Jean nous dit qu’il y en avait deux assis ; S. Luc, qu’il y en avait deux debout. Les témoignages de la résurrection semblent donc insuffisants.

En sens contraire, le Christ qui est la Sagesse de Dieu " a tout disposé d’une façon suave " et harmonieuse (Sg 8, 1).

Réponse :

Le Christ a manifesté sa résurrection d’une double manière : par des témoignages et par des preuves ou signes. Et chacune de ces manifestations a été suffisante en son genre.

En effet, pour prouver sa résurrection à ses disciples le Christ a usé de deux sortes de témoignages, dont aucun ne peut être rejeté. Le premier est le témoignage des anges qui ont annoncé aux femmes la résurrection, ce qu’on voit chez tous les évangélistes. - L’autre est le témoignage des Écritures que lui-même a proposées pour prouver sa résurrection (Lc 24, 25-44).

Les preuves aussi furent suffisantes pour établir que sa résurrection était réelle, et glorieuse. Qu’elle soit réelle, il le montra, en ce qui concerne son corps, sous trois aspects. Il montre, en effet : 1° que c’était un corps réel et résistant, et non pas un corps imaginaire ou éthéré comme l’air. C’est pourquoi il donna son corps à toucher en disant : " Touchez et voyez ; un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai " ; - 2° que c’était un corps humain ; le Christ présenta à ses disciples son visage véritable, qu’ils pouvaient voir de leurs yeux ; - 3° que c’était aussi le même corps individuel qu’il avait auparavant ; car il leur fit constater les cicatrices de ses blessures ; aussi leur dit-il (Lc 24, 38) : " Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi. "

Que sa résurrection soit réelle, il le montra d’autre part, en ce qui concerne l’âme qu’il a de nouveau unie à son corps, par des actions de chacune des trois vies ; 1° la vie végétative, en mangeant et en buvant avec ses disciples (Lc 24, 30. 43) ; - 2° la vie sensitive, en répondant aux questions de ses disciples et en saluant ceux qui étaient présents ; - 3° la vie intellectuelle, en conversant avec les disciples et en expliquant les Écritures.

Et, pour que rien ne manque à cette manifestation, il révéla aussi qu’il possédait la nature divine, en faisant un miracle, celui de la pêche, et plus tard en montant au ciel sous leurs yeux ; car il est dit (Jn 3, 13) : " Personne ne monte au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel. "

Quant à la gloire de sa résurrection, le Christ la montra à ses disciples en entrant auprès d’eux, "portes closes" ; d’après S. Grégoire, "le Seigneur offrit à toucher la chair qu’il avait introduite, portes closes, afin de prouver qu’après la résurrection son corps avait une autre gloire, tout en gardant la même nature ". De même, c’était une propriété de la gloire " de disparaître subitement à leurs yeux " (Lc 24, 31). Il montrait par là qu’il avait le pouvoir d’être vu ou non ; ce qui est, on l’a dit, l’une des prérogatives du corps glorieux.

Solutions :

1. Chacune des preuves ne suffit pas à manifester la résurrection du Christ. Cependant, toutes prises ensemble manifestent parfaitement la résurrection du Christ, surtout à cause du témoignage de l’Écritures des paroles des anges et de l’affirmation du Christ lui-même, confirmée par des miracles. Or, les anges, dans leurs apparitions, n’affirmaient pas qu’ils étaient des hommes, tandis que le Christ affirmait être un homme réel.

Et si les anges ont mangé des aliments, c’est d’une autre manière que le Christ ; les corps pris par les anges n’étaient pas des corps vivants ou animés, il n’y avait pas de véritable manducation, bien que les aliments aient été vraiment broyés et soient passés à l’intérieur du corps qu’ils avaient pris ; aussi l’ange dit-il à Tobie (12, 8) : " Quand j’étais avec vous, je paraissais manger et boire vraiment avec vous ; or moi, j’use d’une nourriture invisible. " Mais, parce que le corps du Christ était réellement animé, il a mangé réellement. Comme dit S. Augustin " ce n’est pas le pouvoir, mais le besoin de manger qui est enlevé aux corps des ressuscités". Aussi, d’après S. Bède "le Christ a mangé par puissance et non par indigence ".

2. On l’a dit dans la Réponse, certaines preuves étaient apportées par le Christ pour démontrer la réalité de sa nature humaine, d’autres pour faire éclater la gloire du Ressuscité. Or, la condition de la nature humaine, considérée en elle-même, dans on état présent, s’oppose à la condition de la gloire, selon S. Paul (1 Co 15, 43) : " Le corps est semé dans la faiblesse, il ressuscitera dans la puissance. " Voilà pourquoi ce qui tend à montrer la condition de la gloire semble s’opposer à la nature, prise non pas d’une manière absolue, mais dans son état présent, et réciproquement. Aussi S. Grégoire écrit-il : " Le Seigneur a montré deux choses admirables, qui, pour la raison humaine, sont contraires entre elles : après la résurrection, il a prouvé que son corps était incorruptible et que, pourtant, il pouvait être touché. "

3. Selon S. Augustin, en disant à Madeleine : "Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père ", le Seigneur a voulu figurer dans cette femme l’Église des païens qui n’a cru au Christ qu’après son ascension vers son Père. Ou encore Jésus a voulu que l’on crût en lui, c’est-à-dire qu’on le touchât spirituellement, parce que lui-même et son Père ne sont qu’un. D’une certaine façon, le Christ monte vers son Père par les sens intimes de celui qui progresse jusqu’à le reconnaître égal au Père. Or, Madeleine croyait encore en lui d’une manière charnelle, elle qui le pleurait comme on pleure un homme. On lit ailleurs que Marie toucha le Christ, quand en même temps que les autres femmes, elle " s’approcha et embrassa ses pieds ". Comme dit Séverin "cela ne fait pas de difficulté ; dans le premier cas, il s’agit d’une préfiguration de la grâce divine ; dans le second cas, Jésus refuse le contact d’une femme, au plan de la nature humaine ".

Ou bien encore, écrit S. Jean Chrysostome, " cette femme voulait continuer à vivre avec le Christ comme avant la passion. Dans sa joie, elle ne concevait rien de grand, bien que la chair du Christ, en ressuscitant, fût devenue d’une condition beaucoup plus haut ". Et c’est pourquoi le Christ lui dit : " je ne suis pas encore monté vers mon Père ". comme s’il disait : " Ne pense pas que je mène encore une vie terrestre. Si tu me vois sur terre, c’est que je ne suis pas encore monté vers mon Père, mais le moment est proche où je vais monter. " Aussi ajoute-t-il : " je monte vers mon Père et votre Père. "

4. Comme l’écrit aussi S. Augustin " le Seigneur est ressuscité avec une chair dotée de clarté : mais il n’a pas voulu apparaître à ses disciples avec cette clarté, car leurs yeux ne pouvaient la fixer. Si, en effet, avant qu’il meure pour nous et qu’il ressuscite, ses disciples n’ont pu soutenir sa vue lors de sa transfiguration sur la montagne, à plus forte raison quand sa chair fut glorifiée ! ".

Il faut aussi se rappeler qu’après la résurrection le Seigneur voulait surtout prouver son identité avec celui qui était mort. Or, c’eût été un grand obstacle que de leur montrer la clarté de son corps. Aucune modification ne contribue, en effet, à révéler la diversité des choses comme le changement d’aspect ; car les sensibles communs, parmi lesquels se trouvent l’un et le multiple, le même et le divers, relèvent surtout de la vue. Avant la passion, au contraire, pour détourner les disciples de mépriser la faiblesse de sa passion, le Christ cherchait à leur manifester la gloire de sa majesté. Or, cette gloire, rien ne la fait mieux connaître que la clarté du corps. Voilà pourquoi le Christ a prouvé à ses disciples sa gloire avant la passion, par la clarté, mais après la résurrection, par d’autres indices.

5. D’après S. Augustin encore : "Nous pouvons entendre qu’il n’y a eu qu’un seul ange vu par les femmes, selon S. Matthieu et S. Marc, au moment où elles entrèrent dans le sépulcre, c’est-à-dire dans la chambre qui le précédait. Là, elles ont aperçu un ange assis sur la pierre roulée d’auprès du tombeau, dit S. Matthieu ; assis à droite, selon S. Marc. Puis, en regardant le lieu où gisait le corps du Seigneur, elle virent deux autres anges, qui étaient d’abord assis, selon S. Jean, et qui ensuite, après s’être levés, se tinrent debout, selon S. Luc. "

 

 

QUESTION 56 — LA CAUSALITÉ DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST

1. La résurrection du Christ est-elle la cause de notre résurrection ? - 2. Est-elle la cause de notre justification ?

 

            Article 1 — La résurrection du Christ est-elle la cause de notre résurrection ?

Objections :

1. Dès qu’une cause suffisante est posée, son effet suit immédiatement. Donc, si la résurrection du Christ est la cause suffisante de la résurrection des corps, tous les morts ont dû ressusciter aussitôt après cette résurrection.

2. La cause de la résurrection des morts, c’est la justice divine, afin que les corps soient récompensés ou punis en même temps que les âmes, de même qu’ils ont communié dans le même mérite ou dans le péché. C’est l’opinion de Denys et aussi de S. Jean Damascène. Or, même si le Christ n’était pas ressuscité, la justice de Dieu se serait accomplie nécessairement. Les morts seraient donc ressuscités, même si le Christ n’était pas ressuscité. Sa résurrection n’est donc pas la cause de la résurrection des morts.

3. Si elle était la cause de la résurrection des corps, elle en serait ou la cause exemplaire, ou la cause efficiente, ou la cause méritoire. Elle n’en est pas la cause exemplaire, car c’est Dieu qui produira la résurrection des corps, selon le Christ en S. Jean (5, 21) : " Le Père ressuscite les morts " ; or, Dieu n’a pas besoin de regarder un modèle hors de lui. - Elle n’en est pas non plus la cause efficiente ; car la cause efficiente agit uniquement par contact spirituel ou corporel ; or, il est manifeste que la résurrection du Christ n’a pas de contact corporel avec les morts qui ressuscitent, à cause de la distance dans le temps et dans l’espace ; ni non plus de contact spirituel, puisque ce contact se fait par la foi et la charité et que même les infidèles et les pécheurs ressuscitent. - Elle n’en est pas enfin la cause méritoire ; car le Christ ressuscité n’est plus voyageur et par suite, ne se trouve plus en état de mérite. - Ainsi, la résurrection du Christ ne semble être d’aucune manière la cause de notre résurrection.

4. La mort étant une privation de la vie, détruire la mort n’est pas autre chose que ramener la vie, ce que fait la résurrection. Or, en mourant le Christ a détruit notre mort. C’est donc la mort du Christ et non sa résurrection qui est la cause de notre résurrection.

En sens contraire, sur ce texte (1 Co 15, 12) : " Si l’on prêche que le Christ est ressuscité des morts. . . " la Glose remarque : " Le Christ est la cause efficiente de notre résurrection. "

Réponse. Aristote dit : " Ce qui est premier dans un genre est cause de tout ce qui en fait partie. " Or, dans l’ordre de notre résurrection, ce qui est premier c’est la résurrection du Christ, on l’a vu plus haut. Il faut donc que la résurrection du Christ soit la cause de notre résurrection. L’Apôtre écrit (1 Co 15, 20) : " Le Christ est ressuscité d’entre les morts, prémices de tous les dormants ; car si la mort a été causée par un seul homme, c’est aussi par un seul homme qu’est causée la résurrection des morts. "

Et cela est conforme à la raison. Le principe de la vie des hommes, c’est le Verbe de Dieu, dont il est dit dans le Psaume (36, 10) : " En toi est la source de la vie. " Aussi lui-même déclare-t-il en S. Jean (5, 21) : " Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, le Fils vivifie ceux qu’il veut. " Or, l’ordre naturel institué par Dieu dans les choses veut que chaque cause agisse d’abord sur l’être qui lui est le plus proche et, par cet être, sur les plus éloignés ; par exemple, le feu chauffe d’abord l’air qui est tout près de lui et, par l’air, les corps qui sont plus distants ; Dieu lui-même illumine en premier lieu les substances qui sont le plus rapprochées de lui, et, par elles, éclaire celles qui sont le plus éloignées de lui, selon Denys. C’est pourquoi le Verbe de Dieu a d’abord conféré la vie immortelle au corps qui lui était uni par nature et, par lui, il opère la résurrection de tous les autres hommes.

Solutions :

1. On vient de le dire, la résurrection du Christ est cause de notre résurrection par la vertu du Verbe. Or, le Verbe agit par sa volonté. Il n’est donc pas nécessaire que l’effet produit le soit immédiatement, mais qu’il soit réalisé dans les conditions voulues par le Verbe de Dieu ; c’est ainsi que nous sommes d’abord conformes au Christ souffrant et mourant en cette vie passible et mortelle, et que nous acquérons ensuite la ressemblance de sa résurrection.

2. La justice de Dieu est la cause première de notre résurrection ; mais la résurrection du Christ en est la cause secondaire et comme instrumentale. Il est vrai que la vertu de la cause principale n’est jamais déterminée à se servir de tel ou tel instrument ; mais du fait qu’elle agit par tel instrument, cet instrument est cause de l’effet produit. Ainsi donc, la justice divine, considérée en elle-même, n’est pas tenue de causer notre résurrection par la résurrection du Christ ; elle aurait pu, en effet, comme on l’a fait remarquer plus haut nous délivrer par un autre moyen que par la Passion et la Résurrection. Mais, étant donné qu’elle a décrété de nous délivrer de cette façon, il est évident que la résurrection du Christ est cause de notre résurrection.

3. A proprement parler, la résurrection du Christ n’est pas cause méritoire de notre résurrection ; mais elle en est la cause efficiente et la cause exemplaire. Elle en est tout d’abord la cause efficiente : l’humanité du Christ, selon laquelle il est ressuscité, est d’une certaine manière l’instrument de sa divinité et agit par sa vertu, ainsi qu’on l’a montré plus haut. Voilà pourquoi tout ce que le Christ a fait ou souffert dans son humanité nous étant salutaire par la vertu de sa divinité, comme on l’a prouvé précédemment, la résurrection du Christ est aussi la cause efficiente de notre résurrection par la vertu divine, dont le propre est de rendre la vie aux morts. Cette vertu atteint par sa présence tous les lieux et tous les temps, et son contact suffit pour qu’il y ait véritable efficience. Par suite, on vient de le dire, la cause primordiale de la résurrection des hommes est la justice divine, en vertu de laquelle le Christ a le pouvoir de faire le jugement, en tant que Fils de l’homme ; et la vertu efficiente de sa résurrection s’étend non seulement aux bons, mais aussi aux méchants, qui sont soumis à son jugement.

Parce que le corps du Christ était uni personnellement au Verbe, sa résurrection est la première dans le temps ; elle est aussi, dit la Glose, "la première en dignité et en perfection ". Or, ce qui est le plus parfait est toujours le modèle qu’imite à sa manière ce qui est moins parfait. Aussi la résurrection du Christ est-elle la cause exemplaire de notre résurrection. Et cela est nécessaire, non pas du côté de celui qui cause la résurrection, car il n’a pas besoin de modèle, mais du côté de ceux qui ressuscitent, car les ressuscités doivent être conformes à cette résurrection du Christ, d’après S. Paul (Ph 3, 21) : " Il transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire. " La causalité efficiente de la résurrection du Christ s’étend à la résurrection tant des bons que des méchants ; néanmoins, sa causalité exemplaire n’atteint que les bons ; ceux-ci sont rendus conformes à la filiation du Christ, dit S. Paul (Rm 8, 29).

4. Au point de vue de l’efficience, qui dépend de la vertu divine, la mort du Christ comme aussi sa résurrection est d’une manière générale cause de la destruction de la mort tout autant que de la restauration de la vie. Pourtant, au point de vue de la causalité exemplaire, la mort du Christ, étant la privation de la vie mortelle qu’il menait, est cause de la destruction de notre mort ; mais sa résurrection étant l’inauguration de sa vie immortelle, est la cause de la restauration de notre vie. Toutefois la passion du Christ offre en outre un caractère spécial comme on l’a dit plus haut elle est cause méritoire.

 

            Article 2 — La résurrection du Christ est-elle la cause de notre justification ?

Objections :

1. D’après S. Augustin, " les corps ressuscitent par l’économie humaine du Christ, mais les âmes ressuscitent par la substance de Dieu ". Or, la résurrection du Christ ne concerne pas la substance de Dieu, mais relève de l’économie humaine. La résurrection du Christ, tout en étant la cause de la résurrection des corps, ne semble donc pas être la cause de la résurrection des âmes.

2. Le corps ne peut agir sur l’esprit. Or, la résurrection du Christ regarde son corps abattu par la mort. La résurrection du Christ n’est donc pas la cause de la résurrection des âmes.

3. Parce que la résurrection du Christ est la cause de la résurrection des corps, " tous les corps, ressusciteront", selon S. Paul (1 Co 15, 51) : " Tous, nous ressusciterons. " Mais les âmes de tous les hommes ne ressusciteront pas, car certains " iront au supplice éternel " (Mt 25, 46).

La résurrection du Christ n’est donc pas la cause de la résurrection des âmes.

4. La résurrection des âmes se fait par la rémission des péchés. Or, c’est là l’effet de la passion du Christ, d’après l’Apocalypse (1, 5) : " Il nous a lavés de nos péchés dans son sang. " Donc c’est la passion du Christ qui est la cause de la résurrection des âmes, bien plus que sa résurrection.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 4, 25) " Le Christ est ressuscité pour notre justification ", et la justification n’est rien d’autre que la résurrection des âmes. Et sur ce texte du Psaume (30, 6) : "Vers le soir, il y aura des pleurs", la Glose écrit : "La résurrection du Christ est la cause de notre résurrection : celle de notre âme dans la vie présente, celle de notre corps dans l’avenir. "

Réponse :

On vient de le voir la résurrection du Christ agit par la vertu de la divinité. Cette vertu s’étend non seulement à la résurrection des corps, mais aussi à la résurrection des âmes ; car c’est Dieu qui fait que l’âme vit par la grâce et que le corps vit par l’âme. C’est pourquoi la résurrection du Christ possède, d’une manière instrumentale, une vertu efficiente, non seulement pour la résurrection des corps, mais aussi pour la résurrection des âmes.

Pareillement, elle est aussi cause exemplaire par rapport à la résurrection des âmes, car nous devons aussi être conformes par notre âme au Christ ressuscité, selon S. Paul (Rm 6, 4) : " Le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père ; de même, nous aussi, nous devons marcher dans une vie nouvelle. Ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; de même, nous aussi, nous devons nous considérer comme morts au péché, afin que, de nouveau, nous vivions par lui. "

Solutions :

1. Lorsque S. Augustin écrit que la résurrection des âmes se fait par la substance de Dieu, il faut l’entendre d’une participation ; les âmes deviennent, en effet, bonnes et justes, en participant de la bonté divine, et non pas en participant d’une créature quelconque. Aussi, après avoir dit : " Les âmes ressuscitent par la substance de Dieu ", S. Augustin ajoute-t-il : " L’âme devient bienheureuse en participant de Dieu, mais non en participant d’une âme sainte. " Quant à nos corps, ils deviennent glorieux en participant de la gloire du corps du Christ.

2. La causalité efficiente de la résurrection du Christ atteint les âmes, non pas par la vertu propre du corps ressuscité lui-même, mais par la vertu de la divinité, à laquelle il est personnellement uni.

3. La résurrection des âmes ressortit au mérite, et le mérite est un effet de la justification ; mais la résurrection des corps est ordonnée à la peine ou à la récompense, qui sont l’effet de la sentence du juge. Or, il appartient au Christ non de justifier tous les hommes, mais de les juger tous. C’est pourquoi, s’il ressuscite tous les corps, il ne ressuscite pas toutes les âmes.

4. Deux facteurs concourent à la justification des âmes : la rémission de la faute et la nouveauté de vie par la grâce. Quant à la causalité efficiente, qui vient de la vertu divine, la passion du Christ, et aussi sa résurrection, sont causes de la justification sous ses deux aspects. Mais au point de vue de la causalité exemplaire, la passion et la mort du Christ sont la cause propre de la rémission de la faute qui nous fait mourir au péché ; et la résurrection du Christ est la cause d’une vie nouvelle ; car cette vie nouvelle s’exerce par la grâce ou la justice. Aussi S. Paul écrit-il (Rm 4, 25) que le Christ " a été livré " à la mort pour enlever " nos péchés ; et qu’il est ressuscité pour notre justification ". Mais la passion du Christ est aussi cause méritoire, nous l’avons dit.

 

 

QUESTION 57 — L’ASCENSION DU CHRIST

1. Convenait-il que le Christ monte au ciel ? - 2. Selon quelle nature l’ascension lui convenait-elle ? - 3. Est-il monté par sa propre puissance ? - 4. Est-il monté au-dessus de tous les cieux corporels ? - 5. Est-il monté au-dessus de toutes les créatures spirituelles ?- 6. Les effets de l’Ascension.

 

            Article 1 — Convenait-il que le Christ monte au ciel ?

Objections :

1. D’après le Philosophe, "les réalités les plus parfaites possèdent leur bien sans se mouvoir ". Or, le Christ tient le rang le plus élevé ; car, selon sa nature divine, il est le souverain bien, et selon sa nature humaine, il est au sommet de la gloire. L’ascension étant un mouvement, il ne convenait pas que le Christ monte au ciel.

2. Tout mouvement se fait en vue d’un bien meilleur. Or, le Christ n’eut pas une meilleure existence au ciel que sur la terre, car il n’a rien acquis au ciel, ni pour son âme, ni pour son corps.

Il semble donc que le Christ ne devait pas monter au ciel.

3. Le Fils de Dieu a pris la nature humaine pour notre salut. Mais il aurait été plus salutaire pour les hommes qu’il vive toujours avec nous sur la terre. Il le déclare lui-même à ses disciples (Lc 17, 22) : " Des jours viennent où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l’homme, et vous ne le verrez pas. " Il semble donc qu’il ne convenait pas au Christ de monter au ciel.

4. Selon S. Grégoire le corps du Christ n’a subi aucun changement après sa résurrection. Or, ce n’est pas immédiatement après la résurrection qu’il est monté au ciel, puisque le Seigneur dit lui-même aussitôt après sa résurrection (Jn 20, 17) : "je ne suis pas encore monté vers mon Père. " Il semble donc qu’il ne devait pas davantage monter au ciel quarante jours plus tard.

En sens contraire, le Seigneur l’affirme (Jn 20, 17) : " je monte vers mon Père et votre Père. "

Réponse :

Le lieu doit être proportionné à ce qui y réside. Le Christ, par sa résurrection, a commencé une vie immortelle et incorruptible. Or, le lieu où nous habitons est celui de la génération et de la corruption, mais le ciel est celui de l’incorruption. Il ne convenait donc pas qu’après sa résurrection le Christ demeure sur la terre ; mais bien au contraire, il fallait qu’il mont au ciel.

Solutions :

1. La réalité la plus parfaite qui possède son bien sans se mouvoir est Dieu lui-même. Il est, en effet, absolument immuable (Ml 3, 6) : " Moi, le Seigneur, je ne change pas. " Or, d’après S. Augustin, toute créature est de quelque manière soumise au changement. La nature prise par le Fils de Dieu étant demeurée toujours une nature créée, nous l’avons dit il n’y a pas d’inconvénient à lui attribuer quelque mouvement.

2. L’ascension du Christ au ciel ne lui a rien procuré de ce qui appartient à l’essence de la gloire, soit du corps, soit de l’âme ; elle lui a donné toutefois un lieu honorable, ce qui constitue un supplément accidentel de gloire. Non que son corps ait rien acquis des corps célestes, ni de leur perfection, ni de leur conservation, mais il a obtenu uniquement un lieu plus honorable. Or, cela contribuait de quelque façon à sa gloire. De fait, le Christ a éprouvé de la joie ; non pas qu’il ait commencé de s’en réjouir pour la première fois, au moment où il est monté au ciel ; mais il s’en est réjoui d’une nouvelle manière comme d’une réalité qui arrive à son achèvement. Aussi, ce verset du Psaume (16, 11) : " Délices éternelles à ta droite ", la Glose le commente en ces termes : " La dilatation et la joie s’empareront de moi lorsque je serai assis à ton côté, loin des regards des hommes. "

3. L’ascension a retiré aux fidèles la présence corporelle du Christ ; cependant, par sa divinité, le Christ reste toujours présent parmi eux. Aussi dit-il lui-même en S. Matthieu (28, 20) : "Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles. " Celui " qui est monté aux cieux, dit S. Léon n’abandonne pas ceux qu’il a adoptés. " Mais l’ascension du Christ qui nous a privés de sa présence corporelle, nous a été plus utile que ne l’aurait été cette présence elle-même, pour les raisons suivantes :

1° Elle augmente notre foi, qui a pour objet ce qu’on ne voit pas. Le Seigneur lui-même dit en S. Jean (16, 8) que l’Esprit Saint, lorsqu’il sera venu, " convaincra le monde au sujet de la justice ", la justice " de ceux qui auront cru", remarque S. Augustin : " car la comparaison des fidèles avec les infidèles est par elle-même la condamnation de ces derniers ". Aussi le Seigneur ajoute-t-il : " je vais au Père, et vous ne me verrez plus. " S. Augustin reprend : " Bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient. Ce sera donc par notre justice que le monde sera condamné, car vous croirez en moi sans me voir. "

2° Elle relève notre espérance. Le Seigneur déclare (Jn 14, 3) : " Lorsque je m’en serai allé et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous y soyez aussi. " Et le Christ, en emmenant au ciel la nature humaine qu’il avait prise, nous a donné l’espoir d’y parvenir, car " partout où sera le corps s’assembleront les aigles " (Mt 24, 28). Et Michée (2, 13) avait prophétisé " Il monte en frayant le chemin devant eux. "

3° Elle dirige vers les réalités célestes l’affection de notre charité : " Recherchez les choses d’en haut, où le Christ demeure assis à la droite de Dieu ; affectionnez-vous aux choses d’en haut, et non à celles de la terre " (Col 3, 1). Car, d’après S. Matthieu, " où est ton trésor, là aussi est ton cœur ". L’Esprit Saint étant l’amour qui nous ravit vers les réalités du ciel, le Seigneur dit aux disciples (Jn 16, 7) : " Il vous est bon que je m’en aille car, si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai. " Ce que S. Augustin commente ainsi : "Vous ne pouvez saisir l’Esprit Saint tant que vous persistez à connaître le Christ selon la chair. Lorsque le Christ se fut éloigné corporellement, non seulement l’Esprit Saint, mais encore le Père et le Fils leur furent présents spirituellement. "

4° Au Christ ressuscité pour la vie immortelle il convenait d’être dans un lieu céleste ; toutefois, il a retardé son ascension afin de prouver la réalité de sa résurrection. Aussi lit-on dans les Actes (1, 3) : " Après sa passion, il se montra vivant à ses disciples, leur en donnant des preuves nombreuses pendant quarante jours. " La Glose fournit plusieurs explications de ce texte : " Ayant subi la mort pendant quarante heures, il a voulu pendant quarante jours confirmer qu’il était vivant. Par ces quarante jours, on peut aussi entendre le temps du monde présent durant lequel le Christ vit avec son Église ; l’homme est composé en effet de quatre éléments, et il est instruit à ne pas transgresser les dix commandements. "

 

            Article 2 — Selon quelle nature convenait-il au Christ de monter au ciel ?

Objections :

1. On lit dans le Psaume (47, 6) " Dieu monte au milieu des acclamations ", et dans le Deutéronome (33, 26) : " Il chevauche les cieux pour te secourir. " Or, ces paroles sont appliquées à Dieu avant même l’incarnation du Christ. Il convenait donc au Christ de monter au ciel en tant que Dieu.

2. Celui qui monte au ciel est celui-là même qui en est descendu, selon cette parole (Jn 3, 13) : " Personne ne monte au ciel, sinon celui qui en est descendu ", et selon S. Paul (Ep 4, 10) : " Celui qui est descendu, c’est celui-là même qui monte. " Or, le Christ est descendu du ciel non comme homme, mais comme Dieu. C’est donc en tant que Dieu qu’il y est monté.

3. Par son ascension, le Christ monte vers le Père. Or, ce n’est pas comme homme qu’il est parvenu à l’égalité avec le Père ; il dit en effet (Jn 14, 28) -. " Le Père est plus grand que moi. " Il semble donc que le Christ est monté au ciel en tant que Dieu.

En sens contraire, sur l’épître aux Éphésiens (4, 9) : " Que signifie : Il est monté, sinon qu’il était d’abord descendu ", la Glose remarque : " Il est évident que c’est selon son humanité que le Christ est monté et descendu. "

Réponse :

L’expression " en tant que " peut servir à désigner deux choses : soit la condition de celui qui monte, soit la cause de l’ascension.

Si elle désigne la condition de celui qui monte, le fait de monter ne peut convenir au Christ selon la condition de la nature divine. Tout d’abord, parce que rien, où l’on puisse monter, n’est plus élevé que la divinité. Ensuite, parce que l’ascension est un mouvement local, lequel ne convient pas à la nature divine, qui est immobile et n’a pas de lieu. Mais de cette manière au contraire l’ascension convient au Christ en tant qu’homme, car la nature humaine est contenue dans un lieu et peut être soumise au mouvement. Voilà pourquoi, dans ce sens, on peut dire que le Christ est monté au ciel en tant qu’homme, mais non en tant que Dieu.

Par contre, si l’expression " en tant que " désigne la cause de l’ascension, le Christ étant aussi monté au ciel par la vertu de sa divinité, mais non par celle de sa nature humaine, il faut dire que le Christ est monté au ciel non en tant qu’homme, mais en tant que Dieu. Aussi S. Augustin écrit-il : "C’est par ce qu’il tenait de nous que le Fils de Dieu a été suspendu à la croix, mais c’est par ce qu’il tenait de lui qu’il est monté aux cieux. "

Solutions :

1. Les témoignages invoqués s’appliquent prophétiquement à Dieu, en tant qu’il devait s’incarner. Toutefois, on peut dire que si le fait de monter n’appartient pas en propre à Dieu, cela peut du moins lui convenir par métaphore. On dit en effet que Dieu "monte dans le cœur de l’homme " lorsque ce cœur se soumet à Dieu et s’humilie devant lui. Ainsi dit-on métaphoriquement de Dieu qu’il s’élève au-dessus d’une créature lorsqu’il se la soumet.

2. Celui qui monte au ciel est celui-là même qui en descend. S. Augustin écrit en effet : " Qui est celui qui descend ? L’Homme-Dieu. Qui est celui qui monte ? Le même Homme-Dieu. "

Toutefois deux sortes de descentes sont attribuées au Christ. L’une par laquelle il est descendu du ciel. On l’attribue à l’Homme-Dieu en tant que Dieu. Cette descente est à entendre, non selon un mouvement local, mais selon " l’anéantissement par lequel, étant dans la forme de Dieu, il a pris celle d’un esclave " (Ph 2, 7). Il s’est anéanti, non pas en perdant sa plénitude, mais en prenant notre petitesse. Pareillement, on dit qu’il est descendu du ciel, non parce qu’il a quitté le ciel, mais parce qu’il a pris une nature terrestre dans l’unité de sa personne.

L’autre descente est celle par laquelle, " il est descendu dans les parties inférieures de la terre" (Ep 4, 9). Il s’agit ici d’une descente locale. Elle convient donc au Christ en tant qu’homme.

3. On dit que le Christ est monté vers son Père pour autant qu’il est monté s’asseoir à sa droite. Or, cela convient au Christ et selon sa nature divine, et selon sa nature humaine, ainsi qu’on l’exposera dans la question suivante.

 

            Article 3 — Le Christ est-il monté au ciel par sa propre puissance ?

Objections :

1. On lit en S. Marc (16, 9) : " Après avoir parlé à ses disciples, le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel", et dans les Actes des Apôtres (1, 9) : " Il fut élevé en leur présence et une nuée le déroba à leurs regards. " Or, ce qui est pris et enlevé est mû par un autre. Ce n’est donc pas par sa propre puissance, mais par celle d’un autre, que le Christ a été porté au ciel.

2. Le corps du Christ était un corps terrestre comme le nôtre. Or, il est contraire à la nature d’un corps terrestre d’être élevé en l’air, et aucun mouvement ne peut venir de la propre puissance de ce qui est mû contre sa nature. Le Christ ne s’est donc pas élevé au ciel par sa propre puissance.

3. La puissance propre du Christ est la puissance divine. Mais ce mouvement de montée ne pouvait venir de la puissance divine parce que, celle-ci étant infinie, l’ascension aurait dû être instantanée. Mais alors le Christ n’aurait pas pu "s’élever dans le ciel sous les regards de ses disciples", comme on le lit dans les Actes. Le Christ n’est donc pas monté au ciel par sa propre puissance.

En sens contraire, Isaïe (63, 1) prophétise au sujet du Christ : "Il est magnifique dans son vêtement, et il s’avance dans la grandeur de sa force. " Et S. Grégoire remarquer : " Il est dit d’Élie qu’il est monté au ciel dans un char ; c’est pour montrer avec évidence que celui qui n’est qu’un homme avait besoin d’un secours étranger. Quant à notre Rédempteur, il ne s’est élevé ni dans un char, ni avec l’aide des anges : lui qui a fait toutes choses, il a été porté au-dessus de toutes choses par sa propre puissance. "

Réponse :

Il y a dans le Christ deux natures, la nature divine et la nature humaine. On peut entendre la puissance propre du Christ selon l’une et l’autre nature. Selon sa nature humaine, on peut aussi entendre une double puissance du Christ : l’une naturelle, qui procède des principes de la nature ; il est évident que, par cette puissance, le Christ ne pouvait s’élever dans le ciel. L’autre puissance dans la nature humaine du Christ est la vertu de la gloire ; c’est selon cette puissance que le Christ est monté au ciel.

Certains cherchent la raison de cette puissance dans une " quinte essence ", la lumière. Celle-ci, affirment-ils, entre dans la composition du corps humain, et c’est par elle que les éléments contraires s’harmonisent dans l’unité. Il en résulte que, dans l’état présent de la vie mortelle, la nature des éléments prédomine dans le corps humain et, suivant cette prédominance de la nature des éléments, le corps humain se trouve attiré en bas par sa puissance. Mais, dans l’état de gloire, ce sera la nature céleste qui prédominera ; aussi est-ce suivant l’inclination et la puissance de cette nature que le corps du Christ et celui des saints sont portés au ciel. On a déjà discuté cette opinion dans la première Partie et elle sera exposée avec plus de développement dans le traité de la résurrection générale.

Cette opinion étant rejetée, d’autres trouvent la source de cette puissance du côté de l’âme glorifiée, dont le rejaillissement glorifiera le corps, ainsi que le déclare S. Augustin. La soumission du corps glorieux à l’âme bienheureuse sera telle, dit encore S. Augustin, que "le corps sera à l’instant même là où le voudra l’esprit ; et l’esprit ne voudra rien qui ne puisse lui convenir, non plus qu’au corps ". Or, nous l’avons établi ‘ il convenait au corps glorieux et immortel d’être dans un lieu céleste. Aussi est-ce par la puissance de l’âme qui le voulait, que le corps du Christ est monté au ciel.

De même que le corps devient glorieux en participant de l’âme, " de même en participant de Dieu, l’âme devient bienheureuse ", remarque S. Augustin. C’est pourquoi la première cause de l’ascension du Christ au ciel est la vertu divine. Ainsi donc, si le Christ est monté au ciel, c’est par sa propre puissance ; tout d’abord, par la puissance divine ; en second lieu, par la puissance de l’âme glorifiée qui meut le corps comme elle le veut.

Solutions :

1. Bien que le Christ ait été ressuscité par le Père, on dit cependant qu’il est ressuscité par sa propre puissance, parce que la puissance du Père et celle du Fils est la même. Pareillement, le Christ est monté au ciel par sa propre puissance, quoiqu’il ait été élevé et pris par le Père.

2. L’objection montre que sa propre puissance, par laquelle le Christ est monté au ciel, n’est pas celle qui est naturelle à sa nature humaine, mais celle de sa vertu divine, et aussi celle qui appartient à son âme bienheureuse. Il est vrai que le fait de monter vers les hauteurs est contraire à la nature du corps humain dans son état présent, où notre corps n’est pas entièrement soumis à l’esprit ; mais cette ascension ne sera ni un acte contraire à la nature du corps glorieux, ni un acte de violence, puisque toute la nature du corps glorieux est parfaitement soumise à l’esprit.

3. Bien que la puissance divine soit infinie et opère d’une manière infinie, en ce qui dépend de celui qui agit, l’effet de sa vertu est reçu dans les choses selon leur capacité et selon le plan de Dieu. Or, le corps n’est pas capable de changer de lieu instantanément ; car il faut qu’il se mesure à l’espace et, comme le prouve Aristote, ce sont les divisions de l’espace qui divisent le temps. Aussi n’est-il pas nécessaire que le corps mû par Dieu le soit instantanément ; il l’est avec la rapidité que Dieu lui assigne.

 

            Article 4 — Le Christ est-il monté au-dessus de tous les cieux corporels ?

Objections :

1. On dit dans le Psaume (11, 4) " Le Seigneur est dans son temple saint, il a son trône dans les cieux. " Or. ce qui est dans le ciel n’est pas au-dessus des cieux. Le Christ n’est donc pas monté au-dessus de tous les cieux.

2. Deux corps ne peuvent être situés en un même lieu, comme le prouve Aristote. Or, un corps ne peut se déplacer d’une extrémité à l’autre sans passer par le milieu. Il semble alors que le Christ ne pouvait monter au-dessus des cieux sans que le ciel lui-même fût divisé. Ce qui est impossible.

3. Il est dit dans les Actes (1, 9) : " Une nuée le déroba à leurs yeux. " Mais les nuées ne peuvent monter au-dessus du ciel. Le Christ n’est donc pas monté au-dessus de tous les cieux.

4. Nous croyons que le Christ demeure pour toujours là où il est monté. Or, ce qui est contre nature ne peut exister toujours ; car ce qui est conforme à la nature ne se trouve réalisé que le plus souvent et dans la plupart des cas seulement. Étant donné qu’il est contraire à la nature qu’un corps céleste soit élevé au-dessus des cieux, il semble donc que le Christ ne s’est pas élevé au-dessus des cieux.

En sens contraire, S. Paul écrit (Ep 4, 10) " Le Christ s’est élevé au-dessus de tous les cieux afin de tout accomplir. "

Réponse :

Plus certains corps participent d’une manière parfaite de la bonté divine, plus ils sont supérieurs à l’ordre corporel qui est un ordre local. Aussi remarque-t-on que les corps qui réalisent le plus de forme appartiennent à un ordre naturellement plus élevé, comme l’enseigne le Philosophe ; c’est en effet par la forme qu’un corps participe de l’être divin, dit encore Aristote. Or, un corps participe plus de la bonté divine par la gloire que tout autre corps naturel par la forme de sa nature. Et, parmi les corps glorieux, il est évident que le corps du Christ est le plus resplendissant de gloire. Il lui convenait donc éminemment d’être établi au-dessus de tous les corps. Voilà pourquoi sur ce verset (Ep 4, 8) : " Il s’est élevé dans les hauteurs ", la Glose précise " par le lieu et la dignité ".

Solutions :

1. Le trône de Dieu est dans le ciel, non que celui-ci le renferme, mais c’est plutôt ce trône qui contient le ciel. Aussi, bien loin que quelque partie du ciel lui soit supérieure, doit-il se trouver lui-même au-dessus de tous les cieux comme dit le Psaume (8, 2 Vg) " Ô Dieu, ta gloire s’est élevée au-dessus de tous les cieux. "

2. Il n’est pas dans la nature d’un corps de subsister avec un autre en un même lieu. Cependant, Dieu peut faire par un miracle que deux corps existent simultanément dans un même lieu. Ainsi a-t-il fait que " le corps du Christ sorte du sein fermé de la Bienheureuse Vierge " et que ce corps vienne vers les disciples " portes closes ", remarque S. Grégoire. Il en résulte que le corps du Christ peut être simultanément avec un autre corps dans un même lieu ; non pas en vertu de ses propriétés naturelles, mais grâce à la vertu divine qui l’aide et qui produit cet effet.

3. La nuée n’a pas fourni au Christ, lors de son ascension, une aide semblable à celle d’un véhicule. Elle apparut comme un signe de la divinité, de même que la gloire du Dieu d’Israël s’était montrée dans une nuée au-dessus du tabernacle.

4. Le corps glorieux, en vertu des principes de sa nature, n’a pas le pouvoir d’être dans le ciel ou au-dessus du ciel. Ce pouvoir lui vient de l’âme bienheureuse dont il reçoit sa gloire. Et de même que le mouvement du corps glorieux vers les hauteurs n’est pas violent, de même son repos. Donc, rien ne s’oppose à ce que ce repos dure toujours.

 

            Article 5 — Le corps du Christ est-il monté au-dessus de toutes les créatures spirituelles ?

Objections :

1. On ne peut comparer des réalités dépourvues de raison commune. Or le lieu n’est pas attribué pour la même raison aux corps et aux créatures spirituelles, on l’a prouvé dans la première Partie. On ne peut donc pas dire, semble-t-il, que le corps du Christ est monté au-dessus de toute créature spirituelle.

2. D’après S. Augustin,,, " l’esprit surpasse tout corps ". Or la réalité la plus noble doit occuper le lieu le plus élevé. Il semble donc que le Christ n’est pas monté au-dessus de toutes les créatures spirituelles.

3. Dans tout lieu il y a un corps, puisque le vide n’existe pas dans la nature. Donc, si aucun corps n’obtient une place plus élevée que l’esprit dans l’ordre des corps naturels, il n’y aura aucun lieu au-dessus de toute créature spirituelle. Le corps du Christ n’a donc pu s’élever au-dessus de ces créatures.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Ep 1, 20) : " Il l’a établi au-dessus de toute principauté, de toute autorité, de toute puissance, de toute domination et de tout ce qui peut se nommer, non seulement dans le siècle passé, mais encore dans le siècle à venir. "

Réponse :

Une réalité doit occuper un lieu d’autant plus élevé qu’elle est plus parfaite, que ce lieu lui soit dû par mode de contact corporel comme pour les corps, ou par mode de contact spirituel comme pour les substances spirituelles. De ce fait, les réalités spirituelles ont droit à occuper un lieu céleste qui est le lieu suprême, parce que ces substances sont les plus élevées dans l’ordre des substances. Or le corps du Christ, si l’on considère la condition de sa nature corporelle, est inférieur aux substances spirituelles. Mais si l’on considère la dignité de l’union par laquelle il est personnellement uni à Dieu, il surpasse en dignité toutes les substances spirituelles. Aussi, pour le motif que nous avons dit, lui convient-il d’occuper un lieu plus élevé, au-dessus de toute créature, même spirituelle. Voilà pourquoi S. Grégoire dit : " Celui qui a fait toutes choses a été porté au-dessus de toutes par sa propre puissance. "

Solutions :

1. Ce n’est pas pour la même raison que l’on attribue un lieu aux substances corporelles et aux substances spirituelles. Cependant, dans les deux cas, il reste que le lieu le plus élevé est attribué à la réalité la plus digne.

2. Cette objection ne considère le corps du Christ que selon la condition de sa nature corporelle, et non selon les exigences de l’union hypostatique.

3. Cette comparaison peut s’entendre de deux manières. Si l’on ne prête attention qu’aux lieux matériels, il n’y en a pas un qui soit tellement élevé qu’il surpasse la dignité de la substance spirituelle ; en ce sens l’objection est valable. Mais si l’on examine la dignité de ceux à qui l’on attribue un lieu, il convient au corps du Christ de se trouver au-dessus des créatures spirituelles.

 

            Article 6 — Les effets de l’Ascension

Objections :

1. Le Christ a été cause de notre salut en tant qu’il l’a mérité. Or, par son ascension il ne nous a rien mérité. Cette ascension appartient en effet à la récompense de son exaltation ; or, le mérite et la récompense ne sont pas identiques, pas plus que le chemin n’est le but. Il semble donc que l’ascension du Christ n’a pas été la cause de notre salut.

2. Si l’ascension du Christ est cause de notre salut, cela doit surtout se vérifier comme cause de notre propre ascension. Or, celle-ci nous est garantie par la passion du Christ : " Nous avons par le sang du Christ libre accès dans le sanctuaire " (He 10, 19). L’ascension du Christ ne semble donc pas avoir été la cause de notre salut.

3. Le salut qui nous est conféré par le Christ est éternel. " Mon salut demeurera à jamais ", dit Isaïe (51, 6). Or, le Christ n’est pas monté au ciel pour y rester toujours. " Ce Jésus que vous avez vu monter au ciel en reviendra de la même manière ", lit-on dans les Actes (1, 11). Et il est écrit aussi qu’il s’est montré sur terre après son ascension à beaucoup de saints, comme à S. Paul (Ac 9). L’ascension du Christ n’a donc pas été la cause de notre salut.

En sens contraire, le Christ déclare en S. Jean (16, 7) : "Il vous est utile que je m’en aille", c’est-à-dire que je m’éloigne de vous par l’ascension.

Réponse :

L’ascension du Christ est la cause de notre salut de deux façons : tout d’abord par rapport à nous ; puis par rapport au Christ lui-même.

Par rapport à nous, l’ascension du Christ est cause de notre salut : grâce à elle, en effet, notre esprit se tourne vers lui. Ainsi qu’on vient de le voir, l’ascension est utile : 1° à notre foi ; 2° à notre espérance ; 3° à notre charité. 4° En outre, notre respect pour le Christ s’augmente, car nous ne le considérons plus comme un homme terrestre, mais comme Dieu. Aussi l’Apôtre écrit-il (2 Co 5, 16) : " Si nous avons connu le Christ selon la chair ", c’est-à-dire, d’après la Glose, selon une chair mortelle qui nous faisait penser qu’il n’était qu’un homme, " à présent, nous ne le connaissons plus comme tel ".

Par rapport au Christ lui-même, l’ascension est cause de notre salut.

1° Il nous a préparé la voie pour monter au ciel, comme il le dit en S. Jean (14, 2) : " je vais vous préparer une place " ; et ainsi que l’écrit Michée (2, 13) : " Il est monté en ouvrant le chemin. " Il est en effet notre chef, et là où le chef a passé, il faut que passent les membres. Aussi le Christ affirme-t-il (Jn 14, 3) : " Il faut que là où je suis, vous soyez aussi. " La preuve en est que les âmes des saints qu’il avait libérées de l’enfer, il les a conduites au ciel, comme le chante le Psaume (68, 19) : " En montant au ciel, il a emmené captive la captivité. " Ceux qui avaient été faits captifs par le démon, il les a emmenés avec lui au ciel, comme en un lieu étranger à la nature humaine, captifs d’une bonne capture, puisqu’il les a acquis par la victoire.

2° De même que le grand prêtre de l’Ancien Testament entrait dans le sanctuaire afin de se tenir devant Dieu et de représenter le peuple, ainsi le Christ " est entré au ciel afin d’intercéder pour nous " (He 7, 25). Sa présence même, par la nature humaine qu’il a introduite au ciel, est en effet une intercession pour nous. Dieu, qui a exalté de la sorte la nature humaine du Christ, aura aussi pitié de ceux pour lesquels le Fils de Dieu a assumé la nature humaine.

3° Le Christ siégeant ainsi dans les cieux comme Dieu et Seigneur, envoie de là-haut les biens divins aux hommes. " Il s’est élevé au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses " (Ep 4, 10), de les remplir " de ses dons ", explique la Glose.

Solutions :

1. L’ascension du Christ est la cause de notre salut, non par mode de mérite, mais par mode d’efficience, comme nous l’avons montré pour la résurrection.

2. La passion du Christ est au sens propre la cause de notre ascension au ciel, en écartant le péché qui nous en fermait l’entrée, et par mode de mérite. Et l’ascension du Christ est la cause directe de la nôtre, parce qu’elle l’a commencée dans notre chef, auquel il faut que ses membres soient unis.

3. Le Christ, qui est monté une seule fois au ciel, a acquis à jamais pour lui et pour nous le droit et la dignité d’y résider. Toutefois, il n’y a aucune dérogation à cette dignité, si le Christ, pour quelque motif, descend parfois corporellement, c’est-à-dire en vertu d’une apparition quelconque. Le contraire ressort de ce que l’Apôtre dit de lui-même (1 Co 15, 8) afin de confirmer la foi en la résurrection - " Et il apparut aussi à moi, qui suis comme le dernier de tous, comme l’avorton. " Du moins, cette vision ne témoignerait pas en faveur de la résurrection si S. Paul n’avait pas vu le vrai corps du Christ.

 

 

QUESTION 58 — LA SESSION DU CHRIST À LA DROITE DU PÈRE

1. Convient-il que le Christ siège à la droite du Père ? - 2. Cela lui convient-il en tant que Dieu ? - 3. Selon sa nature humaine ? - 4. Cela lui est-il propre ?

 

            Article 1 — Convient-il que le Christ siège à la droite du Père ?

Objections :

1. La droite et la gauche se distinguent par des positions corporelles. Or, rien de corporel ne convient à Dieu ; car "Dieu est esprit " (Jn 4, 24).

2. Quand un homme est assis à la droite d’un autre, celui-ci est assis à sa gauche. Donc, si le Christ est assis à la droite du Père, il s’ensuit que le Père est assis à la gauche du Fils. Ce qui est inadmissible.

3. Être assis et être debout s’opposent. Or, S. Étienne dit (Ac 7, 55) : " Voici, je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. " Il semble donc que le Christ n’est pas assis à la droite du Père.

En sens contraire, on lit en S. Marc (16, 19) " Après avoir parlé à ses disciples, le Seigneur Jésus monta au ciel, et il est assis à la droite de Dieu. "

Réponse :

Sous le nom de "session" nous pouvons considérer deux choses : le fait de demeurer, d’après S. Luc (24, 49) - " Asseyez-vous (sedete) à Jérusalem " ; et aussi le pouvoir royal ou judiciaire, selon les Proverbes (20, 8) : " Le roi, siégeant au tribunal, dissipe tout mal de son regard. " Il convient au Christ de s’asseoir à la droite du Père dans les deux sens. Tout d’abord, il y goûte le repos, en tant qu’il demeure éternellement incorruptible dans la béatitude du Père, que l’on signifie par sa droite : " A ta droite, éternité de délices ! " (Ps 16, 11). Aussi S. Augustin écrit-il : "Il est assis à la droite du Père : il siège ou il est assis ; entendez qu’il habite, comme nous disons d’un homme : il a siégé dans ce pays pendant trois ans. Ainsi donc, croyez que le Christ habite à la droite de Dieu le Père ; car il est bienheureux, et le nom de sa béatitude est la droite du Père. "

Le Christ siège aussi à la droite de Dieu le Père parce qu’il règne avec lui et tient de lui son pouvoir judiciaire, comme celui qui siège à la droite du roi l’assiste en régnant et en jugeant avec lui. D’après S. Augustin : " Par la droite, entendez le pouvoir que cet homme, pris par Dieu, a reçu pour venir juger, lui qui était venu d’abord pour être jugé. "

Solutions :

1. D’après S. Jean Damascène " ce n’est pas au sens local que nous parlons de la droite de Dieu. Comment celui qui n’a pas de limite aurait-il une droite, entendue en ce sens ? Il n’y a que les êtres ayant des limites qui possèdent une droite et une gauche. La droite du Père, c’est la gloire et l’honneur de la divinité ".

2. La seconde objection prend au sens matériel " s’asseoir à la droite ". Aussi S. Augustin dit-il. "Si l’on entend dans un sens corporel que le Christ est assis à la droite du Père, celui-ci sera à la gauche du Christ. Mais là (dans la béatitude éternelle) tout est à la droite, car il n’y a aucune misère. "

3. Comme l’écrit S. Grégoire : "Siéger ou s’asseoir est l’attitude du juge, se tenir debout celle du combat ou du secours. S. Étienne, étant encore dans la peine du combat, a vu debout celui qui venait à son secours. Mais celui-là même, S. Marc nous le décrit après son ascension comme étant assis ; car, après la gloire de son ascension, il apparaîtra à la fin comme juge. "

 

            Article 2 — Siéger a la droite du Père convient-il au Christ en tant que Dieu ?

Objections :

1. Le Christ, en tant que Dieu, est la droite même du Père. Or, on ne peut à la fois être la droite de quelqu’un et être assis à sa droite. Le Christ, en tant que Dieu, n’est donc pas assis à la droite du Père.

2. D’après S. Marc (16, 19) " le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel et s’est assis à la droite de Dieu ". Or, ce n’est pas comme Dieu que le Christ est monté au ciel. Donc ce n’est pas non plus comme Dieu qu’il est assis à la droite de Dieu.

3. En tant que Dieu, le Christ est égal au Père et au Saint-Esprit. Donc, si le Christ, comme Dieu est assis à la droite du Père, pour la même raison le Saint-Esprit sera assis à la droite du Père et du Fils, et le Père à la droite du Fils et du Saint-Esprit. Ce qui n’est écrit nulle part.

En sens contraire, S. Jean Damascène écrit : " La droite du Père, c’est la gloire et l’honneur de la divinité, en laquelle le Fils de Dieu existe avant les siècles, comme Dieu et en tant qu’il est consubstantiel au Père. "

Réponse :

A partir de ce qui précède par le nom de " droite " on peut entendre, d’après S. Jean Damascène, la gloire de la divinité ; d’après S. Augustin, la béatitude du Père ; d’après S. Augustin encore, le pouvoir judiciaire. Par contre, la " session " désigne, ainsi qu’on l’a dit, soit le séjour, soit la dignité royale ou judiciaire. " Siéger à la droite du Père", ce n’est donc rien d’autre que de posséder, comme le Père, la gloire de la divinité, la béatitude et le pouvoir judiciaire ; et cela d’une manière immuable et royale. Or, c’est là un privilège qui convient au Fils en tant que Dieu. Par suite, il est évident que le Christ, en tant que Dieu, est assis à la droite du Père. Toutefois, la préposition " à ", qui est transitive, n’implique qu’une distinction personnelle et un ordre d’origine, non un degré de nature ou de dignité ; car, dans les personnes divines, il n’y a pas de degré, ainsi qu’on l’a prouvé dans la première Partie.

Solutions :

1. Si le Fils de Dieu est appelé la droite du Père, c’est par appropriation, de la même manière qu’il est appelé aussi la puissance du Père. Mais la droite du Père, suivant les trois sens signalés, est quelque chose de commun aux trois personnes.

2. En montant au ciel, le Christ, comme homme, a été admis aux honneurs divins : c’est ce que désigne le mot de session. Pourtant, ces honneurs divins conviennent au Christ comme Dieu, non en vertu d’une faveur mais en vertu de son origine éternelle.

3. On ne peut dire d’aucune façon que le Père est assis à la droite du Fils et du Saint-Esprit ; car le Fils et le Saint-Esprit tirent leur origine du Père, et non réciproquement. Mais du Saint-Esprit on peut dire vraiment qu’il est assis à la droite du Père et du Fils, selon les trois sens que nous avons donnés. Toutefois, à parler par appropriation, on réserve la session au Fils, parce qu’on lui attribue l’égalité, selon cette parole de S. Augustin : " Dans le Père est l’unité, dans le Fils l’égalité, dans le Saint-Esprit l’harmonie entre l’unité et l’égalité. "

 

            Article 3 — Siéger à la droite du Père convient-il au Christ en tant qu’homme ?

Objections :

1. D’après S. Jean Damascène, "la droite du Père c’est la gloire et l’honneur de la divinité ". Or, l’honneur et la gloire de la divinité ne conviennent pas au Christ en tant qu’homme. Il semble donc que le Christ, en tant qu’homme, ne siège pas à la droite du Père.

2. D’ailleurs, siéger à la droite d’un roi n’est-ce pas exclure la sujétion ? Or, le Christ en tant qu’homme demeure "soumis au Père" (1 Co 15, 23). Il semble donc que le Christ en tant qu’homme ne soit pas à la droite du Père.

3. Ce texte (Rm 8, 34) : " Qui est à la droite de Dieu ". la Glose le commente ainsi : " Égal au Père en honneur divin ou dans les biens les meilleurs de Dieu. " Quant au texte de l’épître aux Hébreux (1, 3) : " Il siège au ciel à la droite de Dieu", la Glose l’entend ainsi : "Il possède l’égalité avec le Père, au-dessus de toutes choses par le lieu et par la dignité. " Or, il ne convient pas au Christ en tant qu’homme d’être l’égal de Dieu. Lui-même l’affirme en S. Jean (14, 28) : " Le Père est plus grand que moi. " Il semble donc qu’il ne convient pas au Christ en tant qu’homme de siéger à la droite du Père.

En sens contraire, S. Augustin déclare " Par la droite de Dieu entendez le pouvoir que cet homme, assumé par Dieu, a reçu pour venir juger, lui qui était venu pour être jugé. "

Réponse :

On vient de le dire : la " droite du Père " signifie ou la gloire de la divinité elle-même, ou sa béatitude éternelle, ou son pouvoir judiciaire et royal. La préposition " à " désigne l’accès à la droite du Père ; par quoi on entend, nous l’avons vu. une conjonction entre des réalités et aussi une certaine distinction entre elles. Or, cela peut exister de trois manières : 1° Il peut y avoir conjonction entre les natures et distinction entre les personnes. C’est ainsi que le Christ, en tant que Fils de Dieu, est assis à la droite du Père ; car il possède la même nature que le Père. Aussi tous les sens que l’on a déclarés plus haut conviennent-ils essentiellement au Fils comme au Père ; et c’est là être à égalité avec le Père.

2° La grâce d’union implique, au contraire, la distinction de nature et l’unité de personne. Et c’est ainsi que le Christ, en tant qu’homme, est Fils de Dieu et, par conséquent, est assis à la droite du Père ; l’expression " en tant que ", toutefois ne désigne pas la condition de la nature, mais l’unité de suppôt, nous l’avons expliqué plus haut.

3° L’accès à la droite du Père peut s’entendre selon la grâce habituelle : cette grâce est plus abondante chez le Christ que chez les autres créatures, en tant que la nature humaine est elle-même, chez le Christ, dans un état de béatitude plus parfait que chez les autres créatures, et sur toutes ces créatures elle exerce un pouvoir royal et judiciaire.

Ainsi donc, si l’expression " en tant que " désigne la condition de la nature, le Christ, en tant que Dieu, est assis à la droite de Dieu, c’est-à-dire à égalité avec le Père. Mais le Christ, en tant qu’homme, est assis à la droite du Père en ce sens qu’il participe à des biens plus importants que les autres créatures ; il jouit, en effet, d’une béatitude plus parfaite, et possède le pouvoir judiciaire. - Mais si l’expression " en tant que " désigne l’unité de suppôt, le Christ, en tant qu’homme, est pareillement assis à la droite du Père ; il a droit à des honneurs égaux ; les honneurs dus au Père, nous les accordons, en effet, au Fils de Dieu avec la nature qu’il a prise, ainsi qu’on l’a dit précédemment.

Solutions :

1. Selon les conditions de sa nature, l’humanité du Christ n’a pas droit à la gloire ou aux honneurs de la divinité ; elle n’y a droit qu’en raison de la personne à laquelle elle est unie. Aussi S. Jean Damascène ajoute-t-il : " Dans la gloire de la divinité, le Fils de Dieu, qui existe avant les siècles comme Dieu et en tant qu’il est consubstantiel au Père, siège avec sa chair associée à sa gloire ; car c’est d’une seule et même adoration que toute créature adore une seule et même personne avec sa chair. "

2. Si l’expression "en tant que" désigne la condition de la nature, le Christ, en tant qu’homme, est soumis au Père ; et, à ce point de vue, il ne convient pas au Christ de siéger à la droite du Père dans l’égalité parfaite avec lui. Mais il lui convient seulement de siéger à la droite du Père en ce sens qu’il possède au-dessus de toute créature l’excellence de la béatitude et le pouvoir judiciaire.

3. Être égal au Père n’appartient pas à la nature humaine du Christ, mais uniquement à la personne qui a pris cette nature. Toutefois, participer aux biens les plus éminents de Dieu, suivant un mode qui dépasse celui de toutes les créatures, convient à la nature elle-même qui a été prise par le Christ.

 

            Article 4 — Siéger à la droite du Père est-il propre au Christ ?

Objections :

1. L’Apôtre écrit (Ep 2, 6) : " Dieu nous a ressuscités et nous a fait siéger dans le ciel avec le Christ Jésus. " Or, il n’est pas propre au Christ de ressusciter. Par suite, il ne lui est pas propre non plus d’être assis à la droite de Dieu.

2. D’après S. Augustin " pour le Christ, siéger à la droite du Père, c’est habiter dans sa béatitude ". Or, cela convient à beaucoup d’autres.

3. Le Christ lui-même déclare dans l’Apocalypse (3, 21) : " Le vainqueur, je lui donnerai de siéger avec moi sur mon trône ; comme moi aussi j’ai vaincu et je siège avec mon père sur son trône. " Or, le Christ siège à la droite du Père par le fait qu’il est assis sur son trône. Donc, les vainqueurs siègent pareillement à la droite du Père.

4. Le Seigneur dit en S. Matthieu (20, 23) "Siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de vous le donner ; mais ce sera pour ceux pour qui mon Père l’a préparé. " Or, si cela n’avait pas été vraiment préparé pour quelques-uns, cette promesse aurait été vaine. Siéger à la droite du Père ne convient donc pas au Christ seul.

En sens contraire, il est écrit dans l’épître aux Hébreux (1, 13) : " Auquel des anges a-t-il jamais été dit : "Siège à ma droite" ?" c’est-à-dire, comme l’interprète la Glose " Participe à mes biens les plus éminents ", ou " Sois mon égal en divinité. " Comme s’il disait " Cela n’a jamais été dit à personne. " Donc, à plus forte raison, ne convient-il à personne d’autre qu’au Christ d’être assis à la droite du Père.

Réponse :

On vient de l’expliquer le Christ siège à la droite du Père en ce sens que selon sa nature divine il est égal au Père, et que selon sa nature humaine il possède les biens divins plus excellemment que toutes les autres créatures. Or, l’un et l’autre privilèges conviennent au Christ seul.

Donc il n’appartient à nul autre qu’au Christ, ange ou homme, de siéger à la droite du Père.

Solutions :

1. Le Christ étant notre tête, ce qui lui est conféré nous est aussi attribué en lui. Voilà pourquoi, lui-même étant déjà ressuscité, l’Apôtre écrit que Dieu nous a d’une certaine façon ressuscités avec lui, et pourtant nous ne sommes pas encore ressuscités en personne, mais nous ressusciterons un jour : " Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts rendra aussi la vie à nos corps mortels " (Rm 8, 11). C’est suivant la même manière de parler que l’Apôtre écrit encore : " Il nous fait siéger avec lui dans le ciel ", car le Christ, qui est notre tête, siège dans le ciel.

2. La droite symbolisant la béatitude divine, siéger à la droite ne signifie pas simplement être dans la béatitude, mais posséder la béatitude avec une puissance dominatrice, et d’une manière pour ainsi dire propre et naturelle. Or, cela convient uniquement au Christ et nullement à une autre créature. - On peut dire néanmoins que tout saint qui est parvenu à la béatitude " est établi à la droite de Dieu " ; aussi est-il écrit en S. Matthieu (25, 33) : " Le Fils de l’homme mettra les brebis à sa droite. "

3. Le " trône " symbolise le pouvoir judiciaire que le Christ tient de son Père ; ainsi est-il écrit qu’il " siège sur le trône de son Père ". Mais les autres saints, c’est du Christ qu’ils tiennent ce pouvoir ; et, en ce sens, on dit pareillement qu’ils " siègent sur le trône du Christ ", suivant S. Matthieu (19, 28) : " Vous siégerez, vous aussi, sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël. "

4. D’après S. Jean Chrysostome " Ce lieu ", c’est-à-dire la droite du Père où il siège, " est envié non seulement de tous les hommes, mais aussi des anges ". Car S. Paul l’assigne comme la prérogative du Fils unique, quand il écrit : " Auquel des anges a-t-il jamais été dit : "Siège à ma droite" ? " Le Seigneur a donc parlé non comme à des hommes qui devaient siéger à sa droite, mais par condescendance envers ceux qui lui adressaient une prière. Car ils ne cherchaient qu’une chose : être auprès de lui avant tous les autres.

On peut répondre aussi que les fils de Zébédée demandaient d’avoir la préséance sur les autres en participant au pouvoir judiciaire du Christ. Ils ne demandaient donc pas d’être assis à la droite ou à la gauche du Père, mais à la droite ou à la gauche du Christ.

 

 

QUESTION 59 — LE POUVOIR JUDICIAIRE DU CHRIST

1. Le pouvoir judiciaire doit-il être attribué au Christ ? -2. Ce pouvoir convient-il au Christ en tant qu’homme ? - 3. Le Christ l’a-t-il obtenu par ses mérites ? - 4. Son pouvoir judiciaire est-il universel par rapport à toutes les affaires humaines ? - 5. Outre le jugement que le Christ exerce dans le temps présent, faut-il attendre qu’il exerce un autre jugement universel dans les temps à venir ? - 6. Le pouvoir judiciaire du Christ s’étend-il même aux anges ?

Quant à l’exécution du jugement final, il sera plus à propos d’en traiter quand nous étudierons la fin du monde. Pour le moment, il suffit que nous parlions de ce qui touche à la dignité du Christ.

 

            Article 1 — Le pouvoir judiciaire doit-il être attribué au Christ ?

Objections :

1. Le jugement appartient au maître, selon S. Paul (Rm 14, 4) : " Qui es-tu, toi, pour juger le serviteur d’autrui ? " Or, être maître des créatures est commun à toute la Trinité. Le pouvoir judiciaire ne doit donc pas être attribué spécialement au Christ.

2. On lit dans Daniel (7, 9) : " L’Ancien des jours est assis ", et un peu plus loin : " Le tribunal est constitué et les livres sont ouverts. " Or, l’Ancien des jours désigne le Père, puisque, d’après S. Hilaire "dans le Père se trouve l’éternité". Le pouvoir judiciaire doit donc être attribué au Père plutôt qu’au Christ.

3. Il appartient de juger à celui qui accuse. Or cela est du ressort du Saint-Esprit, car le Seigneur dit en S. Jean (16, 8) : " Lorsque le Saint-Esprit viendra, il accusera le monde, à propos du péché, de la justice et du jugement. " Le pouvoir judiciaire appartient donc au Saint-Esprit plutôt qu’au Christ.

En sens contraire, il est écrit dans les Actes (10, 42) au sujet du Christ : " C’est lui qui est établi par Dieu juge des vivants et des morts. "

Réponse :

Trois qualités sont requises pour prononcer un jugement : 1° Le pouvoir de contraindre les sujets. Aussi est-il dit dans l’Ecclésiastique (7, 6) -. " Ne cherche pas à devenir juge, si tu n’es pas capable d’extirper l’injustice. " 2° Le zèle de la droiture, afin de rendre les jugements, non par haine ou par envie, mais par amour de la justice, selon les Proverbes (3, 12) : " Dieu châtie ceux qu’il aime, et comme un père se complaît en son fils. " 3° La sagesse, qui sert à établir le jugement, selon l’Ecclésiastique (10, 1) : "Le juge sage jugera son peuple. " Les deux premières qualités sont nécessaires avant le jugement. Mais la troisième est proprement celle qui concourt à établir le jugement ; la norme même du jugement, en effet, c’est la loi de la sagesse ou de la vérité selon laquelle on juge.

Le Fils étant la " Sagesse engendrée ", la Vérité qui procède du Père et le représente parfaitement, il s’ensuit que le pouvoir judiciaire est attribué en propre au Fils de Dieu. Aussi S. Augustin écrit-il : " Telle est cette Vérité immuable qu’on appelle justement la loi de tous les arts, et l’art de l’Artiste tout-puissant. Nous et toutes les âmes raisonnables, nous jugeons avec rectitude et selon la vérité des choses qui nous sont inférieures ; ainsi seule la Vérité elle-même juge de nous, quand nous lui sommes unis. De la Vérité elle-même personne ne juge, pas même le Père ; car elle ne lui est pas inférieure. Aussi ce que le Père juge, c’est par elle qu’il le juge. " Et il conclut : " Le Père ne juge personne, mais il a livré tout jugement à son Fils. "

Solutions :

1. Cet argument prouve que le pouvoir judiciaire est un privilège commun à toute la Trinité ; et cela est vrai. Néanmoins, le pouvoir judiciaire est attribué au Fils, en vertu d’une appropriation, on vient de le dire.

2. D’après S. Augustin l’éternité est attribuée au Père à titre de principe, car elle-même implique dans sa notion cette idée de principe. S. Augustin dit aussi en ce même endroit que le Fils est " l’art du Père ". Ainsi donc l’autorité nécessaire pour juger est attribuée au Père, en tant qu’il est le principe du Fils ; mais la raison même de jugement est attribuée au Fils qui est l’art et la sagesse du Père ; par suite, le Père a tout fait par son Fils en tant que celui-ci est son art, et il jugera aussi toutes choses par son Fils en tant que celui-ci est sa sagesse et sa vérité. Cela est signifié dans Daniel : on y lit d’abord (7, 9) : " L’Ancien des jours est assis " ; puis : " Le Fils de l’homme parvint jusqu’à l’Ancien des jours et il lui donna la puissance, l’honneur et la royauté " (7, 13). Par là on donne à entendre que l’autorité requise pour juger réside dans le Père, de qui le Fils a reçu pouvoir de juger.

3. D’après S. Augustin. si le Christ déclare que le Saint-Esprit accusera le monde à propos du péché, " c’est comme s’il disait : lui-même répandra dans vos cœurs la charité ; car, une fois la crainte chassée, vous aurez la liberté d’accuser ". Ainsi donc, le jugement est attribué au Saint Esprit, non quant à la notion de jugement, mais pour les dispositions affectives que le jugement implique de la part des hommes.

 

            Article 2 — Le pouvoir judiciaire convient-il au Christ en tant qu’homme ?

Objections :

1. S. Augustin dit : " Le jugement est attribué au Fils en tant qu’il est la loi même de la vérité suprême. " Or, c’est là une prérogative du Christ en tant que Dieu. Le pouvoir judiciaire ne convient donc pas au Christ en tant qu’homme.

2. Le rôle du pouvoir judiciaire est de récompenser ceux qui agissent bien, et de punir les méchants. Mais la récompense des bonnes œuvres, c’est la béatitude éternelle qui n’est donnée que par Dieu. " C’est en participant de Dieu, et non d’une âme sainte, que l’âme devient bienheureuse ", remarque S. Augustin. Il semble donc que le pouvoir judiciaire ne convienne pas au Christ en tant qu’homme, mais en tant que Dieu.

3. C’est au pouvoir judiciaire du Christ qu’il revient de juger les pensées secrètes des cœurs, selon S. Paul (1 Co 4, 8) : " Ne jugez de rien avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur ; il mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres et manifestera les desseins des cœurs. " Or, cela appartient seulement à la puissance divine, d’après Jérémie (17, 9) : "Le cœur de l’homme est dépravé et insondable : qui le connaîtra ? Moi, le Seigneur, qui sonde les cœurs et éprouve les reins, et cela pour rendre à chacun selon sa conduite. " Le pouvoir judiciaire convient donc au Christ, non en tant qu’homme, mais en tant que Dieu.

En sens contraire, on lit en S. Jean (5, 27) " Le Père lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est le Fils de l’homme. "

Réponse :

S. Jean Chrysostome semble penser que le pouvoir judiciaire appartient au Christ, non en tant qu’homme, mais seulement en tant que Dieu. Voici comme il présente les paroles de S. Jean : " Le Père lui a donné le pouvoir de juger. N’en soyons pas étonnés parce qu’il est le Fils de l’homme. " Et il commente : " Ce n’est pas, en effet, parce qu’il est homme qu’il a reçu le pouvoir de juger ; mais, s’il est juge, c’est qu’il est le Fils de Dieu ineffable. Cette prérogative du Christ dépassant le pouvoir de l’homme, le Seigneur lui-même écarte cette objection en ajoutant : "Ne vous étonnez point parce qu’il est le Fils de l’homme ; car lui-même est aussi le Fils de Dieu. " Et le Christ prouve son affirmation par les effets de la résurrection en ajoutant : "L’heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu. " "

Toutefois, bien que le pouvoir de juger réside en Dieu tout d’abord, les hommes reçoivent de lui un pouvoir judiciaire envers tous ceux qui sont soumis à leur juridiction. Aussi lit-on dans le Deutéronome (1, 16) "Jugez ce qui est juste " ; et ensuite : " Car la sentence est à Dieu " ; c’est en effet par l’autorité de Dieu que vous jugez. Or, nous avons dit précédemment que le Christ, même dans sa nature humaine, est le chef de l’Église tout entière, et que Dieu a mis toutes choses sous ses pieds. Il lui appartient donc, même dans sa nature humaine, d’avoir le pouvoir judiciaire. Aussi convient-il d’entendre ainsi le passage de l’Évangile rapporté plus haut : " Le pouvoir de juger a été donné au Christ parce qu’il est le Fils de l’homme ", non pas certes en raison de sa nature, autrement tous les hommes auraient ce pouvoir, comme l’objecte S. Jean Chrysostome. Mais ce pouvoir, le Christ le possède en vertu de la grâce capitale qu’il a reçue dans sa nature humaine.

Le pouvoir judiciaire convient de la sorte au Christ selon sa nature humaine pour trois raisons :

1° A cause de sa communauté et de son affinité avec les autres hommes. Or, Dieu agit par l’intermédiaire des causes secondes parce qu’elles sont plus proches des effets qu’il produit. Ainsi juge-t-il les hommes par le Christ-Homme, afin que son jugement leur soit plus indulgent. " Nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos infirmités, dit l’épître aux Hébreux (4, 15) ; pour nous ressembler, il les a toutes éprouvées, hormis le péché. Approchons-nous donc avec assurance du trône de sa grâce. "

2° Comme on le lit dans S. Augustin : " Au jugement dernier, lors de la résurrection des morts, Dieu ressuscite les corps par le Fils de l’homme, comme il ressuscite les âmes par le même Christ, en tant qu’il est le Fils de Dieu. "

3° D’après S. Augustin encore, " il est juste que ceux qui doivent être jugés voient leur juge. Or, ceux qui doivent être jugés ce sont à la fois les bons et les méchants. Il faut donc que dans le jugement la forme de l’esclave soit montrée aux méchants comme aux bons, et que la forme de Dieu soit réservée aux seuls bons. "

Solutions :

1. Le jugement relève de la vérité comme de sa règle propre ; mais il relève aussi de l’homme qui est pénétré de vérité, car celui-ci ne fait qu’un, en quelque sorte, avec la vérité, étant comme une loi et une justice vivantes. Aussi S. Augustin invoque-t-il dans son commentaire, cité dans l’objection, ce mot de l’Apôtre (1 Co 2, 15) : " L’homme spirituel juge toutes choses. " Or l’âme du Christ a été plus unie à la vérité et en a été plus remplie que toutes les autres créatures, selon S. Jean (1, 14) : " Nous l’avons vu plein de grâce et de vérité. " Il convient donc éminemment à l’âme du Christ de juger toutes choses.

2. Dieu seul peut rendre les âmes bienheureuses par la participation de lui-même. Mais il appartient au Christ de conduire les âmes à la béatitude comme chef et comme auteur de leur salut, selon l’épître aux Hébreux (2, 10) : " Celui qui avait amené à la gloire un grand nombre de fils devait rendre parfait, à force de souffrances, l’auteur de leur salut. "

3. Par soi, Dieu seul a le pouvoir de connaître et de juger les pensées secrètes des cœurs. Cependant, en vertu du rejaillissement de sa divinité sur son âme, il convient également au Christ de connaître et de juger les desseins secrets des cœurs, comme nous l’avons établi plus haut en parlant de la science du Christ. C’est ainsi que l’Apôtre écrit (Rm 2, 16) : " Ce jour-là, Dieu jugera les pensées secrètes des hommes par Jésus Christ. "

 

            Article 3 — Le Christ a-t-il obtenu le pouvoir judiciaire par ses mérites ?

Objections :

1. Le pouvoir judiciaire relève de la dignité royale selon les Proverbes (20, 8) : " Le roi assis sur le trône de la justice dissipe tout mal par son regard. " Or, le Christ a reçu la dignité royale en dehors de tout mérite, car elle lui convient du fait même qu’il est fils unique de Dieu, aussi est-il dit dans S. Luc (1, 33) : " Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il régnera éternellement sur la maison de Jacob. " Le Christ n’a donc pas obtenu le pouvoir judiciaire par ses mérites.

2. On vient de le dire, le pouvoir judiciaire convient au Christ en tant qu’il est notre chef. Or, la grâce capitale du Christ ne lui appartient pas à cause de ses mérites, mais elle est la conséquence de son union personnelle entre la nature divine et la nature humaine, selon S. Jean (1, 14. 16) " Nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique plein de grâce et de vérité, et de sa plénitude nous avons tous reçu ", ce qui fait appel à la notion de chef. Il semble donc que le Christ n’a pas obtenu le pouvoir judiciaire par ses mérites.

3. L’Apôtre écrit (1 Co 2, 15) - " L’homme spirituel juge de toutes choses. " Or, l’homme devient spirituel par la grâce, et celle-ci ne provient pas des mérites, " sinon la grâce ne serait plus la grâce " (Rm 2, 8). Il apparaît donc que le pouvoir judiciaire ne convient ni au Christ, ni à personne par mérite, mais seulement par grâce.

En sens contraire, on lit dans Job (36, 17, Vg) : " Ta cause a été jugée comme celle de l’impie ; tu recevras le jugement de toutes causes. " Et S. Augustin écrit : " Il siégera comme juge, lui qui a été soumis à un juge ; il condamnera les vrais coupables, lui qui a été faussement déclaré coupable. "

Réponse :

Rien n’empêche qu’une seule et même qualité soit attribuée à quelqu’un à des titres divers. Ainsi, la gloire des corps ressuscités était-elle due au Christ non seulement eu égard à sa divinité et à la gloire de son âme, mais aussi en vertu du mérite acquis par l’abaissement de sa passion. Pareillement, il faut dire que le pouvoir judiciaire appartient tout ensemble au Christ-Homme en raison de sa personne divine, de sa dignité de chef et de la plénitude de sa grâce habituelle ; toutefois, il l’a aussi reçu en vertu de ses mérites. C’est ainsi que, selon la justice de Dieu, celui-là devait être établi juge, qui avait lutté et vaincu pour la justice de Dieu et qui avait été jugé injustement. Ainsi dit-il lui-même dans l’Apocalypse (3, 22) : " J’ai vaincu et je me suis assis sur le trône de mon Père. " Le trône symbolise ici le pouvoir judiciaire, selon le Psaume (9, 5) : " Il est assis sur un trône, et il rend la justice. "

Solutions :

1. La première objection entend le pouvoir judiciaire en tant qu’il est dû au Christ à cause de l’union elle-même au Verbe de Dieu.

2. La seconde objection l’entend selon que ce pouvoir relève de la grâce capitale.

3. Celle-ci le considère par rapport à la grâce habituelle qui parfait l’âme du Christ. Néanmoins, bien que le pouvoir judiciaire revienne au Christ à ces divers titres, cela n’empêche pas qu’il lui soit dû en vertu de ses mérites.

 

            Article 4 — Le pouvoir judiciaire du Christ est-il universel par rapport à toutes les affaires humaines ?

Objections :

1. Quelqu’un du milieu de la foule ayant dit au Christ (Lc 13, 13) : " Ordonne à mon frère qu’il partage avec moi l’héritage ", le Seigneur lui répondit : " Homme, qui m’a établi pour être votre juge et pour faire vos partages ? " Il ne porte donc pas de jugement sur toutes les affaires humaines.

2. Nul ne porte de jugement que sur ce qui lui est soumis. Or, " nous ne voyons pas encore que toutes choses soient soumises " au Christ (He 2, 8). Le Christ n’a donc pas le pouvoir d’exercer son jugement sur toutes les affaires humaines.

3. Selon S. Augustin il ressortit au jugement divin que, en ce monde, les bons soient tantôt dans l’affliction, tantôt dans la prospérité ; et les mauvais de même. Mais il en était ainsi même avant l’incarnation du Christ. Donc tous les jugements de Dieu concernant les affaires humaines ne ressortissent pas au pouvoir judiciaire du Christ.

En sens contraire, il est dit en S. Jean (5, 12) " Le Père a donné tout jugement au Fils. "

Réponse :

Si l’on parle du Christ selon sa nature divine, il est évident que tout jugement appartient au Fils : de même en effet que le Père a fait toutes choses par son Verbe, ainsi juge-t-il tout par lui.

Mais si l’on parle du Christ selon sa nature humaine, il est également manifeste que toutes choses sont soumises à son jugement, et cela pour trois raisons :

1° A cause de la relation particulière qui existe entre l’âme du Christ et le Verbe de Dieu ; si, en effet, " l’homme spirituel juge de tout " (1 Co 2, 15) en tant que son esprit est uni au Verbe de Dieu, à plus forte raison l’âme du Christ, qui est remplie par la vérité du Verbe de Dieu, porte-t-elle un jugement sur toutes choses.

2° Le mérite de la mort du Christ le montre aussi : " Le Christ est mort et ressuscité afin d’être le Seigneur des vivants et des morts " (Rm 14, 9). Et tel est le motif pour lequel il juge tous les hommes. Aussi S. Paul ajoute-t-il aussitôt : " Nous comparaîtrons tous au tribunal du Christ. " Et Daniel (7, 14) avait déjà dit " Il lui a été donné pouvoir, honneur et royauté et tous les peuples, toutes les tribus, toutes les langues le serviront. " 3° On le voit encore si l’on considère le rapport des réalités humaines à la fin du salut de l’homme. En effet, à celui qui a la charge du principal, on confie aussi l’accessoire. Or, les réalités humaines sont toutes ordonnées à cette fin : la béatitude ; cette béatitude, c’est le salut éternel, et les hommes y sont admis ou rejetés par le jugement du Christ, comme on le lit en S. Matthieu (25, 21). Il est donc évident que toutes les réalités humaines sont soumises au pouvoir judiciaire du Christ.

Solutions :

1. Le pouvoir judiciaire, on l’a vu, relève de la dignité royale. Or, bien qu’établi roi par Dieu, le Christ n’a pas voulu, pendant qu’il vivait sur la terre, administrer temporellement un royaume terrestre. Ainsi dit-il lui-même en S. Jean (18, 36) : " Ma royauté ne vient pas de ce monde. " Pareillement, le Christ, qui venait conduire les hommes à Dieu, n’a pas voulu exercer le pouvoir judiciaire sur les réalités temporelles. Voilà pourquoi S. Ambroise écrit : " C’est à bon droit que le Christ rejette les biens terrestres, lui qui était descendu sur terre à cause des biens divins. Et il n’a pas daigné se faire juge des litiges et arbitre des fortunes, lui qui a la faculté d’être juge des vivants et des morts et l’arbitre des mérites. "

2. Toutes les réalités sont soumises au Christ en raison du pouvoir qu’il a reçu de son Père sur toutes choses. " Tout pouvoir, dit-il, m’a été donné au ciel et sur la terre " (Mt 28, 18). Cependant, tout ne lui est pas soumis dès maintenant, en ce qui concerne la réalisation de son pouvoir ; celle-ci n’aura lieu que plus tard, lorsque le Christ accomplira sa volonté sur tous en sauvant les uns et en punissant les autres.

3. Avant l’Incarnation, les jugements sur les hommes étaient rendus par le Christ en tant que Fils de Dieu. A ce pouvoir judiciaire, l’âme du Christ qui lui est personnellement unie participe grâce à l’Incarnation.

 

            Article 5 — Outre le jugement que le Christ exerce dans le temps présent, faut-il attendre qu’il exerce un autre jugement universel dans les temps à venir ?

Objections :

1. Après la dernière distribution des récompenses et des peines, il est inutile d’instituer un autre jugement. Or, cette distribution se fait dans le temps présent ; car selon S. Luc (23, 49), le Seigneur a déclaré au larron en croix : " Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis " ; et S. Luc rapporte aussi (16, 22) : " Le riche, après sa mort, fut enseveli dans l’enfer. " Il est donc inutile d’attendre le jugement final.

2. D’après une version, on lit dans le livre de Nahum (1, 9) : " Dieu ne jugera pas deux fois la même cause. " Or, le jugement de Dieu s’exerce dans le temps quant au temporel et au spirituel.

Il ne semble donc pas qu’il faille attendre un autre jugement final.

3. La récompense et le châtiment correspondent au mérite et au démérite. Mais ceux-ci ne concernent le corps que dans la mesure où celui-ci est l’instrument de l’âme. Donc, ce n’est pas par l’intermédiaire de l’âme que la récompense ou le châtiment sont dus au corps. Pour que l’homme soit récompensé ou puni dans son corps, il n’est donc pas requis d’autre jugement final en dehors de celui par lequel les âmes sont maintenant punies ou récompensées.

En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (12, 48) : " La parole que je vous ai dit, c’est elle qui vous jugera au dernier jour. " Au dernier jour, il y aura donc un jugement en dehors du jugement rendu présentement.

Réponse :

Un jugement ne peut être définitivement rendu sur une réalité changeante avant qu’elle ait atteint sa consommation. Ainsi une activité, quelle quelle soit, ne peut être définitivement jugée avant d’être achevée en elle-même et dans son effet ; beaucoup d’actions semblent en effet utiles, alors que leurs conséquences les dénoncent comme nuisibles. Pareillement, sur un homme, on ne peut prononcer aucun jugement définitif avant que sa vie soit terminée ; il peut en effet, de multiples façons, passer du bien au mal et inversement, ou du bien au mieux, ou du mal au pire. Aussi l’Apôtre affirme-t-il (He 9, 27) : " Il est établi que les homme meurent une fois ; après quoi ils sont jugés. "

Toutefois, si la vie temporelle de l’homme s’achève en elle-même par la mort, elle demeure encore, de quelque manière, dépendante de ce qui la suivra. L’homme, en effet, peut se survivre 1° Dans la mémoire des autres hommes. Or, parfois à tort, tel ou tel conserve une bonne ou une mauvaise réputation. - 2° Dans ses enfants qui sont comme quelque chose du père. " Si le père meurt c’est comme s’il n’était pas mort ; car il laisse après lui quelqu’un qui lui ressemble " (Si 30, 4). Cependant, beaucoup d’hommes bons ont de mauvais fils, et inversement. - 3° Dans les conséquences de ses actes. Ainsi, par l’imposture d’Arius et des autres mauvais guides, l’infidélité se répand-elle jusqu’à la fin du monde. Et jusqu’alors aussi, la foi progresse à cause de la prédication des Apôtres - 4° Dans son corps. Celui-ci est parfois enseveli avec honneur, parfois aussi laissé sans sépulture ; et quelquefois même, réduit en poussière, il disparaît complètement. - 5° Dans des réalités où l’homme a mis son affection, comme par exemple en certains biens temporels, dont les uns finissent rapidement, et d’autres durent plus longtemps.

Or, tout cela est soumis à l’appréciation du jugement divin. Et voilà pourquoi l’on ne Peut, sur toutes ces choses, porter de jugement définitif et public tant que le cours de ce temps se poursuit. Il suit de là qu’un jugement final est nécessaire : tout ce qui appartient à chaque homme, en quelque manière que ce soit, sera alors jugé d’une façon définitive et manifeste.

Solutions :

1. Certains ont pensé qu’avant le jour du jugement les âmes des saints n’étaient pas récompensées dans le ciel, ni les âmes des damnés punies en enfer. Or, cela semble faux. L’Apôtre écrit en effet (2 Co 5, 6) : " Nous avons bon courage et nous préférons nous exiler de ce corps pour aller vivre avec le Seigneur " ; comme il ressort des versets suivants, ce n’est plus là " marcher par la foi, mais selon la claire vision ". C’est là voir Dieu dans son essence, ce qui est l’objet même de la vie éternelle, d’après S. Jean (17, 3). Il est donc évident que les âmes séparées des corps sont dans la vie éternelle.

Et c’est pourquoi il faut soutenir qu’après la mort, l’homme, pour tout ce qui touche à l’âme, obtient un statut immuable ; par suite, en ce qui concerne la récompense de l’âme, il n’est pas nécessaire de retarder davantage le jugement. Quant aux choses humaines qui restent soumises à la marche du temps, et ne sauraient cependant être étrangères au jugement de Dieu, elles doivent à la fin du temps être appelées de nouveau en jugement. Bien que l’homme n’ait pas mérité ni démérité au sujet de ces choses, elles concourent cependant de quelque manière à sa récompense ou à sa peine. Il est donc nécessaire que tout cela soit apprécié dans un jugement final(,.

2. " Dieu ne jugera pas deux fois la même cause ", à savoir sous le même rapport. Mais il n’est pas impossible que Dieu juge deux fois la même cause sous des points de vue divers.

3. La récompense du corps ou son châtiment dépend de la récompense ou du châtiment de l’âme. Cependant, l’âme n’étant soumise au changement qu’accidentellement et à cause du corps, aussitôt qu’elle est séparée du corps elle possède un statut immuable et reçoit son jugement. Le corps, au contraire, demeure soumis au changement jusqu’à la fin du temps. Il faut donc qu’il reçoive alors sa récompense ou son châtiment dans le jugement final.

 

            Article 6 — Le pouvoir judiciaire du Christ s’étend-il même aux anges ?

Objections :

1. Les anges, tant bons que mauvais, ont été jugés au commencement du monde, lorsque les uns sont tombés par le péché et que les autres ont été confirmés dans la béatitude. Or, ceux qui ont été jugés n’ont plus besoin d’autre jugement. Le pouvoir judiciaire du Christ ne s’étend donc pas aux anges.

2. Un même être ne peut à la fois juger et être jugé. Or, les anges viendront avec le Christ pour juger, comme on le dit en S. Matthieu (25, 31) : " Le Fils de l’homme viendra dans sa majesté et avec tous ses anges. " Les anges ne doivent donc pas être jugés par le Christ.

3. En outre, les anges sont plus parfaits que les autres créatures. Donc, si le Christ est non seulement le juge des hommes, mais encore celui des anges, par la même raison il sera le juge de toutes les créatures. Or, cela semble faux, puisque c’est le propre de la providence de Dieu. On lit dans Job (34, 13) : " Qui lui a remis le gouvernement de la terre ? Qui lui a confié l’univers ? " Le Christ n’est donc pas le juge des anges.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (1 Co 6, 3) " Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? " Mais les saints ne pourront juger que par l’autorité du Christ. Le Christ a donc, avec plus de raison encore, un pouvoir judiciaire sur les anges.

Réponse :

Les anges sont soumis au pouvoir judiciaire du Christ non seulement selon sa nature divine, mais encore en raison de sa nature humaine. Trois motifs le mettent en évidence :

1° L’union étroite entre Dieu et la nature que le Christ a assumée. Car, dit l’épître aux Hébreux (2, 16) : " Ce n’est pas des anges qu’il se charge, mais de la postérité d’Abraham. " C’est pourquoi l’âme du Christ plus qu’aucun ange fut remplie de la vérité du Verbe de Dieu. Aussi, comme le remarque Denys l’âme du Christ illumine-t-elle les anges. D’où il suit qu’elle a le pouvoir de les juger.

2° En raison de l’abaissement de sa passion, la nature humaine du Christ mérite d’être élevée au-dessus des anges, de sorte que, selon la parole de S. Paul (Ph 2, 10), " au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers ". C’est pourquoi le pouvoir judiciaire du Christ s’étend même aux anges, bons et mauvais. En signe de quoi il est dit dans l’Apocalypse (7, 11) : " Tous les anges se tenaient autour de son trône. "

3° La mission que les anges exercent auprès des hommes dont le Christ est le chef, d’une manière spéciale. Aussi lit-on (He 1, 14) : " Tous sont des esprits au service de Dieu, envoyés en ministère pour ceux qui reçoivent l’héritage du salut. "

Les anges sont soumis au jugement du Christ à trois titres divers :

1° Dans la répartition de leurs charges. Cette répartition se fait aussi par le Christ-Homme : " Les anges étaient à son service " (Mt 4, 11), et les démons lui demandaient d’être envoyés dans un troupeau de porcs (Mt 8, 31).

2° Dans les autres récompenses accidentelles que reçoivent les bons anges, à savoir la joie qu’ils éprouvent du salut des hommes, selon le mot du Seigneur en S. Luc (15, 10) : " Il y aura de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence. " Et aussi dans les peines accidentelles que subissent les démons et qui font leurs tourments ici-bas ou dans l’enfer. Cela même, en effet, appartient encore au Christ-Homme, puisqu’on lit dans S. Marc (1, 24) qu’un démon s’écria : " Qu’y a-t-il entre nous et toi, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? " 3° Dans la récompense essentielle des bons anges, qui est la vie éternelle, et dans la peine essentielle des démons, qui est la damnation éternelle. Mais ce jugement a été porté depuis l’origine du monde par le Christ, en tant qu’il est le Verbe de Dieu.

Solutions :

1. Cette objection est prise du jugement relatif à la récompense essentielle et à la peine principale.

2. D’après S. Augustin, bien que " l’être spirituel juge de toutes choses ", il est toutefois jugé par la vérité elle-même. C’est pourquoi les anges, tout en exerçant un jugement du fait qu’ils sont des créatures spirituelles, sont néanmoins jugés par le Christ en tant qu’il est le Verbe.

3. Le pouvoir judiciaire du Christ s’étend non seulement aux anges, mais au gouvernement de toute la création. Au témoignage de S. Augustin les êtres inférieurs sont régis par Dieu selon un certain ordre, au moyen des créatures supérieures. L’âme du Christ qui est au-dessus de toute créature régit donc toutes choses. Aussi l’Apôtre écrit-il aux Hébreux (2, 5) : " Ce n’est pas à des anges que Dieu a soumis le monde terrestre à venir " ; comme l’explique la Glose, " le monde est soumis à celui dont nous parlons : au Christ ".

Et voilà la raison pour laquelle Dieu n’a remis à aucun autre le gouvernement de la terre. Car c’est un seul et même être qui est à la fois Dieu et homme : le Seigneur Jésus Christ. Ce que nous avons dit sur le mystère de son Incarnation suffit présentement.

 

Après l’étude des mystères du Verbe incarné doit venir celle des sacrements de l’Église, car c’est du Verbe incarné qu’ils tiennent leur efficacité. Cette étude comprend premièrement le traité général des sacrements (Q. 60-65), deuxièmement les traités concernant chaque sacrement en particulier.

Le traité des sacrements en général examine les cinq points suivants : 1° l’essence du sacrement (Q. 60) ; 2° la nécessité des sacrements 61) ; 3° les effets des sacrements 62-63) ; 4° leur cause (Q. 64) ; 5° leur nombre 65).

 

 

QUESTION 60 — L’ESSENCE DU SACREMENT

Cette étude se divise en huit articles : - 1. Le sacrement entre-t-il dans le genre du signe ? - 2. Tout signe d’une réalité sacrée est-il un sacrement ? - 3. Le sacrement est-il signe d’une réalité unique ou de plusieurs ? - 4. Le signe sacramentel est-il une chose sensible ? - 5. Requiert-il une chose sensible déterminée ? - 6. Le sacrement requiert-il une signification opérée par des paroles ? - 7. Les sacrements requièrent-ils des paroles déterminées ? - 8. Peut-on ajouter ou enlever quelque chose à ces paroles ?

 

            Article 1 — Le sacrement entre-t-il dans le genre du signe ?

Objections :

1. Il semble que non, car sacrement s’apparente à l’action de sacrer, comme médicament à celle de remédier ; c’est là une dérivation rattachée à la causalité plutôt qu’à la signification.

2. Sacramentum se dit d’une chose cachée ; ainsi dans le livre de Tobie (12, 7) : " Il est bon de cacher le secret (Vg : sacramentum) du roi " ; et dans l’épître aux Éphésiens (3, 9) : " L’économie du mystère (Vg : sacramentum) caché depuis l’origine des siècles, en Dieu. . . ". Mais le fait d’être caché est contraire à la notion même de signe, que

S. Augustin définit ainsi : " Ce qui, au-delà de l’image qu’il apporte aux sens, fait connaître quelque chose d’autre. "

3. L’action de jurer est appelée parfois sacramentum, car on lit dans les Décrets de Gratien : " Les enfants qui n’ont pas l’âge de raison ne doivent pas jurer ; et celui qui aura juré une fois ne sera plus témoin ni admis au sacramentum ", c’est-à-dire au serment. Mais le serment ne se rattache pas à la raison de signe. Il semble donc que le sacrement n’entre pas dans le genre du signe.

En sens contraire, S. Augustin affirme que " le sacrifice visible est le sacrement du sacrifice invisible ", en ce sens qu’il en est le signe sacré.

Réponse :

Tous les êtres ordonnés, même sous des rapports divers, à une seule et même réalité, peuvent lui emprunter leur nom. C’est ainsi que la santé, qui se trouve dans l’animal, permet d’appeler sain non seulement l’animal qui la possède, mais le remède qui la produit, le régime qui la conserve, l’urine qui en présente les signes.

De même on peut d’abord appeler sacrement une chose ayant en soi une sainteté cachée, et alors sacrement équivaut à secret sacré ; mais on peut encore appeler sacrement ce qui est ordonné à cette sainteté, comme cause, ou comme signe, ou sous tout autre rapport. Or, en ce moment nous parlons des sacrements à ce point de vue particulier : comme impliquant le rapport de signe. A ce point de vue le sacrement se classe donc dans le genre signe.

Solutions :

1. La médecine est cause efficiente de la santé ; tous les dérivés du mot médecine impliquent donc référence à ce même et unique agent premier, et c’est pourquoi le mot de médicament exprime la causalité. Tandis que la sainteté, cette réalité sacrée d’où le sacrement tire son nom, n’est pas signifiée par mode de cause efficiente, mais plutôt de cause formelle ou finale. C’est pourquoi le mot sacrement n’implique pas toujours causalité.

2. Cette objection porte selon que sacrement équivaut à secret sacré. Or on ne parle pas seulement du secret de Dieu mais aussi de celui du roi, comme étant sacré et sacrement. C’est parce que, pour les anciens, on appelait saint ou sacro-saint tout ce qu’il était interdit de violer, comme les remparts de la cité et les personnes constituées en dignité. C’est pourquoi ces secrets, divins ou humains, qu’on ne peut violer en les révélant à tous, sont appelés sacrés ou sacrements.

3. Le serment lui aussi, a quelque rapport aux réalités sacrées : il est une attestation faite au nom d’une réalité sacrée ; on peut donc l’appeler sacrement, en un sens différent de celui où nous parlons maintenant des sacrements ; il n’y a pas là équivoque mais analogie, c’est-à-dire rapports divers à un seul et même être, ici la réalité sacrée.

 

            Article 2 — Tout signe d’une réalité sacrée est-il un sacrement ?

Objections :

1. Il ne le semble pas car toutes les créatures sensibles sont des signes de réalités sacrées, comme dit S. Paul (Rm 1, 20) : " Les perfections invisibles de Dieu se font connaître par ses créatures. " Et pourtant on ne peut dire que toutes les choses sensibles sont des sacrements.

2. Tous les faits de l’ancienne loi figuraient le Christ qui est bien une réalité sacrée, puisqu’il est " le Saint des saints ". Car " tout leur arrivait en figure " selon S. Paul (1 Co 10, 11), qui dit encore : " C’est l’ombre de ce qui doit venir ensuite. La réalité est au Christ " (Col 2, 17). Et cependant toutes les actions des Pères de l’Ancien Testament, toutes les cérémonies de la loi ne sont pas des sacrements, sauf cas particuliers traités dans la deuxième Partie.

3. Sous la loi nouvelle également, bien des choses jouent ce rôle de signes d’une réalité sacrée, sans pourtant qu’on les appelle des sacrements : par exemple l’aspersion d’eau bénite, la consécration de l’autel, etc. Donc tout signe d’une réalité sacrée n’est pas un sacrement.

En sens contraire, la définition est adéquate au défini. Or certains définissent le sacrement comme le signe d’une réalité sacrée, et le texte de S. Augustin cité plus haut appuie cette définition.

Réponse :

On ne donne des signes proprement dits qu’aux hommes, car c’est leur condition de parvenir à ce qu’ils ignorent au moyen de ce qu’ils connaissent. Aussi appelle-t-on sacrement, à proprement parler, ce qui est le signe d’une réalité sacrée intéressant les hommes ; de telle sorte qu’à proprement parler on appelle sacrement, dans le sens où nous traitons ici des sacrements, ce qui est le signe d’une réalité sacrée, en tant qu’elle est sanctifiante pour les hommes.

Solutions :

1. Les créatures sensibles signifient quelque chose de sacré, c’est vrai, car elles manifestent la sagesse et la bonté divines en tant qu’elles sont sacrées en elles-mêmes, mais non en tant qu’elles servent à notre sanctification. C’est pourquoi on ne peut les appeler des sacrements au sens où nous en parlons ici.

2. Certains faits de l’Ancien Testament signifiaient la sainteté du Christ en tant qu’il est saint en lui-même. Mais d’autres signifiaient sa sainteté en tant que sanctifiante pour nous ; ainsi l’immolation de l’agneau pascal signifiait l’immolation du Christ par laquelle nous avons été sanctifiés. Ce sont ceux-là seuls qu’on appelle sacrements de l’ancienne loi.

3. On qualifie une chose d’après ce qui lui est attribué à titre de fin et d’achèvement. Or c’est la perfection qui est la fin, ce n’est pas la disposition. Les choses auxquelles se rapporte l’objection signifient seulement la disposition à la sainteté et ne portent pas le nom de sacrement. On réserve ce nom à ce qui signifie la sainteté comme complètement constituée dans son sujet humain.

 

            Article 3 — Le sacrement est-il signe d’une réalité unique ou de plusieurs ?

Objections :

1. Il semble que le sacrement ne soit signe que d’une seule réalité, car un signe qui signifie plusieurs choses est un signe ambigu qui prête à l’erreur : tels sont les noms équivoques. Mais la religion chrétienne doit rejeter toute cause d’erreur, selon l’exhortation de S. Paul (Col 2, 8) : " Veillez à ce que personne ne vous séduise par la philosophie et par une vaine tromperie. "

2. On vient d’établir que le sacrement signifie une réalité sacrée en tant qu’elle cause la sanctification des hommes. Mais leur sanctification, d’après l’épître aux Hébreux (13, 12), n’a qu’une seule cause, le sang du Christ : " Jésus a souffert hors de la ville pour sanctifier le peuple par son sang. "

3. On vient de le dire le sacrement signifie proprement la sanctification arrivée à son achèvement, à sa fin. Mais la fin de la sanctification, selon l’épître aux Romains (6, 22), c’est la vie éternelle : " Vous avez votre fruit pour la sanctification, et la fin c’est la vie éternelle. "

En sens contraire, dans le sacrement de l’autel une double réalité est signifiée : le corps véritable du Christ et son corps mystique, selon S. Augustin cité dans les Sentences de Prosper.

Réponse :

Nous venons de le dire : on appelle sacrement à proprement parler ce qui est ordonné à signifier notre sanctification. Or on peut distinguer trois aspects de notre sanctification : sa cause proprement dite, qui est la passion du Christ ; sa forme, qui consiste dans la grâce et les vertus ; sa fin ultime, qui est la vie éternelle. Les sacrements signifient tout cela.

Un sacrement est donc un signe qui remémore la cause passée, la passion du Christ ; manifeste l’effet de cette Passion en nous, la grâce ; et qui prédit la gloire future.

Solutions :

1. Un signe est ambigu et prête à l’erreur quand il signifie plusieurs choses qui ne sont pas ordonnées entre elles. Mais quand il signifie plusieurs choses unifiées par un certain ordre de rapports, il est un signe non ambigu, mais parfaitement déterminé. C’est ainsi que le nom d’homme signifie l’âme et le corps, comme éléments constitutifs de la nature humaine. De même le sacrement signifie trois réalités unifiées par un certain ordre de rapports.

2. Le sacrement, en signifiant une réalité qui sanctifie, signifie forcément du même coup son effet, qui est compris dans la cause sanctifiante en tant que telle.

3. Il suffit, pour la notion de sacrement, que celui-ci signifie la perfection essentielle qu’est la forme et il n’est pas besoin qu’il signifie seulement cette perfection qu’est la fin.

 

            Article 4 — Le signe sacramentel est-il une chose sensible ?

Objections :

1. Il semble que ce ne soit pas toujours le cas. Car, selon Aristote,. ," tout effet est signe de sa cause ". Mais s’il y a des effets sensibles, il y a aussi des effets intelligibles, comme la science, effet de la démonstration. Il n’y a donc pas que des signes sensibles. Or, nous l’avons dit, il suffit, pour constituer la notion de sacrement, du signe d’une chose sacrée, en tant que par elle l’homme est sanctifié. Il n’est donc pas nécessaire que le sacrement soit une chose sensible.

2. Les sacrements concernent le culte et le règne de Dieu, auxquels les choses sensibles sont étrangères, car il est dit en S. Jean (4, 24) : " Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité. " Et S. Paul (Rm 14, 17) : " Le royaume de Dieu n’est pas affaire de nourriture et de boisson. "

3. S. Augustin prétend que " les choses sensibles sont les moindres de tous les biens : l’homme peut s’en passer et vivre vertueusement ". Tandis que les sacrements, nous le verrons. sont nécessaires au salut.

En sens contraire, on connaît la phrase de S. Augustin : " La parole se joint à l’élément, et voilà le sacrement. " Or, il s’agit bien dans cette phrase d’un élément sensible : l’eau. Donc des réalités sensibles sont requises aux sacrements.

Réponse :

La sagesse divine pourvoit à chaque être selon son mode : " elle dispose tout harmonieusement " dit le livre de la Sagesse (8, 1). Et en S. Matthieu (25, 15) : " Il donne à chacun à la mesure de ses forces. " Or, il est dans la nature de l’homme de parvenir à la connaissance des choses intelligibles au moyen des choses sensibles. Et le signe est le moyen de parvenir à la connaissance d’autre chose. Aussi, puisque les choses sacrées que les sacrements doivent signifier sont des biens spirituels et intelligibles par lesquels l’homme se sanctifie, c’est au moyen de choses sensibles que la signification sacramentelle sera pleinement accomplie. C’est ainsi encore que la divine Écriture présente les réalités spirituelles au moyen de comparaisons tirées des choses sensibles. Les sacrements requièrent donc des choses sensibles, comme Denys le prouve de son côté.

Solutions :

1. Tout être reçoit son nom et sa définition à titre premier de ce qui lui convient immédiatement et par soi, non de ce qui lui convient par autrui. Or, l’effet sensible est capable par lui-même de conduire à la connaissance d’autre chose, car c’est immédiatement et par soi que l’effet sensible se manifeste à l’homme, chez qui toute connaissance est d’origine sensible. Au contraire, les effets intelligibles ne sont capables de conduire à la connaissance d’autre chose que dans la mesure où ils sont déjà manifestés eux-mêmes par le moyen de choses sensibles. C’est pourquoi on appelle signe, immédiatement et à titre premier, les choses offertes aux sens. S. Augustin le dit : " Le signe est ce qui, au-delà de l’image qu’il apporte aux sens, fait connaître quelque chose d’autre. " Ainsi les effets intelligibles n’ont valeur de signe que dans la mesure où ils sont eux-mêmes connus par des signes proprement dits. C’est par ce biais que des choses d’elles-mêmes inaccessibles aux sens peuvent être appelées sacrements, comme nous le verrons.

2. Évidemment, si l’on regarde les choses sensibles dans leur nature propre, elles ne se rapportent pas au culte ou au règne de Dieu. Elles n’y ont rapport que dans la mesure où elles sont signes de ces réalités spirituelles en quoi consiste le règne de Dieu.

3. De même S. Augustin parle ici des choses sensibles prises dans leur nature propre, non en tant qu’elles servent à signifier les biens spirituels, qui sont les plus précieux.

 

            Article 5 — Le signe sacramentel requiert-il une chose sensible déterminée ?

Objections :

1. Il semble que non, car, on vient de le voir, on emploie dans les sacrements des choses sensibles pour leur signification. Or, rien n’empêche diverses choses sensibles d’avoir une signification identique. C’est ainsi que la Sainte Écriture emploie pour désigner Dieu diverses métaphores : rocher, lion, soleil, etc. Il semble donc que des choses diverses pourraient convenir pour le même sacrement et que des choses déterminées ne sont pas requises.

2. Le salut de l’âme est plus nécessaire que la santé du corps. Or, pour les remèdes matériels destinés à la santé du corps, on peut employer une chose à défaut d’une autre. A beaucoup plus forte raison, dans les sacrements qui sont des remèdes spirituels destinés au salut de l’âme, pourra-t-on prendre une chose à défaut d’une autre.

3. Il ne convient pas que le salut de l’homme soit restreint par la loi divine et surtout par la loi du Christ qui est venu sauver tous les hommes. Or, sous le régime de la loi de nature, la pratique des sacrements ne requérait pas des choses déterminées : on employait celles qu’on voulait. C’est ce qu’on voit dans la Genèse (28, 20), où Jacob s’engage envers Dieu par le vœu de lui offrir des dîmes et des sacrifices pacifiques. Il semble donc que, surtout dans la loi nouvelle, l’homme ne doit pas être contraint par l’obligation d’employer pour les sacrements des choses déterminées.

En sens contraire, le Seigneur a dit (Jn 3, 5) " Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. "

Réponse :

On peut considérer deux aspects dans la pratique des sacrements : le culte divin et la sanctification de l’homme. Le premier point de vue regarde l’homme dans ses rapports avec Dieu. Le second, à l’inverse, regarde Dieu dans ses rapports avec l’homme. Personne n’est chargé de fixer des règles dans ce qui dépend du pouvoir d’un autre, mais seulement dans ce qui est en son pouvoir. Donc puisque la sanctification de l’homme est au pouvoir de Dieu, qui sanctifie, l’homme n’est pas juge de ce qu’il doit employer pour sa sanctification, et c’est à l’institution divine de le déterminer. C’est pourquoi, dans les sacrements de la nouvelle loi qui sanctifient les hommes, selon la parole de S. Paul (1 Co 6, 11) : " Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés ", les choses qu’on y emploie doivent être déterminées par l’institution divine.

Solutions :

1. Il est vrai que la même réalité peut être signifiée par des signes divers. Mais déterminer quel signe doit servir à cette signification, cela regarde l’auteur de cette sanctification. Or, c’est Dieu qui nous signifie des réalités spirituelles par des choses sensibles dans les sacrements, et par des expressions métaphoriques dans l’Écriture. Donc, de même que le Saint-Esprit a décidé l’emploi de métaphores déterminées pour signifier des réalités spirituelles dans tel passage de l’Écriture, de même c’est l’institution divine qui doit déterminer pour tel ou tel sacrement l’emploi des choses chargées de signification.

2. Les choses sensibles possèdent en elles-mêmes par un don de la nature les vertus qui les rendent bonnes pour la santé du corps. Si deux d’entre elles possèdent la même vertu, peu importe donc qu’on emploie l’une ou l’autre. Tandis qu’elles ne sont ordonnées à la sanctification par aucune vertu naturelle contenue en elles, mais seulement par institution divine. Il a donc fallu que Dieu déterminât quelles choses sensibles on emploierait dans les sacrements.

3. A des temps différents, selon S. Augustin, conviennent des sacrements différents, comme aussi on emploie des formes verbales différentes (présent, passé ou futur) pour signifier des temps différents. Sous la loi de nature une inspiration intérieure, sans nulle loi imposée du dehors, portait les hommes à honorer Dieu ; de même une inspiration intérieure déterminait quelles choses sensibles employer à ce culte. Mais la promulgation d’une loi extérieure fut ensuite rendue nécessaire parce que les péchés des hommes avaient obnubilé cette loi de nature, et aussi afin que la grâce du Christ qui sanctifie le genre humain, fût signifiée d’une façon plus expressive. Il fut donc nécessaire de déterminer quelles choses les hommes emploieraient dans les sacrements. La voie du salut n’en est pas resserrée, car les sacrements ne requièrent que des choses usuelles, ou du moins que l’on peut facilement se procurer.

 

            Article 6 — Le sacrement requiert-il une signification opérée par des paroles ?

Objections :

1. Il ne semble pas car, selon S. Augustin : " Les sacrements matériels sont-ils autre chose, pour ainsi dire, que des paroles visibles ? " En ce cas, ajouter des paroles aux choses sensibles requises par les sacrements consisterait à ajouter des paroles à des paroles, ce qui est superflu.

2. Le sacrement est un être qui est un. Comment constituer un être qui soit un en unissant des êtres de genres disparates ? Les choses sensibles étant des produits de la nature, et les paroles des produits de la raison, il semble que les sacrements ne requièrent pas qu’on ajoute des paroles aux choses sensibles.

3. Les sacrements de la loi nouvelle ont succédé aux sacrements de la loi ancienne : à l’abolition de ceux-ci, ceux-là ont été institués, dit S. Augustin. Mais les sacrements de l’ancienne loi ne nécessitaient aucune formule verbale. Les sacrements de la loi nouvelle ne doivent pas en comporter non plus.

En sens contraire, l’Apôtre nous dit (Ep 5, 25) : " Le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle afin de la sanctifier en la purifiant dans le bain d’eau que la parole de vie accompagne. " Et S. Augustin : " La parole se joint à l’élément, et voilà le sacrement. "

Réponse :

Les sacrements, nous l’avons vu, sont employés à la sanctification de l’homme comme étant des signes. Nous pouvons tirer de là trois considérations montrant chacune une convenance à ce que des paroles viennent s’adjoindre aux choses sensibles.

1° On peut envisager dans les sacrements la cause qui sanctifie : c’est le Verbe incarné auquel le sacrement se conforme en ce qu’il joint le " verbe " à la chose sensible ; ainsi dans le mystère de l’Incarnation, le Verbe de Dieu est-il uni à une chair sensible.

2° On peut envisager l’homme qu’il s’agit de sanctifier par les sacrements. L’homme est un composé d’âme et de corps, auquel s’adapte parfaitement le remède sacramentel qui, par la chose visible, touche le corps, et, par la parole, devient un objet de foi pour l’âme. Aussi, le texte : " Déjà vous êtes purs à cause de la parole. . . (Jn 15, 3) " inspire-t-il à S. Augustin cette réflexion v : " D’où vient à l’eau une si grande vertu qu’elle touche le corps et lave le cœur ? Ne lui vient-elle pas de la parole qui opère non parce qu’elle est dite, mais parce qu’elle est crue ? " 3° On peut envisager la signification sacramentelle proprement dite. S. Augustin remarque que " chez les hommes, les paroles occupent la première place entre les autres signes ". parce qu’on peut en tirer des combinaisons variées pour leur faire signifier les diverses conceptions de l’esprit ; aussi est-ce par elles que nous pouvons le plus distinctement exprimer nos conceptions. Pour la perfection de la signification sacramentelle, il était donc nécessaire que la signification des choses sensibles fût précisée par des paroles. C’est ainsi que l’eau peut également signifier l’ablution puisqu’elle est liquide, ou le rafraîchissement puisqu’elle est froide. Mais lorsqu’on dit : " je te baptise " il devient évident que dans le baptême on se sert de l’eau pour signifier la purification spirituelle.

Solutions :

1. C’est par analogie que les choses visibles des sacrements sont appelées des paroles : en tant qu’elles participent d’une certaine valeur de signification qui se trouve à titre premier dans les paroles proprement dites, nous venons de le dire. C’est pourquoi il n’y a pas redoublement superflu de paroles lorsqu’on ajoute des paroles aux choses sensibles, parce que les unes précisent la signification des autres, comme nous l’avons dit.

2. Sans doute, les paroles et les choses sensibles appartiennent à des genres disparates en ce qui regarde leur nature de choses. Mais elles se rejoignent dans la raison de signe qui d’ailleurs se trouve plus parfaitement réalisée dans les paroles que dans les autres moyens d’expression, nous venons de le dire. Paroles et choses, jointes dans le sacrement, constituent donc quelque chose d’un, à la manière d’une forme et d’une matière dans la mesure où les paroles achèvent la signification des choses. Par choses, d’ailleurs, on entend aussi bien les actions sensibles : ablution, onction, etc. car la raison de signe se réalise en elles de la même façon que dans les choses proprement dites.

3. Comme le dit S. Augustin, autres doivent être les sacrements d’une réalité présente et autres les sacrements d’une réalité à venir. Les sacrements de la loi ancienne annonçaient le Christ à venir. C’est pourquoi ils ne pouvaient le signifier d’une façon aussi expressive que les sacrements de la loi nouvelle, qui découlent du Christ lui-même et ont en eux comme une ressemblance du Christ, nous venons de le dire. D’ailleurs, sous la loi ancienne également, des paroles étaient employées aux cérémonies du culte divin ; soit par les prêtres, ministres de ces sacrements, selon le texte des Nombres (6, 23) : " Vous bénirez ainsi les enfants d’Israël et vous leur dire : Que le Seigneur te bénisse, etc. " soit par les sujets de ces sacrements, comme on lit au Deutéronome (26, 3) : " (Tu diras au prêtre) : Je déclare aujourd’hui devant le Seigneur ton Dieu, etc. "

 

            Article 7 — Les sacrements requièrent-ils des paroles déterminées ?

Objections 1. Il ne semble pas car, d’après le Philosophe " Les mots ne sont pas les mêmes chez tous. " Mais le salut que l’on demande par les sacrements est le même chez tous. Des paroles déterminées ne sont donc pas requises dans les sacrements.

2. Les sacrements requièrent des paroles en tant que celles-ci sont significatives au premier chef, nous venons de le dire. Mais il arrive que la même chose soit signifiée par des paroles différentes ; des paroles déterminées ne sont donc pas requises.

3. Ce qui déforme une chose change son espèce. Mais certains déforment les paroles en les prononçant ; on ne croit pourtant pas que l’effet des sacrements en soit empêché. Sans quoi les ignorants et les bègues qui administrent les sacrements les rendraient fréquemment nuls. C’est donc que les sacrements ne requièrent pas des paroles déterminées.

En sens contraire, le Seigneur a prononcé des paroles déterminées en consacrant le sacrement de l’eucharistie, lui qui a dit (Mt 26, 26) : " Ceci est mon corps. " De même, il a donné ordre à ses disciples de baptiser sous forme verbale déterminée (Mt 28, 19) : " Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. "

Réponse :

On vient de le voir a : dans le sacrement, les paroles se comportent à la façon d’une forme et les choses sensibles à la façon d’une matière. Or, dans tout ce qui est composé de matière et de forme, le principe de détermination est du côté de la forme, laquelle est en quelque sorte la fin et le terme de la matière. Aussi ce qui est requis tout d’abord et à titre de principe pour qu’une chose existe, c’est une forme déterminée ; car une matière déterminée n’est requise que pour être proportionnée à la forme déterminée. Puisque les sacrements requièrent des choses sensibles déterminées qui s’y comportent comme une matière, ils requièrent bien davantage une forme verbale déterminée.

Solutions :

1. Selon S. Augustin " la parole opère dans les sacrements, non parce qu’elle est dite ", c’est-à-dire non pas selon le son extérieur du mot, " mais parce qu’elle est crue " c’est-à-dire selon le sens des paroles auquel la foi s’attache. Et c’est ce sens qui est le même pour tous, malgré la diversité des sons. Un tel sens peut donc s’exprimer dans les paroles de n’importe quelle langue ; le sacrement ne s’en réalise pas moins.

2. Sans doute, en toute langue, la même chose peut être signifiée par des mots divers. Cependant il y a toujours un mot que cette langue emploie de préférence et plus communément pour signifier telle chose. Et c’est ce mot qu’on doit affecter à la signification sacramentelle. De même pour les choses sensibles : on affecte à la signification sacramentelle celles qu’on emploie le plus communément pour l’acte qui signifie l’effet du sacrement. Ainsi, comme on emploie communément de l’eau pour l’ablution corporelle, signe d’ablution spirituelle, c’est de l’eau qu’on prend comme matière du baptême.

3. Celui qui déforme les paroles sacramentelles, s’il le fait exprès, semble bien ne pas avoir l’intention de faire ce que fait l’Église, et vraisemblablement le sacrement ne se réalise pas.

Dans le cas d’erreur ou de lapsus linguae, si cette déformation va jusqu’à détruire entièrement le sens de la phrase, il ne semble pas que le sacrement se réalise. Cela arrive surtout quand cette altération atteint le commencement du mot, par exemple, si au lieu de " in nomine Patris ", on dit " in nomine Matris ". Mais si cette corruption ne détruit pas entièrement le sens de la phrase, le sacrement se réalise néanmoins. Cela arrive surtout quand l’altération atteint la désinence, par exemple si on dit : " in nomine Patrias et Filias ". Sans doute ces mots ainsi défigurés n’ont pas de signification en vertu d’une institution quelconque, mais on concède qu’ils en ont une selon que l’usage s’en accommode. Et c’est pourquoi, malgré le changement pour l’oreille, le sens demeure le même.

Ce qu’on a dit sur la différence entre la déformation située au début ou à la fin d’un mot s’explique du fait que, chez nous, le changement du début d’un mot change sa signification, ce qui n’est pas le cas pour le changement d’une désinence. Mais chez les Grecs il y a aussi, des changements au début du mot dans la conjugaison des verbes. Cependant, plus qu’à la place de l’altération, c’est à son importance qu’il faut prendre garde ; car, soit au commencement soit à la fin du mot, elle peut être assez légère pour ne pas détruire le sens des paroles ou, au contraire, assez importante pour le détruire. Mais le premier cas se produit plus facilement du côté du début, et le second cas du côté de la fin.

 

            Article 8 — Peut-on ajouter ou enlever quelque chose à ces paroles ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas permis d’ajouter aux paroles qui constituent la forme des sacrements. En effet, ces paroles sacramentelles ne sont pas moins essentielles que les paroles de la Sainte Écriture. Or, on lit dans le Deutéronome (4,2) : "Vous n’ajouterez rien à la parole que je vous dis et vous n’en retrancherez rien. " Et dans l’Apocalypse (22, 18) : " J’atteste à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre : si quelqu’un y ajoute, Dieu ajoutera sur lui les plaies qui ont été décrites dans ce livre ; et si quelqu’un en retranche, Dieu retranchera sa part du livre de vie. " Il ne doit donc pas être permis non plus d’ajouter ou de retrancher dans la forme des sacrements.

2. Les paroles se comportent dans les sacrements à la façon d’une forme, nous l’avons dit. Mais toute addition ou soustraction dans une forme varie son espèce de même que dans les nombres, selon Aristote. Donc il apparaît que si l’on ajoute ou si l’on retranche quelque chose dans la forme du sacrement, celui-ci ne sera plus le même.

3. La forme des sacrements requiert, outre un nombre déterminé de syllabes, que les mots soient émis dans un ordre déterminé et par un discours continu. Si ajouter ou retrancher des paroles ne détruit pas la vérité du sacrement, il devrait en être de même lorsqu’on les prononce dans un ordre différent, ou de façon discontinue.

En sens contraire, tous ne mettent pas les mêmes paroles dans les formules sacramentelles. Ainsi les Latins baptisent sous cette forme : " je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. " et les Grecs avec celle-ci : " Que le serviteur du Christ N. soit baptisé, au nom du Père, etc. " Et pourtant les uns et les autres confèrent vraiment le sacrement. Il est donc permis d’ajouter ou de retrancher dans les formules sacramentelles.

Réponse :

Au sujet de tous ces changements qui peuvent se produire dans les formules sacramentelles, il faut faire intervenir deux considérations.

1° L’intention de celui qui prononce ces paroles est requise au sacrement, comme nous le verrons plus loin. C’est pourquoi, s’il a l’intention, par cette addition ou ce retranchement, d’introduire un nouveau rite, non agréé par l’Église, le sacrement ne semble pas réalisé, car le ministre ne semble pas avoir l’intention de faire ce que fait l’Église.

2° Il faut considérer la signification des paroles. En effet, les paroles opèrent dans les sacrements selon le sens qu’elles offrent, nous l’avons dit Il faut donc se demander si le changement en question supprime ce sens exigé, car, en ce cas, il est évident que la vérité du sacrement est supprimée. Or, si l’on retranche un élément essentiel dans la forme sacramentelle, il est évident que le sens des paroles disparaît. Ainsi, selon Didyme : " Si quelqu’un a bien l’intention de baptiser, mais omet un de ces noms (ceux du Père, ou du Fils, ou du Saint-Esprit) le baptême ne s’accomplira pas. " Tandis que si l’on retranche un élément qui n’appartient pas à la substance de la forme, cette soustraction ne supprime pas le sens requis, ni, par suite, l’accomplissement du sacrement. Ainsi dans la forme de l’eucharistie : Hoc est enim corpus meum, l’omission de enim ne supprime pas le sens requis des mots, et par conséquent n’empêche pas le sacrement de s’accomplir, bien que, peut-être, l’auteur de l’omission commette un péché par négligence ou par irrévérence.

De même pour ce qui est des additions. On peut ajouter quelque chose qui détruise le sens requis ; si l’on dit, par exemple, selon la formule arienne du baptême : " je te baptise au nom du Père qui est supérieur, et du Fils qui est moindre ", une addition de ce genre détruit la vérité du sacrement. Mais si l’addition n’enlève pas le sens requis, elle ne fait pas disparaître la vérité du sacrement. Et peu importe que cette addition ait lieu au commencement, au milieu ou à la fin. Si l’on dit, par exemple : " je te baptise au nom de Dieu Tout-Puissant, et du Fils son unique engendré, et du Saint-Esprit Paraclet " il y aura vraiment baptême. Semblablement si l’on disait : " je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; et que la Sainte Vierge te soit en aide " il y aura vraiment baptême. Mais si l’on disait : " je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et de la Sainte Vierge Marie " peut-être n’y aurait-il pas baptême. Car S. Paul a dit (1 Co 1, 13) : " Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? " Cependant, pour que cette adjonction du nom de la Vierge rende le baptême invalide, il faudrait qu’on ait entendu par là baptiser au nom de la Sainte Vierge de la même façon qu’au nom de la Trinité par lequel le baptême est consacré ; un tel sens serait, en effet, contraire à la vraie foi et par suite supprimerait la vérité du sacrement. Mais si, au lieu d’ajouter " et au nom de la Sainte Vierge " pour signifier que le nom de la Sainte Vierge opérerait quelque chose dans le baptême, on l’ajoute simplement pour assurer au baptisé le bénéfice de son intercession afin qu’il conserve la grâce baptismale, on ne fait pas disparaître l’effet du sacrement.

Solutions :

1. On n’a pas le droit d’ajouter quelque chose aux paroles de la Sainte Écriture pour leur apporter un sens nouveau ; mais s’il s’agit d’expliquer la Sainte Écriture, on voit que les professeurs y ajoutent bien des paroles. Seulement, on n’a pas le droit d’y ajouter ces paroles en prétendant qu’elles appartiennent à l’intégrité du texte : ce serait une falsification. Il en serait de même pour les sacrements si l’on affirmait faussement que quelque chose appartient à l’intégrité essentielle de la forme sacramentelle.

2. Les paroles appartiennent à la forme du sacrement en raison du sens qu’elles signifient. Toute addition ou soustraction de paroles qui n’ajoute ou ne retranche rien au sens requis ne détruit pas l’espèce du sacrement.

3. Si l’arrêt des paroles est assez important pour suspendre l’intention de celui qui les prononce, le sens du sacrement disparaît et par conséquent sa vérité. Mais elle ne disparaît pas quand l’interruption est trop brève pour annuler l’intention de celui qui parle et le sens de ses paroles. De même pour un changement dans l’ordre des mots. S’il détruit le sens de la phrase, le sacrement ne s’accomplit pas ; un cas évident est celui d’une négation précédant ou suivant la parole significative. Mais si cette transposition n’est pas de nature à changer le sens de la phrase, elle ne détruit pas la vérité du sacrement, car, selon la remarque d’Aristote, " les noms et les verbes, même transposés, gardent leur signification ".

 

 

QUESTION 61 — LA NÉCESSITÉ DES SACREMENTS

Quatre questions : 1. Les sacrements sont-ils nécessaires au salut de l’homme ? - 2. Étaient-ils nécessaires dans l’état qui a précédé le péché ? - 3. Étaient-ils nécessaires dans l’état qui a suivi le péché et précédé le Christ ? - 4. Étaient-ils nécessaires après la venue du Christ ?

 

            Article 1 — Les sacrements sont-ils nécessaires au salut de l’homme ?

Objections :

1. Il semble que non, puisque S. Paul affirme (1 Tm 4, 8) : " L’activité corporelle a peu d’utilité. " Mais les sacrements engagent une activité corporelle puisqu’ils sont constitués par la signification de choses sensibles accompagnées de paroles. Ils ne sont donc pas nécessaires au salut.

2. Il a été dit à S. Paul (2 Col 2, 9) : " Ma grâce te suffit. " Elle ne suffirait pas si les sacrements étaient nécessaires au salut.

3. Une fois posée la cause efficace, rien d’autre n’est nécessaire à la réalisation de l’effet. Mais la passion du Christ est cause efficace de notre salut, car S. Paul affirme (Rm 5, 10) : " Si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, maintenant que nous sommes réconciliés, serons-nous sauvés en sa vie. " Les sacrements ne sont donc pas requis au salut des hommes.

En sens contraire, S. Augustin écrit : "On ne peut unir des hommes en aucune confession religieuse, vraie ou fausse, sans les assembler par une communauté d’insignes, c’est-à-dire de sacrements visibles. " Mais il est nécessaire au salut des hommes que ceux-ci soient unis en une seule confession de la vraie religion. Les sacrements sont donc nécessaires au salut des hommes.

Réponse :

Les sacrements sont nécessaires au salut de l’homme pour trois raisons. La première se tire de la condition de la nature humaine : il lui est propre de s’acheminer par le corporel et le sensible au spirituel et à l’intelligible. Or, il appartient à la providence divine de pourvoir à chaque être selon le mode de sa condition. La sagesse divine agit donc harmonieusement en conférant à l’homme les secours du salut sous des signes corporels et sensibles qu’on appelle les sacrements.

La deuxième raison se tire de l’état de fait où se trouve l’homme : en péchant, il s’est soumis par sa sensibilité aux choses corporelles. Or, on doit appliquer le remède à l’endroit du mal. Il convenait donc que Dieu se servit de signes corporels pour administrer à l’homme un remède spirituel qui, présenté à découvert, serait inaccessible à un esprit livré aux intérêts corporels.

La troisième raison se tire du goût prépondérant de l’homme pour les occupations corporelles. L’en retirer totalement serait trop dur, aussi lui propose-t-on dans les sacrements des activités corporelles qui l’habituent salutairement à éviter des activités superstitieuses - c’est-à-dire le culte des démons - ou, en général, les activités pécheresses qui lui nuisent de toute façon.

Ainsi, par l’institution des sacrements, l’homme est instruit au moyen du sensible d’une façon adaptée à sa nature ; il s’humilie par le recours au corporel dont il reconnaît ainsi la domination ; enfin, les salubres activités sacramentelles le gardent des actions nuisibles.

Solutions :

1. Certes, l’activité corporelle, entant que corporelle, n’est guère utile ; mais la pratique des sacrements n’est pas purement corporelle ; elle est spirituelle dans sa signification et dans son efficacité.

2. La grâce divine est cause pleinement efficace du salut. Mais Dieu donne la grâce aux hommes selon le mode adapté à leur nature. C’est pourquoi les sacrements sont nécessaires à l’obtention de la grâce.

3. La passion du Christ est cause pleinement efficace du salut de l’homme. Mais il ne s’ensuit pas que les sacrements ne sont pas nécessaires au salut ; au contraire, ils opèrent en vertu de la passion du Christ, et c’est par eux que celle-ci est comme mise à la portée des hommes, selon l’épître aux Romains (6, 3) : " Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés. "

 

            Article 2 — Les sacrements étaient-ils nécessaires dans l’état qui a précédé le péché ?

Objections :

1. Il semble que, même avant le péché, les sacrements furent nécessaires à l’homme, puisqu’ils sont nécessaires, avons-nous dit pour obtenir la grâce. Or l’homme avait besoin de la grâce dans l’état d’innocence, nous l’avons vu dans la première Partie. Donc, même en cet état, les sacrements étaient nécessaires.

2. Les sacrements sont nécessaires à l’homme selon la condition de sa nature d’homme, nous venons de le dire. Mais celle-ci est la même avant comme après le péché, il semble donc que l’homme avait besoin des sacrements.

3. Le mariage est un sacrement d’après l’épître aux Éphésiens (5, 32) : "Ceci est un grand sacrement. je parle, moi, du Christ et de l’Église. " Mais on voit dans la Genèse (2, 22) que le mariage a été institué avant le péché originel. Les sacrements étaient donc nécessaires à l’homme avant le péché originel.

En sens contraire, la médecine n’est nécessaire qu’au malade : " Les gens bien portants n’ont pas besoin du médecin" (Mt 9, 12). Mais les sacrements sont des médecines spirituelles qu’on emploie contre les blessures du péché.

Réponse :

Dans l’état d’innocence qui précéda le péché originel les sacrements ne furent pas nécessaires. On peut en donner comme raison le bon ordre qui régnait dans cet état où le supérieur dominait l’inférieur et ne dépendait de lui en aucune façon ; car, de même que l’âme rationnelle était soumise à Dieu, les puissances inférieures étaient soumises à l’âme rationnelle, et le corps à l’âme. Il eût été contraire à cet ordre que l’âme fût perfectionnée soit quant à la science, soit quant à la grâce, par un moyen corporel tel que les sacrements. C’est pourquoi, dans l’état d’innocence, l’homme n’avait pas besoin de sacrements, non seulement en tant qu’ils sont ordonnés à guérir le péché, mais aussi en tant qu’ils sont ordonnés à la perfection de l’âme.

Solutions :

1. Sans doute l’homme, dans l’état d’innocence, avait besoin de la grâce ; toutefois, il n’avait pas à l’obtenir par des signes sensibles, mais de façon spirituelle et invisible.

2. Avant comme après le péché la nature de l’homme est la même ; mais l’état de cette nature n’est pas le même. Car après le péché l’âme, même dans sa partie la plus haute, a besoin pour sa perfection de recourir aux choses sensibles, ce qui ne s’imposait pas à l’homme dans l’état d’innocence.

3. Le mariage fut institué dans l’état d’innocence non en tant qu’il est sacrement, mais en tant qu’il répond à un office naturel. Cependant, par voie de conséquence, il symbolisait, un mystère à venir relativement au Christ et à l’Église, comme toutes les figures qui ont précédé le Christ.

 

            Article 3 — Les sacrements étaient-ils nécessaires dans l’état qui a suivi le péché ?

Objections :

1. Il semble que non. Car nous avons vu que les sacrements servent à appliquer aux hommes la passion du Christ. Celle-ci est donc comme leur cause. Donc les sacrements n’ont pas dû exister avant la venue du Christ.

2. Les sacrements doivent s’adapter à l’état du genre humain, comme le montre S. Augustin Mais l’état du genre humain n’a pas changé après le péché jusqu’à la réparation opérée par le Christ. Donc les sacrements n’ont pas dû changer non plus ; ainsi la loi de Moïse n’a pas dû instituer de nouveaux sacrements outre ceux de la loi de nature.

3. Plus on s’approche de ce qui est parfait, plus on doit y ressembler. Mais la perfection du salut de l’homme a été réalisée par le Christ, et les sacrements de l’ancienne loi étaient plus proches du Christ que les sacrements antérieurs à la loi. Les sacrements de la loi devraient donc être les plus semblables aux sacrements du Christ. Or, on constate le contraire puisqu’il était prédit que le sacerdoce du Christ serait selon l’ordre de Melchisédech et non selon l’ordre d’Aaron (He 7, 11). L’institution des sacrements antérieurs au Christ semble donc avoir été mal organisée.

En sens contraire, selon S. Augustin " les premiers sacrements célébrés et observés en vertu de la loi étaient les précurseurs du Christ à venir ". Mais il était nécessaire au salut de l’homme que la venue du Christ fût annoncée à l’avance. Il était donc nécessaire qu’avant le Christ certains sacrements fussent établis.

Réponse :

Les sacrements sont nécessaires au salut de l’homme à titre de signes sensibles des réalités invisibles par lesquelles l’homme est sanctifié. Or nul ne peut être sanctifié après le péché, si ce n’est par le Christ " que Dieu a établi d’avance comme auteur de la propitiation par la foi en son sang pour la manifestation de sa justice. . . pour se montrer juste en justifiant celui qui s’attache à la foi en Jésus Christ" (Rm 3, 25-26). C’est pourquoi, avant la venue du Christ, il fallait déjà des signes visibles par lesquels l’homme professerait sa foi en la venue future du Sauveur. Ce sont ces signes qu’on appelle sacrements. Ainsi est-il évident que l’institution de certains sacrements s’imposait avant la venue du Christ.

Solutions :

1. La passion du Christ est la cause finale des anciens sacrements, en ce sens qu’ils ont été institués pour la symboliser. Or, la cause finale, si elle ne vient pas la première dans le temps, est première dans l’intention de celui qui agit. Il n’y a donc pas d’illogisme à ce que des sacrements aient existé avant la passion du Christ.

2. On peut envisager à deux points de vue l’état où s’est trouvé le genre humain après le péché et avant le Christ. Si l’on considère le régime de la foi, cet état est toujours demeuré identiquement le même, car les hommes étaient justifiés par la foi en la venue future du Christ. Mais on peut aussi le considérer selon différents degrés dans le péché et dans une connaissance du Christ plus ou moins explicite. Car, avec le déroulement du temps, le péché prit sur l’homme un empire croissant et obscurcit à tel point sa raison que les préceptes de la loi naturelle ne suffisaient plus pour le faire vivre vertueusement, et il fallut déterminer des préceptes en établissant une loi positive, et, outre cela, certains sacrements de la foi. Il fallait aussi qu’avec le progrès du temps, la connaissance de foi s’explicitât davantage. S. Grégoire dit en effet : " La connaissance divine s’accrut avec le progrès du temps. " C’est pourquoi il fut encore nécessaire, dans la loi ancienne, de déterminer des sacrements de la foi dans le Christ à venir ; c’était le déterminé succédant à l’indéterminé ; en effet, avant la loi, on n’avait pas prescrit à l’homme d’une façon arrêtée quels sacrements pratiquer. La loi le fit et c’était nécessaire par suite de l’obscurcissement de la loi naturelle et afin de rendre plus précise la signification de la foi.

3. Le sacrement de Melchisédech qui exista avant la loi, ressemble davantage au sacrement de la loi nouvelle quant à la matière, puisque, nous dit la Genèse (14, 18), " il offrit du pain et du vin ", et que le sacrifice de la loi nouvelle consiste lui aussi dans l’oblation du pain et du vin. Mais les sacrements de la loi mosaïque ressemblaient davantage à la réalité signifiée par nos sacrements, c’est-à-dire à la passion du Christ : on le voit avec l’agneau pascal et les rites analogues. Autrement, si les mêmes apparences sacramentelles s’étaient perpétuées à travers les époques successives, on aurait pu croire à la continuation d’un même sacrement.

 

            Article 4 — Les sacrements étaient-ils nécessaires après la venue du Christ ?

Objections :

1. Il semble que non, car lorsque la réalité apparent, la figure doit disparaître. Mais " la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ " (Jn 1, 17). Les sacrements étant signe ou figures de la réalité, il semble qu’après la passion du Christ, les sacrements n’auraient pas dû exister.

2. Les sacrements consistent en certains éléments, nous l’avons montré plus haut. Or, l’Apôtre affirme (Ga 4,3. 7) : " Lorsque nous étions enfants, nous servions sous les éléments du monde ". Mais maintenant " la plénitude des temps est arrivée" et nous ne sommes plus enfants. Il semble donc que nous ne devons plus servir Dieu sous les éléments de ce monde, en pratiquant des sacrements corporels.

3. " En Dieu, il n’y a ni changement ni ombre de vicissitude " (Jc 1, 17). Mais cela entraîne un changement dans la volonté divine, si elle offre maintenant, au temps de la grâce, des sacrements différents de ceux qu’elle proposait avant le Christ pour la sanctification des hommes. Il semble donc qu’après le Christ d’autres sacrements n’auraient pas dû être institués.

En sens contraire, S. Augustin nous dit " Les sacrements de l’ancienne loi ont été abolis parce qu’accomplis ; et d’autres ont été institués, d’une plus grande vertu, d’une meilleure utilité, d’une pratique plus facile, en nombre plus restreint. "

Réponse :

De même que les anciens Pères ont été sauvés par la foi dans le Christ à venir, ainsi sommes-nous sauvés par la foi au Christ qui, maintenant, est né et a souffert. Les sacrements sont des signes professant cette foi qui justifie. Or, il faut des signes différents pour signifier des réalités futures, des réalités passées ou des réalités présentes. " On énonce différemment la même chose selon qu’elle est à faire ou déjà faite, dit S. Augustin c’est ainsi que les mots même "qui souffrira" ou "qui a souffert" n’ont pas le même son. " C’est pourquoi il faut, dans la loi nouvelle, pour signifier les actions du Christ déjà accomplies, des sacrements différents de ceux de l’ancienne loi qui annonçaient des réalités à venir.

Solutions :

1. Selon Denys l’état de la loi nouvelle tient le milieu entre l’état de la loi ancienne dont les figures se réalisent dans la loi nouvelle ; et l’état de la gloire, dans lequel toute la vérité se manifestera à découvert et complètement. C’est pourquoi dans ce dernier état, il n’y aura plus aucun sacrement. Mais présentement, tant que nous connaissons " par miroir et obscurément ", selon S. Paul (1 Co 13, 12), il nous faut passer par des signes sensibles pour arriver aux réalités spirituelles : ce qui concorde avec la définition des sacrements.

2. Ce sont les sacrements de l’ancienne loi que l’Apôtre appelle " des éléments infirmes et indigents " parce qu’ils ne contenaient ni ne causaient la grâce. Aussi dit-il que les usagers de ces sacrements " servaient Dieu sous les éléments du monde " car ces éléments n’étaient que cela. Mais nos sacrements contiennent et causent la grâce.

3. On n’accuse pas un maître de maison d’être capricieux parce qu’il donne à ses gens des ordres différents suivant les saisons. De même si, après la venue du Christ, Dieu institue des sacrements différents de ceux qui existaient sous la loi, cela ne met en lui aucun changement, car les uns convenaient à une grâce qu’il s’agissait de préfigurer, les autres conviennent à une grâce qu’il faut montrer comme présente.

 

 

QUESTION 62 — L’EFFET PRINCIPAL DES SACREMENTS QUI EST LA GRÂCE

Il faut étudier maintenant l’effet des sacrements. Premièrement, leur effet principal, qui est la grâce (Q. 62) ; deuxièmement leur effet secondaire, qui est le caractère (Q. 63).

Au sujet de la grâce, six questions : 1. Les sacrements de la loi nouvelle sont-ils cause de la grâce ? - 2. La grâce sacramentelle ajoute-t-elle quelque chose à la grâce des vertus et des dons ? - 3. Les sacrements contiennent-ils la grâce ? - 4. Y a t-il en eux une vertu pour causer la grâce ? - 5. Cette vertu des sacrements découle-t-elle de la passion du Christ ? - 6. Les sacrements de l’ancienne loi causaient-ils la grâce ?

 

            Article 1 — Les sacrements de la loi nouvelle sont-ils cause de la grâce ?

Objections :

1. Il semble que les sacrements ne sont pas cause de la grâce. Signe et cause ne s’identifient pas, car la raison de signe convient davantage à l’effet. Or le sacrement est signe de la grâce, il n’en est donc pas cause.

2. Nul être corporel ne peut agir sur une réalité spirituelle car " l’agent est plus noble que le patient " dit S. Augustin. Mais le sujet de la grâce, c’est l’âme de l’homme, qui est chose spirituelle. Les sacrements ne peuvent donc causer la grâce.

3. Ce qui appartient en propre à Dieu ne doit pas être attribué à une créature. Mais causer la grâce appartient en propre à Dieu, selon le Psaume (84,12) : "Le Seigneur donnera la grâce et la gloire. " Les sacrements étant des créatures - paroles et choses créées - on ne voit pas qu’ils puissent causer la grâce.

En sens contraire, S. Augustin affirme que l’eau baptismale " touche le corps et lave le cœur ". Or le cœur n’est lavé que par la grâce. C’est donc que l’eau baptismale cause la grâce, et de même les autres sacrements de l’Église.

Réponse :

Il est impossible de le nier : les sacrements de la loi nouvelle, de quelque façon, causent la grâce. Il est manifeste, en effet, que, par les sacrements de la loi nouvelle, l’homme est incorporé au Christ ; l’Apôtre le dit pour le baptême (Ga 3, 27) : "Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. " Or, l’homme n’est fait membre du Christ que par la grâce.

Certains disent pourtant que les sacrements ne sont pas cause de la grâce en ce qu’ils opéreraient un effet réel, mais en ce sens que Dieu, lorsqu’on a usé des sacrements, produit la grâce dans l’âme. Ils donnent l’exemple d’un homme qui, sur la présentation d’un jeton de plomb reçoit cent francs, en vertu d’une ordonnance royale ; non que ce jeton ait une efficacité quelconque pour procurer cette somme, la seule cause en est la volonté du roi. S. Bernard dit en ce sens : " De même que l’investiture est donnée à un chanoine par le livre, à un abbé par la crosse, à un évêque par l’anneau, ainsi les divers partages de grâces sont-ils conférés par les sacrements. "

Mais, à y bien regarder, une telle explication ne s’élève pas au-dessus de la raison de signe. Le jeton de plomb n’est qu’un signe de l’ordonnance royale selon laquelle on doit donner de l’argent au porteur de ce signe ; de même, le livre est un signe de canonicat conféré. A s’en tenir à cette explication, les sacrements de la loi nouvelle ne seraient rien de plus que des signes de la grâce, tandis que d’après l’enseignement des Pères, on doit tenir que les sacrements de la nouvelle loi non seulement signifient, mais causent la grâce.

Il faut donc parler autrement et distinguer deux sortes de cause efficiente : la cause principale et la cause instrumentale. La cause principale opère par la vertu de sa forme, dont son effet est une ressemblance : c’est ainsi que le feu, en vertu de sa chaleur, rend chaud. Au titre de cette causalité principale, aucun être ne peut causer la grâce, hormis Dieu, parce que la grâce n’est pas autre chose qu’une certaine ressemblance de la nature divine reçue en participation, selon la parole de S. Pierre (2 P 1,4) : " Il nous a donné de grandes et précieuses promesses pour que nous soyons participants de la nature divine. " La cause instrumentale, elle, n’agit pas par la vertu de sa forme propre mais seulement par le mouvement que lui imprime l’agent principal. Aussi l’effet de la cause instrumentale ne ressemble-t-il pas à l’instrument, mais à l’agent principal : le lit ne ressemble pas à la hache, mais au projet contenu dans l’esprit de l’artisan. Et c’est ainsi que les sacrements de la loi nouvelle causent la grâce : sous l’influence d’une ordination divine ils sont offerts aux hommes pour causer en eux la grâce. Ainsi s’explique la parole de S. Augustin : "Toutes ces choses - il s’agit des sacrements apparaissent et disparaissent ; mais la vertu, c’est-à-dire Dieu, qui opère par elles, demeure en permanence. " Et c’est là ce qu’on appelle proprement un instrument : ce par quoi quelqu’un opère. Ainsi s’exprime l’épître à Tite (3, 5 : " Il nous a sauvés par le bain de régénérations. "

Solutions :

1. Sans doute, la cause principale ne peut être dite proprement le signe de son effet, celui-ci fût-il caché, et elle-même fût-elle sensible et apparente. Mais la cause instrumentale, pourvu qu’elle soit apparente, peut être dite signe d’un effet caché ; car elle n’est pas seulement cause, elle est encore de quelque manière un effet, en tant qu’elle est mue par l’agent principal. Ainsi les sacrements de la loi nouvelle sont-ils à la fois des causes et des signes ; d’où cet adage : " Ils réalisent ce qu’ils représentent. " Il en ressort aussi qu’ils ont parfaitement raison de sacrement en tant qu’ils ordonnent à quelque chose de sacré non seulement par mode de signe, mais encore par mode de cause.

2. L’instrument a une double action : une action instrumentale selon laquelle il opère non par sa vertu propre, mais par la vertu de l’agent principal ; et aussi une action propre qui lui revient en vertu de sa forme propre, comme il revient à la hache de couper en raison de son tranchant, tandis qu’il lui revient de faire un lit en tant qu’elle est l’instrument de l’idée artistique. Toutefois, elle n’accomplit son action instrumentale qu’en exerçant son action propre : c’est en coupant qu’elle fait le lit.

De même les sacrements corporels : par leur opération propre exercée à l’égard du corps qu’ils touchent, ils effectuent leur opération instrumentale, qui procède de la puissance divine, et qui atteint l’âme. Ainsi l’eau du baptême, en lavant le corps, selon sa vertu propre, lave l’âme selon qu’elle-même est instrument de la vertu divine, car l’âme et le corps constituent un seul être. Ainsi s’explique la parole de S. Augustin : " Elle touche le corps et lave le cœur. "

3. Cet argument porterait si l’on voulait attribuer aux sacrements, à l’égard de la grâce, une causalité principale qui, en effet, appartient en propre à Dieu comme nous venons de le dire.

 

            Article 2 — La grâce sacramentelle ajoute-t-elle quelque chose à la grâce des vertus et des dons ?

Objections :

1. Il ne le semble pas. En effet, par la grâce des vertus et des dons, l’âme est pleinement perfectionnée quant à son essence et quant à ses puissances, nous l’avons montré dans la deuxième Partie. Mais la grâce est ordonnée à la perfection de l’âme. La grâce sacramentelle ne peut donc ajouter quoi que ce soit à la grâce des vertus et des dons.

2. Les défauts de l’âme ont les péchés pour cause. Mais tous les péchés sont efficacement exclus par la grâce des vertus et des dons, puisque tout péché s’oppose à une vertu. La grâce sacramentelle étant ordonnée à enlever les défauts de l’âme ne peut donc ajouter quoi que ce soit à la grâce des vertus et des dons.

3. Toute addition ou soustraction dans les formes les fait changer d’espèce, d’après Aristote Donc, si la grâce sacramentelle ajoute quelque chose à la grâce des vertus et des dons, il s’ensuit que le mot grâce est employé de façon équivoque ; alors on ne nous apprend rien de sûr lorsqu’on affirme que les sacrements causent la grâce.

En sens contraire, si la grâce sacramentelle n’ajoute pas quelque chose à la grâce des vertus et des dons, c’est inutilement que les sacrements sont conférés à ceux qui ont les dons et les vertus. Mais il n’y a rien d’inutile dans les œuvres de Dieu. Il semble donc que la grâce sacramentelle ajoute quelque chose à la grâce des vertus et des dons.

Réponse :

Comme nous l’avons dit dans la deuxième Partie la grâce considérée en elle-même, en tant qu’elle participe d’une certaine ressemblance avec l’être divin, perfectionne l’essence de l’âme. Et de même que les puissances de l’âme découlent de son essence, ainsi de la grâce découlent certaines perfections pour les puissances de l’âme ; ce sont les vertus et les dons qui perfectionnent les puissances en vue de leurs actes. Or les sacrements sont ordonnés à certains effets spéciaux nécessaires dans la vie chrétienne ; ainsi le baptême est ordonné à une régénération spirituelle par laquelle l’homme meurt aux vices et devient membre du Christ ; cet effet est une réalité spéciale, différente des actes des puissances de l’âme ; et la même raison vaut pour les autres sacrements. Donc si les vertus et les dons ajoutent à la grâce prise en général une certaine perfection ordonnée de façon déterminée aux actes propres des puissances, de même la grâce sacramentelle ajoute à la grâce prise en général, ainsi qu’aux vertus et aux dons, un certain secours divin pour l’obtention de la fin du sacrement. De cette façon, la grâce sacramentelle ajoute quelque chose à la grâce des vertus et des dons.

Solutions :

1. La grâce des vertus et des dons perfectionne pleinement l’essence et les puissances de l’âme quant à la bonne disposition générale des actes de l’âme : mais la grâce sacramentelle est nécessaire à certains effets spéciaux que la vie chrétienne requiert.

2. Les vertus et les dons excluent pleinement les vices et les péchés pour le présent et pour l’avenir, c’est-à-dire qu’ils retiennent l’homme de pécher. Mais quant aux péchés passés, si l’acte est écoulé la culpabilité demeure, et l’homme trouve contre eux un remède spécifique dans les sacrements.

3. La grâce sacramentelle se trouve avec la grâce en général dans le rapport d’espèce à genre. Or, le terme d’animal n’est pas équivoque du fait qu’on l’applique à l’animal en général et à l’homme ; ainsi il n’y a pas d’équivoque à employer le même terme de grâce pour désigner la grâce prise en général et la grâce sacramentelle.

 

            Article 3 — Les sacrements contiennent-ils la grâce ?

Objections :

1. Il semble que non, car le contenu est dans le contenant. Or, la grâce n’est pas dans le sacrement : ni comme un sujet, car le sujet de la grâce, c’est un esprit et non un corps ; ni comme un vase, car selon la définition d’Aristote, " un vase est un lieu mobile " et être dans le lieu ne peut pas être le fait d’un accident comme la grâce.

2. Les sacrements sont ordonnés à faire parvenir la grâce aux hommes. Mais la grâce, étant un accident, ne peut passer de sujet en sujet. Si elle était dans les sacrements, ce serait donc pour rien.

3. Le spirituel, fût-il dans le corporel, n’y est pas contenu ; l’âme n’est pas contenue dans le corps, elle le contient plutôt. La grâce, être spirituel, ne doit donc pas être contenue dans le sacrement, être corporel.

En sens contraire, Hugues de Saint-Victor affirme : " Le sacrement, en vertu de sa sanctification, contient la grâce invisible. "

Réponse :

Il y a mainte façon pour une chose d’être dans une autre. Ainsi la grâce est dans les sacrements de deux façons. D’abord comme dans un signe, car le sacrement est signe de la grâce. Elle y est aussi comme dans une cause. Car le sacrement de la loi nouvelle est cause instrumentale de la grâce, nous l’avons dit. Aussi la grâce est-elle dans le sacrement de la loi nouvelle, non pas sous la forme spécifique ainsi que l’effet se trouve dans la cause univoque ; ni même selon une forme modifiée et permanente qui se proportionnerait à tel effet, à la façon dont les effets se trouvent dans les causes supérieures, ainsi que, par exemple, tous les vivants produits par la génération se trouvent dans le soleil. Mais la grâce se trouve dans les sacrements selon une certaine vertu instrumentale qui est une réalité en devenir et inachevée dans son être naturel, vertu que l’on étudiera à l’article suivant.

Solutions :

1. On ne dit pas que la grâce est dans le sacrement comme dans son sujet ; on ne dit pas non plus qu’elle y soit comme dans un vase, en entendant ce mot d’un lieu ; on donne à ce mot le sens d’instrument d’une œuvre à faire, sens qu’il a dans le texte d’Ézéchiel (9, 1) : " Chacun tient en main un vase (un instrument) de destruction. "

2. Certes, l’accident ne passe pas de sujet en sujet. Cependant, par l’instrument, il passe en quelque façon de la cause au sujet ; il ne se trouve pas en l’un et l’autre selon le même mode, mais en chacun selon un mode approprié à sa raison propre.

3. L’être spirituel qui existe d’une façon achevée dans un autre être le contient, au lieu d’être contenu par lui. Mais la grâce se trouve dans le sacrement selon une existence en devenir et inachevée. Il n’y a donc pas de contradiction à dire que le sacrement contient la grâce.

 

            Article 4 — Y a-t-il dans les sacrements une vertu pour causer la grâce ?

Objections :

1. C’est impossible, car une vertu productrice de grâce est une vertu spirituelle. Or il ne peut y avoir de vertu spirituelle dans un corps ; ce ne peut être une vertu propre, parce que la vertu propre découle de l’essence de la chose et ne peut dont lui être supérieure ; ni une vertu qu’il recevrait d’un autre, car ce qui est reçu par un être y existe selon le mode de celui qui le reçoit. Donc il ne peut y avoir dans les sacrements une vertu qui cause la grâce.

2. Tout ce qui est se ramène à un genre de l’être et à une degré du bien. Mais on peut parcourir tous les genres sans trouver où y loger cette vertu sacramentelle. On ne peut davantage le ramener à un degré de bien. Elle ne se range pas parmi les biens moindres, puisque les sacrements sont nécessaires au salut ; ni parmi les biens intermédiaires tels que les puissances de l’âme, car celles-ci sont des puissances naturelles ; ni parmi les biens suprêmes, puisqu’eue n’est ni la grâce ni une vertu de l’âme. Il n’existe donc dans les sacrements aucune vertu productrice de grâce.

3. S’il y a une telle vertu dans les sacrements, elle n’est causée en eux que par Dieu et par voie de création. Mais alors il est choquant qu’une créature aussi noble cesse d’exister une fois que le sacrement est accompli.

4. Un être unique ne peut exister dans plusieurs êtres disparates. Les sacrements sont constitués par le concours de réalités disparates les paroles et les choses ; or dans un sacrement ne peut y avoir qu’une seule vertu. Il n’y a donc aucune vertu dans les sacrements.

En sens contraire, S. Augustin demande : " Quelle est donc cette puissance de l’eau, assez forte pour toucher le corps et laver le cœur ? " Et S. Bède déclare " Le Seigneur, en touchant les eaux de sa chair très pure, leur a conféré une puissance de régénération. "

Réponse :

Pour ceux qui réduisent les sacrements à ne causer la grâce que par une sorte de concomitance, il n’y a pas en eux de vertu qui joue un rôle efficace dans la production du sacrement. Il y a seulement une vertu divine qui se rend présente au rendez-vous du sacrement et opère l’effet sacramentel.

Mais si l’on tient que le sacrement est cause instrumentale de la grâce, il faut nécessairement poser du même coup dans le sacrement l’existence d’une certaine vertu instrumentale pour amener l’effet sacramentel. Et cette vertu se proportionne à l’instrument. Elle se trouve donc, avec la vertu constituée et achevée qui appartient à un être, dans le même rapport que l’instrument avec l’agent principal. Car l’instrument, nous le savons, n’opère que sous la motion de l’agent principal, tandis que celui-ci opère par lui-même. C’est pourquoi la vertu de l’agent principal a un être stable et achevé dans sa nature ; quant à la vertu instrumentale, son être passe d’un terme à l’autre, c’est un être en devenir, de même que le mouvement est l’acte en devenir issu de l’agent pour aboutir au patient.

Solutions :

1. Certes, une vertu spirituelle ne peut exister dans un être corporel par mode d’être stable et achevé. Mais rien n’interdit l’existence, dans un corps, d’une vertu spirituelle si celle-ci est instrumentale ; car un corps peut être mû par une substance spirituelle à engager un effet spirituel. C’est ainsi qu’il y a dans la parole sensible une puissance spirituelle capable d’éveiller l’intelligence humaine, du fait que cette parole procède d’une conception de l’âme. C’est de cette manière qu’une puissance spirituelle existe dans les sacrements, en tant que Dieu les ordonne à un effet spirituel.

2. Le mouvement, étant un acte imparfait, ne se range proprement dans aucune catégorie, mais se ramène à la catégorie où l’on range l’acte parfait ; c’est ainsi que le mouvement d’altération se réduit au genre qualité. Ainsi la vertu instrumentale n’est-elle à proprement parler dans aucune catégorie, mais on la réduit au genre et à l’espèce de la vertu parfaite.

3. De même que la vertu instrumentale est acquise à l’instrument du fait qu’il est l’agent principal, de même le sacrement reçoit sa vertu spirituelle de sa bénédiction par le Christ et de sa mise en usage par le ministre. C’est l’explication de S. Augustin dans une homélie sur l’Épiphanie " Il ne faut pas s’étonner si nous disons que l’eau, substance corporelle, atteint l’âme pour la purifier. Oui, elle l’atteint, et elle pénètre tous les replis de la conscience. Car si l’eau est déjà subtile et souple par nature, la bénédiction du Christ la rend plus subtile encore, et elle traverse comme une fine rosée les principes vitaux les plus profonds, et jusqu’aux dernières retraites de l’âme. "

4. La même puissance de l’agent principal se retrouve à l’état instrumental dans tous les instruments ordonnés en vue de l’effet, puisqu’il y a entre eux unité d’ordre. Ainsi la puissance sacramentelle se retrouve-t-elle dans les paroles et dans les choses puisque et choses constituent un seul sacrement.

 

            Article 5 — Cette vertu des sacrements découle-t-elle de la passion du Christ ?

Objections :

1. Il semble que non, car si les sacrements ont une vertu, c’est pour causer la grâce, vie spirituelle de l’âme. Mais, selon S. Augustin : " Le Verbe, en tant qu’il existait dès le principe en Dieu, vivifie les âmes ; en tan. qu’il est incarné, il vivifie les corps. " Donc, puisque la passion du Christ appartient au Verbe en tant qu’il est incarné, elle ne peut causer la vertu des sacrements.

2. La vertu des sacrements dépend de la foi car pour S. Augustin le Verbe de Dieu accomplit le sacrement " non parce qu’il est dit, mais parce qu’il est cru". Mais notre foi ne se limite pas à la passion du Christ, elle vise aussi les Centres mystères de son humanité et aussi, au premier chef, sa divinité. Il paraît donc que les sacrements ne tiennent pas leur vertu spécialement le la passion du Christ.

3. Les sacrements sont ordonnés à la justification hommes, selon S. Paul (1 Co 6, 11) : " Vous avez été lavés et vous avez été justifiés. " Mais on attribue la justification à la résurrection, à preuve l’épître aux Romains (4, 25) : " Il est ressuscité en vue de notre justification. " Les sacrements semblent donc tenir leur vertu plutôt de la résurrection du Christ que de sa passion.

En sens contraire, on lit dans la Glose (sur Rm 5, 14) : " Les sacrements, par lesquels l’Église est sauvée, jaillirent du côté du Christ endormi sur la croix. "

Réponse :

Le sacrement opère, pour causer la grâce, par mode d’instrument, nous l’avons dit. Mais il y a deux sortes d’instruments : séparé, comme le bâton ; conjoint, comme la main. C’est par l’intermédiaire de l’instrument conjoint qu’on meut l’instrument séparé : le bâton est mû par la main. La cause efficiente principale de la grâce est Dieu lui-même, pour qui l’humanité du Christ est un instrument conjoint, et le sacrement un instrument séparé. C’est pourquoi il faut que la vertu salutaire découle de la divinité du Christ par son humanité jusqu’aux sacrements.

La grâce sacramentelle paraît ordonnée surtout à deux fins : supprimer les défauts des péchés passés (car si leur acte est écoulé, leur culpabilité demeure) ; et en outre perfectionner l’âme en ce qui regarde le culte de Dieu selon l’observance de la vie chrétienne. Il est évident, d’après ce que nous avons dit antérieurement que c’est surtout la passion du Christ qui nous a délivrés de nos péchés par manière d’efficience, de mérite, mais aussi de satisfaction. De même encore est-ce par sa passion que le Christ a inauguré le régime cultuel de la religion chrétienne en " s’offrant lui-même en offrande et en victime à Dieu ", dit l’épître aux Éphésiens (5, 2). Il est donc évident que les sacrements de l’Église tiennent spécialement leur vertu de la passion du Christ ; c’est la réception des sacrements qui nous met en communication avec la vertu de la passion du Christ. L’eau et le sang jaillis du côté du Christ en croix symbolisent cette vérité, l’eau se rapporte au baptême et le sang à l’eucharistie, car ce sont les sacrements les plus importants.

Solutions :

1. Le Verbe, comme existant dès le principe en Dieu, vivifie les âmes à titre d’agent principal : sa chair et les mystères qui s’y sont accomplis opèrent instrumentalement pour la vie de l’âme. Sur la vie du corps, ils agissent non seulement à titre instrumental, mais encore par une certaine exemplarité, nous l’avons dit.

2. " Par la, foi, le Christ habite en nous ", dit l’épître aux Éphésiens (3, 17). C’est pourquoi la vertu du Christ nous est unie par la foi. La vertu de remettre les péchés ressortit d’une façon spéciale à sa passion. Les hommes sont donc délivrés de leurs péchés spécialement par la foi à sa passion, selon l’épître aux Romains (3, 25) : " Dieu l’a établi comme moyen de propitiation par la foi en son sang. " C’est pourquoi la vertu des sacrements, ordonnée à la destruction du péché, vient surtout de la foi à la passion du Christ.

3. Si la justification est attribuée à la résurrection, c’est parce que le terme auquel elle mène est la nouveauté de vie établie par la grâce. Mais elle est attribuée à la passion comme à son origine, car le pardon de la faute est fruit de la passion.

 

            Article 6 — Les sacrements de l’ancienne loi causaient-ils la grâce

Objections :

1. Il le semble bien, car, on vient de le voir’, les sacrements de la loi nouvelle tiennent leur efficacité de la foi à la passion du Christ. Mais cette foi a existé dans la loi ancienne comme elle existe dans la loi nouvelle : " Nous avons le même esprit de foi " dit S. Paul (2 Co 4, 13). Puisque les sacrements de la loi nouvelle confèrent la grâce, les sacrements de la loi ancienne la conféraient aussi.

2. Il n’y a de sanctification que par la grâce. Mais les hommes se sanctifiaient par les sacrements de la loi ancienne, car il est dit dans le Lévitique (8, 31) : "Lorsque Moïse eut sanctifié Aaron et ses fils et leurs vêtements. . . "

3. " Sous la loi, la circoncision fournissait le même secours de guérison contre la blessure du péché originel que le baptême au temps de la révélation de la grâce", dit S. Bède. Mais aujourd’hui le baptême confère la grâce. La circoncision la conférait donc. Il en va de même pour les autres sacrements de la loi ; car si le baptême est la porte des sacrements de la loi nouvelle, la circoncision était la porte des sacrements de la loi ancienne. Ce qui fait dire à l’Apôtre (Ga 5, 3) : " J’atteste à quiconque se fait circoncire qu’il est tenu d’observer toute la loi. "

En sens contraire, il est écrit dans l’épître aux Galates (4, 9) : " Est-ce que vous revenez à des éléments infirmes et indigents ? " c’est-à-dire, explique la Glose, " à la loi qui est appelée infirme parce queue ne justifie pas parfaitement ". Mais la grâce justifie parfaitement. Donc les sacrements de la loi ancienne ne conféraient pas la grâce.

Réponse :

On ne peut soutenir que les sacrements de la loi ancienne conféraient la grâce justifiante par eux-mêmes, c’est-à-dire par leur vertu propre car, en ce cas, la passion du Christ n’aurait pas été nécessaire, selon l’épître aux Galates (2, 21) : " Si la justice vient de la loi, le Christ est mort pour rien. " Mais on ne peut pas soutenir non plus que les sacrements de la loi ancienne tenaient de la passion du Christ la vertu de conférer la grâce justifiante. On vient de le voir v, nous sommes mis en communication avec la vertu de la passion du Christ par le moyen de la foi et des sacrements, de façon différente toutefois ; car la conjonction au moyen de la foi est réalisée par un acte de l’âme, la conjonction au moyen des sacrements est réalisée par l’emploi de choses extérieures. Or, ce qui est temporellement postérieur peut très bien agir avant d’exister réellement, à condition d’être antérieur dans l’acte de l’âme ; c’est ainsi que la fin, temporellement postérieure, meut celui qui agit en tant qu’elle est appréhendée et désirée par lui. Mais, s’il s’agit de moyens extérieurs, ceux qui n’existent pas encore sont sans effets. C’est ainsi que la cause efficiente ne peut, comme la cause finale, agir en étant postérieure dans l’existence selon l’ordre de succession chronologique. Il en ressort donc avec évidence que la passion du Christ, cause de la justification des hommes, produit bien une vertu justifiante pour les sacrements de la loi nouvelle, mais non pour ceux de la loi ancienne.

Cependant, les anciens Pères étaient justifiés comme nous par la foi à la passion du Christ. Or, les sacrements de la loi ancienne étaient comme des protestations de cette foi, en tant qu’ils signifiaient la passion du Christ et ses effets. Il est donc clair que les sacrements de la loi ancienne n’avaient en eux aucune vertu capable de conférer la grâce justifiante ; ils se bornaient à signifier la foi par laquelle on était justifié.

Solutions :

1. Les anciens Pères avaient foi en la passion future du Christ ; celle-ci pouvait les justifier en tant qu’elle existait dans leur âme à titre de représentation. Mais nous, nous avons foi en la passion du Christ qui nous est antérieure et qui peut donc justifier en outre lorsque nous employons, à titre de moyens objectifs, les réalités sacramentelles, comme nous venons de le dire.

2. Cette sanctification était en figure ; on les disait sanctifiés en ce sens qu’ils étaient députés au culte divin selon le régime rituel de la loi ancienne qui, tout entier, était ordonné à figurer la passion du Christ.

3. Sur la circoncision, il y a eu diverses opinions. On a dit qu’elle ne conférait pas la grâce et se bornait à enlever le péché. Mais c’est impossible, car l’homme n’est justifié du péché que par la grâce. "Vous avez été justifiés gratuitement par sa grâce ", dit S. Paul (Rm 3, 24).

Aussi d’autres ont-ils soutenu que la circoncision conférait la grâce quant à ses effets destructeurs de la faute, mais non quant à ses effets positifs. Cela encore est faux car, par la circoncision, les enfants recevaient la faculté de parvenir à la gloire, ultime effet positif de la grâce. En outre, dans l’ordre de la causalité formelle, les effets positifs sont antérieurs par nature aux effets privatifs, bien que ce soit l’inverse dans l’ordre de la causalité matérielle ; car la forme n’exclut la privation qu’en informant le sujet.

C’est pourquoi d’autres ont dit que la circoncision conférait bien la grâce quant à cet effet positif qui rend digne de la vie éternelle, mais non pour ce qui est de réprimer la convoitise poussant au péché. J’ai partagé quelque temps cette manière de voir. Mais si l’on y regarde de plus près, on remarque que cette réponse n’est pas encore la vraie, car la plus petite grâce peut résister à n’importe quelle convoitise et mériter la vie éternelle.

La meilleure réponse est donc que la circoncision, comme les autres sacrements de la loi ancienne, était signe de la foi justifiante, ce qui fait dire à S. Paul (Rm 4, 11) : "Abraham reçut le signe de la circoncision comme le sceau de la justice obtenue par la foi. " La grâce était donc conférée dans la circoncision en tant qu’elle était signe de la passion future du Christ, comme on le verra plus loin.

 

 

QUESTION 63 — L’EFFET SECOND DES SACREMENTS QUI EST LE CARACTÈRE

1. Les sacrements produisent-ils dans l’âme un caractère ? - 2. Quelle est l’essence de ce caractère ? - 3. De qui est-il l’empreinte ? - 4. Quel est le sujet dans lequel il réside ? - 5. Est-il indélébile ? - 6. Tous les sacrements impriment-ils un caractère ?

 

            Article 1 — Les sacrements produisent-ils dans l’âme un caractère ?

Objections :

1. Il semble que non, car le mot caractère semble signifier un signe distinctif. Or, les membres du Christ sont distingués des autres hommes par la prédestination éternelle, qui ne met rien de réel dans les prédestinés, mais seulement en Dieu qui prédestine, comme nous l’avons établi dans la première Partie. S. Paul (2 Tm 2, 19) dit en effet : " Le fondement solide posé par Dieu demeure, portant en guise de sceau : Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent. "

2. Le caractère est un signe distinctif. Mais S. Augustin définit le signe : "Ce qui, au-delà de l’image qu’il fournit aux sens, fait connaître quelque chose d’autre. " Or, il n’y a rien dans l’âme qui fournisse une image aux sens.

3. Si le fidèle est distingué de l’infidèle par le sacrement de la loi nouvelle, il en était de même par les sacrements de la loi ancienne. Mais ceux-ci n’imprimaient pas de caractère dans l’âme, d’où leur appellation par l’Apôtre (He 9, 10) d’" ordonnances charnelles ". Il semble donc que les sacrements de la loi nouvelle eux non plus n’impriment pas de caractère.

En sens contraire, selon l’Apôtre (2 Co 1, 21) : " Celui qui nous a oints, c’est Dieu, qui nous a aussi marqués d’un sceau et a donné comme gage le Saint-Esprit dans nos cœurs. " Mais tout ce que le caractère implique, c’est justement l’impression d’un sceau. Il semble donc que Dieu, par les sacrements, nous imprime son caractère.

Réponse :

Comme on l’a montré plus haut, les sacrements de la loi nouvelle sont ordonnés à une double fin : remédier aux péchés et parfaire l’âme en vue du culte de Dieu tel qu’il convient au rite de la vie chrétienne. Or tous ceux que l’on députe à une fonction précise, il est d’usage de les marquer par un signe approprié ; ainsi, dans l’antiquité, les soldats enrôlés au service militaire portaient certains caractères sur leur corps, du fait qu’ils étaient députés à un service corporel. Aussi, puisque les hommes sont députés par les sacrements au service spirituel du culte de Dieu, il est logique que ces sacrements marquent les fidèles d’un certain caractère spirituel. D’où la parole de S. Augustin : " Supposons un soldat qui, pris de peur, a fui le combat, reniant ainsi le caractère imprimé dans son corps ; s’il a recouru ensuite à la clémence du chef, obtenu son pardon à force de prières et retourne au combat, maintenant que cet homme est libre, qu’il s’est amendé, va-t-on lui renouveler son caractère, alors qu’il suffit de le reconnaître et de l’approuver ? Les sacrements du Christ seraient-ils moins profondément imprimés que cette marque corporelle ? "

Solutions :

1. Concédons que les fidèles du Christ sont députés à la récompense de la gloire future par le sceau de la prédestination divine ; mais ils sont députés, aux actes qui conviennent à l’état présent de l’Église par un certain sceau spirituel, imprimé en eux, que l’on nomme le caractère.

2. Le caractère imprimé dans l’âme a raison de signe en tant qu’imprimé par un sacrement sensible ; car on connaît qu’un homme est marqué du caractère baptismal à ce qu’il a été lavé par l’eau perceptible aux sens. Mais on peut aussi appeler caractère ou sceau, par métaphore, tout ce qui sert à configurer ou à distinguer, même s’il ne s’agit pas d’un signe sensible ; c’est ainsi que l’Apôtre nomme le Christ figure ou caractère de la substance du Père (He 1, 3).

3. Ainsi qu’on l’a dit précédemment, les sacrements de l’ancienne loi n’avaient pas en eux-mêmes le pouvoir spirituel de produire un effet spirituel. C’est pourquoi ces sacrements n’exigeaient pas un caractère spirituel : la circoncision corporelle, que l’Apôtre appelle un sceau (Rm 4, 11) était un signe pleinement suffisant.

 

            Article 2 — Quelle est l’essence de ce caractères ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le caractère soit une puissance spirituelle. En effet, " caractère " semble synonyme de " figure ", si bien que dans le passage de l’épître aux Hébreux (1, 3), où le Christ est appelé " figure de la substance " du Père, le grec porte character au lieu de " figure ". Mais la figure rentre dans la quatrième espèce de qualité ; elle diffère donc de la puissance qui est de la deuxième espèce.

2. " La divinité bienheureuse, dit Denys,, reçoit le baptisé à la participation d’elle-même et lui confère cette participation par sa propre lumière comme par un signe. " Ainsi le caractère semble-t-il être une sorte de lumière. Mais la lumière appartient à la troisième espèce de qualité. Le caractère n’est donc pas une puissance, puisque celle-ci appartient à la deuxième espèce de qualité.

3. Certains définissent le caractère " un signe sacré de la communion dans la foi et de l’ordination sainte, conféré par le pontife ". Mais le signe est dans le genre de la relation, et non dans le genre de la puissance.

4. La puissance a raison de cause et de principe, d’après Aristote Mais le signe, qui entre dans la définition du caractère, s’apparente plutôt à la raison d’effet. Le caractère n’est donc pas une puissance spirituelle.

En sens contraire, au dire d’Aristote " Il y a trois choses dans l’âme : la puissance, l’habitus et la passion. " Or, le caractère n’est pas une passion, car la passion disparaît vite, alors que le caractère est indélébile comme nous le dirons plus loin. De même, il n’est pas un habitus, car il n’est pas d’habitus qui soit indéterminé au bien ou au mal ; or, le caractère est indéterminé, car certains en usent bien, d’autres mal, ce qui n’arrive pas dans les habitus ; car personne ne fait mauvais usage de l’habitus vertueux, et personne ne fait bon usage de l’habitus vicieux. Il reste donc que le caractère est une puissance.

Réponse :

Les sacrements de la loi nouvelle, nous l’avons vu impriment un caractère en tant qu’ils députent les hommes au culte de Dieu tel qu’il convient au rite de la religion chrétienne. Aussi, après avoir dit que " Dieu, par l’impression d’un certain signe, donne au baptisé une participation de lui-même ", Denys ajoute-t-il : " Il le parfait ainsi en le faisant divin et transmetteur du divin. " Or, le culte divin consiste à recevoir des choses divines ou à les transmettre à autrui. Mais, pour chacun de ces offices, une puissance est nécessaire, puissance active pour transmettre, puissance passive pour recevoir. C’est pourquoi le caractère comporte une puissance spirituelle ordonnée au culte divin.

Il faut bien savoir cependant que cette puissance spirituelle est instrumentale, ainsi qu’on l’a dit pour la vertu contenue dans les sacrements. Car posséder le caractère sacramentel revient aux ministres de Dieu ; mais d’après le Philosophe " le ministre se comporte à la manière d’un instrument ". Et comme la vertu qui est dans les sacrements ne rentre que par réduction dans un genre déterminé, car elle est quelque chose d’instable par soi, et d’inachevé ; ainsi le caractère n’est pas proprement dans un genre ou une espèce, mais il se ramène à la deuxième espèce de qualité.

Solutions :

1. La figure termine pour ainsi dire la quantité. Elle n’existe donc à proprement parler que dans l’ordre corporel ; on n’en parle que par métaphore dans l’ordre spirituel. Mais un être est toujours rangé dans un genre ou dans une espèce par ce qu’on lui attribue en propre. Le caractère ne peut donc être dans la quatrième espèce de la qualité, en dépit de certaines opinions.

2. Il n’y a dans la troisième espèce de qualité que des passions sensibles ou des qualités sensibles. Or le caractère n’est pas une lumière sensible. Il n’est donc pas de la troisième espèce de qualité où certains ont voulu le mettre.

3. La relation qu’implique le mot signe doit être fondée sur une réalité. Or la relation de ce signe qu’est le caractère ne peut avoir pour fondement immédiat l’essence de l’âme, car elle conviendrait alors par nature à toute âme. Il faut donc admettre en l’âme quelque chose qui fonde une telle relation : et c’est l’essence du caractère. Aussi ne faut-il pas qu’il soit dans le genre de la relation comme certains l’ont prétendu.

4. Le caractère a raison de signe si on le rapporte au sacrement sensible qui l’imprime ; mais, considéré en lui-même, il a raison de principe de la façon qu’on a dite.

 

            Article 3 — De qui est-il l’empreinte ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le caractère sacramentel soit l’empreinte du Christ. On lit en effet dans l’épître aux Éphésiens (4, 30) : " Ne contrastez pas le Saint-Esprit de Dieu dans lequel vous avez été marqués d’un signe. " Mais l’impression d’un signe est impliquée dans le mot de caractère. Il faut donc attribuer le caractère sacramentel au Saint-Esprit plutôt qu’au Christ.

2. Le caractère a raison de signe. Il est signe de la grâce que confère le sacrement. Mais la grâce est infusée dans l’âme par la Trinité tout entière ; d’où la parole du Psaume (84, 12) : " La grâce et la gloire, c’est le Seigneur qui les donne. " Il ne semble donc pas que le caractère sacramentel doive être attribué spécialement au Christ.

3. Si quelqu’un reçoit un caractère, c’est pour être distingué des autres. Mais c’est la charité qui distingue les saints d’avec les autres hommes, car selon S. Augustin " elle seule distingue entre les fils du royaume et les fils de perdition " ; c’est aussi pourquoi l’on dit que les fils de perdition portent le caractère de la bête, comme il est écrit dans l’Apocalypse (13, 16). Or la charité n’est pas appropriée au Christ, mais plutôt au Saint-Esprit, selon l’épître aux Romains (5, 5) : " La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ", - ou même au Père selon la 2ème épître aux Corinthiens (13, 13) : " La grâce de notre Seigneur Jésus Christ et la charité de Dieu. . . " Donc, semble-t-il, le caractère sacramentel ne doit pas être attribué au Christ.

En sens contraire, certains donnent cette définition du caractère : " Le caractère est une marque distinctive imprimée par le Caractère éternel dans l’âme rationnelle selon qu’il est image, configurant la trinité créée à la Trinité créatrice et recréatrice, et distinguant les fidèles de ceux qui ne sont pas configurés selon la condition stable de la foi. " Mais le Caractère éternel, c’est le Christ lui-même qui est, selon l’épître aux Hébreux (1, 3) : " le rayonnement de la gloire, et la figure (ou caractère) de la substance du Père. " C’est donc au Christ que l’on doit attribuer en propre le caractère sacramentel.

Réponse :

Comme on l’a montré plus haut, le caractère est proprement un sceau qui désigne une chose ordonnée à une fin déterminée ; ainsi, c’est par un caractère que le denier est désigné pour servir au commerce, et les soldats sont marqués d’un caractère qui les députe au service militaire. Or le fidèle est député à deux choses. D’abord et à titre principal à la jouissance de la gloire, et pour cela, il est marqué du sceau de la grâce ; c’est ce que dit Ézéchiel (9, 4) : " Marque d’un Tau le front des hommes qui gémissent et qui souffrent ", et de même l’Apocalypse (7, 3) : " Ne nuisez pas à la terre, ni aux arbres, jusqu’à ce que nous ayons marqué au front les serviteurs de notre Dieu. " En second lieu, chaque fidèle est député à recevoir ou à donner aux autres ce qui concerne le culte de Dieu ; et c’est là le rôle propre du caractère sacramentel. Or, tout le rite de la religion chrétienne découle du sacerdoce du Christ. C’est pourquoi il est évident que le caractère sacramentel est spécialement caractère du Christ, au sacerdoce de qui les fidèles sont configurés selon les caractères sacramentels ; et ceux-ci ne sont pas autre chose que des sortes de participations du sacerdoce du Christ, qui découlent du Christ même.

Solutions :

1. L’Apôtre parle ici de cette configuration par laquelle on est député à la gloire future. Cette configuration est l’œuvre de la grâce, et elle est attribuée au Saint-Esprit, car le Saint-Esprit est amour, et c’est par amour que Dieu nous fait ces dons gratuits, ce qui ressortit à la raison de grâce. Aussi S. Paul écrit-il (1 Co 12, 4) : " Les grâces sont diverses, mais l’Esprit est le même. "

2. Le caractère sacramentel est réalisé par rapport au signe extérieur et il est signe par rapport à l’effet ultime. On peut donc attribuer quelque chose au caractère de deux façons. Ou bien sous la raison de signe ; en ce sens il est le signe de la grâce invisible que confère le sacrement. Ou bien sous sa raison propre de caractère ; en ce sens, il est un signe configurant au chef qui possède l’autorité souveraine sur la tâche à laquelle on est député ; par exemple, les soldats qui sont députés au combat sont marqués de la marque du chef, et lui sont ainsi comme configurés. De même, ceux qui sont députés au culte chrétien dont le souverain est le Christ, reçoivent un caractère qui les configure au Christ ; il est donc bien proprement caractère du Christ.

3. Le caractère établit une distinction par rapport à une fin à laquelle est ordonné celui qui reçoit ce caractère, nous l’avons dit ; c’est en vue du combat que le caractère militaire distingue le soldat du roi d’avec le soldat ennemi. De même, le caractère des fidèles est ce qui distingue les fidèles du Christ d’avec les esclaves du démon, soit en vue de la vie éternelle, soit en vue du culte de l’Église présente ; le premier rôle est rempli par la charité et la grâce - c’est ce que démontre l’objection - le second, par le caractère sacramentel. Si bien qu’à l’opposé, on peut entendre par " caractère de la bête " ou bien une malice obstinée qui députe à la peine éternelle, ou bien la profession d’un culte illicite.

 

            Article 4 — Quel est le sujet dans lequel réside le caractère ?

Objections :

1. Il semble que le caractère ne réside pas dans les puissances de l’âme. Car on dit que le caractère est une disposition à la grâce. Or celle-ci a pour sujet l’essence de l’âme, comme on l’a dit dans la deuxième Partie.

2. Une puissance de l’âme ne peut être le sujet que d’un habitus ou d’une disposition. Or, le caractère, on l’a dit, n’est pas un habitus ou une disposition, mais plutôt une puissance qui n’a pas d’autre sujet que l’essence de l’âme. Donc il semble que le caractère ne réside pas dans une puissance de l’âme, mais plutôt dans son essence.

3. Les puissances de l’âme rationnelle se divisent en puissance de connaissance et puissance appétitive. Mais on ne peut dire que le caractère soit seulement dans une puissance de connaissance, ni seulement dans une puissance appétitive. On ne peut dire non plus qu’il soit dans les deux à la fois, car un même accident ne peut avoir des sujets divers. Il semble donc que le sujet du caractère soit l’essence de l’âme, plutôt qu’une de ses puissances.

En sens contraire, selon la définition du caractère que nous avons citée plus haut, le caractère est imprimé en l’âme rationnelle selon qu’il est une image. Si l’on voit une image de la Trinité dans l’âme, c’est selon ses puissances. Le caractère existe donc dans les puissances de l’âme.

Réponse :

Nous l’avons dit, le caractère est un certain sceau par lequel l’âme est désignée pour recevoir ou transmettre aux autres ce qui concerne le culte divin. Or, le culte divin consiste en certains actes, et ce sont les puissances de l’âme qui sont proprement ordonnées aux actes comme l’essence à l’existence. Le caractère n’a donc pas pour sujet l’essence de l’âme, mais l’une de ses puissances.

Solutions :

1. Pour attribuer son sujet à un accident, on tient compte de la disposition prochaine que cet accident produit, non d’une disposition éloignée ou indirecte. Or, le caractère dispose l’âme de façon directe et prochaine à l’accomplissement du culte divin. Et parce que le culte n’est accompli dignement qu’avec le secours de la grâce, car " ceux qui adorent Dieu doivent l’adorer en esprit et en vérité " (Jn 4, 24), il s’ensuit que la libéralité divine accorde la grâce à ceux qui reçoivent le caractère, pour leur permettre de remplir dignement les fonctions auxquelles ils sont députés. Pour désigner le sujet du caractère, il faut donc tenir compte des actes relatifs au culte divin, plutôt que de la grâce.

2. L’essence de l’âme est le sujet de la puissance naturelle qui découle des principes de l’essence. Or, le caractère n’est pas une puissance de cette sorte, mais une certaine puissance spirituelle survenant du dehors. Aussi, de même que l’essence de l’âme, principe de la vie naturelle de l’homme, est perfectionnée par la grâce qui donne à l’âme la vie spirituelle, de même la puissance naturelle de l’âme est perfectionnée par cette puissance spirituelle qu’est le caractère. Si en effet l’habitus et la disposition appartiennent aux puissances de l’âme, c’est qu’elles sont ordonnées aux actes dont les puissances sont les principes ; et pour la même raison, tout ce qui est ordonné à l’acte doit être attribué à la puissance.

3. Comme nous venons de le dire, le caractère est ordonné au culte divin, lequel est une protestation de foi par des signes extérieurs. Il faut donc que le caractère soit dans cette puissance connaissante de l’âme où réside la foi.

 

            Article 5 — Le caractère est-il indélébile ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Un accident est en effet d’autant mieux fixé en son sujet qu’il est plus parfait. Or, la grâce est plus parfaite que le caractère qui s’ordonne à elle comme à une fin ultérieure. Or la grâce est détruite par le péché. Donc à plus forte raison le caractère.

2. Par le caractère, on est député au culte divin, on vient de le dire ; mais certains passent du culte divin à un culte contraire par l’apostasie de la foi. Ces gens-là semblent donc bien perdre le caractère sacramentel.

3. Lorsque la fin disparaît, ce qui est ordonné à la fin doit aussi disparaître sous peine de subsister pour rien. Ainsi, après la résurrection, il n’y aura plus de mariage, car la génération, fin du mariage, aura disparu. Or le culte extérieur, fin du caractère, ne subsistera pas dans la patrie où l’on ne fera rien par figure, mais selon une vérité sans ombre. Donc le caractère sacramentel ne subsiste pas perpétuellement en l’âme, et ainsi n’y est pas imprimé de façon indélébile.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " Les sacrements chrétiens ne son pas moins profondément imprimés, que la marque corporelle du service militaire. " Or ce caractère militaire n’est pas renouvelé, mais il est " reconnu et approuvé " en celui qui, après une faute, mérite le pardon de son chef. Donc le caractère sacramentel non plus ne peut être effacé.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, les sacrements de la loi nouvelle ont un double objet : le remède au péché et le culte divin. Or il est commun à tous les sacrements de fournir un remède contre le péché du fait qu’ils confèrent la grâce. Mais tous les sacrements ne sont pas ordonnés directement au culte divin ; il est évident, par exemple, que le sacrement de pénitence, qui délivre l’homme du péché, ne lui fournit rien de nouveau pour le culte divin, mais le rétablit dans son état premier.

Or, un sacrement peut se rapporter au culte divin de trois façons différentes : 1° dans l’action sacramentelle elle-même, 2° en lui fournissant des ministres ou agents, 3° en lui fournissant des bénéficiaires. Le sacrement qui concerne le culte divin dans l’action sacramentelle elle-même, c’est l’eucharistie en quoi consiste comme en son principe le culte divin, du fait qu’elle est le sacrifice de l’Église ; et ce sacrement n’imprime pas de caractère en l’homme, car il ne l’ordonne pas à agir ou à recevoir ultérieurement dans l’ordre sacramentel, étant plutôt, selon Denys, "la fin et la consommation de tous les sacrements ". Cependant il contient le Christ lui-même, qui n’a pas le caractère, mais toute la plénitude du sacerdoce.

Ensuite, le sacrement qui se rapporte au culte divin pour lui fournir des ministres, c’est l’ordre, qui députe certains hommes à donner les sacrements.

Enfin, le sacrement qui se rapporte au culte divin pour lui fournir des bénéficiaires, c’est le baptême, car il donne à l’homme le pouvoir de recevoir les autres sacrements de l’Église ; aussi le nomme-t-on la porte de tous les autres sacrements. A cela aussi est ordonnée d’une certaine façon la confirmation, comme nous le verrons en son lieu.

Ainsi trois sacrements impriment un caractère : le baptême, la confirmation et l’ordre.

Solutions :

1. Par tous les sacrements l’homme est fait participant du sacerdoce du Christ, en ce sens qu’il en reçoit quelque effet ; mais tous les sacrements ne le députent pas au culte en qualité de membre actif ou passif du sacerdoce du Christ. Or, c’est cela qui est requis pour qu’un sacrement imprime un caractère.

2. Par tous les sacrements l’homme est sanctifié en tant que la sainteté comporte la purification du péché, œuvre de la grâce. Mais, d’une façon plus spéciale, par certains sacrements qui impriment un caractère, l’homme est sanctifié par une consécration, en ce sens qu’il est député au culte divin ; de même que les objets inanimés sont dits sanctifiés par une semblable députation.

3. Bien que le caractère soit déjà réalité et encore sacrement, tout ce qui est tel n’est pas nécessairement caractère. Nous verrons plus loin, à propos des divers sacrements, ce qui est en eux déjà réalité et encore sacrement.

 

 

QUESTION 64 — LA CAUSE DES SACREMENTS

Il faut maintenant étudier la cause des sacrements, qu’il s’agisse de la cause souveraine ou qu’il s’agisse de la cause ministérielle. Dix questions se posent - 1. Dieu est-il seul à réaliser l’effet intérieur du sacrement ? - 2. L’institution des sacrements a-t-elle Dieu seul pour auteur ? - 3. Le pouvoir du Christ sur les sacrements. - 4. Le Christ pouvait-il communiquer à d’autres son pouvoir sur les sacrements ? - 5. Les mauvais peuvent-ils avoir un pouvoir ministériel sur les sacrements ? - 6. Les mauvais pèchent-ils en administrant les sacrements ? - 7. Les anges peuvent-ils être ministres des sacrements ? - 8. L’intention du ministre est-elle requise dans les sacrements ? - 9. Une foi droite est-elle requise au point qu’un infidèle ne puisse donner les sacrements ? - 10. L’intention droite est-elle requise ?

 

            Article 1 — Dieu est-il seul à réaliser l’effet intérieur du sacrement ?

Objections :

1. Il semble que Dieu ne soit pas seul à réaliser l’effet intérieur du sacrement mais que cela appartienne aussi au ministre. Car cet effet intérieur consiste à purifier l’homme de ses péchés et à l’illuminer par la grâce. Or il appartient aux ministres de l’Église de " purifier, illuminer et parfaire ", selon l’enseignement de Denys.

2. Dans l’administration des sacrements, certains suffrages sont présentés à Dieu sous forme de prières. Mais les prières des justes ont plus de chance d’être exaucées par Dieu que les prières du premier venu, comme il est dit en S. Jean (9, 31) : " Si quelqu’un rend hommage à Dieu et fait sa volonté, Dieu l’exaucera. " Il semble donc que l’on bénéficie davantage du sacrement si on le reçoit d’un ministre vertueux. Donc le ministre aussi réalise l’effet intérieur et pas seulement Dieu.

3. L’homme est plus digne qu’une chose inanimée, et cependant il y a des choses inanimées qui concourent à l’effet intérieur : " L’eau touche le corps et lave le cœur", dit S. Augustin. Donc, l’homme concourt à l’effet intérieur, et pas seulement Dieu.

En sens contraire, il est dit dans l’épître aux Romains (8, 33) : " C’est Dieu qui justifie. " Puisque l’effet intérieur de tous les sacrements est la justification, on voit que Dieu seul réalise l’effet intérieur du sacrement.

Réponse :

Il y a deux façons de réaliser un effet : en qualité d’agent principal ou en qualité d’instrument. Selon la première manière, c’est Dieu seul qui réalise l’effet intérieur du sacrement. C’est parce que Dieu seul pénètre dans l’âme où réside l’effet du sacrement, et un être ne peut agir directement là où il n’est pas. C’est aussi parce qu’il appartient à Dieu seul de produire la grâce, qui est l’effet intérieur du sacrement, nous l’avons dit dans la deuxième Partie. En outre, le caractère, effet intérieur de certains sacrements, est une vertu instrumentale dérivant de l’agent principal qui est Dieu. Mais, de la seconde manière, c’est-à-dire en agissant en qualité de ministre, l’homme peut réaliser l’effet intérieur du sacrement ; car le ministre et l’instrument ont la même définition : l’action de l’un et de l’autre s’exerce à l’extérieur et aboutit à un effet intérieur sous la motion de l’agent principal qui est Dieu.

Solutions :

1. La purification qui est attribuée aux ministres de l’Église n’est pas la purification du péché ; on dit que les diacres purifient parce qu’ils écartent les impurs de l’assemblée des fidèles, ou parce qu’ils les préparent par de saintes admonitions à la réception des sacrements. De même, on dit que les prêtres illuminent le peuple saint, non parce qu’ils infusent la grâce, mais parce qu’ils administrent les sacrements de la grâce, comme le montre Denys au même endroit.

2. Les prières prononcées dans l’administration des sacrements ne sont pas adressées à Dieu de la part d’une personne privée, mais de la part de toute l’Église, dont les prières sont agréables à Dieu : " Si deux parmi vous s’accordent sur la terre, quelque chose qu’ils demandent, ils l’obtiendront de mon Père ", est-il dit en S. Matthieu (18, 19). D’ailleurs, rien n’empêche que la dévotion d’un juste concoure à ce résultat. Mais ce qui est proprement l’effet du sacrement n’est pas obtenu par la prière de l’Église ou du ministre, mais par le mérite de la passion du Christ, dont la vertu agit dans les sacrements, nous l’avons déjà dit d. Aussi l’effet du sacrement n’est-il pas rendu meilleur parce que le ministre est meilleur.

Cependant un bien annexe peut être obtenu au bénéficiaire du sacrement par la dévotion du ministre ; cependant ce n’est pas le ministre qui le réalise, mais celui-ci en obtient de Dieu la réalisation.

3. Les choses inanimées ne concourent à l’effet intérieur qu’en qualité d’instruments, on l’a dit. De même les hommes n’y concourent qu’en qualité de ministres, on vient de le dire aussi.

 

Article 2 : L’institution des sacrements a-t-elle Dieu seul pour auteur ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car c’est la Sainte Écriture qui nous fait connaître les institutions divines. Mais il est certains éléments des rites sacramentels dont on ne trouve nulle mention dans la Sainte Écriture, ainsi le saint chrême avec lequel on donne la confirmation et l’huile dont on oint les prêtres, et bien d’autres paroles ou gestes dont on use dans les sacrements.

2. Les sacrements sont des signes. Or les choses sensibles ont une signification naturelle ; et l’on ne peut pourtant pas dire que Dieu se complaise en certaines significations plutôt qu’en d’autres, car il approuve tout ce qu’il a fait. Il semble au contraire que ce soit le propre des démons d’être attirés par des signes pour produire certains effets, suivant la parole de S. Augustin : " Comme les démons s’insinuent dans des créatures qui ne sont pas leur ouvrage mais l’ouvrage de Dieu, ils sont alléchés par des attraits conformes au goût de chacun ; ce n’est pas l’attrait de l’animal pour la nourriture, mais de l’esprit pour les signes. " Il semble donc inutile de faire intervenir l’institution divine dans les sacrements.

3. Les Apôtres ont été sur terre les vicaires de Dieu ; c’est pourquoi l’Apôtre écrit (2 Co 2, 10) : " Car pour moi le don que j’ai fait - si tant est que j’aie donné quelque chose - c’est par considération pour vous et en tenant la place du Christ ", c’est-à-dire comme si le Christ avait fait ce don lui-même. Il semble donc que les Apôtres et leurs successeurs puissent instituer de nouveaux sacrements.

En sens contraire, c’est celui qui donne à une institution sa force et sa vertu qui est l’auteur de cette institution ; on le voit chez ceux qui instituent des lois. Mais la vertu du sacrement vient de Dieu seul, nous venons de le montrer Donc Dieu seul peut instituer le sacrements.

Réponse :

C’est à titre d’instrument, on l’a vu que les sacrements réalisent des effets spirituels. Or, l’instrument tient sa vertu de l’agent principal. Il y a deux agents, dans le cas du sacrement : celui qui l’institue, et celui qui use du sacrement déjà institué en l’appliquant à produire son effet. Mais la vertu du sacrement ne peut pas venir de celui qui ne fait qu’en user, car il n’agit ainsi qu’à la façon d’un ministre. Il reste donc que la vertu du sacrement lui vienne de celui qui l’a institué. La vertu du sacrement ne venant que de Dieu, il en résulte que Dieu seul a institué les sacrements.

Solutions :

1. Les éléments du rite sacramentel qui sont d’institution humaine ne sont pas nécessaires au sacrement, mais contribuent à la solennité dont on l’entoure pour exciter dévotion et respect en ceux qui les reçoivent. Quant aux éléments nécessaires au sacrement, ils ont été institués par le Christ lui-même. . qui es t à la fois. Dieu et homme ; et s’ils ne nous sont pas tous révélés dans les Écritures, l’Église cependant les a reçus de l’enseignement ordinaire des Apôtres ; c’est ainsi que S. Paul écrit (1 Co 11, 34) : " Pour les autres points, je les réglerai lors de ma venue ".

2. Les choses sensibles ont par leur nature une certaine aptitude à signifier des effets spirituels ; mais cette aptitude encore indéterminée est précisée par l’institution divine qui lui donne une signification particulière. C’est ce qu’entend Hugues de Saint-Victor lorsqu’il dit que "le sacrement signifie en vertu de l’institution". Cependant Dieu a choisi certaines réalités de préférence à d’autres pour les significations sacramentelles, non qu’il limite son action à ces seules réalités, mais afin que la signification soit mieux adaptée.

3. Les Apôtres et leurs successeurs sont les vicaires de Dieu pour le gouvernement de cette Église qui est constituée par la foi et les sacrements de la foi. Aussi, de même qu’ils ne peuvent constituer une autre Église, ils ne peuvent transmettre une autre foi, ni instituer d’autres sacrements ; c’est " par les sacrements qui coulèrent du côté du Christ crucifié " que l’Église du Christ a été constituée.

 

            Article 3 — Le pouvoir du Christ sur les sacrements

Objections :

1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, avait le pouvoir de produire l’effet intérieur des sacrements. En effet, S. Jean Baptiste a déclaré (Jn 1, 33) : " Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : "Celui sur qui tu verras descendre et demeurer l’Esprit, c’est celui-là qui baptise dans l’Esprit Saint. " " Mais baptiser dans l’Esprit Saint c’est conférer intérieurement la grâce de l’Esprit Saint. Or, l’Esprit Saint est descendu sur le Christ en tant qu’homme ; car en tant que Dieu c’est lui-même qui donne l’Esprit Saint. Le Christ, comme homme, avait donc le pouvoir de produire l’effet intérieur des sacrements.

2. Notre Seigneur a dit (Mt 9, 6) : " Sachez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur terre de remettre les péchés. " Or la rémission des péchés est l’effet intérieur du sacrement.

3. L’institution des sacrements appartient à celui qui est l’agent principal dans la production de leur effet intérieur. Or, il est évident que c’est le Christ qui a institué les sacrements.

4. Nul ne peut produire l’effet du sacrement sans conférer le sacrement, à moins qu’il ne produise cet effet par sa vertu propre. Or le Christ, en dehors du rite sacramentel, en a produit l’effet, comme on peut le voir pour Madeleine à qui il a dit (Luc 7, 48) : " Tes péchés te sont remis. "

5. L’être par la vertu duquel agit le sacrement, est l’agent principal qui produit l’effet intérieur. Or les sacrements tiennent leur vertu de la passion du Christ et de l’invocation de son nom, d’après S. Paul (1 Co 1, 13) : " Paul est-il mort pour vous, ou bien avez-vous été baptisés au nom de Paul ? "

Donc le Christ en tant qu’homme produit l’effet intérieur du sacrement.

En sens contraire, S. Augustin enseigne que " dans les sacrements, c’est la vertu divine qui produit secrètement le salut ". Or la vertu divine appartient au Christ non en tant qu’il est homme, mais en tant qu’il est Dieu.

Réponse :

Le Christ produit l’effet intérieur des sacrements en tant qu’il est Dieu et en tant qu’il est homme, mais de façon différente dans les deux cas.

En tant que Dieu, il agit dans les sacrements à titre d’auteur souverain. En tant qu’homme, il en opère les effets intérieurs de façon méritoire et aussi par mode d’efficience, mais alors il s’agit seulement d’une efficience instrumentale. On a vu en effet que la passion du Christ, qu’il a soufferte en sa nature humaine, est cause de notre justification et en la méritant et en la réalisant effectivement, cela non par mode d’agent principal, comme un auteur souverain, mais à la façon d’un instrument, en tant que son humanité est l’instrument de sa divinité, nous l’avons déjà dit.

Cependant, parce qu’elle est l’instrument conjoint à la divinité dans l’unité d’une seule personne, cette humanité possède une sorte de primauté et de causalité à l’égard des instruments séparés que sont les ministres de l’Église. C’est pourquoi, de même que le Christ, en tant que Dieu, a un pouvoir souverain sur les sacrements, de même, en tant qu’homme, il a un pouvoir de ministre principal, ou pouvoir d’excellence. Ce pouvoir consiste en quatre prérogatives :

1° En ce que c’est le mérite et la vertu de sa passion qui agissent dans les sacrements, on l’a dit.

2° C’est par la foi que nous entrons en communication avec la vertu de sa passion, car "c’est lui que Dieu a établi d’avance comme moyen de propitiation par la foi en son sang" (Rm 3, 25), - foi que nous professons par l’invocation du nom du Christ ; c’est pourquoi le fait que les sacrements sont consacrés au nom du Christ relève du pouvoir d’excellence qu’il exerce sur les sacrements.

3° C’est de leur institution par le Christ qu’ils tiennent leur vertu. Il appartient donc à l’excellence du pouvoir du Christ que celui qui a donné aux sacrements leur vertu ait pu les instituer.

4° Comme la cause ne dépend pas de son effet, mais bien plutôt l’effet de sa cause, il appartient à l’excellence du pouvoir du Christ qu’il ait pu produire l’effet des sacrements sans accomplir le rite sacramentel extérieur.

Solutions :

La réponse aux objections et à l’argument en sens contraire est ainsi évidente, car il y a du vrai des deux côtés, on vient de le dire.

 

            Article 4 — Le Christ pouvait-il communiquer à d’autres son pouvoir sur les sacrements ?

Objections :

1. Il semble que le Christ ne pouvait pas communiquer à ses ministres le pouvoir qu’il avait sur les sacrements. En effet, S. Augustin raisonne ainsi m : " S’il le pouvait et s’il ne l’a pas voulu, c’est qu’il était jaloux de son pouvoir. " Mais il n’y avait aucune jalousie dans le Christ en qui résidait toute la plénitude de la charité. Donc, puisque le Christ n’a pas communiqué son pouvoir à des ministres, c’est qu’il ne le pouvait pas.

2. A propos de cette parole en S. Jean (14, 12) : " Il fera de plus grandes choses ", S. Augustin écrit : " je l’affirme hautement, c’est une plus grande chose " de justifier un homme " que de créer le ciel et la terre ". Mais le Christ ne pouvait communiquer à ses disciples le pouvoir de créer le ciel et la terre. Il ne pouvait donc leur communiquer celui de justifier un impie. Donc, puisque la justification de l’impie s’accomplit par le pouvoir que le Christ exerce dans les sacrements, il semble qu’il ne pouvait communiquer ce pouvoir à des ministres.

3. Il revient au Christ comme tête de l’Église que la grâce découle de lui jusqu’aux autres hommes selon S. Jean (1, 16) : " De sa plénitude, nous avons tous reçu. " Mais cela ‘n’était pas communicable à d’autres, sans quoi l’Église serait un monstre, ayant plusieurs têtes. Il apparaît donc que le Christ n’a donc pu communiquer son pouvoir à des ministres.

En sens contraire, sur cette parole de S. Jean Baptiste (Jn 1, 31) : " Et moi, je ne le connaissais pas ", S. Augustin écrit : " Il ne savait pas que le Seigneur lui-même aurait le pouvoir baptismal et se le réserverait. " Jean Baptiste ne l’aurait pas ignoré si un pouvoir de cette sorte était incommunicable.

Donc le Christ a pu communiquer ce pouvoir à ses ministres.

Réponse :

Le Christ avait un double pouvoir sur les sacrements, nous venons de le dire : un pouvoir souverain qui lui appartient en tant qu’il est Dieu. Et ce pouvoir ne pouvait être communiqué à aucune créature, pas plus que l’essence divine. Il avait un autre pouvoir, celui d’excellence, qui lui appartient en tant qu’il est homme. Ce pouvoir-là, il pouvait le communiquer à des ministres, en leur donnant une telle plénitude de grâce que leur mérite aurait produit les effets des sacrements, qu’à l’invocation de leurs noms les sacrements auraient été sanctifiés, qu’ils auraient pu eux-mêmes instituer des sacrements et, sans les rites sacramentels, conférer l’effet des sacrements par leur seul commandement. L’instrument conjoint peut en effet transmettre d’autant mieux sa vertu à l’instrument séparé qu’il est lui-même plus puissant, comme la main à l’égard du bâton.

Solutions :

1. Ce n’est pas par jalousie que le Christ s’est abstenu de communiquer son pouvoir d’excellence aux ministres de l’Église, mais pour l’utilité des fidèles, afin qu’ils ne mettent pas leur espoir en l’homme, et qu’il n’y ait pas de multiples catégories de sacrements d’où naîtrait la division dans l’Église ; comme il arriva pour ceux qui disaient : " Moi, je suis à Paul. Et moi, à Apollos, et moi à Céphas " (1 Co 1, 12).

2. Cette objection se réfère au pouvoir d’autorité souveraine qui appartient au Christ selon qu’il est Dieu. Mais, comparé aux pouvoirs des autres ministres, le pouvoir d’excellence, lui aussi, peut être appelé souveraineté. Aussi, sur ce mot de la 1ère épître aux Corinthiens (1, 13), " le Christ est divisé ", la Glose enseigne " qu’il pouvait donner autorité sur le baptême à ceux qu’il a chargés de ce ministère ".

3. Pour éviter qu’il y ait plusieurs têtes dans l’Église, le Christ n’a pas voulu communiquer à des ministres son pouvoir d’excellence. D’ailleurs, s’il l’avait communiqué, il serait lui-même tête à titre principal, et les autres seulement de façon secondaire et dérivée.

 

            Article 5 — Les mauvais peuvent-ils avoir un pouvoir ministériel sur les sacrements ?

Objections :

1. Cela paraît impossible, car les sacrements de la loi nouvelle ont pour but de purifier du péché et de conférer la grâce. Mais les méchants, étant impurs, ne peuvent pas purifier les autres de leurs péchés : " Qu’est-ce qu’un impur pourrait bien purifier ? " dit l’Ecclésiastique (34,4). De plus, n’ayant pas la grâce, ils ne sauraient la conférer, puisqu’on ne donne que ce que l’on a.

2. Toute la vertu des sacrements découle du Christ, on l’a dit q. Mais les méchants sont séparés du Christ ; car ils n’ont pas la charité qui unit les membres à la tête : " Celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui " (1 Jn 4, 16).

3. Si l’un des éléments requis dans les sacrements vient à manquer, le sacrement n’est pas réalisé ; par exemple s’il manque la forme ou la matière requise. Mais le ministre requis pour le sacrement, c’est celui qui n’est pas souillé par le péché selon le Lévitique (31, 17) : " Tout homme de ta race, dans toutes les familles, qui aura contracté une souillure, n’offrira pas le pain à son Dieu, et n’accédera pas à son ministère. " Donc, si le ministre est un mauvais, rien ne se produit dans le sacrement.

En sens contraire, sur ce passage de S. Jean (1, 33) : " Celui sur qui tu verras l’Esprit, etc. ", S. Augustin écrit : " Qu’est-ce que S. Jean Baptiste ignorait dans le Christ ? Que le Seigneur posséderait et se réserverait le pouvoir souverain sur le baptême, mais en transmettrait le ministère aux bons comme aux mauvais. Que peut te faire un ministre mauvais quand le Seigneur est bon ? "

Réponse :

Comme nous l’avons dit,. les ministres de l’Église agissent instrumentalement dans les sacrements car, d’une certaine façon, la définition du ministre est identique à celle de l’instrument. Or, comme nous l’avons vu, l’instrument n’agit pas selon sa forme ou sa vertu propres, mais selon une vertu qui appartient à celui qui le meut. C’est pourquoi il est accidentel à l’instrument comme instrument d’avoir telle forme ou telle vertu, en dehors de ce qui est requis à sa raison d’instrument ; ainsi est-il indifférent que le corps du médecin soit sain ou malade, car il n’est que l’instrument de l’âme en qui réside l’art médical ; peu importe que le conduit par où l’eau passe soit, en argent ou en plomb. Aussi les ministres de l’Église peuvent-ils conférer les sacrements, même s’ils sont mauvais.

Solutions :

1. Si les ministres de l’Église purifient de leurs péchés les hommes qui s’approchent des sacrements, et s’ils leur confèrent la grâce, ce n’est pas par leur vertu, mais c’est le Christ qui, par son pouvoir, réalise ces effets en utilisant ses ministres comme instruments. Aussi le résultat produit en ceux qui reçoivent les sacrements ne les fait-il pas ressembler aux ministres, mais les configure au Christ.

2. Par la charité, les membres du Christ sont unis à leur chef pour recevoir de lui la vie, car " celui qui n’aime pas demeure dans la mort " (1 Jn 3. 14). Mais on peut agir à l’aide d’un instrument privé de vie et qui soit séparé quant à l’appartenance corporelle, pourvu qu’il soit conjoint par la motion qu’on lui imprime ; l’artiste n’agit pas de la même façon avec sa main et avec une hache. Ainsi donc le Christ agit dans les sacrements avec les bons comme avec des membres vivants, avec les mauvais comme avec des instruments privés de vie.

3. Une chose peut être requise de deux façons dans le sacrement. 1° Elle est requise comme absolument nécessaire ; et alors, si elle vient à manquer, le sacrement n’est pas réalisé : s’il manque, par exemple, la forme requise ou la matière requise.

2° Mais une chose peut encore être requise dans le sacrement pour une raison de bienséance ; c’est à ce titre que la bonté des ministres est requise.

 

            Article 6 — Les mauvais pèchent-ils en administrant les sacrements ?

Objections :

1. Il semble que non, car on est le ministre de Dieu par les œuvres de charité, comme on est son ministre dans les sacrements ; c’est pourquoi on lit dans l’épître aux Hébreux (13, 16) : " Ne négligez pas la bienfaisance, ni la solidarité : car Dieu est favorable à de tels sacrifices. " Mais les mauvais ne pèchent pas en se faisant les ministres de Dieu dans les œuvres de charité ; au contraire il faut le leur conseiller selon cette parole de Daniel (4, 24) : " Écoute mon conseil : rachète tes péchés par des aumônes. " Donc il semble que les mauvais ne pèchent pas en administrant les sacrements.

2. Quiconque se solidarise avec le pécheur est lui-même coupable de péché, car selon l’épître aux Romains (1, 32) : " Sont dignes de mort, non seulement ceux qui commettent des péchés mais aussi ceux qui approuvent ceux qui les commettent. " Si les ministres mauvais pèchent en administrant les sacrements, ceux qui reçoivent d’eux les sacrements se solidarisent avec eux dans le péché. Ils pécheraient donc également, ce qui semble absurde.

3. Il semble que jamais la conscience ne puisse se trouver dans une impasse, car l’homme serait alors acculé au désespoir. Mais c’est ce qui se produirait si les mauvais péchaient en administrant les sacrements, car parfois ils pécheraient aussi en ne les administrant pas, par exemple alors que leur charge les y oblige. S. Paul dit en effet (1 Co 9, 16) : " Malheur à moi si je n’évangélise pas car l’obligation m’en incombe. " Parfois aussi ils pécheraient par leur abstention en présence d’un péril : par exemple, si on apporte un enfant en danger de mort à un pécheur pour qu’il le baptise. Il n’est donc pas possible que les mauvais pèchent en administrant les sacrements.

En sens contraire, Denys enseigne qu’" aux mauvais il n’est pas même permis de toucher les symboles ", c’est-à-dire les signes sacramentels ; et, dans sa lettre à Démophile, il écrit : " Un tel homme ", c’est-à-dire un pécheur " est bien audacieux d’imposer les mains dans des rites sacerdotaux ; il n’a ni crainte ni pudeur à poursuivre des actions divines sans la divinité ; il croit que Dieu ignore ce que lui-même connaît bien au dedans de lui ; il pense tromper par l’emploi d’un nom mensonger celui qu’il appelle son Père, et ses infamies immondes - je ne puis pas dire ses prières - il ose les proférer sur les signes divins, en se montrant semblable au Christ ".

Réponse :

On pèche par action en agissant " non selon ce qu’il faut ", dit Aristote. Or, on l’a vu , il convient que les ministres des sacrements soient des justes, car les ministres doivent se conformer à Dieu selon ces paroles du Lévitique (19, 16) : "Vous serez saints, car je suis saint " et de l’Ecclésiastique (10, 2) : " Tel est le chef du peuple, et tels ses ministres. " Il est donc certain que les mauvais qui se présentent comme ministres de Dieu et de l’Église pèchent en dispensant les sacrements. Et parce que ce péché est une irrévérence à l’égard de Dieu, qu’il souille les sacrements pour autant que le pécheur en a le pouvoir (car, de soi, les sacrements ne sauraient être souillés) : il en résulte qu’un tel péché, par nature, est mortel.

Solutions :

1. Les œuvres de charité ne sont pas sanctifiées par une consécration, mais ce sont elles qui contribuent à la sainteté d’une vie juste, comme étant des éléments de la justice. C’est pourquoi l’homme qui se montre le ministre de Dieu dans les œuvres de charité est sanctifié davantage s’il est déjà juste, et il est préparé à la sainteté s’il est pécheur. Tandis que les sacrements comportent en eux-mêmes une certaine sanctification par une consécration mystique ; le ministre doit donc avoir d’abord la sainteté d’une vie juste pour être accordé à son ministère. Il agit donc de façon discordante et il pèche s’il accède dans l’état de péché à un tel ministère.

2. Celui qui s’approche des sacrements les reçoit du ministre de l’Église, non pas en tant que celui-ci est tel ou tel, mais en tant qu’il est ministre de l’Église. C’est pourquoi, aussi longtemps que l’Église lui laisse son ministère, celui à qui il donne le sacrement ne se met pas en communion avec son péché, mais en communion avec l’Église qui le présente comme son ministre. Mais si l’Église ne le supporte plus, par exemple si elle le dégrade, l’excommunie ou le suspend, on pèche lorsqu’on reçoit de lui un sacrement, car on entre en communion avec son péché.

3. Celui qui est dans l’état de péché mortel n’est pas contraint de pécher de toute façon si, par sa charge, il lui incombe de distribuer les sacrements, car il peut se repentir de son péché, puis administrer licitement. Il n’est d’ailleurs pas inconcevable qu’il soit perplexe, c’est-à-dire contraint à pécher, à supposer qu’il veuille demeurer dans son péché. Dans le cas de nécessité absolue cependant, il ne pécherait pas en baptisant là où un laïc pourrait baptiser. Car il est évident alors, qu’il ne se présenterait pas comme le ministre de l’Église, mais qu’il viendrait en aide à celui qui est pris par la nécessité. Il n’en est pas de même pour les autres sacrements, qui ne sont pas aussi nécessaires que le baptême, comme on le verra plus loin.

 

            Article 7 — Les anges peuvent-ils être ministres des sacrements ?

Objections :

1. Cela paraît possible, car tout ce qu’un ministre supérieur peut faire, un ministre inférieur le peut : tous les pouvoirs du diacre, le prêtre les possède, mais non inversement. Or, dans l’organisation de la hiérarchie, selon Denys, les anges sont supérieurs à n’importe quels hommes. Donc, puisque les hommes peuvent administrer les sacrements, à plus forte raison les anges.

2. Dans le ciel, les saints deviennent semblables aux anges, d’après l’Évangile (Mt 22, 30). Mais certains saints du ciel peuvent administrer les sacrements, puisque le caractère sacramentel est indélébile, on l’a dit. Il semble donc que les anges peuvent administrer les sacrements.

3. Comme on l’a dit le diable est le chef des mauvais, qui sont ses membres. Or, les mauvais peuvent administrer les sacrements. Donc, les démons aussi.

En sens contraire, l’épître aux Hébreux (5, 1) enseigne : " Tout grand prêtre, pris d’entre les hommes, est établi en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu. " Or, les anges, bons ou mauvais, ne sont pas pris d’entre les hommes. Ils ne sont donc pas établis ministres dans les relations avec Dieu, c’est-à-dire dans les sacrements.

Réponse :

Nous avons vu que toute la vertu des sacrements découle de la passion du Christ, qui est le fait du Christ en tant qu’homme. Ce sont les hommes qui ont la même nature que lui, et non les anges. C’est en raison de sa passion précisément qu’il est dit "abaissé un moment au-dessous des anges ", comme le montre l’épître aux Hébreux (2, 9). C’est donc aux hommes et non aux anges qu’il appartient de dispenser les sacrements et d’en être les ministres.

Il faut noter cependant que Dieu, s’il n’a pas lié sa vertu aux sacrements au point de ne pouvoir sans eux conférer l’effet sacramentel, n’a pas davantage lié sa vertu aux ministres de l’Église, au point de ne pouvoir donner aux anges celle d’administrer les sacrements. Et, parce que les bons anges sont des messagers de vérité, si un ministère sacramentel était accompli par de bons anges, on devrait le tenir pour authentique, car il serait indubitable que cela s’est fait de par la volonté divine ; c’est ainsi que certains temples ont été consacrés par le ministère des anges, dit-on. Mais si des démons, qui sont esprits de mensonge, se donnaient comme ministres d’un sacrement, on ne devrait pas tenir leur ministère pour valable.

Solutions :

1. Ce que les hommes font sous un mode inférieur, c’est-à-dire au moyen de sacrements sensibles qui sont proportionnés à leur nature, les anges, ministres supérieurs, le font sous un mode supérieur " en purifiant, illuminant et perfectionnant " de façon invisible.

2. Les saints dans le ciel sont semblables aux anges en ce qu’ils participent de la même gloire divine, non en ce qu’ils posséderaient une même nature. Par suite ils ne leur sont pas semblables dans leurs relations avec les sacrements.

3. Si les mauvais peuvent être les ministres des sacrements, ce n’est pas parce que leur méchanceté fait d’eux les membres du diable. Aussi, de ce que le diable est leur chef, on ne peut pas conclure qu’il ait plus de pouvoir qu’eux sur les sacrements.

 

            Article 8 — L’intention du ministre est-elle requise dans les sacrements ?

Objections :

1. Elle ne semble pas nécessaire à l’accomplissement du sacrement, car le ministre agit dans les sacrements en qualité d’instrument. Or, l’accomplissement de l’action ne répond pas à l’intention de l’instrument, mais à celle de l’agent principal. L’intention du ministre n’est donc pas requise pour l’accomplissement du sacrement.

2. Aucun homme ne peut connaître l’intention d’un autre. Si l’intention du ministre était requise pour l’accomplissement du sacrement, celui qui s’y présente ne pourrait savoir s’il l’a vraiment reçu. Ainsi il ne pourrait être certain de son salut, étant donné surtout que certains sacrements sont nécessaires au salut, comme on le verra plus loin. L’intention ne se sépare pas de l’attention. Mais parfois les ministres du sacrement pensent à autre chose et ne font pas attention à ce qu’ils disent et à ce qu’ils font. Et, en ce cas, comme il y aurait défaut d’intention, le sacrement ne s’accomplirait pas.

En sens contraire, les œuvres accomplies hors de toute intention sont le produit du hasard. Mais on ne peut dire cela de l’opération sacramentelle ; celle-ci requiert donc l’intention du ministre.

Réponse :

Quand un être est capable de plusieurs réalisations possibles, il faut faire intervenir un principe de détermination qui le limitera à l’œuvre unique qu’il s’agit de produire.

Les actions sacramentelles peuvent avoir une portée multiple ; ainsi l’ablution de l’eau dans le baptême peut avoir pour raison d’être la propreté ou la santé corporelle, le jeu, etc. Il faut donc faire intervenir l’intention de celui qui fait l’ablution pour déterminer celle-ci à un seul effet qui sera celui du sacrement. Et cette intention est exprimée par les paroles prononcées dans l’administration des sacrements, telles que : " je te baptise au nom du Père, etc. "

Solutions :

1. L’instrument inanimé n’a pas d’intention à l’égard de l’effet ; ce qui en tient lieu c’est le mouvement que lui imprime l’agent principal. Mais l’instrument animé, tel que le ministre, n’est pas seulement mû ; il se meut encore lui-même, en tant que par sa volonté il meut ses membres pour leur faire produire l’œuvre à faire. Son intention est donc requise pour qu’il se soumette lui-même à l’agent principal, c’est-à-dire pour qu’ait l’intention de faire ce que fait le Christ et l’Église.

2. Ici, deux opinions sont en présence. Certains exigent du ministre l’intention mentale sans laquelle le sacrement n’est pas accompli. Cependant, ce défaut d’intention de la part du ministre est suppléé : chez les enfants qui ne désirent pas le baptême, par le Christ qui baptise invisiblement ; et chez les adultes qui désirent le baptême, par leur foi et leur dévotion. Mais si cette opinion se soutient assez bien en ce qui concerne l’effet dernier, c’est-à-dire la justification, en ce qui concerne l’effet intermédiaire qui est " déjà réalité et encore sacrement ", c’est-à-dire le caractère, on ne peut admettre que la dévotion du sujet puisse suppléer ; car le caractère n’est jamais imprimé en dehors du sacrement.

C’est pourquoi d’autres ont une position meilleure : ils disent que le ministre du sacrement agit comme représentant de l’Église tout entière dont il est le ministre ; les paroles qu’il prononce expriment l’intention de l’Église, qui suffit pleinement à l’accomplissement du sacrement, pourvu que ni le ministre ni le sujet ne manifestent extérieurement une intention contraire.

3. Celui qui pense à autre chose n’a pas l’intention actuelle ; il a pourtant l’intention habituelle qui suffit à l’accomplissement du sacrement. Par exemple, un prêtre qui vient donner le baptême a l’intention de faire, en baptisant, ce que fait l’Église. Si par la suite sa pensée est entraînée d’un autre côté, le sacrement est accompli en vertu de l’intention première. Certes, le ministre du sacrement doit s’appliquer consciencieusement à avoir l’intention actuelle ; mais ce n’est pas entièrement au pouvoir de l’homme et il a beau vouloir fermement être attentif, il se met à penser à autre chose, comme dit le Psaume (40, 13) " Mon cœur m’a abandonné ".

 

            Article 9 — Une foi droite est-elle requise au point qu’un infidèle ne puisse donner les sacrements ?

Objections :

1. La foi du ministre semble nécessaire au sacrement. Car, nous venons de le dire, son intention est nécessaire à l’accomplissement du sacrement. Mais "la foi dirige l’intention", selon S. Augustin.

2. Si un ministre de l’Église n’a pas la vraie foi, il est hérétique. Mais les hérétiques, semble-t-il ne peuvent conférer les sacrements. " Toutes les œuvres des hérétiques, écrit S. Cyprien sont charnelles, vaines et fausses, si bien que nous ne devons ratifier aucun de leurs actes. " Et S. Léon affirme : " Sans aucun doute, cette aberration très cruelle et très folle a éteint toute la lumière des sacrements célestes dans l’Église d’Alexandrie ; l’offrande du sacrifice est interrompue ; elle a cessé, la consécration du chrême ; et dans les mains parricides des impies se sont dérobés tous les mystères. " Une vraie foi, chez le ministre est donc nécessaire au sacrement.

3. Ceux qui n’ont pas la vraie foi semblent être séparés de l’Église par l’excommunication. S. Jean écrit dans sa deuxième épître (10) : "Si quelqu’un vient à vous sans vous apporter cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison et ne le saluez même pas" ; et S. Paul à Tite (3, 10) : " Quant à l’hérétique, après un premier et un second avertissement, éloigne-le de toi. " Mais l’excommunié ne peut pas conférer les sacrements de l’Église, étant séparé de l’Église, au ministère de qui est confiée la distribution des sacrements.

En sens contraire, S. Augustin soutient en face des donatistes : " Souvenez-vous que les mœurs des méchants ne peuvent nuire aux sacrements de Dieu ni en les rendant nuls ni en les rendant moins saints. "

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut parce que le ministre agit instrumentalement dans les sacrements, il n’agit pas par sa vertu propre, mais par la vertu du Christ. Or, on met la foi d’un homme, de même que sa charité, au compte de sa vertu propre. Aussi, de même que la charité du ministre n’est pas requise pour l’accomplissement du sacrement, puisque les pécheurs peuvent administrer les sacrements comme nous venons de le voir la foi n’est pas davantage requise ; et un infidèle peut procurer un vrai sacrement du moment que toutes les autres conditions nécessaires sont réalisées.

Solutions :

1. Il peut arriver que la foi d’un homme soit défaillante sur un point, mais non sur la vérité du sacrement qu’il administre. Par exemple, si un homme croit que le serment est illicite en toute circonstance, tout en croyant que le baptême est le moyen efficace du salut. L’infidélité, en ce cas, n’empêche pas d’avoir l’intention de conférer le sacrement. Mais supposons que le ministre n’ait pas la foi, précisément au sujet du sacrement dont il célèbre le rite : fi ne croit pas que l’action extérieure qu’il accomplit soit suivie d’aucun effet intérieur ; malgré cela, il n’ignore pas que l’Église catholique a l’intention, en accomplissant cette action extérieure de produire le sacrement ; il peut donc, en dépit de son incroyance, avoir l’intention de faire ce que fait l’Église, tout en croyant que cela ne sert de rien. Une telle intention suffit pour le sacrement, car, nous l’avons vu le ministre du sacrement agit comme représentant de toute l’Église dont la foi supplée ce qui manque à la sienne.

2. Certains hérétiques administrent les sacrements sans observer la forme de l’Église ; ceux-là ne confèrent ni le sacrement ni l’effet du sacrement. D’autres observent la forme de l’Église ; ils confèrent le sacrement, mais non l’effet du sacrement. A condition qu’ils soient séparés de l’Église de façon patente, car dans ce cas celui qui reçoit d’eux le sacrement pèche par le fait même, et c’est cela qui l’empêche d’obtenir l’effet du sacrement. C’est ce qui explique la parole de S. Augustin : " Tiens avec pleine certitude et ne doute aucunement que ceux qui ont reçu le baptême hors de l’Église, s’ils ne reviennent pas à l’Église, le baptême achève leur perdition. " C’est en ce sens qu’il faut également interpréter la parole de S. Léon : " Toute la lumière des sacrements est éteinte dans l’Église d’Alexandrie. " Il l’entend de l’effet du sacrement, mais non du rite sacramentel lui-même. Quant à S. Cyprien, il croyait que les hérétiques ne pouvaient pas conférer les sacrements. Mais, sur ce point son opinion n’est pas suivie. Comme le dit S. Augustin : "Le martyr Cyprien ne voulait pas reconnaître le baptême donné chez les hérétiques ou les schismatiques ; mais il a accumulé de si grands mérites, jusqu’à obtenir le triomphe du martyre, que sa charité éclatante dissipe cette ombre légère ; et ce qu’il pouvait y avoir à émonder sur ce point a été retranché par la faux de la souffrance. "

3. La puissance d’administrer les sacrements relève du caractère spirituel qui est indélébile, nous l’avons montré. Aussi, du fait qu’un homme est suspendu, excommunié ou même dégradé par l’Église, il ne perd pas le pouvoir de conférer le sacrement, mais la permission d’user de ce pouvoir. Cet homme confère donc le sacrement mais, ce faisant, il pèche. Et celui qui reçoit le sacrement d’un tel ministre pèche de son côté, et ne reçoit pas l’effet du sacrement, à moins d’être excusé par l’ignorance.

 

            Article 10 — L’intention droite est-elle requise ?

Objections :

1. Il semble que l’intention droite du ministre est requise à l’accomplissement du sacrement. Car, d’après ce qui a été dit l’intention du ministre doit se conformer à l’intention de l’Église. Mais celle-ci est toujours droite. Une intention droite de la part du ministre est donc nécessairement requise à l’accomplissement du sacrement.

2. L’intention perverse est pire que l’intention de s’amuser. Mais l’intention de s’amuser annule le sacrement, par exemple dans le cas d’un baptême administré par jeu. A plus forte raison par conséquent, l’intention perverse annule-t-elle le sacrement, par exemple si l’on baptise quelqu’un afin de le tuer ensuite.

3. L’intention perverse vicie toute l’œuvre selon la parole de Notre Seigneur : " Si ton œil est mauvais, tout ton corps est dans les ténèbres " (Lc 11, 34). Mais les sacrements du Christ ne peuvent être viciés par la méchanceté des hommes, dit S. Augustin. Donc, s’il y a intention perverse du ministre, il apparaît qu’il n’y a pas vrai sacrement.

En sens contraire, l’intention perverse relève de la malice du ministre et nous savons que celle-ci n’annule pas le sacrement. Donc l’intention perverse non plus.

Réponse :

L’intention du ministre peut être perverse de deux façons. 1° A l’égard du sacrement lui-même ; par exemple, on ne veut pas conférer le sacrement, mais agir par plaisanterie ; une telle perversion détruit la vérité du sacrement, surtout si l’intention est extérieurement manifeste.

2° L’intention du ministre peut être perverse à l’égard de ce qui suivra le sacrement ; par exemple, si un prêtre veut baptiser une femme pour abuser d’elle, ou s’il consacre le corps du Christ pour en faire un poison. Comme ce qui est premier ne dépend pas de ce qui est postérieur, la vérité du sacrement n’est pas détruite par cette intention perverse. Mais en ayant une pareille intention le ministre commet un péché grave.

Solutions :

1. L’intention de l’Église est droite quant à la réalisation et quant à l’usage du sacrement. Mais si la première rectitude est réalisatrice du sacrement, la seconde est seulement cause de mérite. Ainsi le ministre qui conforme son intention à celle de l’Église quant au premier point et non quant au second, réalise le sacrement mais n’en retire pas de mérite.

2. L’intention de s’amuser ou de plaisanter exclut même la première rectitude de l’intention, celle qui réalise le sacrement. Par conséquent, la comparaison avec l’intention perverse ne porte pas.

3. L’intention perverse ne pervertit que l’œuvre de son auteur, non celle d’un autre. L’intention perverse du ministre ne pervertit dans l’action sacramentelle que ce qui est l’œuvre du ministre, non ce qui est l’œuvre du Christ dont il est le ministre. C’est comme si un intendant avait une mauvaise intention en distribuant aux pauvres des aumônes que son maître lui aurait prescrites avec une intention droite.

 

 

QUESTION 65 — LE NOMBRE DES SACREMENTS

Quatre questions : - 1. Y a-t-il sept sacrements ? - 2. Leur ordre réciproque. - 3. Leur hiérarchie. - 4. Sont-ils tous nécessaires au salut ?

 

            Article 1 — Y a-t-il sept sacrements

Objections :

1. Il semble qu’il ne doit pas y en avoir sept, car ils tiennent leur efficacité de la vertu divine qui est une, et de la vertu de la passion du Christ, qui est une aussi. Car, selon l’épître aux Hébreux (10, 14) : " Par une oblation unique, il a rendu parfaits pour toujours ceux qui sont sanctifiés. " Il ne devrait donc y avoir qu’un seul sacrement.

2. Le sacrement est fait pour remédier au défaut du péché, qui est double : la peine et la faute. Deux sacrements suffiraient donc.

3. Les sacrements sont des actions de la hiérarchie ecclésiastique comme on le voit dans Denys. Mais, comme il le dit lui-même, la hiérarchie a trois actions : purifier, illuminer et parfaire. Il ne doit donc y avoir que trois sacrements.

4. D’après S. Augustin. les sacrements de la loi nouvelle sont moins nombreux que ceux de la loi ancienne. Or, il n’y avait dans la loi ancienne aucun sacrement correspondant à la confirmation et à l’extrême-onction. Donc ceux-ci ne doivent pas compter non plus parmi les sacrements de la loi nouvelle.

5. La luxure n’est pas le plus grave des péchés, nous l’avons montré dans la deuxième Partie : Puisqu’on n’a pas institué de sacrement pour remédier aux autres péchés, il était inutile d’instituer le mariage pour combattre la luxure.

En sens contraire, Les sacrements semblent être plus de sept. Car on appelle sacrements des signes sacrés. Mais il y a dans l’Église bien d’autres réalités saintes exprimées par des signes sensibles, comme l’eau bénite, la consécration de l’autel, etc.

7. Selon Hugues de Saint-Victor, les sacrements de la loi ancienne furent les oblations, les dîmes et les sacrifices. Mais le sacrifice de l’Église est un sacrement : l’eucharistie. Donc les oblations et les dîmes, elles aussi, doivent être appelées des sacrements.

8. Il y a trois catégories de péché : originel, mortel et véniel. Mais le baptême est dirigé contre le péché originel, et contre le péché mortel il y a la pénitence. Il devrait donc y avoir un sacrement, outre les sept que l’on connaît, dirigé contre le péché véniel.

Réponse :

Les sacrements de l’Église ont un double objet, avons-nous dite : perfectionner l’homme en ce qui concerne le culte divin réglé par la religion de la vie chrétienne, et présenter un remède contre le mal du péché. Le nombre de sept sacrements se justifie à ces deux points de vue. En effet la vie spirituelle a une certaine ressemblance avec la vie corporelle, selon la ressemblance générale du corporel avec le spirituel. Or, la vie corporelle comporte un double achèvement : l’un personnel, l’autre relatif à toute la communauté sociale où vit la personne, car l’homme, par sa nature, est un animal social.

Relativement à lui-même, l’homme est achevé de deux façons dans sa vie corporelle : d’une façon essentielle, en acquérant un achèvement de sa vie ; d’une façon accidentelle, en écartant les obstacles à la vie, tels que les maladies et autres maux de même genre.

D’une façon essentielle et directe, la vie corporelle atteint son achèvement selon trois modes.

1° Par la génération qui inaugure l’existence et la vie de l’homme ; ce qui en tient lieu dans sa vie spirituelle, c’est le baptême, régénération spirituelle, selon l’épître à Tite (3, 5) : "Par le bain de régénération. . . "

2° Par la croissance qui fait atteindre à l’homme sa taille et sa force parfaites ; ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c’est la confirmation où l’on reçoit le Saint-Esprit pour être fortifié. D’où cette parole aux disciples, une fois baptisés : " Demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en-haut " (Luc 24, 49).

3° Par la nutrition, qui conserve dans l’homme la vie et la force ; ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c’est l’eucharistie. Comme dit Notre Seigneur en S. Jean (6, 54) : " Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. "

Et ce serait suffisant si l’homme avait, au corporel et au spirituel, une vie qui ne souffre aucune atteinte. Mais, comme il est sujet à l’infirmité corporelle et à l’infirmité spirituelle, qui est le péché, il lui faut un traitement contre cette infirmité. Celui-ci est double : il y a cette guérison qui rend la santé, et ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c’est la pénitence, selon la parole du Psaume (41, 5) : " Guéris mon âme, car j’ai péché contre toi " ; et il y a ce rétablissement de la vigueur première qu’on obtient par un régime et un exercice appropriés ; ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c’est l’extrême-onction qui enlève les séquelles du péché et rend l’homme prêt pour la gloire finale. Aussi, selon l’épître de S. Jacques (5, 15) -. " Et s’il a commis des péchés, ils lui seront pardonnés. "

Relativement à toute la communauté, l’homme est perfectionné de deux façons. D’abord, du fait qu’il reçoit le pouvoir de gouverner la multitude et d’exercer des fonctions publiques. Ce qui correspond à cela dans la vie spirituelle, c’est le sacrement de l’ordre, puisque, d’après l’épître aux Hébreux (7, 27), les prêtres n’offrent pas des victimes pour eux seulement, mais aussi pour le peuple.

Ensuite, à l’égard de la propagation de l’espèce, l’homme est perfectionné par le mariage tant dans la vie corporelle que dans la vie spirituelle, du fait que ce n’est pas là seulement un sacrement, mais d’abord un office naturel.

C’est encore ainsi que se justifie le nombre des sacrements, selon qu’ils sont dirigés contre le défaut du péché ; le baptême est dirigé contre le manque de vie spirituelle ; la confirmation contre la faiblesse de l’âme qui se trouve chez les nouveau-nés ; l’eucharistie contre la fragilité de l’âme en face du péché ; la pénitence contre le péché actuel commis après le baptême ; l’extrême-onction contre les séquelles du péché qui n’ont pas été suffisamment enlevées par la pénitence, du fait de la négligence ou de l’ignorance ; l’ordre contre la désorganisation de la multitude ; le mariage est un remède à la fois contre la convoitise personnelle et contre la diminution de la multitude causée par la mort.

Enfin, certains justifient le nombre des sacrements en les adaptants aux vertus, et aux défauts produits par les péchés et leurs châtiments. Selon ces théologiens, à la foi correspond le baptême, dirigé contre la faute originelle ; à l’espérance, l’extrême-onction dirigée contre la faute vénielle ; à la charité, l’eucharistie dirigée contre la blessure de malice ; à la prudence, l’ordre dirigé contre la blessure d’ignorance ; à la justice, la pénitence dirigée contre le péché mortel ; à la tempérance, le mariage dirigé contre la convoitise ; à la force, la confirmation dirigée contre la blessure de faiblesse.

Solutions :

1. Un même agent principal emploie des instruments divers pour produire divers effets, en harmonie avec l’œuvre à faire. De même la vertu divine et la passion du Christ opèrent en nous par des sacrements divers comme par divers instruments.

2. La faute et la peine diffèrent selon l’espèce en tant qu’il y a des espèces diverses de fautes et de peines ; et elles différent encore selon les états et les positions diverses des hommes. C’est cela qui a obligé à multiplier les sacrements, nous venons de le dire.

3. Dans les actions hiérarchiques, on considère les agents, les bénéficiaires et les actions. Les agents sont les ministres de l’Église, que concerne le sacrement de l’ordre. Les bénéficiaires sont ceux qui s’approchent des sacrements, et ils sont produits par le mariage. Quant aux actions, elles consistent à purifier, illuminer et perfectionner. Mais la purification, considérée isolément, ne peut être un sacrement de la loi nouvelle, qui confère la grâce ; elle n’est le fait que de sacramentaux : la catéchèse et l’exorcisme préparatoires au baptême. Selon Denys la purification et l’illumination réunies sont le fait du baptême et, secondairement, en raison de la rechute, sont le fait de la pénitence et de l’extrême-onction. Enfin, le perfectionnement, quant à la vertu qui est comme la perfection de la forme, ressortit à la confirmation ; et quant à l’obtention de la fin, ressortit à l’eucharistie.

4. Dans le sacrement de confirmation on reçoit la plénitude du Saint-Esprit pour être fortifié ; par l’extrême-onction, on est rendu prêt à recevoir la gloire sans délai. Mais ni l’une ni l’autre ne convient à l’ancienne alliance. C’est pourquoi, dans la loi ancienne, il ne pouvait rien y avoir qui correspondit à ces deux sacrements. Cette absence n’empêche pas les sacrements anciens d’avoir été plus nombreux à cause de la diversité des sacrifices et des cérémonies.

5. Il a fallu employer contre la convoitise charnelle un remède spécial, au moyen d’un sacrement ; d’abord parce que cette convoitise corrompt la nature et pas seulement la personne ; ensuite à cause de son impétuosité qui submerge la raison.

6. L’eau bénite et les autres choses consacrées ne sont pas appelées des sacrements, parce qu’elles ne conduisent pas jusqu’à l’effet du sacrement qui est l’obtention de la grâce. Mais ce sont là des dispositions aux sacrements qui opèrent en écartant un obstacle ; c’est ainsi que l’eau bénite est dirigée contre les pièges du démon et contre les péchés véniels ; ou encore en produisant une certaine capacité à l’égard de l’accomplissement et de la réception des sacrements ; c’est ainsi que, par révérence pour l’eucharistie, on consacre l’autel et les vases qu’on y emploie.

7. Aussi bien dans la loi de nature que dans la loi mosaïque, les oblations et les dîmes n’avaient pas pour seule fin l’entretien des ministres du culte et des pauvres, mais encore une préfiguration ; c’est à cause de celle-ci qu’elles étaient des sacrements. Mais aujourd’hui elles ont perdu leur symbolisme figuratif, c’est pourquoi elles n’ont plus rang de sacrement.

8. L’infusion de la grâce n’est pas requise à l’effacement du péché véniel. C’est pourquoi, puisque tout sacrement de la loi nouvelle produit une infusion de grâce, aucun n’est institué directement contre le péché véniel, que certains sacramentaux comme l’eau bénite et les rites analogues suffisent à enlever. Certains affirment pourtant que l’extrême-onction est dirigée contre le péché véniel. Mais nous traiterons cette question en son lieu.

 

            Article 2 — L’ordre réciproque des sacrements

Objections :

1. L’énumération qui précède ne présente pas un ordre satisfaisant. Car l’Apôtre dit (1 Co 15, 46) : " Ce qui est animal vient en premier, et ensuite ce qui est spirituel. " Or, tandis que le mariage engendre l’homme selon la génération animale, le baptême le réengendre, par une seconde génération, spirituelle cette fois. Le mariage doit donc passer avant le baptême dans l’énumération des sacrements.

2. Le sacrement de l’ordre confère le pouvoir d’être agent dans les actions sacramentelles. Mais l’agent précède son action. L’ordre doit donc avoir le premier rang, avant le baptême et les autres sacrements.

3. L’eucharistie est une nourriture spirituelle, et la confirmation est définie par analogie avec la croissance. Mais la nourriture étant cause de la croissance, doit la précéder. Donc l’eucharistie précède la confirmation.

4. La pénitence prépare l’homme à l’eucharistie ; elle doit donc la précéder comme la préparation précède le plein accomplissement.

5. Le plus proche de la fin ultime est ce qui vient en dernier. L’extrême-onction est, de tous les sacrements, le plus proche de la béatitude, notre fin ultime. C’est donc à elle de clore la liste des sacrements.

En sens contraire, tout le monde range habituellement les sacrements dans l’ordre adopté à l’article précédent.

Réponse :

On peut facilement justifier l’ordre des sacrements d’après ce que nous avons dit. Car, de même que l’unité précède la multiplicité, les sacrements ordonnés à la perfection personnelle précèdent naturellement ceux qui sont ordonnés à la perfection du groupe. C’est pourquoi l’on range en tout dernier lieu l’ordre et le mariage ; et si l’on met le mariage après l’ordre, c’est parce qu’il réalise moins parfaitement la notion de vie spirituelle à laquelle les sacrements sont ordonnés.

Parmi les sacrements ordonnés à la perfection personnelle, ceux qui sont ordonnés essentiellement à la perfection de la vie spirituelle passent par nature avant ceux qui n’y sont ordonnés qu’accidentellement, c’est-à-dire pour écarter les suites nuisibles d’un accident survenu. Les derniers sacrements sont donc la pénitence et l’extrême-onction, et celle-ci qui consomme la guérison, est rangée après la pénitence qui l’inaugure.

Parmi les trois autres sacrements, évidemment le baptême, régénération spirituelle, vient en premier ; la confirmation vient ensuite, qui est ordonnée à procurer une force spirituelle pleinement possédée ; on nomme en dernier lieu l’eucharistie, ordonnée à l’achèvement final.

Solutions :

1. Le mariage, en tant qu’ordonné à la vie animale, est un office naturel. Mais en tant qu’il comporte quelque spiritualité, il est un sacrement ; et comme il est celui des sacrements qui en comporte le moins, on le met en fin de liste.

2. Avant d’agir, il faut être en pleine possession de son être. C’est pourquoi les sacrements qui achèvent l’être personnel viennent avant le sacrement de l’ordre par lequel on est établi dans l’office de perfectionner les autres.

3. La nourriture précède la croissance pour la causer, elle la suit également pour conserver à l’homme toute la corpulence et toute la force à laquelle la croissance l’a fait parvenir. C’est pourquoi on peut mettre l’eucharistie avant la confirmation, avec Denys, ou après, avec le Maître des Sentences.

4. Cet argument serait juste si la pénitence était nécessaire pour préparer à l’eucharistie. Or, cela n’est pas, car un homme indemne de péché mortel n’a pas besoin de se préparer par la pénitence à la réception de l’eucharistie. On voit donc que la pénitence ne prépare à l’eucharistie que par accident, c’est-à-dire dans l’hypothèse du péché. Comme il est dit dans l’Écritures : " Toi, Seigneur, Dieu des justes, tu n’as pas imposé de pénitence aux justes. "

5. Nous avons expliqué pour quelle raison l’extrême-onction occupe la dernière place parmi les sacrements ordonnés à la perfection personnelle.

 

            Article 3 — La hiérarchie des sacrements

Objections :

1. Il semble que l’eucharistie ne soit pas le plus important des sacrements, car, dit Aristote le bien commun est plus important que le bien d’un seul. Le mariage est ordonné au bien commun de l’espèce humaine réalisé par la génération, et l’eucharistie est ordonnée au bien propre de celui qui la reçoit. Donc celle-ci n’est pas le plus important des sacrements.

2. Les sacrements conférés par un ministre supérieur semblent les plus dignes. La confirmation et l’ordre sont conférés exclusivement par l’évêque qui est supérieur à un simple prêtre, lequel confère l’eucharistie. Ces deux sacrements sont donc plus importants que l’eucharistie.

3. Les sacrements sont d’autant plus importants qu’ils ont plus d’efficacité. Les sacrements qui impriment un caractère : le baptême, la confirmation et l’ordre, sont donc plus importants que l’eucharistie qui n’en imprime pas.

4. L’être dont d’autres êtres dépendent semble plus important qu’eux. Mais l’eucharistie dépend du baptême, car on ne peut recevoir l’eucharistie si l’on n’est baptisé. Le baptême est donc plus important que l’eucharistie.

En sens contraire, Denys affirme : " On voit qu’aucune fonction sacramentelle n’est achevée sans la très sainte eucharistie. Ce sacrement est donc le plus important, celui qui achève tous les autres. "

Réponse :

En thèse absolue, l’eucharistie est le plus important de tous les sacrements. Cela se manifeste de trois façons.

1° En raison du contenu de ce sacrement l’eucharistie contient substantiellement le Christ lui-même, tandis que les autres sacrements ne contiennent qu’une vertu instrumentale reçue du Christ en participation, nous l’avons montré plus haut ; or, en tout domaine, l’être par essence est plus important que l’être participé.

2° Cela se voit par la connexion interne de l’organisme sacramentel, car tous les autres sacrements sont ordonnés à celui-ci comme à leur fin. En effet, il est évident que le sacrement de l’ordre a pour fin la consécration de l’eucharistie. Le sacrement de baptême est ordonné à la réception de l’eucharistie, et il est perfectionné par la confirmation, qui empêche de se soustraire, par crainte, à un si grand sacrement. Puis, la pénitence et l’extrême-onction préparent l’homme à recevoir dignement le corps du Christ. Le mariage aussi rejoint ce sacrement, au moins par son symbolisme, en tant qu’il représente la conjonction du Christ et de l’Église, dont l’union est figurée par le sacrement de l’eucharistie. D’où la parole de l’Apôtre (Ep 5, 23) : " Ce sacrement (le mariage) est grand. Je parle, moi, du Christ et de l’Église. "

3° Cette supériorité de l’eucharistie apparaît dans les rites sacramentels. Car l’administration de presque tous les sacrements se consomme dans l’eucharistie, comme le remarque Denys (argument en sens contraire) ; ainsi voit-on les nouveaux ordonnés communier et aussi les nouveaux baptisés s’ils sont adultes.

Quant aux autres sacrements, on peut les hiérarchiser selon de multiples points de vue. Au point de vue de la nécessité, le baptême est le plus important des sacrements ; au point de vue de la perfection, c’est l’ordre ; et la confirmation se situe entre les deux. Quant à la pénitence et à l’extrême-onction, ils appartiennent à une catégorie inférieure par rapport aux précédents, parce que, nous l’avons dit ils sont ordonnés à la vie chrétienne non pas essentiellement, mais par accident, c’est-à-dire pour remédier à un défaut survenu. Dans cette catégorie, toutefois, l’extrême-onction se rapporte à la pénitence comme la confirmation au baptême ; c’est-à-dire que si la pénitence est plus nécessaire, l’extrême-onction confère une perfection plus haute.

Solutions :

1. Le mariage est ordonné au bien commun corporel. Mais le bien commun spirituel de toute l’Église réside substantiellement dans le sacrement de l’eucharistie lui-même.

2. L’ordre et la confirmation députent les fidèles du Christ à des fonctions spéciales qui se rattachent à la fonction du prince. C’est pourquoi l’administration de ces deux sacrements est réservée à l’évêque qui, dans l’Église, est comme le prince. Mais le sacrement de l’eucharistie ne députe à aucune fonction, étant plutôt la fin de toutes les fonctions, nous venons de le dire.

3. Le caractère sacramentel est, nous l’avons dit une certaine participation du sacerdoce du Christ. Aussi le sacrement qui unit à l’homme le Christ lui-même est-il plus digne que le sacrement qui imprime le caractère du Christ.

4. Cet argument porte si on se place au point de vue de la nécessité. Ainsi le baptême est le plus important des sacrements en tant qu’il est le plus nécessaire. De même l’ordre et la confirmation jouissent d’une certaine prééminence en raison de celui qui les administre, et le mariage en raison de son symbolisme : car rien n’empêche un être qui n’est pas purement et simplement le plus digne, d’être le plus digne à un point de vue particulier.

 

            Article 4 — Les sacrements sont-ils tous nécessaires au salut ?

Objections :

1. Tous les sacrements sont nécessaires au salut. En effet, ce qui n’est pas nécessaire est superflu, et aucun sacrement n’est superflu, car Dieu ne fait rien en vain.

2. De même que Notre Seigneur a dit du baptême (Jn 3, 5) : " Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu ", de même a-t-il dit de l’eucharistie (Jn 6, 54) : " Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. " L’eucharistie est donc un sacrement aussi nécessaire que le baptême.

3. On peut être sauvé sans le sacrement de baptême, pourvu que ce soit la nécessité et non le mépris de la religion qui ait exclu le sacrement comme on le verra plus loin. Mais il est vrai pour n’importe quel sacrement que le mépris de la religion est un obstacle au salut. C’est donc à un titre égal que tous les sacrements sont nécessaires au salut.

En sens contraire, les enfants sont sauvés par le seul baptême, sans qu’il soit besoin des autres sacrements.

Réponse :

La qualification de " nécessaire " à l’égard de la fin - et telle est la nécessité dont il s’agit ici - peut être attribuée de deux façons.

On peut appeler nécessaire ce sans quoi on ne peut obtenir la fin ; ainsi la nourriture est nécessaire à la vie humaine. C’est là quelque chose d’absolument nécessaire à la fin. Mais on appelle aussi nécessaire ce sans quoi on n’obtient pas la fin aussi commodément ; c’est ainsi qu’un cheval est nécessaire au voyage. Ce n’est pas là quelque chose d’absolument nécessaire à la fin.

Trois sacrements sont nécessaires au premier sens : deux pour l’individu, le baptême absolument, la pénitence en raison d’un péché mortel commis après le baptême. Le sacrement de l’ordre est nécessaire de la même façon, mais pour l’Église, car "où il n’y a pas de chef, la communauté s’écroule ", constatent les Proverbes (11, 14). Quant aux autres sacrements, ils ne sont nécessaires qu’au second sens : car la confirmation achève, pour ainsi dire le baptême, et l’extrême onction achève la pénitence ; quant au mariage, il conserve la communauté de l’Église en renouvelant ses membres.

Solutions :

1. Pour qu’un être ne soit pas superflu il suffit qu’il soit nécessaire au premier ou au second des sens que nous avons distingués ; c’est ainsi que tous les sacrements sont nécessaires, on vient de le dire.

2. Il faut entendre cette parole de Notre Seigneur de la manducation spirituelle et non pas seulement de la manducation sacramentelle ; c’est l’explication de S. Augustin.

3. Le mépris de n’importe quel sacrement est un obstacle au salut, mais il n’y a pas mépris du fait qu’on ne s’inquiète pas de recevoir un sacrement qui n’est pas nécessaire au salut. Autrement tous ceux qui ne reçoivent pas le sacrement de l’ordre et qui ne contractent pas mariage, mépriseraient ces sacrements.

LE BAPTÊME

Il faut maintenant étudier les sacrements les uns après les autres en ce qu’ils ont de propre : le baptême d’abord, puis la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrême-onction, l’ordre et le mariage. Au sujet du baptême, nous étudierons : 1° Le baptême lui-même (Q. 66-69). - 2° Les rites qui y préparent (Q. 70-72).

Sur le baptême lui-même nous considérerons : I. La nature du sacrement (Q. 66). - Il. Son ministre (Q. 67). - III. Ceux qui le reçoivent (Q. 68). - IV. Ses effets (Q. 69).

 

 

QUESTION 66 — LA NATURE DU SACREMENT DE BAPTÊME

1. Qu’est-ce que le baptême ? est-ce l’ablution ? - 2. L’institution de ce sacrement. - 3. L’eau en est-elle la matière propre ? - 4. Faut-il de l’eau pure ? - 5. La forme : " Moi, je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit " convient-elle à ce sacrement ? - 6. Pourrait-on baptiser sous cette forme " Moi, je te baptise au nom du Christ ? " - 7. L’immersion est-elle nécessaire au baptême ? 8. Faut-il une triple immersion ? - 9. Le baptême peut-il être réitéré ? - 10. La liturgie du baptême. - 11. Les différentes sortes de baptême. - 12. Comparaison entre ces baptêmes.

 

            Article 1 — Qu’est-ce que le baptême ? Est-ce une ablution ?

Objections :

1. L’ablution du corps passe et le baptême demeure. Donc le baptême n’est pas l’ablution elle-même, mais plutôt, comme dit le Damascène, " une régénération, un sceau, une sauvegarde, une illumination ".

2. Hugues de Saint-Victor dit que "le baptême c’est l’eau sanctifiée par la parole de Dieu pour laver nos fautes ". Mais l’eau n’est pas l’ablution elle-même, c’est plutôt l’ablution qui est l’usage qu’on fait de l’eau.

3. S. Augustin dit : " La parole s’ajoute à l’élément pour faire le sacrement. " Or ici l’élément c’est l’eau ; le baptême est donc l’eau elle-même, et non pas l’ablution.

En sens contraire, il est écrit (Si 34, 25) " Celui qui se lave après avoir touché un mort et de nouveau le touche, que lui sert son ablution ? " Il semble donc que le baptême soit l’ablution elle-même.

Réponse :

Dans le baptême, trois choses sont à considérer : ce qui est seulement signe (sacramentum tantum), ce qui est à la fois réalité et signe (res et sacramentum) ; ce qui est seulement réalité (res tantum). Ce qui n’est que sacrement, est quelque chose de visible et d’extérieur, signe d’un effet intérieur : c’est bien cela qui constitue le sacrement. Or ici, ce qui se présente aux sens, c’est l’eau elle-même, et l’usage qu’on en fait, c’est-à-dire l’ablution. C’est pourquoi certains ont pris l’eau elle-même pour le sacrement. Tel semble être le sens des mots d’Hugues de Saint-Victor. qui définit tout sacrement : " un élément matériel ", et le baptême : " de l’eau ".

Mais cela n’est pas vrai. Puisque les sacrements de la loi nouvelle opèrent une certaine sanctification, le sacrement se réalise là où se réalise cette sanctification. Or ce n’est pas dans l’eau que se réalise cette sanctification ; l’eau ne possède qu’une vertu sanctifiante instrumentale, qui n’est pas permanente, mais qui s’écoule dans l’homme, sujet de la sanctification proprement dite. Ce n’est donc pas dans l’eau que s’accomplit le sacrement, mais dans l’application de cette eau à l’homme, c’est-à-dire dans l’ablution. Aussi le Maître des Sentences dit-il que " le baptême est une ablution extérieure du corps, accomplie avec les paroles prescrites ".

Quant à ce qui est à la fois réalité et sacrement, c’est le caractère baptismal : réalité signifiée par l’ablution extérieure, et par là même signe sacramentel de la justification intérieure. Celle-ci dans ce sacrement, est seulement réalité signifiée et non point signe.

Solutions :

1. Ce qui est réalité et sacrement le caractère ; et ce qui est réalité seulement : la justification intérieure, sont deux effets permanents ; mais si le caractère demeure et ne peut être effacé, la justification intérieure demeure et peut se perdre. Le Damascène a donc défini le baptême non quant à son élément extérieur, qui est sacrement seulement, mais quant à son effet intérieur.

Deux des définitions qu’il a données s’appliquent au caractère : le "sceau" et la " sauvegarde ", parce que de soi le caractère, qu’on appelle aussi " sceau ", garde l’âme dans le bien. - Deux autres définitions s’appliquent à la réalité ultime du sacrement : elle est une " régénération ", en ce que par le baptême l’homme commence la vie nouvelle de la justice ; et une " illumination " : ce qui s’entend spécialement de la foi par laquelle l’homme reçoit la vie spirituelle, selon le mot d’Habacuc (2, 4) : " Le juste vit de la foi. " Or le baptême est une profession de foi : c’est pourquoi on l’appelle " sacrement de la foi ".

De même Denys défini le baptême par rapport aux autres sacrements, quand il dit qu’il est "comme le principe des plus saintes prescriptions de l’action sacrée, qui donne à notre âme les dispositions capables de les recevoir ". Et par rapport à la gloire céleste, qui est la fin générale de tous les sacrements, quand il ajoute que le baptême ouvre le chemin qui nous fait monter jusqu’au repos du ciel. Et encore par rapport au principe de la vie spirituelle, quand il l’appelle " la transmission de notre sacrée et très divine régénération ".

2. Nous venons de le dire : il n’est pas nécessaire de suivre sur ce point l’opinion d’Hugues de Saint-Victor. - On peut cependant l’entendre correctement en disant que le baptême est l’eau, parce que l’eau est le principe matériel du baptême. Ce serait alors définir le baptême par sa cause.

3. Si l’union de la parole à l’élément sensible constitue le sacrement, celui-ci se réalise non pas dans l’élément lui-même, mais dans l’homme à qui l’on applique cet élément sous forme d’ablution. Et c’est ce que signifient les paroles qui s’ajoutent à l’élément : "Je te baptise, etc. "

 

            Article 2 — L’institution de ce sacrement

Objections :

1. Il semble que le baptême fut institué après la passion du Christ, car la cause précède son effet : or c’est la passion du Christ qui agit dans les sacrements de la loi nouvelle. La passion du Christ a donc précédé l’institution des sacrements de la loi nouvelle, et particulièrement l’institution du baptême, puisque l’Apôtre dit (Rm 6, 3) : " Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est en sa mort que nous avons été baptisés. "

2. Les sacrements de la loi nouvelle tiennent leur efficacité du commandement du Christ. Or le Christ a donné à ses disciples l’ordre de baptiser après sa passion et sa résurrection, en disant (Mt 28, 19) : " Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, etc. " Il semble donc que c’est après la passion du Christ que le baptême fut institué.

3. Le baptême est un sacrement nécessaire, on l’a dit plus haut ; aussi semble-t-il que dès son institution, les hommes étaient obligés de le recevoir. Or, avant la passion du Christ, les hommes n’étaient pas obligés au baptême, puisque la circoncision, à laquelle a succédé le baptême, gardait encore toute sa valeur. Il semble donc que le baptême n’a pas été institué avant la passion du Christ.

En sens contraire, S. Augustin dit : " C’est par l’immersion du Christ dans l’eau que l’eau lave tous nos péchés. " Mais cela se fit avant la Passion. Donc le baptême a été institué avant la Passion.

Réponse :

On l’a dit plus haut. les sacrements tiennent de leur institution le pouvoir de conférer la grâce. Il semble donc qu’un sacrement est institué au moment où il reçoit le pouvoir de produire son effet. Or le baptême a reçu ce pouvoir lors du baptême du Christ. C’est donc alors vraiment que le baptême a été institué, quant au sacrement lui-même.

Mais l’obligation de recevoir ce sacrement ne fut imposée aux hommes qu’après la Passion et la résurrection. D’abord parce que la passion du Christ mit fin aux sacrements figuratifs, que remplacent le baptême et les autres sacrements de la loi nouvelle. Puis parce que le baptême configure l’homme à la passion et à la résurrection du Christ, en le faisant mourir au péché et renaître à une vie nouvelle dans la justice. Aussi fallait-il que le Christ souffre et ressuscite avant que soit imposée aux hommes la nécessité de se configurer à sa mort et à sa résurrection.

Solutions :

1. Même avant la passion du Christ, le baptême tenait son efficacité de cette passion, en tant qu’il la préfigurait. Cependant c’était autrement que les sacrements de la loi ancienne : ceux-ci n’étaient que des figures ; mais le baptême tenait sa vertu justificatrice du Christ lui-même, de qui la passion elle-même tient son pouvoir salutaire.

2. Il ne fallait pas que le Christ contraigne les hommes à observer des figures multiples, puisqu’il venait par sa vérité abolir les figures en les accomplissant. Aussi avant sa passion, il n’a pu faire un précepte du baptême qu’il avait institué, mais il a voulu que les hommes s’accoutument peu à peu à en faire usage et cela surtout pour le peuple juif, dont tous les actes étaient figuratifs, dit S. Augustin. Mais après sa passion et sa résurrection, ce n’est pas seulement aux Juifs, mais aussi aux païens, qu’il imposa par son commandement l’obligation du baptême en disant : " Allez, enseignez toutes les nations. . . "

3. Les sacrements ne sont obligatoires que quand ils sont l’objet d’un précepte. Or on l’a dit, cela n’eut pas lieu avant la Passion. Par conséquent, ce que le Seigneur dit à Nicodème (Jn 3, 5) : "Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu ", semble viser l’avenir plus que le présent.

 

            Article 3 — L’eau est-elle la matière propre du baptême ?

Objections :

1. Il semble que non, car le baptême, selon Denys et le Damascène a le pouvoir d’illuminer. Or cela convient surtout au feu. Donc le baptême devrait se faire dans le feu plutôt que dans l’eau, et d’autant plus que Jean Baptiste, en annonçant le baptême du Christ, dit : " Il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu " (Mt 3, 11).

2. Le baptême signifie l’ablution des péchés ; mais on peut laver avec d’autres liquides que l’eau : avec le vin, l’huile, etc. Donc on pourrait aussi s’en servir pour le baptême, et l’eau n’est pas la matière propre du baptême.

3. Les sacrements de l’Église, on l’a vu, ont coulé du côté du Christ fixé à la croix. Or il en coula non seulement de l’eau, mais aussi du sang. Il semble donc qu’on puisse baptiser aussi avec du sang. Et cela semble convenir davantage à l’effet du baptême, puisque l’Apocalypse dit (1, 5) : "Il nous a lavés de nos péchés en son sang. "

4. S. Augustin et Bède disent que " par le contact de sa chair très pure le Christ a conféré aux eaux le pouvoir de régénérer et de purifier ". Mais toutes les eaux ne sont pas en communication avec l’eau du Jourdain que le Christ a touchée avec sa chair. N’importe quelle eau ne peut donc pas servir au baptême, et par conséquent ce n’est pas l’eau, comme telle, qui est la matière propre du baptême.

5. Si l’eau comme telle était la matière propre du baptême, il ne serait pas nécessaire de la soumettre à d’autres rites, avant de s’en servir pour le baptême. Mais on exorcise et on bénit l’eau qui doit servir au baptême solennel. Il semble donc que l’eau en tant que telle n’est pas la matière propre du baptême.

En sens contraire, le Seigneur dit (Jn 3, 5) "Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. "

Réponse :

Par l’institution divine, l’eau est la matière propre du baptême. Et cela est plein de convenances. 1° La nature du baptême, c’est de nous engendrer à la vie spirituelle ; et cela convient absolument à l’eau : les germes, d’où naissent tous les vivants, plantes et animaux, sont humides, au point que certains philosophes ont fait de l’eau le principe de toutes choses.

2° Les propriétés de l’eau conviennent aux effets du baptême. Par l’humidité, elle lave ; et par là elle est apte à signifier et à causer l’ablution des péchés. Sa fraîcheur tempère l’excès de chaleur, et par là elle peut apaiser le feu de la convoitise. Elle est transparente et peut recevoir la lumière, et par là elle convient au baptême qui est " le sacrement de la foi ".

3° L’eau peut convenablement représenter les mystères du Christ par lesquels nous sommes justifiés. Comme le dit S. Jean Chrysostome : " Quand nous plongeons la tête dans l’eau, c’est comme un tombeau dans lequel le vieil homme est enseveli, il y est plongé et y disparaît ; ensuite c’est un homme nouveau qui renaît. "

4° L’eau est une matière commune et abondante ; elle convient donc à un sacrement aussi nécessaire, puisqu’on peut facilement la trouver partout.

Solutions :

1. L’illumination appartient au feu comme à son principe actif Or celui qui est baptisé ne devient pas source de lumière, mais il est illuminé par la foi qui vient " de l’audition " de la Parole (Rm 10, 17). L’eau convient donc au baptême plus que le feu.

Quant à ce que dit Jean Baptiste " Il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu ", cela peut s’entendre, avec S. Jérôme, de l’Esprit Saint qui apparut sur les disciples sous la forme de langues de feu ; - ou avec S. Jean Chrysostome de la tribulation qui purifie les péchés et apaise la convoitise ; - ou, comme dit S. Hilaire. " ceux qui ont été baptisés dans l’Esprit Saint, il reste encore à recevoir la purification finale dans le feu du jugement ".

2. Le vin et l’huile ne servent pas aussi communément que l’eau pour les ablutions. Et ils ne lavent pas aussi parfaitement, car ils laissent après eux une odeur, ce qui n’est pas le cas de l’eau. De plus on ne les trouve pas aussi communément et aussi abondamment que l’eau.

3. Du côté du Christ l’eau coula pour nous laver, le sang pour nous racheter. Aussi le sang se rapporte-t-il à l’eucharistie, et l’eau au baptême. Celui-ci cependant tient sa puissance purificatrice de la vertu du sang du Christ.

4. La vertu du Christ s’est transmise à toutes les eaux, non à cause d’une continuité locale, mais à cause de leur communauté spécifique. Comme dit S. Augustin,, " la bénédiction qui a jailli du baptême du Sauveur, s’est répandue comme un fleuve spirituel, et a rempli le lit de tous les fleuves et les profondeurs de toutes les sources ".

5. La bénédiction de l’eau n’est pas nécessaire au baptême, mais elle appartient à une solennité qui sert à exciter la dévotion des fidèles et à empêcher que la ruse du démon ne fasse obstacle à l’effet du baptême.

 

            Article 4 — Faut-il de l’eau pure ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’eau que nous connaissons n’est pas de l’eau pure ; cela est évident pour l’eau de mer, à laquelle sont mélangés beaucoup d’éléments terrestres, comme le montre Aristote. Et cependant on peut s’en servir pour le baptême. Donc l’eau pure n’est pas requise pour le baptême.

2. Dans la célébration solennelle du baptême, on mélange du chrême à l’eau. Mais cela corrompt la pureté et la simplicité de l’eau.

3. L’eau qui a coulé du côté du Christ fixé à la croix était, on l’a dit, la figure du baptême. Mais il semble que ce n’était pas de l’eau pure, car dans un corps mixte, comme était le corps du Christ, les éléments ne sont pas à l’état pur.

4. L’eau de lessive n’est pas de l’eau pure, puisqu’elle a des propriétés opposées à celles de l’eau, comme de chauffer et de dessécher. Et cependant on peut s’en servir pour le baptême, comme des eaux thermales qui passent par des veines sulfureuses, de même que la lessive est filtrée sur de la cendre.

5. L’eau de rose est produite par la distillation des roses, et les autres eaux chimiques par la distillation de certains corps. Mais il semble qu’on puisse s’en servir pour le baptême, comme des eaux de pluie, produites par condensation des vapeurs. Et comme ces eaux ne sont pas pures et sans mélange, il semble donc que l’eau pure et sans mélange n’est pas requise pour le baptême.

En sens contraire, on vient de dire que la matière propre du baptême est l’eau. Mais il n’y a que de l’eau sans mélange à être spécifiquement de l’eau. Donc l’eau pure et sans mélange est de toute nécessité requise pour le baptême.

Réponse :

L’eau peut perdre sa pureté et sa simplicité de deux façons : par mélange avec un autre corps, ou par altération. Et l’un et l’autre peut être naturel ou artificiel. Mais l’art est moins puissant que la nature : la nature donne la forme substantielle, ce que l’art ne peut pas faire. Aussi toutes les formes artificielles sont accidentelles, sauf si l’art fait agir un agent approprié sur la matière correspondante, comme le feu sur le combustible. C’est ainsi que certains animaux naissent de matières en décomposition.

Toute modification artificielle de l’eau, soit par mélange, soit par altération, n’en change donc pas la nature. Aussi peut-on s’en servir pour le baptême, à moins que l’eau ne soit mélangée à un corps en si petite quantité que le composé serait autre chose que de l’eau ; la boue par exemple est de la terre plutôt que de l’eau, et le vin coupé est du vin plus que de l’eau.

Mais les changements naturels peuvent parfois modifier l’espèce de l’eau ; cela se produit quand l’eau devient, par la nature, élément d’un corps mixte : ainsi l’eau, changée en jus de raisin, est du vin, et n’a plus les caractères spécifiques de l’eau. Parfois aussi la nature peut produire des changements qui ne modifient pas l’espèce, qu’il s’agisse d’altération, comme pour l’eau chauffée par le soleil, ou de mélange, comme l’eau de rivière troublée par le mélange de parcelles de terre.

Par conséquent l’eau, quelle qu’elle soit, quelque changement qu’elle ait subi, qui n’a pas perdu sa nature d’eau, peut servir pour le baptême. Mais si elle l’a perdue, on ne peut s’en servir.

Solutions :

1. Les changements que subit l’eau de mer, ou les eaux que l’on rencontre communément, ne sont pas tels qu’ils changent la nature de l’eau. Par conséquent, on peut s’en servir pour le baptême.

2. Le mélange de chrême ne change pas la nature de l’eau. Il en est de même pour l’eau de cuisson des viandes, ou autres préparations semblables, à moins que les matières qui ont ainsi cuit dans l’eau n’y soient tellement dissoutes que le liquide ainsi obtenu soit moins de l’eau qu’une substance étrangère ; on pourra en juger à sa consistance. Cependant si de cette gelée on peut extraire de l’eau limpide, on pourra s’en servir pour le baptême, ainsi qu’on peut le faire avec l’eau exprimée de la boue, bien qu’on ne puisse pas baptiser avec de la boue.

3. L’eau qui a coulé du côté du Christ suspendu à la croix ne fut pas une humeur lymphatique, comme l’ont dit certains auteurs. On ne pourrait en effet conférer le baptême avec un tel liquide, non plus qu’avec du sang, du vin, un suc de plante quelconque. Ce fut de l’eau pure, sortant miraculeusement du corps mort, comme le sang, pour prouver la vérité du corps du Seigneur, contre l’hérésie des manichéens : l’eau, un des quatre éléments, montrait que le corps du Christ était vraiment composé des quatre éléments, et le sang montrait qu’il était composé de quatre humeurs.

4. On peut employer pour le baptême l’eau de lessive, et l’eau des bains sulfureux ; ces eaux ne sont ni artificiellement ni naturellement incorporées à des corps mixtes, mais elles reçoivent seulement quelques modifications pour être passées à travers certains corps.

5. L’eau de rose est un suc extrait de la rose ; on ne peut donc s’en servir pour le baptême, ni, pour la même raison, des eaux chimiques ou du vin. Il n’en est pas de même des eaux de pluie, qui sont produites par la condensation des vapeurs nées de l’eau, et ne renferment qu’une très faible proportion de liquides venant des corps mixtes ; ceux-ci d’ailleurs, sous l’action de la nature qui est plus puissante que l’art, sont lors de cette condensation réduits en eau véritable, ce que l’art ne saurait faire. Aussi l’eau de pluie ne garde aucune propriété des corps mixtes ; on n’en peut dire autant de l’eau de rose et des eaux chimiques.

 

            Article 5 — La forme — " Moi, je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ", convient-elle à ce sacrement ?

Objections :

1. Il semble que non, car une action doit être attribuée à l’agent principal plutôt qu’au ministre. Or, dans le sacrement, le ministre agit comme un instrument, mais l’agent principal du baptême est le Christ, comme il est dit en S. Jean (1, 33) : " Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et se reposer, c’est lui qui baptise. " Il ne convient donc pas que le ministre dise : "je te baptise", et d’autant moins que dans le mot baptizo (je baptise) le pronom ego (moi) est sous-entendu, il est donc superflu de l’ajouter.

2. Il n’est pas nécessaire que celui qui exerce une activité quelconque fasse mention expresse de l’activité qu’il exerce ; ainsi celui qui enseigne n’a pas besoin de dire : " je vous enseigne. " Or le Seigneur a donné en même temps l’ordre de baptiser et celui d’enseigner, quand il a dit (Mt 28, 19) : " Allez, enseignez toutes les nations, etc. " Il n’est donc pas nécessaire que dans la forme du baptême on fasse mention de l’acte du baptême.

3. Parfois le baptisé n’entend pas les paroles, par exemple si c’est un sourd ou un petit enfant. Il est donc inutile de lui adresser la parole : " Lorsqu’on ne t’écoute pas, garde tes discours " (Si 32, 6 Vg). Il ne convient donc pas de dire : " je te baptise " en s’adressant à celui que l’on baptise.

4. Il peut arriver que plusieurs personnes soient baptisées en même temps par plusieurs ministres, comme lorsque les Apôtres baptisèrent le même jour trois mille personnes, et un autre jour cinq mille (Ac 2, 41 ; 4, 4). La forme du baptême ne devrait donc pas se limiter au singulier ("je te baptise "), mais on devrait pouvoir dire : " Nous vous baptisons. "

5. Le baptême tient sa vertu de la passion du Christ. Or, c’est sa forme qui fait du baptême un rite saint. Il semble donc que la forme du baptême devrait faire mention de la passion du Christ.

6. Le nom désigne les propriétés de la chose. Mais les propriétés personnelles des personnes divines sont au nombre de trois, nous l’avons dit dans la première Partie. On ne devrait donc pas dire : "Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ", mais bien " aux noms ".

7. La personne du Père n’est pas désignée seulement par le nom de Père, mais aussi par celui d’Innascible et de Générateur ; le Fils est désigné aussi par les noms de Verbe, d’Image, d’Engendré ; le Saint-Esprit peut être aussi désigné par les noms de Don et d’Amour, de Celui qui procède. Il semble donc qu’on pourrait employer ces noms pour conférer le baptême.

En sens contraire, le Seigneur a dit (Mt 28, 19) : "Allez, enseignez toutes les nations, et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. "

Réponse :

Le baptême est consacré par sa forme, dit S. Paul (Ep 5, 26) : " Il l’a purifiée par le bain d’eau avec la parole de vie. " Et S. Augustin : " Le baptême est consacré par les paroles évangéliques. " Il faut donc que la forme exprime la cause du baptême.

Or cette cause est double : l’une, la cause principale d’où il tient sa vertu, c’est la sainte Trinité ; l’autre, instrumentale, c’est le ministre qui confère le rite sacramentel. La forme du baptême doit donc faire mention de l’une et de l’autre. On désigne le ministre quand on dit : " je te baptise ", et la cause principale, quand on dit : " Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. " Ainsi cette formule convient bien au baptême.

Solutions :

1. Une action est attribuée à l’instrument comme à l’agent immédiat, et à l’agent principal comme à celui par la vertu duquel agit l’instrument. Aussi la forme du baptême désigne-t-elle justement le ministre dans l’exercice de son rôle, quand on dit : " je te baptise ", et d’ailleurs le Seigneur lui-même a attribué aux ministres l’action du baptême, en disant : " Baptisez-les, etc. " - La cause principale, par la vertu de laquelle est donné le sacrement, est désignée quand on dit : " Au nom du Père, etc. ", car le Christ ne baptise pas sans le Père et sans l’Esprit Saint.

Les Grecs n’attribuent pas au ministre l’acte du baptême, pour éviter l’erreur des anciens qui attribuaient au baptiseur la vertu du baptême, et disaient : " Moi je suis de Paul et moi de Céphas " (1 Co 1, 12). C’est pourquoi ils disent : " Que le serviteur du Christ un tel soit baptisé au nom du Père, etc. " Et comme ces mots expriment l’acte posé par le ministre, avec l’invocation de la Trinité, c’est un vrai sacrement.

L’addition du pronom ego dans notre formule n’appartient pas à la substance de la forme, mais n’est là que pour exprimer plus fortement l’intention.

2. L’homme peut se laver dans l’eau pour bien des raisons ; il faut donc que la formule sacramentelle détermine le sens de cette ablution. Cela ne se ferait pas en disant : " Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ", car nous devons tout faire au nom des trois Personnes (Col 3, 17). Donc si l’acte même du baptême n’est pas exprimé, soit à notre façon, soit à celle des Grecs, le baptême n’est pas valide, d’après une décrétale d’Alexandre III : " Si l’on plonge trois fois un enfant dans l’eau au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, Amen, sans dire : je te baptise au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, Amen, - l’enfant n’est pas baptisé. "

3. Les paroles employées dans la formule sacramentelle sont prononcées non seulement pour signifier, mais aussi pour produire ce qu’elles signifient, puisqu’elles tiennent leur efficacité de la Parole " par qui tout a été fait " (Jn 1, 3). Aussi convient-il de les adresser non seulement aux hommes, mais aussi à des créatures insensibles, comme lorsqu’on dit : " je t’exorcise, créature du sel. "

4. Plusieurs ministres ne peuvent pas baptiser en même temps un seul sujet ; car les actions se multiplient avec les agents qui les accomplissent intégralement. S’il y avait ensemble deux ministres, un muet qui ne pourrait proférer les paroles, et un manchot qui ne pourrait pas faire les gestes, ils ne pourraient pas se mettre à deux pour baptiser, l’un prononçant les paroles, et l’autre faisant les gestes.

Si la nécessité l’exige, on peut baptiser en même temps plusieurs personnes ; chacune d’elles ne recevra qu’un seul baptême. Mais il faudra alors dire " Je vous baptise. " Et cela ne change pas la forme : " vous " n’est pas autre chose que " toi et toi ". Mais quand on dit " nous ", ce n’est pas la même chose que " moi et moi ", mais bien " moi et toi ". Et cela serait changer la forme.

On la changerait aussi en disant : " je me baptise. " C’est pourquoi personne ne peut se baptiser soi-même. Aussi le Christ lui-même a-t-il voulu être baptisé par Jean.

5. La passion du Christ est cause principale par rapport au ministre, elle n’est pourtant que cause instrumentale par rapport à la sainte Trinité. Aussi fait-on mention de la Trinité plutôt que de la passion du Christ.

6. Bien qu’il y ait trois noms personnels pour les trois Personnes, il n’y a pourtant qu’un seul nom essentiel. Or la puissance divine qui agit dans le sacrement, appartient à l’essence. C’est pourquoi on dit " au nom " (singulier), et non pas " aux noms " (pluriel).

7. De même que l’eau est employée pour le baptême parce qu’on s’en sert le plus communément pour les ablutions, de même pour désigner les trois personnes divines dans la forme du baptême, on emploie les noms qui servent le plus communément à les désigner dans telle langue donnée. Et si on se servait d’autres noms, il n’y aurait pas baptême.

 

            Article 6 — Peut-on baptiser sous cette forme " Je te baptise au nom du Christ " ?

Objections :

1. C’est vraisemblable, car notre baptême est un comme notre foi est une. Mais on lit dans les Actes (8, 12) : " Hommes et femmes étaient baptisés au nom de Jésus Christ. " Donc maintenant encore on peut baptiser au nom du Christ.

2. Selon S. Ambroise : " En disant : le Christ, vous nommez aussi le Père qui l’a oint, et le Fils lui-même qui a été oint, et le Saint-Esprit en qui il a été oint. " Mais on peut donner le baptême au nom de la Trinité. Donc aussi au nom du Christ.

3. Le pape Nicolas répondant à une consultation des Bulgares, dit : " Ceux qui ont été baptisés au nom de la sainte Trinité, ou même seulement au nom du Christ, comme on le lit dans les Actes des Apôtres, ne doivent pas être rebaptisés, car, comme dit S. Ambroise, c’est une seule et même chose. " Or il faudrait les rebaptiser si, ayant été baptisés sous cette forme, ils n’avaient pas reçu le baptême. Le baptême peut donc être administré au nom du Christ avec cette formule : " je te baptise au nom du Christ. "

En sens contraire, le pape Gélase II écrit à l’évêque Gaudentius : " Si ceux qui habitent dans le voisinage de Votre Dilection déclarent qu’ils ont été baptisés seulement au nom du Seigneur, sans aucune hésitation, quand ils viendront à la foi catholique, vous les baptiserez au nom de la Trinité. " - Et Didyme dit : " Il peut arriver que quelqu’un ait l’esprit assez dérangé pour baptiser en omettant un des noms susdits " - c’est-à-dire d’une des trois Personnes, - " ce baptême sera invalide ".

Réponse :

On l’a dit ci-dessus, les sacrements tiennent leur efficacité de l’institution du Christ. C’est pourquoi, si l’on omet une des conditions posées par le Christ pour tel sacrement, celui-ci perd toute son efficacité, à moins d’une disposition spéciale du Christ, qui n’a pas lié sa puissance aux sacrements. Or le Christ a institué que le baptême serait donné sous l’invocation de la Trinité. Par conséquent, tout ce qui manque à la totalité de cette invocation ruine l’intégrité du baptême.

Qu’on n’objecte pas que le nom d’une Personne suppose le nom d’une autre, comme le nom du Père laisse entendre le nom du Fils ; ni que celui qui ne désigne qu’une seule Personne peut avoir des trois une foi correcte. Car le sacrement requiert une forme sensible, aussi bien qu’une matière sensible ; aussi l’intelligence de la Trinité ou la foi en elle ne suffisent-elles pas à la perfection du sacrement si la Trinité n’est pas exprimée de façon sensible par des mots. Aussi au baptême du Christ, qui fut à l’origine de l’institution de notre baptême, la Trinité s’est fait connaître à nos sens : le Père par la voix, le Fils en sa nature humaine, l’Esprit Saint par la colombe.

Solutions :

1. C’est par une révélation spéciale du Christ que, dans la primitive Église, les Apôtres baptisaient au nom du Christ, pour que ce nom, odieux aux juifs et aux païens, soit mis en honneur, du fait que le Saint-Esprit était donné au baptême à l’invocation de ce nom.

2. S. Ambroise nous explique pourquoi il convenait que cette dispense fût donnée dans la primitive Église : dans le nom du Christ on entend toute la Trinité. Et par là on gardait au moins dans son contenu intellectuel l’intégrité de la forme que Jésus avait donnée dans l’Évangile.

3. Le pape Nicolas s’appuie sur les deux autorités précédentes. Par conséquent sa réponse s’explique par les deux solutions ci-dessus.

 

            Article 7 — L’immersion est-elle nécessaire au baptême ?

Objections :

1. C’est vraisemblable car, dit S. Paul (Ep 4, 5) " Il n’y a qu’une seule foi, un seul baptême. " Mais l’usage courant, en bien des régions, est de baptiser par immersion. Il semble donc qu’on ne peut baptiser autrement.

2. L’Apôtre dit aux Romains (6, 3) : " Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés, car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort. " Mais cela se fait par l’immersion. Car Chrysostome,, sur ces mots de

S. Jean (3, 5) : " Nul, s’il ne tenait de l’eau et de l’Esprit Saint ", dit : " Quand nous plongeons la tête dans l’eau, c’est comme un tombeau dans lequel le vieil homme est enseveli, il y est plongé et y disparaît ; ensuite c’est un homme nouveau qui renaît. " Il semble donc que l’immersion soit nécessaire au baptême.

3. Si l’on pouvait baptiser sans immerger tout le corps, il suffirait également de verser de l’eau sur n’importe queue partie du corps. Mais cela ne convient pas, puisque le péché originel, contre lequel principalement est donné le baptême, n’est pas localisé dans une partie du corps seulement. Il semble donc que l’immersion est requise pour le baptême, et que la seule infusion ne suffit pas.

En sens contraire, il est écrit (He 10, 22) : " Approchons-nous de lui avec un cœur sincère, le cœur purifié des souillures d’une conscience mauvaise, et le corps lavé dans une eau pure. "

Réponse :

Dans le sacrement de baptême, on emploie l’eau sous forme d’ablution pour signifier la purification intérieure du péché. Mais l’ablution dans l’eau peut se faire non seulement par immersion, mais aussi par aspersion ou effusion. Aussi, bien qu’il soit plus sûr de baptiser par immersion, puisque tel est l’usage commun, on peut aussi baptiser par aspersion, ou par effusion, selon le mot d’Ézéchiel (36, 25) : " je verserai sur vous une eau pure ", et comme on dit aussi que baptisa S. Laurent.

Et cela peut se faire surtout en cas de nécessité ; soit à cause du grand nombre des candidats au baptême, comme on dit dans les Actes (2, 41 ; 4, 4) qu’un jour trois mille personnes reçurent le baptême, et un autre jour cinq mille. Ou bien si l’eau n’est pas assez abondante, ou si le ministre n’est pas assez robuste pour soutenir le baptisé, ou à cause de la faiblesse du baptisé que l’immersion pourrait mettre en péril de mort. Il faut donc dire que l’immersion n’est pas nécessaire au baptême.

Solutions :

1. Ce qui n’est qu’accidentel ne change pas la nature d’une chose. De soi, le baptême requiert l’ablution du corps avec de l’eau : c’est pourquoi on appelle le baptême " bain " : " La purifiant dans le bain d’eau avec la parole de vie " (Ep 5, 26). Mais que cette ablution se fasse de telle ou telle manière, cela est accidentel au baptême. Aussi la diversité des usages en cette matière ne ruine-t-elle pas l’unité du baptême.

2. L’immersion signifie de façon plus expressive la sépulture du Christ ; aussi est-elle la manière de baptiser la plus commune et la plus recommandable. Mais dans les autres manières de baptiser, cette sépulture est représentée d’une façon ou d’une autre bien que moins expressément ; et de quelque façon que se fasse l’ablution, le corps de l’homme, au moins en partie, est recouvert d’eau, comme le corps du Christ fut mis sous la terre.

3. La partie principale du corps, surtout par rapport aux membres extérieurs, c’est la tête, où siègent tous les sens, internes et externes. C’est pourquoi, si l’on ne peut verser de l’eau sur tout le corps, soit par pénurie d’eau, soit pour quelque autre raison, c’est sur la tête qu’il faut répandre l’eau, comme sur la partie où se manifeste le principe de la vie animale.

Bien que les organes de la génération soient les transmetteurs du péché originel, ce ne sont pas Ces organes qu’il faut laver, mais plutôt la tête, car le baptême ne met pas fin à la transmission du péché originel par la génération, mais il délivre l’âme de la tache et de la culpabilité du péché qu’elle encourt. Il faut donc laver de préférence la partie du corps où se manifestent les opérations de l’âme.

Dans l’ancienne loi cependant, le remède contre le péché originel avait été institué dans l’organe de la génération, car celui qui devait ôter le péché originel était encore à naître de la race d’Abraham, dont la foi était signifiée par la circoncision.

 

            Article 8 — Faut-il une triple immersion ?

Objections :

1. Il semble qu’elle soit nécessaire. En effet S. Augustin dit dans un sermon aux néophytes : " On a eu raison de vous plonger trois fois dans l’eau, puisque c’est au nom de la Trinité que vous avez été baptisés. On a eu raison aussi puisque vous avez reçu le baptême au nom de Jésus Christ qui est ressuscité des morts le troisième jour. Cette immersion répétée trois fois, par laquelle vous avez été ensevelis avec le Christ dans le baptême, est la figure de la sépulture du Seigneur. " Mais il paraît nécessaire au baptême que la Trinité y soit exprimée, et que le néophyte soit configuré à la sépulture du Christ. Il semble donc que la triple immersion soit nécessaire au baptême.

2. Les sacrements tiennent leur efficacité du commandement du Christ. Mais cette triple immersion se fait sur l’ordre du Christ. Le pape Gélase écrit en effet à l’évêque Gaudentius : " Le précepte évangélique, donné par Jésus Christ lui-même, le Seigneur Dieu et notre Sauveur, nous ordonne de baptiser au nom de la Trinité, et même par une triple immersion. " Ainsi, comme il est nécessaire de baptiser au nom de la Trinité, il semble bien que la triple immersion soit également nécessaire pour le baptême.

3. Si la triple immersion n’est pas nécessaire au baptême, le sacrement, semble-t-il, sera conféré dès la première immersion. Si donc on en ajoute une deuxième et une troisième, on paraît baptiser une deuxième et une troisième fois : ce qui ne convient pas. Une seule immersion ne suffit donc pas pour le baptême, mais les trois sont nécessaires.

En sens contraire, S. Grégoire écrit à l’évêque Léandre : " Il n’y a rien de répréhensible à plonger un enfant dans l’eau baptismale trois fois ou une seule, car trois immersions signifient la trinité des Personnes, mais une seule peut signifier l’unité de la divinité. "

Réponse :

Nous l’avons dit le baptême requiert de soi l’ablution dans l’eau, qui est nécessaire au sacrement ; mais la façon dont se fait cette ablution est accidentelle au sacrement. Aussi, selon l’autorité de S. Grégoire citée ci-dessus, il est, de soi, également licite de pratiquer une ou trois immersions : l’unique immersion signifie l’unité de la mort du Christ et l’unité de la divinité ; la triple immersion signifie les trois jours de la sépulture du Christ et la trinité des Personnes.

Mais pour diverses raisons, la législation de l’Église a établi tantôt l’une, tantôt l’autre. Au début de l’Église naissante, certains avaient des idées fausses sur la Trinité, pensant que le Christ était un homme ordinaire, qui, surtout par sa mort, avait mérité d’être appelé Fils de Dieu et Dieu ; aussi ne baptisaient-ils pas au nom de la Trinité, mais seulement en mémoire de la mort du Christ, et par une seule immersion. Mais cela fut réprouvé dans la primitive Église ; ainsi on lit dans les Canons des Apôtres : " Si un prêtre ou un évêque baptise non par une triple immersion, mais par une seule, comme, dit-on, font certains "dans la mort du Seigneur", qu’il soit déposé, car le Seigneur n’a pas dit : "Baptisez en ma mort", mais. au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit". " Plus tard se répandit l’erreur de certains schismatiques et hérétiques qui rebaptisaient, comme S. Augustin le rapporte des donatistes. Aussi, pour écarter leur erreur, le concile de Tolède décida qu’il n’y aurait qu’une seule immersion : " Pour éviter le scandale du schisme ou la pratique d’une doctrine hérétique, nous nous en tiendrons à une immersion simple. "

Mais puisque cette raison n’existe plus, la triple immersion est la pratique commune pour le baptême. Aussi, en baptisant autrement, on pécherait gravement, car on n’observerait pas le rite de l’Église. Néanmoins le baptême serait valide.

Solutions :

1. La Trinité est comme l’agent principal du baptême. La ressemblance de l’agent s’imprime dans l’effet par la forme et non par la matière. Ainsi la Trinité est-elle représentée dans le baptême par les paroles qui constituent la forme. Il n’est pas nécessaire que la Trinité soit représentée par l’usage qu’on fait de la matière ; si elle l’est, c’est pour rendre la signification plus expressive.

De même une seule immersion suffit à signifier la mort du Christ. Les trois jours de la sépulture n’étaient pas nécessaires à notre salut ; même s’il n’était resté qu’un seul jour dans la mort ou dans le tombeau, cela aurait suffi pour achever notre rédemption. Mais, comme on l’a dit plus haut, ces trois jours ont pour but de manifester la réalité de la mort.

Donc, ni du point de vue de la Trinité, ni de celui de la Passion, la triple immersion n’est nécessaire au sacrement.

2. Si le pape Pélage a compris que le Christ avait prescrit la triple immersion, c’est par analogie avec la formule baptismale qu’il a prescrite : " Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. " Mais comme on vient de le dire, on ne peut pas employer le même argument sur la forme et sur l’usage de la matière.

3. On a dit plus haut que l’intention est requise peur le baptême. Ainsi l’intention du ministre de l’Église, qui entend donner par une triple immersion un seul baptême, ne fait-elle qu’un seul baptême. Ainsi S. Jérôme dit-il : " Bien que le sujet soit baptisé " c’est-à-dire immergé, " trois fois, en l’honneur du mystère de la Trinité, il n’y a cependant qu’un seul baptême ".

Cependant, si à chaque immersion il y avait l’intention de donner un baptême, en répétant à chacune les paroles de la forme, il pécherait en ce qui dépend de lui, comme baptisant plusieurs fois.

 

            Article 9 — Le baptême peut-il être réitéré ?

Objections :

1. Le baptême a été institué pour nous purifier de nos péchés. Le baptême devrait donc être renouvelé, et d’autant plus que la miséricorde du Christ dépasse la faute de l’homme.

2. Jean Baptiste fut plus qu’un autre loué par le Christ, qui a dit de lui (Mt 11, 11) : " Parmi les enfants des femmes, nul n’a été plus grand que Jean Baptiste. " Mais ceux qui avaient été baptisés par lui étaient rebaptisés, comme nous voyons dans les Actes (19, 5) que Paul rebaptisa ceux qui avaient reçu le baptême de Jean. A plus forte raison faut-il rebaptiser ceux qui ont été baptisés par des hérétiques ou des pécheurs.

3. Le Concile de Nicée a décidé qu’il fallait baptiser ceux qui venaient à l’Église de la secte des paulianistes et des cataphrygiens. Il semble que le même motif joue pour les autres hérétiques. Donc ceux qui ont été baptisés par les hérétiques doivent être rebaptisés.

4. Le baptême est nécessaire au salut. Or il y a des baptisés dont le baptême est douteux. Il faut donc les rebaptiser.

5. L’eucharistie est un sacrement plus parfait que le baptême. Mais on peut recevoir plusieurs fois l’eucharistie. Donc et à plus forte raison on peut renouveler le baptême.

En sens contraire, S. Paul dit (Ep 4, 5) : " Une seule foi et un seul baptême. "

Réponse :

Le baptême ne peut pas être renouvelé.

1° Il est une sorte de renaissance spirituelle, puisque par lui on meurt à la vie passée pour commencer à mener une vie nouvelle : " Personne, à moins d’être né à nouveau de l’eau et de l’Esprit Saint, ne peut voir le royaume de Dieu " (Jn 3, 5). Mais chaque homme ne naît qu’une fois. Aussi le baptême ne peut-il être renouvelé, pas plus que la génération charnelle. Et S. Augustin, sur ce mot en S. Jean : " Peut-on entrer à nouveau dans le sein de sa mère et en ressortir ? " ajoute : " Tu dois comprendre la naissance spirituelle comme Nicodème a compris la naissance charnelle. On ne peut rentrer dans le sein maternel, on ne peut non plus retourner au baptême. "

2° " Nous sommes baptisés dans la mort du Christ " (Rm 6, 3), par laquelle nous mourons au péché et ressuscitons pour une vie nouvelle. Or le Christ est " mort au péché une fois pour toutes" (v. 10), et c’est pourquoi le baptême ne peut être réitéré. L’épître aux Hébreux (6, 6) dit de certains qui voulaient se faire rebaptiser " qu’ils crucifient à nouveau le Fils de Dieu pour eux-mêmes ". Et la Glose ajoute : " L’unique mort du Christ a consacré un baptême unique. "

3° Le baptême imprime un caractère qui est ineffaçable, et qui est conféré avec une sorte de consécration. Or dans l’Église les consécrations ne se renouvellent pas, et le baptême non plus. " Le caractère militaire ne se donne pas deux fois ", dit S. Augustin et il ajoute : " Le sacrement du Christ n’est pas moins permanent que cette marque corporelle, et nous voyons que les apostats eux-mêmes ne perdent pas le baptême, puisqu’on ne les rebaptise pas quand ils reviennent par la pénitence. "

4° Le baptême nous est donné surtout pour nous libérer du péché originel. Et comme le péché originel ne se renouvelle pas, le baptême non plus n’a pas à être renouvelé : " Comme par la faute d’un seul la condamnation s’est étendue à tous les hommes, ainsi par la justice d’un seul vient pour tous les hommes la justification qui donne la vie " (Rm 5, 18).

Solutions :

1. Le baptême agit par la vertu de la passion du Christ. Aussi, comme les péchés qui sont venus après elle n’enlèvent rien à la puissance de la passion du Christ, ils n’enlèvent non plus rien au baptême au point qu’il faille le renouveler. Mais la pénitence supprime le péché qui faisait obstacle à l’effet du baptême.

2. Sur ce mot de S. Jean (1, 33) : " Moi, je ne le connaissais pas ", S. Augustin dit : " Voilà que l’on baptise après que Jean a baptisé, et on ne baptise pas après qu’un homicide a baptisé. C’est que Jean a donné son baptême à lui, et l’homicide a donné le baptême du Christ ; le sacrement est si saint que même l’homicide qui l’administre ne peut le souiller. "

3. Les pauliens et les cataphrygiens ne baptisaient pas au nom de la Trinité. S. Grégoire écrit à l’évêque Quirice : " Les hérétiques qui ne sont pas baptisés au nom de la Trinité, comme les bonosiens et les cataphrygiens ", qui partageaient l’erreur des pauliens, " ceux-ci qui ne croient pas à la divinité du Christ ", ne voyant en lui qu’un homme ordinaire, " et ceux-là ", les cataphrygiens, " dont l’esprit perverti croit que le Saint-Esprit est un homme (Montan), quand ils reviennent à la sainte Église, ils sont baptisés, parce que ce n’est pas un baptême, ce que, dans l’hérésie, ils ont reçu sans l’invocation de la sainte Trinité ". Mais on lit dans les Croyances ecclésiastiques : " Si ceux qui ont été baptisés chez les hérétiques qui baptisent au nom de la sainte Trinité viennent à la foi catholique, qu’on les reçoive comme déjà baptisés. "

4. Une décrétale d’Alexandre III dit : " Ceux dont on doute s’ils ont été baptisés, qu’on les baptise en disant d’abord : "Si tu es baptisé, je ne te rebaptise pas ; mais si tu n’est pas baptisé, je te baptise, etc. " Cela n’est pas recommencer, puisqu’on ne sait pas si cela a déjà été fait. "

5. Le baptême et l’eucharistie représentent tous deux la mort et la passion du Seigneur, mais chacun à sa manière. Le baptême rappelle la mort du Christ parce qu’il fait mourir avec le Christ pour naître à une vie nouvelle. Mais le sacrement de l’eucharistie rappelle la mort du Christ en nous présentant le Christ lui-même en sa passion comme notre repas pascal, d’après S. Paul (1 Co 5, 7-8) : " Le Christ notre Pâque a été immolé, prenons donc part au festin. " Et de même que l’homme ne naît qu’une fois, mais mange souvent, ainsi on ne donne qu’une seule fois le baptême, mais plus d’une fois l’eucharistie.

 

            Article 10 — La liturgie du baptême

Objections :

1. Il semble que le rite employé par l’Église dans la célébration du baptême ne soit pas satisfaisant. En effet, S. Jean Chrysostome dit : " Les eaux du baptême ne seraient jamais capables de purifier les croyants de leurs péchés, si elles n’avaient été sanctifiées par le contact du corps du Seigneur. " Or cela s’est produit le jour du baptême du Christ, que nous célébrons le jour de l’Épiphanie. Le baptême solennel devrait donc être conféré à la fête de l’Épiphanie, plutôt qu’à la vigile de Pâques ou à celle de la Pentecôte.

2. Le même sacrement ne doit pas comporter l’usage de plusieurs matières. Mais la matière du baptême est l’ablution dans l’eau. Il ne convient donc pas de faire au baptisé une double onction d’huile sainte, d’abord sur la poitrine, puis sur les épaules, et une troisième de chrême sur le sommet de la tête.

3. " Dans le Christ Jésus, il n’y a ni homme ni femme, ni barbare ni Scythe " (Ga 3, 28 ; Col 3, 11), ni aucune différence de cette sorte. A plus forte raison la diversité des vêtements n’a-t-elle rien à faire dans la foi chrétienne. Il ne convient donc pas de donner une robe blanche aux nouveaux baptisés.

4. Le baptême peut être valide sans toutes les cérémonies que nous venons de dire. Elles paraissent donc superflues, et il ne semble pas convenable qu’elles aient été introduites par l’Église dans le rite du baptême.

En sens contraire, l’Église est dirigée par l’Esprit Saint, qui ne fait rien de contraire à l’ordre.

Réponse :

Dans le baptême, certains éléments sont nécessaires au sacrement, et d’autres n’ont pour but que de lui donner une certaine solennité. Ce qui est nécessaire au sacrement, c’est la forme, qui désigne sa cause principale ; le ministre, qui est la cause instrumentale ; et l’usage de la matière, l’ablution dans l’eau, qui en désigne l’effet principal. Toutes les autres cérémonies dont l’Église se sert dans le rite du baptême ont pour objet de lui donner une certaine solennité.

Mais on les pratique pour trois raisons : 1° Pour exciter la dévotion des fidèles et leur respect pour le sacrement. S’il n’y avait qu’une simple ablution dans l’eau, sans solennité, certains croiraient facilement qu’il ne s’agit que d’une ablution ordinaire.

2° Pour instruire les fidèles. En effet, les gens simples, qui n’étudient pas dans les livres, ont besoin d’être instruits par des signes sensibles, comme des images ou d’autres moyens semblables. Ainsi les rites sacramentels les instruisent, ou les poussent à chercher les vérités que signifient ces signes sensibles. Et comme il nous faut connaître, à propos du baptême, outre l’effet principal, d’autres choses encore, il convenait que celles-ci soient représentées par des signes extérieurs.

3° Les oraisons, bénédictions, etc. , font obstacle à la puissance des démons, qui cherchent à empêcher les effets du sacrement.

Solutions :

1. Le jour de l’Épiphanie, le Christ a reçu le baptême de Jean ; mais ce n’est pas ce baptême-là que reçoivent les fidèles mais celui du Christ. Celui-ci tient son efficacité de la passion du Christ, comme dit S. Paul (Rm 6, 3) : " Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés ", - et du Saint-Esprit, comme dit S. Jean (3, 5) : " Si l’on ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint. . . " C’est pourquoi le baptême solennel est conféré dans l’Église durant la veillée pascale, quand on commémore l’ensevelissement du Seigneur et sa résurrection, et c’est pourquoi c’est après sa résurrection que le Seigneur a donné à ses disciples le précepte de baptiser. Et à la vigile de la Pentecôte, quand commencent les solennités du Saint-Esprit ; aussi voit-on que les Apôtres ont baptisé trois mille personnes le jour de la Pentecôte où ils avaient reçu le Saint-Esprit.

2. L’emploi de l’eau dans le baptême appartient à la substance du sacrement, mais l’emploi de l’huile ou du chrême sert pour lui donner une certaine solennité. Le catéchumène est oint d’huile sur la poitrine et sur les épaules " comme un athlète de Dieu ", dit S. Ambroise parce que c’était la coutume des pugilistes. " Ou bien, dit Innocent III le catéchumène est oint sur la poitrine, pour qu’il reçoive le don du Saint-Esprit, rejette l’erreur et l’ignorance, et reçoive la vraie foi, car le juste vit de la foi ; entre les épaules, pour qu’il revête la grâce du Saint-Esprit, se dépouille de la négligence et accomplisse des œuvres saintes, de sorte que le sacrement de la foi lui donne dans le cœur la pureté des pensées, et sur les épaules la force des travaux. "

Mais après le baptême, dit Raban Maur " il est aussitôt signé sur la tête par le prêtre avec le saint chrême, accompagné d’une oraison, pour qu’il puisse participer au règne du Christ et recevoir du Christ le nom de chrétien ". Ou, dit S. Ambroise, l’huile parfumée est répandue sur la tête, " parce que la sagesse du sage est sur sa tête, et pour qu’il soit prêt à rendre raison de sa foi à qui le lui demande ".

3. On remet au baptisé un vêtement blanc, non pas qu’il ne lui soit plus permis de porter d’autres vêtements, mais en signe de la glorieuse résurrection à laquelle le baptême fait renaître, et pour désigner la pureté de vie qu’il doit garder après le baptême, selon le mot de S. Paul : " que nous marchions dans une vie nouvelle " (Rm 6, 4).

4. Tous ces rites qui appartiennent à la solennité du sacrement, bien qu’ils ne soient pas nécessaires à celui-ci, ne sont pas pour autant superflus, car, nous venons de le dire, ils contribuent à sa perfection.

 

            Article 11 — Les différentes sortes de baptême

Objections :

1. Il semble malheureux de distinguer trois baptêmes, car l’Apôtre dit (Ep 4, 5) : " Une seule foi, un seul baptême. " Donc il ne doit pas y avoir trois baptêmes.

2. Le baptême est un sacrement, on l’a établi plus haut. Mais seul le baptême d’eau est un sacrement. Il ne faut donc pas poser deux autres baptêmes.

3. S. Jean Damascène énumère plusieurs autres sortes de baptêmes. Il ne faut donc pas en poser seulement trois.

En sens contraire, au passage de l’épître aux Hébreux sur " la doctrine des baptêmes ", la Glose ajoute : " L’auteur emploie le pluriel, car il y a le baptême d’eau, le baptême de pénitence et le baptême de sang. "

Réponse :

Comme on l’a dit, le baptême d’eau tire son efficacité de la passion du Christ, à laquelle l’homme est configuré par le baptême ; et au-delà, comme de sa cause première, de l’Esprit Saint. Mais si l’effet dépend de la cause première, la cause domine son effet, et n’en dépend pas.

Aussi, en dehors du baptême d’eau, on peut recevoir l’effet du sacrement de la passion du Christ en tant qu’on se conforme à lui en souffrant pour lui ; c’est ce que dit l’Apocalypse (7, 14) : " Ceux-ci sont venus de la grande épreuve, ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau. "

Pour la même raison, on peut aussi recevoir l’effet du baptême par la vertu du Saint-Esprit, non seulement sans le baptême d’eau, mais même sans le baptême de sang : quand le cœur est mû par le Saint-Esprit à croire en Dieu et à se repentir de son péché. C’est pourquoi on dit aussi " baptême de pénitence ". C’est de lui que parle Isaïe quand il dit (4, 4) : " Quand le Seigneur aura lavé les souillures des filles de Sion, et purifié Jérusalem du sang qui est au milieu d’elle, par l’esprit de jugement et par l’esprit de feu. "

Ces deux autres baptêmes sont donc appelés baptêmes parce qu’ils suppléent au baptême. Ainsi parle S. Augustin : " Que le martyre remplace quelquefois le baptême, le bienheureux Cyprien en trouve un argument qui n’est pas sans poids, dans le larron qui n’était pas baptisé, et à qui il a été dit : "Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. " En y réfléchissant de plus en plus, je trouve que ce n’est pas seulement la souffrance subie pour le nom du Christ qui peut suppléer au défaut de baptême, mais aussi la foi et la conversion du cœur, si le manque de temps empêche de célébrer le mystère du baptême. "

Solutions :

1. Les deux autres baptêmes (de sang et d’esprit) sont inclus dans le baptême d’eau, qui tient son efficacité de la passion du Christ. L’unité du baptême n’est donc pas atteinte.

2. Comme on l’a dit plus haut, le sacrement est essentiellement signe. Ce que les deux autres baptêmes ont de commun avec le baptême d’eau, ce n’est pas la raison de signe, mais l’effet du baptême. Aussi ne sont-ils pas des sacrements.

3. Le Damascène parle des baptêmes figuratifs. Ainsi le déluge, qui fut le signe de notre baptême, en ce sens que les fidèles sont sauvés dans l’Église et y trouvent le salut, comme " un petit nombre de personnes furent sauvées dans l’arche " (1 P 3, 20). - Ou le passage de la mer Rouge, qui signifie notre baptême, en ce sens qu’il nous délivre de la servitude du péché ; ainsi l’Apôtre dit que " tous furent baptisés dans la nuée et dans la mer " (1 Co 10, 2). - Ou encore les ablutions diverses de la loi ancienne, préfigurant notre baptême qui nous purifie de nos péchés. - Ou aussi le baptême de Jean, qui préparait au baptême chrétien.

 

            Article 12 — Comparaison entre ces baptêmes

Objections :

1. Il semble que le baptême de sang ne soit pas le plus important. En effet, le baptême d’eau imprime un caractère, ce que ne fait pas le baptême de sang. Donc le baptême de sang n’est pas supérieur au baptême d’eau.

2. Le baptême de sang n’a aucune valeur sans le baptême de l’esprit qui consiste dans la charité. S. Paul dit en effet (1 Co 13, 3) : " Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. " Mais le baptême de l’esprit vaut sans le baptême de sang, puisque les martyrs ne sont pas les seuls à être sauvés. Le baptême de sang n’est donc pas le principal.

3. Le baptême d’eau tient son efficacité de la passion du Christ, à laquelle, comme on l’a dit répond le baptême de sang. Mais la passion du Christ elle-même tient sa vertu de l’Esprit Saint. " Le sang du Christ, qui par le Saint-Esprit s’est offert lui-même pour nous, purifiera notre conscience de ses œuvres mortes " (He 9, 14). Donc le baptême de l’esprit est supérieur au baptême de sang, et le baptême de sang n’est pas le principal.

En sens contraire, S. Augustin, comparant entre eux ces baptêmes, dit : " Le baptisé confesse sa foi devant l’évêque, le martyr devant le persécuteur. Après cette confession, l’un est arrosé d’eau, l’autre de sang ; l’un par l’imposition des mains du pontife reçoit le Saint-Esprit, l’autre devient le temple du Saint-Esprit. "

Réponse :

Comme on l’a dit à l’article précédent, l’effusion de sang pour le Christ et l’action intérieure de l’Esprit Saint sont appelées des " baptêmes " parce qu’elles produisent l’effet du baptême d’eau ; et le baptême d’eau tient son efficacité de la passion du Christ et du Saint-Esprit, nous l’avons dit. Or ces deux causes agissent en chacun de ces trois baptêmes, mais d’une façon tout à fait supérieure dans le baptême de sang.

Car la passion du Christ opère dans le baptême d’eau où elle est représentée symboliquement ; dans le baptême d’esprit ou de pénitence elle agit par un mouvement du cœur (qu’elle suscite) ; mais dans le baptême de sang, elle agit par l’imitation des œuvres elles-mêmes. Pareillement, la vertu du Saint-Esprit agit dans le baptême d’eau par sa vertu qui y est cachée, et dans le baptême de pénitence par la conversion du cœur ; mais dans le baptême de sang elle agit par la plus intense ferveur de l’amour et de l’attachement, selon le mot de l’Évangile (Jn 15, 13) - " Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. "

Solutions :

1. Le caractère est à la fois réalité et sacrement. Mais si nous donnons la prééminence au baptême de sang, ce n’est pas sous la raison de sacrement, c’est quant à l’effet du sacrement.

2. Répandre son sang n’a pas de valeur si cela se fait sans charité. Aussi le baptême de sang implique le baptême d’esprit, mais l’inverse n’est pas vrai, et cela prouve sa supériorité.

3. Le baptême de sang tient sa supériorité non seulement de la passion du Christ, mais aussi de l’action du Saint-Esprit.

 

 

QUESTION 67 — LES MINISTRES DU BAPTÊME

1. Est-ce au diacre qu’il appartient de baptiser ? - 2. Est-ce au prêtre ou seulement à . Un laïc peut-il conférer le baptême ? -4. Une femme peut-elle le faire ? -5. Un non-baptisé peut-il conférer le baptême ? - 6. Plusieurs ministres peuvent-ils baptiser en même temps un seul et même sujet ? - 7. Est-il nécessaire que quelqu’un reçoive le baptisé au sortir des fonts ? - 8. Celui-ci qui reçoit ainsi le baptisé est-il tenu de l’instruire ?

 

            Article 1 — Est-ce au diacre qu’il appartient de baptiser ?

Objections :

1. Le Seigneur impose en même temps le devoir de prêcher et celui de baptiser (Mt 28, 19) : " Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant, etc. ". Or la prédication de l’Évangile relève de l’office du diacre. Il semble donc qu’il lui appartienne aussi de baptiser.

2. D’après Denys a le diacre est le ministre de la purification. Mais c’est par le baptême surtout que se fait la purification des péchés, selon S. Paul (Ep 5, 26) : " Il purifie (l’Église) dans le bain avec la parole de vie. " Il appartient donc au diacre de baptiser.

3. On lit de S. Laurent que, étant diacre, il fit de nombreux baptêmes. Il appartient donc aux diacres de baptiser.

En sens contraire, le pape Gélase dit " Nous ordonnons que les diacres gardent le rang qui leur est propre ", et plus loin : " Qu’ils n’aient pas l’audace de baptiser en l’absence de l’évêque ou du prêtre, à moins que, ceux-ci étant trop éloignés, une extrême nécessité ne les y pousse. "

Réponse :

De même que, d’après Denys, les propriétés des ordres célestes et leurs fonctions nous sont connues par les noms qu’ils portent, de même aussi les noms des ordres ecclésiastiques nous font connaître le rôle de chacun d’eux.

Or le nom de diacre signifie "serviteur" ; c’est-à-dire qu’il n’appartient pas aux diacres de donner les sacrements à titre principal et en vertu de leur charge, mais ils doivent assister les ministres supérieurs dans l’administration des sacrements. Ainsi il n’appartient pas au diacre de baptiser en vertu de sa charge, mais seulement d’assister et de servir les supérieurs dans la collation de ce sacrement et des autres. Ainsi Isidore dit-il : " Il appartient au diacre d’assister et de servir les prêtres dans toutes leurs fonctions sacramentelles, c’est-à-dire dans le baptême, le chrême, la patène et le calice. "

Solutions :

1. Il appartient au diacre de lire l’évangile dans l’église, et de prêcher sur l’évangile par mode de catéchisme. Aussi Denys dit-il que le diacre a pouvoir sur les impurs, parmi lesquels il compte les catéchumènes. Mais enseigner, c’est-à-dire expliquer l’Évangile, est la fonction propre de l’évêque, dont l’activité a pour effet de "perfectionner", comme dit encore Denys ; et perfectionner, c’est la même chose qu’instruire. Il ne s’ensuit donc pas que les diacres aient la charge de baptiser.

2. Denys dit que le baptême est non seulement une purification, mais aussi une illumination. Il dépasse donc la charge du diacre, à qui il ne revient que de purifier, soit en écartant les impurs, soit en les préparant à recevoir le sacrement.

3. Parce que le baptême est un sacrement de première nécessité, on permet aux diacres de baptiser en cas d’urgence et en l’absence des ministres supérieurs. C’est le sens de l’autorité de Gélase alléguée ci-dessus, et c’est ainsi que S. Laurent baptisa étant diacre.

 

            Article 2 — Est-ce au prêtre ou seulement à l’évêque qu’il appartient de baptiser ?

Objections :

1. Comme on l’a dit à l’article précédent, c’est le même commandement qui impose la charge d’enseigner et celle de baptiser. Mais enseigner, qui est "perfectionner" est une fonction épiscopale. Il semble donc que baptiser le soit aussi.

2. Par le baptême l’homme est incorporé au peuple chrétien ; or c’est là l’office du prince seul. Mais dans l’Église, les princes sont les évêques, qui tiennent la place des Apôtres dont il est dit (Ps 45, 17) : " Tu les établiras princes sur toute la terre. " Il semble donc que le baptême revienne à l’évêque seul.

3. Isidore dit : " Il appartient à l’évêque de consacrer les basiliques, d’oindre les autels et de faire le chrême ; c’est lui aussi qui distribue les ordres ecclésiastiques et bénit les vierges sacrées. " Mais le sacrement de baptême est bien supérieur à tous ces rites. A plus forte raison donc appartient-il à l’évêque seul.

En sens contraire, Isidore dit : "Il est reconnu que le baptême n’a été confié qu’aux prêtres. "

Réponse :

Les prêtres sont consacrés pour faire le sacrement du corps du Christ, comme on l’a dit plus haut. Ce sacrement est le signe de l’unité de l’Église, selon S. Paul (1 Co 10, 17) : " Tout en étant plusieurs, nous ne faisons qu’un seul pain et un seul corps, car nous participons tous à un seul pain et à un seul calice. " Mais c’est le baptême qui nous fait participer à l’unité de, l’Église et nous donne le droit d’approcher de la table du Seigneur. Par conséquent, puisqu’il appartient au prêtre de consacrer l’eucharistie, et que c’est à cela qu’est ordonné principalement le sacerdoce, il appartient au prêtre, comme son office propre, de baptiser ; car c’est au même qu’il appartient d’opérer le tout et d’en organiser les parties.

Solutions :

1. Le Seigneur a confié aux Apôtres et aux évêques qui tiennent leur place la double mission d’enseigner et de baptiser, mais à des titres différents. Le Christ leur a confié la charge d’enseigner pour qu’ils l’exercent par eux-mêmes, comme leur fonction principale. Aussi les Apôtres eux-mêmes ont-ils dit : " Il ne convient pas que nous laissions la parole de Dieu pour servir aux tables " (Ac 6, 2). Mais il a confié aux Apôtres la charge de baptiser pour qu’ils l’exercent par d’autres ; aussi l’Apôtre dit-il (1 Co 1, 17) : "Le Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais prêcher l’Évangile. " La raison en est que dans le baptême le mérite et la sagesse du ministre ne font rien, à la différence de l’enseignement, nous l’avons montré plus haut On en trouve un signe dans le fait que le Seigneur " ne baptisait pas lui-même, mais c’étaient ses disciples " (Jn 4, 2). - Et cela n’exclut pas que les évêques puissent baptiser : ce que peut un pouvoir inférieur, le supérieur peut aussi le faire. Et l’Apôtre au même endroit dit qu’il a baptisé quelques personnes.

2. Dans toute communauté, les affaires de moindre importance sont laissées aux fonctions inférieures, mais les plus importantes sont réservées aux supérieurs, comme dit l’Écriture (Ex 18, 22) : " Ils porteront devant toi les litiges les plus importants, et eux-mêmes ne jugeront que les choses de moindre importance. " Et ainsi dans une ville, les fonctionnaires subalternes ont la charge du petit peuple ; mais les premiers dignitaires prennent soin de ce qui regarde les classes supérieures.

Or le baptême ne nous donne que le dernier rang dans le peuple chrétien. Sa collation appartient donc aux chefs subalternes de l’Église, qui tiennent la place des soixante-douze disciples du Christ.

3. Comme on l’a dit plus haut, le sacrement de baptême est le plus important quant à la nécessité ; mais s’il s’agit de la perfection, d’autres sont plus importants et sont réservés à l’évêque.

 

            Article 3 — Un laïc peut-il conférer le baptême ?

Objections :

1. Baptiser, on vient de le dire, appartient proprement à l’ordre sacerdotal. Mais les fonctions d’un ordre ne peuvent pas être confiées à celui qui n’a pas cet ordre. Il semble donc qu’un laïc, qui n’a pas reçu les ordres, ne peut pas baptiser.

2. Baptiser est davantage que d’accomplir les autres rites sacramentels du baptême, comme le catéchisme, les exorcismes et la bénédiction de l’eau. Or ceux-ci ne peuvent être accomplis par les laïcs, mais bien par les seuls prêtres. Il semble donc qu’à plus forte raison les laïcs ne peuvent pas baptiser.

3. Si le baptême est un sacrement absolument nécessaire, la pénitence aussi. Mais un laïc ne peut absoudre au for sacramentel. Il ne peut donc pas davantage baptiser.

En sens contraire, le pape Gélase et S. Isidore,, disent qu’en cas d’urgence on autorise généralement les laïcs chrétiens à baptiser.

Réponse :

Il appartient à la miséricorde de celui qui veut que tous les hommes soient sauvés, de permettre à l’homme, en ce qui est nécessaire au salut, de trouver facilement un moyen de salut. Or, parmi tous les autres sacrements, le baptême par lequel l’homme renaît à la vie spirituelle est de la plus haute nécessité ; les enfants n’ont pas d’autre moyen d’être sauvés, et les adultes ne peuvent recevoir que par le baptême la pleine rémission de la faute et de la peine.

Aussi pour que l’homme ne risque pas d’être privé d’un moyen aussi nécessaire, il a été établi que la matière du baptême soit une matière commune, l’eau, que n’importe qui peut trouver ; et que le ministre du baptême soit aussi n’importe quel homme, même s’il n’est pas ordonné, pour que l’impossibilité de recevoir le baptême ne prive pas l’homme du salut.

Solutions :

1. Si le baptême est réservé à l’ordre sacerdotal, c’est pour une raison de convenance et de solennité ; mais cela n’appartient pas nécessairement au sacrement. Donc, si un laïc baptise en dehors du cas de nécessité, il pèche assurément, mais il confère cependant le sacrement, et celui qu’il a ainsi baptisé n’a pas à être rebaptisé.

2. Ces sacramentaux appartiennent à la solennité du baptême, mais ne lui sont pas nécessaires. Par conséquent, un laïc ne peut ni ne doit les administrer, mais seulement le prêtre, à qui est réservé le baptême solennel.

3. La pénitence n’est pas aussi nécessaire que le baptême, puisque la contrition peut suppléer au défaut d’absolution sacerdotale. Celle-ci d’ailleurs ne libère pas de toute la peine, et ne peut être appliquée aux petits enfants. Il n’en va donc pas de même pour le baptême, dont l’effet ne peut être remplacé par rien d’autre.

 

            Article 4 — Une femme peut-elle baptiser ?

Objections :

1. On lit dans un concile de Carthage : " Que la femme, si docte et sainte soit-elle, n’ait pas l’audace d’enseigner les hommes dans l’assemblée chrétienne, ou de baptiser. " Or en aucun cas il n’est permis à une femme d’enseigner publiquement, selon S. Paul (1 Co 14, 35) " Il est inconvenant pour une femme de prendre la parole dans l’assemblée. " Il semble donc qu’en aucune façon il n’est permis à une femme de baptiser.

2. Baptiser est la fonction d’un supérieur : c’est pourquoi il faut demander le baptême aux prêtres qui ont charge d’âmes. Mais cette supériorité n’appartient pas à la femme, selon S. Paul (1 Tm 2, 12) : " je ne permets pas à la femme d’enseigner, ni de prendre autorité sur l’homme, mais qu’elle lui soit soumise. " Donc une femme ne peut baptiser.

3. Dans la régénération spirituelle l’eau semble remplacer le sein maternel, comme dit S. Augustin à propos du texte de S. Jean (3, 4) : " Est-ce que l’homme peut entrer à nouveau dans le sein de sa mère et renaître ? " Et celui qui baptise tient plutôt le rôle du père. Mais ce rôle ne convient pas à la femme. Donc la femme ne peut baptiser.

En sens contraire, le pape Urbain II enseigne : "A la question que m’a posée Votre Dilection, voici ma réponse : Il y a baptême quand en cas de nécessité, une femme a baptisé un enfant au nom de la Trinité. "

Réponse :

C’est le Christ qui baptise à titre de cause principale, selon ce mot de S. Jean (1, 33) : " Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et se reposer, c’est lui qui baptise. " Or l’épître aux Colossiens (3, 11) dit que " dans le Christ il n’y a ni homme ni femme ". Donc, de même qu’un laïc de sexe masculin peut baptiser, comme ministre du Christ, une femme peut le faire aussi.

Cependant, comme " le chef de la femme c’est l’homme, et le chef de l’homme c’est le Christ " (1 Co 11, 3), une femme ne doit pas baptiser si un homme est là, pas plus qu’un laïc ne peut baptiser en présence d’un clerc, ni un clerc en présence d’un prêtre. Mais celui-ci peut baptiser en présence de l’évêque, car le baptême appartient à l’office du prêtre.

Solutions :

1. La femme ne peut pas enseigner en public ; elle peut cependant en privé donner quelque instruction ou quelque conseil. De même il ne lui est pas permis de donner le baptême public et solennel, mais elle peut baptiser en cas de nécessité.

2. Lorsque le baptême est célébré solennellement et selon toutes les règles, il doit être conféré par un prêtre qui a charge d’âmes, ou par son délégué. Mais cela n’est pas requis en cas de nécessité, et alors une femme peut baptiser.

3. Dans la génération charnelle, l’homme et la femme agissent selon la vertu propre de leur sexe ; la femme ne peut donc être principe actif de la génération, mais seulement principe passif Mais dans la génération spirituelle, ni l’un ni l’autre n’agit selon sa vertu propre, ils ne sont que les instruments de la vertu du Christ. Ainsi l’homme et la femme peuvent également baptiser en cas de nécessité.

Si cependant une femme baptise en dehors du cas de nécessité, il ne faudrait pas rebaptiser, comme on l’a dit au sujet du laïc. Elle pécherait cependant, ainsi que ceux qui coopéreraient à ce baptême, soit en recevant d’elle le baptême, soit en lui présentant quelqu’un à baptiser.

 

            Article 5 — Un non-baptisé peut-il conférer le baptême ?

Objections :

1. " personne ne donne ce qu’il n’a pas. " Mais un non-baptisé n’a pas le baptême. Donc il ne peut pas le conférer.

2. Celui qui confère le baptême le fait en tant que ministre de l’Église. Mais celui qui n’est pas baptisé n’appartient en aucune façon à l’Église, ni en réalité, ni par le sacrement. Il ne peut donc conférer le sacrement de baptême.

3. Donner un sacrement c’est plus que le recevoir. Or le non-baptisé ne peut recevoir les autres sacrements. A plus forte raison ne peut-il en donner aucun.

En sens contraire, S. Isidore dit : " Le pontife romain juge que ce n’est pas le ministre du baptême, mais l’Esprit de Dieu qui donne la grâce du baptême, même si celui qui baptise est un païen. " Mais on n’appelle pas païen un baptisé. Donc un non-baptisé peut conférer le sacrement de baptême.

Réponse :

S. Augustin a laissé cette question sans la trancher. Il dit : " C’est une autre question de savoir si même ceux qui n’ont jamais été chrétiens peuvent donner le baptême ; il faut se garder ici de toute affirmation téméraire, sans l’autorité d’un saint concile assez considérable pour une matière aussi importante. "

Mais plus tard, l’Église a déterminé que les non-baptisés, Juifs ou païens, peuvent conférer le sacrement de baptême, pourvu qu’ils le fassent selon la forme de l’Église. Ainsi le pape Nicolas I répond aux Bulgares : "Vous dites que dans votre patrie beaucoup de gens ont été baptisés par quelqu’un dont vous ne savez pas s’il est chrétien ou païen. S’ils ont été baptisés au nom de la Trinité, vous n’avez pas à les rebaptiser. " Mais si la forme de l’Église n’a pas été observée, il n’y a pas de baptême. C’est ainsi qu’il faut comprendre la lettre de Grégoire à l’évêque Boniface : " Ceux que vous dites avoir été baptisés par des païens " - c’est-à-dire sans observer la forme de l’Église -, " nous vous ordonnons de les baptiser de nouveau au nom de la Trinité. "

Et en voici la raison : de même que du côté de la matière n’importe quelle eau suffit pour la validité du sacrement, de même aussi, du côté du ministre, n’importe quel homme suffit. Par conséquent, même un non-baptisé peut baptiser en cas de nécessité. Ainsi deux non-baptisés peuvent se baptiser l’un l’autre, le premier baptisant le second et étant ensuite baptisé par lui ; tous deux recevraient non seulement le sacrement, mais ses effets. Cependant, s’ils le faisaient en dehors de toute nécessité, ils pécheraient tous les deux, le baptiseur et le baptisé ; et par là ils empêcheraient l’effet du sacrement, bien que le sacrement lui-même subsiste.

Solutions :

1. L’homme qui baptise apporte seulement son ministère extérieur ; mais c’est le Christ qui baptise intérieurement, lui qui peut se servir de tout homme pour tout ce qu’il voudra. Aussi ceux qui ne sont pas baptisés peuvent-ils baptiser, car, comme dit le pape Nicolas, ce n’est pas leur baptême qu’ils donnent, mais celui du Christ.

2. Celui qui n’est pas baptisé n’appartient à l’Église ni réellement, ni sacramentellement, mais il peut lui appartenir par l’intention et par la conformité de son action, s’il a l’intention de faire ce que fait l’Église, et si, en donnant le baptême, il observe la forme dont se sert l’Église. Il agit ainsi comme ministre du Christ, qui n’a pas lié sa puissance à ceux qui sont baptisés, pas plus qu’aux sacrements.

3. Les autres sacrements ne sont pas aussi nécessaires que le baptême. C’est pourquoi on accorde à un non-baptisé de baptiser plutôt que de recevoir les autres sacrements.

 

            Article 6 — Plusieurs ministres peuvent-ils baptiser en même temps un seul et même sujet ?

Objections :

1. La multitude contient l’unité, mais la réciproque n’est pas vraie. Aussi semble-t-il, que ce qu’un seul peut faire, plusieurs peuvent le faire aussi, mais non l’inverse ; ainsi plusieurs peuvent tirer un bateau qu’un seul ne pourrait pas tirer. Mais un homme seul peut baptiser ; donc plusieurs aussi peuvent baptiser ensemble le même sujet.

2. Il est plus difficile à un agent unique d’agir sur plusieurs sujets qu’à plusieurs agents d’agir sur un seul sujet. Donc, et à plus forte raison, plusieurs peuvent baptiser en même temps un seul sujet.

3. Le baptême est un sacrement d’absolue nécessité. Mais en certains cas il semble nécessaire que plusieurs se mettent ensemble pour baptiser un même sujet. Par exemple si un petit enfant était en danger de mort, et qu’il y eût là deux hommes dont l’un serait muet et l’autre n’aurait pas de mains ou de bras, alors il faudrait que le mutilé prononce les paroles et que le second accomplisse le baptême. Il semble donc que plusieurs peuvent baptiser en même temps un seul sujet.

En sens contraire, un seul agent n’exerce qu’une seule action. Donc, si plusieurs baptisaient un seul sujet, il s’ensuivrait qu’il y aurait, plusieurs baptêmes, contrairement à l’épître aux Éphésiens (4, 5) : " une seule foi, un seul baptême ".

Réponse :

La vertu du sacrement de baptême lui vient principalement de sa forme, que l’Apôtre (Ep 5, 26) appelle " la parole de vie ". Il faut donc examiner, au cas où plusieurs ministres baptiseraient en même temps un seul sujet, quelle forme ils emploieraient.

S’ils disaient : " Nous te baptisons au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ", certains tiennent qu’il n’y aurait pas alors de baptême, parce que ce ne serait pas observer la forme de l’Église, qui est celle-ci : " je te baptise, etc. " Mais cette raison est à écarter, étant donné la forme dont se servent les Grecs. Ils pourraient dire en effet : " Le serviteur de Dieu N. est baptisé. . . " qui est la formule grecque, formule beaucoup plus éloignée de la nôtre que celle qui dirait : " Nous te baptisons. . . "

Mais il faut remarquer que cette formule "Nous te baptisons. . . " exprime l’intention de plusieurs de concourir à un baptême unique. Et cela semble aller contre la notion même de ministère : en effet l’homme ne baptise que comme ministre du Christ et comme tenant sa place. Aussi, comme il n’y a qu’un seul Christ, il faut aussi qu’il n’y ait qu’un seul ministre qui représente le Christ. C’est ce que dit précisément S. Paul : " Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. " Ainsi l’intention contraire semble exclure le sacrement de baptême.

Si les ministres disaient tous les deux : " je te baptise. . . ", l’un et l’autre exprimerait son intention de conférer lui-même individuellement le baptême. Ce qui pourrait arriver dans les cas où tous les deux en se querellant voudraient conférer le baptême au même sujet. Dans ce cas, il est évident que celui qui prononcerait les paroles le premier donnerait le sacrement de baptême, et que l’autre, quel que soit son droit à baptiser, s’il voulait quand même prononcer les paroles, devrait être puni comme rebaptiseur.

Mais si tous les deux, exactement en même temps, prononçaient les paroles, et immergeaient ou aspergeaient le sujet, ils devraient être punis pour ce rite insolite, mais non pour avoir réitéré le baptême. Chacun en effet aurait l’intention de baptiser quelqu’un qui ne l’est pas, et chacun, pour ce qui est de lui, baptiserait. Et ils ne donneraient pas deux sacrements, mais le Christ, qui seul baptise intérieurement, conférerait par tous deux un seul sacrement.

Solutions :

1. Cette raison vaut pour les causes qui agissent par leur vertu propre. Or les hommes ne baptisent pas par leur vertu propre, mais par la vertu du Christ, qui, étant un, accomplit son œuvre par un seul ministre.

2. En cas de nécessité, un seul ministre pourrait baptiser plusieurs sujets avec cette formule : " je vous baptise. . . ", par exemple dans l’imminence d’une catastrophe ou d’une exécution, qui ne laisserait pas le temps de les baptiser les uns après les autres. Et ce ne serait pas modifier la forme qu’emploie l’Église, car le pluriel n’est que le singulier répété, et d’autant plus que le Christ a dit au pluriel ; " Baptisez-les, etc. " - Mais il n’en va pas de même du baptiseur et du baptisé : car le Christ, qui baptise à titre principal, est un ; tandis que par le baptême plusieurs deviennent un dans le Christ.

3. Comme on l’a dit plus haut, l’intégrité du baptême consiste dans la forme des paroles et l’usage de la matière. Par conséquent, ne baptisent ni celui qui ne prononce que les paroles, ni celui qui ne fait qu’immerger. C’est pourquoi, si l’un prononce les paroles, et que l’autre immerge, aucune forme ne conviendrait. On ne pourrait pas dire : "je te baptise", parce que le premier n’immerge pas et donc ne baptise pas. Et l’on ne pourrait pas dire non plus : " Nous te baptisons ", puisque ni l’un ni l’autre ne baptiserait.

Quand deux auteurs ont écrit chacun une partie d’un livre et qu’ils disent : " Nous avons écrit ce livre ", ce n’est pas une expression propre, mais une synecdoque qui prend le tout pour la partie.

 

            Article 7 — Est-il nécessaire que quelqu’un reçoive le baptisé au sortir des fonts ?

Objections :

1. Notre baptême est consacré par le baptême du Christ et s’y conforme. Or le Christ après son baptême n’a été tiré de l’eau par personne, mais, comme dit S. Matthieu (3, 16), " après son baptême Jésus sortit aussitôt de l’eau ". Il semble donc que dans le baptême des autres, il n’est pas nécessaire que quelqu’un soit là pour faire sortir des fonts le baptisé.

2. Comme on l’a dit le baptême est une régénération spirituelle. Mais la génération charnelle ne requiert qu’un principe actif, qui est le père, et un principe passif, qui est la mère. Or dans le baptême, selon S. Augustin, le baptiseur tient lieu de père, et l’eau baptismale de mère. Il n’est donc pas requis qu’un autre encore reçoive le baptisé au sortir de la fontaine sacrée.

3. Dans les sacrements de l’Église rien ne doit prêter à rire. Mais il semble dérisoire que des adultes qui peuvent se tenir eux-mêmes et sortir tout seuls des fonts, soient soutenus par quelqu’un. Il ne semble donc pas nécessaire, surtout dans le baptême des adultes, que quelqu’un reçoive le baptisé au sortir des fonts.

En sens contraire, Denys a dit : " Les prêtres reçoivent le baptisé et le confient à son parrain, responsable de son éducation. "

Réponse :

La régénération spirituelle opérée par le baptême est comparable à la génération chamelle, dit S. Pierre (1 P 2, 2) : " Comme des enfants nouveau-nés, désirez le pur lait spirituel. " Or dans la génération chamelle le nouveau-né a besoin d’une nourrice et d’un éducateur. Aussi dans la génération spirituelle du baptême, faut-il quelqu’un qui assume les fonctions de la nourrice et de l’éducateur, pour former celui qui est novice dans la foi et l’instruire des choses de la foi et de la vie chrétienne. Les supérieurs ecclésiastiques ne peuvent s’en charger, absorbés qu’ils sont par le soin de la communauté, alors que les petits enfants et les néophytes réclament des soins tout particuliers. Il faut donc que quelqu’un reçoive le baptisé au sortir de la piscine sacrée, comme pour l’instruire et le protéger. C’est ce que dit Denys : " Nos maîtres divins ", - c’est-à-dire les Apôtres, - " ont pensé et décidé d’admettre les enfants, à condition que les parents de l’enfant confient leur fils à quelque pédagogue instruit dans les choses divines, pour qu’il vive sous sa conduite, sous la garde d’un père spirituel chargé de son salut ".

Solutions :

1. Si le Christ a été baptisé, ce n’est pas pour sa propre régénération, mais pour régénérer les autres. Après le baptême, il n’avait donc pas besoin d’un maître, comme s’il avait été un petit enfant.

2. La génération charnelle ne requiert absolument que le père et la mère ; mais pour faciliter l’accouchement, et pour l’éducation de l’enfant, il faut une sage-femme, une nourrice et un pédagogue. Dans le baptême, ces fonctions sont assurées par celui qui retire l’enfant du baptistère. Il n’est donc pas absolument nécessaire au sacrement, mais en cas de nécessité un seul ministre peut baptiser dans l’eau.

3. Ce n’est pas à cause de sa faiblesse corporelle que le baptisé est reçu par son parrain au sortir de la fontaine sacrée, mais à cause de sa faiblesse spirituelle.

 

Article 8 - Son parrain est-il tenu d’instruire le baptisé ?

Objections :

1. Personne ne peut instruire, s’il n’est lui-même instruit. Mais on prend souvent comme parrains des gens simples et sans instruction. Le parrain n’est donc pas tenu d’instruire son filleul.

2. Un fils est mieux instruit par son père que par un étranger, car c’est de son père, dit le Philosophe, que le fils reçoit l’être, la nourriture et l’instruction. Donc, si le parrain doit instruire son filleul, il conviendrait que le père selon la chair fût plutôt qu’un autre le parrain de son fils, mais cela est interdit par le droit.

3. Plusieurs maîtres instruisent mieux qu’un seul. Si le parrain est obligé d’instuire son filleul, il faudrait donc qu’il y eût plusieurs parrains plutôt qu’un seul. Mais c’est le contraire que prescrit le pape Léon : " Qu’il n’y ait pas plusieurs parrains à recevoir l’enfant au sortir du baptême, mais qu’il n’y en ait qu’un seul, homme ou femme. "

En sens contraire, S. Augustin dit : " Vous, hommes et femmes, qui avez reçu des fils au baptême, je vous avertis avant tout d’avoir à vous considérer comme responsables devant Dieu de ceux qu’on vous a vus recevoir au sortir de la fontaine sacrée. "

Réponse :

Chacun est tenu de remplir la charge qu’il accepte. Or nous avons dit que celui qui reçoit quelqu’un au sortir des fonts assume la charge de précepteur. Il est donc obligé de prendre soin de lui, si c’est nécessaire, comme cela arrive en des temps ou des lieux où des néophytes sont élevés parmi les infidèles. Pourtant, s’ils sont élevés parmi des chrétiens catholiques, les parrains peuvent s’estimer libérés de ce soin, en présumant que leurs filleuls sont instruits soigneusement par leurs parents. Mais si d’une façon ou d’une autre ils se rendaient compte qu’il n’en est pas ainsi, ils seraient tenus de s’employer de leur mieux au salut de leurs enfants spirituels.

Solutions :

1. S’il y avait quelque danger, il faudrait que ce soit quelqu’un " d’instruit dans les choses divines ", comme dit Denys qui reçoive le néophyte au sortir de la fontaine sacrée. Mais si ce danger n’existe pas, parce que les enfants sont élevés dans un milieu catholique, n’importe qui peut être admis à cette fonction, car tout le monde connaît ce qui appartient à la foi et à la vie chrétienne.

Et cependant un non-baptisé ne peut être parrain, comme l’a déclaré un concile de Mayence, bien qu’il puisse baptiser ; car le ministre est indispensable au sacrement, mais non le parrain, nous l’avons dit.

2. De même qu’il y a une génération spirituelle différente de la génération charnelle, il doit aussi y avoir une autre éducation, selon l’épître aux Hébreux (12, 9) : " Nous avons eu nos pères selon la chair comme éducateurs et nous les respectons ; combien plus devons-nous nous soumettre au Père des esprit pour avoir la vie ? Il faut donc, à moins que la nécessité n’exige le contraire, que le père spirituel ne soit pas le même que le père selon la chair. "

3. Il y aurait confusion dans l’éducation s’il n’y avait pas un unique éducateur principal. C’est pourquoi dans le baptême, il ne doit y avoir qu’un seul parrain principal. D’autres cependant peuvent être admis comme auxiliaires.

 

 

QUESTION 68 — CEUX QUI REÇOIVENT LE BAPTÊME

1. Tous les hommes sont-ils tenus de recevoir le baptême ? - 2. Peut-on être sauvé sans le baptême ? - 3. Le baptême doit-il être retardé ? - 4. Faut-il baptiser les pécheurs ? - 5. Faut-il imposer des œuvres satisfactoires aux pécheurs qu’on a baptisés ? - 6. La confession des péchés est-elle requise ? - 7. L’intention est-elle requise chez le baptisé ? - 8. La foi est-elle requise ? - 9. Faut-il baptiser les enfants ? - 10. Faut-il baptiser les enfants des Juifs malgré leurs parents ? - 11. Faut-il baptiser les enfants qui sont encore dans le sein de leur mère ? - 12. Faut-il baptiser les fous et les déments ?

 

            Article 1 — Tous les hommes sont-ils tenus de recevoir le baptême ?

Objections :

1. Le Christ n’est pas venu resserrer pour les hommes le chemin du salut. Mais avant la venue du Christ les hommes pouvaient être sauvés sans le baptême. Donc ils le peuvent encore après sa venue.

2. Le baptême, semble-t-il, a été institué surtout comme remède contre le péché originel. Mais celui qui a été baptisé, n’ayant plus le péché originel, ne peut plus le transmettre à ses enfants. Il ne semble donc pas qu’il faille baptiser les enfants des baptisés.

3. Le baptême nous est donné pour nous purifier du péché par la grâce. Mais cela, ceux qui sont sanctifiés dès le sein de leur mère l’obtiennent sans le baptême. Ils ne sont donc pas tenus de recevoir le baptême.

En sens contraire, on lit en S. Jean (3, 5) " Si l’on ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, on ne peut entrer dans le royaume de Dieu ", et dans le livre des Croyances ecclésiastiques : " Nous croyons qu’il n’y a de chemin de salut que pour les baptisés. "

Réponse :

Les hommes sont tenus de prendre les moyens sans lesquels leur salut est impossible. Or il est évident que nul ne peut trouver le salut que par le Christ ; aussi l’Apôtre dit-il (Rm 5, 12) : " De même que par la faute d’un seul ce fut la condamnation pour tous les hommes, de même par la justice d’un seul, c’est pour tous les hommes la justification qui donne la vie. " Or le baptême est donné pour que, régénéré par lui, on soit incorporé au Christ en devenant un de ses membres ; c’est ce que dit S. Paul (Ga 3, 27) : "Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. " Il est donc évident que tous sont tenus au baptême, et que sans lui il ne saurait y avoir de salut pour les hommes.

Solutions :

1. Jamais les hommes ne purent être sauvés, même avant la venue du Christ, s’ils ne devenaient membres du Christ, car " il n’y a aucun autre nom qui ait été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés " (Ac 4, 12). Avant la venue du Christ les hommes étaient incorporés au Christ par la foi à sa venue future, foi dont le " sceau " était la circoncision (Rm 4, 11). Avant l’institution de la circoncision, c’était par la foi seule, dit S. Grégoire, que les hommes étaient incorporés au Christ, foi accompagnée d’offrandes et de sacrifices, par lesquels les anciens Pères professaient leur foi.

Mais depuis la venue du Christ, c’est encore par la foi que les hommes sont incorporés au Christ (Ep 3, 17) : " Le Christ habite dans vos cœurs par la foi. " Mais la foi à une réalité présente s’exprime par un signe autre que celui qui la manifestait quand cette réalité était encore à venir ; de même que c’est par des mots différents que l’on exprime le présent, le passé et le futur. Ainsi, bien que le sacrement de baptême lui-même n’ait pas toujours été nécessaire au salut, la foi, dont le baptême est le sacrement, a toujours été indispensable.

2. Comme on l’a dit dans la deuxième Partie, ceux qui sont baptisés sont renouvelés spirituellement par le baptême, mais leur corps reste soumis à la vétusté du péché, dit S. Paul (Rm 8, 10) : " Le corps est mort à cause du péché, mais l’esprit vit à cause de la justification. " Et S. Augustin en conclut que " n’est pas baptisé tout ce qui est dans l’homme". Or il est évident que par la génération charnelle l’homme n’engendre pas selon l’esprit, mais selon la chair. Par conséquent les enfants des baptisés naissent avec le péché originel. Aussi ont-ils besoin d’être baptisés.

3. Ceux qui sont sanctifiés dans le sein de leur mère reçoivent sans doute la grâce qui les purifie du péché originel, mais ils n’en reçoivent pas pour autant le caractère qui les configurerait au Christ. Par conséquent, si maintenant encore il y avait des enfants qui soient sanctifiés dans le sein maternel, il serait nécessaire de les baptiser, pour que, en recevant le caractère, ils soient conformés aux autres membres du Christ.

 

            Article 2 — Peut-on être sauvé sans le baptême ?

Objections :

1. Le Seigneur dit (Jn 3, 5) : " Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. " Mais ceux-là seuls sont sauvés qui entrent dans le royaume de Dieu. Personne donc ne peut être sauvé sans le baptême, qui régénère dans l’eau et l’Esprit Saint.

2. On lit dans le livre des Croyances ecclésiastiques : " Nous croyons qu’aucun catéchumène, fut-il mort dans les bonnes œuvres, ne peut obtenir la vie éternelle, excepté dans le cas du martyre, en lequel est accompli tout le sacrement du baptême. " Mais si quelqu’un pouvait être sauvé sans le baptême, ce serait précisément le cas des catéchumènes qui ont les bonnes œuvres, et qui semblent avoir la foi qui agit par la charité. Par conséquent personne ne peut être sauvé sans le baptême.

3. Comme on l’a dit plus haut le sacrement de baptême est nécessaire au salut. Or le nécessaire est " ce sans quoi une chose ne peut être ". Il semble donc que personne ne peut sans le baptême obtenir le salut.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Certains ont pu recevoir le bienfait de la sanctification invisible en dehors des sacrements visibles ; mais la sanctification visible que réalise le sacrement visible, peut être donnée sans la sanctification invisible, mais alors elle ne sert de rien. " Comme le sacrement de baptême appartient à la sanctification visible, il semble que sans le sacrement de baptême on puisse obtenir le salut par la sanctification invisible.

Réponse :

Il y a deux façons de ne pas être baptisé. D’une part, ne l’être ni de fait ni de désir ; c’est le cas de ceux qui ne sont pas baptisés et ne veulent pas l’être. Et c’est manifestement mépriser le sacrement, au moins chez ceux qui ont l’usage du libre arbitre. Ceux à qui le baptême fait défaut de cette façon ne peuvent parvenir au salut, puisque ni sacramentellement, ni spirituellement, ils ne sont incorporés au Christ qui seul peut nous sauver.

D’autre part, on peut n’être pas baptisé de fait, mais en avoir le désir. C’est le cas de celui qui désire être baptisé, mais qui par accident est surpris par la mort avant d’avoir pu recevoir le baptême. Celui-là, sans avoir reçu de fait le baptême, peut parvenir au salut, à cause du désir du baptême, qui procède de la foi " qui agit par la charité ", et par laquelle Dieu, dont la puissance n’est pas liée aux sacrements visibles, sanctifie intérieurement l’homme. Ainsi S. Ambroise dit-il de Valentinien qui mourut catéchumène : " Celui que je devais régénérer, je l’ai perdu, mais lui n’a pas perdu la grâce qu’il avait demandée. "

Solutions :

1. Comme dit l’Écriture (1 S 16, 7) " Les hommes voient ce qui paraît, mais Dieu regarde les cœurs. " Or celui qui désire être régénéré par le baptême dans l’eau et l’Esprit Saint est régénéré de cœur, mais non de corps ; comme dit l’Apôtre (Rm 2, 29), " la circoncision du cœur est dans l’esprit et non dans la lettre ; c’est elle qui sera louée non par les hommes, mais par Dieu ".

2. Personne ne parvient à la vie éternelle s’il n’est absous de toute faute et de toute peine. Cette absolution totale est donnée dans la réception du baptême, et dans le martyre. Aussi dit-on que le martyre accomplit tout le sacrement du baptême, en tant qu’il libère entièrement de la faute et de la peine. Donc, si un catéchumène a le désir du baptême (autrement il ne mourrait pas dans les bonnes œuvres, qui ne peuvent exister sans la foi, qui agit par la charité), et si ce catéchumène vient à mourir, il ne parvient pas aussitôt à la vie éternelle, mais il subira la peine de ses péchés passés : " Pourtant il sera sauvé comme à travers le feu " (1 Co 3, 15).

3. Si l’on dit que le sacrement de baptême est nécessaire au salut, c’est que l’homme ne peut être sauvé s’il ne le possède au moins par sa volonté, et Dieu tient cette volonté pour une chose faite.

 

            Article 3 — Le baptême doit-il être retardé ?

Objections :

1. Le pape Léon dit : " Le pontife romain a fixé deux époques, Pâques et la Pentecôte, où il serait légalement permis de baptiser. Nous engageons donc Votre Dilection à ne pas ajouter d’autres jours à cette prescription. " Il ne faut donc baptiser personne immédiatement, mais différer le baptême jusqu’aux époques susdites.

2. On lit dans les actes d’un concile d’Agde : " Si les Juifs, que leur infidélité fait souvent revenir à leur vomissement, désirent se mettre sous la loi de l’Église catholique, qu’ils restent pendant huit mois avec les catéchumènes à l’entrée de l’église ; et si l’on voit qu’ils viennent avec une intention pure, on les jugera dignes de la grâce du baptême. " On ne doit donc pas donner immédiatement le baptême, mais il faut attendre quelque temps.

3. On lit dans Isaïe (27, 9) : " Tout le fruit, c’est que disparaisse le péché. " Mais le péché disparaîtrait plus complètement, ou du moins serait diminué, si l’on différait le baptême. D’abord, parce que ceux qui pèchent après le baptême commettent une faute plus grave : " Quel châtiment plus grave pensez-vous que méritera celui qui aura tenu pour profane le sang de l’alliance dans lequel il a été sanctifié ?" (He 10, 29), c’est-à-dire le baptême ? Ensuite le baptême efface les péchés passés, mais non les péchés futurs ; par conséquent, plus on retardera le baptême, plus il remettra de péchés. On doit donc, semble-t-il, le différer longtemps.

En sens contraire, il est écrit (Si 5, 7) : " Ne tarde pas à te convertir au Seigneur, et ne diffère pas de jour en jour. " Mais la parfaite conversion à Dieu est le fait de ceux qui sont régénérés dans le Christ par le baptême. Il ne faut donc pas remettre celui-ci de jour en jour.

Réponse :

Ici il faut distinguer selon que les candidats au baptême sont des enfants ou des adultes. Si ce sont des enfants, il ne faut pas différer le baptême, d’abord parce qu’il n’y a pas à attendre chez eux une instruction plus avancée ou une conversion plus complète ; ensuite à cause du danger de mort, puisque pour eux il n’y a pas d’autre remède que le sacrement de baptême.

Quant aux adultes, ils peuvent avoir le secours du seul baptême de désir, comme nous l’avons dit à l’article précédent. Par conséquent, il ne faut pas leur conférer le sacrement dès leur conversion, mais il faut leur imposer un certain délai. D’abord par prudence, pour que l’Église ne se laisse pas tromper par ceux qui viendraient avec des sentiments feints (1 Jn 4, 1) : " Ne vous fiez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits, pour voir s’ils viennent de Dieu. " Pour les candidats au baptême, cette épreuve consistera à examiner leur foi et leur conduite pendant un certain temps. - Ensuite, cela est nécessaire pour le profit des candidats eux-mêmes ; ils ont besoin de quelque délai pour être pleinement instruits de la foi, et pour s’exercer aux devoirs de la vie chrétienne. - Enfin cela est nécessaire pour le respect que nous devons aux sacrements ; si les candidats sont admis au baptême lors des solennités majeures de Pâques et de la Pentecôte, ils reçoivent le sacrement avec plus de dévotion.

Ce délai peut être supprimé pour deux raisons. D’abord quand ceux qui doivent être baptisés paraissent parfaitement instruits dans la foi et aptes au baptême ; ainsi Philippe baptise immédiatement l’eunuque, et Pierre, Corneille et ses compagnons (Ac 8, 36 et 10, 47). - Ensuite en cas de maladie ou de danger de mort. Aussi le pape Léon Il, dit-il : "Ceux que pressent le danger de mort, la maladie, un siège, la persécution ou le naufrage, doivent être baptisés en tout temps. " Si pourtant quelqu’un qui attend l’époque fixée par l’Église est surpris par la mort et empêché de recevoir le baptême, il est sauvé, comme nous l’avons dit "à travers le feu". Et il y aurait cependant péché à différer le baptême au-delà du temps fixé par l’Église, sans raison et sans autorisation des supérieurs ecclésiastiques. Mais ce péché peut comme les autres être effacé par la contrition qui tient lieu du baptême, nous l’avons dit.

Solutions :

1. Cette prescription du pape Léon de s’en tenir pour l’administration du baptême aux deux jours de fête doit s’entendre, comme on l’a dit, " hors du péril de mort ", qui est toujours à craindre pour les enfants.

2. Cette mesure concernant les juifs a été prise pour la sécurité de l’Église, afin qu’ils ne corrompent pas la foi des simples au cas où il ne seraient pas pleinement convertis. Et cependant, comme on l’ajoute, " si durant le délai prescrit ils tombent malades et courent quelque danger, il faut les baptiser ".

3. Par la grâce qu’il confère, le baptême non seulement remet les péchés passés, mais empêche aussi d’en commettre à l’avenir. Et que les hommes ne pèchent pas, c’est cela qu’il faut considérer ; que leurs fautes soient moins graves, ou même que leurs péchés soient lavés, cela est secondaire, selon ce que dit S. Jean : " Mes petits enfants, je vous écris cela pour que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus Christ le juste ; lui-même est la propitiation pour nos péchés " (1 Jn 2, 1-2).

 

            Article 4 — Faut-il baptiser les pécheurs ?

Objections :

1. On lit dans Zacharie (13, 1) : " En ce jour-là, il y aura une source ouverte à la maison de David et aux habitants de Jérusalem, pour laver le péché et la souillure ", ce qui s’entend de la fontaine baptismale. Il semble donc qu’il faut donner le sacrement de baptême même aux pécheurs.

2. Le Seigneur dit (Mt 9, 12) : " Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. " Les malades, ce sont les pécheurs. Et comme le remède que donne ce médecin spirituel, le Christ, c’est le baptême, il semble qu’il faut donner aux pécheurs le sacrement de baptême.

3. Aucun secours spirituel ne doit être refusé aux pécheurs. Mais les pécheurs baptisés sont aidés spirituellement par le caractère baptismal, qui est une disposition à la grâce ; il semble donc qu’il faut donner aux pécheurs le sacrement de baptême.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Celui qui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans toi. " Mais le pécheur, qui n’a pas la volonté bien disposée, ne coopère pas à l’œuvre de Dieu. Donc lui donner le baptême ne servirait pas à sa justification.

Réponse :

On peut être pécheur de deux façons. D’abord à cause de la souillure d’une faute passée. A ceux qui sont pécheurs en ce sens il faut conférer le baptême, qui a été institué précisément pour nous purifier de la souillure du péché,, comme dit S. Paul (Ep 5, 2) : " La purifiant, - l’Église dans le bain d’eau avec la parole de vie. "

Mais on peut aussi être pécheur par la volonté de pécher et le propos de demeurer dans le péché. A ceux qui sont pécheurs en ce sens il ne faut pas conférer le baptême. D’abord parce que le baptême nous incorpore au Christ (Ga 3, 27) : " Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. " Or, aussi longtemps qu’on a la volonté de pécher, on ne peut être uni au Christ (2 Co 6, 14) : " Qu’y a-t-il de commun entre la justice et l’iniquité ? " Aussi S. Augustin dit-il que " nul homme, en possession du libre arbitre, ne peut commencer une vie nouvelle sans se repentir de l’ancienne ". - Ensuite, parce qu’il ne doit y avoir rien d’inutile dans les œuvres du Christ et de l’Église. Or est inutile ce qui n’atteint pas la fin à laquelle il est destiné. Et personne ne peut avoir la volonté de pécher et en même temps être purifié du péché, ce qui est le but du baptême : ce serait contradictoire. - Enfin, parce qu’il ne doit y avoir aucune fausseté dans les signes sacramentels. Or un signe est faux quand la chose signifiée n’y correspond pas. Mais quand un homme se présente à l’ablution baptismale, cela signifie qu’il se dispose à la purification intérieure. Or ce n’est pas le cas pour celui qui a le propos de demeurer dans son péché. Il est donc clair qu’à des pécheurs de cette sorte on ne doit pas administrer le baptême.

Solutions :

1. Ce texte doit s’entendre des pécheurs qui ont la volonté de sortir de leur péché.

2. Le médecin des âmes, le Christ, agit de deux façons. D’abord, à l’intérieur et par lui-même, et c’est ainsi qu’il prépare la volonté de l’homme à vouloir le bien et détester le mal. D’autre part, il agit par ses ministres, en employant extérieurement les sacrements, et ainsi il agit en achevant à l’extérieur ce qu’il a commencé à l’intérieur.

Aussi le baptême ne doit-il être administré qu’à celui qui présente quelque signe de conversion intérieure, de même qu’on ne donne de médicaments corporels qu’au malade en qui apparaît quelque signe de vie.

3. Le baptême est le sacrement de la foi. Or la foi informe ne suffit pas au salut, et elle n’en est pas le fondement ; il y faut la foi formée, " qui agit par la charité", dit S. Augustin. Ainsi le baptême ne peut pas non plus donner le salut, si l’on garde la volonté de pécher, qui exclut la forme de la foi. - Et l’impression du caractère baptismal ne peut disposer à la grâce aussi longtemps qu’apparaît la volonté de péché, car, dit S. Jean Damascène : " Dieu ne force personne à la vertu. "

 

            Article 5 — Faut-il imposer des œuvres satisfactoires aux pécheurs qu’on a baptisés ?

Objections :

1. Il appartient à la justice divine de punir tout péché - "Toutes les actions, Dieu les citera en jugement" (Qo 12, 14). Mais on impose des œuvres satisfactoires aux pécheurs en punition de leurs fautes passées. Il semble donc qu’il faut imposer des œuvres satisfactoires aux pécheurs qui reçoivent le baptême.

2. Les œuvres satisfactoires exercent à la justice les pécheurs nouvellement convertis, et leur évitent les occasions de rechute, car "la satisfaction supprime les causes du péché et ne laisse pas entrer le péché ". Mais cela est extrêmement nécessaire aux nouveaux baptisés. Il semble donc qu’il faut leur imposer des œuvres satisfactoires.

3. Il n’est pas moins nécessaire de satisfaire à Dieu qu’aux hommes. Si les nouveaux baptisés ont causé quelque dommage à leur prochain, on doit leur enjoindre de le réparer. Donc il faut aussi leur enjoindre de satisfaire envers Dieu par des œuvres de pénitence.

En sens contraire, sur ce texte (Rm 11, 29) "Les dons de Dieu et son appel sont sans repentance", S. Ambroise dit : "La grâce de Dieu ne demande dans le baptême ni gémissements ni lamentations, ni une œuvre quelconque, mais la foi seule, et elle pardonne tout gratuitement. "

Réponse :

L’Apôtre dit aux Romains (6, 3) " Nous tous, qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés ; nous avons été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort. " Ainsi par le baptême l’homme est incorporé à la mort même du Christ. Or, d’après ce qui a été dit plus haut, il est clair que la mort du Christ a satisfait suffisamment pour les péchés, " non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier" (1 Jn 2, 2). Par conséquent, à celui qui est baptisé, quelles que soient ses fautes, on ne doit imposer aucune satisfaction, car ce serait faire injure à la passion et à la mort du Christ, comme si elles ne suffisaient pas à satisfaire pleinement pour les péchés des baptisés.

Solutions :

1. S. Augustin dit : " L’effet du baptême est d’incorporer les baptisés au Christ comme ses membres. " Donc la peine même du Christ a satisfait pour les péchés des baptisés, comme la peine d’un membre peut satisfaire pour le péché d’un autre membre. Aussi Isaïe dit-il (53, 4) " Il a vraiment porté nos maladies, il s’est chargé de nos iniquités. "

2. Les néophytes doivent être exercés à pratiquer la justice, mais par des œuvres faciles, et non par des œuvres douloureuses, " pour les conduire comme par le lait d’un exercice facile jusqu’à une haute perfection ", dit la Glose sur le Psaume (131, 2) : "comme un enfant sevré près de sa mère. . . ". Aussi le Seigneur exempta de jeûner ses disciples récemment convertis (Mt 9, 14). Et c’est ce que dit S. Pierre (1 P 2, 2) : "Comme des nouveau-nés désirez le lait, pour qu’il vous fasse grandir pour le salut. "

3. Restituer le bien mal acquis, et réparer les torts commis envers le prochain, c’est abandonner le péché, puisque c’est un péché de retenir le bien d’autrui et de ne pas se réconcilier avec le prochain. C’est pourquoi il faut enjoindre aux nouveaux baptisés de réparer envers le prochain, comme on leur enjoint d’abandonner le péché. Mais il n’y a pas à leur imposer une peine quelconque pour les péchés passés.

 

            Article 6 — La confession des péchés est-elle requise ?

Objections :

1. On lit en S. Matthieu (3, 6) que " beaucoup de gens étaient baptisés par Jean dans le Jourdain, confessant leurs péchés ". Il semble donc qu’à plus forte raison ceux qui se font baptiser du baptême du Christ doivent confesser leurs péchés.

2. On lit dans les Proverbes (28, 13) : " Celui qui cache ses fautes ne prospérera pas ; mais celui qui les avoue et les quitte, obtiendra miséricorde. " Mais on se fait baptiser pour obtenir le pardon de ses péchés. Donc ceux qui se font baptiser doivent confesser leurs péchés.

3. La pénitence est requise avant le baptême, suivant cette parole des Actes (2, 38) : " Faîtes pénitence et que chacun de vous se fasse baptiser. " Mais la confession est une partie de la pénitence. Il semble donc qu’elle est requise avant le baptême.

En sens contraire, c’est avec des larmes que nous devons confesser nos péchés : "Il faut repasser dans son cœur toute cette multiplicité de péchés et les pleurer ", dit S. Augustin. Mais S. Ambroise dit que " la grâce de Dieu ne demande dans le baptême ni gémissements ni lamentations ". Ceux qui vont être baptisés ne doivent donc pas confesser leurs péchés.

Réponse :

Il y a deux façons de confesser ses péchés. L’une est intérieure et s’adresse à Dieu. Celle-là est requise avant le baptême : l’homme doit se souvenir de ses péchés et les regretter, " car personne, dit S. Augustin , ne peut commencer une vie nouvelle s’il ne se repent de l’ancienne ".

L’autre confession est extérieure et se fait au prêtre. Celle-là n’est pas requise avant le baptême. D’abord parce que cette confession, qui s’adresse à la personne du ministre, appartient au sacrement de pénitence, qui n’est pas exigé avant le baptême, "porte de tous les sacrements". - Puis cette confession extérieure se fait au prêtre pour qu’il absolve le pénitent de ses péchés et lui impose des œuvres satisfactoires ; mais, on l’a dit ci-dessus, il ne faut pas en imposer aux baptisés. - Enfin, cette confession détaillée faite à un homme a quelque chose de pénible, à cause de la honte qu’on a de s’accuser. Et il ne faut imposer au baptisé aucune peine extérieure.

Par conséquent, on ne demande pas aux baptisés une confession détaillée de leurs péchés ; mais il suffit de la confession générale qu’ils font quand, selon le rite de l’Église, ils renoncent à Satan et à toutes ses œuvres. Aussi la Glose dit-elle que le baptême de Jean donne aux catéchumènes l’exemple de confesser leurs péchés et de promettre une vie meilleure.

Pourtant si, par dévotion, certains voulaient confesser leurs péchés, il faudrait entendre leur confession, non pas pour leur imposer une pénitence, mais pour leur donner, contre leurs fautes coutumières, une formation à la vie spirituelle.

Solutions :

1. Le baptême de Jean ne remettait pas les péchés, mais c’était un baptême de repentance. C’est pourquoi ceux qui venaient le recevoir faisaient bien de confesser leurs péchés, pour recevoir une pénitence proportionnée. Mais le baptême du Christ, dit S. Ambroise, ne comporte pas de pénitence extérieure. Le cas n’est donc pas le même.

2. L’aveu intérieur fait à Dieu, et même la confession extérieure générale suffisent pour que les baptisés puissent être mis dans la voie droite et obtenir miséricorde. Mais, nous l’avons dit, une confession extérieure détaillée n’est pas requise.

3. La confession est une partie de la pénitence sacramentelle, laquelle, nous venons de le dire, n’est pas requise avant le baptême ; mais ce qui est requis c’est la vertu de la pénitence intérieure.

 

            Article 7 — L’intention est-elle requise chez le baptisé ?

Objections :

1. Le baptisé, dans le sacrement, n’a que le rôle de patient. Or l’intention est requise, non chez le patient, mais chez l’agent.

2. Si l’on omet un élément essentiel au baptême, il faut que le sujet soit rebaptisé, comme si l’on omet l’invocation de la Trinité. Mais il ne semble pas qu’il faille rebaptiser celui qui n’avait pas l’intention de recevoir le baptême. Autrement, comme on ne peut être certain de l’intention, n’importe qui pourrait demander à être rebaptisé à cause de son défaut d’intention. Il ne semble donc pas que l’intention de recevoir le sacrement soit requise chez le baptisé.

3. Le baptême est donné contre le péché originel. Or, on contracte le péché originel à la naissance, sans aucune intention. De même, semble-t-il, le baptême ne requiert pas l’intention de la part du baptisé.

En sens contraire, selon le rite de l’Église, les catéchumènes affirment publiquement qu’ils demandent à l’Église le baptême. Par là ils affirment leur intention de recevoir ce sacrement.

Réponse :

Par le baptême, on meurt à l’ancienne vie de péché pour commencer une vie nouvelle : " Nous avons été ensevelis avec le Christ par le baptême en sa mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts, nous aussi nous marchions dans une vie nouvelle " (Rm 6, 4). Or, pour mourir à sa vie ancienne, il faut, dit S. Augustin, chez l’homme qui dispose de son libre arbitre, la volonté de regretter le passé ; de même est requise la volonté de commencer la vie nouvelle dont le principe est la réception même du sacrement. Par conséquent, il est requis du baptisé qu’il ait la volonté, ou l’intention, de recevoir le sacrement.

Solutions :

1. Dans la justification opérée par le baptême, la passivité n’est pas contrainte, mais volontaire. Aussi l’intention de recevoir ce qui est donné là est-elle requise.

2. Si un adulte n’avait pas eu l’intention de recevoir le sacrement, il faudrait le rebaptiser. Si l’on n’en était pas certain, il faudrait dire : " Si tu n’es pas baptisé, je te baptise. "

3. Le baptême est donné non seulement contre le péché originel, mais aussi contre le péché actuel qui provient de la volonté et de l’intention.

 

            Article 8 — La foi est-elle requise chez le baptisé ?

Objections :

1. Le baptême a été institué par le Christ. Mais le Christ, en prescrivant la forme du baptême, suppose la foi avant le baptême (Mc 16, 16) : " Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. " Il semble donc que sans la foi il ne peut y avoir de baptême.

2. Rien n’est inutile dans les sacrements de l’Église. Mais selon le rite de l’Église, on interroge sur sa foi celui qui s’approche du baptême, quand on lui demande : " Crois-tu en Dieu, le Père tout-puissant ?" Il semble donc que la foi est requise pour le baptême.

3. Le baptême requiert l’intention de recevoir le sacrement. Mais cette intention n’est possible qu’avec une foi droite, puisque le baptême est le sacrement de la foi droite ; car c’est par lui que les hommes sont incorporés au Christ, dit S. Augustin , et cela n’est possible qu’avec une foi droite : " le Christ habite dans vos cœurs par la foi " (Ep 3, 17). Il semble donc que celui qui n’a pas la vraie foi ne peut recevoir le sacrement de baptême.

4. L’infidélité est le plus grave des péchés, comme on l’a montré dans la deuxième Partie. Mais il ne faut pas baptiser ceux qui demeurent dans le péché. Ni non plus, donc, ceux qui persistent dans l’infidélité.

En sens contraire, S. Grégoire écrit à l’évêque Quirice : "Les anciennes décisions des Pères nous ont appris que ceux qui dans l’hérésie ont été baptisés au nom de la Trinité, s’ils reviennent à l’Église, doivent être reçus dans le sein de la Mère Église par l’onction du chrême, ou par l’imposition des mains, ou seulement par la profession de foi. " Il n’en serait pas ainsi si la foi était nécessairement requise pour recevoir le baptême.

Réponse :

Comme il ressort de ce que nous avons dit baptême produit dans l’âme deux effets, le caractère et la grâce. Aussi une condition peut-elle être nécessaire pour le baptême à double titre. Il y a d’une part ce qui est nécessaire à la réception de la grâce, effet ultime du sacrement. Et dans ce sens, la foi est nécessaire pour le baptême, car, comme dit S. Paul (Rm 3, 22) : " la justice de Dieu est par la foi en Jésus Christ ".

Il y a d’autre part ce qui est requis nécessairement pour l’impression du caractère baptismal. Et à ce titre la foi du baptisé n’est pas requise nécessairement pour le baptême, pas plus que la foi de celui qui baptise, pourvu que soient remplies les autres conditions nécessaires au sacrement. Car le sacrement n’est pas l’œuvre de la justice de l’homme, ni de celui qui le donne, ni de celui qui le reçoit, mais il est l’œuvre de la puissance de Dieu.

Solutions :

1. Le Seigneur parle ici du baptême comme du moyen de conduire les hommes au salut par la grâce sanctifiante, ce qui est impossible sans la vraie foi. Aussi dit-il expressément : " Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé. "

2. L’intention de l’Église est de baptiser les hommes pour les purifier de leurs péchés, selon la parole d’Isaïe (27, 9) : " Tout le fruit, c’est le pardon de leurs péchés. " Aussi elle ne veut, pour ce qui est d’elle, donner le baptême qu’à ceux qui ont la vraie foi, sans laquelle il n’y a pas de rémission des péchés. Aussi interroge-t-elle ceux qui viennent au baptême, pour leur demander s’ils croient.

Mais si quelqu’un reçoit le baptême en dehors de l’Église et sans avoir la vraie foi, le sacrement n’est pas utile à son salut. Aussi S. Augustin dit-il : " Comparer l’Église au paradis nous apprend que les hommes peuvent, même en dehors d’elle, recevoir son baptême, mais que sans elle nul ne peut recevoir ni garder le salut de la béatitude. "

3. Même sans avoir la vraie foi aux autres articles, on peut avoir la vraie foi à l’égard du sacrement de baptême ; ainsi rien n’empêche qu’on puisse avoir l’intention de recevoir le baptême. Et même si l’on n’a pas une idée juste de ce sacrement, il suffit pour le recevoir d’avoir l’intention générale de recevoir le baptême tel que le Christ l’a institué et tel que l’Église le donne.

4. De même qu’il ne faut pas conférer le sacrement de baptême à celui qui ne veut pas sortir de ses autres péchés, de même en va-t-il de celui qui ne veut pas abandonner l’infidélité. Pourtant si on le leur confère, l’un et l’autre reçoivent le sacrement, mais sans profit pour leur salut.

 

            Article 9 — Faut-il baptiser les enfants ?

Objections :

1. Chez celui qui reçoit le baptême est requise, comme on l’a dit l’intention de recevoir le sacrement. Or les enfants, qui n’ont pas l’usage de leur libre arbitre, ne peuvent avoir cette intention. Il semble donc qu’ils ne peuvent pas recevoir le sacrement de baptême.

2. Le baptême, comme on l’a dit plus haut, est le sacrement de la foi. Mais les enfants n’ont pas la foi, puisqu’elle consiste, dit S. Augustin " dans la volonté de ceux qui croient ". On ne peut pas dire non plus qu’ils sont sauvés par la foi des parents, puisque parfois les parents sont infidèles, et que leur infidélité pourrait perdre leurs enfants. Il semble donc que les enfants ne peuvent pas être baptisés.

3. S. Pierre dit (1 P 3, 21) : " Le baptême qui sauve les hommes, ce n’est pas l’ablution des souillures du corps, mais la demande à Dieu d’une bonne conscience. " Or la conscience des enfants ne peut être ni bonne ni mauvaise, puisqu’ils n’ont pas l’usage de la raison. Il ne convient pas non plus de les interroger, puisqu’ils ne comprennent pas. Donc il ne faut pas les baptiser.

En sens contraire, Denys affirme : " Nos chefs divins (les Apôtres) ont jugé bon d’admettre les enfants au baptême. "

Réponse :

L’Apôtre dit aux Romains (5, 17) : " Si par le péché d’un seul la mort a régné par un seul (c’est-à-dire par Adam) à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don et de la justice, régneront-ils dans la vie par un seul, Jésus Christ. " Or les enfants, par le péché d’Adam, contractent le péché originel : on le voit à ce qu’ils sont soumis à la mortalité qui, par le péché du premier homme, est passée à tous les autres, dit l’Apôtre au même endroit. Aussi, et à plus forte raison, les enfants peuvent-ils par le Christ recevoir la grâce qui les fera régner dans la vie éternelle. Mais le Seigneur lui-même a dit (Jn 3, 5) : "Nul, s’il n’est rené de l’eau et de l’Esprit Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. " Aussi est-il nécessaire de baptiser les enfants ; puisqu’à leur naissance ils encourent par Adam leur condamnation, il faut qu’en renaissant ils reçoivent du Christ leur salut.

Il convient aussi de baptiser les enfants pour que, nourris dès l’enfance dans la vie chrétienne, ils y persévèrent avec plus de fermeté, selon ce que disent les Proverbes (22, 6) : "Le jeune homme, une fois engagé dans sa voie, ne la quittera pas, même devenu vieux. " Et c’est la raison que donne Denys dans le texte cité.

Solutions :

1. La régénération spirituelle opérée par le baptême ressemble à la génération charnelle en ceci : dans le sein maternel les enfants ne se nourrissent pas eux-mêmes, mais sont alimentés par la nourriture que prend leur mère ; ainsi les enfants qui n’ont pas l’usage de la raison, comme s’ils étaient dans le sein de la Mère Église, reçoivent-ils le salut, non par eux-mêmes, mais par les actes, de l’Église. " La Mère Église, dit S. Augustin, prête aux enfants sa bouche maternelle pour qu’ils soient abreuvés des saints mystères, puisqu’ils ne peuvent encore croire pour la justice avec leur propre cœur, ni confesser la foi pour le salut avec leur propre bouche. Mais si l’on a raison de les appeler fidèles parce qu’ils professent d’une certaine manière leur foi par la bouche de ceux qui les portent, pourquoi ne les appellerait-on pas aussi pénitents, puisque par la bouche de ceux qui les portent on les entend renoncer au diable et au monde ? " Et pour la même raison, on peut dire qu’ils ont l’intention de recevoir le baptême, non pas certes par un acte d’intention personnelle, puisqu’il leur arrive parfois de s’y opposer et de pleurer, mais par l’acte de ceux qui les présentent.

2. S. Augustin écrit à Boniface : " Dans l’Église du Sauveur les petits enfants croient par les autres, de même que c’est par les autres qu’ils ont contracté les péchés qui sont remis dans le baptême. " Leur salut n’est pas empêché par l’infidélité de leurs parents puisque, dit encore S. Augustin écrivant au même Boniface, "les petits enfants sont présentés pour recevoir la grâce spirituelle, moins par ceux dont les mains les portent (qui pourtant eux aussi les présentent, s’ils sont fidèles), que par toute la société des saints et des fidèles. On a raison de croire qu’ils sont offerts par tous ceux qui le veulent et dont la charité les admet à la communion du Saint-Esprit ".

Et si des parents infidèles s’efforcent d’initier ces enfants au culte des démons après leur baptême, cette infidélité ne nuit pas aux enfants. Car, dit S. Augustin, "une fois engendrés par la volonté des autres, l’enfant ne peut ensuite être pris dans les liens de l’iniquité d’autrui, selon la parole d’Ézéchiel (18, 4) : "Comme l’âme du père est à moi, ainsi l’âme du fils ; l’âme qui pèche, c’est elle qui mourra. " Et si l’enfant a contracté en Adam la souillure dont la grâce du sacrement devait le libérer, c’est parce qu’il ne vivait pas encore d’une vie personnelle".

Mais la foi d’un seul, ou plutôt la foi de toute l’Église, sert à l’enfant par l’opération du Saint-Esprit qui fait l’unité de l’Église et par qui les biens de chacun sont communs à tous les autres.

3. De même qu’à son baptême l’enfant croit non d’une foi personnelle, mais par une foi des autres, de même il est interrogé, non lui-même, mais en la personne des autres, et ceux qui sont interrogés confessent la foi de l’Église en son nom ; il est agrégé à cette foi par le sacrement de la foi. Quant à la "bonne conscience ", l’enfant l’acquiert en lui-même, non pas encore en acte, mais en habitus, par la grâce sanctifiante.

 

            Article 10 — Faut-il baptiser les enfants des juifs malgré leurs parents ?

Objections :

1. On doit sauver un homme du danger de la mort éternelle plus encore que du danger de la mort temporelle. Or si un enfant est en danger de mort temporelle, on doit lui porter secours, même si par méchanceté ses parents s’y opposaient. A plus forte raison faut-il donc, malgré leurs parents, préserver du danger de la mort éternelle les enfants qui sont fils d’infidèles.

2. Les fils d’esclaves sont esclaves et au pouvoir de leurs maîtres. Mais les juifs et tous les autres infidèles sont esclaves des rois et des princes. Les princes peuvent donc, sans aucune injustice, faire baptiser les enfants des juifs et ceux de leurs autres esclaves infidèles.

3. Un homme appartient à Dieu, de qui il tient son âme, plus qu’à son père de qui il tient son corps. Il n’y a donc pas d’injustice à enlever à leurs parents selon la chair les enfants des infidèles pour les consacrer à Dieu par le baptême.

En sens contraire, on lit dans les décrétales ce canon d’un concile de Tolède : " Quant aux Juifs, le saint concile a décrété que désormais personne ne doit être amené à la foi par violence ; ce n’est pas malgré eux qu’il faut les sauver, mais de leur plein gré, pour que reste entière la forme de la justice. "

Réponse :

Les enfants qui sont fils d’infidèles ont l’usage de la raison, ou ils ne l’ont pas. S’ils l’ont, ils commencent à pouvoir disposer d’eux-mêmes en ce qui est de droit divin et de droit naturel. Ils peuvent donc, de leur propre volonté et malgré leurs parents, se faire baptiser, tout comme ils peuvent contracter mariage, et c’est pourquoi on peut licitement les exhorter et les inviter à recevoir le baptême.

Mais s’ils n’ont pas encore l’usage de la raison, ils sont, de droit naturel, sous la tutelle de leurs parents, aussi longtemps qu’ils ne peuvent pas se gouverner eux-mêmes. Ainsi dit-on que sous la loi ancienne les enfants étaient sauvés par la foi de leurs parents. Ce serait donc contraire à la justice naturelle que de baptiser ces enfants contre le gré de leurs parents, comme de baptiser malgré lui un homme qui a l’usage de la raison. Il serait de plus dangereux de baptiser les enfants des infidèles, car ils retourneraient facilement à l’infidélité, à cause de l’affection naturelle qu’ils ont pour leurs parents. Par conséquent, ce n’est pas l’habitude de l’Église de baptiser les enfants des infidèles malgré leurs parents.

Solutions :

1. Il n’est pas permis d’arracher quelqu’un à la mort corporelle au mépris du droit civil ; par exemple on n’a pas le droit d’arracher à la mort par violence celui qui a été condamné à mort par le juge. De même, il n’est pas permis, pour préserver un enfant du danger de la mort éternelle, de violer l’ordre du droit naturel qui le met sous la tutelle de son père.

2. Les juifs sont les esclaves des princes, mais d’un esclavage purement civil, qui n’exclut pas l’ordre du droit naturel ou du droit divin.

3. L’homme est ordonné à Dieu par sa raison, qui lui permet de le connaître. Par conséquent avant d’avoir l’usage de la raison, l’enfant, d’après l’ordre de la nature, est ordonné à Dieu par la raison de ses parents, aux soins desquels la nature l’a soumis. C’est en suivant leurs décisions qu’il faut agir envers lui dans les choses divines.

 

            Article 11 — Peut-on baptiser les enfants qui sont encore dans le sein de leur mère ?

Objections :

1. Le don du Christ est plus efficace pour notre salut que ne l’est le péché d’Adam pour notre damnation, dit S. Paul (Rm 5, 15). Mais les enfants sont, dès le sein de leur mère, condamnés à cause du péché d’Adam. Donc, et à plus forte raison, peuvent-ils être sauvés par le don du Christ, ce que fait le baptême. On peut donc baptiser les enfants dans le sein de leur mère.

2. L’enfant dans le sein de sa mère est quelque chose d’elle. Mais si l’on baptise la mère, tout ce qui est d’elle sera baptisé aussi. Il semble donc que si l’on baptise la mère, l’enfant qui est dans son sein sera baptisé aussi.

3. La mort éternelle est pire que la mort corporelle. Mais de deux maux il faut choisir le moindre. Donc, si un enfant dans le sein de sa mère ne peut être baptisé, il vaudrait mieux ouvrir la mère et en extraire l’enfant pour le baptiser, plutôt que de laisser l’enfant mourir sans baptême et aller à la mort éternelle.

4. Il arrive parfois qu’une partie seulement de l’enfant vienne d’abord, comme on le lit à propos de Thamar (Gn 38, 27) : " Lorsqu’elle accoucha, un des enfants étendit la main ; la sage-femme y attacha un fil écarlate en disant : "Celui-ci est le premier. " Mais l’enfant retira sa main, et l’autre sortit. " Mais il arrive en pareil cas qu’il y ait péril de mort. Il semble donc qu’il faille baptiser la partie qui se présente, alors que l’enfant est encore dans le sein maternel.

En sens contraire, S. Augustin écrit "Personne ne peut renaître qui ne soit né d’abord. " Mais le baptême est une renaissance spirituelle. On ne peut donc baptiser quelqu’un avant qu’il sorte du sein maternel.

Réponse :

Il est nécessaire au baptême que le corps du baptisé soit en quelque façon lavé dans l’eau, puisque le baptême, comme on l’a dit, est une ablution. Mais le corps d’un enfant, avant qu’il sorte du sein maternel, ne peut en aucune façon être lavé dans l’eau. A moins qu’on n’aille dire que l’ablution baptismale, qui lave le corps de la mère, atteint l’enfant qu’elle porte en son sein. Mais cela ne peut se faire, d’abord parce que l’âme de l’enfant, que le baptême est destiné à sanctifier, est distincte de l’âme de sa mère, - puis parce que le corps d’un enfant animé est déjà formé, et donc distinct du corps de sa mère. Ainsi le baptême que reçoit la mère ne rejaillit pas sur l’enfant. Aussi S. Augustin écrit-il contre julien : " Si le fœtus appartenait au corps de la mère au point d’être considéré comme une partie d’elle-même, on ne baptiserait pas l’enfant dont la mère a été baptisée en cas de danger de mort au cours de sa grossesse. Comme néanmoins on baptise l’enfant, c’est donc que, même dans le sein de sa mère, il n’appartient pas au corps de celle-ci. "

Ainsi reste-t-il qu’en aucune manière on ne peut baptiser les enfants qui sont encore dans le sein maternel.

Solutions :

1. Les enfants dans le sein de leur mère ne sont pas encore venus à la lumière pour partager la vie des autres hommes. Aussi ne peuvent-ils être soumis à l’action de ceux-ci pour recevoir par leur ministère les sacrements qui leur donneraient le salut. Mais ils peuvent être soumis à l’action de Dieu, pour qui ils sont vivants, et par privilège recevoir la grâce de la sanctification, comme cela se voit pour les saints qui furent sanctifiés dans le sein de leur mère.

2. Les organes internes de la mère sont quelque chose d’elle par la continuité et l’union d’une partie matérielle avec le tout. Mais l’enfant dans le sein de sa mère est quelque chose d’elle par le lien qui attache l’un à l’autre deux corps distincts. Le cas n’est donc pas le même.

3. On ne doit pas faire le mal pour qu’en sorte le bien ", dit S. Paul (Rm 3, 8). Il n’est donc pas permis de tuer la mère pour baptiser son enfant. Cependant, si la mère est morte et que l’enfant vive encore dans son sein, il faut l’ouvrir pour baptiser l’enfant.

4. A moins qu’il y ait péril de mort, il faut attendre, pour donner le baptême, que l’enfant soit entièrement sorti. S’il y avait danger de mort imminente, et que sorte la première la tête, qui est le siège du sentiment, il faudrait baptiser l’enfant. Et il n’y aurait pas à le rebaptiser ensuite, s’il vient à naître entièrement. Il faudrait faire de même, en cas de péril imminent, quelle que soit la partie du corps qui se présente. Cependant, comme la perfection de l’homme ne réside en aucune partie comme dans la tête, certains tiennent qu’à cause du doute il faut, l’accouchement achevé, et quelle que soit la partie du corps qui a reçu l’eau, que l’enfant soit baptisé ainsi " Si tu n’es pas baptisé, je te baptise. "

 

            Article 12 — Faut-il baptiser les fous et les déments ?

Objections :

1. La réception du baptême requiert, comme on l’a dit, l’intention du sujet. Mais les fous et les déments, qui sont privés de l’usage de la raison, ne peuvent avoir une intention réglée. Ils ne doivent donc pas être baptisés.

2. C’est par la raison que l’homme est supérieur aux animaux. Mais les fous et les déments n’ont pas l’usage de la raison, et parfois même on ne peut attendre, comme chez l’enfant qu’elle s’éveille en eux. Il semble donc que, comme on ne baptise pas les animaux, on ne doit pas non plus baptiser les fous et les déments.

3. L’usage de la raison est plus étroitement lié par la folie ou la démence que par le sommeil. Mais on n’a pas l’habitude de donner le baptême aux gens qui dorment. On ne doit donc pas non plus le donner aux déments et aux fous.

En sens contraire, S. Augustin dit de l’un de ses amis qu’on le baptisa alors qu’il était dans un état désespéré. Et cependant ce baptême fut efficace. On doit donc quelquefois donner le baptême à ceux qui n’ont pas l’usage de la raison.

Réponse :

Au sujet des fous et des déments, il faut distinguer. Certains sont dans cet état depuis leur naissance, n’ont pas d’intervalles lucides, et aucun usage de la raison n’apparaît en eux. En ce qui concerne le baptême, il faut en juger comme des enfants, que l’on baptise dans la foi de l’Église.

Il y en a d’autres qui, après avoir été sains d’esprit, sont tombés dans la folie. Il faut en juger selon la volonté qu’ils avaient exprimée alors qu’ils étaient sains d’esprit. S’ils ont alors manifesté la volonté de recevoir le baptême, on doit le leur donner dans leur état de folie ou démence, même si maintenant ils y contredisent. Si au contraire, ils n’ont manifesté, alors qu’ils étaient sains d’esprit, aucune volonté de recevoir le baptême, il ne faut pas les baptiser.

Certains sont fous ou déments depuis leur naissance, mais ont cependant des intervalles lucides pendant lesquels ils peuvent user droitement de leur raison. Si alors ils veulent être baptisés, on peut les baptiser, même s’ils sont retombés dans leur démence, et même on le doit, s’ils sont en danger de mort ; sinon il vaut mieux attendre un moment de lucidité pour qu’ils puissent recevoir le sacrement avec plus de dévotion. Mais si, dans leurs intervalles de lucidité, ils ne manifestent aucune intention de recevoir le baptême, il ne faut pas les baptiser quand ils retombent dans leur état.

D’autres enfin, même s’ils ne sont pas absolument sains d’esprit, ont cependant assez de raison pour pouvoir penser à leur salut et comprendre la vertu du sacrement. Il faut juger de ceux-ci comme de ceux qui sont sains d’esprit, et que l’on baptise de leur plein gré, et non malgré eux.

Solutions :

1. Les déments qui n’ont jamais eu et n’ont pas l’usage de la raison sont baptisés en vertu de l’intention de l’Église, comme on l’a dit au sujet des enfants. Ceux qui ont eu quelque temps l’usage de la raison, ou qui l’ont maintenant, sont baptisés selon leur propre intention, qu’ils ont maintenant ou qu’ils ont eue quand ils étaient sains d’esprit.

2. Les fous et les déments sont privés de l’usage de la raison accidentellement, à cause de quelque obstacle provenant des organes corporels et non pas, comme les animaux, parce qu’ils n’auraient pas une âme raisonnable. Le cas n’est donc pas le même.

3. Ceux qui dorment ne doivent être baptisés qu’en danger de mort imminente. Et dans ce cas on doit les baptiser si auparavant ils ont manifesté le désir de recevoir le baptême, comme on l’a dit des fous. C’est ce que S. Augustin raconte de son ami qui fut baptisé sans le savoir, à cause du danger de mort.

 

 

QUESTION 69 — LES EFFETS DU BAPTÊME

1. Le baptême enlève-t-il tous les péchés ? - 2. Le baptême délivre-t-il de toute peine ? - 3. Le baptême enlève-t-il les maux de cette vie ? - 4. Le baptême confère-t-il la grâce et les vertus ? - 5. Les effets des vertus conférées par le baptême. - 6. Même les petits enfants reçoivent-ils au baptême la grâce et les vertus ? - 7. Le baptême ouvre-t-il aux baptisés la porte du royaume des cieux ? - 8. Le baptême produit-il un effet égal chez tous les baptisés ? - 9. La " fiction " empêche-t-elle l’effet du baptême ? - 10. Quand la fiction disparaît, le baptême obtient-il son effet ?

 

            Article 1 — Le baptême enlève-t-il tous les péchés ?

Objections :

1. Le baptême est comme une régénération spirituelle, qui correspond à la génération charnelle. Mais par la génération charnelle, l’homme ne contracte que le péché originel. Donc le baptême n’efface que le péché originel.

2. La pénitence suffit à remettre les péchés actuels. Mais la pénitence est exigée chez les adultes, avant le baptême (Ac 2, 38) : "Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé. " Donc le baptême ne joue aucun rôle dans la rémission des péchés actuels.

3. Des maladies différentes réclament des remèdes différents, dit S. Jérôme : " Ce qui guérit le talon ne peut pas guérir l’œil. " Mais le péché originel, que remet le baptême, est d’un autre genre que le péché actuel. Donc ce ne sont pas tous les péchés qui sont remis par le baptême.

En sens contraire, Ézéchiel dit (36, 25) : " je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos souillures. "

Réponse :

L’Apôtre dit aux Romains (6, 3)

" Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés. " Et plus loin (6, 11) il conclut : " Aussi vous-mêmes regardez-vous comme morts au péché et vivant pour Dieu en Jésus Christ notre Seigneur. " Cela montre que par le baptême l’homme meurt à la vétusté du péché, et commence à vivre dans la nouveauté de la grâce. Or tout péché appartient à cette vétusté passée. Tout péché, par conséquent, est effacé par le baptême.

Solutions :

1. Comme dit l’Apôtre (Rm 5, 15), le péché d’Adam n’a pas autant de puissance que le don du Christ, que nous recevons par le baptême, " car le jugement a été porté à cause d’une seule faute pour la condamnation, mais la grâce apporte la justification de beaucoup de fautes ". Aussi, dit S. Augustin, " la génération de la chair n’entraîne que le péché originel, mais la régénération par l’Esprit remet non seulement le péché originel, mais aussi les fautes volontaires ".

2. Aucun péché ne peut être remis que par la vertu de la passion du Christ, dit l’Apôtre (He 9,22) : " Sans effusion de sang il n’y a pas de rémission. " Aussi le mouvement de la volonté humaine ne suffirait pas à remettre la faute sans la foi en la passion du Christ et le propos d’y participer, soit en recevant le baptême, soit en se soumettant aux clefs de l’Église. Ainsi, quand un adulte repentant vient au baptême, il obtient sans doute la rémission de tous ses péchés par le désir du baptême, mais il l’obtient plus parfaitement par sa réception réelle.

3. Il s’agit dans cette objection de remèdes particuliers. Mais le baptême agit en vertu de la passion du Christ, qui est le remède universel pour tous les péchés ; aussi le baptême remet-il tous les péchés.

 

            Article 2 — Le baptême délivre-t-il de toute peine ?

Objections :

1. L’Apôtre écrit (Rm 13, 1) : " Ce qui vient de Dieu est bien ordonné. " Mais la faute n’est remise en ordre que par le châtiment, dit S. Augustin. Le baptême n’enlève donc pas la peine méritée par les fautes passées.

2. L’effet du sacrement a quelque ressemblance avec le sacrement lui-même, puisque les sacrements de la loi nouvelle réalisent ce qu’ils signifient, comme on l’a dit plus haut. Mais si l’ablution baptismale a quelque ressemblance avec la purification d’une souillure, elle semble n’en avoir aucune avec la remise d’une peine. Donc le baptême n’enlève pas la peine.

3. Une fois sa peine remise, l’homme ne mérite plus de châtiment, et il serait injuste de le punir. Donc, si le baptême remet la peine, il serait injuste de pendre après le baptême le brigand qui aurait auparavant commis un homicide. Ainsi le baptême relâcherait la rigueur de la justice humaine, ce qui ne convient pas. Le baptême ne remet donc pas la peine.

En sens contraire, sur la parole de S. Paul (Rm 11, 29) : " Les dons de Dieu et son appel sont sans repentance ", S. Ambroise dit : " La grâce de Dieu dans le baptême remet tout gratuitement. "

Réponse :

Nous l’avons déjà dit le baptême nous incorpore à la passion et à la mort du Christ ; comme dit S. Paul (Rm 6, 8) : " Si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. " Cela montre que tout baptisé participe à la passion du Christ pour y trouver un remède, aussi bien que s’il avait souffert et était mort lui-même. Or la passion du Christ, nous l’avons dit est une satisfaction suffisante pour tous les péchés de tous les hommes. Ainsi le baptisé est libéré de la peine qu’il devait acquitter pour ses péchés, comme si lui-même avait pleinement satisfait pour tous ses péchés.

Solutions :

1. Puisque le baptisé participe à la peine de la passion du Christ, au titre de membre du Christ, comme si lui-même avait enduré cette peine, c’est par la peine de la passion du Christ que ses péchés sont remis en ordre.

2. L’eau lave, mais elle rafraîchit aussi. Et ainsi ce rafraîchissement signifie la rémission de la peine, comme l’ablution signifie que l’âme est lavée de ses péchés.

3. Dans les châtiments infligés par la justice humaine, on ne doit pas considérer seulement la peine que le coupable a méritée devant Dieu, mais aussi la dette qu’il a contractée envers les hommes, qui ont été lésés et scandalisés par son péché. Ainsi, bien qu’un assassin soit par le baptême libéré de toute peine devant Dieu, il demeure cependant lié devant les hommes, qu’il doit édifier en subissant son châtiment comme il les a scandalisés par sa faute. Cependant le prince pourrait par miséricorde lui remettre sa peine.

 

            Article 3 — Le baptême enlève-t-il les maux de cette vie ?

Objections :

1. Selon l’Apôtre (Rm 5, 15), le don du Christ est plus puissant que le péché d’Adam. Mais par le péché d’Adam, dit l’Apôtre au même endroit, " la mort est entrée dans le monde ", et après elle, toutes les autres peines de la vie présente. A plus forte raison, par conséquent, le don du Christ reçu au baptême doit-il libérer l’homme des peines de la vie présente.

2. Le baptême, on l’a dit plus haut remet la faute originelle et la faute actuelle. Et il remet le péché actuel de telle sorte qu’il libère de toute la peine qui lui était due. Donc il libère aussi des peines de la vie présente, qui sont le châtiment du péché originel.

3. Si l’on supprime la cause, ses effets disparaissent. Mais la cause des peines de cette vie, c’est le péché originel, que le baptême supprime. Donc les peines de cette vie ne devraient pas subsister.

En sens contraire, sur la parole de S. Paul (Rm 6, 6) : " Que le corps du péché soit détruit ", la Glose dit : " Le baptême a pour effet de crucifier le vieil homme et de détruire le corps du péché : non pas que la convoitise mêlée à la chair vivante et née avec elle, soit aussitôt consumée et n’existe plus, mais, présente en l’homme à sa naissance, elle ne peut plus lui nuire après sa mort. " Pour la même raison, les autres peines de la vie ne sont pas enlevées par le baptême.

Réponse :

Le baptême a la puissance d’enlever les peines de la vie présente ; cependant il ne les enlève pas en cette vie, mais c’est par sa vertu que les justes en seront libérés à la résurrection, " quand ce corps mortel revêtira l’immortalité " (1 Co 15, 54). Et il est raisonnable qu’il en soit ainsi.

D’abord, parce que l’homme est incorporé au Christ par le baptême et devient ainsi l’un de ses membres. Il convient donc que ce qui s’est passé pour la tête se passe aussi pour les membres. Or, si le Christ a été depuis sa conception plein de grâce et de vérité, il a eu cependant un corps passible qui par sa passion et sa mort est ressuscité à la vie glorieuse. Ainsi le chrétien reçoit-il par le baptême la grâce en son âme, alors qu’il a un corps passible, dans lequel il peut souffrir pour le Christ ; mais à la fin il ressuscitera pour une vie impassible. Aussi l’Apôtre dit-il (Rm 8, 11) : " Celui qui a ressuscité Jésus Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à nos corps mortels à cause de son Esprit qui habite en nous. " Et plus loin (v. 17) : "Nous sommes les héritiers de Dieu et les cohéritiers du Christ, si toutefois nous souffrons avec lui pour être glorifiés avec lui. "

De plus, cela convient aussi pour l’exercice de la vie spirituelle : c’est en luttant contre la convoitise et les autres faiblesses que l’homme recevra la couronne de la victoire. Aussi sur ce mot de S. Paul (Rm 6, 6) : " Pour que soit détruit le corps du péché ", la Glose dit : " Si après le baptême l’homme vit encore dans la chair, il garde la convoitise qu’il doit combattre, et vaincre avec l’aide de Dieu. " C’est ce que figure cette parole (Jg 3, 1-2) : "Voici les nations que le Seigneur a laissées pour éprouver par elles Israël, et pour qu’ensuite leurs fils apprennent à combattre les ennemis et qu’ils gardent l’habite combat. "

Enfin cela convient aussi pour que les hommes ne viennent pas au baptême en vue d’obtenir l’impassibilité dans la vie présente, plutôt que la gloire de la vie éternelle. C’est ce que dit l’Apôtre (1 Co 15, 19) : " Si nous n’avons d’espérance dans le Christ que pour cette vie seulement, nous sommes les plus malheureux des hommes. "

Solutions :

1. Sur le verset de l’épître aux Romains (6, 6) : " Pour que nous ne soyons plus les esclaves du péché ", la Glose dit : " De même que celui qui s’empare d’un ennemi très cruel ne le tue pas sur le champ, mais le laisse vivre quelque temps dans la honte et la douleur, ainsi le Christ a commencé par enchaîner la peine du péché, et l’anéantira dans la vie future. "

2. La Glose dit encore sur le même passage " La peine du péché est double, celle de la géhenne et celle de cette vie. Celle de la géhenne, le Christ l’a totalement détruite, de sorte que les baptisés et ceux qui font vraiment pénitence ne puissent plus l’éprouver. Mais celle de cette vie, il ne l’a pas supprimée totalement, et la faim, la soif, la mort sont toujours là. Mais il a renversé leur royaume et leur puissance ", c’est-à-dire que l’homme ne doit plus les craindre, " et au dernier jour, enfin, il les exterminera totalement ".

3. Comme il a été dit dans la deuxième Partie, le péché originel s’est répandu de telle façon que c’est d’abord la personne qui a infecté la nature, puis la nature qui a infecté la personne. Le Christ à l’inverse répare d’abord ce qui appartient à la personne, puis plus tard et chez tous en même temps, il réparera ce qui appartient à la nature. Ainsi la coulpe du péché originel, et même la peine de la privation de la vision de Dieu, qui concernent la personne, sont aussitôt remises par le baptême. Mais les peines de la vie présente, comme la mort, la faim, la soif et le reste, concernent la nature, parce qu’elles dérivent des principes qui la constituent en tant qu’elle est déchue de la justice originelle. C’est pourquoi ces défauts ne disparaîtront que dans l’ultime réparation de la nature par la résurrection glorieuse.

 

            Article 4 — Le baptême confère-t-il à l’homme la grâce et les vertus ?

Objections :

1. On l’a dit plus haut les sacrements de la loi nouvelle " produisent ce qu’ils signifient ". Mais l’ablution baptismale signifie que l’âme est purifiée de ses fautes, non qu’elle est informée par la grâce et les vertus. Il semble donc que le baptême ne confère pas à l’homme la grâce et les vertus.

2. Ce que l’on a déjà reçu, on n’a plus besoin de le recevoir une seconde fois. Mais certains viennent au baptême qui ont déjà la grâce et les vertus : ainsi lit-on dans les Actes (10, 1-2) " qu’il y avait à Césarée un homme nommé Corneille, centurion dans la cohorte italique, religieux et craignant Dieu ", à qui pourtant Pierre a donné le baptême. Ce n’est donc pas le baptême qui donne la grâce et les vertus.

3. La vertu est un habitus, c’est-à-dire une qualité qui disparaît difficilement, qui fait agir facilement et avec plaisir. Or, même après le baptême, l’homme reste enclin au mal, qui fait perdre la vertu, et il éprouve de la difficulté pour le bien, qui est l’acte de la vertu. Donc le baptême ne lui donne pas la grâce et les vertus.

En sens contraire, l’Apôtre écrit à Tite (3, 5-6) : " Il nous a sauvés par le bain de la régénération ", c’est-à-dire par le baptême, " et en nous renouvelant dans l’Esprit Saint, qu’il a répandu sur nous en abondance ", c’est-à-dire explique la Glose, " pour la rémission des péchés et l’abondance des vertus ". Ainsi dans le baptême nous sont données la grâce de l’Esprit Saint et l’abondance des vertus.

Réponse :

Comme dit S. Augustin. le baptême a pour effet d’incorporer les baptisés au Christ comme ses membres. Or, de la tête qui est le Christ découle en tous ses membres la plénitude de la grâce et de la vertu, comme dit S. Jean (1, 16) : " De sa plénitude nous avons tous reçu. " Il est donc évident que par le baptême on reçoit la grâce et les vertus.

Solutions :

1. Si l’eau du baptême signifie par l’ablution la purification de la faute et par le rafraîchissement la remise de la peine, elle signifie par sa clarté naturelle la splendeur de la grâce et des vertus.

2. Comme on l’a dit plus haut. on reçoit la rémission des péchés avant le baptême, si l’on a implicitement ou explicitement le désir du baptême ; et cependant la réception réelle du baptême procure une rémission plus complète, en ce sens qu’elle libère de toute la peine. Ainsi, même avant le baptême, Corneille et ceux qui sont dans le même cas, reçoivent la grâce et les vertus par la foi au Christ et le désir, implicite ou explicite, du baptême ; ils reçoivent dans le baptême une abondance plus grande de grâce et de vertus. Aussi sur ce verset du Psaume (22, 2) : " Il me conduit près des eaux rafraîchissantes ", la Glose dit : " Dans le baptême, il m’a conduit par un accroissement de vertus et d’œuvres bonnes. " 3. Si les baptisés gardent de la difficulté pour le bien et de l’inclination au mal, ce n’est pas que l’habitus des vertus fasse défaut, mais c’est à cause de la convoitise, que le baptême ne supprime pas. Cependant elle est diminuée par le baptême, en sorte qu’elle ne règne plus en maîtresse ; de même cette difficulté et cette inclination sont diminuées elles aussi, pour que l’homme ne soit pas écrasé par elles.

 

            Article 5 — Les effets des vertus conférées par le baptême

Objections :

1. On ne donne le baptême aux adultes que s’ils ont la foi, selon S. Marc (16, 16) : " Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. " Mais c’est la foi qui incorpore au Christ (Ep 3, 17) : " Le Christ habite dans vos cœurs par la foi. " Ainsi personne n’est baptisé qui ne soit déjà incorporé au Christ, et cette incorporation n’est donc pas l’effet du baptême.

2. C’est l’enseignement qui illumine les âmes, selon S. Paul (Ep 3, 5) : " A moi, le moindre de tous les saints, a été accordée cette grâce d’illuminer tous les fidèles, etc. " Mais l’enseignement précède le baptême avec la catéchèse. Il n’est donc pas l’effet du baptême.

3. La fécondité est le fait de celui qui engendre. Or, par le baptême on est engendré spirituellement. Donc le baptême n’a pas pour effet la fécondité.

En sens contraire, S. Augustin dit que le baptême a pour effet d’incorporer au Christ les baptisés. Denys n attribue au baptême l’illumination. Et sur ce verset du Psaume (23, 2) : " Il me conduit près des eaux rafraîchissantes ", la Glose ajoute,"L’âme du pécheur, stérilisée par la sécheresse, est fécondée par le baptême. "

Réponse :

Par le baptême on est régénéré pour la vie spirituelle, qui est proprement la vie des fidèles du Christ, comme dit l’Apôtre (Ga 2, 20) : " Ce que je vis maintenant dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu. " Mais il n’y a de vie que pour les membres qui sont unis à la tête d’où ils reçoivent le sens et le mouvement. Il est donc nécessaire que par le baptême on soit incorporé au Christ comme un de ses membres.

Mais de la tête naturelle dérivent dans les membres le sens et le mouvement ; de même, de la tête spirituelle, qui est le Christ, dérivent dans ses membres un sens spirituel, la connaissance de la vérité, et un mouvement spirituel, l’impulsion de la grâce. Aussi S. Jean dit-il (1, 14-16) : " Nous l’avons vu, plein de grâce et de vérité, et de sa plénitude nous avons tous reçu. " Il s’ensuit que le Christ illumine les baptisés pour qu’ils connaissent la vérité, et qu’en leur infusant la grâce il leur donne la fécondité des bonnes œuvres.

Solutions :

1. Les adultes qui croient au Christ avant le baptême lui sont incorporés spirituellement ; quand ensuite ils reçoivent le baptême, ils sont incorporés d’une certaine façon corporellement, c’est-à-dire par le sacrement visible, sans le désir duquel ils n’auraient pas pu être incorporés, même spirituellement.

2. Le docteur n’éclaire pas du dehors par le ministère du catéchisme. Mais c’est Dieu qui illumine au-dedans les baptisés, en préparant leur cœur à recevoir la doctrine de vérité, selon S. Jean (6,45) : " Il est écrit : Tous seront enseignés par Dieu. "

3. La fécondité qu’on met parmi les effets du baptême, c’est la fécondité qui fait produire de bonnes actions, et non celle qui permet d’engendrer les autres au Christ, dit l’Apôtre (1 Co 4, 15) : " C’est moi qui vous ai engendrés à Jésus Christ par l’Évangile. "

 

            Article 6 — Même les petits enfants reçoivent-ils au baptême la grâce et les vertus ?

Objections :

1. Il semble que non, car on ne peu avoir la grâce et les vertus sans la foi et la charité Mais la foi, dit S. Augustin, réside dans la volonté des croyants, et de même la charité réside dans la volonté de ceux qui aiment. Comme les enfants n’ont pas l’usage de leur volonté, ils n’ont ni la foi ni la charité. Ils ne reçoivent donc pas au baptême la grâce et les vertus.

2. Sur ce mot en S. Jean (14, 12) " Il fera de plus grandes choses ", S. Augustin dit que faire un juste d’un impie, " le Christ le fait en lui, mais non pas sans lui". Mais l’enfant, qui n’a pas l’usage de son libre arbitre, ne peut coopérer avec le Christ à sa justification, parfois même il s’y oppose de toutes ses forces. Il n’est donc pas justifié par la grâce et les vertus.

3. S. Paul écrit (Rm 4, 5) : " Celui qui ne fait aucune œuvre, mais qui croit en celui qui justifie l’impie, sa foi lui est imputée à justice, selon le décret de la grâce de Dieu. " Mais l’enfant n’est pas " croyant en celui qui justifie l’impie ". Il ne reçoit donc ni la grâce qui justifie, ni les vertus.

4. Ce que motive une intention charnelle ne peut avoir un effet spirituel. Or parfois des enfants sont présentés au baptême pour une intention charnelle, c’est-à-dire pour qu’ils soient guéris physiquement. Ils ne reçoivent donc pas l’effet spirituel de la grâce et des vertus.

En sens contraire, S. Augustin dit : " En renaissant, les petits enfants meurent au péché qu’ils ont contracté en naissant. Et par là leur convient aussi cette parole (Rm 6, 4) : "Par le baptême nous avons été ensevelis avec lui dans la mort. " " Et il ajoute " Afin que comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi nous marchions dans une vie nouvelle. " Mais cette vie nouvelle, c’est celle de la grâce et des vertus. Donc les enfants reçoivent au baptême la grâce et les vertus.

Réponse :

Quelques anciens ont enseigné que le baptême ne donne pas aux enfants la grâce et les vertus, mais qu’il leur imprime le caractère du Christ, en vertu duquel, une fois parvenus à l’âge parfait, ils recevront la grâce et les vertus.

Mais cela est faux, pour deux raisons. D’abord parce que les enfants, comme les adultes, deviennent par le baptême membres du Christ ; ils doivent donc recevoir du chef l’influx de la grâce et des vertus. - De plus, parce qu’à ce compte les enfants morts après le baptême ne pourraient pas parvenir à la vie éternelle, puisque " la grâce de Dieu, c’est la vie éternelle " (Rm 6, 23). Il ne leur servirait de rien pour le salut d’avoir été baptisés.

La cause de cette erreur fut que ces docteurs ne surent pas distinguer l’habitus et l’acte. Voyant que les enfants sont incapables de faire les actes des vertus, ils crurent qu’après le baptême ils n’avaient aucunement les vertus. Mais cette impuissance à agir provient chez les enfants non de l’absence de l’habitus, mais d’un empêchement corporel, de même que ceux qui dorment, bien qu’ils aient l’habitus des vertus, sont empêchés par le sommeil d’en faire les actes.

Solutions :

1. La foi et la charité résident dans la volonté de l’homme, mais si ces habitus et ceux des autres vertus requièrent la puissance de la volonté, qui existe chez les enfants, les actes des vertus requièrent l’acte de la volonté, qui n’existe pas chez les enfants. C’est en ce sens que S. Augustin dit : " Ce qui fait du petit enfant un croyant, ce n’est pas encore la foi qui réside en la volonté du croyant, mais bien déjà le sacrement de la foi", qui cause l’habitus de la foi.

2. S. Augustin dit, que " personne sans le vouloir ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint ". Cela ne s’entend que des adultes. C’est des adultes aussi qu’il faut entendre que " le Christ ne justifie pas l’homme sans lui ". Que les petits enfants qu’on apporte au baptême s’y opposent de toutes leurs forces, " cela, dit S. Augustin. ne leur est pas imputé, parce qu’ils ignorent tellement ce qu’ils font qu’on doit les considérer comme ne le faisant pas. "

3. S. Augustin dit " Aux petits enfants la Mère Église prête les pieds des autres pour qu’ils viennent, le cœur des autres pour qu’ils croient, la langue des autres pour qu’ils affirment leur foi. " Ainsi les enfants croient, non par un acte propre, mais par la foi de l’Église, qui leur est communiquée. Et c’est par la vertu de cette foi que la grâce et les vertus leur sont conférées.

4. L’intention charnelle des parents qui présentent au baptême leurs enfants ne fait aucun tort à ceux-ci, pas plus que la faute d’un homme ne peut nuire à un autre s’il n’y consent. Aussi S. Augustin écrit-il : " Ne te trouble pas si certains présentent des enfants au baptême, non parce qu’ils croient que la grâce spirituelle les fera renaître pour la vie éternelle, mais parce qu’ils pensent que ce remède leur gardera ou leur rendra la santé du corps. Si l’on n’a pas présenté ces enfants avec l’intention qu’ils soient régénérés, cela ne les empêchera pas de l’être. "

 

            Article 7 — Le baptême ouvre-t-il aux baptisés la porte du royaume des cieux ?

Objections :

1. Ce qui est déjà ouvert n’a pas besoin de l’être à nouveau. Or la porte du royaume des cieux a été ouverte par la passion du Christ : " Après cela, je vis une porte grande ouverte dans les cieux " (Ap 4, 1). Ce n’est donc pas l’effet du baptême, de nous ouvrir la porte du royaume des cieux.

2. Le baptême possède son efficacité depuis son institution. Or certains ont été baptisés du baptême du Christ avant la Passion, et ceux-là, s’ils étaient morts, n’auraient pas trouvé le ciel ouvert, puisque personne n’y entra avant le Christ, suivant le mot de Michée (2, 13) : "Il est monté en leur ouvrant la route. " Ce n’est donc pas l’effet du baptême d’ouvrir la porte des cieux.

3. Les baptisés restent encore sujets à la mort et aux autres peines de la vie présente, comme on l’a dit plus haut. Mais l’entrée du royaume des cieux n’est pas ouverte à celui qui est encore soumis à un châtiment, comme c’est le cas de ceux qui sont en purgatoire. Ce n’est donc pas un effet du baptême d’ouvrir la porte du royaume des cieux.

En sens contraire, sur ce mot de S. Luc (3, 21) : " Les cieux s’ouvrirent ", la Glose dit : " Ceci nous montre la puissance du baptême : la porte des cieux s’ouvre pour quiconque sort du baptême. "

Réponse :

Ouvrir la porte des cieux, c’est enlever l’obstacle qui empêche d’y entrer. Cet obstacle, c’est la faute et la peine qui lui est due. Or on a montré que le baptême remet absolument tous les péchés, et toutes les peines. Par conséquent, il a pour effet d’ouvrir le royaume des cieux.

Solutions :

1. Le baptême ouvre au baptisé la porte du royaume des cieux parce qu’il l’incorpore à la passion du Christ et lui en applique la vertu.

2. Quand la passion du Christ n’était pas encore accomplie en réalité, mais n’existait que dans la foi des croyants, le baptême, de la même façon, ouvrait la porte du ciel, non en réalité, mais en espérance. Les baptisés qui mouraient alors attendaient avec une espérance certaine l’entrée au royaume des cieux.

3. Si le baptisé reste sujet à la mort et aux peines de la vie présente, c’est à cause, non de sa culpabilité personnelle, mais de l’état de la nature. Aussi rien ne l’empêche d’entrer dans le royaume des cieux quand la mort sépare l’âme de son corps : par là il a payé sa dette à la nature.

 

            Article 8 — Le baptême produit-il un effet égal chez tous les baptisés ?

Objections :

1. L’effet du baptême est de remettre les fautes. Or le baptême remet plus de péchés chez les uns que chez les autres : chez les enfants il ne remet que le péché originel, mais chez les adultes il remet aussi les péchés actuels, qui sont nombreux chez les uns, moins nombreux chez les autres. Donc les effets ne sont pas les mêmes chez tous.

2. Le baptême nous donne la grâce et les vertus. Mais après le baptême, certains paraissent avoir une grâce plus abondante et une vertu plus parfaite que d’autres baptisés. Donc le baptême n’a pas chez tous le même effet.

3. La grâce perfectionne la nature, comme la forme perfectionne la matière. Mais la matière reçoit la forme à la mesure de sa capacité. Comme certains baptisés, même des enfants, ont une capacité naturelle plus grande que d’autres, il semble que ceux-là reçoivent une grâce plus abondante que d’autres.

4. Certains trouvent dans le baptême non seulement la santé de l’âme, mais aussi celle du corps : on le voit chez Constantin que le baptême guérit de sa lèpre. Mais tous les malades ne trouvent pas dans le baptême la santé du corps. Le baptême n’a donc pas le même effet chez tous.

En sens contraire, il est écrit (Ep 4, 5) : " Une seule foi, un seul baptême. " Mais une même cause ne peut produire qu’un même effet. Donc le baptême a chez tous le même effet.

Réponse :

L’effet du baptême est double. L’un qui est essentiel, l’autre qui est accidentel.

L’effet essentiel est celui pour lequel le baptême a été institué : la naissance à la vie spirituelle. Aussi, comme tous les enfants sont dans la même disposition à l’égard du baptême, puisqu’ils sont baptisés non dans leur foi propre, mais dans la foi de l’Église, ils reçoivent tous au baptême un effet égal. Quant aux adultes, qui apportent au baptême leur foi personnelle, ils n’ont pas tous les mêmes dispositions, et viennent au baptême, les uns avec plus, les autres avec moins de dévotion. Aussi les uns reçoivent-ils plus, les autres moins de cette grâce de renouvellement ; bien que, par soi, le feu répande une chaleur égale pour tous, ceux qui en approchent davantage en reçoivent plus de chaleur.

L’effet accidentel du baptême est celui pour lequel le baptême n’a pas été ordonné, mais qui est l’œuvre miraculeuse de la puissance divine dans le baptême. Sur cette parole de S. Paul (Rm 6, 6) : " Pour que nous ne soyons plus esclaves du péché. . . ", la Glose a dit : "Sans un miracle ineffable du Créateur, le baptême n’a pas pour résultat d’éteindre absolument la loi du péché qui est dans nos membres. " Et ces effets-là, tous les baptisés ne les reçoivent pas également, même s’ils s’approchent avec une égale dévotion, car ces effets sont distribués suivant le plan de la providence divine.

Solutions :

1. La moindre grâce baptismale est suffisante pour effacer tous les péchés. Si le baptême remet plus de péchés chez les uns, moins de péchés chez les autres, cela ne tient pas à une plus grande efficacité, mais à la disposition du sujet : le baptême remet en chacun tout le péché qu’il y trouve.

2. Si l’on voit chez les baptisés une grâce plus ou moins grande, cela peut tenir à deux raisons. D’abord parce que l’on reçoit dans le baptême une grâce plus grande à cause de sa plus grande dévotion, comme on vient de le dire. Puis, même si tous reçoivent une grâce égale, ils ne l’utilisent pas tous également, mais l’un en profite avec plus de zèle, tandis que l’autre, par sa négligence, manque à la grâce de Dieu.

3. Les diverses capacités des hommes ne viennent pas d’une différence de l’âme qui est renouvelée par le baptême - puisque tous les hommes, qui appartiennent à une seule espèce, ont tous la même forme -, mais de la diversité des corps. Il en va autrement pour les anges, qui différent en espèce. Aussi les dons gratuits sont-ils donnés aux anges selon la diversité de leurs capacités naturelles. Mais ce n’est pas le cas pour les hommes.

4. La santé du corps n’est pas de soi un effet du baptême, mais une œuvre miraculeuse de la providence divine.

 

            Article 9 — La " fiction " empêche-t-elle l’effet du baptême ?

Objections :

1. L’Apôtre affirme (Ga 3, 27) "Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. " Or tous ceux qui reçoivent le baptême du Christ sont baptisés dans le Christ. Donc tous revêtent le Christ. Et c’est là recevoir le fruit du baptême. Ainsi la fiction n’empêche pas l’effet du baptême.

2. La puissance divine, qui agit dans le baptême, est capable de tourner vers le bien la volonté humaine. Mais l’effet d’une cause efficiente ne peut être empêché par cela même qu’elle peut supprimer. La fiction ne peut donc empêcher l’effet du baptême.

3. L’effet du baptême est la grâce, à laquelle s’oppose le péché. Mais il y a beaucoup d’autres péchés plus graves que la fiction, dont on ne dit pourtant pas qu’ils empêchent l’effet du baptême. Donc la fiction n’empêche pas non plus l’effet du baptême.

En sens contraire, on lit dans la Sagesse (1, 5) : " L’Esprit Saint qui nous éduque, fuit le simulateur (fictum). " Mais l’effet du baptême vient de l’Esprit Saint. La fiction empêche donc l’effet du baptême.

Réponse :

Comme dit S. Jean Damascène " Dieu ne force pas l’homme à la justice. " Aussi, pour que le baptême justifie un homme, il faut que sa volonté embrasse et le baptême et ses effets ; et l’on parlera de " fiction " quand cette volonté s’oppose au baptême ou à ses effets. Selon S. Augustin , on peut parler aussi de fiction de quatre manières : d’abord quand le baptisé n’a pas la foi, alors que le baptême est " le sacrement de la foi " ; - puis quand il méprise le sacrement lui-même ; - puis quand il célèbre ce sacrement sans observer les rites de l’Église ; - enfin quand il s’y présente sans dévotion. - Il est donc évident que la fiction empêche l’effet du baptême.

Solutions :

1. " Être baptisé dans le Christ " peut s’entendre de deux façons. " Dans le Christ " veut dire " en conformité avec le Christ ". Alors, tous ceux qui sont baptisés dans le Christ, se conformant à lui par la foi et la charité, revêtent le Christ par la grâce. - Dans un autre sens on dira que quelqu’un est baptisé dans le Christ s’il reçoit le sacrement du Christ. Et ainsi tous les baptisés le revêtent en étant configurés à lui par le caractère, mais non de cette conformité qui vient de la grâce.

2. Quand Dieu change la volonté de l’homme en la faisant passer du mal au bien, l’homme ne vient pas au baptême avec fiction. Mais Dieu ne le fait pas toujours et le sacrement n’a pas pour but de transformer la fiction en sincérité, mais de justifier celui qui se présente sans aucune fiction.

3. On appelle fictus (simulateur) celui qui exprime une intention qu’il n’a pas. Or celui qui vient au baptême montre par là même qu’il a la vraie foi au Christ, qu’il respecte le sacrement, qu’il veut se conformer à l’Église, et sortir du péché. Aussi, quel que soit le péché auquel on veut rester attaché tout en s’approchant du baptême, c’est s’en approcher avec fiction, c’est-à-dire sans dévotion. Cela s’entend du péché mortel, qui est contraire à la grâce, mais non du péché véniel. C’est ainsi que le mot de "fiction" englobe n’importe quel péché.

 

            Article 10 — Quand la fiction disparaît, le baptême obtient-il son effet ?

Objections :

1. Une œuvre morte, c’est-à-dire sans charité, ne peut jamais revivre. Mais celui qui vient au baptême avec fiction reçoit le sacrement sans charité. Par conséquent ce sacrement ne pourra jamais être vivifié de sorte qu’il puisse produire la grâce.

2. La fiction paraît être plus puissante que le baptême, puisqu’elle en empêche l’effet. Mais le plus fort ne peut être détruit par le plus faible. Par conséquent, le péché de fiction ne peut être détruit par le baptême que la fiction elle-même empêche. Et ainsi le baptême ne produit pas son effet, qui est la rémission de tous les péchés.

3. Il peut arriver qu’un homme s’approche du baptême avec fiction, et qu’après le baptême, il commette de nombreux péchés. Ces péchés ne sont pas enlevés par le baptême, qui efface les fautes passées, mais non les fautes à venir. Par conséquent le baptême ne produira jamais son effet, qui est la rémission de tous les péchés.

En sens contraire, S. Augustin dit : "Le baptême retrouve son efficacité salutaire, lorsqu’une confession sincère fait disparaître cette fiction qui, aussi longtemps que le cœur persévérait dans la malice et le sacrilège, empêchait l’ablution des péchés. "

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut le baptême est une régénération spirituelle. Or, quand un être est engendré, il reçoit en même temps la forme et l’effet de cette forme, à moins qu’il n’y ait un obstacle ; mais dès que cet obstacle est écarté, la forme de l’être engendré produit son effet. Par exemple un corps lourd, dès sa génération, est attiré vers le bas, à moins qu’un obstacle ne l’arrête ; dès que cet obstacle est écarté, il commence à tomber. De même, quand un homme est baptisé, il reçoit le caractère, comme une forme, et il reçoit l’effet propre de cette forme, la grâce qui remet tous les péchés. Mais cet effet peut être empêché par la fiction. Aussi, dès que celle-ci est écartée par la pénitence, il est certain que le baptême produit aussitôt son effet.

Solutions :

1. Le baptême est l’œuvre de Dieu, et non de l’homme. Par conséquent il n’est pas une œuvre morte chez celui qui se fait baptiser avec fiction et sans charité.

2. Ce n’est pas le baptême qui enlève la fiction, mais la pénitence. Une fois la fiction écartée, le baptême enlève toute la faute et toute la peine des péchés commis avant le baptême, et même des péchés commis dans le baptême. Aussi S. Augustin dit-il : " Hier est pardonné, et tout ce qui reste est pardonné, et l’heure même et le moment qui précèdent le baptême, et le moment du baptême. C’est après seulement que l’on commence à redevenir coupable. " Et ainsi le baptême et la pénitence concourent tous deux à produire l’effet du baptême, mais le baptême comme la cause directe, la pénitence comme une cause accidentelle, qui écarte les obstacles.

3. Le baptême n’a pas pour effet d’effacer les péchés futurs, mais seulement les péchés présents ou passés. Aussi, la fiction disparue, les péchés qui ont suivi le baptême sont remis sans doute, mais par la pénitence, et non par le baptême. Aussi la peine qu’ils ont méritée n’est-elle pas entièrement remise, comme l’était celle des péchés commis avant le baptême.

I1 faut étudier maintenant les rites préparatoires au baptême. D’abord un rite préparatoire qui a précédé le baptême : la circoncision (Q. 70).

Ensuite les rites préparatoires qui accompagnent le baptême : le catéchisme et l’exorcisme (Q. 71)

 

 

QUESTION 70 — LA CIRCONCISION

1. A-t-elle préparé et préfiguré le baptême ? - 2. Son institution. - 3. Son rite. - 4. Son effet.

 

            Article 1 — La circoncision a-t-elle préparé et préfiguré le baptême ?

Objections :

1. Toute figure ressemble à ce qu’elle représente. Or la circoncision n’a aucune ressemblance avec le baptême. Il semble donc qu’elle n’était pas une préparation et une figure du baptême.

2. L’Apôtre dit, en parlant des anciens Pères (1 Co 10, 2) : " Tous ont été baptisés dans la nuée et dans la mer " ; mais il ne dit pas qu’ils aient été baptisés dans la circoncision. Ainsi la protection de la colonne de nuée et le passage de la mer Rouge ont été, plus que la circoncision, une préparation et une figure du baptême.

3. On a dit plus haut que le baptême de Jean préparait au baptême du Christ. Donc, si la circoncision a été une préparation et une figure du baptême, il semble que le baptême de Jean a été superflu ; ce qui est inadmissible. La circoncision n’est donc pas une préparation et une figure du baptême.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Col 2,11-13) : " Vous avez été circoncis d’une circoncision qui n’a pas été faite de main d’homme par le dépouillement de votre corps de chair, mais de la circoncision de Jésus Christ par votre ensevelissement avec lui dans le baptême. "

Réponse :

Le baptême est appelé " sacrement de la foi " parce qu’il comporte une profession de foi, et que par lui l’homme est agrégé à la société des croyants. Or, notre foi est la même que celle des anciens Pères, dit S. Paul (2 Co 4, 13) : " C’est animés du même esprit de foi que nous croyons. " Mais la circoncision était comme une profession de foi ; aussi par la circoncision les anciens étaient-ils incorporés à la communauté des croyants. Ainsi est-il évident que la circoncision était une préparation et une figure du baptême, puisque, pour les anciens Pères, tout était une figure de l’avenir (1 Co 10, 11), de même que leur foi avait l’avenir pour objet.

Solutions :

1. La circoncision ressemblait au baptême quant à son effet spirituel. De même que la circoncision enlève à l’homme une petite membrane de chair, de même le baptême dépouille l’homme de ses mœurs charnelles.

2. La protection de la colonne de nuée et le passage de la mer Rouge furent bien des figures de notre baptême, puisque par le baptême nous renaissons de l’eau, symbolisée par la mer Rouge, et de l’Esprit Saint, signifié par la colonne de nuée. Mais ces deux figures n’étaient pas, comme la circoncision, une profession de foi. Aussi n’étaient-elles que des figures, et non des sacrements. Mais la circoncision était un sacrement, préparatoire au baptême. Cependant son rite extérieur figurait le baptême de façon moins expressive que les autres symboles ; aussi l’Apôtre fait-il mention de ceux-ci plutôt que de la circoncision.

3. Le baptême de Jean fut une préparation au baptême du Christ quant au geste extérieur. Mais la circoncision l’avait été quant à la profession de foi requise au baptême.

 

            Article 2 — L’institution de la circoncision

Objections :

1. On vient de dire que la circoncision était comme une profession de foi. Mais depuis le péché du premier homme personne ne put jamais être sauvé que par la foi à la passion du Christ, selon l’épître aux Romains (3, 25) : " C’est lui que Dieu a montré comme victime de propitiation par son sang au moyen de la foi. " Donc, c’est aussitôt après le péché du premier homme que la circoncision aurait dû être instituée, et non pas au temps d’Abraham.

2. Par la circoncision l’homme s’engageait à observer la loi ancienne, comme par le baptême il s’engage à observer la loi nouvelle. Aussi l’Apôtre dit-il (Ga 5, 3) : "je l’atteste à tout homme qui se fait circoncire : il est tenu d’observer la loi tout entière. " Mais ce n’est pas au temps d’Abraham, que fut mise en vigueur l’observation de la loi, ce fut plutôt au temps de Moïse. Donc il ne convenait pas d’instituer ce sacrement au temps d’Abraham.

3. La circoncision fut la figure et la préparation du baptême. Mais le baptême est offert à tous les peuples (Mt 28, 19) : " Allez, enseignez toutes les nations et baptisez-les. " La circoncision n’aurait donc pas dû être instituée comme un rite à observer par le seul peuple juif, mais bien par tous les peuples.

4. La circoncision charnelle doit correspondre à la circoncision spirituelle, comme la figure à la réalité. Mais la circoncision spirituelle que donne le Christ convient indifféremment aux deux sexes, puisque, dit l’épître aux Galates (3, 2) : " Dans le Christ Jésus, il n’y a ni homme ni femme. " Donc il ne convenait pas d’instituer la circoncision, qui n’est applicable qu’aux hommes.

En sens contraire, nous lisons dans la Genèse (17, 10), que la circoncision fut instituée par Dieu, dont les œuvres sont parfaites.

Réponse :

Comme on vient de le dire, la circoncision préparait au baptême parce qu’elle était une profession de foi au Christ, foi que nous professons aussi au baptême. Mais parmi les anciens Pères, Abraham fut le premier à recevoir la promesse du Christ à venir, quand il lui fut dit (Gn 22, 18) : " Dans ta race seront bénies toutes les tribus de la terre. " Il fut aussi le premier à se séparer de la société des infidèles pour obéir à l’ordre de Dieu qui lui disait (Gn 12, 1) : " Sors de ton pays et de ta famille. " Il convenait donc que la circoncision fût instituée en Abraham.

Solutions :

1. Immédiatement après le péché du premier homme, la science personnelle d’Adam, qui avait été plus parfaitement instruit des choses de Dieu, maintenait assez de foi et de raison naturelle chez l’homme pour qu’il ne soit pas nécessaire d’instituer pour les hommes des signes de la foi et du salut, et chacun témoignait de sa foi à sa guise par des signes qui la manifestaient. Mais à l’époque d’Abraham la foi avait diminué, et beaucoup d’hommes inclinaient à l’idolâtrie. De plus, la raison naturelle avait été obscurcie par les progrès de la convoitise, jusqu’à commettre des péchés contre nature. Aussi était-ce alors et non plus tôt qu’il convenait que fût instituée la circoncision, comme profession de foi, et comme remède à la convoitise charnelle.

2. Les observances légales ne devaient être imposées qu’une fois le peuple rassemblé, puisque la loi est ordonnée au bien public, comme on l’a dit dans la deuxième Partie. Pourtant il fallait que le peuple des croyants fût rassemblé par quelque signe sensible, nécessaire, comme dit S. Augustin. pour rassembler les hommes en quelque religion que ce soit. Il fallait donc instituer la circoncision avant de donner la loi.

Mais les Patriarches qui vécurent avant la loi instruisirent leur famille des choses divines sous forme d’exhortation paternelle. Aussi le Seigneur dit-il d’Abraham (Gn 18, 19) : "je sais qu’il ordonnera à ses fils et à sa maison après lui de garder la voie du Seigneur. "

3. Le baptême contient en lui la perfection du salut, auquel Dieu appelle tous les hommes, selon S. Paul (1 Tm 2, 4) : " Il veut que tous les hommes soient sauvés. " Aussi le baptême est-il offert à tous les peuples. Mais la circoncision ne comportait pas cette perfection du salut ; elle ne faisait que le signifier comme devant s’accomplir par le Christ, qui naîtrait du peuple juif Aussi est-ce à ce seul peuple que la circoncision a été donnée.

4. La circoncision a été instituée comme le signe de la foi d’Abraham, qui crut à la promesse qu’il serait le père du Christ. Aussi convient-elle aux seuls mâles. De plus le péché originel, contre lequel la circoncision était spécialement instituée, se transmet par le père et non par la mère, comme on l’a dit dans la deuxième Partie. Mais le baptême contient la vertu du Christ qui est la cause universelle du salut de tous les hommes, et la rémission de tous les péchés.

 

            Article 3 — Le rite de la circoncision

Objections :

1. La circoncision, on l’a dite est une profession de foi. Mais la foi réside dans les facultés de connaissance, dont les opérations se manifestent surtout dans la tête. Ainsi le signe de la circoncision devait-il se faire sur la tête plutôt que sur l’organe de la génération.

2. Nous prenons, pour les sacrements, les matières qui sont d’un usage courant, comme l’eau pour laver et le pain pour nourrir. Mais pour couper, on se sert plus communément de couteaux de fer que de couteaux de pierre. On ne devait donc pas se servir de couteaux de pierre pour la circoncision.

3. Comme le baptême, la circoncision a été instituée comme remède du péché originel. Mais maintenant on ne retarde pas le baptême jusqu’au huitième jour, pour que les enfants ne risquent pas la damnation à cause du péché originel, s’ils mouraient sans baptême. Il ne fallait donc pas fixer la circoncision au huitième jour, mais il fallait tantôt l’avancer tantôt aussi la retarder.

En sens contraire, sur ce mot de S. Paul (Rm 4, 11) : " Il reçut le signe de la circoncision ", la Glose détermine comme il a été dit le rite de la circoncision.

Réponse :

Nous l’avons dit, la circoncision est un signe de foi institué par Dieu, " dont la sagesse est sans limites " (Ps 147, 5). Or c’est l’œuvre de la sagesse de déterminer ce qui convient. Donc il faut accorder que le rite de la circoncision fut ce qu’il devait être.

Solutions :

1. Il était convenable que la circoncision se fasse dans l’organe de la génération. D’abord parce qu’elle était le signe de la foi par laquelle Abraham crut que le Christ naîtrait de sa race. Puis parce qu’elle était le remède au péché originel, qui se transmet par la génération. Enfin parce qu’elle avait pour but de diminuer la convoitise charnelle, qui réside surtout dans ces organes, à cause de l’intensité de la délectation charnelle.

2. Le couteau de pierre n’était pas nécessaire à la circoncision. Aussi on ne voit pas que le commandement divin ait prescrit cet instrument, et les Juifs ne s’en servaient pas communément pour la circoncision. Cependant on voit que certaines circoncisions fameuses ont été opérées avec un couteau de pierre ; ainsi on lit dans l’Exode (4, 25) que " Séphora prit une pierre tranchante et circoncit le prépuce de son fils " et en Josué (5, 2) : " Fais-toi des couteaux de pierre, et circoncis de nouveau les enfants d’Israël. " Par là on signifiait que la circoncision spirituelle était l’œuvre du Christ, de qui il est dit : " La pierre était le Christ " (1 Co 10, 4).

3. Le huitième jour avait été fixé pour la circoncision, d’abord à cause du mystère signifié par là : c’est au huitième âge du monde, l’âge de la résurrection, que le Christ, comme si c’était le huitième jour, achèvera la circoncision spirituelle, quand il délivrera les élus, non seulement de toute faute, mais aussi de tout châtiment. Puis, à cause de la fragilité de l’enfant avant le huitième jour, si bien que le Lévitique dit, au sujet des animaux eux-mêmes (22, 27) : " Un bœuf, une brebis ou une chèvre, quand ils naîtront, resteront huit jours sous la mamelle de leur mère ; après le huitième jour, ils pourront être offerts au Seigneur. "

D’autre part, le huitième jour était prescrit absolument par le précepte, en sorte que l’on ne pouvait sans faute laisser passer le huitième jour, même si c’était le sabbat, selon le mot de l’évangile (Jn 7, 23) : " On circoncit le huitième jour, pour ne pas violer la loi de Moïse. " Mais ce n’était pas nécessaire au sacrement, et ceux qui n’avaient pas été circoncis le huitième jour pouvaient l’être plus tard.

D’après certains le danger de mort pouvait faire devancer le huitième jour. Mais ce n’est attesté ni par l’autorité de l’Écriture, ni par la coutume des Juifs ; il vaut donc mieux dire, avec Hugues de Saint-Victor, qu’aucune nécessité n’autorisait à devancer le huitième jour. Aussi sur ce texte des Proverbes (4, 3) : "J’étais le fils unique de ma mère", la Glose remarque que l’autre fils de Betsabée n’était pas compté, parce que, mort avant le huitième jour, il n’avait pas encore reçu de nom, et par conséquent n’avait pas été circoncis (cf. 2 R 12, 18).

 

            Article 4 — L’effet de la circoncision

Objections :

1. Il semble qu’elle ne conférait pas la grâce qui justifie, car l’Apôtre écrit aux Galates (2, 21) : "Si la justice vient de la loi, le Christ est donc mort pour rien ", c’est-à-dire sans raison. Mais la circoncision était une obligation de cette loi qu’il fallait accomplir, selon cette parole (Ga 5, 3) : " je déclare à tout homme qui se fait circoncire qu’il est tenu d’accomplir toute la loi. " Donc si la circoncision confère la justice, " le Christ est mort pour rien ", c’est-à-dire sans raison. Ce qui est inadmissible. La circoncision ne donnait donc pas la grâce qui justifie du péché.

2. Avant l’institution de la circoncision, la foi seule suffisait pour la justification, comme dit S. Grégoire : " Ce que peut pour nous l’eau du baptême, la foi seule le faisait pour les petits enfants chez les anciens. " Mais la puissance de la foi n’a pas été diminuée par le précepte de la circoncision. C’est donc la foi seule qui justifiait les petits enfants, et non la circoncision.

3. On lit dans Josué (5, 5-6) : " Tout le peuple qui était né dans le désert pendant quarante ans, n’avait pas été circoncis. " Donc, si la circoncision enlevait le péché originel, il semble que tous ceux qui moururent dans le désert, aussi bien les petits enfants que les adultes, furent damnés. Et l’on peut faire la même objection pour les enfants qui mouraient avant le huitième jour, puisque comme on l’a dit la circoncision ne devait pas être avancée.

4. Seul le péché empêche l’entrée au royaume des cieux. Mais même les circoncis ne pouvaient, avant la passion du Christ, entrer dans le royaume des cieux. Par conséquent la circoncision ne les justifiait pas de leur péché.

5. Le péché originel n’est pas remis sans les péchés actuels : " Il est impie, dit S. Augustin de n’attendre de Dieu qu’un demi-pardon. " Mais on ne voit nulle part que la circoncision ait remis les péchés actuels. Donc elle ne remettait pas non plus le péché originel.

En sens contraire, S. Augustin dit : "Dès que la circoncision fut établie dans le peuple de Dieu comme le signe de la justice par la foi, elle fut capable de sanctifier les petits enfants et de les purifier de l’antique péché originel, comme le baptême, dès qu’il fut institué, fut capable de renouveler l’homme. "

Réponse :

Tout le monde s’accorde à dire que la circoncision remettait le péché originel. Certains cependant disent qu’il ne conférait pas la grâce, mais qu’elle ne faisait que remettre le péché. Ainsi le Maître des Sentences et la Glose sur Romains (4, 11). Mais cela est impossible, puisque le péché n’est remis que par la grâce, selon ce mot (Rm 3, 24) : " justifiés gratuitement par la grâce de Dieu, etc. "

Aussi d’autres ont-ils dit que la circoncision conférait la grâce, mais seulement en tant que celle-ci remet la faute, mais non dans ses effets positifs. - C’était pour ne pas être obligé de dire que la grâce reçue dans la circoncision suffisait pour accomplir les commandements de la loi, et qu’ainsi la venue du Christ était inutile. Mais cette opinion non plus ne peut se soutenir. D’abord parce que la circoncision donnait aux petits enfants la possibilité de parvenir en temps voulu à la gloire ; or celle-ci est l’ultime effet positif de la grâce. De plus parce que, dans l’ordre de la causalité formelle, les effets positifs précèdent naturellement les effets privatifs (bien que ce soit l’inverse dans l’ordre de la causalité matérielle), car la forme n’exclut la privation qu’en informant le sujet.

Aussi d’autres encore ont-ils dit que la circoncision conférait la grâce, même pour l’un de ses effets positifs, qui est de rendre digne de la vie éternelle, mais non pour tous ses effets, parce qu’elle ne suffisait pas à réprimer le foyer de la convoitise, ni même à observer tous les commandements de la loi. Et cela fut autrefois mon opinion - Mais en y regardant de plus près, il apparaît que cela non plus n’est pas vrai. Car la moindre grâce est capable de résister à n’importe quelle convoitise, et d’éviter le péché mortel qui se commet en transgressant les commandements de la loi, car la plus petite charité aime Dieu plus que la cupidité n’aime des milliers de pièces d’or et d’argent (Ps 119, 72).

Aussi faut-il dire que la circoncision conférait la grâce avec tous ses effets, mais autrement que ne fait le baptême. Le baptême confère la grâce par sa vertu propre, qu’il possède au titre d’instrument de la passion du Christ, déjà réalisée. Mais la circoncision conférait la grâce parce qu’elle était signe de la foi à la passion future : l’homme qui recevait la circoncision professait qu’il embrassait cette foi, l’adulte pour lui-même, et un autre pour les enfants. Aussi l’Apôtre dit-il (Rm 4, 11) : " Abraham reçut le signe de la circoncision comme sceau de sa justification par la foi. " C’est-à-dire que la justice venait de la foi signifiée par la circoncision, et non de la circoncision qui la signifiait.

Et parce que le baptême, au contraire de la circoncision, opère comme un instrument en vertu de la passion du Christ, le baptême imprime un caractère qui nous incorpore au Christ, et il donne une grâce plus abondante que la circoncision, car une réalité présente est plus efficace qu’une simple espérance.

Solutions :

1. Cet argument vaudrait si la justice provenait de la circoncision autrement que par la foi à la passion du Christ.

2. Avant l’institution de la circoncision, la foi au Christ à venir justifiait aussi bien les enfants que les adultes, et il en fut de même ensuite. Mais auparavant aucun signe manifestant cette foi n’était requis, car les croyants n’étaient pas encore séparés des infidèles et réunis dans le culte du seul vrai Dieu. Il est probable cependant que les parents fidèles adressaient certaines prières à Dieu pour leurs enfants nouveau-nés, ou leur donnaient quelque bénédiction, surtout en cas de danger de mort ; c’était là comme le sceau de leur foi, de même que les adultes offraient pour eux-mêmes des prières et des sacrifices.

3. Au désert, le peuple était excusé de ne pas observer le précepte de la circoncision, soit parce qu’on ne savait jamais quand il faudrait lever le camp, soit, comme dit S. Jean Damascène, parce que, vivant à l’écart des autres peuples, il n’avait pas besoin d’un signe pour s’en distinguer. Cependant, dit S. Augustin , ceux qui négligeaient le commandement par mépris étaient coupables de désobéissance.

Il semble qu’aucun incirconcis ne mourut dans le désert, puisque le Psaume (105, 37) dit : " Il n’y avait pas de malades dans leurs tribus. " Il semble que seuls sont morts au désert ceux qui avaient été circoncis en Égypte. Si cependant quelques incirconcis moururent, il en fut d’eux comme de ceux qui moururent avant l’institution de la circoncision. Et c’est ce qu’il faut entendre aussi des enfants qui, au temps de la loi, mouraient avant le huitième jour.

4. La circoncision effaçait le péché originel dans ses conséquences pour la personne, mais elle laissait subsister l’empêchement d’entrer dans le ciel, qui tenait à la nature tout entière, et que fit disparaître la passion du Christ. C’est pourquoi le baptême lui-même, avant la passion du Christ, n’introduisait pas dans le Royaume, et la circoncision, si elle avait subsisté après la passion du Christ, aurait introduit dans le Royaume.

5. Quand les adultes étaient circoncis, ils recevaient la rémission, non seulement du péché originel, mais aussi des péchés actuels, mais non au point d’être libérés de toute peine due à ceux-ci, comme fait le baptême qui confère une grâce plus abondante.

 

 

QUESTION 71 — LE CATÉCHISME ET L’EXORCISME

1. Le catéchisme doit-il précéder le baptême ? -2. L’exorcisme doit-il précéder le baptême ? - 3. Ce qui se fait dans l’exorcisme a-t-il une efficacité ou seulement valeur de signe ? - 4. Est-ce le prêtre qui doit catéchiser et exorciser les candidats au baptême ?

 

            Article 1 — Le catéchisme doit-il précéder le baptême ?

Objections :

1. Le baptême fait renaître l’homme à la vie spirituelle. Mais on reçoit la vie avant de recevoir l’enseignement. Donc l’homme n’a pas à être catéchisé avant d’être baptisé.

2. Le baptême est conféré non seulement aux adultes, mais aussi aux enfants, qui ne peuvent recevoir aucun enseignement, du fait qu’ils n’ont pas l’usage de la raison. Il est donc ridicule de les catéchiser.

3. Dans le catéchisme le catéchumène confesse sa foi. Mais les enfants ne peuvent confesser leur foi, ni par eux-mêmes ni par un autre, parce que personne ne peut engager autrui, et parce que l’on ne peut savoir si l’enfant, arrivé à l’âge voulu, donnera son assentiment à cette foi. Le catéchisme ne doit donc pas précéder le baptême.

En sens contraire, Raban Maur affirme " Avant le baptême, il faut catéchiser le candidat, afin que le catéchumène reçoive les premiers rudiments de la foi. "

Réponse :

Le baptême, nous l’avons dit. est le " sacrement de la foi ", puisqu’il est une profession de foi chrétienne. Mais pour recevoir la foi, il faut en être instruit, selon S. Paul (Rm 10, 14) : " Comment croire en celui dont on n’a pas entendu parler ? Et comment entendre sans prédicateur ? " Aussi convient-il que le baptême soit précédé par le catéchisme. Et c’est pourquoi le Seigneur, donnant aux disciples l’ordre de baptiser, leur commande d’enseigner avant de baptiser, quand il dit (Mt 28, 19) : " Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant, etc. "

Solutions :

1. La vie de la grâce, qui nous régénère, présuppose la vie de la nature raisonnable, qui permet à l’homme de recevoir l’instruction.

2. La Mère Église, nous l’avons dit, prête aux petits enfants les pieds des autres pour qu’ils viennent au baptême, et leur cœur pour qu’ils croient ; elle leur prête aussi les oreilles des autres pour qu’ils entendent, et leur intelligence pour qu’ils soient instruits par les autres. Il faut donc les catéchiser de même qu’il faut les baptiser.

3. Celui qui répond pour l’enfant baptisé : " je crois ", ne prédit pas que l’enfant croira une fois arrivé à l’âge adulte ; autrement, il dirait : "Il croira. " Mais il professe au nom de l’enfant la foi de l’Église, foi à laquelle celui-ci est associé, dont le sacrement lui est conféré, et à laquelle il s’engage par un autre. Car il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’on soit engagé par un autre en ce qui est nécessaire au salut. De même, le parrain qui répond pour l’enfant promet qu’il donnera tous ses soins pour que l’enfant garde sa foi. Mais cela ne suffirait as dans le cas d’adultes jouissant de leur raison.

 

            Article 2 — L’exorcisme doit-il précéder le baptême ?

Objections :

1. L’exorcisme est destiné aux énergumènes, c’est-à-dire aux possédés. Mais tous les catéchumènes ne sont pas possédés. L’exorcisme ne doit donc pas précéder le baptême.

2. Aussi longtemps que l’homme est dans le péché, le démon a pouvoir sur lui, puisque " celui qui commet le péché est esclave du péché " (Jn 8, 34). Mais le baptême efface le péché. Il n’y a donc pas lieu d’exorciser ceux qui vont être baptisés.

3. L’eau bénite a été instituée pour écarter la puissance du démon. Il n’y a donc pas à utiliser pour cela ces autres remèdes que sont les exorcismes.

En sens contraire, le pape Célestin dit " Que ce soient des petits enfants, ou des jeunes gens qui se présentent au sacrement de la régénération, qu’ils n’approchent pas de la fontaine de vie avant que l’esprit immonde ait été chassé loin d’eux par les exorcismes et les exsudations des clercs. "

Réponse :

Quiconque veut accomplir sagement une œuvre, commence par écarter les obstacles qui s’y opposent : " Défrichez vos jachères, dit Jérémie (4, 3), et ne semez pas dans les épines. " Le diable est l’ennemi du salut des hommes, salut que le baptême leur assure, et il a un certain pouvoir sur les hommes parce qu’ils sont sous l’empire du péché, originel ou actuel. Il convient donc avant le baptême de chasser les démons par les exorcismes, pour qu’ils ne fassent pas obstacle au salut de l’homme.

C’est cette expulsion que signifie l’exsufflation. La bénédiction, avec l’imposition des mains, ferme au démon expulsé le chemin du retour. Le sel mis dans la bouche, et la salive dont on touche le nez et les oreilles, signifient que les oreilles reçoivent la foi, que les narines en approuvent le parfum, et que la bouche le confesse. Quant à l’onction d’huile, elle signifie la force de l’homme pour lutter contre les démons.

Solutions :

1. On appelle énergumènes ceux qui souffrent en eux-mêmes d’une action extérieure du démon. Et bien que tous ceux qui s’approchent du baptême ne soient pas l’objet de telles vexations corporelles, cependant tous les non-baptisés sont soumis au pouvoir du démon, au moins à cause du péché originel.

2. L’ablution baptismale délivre l’homme du pouvoir du démon, en tant que celui-ci l’empêche de parvenir à la gloire. Mais les exorcismes en délivrent en tant qu’il empêche de recevoir le sacrement.

3. L’eau bénite est employée contre les attaques du démon qui viennent de l’extérieur, mais l’exorcisme est dirigé contre celles qui viennent du dedans ; aussi appelle-t-on énergumènes, c’est-à-dire " travaillés intérieurement ", ceux qu’on exorcise.

On peut dire encore ceci : de même que la pénitence est un second remède contre le péché, puisque le baptême ne se renouvelle pas, ainsi l’eau bénite est un second remède contre les attaques du démon, puisque les exorcismes du baptême ne se renouvellent pas.

 

            Article 3 — Ce qui se fait dans l’exorcisme a-t-il une efficacité ou seulement valeur de signe ?

Objections :

1. Si un enfant meurt après les exorcismes, et avant le baptême, il n’obtient pas le salut. Mais l’effet des rites sacramentels est ordonné au salut de l’homme (Mc 16,16) : " Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. " Donc les exorcismes n’ont aucun effet, et ne sont que des signes.

2. Pour le sacrement de la foi nouvelle, deux choses seulement sont requises : qu’il soit signe, et qu’il soit cause, comme on l’a dit plus haut. Par conséquent si les exorcismes avaient quelque efficacité, chacun d’eux serait un sacrement.

3. Puisque l’exorcisme prépare au baptême, si l’exorcisme a quelque effet, celui-ci prépare à l’effet du baptême. Mais la disposition précède nécessairement la forme parfaite, puisque la forme n’est reçue que dans une matière déjà disposée. Il s’ensuivrait donc que personne ne pourrait recevoir l’effet du baptême sans avoir auparavant reçu les exorcismes, ce qui est manifestement faux. Les exorcismes n’ont donc aucun effet.

4. Certains exorcismes se font avant le baptême, d’autres après, comme l’onction faite par le prêtre sur la tête du baptisé. Mais ce qui se fait après le baptême n’a, semble-t-il, aucune efficacité, puisque alors l’effet du baptême lui-même serait imparfait. Donc les exorcismes qui se font avant le baptême n’ont aucune efficacité eux non plus.

En sens contraire, S. Augustin dit : " On souffle sur les petits enfants et on les exorcise, pour chasser d’eux la puissance hostile du diable qui a trompé l’homme. " Comme l’Église ne fait rien d’inutile, ces exsudations ont pour effet de chasser la puissance du démon.

Réponse :

Certains disent que les exorcismes n’ont aucune efficacité, et ne sont que des signes. Mais cela est évidemment faux, puisque l’Église, dans les exorcismes, use de paroles impératives pour chasser la puissance du démon, par exemple quand elle dit : " Donc, diable maudit, sors de cet homme, etc. "

Il faut donc dire que ces rites ont une certaine efficacité, mais différente de celle du baptême lui-même. Car le baptême donne à l’homme la grâce par la pleine rémission de ses fautes. Mais les rites de l’exorcisme écartent un double obstacle qui s’oppose à la réception de la grâce du salut. De ces obstacles, l’un est extérieur : c’est le démon qui s’efforce d’empêcher le salut de l’homme. Cet obstacle est écarté par l’exsufflation, qui repousse le pouvoir du démon, comme le montre l’autorité alléguée de S. Augustin, pour qu’il n’empêche pas de recevoir le sacrement. Mais le pouvoir du démon sur l’homme subsiste par la tache du péché et la dette de la peine, aussi longtemps que le baptême ne les a pas enlevées. C’est pourquoi S. Cyprien dit : " Sache que la malice du démon peut se maintenir jusqu’à l’eau salutaire, mais le baptême écarte toute malice. "

L’autre obstacle est intérieur, en ce sens que, imprégnés par le péché originel, nos sens sont fermés à la réception des mystères du salut. Aussi Raban Maur dit-il : " Par la salive symbolique et le toucher du prêtre, la sagesse et la puissance de Dieu opèrent le salut des catéchumènes en ouvrant leurs narines pour qu’elles perçoivent le parfum de la connaissance de Dieu, en ouvrant leurs oreilles pour qu’elles écoutent les commandements de Dieu, en ouvrant leur sens pour qu’ils y répondent du fond du cœur. "

Solutions :

1. Les rites de l’exorcisme n’enlèvent pas la faute dont l’homme sera puni après la mort, ils enlèvent seulement les obstacles à la rémission de cette faute par le sacrement. Aussi l’exorcisme sans le baptême n’a-t-il aucune valeur après la mort.

Prévôtin dit que les enfants qui ont reçu l’exorcisme, et qui mourraient avant le baptême, souffriront de ténèbres moins profondes. Mais cela ne paraît pas être vrai, car ces ténèbres sont la privation de la vision de Dieu, laquelle ne comporte pas de plus ou de moins.

2. Il est essentiel au sacrement de produire son effet principal, la grâce, qui remet la faute ou supplée à quelque défaut. Mais cela, les exorcismes ne le font pas ; ils ne font que supprimer les obstacles. Aussi ne sont-ils pas des sacrements, mais seulement des sacramentaux.

3. La disposition qui suffit pour recevoir la grâce baptismale, c’est la foi et l’intention, celle du baptisé s’il est adulte, celle de l’Église si c’est un petit enfant. Mais les rites de l’exorcisme sont ordonnés à la disparition des obstacles, et on peut sans eux obtenir l’effet du baptême.

Il ne faut pourtant pas les omettre hors le cas de nécessité. Et alors, le péril passé, il faut les suppléer, pour que soit gardée l’uniformité du baptême. Et cette suppléance après le baptême n’est pas inutile, car de même que l’effet du baptême peut être empêché avant qu’on le reçoive, il peut l’être aussi après qu’on l’aura reçu.

4. Des cérémonies qui suivent le baptême, certaines sont non seulement des signes mais aussi des causes : ainsi l’onction sur la tête, qui est destinée à conserver la grâce baptismale. D’autres ne sont que des signes, sans efficacité : par exemple le vêtement blanc, qui signifie la vie nouvelle.

 

            Article 4 — Est-ce le prêtre qui doit catéchiser et exorciser les candidats au baptême ?

Objections :

1. Le rôle du ministre, selon Denys est de s’occuper des " impurs ". Or les catéchumènes, qui sont instruits ou catéchisés, et les énergumènes, que purifient les exorcismes, sont au nombre des impurs, dit encore Denys. Donc le catéchisme et les exorcismes appartiennent à l’office des ministres, non des prêtres.

2. Les catéchumènes sont instruits des vérités de la foi par la Sainte Écriture, qui est lue à l’église par les ministres : les lecteurs font les lectures de l’Ancien Testament, les diacres et les sous-diacres celles du Nouveau. Ainsi appartient-il aux ministres de catéchiser. - De même l’exorcisme appartient aux ministres. Isidore écrit : "L’exorciste doit retenir par cœur les exorcismes, et imposer les mains sur les énergumènes et les catéchumènes au cours de la cérémonie. " Il n’appartient donc pas au prêtre de catéchiser et d’exorciser.

3. Catéchiser, c’est enseigner, et enseigner, c’est perfectionner. Or cela est réservé aux évêques, selon Denys. Cela n’appartient donc pas au prêtre.

En sens contraire, le pape Nicolas écrit : " Les prêtres de chaque église peuvent faire le catéchisme à ceux qui doivent être baptisés. " Et S. Grégoire : " Quand les prêtres, par la grâce de l’exorcisme, imposent les mains aux croyants, que font-ils d’autre que de chasser le démon ?"

Réponse :

Le ministre est par rapport au prêtre comme l’agent secondaire et instrumental par rapport à l’agent principal ; c’est ce qu’indique le nom même de ministre. Or l’agent secondaire, en produisant l’œuvre, n’agit pas en dehors de l’agent principal. Et plus l’œuvre est excellente, plus l’agent principal a besoin d’agents de haute qualité. Or c’est une œuvre plus haute pour le prêtre de conférer le sacrement lui-même que de préparer au sacrement. Aussi les ministres supérieurs, qu’on appelle diacres, coopèrent avec le prêtre dans l’administration même des sacrements ; comme dit Isidore " Il appartient au diacre d’assister les prêtres et de les servir en tout ce qui se fait dans les sacrements du Christ, c’est-à-dire le baptême, le chrême, la patène, et le calice. " Mais les ministres inférieurs coopèrent avec le prêtre en tout ce qui prépare au sacrement, les lecteurs pour le catéchisme, les exorcistes pour les exorcismes.

Solutions :

1. Les ministres exercent sur les impurs une action ministérielle et quasi instrumentale, mais le prêtre exerce l’action principale.

2. Les lecteurs et les exorcistes sont chargés d’enseigner et de catéchiser, non à titre principal, mais comme étant au service du prêtre.

3. Il y a diverses sortes d’instruction. L’une est destinée à convertir à la foi, et Denys l’attribue à l’évêque ; mais elle peut revenir à n’importe quel prédicateur, ou même à n’importe quel fidèle. - Une autre enseigne les rudiments de la foi et la manière de recevoir les sacrements ; elle incombe secondairement aux ministres, et principalement aux prêtres. - Une autre encore enseigne à vivre chrétiennement, et celle-là revient aux parrains. La quatrième enfin enseigne les profondeurs des mystères de la foi et la perfection de la vie chrétienne. Et celle-là, d’office, appartient aux évêques.

 

L’EUCHARISTIE

L’ordre normal des choses nous invite à étudier maintenant le sacrement d’eucharistie. 1° le sacrement en tant que tel (Q. 73) ; 2° sa matière (Q. 74-77) ; 3° sa forme (Q. 78) ; 4° ses effets (Q. 79) ; 5° ceux qui reçoivent ce sacrement (Q. 80-81) ; 6° son ministre (Q. 82) ; 7° son rite (Q. 83).

 

 

QUESTION 72 — LE SACREMENT DE CONFIRMATION

1. La confirmation est-elle un sacrement ? - 2. Sa matière. - 3. Est-il nécessaire au sacrement que le chrême ait été consacré par l’évêque ? - 4. Sa forme. - 5. Imprime-t-elle un caractère ? - 6. Le caractère de la confirmation suppose-t-il le caractère baptismal ? - 7. Confère-t-elle la grâce ? - 8. A qui convient-il de recevoir ce sacrement ? - 9. Sur quelle partie du corps ? - 10. Faut-il quelqu’un pour tenir le confirmand ? - 11. Ce sacrement est-il donné seulement par l’évêque ? - 12. Son rite.

 

            Article 1 — La confirmation est-elle un sacrement ?

Objections :

1. Il semble que non. Les sacrements, comme on l’a dit plus haut tiennent leur efficacité de l’institution divine. Mais on ne lit nulle part que le Christ ait institué la confirmation.

Elle n’est donc pas un sacrement.

2. Les sacrements de la loi nouvelle ont été préfigurés dans la loi ancienne, selon l’Apôtre (1 Co 10, 2) : " Tous ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer ; tous ont mangé le même aliment spirituel, et tous ont bu la même boisson spirituelle. " Mais la confirmation n’a pas été préfigurée dans l’Ancien Testament, elle n’est donc pas un sacrement.

3. Les sacrements ont été ordonnés au salut des hommes. Mais on peut obtenir le salut sans la confirmation, puisque les enfants baptisés qui meurent sans la confirmation sont sauvés. La confirmation n’est donc pas un, sacrement.

4. Tous les sacrements de l’Église conforment l’homme au Christ, auteur des sacrements. Mais la confirmation ne peut conformer l’homme au Christ, dont on ne lit pas qu’il ait été confirmé.

En sens contraire, le pape Melchiade écrit aux évêques d’Espagne : "Quant au point sur lequel vous désirez être instruit par nous, à savoir quel est le plus grand sacrement, l’imposition des mains par les évêques ou le baptême, sachez que l’un et l’autre sont de grands sacrements. "

Réponse :

Les sacrements de la loi nouvelle sont ordonnés à produire des effets spéciaux de grâce. Par conséquent, là où se rencontre un effet spécial de grâce, il y a un sacrement spécial. Mais les choses sensibles et corporelles sont à l’image des réalités spirituelles et intelligibles, et ce qui se passe dans la vie corporelle nous permet de comprendre les particularités de la vie spirituelle. Or, visiblement, il y a dans la vie corporelle une perfection spéciale quand l’homme arrive à l’âge adulte et peut accomplir parfaitement les actes de l’homme, comme dit l’Apôtre (1 Co 13, 11) : " Quand je suis devenu homme, j’ai abandonné ce qui était enfantin. " Aussi, après le mouvement de la génération qui donne la vie corporelle, y a-t-il celui de la croissance qui conduit à l’âge parfait. Ainsi l’homme reçoit la vie spirituelle par le baptême, qui est une génération spirituelle, et dans la confirmation il reçoit pour ainsi dire l’âge adulte dans la vie spirituelle.

Aussi le pape Melchiade écrit-il : " Le Saint-Esprit, qui est descendu sur les eaux du baptême pour notre salut, nous accorde dans la fontaine baptismale la plénitude de l’innocence, et dans la confirmation l’accroissement de la grâce. Dans le baptême nous naissons à la vie ; après le baptême, nous sommes affermis. " Il est donc visible que la confirmation est un sacrement spécial.

Solutions :

1. Sur l’institution de ce sacrement, il y a trois opinions. Certains ont soutenu que ce sacrement n’a été institué ni par le Christ, ni par les Apôtres, mais plus tard, au cours des temps, par un concile. D’autres au contraire disent qu’il a été institué par les Apôtres. - Mais cela ne peut être, car instituer un nouveau sacrement relève du pouvoir d’excellence qui n’appartient qu’au Christ.

Aussi faut-il dire que c’est le Christ qui a institué ce sacrement, non en le conférant, mais en le promettant, comme il dit en S. Jean (16, 7) : " Si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai. " Et cela parce que ce sacrement nous donne la plénitude de l’Esprit Saint, qui ne devait pas être donnée avant la résurrection et l’ascension du Christ, comme dit S. Jean (7, 39) : " L’Esprit n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’avais pas encore été glorifié. "

2. La confirmation est le sacrement de la plénitude de la grâce ; aussi ne pouvait-elle avoir d’équivalent dans l’ancienne loi, puisque " la loi n’a rien conduit à la perfection " (He 7, 19).

3. Comme on l’a dit plus haut, tous les sacrements sont en quelque façon nécessaires au salut ; mais il en est certains sans lesquels le salut est impossible, et d’autres qui servent à rendre ce salut plus parfait. C’est en ce sens que la confirmation est nécessaire au salut : on peut se sauver sans elle, pourvu qu’on ne l’ait pas refusée par mépris du sacrement.

4. Ceux qui reçoivent la confirmation, sacrement de la plénitude de la grâce, sont conformés au Christ en ce que lui-même, dès le premier instant de sa conception, fut "plein de grâce et de vérité " (Jn 1, 14). Cette plénitude fut manifestée au baptême, lorsque " le Saint-Esprit descendit sur lui sous une forme corporelle " (Lc 3, 22) ; aussi S. Luc (4, 1) dit-il que "Jésus, rempli du Saint-Esprit, s’éloigna du Jourdain ". Mais il ne convenait pas à la dignité du Christ, qui est l’auteur des sacrements, de recevoir d’un sacrement la plénitude de la grâce.

 

            Article 2 — La matière de la confirmation

Objections :

1. Il semble que le chrême n’est pas une matière qui convienne à ce sacrement. Celui-ci, on vient de le dire, a été institué par le Christ quand il a promis l’Esprit Saint à ses disciples. Mais il leur a envoyé l’Esprit Saint sans aucune onction de chrême. Et les Apôtres eux-mêmes conféraient ce sacrement par la seule imposition des mains, sans onction ; les Actes (8, 17) disent que " les Apôtres imposaient les mains sur les baptisés, et ceux-ci recevaient le Saint-Esprit. " Donc le chrême n’est pas la matière de ce sacrement, puisque la matière est nécessaire au sacrement.

2. Comme on l’a dit plus haute, la confirmation est en quelque sorte l’achèvement du baptême ; elle doit donc lui ressembler comme la perfection ressemble à ce qui est perfectible. Or la matière du baptême est un élément simple, l’eau. Le chrême, composé d’huile et de baume, est donc une matière qui ne convient pas au sacrement.

3. L’huile est utilisée comme matière de ce sacrement, pour oindre. Mais on peut faire une onction avec n’importe quelle huile, par exemple l’huile de noix, ou de toute autre origine. Ce n’est donc pas la seule huile d’olive qui doit être employée pour ce sacrement.

4. On a dit que l’eau a été choisie pour matière du baptême parce qu’on la trouve facilement partout. Mais l’huile d’olive ne se trouve pas partout, et encore moins le baume. Ainsi le chrême, composé d’huile et de baume, n’est-il pas une matière qui convienne à ce sacrement.

En sens contraire, S. Grégoire dit : "Que les prêtres ne se permettent pas de signer avec le saint chrême le front des enfants qui viennent d’être baptisés. " Donc le chrême est la matière de ce sacrement.

Réponse :

Le chrême est la matière qui convient à ce sacrement. Comme on l’a dit ce sacrement donne la plénitude du Saint-Esprit pour la force spirituelle qui convient à l’âge adulte. Mais arrivé à l’âge adulte, l’homme commence à entrer par son activité en communication avec les autres -, jusque-là il vivait isolément et pour lui seul. Or la grâce du Saint-Esprit est signifiée par l’huile ; on dit du Christ qu’il a été "oint d’une huile d’allégresse " (Ps 45, 8), à cause du Saint-Esprit dont il a été rempli. Ainsi l’huile consacrée est la matière de ce sacrement. On y mêle du baume, à cause de la force pénétrante de son parfum, qui se répand sur les autres. Aussi l’Apôtre dit-il (2 Co 2, 15) : " Nous sommes la bonne odeur du Christ. " Et bien qu’il y ait beaucoup d’autres matières odoriférantes, on a choisi celle-ci à cause de l’excellence de son parfum, et parce qu’elle communique l’incorruptibilité. Aussi l’Ecclésiastique dit-il (24, 21 Vg) : " Mon parfum est celui d’un baume sans mélange. "

Solutions :

1. Le Christ, à cause du pouvoir qu’il a sur les sacrements, a donné aux Apôtres la réalité de ce sacrement, c’est-à-dire la plénitude de l’Esprit Saint, sans le signe sacramentel, parce que, dit S. Paul (Rm 8, 23) : " Ils ont reçu les prémices de l’Esprit Saint. "

Néanmoins quand les Apôtres reçurent le Saint-Esprit sous forme sensible, il y eut là quelque chose de conforme à la matière de ce sacrement. Si le Saint-Esprit descendit sur eux sous la forme sensible du feu, cela a quelque analogie avec le symbolisme de l’huile, avec cette différence que le feu est doué de force active, et l’huile, qui est la matière et l’aliment du feu, de force passive. Et ceci encore était assez convenable, puisque la grâce du Saint-Esprit devait arriver jusqu’aux autres par les Apôtres. - Le Saint-Esprit descendit aussi sur les Apôtres sous forme de langues. Et cela a quelque analogie avec le symbolisme du baume : les langues expriment la communication aux autres par la parole, le baume l’exprime par l’odeur ; et les Apôtres étaient remplis de l’Esprit Saint comme docteurs de la foi, et les autres fidèles comme les ouvriers de ce qui se rattache à l’édification de l’Église.

De même, lorsque les Apôtres imposaient les mains, ou même seulement prêchaient, la plénitude de l’Esprit Saint descendait sur les fidèles sous des signes visibles, comme elle était descendue à l’origine sur les Apôtres. Ainsi Pierre dit-il (Ac 11, 15) : " Lorsque j’eus commencé à parler, l’Esprit Saint descendit sur eux, comme sur nous au commencement. " Aussi, n’était-il pas nécessaire d’employer la matière sensible d’un sacrement, quand Dieu donnait miraculeusement des signes sensibles.

Cependant les Apôtres se servaient généralement de chrême en administrant ce sacrement, quand ces signes sensibles ne se produisaient pas. Denys dit en effet : " Il y a une opération perfective que nos chefs " - c’est-à-dire les Apôtres -, " appellent l’hostie du chrême ".

2. Le baptême nous est donné pour que nous recevions purement et simplement la vie spirituelle ; aussi une matière toute simple lui suffit-elle. Mais ce sacrement est donné pour que nous recevions la plénitude du Saint-Esprit, dont l’opération est multiple, comme dit la Sagesse (7, 22) : " Il y a en elle un Esprit unique et multiforme ", et S. Paul (1 Co 12, 4) : " Les dons sont divers, mais l’Esprit est unique. " Il convient donc que la matière du sacrement soit composée.

3. Les propriétés de l’huile, qui symbolisent le Saint-Esprit, se trouvent dans l’huile d’olive plus que dans n’importe quelle huile. Et l’olivier lui-même, au feuillage toujours vert, symbolise la force et la miséricorde du Saint-Esprit.

De plus, c’est cette huile qu’on appelle proprement huile, et que l’on emploie de préférence là où on peut la trouver. D’autres liquides qui lui ressemblent s’appellent aussi huile, et on ne les utilise que pour remplacer l’huile d’olive là où elle fait défaut. Aussi c’est celle-là seule dont on se sert pour ce sacrement et pour certains autres.

4. Le baptême est un sacrement absolument nécessaire, aussi sa matière doit-elle se trouver partout. Quant à ce sacrement, qui n’est pas aussi nécessaire, il suffit que sa matière puisse être transportée facilement en tous les points du monde.

 

            Article 3 — Est-il nécessaire au sacrement que le chrême ait été consacré par l’évêque ?

Objections :

1. Cela ne paraît pas nécessaire. Car le baptême, qui remet tous les péchés, n’est pas moins efficace que la confirmation. Mais, bien que l’on consacre l’eau baptismale avant le baptême, cette consécration n’est pas nécessaire au sacrement, puisqu’on peut s’en passer en cas de nécessité. Il n’est donc pas non plus nécessaire à ce sacrement que le chrême ait été consacré par l’évêque.

2. On ne doit pas consacrer deux fois la même chose. Mais la matière d’un sacrement est consacrée dans la collation même du sacrement, par les paroles de la forme sacramentelle, comme dit S. Augustin : " La parole se joint à l’élément, et le sacrement est fait. " Donc il ne faut pas consacrer le chrême avant d’administrer le sacrement.

3. Toute consécration sacramentelle est destinée à donner la grâce. Mais une matière sensible, faite d’un mélange d’huile et de baume, n’est pas capable de recevoir la grâce. Il ne faut donc pas lui donner une consécration.

En sens contraire, le pape Innocent dit " Quand les prêtres baptisent, qu’on leur permette d’oindre les baptisés avec le chrême qui a été consacré par l’évêque ; mais ils ne doivent pas signer le front avec cette huile, ce qui est réservé à l’évêque, lorsqu’il donne le Paraclet ", ce qui se fait dans la confirmation. Il est donc requis pour ce sacrement que la matière ait été auparavant consacrée par l’évêque.

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, toute la vertu sanctificatrice des sacrements découle du Christ. Or il faut considérer que le Christ lui-même s’est servi de certains sacrements, le baptême et l’eucharistie, qui comportent un élément matériel ; et c’est le fait même que le Christ en a fait usage, qui a donné à cette matière l’aptitude à constituer un sacrement. " jamais, dit S. Jean Chrysostome, les eaux du baptême n’auraient pu purifier les croyants de leurs péchés, si elles n’avaient été sanctifiées par le contact du corps du Seigneur. " De même, le Seigneur lui-même " prit du pain, et le bénit. . . et pareillement la coupe " (Mt 26, 26-27 ; Lc 22, 19-20). Et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire à ces sacrements que la matière en soit d’abord bénite : la bénédiction du Christ y suffit. Et si l’on y fait quelque bénédiction, celle-ci appartient à la solennité du sacrement, et non à sa nécessité.

Mais le Christ ne s’est pas servi d’onctions visibles, pour ne pas porter préjudice à l’onction invisible par laquelle il a été " oint de préférence à ses compagnons " (Ps 45, 8). Par conséquent, et le chrême et l’huile des malades doivent être bénits avant de servir au sacrement.

Solutions :

1. On vient d’y répondre.

2. Les deux consécrations du chrême ne répondent pas au même but. Un instrument reçoit deux fois la vertu instrumentale : d’abord quand il reçoit sa forme d’instrument, puis quand il est mû par l’agent principal. Ainsi la matière du sacrement a besoin d’une double sanctification, l’une qui en fait la matière propre du sacrement, l’autre qui lui fait produire son effet.

3. La matière corporelle, comme on l’a dit plus haut, est capable de recevoir la grâce non pas comme sujet, mais comme instrument. Et c’est pour cela que la matière du sacrement est consacrée, soit par le Christ lui-même, soit par l’évêque, qui tient dans l’Église la place du Christ.

 

            Article 4 — La forme de la confirmation

Objections :

1. La forme de ce sacrement ne semble pas bien adaptée. Elle dit : " je te marque du signe de la croix, et je te confirme avec le chrême du salut, au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Amen. " Car c’est du Christ et des Apôtres que vient l’usage des sacrements. Or le Christ n’a pas institué cette forme, et l’on ne voit pas que les Apôtres en aient usé. Elle ne convient donc pas à ce sacrement.

2. Puisque le sacrement est le même pour tous, sa forme doit être aussi la même ; toute chose en effet tient son unité, comme son être, de sa forme. Mais la forme en question n’est pas en usage partout, puisque certains disent : " je te confirme avec le chrême de la sanctification. " Elle n’est donc pas celle qui convient à ce sacrement.

3. Ce sacrement doit ressembler au baptême, comme la perfection ressemble à ce qui doit être perfectionné, comme on l’a dit plus haut ". Mais la forme du baptême ne mentionne pas l’empreinte du caractère, ni la croix du Christ, bien que le baptême nous fasse mourir avec le Christ, dit l’Apôtre (Rm 6, 3) ; et elle ne fait pas mention non plus de l’effet salutaire, bien que le baptême soit nécessaire au salut. De plus la forme du baptême n’exprime qu’un seul acte, et désigne la personne du ministre par ces mots : " je te baptise. " C’est le contraire que l’on voit dans la forme en question. Celle-ci ne convient donc pas à ce sacrement.

En sens contraire, il y a l’autorité de l’Église, qui se sert communément de cette forme.

Réponse :

Cette forme convient au sacrement. De même que la forme d’un être naturel lui donne son espèce, ainsi la forme sacramentelle doit contenir tout le caractère spécifique du sacrement. Comme il ressort de ce qui a été dit plus haut, ce sacrement donne le Saint-Esprit pour nous fortifier dans le combat spirituel. Trois choses sont donc nécessaires dans ce sacrement, et elles sont contenues dans la forme en question. D’abord la cause qui confère cette plénitude de force spirituelle, c’est la Trinité sainte, qu’expriment les mots : " Au nom du Père, etc. " - Ensuite, cette force spirituelle elle-même, communiquée à l’homme pour son salut par le sacrement d’une matière visible. Elle est indiquée par ces mots : " je te confirme avec le chrême du salut. " - Enfin le signe donné au combattant, comme dans les combats corporels les soldats sont marqués des insignes de leur chef. Et c’est pourquoi on dit : " je te marque du signe de la croix ", cette croix par laquelle, dit S. Paul, " notre Roi a triomphé (Col 2, 15). "

Solutions :

1. Comme on l’a dit plus haut, l’effet de ce sacrement, c’est-à-dire la plénitude de l’Esprit, a été quelquefois donné par le ministère des Apôtres, sous des signes visibles accomplis miraculeusement par Dieu, qui peut sans le sacrement donner l’effet du sacrement. Et alors ni la matière ni la forme de ce sacrement n’étaient nécessaires.

Parfois aussi les Apôtres conféraient ce sacrement comme étant les ministres des sacrements. Et alors ils se servaient de matière et de forme selon les ordres du Christ. Les Apôtres en effet observaient dans la collation des sacrements des rites qui n’ont pas été rapportés dans les Écritures présentées à tous. Ainsi Denys dit-il " qu’il n’est pas juste que ceux qui interprètent les Écritures tirent du secret, pour les présenter à tous, les invocations consécratoires " - c’est-à-dire les paroles qui constituent les sacrements -, " ni qu’ils révèlent leur sens mystique ni les merveilles que Dieu opère par elles ; mais que notre saint enseignement les transmette sans pompe ", c’est-à-dire en secret. Aussi l’Apôtre dit-il, au sujet de la célébration de l’eucharistie (1 Co 11, 34) : " je réglerai le reste à mon retour. "

2. La sainteté est cause du salut. Il revient donc au même de dire " chrême du salut " et " chrême de sanctification ".

3. Le baptême nous régénère à la vie spirituelle individuelle. Aussi la forme baptismale ne mentionne-t-elle que l’acte qui sanctifie l’homme en lui-même. Mais ce sacrement est ordonné à sanctifier l’homme non seulement en lui-même, mais en tant qu’il est exposé à une lutte extérieure.

Aussi on ne fait pas mention seulement de la sanctification intérieure, quand on dit : "je te confirme du chrême du salut ", - mais aussi du signe par lequel l’homme est marqué à l’extérieur, comme de l’étendard de la croix, pour la lutte spirituelle extérieure, ce qui est exprimé quand on dit : "je te marque du signe de la croix. " Le mot même de baptême, qui signifie ablution, peut indiquer en même temps la matière, qui est l’eau avec laquelle on est lavé, et l’effet salutaire. Mais le mot " confirmer " n’exprime pas tout cela ; il a donc fallu ajouter ces précisions.

On a dit plus haut, que le mot " je " n’est pas nécessaire à la forme du baptême, parce qu’il est compris dans le verbe à la première personne. On l’ajoute cependant pour exprimer l’intention. Ce qui est moins nécessaire dans la confirmation, qui, comme on le dira plus bas’. n’est conféré que par des ministres supérieurs.

 

            Article 5 — La confirmation imprime-t-elle un caractère ?

Objections :

1. Il semble que non, car le caractère implique un signe distinctif Mais le sacrement de confirmation ne distingue pas les fidèles des païens, puisque cela est fait par le baptême ; ni les confirmés des autres fidèles, puisque ce sacrement est ordonné au combat spirituel, qui s’impose à tous. Ce sacrement n’imprime donc pas un caractère.

2. On a dit plus haut que le caractère est une puissance spirituelle. Or une puissance spirituelle ne peut être qu’active ou passive. Dans les sacrements, la puissance active est conférée par le sacrement de l’ordre ; la puissance passive, ou réceptive, par le sacrement de baptême. Ainsi le sacrement de confirmation n’imprime pas de caractère.

3. La circoncision, qui est une marque corporelle, n’imprime pas de caractère spirituel. Mais dans ce sacrement on imprime une marque corporelle quand le confirmé est marqué avec le chrême du signe de la croix sur le front. Donc ce sacrement non plus n’imprime pas un caractère spirituel.

En sens contraire, tout sacrement qui n’est pas réitéré imprime un caractère. Mais ce sacrement ne se réitère pas, dit Grégoire : "Quant à celui qui a été confirmé de nouveau par le pontife, cette réitération est interdite. " Donc la confirmation imprime un caractère.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, le caractère est une puissance spirituelle ordonnée à certains actes sacrés. Or nous avons dit que, si le baptême est comme une naissance spirituelle à la vie chrétienne, la confirmation est la croissance spirituelle qui amène l’homme à l’âge adulte dans la vie spirituelle. Or, il est visible, par l’analogie de la vie corporelle, que l’activité de l’homme à sa naissance, et celle qui lui convient quand il est parvenu à l’âge adulte, sont différentes. Aussi le sacrement donne-t-il à l’homme le pouvoir d’accomplir certaines actions sacrées autres que celles dont le baptême lui donne le pouvoir. Dans le baptême, il reçoit le pouvoir de faire ce qui concerne son salut personnel, en tant qu’il vit pour lui-même ; mais dans la confirmation, il reçoit le pouvoir de faire ce qui concerne la lutte spirituelle contre les ennemis de la foi. On le voit par l’exemple des Apôtres qui, avant de recevoir la plénitude du Saint-Esprit, étaient au cénacle, "persévérant dans la prière " (Ac 1, 13) ; mais ensuite ils en sortirent, et ne craignirent pas de confesser publiquement leur foi, même devant les ennemis de la foi chrétienne.

Il est donc évident que la confirmation imprime un caractère.

Solutions :

1. Le combat spirituel contre les ennemis invisibles est le fait de tous les baptisés. Mais combattre contre les ennemis visibles, c’est-à-dire contre les persécuteurs de la foi, en confessant le nom du Christ, est le fait des confirmés, qui ont été conduits spirituellement jusqu’à l’âge adulte, selon S. Jean (1 Jn 2, 14) : "je vous écris, jeunes gens, parce que vous êtes forts, et que la parole de Dieu demeure en vous, et que vous avez vaincu le malin. " Ainsi le caractère de la confirmation est un signe qui distingue non les fidèles des infidèles, mais ceux qui ont grandi spirituellement de ceux que S. Pierre appelle (1 P 2, 2) " des enfants nouveau nés ".

2. Tous les sacrements sont des protestations de foi. Par conséquent, si le baptisé reçoit le pouvoir spirituel de protester sa foi en recevant les autres sacrements, le confirmé reçoit le pouvoir de confesser la foi du Christ publiquement, et comme en vertu de sa charge.

3. Les sacrements de l’ancienne loi sont appelés " justice de la chair " (He 9, 10), parce qu’ils n’avaient aucune efficacité intérieure ; c’est pourquoi la circoncision imprimait un signe dans le corps seul et non dans l’âme. Mais la confirmation, qui est un sacrement de la loi nouvelle, imprime, en même temps qu’une marque corporelle, un caractère spirituel.

 

            Article 6 — Le caractère de la confirmation suppose-t-il le caractère baptismal ?

Objections :

1. Il semble que non, car le sacrement de confirmation est ordonné à la confession publique de la foi au Christ. Or beaucoup, même avant le baptême, ont confessé publiquement la foi au Christ, en répandant leur sang pour elle. Le caractère de la confirmation ne présuppose donc pas le caractère du baptême.

2. On ne dit pas des Apôtres qu’ils aient été baptisés ; et même on dit que le Christ " ne baptisait pas lui-même, mais c’étaient ses disciples " (Jn 4, 2). Et cependant il furent ensuite confirmés par la venue du Saint-Esprit. Par conséquent d’autres peuvent pareillement être confirmés avant le baptême.

3. On lit dans les Actes (10, 44) : " Pierre parlait encore, quand le Saint-Esprit descendit sur tous ceux qui écoutaient la parole, et on les entendait parler en langues ". Et ensuite " il ordonna de les baptiser ". Donc d’autres peuvent pareillement être confirmés avant le baptême.

En sens contraire, Raban Maur dit : " En dernier lieu, par l’imposition des mains du Souverain Prêtre, le baptisé reçoit le Paraclet afin d’être fortifié par le Saint-Esprit pour proclamer sa foi ".

Réponse :

Le caractère de la confirmation présuppose nécessairement le caractère du baptême, au point que si un non-baptisé était confirmé, il ne recevrait rien, mais il faudrait à nouveau le confirmer après son baptême. La raison en est que, comme nous l’avons dit. la confirmation est au baptême comme la croissance est à la génération. Or il est manifeste que nul ne peut atteindre l’âge adulte s’il n’est pas déjà né. Et pareillement, si l’on n’a pas d’abord été baptisé, on ne peut recevoir le sacrement de confirmation.

Solutions :

1. La puissance divine n’est pas liée aux sacrements. Un homme peut donc, sans le sacrement de confirmation, recevoir la force spirituelle pour confesser publiquement la foi du Christ, comme on peut recevoir la rémission des péchés sans le baptême. Cependant, comme personne ne reçoit l’effet du baptême sans le désir du baptême, personne non plus ne reçoit l’effet de la confirmation sans le désir de celle-ci ; et cela, on peut l’avoir avant d’être baptisé.

2. Sur la parole du Seigneur (Jn 13, 10) : " Celui qui a pris un bain n’a besoin que de se laver les pieds. " S. Augustin dit : " Nous comprenons que Pierre et les autres disciples du Christ avaient été baptisés, soit du baptême de Jean, comme le pensent quelques-uns, soit, ce qui est plus croyable, du baptême du Christ. Car il n’a pas refusé d’exercer ce ministère du baptême, pour avoir des serviteurs par qui il pourrait baptiser les autres. "

3. Ceux qui entendaient la prédication de Pierre reçurent miraculeusement l’effet de la confirmation, mais non le sacrement. Or, nous avons dit que l’effet de la confirmation peut être reçu avant le baptême, mais non le sacrement de la confirmation. Ainsi, de même que l’effet de la confirmation, qui est la force spirituelle, présuppose l’effet du baptême, qui est la justification, de même le sacrement de confirmation présuppose le sacrement de baptême.

 

            Article 7 — La confirmation confère-t-elle la grâce ?

Objections :

1. Il semble que ce sacrement ne confère pas la grâce sanctifiante. Celle-ci est dirigée contre le péché. Mais ce sacrement, comme on l’a dit, ne se donne qu’aux baptisés, qui sont purifiés du péché. Donc il ne confère pas la grâce sanctifiante.

2. Ce sont les pécheurs surtout qui ont besoin de la grâce sanctifiante pour être justifiés. Donc, si ce sacrement donne la grâce, il semble qu’il faudrait le donner à ceux qui sont en état de péché. Mais cela n’est pas vrai.

3. Dans la grâce sanctifiante, il n’y a pas d’espèces différentes, puisqu’elle est ordonnée à un effet unique. Mais deux formes de la même espèce ne peuvent cœxister dans le même sujet. Puisque la grâce sanctifiante est donnée à l’homme dans le baptême, il semble donc que le sacrement de confirmation, qui n’est administré qu’aux baptisés, ne confère pas la grâce sanctifiante.

En sens contraire, le pape Melchiade dit " Aux fonts baptismaux l’Esprit Saint donne la plénitude de l’innocence ; dans la confirmation il donne l’augmentation de la grâce. "

Réponse :

Dans ce sacrement, nous l’avons dit l’Esprit Saint est donné aux baptisés pour les fortifier, comme il le fut aux Apôtres le jour de la Pentecôte (Ac 2, 2), et aux baptisés par l’imposition des mains des Apôtres (Ac 8, 17). Or on a montré dans la première Partie que la mission ou le don du Saint-Esprit est toujours liée à la grâce sanctifiante. Il est donc manifeste que la confirmation donne cette grâce.

Solutions :

1. La grâce sanctifiante remet le péché, mais elle a aussi d’autres effets, car elle suffit à faire monter les hommes par tous les degrés jusqu’à la vie éternelle. Aussi a-t-il été dit à S. Paul (2 Co 12, 9) : " Ma grâce te suffit ", et il a dit de lui-même (1 Co 15, 10) : " La grâce de Dieu m’a fait ce que je suis. " La grâce sanctifiante est donc donnée non seulement pour remettre les fautes, mais aussi pour augmenter et affermir la justice. Et c’est ainsi qu’elle est donnée dans ce sacrement.

2. Comme son nom l’indique, ce sacrement est destiné à " confirmer " ce qu’il a trouvé dans l’âme. Aussi ne faut-il pas le donner à ceux qui n’ont pas la grâce. Et c’est pourquoi, comme on ne le donne pas aux non-baptisés, on ne doit pas non plus le donner aux adultes pécheurs, à moins qu’ils n’aient recouvré la grâce par la pénitence. Ainsi un concile d’Orléans dit-il : " Que ceux qui se présentent à la confirmation viennent à jeun, et qu’on les avertisse de se confesser auparavant, pour qu’ils soient purs pour recevoir le don du Saint-Esprit. " Ainsi ce sacrement achève l’effet de la pénitence, comme celui du baptême ; la grâce reçue dans ce sacrement donne au pénitent une rémission plus entière de son péché. Et si un adulte se présente à la confirmation avec un péché dont il n’a pas conscience, ou même s’il n’a pas la contrition parfaite, la grâce reçue dans ce sacrement lui remettra son péché.

3. Comme nous l’avons dit , la grâce sacramentelle ajoute à la grâce sanctifiante prise en général la puissance de réaliser l’effet spécial auquel est ordonné le sacrement. Par conséquent, si l’on considère la grâce reçue dans ce sacrement en ce qu’elle a de commun, ce sacrement ne confère pas une autre grâce que celle du baptême, il augmente celle qui existait déjà. Mais si on la considère en ce qu’elle a de spécial, qui est surajouté à la grâce du baptême, elle n’est pas de la même espèce que celle-ci.

 

            Article 8 — A qui convient-il de recevoir ce sacrement ?

Objections :

1. Il semble que ce sacrement ne doit pas être donné à tous. En effet, il confère une certaine supériorité. Mais la supériorité ne convient pas à tous.

2. Ce sacrement fait grandir l’homme spirituellement jusqu’à l’âge adulte. Mais il y a opposition entre l’âge adulte et l’enfance. Donc les enfants au moins ne doivent pas le recevoir.

3. Le pape Melchiade dit : " Après le baptême nous sommes confirmés pour le combat. " Mais le combat ne convient pas aux femmes, à cause de la fragilité de leur sexe. Donc aux femmes non plus on ne doit pas donner ce sacrement.

4. Le pape Melchiade dit : " A ceux qui vont bientôt passer, suffisent les bienfaits de la régénération, mais à ceux qui doivent vivre est nécessaire le bienfait de la confirmation. La confirmation arme et équipe ceux qui restent pour les luttes et les combats de ce monde. Quant à celui qui après le baptême arrive à la mort sans tache et avec l’innocence qu’il a reçue, il est confirmé par la mort, puisque après la mort il ne peut plus pécher. " Donc ce sacrement ne doit pas être administré aux mourants. Et ainsi il ne doit pas être donné à tous.

En sens contraire, les Actes (2, 2-4) disent que le Saint-Esprit " remplit toute la maison ", qui symbolise l’Église, et ensuite on ajoute que " tous furent remplis de l’Esprit Saint. " Mais c’est pour recevoir cette plénitude que ce sacrement est donné ; il faut donc l’administrer à tous ceux qui sont dans l’Église.

Réponse :

Nous avons dit que ce sacrement conduit l’homme spirituellement à l’âge parfait. Or il est dans l’intention de la nature que tous ceux qui naissent corporellement arrivent à l’âge parfait ; mais cela est parfois empêché par la corruptibilité du corps qui est prévenu par la mort. A plus forte raison il est dans l’intention de Dieu, - et la nature l’imite en participant de cette intention -, de conduire tous les êtres à leur perfection ; aussi est-il écrit (Dt 32, 4) que " toutes les œuvres de Dieu sont parfaites. " Mais l’âme, sujet de cette naissance et de cet âge adulte au plan spirituel, est immortelle ; elle peut donc dans la vieillesse recevoir la naissance spirituelle, comme dans la jeunesse et même dans l’enfance parvenir à l’âge adulte ; car l’âge du corps ne fait aucun tort à l’âme. Par conséquent il faut administrer à tous ce sacrement.

Solutions :

1. Ce sacrement confère une certaine supériorité, non pas la supériorité d’un homme sur un autre, comme le sacrement de l’ordre ; mais la supériorité d’un homme par rapport à lui-même ; ainsi le même homme, devenu adulte, possède une certaine supériorité par rapport à ce qu’il était dans son enfance.

2. Comme on l’a dit l’âge du corps ne fait aucun tort à l’âme. Ainsi, même dans l’enfance, l’homme peut recevoir la perfection de l’âge spirituel dont parle la Sagesse (4, 8) : "La vieillesse honorable n’est pas celle que donnent de longs jours, elle ne se mesure pas au nombre des années. " C’est ainsi que de nombreux enfants, grâce à la force du Saint-Esprit qu’ils avaient reçue, ont lutté courageusement et jusqu’au sang pour le Christ.

3. S. Jean Chrysostome dit que " pour les combats de ce monde on recherche la qualité de l’âge, de la beauté ou de la naissance, et c’est pourquoi on les interdit aux esclaves et aux femmes, aux vieillards et aux enfants. Mais dans les combats pour le ciel, le stade est ouvert à tous sans distinction de personne, d’âge ou de sexe ". Et ailleurs : " Devant Dieu, même le sexe féminin livre bataille ; beaucoup de femmes ont avec un courage viril combattu dans la milice spirituelle. Et dans la lutte du martyre, certaines ont égalé les hommes par la force de l’homme intérieur ; certaines même ont été plus courageuses que les hommes. " Par conséquent les femmes aussi doivent recevoir ce sacrement.

4. Comme on l’a dit, l’âme, sujet de l’âge spirituel, est immortelle. Donc, les mourants doivent recevoir ce sacrement, pour qu’à la résurrection ils apparaissent avec la perfection dont parle S. Paul (Ep 4, 13) : " jusqu’à ce que nous parvenions à l’état d’homme parfait, à la mesure de la pleine stature du Christ. " C’est pourquoi Hugues de Saint-Victor dit : " Il serait très périlleux que quelqu’un sorte de cette vie sans la confirmation. " Non parce qu’il serait damné, sauf le cas de mépris, mais parce qu’il serait privé de cette perfection. Aussi les enfants qui meurent confirmés reçoivent-ils une gloire plus grande, comme ici-bas ils obtiennent une grâce plus abondante. L’autorité citée se comprend en ce sens que la confirmation n’est pas nécessaire aux mourants pour affronter le combat de la vie présente.

 

            Article 9 — Sur quelle partie du corps ce sacrement doit-il être administré ?

Objections :

1. Il semble que ce sacrement ne doit pas être donné sur le front. Nous l’avons dit il est l’achèvement du baptême. Mais le baptême est donné à l’homme sur tout le corps.

Donc ce sacrement ne doit pas être donné à l’homme seulement sur le front.

2. Ce sacrement est donné pour la force spirituelle. Mais la force spirituelle réside surtout dans le cœur. Donc ce sacrement devrait être donné sur le cœur plutôt que sur le front.

3. Ce sacrement est donné à l’homme pour qu’il confesse librement la foi du Christ. Mais " c’est en confessant de bouche que l’on parvient au salut " (Rm 10, 10). Donc ce sacrement devrait être donné sur la bouche plutôt que sur le front.

En sens contraire, Raban Maur écrit : " Le baptisé est marqué du chrême par le prêtre sur le sommet de la tête, mais par l’évêque sur le front. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit, dans ce sacrement l’homme reçoit l’Esprit Saint pour être fort dans le combat spirituel, et confesser courageusement la foi du Christ même au milieu des adversaires de la foi. Aussi convient-il qu’il soit marqué avec le chrême du signe de la croix sur le front, et cela pour deux raisons. D’abord parce qu’il est marqué du signe de la croix comme le soldat est marqué du signe de son chef, signe qui doit être apparent et visible. Or, de toutes les parties du corps humain, c’est certainement le front qui est le plus visible, puisqu’il n’est presque jamais couvert. Ainsi le confirmé reçoit l’onction de chrême sur le front, pour manifester ouvertement qu’il est chrétien, comme les Apôtres, qui d’abord cachés au cénacle, se montrèrent publiquement après avoir reçu le Saint-Esprit.

En second lieu, parce qu’il y a deux choses qui empêchent l’homme de confesser librement le nom du Christ, la crainte et la honte. Or l’une et l’autre se manifestent particulièrement sur le front, à cause du voisinage de l’imagination, et parce que les esprits animaux montent directement du cœur au front ; de là vient que " les honteux rougissent et que les peureux pâlissent ", dit Aristote. Aussi le confirmé est-il marqué du chrême sur le front, pour que ni la crainte ni la honte ne l’empêchent de confesser le nom du Christ.

Solutions :

1. Par le baptême, nous renaissons à la vie spirituelle, qui est le fait de l’homme tout entier. Mais la confirmation nous fortifie pour le combat, dont il nous faut porter le signe sur le front, comme en un lieu bien visible.

2. Le principe de la force est dans le cœur, mais le signe de la, force apparaît sur le front, comme il est dit dans Ézéchiel (3, 8) : " Voici que j’ai rendu ton front plus dur que leur front. " C’est pourquoi l’eucharistie, qui fortifie l’homme au-dedans de lui-même, est en relation avec le cœur, selon ce mot du Psaume (104, 15) : " Le pain fortifie le cœur de l’homme. " Mais le sacrement de confirmation est nécessaire comme signe de notre force envers les autres. Aussi est-il donné sur le front.

3. Ce sacrement est donné en vue d’une confession libre, et non pour une confession pure et simple, car cela se fait aussi dans le baptême. Donc il ne doit pas être administré sur la bouche, mais sur le front, où apparaissent les signes des passions qui empêchent cette libre confession.

 

            Article 10 — Faut-il quelqu’un pour tenir le confirmand ?

Objections :

1. Il semble que celui qui est confirmé ne doive pas être tenu par quelqu’un. Ce sacrement est conféré non seulement aux enfants, mais aussi aux adultes. Or ceux-ci peuvent se tenir seuls. Il est donc ridicule qu’ils soient tenus par un autre.

2. Celui qui est déjà membre de l’Église a libre accès au prince de l’Église, c’est-à-dire à l’évêque. Mais ce sacrement, comme on l’a dit n’est donné qu’aux baptisés, qui sont déjà membres de l’Église. Il semble donc que pour recevoir ce sacrement, ils n’ont pas besoin qu’un autre les présente à l’évêque.

3. Ce sacrement est donné en vue de la force spirituelle, qui est plus vigoureuse chez les hommes que chez les femmes, suivant ce mot des Proverbes (31, 10) : " Qui trouvera une femme forte ? " Donc au moins une femme ne doit pas tenir un homme pour la confirmation.

En sens contraire, le pape Innocent dit : " Si l’un des deux époux a reçu au sortir des fonts, ou tenu pour le chrême, le fils ou la fille d’une autre famille,. . . " Donc, comme il est nécessaire que quelqu’un aide le baptisé à sortir de la fontaine sacrée, de même quelqu’un doit-il tenir celui qui reçoit le sacrement de confirmation.

Réponse :

Nous l’avons dit, ce sacrement est donné à l’homme pour le fortifier dans la lutte spirituelle. Or, de même que le nouveau-né a besoin d’un éducateur qui lui apprenne à se comporter dans la vie, selon l’épître aux Hébreux (12, 9) : " Nous avons eu pour maîtres nos pères selon la chair et nous les respections ", - de même, ceux qui sont enrôlés pour le combat ont besoin d’instructeurs qui les exercent au métier des armes ; aussi dans les guerres d’ici-bas établit-on des généraux et des centurions pour commander les autres. Et c’est pourquoi aussi celui qui reçoit ce sacrement est tenu par un autre, qui doit pour ainsi dire l’exercer au combat.

Pareillement, comme ce sacrement, nous l’avons dit, confère à l’homme la perfection de l’âge adulte, celui qui s’approche pour le recevoir est soutenu par un autre, comme étant encore, spirituellement, un faible enfant.

Solutions :

1. Bien que le confirmé soit adulte corporellement, il ne l’est pas encore spirituellement.

2. Bien que le baptisé soit devenu membre de l’Église, il n’est pas encore inscrit dans la milice chrétienne. Aussi est-il présenté à l’évêque, comme au chef de cette armée, par un autre qui est déjà inscrit dans la milice chrétienne. Car celui qui n’est pas encore confirmé ne peut tenir un autre pour la confirmation.

3. Comme dit l’épître aux Galates (3, 28) " dans le Christ Jésus il n’y a ni homme ni femme ". Cela ne change donc rien si c’est un homme ou une femme qui tient le confirmand.

 

            Article 11 — Ce sacrement est-il donné seulement par l’évêque ?

Objections :

1. Il semble que ce n’est pas l’évêque seul qui peut conférer ce sacrement. S. Grégoire écrit à l’évêque Januarius : " Il nous est revenu que certains ont été scandalisés de ce que nous avons interdit aux prêtres d’oindre de chrême les baptisés. Sans doute nous avons suivi l’antique usage de notre Église ; mais s’il en est que cela contraste trop, nous accordons qu’en l’absence de l’évêque, les prêtres aussi puissent oindre de chrême les baptisés même sur le front. " Pourtant ce qui appartient nécessairement au sacrement ne peut être modifié pour éviter le scandale. Il semble donc qu’il ne soit pas nécessaire à ce sacrement d’être conféré par l’évêque.

2. Le sacrement de baptême paraît avoir plus d’efficacité que le sacrement de confirmation, puisque le baptême opère la pleine rémission des péchés, et quant à la faute et quant à la peine, ce que ne fait pas la confirmation. Mais un simple prêtre peut, par son office, conférer le sacrement de baptême, et, en cas de nécessité, n’importe qui, même s’il n’est pas dans les ordres, peut baptiser. Il n’est donc pas nécessaire que la confirmation soit conférée par l’évêque.

3. Le sommet de la tête, qui, selon les médecins, est le siège de la raison, de cette raison particulière qu’on appelle cogitative, est plus noble que le front, qui est le siège de l’imagination. Mais un simple prêtre peut oindre de chrême les baptisés sur le sommet de la tête. A plus forte raison peut-il les marquer de chrême sur le front, ce qui est le rite de ce sacrement.

En sens contraire, le pape Eusèbe dit : " Le sacrement de l’imposition des mains doit être tenu en grande vénération, parce qu’il ne peut être conféré que par les grands prêtres. Au temps des Apôtres on ne lit pas et on ne sait pas qu’il ait été administré par d’autres que les Apôtres eux-mêmes ; et jamais il ne peut et ne doit l’être que par ceux qui tiennent leur place. Si l’on osait faire autrement, que cet acte soit tenu pour nul et sans effet, et on ne le comptera jamais parmi les sacrements de l’Église. Il est donc nécessaire que ce sacrement, appelé ici sacrement de l’imposition des mains, soit conféré par l’évêque.

Réponse :

En toute œuvre le dernier achèvement est réservé à l’art ou à la puissance la plus haute ; par exemple les ouvriers inférieurs préparent les matériaux, et c’est un artiste supérieur qui donne la forme. Mais c’est au mettre qu’est réservé l’usage, qui est la fin de l’œuvre d’art ; ainsi la lettre, qui est écrite par un secrétaire, est signée par son maître.

Les fidèles du Christ sont une œuvre divine, selon cette parole (1 Co 3, 9) : " Vous êtes l’édifice de Dieu " ; ils sont aussi comme " une lettre écrite par l’Esprit Saint ", dit encore S. Paul (2 Co 3, 2). Or le sacrement de confirmation est l’ultime consommation du baptême. Par le baptême l’homme est construit comme une demeure spirituelle, il est écrit comme une lettre spirituelle ; mais le sacrement de confirmation consacre au Saint-Esprit cette maison déjà construite, et scelle du signe de la croix cette lettre déjà écrite. Et c’est pourquoi la collation de ce sacrement est réservée aux évêques, qui détiennent dans l’Église le pouvoir souverain, comme dans la primitive Église la plénitude de l’Esprit Saint était donnée par l’imposition des mains des Apôtres (Ac 8, 14), dont les évêques sont les successeurs. Aussi le pape Urbain I dit-il : " Tous les fidèles doivent après le baptême recevoir le Saint-Esprit par l’imposition des mains de l’évêque, pour devenir parfaits chrétiens. "

Solutions :

1. Le pape a dans l’Église la plénitude du pouvoir, qui lui permet de confier aux ordres inférieurs certaines des fonctions qui reviennent aux ordres supérieurs. C’est ainsi qu’il accorde à des prêtres de conférer les ordres mineurs, ce qui relève du pouvoir épiscopal. C’est en vertu de ce pouvoir souverain que le bienheureux pape Grégoire a permis à de simples prêtres d’administrer la confirmation, jusqu’à ce que le scandale ait cessé.

2. Le sacrement de baptême est plus efficace que la confirmation pour écarter le mal, parce qu’il est une génération spirituelle, c’est-à-dire un passage du non-être à l’être. Mais la confirmation est plus efficace pour faire progresser dans le bien, puisqu’elle est une croissance spirituelle qui fait passer de l’être imparfait jusqu’à l’être parfait. Et c’est pourquoi ce sacrement est confié à un ministre plus digne.

3. Raban Maur dit que " le baptisé est marqué du chrême sur le sommet de la tête par le prêtre, et par l’évêque sur le front, pour que la première onction signifie la descente du Saint-Esprit sur lui comme sur une demeure qui doit être consacrée à Dieu, et que la seconde onction montre que la grâce septiforme du même Esprit Saint vient à l’homme avec toute la plénitude de la sainteté, de la science et de la vertu ". Cette onction est donc réservée aux évêques, à cause de sa plus grande efficacité, et non à cause de la supériorité de la partie du corps qui la reçoit.

 

            Article 12 — Le rite de la confirmation

Objections :

1. Il semble que le rite de ce sacrement n’est pas ce qu’il doit être. Le sacrement de baptême est plus nécessaire que celui-ci, comme on l’a dit ;. Mais on réserve le baptême pour certaines époques, Pâques et Pentecôte. On doit donc aussi fixer pour la confirmation un temps déterminé.

2. Ce sacrement requiert la dévotion du ministre et du sujet, comme le baptême. Mais pour le baptême on n’exige pas que celui qui le reçoit et celui qui le confère soient à jeun. Il semble donc hors de propos qu’un concile d’Orléans ait statué que l’on soit à jeun pour être confirmé, et un concile de Meaux que les évêques soient à jeun pour donner le Saint-Esprit par l’imposition des mains.

3. Le Chrême, comme on l’a dit a, est le signe de la plénitude du Saint-Esprit. Mais la plénitude du Saint-Esprit a été donnée aux fidèles du Christ le jour de la Pentecôte. Donc le chrême devrait être préparé et bénit le jour de la Pentecôte plutôt que le jeudi saint.

En sens contraire, tel est l’usage de l’Église, qui est gouvernée par l’Esprit Saint.

Réponse :

Le Seigneur a fait cette promesse à ses fidèles (Mt 18, 20) : " Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. " Aussi faut-il tenir fermement que les décisions de l’Église sont dirigées par la sagesse du Christ. Par conséquent il est certain que les rites que l’Église observe dans ce sacrement comme dans les autres sont ce qu’ils doivent être.

Solutions :

1. Le pape Melchiade dit que " ces deux sacrements, - baptême et confirmation, - sont si étroitement unis que, sauf danger de mort, on ne doit pas les séparer et que l’un ne peut régulièrement être administré sans l’autre ". Les dates prévues sont donc les mêmes pour la célébration solennelle du baptême et pour la confirmation. Mais comme celle-ci n’est donnée que par les évêques, qui ne sont pas toujours là quand les prêtres baptisent, il a fallu, dans la pratique courante, renvoyer à d’autres temps la confirmation.

2. " Les malades et ceux qui sont en danger de mort ne sont pas touchés par cette défense ", lit-on dans les statuts du concile de Meaux. Ainsi, à cause de la multitude des fidèles et des dangers qui les menaçaient, on admet que ce sacrement, qui ne peut être donné que par les évêques, puisse être donné ou reçu même par ceux qui ne sont pas à jeun ; car, un seul évêque, surtout dans un grand diocèse, ne pourrait suffire à confirmer tout le monde, si le temps lui était mesuré. Mais là où cela peut être commodément observé, il est plus convenable que le ministre et le sujet soient à jeun.

3. D’après un concile tenu sous le pape Martin, " il était permis de consacrer le chrême en tout temps ". Mais comme le baptême solennel, qui requiert l’usage du chrême, est conféré durant la vigile pascale, il a été sagement ordonné que l’évêque bénirait le chrême deux jours avant, afin qu’il puisse être distribué dans le diocèse. - De plus, ce jour convient assez à la bénédiction de la matière des sacrements, puisque c’est le jour où fut institué le sacrement de l’eucharistie, auquel sont ordonnés tous les autres sacrements.

 

 

QUESTION 73 — LE SACREMENT D’EUCHARISTIE EN TANT QUE TEL

1. L’eucharistie est-elle un sacrement ? - 2. Est-elle un seul sacrement ou plusieurs ? - 3. Est-elle nécessaire au salut ? - 4. Ses noms. - 5. Son institution. - 6. Ses figures.

 

            Article 1 — L’eucharistie est-elle un sacrement ?

Objections :

1. Il semble que non. Car deux sacrements ne doivent pas avoir la même fin, puisque tout sacrement est capable de produire son effet. Si la perfection est le but de la confirmation comme de l’eucharistie, selon Denys, il semble que l’eucharistie n’est pas un sacrement, puisque la confirmation en est déjà un, comme nous venons de le voir.

2. Dans tout sacrement de la loi nouvelle, l’objet visible proposé aux sens produit l’effet invisible du sacrement. Ainsi l’ablution d’eau produit, nous l’avons vue, et le caractère sacramentel et l’ablution spirituelle. Mais les espèces du pain et du vin, qui sont proposées aux sens dans ce sacrement, ne produisent ni le vrai corps du Christ en lui-même (qui est réalité et signe) ni le corps mystique (qui est réalité seulement) dans l’eucharistie d. Il semble donc que l’eucharistie n’est pas un sacrement de la loi nouvelle.

3. Les sacrements de la loi nouvelle qui ont une matière sont pleinement réalisés dans l’usage de cette matière : ainsi le baptême dans l’ablution, et la confirmation dans la consignation avec le chrême. Donc, si l’eucharistie était un sacrement, elle se réaliserait dans l’usage de la matière, et non dans sa consécration. Or cela est évidemment faux puisque la forme de ce sacrement consiste dans les paroles qu’on prononce en consacrant sa matière, comme on le verra plus loin e. L’eucharistie n’est donc pas un sacrement.

En sens contraire, on dit dans une collecte " Votre sacrement que voici puisse-t-il ne pas nous rendre coupables de peine ".

Réponse :

Les sacrements de l’Église ont pour fin de soutenir l’homme dans sa vie spirituelle ; or la vie spirituelle s’harmonise à la vie corporelle, du fait que les réalités corporelles portent la ressemblance des réalités spirituelles. Il est bien évident que la vie corporelle, si elle requiert la génération par quoi l’homme reçoit la vie, et la croissance par quoi l’homme est conduit à la perfection de sa vie, requiert aussi la nourriture par quoi l’homme est conservé en vie. Par conséquent, de même que la vie spirituelle a requis le baptême, qui est génération spirituelle, et la confirmation, qui est croissance spirituelle, de même elle a requis le sacrement d’eucharistie, qui est nourriture spirituelle.

Solutions :

1. Il y a deux espèces de perfection. L’une est dans l’homme lui-même, il y est amené par la croissance, et telle est la perfection qui revient à la confirmation. L’autre est obtenue par l’homme du fait qu’on lui ajoute un élément extérieur qui le conserve, par exemple, de la nourriture, un vêtement, etc. Telle est la perfection qui revient à l’eucharistie, réfection spirituelle.

2. L’eau du baptême ne cause pas d’effet spirituel par elle-même, mais à cause de la vertu du Saint-Esprit qui se trouve en elle. Aussi S. Jean Chrysostome sur le texte de S. Jean (5, 4) : "L’ange du Seigneur par moment... ", fait-il ce commentaire : " Dans les baptisés ce n’est pas l’eau toute seule qui opère : mais celle-ci, lorsqu’elle a reçu la grâce du Saint-Esprit, efface tous les péchés ". La vertu du Saint-Esprit est dans le même rapport avec l’eau du baptême que le véritable corps du Christ avec les espèces du pain et du vin ; ainsi les espèces du pain et du vin ne produisent-elles aucun effet sinon par la vertu du véritable corps du Christ.

3. On appelle sacrement ce qui contient quelque chose de sacré. Et une chose peut être sacrée de deux façons : en elle-même, absolument, ou bien par relation à autre chose. Or il y a cette différences, entre l’eucharistie et les autres sacrements qui ont une matière sensible, que l’eucharistie contient quelque chose de sacré en elle-même, absolument, à savoir le Christ lui-même ; tandis que l’eau du baptême contient quelque chose de sacré par relation à autre chose, c’est-à-dire qu’elle contient une vertu capable de sanctifier l’âme ; et il en est de même pour le chrême et les éléments analogues. C’est pourquoi le sacrement de l’eucharistie est pleinement réalisé dans la consécration même de la matière, tandis que les autres sacrements ne sont pleinement réalisés que dans l’application de la matière à l’homme qu’il s’agit de sanctifier. De là résulte une autre différence : dans le sacrement de l’eucharistie, ce qui est réalité et signe réside dans la matière elle-même, mais ce qui est réalité seulement, c’est-à-dire la grâce conférée, réside en celui qui reçoit l’eucharistie. Dans le baptême, au contraire, l’un et l’autre résident dans le sujet du sacrement : le caractère, qui est réalité et signe, la grâce de la rémission des péchés, qui est réalité seulement. On retrouve la même structure dans les autres sacrements.

 

            Article 2 — L’eucharistie est-elle un seul sacrement ou plusieurs ?

Objections :

1. Il semble que l’eucharistie ne soit pas un seul sacrement mais plusieurs. Car on dit dans une collecte : " Qu’ils nous purifient, Seigneur, les sacrements que nous avons consommés ", en référence à la réception de l’eucharistie. Celle-ci n’est donc pas un seul sacrement, mais plusieurs.

2. Il est impossible, lorsqu’on multiplie le genre, que l’espèce ne soit pas multipliée : qu’il n’y ait qu’un seul homme en plusieurs animaux. Mais on a vu, que le signe joue le rôle de genre dans le sacrement ; et puisqu’il y a dans l’eucharistie plusieurs signes, à savoir le pain et le vin, il apparaît par conséquent qu’il y a là plusieurs sacrements.

3. Ce sacrement, on vient de le voir, est pleinement réalisé dans la consécration de la matière ; mais ce sacrement comporte double consécration de matière ; c’est donc un sacrement double.

En sens contraire, l’Apôtre dit (1 Co 10, 17) " Tous, si nombreux que nous soyons, nous ne formons qu’un seul pain et un seul corps, nous qui prenons part à un seul pain et à une seule coupe. " Ce texte établit clairement que l’eucharistie est le sacrement de l’unité ecclésiale ; or le sacrement ressemble à la réalité dont il est le signe ; donc l’eucharistie est un sacrement unique.

Réponse :

Selon Aristote, on attribue l’unité non seulement à ce qui possède une unité matérielle par indivision ou continuité, mais encore à ce qui possède une unité d’intégrité et de perfection ; ainsi dit-on " une " maison et " un " homme. Cette unité de perfection est celle d’un être qui rassemble intégralement tous les éléments requis à sa fin. Un homme est complet s’il rassemble tous les membres nécessaires à l’opération de l’âme. Une maison est complète si elle comporte toutes les parties nécessaires pour qu’on puisse y habiter. C’est en ce sens que ce sacrement est un, car il est ordonné à la réfection spirituelle, qui ressemble à la réfection corporelle. Or celle-ci réclame deux choses : la nourriture, qui est l’aliment sec, et la boisson, qui est l’aliment humide. De même, deux choses concourent à l’intégrité de ce sacrement : la nourriture spirituelle et la boisson spirituelle, selon la parole de Notre Seigneur en S. Jean (6, 56) : " Ma chair est vraiment nourriture et mon sang est vraiment boisson 8. " Si ce sacrement comporte une pluralité du côté de la matière, il est donc un du côté de la forme et de la perfection.

Solutions :

1. Dans la même collecte on parle d’abord au pluriel : " Qu’ils nous purifient, les sacrements que nous avons consommés ", et on ajoute ensuite au singulier : " Votre sacrement, que voici, puisse-t-il ne pas nous rendre coupables de peine " pour montrer que si ce sacrement, à un certain point de vue, est multiple, il est pourtant un, en définitive.

2. Le pain et le vin, pris matériellement, constituent plusieurs signes, mais, pris formellement et du côté de la perfection finale, ils n’en font qu’un, en tant qu’ils aboutissent à accomplir une seule réfection.

3. De ce que ce sacrement comporte une double consécration de matière, tout ce qu’on peut déduire, c’est que, du côté de la matière, il est multiple, comme on l’a vu.

 

            Article 3 — Ce sacrement est-il nécessaire au salut ?

Objections :

1. Il apparaît que ce sacrement est nécessaire au salut. Car le Seigneur dit en S. Jean (6, 54) : " Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. " Or c’est dans ce sacrement qu’on mange la chair du Christ et qu’on boit son sang. Sans ce sacrement l’homme ne peut donc avoir le salut de la vie spirituelle.

2. Ce sacrement est un aliment spirituel. Or l’aliment corporel est nécessaire au salut du corps. Donc ce sacrement est nécessaire lui aussi au salut spirituel.

3. Le baptême est le sacrement de la passion du Seigneur, sans laquelle il n’est pas de salut. Il en est de même de l’eucharistie, car l’Apôtre dit (1 Co 11, 26) : "Chaque fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez cette coupe, vous proclamerez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. " Donc, si le baptême est nécessaire au salut, ce sacrement l’est aussi.

En sens contraire, S. Augustin a écrit : " Ne vous imaginez pas que les tout-petits ne peuvent avoir la vie, eux qui n’ont pas reçu le corps et le sang du Christ. "

Réponse :

Dans ce sacrement il faut considérer deux choses : le sacrement lui-même et la réalité du sacrement. Or on vient de voir que la réalité de ce sacrement est l’unité du corps mystique, sans laquelle il ne peut y avoir de salut ; car personne ne peut accéder au salut hors de l’Église, de même que dans le déluge il n’y avait pas de salut hors de l’arche de Noé, qui figure l’Église, dit S. Pierre (1 P 3, 20). Or on a vu précédemment que la réalité d’un sacrement peut être obtenue avant la réception rituelle de ce sacrement, du fait même qu’on aspire à le recevoir. Par conséquent on peut obtenir le salut avant de recevoir ce sacrement du fait qu’on y aspire, de même qu’avant le baptême, si l’on aspire au baptême, comme nous l’avons dit.

Il y a cependant une différence et elle porte sur deux points. Premièrement, le baptême est le principe de la vie spirituelle et la porte des sacrements ; tandis que l’eucharistie est comme la consommation de la vie spirituelle et la fin de tous les sacrements, nous l’avons déjà dit. En effet, les sanctifications procurées par tous les sacrements préparent à recevoir ou à consacrer l’eucharistie. Par conséquent la réception du baptême est nécessaire à l’inauguration de la vie spirituelle, tandis que la réception de l’eucharistie est nécessaire à sa consommation, mais non à sa possession pure et simple : il suffit pour cela de la posséder dans l’aspiration qui nous y porte. C’est ainsi que la fin est possédée par le désir et l’intention. L’autre différence vient de ce que, par le baptême, on est ordonné à l’eucharistie. Par conséquent, du fait que les enfants sont baptisés, ils sont ordonnés par l’Église à l’eucharistie. Et, de même qu’ils croient par la foi de l’Église, par son intention ils désirent l’eucharistie et en reçoivent la réalité. Mais ils ne sont pas ordonnés au baptême par un sacrement antérieur, et c’est pourquoi, avant la réception du baptême, les enfants ne possèdent aucunement la réalité du baptême en y aspirant : cela est réservé aux adultes. Ils ne peuvent donc recevoir la réalité du sacrement sans recevoir extérieurement le sacrement. Par conséquent l’eucharistie n’est pas nécessaire au salut de la même façon que le baptême.

Solutions :

1. En commentant la parole de S. Jean : " Cette nourriture et cette boisson " (de sa chair et de son sang), S. Augustin donne cette explication : " Notre Seigneur veut faire entendre par là la société de son corps et de ses membres, qui est l’Église dans les saints prédestinés, appelés et justifiés, et dans ses fidèles. " Aussi, comme il le dit dans sa lettre à Boniface (sur le texte de l’épître aux Corinthiens : " La coupe de bénédiction ") : " Personne ne doit aucunement hésiter à admettre que tout fidèle participe au corps et au sang du Seigneur quand, par le baptême, il devient membre du corps du Christ ; et on ne doit pas le juger étranger à la communion de ce pain et de cette coupe, même s’il quitte ce monde avant de manger ce pain et de boire cette coupe, lui qui est établi dans l’unité du corps du Christ. "

2. Il y a cette différence, entre l’aliment corporel et l’aliment spirituel, que l’aliment corporel est transformé en la substance de celui qui s’en nourrit. Par conséquent l’aliment corporel ne peut servir à la conservation de la vie s’il n’est pas réellement consommé. Mais l’aliment spirituel transforme en lui-même celui qui le mange, selon S. Augustin qui attribue au Christ cette parole, : " Tu ne me changes pas en toi, comme tu fais pour la nourriture de ta chair, mais c’est toi qui seras changé en moi. " Quelqu’un peut donc être assimilé au Christ et lui être incorporé par une aspiration purement intérieure même sans recevoir ce sacrement. Le cas de l’aliment corporel n’est donc pas comparable.

3. Le baptême est le sacrement de la mort et de la passion du Christ en tant que l’homme est régénéré dans le Christ en vertu de sa passion. Tandis que l’eucharistie est le sacrement de la passion du Christ en tant que l’homme est rendu parfait par son union au Christ dans la passion. Par suite, comme le baptême est appelé sacrement de la foi, laquelle est le fondement de la vie spirituelle, l’eucharistie est appelée sacrement de la charité, laquelle est le lien de la perfection selon l’épître aux Colossiens (3, 14).

 

            Article 4 — Convient-il que ce sacrement soit désigné par plusieurs noms ?

Objections :

1. Il paraît illogique que ce sacrement soit désigné par plusieurs noms, car les noms doivent correspondre aux réalités qu’ils désignent. Ce sacrement est un, nous l’avons vu ; il ne doit donc pas être désigné par plusieurs noms.

2. Il n’est pas à propos de faire connaître l’espèce par ce qui est commun à tout le genre. Mais l’eucharistie est un sacrement de la loi nouvelle. Or il est commun à tous ces sacrements que la grâce soit conférée par eux, ce que signifie le nom d’" eucharistie ", synonyme de " bonne grâce ". En outre, tous les sacrements nous apportent un remède dans le voyage de la vie présente : telle est la signification du nom de " viatique ". Puis, dans tous les sacrements s’accomplit quelque chose de sacré, ce que signifie le nom de " sacrifice " ; et tous les sacrements établissent une communication des fidèles entre eux, ce que signifie le nom grec de " synaxe ", ou le nom latin de " communion ". Par conséquent tous ces noms ne sont pas logiquement appropriés à ce sacrement.

3. Hostie est synonyme de sacrifice. Puisque le nom de sacrifice ne peut lui convenir en propre, de même le nom d’" hostie ".

En sens contraire, il y a l’usage des fidèles.

Réponse :

Ce sacrement a une triple signification : la première à l’égard du passé, en tant qu’il commémore la passion du Seigneur, qui fut un véritable sacrifice, nous l’avons vu ; et à ce point de vue il est appelé un sacrifice.

Il a une deuxième signification à l’égard de la réalité présente, qui est l’unité ecclésiale à laquelle les hommes s’agrègent par ce sacrement ; et à ce titre on l’appelle communion ou synaxe ; en effet, selon S. Jean Damascène, "on le nomme ainsi parce que c’est lui qui nous unit au Christ, nous fait participer à sa chair et à sa divinité, et c’est lui qui nous relie, nous met en communication les uns avec les autres ".

Ce sacrement a une troisième signification à l’égard de l’avenir, en tant qu’il préfigure la jouissance de Dieu dans la patrie. A ce titre, il est appelé viatique parce qu’il nous donne ici-bas la voie pour y parvenir ; à ce titre encore il est appelé eucharistie, c’est-à-dire bonne grâce, parce que " la grâce de Dieu c’est la vie éternelle ", selon l’épître aux Romains (6, 23) ; ou encore parce qu’il contient réellement le Christ, qui possède la grâce en plénitude. On l’appelle encore en grec métalepsis, c’est-à-dire assomption, parce que, selon S. Jean Damascène, "par lui nous assumons la divinité du Fils ".

Solutions :

1. Rien n’empêche que le même être porte plusieurs noms, selon des propriétés ou des effets divers.

2. Ce qui est commun à tous les sacrements est attribué à celui-ci par antonomase, à cause de son excellence.

3. Ce sacrement est appelé sacrifice en tant qu’il représente la passion même du Christ, et il est appelé hostie en tant qu’il contient le Christ lui-même, qui est une victime salutaire selon l’épître aux Éphésiens (5, 2).

 

            Article 5 — Ce sacrement a-t-il été judicieusement institué ?

Objections :

1. Il semble que non, car, selon le Philosophe, "nous sommes nourris des mêmes éléments qui nous font exister." Or. par le baptême, qui est une régénération spirituelle, nous avons reçu l’existence spirituelle, selon Denys. Nous sommes donc nourris par le baptême également, et il n’était pas nécessaire d’instituer ce sacrement comme une nutrition spirituelle.

2. Par ce sacrement les hommes sont unis au Christ comme les membres à la tête. Mais le Christ est tête de tous les hommes, même de ceux qui ont existé depuis l’origine du monde, nous l’avons vu. Il ne fallait donc pas différer l’institution de ce sacrement jusqu’à la Cène du Seigneur.

3. Ce sacrement est appelé le mémorial de la passion du Seigneur, comme il est dit en S. Luc (22, 19) : " Faites cela en mémoire de moi. " Mais la mémoire regarde les événements passés. Ce sacrement n’aurait donc pas dû être institué avant la passion du Christ.

4. C’est par le baptême que nous sommes ordonnés à l’eucharistie, laquelle ne doit être donnée qu’aux baptisés. Mais le baptême, comme on le voit au dernier chapitre de S. Matthieu (19), fut institué après la passion et la résurrection du Christ. On ne peut donc pas justifier que ce sacrement ait été institué avant la passion.

En sens contraire, ce sacrement a été institué par le Christ dont il est dit en S. Marc (7, 17) " Il a bien fait toutes choses. "

Réponse :

Il est très logique que ce sacrement ait été institué à la Cène, où le Christ eut son dernier entretien avec ses disciples.

1° En raison du contenu de ce sacrement. C’est le Christ lui-même qui est contenu sacramentellement dans l’eucharistie. C’est pourquoi, au moment où le Christ, sous son aspect naturel, allait quitter ses disciples, il se légua à eux sous son aspect sacramentel, de même qu’en l’absence de l’empereur on offre son image à la vénération de ses sujets. Ce qui fait dire à Eusèbe : " Puisque, relativement au corps assumé par l’incarnation, il devait être ôté de leurs yeux et emporté au ciel, il était nécessaire qu’au jour de la Cène le Christ consacrât pour nous le sacrement de son corps et de son sang, afin qu’on honore continuellement par mode de mystère ce qui était offert une seule fois en rançon. "

2° Parce que, sans la foi à la passion du Christ, le salut a toujours été impossible, selon l’épître aux Romains (3, 25). " Celui que Dieu a présenté comme propitiateur par la foi en son sang... " Il fallait donc qu’il y eût en tout temps chez les hommes quelque chose qui représentât la passion du Seigneur dont, sous l’Ancien Testament, la principale figure sacramentelle était l’agneau pascal, ce qui fait dire à S. Paul (1 Co 5, 7) : " Le Christ, notre agneau pascal, a été immolé. " Cette figure a été remplacée dans le Nouveau Testament par le sacrement d’eucharistie, qui commémore la passion passée comme l’agneau pascal avait préfiguré la passion future. C’est pourquoi il a été logique qu’à l’approche de la passion, le premier sacrement ayant été célébré, un nouveau sacrement fût institué. D’où la parole de S. Léon : " Pour que les ombres disparaissent devant le corps, l’antique observance est éliminée par le nouveau sacrement ; l’hostie disparaît devant l’hostie ; le sang est enlevé par le sang, et la fête légale, en étant changée, est accomplie. "

3° Parce que les paroles suprêmes, particulièrement lorsqu’elles sont prononcées par des amis qui s’en vont, s’imposent davantage à la mémoire, surtout parce qu’alors nous portons à nos amis une affection plus ardente. En effet, ce qui nous touche davantage s’imprime plus profondément dans le cœur. Et donc, parce que, selon la parole du pape S. Alexandre, " il ne peut y avoir de sacrifice plus grand que celui du corps et du sang du Christ et aucune oblation n’est supérieure ", afin que ce sacrement fût tenu en plus grande vénération, le Seigneur l’institua au moment de quitter ses disciples. C’est ce que dit S. Augustin : " Le Sauveur, pour mettre plus fortement en valeur la profondeur de ce mystère, voulut l’imprimer le dernier dans les cœurs et dans la mémoire de ses disciples, qu’il allait quitter pour subir sa passion.

Solutions :

1. Nous sommes nourris par les mêmes éléments qui nous font exister, mais ils ne nous sont pas fournis de la même façon. Car les éléments qui nous font exister nous sont fournis par la génération. Les mêmes éléments, en tant qu’ils nous alimentent, nous sont fournis par la manducation. Ainsi, comme nous sommes régénérés dans le Christ par le baptême, de même nous mangeons le Christ par l’eucharistie.

2. L’eucharistie est le sacrement parfait de la passion du Seigneur, en tant qu’elle contient le Christ dans sa passion. Elle n’a donc pu être instituée avant l’incarnation. Mais alors sa place était tenue par ces sacrements qui se bornaient à préfigurer la Passion.

3. Ce sacrement fut institué à la Cène pour être dans l’avenir le mémorial de la passion du Seigneur, une fois que celle-ci serait accomplie. C’est pourquoi il dit expressément : " Toutes les fois que vous ferez cela " en parlant de l’avenir.

4. L’institution répond à l’ordre d’intention. Or le sacrement d’eucharistie, quoiqu’il soit postérieur au baptême dans sa réception, est cependant premier en intention. Il devait donc être institué le premier. Ou bien on peut répondre que le baptême était déjà, d’une certaine façon, institué dans le baptême du Christ, si bien que quelques-uns avaient déjà été baptisés du baptême du Christ, comme on le lit en S. Jean (3, 22).

 

            Article 6 — L’agneau pascal fut-il la principale figure de ce sacrement ?

Objections :

1. Il semble que non. Car le Christ est appelé prêtre selon l’ordre de Melchisédech (Ps 110, 4), et cela parce que Melchisédech a préfiguré le sacrifice du Christ en offrant du pain et du vin (Gn 14, 18). Or, si l’on transfère le nom d’un être à un autre, c’est pour exprimer la ressemblance qui existe entre eux. Il semble donc que l’oblation de Melchisédech fut la meilleure figure de ce sacrement.

2. Le passage de la mer Rouge fut une préfiguration du baptême (1 Co 10, 2) : "Tous furent baptisés dans la nuée et dans la mer. " Mais l’immolation de l’agneau pascal a précédé le passage de la mer Rouge ; la manne, au contraire, l’a suivi, comme l’eucharistie suit le baptême. La manne est donc une figure plus éloquente de ce sacrement.

3. La plus puissante vertu de ce sacrement, c’est qu’il nous introduit dans le royaume des cieux, comme un viatique. Mais ce qui a le mieux préfiguré cette vertu, c’est le sacrement de l’Expiation, lorsque le grand prêtre entrait une fois par an, avec le sang, dans le saint des saints, comme le prouve S. Paul dans l’épître aux Hébreux (9, 7). Il semble donc que ce sacrifice préfigura l’eucharistie de façon plus expressive que l’agneau pascal.

En sens contraire, S. Paul écrit (1 Co 5, 5) " Le Christ, notre agneau pascal, a été immolé ; festoyons donc avec les azymes de la sincérité et de la vérité. "

Réponse :

Dans ce sacrement, nous pouvons considérer trois choses : ce qui est sacrement seul, et c’est le pain et le vin ; ce qui est réalité et sacrement, et c’est le véritable corps du Christ ; et ce qui est réalité seule : c’est l’effet de ce sacrement.

Or, en ce qui concerne le sacrement seul, la plus claire figure en fut l’oblation de ce sacrement par Melchisédech, qui offrit du pain et du vin. Mais pour ce qui est du Christ en sa passion, qui est contenu dans ce sacrement, tous les sacrifices de l’Ancien Testament l’ont préfiguré, et principalement le sacrifice de l’Expiation, qui était le plus solennel. Enfin, quant à l’effet, sa principale figure fut la manne qui, dit la Sagesse (16, 20), " avait en soi la douceur de tous les goûts ", de même que la grâce de ce sacrement restaure l’âme selon tous ses besoins.

Mais l’agneau pascal préfigurait le sacrement d’eucharistie selon ces trois aspects : quant au premier, parce qu’on le mangeait avec des pains azymes selon le précepte de l’Exode (12, 8) : " Ils mangeront les chairs et les pains azymes. " Selon le second, parce qu’il était immolé le quatorzième jour du mois par toute l’assemblée des enfants d’Israël, et c’était là une figure de la passion du Christ, qui est appelé agneau à cause de son innocence. Enfin, quant à l’effet c’est par le sang de l’agneau que les enfants d’Israël furent protégés contre l’ange exterminateur et délivrés de la servitude d’Égypte. C’est pourquoi l’agneau pascal est donné comme la principale figure de ce sacrement, puisqu’il le représente sous tous ses aspects.

Solutions :

Et cela donne la réponse aux Objections.

Il faut ensuite étudier la matière de ce sacrement. 1° Ce qui détermine cette matière (Q. 74). 2° La conversion du pain et du vin au corps du Christ (Q. 75). 3° Le mode selon lequel le corps du Christ existe dans ce sacrement (Q. 76). 4° Les accidents du pain et du vin qui subsistent dans ce sacrement (Q. 77).

 

 

QUESTION 74 — CE QUI DÉTERMINE LA MATIÈRE DE L’EUCHARISTIE

1. Le pain et le vin sont-ils la matière de ce sacrement ? - 2. Une quantité déterminée est-elle requise à la matière de ce sacrement ? - 3. La matière de ce sacrement est-elle le pain de froment ? - 4. Est-ce le pain azyme, ou le pain fermenté ? - 5. La matière de ce sacrement est-elle le vin de la vigne ? - 6. Faut-il y mêler de l’eau ? - 7. L’eau est-elle nécessaire ? - 8. La quantité d’eau à mettre.

 

            Article 1 — La matière de ce sacrement est-elle le pain et le vin ?

Objections :

1. Il apparaît que non. Car ce sacrement doit représenter la passion du Christ plus parfaitement que ne faisaient les sacrements de la loi ancienne. Or ceux-ci avaient pour matière des chairs d’animaux, qui représentent la passion du Christ de façon plus vive que le pain et le vin. Ce sacrement devrait donc avoir pour matière des chairs d’animaux, plutôt que le pain et le vin.

2. Ce sacrement doit se célébrer partout. Mais en beaucoup de régions on ne trouve pas de pain de froment, et dans quelques-unes on ne trouve pas de vin. Le pain et le vin ne sont donc pas la matière idoine de ce sacrements.

3. Ce sacrement s’adresse aux bien portants et aux malades. Mais le vin est nuisible à certains malades. Il semble donc que le vin ne doive pas être la matière de ce sacrement.

En sens contraire, le pape Alexandre Ier dit : " Que dans les oblations sacramentelles on n’offre pour le sacrifice que du pain et du vin mêlé d’eau. "

Réponse :

Sur la matière de ce sacrement, on a commis de multiples erreurs. Certains, appelés artotyrites, au dire de S. Augustin " offrent " dans ce sacrement "du pain et du fromage, sous prétexte que les oblations célébrées par les premiers hommes le furent avec des produits de la terre et des brebis. " D’autres, les cataphrygiens et les pépuziens, " célèbrent leur eucharistie, paraît-il, en faisant du pain avec du sang de petits enfants, qu’ils tirent de tout leur corps par de petites piqûres, et qu’ils mêlent à la farine ". D’autres, appelés aquariens, sous prétexte de sobriété, n’offrent dans ce sacrement que de l’eau.

Toutes ces erreurs et d’autres du même genre sont éliminées par le fait que le Christ a institué ce sacrement sous l’espèce du pain et du vin, comme on le voit au chapitre 26 de S. Matthieu. Donc le pain et le vin sont la matière idoine de ce sacrement. Et cela s’explique

1° Quant à l’usage de ce sacrement, qui consiste en sa manducation. De même qu’on prend de l’eau, dans le sacrement de baptême où l’on pratique une ablution de l’âme, parce que les ablutions du corps se font généralement avec de l’eau ; de même dans ce sacrement, où l’on pratique une manducation spirituelle, on prend du pain et du vin qui sont les aliments habituels de l’homme.

2° Quant à la passion du Christ, dans laquelle le sang est séparé du corps ; c’est pourquoi, dans ce sacrement qui est le mémorial de la passion du Seigneur, on prend séparément le pain comme sacrement du corps, et le vin comme sacrement du sang.

3° Quant à l’effet considéré en chacun de ceux qui consomment le pain et le vin eucharistiques ; comme le note S. Ambroise : " Ce sacrement sert à la protection du corps et de l’âme ; et c’est pourquoi le corps du Christ est offert sous l’espèce du pain pour le salut du corps, le sang est offert sous l’espèce du vin pour le salut de l’âme " car le Lévitique dit (17, 14) : " L’âme de la chair est dans le sang. "

4° Quant à l’effet de l’eucharistie à l’égard de toute l’Église, qui est constituée de divers fidèles " comme le pain est fait de divers grains et comme le vin coule de diverses grappes 4 " selon la Glose sur ce passage (1 Co 10, 17) : " Tous, si nombreux que nous soyons, nous ne formons qu’un seul corps... ".

Solutions :

1. Bien que les chairs d’animaux mis à mort représentent plus vivement la passion du Christ, elles sont moins appropriées à l’usage fréquent de ce sacrement et à son symbolisme d’unité ecclésiastique.

2. Bien que le blé ou le vin ne soient pas produits dans toutes les régions, on peut les transporter facilement partout, autant que c’est nécessaire pour l’usage qu’on en fait dans ce sacrement. Et si l’un des deux manque, on ne doit pas consacrer l’un sans l’autre, parce que ce ne serait pas alors un sacrement complètement achevé.

3. Le vin pris en petite quantité ne peut guère incommoder un malade. Pourtant, si on craint qu’il fasse mal, il n’est pas nécessaire que tous ceux qui reçoivent le corps du Christ reçoivent aussi son sang, comme on le verra plus loin.

 

            Article 2 — Une quantité déterminée de pain et de vin est-elle requise à la matière de ce sacrement ?

Objections :

1. Il semble qu’une quantité déterminée de pain et de vin est requise à la matière de ce sacrement. Car les effets de la grâce ne sont pas moins bien réglés que les effets de la nature. Or, dit Aristote : " Tous les éléments de la nature ont une limite fixée, une mesure de grandeur et de croissance. " Donc à bien plus forte raison, dans ce sacrement appelé eucharistie c’est-à-dire " bonne grâce ", est requise une quantité déterminée de pain et de vin.

2. Le Christ n’a pas donné à ses ministres un pouvoir tel qu’ils puissent exposer au ridicule la foi et ses sacrements (2 Co 10, 8) : " Dieu nous a donné pouvoir pour l’édification et non pour la destruction. " Mais le sacrement serait exposé au ridicule si un prêtre voulait consacrer tout le pain qu’on vend au marché et tout le vin qui est à la cave. Il ne peut donc le faire.

3. Si quelqu’un baptise dans la mer, la forme du baptême ne sanctifie pas toute l’eau de la mer, mais seulement l’eau qui lave le corps du baptisé. Donc dans ce sacrement, on ne peut consacrer une quantité superflue de pain et de vin.

En sens contraire, beaucoup est le contraire de peu, grand est le contraire de petit, mais il n’y a pas une quantité de pain et de vin si petite qu’on ne puisse la consacrer. De même donc, il n’y a pas une quantité si grande qu’on ne puisse la consacrer.

Réponse :

Certains ont dit qu’un prêtre ne peut consacrer une quantité illimitée de pain ou de vin : par exemple tout le pain qui se vend au marché ou tout le vin qui est dans le tonneau. Mais cela ne semble pas vrai. Car, dans tous les êtres qui comportent une matière, la mesure qui détermine la matière se prend par relation à la fin. C’est ainsi qu’on fait une scie avec du fer, pour que cette scie soit capable de couper. Or la fin de ce sacrement, c’est l’usage qu’en font les fidèles. Ainsi faut-il que la quantité de matière, dans ce sacrement, soit déterminée par rapport à l’usage des fidèles. Mais il est impossible de le déterminer par rapport à l’usage des fidèles qui se présentent maintenant. Autrement, un prêtre ayant peu de paroissiens ne pourrait pas consacrer beaucoup d’hosties. Il s’ensuit donc que la matière de ce sacrement se détermine par rapport à l’usage des fidèles, sans aucune autre considération. Or le nombre des fidèles n’est pas mesuré. Aussi ne peut-on dire que la quantité de matière, dans ce sacrement, est déterminée.

Solutions :

1. La matière de tout être naturel reçoit une quantité déterminée par rapport à une forme déterminée. Mais le nombre des fidèles, qui règle l’usage de ce sacrement, n’est pas déterminé. Le cas n’est donc pas le même.

2. Le pouvoir des ministres de l’Église est ordonné à deux fins : 1° à l’effet propre du sacrement ; 2° à la fin de cet effet, et la seconde fin ne supprime pas la première. Donc si un prêtre a l’intention de consacrer le corps du Christ en vue d’une fin mauvaise, pour le tourner en dérision ou pour en confectionner un poison, il pèche parce que son intention vise une fin mauvaise. Néanmoins, à cause du pouvoir qui lui a été conféré, il consacre validement.

3. Le sacrement de baptême s’accomplit dans l’usage de la matière ; c’est pourquoi la forme du baptême ne sanctifie pas plus d’eau qu’on n’en emploie. Mais le sacrement d’eucharistie s’accomplit dans la consécration de la matière. Par conséquent la comparaison ne vaut pas.

 

            Article 3 — Le pain de froment est-il requis à la matière de ce sacrement ?

Objections :

1. Il apparaît que non. Car l’eucharistie est le mémorial de la passion du Seigneur. Or le pain d’orge s’accorde mieux à la passion du Seigneur, parce qu’il est plus grossier, et en outre le Seigneur en a nourri les foules sur la montagne (Jn 6, 9). Le pain de froment n’est donc pas la matière propre de ce sacrement.

2. C’est la forme extérieure, chez les êtres produits par la nature, qui permet de reconnaître leur espèce. Mais il y a certaines céréales qui ressemblent extérieurement au froment, comme l’engrain et l’épeautre dont, en certains endroits, on fait du pain pour l’usage de ce sacrement. Le pain de froment n’en est donc pas la matière propre.

3. Le mélange détruit l’espèce. Mais on ne trouve guère de farine de froment qui soit pure de tout mélange, à moins qu’on ne trie les grains avec grand soin. Il ne semble donc pas que le pain de froment soit la matière propre de ce sacrement.

4. La dissolution d’un être change son espèce. Mais certains consacrent avec du pain en décomposition qui, de ce fait, ne se présente plus comme du pain de froment. Il semble donc qu’un tel pain ne soit pas la matière propre de ce sacrement.

En sens contraire, ce sacrement contient le Christ qui se compare au grain de froment, lorsqu’il dit (Jn 12, 24) : " Si le grain de froment tombé en terre, ne meurt pas, il reste seul. " Donc le pain de froment est la matière de ce sacrement.

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, on prend pour l’usage des sacrements telle matière que les hommes emploient le plus communément pour cet usage. Entre toutes les sortes de pain, les hommes usent plus communément du pain de froment, car les autres sortes de pain semblent avoir été employées à défaut de celui-là. C’est pourquoi on croit que le Christ a institué ce sacrement sous l’espèce de ce pain. En outre, c’est là le pain le plus fortifiant, et à ce titre c’est la matière la mieux adaptée à signifier l’effet de ce sacrement. C’est pourquoi la matière propre de ce sacrement est le pain de froment.

Solutions :

1. Le pain d’orge convient pour symboliser la dureté de la loi ancienne, tant à cause de la dureté de ce pain que parce que, dit S. Augustin, " le grain de l’orge, qui est recouvert d’une balle très résistante, symbolise la loi, dans laquelle l’aliment vital de l’âme était enveloppé dans des signes corporels ; elle symbolise aussi le peuple lui-même qui n’était pas encore dépouillé de ces désirs charnels qui adhèrent à son cœur comme la balle adhère au grain. " Or ce sacrement se rattache au joug du Christ, qui est suave, à la vérité rendue désormais manifeste, et au peuple spirituel. Le pain d’orge ne serait donc pas une matière appropriée à ce sacrement.

2. Celui qui engendre, engendre un être de même espèce. Il y a cependant parfois une dissemblance entre celui qui engendre et celui qui est engendré, quant aux accidents, et cela soit à cause de la matière engendrée qui est différente, soit à cause des déficiences de la vertu générative.

Par conséquent, s’il y a des céréales qui peuvent être engendrées par une semence de froment (comme de la fleur de froment peut naître de grain semé dans des terres pauvres) le pain fabriqué avec une telle céréale peut être la matière de ce sacrement. Mais le cas ne semble pas réalisé avec de l’orge, de l’épeautre, ou même de l’engrain, qui est, de toutes les céréales, la plus semblable au grain de froment. La ressemblance extérieure, chez ces céréales, semble signifier une parenté plutôt qu’une identité d’espèces. Ainsi la ressemblance extérieure entre le chien et le loup prouve qu’ils sont d’espèces voisines mais non identiques. Par conséquent, avec de telles céréales, qui ne peuvent aucunement naître d’une semence de froment, on ne peut fabriquer du pain qui soit la matière exigée pour ce sacrement.

3. Un léger mélange ne change pas l’espèce, car ce qui est en petite quantité est comme absorbé par ce qui est en plus grande quantité. Par conséquent si une autre céréale est mélangée en faible proportion à une quantité très supérieure de froment, on pourra en fabriquer du vrai pain, qui est la matière de ce sacrement. Mais si le mélange est en plus grande proportion, par exemple à égalité ou à peu près, un tel mélange change l’espèce, et le pain ainsi fabriqué ne sera pas la matière exigée pour ce sacrement.

4. Parfois le pain est si corrompu que la nature du pain disparaît. Si la consistance, le goût, la couleur disparaissent ou que d’autres accidents soient changés, on ne peut avec une telle matière produire le corps du Christ. Parfois, la décomposition n’est pas assez avancée pour détruire l’espèce, mais la matière est sur le point de se décomposer, ce que décèle un changement de saveur. Avec un tel pain on peut produire le corps du Christ, mais celui qui le fait commet un péché par irrévérence envers le sacrement. Quant à l’amidon, qui vient d’un froment profondément altéré, il ne semble pas que du pain fait avec ce produit puisse être transformé au corps du Christ, bien que certains affirment le contraire.

 

            Article 4 — Ce sacrement doit-il être fait avec du pain azyme ?

Objections :

1. Il semble que non. Car nous devons, en célébrant ce sacrement, nous conformer à ce que le Christ a institué. Or il semble que le Christ a institué ce sacrement avec du pain fermenté car, comme on le voit au livre de l’Exode (12, 15), les Juifs, conformément à la loi, ne commençaient à user de pain azyme que le jour de la Pâque, qui se célébrait le quatorzième jour du mois. Or le Christ a institué ce sacrement à la Cène qu’il célébra " avant le jour de la fête pascale" dit S. Jean (13, 1). Donc nous devons à notre tour célébrer ce sacrement avec du pain fermenté.

2. Les prescriptions légales ne doivent plus être observées sous le régime de la grâce. Mais l’usage de pains azymes était une cérémonie légale, comme on le voit bien dans l’Exode. Dans ce sacrement de la grâce nous ne devons donc pas employer de pains azymes.

3. Comme on l’a vu plus haut, l’eucharistie est le sacrement de la charité, comme le baptême est le sacrement de la foi. Mais la ferveur de la charité est symbolisée par le levain, comme le montre bien la Glose sur le texte de S. Matthieu (13, 33) : " Le royaume des cieux est semblable à du levain... " Ce sacrement doit donc être fait avec du pain levé.

4. Être azyme ou fermenté, pour du pain, ce sont des accidents qui ne changent pas l’espèce. Or dans le baptême on ne tient aucun compte des accidents divers qui affectent l’eau, par exemple que celle-ci soit salée ou douce, chaude ou froide. De même dans ce sacrement on ne doit pas tenir compte de ce que le pain est ou azyme ou fermenté.

En sens contraire, la décrétale sur la célébration de la messe punit le prêtre qui " s’est permis de célébrer la messe avec du pain fermenté et une coupe de bois ".

Réponse :

Au sujet de la matière de ce sacrement on peut envisager deux points de vue : celui de la nécessité, et celui de la convenance. Ce qui est nécessaire, on l’a vu, c’est que le pain soit fait avec du froment, sans quoi le sacrement n’est pas accompli. Or il n’est pas nécessaire au sacrement que ce pain soit azyme ou fermenté : l’un ou l’autre permet une consécration valide. Mais ce qui est convenable, c’est que chacun observe le rite de son Église dans la célébration du sacrement. Or, sur ce point, les Églises ont des coutumes divergentes. Ainsi S. Grégoire écrit k : " L’Église romaine offre des pains azymes parce que le Seigneur a pris une chair très pure. Mais certaines Églises offrent du pain fermenté parce que le Verbe du Père s’est revêtu de chair, de même que le ferment est mêlé à la farine. " Ainsi, de même que le prêtre de l’Église latine pèche s’il célèbre avec du pain fermenté, de même le prêtre de l’Église grecque qui célébrerait avec du, pain azyme, parce qu’il bouleverse le rite de son Église. Cependant la coutume de célébrer avec du pain azyme est plus justifiée.

1° A cause de l’institution du Christ, qui a institué ce sacrement "le premier jour des azymes " selon S. Matthieu (26, 17), S. Marc et S. Luc, alors que rien de fermenté ne devait demeurer dans les maisons des juifs, comme le prescrit l’Exode (12, 15.19).

2° Parce que le pain est proprement le sacrement du corps du Christ, qui a été conçu dans la pureté, plus qu’il n’est le sacrement de sa divinité comme on l’établira plus loin.

3° Parce que cela convient mieux à la sincérité des fidèles, qui est requise pour qu’ils s’approchent de ce sacrement, selon la parole de S. Paul (1 Co 5, 7) : " Le Christ, notre agneau pascal, a été immolé. Aussi nous devons festoyer avec les azymes de la sincérité et de la vérité. "

Cependant la coutume des Grecs n’est pas dénuée de raison : à cause du symbolisme que signale S. Grégoire, et pour repousser l’hérésie des nazaréens qui mêlaient les observances légales à l’Évangile

Solutions :

1. Comme on le voit dans l’Exode (12, 7.18), la solennité pascale commençait au soir du quatorzième jour, et c’est alors que le Christ, après l’immolation de l’agneau pascal, a institué ce sacrement. C’est pourquoi ce même jour est donné par S. Jean comme précédant le jour de la Pâque, tandis que les trois autres évangélistes l’appellent le " premier jour des azymes ", lorsqu’on ne trouvait plus rien de fermenté dans les maisons des Juifs, comme nous venons de le dire. Nous avons signalé cela plus longuement au traité de la passion du Seigneur.

2. Ceux qui consacrent avec du pain azyme n’ont pas l’intention d’observer les cérémonies de l’ancienne loi, mais de se conformer à l’institution du Christ. Par conséquent, ils ne " judaïsent " pas. Autrement, ceux qui emploient du pain fermenté judaïseraient également. Car les Juifs offraient pour les prémices des pains fermentés.

3. Le levain symbolise la charité à cause de certains de ses effets, parce qu’il donne au pain plus de goût et plus de volume. Mais il symbolise la corruption à cause de sa nature même.

4. Parce que le ferment est un principe de décomposition et qu’avec du pain corrompu on ne peut consacrer validement ce sacrement, nous l’avons vu, la différence entre le pain azyme et le pain fermenté a plus d’importance que la différence entre l’eau chaude et l’eau froide pour le baptême. Car la corruption introduite par le levain pourrait être poussée si loin qu’elle empêcherait la consécration sacramentelle.

 

            Article 5 — Le vin de la vigne est-il la matière propre de ce sacrement ?

Objections :

1. Il apparaît que non. Comme l’eau est la matière du baptême, ainsi le vin est-il la matière de ce sacrement. Mais on peut célébrer le baptême avec n’importe quelle eau. On peut donc consacrer ce sacrement avec du vin de grenades, de mûres, etc. D’autant plus qu’il y a des pays où la vigne ne pousse pas.

2. Le vinaigre est une espèce de vin, car il est tiré de la vigne, selon S. Isidore n. Mais on ne peut consacrer ce sacrement avec du vinaigre. Il semble donc que le vin de la vigne n’est pas la matière propre de ce sacrement.

3. De la vigne on tire non seulement du vin clarifié, mais du verjus et du moût. Pourtant il ne semble pas qu’on puisse consacrer ce sacrement avec de tels produits. On lit en effet dans les actes du Concile in Trullo : " Nous avons appris que, dans certaines Églises, des prêtres joignent du raisin au vin de l’oblation, et distribuent au peuple ce mélange. Nous prescrivons qu’aucun prêtre n’agisse plus ainsi à l’avenir. " Et le pape Jules Ier réprimande des prêtres qui, dans le sacrement de la coupe du Seigneur, offrent du vin fait de raisin pressé. Il semble donc que le vin de la vigne n’est pas la matière propre de ce sacrement.

En sens contraire, de même que le Seigneur s’est comparé au grain de froment, il s’est comparé à la vigne lorsqu’il dit (Jn 15, 1) : " je suis la vraie vigne. " Mais seul le pain de froment est la matière de ce sacrement, nous l’avons vu. Donc seul le vin de la vigne est la matière propre de ce sacrement.

Réponse :

C’est seulement avec le vin de la vigne qu’on peut consacrer ce sacrement.

1° A cause de l’institution du Christ, qui a institué ce sacrement avec du vin de la vigne : c’est chose claire d’après ce qu’il dit lui-même touchant l’institution de ce sacrement (Mt 26, 29) " je ne boirai plus de ce fruit de la vigne. "

2° Nous l’avons déjà dit, on prend comme matière des sacrements ce qui, au sens propre et dans l’usage universel, a telle nature. Or on donne proprement le nom de vin au liquide tiré de la vigne. Les autres liquides ne sont appelés vins que par une certaine ressemblance avec le vin de la vigne.

3° Parce que le vin de la vigne convient davantage à l’effet de ce sacrement, qui est la joie spirituelle, car il est écrit (Ps 104, 15) : " Le vin réjouit le cœur de l’homme."

Solutions :

1. Ces liquides ne sont pas appelés du vin au sens propre du terme, mais par suite d’une certaine ressemblance. Et, dans les pays où la vigne ne pousse pas, l’on peut toujours transporter du vrai vin en quantité suffisante pour célébrer ce sacrement.

2. Le vin devient du vinaigre en se décomposant, si bien que le vinaigre ne peut redevenir du vin, dit Aristote. Aussi, de même qu’on ne peut consacrer ce sacrement avec du pain complètement décomposé, on ne peut pas davantage le consacrer avec du vinaigre. On peut cependant le consacrer avec du vin qui tourne à l’aigre, comme avec du pain qui est en train de se corrompre, quoique celui qui agisse ainsi commette un péché, nous l’avons vu.

3. Le verjus est du vin en train de se faire, il n’a donc pas la nature du vin, et pour cette raison on ne peut consacrer le sacrement avec ce produit. Le moût a déjà la nature du vin, car sa douceur atteste qu’il est déjà digéré " ce qui est un achèvement produit par la chaleur naturelle ", dit Aristote. Par conséquent on peut consacrer ce sacrement avec du moût. Mais on ne doit pas mélanger des raisins naturels à ce sacrement, car alors il y aurait autre chose que du vin. Il est en outre interdit d’offrir dans le calice du moût qui vient d’être exprimé du raisin, car cela est inconvenant à cause de l’impureté du moût. Cela peut se faire toutefois en cas de nécessité. Car le pape Jules Ier ajoute : " Si c’est nécessaire, qu’on presse une grappe dans le calice. "

 

            Article 6 — Faut-il mêler de l’eau au vin ?

Objections :

1. Il apparaît que non, car le sacrifice du Christ fut préfiguré par l’oblation de Melchisédech. Or la Genèse (14, 18) ne dit pas que celui-ci ait offert autre chose que du pain et du vin. Il semble donc qu’on ne doive pas ajouter de l’eau dans ce sacrement.

2. Autant de sacrements, autant de matières. Mais l’eau est déjà la matière du baptême. On ne doit donc pas l’employer comme matière de l’eucharistie.

3. Le pain et le vin sont la matière de ce sacrement. Mais on n’ajoute rien au pain. Pas davantage ne doit-on ajouter quoi que ce soit au vin.

En sens contraire, le pape Alexandre Ier écrit : "Dans les oblations sacramentelles qui sont offertes au Seigneur à la messe, qu’on offre du pain seulement, et du vin mêlé d’eau. "

Réponse :

On doit mêler de l’eau au vin qui est offert dans ce sacrement.

1° A cause de l’institution. On croit en effet avec de bonnes raisons que le Seigneur a institué ce sacrement avec du vin mêlé d’eau selon la coutume du pays. C’est pourquoi il est écrit dans les Proverbes (9, 5) : " Buvez le vin que j’ai mêlé pour vous. "

2° Parce que cela convient à la représentation de la passion du Seigneur. Ce qui fait dire au pape Alexandre Ier : "On ne doit pas offrir dans le calice du vin seul ou de l’eau seule, mais un mélange des deux, car nous lisons dans le récit de la Passion que l’un et l’autre ont jailli de son côté. "

3° Parce que cela convient pour symboliser l’effet de ce sacrement, qui est l’union au Christ du peuple chrétien car, comme dit le pape Jules Ier " nous voyons que l’eau signifie le peuple, et que le vrai vin signale le sang du Christ. Donc, lorsque l’eau est mêlée au vin dans le calice, le peuple est uni au Christ ".

4° Parce que cela répond à l’effet ultime de ce sacrement, qui est l’entrée dans la vie éternelle. D’où la parole de S. Ambroise : " L’eau coule dans le calice et jaillit en vie éternelle. "

Solutions :

1. Comme S. Ambroise le dit au même endroit, si le sacrifice du Christ a été symbolisé par l’oblation de Melchisédech, il a encore été symbolisé par l’eau qui, dans le désert, a jailli du rocher, selon la parole de S. Paul (1 Co 10, 4) : " Ils buvaient au rocher spirituel qui les suivait. "

2. L’eau est employée dans le baptême pour laver. Dans l’eucharistie, elle est employée pour rafraîchir, selon la parole (Ps 23, 2) : "Il m’a conduit auprès des eaux rafraîchissantes. "

3. Le pain est fait avec de l’eau et de la farine. Par conséquent, lorsqu’on mêle de l’eau au vin, ni le pain ni le vin ne se trouvent sans mélange d’eau.

 

            Article 7 — Le mélange d’eau avec le vin est-il nécessaire à ce sacrement ?

Objections :

1. Il semble que oui. Car S. Cyprien écrit à Cecilius : "Ainsi la coupe du Seigneur, ce n’est pas l’eau seule, ni le vin seul, mais le mélange des deux, de même que le corps du Seigneur ne peut être la farine seule, mais tous les deux " (la farine et l’eau). Or le mélange de l’eau à la farine est nécessaire à ce sacrement. Il en est donc de même pour le mélange de l’eau au vin.

2. Dans la passion du Seigneur, dont ce sacrement est le mémorial, il est sorti de son côté non seulement du sang, mais encore de l’eau. Mais le vin, qui est le symbole du sang, est nécessaire à ce sacrement. Il en est donc de même pour l’eau.

3. Si l’eau n’était pas nécessaire à ce sacrement, on pourrait y mettre n’importe quelle eau ; ainsi on pourrait y mettre de l’eau de roses ou n’importe quelle eau analogue, ce que l’usage de l’Église n’admet pas. L’eau est donc nécessaire à ce sacrement.

En sens contraire, S. Cyprien dit ceci : " Si l’un de nos prédécesseurs, par ignorance ou par simplicité, n’a pas observé cette règle " de mêler de l’eau au vin dans le sacrement, "on peut pardonner à sa simplicité ". Ce qui serait impossible si l’eau était nécessaire à ce sacrement, comme le sont le vin et le pain. Le mélange d’eau n’est donc pas nécessaire au sacrement.

Réponse :

On doit juger un signe d’après ce qu’il signifie. L’adjonction d’eau au vin a pour but de signifier la participation des fidèles à ce sacrement, en ce que l’eau mélangée au vin symbolise le peuple uni au Christ, nous venons de le voir. Et cela même, que de l’eau ait jailli du côté du Christ crucifié, a la même signification ; car l’eau signifie la purification des péchés, qui a été accomplie par la passion du Christ. Or on a vu plus haut que ce sacrement est accompli dans la consécration de la matière. Tandis que l’usage qu’en font les fidèles n’est pas nécessaire au sacrement, car il n’est qu’une conséquence du sacrement. Il s’ensuit donc que le mélange d’eau n’est pas nécessaire au sacrement.

Solutions :

1. Lorsque S. Cyprien parle ici d’impossibilité, il faut l’entendre d’une simple impossibilité de convenance. Ainsi sa comparaison porte sur ce qu’on doit faire, mais elle n’engage pas une nécessité ; car l’eau est essentielle au pain, mais non au vin.

2. L’effusion de sang appartenait directement à la passion du Christ. En effet, il est naturel que d’un corps humain blessé il jaillisse du sang. Mais l’effusion d’eau ne fut pas une conséquence nécessaire de la passion. Elle servait à signaler un effet de la passion, qui est de laver les péchés et de refroidir l’ardeur de la concupiscence. C’est pourquoi l’eau n’est pas offerte à part du vin, dans ce sacrement, comme le vin est offert séparément du pain. Mais l’eau est offerte mêlée au vin pour montrer que le vin, de soi, appartient à ce sacrement, comme en faisant nécessairement partie, tandis que l’eau n’est offerte que comme un élément ajouté au vin.

3. Parce que le mélange d’eau au vin n’est pas nécessaire au sacrement, peu importe 3 au point de vue de la nécessité, qu’on mélange au vin n’importe quelle eau, soit naturelle, soit artificielle comme l’eau de roses. Cependant, pour des raisons de convenance à l’égard du sacrement, on pécherait en offrant une eau qui ne serait pas naturelle et véritable. Car ce qui a coulé du côté de Jésus crucifié c’est de l’eau véritable et non pas, comme certains l’ont dit, de la lymphe. Cela, afin de montrer que le corps du Christ était vraiment composé des quatre éléments ; de même l’effusion du sang montrait que son corps était composé des quatre humeurs, dit Innocent III. Mais puisque le mélange de l’eau et de la farine est nécessaire à ce sacrement, comme constituant la substance du pain, si à la farine on mêle de l’eau de roses, ou tout liquide autre que de l’eau véritable, on ne pourrait consacrer le sacrement avec ce pain qui ne serait pas du vrai pain.

 

            Article 8 — La quantité d’eau à mettre

Objections :

1. Il semble qu’il faudrait mettre de l’eau en grande quantité. De même que le sang a coulé du côté du Christ de façon visible, de même l’eau. Ce qui a permis à S. Jean de dire (19, 25) : " Celui qui l’a vu en rend témoignage. " Mais l’eau ne peut se trouver de façon visible dans ce sacrement si elle n’y est mise en grande quantité.

2. Un peu d’eau mélangée à beaucoup de vin perd sa nature propre, et ce qui disparaît ainsi n’existe plus. C’est donc pareil de mettre dans ce sacrement un peu d’eau ou pas du tout. Mais il n’est pas permis de n’en pas mettre du tout. Il n’est donc pas permis d’en mettre un peu seulement.

3. S’il suffisait d’en mettre un peu, il serait donc suffisant de jeter une goutte d’eau dans tout un tonneau. Mais cela paraît ridicule. Il ne suffit donc pas d’en mettre en petite quantité.

En sens contraire, on lit dans la décrétale sur la célébration de la messe : " Dans vos régions s’est développé un abus funeste. Dans la célébration du sacrifice on met plus d’eau que de vin, alors que, selon la coutume raisonnable de l’Église universelle, on doit mettre plus de vin que d’eau. "

Réponse :

Au sujet de l’eau mêlée au vin, une décrétale d’Innocent III reconnaît l’existence de trois opinions.

Pour certains, l’eau ajoutée au vin demeure telle quelle, une fois le vin converti au sang. Mais cette opinion ne peut tenir parce que, dans le sacrement de l’autel, après la consécration, il n’y a plus rien que le corps et le sang du Christ. Car, dit S. Ambroise : " Avant la bénédiction on nomme une autre nature, après la bénédiction c’est le corps du Christ qui est ici désigné. " Autrement on ne pourrait adorer l’oblation. C’est pourquoi, selon d’autres auteurs, de même que le vin est converti au sang, de même l’eau est convertie en l’eau qui a coulé du côté du Christ. Mais on ne peut dire cela raisonnablement, car en ce cas on consacrerait l’eau à part du vin, de même qu’on consacre séparément le pain et le vin. Et c’est pourquoi, comme Innocent III le professe lui-même, la troisième opinion est la mieux fondée, selon laquelle l’eau est convertie au vin, et le vin au sang. Or cela ne peut se produire que si on met de l’eau en quantité assez petite pour qu’elle soit convertie au vin. Par conséquent il est toujours plus sûr de mettre peu d’eau, surtout si le vin est faible. Car si l’on mettait tellement d’eau que le vin en perdrait sa nature, le sacrement ne pourrait être accompli. Aussi le pape Jules Ier réprimande-t-il ceux qui " gardent toute l’année un linge imbibé de moût et qui, au moment du sacrifice, font l’offrande avec de l’eau dans laquelle ils ont trempé ce linge ".

Solutions :

1. Il suffit pour la signification de ce sacrement que l’eau soit visible au moment où on la met dans le vin. Mais il n’est pas requis qu’elle reste sensible après le mélange.

2. Si on ne mettait pas d’eau du tout, on évacuerait complètement la signification de ce sacrement. Mais lorsque l’eau se convertit au vin, cela signifie que le peuple est incorporé au Christ.

3. Si l’on mettait de l’eau dans le tonneau, cela ne servirait pas à la signification sacramentelle. Il faut mettre de l’eau dans le vin au moment même de la célébration sacramentelle.

 

 

QUESTION 75 — LA CONVERSION DU PAIN ET DU VIN AU CORPS ET AU SANG DU CHRIST

1. Dans ce sacrement le corps du Christ est-il présent en toute vérité, ou bien par mode de figure, ou comme dans un signe ? - 2. La substance du pain et du vin subsiste-t-elle dans ce sacrement après la consécration ? - 3. La substance du pain et du vin, après la consécration de ce sacrement, est-elle anéantie ou se résout-elle en une matière préexistante ? - 4. Le pain peut-il être converti au corps du Christ ? - 5. Les accidents du pain et du vin subsistent-ils dans ce sacrement après la consécration ? - 6. Après la consécration, la forme substantielle du pain subsiste-t-elle dans ce sacrement ? - 7. Cette conversion se fait-elle instantanément ? - 8. Cette proposition est-elle vraie : " A partir du pain devient le corps du Christ " ?

 

            Article 1 — Le corps du Christ est-il dans ce sacrement en vérité, ou seulement en figure ou comme dans un signe

Objections :

1. Il est écrit en S. Jean (6, 54.61.64) que lorsque le Seigneur eut dit : " Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang ", etc. " beaucoup de disciples, en l’entendant, dirent : cette parole est dure ". Et il leur répliqua : " C’est l’esprit qui vivifie. La chair ne sert de rien. " Comme s’il disait, explique S. Augustin : " Comprenez spirituellement mes paroles. Le corps que vous voyez ce n’est pas lui que vous allez manger, et vous ne boirez pas le sang que vont répandre mes bourreaux. Je vous ai confié un mystère. Compris spirituellement, il vous vivifiera, alors que la chair ne sert de rien. "

2. Le Seigneur dit en S. Matthieu (28, 20) " Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du monde ", ce que S. Augustin explique ainsi : " Le Christ est au ciel jusqu’à la fin du monde ; et pourtant le Seigneur, qui est la Vérité, est avec nous ici-bas. Car le corps dans lequel il a ressuscité doit être en un seul lieu ; mais sa vérité a été répandue partout. " Le corps du Christ n’est donc pas dans ce sacrement en toute vérité mais seulement comme un signe.

3. Aucun corps ne peut-être simultanément en plusieurs lieux, puisque c’est impossible à l’ange lui-même, car, pour la même raison, il pourrait être partout. Mais le corps du Christ est un vrai corps, et il est au ciel. Il ne peut donc se trouver en vérité dans le sacrement de l’autel, mais seulement comme dans un signe.

4. Les sacrements de l’Église ont pour fin l’utilité des fidèles. Or selon S. Grégoire e, Notre Seigneur reproche à l’officier royal (Jn 4, 48) de " rechercher la présence corporelle du Christ ". En outre, c’était leur attachement à cette présence corporelle qui empêchait les Apôtres de recevoir le Saint-Esprit.

C’est ce que dit S. Augustin sur le texte (Jn 16, 7) : " Si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas à vous. " Le Christ n’est donc pas dans le sacrement de l’autel par présence corporelle.

En sens contraire, S. Hilaire dit : " On ne peut mettre en doute la vérité de la chair et du sang du Christ. C’est affirmé par la déclaration du Seigneur et par notre foi : sa chair est vraiment une nourriture et son sang est vraiment une boisson. " Et S. Ambroise : " De même que le Seigneur Jésus Christ est vraiment le Fils de Dieu, de même c’est sa vraie chair que nous mangeons, et son vrai sang qui est une boisson. "

Réponse :

Que le vrai corps du Christ et son sang soient dans le sacrement, les sens ne peuvent le saisir, mais seulement la foi qui s’appuie sur l’autorité divine. Aussi le texte de S. Luc (22, 19) : " Ceci est mon corps, qui sera livré pour vous " est commenté ainsi par S. Cyrille 9 : " Ne doutez pas que ce soit vrai, mais plutôt recevez les paroles du Sauveur dans la foi : puisqu’il est la vérité, il ne ment pas. "

1° Or cela s’accorde à la perfection de la loi nouvelle. Car les sacrifices de la loi ancienne ne contenaient qu’en figure ce vrai sacrifice de la passion du Christ, selon ce que dit l’épître aux Hébreux (10, 1) : " La loi a l’ombre des biens à venir, non l’image même des réalités. " Il fallait donc que le sacrifice de la loi nouvelle, institué par le Christ, eût quelque chose de plus, c’est-à-dire qu’il contint le Christ en sa passion, non seulement par mode de signification ou de figure, mais bien en vérité réelle. Et c’est pourquoi ce sacrement, parce qu’il contient réellement le Christ lui-même est, au dire de Denys " celui qui achève tous les autres sacrements ", dans lesquels on trouve seulement une participation de la vertu du Christ.

2° Cela convient à la charité du Christ : c’est par charité qu’il a pris, pour notre salut, un vrai corps de même nature que le nôtre. Et parce que la propriété essentielle de l’amitié, selon Aristote, est " qu’on partage la vie de ses amis ", il nous a promis pour récompense sa présence corporelle : " Là où sera le corps, dit-il (Mt 24, 28), là se rassembleront les aigles. " En attendant toutefois, il ne nous a pas privés de sa présence corporelle pour le temps de notre pèlerinage, mais, par la vérité de son corps et de son sang, il nous unit à lui dans ce sacrement. Ce qui lui fait dire (Jn 6, 57) : " Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui. " Ce sacrement est ainsi le signe de la suprême charité et le réconfort de notre espérance, puisqu’il opère une si intime union entre le Christ et nous.

3° Cette présence réelle ressortit à la perfection de la foi, qui doit être aussi ferme à l’égard de l’humanité du Christ qu’à l’égard de sa divinité, comme il l’a dit (Jn 14, 1) : " Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. " Or la foi porte sur des réalités invisibles : de même que le Christ nous présente invisiblement sa divinité, de même, en ce sacrement, nous présente-t-il sa chair sous un mode invisible.

Certains, négligeant toutes ces considérations, ont professé que le corps et le sang du Christ ne se trouvent dans ce sacrement que comme le signifié se trouve dans le signe. Cette position est à rejeter comme hérétique, car elle contredit les paroles du Christ. C’est pourquoi Bérenger, initiateur de cette erreur, fut ensuite contraint de la rétracter et de confesser la vraie foi.

Solutions :

1. Les hérétiques dont on vient de parler ont trouvé l’occasion de leur erreur justement dans le texte allégué par l’objectant. Mais ils ont mal compris les paroles de S. Augustin. Lorsque celui-ci disait : " Vous ne mangerez pas ce corps que vous voyez ", il ne voulait pas nier la vérité du corps du Christ, mais seulement affirmer qu’on ne le mangerait pas sous le même aspect où les disciples le voyaient. Lorsqu’il ajoute : " je vous ai confié un mystère. Compris spirituellement, il vous vivifiera ", il ne veut pas dire que le corps du Christ n’est dans ce sacrement que par une signification mystique : " spirituellement " veut dire invisiblement et par la vertu de l’esprit. C’est pourquoi, commentant l’évangile de S. Jean à propos de la parole (6, 64) : " La chair ne sert de rien ", il donne cette explication : " Sans doute, elle ne sert de rien à la manière dont ils l’ont comprise. Car ils ont compris qu’il fallait manger une chair pareille à celle qu’on arrache d’un cadavre, ou qu’on vend à la boucherie ; ils ne l’ont pas compris sous le mode où un esprit peut-être nourri. Que l’esprit vienne se joindre à la chair, alors la chair sert beaucoup, car si la chair ne servait de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter parmi nous. "

2. Cette parole de S. Augustin et bien d’autres paroles semblables doivent s’entendre du corps du Christ tel qu’il est vu dans son apparence propre, selon le sens où lui-même dit (Mt 26, 11) : " Mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. " Cependant il se trouve de manière invisible sous les apparences de ce sacrement, partout où celui-ci est réalisé.

3. Le corps du Christ ne s’y trouve pas de la manière dont un corps se trouve dans le lieu avec lequel ses dimensions coïncident, mais selon un mode spécial, qui est propre à ce sacrement. C’est pourquoi nous disons que le corps du Christ se trouve sur divers autels non pas comme en des lieux divers mais comme dans le sacrement. Bien que le sacrement soit dans le genre signe, nous n’entendons pas que le Christ s’y trouve uniquement comme dans un signe ; nous entendons que le Christ est là, encore une fois, selon le mode propre à ce sacrement.

4. Cet argument envisage la présence du corps du Christ en tant qu’il est présent selon le mode propre à un corps, c’est-à-dire selon qu’il est visible sous son apparence propre. L’objection ne vaut pas pour une présence spirituelle, c’est-à-dire invisible, selon le mode et les propriétés d’un esprit. Aussi S. Augustin dit-il : " Si vous comprenez spirituellement les paroles du Christ au sujet de sa chair, elles sont pour vous esprit et vie ; si vous les comprenez charnellement, elles sont bien encore esprit et vie, mais pas pour vous. "

 

            Article 2 — La substance du pain et du vin subsiste-t-elle dans ce sacrement après la consécration ?

Objections :

1. On lit dans S. Jean Damascène " Parce que la pain et le vin sont l’aliment habituel de l’homme, il leur a uni sa divinité et en a fait son corps et son sang. " Et plus loin : " Le pain auquel nous communions n’est pas du simple pain, mais du pain uni à la divinité. " Or on ne peut unir que deux réalités existant en acte. Donc le pain et le vin cœxistent dans ce sacrement avec le corps et le sang du Christ.

2. Il faut qu’il y ait une ressemblance entre les sacrements de l’Église. Or, dans les autres sacrements, la substance de la matière subsiste ainsi dans le baptême la substance de l’eau, et dans la confirmation la substance du chrême. La substance du pain et du vin subsiste donc dans l’eucharistie.

3. On emploie du pain et du vin dans ce sacrement en tant qu’ils signifient l’unité de l’Église puisque " un seul pain est fait d’une multitude de grains, et un seul vin d’une multitude de grappes ", dit S. Augustin. Or cette signification appartient à la substance même du pain et du vin. Donc leur substance demeure dans ce sacrement.

En sens contraire, S. Ambroise écrit : " Bien qu’on voie la forme extérieure du pain et du vin, on doit croire qu’après la consécration il n’y a pas autre chose que la chair et le sang du Christ. "

Réponse :

Certains auteurs ont soutenu qu’après la consécration, la substance du pain et du vin subsiste dans ce sacrement. Mais cette position ne peut tenir.

1° Parce qu’elle supprime la vérité de ce sacrement, pour laquelle il est nécessaire que le vrai corps du Christ existe dans ce sacrement. Or il n’y est pas avant la consécration. Et une chose ne peut se trouver là où elle n’était pas précédemment, sinon par changement de lieu, ou parce qu’une autre réalité est transformée en elle. Ainsi, dans une maison, le feu ne peut apparaître que si on l’y apporte ou si on l’y allume. Or il est évident que le corps du Christ ne commence pas à se trouver dans ce sacrement par suite d’un transfert local. D’abord parce qu’il s’ensuivrait qu’il cesserait de se trouver au ciel : un être qu’on transfère localement ne parvient à un nouveau lieu que s’il quitte le lieu précédent. Ensuite parce que tout corps transféré localement doit traverser tous les points intermédiaires, ce qu’on ne peut soutenir ici. Enfin parce qu’il est impossible qu’un seul mouvement, affectant un seul corps localement transféré, aboutisse simultanément à divers lieux ; or le corps du Christ, sous ce sacrement, commence d’exister simultanément en plusieurs lieux. On est donc obligé d’admettre que le corps du Christ ne peut commencer d’exister sous ce sacrement autrement que parce que la substance du pain est convertie en ce corps. Or, lorsqu’un être est converti en un autre, il ne subsiste plus, une fois la conversion accomplie. On est donc réduit à admettre, pour sauvegarder la vérité de ce sacrement, que la substance du pain ne peut subsister après la consécration.

2° Cette thèse contredit la forme de ce sacrement, qui consiste à dire : " Ceci est mon corps. " Ce ne serait pas vrai si la substance du pain y subsistait, car jamais la substance du pain n’est le corps du Christ. Il faudrait plutôt dire : " Ici est mon corps. "

3° C’est contraire à la vénération due à ce sacrement, car il y aurait là une substance créée, à laquelle on ne pourrait accorder l’adoration de latrie.

4° Ce serait contraire au rite de l’Église, selon lequel on ne peut manger le corps du Christ après avoir pris une nourriture corporelle ; alors qu’il est permis, après avoir mangé une hostie consacrée, d’en manger une autre

Pour toutes ces raisons, il faut éviter cette thèse comme hérétique.

Solutions :

1. Dieu a uni au pain et au vin sa divinité, c’est-à-dire la vertu divine, non pas pour que le pain et vin subsistent dans ce sacrement, mais pour qu’il en fasse son corps et son sang.

2. Dans les autres sacrements, il n’y a pas, comme dans celui-ci, présence réelle du Christ. C’est pourquoi la substance de la matière demeure dans les autres sacrements, mais non dans celui-ci.

3. Les espèces qui subsistent dans ce sacrement, comme on le verra plus loin, suffisent à assurer sa signification : car c’est aux accidents qu’on reconnaît la nature de la substance.

 

            Article 3 — La substance du pain, après la consécration de ce sacrement, est-elle anéantie, ou se résout-elle en une matière antérieure ?

Objections :

1. Tout être corporel doit être quelque part. Mais on vient de voir que la substance du pain, qui est quelque chose de corporel, ne subsiste pas dans ce sacrement, et l’on ne voit pas un autre lieu où elle puisse se trouver. Elle n’existe donc plus après la consécration. C’est qu’elle est ou bien anéantie ou bien réduite à une matière préexistante.

2. Le point de départ de tout changement ne subsiste pas, sinon peut-être dans la puissance matérielle. Ainsi, quand l’air devient du feu, la forme de l’air ne subsiste que dans la puissance matérielle ; de même quand le blanc devient noir. Dans ce sacrement, la substance du pain et du vin joue le rôle d’un point de départ, le corps et le sang du Christ sont comme un point d’arrivée. Car S. Ambroise affirme : " Avant la bénédiction, on lui donne le nom d’une autre nature ; après la bénédiction, on l’appelle corps. " Donc, une fois accomplie la consécration, la substance du pain et du vin ne subsiste pas, sinon peut-être en tant qu’elle est réduite à sa matière préalable.

3. De deux propositions contradictoires, l’une est forcément vraie. Or celle-ci est fausse : " Une fois accomplie la consécration, la substance du pain et du vin est quelque chose. " Donc cette proposition est vraie : " La substance du pain et du vin n’est rien. "

En sens contraire, S. Augustin a dit : " Dieu n’est pas cause de la tendance au non-être. " Mais ce sacrement est accompli par la vertu divine. Donc, dans ce sacrement, la substance du pain et du vin n’est pas anéantie.

Réponse :

Parce que la substance du pain et du vin ne subsiste pas dans ce sacrement, certains auteurs, jugeant impossible que la substance du pain et du vin se convertisse au corps et au sang du Christ, ont supposé que, par la consécration, la substance du pain et du vin se résout en la matière préexistante, ou bien est anéantie. La matière préexistante en laquelle peuvent se résoudre les corps mixtes, ce sont les quatre éléments ; car il ne peut y avoir résolution en la matière première, celle qui est sans forme, parce que la matière ne peut exister sans une forme. Puisque, après la consécration, rien ne subsiste sous les espèces du pain et du vin, que le corps et le sang, il faudra dire que les éléments, en quoi s’est réduite la substance du pain et du vin, s’en vont par un mouvement local. Mais ce mouvement serait perçu par nos sens.

De même la substance du pain et du vin subsiste jusqu’au dernier instant de la consécration. Or, au dernier instant de la consécration, la substance du corps et du sang du Christ est déjà là, de même que la forme engendrée apparaît dès le dernier instant de la génération. On ne peut donc trouver aucun instant où la matière préexistante soit là. Car on ne peut dire que la substance du pain ou du vin se résolve progressivement en la matière préexistante, ou qu’elle sorte progressivement du lieu occupé par les espèces. Car, si cela commençait de se produire au dernier instant de la consécration, il y aurait en même temps, sous une partie de l’hostie, le corps du Christ à côté de la substance du pain, hypothèse que nous avons éliminée’. Et si ce changement graduel commençait avant la consécration, il faudrait admettre qu’à un certain moment il n’y aurait dans une partie de l’hostie, ni la substance du pain ni le corps du Christ. Ce qui est absurde.

Nos auteurs eux-mêmes se sont rendu compte de ces difficultés. Aussi ont-ils posé le second terme de l’alternative : l’anéantissement. Mais cela aussi est impossible. Car on ne peut admettre aucun mode selon lequel le vrai corps du Christ commence à être dans ce sacrement, sinon par la conversion du pain en ce corps ; mais cette conversion est supprimée si l’on admet soit l’anéantissement du pain, soit sa résolution en la matière préexistante. De même encore on ne trouve rien qui puisse être cause d’une telle résolution ou annihilation dans le sacrement, car l’effet du sacrement est signifié par la forme. Or les paroles qui constituent cette forme : " Ceci est mon corps ", ne signifient rien de tel. La thèse de ces auteurs est donc évidemment fausse.

Solutions :

1. La substance du pain et du vin, une fois la consécration accomplie, ne subsiste ni sous les espèces sacramentelles ni ailleurs. Il ne s’ensuit pas qu’elle soit anéantie ; elle est convertie au corps du Christ. De même, lorsque l’air se transforme en feu, il n’est plus là et il n’est pas ailleurs ; il ne s’ensuit pas qu’il soit anéanti.

2. La forme qui est au point de départ ne se convertit pas en une autre forme, mais une forme en remplace une autre dans le même sujet ; la première forme ne subsiste donc que dans la puissance de la matière. Or ici la substance du pain est convertie au corps du Christ, nous l’avons vu. Donc l’objection ne vaut pas.

3. Après la consécration, c’est émettre une proposition fausse que de dire : " La substance du pain est quelque chose. " Mais ce en quoi la substance du pain a été convertie, est bien quelque chose. Donc la substance du pain n’est pas anéantie.

 

            Article 4 — Le pain peut-il être converti au corps du Christ ?

Objections :

1. La conversion est une espèce du genre changement. Mais en tout changement, il faut qu’il y ait un sujet, lequel est d’abord en puissance et ensuite en acte. Comme dit Aristote : " Le mouvement est l’acte de ce qui existe en puissance. " Mais on ne peut trouver aucun sujet commun à la substance du pain et à celle du corps du Christ. Car il est dit dans les Catégories d’Aristote que, par définition, la substance n’a pas de sujet. Il n’est donc pas possible que toute la substance du pain soit convertie au corps du Christ.

2. La forme à laquelle aboutit la conversion commence d’exister dans la matière qui supportait la forme précédente ; ainsi, lorsque l’air est converti en un feu qui n’existait pas d’abord, la forme du feu commence d’exister dans la matière de l’air ; de même, lorsque l’aliment est converti en un homme qui n’existait pas d’abord, la forme de l’homme commence d’exister dans la matière de l’aliment. Donc, si le pain est converti au corps du Christ, il est nécessaire que la forme du corps du Christ commence d’exister dans la matière du pain, ce qui est évidemment faux. Le pain ne se convertit donc pas en la substance du corps du Christ.

3. Lorsque deux réalités sont essentiellement opposées, jamais l’une ne devient l’autre : ainsi la blancheur ne devient jamais noirceur, mais le sujet de la blancheur devient sujet de la noirceur, selon Aristote. Or, de même que deux formes contraires sont essentiellement opposées, puisqu’elles se posent en principes de la différence formelle ; de même deux matières déterminées sont essentiellement opposées, puisqu’elles se posent en principes de l’opposition matérielle. Il est donc impossible que cette matière déterminée du pain devienne cette matière par laquelle le corps du Christ est individualisé. Et ainsi il est impossible que la substance de ce pain soit convertie en la substance du corps du Christ.

En sens contraire, Eusèbe d’Émèse affirme : " Tu ne dois pas juger inouï et impossible que des éléments terrestres et mortels soient convertis en la substance du Christ. "

Réponse :

Comme on l’a vu plus haut, puisqu’il y a dans ce sacrement le vrai corps du Christ et qu’il ne commence pas d’y être par un mouvement local ; puisqu’en outre, nous l’avons montré, le corps du Christ n’est pas là comme dans un lieu : on est bien obligé d’affirmer qu’il commence à y être par conversion de la substance du pain en lui.

Certes, cette conversion n’est pas semblable aux conversions naturelles, mais elle est totalement surnaturelle, accomplie par la seule vertu de Dieu. Ce qui fait dire à S. Ambroise : " Il est clair que la Vierge engendra hors des lois de la nature. Et ce que nous consacrons, c’est le corps né de la Vierge. Pourquoi donc chercher si les lois de la nature ont été observées à l’égard de ce corps, puisque c’est en dehors de l’ordre naturel que le Seigneur Jésus a été enfanté par la Vierge ? " Pour commenter le texte (Jn 6, 64) : " Les paroles que je vous ai dites " au sujet de ce sacrement " sont esprit et vie ", S. Chrysostome expliquer : " Elles sont spirituelles, n’ayant rien de charnel, ni aucune logique naturelle, mais elles sont affranchies de toute nécessité terrestre et de ces lois qui règnent ici-bas. "

Car il est évident que tout agent agit en tant qu’il est en acte. Or tout agent créé est déterminé dans son acte, puisqu’il appartient à un genre et à une espèce déterminés. L’action de tout agent créé se porte donc sur un acte déterminé. Ce qui détermine un être quelconque dans son existence actuelle, c’est sa forme. Donc aucun agent naturel ou créé ne peut agir que pour changer une forme. C’est pourquoi toute conversion qui s’opère selon les lois de la nature est une conversion formelle. Mais Dieu est l’acte infini, nous l’avons vu dans la première Partie. Aussi son action atteint-elle toute la profondeur de l’être. Il peut donc accomplir non seulement une conversion formelle, c’est-à-dire obtenir que des formes se remplacent dans un même sujet ; mais il peut produire une conversion de tout l’être, c’est-à-dire dans laquelle toute la substance de ceci se convertisse en toute la substance de cela.

Et c’est ce qui se produit, par la vertu divine, dans ce sacrement. Car toute la substance du pain est convertie en toute la substance du corps du Christ, et toute la substance du vin en toute la substance du sang du Christ. Cette conversion n’est donc pas formelle mais substantielle. Elle ne figure pas parmi les diverses espèces de mouvements naturels, mais on peut l’appeler " transsubstantiation ", ce qui est son nom propres.

Solutions :

1. Cette objection vaut pour le changement formel, car il est propre à la forme d’exister dans la matière ou dans le sujet. Mais elle ne porte pas dans le cas d’une conversion de toute la substance. Aussi, comme cette conversion substantielle importe un certain ordre entre les substances dont l’une se convertit en l’autre, elle est comme dans son sujet dans chacune de ces substances, à la manière des relations d’ordre et de nombre.

2. Cette objection, elle aussi, vaut pour la conversion formelle, ou mutation, car il est nécessaire, nous venons de le concéder". que la forme existe dans la matière ou dans le sujet. Mais elle ne porte pas dans le cas d’une conversion de toute la substance, puisqu’on ne peut y admettre aucun sujet.

3. Par la vertu d’un agent fini on ne peut ni changer- une forme en une autre, ni une matière en une autre. Mais par la vertu de l’agent infini, dont l’action s’étend à tout l’être, une telle conversion peut se réaliser, car les deux formes et les deux matières ont quelque chose de commun : l’appartenance à l’être. Et ce qu’il y a d’être dans l’une, l’auteur de l’être peut le convertir en ce qu’il y a d’être dans l’autre, en supprimant ce qui les distinguait.

 

            Article 5 — Les accidents du pain et du vin subsistent-ils dans ce sacrement ?

Objections :

1. Enlevez l’être antérieur, vous enlevez par le fait même l’être qui vient ensuite. Or la substance est essentiellement antérieure à l’accident, comme le montre Aristote. Puisque, la consécration une fois accomplie, la substance du pain ne subsiste pas dans ce sacrement, il apparaît que ses accidents ne peuvent pas subsister.

2. Dans le sacrement de vérité il ne peut y avoir de tromperie. Or c’est par les accidents que nous jugeons de la substance. Il semble que le jugement humain serait trompé si, tandis que les accidents subsisteraient, la substance du pain ne subsistait pas. Cela est donc incompatible avec ce sacrement.

3. Bien que notre foi ne soit pas soumise à la raison, elle n’est cependant pas contre elle, mais au-dessus d’elle, comme on l’a dit au début de cet ouvrage. Or notre raison tire son origine de la connaissance sensible. Notre foi ne doit donc pas être contre les sens. C’est pourtant ce qui arrive lorsque nos sens jugent qu’il y a là du pain tandis que notre foi croit qu’il y a là la substance du corps du Christ. Il ne convient donc pas à ce sacrement que les accidents du pain, objets des sens, subsistent, et que la substance du pain ne subsiste pas.

4. Ce qui subsiste, une fois la conversion accomplie, semble être le sujet de ce changement. Donc, si les accidents du pain subsistent une fois la conversion accomplie, il semble que ces accidents mêmes soient le sujet de la conversion. Ce qui est impossible car " il n’y a pas d’accident de l’accident ". Donc, dans ce sacrement, les accidents du pain et du vin ne doivent pas subsister.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Sous l’apparence du pain et du vin, que nous voyons, nous honorons des réalités invisibles, c’est-à-dire la chair et le sang. "

Réponse :

Ce qui apparaît aux sens, une fois la consécration faite, c’est-à-dire tous les accidents du pain et du vin, tout cela subsiste. C’est raisonnablement que la divine providence agit ainsi.

1° Les hommes n’ont pas coutume de manger la chair et de boire le sang de l’homme, mais cela leur inspire de l’horreur ; c’est pourquoi la chair et le sang du Christ nous sont offerts sous les espèces des substances dont nous usons le plus souvent, et qui sont le pain et le vin.

2° C’est pour que ce sacrement ne soit pas exposé aux moqueries des infidèles, ce qui arriverait si nous mangions notre Seigneur sous son aspect propre.

3° C’est pour que, consommant invisiblement le corps et le sang de notre Seigneur, nous augmentions le mérite de notre foi.

Solutions :

1. Comme il est dit au livre Des Causes, l’effet dépend davantage de la cause première que la cause seconde. C’est pourquoi la vertu de Dieu, qui est la cause première de tout, peut faire que des êtres postérieurs subsistent après la disparition des êtres antérieurs.

2. Dans ce sacrement, il n’y a aucune tromperie : les accidents discernés par notre connaissance sensible existent là réellement. Et l’intellect qui a la substance pour objet propre, selon Aristote, est préservé de toute tromperie par la foi.

3. Cet argument répond aussi à la troisième objection. Car la foi ne s’oppose pas au sens, mais elle concerne des réalités auxquelles le sens n’atteint pas.

4. Cette conversion n’a pas de sujet à proprement parler, nous l’avons dit. Mais les accidents qui subsistent ont une certaine apparence de sujet.

 

            Article 6 — Après la consécration, la forme substantielle du pain subsiste-t-elle dans ce sacrement ?

Objections :

1. Nous venons de voir que, la consécration une fois accomplie, les accidents subsistent. Mais puisque le pain est un être artificiel, sa forme elle-même est un accident. Elle subsiste donc après la consécration.

2. La forme du corps du Christ, c’est son âme, car celle-ci est définie par Aristote comme " l’acte d’un corps naturel ayant la vie en puissance ". Mais on ne peut pas soutenir que la forme substantielle du pain se convertisse en l’âme du Christ. Il paraît donc que cette forme substantielle subsiste après la consécration.

3. L’opération propre d’un être découle de sa forme substantielle. Mais ce qui subsiste dans ce sacrement garde sa valeur nutritive et a toutes les vertus du pain ; c’est donc que la forme substantielle du pain subsiste après la consécration.

En sens contraire, la forme substantielle du pain appartient à la substance du pain. Or on a vu que la substance du pain se convertit au corps du Christ. Donc la forme substantielle du pain ne subsiste pas.

Réponse :

Selon certains auteurs, après la consécration subsisteraient non seulement les accidents du pain, mais encore sa forme substantielle. C’est impossible.

1° Parce que si la forme substantielle subsistait, c’est que, seule, la matière du pain aurait été convertie au corps du Christ. Et, par conséquent, cette conversion n’aurait pas pour terme le corps tout entier du Christ, mais sa matière seule. C’est contraire à la forme du sacrement où l’on dit " Ceci est mon corps. "

2° Si la forme substantielle du pain subsistait, ce serait ou bien dans la matière ou bien séparément de la matière. La première hypothèse est impossible. Car si cette forme substantielle subsistait dans la matière du pain, c’est qu’alors toute la substance du pain subsisterait, et nous avons vu le contraires. Et elle ne peut subsister dans une autre matière, car la forme propre n’existe que dans la matière propre. Si la forme substantielle subsistait séparément de la matière, c’est qu’elle serait déjà une forme intelligible en acte et même un intellect, car tel est le cas de toutes les formes séparées de la matière.

3° Ce serait incompatible avec ce sacrement. Car les accidents du pain y subsistent pour que ce soit en eux qu’on voie le corps du Christ, et non pas sous son aspect propre, nous venons de le voir.

C’est pourquoi on doit dire que la forme substantielle du pain ne subsiste pas.

Solutions :

1. Rien n’empêche qu’on puisse fabriquer artificiellement un être dont la forme n’est pas accidentelle mais substantielle : ainsi peut-on produire artificiellement des grenouilles et des serpents. Car l’art ne produit pas une telle forme par sa vertu propre, mais par la vertu des principes naturels. C’est de cette façon que le boulanger produit la forme substantielle du pain par la vertu du feu, qui cuit une matière confectionnée avec de la farine et de l’eau.

2. L’âme est la forme du corps, elle lui confère toute la hiérarchie de son être parfait, c’est-à-dire l’être existant, l’être corporel, l’être animé et ainsi de suite. La forme du pain se convertit donc en la forme du corps du Christ selon que cette forme lui donne l’être corporel, mais non selon qu’elle lui donne d’être animé par telle âme,

3. Parmi les opérations du pain, certaines lui appartiennent en raison de ses accidents, comme d’affecter nos sens. Et l’on constate des opérations de ce genre dans les espèces du pain après la consécration, à cause des accidents eux-mêmes, qui subsistent. Mais d’autres opérations appartiennent au pain, soit en raison de sa matière, comme sa conversion en un autre être ; soit en raison de sa forme substantielle, comme l’opération qui découle de son espèce, par exemple qu’il " fortifie le cœur de l’homme ". Et ce sont de telles opérations que l’on constate dans ce sacrement, non pas à cause de la forme ou de la matière qui subsisterait, mais parce que ces opérations sont miraculeusement accordées aux accidents eux-mêmes, comme on le verra plus loin.

 

            Article 7 — Cette conversion se fait-elle instantanément ?

Objections :

1. Dans cette conversion il y a d’abord la substance du pain, et ensuite la substance du corps du Christ. Ces deux êtres n’occupent donc pas le même instant, mais deux instants différents. Or entre deux instants il y a toujours un temps intermédiaire. Il faut donc que cette conversion se déroule selon la succession du temps qui occupe l’intervalle entre le dernier instant où il y a là du pain et le premier instant où il y a là le corps du Christ.

2. Dans toute conversion il y a le devenir et son résultat. Mais ceux-ci ne sont pas simultanés, car ce qui devient n’est pas ; et ce qui est devenu existe désormais. Dans cette conversion, il y a donc un avant et un après . par conséquent elle n’est pas instantanée, mais progressive.

3. S. Ambroise dit que ce sacrement " est accompli par la parole du Christ ". Or la parole du Christ est faite de mots qui se succèdent. Cette conversion se fait donc progressivement.

En sens contraire, cette conversion est accomplie par la vertu infinie, à qui il appartient d’opérer d’un seul coup.

Réponse :

Un changement peut être instantané pour trois motifs.

D’abord à cause de la forme qui est le terme du changement. S’il s’agit d’une forme qui comporte du plus ou du moins, comme la santé, le sujet s’en empare progressivement. Et parce que la forme substantielle ne comporte pas de plus et de moins, elle est introduite d’un seul coup dans la matière.

Puis à cause du sujet, qui peut-être préparé graduellement à la réception de la forme ; c’est ainsi que l’eau devient chaude progressivement. Mais quand le sujet lui-même est en disposition ultime à recevoir la forme, il la reçoit d’un seul coup : par exemple lorsqu’un corps diaphane est subitement éclairé.

Enfin à cause de l’agent, lorsqu’il est d’une puissance infinie, si bien qu’il peut disposer aussitôt la matière à la forme. Ainsi S. Marc rapporte-t-il que, lorsque le Christ eut dit : " Ephpheta, c’est-à-dire ouvre-toi, aussitôt les oreilles de cet homme s’ouvrirent et sa langue fut déliée. "

Or la conversion eucharistique est instantanée à ce triple titre.

1° Parce que le terme de cette conversion est la substance du corps du Christ, qui ne comporte pas de degrés.

2° Parce que cette conversion ne suppose pas de sujet, ni par conséquent une préparation progressive.

3° Parce qu’elle est accomplie par la puissance infinie de Dieu.

Solutions :

1. Certains ne concèdent pas absolument qu’entre deux instants il y ait toujours un intervalle de temps. A leur avis cela se trouve entre deux instants qui se réfèrent au même mouvement, mais non entre deux instants qui se réfèrent à des mouvements différents. Ainsi, entre l’instant qui mesure la fin du repos et l’instant qui mesure le début du mouvement, il n’y a pas de temps intermédiaire. Mais c’est là une erreur. Car l’unité du temps et de l’instant, ou leur pluralité, ne se prend pas selon des mouvements quelconques, mais selon le premier mouvement du ciel, qui est la mesure de tout mouvement et de tout repos.

Aussi d’autres concèdent-ils l’existence de cet intervalle dans le temps qui mesure le mouvement dépendant du mouvement du ciel. Or il y a des mouvements qui ne dépendent pas du mouvement du ciel et ne sont pas mesurés par lui : on l’a vu dans la première Partie pour les mouvements des anges. Entre deux instants correspondant aux mouvements de ce genre, il n’y a pas de temps intermédiaire. Mais cela n’a rien à voir ici. Car bien que cette conversion, prise en elle-même, n’ait aucun rapport avec le mouvement du ciel, elle est l’effet d’une émission de paroles, nécessairement mesurée par le mouvement du ciel. Il y a donc nécessairement un temps intermédiaire entre deux instants marqués par cette conversion.

C’est pourquoi, selon certains auteurs, le dernier instant où il y a du pain et le premier instant où il y a le corps du Christ sont bien deux par rapport aux réalités mesurées, mais ne sont qu’un par rapport au temps qui les mesure ; ainsi, lorsque deux lignes se rejoignent, il y a bien deux points à l’égard des deux lignes, mais il n’y a qu’un point si l’on considère le lieu où elles se rejoignent. Mais la comparaison ne vaut pas. Car l’instant et le temps, dans des mouvements particuliers, n’est pas une mesure intrinsèque, comme la ligne et le point pour les corps ; c’est une mesure extrinsèque, comme le lieu pour les corps.

D’autres encore disent alors que c’est le même instant en réalité, divers seulement pour la raison. Mais il s’ensuivrait que des êtres opposés cœxisteraient réellement. Car la diversité de raison ne change rien à la réalité.

Il faut donc dire que cette conversion, comme nous l’avons dit, est accomplie par les paroles du Christ que le prêtre prononce ; ainsi le dernier instant de l’émission des paroles est le premier instant où le corps du Christ existe dans le sacrement ; et pendant tout le temps qui précède, la substance du pain est là. Dans ce temps, il ne faut pas considérer un instant qui précéderait immédiatement le dernier, car le temps n’est pas composé d’instants qui se suivent, comme Aristote l’a établi. Par conséquent, on peut bien considérer un instant où le corps du Christ est là, mais on ne peut pas admettre un instant dernier où il y ait la substance du pain : on peut admettre seulement un temps arrivant à son terme. Il en est de même dans les changements naturels, comme le montre encore Aristote.

2. Dans les changements instantanés, le devenir et son résultat sont simultanés, comme sont simultanés l’illumination active et l’illumination passive. Dans ces cas, le résultat est attribué à ce qui existe déjà, et le devenir à ce qui n’existait pas auparavant.

3. Cette conversion, on vient de le dire, se fait au dernier instant de l’émission des paroles ; c’est alors en effet que s’achève la signification des paroles, qui est efficace dans la forme des sacrements. Il ne s’ensuit donc pas que cette conversion soit progressive.

 

            Article 8 — Cette proposition est-elle vraie " À partir du pain devient le corps du Christ " ?

Objections :

1. Tout être à partir duquel un autre devient, est cela même qu’il devient, mais non réciproquement. Nous disons en effet qu’à partir du blanc vient le noir, et que le blanc devient noir ; et nous pouvons bien dire que l’homme devient noir, nous ne disons pourtant pas qu’à partir de l’homme vient le noir, remarque Aristote. Donc, s’il est vrai qu’à partir du pain devient le corps du Christ, il sera vrai de dire que le pain devient le corps du Christ. Ce qui apparaît faux, car le pain n’est pas le sujet de ce devenir, il en est plutôt un terme. C’est donc une affirmation fausse de dire qu’à partir du pain devient le corps du Christ.

2. Le devenir a pour terme l’être ou l’être-fait. Mais jamais ne sera vraie l’une de ces propositions : " Le pain est le corps du Christ ", ou " Le pain est devenu corps du Christ ", ou même " Le pain sera le corps du Christ. " Donc celle-ci non plus n’est pas vraie : " A partir du pain devient le corps du Christ. "

3. Tout être, à partir duquel devient un autre être, se dit réciproquement de l’être qui devient à partir de lui. Mais cette proposition paraît fausse : " Le pain se convertit au corps du Christ ", car cette conversion semble plus miraculeuse que la création. Et pourtant, dans la création, on ne dit pas que le non-être se convertisse en l’être. Il apparaît donc que cette proposition, elle aussi, est fausse : " A partir du pain devient le corps du Christ. "

4. L’être à partir duquel devient un autre être, peut-être ce même être. Mais cette proposition est fausse : " Le pain peut être le corps du Christ. " Donc celle-ci aussi est fausse : " A partir du pain devient le corps du Christ. "

En sens contraire, S. Ambroise a dit " Lorsque survient la consécration, à partir du pain devient le corps du Christ. "

Réponse :

Cette conversion du pain au corps du Christ a quelque chose de commun avec la création et avec les transformations naturelles, mais elle en diffère à d’autres égards.

Ces trois devenirs ont en commun l’ordre des termes : après ceci, voici cela. Dans la création, il y a l’être après le non-être ; dans ce sacrement, il y a le corps du Christ après la substance du pain ; dans la transformation naturelle il y a le blanc après le noir, ou le feu après l’air ; c’est-à-dire que ces différents termes ne sont pas simultanés.

Entre la conversion qui nous occupe et la création, il y a ceci de commun : dans l’une comme dans l’autre, pas de sujet unissant les deux termes extrêmes, contrairement à ce qui se passe dans les transformations naturelles.

La conversion eucharistique rejoint sur deux points la transformation naturelle, mais diversement. D’abord, dans toutes deux, l’un des extrêmes aboutit à l’autre : le pain se convertit au corps du Christ, l’air se transforme en feu ; tandis que, dans la création, le non-être ne se convertit pas en être. Mais ce passage se réalise différemment dans les deux cas. Dans notre sacrement, c’est toute la substance du pain qui aboutit à tout le corps du Christ, tandis que, dans la transformation naturelle, la matière de l’un épouse la forme de l’autre après avoir quitté la forme précédente.

Autre point commun entre conversion eucharistique et transformation naturelle : dans les deux changements subsiste un élément identique, ce qu’on ne trouve pas dans la création. Mais cela se produit différemment : dans la transformation naturelle, ce qui subsiste identique c’est la matière ou le sujet ; dans ce sacrement, ce qui demeure identique ce sont les accidents.

Ces distinctions nous montrent comment approprier notre langage aux différents cas. Puisque dans aucun cas les termes extrêmes ne cœxistent, on ne pourra jamais attribuer l’un à l’autre par le verbe être employé au présent. Car nous ne disons pas : le non-être est l’être, ni : le pain est le corps du Christ, ni : l’air est le feu, ni : le blanc est le noir.

Mais à cause de l’ordre de succession des termes, nous pouvons dans tous les cas, employer la locution " à partir de " qui signifie l’ordre. Nous pouvons en effet, dire en toute vérité et propriété : à partir du non-être vient l’être ; à partir du pain vient le corps du Christ ; à partir de l’air vient le feu ; à partir du blanc vient le noir. Comme, dans la création, l’un des termes n’aboutit pas à l’autre, nous ne pouvons pas, à son sujet, employer le mot de conversion et dire par exemple : le non-être se convertit en l’être. C’est un mot, en revanche, que nous pouvons employer pour ce sacrement comme pour une transformation naturelle. Mais comme, dans ce sacrement, toute la substance est changée en toute une substance différente, cette conversion s’appelle proprement une transsubstantiation.

En outre, puisque nous ne trouvons aucun sujet à cette conversion, des expressions qui sont vraies lorsqu’on parle d’une transformation naturelle, à cause de la communauté de sujet, ne peuvent être admises pour parler de cette conversion. Et d’abord il est évident que le pouvoir de passer au terme opposé découle de ce qu’il y a un sujet ; c’est pourquoi nous disons : le blanc peut être noir, ou : l’air peut être feu. Mais cette seconde proposition est moins juste que la première. Car le sujet du blanc, où se trouve la puissance à la noirceur, c’est toute la substance du blanc, le blanc n’en est pas une partie ; tandis que le sujet de la forme de l’air en est une partie ; lorsque nous disons que l’air peut être le feu, cela est vrai à l’égard d’une partie de l’air, en parlant par synecdoque. Mais dans la conversion eucharistique comme dans la création, parce qu’il n’y a aucun sujet, on ne dit pas que l’un des termes puisse être l’autre, que le non-être puisse être l’être, ou que le pain puisse être le corps du Christ. Et pour la même raison on ne peut dire à proprement parler que " avec du non-être, on fait de l’être ", ou : " avec le pain on fait le corps du Christ ", parce que la préposition " avec " évoque une cause consubstantielle, et cette consubstantialité des termes dans les transformations naturelles tient à la communauté du sujet qui les réunit. Pour la même raison on ne concède pas que le pain sera ou deviendra le corps du Christ ; de même qu’on ne concède pas, à propos de la création, que le non-être sera ou deviendra l’être, alors que ce langage est vrai quand il concerne les transformations naturelles, en raison de leur sujet, ainsi quand nous disons : le blanc devient noir, ou le blanc sera noir.

Mais parce que, dans ce sacrement, une fois la conversion opérée, il y a quelque chose qui subsiste identique, savoir les accidents du pain, comme on l’a vu, on peut admettre quelques-unes de ces expressions selon une certaine ressemblance. Ainsi : le pain est le corps du Christ, ou bien : le pain sera le corps du Christ, avec le pain sera le corps du Christ, ou bien : avec le pain on fait le corps du Christ. C’est qu’alors le mot de pain ne désigne pas la substance du pain mais, d’une façon globale, ce qui est contenu sous les espèces du pain, sous lesquelles se trouve d’abord la substance du pain et ensuite le corps du Christ.

Solutions :

1. L’être à partir duquel un autre être procède peut désigner à la fois le sujet avec un des termes de la transformation, comme lorsqu’on dit : à partir du blanc vient le noir. Mais parfois on ne désigne qu’un seul des opposés, ou termes extrêmes, comme lorsqu’on dit : à partir du matin vient le jour. Et alors on ne peut pas accorder que l’un devienne l’autre, que " le matin devienne le jour ". Et c’est encore le cas dans notre propos ; on dira à juste titre : " à partir du pain devient le corps du Christ ", mais on ne dira pas à juste titre : " le pain devient le corps du Christ " sinon, comme on l’a dit, selon une certaine ressemblance.

2. L’être à partir duquel devient quelque chose sera parfois cet être même, à cause du sujet que cela implique. Aussi, puisque, dans la conversion eucharistique, il n’y a aucun sujet, on ne peut faire le même raisonnement.

3. Dans cette conversion il y a plus de choses difficiles que dans la création. Dans la création cela seul est difficile : que quelque chose devienne à partir du non-être. Cela tient au mode de production propre à la cause première, qui ne présuppose rien à son action. Mais dans la conversion eucharistique, il y a non seulement cette difficulté que tout ceci se convertisse en tout cela, en quoi rien ne subsiste de ce qui précédait, ce qui ne tient au mode commun de production d’aucune cause. Mais il y a encore cette difficulté : que les accidents demeurent quand la substance a disparu, et beaucoup d’autres difficultés dont on traitera plus loin. Cependant on emploie le terme de conversion au sujet de l’eucharistie, et non au sujet de la création, comme on vient de le voir.

4. Comme on l’a vu aussi dans la Réponse, la puissance regarde le sujet, et on ne trouve pas de sujet dans la conversion eucharistique. C’est pourquoi on ne concède pas que le pain puisse être le corps du Christ : car cette conversion ne se fait pas par la puissance passive de la créature, mais seulement par la puissance active du Créateur.

 

 

QUESTION 76 — LE MODE D’EXISTENCE DU CHRIST DANS CE SACREMENT

1. Le Christ est-il tout entier dans ce sacrement ? - 2. Le Christ est-il tout entier dans chacune des deux espèces ? - 3. Le Christ est-il tout entier sous chaque partie des espèces ? - 4. Les dimensions du corps du Christ sont-elles tout entières dans ce sacrement ? - 5. Le corps du Christ est-il dans ce sacrement comme dans un lieu ? - 6. Le corps du Christ est-il déplacé lorsque l’on déplace l’hostie ou la coupe après la consécration ? - 7. Le corps du Christ, tel qu’il est sous ce sacrement, peut-il être vu par un œil au moins glorifié ? - 8. Le vrai corps du Christ subsiste-t-il dans ce sacrement quand il apparaît miraculeusement sous l’apparence d’un enfant ou d’un morceau de chair ?

 

            Article 1 — Le Christ tout entier est-il contenu dans ce sacrement ?

Objections :

1. Le Christ commence à exister dans ce sacrement par la conversion du pain et du vin comme on l’a vu. Mais il est évident que le pain et le vin ne peuvent se convertir ni en la divinité du Christ ni en son âme. Donc, puisque le Christ est composé de trois substances, la divinité, l’âme et le corps, comme nous l’avons vu, il apparaît que le Christ n’est pas tout entier dans ce sacrement.

2. Le Christ est dans ce sacrement selon ce qui convient pour restaurer les fidèles, et qui consiste dans la nourriture et la boisson, nous l’avons vu. Or, le Seigneur dit en S. Jean (6, 56) : " Ma chair est vraiment nourriture et mon sang est vraiment boisson. " Donc, seuls la chair et le sang du Christ sont contenus dans ce sacrement. Mais le corps du Christ comporte bien d’autres parties : les nerfs, les os, etc. Donc le Christ n’est pas contenu tout entier dans ce sacrement.

3. Un corps d’une qualité supérieure ne peut pas être contenu tout entier dans la mesure d’une plus petite quantité. Mais la mesure du pain et du vin consacrés est beaucoup plus petite que la mesure propre du corps du Christ. Il n’est donc pas possible que le Christ se trouve tout entier dans ce sacrement.

En sens contraire, S. Ambroise affirme " Dans ce sacrement, il y a le Christ. "

Réponse :

Il faut absolument professer, selon la foi catholique, que le Christ tout entier est dans ce sacrement. Mais on doit savoir que ce qui appartient au Christ se trouve dans ce sacrement de deux façons : d’une façon, comme en vertu du sacrement ; d’une autre façon, en vertu de la concomitance naturelle.

En vertu du sacrement, il y a sous les espèces sacramentelles le terme direct de la conversion subie par la substance préexistante du pain et du vin, en tant que cette conversion est signifiée par les paroles de la forme, qui sont efficaces dans ce sacrement comme dans les autres, ainsi lorsqu’on dit : " Ceci est mon corps " ou : " Ceci est mon sang. "

En vertu de la concomitance naturelle, il y a dans ce sacrement ce qui, dans la réalité, est uni au terme de cette conversion. Si deux choses sont unies réellement, partout où l’une se trouve réellement, l’autre doit se trouver aussi. C’est seulement par une opération mentale qu’on peut discerner les choses qui sont unies dans la réalité.

Solutions :

1. Puisque la conversion du pain et du vin n’a pas pour terme la divinité ni l’âme du Christ, il s’ensuit que sa divinité ou son âme ne se trouvent pas dans ce sacrement en vertu du sacrement, mais en vertu de la concomitance réelle. Car la divinité n’a jamais abandonné le corps qu’elle a assumé dans l’Incarnation ; partout donc où se trouve le corps du Christ, sa divinité s’y trouve forcément aussi. Par conséquent, dans ce sacrement, la divinité du Christ accompagne forcément son corps. C’est pourquoi on lit dans le Symbole d’Éphèse : " Nous devenons participants du corps et du sang du Christ ; ce n’est pas comme recevant une chair ordinaire, ou comme des hommes sanctifiés et unis au Verbe par une unité morale, mais comme recevant une chair vraiment vivifiante et devenue la propre chair du Verbe. "

Quant à l’âme, elle fut réellement séparée du corps, nous l’avons vu. Par conséquent, si l’on avait célébré ce sacrement pendant les trois jours où le Christ demeura dans la mort, l’âme n’y aurait pas été présente, ni en vertu du sacrement, ni en vertu de la concomitance réelle. Mais parce que " le Christ ressuscité des morts ne meurt plus " (Rm 6, 9), son âme est toujours réellement unie à son corps. Et par conséquent, dans ce sacrement, le corps du Christ se trouve en vertu du sacrement, et son âme en vertu de la concomitance réelle.

2. C’est en vertu du sacrement que sont contenus dans l’eucharistie, quant aux espèces du pain, non seulement la chair mais le corps tout entier du Christ, c’est-à-dire les os, les nerfs et tout le reste. Et cela se voit à la forme du sacrement où l’on ne dit pas : " Ceci est ma chair ", mais : " Ceci est mon corps. " Par conséquent, lorsque le Seigneur dit, en S. Jean (6, 56) : " Ma chair est vraiment nourriture ", la chair est mise là pour le corps tout entier parce que, dans l’usage des hommes, c’est la chair qui paraît plus propre à la manducation, car les hommes se nourrissent ordinairement de la chair des animaux, et non pas de leurs os ou des autres choses semblables.

3. Comme on l’a vu, après la conversion du pain au corps du Christ ou du vin en son sang, les accidents du pain et du vin subsistent. Il en découle évidemment que les dimensions du pain et du vin ne sont pas converties aux dimensions du corps du Christ, mais qu’il y a conversion de substance à substance. Ainsi, c’est la substance du corps du Christ ou de son sang qui est dans ce sacrement en vertu du sacrement, mais non les dimensions du corps ou du sang du Christ. Il est donc évident que le corps du Christ est dans ce sacrement par mode de substance et non par mode de quantité[4474]. Or la totalité propre à la substance est contenue indifféremment dans une quantité grande ou petite : ainsi toute la nature de l’air se trouve dans une grande ou une petite quantité d’air, et toute la nature de l’homme dans un homme petit aussi bien que dans un homme grand. Donc toute la substance du corps et du sang du Christ est contenue dans ce sacrement après la consécration, comme avant la consécration y était contenue la substance du pain et du vin.

 

            Article 2 — Le Christ est-il tout entier dans chacune des deux espèces ?

Objections :

1. Ce sacrement à pour fin le salut des fidèles, non pas en vertu des espèces mais en vertu de ce qu’elles contiennent ; parce que les espèces existaient même avant la consécration, qui donne à ce sacrement sa vertu. Donc, si rien n’est contenu sous une espèce qui ne soit contenu dans l’autre, et si le Christ tout entier est contenu sous chacune, il apparaît que l’une des deux est superflue.

2. On a vu h que sous le nom de " chair " sont contenues toutes les autres parties du corps, comme les os, les nerfs, etc. Mais le sang est une des parties du corps humain, comme le montre Aristote. Donc, si le sang du Christ est contenu sous l’espèce du pain comme y sont contenues aussi les autres parties du corps, on ne devrait pas consacrer le sang séparément, pas plus qu’on ne consacre séparément aucune autre partie du corps.

3. Ce qui est déjà accompli ne peut se faire une seconde fois. Or le corps du Christ a déjà commencé à exister dans ce sacrement par la consécration du pain. Il est donc impossible qu’il commence à y exister de nouveau par la consécration du vin. Ainsi le corps du Christ ne sera pas contenu sous l’espèce du vin ; ni, par conséquent, le Christ tout entier. Donc le Christ tout entier n’est pas contenu sous chaque espèce.

En sens contraire, au sujet du " calice ", la Glose dit (sur 1 Co 11, 25) que sous chacune des deux espèces, c’est-à-dire du pain et du vin, on reçoit la même chose. Il apparaît ainsi que le Christ tout entier est sous chacune des deux espèces.

Réponse :

Il faut affirmer en toute certitude, en vertu de l’exposé précédent, que sous chacune des deux espèces sacramentelles il y a le corps du Christ tout entier, mais différemment dans les deux cas. Car sous les espèces du pain, il y a le corps du Christ en vertu du sacrement, et son sang en vertu de la concomitance réelle, comme on vient de le voir k au sujet de son âme et de sa divinité. Sous les espèces du vin, il y a le sang du Christ en vertu du sacrement, et son corps en vertu de la concomitance réelle, ainsi que son âme et sa divinité, du fait que maintenant le sang du Christ n’est pas séparé de son corps, comme il l’avait été au moment de sa passion et de sa mort. Par conséquent, si l’on avait alors célébré l’eucharistie, le corps du Christ aurait existé sans son sang sous les espèces du pain et, sous les espèces du vin, son sang sans son corps, comme il existait dans la réalité.

Solutions :

1. Bien que le Christ tout entier se trouve sous chacune des deux espèces, ce n’est pas en vain.

1° Parce que cela sert à représenter la passion du Christ, dans laquelle son sang fut séparé de son corps. C’est pourquoi, dans la forme de la consécration du sang, on mentionne l’effusion de celui-ci.

2° Cela convient à l’usage de ce sacrement, pour qu’on présente séparément aux fidèles le corps du Christ en nourriture et son sang en boisson.

3° Quant aux effets du sacrement. On a vu plus haut que le corps nous est donné pour la santé du corps, le sang pour la santé de l’âme.

2. Dans la passion du Christ, dont ce sacrement est le mémorial, les autres parties du corps ne furent pas séparées les unes des autres, comme ce fut le cas pour le sang, mais le corps demeura entier, selon la prescription de l’Exode (12, 46) : " Vous ne briserez aucun de ses os. " C’est pourquoi dans ce sacrement on consacre le sang à part du corps, ce qu’on ne fait pas pour les autres parties de ce corps.

3. Comme on vient de le voir, le corps du Christ ne se trouve pas sous l’espèce du vin en vertu du sacrement, mais en vertu de la concomitance réelle. Donc, par la consécration du vin, le corps du Christ n’est pas là de lui-même, mais par concomitance.

 

            Article 3 — Le Christ est-il tout entier sous chaque partie des espèces ?

Objections :

1. Ces espèces peuvent se diviser à l’infini. Donc, si le Christ était tout entier sous n’importe quelle partie des espèces, il s’ensuivrait qu’il serait présent une infinité de fois dans ce sacrement. Ce qui est absurde, car l’infini est incompatible non seulement avec la nature mais encore avec la grâce.

2. Le corps du Christ, étant un corps organisé, a des parties dont les distances sont déterminées ; qu’il y ait une distance déterminée de chacune des parties à l’égard des autres, comme d’un œil à l’autre œil et de l’œil à l’oreille, cela appartient à la notion même d’un corps organisé. Mais cela deviendrait impossible si le Christ tout entier se trouvait sous chaque partie des espèces, car il faudrait alors que chaque partie se trouve sous chaque partie ; et, à ce compte il faudrait que là où serait une partie, l’autre y soit aussi. Il n’est donc pas possible que le Christ tout entier se trouve sous chaque partie de l’hostie, ou du vin contenu dans le calice.

3. Le corps du Christ garde toujours la vraie nature d’un corps et n’est jamais changé en esprit. Or il est essentiel à la notion de corps qu’il soit une " quantité ayant position ", selon Aristote. Mais il appartient à la notion d’une telle quantité que les parties diverses existent en diverses parties de l’espace. Il est donc impossible, on le voit, que le Christ tout entier soit présent sous chaque partie des espèces.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Chacun reçoit le Christ Seigneur ; et dans chaque fragment il est tout entier, il n’est pas amenuisé dans chacun, mais en chacun il se présente tout entier. "

Réponse :

On vient de voir que dans ce sacrement se trouve la substance du corps du Christ en vertu du sacrement, et la quantité déterminée par les dimensions en vertu de la concomitance réelle. Aussi le corps du Christ est-il dans ce sacrement par mode de substance, c’est-à-dire selon le mode dont la substance se trouve sous les dimensions. Mais il ne s’y trouve pas par mode de dimensions, c’est-à-dire selon le mode où les dimensions d’un corps occupent les dimensions de l’espace. Or il est clair que la nature de la substance est tout entière sous n’importe quelle partie des dimensions dans lesquelles elle est contenue ; ainsi, sous n’importe quelle partie de l’air il y a toute la nature de l’air, et sous n’importe quelle partie de pain il y a toute la nature du pain. Et cela indifféremment, que les dimensions soient divisées en acte, comme lorsqu’on divise l’air ou qu’on coupe le pain ; ou qu’elles soient indivisées en acte, divisibles seulement en puissance. Il est donc clair que le Christ tout entier est sous chaque partie des espèces du pain, même quand l’hostie demeure entière, et non seulement lorsqu’elle est rompue, selon l’opinion de certains, qui prennent pour exemple l’image reflétée dans le miroir, qui apparaît une dans le miroir entier, mais qui apparaît multipliée dans chacune des parties du miroir, lorsqu’on brise celui-ci. Le cas n’est pas du tout comparable. Car la multiplication de ces images se produit dans le miroir brisé à cause des diverses réflexions qui viennent frapper les divers fragments du miroir. Or ici il n’y a qu’une seule consécration, en vertu de laquelle le corps du Christ se trouve dans le sacrement.

Solutions :

1. Le nombre est une conséquence de la division. Par conséquent, aussi longtemps que la quantité demeure indivisée en acte, ni la substance d’aucune chose n’est multipliée sous ses dimensions propres, ni le corps du Christ sous les dimensions du pain. Par conséquent il n’est pas non plus multiplié à l’infini, mais autant de fois que le pain est partagé.

2. Cette distance déterminée des parties dans un corps organisé se fonde sur ses dimensions. La nature même de la substance précède déjà ces dimensions. Et parce que la conversion de la substance du pain a directement pour terme la substance du corps du Christ, selon le mode de laquelle le corps du Christ est proprement et directement dans ce sacrement, cette distance des parties existe bien dans le vrai corps du Christ ; cependant celui-ci ne se rattache pas à ce sacrement selon cette distance, mais selon le mode de sa substance, comme on l’a vu.

3. Cet argument est tiré de la nature que le corps possède selon ses dimensions. Or on a vu que le corps du Christ ne se rattache pas à ce sacrement en raison des dimensions de la quantité, mais en raison de la substance, comme on l’a vu.

 

            Article 4 — Les dimensions du corps du Christ sont-elles tout entières dans ce sacrement ?

Objections :

1. On a vu que tout le corps du Christ est contenu sous chaque partie de l’hostie consacrée. Mais jamais les dimensions de la quantité ne sont contenues à la fois dans un tout et dans chacune de ses parties. Il est donc impossible que toutes les dimensions du corps du Christ soient contenues dans ce sacrement.

2. Il est impossible que deux dimensions cœxistent, même si l’une est séparée tandis que l’autre est dans un corps naturel, comme le montre Aristote r. Mais dans ce sacrement subsiste la dimension du pain : c’est là une évidence sensible. Il n’y a donc pas ici les dimensions du corps du Christ.

3. Si deux dimensions inégales sont superposées, la plus grande déborde la plus petite. Mais les dimensions du corps du Christ sont beaucoup plus grandes que les dimensions de l’hostie consacrée, quelle que soit la dimension considérée. Donc, s’il y a dans ce sacrement les dimensions du corps du Christ en même temps que les dimensions de l’hostie consacrée, les dimensions du corps du Christ s’étendront bien au-delà de la quantité de l’hostie.

Celle-ci pourtant n’est pas séparée de la substance du corps du Christ. Donc la substance du corps du Christ sera dans ce sacrement même en dehors des espèces du pain. Ce qui est inadmissible, puisque la substance du corps du Christ ne se trouve dans ce sacrement que par la consécration du pain, comme on l’a vu,. Il est donc impossible que toute la quantité du corps du Christ soit dans ce sacrement.

En sens contraire, les dimensions d’un corps ne se séparent pas réellement de sa substance. Or, dans ce sacrement, il y a toute la substance du corps du Christ, nous l’avons déjà vu. Donc toutes les dimensions du corps du Christ sont dans ce sacrement.

Réponse :

On l’a vu, ce qui appartient au Christ se trouve dans ce sacrement de deux façons : en vertu du sacrement et en vertu de la concomitance naturelle. En vertu du sacrement, les dimensions du corps du Christ ne sont pas dans ce sacrement. Car, en vertu du sacrement, il y a dans ce sacrement ce qui est le terme directement atteint par la conversion. La conversion qui se produit dans ce sacrement a pour terme direct la substance du corps du Christ et non ses dimensions. Cela est évident du fait que les dimensions du pain demeurent les mêmes après la consécration, tandis que seule la substance du pain a disparu. Mais comme la substance du corps du Christ n’est pas réellement dépouillée de ses dimensions et des autres accidents, il s’ensuit qu’en vertu de la concomitance réelle, il y a dans ce sacrement toutes les dimensions du corps du Christ, comme tous ses autres accidents.

Solutions :

1. Le mode d’existence d’une chose se détermine selon ce qui lui est essentiel, et non selon ce qui lui est accidentel. Ainsi un corps est saisi par la vue selon qu’il est blanc et non selon qu’il est doux, bien que le même corps soit blanc et doux. Donc la douceur est saisie par la vue selon le mode de la blancheur, et non selon le mode de la douceur. En vertu de ce sacrement, il y a sur l’autel la substance du corps du Christ, tandis que ses dimensions s’y trouvent par mode de concomitance et comme par accident. Donc les dimensions du corps du Christ ne se trouvent pas dans ce sacrement selon leur mode propre, si bien que le tout serait dans le tout et chaque partie dans chaque partie, mais par mode de substance, et la nature de la substance est d’être tout entière dans le tout et tout entière dans chaque partie.

2. Deux dimensions ne peuvent, selon l’ordre naturel, cœxister dans le même être de telle façon que toutes deux s’y trouvent selon leur mode propre de dimensions. Mais dans ce sacrement la dimension du pain se trouve selon son mode propre, c’est-à-dire selon une certaine mesure déterminée. Tandis que la dimension du corps du Christ est là par mode de substance, nous venons de le voir.

3. Les dimensions du corps du Christ ne sont pas dans le sacrement selon le mode d’une mesure déterminée, qui est le mode propre - la quantité, selon lequel la quantité la plus grande s’étend au-delà de la plus petite ; mais elles s’y trouvent selon le mode qu’on vient de signaler.

 

            Article 5 — Le corps du Christ est-il dans ce sacrement comme dans un lieu ?

Objections :

1. Exister quelque part en étant limité ou entouré est une manière particulière d’exister dans un lieu. Or le corps du Christ est dans ce sacrement comme limité, parce qu’il est là où sont les espèces du pain et du vin, et non pas dans un autre endroit de l’autel. Il apparaît aussi qu’il y est comme entouré, parce qu’il est contenu sous la surface de l’hostie, de telle façon qu’il ne la déborde pas et n’en est pas débordé. Donc le corps du Christ est dans ce sacrement comme dans un lieu.

2. Le lieu des espèces du pain n’est pas vide, car la nature ne souffre pas le vide. Or il n’y a pas ici la substance du pain, on l’a vu, mais seulement le corps du Christ. Donc le corps du Christ remplit ce lieu. Mais tout ce qui remplit un lieu s’y trouve localement. Donc le corps du Christ est localement dans ce sacrement.

3. On a vu que le corps du Christ est dans ce sacrement avec ses dimensions et tous ses accidents. Mais exister dans le lieu c’est un accident du corps, aussi le lieu est-il énuméré parmi les neuf catégories d’accidents. Donc le corps du Christ est localement dans ce sacrement.

En sens contraire, il faut que le lieu et l’être localisé soient égaux, comme le montre Aristote. Mais le lieu où se trouve ce sacrement est beaucoup plus petit que le corps du Christ. Donc le corps du Christ n’est pas dans ce sacrement comme dans un lieu.

Réponse :

On a vu que le corps du Christ n’est pas dans ce sacrement selon le mode propre aux dimensions, mais davantage selon le mode de la substance.

Or tout corps localisé est dans le lieu selon le mode des dimensions, en tant qu’il est mesuré par le lieu selon ses dimensions. On en conclut que le corps du Christ n’est pas dans ce sacrement comme dans un lieu, mais par mode de substance, c’est-à-dire de la façon dont la substance est contenue par les dimensions. La substance du corps du Christ remplace dans ce sacrement la substance du pain. Donc, de même que la substance du pain n’était pas sous ses propres dimensions localement mais par mode de substance, il en est de même pour la substance du corps du Christ. Mais la substance du corps du Christ n’est pas soumise à ces dimensions, comme l’était la substance du pain. C’est pourquoi celle-ci, en raison de ses dimensions, était là localement parce qu’elle se rattachait à ce lieu par l’intermédiaire de ses propres dimensions. Tandis que la substance du corps du Christ se rattache au lieu par l’intermédiaire de dimensions qui lui sont étrangères. Si bien que, inversement, les dimensions propres du corps du Christ se rattachent à ce lieu par l’intermédiaire de la substance. Ce qui est contraire à la notion de corps localisé. Donc, d’aucune manière, le corps du Christ n’est localement dans ce sacrement.

Solutions :

1. Le corps du Christ n’est pas dans ce sacrement comme limité. Car alors il ne serait pas ailleurs que sur cet autel où l’on consacre telle eucharistie. Tandis qu’il se trouve au ciel sous son aspect propre, et sur nombre d’autres autels sous l’aspect sacramentel. Semblablement, il est clair qu’il n’est pas dans ce sacrement comme entouré, parce qu’il n’est pas là selon la mesure de ses dimensions propres, nous venons de le voir. Qu’il ne se trouve pas hors de la surface du sacrement ou en un autre endroit de l’autel, cela ne tient pas à ce qu’il soit là comme limité et entouré, mais à ce qu’il commence d’être là par la consécration et le conversion du pain et du vin, comme on l’a vu plus haut.

2. Le lieu où se trouve le corps du Christ n’est pas vide. Et pourtant il n’est pas, à proprement parler, rempli par la substance du Christ, qui n’est pas là localement, on vient de le voir. Mais il est rempli par les espèces sacramentelles qui peuvent remplir le lieu soit à cause de leurs dimensions naturelles, soit en vertu d’un miracle, de même qu’elles subsistent miraculeusement par mode de substance.

3. Les accidents du corps du Christ se trouvent dans ce sacrement, comme on l’a vu, selon la concomitance réelle. C’est pourquoi on trouve dans ce sacrement les accidents du corps du Christ qui lui sont intrinsèques. Or exister dans le lieu est un accident qui se rattache à une contenance extrinsèque. Par conséquent on ne doit pas dire que le Christ est dans ce sacrement comme dans un lieu.

 

            Article 6 — Le corps du Christ est-il déplacé lorsque l’on déplace l’hostie ou la coupe après la consécration ?

Objections :

1. Aristote dit que " lorsque nous nous mouvons, tout ce qu’il y a en nous se meut ". Ce qui est vrai même de la substance spirituelle de l’âme. Or le Christ est dans ce sacrement, comme on l’a vu. Le Christ est donc déplacé lorsque l’on déplace ce sacrement.

2. La vérité doit correspondre à la figure. Or il est prescrit dans l’Exode (12, 10), au sujet de l’agneau pascal qui était la figure de ce sacrement : " Vous n’en laisserez rien jusqu’au matin. " Donc, même si ce sacrement est conservé jusqu’au lendemain, le corps du Christ n’y sera plus. Ainsi, il n’est pas dans ce sacrement de telle façon qu’il ne puisse se déplacer.

3. Si le corps du Christ persiste dans ce sacrement même le lendemain, au même titre il persistera pendant tout le temps qui suit, car on ne peut pas dire qu’il cesserait d’y être lorsque les espèces cesseraient, parce que l’être du corps du Christ ne dépend pas de ces espèces. Or le Christ ne persiste pas dans ce sacrement pendant tout le temps à venir. Par conséquent il cesse d’être sous ce sacrement dès le lendemain, ou bien après peu de temps. Et ainsi il apparaît que le Christ, dans ce sacrement, est capable de se déplacer.

En sens contraire, il est impossible que le même être soit à la fois en mouvement et en repos, parce qu’alors les contraires seraient vrais en même temps dans le même sujet. Mais le corps du Christ est en repos dans le ciel où il réside. Il ne peut donc pas être déplacé dans ce sacrement.

Réponse :

Lorsqu’un être est un par son sujet et multiple par son mode d’être, rien n’empêche qu’il se déplace selon un certain point de vue et que, selon un autre point de vue, il demeure immobile ; ainsi, pour un corps, autre chose est d’être blanc, autre chose est d’être grand, si bien qu’il peut se mouvoir dans sa blancheur et demeurer immobile en grandeur. Or le Christ n’a pas le même mode d’être en lui-même et dans le sacrement ; car par cela même que nous le disons exister dans le sacrement, nous signifions un certain rapport qui l’affecte à l’égard de ce sacrement. Donc, selon cet être sacramentel, le Christ ne se meut localement que par accident et non immédiatement de lui-même. Car le Christ n’est pas dans ce sacrement comme dans un lieu, on l’a déjà dit. Or ce qui n’est pas dans un lieu ne se meut pas immédiatement et de soi-même dans le lieu, mais seulement par rapport au mouvement de l’être dans lequel il se trouve.

Semblablement, il ne se meut pas non plus de lui-même, selon l’être qu’il a dans le sacrement, par un changement quelconque, par exemple en cessant d’être dans ce sacrement. Car ce qui, de soi, possède un être indéficient ne peut être un principe de déficience ; mais lorsqu’un autre être disparaît, cet être cesse d’exister en lui ; ainsi Dieu, à qui il appartient d’être indéficient et immortel, cesse-t-il d’être dans une créature corruptible du fait que cette créature corruptible cesse d’exister. De la même manière, puisque le Christ a un être indéficient et incorruptible, il ne cesse pas d’exister dans le sacrement parce que lui-même cesserait d’exister, ni même parce qu’il subirait un mouvement local, ce qui est évident par ce que nous avons dit : il ne cesse d’exister dans ce sacrement que parce que les espèces de ce sacrement cessent d’être.

Il est donc clair que le Christ, à parler absolument, se trouve dans ce sacrement sans aucune mobilité.

Solutions :

1. Cet argument vaut pour le mouvement par accident, par lequel, lorsque nous nous déplaçons, se déplace ce qui est en nous. Mais il en va différemment des êtres qui, d’eux-mêmes, peuvent exister dans un lieu, comme les corps, et des êtres qui, d’eux-mêmes, ne peuvent exister dans un lieu, comme les formes et les substances spirituelles. C’est à ce mode qu’on peut ramener ce que nous disions du Christ : qu’il peut se mouvoir par accident selon l’être qu’il a dans ce sacrement, où il ne se trouve pas comme dans un lieu.

2. C’est en vertu de cet argument que pour certains le corps du Christ ne subsisterait pas dans ce sacrement lorsqu’on le réserve pour le lendemain. S. Cyrille les réfute ainsi : " Ils déraisonnent, ceux qui prétendent que la bénédiction sacramentelle perd sa vertu sanctifiante si des restes subsistent pour le lendemain. Car le corps sacro-saint du Christ ne subira pas de changement, mais la vertu de la bénédiction et la grâce vivifiante est permanente en lui. " De même que toutes les autres consécrations subsistent sans changer, tant que subsistent les choses consacrées, et c’est pourquoi on ne les renouvelle pas. - Mais bien que la vérité corresponde à la figure, pourtant la figure peut ne pas coïncider entièrement avec la vérité.

3. Le corps du Christ persiste dans ce sacrement non seulement jusqu’au lendemain mais même ensuite, tant que subsistent les espèces sacramentelles. Lorsque celles-ci disparaissent, le corps du Christ cesse de s’y trouver ; ce n’est pas qu’il dépende d’elles, mais c’est parce que la relation du corps du Christ à l’égard de ces espèces est supprimée. C’est de cette façon que Dieu cesse d’être le Seigneur d’une créature, lorsque celle-ci disparaît.

 

            Article 7 — Le corps du Christ, tel qu’il est dans ce sacrement, peut-il être vu par un œil au moins glorifié ?

Objections :

1. Ce qui empêche notre œil de voir le corps du Christ existant dans ce sacrement, ce sont les espèces sacramentelles qui le voilent. Mais rien ne peut empêcher un œil glorifié de voir tous les corps tels qu’ils sont. Donc un œil glorifié peut voir le corps du Christ tel qu’il est dans ce sacrement.

2. Les corps glorieux des saints seront " rendus semblables au corps glorieux du Christ " (Ph 3, 2 1). Mais l’œil du Christ se voit lui-même tel qu’il est dans ce sacrement. Donc, au même titre, n’importe quel œil glorifié peut le voir.

3. Les saints, à la résurrection générale, seront " comme les anges " (Lc 20, 36). Mais les anges voient le corps du Christ tel qu’il est dans ce sacrement, puisque l’on constate que même les démons lui manifestent du respect et le redoutent. Donc, au même titre, un œil glorifié peut le voir tel qu’il est dans ce sacrement.

En sens contraire, un être qui demeure le même ne peut être vu simultanément par un même observateur sous des espèces diverses. Or l’œil glorifié voit toujours le Christ tel qu’il est sous son espèce propre, selon la parole d’Isaïe (33, 17) : " Ils verront le roi dans sa gloire. " Il apparaît donc qu’il ne voit pas le Christ tel qu’il est sous l’espèce de ce sacrement.

Réponse :

Il y a deux sortes d’yeux : l’œil du corps, ou œil proprement dit, et l’œil de l’intelligence, appelé ainsi par métaphore. Or aucun œil corporel ne peut voir le Christ tel qu’il est dans ce sacrement. D’abord parce qu’un corps se rend visible en modifiant l’air intermédiaire par ses accidents. Or les accidents du corps du Christ se trouvent dans ce sacrement par l’intermédiaire de la substance, si bien que ces accidents n’ont de rapport immédiat ni avec ce sacrement ni avec les corps qui l’entourent. Par conséquent, ils ne peuvent modifier le milieu de façon à pouvoir être vus par un œil corporel.

Ensuite, parce que, comme on l’a vu, le corps du Christ se trouve dans ce sacrement par mode de substance. Or la substance, en tant que telle, n’est pas visible pour l’œil du corps, et ne donne prise à aucun organe des sens, ni à l’imagination, mais à l’intelligence seule, dont l’objet est l’essence des choses, dit Aristote. Aussi, à proprement parler, le corps du Christ, selon le mode d’être qu’il a dans ce sacrement, n’est perceptible ni aux sens ni à l’imagination, mais à l’intellect seul, qu’on peut appeler un œil spirituel.

Mais il est perçu diversement par divers intellects. Car le mode d’être qui affecte le Christ dans ce sacrement est entièrement surnaturel ; il est donc visible, de soi, pour un intellect surnaturel, c’est-à-dire pour l’intellect divin ; par suite il est visible pour l’intellect bienheureux, soit de l’ange soit de l’homme, qui voit les réalités surnaturelles dans la vision de l’essence divine, selon une clarté participée de l’intellect divin. L’intellect de l’homme voyageur ne peut percevoir le corps du Christ, comme les autres réalités surnaturelles, que par la foi. Mais l’intellect angélique lui-même, par sa capacité naturelle, est incapable de le contempler. Donc les démons ne peuvent pas, par leur intellect, voir le Christ dans ce sacrement, sinon par la foi ; une foi à laquelle leur volonté ne consent pas, mais ils y sont contraints par l’évidence des signes selon la parole de S. Jacques (2, 19) : " Les démons croient, et ils tremblent. "

Solutions :

1. Notre œil corporel est empêché par les espèces sacramentelles de voir le corps du Christ qui existe sous ces apparences, non seulement parce qu’elles le recouvrent, ainsi que nous sommes empêchés de voir ce qui est recouvert d’un voile corporel ; mais parce que le corps du Christ est en rapport avec le milieu qui entoure ce sacrement non pas par l’intermédiaire de ses propres accidents, mais par l’intermédiaire des espèces sacramentelles.

2. L’œil corporel du Christ se voit lui-même existant sous le sacrement ; mais il ne peut voir le mode d’être qui est sous le sacrement, ce qui est l’affaire de l’intellect. Cependant on ne peut parler ici de ressemblance avec un autre œil glorieux, car l’œil du Christ, lui, est sous le sacrement et aucun œil glorieux ne lui ressemble à cet égard.

3. L’ange bon ou mauvais ne peut rien voir avec les yeux du corps, mais seulement avec l’œil de son intelligence. C’est pourquoi l’argument ne peut s’appliquer au cas de l’œil humain, comme nous venons de le montrer.

 

            Article 8 — Le vrai corps du Christ subsiste-t-il dans ce sacrement quand il apparaît miraculeusement sous l’apparence d’un enfant ou d’un morceau de chair ?

Objections :

1. Nous avons vu que le corps du Christ cesse de se trouver dans ce sacrement quand les espèces sacramentelles cessent d’exister. Mais lorsque apparaît de la chair ou un enfant, les espèces sacramentelles disparaissent. Donc le corps du Christ n’est pas vraiment là.

2. Partout où se trouve le corps du Christ, c’est ou bien sous son aspect propre ou bien sous l’aspect sacramentel. Mais quand se produisent de telles apparitions, il est évident que le Christ n’est pas là sous son aspect propre, car dans ce sacrement est contenu le Christ tout entier, qui demeure intégralement sous la forme avec laquelle U est monté au ciel ; alors que ce qui apparaît miraculeusement dans ce sacrement est vu tantôt comme un peu de chair, tantôt comme un petit enfant. Il est évident, en outre, qu’il n’est pas là sous l’aspect sacramentel, c’est-à-dire sous les espèces du pain ou du vin. Il semble donc que le corps du Christ n’est là d’aucune façon.

3. Le corps du Christ commence d’exister sous ce sacrement, nous l’avons dit plus haut, par la consécration et la conversion. Mais la chair ou le sang qui apparaissent miraculeusement ne sont pas consacrés ni convertis au vrai corps et au vrai sang du Christ. Sous ces espèces miraculeuses il n’y a donc ni le corps ni le sang du Christ.

En sens contraire, lorsque se produit une apparition de ce genre, on rend à ce qui apparaît ainsi les mêmes hommages qu’à ce qui se montrait auparavant. Or on n’agirait pas de la sorte si le Christ n’était pas vraiment présent, car c’est à lui que nous rendons l’hommage de latrie. Donc, même lorsque se produit une telle apparition, c’est le Christ qui est dans ce sacrement.

Réponse :

Une apparition de ce genre se produit de deux façons ; parfois on voit par miracle dans ce sacrement de la chair, ou du sang, ou même un enfant.

Car quelquefois cela se produit chez les voyants, dont les yeux sont impressionnés de la même façon que s’ils voyaient de la chair, du sang ou un enfant objectivement et de l’extérieur, sans qu’aucune modification se soit produite dans le sacrement. C’est ce qui semble arriver quand le sacrement se manifeste à un seul témoin sous une apparence de chair ou d’enfant, tandis que les autres continuent à le voir sous l’apparence du pain, ou quand le même témoin le voit un moment sous une apparence de chair ou d’enfant, et ensuite sous l’apparence du pain. Il n’y a pas là cependant d’illusion, comme en produisent les prestiges des magiciens, car c’est Dieu qui forme dans l’œil du voyant cette apparence, pour symboliser une vérité, c’est-à-dire pour manifester que le corps du Christ existe vraiment dans ce sacrement ; c’est ainsi que le Christ est apparu aux disciples marchant vers Emmaüs, sans les rendre victimes d’une illusion. Car S. Augustin écrit : " Lorsque l’image que nous formons a une valeur significative, elle n’est pas un mensonge mais un symbole de la vérité. " Et parce que, dans ce cas, il n’y a aucune modification dans le sacrement, il est évident que le Christ ne cesse pas d’exister dans ce sacrement, lorsque se produit une apparition de ce genre.

Il arrive aussi parfois qu’une telle apparition ne consiste pas seulement dans une modification produite chez les voyants, mais la forme qu’ils voient a une existence réelle. Il semble que ce soit le cas quand tout le monde voit le sacrement sous cette forme, et cela non pas pour un moment mais pendant un long espace de temps. En ce cas, prétendent certains, c’est l’aspect propre du corps du Christ qui se manifeste. Peu importe que parfois on ne voie pas le Christ tout entier, mais une partie de sa chair ; ou encore qu’on le voie non sous l’aspect d’un homme jeune, mais avec la ressemblance d’un enfant. Car il est au pouvoir d’un corps glorieux, comme on le verra plus loin, d’être vu par un œil non glorifié soit en totalité soit en partie, soit sous l’aspect qui lui est propre, soit sous une ressemblance étrangère.

Mais cela semble inadmissible. D’abord parce que le corps du Christ ne peut être vu sous son aspect propre que dans un seul lieu où il est contenu comme dans des limites. Aussi puisque c’est au ciel qu’on le voit et qu’on l’adore, ce n’est pas sous son aspect propre qu’il est vu dans ce sacrement. - Ensuite parce que le corps glorieux, qui apparaît comme il veut, après son apparition disparaît quand il veut, selon S. Luc (24, 3 1) : " Le Seigneur disparut aux yeux des disciples. " Or, ce qui apparaît sous l’aspect de la chair, dans ce sacrement, demeure longtemps ainsi. Bien plus, on lit parfois qu’il a été enfermé et, par la décision de nombreux évêques, mis en réserve dans un ciboire ; façon de faire qui serait impie, s’adressant au Christ sous son aspect propre.

Il faut donc dire qu’ici les dimensions antérieures subsistent, tandis que d’autres accidents tels que la figure, la couleur, etc. sont miraculeusement modifiés pour faire apparaître de la chair, du sang, ou même un enfant. Et, comme nous l’avons dit plus haut, il n’y a pas là d’illusion, car cela se fait " en figure d’une vérité ", c’est-à-dire pour montrer par cette apparition miraculeuse que dans ce sacrement se trouvent vraiment le corps et le sang du Christ. Ainsi est-il clair que les dimensions demeurent, qui sont les fondements des autres accidents, comme on le montrera plus loin : c’est ainsi que le corps du Christ demeure vraiment dans ce sacrement.

Solutions :

1. Lorsqu’une telle apparition se produit, tantôt les espèces subsistent totalement en elles-mêmes, et tantôt subsistent seulement selon ce qui est principal en elles, on vient de le voir.

2. Dans ces apparitions, nous le savons, on ne voit pas l’aspect propre du Christ, mais un aspect formé miraculeusement soit dans l’œil des témoins, soit encore dans les dimensions sacramentelles elles-mêmes, on vient de le dire.

3. Les dimensions du pain et du vin consacrés subsistent, tandis qu’il se produit miraculeusement une modification qui affecte, à côté d’elles, les autres accidents, on vient de le dire.

 

 

QUESTION 77 — LES ACCIDENTS QUI SUBSISTENT DANS CE SACREMENT

1. Les accidents qui subsistent sont-ils privés de sujet ? - 2. La quantité est-elle le sujet des autres accidents ? - 3. Ces accidents peuvent-ils modifier un corps extérieur ? - 4. Peuvent-ils se dissoudre ? - 5. Peuvent-ils engendrer une autre réalité ? - 6. Peuvent-ils nourrir ? - 7. La fraction du pain consacré. - 8. Peut-on mélanger un liquide au vin consacré ?

 

            Article 1 — Les accidents qui subsistent sont-ils privés de sujet ?

Objections :

1. Il ne doit y avoir ni désordre ni fausseté dans ce sacrement de vérité. Mais que des accidents existent sans sujet, c’est contraire à l’ordre établi par Dieu dans la nature. En outre, cela aboutit à une certaine fausseté puisque les accidents sont des signes qui révèlent la nature du sujet. Dans ce sacrement il n’y a donc pas d’accidents sans sujet.

2. Même un miracle ne peut faire qu’une chose soit séparée de sa définition, ou qu’à une chose convienne la définition d’une autre, par exemple qu’un homme, tout en restant homme, soit un animal sans raison. Car il s’ensuivrait que les contradictoires cœxisteraient puisque, selon Aristote " la définition, c’est cela même que signifie le nom de la chose ". Or il appartient à la définition de l’accident d’exister dans un sujet, et à la définition de la substance de subsister par elle-même en dehors d’un sujet. Il est donc impossible que, même miraculeusement, les accidents soient sans sujet dans ce sacrement.

3. L’accident est individué par son sujet. Donc, si les accidents demeurent sans sujet dans ce sacrement ils ne seront pas individuels mais universels. Ce qui est évidemment faux, car alors ce seraient des accidents intelligibles et non plus des accidents sensibles.

4. La consécration de ce sacrement ne confère aux accidents aucune composition nouvelle. Mais, avant la consécration, ils n’étaient composés ni de matière et de forme, ni d’existence et d’essence. Donc, même après la consécration, ils ne sont composés selon aucun de ces modes de composition. Mais c’est impensable parce qu’ils seraient alors plus simples que les anges, tandis qu’au contraire ces accidents sont des accidents sensibles. Ces accidents ne demeurent donc pas sans sujet dans ce sacrement.

En sens contraire, S. Grégoire dit que " les espèces sacramentelles sont les attributs de ces réalités qui existaient auparavant, c’est-à-dire du pain et du vin ". Et ainsi, puisque la substance du pain et du vin ne demeure pas, il semble que ces espèces existent sans sujet.

Réponse :

Les accidents du pain et du vin, que les sens appréhendent dans ce sacrement comme subsistant après la consécration, n’ont pas pour sujet la substance du pain et du vin, qui ne subsiste pas, comme on l’a vu. Ils n’ont pas non plus pour sujet leur forme substantielle, qui ne subsiste pas ; et subsisterait-elle que, selon Boèce " elle ne pourrait être un sujet ". En outre, il est évident que ces accidents n’ont pas pour sujet la substance du corps et du sang du Christ, car la substance d’un corps humain ne peut aucunement être affectée de ces accidents ; en outre, il est impossible que le corps du Christ, qui existe dans la gloire et l’impassibilité, soit altéré de façon à recevoir des qualités de ce genre.

Certains prétendent qu’ils ont pour sujet l’air ambiant. Mais c’est impossible aussi. 1° Parce que l’air ne peut recevoir de tels accidents. 2° Parce que de tels accidents ne sont pas dans le même lieu que l’air ; au contraire, le déplacement de ces espèces chasse l’air. 3° Parce que " les accidents ne passent pas d’un sujet à l’autre ", c’est-à-dire que le même accident déterminé ne peut pas, après avoir existé dans un sujet, exister ensuite dans un autre. En effet, l’accident reçoit sa détermination individuelle du sujet qui le supporte. Il est donc impossible qu’en gardant la même unité déterminée il soit tantôt dans un sujet, tantôt dans un autre. 4° Parce que, l’air n’étant pas dépouillé de ses accidents propres, il aurait en même temps ses accidents propres et des accidents étrangers. Et l’on ne peut pas dire que cela soit réalisé miraculeusement en vertu de la consécration, car les paroles de la consécration ne signifient rien de tel ; or elles ne réalisent que ce qu’elles signifient.

On est donc contraint d’admettre que, dans ce sacrement, les accidents subsistent sans sujet. Ce qui peut être produit par la vertu divine. Car, puisque l’effet dépend davantage de la cause première que de la cause seconde, Dieu, qui est la cause première de la substance et de l’accident, peut par sa vertu infinie conserver dans l’être un accident dont la substance a été enlevée, alors que cette substance le conservait dans l’être comme étant sa cause propre. C’est ainsi que Dieu peut produire d’autres effets des causes naturelles en se passant de ces causes naturelles ; par exemple, il a formé un corps humain dans le sein de la Vierge " sans la semence d’un homme ".

Solutions :

1. Rien n’empêche qu’un être soit ordonné selon la loi commune de la nature, alors que, cependant, son contraire est ordonné selon un privilège spécial de la grâce, comme c’est évident lorsque des morts ressuscitent ou que des aveugles recouvrent la lumière. Dans l’ordre humain, on voit bien que des concessions sont faites à certains individus par privilège spécial en dehors de la loi commune. Et ainsi, bien qu’il soit conforme à l’ordre commun que l’accident existe dans le sujet, cependant, pour une raison spéciale, selon l’ordre de la grâce, les accidents existent dans ce sacrement sans avoir de sujet, pour les raisons que nous avons fait valoir plus haut.

2. L’être n’étant pas un genre, l’être (l’" exister ") lui-même ne peut être l’essence soit de la substance soit de l’accident. La définition de la substance n’est donc pas : " l’être qui par soi existe sans sujet ", ni celle de l’accident ; " l’être qui existe dans un sujet ". Mais à la quiddité, ou essence de la substance, " il appartient d’avoir l’exister non pas dans un sujet " ; à la quiddité, ou essence de l’accident, " il appartient d’avoir l’exister dans un sujet ". Or, dans ce sacrement, s’il est accordé aux accidents d’exister sans sujet, ce n’est pas par la vertu de leur essence, mais par la vertu divine qui les soutient. C’est pourquoi ils ne cessent pas d’être des accidents, car on ne les prive pas de leur définition d’accident et on ne leur attribue pas la définition de la substance.

3. De tels accidents ont acquis leur être individuel dans la substance du pain et du vin. Lorsque celle-ci est convertie au corps et au sang du Christ, ils subsistent par la vertu divine comme accidents doués de l’être individuel qu’ils possédaient précédemment. Ils ne cessent donc pas d’être singuliers et sensibles.

4. De tels accidents, tant que demeurait la substance du pain et du vin, n’avaient pas l’existence par eux-mêmes, pas plus que les autres accidents ; mais c’est à eux que leur substance devait d’être telle ; c’est ainsi que la neige est blanche par la blancheur. Mais après la consécration, les accidents qui subsistent ont l’existence. Ils sont donc composés d’existence et d’essence, comme on l’a vu dans la première Partie, au sujet des anges. Et avec cela, ils sont composés comme ayant des parties quantitatives.

 

            Article 2 — La quantité est-elle le sujet des autres accidents ?

Objections :

1. " Il n’y a pas d’accident de l’accident ", car aucune forme ne peut être sujet, puisque être sujet est une propriété de la matière. Mais la quantité est un accident. Elle ne peut donc être le sujet d’autres accidents.

2. La quantité est individuée par la matière, et il en est ainsi des autres accidents. Donc, si la quantité du pain ou du vin demeure individuée selon l’être qu’elle possédait antérieurement, dans lequel elle se maintient, les autres accidents eux aussi demeurent au même titre individués selon l’être qu’ils possédaient antérieurement dans la substance. Ils ne sont donc pas dans la quantité comme dans un sujet, puisque tout accident est individué par son sujet.

3. Entre les divers accidents du pain et du vin qui subsistent après la consécration, le rare et le dense sont eux aussi appréhendés par les sens. Or ils ne peuvent exister dans une quantité qui existerait en dehors de la matière. Car le rare est ce qui a peu de matière sous de grandes dimensions, et le dense, ce qui a beaucoup de matière sous de petites dimensions, comme le montre Aristote. Il apparaît donc que la quantité ne peut être le sujet des accidents qui subsistent dans ce sacrement.

4. La quantité séparée du sujet semble être la quantité mathématique. Or celle-ci n’est pas le sujet des qualités sensibles. Puisque les accidents qui subsistent dans ce sacrement sont sensibles, il apparaît donc qu’ils ne peuvent, dans ce sacrement, avoir pour sujet la quantité du pain et du vin, qui subsiste après la consécration.

En sens contraire, les qualités ne sont divisibles que par accident, c’est-à-dire en raison de leur sujet. Or, les qualités qui subsistent dans ce sacrement sont divisées par la division de leur quantité, ce dont nos sens ont l’évidence. Donc la quantité est le sujet des accidents qui subsistent dans ce sacrement.

Réponse :

On est contraint d’affirmer que tous les accidents qui subsistent dans ce sacrement ont, en guise de sujet, la quantité du pain et du vin, laquelle subsiste. En effet : 1° Il apparaît aux sens qu’une certaine quantité existe ici comme colorée et affectée d’autres accidents. Et en ces matières les sens ne se trompent pas.

2° La première disposition de la matière est la quantité mesurée par les dimensions. C’est pourquoi Platon a donné le "grand" et le "petit" comme étant les premières différences de la matière. Et puisque le premier sujet est la matière, il s’ensuit que tous les autres accidents se réfèrent au sujet par l’intermédiaire de la quantité déterminée par les dimensions : de même dit-on que la surface est le premier sujet de la couleur ; c’est pourquoi certains ont donné les dimensions comme constituant les substances des corps, selon Aristote. Et parce que, alors qu’on a enlevé le sujet, les accidents demeurent selon l’être qu’ils possédaient antérieurement, il s’ensuit que tous les accidents demeurent fondés sur la quantité.

3° Puisque le sujet est le principe d’individuation des accidents, il faut que ce que l’on donne comme sujet de certains accidents soit de quelque manière leur principe d’individuation. Car il appartient à la raison d’individu de ne pouvoir exister en plusieurs êtres. Ce qui arrive de deux façons. Ou bien parce qu’il n’est pas dans sa nature d’exister dans quelque être que ce soit : c’est ainsi que les formes immatérielles séparées, subsistant par elles-mêmes dans l’être, sont aussi individuées par elles-mêmes. Ou bien parce qu’il est naturel à une forme substantielle ou accidentelle d’exister dans un sujet, mais non dans plusieurs, comme cette blancheur qui est dans ce corps. En ce qui concerne le premier point (exister ou non dans un sujet), la matière est le principe d’individuation de toutes les formes engagées ; car, puisque ces formes, autant qu’il leur appartient, existent naturellement dans un être comme dans leur sujet, du fait que l’une d’elles est reçue dans la matière qui n’est pas dans un autre être, désormais cette forme, douée d’une telle existence, ne peut plus exister ailleurs. À l’égard du second point (ne pas exister dans plusieurs êtres), il faut dire que le principe d’individuation est la quantité déterminée par ses dimensions. En effet il est naturel à un être d’exister dans un seul sujet du fait que celui-ci est indivisé en soi-même et divisé de tous les autres. Or la division échoit à la substance en raison de la quantité, dit Aristote. Et c’est pourquoi la quantité déterminée par les dimensions est précisément un certain principe d’individuation, en tant que des formes numériquement diverses existent dans des parties diverses de la matière. Donc la quantité a précisément par elle-même une certaine individuation ; ainsi nous pouvons imaginer plusieurs lignes de même espèce, différentes par la position qui entre dans la notion d’une telle quantité ; il convient en effet à la dimension d’être une " quantité ayant position ". C’est pourquoi la quantité peut-être le sujet des autres accidents, plutôt que l’inverse.

Solutions :

1. L’accident ne peut par lui-même être le sujet d’un autre accident ; parce qu’il n’existe pas par lui-même. Mais selon qu’il existe dans un autre être, un accident est appelé le sujet d’un autre, en tant qu’un accident est reçu dans le sujet par l’intermédiaire d’un autre ; c’est ainsi qu’on dit de la surface qu’elle est le sujet de la couleur. Donc, quand la vertu divine accorde à un accident d’exister par lui-même, il peut encore par lui-même être le sujet d’un autre accident.

2. Les autres accidents, même selon l’existence qu’ils avaient dans la substance du pain, étaient individués par l’intermédiaire de la quantité, comme on vient de le voir. Et c’est pourquoi la quantité est le sujet des autres accidents demeurant dans ce sacrement, plutôt que l’inverse.

3. Le rare et le dense sont des qualités conférées aux corps du fait qu’ils ont beaucoup ou peu de matière sous les dimensions. De même aussi que tous les autres accidents découlent des principes de la substance. Et de même que, lorsque la substance est retirée, la vertu divine conserve les autres accidents ; de même, lorsque la matière est retirée, la vertu divine conserve les qualités qui accompagnent la matière, comme le rare et le dense.

4. La quantité mathématique ne fait pas abstraction de la matière intelligible, mais de la matière sensible, selon Aristote. Or la matière est dite sensible du fait qu’elle est le sujet de qualités sensibles. Par conséquent, il est évident que la quantité déterminée par la dimension qui subsiste sans sujet dans ce sacrement, n’est pas la quantité mathématique.

 

            Article 3 — Ces accidents peuvent-ils modifier un corps extérieur ?

Objections :

1. Il est prouvé par le Philosophe que les formes qui existent dans la matière viennent de formes matérielles et non de formes séparées, parce que le semblable produit une action semblable à lui. Mais les espèces sacramentelles sont des espèces sans matière, puisque, comme nous l’avons vu, elles subsistent sans sujet. Elles ne peuvent donc modifier une matière extérieure en lui donnant une nouvelle forme.

2. Lorsque cesse l’action de l’agent premier, l’action de l’instrument cesse nécessairement ; ainsi lorsque le forgeron se repose, le marteau ne bouge pas. Mais toutes les formes accidentelles agissent comme des instruments en vertu de la forme substantielle qui joue le rôle d’agent principal. Puisque, dans ce sacrement, la forme substantielle du pain et du vin ne subsiste pas, comme on l’a vu plus haut, il apparaît que les formes accidentelles qui subsistent ne peuvent agir pour modifier une matière extérieure.

3. Aucun être n’agit au-delà de son espèce, car l’effet ne peut être supérieur à la cause. Mais toutes les espèces sacramentelles sont des accidents. Elles ne peuvent donc modifier une matière extérieure, au moins à l’égard de sa forme substantielle.

En sens contraire, si ces espèces ne pouvaient modifier les corps extérieurs, elles ne pourraient être perçues par les sens, car la perception consiste en ce que le sens est modifié par le sensible, selon Aristote.

Réponse :

Puisque tout être agit selon qu’il est un être en acte, il s’ensuit que tout être est dans la même relation avec son agir qu’avec son être. Puisque, selon ce qui précède, la vertu divine accorde aux espèces sacramentelles de subsister dans l’être qu’elles possédaient lorsque existait encore la substance du pain et du vin, il s’ensuit qu’elles conservent encore leur agir. Et c’est pourquoi toute l’action qu’elles pouvaient exercer lorsque la substance du pain et du vin existait encore, elles peuvent aussi l’exercer lorsque la substance du pain et du vin se convertit au corps et au sang du Christ. Il n’est donc pas douteux quelles peuvent modifier les corps extérieurs.

Solutions :

1. Les espèces sacramentelles, bien qu’elles soient des formes existant sans matière, gardent cependant le même être qu’elles avaient antérieurement dans la matière. C’est pourquoi, selon leur être, elles sont assimilées aux formes qui existent dans la matière.

2. L’action de la forme accidentelle dépend de l’action de la forme substantielle, comme l’être de l’accident dépend de l’être de la substance. Et par conséquent, de même que la vertu divine accorde aux espèces sacramentelles de pouvoir exister sans substance, de même elle leur accorde d’agir sans forme substantielle, par la vertu de Dieu de qui, comme premier agent, dépend toute action d’une forme, qu’elle soit substantielle ou accidentelle.

3. La modification qui atteint la forme substantielle ne provient pas de la forme substantielle immédiatement, mais par l’intermédiaire des qualités actives et passives qui agissent en vertu de la forme substantielle. Or, dans les espèces sacramentelles, cette vertu instrumentale est conservée par la vertu divine telle qu’elle existait avant la consécration. Et par conséquent, les espèces sacramentelles peuvent agir instrumentalement sur la forme substantielle ; c’est ainsi qu’un être peut agir au-delà de son espèce, non par sa vertu propre, mais par la vertu de l’agent principal.

 

            Article 4 — Ces accidents peuvent-ils se dissoudre ?

Objections :

1. Un être se dissout par la séparation de la forme d’avec la matière. Mais la matière du pain ne subsiste pas dans ce sacrement, comme on l’a vu. Donc ces espèces ne peuvent se dissoudre.

2. Aucune forme ne se dissout sinon par accident, lorsque le sujet s’est dissous ; si bien que les formes subsistantes par elles-mêmes sont incorruptibles, comme c’est évident pour les substances spirituelles. Mais les espèces sacramentelles sont des formes sans sujet. Donc elles ne peuvent se dissoudre.

3. Si elles se dissolvent, ce sera naturellement ou miraculeusement. Mais ce ne peut être naturellement, car on ne peut ici désigner un sujet de la dissolution, qui demeurerait une fois la dissolution terminée. De même ce ne sera pas miraculeusement ; car les miracles qui se produisent dans ce sacrement se font en vertu de la consécration, par laquelle les espèces sacramentelles sont conservées ; le même être ne peut causer à la fois la conservation et la dissolution. Donc, en aucune manière, les espèces sacramentelles ne peuvent se dissoudre.

En sens contraire, les sens perçoivent que des hosties consacrées pourrissent et se dissolvent.

Réponse :

La dissolution est " un mouvement de l’être vers le non-être ". Or on a vu plus haut r que les espèces sacramentelles gardent le même être qu’elles avaient auparavant, quand la substance du pain et du vin existait. C’est pourquoi, de même que l’être de ces accidents pouvait se dissoudre lorsque la substance du pain et du vin existait, de même peut-il se dissoudre lorsque cette substance s’en va.

Ces accidents pouvaient alors se dissoudre de deux façons : par soi et par accident. Par soi, par exemple lorsque les qualités s’altéraient ou que la quantité augmentait ou diminuait. Il ne pouvait s’agir de ce mode d’augmentation ou de diminution qui est réservé aux corps animés. Les substances du pain et du vin ne pouvaient augmenter ou diminuer que par addition ou division : car, selon Aristote, par division une dimension se dissout et en donne deux ; par addition, à l’inverse, deux dimensions en donnent une seule. C’est de cette manière, évidemment, que peuvent se dissoudre ces accidents après la consécration, car la dimension qui subsiste peut subir une division aussi bien qu’une addition ; et puisqu’elle est le sujet de qualités sensibles, elle peut encore être le sujet de leur altération, par exemple si la couleur ou la saveur du pain ou du vin est changée.

Ces espèces peuvent encore se dissoudre par accident, à cause de la dissolution du sujet. Et elles peuvent se dissoudre de cette façon même après la consécration. Bien que le sujet, en effet, ne subsiste pas, l’être que ces accidents possédaient dans le sujet subsiste cependant, et c’est un être propre et conforme au sujet. C’est pourquoi cet être peut être dissous par un agent contraire, de la manière dont se dissolvait la substance du pain et du vin ; et d’ailleurs celle-ci ne se dissolvait qu’à la suite d’une altération portant sur des accidents.

Il faut cependant distinguer entre ces deux modes de dissolution. Car, comme le corps et le sang du Christ remplacent dans ce sacrement la substance du pain et du vin, s’il se produisait une modification telle, du côté des accidents, qu’elle ne suffirait pas à la dissolution du pain et du vin, une telle modification ne fait pas disparaître de ce sacrement le corps et le sang du Christ. Soit que la modification se fasse du côté de la qualité, par exemple lorsque la couleur ou la saveur du pain ou du vin est légèrement modifiée ; ou bien du côté de la quantité, comme lorsqu’on divise le pain ou le vin de telle façon que la nature du pain ou du vin peut être sauvegardée dans les parties qui résultent de cette division. Mais, si la modification était telle que la substance du pain et du vin en auraient été dissoutes, le corps et le sang du Christ ne subsistent pas sous ce sacrement. Et cela aussi bien du côté des qualités, comme lorsque la couleur, la saveur et les autres qualités du pain ou du vin sont tellement modifiées que la nature du pain ou du vin ne peut d’aucune manière subsister après cette modification ; soit encore du côté de la quantité, par exemple si le pain est réduit en poussière, ou le vin divisé en parties si petites que désormais les espèces du pain et du vin ne subsistent plus.

Solutions :

1. Il appartient essentiellement à la dissolution d’enlever l’existence de la chose envisagée. Donc, en tant que l’être d’une forme existe dans la matière, il s’ensuit que la dissolution sépare la forme de la matière. Mais si cet être, sans exister dans la matière, était cependant semblable à l’être qui existe dans la matière, il pourrait être supprimé par dissolution, même en dehors de l’existence de la matière : c’est ce qui arrive dans ce sacrement, comme nous l’avons fait voir.

2. Bien que les espèces sacramentelles soient des formes existant en dehors de la matière, elles ont cependant l’être qu’elles avaient auparavant dans la matière.

3. Cette dissolution des espèces n’est pas miraculeuse mais naturelle. Cependant elle présuppose le miracle qui s’est produit dans la consécration, c’est-à-dire que ces espèces sacramentelles gardent sans sujet l’être qu’elles avaient antérieurement dans le sujet ; c’est ainsi qu’un aveugle, à qui la vue est rendue par un miracle, voit de façon naturelle.

 

            Article 5 — Ces accidents peuvent-ils engendrer une autre réalité ?

Objections :

1. Tout ce qui est engendré est engendré à partir d’une matière. A partir de rien, rien n’est engendré, quoique dans la création quelque chose soit fait à partir de rien. Mais les espèces sacramentelles n’ont aucune matière qui les supporte, sinon le corps du Christ qui n’est pas susceptible de changement. Il apparaît donc que les espèces sacramentelles ne peuvent donner naissance à rien.

2. Les êtres qui n’appartiennent pas au même genre ne peuvent naître l’un de l’autre, car la ligne ne peut naître de la blancheur. Mais l’accident et la substance diffèrent par le genre. Puisque les espèces sacramentelles sont des accidents il apparaît qu’aucune substance ne peut naître d’elles.

3. Si une substance corporelle naît des espèces sacramentelles, elle ne sera pas dépourvue d’accidents. Donc, si une substance corporelle naît des espèces sacramentelles, il faudra qu’un accident donne naissance à la substance et à l’accident, que deux êtres divers naissent d’un seul, ce qui est impossible. Il est donc impossible que les espèces sacramentelles donnent naissance à une substance corporelle.

En sens contraire, on voit sensiblement que les espèces sacramentelles peuvent donner naissance à des êtres nouveaux : de la cendre si on les brûle ; des vers si elles pourrissent ; de la poussière si on les broie.

Réponse :

" La dissolution d’un être donne naissance à un autre être ", dit Aristote. Il est donc nécessaire que les espèces sacramentelles donnent naissance à un autre être lorsqu’elles se dissolvent, ce qui leur arrive, nous venons de le voir. Or elles ne se dissolvent pas de façon à disparaître entièrement comme si elles étaient réduites à rien, mais il est manifeste qu’un être sensible les remplace.

Comment elles peuvent donner naissance à un autre être, il est difficile de le voir. Car il est évident que le corps et le sang du Christ, qui s’y trouvent véritablement, ne peuvent donner naissance à rien, puisqu’ils sont incorruptibles. Si la substance du pain ou du vin, ou leur matière, subsistait dans ce sacrement, il serait facile de déterminer que c’est eux qui donnent naissance à cet être sensible qui prend leur place, comme certains l’ont prétendu". Mais c’est faux, selon les principes que nous avons posés.

C’est pourquoi certains ont affirmé que ce qui naît ne provient pas des espèces sacramentelles, mais de l’air ambiant. Ce qui apparaît impossible pour bien des raisons. 1° Parce que l’être nouveau naît d’un être qu’on a vu précédemment s’altérer et se dissoudre. Or aucune altération ou dissolution n’est apparue précédemment dans l’air ambiant qui, ainsi, ne donne pas naissance à des vers ou à de la cendre. 2° Parce que la nature de l’air n’est pas telle qu’il puisse donner naissance à autre chose par de telles altérations. 3° Parce qu’il peut arriver que des hosties consacrées soient brûlées ou pourrissent en grande quantité, et il ne sera pas possible qu’une si grand quantité de matière terrestre naisse de l’air, sinon par un très important et très notable épaississement de cet air. 4° Parce que le même phénomène peut arriver aux corps solides environnants, par exemple à du fer ou des pierres : or ceux-ci demeurent entiers après cette naissance. Cette explication ne peut donc se soutenir car elle contredit les évidences sensibles.

C’est pourquoi d’autres ont affirmé que dans cette dissolution des espèces se produit un retour de la substance du pain et du vin, et qu’alors cette substance revenue donne naissance aux cendres, aux vers, etc. Mais cette explication n’est pas possible. D’abord parce que, si la substance du pain et du vin a été convertie au corps et au sang, comme on l’a vu, elle ne pourrait revenir que si le corps et le sang du Christ se reconvertissaient en la substance du pain et du vin, ce qui est impossible ; de même, si l’air se convertit en feu, l’air ne peut revenir que si le feu se reconvertit en air. Mais si la substance du pain ou du vin était anéantie, elle ne pourrait revenir, car ce qui tombe dans le néant ne revient pas dans le même être, numériquement identique, sauf peut-être à dire que la substance revient parce que Dieu crée entièrement une substance nouvelle au lieu de la première. Ensuite, cette solution paraît impossible parce qu’on ne peut fixer le moment où la substance du pain reviendrait. Car il est évident, d’après tout ce que nous avons dit, que, tant que subsistent les espèces du pain et du vin, subsistent le corps et le sang du Christ, qui ne cœxistent pas dans ce sacrement, nous l’avons vu, avec la substance du pain et du vin. Donc la substance du pain et du vin ne peut revenir tandis que les espèces du pain et du vin subsistent. Et semblablement lorsqu’elles disparaissent ; car désormais la substance du pain et du vin subsisterait sans accidents propres, ce qui est impossible. A moins qu’on ne dise peut-être qu’au dernier instant de la dissolution des espèces revient non pas la substance du pain et du vin, car cet instant est celui-là même où les substances engendrées commencent d’exister ; mais la matière du pain et du vin, comme créée de nouveau, serait dite revenir à proprement parler. En ce sens, l’explication ci-dessus pourrait se soutenir.

Mais il ne semble pas rationnel de dire que quelque chose arrive miraculeusement dans ce sacrement, sinon précisément par la consécration en vertu de laquelle il n’est pas question qu’une matière soit créée ou revienne. Il semble donc qu’il vaut mieux dire ceci : C’est la consécration qui accorde miraculeusement à la quantité du pain et du vin d’être le premier sujet des formes qui viendront ensuite. Tel est le propre de la matière. Et c’est pourquoi, par voie de conséquence, il est accordé à cette quantité tout ce qui est attribuable à la matière.

Et c’est pourquoi tout ce qui pourrait naître de la matière du pain si elle existait, tout cela peut naître de cette quantité du pain et du vin, non pas par un nouveau miracle, mais en vertu du miracle antérieur.

Solutions :

1. Bien qu’il n’y ait pas là de matière pour donner naissance à un être nouveau, la quantité joue le rôle de matière, on vient de le voir.

2. Ces espèces sacramentelles sont bien des accidents, mais elles ont l’acte et la vertu de la substance, nous venons de le dire.

3. La quantité du pain et du vin garde sa nature propre et reçoit miraculeusement la vertu et la propriété de la substance. C’est pourquoi elle peut aboutir à l’une et à l’autre, c’est-à-dire à la substance et à la dimension.

 

            Article 6 — Les accidents peuvent-ils nourrir ?

Objections :

1. S. Ambroise affirme : " Ce pain n’est pas destiné au corps. Mais il est le pain de la vie éternelle, qui soutient la substance de notre âme. " Or tout ce qui nourrit est destiné au corps. Donc ce pain ne nourrit pas. Et le même argument vaut pour le vin.

2. Comme dit Aristote : " Nous sommes nourris par les éléments qui composent notre être. " Or les espèces sacramentelles sont des accidents dont l’homme n’est pas constitué, car l’accident n’est pas une partie de la substance. Il apparaît donc que les espèces sacramentelles ne peuvent nourrir.

3. Aristote dit aussi : " L’aliment nourrit en tant qu’il est une certaine substance, et il fait croître en tant qu’il est une certaine quantité. " Mais les espèces sacramentelles ne sont pas une substance. Elles ne peuvent donc pas nourrir.

En sens contraire, S. Paul, parlant de ce sacrement, écrit (1 Co 11, 21) : " L’un a faim tandis que l’autre est ivre. " Sur quoi la Glose : " Il désigne ceux qui, après la célébration du mystère sacré et la consécration du pain et du vin, récupéraient leurs oblations et, sans en faire part aux autres, les consommaient tout seuls, si bien même qu’ils s’enivraient. " Or cela ne pouvait arriver si les espèces sacramentelles n’étaient pas nourrissantes. Donc les espèces sacramentelles nourrissent.

Réponse :

Cette question ne présente pas de difficultés, maintenant que nous avons résolu la précédente. L’aliment nourrit, selon Aristote, du fait qu’il se convertit en la substance de celui qui est nourri. Or nous avons dit que les espèces sacramentelles peuvent se convertir en une substance engendrée à partir d’elles. Pour les mêmes raisons par lesquelles elles peuvent se convertir en cendres ou en vers, elles peuvent se convertir au corps humain. C’est pourquoi il est évident qu’elles nourrissent.

Certains disent bien qu’elles ne nourrissent pas vraiment, en se convertissant au corps humain, mais qu’elles restaurent et confortent par une certaine influence sur les sens ; c’est ainsi qu’un homme est conforté par l’odeur de la nourriture et enivré par l’odeur du vin. Mais nos sens montrent que c’est faux. Une telle réfection ne suffit pas à l’homme, dont le corps, soumis à une déperdition constante, a besoin d’être restauré. Et pourtant un homme pourrait se soutenir longtemps s’il consommait en grande quantité des hosties et du vin consacrés.

De même, on ne peut admettre la position de certains, pour qui les espèces sacramentelles nourrissent par la forme substantielle du pain et du vin, qui subsiste. D’abord parce que nous avons vu qu’elle ne subsiste pas. Ensuite parce que nourrir n’est pas l’acte de la forme mais plutôt de la matière, qui prend la forme de celui qui se nourrit, tandis qu’elle perd sa forme primitive. C’est pourquoi, dit Aristote, l’aliment au commencement est dissemblable, à la fin semblable.

Solutions :

1. On peut dire qu’après la consécration ce sacrement contient du pain à un double titre. D’abord, il y a les espèces du pain, qui gardent le nom de la substance antérieure : c’est ainsi que parle S. Grégoire. Ou bien on peut appeler pain le corps même du Christ, qui est le pain mystique " qui descend du ciel ". Lorsque S. Ambroise dit que " ce pain n’est pas destiné au corps ", il prend le pain en ce second sens : en effet le corps du Christ n’est pas converti au corps de l’homme mais il restaure son âme. Il n’est pas question ici de pain au premier sens.

2. Les espèces sacramentelles, bien qu’elles n’appartiennent pas aux éléments qui constituent le corps, se convertissent cependant en eux, on vient de le voir.

3. Les espèces sacramentelles, bien que n’étant pas une substance, ont cependant la vertu de la substance, nous l’avons dit.

 

            Article 7 — La fraction du pain consacré

Objections :

1. Selon Aristote, les corps sont dits frangibles à cause d’une disposition déterminée de leurs pores. Ce qu’on ne peut attribuer aux espèces sacramentelles ; celles-ci ne peuvent donc être rompues.

2. La rupture d’un corps produit un son. Mais les espèces sacramentelles ne sont pas sonores, car Aristote dit que le corps sonore est un corps dur ayant une surface légère. Donc les espèces sacramentelles ne sont pas rompues.

3. Être mangé, rompu ou mâché revient au même. Mais c’est le vrai corps du Christ qui est mangé, selon le texte de S. Jean (6, 55.57) : " Celui qui mange ma chair et boit mon sang, etc. " C’est donc le corps du Christ qui est rompu et mâché. Aussi est-il dit dans la confession de foi de Bérenger : " Je reconnais avec la sainte Église romaine, je professe de cœur et de bouche que le pain et le vin placés sur l’autel sont, après la consécration, le vrai corps et le vrai sang du Christ, qui sont en vérité maniés et rompus par les mains des prêtres, et broyés par les dents des fidèles. " La fraction ne doit donc pas être attribuée aux espèces sacramentelles.

En sens contraire, la fraction se fait par division de la quantité. Mais ici on ne rompt aucun être doué de quantité, sinon les espèces sacramentelles. Car ce n’est ni le corps du Christ - qui est incorruptible -, ni la substance du pain - qui ne subsiste pas -. Ce sont donc les espèces du pain qui sont rompues.

Réponse :

De multiples opinions ont été émises à ce sujet par les vieux auteurs. Certains ont dit que dans ce sacrement il n’y avait pas de fraction réelle, mais seulement fraction apparente. Cette position ne tient pas car, dans ce sacrement de vérité, les sens ne sont pas trompés en ce qui est soumis à leur jugement : tel est le cas de la fraction, par laquelle un seul être en devient plusieurs, ce qui rentre dans le cas des sensibles communs, pour Aristote.

Aussi d’autres ont-ils dit qu’il y avait là une vraie fraction, sans aucune substance. Mais cela aussi contredit la constatation des sens. Car on voit dans ce sacrement un être doué de quantité, qui existe dans l’unité, partagé ensuite en nombreux fragments ; c’est donc cela qui doit être le sujet de la fraction.

Mais on ne peut pas dire que le vrai corps du Christ soit lui-même rompu. D’abord parce qu’il est incorruptible et impassible. Ensuite parce qu’il est tout entier sous chaque partie, comme on l’a vu : ce qui s’oppose par définition à ce qu’il soit rompu.

Il faut donc dire finalement que la fraction, de même que les autres accidents, a pour sujet la quantité. Et comme les espèces sacramentelles sont le signe du vrai corps du Christ, ainsi la fraction de ces espèces est le signe de la passion du Seigneur, qui est accomplie dans le vrai corps du Christ.

Solutions :

1. De même que le rare et le dense subsistent dans les espèces sacramentelles comme on l’a déjà dit, de même y subsiste la porosité et par conséquent la frangibilité.

2. La densité accompagne la dureté. C’est pourquoi, du fait que la densité subsiste dans les espèces sacramentelles, la dureté y demeure aussi, et donc la sonorité.

3. Ce qui est mangé sous son aspect propre, c’est cela même qui sous le même aspect est rompu et mâché. Or le corps du Christ n’est pas mangé sous son aspect propre, mais sous son aspect sacramentel. Aussi sur le texte de S. Jean : "La chair ne sert de rien", S. Augustin fait-il cette remarque : "Ceci est à entendre de ceux qui comprenaient charnellement. Ils comprenaient la chair de la manière dont elle est déchirée sur un cadavre ou vendue à la boucherie." Voilà pourquoi ce n’est pas en lui-même que le corps du Christ est rompu, mais sous son aspect sacramentel. C’est ainsi qu’il faut entendre la confession de foi de Bérenger : la fraction et le broiement des dents se réfèrent à l’aspect sacramentel sous lequel se trouve vraiment le corps du Christ.

 

            Article 8 — Peut-on mélanger un liquide au vin consacré ?

Objections :

1. Tout liquide mélangé à un autre reçoit la qualité de celui-ci. Mais aucun liquide ne peut recevoir la qualité des espèces sacramentelles, parce que ces accidents existent en dehors de tout sujet, comme on l’avu. Il apparaît donc que nul liquide ne peut être mélangé aux espèces sacramentelles du vin.

2. Si un liquide est mélangé à ces espèces, il faut qu’il en résulte un seul être. Mais on ne peut faire un seul être ni en mélangeant un liquide, qui est une substance, avec les espèces sacramentelles, qui sont des accidents ; ni en mélangeant un liquide avec le sang du Christ, car celui-ci, en raison de son incorruptibilité, n’admet ni addition ni diminution. Donc aucun liquide ne peut être mêlé au vin consacré.

3. Si un liquide est mêlé au vin consacré, il semble que lui-même deviendra consacré, comme de l’eau ordinaire qu’on mélange à de l’eau bénite devient elle-même bénite. Mais le vin consacré est le vrai sang du Christ. Donc le liquide lui-même, qu’on mélange, serait le sang du Christ. Et ainsi le sang du Christ serait produit autrement que par la consécration, ce qui est inadmissible. Donc on ne peut mélanger aucun liquide au vin consacré.

4. " Si de deux êtres l’un est totalement corrompu, il n’y aura pas de mélange ", dit Aristote. Mais le mélange d’un liquide quelconque semble corrompre les espèces sacramentelles du vin, de telle sorte que le sang du Christ cesse d’y exister. D’abord parce que le grand et le petit sont des différences de la quantité et la diversifient, comme le blanc et le noir diversifient la couleur. Ensuite parce que le liquide mélangé, ne rencontrant pas d’obstacle, se répand dans tout le mélange ; et ainsi le sang du Christ cesse d’y exister, car il ne cœxiste ici avec aucune autre substance. Donc aucun liquide ne peut être mélangé au vin consacré.

En sens contraire, les sens constatent avec évidence qu’on peut mélanger au vin un autre liquide, aussi bien après la consécration qu’avant celle-ci.

Réponse :

La vraie solution de ce problème découle de tout ce qui précède. On a vu déjà que les espèces qui subsistent dans ce sacrement, de même qu’elles reçoivent en vertu de la consécration le mode d’exister de la substance, reçoivent semblablement son mode d’agir et de pâtir. C’est-à-dire qu’elles peuvent agir et pâtir exactement comme ferait la substance si elle était présente. Or il est évident que si la substance du vin était là on pourrait y mélanger un autre liquide.

Cependant ce mélange aurait des effets divers, selon la nature du liquide et selon sa quantité. Si en effet on mélangeait un liquide en telle quantité qu’il pût se répandre dans tout le vin, le mélange serait total. Ce qui résulte du mélange de deux êtres n’est ni l’un ni l’autre des composants, mais l’un et l’autre aboutissent à une troisième réalité, composée des deux premières. Il s’ensuivrait donc que le vin existant précédemment ne subsisterait pas, si le liquide qu’on y mêle était d’une autre espèce : par exemple, si on y mélangeait de l’eau, l’espèce du vin serait détruite et on aurait un liquide d’une autre espèce. Mais, si le liquide ajouté était de la même espèce, par exemple si on mêlait du vin au vin, la même espèce demeurerait, mais non le même vin dans son individualité. C’est ce que montrerait la diversité des accidents, par exemple si un vin était blanc et l’autre rouge.

Mais si le liquide ajouté était en si petite quantité qu’il ne pût se répandre partout, on n’aurait pas un mélange de tout le vin, mais seulement d’une de ses parties. Celle-ci ne demeurerait pas la même dans son identité individuelle à cause du mélange d’une matière extérieure. Il demeurerait cependant de la même espèce, non seulement si ce peu de liquide était de la même espèce, mais même s’il était d’une autre espèce : car une goutte d’eau mélangée à beaucoup de vin épouse l’espèce du vin, selon le Philosophe.

Or il est évident, par tout ce qui précède, que le corps et le sang du Christ subsistent dans ce sacrement aussi longtemps que les espèces demeurent dans leur identité individuelle, car ce qui est consacré c’est ce pain et ce vin. Donc, si l’on fait un mélange avec un liquide quelconque, mais en si grande quantité que ce liquide atteigne tout le vin, qui sera entièrement mêlé et par conséquent changera d’individualité, le sang du Christ ne subsistera pas. Mais si l’on ajoute une assez petite quantité pour qu’elle ne puisse pas se répandre partout mais seulement dans une partie des espèces, le sang du Christ cessera d’être sous cette partie du vin consacré et subsistera sous le reste.

Solutions :

1. Innocent III dit dans une décrétale : " Les accidents eux-mêmes semblent affecter le vin qu’on ajoute : car si l’on a ajouté de l’eau, elle prend la saveur du vin. Il arrive donc que les accidents changent le sujet, comme il arrive que le sujet change les accidents. La nature s’efface devant le miracle et sa vertu opère au-dessus de son action accoutumée. " Mais il ne faut pas entendre cette parole comme si le même accident, dans l’individualité qu’il avait dans le vin avant la consécration, se retrouvait ensuite dans le vin ajouté ; mais un tel changement se fait par l’action. Car les accidents du vin qui subsistent gardent l’action de la substance, selon ce que nous venons de dire, et c’est ainsi qu’en le transformant ils affectent le liquide ajouté.

2. Le liquide ajouté au vin consacré ne se mêle aucunement à la substance du sang du Christ. Il se mêle cependant aux espèces sacramentelles ; de telle sorte toutefois qu’après le mélange ces espèces se dissolvent, soit en totalité, soit en partie, selon le mode qu’on a déterminé x au sujet des êtres qui peuvent naître de ces espèces. Et si elles se dissolvent en totalité, il n’y a plus de question, car alors le tout sera homogène. Si elles ne se dissolvent que partiellement, il y aura bien une seule dimension selon la continuité de la quantité, mais non pas une seule selon le mode d’être, car si une seule partie est sans sujet, l’autre existera dans un sujet ; de même que, si un corps est constitué de deux métaux, il y aura un seul corps au point de vue de la quantité, mais non selon la nature spécifique.

3. Comme le dit Innocent III dans la décrétale alléguée plus haut : " Si, après la consécration, on met d’autre vin dans le calice, cet autre vin ne devient pas du sang et ne se mêle pas au sang ; mais mêlé aux accidents du premier vin, il entoure de tous côtés le corps qui s’y trouve caché, sans mouiller ce corps ainsi entouré. " Cela doit s’entendre quand on ne mélange pas une telle quantité de liquide ajouté que le sang du Christ cesse d’exister sous le tout. Alors en effet on dit qu’il est entouré de tous côtés parce qu’il toucherait le sang du Christ non pas selon ses dimensions propres, mais selon les dimensions sacramentelles sous lesquelles il est contenu. Il n’en va pas de même pour l’eau bénite, parce que la bénédiction ne change rien à la substance de l’eau, comme fait la consécration pour le vin.

4. Certains ont affirmé que, si petit que soit le mélange de liquide étranger, la substance du sang du Christ cessera d’exister sous l’ensemble. Et cela pour la raison introduite dans l’objection. Mais cette raison n’est pas contraignante. Car le grand et le petit ne diversifient pas la quantité dans son essence mais dans la détermination de sa mesure.

Pareillement, le liquide ajouté peut être en si petite quantité qu’il ne puisse se répandre dans le tout, à cause de sa petitesse et non seulement de ses dimensions ; car bien que celles-ci soient sans sujet, elles font obstacle à l’autre liquide, comme ferait la substance si elle était là, selon ce qu’on vient de déterminer.

 

 

QUESTION 78 — LA FORME DE CE SACREMENT

1. Quelle est la forme de ce sacrement ? - 2. La forme de la consécration du pain est-elle appropriée ? - 3. La forme de la consécration du sang est-elle appropriée ? - 4. La vertu de ces deux formes. - 5. La vérité de leur langage. - 6. Les relations entre les deux formes.

 

            Article 1 — Quelle est la forme de ce sacrement ?

Objections :

1. Il semble que " Ceci est mon corps " et " Ceci est la coupe de mon sang " ne soit pas la forme de ce sacrement. En effet ces paroles semblent appartenir à la forme par laquelle le Christ a consacré son corps et son sang. Mais le Christ a d’abord béni le pain qu’il avait pris en mains et il a dit ensuite : " Prenez et mangez : ceci est mon corps " (Mt 26, 26). Et il a fait de même pour le calice. Les paroles en question ne sont donc pas la forme du sacrement.

2. Eusèbe dit que le prêtre invisible convertit en son corps des créatures visibles en disant : " Prenez et mangez, ceci est mon corps. " C’est donc toute cette phrase qui paraît appartenir à la forme du sacrement. Et le même argument vaut pour les paroles qui se rapportent au sang.

3. Dans la forme du baptême on exprime la personne du ministre et son acte, en disant : " Moi, je te baptise. " Mais dans les paroles en question il n’est fait aucune mention ni de la personne du ministre, ni de son acte. Donc elles ne sont pas la forme sacramentelle appropriée.

4. La forme sacramentelle est suffisante pour accomplir entièrement le sacrement. C’est pourquoi l’on peut parfois accomplir le sacrement de baptême en se contentant de prononcer les paroles de la forme, et en omettant toutes les autres paroles. Donc, si les paroles en question sont la forme de ce sacrement, il apparaît qu’on pourrait parfois accomplir ce sacrement en se contentant de prononcer les paroles en question et en omettant toutes les autres paroles que la messe comporte. Cependant cela paraît faux, car, si l’on omettait ces autres paroles, les paroles en question s’entendraient de la personne du prêtre qui les prononce, et pourtant le pain et le vin ne sont pas convertis au corps et au sang du prêtre. Les paroles en question ne sont donc pas la forme de ce sacrement.

En sens contraire, S. Ambroise affirme : " La consécration se fait par les mots et les paroles du Seigneur Jésus. Car tout ce qu’on dit d’autre rend gloire à Dieu, sert à prier pour le peuple, pour les rois, pour tous. Lorsque l’on accomplit le sacrement, le prêtre n’emploie plus ses propres paroles, il emploie celles du Christ. C’est donc la parole du Christ qui accomplit ce sacrement. "

Réponse :

Ce sacrement diffère des autres en deux points. D’abord en ce qu’il est achevé dans la consécration de la matière, tandis que les autres s’achèvent dans l’usage de la matière consacrée. Ensuite parce que, dans les autres sacrements, la consécration de la matière consiste seulement en une bénédiction d’où la matière consacrée reçoit à titre d’instrument une vertu spirituelle qui, par le ministre, - lequel est un instrument animé, - peut atteindre jusqu’aux instruments inanimés. Tandis que, dans ce sacrement, la consécration de la matière consiste en une conversion miraculeuse de la substance, que Dieu seul peut accomplir. C’est pourquoi le ministre en accomplissant ce sacrement n’a pas d’autre action que d’émettre des paroles.

Et parce que la forme doit être appropriée à la réalité sacramentelle, la forme de ce sacrement diffère de celles des autres sacrements en deux points. Le premier, c’est que les formes des autres sacrements se rapportent à l’emploi de la matière, par exemple le baptême ou la chrismation ; tandis que la forme de ce sacrement se rapporte uniquement à la consécration de la matière, qui consiste dans la transsubstantiation, lorsqu’on dit : " Ceci est mon corps " ou : " Ceci est la coupe de mon sang. " La deuxième différence, c’est que les formes des autres sacrements sont émises au nom personnel du ministre, soit en le désignant comme exerçant un acte, quand il dit : " je te baptise " ou " je te confirme " ; ou à l’impératif, comme on dit dans le sacrement de l’ordre : " Recevez le pouvoir... " ; ou par mode déprécatoire, comme on dit dans le sacrement de l’extrême-onction : " Que par cette onction et notre intercession... " Tandis que la forme de ce sacrement est émise à la place du Christ lui-même qui parle ; on donne ainsi à entendre que, dans l’accomplissement de ce sacrement, le ministre ne fait rien d’autre que de proférer les paroles du Christ.

Solutions :

1. A ce sujet il y a de nombreuses opinions. Certains ont dit que le Christ, qui avait un pouvoir d’excellence sur les sacrements, réalisa ce sacrement sans aucune forme verbale, et qu’ensuite il émit les paroles par lesquelles les autres prêtres consacreraient ensuite. Tel paraît le sens de ces mots d’Innocent III - " On peut vraiment dire que le Christ réalisa par la vertu divine et ensuite exprima la forme sous laquelle ses successeurs béniraient. " Mais cette opinion est expressément contraire aux termes de l’Évangile, selon lesquels le Christ " bénit ", bénédiction qui fut faite avec des paroles. Le texte d’Innocent III exprime donc plutôt une opinion personnelle qu’une définition.

Certains ont encore prétendu que cette bénédiction fut faite avec des paroles que nous ignorons. Mais cela non plus ne tient pas. Car la bénédiction consécratoire se fait maintenant par le récit de ce qui s’est passé alors. Donc, si ce n’est pas ces paroles qui ont accompli la consécration, elles ne l’accompliraient pas davantage maintenant.

Et c’est pourquoi d’autres ont avancé que cette bénédiction a été accomplie avec les mêmes paroles que maintenant, mais que le Christ les a proférées deux fois. Une première fois tout bas, pour consacrer. Une deuxième fois ouvertement, pour instruire. Mais cela non plus ne tient pas. Car le prêtre consacre en proférant ces paroles non pas en tant que prononcées par le Christ dans une bénédiction secrète, mais en tant que proférées publiquement. Donc, comme ces paroles tirent toute leur force de leur émission par le Christ, il apparaît que le Christ lui aussi a consacré en les proférant ouvertement.

C’est pourquoi d’autres ont dit que les Évangélistes, dans leur récit, n’ont pas toujours observé l’ordre des événements : S. Augustin le montre. Il faut donc comprendre que l’ordre réel des événements peut être rétabli ainsi : " Prenant du pain, il le bénit en disant : "Ceci est mon corps" et ensuite il le rompit et le donna à ses disciples. " Mais on peut dégager le même sens des paroles de l’Évangile, sans rien y changer. Car ce participe " en disant " signale une certaine simultanéité des paroles prononcées avec ce qui précède. Et il n’est pas nécessaire d’entendre cette simultanéité seulement avec la dernière parole prononcée, comme si le Christ avait prononcé ces paroles-là quand il donna l’eucharistie à ses disciples. Mais on peut l’entendre avec tout ce qui précède. Le sens serait alors : " Tandis qu’il bénissait, rompait et donnait à ses disciples, il dit ces paroles : "Prenez, etc." "

2. Ces paroles " Prenez et mangez " désignent l’usage de la matière consacrée, qui n’appartient pas nécessairement à ce sacrement, comme on l’a vu. C’est pourquoi ces paroles n’appartiennent pas à la substance de la forme.

Cependant, parce que l’usage de la matière consacrée appartient à une certaine perfection du sacrement, de même que l’opération n’est pas la première, mais la seconde perfection d’un être, toutes ces paroles expriment l’entière perfection de ce sacrement. Ainsi Eusèbe a-t-il compris que le sacrement est accompli avec ces paroles, quant à sa première et à sa seconde perfection.

3. Dans le sacrement de baptême, le ministre exerce un certain acte concernant l’usage de la matière, qui appartient à l’essence du sacrement, ce qui n’est pas le cas dans l’eucharistie, si bien que la comparaison ne vaut pas.

4. Certains ont dit que ce sacrement ne peut être accompli si l’on prononce les paroles en question en omettant les autres, surtout celles du canon de la messe. Mais cela est évidemment faux. D’abord, d’après les paroles de S. Ambroise citées dans l’argument en sens contraire. Ensuite parce que le canon de la messe n’est pas le même chez tous et a varié avec le temps, ayant reçu des adjonctions de divers auteurs.

Il faut donc soutenir que si le prêtre ne disait que les paroles en question, avec l’intention d’accomplir ce sacrement, celui-ci serait réalisé, parce que l’intention ferait comprendre que ces paroles sont prononcées au nom du Christ, même si ce n’était pas signalé par le récit des paroles précédentes. Cependant ce prêtre pécherait gravement, comme n’observant pas le rite de l’Église. Le cas n’est pas le même dans le baptême, qui est le sacrement indispensable, tandis que si l’eucharistie fait défaut, on peut y suppléer par la manducation spirituelle, dit S. Augustin.

 

            Article 2 — La forme de la consécration du pain est-elle appropriée ?

Objections :

1. La forme de ce sacrement doit exprimer son effet. Mais l’effet qui s’accomplit dans la consécration du pain, c’est la conversion de la substance du pain au corps du Christ, qui s’exprime mieux par le verbe devenir que par le verbe être. On devrait donc dire dans la forme de ce sacrement : " Ceci devient mon corps. "

2. S. Ambroise nous dit : " La parole du Christ accomplit ce sacrement. Quelle parole du Christ ? Celle par qui tout a été fait : le Seigneur a ordonné et les cieux et la terre furent créés. " La forme de ce sacrement aurait donc été mieux appropriée, formulée à l’impératif, ce qui ferait dire : " Que ceci soit mon corps. "

3. Le sujet de cette phrase concerne ce qui est converti, de même que son attribut concerne le terme de la conversion. Mais, de même que nous avons établi le terme de la conversion, qui est le corps du Christ, nous en avons établi le sujet, qui n’est autre que le pain. Donc, de même qu’on met un nom du côté de l’attribut, de même doit-on en mettre un du côté du sujet, ce qui ferait dire " Ce pain est mon corps. "

4. De même que le terme de la conversion est d’une nature déterminée, puisque c’est le corps, de même il appartient à une personne déterminée. Pour déterminer cette personne on devrait donc dire : " Ceci est le corps du Christ. "

5. Dans les paroles de la forme, on ne doit rien mettre qui n’appartienne à sa substance. C’est donc à tort que dans certains livres on a introduit la conjonction " car " qui n’appartient pas à la substance de la forme.

En sens contraire, le Seigneur a employé cette forme pour consacrer, comme on le voit en S. Matthieu (26, 26).

Réponse :

Cette forme de consécration du pain est parfaitement appropriée. On a vu en effet que cette consécration consiste en la conversion de la substance du pain au corps du Christ. Or il faut que la forme du sacrement signifie ce qui se réalise dans le sacrement. Par conséquent la forme de la consécration du pain doit signifier précisément la conversion du pain au corps du Christ. On peut en considérer trois éléments : la conversion elle-même, son point de départ et son point d’arrivée.

La conversion peut être considérée à deux points de vue : dans son devenir et dans son résultat. Or dans cette forme on devait signifier la conversion non pas dans son devenir mais dans son résultat. D’abord parce que cette conversion n’est pas successive, nous l’avons vu, mais instantanée. Or, dans les changements instantanés, le devenir est identique à son résultat. Ensuite, parce que les formes sacramentelles signifient l’effet du sacrement de la même façon que les formes artificielles révèlent l’effet de l’art. La forme artificielle est la ressemblance de l’effet ultime auquel se porte l’intention de l’artiste. C’est ainsi que la forme de l’art dans l’âme du constructeur est la forme de la maison construite, comme principe de son action ; et par voie de conséquence, c’est la forme de la construction. Ainsi, dans cette forme sacramentelle, doit s’exprimer la conversion dans son résultat, vers quoi se porte l’intention.

Et parce que cette forme signifie la conversion dans son résultat, il faut qu’elle signifie les termes de la conversion tels qu’ils se trouvent dans ce résultat. Alors le point d’arrivée a la propre nature de sa substance ; mais le point de départ ne subsiste pas selon sa substance, mais seulement selon les accidents qui le proposent à la connaissance sensible, qui peut les discerner. Il est donc approprié de désigner le point de départ de la conversion par un pronom démonstratif rapporté aux accidents sensibles qui y subsistent. Quant au point d’arrivée, il est exprimé par le nom signifiant la substance de l’être auquel aboutit la conversion, lequel est tout le corps du Christ et non pas seulement sa chair, nous l’avons vu. Par conséquent cette forme est tout à fait appropriée : " Ceci est mon corps. "

Solutions :

1. Ce n’est pas le devenir mais son résultat qui est le dernier effet de cette consécration, nous venons de le dire. C’est donc plutôt le résultat qui doit être exprimé par la forme.

2. La parole de Dieu a opéré dans la création du monde, et elle opère encore dans cette consécration, mais différemment. Car ici elle opère sacramentellement, c’est-à-dire selon sa puissance de signification. Et c’est pourquoi il faut dans cette parole signifier le dernier effet de la consécration par le verbe être au mode indicatif et au temps présent. Mais dans la création du monde la parole divine opère par sa seule efficacité, laquelle est commandée par sa sagesse. C’est pourquoi dans la création du monde la parole du Seigneur s’exprime par un verbe à l’impératif, selon la Genèse (1, 3) : " Que la lumière soit, et la lumière fut. "

3. Lorsque la conversion est réalisée, le terme de départ ne garde pas la nature de sa substance, comme le terme d’arrivée. Par conséquent la comparaison ne vaut pas.

4. L’adjectif " mon " qui inclut la démonstration de la première personne, celle de celui qui parle, exprime suffisamment la personne du Christ au nom de qui ces paroles sont prononcées, comme on l’a vu.

5. Cette conjonction ",car " est ajoutée à cette forme selon l’usage de l’Église romaine, hérité de l’apôtre S. Pierre. Et cela pour marquer la continuité avec les paroles précédentes ; c’est pourquoi elle n’appartient pas plus à la forme que les paroles qui la précèdent.

 

            Article 3 — La forme de la consécration du sang est-elle appropriée ?

Objections : 1. De même que le pain est converti au corps du Christ par la vertu de la consécration, ainsi le vin au sang du Christ, comme on l’a vu. Mais dans la forme de la consécration du pain, le corps du Christ est désigné directement et l’on n’ajoute rien d’autre. Il n’est donc pas approprié dans cette forme de désigner le sang du Christ indirectement, et d’ajouter comme attribut direct " le calice " en disant : " Ceci est la coupe de mon sang. "

2. Les paroles prononcées dans la consécration du pain ne sont pas d’une plus grande efficacité que celles qui sont prononcées dans la consécration du vin, puisque ce sont dans les deux cas des paroles du Christ. Mais dès qu’on a dit : " Ceci est mon corps ", la consécration du pain est achevée. Donc, dès qu’on a dit : " Ceci est la coupe de mon sang ", la consécration du sang est achevée. Et par conséquent toutes les paroles qui suivent ne paraissent pas appartenir à la substance de la forme ; d’autant plus qu’elles ne concernent que les propriétés de ce sacrement.

3. La nouvelle alliance semble relever de l’inspiration intérieure comme on le voit du fait que S. Paul, dans l’épître aux Hébreux (8, 6. 10) cite ces paroles de Jérémie (31, 31. 33) : " J’accomplirai avec la maison d’Israël une alliance nouvelle en mettant mes lois dans leurs esprits. " Or le sacrement agit à l’extérieur d’une façon visible. Il ne convient donc pas de dire, dans la forme du sacrement : " de la nouvelle alliance ".

4. On dit que quelque chose est nouveau quand il est près du commencement de son être. Mais ce qui est éternel n’a pas de commencement de son être. Il est donc illogique de dire : " nouvelle et éternelle alliance ", car cela semble impliquer contradiction.

5. Il faut enlever aux hommes les occasions d’erreur, selon la parole d’Isaïe (57, 4) : " Enlevez tout obstacle du chemin de mon peuple ". Mais certains se sont égarés, estimant qu’il y avait seulement dans ce sacrement une présence mystique du corps et du sang du Christ. Il ne convient donc pas de mentionner dans cette forme " mystère de foi ".

6. On a vu plus haut que, si le baptême est le sacrement de la foi, l’eucharistie est le sacrement de la charité. Dans cette forme on aurait mieux fait de mentionner la charité plutôt que la foi.

7. Tout ce sacrement, à l’égard du corps comme à l’égard du sang, est le mémorial de la passion du Seigneur, selon S. Paul (1 Co 11, 26) : " Chaque fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur. " Il ne fallait donc pas faire mention de la passion du Christ et de ses effets dans la formule de consécration du sang, quand elle ne figure pas dans celle du corps. D’autant plus que, selon S. Luc (22, 19), le Seigneur a dit : " Ceci est mon corps, qui sera livré pour vous. "

8. La passion du Christ, on l’a vu n, a profité à tous, par sa pleine suffisance radicale. Quant à son efficacité effective, elle a profité à beaucoup. Il fallait donc dire " qui sera répandu pour tous " ou " pour beaucoup " sans ajouter " pour vous ".

9. Les paroles par lesquelles on accomplit ce sacrement tiennent leur efficacité de l’institution du Christ. Mais aucun évangéliste ne rapporte que le Christ ait dit toutes ces paroles. Cette forme de consécration du vin n’est donc pas celle qui convient.

En sens contraire, l’Église, instruite par les Apôtres, emploie cette forme dans la consécration du vin.

Réponse :

Deux opinions se sont manifestées au sujet de cette forme. Certains ont dit que seules les paroles : " Ceci est la coupe de mon sang " appartiennent à la substance de cette forme, et non les paroles qui suivent. Mais cela paraît illogique, car les paroles qui suivent sont des déterminations de l’attribut, qui est le sang du Christ, et par conséquent elles appartiennent à l’intégrité de la phrase.

C’est pourquoi d’autres disent, avec plus de raison, que tout ce qui suit appartient à la substance de la forme jusqu’à ce qui vient ensuite : " Toutes les fois que vous ferez cela... ", phrase qui concerne l’usage du sacrement, si bien qu’elle n’appartient pas à la substance de la forme. Et c’est pourquoi le prêtre prononce toutes ces paroles de la même façon et en accomplissant le même rite, c’est-à-dire en tenant le calice en mains. Même, dans S. Luc (22, 20), les paroles qui suivent sont placées au milieu des premières, puisqu’on y dit : " Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang. "

Il faut donc affirmer que toutes ces paroles appartiennent à la substance de la forme ; mais les premières paroles : " Ceci est la coupe de mon sang " signifient précisément la conversion du vin au sang, de la manière qu’on a dite à propos de la consécration du pain ; et les paroles qui suivent désignent la vertu du sang répandu dans la passion, vertu qui opère dans ce sacrement. Cette vertu a un triple effet. Premièrement et principalement elle nous fait obtenir l’héritage éternel, selon l’épître aux Hébreux (10, 19) : " Nous avons un accès assuré au sanctuaire par son sang. " Et pour désigner cela on dit : " de la nouvelle et éternelle alliance ". Deuxièmement elle nous fait obtenir la justification gratuite, qui est le fruit de la foi (Rm 3, 25) : " Dieu l’a destiné à être, par son propre sang, moyen de propitiation grâce à la foi, afin qu’il soit juste et cause de justice pour qui a la foi en Jésus Christ. " Et à cet égard on ajoute : " mystère de la foi ". Troisièmement, cette vertu du sang écarte les obstacles à l’héritage éternel et à la justification, qui sont les péchés, selon l’épître aux Hébreux (9, 14) : " Le sang du Christ purifiera nos consciences des œuvres mortes ", c’est-à-dire des péchés. Et à cet égard on ajoute : " qui pour vous et pour beaucoup sera répandu en rémission des péchés ".

Solutions :

1. Lorsqu’on dit : " Ceci est la coupe de mon sang ", c’est une expression figurée, que l’on peut comprendre de deux façons. D’abord par métonymie, le contenant étant pris pour le contenu, ce qui donne ce sens : " Voici mon sang contenu dans la coupe. " On fait mention de celui-ci parce que le sang du Christ est consacré dans ce sacrement en tant qu’il est la boisson des fidèles, ce qui n’est pas impliqué dans la notion de sang ; il a donc fallu que ce sang fût désigné par le vase dont on se sert pour boire.

On peut entendre aussi cette phrase comme comportant une métaphore : la coupe fait comprendre par comparaison qu’il s’agit ici de la passion du Christ, laquelle enivre à la manière d’un calice selon les Lamentations (3, 15) : " Il m’a comblé d’amertumes, il m’a enivré d’absinthe ", si bien que le Seigneur lui-même appelle sa passion un calice lorsqu’il dit (Mt 26, 39) : " Que ce calice passe loin de moi. " Le sens est alors : " Voici le calice de ma passion. " On fait mention de celle-ci en consacrant le sang à part du corps, parce que c’est la passion qui a séparé le sang du corps.

2. Puisque, comme on l’a vu, le sang consacré à part représente explicitement la passion du Christ, c’est dans la consécration du sang qu’on fait mention de l’effet de la passion du Christ, plutôt que dans la consécration du corps qui est le sujet de la passion. Ceci est encore signifié dans cette parole du Seigneur " qui sera livré pour vous ", comme s’il disait " qui pour vous sera soumis à la passion ".

3. Le testament consiste à disposer d’un héritage. Or Dieu a disposé que l’héritage céleste serait donné aux hommes par la vertu du sang de Jésus-Christ. Car dit l’épître aux Hébreux (9, 16) : " Là où il y a testament, il est nécessaire qu’intervienne la mort du testateur. " Or le sang du Christ a été donné aux hommes de deux façons. D’abord en figure, ce qui appartient à l’ancienne alliance. C’est pourquoi l’Apôtre conclut ainsi le même passage : " De là vient que la première alliance elle-même n’a pas été inaugurée sans effusion de sang. " C’est évident si l’on se souvient de l’Exode (24, 19) : " Moïse, après avoir lu tout le dispositif de la loi, aspergea tout le peuple en disant : Voici le sang de l’alliance que le Seigneur a conclue avec vous. " Ensuite le sang du Christ a été donné aux hommes dans sa réalité, ce qui revient à la nouvelle alliance. C’est ce que S. Paul dit avant le texte précédemment cité : " C’est pour cela que le Christ est le médiateur d’une nouvelle alliance afin que, la mort étant intervenue, ceux qui ont été appelés reçoivent la promesse de l’héritage éternel ". On dit donc ici : " le sang de la nouvelle alliance ", parce qu’il nous est donné désormais en réalité et non plus en figure. C’est pourquoi on ajoute " qui sera répandu pour vous ". - Quant à l’inspiration intérieure, elle procède de la vertu du sang selon que nous sommes justifiés par la passion du Christ.

4. Cette alliance est nouvelle en raison du don qui en est fait ; on l’appelle éternelle tant en raison de la préordination éternelle de Dieu qu’en raison de l’héritage éternel qui est réglé par ce testament. En outre, la personne même du Christ, dont le sang règle ce testament, est éternelle.

5. On parle ici de " mystère " non pas pour exclure la vérité mais pour signaler qu’elle est cachée. Car le sang du Christ, précisément, se trouve dans ce sacrement d’une façon cachée ; et c’est d’une façon cachée qu’elle fut préfigurée dans l’Ancien Testament.

6. On l’appelle " mystère de foi " au sens d’objet de foi. Effectivement, que le sang du Christ se trouve réellement dans ce sacrement, la foi seule nous le garantit. En outre, la passion du Christ elle-même nous justifie par la foi. Quant au baptême, on l’appelle " le sacrement de la foi " parce qu’il est une protestation de foi. Et notre sacrement est le " sacrement de la charité " en tant qu’il la signifie et la produit.

7. Comme on l’a vu, le sang consacré à part du corps représente d’une façon plus expressive la passion du Christ. C’est pourquoi dans la consécration du sang en fait mention de la passion du Christ et de ses effets, plutôt que dans la consécration du corps.

8. Le sang de la passion du Christ n’a pas seulement d’efficacité chez les juifs élus, auxquels avait été donné le sang de l’ancienne alliance, mais encore chez les païens ; ni seulement chez les prêtres qui accomplissent ce sacrement ou chez les autres qui le reçoivent, mais encore chez ceux pour qui il est offert. C’est pourquoi le Seigneur dit expressément " pour vous ", les Juifs, " et pour beaucoup ", c’est-à-dire pour les païens ; ou bien " pour vous ", qui mangez, " et pour beaucoup " pour qui il est offert.

9. Le but des évangélistes n’était pas de transmettre les formes des sacrements qui, dans la primitive Église, devaient rester cachées, comme dit Denys. Mais ils ont écrit pour tisser l’histoire du Christ.

Et cependant presque tous ces mots peuvent se retrouver dans divers passages de l’Écriture. Car l’expression : " Ceci est la coupe " se trouve chez S. Luc (22, 20) et chez S. Paul (1 Co 11, 25). On trouve dans S. Matthieu (26, 28) : " Ceci est mon sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour beaucoup en rémission des péchés. " Les paroles ajoutées : " éternelles " et " mystère de foi ", viennent de la tradition du Seigneur, qui est parvenue à l’Église par l’intermédiaire des Apôtres, selon ce que dit S. Paul (1 Co 11, 23) : " J’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis. "

 

            Article 4 — La vertu de ces deux formes

Objections :

1. S. Jean Damascène dit : " C’est par la seule vertu de l’Esprit Saint que se fait la conversion du pain au corps du Christ. " Mais la vertu du Saint-Esprit est une vertu incréée. Ce sacrement n’est donc accompli par aucune vertu créée qui se trouverait dans ces paroles.

2. Les œuvres miraculeuses ne se font pas par une vertu créée, mais par la seule vertu divine, comme on l’a vu dans la première Partie. Or la conversion du pain et du vin au corps et au sang du Christ n’est pas une œuvre moins miraculeuse que la création du monde, ou même que la formation du corps du Christ dans le sein de la Vierge, qui n’ont pu être accomplies par aucune vertu créée. Donc ce sacrement n’est pas davantage consacré par une vertu créée résidant dans ces paroles.

3. Ces paroles ne sont pas simples mais composées de beaucoup d’éléments ; et elles ne sont pas proférées simultanément, mais successivement. Or, en étudiant cette conversion, nous avons vu qu’elle est instantanée : il faut donc qu’elle se fasse par une vertu simple, et ce ne peut être par la vertu de ces paroles.

En sens contraire, S. Ambroise écrit : " S’il y a une telle vertu dans la parole du Seigneur jésus pour que ce qui n’existait pas commence à exister, combien plus efficace est-elle pour faire que ce qui était existe et soit changé en autre chose ? Et ainsi, ce qui était du pain avant la consécration est désormais le corps du Christ après la consécration, parce que la parole du Christ change la créature. "

Réponse :

Certains ont prétendu qu’il n’existe aucune vertu créée, pour accomplir la transsubstantiation, dans les paroles que nous avons étudiées, pas plus que dans les autres formes sacramentelles, ni dans ces sacrements eux-mêmes pour produire les effets de ces sacrements. Position, comme on l’a dit, qui contredit aux affirmations des Pères et déroge à la dignité des sacrements de la loi nouvelle. Aussi, comme ce sacrement est plus digne que les autres, nous l’avons vu aussi v, il s’ensuit que, dans les paroles constituant la forme de ce sacrement, il y a une vertu créée pour produire la conversion de ce sacrement ; vertu instrumentale, cependant, comme dans les autres sacrements. Car, puisque ces paroles sont prononcées à la place du Christ, elles reçoivent, par son ordre, une vertu instrumentale dérivée de lui, de même que toutes ses actions et paroles possèdent instrumentalement une vertu porteuse de salut, comme on l’a vu précédemment.

Solutions :

1. Lorsqu’on dit que seule la vertu du Saint-Esprit convertit le pain au corps du Christ, on n’exclut pas la vertu instrumentale qui se trouve dans la forme de ce sacrement. Ainsi, lorsqu’on dit que seul l’artisan fabrique un couteau on n’exclut pas la vertu de son marteau.

2. Aucune créature ne peut accomplir des œuvres miraculeuses à titre d’agent principal. Mais elle peut les accomplir instrumentalement ; c’est ainsi que le lépreux a été guéri précisément par le contact de la main du Christ. C’est de cette manière que les paroles convertissent le pain au corps du Christ. Cela n’a pu se produire dans la conception par laquelle le corps du Christ a été formé, parce que rien ne pouvait recevoir du corps du Christ une vertu instrumentale pour former ce même corps. Dans la création, d’autre part, il n’y avait pas de terme qui pût servir de point de départ à l’action instrumentale de la créature. L’argument par similitude ne vaut donc pas ici.

3. Ces paroles qui réalisent la consécration opèrent sacramentellement. C’est pourquoi la vertu de conversion qui se trouve dans les formes de ces sacrements dépend de leur signification, qui se termine lorsqu’on prononce le dernier mot. Aussi est-ce au dernier instant de l’émission des paroles que celles-ci sont en possession de leur vertu, mais en relation avec les paroles qui précèdent. Et cette vertu est simple en raison de la signification, bien qu’il y ait une certaine complexité dans la teneur extérieure des paroles prononcées.

 

            Article 5 — La vérité de ces paroles

Objections :

1. Lorsque l’on dit : " Ceci est mon corps ", " ceci " est un démonstratif qui désigne la substance. Mais d’après ce que nous avons vu, lorsque l’on profère ce pronom " ceci ", la substance présente est encore celle ‘du pain, puisque la transsubstantiation ne s’opère qu’au dernier instant de l’émission des paroles. Mais cette proposition est fausse : " Le pain est le corps du Christ. " Donc celle-ci aussi est fausse : " Ceci est mon corps. "

2. Le pronom " ceci " adresse sa démonstration aux sens. Mais les espèces sensibles qui existent dans ce sacrement ne sont ni le corps du Christ lui-même, ni les accidents du corps du Christ. Donc " Ceci est mon corps " ne peut être une proposition vraie.

3. Ces paroles, comme on vient de le voir, réalisent par leur signification la conversion du pain au corps du Christ. Mais la cause réalisatrice d’un effet précède cet effet. Donc la signification de ces paroles est comprise avant que se réalise la conversion du pain au corps du Christ. Mais, avant la conversion, " Ceci est mon corps " est une proposition fausse. Il faut donc juger qu’elle est fausse absolument. Et le même argument vaut pour cette proposition : " Ceci est la coupe de mon sang, etc. "

En sens contraire, ces paroles sont proférées au nom du Christ, qui dit de lui-même (Jn 14, 6) " je suis la Vérité. "

Réponse :

Autour de ce problème les opinions se sont multipliées. Certains ont dit que dans la proposition " Ceci est mon corps ", le mot " ceci " comporte une démonstration pensée et non exercée, car toute cette proposition est prise matériellement, puisqu’elle est proférée par mode de récit. En effet le prêtre rapporte que le Christ a dit : " Ceci est mon corps. "

Mais cette position ne tient pas. Car, à ce compte, les paroles ne s’appliqueraient pas à la matière corporelle présente, et ainsi le sacrement ne se réaliserait pas. Car S. Augustin écrit : " La parole se joint à l’élément et voilà le sacrement. " D’ailleurs cette solution n’évite pas totalement la difficulté de notre problème : les mêmes arguments valent pour ces paroles prononcées la première fois par le Christ ; car il est évident qu’alors elles n’étaient pas employées matériellement, mais pour leur valeur de signification. Il faut donc dire que, même quand elles sont proférées par le prêtre, elles sont employées pour leur valeur de signification et non matériellement. Et il n’y a pas à objecter que le prêtre les profère par manière de récit, comme dites par le Christ. Car, à cause de la vertu infinie du Christ (de même qu’au contact de sa chair la vertu d’opérer une nouvelle naissance n’a pas atteint seulement les eaux touchées par le Christ mais toutes les eaux de la terre, et cela pour tous les siècles à venir), de même aussi, parce que ces paroles ont été émises par le Christ, elles ont obtenu une vertu consécratoire, quel que soit le prêtre qui les prononce, comme si le Christ les proférait présentement.

C’est pourquoi d’autres ont avancé que le mot " ceci ", dans cette proposition, adresse sa démonstration non pas aux sens mais à l’intellect. Le sens de " Ceci est mon corps " serait : " Ce qui est signifié par ceci est mon corps. "

Mais cela non plus ne peut tenir. Car puisque, dans les sacrements, est produit ce qui est signifié, cette forme ne ferait pas que le corps du Christ soit dans ce sacrement d’une façon réelle, mais seulement par mode de signe. Ce qui est hérétique, nous l’avons dit précédemment.

Et c’est pourquoi d’autres ont soutenu que le mot " ceci " adresse sa démonstration aux sens, mais que cette démonstration doit se comprendre non pas pour l’instant où ce mot est prononcé, mais pour le dernier instant de la proposition. Ainsi, lorsque quelqu’un dit : " Maintenant, je me tais ", l’adverbe " maintenant " indique l’instant qui suivra immédiatement le prononcé de la proposition. Le sens est : " Aussitôt après avoir dit ces paroles, je me tais. "

Mais ceci encore est insoutenable. Car, à ce compte, le sens de la proposition serait : " Mon corps est mon corps. " Or ce n’est pas l’objet de cette proposition, car les choses existaient ainsi même avant l’émission des paroles. Tel n’est donc pas le sens de cette proposition.

Il faut donc parler autrement. Comme on l’a vue, cette proposition a la vertu de réaliser la conversion du pain au corps du Christ. C’est pourquoi elle est dans le même rapport avec les autres propositions qui n’ont qu’une vertu significative et non réalisatrice, que la conception de l’intellect pratique, qui est réalisatrice, avec la conception de notre intellect spéculatif, qui est tirée du réel. Car " les mots sont les signes des idées ", selon Aristote. C’est pourquoi, de même que la conception de l’intellect pratique ne présuppose pas la réalité qu’elle conçoit mais la réalise, ainsi la vérité de notre proposition ne présuppose pas la réalité mais la produit. Tel est le rapport qui existe entre le verbe de Dieu et les réalités produites par ce verbe. Or cette conversion ne s’accomplit pas graduellement mais instantanément, comme on l’a vue. Il faut donc entendre cette proposition selon le dernier instant de l’émission des paroles ; non pas que l’on présuppose du côté du sujet ce qui est le terme de la conversion, c’est-à-dire que le corps du Christ soit le corps du Christ ; ni même cela qui existait avant la conversion, c’est-à-dire du pain ; mais ce qui est commun aux deux., comme contenu à la manière d’un genre commun à ces deux termes sous ces espèces. En effet, ces paroles ne font pas que le corps du Christ soit le corps du Christ, ni que le pain soit le corps du Christ ; mais que ce qui est contenu sous ces espèces, qui était d’abord du pain, soit le corps du Christ. C’est pourquoi, explicitement, le Seigneur n’a pas dit : " Ce pain est mon corps ", ce qui serait conforme à l’interprétation de la deuxième thèse ; ni : " Ce corps est mon corps ", ce qui serait conforme à l’interprétation de la troisième, mais, d’une façon indéterminée : " Ceci est mon corps ", sans mettre aucun nom du côté du sujet, mais seulement un pronom qui signifie la substance d’une façon globale, sans qualité, c’est-à-dire sans forme déterminée.

Solutions :

1. Le mot " ceci " désigne la substance, mais sans déterminer de nature particulière, on vient de le dire.

2. Le pronom " ceci " ne montre pas les accidents eux-mêmes, mais la substance contenue sous les accidents, laquelle était d’abord du pain et est ensuite le corps du Christ. Car si ces accidents n’informent pas celui-ci, ils le contiennent cependant.

3. La signification de cette proposition est comprise préalablement à la réalité signifiée selon l’ordre de nature, comme la cause est naturellement antérieure à l’effet, mais non selon l’ordre du temps, car cette cause cœxiste avec son effet. Et cela suffit pour que cette proposition soit vraie.

 

            Article 6 — Les relations entre les deux formes

Objections :

1. De même que le corps du Christ commence à exister dans ce sacrement par la consécration du pain, de même le sang commence à exister par la consécration du vin. Donc, si les paroles de la consécration du pain produisaient leur effet avant la consécration du vin, il s’ensuivrait que dans ce sacrement on produirait le corps du Christ privé de sang. Ce qui est inadmissible.

2. Un sacrement unique ne comporte qu’un seul achèvement. C’est pourquoi, bien que le baptême comporte une triple immersion, la première immersion n’obtient pas son effet avant que la troisième soit terminée. Mais tout ce sacrement ne fait qu’un seul sacrement, comme on l’a vu plus haut. Donc les paroles consécratoires du pain n’obtiennent pas leur effet sans les paroles sacramentelles qui consacrent le vin.

3. Dans la forme de consécration du pain, déjà, il y a plusieurs paroles, dont les premières ne produisent leur effet que lorsque la dernière a été prononcée, comme on l’a vu. Donc, en vertu du même raisonnement, les paroles qui consacrent le corps du Christ n’ont d’effet que lorsqu’on a prononcé les paroles qui consacrent le sang du Christ.

En sens contraire, aussitôt dites les paroles de consécration du pain, on offre l’hostie consacrée à l’adoration des fidèles. On ne le ferait pas s’il n’y avait pas là le corps du Christ, car ce serait de l’idolâtrie. Donc les paroles de la consécration du pain obtiennent leur effet avant que soient prononcées les paroles de la consécration du vin.

Réponse :

Certains docteurs anciens ont prétendu que ces deux formes, celles de la consécration du pain et du vin, s’attendent l’une l’autre pour agir, de telle façon que la première n’accomplit pas son effet avant que la seconde soit prononcée.

Mais cela est insoutenable. Car, comme on l’a vu, il est requis pour que la proposition : " Ceci est mon corps " soit vraie, à cause du verbe au présent, que la réalité signifiée cœxiste dans le temps avec la signification même de la proposition. Autrement, si l’on devait attendre pour l’avenir la réalisation de ce qui est signifié, on emploierait un verbe au futur et non au présent on ne dirait pas : " Ceci est mon corps ", mais " Ceci sera mon corps. " Or la signification de cette proposition est achevée aussitôt qu’est achevée l’émission de ces paroles. C’est pourquoi il faut que la réalité signifiée soit aussitôt présente, car elle est l’effet de ce sacrement ; autrement la proposition ne serait pas vraie. Cette thèse est contredite en outre par le rite de l’Église, qui adore le corps du Christ aussitôt après l’émission des paroles.

C’est pourquoi il ne faut pas dire que la première forme attend la seconde pour agir, mais qu’elle a son effet aussitôt.

Solutions :

1. C’est de ce raisonnement qu’est née l’erreur de ceux qui ont avancé la thèse susdites. Il faut donc comprendre que, après la consécration du pain, il y a là le corps du Christ en vertu du sacrement, et le sang en vertu de la concomitance réelle. Mais ensuite, après la consécration du vin, il y a là, inversement, le sang du Christ en vertu du sacrement et le corps du Christ en vertu de la concomitance réelle. Si bien que le Christ tout entier est présent sous chacune des deux espèces, comme on l’a déjà dit.

2. Ce sacrement est un par sa perfection, comme on l’a vu en commençant, c’est-à-dire en tant qu’il est constitué de deux choses : de nourriture et de boisson qui, toutes deux, possèdent par soi-même leur perfection. Tandis que les trois immersions du baptême sont ordonnées à un seul effet. C’est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

3. Les diverses paroles qui se trouvent dans la forme consécratoire du pain constituent la vérité d’une seule proposition ; ce qui n’est pas le cas pour les paroles des diverses formes. C’est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

 

 

QUESTION 79 — LES EFFETS DE CE SACREMENT

1. Ce sacrement confère-t-il la grâce ? - 2. L’effet de ce sacrement est-il l’obtention de la gloire, ? - 3. L’effet de ce sacrement est-il la rémission du péché mortel ? - 4. Le péché véniel est-il remis par ce sacrement ? - 5. Toute la peine du péché est-elle remise par ce sacrement ? - 6. Ce sacrement préserve-t-il des péchés futurs ? - 7. Ce sacrement profite-t-il à d’autres qu’à ceux le consomment ? - 8. Ce qui empêche l’effet de ce sacrement.

 

            Article 1 — Ce sacrement confère-t-il la grâce ?

Objections :

1. Ce sacrement est une nourriture spirituelle. Or on ne donne de nourriture qu’au vivant. Puisque la vie spirituelle est constituée par la grâce, ce sacrement ne convient qu’à celui qui a déjà la grâce. La grâce n’est donc pas conférée par ce sacrement, en tant qu’il donnerait la grâce première. Semblablement, il ne la donne pas davantage en tant qu’il augmenterait la grâce ; car la croissance spirituelle appartient, on l’a vu a, au sacrement de confirmation. La grâce n’est donc pas conférée par ce sacrement.

2. Ce sacrement est employé comme une réfection spirituelle. Mais la réfection spirituelle semble se rattacher davantage à l’utilisation de la grâce qu’au don de la grâce. Il apparaît donc que la grâce n’est pas conférée par ce sacrement.

3. Comme on l’a vu plus haut, dans ce sacrement " le corps du Christ est offert pour le salut du corps et le sang pour le salut de l’âme ". Mais ce n’est pas le corps qui est sujet de la grâce : c’est l’âme, comme on l’a montré dans la deuxième Partie. Donc, au moins à l’égard du corps, la grâce n’est pas conférée par ce sacrement.

En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (6, 52) : " Le pain que je donnerai, c’est ma chair, pour la vie du monde. " Mais la vie spirituelle est donnée par la grâce. Donc la grâce est conférée par ce sacrement.

Réponse :

L’effet de ce sacrement doit être considéré : 1° et à titre de principe à partir de ce qui est contenu dans ce sacrement, et qui est le Christ. Celui-ci, venant visiblement dans le monde, a apporté au monde la vie de la grâce (Jn 1, 17) : " La grâce et la vérité a été faite par Jésus-Christ. " Et de même, venant sacramentellement dans l’homme, il produit la vie de la grâce, selon cette parole (Jn 6, 58) : " Celui qui me mange vivra par moi. " Ce qui fait dire à S. Cyrille : " Le Verbe de Dieu vivifiant, s’unissant à la chair qui lui est propre, la rend vivifiante à son tour. Il convenait donc qu’il s’unisse d’une certaine façon à nos corps par sa chair sacrée et son sang précieux, que nous recevons pour une bénédiction vivifiante, dans le pain et le vin. "

2° On considère l’effet de ce sacrement à partir de ce qui est représenté par ce sacrement, et c’est, comme on l’a vu, la passion du Christ. Et c’est pourquoi ce sacrement opère dans l’homme l’effet que la passion du Christ a opéré dans le monde.

D’où cette parole de Chrysostome commentant S. Jean (19, 34) : " Aussitôt il jaillit du sang et de l’eau " : " Puisque c’est de là que les saints mystères tirent leur principe, lorsque tu t’approches de la coupe redoutable, c’est comme si tu t’approchais du côté du Christ pour y boire. " D’où cette parole du Seigneur lui-même, en S. Matthieu (26, 28) : " Ceci est mon sang, qui sera répandu pour vous, en rémission des péchés. "

3° On considère l’effet de ce sacrement à partir du mode selon lequel ce sacrement nous est donné ; or il est donné par mode de nourriture et de boisson. Aussi tout l’effet que la nourriture et la boisson matérielle produisent à l’égard de la vie matérielle - sustenter, accroître, réparer et délecter - tout cela, ce sacrement le fait à l’égard de la vie spirituelle. Ainsi S. Ambroise : " Ceci est le pain de la vie éternelle, qui fortifie la substance de notre âme. " Et Chrysostome, commentant S. Jean : " Il se présente à nous, qui désirons le toucher, le manger et l’embrasser. " Si bien que le Seigneur dit lui-même (Jn 6, 56) : " Ma chair est vraiment nourriture et mon sang est vraiment boisson. "

4° On considère l’effet de ce sacrement à partir des espèces sous lesquelles ce sacrement est donné. D’où cette parole de S. Augustin : " Notre Seigneur a présenté son corps et son sang dans ces éléments qui, à partir d’une multitude, sont réduits à l’unité car l’un ", le pain, " est une seule masse faite de multiples grains ; l’autre ", le vin, " est un seul liquide fait de multiples grappes ". Et il dit ailleurs : " Ô mystère de bonté, ô signe d’unité, ô lien de charité ! "

Et puisque le Christ et sa passion sont cause de la grâce, et que la réfection spirituelle et la charité ne peuvent exister sans la grâce : de tout ce qu’on vient de dire il apparaît avec évidence que ce sacrement confère la grâce.

Solutions :

1. On doit dire que ce sacrement possède par lui-même la vertu de conférer la grâce ; car personne ne possède la grâce avant la réception de ce sacrement à moins qu’il ne l’ait reçu par un certain vœu, soit par lui-même, comme les adultes, soit par le vœu de l’Église, comme les tout-petits, ainsi qu’on l’a dit plus haut. Aussi revient-il à l’efficacité de sa vertu, au moins par le vœu qu’on en a, qu’on obtienne la grâce par laquelle on est vivifié spirituellement. Il reste donc que, lorsque le sacrement est reçu réellement, la grâce est augmentée et la vie spirituelle perfectionnée. Mais c’est autrement que par le sacrement de confirmation, dans lequel la grâce est augmentée et perfectionnée pour nous faire tenir bon contre les assauts extérieurs des ennemis du Christ. Tandis que, par notre sacrement, la grâce est augmentée et la vie spirituelle perfectionnée pour que l’homme soit parfait en lui-même, par union à Dieu.

2. Ce sacrement confère la grâce d’une façon spirituelle, avec la vertu de charité. Aussi le Damascène compare-t-il ce sacrement à la braise de la vision d’Isaïe. Car " la braise n’est pas du bois ordinaire, mais du bois uni au feu : c’est ainsi que le pain de la communion n’est pas du pain 6rditaire, mais du pain uni à la divinité ". Comme le dit S. Grégoire : " L’amour de Dieu n’est pas oisif ; car, s’il existe, il fait de grandes choses. " Aussi ce sacrement, autant que cela dépend de sa vertu, non seulement confère l’habitus de la grâce et de la vertu, mais encore l’excite à produire son acte, comme dit S. Paul (2 Co 5, 14) : " La charité du Christ nous presse. " De là vient que, par la vertu de ce sacrement, l’âme est spirituellement restaurée, du fait qu’elle est délectée et d’une certaine manière enivrée par la douceur de la bonté divine, selon la parole du Cantique (5, 1) : " Mangez, mes amis, et buvez ; et enivrez-vous, mes bien-aimés. "

3. Parce que les sacrements opèrent le salut qu’ils signifient, on dit, selon une certaine assimilation, que, dans ce sacrement, " le corps est offert pour le salut du corps, et le sang pour le salut de l’âme ", bien que l’un et l’autre opèrent pour le salut de tous deux, puisque le Christ tout entier est sous chacun d’eux, comme on l’a vu. Et bien que le corps ne soit pas sujet immédiat de la grâce, cependant l’effet de la grâce rejaillit sur le corps ; puisque, présentement, " nous faisons de nos membres des armes pour la justice de Dieu " (Rm 6, 13) et que, dans l’avenir, notre corps partagera l’incorruption et la gloire de l’âme.

 

            Article 2 — L’effet de ce sacrement est-il l’obtention de la gloire ?

Objections :

1. L’effet est proportionné à sa cause. Mais ce sacrement convient aux voyageurs, d’où son nom de " viatique ". Donc, puisque les voyageurs ne sont pas encore capables de posséder la gloire, il apparaît que ce sacrement ne cause pas l’obtention de la gloire.

2. La cause suffisante étant posée, l’effet est posé. Mais beaucoup reçoivent ce sacrement, qui ne parviendront jamais à la gloire, comme le montre S. Augustin. Ce sacrement n’est donc pas cause de l’obtention de la gloire.

3. Un être plus grand n’est pas produit par un être moindre. Car rien n’agit au-delà de son espèce. Mais c’est chose moindre de recevoir le Christ sous une apparence étrangère, ce qui a lieu dans ce sacrement, que de jouir de lui sous son apparence propre, ce qui est le fait de la gloire. Donc ce sacrement ne cause pas l’obtention de la gloire.

En sens contraire, il est dit en S. Jean (6, 52) : " Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. " Mais la vie éternelle est la vie de la gloire. L’effet de ce sacrement est donc l’obtention de la gloire.

Réponse :

On peut considérer dans ce sacrement d’une part ce dont il tient son effet, c’est-à-dire le Christ en personne, qu’il contient, et sa passion, qu’il représente. Et d’autre part ce par quoi il produit son effet, c’est-à-dire l’usage du sacrement et les espèces sacramentelles. Et à ce double point de vue, il revient à ce sacrement de causer l’obtention de la vie éternelle. En effet le Christ en personne, par sa passion, nous a ouvert l’accès de la vie éternelle : " Il est médiateur de la nouvelle alliance pour que, par l’intermédiaire de sa mort, ceux qui sont appelés reçoivent l’éternel héritage promis " (He 9, 15). C’est pourquoi on dit, dans la forme de ce sacrement : " Ceci est la coupe de mon sang, de la nouvelle et éternelle alliance. " De même encore, la réfection produite par la nourriture spirituelle, et l’unité signifiée par les espèces du pain et du vin, sont bien possédées présentement, mais de manière imparfaite, alors qu’elles seront possédées de manière parfaite dans l’état de gloire. Aussi S. Augustin dit-il, sur le texte de S. Jean (6, 56) : " Ma chair est vraiment une nourriture " : " Puisque les hommes demandent à la nourriture et à la boisson de n’avoir plus faim ni soif, en vérité cela n’est accordé que par cette nourriture et cette boisson qui rendent ceux qui les consomment immortels et incorruptibles dans la société des saints, où il y aura la paix, et une unité complète et parfaite. "

Solutions :

1. La passion du Christ, en vertu de quoi ce sacrement opère, est bien cause suffisante de la gloire, mais non pas à ce point que par elle nous soyons introduits aussitôt dans la gloire : il faut d’abord " que nous souffrions avec lui ", pour ensuite " être glorifiés avec lui " (Rm 8, 17). De la même façon ce sacrement ne nous introduit pas aussitôt dans la gloire, mais il nous donne la force de parvenir à la gloire. Et c’est pourquoi il est appelé " viatique ". Ceci est figuré au 1er livre des Rois (19, 8), où l’on raconte qu’Élie " mangea et but, et il marcha, dans la force procurée par cette nourriture, pendant quarante jours et quarante nuits, jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu ".

2. La passion du Christ ne produit pas son effet chez ceux qui ne se comportent pas envers elle comme ils le doivent ; de même, ce sacrement ne procure pas la gloire à ceux qui ne le reçoivent pas comme il faut. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Le sacrement est une chose, et la vertu du sacrement en est une autre. Beaucoup participent à l’autel et y trouvent la mort. Mangez donc spirituellement le pain du ciel : présentez-vous à l’autel avec innocence. " Il n’y a donc pas à s’étonner si ceux qui ne gardent pas l’innocence n’obtiennent pas l’effet de ce sacrement.

3. Si l’on mange le Christ sous une apparence étrangère, cela tient à la notion même du sacrement, qui agit comme une cause instrumentale. Or rien n’empêche une cause instrumentale de produire un effet qui la dépasse, comme on l’a montré plus haut.

 

            Article 3 — L’effet de ce sacrement est-il la rémission du péché mortel ?

Objections :

1. On dit dans une oraison : " Que ce sacrement lave nos crimes. " Mais les " crimes " désignent les péchés mortels. Donc les péchés mortels sont lavés par ce sacrement.

2. Ce sacrement agit par la vertu de la passion du Christ, de même que le baptême. Mais nous avons vu que les péchés mortels sont remis par le baptême. Ils le sont donc aussi par ce sacrement ; d’autant plus qu’on dit, dans la forme de ce sacrement : " Qui sera répandu pour la multitude, en rémission des péchés. "

3. On vient de voir que la grâce est conférée par ce sacrement. Mais c’est par la grâce que l’homme est justifié des péchés mortels, selon S. Paul (Rm 3, 24) : " Nous avons été justifiés gratuitement par sa grâce. " Donc les péchés mortels sont remis par ce sacrement.

En sens contraire, on lit dans la 1ère aux Corinthiens (11, 29) : " Celui qui mange et boit indignement mange et boit son propre jugement. " Or la Glose dit à cet endroit que " celui qui mange et boit indignement, c’est celui qui est dans le crime, ou qui se comporte sans respect ; et celui-là mange et boit son propre jugement, c’est-à-dire sa damnation ". Donc celui qui est dans le péché mortel, du fait qu’il reçoit ce sacrement, accumule sur lui-même les péchés, plus qu’il n’obtient la rémission de son péché.

Réponse :

On peut considérer la vertu de ce sacrement en se plaçant à deux points de vue. On peut considérer le sacrement en lui-même. A ce point de vue, ce sacrement a la vertu qu’il faut pour remettre n’importe quels péchés, en vertu de la passion du Christ, qui est la source et la cause de la rémission des péchés.

Mais on peut se placer à un autre point de vue et considérer ce sacrement par rapport à celui qui le reçoit, selon qu’on trouve en lui, ou non, obstacle à percevoir l’effet de ce sacrement. Or quiconque a conscience d’un péché mortel possède en lui-même un obstacle à percevoir l’effet de ce sacrement, parce qu’il n’est pas un sujet adapté à ce sacrement ; d’une part, parce que spirituellement il n’a pas la vie, et ainsi il ne doit pas prendre une nourriture spirituelle, ce qui n’appartient qu’à un vivant ; d’autre part, parce qu’il ne peut pas s’unir au Christ, - ce que réalise ce sacrement -, aussi longtemps qu’il est attaché au péché mortel. C’est pourquoi il est dit, au livre des Croyances ecclésiastiques : " Si l’âme est attachée au péché, la réception de l’eucharistie la charge plus qu’elle ne la purifie. " Par conséquent, chez celui qui reçoit l’eucharistie avec la conscience d’un péché mortel, ce sacrement n’opère pas la rémission du péché.

Ce sacrement peut toutefois opérer la rémission du péché de deux façons. D’abord lorsqu’il n’est pas reçu effectivement, mais par vœu : c’est le cas de l’homme qui reçoit la justification première de son péché. Ensuite, lorsqu’il est reçu par un homme en péché mortel, mais qui n’a pas conscience de son péché et n’y est pas attaché. Peut-être en effet que, tout d’abord, il n’avait pas été suffisamment contrit ; mais, venant avec dévotion et respect, il obtiendra par ce sacrement la grâce de la charité, qui rendra parfaites sa contrition et la rémission de son péchés.

Solutions :

1. Nous demandons " que ce sacrement lave nos crimes ". Ou bien il s’agit de ceux dont nous n’avons pas conscience, selon la parole du Psaume (19, 13) : " Purifie-moi, Seigneur, des fautes qui me sont cachées " ; ou bien nous demandons que la contrition devienne parfaite en nous pour la rémission de nos péchés ; ou bien encore nous prions pour obtenir la force d’éviter les crimes.

2. Le baptême est une génération spirituelle, qui est un passage du non-être spirituel à l’existence spirituelle ; et il est donné par mode d’ablution. Aussi, à ces deux points de vue, il n’est pas illogique qu’un homme vienne au baptême avec la conscience du péché mortel. Mais, par l’eucharistie, l’homme absorbe le Christ par mode de nourriture spirituelle ; ce qui ne convient pas à celui dont ses péchés font un mort. C’est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

3. La grâce est cause suffisante de la rémission du péché mortel ; toutefois elle ne remet effectivement le péché mortel que lorsqu’elle est donnée au pécheur pour la première fois. Or ce n’est pas ainsi qu’elle est donnée dans ce sacrement. Par conséquent, l’argument ne porte pas.

 

            Article 4 — Le péché véniel est-il remis par ce sacrement ?

Objections :

1. Ce sacrement, dit S. Augustin, est " le sacrement de la charité ". Mais les péchés véniels ne sont pas contraires à la charité, comme on l’a vu dans la deuxième Partie. Puisque le contraire est enlevé par son contraire, il apparaît donc que les péchés véniels ne sont pas remis par ce sacrement.

2. Si les péchés véniels étaient remis par ce sacrement, la même raison pour laquelle un seul est remis ferait que tous le seraient. Mais il n’apparaît pas que tous soient remis ; autrement il arriverait souvent qu’on n’aurait aucun péché véniel, ce qui s’oppose à la parole de S. Jean (1 Jn 1, 8) : " Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-même. " Donc aucun péché véniel n’est remis par ce sacrement.

3. Les contraires s’excluent réciproquement. Mais les péchés véniels n’interdisent pas de recevoir ce sacrement, car la parole en S. Jean (6, 59) : " Si quelqu’un en mange, il ne mourra jamais " est ainsi commentée par S. Augustin " Approchez-vous de l’autel dans l’innocence pourvu que les péchés, fussent-ils quotidiens, ne soient pas mortels. " Donc les péchés véniels, eux non plus, ne sont pas ôtés par ce sacrement.

En sens contraire, Innocent III dit que ce sacrement " détruit le péché véniel et préserve des péchés mortels ".

Réponse :

On peut considérer deux choses dans ce sacrement : le sacrement lui-même, et la " réalité " du sacrement.

Et des deux côtés on voit que ce sacrement possède une vertu pour la rémission des péchés véniels. Car ce sacrement se prend sous l’aspect d’un aliment nourrissant. Or la nutrition procurée par l’aliment est nécessaire au corps pour restaurer ce que perd quotidiennement par l’action de la chaleur naturelle. Et, sur le plan spirituel, il se produit en nous, quotidiennement, une déperdition due à l’ardeur de la convoitise, par les péchés véniels qui diminuent la ferveur de la charité, comme on l’a montré dans la deuxième Partie. C’est pourquoi il appartient à ce sacrement de remettre les péchés véniels. Aussi S. Ambroise dit-il qu’on mange ce pain quotidien " pour remédier à la faiblesse quotidienne ".

Quant à la " réalité " de ce sacrement, c’est la charité, dont ce sacrement excite non seulement l’habitus, mais l’acte : c’est par là que les péchés véniels sont effacés. Il est donc évident que les péchés véniels sont remis par la vertu de ce sacrement.

Solutions :

1. Les péchés véniels, bien qu’ils ne s’opposent pas à la charité quant à son habitus, s’opposent cependant à la charité quant à la ferveur de son acte, qui est excitée par ce sacrement. C’est pour ce motif qu’il enlève les péchés véniels.

2. Il ne faut pas entendre cette parole de S. Jean en ce sens qu’il serait impossible, à aucun moment, de n’avoir à se reprocher aucun péché véniel, mais en ce sens que même les saints ne passent pas la vie présente sans commettre de péchés véniels.

3. La charité, que donne ce sacrement, a plus de force que les péchés véniels ; car la charité, par son acte, enlève les péchés véniels, et cependant ceux-ci ne peuvent totalement empêcher l’acte de la charité. Et le même raisonnement vaut pour ce sacrement.

 

            Article 5 — Toute la peine du péché est-elle remise par ce sacrement ?

Objections :

1. Par ce sacrement, l’homme reçoit en lui l’effet de la passion du Christ, on l’a dit a, de même que par le baptême. Mais par le baptême l’homme reçoit la rémission de toute la peine, en vertu de la passion du Christ, qui a suffisamment satisfait pour tous les péchés, comme on l’a montré plus haut. Il apparaît donc que, par ce sacrement, l’homme reçoit rémission de toute la dette de peine.

2. Le pape Alexandre dit : " Il ne peut rien y avoir dans les sacrifices de plus grand que le corps et le sang du Christ. " Mais par les sacrifices de l’ancienne loi l’homme satisfaisait pour ses péchés, car il est écrit dans le Lévitique (4 et 5) : " Si un homme a péché, qu’il offre (ceci ou cela) pour son péché, et son péché lui sera remis. " Donc, à bien plus forte raison, ce sacrement vaut-il pour la remise de toute la peine.

3. Il est évident que, par ce sacrement, quelque chose est acquitté de la dette de peine ; c’est pourquoi on enjoint à certains, comme satisfaction, de faire célébrer des messes pour eux-mêmes. Mais la raison pour laquelle une partie de la peine est remise vaut aussi pour le reste, puisque la vertu du Christ, qui est contenue dans ce sacrement, est infinie. Il apparaît donc que, par ce sacrement, toute la peine est enlevée.

En sens contraire, à ce compte, on ne devrait imposer à personne aucune autre peine, comme on fait pour celui qui vient de recevoir le baptême.

Réponse :

Ce sacrement est tout ensemble sacrifice et sacrement. Mais il a raison de sacrifice en tant qu’il est offert ; et il a raison de sacrement en tant qu’il est mangé. Et c’est pourquoi il produit l’effet du sacrement en celui qui mange, tandis qu’il produit l’effet du sacrifice en celui qui offre, ou en ceux pour qui il est offert.

Donc, si on le considère en tant que sacrement, il a un double effet : l’un directement, en vertu du sacrement ; l’autre en vertu d’une certaine concomitance, comme on l’a dit au sujet de ce qui est contenu dans le sacrements. En vertu du sacrement, il produit directement cet effet pour lequel il a été institué. Or, il n’a pas été institué en vue de satisfaire, mais pour produire une nutrition spirituelle par union au Christ et à ses membres, de même que la nourriture s’unit à celui qui est nourri. Mais, parce que cette unité se fait par la charité, dont la ferveur nous obtient la rémission non seulement de la faute, mais encore de la peine, il s’ensuit que, par voie de conséquence, grâce à une certaine concomitance qui accompagne l’effet principal, on obtient rémission de la peine ; non sans doute de la peine entière, mais selon la mesure de sa dévotion et de sa ferveur.

En tant qu’elle est sacrifice, au contraire, l’eucharistie a une puissance satisfactoire. Mais dans la satisfaction on considère davantage le sentiment de l’offrant que la quantité de l’oblation. Aussi le Seigneur dit-il en S. Luc (21, 4), au sujet de la veuve qui avait offert deux piécettes, qu’elle " a donné plus que tout le monde ". Aussi, bien que cette oblation de l’eucharistie, quant à sa quantité, suffise à satisfaire pour toute la peine, cependant elle a valeur satisfactoire à l’égard de ceux pour qui elle est offerte, ou même à l’égard de ceux qui l’offrent, selon la quantité de leur dévotion, et non pour toute la peine.

Solutions :

1. Le sacrement de baptême est directement ordonné à la rémission de la faute et de la peine, mais non l’eucharistie ; car le baptême est donné à l’homme comme mourant avec le Christ ; l’eucharistie lui est donnée comme devant être nourri et perfectionné par le Christ. La comparaison n’est donc pas valable.

2. Les autres sacrifices et oblations n’opéraient pas la rémission de toute la peine, ni selon la valeur de la chose offerte, comme c’est le cas dans notre sacrifice ; ni selon la dévotion de l’homme, à cause de laquelle il arrive, ici aussi, que toute la peine n’est pas ôtée.

3. Si, par ce sacrement, une partie seulement de la peine est ôtée et non la peine tout entière, cela ne vient pas d’une insuffisance de la vertu du Christ, mais d’une insuffisance de dévotion chez l’homme.

 

            Article 6 — Ce sacrement préserve-t-il des péchés futurs ?

Objections :

1. Beaucoup, qui prennent comme il faut ce sacrement, tombent ensuite dans le péché. Cela n’arriverait pas si ce sacrement préservait des péchés futurs. L’effet de ce sacrement n’est donc pas de préserver des péchés futurs.

2. L’eucharistie est " le sacrement de la charité ", on l’a déjà dite. Mais il n’apparaît pas que la charité préserve des péchés futurs. Car celui qui a possédé une fois la charité peut la perdre par le péché, comme on l’a établi dans la deuxième Partie. Il apparaît donc que ce sacrement non plus ne préserve pas l’homme du péché.

3. L’origine du péché en nous est " la loi du péché, qui est dans nos membres " (Rm 7, 23). Mais l’atténuation de ce foyer de convoitise qu’est la loi du péché n’est pas donnée comme l’effet de ce sacrement mais plutôt du baptême. Préserver des péchés futurs n’est donc pas l’effet de ce sacrement.

En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (6, 50) : " Tel est le pain qui descend du ciel, que celui qui en mange ne meurt pas. " Cela ne peut évidemment pas s’entendre de la mort corporelle. Il faut donc comprendre que ce sacrement préserve de la mort spirituelle, qui est le péché.

Réponse :

Le péché est comme la mort spirituelle de l’âme. On est donc préservé du péché futur à la manière dont le corps est préservé de la mort future. Cela se fait de deux façons. D’abord en ce que la nature de l’homme est fortifiée intérieurement contre les forces intérieures de destruction ; c’est ainsi qu’on est préservé de la mort par la nourriture et les remèdes. Ensuite parce qu’on est protégé contre les attaques extérieures ; et c’est ainsi qu’on est préservé par les armes dont on protège son corps.

Notre sacrement préserve du péché de ces deux façons. Car d’abord, du fait qu’il unit au Christ par la grâce, il fortifie la vie spirituelle de l’homme à la manière d’un aliment spirituel et d’un remède spirituel, selon cette parole du Psaume (104, 15) : " Le pain fortifie le cœur de l’homme. " Et S. Augustin dit : " Approche sans crainte, c’est du pain, non du poison. "

Puis, en tant que ce sacrement est un signe de la passion du Christ, par quoi les démons ont été vaincus, il repousse toute attaque des démons. D’où cette parole de Chrysostome : " Nous quittons cette table comme des lions, en soufflant le feu, devenus redoutables au démon. "

Solutions :

1. L’effet de ce sacrement est reçu dans l’homme selon sa condition d’homme, comme il arrive pour n’importe quelle cause active, dont l’effet est reçu dans une matière selon le mode de cette matière. Or l’homme, dans son état de voyageur, est dans une condition telle que son libre arbitre peut s’incliner au bien ou au mal 13. Aussi, bien que ce sacrement, autant qu’il dépend de lui, ait la vertu de préserver du péché, il n’enlève pourtant pas à l’homme la possibilité de pécher.

2. La charité aussi, autant qu’il dépend d’elle, préserve l’homme du péché : " L’amour du prochain ne fait pas le mal " (Rm 13, 10). Mais, à cause de l’inconstance du libre arbitre, il arrive qu’on pèche après avoir eu la charité ; de même après avoir reçu ce sacrement.

3. Bien que ce sacrement ne soit pas directement ordonné à l’atténuation du foyer, il l’atténue cependant en vertu d’une certaine conséquence, en tant qu’il accroît la charité. Car, dit S. Augustin : " L’accroissement de la charité est la diminution de la convoitise. " Et, directement, ce sacrement confirme le cœur de l’homme dans le bien. Par là encore, l’homme est préservé du péché.

 

            Article 7 — Ce sacrement profite-t-il à d’autres qu’à ceux qui le consomment ?

Objections :

1. Ce sacrement est du même genre que les autres, puisqu’on le comprend dans la même énumération. Or, les autres sacrements ne profitent qu’à ceux qui les reçoivent. Ainsi le baptisé seul reçoit l’effet du baptême. Donc ce sacrement, lui aussi, ne profite qu’à celui qui le consomme.

2. L’effet de ce sacrement est l’obtention de la grâce et de la gloire, et la rémission de la faute, au moins vénielle. Donc, si ce sacrement produisait un effet chez d’autres que ceux qui le consomment, il pourrait arriver que quelqu’un obtienne et la grâce, et la gloire, et la rémission de la faute, sans avoir rien fait ni rien subi lui-même, parce qu’un autre aurait consommé ou offert ce sacrement.

3. Multipliez la cause, et vous multipliez l’effet. Donc, si ce sacrement profitait à d’autres qu’à ceux qui le consomment, il s’ensuivrait qu’il profiterait davantage à quelqu’un, si beaucoup le consommaient en mangeant beaucoup d’hosties consacrées à une seule messe. Or, telle n’est pas la coutume de l’Église, à savoir que beaucoup communient pour le salut de quelqu’un. Il n’apparaît donc pas que ce sacrement profite à un autre qu’à celui qui le consomme.

En sens contraire, dans la célébration de ce sacrement, on prie beaucoup pour les autres. Ce serait en vain si ce sacrement ne profitait pas à d’autres. Donc il ne profite pas seulement à ceux qui le consomment.

Réponse :

Comme on l’a déjà dit, ce sacrement n’est pas seulement sacrement, il est encore sacrifice. Car en tant que, dans ce sacrement, la passion du Christ est rendue présente, par laquelle le Christ " s’est offert à Dieu en victime " (Ep 5, 2), il a raison de sacrifice. Mais en tant que, dans ce sacrement, la grâce est invisiblement donnée sous une apparence visible, il a raison de sacrement. Ainsi donc, ce sacrement profite à ceux qui le consomment et par mode de sacrement, et par mode de sacrifice, car il est offert pour tous ceux qui le consomment ; en effet on dit dans le canon de la messe : " Quand nous recevrons, en communiant ici à l’autel, le Corps et le Sang infiniment saints de ton Fils, puissions-nous tous être comblés des grâces et des bénédictions du ciel " Mais aux autres, qui ne le consomment pas, il profite par mode de sacrifice, en tant qu’il est offert pour leur salut ; aussi dit-on, au canon de la messe : " Souviens-toi, Seigneur, de tes serviteurs et de tes servantes... pour qui nous t’offrons, ou qui t’offrent eux-mêmes ce sacrifice de louange pour eux et pour tous les leurs, afin d’obtenir leur propre rédemption, la sécurité et le salut dont ils ont l’espérance. " Et le Seigneur a manifesté ce double profit lorsqu’il a dit en S. Matthieu (26, 28) : " qui pour vous " qui le consommez, " et pour beaucoup " d’autres, " sera répandu en rémission des péchés ".

Solutions :

1. Ce sacrement l’emporte sur les autres en ce qu’il est sacrifice. Par conséquent la comparaison ne vaut pas.

2. La passion du Christ profite bien à tous en tant queue est suffisante et pour la rémission de la faute, et pour l’obtention de la grâce et de la gloire, mais elle ne produit son effet qu’en ceux qui s’unissent à la passion du Christ par la foi et la charité ; de même ce sacrifice, qui est le mémorial de la passion du Seigneur, ne produit son effet qu’en ceux qui sont unis à ce sacrement par la foi et la charité. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Offre-t-on le corps du Christ, sinon pour ceux qui sont membres du Christ ? " Aussi, au canon de la messe, ne prie-t-on pas pour ceux qui sont hors de l’Église. Quant aux autres, il leur profite plus ou moins, selon la mesure de leur dévotion.

3. Consommer l’eucharistie ressortit à sa raison de sacrement ; mais l’offrir ressortit à sa raison de sacrifice. Et c’est pourquoi, du fait qu’un homme, ou même plusieurs, consomment le corps du Christ, cela n’augmente pas le secours que d’autres peuvent en recevoir. De même aussi, le fait qu’un prêtre consacre, à la même messe, un plus grand nombre d’hosties, ne multiplie pas l’effet de ce sacrement, parce qu’il n’y a jamais qu’un seul sacrifice. Car il n’y a pas plus de vertu dans un grand nombre d’hosties consacrées que dans une seule, puisque, dans toutes ou dans une seule, il n’y a jamais que le Christ tout entier. Et c’est pourquoi, si quelqu’un, au cours d’une seule messe, consomme beaucoup d’hosties consacrées, il ne participera pas à une plus grande efficacité du sacrement ; tandis qu’en un plus grand nombre de messes, l’oblation du sacrifice est multipliée. Et c’est pourquoi l’efficacité du sacrifice et du sacrement est alors multipliées.

 

            Article 8 — Ce qui empêche l’effet de ce sacrement

Objections :

1. Commentant S. Jean (6, 59) " Vos pères, ont mangé la manne ", S. Augustin dit : " Mangez spirituellement le pain du ciel, présentez-vous à l’autel avec innocence ; pourvu que les péchés, fussent-ils quotidiens, ne soient pas mortels. " Il en ressort que les péchés véniels, appelés ici quotidiens, n’empêchent pas la manducation spirituelle. Mais ceux qui mangent spirituellement perçoivent l’effet de ce sacrement. Donc les péchés véniels n’empêchent pas l’effet de ce sacrement.

2. En outre, ce sacrement n’a pas une moindre vertu que le baptême. Mais, on l’a dit plus haut, seule la " fiction " empêche l’effet du baptême, et les péchés véniels n’y ont pas de rapport, car, selon le livre de la Sagesse (1, 5) " L’Esprit-Saint, qui nous instruit, fuira l’homme menteur " ; et l’Esprit Saint n’est cependant pas mis en fuite par les péchés véniels. Donc l’effet de ce sacrement, lui non plus, n’est pas empêché par les péchés véniels.

3. Rien de ce qui est écarté par l’action d’une cause ne peut empêcher l’effet de cette cause. Mais les péchés véniels sont ôtés par ce sacrement. Ils n’empêchent donc pas son effet.

En sens contraire, le Damascène dit : " Que le feu du désir qui est en nous, accru par l’ardeur qui vient de cette braise ", c’est-à-dire de ce sacrement, " brûle nos péchés et illumine nos cœurs, pour que nous soyons transformés en feu et déifiés par la participation au feu divin ". Mais le feu de notre désir, c’est-à-dire de notre amour, est empêché par les péchés véniels, qui empêchent la ferveur de la charité, comme on l’a établi dans la deuxième Partie. Donc les péchés véniels empêchent l’effet de ce sacrement.

Réponse :

On peut prendre les péchés véniels à deux points de vue : selon qu’ils sont passés, ou selon qu’ils sont actuellement commis. Au premier point de vue, les péchés véniels n’empêchent aucunement l’effet de ce sacrement. Car il peut arriver que quelqu’un, après avoir commis de nombreux péchés véniels, s’approche avec dévotion de ce sacrement et en obtienne pleinement l’effet.

Au second point de vue, les péchés véniels n’empêchent pas totalement, mais partiellement, l’effet de ce sacrement. Car, nous l’avons dit, l’effet de ce sacrement n’est pas seulement l’obtention de la grâce habituelle ou de la charité, mais aussi une certaine réfection actuelle de douceur spirituelle. Or celle-ci est empêchée si quelqu’un s’approche de ce sacrement avec une âme distraite par les péchés véniels. Mais cela n’empêche pas l’accroissement de la grâce habituelle ou de la charité.

Solutions :

1. Celui qui s’approche de ce sacrement avec un péché véniel actuel, le mange spirituellement d’une façon habituelle, mais non actuelle. Par conséquent, il perçoit l’effet habituel de ce sacrement, mais non son effet actuel.

2 Le baptême n’est pas ordonné, comme ce sacrement, à l’effet actuel, c’est-à-dire à la ferveur de la charité. Car le baptême est une régénération spirituelle, par laquelle on acquiert la perfection première, qui est un habitus ou une forme ; tandis que ce sacrement est une manducation spirituelle, qui comporte une délectation actuelle.

3. Cet argument vaut pour les péchés véniels passés, qui sont ôtés par ce sacrement.

Il faut ensuite étudier l’usage, ou manducation de ce sacrement. D’abord en général (Q. 80) ; ensuite nous verrons comment le Christ a usé de ce sacrement (Q. 81).

 

 

QUESTION 80 — L’USAGE OU MANDUCATION DE CE SACREMENT, EN GÉNÉRAL

1. Y a-t-il deux manières de manger ce sacrement : sacramentellement et spirituellement ? 2. Le manger spirituellement convient-il seulement à l’homme ? - 3. Le manger sacramentellement convient-il seulement à l’homme juste ? - 4. Le pécheur commet-il un péché en le mangeant sacramentellement ? - 5. La gravité de ce péché. - 6. Doit-on repousser le pécheur qui vient à ce sacrement ? - 7. La pollution nocturne empêche-t-elle de recevoir ce sacrement ? - 8. Doit-il être reçu seulement par ceux qui sont à jeun ? - 9. Doit-on le proposer à ceux qui n’ont pas l’usage de la raison ? - 10. Faut-il le recevoir quotidiennement ? - 11. Est-il permis de s’en abstenir entièrement ? - 12. Est-il permis de recevoir le corps du Christ sans recevoir son sang ?

 

            Article 1 — Y a-t-il deux manières de manger ce sacrement — sacramentellement et spirituellement ?

Objections :

1. Le baptême est une régénération spirituelle, selon la parole du Seigneur en S. Jean (3, 5) : " Si quelqu’un ne tenait pas de l’eau et de l’Esprit Saint... " De même, ce sacrement est une nourriture spirituelle. Aussi le Seigneur dit-il à son sujet (Jn 6, 64) : " Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. " Mais à l’égard du baptême on ne distingue pas un double mode, sacramentel et spirituel. Cette distinction ne doit donc pas être employée non plus au sujet de notre sacrement.

2. Deux réalités, dont l’une est en vue de l’autre, ne doivent pas être distinguées comme appartenant à des espèces différentes, car l’une reçoit de l’autre son espèce. Mais la manducation sacramentelle s’ordonne à la manducation spirituelle comme à sa fin. On ne doit donc pas distinguer en les opposant manducation sacramentelle et manducation spirituelle.

3. Deux êtres, dont l’un ne peut exister sans l’autre, ne peuvent être distingués par opposition. Mais il apparaît que nul ne peut manger spirituellement s’il ne mange aussi sacramentellement ; autrement les Pères de l’ancienne loi auraient mangé spirituellement ce sacrement. En outre, la manducation sacramentelle serait inutile si l’on pouvait, sans elle, obtenir la manducation spirituelle. Il est donc illogique de distinguer deux manducations, l’une sacramentelle et l’autre spirituelle.

En sens contraire, le texte de S. Paul (1 Co 11, 29) : " Celui qui mange et boit indignement, etc. " est ainsi commenté par la Glose : " Nous disons qu’il y a deux manières de manger : l’une est sacramentelle, et l’autre spirituelle. "

Réponse :

Dans la manducation de ce sacrement, deux choses sont à considérer : le sacrement en lui-même, et son effet. Nous avons déjà parlé des deux. La manière parfaite de manger ce sacrement est celle où on le reçoit de telle façon qu’on perçoit son effet. Mais il arrive parfois, nous l’avons dit, qu’on soit empêché de percevoir l’effet de ce sacrement ; et cette manière de le manger est imparfaite. Puisque la différence entre le parfait et l’imparfait est un principe de division, la manducation sacramentelle, par laquelle on consomme le sacrement sans obtenir son effet, est distinguée, par opposition, de la manducation spirituelle par laquelle on perçoit l’effet de ce sacrement, lequel unit spirituellement au Christ par la foi et la charité.

Solutions :

1. Même à l’égard du baptême et des autres sacrements on emploie une distinction semblable, car certains reçoivent seulement le sacrement, tandis que d’autres reçoivent en outre la " réalité " du sacrement. Il y a cependant une différence, car, du fait que les autres sacrements s’accomplissent dans l’emploi de la matière, recevoir le sacrement est l’accomplissement même du sacrement. Tandis que l’eucharistie s’accomplit dans la consécration de la matière, si bien que l’usage, qu’il soit sacramentel ou spirituel, est consécutif au sacrement.

D’autre part, dans le baptême aussi, et dans les autres sacrements qui impriment un caractère, ceux qui reçoivent le sacrement obtiennent toujours un effet spirituel qui est le caractère, ce qui n’arrive pas dans l’eucharistie. Par conséquent, dans l’eucharistie, l’usage sacramentel se distingue davantage de l’usage spirituel que dans le cas du baptême.

2. La manducation sacramentelle qui produit la manducation spirituelle ne se distingue pas de celle-ci par opposition, mais elle y est incluse. La manducation sacramentelle, qu’on distingue par opposition de la manducation spirituelle, est celle qui n’atteint pas son effet ; c’est ainsi que l’être imparfait qui n’atteint pas à la perfection de l’espèce se distingue par opposition de l’être achevé.

3. Comme on l’a dit déjà, un homme peut percevoir l’effet du sacrement s’il possède celui-ci par vœu, bien qu’il ne le reçoive pas en réalité.

C’est ainsi que certains sont baptisés du " baptême d’Esprit ", à cause de leur désir du baptême, avant d’être baptisés du baptême d’eau ; et de même, certains mangent spirituellement ce sacrement avant de le consommer sacramentellement. Mais cela arrive de deux façons. La première vient du désir de manger le sacrement lui-même ; c’est ainsi qu’on dit qu’ils sont baptisés, ou qu’ils mangent spirituellement, mais non sacramentellement, ceux qui désirent recevoir ces sacrements depuis qu’ils sont institués. L’autre manière est figurative. C’est ainsi, d’après S. Paul, que les Pères de l’ancienne loi " ont été baptisés dans la nuée et dans la mer Rouge " et que " ils ont mangé la nourriture spirituelle et bu la boisson spirituelle " (1 Co 10, 2). Cependant la manducation sacramentelle n’est pas inutile ; car la réception même du sacrement produit l’effet du sacrement avec plus de plénitude que le simple désir, comme on l’a vu plus haut à propos du baptême.

 

            Article 2 — Manger spirituellement ce sacrement convient-il seulement à l’homme ?

Objections :

1. La parole du Psaume (78, 25) " L’homme a mangé le pain des anges " est ainsi commentée par la glose : " C’est-à-dire le corps du Christ, qui est vraiment la nourriture des anges. " Mais il n’en serait pas ainsi si les anges ne mangeaient pas spirituellement le Christ.

2. S. Augustin écrite : " Le Seigneur veut nous faire entendre que cette nourriture et cette boisson est la société de son corps et de ses membres, qui est l’Église dans les prédestinés. " Mais les hommes ne sont pas seuls à appartenir à cette société. Les saints anges aussi. Donc les saints anges mangent spirituellement l’eucharistie.

3. S. Augustin dit : " Il faut manger spirituellement le Christ, parce qu’il dit lui-même (Jn 6, 57) : "Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui." " Or cela ne convient pas seulement aux hommes, mais aussi aux saints anges, dans lesquels le Christ demeure par la charité, et eux en lui. Il apparent donc que la manducation spirituelle n’est pas réservée aux hommes, mais appartient aussi aux anges.

En sens contraire, S. Augustin écrit " Mangez spirituellement le pain pris à l’autel, approchez-vous de l’autel avec innocence. " Mais il n’appartient pas aux anges de s’approcher de l’autel, comme pour y prendre quelque chose. Il n’appartient donc pas aux anges de manger spirituellement l’eucharistie.

Réponse :

Ce sacrement contient bien le Christ lui-même, non pas sous son aspect propre, mais sous l’aspect du sacrement. On peut donc manger spirituellement le Christ lui-même de deux manières. Selon la première, on mange le Christ selon qu’il existe sous son aspect propre. C’est selon cette manière que les anges mangent spirituellement le Christ lui-même, en tant qu’ils lui sont unis par la jouissance de la charité parfaite et par la vision à découvert (c’est le pain que nous espérons manger dans la patrie), non par la foi, qui nous unit à lui ici-bas.

On peut manger spirituellement le Christ d’une seconde manière, en tant qu’il existe sous les espèces sacramentelles : c’est-à-dire en tant qu’on croit au Christ, avec le désir de manger ce sacrement. Et cela n’est pas seulement manger spirituellement le Christ, mais encore manger spirituellement ce sacrement. Cela n’appartient pas aux anges. C’est pourquoi, s’il est vrai que les anges mangent spirituellement le Christ, il ne leur convient pas de manger spirituellement ce sacrement.

Solutions :

1. La manducation du Christ dans ce sacrement est ordonnée, comme à sa fin, à la jouissance de la patrie : c’est ainsi que les anges jouissent de lui. Et puisque les moyens ordonnés à la fin découlent de cette fin, il s’ensuit que la manducation du Christ par laquelle nous le recevons dans ce sacrement découle en quelque sorte de la manducation par laquelle les anges jouissent du Christ dans la patrie. Et pour cette raison on dit que l’homme mange " le pain des anges " : parce que ce pain est, à titre premier et originel, celui des anges, qui jouissent de lui sous son aspect propre ; d’une façon seconde et dérivée, il est le pain des hommes, qui reçoivent le Christ sous ce sacrement.

2. A la société du corps mystique appartiennent et les hommes et les anges ; mais les hommes par la foi, et les anges par la vision à découvert. Or les sacrements sont proportionnés à la foi, par laquelle on voit la vérité " dans un miroir et d’une manière obscure ". Et c’est pourquoi, dans le régime actuel, à parler en rigueur de termes, ce n’est pas aux anges mais aux hommes qu’il appartient de manger spirituellement ce sacrement.

3. Le Christ demeure dans les hommes, selon leur état présent, par la foi ; mais il demeure dans les anges bienheureux par la vision à découvert. Et c’est pourquoi le cas est différent, comme on vient de le dire.

 

            Article 3 — Manger le Christ sacramentellement convient-il seulement à l’homme juste ?

Objections :

1. S. Augustin écrit " A quoi bon préparer tes dents et ton ventre ? Crois, et tu manges. Car croire en lui, c’est manger le pain vivant. " Mais le pécheur ne croit pas en lui, c’est-à-dire qu’il n’a pas la foi formée, qui consiste à croire " en Dieu ", comme on l’a établi dans la deuxième Partie. Le pécheur ne peut donc pas manger ce sacrement, qui est " le pain vivant ".

2. Ce sacrement est appelé par excellence " sacrement de la charité ", comme on l’a vu i. Mais de même que les infidèles sont privés de la foi, de même tous les pécheurs sont privés de la charité. Or, les infidèles ne semblent pas pouvoir manger sacramentellement ce sacrement, puisqu’on l’appelle, dans la formule sacramentelle, " le mystère de la foi ". Donc, pour la même raison, aucun pécheur ne peut manger sacramentellement le corps du Christ.

3. Le pécheur est plus abominable à Dieu que la créature privée de raison, car le Psaume (49, 2 1) dit, au sujet du pécheur : " L’homme établi dans les honneurs a manqué d’intelligence, il a été mis au rang des bêtes sans raison, et il leur est devenu semblable. " Mais la bête sans raison, comme une souris ou un chien, ne peut recevoir ce sacrement, de même queue ne peut recevoir le sacrement de baptême. Donc, pour la même raison, aucun pécheur ne peut manger sacramentellement le corps du Christ.

En sens contraire, la parole du Seigneur en S. Jean (6, 59) : " Si quelqu’un en mange, il ne mourra pas " est ainsi commentée par S. Augustin : " Beaucoup mangent à l’autel et y trouvent la mort ; d’où la parole de l’Apôtre -. "Il mange et boit son jugement." " Mais il n’y a que les pécheurs qui meurent du fait de la communion. Donc les pécheurs aussi mangent sacramentellement le corps du Christ, et pas seulement les justes.

Réponse :

Certains théologiens anciens se sont trompés à ce sujet, affamant que le corps du Christ n’est pas même mangé sacramentellement par les pécheurs, mais que, aussitôt qu’il touche les lèvres du pécheur, le corps du Christ cesse d’exister sous les espèces sacramentelles.

Mais cette position est erronée. Car elle déroge à la vérité de ce sacrement ; celle-ci implique, nous l’avons dit, que le corps du Christ ne cesse pas d’exister sous les espèces sacramentelles tant que celles-ci subsistent. Or les espèces subsistent, nous l’avons dit, aussi longtemps que subsisterait la substance du pain, si elle était là. Et il est évident que la substance du pain, lorsqu’elle est absorbée par un pécheur, ne disparaît pas aussitôt, mais queue demeure jusqu’à l’achèvement de la digestion par la chaleur naturelle. En conséquence est-ce aussi longtemps que le corps du Christ subsiste sous les espèces sacramentelles absorbées par le pécheur. On doit donc affirmer que le pécheur peut, lui aussi, manger sacramentellement le corps du Christ, et que ce n’est pas réservé au juste.

Solutions :

1. Ces paroles et d’autres semblables doivent s’entendre de la manducation spirituelle, qui ne convient pas aux pécheurs. C’est une mauvaise intelligence de ces paroles qui a amené l’erreur réfutée ci-dessus, parce que ses auteurs n’ont pas su distinguer entre manducation corporelle et manducation spirituelle.

2. Même si c’est un infidèle qui mange les espèces sacramentelles, il mange le corps du Christ dans le sacrement. C’est pourquoi l’on peut dire qu’il mange sacramentellement, si l’on détermine par cet adverbe ce qui est mangé. Mais si l’on se met au point de vue de celui qui mange, alors, à proprement parler, il ne mange pas sacramentellement, parce qu’il ne traite pas ce qu’il mange comme un sacrement, mais comme un aliment ordinaire. Sauf peut-être si cet infidèle avait l’intention de recevoir ce que l’Église confère, quand bien même il n’aurait pas la vraie foi à l’égard des autres articles, ou même à l’égard de ce sacrement.

3. Même si une souris ou un chien mange une hostie consacrée, la substance du corps du Christ ne cesse pas d’exister sous les espèces aussi longtemps que ces espèces subsistent, c’est-à-dire aussi longtemps que la substance du pain subsisterait ; il en serait encore de même si l’hostie était jetée dans la boue. Et cela n’attente en rien à la dignité du corps du Christ, lequel a voulu être crucifié par les pécheurs sans que sa dignité en fût abaissée, d’autant plus que la souris ou le chien ne toucherait pas le corps du Christ sous son aspect propre, mais seulement sous les espèces sacramentelles.

Certains auteurs ont bien dit que, dès que le sacrement est touché par une souris ou un chien, aussitôt le corps du Christ cesse de s’y trouver. Cela encore déroge à la vérité du sacrement, comme on l’a dit ci-dessus.

Il ne faut pas dire, cependant, que l’animal sans raison mange sacramentellement le corps du Christ, car par sa nature il ne peut pas le traiter comme un sacrement. Ce n’est donc pas sacramentellement, mais c’est par accident qu’il mange le corps du Christ, comme un homme qui mangerait une hostie consacrée sans savoir qu’elle est consacrée. Et puisque ce qui est tel par accident ne forme pas une espèce, dans aucun genre, par conséquent cette manière de manger le corps du Christ ne peut former une troisième manière qu’on distinguerait de la manducation sacramentelle et de la manducation spirituelle.

 

            Article 4 — Le pécheur commet-il un péché en mangeant sacramentellement le corps du Christ ?

Objections :

1. Le Christ ne jouit pas, sous les espèces sacramentelles, d’une dignité supérieure à celle dont il jouit sous son aspect propre. Mais les pécheurs qui touchaient le corps du Christ dans sa nature propre ne péchaient pas ; bien au contraire, ils recevaient le pardon de leurs péchés, comme la pécheresse de S. Luc (7, 36). Et S. Matthieu dit (14, 36) : " Tous ceux qui touchaient la frange de son vêtement ont été sauvés. " Donc ils ne pèchent pas, mais au contraire ils obtiennent le salut en mangeant le sacrement du corps du Christ.

2. Ce sacrement est, comme les autres, un remède spirituel. Mais on administre un remède aux malades pour les sauver ; le Seigneur dit en S. Matthieu (9, 12) : " Ce ne sont pas les bien portants mais les mal portants qui ont besoin de médecin. " Or, les malades ou les mal portants, dans le domaine spirituel, ce sont les pécheurs. Donc ceux-ci peuvent manger ce sacrement sans pécher.

3. Ce sacrement, puisqu’il contient le Christ, appartient à la catégorie des biens suprêmes, que S. Augustin définit : " Ceux dont nul ne peut faire mauvais usage. " Or nul ne pèche sinon en faisant mauvais usage d’une chose. Donc aucun pécheur ne commet de péché en mangeant ce sacrement.

4. Ce sacrement est perçu par la vue tout aussi bien que par le goût et par le toucher. Donc, si un pécheur commettait un péché en prenant ce sacrement, il pécherait aussi en le voyant. Ce qui est évidemment faux, puisque l’Église propose ce sacrement à la vue et à l’adoration de tous. Donc un pécheur ne commet pas de péché du fait qu’il mange ce sacrement.

5. Il arrive parfois qu’un pécheur n’a pas conscience de son péché. Et cependant il ne semble pas qu’un tel homme commette un péché en mangeant le corps du Christ ; car, à ce compte, tous ceux qui le mangent commettraient un péché, comme s’exposant au danger, puisque l’Apôtre dit (1 Co 4, 4) : " Ma conscience ne me reproche rien, mais je n’en suis pas justifié pour autant. " Il n’apparaît donc pas que le pécheur tombe dans une nouvelle faute s’il mange ce sacrement.

En sens contraire, S. Paul dit (1 Co 11, 29) " Celui qui mange et qui boit indignement mange et boit son propre jugement ", c’est-à-dire sa condamnation. Et la Glose précise ce passage : " Il mange et boit indignement, celui qui est dans le péché, ou qui traite le sacrement avec irrévérence. " Donc celui qui est dans le péché mortel, s’il reçoit ce sacrement, acquiert sa condamnation, en commettant un nouveau péché mortel.

Réponse :

Dans ce sacrement comme dans les autres, ce qui est sacrement est signe de ce qui est la réalité du sacrement. Or celle-ci est double, nous l’avons vu. L’une est signifiée et contenue, c’est le Christ lui-même. L’autre est signifiée et non contenue, c’est le corps mystique du Christ, c’est-à-dire la société des saints. Quiconque mange ce sacrement signifie donc par là même qu’il est uni au Christ et incorporé à ses membres. C’est là le fait de la foi formée, qui ne cœxiste jamais avec le péché mortel. Il est évident, par conséquent, que quiconque mange ce sacrement avec un péché mortel commet une fausseté dans ce sacrement. Il encourt donc le sacrilège, comme violant le sacrement. Et c’est pour cela qu’il commet un nouveau péché mortel.

Solutions :

1. Le Christ qui se manifestait sous son aspect propre ne s’offrait pas au contact des hommes en signe d’union spirituelle avec lui, ainsi qu’il le fait à ceux qui vont le manger dans ce sacrement. Par conséquent les pécheurs qui le touchaient sous son aspect propre n’encouraient pas le crime de fausseté à l’égard des réalités divines, comme les pécheurs qui mangent ce sacrement.

En outre, le Christ présentait encore " une chair semblable à celle du péché " : il était donc normal qu’il s’offrît au contact des pécheurs. Mais lorsque cette ressemblance fut écartée par la gloire de la résurrection, il interdit de le toucher à la femme dont la foi était insuffisante à son égard. Aussi lui dit-il, en S. Jean (20, 17) : " Ne me touche pas : car je ne suis pas encore monté vers mon Père " c’est-à-dire " dans ton cœur ", commente S. Augustin. Par conséquent les pécheurs, qui manquent de foi formée envers le Christ, se voient interdire le contact de ce sacrement.

2. N’importe quel remède ne convient pas ; cela dépend de l’état du malade. Le fortifiant qu’on donne à un malade dont la fièvre est tombée ferait du mal à un fiévreux. C’est ainsi que le baptême et la pénitence sont comme des remèdes destinés à purifier de la fièvre du péché, tandis que ce sacrement est un fortifiant, réservé à ceux qui sont délivrés du péché.

3. Par ces " biens suprêmes ", S. Augustin entend les vertus de l’âme " dont nul ne peut faire mauvais usage ", pour en faire les principes d’un usage mauvais. Mais on peut en faire mauvais usage, à titre d’objets de celui-ci : on le voit bien chez ceux qui tirent orgueil de leurs vertus. C’est ainsi que ce sacrement, autant qu’il est en lui, n’est pas principe, mais peut être objet d’un mauvais usage. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Beaucoup reçoivent indignement le corps du Christ ; cela nous enseigne combien il faut se garder de mal user d’une bonne chose. Voilà en effet que le mal s’accomplit par le bien, lorsqu’une chose bonne est prise de mauvaise façon. Le contraire est arrivé à l’Apôtres lorsqu’il prit le mal de bonne façon, c’est-à-dire lorsqu’il supporta avec patience l’aiguillon de Satan. "

4. Par la vue on ne perçoit pas le corps même du Christ, mais seulement son sacrement, c’est-à-dire que la vue n’atteint pas la substance du corps du Christ, mais seulement les espèces sacramentelles, comme on l’a déjà dit. Tandis que celui qui mange, ne mange pas seulement les espèces sacramentelles mais aussi le Christ qui leur est présent. Par suite, la vue du corps du Christ n’est interdite à aucun de ceux qui ont reçu le sacrement du Christ, à savoir le baptême. Tandis que les non-baptisés ne sont même pas admis à regarder ce sacrement, comme le montre Denys. Mais on ne doit admettre à manger le sacrement que ceux qui sont unis au Christ, non seulement sacramentellement, mais encore réellement.

5. Si quelqu’un n’a pas conscience de son péché, cela peut arriver de deux façons. Ou bien c’est sa faute : soit que, par son ignorance du droit, laquelle n’est pas excusante, il ne tienne pas pour péché ce qui est péché, par exemple si un fornicateur estime que la fornication simple n’est pas un péché mortel ; soit qu’il s’examine avec négligence, contrairement au précepte de l’Apôtre (1 Co 11, 28) : " Que chacun se scrute soi-même, et qu’alors seulement il mange de ce pain et boive à cette coupe. " En ce cas le pécheur ne commet pas moins un nouveau péché en mangeant le corps du Christ, bien qu’il n’ait pas c science de son péché, car cette ignorance même est chez lui un péché.

Ou bien cela peut arriver sans qu’il commette de faute - par exemple le pécheur a regretté son péché, mais sa contrition n’était pas suffisante. Dans ce cas il ne pèche pas en mangeant le corps du Christ, parce que l’homme ne peut savoir avec certitude s’il a une véritable contrition. Car il suffit qu’il trouve en lui des signes de contrition, par exemple qu’il s’afflige des péchés passés et se propose de prendre garde aux péchés futurs.

S’il ignore que ce qu’il a fait était un péché, en raison de son ignorance du fait, laquelle est excusante, par exemple s’il s’est approché d’une femme étrangère en croyant que c’était sa femme, on ne doit pas pour cela le déclarer pécheur.

De même encore, s’il a totalement oublié son péché, il suffit, pour effacer celui-ci, d’une contrition générale, comme on le dira plus loin. Il ne faut donc plus le déclarer pécheur.

 

            Article 5 — La gravité de ce péché

Objections :

1. Sur la parole de S. Paul (1 Co 11, 27) : " Quiconque mangera indignement le pain et boira indignement le calice du Seigneur, sera coupable du corps et du sang du Seigneur ", la Glose commente : " Il sera puni comme s’il avait tué le Christ. " Mais il semble que le péché de ceux qui ont tué le Christ fut le plus grave de tous. Le péché de celui qui s’approche de la table du Seigneur en ayant conscience d’un péché est donc le plus grave de tous les péchés.

2. S. Jérôme écrit : " Qu’as-tu à faire avec les femmes toi qui, à l’autel, converses avec Dieu ? Dis-moi, prêtre, dis-moi, clerc, comment baises-tu le Fils de Dieu avec les mêmes lèvres dont tu as baisé les lèvres de la prostituée ? Ô Judas, c’est par un baiser que tu trahis le Fils de l’homme " Ainsi apparaît-il que le débauché qui s’approche de la table du Christ pèche comme a péché Judas, dont le péché fut le plus grave. Mais beaucoup de péchés sont plus graves que le péché de débauche ; et surtout le péché d’infidélité. Donc le péché de n’importe quel pécheur qui s’approche de la table du Christ est le plus grave de tous.

3. L’impureté spirituelle est plus abominable à Dieu que l’impureté corporelle. Mais si un homme jetait le corps du Christ dans la boue ou dans le fumier, son péché serait considéré comme très grave. Il pèche donc plus gravement encore s’il le mange en état de péché, ce qui est l’impureté spirituelle. Donc ce péché est le plus grave de tous.

En sens contraire, sur cette parole en S. Jean (15, 22) : " Si je n’étais pas venu, et si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché ", S. Augustin" explique qu’il faut l’entendre du péché d’infidélité " qui englobe tous les péchés ". Il apparaît ainsi que ce péché n’est pas le plus grave de tous, mais plutôt le péché d’infidélité.

Réponse :

Comme on l’a établi dans la deuxième Partie, un péché peut être dit plus grave qu’un autre de deux façons : par soi, ou par accident. Par soi, c’est-à-dire selon sa notion spécifique, qui se prend du côté de son objet. A ce titre, plus le bien auquel le péché s’oppose est important, plus le péché est grave. Et parce que la divinité du Christ l’emporte sur son humanité, et que son humanité l’emporte sur les sacrements de son humanité, il s’ensuit que les péchés les plus graves sont ceux que l’on commet contre la divinité elle-même, comme le péché d’infidélité et le péché de blasphème. En deuxième lieu, vient la gravité des péchés commis contre l’humanité du Christ ; d’où cette sentence en S. Matthieu (12, 32) : " Quiconque dira une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera pardonné ; mais pour qui l’aura dite contre l’Esprit Saint, il n’y aura de pardon ni dans ce monde-ci, ni dans le monde à venir. " En troisième lieu viennent les péchés commis contre les sacrements, lesquels se rattachent à l’humanité du Christ. Et après ceux-là viennent les autres péchés, contre les simples créatures.

Mais par accident, un péché est plus grave qu’un autre du côté de celui qui pèche. Par exemple le péché qui vient de l’ignorance ou de la faiblesse est plus léger que celui qui vient du mépris ou d’une connaissance certaine ; et la même considération vaut pour les autres circonstances. A ce titre, ce péché peut être plus grave chez certains, comme chez ceux qui s’approchent de ce sacrement par mépris actuel, avec conscience de leur péché ; chez d’autres il sera moins grave, par exemple chez ceux qui s’approchent de ce sacrement avec conscience de leur péché, parce qu’ils craignent de dévoiler celui-ci.

On voit ainsi que ce péché est plus grave que beaucoup d’autres objectivement, en raison de son espèce, mais qu’il n’est pas le plus grave de tous.

Solutions :

1. Le péché de ceux qui mangent indignement ce sacrement est comparé au péché des meurtriers du Christ parce que ces deux péchés se ressemblent, étant commis contre le corps du Christ ; mais ils diffèrent quant à la gravité du crime. Car le péché des meurtriers du Christ fut beaucoup plus grave. D’abord parce que leur péché s’attaqua au corps du Christ sous son aspect propre, tandis que celui dont nous parlons affecte le corps du Christ sous son aspect sacramentel. Ensuite parce que le péché des meurtriers venait de l’intention de nuire au Christ, à la différence du péché qui nous occupe.

2. Le débauché qui reçoit le corps du Christ est comparé à judas donnant un baiser au Christ, selon une ressemblance dans leur crime parce que tous deux offensent le Christ avec le signe de l’amour, mais non pas quant à la gravité du crime, comme on vient de le dire. Et cette ressemblance s’applique aussi bien aux autres pécheurs qu’aux débauchés ; car tous les péchés mortels s’opposent à l’amour du Christ, dont ce sacrement est le signe, et d’autant plus que les péchés sont plus graves. Cependant, à un certain point de vue, le péché d’impureté rend l’homme moins capable de recevoir ce sacrement, en tant que par ce péché l’esprit est davantage soumis à la chair, et qu’ainsi la ferveur de la dilection, requise dans ce sacrement, se trouve empêchée.

Mais l’obstacle qui s’oppose à la charité en elle-même a plus de poids que celui qui entrave sa ferveur. C’est pourquoi le péché d’infidélité, qui sépare radicalement l’homme de l’unité de l’Église, à parler dans l’absolu, rend l’homme tout à fait incapable de recevoir ce sacrement, qui est le sacrement de l’unité ecclésiastique, comme nous l’avons dit. Par conséquent l’infidèle en recevant ce sacrement pèche plus gravement que le fidèle pécheur ; et il méprise davantage le Christ en tant qu’il est dans ce sacrement, surtout s’il ne croit pas que le Christ y est vraiment. Car, autant qu’il dépend de lui, il diminue la sainteté de ce sacrement, ainsi que la vertu du Christ qui opère dans ce sacrement, ce qui est mépriser précisément le sacrement en lui-même. Tandis que le fidèle qui le mange avec conscience de son péché ne méprise pas ce sacrement en lui-même mais plutôt dans son usage, en le recevant indignement. Aussi l’Apôtre pour définir le motif de ce péché, dit-il (1 Co 11, 29) qu’on " ne discerne pas le corps du Seigneur ", c’est-à-dire qu’on ne le distingue pas des autres nourritures ; et c’est ce que fait au suprême degré celui qui ne croit pas à la présence du Christ dans ce sacrement.

3. Celui qui jetterait ce sacrement dans la boue pécherait beaucoup plus gravement que celui qui s’en approche avec la conscience d’un péché mortel. D’abord parce qu’il le ferait dans l’intention de souiller ce sacrement ; ce qui n’est pas l’intention du pécheur recevant indignement le corps du Christ.

Ensuite parce que l’homme pécheur est capable de grâce ; il est donc davantage en mesure de recevoir ce sacrement que n’importe quelle créature dénuée de raison. Il traiterait donc ce sacrement de la façon la plus contraire à son institution, celui qui le jetterait pour être mangé par les chiens ou pour être piétiné dans la boue.

 

            Article 6 — Doit-on repousser le pécheur qui vient à ce sacrement ?

Objections :

1. On ne doit jamais enfreindre un précepte du Christ, ni pour éviter le scandale, ni pour épargner le déshonneur à qui que ce soit. Mais le Seigneur a donné ce précepte (Mt 7, 6) : " Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré. " C’est ce qu’on fait au plus haut point lorsqu’on accorde ce sacrement aux pécheurs. Donc, ni pour éviter le scandale, ni pour éviter le déshonneur à qui que ce soit, on ne doit donner ce sacrement au pécheur qui le demande.

2. De deux maux il faut choisir le moindre. Mais il semble qu’il y ait un moindre mal si un pécheur est diffamé, ou même si on lui donne une hostie non consacrée, que s’il mange le corps du Christ et pèche ainsi mortellement. Il semble donc qu’on doit choisir plutôt de diffamer le pécheur qui demande le corps du Christ, ou de lui donner une hostie non consacrée.

3. On donne parfois le corps du Christ à ceux qui sont suspects d’un crime, pour les démasquer. On lit en effet dans les Décrets : " Il arrive souvent que des vols soient commis dans les monastères. Aussi avons-nous décidé que, quand les frères eux-mêmes doivent se justifier de tels crimes, la messe soit célébrée par l’abbé, ou par un des frères présents, et qu’à la fin de la messe, tous communient avec ces paroles : " Voici le corps du Christ, pour te servir d’épreuve aujourd’hui. " Et plus loin : " Si l’on accuse un évêque ou un prêtre d’un maléfice, il doit chaque fois célébrer la messe et communier, et chaque fois montrer qu’il est innocent de ce dont on l’accuse. " Mais il ne faut pas dénoncer les pécheurs occultes, parce que, s’ils ont perdu toute vergogne, ils pécheront plus hardiment, dit S. Augustin. Donc on ne doit pas donner le corps du Christ aux pécheurs occultes, même s’ils le demandent.

En sens contraire, sur la parole du Psaume (22, 30) : " Tous les puissants de la terre mangeront et adoreront ", S. Augustin dit : " Le ministre sacramentel n’interdisait pas aux puissants de la terre ", c’est-à-dire aux pécheurs, " de manger à la table du Seigneur ".

Réponse :

Au sujet des pécheurs, il faut distinguer. Les uns sont des pécheurs occultes. D’autres sont des pécheurs publics, soit parce que le fait est évident, comme pour les usuriers et les brigands avérés, ou bien par suite d’un jugement ecclésiastique ou civil. Aux pécheurs publics, on ne doit pas, même s’ils la demandent, donner la sainte communion. Aussi S. Cyprien écrit-il : " Dans ta charité, tu as jugé bon de me consulter sur ce que je pense des comédiens et de ce magicien qui, installé chez vous, s’obstine encore dans ses pratiques infâmes : faut-il leur donner la sainte communion avec les autres chrétiens ? Je pense qu’il ne convient ni à la majesté divine, ni à l’enseignement de l’Évangile que la pureté et l’honneur de l’Église soient souillés par un contact aussi honteux et infâme. "

Mais si, au lieu d’être des pécheurs publics, ce sont des pécheurs occultes, on ne peut leur refuser la sainte communion, s’ils la demandent. Puisque tout chrétien, du fait même qu’il a été baptisé, a été admis à la table du Seigneur, on ne peut le priver de son droit que pour un motif manifeste. C’est pourquoi, sur le texte (1 Co 5, 11) : " Si quelqu’un parmi vous porte le nom de frère... " la glose d’Augustin donne cette explication : " Nous ne pouvons interdire la communion à qui que ce soit, à moins qu’il ait avoué de lui-même, ou qu’il ait été cité et confondu par un jugement ecclésiastique ou civil. "

Cependant, le prêtre qui a connaissance d’un crime peut avertir en secret le pécheur occulte, ou avertir en public tous les fidèles d’une façon générale, de ne pas s’approcher de la table du Seigneur avant de s’être repentis et de s’être réconciliés avec l’Église. Car, après la pénitence et la réconciliation, on ne doit pas refuser la communion même aux pécheurs publics, surtout à l’article de la mort. Aussi trouve-t-on cette prescription dans un concile de Carthage : " Aux comédiens et aux gens de condition analogue, ou aux apostats, qui sont revenus à Dieu, qu’on ne refuse pas la réconciliation. "

Solutions :

1. Il est interdit de donner les choses saintes aux " chiens ", c’est-à-dire aux pécheurs publics. Mais on ne peut pas punir publiquement les péchés occultes : il faut les laisser au jugement de Dieu.

2. Sans doute, qu’un pécheur occulte commette un nouveau péché mortel en mangeant le corps du Christ, cela est pire que sa diffamation ; cependant, pour le prêtre qui donne le corps du Christ, il est pire de pécher mortellement en diffamant injustement un pécheur occulte que de permettre à celui-ci de pécher lui-même mortellement. Car personne ne peut commettre un péché mortel pour délivrer autrui du péché. Aussi S. Augustin dit-il : " Il serait très dangereux d’admettre cet échange, de faire nous-mêmes quelque chose de mal pour qu’un autre ne fasse pas un mal plus grave. " Cependant le pécheur occulte devrait choisir plus volontiers d’être diffamé que d’approcher indignement de la table du Seigneur.

En tout cas on ne doit pas donner une hostie non consacrée à la place d’une hostie consacrée ; car le prêtre qui ferait cela, autant qu’il dépendrait de lui, ferait commettre une idolâtrie à ceux qui croient l’hostie consacrée, qu’il s’agisse des autres assistants, ou du communiant lui-même. Comme dit S. Augustin : " Que personne ne mange la chair du Christ qu’il ne l’ait d’abord adorée. " Aussi est-il écrit dans la décrétale sur la célébration de la messe : " Bien que celui qui a conscience d’un crime et se juge indigne pèche gravement s’il passe outre, cependant il semble plus coupable, celui qui a l’audace d’accomplir une démarche simulée. "

3. Ces décrets ont été abrogés par des documents En sens contraire des pontifes romains. Le pape Étienne dit en effet : " Les sacrés canons ne permettent pas d’extorquer un aveu à qui que ce soit par l’épreuve du fer rouge ou de l’eau bouillante. Dans notre droit, les délits doivent être jugés sur un aveu spontané, ou sur une preuve faite par l’audition publique de témoins. Quant aux délits occultes et inconnus, il faut les laisser à celui qui, seul, connaît les cœurs des enfants des hommes. " Et l’on trouve la même décision dans la décrétale sur les expiations car en tout cela, on semble tenter Dieu ; aussi de tels procédés ne peuvent-ils être employés sans péché. Et il semblerait très grave que dans ce sacrement, qui a été institué pour être un remède de salut, quelqu’un trouve un jugement de mort. Donc, en aucun cas, on ne doit donner le corps du Christ à un suspect par manière d’épreuve.

 

            Article 7 — La pollution nocturne empêche-t-elle de recevoir ce sacrements ?

Objections :

1. Nul n’est empêché de recevoir le corps du Christ, sinon par le péché. Mais la pollution nocturne est un accident qui ne comporte pas de péché. S. Augustin dit en effet : " L’image qui accompagne la réflexion du prédicateur, lorsqu’elle se reproduit dans la vision d’un rêve, de telle sorte qu’on ne fasse pas de différence entre elle et un rapprochement réel des corps, cette image émeut aussitôt la chair, et ce mouvement de la chair a ses suites habituelles ; mais cela se fait sans péché, du moment qu’en état de veille on a parlé de ces choses sans péché - et, pour en parler, il fallait bien y avoir réfléchi. " Donc la pollution nocturne n’interdit pas à l’homme de recevoir ce sacrement.

2. S. Grégoire dit dans une lettre à S. Augustin de Cantorbéry : " Si quelqu’un s’unit à sa femme non pas dans l’entraînement de la convoitise, mais seulement pour procréer des enfants, nous devons le laisser libre d’entrer dans l’église ou de recevoir le sacrement du corps du Seigneur : car il ne doit pas subir d’interdiction de notre part, celui qui, au milieu du feu, sait échapper à la flamme. " Ainsi est-il évident que la pollution charnelle, même pendant la veille, si elle ne comporte pas de péché, n’interdit pas à l’homme de recevoir le corps du Christ. Beaucoup moins encore, par conséquent, une pollution nocturne qui s’est produite pendant le sommeil.

3. La pollution nocturne semble ne comporter qu’une impureté corporelle. Mais d’autres impuretés corporelles qui, dans l’ancienne loi, interdisaient l’entrée du sanctuaire, n’empêchent pas, dans la loi nouvelle, de recevoir ce sacrement, comme celles de la femme qui vient d’accoucher, qui a ses règles, ou qui souffre d’un flux de sang, selon la lettre de S. Grégoire à S. Augustin de Cantorbéry. Il apparaît donc que la pollution nocturne n’empêche pas davantage de recevoir ce sacrement.

4. Le péché véniel n’empêche pas de recevoir ce sacrement, et pas même le péché mortel, après qu’on en a fait pénitence. Mais supposé que la pollution nocturne ait eu pour cause un péché antécédent, l’intempérance ou des pensées impures : la plupart du temps un tel péché est véniel ; et si parfois il est mortel, il peut arriver que le matin on se repente et que l’on confesse son péché. Il apparaît donc qu’on ne doit pas être écarté de la réception de ce sacrement.

5. L’homicide est un péché plus grave que la fornication. Mais si quelqu’un rêve la nuit qu’il commet un homicide ou un vol, ou tout autre péché, on ne l’écarte pas pour autant de la réception du corps du Christ. Il apparaît donc qu’une fornication qu’on a rêvée, avec la pollution qui en a résulté, empêche moins encore de recevoir ce sacrement.

En sens contraire, il est écrit dans le Lévitique (1 5, 16) : " Lorsqu’un homme aura un épanchement séminal, il sera impur jusqu’au soir. " Mais celui qui est impur n’a pas accès aux sacrements. Il apparaît donc que la pollution nocturne interdit de recevoir ce sacrement, qui est le plus grand de tous.

Réponse :

Au sujet de la pollution nocturne on peut considérer deux points de vue : selon le premier, elle interdit nécessairement la réception de ce sacrement ; selon le second, elle l’interdit non pas nécessairement, mais pour une raison de convenance.

Ce qui écarte nécessairement de la réception de ce sacrement, c’est uniquement le péché mortel. Et bien que la pollution nocturne, considérée en elle-même, ne puisse être péché mortel, il arrive parfois néanmoins, en raison de sa cause, qu’un péché mortel y soit attaché. Il faut donc considérer la cause de la pollution nocturne. Parfois, en effet, la pollution provient d’une cause spirituelle extrinsèque, c’est-à-dire d’une illusion des démons qui, on l’a vu dans la première Partie, peuvent susciter des images dont l’apparition entraîne quelque fois une pollution. Parfois aussi la pollution provient d’une cause spirituelle intrinsèque, c’est-à-dire de pensées antérieures. Et parfois d’une cause corporelle intrinsèque : soit d’un excès soit d’une faiblesse de la nature, ou encore de la surabondance de nourriture ou de boisson. Chacune de ces trois causes peut être indemne de péché, comme aussi être liée à un péché véniel ou à un péché mortel. Et si elle est sans péché, ou avec un péché véniel, elle n’interdit pas nécessairement la réception sacramentelle, parce que, en communiant, on serait " coupable du corps et du sang du Seigneur ". Mais si elle est liée à un péché mortel, elle l’interdit nécessairement.

L’illusion produite par les démons provient parfois de ce que, précédemment, on a négligé de s’exciter à la dévotion, ce qui peut être ou péché mortel, ou péché véniel. Mais parfois cette illusion n’a pas d’autre cause que la méchanceté des démons qui veulent empêcher l’homme de recevoir ce sacrement. C’est pourquoi on lit dans les Conférences des Pères du Désert qu’un moine éprouvait toujours une pollution aux fêtes où il devait communier ; les anciens, ayant constaté qu’aucun motif de sa part n’expliquait cela, décidèrent qu’il ne devait pas, pour autant, s’abstenir de communier ; et l’illusion démoniaque disparut ainsi.

De même, les pensées impures antécédentes peuvent parfois être absolument exemptes de péché ; par exemple lorsque quelqu’un est obligé de penser à ces choses pour cause d’enseignement ou de controverse. Et si cela se fait sans convoitise ni complaisance, ce ne sont pas des pensées impures, mais honnêtes ; pourtant elles peuvent entraîner la pollution, comme on le voit dans le texte de S. Augustin que nous avons allégué. Mais parfois les pensées antécédentes procèdent de la convoitise et de la complaisance ; et s’il y a consentement, il y aura péché mortel ; sinon, péché véniel.

De même encore, la cause corporelle est parfois exempte de péché, par exemple, lorsqu’elle vient de la faiblesse de la nature, à cause de laquelle certains, en pleine veille, éprouvent un épanchement séminal sans qu’il y ait péché ; ou encore cela vient d’une pléthore de la nature, comme il arrive qu’il y ait épanchement de sang, sans qu’il y ait péché, et de même pour la semence qui est le surplus du sang, selon Aristote. Mais parfois, cela s’accompagne de péché, par exemple lorsque cela provient d’un excès de nourriture ou de boisson. En ce cas aussi, le péché peut être soit véniel, soit mortel ; bien que le péché mortel arrive plus souvent à propos de pensées impures qu’à propos de la consommation de nourriture ou de boisson. C’est pourquoi S. Grégoire, dans sa lettre à S. Augustin de Cantorbéry, dit qu’il faut s’abstenir de la communion quand cela vient de pensées impures, mais non quand cela vient du superflu de nourriture ou de boisson, surtout s’il y a nécessité.

Ainsi donc on peut rechercher, selon la cause de la pollution, si la pollution nocturne empêche nécessairement la réception du sacrement.

Mais elle l’empêche pour un motif de convenance qui tient à deux causes. L’une d’elles intervient toujours : c’est une certaine malpropreté corporelle, à cause de laquelle, par respect pour le sacrement, il ne convient pas d’approcher de l’autel ; c’est pourquoi ceux qui veulent toucher quelque chose de sacré se lavent les mains ; à moins qu’une telle impureté soit perpétuelle ou chronique comme la lèpre, le flux de sang et les infirmités analogues. L’autre cause, c’est le trouble de l’âme qu’entraîne la pollution nocturne, surtout lorsqu’elle s’accompagne d’une imagination impure.

Cependant, on doit passer outre à cet empêchement de convenance en cas de nécessité, par exemple, comme dit S. Grégoire, " lorsque peut-être un jour de fête l’exige, ou bien l’exercice du ministère, parce qu’il n’y a pas d’autre prêtre ; c’est alors la nécessité qui commande ".

Solutions :

1. On n’est écarté nécessairement de la réception de ce sacrement que par le péché mortel ; mais par convenance, on peut en être empêché pour d’autres motifs, on vient de le dire.

2. L’acte de mariage s’il est accompli sans péché, par exemple pour engendrer des enfants ou pour s’acquitter du devoir conjugal, n’interdit pas de recevoir le sacrement, comme on l’a dit au sujet de la pollution nocturne qui se produit sans péché, sinon à cause de la souillure corporelle et de la dispersion d’esprit. C’est pourquoi S. Jérôme écrit : " Si les pains de proposition ne pouvaient être mangés par ceux qui avaient eu des rapports conjugaux, combien davantage le pain qui descend du ciel ne peut-il être profané et touché par ceux qui, peu auparavant, se sont livrés aux embrassements du mariage! Non pas que nous condamnions les noces ; mais au temps où nous allons manger les chairs de l’Agneau, nous devons nous abstenir des œuvres charnelles. " Mais parce que cela doit s’entendre d’une convenance et non d’une nécessité, S. Grégoire dit que chacun doit " être libre de décider. Surtout si ce n’est pas le désir de procréer des enfants, mais la volupté qui l’emporte dans cette œuvre ", ajoute S. Grégoire, alors on doit interdire l’accès au sacrement.

3. Comme le dit S. Grégoire, dans sa lettre citée plus haut à S. Augustin de Cantorbéry, dans l’Ancien Testament certains étaient déclarés impurs d’une manière figurative, qui s’entend spirituellement dans le peuple de la loi nouvelle. Par conséquent, de telles impuretés corporelles, si elles sont perpétuelles ou chroniques, n’empêchent pas de recevoir ce sacrement du salut, comme elles interdisaient l’accès aux sacrements figuratifs. Mais si elles sont passagères, comme l’impureté de la pollution nocturne, pour un motif de convenance elles interdisent la réception de ce sacrement pendant le jour où s’est produit cet accident. Aussi est-il dit dans le Deutéronome (23, 10) : " Si parmi vous un homme a eu une pollution, à l’occasion d’un rêve nocturne, qu’il sorte du camp et qu’il ne revienne pas avant de s’être lavé sur le soir. "

4. Bien que la contrition et la confession enlèvent la culpabilité de la faute, elles n’enlèvent pas l’impureté corporelle et la dispersion de l’esprit consécutives à la pollution.

5. Rêver de commettre un homicide n’entraîne pas d’impureté corporelle, ni même une dispersion de l’esprit aussi grande que la fornication accomplie en rêve, à cause de l’intensité du plaisir. Mais si l’on rêve de commettre un homicide par suite d’une cause qui est un péché, surtout si c’est un péché mortel, ce rêve interdit de recevoir sacrement, en raison de sa cause.

 

            Article 8 — Ce sacrement doit-il être reçu seulement par ceux qui sont à jeun ?

Objections :

1. Ce sacrement a été institué par le Seigneur à la Cène. Mais le Seigneur a donné ce sacrement à ses disciples " à la fin du souper "I comme on le voit en S. Luc (22, 20) et dans la 1ère aux Corinthiens (11, 25). Il apparaît donc que nous devons manger ce sacrement même après avoir pris d’autres aliments.

2. S. Paul dit (1 Co 11, 33) : " Lorsque vous vous rassemblez pour manger ", savoir, le corps du Seigneur, " attendez-vous les uns les autres ; si quelqu’un a faim, qu’il mange à la maison ". Il apparaît ainsi que quelqu’un qui vient de manger à la maison peut ensuite, à l’église, manger le corps du Christ.

3. On lit dans un concile de Carthage ce qu’on retrouve dans les Décrets : " Le sacrement de l’autel ne doit être célébré que par des hommes à jeun, sauf uniquement au jour anniversaire où l’on célèbre la Cène du Seigneur. " Donc, au moins ce jour-là, on peut prendre le corps du Christ après d’autres aliments.

4. Si l’on prend de l’eau, ou un remède, de la nourriture ou de la boisson en très petite quantité, ou si l’on avale les restes de nourriture qui demeurent dans la bouche, on ne rompt pas le jeûne ecclésiastique, et l’on ne manque pas à la sobriété qui est exigée pour une réception respectueuse de ce sacrement. Donc tout cela n’empêche pas de recevoir ce sacrement.

5. Il y a des gens qui mangent ou boivent en pleine nuit, passent peut-être toute la nuit sans dormir et qui, au matin, reçoivent les saints mystères, alors qu’ils n’ont pas achevé la digestion. La sobriété serait beaucoup moins compromise si l’on mangeait un peu le matin et que l’on prit ensuite ce sacrement vers la neuvième heure ; d’autant plus qu’il y a ainsi parfois un plus grand intervalle de temps. Il apparaît donc que cette nourriture préalable n’écarte pas de l’eucharistie.

6. On ne doit pas avoir moins de respect envers ce sacrement après sa réception qu’avant celle-ci. Or, après la réception du sacrement, il est permis de manger et de boire. C’est donc permis aussi avant.

En sens contraire, S. Augustin écrit " L’Esprit Saint a décidé que, pour honorer un si grand sacrement, le corps du Seigneur devait pénétrer dans la bouche du chrétien avant toute autre nourriture. "

Réponse :

Deux causes interdisent de recevoir ce sacrement. L’une est essentielle : c’est le péché mortel, qui est en contradiction avec la signification de ce sacrement, nous l’avons dit.

L’autre vient d’une défense de l’Église. Et c’est ainsi qu’on ne peut prendre ce sacrement après avoir pris de la nourriture ou de la boisson, et cela pour trois motifs. D’abord, selon S. Augustin " pour honorer un si grand sacrement ". C’est-à-dire qu’il ne doit pas entrer dans une bouche imprégnée de nourriture et de boisson. Le second motif est symbolique : pour faire entendre que le Christ, qui est la " réalité " de ce sacrement, et sa charité, doivent être établis avant tout dans nos cœurs, selon cette parole, en S. Matthieu (6, 33) : " Cherchez d’abord le royaume de Dieu. " Le troisième est que l’on risque le vomissement ou l’ivresse, qui se produisent parfois du fait qu’on use de la nourriture de manière déraisonnable. C’est ainsi que l’Apôtre remarque (1 Co 11, 21) : " L’un a faim tandis que l’autre est ivre. "

Mais les malades sont exceptés de cette règle commune, car il faut les communier sans tarder, même après le repas, si on les suppose en danger, pour qu’ils ne meurent pas sans la communion, car " nécessité n’a pas de loi ". Aussi est-il statué : " Le prêtre doit communier le malade sans tarder, pour qu’il ne meure pas sans communion. "

Solutions :

1. Comme dit S. Augustin : " Ce n’est pas parce que le Seigneur l’a donné après le repas, que les frères doivent se réunir pour recevoir ce sacrement après qu’ils ont dîné ou soupé, ni le mêler à leurs festins, comme faisaient ceux à qui l’Apôtre adresse ses réprimandes et ses corrections. Car le Sauveur, pour mettre plus fortement en valeur la profondeur de ce mystère, a voulu le fixer en dernier lieu dans le cœur et le souvenir des disciples. C’est pourquoi il ne leur prescrivit pas de le prendre ensuite selon le même ordre, afin de laisser la décision en cette matière aux Apôtres qui devaient organiser les Églises en son nom. "

2. Cette parole est ainsi expliquée dans la Glose : " Si quelqu’un a faim et, dans son impatience, ne veut pas attendre les autres, qu’il mange à la maison, c’est-à-dire qu’il se nourrisse du pain terrestre. Mais ensuite il ne doit pas prendre l’eucharistie. "

3. Ce chapitre parle conformément à une coutume qui fut parfois observée ici ou là, de manger le corps du Christ sans être à jeun ce jour-là, pour représenter la Cène du Seigneur. Mais aujourd’hui, cela est abrogé. Car, selon S. Augustin au même endroit, " cette coutume " de prendre à jeun le corps du Christ " est observée dans le monde entier ".

4. Comme on l’a dit dans la deuxième Partie, il y a deux sortes de jeûnes. Le premier est le jeûne naturel, qui interdit de prendre quoi que ce soit auparavant par mode d’aliment ou de boisson. Et c’est un tel jeûne qui est requis à ce sacrement, pour les motifs que nous avons donnés. Par conséquent, il n’est pas permis de prendre ce sacrement après avoir pris de l’eau, ni une autre nourriture ou boisson, ni même un remède, en si petite quantité que ce soit. Et peu importe que cela nourrisse ou ne nourrisse pas, par soi-même ou bien mélangé à autre chose, du moment que c’est pris par mode de nourriture ou de boisson.

Les restes de nourriture qui demeurent dans la bouche, si on les avale par hasard, n’interdisent pas de prendre ce sacrement, car ils ne sont pas absorbés à la manière d’un aliment, mais à la manière de la salive. Et le même motif vaut pour les restes de l’eau ou du vin avec quoi on s’est lavé la bouche, du moment qu’ils ne sont pas absorbés en grande quantité, mais mêlés à la salive, car cela est inévitable.

Tout différent est le jeûne ecclésiastique, qui a pour but la mortification corporelle. Un tel jeûne n’est pas détruit par tout ce qu’on vient de dire, car tout cela ne nourrit pas beaucoup mais sert plutôt à obtenir une modification qualitative.

5. Lorsque l’on dit : " Ce sacrement doit entrer dans la bouche du chrétien avant toute autre nourriture ", cela ne doit pas s’entendre d’une manière absolue, sans tenir compte du temps. Autrement, celui qui aurait mangé ou bu une seule fois ne pourrait plus jamais recevoir ce sacrement. Mais cela doit s’entendre du même jour. Et sans doute, le début du jour est compté différemment suivant les différents peuples, car les uns font commencer le jour à midi, d’autres au coucher du soleil, d’autres, à minuit, d’autres au lever du soleil ; mais l’Église romaine fait commencer le jour à minuit. C’est pourquoi, si l’on a pris quelque chose par mode de nourriture ou de boisson après minuit, on ne peut recevoir ce sacrement le même jour ; mais on le peut, si c’était avant minuit.

Et qu’on ait dormi après avoir mangé ou bu, ou même qu’on ait digéré, cela importe peu à l’égard du précepte. Mais cela importe relativement au trouble d’esprit que les hommes subissent du fait de l’insomnie ou d’une digestion inachevée ; si cela trouble beaucoup l’esprit, on est mis dans l’incapacité de recevoir ce sacrement.

6. La plus grande dévotion est requise dans la réception même de ce sacrement : car c’est alors qu’on perçoit l’effet du sacrement. Or cette dévotion est davantage empêchée par ce qui précède que par ce qui suit. C’est pourquoi on a institué que les hommes s’abstiennent de nourriture avant la réception de ce sacrement plutôt qu’après. On doit pourtant mettre un certain délai entre la réception de ce sacrement et les autres aliments. C’est pourquoi, à la messe, on dit une prière d’action de grâce après la communion, et les communiants y ajoutent leurs prières privées.

Cependant, selon d’anciens canons, cela fut décidé par le pape Clément : " Si l’on prend le matin le repas du Seigneur, les ministres qui y ont participé jeûneront jusqu’à la sixième heure ; et s’ils y ont participé à la troisième ou à la quatrième heure, ils jeûneront jusqu’au soir. " En effet, dans l’antiquité, on célébrait la messe plus rarement que de nos jours, et avec une plus grande préparation. Mais maintenant, parce qu’il faut célébrer plus souvent les saints mystères, on ne peut facilement observer de tels préceptes. C’est pourquoi ils ont été abrogés par la coutume contraire.

 

            Article 9 — Doit-on proposer ce sacrement à ceux qui n’ont pas l’usage de la raison ?

Objections :

1. Il est requis, pour s’approcher de ce sacrement, d’y mettre de la dévotion et de s’être examiné auparavant, selon S. Paul (1 Co 11, 28) : " Que chacun s’éprouve soi-même, et qu’alors seulement il mange de ce pain et boive à cette coupe. " Mais cela est impossible chez ceux qui n’ont pas l’usage de la raison. Il ne faut donc pas leur donner ce sacrement.

2. Parmi tous ceux qui n’ont pas l’usage de la raison, il y a les possédés ou énergumènes. Mais ceux-ci, d’après Denys, sont écartés même de la vue du sacrement. Il ne faut donc pas donner ce sacrement à ceux qui n’ont pas l’usage de la raison.

3. Parmi tous ceux qui n’ont pas l’usage de la raison, les plus innocents semblent bien être les enfants. Mais on ne donne pas ce sacrement aux enfants. Donc, bien moins encore aux autres hommes dénués de raison.

En sens contraire, on lit dans un concile d’Orange et on trouve dans les décrets : " Il faut donner aux fous tout ce qui concerne la piété. " Ainsi faut-il leur donner ce sacrement, qui est " le sacrement de la piété ".

Réponse :

On attribue le manque de raison à deux catégories d’hommes. D’abord à ceux qui n’en ont qu’un faible usage. Ainsi, de quelqu’un qui voit mal dit-on qu’il ne voit pas. Et puisque ces gens-là peuvent concevoir quelque dévotion à l’égard de ce sacrement, il ne faut pas le leur refuser.

Il y en a d’autres qui n’ont aucunement l’usage de la raison. Ou bien ils ne l’ont jamais eu, et ils sont restés dans cet état depuis leur naissance ; il ne faut donc pas leur donner ce sacrement, parce que, auparavant, ils n’ont jamais eu aucune dévotion pour ce sacrement. Ou bien, ils n’ont pas toujours été privés de l’usage de la raison. Alors, si jadis, quand ils étaient en possession de leurs facultés, ils ont manifesté quelque dévotion pour ce sacrement, on doit le leur donner à l’article de la mort, sauf si l’on redoute qu’ils ne le rendent ou le recrachent. C’est pourquoi on lit, dans un concile de Carthage, ce qu’on retrouve dans les Décrets : " Si quelqu’un, étant malade, demande la pénitence, mais s’il arrive que le prêtre appelé auprès de lui le trouve muet, comme écrasé par la maladie, ou tombé dans le délire, que ceux qui l’ont entendu en rendent témoignage, qu’il reçoive la pénitence, et si l’on croit qu’il doit bientôt mourir, qu’on le réconcilie par l’imposition des mains, et qu’on dépose l’eucharistie dans sa bouche. "

Solutions :

1. Ceux qui n’ont pas l’usage de la raison peuvent avoir de la dévotion pour le sacrement, les uns l’ayant dans le présent et d’autres l’ayant eue dans le passé.

2. Denys parle ici des énergumènes qui n’ont pas encore été baptisés, c’est-à-dire chez qui la puissance du démon n’a pas été détruite, parce qu’elle règne en eux par le péché originel. Mais pour les baptisés qui sont tourmentés dans leur corps par les mauvais esprits, on doit les juger comme les autres fous. Aussi Cassien dit-il : " Ceux " qui sont tourmentés par les mauvais esprits, " nous ne nous souvenons pas que la sainte communion leur ait jamais été interdite par nos anciens ".

3. On doit porter le même jugement sur les enfants nouveau-nés et sur les fous qui n’ont jamais eu l’usage de la raison. Il ne faut donc pas leur donner les saints mystères, quoique certains Grecs fassent le contraire : ils s’appuient sur ce que dit Denys, sans comprendre que Denys parle là du baptême des adultes. Cependant il ne faut pas croire que les enfants en souffrent aucun dommage vital. Sans doute, le Seigneur dit en S. Jean (6, 54) : " Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie. " Mais, dit S. Augustin " tout fidèle prend part " - entendez-le spirituellement - " au corps et au sang du Seigneur, quand il devient dans le baptême membre du corps du Christ ".

Mais quand les enfants commencent à avoir un certain usage de la raison, si bien qu’ils peuvent concevoir de la dévotion pour ce sacrement, alors on peut leur conférer celui-ci.

 

            Article 10 — Faut-il recevoir ce sacrement quotidiennement ?

Objections :

1. Ce sacrement représente la passion du Seigneur, comme le baptême. Or, il n’est pas permis de se faire baptiser plusieurs fois, mais une fois seulement, parce que " le Christ est mort pour nos péchés, une fois seulement " (1 P 3, 18). Il semble donc qu’il n’est pas permis de recevoir ce sacrement quotidiennement.

2. La réalité doit correspondre à la figure. Mais l’agneau pascal, qui fut la principale figure de ce sacrement, comme nous l’avons dit, n’était mangé qu’une fois par an. C’est aussi une fois par an que l’Église célèbre la passion du Christ, dont ce sacrement est le mémorial. Il apparaît donc qu’il n’est pas permis de manger ce sacrement quotidiennement, mais seulement une fois par an.

3. Ce sacrement, dans lequel est contenu le Christ tout entier, mérite le plus grand respect. Lorsqu’on s’abstient de ce sacrement, cela procède du respect. Aussi donne-t-on des louanges au centurion qui a dit (Mt 8, 8) : " Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit ", et à S. Pierre qui a dit (Lc 5, 8) : " Éloigne-toi de moi, Seigneur, parce que je suis un homme pécheur. " Il n’est donc pas louable de recevoir quotidiennement ce sacrement.

4. S’il était louable de recevoir souvent ce sacrement, plus on le recevrait souvent, plus ce serait louable. Et on le recevrait plus souvent si on le recevait plusieurs fois par jour. Il serait donc louable de communier plusieurs fois par jour. Cependant la coutume de l’Église ne l’admet pas. Il ne parait donc pas louable de recevoir quotidiennement ce sacrement.

5. Par ses lois, l’Église veut pourvoir à l’utilité des fidèles. Mais, par la loi de l’Église, les fidèles ne sont tenus à communier qu’une fois par an. C’est pourquoi il est dit dans la décrétale sur la pénitence et le pardon : " Tout fidèle, de l’un et l’autre sexe, doit recevoir avec respect le sacrement d’eucharistie au moins à Pâques ; à moins que, sur le conseil de son propre prêtre, pour un motif raisonnable, il ne juge qu’il doit temporairement s’abstenir de sa réception. " Il n’est donc pas louable de recevoir ce sacrement quotidiennement.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Ce pain est quotidien, reçois-le quotidiennement, pour qu’il te profite quotidiennement. "

Réponse :

Au sujet de l’usage du sacrement, on peut se placer à deux points de vue. Le premier à l’égard du sacrement lui-même, dont la vertu est salutaire aux hommes. C’est pourquoi il est utile de le recevoir quotidiennement, pour en percevoir quotidiennement le fruit. Aussi S. Ambroise dit-il : " Si, chaque fois que le sang du Christ est répandu, il est répandu pour la rémission des péchés, je dois toujours le recevoir ; moi qui pèche toujours, je dois toujours prendre ce remède. "

On peut aussi considérer l’usage du sacrement à l’égard du communiant, de qui l’on exige qu’il s’approche de ce sacrement avec beaucoup de dévotion et de respect. Et c’est pourquoi, si quelqu’un se trouve chaque jour bien préparé, il est louable qu’il le reçoive chaque jour. Aussi S. Augustin, après avoir dit : " Reçois-le pour qu’il te profite quotidiennement ", ajoute-t-il : " Vis de telle sorte que tu mérites quotidiennement de le recevoir. " Mais, parce que très souvent, chez la plupart des hommes, surgissent beaucoup d’obstacles à cette dévotion, par suite d’une mauvaise disposition du corps ou de l’âme, il n’est pas avantageux à tous les hommes d’accéder quotidiennement à ce sacrement, mais aussi souvent qu’on s’y jugera préparé. Aussi est-il dit, dans le livre des Croyances ecclésiastiques : " je ne loue ni ne blâme la communion quotidienne. "

Solutions :

1. Par le sacrement de baptême, l’homme est configuré à la mort du Christ dont il reçoit le caractère ; et c’est pourquoi, de même que le Christ " est mort une fois pour toutes ", de même l’homme ne doit être baptisé qu’une seule fois. Or, par notre sacrement, l’homme ne reçoit pas le caractère du Christ, mais le Christ lui-même, dont la vertu demeure toujours. Aussi est-il dit (He 10, 14) : " Par une offrande unique, il a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il a sanctifiés. " Et c’est pourquoi, parce que l’homme a quotidiennement besoin de la vertu salutaire du Christ, il peut avantageusement recevoir chaque jour ce sacrement.

Et parce que le baptême est principalement une régénération spirituelle, de même que l’homme ne naît qu’une fois selon la chair, il doit renaître une seule fois selon l’esprit, comme le dit S. Augustin sur le texte de S. Jean (3, 4) : " Comment peut-on renaître quand on est vieux ? " Tandis que notre sacrement est une nourriture spirituelle ; aussi, de même qu’on prend quotidiennement la nourriture corporelle, de même est-il louable de prendre quotidiennement ce sacrement. Aussi le Seigneur nous enseigne-t-il à demander (Le 11, 3) : " Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. " Ce que S. Augustin explique ainsi : " Si tu reçois quotidiennement " ce sacrement, " quotidiennement, pour toi c’est aujourd’hui ; pour toi le Christ ressuscite quotidiennement : car c’est aujourd’hui, quand le Christ ressuscite ".

2. L’agneau pascal fut la figure principale de ce sacrement quant à la passion du Christ, que ce sacrement représente. Et c’est pourquoi on ne le mangeait qu’une fois par an, car " le Christ est mort une seule fois ". Et c’est pour cette raison aussi que l’Église ne célèbre qu’une fois par an la mémoire de la passion du Christ. Mais dans ce sacrement le mémorial de la passion du Christ nous est livré par mode de nourriture, et la nourriture se prend quotidiennement. Et c’est pourquoi, à cet égard, l’eucharistie était préfigurée par la manne, que le peuple recevait quotidiennement au désert.

3. Le respect envers ce sacrement comporte de la crainte jointe à l’amour ; c’est pourquoi la crainte respectueuse envers Dieu est appelée crainte filiale, comme on l’a vu dans la deuxième Partie. C’est l’amour, en effet, qui provoque le désir de prendre le sacrement, tandis que la crainte engendre l’humilité de révérence. Ce qui fait dire à S. Augustin : " Celui-ci peut dire qu’il ne faut pas recevoir l’eucharistie quotidiennement, tandis que celui-là affirme le contraire ; que chacun fasse ce qu’il juge, dans sa bonne foi, devoir faire avec piété. Car il n’y a pas eu de dispute entre Zachée et le centurion, alors que le premier se réjouissait de recevoir le Seigneur, tandis que le second disait : "je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit" : tous deux ont honoré le Seigneur, quoique ce ne fût pas de la même façon. " Cependant l’amour et l’espérance, auxquels la Sainte Écriture nous excite toujours l’emportent sur la crainte. Aussi, quand Pierre disait : " Éloigne-toi de moi, Seigneur, parce que je suis un homme pécheur ", Jésus répondit-il : " Ne crains point. "

4. Parce que le Seigneur a dit : " Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien ", il ne faut pas communier plusieurs fois par jour, afin qu’au moins, du fait que l’on communie une seule fois par jour, soit représentée la passion du Christ, qui est unique.

5. Des décisions diverses ont paru selon les divers états de l’Église. Car, dans la primitive Église, lorsque la dévotion de la foi chrétienne était plus forte, il fut décidé que les fidèles communieraient quotidiennement. Aussi le pape Anaclet dit-il : " Après la consécration, que tous communient, s’ils ne veulent pas se mettre hors des frontières de l’Église : car c’est ainsi que les Apôtres en ont décidé, et c’est l’usage de la sainte Église romaine. " Ensuite, la ferveur de la foi ayant baissé, le pape Fabien concéda " que tous communient, s’ils ne le peuvent plus fréquemment, au moins trois fois par an, à Pâques, à la Pentecôte, et à la Nativité du Seigneur ". Le pape Soter dit qu’il faut aussi communier le Jeudi saint, en la Cène du Seigneur, ce qu’on trouve dans la décrétale sur la Consécration.

Mais ensuite " la charité d’un grand nombre se refroidit, à cause de l’abondance des péchés ", et Innocent III décida que tous les fidèles devaient communier " au moins une fois l’an, à Pâques ". Mais dans le livre des Croyances ecclésiastiques, il est conseillé " de communier tous les dimanches ".

 

            Article 11 — Est-il permis de s’abstenir totalement de la communion ?

Objections :

1. On loue le centurion de ce qu’il dit en S. Matthieu (8, 8) : " Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. " On peut lui comparer, nous l’avons vu, celui qui juge devoir s’abstenir de la communion. Et comme l’Écriture ne dit pas que le Christ soit jamais venu dans sa maison, il semble qu’il soit permis à quelqu’un de s’abstenir de la communion pendant toute sa vie.

2. Il est permis à chacun de s’abstenir de ce qui n’est pas nécessaire au salut. Mais, comme on l’a dit plus haut, ce sacrement n’est pas nécessaire au salut. Il est donc permis de cesser totalement de le recevoir.

3. Les pécheurs ne sont pas tenus à communier. Aussi le pape Fabien, après avoir dit : " Que tous communient trois fois par an ", ajoute-t-il : " à moins que quelqu’un n’en soit empêché par des péchés graves ". Donc, si ceux qui ne sont pas dans le péché sont tenus de communier, il apparaît que les pécheurs sont en meilleure situation que les justes, ce qui est illogique. Il semble donc que pour les justes aussi, il soit permis de cesser de communier.

En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (6, 54) : " Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit plus haut’, il y a deux modes de recevoir ce sacrement, le discrétion pour apporter toutes les précautions requises dans l’usage de ce sacrement, on agit prudemment, dans certaines Églises, en observant l’usage de ne pas donner le sang à boire au peuple, le prêtre étant seul à le boire.

Solutions :

1. Le pape Gélase parle pour les prêtres : de même qu’ils consacrent tout le sacrement, de même ils doivent communier au sacrement tout entier. Comme on lit dans un concile de Tolède : " Quel sera le sacrifice, si le sacrificateur lui-même ne se manifeste pas comme y participant ? "

2. La perfection de ce sacrifice ne réside pas dans l’usage qu’en font les fidèles, mais dans la consécration de la matière. C’est pourquoi rien ne manque à la perfection de ce sacrement si le peuple consomme le corps sans consommer le sang, du moment que le prêtre qui consacre consomme les deux.

3. La représentation de la passion du Seigneur se réalise dans la consécration même de ce sacrement, dans laquelle on ne doit pas consacrer le corps sans consacrer le sang. Mais le corps peut être consommé par le peuple sans qu’il consomme le sang, et il n’en découle pour lui aucun dommage, parce que le prêtre offre et consomme le sang en tenant la place de tous, et parce que le Christ tout entier est présent sous chacune des deux espèces, comme on l’a vu plus haut.

 

 

QUESTION 81 — COMMENT LE CHRIST A USÉ DE CE SACREMENT DANS SA PREMIÈRE INSTITUTION

1. Le Christ a-t-il consommé son corps et son sang ? - 2. L’a-t-il donné à Judas ? - 3. Quel corps a-t-il consommé et donné : passible, ou impassible ? - 4. En quel état se serait trouvé le Christ dans ce sacrement, si celui-ci avait été conservé ou consacré pendant les trois jours où il était mort ?

 

            Article 1 — Le Christ a-t-il consommé son corps et son sang ?

Objections :

1. On ne doit affirmer, touchant les actions et les paroles du Christ, que ce qui est transmis par l’autorité de la Sainte Écriture. Mais l’Évangile ne dit pas que le Christ ait mangé son propre corps ou bu son propre sang. On ne doit donc pas affirmer cela.

2. Aucun être ne peut exister en lui-même sinon au titre des parties, c’est-à-dire en tant qu’une partie se trouve dans une autre, selon le Philosophe. Mais ce qui est mangé et bu se trouve dans celui qui mange et boit. Puisque le Christ tout entier se trouve sous chacune des deux espèces sacramentelles, il semble impossible que lui-même ait consommé ce sacrement.

3. Il y a une double manière de consommer ce sacrement - spirituelle et sacramentelle. Mais la manière spirituelle ne convenait pas au Christ, car il n’a rien reçu du sacrement. Et par conséquent la manière sacramentelle non plus, qui est inachevée si elle n’aboutit pas à la manducation spirituelle. Donc le Christ n’a consommé ce sacrement en aucune manière.

En sens contraire, S. Jérôme dit : " Le Seigneur Jésus est lui-même le convive et le banquet, celui qui mange et celui qui est mangé. "

Réponse :

Certains auteurs ont dit que le Christ, à la Cène, donna son corps et son sang aux disciples, et toutefois ne les consomma pas lui-même. Mais cette affirmation ne paraît pas juste. Car le Christ a observé lui-même le premier les institutions qu’il voulut faire observer aux autres ; c’est pourquoi lui-même voulut être baptisé avant d’imposer le baptême aux autres, conformément à la parole des Actes (1, 1) : " Jésus commença à faire et à enseigner. " C’est pourquoi lui aussi tout d’abord consomma son corps et son sang, et ensuite les donna à ses disciples qui devaient les consommer. De là vient que sur le texte de Ruth (3, 7) : " Quand (Booz) eut mangé et bu " la Glose dit que " le Christ mangea et but à la Cène, lorsqu’il donna à ses disciples le sacrement de son corps et de son sang. Aussi, puisque les serviteurs ont communié à son corps et à son sang, il y a participé lui aussi ".

Solutions : 1. On lit dans les évangiles (Mc 14, 22 par.) que le Christ " prit le pain et la coupe ". Or il ne faut pas comprendre qu’il les ait pris seulement dans ses mains, comme prétendent certains ; mais il les a pris de la manière dont devaient les prendre ceux à qui il les a donnés. C’est pourquoi, lorsqu’il a dit à ses disciples : " Prenez et mangez ", et ensuite : " prenez et buvez ", il faut comprendre que lui-même en a pris pour manger et pour boire. Aussi certains ont-ils dit en vers : " Le Roi trône à la Cène, Entouré par la troupe des Douze : Il se tient dans ses mains, Il se nourrit, lui, la nourriture. "

2. Comme on l’a vu plus haut e, le Christ, en tant qu’il est sous ce sacrement, est en relation avec le lieu, non pas selon ses dimensions propres, mais selon les dimensions des espèces sacramentelles, de telle sorte que, en tout lieu où sont ces espèces, le Christ lui-même y est. Et puisque ces espèces ont pu se trouver dans les mains et dans la bouche du Christ, le Christ tout entier a pu se trouver lui-même dans ses propres mains et dans sa propre bouche. Mais cela n’aurait pas pu se produire selon qu’il est en relation avec le lieu par ses dimensions propres.

3. Comme on l’a vu plus haut, ce sacrement n’a pas seulement pour effet l’accroissement de la grâce habituelle, mais aussi une certaine délectation actuelle de douceur spirituelle. Or, bien que la grâce du Christ n’ait pas été augmentée par la réception de ce sacrement, il a éprouvé cependant une certaine délectation spirituelle dans l’institution de ce sacrement. Aussi disait-il lui-même, en S. Luc (22, 15) : " J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous ", ce qu’Eusèbe explique en le rapportant au nouveau mystère de cette nouvelle alliance, qu’il donnait aux disciples. C’est pourquoi il a mangé spirituellement, et tout aussi bien sacramentellement, en tant qu’il a consommé son propre corps dans ce sacrement qu’il a conçu et organisé comme le sacrement de son corps. Mais autrement que le reste des hommes ne le mangent sacramentellement et spirituellement, car ils reçoivent un accroissement de grâce sous les signes sacramentels dont ils ont besoin pour recevoir la réalité.

 

            Article 2 — Le Christ a-t-il donné son corps à Judas ?

Objections :

1. On lit en S. Matthieu (26, 29) que, lorsque le Seigneur eut donné son corps et son sang aux disciples, il leur dit : " je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où j’en boirai avec vous du nouveau dans le royaume de mon Père. " On voit par ces paroles que ceux qui venaient de recevoir son corps et son sang devaient boire avec lui de nouveau. Mais Judas n’a pas bu avec lui ensuite. Il n’a donc pas reçu le corps et le sang du Christ avec les autres disciples.

2. Le Seigneur a accompli ce qu’il a prescrit, selon le prologue des Actes (1, 1) : " Jésus commença à faire et à enseigner. " Mais lui-même a donné cette prescription (Mt 7, 6) : " Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré. " Puisque lui-même savait que Judas était un pécheur, il apparaît qu’il ne lui a pas donné son corps et son sang.

3. On lit expressément dans S. Jean (13, 26) que le Christ tendit à Judas " du pain trempé ". Donc, s’il lui avait donné son corps, il semble qu’il le lui aurait donné avec cette bouchée, d’autant plus qu’on lit, au même passage : " Et après la bouchée, Satan entra en lui. " S. Augustin dit sur ce passage : " Cela nous enseigne combien il faut se garder de mal recevoir ce qui est bon... Car si l’on réprimande celui qui "ne discerne pas", c’est-à-dire qui ne distingue pas le corps du Christ des autres aliments, comment condamnera-t-on celui qui s’approche en ennemi de cette table et en faisant semblant d’être un ami ? " Mais, avec la bouchée trempée, Judas n’a pas reçu le corps du Christ, dit S. Augustin 9 sur S. Jean : " Lorsqu’il eut trempé le pain, il le donna à Judas, fils de Simon Iscariote. Ce n’est pas alors, comme le croient des lecteurs étourdis, que Judas a reçu le corps du Christ. " Il apparaît donc que Judas n’a pas reçu le corps du Christ.

En sens contraire, S. Chrysostome dit : " Judas a participé aux mystères et ne s’est pas converti. C’est ce qui rend son crime doublement horrible : d’abord, il a accédé aux mystères étant occupé d’un pareil dessein ; puis, en y accédant, il n’est pas devenu meilleur, n’ayant été touché ni par la crainte, ni par le bienfait, ni par l’honneur. "

Réponse :

S. Hilaire a affirmé que le Christ n’a pas donné son corps et son sang à Judas. Et cela aurait été normal, si l’on considère la malice de Judas. Mais, parce que le Christ devait être pour nous un modèle de justice, il ne convenait pas à son magistère de séparer Judas de la communion des autres, quand il était un pécheur occulte, sans accusateur ni preuve évidente, afin de ne pas donner aux prélats de l’Église un exemple qui les autoriserait à agir ainsi ; et Judas lui-même, poussé à bout, en aurait tiré occasion de pécher. C’est pourquoi il faut dire que Judas a reçu le corps et le sang du Seigneur avec les autres disciples, comme le disent Denys et S. Augustin.

Solutions :

1. Tel est l’argument employé par S. Hilaire pour montrer que Judas n’a pas reçu le corps du Christ. Mais il n’est pas déterminant. Car le Christ parle à ses disciples, dont Judas a quitté le collège, mais le Christ n’en a pas exclu Judas. Et c’est pourquoi le Christ, autant qu’il dépend de lui, boit le vin dans le royaume de Dieu, même avec judas ; mais c’est Judas lui-même qui a refusé ce festin.

2. L’iniquité de Judas était connue du Christ en tant que celui-ci est Dieu, mais elle n’était pas connue de lui de la manière dont elle se révèle aux hommes. Et c’est pourquoi le Christ n’a pas exclu Judas de la communion, afin de montrer par son exemple que de tels pécheurs occultes ne devraient pas, dans l’avenir, être repoussés par les autres prêtres.

3. Sans aucun doute, avec le pain trempé, Judas n’a pas pris le corps du Christ, mais du pain ordinaire : " Peut-être, dit S. Augustin à l’endroit cité, le pain trempé signifie-t-il l’hypocrisie de Judas, car on trempe certains objets pour les teindre. Et si ce pain trempé signifie quelque chose de bon ", c’est-à-dire la douceur de la bonté divine, car le pain trempé devient plus savoureux, " ce n’est pas sans cause que la damnation a été encourue par celui qui se montra ingrat envers un tel bienfait ". Et c’est à cause de cette ingratitude que " ce qui est bon est devenu mauvais pour lui ", comme il arrive à ceux qui reçoivent le corps du Christ indignement.

Et comme le dit S. Augustin au même endroit : " Il faut comprendre que le Seigneur avait déjà distribué auparavant à tous ses disciples " le sacrement de son corps et de son sang, " alors que Judas lui-même se trouvait là, selon le récit de S. Luc. Et ensuite on en est arrivé au moment où, selon la narration de S. Jean, le Seigneur, en trempant du pain et en le tendant à Judas dénonce celui qui va le livrer ".

 

            Article 3 — Quel corps le Christ a-t-il consommé et donné — passible, ou impassible ?

Objections :

1. Sur le texte de S. Matthieu (17, 2) : " Il fut transfiguré devant eux ", la Glose dit : " Il donna aux disciples à la Cène ce corps qu’il avait par nature, non pas son corps mortel et passible. " Et le passage du Lévitique (2, 5) : " Lorsque tu offriras une oblation de pâte cuite au four... " est ainsi commenté par la Glose : " La croix, plus forte que tout, a rendu la chair du Christ, après la passion, apte à être mangée, alors qu’elle ne l’était pas auparavant. " Mais le Christ a donné son corps comme apte à être mangé. Il l’a donc donné tel qu’il le possédait après la passion, c’est-à-dire impassible et immortel.

2. Tout corps passible pâtit du contact et de la manducation. Donc, si le corps du Christ était passible, il aurait pâti en étant touché et mangé par les disciples.

3. Les paroles sacramentelles n’ont pas une plus grande vertu maintenant, quand elles sont prononcées par un prêtre qui tient la place du Christ, que lorsqu’elles furent prononcées par le Christ lui-même. Mais maintenant, par la vertu des paroles sacramentelles, c’est le corps du Christ impassible et immortel qui est consacré sur l’autel. Donc il l’était bien plus alors.

En sens contraire, il y a cette affirmation d’Innocent III : " Il donna à ses disciples son corps dans l’état où il le possédait. " Or il possédait alors un corps passible et mortel. C’est donc un corps passible et mortel qu’il donna à ses disciples.

Réponse :

Hugues de Saint-Victor a prétendu que le Christ, avant la passion, assuma à des époques diverses les quatre dons d’un corps glorifié : la subtilité lors de sa naissance, quand il sortit du sein intact de la Vierge ; l’agilité, lorsqu’il marcha à pied sec sur la mer ; la clarté, dans la transfiguration ; l’impassibilité à la Cène, lorsqu’il donna à ses disciples son corps à manger. Et selon cette thèse, il donna à ses disciples un corps impassible et immortel.

Mais, quoi qu’il en soit des autres dons - nous avons dit plus haut ce qu’il faut penser à leur sujet -, au sujet de l’impassibilité les choses n’ont pas pu se passer conformément à cette thèse. Il est évident, en effet, que c’était le même vrai corps du Christ qui était vu alors par les disciples sous son aspect propre, et qui était mangé par eux sous son aspect sacramentel. Or, il n’était pas impassible selon qu’il était vu sous son aspect propre ; tout au contraire, il était prêt pour la passion. Par conséquent, le corps même qui était donné sous l’aspect sacramentel n’était pas non plus impassible.

Cependant ce qui, en soi-même, était passible, existait selon un mode impassible sous l’aspect sacramentel ; de même que ce qui, en soi-même, était visible, s’y trouvait de façon invisible. En effet, de même que la vision requiert le contact du corps qui est vu avec le milieu ambiant qui permet la vision, de même la passion requiert le contact du corps qui pâtit avec les objets qui agissent sur lui. Or, le corps du Christ, en tant qu’il est dans le sacrement, n’est pas, comme on l’a vu, en relation avec ce qui l’entoure au moyen de ses dimensions propres, par lesquelles les corps se touchent, mais au moyen des dimensions des espèces du pain et du vin. C’est pourquoi ce sont les espèces qui pâtissent et qui sont vues, et non le corps même du Christ.

Solutions :

1. Il faut dire que le Christ n’a pas donné à la Cène son corps mortel et passible, parce qu’il ne l’a pas donné sous un mode corporel et passible. La croix a rendu la chair du Christ susceptible d’être mangée, en tant que ce sacrement rend présente la passion du Christ.

2. Cet argument porterait si le corps du Christ, de même qu’il était passible, s’était trouvé aussi dans le sacrement sous un mode passible.

3. Comme on l’a vu plus haut, les accidents du corps du Christ se trouvent dans ce sacrement en vertu de la concomitance réelle, et non par la vertu du sacrement, laquelle rend présente la substance du corps du Christ. Et c’est pourquoi la vertu des paroles sacramentelles aboutit à ce qu’il y ait, sous ce sacrement, le corps, celui du Christ, quels que soient les accidents qui y existent dans la réalité.

 

            Article 4 — En quel état se serait trouvé le Christ dans ce sacrement si celui-ci avait été conservé ou consacré pendant les trois jours où il était mort ?

Objections :

1. Il n’y serait pas mort. Car le Christ a subi la mort du fait de sa passion. Mais, même alors, le Christ se trouvait dans ce sacrement sous un mode impassible. Il ne pouvait donc pas mourir dans ce sacrement.

2. Dans la mort du Christ son sang fut séparé de son corps. Mais, dans ce sacrement, le corps du Christ et son sang existent ensemble. Donc le Christ ne serait pas mort dans ce sacrement.

3. La mort se produit parce que l’âme se sépare du corps. Mais ce sacrement contient le corps du Christ en même temps que son âme. Donc le Christ ne pouvait pas mourir dans ce sacrement.

En sens contraire, c’est le même Christ, qui était sur la croix, qui aurait été dans le sacrement. Mais sur la croix il mourait. Donc il serait mort aussi dans ce sacrement qu’on aurait conservé.

Réponse :

C’est le corps du Christ, substantiellement le même, qui se trouve et dans ce sacrement et sous son aspect propre, mais non pas de la même manière ; car, sous son aspect propre, il touche les corps environnants par ses dimensions propres, ce qu’il ne fait pas en tant qu’il est dans ce sacrement, nous l’avons dit. Et c’est pourquoi on peut attribuer au Christ, en tant qu’il existe sous son aspect propre et en tant qu’il existe dans ce sacrement, tout ce qui lui appartient selon qu’il est en lui-même, comme vivre, mourir, souffrir, être animé ou inanimé, etc. Mais ce qui lui convient selon sa relation avec les corps extérieurs peut bien lui être attribué en tant qu’il existe sous son aspect propre, non en tant qu’il existe dans le sacrement, comme subir les moqueries, les crachats, la crucifixion, la flagellation, etc. C’est pourquoi on a dit en vers : " Lorsqu’il est conservé dans le ciboire, tu peux lui associer une douleur d’origine intérieure, mais une douleur infligée du dehors ne lui convient pas. "

Solutions :

1. On vient de le dire, la passion convient au corps qui pâtit, par relation avec un agent extérieur. Et c’est pourquoi le Christ, selon qu’il est dans le sacrement, ne peut pâtir. Cependant il peut mourir.

2. Comme on l’a vu plus haut, sous l’espèce du pain, il y a le corps du Christ en vertu de la consécration, et le sang sous l’espèce du vin. Mais maintenant que, dans la réalité, le sang du Christ n’est pas séparé de son corps, en vertu de la concomitance réelle, le sang du Christ existe sous l’espèce du pain ensemble avec son corps, et son corps sous l’espèce du vin ensemble avec son sang. Mais si l’on avait consacré ce sacrement au moment de la passion du Christ, quand le sang fut réellement séparé du corps, il n’y aurait eu que le corps sous l’espèce du pain, et sous l’espèce du vin il n’y aurait eu que le sang.

3. Comme on l’a vu plus haut, l’âme du Christ est dans ce sacrement en vertu de la concomitance réelle, parce qu’elle n’existe pas séparée du corps. Mais ce n’est pas en vertu de la consécration. Et c’est pourquoi, si alors on avait consacré ou conservé ce sacrement quand l’âme était réellement séparée du corps, l’âme du Christ n’aurait pas été présente sous ce sacrement ; non pas à cause d’une insuffisance dans la vertu des paroles, mais à cause d’un autre agencement de la réalité.

 

 

QUESTION 82 — LE MINISTRE DE CE SACREMENT

1. Consacrer ce sacrement est-il le propre du prêtre ? - 2. Plusieurs prêtres peuvent-ils consacrer ensemble la même hostie ? - 3. La dispensation de ce sacrement appartient-elle au seul prêtre ? - 4. Est-il permis au prêtre qui consacre de s’abstenir de communier ? - 5. Un prêtre pécheur peut-il consacrer ce sacrement ? 6. La messe d’un mauvais prêtre a-t-elle moins de valeur que la messe d’un bon prêtre ? 7. Les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés peuvent-ils consacrer ce sacrement ? - 8. Et les prêtres dégradés ? - 9. Ceux qui reçoivent la communion donnée par de tels prêtres commettent-ils un péché ? - 10. Est-il permis à un prêtre de s’abstenir totalement de célébrer ?

 

            Article 1 — Consacrer ce sacrement est-il le propre du prêtre ?

Objections :

1. On a dit plus haut que ce sacrement est consacré par la vertu des paroles qui sont la forme de ce sacrement. Mais ces paroles ne changent pas, qu’elles soient prononcées par un prêtre ou par quelqu’un d’autre. Il apparaît donc que non seulement le prêtre, mais n’importe qui d’autre peut consacrer ce sacrement.

2. Le prêtre consacre ce sacrement en tenant la place du Christ. Mais le laïc qui est saint est uni au Christ par la charité. Il apparaît donc que même un laïc peut consacrer ce sacrement. Aussi S. Chrysostome dit-il : " Tout saint est prêtre. "

3. Ce sacrement est ordonné au salut de l’homme, comme le baptême, on l’a montré plus haut. Mais même un laïc peut baptiser, comme on l’a dit. Donc il n’est pas réservé au prêtre de consacrer ce sacrement.

4. Ce sacrement s’accomplit dans la consécration de la matière. Mais la consécration d’autres matières - le chrême, l’huile sainte et l’huile bénite - appartient à l’évêque seul. Pourtant leur consécration n’a pas une aussi grande dignité que la consécration de l’eucharistie, dans laquelle il y a le Christ tout entier. Il n’est donc pas réservé au prêtre, mais à l’évêque seul, de consacrer ce sacrement.

En sens contraire, Isidore dit dans une lettre, et l’on retrouve ce texte dans les Décrets de Gratien : " Il appartient au prêtre de consacrer le sacrement du corps et du sang du Seigneur sur l’autel de Dieu. "

Réponse :

Comme nous l’avons dit, ce sacrement est d’une telle dignité qu’il n’est consacré que par celui qui tient la place du Christ. Or quiconque agit à la place d’un autre doit le faire en vertu d’un pouvoir que celui-ci lui a concédé. Or, de même que le baptisé a reçu du Christ le pouvoir de consommer ce sacrement, de même le prêtre, lorsqu’il est ordonné, reçoit le pouvoir de consacrer ce sacrement en tenant la place du Christ. Car c’est par là qu’il est mis au rang de ceux à qui le Seigneur a dit (Lc 22, 19) : " Faites cela en mémoire de moi. " Et par conséquent il faut dire que la consécration de ce sacrement appartient en propre aux prêtres.

Solutions :

1. La vertu sacramentelle réside en plusieurs réalités et non en une seule. C’est ainsi que la vertu du baptême réside et dans les paroles et dans l’eau. C’est pourquoi la vertu de consacrer l’eucharistie ne réside pas seulement dans les paroles elles-mêmes, mais aussi dans le pouvoir qui est confié au prêtre dans sa consécration ou ordination, quand l’évêque lui dit : " Recevez le pouvoir d’offrir le sacrifice dans l’Église, tant pour les vivants que pour les morts. " Car la vertu instrumentale réside dans les divers instruments que l’agent principal emploie dans son action.

2. Le laïc qui est juste est uni au Christ d’une union spirituelle par la foi et la charité, mais non par un pouvoir sacramentel. Et c’est pourquoi il possède un sacerdoce spirituel pour offrir ces hosties spirituelles dont il est parlé dans le Psaume (51, 19) : " Le sacrifice offert à Dieu, c’est le cœur contrit " et, dans l’épître aux Romains (12, 1) : " Offrez vos corps comme une hostie vivante. " Aussi parle-t-on aussi (1 P 2, 5) d’" un sacerdoce saint pour offrir des sacrifices spirituels ".

3. La réception de ce sacrement n’est pas d’une aussi grande nécessité que la réception du baptême, comme on l’a établi plus haut. Et c’est pourquoi, bien que, en cas de nécessité, un laïc puisse baptiser, il ne peut cependant pas consacrer ce sacrement.

4. L’évêque a reçu le pouvoir d’agir à la place du Christ sur son corps mystique, c’est-à-dire sur l’Église : or ce pouvoir, le prêtre ne l’a pas reçu dans sa consécration, bien qu’il puisse l’avoir par mandat de l’évêque. Et c’est pourquoi les actes qui ne ressortissent pas à l’organisation du corps mystique ne sont pas réservés à l’évêque : ainsi la consécration de ce sacrement. A l’évêque il appartient de transmettre non seulement au peuple, mais encore aux prêtres ce dont ils peuvent user dans leurs fonctions propres. Et parce que la bénédiction du chrême, de l’huile sainte et de l’huile des infirmes, et des autres choses qui reçoivent une consécration, comme l’autel, l’église, les vêtements et les vases sacrés, confèrent à ces choses une certaine capacité pour l’accomplissement des sacrements qui ressortissent à la fonction des prêtres, c’est pour cela que de telles consécrations sont réservées à l’évêque comme au chef de tout l’ordre ecclésiastique.

 

            Article 2 — Plusieurs prêtres peuvent-ils consacrer ensemble la même hostie ?

Objections :

1. On a dit plus haut que plusieurs hommes ne peuvent en baptiser un seul. Mais le prêtre qui consacre n’a pas une moindre force que l’homme qui baptise. Donc plusieurs prêtres ne peuvent pas davantage consacrer ensemble une seule hostie.

2. Il est superflu de faire par beaucoup ce qui peut être fait par un seul. Or, dans les sacrements il ne doit rien y avoir de superflu. Puisqu’un seul suffit à consacrer, il apparaît donc que plusieurs ne peuvent consacrer une seule hostie.

3. Comme dit S. Augustin, ce sacrement est " le sacrement de l’unité ". Mais la multitude est le contraire de l’unité. Il n’apparaît donc pas normal, pour ce sacrement, que plusieurs prêtres consacrent la même hostie.

En sens contraire, selon la coutume de certaines Églises, les prêtres qui sont nouvellement ordonnés concélèbrent avec l’évêque qui fait l’ordination.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, le prêtre, lorsqu’il est ordonné, est établi dans le rang de ceux qui ont reçu du Seigneur, à la Cène, le pouvoir de consacrer. Et c’est pourquoi, selon la coutume de certaines Églises, de même que les Apôtres à la Cène ont partagé le repas du Christ, de même les nouveaux ordonnés concélèbrent avec l’évêque qui fait l’ordination. Et par là on ne redouble pas la consécration sur la même hostie car, dit Innocent III. l’intention de tous doit se porter sur le même instant de la consécration.

Solutions :

1. On ne lit pas que le Christ ait baptisé avec les Apôtres quand il leur enjoignit l’office de baptiser. Par conséquent, la comparaison ne vaut pas.

2. Si l’un des prêtres agissait par sa vertu propre, les autres prêtres agiraient de façon superflue, puisqu’un seul célébrerait suffisamment. Mais parce que le prêtre ne consacre qu’en tenant la place du Christ, et que beaucoup sont un dans le Christ, peu importe que ce sacrement soit consacré par un seul ou par beaucoup ; mais ce qu’il faut, c’est que le rite de l’Église soit observé.

3. L’eucharistie est bien le sacrement de l’unité ecclésiastique ; mais celle-ci consiste en ce que beaucoup sont un dans le Christ.

 

            Article 3 — La dispensation de ce sacrement appartient-elle au seul prêtre ?

Objections :

1. Le sang du Christ n’appartient pas moins à ce sacrement que son corps. Mais le sang du Christ est administré par les diacres. De là cette parole de S. Laurent à S. Sixte : " Éprouve si tu as choisi un ministre capable, celui à qui tu as confié la dispensation du sang du Seigneur. " Donc, pour la même raison, la dispensation du corps du Seigneur n’appartient pas aux seuls prêtres.

2. Les prêtres sont établis ministres des sacrements. Mais ce sacrement est accompli dans la consécration de la matière, non dans son usage, auquel se rattache la dispensation. Il apparaît donc qu’il n’appartient pas au prêtre de dispenser le corps du Seigneur.

3. Denys dit que ce sacrement a " une vertu perfective ", de même que le chrême. Or, la signation des baptisés avec le chrême n’appartient pas au prêtre, mais à l’évêque. Donc, dispenser ce sacrement appartient aussi à l’évêque, et non au prêtre.

En sens contraire, on dit dans les Décrets de Gratien : " Nous avons appris que certains prêtres confient le corps du Seigneur à un laïc ou à une femme, pour le faire porter aux malades. Le Synode interdit donc de renouveler cette pratique audacieuse : mais le prêtre doit communier les malades lui-même. "

Réponse :

La dispensation du corps du Christ appartient au prêtre pour trois motifs.

1° Parce que, nous l’avons dito, c’est lui qui consacre en tenant la place du Christ. Or, c’est le Christ lui-même, comme il a consacré son corps à la Cène, qui l’a donné aux autres à manger. Donc, de même que la consécration du corps du Christ appartient au prêtre, de même c’est à lui qu’en appartient la dispensation.

2° Parce que le prêtre est établi intermédiaire entre Dieu et le peuple. Par conséquent, de même que c’est à lui qu’il appartient d’offrir à Dieu les dons du peuple, de même c’est à lui qu’il appartient de donner au peuple les dons sanctifiés par Dieu.

3° Parce que, par respect pour ce sacrement, il n’est touché par rien qui ne soit consacré : c’est pourquoi le corporal et le calice sont consacrés, et semblablement les mains du prêtre sont consacrées pour toucher ce sacrement. Aussi personne d’autre n’a le droit de le toucher, sinon en cas de nécessité, par exemple si le sacrement tombait à terre, ou dans un autre cas de nécessité.

Solutions :

1. Le diacre, parce qu’il approche de l’ordre sacerdotal, participe quelque peu de sa fonction ; c’est pour cela qu’il dispense le sang, mais non le corps, sinon en cas de nécessité, sur l’ordre de l’évêque ou du prêtre. 1° Parce que le sang du Christ est contenu dans un vase, si bien qu’il n’est pas nécessaire que celui qui le dispense y touche, comme c’est le cas pour le corps du Christ. 2° Parce que le sang signifie la rédemption du Christ qui se communique au peuple ; c’est pourquoi, au sang se mêle de l’eau, laquelle symbolise le peuple. Et parce que les diacres sont entre le prêtre et le peuple, il convient davantage aux diacres de dispenser le sang que de dispenser le corps.

2. Il appartient au même de dispenser le sacrement et de le consacrer, pour les raisons que nous avons dites.

3. De même que le diacre participe en quelque chose de la " vertu illuminative " du prêtre, en tant qu’il dispense le sang ; de même le prêtre participe de la " dispensation perfective " de l’évêque, en tant qu’il dispense ce sacrement, par lequel l’homme est perfectionné en lui-même par l’union au Christ. Mais les autres actes par lesquels l’homme est perfectionné par rapport aux autres sont réservés à l’évêque.

 

            Article 4 — Est-il permis au prêtre qui consacre de s’abstenir de communier ?

Objections :

1. Dans les autres consécrations, celui qui consacre une matière sacramentelle n’use pas de celle-ci ; ainsi l’évêque qui consacre le chrême n’en reçoit pas l’onction. Mais ce sacrement consiste dans la consécration de la matière. Donc le prêtre qui accomplit ce sacrement n’est pas obligé d’en user, mais peut licitement s’abstenir de le consommer.

2. Dans les autres sacrements le ministre ne se donne pas le sacrement à lui-même, car nul ne peut se baptiser soi-même, comme on l’a vu plus haut. Mais, de même que la dispensation du baptême se fait selon un ordre déterminé, de même celle de ce sacrement. Donc le prêtre qui accomplit ce sacrement ne doit pas le recevoir de lui-même. 3. Il arrive parfois que le corps du Christ apparaît miraculeusement sur l’autel sous l’aspect de chair, et le sang sous l’aspect de sang. Or cela ne se prête pas à être mangé ou bu ; c’est pourquoi, comme on l’a déjà dit, le corps et le sang sont donnés sous un autre aspect pour ne pas faire horreur aux communiants. Donc le prêtre qui consacre n’est pas toujours tenu de consommer ce sacrement.

En sens contraire, on lit dans un concile de Tolède et on retrouve dans les Décrets : " Il faut tenir de toute façon que chaque fois qu’un prêtre immole sur l’autel le corps et le sang de notre Seigneur Jésus Christ, chaque fois il doit montrer qu’il participe à la réception du corps et du sang du Christ. "

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, l’eucharistie n’est pas seulement sacrement, mais aussi sacrifice. Or quiconque offre le sacrifice doit en devenir participants. Parce que le sacrifice qu’on offre extérieurement est signe du sacrifice intérieur par lequel on s’offre soi-même à Dieu, dit S. Augustin. Donc, par le fait qu’on participe au sacrifice, on montre qu’on s’associe au sacrifice intérieur.

De même encore, par le fait qu’il dispense le sacrifice au peuple, il montre qu’il est le dispensateur des biens divins pour le peuple. Lui-même doit être le premier à participer à ces biens, comme dit Denys. Et c’est pourquoi il doit lui-même consommer avant de dispenser au peuple. Aussi lit-on dans le chapitre cité ci-dessus : " Quel est ce sacrifice auquel le sacrificateur lui-même ne participe pas visiblement ? "

Or, on participe au sacrifice du fait qu’on en mange, selon S. Paul (1 Co 10, 18) : " Ceux qui mangent les victimes ne participent-ils pas de l’autel ? " Et c’est pourquoi il est nécessaire que le prêtre, chaque fois qu’il consacre, consomme ce sacrement dans son intégrité.

Solutions :

1. La consécration du chrême, ou de toute autre matière, n’est pas un sacrifice, comme la consécration de l’eucharistie. Et par conséquent, la comparaison ne vaut pas.

2. Le sacrement de baptême s’accomplit dans l’usage même de la matière. Et c’est pourquoi nul ne peut se baptiser soi-même, car dans le sacrement le même ne peut être agent et patient. Aussi, dans l’eucharistie non plus, le prêtre ne se consacre pas lui-même, mais il consacre le pain et le vin, et c’est dans cette consécration que s’accomplit notre sacrement. Or, l’usage de ce sacrement vient à la suite du sacrement. C’est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

3. Si, miraculeusement, le corps du Christ apparent sur l’autel sous l’aspect de chair, ou le sang sous l’aspect de sang, il ne faut pas les consommer. S. Jérôme dit en effet, commentant le Lévitique : " De cette victime qui se réalise merveilleusement dans la commémoration du Christ, il est permis de manger, mais de celle que le Christ offrit en sa personne sur l’autel de la croix, il n’est permis à personne de manger. " Et pour autant le prêtre ne transgresse pas la loi, car les faits miraculeux ne sont pas soumis aux lois. Cependant il faut conseiller au prêtre de consacrer de nouveau le corps et le sang du Seigneur, et de les consommer".

 

            Article 5 — Un prêtre pécheur peut-il consacrer l’eucharistie ?

Objections :

1. S. Jérôme écrit : " Les prêtres, qui sont ministres de l’eucharistie et distribuent le sang du Seigneur au peuple, agissent de façon impie contre la loi du Christ, s’ils pensent que ce qui fait l’eucharistie ce sont les paroles et non la vie de celui qui prononce l’invocation ; que ce qui est nécessaire, c’est l’oraison solennelle, et non les mérites du prêtre. De ces prêtres-là on dit : "Tout prêtre en qui il y a une souillure, ne sera pas admis à offrir les oblations au Seigneur". " Mais le prêtre pécheur, étant souillé, n’a ni la vie ni les mérites qui s’accordent avec ce sacrement. Donc le prêtre pécheur ne peut consacrer l’eucharistie.

2. S. Jean Damascène dit que " le pain et le vin, par la venue du Saint-Esprit, deviennent surnaturellement le corps et le sang du Seigneur ". Mais le pape Gélase dit cette parole, recueillie dans les Décrets de Gratien : " Comment l’Esprit céleste se rendra-t-il à l’invocation pour la consécration du divin mystère, si le prêtre qui implore son intervention est convaincu de mener une conduite criminelle ? " L’eucharistie ne peut donc être consacrée par un mauvais prêtre.

3. Ce sacrement est consacré par la bénédiction du prêtre. Mais la bénédiction d’un prêtre pécheur n’est pas efficace pour la consécration de ce sacrement, puisqu’il est écrit (MI 2, 2) : " je maudirai vos bénédictions. " Et Denys : " Il est entièrement déchu de l’ordre sacerdotal, celui qui n’est pas illuminé. Il me semble donc bien audacieux, l’homme de cette sorte, qui porte la main sur les mystères sacerdotaux ; qui ose emprunter la forme du Christ pour prononcer, je ne dis pas des prières, mais d’impurs blasphèmes sur les divins mystères. "

En sens contraire, S. Augustin dit : " Dans l’Église catholique, le bon prêtre n’accomplit rien de plus, le mauvais prêtre n’accomplit rien de moins, en ce qui concerne le mystère du corps et du sang du Seigneur ; car il ne s’accomplit pas par le mérite de celui qui consacre, mais par la parole du Créateur et la vertu du Saint-Esprit. "

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, le prêtre ne consacre pas ce sacrement par sa vertu propre, mais comme étant le ministre du Christ dont il tient la place quand il consacre ce sacrement. Or, on ne cesse pas d’être ministre du Christ du fait qu’on est mauvais. Car le Seigneur a de bons ministres, ou serviteurs, et il en a de mauvais. Aussi dit-il, en S. Matthieu (24, 45) : " Qui est, à votre avis, un serviteur fidèle et prudent ", et plus loin il ajoute : " Si le mauvais serviteur dit en son cœur, etc. " L’Apôtre dit (1 Co 4, 1) : " Qu’on nous considère comme ministres du Christ ", et cependant il ajoute ensuite : " Ma conscience, il est vrai, ne me reproche rien, mais je n’en suis pas justifié pour autant. " Il avait donc la certitude d’être ministre du Christ, et cependant il n’avait pas la certitude d’être juste. On peut donc être ministre du Christ, même sans être juste. Et cela tient à l’excellence du Christ, qui, comme vrai Dieu, a pour serviteurs non seulement les biens mais aussi les maux qui sont ordonnés à sa gloire par sa providence. Il est donc évident que les prêtres, même s’ils ne sont pas justes mais pécheurs, peuvent consacrer l’eucharistie.

Solutions :

1. Par ces paroles, S. Jérôme condamne l’erreur de prêtres qui croyaient pouvoir dignement consacrer l’eucharistie du seul fait qu’ils sont prêtres, même s’ils sont pécheurs. C’est cela que S. Jérôme condamne, du fait qu’il est interdit à ceux qui sont souillés d’approcher de l’autel. Mais cela n’empêche pas que, s’ils en approchent, le sacrifice qu’ils offrent est vrai.

2. Avant ces paroles, le pape Gélase avait dit " Le culte sacré conforme à la discipline catholique revendique une telle révérence que nul n’ose s’en approcher sans une conscience pure. " Cela montre à l’évidence l’intention de son propos : que le prêtre pécheur ne doit pas approcher de ce sacrement. Aussi, lorsqu’il ajoute : " Comment l’Esprit céleste se rendra-t-il à l’invocation ", il faut comprendre qu’il ne se rend pas présent par le mérite du prêtre, mais par la vertu du Christ, dont le prêtre profère les paroles.

3. La même action, en tant qu’elle vient de la mauvaise intention du serviteur peut être mauvaise, et bonne en tant qu’elle vient de la bonne intention du maître ; de même la bénédiction du prêtre pécheur, en tant queue est impie, venant de lui, est digne de malédiction, et mérite le nom d’infamie ou de blasphème plutôt que de prière ; mais en tant que prononcée par celui qui tient la place du Christ, elle est sainte et efficace pour sanctifier. C’est pourquoi il est dit expressément " Je maudirai vos bénédictions. "

 

            Article 6 — La messe d’un mauvais prêtre a-t-elle moins de valeur que la messe d’un bon prêtre ?

Objections :

1. S. Grégoire dit dans sa correspondance : " Hélas ! dans quel redoutable piège tombent ceux qui croient que les divins et secrets mystères peuvent être plus sanctifiés par ceux-ci que par ceux-là, puisqu’un seul et même Esprit sanctifie ces mystères par son opération secrète et invisible. " Mais c’est à la messe que se célèbrent ces secrets mystères.

Donc la messe d’un mauvais prêtre n’a pas moins de valeur que celle d’un bon prêtre.

2. De même que le baptême est donné par un ministre qui agit dans la vertu du Christ, car c’est le Christ qui baptise, de même ce sacrement est consacré par quelqu’un qui tient la place du Christ. Mais un meilleur ministre ne donne pas un meilleur baptême, comme on l’a dit plus haut. Donc la messe célébrée par un meilleur prêtre, elle non plus, n’est pas meilleure.

3. De même que les mérites des prêtres diffèrent selon le bien et le mieux, ils diffèrent aussi selon le bien et le mal. Donc, si la messe d’un meilleur prêtre est meilleure, il s’ensuit que la messe d’un mauvais prêtre est mauvaise. Ce qui est inadmissible, car la méchanceté des ministres ne peut rejaillir sur les mystères du Christ, comme le montre S. Augustin. Donc la messe d’un prêtre meilleur n’est pas meilleure.

En sens contraire, on trouve dans les Décrets : " Plus les prêtres sont dignes, plus facilement ils sont exaucés dans les besoins pour lesquels ils implorent. "

Réponse :

Deux choses sont à considérer dans la messe le sacrement proprement dit, qui est le principal, et les prières qui se font à la messe pour les vivants et pour les morts. En ce qui concerne le sacrement, la messe d’un mauvais prêtre ne vaut pas moins que celle d’un bon, car, de part et d’autre, c’est le même sacrement qui est consacré.

De plus, la prière qui se fait à la messe peut encore être considérée à deux points de vue. D’une part, en tant qu’elle tire son efficacité de la dévotion du prêtre qui prie. Et à ce point de vue, il est hors de doute que la messe d’un meilleur prêtre est plus fructueuse. D’autre part, en tant que la prière est prononcée à la messe par le prêtre qui tient la place de toute l’Église, dont il est le ministre. Or ce ministère subsiste même chez les pécheurs, comme on l’a dit à l’article précédent, à propos du service du Christ. Donc, à cet égard, non seulement la prière que le prêtre pécheur fait à la messe est fructueuse, mais encore toutes les autres prières qu’il fait dans les offices ecclésiastiques, où il tient la place de l’Église. Mais ses prières privées ne sont pas fructueuses, selon la parole des Proverbes (28, 9) : " Celui qui détourne l’oreille pour ne pas entendre la loi, sa prière sera exécrable. "

Solutions :

1. S. Grégoire parle ici au point de vue de la sainteté du sacrement divin.

2. Dans le sacrement de baptême on ne fait pas de prières solennelles pour tous les fidèles, comme à la messe. À cet égard, la comparaison ne vaut pas. Mais elle vaut quant à l’effet du sacrement.

3. A cause de la vertu du Saint-Esprit qui, par l’unité de la charité, établit une communication réciproque de biens entre les membres du Christ, il se produit que le bien particulier qui se trouve dans la messe d’un bon prêtre est fructueux pour les autres. Mais le mal particulier d’un seul homme ne peut nuire à un autre, sinon parce que celui-ci y consent de quelque manière, comme dit S. Augustin.

 

            Article 7 — Les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés peuvent-ils consacrer ce sacrement ?

Objections :

1. S. Augustin dit : " Hors de l’Église catholique, il ne peut y avoir de vrai sacrifice ", et S. Léon dit, ce qu’on trouve dans les Décrets de Gratien - " Ailleurs (que dans l’Église, qui est le corps du Christ) il n’y a ni sacerdoces valables, ni vrais sacrifices. " Mais les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés sont séparés de l’Église. ils ne peuvent donc pas consacrer un vrai sacrifice.

2. Au même endroits, on trouve cette parole du pape Innocent : " Quant à l’arianisme, et aux autres pestes de ce genre, parce que nous accueillons leurs laïcs sous le signe de la pénitence, on ne doit pas croire qu’il faut accueillir leurs clercs avec la dignité du sacerdoce ou de tout autre mystère ; nous permettons seulement qu’on admette leur baptême. " Mais on ne peut consacrer l’eucharistie si l’on n’a pas la dignité du sacerdoce. Donc les hérétiques et tous les gens semblables ne peuvent consacrer l’eucharistie.

3. Celui qui est hors de l’Église ne semble pas pouvoir faire quelque chose en tenant la place de toute l’Église. Mais le prêtre qui consacre l’eucharistie le fait en tenant la place de toute l’Église, ce qui est manifeste du fait qu’il prononce toutes les prières à la place de l’Église. Il apparaît donc que ceux qui sont hors de l’Église, c’est-à-dire les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés, ne peuvent consacrer l’eucharistie.

En sens contraire, S. Augustin écrit : " De même que le baptême, ainsi l’ordination est demeurée intacte en eux ", c’est-à-dire les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés. Mais par la vertu de l’ordination le prêtre peut consacrer l’eucharistie. Donc les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés, puisqu’en eux l’ordination demeure intacte, semblent bien pouvoir consacrer l’eucharistie.

Réponse :

Certains ont dit que les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés, parce qu’ils sont hors de l’Église, ne peuvent consacrer ce sacrement.

Mais ils se trompent en cela. Car, dit S. Augustin : " C’est différent de ne pas posséder du tout quelque chose, et de ne pas le posséder régulièrement " et, semblablement, " c’est encore différent de ne pas donner et de ne pas donner régulièrement ". Ceux donc qui, établis dans l’Église, ont reçu par l’ordination sacerdotale le pouvoir de consacrer, ont bien le pouvoir, mais n’en usent pas régulièrement si dans la suite, par l’hérésie, le schisme ou l’excommunication, ils sont séparés de l’Église. Quant à ceux qui sont ordonnés dans cet état de séparation, ils ne possèdent pas régulièrement le pouvoir, et ils n’en usent pas régulièrement. Que cependant les uns et les autres possèdent le pouvoir, c’est évident du fait que, comme le remarque S. Augustin au même endroit -, lorsqu’ils reviennent à l’unité de l’Église, ils ne sont pas réordonnés, mais on les réintègre dans leurs ordres. Et, parce que la consécration de l’eucharistie est un acte qui découle du pouvoir d’ordre, ceux qui ont été séparés de l’Église par l’hérésie, le schisme ou l’excommunication, peuvent bien consacrer l’eucharistie, et celle-ci, consacrée par eux, contient vraiment le corps et le sang du Christ ; mais ils ne le font pas régulièrement, car ils pèchent en le faisant. C’est pourquoi ils ne perçoivent pas le fruit du sacrifice, qui est le sacrifice spirituel.

Solutions :

1. Ces textes et d’autres semblables doivent s’entendre en ce sens qu’il n’est pas régulier d’offrir le sacrifice hors de l’Église. C’est pourquoi, hors de l’Église, il ne peut y avoir le sacrifice spirituel, qui est le vrai sacrifice, quant à la réalité de ses fruits, bien que ce sacrifice, offert hors de l’Église, soit un vrai sacrifice quant à la vérité sacramentelle. De même que, on l’a vu plus haut, le pécheur mange le corps du Christ sacramentellement, mais non spirituellement.

2. Parmi les sacrements donnés par des hérétiques et des schismatiques, le baptême seul est admis comme valable, parce qu’ils peuvent baptiser licitement en cas de nécessité. Mais en aucun cas ils ne peuvent licitement consacrer l’eucharistie, ou conférer les autres sacrements.

3. Le prêtre, dans les prières qu’il prononce à la messe, parle bien en tenant la place de l’Église, parce qu’il se tient dans son unité. Mais dans la consécration du sacrement, il parle en tenant la place du Christ, dont il joue le rôle alors par son pouvoir d’ordre. Et c’est pourquoi, si un prêtre séparé de l’unité de l’Église célèbre la messe, il consacre vraiment le corps et le sang du Christ parce qu’il n’a pas perdu le pouvoir d’ordre ; mais, parce qu’il est séparé de l’unité de l’Église, ses prières n’ont pas d’efficacité.

 

            Article 8 — Un prêtre dégradé peut-il consacrer ce sacrement ?

Objections :

1. Nul n’accomplit ce sacrement sinon par le pouvoir de consacrer qu’il possède. Mais " celui qui est dégradé n’a pas le pouvoir de consacrer, bien qu’il ait le pouvoir de baptiser ", dit un canon. Il apparaît donc qu’un prêtre dégradé ne peut consacrer l’eucharistie.

2. Celui qui donne quelque chose peut aussi l’enlever. Mais l’évêque donne au prêtre, en l’ordonnant, le pouvoir de consacrer. Il peut donc aussi le lui enlever en le dégradant.

3. Le prêtre, par la dégradation, perd ou bien le pouvoir de consacrer ou seulement l’exercice de ce pouvoir. Mais ce ne peut pas être seulement l’exercice, parce qu’ainsi le prêtre dégradé ne perdrait rien de plus que le prêtre excommunié, qui, lui non plus, ne peut exercer son pouvoir. Il apparaît donc que le prêtre dégradé perd le pouvoir de consacrer. Et il apparaît ainsi qu’il ne peut accomplir ce sacrement.

En sens contraire, S. Augustin prouve que " les apostats " de la foi " ne sont pas privés du baptême " par le fait que celui-ci " n’est pas rendu à ceux qui se réconcilient par la pénitence : on juge donc qu’ils n’ont pas pu le perdre ". Mais semblablement, le prêtre dégradé, si on le réconcilie, ne doit pas être ordonné de nouveau. Il n’a donc pas perdu le pouvoir de consacrer. Et ainsi le prêtre dégradé peut consacrer ce sacrement.

Réponse :

Le pouvoir de consacrer l’eucharistie se rattache au caractère de l’ordre sacerdotal. Or tout caractère, parce qu’il s’accompagne d’une consécration, est indélébile, nous l’avons vu plus haut ; de même que toutes les consécrations accordées à des choses sont perpétuelles et ne peuvent ni se perdre ni être réitérées. Il est donc évident que le pouvoir de consacrer ne se perd pas par la dégradation. S. Augustin dit en effet : " L’un comme l’autre ", le baptême et l’ordre, " est un sacrement, et l’un comme l’autre est donné à l’homme par une certaine consécration, qu’il s’agisse du baptême ou de l’ordination. Par conséquent, il n’est pas permis aux catholiques de réitérer l’un ou l’autre ". Ainsi est-il certain que le prêtre dégradé peut consacrer ce sacrement.

Solutions :

1. Ce canon ne parle pas affirmativement, mais interrogativement, comme on peut le voir par le contexte.

2. L’évêque ne donne pas le pouvoir de l’ordre sacerdotal par sa vertu propre, mais par sa vertu d’instrument, en tant que ministre de Dieu dont l’action ne peut être détruite par l’homme, selon cette parole en S. Matthieu (19, 6) : " Ceux que Dieu a unis, que l’homme ne les sépare pas. " Et c’est pourquoi l’évêque ne peut enlever ce pouvoir, pas plus que celui qui baptise ne peut enlever le caractère baptismal.

3. L’excommunication est une sanction médicinale. Et c’est pourquoi on ne prive pas les excommuniés de l’exercice du pouvoir sacerdotal pour toujours, mais en vue de leur amendement, d’une façon temporaire. Tandis que les dégradés sont privés de cet exercice comme étant définitivement condamnés.

 

            Article 9 — Ceux qui reçoivent la communion donnée par de tels prêtres commettent-ils un péché ?

Objections :

1. Il semble qu’il soit licite de recevoir la communion de prêtres hérétiques ou excommuniés, voire pécheurs, et d’entendre leur messe. S. Augustin écrit en effet : " Soit dans l’homme bon soit dans l’homme mauvais, que personne ne fuie les sacrements de Dieu. " Mais les prêtres, qu’ils soient pécheurs, hérétiques ou excommuniés, consacrent un vrai sacrement. Il apparaît donc qu’on ne doit pas éviter de recevoir d’eux la communion, ou d’entendre la messe qu’ils célèbrent.

2. Le vrai corps du Christ est représentatif du Corps mystique, comme on l’a dit plus haut. Mais de tels prêtres consacrent le vrai corps du Christ. Il apparaît donc que ceux qui appartiennent au corps mystique peuvent communier à leurs sacrifices.

3. Beaucoup de péchés sont plus graves que la fornication. Mais il n’est pas interdit d’entendre la messe des prêtres qui commettent d’autres péchés. Donc il ne doit pas être interdit non plus d’entendre la messe des prêtres fornicateurs.

En sens contraire, il est dit dans les Décrets " Que nul n’entende la messe d’un prêtre dont il sait évidemment qu’il vit en concubinage. " Et S. Grégoire : " Le père incroyant envoya à son fils un évêque arien, pour lui faire recevoir la communion consacrée par une main sacrilège ; mais l’homme fidèle à Dieu adressa à l’évêque arien, lorsqu’il se présenta, les reproches qu’il méritait. "

Réponse :

Comme nous l’avons déjà dit, les prêtres qui sont hérétiques, schismatiques ou excommuniés, ou encore pécheurs, bien qu’ils aient le pouvoir de consacrer l’eucharistie, n’en usent pas régulièrement ; au contraire, ils pèchent en exerçant ce pouvoir. Or, quiconque communie avec autrui dans le péché partage à son tour son péché. C’est pourquoi on lit dans la 2° épître de S. Jean (v. 11) que " celui qui aura dit : Salut " à l’hérétique " communie à ses œuvres mauvaises ". Et c’est pourquoi il n’est pas permis de recevoir la communion ou d’entendre la messe célébrée par de tels prêtres.

Cependant il y a une différence entre ces diverses catégories. Car les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés sont privés par sentence ecclésiastique d’exercer le pouvoir de consacrer. Aussi pèche-t-on si l’on entend leur messe ou si l’on reçoit d’eux le sacrement. Mais tous les pécheurs ne sont pas privés par sentence de l’Église de l’exercice de ce pouvoir. Et ainsi, bien qu’ils soient suspens en ce qui les concerne par sentence divine, ils ne le sont pas à l’égard des autres par sentence de l’Église. Et c’est pourquoi, jusqu’à ce que l’Église ait prononcé sa sentence, il est permis de recevoir d’eux la communion et d’entendre leur messe. Aussi, commentant S. Paul (1 Co 5, 11) : " Ne pas même prendre de repas avec un tel homme ", la Glose d’Augustin dit-elle : " Par cette parole, il n’a pas voulu que l’homme fût jugé par l’homme sur un simple soupçon, ou même par un jugement extraordinaire, mais plutôt en vertu de la loi de Dieu, selon l’ordre de l’Église, soit qu’il ait avoué ensuite, soit qu’il ait été accusé et convaincu. "

Solutions :

1. Du fait que nous évitons d’entendre la messe de ces prêtres, ou de recevoir d’eux la communion, nous ne fuyons pas les sacrements de Dieu, nous les vénérons plutôt. C’est pourquoi l’hostie consacrée par de tels prêtres doit être adorée et, si elle est réservée, elle peut être licitement consommée par un prêtre en situation régulière. Ce que nous fuyons, c’est la faute de ceux qui exercent indignement le ministère.

2. L’unité du Corps mystique est le fruit du vrai corps que l’on a reçu. Mais ceux qui le reçoivent ou l’administrent indignement sont privés de son fruit, on l’a dit plus haut. Et c’est pourquoi ceux qui sont dans l’unité de l’Église ne doivent pas consommer le vrai corps du Christ qui leur serait dispensé par de tels prêtres.

3. Bien que la fornication ne soit pas plus grave que d’autres péchés, cependant les hommes y sont davantage enclins à cause de la convoitise de la chair. Et c’est pourquoi l’Église a spécialement interdit ce péché aux prêtres, et défendu qu’on entende la messe d’un prêtre concubinaire. Mais cela doit s’entendre d’un pécheur notoire : soit " par sentence " portée contre celui qui a été convaincu de péché, soit " par aveu juridiquement obtenu ", soit quand " le péché ne peut être caché parce qu’indubitable ".

 

            Article 10 — Est-il permis à un prêtre de s’abstenir totalement de célébrer ?

Objections :

1. De même qu’il appartient à l’office sacerdotal de consacrer l’eucharistie, ainsi de baptiser et d’administrer les autres sacrements. Mais le prêtre n’est pas tenu d’administrer les autres sacrements, si ce n’est parce qu’il a reçu charge d’âmes. Il apparaît donc qu’il n’est pas tenu non plus de consacrer l’eucharistie s’il n’a pas charge d’âmes.

2. Nul n’est tenu de faire ce qui ne lui est pas permis ; autrement il serait acculé au péché. Mais nous avons vu qu’il n’est pas permis au prêtre pécheur ou excommunié de consacrer l’eucharistie. Il apparaît donc que de tels prêtres ne sont pas tenus de célébrer. Ni par conséquent les autres prêtres, autrement ceux-là tireraient avantage de leur faute.

3. La dignité sacerdotale ne se perd pas par une infirmité ultérieure. Le pape Gélase dit en effet, ce qu’on trouve dans les Décrets de Gratien : " Les préceptes canoniques ne permettent pas d’admettre au sacerdoce les infirmes ; en revanche, si quelqu’un reçoit une blessure après son ordination, il ne peut perdre ce qu’il a reçu au temps de son intégrité. " Or, il arrive parfois que des prêtres ordonnés subissent ensuite des déficiences qui les empêchent de célébrer, comme la lèpre, l’épilepsie, etc. Il ne paraît donc pas que les prêtres soient tenus de célébrer.

En sens contraire, S. Ambroise dit dans une prière : " C’est mal, si nous ne venons pas à votre table avec un cœur pur et des mains innocentes ; mais c’est pire encore si, par crainte du péché, nous allions jusqu’à ne pas acquitter le devoir du sacrifice. "

Réponse :

Certains ont prétendu qu’un prêtre peut licitement s’abstenir totalement de célébrer, à moins qu’il ne soit tenu par la charge qui lui a été confiée de célébrer pour le peuple et de lui donner les sacrements.

Mais cette opinion n’est pas raisonnable. Car chacun est tenu d’user de la grâce qui lui a été donnée, lorsqu’il en a l’opportunité, selon S. Paul (2 Co 6, 1) : " Nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu. " Or, l’opportunité d’offrir le sacrifice n’est pas à considérer seulement par rapport aux fidèles du Christ, auxquels il faut administrer les sacrements, mais à titre principal par rapport à Dieu, à qui le sacrifice est offert dans la consécration de ce sacrement. C’est pourquoi un prêtre, même s’il n’a pas charge d’âmes, ne peut pas s’abstenir totalement de célébrer ; mais il apparaît qu’il est tenu de célébrer au moins aux principales fêtes, et surtout aux jours où les fidèles ont coutume de communier. Aussi est-il écrit contre certains prêtres qu’" ils ne montraient plus aucun zèle pour le service de l’autel, qu’ils méprisaient le Temple et négligeaient les sacrifices " (2 M 4, 14).

Solutions :

1. Les autres sacrements sont accomplis dans l’usage qu’en font les fidèles. Et c’est pourquoi l’administration de ces sacrements n’est obligatoire que pour celui qui a reçu des fidèles en charge. Mais notre sacrement est accompli dans la consécration eucharistique, où l’on offre le sacrifice à Dieu ; à cela le prêtre est obligé envers Dieu, par l’ordre qu’il a reçu.

2. Le prêtre pécheur qui, par sentence de l’Église, est privé absolument ou temporairement d’exercer son ordre, est rendu impuissant à offrir le sacrifice, et par conséquent l’obligation disparaît. Et cela lui fait perdre des fruits spirituels, bien loin de tourner à son avantage. Mais s’il n’est pas privé du pouvoir de célébrer, l’obligation n’est pas enlevée. Cependant il n’est pas acculé au péché, car il peut faire pénitence de son péché et célébrer ensuite.

3. La faiblesse ou la maladie qui survient après l’ordination sacerdotale ne détruit pas celle-ci ; elle empêche seulement l’exercice de l’ordre, quant à la consécration eucharistique. Parfois cela arrive parce que cet exercice est tout à fait impossible ; par exemple, si l’on a perdu les yeux, les doigts, ou la parole. Parfois, parce que la célébration serait périlleuse ; c’est évidemment le cas de celui qui souffre d’épilepsie ou encore de n’importe quelle aliénation mentale. Parfois c’est à cause du dégoût qu’on pourrait provoquer ; c’est le cas du lépreux qui ne doit pas célébrer en public. Il peut cependant dire la messe en secret, à moins que la lèpre n’ait fait de tels progrès qu’en rongeant ses membres elle l’en ait rendu totalement incapable.

 

 

QUESTION 83 — LE RITE DE CE SACREMENT

1. Dans la célébration de ce mystère le Christ est-il immolé ? - 2. Le temps de la célébration. - 3. Le lieu, et tout l’apparat de cette célébration. - 4. Les paroles que l’on dit en célébrant ce mystère. - 5. Les actions qui accompagnent la célébration de ce mystère. - 6. Les défauts qui se rencontrent dans la célébration de ce sacrement.

 

            Article 1 — Dans la célébration de ce mystère, le Christ est-il immolé ?

Objections :

1. Il est écrit (He 10, 14) que le Christ " par une oblation unique a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il sanctifie ". Mais cette oblation, ce fut son immolation. Le Christ n’est donc pas immolé dans la célébration de ce sacrement.

2. L’immolation du Christ s’est faite sur la croix où " il s’est livré lui-même à Dieu en oblation et en sacrifice d’agréable odeur " (Ep 5, 2). Mais dans la célébration de ce mystère le Christ n’est pas crucifié. Il n’est donc pas immolé non plus.

3. Comme dit S. Augustin, dans l’immolation du Christ le même est prêtre et victime. Mais dans la célébration de ce sacrement, ce n’est pas le même qui est prêtre et victime. Donc la célébration de ce sacrement n’est pas l’immolation du Christ.

En sens contraire, S. Augustin dit : " Le Christ a été immolé une seule fois en lui-même, et cependant il est immolé chaque jour dans le sacrement. "

Réponse :

C’est pour un double motif que la célébration de ce sacrement est appelée immolation du Christ. Tout d’abord parce que, dit S. Augustin : " On a coutume de désigner les images par les noms des choses qu’elles représentent ; ainsi lorsque nous regardons un tableau ou une peinture murale, nous disons : Voilà Cicéron, et : Voilà Salluste. " Or la célébration de ce sacrement, ainsi qu’on l’a dit plus haut, est comme une image qui représente la passion du Christ, laquelle est sa véritable immolation ; et c’est pourquoi la célébration de ce sacrement est appelée immolation du Christ. D’où cette parole de S. Ambroise : " Dans le Christ a été offerte une seule fois la victime qui est efficace pour le salut éternel. Que faisons-nous alors ? Est-ce que nous ne l’offrons pas chaque jour, mais pour commémorer sa mort ? "

L’autre motif concerne l’effet de la passion du Christ : c’est-à-dire que, par ce sacrement, nous devenons participants du fruit de la passion du Seigneur. C’est pourquoi l’on dit dans la secrète d’un dimanches : " Chaque fois qu’on célèbre ce sacrifice en mémorial, c’est l’œuvre de notre rédemption qui s’accomplit. "

Quant au premier mode, on pouvait dire que le Christ était immolé aussi dans les figures de l’Ancien Testament ; d’où la parole de l’Apocalypse (13, 8) : " Leurs noms ne sont pas inscrits au livre de vie de l’Agneau, lequel a été immolé dès l’origine du monde. " Mais quant au second mode, il est propre à ce sacrement que, dans sa célébration, le Christ soit immolé.

Solutions :

1. Comme dit S. Ambroise au même endroits : " Il y a une seule victime ", celle que le Christ a offerte et que nous offrons, " et non plusieurs, parce que le Christ a été offert une seule fois et que ce sacrifice-ci est le modèle de celui-là. De même que ce qui est offert partout est un seul corps et non plusieurs corps, de même c’est un unique sacrifice 4 ".

2. De même que la célébration de ce sacrement est une image qui représente la passion du Christ, de même l’autel représente sa croix sur laquelle il a été immolé sous son aspect propre.

3. C’est pour la même raison que le prêtre aussi est l’image du Christ, à la place et par la vertu de qui il prononce les paroles consécratoires, comme on l’a vu plus haut. Et ainsi, d’une certaine manière, c’est le même qui est prêtre et hostie.

 

            Article 2 — Le temps de la célébration

Objections :

1. Ce sacrement représente la passion du Seigneur, on vient de le dire. Mais la commémoration de la Passion ne se fait dans l’Église qu’une fois par an. Car S. Augustin écrit : " Chaque fois que la Pâque est célébrée, le Christ n’est-il pas immolé ? Cependant la commémoration anniversaire représente ce qui s’est passé jadis, et ainsi elle nous émeut comme si nous voyions devant nous le Seigneur en croix. " Ce sacrement ne doit donc se célébrer qu’une fois par an.

2. La passion du Christ est commémorée dans l’Église le vendredi avant Pâques, et non à la fête de Noël. Donc, puisque ce sacrement commémore la passion du Seigneur, il parait anormal qu’on le célèbre trois fois le jour de Noël, et qu’on l’omette totalement le Vendredi saint.

3. Dans la célébration de ce sacrement, l’Église doit imiter l’institution du Christ. Mais le Christ a consacré ce sacrement dans la soirée. Il apparaît donc que c’est à une heure semblable qu’on doit célébrer ce sacrement.

4. Le pape Léon, dans une lettre recueillie dans les Décrets de Gratien, affirme qu’il est permis de célébrer la messe " dans la première partie du jour ". Mais le jour commence à minuit, nous l’avons vu. Il apparaît donc qu’il est permis aussi de célébrer après minuit.

5. Dans la secrète d’un dimanche, on dit " Accorde-nous, Seigneur, de venir nombreux à ces mystères. " Mais il y aurait davantage d’affluence si le prêtre pouvait célébrer le même jour à plusieurs heures. Il apparaît donc qu’on ne doit pas interdire au prêtre de célébrer plusieurs fois le même jour.

En sens contraire, telle n’est pas la coutume observée par l’Église, selon les statuts canoniques.

Réponse :

Nous l’avons dit, dans la célébration de ce mystère, on vise et la représentation de la passion du Seigneur, et la participation à son fruit. Et c’est selon ces deux points de vue qu’il a fallu déterminer le temps approprié à la célébration de ce sacrement. Parce que nous avons quotidiennement besoin du fruit de la passion du Seigneur, à cause de nos défaillances quotidiennes, il est normal que, dans l’Église, on offre quotidiennement ce sacrement. C’est pourquoi le Seigneur nous enseigne à demander : " Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. " Ce que S. Augustin explique ainsi : " Si le pain est quotidien, pourquoi le manges-tu au bout d’un an, selon la coutume des Grecs en Orient ? Prends quotidiennement ce qui te soutient quotidiennement. " - Et parce que la passion du Seigneur fut célébrée depuis la troisième jusqu’à la neuvième heure, il est normal que ce soit dans cette partie du jour que ce sacrement est solennellement célébré dans l’Église.

Solutions :

1. Dans ce sacrement on commémore la passion du Christ en tant que son effet se communique aux fidèles. Mais au temps de la Passion, on commémore la passion du Christ seulement en tant qu’elle a été accomplie dans la personne de notre chef. Or cela ne s’est produit qu’une fois ; mais c’est chaque jour que les fidèles perçoivent le fruit de la passion du Seigneur. C’est pourquoi ce qui est simple commémoration ne se fait qu’une fois par an, mais ce sacrement se célèbre chaque jour, et pour appliquer le fruit de la passion et pour en renouveler sans cesse la mémoire.

2. A l’avènement de la vérité, la figure disparaît. Or, ce sacrement est une figure et une ressemblance de la passion du Seigneur, on vient de le dire. Et c’est pourquoi au jour où l’on commémore la passion du Seigneur en elle-même, selon queue s’est passée dans la réalité, on ne célèbre pas la consécration de ce sacrement. Cependant, pour que l’Église, même ce jour-là, ne soit pas privée du fruit de la passion que nous procure ce sacrement, on réserve le corps du Christ consacré le jour précédent, pour le consommer ce jour-là. Mais non le sang, parce qu’on risque de le répandre, et parce que le sang est plus spécialement l’image de la passion du Seigneur, comme on l’a dit précédemment. Et il n’est pas vrai, quoique certains l’affirment, qu’en laissant tomber dans le vin une parcelle du corps, on change le vin en sang. Car cette conversion ne peut se faire autrement que par la consécration qui s’accomplit avec la formule verbale prescrite.

Au jour de la Nativité, on célèbre plusieurs messes à cause de la triple naissance du Christ. La première est éternelle qui, pour nous, est cachée. C’est pourquoi l’on chante une messe la nuit, où l’on dit à l’introït (Ps 2, 7) : " Le Seigneur m’a dit : tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. " La deuxième est sa naissance selon le temps, mais dans les âmes, par laquelle le Christ " se lève dans nos cœurs comme l’étoile du matin " (2 P 1, 19). Et c’est pourquoi l’on chante une messe à l’aurore, où l’on dit à l’introït (Is 9, 2) : " La lumière brillera aujourd’hui sur nous. " La troisième est la naissance du Christ selon le temps et dans son corps, selon laquelle il s’est produit visiblement hors du sein virginal, revêtu de notre chair. Et c’est pourquoi on chante la troisième messe à la pleine lumière et l’on chante dans son introït (Is 9, 5) : " Un enfant nous est né. " - Cependant on peut dire, inversement, que la naissance éternelle, considérée en elle-même, est en pleine lumière : et c’est pourquoi, dans l’évangile de la troisième messe, on fait mention de la naissance éternelle. Mais selon la naissance corporelle il est né, à la lettre, pendant la nuit, pour signifier qu’il venait vers les ténèbres de notre faiblesse : aussi, dans la messe nocturne, lit-on l’évangile de la naissance corporelle du Christ.

Et c’est encore ainsi qu’à d’autres jours où se rencontrent plusieurs bienfaits du Christ à honorer ou à implorer, on célèbre plusieurs messes le même jour, par exemple une pour la fête, et les autres pour le jeûne ou pour les morts.

3. On a déjà fait remarquera que le Christ voulut laisser ce sacrement à ses disciples au dernier moment, afin de l’imprimer plus profondément dans leurs cœurs. Et c’est pourquoi il a consacré ce sacrement et l’a donné à ses disciples après le souper et à la fin du jour. Mais, par nous, ce sacrement est célébré à l’heure de la passion du Seigneur : soit, aux jours de fête, à tierce, quand il fut crucifié par les clameurs des juifs, comme le note S. Marc (15, 25), et quand le Saint-Esprit descendit sur les disciples (Ac 2, 15) ; soit aux jours de férie à sexte, quand il fut crucifié par les mains des soldats, comme on le lit en S. Jean (19, 14) ; soit, aux jours de jeûne, à none, quand " il rendit l’esprit après avoir poussé un grand cri ", comme dit S. Matthieu (27, 46-50).

On peut cependant célébrer plus tard : surtout quand il y a des ordinations et en particulier le Samedi saint ; soit à cause de la longueur de l’office, soit parce que les ordinations appartiennent au dimanche, comme on le voit dans les Décrets de Gratien.

On peut encore, cependant, célébrer la messe " dans la première partie du jour " pour motif de nécessité, comme on le voit dans les Décrets.

4. Régulièrement la messe doit se célébrer de jour et non de nuit : parce que le Christ lui-même est présent dans ce sacrement, lui qui dit en S. Jean (9, 4) : " Il faut que j’accomplisse les œuvres de celui qui m’a envoyé, tandis qu’il fait jour. La nuit approche, où personne ne peut rien faire. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. " De telle sorte cependant que le début du jour ne soit pas compté à partir de minuit, ni non plus à partir du lever du soleil, c’est-à-dire quand l’astre lui-même se montre au-dessus de la terre ; mais quand l’aurore commence à paraître. Alors en effet on dit que le soleil est levé, en tant que paraît la lumière de ses rayons. C’est pourquoi il est dit en S. Marc (16, 2) que les femmes vinrent au sépulcre " le soleil étant déjà levé ", et pourtant lorsqu’elles arrivèrent au tombeau " il faisait encore nuit ", selon S. Jean (20, 1). Car c’est ainsi que S. Augustin résout cette contradiction.

Cependant la messe est célébrée dans la nuit de Noël par une exception particulière, parce que le Seigneur est né la nuit, comme disent les Décrets de Gratien. Et de même encore le Samedi saint vers le début de la nuit, parce que le Seigneur est ressuscité la nuit, c’est-à-dire " quand il faisait encore nuit ", avant que n’apparût le soleil levant.

5. Comme on lit dans les Décrets de Gratien citant un décret du pape Alexandre II : " Il suffit au prêtre de célébrer une seule messe par jour : car le Christ a souffert une seule fois et a racheté le monde entier ; et il a bien de la chance, celui qui peut dignement célébrer une seule messe ! Cependant certains célèbrent une messe pour les défunts et une autre de la liturgie du jour, si c’est nécessaire. Quant à ceux qui ont l’audace de célébrer plusieurs messes le même jour, pour recevoir de l’argent ou des flatteries des séculiers, j’estime qu’ils n’échappent pas à la damnation. " Et Innocent III dit que " sauf le jour de la Nativité du Seigneur, à moins qu’un motif de nécessité n’y engage, il suffit au prêtre de célébrer seulement une messe par jour ".

 

            Article 3 — Le lieu et tout l’apparat de cette célébration

Objections :

1. Ce sacrement représente la passion du Seigneur. Or le Seigneur n’a pas souffert dans une demeure, mais hors de l’enceinte de la ville : " Jésus, pour sanctifier le peuple par son sang, a souffert hors de la porte " (He 13, 12). Il apparaît donc que ce sacrement ne doit pas se célébrer dans une demeure, mais plutôt en plein air.

2. Dans la célébration de ce sacrement, l’Église doit imiter la manière de célébrer du Christ et des Apôtres. Mais la maison dans laquelle le Christ accomplit ce sacrement pour la première fois n’était pas consacrée : ce fut une salle à manger ordinaire, préparée par le maître de la maison, comme on le voit en S. Luc (22, 11). Et on lit dans les Actes (2, 46) que les Apôtres " d’un même cœur fréquentaient assidûment le Temple ; et, rompant le pain dans leurs maisons, ils mangeaient avec allégresse ". Donc maintenant non plus, il ne faut pas qu’il y ait des demeures consacrées pour célébrer ce sacrement.

3. Rien ne doit se faire d’inutile dans l’Église, qui est gouvernée par le Saint-Esprit. Mais il semble inutile de conférer une consécration à l’église, ou à l’autel, et à d’autres choses inanimées qui sont incapables de recevoir la grâce ou une vertu spirituelle. Il est donc déplacé de faire, dans l’Église, de telles consécrations.

4. Seules les œuvres divines doivent être commémorées avec quelque solennité, selon la parole du Psaume (92, 5) : " J’exulterai dans l’œuvre de tes mains. " Mais la consécration de l’église ou de l’autel est une œuvre humaine, comme celle du calice, du ministre, et toutes les autres. Et ces dernières consécrations ne sont pas commémorées publiquement dans l’Église. Donc on ne doit pas non plus commémorer avec solennité la consécration de l’église ou de l’autel.

5. La réalité doit répondre à la figure. Mais dans l’Ancien Testament, qui était la figure du Nouveau, on ne faisait pas l’autel avec des pierres taillées. Car il est dit dans l’Exode (20, 24) : " Vous me ferez un autel de terre. Et si vous me faites un autel de pierre, vous ne le bâtirez pas avec des pierres taillées. " Dans l’Exode encore (25, 1), on prescrit de faire " l’autel de bois d’acacia " revêtu de " bronze ", ou même " d’or ". L’usage observé dans l’Église de ne faire l’autel qu’en pierre ne paraît donc pas justifié.

6. Le calice avec la patène figure le sépulcre du Christ. Or celui-ci fut " taillé dans la pierre ", disent les évangiles. Donc le calice doit être fait de pierre, et non pas seulement d’argent, d’or ou d’étain.

7. De même que l’or est la matière la plus précieuse pour faire un vase, de même les étoffes de soie sont les étoffes les plus précieuses. Donc, de même que le calice est en or, les nappes de l’autel devraient être en soie et non pas seulement en tissu de lin.

8. La dispensation des sacrements et leur ordonnance appartient aux ministres de l’Église, comme la dispensation des choses temporelles est soumise aux ordonnances des princes séculiers. D’où la parole de l’Apôtre (1 Co 4, 1) : " Que l’on nous considère comme les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu. " Mais si, dans l’administration des choses temporelles, on agit contrairement aux décrets des princes, c’est tenu pour nul. Donc, si ce dont on vient de parler a été réglé comme il faut par les prélats de l’Église, il apparaît que l’on ne peut, sans elles, consacrer le corps du Christ. Et il en découlerait que les paroles du Christ ne sont pas suffisantes pour consacrer ce sacrement, ce qui est inadmissible. Il ne paraît donc pas justifié qu’on ait établi toutes ces règles pour la célébration de l’eucharistie.

En sens contraire, les décisions prises par l’Église sont réglées par le Christ lui-même qui dit, en S. Matthieu (18, 20) : " Là où deux ou trois seront assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. "

Réponse :

Dans ce qui encadre ce sacrement, deux motifs entrent en ligne de compte. L’un concerne la représentation de ce qui s’est passé lors de la passion du Seigneur. L’autre concerne le respect dû à ce sacrement, qui contient le Christ réellement et non seulement en figure. C’est pourquoi on recourt à des consécrations pour les choses qui interviennent dans la pratique de ce sacrement, soit par respect envers le sacrement, soit pour représenter son effet, qui découle de la passion du Christ, selon l’épître aux Hébreux (13, 12) : " Le Christ, pour sanctifier le peuple par son sang, etc. "

Solutions :

1. Régulièrement, ce sacrement doit se célébrer dans une demeure qui symbolise l’Église, selon la 1ère épître à Timothée (3, 15) : " je veux que tu saches la conduite à tenir dans la maison de Dieu, qui est l’Église du Dieu vivant. " Car, " hors de l’Église il n’y a pas de place pour le vrai sacrifice ", selon S. Augustin. Et parce que l’Église ne devait pas être renfermée dans les frontières de la nation juive, mais être établie dans le monde entier, la passion du Christ n’a pas été célébrée dans la cité des juifs, mais en plein air, afin que le monde entier fût regardé, à l’égard de la passion du Christ, comme une demeure.

Et cependant, comme il est dit dans les Décrets de Gratien : " Nous permettons à ceux qui voyagent, s’ils ne trouvent pas d’église, de célébrer la messe en plein air ou sous la tente, pourvu qu’ils aient là une table consacrée et les autres objets consacrés nécessaires à cet office. "

2. La demeure dans laquelle ce sacrement se célèbre symbolise l’Église, et c’est pourquoi on l’appelle une " église ", et il est normal qu’elle soit consacrée : afin de représenter la sanctification procurée à l’Église par la passion du Christ, et aussi afin de symboliser la sainteté requise chez ceux qui doivent recevoir ce sacrement. Quant à l’autel, il symbolise le Christ lui-même dont il est écrit (He 13, 15) : " C’est par lui que nous offrons le sacrifice de louange. " Aussi la consécration de l’autel signifie-t-elle la sainteté du Christ, de qui il est dit en S. Luc (1, 35) : " L’être saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. " D’où la prescription des Décrets : " On a décidé de consacrer les autels non seulement par l’onction du chrême, mais encore par la bénédiction sacerdotale. "

Et c’est pourquoi, régulièrement, il n’est pas permis de célébrer ce sacrement ailleurs que dans des demeures consacrées. D’où cette règle des Décrets : " Qu’aucun prêtre n’ait l’audace de célébrer la messe ailleurs que dans des lieux consacrés par l’évêque. " Et c’est pourquoi aussi, parce que les païens, et les autres infidèles, n’appartiennent pas à l’Église, on lit dans la même Distinction : " Il n’est pas permis de consacrer l’église dans laquelle on ensevelit les cadavres des infidèles ; mais, si elle paraît apte à être consacrée, qu’après en avoir exhumé les corps, en avoir rasé les murs ou les charpentes, on la reconstruise. Mais si cette église a été consacrée antérieurement, il est permis d’y célébrer la messe ; à condition cependant que ce soient des fidèles qui y aient été ensevelis. "

Cependant, en cas de nécessité, on peut accomplir ce sacrement dans des demeures non consacrées, ou profanées, toutefois avec le consentement de l’évêque. C’est pourquoi on lit dans la même Distinction : " Nous jugeons qu’il ne faut pas célébrer la messe n’importe où, mais dans les lieux consacrés par l’évêque, ou autorisés par lui. " Non toutefois sans un autel portatif consacré, si bien qu’on lit dans la même Distinction : " Nous accordons, si les églises ont été brûlées, qu’on reprenne la célébration de la messe dans les chapelles, avec une table consacrée. " En effet, parce que la sainteté du Christ est la source de toute la sainteté de l’Église, en cas de nécessité il suffit pour accomplir ce sacrement d’avoir un autel consacré. C’est pourquoi encore une église n’est jamais consacrée sans que l’on consacre un autel ; alors que parfois, sans consacrer d’église, on consacre un autel, avec les reliques des saints dont " la vie est cachée avec le Christ en Dieu ". Aussi lit-on dans la même Distinction : " On a décidé que les autels où l’on constate qu’on n’a déposé ni corps ni reliques de martyrs seront détruits, si c’est possible, par les évêques qui ont l’autorité en ces lieux. "

3. L’église, l’autel et les autres objets inanimés sont consacrés, non parce qu’ils seraient capables de recevoir la grâce mais parce que, en vertu de la consécration, ils reçoivent une certaine vertu spirituelle qui les rend aptes au culte divin ; c’est-à-dire pour que les hommes en retirent une certaine dévotion, afin d’être mieux préparés aux mystères divins, si le manque de respect n’y fait pas obstacle. D’où ce texte (2 M 3, 38) " Vraiment, il y a dans ce lieu une vertu divine car celui qui a son habitation dans les cieux visite ce lieu et le protège. "

Et de là vient que ces objets, avant leur consécration, sont purifiés et exorcisés, pour que la vertu de l’ennemi en soit chassée. Et pour la même raison on réconcilie les églises " qui auront été souillées par une effusion de sang ou de semence ", parce que le péché qui y a été commis décèle une activité de l’ennemi en cet endroit. Et c’est pourquoi on lit aussi dans cette Distinction : " Partout où vous trouverez des églises des ariens, consacrez-les sans retard, pour en faire des églises catholiques par les prières et les rites divins. " Aussi certains disent-ils avec raison que par l’entrée dans une église consacrée on obtient la rémission des péchés véniels, comme par l’aspersion de l’eau bénite. Ils avancent à l’appui de cette opinion la parole du Psaume (85, 2) : " Tu as béni ta terre, Seigneur, tu as pardonné à ton peuple son iniquité. "

Et c’est pourquoi, à cause de la vertu que l’église acquiert par sa consécration, celle-ci ne se renouvelle pas. Aussi lit-on dans la même Distinction cette prescription empruntée au concile de Nicée : " On ne doit pas conférer une nouvelle consécration aux églises une fois consacrées à Dieu, à moins qu’elles n’aient été entièrement détruites par le feu, ou souillées par une effusion de sang ou de semence ; car, de même que l’enfant une fois baptisé par n’importe quel prêtre au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ne doit pas être baptisé à nouveau, ainsi un lieu dédié à Dieu ne doit pas être consacré à nouveau, sinon pour les motifs signalés ci-dessus ; pourvu du moins que ceux qui l’ont consacré aient eu la foi en la sainte Trinité. " D’autre part, ceux qui sont hors de l’Église ne peuvent pas consacrer. Mais, comme on lit dans la même Distinction : " Que l’on consacre les églises et les autels dont la consécration est douteuse. "

Et parce que, par la consécration, ces objets acquièrent une certaine vertu spirituelle, on lit ce décret, dans la même Distinction : " Les bois employés dans une église consacrée ne doivent pas être employés à un autre usage, si ce n’est pour une autre église ; ou bien il faut les brûler, ou bien les donner pour l’agrandissement d’un monastère ; ils ne doivent pas entrer dans des ouvrages destinés aux laïcs. " Et on lit au même endroit : " La nappe d’autel, la cathèdre, le candélabre et le voile, s’ils sont rongés de vieillesse, doivent être livrés au feu ; que les cendres soient portées à la piscine, ou jetées dans la muraille ou dans les cavités du pavement, pour n’être pas souillées par les pas de ceux qui entrent. "

4. Parce que la consécration de l’autel représente la sainteté du Christ, et que la consécration de la demeure représente la sainteté de toute l’Église, il est tout à fait à propos de commémorer solennellement la consécration de l’église ou de l’autel. C’est pourquoi aussi la solennité de la dédicace se poursuit pendant huit jours, pour symboliser la bienheureuse résurrection du Christ et des membres de l’Église. Et la consécration de l’église et de l’autel n’est pas une œuvre purement humaine puisqu’elle a une vertu spirituelle. Aussi est-il dit, dans la même Distinction : " Les solennités de la dédicace des églises doivent se célébrer solennellement chaque année. Que ces dédicaces doivent être célébrées pendant huit jours, vous le verrez au premier livre des Rois (8, 66), en lisant le récit de la dédicace du Temple. "

5. Comme disent les Décrets : " Si les autels ne sont pas de pierre, il ne faut pas les consacrer par l’onction du chrême. " Cela convient à la signification de notre sacrement ; d’abord parce que l’autel signifie le Christ, et il est écrit (1 Co 10, 4) : " La pierre était le Christ " ; et aussi parce que le corps du Christ fut déposé dans un sépulcre de pierre. Cela convient encore à la pratique du sacrement ; la pierre, en effet, est solide, et peut facilement se trouver partout. Ce qui n’était pas nécessaire dans la loi ancienne, où il n’y avait d’autel qu’en un seul lieu. Quant à l’ordre de faire l’autel avec de la terre ou des pierres non taillées, il avait pour but d’écarter l’idolâtrie.

6. Comme dit la même Distinction : " jadis les prêtres n’employaient pas des calices d’or, mais de bois. Mais le pape Zéphyrin décida qu’on célébrerait la messe avec des patènes de verre. Enfin le pape Urbain fit faire tout cela en argent. " Ensuite il fut décrété " que le calice du Seigneur, avec la patène, soit d’argent ou d’or ; ou au moins qu’on ait un calice d’étain. Mais qu’il ne soit pas fait de bronze ou de cuivre : car ces métaux, sous l’action du vin, se rouillent, ce qui provoque des nausées. Et que personne n’ait l’audace de chanter la messe avec un calice de bois ou de verre ", car le bois est poreux, et le sang consacré y pénétrerait ; quant au verre, il est fragile et risque de se briser. Et le même motif fait interdire la pierre. Et c’est pourquoi, par respect pour le sacrement, il a été décrété que le calice serait fait avec les matières indiquées.

7. Là où cela pouvait se faire sans danger, l’Église a décrété d’environner ce sacrement de ce qui représente le plus vivement la passion du Christ. Ce danger n’était pas aussi grand à l’égard du corps, qu’on pose sur le corporal, qu’à l’égard du sang contenu dans le calice. Et c’est pourquoi, bien qu’on ne fasse pas de calice en pierre, on fait le corporal d’une étoffe de lin, car le corps du Christ y fut enseveli. Aussi lit-on, dans la même Distinction, ce texte tiré d’une lettre du pape Silvestre - " Avec l’accord de tous, nous établissons que personne n’ait l’audace de célébrer le sacrifice de l’autel sur une étoffe de soie, ou sur une étoffe de couleur, mais sur une pièce de lin, consacrée par l’évêque, de même que le corps du Christ fut enseveli dans un suaire de lin blanc. " L’étoffe de lin convient encore à cause de sa propreté, pour symboliser la pureté de conscience ; et, à cause de la multiplicité des travaux qu’exige la préparation d’une telle étoffe, pour symboliser la passion du Christ.

8. La dispensation des sacrements appartient aux ministres de l’Église, mais leur consécration vient de Dieu lui-même. Et c’est pourquoi les ministres de l’Église n’ont rien à décider sur la forme de la consécration, mais sur la pratique du sacrement et la manière de célébrer. Et c’est pourquoi, si un prêtre prononce les paroles de la consécration sur la matière requise, avec l’intention de consacrer, en se passant de tout ce que nous avons dit : local, autel, calice et corporal consacrés, et les autres objets réglementés par l’Église, il consacre bien réellement le corps du Christ, mais il pèche gravement, en n’observant pas le rite de l’Église.

 

            Article 4 — Les paroles que l’on dit en célébrant ce mystère

Objections :

1. Ce sacrement est consacré par les paroles du Christ, dit S. Ambroise. On ne doit donc, dans ce sacrement, dire rien d’autre que les paroles du Christ.

2. Nous connaissons les paroles et les actions du Christ par l’Évangile. Mais on dit, dans la consécration de ce sacrement, des paroles qui ne s’y trouvent pas. Car on ne lit pas dans l’Évangile que le Christ, en instituant ce sacrement, ait levé les yeux au ciel ; de même encore, on dit dans l’Évangile " Prenez et mangez " mais il n’y a pas " tous " ; pourtant on dit, en célébrant ce sacrement " Les yeux levés au ciel " et aussi : " Prenez et mangez-en tous. " C’est donc à tort que l’on dit de telles paroles dans la célébration de ce sacrement.

3. Tous les sacrements sont ordonnés au salut des fidèles. Mais dans la célébration des autres sacrements il n’y a pas de prière générale pour le salut des fidèles défunts. C’est donc sans raison que l’on dit de telles paroles en célébrant ce sacrement.

4. Le baptême est appelé spécialement " le sacrement de la foi ". Ce qui regarde l’instruction de la foi doit donc être transmis plutôt dans le baptême que dans ce sacrement, comme l’enseignement de l’Apôtre et de l’Évangile.

5. La dévotion des fidèles est requise en tout sacrement. On ne devrait donc, pas plus dans ce sacrement que dans les autres, exciter la dévotion des fidèles par des louanges divines et des avertissements, comme lorsqu’on dit : " Élevons notre cœur ! "

6. C’est le prêtre qui est le ministre de ce sacrement, nous l’avons dit. Tout ce qui se dit dans ce sacrement devrait donc être dit par le prêtre, et non pas certaines paroles par les ministres, et d’autres par le chœur.

7. C’est la vertu divine qui, en toute certitude, réalise ce sacrement. Il est donc superflu que le prêtre demande l’achèvement de ce sacrement, lorsqu’il dit : " Sanctifie pleinement cette offrande... "

8. Le sacrifice de la loi nouvelle est beaucoup plus excellent que le sacrifice des anciens Pères. Le prêtre a donc tort de demander que ce sacrifice soit considéré de même que le sacrifice d’Abel, d’Abraham et de Melchisédech.

9. Le corps du Christ n’a pas commencé d’être en ce sacrement par un changement local, comme on l’a dit plus haut : de même il ne cesse pas d’y être. Le prêtre demande donc sans raison : " Que cette offrande soit portée par ton ange... sur ton autel céleste. "

En sens contraire, on dit dans les Décrets " C’est Jacques, frère du Seigneur selon la chair, et Basile, évêque de Césarée, qui ont établi la célébration de la messe. " Leur autorité prouve la convenance de toutes les paroles qui accompagnent ce sacrement.

Réponse :

Parce que ce sacrement embrasse tout le mystère de notre salut, il est célébré avec une plus grande solennité que les autres sacrements. Et parce qu’il est écrit dans l’Ecclésiaste (4, 17) : " Surveille tes pas lorsque tu entres dans la maison du Seigneur ", et dans l’Ecclésiastique (18,23 Vg) : " Avant la prière, prépare ton âme ", avant la célébration de ce mystère intervient une préparation, pour qu’on accomplisse dignement ce qui va suivre. La première partie de cette préparation est la louange divine, qui se fait dans l’introït, selon cette parole du Psaume (50, 23) : " Le sacrifice de louange m’honorera, et c’est là le chemin où je lui montrerai le salut de Dieu. " Et cet introït est tiré des Psaumes le plus souvent, ou du moins on le chante avec un Psaume, parce que, selon Denys e . les Psaumes embrassent, par mode de louange, tout le contenu de la Sainte Écriture. - La seconde partie de la préparation comporte le rappel de la misère présente, lorsqu’on demande miséricorde, par le chant du Kyrie, eleison, trois fois pour la personne du Père, trois fois pour la personne du Fils, quand on dit Christe, eleison ; et trois fois pour la personne du Saint-Esprit, lorsqu’on dit encore Kyrie, eleison ; cette triple invocation se dit contre la triple misère, d’ignorance, de coulpe et de peine ; ou bien pour signifier que toutes les Personnes se contiennent réciproquement. - La troisième partie de la préparation rappelle la gloire céleste, à laquelle nous tendons, après la vie et la misère présente, en disant : Gloria in excelsis Deo. On le chante aux fêtes, où l’on rappelle la gloire céleste ; on l’omet aux offices de deuil, qui concernent le rappel de notre misère. Enfin, la quatrième partie de la préparation comprend la prière que le prêtre fait pour le peuple, afin qu’il soit digne de si grands mystères.

Ensuite on fait précéder la célébration par l’instruction du peuple fidèle ; car ce sacrement est " le mystère de la foi ", comme on l’a vu plus haut. Cette instruction se fait d’une manière préparatoire par l’enseignement des Prophètes et des Apôtres qui, dans l’église, est lu par les lecteurs et les sous-diacres. Après cette lecture, le chœur chante le graduel, qui symbolise le progrès de la vie ; et l’alléluia, qui signifie l’exultation spirituelle ; ou, dans les offices de deuil, le trait, qui signifie le gémissement spirituel. Ces chants doivent parvenir au peuple comme une suite de l’enseignement que nous avons dit. Le peuple reçoit ensuite une instruction parfaite par l’enseignement du Christ, contenu dans l’évangile, qui est lu par les ministres les plus élevés, c’est-à-dire les diacres. Et parce que nous croyons au Christ comme à la vérité divine, selon sa parole en S. Jean (8, 46) : " Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? ", après la lecture de l’évangile, on chante le Symbole de foi, dans lequel le peuple montre qu’il adhère par la foi à l’enseignement du Christ. On chante ce symbole aux fêtes de ceux qui sont mentionnés dans le Symbole, comme aux fêtes du Christ, de la Sainte Vierge, et des Apôtres, qui ont fondé cette foi, et aux fêtes analogues.

Une fois que le peuple a été ainsi préparé et instruit, on en vient logiquement à la célébration du mystère. Celui-ci est offert en tant que sacrifice, consacré et mangé en tant que sacrement. Aussi, en premier lieu s’accomplit l’oblation ; en deuxième lieu, la consécration de la matière offerte ; en troisième lieu, sa réception. Deux actes accompagnent l’oblation : la louange du peuple, dans le chant de l’offertoire, par quoi s’exprime la joie de ceux qui offrent ; et la prière du prêtre, qui demande que l’oblation du peuple soit agréée par Dieu. C’est ainsi que David a dit (1 Ch 29, 17) : " Moi, dans la simplicité de mon cœur, j’ai offert toutes ces choses, et ton peuple qui se trouve ici, je l’ai vu avec grande joie te présenter ses offrandes ", et ensuite il prie en disant : " Seigneur Dieu, garde-leur cette volonté. "

Puis, pour la consécration, qui s’accomplit par une puissance surnaturelle, on excite d’abord le peuple à la dévotion, dans la préface ; c’est pourquoi on l’avertit d’" avoir le cœur élevé vers le Seigneur ". Et c’est pourquoi, la préface achevée, le peuple, avec dévotion, loue la divinité du Christ avec les anges, en disant : " Saint, Saint, Saint... " Et il loue son humanité, avec les enfants, en disant : " Béni, celui qui vient... " Puis : 1° Le prêtre, à voix basse, commémore ceux pour qui ce sacrifice est offert, c’est-à-dire l’Église universelle, et ceux qui, selon S. Paul (1 Tm 2, 2) " sont établis en dignité ", et spécialement ceux " qui offrent ou pour qui l’on offre ". 2° Il commémore les saints, dont il implore le patronage pour ceux qu’on vient de dire, avec la prière " Dans la communion de toute l’Église... " 3° Il conclut sa demande lorsqu’il dit : " Que cette offrande soit salutaire à ceux pour qui elle est offerte. "

Ensuite il arrive à la consécration elle-même. 1° Il y demande la réalisation de la consécration, avec la prière : " Sanctifie pleinement cette offrande... " 2° Il accomplit la consécration par les paroles du Sauveur, lorsqu’il dit : " La veille de sa passion, etc. " 3° Il s’excuse de cette audace sur son obéissance à l’ordre du Christ, lorsqu’il dit : " C’est pourquoi, nous aussi, tes serviteurs... " 4° Il demande que ce sacrifice, qui vient d’être réalisé, soit agréé de Dieu, lorsqu’il dit : " Sur ces offrandes, daigne... " 5° Il demande l’effet de ce sacrifice et sacrement d’abord pour ceux qui le prennent, lorsqu’il dit " Nous t’en supplions... " Ensuite, pour les morts, qui ne peuvent plus le prendre, lorsqu’il dit : " Souviens-toi aussi, Seigneur... " ; enfin, spécialement pour les prêtres eux-mêmes qui l’offrent, lorsqu’il dit : " Et nous, pécheurs... " etc.

Ensuite, il s’agit de la réception du sacrement. Et tout d’abord on prépare le peuple à le recevoir. 1° Par la prière commune de tout le peuple, qui est l’oraison dominicale, dans laquelle nous demandons que nous soit " donné notre pain quotidien " ; et aussi par la prière privée que le prêtre présente spécialement pour le peuple, quand il dit : " Délivre-nous, Seigneur... " 2° On prépare le peuple par la paix, qu’on donne en disant : " Agneau de Dieu... " : en effet, c’est le sacrement de l’unité et de la paix, comme on l’a dit plus haut. Mais dans les messes des défunts, où ce sacrifice n’est pas offert pour la paix d’ici-bas, mais pour le repos des morts, on omet la paix.

Ensuite vient la réception du sacrement : le prêtre le reçoit le premier, et le donne ensuite aux autres ; car, selon Denys, " celui qui transmet aux autres les biens divins doit y participer lui-même le premier ".

Enfin toute la célébration de la messe s’achève par l’action de grâce : le peuple exulte pour sa communion au mystère, ce qu’exprime le chant qui suit la communion ; et le prêtre présente son action de grâce par l’oraison. Comme le Christ qui, après avoir célébré la Cène avec ses disciples, " récita l’hymne ", dit S. Matthieu (26, 30).

Solutions :

1. La consécration est accomplie exclusivement par les paroles du Christ. Mais il est nécessaire d’y ajouter d’autres paroles pour préparer le peuple qui y participe, comme on vient de le dire.

2. Comme il est dit en S. Jean (21, 25), le Seigneur a fait ou dit bien des choses que les évangélistes n’ont pas écrites. Parmi elles, le fait que le Seigneur, à la Cène, leva les yeux au ciel : ce que, cependant, l’Église a reçu de la tradition des Apôtres, car il semble logique que lui, qui avait élevé les yeux vers son Père, selon S. Jean (11, 4 1), en ressuscitant Lazare et en priant pour ses disciples (17, 1), ait renouvelé ce geste, et à bien plus forte raison, en instituant ce sacrement, car c’était une affaire de plus d’importance.

Qu’on dise manducate ou comedite, le sens est le même. Et peu importe le terme qu’on emploie ici ; d’autant plus que ces paroles n’appartiennent pas à la forme sacramentelle, comme on l’a dit plus haut.

Si l’on ajoute " tous ", c’est le sens des paroles évangéliques, bien que ce ne soit pas exprimé ici, car lui-même avait dit (Jn 6, 54) : " Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, vous n’aurez pas la vie en vous. "

3. L’eucharistie est le sacrement de toute l’unité ecclésiastique. Et par conséquent, spécialement dans ce sacrement plus que dans les autres, on doit faire mention de tous ceux qui relèvent du salut de toute l’Église.

4. L’instruction de la foi est de deux sortes. L’une s’adresse aux futurs initiés, c’est-à-dire aux catéchumènes. Cette instruction-là est liée au baptême.

Une autre instruction est destinée au peuple fidèle, qui communie à ce mystère. Et cette instruction-là se fait dans ce sacrement. Cependant, on n’éloigne pas de cette instruction même les catéchumènes et les infidèles. C’est pourquoi on dit dans les Décrets : " L’évêque n’interdira à personne l’entrée de l’église et l’audition de la parole de Dieu, qu’il s’agisse d’un païen, d’un hérétique ou d’un juif, jusqu’au renvoi des catéchumènes ", c’est-à-dire pendant qu’on donne l’instruction de la foi.

5. Ce sacrement requiert une plus grande dévotion que les autres, puisqu’il contient le Christ tout entier. Et aussi une dévotion plus communautaire, parce que ce sacrement requiert la dévotion de tout le peuple, pour qui le sacrifice est offert, et non seulement de ceux qui reçoivent le sacrement, comme dans les autres sacrements. Et c’est pourquoi, dit S. Cyprien, " le prêtre, en prononçant le prélude de la préface, prépare les âmes des fidèles, en disant : "Élevons notre cœur", afin que le peuple répondant : "Nous le tournons vers le Seigneur", il soit averti de ne plus penser qu’à Dieu ".

6. Dans ce sacrement, on vient de le dire, on touche à des réalités qui concernent toute l’Église. Et c’est pourquoi certaines prières sont dites par le chœur, parce qu’elles concernent le peuple. Certaines sont dites par le chœur d’un bout à l’autre ; ce sont celles qui sont inspirées à tout le peuple. D’autres sont continuées par le peuple, mais après l’intonation du prêtre, qui tient la place de Dieu, pour signifier que ce sont des choses qui sont parvenues au peuple par la révélation divine, comme la foi et la gloire céleste. Et c’est pourquoi le prêtre entonne le Symbole de foi et le Gloria in excelsis Deo. D’autres sont dites par les ministres, comme l’enseignement de l’Ancien et du Nouveau Testament, pour manifester que cet enseignement fut annoncé au peuple par l’intermédiaire de ministres envoyés par Dieu.

Certaines sont dites jusqu’au bout par le prêtre seul : ce sont celles qui appartiennent à l’office propre du prêtre, à qui il revient, " de présenter des dons et des prières pour le peuple " (He 5, 1). Parmi celles-ci cependant, il dit certaines de façon à être entendu : ce sont celles qui concernent à la fois le prêtre et le peuple, comme les oraisons communes. D’autres appartiennent exclusivement au prêtre, comme l’oblation et la consécration. Et c’est pourquoi les prières qui les accompagnent sont dites secrètement par le prêtre. Mais dans les deux cas, il éveille l’attention du peuple en disant : Dominus vobiscum ; et il attend son assentiment, exprimé par Amen. Et c’est pourquoi, avant les prières dites tout bas, il dit à haute voix : Dominus vobiscum, et à la fin : Per omnia saecula saeculorum. Ou encore le prêtre prononce secrètement certaines paroles pour symboliser que, dans la passion du Christ, les disciples ne confessaient le Christ qu’en secret.

7. L’efficacité des paroles sacramentelles peut être empêchée par l’intention du prêtre. Et cependant il n’y a pas de contradiction à ce que nous demandions à Dieu quelque chose dont nous savons, de toute certitude, qu’il le fera ; c’est ainsi que le Christ, en S. Jean (17, 1. 5) a demandé sa glorification.

Cependant, il ne semble pas qu’ici le prêtre prie pour que la consécration s’accomplisse, mais pour qu’elle nous soit fructueuse. Aussi dit-il expressément : " Qu’elle devienne pour nous le corps et le sang... " Et c’est le sens des paroles qu’il prononce auparavant : " Cette offrande, daigne la bénir... " selon S. Augustin, c’est-à-dire : " Par laquelle nous soyons bénis ", à savoir par la grâce ; adscriptam, c’est-à-dire " par laquelle nous soyons inscrits dans le ciel " ; ratam, c’est-à-dire " par laquelle nous soyons reconnus comme appartenant au Christ " ; rationabilem, c’est-à-dire " par laquelle nous soyons dépouillés du sens charnel " ; acceptabilem, c’est-à-dire " que nous, qui nous déplaisons à nous-mêmes, nous soyons agréables par elle à son Fils unique ".

8. Bien que ce sacrifice, en lui-même, soit supérieur à tous les sacrifices antiques, cependant les sacrifices des anciens furent très agréables au Seigneur, en raison de la dévotion de ceux qui les offraient. Le prêtre demande donc que ce sacrifice soit agréé de Dieu en raison de la dévotion de ceux qui les offrent, comme le furent ces sacrifices anciens.

9. Le prêtre ne demande pas que les espèces sacramentelles soient transportées au ciel ; ni le corps réel du Christ, qui ne cesse pas d’y être présent. Mais il demande cela pour le Corps mystique, car c’est lui qui est signifié dans ce sacrement ; c’est-à-dire que l’ange qui assiste aux divins mystères présente à Dieu les prières du prêtre et du peuple, selon l’Apocalypse (8, 4) : " La fumée des parfums monta des mains de l’ange avec les offrandes des saints. " " L’autel céleste " signifie soit l’Église triomphante elle-même, où nous demandons à être transférés ; ou bien Dieu lui-même, à qui nous demandons d’être unis ; car il est dit de cet autel, dans l’Exode (20, 26) : " Tu ne monteras pas à mon autel par des degrés ", c’est-à-dire (suivant la Glose) : " Tu ne feras pas de degrés dans la Trinité. "

Par l’ange on peut encore comprendre le Christ lui-même, qui est " l’Ange du grand conseil ", qui unit son corps mystique à Dieu le Père et à l’Église triomphante.

Et c’est de cela aussi que la " messe " (missa) tire son nom. Parce que, par l’ange, le prêtre " envoie " (mittit) ses prières à Dieu, comme le peuple les envoie par le prêtre. Ou bien parce que le Christ est la victime que Dieu nous " envoie ". C’est pourquoi, à la fin de la messe, le diacre, les jours de fête, congédie le peuple en disant : Ite, missa est, c’est-à-dire que la victime a été " envoyée " à Dieu par l’ange, pour qu’elle soit agréée de Dieu.

 

            Article 5 — Les actions qui accompagnent la célébration de ce mystère

Objections :

1. Ce sacrement appartient à la nouvelle alliance, comme le montre sa forme même. Or, dans la nouvelle alliance, il ne faut pas observer les cérémonies de l’ancienne. A celles-ci se rattache l’ablution d’eau que pratiquaient le prêtre et les ministres, quand ils venaient sacrifier. On lit en effet dans l’Exode (30, 19) : " Aaron et ses fils se laveront les mains et les pieds quand ils monteront à l’autel. " Il ne convient donc pas que le prêtre se lave les mains dans la célébration de la messe.

2. Au même endroit (30, 7), le Seigneur a prescrit que le prêtre " brûle de l’encens à l’odeur agréable " sur l’autel qui se trouvait devant le propitiatoire. Cela encore appartenait au cérémonial de l’ancienne alliance. Il ne convient donc pas que le prêtre, à la messe, pratique l’encensement.

3. Les rites accomplis dans les sacrements de l’Église ne doivent pas être répétés. C’est donc à tort que le prêtre multiple les signes de croix sur ce sacrement Il.

4. L’Apôtre dit (He 7, 7) : " Sans contredit, c’est l’inférieur qui reçoit la bénédiction du supérieur. " Mais le Christ, qui se trouve dans ce sacrement après la consécration, est très supérieur au prêtre.

Il est donc inadmissible que le prêtre, après la consécration, bénisse le sacrement par des signes de croix.

5. Dans le sacrement de l’Église, on ne doit rien faire qui prête à rire. Mais on prête à rire quand on fait des gesticulations : ainsi le prêtre étend parfois les bras, joint les mains, plie les doigts, et s’incline. Cela ne doit donc pas se faire dans ce sacrement.

6. Il parait encore ridicule que le prêtre se tourne si souvent vers le peuple, et le salue si souvent. On ne devrait donc pas faire cela dans la célébration de ce sacrement.

7. L’Apôtre (1 Co 1, 13), juge inadmissible que " le Christ soit divisé ". Mais, après la consécration, le Christ se trouve dans ce sacrement. Il est donc inadmissible que l’hostie soit rompue par le prêtre.

8. Les rites de ce sacrement représentent la passion du Christ. Mais, dans sa passion, le corps du Christ fut rompu à l’endroit des cinq plaies. Donc le corps du Christ devrait être rompu en cinq parties plutôt qu’en trois.

9. Tout le corps du Christ, dans ce sacrement, est consacré à part du sang. Il n’est donc pas convenable qu’une partie de son corps soit mélangée à son sang.

10. De même que le corps du Christ est présenté dans ce sacrement comme une nourriture, de même le sang du Christ comme une boisson. Mais lorsque l’on a pris le corps du Christ, on n’y ajoute pas, dans la célébration de la messe, une autre nourriture corporelle. C’est donc à tort que le prêtre, après avoir pris le sang du Christ, prend du vin non consacré.

11. La réalité doit correspondre à la figure. Mais au sujet de l’agneau pascal, qui était la figure de ce sacrement, il était prescrit " qu’il n’en resterait rien jusqu’au matin ". Il n’est donc pas convenable que des hosties consacrées soient réservées, au lieu d’être consommées sur le champ.

12.Le prêtre parle au pluriel à ceux qui l’écoutent, par exemple lorsqu’il dit : " Le Seigneur soit avec vous " et " Rendons grâce... " Mais il semble illogique de parler au pluriel lorsqu’on s’adresse à un seul individu, surtout si c’est un inférieur. Donc il paraît illogique que le prêtre célèbre la messe en présence d’un seul ministre.

Il apparaît donc ainsi que certains des rites accomplis dans la célébration de ce sacrement ne sont pas justifiés.

En sens contraire, il y a la coutume de l’Église, laquelle ne peut se tromper, étant instruite par le Saint-Esprit.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, la signification, dans les sacrements, se réalise de deux façons, c’est-à-dire par des paroles et par des actions, pour que la signification soit plus parfaite. Dans la célébration de ce sacrement, certaines paroles signifient des réalités qui se rattachent à la passion du Christ, représentée dans ce sacrement ; d’autres paroles signifient des réalités qui se rattachent à l’usage de ce sacrement, qui doit se faire avec dévotion et respect. C’est pourquoi, dans la célébration de ce mystère, certaines actions ont pour but de représenter la passion du Christ, ou encore l’organisation du Corps mystique ; et d’autres actions relèvent de la dévotion et du respect envers ce sacrement.

Solutions :

1. On se lave les mains, dans la célébration de la messe, par respect pour ce sacrement. Et cela pour deux motifs. D’abord parce que nous avons l’habitude de ne manier des choses précieuses qu’après nous être lavé les mains. Il paraît donc inconvenant que l’on approche d’un si grand sacrement avec des mains souillées, fût-ce corporellement.

Ensuite pour une raison symbolique. Comme dit Denys l’ablution des extrémités symbolise la purification même des plus petits péchés, selon cette parole en S. Jean (13, 10) : " Celui qui est propre n’a besoin que de se laver les pieds. " Et telle est la purification qu’on exige de celui qui s’approche de ce sacrement. C’est ce que signifie aussi la confession qui précède l’introït de la messe. C’est cela même que signifiait l’ablution dans l’ancienne loi, comme le remarque Denys au même endroit.

Cependant l’Église n’observe pas ce rite comme un précepte cérémoniel de la loi ancienne, mais comme une institution de l’Église, qui se justifie d’elle-même. Et c’est pourquoi elle ne l’observe pas comme on le faisait alors. On omet en effet le lavement des pieds, et l’on garde celui des mains, qui peut se faire plus facilement et qui suffit à symboliser la parfaite pureté. En effet, la main étant " l’instrument des instruments ", comme dit Aristote, toutes les œuvres sont attribuées aux mains. C’est pourquoi on dit dans le Psaume (26, 6) : " je laverai mes mains parmi les innocents. "

2. De même, nous ne pratiquons pas l’encensement comme un précepte cérémoniel de l’ancienne loi, mais comme une institution de l’Église. C’est pourquoi nous ne le pratiquons pas de la manière dont il était prescrit dans l’ancienne loi.

L’encensement a un double objet. D’abord le respect envers ce sacrement ; en répandant un parfum agréable on chasse la mauvaise odeur corporelle qui régnerait dans le lieu du culte et pourrait provoquer le dégoût.

Ensuite l’encensement sert à représenter l’effet de la grâce, dont le Christ fut rempli comme d’un parfum agréable, selon la parole de la Genèse (27, 27) : " Voici que le parfum de mon fils est comme le parfum d’un champ fertile. " Et du Christ elle découle jusqu’aux fidèles par l’office des ministres selon S. Paul (2 Co 2, 14) : " Par nous (le Christ) répand en tous lieux le parfum de sa connaissance. " Et c’est pourquoi, lorsqu’on a encensé de tous côtés l’autel, qui symbolise le Christ, on encense tout le monde selon l’ordre hiérarchique.

3. Le prêtre, dans la célébration de la messe, pratique les signes de croix pour évoquer la passion du Christ, qui l’a conduit à la croix. Or la passion du Christ s’est accomplie comme par étapes. La première consiste en ce que le Christ fut livré : par Dieu, par Judas, et par les juifs. Ce que symbolise le triple signe de croix sur ces paroles : " Ces dons, ces présents, ces offrandes saintes et sans tache. "

La seconde étape de la passion consiste en ce que le Christ fut vendu. Or il fut vendu aux prêtres, aux scribes, et aux pharisiens. Pour le symboliser, on fait encore un triple signe de croix sur ces paroles : " bénite, acceptée, approuvée ". Ou bien pour montrer le prix du marché, qui fut de trente deniers. Et l’on ajoute un double signe de croix sur ces paroles : " qu’elle devienne pour nous le corps et le sang... " pour désigner la personne de Judas qui vendit, et celle du Christ qui fut vendu.

La troisième étape fut la préfiguration de la passion du Christ accomplie à la Cène. Pour la désigner, on fait une troisième fois deux croix, l’une dans la consécration du corps, l’autre dans la consécration du sang, où l’on dit chaque fois " il bénit ".

La quatrième étape fut la passion même du Christ. Aussi, pour représenter les cinq plaies, on fait en quatrième lieu un quintuple signe de croix sur ces paroles : " la victime pure, la victime sainte, la victime immaculée, le pain sacré de la vie éternelle et le calice de l’éternel salut ".

Cinquièmement, on représente l’écartèlement du corps, et l’effusion du sang, et le fruit de la passion par le triple signe de croix qui se fait sur ces paroles : " Quand nous recevrons le corps et le sang... puissions-nous être comblés... de toute bénédiction... "

Sixièmement, on représente la triple prière que fit le Christ en croix : la première pour ses persécuteurs, quand il dit : " Père, pardonne-leur ", la seconde pour être délivré de la mort, quand il dit : " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? " La troisième se rattache à son entrée dans la gloire, quand il dit : " Père, entre tes mains je remets mon esprit. " Et pour symboliser cela, on fait un triple signe de croix sur ces paroles : " tu sanctifies, tu vivifies, tu bénis, etc. ".

Septièmement, on représente les trois heures où Jésus resta suspendu à la croix, de la sixième jusqu’à la neuvième heure. Et pour le symboliser on fait encore un triple

signe de croix à ces paroles : " par Lui, avec Lui, et en Lui ".

Huitièmement, on représente la séparation de l’âme et du corps par les deux signes de croix qu’on fait ensuite hors du calice.

Neuvièmement, on représente la résurrection accomplie au troisième jour, par les trois croix qu’on fait à ces paroles : " Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous. "

Mais on peut dire plus brièvement que la consécration de ce sacrement, et l’acceptation du sacrifice, et le fruit de celui-ci ont pour origine la vertu de la croix du Christ. Et c’est pourquoi, chaque fois que l’on fait mention d’une de ces choses, le prêtre pratique le signe de la croix.

4. Après la consécration, le prêtre ne pratique pas le signe de la croix pour bénir et pour consacrer, mais seulement pour commémorer la vertu de la croix et la manière dont le Christ a subi sa passion, comme ce qui précède l’a montré.

5. Les mouvements que le prêtre fait à la messe ne sont pas des gesticulations ridicules : elles ont un but de représentation. En effet, que le prêtre étende les bras après la consécration, cela. représente l’extension des bras du Christ en croix.

Il lève aussi les mains, lorsqu’il prie, pour manifester que l’oraison qu’il prononce pour le peuple se dirige vers Dieu ,, selon cette parole des Lamentations (3, 41) : " Élevons nos cœurs avec nos mains vers Dieu dans le ciel. " Et il est dit dans l’Exode (17, 11) que " lorsque Moïse élevait les mains, Israël était vainqueur ".

Que parfois il joigne les mains et s’incline, priant avec insistance et humilité, cela représente l’humilité et l’obéissance du Christ, qui ont inspiré sa passion.

Il joint les doigts, après la consécration, en réunissant le pouce et l’index avec lesquels il a touché le corps du Christ qu’il a consacré, afin que, si une miette s’est attachée à ses doigts, elle ne s’égare pas. Cela se rattache au respect envers le sacrement.

6. Le prêtre se tourne cinq fois vers le peuple, pour signaler que le Seigneur s’est manifesté cinq fois le jour de la résurrection, comme on l’a dit plus haut dans le traité de la résurrection du Christ.

Il salue sept fois le peuple - cinq fois en se tournant vers lui et deux fois sans se tourner, à savoir avant la Préface lorsqu’il dit : " Le Seigneur soit avec vous ", et lorsqu’il dit : " Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous " - pour désigner la grâce septiforme du Saint-Esprit. L’évêque, lorsqu’il célèbre aux fêtes, dit dans son premier salut : " Que la paix soit avec vous ", ce que le Seigneur a dit aux disciples après sa résurrection (Jn 20, 19. 21. 26 ; Lc 23, 46), parce que c’est principalement l’évêque qui représente sa personne.

7. La fraction de l’hostie a une triple signification. D’abord la division subie par le corps du Christ dans sa passion ; ensuite la répartition du Corps mystique selon divers état ; enfin la distribution des grâces qui découlent de la passion du Christ, selon Denys r. Cette fraction n’introduit donc pas de division dans le Christ.

8. Comme dit le pape Sergius, dans un texte qu’on trouve dans les Décrets : " Le corps du Seigneur est triple. La partie de l’oblation qui est mise dans le calice désigne le corps du Christ qui a déjà ressuscité ", c’est-à-dire le Christ lui-même et la Sainte Vierge, et les autres saints, s’il y en a, qui sont entrés corporellement dans la gloire. " La partie qui est mangée représente le Christ qui est encore sur terre ", c’est-à-dire que ceux qui vivent sur terre sont unis par le sacrement, et sont broyés par les épreuves, comme le pain qu’on mange est broyé par les dents. " La partie qui demeure sur l’autel jusqu’à la fin de la messe est le corps du Christ demeurant au sépulcre ; car jusqu’à la fin du monde les corps des saints seront dans les sépulcres ", tandis que leurs âmes sont soit au purgatoire, soit au ciel. Cependant ce dernier rite - qu’une partie de l’hostie soit réservée jusqu’à la fin de la messe - n’est plus observé maintenant parce qu’il présentait des risques. Mais ce symbolisme des parties reste valable. On l’a exprimé en vers : " L’hostie est divisée en parties : celle qui est trempée désigne ceux qui sont pleinement bienheureux ; celle qui est sèche, les vivants ; celle qui est réservée, les ensevelis. "

Cependant certains disent que la partie mise dans le calice symbolise ceux qui vivent en ce monde ; la partie gardée hors du calice, ceux qui sont pleinement bienheureux dans leur âme et leur corps ; et la partie mangée symbolise les autres.

9. On peut trouver au calice un double symbolisme. Celui de la passion, qui est représentée dans ce sacrement. Et, à ce titre, par la partie mise dans le calice on symbolise ceux qui participent encore aux souffrances du Christ.

D’un autre point de vue, le calice peut signifier la jouissance bienheureuse qui est aussi préfigurée dans ce sacrement. Et par conséquent, ceux dont les corps sont déjà dans la pleine béatitude sont symbolisés par la partie mise dans le calice.

Et il faut remarquer que la partie mise dans le calice ne doit pas être donnée au peuple pour compléter la communion : car Jésus n’a donné " le pain trempé " qu’au traître Judas.

10. Le vin, en qualité de liquide, est capable de laver. Et c’est pourquoi le prêtre en prend après avoir reçu ce sacrement, pour se laver la bouche afin qu’il n’y demeure pas de restes ; ceci se rattache au respect envers le sacrement. Aussi lit-on dans la décrétale : " Le prêtre, lorsqu’il a achevé de prendre le sacrement, doit toujours se laver la bouche avec du vin ; à moins qu’il ne doive célébrer une autre messe le même jour, car il ne pourrait célébrer de nouveau, après avoir pris du vin. " Et c’est pour le même motif qu’il lave avec du vin les doigts dont il a touché le corps du Christ.

11. La réalité doit correspondre à la figure sur quelque point ; c’est ainsi qu’on ne doit pas réserver pour le lendemain la partie de l’hostie consacrée qui sert à la communion du prêtre, des ministres, voire du peuple. Aussi trouve-t-on dans les Décrets cette décision du pape Clément : " Qu’on offre sur l’autel autant d’hosties qu’il en faut pour suffire au peuple. S’il en reste, que ce ne soit pas réservé pour le lendemain, mais que, avec crainte et tremblement, ce soit consommé par le zèle des clercs. "

Cependant ce sacrement doit être mangé quotidiennement, ce qui n’était pas le cas de l’agneau pascal ; c’est pourquoi il faut conserver d’autres hosties consacrées pour les malades. Aussi lit-on dans la même Distinction : " Le prêtre doit toujours avoir l’eucharistie à sa disposition ; afin que, si quelqu’un tombe malade, il lui donne la communion aussitôt, pour ne pas le laisser mourir sans la communion. "

12. Dans la célébration solennelle de la messe, il faut qu’il y ait plusieurs assistants. Aussi trouve-t-on dans les Décrets cette parole du pape Soter : " Cela aussi a été décidé, que nul prêtre n’ait l’audace de célébrer la messe sans qu’il y ait deux assistants qui lui répondent, lui-même étant le troisième ; car, lorsqu’il dit au pluriel : "Le Seigneur soit avec vous" et dans les secrètes : "Priez pour moi", il convient d’une façon très évidente que l’on réponde à son salut. " C’est pourquoi, pour plus de solennité, il est décrété, au même endroit, que l’évêque doit célébrer la messe avec un plus grand nombre d’assistants.

Cependant, dans les messes privées, il suffit d’avoir un seul ministre, qui tient la place de tout le peuple catholique, à la place duquel il répond au prêtre en employant le pluriel.

 

            Article 6 — Les défauts qui se rencontrent dans la célébration de ce sacrement

Objections :

1. Il arrive parfois que le prêtre, avant la consécration ou après, meure, ou perde la raison, ou soit empêché par une autre infirmité de pouvoir consommer le sacrement et achever la messe. On voit donc qu’on ne peut observer le décret de l’Église prescrivant que le prêtre consécrateur communie à son propre sacrifice.

2. Il arrive parfois que le prêtre, avant la consécration ou après, se rappelle qu’il a mangé ou bu quelque chose, ou qu’il est chargé d’un péché mortel, ou encore d’une excommunication dont il ne se souvenait pas auparavant. Il est donc forcé que celui qui se trouve dans un pareil cas pèche mortellement contre la loi de l’Église, soit qu’il communie, soit qu’il ne communie pas.

3. Il arrive parfois qu’une mouche, une araignée, ou une bête venimeuse tombe dans le calice après la consécration ; ou encore que le prêtre découvre que du poison a été mis dans le calice par un criminel qui veut le tuer. En ce cas, s’il communie, il apparaît qu’il pèche mortellement en se donnant la mort, ou en tentant Dieu. Pareillement, s’il ne communie pas, il pèche en agissant contrairement à la loi de l’Église. Il apparaît donc qu’il est " perplexe ", c’est-à-dire soumis à la nécessité de pécher, ce qui est inadmissible.

4. Il arrive parfois que, par la négligence du ministre, ou bien on n’a pas mis d’eau dans le calice, ou même pas de vin, et que le prêtre s’en aperçoit. Donc, dans ce cas, il apparaît qu’il est acculé au péché, soit qu’il consomme le corps sans consommer le sang, car alors il accomplit un sacrifice incomplet ; soit qu’il ne consomme ni le corps ni le sang.

5. Il arrive parfois que le prêtre ne se rappelle plus avoir prononcé les paroles de la consécration, ou encore d’autres paroles que l’on prononce dans la célébration de ce sacrement. Il apparaît donc qu’il pèche en ce cas, soit qu’il réitère, sur la même matière, des paroles que peut-être il avait déjà dites ; soit qu’il use de pain et de vin non consacrés comme s’ils étaient consacrés.

6. Il arrive parfois, à cause du froid, que l’hostie échappe au prêtre et tombe dans le calice, soit avant la fraction, soit après. En ce cas, le prêtre ne pourra donc pas accomplir le rite de l’Église, soit pour faire la fraction proprement dite, soit pour ne mettre que la troisième partie de l’hostie dans le calice.

7. Il arrive parfois que, par la négligence du prêtre, le sang du Christ est répandu ; ou encore que le prêtre rejette le sacrement après avoir communié ; ou encore que les hosties consacrées soient gardées si longtemps qu’elles se décomposent ; ou encore qu’elles soient rongées par les souris ; ou enfin qu’elles se gâtent d’une manière ou d’une autre. Dans tous ces cas, il apparaît qu’on ne peut manifester le respect dû à ce sacrement selon les lois de l’Église. Il apparaît donc qu’on ne peut obvier à ces défauts ou à ces dangers, en observant les lois de l’Église.

En sens contraire, de même que Dieu, l’Église ne prescrit rien d’impossible.

Réponse :

On peut obvier de deux façons aux dangers ou aux défauts qui se produisent à l’occasion de ce sacrement. Ou bien en les prévenant, pour que le danger ne se produise pas. Ou bien, après coup, on corrige ce qui s’est produit ou en y portant remède, ou au moins par la pénitence de celui qui a traité ce sacrement avec négligence.

Solutions :

1. Si le prêtre est surpris par la mort ou par une grave infirmité avant la consécration du corps et du sang du Seigneur, il n’est pas nécessaire qu’un autre le supplée.

Mais si cela arrive une fois que la consécration est commencée, par exemple après la consécration du corps mais avant celle du sang, ou encore après la double consécration, on doit faire achever par un autre la célébration de la messe. C’est pourquoi, dans les Décrets on trouve ceci, tiré d’un concile de Tolède : " Nous avons jugé convenable, lorsque les prêtres consacrent les saints mystères dans la célébration de la messe, et qu’un accident de santé empêche d’achever le mystère commencé, qu’il soit permis à un autre évêque ou prêtre d’achever la consécration de l’office commencé. Car il ne faut pas faire autre chose, pour compléter les mystères commencés, que de les faire achever par la bénédiction du prêtre qui commence ou qui continue ; car on ne peut les considérer comme accomplis parfaitement s’ils ne sont accomplis selon le rite complet. Car, puisque nous sommes tous un dans le Christ, la diversité des personnes n’apporte aucun obstacle, là où l’unité de la foi procure un heureux résultat. Cependant, si l’on tient compte du motif naturel de maladie, il ne faut pas que cela crée un danger d’irrévérence.

Que nul, ministre ou prêtre, sans le motif d’un obstacle évident, n’ait aucunement l’audace de laisser inachevés les offices qu’il a commencés. Si quelqu’un a cette audace téméraire, il subira la sentence d’excommunication. "

2. Là où se présente une difficulté, il faut toujours adopter le parti qui comporte le moins de danger. Ce qui est le plus dangereux, à l’égard de ce sacrement, c’est ce qui s’oppose à son accomplissement, car c’est là un énorme sacrilège. Ce qui concerne la condition du communiant comporte un moindre danger. Et c’est pourquoi si le prêtre, après avoir commencé la consécration, se rappelle avoir mangé ou bu quelque chose, il doit néanmoins achever le sacrifice et consommer le sacrement. Pareillement, s’il se rappelle avoir commis un péché, il doit s’en repentir, avec résolution de le confesser et de satisfaire ; et ainsi ce n’est pas d’une façon indigne, mais d’une façon fructueuse qu’il consommera le sacrement. Et il doit tenir le même raisonnement s’il se souvient d’avoir encouru une excommunication. Il doit en effet prendre la résolution d’en demander humblement l’absolution : et ainsi, par le Pontife invisible, Jésus Christ, il obtient l’absolution, quant à cet acte, pour accomplir les divins mystères.

Mais si c’est avant la consécration qu’on se rappelle un de ces empêchements, j’estimerais plus sûr, surtout si l’on se souvient d’avoir mangé, ou d’avoir encouru une excommunication, d’abandonner la messe commencée, sauf si l’on craignait un grave scandale.

3. Si une mouche ou une araignée tombe dans le calice avant la consécration, ou bien que le prêtre s’aperçoive qu’on y a mis du poison, il doit vider le calice, le nettoyer et y mettre d’autre vin à consacrer. Mais si cet accident se produit après la consécration, il doit saisir l’animal avec précaution, le laver avec soin et le brûler, et l’eau de l’ablution, avec les cendres, doit être jetée dans la piscine.

S’il s’aperçoit qu’on y a mis du poison, il ne doit aucunement le prendre ni le donner à un autre, pour que le calice de vie ne donne pas la mort ; mais il doit le mettre en réserve avec soin dans un vase approprié à cet office, qu’on gardera avec la réserve. Et pour que le sacrement ne demeure pas inachevé, il doit remettre du vin dans le calice, reprendre à partir de la consécration du sang, et achever le sacrifice.

4. Si le prêtre, avant la consécration du sang et après celle du corps, s’aperçoit qu’il n’y a pas de vin ou d’eau dans le calice, il doit en mettre aussitôt, et consacrer. Mais s’il s’aperçoit, après avoir prononcé les paroles de la consécration, qu’il n’y a pas d’eau, il doit continuer, parce que l’addition d’eau, comme on l’a dit précédemment, n’est pas nécessaire au sacrement. On doit cependant punir celui dont la négligence est cause de cet accident. On ne doit en aucun cas mêler de l’eau au vin déjà consacré, parce qu’il s’ensuivrait une destruction, au moins partielle, du sacrement, comme on l’a dit précédemment.

Si le prêtre s’aperçoit, après avoir prononcé les paroles de la consécration, qu’on n’a pas mis de vin dans le calice, si du moins il s’en aperçoit avant d’avoir communié au corps, il doit, après avoir enlevé l’eau qui y serait, mettre du vin avec de l’eau, et reprendre aux paroles de la consécration du sang. Mais s’il s’en aperçoit après avoir communié au corps, il doit prendre une nouvelle hostie qu’il consacrera conjointement au sang. Je dis cela parce que, s’il prononçait seulement les paroles de la consécration du sang, il n’observerait pas le rite requis à la consécration. Et, comme on dit dans le chapitre déjà cité d’un concile de Tolède : " On ne peut considérer les sacrifices comme accomplis parfaitement s’ils ne sont accomplis selon le rite complet. " Mais s’il commençait à la consécration du sang et reprenait toutes les paroles qui suivent, elles ne seraient plus appropriées, en l’absence d’une hostie consacrée, car ces prières comportent des paroles et des actions qui ne concernent pas seulement le sang mais aussi le corps. Et il doit à la fin consommer la nouvelle hostie consacrée et le sang, sans se laisser arrêter même par le fait qu’il ait consommé auparavant l’eau qui était dans le calice, parce que le précepte touchant l’accomplissement du sacrement a plus de poids que celui qui oblige à ne communier qu’à jeun, comme on vient de le dire--.

5. Bien que le prêtre ne se rappelle pas avoir prononcé certaines paroles qu’il devait dire, il ne doit pas se troubler pour cela. Car celui qui dit beaucoup de paroles ne se souvient pas de toutes celles qu’il a dites, à moins que peut-être, en en prononçant une, il la saisisse comme ayant été déjà dite ; car c’est ainsi que quelque chose devient matière à souvenir. Aussi, si quelqu’un pense attentivement à ce qu’il dit et que pourtant il ne pense pas qu’il le dit, il ne se rappelle guère ensuite qu’il l’a dit. Car c’est ainsi que quelque chose devient objet de mémoire, comme reçu sous la raison de passé, selon Aristote.

Si cependant le prêtre constate d’une façon sûre qu’il a omis quelque chose qui n’est pas nécessaire au sacrement, je ne crois pas qu’il doive pour cela reprendre, en changeant le rite du sacrifice, mais il doit passer outre. S’il a cependant la certitude qu’il a omis quelque chose de nécessaire au sacrement, c’est-à-dire les formules consécratoires, puisque la forme est nécessaire au sacrement comme la matière, il doit faire ce que nous avons dit en cas de défaut de la matière : reprendre depuis la forme de la consécration, et répéter le reste dans l’ordre, pour ne pas changer le rite du sacrifice.

6. La fraction de l’hostie consacrée, et le fait d’en mettre une seule partie dans le calice se rapporte au Corps mystique, de même que l’eau qu’on mélange au vin signifie le peuple. C’est pourquoi l’omission de ces rites ne rend pas le sacrifice incomplet au point qu’il soit nécessaire pour cela de recommencer quelque chose dans la célébration de ce sacrement.

7. Comme on lit dans les Décrets d’après Pie Ier : " Si, par négligence, des gouttes du précieux sang ont coulé sur le plancher, on les léchera et on raclera le plancher. S’il n’y a pas de plancher, on raclera la terre, on la brûlera et la cendre sera déposée dans l’autel. Et le prêtre fera pénitence pendant quarante jours. - Si quelques gouttes se répandent du calice sur l’autel, le ministre les absorbera, et il fera pénitence pendant trois jours. - Si c’est sur la nappe de l’autel et que le liquide ait atteint la deuxième nappe, il fera pénitence pendant quatre jours. Jusqu’à la troisième nappe : pénitence pendant neuf jours. jusqu’à la quatrième : pénitence pendant vingt jours. Et le ministre lavera trois fois les linges ainsi mouillés, après avoir mis un calice au-dessous ; puis on prendra l’eau de cette ablution et on la déposera auprès de l’autel. " Cette ablution peut aussi être bue par le ministre, à moins que le dégoût l’y fasse renoncer. Certains, en outre, coupent et brûlent cette partie des linges, et déposent la cendre dans le sanctuaire ou la piscine.

On ajoute au même endroit ce qui vient du Pénitentiel de S. Bède : " Si quelqu’un a rendu l’eucharistie, par suite d’ébriété ou de gloutonnerie, il fera pénitence pendant quarante jours : les clercs ou les moines, les diacres ou les prêtres, pendant soixante jours ; l’évêque pendant quatre-vingt-dix. S’il l’a rendue pour cause de maladie, il fera pénitence pendant sept jours. "

Et on lit dans la même Distinction, ce qui vient du concile d’Arles : " Celui qui n’aura pas bien gardé le saint sacrement, de sorte qu’une souris ou un autre animal l’ait dévoré, fera pénitence pendant quarante jours. - Celui qui l’aura égaré dans l’église, ou bien en aura laissé tomber un fragment sans pouvoir le retrouver, fera pénitence pendant trente jours. " Et la même pénitence semble méritée par le prêtre dont la négligence aura laissé les hosties se corrompre.

Pendant ces jours-là, le pénitent doit jeûner et ‘s’abstenir de la communion. Mais, en tenant compte des conditions de l’affaire et du personnage, on peut diminuer ou augmenter la pénitence indiquée.

On doit cependant noter que partout où les espèces se trouvent dans leur intégrité, on doit les conserver ou même les consommer avec respect. En effet, tant que demeurent les espèces, le corps du Christ y demeure, comme on l’a dit antérieurement. Quant aux objets avec lesquels on les trouve en contact, on doit les brûler si cela peut se faire commodément, en déposant les cendres dans la piscine, comme on l’a dit pour la raclure du plancher.

LA PÉNITENCE

Il faut étudier maintenant le sacrement de pénitence : 1° La pénitence elle-même (Q. 84-85). - 2° Son effet (Q. 86-89). - 3° Ses parties (Q. 90 et Supplément, q. 1-15). 4° Ceux qui reçoivent ce sacrement (Suppl., q. 16). 5° Le pouvoir des clés chez les ministres (Suppl., q. 17-27). - 6° La célébration de ce sacrement (Suppl., q. 28).

Sur la pénitence elle-même, il faut étudier : I. La pénitence en tant que sacrement (Q. 84). La pénitence en tant que vertu (Q. 85).

 

 

QUESTION 84 — LA PÉNITENCE EN TANT QUE SACREMENT

1. La pénitence est-elle un sacrement ? - 2. Sa matière propre. - 3. Sa forme. - 4. L’imposition des mains est-elle requise au sacrement ? - 5. Ce sacrement est-il nécessaire au salut ? - 6. Ses rapports avec les autres sacrements ? - 7. Son institution. - 8. La durée de la pénitence. - 9. Doit-elle être continuelle ? - 10. Le sacrement de pénitence peut-il être renouvelé ?

 

            Article 1 — La pénitence est-elle un sacrement ?

Objections :

1. D’après S. Grégoire, dont les paroles sont citées dans les Décrets de Gratien : " Les sacrements sont le baptême, le saint chrême, le corps et le sang du Christ, qui sont appelés sacrements parce que, sous le couvert de réalités corporelles, la vertu divine opère secrètement notre salut. " Or ce n’est pas le cas de la pénitence, car nous n’y employons pas de réalités corporelles, sous lesquelles la vertu divine opérerait notre salut. Donc la pénitence n’est pas un sacrement.

2. Les sacrements de l’Église sont administrés par les ministres du Christ, selon S. Paul (1 Co 4, 1) : " Qu’on voie donc en nous les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères divins. " Or la pénitence n’est pas administrée par les ministres du Christ mais intérieurement donnée aux hommes par l’inspiration de Dieu, selon Jérémie (31, 19) : " Après que tu m’as eu converti, j’ai fait pénitence. " Il semble donc bien que la pénitence ne soit pas un sacrement.

3. Dans les sacrements, dont nous avons déjà parlé, il y a un premier élément qui est " signe seulement " (sacramentum tantum), un deuxième qui est à la fois " réalité et signe " (res et sacramentum) ; et un troisième, qui est " réalité seulement " (res tantum). Mais ce triple élément ne se trouve pas dans la pénitence. Donc la pénitence n’est pas un sacrement.

En sens contraire, comme le baptême, la pénitence est employée à la purification du péché. De là vient que S. Pierre a dit à Simon le magicien (Ac 8, 21) : " Fais pénitence de ta méchanceté. " Or le baptême est un sacrement, nous l’avons dit, donc la pénitence aussi, pour la même raison.

Réponse :

Comme le dit S. Grégoire dans le chapitre cité par l’objection, " le sacrement consiste dans une cérémonie faite de telle façon que nous y recevions symboliquement ce que nous devons recevoir saintement ". Or il est évident que, dans la pénitence, la cérémonie se fait de telle sorte qu’elle signifie quelque chose de saint, tant de la part du pécheur pénitent, que du côté du prêtre qui l’absout. Le pécheur pénitent montre en effet, par ses actes et ses paroles, que son cœur s’est détaché du péché. De même le prêtre, par ses actes et ses paroles adressés au pénitent, signifie l’œuvre de Dieu remettant les péchés. Il est donc évident que la pénitence célébrée dans l’Église est un sacrement.

Solutions :

1. Le nom de " réalités corporelles " se prend en un sens large qui s’étend aux actes sensibles extérieurs. Ces actes sont, dans ce sacrement, ce qu’est l’eau dans le baptême, le chrême dans la confirmation. Il faut noter que, dans les autres sacrements, où l’on confère une grâce dépassant complètement la puissance de l’activité humaine, on emploie une matière corporelle extérieure. Ainsi en va-t-il du baptême où il doit y avoir rémission plénière du péché, soit quant à la faute, soit quant à la peine ; de la confirmation où l’on reçoit la plénitude de l’Esprit Saint ; et de l’extrême-onction où est conférée une parfaite santé spirituelle, découlant de la vertu du Christ comme d’un principe extrinsèque. C’est pourquoi, s’il y a des actes humains dans de tels sacrements, ces actes ne sont pas la matière essentielle du sacrement, mais des dispositions à le recevoir. Au contraire, dans les sacrements qui ont un effet correspondant à des actes humains, ces actes humains sensibles eux-mêmes tiennent lieu de matière. C’est le cas de la pénitence et du mariage. Ainsi, dans les cures corporelles, on emploie parfois des remèdes extérieurs au malade, comme des pommades et des sirops, et, d’autres fois, les actes mêmes de ceux qui doivent être guéris, comme certains exercices.

2. Dans les sacrements dont la matière est une réalité corporelle, il faut que cette matière soit administrée par le ministre de l’Église agissant en la personne du Christ, pour signifier que l’excellence de la vertu opérant en ce sacrement vient du Christ. Mais dans le sacrement de pénitence, on vient de le dire, les actes du pénitent, provenant de l’inspiration intérieure, tiennent lieu de matière. Ce n’est donc plus le ministre, c’est Dieu qui, par son opération intérieure, administre cette matière. Mais c’est le ministre qui donne au sacrement son achèvement, en absolvant le pénitent.

3. Dans la pénitence aussi se trouve un élément qui est " signe seulement " : les actes accomplis extérieurement, tant par le pécheur pénitent que par le prêtre qui absout. Ce qui est " réalité et signe ", c’est la pénitence intérieure du pécheur. Ce qui est " réalité seulement " et non signe, c’est la rémission du péché. Le premier élément, pris dans son intégrité, est cause du deuxième. Le premier et le deuxième réunis sont, d’une certaine façon, la cause du troisième.

 

            Article 2 — La matière propre de ce sacrement

Objections :

1. La matière, dans les autres sacrements, est sanctifiée par certaines paroles et, ainsi sanctifiée, elle opère l’effet du sacrement. Or les péchés ne peuvent pas être sanctifiés, puisqu’ils sont contraires à l’effet du sacrement, qui est une grâce de rémission du péché. Les péchés ne sont donc pas la matière propre de ce sacrement.

2. S. Augustin nous dit : " Nul ne peut commencer la vie de l’homme nouveau, s’il ne renonce par la pénitence à la vie du vieil homme. " Or la vie du vieil homme comporte non seulement les péchés, mais aussi les pénalités de la vie présente. Donc les péchés ne sont pas la matière propre de la pénitence.

3. Il y a trois sortes de péchés : le péché originel, le péché mortel et le péché véniel. Or le sacrement de pénitence n’est pas destiné à supprimer le péché originel, déjà remis par le baptême ; ni le péché mortel, effacé par la confession du pécheur ; ni même le péché véniel, dont nous obtenons la rémission en nous frappant humblement la poitrine, en prenant de l’eau bénite, ou par d’autres pratiques de ce genre.

En sens contraire, S. Paul nous dit (2 Co 12, 21) : " Ils n’ont pas fait pénitence des péchés d’impureté, de fornication et d’impudicité qu’ils ont commis. "

Réponse :

Il y a deux sortes de matière : la matière prochaine, et la matière éloignée. C’est ainsi que la matière prochaine d’une statue est son métal, et sa matière éloignée, l’eau. Or nous avons dit à l’article précédent que la matière prochaine du sacrement de pénitence sont les actes du pénitent, qui ont eux-mêmes pour matière les péchés regrettés et confessés par le pénitent, et pour lesquels il satisfait. Il s’ensuit donc que la matière éloignée du sacrement de pénitence, ce sont les péchés, non pas en tant que voulus en intention, mais en tant qu’ils doivent être détestés et abolis.

Solutions :

1. L’argument ne vaut pas pour la matière prochaine du sacrement.

2. La vie nouvelle du vieil homme est objet de pénitence, non point en raison de ce qu’elle peut comporter de peines, mais de ce qu’elle nous apporte de culpabilité.

3. La pénitence a pour objet, d’une certaine façon, tous les genres de péchés, mais non de la même façon. Le péché mortel est en effet l’objet propre et principal de la pénitence. L’objet propre d’abord, car c’est au sens propre qu’on nous attribue le regret des péchés que nous avons commis par notre propre volonté ; l’objet principal aussi, car effacer le péché mortel est la fin principale de l’institution de ce sacrement. Quant aux péchés véniels, ils sont bien l’objet propre d’une certaine pénitence, en tant qu’actes accomplis par notre volonté, mais leur rémission n’est cependant pas la fin principale de l’institution du sacrement. Quant au péché originel, il n’en est pas l’objet principal, parce que ce n’est pas la pénitence qui est ordonnée à sa rémission, mais plutôt le baptême. Il n’en est pas non plus l’objet propre, parce que le péché originel n’a pas été un acte de notre volonté, à moins peut-être que la volonté d’Adam ne soit tenue pour nôtre, selon la manière de parler de S. Paul (Rm 5, 12 Vg) : " En lui (Adam), nous avons tous péché. " Cependant, si l’on prend le mot pénitence au sens large de toute détestation d’une chose passée, on peut dire que la pénitence a aussi pour objet le péché originel. C’est ainsi qu’en parle S. Augustin dans le texte cité.

 

            Article 3 — La forme de ce sacrement

Objections :

1. Les formes des sacrements ont été instituées par le Christ et sont usuelles dans l’Église. Or on ne lit nulle part dans l’Écriture que le Christ ait institué cette forme : Ego te absolvo, " Je t’absous. " Elle n’est pas non plus d’usage commun. Bien plus, dans certaines absolutions qui se donnent publiquement dans l’Église, comme à prime, à complies, le Jeudi saint, on ne se sert pas d’une formule indicative comme " Je t’absous " mais d’une formule déprécative " Qu’il ait pitié de vous, le Dieu tout-puissant " ; ou encore : " Qu’il vous accorde absolution et rémission, le Dieu tout-puissant. " Ces paroles " je t’absous " ne sont pas la forme de ce sacrement.

2. S. Léon nous dit : " L’indulgence de Dieu ne peut être obtenue que par les supplications des prêtres. " Or il parle de l’indulgence de Dieu qui est accordée aux pénitents. Donc la forme de ce sacrement doit être une formule déprécative.

3. Absoudre le péché ou remettre le péché, c’est la même chose. Or Dieu seul remet le péché, car lui seul aussi purifie l’homme intérieurement du péché, dit S. Augustin. Il semble donc que Dieu seul absolve du péché et que le prêtre ne doive pas dire : " Je t’absous " pas plus qu’il ne dit " je te remets tes péchés. "

4. De même que le Seigneur a donné à ses disciples le pouvoir d’absoudre les péchés, ainsi leur a-t-il donné le pouvoir de remédier aux infirmités : chasser les démons et guérir les maladies, comme on le voit en S. Matthieu (10, 1) et S. Luc (9, 1). Or, en guérissant les malades, les Apôtres ne se servaient pas de paroles comme celles-ci : " je te guéris ", mais ils disaient : " Que le Seigneur jésus Christ te guérisse ", ainsi que S. Pierre l’a dit au paralytique (Ac 9, 34). Il semble donc bien que les prêtres, en exerçant le pouvoir reçu du Christ par les Apôtres, ne doivent pas se servir de cette formule : " Je t’absous " mais dire " Que le Christ t’accorde l’absolution. "

5. Quelques-uns de ceux qui emploient cette forme en expliquent ainsi le sens : " Je t’absous, c’est-à-dire je te déclare absous. " Mais cela non plus, le prêtre ne peut pas le faire, à moins d’une révélation divine. C’est ainsi qu’on lit dans S. Matthieu (chap. 16), qu’avant de dire à Pierre : " Tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel ", le Seigneur lui avait dit : " Bienheureux es-tu, Simon, fils de Jean, car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont fait cette révélation, mais mon Père qui est aux cieux. " Il semble donc bien que le prêtre, auquel il n’a pas été fait de révélation spéciale, agisse présomptueusement, quand il dit : " Je t’absous ", même si l’on donne à cette formule le sens de " je te déclare absous ".

En sens contraire, de même que le Seigneur a dit à ses disciples (Mt 28, 19) : " Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ", ainsi a-t-il dit à Pierre (Mt 16, 19) : " Tout ce que tu délieras... " Or le prêtre, appuyé sur l’autorité de ces paroles du Christ, dit : " je te baptise. " Il doit donc dire en vertu de la même autorité, dans le sacrement de pénitence : " je t’absous. "

Réponse :

En toute chose, l’achèvement est attribué à la forme. Or on a dit plus haut que ce sacrement trouvait son achèvement dans les actes du prêtre. Il faut donc que la contribution du pénitent, en paroles ou en actes, soit comme la matière du sacrement, et que les actes du prêtre y aient le rôle de forme 5. Et puisque les sacrements de la loi nouvelle produisent les effets qu’ils signifient, il faut que la forme signifie ce que fait le sacrement, conformément à la matière sacramentelle. Nous avons donc, pour le baptême, la forme " je te baptise ", et pour la confirmation, la forme " je te marque du signe de la croix et je te confirme avec le chrême du salut ", parce que ces sacrements s’achèvent dans l’usage de la matière sacramentelle. Quant au sacrement de l’eucharistie, qui consiste dans la consécration même de la matière, la vérité de cette consécration s’exprime dans ces paroles : " Ceci est mon corps. " Mais le sacrement de pénitence ne consiste pas dans la consécration d’une matière sanctifiée ; il consiste au contraire dans le rejet de cette sorte de matière qu’est le péché, selon la façon dont nous avons dit que le péché était matière de la pénitence. Or ce rejet est signifié par le prêtre quand il dit : " je t’absous " (je te délie), car les péchés sont une sorte de lien, d’après les Proverbes (5, 22) : " Ses iniquités tiennent l’impie captif, et chacun est entravé par les liens de ses péchés. " Il est donc évident que cette forme du sacrement de pénitence : " Je t’absous ", est la plus appropriée.

Solutions :

1. Cette forme est tirée des paroles mêmes du Christ à Pierre : " Tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel ", et l’Église s’en sert dans l’absolution sacramentelle. Quant aux absolutions publiques citées dans l’objection, ce ne sont pas des absolutions sacramentelles, mais seulement des prières instituées pour la rémission des péchés véniels. Il ne suffirait donc pas de dire dans l’absolution sacramentelle : " Qu’il ait pitié de toi, le Dieu tout-puissant ", ou même : " Que Dieu t’accorde l’absolution et la rémission " car, par ces paroles, le prêtre ne signifie pas que l’absolution est accordée, mais demande qu’elle le soit. On récite cependant ces prières avant l’absolution sacramentelle afin qu’il n’y ait pas d’obstacle à l’effet du sacrement du côté du pénitent dont les actes sont tenus pour matière de ce sacrement, ce qu’ils ne sont pas dans le baptême ou la confirmation.

2. Ces paroles de S. Léon doivent s’entendre des prières qui précèdent l’absolution, mais elles n’excluent pas l’absolution sacerdotale proprement dite.

3. Dieu seul absout du péché et remet le péché par son autorité. Cependant les prêtres font l’un et l’autre par manière de service, en tant que les paroles du prêtre agissent comme les instruments de la vertu divine, dans ce sacrement comme dans les autres ; car c’est la vertu divine qui opère intérieurement dans tous les signes sacramentels, qu’ils soient des actes ou des paroles. C’est pourquoi le Seigneur a fait mention et de l’absolution et de la rémission, quand il a dit à Pierre : " Tout ce que tu délieras sur la terre, etc. " et à ses disciples : " A qui vous remettrez les péchés, les péchés seront remis. " Cependant le prêtre dit : " je t’absous " plutôt que : " je te remets tes péchés " parce que cela s’accorde mieux avec les paroles du Seigneur proclamant le pouvoir des clés, en vertu duquel les prêtres absolvent.

Mais comme le prêtre n’est que ministre de l’absolution, il convient d’ajouter à la formule essentielle quelques paroles qui rappellent l’autorité première de Dieu, et de dire : " Je t’absous au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit " ou bien " par la vertu du Saint-Esprit ou de la passion du Christ " ou encore " par l’autorité de Dieu " comme l’explique Denys e. Toutefois, cette précision n’étant pas tirée des paroles du Christ, comme pour le baptême, son emploi est laissé à la libre volonté du prêtre.

4. Les Apôtres n’ont pas reçu le pouvoir de guérir eux-mêmes les maladies, mais d’obtenir cette guérison par leur prière, tandis qu’ils ont reçu le pouvoir d’agir dans les sacrements comme des instruments et des ministres. C’est pour cela qu’ils peuvent faire mention de leur action dans les formes sacramentelles, plus que dans la guérison des malades. Cependant, même dans ces guérisons, ils ne se servaient pas toujours de la forme déprécative, mais aussi quelquefois d’une formule indicative et impérative. Ainsi lisons-nous que Pierre dit au boiteux (Ac 3, 6) : " Ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ, lève-toi et marche. "

5. Cette explication de la formule : " je t’absous " par : " Je te déclare absous ", vraie à certains égards, n’est pas parfaites. En effet, les sacrements de la nouvelle loi n’ont pas seulement valeur de signe, ils opèrent aussi ce qu’ils signifient. Le prêtre qui baptise déclare que le catéchumène est intérieurement purifié par des paroles et par des actes qui non seulement signifient, mais opèrent cette purification. De même, en disant : " Je t’absous ", le prêtre manifeste que non seulement il signifie l’absolution du pénitent, mais il la cause. Et il ne parle pas de cela comme d’une chose incertaine, car il en est du sacrement de pénitence comme des autres sacrements de la nouvelle loi, qui ont par eux-mêmes une efficacité en vertu de la passion du Christ, bien que cette efficacité puisse être empêchée par les dispositions de celui qui reçoit le sacrement. C’est pourquoi S. Augustin nous dit : " Une fois que l’adultère commis a été expié, la réconciliation des époux n’est ni honteuse ni difficile, quand, grâce aux clés du royaume des cieux, on n’a plus de doute sur la rémission des péchés. " Le prêtre n’a donc pas besoin d’une révélation spéciale ; il lui suffit de la révélation générale que lui donne la foi, grâce à laquelle les péchés sont remis. Voilà pourquoi c’est cette révélation générale qui est dite avoir été faite à Pierre. Cependant le sens de la formule : " je t’absous " serait mieux expliqué de la façon suivante : " Je t’administre le sacrement de l’absolution. "

 

            Article 4 — L’imposition des mains est-elle requise au sacrement ?

Objections :

1. On lit dans S. Marc (16, 18) " Ils imposeront les mains aux malades, et ceux-ci seront guéris. " Or les pécheurs sont des malades spirituels qui reçoivent, par ce sacrement, une bonne santé. Donc, dans ce sacrement, on doit faire l’imposition des mains.

2. Dans le sacrement de pénitence l’homme recouvre le don de l’Esprit Saint qu’il avait perdu. De là vient que le Psalmiste dit au nom du pénitent (51, 14) : " Rends-moi la joie de ton salut et fortifie-moi par un esprit résolu. " Or c’est par l’imposition des mains que l’Esprit Saint est donné, car on lit dans les Actes (8, 17) : " Les Apôtres leur imposaient les mains et ils recevaient l’Esprit Saint " ; et encore en S. Matthieu (1 9, 13) : " On présentait les petits enfants au Seigneur pour qu’il leur impose les mains. "

3. Les paroles du prêtre n’ont pas plus d’efficacité dans ce sacrement que dans les autres, car les paroles du ministre sont insuffisantes, à moins qu’il ne les accompagne de quelque acte extérieur. Ainsi, dans le baptême, les paroles du prêtre : " je te baptise " doivent être accompagnées de l’ablution corporelle du baptisé. Donc il faut aussi que le prêtre, en disant : " Je t’absous ", fasse un acte extérieur sur le pénitent en lui imposant les mains.

En sens contraire, quand le Seigneur a dit à Pierre : " Tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel ", il n’a fait aucune mention de l’imposition des mains. Il ne l’a pas mentionnée davantage quand il a dit à tous les Apôtres (Jn 20, 23) : " A qui vous remettrez les péchés, les péchés seront remis. " Donc ce sacrement ne comporte pas l’imposition des mains.

Réponse : L’imposition des mains, dans les sacrements de l’Église, se fait pour indiquer la production d’une spéciale abondance de grâce qui, par une certaine assimilation, associe plus étroitement ceux qui reçoivent cette imposition des mains aux ministres de Dieu chez lesquels il doit y avoir une grâce plus abondante. C’est pour cela qu’on impose les mains dans le sacrement de confirmation, où est conférée la plénitude de l’Esprit Saint, et dans le sacrement de l’ordre qui confère un certain pouvoir supérieur sur les ministères divins, d’où ces paroles de S. Paul (2 Tm 1, 6) : " Tu ranimeras la grâce de Dieu qui est en toi par l’imposition de mes mains. " Or le sacrement de pénitence n’a pas été institué pour nous faire obtenir une grâce supérieure, mais pour nous débarrasser de nos péchés. C’est pourquoi il ne requiert pas l’imposition des mains, pas plus que le baptême, dans lequel cependant la rémission des péchés est plus entière.

Solutions :

1. Cette imposition des mains aux malades n’est pas sacramentelle, mais elle a pour but l’accomplissement d’un miracle, la guérison d’une infirmité corporelle par le contact de la main d’un homme sanctifié. Ainsi lit-on en S. Marc (6, 5) que " le Seigneur guérit des infirmes en leur imposant les mains " et en S. Matthieu (8, 3), qu’il guérit un lépreux en le touchant.

2. Toute réception du Saint-Esprit ne requiert pas l’imposition des mains. C’est ainsi que, dans le baptême, l’homme reçoit le Saint-Esprit sans qu’il y ait imposition des mains. C’est seulement pour recevoir le Saint-Esprit avec plénitude que l’imposition des mains est requise, ce qui est le cas de la confirmation.

3. Dans les sacrements qui s’achèvent par l’application d’une matière sacramentelle, le ministre doit exercer une action corporelle extérieure sur celui qui reçoit le sacrement, comme dans le baptême, la confirmation et l’extrême-onction. Mais dans le sacrement de pénitence, il n’y a pas application de matière ; ce sont les actes du pénitent qui tiennent lieu de matière. C’est pourquoi comme, dans l’eucharistie, le prêtre achève le sacrement par la seule prononciation de paroles dites sur la matière, ainsi le sacrement de pénitence est-il achevé, lui aussi, du seul fait que le prêtre prononce les paroles de l’absolution sur le pénitent. S’il

fallait en plus quelque acte corporel de la part du prêtre, le signe de la croix employé dans l’eucharistie ne serait pas ici de moindre convenance que l’imposition des mains, pour signifier que la rémission des péchés s’opère par le sang du Christ en croix. Toutefois cette cérémonie n’est pas nécessaire au sacrement, pas plus qu’elle ne l’est pour l’eucharistie.

 

            Article 5 — Ce sacrement est-il nécessaire au salut ?

Objections :

1. Sur ces paroles du Psaume (126, 5) : " Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent dans l’allégresse ", la Glose nous dit : " Ne sois pas triste quand tu as la bonne volonté où l’on moissonne la paix. " Or la tristesse est de l’essence de la pénitence, selon S. Paul (2 Co 7, 10) : " C’est la tristesse selon Dieu qui fait, pour notre salut, la pénitence durable. " Donc la bonne volonté, sans la pénitence, suffit au salut.

2. " Tous les péchés sont couverts par la charité " ; et encore : " La miséricorde et la foi effacent les péchés ", ce qu’on lit dans les Proverbes (10, 12 et 15, 27 Vg). Or le sacrement de pénitence n’a pas d’autre but que la rémission des péchés. C’est donc qu’avec la charité, la foi et la miséricorde, chacun de nous peut arriver au salut, même sans le sacrement de pénitences.

3. Les sacrements de l’Église ont leur point de départ dans l’institution du Christ. Or. d’après S. Jean (8, 11), le Christ a absous sans pénitence la femme adultère ; il semble donc que la pénitence ne soit pas nécessaire au salut.

En sens contraire, d’après S. Luc (13, 5), le Seigneur a dit : " Si vous ne faites pas pénitence, vous périrez tous de même. "

Réponse :

Quelque chose est nécessaire au salut de deux façons : de façon absolue, ou conditionnelle. Est absolument nécessaire au salut ce sans quoi personne ne peut y arriver, comme la grâce du Christ et le sacrement de baptême par lequel on renaît dans le Christ. Quant à la nécessité du sacrement de pénitence, elle est conditionnelle, ce sacrement n’étant pas nécessaire à tous, mais seulement à ceux qui sont sous le joug du péché. On lit en effet dans les Paralipomènes : " Toi, Seigneur, Dieu des justes, tu n’a pas institué la pénitence pour les justes Abraham, Isaac et Jacob, ni pour ceux qui ne t’ont pas offensé. "

Mais le péché, quand il a été consommé, engendre la mort, dit S. Jacques (1, 15). Il devient donc nécessaire au salut du pécheur d’être délivré de son péché. Or cela ne peut se faire sans le sacrement de pénitence, dans lequel opère la vertu de la passion du Christ, par l’absolution du prêtre jointe aux actes du pénitent coopérant à la grâce donnée pour la rémission du péché. Selon S. Augustin : " Celui qui t’a créé sans toi, ne te justifiera pas sans toi. " Il est donc évident que le sacrement de pénitence est nécessaire au salut après le péché, comme la médication corporelle après que l’homme est tombé dans une maladie grave.

Solutions :

1. Cette glose semble devoir s’entendre de celui qui jouit d’une bonne volonté à laquelle le péché n’a pas apporté d’interruption. De telles bonnes volontés n’ont pas de motif de tristesse. Mais du fait que la bonne volonté a été supprimée par le péché, elle ne peut nous être rendue sans cette tristesse qui nous fait pleurer le péché passé, et qui est celle de la pénitence.

2. Une fois l’homme tombé en état de péché, il ne peut être libéré par la charité, la foi et la miséricorde sans la pénitence. En effet, la charité exige que l’homme pleure l’offense commise contre son ami, et s’applique à lui donner satisfaction. La foi demande aussi que l’homme cherche à se justifier de ses péchés par la vertu de la passion du Christ, vertu qui opère dans les sacrements de l’Église. Enfin, la miséricorde bien ordonnée requiert elle-même que l’homme, en faisant pénitence, remédie à la misère dans laquelle il s’est précipité par le péché, selon les Proverbes (14, 34) : " Le péché fait les peuples malheureux ", et l’Ecclésiastique (30, 24 Vg) : " Aie pitié de ton âme en faisant ce qui plaît à Dieu. "

3. C’est grâce au privilège personnel de son pouvoir d’excellence que le Christ a pu concéder à la femme adultère l’effet du sacrement de pénitence, la rémission des péchés, sans le sacrement, mais non sans les sentiments de pénitence intérieure que lui-même, par la grâce, a fait naître en cette femme.

 

            Article 6 — Les rapports de la pénitence avec les autres sacrements

Objections :

1. Au sujet de ce texte d’Isaïe (3, 9) : " Ils se sont vantés de leur péché comme Sodome ", la Glose nous dit : " Cacher ses péchés, voilà la seconde planche après le naufrage. " Or la pénitence ne cache pas les péchés, elle les révèle. Donc la pénitence n’est pas la " seconde planche ".

2. Le fondement, dans un édifice, -ne tient pas la seconde place, mais la première. Or dans l’édifice spirituel, la pénitence est le fondement, d’après l’épître aux Hébreux (5, 1) : " Ne recommençons pas à jeter les fondements de la pénitence des œuvres de mort. " C’est pour cela que la pénitence doit précéder le baptême lui-même, selon les Actes (2, 38) : " Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé. " La pénitence ne doit donc pas être appelée la " seconde planche ".

3. Tous les sacrements sont des planches de salut, c’est-à-dire des remèdes contre le péché. Or la pénitence ne tient pas le deuxième rang, mais le quatrième dans l’ordre des sacrements. Donc la pénitence ne doit pas être appelée " la seconde planche après le naufrage ".

En sens contraire, S. Jérôme dit que " la seconde planche après le naufrage, c’est la pénitence ".

Réponse :

Par nature, l’essentiel précède l’accidentel, comme la substance précède l’accident. Or certains sacrements ont une relation essentielle avec le salut de l’homme, comme le baptême qui est une génération de l’esprit, la confirmation qui en est la croissance, et l’eucharistie qui en est la nourriture. Mais la pénitence n’est ordonnée au salut de l’homme que par accident, peut-on dire, et conditionnellement, c’est-à-dire dans l’hypothèse du péché. Si l’homme ne commettait pas le péché actuel, il n’aurait pas besoin de la pénitence, bien qu’il ait encore besoin du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie. C’est ainsi que, dans sa vie corporelle, l’homme n’aurait pas besoin de médicaments s’il n’était malade, bien que sa vie requière essentiellement sa génération, son développement et son alimentation. Voilà pourquoi la pénitence ne tient que le second rang vis-à-vis de l’état d’intégrité, qui est conféré et conservé par les sacrements qui précèdent. De là son nom métaphorique de " seconde planche après le naufrage ". En effet, de même que le premier moyen de salut des voyageurs en mer est qu’ils demeurent dans un navire en bon état, et le second, qu’ils s’attachent à une planche quand le navire a été brisé, ainsi le premier moyen de salut pour l’homme, sur l’océan de cette vie, est qu’il soit mis et conservé dans l’état d’intégrité ; et le second, qu’il y revienne par la pénitence si le péché lui a fait perdre cette intégrité.

Solutions : 1. On peut cacher ses péchés de deux façons : tout d’abord dans l’acte même du péché. Le péché public est en effet pire que le péché secret, soit parce que le pécheur semble mettre dans son péché un plus grand mépris de la loi, soit aussi en raison du scandale. C’est donc déjà une sorte de remède au péché que de le commettre en secret et c’est en ce sens que la Glose dit : " Cacher ses péchés, voilà la seconde planche après le naufrage. " Non que par là le péché soit effacé comme il l’est par la pénitence, mais ainsi il est diminué. Il y a une autre façon de cacher le péché déjà commis, c’est de négliger la confession ; mais cacher ainsi son péché n’est plus une seconde planche de salut, c’est plutôt le contraire, car les Proverbes disent (28, 13) : " Celui qui cache ses crimes ne réussira pas. "

2. La pénitence ne peut pas être appelée fondement de l’édifice spirituel au sens absolu, c’est-à-dire le fondement de la première édification ; mais elle est fondement dans la réédification suivante, qui se fait après la destruction du péché. C’est la pénitence qui s’impose tout d’abord à ceux qui reviennent à Dieu. Le texte de S. Paul vise le fondement de la doctrine spirituelle. Quant à la pénitence qui précède le baptême, ce n’est pas le sacrement de pénitence.

3. Ces trois sacrements assurent l’intégrité du navire, c’est-à-dire l’état d’intégrité morale, vis-à-vis duquel la pénitence est appelée " seconde planche ".

 

            Article 7 — L’institution de ce sacrement

Objections :

1. Ce qui est de droit naturel n’a pas besoin d’institution. Mais se repentir du mal qu’on a fait est de droit naturel, car nul ne peut aimer le bien sans pleurer le péché qui est son contraire. Donc il ne convenait pas qu’il y ait une institution de la pénitence dans la loi nouvelle.

2. Ce qui existait déjà dans l’ancienne loi n’avait plus à être institué. Or la pénitence existait déjà dans l’ancienne loi, puisque Jérémie (8, 6) nous dit cette plainte du Seigneur " Il n’y a personne qui fasse pénitence de son péché, en disant : "Qu’ai-je fait ?". " La pénitence ne devait donc pas être instituée dans la loi nouvelle.

3. La pénitence suit le baptême, puisqu’elle est " la seconde planche de salut " ; mais la pénitence semble avoir été instituée par le Seigneur avant le baptême, car on lit en S. Matthieu (4, 17) que dès le début de sa prédication, le Seigneur disait : " Faites pénitence, car voici que le royaume des cieux est proche. " Donc il ne convenait pas que ce sacrement fût institué dans la loi nouvelle.

4. Les sacrements de la loi nouvelle ont été institués par le Christ, qui leur donne leur vertu opérante, comme nous l’avons dit plus haut. Mais le Christ ne semble pas avoir institué ce sacrement, puisque lui-même ne s’en est pas servi comme des autres sacrements qu’il a lui-même institués. Il ne convenait donc pas que ce sacrement fût institué dans la loi nouvelle.

En sens contraire, le Seigneur a dit, selon S. Luc (24, 46) : " Il fallait que le Christ souffrît, et qu’il ressuscite des morts le troisième jour, et qu’on prêche en son nom la pénitence, et la rémission des péchés, à toutes les nations. "

Réponse :

Nous l’avons déjà dit, dans ce sacrement, les actes du pénitent tiennent lieu de matière, et ceux du prêtre, agissant comme ministre du Christ, ont le rôle de principe formel achevant le sacrement. Or la matière des autres sacrements existe avant le sacrement à l’état de réalité naturelle comme l’eau, ou de produit artificiel comme le pain ; l’institution n’est nécessaire que pour déterminer l’emploi de telle ou telle matière dans le sacrement. Au contraire, la forme et la vertu du sacrement viennent totalement de l’institution du Christ, dont la passion donne aux sacrements leur vertu. Il en va de même ici. La matière préexiste à l’état de réalité naturelle, car c’est une inclination naturelle qui pousse l’homme à se repentir du mal qu’il a commis ; mais de quelle façon il doit faire pénitence, cela vient de l’institution divine.

C’est pourquoi le Seigneur au début de sa prédication n’a pas seulement intimé aux hommes qu’ils devaient se repentir, mais aussi qu’ils devaient faire pénitence, en leur indiquant de façon déterminée les actes requis pour ce sacrement. Quant à l’office des ministres, il l’a déterminé quand il a dit à Pierre : " je te donne les clefs du royaume des cieux, etc. " L’efficacité de ce sacrement et la source de sa vertu, il les a manifestées après sa résurrection, quand il a dit, d’après S. Luc (24,47), " qu’il fallait prêcher en son nom, à toutes les nations, la pénitence et la rémission des péchés ". En effet, c’est en vertu du nom de Jésus Christ souffrant et ressuscitant, que ce sacrement est efficace pour la rémission des péchés. Il était donc évidemment approprie e ce sacrement fût institué dans la loi nouvelle.

Solutions :

1. Il est de droit naturel qu’on se repente du mal qu’on a fait en s’attristant de l’avoir fait, qu’on cherche comment remédier à cette tristesse, et qu’on en donne des signes. C’est ce qu’ont fait les Ninivites d’après le livre de Jonas (3, 4). Cependant, ils ont ajouté à la foi que leur avait inspirée la prédication de Jonas : ils ont agi dans l’espoir d’obtenir de Dieu leur pardon, comme le montre ce même livre (3, 9) : " Qui sait si Dieu ne va pas se raviser et revenir de l’emportement de sa colère, si bien que nous ne périssions pas ? " Mais, de même que toutes les autres prescriptions de la loi nouvelle ont été précisées par la promulgation d’une loi divine positive, comme nous l’avons dit dans la deuxième Partiel, ainsi en va-t-il des prescriptions relatives à la pénitence.

2. Les prescriptions du droit naturel ont reçu, dans l’ancienne loi, des déterminations différentes de celles que leur donne la nouvelle loi, ce qui s’accorde avec l’imperfection de l’ancienne loi et avec la perfection de la nouvelle. Voici donc les déterminations que la pénitence avait reçues dès l’ancienne loi. Pour ce qui est de la douleur du péché, elle devait être dans le cœur plus que dans les signes extérieurs, selon Joël (2, 13) : " Déchirez vos cœurs et non vos vêtements. " Quant au remède à chercher à cette douleur, on devait, d’une certaine façon, confesser ses péchés aux ministres de Dieu, au moins en général ; d’où cette parole du Seigneur dans le Lévitique (5, 17) : " Celui qui aura péché par ignorance offrira au prêtre un bélier sans tache, pris dans ses troupeaux, et de valeur proportionnée à la mesure et à l’estimation de la faute. Le prêtre priera pour lui parce qu’il aura péché par ignorance, et cette faute lui sera remise. " Du fait même que quelqu’un faisait une oblation pour le péché, il confessait son péché au prêtre en quelque sorte, et c’est pour cela que les Proverbes nous disent (28, 3) : " Celui qui cache ses crimes ne réussira pas, mais celui qui les aura confessés et y aura renoncé, obtiendra miséricorde. "

Alors n’avait pas encore été institué le pouvoir des clés, qui dérive de la Passion. Il n’y avait donc pas encore de prescription demandant au pécheur de joindre à la douleur de ses fautes la ferme résolution de se soumettre par la confession et la satisfaction au pouvoir ecclésiastique des clés, dans l’espoir d’obtenir son pardon par la vertu de la passion du Christ.

3. Si l’on considère bien ce que le Seigneur a dit de la nécessité du baptême, on s’aperçoit que ces paroles rapportées par S. Jean (3, 3) ont été dites avant celles que nous lisons en S. Matthieu (4, 12) au sujet de la pénitence. En effet, la conversation de Jésus avec Nicodème au sujet du baptême a précédé l’incarcération de Jean Baptiste, dont on nous dit ensuite qu’il baptisait. C’est seulement après cette incarcération qu’au témoignage de S. Matthieu, Jésus a parlé de la pénitence. Si cependant il était vrai qu’il nous eût invités à la pénitence avant de nous inviter au baptême, ce serait parce qu’il y a une pénitence requise même avant le baptême, selon cette parole de S. Pierre (Ac 2, 38) : " Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé. "

4. Le Christ n’a pas employé le baptême qu’il a lui-même institué, mais il a été baptisé du baptême de Jean. Il n’a pas même employé son pouvoir d’administrer le baptême, car ordinairement il ne baptisait pas lui-même et laissait ce soin à ses disciples, nous dit S. Jean (4, 2), bien qu’on doive penser qu’il a baptisé ses propres disciples, selon S. Augustin. Quant au sacrement de pénitence, son usage ne convenait au Christ d’aucune façon. Il ne pouvait pas l’employer pour lui-même, puisqu’il n’y a pas en lui de péché. Il n’avait pas non plus à l’administrer aux autres car, pour montrer sa miséricorde et sa puissance, il accordait l’effet de ce sacrement sans le sacrement. Quant au sacrement d’eucharistie, il l’a pris lui-même et il l’a donné aux autres pour nous faire mieux sentir l’excellence de ce sacrement, et aussi parce que l’eucharistie est le mémorial de la Passion, dans laquelle le Christ est à la fois prêtre et victime.

 

            Article 8 — La durée de la pénitence

Objections :

1. La pénitence a pour but d’effacer le péché. Mais le vrai pénitent obtient aussitôt la rémission de ses péchés, selon Ézéchiel (18, 21) : " Si l’impie fait pénitence de tous les péchés qu’il a commis, il vivra vraiment et ne mourra pas. " Il n’y a donc pas à prolonger la pénitence après le pardon.

2. La pénitence appartient à l’état des commençants ; mais l’homme doit passer de cet état à celui des progressants, et ensuite à celui des parfaits. Il ne doit donc pas faire pénitence jusqu’à la fin de sa vie.

3. Pour le sacrement de pénitence, comme pour les autres sacrements, on doit s’en tenir aux règlements de l’Église. Or, les canons déterminent le temps de la pénitence, prescrivant tant d’années de pénitence pour tel ou tel péché. Il semble donc bien que la pénitence ne doive pas se prolonger jusqu’à la fin de la vie.

En sens contraire, S. Augustin nous dit " Que nous reste-t-il à faire, sinon pleurer pendant toute notre vie ? Dès que la douleur cesse, plus de pénitence, et s’il n’y a plus de pénitence, que reste-t-il du pardon ? "

Réponse :

Il y a deux sortes de pénitence extérieure et intérieure. La pénitence intérieure nous fait pleurer le péché commis, et elle doit durer jusqu’à la fin de la vie. L’homme, en effet, doit toujours regretter d’avoir péché ; si jamais il trouvait bon d’avoir commis le péché, du coup il en redeviendrait coupable et perdrait le fruit du pardon. Mais le regret cause la douleur chez celui qui en est capable, et c’est le cas de l’homme en cette vie. Il en va tout autrement après cette vie. Les saints ne seront plus sujets à la douleur et condamneront leurs péchés passés sans aucune tristesse, selon Isaïe (65, 16) : " Elles seront livrées à l’oubli, les anciennes angoisses. " Quant à la pénitence extérieure, qui nous fait donner des signes extérieurs de notre regret, confesser oralement nos péchés au prêtre qui les absout, et satisfaire selon la volonté du confesseur, elle ne doit pas durer jusqu’à la fin de notre vie, mais seulement pendant un temps proportionné à la gravité du péché.

Solutions :

1. La vraie pénitence n’a pas seulement pour effet d’effacer les péchés passés, mais elle préserve aussi des péchés à venir. En conséquence, bien que, dès le premier instant de la pénitence, l’homme obtienne la rémission des péchés passés, il lui faut cependant garder ses sentiments de pénitence pour ne pas retomber.

2. La pénitence à la fois intérieure et extérieure appartient à l’état des commençants qui viennent de sortir du péché ; mais la pénitence intérieure garde sa place dans la vie des progressants et des parfaits, selon cette parole du psalmiste (84, 6 Vg) : " Il a disposé des ascensions dans son cœur, en cette vallée de larmes. " De là vient que S. Paul lui-même disait (1 Co 15, 9) : " je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu. "

3. Ces temps sont fixés aux pénitents pour pratiquer la pénitence extérieure.

 

            Article 9 — La pénitence doit-elle être continuelle ?

Objections :

1. Jérémie nous dit (31, 16) : " Cesse ta plainte et sèche tes yeux. " Mais cela ne serait pas possible si la pénitence, qui est faite de gémissements et de larmes, devait être continuelle.

2. Toute bonne œuvre doit faire la joie de l’homme, selon le Psaume (100, 2) : " Servez le Seigneur dans la joie. " Or, faire pénitence est une bonne œuvre. Donc l’homme doit se réjouir de la pénitence elle-même. Mais l’homme ne peut pas en même temps être joyeux et triste, comme le Philosophe le montre à l’évidence. Il est donc impossible que le pénitent ait, en même temps que la joie, cette tristesse des péchés passés qui est essentielle à la pénitence.

3. S. Paul écrit (2 Co 2, 7) : " Consolez-le (le pénitent), de peur qu’en cet état il ne sombre dans une tristesse excessive. " Mais la consolation chasse la tristesse qui est essentielle à la pénitence. Donc celle-ci ne doit pas être continuelle.

En sens contraire, S. Augustin nous dit : " Il faut veiller à ce que, dans la pénitence, la douleur soit continuelle. "

Réponse :

" Faire pénitence " peut désigner l’acte, ou l’habitus. Il est en effet impossible qu’un homme soit continuellement pénitent en acte, car il est nécessaire que l’acte intérieur ou extérieur de la pénitence soit interrompu quelquefois, au moins par le sommeil et par les autres nécessités du corps. Mais il y a une seconde façon d’être pénitent, c’est d’en avoir l’habitus ; et c’est ainsi qu’on doit être continuellement pénitent. Pour cela, on ne doit jamais rien faire qui soit contraire à la pénitence et qui supprime l’habitus ; on doit, de plus, avoir la volonté de toujours regretter ses péchés.

Solutions :

1. Les gémissements et les larmes sont des actes de la pénitence extérieure, qui non seulement ne doit pas être continuelle, mais qui ne doit pas non plus durer jusqu’à la fin de la vie, nous l’avons dit à l’article précédent. C’est pourquoi le texte de Jérémie comporte cette clause significative : " Car ta peine aura son salaire. " Cette récompense de l’œuvre du pénitent est la pleine rémission du péché et quant à la coulpe et quant à la dette de peine. Ce résultat une fois acquis, il n’est plus nécessaire que l’homme prolonge sa pénitence extérieure, mais cela n’exclut pas que la pénitence se continue, de la manière que nous venons de dire.

2. On peut parler de la douleur et de la joie à deux points de vue. On peut les considérer d’abord en tant qu’elles sont des passions de l’appétit sensible. Ainsi considérées, elles ne peuvent cœxister ; étant en complète contrariété, tant du côté de l’objet, si elles ont le même, qu’au moins du côté du cœur, car la joie dilate le cœur tandis que la tristesse le resserre. C’est de la joie et de la tristesse ainsi considérées que parle le Philosophe. Mais nous pouvons aussi parier de la joie et de la tristesse en tant qu’elles consistent dans un simple acte de volonté dont l’objet plaît ou déplaît. Ainsi considérées, la joie et la tristesse ne peuvent plus se trouver en contrariété que du côté de l’objet, dans le cas où il s’agit du même objet pris sous le même aspect. En ce cas, il ne peut y avoir en même temps joie et tristesse, parce que le même objet pris sous le même aspect ne peut pas en même temps plaire et déplaire. Si au contraire la joie et la tristesse ainsi considérées ne portent pas sur le même aspect du même objet, mais sur des objets divers ou sur divers aspects du même objet, il n’y a plus entre elles de contrariété. Rien ne nous empêche alors de nous réjouir et de nous attrister en même temps. Ainsi, lorsque nous voyons le juste affligé, sa justice nous plaît en même temps que son affliction nous déplaît. C’est de cette façon que quelqu’un peut regretter d’avoir péché, tout en prenant plaisir à ce regret qu’accompagne l’espoir du pardon. La tristesse elle-même devient ainsi la matière de notre joie. D’où cette parole de S. Augustin : " Que le pénitent pleure toujours et se réjouisse de pleurer. " D’ailleurs, même si la tristesse n’était d’aucune façon compatible avec la joie, cela n’empêcherait pas la continuité habituelle de la pénitence, mais seulement la continuité de son acte.

3. D’après le Philosophe, il appartient à la vertu de tenir les passions dans un juste milieu. Or la tristesse produite dans l’appétit sensible du pénitent par ce qui déplaît à sa volonté, est une passion. Elle doit donc être modérée selon la règle de la vertu, et son excès est un vice qui conduit au désespoir. Voilà ce que veulent dire les paroles de l’Apôtre : " De peur que celui qui est dans cet état ne tombe dans une tristesse excessive. " Ainsi la consolation dont parle l’Apôtre modère la tristesse, mais ne l’enlève pas complètement.

 

            Article 10 — Le sacrement de pénitence peut-il être renouvelé ?

Objections :

1. S. Paul écrit (He 6, 4-6) : " Ceux qui ont été une fois illuminés, et qui ayant goûté au don céleste et étant entrés en partage du Saint-Esprit, sont ensuite tombés, ne peuvent pas être une seconde fois renouvelés en venant à la pénitence. " Mais tous ceux qui ont fait pénitence ont été renouvelés et ont reçu le don du Saint-Esprit. Donc quiconque pèche après la pénitence ne peut plus faire pénitence une seconde fois.

2. S. Ambroise nous dit : " On trouve des gens qui croient qu’on peut faire pénitence plusieurs fois. Ceux-là veulent être "luxurieux dans le Christ" (1 Tm 5, 11 Vg), car s’ils faisaient vraiment pénitence, ils ne penseraient pas que la pénitence puisse être renouvelée. La pénitence est en effet unique, comme le baptême. " Or le baptême ne se renouvelle pas, donc la pénitence non plus.

3. Les miracles que le Seigneur a faits pour guérir les infirmités corporelles sont la figure des guérisons spirituelles par lesquelles les hommes sont libérés de leurs péchés. Or on ne lit pas dans l’évangile que le Seigneur ait deux fois rendu la vue au même aveugle, deux fois purifié le même lépreux ou deux fois ressuscité le même mort. Il semble donc qu’il n’accorde jamais à un pécheur d’être pardonné deux fois par la pénitence.

4. S. Grégoire nous dit : " Faire pénitence, c’est pleurer les péchés déjà commis, et ne plus commettre d’acte qu’on doive pleurer. " Et S. Isidore : " C’est un farceur et non pas un pénitent, celui qui fait encore ce dont il se repent. " C’est donc qu’un vrai pénitent ne péchera plus, et que la pénitence ne peut pas être renouvelée.

5. Comme le baptême, la pénitence tire son efficacité de la passion et de la mort du Christ. Or le baptême ne peut être renouvelé, parce que le Christ n’a souffert et n’est mort qu’une fois. Donc la même raison doit empêcher le renouvellement de la pénitence.

6. S. Ambroise nous dit que la facilité du pardon excite au péché. Donc, si Dieu nous offre par la pénitence un pardon fréquent, il semble qu’il excite lui-même les hommes au péché. Il paraîtrait ainsi se délecter dans le péché, ce qui ne s’accorde pas avec sa bonté. Donc la pénitence ne peut pas être renouvelée.

En sens contraire, pour engager à la miséricorde, on propose l’exemple de la miséricorde divine selon S. Luc (6, 36) : " Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux. " Or le Seigneur impose à ses disciples une miséricorde qui doit leur faire pardonner très souvent les offenses de leurs frères. C’est ainsi qu’au témoignage de S. Matthieu (18, 21) Pierre ayant demandé : " Combien de fois dois-je remettre à mon frère les offenses qu’il aura commises contre moi ? jusqu’à sept fois ? " jésus lui répondit : " je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix-sept fois. " Donc Dieu lui-même, par la pénitence, offre très souvent son pardon à ceux qui pèchent, d’autant plus qu’il nous enseigne à faire cette prière : " Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. "

Réponse :

Au sujet de la pénitence, quelques-uns se sont trompés en disant que l’homme ne peut pas obtenir une seconde fois, par la pénitence, le pardon de ses péchés. Certains d’entre eux, les novations, sont allés jusqu’à dire qu’après la première pénitence, qui s’accomplit dans le baptême, le pécheur ne pouvait plus être rétabli par la pénitence. D’autres hérétiques, dont parle S. Augustin, reconnaissaient qu’après le baptême la pénitence était utile, mais une fois seulement, et non pas plusieurs fois.

De telles erreurs paraissent avoir eu une double cause. Ceux qui les professaient s’étaient d’abord trompés au sujet de l’essence de la vraie pénitence. La vraie pénitence requérant la charité sans laquelle les péchés ne sont pas effacés, ils pensaient que la charité une fois reçue dans une âme ne pouvait plus se perdre, et que par conséquent la grâce de la pénitence, si celle-ci était vraie, ne pouvait plus être si complètement enlevée par le péché qu’il fût nécessaire de la renouveler. Mais cette erreur a été réfutée dans la deuxième Partie x, quand nous avons montré qu’en raison du libre arbitre, la charité une fois reçue pouvait se perdre et que, par conséquent, après une vraie pénitence, on pouvait pécher mortellement.

Leur seconde erreur portait sur l’estimation de la gravité du péché. Ils pensaient que le péché commis par un pénitent après que celui-ci avait déjà une fois obtenu son pardon, était si grave que la rémission n’en était plus possible. En quoi ils se trompaient doublement. Ils se trompaient au sujet du péché qui, même après un premier pardon, peut être ou plus grave ou moins grave que la première faute pardonnée ; mais ils se trompaient bien davantage en méconnaissant la grandeur infinie de la miséricorde divine, qui dépasse tous les péchés, quels que soient leur nombre et leur gravité, selon cette parole du Psaume (51, 3) : " Pitié pour moi, mon Dieu, selon la grandeur de ta miséricorde et sous la multitude de tes compassions, efface mon iniquité. " C’est pourquoi l’on réprouve la parole de Caïn (Gn 4, 13) : " Mon crime est trop grand pour que j’en obtienne le pardon. " La miséricorde de Dieu ne met donc pas de limite au pardon queue offre par la pénitence à ceux qui pèchent. D’où cette parole : " Immense et inconcevable est la miséricorde de ta promesse au sujet de la malice des hommes. " Il est donc manifeste q ne la pénitence peut être plusieurs fois renouvelées.

Solutions :

1. Comme il y avait chez les Juifs certaines ablutions légales, avec lesquelles ils pouvaient se purifier plusieurs fois de leurs impuretés, quelques Juifs pensaient qu’on pouvait aussi se purifier plusieurs fois par l’ablution du baptême. C’est pour dissiper cette erreur que S. Paul écrit " Il est impossible à ceux qui ont été une fois illuminés " de l’illumination du baptême, " d’être renouvelés pour la pénitence " c’est-à-dire par le baptême qui est " le bain de la régénération et de la rénovation dans l’Esprit Saint " (Tt 3, 5). S. Paul en donne ensuite cette raison que, dans le baptême, l’homme meurt avec le Christ. C’est pour cela qu’il dit ailleurs (He 6, 6) : " Crucifiant une seconde fois pour leur compte le Fils de Dieu. "

2. S. Ambroise parle ici de la pénitence solennelle qui ne se renouvelle pas dans l’Église, comme nous le verrons plus loin.

3. Comme dit S. Augustin : " Notre Seigneur a rendu la vue à beaucoup d’aveugles et en diverses circonstances ; il a rendu la force à beaucoup d’infirmes, pour montrer qu’en ces cas divers, il remettait souvent les mêmes péchés. Ainsi, après avoir guéri un lépreux, il lui a, une autre fois, rendu la vue. Car s’il a rendu la santé à tant d’aveugles, de boiteux et de paralytiques, c’est pour interdire au pécheur de désespérer. Cela explique que, même pour inspirer à chacun la crainte du péché, il n’est écrit d’aucun de ces miraculés qu’il n’a été guéri qu’une fois. Jésus s’appelle médecin, médecin sans utilité pour les biens portants, mais favorable à ceux qui souffrent. Or ce serait un pauvre médecin, celui qui ne pourrait guérir une rechute ! C’est le propre du médecin de guérir cent fois celui qui est cent fois malade ; et ce médecin qu’est Jésus serait bien inférieur aux autres s’il ne savait pas faire comme eux. "

4. Faire pénitence, c’est pleurer les péchés commis auparavant et ne pas commettre en acte ou en intention, au temps même où on les pleure, les fautes qu’on doit pleurer. Car celui-là est un farceur et non pas un pénitent qui, en même temps qu’il se repent, fait ce dont il se repent, se proposant de recommencer ce qu’il a fait en commettant effectivement soit le même péché, soit un péché du même genre. Mais qu’après la pénitence quelqu’un pèche en acte ou en intention, cela n’empêche pas que la pénitence précédente ait été vraie ; car la sincérité de l’acte antécédent n’est pas détruite par l’acte contraire qui suit. De même en effet qu’il a vraiment couru, celui qui, après sa course, est vraiment assis ; ainsi peut-elle avoir été vraie, la pénitence de celui qui ensuite recommence à pécher.

5. Le baptême reçoit de la passion du Christ la vertu de produire une génération spirituelle liée à la mort spirituelle de la vie précédente. Mais il a été établi que les hommes ne meurent qu’une fois et ne naissent qu’une fois. Voilà pourquoi l’homme ne doit être baptisé qu’une fois. Mais la puissance que la pénitence reçoit de la passion du Christ est une puissance de guérison spirituelle qui peut être souvent renouvelée.

6. Il faut répondre avec S. Augustin que " la grande haine de Dieu pour les péchés se reconnaît à ce fait qu’il est toujours prêt à les détruire pour empêcher que se dissolve ce qu’il a créé, et que s’anéantisse " par le désespoir, " ce qu’il a aimé ".

 

 

QUESTION 85 — LA VERTU DE PÉNITENCE

Il faut maintenant considérer la pénitence en tant que vertu.

1. Est-elle une vertu ? - 2. Est-elle une vertu spéciale ? - 3. Sous quelle vertu faut-il la ranger ? - 4. Son siège. - 5. Sa cause. - 6. Sa place parmi les autres vertus.

 

            Article 1 — La pénitence est-elle une vertu ?

Objections :

1. La pénitence est un sacrement énuméré avec les autres sacrements. Mais aucun des autres sacrements n’est une vertu. Donc la pénitence non plus.

2. D’après le Philosophe, la pudeur n’est pas une vertu, soit parce qu’elle est une passion entraînant une modification de l’état de notre corps, soit parce qu’elle n’est pas la disposition d’un être en état de perfection, puisqu’elle a pour objet un acte honteux qui ne se trouve pas chez l’homme vertueux. Or, comme la pudeur, la pénitence est une passion, comportant cette altération de notre corps que sont les pleurs, selon S. Grégoire : " Faire pénitence, c’est pleurer ses péchés passés. " Elle a aussi pour objet des actes honteux, c’est-à-dire des péchés qui ne se trouvent pas dans l’homme vertueux. Donc la pénitence n’est pas une vertu.

3. D’après le Philosophe " il n’y a pas de sots parmi les gens vertueux ". Mais il semble qu’il y ait sottise à regretter des actes passés qui ne peuvent plus ne pas avoir existé, et tel est cependant l’objet de la pénitence. Donc la pénitence n’est pas une vertu.

En sens contraire, les préceptes de la loi ont pour objet l’intimation d’actes vertueux, puisque le législateur se propose de former des citoyens vertueux, dit le Philosophe. Or il y a un précepte de loi divine ayant pour objet la pénitence, d’après cette parole (Mt 3, 17) : " Faites pénitence. " Donc la pénitence est une vertu.

Réponse :

Comme on le voit par ce que nous avons déjà dite , faire pénitence, c’est regretter un acte de sa vie passée. Mais on a dit aussi que la douleur ou tristesse pouvait être considérée de deux façons : 1° En tant qu’elle est une passion de l’appétit sensible ; ainsi considérée, la pénitence n’est pas une vertu, mais une passion ; 2° En tant qu’elle affecte la volonté. Or, dans la volonté, elle comporte un acte d’élection qui est nécessairement un acte de vertu, s’il est fait avec rectitude. Le Philosophe 9 dit en effet que la vertu est " un habitus qui nous fait choisir selon la droite raison ". Or c’est la droite raison qui nous fait regretter ce qui doit être regretté, de la manière et pour la fin voulues. C’est précisément ce qu’on observe dans la pénitence dont nous parlons maintenant, car le pénitent assume une douleur modérée des péchés passés, avec l’intention de les écarter. Il est donc manifeste que la pénitence dont nous parlons maintenant est une vertu, ou un acte de vertu.

Solutions :

1. Dans le sacrement de pénitence, nous l’avons dit, ce sont des actes humains qui tiennent lieu de matière, ce qui n’arrive pas dans le baptême et la confirmation. Or, la vertu étant principe d’acte humain, il s’ensuit que la pénitence est une vertu, ou est vertueuse, plus que le baptême ou la confirmation.

2. La pénitence, en tant que passion, n’est pas une vertu, nous venons de le dire, et c’est en tant que passion qu’elle entraîne une altération de notre corps. Mais elle est une vertu en tant qu’elle comporte, du côté de la volonté, un acte d’élection droite. Ce caractère de vertu peut être attribué à la pénitence plutôt qu’à la pudeur. Car la pudeur a pour objet le fait honteux en tant que présent. La pénitence a pour objet ce même fait en tant que passé. Or il est contraire à la perfection de la vertu qu’un homme soit présentement chargé d’un fait honteux dont il doit rougir. Mais il n’est pas contraire à cette perfection qu’un homme ait commis auparavant des faits honteux dont il doit se repentir quand, de vicieux, il devient vertueux.

3. Regretter ce qu’on a fait en voulant obtenir que cela n’ait pas été fait, serait Sot2. Mais telle n’est pas l’intention du pénitent. Sa douleur est un déplaisir, une réprobation du fait passé avec l’intention d’en éloigner les conséquences, c’est-à-dire l’offense de Dieu et la dette de peine. Et cela n’est pas sot.

 

            Article 2 — La pénitence est-elle une vertu spéciale ?

Objections :

1. Se réjouir du bien déjà fait ou regretter le mal commis sont des actes de même nature. Or se réjouir du bien déjà fait n’est pas l’acte d’une vertu spéciale, mais " un sentiment louable provenant de la charité ", comme le montre S. Augustin. D’où cette parole de S. Paul (1 Co 13, 6) : " La charité ne se réjouit pas du mal, mais partage la joie de la vérité. " Pour la même raison la pénitence, qui est une douleur des péchés passés, n’est pas non plus une vertu spéciale, mais un sentiment provenant de la charité.

2. Chaque vertu spéciale a sa manière spéciale, puisque les habitus se distinguent par leurs actes, et les actes, par leurs objets. Or la pénitence n’a pas de matière spéciale, puisque sa matière ce sont nos péchés passés en n’importe quelle matière.

3. Rien n’est chassé sinon par son contraire. Or la pénitence chasse tous les péchés ; donc elle est contraire à tous les péchés, et n’est pas une vertu spéciale.

En sens contraire, la pénitence est dans la loi l’objet d’un précepte spécial, nous l’avons vu.

Réponse :

Les habitus se distinguent spécifiquement d’après leurs actes. Donc, là où il y a un acte louable d’espèce particulière, on doit nécessairement reconnaître l’habitus d’une vertu spéciale. Or il est manifeste que, dans la pénitence, on trouve un acte louable d’espèce particulière : agir pour détruire le péché passé, en tant que ce péché offense Dieu, ce que l’on ne trouve dans la raison spécifique d’aucune autre vertu. Il est donc nécessaire de faire de la pénitence une vertu spéciale.

Solutions :

1. Un acte peut dériver de la charité de deux façons. 1° Il en dérive comme émané d’elle ; et un acte vertueux de ce genre ne requiert aucune vertu en dehors de la charité ; ainsi en est-il des actes par lesquels on aime le bien, on s’en réjouit, et l’on s’attriste de son contraire. 2° Un acte procède de la charité en tant que commandé par elle. Or, comme la charité commande toutes les vertus, les ordonnant toutes à la fin ultime, les actes procédant de la charité de cette seconde façon peuvent aussi relever d’une autre vertu spéciale. Donc, si l’on considère dans l’acte du pénitent le seul déplaisir qu’il a du péché passé, cela relève immédiatement de la charité, comme la joie du bien passé. Mais l’intention de travailler à effacer le péché passé requiert une vertu spéciale, soumise au commandement de la charité.

2. La pénitence a bien réellement une matière générale, en tant qu’elle considère tous les péchés ; mais elle les considère sous une raison spéciale, en tant qu’ils peuvent être expiés par l’action de l’homme coopérant à l’action de Dieu qui le justifie.

3. Toute vertu spéciale chasse formellement hors du même sujet l’inclination habituelle au vice opposé, comme le blanc chasse le noir. Mais la pénitence chasse effectivement tout péché, en opérant la destruction du péché en tant qu’il peut être remis par la grâce divine avec la coopération de l’homme. Il ne s’ensuit donc pas qu’elle soit une vertu générale.

 

            Article 3 — Sous quelle vertu faut-il ranger la pénitence ?

Objections :

1. La justice n’est pas une vertu théologale, mais une vertu morale, comme on l’a vu dans la deuxième Partie. Or la pénitence semble bien être une vertu théologale, car elle a Dieu pour objet, puisqu’elle donne satisfaction à Dieu, et lui réconcilie le pécheur. Il semble donc que la pénitence n’est pas une espèce de la justice.

2. La justice, puisqu’elle est une vertu morale, se tient dans un juste milieu. Or la pénitence ne se tient pas dans un juste milieu, mais comporte un certain excès, d’après cette parole de Jérémie (6, 26) : " Fais un deuil comme pour un fils unique. " La pénitence n’est donc pas une espèce de la justice.

3. Il y a deux espèces de justice, dit Aristote : la justice distributive et la justice commutative, mais on ne peut ranger la pénitence sous aucune des deux ; donc la pénitence ne semble pas être une espèce de la justice.

4. Sur ce texte en S. Luc : " Bienheureux vous qui pleurez ", la Glose nous dit : " Voilà bien la prudence, qui nous montre combien les choses terrestres sont misère, et les célestes, bonheur. " Or pleurer est l’acte de la pénitence. Donc la pénitence relève plutôt de la prudence que de la justice.

En sens contraire, S. Augustin nous dit " La pénitence est une sorte de vengeance que tire de lui-même celui qui pleure ses péchés, et qui châtie continuellement en lui le mal qu’il regrette d’avoir commis. " Mais tirer vengeance est un acte qui relève de la justice. C’est pourquoi Cicéron fait de la vengeance une espèce de la justice. Donc il semble bien que la pénitence soit une espèce de la justice.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, la pénitence ne tire pas son caractère spécial du seul fait qu’elle regrette le mal commis, regret auquel suffirait la charité, mais de ce que le pénitent regrette son péché en tant qu’il est offense de Dieu, et se propose de le réparer. Or la réparation d’une offense commise contre quelqu’un ne se fait point par la seule cessation de cette offense. Elle exige en outre une compensation. Cette compensation a sa place, comme la rétribution, dans la réparation des offenses contre autrui. La seule différence, c’est que la compensation vient avec la satisfaction, de celui qui a été l’offenseur, tandis que la rétribution vient de celui contre qui l’offense a été commise. Les deux exigences sont matière de justice, parce qu’elles sont une sorte d’échange. Il est donc évident que la pénitence, en tant que vertu, est une partie de la justice.

On doit savoir cependant que le Philosophe distingue deux sortes de justice : la justice absolue et la justice relative. La justice est une certaine égalité. Le Philosophe l’appelle justice politique ou civile, parce que tous les citoyens sont égaux en tant qu’hommes libres, soumis immédiatement au prince. La justice relative se dit des relations entre personnes dont l’une est sous le pouvoir de l’autre, comme l’esclave est sous le pouvoir du maître, le fils sous celui du père, l’épouse sous celui du mari. C’est de cette justice qu’il s’agit dans la pénitence. La pénitence recourt donc à Dieu, avec la résolution de s’amender, comme l’esclave à son maître (Ps 123, 2) : " Comme les yeux des esclaves fixent les mains de leurs maîtres, ainsi nos yeux vers le Seigneur notre Dieu attendent sa pitié. " Comme le fils à son père (Lc 15, 18) " Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi " et comme l’épouse à son mari, selon Jérémie (3, 1) : " Tu t’es souillée avec beaucoup d’amants, mais reviens à moi, dit le Seigneur. "

Solutions : 1. Selon Aristote, la justice gouverne nos relations avec autrui. Mais ce n’est pas cet autrui à l’égard duquel s’exerce la justice, qui est l’objet de la justice : ce sont les choses qui sont distribuées ou échangées. Ce n’est donc pas Dieu qui est la matière de la pénitence, ce sont les actes humains par lesquels Dieu est offensé, ou apaisé. Dieu est seulement la personne envers laquelle s’exerce la justice. Cela montre que la pénitence n’est pas une vertu théologale, puisqu’elle n’a pas Dieu pour objet ou matière.

2. Le juste milieu de la justice, c’est l’égalité à établir entre ceux dont la justice règle les relations, selon Aristote. Or, entre certaines personnes, on ne peut établir de parfaite égalité à cause de la supériorité de l’une des deux, comme entre le père et le fils, ou entre Dieu et l’homme, dit le philosophe. D’où, en pareil cas, celui qui est l’inférieur doit faire tout ce qu’il peut. Cela ne sera cependant jamais suffisant au sens absolu du mot, et cela est signalé par l’excès qu’on attribue à la pénitence.

3. De même qu’il y a un certain échange en matière de bienfaits, le bénéficiaire rendant grâce pour le bienfait reçu, ainsi y a-t-il également un certain échange en matière d’offenses. Celui qui en a offensé un autre, ou bien reçoit contre son gré une punition qui relève de la justice vindicative, ou bien donne spontanément une compensation, et c’est l’objet de la pénitence qui est l’affaire personnelle du pécheur, comme la justice vindicative est l’affaire personnelle du juge. D’où il est évident que justice vindicative et pénitence sont l’une et l’autre des parties de la justice commutative.

4. La pénitence, bien qu’elle soit directement une espèce de la justice, comprend cependant d’une certaine façon des éléments qui appartiennent à toutes les vertus5. En tant qu’elle est une justice réglant certains rapports de l’homme avec Dieu, elle doit avoir quelque chose des vertus théologales qui ont Dieu pour objet. De là vient que la pénitence inclut la foi en la passion du Christ par laquelle nous sommes justifiés du péché, l’espérance du pardon, et enfin la haine des vices, qui relève de la charité. En tant qu’elle est vertu morale, elle a quelque chose de la prudence qui gouverne toutes les vertus morales. Du fait même qu’elle est justice, non seulement elle a ce qui appartient à la justice, mais encore ce qui relève de la tempérance- et de la force, en tant que les objets qui nous apportent une délectation modérée par la tempérance, ou nous causent un effroi calmé par la force, viennent à se rencontrer avec la matière de la justice. C’est à ce titre qu’il appartient à la justice de régler notre abstention des plaisirs sensuels, qui relève de la tempérance, et notre support des adversités, qui relève de la force.

 

            Article 4 — Le siège de la vertu de pénitence

Objections :

1. La pénitence est une espèce de tristesse ; mais la tristesse est dans le concupiscible, comme la joie. Donc la pénitence est dans le concupiscible.

2. La pénitence est une sorte de vengeance, dit S. Augustin ; mais la vengeance semble appartenir à l’irascible. Donc il semble que la pénitence ait son siège dans l’irascibles.

3. Le passé est l’objet propre de la mémoire, d’après le Philosophe. Or la pénitence a pour objet le passé, on l’a dit. Donc la pénitence a son siège dans la mémoire.

4. Aucune réalité n’agit là où elle n’est pas. Mais la pénitence chasse le péché de toutes les facultés de l’âme. Donc la pénitence est en chacune des facultés de l’âme et non pas dans la seule volonté.

En sens contraire, la pénitence est une sorte de sacrifice, selon le Psaume (51, 19) : " Le sacrifice, pour Dieu, c’est l’esprit contrit. " Mais offrir un sacrifice est un acte de volonté, selon le Psaume (54, 8) : " C’est volontairement que je t’offrirai un sacrifice. " Donc la pénitence est dans la volonté.

Réponse :

Nous pouvons parler de la pénitence à deux points de vue. 1° En tant qu’elle est passion, et ainsi considérée, puisqu’elle est une espèce de tristesse, elle est dans le concupiscible comme dans son siège. 2° En tant qu’elle est vertu, et à ce titre, comme on l’a dit à l’article précédent, elle est une espèce de la justice. Mais la justice a pour siège l’appétit rationnel qui est la volonté. D’où il est évident que la pénitence, en tant que vertu, est dans la volonté comme dans son sujet. Son acte propre est le ferme propos de corriger pour Dieu ce qui a été fait contre lui.

Solutions :

1. L’argument ne vaut que pour la pénitence en tant qu’elle est passion.

2. Désirer se venger d’un autre, par passion, est un sentiment qui appartient à l’irascible ; mais désirer tirer vengeance de soi-même ou d’un autre, par raison, sont des actes qui relèvent de la volonté.

3. La mémoire est la faculté de perception du passé, or la pénitence n’appartient pas aux facultés de perception, mais à celles de l’appétition. La pénitence n’est donc pas dans la mémoire, mais la présuppose.

4. La volonté meut toutes les autres facultés de l’âme, comme nous l’avons établi dans la première Partie. Il n’est donc pas anormal que la pénitence, si elle a son siège dans la volonté, agisse dans chacune des facultés de l’âme.

 

            Article 5 — La cause de la pénitence

Objections :

1. La pénitence commence par le déplaisir qu’on a du péché. Mais ce déplaisir ressortit à la charité, on l’a dit. Donc la pénitence vient plus de l’amour que de la crainte.

2. Les hommes sont provoqués à la pénitence par l’attente du royaume céleste, selon cette parole en S. Matthieu (44, 17) : " Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche. " Or le royaume des cieux est l’objet de l’espérance. Donc la pénitence procède plus de l’espérance que de la crainte.

3. La crainte est un acte intérieur de l’homme. Or la pénitence ne semble pas être en nous par l’œuvre de l’homme, mais par l’œuvre de Dieu, selon Jérémie (31, 19) : " Après que tu m’as converti, j’ai fait pénitence. " Donc la pénitence ne procède pas de la crainte.

En sens contraire, Isaïe nous dit (26, 17) " Comme celle qui a conçu gémit quand approche l’instant de l’enfantement, et pousse des cris de douleur, ainsi sommes-nous devenus ", et il s’agit de la pénitence. Puis il ajoute, d’après une autre version : " C’est ta crainte, Seigneur, qui nous a fait concevoir, et voici que nous avons enfanté et mis au jour l’esprit de salut " c’est-à-dire de salutaire pénitence, comme on le voit par ce qui précède. La pénitence procède donc de la crainte.

Réponse :

Nous pouvons parler de la pénitence à un double point de vue. D’abord, en tant qu’elle est un habitus, elle nous est donnée immédiatement par Dieu sans que notre opération intervienne comme cause principale, mais non pas cependant sans que nous coopérions à l’action divine, en nous y disposant par certains actes.

Nous pouvons aussi considérer la pénitence quant aux actes par lesquels nous coopérons avec Dieu qui agit dans cette vertu. De ces actes, le premier principe est l’activité de Dieu convertissant le cœur, selon les Lamentations (5, 21) : " Convertis-nous à toi, Seigneur, et nous nous convertirons. " Le deuxième est un mouvement de foi. Le troisième est un mouvement de crainte servile, qui nous retire du péché par crainte du supplice 8. Le quatrième est un acte d’espérance qui nous fait prendre la résolution de nous amender dans l’espoir d’obtenir notre pardon. Le cinquième est un mouvement de charité qui fait que le péché nous déplaît en tant que tel, et non plus à cause du châtiment. Le sixième est un mouvement de crainte filiale où, par respect pour Dieu., on lui offre de grand cœur l’amendement de sa vie.

Il apparaît donc que l’acte de pénitence procède de la crainte servile comme du premier mouvement affectif nous ordonnant à la pénitence, et de la crainte filiale comme de son principe immédiat et prochain.

Solutions : 1. Le péché déplaît d’abord à l’homme, surtout au pécheur, à cause des supplices que considère la crainte servile, avant de lui déplaire à cause de l’offense faite à Dieu et de la laideur du péché, motifs qui relèvent de la charité.

2. L’approche du royaume des cieux s’entend de l’avènement du roi qui non seulement récompense, mais aussi punit. De là, cette parole de Jean Baptiste (Mt 3, 7) : " Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? "

3. Le mouvement de crainte lui-même procède de l’acte de Dieu convertissant le cœur, selon le Deutéronome (5, 29) : " Si seulement ils avaient assez de cœur pour me craindre ! " Ainsi donc le fait que la pénitence procède de la crainte n’empêche pas qu’elle procède aussi de l’acte de Dieu convertissant le cœur.

 

            Article 6 — La place de la pénitence parmi les autres vertus

Objections :

1. Sur le texte de S. Matthieu (3, 2) " Faites pénitence ", la Glose nous dit : " La première vertu est de faire périr le vieil homme par la pénitence et de haïr les vices. "

2. Il semble qu’il faille d’abord se détacher du point de départ, avant de s’avancer vers le point d’arrivée. Or toutes les autres vertus paraissent avoir pour objet notre marche vers le point d’arrivée, puisque toutes ordonnent l’homme à bien agir. Il n’y a que la pénitence qui semble avoir pour but de nous faire quitter le mal. Donc elle précède toutes les autres vertus.

3. Avant la pénitence, il y a dans l’âme le péché. Mais avec le péché il ne peut y avoir dans l’âme aucune vertu. Donc il n’y a pas de vertu avant la pénitence, et c’est bien elle qui semble être la première, puisqu’elle ouvre la porte aux autres, en excluant le péché.

En sens contraire, la pénitence procède de la foi, de l’espérance et de la charité, on l’a déjà dit ; donc elle n’est pas la première des vertus.

Réponse :

Au sujet des vertus, il n’y a pas à chercher d’ordre de temps quant à leur existence comme habitus, car toutes les vertus étant connexes, nous l’avons vu dans la deuxième Partie, toutes commencent en même temps leur existence dans notre âme. Mais la priorité que l’on attribue à une vertu par rapport à une autre est une priorité de nature, dont nous jugeons d’après l’ordre des actes, en tant que les actes d’une vertu présupposent ceux d’une autre. De ce point de vue, on doit dire que certains actes louables peuvent précéder, même dans l’ordre du temps, les actes habituels de la pénitence, tels que les actes de foi et d’espérance sans charité, et ceux de crainte servile. Quant à l’acte et à l’habitus de charité, ils sont donnés en même temps que l’acte et l’habitus de pénitence, et l’habitus des autres vertus. En effet, nous l’avons dit dans la deuxième Partie, au moment de la justification de l’impie, le mouvement du libre arbitre vers Dieu, qui est l’acte de foi animé par la charité, et le mouvement du libre arbitre détestant le péché, qui est l’acte de la pénitence, sont simultanés. Cependant, de ces deux actes, le premier a une priorité de nature sur le second, car c’est en vertu de l’acte d’amour de Dieu que l’acte de la vertu de pénitence s’oppose au péché. Le premier acte est ainsi la raison et la cause du second. La pénitence n’est donc pas, au sens absolu du mot, la première des vertus, ni par priorité de temps, ni par priorité de nature, car les vertus théologales ont sur elle priorité de nature, au sens absolu.

Cependant, sous un certain aspect, la pénitence précède les autres vertus dans l’ordre du temps, quant à son acte qui se présente le premier dans la justification de l’impie. Pour ce qui est de la priorité de nature, il semble que les autres vertus passent avant la pénitence, comme la réalité essentielle précède la réalité accidentelle. Les autres vertus, en effet, sont par elles-mêmes nécessaires à l’homme, la pénitence ne lui est nécessaire que dans l’hypothèse du péché, nous l’avons déjà dit au sujet de l’ordre du sacrement de pénitence vis-à-vis des autres sacrements.

Solutions :

1. La Glose parle ainsi de la pénitence, en tant que l’acte de cette vertu précède dans le temps les actes des autres vertus morales.

2. Dans les mouvements successifs, l’acte de départ a priorité sur celui d’arrivée, et même priorité de nature, quand il est considéré du côté du sujet c’est-à-dire selon la cause matérielle. Mais à considérer la cause efficiente et finale, la priorité appartient à l’arrivée au terme, car c’est la première chose que recherche l’intention de l’agent ; et c’est de cet ordre qu’on s’occupe surtout dans les actes de l’âme, selon Aristote.

3. La pénitence ouvre la porte aux vertus en chassant le péché par les vertus de foi, d’espérance et de charité qui ont sur elle priorité de nature. Cependant elle leur ouvre la porte de l’âme de telle façon que les autres vertus entrent en même temps qu’elle. Dans la justification de l’impie, en effet, en même temps qu’il y a mouvement du libre arbitre vers Dieu et contre le péché, il y a rémission du péché et infusion de la grâce, avec laquelle toutes les vertus entrent dans l’âme, nous l’avons dit dans la deuxième Partie.

Il faut étudier maintenant l’effet de la pénitence.

I. Quant à la rémission des péchés mortels (Q. 86). - II. Quant à la rémission des péchés véniels (Q. 87). - III. Quant au retour des péchés pardonnés (Q. 88). - IV. Quant à la restitution des vertus (Q. 89).

 

 

QUESTION 86 — L’EFFET DE LA PÉNITENCE QUANT À LA RÉMISSION DES PÉCHÉS MORTELS

1. Tous les péchés mortels sont-ils enlevés par la pénitence ? - 2. Peuvent-ils être enlevés sans elle ? - 3. Peuvent-ils être remis l’un sans l’autre ? - 4. La pénitence enlève-t-elle la faute en laissant subsister la dette de peine ? - 5. Laisse-t-elle subsister des restes de péché ? - 6. La pénitence enlève-t-elle le péché en tant qu’elle est vertu, ou en tant qu’elle est sacrement ?

 

            Article 1 — Tous les péchés mortels sont-ils enlevés par la pénitence ?

Objections :

1. S. Paul dit d’Ésaü (He 12,17) : " Il ne trouva plus la pénitence, bien qu’il l’ait cherchée avec larmes ", ce qui veut dire, d’après la Glose : " Il ne trouva plus de pardon ni de bénédiction par la pénitence. " On dit également d’Antiochos (2 M 9,13) : " Ce scélérat priait Dieu, qui ne devait plus avoir pitié de lui. " Il ne semble donc pas que tous les péchés soient remis par la pénitence.

2. S. Augustin écrit : " Si quelqu’un, après avoir connu Dieu par la grâce du Christ, attaque la fraternité et se laisse agiter par les feux de l’envie contre la grâce elle-même, la plaie de son péché est telle que cette âme ne peut plus accepter l’humilité de la prière, même si sa mauvaise conscience l’oblige à reconnaître et à dénoncer son péché. " Il n’est donc pas vrai que tout péché puisse être enlevé par la pénitence.

3. Le Seigneur lui-même a dit (Mt 12, 32) : " Si quelqu’un dit une parole contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni dans ce siècle, ni dans l’autre. "

Donc tout péché ne peut pas être remis par la pénitence.

En sens contraire, on lit dans Ézéchiel (1 8, 22) : " De toutes les iniquités qu’il a commises, je ne me souviendrai plus. "

Réponse :

Qu’un péché ne puisse être effacé par la pénitence, cela ne pourrait arriver que de deux façons : ou bien parce que le pécheur ne pourrait plus se repentir de son péché, ou bien parce que la pénitence ne pourrait effacer celui-ci. Le premier cas est celui des démons et aussi des hommes damnés, dont les péchés ne peuvent être effacés par la pénitence, parce que leurs cœurs sont confirmés dans le mal de telle sorte que le péché ne peut plus leur déplaire, en tant que faute. Il ne leur déplaît que pour la peine qu’ils subissent. Ce déplaisir leur donne une certaine pénitence, mais une pénitence infructueuse, selon la Sagesse (5, 3) : " Ils font pénitence et gémissent sous l’angoisse de l’esprit. " Une telle pénitence n’est pas accompagnée de l’espoir du pardon, mais du désespoir.

Or cela ne peut être le cas de l’homme voyageur, dont le libre arbitre reste toujours capable de se porter au bien ou au mal. Ainsi donc, dire qu’il peut y avoir en cette vie un péché dont le pécheur ne puisse pas se repentir, c’est une erreur. D’abord parce que c’est supprimer le libre arbitre, ensuite parce que c’est rabaisser la puissance de la grâce qui peut amener à la pénitence le cœur de n’importe quel pécheur, selon les Proverbes (21, 1) : " Le cœur du roi est dans la main de Dieu qui l’inclinera où il voudra. "

C’est également une erreur de dire qu’un péché ne peut être remis par la vraie pénitence. 1° Cela contredit la miséricorde divine dont Joël nous dit (2, 13) : " Dieu est bon, miséricordieux, patient, et l’abondance de sa miséricorde l’emporte sur la malice du pécheur. " C’est Dieu, au contraire, qui serait d’une certaine façon vaincu par l’homme, si l’homme voulait la rémission d’un péché, alors que Dieu ne la voudrait pas. 2° Cette erreur rabaisse la puissance de la passion du Christ, par laquelle opère la pénitence, comme les autres sacrements, puisqu’il est écrit (1 Jn 2, 2) : " Lui-même (jésus) est propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier. " Donc il faut dire, sans restriction, que tout péché en cette vie peut être effacé par la pénitence.

Solutions :

1. La pénitence d’Ésaü n’était pas une vraie pénitence. On le voit par ce qu’il disait (Gn 27, 41) : " Quand on fera le deuil de mon père, je tuerai Jacob mon frère. " De même la pénitence d’Antiochos : il ne regrettait pas sa faute à cause de l’offense faite à Dieu, mais à cause de la maladie corporelle dont lui-même souffrait.

2. Voici comme il faut entendre cette parole de S. Augustin : " La plaie du péché est telle que cette âme ne peut plus accepter ", c’est-à-dire accepte difficilement " l’humilité de la prière ". Ainsi appelle-t-on incurable celui qui guérit difficilement. Mais cette difficulté peut être vaincue par la vertu de la force divine qui, parfois, " ramène des profondeurs de la mer " (Ps 68, 23).

3. Cette parole ou blasphème contre l’Esprit Saint, c’est l’impénitence finale, dit S. Augustin. C’est un péché tout à fait irrémissible, car après la fin de cette vie il n’y a plus de rémission des péchés. Cependant, si l’on entend par blasphème contre le Saint-Esprit le péché commis par malice voulue, ou le blasphème proprement dit contre le Saint-Esprit, on dit qu’il n’est pas remis pour signifier qu’il n’est pas remis facilement, soit parce qu’un tel péché n’a pas en lui de cause excusante, soit parce qu’un péché de ce genre est puni dans ce siècle et dans le siècle futur, comme nous l’avons montré dans la deuxième Partie.

 

            Article 2 — Les péchés mortels peuvent-ils être remis ?

Objections :

1. Dieu n’a pas moins de pouvoir sur les adultes que sur les enfants. Mais aux enfants il remet les péchés sans pénitence, donc aussi aux adultes.

2. Dieu n’a pas lié sa vertu aux sacrements. Mais la pénitence est un sacrement. Par la vertu divine, les péchés peuvent donc être remis sans la pénitence.

3. La miséricorde de Dieu est plus grande que celle de l’homme. Mais parfois l’homme pardonne l’offense qui lui a été faite, même si l’offenseur ne fait pas pénitence. De là cet ordre du Seigneur lui-même (Mt 5, 44) : " Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. " A plus forte raison, Dieu pardonne-t-il aux hommes qui ne font pas pénitence de l’offense qu’ils lui ont faite.

En sens contraire, le Seigneur dit (Jr 18, 8) : " Si cette nation fait pénitence du mal qu’elle a fait, moi aussi je ferai pénitence du mal que j’ai pensé lui faire. " Réciproquement, il semble donc que si l’homme ne fait pas pénitence, Dieu ne lui remet pas son offense.

Réponse :

Il est impossible que le péché mortel actuel soit remis sans la pénitence en tant qu’elle est vertu. En effet, puisque le péché offense Dieu, celui-ci remet le péché à la façon dont il remet toute offense commise contre lui. Or l’offense est en opposition directe avec la faveur, car on dit que quelqu’un est en état d’offensé à l’égard d’un autre, quand il l’exclut de ses faveurs. Mais, comme nous l’avons vu dans la deuxième Partie, il y a, entre la faveur de Dieu et celle de l’homme, cette différence que la faveur humaine ne cause pas, mais présuppose la bonté vraie ou apparente chez l’homme qui en est l’objet, tandis que la faveur de Dieu cause la bonté chez l’homme agréable à Dieu, parce que la volonté divine du bien, que le mot " grâce " signifie, est cause de tout bien créé. Il peut donc arriver qu’un homme pardonne l’offense qui l’a mis en état d’offensé vis-à-vis d’un autre, sans qu’il y ait aucun changement dans la volonté de celui-ci. Mais il ne peut arriver que Dieu pardonne une offense à quelqu’un sans que la volonté de ce pécheur soit changée. Or l’offense qu’est le péché mortel vient de ce que la volonté de l’homme s’est détournée de Dieu pour se tourner vers un bien périssable. Aussi est-il requis, pour la rémission de l’offense faite à Dieu, que la volonté humaine soit changée de telle sorte qu’elle se tourne vers Dieu avec détestation de sa conversion antérieure au bien créé, et avec ferme propos de réparer. C’est là l’essence même de la pénitence, en tant qu’elle est vertu. Il est donc impossible qu’un péché soit remis sans la pénitence en tant que vertu.

Quant au sacrement de pénitence, nous l’avons dit précédemment, il trouve son achèvement dans l’office du prêtre liant et déliant le pécheur. De cet office, Dieu peut se passer pour remettre le péché. C’est ainsi que le Christ a pardonné à la femme adultère (Jn 8, 1), et à la pécheresse (Lc 7, 47). Mais il ne leur a pas pardonné sans l’intervention de la vertu de pénitence, car, dit S. Grégoire, " par la grâce, il a intérieurement attiré " à la pénitence " la pécheresse que, par miséricorde, il accueillait extérieurement ".

Solutions :

1. Chez les enfants, il n’y a que le péché originel, qui ne consiste pas dans le désordre actuel de la volonté, mais dans le désordre habituel de la nature, comme nous l’avons montré dans la deuxième Partie. C’est pourquoi la rémission du péché, dans les enfants, n’implique pas de changement actuel, mais seulement un changement de leur disposition habituelle, changement produit par l’infusion de la grâce et des vertus. Mais quant à l’adulte, qui a des péchés actuels consistant dans un désordre de l’inclination actuelle de la volonté, les péchés ne lui sont pas remis, même par le baptême, sans le changement actuel de la volonté qui se fait par la pénitence.

2. Cet argument ne vaut que pour la pénitence en tant qu’elle est sacrement.

3. La miséricorde de Dieu a plus de vertu que la miséricorde de l’homme, en ce qu’elle change la volonté de l’homme et l’amène à pénitence, ce que la miséricorde de l’homme ne peut pas faire.

 

            Article 3 — Par la pénitence, les péchés peuvent-ils être remis l’un sans l’autre ?

Objections :

1. On lit dans Amos (4, 7) : " J’ai fait pleuvoir sur une cité et pas sur l’autre. Une seule partie a été arrosée, et la partie sur laquelle il n’a pas plu s’est desséchée. " Commentant ces paroles, S. Grégoire nous dit : " Quand celui qui hait son prochain se corrige des autres vices, une seule et même cité est en partie arrosée et en partie desséchée, car il y a des pécheurs qui, retranchant certains vices, continuent à commettre d’autres fautes graves. " Un péché peut donc être remis par la pénitence sans qu’un autre le soit.

2. S. Ambroise nous dit : " La première consolation, c’est que Dieu n’oublie pas de faire miséricorde ; la seconde vient de la punition, quand cette punition, même en l’absence de la foi, est satisfaction et relèvement. " Il est donc possible que quelqu’un soit relevé d’un péché, alors que demeure le péché d’infidélité.

3. Quand des choses ne vont pas nécessairement ensemble, l’une peut être enlevée sans l’autre. mais comme nous l’avons vu dans la deuxième Partie, il n’y a pas de connexion entre les péchés, et l’un peut exister sans l’autre. Ils peuvent donc être remis séparément par la pénitence.

4. Les péchés sont des dettes dont nous demandons la remise, puisque nous disons dans l’oraison dominicale : " Remets-nous nos dettes. " Mais l’homme remet quelquefois une dette sans remettre les autres. Dieu peut donc, lui aussi, remettre un péché sans remettre les autres.

5. C’est par son amour que Dieu remet aux hommes leurs péchés, selon Jérémie (31, 3) : " je t’ai aimé d’amour éternel, et c’est pourquoi je t’ai attiré par miséricorde. " Mais rien n’empêche que Dieu aime certaines choses chez l’homme, tout en demeurant offensé par d’autres choses. C’est ainsi qu’il aime le pécheur pour sa nature, tout en le haïssant pour son péché. Il semble donc possible que Dieu remette un péché sans remettre les autres.

En sens contraire, S. Augustin écrit " Il en est plusieurs qui se repentent d’avoir péché, mais pas complètement, se réservant certains péchés dans lesquels ils se complaisent. Ils n’ont pas remarqué que le Seigneur a guéri à la fois de la surdité et du mutisme le possédé qu’il a délivré du démon et nous a enseigné par là que nous ne serions jamais guéris sans l’être de tous nos péchés. "

Réponse :

Il est impossible que, par la pénitence, un péché soit remis sans qu’un autre le soit. La première raison en est que le péché est remis en tant que l’offense de Dieu est enlevée par la grâce. C’est pourquoi on a vu dans la deuxième Partie qu’aucun péché ne peut être remis sans la grâce. Mais tout péché mortel est contraire à la grâce et l’exclut. Il est donc impossible qu’un péché soit remis sans qu’un autre le soit.

Une deuxième raison, c’est que le péché mortel, comme nous l’avons vu tout à l’heure, ne peut être remis sans la pénitence, à laquelle il appartient essentiellement de renoncer au péché en tant qu’il est une offense à Dieu, ce qui est un caractère commun à tous les péchés mortels. Mais là où il y a le même principe d’action, l’effet est le même. On ne peut donc pas être vraiment pénitent si l’on se repent d’un seul péché sans se repentir d’un autre. Car si ce péché déplaisait en tant qu’il offense Dieu aimé pardessus toutes choses, ce qui est essentiel à la vraie pénitence, il s’ensuivrait qu’on se repentirait de tous ses péchés. Il est donc impossible que, par la pénitence, un seul péché soit remis indépendamment des autres.

Troisièmement enfin, cette rémission partielle serait en contradiction avec la miséricorde de Dieu dont " les œuvres sont parfaites ", dit le Deutéronome (32, 4). A qui Dieu fait miséricorde, il la fait donc totalement. Et c’est ce que nous dit S. Augustin : " Espérer un demi-pardon de celui qui est le juste et la justice, c’est une impiété qui tient de l’infidélité. "

Solutions :

1. Cette parole de S. Grégoire ne doit pas s’entendre de la rémission de la faute, mais de la cessation de l’acte du péché. Parfois celui qui a l’habitude de commettre plusieurs sortes de péchés, renonce à telle habitude mauvaise sans renoncer à telle autre. Cela se fait à la vérité par le secours divin, mais par un secours qui ne va pas jusqu’à la rémission de la faute.

2. Dans ce texte de S. Ambroise on ne peut entendre le mot " foi " de la croyance au Christ. En effet, sur ce texte, en S. Jean (15, 22) : " Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas eu de péché ", S. Augustin nous dit : " Le péché d’infidélité, car c’est le péché qui englobe tous les péchés. "

Mais il faut entendre le mot " foi " au sens de conscience, car parfois les peines que l’on souffre patiemment obtiennent la rémission d’un péché dont on n’a pas conscience.

3. Bien qu’il n’y ait pas connexion des péchés quant à la conversion au bien qui passe, cette connexion existe quant à l’aversion à l’égard du bien immuable. Cette aversion se retrouve dans tous les péchés mortels et leur donne précisément ce caractère d’offense à Dieu qui ne peut être enlevé que par la pénitence.

4. Une dette ayant pour objet un bien extérieur comme de l’argent, n’est pas en contradiction avec l’amitié qui fait remettre une dette. Une dette de ce genre peut donc être remise indépendamment des autres. Mais la dette morale, conséquence d’une faute, est incompatible avec l’amitié ; en conséquence, une faute qui est une offense ne peut pas être remise à part. Il semble ridicule en effet de demander à quelqu’un, même à un homme, le pardon d’une offense, sans demander pardon pour les autres.

5. L’amour que Dieu a pour la nature de l’homme, n’est pas ordonné au bien de la vie glorieuse dont l’homme est exclu par tout péché mortel. Mais l’amour de grâce surnaturelle, par lequel se fait la rémission du péché mortel, ordonne l’homme à la vie éternelle, selon l’épître aux Romains (6, 23) : " La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle. " Aussi la comparaison ne porte-t-elle pas.

 

            Article 4 — La pénitence enlève-t-elle la faute en laissant subsister la dette de peine ?

Objections :

1. La cause étant supprimée, l’effet l’est aussi. Or la faute est la cause de la dette de peine, car si quelqu’un mérite une peine, c’est parce qu’il a commis une faute. Donc, une fois la faute remise, la dette de peine ne peut subsister.

2. Selon l’Apôtre (Rm 5, 5), le don du Christ est plus efficace que le péché d’Adam. Mais en péchant, l’homme encourt à la fois la faute et la dette de peine. A plus forte raison le don de la grâce apportera-t-il à la fois la remise de la faute et de la dette de peine.

3. La rémission des péchés se fait dans la pénitence par la vertu de la Passion, selon S. Paul (Rm 3, 25) : " Dieu nous a proposé Jésus comme propitiateur par la foi que nous avons dans son sang pour la rémission des péchés d’autrefois. " Mais la passion du Christ a une valeur de satisfaction suffisante pour tous les péchés, on l’a dit précédemment. Il ne reste donc, après le pardon de la faute, aucune dette de peine.

En sens contraire, David pécheur ayant dit à Nathan (2 S 12, 13-14) : " J’ai péché contre le Seigneur ", Nathan lui répondit : " Le Seigneur t’a pardonné ton péché ; tu ne mourras pas, mais le fils qui t’est né mourra ", et cette mort fut la peine du péché précédent, dit le même passage. Donc, il reste encore après la remise de la faute la dette d’une peine.

Réponse :

Ainsi qu’on l’a vu dans la deuxième Partie, il y a deux éléments dans le péché mortel : l’aversion loin du Dieu immuable, et la conversion désordonnée au bien qui passe. Du fait de son aversion loin du bien immuable, le péché mortel encourt une peine éternelle, en sorte que celui qui a péché contre le bien éternel doit être éternellement puni. Du fait de la conversion au bien qui passe, conversion désordonnée, le péché mérite aussi quelque peine. En effet, c’est seulement par la peine que le désordre de la faute est ramené à l’ordre de la justice. Il est juste en effet que celui qui a permis à sa volonté plus de satisfaction qu’il ne devait, ait à souffrir quelque chose de contraire à sa volonté. C’est ainsi qu’il y aura égalité. D’où cette parole de l’Apocalypse (18, 7) : " Autant il s’est glorifié et a vécu dans les délices, autant devez-vous lui donner de tourments et de larmes. " Cependant la conversion au bien qui passe étant d’ordre fini, le péché ne mérite pas, à ce titre, de peine éternelle, mais seulement une peine temporelle. De là vient que si la conversion au bien qui passe n’implique pas de mouvement d’aversion loin de Dieu, comme dans les péchés véniels, le péché ne mérite pas la peine éternelle, mais seulement une peine temporelle.

Quand donc, par la grâce, la faute est remise, l’état d’aversion de l’âme envers Dieu disparaît, en tant que l’âme est unie à Dieu par la grâce, et par conséquent la dette de peine éternelle disparaît en même temps ; mais il peut rester quelque dette de peine temporelles.

Solutions :

1. La faute mortelle est constituée par ce double élément : une aversion envers Dieu, et une conversion au bien qui passe. Mais comme on l’a vu dans la deuxième Partie, l’aversion envers Dieu en est comme le principe formel, et la conversion au bien créé tient lieu de principe matériel. Or la suppression du principe formel d’une réalité lui enlève son caractère spécifique. Enlevez du composé humain ce qui le rend raisonnable, vous n’avez plus de réalité spécifiquement humaine. Voilà pourquoi l’on dit que la faute mortelle est remise du seul fait que la grâce enlève l’état d’aversion de l’esprit envers Dieu et la dette de peine éternelle ; mais il reste l’élément matériel du péché, l’état de conversion désordonnée au bien créé, pour laquelle le pécheur mérite une peine temporelle.

2. Ainsi qu’on l’a vu dans la deuxième Partie il appartient à la grâce d’être opérante dans l’homme, en tant qu’elle le justifie en le séparant du péché, et d’être coopérante au bon exercice de notre activité humaine. C’est donc à la grâce opérante qu’appartient la remise de la faute et de la dette de peine éternelle ; mais la remise de la dette temporelle appartient à la grâce coopérante en tant que l’homme, supportant patiemment ses peines avec le secours de la grâce divine, est aussi libéré de la dette temporelle. En conséquence, puisque l’effet de la grâce opérante précède celui de la grâce coopérante, la rémission de la faute et de la peine éternelle précède aussi la pleine absolution de la peine temporelle. L’un et l’autre effet ont pour cause la grâce, mais le premier dépend de la grâce seule, le second, de la grâce et du libre arbitre.

3. La passion du Christ est par elle-même suffisante pour obtenir la rémission de toute la dette de peine, non seulement celle de la peine éternelle mais aussi celle de la peine temporelle. Dans la mesure où l’homme participe à la vertu de la passion du Christ, il reçoit aussi l’absolution de la dette de peine. Or, dans le baptême, l’homme entre en participation totale de la vertu de la passion du Christ, en tant que par l’eau et l’Esprit du Christ, il est mort avec le Christ au péché, et régénéré dans le Christ pour une vie nouvelle. C’est pourquoi dans le baptême l’homme obtient la rémission de toute la dette de peine. Dans la pénitence au contraire l’homme obtient le bénéfice de la vertu de la passion du Christ selon la mesure de ses actes propres, qui sont la matière de la pénitence, comme l’eau est la matière du baptême, nous l’avons dit. Voilà pourquoi toute la dette de peine n’est pas remise aussitôt par le premier acte de pénitence qui obtient remise de la faute, mais seulement quand tous les actes de pénitence sont accomplis.

 

            Article 5 — La pénitence laisse-t-elle subsister des restes de péché ?

Objections :

1. S. Augustin dit : " jamais le Seigneur n’a guéri quelqu’un sans le libérer complètement ; car il a guéri "l’homme tout entier" (Jn 7, 23), le jour du sabbat, libérant son corps de toute infirmité, et son âme de toute contagion du mal. " Or les restes du péché appartiennent à l’infirmité du péché. Il ne semble donc pas possible que ces restes demeurent, la faute étant remise.

2. D’après Denys, " le bien est plus efficace que le mal, car le mal n’agit qu’en vertu du bien ". Or l’homme, en péchant, encourt toute l’infection du péché. A plus forte raison doit-il, en faisant pénitence, être libéré même de tous les restes du péché.

3. L’œuvre de Dieu est plus efficace que l’œuvre de l’homme. Or l’application de l’activité humaine à de bonnes actions fait disparaître les restes du péché qui leur est contraire. Donc, à plus forte raison, ces restes disparaîtront-ils avec le pardon de la faute, pardon qui est l’œuvre de Dieu.

En sens contraire, on lit en S. Marc (8, 22) que l’aveugle guéri par le Seigneur a retrouvé d’abord une vue imparfaite qui lui fait dire : " je vois les hommes comme des arbres qui marchent " ; puis la vue parfaite : " En sorte qu’il voyait clairement toute chose. " Or la vue rendue à l’aveugle signifie la libération du pécheur. C’est donc qu’après le premier pardon de la faute, par lequel le pécheur est rendu à la vie spirituelle, il y a encore en lui des restes du péché passé.

Réponse :

Le péché mortel, en tant qu’il est une conversion désordonnée au bien qui passe, engendre dans l’âme une disposition spéciale ou même un habitus, s’il est fréquemment répété. Or, nous l’avons dit, c’est l’état d’aversion de l’âme envers Dieu qui est supprimé par la grâce dans la rémission du péché mortel. Mais cette disparition de l’état d’aversion n’empêche pas que puisse demeurer ce qui vient du désordre de la conversion au bien qui passe, puisque cette conversion peut exister indépendamment de l’aversion, comme nous l’avons dit à l’article précédent. Rien ne s’oppose donc à ce que les dispositions causées par les actes antérieurs, et appelées " restes du péché ", demeurent après le pardon de la faute. Elles ne demeurent cependant qu’affaiblies et diminuées, de telle sorte qu’elles ne dominent plus l’homme. Elles n’agissent plus à la manière de véritables habitus, mais plutôt comme de simples dispositions, comme fait le foyer du péché qui reste après le baptême.

Solutions :

1. Dieu guérit parfaitement l’homme tout entier, mais quelquefois subitement, ainsi qu’il l’a fait pour la belle-mère de S. Pierre, rétablie en si parfaite santé que, " s’étant levée, elle les servait " (Lc 4, 39) ; et d’autres fois par degrés, comme nous l’avons dit pour l’aveugle auquel il a rendu la vue. Ainsi en va-t-il dans l’ordre spirituel. Quelquefois l’ébranlement subi par le cœur de l’homme, dans sa conversion, est si puissant qu’il retrouve subitement une parfaite santé spirituelle. Non seulement la faute est remise, mais tous les restes du péché disparaissent, comme on le voit dans le cas de Madeleine. D’autres fois, au contraire, la faute est d’abord remise par la grâce opérante, puis la grâce coopérante fait disparaître peu à peu les restes du péché.

2. Le péché, lui aussi, ne cause parfois tout d’abord qu’une faible disposition, comme celle qui procède d’un seul acte, et d’autre fois une inclination plus forte, effet d’actes multipliés.

3. Un seul acte humain ne suffit pas à faire disparaître tous les restes du péché, car, selon Aristote, " le dépravé ramené à de meilleures pratiques y progressera d’abord un peu et s’améliorera ", mais c’est par la multiplication de ces pratiques qu’il en arrivera à être bon, de vertu acquise. Avec beaucoup plus d’efficacité, la grâce divine obtient le même résultat, soit par un seul acte, soit par plusieurs.

 

            Article 6 — La pénitence enlève-t-elle le péché en tant qu’elle est vertu, ou en tant qu’elle est sacrement ?

Objections :

1. Il semble que la rémission de la faute ne soit pas l’effet de la pénitence en tant qu’elle est vertu. En effet, la pénitence est appelée vertu en tant qu’elle est principe d’un acte humain. Or il n’y a pas d’acte humain qui opère dans la rémission de la faute, car celle-ci est l’effet d’une grâce opérante. Donc la rémission de la faute n’est pas un effet de la pénitence vertu.

2. Certaines autres vertus sont supérieures à la pénitence. Mais la rémission de la faute n’est attribuée à aucune autre vertu comme son effet. Donc elle n’est pas non plus un effet de la pénitence.

3. La rémission de la faute ne se fait qu’en vertu de la passion du Christ, selon l’épître aux Hébreux (9,22) : " Sans effusion de sang, pas de rémission. " Or c’est la pénitence, en tant que sacrement, qui opère en vertu de la passion du Christ, comme les autres sacrements, on l’a vu précédemment. La rémission de la faute n’est donc pas l’effet de la pénitence vertu, mais de la pénitence sacrement.

En sens contraire, la cause propre d’un effet déterminé est la réalité sans laquelle cet effet ne peut pas exister ; car tout effet dépend de sa cause. Or Dieu peut remettre la faute sans le sacrement, mais non sans la pénitence vertu, comme on l’a dit plus haut. C’est ainsi qu’avant les sacrements de la nouvelle loi, Dieu remettait les péchés aux pénitents. La rémission de la faute est donc principalement l’effet de la pénitence vertu.

Réponse :

La pénitence est vertu en tant qu’elle est principe de certains actes humains. Mais les actes humains venus du pécheur tiennent lieu de matière dans le sacrement de pénitence. Or tout sacrement produit son effet, non seulement en vertu de sa forme, mais aussi en vertu de sa matière, les deux éléments ne formant qu’une seule réalité sacramentelle. C’est ainsi que la rémission de la faute se fait dans le baptême non seulement en vertu de la forme, mais aussi en vertu de la matière, c’est-à-dire de l’eau baptismale, bien que l’efficacité appartienne principalement à la forme, d’où l’eau elle-même reçoit sa vertu. Il en va de même dans le sacrement de pénitence. La rémission de la faute y est principalement causée par la vertu du pouvoir des clés que possèdent les ministres. C’est d’eux que vient le principe formel du sacrement, comme on l’a dit plus haut. La causalité des actes du pénitent qui relèvent de la vertu de pénitence, vient en second. Il est donc évident que la rémission de la faute, tout en étant l’effet de la pénitence vertu, l’est primordialement davantage de la pénitence sacrements.

Solutions :

1. La justification de l’impie est un effet de la grâce opérante, nous l’avons dit dans la deuxième Partie. Dans cette justification, il y a non seulement infusion de la grâce et rémission de la faute, mais il y a aussi un élan du libre arbitre vers Dieu, élan qui est un acte de foi informée par la charité et un mouvement du libre arbitre rejetant le péché, mouvement qui est un acte de pénitence. Toutefois, ces actes humains se présentent ici comme des effets de la grâce opérante, produite en même temps que la rémission de la faute. Il s’ensuit que la rémission de la faute ne se produit pas sans un acte de pénitence Vertu, bien qu’elle soit un effet de la grâce opérante.

2. Dans la justification de l’impie, il n’y a pas seulement un acte de pénitence, mais aussi un acte de foi, comme on vient de le dire a. C’est pourquoi la rémission de la faute n’est pas seulement un effet de la pénitence vertu, mais plus primordialement encore un effet de la foi et de la charité.

3. L’acte de la pénitence vertu est en relation avec la passion du Christ, et par la foi, et par sa subordination au pouvoir des clés de l’Église. C’est ainsi que, de ces deux façons, il est cause de la rémission de la faute, en vertu de la passion du Christ.

Quant à l’objection qu’on nous oppose, il faut répondre que l’acte de pénitence vertu a bien ce caractère de nécessité telle que sans lui la rémission de la faute est impossible. Mais cela vient de ce qu’il est un effet inséparable de la grâce, cause principale de la rémission de la faute, cause qui agit dans tous les sacrements. De ce fait, on ne peut donc tirer qu’une conclusion, c’est que la grâce est cause principale de la rémission de la faute, plus encore que le sacrement de pénitence.

Encore faut-il savoir que, même dans l’ancienne loi, et dans la loi de nature, il y avait une manière de sacrement de pénitence, comme on l’a dit précédemment.

 

 

QUESTION 87 — LA RÉMISSION DES PÉCHÉS VÉNIELS

1. Le péché véniel peut-il être remis sans la pénitence ? - 2. Peut-il être remis sans infusion de grâce ? - 3. Est-il remis par l’aspersion de l’eau bénite, la bénédiction de l’évêque, l’action de se frapper la poitrine, l’oraison dominicale, etc. ? - 4. Peut-il être remis sans que le péché mortel le soit ?

 

            Article 1 — Le péché véniel peut-il être remis sans la pénitence ?

Objections :

1. Comme on l’a dit, il appartient à l’essence de la vraie pénitence que non seulement l’homme pleure le péché passé, mais aussi qu’il ait le ferme propos de s’en garder à l’avenir. Or un tel ferme propos n’est pas nécessaire à la rémission des péchés véniels, puisqu’il est certain que l’homme ne peut pas vivre ici-bas sans péchés véniels. C’est donc que les péchés véniels peuvent être remis sans la pénitence.

2. Il n’y a pas de pénitence sans déplaisir actuel du péché. Mais les péchés véniels peuvent être remis sans qu’on en ait le déplaisir, comme on le voit par le cas de l’homme qui, pendant son sommeil, serait mis à mort pour le Christ. Cet homme s’envolerait aussitôt en Paradis, ce qui n’arrive pas tant que les péchés véniels ne sont pas remis. Ces péchés peuvent donc être remis sans pénitence.

3. Les péchés véniels s’opposent à la ferveur de la charité, on l’a dit dans la deuxième Partie. Or, de deux contraires, l’un fait disparaître l’autre. La rémission des péchés véniels se fait donc par la ferveur de la charité, qui peut se produire sans déplaisir actuel de ces péchés.

En sens contraire, S. Augustin écrit " Il y a une pénitence quotidienne dans l’Église pour les péchés véniels. " Cette pénitence serait vaine si les péchés véniels pouvaient être remis sans pénitence.

Réponse :

La rémission de la faute, comme nous l’avons dit à la question précédente se fait toujours par l’union de l’homme avec Dieu, dont la faute nous sépare plus ou moins. Cette séparation est complète dans le péché mortel, imparfaite dans le péché véniel. En effet, dans le péché mortel, l’esprit est complètement détourné de Dieu puisqu’il agit en contradiction avec la charité. Quant au péché véniel, il retarde l’élan de notre cœur, l’empêchant de se porter volontiers vers Dieu. C’est pourquoi la rémission de l’un et de l’autre péché se fait par la pénitence, parce que l’un et l’autre mettent dans la volonté le désordre d’un attachement immodéré au bien créé. De même que le péché mortel ne peut pas être remis tant que la volonté adhère au péché, le péché véniel ne peut pas l’être non plus, pour le même motif, parce que, tant que la cause persiste, l’effet demeure. Cependant la rémission du péché mortel exige une pénitence plus parfaite. Le pécheur doit, autant que cela lui est possible, faire un acte de détestation du péché mortel commis, et pour cela s’efforcer avec soin de se rappeler chacun de ses péchés mortels, afin de les détester chacun en particulier. Cela n’est pas requis pour la rémission des péchés véniels. Cependant il ne suffirait pas d’avoir ce déplaisir habituel du péché, qui est l’effet de la disposition dans laquelle nous mettent les vertus de charité et de pénitence ; car s’il en était ainsi, l’état de charité serait incompatible avec le péché véniel, ce qui est manifestement faux. Il s’ensuit donc qu’il faut au moins un certain déplaisir virtuel. Telle est la disposition d’un homme si affectueusement porté vers Dieu et les choses divines que tout ce qui pourrait retarder ce mouvement d’affection lui déplairait, et qu’il s’affligerait de l’avoir commis, même s’il n’avait pas la pensée actuelle de cet obstacle. Cependant cela ne serait pas suffisant pour la rémission des péchés mortels, sauf pour celle de péchés oubliés après un examen attentif

Solutions :

1. L’homme en état de grâce peut éviter tous les péchés mortels et chacun d’eux en particulier. Il peut aussi éviter chaque péché véniel en particulier, mais non pas tous, comme on l’a vu dans la deuxième Partie. C’est pourquoi la pénitence des péchés mortels requiert que l’homme ait le ferme propos d’éviter tous les péchés mortels et chaque péché en particulier, tandis que pour la pénitence des péchés véniels, il est bien requis que l’homme forme la résolution de s’abstenir de chaque péché, riais non pas de tous, notre faiblesse en cette vie ne nous permettant pas une telle perfection. Il faut cependant avoir la résolution de se préparer à diminuer les péchés véniels, autrement on s’exposerait à tomber, n’ayant pas le désir de progresser et d’enlever ces obstacles à l’avancement spirituel que sont les péchés véniels.

2. La passion endurée pour le Christ, on l’a dit plus haut, a l’efficacité du baptême. Elle purifie de toute faute vénielle et mortelle, à moins qu’elle ne rencontre une volonté adhérant actuellement au péché.

3. La ferveur de la charité implique un déplaisir virtuel des péchés véniels, on vient de le dire.

 

            Article 2 — Le péché véniel peut-il être remis sans infusion de grâce ?

Objections :

1. L’effet n’est jamais produit sans sa cause propre. Or la cause propre de la rémission des péchés, c’est la grâce. Ce n’est point par nos propres mérites que nos péchés nous sont remis, d’où ces paroles (Ep 2, 4) : " Dieu qui est riche en miséricorde à cause de l’excès de charité dont il nous aime, quand nous étions dans la mort de nos péchés nous a revivifiés dans le Christ, dont la grâce vous a sauvés. " Les péchés véniels ne sont donc pas remis sans infusion de grâce.

2. Les péchés véniels ne sont pas remis sans la pénitence. Mais dans la pénitence, il y a infusion de grâce comme dans les autres sacrements de la loi nouvelle. Les péchés véniels ne sont donc pas remis sans infusion de grâce.

3. Le péché véniel apporte dans l’âme une souillure. Mais la souillure n’est enlevée que par la grâce, qui est la beauté de l’âme spirituelle. Il semble donc bien que les péchés véniels ne soient pas remis sans infusion de grâce.

En sens contraire, le péché véniel qui survient ne chasse pas la grâce et même ne la diminue pas, on l’a vu dans la deuxième Partie. Il s’ensuit que, pour la même raison, la rémission du péché véniel n’exige pas l’infusion d’une grâce nouvelle.

Réponse :

C’est par son contraire qu’une réalité, quelle qu’elle soit, est supprimée. Or le péché véniel n’est pas contraire à la grâce habituelle ou à la vertu de charité ; il ne fait que ralentir l’activité de cette charité, en tant que l’homme s’attache trop au bien créé, mais sans se mettre en opposition avec Dieu, on l’a vu dans la deuxième Partie. En conséquence, pour que le péché véniel soit enlevé, il n’est pas nécessaire qu’il y ait infusion d’une grâce habituelle, mais un mouvement actuel de grâce ou de charité suffit à sa rémission.

Cependant, comme chez ceux qui ont l’usage du libre arbitre, les seuls capables de péchés véniels, il n’y a pas infusion de grâce sans un mouvement actuel de libre élan vers Dieu et de libre détestation du péché, il s’ensuit qu’il y a une rémission de péchés véniels à chaque nouvelle infusion de grâce.

Solutions :

1. La rémission des péchés véniels est toujours un effet de la grâce, mais par l’acte que la grâce produit de nouveau et non point par une nouvelle infusion dans l’âme d’une disposition habituelle.

2. Le péché véniel n’est jamais remis sans un acte implicite ou explicite de la pénitence vertu, comme on l’a dit dans l’article précédent. Mais le péché véniel peut être remis sans la pénitence sacrement, dont l’absolution du prêtre achève l’efficacité, on l’a dit plus haut, Il ne s’ensuit donc pas que la rémission du péché exige une infusion de grâce. Cette infusion de grâce se retrouve à la vérité dans tout sacrement, mais non pas dans tout acte de vertu.

3. Le corps peut recevoir une tache de deux façons, ou bien par la privation de ce qu’exige sa beauté : de la couleur qui lui convient, de la proportion que doivent avoir ses différentes parties, - ou bien par l’adhérence d’un corps étranger, par exemple, de la poussière et de la boue qui empêchent le rayonnement de sa beauté. Il en va de même de l’âme. Elle peut être souillée de la première façon par la privation de la beauté de la grâce qu’enlève le péché mortel, ou de la seconde façon par une inclination d’affection désordonnée pour quelque bien temporel. C’est ce que fait le péché véniel. Il s’ensuit que pour enlever la souillure du péché mortel, il faut l’infusion de la grâce. Mais pour enlever la tache du péché véniel, il suffit d’un acte procédant de la grâce, qui supprime l’attache désordonnée au bien temporel.

 

            Article 3 — Les péchés véniels sont-ils remis par l’aspersion de l’eau bénite, et autres pratiques du même genre ?

Objections :

1. Les péchés véniels ne sont pas remis sans pénitence, on l’a dit plus haut. Mais la pénitence suffit par elle seule à la rémission des péchés véniels. Donc tous ces rites ne contribuent en rien à cette rémission.

2. Chacun de ces rites a, sur tous les péchés véniels, la même action que sur un seul. Si donc cette action fait que l’un de ces péchés soit remis, il s’ensuivra que, pour la même raison, tous seront pardonnés. Un seul mea culpa, une seule aspersion d’eau bénite suffirait donc pour nous libérer de tous nos péchés véniels, ce qui est choquant.

3. Les péchés véniels entraînent une vraie dette de peine, bien qu’il ne s’agisse que d’une peine temporelle. Il est écrit en effet (1 Co 3, 12. 15) : " Celui qui bâtit sur le fondement du Christ avec du bois, du foin et de la paille, sera sauvé, mais comme en passant par le feu. " Or les rites auxquels on attribue ainsi la rémission du péché véniel n’impliquent aucune peine ou seulement une peine minime. Ils ne suffisent donc pas à la pleine rémission des péchés véniels.

En sens contraire, S. Augustin écrit que, pour les péchés légers, nous nous frappons la poitrine et nous disons : " Pardonne-nous nos offenses. " Il semble donc que se frapper la poitrine et réciter l’oraison dominicale soient une cause de rémission des péchés, et que la même raison vaille pour les autres rites du même genre.

Réponse :

Comme on l’a dit à l’article précédent la rémission du péché véniel n’exige pas l’infusion d’une grâce nouvelle, mais a pour cause suffisante l’acte procédant de la grâce, par lequel on déteste le péché véniel explicitement, ou du moins implicitement, comme il arrive dans un fervent élan de l’âme vers Dieu. Les divers actes qui produisent la rémission des péchés véniels peuvent donc agir de trois façons : 1° En opérant une infusion de grâce puisque cette infusion enlève les péchés véniels, comme on l’a dit dans l’article précédent ; c’est le cas de l’eucharistie, de l’extrême-onction et généralement de tous les sacrements de la loi nouvelle dans lesquels la grâce est conférée. 2° En provoquant un mouvement de détestation du péché ; c’est de cette façon que la récitation du Confiteor, de l’oraison dominicale, l’acte de se frapper la poitrine agissent pour la rémission des péchés, puisque nous disons dans l’oraison dominicale : " Pardonne-nous nos offenses. " 3° Enfin, en excitant quelque mouvement de révérence envers Dieu et les choses divines ; c’est de cette façon que la bénédiction épiscopale, l’aspersion de l’eau bénite, toutes les onctions rituelles, la prière dans une église consacrée et les autres rites du même genre concourent à la rémission des péchés véniels.

Solutions :

1. Tous ces rites sont cause de la rémission des péchés véniels en tant qu’ils inclinent l’âme à un mouvement de pénitence qui est une détestation implicite ou explicite de ces péchés.

2. Tous ces rites, en ce qui dépend d’eux, contribuent à la rémission de tous les péchés véniels, mais cette rémission peut être entravée, pour certains péchés véniels, par une attache actuelle du cœur à ces péchés, comme l’effet du baptême est parfois paralysé par le manque de sincérité.

3. Ces rites enlèvent bien les péchés véniels quant à la souillure de la faute, soit par la vertu de quelque satisfaction, soit encore par l’action de la charité dont ils excitent l’activité ; mais tous n’enlèvent pas toujours la dette de peine dans sa totalité. S’il en était ainsi, celui qui serait sans péché mortel pourrait entrer immédiatement en paradis par une aspersion d’eau bénite. En pareil cas la dette de peine est remise en proportion de la ferveur plus ou moins grande de l’élan vers Dieu que ces rites peuvent provoquer.

 

            Article 4 — Le péché véniel peut-il être remis sans que le péché mortel le soit ?

Objections :

1. Au sujet de cette parole (Jn 8, 7) " Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre ", la Glose nous dit : " Tous ces gens étaient en état de péché mortel, car les véniels leur étaient remis par les cérémonies rituelles. " C’est donc que le péché véniel peut être remis sans que le péché mortel le soit.

2. La rémission du péché véniel n’exige pas l’infusion de grâce requise pour la rémission du péché mortel. Elle peut donc être obtenue sans que le péché mortel soit remis.

3. Le péché véniel est moralement bien plus éloigné du péché mortel que de tout autre péché véniel. Or un péché véniel, on l’a dit plus haut, peut être épendamment d’un autre, donc indépendamment aussi du péché mortel.

En sens contraire, voici ce que dit le Seigneur (Mt 5, 25) : " Amen, je te le dis, tu ne sortiras pas de là " c’est-à-dire de la prison dans laquelle on est jeté à cause du péché mortel, " jusqu’à ce que tu aies payé jusqu’au dernier sou ", symbole du péché véniel. Le péché véniel n’est donc pas remis sans que le péché mortel le soit.

Réponse :

Nous l’avons dit plus haut, la rémission d’un péché quelconque ne se fait jamais qu’en vertu de la grâce, parce que, selon S. Paul (Rm 4, 2) : " C’est la grâce de Dieu qui fait que le péché d’un homme ne lui est plus imputé par Dieu ", et c’est au péché véniel que la Glose applique ces paroles de S. Paul. Or celui qui est en état de péché mortel n’a pas la grâce de Dieu, donc aucun péché véniel ne lui est remis.

Solutions :

1. Les fautes vénielles dont il est question dans cette glose ne sont que des irrégularités ou impuretés légales de l’ancienne loi.

2. Bien que la rémission du péché véniel n’exige pas de nouvelle infusion de grâce, elle exige une activité de la grâce qui ne peut se trouver chez celui qui est en état de péché mortel.

3. Le péché véniel n’exclut pas complètement toute activité de la grâce par laquelle tout péché véniel puisse être remis, tandis que le péché mortel exclut totalement la grâce habituelle, sans laquelle aucun péché, mortel ou véniel, ne peut être pardonné. Donc la comparaison ne porte pas.

 

 

QUESTION 88 — LE RETOUR DES PÉCHÉS REMIS PAR LA PÉNITENCE

1. Les péchés remis par la pénitence reviennent-ils du fait même d’un péché postérieur ? - 2. Est-ce l’ingratitude qui les ramène, et plus spécialement selon certains péchés ? - 3. Ces péchés reviennent-ils avec un égal degré de culpabilité ? - 4. Cette ingratitude qui les ramène est-elle un péché spécial ?

 

            Article 1 — Les péchés remis par la pénitence reviennent-ils du fait d’un péché postérieur ?

Objections :

1. Voici ce que dit S. Augustin a " Que les péchés pardonnés reviennent dans l’âme où il n’y a pas de charité fraternelle, c’est ce que le Seigneur nous enseigne très ouvertement dans la parabole du serviteur à qui le Seigneur a réclamé la dette précédemment remise, parce que ce serviteur n’avait pas voulu remettre celle que lui devait son compagnon. " Or tout péché mortel enlève la charité fraternelle. C’est donc que tout péché mortel commis après la pénitence ramène les péchés remis par cette pénitence.

2. Au sujet de ce texte de S. Luc (11, 24) : " je reviendrai dans ma maison d’où je suis sorti ", Bède nous dit : " Ce petit verset doit nous pénétrer de crainte et être expliqué, pour éviter que la faute que nous croyons éteinte nous écrase, alors que notre insouciance nous laisse sans défense. " Or cela ne serait pas si cette faute ne revenait pas. La faute remise par la pénitence peut donc revenir.

3. Le Seigneur dit dans Ézéchiel (18, 24) : " Si le juste se détourne de sa justice et commet l’iniquité, je ne me souviendrai pas de toutes ses actions justes. " Or, parmi celles-ci, il y a la pénitence antérieure puisque, comme on l’a dit, la pénitence fait partie de la justice. Donc, si un pénitent pèche, on ne lui compte plus la pénitence qui a précédé et par laquelle il avait obtenu le pardon de ses péchés, et ces péchés reviennent.

4. Les péchés passés sont couverts par la grâce, comme S. Paul le montre (Rm 4, 7.8.13) en citant ces paroles du Psaume (32, 1) : " Bienheureux ceux dont les iniquités sont pardonnées et les péchés, oubliés. " Mais la grâce est enlevée par le péché mortel commis après la pénitence. Les péchés précédents se trouvent donc découverts et c’est ainsi, semble-t-il, qu’ils reviennent.

En sens contraire, 1. S. Paul nous dit (Rm 11, 29) : " Dieu ne revient jamais sur ses dons et son appel. " Or la remise des péchés du pénitent est un don de Dieu. Donc les péchés une fois pardonnés ne sont pas ramenés par le péché qui suit la pénitence, comme si Dieu se repentait du don qu’il a fait en pardonnant.

2. S. Augustin demande : " Celui qui abandonne le Christ et finit cette vie en dehors de la grâce, peut-il aller ailleurs qu’à la perdition ? Cependant il ne retombe pas sous les condamnations qui lui ont été remises, ni sous celle du péché originel. "

Réponse :

Dans le péché mortel, nous l’avons dit précédemment, il y a deux éléments, l’aversion envers Dieu et la conversion au bien créé. Considéré isolément, tout ce qui dans le péché mortel tient à l’aversion est commun à tous les péchés mortels, parce que tout péché mortel détourne l’homme de Dieu. Par conséquent la privation de la grâce et la dette de peine éternelle sont quelque chose de commun à tous les péchés mortels, et c’est ainsi qu’il faut entendre la parole de S. Jacques (2, 10) : " Celui qui offense Dieu sur un point encourt la condamnation de toutes les autres offenses. " Mais du côté de la conversion au bien créé, les péchés mortels sont divers et parfois contraires.

Il est donc évident que, du côté de la conversion au bien créé, le péché postérieur à la pénitence ne fait pas revenir les péchés mortels précédemment abolis. Autrement il s’ensuivrait que, par le péché de prodigalité, le pécheur retomberait dans son habitus ou sa disposition à l’avarice, qui avait disparu. Le contraire serait ainsi la cause de son contraire, ce qui est impossible. Cependant si, dans les péchés mortels, on considère de façon absolue l’effet de l’aversion, le péché mortel commis après la pénitence rend de nouveau l’homme privé de grâce et lui fait encourir la peine éternelle comme auparavant. Mais l’aversion, dans le péché mortel, se diversifie en quelque sorte selon sa relation avec les divers mouvements de conversion au bien créé, qui en sont les causes diverses. C’est ainsi que l’aversion, la souillure et la culpabilité sont différentes, selon que la cause en est tel ou tel acte de péché mortel. Il s’ensuit que, sous cet aspect, la question revient à ceci : Est-ce que la souillure et la dette de peine éternelle, en tant qu’elles étaient l’effet de ces actes des péchés précédemment pardonnés, reviennent avec le péché mortel commis après la pénitence ?

Quelques théologiens ont pensé qu’à la question ainsi posée on devait répondre par une simple affirmation. Mais cela n’est pas possible, car l’œuvre de Dieu ne peut être rendue vaine par l’œuvre de l’homme. La rémission des péchés précédents ayant été l’œuvre de la miséricorde divine, son effet ne peut être annulé par un nouveau péché de l’homme, selon S. Paul (Rm 3, 3) - " Est-ce que leur incrédulité rendra vaine la fidélité de Dieu ? "

C’est pourquoi d’autres théologiens, qui affirment que les péchés reviennent en pareil cas, ont affirmé : Au pénitent qui péchera après le pardon, Dieu ne remet pas les péchés selon sa prescience, mais seulement selon l’état présent des exigences de la justice. Dieu sait d’avance que pour ces péchés momentanément remis, il devra punir le pécheur éternellement et cependant, par sa grâce, il le rend juste pour l’instant présent. Mais cela non plus ne tient pas, car si une cause est posée sans condition, l’effet lui aussi est posé sans condition. Donc, si la rémission des péchés par la grâce et les sacrements n’était pas absolue, mais dépendait d’une condition future, il s’ensuivrait que la grâce et les sacrements ne seraient pas cause suffisante de la rémission des péchés, ce qui est une erreur car cela rabaisse la grâce de Dieu.

Il n’est donc possible d’aucune façon que la souillure et la culpabilité des péchés précédents reviennent en tant qu’elles étaient causées par de tels actes.

Il peut arriver cependant que l’acte du péché postérieur à la pénitence contienne virtuellement la culpabilité du premier péché, en tant qu’un homme, en retombant dans son péché, semble pécher plus gravement que la première fois. S. Paul nous dit en effet (Rm 2, 5) : " Par ton endurcissement et l’impénitence de ton cœur, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère " du seul fait " qu’il y a mépris de la bonté de Dieu qui attend notre pénitence ". Mais le mépris de la bonté de Dieu est encore beaucoup plus grand quand, après le pardon du premier péché, il y a rechute, et d’autant plus grand que le bienfait du pardon est plus grand, supérieur à celui de la simple patience envers le pécheur. Voilà donc comment la culpabilité des péchés précédemment pardonnés revient avec le péché postérieur, non pas en tant que cette culpabilité serait l’effet des péchés déjà pardonnés, mais en tant qu’elle est l’effet actuel du péché commis en dernier lieu, péché plus grave en raison des péchés précédents. Ce n’est pas un retour des péchés pardonnés, au sens absolu du mot, mais ces péchés ne reviennent que sous un certain rapport : en tant qu’ils sont virtuellement contenus dans le dernier péché.

Solutions :

1. Cette parole de S. Augustin doit être entendue du retour des péchés quant à la dette de peine éternelle considérée en elle-même. En effet, celui qui retombe dans le péché après la pénitence encourt une peine éternelle comme auparavant, mais non toutefois pour la même raison. Voilà pourquoi S. Augustin après avoir dit : " Le pécheur ne retombe pas dans ce qui lui a été remis et n’encourra plus de condamnation pour le péché originel ", ajoute cette restriction : " Cependant, ce même pécheur sera frappé, à cause de ses derniers crimes, de la mort qui lui était due pour ses péchés déjà pardonnés. " En effet, il encourt la même peine de mort éternelle qu’il avait méritée pour ses péchés passés.

2. Par ces paroles, Bède n’entend pas dire que la faute une fois pardonnée écrase l’homme en ramenant toute l’ancienne culpabilité, mais qu’elle le fait par le renouvellement de l’acte de péché.

3. Par le péché commis après la pénitence, les précédents actes de justice sont livrés à l’oubli en tant que méritant la vie éternelle, mais non en tant qu’ils faisaient obstacle au péché. Donc, si quelqu’un pèche mortellement après avoir restitué une dette, il ne peut devenir débiteur de cette même dette comme s’il ne l’avait pas acquittée. Il est encore bien moins possible que l’effet de sa première pénitence soit annulé quant à la remise de la faute, puisque cette remise est l’œuvre de Dieu plus que celle de l’homme.

4. La grâce enlève absolument la souillure et la dette de peine éternelle. Quant aux péchés passés, elle les couvre en empêchant qu’à cause de ces actes Dieu prive l’homme de la grâce, et le tienne pour débiteur de la peine éternelle. Et ce que la grâce a fait une fois demeure à jamais.

 

            Article 2 — Est-ce l’ingratitude qui ramène les péchés déjà pardonnés, et plus spécialement selon certains péchés ?

Objections :

1. Il semble que les péchés pardonnés ne soient pas ramenés par l’ingratitude qui se manifeste en ces quatre genres de péchés que sont la haine du prochain, l’apostasie, le mépris de la confession et le regret d’avoir fait pénitence, péchés énumérés dans le distique suivant

" A celui qui hait ses frères,

devient apostat,

néglige la confession,

boude la pénitence,

l’ancienne faute fait retour. "

En effet, l’ingratitude est d’autant plus grande que le péché commis contre Dieu est plus grave, après le bienfait du pardon. Or il y a d’autres fautes plus graves que les péchés énumérés. Tels sont le blasphème contre Dieu et le péché contre le Saint-Esprit. Il semble donc que l’ingratitude des péchés en question ne ramène pas plus les fautes pardonnées que ne le fait l’ingratitude des autres péchés.

2. Raban Maur nous dit : " Dieu a livré aux bourreaux le mauvais serviteur, jusqu’à ce que celui-ci ait rendu tout ce qu’il devait, car ce ne sont pas seulement les péchés commis après le baptême qui lui seront de nouveau imputés pour son châtiment, mais aussi les souillures originelles qui lui ont été remises par le baptême. " De plus, les péchés véniels, eux aussi, sont comptés parmi les dettes pour lesquels nous disons : " Pardonne-nous nos offenses. " C’est donc qu’eux-mêmes reviennent avec l’ingratitude et il semble que, pour la même raison, non seulement les péchés cités plus haut, mais aussi les fautes vénielles ramènent les péchés déjà pardonnés.

3. L’ingratitude est d’autant plus grande que le bienfait qui précède le péché a été plus grand. Or la grâce d’innocence qui nous fait éviter le péché est, elle aussi, un bienfait de Dieu, car S. Augustin h reconnaît : " A ta grâce j’impute tout ce que je n’ai pas fait de mal. " Mais le don de l’innocence est plus grand que la rémission même de tous les péchés. Celui qui pèche pour la première fois pendant son innocence n’est donc pas moins ingrat envers Dieu que celui qui pèche après la pénitence. C’est ainsi que l’ingratitude des péchés énumérés ne paraît pas être la plus grande cause du retour des péchés déjà pardonnés.

En sens contraire, S. Grégoire i nous dit : " Il est certain, d’après les paroles de l’Évangile, que si nous ne pardonnons pas de tout cœur les torts qui nous sont faits, nous nous verrons redemander tout ce dont nous nous réjouissions d’avoir obtenu remise par la pénitence. " Ainsi donc il y a dans la haine du prochain une ingratitude spéciale qui ramène les péchés déjà remis, et la même raison vaut pour les autres péchés énumérés.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, on affirme que les péchés pardonnés reviennent en tant que leur démérite est virtuellement contenu dans le péché postérieur à la pénitence, en raison du caractère d’ingratitude de ce péché. Or il peut y avoir ingratitude de deux façons. D’abord, c’est une ingratitude d’agir contre le bienfait reçu, et cette ingratitude envers Dieu se trouve dans tout péché mortel, puisque le péché mortel offense Dieu qui a remis les péchés précédents. Ainsi donc, en raison de cette première ingratitude, tout péché mortel postérieur à la pénitence ramène les péchés déjà pardonnés.

Une autre forme d’ingratitude, c’est d’agir non seulement contre le bienfait reçu, mais contre ce qu’il y a de formel dans celui-ci. Ce formel, du côté du bienfaiteur divin, c’est la rémission de nos dettes ; et celui qui rejette la demande de pardon de son frère mais continue à le haïr, agit contre le formel du bienfait. Si l’on considère maintenant le pénitent qui reçoit le bienfait du pardon, on trouve de son côté un double mouvement du libre arbitre. Il y a d’abord un élan vers Dieu. Cet élan est un acte de foi animé par la charité, et l’homme agit contre ce mouvement en apostasiant. Le second mouvement du libre arbitre, c’est le rejet du péché, l’acte de la pénitence. A ce mouvement appartient d’abord, nous l’avons dit plus haut, la détestation des péchés passés, et le pécheur contredit cette disposition quand il regrette de s’être repenti. Un second élément de l’acte de pénitence, c’est la volonté de se soumettre aux clés de l’Église par la confession, selon cette parole du Psaume (32, 5) : " je confesserai contre moi mon injustice au Seigneur ; et tu m’as pardonné l’impiété de mon péché. " Il contrarie cette volonté, celui qui dédaigne de se confesser comme il se l’était proposé. Et c’est pourquoi l’on dit que chez de tels pécheurs une ingratitude spéciale ramène les péchés déjà pardonnés.

Solutions :

1. Ce caractère spécial n’est pas attribué à ces péchés parce qu’ils sont plus graves que les autres, mais parce qu’ils sont plus directement en opposition avec le bienfait de la rémission.

2. Oui, les péchés véniels et le péché originel lui-même reviennent de la façon qu’on a dite, comme les péchés mortels, en tant qu’il y a mépris du bienfait de Dieu qui a pardonné ces péchés. Quant au péché véniel, il n’implique pas d’ingratitude, parce qu’en péchant véniellement l’homme ne se met pas en opposition absolue avec Dieu, mais agit en dehors de lui. C’est pourquoi les péchés véniels ne ramènent d’aucune façon les péchés pardonnés.

3. Un bienfait peut être évalué de deux façons : ou bien pour sa valeur intrinsèque, et ainsi considérée l’innocence est un bienfait plus grand que la pénitence, seconde planche après le naufrage ; ou bien d’après la situation de celui qui reçoit le bienfait, et, à ce titre, la grâce faite à celui qui en est le moins digne est la plus grande. Le mépris de cette grâce plus grande le rend plus ingrat. C’est de cette seconde façon que le bienfait du pardon de la faute est plus grand, en tant qu’il est accordé à celui qui en est totalement indigne. Il s’ensuivra donc une plus grande ingratitude.

 

            Article 3 — Les péchés reviennent-ils avec un égal degré de culpabilité ?

Objections :

1. La grandeur du péché égale celle du bienfait procuré par le pardon, et par suite égale la grandeur de l’ingratitude qui a fait mépriser ce bienfait. Or, c’est l’importance de l’ingratitude qui mesure celle de la culpabilité. Donc cette culpabilité est égale à celle de tous les péchés antérieurs.

2. Celui qui offense Dieu pèche plus gravement que celui qui offense l’homme. Mais l’affranchi coupable est ramené au même degré de servitude ou même à une condition de servitude plus dure que celle dont il avait été affranchi. A plus forte raison, celui qui pèche contre Dieu, après sa libération du péché, sera-t-il passible d’une dette de peine égale à celle qu’il avait tout d’abord encourue.

3. Dans la parabole rapportée par S. Matthieu (18, 34), on dit que le " Maître irrité livra aux bourreaux le mauvais serviteur ", celui auquel les péchés pardonnés étaient réimputés à cause de son ingratitude " jusqu’à ce qu’il eût restitué toute sa dette ". Mais ce ne serait pas le cas si la culpabilité qui vient de l’ingratitude n’était pas aussi grande qu’avait été celle de tous les péchés passés. C’est donc que la culpabilité ramenée par l’ingratitude est égale à celle qui avait précédé la pénitence.

En sens contraire, il est écrit (Dt 25, 2) : " A la mesure du péché est la mesure des coups. " Il semble donc qu’un petit péché n’engendre pas une grande culpabilité. Mais quelquefois le péché mortel commis après la pénitence est beaucoup moins grave que n’importe lequel des péchés précédemment pardonnés. Donc le péché commis après la pénitence ne ramène pas autant de culpabilité qu’il y en avait dans les péchés déjà pardonnés.

Réponse :

Certains théologiens ont dit qu’en raison de l’ingratitude du péché commis après la pénitence, le pécheur encourait, outre la culpabilité propre au nouveau péché, une culpabilité égale à ce qu’avait été celle des péchés déjà pardonnés. Mais cela n’est pas nécessaire. Nous l’avons dit plus haut, la culpabilité des péchés précédents n’est pas ramenée par le nouveau péché en tant qu’elle découlait des actes des péchés passés, mais en tant qu’elle suit l’acte du nouveau péché. Ce retour de culpabilité doit donc être proportionné à la gravité du péché qui suit la pénitence. Or, il peut arriver que la gravité du nouveau péché égale celle de tous les péchés précédents ; mais cela n’arrive pas toujours, et pas nécessairement, soit qu’il s’agisse de la gravité résultant de l’espèce du péché : par exemple, le nouveau péché est un acte de fornication simple, alors que les péchés passés ont été des adultères, des homicides ou des sacrilèges ; soit même qu’il s’agisse de la gravité résultant de l’ingratitude qu’implique le nouveau péché. Ce n’est pas en effet une nécessité que la gravité de l’ingratitude soit absolument égale à la grandeur du bienfait reçu, grandeur qui se mesure à la gravité des péchés pardonnés. Il peut arriver que l’ingratitude à l’égard du bienfait reçu soit beaucoup plus grande chez celui qui méprise davantage le bienfait ou commet une offense plus grande contre le bienfaiteur, et queue soit moins grave chez celui qui méprise moins le bienfait et offense moins le bienfaiteur. L’égalité de la gravité de l’ingratitude avec la grandeur du bienfait n’est qu’une égalité de proportion, c’est-à-dire que, dans l’hypothèse d’un égal mépris du bienfait et d’une égale offense du bienfaiteur, l’ingratitude sera d’autant plus grande que le bienfait aura été plus grand. Il est donc manifeste que le péché commis après la pénitence ne ramène pas nécessairement, en raison de l’ingratitude, un degré de culpabilité absolument égal à celui des péchés précédents. Mais il y a nécessairement une égalité proportionnelle entre la gravité plus ou moins grande des péchés plus ou moins nombreux qui ont été pardonnés, et le degré de culpabilité que ramène tout péché mortel commis après la pénitence.

Solutions :

1. Le bienfait du pardon de la faute reçoit toute sa mesure de la gravité des péchés pardonnés, mais cette gravité ne mesure pas toute l’ingratitude, qui se proportionne aussi, nous l’avons dit, au degré du mépris du bienfait et de l’offense faite au bienfaiteur. La raison donnée dans l’objection n’est donc pas concluante.

2. L’affranchi, lui aussi, n’a pas été remis en servitude pour une ingratitude quelconque, mais pour une grave ingratitude.

3. Celui à qui les péchés pardonnés sont réimputés à cause de son ingratitude subséquente redevient passible de toute sa dette en tant que le degré de culpabilité encourue par les péchés précédents se retrouve, comme nous l’avons dit, à un degré d’égalité non pas absolu, mais proportionnel, dans l’ingratitude du péché qui suit la pénitence.

 

            Article 4 — Cette ingratitude, qui ramène les péchés, est-elle un péché spécial ?

Objections :

1. L’obligation de rendre le bien pour le bien dépend de ces exigences de la justice qui constituent la loi du " coup pour coup ", ou de la réciprocité, selon Aristote. Mais la justice est une vertu spéciale. Donc l’ingratitude est, elle aussi, un péché spécial.

2. Cicéron établit que la disposition à la gratitude est une vertu spéciale. Or l’ingratitude est son contraire. Donc l’ingratitude est un péché spécial.

3. Tout , effet spécial procède d’une cause spéciale. Or l’ingratitude a un effet spécial ; elle fait revenir d’une certaine façon les péchés déjà pardonnés. Elle est donc un péché spécial.

En sens contraire, ce qui est la conséquence de tous les péchés n’est pas un péché spécial. Or tout péché mortel nous rend ingrats envers Dieu, comme on le voit par ce que nous avons dit ; donc l’ingratitude n’est pas un péché spécial.

Réponse :

L’ingratitude de celui qui pèche est quelquefois péché spécial, et d’autres fois non, n’étant pas autre chose qu’une circonstance accompagnant tout péché mortel, puisque le péché mortel nous met en opposition avec Dieu. C’est en effet l’intention du pécheur qui donne au péché sa spécification, selon Aristote : " Celui qui commet l’adultère afin de voler est beaucoup plus voleur qu’adultère. " Donc, si quelqu’un commet le péché au mépris de Dieu et du bienfait reçu, ce péché reçoit la spécification du péché d’ingratitude ; et l’ingratitude de ce pécheur devient ainsi un péché spécial. Mais si le pécheur, voulant commettre un péché, par exemple un homicide ou un adultère, n’est pas retenu par ce qu’il y a dans ce péché de mépris envers Dieu, son ingratitude ne sera pas un péché spécial, mais elle prendra la spécification de l’autre péché, comme une circonstance ordinaire. Selon S. Augustin, tout péché ne procède pas du mépris de Dieu, bien qu’en tout péché le mépris de Dieu soit inclus dans celui de ses préceptes. Il est donc manifeste que l’ingratitude de celui qui pèche est quelquefois, mais pas toujours, un péché spécial.

Solutions :

Ce que nous venons de dire montre ce qu’il faut répondre aux Objections dont les trois premières prétendent que l’ingratitude est, par nature, une espèce particulière de péché, et la dernière, que l’ingratitude en tant qu’elle se trouve en tout péché, n’est pas un péché spécial.

 

 

QUESTION 89 — LA REVIVISCENCE DES VERTUS PAR LA PÉNITENCE

1. Par la pénitence, nos vertus nous sont-elles rendues ? - 2. Nous sont-elles rendues au même degré qu’auparavant ? - 3. Le pénitent retrouve-t-il la même dignité ? - 4. Les œuvres vertueuses sont-elles frappées de mort par le péché ? - 5. Les œuvres frappées de mort par le péché revivent-elles par la pénitence ? - 6. Les œuvres mortes, c’est-à-dire faites sans la charité, sont-elles vivifiées par la pénitence ?

 

            Article 1 — Par la pénitence, nos vertus nous sont-elles rendues ?

Objections :

1. Les vertus perdues ne pourraient nous être rendues par la pénitence que si celle-ci était leur cause. Or la pénitence, étant elle-même une vertu, ne peut être la cause de toutes les vertus. Elle le peut d’autant moins que certaines vertus ont sur elle priorité de nature, comme la foi, l’espérance et la charité, on l’a dit précédemment. Donc les vertus ne nous sont pas rendues par la pénitence.

2. La pénitence consiste en certains actes du pécheur. Or les vertus surnaturelles ne sont pas l’effet de nos actes car, dit S. Augustin " l’opération de Dieu produit, sans nous, les vertus en nous ". C’est donc que la pénitence ne nous rend pas les vertus.

3. Celui qui a la vertu en fait les actes avec plaisir et facilité ; d’où cette parole d’Aristote : " Il n’est pas d’homme juste qui ne se réjouisse d’agir avec justice. " Mais beaucoup de pénitents éprouvent encore de la difficulté à faire les actes des vertus. Ces vertus ne leur ont donc pas été rendues par la pénitence.

En sens contraire, il est écrit dans la parabole (Lc 15, 22) que le père du fils pénitent ordonna de lui mettre " la première robe " qui, d’après S. Ambroise, représente " le vêtement de la sagesse " avec laquelle nous arrivent toutes les vertus, selon cette parole (Sg 8, 7) : " Elle enseigne la sobriété et la justice, la prudence et la vertu, biens plus utiles qu’aucun autre à notre vie d’hommes. " C’est donc que, par la pénitence, toutes les vertus nous sont rendues.

Réponse :

Les péchés sont remis par la pénitence, nous l’avons dit. Mais la rémission des péchés ne se fait pas sans l’infusion de la grâce, d’où il suit que la grâce est réintroduite en notre âme par la pénitence. Or, de cette grâce, procèdent toutes les vertus surnaturelles, comme toutes les facultés de l’âme découlent de son essence, nous l’avons établi dans la deuxième Partie. Il faut donc admettre que toutes les vertus nous sont rendues par la pénitence.

Solutions :

1. La pénitence nous rend les vertus de la même manière qu’elle est cause de la grâce, nous venons de le dire. Or elle est cause de la grâce en tant que sacrement, car en tant que vertu elle est plutôt effet de la grâce. Il s’ensuit, non que la pénitence en tant que vertu est cause de toutes les autres vertus, mais que l’habitus de la pénitence nous est donné par le sacrement en même temps que les habitus des autres vertus.

2. Dans le sacrement de pénitence les actes humains tiennent lieu de principe matériel ; le principe formel de ce sacrement se trouve dans l’exercice du pouvoir des clés qui est cause de la grâce et des vertus, mais seulement cause instrumentale. Quant aux actes du pénitent, si le premier, la contrition, tient lieu de disposition dernière à la réception de la grâce, les actes suivants procèdent déjà de la grâce et des vertus.

3. Comme nous l’avons dit quelquefois, après le premier acte de la pénitence qui est la contrition, il reste des suites du péché, des dispositions causées par les actes des péchés précédents, et ces dispositions valent au pénitent certaines difficultés dans la pratique de la vertu. Mais, en tant qu’il est sous l’impulsion de la charité et des autres vertus, le pénitent pratique la vertu avec plaisir et sans difficulté. C’est ainsi que l’homme vertueux peut, accidentellement, éprouver quelque difficulté à pratiquer la vertu, quand, par exemple, il est somnolent ou souffre de quelque indisposition corporelle.

 

            Article 2 — Par la pénitence, les vertus nous sont-elles rendues au même degré qu’avant ?

Objections :

1. S. Paul dit (Rm 8, 28) : " Tout sert au bien de ceux qui aiment Dieu " ; sur quoi la glose augustinienne ajoute : " C’est tellement vrai que si quelques-uns de ces élus se dévoient et sortent du bon chemin, Dieu fait que même ces égarements soient utiles à leur progrès dans le bien. " Or il n’en serait pas ainsi si l’on se relevait avec un degré moindre de vertu.

2. S. Ambroise dit que la pénitence est une chose excellente qui ramène à la perfection toutes les dispositions défectueuses. Or il n’en serait pas ainsi si nous ne retrouvions pas nos vertus au même degré. La pénitence nous rend donc toujours à égalité ce que nous avions de vertu.

3. Sur la Genèse (1, 5) : " Et il y eut un soir et un matin, un seul jour ", la Glose nous dit : " La lumière du soir est celle que la chute nous fait perdre, la lumière du matin est celle qui éclaire notre relèvement. " Or la lumière du matin est plus grande que celle du soir. Donc on se relève dans une grâce et une charité plus grandes que celles d’avant la chute. C’est bien aussi ce que semblent signifier les paroles de S. Paul (Rm 5, 20) : " Où il y avait abondance de faute, il y a eu surabondance de grâce. "

En sens contraire, la charité en progrès ou la charité parfaite est supérieure à celle des commençants. Mais il arrive parfois que l’on tombe d’une charité en progrès pour se relever avec une charité de commençant. On se relève donc toujours avec un moindre degré de vertu.

Réponse :

Comme nous l’avons dit, le mouvement du libre arbitre qui existe dans la justification de l’impie est l’ultime disposition à la réception de la grâce. C’est pourquoi ce mouvement du libre arbitre se produit au même instant que l’infusion de la grâce, comme on l’a dit dans la deuxième Partie. Dans ce mouvement, nous l’avons dit, est inclus l’acte de pénitence. Or il est évident que les formes susceptibles de recevoir un degré plus ou moins élevé d’activité, le reçoivent en proportion des divers degrés de disposition du sujet, on l’a vu dans la deuxième Partie. En conséquence, selon que, dans la pénitence, le mouvement du libre arbitre est plus intense ou plus faible, le pénitent reçoit une grâce plus ou moins grande. Mais il arrive que la grâce à laquelle est proportionnée l’intensité du mouvement du pénitent est égale, supérieure ou inférieure au degré de grâce d’où il était tombé. Il s’ensuit que le pénitent se relève quelquefois avec une grâce plus grande et d’autres fois avec une grâce égale ou même inférieure, et il en va de même des vertus qui découlent de la grâce.

Solutions :

1. Le fait d’être déchu de l’amour de Dieu en péchant ne sert pas au bien de tous ceux qui aiment Dieu. On le voit bien par ceux qui tombent et ne se relèvent plus, ou ne se relèvent que pour retomber. Cette chute ne sert qu’à ceux qui " selon le dessein divin, sont appelés à la sainteté ", c’est-à-dire aux prédestinés qui, chaque fois qu’ils tombent, finissent par se relever. Leur chute leur devient donc avantageuse, non parce qu’ils se relèvent toujours avec une grâce plus grande, mais avec une grâce plus durable. Cette qualité ne se prend d’ailleurs pas du côté de la grâce, qui serait d’autant plus durable qu’elle serait plus grande, mais du côté de l’homme qui demeure dans la grâce d’une façon d’autant plus stable qu’il est plus prudent et plus humble. C’est pourquoi la Glose nous dit, dans le commentaire du même texte : " Leur chute leur est profitable, parce qu’ils se relèvent plus humbles et deviennent mieux instruits. "

2. De son côté, la pénitence a bien le pouvoir de réparer parfaitement toutes les brèches du péché, et même de nous pousser à un état plus parfait. Mais son efficacité trouve quelquefois un obstacle du côté de l’homme qui s’achemine mollement vers Dieu et la détestation du péché. C’est comme dans le baptême, où les adultes reçoivent une grâce plus ou moins grande selon leurs dispositions.

3. Cette comparaison de l’une et l’autre grâce avec la lumière du soir et celle du matin, porte sur l’ordre de succession, la lumière du soir étant suivie des ténèbres de la nuit, et celle du matin de la clarté du jour, mais elle n’entend pas comparer les degrés de grâce. Quant à la parole de S. Paul, elle s’entend de la grâce qui surpasse l’abondance de tous les péchés humains. Mais il n’est pas vrai de tous les pécheurs que plus ils pèchent, plus ils reçoivent de grâce, s’il s’agit du degré de grâce habituelle. Il y a cependant surabondance de grâce, si l’on considère la cause même de la grâce, la miséricorde gratuite qui accorde le bienfait du pardon, miséricorde d’autant plus grande qu’il s’agit d’un plus grand pécheur. Il arrive aussi que des âmes ayant beaucoup péché ont davantage de contrition et obtiennent ainsi une plus grande abondance de grâce et de vertus, comme on le voit dans le cas de Madeleine.

Quant à l’objection en sens contraire, il faut répondre que, dans un seul et même homme, la grâce du progrès est plus grande que celle du début. Mais il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi chez des âmes différentes. Tel commençant reçoit une grâce plus grande que celle de tel autre progressant, comme le note S. Grégoire : " Que les hommes du temps présent et de l’avenir sachent tous avec quelle perfection Benoît enfant a commencé à vivre dans la grâce de l’état religieux. "

 

            Article 3 — Par la pénitence l’homme retrouve-t-il la même dignité ?

Objections :

1. Au sujet de cette parole d’Amos (5, 1) : " Elle est tombée, la vierge d’Israël ", la Glose nous dit : " Le prophète ne nie pas qu’Israël puisse se relever ; mais il ne se relèvera pas vierge, parce que la brebis qui a une fois erré, même si elle est rapportée sur les épaules du pasteur, n’a pas autant de gloire que celle qui ne s’est jamais égarée. " La pénitence ne rend donc pas à l’homme sa dignité précédente.

2. S. Jérôme dit : " Tous ceux qui ne gardent pas la dignité de leur vie divine doivent être satisfaits s’ils sauvent leur âme ; car il est difficile de revenir au degré de vie qu’on a perdu ", et le pape Innocent Ier rappelle que " les canons décrétés à Nicée excluent les pénitents, même des charges inférieures de la cléricature ". L’homme ne retrouve donc point, par la pénitence, sa dignité précédente.

3. Avant le péché, l’homme peut toujours s’élever en dignité. Or cela n’est plus accordé au pénitent après le péché, d’après Ézéchiel (44, 10.13) : " Les lévites qui se sont éloignés de moi... ne m’approcheront plus jamais, pour exercer le sacerdoce. " Et voici ce qu’on trouve dans les Décrets citant un concile de Lérida : " Ceux qui, attachés au service du saint autel, ont, par surprise, succombé lamentablement à la fragilité de la chair et, par la miséricorde du Seigneur, ont fait une digne pénitence, peuvent bien réoccuper leurs charges, mais à la condition de ne pouvoir être désormais promus à de plus hauts offices. " La pénitence ne rétablit donc pas l’homme dans sa dignité antérieure.

En sens contraire, voici ce qu’on lit dans le même Décret, citant une lettre de S. Grégoire à Secundinus : " Après une digne satisfaction, l’homme peut, croyons-nous, récupérer son honneur. " Et voici un décret du concile d’Agde : " Les clercs contumaces doivent être corrigés par leurs évêques, autant que le rang de leur dignité le permet, de telle façon qu’une fois corrigés par la pénitence, ils reçoivent de nouveau leur grade hiérarchique et leur dignité. "

Réponse :

Le péché fait perdre à l’homme une double dignité : celle qu’il a par rapport à Dieu, et celle qu’il a par rapport à l’Église. Par rapport à Dieu, il perd une double dignité. Tout d’abord sa dignité principale " qui le mettait au nombre des fils de Dieu " (Sg 5, 5) par la grâce. Et il récupère cette dignité par la pénitence, comme l’indique la parabole du fils prodigue où le père fait rendre au pénitent " sa première robe, son anneau et ses chaussures ".

Mais le pécheur perd aussi une dignité secondaire l’innocence, dont le fils aîné se glorifiait en disant " Depuis tant d’années que je te sers, je n’ai jamais violé ton commandement. " C’est là une dignité que le pénitent ne peut recouvrer ; mais il peut retrouver parfois quelque chose de meilleur, car, dit S. Grégoire : " Ceux qui réfléchissent aux égarements qui les ont éloignés de Dieu, compensent leurs pertes précédentes par les gains qui suivent leur conversion. A leur sujet, il y a une plus grande joie dans le ciel, parce que le général, dans le combat, aime le soldat qui, après sa fuite, revient charger courageusement l’ennemi, plus que celui qui, n’ayant jamais tourné le dos, n’a jamais fait non plus un acte signalé de courage. "

Quant à la dignité ecclésiastique, l’homme la perd par le péché, en se rendant indigne d’accomplir les actes qui appartiennent à l’exercice de cette dignité. Il est en effet interdit aux pécheurs de la récupérer dans les cas suivants.

1° Quand ils ne font pas pénitence. C’est ainsi que S. Isidore écrit à l’évêque Misianus ce que nous lisons dans la même distinction des Décrets, : " Les canons prescrivent de rétablir dans leurs anciens grades hiérarchiques ceux qui ont déjà donné la satisfaction de la pénitence ou une confession suffisamment réparatrice de leurs péchés. Mais au contraire, ceux qui ne s’amendent pas du vice de leur corruption ne doivent recouvrer ni leur grade honorifique, ni la grâce de la communion. "

2° Quand ils sont négligents dans leur pénitence : " Quand ces clercs pénitents ne montrent aucune humble componction, aucune assiduité à la prière, aucune pratique de jeûne et de pieuses lectures, nous pouvons prévoir avec quelle négligence ils continueraient de vivre, s’il leur était permis de recouvrer leurs anciennes dignités. "

3° Quand le clerc a commis un péché auquel est annexée une irrégularité. De là ce canon d’un concile tenu par le pape Martin : " Si quelqu’un a épousé une veuve ou une femme abandonnée par son mari, qu’il ne soit pas admis dans le clergé. S’il s’y est glissé furtivement, qu’il en soit chassé. De même si, après son baptême, il a chargé sa conscience d’un homicide par action, conseil, ou défense de l’assassin. " Mais ces interdictions ont leur motif dans l’irrégularité et non dans le péché lui-même.

4° Quand il y a scandale. D’où ces paroles de Raban Maur : " Ceux qui auront été surpris ou arrêtés en flagrant délit de parjure, de vol ou de fornication ou autres crimes doivent, d’après les saints canons, être déclarés déchus de leur grade hiérarchique, parce que c’est un scandale pour le peuple de Dieu d’avoir de telles personnes à sa tête. Quant à ceux qui s’accusent au prêtre de tels péchés commis en secret, s’ils ont soin de se purifier par les jeûnes, les aumônes, les veilles et les saints exercices de la liturgie, on doit leur promettre que, même en gardant leur place dans la hiérarchie, ils peuvent espérer leur pardon de la miséricorde de Dieu. " C’est ce que nous dit aussi la décrétale sur la qualité des ordinands : " Si les crimes reprochés n’ont pas été établis par une sentence judiciaire ou ne sont pas notoires de quelque autre façon, les coupables, sauf les homicides, ne peuvent pas, après leur pénitence, être écartés de l’exercice des saints ordres déjà reçus, ou de leur réception. "

Solutions :

1. Virginité et innocence ne peuvent, ni l’une ni l’autre, se récupérer, mais il s’agit là d’une dignité secondaire au regard de Dieu.

2. Dans le texte allégué, S. Jérôme ne dit pas qu’il est impossible, mais seulement difficile à l’homme de retrouver, après le péché, sa dignité d’avant la faute, parce que cela n’est accordé qu’à celui qui fait parfaitement pénitence, comme nous l’avons dit. Aux prescriptions des canons qui semblent interdire cette concession, S. Augustin répond dans une lettre : " Ce n’est point parce qu’elle désespérait de pouvoir pardonner, mais à cause de la rigueur de sa discipline, que l’Église a défendu de recevoir, de reprendre ou de garder dans la cléricature celui qui a fait pénitence d’un crime. Autrement, ce serait mettre en discussion le pouvoir des clés donné à l’Église, et dont il a été dit : "Tout ce que vous aurez absous sur la terre sera absous dans le ciel." " Et il ajoute : " Car le saint roi David, lui aussi, a fait pénitence de crimes dignes de mort, et cependant il est resté sur son trône. De même, le bienheureux Pierre est demeuré Apôtre, bien qu’avec des larmes très amères il ait fait pénitence pour avoir renié le Seigneur. Mais, pour autant, ne jugeons pas superflu le souci de ceux qui dans la suite, quand cela ne portait point dommage à l’œuvre du salut, ont augmenté la sévérité de la pénitence. Ils avaient, je crois, appris par expérience que l’attachement au pouvoir avait rendu fictive la pénitence de certains pécheurs. "

3. Ce décret doit s’entendre des clercs qui, ayant été soumis à la pénitence publique, ne peuvent plus dans la suite être promus à une dignité plus haute. Car S. Pierre, après son reniement, a été établi pasteur des brebis du Christ, comme on le voit chez S. Jean (21, 15) dont S. Jean Chrysostome commente ainsi le récit : " Pierre, après son reniement et sa pénitence, a montré une plus grande confiance dans le Christ. Alors qu’à la Cène il n’osait pas l’interroger lui-même, mais en chargeait S. Jean, voici qu’après sa pénitence il se voit accorder la conduite de ses frères. Non seulement alors il ne charge plus un autre des interrogations qui le concernent lui-même, mais c’est lui qui interroge le Maître au sujet de Jean. "

 

            Article 4 — Les œuvres vertueuses sont-elles frappées de mort par le péché qui les a suivies ?

Objections :

1. Ce qui n’existe plus ne peut pas être changé. Mais cette mortification des œuvres est un changement, passage de l’état de vie à l’état de mort. Or, puisque les œuvres vertueuses n’existent plus une fois faites, il semble bien qu’elles ne puissent pas être frappées de mort.

2. Par les œuvres vertueuses faites en état de charité, l’homme mérite la vie éternelle. Mais enlever à quelqu’un sa récompense est une injustice qui ne peut se trouver chez Dieu. Il n’est donc pas possible que les œuvres vertueuses faites en état de charité soient frappées de mort par un péché commis ensuite.

3. Ce qui est plus fort n’est pas détruit par ce qui est plus faible. Or les œuvres de charité sont plus fortes que n’importe quel péché, selon les Proverbes (10, 12) : " La charité couvre tous les péchés. " Il semble donc que les œuvres faites en état de charité ne puissent pas être frappées de mort par le péché commis ensuite.

En sens contraire, on lit dans Ézéchiel (18,24) : " Si le juste se détourne de sa justice, on ne se souviendra plus de la justice qu’il aura pratiquée. "

Réponse :

Une réalité vivante perd, par la mort, son activité vitale. C’est par comparaison avec ce phénomène qu’on dit que certaines choses sont " mortifiées " quand elles sont empêchées d’aboutir à leur propre effet ou activité. Or l’effet des œuvres vertueuses faites en état de charité est de nous conduire à la vie éternelle. Cet effet est empêché par le péché mortel qui, commis après les œuvres, nous enlève la grâce. C’est de cette façon que les œuvres vertueuses faites en état de charité sont dites " mortifiées " par le péché mortel qui les suit.

Solutions : 1. De même que les œuvres de péché passent quant à leur action et demeurent quant à leur culpabilité, ainsi les œuvres faites dans la charité, une fois leur acte passé, demeurent-elles quant à leur mérite dans l’acceptation de Dieu. Elles sont mortifiées en tant que l’homme est empêché d’en recevoir la récompense.

2. La récompense peut être enlevée sans injustice à celui qui la méritait, quand il s’en est rendu indigne par une faute postérieure ; car c’est quelquefois justice que l’homme perde, à cause d’une faute, ce qu’il a déjà reçu.

3. Ce n’est pas à cause de la puissance des œuvres de péché que les œuvres faites précédemment dans la charité sont mortifiées, mais c’est à cause de la liberté de la volonté, qui peut s’abaisser du bien au mal.

 

            Article 5 — Les œuvres frappées de mort par le péché revivent-elles par la pénitence ?

Objections :

1. Les œuvres qui avaient été accomplies dans la charité sont mortifiées par le péché postérieur, et de même les péchés sont remis par la pénitence qui les suit. Or les péchés remis par la pénitence ne reviennent pas, on l’a dit. Il semble donc que les œuvres mortifiées, elles non plus, ne revivent point par la charité.

2. On dit que les œuvres sont mortifiées par comparaison avec les animaux qui meurent. Mais l’animal mort ne peut être rendu à la vie. Donc les œuvres mortifiées ne peuvent pas non plus revivre par la pénitence.

3. Les œuvres accomplies dans la charité méritent un degré de gloire éternelle proportionné à leur degré de grâce et de charité. Or quelquefois l’homme se relève par la pénitence à un degré inférieur de grâce et de charité. La gloire qu’il obtient n’est donc plus proportionnée au mérite de ses premières œuvres, et il semble ainsi que les œuvres mortifiées par le péché ne soient pas revivifiées.

En sens contraire, sur ce texte de Joël (2, 25) : " je vous rendrai les années que les sauterelles ont dévorées " la Glose interlinéaire nous dit : " je ne laisserai point périr l’abondance que le trouble de votre esprit vous a fait perdre ". Cette abondance est le mérite des bonnes œuvres qui a été perdu par le péché. La pénitence revivifie donc les œuvres méritoires antérieures au péché.

Réponse :

Certains ont dit que les œuvres méritoires mortifiées par un péché postérieur n’étaient pas revivifiées par la pénitence qui suivait ce péché. Ils pensaient que ces œuvres, n’existant plus, ne pouvaient pas être revivifiées.

Mais cela ne peut empêcher leur reviviscence. Ce n’est pas seulement en tant que ces œuvres existent actuellement, qu’elles ont la vie, c’est-à-dire la puissance de nous conduire à la vie éternelle, mais même après qu’elles ont cessé d’exister en acte, en tant qu’elle subsistent dans l’acceptation de Dieu. Ainsi elles y demeurent, autant qu’il dépend d’elles, même après qu’elles ont été mortifiées par le péché, parce que Dieu tiendra toujours ces œuvres pour agréables en tant qu’elles ont été faites, et les saints s’en réjouiront selon l’Apocalypse (3, 11) : " Retiens ce que tu as, de peur qu’un autre ne reçoive ta couronne. " Si elles n’ont plus l’efficacité de conduire à la vie éternelle celui qui les a faites, cela provient de l’obstacle posé par le péché qui est survenu et qui a rendu cet homme indigne de la vie éternelle. Or cet empêchement est enlevé par la pénitence en tant qu’elle remet les péchés. Il reste donc que les œuvres d’abord mortifiées recouvrent, par la pénitence, l’efficacité de conduire leur auteur à la vie éternelle ; c’est ainsi qu’elles revivent. Il est donc évident que les œuvres mortifiées revivent par la pénitence.

Solutions :

1. Les œuvres de péché sont détruites en elles-mêmes par la pénitence, en sorte que grâce à l’indulgence divine, il n’en vient plus jamais ni souillure ni culpabilité. Mais les œuvres faites dans la charité ne sont pas détruites par Dieu, et elles subsistent dans son acceptation. C’est l’activité de l’homme qui met un empêchement à leur efficacité. Dieu fait pour sa part ce que ces œuvres méritaient.

2. Les œuvres accomplies dans la charité ne sont pas mortifiées en elles-mêmes, nous l’avons dit, mais leur efficacité est seulement empêchée par l’obstacle qui survient du côté de l’homme.

3. Celui qui se relève par la pénitence dans un degré de charité inférieur au précédent, recevra la récompense essentielle selon la mesure de charité où il se trouvera à sa mort. Mais il aura plus de joie des œuvres faites dans son premier état de charité, que de celles du second, ce qui relève de la récompense accidentelle.

 

            Article 6 — Les œuvres mortes, c’est-à-dire faites sans la charité, sont-elles vivifiées, elles aussi, par la pénitence ?

Objections :

1. Il semble plus difficile d’amener à la vie ce qui a été mortifié, merveille que la nature ne fait jamais, que de faire vivre ce qui n’a jamais été vivant, car des réalités non vivantes engendrent parfois naturellement des êtres vivants. Or la pénitence vivifie des œuvres mortifiées, comme on l’a dit. Donc à plus forte raison vivifie-t-elle les œuvres mortes.

2. Supprimer la cause, c’est supprimer l’effet. Or c’est un manque de charité et de grâce qui a été la cause pour laquelle les œuvres appartenant au genre des œuvres bonnes, mais faites sans la charité, n’ont pas été des œuvres vivantes, et cette déficience est enlevée par la pénitence. Les œuvres mortes sont donc vivifiées par la pénitence.

3. S. Jérôme écrit : " Si vous voyez parfois un pécheur faire quelques œuvres de justice au milieu de beaucoup d’œuvres mauvaises, Dieu n’est pas si injuste qu’il oublie les quelques bonnes œuvres de ce pécheur à cause du nombre des mauvaises. " Or cette justice de Dieu apparaît surtout quand ses mauvaises œuvres passées sont effacées par la pénitence. Il semble donc que, par la pénitence, Dieu récompense les bonnes œuvres précédentes faites en état de péché. C’est ainsi qu’elles sont vivifiées.

En sens contraire, S. Paul écrit (1 Co 13, 3) " Quand j’aurais distribué tout mon bien pour nourrir les pauvres et livré mon corps au feu, si je n’ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien. " Or cette parole ne serait plus vraie si ces œuvres étaient vivifiées au moins par une pénitence postérieure. La pénitence ne vivifie donc pas les œuvres mortes.

Réponse :

Une œuvre peut être dite " morte " de deux façons :

1° En raison de ses effets, parce qu’elle est cause de mort, et c’est à ce titre que les œuvres de péché sont dites mortes dans l’épître aux Hébreux (9, 14) : " Le sang du Christ purifiera nos consciences des œuvres mortes. " Les œuvres mortes de cette catégorie ne sont pas vivifiées, mais abolies par la pénitence, selon la même épître (6, 1) : " Nous n’avons plus à poser les fondements de la pénitence, qui nous délivre des œuvres mortes. "

2° Les œuvres sont dites encore " mortes " en raison de ce qui leur manque : parce qu’elles n’ont pas cette vie spirituelle qui vient de la charité par laquelle l’âme est unie à Dieu, recevant de Dieu la vie comme le corps la reçoit de l’âme. C’est de cette façon que la foi, sans la charité, est dite " morte ", selon S. Jacques (2, 20) : " La foi sans les œuvres est morte. " C’est aussi de cette façon qu’on appelle mortes toutes les œuvres bonnes par leur genre, qui sont faites sans la charité, en tant qu’elles ne procèdent pas du principe de la vie, comme nous disons du son d’une cithare que c’est une voix morte. La distinction entre mort et vie dans les œuvres se fait par comparaison avec le principe dont elles procèdent. Mais les mêmes œuvres ne peuvent pas deux fois procéder d’un principe, puisqu’elles sont des réalités qui passent et ne peuvent pas être réalisées de nouveau avec la même individualité. Il est donc impossible que des œuvres mortes deviennent vivantes par la pénitence.

Solutions :

1. Dans le domaine de la nature, les réalités mortes ou mortifiées sont les unes et les autres sans principe vital. Au contraire, les œuvres que nous disons " mortifiées ", ne le sont pas du côté du principe vital dont elles ont procédé, mais du côté d’un empêchement qui leur est extérieur, tandis que les œuvres mortes sont ainsi appelées à cause de leur principe. Ce n’est donc pas le même cas.

2. Les œuvres bonnes par leur genre, mais faites sans charité, sont appelées mortes parce qu’en l’absence de la charité et de la grâce, elles manquent de principe vital. Qu’elles procèdent d’un tel principe, la pénitence qui vient ensuite ne peut pas le leur donner. La raison donnée dans l’objection n’est donc pas concluante.

3. Dieu se souvient des bonnes œuvres faites en état de péché, non pour les récompenser dans la vie éternelle, due seulement aux œuvres vives, c’est-à-dire accomplies dans la charité, mais pour leur donner une récompense temporelle. C’est ainsi que, dans l’homélie sur la parabole de Lazare et du riche, S. Grégoire dit : " Si ce riche n’avait pas fait quelque bien et reçu sa récompense dans le siècle présent, Abraham ne lui aurait jamais dit : " Tu as reçu des biens pendant ta vie. "

On peut encore justifier cette opinion en ce que le pécheur subira un jugement moins sévère. D’où ces paroles de S. Augustin : " Nous ne pouvons pas dire du schismatique martyrisé qu’il lui eût été meilleur d’éviter toutes ces souffrances en reniant le Christ. Nous devons, au contraire, penser que son jugement sera plus doux que si son reniement l’avait soustrait à son supplice. La parole de S. Paul : "Quand je livrerais mon corps au feu, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien", doit s’entendre en ce sens que cela ne sert de rien pour l’obtention du royaume des cieux, mais non pas pour un adoucissement de la damnation finale. "

Il faut étudier maintenant les parties de la pénitence. D’abord en général (Q. 90). Ensuite chacune en particulier (Supplément, q. 1).

 

 

QUESTION 90 — LES PARTIES DE LA PÉNITENCE EN GÉNÉRAL

1. La pénitence a-t-elle des parties ? - 2. Leur nombre. - 3. Leur nature. - 4. Sa division en parties subjectives (voir le supplément).

 

            Article 1 — La pénitence a-t-elle des parties ?

Objections :

1. Les sacrements sont des réalités dans lesquelles la vertu divine opère mystérieusement a. Or la vertu divine est une et simple. La pénitence étant un sacrement, on ne doit pas lui assigner de parties.

2. La pénitence est à la fois vertu et sacrement. Or, en tant que vertu, elle n’a pas de parties, puisque la vertu est habitus, qualité simple de l’esprit. Et il ne semble pas non plus qu’on puisse assigner des parties à la pénitence en tant que sacrement, car on ne distingue pas de parties dans le baptême et les autres sacrements. On ne doit donc pas en assigner à la pénitence.

3. C’est le péché qui est la matière de la pénitence, on l’a dit plus haut b. Or on ne distingue pas de parties dans le péché. On ne doit donc pas en distinguer non plus dans la pénitence.

En sens contraire, les parties sont les éléments divers qui constituent la perfection intégrale d’une réalité. Or la perfection de la pénitence dans son intégrité requiert plusieurs éléments : la contrition, la confession et la satisfactions. La pénitence a donc des parties.

Réponse :

Les parties d’une réalité sont les éléments en lesquels son tout se divise matériellement ; car les parties sont au tout ce que la matière est à la forme. C’est pourquoi Aristote range les parties dans le genre de la cause matérielle, et le tout dans celui de la cause formelle. Partout donc où, du côté de la matière, il y a de la pluralité, on doit trouver une raison de distinguer des parties. Or nous avons dit que, dans le sacrement de pénitence, les actes humains tenaient lieu de matière. C’est pourquoi la perfection de la pénitence requiert plusieurs actes humains : la contrition, la confession et la satisfaction, comme nous le verrons plus loin. Il s’ensuit donc que le sacrement de pénitence a des parties.

Solutions : 1. Tous les sacrements sont simples en tant que la vertu divine opère en eux. Mais cette vertu divine, à cause de sa grandeur, peut employer pour son opération ou bien une seule réalité, ou bien des réalités diverses en raison desquelles on doit assigner des parties à un sacrement.

2. On n’assigne pas des parties à la pénitence en tant queue est vertu, parce que les actes humains qu’on distingue dans la pénitence ne sont pas des parties, mais des effets de cet habitus qu’est la vertu. C’est donc comme sacrement que la pénitence a des parties, les actes humains tenant lieu de matière sacramentelle. Quant aux autres sacrements, ils n’ont pas pour matière des actes, humains, mais une réalité extérieure, ou simple comme l’eau et l’huile, ou composée comme le chrême. C’est pourquoi, dans les autres sacrements, on ne distingue pas de parties.

3. Les péchés ne sont que la matière éloignée de la pénitence, en tant qu’ils sont comme la matière ou l’objet des actes humains qui sont eux-mêmes la matière propre du sacrement de pénitence.

 

            Article 2 — Le nombre des parties de la pénitence

Objections :

1. La contrition est dans le cœur et appartient par conséquent à la pénitence intérieure ; la confession au contraire est dans la bouche, et la satisfaction dans l’œuvre extérieure. Ces deux parties appartiennent donc à la pénitence extérieure. Or la pénitence intérieure n’est pas un sacrement. Seule la pénitence extérieure, qui tombe sous les sens, peut être un sacrement. La distinction en trois parties du sacrement de pénitence n’est donc pas justifiée.

2. Le sacrement de la loi nouvelle confère la grâce, on l’a vue. Or dans la satisfaction aucune grâce n’est conférée. Donc la satisfaction n’est pas une partie du sacrement.

3. Il n’y pas identité entre les fruits et les parties d’une réalité. Or la satisfaction est le fruit de la pénitence, d’après S. Luc (3, 8) : " Faites de dignes fruits de pénitence. " Elle n’est donc pas une partie de cette même pénitence.

4. La pénitence doit s’opposer au péché. Or le péché s’achève dans le cœur par le consentement, ainsi qu’on l’a prouvé dans la deuxième Partie. Donc aussi dans la pénitence, dont la confession de bouche et la satisfaction par les œuvres ne peuvent par conséquent être des parties.

En sens contraire, il semble qu’on doive distinguer un plus grand nombre de parties dans la pénitence. Ce n’est pas seulement le corps, comme matière, qui est partie de l’homme, mais c’est aussi l’âme, qui est sa forme. Or les trois parties assignées à la pénitence, étant des actes du pénitent, ne représentent que la matière de la pénitence, et c’est l’absolution du prêtre qui tient lieu de forme. Il faut donc compter l’absolution du prêtre comme quatrième partie de la pénitence.

Réponse :

Il y a deux sortes de parties : les parties de l’essence et les parties de la quantité, selon Aristote. Les parties de l’essence sont, dans l’ordre physique, la matière et la forme, et, dans l’ordre logique, le genre et la différence. C’est ainsi que, dans tout sacrement, on distingue la matière et la forme comme des parties de son essence, et nous avons dit en conséquence que les sacrements sont constitués " de choses et de paroles ". Quant aux parties de la quantité, elles sont des parties de la matière, puisque la quantité se trouve du côté de la matière. C’est à ce titre qu’on assigne spécialement au sacrement de pénitence des parties, selon les actes du pénitent qui sont la matière de ce sacrement.

Or nous avons dit plus haut que la compensation de l’offense se faisait dans la pénitence d’une autre façon que dans la justice vindicative. Dans la justice vindicative en effet, la compensation est déterminée par la sentence arbitrale du juge et non par la volonté de l’offenseur ou de l’offensé. Dans la pénitence au contraire, la compensation de l’offense se fait selon la volonté du pécheur et la libre détermination de Dieu qu’on a offensé, car la pénitence ne cherche pas seulement le rétablissement intégral de l’égalité de la justice, mais bien plus la réconciliation de deux amis, réconciliation qui se fait quand l’offenseur donne la compensation que demande l’offensé. Voici donc ce qui est requis de la part du pénitent : 1° qu’il veuille donner compensation, et cette volonté, c’est la contrition ; 2° qu’il se soumette au jugement du prêtre tenant la place de Dieu, et c’est ce qui se fait dans la confession ; 3° qu’il donne la compensation fixée par la sentence du ministre de Dieu, et c’est ce qui se fait dans la satisfaction. C’est ainsi qu’on distingue trois parties dans la pénitence : la contrition, la confession et la satisfaction.

Solutions :

1. La contrition est essentiellement dans le cœur et appartient à la pénitence intérieure ; mais elle appartient virtuellement à la pénitence extérieure en tant qu’elle implique le vouloir de la confession et de la satisfaction.

2. Il en est de la satisfaction comme du baptême chez les adultes : en tant que voulue elle confère la grâce, et en tant que mise à exécution, elle l’augmente.

3. La satisfaction est une partie du sacrement de pénitence, et un fruit de la vertu de pénitence.

4. Il y a plus de conditions requises pour le bien " qui exige l’intégrité de sa cause ", que pour le mai qui procède " de défauts particuliers ", selon Denys. C’est pourquoi, bien que le péché s’achève dans le consentement du cœur, la pénitence, elle, requiert pour son achèvement, non seulement la contrition du cœur, mais encore la confession de la bouche et les œuvres de satisfaction.

L’objection en sens contraire a été résolue par la Réponse ci-dessus.

 

            Article 3 — Nature des parties de la pénitence

Objections :

1. La pénitence est ordonnée à détruire le péché. Or la distinction des péchés de cœur, de bouche et d’action est une distinction de parties subjectives et non de parties intégrantes, puisque l’on qualifie chacune de péché. Il en va donc de même, dans la pénitence, de la contrition de cœur, de la confession de bouche et de la satisfaction par les œuvres ; donc ce ne sont pas là des parties intégrantes.

2. Aucune partie intégrante ne contient une autre des parties qu’on en distingue. Or la contrition contient en elle-même le vouloir de la confession et de la satisfaction.

3. Les parties intégrantes entrent pour une part égale et simultanée dans la constitution du tout. Or ce n’est pas le cas des parties de la pénitence. Donc elles n’en sont pas des parties intégrantes.

En sens contraire, on appelle parties intégrantes celles qui constituent le tout dans la perfection de son intégrité. Or ce sont bien les trois parties énumérées qui achèvent la perfection de la pénitence, dont elles sont par conséquent les parties.

Réponse :

Certains ont dit que ces trois parties de la pénitence étaient des parties subjectives.

Mais ce n’est pas possible, car les parties subjectives ont chacune également et aussi bien que toutes ensemble, tout ce qu’il y a de puissance active dans le tout. C’est ainsi que tout ce qu’il y a de puissance active dans l’animalité, en tant qu’animalité, se retrouve dans chacune des espèces animales, qui sont ensemble et également les divisions du genre animal. Or ce n’est pas le cas ici.

C’est pourquoi d’autres théologiens ont appelé les parties de la pénitence des parties potentielles. Mais cela non plus ne peut pas être vrai, car à chacune des parties potentielles le tout est présent avec toute son essence, comme l’essence tout entière de l’âme est présente à chacune de ses facultés. Or ce n’est pas non plus le cas ici. Il reste donc que les parties de la pénitence soient des parties intégrantes qui, toutes ensemble, doivent réaliser le tout, sans que chacune d’elles en ait toute la puissance active et toute l’essence.

Solutions :

1. Le péché, parce qu’il est un mal, peut, nous l’avons dit, s’achever dans le désordre d’un seul des éléments de nos opérations ; et c’est ainsi que nous avons trois espèces de péché : 1° le péché qui s’achève dans le cœur ; 2° celui qui est commis par le cœur et la bouche ; 3° celui auquel concourent le cœur, la bouche et l’action extérieure. Dans cette dernière espèce de péché, la part du cœur, de la bouche et de l’œuvre extérieure sont les parties intégrantes du péché complet. Il en est de même dans la pénitence, qui a comme parties intégrantes ce que lui donnent le cœur, la bouche et l’œuvre extérieure.

2. Le tout peut être contenu, mais non pas son essence, dans une seule des parties intégrantes. Le fondement contient en effet virtuellement, d’une certaine façon, tout l’édifice ; c’est de cette façon que la contrition contient virtuellement la pénitence tout entière.

3. Toutes les parties intégrantes ont entre elles un certain ordre. Mais cet ordre peut n’être qu’un ordre de situation dans le lieu, soit que ces parties se suivent, comme les différentes parties d’une armée, soit qu’elles se touchent comme celles d’un tas de pierres, soit qu’elles soient liées ensemble comme celles d’une maison, soit qu’elles soient en continuité comme celles d’une ligne. Elles peuvent aussi être ordonnées d’après leur puissance active, comme les parties intégrantes de l’animal dont la première en puissance active est le cœur, les autres dépendant aussi les unes des autres, d’après un certain ordre de puissance active. Troisièmement enfin il peut y avoir entre les parties intégrantes un ordre de temps, comme entre les différentes parties du temps et du mouvement. Donc, pour ce qui est des parties de la pénitence, elles ont entre elles un ordre de puissance active et de temps, mais elles ne sont pas rangées localement, parce qu’elles ne sont pas localisées.

Ici s’arrête la rédaction de S. Thomas, la mort l’ayant empêché de continuer. L’article 4 est déjà un extrait du Commentaire du Livre des Sentences, ajouté par le compilateur du Supplément.

 

 

 

SUPPLÉMENT À LA SOMME THÉOLOGIQUE — SACREMENTS, FINS DERNIÈRES

SAINT THOMAS D’AQUIN

 

Docteur de l'Eglise

 

 

La pénitence, l'extrême onction, l'ordre, le mariage, le traité des fins dernières

 

 

Suppl., Questions 1 à 99

TRADUCTION FRANÇAISE Revue des jeunes, vers 1950

 

Saint Thomas d’Aquin n’a jamais terminé sa Somme de théologie. Surpris par une apparition du Christ alors qu’il célébrait la messe, il n’a jamais voulu reprendre sa dictée. Ce Supplément n’est donc pas directement de lui. Il est une compilation effectuée après sa mort par son secrétaire particulier, Frère Réginald, à partir d’œuvres de jeunesse du Maître, le Commentaire des Sentences de Pierre Lombart.

 

LA PÉNITENCE (SUITE)

QUESTION 1 — DES PARTIES DE LA PÉNITENCE EN PARTICULIER. TOUT D'ABORD DE LA CONTRITION

Nous avons maintenant à traiter de chacune des parties de la Pénitence :

1° de la contrition ;

2° de la confession ;

3° de la satisfaction.

 

Au sujet de la contrition, cinq questions se posent : -1° qu’est-elle ? -2° quel doit être son objet ? -3° quelle doit être son intensité ? -4° quelle doit être sa durée ? -5° quel est son effet ?

 

Quant au premier point, il y a trois doutes à discuter 1. La définition ordinairement donnée de la contrition lui convient-elle ? -2. La contrition est-elle un acte de vertu ? 3. L’attrition peut-elle devenir contrition ?

 

Article 1 — La contrition est-elle une douleur voulue de nos péchés jointe à la résolution de nous confesser et de donner satisfaction ?

Objections :

1. Il semble que la contrition ne soit pas "une douleur voulue de nos p jointe à la résolution de nous confesser et de donner satisfaction" comme quelques-uns la définissent, car, ainsi que le dit saint Augustin "la douleur a pour objet les choses qui nous arrivent contrairement à notre volonté". Or il n’en va pas ainsi des péchés. Donc la contrition n’est pas une douleur de nos péchés.

2. La contrition nous est donnée par Dieu, mais ce qui nous est donné ne dépend pas de notre volonté ; donc la contrition n’est pas une douleur voulue.

3. La satisfaction et la confession sont nécessaires à la rémission de la peine qui n’a pas été remise dans la contrition. Mais parfois il arrive que toute la peine est remise par la contrition. Il n’est donc pas toujours nécessaire que le pénitent contrit ait la résolution de se confesser et de donner satisfaction.

Cependant :

La proposition contestée est bien la définition même de la contrition.

Conclusion :

Comme le dit le livre de l’Ecclésiastique "le commencement de tout péché est l’orgueil" par lequel l’homme, s’attachant à son propre sentiment, se soustrait aux ordres de Dieu. Il faut donc que ce qui détruit le péché arrache l’homme à son propre sentiment. Or, de celui qui reste persévéramment attaché à son propre sentiment, on dit par métaphore qu’il est inflexible et dur. De là vient qu’on dit quelqu’un brisé, quand il est arraché à son propre sentiment. Mais entre le brisement et l’émiettement ou le broyage, dans les choses matérielles auxquelles on emprunte ces images pour les choses spirituelles, il y a de la différence. On dit brisé ce qui est partagé en gros morceaux et l’on dit émiettée ou broyée la matière solide qui a été réduite en parties tout à fait minimes. Or comme la rémission du péché exige que l’homme abandonne complètement toute cette affection pour le péché que son propre sentiment retenait à la manière d’une solide continuité, l’acte par lequel le péché est remis s’appelle métaphoriquement contrition.

Dans cette contrition, il y a plusieurs éléments à considérer, d’abord la substance de l’acte, puis son mode d’activité, son principe et ses effets. Selon ces diverses considérations, on a donné différentes définitions de la contrition.

Celle que nous avons citée vise la substance même de l’acte. Cet acte est à la fois acte de vertu et partie du sacrement de pénitence. La définition précitée nous manifeste donc son caractère d’acte vertueux en indiquant son genre, "une douleur", son objet, pour nos péchés, et l’acte d’élection requis pour l’acte vertueux, une douleur voulue. Elle nous le montre aussi comme partie du sacrement, en mentionnant sa relation avec les autres parties, quand elle dit : jointe à la résolution de nous confesser, etc.

On trouve aussi une autre définition de la contrition, qui la définit en tant qu’elle est simplement acte de vertu, mais ajoute à cette définition, la mention de la différence spécifique qui fait, de la contrition, un acte de la vertu spéciale de pénitence. Elle dit en effet que la contrition est "une douleur volontaire du péché, par laquelle le pénitent châtie en lui-même ce qu’il regrette d’avoir Commis". La mention du châtiment détermine le caractère spécifiquement Pénitentiel de la contrition.

Voici une autre définition donnée par saint Isidore : "La contrition est une componction et une humilité d’esprit accompagnée de larmes et venant du souvenir du péché et de la crainte du jugement". Cette définition indique la raison du nom de la contrition, en ce qu’elle la dit "humilité d’esprit" car de même que l’orgueil fait qu’une âme s’attache avec raideur à son propre sentiment, ainsi cette âme contrite s’humilie-t-elle en se détachant de son propre sentiment. Le mode extérieur de la contrition est aussi mentionné dans les mots : "accompagnée de larmes" et son principe, indiqué dans les paroles finales : venant du souvenir du péché et de la crainte du jugement.

Une autre définition tirée des paroles mêmes de saint Augustin, mentionne l’effet de la confession : "La contrition est une douleur qui remet le péché".

En voici encore une autre tirée textuellement de saint Grégoire : "La contrition est une humilité d’esprit anéantissant le péché entre l’espérance et la crainte." Cette définition nous donne la raison du nom de contrition, en disant : humilité d’esprit. L’effet de la contrition, en disant "anéantissant le péché" et son origine, en ajoutant : entre l’espérance et la crainte. Elle ne dit pas seulement la cause principale qui est la crainte, mais aussi la cause simultanée qui est l’espérance, sans laquelle la crainte pourrait conduire au désespoir.

Solutions :

1. Bien que les péchés aient été volontaires au moment où il nous est arrivé de les commettre, ils ne sont plus volontaires dès que nous en avons la contrition, mais accidents contraires à notre volonté, non pas il est vrai à la volonté que nous avons eue quand nous les voulions, mais à celle que nous avons présentement et par laquelle nous voudrions que ces 1 n’aient jamais existé.

2. La contrition est de Dieu seul, quant à la forme qui l’anime, mais quant à la substance de l’acte, elle est à la fois du libre arbitre et de Dieu qui opère dans toutes nos œuvres de nature et de volonté.

3. Bien que toute la peine puisse être remise I°'la contrition, la confession et la satisfaction restent cependant nécessaires, soit parce que l’homme ne peut pas être certain que la contrition ait été suffisante pour tout effacer, soit aussi parce que la confession et la satisfaction sont de précepte. On deviendrait donc transgresseur du précepte, en refusant de se confesser et de satisfaire.

 

Article 2 — La contrition est-elle un acte de vertu ?

Objections :

1. La contrition ne semble pas être un acte de vertu. Les passions en effet ne sont pas des actes de vertu car "elles ne nous méritent ni louanges, ni reproches" comme dit Aristote. Or la douleur est une passion. La contrition étant donc une douleur, il ne semble pas qu’elle soit un acte de vertu.

2. Les mots contrition et attrition viennent également du latin "tritum" broyé. Mais, de l’aveu de tous, l’attrition n’est pas un acte de vertu, donc la contrition non plus.

Cependant :

Rien n’est méritoire que l’acte de vertu. Or la contrition est un acte méritoire, donc aussi un acte de vertu.

Conclusion :

La contrition, à nous en tenir au sens propre de son nom, ne signifie pas un acte de vertu, mais une passion corporelle. Ce n’est pas cependant de sa signification nominale, qu’il est ici question, c’est de la réalité que vise la signification métaphorique du nom. Or, de même que l’enflure de la volonté propre, qui nous fait commettre le mal, comporte par elle-même un désordre qui est génériquement un mal, ainsi le fait d’annihiler, de broyer cette volonté propre comporte t-il une réparation qui est génériquement un bien. Car il y a là une détestation de la propre volonté par laquelle le péché a été commis. La contrition, qui signifie cette annihilation de la volonté propre, comporte donc une certaine droiture de volonté. C’est pour cela qu’elle est un acte de vertu, de cette vertu qui a pour objet propre la détestation et la destruction du péché, à savoir de la pénitence, comme on le voit par ce qui a été dit dans la r Distinction du IV° Livre des Sentences.

Solutions :

1. Dans la contrition, il y a une double douleur du péché. L’une, qui est dans la sensibilité, est une passion, mais n’est pas essentiellement la contrition, en tant qu’acte de vertu ; elle est plutôt son effet. De même que la pénitence inflige au corps une peine extérieure en compensation de l’offense que nous avons commise contre Dieu en nous servant de nos membres, ainsi inflige-t-elle la peine de la susdite douleur au concupiscible qui, lui aussi, a coopéré au péché. Cette douleur peut cependant appartenir à la contrition, en tant que la contrition est partie du sacrement, car les sacrements, de par leur nature de signes, ne sont pas constitués seulement par des actes intérieurs, mais aussi par des actes extérieurs et des choses sensibles.

Il y a, dans la volonté, une autre douleur, qui n’est pas autre chose que le déplaisir d’un mal et qui est ainsi nommée en tant qu’on peut appliquer aux affections de la volonté, les noms des passions, comme on l’a dit dans le III° livre des Sentences, dist. 26. C’est à ce titre que la contrition est essentiellement une douleur, en même temps qu’un acte de la vertu de pénitence.

2. L’attrition marque une étape vers la contrition parfaite. C’est ainsi que dans les choses corporelles on dit : brisées, attrita, les choses qui sont déjà en morceaux, mais pas encore tout à fait en poussière. On les dit broyées, contrita, lorsque toutes les parties sont si bien écrasées que la division en est poussée à l’extrême. L’attrition signifie donc, dans les choses spirituelles, un certain déplaisir des péchés commis, qui est encore imparfait, tandis qu’il est parfait dans la contrition.

 

Article 3 — L’attrition peut-elle devenir contrition ?

Objections :

1. Il semble bien que l’attrition puisse devenir contrition. La contrition, en effet, diffère de l’attrition, comme la réalité, qui a sa forme, de celle qui ne l’a pas encore. Or la foi passe de l’état de foi sans forme, à celui de foi animée par sa forme. Donc l’attrition peut devenir contrition.

2. La matière reçoit sa perfection, quand dis-. paraît la privation (du bien que comporte cette perfection). Or la douleur est, pour la grâce, ce qu’est la matière pour la forme, puisque c’est la grâce qui donne à la douleur son efficacité spi rituelle. La douleur qui, tant qu’existait le péché, était d’abord sans forme c’est-à-dire privée de la grâce, reçoit donc, dès que le péché a disparu, la parfaite information de la grâce, et nous revenons ainsi à la même conclusion que dans l’objection précédente.

Cependant :

De deux choses qui ont des principes différents, l’une ne peut pas devenir l’autre. Or le principe de l’attrition est la crainte servile, celui de la contrition, la crainte filiale ; l’attrition ne peut donc pas devenir contrition.

Conclusion :

Sur cette question, il y a deux opinions. Certains théologiens disent que l’attrition devient contrition comme la foi sans forme devient foi vivifiée par sa forme. Mais c’est là, semble t-il, une impossibilité. La disposition habituelle de foi qui n’a pas encore sa forme, peut bien, à la vérité, la recevoir ; mais jamais l’acte même d’une foi sans forme ne peut devenir l’acte d’une foi vivifiée par sa forme ; car l’acte de foi privé de forme passe et n’est plus, quand vient la charité. Or l’attrition et la contrition ne signifient pas une disposition habituelle, mais seulement un acte. De plus, les dispositions habituelles des vertus infuses, qui appartiennent à la volonté, ne peuvent pas exister sans leur forme, puisqu’elles suivent la charité. D’où il sait qu’avant l’infusion de la grâce, on n’a pas dans l’âme cette disposition habituelle d’où sortira l’acte de contrition, quand la grâce sera là. L’attrition ne peut donc d’aucune façon devenir contrition. C’est ce que soutient la seconde opinion

Solutions :

1. Il n’y a point parité entre la foi et la contrition, comme nous l’avons dit (dans la conclusion).

2. C’est la même matière qui reçoit la forme dont elle était privée, quand il s’agit d’une matière qui demeure au moment où la perfection qui lui arrive en chasse la privation. Mais la douleur de l’acte de contrition, qui était sans forme, est un acte passé, quand la charité arrive et ne peut donc plus en recevoir sa forme.

Ou bien il faut faire cette autre réponse. La matière ne recevant pas son essence, de la forme, comme l’acte la reçoit de la disposition habituelle qui détermine sa forme, il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’une matière reçoive une nouvelle forme qu’elle n’avait pas auparavant. Mais quand il s’agit d’un acte, c’est aussi impossible qu’il est impossible à une réalité individuelle, de recevoir l’être d’un principe dont elle ne l’avait d’abord pas reçu, car une réalité n’est amenée à l’être qu’une seule fois.

 

QUESTION 2 — DE L’OBJET DE LA CONTRITION.

Ayant maintenant à traiter de l’objet de la contrition, nous avons six questions à résoudre L’homme doit-il avoir la contrition : 1. des peines du péché ? -2. du péché originel ? -3. de tout péché actuel commis par lui-même ? -4. du péché actuel qu’il commettra à l’avenir ? -5. du péché commis par d’autres ? 6. de chaque péché mortel en particulier

 

Article 1 — L homme doit-il avoir la contrition, non seulement de la faute elle-même, mais encore de ses peines ?

Objections :

1. Il semble bien que l’homme doive avoir la contrition des peines du péché et non seulement de la faute. Saint Augustin dit, en effet, dans le livre De Paenitentia : "Personne ne désire la vie éternelle, s’il ne regrette pas cette vie mortelle". Or la mortalité de notre vie est une peine. C’est donc que le pénitent doit regretter aussi les peines du péché.

2. Nous avons dit (IV° Livre des Sentences, Dist. 16, c. i), d’après les textes de saint Augustin, que le pénitent doit regretter de s’être privé de vertu. Or cette privation de vertu est une peine. La contrition est donc une douleur qui a aussi les peines pour objet.

Cependant :

Nul ne garde ce dont il gémit. Or le pénitent, d’après la signification même de son nom, garde sa peine. Il ne la regrette donc pas et la contrition, qui est une douleur pénitentielle, n’a point pour objet la peine du péché.

Conclusion :

L’idée de contrition implique l’émiettement de quelque chose de dur et d’entier. Or ce bloc et cette dureté se trouvent dans le mal de faute, parce que la volonté, qui en est cause dans celui qui agit mal, s’entête en ses déterminations, sans vouloir céder aux préceptes de la loi. C’est pourquoi le déplaisir de ce mal s’appelle métaphoriquement contrition. Mais cette métaphore ne peut pas s’appliquer au mal de peine, parce que la peine dit simplement une diminution de bien. C’est pourquoi les maux de peine peuvent être sujet de douleur, mais non de contrition.

Solutions :

1. D’après saint Augustin, on doit regretter cette vie mortelle, non pas précisément parce qu’elle est mortelle, à moins que le regret ne soit pris au sens large de douleur quelconque, mais à cause des péchés auxquels nous conduit l’infirmité de cette vie.

2. Cette douleur, qui nous fait regretter la perte de la vertu par le péché, n’est pas essentiellement la contrition elle-même, mais son principe. De même, en effet, qu’on est amené à désirer quelque chose à cause du bien qu’on en attend, ainsi est on amené à regretter quelque chose, à cause du mal qui s’en est suivi.

 

Article 2 — Devons-nous avoir la contrition du péché originel ?

Objections :

1. Il semble que nous devions avoir la contrition du péché originel. Si nous devons avoir la contrition du péché actuel, ce n’est pas à cause de son acte en tant qu’il est une certaine réalité, niais à cause de sa difformité, car l’acte, dans sa substance, est un bien et vient de Dieu. Or le péché originel implique une difformité tout comme le péché actuel. Il peut donc être, lui aussi, objet de contrition.

2. Par le péché originel, l’homme a été détourné de Dieu, puisque sa peine était la privation de la vision divine. Or nous devons tous regretter d’avoir été séparés de Dieu. L’homme doit donc regretter le péché originel et par conséquent en avoir la contrition.

Cependant :

Le remède doit être proportionné à la maladie. Or c’est sans acte de notre volonté, que nous avons contracté le péché originel. L’acte de volonté, qu’est la contrition, n’est donc pas requis pour que nous en soyons purifiés.

Conclusion :

La contrition, avons-nous dit, est une douleur qui vise et, chine certaine façon, brise la dureté de la volonté. Elle ne peut donc avoir pour objet que les péchés qui proviennent en nous, de la dureté de notre volonté. Et comme le péché originel n’est pas entré en nous par un acte de notre volonté, mais a été contracté à raison de l’origine de notre nature viciée, nous ne Pouvons pas en avoir la contrition proprement (lite, mais seulement du déplaisir et de la douleur.

Solutions :

1. La contrition n’a pas pour objet, dans le péché, la seule substance de l’acte qui, à ce titre, n’a pas raison de mal, ni la seule difformité, car la difformité n’a pas en elle-même raison de faute, et peut être quelquefois simplement une peine. Mais on doit avoir la contrition du péché, en tant que la double difformité (de faute et de peine) qu’il implique, provient d’un acte de volonté. Comme cela ne se trouve pas dans le péché originel, il n’est pas objet de contrition.

On doit répondre de même à la seconde objection, car c’est de l’aversion volontaire, qu’on doit avoir la contrition.

 

Article 3 — Devons-nous avoir la contrition de tout péché actuel ?

Objections :

1. Il semble que nous ne devions pas avoir la contrition de tous les péchés actuels que nous avons commis. En effet, les contraires sont guéris par leurs contraires. Or certains péchés, comme ceux d’acédie et d’envie, sont des péchés de tristesse. Leur remède doit donc être dans la joie et non point dans la tristesse qu’est la contrition.

2. La contrition est un acte de volonté qui ne peut voir pour objet ce qui ne tombe pas sous notre connaissance. Or il y a des péchés dont flous n’avons plus la connaissance, comme les péchés oubliés. Nous n’en pouvons donc pas avoir la contrition.

3. La contrition volontaire efface les péchés qui sont commis par la volonté. Or l’ignorance supprime le volontaire, comme le montre Aristote. Nous n’avons donc pas à nous repentir de ce qui nous arrive par ignorance.

4. Nous n’avons pas à nous repentir des péchés que la contrition n’enlève pas. Or la contrition n’enlève pas certains péchés, tels les péchés véniels, qui demeurent après la grâce de la contrition. Nous n’avons donc pas à nous repentir de tous nos péchés passés.

Cependant :

La pénitence est le remède de tous les péchés actuels. Or il n’y a pas de pénitence sans la contrition qui en est la première partie. C’est donc que nous devons avoir la contrition de tous nos péchés.

D’ailleurs aucun péché n'est remis à moins qu’on en soit justifié. Or pour la justification, il faut la contrition, comme on l’a déjà dit. C’est donc de tout péché, qu’il nous faut avoir la contrition.

Conclusion :

Toute faute actuelle vient de ce que notre volonté ne cède pas à la pression la loi de Dieu, soit en transgressant ses défense soit en omettant ce qu’elle commande, soit agissant en dehors de ses directions. Or le dur est précisément ce qui a la puissance de ne pas se laisser impressionner facilement. Il y a donc dans tout péché actuel, une certaine dureté de la volonté. C’est pour cela que, si le péché doit guéri, il ne peut l’être que par une contrition qui broie la volonté.

Solutions :

1. Ainsi que nous venons de le voir, la contrition est le contraire du péché, en tant qu’il procède d’une élection volontaire refusant de suivre la direction impérative de la loi divine, et non pas en tant qu’il est acte matériel. C’est ce qu’il y a de volontaire qui est précisément l’objet de l’élection. Mais l’élection volontaire n’a pas seulement pour objet les actes des autres facultés que la volonté emploie à ses propres fins, mais aussi l’acte propre de la volonté elle-même, car la volonté veut vouloir telle ou telle chose. C’est ainsi que la volonté peut vouloir cette douleur ou tristesse qui se trouve dans le péché d’envie ou d’autres de même genre, douleur de la sensibilité ou de la volonté elle- même. Voilà pourquoi la douleur de la contrition s’oppose à ces péchés.

2. On peut oublier une chose de deux façons. L’oubli peut être tel que le souvenir en soit complètement effacé de la mémoire. Tout effort pour le rappeler est alors inutile. Il peut au contraire n’être que partiel, comme lorsque nous nous rappelons avoir entendu parler d’une chose dont nous avons retenu le genre, mais dont nous ne savons plus l’espèce. Alors nous cherchons à préciser ce souvenir.

Ces deux sortes d’oubli se retrouvent, quand il s’agit du péché. Parfois nous en avons gardé un souvenir confus, mais nous n’en avons plus de souvenir précis. Nous devons alors nous efforcer de retrouver ce souvenir précis du péché, car nous devons avoir la contrition de chaque péché mortel en particulier. Si l’on n’arrive pas à préciser ce souvenir, il suffit d’avoir la contrition de ce péché comme on le connaît. On doit alors gémir non seulement sur le péché, mais encore sur cet oubli qui provient de la négligence.

Cependant si le souvenir d’un péché a complètement disparu de la mémoire, l’impuissance de faire la réparation qui serait strictement due nous en excuse et il nous suffit alors d’avoir la contrition générale de tout ce en quoi nous avons offensé Dieu. Mais quand cette impuissance disparaît, comme lorsque le souvenir de ce péché se réveille, nous sommes tenus alors d’en faire acte spécial de contrition. C’est ainsi que le pauvre, excusé par son impuissance de payer ses dettes, y est tenu dès qu’il le pourra.

3. Si l’ignorance supprimait tout à fait la volonté de mal agir, nous serions excusés et il n’y aurait pas de péché. Mais parfois l’ignorance ne supprime pas complètement le volontaire et alors elle n’excuse pas complètement du péché ; elle en diminue seulement la gravité, auquel cas l’homme doit avoir la contrition du péché ainsi commis par ignorance.

4. Le péché véniel peut rester, après que nous avons eu la contrition d’un péché mortel, mais non pas après la contrition de ce péché véniel. C’est pourquoi nous devons avoir la contrition des péchés véniels, de la même façon que nous en devons faire pénitence, comme on l’a dit précédemment.

 

Article 4 — Devons-nous avoir la contrition de nos péchés futurs ?

Objections :

1. Il semble que nous devions avoir aussi la contrition de nos péchés futurs. La contrition est en effet un acte du libre arbitre. Or le libre arbitre a beaucoup plus à faire futur qu’au passé, puisque l’élection qui est un acte du libre arbitre, a pour objet les futurs contingents, comme il est dit au III° livre des Ethiques. On doit donc avoir la contrition des péchés futurs plus que des péchés passés.

2. Le péché s’aggrave de ses conséquences : d’où ce dire de saint Jérôme, que la peine d’Arius n’est pas encore déterminée, parce qu’il est encore possible que son hérésie fasse de nouvelles victimes, dont la ruine augmentera sa peine. Il faut dire autant de celui qui est reconnu homicide par sentence judiciaire, même avant que mort celui qu’il a frappé, si la blessure est mortelle. Or dans le temps qui s’écoule entre le péché et ses conséquences, le pécheur doit avoir la contrition de son péché, par conséquent non seulement de la gravité qu’il a en fonction de l’acte passé, mais aussi de celle que doit lui donner l’avenir et c’est ainsi que la contrition s’intéresse à l’avenir.

Cependant :

La contrition est une partie de la pénitence. Or la pénitence a toujours pour objet des faits passés, donc aussi la contrition, qu’on ne saurait avoir d’un péché futur.

Conclusion :

Dans toutes les associations ordonnées de moteurs et de mobiles, le moteur inférieur a son mouvement propre en plus duquel il suit le mouvement du moteur supérieur, comme on le voit dans le mouvement des planètes qui, en plus de leur mouvement propre, suivent le mouvement du premier monde. Or dans toutes les vertus, le premier moteur est la prudence qu’on appelle la conductrice des vertus. Toute vertu morale a donc, en plus de son mouvement propre, quelque chose du mouvement de la prudence. D’où la pénitence, qui est une vertu morale, étant partie de la justice, suit, elle aussi, le mouvement de la prudence tout en ayant son acte propre.

Mais on acte propre s’exerce sur son objet propre qui est le péché déjà commis. Cet acte l)1 et principal, qui est la contrition, a donc seulement pour objet spécial le péché passé. C’est par voie de conséquence et en tant qu’à son acte propre se joint quelque chose de celui de la prudence, que la pénitence s’intéresse à l’avenir.

Mais ce n’est point en vertu de son activité proprement spécifique, qu’elle s’occupe de cet avenir. Voilà pourquoi celui qui a la contrition regrette le péché passé et prend garde au futur. Mais on ne dit pas qu’il a la contrition du péché futur, on dit plutôt qu’il se met en garde, ce qui est une partie de la prudence s’ajoutant à l’acte propre de la contrition.

Solutions :

1. On dit que le libre arbitre a pour objet les futurs contingents, en tant qu’il s’agit d’actes et non pas de l’objet de ces actes. L’homme peut en effet délibérer, avec son libre arbitre, sur des choses passées et nécessaires, l’acte de sa délibération restant cependant, en tant qu’objet du libre arbitre, un futur contingent. C’est ainsi que l’acte de contrition est un contingent en tant qu’il est objet du libre arbitre, alors que son objet, à lui, peut être le passé.

2. Ces conséquences, qui aggravent le péché, étaient déjà dans son acte, comme dans leur cause ; cet acte a donc eu toute sa gravité au moment où il a été commis, l’effet qui s’en suit n’ajoute rien à la gravité essentielle de la faute elle-même, bien qu’il ajoute quelque chose à la peine accidentelle de cette faute, en tant que le pécheur aura, en enfer, de plus nombreuses raisons de regretter les maux plus nombreux qui auront été la conséquence de son péché. Voilà ce que veut dire saint Jérôme. On ne doit donc avoir la contrition que des péchés passés.

 

Article 5 — Devons-nous avoir la contrition du péché d’autrui ?

Objections :

1. Il semble que nous devrions avoir la contrition du péché d’autrui. On ne demande point pardon, si ce n’est du péché dont on a la contrition. Or au Psaume 18, 13, on demande pardon des péchés d’autrui "Des péchés d’autrui, donne le pardon à ton serviteur". Nous devons donc avoir la contrition des péchés d’autrui.

2. La charité nous fait un devoir d’aimer notre prochain comme nous-mêmes. Or à cause de cet amour de nous-mêmes, nous pleurons nos maux et désirons le bien. Etant donc tenus de désirer pour le prochain les mêmes biens de grâce que nous désirons pour nous, nous devrions, semble- t-il, pleurer ses péchés comme les nôtres. Mais la contrition n’est pas autre chose que le douloureux regret du péché. Nous devons donc avoir la contrition des péchés d’autrui.

Cependant :

La contrition est un acte de la vertu de pénitence. Or personne ne fait pénitence que de ce qu’il a fait lui-même. Personne donc n’a la contrition des péchés d’autrui.

Conclusion :

Ce qui est broyé par la contrition est le même vouloir qui était auparavant dur et entier. Il faut donc que la contrition du péché soit dans le même vouloir que raidissait auparavant la dureté du péché. Il n’y a donc pas de contrition des péchés d’autrui.

Solutions :

1. Le prophète demande qu’on lui pardonne les péchés d’autrui, en tant que celui qui est associé aux pécheurs peut contracter quelqu’impureté par l’assentiment qu’il leur donne, ainsi qu’il est écrit au psaume 17, V. 27 : "Avec le pervers, tu deviens pervers".

2. Nous devons pleurer les péchés des autres, mais nous n’avons pas à en éveiller en nous la contrition, car toute douleur du péché passé n pas de la contrition.

 

Article 6 — La contrition de chaque péché mortel en particulier est-elle requise ?

Objections :

1. Il semble que la contrition de chaque péché mortel en particulier ne soit pas requise. Dans la justification, en effet, le mouvement de contrition est instantané. Or l’homme ne peut pas, en un instant, se remettre en mémoire chacun de ses péchés en particulier.

2. Nous devons avoir la contrition de nos péchés en tant qu’ils nous détournent de Dieu, car la contrition n’est pas exigée, quand nous allons à la créature, sans nous détourner de Dieu. Or tous les péchés mortels se ressemblent du côté de l’aversion. Il suffit donc de leur opposer une seule et même contrition.

3. Les péchés mortels actuels se ressemblent plus entre eux que le péché actuel et l’originel. Or un seul baptême efface tous les péchés actuels et le péché originel. Donc une seule contrition générale efface tous les péchés mortels.

Cependant :

Des maladies différentes il faut des remèdes différents, car "ce qui guérit l’œil ne guérit pas le talon", comme dit saint Jérôme dans son commentaire sur ce passage de Marc "Ce genre de démon ne peut s’en aller que dans le jeûne et la prière". Or la contrition est un remède particulier pour un péché mortel en particulier. Il ne suffit donc pas d’une contrition commune pour tous les péchés.

D’ailleurs, la contrition se manifeste par la confession. Or il faut confesser chaque péché mortel, donc aussi avoir la contrition de chacun de ces péchés.

Conclusion :

On peut considérer la contrition sous deux aspects, dans son principe et dans son terme ; et j’appelle principe de la contrition, la pensée que quelqu’un donne à son péché, pour le regretter, sinon avec une douleur de contrition, du moins avec une douleur d’attrition. La contrition est à son terme, quand la grâce donne à cette douleur, sa forme. S’il s’agit donc d principe de la contrition, ce mouvement de contrition doit porter sur chacun des péchés dont on a le souvenir, mais quant au terme de la contrition, il suffit qu’on ait une contrition commune de tous ses péchés, car ce mouvement agit en vertu de toutes les dispositions précédentes.

Solutions :

1. L’exposé de notre conclusion donne réponse à la première objection.

2. Si tous les péchés se ressemblent quant au mouvement d’aversion, ils diffèrent cependant quant à la cause et au mode de cette aversion et quant au degré d’éloignement à l’égard de Dieu, et ces différences viennent de la diversité du mouvement de conversion au bien créé.

3. Le baptême agit en vertu du mérite du Christ, dont la vertu infinie s’étend à la rémission de tous les péchés. C’est pourquoi un seul baptême suffit contre tous les péchés. Mais, dans la contrition, il faut qu’au mérite du Christ se joigne notre acte à nous et que cet acte, par conséquent, réponde à chaque péché en particulier, puisqu’il n’a pas une vertu infinie pour la contrition.

Ou bien il faut dire que le baptême est une génération spirituelle, tandis que la pénitence, quant à la contrition et à ses autres parties, n’est qu’une guérison spirituelle qui agit par manière de Changement d’accident. Or il est évident que la génération corporelle d’un être, génération qui implique la corruption de l’être précédent, fait disparaître tous les accidents de l’être détruit, qui étaient contraires à ceux de l’être produit. Le changement accidentel, au contraire, ne fait disparaître que le seul accident contraire à l’accident nouveau qui est le terme de cette altération. C’est ainsi qu’un seul baptême efface tous les péchés par la vie nouvelle qu’il engendre ; tandis que la pénitence n’efface que chacun des péchés sur lesquels elle porte. C’est pourquoi chacun d’eux doit être l’objet de la contrition et de la confession.

 

 

QUESTION 3 — DE L’INTENSITÉ DE LA CONTRITION.

Au sujet de l’intensité de la contrition dont nous devons parler maintenant trois questions se posent : 1. La douleur de la contrition est-elle la plus grande qui puisse être dans la nature ? -2. Peut-elle être excessive ? -3. Doit-elle être plus grande pour un péché que pour l’autre ?

 

Article 1 — La contrition est-elle la plus grande douleur qui puisse être dans la nature ?

Objections :

1. Il semble bien que la contrition ne soit pas la plus grande douleur qui puisse être dans la nature. La douleur est le sentiment d’une lésion. Mais certaines lésions sont plus vivement senties que la lésion du péché, telle, celle d’une blessure. La contrition n’est donc pas la plus grande douleur.

2. Nous devons juger de la cause par son effet. Or l’effet de la douleur, ce sont les larmes ; et puisqu’il arrive qu’un homme cependant contrit ne verse pas les larmes que lui font verser la mort d’un ami, une blessure ou quelque peine de ce genre, c’est que la contrition ne paraît pas être la plus grande des douleurs.

3. Plus une qualité reste mêlée à son contraire, moins elle est intense. Or la douleur de la contrition est mélangée de beaucoup de joie, car l’homme contrit se réjouit de sa libération du péché, de l’espérance de son pardon et de beau coup de choses de ce genre. Il n’a donc qu’un minimum de douleur.

4. La douleur de la contrition est un certain déplaisir. Mais il y a beaucoup de choses qui déplaisent plus à l’homme contrit, que ses péchés passés ; car il ne voudrait pas souffrir la peine de l’enfer, plutôt que de pécher, ni avoir souffert, ou souffrir toutes les peines temporelles. Autrement on trouverait bien peu d’hommes contrits. La douleur de contrition n’est donc pas la plus grande des douleurs.

Cependant :

D’après saint Augustin "toute douleur est fondée sur l’amour". Or l’amour de charité, sur lequel est fondée la douleur de contrition, est le plus grand des amours. La douleur de contrition doit donc être, elle aussi, la plus grande des douleurs.

D’ailleurs, la douleur a pour objet le mal. Si donc le mal est plus grand, plus grande doit être la douleur. Or la faute est un plus grand mal que la peine. Cette douleur de la faute, qu’est la contrition, doit donc surpasser toute autre douleur.

Conclusion :

Il y a, dans la contrition, une double douleur. L’une, qui est essentiellement la contrition, affecte la volonté et n’est pas autre chose qu’un déplaisir du péché passé. Cette douleur, dans la contrition, surpasse toutes les autres douleurs ; car plus une chose nous plaît, plus son contraire nous déplaît. Or la fin dernière nous plaît par-dessus tout, puisque c’est pour cette fin dernière, que nous désirons tout le reste. D’où le péché, qui nous détourne de cette fin dernière, doit nous déplaire par-dessus tout.

Il y a, dans la sensibilité, une autre douleur (lui vient de cette première douleur de volonté, soit par une conséquence naturelle et nécessaire, en tant que les facultés inférieures suivent le mouvement des supérieures, soit par élection de volonté, en tant que le pénitent excite en lui cette douleur pour pleurer ses péchés. Mais il n’est pas nécessaire que cette douleur de sensibilité, de quelque façon qu’elle soit produite, soit la plus grande des douleurs ; car les facultés inférieures sont plus fortement émues par leurs objets propres, que par le retentissement du mouvement des facultés supérieures. C’est pourquoi, plus l’opération des facultés supérieures se rapproche des objets des facultés inférieures, plus ces dernières suivent le mouvement des premières. Il s’en suit que la douleur provenant d’une lésion sensible est plus grande dans la sensibilité que celle qui peut s’éveiller sous le retentissement de la douleur de raison. De même la douleur excitée dans la sensibilité par une délibération rationnelle sur des choses corporelles est plus grande que celle provenant de la raison considérant les choses spirituelles. En conséquence, la douleur de la sensibilité provenant du déplaisir que la raison conçoit du péché n’est pas une douleur plus grande que les autres douleurs qui affectent cette même sensibilité. Il en va de même de la douleur volontairement excitée, soit parce que la faculté inférieure n’obéit pas parfaitement à la faculté supérieure, en sorte que l’intensité et la qualité de la passion dans l’appétit inférieur soient exactement ce qu’ordonne l’appétit supérieur, soit aussi parce que les passions voulues par la raison, dans les actes de vertu, gardent une certaine mesure que ne garde pas et que dépasse la douleur qui ne dépend pas de la vertu.

Solutions :

1. De même que la douleur sensible a pour objet la sensation de la lésion, ainsi la douleur intérieure a-t-elle pour objet la connaissance de quelque chose de nuisible. C’est pourquoi la lésion du péché, bien qu’elle ne soit pas perçue par le sens extérieur, est perçue comme souverainement grande par le sens intérieur de la raison.

2. Les modifications de notre état corporel dépendent immédiatement des passions de la sensibilité, et, seulement par leur intermédiaire, des affections de la volonté. De là vient que la douleur de sensibilité ou même le simple mal sensible font couler les larmes corporelles, plus vite que la douleur spirituelle.

3. La joie, que le pénitent a de sa douleur, ne diminue pas son déplaisir du péché, parce qu’elle n’est pas contraire à ce déplaisir. Bien plus, elle l’augmente en tant que toute opération s’intensifie par le plaisir qui lui est attaché, comme le dit Aristote dans les Ethiques, L. 10. C’est ainsi que celui qui prend plaisir à l’étude d’une science, l’apprend mieux. De même celui qui se réjouit de son déplaisir, sent ce déplaisir augmenter. Mais il peut arriver que cette joie tempère la douleur, en débordant de la raison sur la sensibilité.

4. Le degré de déplaisir qu’on a d’une chose, doit correspondre au degré de la malice de cette chose. Or la malice du péché mortel se mesure à la dignité de celui qu’il outrage et au mal qu’il fait à celui qui pèche. De plus, l’homme devant aimer Dieu plus que lui-même, il doit, dans sa faute, haïr l’offense de Dieu plus que le mal que cette faute lui fait à lui-même.

Mais c’est surtout en le séparant de Dieu, que la faute nuit au pécheur, et, de ce point de vue, cette séparation d’avec Dieu, qui est une peine, doit plus déplaire que la faute elle-même en tant qu’elle nous cause ce mal, parce que ce qui nous est odieux à cause d’une autre chose, nous est moins odieux que cette autre chose. Toutefois cette peine de la séparation doit nous être moins odieuse que la faute elle-même, en tant qu’elle est offense de Dieu.

Mais entre toutes les peines de la malice du péché, il y a une gradation mesurée par la gravité du dommage qu’elles nous causent. D’où, le plus grand dommage étant celui qui nous prive du plus grand bien, la plus grande des peines est la séparation d’avec Dieu.

Il y a aussi une autre mesure de malice accidentelle qu’il nous faut considérer dans cette question du déplaisir du péché, c’est celle qui vient de la différence entre le présent et le passé. Ce qui est passé n’est plus, d’où la diminution de sa raison de malice ou de bonté. De là vient que l’homme a plus horreur d’un mal à souffrir dans le présent ou dans l’avenir, que d’un mal passé. C’est pourquoi il n’y a pas, dans l’âme, de passion correspondant directement au mal passé, comme la douleur répond au mal présent ou futur. Il s’en suit que, de deux maux passés, le plus odieux pour l’esprit est celui dont l’effet se fait sentir davantage dans le présent ou inspire plus de crainte pour l’avenir, même si, dans le passé, c’était le moindre mal. De plus, l’effet de la faute précédente est parfois moins vivement perçu que l’effet de la peine passée, soit parce que la faute est plus parfaitement guérie que certaine peine, soit parce qu’un mal corporel est plus manifeste qu’un mal spirituel. Il s’en suit que même un homme bien disposé sent parfois en lui plus d’horreur de la peine précédente, que de la faute précédente, bien qu’il soit prêt à souffrir cette même peine, plutôt que de commettre cette même faute.

Il faut aussi considérer, dans cette comparaison de la faute et de la peine, que certaines peines, comme la séparation d’avec Dieu, impliquent inséparablement une offense de Dieu et que d’autres, comme la peine de l’enfer, ont aussi, en plus, le caractère de peines perpétuelles. De la peine qui implique une offense de Dieu, on doit donc se garder de la même façon que de la faute. Quant à celle qui ajoute à cela un caractère de perpétuité, on doit la fuir absolument plus que la faute. Si cependant on sépare de ces peines leur caractère d’offense et que l’on regarde seulement ce qu’elles ont de pénal, elles ont alors moins de malice que la faute en tant qu’elle est offense de Dieu, et, pour cela, doivent causer moins de déplaisir.

On doit savoir aussi, que, bien que telle doive être la disposition du pécheur contrit, il ne faut pas le tenter à ce sujet, car l’homme ne peut pas facilement mesurer ses affections et quelquefois ce qui lui déplaît le moins paraît lui déplaire le plus, parce qu’il s’agit d’une chose plus voisine du dommage sensible qui nous est plus connu.

 

Article 2 — La douleur de contrition peut-elle être excessive ?

Objections :

1. Il semble que la douleur de contrition ne puisse pas être excessive. Aucune douleur en effet ne peut être plus immodérée que celle qui détruit le sujet qu’elle affecte. Or la douleur de la contrition est louable, quand elle est si grande, qu’elle amène la mort ou la n Voici en effet ce que dit saint Anselme : "Plaise à Dieu que les entrailles de mon âme soient telle- tuent pénétrées de componction, que la moelle de mon corps en soit desséchée", et saint Augustin dit "qu’il mérite de pleurer jusqu’à en devenir aveugle". C’est donc que la douleur de contrition ne peut être excessive.

2. La douleur de contrition procède de l’amour de charité. Or l’amour de charité ne peut pas être excessif, donc la douleur non plus.

Cependant :

Toute vertu morale est sujette à la corruption par excès ou par défaut. Or la contrition est un acte de vertu morale, à savoir de la pénitence qui est partie de la justice. Donc il peut y avoir excès dans la douleur du péché.

Conclusion :

La contrition, du côté de la douleur qui est dans la raison, c’est-à-dire du déplaisir que nous avons du péché, en tant qu’il est offense de Dieu, ne peut pas être excessive, pas plus que ne peut être excessif l’amour de charité dont l’intensité fait celle de ce déplaisir. Mais quant à la douleur sensible, elle peut être excessive, comme peut l’être toute mortification corporelle.

En tout ceci, on doit prendre, pour mesure, la conservation du sujet qu’affecte la contrition et d’un bon état habituel qui suffise aux occupations obligatoires du pénitent. C’est pourquoi l’Epître aux Romains nous dit "Que votre service soit raisonnable".

Solutions :

1. Saint Anselme désirait que l’ardeur de la dévotion desséchât les moelles de son corps, non pas quant à la moelle matérielle de la nature corporelle, mais quant aux désirs et concupiscences de ce corps. Quant à saint Augustin, il se jugeait vraiment digne de perdre les yeux du corps, à cause de ses péchés, Car tout pécheur mérite la mort corporelle et non seulement l’éternelle, mais il n’avait nul désir de s’enlever la vue.

2. La raison donnée dans cette objection se rapporte à la douleur qui est dans la raison.

Quant à la raison du celle s’applique à la douleur de sensibilité.

 

Article 3 — Devons-nous avoir plus de douleur d’un péché que d’un autre ?

Objections :

1. Il semble que nous ne devions pas avoir plus de douleur d’un péché que d’un autre. Saint Jérôme loue sainte Paule de ce qu’elle pleurait les plus petits péchés tout comme les grands. C’est donc que nous ne devons pas pleurer un péché plus qu’un autre.

2. Le mouvement de contrition est instantané. Or un seul mouvement ne peut pas avoir en même temps divers degrés d’intensité. La contrition ne doit donc pas être plus grande pour un péché que pour un autre.

3. C’est surtout en tant que le péché nous détourne de Dieu, qu’on en a la contrition. Or, en ce mouvement d’aversion, tous les péchés se ressemblent, puisque tous enlèvent la grâce qui unit l’âme à Dieu. On doit donc avoir égale contrition de tous les péchés mortels.

Cependant :

On dit dans le Deutéronome : "A la mesure du péché, sera la mesure des coups". Or c’est dans la contrition, que s’établit la proportion des coups avec le péché, puisque la contrition implique la résolution de satisfaire. La contrition doit donc être plus grande pour un péché que pour l’autre.

D’ailleurs, l’homme doit avoir la contrition de ce qu’il devait éviter. Or si l’homme se trouvait clans l’alternative de faire l’un ou l’autre de deux péchés, il devrait éviter le plus grave, plutôt que l’autre. Ainsi donc doit-il de même avoir plus de contrition d’un péché, que d’un autre.

Conclusion :

De la contrition nous pouvons parler de deux façons : 1° en tant qu’elle correspond à chaque péché pris en particulier Ainsi considérée, la douleur de contrition, en tant qu’elle est douleur de volonté, doit être plus grande pour un péché plus grave, parce que la raison de cette douleur, l’offense de Dieu, est plus grande dans un péché que dans l’autre, un acte plus désordonné offensant Dieu davantage. De même aussi la douleur de sensibilité, en tant qu’elle est volontairement excitée comme expiation du péché, doit être plus grande pour un plus grand péché qui mérite une plus grande peine. Cependant le degré de cette même douleur, en tant qu’elle résulte de l’impression de l’appétit supérieur sur l’inférieur, dépend de la disposition de la sensibilité à recevoir l’impression de la volonté et non pas de la gravité du péché. 2° La contrition peut être considérée en tant qu’elle porte sur tous les péchés en même temps, comme dans l’acte de la justification. Cette contrition générale elle-même, ou bien procède d’une considération distincte de chaque péché, auquel cas, son acte bien qu’il soit Un, contient virtuellement cette distinction des péchés ; ou bien elle implique au moins la volonté de penser à chacun des péchés et par conséquent une disposition habituelle à regretter l’un plus que l’autre.

Solutions :

1. Sainte Paule n’est pas louée de ce qu’elle pleurait également tous les péchés, mais de ce qu’elle pleurait de petits péchés autant que d’autres en auraient pleuré de grands. Quant à elle-même, elle eût pleuré beaucoup plus encore des fautes plus graves.

2. Dans cet acte instantané de contrition, bien qu’on ne puisse pas trouver actuellement la distinction d’intentions portant sur chacun des différents péchés, on l’y trouve virtuellement, comme on l’a dit dans la conclusion. On l’y trouve aussi d’une autre façon, en tant que chaque péché a une certaine relation avec l’offense de Dieu qui, dans cette contrition générale, est l’objet du regret du cœur contrit. Celui qui aime un tout, aime en puissance ses parties, bien qu’il ne les aime pas en acte, et de cet amour en puissance, il les aime plus ou moins selon la relation qu’elles ont avec le tout. C’est ainsi que celui qui aime une communauté, aime chacun de ses membres, mais plus ou moins, selon les relations de chacun avec le bien de la communauté. De même, celui qui regrette d’avoir offensé Dieu, a un regret implicitement différent de ses différents péchés, selon que, par eux, il a plus ou moins offensé Dieu.

3. Bien que tout péché mortel nous détourne de Dieu en nous enlevant la grâce, cependant l’un nous éloigne de Dieu plus que l’autre, en tant que son désordre est plus en désaccord que celui de l’autre péché, avec l’ordre de la divine bonté.

 

QUESTION 4 — DU TEMPS DE LA CONTRITION.

Ayant maintenant à traiter du temps de la contrition, nous nous poserons trois questions 1. La contrition doit-elle durer toute la vie ? -2. Est-il expédient de pleurer continuellement le péché ? 3. Est-ce qu’après cette vie, les âmes séparées ont encore la contrition de leurs péchés ?

 

Article 1 — La contrition doit-elle durer toute la vie ?

Objections :

1. Il semble que la contrition ne doive pas durer tout le temps de cette vie. Il en est de la douleur du péché commis, comme de sa honte. Or la honte du péché ne dure pas toute la vie, car ainsi que le dit saint Ambroise "il n’a plus de quoi rougir, celui auquel le péché a été remis". Il semble donc qu’il en faille dire autant de cette douleur qu’est la contrition.

2. Saint Jean nous dit que "la charité chasse la crainte, parce que la crainte a quelque chose de pénal" ; or la douleur aussi a quelque chose de pénal. La douleur de contrition ne peut donc pas demeurer, quand vient l’état de charité parfaite.

3. La douleur, ayant pour objet propre le mal présent, ne peut avoir pour objet le passé, que si quelque chose du péché passé demeure dans le présent. Or on peut arriver quelquefois, en cette vie, à un état où il ne reste plus rien du péché passé, ni disposition mauvaise, ni faute, ni dette d’aucune sorte. On n’a donc plus alors à pleurer ce péché.

4. L’Epître aux Romains nous dit que "tout sert au bien de ceux qui aiment Dieu," même leurs péchés, ajoute la Glose. Il ne faut donc plus pleurer le péché après sa rémission.

5. La contrition est une partie de la pénitence correspondant à cette autre partie qu’est la satisfaction. Or la satisfaction ne doit pas durer toujours, donc non plus la contrition.

Cependant :

Saint Augustin nous dit, dans le Livre De pœnitentia. "Dès que la douleur cesse, la pénitence fait défaut et où manque la pénitence, rien ne reste du pardon". Il semble donc que, devant ne pas perdre le pardon qui nous a été concédé, nous devions toujours pleurer le péché.

D’ailleurs, on nous dit dans l’Ecclésiastique "Au sujet du péché pardonné, ne sois pas sans crainte". L’homme doit donc avoir toujours la douleur des péchés, pour en avoir le pardon.

Conclusion :

Dans la contrition, comme on l’a dit, il y a une double douleur, une douleur de raison qui est la détestation du péché qu’on a commis, et une douleur de sensibilité qui est la conséquence de la première. Ces deux douleurs doivent durer, tant que dure l’état de la vie pré sente. Car tant qu’un voyageur est en chemin, il regrette les obstacles qui empêchent ou retardent son arrivée au terme. Or le retard que le péché passé a mis à la course de notre vie vers Dieu demeure, puisque nous ne pouvons pas retrouver ce temps du péché qui aurait dû être employé à courir. Il faut donc que, pendant tout le cours de cette vie, la contrition demeure en tant qu’elle est une détestation du péché.

De même elle doit demeurer en tant que douleur sensible voulue comme •peine, par la volonté. L’homme, en effet, ayant mérité, en péchant, une peine éternelle, et péché contre un Dieu éternel, doit du moins en garder la douleur pendant toute son éternité d’homme, c’est-à-dire pendant toute la vie d’ici-bas, quand la peine éternelle a été commuée en peine temporelle. C’est pourquoi Hugues de Saint-Victor nous dit "que Dieu déliant l’homme de la faute et de la peine éternelle, le lie du lien d’une perpétuelle détestation du péché".

Solutions :

1. La confusion n’a pour objet que ce qu’il y a de turpitude dans le péché ; une fois le péché remis quant à la faute, il n’y a plus lieu d’en avoir honte ; mais il y a place encore pour la douleur qui n’a pas seulement pour objet ce qu’il y a de honteux dans la faute, mais aussi ce qu’elle a de nuisible.

2. La crainte servile, que la charité chasse, est en opposition avec la charité, à raison de sa servilité qui s’inquiète surtout de la peine. La douleur de contrition, au contraire, a sa cause dans la charité, comme on l’a dit. Il n’y a donc point parité.

3. Même quand, par la pénitence, le pécheur revient à son ancien état de grâce et se libère de toute dette de peine, il ne revient jamais à la dignité première de son innocence -et par con séquent, il reste toujours en lui quelque chose de son péché passé.

4. De même que l’homme ne doit jamais faire le mal pour qu’en advienne le bien, ainsi ne doit-il jamais se réjouir du mal à cause des biens qui, à l’occasion de ce mal, lui sont arrivés par la grâce de Dieu et l’action de la Providence. Ce ne sont pas les péchés qui ont été la cause de ces biens, ils leur ont plutôt fait obstacle ; cette cause est en la divine Providence et c’est de son action que l’homme doit se réjouir, tout en pleurant ses péchés.

5. La satisfaction a pour objet une peine limitée qui doit être infligée pour le péché ; elle peut donc avoir un terme au delà duquel on n’a plus à satisfaire. Cette peine répond principalement au mouvement de conversion d’où la faute a son caractère fini. La douleur de contrition, au con traire, répond au mouvement d’aversion d’où la faute reçoit un certain caractère d’infini. De là vient que la contrition doit toujours durer et il n’y a rien d’irrationnel ce qu’elle demeure, alors que la satisfaction est terminée.

 

Article 2 — Est-il bon de continuellement pleurer le péché ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas bon de pleurer continuellement le péché. Il est en effet bon parfois de se réjouir, comme on le voit par cette parole de saint Paul aux Philippiens : "Réjouissez-vous dans le Seigneur, toujours", parole que la glose ordinaire commente en disant qu'"il est nécessaire de se réjouir". Or il n’est pas possible de se réjouir et de pleurer en même temps. Donc il n’est pas bon de pleurer continuellement le péché

2. La tristesse perpétuelle est mauvaise, d’où l’Ecclésiastique, après avoir dit : "Chasse loin de toi la tristesse", ajoute : "Car la tristesse tue beaucoup de gens et n’a aucune utilité". C’est ce que dit expressément aussi Aristote. On ne doit donc pas pleurer son péché plus qu’il ne faut pour que ce péché soit effacé. Mais aussitôt après la première tristesse de contrition, le péché est effacé. Il n’est donc pas bon de pleurer plus longtemps.

3. Saint Bernard nous dit : "La douleur est bonne, si elle n’est pas continuelle, car il faut mêler le miel à l’absinthe". Il semble donc qu’il ne soit pas bon d’avoir une douleur continuelle.

Cependant :

Voici ce que dit saint Augustin "Que le pénitent pleure toujours et se réjouisse de sa douleur".

D’ailleurs il nous est bon d’exercer continuellement, autant que possible, les actes dans lesquels consiste la béatitude. Or la douleur du péché est un de ces actes, comme on le voit par cette parole du Seigneur : "Bienheureux ceux qui pleurent". Il nous est donc bon d’entretenir continuellement notre douleur autant que possible.

Conclusion :

Un des caractères reconnus des actes de vertu, c’est que ces actes ne peuvent pas être vertueux à l’excès ou insuffisamment, comme le prouve Aristote. D’où, la contrition étant un acte de la vertu de pénitence, en tant qu’elle est un certain déplaisir dans la volonté, on ne peut pas trop en avoir ni quant à l’intensité, ni quant à sa durée, sauf au temps où cet acte de vertu empêcherait l’acte d’une autre vertu plus nécessaire à ce même moment. D’où il suit que plus un homme peut se tenir continuellement en ces actes de déplaisir, mieux il s’en trouve, pourvu qu’il vaque en temps voulu aux actes des autres vertus, selon qu’il en a le devoir.

Les passions, au contraire, peuvent être excessives ou insuffisantes et quant à l’intensité et quant à la durée. C’est pourquoi la douleur de sensibilité, que la volonté provoque librement (dans l’acte de contrition), doit être modérée dans sa durée, comme elle doit être modérée dans son intensité, de peur que l’homme ne tombe dans le désespoir, la pusillanimité ou autres défauts de même genre.

Solutions :

1. La douleur de contrition empêche la joie mondaine, mais non pas la joie de Dieu, car cette douleur est elle-même matière de joie spirituelle.

2. Cette parole de l’Ecclésiastique s’applique à la tristesse mondaine et celle d’Aristote à la tristesse de sensibilité, dont il faut user modérément, dans la mesure où elle est utile à la fin pour laquelle on la provoque.

3. Saint Bernard parle de la douleur de sensibilité.

 

Article 3 — Les âmes, après cette vie, ont-elles encore la contrition de leurs péchés ?

Objections :

1. Il semble que, même après cette vie, les âmes gardent la contrition de leurs péchés. C’est, l’amour de charité qui cause le déplaisir du péché. Or dans les âmes, après cette vie, la charité demeure et comme acte et tomme disposition habituelle, puisque "la charité jamais ne disparaît", comme le dit saint Paul. Les âmes gardent donc ce déplaisir du péché commis, qu’est essentiellement la contrition.

2. La faute est plus à regretter que la peine. Or les âmes du purgatoire gémissent sur leur pe11 sensible et le retard de leur glorification. A plus forte raison, doivent-elles gémir sur la faute qu’elles ont commises.

3. La peine du purgatoire est satisfaction pour le péché. Or la satisfaction reçoit son efficacité de la contrition. C’est donc que la contrition persiste après cette vie.

Cependant :

La contrition est une partie du sacrement de pénitence. Or il n’y a plus de sacrement après cette vie ; donc plus de contrition.

De plus, la contrition peut être si grande qu’elle efface et la faute et la peine. Si donc les âmes du Purgatoire pouvaient encore avoir la contrition, il leur serait possible d’obtenir, par la vertu de cette contrition, la rémission de leur dette de peine et de se délivrer ainsi de la peine du sens, ce qui est faux.

Conclusion :

Dans la contrition, il y a trois choses à considérer 1° le principe générique de la contrition, qui est la douleur ; 2° la forme de la contrition, car elle est un acte de vertu informé par la grâce ; 3° l’efficacité de la contrition, car elle est un acte méritoire, sacramentel et, d’une certaine façon, satisfactoire. Les âmes qui, après cette vie, sont reçues dans la patrie, ne peuvent avoir la contrition, puisque la plénitude de leur joie en exclut toute douleur. Les damnés, qui sont en enfer, n’ont également aucune contrition, parce que, tout en ayant la douleur, ils n’ont pas la grâce qui donne à cette douleur sa forme de contrition. Quant aux âmes qui sont en purgatoire, elle son grâce donne sa forme, mais qui n’est pas méritoire, parce qu’elles ne sont plus en l’état où l’on mérite. C’est en cette vie seulement que peuvent se trouver réunis ces trois éléments de la contrition.

Solutions :

1. La charité ne cause cette douleur, que dans ceux qui sont capables de douleur. Or la plénitude de joie des bienheureux leur enlève toute capacité d’éprouver de la douleur. C’est pourquoi, tout en ayant la charité, ils n’ont plus de contrition.

2. Les âmes, en purgatoire, pleurent leurs péchés. ; mais cette douleur n’est plus une vraie contrition, parce qu’il lui manque l’efficacité de la contrition.

3. Cette peine, que souffrent les âmes du Purgatoire, ne peut pas être appelée satisfaction proprement dite, car, pour cette satisfaction, il faut un acte méritoire. Mais on appelle satisfaction au sens large, tout acquit de dette pénale.

 

QUESTION 5 — DE L’EFFET DE LA CONTRITION.

Nous devons maintenant considérer l’effet de la contrition, et cette considération soulève trois questions : 1. La rémission du péché est-elle l'effet de la contrition ? 2. La contrition peut-elle enlever toute dette de peine ? -3. Une faible contrition suffit-elle à effacer de grands péchés ?

 

Article 1 — La rémission du péché est-elle l’effet de la contrition ?

Objections :

1. Il semble que la rémission du péché ne soit pas l’effet de la contrition. Dieu seul remet les péchés. Or de la contrition nous sommes cause nous-mêmes d’une certaine façon, puisqu’elle est notre acte. La contrition n’est donc pas cause de la rémission.

2. La contrition est un acte de vertu. Or la vertu ne vient qu’après la rémission des péchés, car la vertu et la faute ne se trouvent pas simultanément dans l’âme. La contrition n donc pas la cause de la rémission du péché.

3. Rien, si ce n’est la faute, ne nous empêche de recevoir l’Eucharistie Or le pécheur contrit ne doit pas aller à la communion avant de s’être confessé. C’est donc qu’il n’a pas encore obtenu la rémission de sa faute.

Cependant :

Voici ce que nous dit la Glose au sujet de ce verset du psaume 50 : "Le vrai sacrifice pour Dieu, c’est l’esprit contrit... La contrition du cœur est le sacrifice qui nous délie de nos péchés".

De plus, la vertu et le vice sont en telles relations, que les mêmes causes qui corrompent l’un engendrent l’autre, comme dit Aristote. Or ç’est l’amour désordonné, dans le cœur, qui nous fait commettre le péché. Ce sera donc la douleur causée par l’amour ordonné de charité, qui nous déliera du péché, et c’est ainsi que la contrition efface le péché.

Conclusion :

La contrition peut être Considérée de deux façons, ou comme partie du sacrement, ou comme acte- de vertu, et, des deux façons, elle est cause de la rémission du péché, mais pas de la même manière. En tant que partie du sacrement, elle opère la rémission du péché, par manière de cause instrumentale, comme on l’a vu pour les autres sacrements. Mais, en tant qu’acte de vertu, elle opère comme cause matérielle de la rémission du péché, étant une disposition qui appelle nécessairement la justification. La disposition, en effet, se ramène à la cause matérielle, s’il s’agit d’une disposition qui prépare une matière à la réception de la forme. Il en va tout autrement de la disposition de l’agent à l’action ; celle-ci se ramène à la cause efficiente.

Solutions :

1. Dieu seul est cause efficiente principale de la rémission du péché. Mais il peut y avoir, de notre part, une causalité dispositive et même aussi sacramentelle, puisque les formes des sacrements sont des paroles que nous prononçons et qui ont la puissance instrumentale d’introduire en nous la grâce qui remet les péchés.

2. La rémission d’un péché précède, d’une certaine manière, la vertu et l’infusion de la grâce, et d’une autre manière les suit ; et en tant qu’elle les suit, l’acte de la vertu peut avoir une certaine causalité dans la rémission du péché.

3. La distribution de l’Eucharistie est confiée aux ministres de l’Eglise, et c’est pour cette raison que le pécheur ne doit pas se présenter à la communion, avant la rémission de son péché par les ministres de l’Eglise, bien que, devant Dieu, sa faute lui soit déjà remise.

 

Article 2 — La contrition peut-elle enlever toute dette de peine ?

Objections :

1. Il semble bien que la contrition ne puisse pas enlever toute dette de peine. Cette libération de la dette de peine est le but de la satisfaction et de la confession. Or personne n’arrive à être si parfaitement contrit, qu'il ne doive encore se confesser et satisfaire. C’est donc que la contrition n’est jamais si grande, qu’elle supprime toute notre dette.

2. Dans la pénitence, il doit y avoir une certaine compensation de la peine que méritait la faute. Or certaines fautes se commettent avec les me du corps, et comme il faut que pour la juste compensation de la peine, le pécheur "ait à souffrir de ce par quoi il a péché", il semble que la contrition ne puisse jamais nous libérer de la peine de telles fautes.

. La douleur de contrition est quelque chose de fini. Or c’est une peine infinie qui est due à certains péchés, à savoir, aux péchés mortels. Jamais donc la contrition ne peut être si grande, qu’elle emporte toute la'peine.

Cependant :

Dieu agrée plus le sentiment du cœur, que l’acte extérieur. Or par les actes extérieurs, l’homme est libéré de la faute et de la peine. Il doit donc en être de même de ce sentiment du cœur qu’est la contrition. Nous en avons d’ailleurs un exemple dans le bon larron auquel Notre Seigneur a dit pour un seul acte de pénitence "Aujourd’hui, tu seras avec moi en Paradis".

Quant à la question de savoir si la dette de peine est toujours totalement enlevée par la contrition, elle a été traitée à propos de la pénitence.

Conclusion :

L’intensité de la contrition peut être considérée de deux façons : 1° du côté de la charité qui cause ce déplaisir et cet acte de charité peut avoir une telle intensité que la contrition qui en est la conséquence, mérite non seulement le pardon de la faute, mais aussi la libération de toute peine ; 2° du côté de la douleur sensible qu’excite la volonté dans la contrition, et cette douleur étant elle-même une peine, elle peut être si grande qu’elle suffise à effacer à la fois la faute et sa dette de peine.

Solutions :

1. Le pénitent ne peut jamais être certain que sa contrition soit suffisante pour la rémission de la faute et de la peine et, par conséquent, il est tenu de se confesser et de satisfaire. Il y est d’autant plus tenu que la contrition n’est pas vraie, si elle n’inclut pas la résolution de se confesser, résolution qui doit aboutir à une confession effective, à raison aussi du précepte obligeant à la confession.

2. De même que la joie intérieure rayonne jusqu’aux parties extérieures du corps, ainsi la douleur intérieure a t-elle son retentissement jusque dans les membres du corps, selon cette parole des Proverbes : "L’esprit triste dessèche les os".

3. La douleur de la contrition est, il est vrai, finie quant à son intensité, comme aussi est finie la peine due au péché mortel. Mais elle a une vertu infinie, de par la charité qui lui donne sa forme et, à ce titre, elle a suffisamment de valeur pour effacer la faute et la dette de peine.

 

Article 3 — Une faible contrition suffit-elle à la rémission de grands péchés ?

Objections :

1. Il semble qu’une faible contrition ne suffise pas à la rémission de grands péchés. La contrition, en effet, est une médecine. Or une médecine corporelle qui guérit une légère maladie, ne suffit pas à en guérir une plus grave. Donc un minimum de contrition ne suffit pas à effacer de très grands péchés.

2. Comme nous l’avons dit précédemment, on doit avoir une plus grande contrition des péchés qui sont plus graves. Or la contrition n'efface pas les péchés, si elle n’est pas ce qu’elle doit être. Donc un minimum de contrition ne saurait effacer tous les péchés.

Cependant :

La grâce sanctifiante, à n’importe quel degré, efface tout péché mortel, parce que grâce sanctifiante et péché mortel sont incompatibles. Or toute contrition est vivifiée par la grâce sanctifiante. Si petite qu’elle soit, elle efface donc toute faute.

Conclusion :

Dans la contrition, comme nous l’avons souvent dit, il y a une double douleur. Il y tout d’abord une douleur de raison qui est le regret du péché commis et cette douleur peut être si faible qu’elle ne suffise pas à constituer une vraie contrition. Ce serait le cas si le pénitent regrettait moins son péché, qu’il ne doit regretter d'être séparé de sa fin dernière. C’est ainsi que l’amour de Dieu peut être si faible qu’il n’y en ait pas assez pour constituer le véritable amour de charité. Il y a aussi dans la contrition une autre douleur, la douleur de sensibilité. La faiblesse de cette douleur n’empêche pas la vraie contrition, parce qu’elle n’est pas essentielle à la contrition ; elle y est jointe comme par accident et, de plus, elle n’est pas pleinement en notre pouvoir. Il faut donc dire que, si faible que soit la douleur, pourvu que ce soit une douleur de vraie contrition, elle efface toute fautefi6.

Solutions :

1. Les médecines spirituelles reçoivent une efficacité infinie de la vertu infinie qui opère en elles. C’est pourquoi la même médecine, qui suffit à la guérison d’un moindre péché, suffit aussi à la guérison d’un grand péché. On le voit par le baptême qui efface grands et petits péchés. Ainsi en va t-il de la contrition pourvu qu’elle ait ce qu’exige une vraie contrition.

2. Il est inévitable que le même pénitent regrette selon que ces péchés sont plus ou moins en opposition avec l’amour qui cause la douleur. Si toutefois un autre pénitent n’a, pour un péché plus grand, qu’une douleur égale à celle du premier pour un moindre péché, elle suffirait encore au pardon de la faute.

 

QUESTION 6 — NÉCESSITÉ DE LA CONFESSION.

Nous devons maintenant traiter de la confession 1° de sa nécessité ; 2° de sa nature ; 3° de son ministre ; 4° des qualités qu’elle requiert ; 5° de son effet ; 6° de son secret.

Sur le premier point, six questions se posent 1. La confession est-elle nécessaire au salut ? -2. Est-elle de droit naturel ? -3. Tous sont-ils tenus à la confession ? -4. Est-il permis de con fesser un péché qu’on n’a pas commis ? -5. Est- on tenu de se confesser aussitôt après le péché ? -6. Est-il possible qu’un pécheur soit dispensé de confesser ses péchés un confesseur ?

 

Article 1 — La confession est-elle nécessaire au salut ?

Objections :

1. Il semble que la confession ne soit pas nécessaire au salut. Le sacrement de pénitence est en effet ordonné à la rémission de la faute. Or cette rémission est suffisamment assurée par l’infusion de la grâce. Il n’est donc pas nécessaire de se confesser pour faire pénitence du péché.

2. Certains pécheurs ont reçu le pardon de leurs péchés, sans que l’Ecriture nous dise qu’ils se soient confessés, tels saint Pierre, sainte Madeleine et saint Paul. Mais la grâce de la rémission des péchés n’est pas moins efficace aujourd’hui qu’elle ne l’était alors. Donc, maintenant encore, il n’est pas de nécessité de salut que le pénitent se confesse.

3. C’est pour le péché qui nous vient d’autrui que nous devons recevoir d’autrui le remède.

Quant au péché actuel que chacun commet de son propre mouvement, c’est de nous-même seulement que nous pouvons tirer le remède. Or c’est ce péché qui est l’objet de la pénitence. Elle ne requiert donc pas nécessairement la confession.

4. La confession est exigée dans le jugement pour qu’on inflige une peine proportionnée à la faute, mais le pénitent peut, de lui-même, s’infliger une peine plus grande que celle qui lui serait infligée par un autre. Il semble donc bien que la confession ne soit pas de nécessité de salut.

Cependant :

Boèce nous dit : "Si tu veux le secours du médecin, il te faut lui découvrir ton mal". Or il est de nécessité de salut que l’homme reçoive du médecin le remède à ses péchés et, par conséquent aussi, qu’il découvre son mal par la confession.

De plus, dans le jugement séculier, le même homme ne peut pas être juge, accusateur et coupable Or le jugement spirituel est encore mieux ordonné. Donc le pécheur, qui est le coupable, ne peut pas être son propre juge, mais doit être jugé par un autre et par conséquent se confesser.

Conclusion :

La passion du Christ, sans la vertu de laquelle, ni le péché originel, ni l’actuel ne sont remis, opère en nous par les sacrements que nous recevons et auxquels elle donne leur efficacité. C’est pourquoi la rémission du péché actuel et du péché originel exige l’action d’un sacrement de l’Eglise réellement reçu, ou du moins désiré, quand la nécessité des circonstances et non point le mépris exclut la réception réelle du sacrement. Par conséquent, les sacrements, qui ont pour objet la rémission d’une faute incompatible avec le salut, sont de nécessité de salut, et de même que le baptême, qui efface le péché originel, est de nécessité de salut, ainsi en va t-il du sacrement de pénitence. Celui qui demande le baptême se soumet aux ministres de l’Eglise auxquels appartient la dispensation du sacrement ; ainsi celui qui confesse son péché se soumet-il au ministre de l’Eglise pour en recevoir la rémission par le sacrement de pénitence que lui donne le ministre. Mais ce ministre ne peut pas donner de remède approprié sans la connaissance du péché, et c’est par la confession du pécheur qu’il obtient cette connaissance. Voilà pourquoi la confession est de nécessité de salut pour celui qui est tombé dans le péché mortel actuel.

Solutions :

1. L’infusion de la grâce suffit à la rémission de la faute et cependant après cette rémission, le pécheur reste encore débiteur d’une peine temporelle. Mais c’est par le moyen des sacrements que nous devons obtenir l’infusion de la grâce. Avant de les avoir reçus en acte ou en désir, personne n’obtient la grâce, comme on le voit par le baptême, auquel la confession doit être assimilée. De plus, la honte de la confession, la vertu du pouvoir des clefs auquel le pénitent se soumet, la pénitence qui lui est imposée par le prêtre en proportion de la gravité des péchés confessés, concourent à l’expiation de la peine temporelle. Ce n’est cependant pas en tant que moyen de rémission pour la peine du péché, que la confession est de nécessité de salut. Cette peine, à laquelle e pénitent reste obligé après le pardon de sa faute, n’est qu’une peine temporelle. On peut donc, sans la payer en la vie d’ici-bas, rester dans la voie du salut. Mais la confession est de nécessité de salut, parce qu’elle concourt, de la façon que nous avons dite, à la rémission de la faute elle-même.

2. Il est possible que les pécheurs précités aient confessé leurs péchés, bien que l’Ecriture n’en dise rien, car il y a eu beaucoup de faits qui n’ont pas été consignés dans l’Ecriture. D’ailleurs le Christ a, en matière sacramentelle, un pouvoir d’excellence qui lui a permis de donner la grâce du sacrement sans les actes requis pour le sacrement.

3. Le péché que nous recevons d’autrui, à savoir le péché originel, peut être guéri par un remède purement extérieur, comme c’est le cas pour les petits enfants baptisés. Quant au péché actuel, que chacun commet de son propre mouvement, il ne peut être expié sans que celui qui a péché coopère à cette expiation. Cependant le pécheur ne peut pas, de lui-même, suffire à l’expiation, comme il a suffi au péché ; car si le péché est quelque chose de fini du côté du mouvement de conversion par lequel le pécheur se replie sur lui-même, il a quelque chose d’infini du côté du mouvement d’aversion à l’égard de Dieu. A ce titre, le principe de la rémission doit être extérieur au pécheur, "car ce qui est au terme d’une génération est au principe du vouloir de cette génération" comme dit Aristote. C’est ainsi que le péché actuel, lui aussi, doit recevoir son remède d’autrui.

4. La pénitence, qui est imposée dans la satisfaction, pour l’expiation de la peine du péché, n’est jamais suffisante par sa propre quantité ; c’est de la vertu sacramentelle et en tant que partie du sacrement qu’elle reçoit sa suffisance. Il faut donc qu’elle soit imposée parles dispensateurs des sacrements, et par conséquent nécessairement précédée de la confession.

 

Article 2 — La confession est-elle de droit naturel ?

Objections :

1. Il semble bien que la confession soit de droit naturel. Adam et Caïn n’étaient tenus qu’aux obligations de droit naturel. Or on leur reproche de n’avoir pas confessé leur péché. C’est donc que la confession est de droit naturel.

2. Les préceptes de l’ancienne Loi, qui sont restés dans la nouvelle, sont de droit naturel. Or la confession était déjà de précepte dans l’ancienne Loi puisqu’il est dit dans Isaïe : "Si tu as quelque chose à dire, parle toi-même, afin que tu sois justifié". Elle est donc de droit naturel.

3. Job n’était soumis qu’à la loi naturelle. Or lui-même confessait ses péchés, comme on le voit par ce qu’il dit : "Je n’ai point caché, comme l’homme, mon péché". La confession est donc de droit naturel. .

Cependant :

Saint Isidore nous dit que le droit naturel est le même pour tous. Mais la confession ne se trouve pas de la même façon chez tous les hommes. Donc elle n’est pas de droit naturel.

De plus, la confession se fait à celui qui a le pouvoir des clefs. Or le pouvoir des clefs n’est pas dans l’Eglise une institution de droit naturel, et donc non plus la confession.

Conclusion :

Les sacrements sont des protestations de foi et doivent être par conséquent proportionnés à la foi. Or la foi est au-dessus de notre connaissance de raison naturelle et par con séquent les sacrements sont au-dessus des inti mations de la raison naturelle. D’ailleurs le droit naturel est celui qui n’a pas son origine dans l’opinion, mais qu’une force innée nous intime en notre intérieur, comme dit Cicéron. C’est pour quoi les sacrements ne sont pas de droit naturel, mais de droit divin. Ce droit divin est quelquefois dit naturel en tant que ce qui est imposé à chaque être par son Créateur, lui est naturel. Cependant le naturel proprement dit est ce qui résulte des principes mêmes de la nature. Or au-dessus de la nature sont les effets que Dieu se réserve d’opérer lui-même, soit par le ministère de la nature, soit dans les œuvres miraculeuses, soit dans la révélation des mystères, soit dans l’institution des sacrements. Ainsi la confession, qui est de nécessité sacramentelle, n’est pas de droit naturel, mais de droit divin.

Solutions :

1. Adam est blâmé de ce qu’il n’a pas reconnu son péché devant Dieu, car la confession à Dieu, par la reconnaissance du péché, est de droit naturel. Mais la confession dont il est maintenant question, est la confession faite à l’homme. On peut dire aussi que la confession est de droit naturel, dans le cas où le coupable, mis en jugement, est interrogé par le juge, car alors le pécheur ne doit pas mentir pour excuser son péché ou le nier. C’est de cela qu’Adam et Caïn sont blâmés. Mais la confession qu’on fait spontanément à un homme, pour obtenir de Dieu le pardon de ses péchés n’est pas de droit naturel.

2. Les préceptes naturels restent les mêmes dans la loi de Moïse et dans la Loi Nouvelle. La confession, au contraire, bien qu’elle existât d’une certaine façon dans la loi de Moïse, ne s’y faisait pas de la même manière que dans la loi nouvelle ou dans la loi naturelle. La loi naturelle ne demandait au pécheur que de reconnaître intérieur devant Dieu, son péché. Dans la loi de Moïse, le pécheur devait déclarer publiquement son péché par quelque signe extérieur, comme par l’offrande de l’hostie pour le péché, par laquelle les hommes, eux aussi, pouvaient savoir qu’il avait péché. Mais il n’avait pas à manifester quel péché spécial il avait commis, ni les circonstances de ce péché, comme il doit le faire dans la Loi Nouvelle.

3. Job parle de cette dissimulation du péché qui est le fait du coupable surpris en faute et niant ou excusant son péché, comme on peut le voir par la Glose.

 

Article 3 — La confession est-elle obligatoire pour tous ?

Objections :

1. Il semble bien que la confession ne soit pas obligatoire pour tous. "La pénitence est une seconde planche après le naufrage" comme dit saint Jérôme. Mais il en est qui ne font pas naufrage après le baptême. A ceux-là, la pénitence ne convient pas, ni par conséquent la confession qui est une partie de la pénitence.

2. A n’importe quel tribunal, c’est devant un juge que doit se faire la confession de la faute. Or il est des hommes qui n’ont pas de juge humain au-dessus d’eux. Ceux-là ne sont donc pas tenus à la confession.

3. Il en est qui n’ont que des péchés véniels. Or on n’est pas tenu à la confession des péchés véniels. C’est donc que tout le monde n’est pas obligé à se confesser.

Cependant :

La confession est, au même titre que la contrition et la satisfaction, une des parties (le la pénitence. Or tous sont tenus à la contrition et à la satisfaction ; donc aussi à la confession.

D’ailleurs cette obligation est manifeste depuis le décret sur la pénitence ou il est dit que "Tous les fidèles de l’un et l’autre sexe, dès qu’ils sont arrivés à l’âge de discrétion, sont tenus de con fesser leurs péchés".

Conclusion :

Nous sommes tenus de deux façons à la confession. Nous y sommes obligés (l’abord de droit divin, en tant qu’elle est médecine morale et, à ce titre, ceux-là seuls y sont tenus qui ont commis le péché mortel après le baptême. Nous y sommes obligés aussi par le droit positif, et, de cette façon, tous les fidèles y sont obligés en vertu de la loi portée par le concile général tenu sous Innocent III. Cette loi a pour but, soit d’obliger chaque fidèle à se reconnaître pécheur car "tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu", soit d’assurer une plus grande révérence à l’égard de la communion, soit de donner aux recteurs des églises le moyen de connaître leurs sujets, et d’empêcher que le loup ne se cache dans le troupeau.

Solutions :

1. Bien que l’homme puisse éviter en cette vie mortelle le naufrage du péché mortel après le baptême, il ne peut pas éviter les péchés véniels qui le disposent au naufrage et auxquels la pénitence doit aussi porter remède. La pénitence et par conséquent la confession ont donc encore leur utilité, même pour ceux qui ne pèchent pas mortellement.

2. Il n’est personne qui n’ait pour juge le Christ auquel on doit se confesser par l’intermédiaire de celui qui en tient la place. Bien que le confesse soit inférieur au prélat Pénitent en tant que celui-ci est prélat, il lui est supérieur en tant que le prélat est pécheur et le confesseur ministre du Christ.

3. Ce n’est pas en vertu de l’obligation même du sacrement, mais en vertu de la loi de l’Eglise, qu’on est tenu à se confesser, quand on n’a que des péchés véniels.

Ou bien on peut dire, avec certains théologiens, que la Décrétale précitée n’oblige à la confession que ceux qui ont des péchés mortels. Cela ressortirait de ce qu’elle déclare qu’on doit confesser tous ses péchés, ce qui ne peut s’entendre des péchés véniels, puisque personne ne peut les confesser tous. D’après cette opinion, celui qui n’a pas de péché mortel n’est pas tenu à la confession des véniels. Il lui suffit, pour accomplir le précepte de l’Eglise, de se présenter au prêtre et de déclarer qu’il n’a conscience d’aucun péché mortel, ce qui lui tient lieu de confession.

 

Article 4 — Est-il permis de confesser un péché qu’on n’a pas commis ?

Objections :

1. Il semble qu’il soit permis de confesser un péché qu’on n’a pas commis. Saint Grégoire dit en effet que "c’est le fait I des bonnes âmes de voir des fautes où il n’y en a pas". C’est donc à une bonne âme qu’il appartient de confesser des fautes qu’elle n’a pas commises.

2. Celui qui, par humilité, s’estime pire qu’un autre qui est manifestement pécheur, doit être loué de ce sentiment. Or il lui est permis de con fesser, de bouche, ce qu’il a dans son cœur et par conséquent de dire ses péchés plus graves qu’ils ne sont en réalité.

3. Il arrive parfois que le pénitent doute si tel péché est mortel ou véniel et en pareil cas il doit, semble t-il, le confesser comme s’il était mortel. On doit donc quelquefois confesser un péché qu’on n’a pas commis.

4. La satisfaction se règle d’après la confession. Or on peut satisfaire pour des péchés qu’on n’a pas commis, donc aussi les confesser.

Cependant :

Quiconque dit avoir fait ce qu’il n’a pas fait, commet un mensonge. Mais personne ne doit mentir en confession, puisque tout mensonge est un péché. Donc personne ne doit con fesser un péché qu’il n’a pas commis.

De plus, aux tribunaux extérieurs, on ne doit pas charger l’accusé d’un crime qui ne peut pas être prouvé par des témoignages valables. Or le témoin, au tribunal de la pénitence, c’est la conscience. Un pénitent ne doit donc pas s’accuser d’un péché dont il n’a pas conscience.

Conclusion :

Par la confession, le pénitent doit se manifester au confesseur. Or celui qui, parlant au confesseur, s’attribue soit en bien, soit en mal, autre chose que ce qu’il a dans sa conscience, ne se manifeste pas au prêtre, mais bien plus se dissimule, et par conséquent ne fait pas la confession requise. Pour que cette confession ait les qualités voulues, il faut que le cœur soit d’accord avec la bouche, en sorte que la bouche n’accuse que ce qui est dans la conscience.

Solutions :

1. Reconnaître une faute où il n’y en a pas peut s’entendre de deux façons : ou bien on l’entend d’une méprise, quant à la substance de l’acte, auquel cas la proposition de l’objectant n’est pas vraie ; ce n’est pas le fait d’une bonne âme, mais d’une âme induite en erreur, de penser qu’elle a commis un acte qu’elle n’a pas commis. Ou bien il s’agit des conditions de l’acte, et ainsi se vérifie ce que dit saint Grégoire, que le juste craint qu’il n’y ait de sa part quelque défaut dans un acte qui est bon en soi. C’est ainsi que Job disait : "Je craignais pour toutes mes œuvres". Et, en conséquence, il appartient à une bonne âme de manifester cette crainte qu’elle a dans le cœur.

2. Ce que nous venons de dire donne la solution de la seconde objection. Le juste, qui est vraiment humble, ne s’estime pas pire en s’attribuant des actes qui sont pires par leur genre moral, mais parce qu’il craint que dans ce qu’il paraît faire de bien, il pèche par orgueil plus gravement que le pécheur manifeste.

3. Celui qui doute si tel péché est mortel, est obligé de le confesser, s’il reste en doute ; car celui qui fait ou omet quelque chose, doutant s’il y a matière à péché mortel, pèche mortellement en s’exposant au péril de péché mortel. Or il s’expose au même péril, celui qui doutant si un péché est mortel, néglige de le confesser. il ne doit cependant pas ai sans restriction que ce péché est mortel, mais exposer son doute et attendre le jugement du prêtre auquel il appartient de juger entre lèpre et lèpre.

4. En satisfaisant pour un péché qu’il n’a pas commis, l’homme ne ment pas comme lorsqu’il confesse un péché qu’il ne croit pas avoir commis. Il ne ment pas non plus et ne pèche pas, s’il s’accuse d’un péché qu’il n’a pas fait, croyant l’avoir commis, pourvu qu’il parle selon le témoignage de sa conscience.

 

Article 5 — Le pécheur est-il tenu de se confesser immédiatement ?

Objections :

1. il semble qu’on soit tenu de se confesser immédiatement. Voici en effet ce que dit Hugues de Saint-Victor : "S’il n’y a pas de nécessité qui motive un délai, rien n’excuse du mépris". Or chacun est tenu d’éviter le mépris et par conséquent de se confesser dès qu’il le peut.

2. Nous sommes tous tenus de faire plus pour nous débarrasser d’une maladie spirituelle que nous ne ferions pour nous guérir d’une, maladie corporelle. Or ce n’est jamais sans détriment pour sa santé, qu’un malade tarde à faire venir le médecin. Il semble donc que ce ne soit pas sans détriment pour son salut, qu’un pécheur ne confesse pas aussitôt son péché à un prêtre, quand il en a un à sa disposition.

3. On doit payer de suite les dettes qui n’ont pas de date fixée pour leur, échéance. Or il n’y a pas de date fixée pour la confession que le pécheur doit faire à Dieu. Donc il doit se con fesser immédiatement.

Cependant :

Dans la décrétale précitée, on fixe en même temps une date pour la confession et la réception de la Sainte Eucharistie. Or on ne pèche pas en ne recevant pas la Sainte Eucharistie avant le temps ainsi déterminé par le droit. On ne pèche donc pas non plus en ne se confessant pas avant cette même date.

De plus, quiconque omet ce à quoi il est obligé par le précepte pèche mortellement. Si donc quelqu’un ne se confessait pas, dès qu’il a un prêtre à sa disposition, il pècherait mortellement, s’il était tenu de se confesser immédiatement, et de même le lendemain et ainsi de suite, On commettrait ainsi beaucoup de péchés mortels pour un seul délai de pénitence, ce qui ne paraît pas raisonnable.

Conclusion :

Puisque la résolution de se confesser est attachée à la contrition, on est tenu de prendre cette résolution, quand on est tenu à la contrition à savoir quand les péchés reviennent en mémoire, surtout quand on se trouve en péril de mort ou en quelque circonstance où, sans la rémission du péché précédent, on encourt un nouveau péché. C’est ainsi qu’un prêtre obligé de célébrer la messe est tenu de se confesser, s’il a un prêtre à sa disposition ou du moins de faire un acte de contrition, avec résolution de se confesser dès qu’il aura un confesseur, si pour le moment il n’en a pas.

Quant à la réalisation de cette volonté de se confesser, on peut y être obligé de deux façons. Ou y est obligé premièrement par accident cause d’une autre obligation, quand on est tenu à une action qu’on ne peut faire sans péché à moins de s’être confessé. C’est ainsi qu’on est tenu de se confesser quand on doit recevoir la sainte Eucharistie, personne ne devant se présenter à la communion après un péché mortel, sans s’être confessé, si l’on a un confesseur à sa disposition et s’il n’y a pas urgente nécessité de communier. De là vient l’obligation que l’Eglise a imposée à tous les fidèles de se confesser au moins une fois l’an. Ayant porté cette loi que tous les fidèles se présenteraient, au moins une fois l’an, à la communion, au temps de Pâques, elle oblige tous les fidèles à se confesser avant cette Communion.

On peut encore être obligé de se confesser à raison d’une obligation qui vient de la nature même de la confession. Sous ce rapport il en est de la confession comme du baptême, quant au délai qu’on peut y apporter et pour la même raison, l’un et l’autre sacrement étant de même nécessité. Un catéchumène n’est pas tenu de recevoir le baptême aussitôt qu’il a pris la résolution de se faire baptiser, en sorte qu’il pèche mortellement s’il ne reçoit pas tout de suite le baptême. Il n’y a pas non plus de limite de temps, au delà de laquelle le délai du baptême peut être péché mortel ou non, selon les circonstances, et on doit en juger d’après la cause du délai. Comme le dit Aristote, une volonté ne retarde l’exécution de ce qu’elle veut vraiment, que pour une cause raisonnable. Si donc la cause du délai du baptême implique un péché mortel, comme dans le cas où cette cause serait le mépris du baptême ou quelque motif de ce genre, le délai sera péché mortel, autrement non. Ainsi en va t-il de la confession qui n’est pas de plus grande nécessité que le baptême.

L’homme étant tenu de poser en cette vie les actes qui sont de nécessité de salut, il sera obligé, d’une obligation qu’on peut dire résultant de la nature même du sacrement, à se confesser, comme à recevoir le baptême, dès qu’il se trouvera en péril de mort. C’est pour cela que saint Jacques prescrit en même temps de se confesser et de recevoir l’Extrême-Onction. Elle paraît donc probable, l’opinion de ceux qui disent qu’on n’est pas tenu à se confesser tout de suite, même s’il y a péril à différer la confession.

D’autres théologiens prétendent au contraire que le pécheur contrit est tenu de se confesser immédiatement, s’il en a la facilité, ainsi que le demande la droite raison. On ne saurait objecter que la décrétale détermine un délai en prescrivant la confession une fois l’an, car l’Eglise n’a pas l’intention de favoriser ainsi le retard de la confession, mais seulement de défendre la négligence d’un retard plus grand. D’où cette décrétale n’excuserait pas de la faute du retard au for intérieur, mais seulement de la peine au for extérieur en sorte que le pécheur ne soit pas privé de la sépulture due aux fidèles, s’il était surpris par la mort avant le temps fixé par la décrétale. Mais cette opinion paraît trop dure. Les préceptes affirmatifs n’obligent pas à leur accomplissement immédiat, mais en certains temps déterminés et non pas du seul fait que nous pouvons les accomplir sans grande gêne. Autrement, quand quelqu’un ne donnerait pas de son superflu, dès qu’il rencontrerait un pauvre, il pècherait mortellement ; ce qui est faux, car il n’y a péché mortel qu’au temps de l’urgente nécessité du pauvre. Il n’y a donc pas nécessairement péché mortel, du seul fait qu’on ne se confesse pas quand on en a la facilité, même si ce n’est pas pour attendre un temps où l’on aura encore plus de facilité, mais seulement quand le temps nous met dans une nécessité urgente de nous confesser. Et ce n’est pas en vertu de l’indulgence de l’Eglise, que nous ne sommes pas tenus à nous confesser immédiatement, mais en conséquence de la nature du précepte de la confession, qui est un précepte affirmatif. C’est pourquoi, avant la loi de l’Eglise, on y était moins tenu. Il y a aussi des théologiens qui disent que les séculiers ne sont pas tenus de se confesser avant le temps du carême qui est pour eux le temps de la pénitence, mais que les religieux sont toujours tenus de se confesser immédiatement, parce que tout le temps est pour eux temps de pénitence. Mais il n’en est rien, car les religieux ne sont pas tenus à d’autres choses que les autres hommes, si ce n’est à celles auxquelles ils se sont obligés par vœu et la confession n’en est pas.

Solutions :

1. Hugues de Saint-Victor parle ici de ceux qui meurent sans recevoir le sacrement de pénitence.

2. Il n’y a pas nécessité de salut pour le corps à faire venir immédiatement le médecin, si ce n’est quand la nécessité de soigner le mal devient tout à fait urgente, ainsi en va t-il de la maladie spirituelle.

3. Retenir le bien d’un autre contre sa volonté est une chose contraire à un précepte négatif qui oblige toujours et à tout instant ; c’est pour cela qu’on est toujours obligé de restituer sans délai. Mais il en va tout autrement d’un précepte affirmatif ; celui-ci oblige toujours, mais non pas à tout instant et par conséquent on n’est pas tenu de l’accomplir tout de suite.

 

Article 6 — Est-il possible qu’un pécheur soit dispensé de se confesser ?

Objections :

1. Il semble possible qu’un pécheur soit dispensé de confesser ses péchés à un autre homme. Des préceptes de droit positif, les prélats de l’Eglise peuvent dispenser. Or le précepte de la confession est de droit positif. Donc il est possible que quelqu’un soit dispensé de se confesser.

2. De ce qui est d’institution humaine, l’homme peut dispenser. Mais la confession n’a pas été instituée par Dieu, mais par l’homme, au témoignage de cette parole de l’Ecriture : "Confessez l’un à l’autre vos péchés". Or le pape a le pouvoir de dispenser de tout ce qui a été institué par les apôtres, comme on le voit pour la bigamie. Il peut donc dispenser quelqu’un de la confession.

Cependant :

la pénitence, dont la confession est une partie, est un sacrement nécessaire tout con'le baptême. Or, personne ne pouvant dispenser du baptême, personne ne pourra non plus dispenser de la confession.

Conclusion :

Les ministres de l’Eglise ne sont institués que dans une Eglise déjà divinement fondée. C’est pourquoi l’opération des ministres présuppose la fondation de l’Eglise, comme l’œuvre de la nature présuppose l’œuvre de la création. Or l’Eglise est fondée sur la foi et les sacrements. Il n’appartient donc pas aux ministres de. l’Eglise de poser de nouveaux articles de foi, d’écarter ceux qui sont déjà promulgués, d’instituer de nouveaux sacrements ou de supprimer ceux qui ont été institués ; tout cela relève du pouvoir d’excellence qui n’est dû qu’au Christ, fondement de l’Eglise. C’est pourquoi, de même que le pape ne peut donner une dispense qui permette au catéchumène de faire son salut sans le baptême, ainsi ne peut-il pas donner dispense de la confession, de telle sorte que le pécheur puisse se sauver sans satisfaire à l’obligation qui résulte de la nature même du sacrement de pénitence. Mais il peut dispenser de la confession, en tant qu’elle nous est imposée par un précepte de l’Eglise et permettre qu’un pénitent diffère sa confession au delà du temps fixé par la loi ecclésiastique.

Solutions :

1. Les préceptes de droit divin positif n’obligent pas moins que ceux de droit naturel et, de même qu’on ne peut pas dispenser en matière de droit naturel, on ne le peut pas non plus en matière de droit divin positif.

2. Le précepte de la confession n’a pas été tout d’abord institué par un homme, bien qu’il ait été promulgué par saint Jacques ; mais il est d’institution divine. On ne lit pas, il est vrai, dans l’Ecriture, une mention expresse de cette institution ; mais elle y est annoncée en figure, dans la confession que faisaient, de leurs péchés, à saint Jean-Baptiste, ceux qui se préparaient par son baptême, à la grâce du Christ, et aussi dans le fait que Notre Seigneur a envoyé les lépreux se montrer aux prêtres qui, bien que n’étant pas prêtres du Nouveau Testament, en figuraient cependant le sacerdoce.

 

QUESTION 7 — LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE LA CONFESSION.

 

Il nous faut considérer maintenant ce qu’est la confession dans son essence. Trois questions se posent à ce sujet 1. Saint Augustin a t-il bien défini la confession ? -2. Est-elle un acte de vertu ? -3. Est-elle un acte de la vertu de pénitence ?

 

Article 1 — Saint Augustin donne t-il une bonne définition de la confession ?

Objections :

1. Saint Augustin ne semble pas donner une bonne définition de la confession quand il dit : "La confession est la manifestation d’une maladie cachée, motivée par l’espoir du pardon". La maladie, que doit combattre la confession, est le péché. Or le péché est quelquefois manif donc on ne doit pas appeler cachée la maladie dont la confession est le remède.

2. Le principe de la pénitence est la crainte. Or la confession est partie de la pénitence. Saint Augustin n’aurait donc pas dû donner comme cause à la confession, l’espérance, mais bien plutôt la crainte.

3. Ce qui est, dit sous le secret n’est pas manifesté, mais plutôt scellé. Or le péché que l’on confesse est dit sous le sceau du secret. Le péché n’est donc pas manifesté dans la confession, mais plutôt mis sous secret.

4. On trouve d’autres définitions différentes de celle de saint Augustin. Saint Grégoire nous dit que "la confession des péchés est l’acte par lequel on en découvre et ouvre la blessure". . Certains théologiens disent que la confession est

"la déclaration des péchés faite devant un prêtre conformément à la loi". D’autres enfin la définissent ainsi : "La confession est une accusation sacramentelle du pécheur, qui est déjà satisfaction par la confusion qu’elle cause et par la vertu du pouvoir ecclésiastique des clefs, et qui oblige à l’accomplissement de la pénitence imposée". Il semble donc bien que la définition précitée de saint Augustin, ne contenant pas tous les éléments des autres définitions, n’est pas suffisante.

Conclusion :

Dans l’acte de la confession, il y a plusieurs choses à considérer : 1° la substance même de l’acte constitutif de ce genre d’action qui est une certaine manifestation ; 2° l’objet de cette manifestation, à savoir le péché ; 3° la personne à qui elle se fait, le prêtre ; 4° sa cause, l’espoir du pardon ; 5° son effet, l’absolution d’une partie de la peine et l’obligation de payer l’autre partie. Dans la première définition, celle de saint Augustin, on fait mention de la substance de l’acte dans le mot "manifestation", de l’objet de la confession, dans l’expression "maladie cachée", et de sa cause, quand on dit : "dans l’espoir du pardon". Les autres définitions mentionnent quelques-uns des cinq points distingués plus haut, comme il apparaît à quiconque les considère.

Solutions :

1. Bien que le prêtre puisse quelquefois savoir, en tant qu’homme, le péché du pénitent, il ne le sait pas comme vicaire du Christ. C’est ainsi que le juge peut savoir quelquefois, comme homme, ce qu’il ignore comme juge. C’est au vicaire du Christ que se fait la manifestation.

Ou bien il. faut dire que l’acte extérieur étant manifeste, son principe, l’acte intérieur, reste cependant secret et qu’en conséquence il faut manifester cet acte intérieur.

2. La confession présuppose la charité par laquelle on devient vivant, comme il est dit dans le texte même du livre des Sentences. Mais c’est dans la contrition qu’est donnée la charité, tandis que la crainte servile, qui est sans espérance, précède la charité. Or celui qui a la charité est beaucoup plus sensible à l’espérance qu’à la crainte. Voilà pourquoi on donne comme cause de la confession, plutôt l’espérance que la crainte.

3. En toute confession, le péché est découvert au prêtre et mis, pour les autres, sous le secret de la confession.

4. Il n’est pas nécessaire, dans une définition, de mentionner tout ce qui concourt à l’intégrité de la chose définie. C’est pourquoi l’on trouve certaines définitions ou analyses parlant d’une cause et d’autres en mentionnant une autre.

 

Article 2 — La confession est-elle un acte de vertu ?

Objections :

1. Il semble que la confession ne soit pas un acte de vertu. Tout acte de vertu est de droit naturel, car "c’est la nature qui nous donne l’aptitude aux vertus" comme dit le Philosophe. Or la confession n’est pas de droit naturel. Elle n’est donc pas un acte de vertu.

2. L’acte de vertu convient plus à l’innocent qu’au pécheur. Or cette confession des péchés dont nous parlons ne petit pas convenir à l’innocent. Elle n’est donc pas un acte de vertu.

3. La grâce, qui est dans les sacrements, diffère dune certaine façon de la grâce qui est dans les vertus et les dons. Or la confession est partie d’un sacrement. Elle n’est donc pas un acte de vertu.

Cependant :

Les préceptes de la loi ont pour objet les actes des vertus. Or la confession est objet de précepte. Donc elle est un acte de vertu.

D’ailleurs, nous ne méritons que par nos actes de vertu. Or la confession est méritoire, "puis qu’elle ouvre le ciel" comme dit le texte du Maître. Il semble donc bien qu’elle soit acte de vertu.

Conclusion :

Pour qu’un acte soit dit acte de vertu, il suffit qu’il implique, en ce qui le constitue, quelqu’élément appartenant à la vertu. Or la confession, bien qu’elle n’ait pas tout ce que requiert la vertu implique, en fonction de son nom, la manifestation de ce que nous gardons dans notre conscience, mettant ainsi d’accord la bouche et le cœur. Car si quelqu’un déclare de bouche ce qu’il n’a point dans le cœur, ce n’est plus une confession, mais une fiction. Or c’est bien à la vertu qu’il appartient de faire que quelqu’un confesse de bouche ce qu’il a dans le cœur, La confession est donc quelque chose de génériquement bon, un acte de vertu qui peut cependant devenir pratiquement mauvais, s’il n’est pas revêtu des autres circonstances que requiert l’acte bon.

Solutions :

1. La raison naturelle nous incline en général à faire, de la manière qui convient, comme et quand il le faut, l’aveu de ce que nous devons confesser, et c’est ainsi que la confession est de droit naturel. Mais la détermination des circonstances, du quand et du comment, de ce qu’il faut confesser et de la personne à qui l’aveu doit être fait, tout cela est d’institution de droit divin, dans la confession dont nous parlons. D’où il apparaît que le droit naturel nous incline à la confession, moyennant les déterminations du droit divin, quant aux circonstances. Ainsi en va t-il de toutes les choses de droit positif.

2. Bien que l’innocent puisse avoir, à l’état de disposition habituelle, cette vertu qui a pour objet l’aveu du péché commis, il ne peut pas en avoir l’acte tant que dure son innocence. Voilà pourquoi cette confession des péchés dont nous parlons, ne convient pas à l’innocent, bien qu’elle soit acte de vertu.

3. Bien que la grâce des sacrements ne soit pas celle des vertus, ces deux sortes de grâces ne sont

pas contraires, mais seulement différentes. Il n’y a donc pas d’inconvénient à ce que le même acte soit acte de vertu, en tant qu’il procède du libre arbitre animé par la grâce, et sacrement ou partie (lu sacrement, en tant qu’il est remède employé contre le péché.

 

Article 3 — La confession est-elle un acte de la vertu de pénitence ?

Objections :

1. Il semble que la confession ne soit pas un acte de la vertu de pénitence, car un acte relève de la vertu qui en est cause. Or la confession a pour cause l’espérance du pardon, comme nous le montre la définition qui en a été donnée. Il semble donc qu’elle soit un acte d’espérance et non pas un acte de pénitence.

2. La honte relève de la tempérance. Or c’est par la honte que la confession opère son effet, comme on le voit par la définition donnée plus haut. Elle est donc un acte de tempérance et non pas de pénitence.

3. L’acte de pénitence s’appuie surtout sur la divine miséricorde, tandis que la confession s’appuie sur la divine sagesse, à cause de la sincérité qu’elle requiert ; elle n’est donc pas un acte de pénitence.

4. C’est l’article de la foi au jugement qui nous meut à la pénitence, à cause de la crainte d’où vient la pénitence, tandis que c’est l’article de la foi à la vie éternelle qui nous fait aller à confesse, à cause de l’espérance du pardon. La confession n’est donc pas un acte de pénitence.

5. C’est à la vertu de sincérité qu’il appartient de faire que quelqu’un se montre tel qu’il est. Or voilà précisément ce que fait celui qui se confesse. La confession est donc bien un acte de cette vertu qu’on appelle sincérité et non pas de la pénitence.

Cependant :

La pénitence a pour objet la destruction du péché. Or C’est là précisément l’objet de la confession, qui est donc bien un acte de la pénitence.

Conclusion :

En matière de vertu, il faut considérer que dans le cas où, à l’objet d’une vertu, s’ajoute une nouvelle exigence de bien et de difficulté, l’acte requiert une vertu spéciale. C’est ainsi que les grandes dépenses relèvent de la magnificence, tandis que l’ordinaire des dépenses modestes et des dons est gouverné par la libéralité, comme on le voit aux II° et IV° livres des Ethiques. De même la confession du vrai, bien qu’elle appartienne complètement à la vertu de sincérité, commence à relever aussi d’une autre vertu, quand s’y ajoute quelque nouvelle raison de bien. Voilà pourquoi le Philosophe dit que la confession faite devant les tribunaux n’appartient pas à la vertu de justice, mais plutôt à celle de sincérité. De même la confession des bienfaits de Dieu, dans les divines louanges, n’appartient pas à la vertu de sincérité, mais à celle qui règle le culte d’adoration. Ainsi en est-il de la confession des péchés faite pour obtenir leur rémission ; elle a pour principe immédiat la vertu de pénitence et non pas celle de sincérité, comme le disent quelques-uns, mais elle peut être commandée par beaucoup de vertus, en tant que l’acte de la confession peut être employé au service de la fin de ces vertus.

Solutions :

L’espérance est cause de la confession, non pas comme principe immédiat mais comme cause impérante.

2. La honte n’est pas donnée, dans cette définition, comme une cause de la confession, car, de par son effet naturel, elle est plutôt un obstacle à l’acte de la confession. Mais elle agit comme cause concomitante pour notre libération de la peine du péché, en tant que la honte elle-même est déjà une certaine peine. C’est ainsi que les clefs de l’Eglise sont, elles aussi, causes concomitantes de la confession, pour ce même effet.

3. C’est en vertu d’une certaine accommodation, que les trois parties de la pénitence sont ainsi appropriées aux trois attributs des personnes divines en sorte que la contrition réponde à la miséricorde et à la bonté, parce qu’elle est douleur du mal ; la confession, à la sagesse, parce qu’elle est manifestation de la vérité ; et la satisfaction, à la puissance, à cause du labeur de cette satisfaction. Et comme la contrition est la première partie de la pénitence donnant aux autres parties leur efficacité, on juge de l’ensemble du sacrement comme de la contrition.

4. Comme la confession procède plus de l’espérance que de la crainte, ainsi qu’on l’a dit, elle s’appuie beaucoup plus sur l’article de la vie éternelle qui donne à l’espérance son objet, que sur l’article du jugement, dont la crainte se pré occupe, bien qu’il faille dire le contraire de la pénitence, à cause de la contrition.

5. La réponse à la cinquième objection se trouve dans l’exposé de la conclusion.

 

QUESTION 8 — LE MINISTRE DE LA CONFESSION.

Au sujet du ministre de la confession dont nous avons maintenant à parler, sept questions se posent : 1° Est-il nécessaire de se confesser à un prêtre ? -2° Est-il permis en certains cas, de se confesser à d’autres qu’à des prêtres ? -3° Est-ce qu’en dehors du cas de nécessité, quelqu’un qui n’est pas prêtre, peut entendre la confession des fautes vénielles ? -4° Est-il nécessaire qu’un homme se confesse à son propre prêtre ? -° Peut-il le faire en vertu d’un privilège ou du mandat d’un supérieur ? -6° Est-ce que le pénitent, au dernier instant de sa vie, peut être absous par n’importe quel prêtre ? -7° Est-ce que la peine temporelle à imposer doit être proportionnée à la faute ?

 

Article 1 — Est-il nécessaire de se confesser à un prêtre ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de se confesser à un prêtre. Nous ne sommes obligés à la confession qu’à raison de son institution divine Mais, dans le texte sacré o cette divine institution nous est proposée "Con fessez l’un à l’autre vos péchés", il n’est fait aucune mention du prêtre. Il n’est donc pas obligatoire de se confesser au prêtre.

2. La pénitence est un sacrement aussi nécessaire que le baptême. Or, à cause de cette nécessité, tout homme peut être ministre du baptême, donc aussi de la pénitence ; et comme c’est au ministre qu’on doit se confesser, il suffit de se confesser à n’importe qui.

3. La confession est nécessaire à cause de la détermination de la mesure de satisfaction à imposer au pénitent. Or tel homme qui n’est pas prêtre pourrait p déterminer plus sagement que beaucoup de prêtres la mesure de la satisfaction. Il n’est donc point nécessaire que la confession se fasse à un prêtre.

4. La confession a été instituée dans l’Eglise, pour que les recteurs des paroisses "connaissent le visage de leurs brebis". Or quelquefois ces recteurs ou prélats ne sont pas prêtres. Lu confession ne doit donc pas se faire toujours à un prêtre.

Cependant :

L’absolution du pénitent à cause de laquelle se fait la confession, n’est donnée que par des prêtres auxquels a été confié le pouvoir des clefs. C’est donc aux prêtres que doit se faire la confession.

D’ailleurs la confession est préfigurée dans la résurrection de Lazare. Or c’est seulement aux disciples que Notre Seigneur a commandé de délier Lazare, comme on le lit en saint Jean, xi. C’est donc aux prêtres qu’il faut se confesser.

Conclusion :

La grâce, qui est donnée dans les sacrements, descend de la tête, dans les membres. Celui-là seul est donc ministre des sacrements qui a pouvoir ministériel sur le vrai corps du Christ. Or cela n’appartient qu’au prêtre qui peut aussi consacrer l’Eucharistie. La grâce étant donc conférée dans le sacrement de pénitence, le prêtre seul en est le ministre, et c’est en conséquence à lui seul, que doit se faire la confession sacramentelle, puisqu’elle doit être faite à un ministre de l’Eglise.

Solutions :

1. La parole de saint Jacques présuppose l’institution divine. Elle n’a été dite qu’après que la confession aux prêtres a été divinement instituée, quand le pouvoir de remettre les péchés leur a été donné en la personne des apôtres, comme on le voit en saint Jean. Il faut donc entendre d’une confession à faire aux prêtres, l’avertissement de saint Jacques.

2. Le baptême est un sacrement plus nécessaire que la pénitence quant à ses deux parties de la confession et de l’absolution. Quelquefois en effet le baptême ne peut pas être omis sans péril pour le salut éternel, comme on le voit dans le cas des enfants qui n’ont pas l’usage de la raison. Il n’en va pas de même de la confession et de l’absolution qui ne se donnent qu’aux adultes chez lesquels la contrition avec la résolution de se confesser et le désir de l’absolution peuvent suffire à libérer de la mort éternelle. Il n’y a donc pas similitude sur ce point entre le baptême et la confession.

3. On ne doit pas considérer seulement, dans la satisfaction, la quantité de la peine, mais encore sa vertu expiatrice en tant qu’elle est partie du sacrement. C’est à ce dernier titre, qu’elle requiert que dispensateur des sacrements, bien que la quantité de la peine puisse être déterminée par un autre que par un prêtre.

4. Connaître le visage de la brebis peut être nécessaire pour deux motifs. Cette connaissance peut être d’abord nécessaire pour sa bonne mise en place dans le troupeau du Christ ; c’est à ce titre que la connaissance du visage des brebis relève de la charge et de la sollicitude pastorales et il arrive parfois que cette charge incombe à des clercs qui ne sont pas prêtres. Mais elle est encore nécessaire à celui qui doit donner à la brebis la médecine de salut qui lui convient. C’est à ce titre que la connaissance du visage de la brebis est due au prêtre à qui il appartient de donner le remède du salut, le sacrement d’Eucharistie et les autres sacrements. Cette connaissance est une des fins de la confession.

 

Article 2 — Est-il permis, en certains cas, de se confesser à d’autres qu’à des prêtres ?

Objections :

1. Il semble qu’en aucun cas il ne soit permis de se confesser à d’autres qu’à des prêtres. La confession, d’après la définition donnée précédemment, est une accusation sacramentelle. Or la dispensation d’un sacrement n’appartient qu’à celui qui est ministre du sacrement. En con séquence, le ministre propre du sacrement de pénitence étant le prêtre, il semble qu’on ne doive jamais se confesser à aucun autre.

2. En tout jugement, la confession se fait pour obtenir une sentence. Or, au for contentieux, la sentence portée par celui qui n’est pas le juge de l’accusé est nulle et, en conséquence, on ne doit faire d’aveu qu’au juge. Mais, au for de la conscience, il n’y a pas d’autre juge que le prêtre qui a pouvoir de lier et de délier. On ne doit donc pas se confesser à d’autres.

3. Le baptême, parce qu’il peut être donne par tout le monde, ne doit pas être renouvelé par un prêtre, s’il a été donné par un laïque, même sans nécessité. Or si quelqu’un se confesse à un laïque en cas de nécessité, il est tenu de renouveler sa confession au prêtre, s’il sort de ce danger. C’est donc que la confession ne doit pas être faite à un laïque.

Cependant :

Le Maître des Sentences dit le contraire : "Il faut chercher un prêtre sage et discret qui puisse juger avec autorité. S’il fait défaut, on doit se confesser son compagnon".

Conclusion :

La pénitence est un sacrement nécessaire comme le baptême. Or le baptême, parce qu’il est sacrement nécessaire, a deux sortes de ministres, un ministre qui a charge officielle de baptiser, à savoir le prêtre et un autre ministre auquel l’administration du baptême est confiée en cas de nécessité. Il en est de même de la pénitence. Le ministre officiel auquel on doit faire la confession est le prêtre. Mais en cas de nécessité, un laïque peut remplacer le prêtre et entendre la confession.

Solutions :

1. Le sacrement de pénitence n’est pas seulement constitué par ce qui vient du ministre avec l’absolution et l’imposition de la pénitence mais aussi par ce qui vient de celui qui reçoit le sacrement, et ces actes du pénitent, comme la contrition et la confession, sont aussi de l’essence du sacrement. Pour ce qui est de la satisfaction, elle a son principe dans l’acte du ministre qui l’impose et s’achève par l’acte du pénitent qui l’accomplit. La plénitude du sacrement requiert le concours du ministre et du pénitent, quand cela est possible. Mais quand il y a pressante nécessité, le pénitent doit poser les actes qui lui appartiennent, c’est-à-dire un acte de contrition et se confesser à qui il peut. Si ce confesseur ne peut point parfaire le sacrement, en donnant l’absolution qui est l’acte réservé au prêtre, le souverain prêtre supplée et cette confession faite à un laïque, à défaut de prêtre, est encore d’une certaine façon sacramentelle, bien qu’elle ne soit pas un sacrement complet, parce qu’il lui manque ce qui doit venir du prêtre.

2. Bien que le laïque ne soit pas juge de celui dont il entend la confession, cependant par raison de nécessité, il reçoit vraiment pouvoir de juger le pénitent qui se soumet à lui en lui faisant sa confession, à défaut du prêtre désiré.

3. Par les sacrements, l’homme ne doit pas seulement se réconcilier avec Dieu, mais encore avec l'Eg1ise. Or il ne peut se réconcilier avec l’Eglise que la sanctification de l’Eglise arrive jusqu’à lui. Dans le Baptême, la sanctification de l’Eglise arrive à l’homme par la matière d signe extérieur sanctifiée par "la parole de vie" prononcée selon la formule de l’Eglise quelque soit celui qui donne le baptême. Voilà. pourquoi le baptême une fois reçu ne doit pas être renouvelé, quel que soit celui qui l’a donné. Dans la Pénitence, au contraire, la sanctification de l’Eglise ne parvient à l’homme que par le ministre, parce qu’il n’y a pas, dans ce sacrement, de matière corporelle extérieurement employée pour conférer, en vertu de sa consécration, une grâce invisible. En conséquence, celui qui, s’étant confessé à un laïque, en cas de nécessité, a obtenu son pardon de Dieu, parce qu’il a réalisé comme il a pu sa résolution de se confesser selon l’ordre de Dieu, n’est pas encore réconcilié avec l’Eglise, de telle sorte qu’il puisse être admis aux sacrements de l’Eglise, avant d’avoir été absous par un prêtre. Il en est de son cas comme du cas de celui qui, n’étant baptisé que du baptême de désir, n’est pas admis à la sainte communion. Il faut donc qu’il se con fesse de nouveau à un prêtre, quand il en aura la facilité, étant donné surtout que le sacrement n’a pas été parfait, comme on l’a, dit, et qu’il doit l’être, pour qu’on reçoive l’effet plénier du sacrement complet et qu’on accomplisse la loi qui prescrit de recevoir le sacrement de Pénitence.

 

Article 3 — Est-ce qu’en dehors du cas de nécessité quelqu’un qui n’est pas prêtre, peut entendre la confession des péchés véniels ?

Objections :

1. Il semble qu’en dehors du cas de nécessité, on ne puisse pas, sans être prêtre, entendre la confession des péchés véniels. L’administration du sacrement ne doit être confiée au laïque qu’en cas de nécessité Or la confession des péchés véniels n’est pas de nécessité. Un laïque n’a donc jamais charge de l’entendre.

2. L’Extrême onction a pour fin la rémission des péchés véniels, tout comme la Pénitence. Or elle ne peut pas être donnée par un laïque, comme on le voit par la parole de saint Jacques. On ne peut donc pas non plus se confesser à un laïque.

Cependant :

Le texte du Maître cite le témoignage de Bède pour l’opinion contraire.

Conclusion :

Le péché véniel ne nous sépare ni de Dieu, ni de l’Eglise. Nous n’avons donc pas besoin, pour son pardon, de recevoir à nouveau la grâce sanctifiante, ni d’être réconciliés avec l’Eglise, et en conséquence il n’est pas requis que nous confessions à un prêtre nos péchés véniels. Or comme la confession faite à un laïque est elle-même quelque chose de sacramentel, bien qu’elle ne soit pas un sacrement achevé, et comme elle est aussi un acte procédant de la charité, elle est du genre de ces actes qui, de par leur nature, sont moyens de rémission du péché véniel, ainsi qu’il en va de l’acte de se frapper la poitrine, et de l’aspersion de l’eau bénite.

Solutions :

1. La rémission des péchés véniels n’exige pas la réception d’un sacrement. Les sacramentaux, l’eau bénite ou autre rite de ce genre y suffisent.

2. L’Extrême onction pas plus qu’aucun autre sacrement n’a comme objet direct et principal la rémission des péchés véniels.

 

Article 4 — Est-il nécessaire qu’on se confesse à son propre prêtre ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de se confesser à son propre prêtre. Saint Grégoire, en effet, nous dit : "Par autorité apostolique et par devoir de piété, nous avons établi qu’aux prêtres moines représentant les apôtres, il serait permis de prêcher, de baptiser, de donner la communion, de prier pour les pécheurs, d’imposer la pénitence et d’absoudre les péchés", Or les moines ne sont les propres prêtres de personne, puisqu’ils n’ont pas charge d’âme ; et comme c’est pour l’absolution que se fait la confession, il semble donc qu’elle se fasse à un Prêtre quelconque.

2. Le prêtre est ministre de la Pénitence, comme de l’Eucharistie. Or, n’importe quel prêtre pouvant consacrer l’Eucharistie, tout prêtre peut aussi administrer le sacrement de Pénitence et en conséquence, il n’est pas nécessaire que la confession se fasse au propre prêtre.

3. Ce qui nous est imposé de façon déterminée n’est plus laissé à notre choix. Or c’est à nous qu’est confié le choix d’un confesseur discret, comme on le voit par ces paroles de saint Augustin : "Que celui qui veut confesser ses péchés pour trouver la grâce, cherche un prêtre qui sache absoudre et lier". Il ne semble donc pas nécessaire que l’on se confesse à son propre prêtre.

4. Il y en a qui n’ont pas de propre prêtre, n’ayant pas de supérieur, tels le Pape et les prélats. Ils sont cependant tenus de se confesser. C’est donc que l’homme n’est pas toujours obligé de se confesser, à son propre prêtre.

5. "Ce qui a été institué pour la charité ne doit pas devenir une arme contre la charité", nous dit saint Bernard. Or la confession, qui a été instituée pour la charité serait une arme contre la charité, si l’on était tenu de se confesser à son propre prêtre, par exemple, dans les cas suivants : si le pénitent sait que son prêtre'est hérétique, ou qu’il sollicite ses pénitents au péché, ou qu’il est fragile, incliné lui-même à commettre les péchés qu’on lui accuse, ou s’il pense que ce confesseur révèlera probablement les péchés confessés, ou si c’est contre ce confesseur qu’a été commis le péché qu’on doit accuser. Il semblé donc que l’on ne doive pas toujours se confesser à son propre prêtre.

6. En ce qui est nécessaire au salut, il ne faut pas mettre les hommes à l’étroit, de peur de leur fermer la voie du salut. Or il semble que ce soit une obligation fort étroite de n’avoir qu’un homme auquel on doive nécessairement se con fesser. Pareille obligation pourrait éloigner de la confession beaucoup d’hommes, soit par crainte, soit par honte, soit pour quelqu’autre motif de ce genre, et la confession étant de nécessité de salut, on ne doit pas, semble t-il, imposer aux fidèles cette étroite obligation de la confession au propre prêtre.

Cependant :

Il y a un décret d’Innocent III prescrivant "que tous les fidèles de l’un et l’autre sexe se confessent une fois par an à leur propre prêtre".

D’ailleurs, le prêtre est, pour sa paroisse, ce que l’évêque est pour son diocèse, Or, d’après les règlements canoniques, il n’est pas permis à un évêque d’exercer son office épiscopal dans le diocèse d’un autre évêque. Il n’est donc pas permis non plus à un prêtre d’entendre la confession du paroissien d’un autre prêtre.

Conclusion :

Dans les autres sacrements, celui qui les demande n’a pas autre chose à faire qu’à recevoir, comme on le voit par le baptême et les sacrements de même genre. L’activité du su n’est requise que pour la perception du fruit du sacrement dans celui qui, en possession de son libre arbitre, doit écarter l’obstacle du mensonge du péché. Dans le sacrement de Pénitence, au contraire, les actes de celui qui s’approche du saint Tribunal appartiennent à la substance même du sacrement. La contrition, la confession, qui sont parties du sacrement de Pénitence, sont des actes du pénitent. Or nos actes ayant leurs principes en nous-mêmes, ne peuvent dépendre d’un autre (et devenir ainsi sacramentels) que si cet autre nous les commande. Il faut donc que celui qui est constitué ministre du sacrement soit qualifié pour pouvoir nous commander. Or celui-là seul peut nous commander qui a sur nous juridiction. Ce sacrement requiert donc, de toute nécessité, que son ministre ait non seulement le pouvoir d’Ordre, mais aussi celui de 1a juridiction. En conséquence, de u que celui qui n’est pas prêtre ne peut pas conférer le sacrement, ainsi celui qui n’a. pas juridiction ne le peut-il pas non plus. C’est pour cela que le confesseur doit être le propre prêtre du pénitent, tout, comme il doit être prêtre ; car le prêtre ne donnant l’absolution qu’en nous obligeant à faire quelque chose, celui-là seul peut absoudre dont le commandement peut nous obliger.

Solutions :

1. Saint Grégoire parle ici des moines qui ont juridiction, en tant que chargés du soin d’une paroisse et dont quelques-uns disaient qu’étant moines ils ne pouvaient pas absoudre, ni imposer des pénitences, ce qui est faux.

2. Le sacrement d’Eucharistie ne requiert pas que son ministre ait pouvoir sur un autre homme, tandis qu’il en va tout autrement de la pénitence, ainsi qu’on l’a dit. C’est, pourquoi l’on ne peut conclure de l’un à l’autre. Et cependant il n’est pas (toujours) permis de recevoir la Sainte Eucharistie d’une autre main que de celle de son propre prêtre, bien que la communion reçue d’un autre prêtre soit un vrai sacrement.

3. Le choix d’un prêtre discret n’est pas abandonné à notre arbitraire, mais il nous est concédé Iar le supérieur pour le cas où le propre prêtre serait moins apte à nous présenter le salutaire remède du péché.

4. Parce que les prélats sont chargés d’administrer les sacrements, ce qu’ils ne doivent faire qu’en état de pureté, le droit leur a concédé le pouvoir de se choisir leurs propres prêtres con fesseurs qui, sur ce point, deviennent leurs supérieurs. C’est ainsi qu’un médecin est soigné par un autre médecin, non pas en tant que médecin, mais comme malade.

5. Dans ces cas où le pénitent craint que -la confession faite à son propre prêtre ne le mette lui-même ou le prêtre, en péril, il doit recourir au supérieur et demander la permission de se con fesser à un autre. S’il ne peut- avoir cette permission, il faut juger de son cas comme du cas de celui qui n’a pas de confesseur à sa disposition ; mieux vaut qu’il choisisse un laïque auquel il fera sa confession. Il n’y a pas, en pareil cas, transgression du précepte de l’Eglise, car les préceptes du droit positif ne dépassent pas l’intention de celui qui les fait, intention qui est là fin du précepte, la charité, au témoignage de S. Paul. Il n’y a pas non plus en cela violation des droits du prêtre, car -celui-ci mérite de perdre son privilège, quand il abuse du pouvoir qui lui a été accordé.

6. L’obligation de se confesser à son propre prêtre ne rend pas trop étroite la voie du salut, mais la fait suffisamment large. Cependant ce serait un péché pour le prêtre de ne pas se montrer facile à donner la permission de se con fesser à d’autres. Beaucoup en effet sont si faibles qu’ils mourraient sans confession plutôt que de se Confesser à tel prêtre déterminé. C’est pourquoi ceux qui sont trop préoccupés de connaître, par la confession, les consciences de leurs sujets, tendent "un lacet" de damnation à beaucoup d’âmes et par conséquent à eux-mêmes.

 

Article 5 — Peut-on, par privilège ou par ordre du supérieur, se confesser à un autre qu’à son propre prêtre ?

Objections :

1. Il semble que personne ne puisse se confesser à un autre qu’à son propre prêtre, même en vertu d’un privilège ou du mandat d’un supérieur. Aucun privilège ne peut être accordé au préjudice du droit d’un tiers. Or ce serait au préjudice des droits du propre prêtre, qu’une de ses ouailles se confesserait à un autre prêtre. Cette liberté ne peut donc être obtenue, ni par privilège, ni par permission ou mandat d’un supérieur.

2. Ce qui s’oppose à l’accomplissement d’un ordre divin, ne peut être concédé par mandat ou privilège d’aucun homme. Or c’est un ordre divin que les recteurs des églises "apprennent à con naître le visage de leurs brebis" et c’est y mettre obstacle que de laisser d’autres prêtres entendre les confessions de ces brebis. Cela ne peut donc être autorisé par privilège au mandat d’aucun homme.

3. Le confesseur est le propre juge de celui dont il entend la confession, autrement il -ne pourrait ni lier, ni délier. Mais il ne peut pas y avoir pour un seul homme plusieurs propres prêtres ou juges, car alors cet homme serait tenu d’obéir à plusieurs supérieurs, ce qui deviendrait impossible, au cas où ceux-ci commanderaient des choses contraires ou qui ne soient pas possibles en même temps. On ne peut donc se confesser à d’autres qu’à son propre prêtre, même en vertu de la permission d’un supérieur.

4 ; C’est faire injure au sacrement ou tout du moins poser un acte inutile, que renouveler le sacrement sur une même matière. Mais celui qui s’est confessé à un autre prêtre doit renouveler sa confession à son propre prêtre, si celui-ci le demande, puisqu’il n’est pas délié du devoir d’obéissance qui l’oblige à cette confession. Il ne peut donc pas être permis de se confesser à un autre qu’à son propre prêtre.

Cependant :

Les fonctions, qui dépendent d’un ordre sacré, peuvent être confiées par celui qui peut les remplir à quiconque a le même degré d’Ordre. Or un supérieur, tel l’évêque, peut entendre la confession de celui qui est paroissien d’un simple curé, puisque parfois il se réserve certains cas, à raison de son autorité supérieure. Il peut donc confier à un autre prêtre le service qu’il exerce par lui-même.

D’ailleurs, ce que peut l’inférieur, le Supérieur le peut aussi. Or le simple prêtre peut donner à son paroissien la permission de se Confesser un autre prêtre, à plus forte raison son supérieur le peut-il.

Enfin, l’autorité que le prêtre a sur le peuple, il la tient de l’évêque, et c’est en vertu de cette autorité, qu’il peut entendre les confessions. La même délégation d’autorité aura la même valeur pour un autre prêtre auquel l’évêque la concédera.

Conclusion :

Un prêtre peut être empêché d’entendre les confessions pour deux raisons : 1° par défaut de juridiction ; 2° à cause d’un empêchement lui interdisant l’exercice de son ordre, comme serait l’excommunication, la dégradation ou quelque peine de ce genre. Mais qui conque a juridiction peut confier à un délégué l’exercice de cette juridiction. En conséquence, si c’est par défaut de juridiction, qu’un prêtre ne peut pas entendre la confession d’un pénitent, il peut recevoir la juridiction dont il a besoin pour confesser et absoudre, de celui qui a juridiction immédiate sur ce pénitent, soit du curé, soit de l’évêque, soit du Pape. Si, au contraire, c’est à cause d’un empêchement à l’exercice de son ordre que le prêtre ne peut pas confesser, ce pouvoir peut lui être rendu par celui qui peut enlever l’empêchement.

Solutions :

1. On ne porte préjudice à quelqu’un, qu’en lui enlevant ce qui lui a été donné dans son propre intérêt. Or le pouvoir de juridiction n’est confié à aucun homme en vue de son propre intérêt, mais pour l’utilité du peuple et l’honneur de Dieu. Si donc des prélats supérieurs jugent qu’il est bon pour le salut du peuple et l’honneur de Dieu, de confier à d’autres l’exercice de certains actes de juridiction, ils ne portent aucun préjudice aux prélats inférieurs, si ce n’est à ceux "qui cherchent leur propre intérêt et non point celui de Jésus-Christ" et qui conduisent le troupeau, "non pour le faire paître, mais pour s’en faire nourrir"

2. Le recteur d’une église doit apprendre à con naître le visage de ses brebis de deux façons. Il doit tout d’abord considérer leur tenue extérieure avec cette sollicitude qui doit le faire veiller au troupeau qui lui est confié ; et pour cette connaissance, il ne doit pas s’en rapporter à ce que lui dit sa brebis, mais chercher à obtenir, autant qu’il le peut, une connaissance certaine du fait extérieur. L’autre connaissance lui arrive par les aveux de la confession ; et, quant à cette connaissance, il ne peut pas obtenir une certitude plus grande que celle que peut lui donner la foi à la parole de son pénitent, puisque c’est la con science de ce pénitent qu’il s’agit de secourir. En conséquence, au for de la confession, on doit croire au témoignage humain du pénitent, soit qu’il s’excuse, soit qu’il s’accuse, règle qui ne vaut pas au for extérieur. Il suffit donc, pour cette connaissance du for intérieur, que le supérieur croie à son sujet lui disant qu’il s’est confessé à un autre prêtre ayant pouvoir de l’absoudre.

D’où l’on voit qu’une connaissance de ce genre n’est point empêchée par le privilège con cédé à un autre prêtre pour l’audition des confessions.

3. Il y aurait inconvénient à ce qu’un même peuple eût à obéir à deux autorités égales, mais si les autorités ne sont pas égales, il n’y a plus d’inconvénient. En vertu de ce principe, le curé, l’évêque et le Pape ont autorité immédiate sur le même peuple, et chacun d’eux peut déléguer à un autre l’exercice de sa propre juridiction. Mais si c’est un supérieur de degré plus élevé qui délègue, il peut le faire de deux façons. Il peut faire du délégué, son vicaire, et c’est ainsi que le Pape et l’évêque constituent leurs pénitenciers. De tels vicaires ont plus de pouvoir que les prélats inférieurs ; le pénitencier papal a plus de pouvoir que l’évêque, le pénitencier épiscopal en a plus que le prêtre de paroisse, et leur autorité s’impose davantage à leurs pénitents. Autres sont les délégués donnés comme coadjuteurs au prêtre de paroisse. Le coadjuteur étant mis au service de celui auquel on l’a donné comme aide, n’a qu’une autorité secondaire et en conséquence le pénitent n’est pas aussi tenu de lui obéir qu’au propre prêtre.

4. Personne n’est tenu de confesser des péchés qu’il n’a pas. Si donc on s’est confessé à un pénitencier épiscopal, ou à un autre prêtre délégué aux confessions par l’évêque, les péchés étant remis devant Dieu et devant l’Eglise, on n’est plus tenu de les confesser à son propre prêtre, quelles que soient ses demandes. cependant à cause de la loi de l’Eglise qui nous demande de nous confesser une fois l’an à notre propre prêtre, celui qui s’est déjà confessé à un autre doit se comporter comme celui qui n’a que des péchés véniels. Il doit, ou confesser simplement des péchés véniels, comme le disent certains théologiens, ou bien déclarer simplement qu’il n’a pas de péché mortel, et le prêtre est tenu de le croire, au for intérieur. Si même il était encore tenu de se confesser, sa première confession n’aurait pas été inutile, car la remise de la peine du péché est d’autant plus complète qu’on répète plus souvent sa confession à différents prêtres, soit à cause de la honte de l’aveu qui est comptée comme peine satisfactoire, soit à raison de la vertu des clefs dans l’absolution. D’où il pourrait arriver qu’un pénitent répétât assez souvent sa confession pour être délivré de toute peille. Cette répétition ne fait pas injure au sacrement, quand il ne s’agit pas d’un sacrement imprimant. un caractère, ou consacrant une chose matérielle, ce qu’on n’a pas dans la pénitence. Il est donc bon que celui qui entend une confession par délégation de l’autorité épiscopale, invite son pénitent à se confesser au propre prêtre, mais en cas de refus, il doit tout de même l’absoudre.

 

Article 6 — Tout prêtre peut-il absoudre un pénitent à l’article de la mort ?

Objections :

1. Il ne semble pas que tout prêtre puisse absoudre un pénitent à l’article de la mort. Pour donner l’absolution, il faut une juridiction ; or le prêtre n’acquiert pas juridiction sur le pénitent, du fait que celui-ci est à l’agonie ; il ne peut donc pas l’absoudre.

2. Celui qui reçoit le baptême d’un autre que de son propre prêtre, à l’article de la mort, n’a pas à se faire rebaptiser par son curé. Si donc tout prêtre pouvait absoudre à l’article de la mort de n’importe quel péché, le pénitent ne devrait pas, en cas de guérison, se confesser de nouveau à son propre prêtre ; ce qui est faux, car alors ce prêtre n’aurait pas la connaissance du visage de sa brebis.

3. A l’article de la mort, le laïque a la permission de baptiser tout comme le prêtre étranger. Mais le laïque ne peut jamais absoudre ; le prêtre ne le peut donc pas non plus pour celui qui n’est pas son sujet.

Cependant :

La nécessité spirituelle est plus exigeante que celle du corps. Or, en cas d’extrême nécessité, on peut subvenir aux besoins de son corps en se servant du bien des autres, même contre la volonté des légitimes propriétaires. On peut donc aussi, à l’article de la mort, pour subvenir à une nécessité spirituelle, donner l’absolution, sans être le propre prêtre du pénitent. C’est d’ailleurs ce que demandent les témoignages cités par le Maître des Sentences.

Conclusion :

Tout prêtre, pour ce qui est du pouvoir des clefs, a puissance sur tous les fidèles et quant à tous les péchés sans distinction. S’il ne peut pas absoudre de tous les péchés, c’est parce que, de par une loi de l’Eglise, il n’a qu’une juridiction limitée ou n’en a pas du tout. Mais comme la nécessité n’a pas de loi, si le cas de nécessité se présente, la loi de l’Eglise n’empêche plus que le prêtre absolve même sacramentellement, dès lors qu’il a la puissance des clefs, et cette absolution du prêtre étranger vaut autant que celle du propre prêtre. Et non seulement tout prêtre peut alors absoudre du péché, mais il peut absoudre aussi de l’excommunication, quel que soit celui qui l’a portée, car cette absolution relève aussi de la juridiction dont la limite vient d’une loi ecclésiastique.

Solutions :

1. On peut se servir de la juridiction d’un autre ; avec son consentement, puisqu’il peut en déléguer l’exercice. En conséquence, du fait que l’Eglise accepte que tout prêtre puisse absoudre à l’article de la mort, on a, pour ce cas, l’usage de la juridiction, bien qu’on n’ait pas la juridiction elle-même.

2. Ce pénitent n’a pas à recourir à son propre prêtre pour se faire absoudre à nouveau des péchés dont il a reçu l’absolution à l’article de la mort, mais seulement pour lui faire connaître qu’il est absous. De même, une fois absous de l’excommunication, il n’a pas à demander une seconde fois l’absolution au juge qui avait pouvoir de l’absoudre, mais à lui offrir satisfaction.

3. C’est de la sanctification de sa matière, que le baptême reçoit son efficacité ; voilà pourquoi on reçoit le sacrement, quel que soit celui qui le confère. Mais c’est la consécration du ministre qui donne au sacrement de pénitence sa vertu. De là vient que celui qui se confesse à un laïque, bien qu’il fasse de son côté tout ce qu’il peut pour la confession sacramentelle, n’obtient cependant pas l’absolution sacramentelle. Cette confession lui vaut donc une diminution de peine, de par le mérite et la peine de la confession, mais il n’obtient pas cette diminution de peine qui vient de la vertu 1es clefs ; en conséquence il doit de nouveau se confesser à un prêtre, et celui qui meurt, s’étant confessé à un laïque, recevra, après cette vie, une peine plus grande que s’il s’était confessé à un prêtre.

 

Article 7 — La peine temporelle à imposer doit-elle être proportionnée à la gravité de la faute ?

Objections :

1. Il semble que la peine temporelle, dont la dette demeure après la pénitence, ne doive pas être mesurée d’après la gravité de la faute. Elle se mesure en effet au degré de plaisir qu’on a pris au péché, comme on le voit par l’Apocalypse "Donnez-lui autant de tourments et de larmes qu’il s’est donné de gloire et de jouissances". Or il arrive quelquefois qu’il y a faute moins grave où il y a plus grande jouissance, car, nous dit saint Grégoire, "les péchés de la chair ont plus de jouissances que ceux de l’esprit et moins de culpabilité". La peine n’est donc pas mesurée au degré de la faute.

2. L’obligation d’expier qu’entraîne le péché mortel est la même dans la loi nouvelle que dans l’ancienne loi. Or, dans l’ancienne loi, on devait une pénitence de sept jours pour le péché, c’est-à-dire qu’on était tenu pour impur pendant sept jours, pour un seul péché mortel. Si donc sous la loi du nouveau Testament, on impose une pénitence de sept ans pour un seul péché mortel, c’est que la gravité de la peine n’est pas, semble t-il, mesurée à la gravité de la faute.

3. Le péché d’homicide chez un laïque est plus grand que le péché de fornication dans un prêtre, car la qualification mauvaise que l’acte reçoit de l’espèce du péché pèse plus lourdement que celle qui lui vient de la condition personnelle du pécheur. Or, d’après les canons, on impose sept ans de pénitence à un laïque pour l’homicide et dix ans à un prêtre pour la fornication. C’est donc que la peine n’est pas mesurée à la gravité de la faute.

4. Très grand péché est celui que l’on commet contre le corps du Christ car le péché est d’autant plus grave que plus grand est celui contre lequel on pèche. Or pour avoir répandu le sang du Christ contenu dans le sacrement de l’autel, on n’a qu’une pénitence de quarante jours ou un peu plus, tandis que pour une simple fornication, les canons imposent une pénitence de sept ans. La gravité de la peine ne répond donc pas à la gravité de la faute.

Cependant :

On lit dans Isaïe : "En exacte mesure quand elle aura été humiliée, je la jugerai". La gravité de la sentence et de la punition du péché répond donc à la gravité de la faute.

D’ailleurs, c’est par la peine infligée, que l’on est ramené à l’égalité exigée par la justice. Or il n’en serait pas ainsi, si la gravité de la faute et celle de la peine n’étaient pas en correspondance.

Conclusion :

La peine, après le pardon de la faute, est exigée pour deux motifs, pour l’acquit de la dette du péché et comme remède. On peut donc, dans la fixation de la peine, considérer ces deux points de vue. A considérer d’abord la dette de peine, il faut dire que la gravité de la peine correspond en principe à la gravité de la faute, avant que celle-ci ne soit atteinte par le bienfait de la rémission. Mais selon qu’est plus ou moins grande la mesure de rémission apportée par le premier des actes qui sont, de par leur nature, ordonnés à la remise de la peine, il en reste moins à expier par les autres. Plus la contrition a remis de peine, moins il en reste à remettre par la confession.

En second lieu, il faut considérer la peine en tant qu’elle est remède pour celui qui a péché ou pour les autres. De ce chef, on peut imposer quelquefois une pénitence plus grave pour un moindre péché, soit parce qu’il est plus difficile de résister à la mauvaise inclination de tel pécheur que de tel autre, et c’est ainsi que pour la fornication, on impose à un jeune homme une peine plus grave qu’à un vieillard, bien qu’il soit moins coupable ; soit parce que le péché est plus dangereux, comme c’est le cas pour le prêtre ; soit parce que la multitude est très inclinée à ce péché et que la peine imposée à celui qui l’a commis en détournera les autres.

Il faut donc tenir compte de l’un et l’autre point de vue, quand on doit fixer la peine au tribunal de la -pénitence et par conséquent ne pas toujours imposer une peine plus grave pour un péché plus grave. Il n’y a d’ailleurs que la peine du purgatoire qui soit exclusivement expiatrice, puisqu’il n’y a plus de possibilité de pécher à l’avenir ; et c’est pourquoi Cette peine ne sera mesurée qu’à la gravité du péché, en tenant compte cependant de la mesure d’expiation déjà donnée par la contrition, la confession et l’absolution ; car en tous ces actes, il y a déjà une certaine rémission de la peine, ce dont le prêtre doit tenir compte dans l’imposition de la pénitence.

Solutions :

1. En ces paroles de l’Apocalypse, il est question de deux éléments du côté de la faute, de glorification et de délices ou jouissance. Le premier relève de cette exaltation du moi qui fait que le pécheur résiste à Dieu. Le second appartient à la mauvaise jouissance qu’apporte le péché. Or, bien que la jouissance puisse être moindre dans une faute plus grave, l’exaltation du moi y est toujours plus grande. La- raison donnée dans l’objection est donc sans valeur concluante.

2. Cette pénitence de sept jours n’était pas une expiation de la peine due au péché, et le pécheur qui serait mort après ces sept jours aurait encore été puni au Purgatoire, mais c’était une expiation de l’irrégularité, comme tous les Sacrifices légaux pouvaient la donner. Néanmoins il reste vrai que, toutes choses égales d’ailleurs, le péché de l’homme est plus grave dans la loi Nouvelle que dans l’Ancienne, à cause de la sanctification plus grande reçue au baptême et des bienfaits meilleurs offerts par Dieu au genre humain. Nous en avons le clair témoignage dans ces paroles de l’Epître aux Hébreux : "Combien plus graves, pensez- vous, seront les supplices mérités par celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu et en sera venu à profaner le sang du Testament dans lequel il a été sanctifié ?"

Il n’est d’ailleurs pas vrai qu’il soit de règle universelle d’exiger une pénitence de sept ans pour n’importe quel péché mortel ; c’est là une sorte de règle commune convenant à la plupart des cas, mais qu’on ne doit pas toujours appliquer, si l’on considère la diversité des péchés et celle des circonstances dans lesquelles se trouve le pénitent.

3. Les péchés de l’évêque et du prêtre sont plus dangereux pour eux et pour les autres. C’est pourquoi les saints canons ont plus souci de retirer du péché le prêtre que les autres, et infligent une peine plus grande en tant qu’elle est remède au péché, bien que parfois elle n’en mérite pas tant, au point de vue de la dette de peine, et que Dieu n’en exige pas autant en Purgatoire.

4. Il faut entendre cette peine, de l’expiation d’un accident involontaire. Si en effet le pénitent avait volontairement répandu le sang du Christ il eut encouru une peine beaucoup plus grave.

 

QUESTION 9 — DES QUALITÉS DE LA CONFESSION.

Après avoir parlé du ministre du sacrement de pénitence, nous avons à traiter des qualités de la confession. Quatre questions se posent 1. La confession peut-elle être informe ? -2. Doit-elle être intégrale ? -3. Peut-elle être faite par intermédiaire ou par écrit ? -4. Doit-elle vraiment avoir toutes les qualités demandées par les Maîtres ?

 

Article 1 — La confession peut-elle être informe ?

Objections :

1. Il semble que la confession ne puisse pas être informe. L’Ecclésiastique nous dit en effet : "Pour un mort, qui est comme n’existant pas, plus de confession possible". Or celui qui n’a pas la charité est un mort, puisque la charité est elle-même la vie de l’âme. Sans la charité, il ne peut donc point y avoir de confession.

2. La confession est partie de la pénitence, au même titre que la contrition et la--satisfaction. Or il ne peut jamais y avoir de contrition et de satisfaction en dehors de la charité et donc non plus de confession.

3. Dans la confession, le cœur doit être d’accord avec la bouche, comme le demande le nom même de confession. Or celui qui reste actuellement attaché au péché n’a point le cœur d’accord avec la bouche, puisqu’il retient en son cœur le péché que sa bouche condamne. Il n’y a plus là de vraie confession.

Cependant :

Chacun est tenu à la confession des péchés mortels. Or si quelqu’un s’est confessé, étant en état de péché mortel, il n’est plus tenu de confesser à nouveau les mêmes péchés ; autrement nul ne saurait jamais s’il s’est vraiment confessé, puisque nous ne savons jamais si nous sommes en charité. Il n’est donc pas nécessaire à la confession, qu’elle soit vivifiée par la charité.

Conclusion :

La confession est à la fois acte de vertu et partie du sacrement de pénitence. Comme acte de vertu, elle est acte méritoire au sens propre du mot, et, sous ce rapport, la confession n’a pas sa valeur sans la charité, qui est le principe du mérite. Mais en tant que partie du sacrement, elle présente le pénitent au prêtre qui a le pouvoir des clefs de l’Eglise et qui, par la confession, prend connaissance de la conscience du pénitent ; et cet acte sacramentel de la confession peut être posé même par celui qui n’a pas la contrition, puisqu’il peut découvrir ses péchés au prêtre et se soumettre aux clefs de l’Eglise. Bien qu’en pareil cas, il ne reçoive pas le fruit de l’absolution, il pourra commencer de le recevoir, dès que cessera l’obstacle de ses mauvaises dispositions, comme il en arrive des autres sacrements.

Par conséquent, celui qui se présente au saint Tribunal en mauvaises dispositions, n’est pas tenu, dans la suite, de renouveler sa confession, mais seulement de confesser ses mauvaises dispositions.

Solutions :

1. Ce témoignage de l’Ecclésiastique doit s’entendre du fruit à retirer de la confession, fruit que personne ne peut recevoir, sans avoir la charité.

2. La contrition et la satisfaction s’adressent à Dieu, la confession à l’homme ; voilà pourquoi l’union à Dieu par la charité est essentielle pour la contrition et la satisfaction, mais non pas à la confession.

3. Celui qui raconte les péchés qu’il a sur la conscience dit la vérité ; et, à ce titre, il y a bien accord entre le cœur et la voix ou les paroles quant à la substance de la confession, quoiqu’il y ait désaccord au sujet du bien final de la confession que le cœur n’accepte pas.

 

Article 2 — La confession doit-elle être intégrale ?

Objections :

1. Il semble que la confession ne doive pas être obligatoirement intégrale, en ce sens qu’il faille confesser tous ses péchés à un seul prêtre. C’est la honte de l’aveu qui vaut pour la diminution de la peine du péché. Mais plus sont nombreux les prêtres auxquels on se confesse, plus on éprouve de confusion. Plus fructueuse est donc la confession, si l’on partage entre plusieurs prêtres l’aveu de ses fautes.

2. La confession est nécessaire dans la pénitence pour que le jugement du prêtre détermine la peine satisfactoire du péché. Mais la peine imposée par des prêtres différents pour les différents péchés qu’on leur a confessés, peut être suffisante. Il n’est donc pas obligatoire de con fesser tous ses péchés à un seul prêtre.

3. Il peut arriver qu’après la confession faite et la satisfaction accomplie, l’on se rappelle quelque péché mortel qu’on a oublié au moment de la confession, et qu’on ne puisse plus avoir à sa dis position le propre prêtre auquel on s’était d’abord confessé. On pourra donc bien confesser séparément ce péché à un autre prêtre et ainsi partager la confession des péchés entre plusieurs prêtres.

4. La confession des péchés ne doit se faire aux prêtres qu’en vue de l’absolution. Mais quelquefois le prêtre qui entend la confession ne peut absoudre que de certains péchés et pas de tous. Il n’est donc pas obligatoire, au moins en pareil cas, de faire une, confession intégrale.

Cependant :

L’hypocrisie est un obstacle à la pénitence, mais c’est l’hypocrisie qui fait partager la confession entre plusieurs prêtres, comme dit saint Augustin. La confession. doit donc être intégrale. D’ailleurs la confession est une partie de la pénitence ; or la pénitence doit être intégrale et donc aussi la confession.

Conclusion :

Pour les soins médicaux du corps, le médecin ne doit pas seulement connaître la maladie contre laquelle il doit donner des remèdes, mais toutes les particularités du tempérament du malade, car une maladie s’aggrave du fait qu’une autre y est jointe et tel remède qui convient à l’une peut aggraver l’autre. Il en va de même des péchés ; un péché devient plus grave quand un autre s’y joint et tel remède, qui convient à tel péché, peut donner aliment à un autre, quand l’âme est infectée de vices contraires, comme l’enseigne saint Grégoire dans son Pastoral. Il est donc de toute nécessité pour la confession que l’on confesse tous les péchés dont on se souvient ; sinon ce n’est plus une confession, mais un simulacre de confession.

Solutions :

1. Bien que la honte soit davantage renouvelée quand on partage la confession de ses péchés entre divers confesseurs, cependant toutes ces confusions réunies n’égalent pas la confusion unique qu’aurait donnée la confession simultanée de tous les péchés au même confesseur. Un péché pris à part ne montre pas autant la mauvaise disposition du pécheur, que s’il est considéré joint à plusieurs autres. On peut tomber en effet par ignorance ou par faiblesse dans un péché isolé ; mais le grand nombre des péchés manifeste ou la malice du pécheur ou sa grande corruption.

2. En pareil cas, la peine imposée par les différents confesseurs ne serait pas suffisante, car chaque confesseur considérant séparément le péché qu’on lui avoue ne verrait pas l’aggravation que ce péché reçoit de celui auquel il est joint ; et parfois la pénitence donnée pour un péché pourrait servir d’excitant à un autre. D’ailleurs le confesseur tient la place de Dieu et la confession qu’on lui fait doit avoir les qualités de la contrition qu’on présente à Dieu. En conséquence, de même qu’il n’y aurait pas de vraie contrition, si l’on ne se repentait pas de tous les péchés dont on se souvient, ainsi n’y aurait-il pas de vraie confession, si l’on ne se confessait pas de tout ce qui nous revient en mémoire.

3. Certains prétendent que celui qui se souvient d’un péché oublié dans une confession précédente doit répéter intégralement sa confession, surtout s’il ne peut plus s’adresser au même confesseur auquel il a dit tous ses autres péchés, en sorte qu’un seul et même prêtre connaisse toute l’étendue de sa culpabilité. Mais cela ne paraît pas nécessaire. Le péché tient sa gravité tout à la fois de sa propre nature et de l’adjonction d’autres péchés ; la gravité que les péchés déjà confessés ont par eux-mêmes a déjà été manifestée. Pour que le prêtre estime l’une et l’autre gravité du péché oublié dans la confession précédente, il suffit que le pénitent confesse explicitement ce péché et déclare les autres en général en disant simplement qu’il a oublié ce péché, alors qu’il en confessait beaucoup d’autres.

4. Même si le confesseur ne peut pas absoudre de tous les péchés, le pénitent reste cependant tenu de les confesser tous, afin que le prêtre apprécie la gravité de toute la culpabilité et qu’après avoir donné l’absolution des péchés qu’il peut absoudre, il renvoie le pénitent au supérieur.

 

Article 3 — La confession peut-elle se faire par intermédiaire ou par écrit ?

Objections :

1. Il semble qu’il soit possible de se confesser par intermédiaire ou par écrit. La nécessité de la confession a pour raison la manifestation de la conscience du pénitent au prêtre. Mais on peut, par intermédiaire ou par écrit, manifester sa conscience au prêtre, et par conséquent faire de cette manière une confession suffisante.

2. Il en est qui ne sont pas compris de leurs propres prêtres à cause de la diversité des langues et ces gens ne peuvent se confesser que par intermédiaire. Il n’est donc pas nécessaire au sacrement qu’on parle soi-même pour se confesser et il semble que si l’on s’est confessé par un intermédiaire, quel qu’il soit, cela suffit au salut.

3. Le sacrement exige qu’on se confesse à son propre prêtre. Mais le propre prêtre est parfois absent et le pénitent, qui ne peut lui parler personnellement, peut lui manifester sa conscience par écrit. Il semble donc qu’il doive alors lui envoyer sa confession par écrit.

Cependant :

La confession des péchés doit se faire comme la confession de foi ; or la confession de foi doit se faire oralement, comme on le voit par l’épître aux Romains, X ; et donc aussi la confession des péchés. D’ailleurs, au péché personnel il faut une pénitence personnelle. Mais la confession est une partie de la pénitence. Le pécheur doit donc la faire de sa propre bouche.

Conclusion :

La confession n’est pas seulement un acte de vertu, elle est aussi partie du sacrement ; à l’acte de vertu, tout mode de confession suffirait, même le moins difficile. Mais le sacrement a son acte déterminé, comme les autres sacrements ont leur matière déterminée ; et de même que dans le baptême, la matière employée pour signifier l’ablution intérieure est celle qui est le plus habituellement employée aux ablutions extérieures ; ainsi pour la manifestation de conscience qui fait partie de l’acte du sacrement de pénitence, doit-on prendre ordinairement notre mode le plus usuel de manifestation de pensée, la parole personnelle. Les autres manières ne viennent qu’en supplément de celle-ci.

Solutions :

1. De même que dans le baptême il ne suffit pas d’une ablution quelconque, mais il faut que cette ablution soit faite avec une matière déterminée, ainsi dans la pénitence ne suffit-il pas de manifester ses péchés d’une façon quel conque, mais cette manifestation a son acte déterminé.

2. Pour celui qui ne peut parler, la confession par écrit, par signe et par interprète est suffisante, parce qu’on n’exige pas de l’homme plus qu’il ne peut. Si l’on ne peut et l’on ne doit être baptisé que dans l’eau, c’est que l’eau est une matière qui nous est extérieure et nous est administrée par un autre. L’acte de la confession au contraire nous est intérieur et vient de nous. Voilà pour quoi, ne pouvant pas nous confesser de la manière indiquée, nous devons le faire comme nous pouvons.

3. En l’absence du propre prêtre, la confession peut se faire même à un laïque ; elle n’a donc pas à être faite par écrit ; car l’acte même de la confession est plus exigé que la qualité de la personne à laquelle se fait la confession.

 

Article 4 — La confession exige t-elle les seize conditions que les docteurs lui assignent ?

Objections :

1. Il semble que ne soient pas requises les seize conditions assignées à la confession par les docteurs et énumérées dans les vers suivants :

"Que la confession soit simple, humble, pure et sincère,

Fréquente, nette, discrète, faite de bon cœur et avec confusion,

Intégrale, secrète, dite avec larmes et non retardée,

Courageuse, accusatrice et en disposition d’obéissance"

En effet, la sincérité, la simplicité, la force sont par elles-mêmes des vertus et ne doivent donc pas être présentées comme de simples conditions de la confession.

2. La pureté exclut le mélange et pareillement la simplicité exclut le mélange et la composition. L’une des deux conditions est donc superflue.

3. On n’est tenu de confesser qu’une fois le péché commis une seule fois. Si donc l’homme ne réitère pas son péché, sa pénitence n’a pas à être fréquente.

4. La confession se fait en vue de la satisfaction ; mais la satisfaction est quelquefois publique. La confession ne doit donc pas être secrète.

5. On n’exige pas de nous ce qui n’est pas en notre pouvoir. Or les larmes ne sont pas en notre pouvoir. Elles ne sont donc pas requises du pénitent.

Conclusion :

Des conditions énumérées, quelques-unes sont de nécessité pour la confession et d’autres seulement de perfection. Celles qui sont de nécessité lui appartiennent, ou bien en tant qu’elle est acte de vertu, ou en tant qu’elle est partie du sacrement.

Au premier titre, elles sont exigées, ou par la raison de vertu en général, ou par celle de la vertu spéciale de pénitence, ou par la constitution même de l’acte, de la confession. La vertu en général ainsi que le dit Aristote requiert quatre conditions. La première est qu’on sache ce qu’on fait et, à ce titre, on dit que la confession doit être discrète, puisque la prudence est requise en tout acte de vertu. Cette discrétion nous fait insister davantage sur les fautes plus graves. La seconde condition est que la confession soit faite par libre élection, car les actes de vertu doivent se faire volontiers ; c’est à ce titre qu’on demande que la confession se fasse de bon cœur. La troisième condition demande que la fin de l’acte soit bonne, et c’est ainsi que la confession doit être pure, faite avec une intention droite. La quatrième condition est que la volonté vertueuse ne se laisse pas détourner de son acte et, sous ce rapport, la confession doit être courageuse, afin que par honte elle ne trahisse pas la vérité. Mais la confession est un spécial de la vertu de pénitence qui prend son origine dans la turpitude du péché ; c’est pourquoi on doit la faire avec confusion et non pas en se vantant de ses péchés avec un sentiment mêlé de crainte mondaine. Deuxièmement elle doit nous conduire à la douleur du péché commis et c’est ainsi qu’elle doit être accompagnée de larmes. Troisièmement, elle doit aboutir à ce que le pénitent se méprise lui-même et c’est ainsi qu’elle doit être humble, le pénitent confessant qu’il est misérable et faible.

Enfin la nature même de l’acte de la confession exige qu’elle soit une manifestation. Or cette manifestation peut être empêchée de quatre façons 1° par le mensonge et c’est pourquoi l’on dit que la confession doit être sincère, c’est-à-dire vraie ; 2° par l’obscurité des paroles, obscurité qu’exclut une confession nette, ne s’embarrassant point dans l’obscurité des mots ; 3° par la multiplication des paroles, et c’est ainsi que la confession doit être simple, ne dire que ce qui intéresse la gravité des péchés ; par la réticence qui retranche quelque chose de ce qu’on doit manifester et c’est par opposition à ce défaut que la confession est dite intégrale.

Pour ce qui est de la confession en tant qu’elle est partie du sacrement, elle doit tenir compte du jugement du prêtre qui est ministre du sacrement et, à ce titre, elle doit être accusatrice de la part du pénitent, faite en disposition d’obéissance au confesseur, et secrète, étant donné la condition particulière de ce tribunal particulier où s’agitent les secrets de la conscience.

C’est seulement affaire de perfection que la confession soit fréquente et non retardée, c’est-à-dire suivant, sans délai, la faute.

Solutions :

1. Il n’y a pas d’opposition à ce que la condition d’une vertu se retrouve dans l’acte d’une autre vertu, soit parce que celle-ci est commandée par la première, soit parce que le juste milieu qui fait l’objet principal d’une vertu, peut se retrouver en participation dans les autres vertus.

2. La pureté de la confession en exclut la perversité d’intention dont l’homme est purifié ; la simplicité en écarte ce qui est étranger à l’accusation des péchés.

3. La fréquence n’est pas de nécessité, mais de perfection.

4. C’est à cause du scandale de ceux qui pour raient être portés au mal par l’audition des péchés, que la confession ne doit pas se faire en public, mais en secret. Quant à la pénitence de la satisfaction, elle n’a pas le même caractère de scandale, car des œuvres satisfactoires similaires se font pour des fautes légères ou même en dehors de toute faute.

5. Il s’agit ici des larmes du cœur.

 

QUESTION 10 — DE L’EFFET DE LA CONFESSION.

Nous avons maintenant à traiter de l’effet de la confession. A ce sujet, cinq questions se posent : -1. La confession nous délivre-t-elle de la mort du péché ? -2. Nous délivre-t-elle, d’une certaine façon, de la peine du péché ? -3. Nous ouvre-t-elle le paradis ? -4. Nous donne-t-elle l’espérance du salut ? -5. La confession générale efface-t-elle les péchés mortels oubliés ?

 

Article 1 — Est-ce que la confession nous libère de la mort du péché ?

Objections :

1. La confession ne semble pas nous libérer de la mort du péché. Elle suit la contrition. Or la contrition suffit à effacer la faute. C’est donc que la confession ne nous libère pas de la mort du péché.

2. Tout comme le péché mortel, le péché véniel aussi est une faute. Or par la confession, ce qui était mortel devient véniel, comme nous le dit le Maître des Sentences. La confession ne remet donc pas la faute, mais change la culpabilité en une autre culpabilité.

Cependant :

La confession est partie du sacrement de pénitence. Or le sacrement de pénitence nous libère de la faute ; donc aussi la confession.

Conclusion :

C’est dans la confession, que la pénitence, en tant que sacrement, trouve son principal achèvement, parce que c’est par elle que l’homme se soumet aux ministres de l’Eglise, dispensateurs des sacrements. La contrition inclut le désir de la confession et la satisfaction est déterminée par le jugement du prêtre auquel se fait la confession. Enfin la grâce par laquelle se fait la rémission des péchés étant donnée dans le sacrement de pénitence, tout comme dans le baptême, la confession, par la vertu de l’absolution qui s’y joint, remet la faute, comme le baptême.

Le baptême nous délivre de la mort du péché, non seulement en tant qu’il est reçu de fait, mais encore en tant qu’on en a le désir, comme on le voit chez ceux qui arrivent au baptême déjà sanctifiés, alors qu’un catéchumène se présentant au baptême sans mettre d’obstacle à la grâce, recevrait de la collation même du sacrement, la grâce qui lui remettrait ses péchés, s’ils n’avaient pas été remis auparavant. Il faut en dire autant de la confession jointe à l’absolution. En tant que son désir était déjà dans le pénitent, elle l’a délivré de la faute, puis la grâce est augmentée dans l’acte même de la confession et de l’absolution. Les péchés seraient aussi remis si le pénitent, sans mettre obstacle à la grâce, n’avait pas eu jusque-là une douleur suffisante de ses péchés. C’est pourquoi, de même qu’on dit du baptême, qu’il nous délivre de la mort, ainsi doit-on en dire autant de la confession.

Solutions :

1. Le désir de la confession est inclus dans la contrition et par conséquent il délivre les pénitents de leur culpabilité de la même façon que le désir du baptême le fait pour ceux qui doivent être baptisés.

2. Le mot véniel ne représente pas ici une culpabilité, mais une dette de peine facile à expier. D’où l’on ne peut pas conclure à un changement de culpabilité en culpabilité ; la culpabilité a complètement disparu. Un péché peut être véniel de trois façons 1° par son genre moral, telle la parole oiseuse ; 2° à raison de sa cause, c’est-à-dire parce qu’il a en lui une cause de pardon, comme le péché de faiblesse ; 3° à raison d’un fait qui lui est extérieur, comme c’est le cas ici, puisque c’est par la confession qu’il arrive qu’un homme obtienne le pardon d’une faute passée.

 

Article 2 — La confession nous libère-t-elle en quelque façon de la peine du péché ?

Objections :

1. Il semble que la confession ne nous libère en aucune façon de la peine due au péché Cette peine ne peut être qu’éternelle ou temporelle. Or la peine éternelle est remise par la contrition, la temporelle par la satisfaction. La confession ne remet donc rien, en fait de peine.

2. La volonté est réputée pour le fait, comme le dit le Maître des Sentences. Mais celui qui a la contrition, a pris la résolution de se confesser. Cette volonté lui a donc valu autant que s’il s’était confessé, en sorte que sa confession postérieure ne lui vaut plus aucune remise de peine.

Cependant :

Il est pénible de se confesser. Or la peine due au péché est expiée par toutes les œuvres qui sont pénibles, donc par la confession.

Conclusion :

C’est à double titre, que la confession, jointe à l’absolution, a la vertu de nous libérer de la peine.

Premièrement, elle nous libère en vertu même de l’absolution et, à ce titre, du seul fait qu’elle est désirée, elle nous délivre de la peine éternelle, comme aussi de la faute. Libéré de cette peine qui est vindicative et supprime toute vie de grâce, l’homme reste encore débiteur d’une peine temporelle médicinale, destinée à le purifier et à le faire progresser. Cette peine, qui doit être soufferte en purgatoire par ceux-là même qui ont été libérés de la peine de l’enfer, n’est point solvable en cette vie par les seules forces du pénitent. Mais, par la vertu des clefs, elle est diminuée de telle sorte qu’elle devient proportionnée aux forces du pénitent qui peut dès lors se purifier en cette vie par la satisfaction.

Deuxièmement, la confession diminue la dette de peine en vertu même de la nature de son acte auquel est jointe la peine de la honte et de là vient que plus on se confesse souvent de ses péchés, plus on diminue sa dette de peine.

Solutions :

1. La réponse a été donnée dans la conclusion.

2. La volonté n’est pas réputée pour le fait quand il s’agit d’actes, ayant leur cause en dehors de nous, par exemple du baptême. Désirer le baptême ne vaut pas autant que le recevoir en fait. C’est dans les actes dépendant complètement de nous, que la volonté est réputée pour le fait. Encore ne vaut-elle que pour la récompense essentielle et non pour la rémission de la peine et autres rétributions qui appartiennent au mérite accidentel et secondaire. C’est pourquoi celui qui est confessé et absous sera moins puni en purgatoire que celui qui n’a eu que la contrition.

 

Article 3 — La confession ouvre-t-elle le Paradis ?

Objections :

1. Il semble que la confession n’ouvre pas le Paradis. Différents sont les effets des différents sacrements. Or l’ouverture du Paradis est un effet du baptême, et donc pas de la confession.

2. On ne peut entrer en -lieu clos avant que ce lieu soit ouvert. Or le mourant peut entrer en Paradis avant la confession. Ce n’est donc pas la confession qui ouvre le Paradis.

Cependant :

La confession soumet aux clefs de l’Eglise. Or c’est par ces clefs que le Paradis est ouvert, et donc aussi par la confession.

Conclusion :

C’est par la faute et la dette de peine que le Paradis nous est fermé ; et comme la confession écarte ces obstacles, ainsi qu’on le voit par ce qui précède, on dit avec raison qu’elle ouvre le Paradis.

Solutions :

L Bien que le baptême et la pénitence soient des sacrements différents, ils agissent cependant en vertu de la même passion du Christ par laquelle l’entrée du Paradis a été ouverte.

2. Avant le désir de la confession, le Paradis était fermé à celui qui était en état de péché mortel et bien qu’il soit ouvert par la contrition incluant le désir de là confession, même avant que la confession soit faite, l’obstacle de la dette de peine n’est pas complètement écarté, avant la confession et la satisfaction.

 

Article 4 — La confession donne-t-elle l’espérance du salut ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’on puisse dire que la confession -nous donne l’espérance du salut. Cette espérance nous vient de tous nos actes méritoires. Elle n’est donc pas un effet propre de la confession.

2. C’est par la tribulation que nous arrivons à l’espérance, comme nous le dit l’épître aux Romains. Or c’est dans la satisfaction qu’on a surtout à supporter la tribulation. C’est donc à la satisfaction plus qu’à la confession, qu’il appartient de nous donner l’espérance du salut.

Cependant :

La confession rend l’homme plus humble et plus doux comme dit le Maître des Sentences ; or c’est précisément par cela que l’on reçoit l’espérance du salut. La confession a donc pour effet de nous donner cette espérance.

Conclusion :

L’espérance de la rémission de nos péchés ne nous vient que par le Christ, et puisque, par la confession, l’homme se soumet aux clefs de l’Eglise qui tiennent leur vertu de la passion du Christ, on dit avec raison que la confession nous donne l’espérance du salut.

Solutions :

1. Ce n’est pas principalement de nos actes, mais de la grâce du Rédempteur que peut nous venir l’espérance du salut. Or la confession agit en vertu de la grâce du Rédempteur. Elle nous donne donc l’espérance du salut, non seulement en tant qu’acte méritoire, mais aussi comme partie du sacrement.

2. La tribulation nous donne l’espérance du salut par l’expérience de ce qu’est notre propre force et par l’expiation de la peine due au péché ; et la confession fait la même chose, de la manière que nous avons dite.

 

Article 5 — Une confession par formule générale suffit-elle à effacer les péchés mortels oubliés ?

Objections :

1. Il semble qu’une confession par formule générale ne suffise pas à effacer les péchés mortels oubliés. Le péché effacé par la confession ne doit plus être obligatoirement con fessé. Si donc les péchés oubliés étaient remis par une confession à formule générale, il ne serait pas nécessaire de les confesser quand ils reviennent en mémoire.

2. Quiconque n’a conscience d’aucun péché, ou bien n’a pas de péché, ou les a oubliés. Si donc la confession générale remet les péchés oubliés, tous ceux qui -n’ont conscience d’aucun péché mortel peuvent être certains d’être libérés de tout péché mortel, toutes les fois qu’ils disent leur Confiteor, ce qui est contraire au témoignage de l’Apôtre : "Je n’ai rien sur la conscience, mais je ne suis pas pour autant justifié".

3. Personne ne doit tirer avantage de sa négligence. Or ce ne peut être sans négligence qu’on oublie un péché mortel avant qu’il soit remis. Il ne faut donc pas que, de cette négligence, on retire l’avantage de se faire remettre ce péché, sans confession spéciale.

4. Ce que le pénitent ignore complètement est beaucoup plus loin de sa conscience que ce qu’il a oublié. Or les péchés commis par ignorance ne sont pas remis par une confession à formule générale, autrement les hérétiques qui ne reconnaissent pas certains péchés dans lesquels ils vivent, et certaines âmes simples seraient absoutes de leurs fautes par une confession à formule générale : ce qui est faux. La confession à for mule générale n’efface donc pas les péchés oubliés.

Cependant :

le psalmiste nous dit : "Approchez-vous du Seigneur et recevez sa lumière, et vos visages ne seront pas couverts de confusion". Or celui qui confesse tous les péchés qu’il connaît, s’approche de Dieu autant qu’il le peut. On ne peut lui demander davantage. Il n’aura donc point la confusion d’être repoussé, mais obtiendra son pardon.

D’ailleurs celui qui se confesse obtient son pardon à moins que sa pénitence ne soit qu’une fiction. Or celui qui confesse tous les péchés qui lui reviennent en mémoire, mais en a oublié quelques-uns, n’est pas pour autant en état de pénitence feinte parce que son ignorance de fait, qui est purement passive, l’excuse du péché. Il obtient donc son pardon et ainsi les péchés oubliés sont remis, car il serait impie d’espérer un pardon partagé.

Conclusion :

La confession, pour être opérante, présuppose la contrition ; elle est donc ordonnée directement à la rémission de la peine qu’elle obtient en vertu de la confusion qu’elle comporte et du pouvoir des clefs auxquelles le pénitent se soumet. Il arrive cependant quelque fois que, par la contrition précédente, un péché a été effacé, soit par un acte général de contrition, si l’on ne s’en est pas souvenu, soit par un acte, spécial et qu’au moment de la confession on oublie ce péché. La confession sacramentelle est alors opérante par sa formule générale, pour la rémission de la peine, en vertu du pouvoir des clefs auxquelles le pénitent se soumet sans poser de sa part aucun obstacle à leur efficacité. Mais la part de diminution de peine, qui vient de la confusion accompagnant la confession, ne se réalise pas pour le péché dont on n’a pas rougi spécialement devant le prêtre.

Solutions :

1. La confession sacramentelle ne requiert pas seulement l’absolution, mais aussi le jugement du prêtre imposant la satisfaction. C’est pourquoi le pénitent, même s’il a reçu l’absolution, est tenu de confesser le péché oublié, afin de suppléer à ce qui a manqué à la confession sacramentelle.

2. La confession, pour être opérante, présuppose toujours la contrition. Or personne ne peut savoir s’il a une vraie contrition, pas plus qu’on ne peut savoir avec certitude si l’on est pleinement en état de grâce. On ne peut donc pas savoir avec certitude si, par la formule générale de la confession, le péché oublié a été remis, bien qu’on puisse en avoir la probabilité par certains signes.

3. Ce pénitent ne retire aucun avantage de sa négligence, car il n’obtient pas une rémission aussi plénière que celle qu’il aurait obtenue par la confession spéciale de ce péché. De plus, son mérite n’est pas aussi grand, et il est tenu de confesser spécialement ce péché quand il s’en souviendra.

4. L’ignorance du droit n’excuse pas, car elle est elle-même - un péché ; il n’y a que l’ignorance du fait qui puisse excuser. D’où, si l’on ne confesse pas des péchés que, par ignorance du droit divin, l’on ne reconnaît pas comme péchés, on n’est pas excusé d péché de pénitence fictive. Au contraire on en serait excusé, si l’erreur pro venait de l’ignorance de quelque circonstance particulière ; comme si un homme faisait l’acte du mariage avec la femme d’un autre qu’il croit être la sienne. Or l’oubli d’un acte peccamineux est une ignorance de fait. Elle excuse donc de ce péché de pénitence fictive en confession, qui empêche le fruit de l’absolution et de la confession.

 

QUESTION 11 — LE SECRET DE LA CONFESSION.

 

Après avoir traité des effets de la confession, nous devons maintenant étudier sa loi du secret. A ce sujet, cinq questions se posent -1. Est-on tenu en toute circonstance de cacher ce qu’on sait sous le secret de la confession ? -2. Le secret de la confession s’étend-il à d’autres choses qu’à celles qui sont l’objet de la confession ? -3. Le prêtre est-il le seul qui soit tenu au secret ? -4. Le prêtre peut-il, avec la permission du pénitent, parler à un autre de ce qu’il sait, sous le secret de la confession ? -5. Est-il encore tenu de le cacher quand il le sait aussi d’ailleurs ?

 

Article 1 — Le prêtre est-il tenu, en toutes circonstances, de cacher les péchés qu’il a connus sous le secret de la confession ?

Objections :

1. Il semble que le prêtre ne soit pas tenu en toutes circonstances de cacher les péchés qu’il a connus sous le secret de la confession. En effet, comme le dit saint Bernard "ce qui a été institué en faveur de la charité, ne doit pas lui être contraire". Or, en certains cas, garder le secret de la confession serait contraire à la charité, comme, par exemple, si l’on con naissait par la confession un hérétique qu’on ne peut pas décider à cesser de corrompre le peuple, ou un empêchement d’affinité entre personnes qui veulent se marier. En pareils cas, on doit révéler ce qu’on sait par la confession.

2. Ce qui est seulement de précepte ecclésiastique ne doit plus être nécessairement observé quand l’observation de ce précepte devient con traire à un ordre de l’Eglise. Or la loi du secret de la confession est seulement de droit ecclésiastique. Si donc l’Eglise prescrit qu’on lui dise ce qu’on sait de tel péché, celui qui le sait par la confession doit le dire.

3. On doit veiller à sa propre conscience, plus qu’à la renommée d’autrui, car il y a un ordre dans la charité. Or il peut arriver que pour garder le secret d’un péché, on doive agir contre sa conscience, C’est le cas de celui qui, cité comme témoin pour un péché qu’il sait par la confession, doit jurer de dire la vérité, ou bien de l’Abbé qui, sachant par la confession le péché d’un prieur, son sujet, en péril de succomber à l’occasion de péché que lui donnera le priorat, si on le lui laisse, est tenu d’enlever à ce prieur la dignité de la charge pastorale et ne peut le faire sans paraître dévoiler le secret de la confession. Il semble donc bien que, dans certains cas, il soit permis de dire ce qu’on a entendu en confession.

4. Un prêtre peut acquérir, par la confession, la conviction que on pénitent est indigne de la prélature. Or comme chacun est tenu de s’opposer à la promotion des indignes, dans la mesure où il a lui-même à intervenir, il paraîtra, en s’opposant à cette promotion, donner quelque soupçon du péché confessé et ainsi révéler d’une certaine façon la confession. Il semble donc bien qu’on doive faire quelquefois cette révélation.

Cependant :

voici ce que nous dit le décret "De poenitentia et remissione" : "Que le prêtre se garde de trahir par parole ou signe ou de quelque façon que ce soit, le pécheur quel qu’il soit".

D’ailleurs le confesseur doit imiter Dieu dont il est le ministre. Or Dieu ne révèle pas, mais couvre les péchés qui sont manifestés par la confession. Le prêtre ne doit donc pas non plus les révéler.

Conclusion :

Dans les sacrements, les cérémonies extérieures sont les signes de ce qui se passe à l’intérieur et la confession par laquelle on se soumet au jugement du prêtre est le signe de la confession intérieure par laquelle on se soumet à Dieu. Or Dieu couvre le péché de celui qui se soumet ainsi par la pénitence, et cela aussi doit être symbolisé dans les actes du sacrement de pénitence. En conséquence, il est de nécessité sacramentelle que la faute confessée ne soit pas révélée et celui qui la révèle commet le péché de violation de sacrement. En dehors de cette raison foncière, il y a des raisons d’utilité à cette loi du secret de la confession : grâce à lui, on va plus facilement à la confession et l’on y confesse aussi plus simplement ses péchés.

Solutions :

1. Certains théologiens prétendent que le confesseur n’est tenu au secret que pour les péchés dont le pénitent promet de se corriger ; et qu’il peut révéler les autres à qui peut se servir de cette révélation pour l’utilité du pénitent et ne peut pas lui nuire. Mais cette opinion paraît erronée, étant contraire à la vérité du sacrement. De même, en effet, que le baptême reste un sacrement, sans que rien soit changé à ses éléments essentiels de sacrement, du fait que le baptisé le reçoit avec des dispositions fictives, ainsi la confession reste-t-elle sacramentelle, même quand celui qui se confesse ne se propose pas de se corriger. En conséquence, nonobstant ces mauvaises dispositions, le secret doit être gardé. Ce secret n’est point contraire à la charité, car la charité n’exige pas que l’on porte remède à un péché qu’on ignore. Or ce que l’on sait sous le secret de la confession est comme ignoré, car on ne le sait pas en tant qu’homme, mais en tant que représentant de Dieu. Cependant on doit, dans les cas précités, apporter quelque remède, autant qu’on le peut sans péril de révélation des péchés confessés, comme par exemple en donnant un avertissement aux pénitents et en apportant tout son soin à ce que les autres ne soient pas cor rompus par l’hérésie. On peut même dire au prélat qu’il veille avec plus de sollicitude sur son troupeau, sans pourtant lui rien dire qui, par signe ou parole, trahisse le pénitent.

2. La loi du secret de la confession découle de la nature même du sacrement. En conséquence, de même que le précepte de la confession sacramentelle est de droit divin et qu’aucune ordonnance ou dispense humaine ne peut nous libérer de son obligation, ainsi aucune autorité humaine ne peut-elle nous permettre ou nous forcer de révéler le secret de la confession. Si donc on recevait, même sous peine d’excommunication latœ sententiae, l’ordre de dire ce qu’on sait d’un péché connu par la confession, on ne doit pas le dire, car on doit penser que l’intention de celui qui commande est de ne demander que ce que l’on sait en tant qu’homme. Or ce n’est pas en tant qu’homme qu’on a cette connaissance. Même si l’on était interrogé explicitement au sujet de la confession, on ne devrait pas répondre, et à cause de ce refus, on n’encourrait pas l’excommunication, car c’est en tant qu’homme seulement qu’on est sujet du supérieur et ce n’est pas en tant qu’homme, c’est en tant que ministre de Dieu, qu’on Sait les péchés confessés.

3. C’est en tant qu’homme, qu’on est cité comme témoin. Par conséquent on peut, sans blesser sa conscience, jurer qu’on ne sait pas ce qu’on sait seulement comme représentant de Dieu. De même le prélat peut, sans blesser sa conscience, laisser impuni un péché qu’il connaît seulement comme représentant de Dieu ou ne pas y appliquer de remède parce qu’il n’est tenu d’y remédier qu’à la façon dont le péché lui est déféré. Aux péchés qui lui sont déférés au for de la pénitence, il doit remédier autant qu’il peut, dans ce même for intérieur. L’Abbé, dans le cas précité, doit donc presser son pénitent de renoncer à son priorat. Si le pénitent refuse, l’Abbé pourra le décharger du priorat, s’il trouve l’occasion de le faire de telle façon que soit évité tout soupçon de révélation du secret de la confession.

 

Article 2 — Le secret de la confession s’étend-il à d’autres choses qu’à l’objet même de la confession ?

Objections :

1. Il semble que le secret de la confession s’étende à d’autres choses qu’à l’objet même de la confession. Les péchés seuls sont en effet l’objet de la confession. Or il arrive parfois que le pénitent raconte beaucoup d’autres choses qui n’appartiennent pas à l’objet de la confession. Ces choses étant dites au prêtre, comme si on les disait à Dieu, il semble qu’elles tombent aussi sous la loi du secret de la confession.

2. Il arrive aussi qu’on fasse une confidence et qu’elle soit reçue sous le secret de la confession. Ce secret peut donc s’étendre à des choses qui ne sont point objet de confession.

CEPENDÂNT, le secret de la confession est une obligation liée à la confession sacramentelle. Or ée qui est lié à un sacrement ne s’étend pas au delà de ce sacrement. Le secret de la confession ne s’étend donc qu’aux aveux qui sont l’objet de la confession sacramentelle.

Conclusion :

Le secret de la confession ne s’étend directement qu’aux aveux qui sont l’objet même de la confession sacramentelle. Mais certaines choses, qui ne sont pas l’objet de 1 confession sacramentelle, peuvent tomber sous le secret de la confession, en tant que leur révélation pourrait dénoncer le pécheur ou le péché. Néanmoins il faut éviter avec le plus grand soin ces indiscrétions, tant à cause du scandale qu’à raison de l’inclination que leur habitude peut développer en nous.

Solutions :

1. La conclusion donne la réponse à la première objection. .

2. Il ne faut pas se prêter facilement à recevoir des confidences à cette condition. Si cependant on l’a fait, on est tenu par sa promesse, à garder le secret de la même façon que si l’on avait reçu la confidence en confession, bien qu’on ne l’ait pas reçue sous le secret sacramentel.

 

Article 3 — Le prêtre est-il seul tenu au secret de la confession ?

Objections :

 Il semble que le prêtre ne soit pas le seul à être tenu au secret de la confession. On se confesse quelquefois au prêtre par interprète, en cas de nécessité. Mais alors, semble t-il, l’interprète est tenu au secret. Quelqu’un qui n’est pas prêtre peut donc être tenu au secret de la confession.

2. En cas de nécessité, on peut quelquefois se confesser un laïque qui est alors tenu de garder le secret des péchés confessés, puisqu’on les lui a dits comme à Dieu. Il n’y a donc pas que le prêtre, qui soit tenu au secret de la confession.

3. Si quelqu’un se donne faussement comme prêtre, pour explorer par le moyen de cette fraude, la conscience d’autrui il pèche, lui aussi, semble t-il, s’il révèle ce qu’on lui a dit en confession. Le prêtre n’est donc pas le seul qui soit tenu au secret de la confession.

Cependant :

le prêtre seul est ministre du sacrement de pénitence. Or le secret de la confession est une chose annexe au sacrement. Le prêtre seul est donc tenu au secret de la confession.

D’ailleurs, on est tenu à garder secrets ces aveux de la confession, parce qu’on ne les a pas reçus comme homme, mais comme représentant de Dieu. Or le prêtre seul est ministre de Dieu ; lui seul est donc aussi tenu à ce secret.

Conclusion :

Le secret de la confession est une obligation du prêtre en tant qu’il est ministre du sacrement. Ce n’est pas autre chose que le devoir de garder le secret des péchés confessés, devoir correspondant au pouvoir d’absoudre en vertu des clefs. Cependant comme on peut sans être prêtre avoir, en cas de nécessité, quelque part à l’exercice du pouvoir des clefs, on participe de même en pareil cas à l’obligation du secret sacramentel et l’on est tenu de le garder, bien qu’à proprement parler, il n’y ait pas secret sacramentel polir celui qui n’est pas prêtre.

On voit par ce que nous venons de dire ce qu’il faut répondre aux objections.

 

Article 4 — Un prêtre peut-il, avec la permission du pénitent, révéler à un autre, le péché qu’il connaît sous le secret de la confession ?

Objections :

1. Il semble que, même avec la permission du pénitent, le prêtre ne puisse pas révéler à d’autres le péché qu’il connaît sous le secret de la confession. Ce que le supérieur ne peut pas, l’inférieur ne le peut pas non plus. Or le Pape lui-même ne pourrait pas donner au con fesseur la permission de révéler un péché connu par la confession. Le pénitent ne le peut donc pas non plus.

2. Une obligation instituée pour le bien commun de l’Eglise ne peut pas être annulée par l’arbitraire d’une unique volonté. Or le secret de la confession a été institué pour le bien de toute l’Eglise, pour qu’on aille avec plus de confiance à la confession. Le pénitent ne peut donc pas donner au prêtre la permission de le révéler.

3. La possibilité de cette permission serait, semble t-il, "un manteau de malice" pour les mauvais prêtres qui pourraient prétendre l’avoir reçue et ainsi violer impunément le secret, ce qui serait un abus. Il semble donc que le pénitent ne puisse pas donner pareille permission.

4. Celui auquel le confesseur ainsi autorisé révélera ce péché ne sera pas tenu au secret de la confession et pourra par conséquent publier un péché déjà pardonné, ce qui est inadmissible. Le pénitent ne peut donc pas donner cette permission.

Cependant :

Avec le consentement du pénitent, un supérieur peut envoyer ce pénitent à un prêtre inférieur avec des lettres explicatives. C’est donc que, du consentement du pénitent, le confesseur peut dire à un autre le péché confessé.

D’ailleurs, on peut faire par un autre ce qu’on peut faire par soi-même, Or le pénitent peut, par lui-même, révéler le péché qu’il a commis ; il peut donc aussi le faire par son confesseur.

Conclusion :

Il y a deux raisons pour les quelles le prêtre est tenu au secret de la confession. La première et la principale est que ce secret est de l’essence même du sacrement, le confesseur ne connaissant le péché que par la connaissance de Dieu dont il tient la place, comme confesseur. La seconde est qu’on doit éviter le scandale. Mais le pénitent peut faire que le confesseur qui ne savait le péché confessé que de connaissance divine, le sache aussi de connaissance humaine, et c’est ce qu’il fait en donnant la permission d’en parler. Le confesseur en pareil cas, ne viole pas le sceau de la confession en parlant de ce péché, mais il doit alors prendre des précautions pour ne pas scandaliser, en donnant à penser qu’il viole Je secret sacramentel.

Solutions :

1. Le Pape ne peut pas donner pareille permission, parce qu’il ne peut pas faire que le prêtre sache, de connaissance humaine, le péché confessé ; ce que le pénitent peut faire.

2. L’obligation instituée pour le bien commun n’est pas annulée en pareil cas, puisqu’il n’y a pas violation du secret de la confession pour un péché connu d’autre façon.

3. De ce fait, ïl n’y a pas d’impunité assurée aux mauvais prêtres, parce qu’ils doivent, s’ils sont accusés, prouver que le pénitent leur a donné la permission de parler de ses péchés.

4. Celui qui vient à connaître un péché par la révélation qu’un pénitent a permise à son confesseur, participe à un acte du ministère sacerdotal et se trouve dans un cas semblable à celui de l’interprète, à moins que le pénitent ne veuille lui donner pleine et libre connaissance de ce péché.

 

Article 5 — Le confesseur peut-il dire ce qu’il sait par la confession, quand il le sait aussi par ailleurs ?

Objections :

Il semble que le prêtre ne puisse pas dire ce qu’il sait à la fois par la confession et par quelqu’autre source d’information. La violation du secret de la confession n’est que la révélation du péché qu’on a entendu en confession. Si donc le confesseur révèle le péché qu’il a entendu en confession, même s’il le sait aussi par ailleurs, il semble violer le secret de la confession.

2. Quiconque entend la confession d’un pécheur est tenu envers ce pénitent au secret de la confession. Mais quand on a promis à quelqu’un de garder pour soi sa confidence, on est tenu de garder ce secret, même si l’on en est informé par ailleurs. Ainsi donc doit-on tenir secret ce qu’on a entendu en confession, même si on le sait d’ailleurs.

3. De deux choses, la plus forte entraîne l’autre après elle ; or la connaissance divine du péché a plus de droits et de dignité que sa connaissance humaine, à laquelle par conséquent elle impose ses conditions. Le confesseur ne peut donc pas révéler ce que son mode divin de connaissance lui impose de tenir secret.

4. Le secret de la confession a été institué pour éviter le scandale et la publicité qui éloigneraient les hommes de la confession. Or si l’on pouvait dire ce que l’on a entendu en confession, même après l’avoir appris d’ailleurs, il y aurait néanmoins scandale. On ne peut donc le dire en aucun cas.

Cependant :

personne, si ce n’est le prélat qui oblige par son précepte, ne peut imposer à autrui une obligation nouvelle. Or celui qui avait été témoin oculaire d’un péché n’était pas obligé de le tenir secret. Donc le pénitent qui lui confesse ce péché, n’étant pas son prélat, ne peut pas l’obliger au secret, du seul fait de la confession.

D’ailleurs il pourrait y avoir en cela un obstacle à l’exercice de la justice de l’Eglise. Le pécheur menacé d’une sentence d’excommunication pour un péché dont il a été convaincu en jugement, irait confesser ce péché à celui qui doit porter la sentence et échapperait ainsi à l’excommunication. Or il est de précepte que la justice ait libre cours. On n’est donc pas tenu au secret, pour ce qu’on a entendu en confession, quand on en a connaissance par ailleurs.

Conclusion :

Sur cette question, il y a trois opinions. Quelques uns prétendent qu’on ne peut jamais dire ce qu’on a entendu en confession même si on l’a su par ailleurs, soit avant, soit après la confession. D’autres pensent que la confession nous enlève la faculté de dire ce que nous savions déjà du péché confessé, mais non ce que nous en apprenons après la confession. L’une et l’autre opinion exagérant les exigences du secret de la confession, font tort à la vérité et à l’observation de la justice. Il se pourrait que quelqu’un fût plus incliné au péché s’il ne craignait pas d’être accusé par son confesseur au cas où il commettrait à nouveau, devant lui, le péché déjà confessé. De même, la justice pourrait avoir grandement à souffrir, si l’on ne pouvait plus parler de ce qu’on a vu touchant un péché, dont on avait auparavant reçu l’aveu en confession. On ne doit pas non plus s’embarrasser de l’opinion de ceux qui demandent que le prêtre proteste ne pas avoir reçu sous le sceau du secret ce qu’il va dire ; car il ne pourrait faire cette protestation qu’après qu’on lui aurait dit le péché et en ces conditions, si cette protestation suffisait pour permettre de révéler le péché confessé, chaque prêtre pourrait, en la faisant, révéler, comme il le voudrait, ce qu’on lui aurait confessé.

C’est pourquoi une troisième opinion plus commune affirme que l’on n’est point tenu de garder le secret de ce qu’on a appris d’ailleurs et de science humaine, soit avant, soit après la confession ; car on peut dire : "Je sais cela parce que je l’ai vu". On est cependant tenu de ne pas révéler ce que l’on sait de science divine et l’on ne peut pas dire "J’ai appris cela en confession". Cependant pour éviter le scandale, on doit s’abstenir de parler de pareil sujet, à moins d’urgente nécessité.

Solutions :

1. Quand quelqu'un dit avoir vu ce qu’il a entendu en confession, il ne révèle que par concomitance, ce qu’on lui a dit au confessionnal ; de même que celui qui sait quelque chose par l’ouïe et par la vue tout à la fois, ne révèle pas à proprement parler ce qu’il a vu, mais ne le manifeste que par concomitance, s’il dit l’avoir entendu ; il dit bien les choses qu’il a entendues, c’est par concomitance qu’elles sont en même temps choses vues. En pareil cas, il n’y a pas violation du secret de la confession.

2. Le confesseur n’est pas tenu de s’abstenir de toute révélation du péché confessé ; mais seulement de la manifestation de la connaissance qu’il en a par le confessionnal. En aucun cas, il ne doit dire l’avoir appris en confession.

3. Cet axiome s’entend de deux Choses qui sont en opposition. Mais la connaissance qu’un confesseur a comme représentant de Dieu et celle qu’il a comme homme n’étant pas des choses opposées, la raison objectée n’est pas concluante.

4. On ne doit pas, pour éviter le péché, manquer à la justice, car la vérité ne doit pas être trahie, pour cause de scandale. En conséquence, on ne doit pas omettre, par crainte de scandale, la manifestation d’une faute entendue en confession, quand on la sait d’ailleurs, si ce silence met en péril la justice ; mais on est tenu de faire le possible pour éviter le scandale.

 

QUESTION 12 — LA NATURE DE LA SATISFACTION.

Après la confession, vient la satisfaction dont nous étudierons : 1° la nature, 2° la possibilité, 3° les qualités, 4° les moyens, ce que l’homme peut faire pour réparer l’offense faite à Dieu.

Touchant le premier point, trois questions se posent : -1. La satisfaction est-elle une vertu ou un acte de vertu ? -2. Est-elle un acte de justice ? -3. La définition de la satisfaction, telle que la donne le Maître des Sentences, est-elle satisfaisante ?

 

Article 1 — La satisfaction est-elle une vertu ou un acte de vertu ?

Objections :

1. Il semble que la satisfaction ne soit ni une vertu, ni un acte de vertu. Tout acte de vertu est méritoire. Or la satisfaction n’est pas méritoire, semble t-il, puisque le mérite suppose un acte spontané, tandis que la satisfaction répond à une dette. La satisfaction n’est donc pas un acte de vertu.

2. Tout acte de vertu est volontaire. Or la satisfaction se fait parfois contre la volonté de celui auquel elle est imposée, comme lorsqu’on est puni par le juge pour une offense envers autrui. La satisfaction n’est donc pas un acte de vertu.

3. "En vertu morale, le principal est l’élection", nous dit le Philosophe. Or la satisfaction ne se fait point par un acte d’élection, mais elle s’occupe principalement d’œuvres extérieures. Elle n’est donc pas un acte de vertu.

Cependant :

la satisfaction relève de la pénitence. Or la pénitence- est une vertu. C’est donc que la satisfaction est un acte de vertu.

D’ailleurs aucun acte, en dehors des actes de vertu, n’a d’efficacité pour effacer le péché ; car le contraire est détruit par son contraire Or par la satisfaction, le péché est complètement réduit, à rien. La satisfaction est donc un acte de vertu.

Conclusion :

Un acte peut être dit de deux façons acte de vertu. Il peut être dit d’abord acte de vertu matériellement. C’est ainsi qu’un acte qui n’implique ni malice, ni défaut de circonstance requise, peut être dit acte de vertu, parce que la vertu peut employer à sa propre fin un tel acte, comme l’acte de marcher, de parler, ou d’autres de même genre.

Il peut aussi être dit acte de vertu, formellement, quand il implique en sa propre dénomination le principe formel de la vertu. C’est ainsi que l’acte de souffrir courageusement est dit acte de force. Or le principe formel de chaque vertu morale est le juste milieu. Tout acte qui implique un juste milieu est donc dit formellement acte de vertu. Mais l’égalité est un juste milieu impliqué dans le nom même de satisfaction, puisqu’une chose n’est dite satisfaisante, qu’à raison de sa proportion d’égalité à quelque chose. Il est donc constant que la satisfaction est formellement aussi un acte de vertu.

Solutions :

1. Bien que satisfaire soit en soi une chose due, cependant cet acte est spontané, en tant que celui qui satisfait s’est acquitté volontairement, faisant ainsi de nécessité vertu. C’est parce que la nécessité de l’acte dû contrarie la volonté, que le mérite est diminué ; d’où il suit que si la volonté accepte de bon cœur cette nécessité, la raison de mérite ne disparaît pas.

2. L’acte de vertu n’exige pas le volontaire dans celui qui en subit l’effet, mais dans celui qui le pose et dont il est l’acte. Voilà pourquoi il n’est pas nécessaire que la satisfaction soit volontaire dans le patient sur lequel le juge exerce la vengeance (de l’ordre social offensé), il suffit qu’elle soit volontaire dans le juge qui pose cet acte de satisfaction.

3. Le principal, dans la vertu, peut s’entendre de deux façons. On l’entend d’abord de ce qui constitue la vertu en tant que vertu et, de cette façon, les éléments essentiels de l’acte vertueux ou ceux qui en approchent le plus ont priorité de principe dans la vertu. C’est ainsi que l’acte d’élection et les actes intérieurs sont les actes principaux de la vertu en tant que vertu.

Mais le principal de la vertu peut s’entendre d’autre façon, de ce qui fait qu’une vertu est telle vertu et, de cette façon, la -priorité de principe, dans la vertu, appartient à ce qui donne à l’acte intérieur sa détermination. Ce principe déterminant se trouve, pour certaines vertus, dans les actes extérieurs, parce que l’acte d’élection, qui est commun à toutes les vertus, devient l’acte propre d’une vertu spéciale, en tant qu’il a pour objet tel acte extérieur. C’est ainsi que les actes extérieurs, dans certaines vertus, ont priorité de principe et c’est le cas de la satisfaction.

 

Article 2 — La satisfaction est-elle un acte de justice ?

Objections :

1. Il semble que la satisfaction ne soit pas un acte de justice. Elle a, en effet, pour but de réconcilier le pécheur avec celui qu’il a offensé. Or la réconciliation étant un acte d’amour, relève de la charité. La satisfaction est donc un acte de charité et non pas de justice.

2. Les causes de nos péchés sont les passions de notre âme, par lesquelles nous sommes excités au mal. Or la justice, d’après Aristote, n’a point pour objet nos passions, mais nos opérations. D’où il suit que la satisfaction, ayant pour but d’extirper les causes de nos péchés, comme le dit le Maître des Sentences, ne semble pas être un acte de justice.

3. Se garder pour l’avenir n’est pas un acte de justice, mais plutôt de la vertu de prudence, dont une des fonctions est de nous faire prendre nos précautions. Or c’est précisément ce que doit faire la satisfaction, car c’est à elle qu’il revient de ne pas laisser entrer dans notre âme les suggestions du péché. La satisfaction, n’est donc pas un acte de justice.

Cependant :

nulle autre vertu que la justice ne tient compte de cette raison spéciale qu’est le dû. Or la satisfaction rend à Dieu son dû d’honneur, comme dit saint Anselme. Elle est donc un acte de justice.

De plus, nulle autre vertu que la justice n’a pour objet d’établir l’égalité entre des choses extérieures au moi. Or c’est précisément ce que fait la satisfaction, qui établit l’égalité entre la pénitence et l’offense précédente. La satisfaction est donc un acte de justice.

Conclusion :

D’après le Philosophe, le juste milieu de la justice s’entend de l’égalisation dans une relation de proportionnalité. Or c’est précisément cette égalisation qu’implique le nom même de satisfaction, puisque l’adverbe satis, assez, exprime une égalité de proportion. Il est donc constant que la satisfaction est formellement un acte de justice. Mais, d’après le Philosophe, l’acte de justice est une égalisation de soi-même à autrui, comme la restitution de ce qu’on doit à autrui, ou d’autrui à autrui, comme la justice que le juge établit entre deux plaideurs. Dans le premier cas, l’égalité se trouve constituée dans celui-là même qui pose l’acte de justice ; dans le second cas, l’égalité se trouve dans ceux qui si la juste sentence. Et comme la satisfaction exprime une égalité dans celui qui la pose, elle signifie un acte de justice qui est, à proprement parler, une égalisation de soi-même à autrui.

Mais la juste égalisation de soi-même à autrui peut se faire, ou dans nos relations personnelles d’agent et de patient, ou dans nos biens extérieurs, de même qu’on fait injure à autrui, ou en lui sous trayant quelque bien, ou en blessant, par quelque action, ses droits personnels. Et comme un des usages des choses extérieures est de les donner, l’acte de justice, qui établit l’égalité dans les biens extérieurs, est à proprement parler l’acte de rendre qui est dû. Or satisfaire signifie manifestement une certaine égalité à mettre dans nos actes, bien que parfois nous rendions une chose pour une autre.

De plus, comme on n’égalise que des choses inégales, la satisfaction présuppose dans nos actions une certaine inégalité qui constitue l’offense. Elle dépend donc de cette offense précédente. Mais aucune partie de la justice n’a pour matière l’offense précédente, si ce n’est la justice vindicative. Cette justice vindicative établit, en toute hypothèse, l’égalité dans celui qui subit ce qui est juste ; soit que ce soit le même qui fasse et subisse la justice, comme lorsqu’on s’impose à soi-même une peine, soit que le patient soit distinct de l’agent, comme lorsque le juge punit un autre homme, l’un et l’autre ayant affaire à la justice vindicative. Il en va de même de la pénitence qui établit l’égalité dans celui-là seul qui la fait, puisque c’est le pénitent lui-même qui "tient sa peine", en sorte que la pénitence est, d’une certaine façon, une espèce de justice vindicative. Nous voyons par là4ue la satisfaction, qui établit dans celui qui la fait une égalité par rapport à l’offense précédente, est une œuvre de justice, quant à cette partie de son opération qu’on appelle pénitence.

Solutions :

1. La satisfaction, comme on le voit par ce que nous avons dit, est une compensation de l’injure faite à l’offensé. De même donc que l’injure tendait immédiatement à briser l’égalité de la justice et, par voie de conséquence, à établir l’inégalité opposée à l’amitié, ainsi la satisfaction nous ramène-t-elle directement à l’égalité de la justice et, par voie de conséquence, a l'égalité de l'amitié Et comme un acte procède immédiatement de la disposition habituelle dont il a il a la fin pour objet immédiat et ne procède que par l'intermédiaire du commandement, de celle dont il n attend la fin que par voie de con séquence, 1a s procède immédiatement de la justice, mais impérativement de la charité.

2. Bien que la justice ait pour objet principal les opérations, elle a aussi un certain retentissement sur les passions, en tant qu’elles sont causes des opérations. C’est pourquoi, de même que la justice retient la colère pour l’empêcher de faire tort à autrui et la concupiscence de peur qu’elle ne mène à l’adultère, ainsi la satisfaction peut-elle extirper les causes de nos péchés.

3. La prudence intervient dans les actes de chaque vertu morale, car c’est la prudence qui achève de leur donner le formel de la vertu, puisque c’est elle qui détermine le juste milieu dans toutes les vertus morales, ainsi qu’on le voit par la définition même de la vertu, dans le second livre des Ethiques.

 

Article 3 — La définition de la satisfaction, telle que la donne le Maître des Sentences, est-elle satisfaisante ?

Objections :

1. Il semble que la définition de la satisfaction telle que la donne le Maître des Sentences citant saint Augustin, soit critiquable ; car saint Augustin dit que satisfaire, "c’est extirper les causes des péchés et ne pins donner entrée à leurs suggestions". Or c’est le foyer de la concupiscence qui est la cause du péché actuel et nous ne pouvons pas, ici-bas, éteindre ce foyer. C’est donc que satisfaire n’est point extirper les causes du péché.

2. La cause du péché a plus de force que le péché. Or l’homme ne peut point, par ses propres forces, extirper le péché, donc bien moins encore les causes du péché ; et nous revenons ainsi à la conclusion de l’objection précédente.

3. La satisfaction étant une partie de la pénitence regarde le passé et non l’avenir. Or ne plus donner entrée aux suggestions des péchés est affaire de l’avenir. Il n’en doit donc pas être question, dans une définition de la satisfaction.

4. - La satisfaction est ainsi appelée par rapport à l’offense passée. Or la définition donnée ne fait nulle mention de cette offense. Elle est donc mal formulée.

5. Saint Anselme donne cette autre définition : "Satisfaire, c’est rendre à Dieu son dû d’honneur". Ici, nulle mention de ce que dit la définition de saint Augustin. L’une ou l’autre de ces définitions est donc mal donnée.

6. L’innocent peut, lui aussi, rendre à Dieu son dû d’honneur. Or satisfaire n’est pas un acte qui convienne à l’innocent. Donc la définition de saint Anselme est, elle aussi, mal formulée.

Conclusion :

La justice ne tend pas seulement à faire disparaître l’inégalité précédente en châtiant la faute passée, mais aussi à garder l’égalité pour l’avenir, car, d’après le Philosophe, "les peines sont des remèdes". La satisfaction, qui est l’acte de la justice infligeant une peine, est donc une médecine qui tout à la fois guérit les plaies des fautes passées et préserve des futures. L’homme, qui satisfait, donne donc compensation pour le passé et se garde pour l’avenir.

D’où la possibilité d’une double définition pour la satisfaction. L’une regarde la faute passée que la satisfaction guérit par la compensation. Ainsi dit-on que la satisfaction est une compensation, selon l’égalité de la justice, pour l’injure faite précédemment. La même idée se retrouve dans la définition de saint Anselme disant que "satisfaire, c’est rendre son dû d’honneur, en considération de la dette qui suit la faute commise."

On peut aussi définir la satisfaction d’une autre manière, en tant qu’elle nous préserve des fautes futures et c’est ce que fait la définition précitée de saint Augustin. La préservation d’une maladie du corps s’obtient par la suppression des causes dont cette maladie peut être la conséquence. One fois ces causes enlevées, la maladie n’est plus possible. Il n’en va pas de même en fait de la maladie spirituelle, parce que notre libre arbitre n’est jamais nécessité, si bien que sous l’impulsion des causes du péché, il peut l’éviter, bien que difficilement, et il peut aussi le commettre, ces mêmes causes étant éloignées. Voilà pourquoi deux points sont touchés dans la définition de la satisfaction, à savoir premièrement l’extirpation des causes du péché, et deuxièmement la résistance du libre arbitre au péché proprement dit.

Solutions :

1. Il faut entendre le texte, de toutes les causes prochaines du péché, qui sont de deux sortes, les intérieures et les extérieures. Aux intérieures, appartiennent l’inclination passionnelle qui vient de l’habitude ou de l’impression laissée par l’acte du péché et ces mauvaises influences qu’on appelle les restes du péché. Les extérieures sont les occasions de péché qui nous viennent du dehors, comme le jeu, les mauvaises compagnies et autres dangers de même genre. Voilà les causes que nous pouvons supprimer, dès cette vie, par la satisfaction, bien que le foyer de concupiscence qui est la cause éloignée du péché actuel, ne puisse pas, en cette vie, être totalement enlevé par la satisfaction, mais seulement diminué.

2. La cause du mal ou de la privation, dans la mesure où le mal a une cause, n’est pas autre chose qu’un bien défectueux. Or le bien étant plus facile à supprimer qu’à constituer, il est plus facile de supprimer les causes du mal ou de la privation que d’écarter le mal lui-même, ce qui ne peut se faire que par la production du bien. Il est plus facile de supprimer les causes de la cécité que d’écarter la cécité elle-même (en rendant la vue). Encore faut-il noter que les causes précitées du péché n’en sont pas à elles seules des causes suffisantes, puisque le péché n’en découle pas nécessairement. Elles n’en sont que des causes occasionnelles. De plus, la satisfaction ne se fait pas sans le secours de Dieu, puisqu’il ne peut y avoir satisfaction sans la charité, comme nous le dirons plus loin.

3. Bien que la pénitence, dans l’intention première de son institution, regarde surtout le passé, cependant par voie de conséquence, elle regarde l’avenir en tant qu’elle est un remède de préservation et il en va de même de la satisfaction.

4. Saint Augustin définit la satisfaction en tant qu’elle se fait à Dieu à qui en réalité l’on ne peut rien soustraire, bien que le pécheur s’efforce de le faire autant qu’il le peut. En conséquence, dans une satisfaction faite à Dieu, l’amendement du pécheur pour l’avenir est bien plus important que la compensation pour le passé. C’est pour cela que saint Augustin définit la satisfaction en vue de l’avenir.

Néanmoins, notre mise en garde contre les péchés futurs nous montre ce qu’est la compensation offerte pour les péchés passés, cette compensation ayant le même objet, mais procédant par mode inverse. Pensant en effet au passé, nous détestons, à cause de nos péchés, les causes de ces péchés, et c’est par la détestation du péché que nous commençons. Dans notre mise en garde pour l’avenir, nous commençons au contraire par les causes, afin d’éviter facilement les péchés eux-mêmes.

5. Il n’y a rien de choquant à ce que diverses définitions soient données d’un même objet, selon les divers éléments qui s’y trouvent réunis. C’est le cas des définitions contestées, comme on le voit par ce qui a été dit dans la conclusion.

6. Il s’agit ici de la dette que nous avons envers Dieu à raison de la faute commise, dette qui est l’objet de la pénitence, comme on l’a dit dans l’article précédent.

 

QUESTION 13 — POSSIBILITÉ DE LA SATISFACTION.

Sachant ce qu’est la satisfaction, voyons main tenant si elle est possible. Au sujet de cette possibilité, deux questions se posent 1. L’homme peut-il offrir satisfaction à Dieu ? -2. Peut-on satisfaire pour autrui ?

 

Article 1 — L'homme peut-il offrir satisfaction à Dieu ?

Objections :

1. Il semble que l’homme ne puisse pas offrir satisfaction à Dieu. La satisfaction doit égaler l’offense, comme on l’a dit dans la question précédente. Mais l’offense commise contre Dieu est in puisque sa gravité se mesure à la dignité de l’offensé, l’offense envers le prince étant plus grave qu’envers toute autre personne. Il semble donc bien que l’homme, dont l’action ne peut pas être infinie, ne puisse pas offrir satisfaction à Dieu.

2. Le serviteur, qui n’a rien qui ne soit le bien de son maître, ne peut pas offrir de compensation pour une dette contractée envers le maître. Or nous sommes les serviteurs de Dieu et nous tenons de lui tout ce que nous avons de bien. Il semble donc que nous ne puissions pas offrir à Dieu satisfaction, puisque cette satisfaction est une compensation de l’offense passée.

3. Celui dont tout le bien ne suffit pas à l’acquit d’une de ses dettes, ne peut pas offrir satisfaction pour une autre. Or tout ce que l’homme a d’être, de pouvoir et de biens ne suffit pas à payer le bienfait de sa création, d’où cette parole d’Isaïe : "Tous les cèdres du Liban ne suffiront pas à l’holocauste." L’homme ne peut donc d’aucune façon offrir satisfaction pour l’offense qu’il a commise.

4. L’homme doit dépenser tout son temps au service de Dieu. Mais le temps perdu, ne peut pas se retrouver et c’est ce qui fait la gravité de la perte du temps, comme le dit Sénèque. L’homme ne peut donc pas offrir de compensation pour le temps perdu et nous en revenons toujours à la même conclusion.

5. Le péché mortel actuel est plus grave que le péché originel. Mais personne n’a pu offrir satisfaction pour le péché originel ; si ce n’est un Homme-Dieu ; il en est donc de même pour le péché actuel.

Cependant :

ainsi que l’a écrit saint Jérôme "Qu’il soit anathème, celui qui dit que Dieu nous prescrit quelque chose d’impossible!" Or la satisfaction est de précepte "'Faites de dignes fruits de pénitence." Il est donc possible d’offrir satisfaction à Dieu.

D’ailleurs Dieu est plus miséricordieux que l’homme ; or il est possible d’offrir satisfaction à l’homme et donc aussi à Dieu. Enfin, il y a satisfaction quand la peine est égale à la faute, puisque la justice s’identifie avec le contrapassum (avec l’égalisation du dommage subi au dommage causé), comme l’on dit les Pythagoriciens. Or il arrive qu’on s’impose une peine égale à la jouissance prise dans le péché. Il arrive donc qu’on puisse offrir à Dieu satisfaction.

Conclusion :

L’homme devient le débiteur de Dieu à double titre, à raison des bienfaits reçus et à raison des péchés commis. L’action de grâces, l’adoration et les autres prières de même genre ont pour objet la dette que nous créent les bienfaits reçus de Dieu ; la satisfaction acquitte la dette contractée par le péché que nous avons commis.

A la vérité, les honneurs que nous rendons ainsi à nos parents et à Dieu ne peuvent pas être en équivalence avec ce que nous devons, au témoignage même du Philosophe, mais il suffit que l’on rende ce qu’on peut, car l’amitié n’exige pas l’équivalence, mais le possible. Il y a d’ailleurs encore en cela une certaine égalité, une égalité de proportionnalité, car entre ce que nous devons à Dieu et Dieu lui-même, il y a la même proportion qu’entre le tout de ce que nous pouvons et ce même Dieu. C’est ainsi qu’est conservé le formel de la justice.

Il en va de même de la satisfaction. L’homme ne peut pas offrir satisfaction à Dieu, si le salis (le mot assez) implique une égalité absolue de valeur ; mais il le peut si la satisfaction n’implique qu’une égalité de proportion, et puisque cela suffit pour qu’il y ait justice, cela suffit aussi pour qu’il y ait satisfaction.

Solutions :

1. De même que l’offense eu une certaine infinité à cause de l’infini de la divine majesté, ainsi la satisfaction reçoit-elle aussi une certaine infinité de l’infini de la divine miséricorde, en tant que cette satisfaction est informée par la grâce qui fait agréer la compensation possible à l’homme.

Certains théologiens prétendent cependant que l’offense est infinie du côté de notre séparation d’avec Dieu et qu’en tant que telle, elle nous est pardonnée sans compensation, mais qu’elle est finie quant à son mouvement de conversion vers la créature et que, pour ce désordre, nous pouvons satisfaire. Cette distinction est sans valeur, car la satisfaction ne correspond au péché qu’en tant qu’il est offense de Dieu et ce n’est point par son mouvement de conversion au créé, mais par celui d’aversion, que le péché est offense de Dieu.

D’autres reconnaissent que le péché, même quant à son mouvement d’aversion, peut être réparé par la satisfaction, en vertu du mérite du Christ qui a été, d’une certaine manière, infini. Mais ceci revient à ce que nous avons tout d’abord répondu, puisque par la foi au Médiateur la grâce est donnée aux croyants, et fût-elle donnée d’une autre façon, la satisfaction suffirait encore, de la manière que nous avons dite tout d’abord.

2. L’homme fait à l’image de Dieu a une certaine part de liberté, en tant que, par son libre arbitre, il est le maître de ses actes, et, parce qu’il agit librement, il peut offrir à Dieu satisfaction ; car, bien qu’il soit chose de Dieu, en tant qu’il tient l’être de Dieu, il a reçu, avec la liberté, le privilège d’être son propre maître, ce qui n’est plus le fait de l’esclave ;

3. La raison donnée aboutit à la conclusion que la satisfaction offerte à Dieu ne peut jamais être équivalente, mais non point qu’elle ne peut pas être suffisante. Bien que l’homme doive à Dieu le tout de ce qu’il peut, cependant il n’est pas obligé, de nécessité de salut (sous peine de péché mortel) à faire tout ce qu’il peut, car il lui est impossible, dans l’état de cette vie présente, de dépenser au service d’une seule fin, toute la puissance de son activité, alors qu’il lui faut étendre sa sollicitude à beaucoup de choses diverses. Mais il y a une mesure d’œuvres absolument requise, à savoir l’accomplissement des préceptes, au delà de laquelle l’homme peut faire des œuvres de surérogation qui sont satisfactoires.

4. Bien que l’homme ne puisse pas récupérer le temps perdu, il peut cependant utiliser l’avenir pour compenser ce qu’il aurait dû faire dans le passé, puisqu’il n’est pas tenu, d’obligation stricte, de faire tout ce qu’il peut, comme on l’a dit dans la réponse à l’objection précédente.

5. Le péché originel, bien qu’il soit moins péché que le péché actuel, est cependant un mal plus grave parce qu’il est une infection de la nature elle-même ; c’est pour cela qu’il ne peut pas, comme le péché actuel, être expié par une satisfaction purement humaine.

 

Article 2 — Peut-on satisfaire pour autrui ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse pas prendre sur soi la peine satisfactoire due par un autre. La satisfaction, en effet, exige une œuvre méritoire, or l’on ne peut ni mériter, ni démériter pour autrui, puisqu’il est écrit : "Vous rendrez à chacun selon ses œuvres". On ne peut donc pas satisfaire pour autrui.

2. La satisfaction est une partie de la pénitence, comme la contrition et la confession. Or on ne peut pas avoir la contrition pour autrui et donc non plus satisfaire.

3. En priant pour autrui, on mérite aussi pour soi. Si donc on satisfait pour autrui, on satisfait aussi pour soi-même et ainsi celui qui satisfait pour autrui ne doit plus d’autre satisfaction pour ses propres péchés.

4. Si l’on peut satisfaire l’un pour l’autre, dès lors que quelqu’un a pris sur lui la dette de peine d’un autre, celui-ci est aussitôt libéré de sa dette et par conséquent s’en ira directement au ciel, s’il meurt après que toute sa dette de peine a été ainsi prise à charge par un autre ; ou bien si lui aussi doit encore être puni, il y aura double peine pour le même péché, celle de celui qui a commencé de satisfaire et celle de celui qui est puni en purgatoire.

Cependant :

on lit dans l’Epître aux Galates : "Aidez-vous mutuellement à porter vos fardeaux". Il semble donc qu’on puisse porter, pour un autre, le fardeau de la pénitence qui lui a été imposée.

D’ailleurs la charité est plus puissante auprès de Dieu qu’auprès des hommes. Or auprès des hommes, on peut, par amitié, payer la dette d’un autre ; à plus forte raison le peut-On au jugement de Dieu.

Conclusion :

La peine satisfactoire a deux buts, l’acquit d’une dette et le remède qui nous fait éviter le péché. En tant qu’elle doit donner un remède contre le renouvellement du péché, la satisfaction d’un pénitent ne peut pas servir à un autre, le jeûne de l’un ne dompte pas la chair de l’autre ; de même les bonnes actions du premier ne donnent pas au second l’habitude de bien agir, si ce n’est par accident, à savoir en tant que les bonnes actions de celui qui satisfait peuvent mériter à celui pour lequel il satisfait une augmentation de grâce qui soit un remède très efficace pour lui faire éviter le péché. Mais alors cet effet est produit par manière de mérite plus que par manière de satisfaction.

Au contraire, s’il s’agit de l’acquit d’une dette, un homme peut satisfaire pour un autre, à la condition qu’il soit en état de charité, en sorte que ses œuvres soient satisfactoires. Et il n’est pas nécessaire que celui qui satisfait pour un autre supporte une peine plus grave que celle qui serait imposée au principal débiteur, comme certains le disent, mus par cette raison que la satisfaction personnelle du coupable serait plus efficace que celle d’un autre. C’est la charité surtout qui donne à la peine sa vertu satisfactoire, et comme la charité, dans celui qui satisfait pour un autre, paraît plus grande que s’il satisfaisait pour lui- même, la peine que la justice lui demande est moindre que celle exigée du débiteur principal.

De là vient qu’on lit dans les Vies des Pères du désert, qu’un frère ayant été amené par la charité à faire la pénitence d’un autre pour un péché que lui-même n’avait pas commis, cette charité a obtenu la rémission du péché à celui qui l’avait commis.

Il n’est pas exigé non plus, pour l’acquit de la dette, que celui pour lequel se fait la satisfaction, ne puisse pas lui-même satisfaire, car même s’il le peut, il peut être libéré de sa dette, par la satisfaction d’un autre. Mais cette impuissance est requise, s’il s’agit d’une peine satisfactoire, en tant qu’elle est remède. C’est pourquoi l’on ne doit pas permettre à quelqu’un de faire pénitence pour un autre, à moins que ce principal débiteur n’ait des défauts corporels qui le rendent incapable de supporter cette pénitence ou une faiblesse spirituelle qui le rende peu dispos à supporter la pénitence.

Solutions :

1. La récompense essentielle est mesurée aux dispositions de l’élu dont la capacité de vision divine conditionne la plénitude de cette vision. En conséquence, les dispositions d’une âme n’étant point modifiées par l’acte méritoire d’une autre, cet acte ne lui mérite pas de récompense essentielle, à moins qu’il n’ait une valeur infinie, comme c’est le cas pour le Christ dont le mérite suffit à conduire, par le baptême, les enfants à la vie éternelle. Quant à la peine temporelle due au pêché, après la rémission de la faute, elle n’est pas mesurée aux dispositions de celui auquel elle est due, puisque parfois une âme meilleure peut avoir encouru une dette de peine plus grande et par conséquent sa rémission peut être méritée par un autre que le débiteur principal. L’acte de satisfaction devient alors l’acte de celui pour lequel on satisfait, à raison de la charité par laquelle "nous ne sommes tous qu’un dans le Christ."

2. La contrition a pour objet la faute elle-même qui relève des bonnes ou mauvaises dispositions du sujet de la contrition et c’est pourquoi la contrition d’un pénitent ne libère pas un autre de sa faute. Il en va de même de la confession par laquelle l’homme se soumet à l’action des sacrements de l’Eglise. Un homme ne peut recevoir un sacrement à la place d’un autre, parce que, dans le sacrement, la grâce est donnée à celui qui le reçoit et non pas à un autre. On ne peut donc pas assimiler la satisfaction à la contrition et à la confession.

3. Dans l’acquit de la dette pour le péché, c’est la quantité de la peine expiatrice qui compte ; dans le mérite, au contraire, c’est son principe radical, la charité. C’est pourquoi celui qui, en vertu de la charité, mérite pour un autre, au moins d’un mérite de convenance, mérite plus encore pour lui-même ; mais celui qui satisfait pour un autre, ne satisfait pas pour lui-même, parce que la quantité de peine ne suffit pas pour l’un et l’autre péché ; cependant en offrant satisfaction pour un autre, il mérite quelque chose de mieux que la remise d’une peine, il mérite la vie éternelle.

4. Si lui-même s’était obligé à quelque pénitence, il ne serait pas dégagé de sa dette avant de l’avoir acquittée et en conséquence il devrait Souffrir cette peine aussi longtemps que l’autre aurait dû le faire pour satisfaire à cette dette ; s’il ne l fait pas, l’un et l’autre sont débiteurs de cette peine, l’un pour le péché commis, l’autre pour l’omission de la satisfaction promise, sans qu’il s’en suive qu’un seul péché soit deux fois puni.

 

QUESTION 14 — DES QUALITES DE LA SATISFACTION

Ayant établi la possibilité de la satisfaction, nous avons maintenant à parler des qualités de la satisfaction. A ce sujet, cinq questions se posent 1. Peut-on satisfaire pour un seul péché séparément ? 2. Celui qui, ayant eu d’abord la contrition de tous ses péchés, retombe ensuite dans un de ces péchés, peut-il, sans être en état de charité, satisfaire pour les autres péchés qui lui ont été remis par la contrition ? -3. La satisfaction faite en état de péché commence-t-elle à prendre quelque valeur, quand l’homme a recouvré sa charité ? -4. Les œuvres faites en dehors de l’état de charité méritent-elles quelque bien ? -5. Ces mêmes œuvres ont-elles quelque valeur pour l’adoucissement des peines de l’enfer ?

 

Article 1 — Peut-on satisfaire pour un seul péché séparement ?

Objections :

1. Il semble qu’on puisse satisfaire pour un seul péché séparément. De plusieurs choses qui n’ont pas ensemble de connexion, l’une peut être enlevée séparément. Or les péchés n’ont pas ensemble de connexion. Autrement celui qui aurait un péché les aurait tous. Ils peuvent donc être expiés chacun séparément, par la satisfaction.

2. Dieu est plus miséricordieux que l’homme. Or l’homme accepte le paiement séparé d’une dette. Dieu donc accepte, lui aussi, la satisfaction faite pour un seul péché séparément.

3. Satisfaire c’est, au dire du Maître des Sentences, "extirper les causes des péchés et ne plus accorder entrée à leurs suggestions". Or cela peut se faire pour un péché séparément. On peut refréner la luxure en développant l’avarice. C’est donc qu’un péché peut être expié séparément par la satisfaction.

Cependant :

au témoignage d’Isaïe, le jeûne de ceux qui jeûnaient pour se disputer et se quereller n’était pas agréé de Dieu, bien que le jeûne soit une œuvre satisfactoire. Or on ne peut satisfaire que par des œuvres agréées de Dieu. Il ne le peut donc pas, celui qui a quelque péché sur la conscience.

D’ailleurs la satisfaction est un remède qui guérit nos fautes passées et nous préserve des futures, comme nous l’avons dit. r les péchés ne peuvent pas être évités sans la grâce. Il s’en suit que tout péché enlevant la grâce, on ne peut pas satisfaire pour un seul séparément.

Conclusion :

Certains théologiens ont prétendu qu’on pouvait satisfaire pour un seul péché séparément, comme le dit le texte du Maître des Sentences. Mais cela ne peut être. Puisque la satisfaction doit faire disparaître l’offense précédente, il faut qu’elle ait les conditions requises à cet effet. Or l'offense ne disparaît qu’avec le rétablissement de l’amitié, et tant qu’il reste un obstacle à ce rétablissement de l’amitié, il ne peut pas y avoir de satisfaction, même entre humains. En conséquence, tout péché mettant obstacle à l’amitié de charité qui unit l’homme à Dieu, il est impossible que l’homme satisfaction pour un seul péché en en retenant un autre, pas plus que celui-là ne donnerait satisfaction, qui, tout en se prosternant pour demander à son frère pardon du soufflet qu’il lui a donné, lui en donnerait en même temps un pareil.

Solutions :

1. Les péchés n’ayant pas de connexion entre eux, dans un principe positif commun, on peut encourir la culpabilité de l’un, sans encourir celle des autres. Mais le principe de rémission de tous les péchés est une seule et même chose et par conséquent il y a connexion entre les rémissions des différents péchés, eu sorte qu’il ne peut pas y avoir satisfaction pour l’un sans satisfaction pour les autres.

2. Dans les dettes en matière de bien extérieur, il n’y a qu’une inégalité, celle qui est opposée à la justice, du fait que l’un retient le bien de l’autre et par conséquent le rétablissement de l’ordre n’exige que le rétablissement de l’égalité de justice, ce qui peut se faire pour une dette séparément. Mais quand il s’agit d’offense, il n’y a pas seulement une inégalité contraire à la justice, il y en a une autre contraire à l’amitié. En conséquence, pour la réparation de l’offense par la satisfaction, il faut non seulement le rétablissement de l’égalité de justice par la compensation d’une peine proportionnée, mais- encore le rétablissement de l’égalité d’amitié, ce qui ne peut se faire tant que reste un obstacle à l’amitié.

3. "Le poids d’un seul péché nous entraîne à d’autres fautes" comme dit saint Grégoire. Celui-là donc, qui retient un péché, n’extirpe pas suffisamment les causes des autres.

 

Article 2 — Peut-on, sans être en état de charité, satisfaire pour des péchés delà remis ?

Objections :

1. Il semble que celui qui a eu une fois la contrition de tous ses péchés et qui est retombé ensuite dans le péché, puisse, bien que n’étant plus en état de charité, satisfaire pour les autres péchés qui lui ont été remis par la contrition. Daniel dit en effet à Nabuchodonosor

"Rachète tes péchés par l’aumône". Or Nabuchodonosor était alors pécheur, comme le prouve la punition qui lui a Été ensuite infligée. C’est donc qu’on peut satisfaire, bien qu’en état de péché.

2. "Personne ne sait s’il est digne d’amour ou de haine". Si donc la satisfaction n’était possible qu’à celui qui est en état de charité, personne ne saurait s’il a satisfait ou non, ce qui est inadmissible.

3. C’est l’intention qu’a l’homme au principe de son acte, qui donne à l’acte tout entier sa forme. Or le pénitent (dans le cas proposé) était en état de charité au début de sa pénitence ; toute la satisfaction qui suit aura donc son efficacité en vertu de la charité : qui vivifiait son intention première.

4. La satisfaction consiste en une certaine adéquation de la peine avec la faute. Or cette adéquation peut se faire dans celui-là même qui n’a pas la charité et par conséquent aussi la satisfaction.

Cependant :

"c’est la charité qui couvre toutes les fautes". Or la vertu propre de la satisfaction est d’effacer les péchés. Donc elle n’a pas sa vertu, sans la charité.

De plus, la principale œuvre de satisfaction est l’aumône. Or l’aumône faite sans la charité n’a aucune valeur, comme on le voit par ces paroles de saint Paul : "Si je distribue tous mes biens en nourriture pour les pauvres, mais que je n’aie pas la charité, cela ne me sert de rien". Elle est donc aussi sans valeur, la satisfaction faite en état de péché mortel.

CQNCLUSION Certains théologiens ont dit que si quelqu’un retombait dans le péché avant d’avoir accompli la satisfaction qu’il devait pour tous les péchés remis par sa précédente contrition, et accomplissait sa pénitence en état de péché, cette satisfaction lui serait comptée de telle sorte que, s’il mourait dans ce péché, il ne serait pas puni en enfer pour les péchés réparés par cette satisfaction. Mais cela ne peut être. Il faut, dans la satisfaction, qu’une fois l’amitié rétablie, l’égalité de justice, dont le contraire supprime l’amitié, soit aussi rétablie, comme le dit le Philosophe. Or l’égalité, dans la satisfaction qu’on donne à Dieu, ne se mesure pas à l’équivalence objective, mais à l’acceptation de Dieu. Il faut donc que, même après la rémission de l’offense par la contrition, les œuvres satisfactoires soient agréées de Dieu, qualité qu’elles reçoivent de la charité. Il s’ensuit que les œuvres faites sans la charité ne sont pas satisfactoires.

Solutions :

1. Le conseil de Daniel doit s’en tendre en ce sens que Nabuchodonosor devait cesser de pécher, se repentir et, en ces dispositions, satisfaire par l’aumône.

2. De même que l’homme ne sait pas avec certitude s’il est digne d’amour ou de haine, ainsi ne sait-il pas avec certitude, s’il a pleinement satisfait. C’est pourquoi l’Ecclésiastique nous dit : "Du péché pardonné, ne sois pas sans crainte". Il n’est pas exigé cependant qu’à cause de cette crainte, on recommence sa pénitence, si l’on n’a pas conscience d’être en état de péché mortel. Car bien que par la pénitence ainsi faite, on ne paie pas sa dette de peine, on ne devient cependant pas coupable d’omission de pénitence négligée, tout comme celui qui vient à la communion, sans conscience d’un péché mortel dont il est réellement coupable, ne fait pas de communion sacrilège.

3. Cette première intention de charité ayant été interrompue par le péché ne donne plus aucune vertu satisfactoire aux œuvres faites en état de péché.

4. Il ne peut plus se faire d’adéquation suffisante, ni de par l’acceptation divine, ni de par l’équivalence objective. La raison donnée n’est donc pas concluante.

 

Article 3 — La satisfaction faite en état de péché mortel prend- elle de la valeur quand revient la charité ?

Objections :

1. Il semble que la charité rentrant en notre âme donne de la valeur à la satisfaction qui l’a précédée. Commentant ce passage du Lévitique : "Si ton frère devient pauvre, etc.", la Glose nous dit : "Les fruits d’une bonne vie doivent se compter dès le temps du péché". Or ces fruits ne seraient pas comptés, s’ils ne recevaient pas quelque efficacité de la charité qui leur est postérieure ; c’est donc qu’ils ont pris de la valeur quand l’âme a récupéré la charité.

2. De même que l’efficacité de la satisfaction est empêchée par le péché, ainsi l’efficacité du baptême est-elle empêchée par des dispositions fictives. Or le baptême retrouve sa valeur quand la fiction fait place à la vérité. La satisfaction la retrouvera donc aussi, quand disparaîtra le péché.

3. Quand on a imposé des jeûnes à un pénitent, comme satisfaction pour les péchés commis, et qu’il les fait en état de péché, on ne l’oblige pas à les recommencer, lorsqu’il se confesse à nouveau. Il faudrait cependant les lui imposer une seconde fois, si les premiers jeûnes ne comptaient pas pour la satisfaction. C’est donc que les œuvres satisfactoires faites en état de péché deviennent efficaces quand ensuite le pécheur fait pénitence.

Cependant :

les œuvres faites sans la charité n’étaient pas satisfactoires, parce qu’elles étaient œuvres mortes. Or les œuvres mortes ne deviennent pas vivantes par la pénitence et donc non plus satisfactoires.

D’ailleurs la charité n’anime que les actes qui en procèdent d’une certaine façon. Or les œuvres ne peuvent être agréées de Dieu et, par là, satisfactoires que si elles sont animées par la charité. En conséquence, les œuvres faites en état de péché ne procédant d’aucune manière de la charité et n’en pouvant d’ailleurs pas procéder ; ne peuvent d’aucune façon compter pour satisfactoires.

Conclusion :

Certains théologiens ont prétendu que les œuvres faites en état de charité et appelées œuvres vives sont méritoires de la vie éternelle et satisfactoires pour la rémission de la peine et que les œuvres faites en dehors de la charité sont suffisamment vivifiées par la charité subséquente, pour qu’elles puissent être satisfactoires, bien qu’elles ne deviennent pas méritoires de la vie éternelle. Mais cela ne peut pas être, car la valeur satisfactoire, comme la valeur méritoire des œuvres faites en état de charité, procèdent l’une et l’autre du même principe, de ce que ces œuvres sont agréées de Dieu. D’où il suit que la charité, qui survient, ne pouvant pas faire agréer les œuvres quant à la valeur méritoire, ne le peut pas non plus quant à la valeur satisfactoire.

Solutions :

1. Il ne faut pas entendre ces paroles du temps où le pénitent vivait en plein dans le péché, mais du temps où il a cessé de pécher, du dernier jour de sa vie de pécheur, ou bien de l’instant où, ayant eu la contrition de son péché, il a aussitôt commencé. à faire beaucoup de bonnes œuvres, même avant sa confession.

On peut dire aussi que la contrition diminue d’autant plus la peine, qu’elle est plus grande et qu’en multipliant ses bonnes œuvres, le pécheur, même en état de péché, se dispose mieux à la grâce de la contrition. Il est donc probable que, ce faisant, il diminue sa dette de peine (en se préparant une contrition meilleure), ce dont le confesseur devra discrètement tenir compte, lui imposant une moindre pénitence, puisqu’il le trouve mieux disposé.

2. Le baptême imprime dans l’âme un caractère, ce que ne fait pas la satisfaction. La charité rentrant dans l’âme en chasse l’hypocrisie et le péché et fait que le baptême obtienne son effet, ce qu’elle ne peut pas faire pour la satisfaction. D’ailleurs la justification du baptême, œuvre de Dieu et non de l’homme, se fait ex opere operato et ne peut pas être mortifiée de la même façon que la satisfaction qui est œuvre de l’homme.

3. Il y a des satisfactions qui laissent un effet durable dans celui qui les fait, même après que leur acte a été posé. C’est ainsi que le jeûne laisse au corps un certain affaiblissement, que l’aumône laisse un vide dans la bourse et que d’autres œuvres ont pareillement des effets durables. De telles satisfactions, même faites en état de péché, n’ont pas à être renouvelées, car la pénitence peut faire qu’elles soient agréées de Dieu à raison de leur effet qui demeure. Mais les satisfactions qui ne laissent pas d’effet durable dans le pénitent, une fois l’acte passé, comme la prière et autres pratiques de même genre, doivent être renouvelées. Quant à l’acte intérieur qui passe tout entier, il ne peut pas être vivifié et- doit être renouvelé.

 

Article 4 — Les œuvres faites en dehors de l’état de charité méritent-elles quelque bieii, au moins un bien temporel ?

Objections :

1. Il semble que les œuvres faites en dehors de l’état de charité méritent quelque bien, au moins quelque bien temporel. La peine, en effet est, pour l’acte mauvais, ce qu’est la récompense pour le bon. Or aucun mal ne reste impuni auprès d’un Dieu juste juge ; donc aussi nul bien ne restera sans récompense et par conséquent les satisfactions précitées méritent quelque chose.

2. La récompense n’est donnée qu’au mérite. Or les œuvres faites en dehors de l’état de charité sont récompensées, puisqu’il est dit de ceux qui font leurs bonnes œuvres pour la gloire humaine, "qu’ils ont reçu leur récompense". C’est donc que ces œuvres ont quelque mérite.

3. Deux pécheurs, dont l’un fait beaucoup d’actions bonnes par leur objet et leurs circonstances, l’autre n’en faisant aucune, ne sont pas à égale proximité de Dieu pour en recevoir ses dons ; autrement on n’aurait pas à conseiller au pécheur de faire de bonnes actions. Or plus on s’approche de Dieu plus on reçoit de ses dons. Le pécheur, par les bonnes œuvres qu’il fait, mérite donc quelque bien auprès de Dieu.

Cependant :

saint Augustin dit que "le pécheur n’est pas digne du pain qu’il mange". C’est donc qu’il ne peut rien mériter auprès de Dieu. D’ailleurs, celui qui n’est rien ne peut rien mériter. Or le pécheur n’ayant pas la charité n’est rien, quant à l’être spirituel, comme le dit saint Paul dans la I° Epître aux Corinthiens. Il ne peut donc rien mériter.

Conclusion :

On appelle mérite, à proprement parler, l’action qui fait qu’on doit en justice donner quelque chose à celui qui l’a posée. Mais le mot justice se dit de deux façons, premièrement, au sens propre, quand il s’applique à un droit strict de la part de celui qui reçoit quelque chose ; deuxièmement au sens analogique, quand il ne signifie qu’une convenance de la part de celui qui donne ; car il est parfois convenable qu’on donne ce qui n’est pas strictement dû à celui qui reçoit le don. C’est ainsi qu’on appelle justice ce qui convient à la divine bonté, selon cette parole de saint Anselme que "Dieu est juste quand il épargne les pécheurs, parce que cela lui convient". D’après cette distinction, il y a deux sortes de mérite : 10 celui d’un acte qui donne à son auteur un droit strict à une récompense c’est le mérite de juste équivalence, de condigno : 2° celui en vertu duquel le distributeur de récompenses doit, d’après les convenances de sa situation, donner quelque chose : c’est le mérite de convenance, de congruo. Or tout ce qui est don gratuit ne peut être réclamé comme dû au sens propre du mot, tant qu’on n’est pas en amitié avec celui qui donne, puisque la première raison du don est l’amour ; et tous les biens du temps et de l’éternité nous venant de la libéralité divine, personne ne peut prétendre avoir le droit d’en recevoir aucun, si ce n’est dans l’état de charité avec Dieu. Les œuvres faites en dehors de l’état de charité ne méritent donc de condigno ni bien éternel, ni bien temporel.

Mais comme il convient à la bonté de Dieu de donner quelque perfection à toutes les bonnes dispositions qu’elle rencontre, on dit que les œuvres faites ainsi en dehors de la charité méritent de congruo quelque récompense. A ce titre, elles peuvent nous valoir trois sortes de bien : un succès temporel, une disposition à la grâce, une habitude de bonnes œuvres. Cependant comme ce mérite n’est pas un mérite au sens propre du mot, il faut plutôt dénier qu’accorder une valeur méritoire aux œuvres de ce genre.

Solutions :

1. Comme le dit le Philosophe, le fils, quoi qu’il fasse, ne peut jamais rendre à son père l’équivalent de ce qu’il en a reçu et par con séquent, le père n’est jamais le débiteur de son fils. Encore moins l’homme peut-il rendre à Dieu une équivalence qui fasse de Dieu son débiteur. Par conséquent aucune de nos œuvres ne peut être méritoire de par sa propre valeur ; mais elle devient méritoire de par la charité qui met en commun tous les biens des amis. D’où il suit que, si bonne que soit une œuvre faite en dehors de la charité, elle ne saurait donner à l’homme un droit strict de recevoir quelque chose de Dieu.

Quant à l’œuvre mauvaise, elle mérite la peine équivalente à la gravité de sa malice, car les maux ne sont pas, comme les biens, des dons de Dieu. En conséquence, bien que l’œuvre mauvaise mérite sa peine de condigno, l’œuvre bonne faite en dehors de la charité ne mérite pas ex condigno sa récompense.

Les raisons données dans la seconde et troisième difficulté valent pour le mérite de congruo. Quant aux deux raisons données dans le Cependant :

elles s’appliquent au mérite de condigno.

 

Article 5 — Les œuvres faites en dehors de la charité ont-elle quelque valeur pour l’adoucissement des peines de l’enfer ?

Objections :

1. Il semble que ces œuvres n’aient aucune valeur pour l’adoucissement des peines de l’enfer. La gravité de la faute mesure, en enfer, la gravité de la peine. Or les œuvres faites en dehors de la charité ne diminuent en rien la gravité, du péché et donc non plus les peines de l’enfer.

2. Les peines de l’enfer, infinies en durée, sont d’intensité finie. Mais tout ce qui est fini peut être épuisé par des retranchements finis. Si donc les œuvres faites en dehors de la charité pouvaient retrancher quelque chose à la peine due pour le péché, il pourrait arriver que ces œuvres fussent assez multipliées pour supprimer totalement la peine de l’enfer, ce qui est faux.

3. Les suffrages de l’Eglise sont plus efficaces que les œuvres faites en dehors de la charité. Or, comme le dit saint Augustin : "Les suffrages de l’Eglise ne sont d’aucun secours aux damnés en enfer". Encore bien moins par conséquent les peines de l’enfer peuvent-elles être adoucies par des œuvres faites en dehors de la charité.

Cependant :

c’est le même saint Augustin qui nous dit : "Ceux qui bénéficient de ces suffrages en reçoivent la pleine rémission de leur peine ou un adoucissement à leur damnation".

D’ailleurs il est encore mieux de faire le bien que de quitter le mal. Or quitter le mal fait éviter la peine même à ceux qui n’ont pas la charité. A plus forte raison, l’éviteront-ils en faisant le bien.

Conclusion :

La diminution des peines de l’enfer peut s’entendre de deux façons, et d’abord en ce sens que le damné serait libéré d’une peine qu’il avait méritée. De cette façon là, personne n’est libéré d’aucune peine, à moins d’être absous de la faute elle-même, car les effets ne diminuent pas et ne disparaissent pas tant que leur cause n’est pas diminuée ou supprimée. Les œuvres faites en dehors de la charité ne pouvant ni diminuer, ni supprimer la faute, ne peuvent donc pas adoucir de cette façon les peines de l’enfer.

Quant à la diminution ou au délai de la peine temporelle, ces œuvres les méritent de la même façon qu’elles méritent des biens temporels, comme on -le voit par le cas d’Achab. Certains théologiens prétendent que ces actes diminuent la peine de l’enfer, non pas en retranchant quelque chose de ce qui constitue la peine elle-même, mais en fortifiant le patient de telle sorte qu’il puisse la supporter plus facilement. Mais c’est impossible. Le sujet ne peut être fortifié que par une diminution de sa passibilité. Or c’est la faute qui est la mesure de cette passibilité et par conséquent, sans diminution de la faute, le patient ne peut pas être fortifié.

D’autres disent que la peine est diminuée quant au ver (au remords) de la conscience, mais non point quant à la peine du feu. Mais cette distinction est, elle aussi, sans valeur, car la peine du remords de la conscience est tout aussi bien que la peine du feu, proportionnée à la faute ; c’est la même mesure pour l’une et l’autre peine.

Par ce que nous venons de dire, on voit comment doivent se résoudre les objections.

Mais l’adoucissement peut s’entendre d’autre façon, en ce sens que le pécheur soit empêché de mériter une aggravation de peine ; et c’est de cette façon que les œuvres faites en dehors de la charité diminuent les peines de l’enfer. Premièrement, l’homme, en les faisant, évite la culpabilité du péché d’omission. Deuxièmement, les œuvres de ce genre disposent l’homme au bien, en sorte que les péchés qu’il commet, sont faits avec moins de mépris de la loi bien plus, elles le préservent de beaucoup de péchés.

 

QUESTION 15 — DES ŒUVRES DE SATISFACTION.

Après avoir parlé des exigences d’une vraie satisfaction, nous nous poserons trois questions au sujet des œuvres par lesquelles se fait la satisfaction : 1. Les œuvres satisfactoires doivent-elles être pénales ? -2. Les peines que Dieu nous inflige en cette vie, sont-elles satisfactoires ? -

3. Est-ce une bonne énumération des œuvres satisfactoires de dire qu’elles se ramènent à trois catégories : l’aumône, le jeûne et la prière ?

 

Article 1 — Les œuvres satisfactoires doivent-elles être pénales ?

Objections :

1. Il semble que la satisfaction ne doive pas se faire par des œuvres pénales. La satisfaction doit être une compensation pour l’offense de Dieu. Or il semble qu’il n’y ait aucune compensation dans des œuvres pénales, "Dieu ne se délectant pas dans nos peines", comme on le dit dans le livre de Tobie. Les œuvres satisfactoires ne doivent donc pas être pénales.

2. Plus une œuvre procède de la charité, moins elle est pénale, puisque. la charité exclut la peine, comme le dit saint Jean. Si donc il fallait que les œuvres satisfactoires fussent pénales, plus elles procéderaient de la charité, moins elles seraient pénales, ce qui est faux.

3. Satisfaire, c’est, au dire de saint Anselme, "rendre à Dieu son dû d’honneur", mais cela peut se faire autrement que par des œuvres pénales. C’est donc que la satisfaction ne requiert pas des œuvres pénales.

Cependant :

saint Grégoire nous dit : "Il est juste que le pécheur s’inflige, par la pénitence, d’autant plus de peine qu’il s’est fait, par sa faute, de plus grands dommages".

D’ailleurs la satisfaction doit guérir parfaitement la blessure du péché. Or les remèdes aux péchés sont des peines, comme le dit le Philosophe. Il faut donc que la satisfaction se fasse par des œuvres pénales.

Conclusion :

La satisfaction regarde à la fois l’offense passée, pour laquelle elle offre compensation et les fautes possibles de l’avenir dont elle nous préserve. A ce double titre, elle requiert des œuvres pénales.

La compensation d’une offense implique une égalisation à établir entre l’offensant et l’offensé. En matière de justice humaine, cette égalisation s’obtient par la soustraction d’un bien fait à celui qui a plus que son dû, au profit de celui auquel l’offense avait enlevé quelque chose. Or, quoique du côté de Dieu, rien du bien divin ne puisse être enlevé, le pécheur Cependant, comme nous l’avons dit, s’efforce, autant qu’il est en son pouvoir, d’enlever quelque chose à Dieu. Il faut donc, pour qu’il y ait con que la satisfaction enlève quelque chose au pécheur, au profit de l’honneur de Dieu. Mais l’œuvre bonne, en tarit qu’œuvre bonne, n’enlève rien à celui qui la fait ; elle ajoute plutôt à sa perfection ; celui-ci ne peut donc subir une soustraction de bien, pour l’œuvre bonne, que si cette œuvre est pénale. Il faut donc, pour qu’une œuvre soit satisfactoire, qu’elle soit bonne, afin d’honorer Dieu et qu’elle soit pénale afin de soustraire au pécheur quelque bien.

De même l’œuvre satisfactoire doit être pénale en tant que préservative des fautes futures, car on revient plus difficilement aux péchés pour lesquels on a souffert quelque peine. De là vient, qu’au témoignage du Philosophe, les remèdes aux péchés sont des peines.

Solutions :

1. Bien que Dieu ne se délecte pas dans les peines en tant que peines, il y prend plaisir en tant qu’elles sont justes et peuvent être ainsi satisfactoires.

2. Il en est de la pénalité dans la satisfaction, comme de la difficulté dans le mérite. La diminution de la difficulté, qui tient à l’acte même, toutes choses égales d’ailleurs, diminue le mérite ; mais quand cette diminution tient à la générosité de la volonté qui vient de la charité, au lieu de diminuer le mérite, elle l’augmente. Ainsi en va t-il de la diminution de la difficulté, quand elle vient de la générosité de la volonté, œuvre de la charité, elle ne diminue pas l’efficacité de la satisfaction, au contraire elle l’augmente.

3. L’honneur dû pour le péché est la compensation de l’offense qui ne peut se faire sans une peine du pécheur. C’est de ce dû, que doit s’en tendre la parole de saint Anselme.

 

Article 2 — Les peines de la vie présente sont-elles satisfactoires ?

Objections :

1. Il semble que les peines dont Dieu nous, punit en cette vie ne puissent pas être satisfactoires. Rien ne peut être satisfactoire que ce qui. est méritoire, comme on le voit par ce que nous avons dit. Mais nous ne méritons que par les choses qui dépendent de nous ; et comme les châtiments, que Dieu nous inflige, ne dépendent pas de nous, il semble donc qu’ils ne puissent pas être satisfactoires.

2. La satisfaction est le privilège des bons. Or ces châtiments temporels sont aussi infligés aux méchants et c’est à eux principalement qu’ils sont dûs. Ils ne peuvent donc pas être satisfactoires.

3. La satisfaction se fait pour les péchés passés. Or ces châtiments sont parfois infligés à des gens qui n’ont pas de péché, comme on le voit par l’exemple de Job. Il semble donc qu’ils ne soient pas satisfactoires.

Cependant :

Voici, en sens contraire, ce que dit l’épître aux Romains : "La tribulation opère la patience, et la patience éprouve" c’est-à-dire : "purifie du péché" comme le dit la Glose. C’est donc que les châtiments de cette vie nous purifient de nos péchés et sont satisfactoires.

D’ailleurs, au témoignage de saint Ambroise, la peine est satisfactoire, même quand manque la croyance, c’est-à-dire la conscience du péché.

Conclusion :

La compensation de l’offense passée peut avoir sa cause dans l’offensant ou être imposée par un autre. Quand elle est imposée par un autre, elle a plutôt le caractère de peine vindicative, que celui de satisfaction. Quand elle procède de l’offensant lui-même, elle devient satisfaction. Si donc le patient, auquel Dieu inflige des châtiments, les fait siens de quelque façon, ils reçoivent le caractère de satisfaction. Or il les fait siens en tant qu’il les accepte pour la purification de ses péchés, les utilisant en patience. Si, au contraire, il proteste, avec impatience, contre ces châtiments, il ne les fait siens d’aucune façon et ils n’ont, en con séquence, aucun caractère de satisfaction, mais seulement celui de peine vindicative.

Solutions :

1. Bien que ces châtiments ne soient pas eux-mêmes en notre pouvoir, il dépend de nous de nous en servir en patience ; c’est ainsi que faisant de nécessité vertu, nous pouvons les rendre méritoires et satisfactoires.

2. "Le même feu qui fait briller l’or fait fumer la paille" nous dit saint Grégoire (saint Augustin dans la Cité de Dieu). C’est ainsi que les mêmes châtiments purifient les bons et rendent les mauvais plus coupables par impatience. C’est pourquoi les châtiments ne sont satisfaction que pour les bons, bien qu’ils soient communs aux bons et aux méchants.

3. Les châtiments sont toujours en relation avec une faute passée, mais parfois avec une faute de nature et non pas avec une faute personnelle. Si, en effet, il n’y avait pas de faute dans la nature humaine, il n’y aurait pas eu de ces épreuves temporelles. Mais à cause de la faute originelle de nature, Dieu inflige des peines temporelles à certaines personnes sans qu’elles aient été personnellement en faute, pour leur donner le mérite de la vertu et les garder du péché futur. Ces deux éléments sont nécessaires à l’œuvre satisfactoire. Elle doit être une œuvre méritoire pour rendre honneur à Dieu, et une œuvre gardienne de la vertu, pour qu’elle nous préserve des péchés futurs.

 

Article 3 — Les œuvres satisfactoires sont-elles bien énumérées, quand on en compte trois l’aumône, le jeûne et la prière ?

Objections :

1. Il semble que les œuvres satisfactoires soient mal énumérées, quand on dit qu’il y en a trois l’aumône, le jeûne et la prière. En effet, toute œuvre satisfactoire doit être pénale. Or la prière n’apporte pas la peine, mais la joie, puisqu’elle est un remède à la tristesse de la peine. D’où cette parole de saint Jacques "Quelqu’un de vous est-il triste ? Qu’il prie ; a t-il l’âme en paix ? qu’il chante". La prière ne doit donc pas être comptée parmi les œuvres satisfactoires.

2. Tout péché est péché de la chair ou de l’esprit. Saint Jérôme commentant la parole de saint Marc. Ce genre de démon n’est chassé que par la prière et le jeûne" nous dit : "Le jeûne guérit les pestes du corps ; la prière les pestes de l’esprit". Il ne doit donc pas y avoir d’autre œuvre satisfactoire.

3. La satisfaction est nécessaire pour la purification de nos péchés. Or l’aumône nous purifie de tous nos péchés, comme le dit saint Luc : "Donnez l’aumône et tout ce qui est en vous sera pur". Les deux autres œuvres sont donc superflues.

Cependant :

Il semble au contraire qu’il doive y avoir plus de trois sortes d’œuvres satisfactoires. Les contraires sont guéris par leurs contraires. Or il y a plus de trois genres de péchés. On doit donc compter aussi plus de trois genres d’œuvres satisfactoires.

D’ailleurs on impose aussi comme satisfactions, des pèlerinages et des disciplines ou flagellations qui ne rentrent dans aucun des genres énumérés. L’énumération est donc insuffisante.

Conclusion :

La satisfaction doit être telle, qu’elle nous enlève quelque chose au profit de l’honneur de Dieu. Or nous n’avons que trois genres de biens, ceux de l’âme, ceux du corps et ceux de la fortune ou biens extérieurs. Nous nous enlevons quelque chose des biens de la fortune par l’aumône, et des biens du corps par le jeûne. Quant aux biens de l’âme, nous ne devons pas nous les enlever en touchant à leur essence ou en les diminuant, puisque c’est par eux que nous sommes agréables à Dieu, mais en les soumettant totalement à Dieu, ce qui se fait par la prière.

Cette énumération est justifiée aussi du point de vue de l’action de la satisfaction sur les causes du péché qu’elle extirpe. Ces racines du péché sont au nombre de trois, d’après saint Jean : "La concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et l’orgueil de la vie". Le jeûne combat la concupiscence de la chair ; l’aumône, la concupiscence des yeux ; et la prière, l’orgueil de la vie, comme le dit saint Augustin commentant saint Matthieu.

Elle s’harmonise aussi très bien avec cet autre caractère de la satisfaction, qui est de fermer l’entrée de notre âme aux suggestions du péché. Tout péché en effet est commis contre Dieu, contre le prochain ou contre nous-mêmes. Aux premiers s’oppose la prière, aux seconds l’aumône, aux troisièmes le jeûne.

Solutions :

1. Quelques-uns distinguent deux sortes de prière : celle des contemplatifs dont "la conversation est dans les cieux", qui ne serait pas satisfactoire, parce que tout entière de jouissance ; et celle du gémissement pour le péché, qui serait pénible et partie de la satisfaction. Mais il vaut mieux dire que toute prière est satisfactoire, parce que, bien qu’elle apporte suavité à l’esprit, elle inclut une certaine affliction de la chair, car, nous dit saint Grégoire : "tandis que grandit en nous la force de l’amour intérieur, la force de la chair en est certainement affaiblie". C’est ce que signifie l’histoire du nerf de la jambe de Jacob, paralysé à la suite de la lutte avec l’ange.

2. Il y a deux sortes de péchés de la chair. Les uns, comme la gourmandise et la luxure, s’achèvent dans la jouissance même de la chair. Les autres se commettent dans les choses qui sont au service de la chair, bien que leur jouissance soit plutôt dans l’âme et non dans la chair, comme les péchés d’avarice. Ce sont, donc là des péchés mixtes, à la fois spirituels et charnels, et ils ont aussi besoin d’une satisfaction appropriée qui est l’aumône.

3. Bien que chacune de ces trois sortes d’œuvres satisfactoires soit, en vertu d’une certaine convenance, appropriée à chaque sorte de péchés, puisqu’il convient que chacun soit puni par où il a péché, et que la satisfaction frappe à la racine le péché commis, cependant chacune de ces œuvres satisfactoires peut valoir pour n’importe quel péché. C’est pourquoi, à celui qui ne peut pas accomplir telle œuvre satisfactoire on. en impose une autre et principalement l’aumône qui peut remplacer les autres œuvres satisfactoires, en tant qu’on achète d’une certaine façon par l’aumône. la valeur des œuvres satisfactoires de celui auquel on fait l’aumône. On ne peut donc pas conclure du fait que l’aumône purifie ainsi de tout péché, que les autres satisfactions sont superflues.

4. Bien qu’il y ait beaucoup d’espèces différentes de péchés, toutes se rattachent à ces trois racines ou trois genres de péchés auxquels correspondent les trois genres d’œuvres satisfactoires dont nous avons parlé.

5. Tout ce qui est affliction du corps se rattache au jeûne ; tout ce qu’on dépense au service du prochain a le caractère d’aumône et tout culte rendu à Dieu rentre sous le concept de prière ; c’est pourquoi aussi, une seule et même œuvre peut être satisfactoire à plusieurs titres.

 

QUESTION 16 — DES SUJETS DU SACREMENT DE PÉNITENCE.

Ayant achevé d’étudier les parties du sacrement de pénitence, nous devons nous demander qui peut le recevoir, et nous poser à ce sujet trois questions 1. -La pénitence peut-elle se trouver dans les âmes innocentes ? -2. Dans les saints glorifiés ? -3. Dans les anges bons ou mauvais ?

 

Article 1 — La pénitence peut-elle se trouver dans les innocents ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la pénitence puisse se trouver dans les âmes innocentes. Faire pénitence, c’est pleurer les péchés qu’on a commis. Or les innocents n’ont commis aucun mal. Il n’y a donc pas en eux de pénitence.

2. Le nom même de pénitence implique l’idée de peine. Or les innocents -ne méritent aucune peine. Il n’y a donc pas, chez eux, de pénitence.

3. La pénitence se confond avec la justice vindicative. Mais chez tous ceux qui vivent dans l’innocence, la justice vindicative n’a pas à s’exercer, et donc non plus la pénitence qui, en conséquence, n’existe pas chez les innocents.

Cependant :

Toutes les vertus nous sont infusées en même temps. Or la pénitence est une vertu. Lorsque donc, au baptême, les autres vertus sont infusées, la pénitence est, elle aussi, infusée avec elles.

D’ailleurs, celui qui n’a jamais été malade corporellement, est encore dit guérissable. Or de même que la guérison actuelle de la blessure du péché ne se fait que par un acte de pénitence, ainsi personne n’est-il guérissable qu’en vertu de sa disposition habituelle à la pénitence. Celui-là donc qui n’a jamais eu l’infirmité du péché a la disposition habituelle de la pénitence.

Conclusion :

La disposition habituelle tient le milieu entre la puissance et l’acte. Si donc la puissance à l’acte est supprimée, la disposition habituelle disparaît, elle aussi ; mais il n’en va pas de même si c’est l’acte qui est supprimé, parce que le conséquent disparaît si l’on supprime l’antécédent, mais non réciproquement. Or l’acte disparaît quand disparaît sa matière, parce qu’il ne peut pas exister sans la matière sur laquelle il s’exerce. Il s’ensuit que la disposition habituelle d’une vertu peut se rencontrer dans un homme qui n’a pas matière à l’exercer, mais qui peut l’avoir et ainsi avoir à poser l’acte. C’est ainsi qu’un homme peut avoir la disposition habituelle à la magnificence, sans en avoir l’acte, n’ayant pas les grandes richesses qui sont la matière de la magnificence, mais pouvant les avoir. Les innocents ne peuvent donc pas avoir l’acte de la pénitence dans l’état d’innocence, puisqu’ils n’ont pas les péchés qui en sont la matière, mais ils peuvent en avoir la disposition habituelle, puisque le péché leur est possible ; et ils ont cette disposition habituelle, dès qu’ils ont la grâce, puisque toutes les vertus sont données en même temps.

Solutions :

1. Bien que n’ayant pas commis le péché, les innocents restent capables de le commettre et peuvent, à ce titre, avoir la disposition habituelle de la pénitence. Cependant cette disposition habituelle ne passera pas à l’acte, si ce n’est pour des péchés véniels, parce que les péchés mortels la suppriment. Elle n’est cependant pas inutile, étant la perfection d’une faculté naturelle.

2. Bien qu’ils n’aient actuellement aucune dette de peine, ils sont exposés à des actes qui leur en méritent.

3. Dès lors que la possibilité de péché demeure, il y a encore place pour la disposition habituelle de la justice vindicative, bien qu’elle ne doive point passer à l’acte, tant qu’il n’y a pas de péché en acte.

 

Article 2 — La pénitence se trouve-t-elle chez les saints glorifiés ?

Objections :

1. Il semble que les saints du ciel n’aient pas de pénitence. "Les bienheureux, nous dit saint Grégoire, se souviennent de leurs péchés, comme nous-mêmes, une fois guéris, nous nous souvenons, sans douleur, de nos maladies." Or la pénitence est une douleur du cœur. Les saints du ciel n’ont donc pas de pénitence.

2. Les saints du ciel ressemblent au Christ. Or il n’y a eu, dans le Christ ni pénitence, ni foi, la foi étant le principe de la pénitence. Donc pas de pénitence dans les saints du ciel.

3. Vaine est la disposition habituelle qui ne passe jamais à l’acte. Mais les saints du ciel n’auront jamais d’acte de pénitence, car alors ils auraient quelque désir contrarié. Ils n’auront donc pas non plus de disposition habituelle de pénitence.

Cependant :

La pénitence est une partie de la vertu de justice. Or la justice doit durer à perpétuité et demeurer immortelle au ciel ; donc aussi la pénitence.

D’ailleurs, dans les Vies des Pères du désert, on lit qu’un Père a dit qu’Abraham se repentira de n’avoir pas fait plus de bien. Or l’homme doit se repentir du mal commis, plus que de l’omission d’un bien auquel il n’était pas tenu, car c’est d’un bien de ce genre que parlait le Père. Il y aura donc, au ciel, une pénitence des péchés commis ici-bas.

Conclusion :

Les vertus cardinales auront encore leur place dans la vie du ciel, mais avec les actes que comporte le bien final auquel elles nous conduisent. La vertu de pénitence étant donc partie de la vertu de justice qui est une vertu cardinale, quiconque l’aura eue en cette vie, la gardera dans l’autre. Seulement, au lieu de l’acte qu’elle exerce en ce monde, elle en aura un autre, l’action de grâces rendue à Dieu pour la miséricorde qui pardonne le péché.

Solutions :

1. Ce texte prouve que les saints n’ont pas le même acte de pénitence que nous, et c’est ce que nous concédons.

2. Le Christ- n’a pas pu pécher ; et par con séquent la matière de la vertu de pénitence lui a totalement manqué, non seulement en acte, mais encore en puissance, ce qui différencie son cas de celui des autres.

3. Le repentir, au sens propre du mot, signifiant notre acte de pénitence de la vie présente, ne se trouvera pas au ciel ; mais sa disposition habituelle ne sera cependant pas vaine, parce qu’elle aura un autre acte.

Nous concédons ce que nous dit le Cependant mais sans accorder ce que prétend l’objection suivante, que l’acte de pénitence- sera le même au ciel qu’ici-bas. A cette instance nous répondons qu’au ciel, notre volonté sera tout-à-fait conforme à celle de Dieu. En conséquence, de même que la volonté de Dieu veut, de volonté antécédente, mais non pas de volonté conséquente, l’existence de tout bien et l’exclusion de tout mal, ainsi en est-il des bienheureux. C’est cette volonté antécédente que ce saint Père appelait improprement pénitence.

 

Article 3 — Le bon ange ou le mauvais ange sont-ils, eux aussi, capables de pénitence ?

Objections :

1. Il semble que l’ange bon ou mauvais soit capable de pénitence. La crainte est le commencement de la pénitence. Or il y a de la crainte dans les anges. "Les démons croient et tremblent". Il y a donc aussi en eux de la pénitence.

2. Le Philosophe dit que les méchants sont remplis de regret et que c’est là leur plus grande peine. Or les démons sont les plus dépravés des êtres et rien ne leur manque de ce qui est peine. Ils peuvent donc se repentir.

3. Une chose est plus facilement mue selon sa nature, que contre sa nature. L’eau portée à un degré de chaleur contraire à sa température naturelle retombe d’elle-même à son degré naturel. Or les anges peuvent être entraînés au péché qui est contre leur commune nature. A plus forte raison peuvent-ils être rappelés au bien qui est selon leur nature. Or c’est ce que fait la pénitence. Ils sont donc capables de pénitence.

4. D’après saint Jean Damascène, on doit juger de l’état des anges comme de celui des âmes séparées. Or, au dire de certains théologiens, la pénitence peut se trouver dans les âmes séparées, aussi bien que dans les bienheureux du ciel C’est donc qu’elle peut se trouver dans les anges.

Cependant :

Par la pénitence, l’homme obtient le pardon du péché qu’il a commis. Or cela est impossible aux anges. C’est donc qu’ils ne sont pas capables de pénitence.

D’ailleurs saint Jean Damascène nous dit "que c’est l’infirmité du corps qui vaut à l’homme l’usage de la pénitence". Or les anges ne sont pas dans un corps. Il -ne peut donc pas y avoir en eux de pénitence.

Conclusion :

La pénitence, en nous, peut se prendre dans un double sens. On peut en parler d’abord en tant qu’elle est une passion. Ainsi entendue, elle n’est qu’une tristesse ou douleur du péché commis. Bien qu’en tant que passion, elle ne soit que dans le concupiscible, il y a cependant dans la volonté, un acte qu’on appelle pénitence par analogie avec cette passion et qui nous porte à détester ce que nous avons fait.

On peut entendre la pénitence d’une autre façon, en tant qu’elle est vertu. L’acte de la pénitence ainsi entendue est une détestation du péché commis, jointe au ferme propos de le corriger, et commandée par l’intention d’expier ce péché et d’apaiser Dieu pour l’offense qui lui a été faite. Cette détestation du mal nous convient à raison de notre ordonnance naturelle au bien, et comme, dans aucune créature, cette ordonnance ou inclination au bien n’est totalement supprimée, il s’ensuit que, même dans les damnés, se retrouve cette détestation du mal et par conséquent la pénitence passion ou un acte semblable qui permet au livre de la Sagesse de dire "Faisant pénitence au dedans d’eux-mêmes". Cette pénitence n’étant pas une disposition habituelle, mais une passion ou un acte, ne peut pas se trouver dans les anges bienheureux qui n’ont pas commis de péché, mais elle existe chez les mauvais anges, dont la condition est semblable à celle des âmes damnées, car selon saint Jean Damascène "ce que la mort est pour l’homme, la chute pour les anges". Seulement le péché de l’ange est irrémissible et comme le péché, en tant que rémissible et expiable, est la matière propre de la vertu de pénitence, cette matière n’étant pas à la disposition des anges, ils n’ont pas la faculté de passer l’acte de pénitence proprement dit et par conséquent n’ont pas non plus la disposition habituelle correspondante. Les anges ne peuvent donc pas recevoir la vertu de pénitence.

Solutions :

1. La crainte engendre un certain mouvement de pénitence, mais qui n’est pas la vertu.

2. Même réponse pour la seconde objection.

3. Tout ce qui est mouvement naturel dans les anges est bon et les incline au bien ; mais leur libre arbitre est obstiné dans le mal ; et comme les mouvements de la vertu et du vice dépendent surtout du libre arbitre et non de la nature, il s’ensuit que la bonne inclination de leur nature n’entraîne pas nécessairement chez eux la vertu ou la possibilité de la vertu.

4. Les saints anges et les âmes des saints ne sont pas dans la même condition à l’égard de la pénitence. Il y a eu ou il a pu y avoir des péchés rémissibles dans les âmes des saints, mais non pas dans les anges. Ainsi, bien que la condition de ces bienheureux soit semblable, quant à l’état présent, elle ne l’est pas quant à l’état passé qui est l’objet direct de la pénitence.

 

QUESTION 17 — DU POUVOIR DES CLEFS

 

Ayant achevé ce qui concernait le pénitent, nous avons maintenant à considérer le pouvoir des ministres du sacrement de pénitence, pouvoir qui relève du pouvoir des clefs. Nous verrons d’abord ce qu’est ce pouvoir des clefs, puis nous traiterons de l’excommunication et des indulgences qui sont des choses annexes au pouvoir des clefs.

Quant au pouvoir lui-même, nous avons quatre points à considérer traitant 1° de son entité ou essence et de son usage ; 2° de ses effets ; 3° de ses ministres ; 4° de ceux sur lesquels il peut s’exercer.

Au sujet du premier point, trois questions se posent : -1. Doit-il y avoir des clefs dans l’Eglise ? -2. Ces clefs sont-elles un pouvoir de lier ou de délier ; -3. Y a t-il deux clefs ou une seule ?

 

Article 1 — Doit-il y avoir des clefs dans l’Eglise ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir de clefs dans l’Eglise. On n’a pas besoin de clefs pour entrer dans une maison dont la porte est ouverte. Or l’Apocalypse nous dit : "J’ai vu et voici qu’au ciel une porte est ouverte", porte qui est le Christ disant de lui-même "Je suis la porte". Pour l’entrée au ciel, l'Eglise n’a donc pas besoin de clefs.

2. La clef sert à ouvrir et à fermer ; mais cela n’appartient qu’au Christ "qui ouvre et personne ne ferme, qui ferme et personne n’ouvre". L’Eglise n’a donc pas de clefs dans les mains de ses ministres.

3. A qui le ciel est fermé, l’enfer, est ouvert, et réciproquement. D’où quiconque a les clefs du ciel, a celles de l’enfer. Mais on ne dit pas que l'Eglise a les clefs de l’enfer. Elle n’a donc pas lion plus celles du ciel.

Cependant :

On lit dans saint Matthieu, cette parole de Jésus à Pierre "Je te donnerai les clefs du royaume des cieux", etc.

D’ailleurs, tout dispensateur doit avoir les clefs de ce qu’il distribue ; or d’après saint Paul, les ministres de l’Eglise sont "les dispensateurs des divins mystères". Ils doivent donc en avoir les clefs.

Conclusion :

Dans les choses matérielles, la clef est l’instrument qui sert à l’ouverture de la porte. Or la porte du royaume nous est fermée, en tant que le péché est une souillure et en tant qu’il nous mérite une peine. C’est pourquoi le pouvoir, qui écarte cet obstacle, est appelé clef. Ce pouvoir appartient à la divine Trinité par droit d’autorité et c’est la raison pour laquelle certains disent qu’elle a la clef d’autorité : Mais ce même pouvoir d’écarter l’obstacle du péché appartient au Christ-Homme par le mérite de la passion qui est dite ouvrir la porte du ciel ; et c’est ainsi que quelques-uns attribuent au Christ les clefs d’excellence.

Or, du côté du Christ endormi sur la croix, ont coulé les sacrements qui appartiennent à la constitution même de l’Eglise et- c’est ainsi que, dans les sacrements de l’Eglise, demeure l’efficacité de la passion du Christ. Voilà comment les ministres de l’Eglise, qui sont les dispensateurs des sacrements, ont reçu un certain pouvoir d’écarter cet obstacle du péché, non point par leur propre vertu, mais par la vertu de Dieu et de la passion du Christ. C’est ce pouvoir qu’on appelle métaphoriquement clef de l’Eglise et qui est une clef de service.

Solutions :

1. La porte du ciel est, de son côté, toujours ouverte ; mais on la dit fermée pour celui qui ne peut pas y entrer, à raison d’un obstacle qui vient de lui-même. L’obstacle, qui existait pour toute la nature humaine ù raison du péché originel, a été écarté par la passion du Christ et c’est pour cela qu’après la passion, Jean a vu la porte du ciel ouverte. Mais encore main tenant elle est chaque jour fermée à tel ou tel individu, soit à cause du péché originel qu’il a contracté en naissant, soit à cause du péché actuel qu’il a commis personnellement. Voilà pourquoi nous avons besoin des sacrements et des clefs de l’Eglise.

2. Cette parole s’entend de la fermeture définitive des Limbes où personne ne descend plus et de cette ouverture du paradis qui consiste en ce que le Christ a écarté, par sa passion, l’obstacle qui s’opposait à l’entrée de la nature humaine.

3. La clef de l’enfer, qui l’ouvre et le ferme, est le pouvoir de conférer la grâce qui ouvre l’enfer en faisant sortir l’homme du péché, porte de l’enfer, et qui le ferme en empêchant l’homme soutenu par la grâce de tomber dans le péché. Or ce pouvoir de conférer la grâce n’appartient qu’à Dieu seul qui, par conséquent, a gardé pour lui seul, la clef de l’enfer. Mais la clef du royaume est encore le pouvoir de remettre la dette de peine temporelle qui demeure après le pardon, et empêche le pénitent d’entrer dans le royaume. Voilà pourquoi on peut plutôt confier à des hommes la clef du royaume que celle de l’enfer, car ce n’est pas la même chose, comme on le voit par ce que nous venons de dire. Un pénitent peut être tiré de l’enfer par la rémission de la peine éternelle, sans être immédiatement introduit dans le royaume, à cause de la dette de peine temporelle qui lui reste à payer.

Ou bien il faut dire, comme certains le font, que la clef du ciel est la même que celle de l’enfer, puisque du fait que l’un est fermé, l’autre est ouvert, et qu’on a retenu la dénomination la plus digne.

 

Article 2 — La clef est-elle un pouvoir de lier ou de délier ?

Objections :

1. Il semble que la clef ne soit pas ce pouvoir de lier et de délier par lequel "le juge ecclésiastique doit recevoir les dignes et exclure du royaume les indignes", ainsi que le disent le texte du Maître des Sentences et la glose de saint Jérôme sur le texte de saint Matthieu. Le pouvoir spirituel conféré dans le sacrement est la même chose que le caractère sacramentel. Mais la clef et le caractère ne semblent pas être une même chose ; car l’homme est mis en relation avec Dieu par le caractère et avec les sujets par la clef. La clef n’est donc pas un pouvoir.

2. On réserve le nom de juge ecclésiastique à celui qui a pouvoir de juridiction, pouvoir qui n’est pas conféré en même temps que l’Ordre. Les clefs au contraire sont données dans la collation même de l’Ordre. On ne doit donc pas faire mention du juge ecclésiastique dans la définition des clefs.

3. On n’a besoin d’aucune puissance active pour obtenir l’actualité de ce qu’on a de soi-même. Or du fait même qu’un homme est digne du royaume, il. y est admis. Le pouvoir des clefs n’a donc pas à recevoir au royaume ceux qui en sont dignes.

4. Les pécheurs sont indignes du royaume et cependant l’Eglise prie pour que les pécheurs arrivent au royaume. Elle n’en exclut donc pas les indignes, mais, pour sa part, les admet plutôt autant qu’elle le peut.

5. Dans -toutes les séries ordonnées d’agents, la fin dernière relève de l’agent principal et non point de la cause instrumentale. Or c’est Dieu qui est l’agent principal du salut de l’homme. C’est donc à lui qu’il appartient d’admettre au royaume, ce qui est la fin dernière, et non pas au prêtre qui a les clefs et qui n’est qu’un instrument ou ministre.

Conclusion :

D’après le Philosophe, "les puissances se définissent par leurs actes". D’où la clef étant une certaine puissance, elle doit se définir par son acte ou son usage et la mention de cet acte doit exprimer l’objet qui le spécifie, ainsi que le mode d’agir qui montre que cette puissance est ordonnée. Or la puissance spirituelle n’a pas pour acte d’ouvrir simplement le ciel, puisqu’il est déjà ouvert, comme on l’a dit dans l’article précédent, mais de l’ouvrir pour tel individu, ce qui ne peut se faire de façon ordonnée, que si l’on estime l’idonéité de celui auquel on doit ouvrir le ciel. Voilà pourquoi ; dans la définition précitée de la clef, on nous donne d’abord le genre de la réalité à définir, c’est-à-dire la puissance, puis le sujet de cette puissance, à savoir le juge ecclésiastique, puis l’acte, l’exclusion ou l’admission, par analogie avec les deux actes de la clef matérielle qui ouvre ou ferme. L’objet de cet acte est indiqué par la mention du royaume, et son mode, par les mots dignes et indignes, car on doit estimer la dignité ou l’indignité de ceux sur lesquels l’acte s’exerce.

Solutions :

1. Pour obtenir deux effets dont l’un est cause de l’autre, il n’est besoin que d’une seule puissance, c’est ainsi que, dans le feu, la chaleur suffit à chauffer et à dissoudre. Or toute grâce et tout pardon dans le corps mystique du Christ dérivant de la tête, il semble qu’il y ait identité essentielle entre le pouvoir en vertu duquel le prêtre consacre et celui qui lui permet de lier et de délier, quand il a juridiction. Entre ces deux pouvoirs, il n’y a qu’une distinction de raison, en tant qu’ils se rapportent à des effets différents, comme il n’y a qu’une distinction de raison entre les deux puissances qu’a le feu, de chauffer et de liquéfier. Et comme le caractère sacerdotal n’est pas autre chose que le pouvoir d’exercer l’acte principal de cet ordre (si toutefois l’on tient l’opinion qui identifie le caractère et le pouvoir spirituel), le caractère sacramentel, le pouvoir de consacrer et le pouvoir des clefs sont essentiellement une seule et même chose et il n’y a entre eux qu’une distinction de raison.

2. Tout pouvoir spirituel étant conféré avec une consécration, la clef est donnée avec 1 mais l’exécution de l’acte de la clef demande une matière appropriée qui est le peuple soumis au prêtre en vertu de la juridiction. Sans la juridiction, le prêtre a donc les clefs, mais il n’a pas l’acte des clefs. Or la clef étant définie par son acte, on doit donc, dans la définition de la clef, faire quelque mention de la juridiction.

3. On peut. donc être digne de quelque chose, de deux façons, ou bien en ce sens qu’on a droit à cette chose et c’est ainsi que tout homme digne du ciel a déjà le ciel ouvert, ou bien de telle façon qu’on a en soi une certaine convenance à recevoir cette même chose, et ce sont les titulaires de cette seconde de dignité, auxquels le ciel n’est pas encore complètement ouvert, que le pouvoir des clefs reçoit.

4. De même que Dieu endurcit, non pas en versant la malice dans le cœur, mais en n’y mettant pas la grâce, ainsi dit-on que le prêtre exclut du royaume, non pas en posant un obstacle à l’entrée dans le royaume, mais en n’écartant pas l’obstacle existant, car il ne peut pas l’écarter, si ne l’écarte d’abord. Voilà pourquoi l’on prie Dieu d’absoudre lui-même, afin que l’absolution du prêtre puisse avoir lieu.

5. L’acte du prêtre n’a pas pour objet immédiat le royaume, mais les sacrements par lesquels l’homme arrive au royaume.

 

Article 3 — Y a t-il deux clefs ou une seule ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y ait pas deux clefs, mais une seule. Pour une seule serrure, il ne faut qu’une clef. Or la serrure, que la clef de l’Eglise doit ouvrir, c’est le péché. Contre le seul péché, l’Eglise n’a donc pas besoin de deux clefs.

2. Les clefs sont données dans la collation de l’ordre sacerdotal. Or le prêtre ne reçoit pas toujours la science infuse, mais doit quelquefois acquérir cette science qui manque à certains prêtres et qu’on trouve dans certaines personnes qui n’ont pas reçu la prêtrise. La science n’est donc pas une clef, et ainsi il n’y en a qu’une, le pouvoir de juger.

3. Le pouvoir que le prêtre a sur le corps mystique du Christ est corrélatif à celui qu’il à sur le vrai corps du Christ. Or le pouvoir de consacrer le corps du Christ est un seul pouvoir. La clef qui donne pouvoir sur le corps mystique du Christ est donc unique.

Cependant :

Il semble qu’il y ait même plus de deux clefs ; la volonté est requise pour un acte humain aussi bien que la science et la puissance. Or la science du discernement est représentée par une clef, la puissance de juger l’est de même ; la volonté d’absoudre devrait donc être aussi appelée clef.

D’ailleurs, la rémission du péché est l’œuvre de toute la Trinité. Or c’est par les clefs que le prêtre est ministre de la rémission des péchés. Il doit donc avoir trois clefs pour représenter figurativement la Trinité.

Conclusion :

Dans tout acte qui requiert un sujet idoine, deux choses sont nécessaires à celui qui doit poser cet acte. Il doit d’abord juger de la capacité du sujet, puis accomplir l’acte. Voilà pourquoi, même dans l’acte de justice par lequel on rend à quelqu’un ce qu’il mérite, il faut un jugement discernant si celui auquel on rend quelque chose le mérite. Pour l’une et l’autre fonction, il faut une certaine autorité ou puissance. Nous ne pouvons donner que ce qui est en notre pouvoir et nous ne pouvons prononcer de jugement, si nous n’avons le pouvoir d’en imposer l’exécution. Le jugement en effet est la détermination d’un cas individuel, qui se fait spéculativement par la force irrésistible des premiers principes, et se réalise pratiquement en vertu de la puissance impérative que détient le juge. Or l’acte des clefs requérant l’idonéité du sujet sur lequel il s’exerce, puisque par les clefs le juge ecclésiastique reçoit les dignes et exclut les indignes, comme le montre sa définition, il s’ensuit que le juge a besoin d’un jugement de discrétion qui discerne l’idonéité du sujet, dans l’acte- même de son admission au pardon. Pour ces deux fonctions, discernement et prononcé de la sentence, il faut également un pouvoir ou autorité. C’est à cause de ce double pouvoir, qu’on distingue deux clefs, dont l’une symbolise le discernement de l’idonéité du sujet qu’on doit absoudre, et dont l’autre figure l’absolution elle-même. - Ces deux clefs ne se distinguent pas quant à l'essence même de l’autorité qui leur appartient en vertu d’un même office, mais on les distingue par comparaison avec leurs deux actes dont l’un présuppose l’autre.

Solutions :

1. Il n’y a qu’une clef pour l’ouverture immédiate d’une seule serrure, mais cela n’empêche pas que cette clef soit une seconde clef, dont l’acte doive être préparé par celui d’une première. Ainsi en est-il dans le cas qui nous est

proposé. La clef, qui représente le pouvoir de lier et de délier et qui ouvre immédiatement la serrure du péché, est une seconde clef ; la première est celle de la science qui montre à qui cette serrure du péché doit être ouverte.

2. Pour la clef de la science, il y a deux opinions. . Les uns ont dit que la science, en tant que disposition habituelle acquise ou infuse, est appelée ici clef, non point comme clef principale, -mais comme, étant au service d’une autre clef, en sorte qu’en l’absence de cette clef principale, elle ne porte plus elle-même le nom de clef, comme c’est le cas pour la science d’un lettré qui n’est pas prêtre. Et si même quelquefois cette clef préparatoire manque à certains prêtres qui n’ont ni science acquise, ni science infuse les - mettant. à même d’absoudre ou de lier, ils se servent cependant pour l’exercice de cette fonction, d’un flair naturel qu’ils appellent claviola, petite clef ; d’où il apparaît que l’Ordre, sans donner la science, fait que la science soit une clef, ce qu’elle n’était pas avant la réception de l’Ordre. Telle paraît avoir été l’opinion du Maître des Sentences. Mais cela ne semble pas concorder avec les paroles de “évangile qui promettent que les clefs seront données à Pierre, ce qui implique que, dans l’Ordre, on reçoit deux clefs et non pas seulement une.

Il y a donc une autre opinion d’après laquelle la clef n’est pas la science en tant que disposition habituelle, mais l’autorité d’exercer l’acte de la science. Cette autorité peut se trouver sans la science, comme aussi la science, sans l’autorité, ainsi qu’on le voit, même dans les juges séculiers ; car tel juge séculier a l’autorité de juger, sans avoir la science du droit, alors que tel autre homme, au contraire, a cette science du droit, sans avoir l’autorité de juger. Et comme l’acte de juger, auquel on est tenu en vertu de la charge de juge une fois acceptée, et non pas en conséquence d’une simple disposition habituelle de science, ne peut pas être bien exercé si l’on n’a pas en même temps la science et l’autorité, on ne peut pas, sans péché, accepter l’autorité de juger n’ayant pas la science requise. Par contre, on peut très bien, sans péché, avoir la science sans l’autorité.

3. L’acte unique auquel est ordonné le pouvoir de consacrer est d’autre genre que -celui des clefs et par conséquent ce pouvoir ne fait pas nombre avec celui des clefs, et n’est pas multiple comme le pouvoir des clefs qui s’applique à des actes de différentes sortes, tout en étant un quant à l’essence même de son autorité ou puissance, comme on l’a dit.

4. Le vouloir dépend de la liberté de chacun et, par conséquent, n’exige pas d’autorité. Voilà pourquoi la volonté n’est pas considérée comme une clef.

5. La Trinité toute entière remet les péchés comme si elle n’était qu’une seule personne. Voilà pourquoi il n’est pas requis que le prêtre, pour être ministre de la Trinité, ait trois clefs, étant donné surtout que la volonté, représentant l’Esprit-Saint, ne comporte pas de clef, comme on l’a dit.

 

QUESTION 18 — DE L’EFFET DES CLEFS

 

Ayant dit ce qu’étaient les clefs nous avons maintenant à parler de leur effet. Quatre questions se posent : 1. Le pouvoir des clefs s’étend-il jusqu’à la rémission de la faute ? -2. Le prêtre peut-il remettre la peine du péché ? -3. Peut-il lier en vertu du pouvoir des clefs ? -4. Peut-il délier ou lier arbitrairement ?

 

Article 1 — Le pouvoir des clefs s’étend-il jusqu’à la rémission de la faute ?

Objections :

1. Il semble que le pouvoir des clefs s’étende jusqu’à la rémission de la faute. Jésus a dit aux disciples "Les péchés seront remis à ceux à qui vous les aurez remis". Or ces paroles ne signifient pas une simple manifestation de pardon déjà obtenu, comme le dit le texte du Maître des Sentences ; car alors le prêtre du Nouveau Testament n’aurait pas un pouvoir plus grand que celui de l’Ancien Testament. Il exerce donc un pouvoir qui s’étend à la rémission de la faute.

2. La grâce donnée dans la pénitence a pour objet la rémission du péché. Or c’est en vertu des clefs, que le prêtre est dispensateur de ce sacrement. En conséquence, la grâce ne s’opposant pas au péché à raison de la peine (qu’il mérite), mais de la faute (qu’il est en lui-même), il semble que ce soit bien la rémission de la faute, que le prêtre opère en vertu des clefs.

3. Le prêtre reçoit de sa consécration une vertu plus grande que celle que le baptême reçoit de la sanctification de l’eau baptismale. Or l’eau du baptême reçoit une telle vertu "qu’en touchant le corps, elle lave le cœur" comme dit saint Augustin. A plus forte raison le prêtre reçoit-il, dans sa consécration, un pouvoir tel qu’il puisse laver le cœur de la souillure de la faute.

Cependant :

Le Maître des Sentences a dit que Dieu n’a pas conféré au ministre le pouvoir de coopérer avec lui à la purification intérieure. C’est donc que le pouvoir des clefs ne s’étend pas à la rémission de la faute elle-même.

D’ailleurs, le péché n’est remis que par l’Esprit- Saint. Or, comme l’a dit le Maître des Sentences, il n’appartient à aucun homme de donner l’Esprit Saint et donc aussi de remettre la faute même du péché.

Conclusion :

"Les sacrements, d’après Hugues de Saint-Victor, contiennent, en vertu de leur sanctification, une grâce invisible". Or par fois le sacrement exige de toute nécessité cette sorte de sanctification tout à la fois dans sa matière et dans son ministre, comme pour la confirmation, auquel cas la vertu du sacrement se trouve conjointement dans l’un et l’autre élément du sacrement. Quelquefois, au contraire, le sacrement n’exige nécessairement que la sanctification de la matière, comme dans le baptême qui n’a pas de ministre déterminé nécessairement requis. La vertu sacramentelle se trouve alors tout entière dans la matière. Parfois enfin le sacrement n’exige nécessairement que la Consécration ou sanctification du ministre, sans aucune consécration de la matière et toute la vertu sacramentelle réside alors dans le ministre, comme c’est le cas pour la pénitence. Il s’ensuit que le pouvoir des clefs, qui est dans le prêtre, est dans le même rapport avec l’effet du sacrement de pénitence que la vertu contenue dans l’eau du baptême avec l’effet du baptême.

Or le baptême et le sacrement de pénitence se ressemblent d’une certaine façon quant à leur effet, car l’un et l’autre ont peur objet de combattre directement le péché, ce qui n’est pas le cas des autres sacrements. Mais cependant ils diffèrent en ceci, que les actes du -pénitent étant la quasi-matière du sacrement de pénitence, celui-ci ne peut se donner qu’aux adultes et exige d’eux une préparation pour qu’ils reçoivent l’effet du sacrement, tandis que le baptême se donne non seulement aux adultes, mais aussi aux enfants et aux autres individus humains privés de l’usage de la raison. Il s’ensuit que, par le baptême, la grâce et la rémission des péchés sont données aux enfants, sans qu’ils aient à se préparer, mais non pas aux adultes auxquels on demande une préparation qui écarte de leur âme le mensonge du péché. Or il peut arriver que cette préparation soit suffisante pour la réception de la grâce, avant le temps de la réception du baptême, mais non pas avant le désir du baptême, dès qu’il y a eu manifestation de la vérité chrétienne. D’autres fois, cette préparation ne précède pas le baptême, mais accompagne sa réception, auquel cas c’est la réception actuelle du baptême qui confère la grâce et la rémission de la faute. Par le sacrement de pénitence, au contraire, la grâce n’est jamais donnée sans une préparation qui accompagne ou précède la réception du sacrement. La vertu des clefs concourt donc à la rémission de la faute, tout comme l’eau du baptême, soit par son être intentionnel dans le désir du pénitent, soit par son exercice actuel.

Mais de même que le baptême agit simplement comme instrument et non point comme agent principal, disposant à la grâce qui remet la faute et n’étendant pas sa causalité, même instrumentalement, jusqu’à créer la réception même de la grâce ; ainsi en va t-il du pouvoir des clefs. C’est donc Dieu seul qui remet par lui-même la faute et c’est par sa vertu que le baptême agit instrumentalement comme un instrument inanimé et le prêtre comme cet instrument animé qu’est le serviteur, d’après le Philosophe, et par conséquent comme ministre.

Il est donc évident que le pouvoir des clefs a, d’une certaine façon, pour objet la rémission de la faute, non pas en la causant, mais en y disposant. D’où, si le pénitent n’était point parfaitement disposé, avant l'absolution, à recevoir la grâce, il la recevrait dans l’acte même de la confession et de la confession sacramentelle, à la condition de n’y point mettre obstacle. Car si le pouvoir des clefs n’avait d’aucune façon pour objet la rémission de la faute, mais seulement la rémission de la peine, comme certains le disent, le désir de recevoir l’effet des clefs ne serait pas exigé pour cette rémission de la faute, pas plus que le désir de recevoir les autres sacrements qui n’ont pas pour objet le pardon même du péché, mais la rémission de la peine. Mais ce qui fait voir que le pouvoir des clefs n’a pas la rémission de la faute comme objet immédiat, c’est que son usage requiert toujours une préparation de la part de celui qui reçoit le sacrement, et l’on verrait la même chose dans le baptême s’il n’était jamais donné qu’aux adultes.

Solutions :

1. Comme le dit le texte du Maître des Sentences, le pouvoir de remettre les péchés a été confié aux prêtres, non point pour qu’ils remettent les péchés par leur vertu personnelle, ce qui est le propre -de Dieu, mais pour qu’ils manifestent comme ministres l’opération de Dieu remettant le péché. Or cela peut se faire de trois façons : 10 Ils peuvent montrer que cette rémission n’est pas accordée pour le présent et la promettre pour l’avenir, sans y concourir en rien, et c’est ainsi que les sacrements de l’Ancienne Loi signifiaient l’opération de Dieu. L’action du prêtre de l’Ancien Testament était purement significative et nullement opérative ; 20 Le prêtre peut manifester la rémission présente de la faute, sans y coopérer, c’est ainsi, disent certains théologiens, que les sacrements de la Loi Nouvelle signifieraient la collation de la grâce donnée par Dieu dans la collation même du sacrement, sans qu’il y ait, dans le sacrement, aucune vertu coopérant à cette collation de la grâce. D’après cette opinion, le pouvoir des clefs, lui aussi, ne ferait que montrer l’opération divine remettant la faute dans la collation même du sacrement ; 3° Le prêtre peut manifester l’opération de Dieu remettant présentement la faute, et en même temps y concourir par une opération instrumentale dispositive. Ainsi donc, d’après cette seconde opinion qui est la plus communément soutenue, les sacrements de la Nouvelle Loi manifestent la purification accomplie par l’opération de Dieu, et le prêtre du Nouveau Testament a pour fonction, lui aussi, de montrer les coupables absous. Mais le fait que la faute soit déjà remise avant l’absolution n’est pas plus une objection contre la causalité dispositive des clefs de l’Eglise, pour la rémission de la faute, que contre la causalité dispositive du baptême, en tant que baptême, dans celui qui est déjà sanctifié avant d’être baptisé.

2. Ni le sacrement de pénitence, ni le sacrement de baptême n’atteignent directement la grâce et la rémission de la faute par leur opération qui est purement dispositive ; d’où l’on voit ce qu’il faut répondre à la troisième difficulté.

Les autres objections montrent que le pouvoir des clefs n’opère pas directement la rémission de la faute, ce qu’il faut concéder.

 

Article 2 — Le prêtre peut-il remettre la peine due au péché ?

Objections :

1. Il semble que le prêtre ne puisse pas remettre la peine due au péché. Cette peine est double : éternelle et temporelle. Or, même après l’absolution du prêtre, le pénitent reste obligé à une peine temporelle qu’il doit acquitter en purgatoire ou en ce monde. C’est donc que le prêtre ne remet d’aucune façon la peine.

2. Le prêtre ne peut porter préjudice à la justice divine. Or c’est d’après la divine justice qu’a été fixée la peine que les pénitents doivent subir. Le prêtre ne peut donc rien en remettre.

3. Celui qui a commis un petit péché n’est pas moins capable de recevoir l’effet des clefs que celui qui en a commis un plus grand. Si donc l’action sacramentelle du prêtre sur le grand péché peut remettre quelque chose de la peine qui lui est due, il est possible qu’il y ait un péché assez petit pour ne pas mériter plus de peine, que celle qui a été remise au sujet du grand péché. Toute la peine de ce petit péché pourrait donc être remise, ce qui est faux.

4. Toute la peine temporelle due au péché est de même nature. Si donc la première absolution en remet quelque chose, une seconde absolution du même péché pourra en remettre quelque chose aussi, et ainsi l’absolution pourra être suffisamment répétée pour que la peine tout entière soit remise, puisque la seconde absolution n’est pas de moindre efficacité que la première. De cette façon le péché resterait tout-à-fait impuni, ce qui ne convient pas.

Cependant :

Les clefs sont un pouvoir de lier et de délier. Or le prêtre peut enjoindre une peine temporelle. Il peut donc aussi en absoudre. D’ailleurs le prêtre, selon que le dit le texte du Maître des Sentences, ne peut pas remettre le péché quant à la faute et par conséquent, pour la même raison, quant à la peine éternelle. Si donc il ne peut pas remettre la peine temporelle, il n’a aucun pouvoir de rémission, ce qui est contraire aux paroles de l’Evangile.

Conclusion :

Il faut juger de l’effet accompli par l’exercice actuel du pouvoir des clefs sur celui qui avait auparavant la contrition, comme de l’effet du baptême donné à celui qui a déjà la grâce. Celui qui, par la foi et la contrition précédant le baptême, a déjà obtenu la grâce de la rémission de ses péchés, obtient, dans l’acte de la réception du baptême, l’absolution complète de toute sa dette de peine, en devenant participant de la passion du Christ. Il en va de même de celui qui, par la contrition, a déjà obtenu la rémission de son péché quant à la faute et par conséquent quant à sa dette de peine éternelle remise avec la faute en vertu des clefs qui tiennent leur efficacité de la passion du Christ ; il obtient (dans la réception actuelle du sacrement de pénitence) une augmentation de grâce et une remise de la peine temporelle, dont la dette demeure après la rémission de la faute. Cette remise n’est pas totale, comme dans le baptême, mais seulement partielle. C’est que, dans le baptême, l’homme est régénéré à l’image de la passion du Christ, dont il reçoit totalement l’efficacité suffisante pour effacer toute dette de peine, en sorte que rien ne lui reste de la peine due au péché actuel précédent. On ne doit en effet imputer une peine à quelqu’un, que pour ce qu’il a fait lui- même ; or, dans le baptême, l’homme recevant une nouvelle vie devient, par la grâce baptismale, un nouvel homme, et par conséquent il ne reste rien en lui de la dette due pour le péché précédent. Dans la pénitence, au contraire, il n’y a pas changement introduisant une vie nouvelle, car la pénitence n’est pas une régénération, mais une guérison. Voilà pourquoi ce n’est pas toute la peine qui est remise par la vertu des clefs Opérant dans le sacrement de pénitence, mais seulement une partie de la peine temporelle dont on reste chargé après avoir été absous de la peine éternelle. On n’est pas seulement déchargé de la peine de la confession, comme quelques-uns le disent, car alors la confession et l’absolution sacramentelles ne seraient pour nous qu’une charge, ce qui ne convient pas aux sacrements de la Loi Nouvelle, mais on obtient remise partielle de cette peine qu’on doit souffrir en purgatoire, en sorte que celui qui meurt après avoir reçu l’absolution et avant d’avoir accompli sa pénitence est moins puni en purgatoire que s’il mourait avant l’absolution.

Solutions :

1. Le prêtre ne remet pas la peine temporelle en entier, mais seulement en partie et le pénitent reste encore obligé à une peine satisfactoire.

2. La passion du Christ a été une satisfaction suffisante pour les péchés du monde entier. C’est donc sans préjudice de la justice divine, qu’une partie de la dette de peine peut être remise, en tant que l’effet de la passion du Christ arrive jusqu’au pénitent, par les sacrements de l’Eglise.

3. Il faut que, pour tout péché, reste une peine satisfactoire qui serve de remède contre le péché. C’est pourquoi, bien que par la vertu de l’absolution, il y ait eu rémission d’une certaine quantité de la dette de peine pour un grand péché, il n’est pas nécessaire qu’une quantité égale de peine soit remise pour chaque péché, car, en ces conditions, il pourrait y avoir quelque péché qui n’aurait plus de dette de peine ; mais, par la vertu des clefs c’est une partie proportionnelle de la peine de chaque péché qui est remise.

4. Certains théologiens prétendent que, par la vertu des clefs, la première absolution remet tout ce qui peut être remis de dette de peine et que cependant la confession répétée a une certaine valeur à raison de l’instruction meilleure du pénitent, de sa plus grande sécurité, de la prière du prêtre confesseur et du mérite de la confession qu’elle renouvelle.

Mais cela ne semble pas vrai. Si les raisons alléguées pouvaient motiver une répétition de la confession, elles ne motiveraient pas une seconde absolution, surtout pour celui qui n’a aucune raison spéciale de douter de la valeur de la première absolution, car alors il pourra douter de la seconde, aussi bien que de la première. C’est ainsi que nous voyons que le sacrement d’Extrême Onction n’est pas renouvelé dans la même maladie, parce qu’il produit tout son effet dès la première fois. D’ailleurs le pouvoir des clefs ne serait pas requis dans le confesseur pour la seconde confession, si ce pouvoir n’avait pas d’emploi.

Voilà pourquoi d’autres disent que, même dans la seconde absolution, il y a une diminution de peine, en vertu des clefs, parce que cette seconde absolution confère une augmentation de grâce. Or plus la grâce augmente, plus l’impureté qui reste du péché précédent diminue et moins il nous reste à payer de peine purificatrice. C’est pourquoi, déjà dans la première absolution, la diminution de peine, par la vertu des clefs, est plus ou moins grande, selon que le pénitent se dispose plus ou moins à la grâce ; i est même possible qu’il soit si bien disposé, que par la vertu de la contrition toute dette de peine soit enlevée, comme nous l’avons dit précédemment. Il n’y a donc pas non plus d’inconvénient à ce qu’une fréquente confession enlève également toute la peine, en sorte qu’il, ne reste plus de peine spéciale pour un péché complètement expié par la peine du Christ.

 

Article 3 — Le prêtre peut-il lier par le pouvoir des clefs ?

Objections :

1. semble que, par le pouvoir des clefs, le prêtre ne puisse pas lier. La vertu sacramentelle a pour objet de combattre le péché, à la façon d’un remède. Or lier n’est pas un remède au péché, mais plutôt une aggravation du mal. Le prêtre ne peut donc pas lier par le pouvoir des clefs qui est une vertu sacramentelle.

2. De même qu’ouvrir ou absoudre, c’est écarter un obstacle, lier c’est en poser un. Or l’obstacle au royaume, c’est le péché qui ne peut pas nous être imposé par autrui, puisqu’on ne pèche que volontairement. Le prêtre ne peut donc pas lier.

3. Les clefs reçoivent leur efficacité de la Passion du Christ. Or lier n’est pas un effet de la Passion. Le prêtre ne peut donc pas lier en vertu du pouvoir des clefs.

Cependant :

On lit dans saint Matthieu : "Tout ce que tu lieras sur la terre, sera lié aussi dans les cieux".

D’ailleurs, les pouvoirs exercés par la raison sont toujours à deux fins opposées. Or le pouvoir des clefs est un pouvoir exercé par la raison, puisqu’il implique un acte de discernement. Il est donc à deux fins opposées et s’il peut délier, il peut aussi lier.

Conclusion :

L’opération du prêtre, dans l’usage des clefs, est conforme à l’opération de Dieu dont il est le ministre. L’opération de Dieu s’exerce à la fois sur la faute et sur la peine. Elle s’exerce sur la faute directement pour délier et indirectement pour lier, en tant que Dieu est dit endurcir le pécheur, en ne lui donnant plus la grâce, mais elle s’exerce sur la peine directement, soit pour délier, soit pour lier, en tant que Dieu remet ou inflige une peine. Il en va de même du prêtre. Bien qu’en déliant par l’absolution, en vertu des clefs, il exerce pour le pardon de la faute, une opération qui a pour objet la rémission de la faute à la façon que nous avons dite, il n’exerce aucune opération sur la faute, pour lier, à moins qu’on ne dise qu’il lie en n’accordant pas l’absolution et en montrant que les pécheurs restent liés. Quant à la peine, il a sur elle pouvoir de lier et de délier. Il délie de la peine qu’il remet et il lie le pénitent quant à ce qui reste de peine. Cette fonction de lier qu’on lui attribue peut s’en tendre de deux façons : ou bien en vue de la peine satisfactoire en général et ainsi entendue elle ne lie pas à proprement parler, si ce n’est en tant que le confesseur n’absout pas, mais montre le pénitent lié ; ou bien en vue de telle ou telle peine déterminée et alors il lie à cette peine, en l’imposant.

Solutions :

1. Ce reste de peine auquel le confesseur oblige est un remède purifiant l’impureté du péché.

2. L’obstacle à l’entrée au royaume n’est pas seulement le péché, mais aussi la peine, dont nous avons dit comment le prêtre l’imposait.

3. La Passion du Christ elle-même nous oblige à une certaine peine, qui nous rend conformes au Christ.

 

Article 4 — Le prêtre peut-il à volonté lier ou délier ?

Objections :

1. Il semble que le prêtre puisse à volonté lier et délier. Saint Jérôme nous dit en effet "Les saints canons ne déterminent pas pour chaque péché la mesure de pénitence, de telle façon qu’ils disent comment il faut expier chacun d’eux, mais plutôt ils décrètent qu’on doit laisser cette détermination à la volonté d’un prêtre intelligent". Il semble donc bien que le prêtre puisse à volonté lier et délier.

2. Le Seigneur a loué le mauvais intendant de l’Evangile, dé ce qu’il avait agi prudemment parce qu’il avait fait remise de leurs dettes aux débiteurs de son maître. Or le Seigneur est bien plus incliné à la miséricorde que n’importe quel maître temporel. Il semble donc que le prêtre sera d’autant plus louable qu’il fera plus large remise de peine.

3. Toute action du Christ est pour nous une leçon. Or lui-même n’a imposé aucune peine à certains pécheurs et ne leur a demandé que l’amendement de leur vie, comme on le voit pour la femme adultère. Il semble donc que le prêtre, qui est vicaire du Christ, puisse, lui aussi, remettre à volonté la totalité ou une partie de la peine.

Cependant :

Saint Grégoire VII nous dit : "Nous déclarons fausse la pénitence qui n’est pas imposée selon la qualité du péché d’après l’autorité des Saints Pères". Il semble donc que cela ne soit pas laissé complètement à la volonté du prêtre.

D’ailleurs, l’exercice du pouvoir des clefs requiert de la discrétion. Or, si le prêtre pouvait arbitrairement remettre ou imposer des peines, selon sa propre volonté, il n’y aurait pas de discrétion requise, puisqu’il ne pourrait jamais y avoir d’indiscrétion. Cela n’est donc pas laissé à l’arbitraire du prêtre.

Conclusion :

Le prêtre agit, dans l’usage des clefs, comme instrument et ministre de Dieu. Or aucun instrument n’a d’acte efficace que selon la motion de l’agent principal. Voilà pourquoi Denys nous dit que "les prêtres doivent se servir des vertus hiérarchiques, sous l’impulsion de la divinité". C’est pour signifier cette dépendance que, dans saint Matthieu, Jésus fait mention de la révélation de sa divinité faite à Pierre, avant de lui donner le pouvoir des clefs. Dans saint Jean, le don fait aux apôtres du pouvoir de rémission est précédé du don de l’Esprit Saint par lequel "les fils de Dieu sont mis en activité". Si donc un prêtre avait la présomption de se servir de son pouvoir, en dehors de ce mode divin d’agir, son acte n’aurait pas d’efficacité, comme le dit Denys et de plus, se détournant de l’ordre divin, il encourrait une faute.

Les peines satisfactoires à infliger, étant des médecines, doivent être administrées comme les médecines indiquées par les recettes médicales. Celles-ci ne conviennent pas également à tous, mais doivent être diversifiées selon la volonté du médecin suivant, non pas sa propre volonté, mais les directions de la science médicale. Ainsi en va t-il des peines satisfactoires déterminées par les canons pénitentiels. Elles ne conviennent pas à tous, mais elles doivent être diversifiées selon la volonté du prêtre réglée par une inspiration divine. De même que le médecin s’abstient prudemment de donner un remède dont l’efficacité suffirait à guérir la maladie, par crainte que ce remède ne mette le malade en plus grand péril, à cause de la faiblesse de sa constitution, ainsi arrive t-il que le prêtre mû par un instinct divin, n’impose pas au pénitent toute la peine qui lui serait due pour un péché, de peur que le malade désespéré par la gravité de la peine, ne renonce à toute pénitence.

Solutions :

1. Cette volonté doit être réglée par un instinct divin.

2. L’intendant est précisément loué de ce qu’il a agi prudemment. Il faut donc user de discrétion dans la remise de la peine due au péché.

3. C’est à raison de son pouvoir d’excellence sur les sacrements, que le Christ pouvait, de sa propre autorité, remettre la peine totalement ou partiellement, comme il voulait. Mais il n’en va pas de même de ceux qui opèrent seulement comme ministres.

 

QUESTION 19 — DES MINISTRES DU POUVOIR DES CLEFS

Ayant dit ce qu’étaient le pouvoir des clefs et ses effets, nous devons traiter maintenant de ses ministres et de son usage, et nous poser, à ce sujet les six questions suivantes : -1. Le prêtre de l’Ancienne Loi avait-il le pouvoir des clefs ? -2. Le Christ a t-il eu ce pouvoir ? -3. Les prêtres sont- ils seuls à l’avoir ? 4. N’est-il pas aussi donné aux saints qui ne sont pas prêtres ? -5. L’usage qu’en font les mauvais prêtres a t-il quelqu’efficacité ? -6. Cet usage reste t-il aux mains des schismatiques, des hérétiques, des excommuniés des prêtres suspens ou frappés de la peine de dégradation ?

 

Article 1 — Les prêtres de l’Ancienne Loi avaient-ils le pouvoir des clefs ?

Objections :

1. Il semble que les prêtres de l’Ancienne Loi avaient eu le pouvoir des clefs. Ce pou voir est une suite de l’Ordre sacerdotal. Mais les prêtres ont reçu l’Ordre qui permettait de les appeler prêtres. Ils ont donc aussi reçu le pouvoir des clefs.

2. Comme le dit le Maître des Sentences, il y a deux clefs, qui sont la science du discernement et le pouvoir judiciaire. Or les prêtres de l’Ancienne Loi avaient autorité pour l’une et l’autre de ces deux fonctions, et par conséquent avaient les deux clefs.

3. Les prêtres de l’Ancienne Loi avaient, sur le reste du peuple, un pouvoir qui devait se distinguer du pouvoir royal, et par conséquent n’être pas temporel, mais spirituel. Or c’est là précisément le pouvoir des clefs. Donc ils avaient ce pouvoir.

Cependant :

Les clefs doivent ouvrir le royaume des cieux qui n’a pas pu être ouvert avant la Passion du Christ. Le prêtre de l’Ancienne Loi n’a donc pas eu le pouvoir des clefs.

D’ailleurs, les sacrements de l’Ancienne Loi ne conféraient pas la grâce. Or l’entrée du royaume céleste ne pouvait s’ouvrir que par la grâce. Il ne pouvait donc pas être ouvert par les Sacrements de l’Ancienne Loi, et le prêtre, qui les administrait, n’avait pas les clefs du royaume des cieux.

Conclusion :

Certains théologiens ont pré tendu que, dans l’Ancienne Loi, il y avait déjà des clefs du royaume aux mains des prêtres, puisqu’ils avaient charge d’imposer des peines pour les délits des fidèles, comme on le lit dans le Lévitique. Seulement ce pouvoir des clefs était incomplet, tandis que le Christ l’a remis complet aux prêtres de la Nouvelle Loi. Mais cette opinion semble aller contre la pensée de saint Paul dans l’Epître aux Hébreux où le sacerdoce du Christ est préféré au sacerdoce légal "en ce que le Christ est Pontife des biens futurs, introduisant par son propre sang, dans le tabernacle du ciel et non point dans le tabernacle fait de mains d’homme où le sacerdoce de l’Ancienne Loi introduisait, par le sang des boucs et des taureaux". Ces paroles nous montrent que le pouvoir du sacerdoce ancien ne s’étendait pas aux choses célestes, mais seulement à leurs figures. Il faut donc dire, avec les autres théologiens, que les prêtres de l’Ancienne Loi n’avaient pas le pou voir des clefs, mais qu’en eux se trouvaient, précédant la réalité, la figure du pouvoir des clefs.

Solutions :

1. Les clefs du royaume du ciel vont avec le sacerdoce qui introduit l’homme au ciel ; or tel n’était pas le sacerdoce lévitique qui, en conséquence, n’avait pas les clefs du ciel, mais seulement celles du tabernacle.

2. Les prêtres de l’Ancienne Loi avaient bien le pouvoir de discerner et de juger, mais pour introduire l’homme qu’ils jugeaient, dans les figures des choses célestes et non pas dans les biens célestes eux-mêmes.

3. Ils n’avaient pas de pouvoir vraiment spirituel, parce que les sacrements de la Loi purifiaient l’homme, non pas de ses fautes, mais seulement de ses irrégularités, afin qu’ainsi purifié il pût entrer au tabernacle fait de mains d’homme.

 

Article 2 — Le Christ a t-il eu le pouvoir des clefs ?

Objections :

1. Il semble que le Christ n’ait pas eu le pouvoir des clefs. Ce pouvoir est en effet attaché au caractère que donne le sacrement d’Ordre. Or le Christ n’a pas eu ce caractère, et donc non plus le pouvoir des clefs.

2. Le Christ a, sur les sacrements, un pouvoir d’excellence qui lui permet d’obtenir l’effet du sacrement, sans l’emploi des éléments du sacrement dont le pouvoir des clefs fait partie. Il n’avait donc pas besoin de ce pouvoir dont la possession lui eût été inutile.

Cependant :

Il est dit du Christ dans l’Apocalypse : "Voici celui qui a la clef de David, etc.".

Conclusion :

La puissance productrice d’un effet ne se trouve pas de la même façon dans l’instrument et dans la cause principale, mais elle se trouve, à un degré plus parfait, dans la cause principale agissant par elle-même. Or le pouvoir des clefs, tel que nous l’avons, tout comme la vertu des autres sacrements n’est que cause instrumentale. Dans le Christ, au contraire, il se trouve à l’état de principe relevant d’une cause agissant par elle-même pour notre salut, par manière d’autorité en tant que le Christ est Dieu, par manière de mérite en tant qu’il est homme. Mais le pouvoir des clefs exprime, dans son idée même, le pouvoir d’ouvrir et de fermer, soit comme agent principal, soit comme ministre. Voilà pourquoi il faut reconnaître aussi au Christ des clefs, mais possédées d’une façon plus haute que ne les peut avoir son ministre ; d’où cette conclusion : que le Christ a le pouvoir d’excellence quant aux clefs.

Solutions :

1. Le caractère est essentiellement quelque chose de dérivé, voilà pourqu9i le pouvoir des clefs, qui nous vient du Christ par dérivation, suit le caractère qui nous conforme au conséquence du caractère, mais de la forme principale, (de la grâce d’union hypostatique).

2. La clef qu’a eue le Christ n’était pas sacramentelle, mais principe de la clef sacramentelle.

 

Article 3 — Les prêtres ont-ils seuls le pouvoir des clefs ?

Objections :

1. Il semble que les prêtres ne soient pas les seuls qui aient le pouvoir- des clefs. Saint Isidore nous dit que "les clercs ordonnés portiers ont à juger entre les bons et les mauvais, à recevoir les dignes et à repousser les indignes". Or c’est la définition même du pouvoir des clefs, comme on le voit par ce que nous avons dit précédemment. Ce ne sont donc pas seulement les prêtres, mais aussi les portiers qui ont le pouvoir des clefs.

2. Les clefs sont données aux prêtres, au moment ou ils reçoivent de Dieu, par l’onction sainte, leur autorité. Or les rois, eux aussi, reçoivent de Dieu leur autorité sur le peuple fidèle et sont sanctifiés par l’onction. Ce ne sont donc pas seulement les prêtres qui ont les clefs.

3. Le sacerdoce est un ordre qui ne peut appartenir qu’à une personne individuelle. Or il semble que la personne morale de toute une congrégation ait quelquefois le pouvoir des clefs, car certains chapitres peuvent prononcer l’excommunication, ce qui relève du pouvoir des clefs. Ce ne sont donc pas seulement les prêtres qui ont les clefs.

4. La femme ne peut pas recevoir l’Ordre sacerdotal, parce que, d’après saint Paul, il ne lui convient pas d’enseigner dans les églises. Or certaines femmes semblent avoir les clefs ; telles les abbesses qui ont un pouvoir spirituel sur leurs sujettes. Ce ne sont donc pas seulement les prêtres qui ont les clefs.

Cependant :

Saint Ambroise nous dit : "Ce droit de lier, et de délier n’a été accordé qu’aux prêtres seulement."

D’ailleurs le pouvoir des clefs fait, de son détenteur, un intermédiaire entre le peuple et Dieu. Qr cela ne convient qu’aux prêtres "qui ont la charge officielle des relations de l’homme avec Dieu, afin d’offrir les dons et les sacrifices pour les péchés", comme dit l’Epître aux Hébreux. Les prêtres sont donc seuls à avoir le pouvoir des clefs...

Conclusion :

Il y a deux clefs. Le pouvoir de l’une s’étend, sans intermédiaire, jusqu’au ciel lui- même, écartant, par la rémission des péchés, les obstacles qui ferment l’entrée du ciel ; c’est la clef de l’Ordre, que seuls les prêtres peuvent avoir, parce qu’eux seuls sont chargés directement des relations du peuple avec Dieu.

L’autre clef est celle dont le pouvoir ne s’étend pas directement jusqu’au ciel lui-même, mais n’y atteint que par l’intermédiaire de l’Eglise militante par laquelle on va au ciel. Elle exclut le pécheur, de la société de l’Eglise ou l’y admet par l’excommunication ou l’absolution ; c’est ce qu’on appelle la clef de la juridiction, au for contentieux. En conséquence, cette clef peut appartenir aussi à des hommes qui ne soient pas prêtres, comme aux archidiacres, aux prélats élus et autres personnes qui peuvent excommunier. Seulement cette clef n’est pas à proprement parler la clef du ciel, mais un pouvoir qui nous y dispose.

Solutions :

1. Les clercs portiers ont la clef pour garder ce que contient le temple matériel, et ils ont à juger de ceux qu’il faut admettre à l’église ou en écarter, non pas en discernant par leur propre autorité les dignes des indignes, mais en exécution du jugement des prêtres, en sorte qu’ils paraissent être les exécuteurs du pouvoir sacerdotal.

2. Les rois n’ont aucun pouvoir sur les choses spirituelles ; ils ne reçoivent donc pas la clef du royaume des cieux, mais seulement une autorité sur le temporel qui, elle aussi, ne peut être que de Dieu, comme on le voit par l’épître aux Romains. L’onction royale ne leur confère non plus aucun ordre sacré, mais signifie que l’excellence de leur pouvoir descend du Christ, afin qu’eux-mêmes règnent dans la soumission au Christ, sur le peuple chrétien.

3. De même que dans l’ordre politique le pouvoir est parfois remis à un seul juge, comme dans la monarchie, ou à une collectivité d’officiers hiérarchisés ou même d’égale autorité, ainsi, dans l’ordre spirituel, la juridiction peut-elle appartenir, soit à un seul, comme à l’évêque, soit à une collectivité comme au chapitre. Les membres de cette collectivité ont alors la clef de la juridiction, mais -n’ont pas collectivement la clef de l’Ordre.

4. La femme, d’après saint Paul, est, de par sa condition dans l’état de sujétion. Elle ne peut donc avoir aucune juridiction- spirituelle, parce que, d’après le Philosophe, c’est corruption des bonnes manières, que la seigneurie arrive à une femme. C’est pourquoi la femme n’a ni la clef de l’ordre, ni celle de la juridiction. On lui confie seulement quelqu’usage du pouvoir des clefs, comme la correction des femmes qui lui sont sujettes, à raison du péril qui pourrait résulter de la cohabitation de supérieurs hommes avec des femmes.

 

Article 4 — Les saints, qui ne sont pas prêtres, ont-ils aussi le pouvoir des clefs ?

Objections :

1. Il semble que les saints, qui ne sont pas prêtres, aient aussi le pouvoir des clefs. L’action de lier ou de délier qui se fait par les clefs, tient son efficacité du mérite de la passion du Christ. Mais ceux-là surtout se conforment à la passion du Christ qui, par la pénitence et les autres vertus, marchent à la suite du Christ souffrant. Il semble donc que, sans avoir l’ordre sacerdotal, ils puissent lier et délier.

2. On lit dans l’Epître aux Hébreux : "Il va sans contredit que le plus petit est béni par le meilleur". Or, dans l’ordre spirituel, d’après saint Augustin, "c’est être plus grand, que d’être meilleur". Les meilleurs, c’est-à-dire ceux qui ont plus de charité peuvent donc bénir les autres en les absolvant. Ainsi revient notre précédente conclusion.

Cependant :

D’après le Philosophe, "qui a la puissance, a l’action", or la clef, qui est une puissance spirituelle, n’appartient qu’aux prêtres. Son usage ne peut donc convenir qu’aux prêtres.

Conclusion :

L’agent principal et l’agent instrumental diffèrent en ce que l’agent instrumental n’introduit pas dans l’effet sa propre ressemblance, tandis que l’agent principal l’y imprime. Ce qui constitue donc l’agent principal, c’est qu’il a une forme qu’il peut faire passer dans un autre, être ; ce n’est point le fait qu’un agent principal l’applique à la production d’un effet. Le Christ étant donc, dans l’acte du pouvoir des clefs l’agent principal, par son autorité en tant que Dieu, et par son mérite en tant qu’homme, c’est en vertu de la plénitude de sa divine bonté et de la perfection de sa grâce, qu’il peut poser l’acte du pouvoir des clefs. Nul autre homme ne peut être agent principal dans cette action des clefs, ne pouvant. pas donner à d’autres la grâce qui remet les péchés, ni la mériter suffisamment. En conséquence, celui qui reçoit l’effet des clefs, n’est pas assimilé celui qui se sert des clefs, mais au Christ. Voilà pourquoi un, homme, quel que soit le degré de grâce qu’il ait atteint, ne peut pas arriver à produire l'effet des clefs, à moins d’être devenu ministre du Christ, par la réception de l’Ordre.

Solutions :

1. De même qu’il n’est pas requis qu’entre l’instrument et l’effet il y ait similitude de convenance dans une même forme, mais qu’il suffit d’une similitude de proportion de l’instrument à l’effet, ainsi la première similitude n’est- elle pas requise entre l’instrument et l’agent principal. Or c’est cette première similitude qu’ont les saints avec le Christ souffrant et elle ne leur confère pas l’usage des clefs.

2. Bien qu’un homme pur ne puisse pas mériter ex condigno la grâce à un autre, ses mérites peuvent cependant coopérer au salut d’un autre. Il y a donc deux sortes de bénédiction : Il y en a une qui est donnée par l’homme en tant qu’individualité humaine et en vertu du mérite de son action personnelle. Cette bénédiction peut être donnée par tout saint, dans lequel le Christ habite par sa grâce et elle requiert une supériorité de celui qui bénit, en tant que tel, sur l’inférieur qu’il bénit. Mais il y a une autre bénédiction que l’homme donne en qualité de cause instrumentale appliquant à. quelqu’un la bénédiction que nous vaut le mérite du Christ ; celle-là requiert la supériorité de l’Ordre et non point celle de la vertu.

 

Article 5 — Les mauvais prêtres ont-ils l’usage des clefs ?

Objections :

1. Il semble que les mauvais prêtres n’aient pas l’usage des clefs. Dans le récit de saint Jean, la tradition de l’usage des clefs aux apôtres est précédée du don du Saint Esprit. Or les mauvais prêtres n’ont pas le Saint Esprit. Donc ils n’ont pas non plus l’usage des clefs.

2. Aucun roi sage ne confie à son ennemi la dispensation des biens de son trésor. Mais l’usage des clefs consiste dans la dispensation des biens du trésor du Roi céleste, qui est la Sagesse même. Les mauvais, qui sont ses ennemis par le péché, n’ont donc point l’usage des clefs.

3. Saint Augustin nous dit que "Dieu donne le sacrement de la grâce par les mauvais, mais qu’il ne donne la grâce elle-même que par lui-même et par ses saints, et, en conséquence, il ne remet les péchés que par lui-même ou par les membres de la colombe." Or la rémission des péchés est l’usage des clefs, que ne peuvent donc pas avoir les pécheurs, ceux-ci n’étant pas membres de la colombe.

4. L’intercession d’un mauvais prêtre n’a aucune efficacité pour réconcilier les pécheurs, car, au témoignage de saint Grégoire, "l’envoi d’un intercesseur déplaisant ne fait qu’exciter à de pires dispositions l’esprit de celui qui était déjà irrité". Or l’usage des clefs se fait en vertu d’une certaine intercession, comme le montre la forme de l’absolution. Les mauvais prêtres n’ont donc pas l’usage efficace des clefs.

Cependant :

Personne ne peut savoir d’un autre si celui-ci est en état de grâce. Si donc nul ne pouvait se servir des clefs pour l’absolution, à moins d’être en état de grâce, personne ne saurait s’il est absous, ce qui est un inconvénient considérable.

D’ailleurs, l’iniquité du ministre ne peut pas supprimer la libéralité du maître. Or le prêtre n’est que ministre. Il ne peut donc point, par sa malice, supprimer le don que Dieu nous fait passer par lui.

Conclusion :

De même que la participation à la forme qu’on doit introduire dans l’effet ne constitue pas l’agent instrumental, ainsi son absence n’enlève-t-elle pas l’usage de l’instrument. Voilà pourquoi l’homme, qui n’est qu’agent instrumental dans l’usage des clefs, n’est cependant d’aucune façon privé de l’usage des clefs, si privé qu’il soit par le péché, de la grâce qui remet les péchés.

Solutions :

1. Le don du Saint Esprit est exigé pour l’usage des clefs, non point parce que sans ce don, cet usage est impossible, mais parce que sans lui, le prêtre se sert de façon inconvenante du pouvoir des clefs, bien que le pénitent, qui se soumet alors aux clefs, en obtienne l’effet.

2. C’est parce que le roi terrestre peut être fraudé et trompé dans la dispensation de son trésor, qu’il ne le confie pas à son ennemi Mais le Roi céleste ne peut être atteint par la fraude, Car tout sert à son honneur, même le mauvais usage que quelqUes-uns. font des clefs, parce qu’il sait tirer le bien du mal et se servir des méchants pour faire beaucoup de bonnes choses. La comparaison donnée est donc sans valeur.

3. Saint Augustin parle de la rémission des péchés à laquelle les saints coopèrent, non pas en vertu des clefs, mais en la méritant d’un mérite de convenance, de congruo. Voilà pourquoi il dit que Dieu, qui se sert des méchants pour administrer les sacrements, parmi lesquels il faut compter l’usage des clefs, se sert des membres de la colombe, c’est-à-dire des saints, pour remettre les péchés, en tant qu’il accorde cette rémission à leurs intercessions. On peut dire aussi que par membres de la colombe, il entend tous ceux qui ne sont pas séparés de l’Eglise. Ceux en effet qui reçoivent les sacrements, des membres de l’Eglise, obtiennent la grâce. Ceux qui, au contraire, les reçoivent de ministres séparés de l’Eglise, pèchent dans cet acte même et ne reçoivent donc pas la grâce, sauf quand il s’agit du baptême qu’on peut demander, en cas de nécessité, même à un excommunié.

4. La prière d’intercession que le mauvais prêtre fait en son nom personnel n’a aucune efficacité ; mais celle qu’il fait comme ministre de l’Eglise est efficace en vertu des mérites du Christ. La règle est cependant que l’intercession du prêtre ait l’une et l’autre efficacité pour le bien du peuple qui lui est soumis.

 

Article 6 — Les schismatiques, hérétiques, excommuniés, et les prêtres suspens ou frappés de la peine de dégradation ont-ils encore l’usage des clefs ?

Objections :

1. Il semble que les schismatiques, hérétiques, excommuniés et les prêtres suspens ou frappés de dégradation aient encore l’usage des clefs. Le pouvoir des clefs dépend de l’Ordre, comme le pouvoir de consacrer. Or les prêtres susdits ne peuvent pas perdre le pouvoir de consacrer, puisque ce qu’ils consacrent est vraiment consacré, bien qu’ils pèchent en consacrant. Ils ne peuvent donc pas non plus perdre l’usage des clefs.

2. Toute puissance spirituelle active possédée par celui qui a l’usage du libre arbitre peut passer à l’acte au gré de celui qui la possède. Or la puissance des clefs demeure encore dans les prêtres susdits ; autrement, comme elle ne se donne qu’avec l’Ordre, il faudrait les réordonner quand ils reviennent à l’Eglise. Il s’en suit que cette puissance étant une puissance active, ils peuvent en poser l’acte à volonté.

3. La faute plus que la peine s’oppose à une grâce spirituelle. Or l’excommunication, la sus pense et la dégradation ne sont que des peines. Si donc le péché ne fait pas perdre à un prêtre l’usage des clefs, il semble que ces peines ne le lui enlèveront pas non plus.

Cependant :

Saint Augustin nous dit que "c’est la charité de l'Eglise qui remet les péchés". Or la charité est ce qui fait l’union de l’Eglise. Si donc les prêtres précités sont séparés de l’union de l’Eglise, ils n’ont pas, semble t-il, l’usage des clefs pour la rémission des péchés.

D’ailleurs personne ne peut être absous du péché en péchant. Or celui qui demande l’absolution aux prêtres sus pèche en violant ainsi un précepte de l’Eglise. Il ne peut donc pas être réellement absous par eux de son péché et nous revenons ainsi à notre précédente conclusion.

Conclusion :

Tous les prêtres précités gardent le pouvoir des clefs quant à son essence, mais ils sont empêchés de s’en servir par défaut de matière sur laquelle il puisse s’exercer. L’usage des clefs requiert, en effet, de celui qu s’en sert, une supériorité sur celui au bénéfice duquel il l’emploie, car ainsi qu’on l’a dit, la matière propre sur laquelle s’exerce l’usage des clefs, c’est l’homme sujet. Mais comme c’est l’Eglise qui règle la sujétion d’un fidèle à un autre fidèle, les prélats de l’Eglise peuvent aussi soustraire au pouvoir d’un supérieur, celui qui était son sujet. Quand donc l’Eglise enlève leurs sujets aux prêtres hérétiques, schismatiques et autres qui se trouvent dans des cas analogues, soit qu’elle retire toute juridiction, soit qu’elle la limite à certains actes, ces prêtres ne peuvent plus se servir des clefs pour les cas ou la juridiction leur a été retirée.

Solutions :

1. La matière, sur laquelle s le pouvoir du prêtre, est, dans l’Eucharistie, non pas l’homme, mais le pain de blé, et, dans le baptême, l’homme sans qualification spéciale. En conséquence, de même que l’hérétique ne pourrait pas consacrer, si on lui retirait tout pain de froment, ainsi le prélat ne pourra t-il plus absoudre, si on lui retire la prélature (qui lui donnait des sujets). Il pourra cependant encore consacrer et baptiser, bien que pour sa propre condamnation.

2. La proposition de l’objectant est vraie, quand la matière ne manque pas, comme dans le cas dont il s’agit ici.

3. La faute n’enlève pas la matière (de l’usage des clefs), comme le font certaines peines. Ce n’est donc pas, en tant que contraire à l’effet à produire, que la peine l’empêche, mais pour la raison que nous avons dite.

 

QUESTION 20 — DE CEUX SUR LESQUELS PEUT S’EXERCER LE POUVOIR DES CLEFS.

Ayant vu qui pouvait être ministre du pouvoir des clefs, il nous reste à parler de ceux sur lesquels ce pouvoir peut s’exercer. Nous le ferons en trois questions : -1 Le prêtre peut-il exercer sur tout homme le pouvoir des clefs qu’il détient ? -2. Un prêtre peut-il toujours absoudre son sujet ? -3. Peut-on exercer le pouvoir des clefs sur son supérieur ?

 

Article 1 — Le prêtre peut-il exercer sur tout homme le pouvoir des clefs qu’il détient ?

Objections :

1. Il semble que le prêtre puisse se servir pour tout homme du pouvoir des clefs qu’il détient. Ce pouvoir est donné aux prêtres en vertu de la divine autorité qui a dit "Recevez l’Esprit Saint, les péchés seront remis à qui vous les remettrez". Or cette parole a été dite, sans aucune détermination. Les prêtres, qui ont le pouvoir des clefs, sans détermination, peuvent donc s’en servir indifféremment pour n’importe qui.

2. La clef matérielle qui ouvre une serrure, ouvre toutes les serrures de même forme. Or tout péché de qui que ce soit pose toujours un obstacle de même nature à l’entrée au ciel. Si donc un prêtre peut, par le pouvoir des clefs, absoudre un homme, il pourra le faire pour n’importe quel autre.

3. Le sacerdoce du Nouveau Testament est plus parfait que celui de l’Ancien Testament. Or le prêtre de l’Ancien Testament pouvait se servir indifféremment, pour n’importe qui, du pouvoir qu’il avait de discerner entre lèpre et lèpre. A plus forte raison le prêtre du Nouveau Testament peut-il se servir de son pouvoir pour tous indifféremment.

Cependant :

On dit, dans le supplément du Décret de Gratien : "Qu’il ne soit permis à aucun prêtre d’absoudre ou de lier le paroissien d’un autre".

D’ailleurs il doit y avoir un meilleur ordre dans les jugements spirituels que dans les temporels. Or, dans l’ordre temporel, n’importe quel juge ne peut pas juger n’importe qui. L’usage des clefs étant donc un jugement, n’importe quel prêtre ne peut pas se servir de son pouvoir des clefs pour n’importe qui.

Conclusion :

Les actions qui s’exercent sur les réalités individuelles ne conviennent pas à tous de la même façon. De même qu’en plus des règles générales de la médecine, il faut des médecins qui appliquent comme il convient ces règles générales à chaque malade et à chaque maladie en particulier, ainsi faut-il qu’en tout gouvernement il y ait, en plus de celui qui fait les lois en général, des hommes qui les appliquent, comme il convient, à chaque individu. Voilà pourquoi, même dans les hiérarchies célestes, sous les puissances qui président indistinctement, il y a des principautés qui commandent à chaque province et, sous ces principautés, des anges députés à la garde de chaque homme individuellement, comme on le voit par ce qui a été dit au traité des anges. Ainsi doit-il en être dans le gouvernement de l’Eglise militante. Il lui faut un chef qui gouverne toute l’Eglise indistinctement, et, sous lui, d’autres chefs qui reçoivent une autorité distincte à exercer sur des groupes divers. Or il faut, pour l’usage des clefs, une certaine puissance d’autorité ecclésiastique grâce à laquelle celui pour lequel on se sert des clefs devient la matière propre de cet acte d’autorité. Celui-là donc qui a pouvoir sur tous indistinctement peut se servir des clefs pour tous. Quand à ceux qui, sous sa direction, ont des parts distinctes de pouvoir, ils ne peuvent pas faire usage des clefs pour n’importe qui, mais seulement pour ceux qui sont de leur ressort, sauf en cas de nécessité, où les sacrements ne doivent être refusés à personne.

Solutions :

1. Pour absoudre du péché, il faut un double pouvoir, un pouvoir d’Ordre et un pouvoir de juridiction. Le premier pouvoir est donné à tous les prêtres également, mais pas le second. C’est pourquoi, dans saint Jean, la parole du Seigneur donnant à tous les apôtres sans distinction le pouvoir de remettre les péchés s’entend du pouvoir d’Ordre. De là vient que les paroles dites à cette occasion sont répétées à tous les prêtres au moment de l’ordination. Mais Pierre a reçu en particulier le pouvoir de remettre les péchés, afin que l’on comprenne qu’il a par-dessus les autres, un pouvoir de juridiction. Le pouvoir d’Ordre, considéré en lui-même, s’étend à tous ceux qui doivent être absous. Voilà pourquoi le Seigneur dit indistinctement "Ceux dont vous remettrez les péchés..." entendant bien que l’usage de ce pouvoir devait être soumis : aux règlements de Pierre, dont le pouvoir est pré supposé.

2. La clef matérielle ne peut ouvrir que sa propre serrure, comme la vertu active ne peut agir que sur sa propre matière. Or c’est la juridiction qui donne au pouvoir d’Ordre des sujets qui sont la matière propre de ce pouvoir. On ne peut donc pas se servir des clefs pour celui sur lequel on n’a pas reçu juridiction.

3. Le peuple d’Israël ne formait qu’un seul peuple et n’avait qu’un temple. De là vient qu’il n’y avait pas alors à distinguer différentes juridictions sacerdotales, comme on le fait maintenant dans l’Eglise où se trouvent réunis des peuples divers et des nations différentes.

 

Article 2 — Le prêtre peut-il toujours absoudre son sujet ?

Objections :

1. Il semble qu’un prêtre ne puisse pas toujours absoudre son sujet. Saint Augustin nous dit en effet : "Nul prêtre ne doit exercer son office, à moins d’être indemne des péchés qu’il juge dans les autres". Or il arrive parfois que le prêtre est complice du crime qu’a commis son sujet ; comme dans le cas où il a commis le péché avec une femme soumise à sa juridiction. Il semble donc bien qu’il ne puisse pas toujours exercer sur ses sujets le pouvoir des clefs.

2. Le pouvoir des clefs apporte un remède à toutes nos défectuosités morales. Or il arrive parfois qu’à certains péchés, est annexée une irrégularité ou une sentence d’excommunication, dont un simple prêtre ne peut pas absoudre. Il semble donc qu’il ne puisse pas se servir du pou voir des clefs sur ceux qui sont ainsi liés.

3. Le pouvoir judiciaire de notre sacerdoce est figuré par Celui du sacerdoce de l’Ancien Testament. Or, d’après la Loi, la compétence des juges inférieurs n’était pas universelle et ils devaient, en certains cas, recourir aux supérieurs, ainsi qu’il est dit dans l’Exode "Si quelque discussion s’élève entre vous, vous en référerez à eux (à Aaron et à Hur)". Il semble donc que le prêtre (du Nouveau Testament) ne puisse pas, non plus absoudre son sujet des péchés les plus graves et qu’il doive les renvoyer au supérieur.

Cependant :

À qui est confié le principal, est confié aussi l’accessoire. Or ce sont les prêtres qui ont charge de distribuer à leurs sujets la sainte Eucharistie qui est la raison de l’absolution de tous les péchés quels qu’ils soient. Le pouvoir des clefs en tant que tel permet donc au prêtre d’absoudre son sujet, de toutes sortes de péchés. D’ailleurs la grâce efface tout péché, si petite qu’elle soit. Or le prêtre dispense les sacrements par les quels la grâce est donnée. Il a donc, dans le pouvoir des clefs, de quoi absoudre de tous les péchés.

Conclusion :

Le pouvoir d’Ordre, en tant que tel, vaut pour la rémission de tous les péchés. Mais parce que l’usage de ce pouvoir requiert une juridiction qui descend des supérieurs aux inférieurs, le supérieur peut se réserver certains cas dont il ne confie pas le jugement à son inférieur. En dehors de cette réserve, le simple prêtre ayant juridiction peut absoudre de n’importe quel péché.

Il y a cependant cinq cas dans lesquels le simple prêtre doit renvoyer le pénitent au supérieur : 1° quand il y a lieu d’imposer une pénitence publique, car l’évêque est le ministre de cette pénitence solennelle ; 2° quand il s’agit d’excommuniés dont le simple prêtre ne peut pas absoudre, parce que l’excommunication a été portée par un supérieur ; 3° quand le prêtre se trouve en face d’une irrégularité, dont la dispense est réservée au Supérieur ; 4° quand il s’agit d’incendiaires ; 3° Quand la coutume de certains diocèses réserve l’absolution de certains crimes énormes à l’évêque, pour en inspirer l’horreur, car la coutume, en pareil cas, donne ou enlève le pouvoir de juridiction.

Solutions :

1. En pareil cas, le prêtre ne devrait pas entendre la confession de la femme avec laquelle il a péché ; elle ne devrait pas se confesser à lui, mais elle devrait demander la permission d’aller à un autre confesseur ou s’il refuse cette permission, recourir au supérieur, tant à cause du péril, qu’à raison de la moindre honte de la confession faite au complice. Si cependant le prêtre absolvait sa complice, elle serait absoute, car ce que dit saint Augustin, que le confesseur ne doit pas être coupable de ce même crime, doit s’entendre d’une exclusion de convenance et non d’une exclusion nécessaire à la validité du sacrement.

2. La pénitence libère de toutes les défectuosités qui sont des fautes, mais pas de toutes celles qui sont des peines, car après avoir fait pénitence d’un homicide, on reste en état d’irrégularité. Le prêtre peut alors absoudre du crime lui-même, mais pour la rémission de la peine, il doit renvoyer au supérieur, sauf -pour la peine d’excommunication, dont l’absolution doit précéder l’absolution du péché ; car, tant que quelqu’un est excommunié, il ne peut recevoir aucun sacrement de l’Eglise.

3. La raison donnée vaut quant aux péchés pour lesquels les supérieurs se réservent le pouvoir de juridiction.

 

Article 3 — Peut-on exercer le pouvoir des clefs sur son supérieur ?

Objections :

1. Il semble qu’on ne puisse pas exercer le pouvoir des clefs sur son supérieur. Tout acte sacramentel exige la matière qui lui est propre. Or, comme on l’a dit, l’exercice du pouvoir des clefs a pour matière propre une personne sujette. Le prêtre ne peut donc pas s’en servir pour une personne qui n’est pas sujette.

2. L’Eglise militante imite l’Eglise triomphante. Or, dans l’Eglise du ciel, l’ange inférieur jamais ne purifie, illumine ou perfectionne un ange supérieur. Un prêtre inférieur ne peut donc pas non plus exercer, sur son Supérieur, l’action hiérarchique de l’absolution.

3. Les jugements de la pénitence doivent être mieux ordonnés que ceux du for extérieur. Mais, au for extérieur, un inférieur ne peut ni excommunier, ni absoudre un supérieur. Il semble donc qu’il ne le puisse pas non plus, au for intérieur de la pénitence.

Cependant :

Le prélat, lui aussi, est plongé dans l’infirmité et il peut lui arriver de pécher. Or le remède au péché est dans le pouvoir des clefs. Ne pouvant donc pas se servir lui-même de ce pouvoir, parce qu’il ne peut pas être en même temps juge et coupable, il doit pouvoir, semble- t-il, bénéficier de l’usage des clefs exercé sur lui par son inférieur.

D’ailleurs l’absolution qui se fait par la vertu des clefs, prépare à la réception de l’Eucharistie. Or l’inférieur peut donner l’Eucharistie au supé rieur qui la lui demande. Il peut donc aussi se servir de son Pouvoir des clefs, pour le supérieur qui s’y soumet.

Conclusion :

Le pouvoir des clefs vaut par lui-même pour tous les hommes, ainsi qu’on l’a dit précédemment Qu’un prêtre ne puisse s'en servir pour telle ou telle personne, cela vient de ce qu’une limite spéciale a été posée à son pouvoir. Celui-là donc qui a limité le pouvoir, peut aussi l’étendre à qui il veut et par conséquent donner pouvoir sur soi-même, bien qu’il ne puisse pas se servir lui-même, pour soi-même du pouvoir des clefs, parce que le pouvoir des clefs requiert comme matière une personne dépendante et par conséquent distincte de celle qui l’e puis qu’on ne peut pas être son propre sujet.

Solutions :

1. Bien qu’un évêque soit, absolument parlant, le supérieur du prêtre qui l’absout, il lu, il est cependant inférieur en tant qu’il se Soumet à lui Comme pécheur.

2. Il ne peut pas y avoir, dans les anges, de ces défectuosités accidentelles à raison desquelles les supérieurs soient soumis aux inférieurs, comme cela se présente pour l’homme. La comparaison ne vaut donc pas.

3. Le jugement extérieur e d’ordre social humain, tandis que celui de la confession est d’ordre divin. Or auprès de Dieu on devient inférieur du seul fait qu’on pèche, sans que pour autant l’on soit abaissé dans l’ordre des prélatures humaines. C’est pourquoi, dans le jugement extérieur, de même que personne ne peut porter contre soi-même une sentence d’excommunication, ainsi ne peut-on pas confier à un autre la charge de prononcer cette excommunication. for de la conscience, au contraire, on peut se faire absoudre par un autre, en -lui confiant le pouvoir dont on ne peut pas se servir pour soi-même.

Ou bien l’on peut dire que l’absolution au for de la confession relève principalement du pouvoir des clefs et seulement par voie de conséquence, du pouvoir de juridiction ; tandis que l’excommunication dépend totalement de la juridiction. Or t3us sont égaux quant au pouvoir d’Ordre, mais non point quant à la juridiction. Il n’y a donc pas similitude entre les deux absolutions.

Nous laissons à un spécialiste en droit Canon, le soin de traduire les questions XXI à XXVII relatives aux censures et aux indulgences et la question XXVIII, qui traite du rite solennel de la Pénitence.

 

QUESTION 21 — L’EXCOMMUNICATION

Après le pouvoir des clés il faut étudier l’excommunication. Seront à considérer 1° la définition de l’excommunication, sa convenance et sa cause ; 2° ceux qui peuvent porter une excommunication et ceux qui peuvent en être le sujet ; 3° les rapports que l’on peut avoir avec les excommuniés ; 4° enfin, l’absolution de l’excommunication.

Sur le premier point quatre questions se posent : 1. Définit-on comme il convient l’excommunication ? 2. L’Église doit-elle excommunier quelqu’un ? 3. Peut-on être excommunié pour un dommage temporel qu’on aurait causé ? 4. Une excommunication portée injustement a-t-elle quelque effet ?

 

Article 1 — Convient-il de définir l’excommunication — "la séparation de la communion de l’Eglise quant à ses fruits et à ses suffrages communs" ?

 

Objections :

1. Non, semble t-il, car les suffrages de l'Église profitent à ceux pour qui ils sont faits. Or l’Église prie pour ceux qui sont en dehors d’elle, comme les hérétiques et les païens. Elle prie donc aussi pour les excommuniés qui sont dans le même cas. Ses suffrages peuvent donc aussi leur profiter.

2. On ne perd son droit aux suffrages de l’Église que par une faute. Or l’excommunication n’est pas une faute, mais une peine. Elle n’exclut donc pas des suffrages communs de l’Église.

3. Les fruits de l’Église semblent bien n’être rien d’autre que ses suffrages ; ils ne peuvent en effet s’entendre des avantages temporels qui ne sont point ôtés aux excommuniés. C’est donc une erreur de les nommer ici tous deux.

4. L’excommunication mineure est une forme d’excommunication. Or elle ne prive pas des suffrages de l’Église. La définition alléguée n’est donc pas bonne.

Conclusion :

Celui qui est agrégé par le baptême à l’Église est admis à deux choses à la communion des fidèles et à la participation des sacrements, et la seconde de ces choses suppose la première, vu que pour participer aux sacrements les fidèles sont aussi en communication. On peut donc être retranché par excommunication de l’Église de deux manières par exclusion de la participation aux sacrements seulement, et c’est ce qu’on appelle l’excommunication mineure ; par exclusion de l’un et l’autre des biens susdits, et c’est l’excommunication majeure, qui est définie ici. La troisième hypothèse, savoir que l’on soit exclu de la communion des fidèles, sans l’être de la participation aux sacrements, est hors de cause, les fidèles étant, comme on vient de le dire, mis en communication dans les sacrements.

Mais il y a pour les fidèles deux modes de communication dans les biens spirituels, comme les prières faites les uns pour les autres et les réunions où l’on reçoit les sacrements ; dans les actions temporelles, supposé qu’elles soient légitimes. Actions légitimes et communions permises qui sont comprises dans ces vers : "Si quelqu’un est fait anathème pour ses délits : bouche, prier, salut, communion table, que tout cela lui soit refusé." "Bouche", c’est-à-dire qu’on ne donne pas de baisers ; "prier", qu’on ne prie pas avec les excommuniés ; "salut", qu’on ne les salue pas ; "communion", qu’on n’ait pas de communication avec eux dans les sacrements ; "table", qu’on ne mange pas avec eux.

La définition qui précède comporte donc dans ces mots "quant à ses fruits", la privation des sacrements ; et en ceux-ci, "et aux suffrages communs de l’Église", celle de la communion des fidèles. Il existe une autre définition qui est relative à l’exclusion des deux genres d’actes : "L’excommunication est la séparation de toute communion licite et de toute action légitime."

Solutions :

1. On prie effectivement pour les infidèles, mais ceux-ci ne perçoivent le fruit de ces prières que s’ils se convertissent à la foi. On peut prier de même pour les excommuniés, mais pas dans les prières faites pour les membres de l’Eglise ; ils n’en perçoivent d’ailleurs aucun fruit tant qu’ils demeurent excommuniés ; en réalité, on prie pour que leur soit donné un esprit de pénitence, en sorte qu’ils soient absous de l’excommunication.

2. Les suffrages acquittés par quelqu’un ne profitent à un autre qu’autant qu’ils se pro longent en lui. Or l’action de l’un peut se prolonger en un autre de deux façons 1° en vertu de la charité qui unit tous les fidèles, en sorte qu’ils soient uns en Dieu, selon la parole du Psaume : "Uni que je suis à tous ceux qui le craignent." L’excommunication n’interrompt point cette communication. L’on ne peut en effet être excommunié de façon juste que pour une faute mortelle, qui déjà a séparé de la charité, même si l’on n’était pas excommunié. Quant à une excommunication injuste, elle ne peut ôter à personne la charité, puisque Celle-ci est de ces biens majeurs dont personne ne peut être dépouillé contre sa volonté ; 2° en vertu de l’intention même de celui qui fait les suffrages, laquelle porte sur ceux pour qui ils se font. L’excommunication cette fois interrompt cette communication, car l’Église par la sentence de l’excommunication sépare ceux qui en sont frappés de la société des fidèles pour lesquels elle adresse ses suffrages : et c’est ainsi que les suffrages faits pour toute l’Église ne leur profitent pas. En outre, aucune prière ne peut être faite au nom de l’Église pour eux par les fidèles, quoiqu’à titre privé on puisse ordonner des suffrages à leur conversion.

3. Les fruits spirituels de l’Église ne proviennent pas seulement des suffrages, mais aussi de la réception des sacrements et du commerce des fidèles.

4. L’excommunication mineure n’est pas une excommunication au sens plein du mot. Il n’est donc pas nécessaire que la définition de l’excommunication s’applique à elle dans sa totalité, mais seulement de façon partielle.

 

Article 2 — L’Église doit-elle excommunier quelqu’un ?

Objections :

1. Il semble qu’elle ne devrait point le faire, car l’excommunication est une espèce de malédiction. Or l’Apôtre, dans l’Epître aux Romains, nous défend de maudire. L’l ne doit donc pas excommunier.

2. L’Église militante doit imiter l’Église triomphante. Or "l’archange Michel, lit-on dans l’Épître de Jude, lorsqu’il disputait avec le diable au sujet du corps de Moïse, n’osa porter contre lui aucun jugement outrageant, mais dit : Que le Seigneur te condamne!" Pareillement l’Église militante ne doit maudire et excommunier personne.

3. On ne doit livrer aux mains de l’ennemi que celui dont le cas est tout à fait désespéré. Or l’excommunication livre celui qu’elle frappe entre les mains de Satan, comme le montre la Première aux Corinthiens. Puis donc qu’en cette vie il n’y a lieu de désespérer de personne, l’Église ne doit non plus excommunier personne.

Cependant :

1. L’Apôtre, dans la Première aux Corinthiens, ordonne d’excommunier quel qu’un.

2. De même il est dit en S. Matthieu de celui qui refuse d’écouter l’Église : "Qu’il soit pour toi comme le païen ou le publicain." Or les païens sont hors de l’Église. Donc ceux qui dédaignent d’écouter l’Église doivent être rejetés hors de son sein par l’excommunication.

Conclusion :

Le jugement de l’Église doit être conforme au jugement de Dieu. Or Dieu punit les pécheurs de plusieurs façons, en vue de les ramener au bien : tantôt en les châtiant par des fléaux ; tantôt en abandonnant l’homme à 1ui-n afin qu’étant privé des secours grâce auxquels il était préservé du mal, il reconnaisse sa faiblesse et revienne humble à Dieu, dont il s’était écarté orgueilleux. Or par la sentence de l’excommunication l’Église imite sous ces deux rapports le jugement de Dieu. Car, en séparant de la communauté des fidèles, < pour le faire rougir, celui qu’elle frappe, elle imite le jugement de Dieu corrigeant par des fléaux. Tandis qu’en privant des suffrages et autres biens spirituels, elle imite le jugement par lequel Dieu abandonne l’homme à lui-même, pour que, prenant conscience, par la voie de l’humilité, de son état, il fasse retour à Dieu.

Solutions :

1. Il peut y avoir deux sortes de malédiction. L’une qui n’a d’autre fin que le mal qu’elle prononce ou qu’elle dit, et une telle forme de malédiction est absolument interdite. L’autre qui ordonne au bien de celui qui est maudit le mal qu’on lui souhaite. Dans ce dernier sens la malédiction peut être licite et salutaire : aussi bien le médecin fait-il parfois un certain mal au malade, une incision par exemple, pour le guérir de sa maladie.

2. Le diable n’est pas susceptible de correction, et par conséquent d’aucun des biens qui pourrait résulter de la peine d’excommunication.

3. Du fait que l’on est privé des suffrages de l’Église on encourt un triple préjudice, correspondant au triple avantage que l’on retire de ses suffrages. Ceux-ci tout d’abord procurent l’augmentation de la grâce chez ceux qui la possèdent déjà, ou du mérite en vue de l’acquérir pour ceux qui ne l’ont pas de ce point de vue, le Maître des Sentences dit que par l’excommunication "la grâce de Dieu est retirée". Les suffrages de l’Église servent en deuxième lieu à la sauvegarde de la vertu et sous ce rapport le même auteur dit que par l’excommunication "la protection est ôtée" ; non pas que ceux qui en sont frappés soient absolument soustrait à la providence de Dieu, mais ils sont privés de cette protection plus spéciale par laquelle Celui-ci garde ses enfants.

2. Enfin, les suffrages de l’Église sont une aide pour se défendre de l’ennemi. Sous ce dernier rapport, toujours le Maître des Sentences dit "qu’un plus grand pouvoir est donné au diable d’agir contre lui", tant spirituellement que corporellement. C’est pourquoi, dans l’Église primitive, alors qu’il convenait que les hommes soient amenés à la foi par des signes, de même que le don de l’Esprit était manifesté par un signe visible, l’excommunication apparaissait dans les violences corporelles infligées par le démon. Rien n’interdit en effet que celui qui n’est pas dans un cas désespéré soit livré à l’ennemi, vu qu’il ne lui est pas livré comme s’il devait être damné, mais pour être corrigé, l’Église ayant le pouvoir de l’arracher à ses mains quand elle le voudra.

 

Article 3 — Peut-on être excommunié pour un dommage temporel qu'on aurait causé ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car la peine ne peut pas excéder la faute. Or la peine de l’excommunication est la privation d’un bien spirituel, qui l’emporte sur tous les biens temporels. Personne donc ne doit être excommunié pour une affaire de ce genre.

2. "Nous ne devons rendre à personne le mal pour le mal", a prescrit l’Apôtre. Or ce serait rendre le mal pour le mal que d’excommunier pour un tel dommage. Cela ne doit donc pas se faire.

Cependant :

Pierre a condamné de mort Ananie et Saphire pour fraude sur le prix du champ. Il est donc aussi permis à l’Église d’excommunier pour des dommages temporels.

Conclusion :

Par l’excommunication le juge ecclésiastique exclut en quelque sorte l’excommunié du Royaume. Comme par ailleurs il ne doit en exclure que les indignes, ainsi qu’on a pu le voir p la définition du pouvoir des clés, et que personne n’est rendu indigne que si, par le péché mortel, il a perdu la charité laquelle est la voie qui conduit au Royaume, il suit en conséquence que personne ne doit être excommunié, sinon pour des péchés mortels. Et puisqu’on pèche mortellement et qu’on agit contre la charité en causant un dommage au prochain dans son corps ou dans ses biens matériels, il faut conclure que, pour un tel dommage, l’Église peut excommunier. Cependant, comme l’excommunication est la plus grave des peines, et que, au dire d’Aristote, "les peines sont des médecines", et, d’autre part, qu’il est d’un sage médecin de commencer par les médecines les plus légères et les moins dangereuses, pour toutes ces raisons l’excommunication ne doit être infligée à quelqu’un, même s’il y a péché mortel, que s’il s’est rendu contumace, soit en ne se présentant pas au jugement, soit en se retirant sans permission avant que le jugement soit terminé, soit en ne se soumettant pas à la décision prise. Si en effet, après avoir reçu un avertissement, il refuse d’obéir, il est alors réputé contumace, et doit être excommunié par le juge, qui ne dispose plus de rien d’autre pour agir contre lui.

Solutions :

1. La quantité d’une faute ne se mesure pas d’après le tort qui a été fait, mais d’après la volonté que l’on a eue, en agissant contre la charité. Si donc la peine de l’excommunication dépasse le dommage causé, elle n’excède pas pour cela la quantité de la faute.

2. En corrigeant quelqu’un par une peine, on ne lui rend pas le mal, mais le bien, car "les peines sont des médecines", ainsi qu’on vient de le dire.

 

Article 4 — Une excommunication portée injustement a-t-elle quelque e

Objections :

1. Il semble bien qu’elle n’en a aucun, car, de son fait, "la protection et la grâce de Dieu sont retirées ; or de tels biens ne peuvent être retirés de façon injuste ; une excommunication portée injustement n’a donc aucun effet.

2. C’est, au dire de S. Jérôme, "sévérité de pharisiens" que de croire réellement lié ou délié celui qui a été lié ou délié de façon injuste. Mais la sévérité de telles gens était orgueilleuse et erronée. Une excommunication injuste n’a donc aucun effet.

Cependant :

S. Grégoire soutient que "les préceptes d’un pasteur, qu’ils soient justes ou injustes, sont à redouter". Or il n’y aurait pas lieu de les redouter si, même étant injustes, ils ne portaient préjudice. Donc...

Conclusion :

Une excommunication peut être réputée injuste à deux points de vue différents : du côté de celui qui excommunie, par exemple s’il le fait par haine ou sous le coup de la colère ; l’excommunication, en ce cas, n’en a pas moins son effet, quoique celui qui

la porte pèche, car si celui-ci agit de façon injuste, celui qui est frappé l’est justement ; en elle-même, soit que le motif qui l’a fait porter ne soit pas valable, soit que la sentence soit prononcée en dehors des règles du droit. En ce dernier cas, si l’erreur de la sentence est telle qu’elle la rende invalide, l’excommunication elle-même est de nul effet, car, à vrai dire, il n’y a plus d’excommunication. Si au contraire l’erreur ne va pas jusqu’à annuler la sentence, l’excommunication alors a son effet, et celui qu’elle frappe est tenu d’obéir humblement, ce qui lui sera compté comme mérite ; ou bien il doit demander d’être absous à celui qui l’a excommunié ; ou encore il doit recourir au juge de rang plus élevé. S’il vient à mépriser la sen il pèche mortellement.

Il peut arriver que, du point de vue de celui qui excommunie, la cause soit régulière, mais qu’elle ne le soit pas du côté de celui qui est frappé : si quelqu’un, par exemple, est excommunié dans un jugement qui paraît fondé, pour un crime qu’il n’a pas commis. S’il supporte cela avec humilité, le mérite de son humilité compense alors le dommage de l’excommunication.

Solutions :

1. Quoiqu’on ne puisse perdre injustement la grâce de Dieu, on peut perdre, de cette façon, ce qui de notre part y dispose par exemple, si on supprime à quelqu’un l’enseignement religieux qui lui est, dû. C’est de cette manière que l’excommunication est dite ici "retirer la grâce de Dieu", comme on peut le voir par ce qui a été dit.

2. S. Jérôme veut parler des fautes et non des peines, celles-ci pouvant être infligées, même de façon injuste, par ceux qui président aux églises.

 

QUESTION 22 — DE CEUX QUI PEUVENT EXCOMMUNIER ET DE CEUX QUI PEUVENT ÊTRE L’OBJET D’UNE EXCOMMUNICATION

 

Il faut voir à présent qui peut excommunier et qui peut être excommunié. Six questions se posent ici : 1. Tout prêtre a t-il le pouvoir d’excommunier ? -2. Quelqu’un qui n’est pas prêtre peut-il porter une excommunication ? -3. Celui qui est excommunié ou suspens peut-il excommunier à son tour ? -4. Peut-on s’excommunier soi-même, ou excommunier son égal, ou bien son supérieur ? -5. Une collectivité peut-elle être excommuniée comme telle ? -6. Celui qui est déjà excommunié peut-il être excommunié de nouveau ?

 

Article 1 — Tout prêtre a t-il le pouvoir d’excommunier ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car l’excommunication est un acte qui relève du pouvoir des clés ; or n’importe quel prêtre a ce pouvoir ; il peut donc excommunier.

2. Absoudre et lier au for de la pénitence est quelque chose de plus que de le faire au for judiciaire. Or tout prêtre peut absoudre et lier au for de la pénitence ceux qui sont soumis à sa juridiction. Il peut donc aussi les excommunier.

Cependant :

Les actions qui entraînent les dangers les plus menaçants doivent être réservées à ceux qui sont d’un rang plus élevé. Or la peine d’excommunication est pleine de périls, à moins qu’elle ne soit portée avec mesure. Il ne convient donc pas qu’elle soit confiée à n’importe quel prêtre.

Conclusion :

Dans le for de la conscience tout se passe entre l’homme et Dieu ; au lieu qu’au for du jugement extérieur la cause se traite d’homme à homme. C’est pourquoi l’absolution ou l’acte de lier qui engage un homme vis-à-vis de Dieu seulement relève du for de la pénitence, tandis que celle qui engage un homme par rapport aux autres hommes relève du for public du jugement extérieur. Donc, puisqu’elle a pour effet de séparer celui qu’elle frappe de la communion des fidèles, l’excommunication appartient au for extérieur. Il s’ensuit que ceux-là seuls peuvent excommunier qui ont juridiction en ce domaine ; de sorte que les évêques seuls, et, selon l’opinion la plus commune, les supérieurs majeurs peuvent exercer ce pouvoir de leur propre autorité. Quant aux curés, ils ne peuvent le faire qu’en vertu d’une commission qu’ils auraient reçue, ou bien, en des cas déterminés, comme le vol, la rapine ou autres pareils, pour lesquels le droit leur accorde cette faculté. Certains ont prétendu cependant que même les curés peuvent excommunier. L’opinion précédente est néanmoins plus fondée.

Solutions :

1. L’excommunication n’est pas directement un acte du pouvoir des clés, mais elle se rapporte plutôt au jugement extérieur. Comme cependant la sentence d’excommunication a quelque rapport avec l’entrée dans le Royaume (du fait que l’Église militante est la voie qui conduit à l’Eglise triomphante), on peut aussi qualifier de clé la juridiction en vertu de laquelle on peut excommunier. C’est de ce point de vue que certains distinguent "la clé de l’ordre", qu’ont tous les prêtres, et "la clé de juridiction au for judiciaire", que seuls possèdent ceux qui sont juges en ce domaine. Dieu cependant a donné ces deux clés à Pierre (cf. Matthieu 16, 19), et c’est par son intermédiaire qu’elles ont passé à ceux qui les possèdent toutes deux.

2. Les curés ont bien juridiction sur ceux qui leur sont soumis au for de la conscience, mais ils ne l’ont pas au for judiciaire : ils ne peuvent en effet être cités devant eux en affaires contentieuses. Ainsi ne peuvent-ils excommunier, mais seulement absoudre au for de la pénitence. Toutefois, bien que ce dernier tribunal soit plus digne, une solennité plus grande doit être apportée aux affaires judiciaires, vu qu’il n’y a pas seulement à y satisfaire à Dieu, mais aussi aux hommes.

 

Article 2 — Celui qui n’est pas prêtre peut-il porter une excommunication ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car l’ex communication est un acte qui relève du pouvoir des clés, comme il est dit au V° livre des Sentences. N’ayant pas ce pouvoir, ceux qui ne sont pas prêtres ne peuvent donc excommunier.

2. L’excommunication exige plus que l’absolution faite au for de la pénitence. Or celui qui n’est pas prêtre ne peut absoudre en ce domaine. Par conséquent, il ne peut non plus excommunier.

Cependant :

C’est un fait que les archidiacres, les légats et ceux qui sont élus à une charge peuvent excommunier, alors qu’ils ne sont pas toujours prêtres ; ce pouvoir n’est donc pas réservé aux seuls prêtres.

Conclusion :

Les sacrements où la grâce est conférée ne peuvent être administrés que par des prêtres ; eux seuls peuvent donc absoudre et lier au for de la pénitence. Mais l’excommunication n’a pas un rapport direct avec la grâce : elle ne la concerne que par voie de conséquence, en tant qu’elle prive des suffrages de l’Église, lesquels ont pour effet de disposer à la grâce ou de conserver dans la grâce. C’est pourquoi même ceux qui ne sont pas prêtres peuvent excommunier, pourvu qu’ils aient juridiction au for contentieux.

Solutions :

1. Bien qu’ils n’aient pas la clé de l’ordre, ceux qui ne sont pas prêtres ont celle de juridiction.

2. Les deux pouvoirs en cause sont réciproquement en rapport de supériorité et d’infériorité. C’est pourquoi l’un d’eux peut convenir à quelqu’un auquel l’autre ne convient pas.

 

Article 3 — Celui qui est excommunié ou suspens peut-il à son tour excommunier ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car il ne perd ni l’ordre ni la juridiction : qu’il vienne en effet à être absous, et on ne le réordonne pas, et on ne lui redonne pas à nouveau sa charge. Or l’excommunication ne requiert que l’ordre ou la juridiction. Même celui qui est excommunié ou suspens peut donc excommunier à son tour.

2. C’est une chose plus grande de consacrer le corps du Christ que d’excommunier ; or les excommuniés peuvent encore consacrer ; ils peuvent donc aussi excommunier.

Cependant :

Celui dont le corps est lié ne peut lui-même lier les autres. Or un lien spirituel est plus fort qu’un lien corporel. Puis donc que l’excommunication est un lien spirituel, celui qui est excommunié ne peut en excommunier un autre.

Conclusion :

L’usage de la juridiction implique un rapport à quelqu’un d’autre. Puis donc qu’il est séparé de la communion des fidèles, un excommunié se trouve, de ce fait, privé de l’usage de la juridiction. Et comme l’excommunication relève de ce pouvoir, il ne peut non plus excommunier.

Il en va de même pour celui qui est suspens de juridiction. Celui en effet qui n’est suspens que d’ordre n’a pas le pouvoir d’exercer ce qui relève de l’ordre, mais il peut encore exercer ce qui est de juridiction : le contraire se produisant, s’il est suspens de juridiction et non d’ordre. Mais s’il est suspens des deux façons, l’un et l’autre des pouvoirs lui est ôté.

Solutions :

1. Bien que celui qui est en cause ne perde pas la juridiction, il perd le droit d’en user.

2. Consacrer est un effet du pouvoir du caractère qui est indélébile. Quiconque a le caractère de l’ordre peut donc toujours consacrer, bien que ce ne lui soit pas toujours permis.

Il en est autrement de l’excommunication, car elle fait suite à la juridiction qui peut être ôtée et liée.

 

Article 4 — Peut-on s’excommunier soi-même, ou excommunier son égal, ou bien son supérieur ?

Objections :

1. Il semble bien que ce soit possible. Un ange de Dieu n’est-il pas plus grand que S. Paul, ainsi qu’il apparaît en S. Matthieu "Celui qui est le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que le plus grand des enfants des femmes." Or S. Paul a excommunié un ange du ciel, comme on le voit par l’Épître aux Galates. Par conséquent un homme peut excommunier son supérieur.

2. Il arrive qu’un prêtre lance une excommunication générale pour un vol ou autre chose semblable. Or il peut se faire qu’il en soit lui-même l’auteur, ou que ce soit son Supérieur, ou encore son égal. Donc on peut s’excommunier soi-même, ou excommunier son supé rieur, ou encore son égal.

3. On peut absoudre au for de la pénitence son supérieur ou son égal ; ainsi en est-il lorsque les évêques se confessent à leurs subordonnés, ou qu’un prêtre confesse à un autre ses péchés véniels. Il semble donc qu’on puisse excommunier son supérieur ou son égal.

Cependant :

L’excommunication est un acte de juridiction ; or on ne peut avoir de juridiction sur soi-même, puisqu’on ne peut être tout à la fois prévenu et juge en une même cause. Pas davantage on n’a juridiction sur son supérieur ou sur son égal. Donc on ne peut excommunier, ni son supérieur, ni son égal, ni soi-même.

Conclusion :

Comme celui qui a juridiction se trouve placé, du fait qu’il est son juge, dans un état de supériorité par rapport à celui sur lequel il a juridiction, il s’ensuit que personne ne peut avoir juridiction sur soi-même ou sur son supérieur, ou sur son égal, et par conséquent ne peut excommunier ni son supérieur, ni son égal, ni soi-même.

Solutions :

1. S. Paul s’exprime ici de façon hypothétique : au cas où "l’on admettrait qu’un ange a péché", ce qui entraînerait qu’il ne serait plus supérieur à l’apôtre mais inférieur. Rien n’empêche en effet que dans les propositions conditionnelles où les antécédents sont impossibles, les conséquents le soient également.

2. Dans le cas présupposé personne n’est excommunié, vu "qu’un égal n’a point autorité sur son égal".

3. L’acte d’absoudre ou de lier au for de la confession n’est relatif qu’à Dieu, vis-à-vis duquel quelqu’un de supérieur à un autre lui est rendu inférieur par son péché ; tandis que l’excommunication ne concerne que le for extérieur judiciaire, domaine où l’on ne perd pas sa supériorité du fait que l’on pèche. Les mêmes raisons ne sont donc pas valables dans les deux cas. Toutefois il est aussi impossible de s’absoudre soi-même au for de la confession, et l’on ne peut absoudre un supérieur ou un égal qu’en vertu d’une commission que l’on aurait reçue. C’est possible cependant pour les péchés véniels, car tout sacrement qui confère la grâce est apte à procurer la rémission de ces sortes de péchés. Celle-ci est ainsi consécutive au pouvoir d’ordre.

 

Article 5 — Une sentence d’excommunication peut-elle être portée contre une collectivité tout entière ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car il peut se faire que les membres d’une collectivité soient tous associés dans une œuvre mauvaise ; or on doit porter une excommunication contre celui qui persiste en une telle œuvre ; on peut donc porter une excommunication contre toute une collectivité.

2. Ce qu’il y a de plus grave dans l’excommunication, c’est le fait d’être exclu des sacrements de l’Église ; or il arrive qu’une cité tout entière soit interdite des services divins. Une collectivité peut donc aussi être excommuniée.

Cependant :

La Glose de S. Augustin sur S. Matthieu dit que "l’on ne doit excommunier ni un souverain, ni une multitude".

Conclusion :

On ne doit être excommunié que pour un péché mortel. Or un péché consiste dans un acte, et d’ordinaire un acte n’est pas attribuable à toute une communauté, mais à des individus particuliers. Il en résulte que l’on peut excommunier tel ou tel membre d’une communauté, mais pas la communauté tout entière.

Et s’il arrive qu’un acte engage toute une collectivité comme lorsqu’une multitude de gens traînent un navire qu’aucun ne peut seul mettre en mouvement, il ne paraît pas probable qu’il y ait alors une telle unanimité dans le consentement au mal que personne n’y soit opposé. De même donc "qu’il n’appartient pas à Dieu qui juge le ciel et la terre entière de condamner le juste avec l’impie", comme il est dit dans la Genèse, ainsi l’Église, qui doit imiter le jugement de Dieu, a-t-elle réglé sagement qu’une collectivité ne serait pas excommuniée comme telle, "de peur qu’en ramassant l’ivraie on n’arrache en même temps le blé".

Solutions :

1. La solution de la première difficulté est manifeste par ce qui précède.

2. La peine de suspense n’est pas aussi grave que celle d’excommunication, vu que ceux qui sont suspens ne sont pas privés, comme ceux qui sont excommuniés, des suffrages de l’Église. Ainsi peut-il arriver que quelqu’un, même s’il n’a pas péché lui-même, soit frappé de suspense, comme lorsque tout un royaume se voit interdit à cause du péché du roi. Il n’y a donc pas de parité entre l’excommunication et la suspense.

 

Article 6 — Celui qui est déjà l’objet d’une excommunication peut-il être excommunié à nouveau ?

Objections :

1. Non, semble t-il. L’Apôtre n’a t-il pas dit dans la Première aux Corinthiens : "Qu’ai-je à faire de juger ceux du dehors ?" Mais ceux qui sont excommuniés sont déjà hors de l’Église. L’Église n’a donc pas à les juger, ni en conséquence à les excommunier de nouveau.

2. L’excommunication est une certaine exclusion des sacrements et de la communion des fidèles. Or lorsqu’on a été privé d’un bien, on ne peut l’être une nouvelle fois. Celui qui a été excommunié ne peut donc être excommunié à nouveau.

Cependant :

L’excommunication est à la fois une certaine peine et un remède. Or les peines aussi bien que les remèdes sont réitérés quand il le faut. L’excommunication peut donc aussi être réitérée.

Conclusion :

Celui qui a été excommunié une fois peut l’être à nouveau, soit par réitération de la même excommunication, afin qu’ayant une confusion plus grande il renonce ainsi à son péché, soit pour d’autres motifs. Et, dans ce cas, il y a autant d’excommunications principales qu’il y a de motifs à être excommunié.

Solutions :

1. L’Apôtre parle ici des païens et autres infidèles qui n’ont point le caractère qui agrégerait au peuple de Dieu. Mais, comme le caractère du baptême, en vertu duquel on appartient à ce peuple, est indélébile, celui qui est baptisé demeure toujours en quelque façon de l’Église, et celle-ci par conséquent est toujours en droit de le juger.

2. Bien qu’une privation ne soit pas susceptible de plus et de moins en elle-même, elle peut l’être du point de vue de sa cause ; et sous ce rapport une excommunication peut être réitérée. Quant à celui qui a été excommunié plusieurs fois, il se trouve plus écarté des suffrages de l’Église que celui qui ne l’a été qu’une fois.

 

QUESTION 23 — DES RAPPORTS QUE L’ON PEUT AVOIR AVEC LES EXCOMMUNIÉS.

Il convient que l’on s’interroge maintenant sur les rapports que l’on peut avoir avec les excommuniés. Trois questions se posent à ce sujet : 1. Est-il permis d’avoir des rapports avec un excommunié pour des affaires purement matérielles ? -2. Celui qui communique avec un excommunié encourt-il une excommunication ? -3. Y a t-il toujours péché mortel à communiquer avec un excommunié quand ce n’est pas permis ?

 

Article 1 — Est-il permis d’avoir des rapports avec un excommunié au plan purement matériel ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car l’excommunication dépend du pouvoir des clés, qui ne s’étend que sur le spirituel. Donc l’excommunication ne saurait interdire à quelqu’un de communiquer avec un autre dans les choses matérielles.

2. "Ce qui a été établi en vue de la charité ne s’oppose pas à la charité. Or, du fait du précepte de la charité, nous sommes tenus de venir en aide à nos ennemis. Ce qui ne peut se faire si l’on n’a quelques rapports avec eux. C’est donc qu’il est permis à quelqu’un d’entrer en rapports avec un excommunié pour des affaires temporelles.

Cependant :

Il est dit dans la Première aux Corinthiens : "Il ne faut pas prendre de repas avec un tel homme."

Conclusion :

Il y a deux sortes d’excommunication : 1° l’excommunication mineure, qui exclut seulement de la participation aux sacrements, mais pas de la communion des fidèles. Il est permis d’entrer en communication avec celui qui en est frappé, mais pas de lui procurer les sacrements ; 2° l’excommunication majeure, qui exclut à la fois des sacrements de l’Église et de la communion des fidèles. Il est défendu de communiquer avec celui qui en est l’objet. Toutefois, comme l’Eglise a établi l’excommunication pour la guérison et non pour la perte, certains cas demeurent exceptés, dans cette interdiction générale, où la communication reste permise, savoir quand le salut y est intéressé. On peut alors converser licitement avec un excommunié, même sur d’autres sujets, si par là on a l’espoir de faire accepter les paroles du salut avec plus de facilité, grâce à la familiarité de l’entretien.

Il faut aussi excepter certaines personnes, spécialement tenues de pourvoir aux besoins de l’excommunié ; comme "épouse, fils, serf rural, domestique". Par "fils", on doit entendre ici ceux qui ne sont pas émancipés ; autrement ils sont tenus d’éviter leur père ; quant aux autres, il faut comprendre qu’il leur est permis de communiquer avec un excommunié, s’ils ont contracté avec lui des liens de soumission avant l’excommunication, mais pas après. Certains comprennent, à l’inverse, qu’il est permis aux supérieurs de communiquer avec leurs inférieurs. Mais d’autres sont d’avis contraire. Pour le moins il faut admettre qu’ils doivent communiquer avec leurs inférieurs dans les choses où ils ont des obligations vis-à-vis d’eux ; car si les inférieurs sont tenus d’obéir à leurs supérieurs, ceux-ci ne sont pas moins tenus de pourvoir aux besoins de leurs inférieurs. Il y a encore d’autres cas d’exception : tel celui où "l’on ignore l’excommunication" ; ou celui "de pèlerins voyageurs en des pays où il y a des excommuniés " : ils peuvent licitement "leur faire des achats", ou "en recevoir l’aumône" ; ou encore le cas où l’on voit un excommunié dans la nécessité : on est alors tenu en vertu du précepte de la charité de pourvoir à son besoin.

Tous ces cas sont contenus dans ce vers : "utilement, loi, humblement, chose ignorée, nécessité" ; "utilement" s’entendant des paroles de salut, "loi" du mariage, "humblement" de la sujétion ; le reste est clair.

Solutions :

1. Les choses matérielles sont ordonnées aux spirituelles. Et par conséquent le pouvoir qui a le spirituel pour objet peut s’étendre aussi aux choses matérielles ; tout comme "l’art qui a la fin pour objet commande aux arts qui s’occupent des moyens".

2. Au cas où l’on est tenu par devoir de charité de communiquer avec un excommunié, la communion n’est pas interdite, comme le montre ce qui précède.

 

Article 2 — Celui qui communique avec un excommunié encourt-il une excommunication ?

Objections :

1. Non, semble t-il. Un infidèle est en effet plus éloigné de l’Église qu’un excommunié. Or celui qui est en rapports avec un infidèle ou un juif n’est pas excommunié pour cela. Par conséquent celui qui communique avec un chrétien excommunié ne l’est pas non plus.

2. Si l’on est excommunié pour avoir des rapports avec un excommunié, pour la même raison on le sera du fait que l’on communique avec quelqu’un qui lui-même est en rapports avec un excommunié, et ainsi à l’infini, ce qui parce que l’on a des rapports avec un excommunié.

Cependant :

Celui qui est excommunié est mis en dehors de la communion ; par conséquent celui qui communique avec lui s’écarte de la communion de l’Église : ainsi semble t-il qu’il est excommunié lui-même.

Conclusion :

L’excommunication peut être portée contre quelqu’un de deux manières

ou bien de façon qu’il soit spécifié qu’il est excommunié avec tous ceux qui entreront en communication avec lui ; il n’est alors pas douteux que quiconque entre en rapports avec une telle personne n’encoure lui-même une excommunication majeure ; ou bien il est excommunié purement et simplement. En ce cas, ou l’on participe au délit lui-même par conseil, aide ou encouragement, et de nouveau l’on encourt une excommunication majeure ; ou il n’est question que de rapports d’un autre ordre, paroles, baisers, communauté de table, pour lesquels celui qui participe n’est frappé que d’une excommunication mineure.

Solutions :

1. L’Église n’a pas le même souci de la correction des infidèles que de celle des fidèles qui sont confiés à sa charge. C’est pourquoi elle n’écarte pas de la communion des infidèles, comme elle le fait de la communion des fidèles qu’elle excommunie, sur lesquels elle a un certain pouvoir.

2. Il est permis d’avoir des rapports avec celui qui est l’objet d’une excommunication mineure ; ainsi l’excommunication ne passe pas à une troisième personne.

 

Article 3 — Y a t-il toujours péché mortel à communiquer avec un excommunié dans le cas où ce n’est pas permis ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car il est répondu dans une certaine décrétale qu’il ne faut pas, par crainte de la mort, communiquer avec un excommunié, vu que l’on doit plutôt subir la mort que pécher mortellement ; or cette raison serait de nulle valeur s’il n’y avait pas péché mortel à communiquer avec un excommunié.

2. C’est pécher mortellement que d’agir contrairement à un précepte de l’Eglise. Or l’Église interdit toute communication avec un excommunié. Par conséquent, c’est pécher mortellement que d’avoir des communications de ce genre.

3. Personne n’est privé de la réception de l’Eucharistie pour un péché véniel. Or c’est ce qui arrive pour celui qui communique avec un excommunié en des cas où ce n’est pas permis, vu qu’il encourt de ce fait une excommunication mineure. Donc, il y a péché mortel à communiquer avec un excommunié dans la condition susdite.

4. Personne ne peut être frappé d’excommunication majeure, sinon pour un péché mortel. Or, selon le droit, on peut encourir une telle censure, pour la seule raison que l’on communique avec un excommunié. Il y a donc péché mortel à le faire.

Cependant :

2. On ne peut absoudre quelqu’un d’un péché mortel que si l’on a juridiction sur lui ; or n’importe quel prêtre peut absoudre de la participation avec des excommuniés ; celle-ci n’est donc pas un péché mortel.

2. "La pénitence doit se mesurer à la faute" ; or pour la participation avec les excommuniés on n’a pas coutume d’imposer la peine due au péché mortel, mais plutôt celle qui correspond au péché véniel ; ce n’est donc pas un péché mortel.

Conclusion :

Certains pensent que chaque fois que l’on entre en rapports avec un excommunié, soit par paroles, soit d’une des manières défendues qui a été spécifiée, on pèche mortellement, sauf dans les cas prévus par le droit. Mais comme il paraît bien dur d’admettre qu’on pèche mortellement pour une parole légère adressée à un excommunié, et qu’ainsi ceux qui excommunieraient jetteraient à un grand nombre le filet de la damnation, qui retomberait sur eux, pour cette raison d’autres croient plus probable qu’il n’y a pas toujours péché mortel en cette communication, mais seulement quand on prend part soi-même au crime, ou quand il s’agit de choses saintes, ou quand il y a mépris de l’Église.

Solutions :

1. La décrétale dont il s’agit concerne le cas de participation dans les choses saintes. -Ou bien il faut dire que la raison alléguée vaut pareillement pour le péché mortel et pour le péché véniel sous le rapport où le second comme le premier ne peut être un acte bon. Ainsi, comme on doit plutôt accepter la mort que pécher mortellement, de même doit-on faire pour le péché véniel ; l’obligation ayant alors la même portée que celle qui défend un tel péché.

2. Un précepte de l’Église concerne directement les choses spirituelles, et par voie de conséquence les actes permis. Celui donc qui communique avec un excommunié dans les choses saintes agit contre le précepte et pèche mortellement ; tandis que celui qui entre en rapports avec lui dans d’autres domaines agit en dehors du précepte, et il pèche véniellement.

3. On peut être écarté de l’Eucharistie, même sans avoir commis aucune faute, comme on le voit dans les suspenses ou interdits ; il peut se faire en effet que de telles peines soient infligées à l’un en raison de la faute d’un autre dont il subit alors la punition.

4. Bien qu’il n’y ait qu’un péché véniel à communiquer avec un excommunié, il y a péché mortel à le faire avec pertinacité ; en raison de quoi on peut être excommunié légalement.

 

QUESTION 24 — L’ABSOLUTION DE L’EXCOMMUNICATION.

Trois questions se posent à ce sujet : 1. Tout prêtre peut-il absoudre de l’excommunication celui qui lui est soumis ? -2. Quelqu’un peut-il être absous de l’excommunication malgré lui ? -3. Peut-on être absous de l’excommunication sans l’être d’une autre ?

 

Article 1 — Tout prêtre peut-il absoudre de l'excommunication celui qui lui est soumis ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car le lien du péché est plus fort que celui de l’excommunication. Or tout prêtre peut absoudre du péché celui qui lui est soumis. A bien plus forte raison donc peut-il l’absoudre de l’excommunication.

2. Si l’on ôte la cause, l’effet est également supprimé. Mais l’excommunication a pour cause le péché mortel. Comme donc n’importe quel prêtre peut absoudre de ce péché, il pourra de même absoudre de l’excommunication.

Cependant :

C’est au même pouvoir qu’il revient d’excommunier et d’absoudre de l’excommunication. Or les prêtres de rang inférieur ne peuvent excommunier ceux qui leur sont soumis. Ils ne peuvent donc non plus les absoudre de l’excommunication.

Conclusion :

Quiconque a le pouvoir d’absoudre du péché de communication avec un excommunié a aussi celui d’absoudre de l’excommunication mineure. Quant à l’excommunication majeure, ou elle est portée par un juge, et c’est alors celui qui l’a portée ou son supérieur qui peut en absoudre ; ou elle est encourue à ce cas, un évêque ou même un prêtre peut en absoudre, à l’exception des six cas que l’auteur du droit, c’est-à-dire le pape, s’est réservé

1° le cas de celui qui a porté la main sur un clerc ou un religieux ; 2° de celui qui a incendié une église, et a été cité ; 3° de celui qui a fracturé une église, et a également été cité ; 4° de celui qui sciemment communique dans les choses saintes avec ceux que le pape a nommément excommuniés ; 5° du falsificateur des lettres apostoliques ; 6° de celui qui participe à des crimes avec ceux qui sont excommuniés. Il ne peut être absous que par celui qui a porté l’excommunication, même s’il ne lui est pas soumis, à moins qu’en raison de la difficulté qu’il y a à le joindre il ne soit absous par l’évêque ou par son propre prêtre, caution ayant été donnée par serment qu’il se soumettra aux décisions du juge qui a porté la sentence.

Le premier des cas énumérés comporte à son tour huit exceptions : 1° l’article de la mort, où l’on peut être absous de toute excommunication par n’importe quel prêtre ; 2° le cas où celui qui frappe est le portier de quelque grand personnage, et n’a agi ni par haine, ni de propos délibéré ; 3° où il est une femme ; 4° Où il est un esclave, dont l’absence causerait dommage à son maître, supposé innocent ; 5° où c’est un religieux qui a frappé un autre religieux, l’emportement n’ayant point été excessif ; 6° où c’est un pauvre ; 7° où c’est un impubère, un vieillard ou un malade ; 8° où il a des inimitiés graves.

Il y a même d’autres cas où celui qui frappe un clerc n’encourt pas d’excommunication : 1° s’il a frappé pour motif disciplinaire, comme il arrive à un maître ou à un supérieur ; 2° s’il l’a fait pour s’amuser ; 3° s’il a surpris celui qu’il frappe commettant un acte honteux avec sa femme, sa mère, sa sœur ou sa fille ; 4° s’il repousse sur le moment même la violence par la violence ; 5° s’il ne sait pas que c’est un clerc ; 6° s’il vient à le rencontrer dans l’apostasie, après que la troisième admonition lui a été faite ; 7° s’il s’agit d’un clerc qui s’adonne à des actes tout à fait contraires à son état : par exemple s’il se fait soldat, ou s’il passe à la bigamie.

Solutions :

1. Quoique le lien du péché soit plus fort absolument parlant que l’excommunication, sous un certain rapport le lien de l’excommunication l’emporte, à savoir en tant qu’il oblige non seulement à l’égard de Dieu, mais aussi à la face de l’Église. C’est pourquoi la juridiction au for externe est exigée pour absoudre de l’excommunication, ce qui n’a pas lieu pour l’absolution du péché ; on n’exige pas non plus en ce cas la caution du serment, comme on le fait pour l’absolution de l’excommunication, car, au dire de l’Apôtre, "c’est par le serment que l’on met un terme aux disputes entre les hommes".

2. Comme celui qui est excommunié ne peut avoir part aux sacrements de l’Église, le prêtre ne peut l’absoudre de sa faute que s’il a été d’abord relevé de son excommunication.

 

Article 2 — Quelqu’un peut-il être absous contre sa volonté ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car l’on ne confie pas des biens spirituels à quelqu’un contre sa volonté ; or l’absolution de l’excommunication est un bien spirituel ; on ne peut donc l’accorder à quelqu’un malgré lui.

2. Une cause d’excommunication est la contumace. Mais si quelqu’un, par mépris de l’excommunication, refuse d’être absous, il est évidemment contumace au plus haut degré. Par conséquent il ne peut être absous.

Cependant :

On peut bien infliger une excommunication à quelqu’un contre sa volonté. Mais ce qui arrive contre la volonté peut aussi être retiré contre la volonté, comme c’est manifeste pour les biens de la fortune. L’excommunication peut donc être ôtée à quelqu’un malgré lui.

Conclusion :

Le mal de la faute et le mal de la peine diffèrent en ceci que le principe du péché est en nous, parce que tout péché est volontaire, alors que le principe de la peine peut être en dehors de nous. Il n’est pas requis en effet pour une peine qu’elle soit volontaire, il est même plutôt de sa nature d’être contre la volonté. En conséquence, comme les péchés ne sont commis que par la volonté, ainsi ne sont-ils pas remis à quelqu’un contre sa volonté ; au lieu que, s’il s’agit de l’excommunication, comme elle peut être portée contre quelqu’un malgré lui, de même peut-elle lui être retirée malgré lui.

Solutions :

1. Ce qui est dit vaut pour les biens spirituels qui existent dans notre volonté, comme sont les vertus, que l’on ne peut perdre si on ne le veut pas. La science, en effet, bien qu’elle soit un bien spirituel, peut être perdue par la maladie chez celui-là même qui ne le veut pas. La raison alléguée ne s’applique donc pas ici.

2. Même si la contumace persiste, on peut remettre, en usant de discrétion, une excommunication portée justement, au cas où il apparaîtrait que cela peut contribuer au salut de celui que l’on a excommunié pour sa guérison.

 

Article 3 — Peut-on être absous d’une excommunication sans l’être de toutes les autres ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car un effet doit être proportionné à sa cause. Or la cause de l’excommunication est le péché. Donc, comme on ne peut être absous d’un péché sans l’être à la fois de tous les autres, cela ne peut se faire non plus pour l’excommunication.

2. L’absolution de l’excommunication se fait dans l’Église. Or celui qui demeure retenu dans les liens d’une excommunication est hors de l’Église. Par conséquent, tant que subsiste ufie excommunication, il ne peut pas être absous d’une autre.

Cependant :

L’excommunication est une peine ; or on peut être libéré d’une peine sans l’être d’une autre ; par conséquent on peut être absous d’une excommunication alors qu’une autre reste.

Conclusion :

Il n’y a pas de connexion en une même personne entre les excommunications : ainsi peut-on se trouver absous de l’une tandis que l’autre reste. Mais il faut observer à ce sujet qu’il peut se faire que quelqu’un soit frappé de plusieurs excommunications par un même juge. Dans ce cas, lorsqu’il est absous de l’une d’elles, il est censé l’être aussi des autres, à moins que le contraire ne soit spécifié. -Mais il arrive aussi qu’on soit excommunié par plusieurs juges. Si alors on est absous d’une excommunication, on ne l’est pas pour cela d’une autre, à moins que les autres juges, à la demande de celui qui a absous, ne confirment la sentence ; ou bien encore que tous confient à un seul le soin d’absoudre.

Solutions :

1. Tous les péchés sont connexes dans l’aversion de la volonté à l’égard de Dieu, aversion qui rend impossible la rémission des péchés ; c’est pourquoi un péché ne peut être remis sans l’autre. Les excommunications au contraire n’ont pas une telle connexion ; en outre l’absolution de l’excommunication n’est pas empêchée par la contrariété de la volonté. La raison alléguée n’est donc pas concluante.

2. Comme celui dont on parle était hors de l’Église pour plusieurs causes, il est possible que la séparation d’avec celle-ci soit abolie pour une de ces causes, tout en demeurant pour une autre.

 

QUESTION 25 — LES INDULGENCES

Il faut maintenant traiter des indulgences 1° des indulgences considérées en elles-mêmes ; 2° de ceux qui les confèrent ; 3° de ceux qui les reçoivent.

Sur le premier point trois questions se posent : 1. L’indulgence peut-elle remettre quelque chose de la peine satisfactoire ? 2. Les indulgences ont-elles autant de valeur qu’il est proclamé dans leur énoncé ? 3. Convient-il d’accorder une indulgence pour un secours temporel ?

 

Article 1 — L’indulgence peut-elle remettre quelque chose de la peine satisfactoire ?

Objections :

1. Non, semble t-il. A propos de ces paroles de la Seconde à Timothée "Il ne peut se renier lui-même", la Glose dit en effet : "ce qu’Il ferait s’il n’accomplissait pas ce qu’il a décrété". Or Lui-même dit dans le Deutéronome : "Le nombre des coups sera proportionné au délit." Aucune partie de la peine satisfactoire qui est taxée suivant la gravité de la faute ne peut donc être remise.

2. Un inférieur ne peut dispenser des obligations imposées par le supérieur. Or, lorsqu’il absout de la faute, Dieu oblige à une peine temporelle, comme le dit Hugues de Saint Victor. Par conséquent aucun homme ne peut absoudre de cette peine en en remettant quelque chose.

3. Il appartient au pouvoir d’excellence de procurer sans les sacrements les effets mêmes des sacrements. Or personne, sauf le Christ, ne possède ce pouvoir d’excellence en matière de sacrements. Donc, puisque la satisfaction est une partie du sacrement ayant efficacité pour remettre la peine qui est due, il semble qu’aucun homme, simplement homme, ne puisse remettre la dette de cette peine indépendamment de la satisfaction.

4. Aucun pouvoir n’est conféré aux ministres de l’Église "en vue de la ruine, mais pour l’édification". Or il serait ruineux que la satisfaction soit supprimée, vu que, nous offrant un remède, elle est faite pour notre utilité. C’est donc que le pouvoir des ministres de l’Église ne s’étend pas jusque-là.

Cependant :

1. Sur cette parole de la Seconde aux Corinthiens : "Si j’ai pardonné pour autant que j’ai eu à pardonner, c’est par amour pour vous, en la Personne du Christ ", la Glose dit "c’est-à-dire, comme si le Christ lui-même avait pardonné". Or le Christ pouvait remettre la peine du péché sans aucune satisfaction, comme on le voit en S. Jean pour la femme adultère. Donc S. Paul l’a pu lui aussi. Et par conséquent le pape, qui n’a pas dans l’Église un pouvoir moindre que celui dont jouissait S. Paul, le peut également.

2. L’Église universelle ne peut tomber dans l’erreur puisque "Celui qui a été exaucé en tout en raison de sa piété" a dit à Pierre, sur la confession duquel l’Église a été fondée "J’ai prié pour toi Pierre, afin que ta foi ne défaille pas." Or l’Église universelle approuve les indulgences et en établit. Les indulgences ne sont donc pas sans valeur.

Conclusion :

Tout le monde admet que les indulgences ont une certaine valeur : ce serait en effet une impiété de prétendre que l’Église a des pratiques vaines. Mais certains croient que les indulgences ne peuvent rien pour la rémission de la peine que l’on mériterait, selon le jugement de Dieu, au purgatoire, mais qu’elles ont seulement efficacité pour remettre de l’obligation à une peine imposée par un prêtre à un pénitent, ou de celle qui s’imposerait à lui du fait des prescriptions du droit.

Mais cette opinion ne paraît pas vraie. Tout d’abord elle est formellement contraire au privilège accordé à Pierre, que "ce qu’il délierait sur la terre serait délié au ciel". D’où il ressort que ce qui est remis au for de l’Église l’est également au for de la justice divine. -En outre, l’Église, en accordant de telles indulgences, nuirait plus qu’elle ne viendrait en aide, car, en absolvant des pénitences infligées, elle abandonnerait à des peines plus graves, à savoir celles du purgatoire.

C’est pourquoi il convient plutôt de dire que les indulgences ont une efficacité, tant vis-à-vis du for de l’Eglise que devant le jugement de Dieu, pour la rémission de la peine qui reste due après la contrition, l’absolution et la confession, que cette peine ait été enjointe ou non. La raison doit en être cherchée dans l’unité du corps mystique dont beaucoup de membres ont surpassé en œuvres de pénitence la mesure de leurs dettes propres, et de plus ont supporté avec patience une multitude de tribulations injustes, qui auraient pu expier la multitude des peines dont ils auraient pu être redevables. Ainsi l’abondance de leurs mérites est-elle si grande qu’elle l’emporte sur la totalité de la peine due en ce jour par les vivants. En outre, et c’est la raison principale, il y a le mérite du Christ, lequel, bien qu’il opère par la voie des sacrements, n’est pas, quant à son efficacité, renfermé en eux, mais dépasse en son infinité tout ce qu’ils pourraient produire.

Mais nous avons vu qu’il est possible à l’un de satisfaire pour un autre. D’autre part, les saints, en qui se rencontre cette surabondance d’œuvres satisfactoires, ne les ont pas accomplies pour tel ou tel en particulier, qui aurait une dette à remettre, sans quoi ceux-ci se trouveraient absous indépendamment de toute indulgence, mais ils les ont accomplies globalement pour toute l’Église, selon ce que dit l’Apôtre : "Je complète dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l’Église." C’est ainsi que les mérites en question sont communs à toute l’Église. Mais ce qui appartient en commun à une collectivité est distribué à chacun de ses membres au jugement de celui qui est à sa tête. Par conséquent, de même que quelqu’un peut obtenir rémission de sa peine si un autre satisfait spécialement pour lui, ainsi en est-il également si la satisfaction d’un autre lui est allouée par celui qui en a le pouvoir.

Solutions :

1. La rémission faite par le moyen des indulgences ne supprime pas la quantité de peine due pour la faute, puisque pour le péché de l’un un autre a de son propre gré supporté la peine.

2. Celui qui est bénéficiaire d’indulgences n’est pas à proprement parler absous de la peine qu’il doit, mais il lui est donné de quoi l’acquitter.

3. L’effet de l’absolution sacramentelle est la diminution de la dette, et un tel effet n’est pas procuré par les indulgences. Mais celui qui établit des indulgences acquitte la peine, pour celui qui la devait, au moyen des biens qui sont communs à toute l’Église, comme il a été dit.

4. La grâce est un remède plus efficace contre le péché que l’application à nos œuvres. Puis donc que l’impression éprouvée par celui qui reçoit les indulgences, en raison de la cause qui les motive, le dispose à la grâce, il faut reconnaître qu’elles aussi procurent un remède pour éviter les péchés. Ce n’est donc pas détruire que de donner des indulgences, à moins qu’on ne le fasse de façon désordonnée.

Toutefois il est bon de conseiller à ceux qui sont les bénéficiaires d’indulgences de ne point s’abstenir pour cela des œuvres de pénitence prescrites, afin qu’ils en reçoivent aussi quelque remède, bien qu’ils n’aient plus de peine à acquitter ; d’autant qu’ils pourraient avoir de plus grandes dettes qu’ils ne seraient portés à le croire.

 

Article 2 — Les indulgences valent-elles autant qu’il est dit dans leur énoncé ?

Objections :

1. Il semble que les indulgences n’ont pas autant de valeur qu’il est dit dans leur énoncé, car elles n’ont d’effet qu’en vertu du pouvoir des clés. Or celui qui est détenteur de ce pouvoir ne peut, lorsqu’il en use, remettre qu’une quantité déterminée de la peine du péché, compte tenu de la grandeur du péché et de la contrition du pénitent. Puis donc que les indulgences sont données au gré de celui qui les établit, il ne semble pas qu’elles puissent avoir la valeur exprimée dans leur énoncé.

2. Par l’obligation de la peine un homme se trouve retardé dans cette entrée en possession de la gloire qui doit être l’objet suprême de ses désirs. Mais si les indulgences ont autant d’effet qu’il est dit dans leur énoncé, quelqu’un pourrait, en en faisant le tour, obtenir en peu de temps l’exemption de toute dette de peine temporelle. Il semble donc qu’on devrait, laissant là toutes les autres œuvres, se consacrer entièrement à les acquérir.

3. Parfois on proclame cette indulgence : celui qui contribue à l’érection de la fabrique de telle église obtiendra rémission du tiers de la peine due à ses péchés. Il arrive alors, si l’on admet que les indulgences ont autant de valeur qu’il est dit dans leur énoncé, que celui qui donne un denier, puis un deuxième denier, et ensuite un troisième, obtiendra pleine rémission de toute la peine due, ce qui paraît absurde.

4. On donne aussi cette indulgence qui conque visitera telle église obtiendra sept années de rémission de dette. Si donc une indulgence a autant d’effet qu’il est proclamé, il se produit que celui qui demeure à côté de l’église, ou encore les clercs de cette église, qui y vont tous les jours, obtiendront autant que celui qui vient de loin, ce qui paraît injuste. Bien plus, semble t-il, ils obtiendront l’indulgence plusieurs fois dans la même journée s’ils font plusieurs visites.

5. Il semble qu’il revient au même de remettre à quelqu’un une peine au-delà de la juste mesure et de la lui remettre sans "cause", vu que, pour ce qui est en surplus, il n’y a pas de compensation. Or celui qui établit une indulgence ne peut remettre sans 'cause' , totalement ou partiellement, une peine -par exemple si le pape disait à quelqu’un "Je te remets toute la peine due pour tes péchés. "Il semble donc qu’il ne peut davantage remettre quelque chose au-delà d’une juste mesure. Mais les indulgences sont la plupart du temps proclamées au-delà d’une telle mesure. Elles n’ont donc pas toute la valeur qui est proclamée.

Cependant :

1. Il est écrit au livre de Job : "Dieu a t-il besoin de nos mensonges, pour que nous défendions sa cause par des paroles trompeuses ?" L’Église ne ment donc pas lorsqu’elle publie des indulgences. Celles-ci ont donc autant de valeur qu’il est dit dans leur énoncé.

2. En outre S. Paul dit dans la Première aux  Corinthiens      "Si notre prédication est vaine, vaine est aussi notre foi." Quiconque, en conséquence, dit quelque chose de faux dans sa prédication, évacue, pour autant qu’elle est en lui, sa foi, et ainsi pèche mortellement. Si donc les indulgences n’ont pas la valeur qu’elles proclament, tous ceux qui en prêchent pèchent mortellement, ce qui est une absurdité.

Conclusion :

Sur ce point il y a des opinions multiples. Certains prétendent que les indulgences n’ont pas autant de valeur qu’elles proclament, et qu’elles n’ont d’effet pour chacun qu’à proportion de sa foi et de sa dévotion. Et ils ajoutent que l’Église s’exprime comme elle le fait à leur sujet pour amener, par le moyen d’une pieuse fraude, les hommes à bien faire ; tout comme une mère incite son enfant à marcher en lui promettant un fruit. -Mais cette opinion est très dangereuse, car, ainsi que S. Augustin le dit dans une lettre à S. Jérôme : que l’on convainque de fausseté la Sainte Écriture en quelque point, et c’en est fait de son autorité ; de même si l’on pouvait surprendre quelque chose de faux dans la prédication de l’Église, son enseignement se trouverait sans autorité pour confirmer dans la foi.

C’est pourquoi d’autres ont dit qu’elles ont la valeur qu’elles proclament, selon la juste estimation, non de celui qui donne l’indulgence, lequel attache trop de prix à ce qu’il donne, ni de celui qui la reçoit, qui pourrait ne l’apprécier pas assez, mais selon qu’elle est fixée de façon équitable au jugement des gens de bien, compte tenu de la condition de la personne, ainsi que de l’utilité et du besoin de l’Église ; celle-ci étant à certaines époques dans une nécessité plus grande qu’à d’autres. Mais il semble bien que cette opinion aussi ne tient pas. Tout d’abord parce qu’alors les indulgences n’auraient pas de valeur pour la rémission, mais plutôt pour une sorte de commutation de la peine. En outre, la prédication de l’Église ne serait pas excusée de mensonge, attendu qu’une indulgence peut être proclamée bien au-dessus de ce qu’une juste estimation pourrait le requérir, compte tenu de toutes les conditions précitées lorsque, par exemple, le pape donne une indulgence de sept années à celui qui visite une église ; des indulgences semblables ayant été instituées également par S. Grégoire pour les Stations de Rome.

D’autres disent en conséquence que la quantité de rémission dans les indulgences ne doit pas être mesurée seulement d’après la dévotion de celui qui les reçoit, comme le voulait la première opinion, ni d’après la quantité de ce qui est donné, comme le prétendait la seconde, mais d’après la 'cause' pour laquelle l’indulgence est donnée, et en raison de laquelle on est réputé digne de la recevoir. En sorte que, selon que l’on accède à cette cause, on obtient en totalité ou en partie la rémission de l’indulgence. -Mais, dans cette conception, la pratique de l’Église ne se trouve pas plus justifiée, car il arrive que, pour une même cause, elle fixe une plus grande indulgence.

Ainsi, toutes choses étant égales, tantôt est accordée une année d’indulgences pour ceux qui visitent une église, tantôt quarante jours, selon que le pape aura voulu faire grâce en instituant l’indulgence. La quantité de rémission ne doit donc pas être appréciée d’après le motif qui rend digne d’indulgence.

Il est donc préférable de soutenir que la quantité de l’effet est en dépendance de celle de la cause. Or, dans les indulgences, la cause de la rémission de la peine n’est autre chose que la surabondance des mérites de l’Église, laquelle est suffisante pour expier la totalité de la ainsi, cette cause effective de la rémission n’est ni la dévotion, ni la peine, ni les offrandes de celui qui reçoit l’indulgence, pas plus que la 'cause' pour laquelle elle est donnée. Ce n’est donc à rien de cela qu’il convient de proportionner la quantité de la rémission, mais aux mérites de l’Eglise qui sont toujours surabondants. De la sorte, selon que ces mérites sont appliqués à tel ou tel, celui-ci reçoit la rémission de la peine. Mais pour que cela se fasse est requise l’autorité capable de disposer de ce trésor ; et, en outre, il est nécessaire qu’il y ait une union entre celui à qui la dispensation est faite et celui qui avait mérité, -union que réalise la charité ; il faut enfin un motif de cette largesse, tel que soit respectée l’intention de ceux qui ont accompli les œuvres méritoires. Or ils les ont faites pour l’honneur de Dieu et pour l’utilité de l’Eglise. Toute 'cause' en conséquence qui est à l’honneur de Dieu et pour l’utilité de l’Église est un motif suffisant pour établir des indulgences.

Ainsi donc, il faut reconnaître avec les tenants de cette opinion que les indulgences ont purement et simplement la valeur qu’elles proclament, pourvu qu’il y ait : chez celui qui les accorde l’autorité pour le faire, chez celui qui les reçoit la charité, et, du point de vue de la 'cause' , la piété, qui comprend l’honneur de Dieu et l’utilité du prochain. Et en ceci il n’y a pas, comme certains le prétendent, "un élargissement excessif du tribunal de la miséricorde divine", et il n’est pas dérogé à sa justice, car aucune partie de la peine ne se trouve supprimée, mais la peine de l’un est comptée pour un autre.

Solutions :

1. Il y a deux clés distinctes, celle d’ordre et celle de juridiction. La clef d’ordre est quelque chose de sacramentel, et, comme les effets des sacrements ne sont pas déterminés par l’homme, mais par Dieu, le prêtre ne peut pas fixer la quantité de peine qu’il remet, au for de la confession, par l’entre mise de la clé d’ordre : il en est remis selon que Dieu aura disposé. Au contraire, la clé de juridiction n’est point d’ordre sacramentel et son effet est soumis à la libre disposition de l’homme. Et l’effet de cette clé est la rémission qui se fait par le moyen des indulgences, vu que cette rémission ne se fait pas par la dispensation des sacrements, mais par celle des biens communs de l’Église ; c’est ainsi que les légats qui ne sont pas prêtres peuvent aussi accorder des indulgences. Et c’est pourquoi il appartient à celui qui confère une indulgence de fixer lui-même la quantité de peine qu’il remet. Si cependant la remise de peine est faite de façon déraisonnable, en sorte que quasi pour rien les hommes seraient détournés des œuvres de pénitence, il pèche en agissant ainsi ; l’intéressé toutefois n’en gagne pas moins l’indulgence dans sa totalité.

2. Si les indulgences ont une grande valeur pour la rémission de la peine, les autres œuvres de satisfaction sont plus méritoires par rapport à la récompense essentielle, qui elle-même est infiniment meilleure que la remise de la peine temporelle.

3. Quand une indulgence est donnée en termes indéterminés quiconque viendra en aide à une fabrique d’église, etc., il faut entendre qu’il s’agit d’une aide proportionnée aux facultés de celui qui l’offre, en sorte que celui-ci bénéficie plus ou moins de l’indulgence, selon qu’il réalise cette condition. C’est pourquoi un pauvre qui donne un seul denier gagne déjà l’indulgence entière ; mais pas un riche, pour lequel il est inconvenant de donner si peu pour une œuvre aussi pieuse ; comme on ne dirait pas d’un roi qu’il vient au secours de quelqu’un s’il lui donne une obole.

4. Ceux qui demeurent auprès de l’église, comme les prêtres et les clercs qui y sont attachés, gagnent autant d’indulgences que ceux qui viendraient de loin puisque, ainsi qu’on l’a dit, la rémission n’est pas proportionnée au labeur, mais aux mérites qui sont dispensés. Toutefois celui qui peine plus acquiert plus de mérites.

Ceci ne vaut d’ailleurs que pour les indulgences données sans distinctions, car il arrive qu’une distinction soit faite : par exemple, lorsque dans des absolutions générales le pape accorde cinq années à ceux qui passent la mer, trois années à ceux qui franchissent les montagnes, et une année aux autres.

Cependant on ne gagne pas autant de fois une indulgence qu’on aura fait de visites, pendant le temps prescrit. Il peut se faire en effet qu’elle soit donnée pour un temps déterminé ; par exemple, s’il est déclaré : "Celui qui visitera telle église, jusqu’à telle époque, aura tant d’indulgences", cela doit s’entendre "une fois seulement". Par contre, si pour une certaine église il y a une indulgence à perpétuité, comme par exemple une indulgence de quarante jours pour l’église Saint-Pierre, on gagne l’indulgence autant de fois qu’on visite l’église.

5. La 'cause' fixée pour une indulgence n’est pas établie pour servir de mesure à la rémission de la peine, mais à cette fin que l’intention de ceux dont les mérites sont communiqués puissent atteindre le bénéficiaire. Or le bien de l’un se prolonge en un autre de deux manières. En premier lieu, par la charité et de ce point de vue quiconque a la charité participe, même sans indulgences, à tous les biens qui peuvent se faire. En second lieu, par l’intention de celui qui fait le bien : c’est de cette façon que, par l’entremise des indulgences, lorsqu’une 'cause' valable est posée, l’intention de celui qui a œuvré pour l’utilité de l’Eglise peut atteindre tel ou tel.

 

Article 3 — Convient-il d’accorder des indulgences pour des choses temporelles ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car la rémission des péchés est chose spirituelle ; or, il y a simonie à donner du spirituel pour du temporel ; cela ne doit donc pas se faire.

2. Les choses spirituelles sont plus nécessaires que les temporelles ; or, on ne voit pas qu’on accorde des indulgences pour des choses spirituelles ; donc, on doit bien moins encore en accorder pour des temporelles.

Cependant :

La pratique générale de l’Église est d’accorder des indulgences pour des pèlerinages et des aumônes.

Conclusion :

Les biens temporels sont ordonnés aux spirituels, puisque nous devons user des premiers en vue des seconds. Par conséquent il n’est pas possible d’accorder des indulgences pour des biens purement temporels, mais seulement pour des biens temporels ordonnés aux spirituels : comme, par exemple, la répression des ennemis de l’Église qui troublent sa paix, ou encore la construction d’églises ou de ponts, ou d’autres aumônes. Il est clair qu’il n’y a point là de simonie, vu qu’on ne donne pas un bien spirituel pour un temporel.

Solutions :

1. La première solution est manifeste.

2. On peut, et ce n’est pas sans exemple, accorder des indulgences pour des biens purement spirituels : ainsi quiconque prie pour le roi de France a dix jours d’indulgences, accordés par le pape Innocent IV. De même ceux qui prêchent la croisade bénéficient parfois de la même indulgence que ceux qui prennent la croix.

 

QUESTION 26 — CEUX QUI PEUVENT ACCORDER DES INDULGENCES.

Il faut maintenant voir quels sont ceux qui peuvent accorder des indulgences. Quatre questions se posent à ce sujet 1. Un curé peut-il accorder des indulgences ? -2. Un diacre ou un non-prêtre... ? -3. Un évêque... ? -4. Quelqu’un qui est en état de péché mortel... ?

 

Article 1 — Un curé peut-il accorder des indulgences ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car les indulgences tirent leur efficacité de l’abondance des mérites de l’Eglise. Or, il n’existe aucune communauté de fidèles où il n’y ait une certaine abondance de mérites. Tout prêtre, en conséquence, du moment qu’un certain peuple lui est soumis, peut accorder des indulgences, et il en va de même pour les prélats.

2. Un prélat est le représentant de son peuple, comme un homme en particulier se représente lui-même. Or, n’importe quel homme peut faire part à un autre de ses biens, en satisfaisant pour lui. Par conséquent un prélat peut, lui aussi, faire part des biens du peuple qui lui est confié, de sorte qu’il paraît avoir le pouvoir d’accorder des indulgences.

Cependant :

Excommunier est un acte moins important qu’accorder des indulgences ; or c’est une chose qu’un curé n’a pas le pouvoir de faire ; il n’a donc pas non plus celui d’accorder des indulgences.

Conclusion :

Les indulgences ont leur effet selon que les œuvres satisfactoires de l’un sont comptées au bénéfice d’un autre, non seulement en vertu de la charité, mais aussi en raison de l’intention de celui qui satisfait, laquelle est dirigée de quelque façon vers le second. Or l’intention de quelqu’un peut être dirigée vers un autre de trois façons : d’une manière spéciale, en général, ou particulièrement.

Il y a intention particulière lorsque quelqu’un satisfait nommément pour un autre : de cette façon, n’importe qui peut faire part à un autre de ses œuvres. L’intention est appliquée d’une manière spéciale lorsque, par exemple, on prie pour sa communauté, ses familiers, ses bienfaiteurs, et qu’on rapporte à cette fin ses œuvres satisfactoires. Celui qui préside à la communauté peut alors faire part à quelqu’un d’autre des œuvres ainsi accomplies, en appliquant l’intention des membres de la communauté à tel en particulier. Il y a intention générale enfin quand on ordonne ses œuvres au bien commun en général. Celui qui préside universellement à l’Église peut faire- part de ces œuvres en appliquant l’intention susdite à celui-ci ou à celui-là. Mais comme chaque homme est partie d’une communauté, et chaque communauté partie de l’Église, il se fait que dans l’intention du bien privé est incluse celle du bien de la communauté et celle du bien de toute l’Église. En sorte que celui qui préside à l’Église a le pouvoir de faire part de ce qui appartient à la communauté et à telle personne en particulier, et celui qui préside à la communauté, de ce qui appartient à telle personne, l’inverse ne pouvant avoir lieu.

Cependant n’est dénommée indulgence ni la première communication de biens, ni la deuxième, mais seulement la troisième, et ceci pour deux raisons 1° parce que dans les deux premières communications, tout en étant absous par rapport à Dieu de l’obligation de la peine, on ne l’est pas de l’obligation d’accomplir la satisfaction imposée en vertu du précepte de l’Eglise ; tandis que par la troisième communication on l’est aussi de cette dette ; 2° parce qu’en une seule personne, ou en une seule communauté il n’y a pas une réserve telle de mérites qu’elle puisse lui suffire ainsi qu’à tous les autres. En conséquence quelqu’un n’est absous totalement de la peine qu’il doit, que si on a satisfait déterminément pour lui autant qu’il devait. Par contre, dans l’Église tout entière, il y a un trésor inépuisable de mérites, surtout en raison des mérites du Christ. Seul, donc, celui qui est préposé à l’Église a le pouvoir d’accorder des indulgences.

Mais comme l’Église est la "société des fidèles", et qu’il y a deux sortes de sociétés humaines : la société domestique (ceux qui sont d’une même famille), et la société politique (ceux qui appartiennent à un même peuple), il se fait que l’Église est assimilée à la société politique (car le peuple lui-même est dit l’Église), tandis que les diverses communautés ou paroisses du même diocèse sont assimilées à des rassemblements en diverses familles ou en divers offices. De tout ceci il résulte que seul l’évêque a proprement le titre de prélat de l’Eglise, et que seul il en reçoit, comme s’il en était l’époux, l’anneau de l’Église ; ainsi est-il seul à avoir un pouvoir plénier dans la dispensation des sacrements et juridiction au for contentieux, comme personne publique, les autres n’ayant ces pouvoirs qu’autant qu’ils leur sont communiqués par eux. Quant aux prêtres qui président aux communautés de fidèles. Curés, ils ne sont pas proprement et simplement des prélats, mais des coadjuteurs (d’où vient que l’évêque dit dans la consécration des prêtres : "Plus nous sommes faibles, et plus nous avons besoin de ces auxiliaires".

C’est pourquoi aussi ils ne peuvent dispenser tous les sacrements. Ni les curés donc, ni les abbés ou autres prélats de ce rang ne peuvent accorder d’indulgences.

La réponse aux difficultés est évidente.

 

Article 2 — Un diacre ou quelqu’un qui n’est pas prêtre peut-il accorder des indulgences ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car la rémission des péchés est l’effet du pouvoir des clés, dont le prêtre est le seul détenteur. Lui seul peut donc accorder des indulgences.

2. Il y a une plus complète rémission de peine dans les indulgences qu’au for de la pénitence. Or celui qui n’est pas prêtre n’a pas le pouvoir dans le second cas, il ne l’a donc pas non plus dans le premier.

Cependant :

La dispensation du trésor de l’Église est confiée à celui-même auquel est commis son gouvernement ; or, il arrive que celui-ci soit commis à quelqu’un qui n’est pas prêtre ; un tel homme a donc aussi le pouvoir d’accorder des indulgences, puisque celles-ci tiennent leur efficace de la dispensation du trésor en question.

Conclusion :

Le pouvoir d’accorder des indulgences est attaché à la juridiction, comme nous l’avons dit plus haut. Puis donc que les diacres et ceux qui ne sont pas prêtres peuvent avoir juridiction, soit qu’elle leur ait été commise, comme pour les légats, soit à titre ordinaire, comme pour ceux qui sont élus, il faut reconnaître qu’ils peuvent aussi accorder des indulgences, bien qu’ils ne puissent absoudre au for de la pénitence, ce qui relève de l’ordre.

La solution des objections est manifeste : L’octroi des indulgences relève de la clé de juridiction et non de la clé d’ordre.

 

Article 3 — Un évêque peut-il accorder des indulgences ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne le puisse lui non plus, car le trésor de l’Eglise est commun à l’Eglise entière ; or, ce qui est en cette condition ne peut être disposé que par celui qui préside à toute l’Église ; donc, le pape seul peut accorder des indulgences.

2. Personne ne peut remettre les peines statuées par le droit, sinon celui qui a le pouvoir d’établir le droit. Or, les peines satisfactoires sont fixées, pour les péchés, par le droit. Par conséquent de telles peines ne peuvent être remises que par le pape, par qui le droit a été établi.

Cependant :

Selon la coutume de l’Église les évêques confèrent des indulgences.

Conclusion :

Le pape a la plénitude du pouvoir pontifical, comme le roi dans tout son royaume. Quant aux évêques, ils sont établis "pour partager ses sollicitudes", comme des juges préposés à chaque cité ; d’où vient qu’ils sont les seuls que le pape appelle dans ses lettres "frères", tandis qu’il appelle les autres "fils". En conséquence, le pouvoir d’accorder des indulgences réside en sa plénitude dans le pape, qui peut en établir comme il veut, pourvu qu’il y ait une 'cause' légitime. Dans les évêques ce pouvoir n’existe que d’une façon limitée, selon que le pape aura disposé ; dans ces limites ils peuvent donc accorder des indulgences, mais pas au-delà.

La solution des objections est manifeste.

 

Article 4 — Celui qui est en état de péché mortel peut-il accorder des indulgences ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car un ruisseau dans lequel la source ne se déverse pas, ne peut lui-même rien donner ; or la source de la grâce, c’est-à-dire le Saint Esprit, ne se déverse pas dans un prélat en état de péché mortel. Celui-ci ne peut donc pas donner aux autres, en accordant des indulgences.

2. Accorder des indulgences est quelque chose de plus qu’en recevoir ; mais celui qui est en état de péché mortel n’en reçoit pas, comme on le dira plus loin. Par conséquent il ne peut non plus en accorder.

Cependant :

Les indulgences sont établies en vertu du pouvoir conféré aux prélats de l’Église. Or le péché mortel n’ôte pas ce pouvoir, mais seulement la bonté. Celui qui est en état de péché mortel peut donc accorder des indulgences.

Conclusion :

Accorder des indulgences est un acte de juridiction. Or on ne perd pas la juridiction par le péché. Par conséquent les indulgences ont même valeur, qu’elles soient accordées par celui qui est en état de péché mortel, ou par le plus saint des hommes, puisque, en les accordant, on ne remet pas la peine en vertu de ses propres mérites, mais par les mérites renfermés dans les trésors de l’Église.

Solutions :

1. Le prélat qui, étant en état de péché mortel, accorde des indulgences ne déverse rien qui vienne de sou propre fonds. Il n’est donc pas nécessaire qu’il reçoive quelque chose de la source, pour que les indulgences soient valables.

2. Accorder des indulgences est quelque chose de plus qu’en recevoir, quant au pouvoir requis, mais, pour le profit qu’on en retire, c’est moindre.

 

QUESTION 27 — CEUX A QUI LES INDULGENCES PEUVENT PROFITER.

Il reste à parler de ceux à qui les indulgences peuvent profiter. Quatre questions se posent ici : 1. Les indulgences peuvent-elles profiter à ceux qui sont en état de péché mortel ? -2. aux religieux ? -3. à ceux qui n’accomplissent pas ce qui est prescrit pour les gagner ? -4. à celui même qui accorde l’indulgence ?

 

Article 1 — Les indulgences peuvent-elles profiter à ceux qui sont en état de péché mortel ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, puisque quelqu’un peut mériter pour un autre, même s’il est en état de péché mortel, la grâce et beaucoup d’autres biens. Or les indulgences ont efficacité du fait que les mérites des saints sont appliqués à tel en particulier. Elles produisent donc leur effet en ceux qui sont en état de péché mortel.

2. Plus une misère est grande, et plus la miséricorde a lieu de s’exercer. Or celui qui est en état de péché mortel est dans la plus pro fonde misère. C’est donc à celui-là surtout qu’il convient de faire miséricorde au moyen des indulgences.

Cependant :

Un membre mort ne reçoit pas l’influx des autres membres qui sont vivants. Mais celui qui est en état de péché mortel est comme un membre mort. Par conséquent, il ne reçoit pas par les indulgences l’influx qui provient des mérites des membres vivants.

Conclusion :

Certains ont prétendu que les indulgences profitent à ceux qui sont en état de péché mortel, non, à vrai dire, pour la rémission de leur peine, puisque la peine ne peut être remise à personne, que sa faute n’ait été pardonnée. Il est impossible en effet que celui qui n’a pas obtenu par l’action de Dieu la rémission de sa faute, obtienne du ministre de l’Eglise la rémission de sa peine, par les indulgences ou au for de la pénitence, niais elles profitent à ceux qui sont en cet état pour acquérir la grâce.

Mais ceci ne paraît pas être vrai. Bien que les mérites communiqués par les indulgences puissent en effet servir à mériter la grâce, ce n’est cependant pas dans ce but qu’ils sont dispensés, mais de façon déterminée pour la rémission de la peine. C’est pourquoi, dans toutes les indulgences on fait mention "de ceux qui sont vraiment contrits et confessés".

Si cependant la collation de l’indulgence était faite de cette manière "Je te fais part des mérites de l’Eglise entière", ou "de telle communauté", ou "de telle personne en particulier", elles pourraient alors servir pour mériter quelque chose, à celui qui est en état de péché mortel, ainsi que le veut l’opinion précédente.

Solutions :

1. La solution de la première difficulté est manifeste.

2. Bien que celui qui est en état de péché mortel soit dans une plus grande misère, il est aussi moins en état de recevoir.

 

Article 2 — Les indulgences peuvent-elles profiter aux religieux ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car il ne convient pas de suppléer pour ceux dont l’abondance sert à suppléer pour les autres. Or c’est de la surabondance des œuvres de satisfaction des religieux qu’il est suppléé pour les autres par les indulgences. Il ne convient donc pas que l’on supplée pour les religieux par le moyen de celles-ci.

2. Rien ne doit se faire dans l’Église qui puisse amener le relâchement de la vie religieuse. Mais, si les indulgences profitaient aux religieux, il y aurait là une occasion de relâchement pour la discipline régulière, car les religieux s’affaireraient plus qu’il ne faut aux indulgences, et négligeraient d'accomplir les pénitences qui leur ont été imposées au chapitre. C’est donc qu’elles ne profitent pas aux religieux.

Cependant :

Nul ne peut retirer un dommage d’un bien ; or l’état religieux est bon ; par conséquent les religieux n’encourent pas ce dommage de ne pouvoir profiter des indulgences.

Conclusion :

Les indulgences ont valeur aussi bien pour les religieux que pour les séculiers, pourvu qu’ils aient la charité et qu’ils accomplissent ce qui est prescrit pour les gagner. Les religieux ne sont en effet pas moins aptes à être secourus par les mérites des autres que les séculiers.

Solutions :

1. Bien qu’il soit dans un état de perfection, un religieux ne peut cependant pas vivre sans péché. S’il vient donc à mériter une peine pour quelque péché qu’il aurait commis, il peut en être délivré par une indulgence. Il n’y a pas d’empêchement en effet à ce que celui qui, absolument parlant, surabonde, soit parfois et à certains égards dépourvu, et ait ainsi besoin d’un secours de surcroît. Ainsi est-il dit dans l’Épître aux Galates : "Portez les fardeaux les uns des autres."

2. Les indulgences ne doivent pas avoir pour effet le relâchement de la discipline régulière, car le religieux mérite plus, quant à la récompense de la vie éternelle, en observant les pratiques de sa religion, qu’en poursuivant les indulgences ; quoiqu’il mérite moins quant à la rémission de la peine, laquelle est un bien de moindre valeur. En outre, les peines imposées au chapitre ne se trouvent pas remises par les indulgences, car le chapitre tient plutôt d’un tribunal judiciaire que d’un tribunal pénitentiel ; et si bien que même ceux qui ne sont pas prêtres tiennent chapitre. Mais c’est de la peine imposée ou due pour le péché au for pénitentiel dont il est absous.

 

Article 3 — L’indulgence peut-elle quelquefois être accordée à celui qui ne fait as ce qui est prescrit tour la gagner ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car à celui qui est dans l’impuissance de faire une chose "la volonté est réputée pour le fait". Or on institue parfois une indulgence pour une aumône à faire, condition qu’un pauvre ne peut évidemment remplir, ce qu’il ferait cependant volontiers. L’indulgence en question a donc valeur pour lui.

2. L’on peut satisfaire pour un autre. Or, tout comme la satisfaction, l’indulgence procure la rémission de la peine. Donc l’on peut gagner une indulgence pour un autre, qui ainsi en profite sans avoir fait ce qui est prescrit pour la recevoir.

Cependant :

Quand on ôte la cause, l’effet se trouve retiré. Par conséquent, si on ne fait pas ce pour quoi l’indulgence est donnée, et qui est la 'cause' de l’indulgence, celle-ci n’est pas obtenue.

Conclusion :

On ne peut obtenir ce qui est donné sous une certaine condition que si cette condition se trouve réalisée. Comme donc l’indulgence est donnée sous la condition que l’on fait une certaine chose ou que l’on donne une certaine chose, si cela n’est pas accompli l’indulgence n’est pas obtenue.

Solutions :

1. Ceci doit s’entendre de la récompense essentielle, mais non pas de la récompense accidentelle, telle la rémission de la peine ou autre chose semblable.

2. N’importe qui peut appliquer par son intention ses œuvres propres à qui il veut ; ainsi peut-il satisfaire pour qui il lui plaît. Mais l’indulgence ne peut être appliquée à un autre que suivant l’intention de celui qui l’accorde. C’est pourquoi lorsque ce dernier en fait l’appli cation à celui qui fait ou donne telle ou telle chose, celui qui remplit ces conditions ne peut lui-même transférer à un autre cette intention. Toutefois, si l’indulgence était accordée de cette manière : "celui qui fera, ou pour qui l’on fera telle chose, aura tant d’indulgences", elle profiterait en ce cas à celui pour qui on aurait accompli ce qui est prescrit. Mais ; alors même, ce n’est pas celui qui accomplit l’œuvre prescrite qui donnerait à l’autre l’indulgence, mais celui qui l’a établie sous telle condition.

 

Article 4 — Une indulgence peut-elle profiter à celui qui l’a établie ?

Objections :

1. Non, semble t-il. Établir une indulgence est en effet un acte de juridiction. Mais nul ne peut exercer vis-à-vis de soi ce qui relève de la juridiction. Aucune personne ne peut donc avoir part à une indulgence qu’elle a elle-même établie.

2. S’il en était ainsi, celui qui établit une indulgence pourrait, pour une œuvre minime, se remettre à lui-même la peine de tous ses péchés, et ainsi pécher impunément, ce qui paraît malsonnant.

3. Il appartient à un même pouvoir d’établir des indulgences et d’excommunier. Mais on ne peut s’excommunier soi-même. Par conséquent on ne peut non plus avoir part à une indulgence que l’on a soi-même établie.

Cependant :

La condition de celui qui établit des indulgences serait moins bonne que celle des autres, s’il ne pouvait user pour lui-même du trésor de l’Eglise qu’il dispense aux autres.

Conclusion :

Une indulgence doit être accordée pour une certaine 'cause', de sorte que par son entremise on soit amené à accomplir des actes qui soient utiles à l'Eglise et procurent l’honneur de Dieu. Mais un prélat, à qui est confié la charge du bien de l’Eglise et de l’honneur divin, n’a pas de raison de s’exciter lui-même à ces tâches. Il ne peut donc établir d’indulgences à son profit. Toutefois il peut user de celles qu’il a établie pour les autres, vu que pour ceux-ci il y avait motif à le faire.

Solutions :

1. On ne peut accomplir un acte de juridiction sur soi-même. Mais un prélat peut tirer profit pour lui-même des biens, tant temporels que spirituels, qu’il accorde aux autres en vertu de la juridiction ; comme un prêtre prend pour lui-même l’Eucharistie qu’il donne aux autres. Un évêque peut donc aussi tirer bénéfice des suffrages de l’Église qu’il dispense aux autres, lesquels ont pour effet immédiat la rémission de la peine par les indulgences ; mais ceci n’est pas affaire de juridiction.

2. La solution est claire par ce qui précède.

3. L’excommunication se porte par mode de sentence, ce que personne ne peut faire vis-à-vis de soi-même, vu qu’en un jugement on ne peut être à la fois juge et prévenu. L’indulgence par contre est donnée, non par mode de sentence, mais sous forme d’une certaine dispense, que rien n’empêche de se faire à soi-même.

 

QUESTION 28 — LA PÉNITENCE SOLENNELLE.

Il faut maintenant envisager la solennité de la pénitence. Trois questions se posent à ce sujet : 1. Certaine pénitence peut-elle être rendu publique ou solennelle ? -2. La pénitence solennelle peut-elle être réitérée ? -3. Du rite de la pénitence solennelle.

 

Article 1 — Certaine pénitence doit-elle être rendue publique ou solennelle ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car il n’est pas permis à un prêtre, même s’il est sous le coup de la crainte, de faire connaître le péché de quelqu’un, quand bien même ce péché serait public. Or la pénitence solennelle a pour effet de faire connaître les péchés. Elle ne doit donc pas être pratiquée.

2. Un jugement doit avoir la forme qui convient au tribunal où il est porté. Or la pénitence est une sorte de jugement qui se prononce dans le secret. Elle ne doit donc pas être rendue publique ou solennelle.

3. "La pénitence, au dire de S. Ambroise, élimine parfaitement tous les défauts." Or la solennisation de la pénitence a un effet contraire, puisqu’elle entrave le pénitent dans de multiples empêchements : un laïque ne peut ainsi, après qu’elle lui a été imposée, accéder à la cléricature, ni un clerc à un ordre supérieur. Il ne faut donc pas que la pénitence soit rendue solennelle.

Cependant :

1. La pénitence est un certain sacrement ; or, en tout sacrement on apporte une certaine solennité ; par conséquent, on doit le faire aussi dans la pénitence.

2. Un remède doit correspondre à la maladie. Mais il est des péchés publics qui en entraînent beaucoup par leur exemple à pécher. Par conséquent la pénitence, qui est le remède de ces péchés, doit être aussi publique et solennelle, ce qui sera pour un grand nombre un sujet d’édification.

Conclusion :

Certaines pénitences doivent être rendues publiques pour quatre raisons 1° pour que le péché public ait un remède public ; 2° parce que celui qui a commis un crime très grave est aussi digne en ce monde de la plus grande confusion ; 3° afin que ces pénitences soient pour les autres un sujet de crainte ; 4° à titre d’exemple de pénitence ; de sorte que ceux qui sont dans des péchés graves ne désespèrent point.

Solutions :

1. Un prêtre, lorsqu’il enjoint une pénitence de ce genre, ne révèle rien de la confession, quand bien même on vient à soupçonner que celui qui en est l’objet a commis un très grand péché. Une faute, en effet, n’est pas connue avec certitude du fait de l’accomplissement d’une peine, puisque aussi bien on peut faire pénitence pour un autre. Ainsi lit-on dans les Vies des Pères, qu’un certain personnage, pour inciter son compagnon à la pénitence, accomplit celle-ci avec lui. Si, d’ailleurs, le péché est public, c’est le pénitent lui-même qui, en accomplissant sa pénitence, révèle la confession qu’il a faite.

2. La pénitence solennelle demeure secrète dans son injonction ; de même, en effet, que l’on se confesse secrètement, on reçoit aussi sa pénitence dans le secret. C’est l’exécution qui devient publique. Mais il n’y a pas d’inconvénient à cela.

3. Bien qu’elle supprime tous les défauts en rétablissant dans la grâce précédente, la pénitence ne restitue cependant pas la dignité antérieure. C’est pourquoi on ne rend pas le voile aux femmes qui ont fait pénitence pour un péché de fornication, car elles n’ont pas récupéré la dignité de la virginité. De même un pécheur qui a accompli une pénitence publique ne retrouve pas cependant l’honorabilité qui lui permettrait d’accéder à la cléricature ; et l’évêque qui l’ordonnerait dans ces conditions doit être privé du pouvoir d’or donner ; -à moins que le besoin de l’Église ne l’exige, ou qu’il y ait une coutume en ce sens. En ce cas, celui qui a fait une telle pénitence peut être admis par dispense aux ordres mineurs, mais pas aux ordres majeurs : 1° à cause de la dignité de ces derniers ; 2° par crainte d’une rechute de sa part ; 3° à cause du scandale à éviter, scandale que le souvenir des péchés antérieurs pourrait occasionner dans le peuple ; 4° parce que, son péché ayant été public, il n’oserait pas lui-même corriger les autres.

 

Article 2 — La pénitence solennelle peut-elle se réitérer ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car les sacrements qui n’impriment pas de caractère se réitèrent avec leur solennité, comme on le voit pour l’Eucharistie, l’Extrême-onction et d’autres. Donc elle peut se réitérer avec sa forme solennelle.

2. La pénitence est rendue solennelle en raison de la gravité du péché et de sa notoriété. Or il peut se faire qu’après avoir accompli la pénitence on commette des péchés semblables ou même de plus grands. Donc il faut réitérer la pénitence solennelle.

Cependant :

La pénitence solennelle signifie le rejet du premier homme du paradis ; mais ce rejet n’a eu lieu qu’une fois ; par conséquent la pénitence solennelle ne peut également se faire qu’une fois.

Conclusion :

La pénitence solennelle ne doit pas se réitérer pour trois raisons 1° de peur qu’ainsi elle ne se trouve dévaluée ; 2° à cause de sa signification ; 3° parce que la solennisation de la pénitence est comme une profession de garder perpétuellement la pénitence, de sorte que la réitération répugne à la solennité. Toutefois, celui qui a fait pénitence solennelle n’est pas exclu de toute pénitence, s’il vient à pécher à nouveau ; mais une pénitence solennelle ne doit pas lui être enjointe de nouveau.

Solutions :

1. Dans les sacrements qui se réitèrent avec leur solennité, il n’y a pas répugnance entre ces deux conditions, comme c’est ici le cas. Il n’y a donc pas de parité.

2. Bien qu’en raison du délit on serait en ce cas redevable de la même pénitence, la réitération de la solennité ne convient pas, pour les raisons qui ont été dites.

 

Article 3 — Le rite de la pénitence solennelle est-il convenable ?

Objections :

1. Il semble que la pénitence solennelle ne doit pas être imposée à des femmes. La raison en est qu’un homme à qui on impose une telle pénitence doit se raser la chevelure. Mais cela ne convient pas à une femme, comme on le voit par la Première aux Corinthiens. Par conséquent, une femme ne doit pas faire de pénitence solennelle.

2. Il semble, d’un autre côté, qu’elle doit pouvoir être imposée à des clercs. On l’impose en effet en raison de la gravité d’une faute. Or, un même péché est plus grave s’il est commis par un clerc que s’il l’est par un laïc. Donc la pénitence solennelle doit être imposée aux clercs plus encore qu’aux laïcs.

3. Il semble aussi qu’elle puisse être imposée par n’importe quel prêtre. C’est en effet à celui qui a le pouvoir des clés qu’il revient d’absoudre au for de la pénitence ; or, un simple prêtre possède ce pouvoir ; il peut donc être le ministre de cette pénitence.

Conclusion :

Toute pénitence solennelle est publique, l’inverse n’étant pas vrai. Voici en effet comment se pratique la pénitence solennelle. Au début du carême, ceux qui sont astreints à cette pénitence se présentent avec leurs prêtres aux évêques de leurs cités devant la porte de l’église, revêtus d’un sac, pieds nus, le visage tourné vers la terre, la chevelure rasée. Une fois introduits dans l’église, l’évêque récite pour eux avec tout son clergé les sept psaumes de la pénitence ; après quoi, les ayant aspergés d’eau bénite, il leur impose la main, puis il leur met de la cendre sur la tête, couvre leur cou d’un silice, et leur signifie, avec larmes, que, comme Adam a été chassé du paradis, ils sont eux-mêmes rejetés de l’Église. Il ordonne alors à ses ministres de les pousser au-dehors de l’église, tandis que les prêtres les accompagnent avec les paroles du répons : "A la sueur de ton front..." Chaque année, le jour de la Cène du Seigneur, ils sont ramenés par leurs prêtres à l’église où ils demeurent jusqu’à l’octave de Pâques, sans toutefois communier, ni recevoir la paix. Et l’on fera ainsi chaque année, tant que l’entrée de l’Église leur demeure interdit. Quant à la réconciliation définitive, elle est réservée à l’évêque, à qui seul il appartient d’imposer la pénitence solennelle.

La pénitence solennelle peut être imposée également aux hommes et aux femmes, mais pas aux clercs, à cause du scandale. On ne doit l’imposer que pour une faute qui "aurait mis en émoi toute la ville".

Quant à la pénitence publique, non solennelle, qui se fait aussi à la face de l’Église, mais sans la solennité qui vient d’être dite, tel un pèlerinage au loin, avec le bâton de pèlerin, -elle peut se réitérer, et un simple prêtre peut l’imposer ; elle peut aussi être imposée à un clerc.

On a parfois donné à la pénitence solennelle la dénomination de publique ; ce qui explique que certaines autorités s’expriment diversement à son sujet.

Solutions :

1. La femme porte une chevelure en signe de sujétion, mais pas l’homme. Ainsi ne convient-il pas que, dans la pénitence, la chevelure d’une femme soit rasée, comme pour un homme.

2. Bien que pour une même faute un clerc pèche plus gravement qu’un laïc, on ne lui enjoint cependant pas de pénitence solennelle, de peur que l'ordre ne vienne à être méprisé. C’est donc à l’ordre que l’on a égard ici et non à la personne.

3. Les péchés les plus graves demandent, pour être guéris, les plus grandes précautions. C’est pourquoi l’injonction de la pénitence solennelle, qui ne se fait que pour les péchés les plus graves, est réservée à l’évêque seul.

 

L’EXTRÊME ONCTION

QUESTION 29 — LE SACREMENT DE L’EXTRÊME ONCTION

Après la pénitence il faut étudier le sacrement de l’extrême-onction. Cinq points devront e examinés 1° ce qui est essentiel à ce sacrement et son institution ; 2° son effet ; son ministre ; 4° ceux à qui il doit être conféré, et en quelle partie de leur corps ; sa réitération.

Sur le premier point neuf questions se posent -1. L’extrême-onction est-elle un sacrement ? -2. N’est-elle qu’un seul sacrement ? -3. Ce sacrement a t-il été institué le Christ ? 4. L’huile d’olive est-elle la matière qui lui convient ? -5. Faut-il que elle soit consacrée ? -6. La matière de ce sacrement doit-elle être consacrée par l’évêque ? -7. L’extrême-onction a-t-elle une forme quelconque ? -8. La forme de ce sacrement doit-elle s’exprimer dans une for mule de prière déprécative ? -9. La formule dont il vient d’être question est-elle la forme qui convient à ce sacrement ?

 

Article 1 — L’extrême-onction est-elle un sacrement ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car on emploie de l’huile pour les catéchumènes comme pour les malades. Or l’onction que l’on fait aux premiers n’est pas un sacrement. L’extrême-onction faite avec de l’huile aux malades n’en est donc pas un non plus.

2. Les sacrements de la loi ancienne ont été les signes de ceux de la loi nouvelle. Mais il n’y a pas eu de figure de l’extrême-onction dans la loi ancienne. L’extrême-onction n’est donc pas un sacrement de la loi nouvelle.

3. Un sacrement, au dire de Denys, a pour fin, soit de "purifier", "soit d'illuminer", soit de "rendre parfait". Or l’extrême-onction n’est pas employée pour purifier ou illuminer, vu que ces effets ne sont attribués qu’au baptême ; pas davantage elle n’est faite pour rendre parfait, car, selon le même auteur, ceci revient à la confirmation et à l’Eucharistie. Elle n’est donc pas un sacrement.

Cependant :

1. Les sacrements de l’Église remédient de façon suffisante aux défauts des hommes dans toutes les situations où ils se trouvent ; or il n’y a pour ceux qui quittent cette vie d’autres secours que l’extrême-onction ; elle est donc un sacrement.

2. En outre, les sacrements ne sont autre chose que des sortes de remèdes spirituels, or l’extrême-onction est quelque chose de ce genre puisque, comme l’affirme S. Jacques, elle est efficace pour la rémission des péchés ; elle est donc un sacrement.

Conclusion :

Parmi les opérations visibles opérées par l’Église, certaines sont des sacrements, comme le baptême, d’autres des sacra mentaux, comme l’exorcisme, et il y a entre ces deux espèces de choses cette différence qu’est appelée sacrement l’action de l'Eglise qui atteint effectivement l’effet qui a été visé principalement dans l’acte d’administration, tandis que le sacramental correspond à une action de l’Église qui, bien qu’elle n’atteigne pas à cet effet, a tout de même un certain ordre à l’action principale. Or l’effet qui est visé dans l’administration des sacrements est la guérison de la maladie du péché : "Tout son fruit, lit-on dans Isaïe, est que le péché soit ôté." Puis donc que l’extrême-onction parvient à cet effet, comme le montrent les paroles de S. Jacques, et qu’elle ne se trouve pas ordonnée à un autre sacrement, comme si elle lui était annexée, il est clair qu’elle n’est pas un sacra mental mais un sacrement.

Solutions :

1. L’huile dont sont oints les catéchumènes ne va pas jusqu’à produire par son application la rémission des péchés, car ceci revient au baptême, mais elle dispose en quelque façon à ce sacrement ; cette onction n’est donc pas un sacrement comme l’extrême-onction.

2. Ce sacrement dispose de façon immédiate l’homme à l’état de gloire, puisqu’il est donné à ceux qui quittent leur corps. Mais comme dans la loi ancienne le temps de parvenir à la gloire n’était pas encore révolu, attendu que "cette loi n’a amené personne à l’état parfait", l’extrême-onction n’avait pas alors à être figurée par quelque sacrement qui lui correspondît, comme par une figure de même genre ; bien qu’elle ait été figurée en quelque manière de façon lointaine par toutes les guérisons dont il est fait mention dans la loi ancienne.

3. Denys n’a pas fait mention de l’extrême-onction, non plus que de la pénitence et du mariage, parce qu’il n’entendait traiter des sacrements que pour autant qu’ils nous font connaître la disposition ordonnée des hiérarchies ecclésiastiques, en ce qui regarde les ministres, leurs actions, et ceux qui en sont les bénéficiaires. Toutefois comme par l’extrême-onction on reçoit la grâce de la rémission des péchés, il n’est pas douteux que ce sacrement n’ait comme le baptême une vertu illuminatrice et purificatrice, bien que ce ne soit pas avec la même plénitude.

 

Article 2 — L’extrême-onction n’est-elle qu’un seul sacrement ?

Objections :

1. Il semble que non. L’unité d’une chose provient en effet de sa matière et de sa forme, vu que c’est d’un même principe qu’elle tient son être et son unité. Or la forme de ce sacrement se réitère plusieurs fois, même en une même occurrence, et pareillement sa matière est appliquée plusieurs fois à celui qui est oint, selon ses divers membres. L’extrême-onction n’est donc pas qu’un seul sacrement.

2. C’est l’onction elle-même qui est le sacrement ; il serait en effet ridicule de dire que c’est l’huile ; mais il y a plusieurs onctions ; donc, pareillement, il y a plusieurs sacrements.

3. Un sacrement unique doit être conféré de façon complète par un seul ministre. Or il peut se faire que l’extrême-onction ne puisse être conférée ainsi, au cas par exemple où le prêtre viendrait à mourir après avoir fait la première onction, un autre prêtre devant intervenir alors pour continuer. L’extrême-onction n’est donc pas qu’un seul sacrement.

Cependant :

1. L’onction se rapporte à ce sacrement comme l’immersion au baptême ; or, plusieurs immersions ne constituent qu’un seul sacrement de baptême ; de même plusieurs onctions sont-elles un unique sacrement.

2. En outre, s’il n’y avait pas un unique sacrement, il ne serait pas nécessaire, pour que le sacrement fût parfait, qu’une fois la première onction accomplie on procède à une seconde, car n’importe quel sacrement a par soi un être parfait. Mais il n’en va pas ainsi. L’extrême-onction est donc un seul sacrement.

Conclusion :

En rigueur de termes une chose peut être dite numériquement une en trois sens différents : 1° comme l’indivisible qui n’est multiple ni en acte, ni en puissance, tel le point et l’unité ; 2° comme le continu qui est bien un en acte, mais multiple en puissance, telle la ligne ; 3° comme une réalité parfaite constituée de plusieurs parties, telle une maison qui est d’une certaine manière multiple en acte, mais dont les diverses parties constituent une unité. C’est de cette dernière manière que chacun des sacrements est dit un, c’est-à-dire pour autant que la pluralité des éléments qui le constituent est unifiée pour signifier ou causer une même chose. Car un sacrement cause en signifiant. En conséquence : lorsqu’une seule action suffit pour que l’on ait une signification parfaite, l’unité du sacrement se réalise en cette seule action, comme on le voit pour la confirmation ; lorsque la signification du sacrement peut être obtenue aussi bien par une action que par plusieurs, le sacrement peut alors être accompli dans une seule et dans plusieurs actions : ainsi le baptême en une et en trois immersions, l’ablution que signifie ce sacrement pouvant en effet être figurée par une immersion et par plusieurs ; lorsqu’enfin la signification parfaite du sacrement ne peut être obtenue que par plusieurs actions, plusieurs sont alors nécessaires pour la perfection du sacrement : c’est ce qui a lieu dans l’Eucharistie où la réfection corporelle qui est le signe de la réfection spirituelle ne peut être réalisée que par la nourriture et par la boisson. Il en est de même pour l’extrême-onction, car la guérison des blessures intérieures ne peut être signifiée de façon adéquate que par l’application du remède aux divers principes d’où viennent les blessures. C’est pourquoi plusieurs actions sont requises pour la perfection de ce sacrement.

Solutions :

1. L’unité parfaite d’un tout n’est pas détruite par la diversité de la matière ou de la forme qui est en ses parties. Ainsi est-il évident que la matière de la chair et des os dont un homme est constitué n’est pas la même, ni non plus la forme. Il en va de même pour l'Eucharistie et pour 1 extrême-onction la pluralité de la matière et de la forme n’y détruit pas l’unité du sacrement.

2. Bien qu’absolument parlant, dans l’extrême-onction, les actions soient multiples, ces actions s’unissent cependant dans une seule action parfaite qui est l’onction de tous les sens extérieurs, en lesquels la maladie intérieure a sa source.

3. Quoique dans l’Eucharistie, un prêtre venant à mourir après la consécration du pain, un autre puisse procéder à la consécration du vin, soit en reprenant là où le premier s’est arrêté, soit en recommençant depuis le début sur une autre matière : pour l’extrême-onction il n’est pas permis de reprendre au début, mais on doit toujours continuer l’action entreprise, car il en serait de même d’une onction répétée sur un même membre que d’une double consécration de la même hostie, ce qui ne doit jamais se faire. Cependant la pluralité des ministres ne détruit pas l’unité de ce sacrement, parce qu’ils n’agissent que comme des instruments le fait qu’un ouvrier change de marteau ne compromet en effet pas l’unité de l’œuvre.

 

Article 3 — Ce sacrement a t-il été institué par le Christ ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car l’Évangile fait mention des sacrements qui ont été institués par le Christ, comme l’Eucharistie et le baptême ; or il n’y est pas question de l’extrême-onction celle-ci n’a donc pas été instituée par le Christ.

2. Le Maître des Sentences a dit de façon expresse en son 4 livre que ce sacrement a été institué par les apôtres. Le Christ ne l’a donc pas institué en personne.

3. Le sacrement de l’Eucharistie, qu’il avait institué, le Christ l’a aussi produit par lui-même ; or il n’a conféré à personne le sacrement de l’extrême-onction ; c’est donc qu’il ne l’a pas lui-même institué.

Cependant :

1. Les sacrements de la loi nouvelle sont plus dignes que ceux de la loi ancienne ; or ceux-ci ont tous eu Dieu pour auteur ; à plus forte raison donc les sacrements de la loi nouvelle ont-ils été institués par le Christ lui-même.

2. En outre, c’est à la même personne qu’il revient d’instituer et d’abolir ce qui avait été établi. Or l’Église qui a dans les successeurs des apôtres la même autorité que ceux-ci avaient eue ne peut abolir le sacrement de l’extrême-onction. C’est donc que ce sacrement n’a pas été institué par les apôtres mais par le Christ.

Conclusion :

Il y a à ce sujet deux opinions. Pour certains le Christ n’a pas institué ce sacrement par lui-même, pas plus que la confirmation, mais il a confié aux apôtres le soin de le faire : ces deux sacrements ne pouvaient en effet, en raison de la plénitude de la grâce qu’ils confèrent, être institués avant que la mission la plus plénière de l’Esprit Saint ait été accomplie. Aussi sont-ils à ce point sacrements de la loi nouvelle qu’ils n’ont pas eu de figure dans la loi ancienne. Mais cette explication n’est pas convaincante. De même en effet que le Christ avait promis, avant sa passion, la mission plénière du Saint Esprit, il aurait aussi bien pu instituer un tel sacrement.

C’est pourquoi d’autres affirment que le Christ a institué par lui-même tous les sacrements, mais qu’il n’en a promulgué en personne que certains, ceux qui sont les plus difficiles à croire, laissant la charge aux apôtres d’en promulguer d’autres, comme l’extrême-onction et la confirmation. Cette dernière opinion a le plus de probabilité, car les sacrements appartiennent au fondement de la loi, en sorte qu’il revient au Législateur même de les instituer. De plus, ils ont de par leur institution une efficacité qu’ils ne peuvent tenir que de Dieu.

Solutions :

1. Le Seigneur a fait et dit beaucoup de choses qui ne sont pas contenues dans les Évangiles. Les évangélistes ont été préoccupés de rapporter surtout ce qui est de nécessité de salut et ce qui regarde l’organisation de l’Église. C’est pourquoi ils ont raconté l’institution faite par le Christ du baptême, de la pénitence, de l’Eucharistie et de l’ordre, plutôt que celle du sacrement de l’extrême-onction, lequel, ni n’est de nécessité de salut, ni n’intéresse l’organisation de l’Eglise ou la distinction de ses membres. Il est toutefois fait mention de l’onction de l’huile dans l’Evangile de S. Marc, là où il est dit que "les apôtres oignaient d’huile les malades".

2. Pierre Lombard a dit que ce sacrement a été institué par les apôtres, parce que c’est dans leur enseignement que son institution nous a été promulguée.

3. Le Christ n’a produit aucun sacrement, sauf celui qu’il a reçu lui-même à titre d’exemple. Mais il ne convenait pas qu’il reçoive la pénitence et l’extrême-onction, car il était sans péché ; il n’a donc pas produit de tels sacrements.

 

Article 4 — L’huile d’olive est-elle la matière qui convient tour ce sacrement ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car l’extrême-onction dispose immédiatement à l’incorruptibilité ; mais celle-ci est signifiée par le baume que l’on met dans le chrême ; le chrême serait donc une matière plus convenable pour ce sacrement.

2. L’extrême-onction est une médication spirituelle ; mais une telle médication se trouve vivifiée par 1'apposition du vin, comme le montre en S. Luc la parabole du blessé : le vin serait donc une matière qui conviendrait mieux pour ce sacrement.

3. A un grand péril doit correspondre un remède commun. Or l’huile n’est pas un remède de ce genre, vu qu’on ne la trouve pas partout. Il semble donc, puisque ce sacrement est conféré à ceux qui, quittant ce monde, se trouvent être dans le péril le plus grand, que l’huile d’olive ne soit pas la matière qui convient.

Cependant :

1. Dans le texte de S. Jacques, l’huile est assignée comme matière de ce sacrement ; or on ne parle d’huile, au sens propre, que pour l’huile d’olive ; c’est donc cette huile qui est la matière de l’extrême-onction.

2. La guérison spirituelle se trouve signifiée par l’onction d’huile, comme c’est manifeste chez Isaïe, à l’endroit où il est dit : "plaie ouverte, que l’on n’a point soignée par un remède, ni adoucie avec l’huile. L’huile est donc la matière qui convient pour ce sacrement.

Conclusion :

La médication spirituelle que l’on applique à la fin de la vie doit être à la fois parfaite, puisqu’après elle il n’y en a point d’autre, et douce, pour que l’espérance, si nécessaire à ceux qui s’en vont, ne soit pas brisée, mais réchauffée. Or l’huile est adoucissante, et pénètre jusqu’au plus intime, et en outre elle se diffuse. Pour toutes ces raisons elle est bien la matière qui convient pour ce sacrement. Mais comme c’est à la liqueur de l’olivier que l’on donne principalement le nom d’huile, vu que les autres liqueurs ne reçoivent ce nom qu’en tant qu’elles lui ressemblent, il revient aussi à l’huile d’olive d’être prise comme matière pour l’extrême-onction.

Solutions :

1. L’incorruptibilité de la gloire est une "réalité qui n’est pas contenue dans ce sacrement, et il n’est pas nécessaire que la signification de la matière lui corresponde ; ainsi ne convient-il pas que le baume soit pris ici comme matière : par son odeur il évoque en effet la "bonté de la réputation", dont ceux qui quittent cette vie n’ont que faire ; c’est de la "pureté de conscience" seulement dont ils ont besoin, laquelle est signifiée par l’huile.

2. Le vin guérit par sa morsure, l’huile au contraire en adoucissant : la médication par le vin convient donc plutôt à la pénitence qu’à ce sacrement.

3. Bien qu’elle ne vienne pas partout, l’huile d’olive peut aisément être transportée en tous lieux. De plus ce sacrement n’est pas nécessaire au point que ceux qui quittent cette vie ne puissent être sauvés sans lui.

 

Article 5 — Est-il nécessaire que l’huile soit consacrée ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car ce sacrement comporte dans son administration une sanctification qui est produite par la forme des paroles ; une autre qui porterait sur sa matière serait donc superflue.

2. Les sacrements ont leur efficacité et leur signification dans leur matière. Mais la signification de l’effet de ce sacrement convient à l’huile en raison d’une propriété naturelle ; quant à son efficacité, il la tient de l’institution divine. Une sanctification de la matière n’est donc pas nécessaire.

3. Le baptême est un sacrement plus parfait que l’extrême-onction. Or, dans le baptême, une sanctification préalable de la matière n’est pas requise par le sacrement : pas davantage, donc, dans l’extrême-onction.

Cependant :

Pour toutes les autres onctions on n’emploie qu’une matière préalablement consacrée. Donc, puisque ce sacrement consiste en une certaine onction, il faut que sa matière soit aussi consacrée.

Conclusion :

Quelques-uns prétendent que l’huile pure et simple est la matière de ce sacrement, et que celui-ci se trouve parachevé dans la consécration de l’huile faite par l’évêque. Mais cette opinion apparaît manifestement fausse, d’après ce qui a été dit de l’Eucharistie, où l’on a montré que ce dernier sacrement est le seul sacrement qui consiste dans la consécration de sa matière.

Nous disons donc que l’extrême-onction consiste dans l’onction elle-même, comme le baptême consiste dans l’ablution, et que sa matière est l’huile sanctifiée. Qu’il y ait besoin dans ce sacrement et dans quelques autres d’une matière sanctifiée peut se justifier par trois raisons. Voici la première. Toute l’efficacité des sacrements procède du Christ, de telle sorte que ceux dont il a lui-même fait usage tiennent leur efficacité de cet usage même qu’il en a fait : ainsi "a t-il conféré aux eaux la vertu régénératrice par le contact même de sa chair" ; mais il n’a pas fait usage de l’extrême-onction, ni d’aucune onction corporelle c’est pourquoi la sanctification de la matière est requise dans toutes les onctions. Une autre raison est la plénitude de grâce qui est conférée, et qui a pour effet, non seulement d’ôter le péché, mais aussi les "restes" du péché et la maladie corporelle. Enfin, il y a lieu de remarquer que l’effet corporel du sacrement, à savoir la guérison, n’est pas causé par les propriétés naturelles de la matière ; ainsi convient4l que cette efficacité lui soit conférée par une sanctification.

Solutions :

1. La première sanctification dans l’extrême-onction porte sur la matière elle-même, tandis que la seconde concerne plutôt son usage, selon qu’elle produit son effet en acte. Ni l’une ni l’autre n’est donc superflue ; aussi bien voit-on qu’un outil tient son efficacité de l’ouvrier, et dans sa fabrication, et quand on l’utilise.

2. L’efficacité qui résulte de l’institution du sacrement est appliquée à cette matière. par la sanctification en cause.

3. La solution est évidente par ce qui a été dit.

 

Article 6 — Faut-il que la matière de ce sacrement soit consacrée par l’évêque ?

Objections :

1. Non, semble t-il. La consécration de la matière est en effet plus digne dans le sacrement de l’Eucharistie que dans celui-ci. Or, dans l’Eucharistie, un prêtre peut consacrer la matière ; il doit donc pouvoir le faire également ici.

2. Dans les ouvrages matériels un art de rang plus élevé ne prépare jamais les matériaux pour un art moins élevé, car, ainsi qu’il est dit aux Physiques, celui qui utilise la matière est plus digne que celui qui la prépare. Mais l’évêque est au-dessus du prêtre ; ce n’est donc pas à lui qu’il revient de préparer la matière dans un sacrement que le prêtre dispense. Or, comme on le dira plus loin, c’est le prêtre qui administre l’extrême-onction. C’est pourquoi, dans ce sacrement, la consécration de la matière ne revient pas à l’évêque.

Cependant :

Il se trouve que pour les autres onctions la matière est consacrée par l’évêque il doit donc en être de même ici.

Conclusion :

Le ministre d’un sacrement ne produit pas l’effet de ce sacrement par sa vertu propre, à titre d’agent principal, mais par l’efficacité du sacrement même qu’il dispense. Or cette efficacité procède d’abord du Christ d’où elle descend, par ordre, dans les autres à savoir dans le peuple par l’intermédiaire des ministres qui dispensent les sacrements, et dans les ministres inférieurs par celui des ministres supérieurs qui sanctifient la matière. C’est pourquoi dans tous les sacrements qui réclament une matière sanctifiée, la première sanctification de la matière se fait par l’évêque, tandis que son usage est parfait par le prêtre ainsi est-il rendu manifeste que le pouvoir du prêtre est dérivé de celui de l’évêque, selon cette parole du psaume : "Comme une huile excellente sur la tête, qui, d’abord, descend sur la barbe, et, ensuite, jusqu’au col de la tunique.".

Solutions :

1. Le sacrement de l’Eucharistie consiste dans la sanctification même de sa matière, et non dans son usage ; c’est pourquoi, à proprement parler, ce qui est matière en ce sacrement n’est pas quelque chose de consacré. D’où vient qu’une sanctification préalable de cette matière par l’évêque n’est pas requise. Mais il faut que l’autel et les autres choses de ce genre soient sanctifiés, comme le prêtre lui- même ; et ceci ne peut avoir lieu que par l’évêque. En sorte que, même en ce sacrement, il est manifesté que le pouvoir du prêtre est dérivé de celui de l’évêque, comme le dit Denys. Ainsi donc, le prêtre peut faire cette consécration de la matière qui est en elle-même le sacrement, mais non point celle qui est ordonnée comme un certain sacramental au sacrement, lequel consiste alors dans l’usage des fidèles. La raison en est que relativement au Corps véritable du Christ aucun ordre n’est au-dessus du sacerdoce, tandis que par rapport à son Corps mystique l’ordre épiscopal est au-dessus de l’ordre sacerdotal, comme on le dira plus loin.

2. La matière d’un sacrement n’est pas une matière en laquelle quelque chose serait fait par celui qui l’utilise, comme dans les arts mécaniques, mais une matière en vertu de laquelle quelque chose se fait ; ainsi reçoit-elle quelque chose de la nature de la cause efficiente, en tant qu’elle est un certain instrument de l’opération divine. Il faut donc qu’une telle vertu de la matière provienne d’un art ou d’un pouvoir supérieur, car, dans les causes efficientes, plus un agent est de rang élevé, plus il est parfait, tandis que dans les causes purement matérielles, plus une matière a la priorité, plus elle est imparfaite.

 

Article 7 — Ce sacrement a t-il une forme quelconque ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’en est rien. L’efficacité d’un sacrement provient en effet de son institution, et aussi de sa forme il convient donc que la forme soit transmise par celui qui a institué le sacrement. Or, on ne voit pas que la forme de l’extrême-onction ait été transmise par le Christ ou par les apôtres. Ce sacrement n’a donc pas de forme.

2. Ce qui appartient à l’essence d’un sacrement est observé de la même façon par tous. Or rien ne tient plus à l’essence d’un sacrement, s’il a une forme, que cette forme elle-même. Puis donc que dans l’extrême-onction il n’y a pas de forme communément observée, vu que tous n’emploient pas les mêmes paroles, il semble bien que ce sacrement n’ait pas de forme.

3. Dans le baptême une forme n’est requise que pour la sanctification de sa matière, qui est "l’eau sanctifiée par la parole de vie, pour effacer les péchés ". Mais, dans l’extrême-onction, la matière a été sanctifiée d’avance ; par conséquent aucune forme de paroles n’y est requise.

Cependant :

1. Au dire du Maître des Sentences, tout sacrement de la loi nouvelle consiste en "réalités" et en "paroles". Mais les paroles sont la forme du sacrement. Puis donc que l’extrême-onction est un sacrement de la loi nouvelle, elle doit avoir une forme.

2. C’est aussi ce que montre le rite pratiqué dans l’Église universelle, qui emploie effectivement certaines paroles dans la collation de ce sacrement.

Conclusion :

Il y en a qui ont prétendu qu’aucune forme n’était nécessaire pour l’extrême-onction. Mais ceci semble porter atteinte à l’effet de ce sacrement, car n’importe quel sacrement produit son effet en le signifiant. Or la signification de la matière ne se trouve déterminée à un certain effet qu’en vertu de la forme des paroles, vu que la matière peut avoir rapport à plusieurs choses. C’est pourquoi il doit y avoir dans tous les sacrements de la loi nouvelle, qui "produisent ce qu’ils signifient", des "réalités" et des "paroles". En outre S. Jacques paraît bien concentrer toute la vertu de ce sacrement dans la formule de la prière, qui est effectivement la forme de ce sacrement, comme on le dira. Pour ces raisons, l’opinion précédente semble être téméraire et erronée. Nous conclurons donc, ce qui est d’ailleurs l’opinion commune, que l’extrême-onction a, comme les autres sacrements, une forme déterminée.

Solutions :

1. La Sainte Ecriture est pro posée universellement à tous. C’est pourquoi la forme du sacrement de baptême, qui peut être conféré par tous, doit s’y trouver comprise. De même celle de l’Eucharistie, car elle exprime la foi dans ce sacrement, qui est de nécessité de salut. Quant aux formes des autres sacrements, on ne les rencontre pas dans l’Écriture, mais l’Église les tient de la tradition des apôtres, qui les ont reçues du Seigneur, selon la parole de S. Paul dans la 1° aux Corinthiens : "Pour moi, j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis".

2. Les paroles, qui sont de l’essence même de la forme, sont dites par tous ; mais les autres, qui contribuent seulement à sa perfection, ne sont pas universellement observées.

3. La matière du baptême possède une sanctification propre, en vertu du contact qu’elle a eue avec la chair du Sauveur ; mais par la forme des paroles elle reçoit une sanctification qui sanctifie en acte. De même dans l’extrême-onction, après que la matière de ce sacrement a été sanctifiée pour elle-même, est requise, dans l’usage, une sanctification, grâce à laquelle la matière en cause sanctifie en acte.

 

Article 8 — La forme de ce sacrement doit-elle s’ex dans une formule indicative et non dans une formule déprécative ?

Objections :

1. Il semble que la première manière de faire soit celle qui convient. Les sacrements de la loi nouvelle ont un effet certain. Or la certitude de l’effet n’est exprimée dans la forme des sacrements que par une formule à l’indicatif, ainsi dit-on : "Ceci est mon corps", ou "Je te baptise". La forme de l’extrême-onction doit donc être une formule à l’indicatif.

2. Dans les formes des sacrements doit être exprimée l’intention du ministre, qui est requise pour leur intégrité. Mais l’intention de conférer un sacrement ne saurait être exprimée que par une formule à l’indicatif. Donc...

3. Dans quelques Eglises, lorsque l’on confère le sacrement de l’extrême-onction, on prononce ces paroles : "J’oins ces yeux de l’huile sanctifiée, au nom du Père, etc.", ce qui s’accorde bien avec les formes usitées pour les autres sacrements. Donc il semble que ce soit dans ces paroles que consiste la forme de l’extrême-onction.

Cependant :

1. La forme d’un sacrement doit être observée par tous. Or les paroles que l’on vient de dire ne sont pas usitées dans toutes les Églises, alors que l’on emploie de façon commune la formule déprécative, à savoir "Que par cette sainte onction et sa très précieuse miséricorde le Seigneur te pardonne tous les péchés que tu as commis par la vue, etc." La forme de ce sacrement consiste donc dans une formule déprécative.

2. Ceci en outre paraît découler des paroles de S. Jacques qui attribue l’efficacité de ce sacrement à la prière "La prière de foi, dit-il en effet, guérira le malade." Puis donc que l’efficacité d’un sacrement lui vient de sa forme, il semble bien que la forme de l’extrême-onction soit la formule de prière susdite.

Conclusion :

C’est la formule déprécative qui est la forme de l’extrême-onction, comme le montre le texte de S. Jacques, et ainsi qu’il ressort de l’usage de l’Église romaine, qui n’emploie pas d’autres paroles dans la collation de ce sacrement. On peut en donner plusieurs raisons. Tout d’abord, celui qui reçoit ce sacrement est destitué de ses forces propres : ainsi a t-il besoin d’être secouru par nos prières. -En deuxième lieu, ce sacrement est donné à ceux qui, quittant cette vie, cessent déjà de relever de la juridiction de l’Église, pour ne plus reposer que dans la main de Dieu seul c’est pourquoi on les lui recommande par une prière. -Enfin, l’extrême-onction n’a pas d’effet qui suive nécessairement l’action du ministre, lorsqu’a été accompli exactement tout ce qui est requis par le sacrement : comme le caractère dans le baptême et la confirmation, la transsubstantiation dans l’Eucharistie, la rémission des péchés dans la pénitence, sous réserve qu’il y ait contrition, celle-ci étant de l’essence du sacrement de pénitence alors qu’elle n’est pas de l’essence de l’extrême-onction. C’est pour quoi, dans l’extrême-onction, il ne peut y avoir de formule au mode indicatif, comme pour les autres sacrements nommés.

Solutions :

1. De soi, l’extrême-onction a, comme les sacrements précédents, un effet certain, mais cet effet peut être empêché par la disposition feinte de celui qui le reçoit même s’il se soumet au sacrement d’intention, en sorte qu’aucun effet ne suit. Le cas de l’extrême-onction ne peut donc être assimilé à celui des autres sacrements qui sont toujours suivis d’un certain effet.

2. L’intention du ministre est exprimée de façon suffisante par l’acte même qui est indiqué dans la forme : à savoir, "par cette sainte onction..."

3. Les paroles au mode indicatif que quelques-uns disent avant la formule déprécative ne sont pas la forme de ce sacrement ; elles en sont comme des dispositions, en tant qu’elles déterminent l’intention du ministre.

 

Article 9 — La formule dont on vient de parler est-elle la forme qui convient pour ce sacrement ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car on trouve mention de la matière dans la forme des autres sacrements, de la confirmation par exemple ; or il n’en est pas question dans les paroles susdites l’extrême-onction ; elles ne sont donc pas une forme convenable.

2. Dans les autres sacrements comme dans celui-ci l’effet vient en nous par la miséricorde divine ; or il n’en est point fait mention dans la forme des autres sacrements, mais plutôt de la Trinité ou de la passion : il devrait donc en être de même ici.

3. La lettre. Maître des Sentences fait mention d’un double effet pour l’extrême-onction. Mais un seul est indiqué dans les paroles susdites, la rémission des péchés, et il n’y est pas question de la guérison corporelle à laquelle S. Jacques ordonne cependant la prière de foi : "La prière de foi, dit-il en effet, guérira le malade." La forme en question ne convient donc pas.

Conclusion :

La formule dont on a parlé est bien la forme qui convient à ce sacrement, car elle fait mention à la fois : du sacrement, quand on dit "cette sainte onction" ; de ce qui agit dans le sacrement, à savoir "la divine miséricorde" ; de son effet, enfin, "la rémission des péchés".

Solutions :

1. La matière de l’extrême-onction peut s’apercevoir dans l’acte même de l’onction ; tandis que celle de la confirmation n’apparaît pas dans l’acte qu’exprime sa forme. Le cas n’est donc pas le même.

2. La miséricorde fait face à la misère. Puis donc que ce sacrement se donne à celui qui est dans un état de misère, à savoir l’état de maladie, il y est fait mention de la miséricorde, plutôt que dans les autres sacrements.

3. La forme doit exprimer l’effet principal, et qui est toujours produit en vertu du sacrement, à moins qu’il n’y ait un empêchement en celui qui le reçoit. Or cet effet principal n’est point ici la santé corporelle, comme le montre ce qui précède, bien qu’elle suive quelquefois : et c’est pourquoi S. Jacques attribue ce dernier effet à la prière, qui est la forme du sacrement. Il

 

QUESTION 30 — L’EFFET DU SACREMENT DE L’EXTRÊME-ONCTION

Il faut étudier maintenant l’effet de ce sacrement. Trois questions se posent ici :

-1. L’extrême-onction procure-t-elle la rémission des péchés ? -2. A-t-elle pour effet la guérison corporelle ? -3. Imprime-t-elle un caractère ?

 

Article 1 — L’extrême-onction procure-t-elle la rémission des péchés ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car lorsqu’un effet peut être obtenu par l’action d’un seul, l’intervention d’un autre n’est pas requise. Or celui qui reçoit l’extrême-onction doit aussi recevoir le sacrement de pénitence pour la rémission de ses péchés. Ceux-ci ne sont donc pas remis par l’extrême-onction.

2. Il n’y a dans le péché que trois choses, à savoir la tache de l’âme, l’obligation à la peine et les défectuosités qui en sont les "restes". Or, par l’extrême-onction, le péché n’est pas remis quant à la tache de l’âme, sans qu’il y ait contrition, laquelle y suffit, même sans onction ; pas davantage il n’est remis quant à l’obligation de la peine, car si le malade vient à guérir il sera tenu d’accomplir la satisfaction qui lui aura été imposée ; enfin il n’est pas remis non plus quant aux défectuosités subséquentes, puisque les dispositions laissées par les actes antérieurs persistent, comme il apparaît de façon manifeste après guérison. D’aucun point de vue donc l’extrême-onction ne remet les péchés.

3. La rémission des péchés a lieu instantanément et non de façon successive. Or l’extrême-onction n’est pas acquise d’un seul coup, puisqu’il faut plusieurs onctions. Elle ne remet donc pas les péchés.

Cependant :

1. S. Jacques dit : "S’il a des péchés, ils lui seront pardonnés."

2. De plus, tout sacrement de la loi nouvelle confère la grâce. Or la grâce produit en nous la rémission des péchés. Donc, puisqu’elle est un sacrement de la loi nouvelle, l’extrême-onction procure aussi la rémission des péchés.

Conclusion :

Chacun des sacrements a été institué principalement en vue d’un seul effet, bien qu’il puisse encore en produire d’autres par voie de conséquence. Et comme un sacrement produit cela même qu’il signifie, c’est à partir de sa signification qu’il convient d’en déterminer l’effet principal. Or ce sacrement est administré par mode de médicament, comme le baptême par mode d’ablution. Ainsi, un remède étant fait pour chasser la maladie, est-ce principalement pour guérir la maladie du péché que l’extrême-onction a été instituée : en sorte que, comme le baptême est une sorte de régénération spirituelle, et la pénitence une sorte de résurrection du même ordre, ce sacrement pour sa part peut être considéré comme une sorte de guérison ou de cure spirituelle. Mais les soins donnés au corps présupposent évidemment la vie corporelle chez ceux à qui ils sont donnés ; de même également une médication spirituelle suppose la vie spirituelle. L’extrême-onction n’est donc pas donnée contre les défauts qui détruisent cette vie, c’est-à-dire contre le péché originel et le péché mortel, mais contre ceux qui affaiblissent spirituellement l’homme, en sorte qu’il n’a plus toute la vigueur nécessaire pour accomplir les actes de la vie de la grâce ou de la gloire. Or ces défauts ne sont pas autre chose qu’une certaine faiblesse ou débilité que laisse en nous après lui le péché tant actuel qu’originel : c’est contre cette faiblesse que l’homme se trouve affermi par l’extrême-onction.

Mais comme cet effet fortifiant est produit par la grâce, et que la grâce ne peut se trouver associée au péché, il s’ensuit que, si ce sacrement trouve en face de lui un péché, mortel ou véniel, il l’ôte, par voie de conséquence, quant à la coulpe, si du moins celui qui le reçoit n’y met point d’empêchement ; ce qui a lieu aussi pour l’Eucharistie et la confirmation, comme nous l’avons dit. C’est pourquoi

S. Jacques ne mentionne que conditionnellement la rémission des péchés : "S’il a des péchés, dit-il, ils lui seront pardonnés", quant à la coulpe. Ainsi l’extrême-onction ne détruit pas toujours le péché, pour la raison qu’elle n’en trouve pas toujours ; mais elle subvient toujours à cet état de faiblesse que quelques- uns appellent "les restes du péché".

Certains prétendent que ce sacrement a été institué principalement contre le péché véniel, dont il est vrai que l’on ne peut être parfaitement guéri tant que l’on est en cette vie c’est ainsi que le sacrement de ceux qui la quittent serait dirigé spécialement contre le péché véniel. Mais cette opinion ne paraît pas fondée, car la pénitence suffit à détruire, quant à la coulpe, les péchés véniels, même en cette vie. Que de tels péchés ne puissent être évités à nouveau, une fois la pénitence accomplie, n’ôte pas à la pénitence précédente l’effet qu’elle a eu. En outre, il faut dire que ceci tient à la faiblesse à laquelle il a été fait allusion.

L’effet principal de ce sacrement est donc la rémission des péchés, "quant aux restes du péché", et aussi, par voie de conséquence, "quant à la coulpe", s’il s’en rencontre une.

Solutions :

1. Bien que l’effet principal d’un sacrement puisse être obtenu sans qu’il soit effectivement reçu, ou sans aucun sacrement, ou, à titre de conséquence, par un autre sacrement, jamais cet effet ne peut être obtenu sans le désir du sacrement en question. Puis donc que la pénitence est instituée principalement contre le péché actuel, il s’ensuit que tout autre sacrement détruisant ce péché par voie de conséquence n’exclut pas la nécessité de la pénitence.

2. L’extrême-onction remet de quelque façon le péché sous les trois rapports mentionnés. Bien que le péché ne soit en effet pas remis sans contrition, quant à la tache dont il marque l’âme, ce sacrement, par la grâce qu’il communique, transforme en contrition le mouvement du libre arbitre qui s’oppose au péché, comme cela peut se produire aussi dans l’Eucharistie et la confirmation. -De même l’extrême-onction diminue l’obligation à la peine temporelle, mais par voie de conséquence, en remédiant à l’état de faiblesse : celui qui est fort porte en effet la même peine avec plus d’aisance que celui qui est faible. Il ne faut donc pas que pour cette raison soit diminuée la pénitence prescrite. Dans les "restes du péché" enfin, il ne faut pas voir ici les dispositions laissées par les actes qui sont des "habitus" commençants, mais une certaine faiblesse spirituelle inhérente à l’âme elle-même : que cette faiblesse vienne à être supprimée, même si les habitus ou dispositions précédentes demeurent, l’âme ne pourra plus être inclinée au péché comme auparavant.

3. Lorsque plusieurs actions sont ordonnées à produire un seul effet, la dernière joue le rôle de forme par rapport à toutes celles qui précèdent, et agit par leur vertu. Ainsi est-ce dans la dernière onction que la grâce qui assure son effet à ce sacrement est infusée dans l’âme.

 

Article 2 — La guérison corporelle est-elle un effet de ce sacrement ?

Objections :

1. Il semble que non. Un sacrement est un remède spirituel. Mais un remède de cet ordre est fait pour rétablir la santé spirituelle, comme un remède corporel est ordonné à guérir le corps. La santé corporelle n’est donc pas l’effet de ce sacrement.

2. Un sacrement a toujours son effet chez celui qui s’en approche sans feinte. Or il arrive que celui qui reçoit ce sacrement ne soit pas corporellement guéri, quelle que soit la ferveur apportée à cet acte. La guérison corporelle n’est donc pas un effet de ce sacrement.

3. L’efficacité de ce sacrement nous est connue par le ch. 5 de l’Épître de S. Jacques. Or, en cet endroit, la guérison n’est pas présentée comme un effet de l’onction mais de la prière : "La prière de foi, y lit-on, guérira le malade." C’est donc que la guérison du corps n’est pas un effet de l’extrême-onction.

Cependant :

1. Un acte de l’Église a plus d’efficacité après la passion du Christ qu’avant. Or, dès avant cette passion, ceux que les apôtres oignaient d’huile guérissaient, comme il apparaît en S. Marc. Donc maintenant encore cet acte a pour effet la guérison du corps.

2. En outre, les sacrements opèrent en signifiant. Or le baptême, par l’ablution corporelle qu’il produit à l’extérieur, signifie et opère la purification de l’âme : de même, l’extrême-onction, par la guérison corporelle qu’elle produit à l’extérieur, signifie et opère la guérison spirituelle.

Conclusion :

Comme le baptême purifie spirituellement l’âme de ses taches spirituelles par l’ablution corporelle, ainsi ce sacrement guérit-il intérieurement l’âme par le remède sacramentel extérieur ; et de même que l’ablution du baptême a pour effet le lavage du corps, car il comporte aussi une purification de cet ordre, l’extrême-onction pareillement a les effets d’un traitement médical appliqué au corps, à savoir sa guérison. Il y a cependant une différence, car l’ablution corporelle nettoie le corps en raison même des propriétés naturelles de l’eau, et par conséquent a toujours cet effet, tandis que l’extrême-onction ne procure pas la guérison corporelle par le fait des propriétés naturelles de la matière employée ; mais par la vertu divine, qui opère toujours de façon raisonnable. Et comme la raison, lorsqu’elle agit, ne produit jamais un effet secondaire qu’autant que cet effet peut concourir à l’effet principal, il suit ici que la guérison corporelle n’est pas toujours produite par le sacrement, mais seulement lorsqu’elle est utile à la guérison de l’âme. En ce cas elle a toujours lieu, du moins s’il n’y a pas d’empêchement de la part de celui qui reçoit le sacrement.

Solutions :

1. L’objection prouve seulement que la guérison corporelle n’est pas l’effet principal de ce sacrement, ce qui est exact.

2. La solution est rendue manifeste par ce qui a été dit.

3. La prière dont parle S. Jacques est la forme du sacrement, comme on le précisera plus loin. Ainsi donc ce sacrement, comme sa forme elle-même, est efficace, de soi, pour la guérison du corps.

 

Article 3 — Ce sacrement imprime- un caractère ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car le caractère est un signe distinctif. Mais on distingue celui qui est baptisé de celui qui ne l’est pas ; il doit donc en être de même pour celui qui a reçu l’onction et celui qui ne l’a pas reçue. Par conséquent, comme le baptême, l’extrême-onction imprime un caractère.

2. Les sacrements d’ordre et de confirmation comportent comme celui-ci une onction ; or, chez eux, il y a impression d’un caractère, donc aussi dans l’extrême-onction.

3. En tout Sacrement on rencontre : ce qui est "réalité seulement", ce qui est "signe seulement", enfin ce qui est "signe et réalité". Or, ici, on ne peut découvrir rien d’autre qui corresponde à la troisième de ces choses, sinon le caractère. Il y a donc dans l’extrême-onction impression d’un caractère.

Cependant :

1. Jamais on ne réitère un sacrement qui imprime un caractère ; or l’extrême-onction peut être réitérée, comme on le dira c’est donc qu’elle n’imprime aucun caractère.

2. En outre, la distinction qui résulte du caractère sacramentel n’a de sens que pour l’Église d’ici-bas ; or l’extrême-onction est conférée à celui même qui la quitte ; il n’y a donc pas de raison pour qu’elle imprime en lui un caractère.

Conclusion :

Il n’y a impression d’un caractère que dans les sacrements qui députent un homme à quelque action sacrée. Or l’extrême-onction n’a valeur que de remède, et elle n’habilite personne à produire ou à recevoir quelque chose de ce genre : c’est donc qu’elle n’imprime aucun caractère.

Solutions :

1. Le caractère établit une distinction des états, relativement aux actions qu’il y a à pratiquer dans l’Église. Or un homme n’est pas ainsi distingué des autres du fait qu’il a reçu l’extrême-onction.

2. L’onction qui est faite dans l’ordre et la confirmation est une consécration, en vertu de laquelle l’homme se voit député à des réalités d’ordre sacral. Au contraire, la présente onction a valeur de remède : ce n’est donc pas pareil.

3. Dans ce sacrement, ce qui est "réalité et signe" n’est pas un caractère, mais consiste en une certaine dévotion intérieure, qui est une onction spirituelle.

 

QUESTION 31 — LE MINISTRE DU SACREMENT DE L’EXTRÊME-ONCTION

Parlons maintenant de l’administration de ce sacrement. Nous nous demanderons : 1. Si un laïc peut donner l’extrême-onction ? 2. Si un diacre peut le faire ? 3. Si l’évêque seul peut conférer ce sacrement ?

 

Article 1 — Si même un laïc peut conférer ce sacrement ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, puisqu’au dire de S. Jacques c’est la prière qui rend ce sacrement efficace. Or il peut se faire que la prière d’un laïc soit agréée de Dieu tout aussi bien que celle d’un prêtre. Un laïc peut donc conférer ce sacrement.

2. On rapporte que certains Pères en Egypte faisaient porter de l’huile aux malades et que ceux-ci guérissaient ; pareillement que Ste Geneviève oignait d’huile les malades. C’est donc que ce sacrement peut être conféré même par des laïcs

Cependant :

Ce sacrement procure la rémission des péchés ; or ceci n’est pas au pouvoir des laïcs, donc...

Conclusion :

Denys affirme au livre de la Hiérarchie ecclésiastique que certains exercent les actes hiérarchiques, et que d’autres ne font que les recevoir ; or ce sont précisément les laïcs. L’administration d’aucun des sacrements ne peut donc leur revenir d’office ; et s’ils peuvent baptiser, en cas de nécessité, c’est en vertu d’une dispense que Dieu leur accorde, pour que personne ne soit privé de la possibilité d’être spirituellement régénéré.

Solutions :

1. Ce n’est pas en son nom propre que le prêtre dit la formule de prière de l’extrême-onction, car alors il pourrait ne pas être exaucé, puisqu’il peut se faire qu’il soit un pécheur. Mais il la dit au nom de l’Eglise entière, au nom de laquelle il peut prier en sa qualité de personne publique ; ce qu’un laïc, qui est une personne privée, ne peut faire.

2. Les onctions dont il est question ici n’avaient pas valeur sacramentelle. Si donc elles avaient une efficacité pour la guérison du corps, c’était en raison de la dévotion de ceux sur qui elles étaient faites, et des mérites de ceux qui les faisaient ou de ceux qui avaient envoyé l’huile, par une "grâce de guérison ", et non en vertu d’une grâce sacramentelle.

 

Article 2 — Les diacres peuvent-ils conférer ce sacrement ?

Objections :

1. Oui, cela paraît possible. Toujours selon Denys, les diacres ont en effet un pouvoir de "purification". Or ce sacrement n’a été institué que pour purifier des infirmités, tant de l’âme que du corps. Les diacres peuvent donc donner l’extrême-onction.

2. Le sacrement de baptême est plus digne que celui-ci. Or les diacres peuvent baptiser, comme nous le voyons dans le cas de S. Laurent. Par conséquent ils peuvent donner l’extrême-onction.

Cependant :

S. Jacques dit : "Qu’il appelle les presbytres de l’Église!"

Conclusion :

Le diacre a seulement le pouvoir de "purifier", et non celui d'"illuminer". Puis donc que l’illumination est produite par la grâce, le diacre ne peut donner en vertu de son office aucun des sacrements qui confère la grâce ; et donc pas celui-ci, vu qu’il est en ce cas.

Solutions :

1. C’est en vertu de l’illumination produite par la grâce que ce sacrement purifie. Il n’appartient donc pas au diacre de l’administrer.

2. Ce sacrement n’est pas d’absolue nécessité. Aussi la charge de l’administrer n’a pas été commise à tous dans le cas de nécessité, mais seulement à ceux à qui cela revient de par leur office. D’ailleurs il n’appartient pas non plus aux diacres de baptiser à ce titre.

 

Article 3 — Si l’évêque seul peut conférer ce sacrement ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car ce sacrement s’administre au moyen d’onctions, tout comme la confirmation ; or l’évêque seul peut confirmer ; donc seul aussi il peut donner l’extrême-onction.

2. Qui ne peut le moins ne peut le plus. Mais l’usage d’une matière sanctifiée est plus digne que l’acte par lequel on la sanctifie, vu qu’il est la fin de cet acte. Puis donc que le prêtre n’a pas le pouvoir de sanctifier la matière, il ne peut non plus en avoir l’usage.

Cependant :

Au témoignage de S. Jacques, le ministre de ce sacrement doit être appelé auprès de celui qui est dans le cas de le recevoir. Mais un évêque ne peut aller à tous les malades de son diocèse. C’est donc qu’il n’est pas le seul à pouvoir conférer ce sacrement.

Conclusion :

Selon Denys la fonction de l’évêque consiste proprement à "rendre par fait", comme celle du prêtre à "illuminer". Est donc réservée aux évêques la collation des sacrements qui mettent ceux qui les reçoivent dans un état de perfection au-dessus des autres. Or ce n’est pas le cas pour ce sacrement, vu qu’il est donné à tous. Il peut donc être administré par les simples prêtres.

Solutions :

1. La confirmation, comme on l’a dit, imprime un caractère grâce auquel l’homme se trouve placé dans un état de perfection. Mais ceci n’a pas lieu dans ce sacrement. Le cas n’est donc pas pareil.

2. Bien que dans l’ordre des causes finales faire usage d’une matière consacrée soit plus digne que la sanctifier, dans celui des causes efficientes c’est cette dernière action qui l’emporte, car l’usage dépend de la même personne comme de sa cause active. C’est pourquoi sanctifier requiert une vertu active de degré plus élevé que faire usage.

 

QUESTION 32 — A QUI CE SACREMENT DOIT-IL ÊTRE CONFÉRÉ, ET EN QUELLE PARTIE DU CORPS ?

Il faut voir maintenant à qui le sacrement de l’extrême-onction doit être conféré, et en quelle partie du corps. Sept points sont à éclaircir : 1. L’extrême-onction doit-elle être conférée à ceux qui se portent bien ? -2. Doit- elle être donnée dans n’importe quelle maladie ? - 3. Faut-il la donner aux fous et à ceux qui sont dépourvus de raison ? -4... aux enfants ? -5. Convient-il de faire des onctions sur tout le corps ? -6. A-t-on fixé de façon convenable les parties du corps sur lesquelles les onctions doivent être faites ? -7. Ceux qui sont mutilés doivent-ils recevoir les onctions qui correspondent aux parties mutilées de leurs corps ?

 

Article 1 — Doit-on donner aussi ce sacrement à ceux qui se portent bien ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car en ce sacrement la guérison de l’âme est un effet plus important que celle du corps. Or les sains de corps ont aussi besoin d’être guéris en leur âme. Donc on doit leur donner aussi ce sacrement.

2. Ce sacrement est pour ceux qui quittent cette vie, comme le baptême est pour ceux qui y font leur entrée. Or on donne le baptême à tous ceux qui sont en cette dernière condition ; ainsi doit-on donner l’extrême-onction à tous ceux qui sont dans le premier cas. Mais il arrive parfois que ceux qui sont proches de leur fin soient bien portants, par exemple ceux à qui l’on va trancher la tête. Pourquoi ne leur donnerait-on pas l’extrême-onction ?

Cependant :

S. Jacques a dit "Quelqu’un parmi vous est-il malade..." : donc ce sacrement ne convient qu’aux malades

Conclusion :

L’extrême-onction, nous l’avons dit, est un certain traitement des maux spirituels qui se trouve signifié par un certain traitement des maux corporels. Par conséquent il n’y a pas lieu de conférer ce sacrement à ceux auxquels cette médication corporelle est sans objet, c’est-à-dire à ceux qui se portent bien

Solutions :

1. Bien que la santé de l’âme soit l’effet principal de ce sacrement, il est nécessaire cependant que la santé spirituelle soit signifiée par un traitement appliqué au corps, même si la guérison corporelle ne doit pas suivre. C’est pourquoi la santé de l’âme ne peut être donnée dans ce sacrement qu’à ceux qui sont dans la condition d’être soignés dans leur corps, c’est-à-dire aux malades. Comme, pareillement, ne peut recevoir le baptême que celui qui est susceptible d’ablution corporelle, ce qui n’est pas le cas pour l’enfant qui est encore dans le sein de sa mère.

2. Le baptême lui aussi n’est que pour ceux qui, entrant dans la vie, peuvent recevoir une ablution en leur corps ; de même l’extrême-onction ne convient qu’à ceux qui, alors qu’ils quittent cette vie, sont dans le cas d’être l’objet d’un traitement médical.

 

Article 2 — Ce sacrement doit-il être donné en n’importe quelle maladie ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, l’extrême-onction doit être donnée en n’importe quelle maladie, car, là où S. Jacques nous parle de ce sacrement, il n’est pas précisé de quelle maladie il s’agit. L’extrême-onction doit donc être donnée à tous les malades.

2. Plus un remède a de dignité, plus il doit être d’application générale. Or l’extrême-onction est plus digne qu’un remède destiné au corps. Puis donc qu’un remède de ce genre se donne à tous les malades, il semble qu’il doit en aller de même pour ce sacrement.

Cependant :

Ce sacrement est appelé par tous "l’extrême-onction". Mais les maladies ne réduisent pas toutes à la dernière extrémité ; il en est même, à en croire Aristote, qui allongent la vie. Il ne convient donc pas que ce sacrement soit donné à tous les malades.

Conclusion :

L’extrême-onction est le dernier remède que l’Église puisse donner, et qui dispose en quelque façon immédiatement à la gloire. C’est pourquoi on ne doit la donner qu’aux malades qui sont dans la condition de ceux qui s’en vont de ce monde, atteints qu’ils sont d’une maladie mortelle, et en péril de mort.

Solutions :

1. N’importe quelle maladie, si elle s’aggrave, peut amener la mort. A ne considérer donc que le genre de maladie, on doit admettre que pour toutes on peut donner l’extrême-onction ; c’est pourquoi l’apôtre ne parle d’aucune maladie en particulier. Mais si l’on considère l’intensité de la maladie et l’état du malade, il faut affirmer que l’extrême-onction ne doit pas toujours être donnée aux malades.

2. Un remède corporel a pour principal effet la guérison du corps dont ont besoin tous les malades, en quelque état qu’ils se trouvent. Au lieu que l’extrême-onction a pour principal effet cette guérison particulière qui est nécessaire à ceux qui quittent cette vie et font route vers la gloire. Ce n’est donc pas pareil.

 

Article 3 — Doit-on donner ce sacrement aux tous et à ceux qui sont dépourvus de raison ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, car ces sortes d’infirmités sont des plus dangereuses, et mettent bien vite en péril de mort. Mais à tout danger on doit apporter un remède. C’est pourquoi ce sacrement, qui a été établi pour porter remède à l’infirmité humaine, doit être conféré à ceux qui sont en ce cas.

2. Le baptême est un sacrement plus digne que celui-ci ; or, comme il a été dit, on baptise les fous ; il faut donc aussi leur donner l’extrême-onction.

Cependant :

Ce sacrement ne doit être donné qu’à ceux qui sont en état de le recevoir en connaissance de cause ; mais ce n’est pas le cas des fous et de ceux qui sont dépourvus de sens ; par conséquent il ne faut pas leur donner l’extrême-onction.

Conclusion :

Pour que ce sacrement soit reçu avec fruit, comptent pour beaucoup et la dévotion de celui qui le reçoit, et le mérite personnel de celui qui le confère, et le mérite général de toute l’Église : le mode déprécatif de la forme de ce sacrement le montre bien. C’est pourquoi on ne doit pas le conférer à ceux qui sont incapables de le recevoir en connaissance de cause et avec dévotion ; et surtout pas aux fous ou aux déments, qui pourraient manquer de révérence au sacrement par quel que incongruité, sauf s’ils ont des moments de lucidité, où ils puissent comprendre : ce qu’ils reçoivent : alors le sacrement peut leur être donné.

Solutions :

1. Bien que de tels gens puissent être en danger de mort, un remède qui suppose une dévotion personnelle ne peut leur être appliqué. Il ne faut donc pas leur donner l’extrême-onction.

2. Le baptême ne requiert pas de notre part un mouvement de libre-arbitre, vu qu’il est donné principalement contre le péché originel qui n’est pas guéri en nous du fait de ce pouvoir. L’extrême-onction au contraire demande un tel mouvement : le cas n’est donc pas pareil. -En outre, le baptême est de nécessité de salut, mais pas ce sacrement.

 

Article 4 — Doit-on donner ce sacrement aux enfants ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, puisque les enfants peuvent avoir les mêmes maladies que les adultes. Or, à mêmes maladies, mêmes remèdes. C’est pourquoi ce sacrement doit être donné aux enfants, tout comme aux adultes.

2. Ce sacrement, on l’a dit plus haut, a pour destination de purifier des "restes" du péché, tant originel qu’actuel. Or il y a dans les enfants les "restes" du péché originel. Donc ce sacrement doit leur être conféré.

Cependant :

Ce sacrement ne doit pas être donné à ceux auxquels la forme du sacrement ne saurait convenir. Mais la forme de l’extrême-onction ne s’applique pas aux enfants, puis qu’ils n’ont péché, ni "par la vue", ni "par l’ouïe", ainsi qu’on le dit dans la prière qui est la forme du sacrement. Celui-ci donc ne doit pas leur être donné.

Conclusion :

Ce sacrement exige de la part de celui qui le reçoit une dévotion actuelle, tout comme l’Eucharistie ; et comme celle-ci ne doit pas être donnée aux enfants, de même en est-il de l’extrême-onction.

Solutions :

1. Chez les enfants les maladies ne sont pas causées par le péché actuel, comme chez les adultes. Or ce sacrement se donne principalement contre les maladies qui ont pour cause ce péché et en sont comme des "restes".

2. L’extrême-onction ne se donne contre les "restes" du péché originel que pour autant que ces "restes" sont en quelque sorte fortifiés par des péchés actuels. C’est donc principalement contre les péchés actuels qu’il est donné, comme le montrent les paroles mêmes de sa forme. Or chez les enfants il n’y a pas de tels péchés.

 

Article 5 — Faut-il dans ce sacrement faire des onctions sur tout le corps ?

Objections :

1. Oui, semble t-il, puisque, comme le dit S. Augustin, "l’âme tout entière est dans tout le corps". Mais ce sacrement se donne principalement pour la guérison de l’âme. C’est donc sur tout le Corps qu’il faut faire des onctions.

2. Le remède doit être appliqué là où est le mal. Or il arrive que celui-ci est généralisé, et soit ainsi dans tout le corps, comme c’est le cas pour la fièvre. Il faut alors faire des onctions partout.

3. Tout le corps, dans le baptême, est plongé dans l’eau. Ici, de même, il doit être tout entier oint d’huile.

Cependant :

Le rite universel de l’Église veut que l’infirme ne soit oint qu’en certaines parties de son corps.

Conclusion :

L’extrême-onction s’administre comme un traitement médical. Or, en de tels soins, il n’est pas nécessaire qu’on applique le remède au corps tout entier, mais seulement à celles de ses parties où est la racine du mal. Pareillement, il n’y a lieu de faire l’onction sacramentelle qu’aux parties du corps où se trouve la racine de nos infirmités spirituelles.

Solutions :

1. Bien que l’âme soit tout entière, quant à son essence, en chaque partie du corps, elle n’y est pas quant à ses puissances, lesquelles sont justement les racines des actes peccamineux. Il faut donc que les onctions soient faites en ces parties mêmes du corps où les diverses puissances ont leur siège.

2. On n’applique pas toujours le remède là où est le mal, mais plus convenablement à sa racine.

3. Le baptême a lieu par mode d’ablution. Or un lavage du corps n’ôte les taches que là où on le fait ; et c’est pourquoi le baptême est appliqué à tout le corps. Mais il en va autrement de l’extrême-onction, pour la raison qui a été dite.

 

Article 6 — A-t-on fixé convenablement les parties du corps sur lesquelles les onctions doivent être faites ?

Objections :

1. Il ne convenait pas, semble t-il, que les onctions soient faites au malade sur ces parties, savoir : sur les yeux, les narines, les oreilles, les lèvres, les mains, les pieds, car un médecin avisé soigne le mal dans sa racine. Or c’est "du cœur que sortent les pensées qui souillent l’homme", comme il est dit en S. Matthieu. L’onction doit donc se faire sur la poitrine.

2. La pureté de l’esprit n’est pas moins nécessaire à ceux qui quittent cette vie qu’à ceux qui y font leur entrée. Or ces derniers sont oints de chrême, par le prêtre, sur le sommet de la tête, en signe de pureté de l’esprit. Donc ceux qui quittent cette vie doivent également être oints, dans ce sacrement, sur le sommet de la tête.

3. On doit appliquer un remède là où le mal a le plus de violence. Or c’est dans les reins que pour les hommes sévissent principalement les maladies de l’âme, comme c’est dans le nombril pour les femmes, suivant cette parole de Job : "Sa puissance est dans ses reins", et à nous en tenir à l’exposition de S. Grégoire. C’est donc là que l’onction doit être faite.

4. Comme on pèche avec les pieds, on pèche aussi avec les autres membres du corps. Si donc des onctions sont faites aux pieds, il doit en être faites également sur les autres membres.

Conclusion :

Les principes du péché en nous sont les mêmes que ceux des actes, car le péché consiste en un acte. Or il y a en nous trois principes d’action l’un qui a pour fonction de diriger, à savoir la puissance cognitive, un deuxième qui commande, la puissance affective, un troisième enfin qui exécute, la puissance motrice. Mais nous savons que toute notre connaissance a son origine dans les sens. Et comme l’onction doit être appliquée là où est en nous l’origine première du péché, c’est en conséquence sur les organes des sens que se font les onctions, c’est-à-dire sur les yeux pour la vue, sur les oreilles pour l’ouïe, sur les narines pour l’odorat, sur la bouche pour le goût, sur les mains pour le tact, lequel a son siège principal dans la chair, des doigts. En rapport avec la puissance appétitive certains pratiquent aussi l’onction des reins, et, pour la puissance motrice, celle des pieds qui sont les principaux organes du mouvement. Comme le premier des principes susdits est la puissance cognitive, l’onction qui est faite sur les cinq sens est observée par tous, comme étant de nécessité du sacrement ; mais il en est qui ne gardent pas les autres, tandis que certains conservent celle des pieds et pas celle des reins ; la raison en est que les puissances appétitives et motrices ne sont que des principes secondaires de nos actes.

Solutions :

1. Les pensées ne sortent du cœur que par l’intermédiaire de certaines imaginations qui sont "des mouvements pro duits par les sens", comme il est dit au livre De l’Ame. Ce n’est donc pas le cœur, mais les organes des sens, qui sont les racines premières de notre connaissance, à moins qu’on ne considère le cœur comme le principe de tout le corps ; mais c’est là une racine éloignée.

2. Ceux qui entrent en ce monde doivent acquérir la pureté, tandis que ceux qui en sortent ont à lui rendre son éclat ; il convient donc que ces derniers reçoivent les onctions sur les parties du corps d’où les souillures de l’âme ont pu provenir.

3. Quelques-uns pratiquent l’onction des reins parce que c’est en cet endroit du corps que réside surtout l’appétit concupiscible ; mais, comme on l’a remarqué, la puissance appétitive n’est pas la racine première de nos actes.

4. Les membres du corps qui servent d’instrument au péché sont les pieds, les mains et la langue, auxquels déjà l’onction est faite ; ce sont aussi les organes génitaux : mais tant en raison de leur ignominie que de la dignité du sacrement, il ne convient pas d’y faire d’onction.

 

Article 7 — Ceux qui sont mutilés doivent-ils recevoir les onctions qui correspondent aux parties mutilées de leur corps ?

Objections :

1. Il semble que non. De même en effet que ce sacrement suppose en celui qui le reçoit une condition déterminée, à savoir qu’il soit malade, ainsi requiert-il une partie déterminée de son corps. Mais celui qui n’est pas malade ne peut pas recevoir d’onction. Celui qui n’a pas cette partie du corps sur laquelle l’onction doit être faite ne le peut donc pas non plus.

2. Un aveugle de naissance ne peut pas pécher par la vue. Or dans l’onction faite sur les yeux on mentionne "le péché accompli par la vue". Une telle onction ne devrait donc pas être faite à un infirme de ce genre ; et de même pour les cas similaires.

Cependant :

Un défaut du corps n’est pas un empêchement pour un autre sacrement il ne doit donc pas en être un ici. Or toutes les onctions sont de nécessité pour celui-ci. Par conséquent il faut les faire toutes aux mutilés.

Conclusion :

Les mutilés doivent recevoir les onctions le plus près possible des parties de leur corps où normalement elles auraient dû être appliquées. Car, bien qu’ils soient privés de certains membres, ils ont cependant les puissances de l’âme qui leur correspondent ; du moins les ont-ils dans leur racine. Ainsi peuvent-ils pécher intérieurement par ce qui a rapport à ces membres, quoiqu’ils ne puissent pécher extérieurement.

La solution des objections est ainsi manifeste.

 

QUESTION 33 — LA RÉITÉRATION DE L’EXTRÊME-ONCTION

A ce sujet, deux questions se posent -1. Ce sacrement doit-il être réitéré ? -2. Doit-il être réitéré au cours d’une même maladie ?

 

Article 1 — Ce sacrement doit-il être réitéré ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car l’onction faite sur un homme est plus digne que celle que l’on fait sur une pierre. Or, on ne réitère pas l’onction d’un autel, sauf s’il a été brisé. Par conséquent l’onction ultime, qui a été faite sur un homme, ne doit pas, elle non plus, être réitérée.

2. Après le dernier, il n’y a plus rien. Or l’onction dont nous parlons est dite "dernière". Il n’y a donc pas lieu de la réitérer.

Cependant :

Ce sacrement est une sorte de traitement spirituel administré par mode de soins corporels ; or, on réitère de tels soins ; par conséquent ce sacrement lui aussi doit être réitéré.

Conclusion :

Aucun sacrement ayant un effet qui doit demeurer toujours ne doit être réitéré : en agissant autrement on manifesterait en effet que le sacrement a été impuissant à produire son effet, ce qui serait lui faire injure. Mais un sacrement qui a un effet seulement temporaire peut, lui, être réitéré, sans qu’il lui soit fait injure, de telle sorte que l’effet perdu revive. Puis donc que la santé du corps et de l’âme, qui sont les effets de l’extrême-onction, peuvent être perdus après avoir été produits par le sacrement, il faut conclure que l’extrême-onction peut être réitérée, sans qu’il lui soit fait injure.

Solutions :

1. L’onction faite sur la pierre est ordonnée à la consécration de l’autel lui- même, et cette consécration subsiste aussi longtemps que l’autel demeure. On ne peut donc la réitérer. Mais l’onction dont il est question ici n’a pas pour fin la consécration de l’homme, puisqu’elle n’imprime en lui aucun caractère. Ce n’est donc pas pareil.

2. Ce que l’on estime communément être dernier ne l’est pas toujours en réalité. C’est ainsi que ce sacrement est appelé l’extrême-onction, parce qu’il ne doit être donné qu’à ceux dont, selon l’estimation commune, la mort est prochaine.

 

Article 2 — Doit-on réitérer ce sacrement au cours d’une même maladie ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car pour une maladie, c’est assez d’un remède. Or ce sacrement est une sorte de remède spirituel. Il n’y a donc pas à le réitérer dans la même maladie.

2. Si les Onctions pouvaient être réitérées dans une même maladie, il se ferait qu’un malade pourrait être oint à longueur de journée, ce qui est une absurdité.

Cependant :

Une maladie se prolonge quelquefois après qu’on a reçu l’extrême-onction, de sorte qu’on contracte à nouveau de ces "restes des péchés" contre lesquels ce sacrement a été principalement établi. Il convient donc, en ce cas, de renouveler les onctions.

Conclusion :

Ce sacrement n’a pas rapport seulement au genre de la maladie, mais à sa gravité, vu qu’il ne peut être donné qu’à ceux que l’on estime être proches de la mort. Mais certaines maladies ne sont pas de longue durée. Que l’on vienne en ce cas à donner l’extrême-onction lorsqu’il y a danger de mort, le malade qui est en cet état ne pourra en sortir que par guérison, et il n’y a pas lieu alors de réitérer le sacrement. Et s’il y a une récidive du mal, ce sera en réalité une autre maladie, pour laquelle on pourra de nouveau procéder à une onction. Mais il y a aussi des maladies qui durent longtemps, comme l’hectique, l’hydropisie et autres pareilles. En celles-là on ne doit faire d’onctions que si la maladie paraît mettre la vie en danger. Supposé maintenant que le malade arrive à sortir de cet état, tout en conservant la même infirmité, et qu’ultérieurement il soit de nouveau en danger de mort on peut de nouveau l’extrémiser, car on se trouve en une autre phase de la maladie, bien qu’absolument parlant, ce ne soit pas une autre maladie.

La solution des objections est ainsi rendue évidente.

 

L’ORDRE

QUESTION 34 — LE SACREMENT DE L’ORDRE -SA NATURE - SES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS.

Après l’étude du sacrement de l’Extrême onction, nous abordons celle du sacrement de l’Ordre : de l’Ordre en général, d’abord, -puis de la distinction des ordres, des ministres de l’Ordre, de ce qui fait obstacle à la réception des ordres -enfin de questions annexes au sacrement de l’Ordre.

Au sujet de l’Ordre en général, trois points sont à considérer : 1° sa nature et ses éléments constitutifs. 2° son effet ; 3° les sujets qui le reçoivent.

Cinq questions se posent au sujet du premier point : -1. Doit-il y avoir un ordre dans l’Église ? -2. La définition de l’ordre est-elle bonne ? -3. L’Ordre est-il un sacrement ? -4. Sa forme est-elle convenablement exprimée ? -5. Ce sacrement a-t-il une matière ?

 

Article 1 — Doit-il y avoir un ordre dans l’Église ?

Objections :

1. Il ne le semble pas : l’ordre en effet comporte une sujétion et une supériorité. Mais la sujétion paraît incompatible avec la liberté à laquelle nous avons été appelés par le Christ.

2. Celui qui est ordonné devient le supérieur d’un autre. Mais dans l’Église, chacun doit, selon S. Paul, s’estimer inférieur aux autres, "les jugeant supérieurs à lui".

3. On admet bien un "ordre" pour les anges en raison de la distinction que créent entre eux les biens de la nature et de la grâce. Mais pour les hommes la nature est la même chez tous. Quant aux dons de la grâce, qui les possède le plus abondamment, nul ne le sait.

Cependant :

Il est dit dans l’épître aux Romains : "Ce qui vient de Dieu est ordonné" Mais l’Eglise est de Dieu : il l’a édifiée par son sang. Il doit donc y avoir un ordre dans l’Eglise.

Puis, l’Eglise représente l’état intermédiaire entre l’état de nature et l’état de gloire. Dans la nature il y a un ordre : certaines créatures sont supérieures à d’autres. Dans la gloire il en est de même comme le prouve la hiérarchie angélique.

Conclusion :

Entre ses œuvres et lui, Dieu a voulu pousser la ressemblance aussi loin que possible, pour les faire parfaites et pouvoir, par elles, être connu. Afin donc de manifester dans ses œuvres non seulement les perfections de son essence, mais celles de son action sur les créatures, il a imposé à tout être cette loi de nature : les êtres inférieurs seront conduits à leur perfection par des êtres intermédiaires ; ceux-ci à leur tour par des êtres supérieurs ; tel est l’enseignement du Ps. Denys. Pour que cette harmonie ne manquât pas à l’Eglise, il établit un ordre en elle : certains dispenseraient les sacrements aux autres, en cela imitant Dieu à leur manière, collaborant en quelque sorte avec Dieu : ainsi dans le corps vivant certains organes ont aussi une influence sur les autres.

Solutions :

1. La sujétion de l’esclavage est assurément incompatible avec la liberté ; elle se réalise lorsque celui qui commande utilise ses subordonnés à son profit. Et ce n’est pas cette soumission qu’exige l’ordre : le chef doit chercher le salut de ses subordonnés, non son intérêt propre.

2. Chacun doit se croire inférieur aux autres en mérite, mais non de par la charge qu’il exerce : les ordres sont comme des charges.

3. Ce n’est qu’accidentellement que l’ordre, chez les anges, est établi selon la distinction de leur nature ; c’est dans la mesure où cette distinction de nature est le fondement d’une distinction dans la grâce. Essentiellement c’est la diversité dans la grâce qui fait la hiérarchie angélique. Les ordres des anges, en effet, dépendent de leur participation aux biens divins et de leur communion à la gloire, gloire qui se mesure à la grâce dont elle est comme la fin et d’une certaine manière l’effet. Les ordres de l’église militante, au contraire, dépendent de la participation et de la communion aux sacrements qui sont cause de la grâce et, en un sens, la précèdent. Aussi nos ordres ne supposent- ils pas nécessairement la grâce sanctifiante, mais seulement le pouvoir de dispenser les sacrements. C’est pourquoi l’ordre ne pro vient pas d’une distinction dans la grâce sanctifiante mais d’une différence de pouvoirs.

 

Article 2 — La définition de l’ordre que donne le Maître des Sentences est-elle bonne ?

Objections :

1. La définition que donne le Maître des Sentences ne semble pas contenir. "L’ordre, dit-il, est un signe par lequel l’Eglise confère un pouvoir spirituel à celui qui est ordonné". Mais la partie ne peut être donnée comme genre par rapport au tout. Or, le "caractère" (qui équivaut au mot "signe", d’après la suite de la définition) est une partie de l’ordre, qui n’est ni seulement réalité, ni seulement signe, mais à la fois réalité et signe. Donc on ne peut poser le mot "signe" comme le genre dans lequel rentre l’ordre.

2. Le sacrement de l’ordre imprime un caractère : de même le sacrement du baptême. Pourtant on ne parle pas de caractère dans la définition du baptême.

3. Le baptême donne bien aussi un pouvoir spirituel pour approcher des sacrements. Et il est aussi un "signe", étant lui-même un sacrement. La définition donnée convient donc aussi bien au baptême qu’à l’Ordre.

4. L’ordre représente une relation réelle en l’un et l’autre des extrêmes qu’il atteint, le supérieur et le subordonné. Le subordonné a donc l’ordre aussi bien que le supérieur. Pour tant il n’a aucun pouvoir qui lui donne la primauté, contrairement à ce que laisse entendre la définition dont on parle : "l’ordre est une collation de pouvoir".

Conclusion :

La définition du Maître convient à l’ordre en tant qu’il est un sacrement de l'Eglise. Elle indique bien deux éléments un signe extérieur, un effet intérieur.

Solutions :

1. Le mot signe n’indique pas ici un caractère intérieur, mais bien l’action extérieure qui est le signe du pouvoir intérieur et sa cause. Et c’est ainsi qu’il faut entendre le mot caractère dans l’autre définition.

Mais il n’y aurait pas d’inconvénient à entendre par signe le caractère intérieur. Car ces trois éléments ne sont pas à proprement parler parties intégrales du sacrement : la réalité pure n’est pas de l’essence du sacrement ; le signe est transitoire, on dit pourtant que le sacrement demeure. D’où l’on doit conclure que le caractère intérieur constitue essentiellement et principalement le sacrement de l’Ordre.

2. Le baptême confère bien le pouvoir spirituel de recevoir les autres sacrements, et c’est en raison de ce pouvoir qu’il imprime un caractère. Mais ce n’est pas là son principal effet qui est la purification de l’âme. Cette purification justifierait l’institution du baptême même à jjjj de la première raison alléguée. L'ordre au contraire implique principalement le pou voir : aussi le caractère, qui est un pouvoir spirituel, entre t-il dans sa définition et non dans celle du baptême.

3. Le baptême confère une puissance spirituelle pour recevoir (les sacrements). De ce fait, cette puissance est en quelque sorte une puissance passive. Le pouvoir, au contraire, implique une puissance active, à laquelle est jointe une certaine prééminence ; aussi cette définition ne convient-elle pas au baptême.

4. Le mot "ordre" se prend en deux sens tantôt il signifie la relation elle-même, et l’ordre ainsi compris se retrouve en effet dans l’inférieur et dans le supérieur, comme le veut l’objection ; mais ce n’est pas le sens qu’il faut comprendre ici. Tantôt il signifie le degré de la hiérarchie qui constitue l’ordre entendu de la première manière. Et comme la nature de l’ordre pris comme relation se réalise d’abord là où s’affirme une supériorité, l’ordre désigne ce degré où la supériorité découle du pouvoir spirituel.

 

Article 3 — L’Ordre est-il un sacrement ?

Objections :

1. Le sacrement, selon Hugues de S. Victor, est "quelque chose de matériel". L’ordre ne désigne rien de ce genre, mais plutôt une relation, car l’ordre est une part de pouvoir, selon Isidore.

2. Il n’y a pas de sacrements dans l’Eglise triomphante, mais l’ordre y existe, chez les anges.

3. Comme la dignité spirituelle qu’est l’Ordre, la dignité temporelle est conférée par une consécration on sacre les rois. Pourtant le pouvoir des rois n’est pas un sacrement. Le pouvoir de l’Ordre ne l’est donc pas davantage.

Cependant :

Tout le monde s’accorde pour ranger l’Ordre parmi les sept sacrements de l’Eglise.

De plus, ce qui donne à un autre une perfection, la possède lui-même à plus forte raison. Or, par l’Ordre, un homme devient dispensateur des autres sacrements. Donc l’ordre a plus de raison d’être un sacrement que les autres sacrements.

Conclusion :

Un sacrement n’est autre qu’une sanctification procurée à l’homme dans un signe sensible : mais quand il reçoit l’ordre, l’homme est consacré par des signes visibles. L’ordre est donc un sacrement.

Solutions :

1. Le mot Ordre, à vrai dire, ne signifie rien de matériel. Mais la collation de l’Ordre ne va pas sans quelque élément matériel.

2. Les pouvoirs doivent correspondre aux actes en vue desquels ils sont conférés. La communication des biens divins, fin du pouvoir spirituel, n’est pas réalisée chez les anges comme chez les hommes par des signes sensibles. Aussi la puissance spirituelle qu’est un ordre n’est-elle pas conférée aux anges comme aux hommes, sous un symbolisme matériel. Chez l’homme donc l’ordre est un sacrement, non chez l’ange.

3. Toute bénédiction ou consécration reçue par les hommes n’est pas un sacrement. Les moines et les abbés reçoivent bien une bénédiction qui n’est pas un sacrement. L’onction des rois ne l’est pas davantage. Ce genre de bénédictions ne dispose pas à l’administration des sacrements, comme le sacrement de l’ordre.

 

Article 4 — La forme de ce sacrement est-elle convenablement exprimée ?

Objections :

1. La forme du sacrement ne semble pas être convenablement exprimée par P. Lombard. Les sacrements tiennent en effet leur efficacité de leur forme. Mais cette efficacité est un effet de la vertu divine qui par eux mystérieusement réalise l’œuvre du salut. Dans la forme du sacrement de l’ordre il devrait donc être fait mention de cette vertu divine par l’invocation de la Trinité, comme dans les autres sacrements.

2. Commander est le fait de qui détient l’autorité. Mais celui qui dispense les sacrements n’est pas le dépositaire de l’autorité. Il n’est qu’un ministre. Il ne devrait donc pas se servir de formules impératives "Faites..." "recevez..." ou de toute autre expression de ce genre.

3. La forme du sacrement ne doit exprimer que ce qui est essentiel au sacrement. Mais l’usage du pouvoir reçu n’est pas essentiel au sacrement de l’Ordre, n’en étant qu’une conséquence. Il ne devrait donc pas être mentionné dans la forme de ce sacrement.

4. Tous les sacrements préparent l’âme à la récompense de l’éternité. Mais dans la forme des autres sacrements il n’est pas fait mention de cette récompense. Il en devrait être ainsi pour la forme du sacrement de l’ordre. Et l’on dit pour tant : "Tu auras part à la récompense si...".

Conclusion :

Le sacrement de l’Ordre consiste avant tout dans la remise d’un pouvoir. Or le pouvoir est transmis par le pouvoir, comme le semblable par le semblable ; car l’effet procède d’une cause semblable à lui. En outre la nature d’un pouvoir se révèle par son exercice, car les puissances se révèlent par leurs actes. Aussi dans la forme de l’ordre on exprime l’exercice de ce pouvoir par l’acte qui est commandé, et la transmission de pouvoir s’exprime par le mode impératif.

Solutions :

1. Les autres sacrements n’ont pas principalement à produire des effets semblables au pouvoir qui les dispense. Tandis que l’ordre comporte comme une communication univoque du pouvoir. Voilà pourquoi si pour les autres sacrements on mentionne la puissance divine, à laquelle l’effet du sacrement est assimilé, on ne le fait pas pour l’Ordre.

2. Il est vrai que le ministre du sacrement de l’Ordre, l’évêque, n’a pas d’autorité sur les rites qui confèrent ce sacrement. Mais une certaine autorité lui appartient à l’égard du pouvoir de l’ordre qu’il transmet, dans la mesure où ce pouvoir dérive du sien.

3. L’exercice du pouvoir d’ordre est bien l’effet de ce pouvoir pris comme cause efficiente. Et ainsi il n’entre pas dans la définition de l’Ordre. Mais cet exercice, d’un certain point de vue, a raison de cause finale ; et, sous cet aspect, il peut être un élément de cette définition.

 

Article 5 — Y a t-il une matière du sacrement de l’ordre ?

Objections :

1. Dans tout sacrement qui comporte une matière, c’est en cette matière que réside la vertu opérative du sacrement. Mais aucune vertu sanctifiante ne semble attachée aux objets matériels employés dans le sacrement de l’ordre : clefs, chandeliers, etc. Il n’a donc pas de matière.

2. Dans ce sacrement, selon le texte de P. Lombard, comme dans la confirmation, la grâce aux sept dons est conférée dans sa plénitude. Mais la matière qui servira à la confirmation doit être sanctifiée au préalable. Et les objets matériels dont on se sert pour le sacrement de l’ordre ne sont pas sanctifiés. Il semble donc qu’ils ne constituent pas la matière du sacrement.

3. Dans tout sacrement qui comporte une matière, cette matière doit être touchée par celui qui reçoit le sacrement. Mais, au dire de certains, il ne serait pas essentiel au sacrement que les objets matériels soient touchés par celui qui reçoit le sacrement. Il suffirait qu’ils lui soient présentés. D’où les éléments précités ne sont pas la matière de ce sacrement.

Cependant :

Tout sacrement "comporte des objets matériels, des paroles". Les objets constituent la matière du sacrement.

En outre, il est requis plus de conditions pour pouvoir administrer les sacrements que pour les recevoir. Mais le baptême qui donne le pouvoir de recevoir les sacrements exige une matière ; à plus forte raison l’ordre, qui donne le pouvoir de les administrer.

Conclusion :

La matière, qui est l’élément extérieur des sacrements, signifie que la vertu qui agit dans ces sacrements provient tout entière de l’extérieur. Or, l’effet propre du sacrement de l’ordre, le caractère, ne provient pas d’une action de celui qui le reçoit, comme l’effet du sacrement de pénitence ; il est le résultat d’une causalité extérieure : l’ordre requiert donc une matière. Ce n’est pas toutefois à la façon des autres sacrements qui ont une matière. Car pour ceux-ci, ce qu’ils confèrent ne vient que de Dieu et nullement du ministre qui les dispense. Pour l’ordre, ce qui est transmis, le pouvoir spirituel, vient aussi de celui qui administre le sacrement, comme un pouvoir imparfait dérivant d’un pouvoir parfait. Aussi l’efficacité des autres sacrements réside-t-elle surtout dans la matière, qui signifie la vertu divine et la contient, grâce à l’action sanctificatrice exercée sur elle par le ministre du sacrement ; tandis que l’efficacité de l’ordre réside en premier lieu dans celui qui administre ce sacrement. Le rôle de la matière alors est de délimiter, plutôt que de causer, le pouvoir transmis partiellement par celui qui en possède la plénitude. Ce qui le montre, c’est que la matière est empruntée à l’exercice du pouvoir transmis.

Solutions :

1. Cet exposé suffit à rendre compte de la première difficulté.

2. Si la matière des autres sacrements doit être sanctifiée, c’est en raison de la vertu qu’elle contient. Il n’en est pas de même pour la matière du sacrement de l’ordre.

3. Cette opinion est fondée sur ce qui vient d’être dit. Le pouvoir de l’ordre est transmis par le ministre du sacrement, et non par la matière. Aussi la présentation de l’objet matériel semble être plus essentielle au sacrement que son attouchement. Il faut d’ailleurs convenir que les paroles qui sont la forme du sacrement, paraissent signifier que l’attouchement de la matière est essentiel au sacrement "Reçois" tel ou tel objet.

 

QUESTION 35 — DE L’EFFET DU SACREMENT DE L’ORDRE

Au sujet de l’effet du sacrement de l’ordre, plusieurs questions se présentent à l’esprit : -1. Le sacrement de l’ordre confère t-il la grâce ? -2. Y a t-il impression d’un caractère ? -3. Le caractère de l’ordre présuppose t-il le caractère baptismal ? -4. Présuppose t-il le caractère de la confirmation ? -5. Le caractère d’un ordre présuppose t-il le caractère d’un autre ordre ?

 

Article 1 — Le sacrement de l’ordre confère t-il la grâce sanctifiante ?

Objections :

1. On dit communément que le but du sacrement de l’ordre est de combattre l’ignorance. Mais la grâce sanctifiante n’est pas donnée contre l’ignorance, comme la grâce "gratuitement donnée" : la grâce sanctifiante est plutôt d’ordre affectif.

2. L’ordre implique une distinction. Or les membres de l'Eglise ne se distinguent pas d’après la grâce sanctifiante, mais d’après les grâces "gratuitement données", là où il y a "diversité de dons".

3. Nulle cause ne présuppose son effet. Mais en celui qui va recevoir les ordres sacrés, ne faut-il pas supposer la grâce, qui le rend digne de les recevoir ? Cette grâce ne peut donc être donnée par le sacrement.

Cependant :

Les sacrements de la loi nouvelle réalisent ce qu’ils signifient. Or, le nombre sept qu’on trouve dans le sacrement de l’ordre, n’est il pas le symbole des sept dons du Saint Esprit, d’après le "Livre des Sentences" ? Ainsi les dons du Saint Esprit, qui ne vont pas sans la grâce sanctifiante, sont reçus dans le sacrement de l’ordre.

Puis, l’ordre est un sacrement de la loi nouvelle. Or ces sacrements, selon leur définition, sont causes de la grâce.

Conclusion :

"Les œuvres de Dieu sont parfaites". Si Dieu confère un pouvoir à quelque créature, il lui donne ce qui est nécessaire pour exercer convenablement ce pouvoir. On le voit même dans l’ordre naturel : l’animal est doué d’organes qui rendent possible aux facultés de son âme leur exercice normal, à moins de déficience du côté de la matière.

Mais si la grâce sanctifiante est nécessaire à quiconque veut recevoir dignement les sacrements, elle l’est de même à quiconque doit les distribuer dignement. Le baptême, qui permet de recevoir les sacrements, confère la grâce sanctifiante ; ainsi l’ordre qui donne le pouvoir de les dispenser.

Solutions :

1. Ce n’est pas une personne, mais toute l’Eglise que l’ordre a pour but de guérir. Aussi, dire que l’ordre est l’antidote de l’ignorance ne signifie pas que celui qui reçoit ce sacrement est par là même délivré de l’ignorance, mais qu’il est préposé pour délivrer de l’ignorance la foule des fidèles.

2. Il est vrai que les dons de la grâce sanctifiante sont communs à tous les membres de l’Eglise, et, de ce fait, ne peuvent établir de distinction entre eux. Mais les dons qui, eux, établissent cette distinction, nul ne peut les recevoir dignement s’il n’a la charité, et la charité ne se conçoit pas sans la grâce sanctifiante.

3. Pour exercer convenablement le ministère de l’ordre ce n’est pas seulement une vertu quelconque qui est requise, mais bien une vertu éminente. Ceux qui reçoivent le sacrement de l’ordre sont, de ce fait, établis au-dessus du peuple ; ils doivent donc aussi être les premiers par'e mérite de leur sainteté. En ce sens, il faut supposer chez les ordinands la grâce, qui leur mérite d’être comptés au nombre des fidèles du Christ, mais, en recevant l’ordre, ils reçoivent un don de grâce plus abondant, qui les rend capables de plus grandes œuvres.

 

Article 2 — Tous les ordres donnent-ils un caractère ?

Objections :

1. Le caractère de l’ordre est un pouvoir spirituel. Or certains ordres n’ont d’autre but que l’exercice de fonctions matérielles : l’ordre des portiers ou des acolytes par exemple. En ces ordres du moins on ne peut donc parler de caractère.

2. Tout caractère est indélébile : celui qui en est revêtu est par là même placé dans un certain état qu’il ne peut plus quitter. Mais il est certains ordres qu’on peut quitter licitement pour revenir à l’état laïc. Tous les ordres n’impriment donc pas un caractère.

3. Le caractère sacramentel dispose l’homme à recevoir ou à donner quelque chose de sacré. Or, pour recevoir les sacrements le caractère du baptême suffit. Pour en être le dispensateur, il faut être dans l’ordre sacerdotal. Donc les autres ordres n’impriment pas de caractère.

Cependant :

Tout sacrement qui n’imprime pas un caractère peut être reçu plus d’une fois ; or aucun ordre ne peut être reçu plus d’une fois.

En outre, le caractère est une marque distinctive. Or dans tout ordre on trouve un signe distinctif.

Conclusion :

Trois opinions sont en présence : Les uns ont dit que l’ordre sacerdotal seul imprimait un caractère. Ce qui est inexact car les fonctions de diacre ne peuvent être légitimement exercées que par un diacre. Le diacre possède donc un certain pouvoir spirituel que les autres n’ont pas dans l’administration des sacrements.

Aussi d’autres ont-ils prétendu que les ordres sacrés impriment bien un caractère, à l’exception pourtant des ordres mineurs. Ce qui ne peut se soutenir, car celui qui reçoit un ordre, quel qu’il soit, est établi au-dessus des autres, et possède un certain pouvoir ordonné à l’administration des sacrements.

Il reste donc que le caractère, étant une marque distinctive, doit se retrouver dans tous les ordres. La preuve en est d’ailleurs que les ordres subsistent toujours et ne peuvent être reçus plus d’une fois. Telle est la troisième opinion qui est la plus commune.

Solutions :

1. Tout ordre donne un pouvoir d'agir soit sur le sacrement lui-même, soit du moins en relation avec l’administration des sacrements. C’est ainsi que les portiers ont pour fonction d’admettre les fidèles à assister aux mystères divins : et de même des autres ordres. Tous supposent donc un pouvoir spirituel.

2. Le retour pour un clerc à l’état laïc ne supprime pas en lui le caractère, qui demeure. La preuve en est que s’il rentre dans le clergé, il n’a pas à recevoir de nouveau l’ordre qu’il a déjà reçu une fois.

3. Cette difficulté s’éclaircit par la première explication.

 

Article 3 — Le caractère de l’ordre présuppose t-il le caractère baptismal ?

Objections :

1. Il semble que le caractère de l’Ordre ne présuppose pas le caractère baptismal. Le caractère de l’Ordre donne le pouvoir d’administrer les sacrements ; celui du baptême, de les recevoir. Or, une puissance active ne présuppose pas nécessairement de puissance pas ive, mais peut exister sans elle, comme c’est le c. s de Dieu.

2. Un homme peut bien ne pas être baptisé, qui soit l’avoir été. Mais alors, s’il se présente aux ordres, il ne recevra pas le caractère de l’ordre, si ce caractère présuppose celui du baptême. Ainsi ses actes : consécration, absolution, seront nuls, et l’Eglise sera trompée, ce qu’on ne saurait admettre.

Cependant :

Le baptême est la porte des sacrements. L’ordre, un sacrement, présuppose donc le baptême.

Conclusion :

On ne reçoit que ce qu’on est capable de recevoir, Or, c’est le caractère du baptême qui rend capable de recevoir les sacrements. Celui donc qui ne l’a pas, ne peut pas recevoir les autres sacrements. Ainsi le caractère de l’ordre suppose celui du baptême.

Solutions :

1. Dans un sujet qui a par lui même une puissance active, celle-ci ne suppose pas de puissance passive. Mais pour celui qui reçoit d’un autre la puissance active, il faut nécessairement une puissance passive pour la recevoir.

2. Si cet homme est promu au sacerdoce, il n’est pas prêtre. Il ne peut ni consacrer, ni absoudre au tribunal de la pénitence selon le droit canon il doit être baptisé, puis ordonné de nouveau. Et s’il est promu à l’épiscopat, ceux qu’il ordonne ne reçoivent pas les ordres. Mais on peut légitimement croire pour ce qui est des effets derniers des sacrements, que le Souverain Prêtre suppléerait à cette déficience, et ne permettrait pas que ce mal soit caché au point de provoquer quelque danger pour l’Eglise.

 

Article 4 — Le caractère de l’ordre présuppose t-il nécessairement le caractère de la confirmation ?

Objections :

1. Dans toute série ordonnée, les éléments intermédiaires présupposent ceux qui les précèdent, comme ceux qui les suivent les supposent eux-mêmes. Or, le caractère de la confirmation présuppose celui du baptême, qui est le premier. Donc le caractère de l’ordre présuppose, comme intermédiaire, celui de la confirmation.

2. Ceux qui ont mission de confirmer les autres doivent les premiers être forts. Or, ceux qui reçoivent le sacrement de l’ordre ont à confirmer les autres. Ils doivent donc, eux surtout, avoir reçu le sacrement de confirmation.

Cependant :

Les Apôtres ont reçu le pouvoir de l’ordre avant l’Ascension, quand il leur a été dit "Recevez le Saint Esprit". Et ce n’est qu’après l’Ascension qu’ils furent confirmés, par la venue du Saint Esprit.

Conclusion :

Dans le sujet qui reçoit le sacrement de l’Ordre, certaines dispositions sont requises pour le recevoir validement, d’autres pour le recevoir dignement. La validité du sacrement suppose chez celui qui va recevoir les ordres l’aptitude à être ordonné, que lui a donnée le baptême. Ainsi la validité même du sacrement dépend du caractère baptismal, de telle sorte que sans lui le sacrement de l’ordre ne peut être reçu. Mais la convenance réclame chez l’ordinand toutes les perfections susceptibles de le rendre digne de remplir des fonctions sacrées l’une des ces perfections est justement d’avoir été confirmé. Si donc le caractère de l’ordre suppose le caractère de la confirmation, c’est pour une raison de convenance, non pour une raison de nécessité.

Solutions :

1. Entre le caractère de la confirmation et celui de l’ordre, il n’y a pas le même rapport qu’entre le caractère baptismal et celui de la confirmation. C’est le caractère baptismal qui rend capable de recevoir le sacrement de confirmation ; mais ce n’est pas le caractère de la confirmation qui rend apte à recevoir le sacrement de l’ordre. Le même raisonnement ne vaut donc pas.

2. Il s’agit ici d’une simple raison de convenance.

 

Article 5 — Le caractère d’un ordre présuppose t-il nécessairement celui d’un autre ordre ?

Objections :

1. Le rapport est plus intime deux ordres, qu'entre l’ordre et un autre sacrement. Or, le caractère de l’ordre présuppose le caractère d’un autre sacrement, le baptême. A plus forte raison le caractère d’un ordre présuppose t-il celui d’un autre ordre.

2. Les ordres sont comme des degrés. Mais nul ne peut atteindre les degrés supérieurs sans avoir franchi les degrés inférieurs. Nul ne peut donc recevoir le caractère d’un ordre sans avoir reçu celui du précédent.

Cependant :

Si l’on omet dans le sacrement une condition nécessaire à la validité, le sacrement doit être renouvelé. Or, celui qui reçoit un ordre sans avoir reçu le précédent, n’a pas à être ordonné de nouveau : on lui confère simplement l’ordre qu’il n’avait pas. L’ordre précédent n’est donc pas absolument nécessaire pour le suivant.

Conclusion :

La réception des ordres inférieurs n’est pas requise pour que soient valides les ordres supérieurs ; les pouvoirs sont distincts ; de soi l’un n’exige pas l’autre dans un même sujet. C’est pourquoi, dans l’Eglise primitive, on ordonnait des prêtres qui n’avaient pas reçu les ordres inférieurs. Ils pouvaient cependant en exercer toutes les fonctions : car tout pouvoir inférieur est inclus dans un pouvoir qui lui est supérieur : la perfection de la sensibilité dans celle de l’intelligence, le pouvoir du gouverneur en celui du roi.

Dans la suite, l’Eglise décida que celui-là ne pourrait prétendre aux ordres supérieurs, qui d’abord ne se fut humilié en des fonctions inférieures. Ainsi, pour ceux qui sont ordonnés sans qu’il soit tenu compte de la succession normale des ordres, selon les lois de l’Eglise, on ne renouvelle pas l’ordre qu’ils ont déjà reçu. On leur confère seulement les ordres précédents qui ne leur ont pas été donnés.

Solutions :

1. S’il s’agit de la ressemblance dans une même espèce, deux ordres ont entre eux un rapport plus intime que l’ordre et le baptême. Mais s’il s’agit de la relation de puissance à acte, le rapport est alors plus étroit entre le baptême et l’ordre qu’entre deux ordres différents. Le baptême donne à l’homme une puissance passive de recevoir l’ordre : alors qu’un ordre n’en donne pas, à l’égard d’un ordre supérieur.

2. Les ordres ne sont pas comme des degrés que l’on rencontre dans une même action ou dans un même mouvement, de telle sorte qu’il soit nécessaire de passer par les premiers pour par venir aux derniers. Les ordres sont des degrés établis entre des êtres différents, l’ange et l’homme par exemple : il n’est pas besoin que l’ange, avant d’être ange, soit homme. De même il y a des degrés entre la tête et les membres d’un corps, sans qu’il soit besoin que la tête, avant d’être tête, ait été pied. Il en va de même pour ce qui nous occupe.

 

QUESTION 36 — DES QUALITÉS REQUISES CHEZ CEUX QUI DOIVENT ÊTRE ORDONNÉS.

Nous avons à traiter maintenant des qualités de ceux qui sont promus aux ordres.

Cinq questions se posent : 1. La sainteté de vie est-elle requise en eux ? -2. La connaissance de toute l’Ecriture sainte est-elle également requise ? -3. Suffit-il d’avoir une vie pleine de mérites, pour mériter d’être ordonné ? -4. Commet-il un péché, celui qui confère les ordres à des hommes qui en sont indignes ? -5. Quelqu’un en état de péché peut-il exercer, sans pécher, les fonctions de l’ordre qu’il a reçu ?

 

Article 1 — La sainteté de vie est-elle requise chez ceux qui doivent recevoir les ordres ?

Objections :

1. L’ordre prépare ceux qui en bénéficient, à l’administration des sacrements. Mais les sacrements peuvent être administrés par les pécheurs comme par les justes.

2. Le service dont Dieu est l’objet dans les sacrements ne dépasse point le niveau d’un service corporel. Mais Notre Seigneur n’a point écarté de ce service la pécheresse, perdue d’honneur. Pareillement, les pécheurs ne doivent pas être écartés du service des sacrements.

3. Toute grâce porte avec elle un remède contre le péché. Or, on ne doit pas refuser à ceux qui sont en état de péché un remède qui peut les guérir. Et le sacrement de l’ordre donne la grâce. Il semble donc bien que ce sacrement doive être conféré même à des pécheurs.

Cependant :

1. "Tout homme de la race d’Aaron qui sera souillé, n’offrira pas le pain à son Dieu, ne remplira pas les fonctions sacerdotales". Par souillure, il faut entendre ici, selon la Glose, "toute espèce de vice". Celui donc qui est pris en quelque vice ne doit pas être accepté pour le ministère de l’ordre.

2. S. Jérôme dit à son tour : "Non seulement les évêques, les prêtres et les diacres doivent avoir grandement soin, par leurs paroles et leurs exemples, d’entraîner tout le peuple dont ils sont chefs, mais aussi les clercs des ordres inférieurs, et, sans exception, tous ceux qui servent en la maison de Dieu ; car il est tout à fait nuisible à l’Eglise de Dieu que les laïcs soient meilleurs que les clercs".

Conclusion :

Denys écrit : "Ce sont les essences les plus pures, les plus lumineuses, étincelantes de la splendeur du soleil, qui à leur tour, à la ressemblance du soleil, embrasent les autres corps de la clarté dont elles resplendis sent. Ainsi dans le monde divin, nul ne doit prétendre au rôle de chef, si sa vie n’est pas tout entière informée de divin, s’il n’est pas totalement à la ressemblance de Dieu ". Or, tout ordre fait de celui qui le reçoit un chef dans le domaine des choses de Dieu. Celui-là donc pèche mortellement, par présomption, qui avance aux ordres, avec la conscience d’un péché mortel. La sainteté de vie est donc requise, pour satisfaire au précepte. Toutefois, la validité du sacrement n’en dépend pas : si un pécheur est ordonné, il reçoit l’ordre, mais commet un nouveau péché.

Solutions :

1. Les sacrements qu’administre un pécheur, sont vraiment des sacrements. De même l’ordre qu’il reçoit est un sacrement : c’est indignement qu’il administre, c’est indignement qu’il reçoit.

2. Cet acte était uniquement celui d’une œuvre corporelle que les pécheurs peuvent légitimement accomplir. Il en est autrement du ministère spirituel auquel sont voués ceux qui reçoivent les ordres, et par lequel ils sont constitués médiateurs entre Dieu et le peuple. Aussi doivent-ils briller par la pureté de leur conscience en face de Dieu, et, en face des hommes, par leur bonne renommée.

3. Certains remèdes supposent un tempérament vigoureux, sans lequel ils deviennent un danger. D’autres peuvent être donnés à des natures plus faibles. Il en est de même dans l’ordre spirituel certains sacrements sont des remèdes qui guérissent du péché, ceux-là doivent être donnés aux pécheurs, le baptême, la pénitence. D’autres, ayant pour but d’apporter un perfectionnement de la grâce, supposent un sujet que la grâce a déjà rendu fort.

 

Article 2 — La science de toute l’Ecriture est-elle requise chez l’ordinand ?

Objections :

1. "De la bouche du prêtre on demande la loi". Le prêtre doit donc posséder la science de toute la loi.

2. S. Pierre écrit "Soyez toujours prêts à répondre à quiconque vous demande raison de la foi et de l’espérance qui sont en vous". Mais rendre raison de la foi et de l’espérance est le fait de ceux qui ont une connaissance parfaite des saintes Ecritures. Donc ceux qui sont promus aux ordres -et c’est à eux que s’adressent les paroles de l’apôtre -doivent posséder cette science.

3. Nul ne lit convenablement ce qu’il ne comprend pas. "Lire sans comprendre, c’est lire sans profit", disait Caton. Mais la fonction du lecteur, qui représente un des derniers ordres, consiste à lire l’Ancien Testament, comme le dit le texte de P. Lombard. Le lecteur doit donc connaître tout l’Ancien Testament. A plus forte raison ceux qui reçoivent des ordres plus importants.

Cependant :

Beaucoup d’hommes et même dans bien des ordres religieux, sont promus au sacerdoce sans presque rien connaître des saintes Lettres.

De plus, on lit dans les Vies des Pères, que des moines simples, mais dont la vie était toute sainte, étaient promus au sacerdoce.

Conclusion :

Tout acte humain, qui doit être dans l’ordre, doit être dirigé par la raison. Par conséquent, pour remplir les fonctions de son ordre, l’homme doit, en fait de science, avoir au moins ce qui lui est nécessaire pour pouvoir se diriger dans l’exercice de cet ordre. C’est ce minimum de science qui est requis chez celui qui doit recevoir les ordres, ce n’est pas une connaissance universelle de toute la sainte Ecriture. Cette science sera plus ou moins vaste selon que le ministère sera plus ou moins étendu : ceux qui sont placés à la tête des autres du fait qu’ils ont charge d’âmes, ont à connaître ce qui a trait à l’enseignement concernant la foi et les mœurs. Les autres doivent au moins connaître ce qui concerne les fonctions de leur ordre.

Solutions :

1. Le prêtre a deux fonctions : l’une, principale, a pour objet le corps réel du Christ ; l’autre, secondaire, le corps mystique du Christ. Cette seconde fonction dépend de la première et non réciproquement. Ainsi plusieurs sont promus au sacerdoce, à qui n’est confiée que la première fonction ; les religieux, par exemple, qui n’ont pas charge d’âmes, On n’attend pas la loi de leur bouche, on leur demande seulement de consacrer. Aussi leur suffit la science requise pour l’observation du rite dans la confection du sacrement.

D’autres sont appelés à remplir cette autre fonction, dont le corps mystique du Christ est l’objet. Le peuple attend la loi de leur bouche. Aussi doivent-ils posséder la science de cette loi, non pas certes jusqu’en ses dernières subtilités -dans ce cas, qu’ils recourent à leurs supérieurs -mais en tout ce qui concerne la croyance et la conduite que le peuple doit avoir. Quant aux prêtres les plus élevés en dignité, les évêques, ils doivent connaître même les questions qui dans la Loi font difficulté, et ceci d’autant mieux qu’ils occupent un plus haut rang.

2. Rendre raison de sa foi et de son espérance, ce n’est pas prouver leur objet invisible, mais il suffit de pouvoir en montrer de manière générale la possibilité, ce qui ne requiert pas une très grande science.

3. Le lecteur n’est pas chargé de donner au peuple l’intelligence de la sainte Ecriture (c’est la tâche des ordres supérieurs) ; sa fonction est seulement de lire. On ne réclame donc pas de lui une science telle qu’il puisse comprendre toute l'Ecriture, mais seulement telle qu’il lise correctement. Comme cette science est facile et à la portée de beaucoup d’esprits, on peut très bien penser que l’ordinand l’acquerra, s’il ne l’a pas encore, et à plus forte raison si déjà il s’y adonne.

 

Article 3 — Suffit-il d’avoir une vie pleine de mérite pour être ordonné ?

Objections :

1. Chrysostome a dit : "Tout prêtre n’est pas saint, mais tout saintest prêtre". Or le mérite de la vie fait le saint, donc aussi le prêtre et à plus forte raison les autres ministres

2. Dans l’ordre de la nature, les êtres occupent un rang d’autant plus élevé qu’ils se rapprochent plus de Dieu et participent davantage à sa bonté ; ainsi l’affirme le Pseudo Denys. Or, par sa sainteté et sa science l’homme se rapproche de Dieu et reçoit davantage de sa bonté. Donc c’est par là aussi qu’il est constitué dans l’Ordre.

Cependant :

La sainteté une fois acquise peut se perdre, tandis que l’ordre une fois reçu est inamissible. L’Ordre ne consiste donc pas dans le mérite même de la sainteté.

Conclusion :

La cause doit être proportionnée à son effet. Le Christ, de qui la grâce descend sur tous les hommes, (bit posséder en lui la plénitude de la grâce ; de même les ministres de l’Eglise, qui ne peuvent donner la grâce, mais seulement les sacrements de la grâce, ne sont pas constitués dans la hiérarchie de l’ordre par le seul fait qu’ils ont la grâce, mais parce qu’ils reçoivent un sacrement de la grâce.

Solutions :

1. Chrysostome prend le nom de "sacerdos" (= prêtre) en son sens étymologique "sacra dans" (qui donne les choses saintes). A ce point de vue, tout juste est prêtre en tant qu’il donne à son prochain le secours de ses saints mérites ; mais tel n’est pas le sens usité de ce nom : il désigne en effet celui qui donne les choses saintes par l’administration des sacrements.

2. Dans la nature, un être se situe au-dessus des autres dans la mesure où il peut, par sa propre forme, agir sur eux ; l’excellence de sa forme fait donc sa supériorité. Mais les ministres de l’Eglise ne sont point mis à la tête des fidèles pour communiquer quelque bien par la vertu de leur propre sainteté (ceci est le privilège de Dieu) ; ils sont des ministres, en quelque sorte des instruments de la vie qui découle de la tête dans les membres. Aussi la hiérarchie de l’ordre ne ressemble point de soi à celle de la nature ; cependant il conviendrait qu’il y eût une certaine ressemblance.

 

Article 4 — Commet-il un péché, celui qui con/ère les ordres à des hommes qui en sont indignes ?

Objections :

1. L’évêque a besoin d’auxiliaires charges des fonctions moins élevées. Or, il n’en pourrait trouver un nombre suffisant, s’il exigeait d’eux cet ensemble de qualités décrit par les Pères. Il est donc excusable, s’il en ordonne quelques-uns qui n’aient pas toutes ces qualités.

2. L’Eglise a besoin de ministres non seulement pour la dispensation des biens spirituels, mais encore pour la gestion des biens temporels. Or, parfois, sans la science ou la sainteté, quel qu’un peut être capable de cette gestion, en raison, soit de son crédit dans le monde, soit de sa compétence naturelle. Il semble donc qu’un tel homme puisse être ordonné sans péché.

3. Chacun est tenu, autant qu’il lui est possible, d’éviter le péché. Si donc un évêque péchait en ordonnant des indignes, il devrait, pour s’assurer de la dignité de ceux qui accèdent aux ordres, apporter tous ses soins à un examen consciencieux de leur vie et de leur science. Or, telle n’est pas la pratique générale.

Cependant :

Le mal est plus grand d’appeler des sujets indignes aux mystères sacrés, que de ne point les corriger s’ils sont déjà promus. Or, Héli pécha gravement en ne reprenant pas ses fils de leur péché, aussi "tombant de son siège à la renverse il mourut". La promotion de sujets indignes n’est donc pas sans péché. De plus, dans l’Eglise, les intérêts spirituels priment les intérêts temporels. Or, il pécherait gravement, celui qui compromettrait sciemment les intérêts temporels de l'Eglise ; à plus forte raison pécherait celui qui compromettrait les intérêts spirituels. Tel serait le cas de celui qui appellerait aux ordres des sujets indignes, car, S. Grégoire l’affirme : "Celui dont la vie s’est mérité le mépris n’est pas loin de l’attirer sur son enseignement", et de même sur les biens spirituels dont il est le dispensateur. Celui donc qui promeut des sujets indignes pèche mortellement.

Conclusion :

Le Seigneur a tracé le portrait du serviteur fidèle qui a été établi "sur les gens de la maison, pour distribuer à chacun sa mesure de froment". Celui-là est donc coupable d’infidélité, qui donne à quelqu’un des biens divins plus qu’il ne lui revient : ainsi fait celui qui appelle aux ordres des sujets indignes. Sa faute est donc grave, infidèle qu’il est à son souverain Maître faute d'autant plus grave qu’elle est préjudiciable à l’Eglise et à l’honneur divin, que les bons ministres s’efforcent d’assurer. Ne serait-il pas de même infidèle à son maître de la terre, celui qui enrôlerait à son service des gens incapables ?

Solutions :

1. Dieu n’abandonnera jamais son Eglise au point qu’on ne puisse trouver des ministres qualifiés en nombre suffisant pour pourvoir aux nécessités des fidèles, si l’on appelle les sujets qui en sont dignes et si l’on écarte les indignes. Et dans l’hypothèse où l’on n’en pour rait trouver un nombre égal à celui de mainte nant, "mieux vaudrait un petit nombre de bons ministres qu’un plus grand nombre de ministres mauvais".

2. Les biens temporels ne peuvent être recherchés qu’en vue des biens spirituels ; par conséquent, tout intérêt temporel doit être écarté, tout avantage méprisé, pour promouvoir le bien spirituel.

3. Il est à tout le moins requis que l’évêque ordonnateur ne connaisse rien de contraire à la sainteté de celui qu’il appelle aux ordres ; mais de plus, il doit, avec la sollicitude que comporte l’importance de l’ordre ou de l’office à conférer, s’assurer des qualités des ordinands, tout au moins en recourant au témoignage d’autrui. L’Apôtre l’écrivait à Timothée "N’impose pas trop vite les mains à personne".

 

Article 5 — Quelqu’un en état de péché, peut-il sans pécher exercer les fonctions d’un ordre qu’il a reçu ?

Objections :

1. Celui-là pèche qui n’exerce pas son ordre alors que son office l’y oblige. Si donc en l’exerçant il péchait, il ne pourrait éviter le péché ; ce qui est inadmissible.

2. De plus, la dispense est un élargissement du droit ; par conséquent, même si d’après le droit il était illicite pour cet homme d’exercer un ordre reçu, par dispense cet exercice pourrait lui être concédé.

3. Quiconque participe au péché grave d’un autre, pèche gravement. Si donc par l’exercice de son ordre le pécheur péchait gravement, de même pécherait gravement celui qui reçoit de lui quelque bien divin ou le lui demande : ce qui semble absurde.

4. Enfin, si par l’exercice de son ordre il péchait, chacun des actes propres à ses fonctions serait un péché grave ; et puisque une seule fonction implique des actes multiples, multiples seraient les fautes mortelles ; ce qui semble bien sévère.

Cependant :

Denys a écrit dans sa lettre à Démophile : "Il paraît bien présomptueux (celui qui n’est pas en état de grâce) d’accomplir les fonctions sacerdotales ; il n’a ni crainte ni honte de traiter les divins mystères malgré son indignité ; croit-il que Dieu ignore ce que lui- même sait de lui ? Pense t-il tromper celui qu’il appelle faussement du nom de Père ? Il ose, à l’exemple du Christ, prononcer sur les divins symboles (je ne dis pas les prières) mais d’immondes blasphèmes". Ce prêtre est donc un blasphémateur et un menteur, qui accomplit indignement les fonctions de son ordre, aussi pèche t-il gravement ; et pécherait pareillement quiconque exercerait indignement la fonction de son ordre.

2. En outre, la réception d’un ordre exige la sainteté pour que le sujet soit capable de l’exercer. Or, déjà il pèche gravement celui qui avance aux ordres en état de péché mortel, à plus forte raison pèche t-il à chaque fois qu’il en accomplit les fonctions.

Conclusion :

La loi prescrit d'"accomplir saintement ce qui est saint". Or, celui qui remplit indignement les fonctions de son ordre, traite sans respect ce qui est saint ; il agit contre le précepte de la loi, et par là pèche gravement. Et sans conteste celui qui exerce un ministère sacré en état de péché mortel, l’exerce indignement. Il est donc évident qu’il commet un péché grave.

Solutions :

1. Celui-ci n’est pas à ce point perplexe qu’il soit placé devant la nécessité de pécher ; il peut ou quitter son péché ou résigner l’office qui lui impose l’obligation d’exercer son ordre.

2. Le droit naturel n’admet pas de dispense, et il est de droit naturel que l’homme traite saintement ce qui est saint ; nul n’en peut dispenser.

3. Tant qu’un ministre de l’Eglise qui est en état de péché grave est maintenu par l’Eglise en ses fonctions, c’est de lui que ses sujets doivent recevoir les sacrements : en pareille matière ils lui sont soumis. Cependant en dehors du cas de nécessité, il ne serait pas prudent de l’engager à exercer l’une de ses fonctions, si on le savait en état de péché grave ; cette science pourtant ne peut être ferme puisque la purification d’un homme par la grâce de Dieu est instantanée.

4. Chaque fois qu’un homme, en état de péché grave, agit comme ministre de l’Eglise, il pèche gravement, et cela autant de fois qu’il réitère son acte. Denys l’affirme : "Aux impurs, point n’est permis de toucher les symboles", c’est-à-dire les signes sacramentels. Par conséquent, ceux-ci pèchent gravement dans l’exercice de leurs fonctions, qui touchent aux choses saintes.

Il en serait autrement, si dans un cas de nécessité, ou dans un cas où cela est permis même aux laïques, ils accomplissaient un acte sacré : par exemple baptiser en cas de nécessité, ou recueillir le corps du Christ jeté à terre.

 

QUESTION 37 — DE LA DISTINCTION DES ORDRES, DE LEURS ACTES ET DU CARACTÈRE QU’ILS IMPRIMENT.

Nous devons maintenant nous occuper de la distinction des ordres, de leurs actes et du caractère qu’ils impriment.

Cinq questions se posent : -1. Doit-on distinguer plusieurs ordres ? -2. Combien ? -3. Doit-on diviser les ordres en sacrés et en non sacrés ? 4. Le livre des Sentences assigne t-il justement leurs fonctions à chacun d’eux ? -5. A quel moment les caractères des ordres sont-ils imprimés ?

Article 1 — Doit-on distinguer plusieurs ordres ?

Objections :

1. Plus une vertu est parfaite, moins elle est multipliée. Or, ce sacrement sur passe les autres en dignité, puisqu’il confère à ceux qui le reçoivent une supériorité sur les fidèles. Or, les autres sacrements ne se divisent pas en plusieurs parties dont chacune porte le nom du tout, celui-ci ne doit donc pas davantage se diviser en plusieurs ordres.

2. Dans l’hypothèse d’une division, ce serait ou la division du tout en ses parties intégrales, ou la division du tout en ses parties subjectives. Or, ce ne peut être la première : les parties ne pourraient porter le nom du tout. Donc ce doit être la division du tout en ses parties subjectives. Mais celles-ci prennent au pluriel la dénomination du genre tant éloigné que prochain ; ainsi un homme et un âne sont plusieurs animaux, et plusieurs corps animés. Pareillement, le sacerdoce et le diaconat, de même qu’ils sont deux ordres, sont deux sacrements, puis que le sacrement tient lieu de genre par rapport aux ordres.

3. D’après le Philosophe, le régime dans lequel un seul est préposé au bien commun, est plus parfait que le régime aristocratique, où les divers emplois sont occupés par des individus différents. Or, le gouvernement de l'Eglise doit être le plus parfait de tous. Par conséquent, dans l’Eglise la distinction des actes ne devrait point entraîner celle des ordres, et tout le pou voir devrait être concentré en un seul, et ainsi il ne devrait exister qu’un ordre.

Cependant :

1. L’Eglise est le corps mystique du Christ, semblable au corps naturel d’après l’Apôtre. Or, dans le corps naturel, les membres ont des fonctions diverses. De même dans l’Eglise doivent exister des ordres divers.

2. De plus, le ministère du Nouveau Testament l’emporte en dignité sur celui de l’Ancien. Or, dans l’Ancien Testament, non seulement les prêtres, mais encore leurs ministres, les lévites, recevaient une consécration. De même, dans le Nouveau Testament, non seulement les prêtres doivent être consacrés par le sacrement de l’ordre, mais encore leurs ministres. Ainsi la pluralité des ordres s’impose.

Conclusion :

La pluralité des ordres a été introduite dans l’Eglise pour trois raisons Premièrement, pour manifester la sagesse de Dieu qui éclate surtout dans la multiplicité harmonieuse des choses, soit dans l’ordre naturel, soit dans l’ordre surnaturel. C’est ce que symbolise cet épisode de la Reine de Saba, qui, "devant l’ordonnance du service de Salo mon, fut hors d’elle-même", ravie d’admiration devant cette sagesse. Deuxièmement, pour soulager la faiblesse humaine : un seul ne peut satisfaire, sans grande surcharge, aux exigences des divins mystères ; c’est pourquoi on distingue divers ordres pour diverses fonctions : ainsi le Seigneur donna à Moïse, pour le seconder, soixante-dix vieillards. Troisièmement, pour ouvrir plus large aux hommes la voie de la perfection un plus grand nombre étant ainsi préposés aux divers offices, tous coopérateurs de Dieu, vocation divine au plus haut point, affirme Denys.

Solutions :

1. Les autres sacrements sont administrés en vue de certains effets à recevoir ; mais ce sacrement est conféré surtout en vue d’actes à produire. C’est pourquoi la diversité des actes réclame une diversité parallèle dans le sacrement de l’ordre les puissances se distinguent d’après les actes.

2. La division de l’ordre n’est pas celle d’un tout intégral en ses parties, ni celle d’un tout universel, mais celle d’un tout potentiel ; telle est la nature de ce tout que l’une de ses divisions réalise pleinement sa définition, les autres n’en sont que des participations. C’est le cas de ce sacrement, dont la plénitude est dans un seul ordre, le sacerdoce ; les autres n’en sont qu’une participation. Ceci nous est signifié par ces paroles de Dieu à Moïse : "Je prendrai de l’esprit qui est sur toi et je le mettrai sur eux, afin qu’ils portent avec toi la charge du peuple". Ainsi tous les ordres ne sont-ils qu’un sacrement.

3. Dans un royaume, si la plénitude du pouvoir réside dans le roi, les pouvoirs des ministres, qui sont des participations de l’autorité royale, ne sont pas exclus. Il en est de même dans l’ordre. Dans l’aristocratie au contraire, la plénitude du pouvoir n’est en aucun des membres du pouvoir, mais en leur collectivité.

 

Article 2 — Compte-t-on sept ordres ?

Objections :

1. Les ordres de l’Eglise sont établis en vue des fonctions hiérarchiques. Or, celles-ci sont seulement au nombre de trois purifier, illuminer, perfectionner, division d’après laquelle Denys distingue trois ordres.

2. Tous les sacrements ont efficacité et autorité de par l’institution du Christ ou au moins de ses apôtres. Or, l’enseignement du Christ et des apôtres ne mentionne que les prêtres et les diacres.

3. Le sacrement de l’ordre constitue son bénéficiaire dispensateur des autres sacrements. Or, ceux-ci ne sont qu’au nombre de six. On ne doit donc compter que six ordres.

4. Par contre, il semble que l’on en doive compter plus de sept ; en effet, plus une vertu est parfaite, moins elle est susceptible d’être multipliée. Or, la puissance hiérarchique revêt, chez les anges, une modalité supérieure à la nôtre, comme l’affirme Denys. Puisque la hiérarchie angélique compte neuf ordres, on devrait en compter autant et même plus dans l’Eglise.

5. De plus, les prophéties des psaumes l’emportent sur les autres prophéties. Or, pour lire celles-ci dans l'Eglise un ordre a été institué, le lectorat. Donc pour la récitation des psaumes un autre ordre devrait exister, d’autant que le psalmiste, dans la hiérarchie des ordres, occupe le second rang après le portier, selon le Décret de Gratien.

Conclusion :

Pour déterminer le nombre des ordres, quelques-uns essayent un rapprochement entre ces ordres et les grâces gratuitement données dont il est parlé dans la première épître aux Corinthiens. D’après eux, la "parole de sagesse" convient à l’Évêque, dont l’office est d’ordonner les autres : ce qui relève de la sagesse ; la "parole de science" au prêtre, qui doit posséder la clef de la science ; la "foi" au diacre qui prêche l’évangile ; le "don des miracles" au sous-diacre, qui se voue aux œuvres de perfection par le vœu de continence ; l'"interprétation des langues" à l’acolyte, comme le symbolise la lumière qu’il porte ; le "don des guérisons" à l’exorciste ; le "don des langues" au psalmiste ; la "prophétie" au lecteur ; le "discernement des esprits" au portier, qui exclut les uns, admet les autres. Mais cette opinion est insoutenable : car les grâces gratuitement données ne sont pas accordées au même sujet, tandis que les ordres peuvent être conférés au même individu : on lit en effet dans cette épître, "il y a diversité de dons". En outre, dans cette énumération apparaissent des fonctions qui ne sont pas des ordres, à savoir l’épiscopat et le psalmistat.

C’est pourquoi d’autres assimilent l’ordre à la hiérarchie céleste dans laquelle les ordres se distinguent d’après une triple fonction : purifier, illuminer, perfectionner. Ils avancent en effet que le portier purifie extérieurement du fait qu’il sépare, même matériellement, les bons d’avec les mauvais ; l’acolyte, au contraire, purifie intérieurement : par la lumière qu’il porte, il signifie qu’il dissipe les ténèbres intérieures ; tandis que l’exorciste purifie de l’une et de l’autre manière : il chasse le démon qu’il confond et dans l’intime des cœurs et en public. Quant à l’illumination, œuvre d’enseignement, elle se départit entre les lecteurs pour l’enseignement des prophètes, les sous-diacres pour l’enseignement des apôtres, les diacres pour l’enseignement de l’Évangile. La perfection, s’il s’agit de perfection commune, effet de la pénitence, du baptême et des autres sacrements qui leur ressemblent, est assurée par le prêtre ; s’il s’agit de perfection éminente, elle est réservée à l’évêque, telle la consécration des prêtres et des vierges ; enfin à son degré le plus haut, elle est l’œuvre du Souverain Pontife, en qui réside la plénitude de l’autorité. Mais cette explication ne vaut pas : tant parce que les ordres de la hiérarchie céleste ne se distinguent pas d’après ces fonctions hiérarchiques, dont chacune convient à chacun des ordres ; tant parce que, d’après Denys, perfectionner appartient seulement aux évêques, illuminer aux prêtres, mais purifier à tous les ministres.

Aussi d’autres établissent-ils un rapport entre les ordres et les sept dons au sacerdoce correspond le don de sagesse qui nous nourrit du pain de vie et d’intelligence, comme le prêtre nous restaure par le pain céleste ; au portier, la crainte, qui nous sépare des mauvais ; et pareillement les ordres intermédiaires répondent aux dons intermédiaires. Cette solution est nulle encore, car en chacun des ordres est accordée la grâce septiforme.

Il faut donc en proposer une autre. Le sacrement de l’ordre a pour fin le sacrement de l’Eucharistie, le sacrement des sacrements, selon l’expression de Denys. Comme le temple, l’autel, les vases et les vêtements, les ministres de l’Eucharistie ont besoin d’une consécration.

Cette consécration est le sacrement de l’ordre. On trouvera donc la distinction des ordres dans leur rapport avec l’eucharistie : le pouvoir d’ordre en effet a pour objet, ou la consécration de l’eucharistie elle-même, ou quelque fonction relative au sacrement d’eucharistie. Dans le premier cas, c’est l’ordre des prêtres : aussi à leur ordination reçoivent-ils le calice avec le vin et la patène avec le pain, recevant le pouvoir de consacrer le corps et le sang du Christ. D’autre part la coopération des ministres a pour objet, soit le sacrement lui-même, soit ceux qui le reçoivent. Dans le premier cas elle se présente sous trois aspects r d’abord, le ministère proprement dit par lequel le ministre prête son concours au prêtre dans la dispensation du sacrement, mais non dans sa consécration, réservée au prêtre seul : tel est l’office du diacre. D’où l’on peut lire dans les Sentences qu’il appartient au diacre d’assister les prêtres en tout ce qui concerne les sacrements du Christ c’est pourquoi le diacre lui-même distribue le sang du Christ. Puis, le ministère dont la fonction est de préparer la matière du sacrement dans les vases sacrés destinés à la contenir c’est l’office des sous-diacres. Aussi les Sentences disent-elles que les sous-diacres portent les vases du corps et du sang du Seigneur et placent sur l’autel les offrandes ; c’est pourquoi, à leur ordination, ils reçoivent le calice, mais vide, de la main de l’évêque. Enfin, le ministère dont le rôle est de présenter la matière du sacrement celui de l’acolyte. Comme le notent les Sentences, il garnit les burettes de vin et d’eau ; à son ordination il reçoit une burette vide.

Le ministère établi en vue de la préparation de ceux qui doivent s’approcher du sacrement de l’Eucharistie, ne peut s’exercer que sur ceux qui ne sont pas purs ; ceux qui sont purs sont dignes déjà des sacrements. Or Denys compte trois sortes d’impurs r les uns qui, refusant de croire, sont totalement infidèles ; et ceux-ci doivent être absolument écartés de l’assistance aux mystères et de l’assemblée des fidèles : ce soin appartient au portier. D’autres veulent croire, mais ils ne sont point instruits, ce sont les catéchumènes ; à leur enseignement est préposé l’ordre des lecteurs ; c’est pourquoi ceux-ci sont chargés de leur lire les premiers rudiments de la foi, à savoir l’Ancien Testament. D’autres enfin sont des fidèles instruits de leur foi, mais para lysés par le pouvoir du démon, ce sont les énergumènes, pour lesquels est institué l’ordre des exorcistes. Telle est la raison du nombre et de la hiérarchie des ordres.

Solutions :

1. Denys parle des ordres, non comme sacrements, mais en tant qu’ordonnés aux fonctions hiérarchiques. En raison de celles ci, il distingue trois ordres le premier, l’épiscopat, les possède toutes les trois ; le second, le sacerdoce, en exerce deux ; enfin le troisième, le diaconat, qu’on appelle aussi ordre des "ministres", en exerce une seule la purification ; sous ce dernier sont compris tous les ordres subalternes. Mais les ordres sont des sacrements du fait de leur connexion avec le plus grand des sacrements, c’est donc de ce point de vue qu’il faut chercher le nombre des ordres

2. Dans la primitive église, à cause du petit nombre des ministres, tous les ministères inférieurs étaient confiés aux diacres, comme il ressort de l’affirmation de Denys : "Des ministres se tiennent aux portes du temple qui sont fermées ; d’autres remplissent quelque autre fonction de leur ordre ; d’autres enfin apportent aux prêtres sur l’autel le pain sacré et le calice de bénédiction ". Tous ces pouvoirs, nommés dans l’article, n’en existaient pas moins, mais ils étaient implicitement contenus en celui du diacre. A travers les temps, le culte divin s’est amplifié, et ce que l’Eglise possédait implicitement en un ordre, elle l’a distribué en plusieurs. En ce sens, le Maître des Sentences a pu dire que l’Eglise s’est institué d’autres ordres.

3. Le sacrement d’Eucharistie est le but premier des ordres. De cette relation naît celle des ordres avec les autres sacrements, car ceux- ci dérivent eux-mêmes de ce que contient l’eucharistie ; aussi ne doit-on pas distinguer ces ordres d’après les sacrements.

4. Les anges diffèrent spécifiquement, de là se trouvent en eux des participations diverses aux dons de Dieu, c’est pourquoi on les distingue en diverses hiérarchies. Mais les ordres forment une seule manière de communier aux dons divins, propre à leur espèce, à savoir par les similitudes sensibles. Chez les anges on ne peut donc distinguer les ordres en les comparant à quelque sacrement comme chez nous ; le seul principe de division, ce sont les fonctions hiérarchiques que chacun des ordres exerce sur celui qui lui est inférieur. Sous cet aspect nos ordres ont une ressemblance avec les leurs : notre hiérarchie se compose en effet de trois ordres, distingués les uns des autres d’après les trois fonctions hiérarchiques, de même que, parmi les anges, chaque hiérarchie a son action propre.

5. Le psalmistat n’est pas un ordre mais un office annexé à un ordre : le chant des psaumes vaut au psalmiste le nom de chantre. Mais ce nom ne désigne pas un ordre spécial le chant est commun à tout le chœur ; cette fonction n’a pas de rapport particulier avec l’eucharistie ; le psalmistat est un office, qui est parfois compté parmi les ordres, au sens large du mot.

 

Article 3 — Doit-on distinguer les ordres en sacrés et en non sacrés ?

Objections :

1. Tous les ordres sont des sacrements, or tous les sacrements sont sacrés

2. Par les ordres de l’Église, l’homme n’est voué qu’au service divin. Or, tout service divin est sacré. Tous les ordres sont donc sacrés.

Cependant :

Les ordres sacrés empêchent de contracter mariage, et annulent le mariage déjà contracté. Or, les quatre ordres inférieurs n’ont pas ce double effet. Ce ne sont donc pas des ordres sacrés.

Conclusion :

Un ordre est appelé sacré, soit en raison de sa nature : et sous cet aspect tout ordre est sacré puisqu’il est un sacrement ; -soit en raison de la matière de son acte : cet ordre est alors sacré, dont l’acte s’exerce sur une matière consacrée. De ce point de vue, on ne compte que trois ordres sacrés, savoir le sacerdoce, le diaconat dont les actes ont pour objet le corps du Christ et le sang consacré, enfin le sous-diaconat, dont l’acte a pour objet les vases consacrés. C’est pourquoi la continence leur est imposée afin que soient purs ceux qui touchent aux choses saintes.

Cette doctrine résout les difficultés opposées.

 

Article 4 — Le livre des Sentences assigne t-il justement sa jonction à chaque ordre ?

Objections :

1. L’absolution prépare l’âme à recevoir le corps du Christ. Mais préparer à recevoir le sacrement est une fonction des ordres inférieurs, c’est donc faussement que l’absolution du péché est comptée parmi les actes sacerdotaux.

2. L’homme est directement formé à la ressemblance de Dieu par le baptême, en recevant le caractère qui le façonne. Or, prier et offrir les oblations sont des actes dont Dieu est la fin immédiate. Tout baptisé, et non seulement le prêtre, peut accomplir ces actes. A divers ordres correspondent diverses fonctions. Or apporter les oblations à l’autel, lire l’épître, sont les fonctions du sous-diacre, et pareillement porter la croix devant le pape. Donc ces fonctions ne doivent pas être attribuées au diacre.

4. L’Ancien et le Nouveau Testaments Con tiennent la même vérité. Or, lire l’Ancien Testament est la fonction des lecteurs. Il leur appartient donc également et non aux diacres, de lire le Nouveau Testament.

5. Les apôtres ne prêchèrent rien autre que l’Evangile du Christ. Or, il est confié aux sous- diacres de proposer la doctrine apostolique ; de même, peuvent-ils proposer celle de l’évangile.

6. D’après Denys, ce qui ressortit à un ordre supérieur ne doit pas relever d’un ordre inférieur. Or présenter les burettes est une fonction des sous-diacres. Elle ne doit pas être assignée aux acolytes.

7. Les fonctions spirituelles l’emportent sur les matérielles. Or la fonction de l’acolyte est seulement matérielle. Donc à l’exorciste, inférieur à l’acolyte, n’est pas confié l’office spirituel de chasser les démons.

8. Les réalités qui ont entre elles un étroit rapport doivent être unies. Or, entre la lecture de l’Ancien Testament et celle du Nouveau Testament, réservée aux ministres supérieurs, existe un rapport très étroit. La lecture de l’Ancien Testament ne doit donc pas être la fonction du lecteur, mais plutôt celle de l’acolyte, d’autant plus que la lumière matérielle qu’il porte symbolise la lumière spirituelle de la doctrine.

9. A toute fonction d’ordre convient une vertu spéciale, dont jouissent exclusivement ceux qui ont reçu cet ordre. Or, pour ouvrir et fermer les portes, les portiers n’ont pas un pou voir autre que celui des autres hommes. Cette fonction ne peut donc leur être assignée en propre.

Conclusion :

Puisque la consécration conférée par le sacrement de l’ordre est en vue du sacrement de l’Eucharistie, comme on l’a déjà prouvé, cette fonction, en chaque ordre, est la principale qui se rapporte plus immédiatement au sacrement de l’Eucharistie. Pour la même raison, la supériorité d’un ordre sur un autre provient de ce que sa fonction est ordonnée de plus près au sacrement de l’Eucharistie. Mais vers ce sacrement beaucoup de choses convergent, à cause de sa suprême dignité ; ainsi est-il acceptable que chaque ordre, outre sa fonction principale, en compte plusieurs autres, et d’autant plus qu’il est plus élevé, car plus haut est un pouvoir, plus large est son domaine.

Solutions :

1. Double est la préparation de ceux qui reçoivent le sacrement : l’une éloignée, œuvre des ministres ; l’autre prochaine, qui les rend aptes à la réception immédiate des sacrements, et relève des prêtres. Pareillement, dans l’ordre de la nature, la matière fient du même agent et sa dernière disposition à la forme et sa forme. Et puisque la disposition ultime à la communion eucharistie que consiste à être purifié du péché, le prêtre est le ministre propre de tous les sacrements dont le but principal est cette purification : le baptême, la pénitence et l’extrême-onction.

2. Les actes dont Dieu est la fin immédiate sont de deux sortes : les uns émanent seulement d’une personne privée, telles les prières personnelles, les vœux et autres œuvres semblables, tout baptisé peut produire pareils actes. Les autres émanent de toute l’Eglise : seul le prêtre peut dans ce cas produire un acte dont Dieu est la fin immédiate : car seul peut représenter toute l’Église celui qui consacre l’Eucharistie, sacrement de l’Eglise universelle.

3. Les oblations apportées par le peuple sont offertes par le prêtre. Ainsi sont-elles l’objet d’un double ministère : l’un du côté du peuple, celui du sous-diacre qui reçoit les oblations du peuple et les place sur l’autel ou les présente au diacre. L’autre du côté du prêtre et cet acte relève du diacre qui présente ces oblats au prêtre. C’est là le principal acte des deux ordres, et c’est par là que le diaconat a la supériorité. Quant à la lecture de l’épître, elle n’est pas l’acte du diacre, si ce n’est comme l’acte d’un ordre subalterne appartient à un ordre supérieur. Il en est de même de la fonction du cruciféraire. Ces attributions sont fixées d’ailleurs par les coutumes d’églises particulières, car pour ces fonctions secondaires, rien ne s’oppose à la diversité des coutumes.

4. L’enseignement appartient à la préparation éloignée de ceux qui s’approchent du sacrement, c’est pourquoi il est commis aux ministres. Mais l’enseignement de l’Ancien Testament est encore préparation plus éloignée que celui du Nouveau car il n’instruit de ce sacrement qu’au moyen de symboles. C’est pourquoi l’enseignement du Nouveau Testament est confié aux ministres supérieurs, celui de l’Ancien aux ministres inférieurs. De plus la doctrine du Nouveau Testament, que le Seigneur a livrée lui-même, est plus parfaite que les développements qu’en ont donnés les apôtres. Aussi l’Évangile est-il confié aux diacres, l’épître aux sous-diacres.

5. La cinquième difficulté est par là même résolue.

6. Les acolytes ont pouvoir seulement sur la burette et non sur son contenu, tandis que le sous-diacre a pouvoir sur ce contenu, puisqu’il met l’eau et le vin dans le calice, et verse encore l’eau sur les mains du prêtre. Le diacre, comme le sous-diacre, a pouvoir sur le calice, non sur son contenu, sur lequel le prêtre seul a pouvoir. Donc, de même qu’à son ordination, le sous- diacre reçoit le calice vide, tandis qu’au prêtre le calice est présenté garni de vin, de même l’acolyte reçoit vide la burette, qui est présentée pleine au sous-diacre. Ainsi entre les ordres apparaît une certaine connexion.

7. Les fonctions matérielles de l’acolyte touchent de plus près à celles des ordres sacrés, que la fonction de l’exorciste, bien que celle-ci soit d’une certaine manière spirituelle. Les acolytes en effet ont pouvoir sur les vases qui contiennent la matière du sacrement, à savoir le vin qui, à cause de son état liquide, doit être renfermé en quelque vase. Telle est la raison de la supériorité de l’acolytat sur les autres ordres mineurs.

8. Les fonctions des acolytes se rapprochent davantage des fonctions principales des ministres supérieurs, que celles des autres ordres mineurs ; c’est évident. De même pour leurs fonctions secondaires qui ont pour but de préparer le peuple, en l’enseignant ; car l’acolyte, qui porte la lumière, symbolise manifestement l’enseignement du Nouveau Testament, tandis que le lecteur, par sa lecture, le figure d’une autre manière : aussi l’acolyte est-il supérieur. Il faut dire de même de l’exorciste l’analogie établie entre la fonction du lecteur et la fonction secondaire du diacre et du sous- diacre a son parallèle, si l’on compare la fonction de l’exorciste à cette fonction secondaire du prêtre, lier ou délier, grâce à laquelle l’homme est totalement libéré de la servitude du démon. Ainsi est mise en pleine lumière la parfaite ordonnance hiérarchique de l’Ordre le prêtre, assisté seulement par les trois ordres supérieurs dans l’exercice de sa fonction principale, la consécration du corps du Christ, tandis qu’en l’exercice de sa fonction secondaire, lier ou délier, il reçoit le concours des ordres supérieurs ou inférieurs.

9. Quelques-uns croient que par l’ordination est conférée au portier, pour qu’il écarte les profanes de l’entrée du temple, quelque vertu divine semblable à celle qui fut dans le Christ chassant les vendeurs du temple. Mais pareille vertu appartient davantage à la grâce gratuitement donnée qu’à la grâce sacramentelle. C’est pourquoi nous dirons que par le pouvoir qu’il reçoit, il est officiellement préposé à cette fonction ; les autres peuvent également la remplir, mais non en vertu d’un mandat. Il en est de même pour toutes les fonctions des ordres mineurs qui peuvent être remplies par tous, bien qu’ils ne jouissent d’aucun titre pour cela ; ainsi dans une maison non consacrée peut-on célébrer la messe, bien que sa consécration destine spécialement l’église à cet acte du culte.

 

Article 5 — Le caractère sacerdotal s’imprime t-il à la porrection du calice ?

Objections :

1. La consécration du prêtre se fait par une onction comme la confirmation. Or, dans la confirmation, le caractère est imprimé au moment de l’onction. Ainsi doit-il être du caractère sacerdotal.

2. Le Seigneur a donné à ses disciples le pouvoir sacerdotal quand il a dit : "Recevez le Saint Esprit, ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, etc.". Or, le Saint Esprit est donné par l’imposition des mains. Le caractère de l’ordre est donc pareillement imprimé à l’imposition des mains.

3. Comme on consacre les ministres, ainsi consacre-t-on leurs vêtements. Or, ceux-ci sont consacrés uniquement par une bénédiction. La consécration sacerdotale est donc accomplie par la bénédiction épiscopale.

4. Avec le calice est donné au prêtre le vêtement sacerdotal ; si un caractère est imprimé à la porrection du calice, il en est de même à celle de la chasuble. Ainsi le prêtre recevrait deux caractères : ce qui est faux.

5. L’ordre du diaconat ressemble davantage à celui du prêtre que l’ordre du sous-diacre. Or, si le caractère sacerdotal était imprimé à la porrection du calice, le sous-diacre ressemblerait plus au prêtre que le diacre ; le sous-diacre en effet reçoit le caractère à la porrection du calice, ce qui n’est pas pour le diacre.

6. L’union de l’acolytat avec la fonction sacerdotale provient davantage de son pouvoir sur les burettes, que de celui dont les chandeliers sont l’objet. Or le caractère est imprimé en l’acolyte quand il reçoit le chandelier plutôt qu’au moment où il reçoit la burette ; son nom d’acolyte désigne en effet l’action de porter un cierge. Donc le caractère sacerdotal n’est pas imprimé à la porrection du calice.

Cependant :

L’acte principal de l’ordre sacerdotal est la consécration du Corps du Christ. Or, à cet effet le pouvoir est donné au prêtre par la porrection du calice. Donc, à ce moment le caractère est imprimé.

Conclusion :

On l’a déjà noté, il appartient au même agent de donner à la matière une forme et la dernière disposition à cette forme. Ainsi l’évêque, dans la collation des ordres, fait deux choses il prépare les ordinands à la réception de l’ordre, et leur confère le pouvoir d’ordre. Il les prépare d’abord, et en les instruisant de leur office propre, et en agissant sur eux pour les rendre capables de recevoir le pouvoir. Cette action revêt une triple forme, la bénédiction, l’imposition des mains et l’onction. Par la bénédiction, les ordinands sont députés au service divin, aussi la bénédiction est-elle donnée à tous. Par l’imposition des mains est donnée la plénitude de la grâce qui prépare aux grandes fonctions ; aussi est-elle réservée aux diacres et aux prêtres, auxquels il appartient de dispenser les sacrements, ceux-ci à titre principal, ceux-là à titre ministériel. Enfin, par l’onction, les ordinands sont consacrés afin qu’ils puissent toucher le sacrement ; cette onction est faite seulement aux prêtres, qui touchent de leurs propres mains le corps du Christ, de même que sont oints le calice qui contient le sang, et la patène qui porte le corps. Quant à la collation du pouvoir, elle s’opère au moment de la porrection aux ordinands d’un instrument qui appartient à leur fonction. Puisque l’acte principal du prêtre est la consécration du corps et du sang du Christ, le caractère sacerdotal est imprimé à la porrection du calice, accompagnée de la forme verbale.

Solutions :

1. La confirmation ne confère aucun pouvoir d’action sur une matière extérieure, aussi le caractère de ce sacrement n’est-il pas imprimé à la porrection d’un objet, mais à la seule imposition de la main, et à l’onction. Il en est autrement de l’ordre sacerdotal, c’est pourquoi on ne peut l’assimiler à la confirmation.

2. Le Seigneur a confié à ses disciples la fonction principale du pouvoir sacerdotal, avant sa passion, à la cène quand il leur a dit "Recevez et mangez", ajoutant : "Faites ceci en mémoire de moi". Mais après sa résurrection, il leur en commit la fonction secondaire, qui consiste à lier et à délier.

3. Pour les vêtements, aucune autre consécration n’est requise que celle qui les destine au culte divin ; la bénédiction leur suffit, mais il n’en est pas de même des ordinands.

4. Le vêtement sacerdotal ne symbolise pas le pouvoir conféré au prêtre, mais la perfection des dispositions exigées pour l’exercice de ce pou voir. C’est pourquoi aucun caractère n’est imprimé ni au prêtre ni aux autres ministres quand on leur remet un ornement.

5. Le pouvoir du diacre est mitoyen entre celui du sous-diacre et du prêtre. Le pouvoir du prêtre en effet a pour objet immédiat le corps du Christ, celui du sous-diacre, seulement les vases sacrés, le pouvoir du diacre s’exerce sur le corps du Christ contenu dans les vases. Il ne lui appartient donc pas de toucher le corps du Christ, mais de le porter sur la patène, et de distribuer le sang contenu dans la calice. La fonction principale de ce pouvoir ne peut donc être symbolisée, soit par l’unique porrection du vase, soit par celle de la matière, seule est donc signifiée sa fonction secondaire, par la porrection du livre des Évangiles ; mais en cette fonction est incluse la première, aussi le caractère est-il imprimé à la porrection du livre.

6. Présenter la burette est pour l’acolyte une fonction plus importante que porter le chandelier, bien qu’il tienne son nom de cette fonction secondaire plus apparente et plus spécialement attribuée à cet ordre. C’est pourquoi l’acolyte reçoit le caractère à la porrection de la burette en vertu des paroles prononcées par l’évêque.

 

QUESTION 38 — DE CEUX QUI CONFÈRENT CE SACREMENT.

Nous devons traiter maintenant de ceux qui confèrent ce sacrement.

Deux questions sont à examiner : -1. L’évêque est-il l’unique ministre de ce sacrement ? -2. Un hérétique ou un excommunié peut-il conférer ce sacrement ?

Article 1 — L’évêque est-il l’unique ministre de ce sacrement ?

Objections :

1. L’imposition des mains a une certaine causalité pour la consécration sacerdotale. Or, non seulement l’évêque, mais aussi les prêtres présents imposent les mains aux prêtres ordonnés.

2.         Le pouvoir d’ordre est conféré à chacun quand lui est présenté l’instrument appartenant à la fonction de l’ordre qu’il reçoit. Or l’archi diacre présente au sous-diacre la burette et l’eau, le voile et le manuterge ; de même à l’acolyte le chandelier, le cierge et la burette vide. Ce n’est donc pas l’évêque seul qui confère le sacrement de l’Ordre.

3.         Ce qui ressortit à un ordre ne peut être confié à qui n’a pas cet ordre. Or, il est concédé à quelques-uns qui ne sont pas évêques, tels les prêtres-cardinaux, de conférer les ordres mineurs.

4.         Quiconque est chargé du principal, l’est également de l’accessoire. Or, le sacrement de l’ordre est vis-à-vis de l’eucharistie comme l’accessoire vis-à-vis du principal. Puis donc que le prêtre consacre l’Eucharistie, il peut de même conférer les ordres.

5. La différence est plus profonde entre un prêtre et un diacre qu’entre un évêque et un autre évêque ; or un évêque peut consacrer un évêque ; donc un prêtre peut ordonner un diacre.

Cependant :

1. La députation des ministres au culte divin par l’ordination l’emporte sur celle des vases sacrés. Or la consécration des vases est réservée à l’évêque, donc à fortiori la consécration des ministres.

2. De plus, le sacrement de l’ordre est plus excellent que celui de confirmation. Or, seul l’évêque confirme. Donc, à plus forte raison, seul il confère le sacrement de l’ordre.

3. En outre, les vierges, par la bénédiction, ne sont pas constituées comme ceux qui sont ordonnés, dans la hiérarchie du pouvoir spirituel. Or, bénir les vierges appartient seulement à l’évêque. A plus forte raison seul peut-il ordonner.

Conclusion :

Le rapport du pouvoir épiscopal au pouvoir des ordres inférieurs est semblable à celui de la politique qui poursuit le bien commun, aux arts et aux vertus subalternes dont l’objet est le bien particulier. La politique donne leur loi aux arts inférieurs, c’est-à-dire en désigne les dépositaires, en détermine l’étendue et le mode d’exercice. C’est pourquoi il appartient à l’évêque d’appeler les sujets à tous les divins ministères. C’est pourquoi seul il confirme aux confirmés est en effet confié, comme un mandat, de confesser la foi ; -seul encore il bénit les vierges, qui sont la figure de l’Eglise, épouse du Christ, dont il porte principalement le souci ; de même il consacre ceux qui doivent être préposés aux fonctions des ordres, et leur détermine, par la consécration qu’il en fait, les vases dont ils doivent user. Ainsi celui qui détient la plénitude du pouvoir, le roi, départit dans la cité les offices temporels.

Solutions :

1. L’imposition des mains ne Confère pas le caractère sacerdotal, mais la grâce qui rend les ministres aptes à remplir la fonction de leur ordre. Or, ceux qui sont promus au sacerdoce ont besoin d’une grâce surabondante, aussi les prêtres leur imposent-ils les mains avec l’évêque, tandis que seul l’évêque les impose aux diacres.

2. L’archidiacre étant comme le chef du ministère lévitique, remet aux divers ministres les instruments de leur fonction par exemple, le cierge, avec lequel, en le portant à l'1 l’acolyte accomplit son service envers le diacre ; la burette, moyen de son service envers le sous- diacre ; au sous-diacre, de même, il remet les objets nécessaires au service des ordres supé rieurs. La fonction principale du sous-diacre n’est pourtant pas le service de ces objets, mais un service qui a trait à la matière du sacrement ; c’est pourquoi il reçoit le caractère au moment où le calice lui est présenté par l’évêque. Quant à l’acolyte, il reçoit le caractère par les paroles de l’évêque à la remise que fait l’archidiacre des instruments susdits ; encore s’agit-il de la remise de la burette plutôt que du chandelier. On ne peut donc conclure que l’archidiacre confère l’ordre.

3. Le pape, en qui réside la plénitude du pou voir pontifical, peut concéder à un sujet qui n’est pas évêque, les pouvoirs qui relèvent de la dignité épiscopale, pourvu que ceux-ci n’aient pas pour objet immédiat le vrai corps du Christ. Par délégation du Souverain Pontife, un simple prêtre peut donc conférer les ordres mineurs, ainsi que confirmer, ce que personne ne pourrait cependant sans être prêtre ; et de même, un prêtre ne peut conférer les ordres majeurs qui sont en rapport direct avec le corps du Christ, pour la consécration duquel le pouvoir du pape n’est pas supérieur à celui du simple prêtre.

4. Bien que le sacrement de l’Eucharistie soit le plus excellent des sacrements, il n’établit pas quelqu’un dans une fonction, comme le sacrement de l’ordre. Il n’y a donc pas parité entre eux.

5. Pour communiquer à un autre de ce que l’on a, la proximité ne suffit point, mais est encore requise une plénitude de pouvoir. Puisque le prêtre ne possède pas comme l’évêque cette plénitude de pouvoir dans les fonctions hiérarchiques, il ne peut donc ordonner des diacres malgré la proximité du sacerdoce et du diaconat.

 

Article 2 — Les hérétiques et les excommuniés peuvent-ils conférer les ordres ?

Objections :

1. Conférer les ordres est une fonction supérieure à celle d’absoudre ou de lier. Or l’hérétique ne peut ni absoudre ni lier. Donc, il ne peut non plus conférer les ordres.

2. Le prêtre retranché de l’Eglise peut consacrer, car en lui demeure indélébile le caractère qui fonde ce pouvoir. Or l’évêque ne reçoit aucun caractère lors de sa promotion. Il n’est donc pas nécessaire que le pouvoir épiscopal subsiste en lui après sa séparation de l’Église.

3. De plus, qui est exclu d’une société ne peut en répartir les fonctions. Or, les ordres sont des fonctions de l’Eglise.

4. En outre, les sacrements tiennent leur efficacité de la passion du Christ. Or, un hérétique n’est en contact avec la passion du Christ, ni par sa propre foi, puisqu’il est infidèle, ni par celle de l’Eglise, puisqu’il en est séparé. Il ne peut donc conférer le sacrement de l’ordre.

5. Enfin, la collation de l’ordre comporte une bénédiction. Or, un hérétique ne peut bénir, bien plus sa bénédiction se tourne en malédiction comme l’affirment les textes cités par P. Lombard.

Cependant :

1. Un évêque tombé dans l’hérésie, après sa réconciliation n’est pas de nouveau consacré. Il n’a donc point perdu son pouvoir antérieur de conférer les ordres.

2. De plus, le pouvoir de conférer les ordres est supérieur à celui des ordres eux-mêmes. Or celui-ci ne se perd point du fait de l’hérésie ou d’autre péché semblable. Il en sera donc pareillement de celui-là.

3. En outre, comme le ministre du baptême, le ministre de l’ordination ne remplit qu’un ministère extérieur, puisque c’est Dieu qui agit en l’intime de l’âme. Or, du fait qu’il est séparé de l’Église, nul ne perd le pouvoir de baptiser ; pareillement, le ministre de l’ordination ne perd point son pouvoir.

Conclusion :

Sur ce point, le Maître des Sentences cite quatre opinions. D’après certains théologiens, tant qu’un hérétique est toléré par l’Eglise, il garde le pouvoir de conférer les ordres, mais il le perd dès qu’il est retranché de l’Eglise ; il en va pareillement des évêques dégradés et des autres dont le cas est analogue. Telle est la première opinion. Mais elle est inexacte. En effet, un pouvoir conféré par une consécration, en aucun cas ne peut être enlevé, de même que ne saurait être annulée la consécration : l’autel ou le chrême une fois consacrés, le sont toujours. Donc, puisque le pouvoir épiscopal est l’effet d’une consécration, il demeure toujours, quel que soit le péché de l’évêque, fût-il même séparé de l’Eglise.

D’autres soutiennent donc que, bien que retranchés de l’Église, ceux qui reçurent dans l’Église le pouvoir épiscopal, conservent ce pouvoir d’ordonner des sujets et de les promouvoir, mais ces hommes ainsi promus ne jouissent pas de pareil pouvoir. C’est la quatrième opinion, également erronée. Si ceux qui furent promus à l’intérieur de l’Église conservent le pouvoir qu’ils ont reçu, en l’exerçant ils opèrent, en toute évidence, une vraie consécration ; ils confèrent donc tout le pouvoir qui est l’effet de cette consécration ; ainsi ceux qui sont ordonnés ou promus par eux, possèdent le même pouvoir qu’eux-mêmes.

D’autres ont en conséquence affirmé que même les évêques retranchés de l’Eglise peuvent conférer les ordres et les autres sacrements avec leurs effets, et premier le sacrement, et second la grâce, pourvu qu’ils respectent la forme et l’intention requises. Telle est la seconde opinion, insoutenable encore, car celui-là pèche, qui participe aux sacrements avec un hérétique exclu de l’Eglise ; il s’approche donc du sacrement en de mauvaises dispositions et il ne peut recevoir la grâce, à moins peut-être qu’il ne s’agisse du baptême en cas de nécessité. C’est pourquoi les autres théologiens disent que les évêques hérétiques ou excommuniés confèrent vraiment les sacrements, mais par ces sacrements ils ne communiquent pas la grâce, non en raison de l’inefficacité des sacrements, mais à cause des péchés de ceux qui par eux les reçoivent malgré la défense de l’Église. C’est la troisième opinion, la vraie.

Solutions :

1. L’effet de l’absolution n’est autre que la rémission des péchés, œuvre de la grâce ; en conséquence l’hérétique ne peut absoudre, de même qu’il ne peut communiquer la grâce dans les sacrements. D’autre part l’absolution suppose la juridiction, que n’a pas celui qui est retranché de l’Eglise.

2. A son sacre, l’évêque reçoit un pouvoir inamissible, qui pourtant ne peut être appelé un caractère, car ce pouvoir ne l’ordonne pas directement à Dieu, mais au corps mystique du Christ. Cependant comme le caractère, il est indélébile et se communique par une consécration.

3. Ceux qui sont promus par des hérétiques reçoivent l’ordre, non le pouvoir de l’exercer, de telle sorte qu’ils ne peuvent licitement en accomplir les fonctions ; l’objection nous en donne le motif.

4. Les hérétiques communient à la passion du Christ par la foi de l’Eglise ; si par leur âme, en effet, ils ne lui appartiennent pas, cependant par le rite de l’Eglise qu’ils observent, ils se rattachent à elle d’une certaine façon.

5. La raison exposée dans l’objection a trait à l’effet ultérieur des sacrements, dont parle la troisième opinion exposée dans la conclusion.

 

QUESTION 39 — DES EMPÊCHEMENTS A LA RÉCEPTION DE CE SACREMENT.

Il nous reste à étudier les empêchements à la réception de ce sacrement. Six questions sont à résoudre : Est-ce des empêchements à la réception de ce sacrement que : 1. Le sexe féminin ? -2. La privation de l’usage de la raison ? -3. La servitude ? -4. L’homicide ? -5. La naissance illégitime ? -6. Des défauts corporels ?

Article 1 — Le sexe féminin est-il un empêchement à la réception du sacrement de l’ordre ?

Objections :

1. La fonction du prophète est plus excellente que celle du prêtre ; le prophète est en effet l’intermédiaire entre Dieu et les prêtres, comme le prêtre l’est entre Dieu et le peuple. Or la fonction prophétique fut parfois accordée aux femmes. A plus forte raison la fonction sacerdotale peut donc leur être confiée.

2. Comme l’ordre, la prélature, le martyre, l’état religieux comportent une certaine perfection. Or, la prélature est confiée aux femmes dans le Nouveau Testament, tel est le cas des abbesses, comme elle le fut dans l’Ancien, ainsi qu’on le lit, dans les Juges, de Déborah qui exerça sur Israël l’office de juge. De même leur conviennent le martyre et l’état religieux. Donc pareillement l’ordre de l’Eglise.

3. Le pouvoir de l’ordre réside dans l’âme ; or le sexe ne touche pas à l’âme. La diversité des sexes ne peut donc pas fonder une distinction dans la réception de l’Ordre.

Cependant :

1. L’Apôtre écrit à Timothée "Je ne permets pas à la femme d’enseigner dans l’Eglise, ni de faire la loi à l’homme".

2. En outre, on exige préalablement des ordinands, qu’ils soient tonsurés, non toutefois sous peine de nullité du sacrement. Or la rasure ou la tonsure ne convient pas aux femmes, ainsi qu’il ressort de la première épître aux Corinthiens.

Conclusion :

La nature du sacrement suppose, dans le sujet qui le reçoit, des conditions telles, qu’à leur défaut nul ne saurait recevoir ni le sacrement, ni son effet. D’autres conditions sont imposées, non par la nature du sacrement, mais par quelque loi dont le but est d’honorer le sacrement ; qui ne les possède reçoit le sacrement, mais non son effet. Notre conclusion est que le sexe masculin appartient non seulement au second groupe des conditions requises pour la réception des ordres, mais aussi au premier. Si donc une femme était l’objet de toutes les cérémonies d’ordination, elle ne recevrait pour tant pas l’ordre, car, le sacrement étant un signe, les actes posés pour la confection du sacrement ne doivent pas uniquement produire la réalité sacramentelle, mais encore la signifier ; ainsi de l’extrême-onction a-t-on dit que son su jet doit être malade, afin que par là soit signifié son besoin de guérison. Or, le sexe féminin ne peut signifier quelque supériorité de rang, car la femme est en état de sujétion. Elle ne peut donc recevoir le sacrement de l’ordre.

De ce que le Droit fait mention de diaconesses et de prêtresses, quelques auteurs ont prétendu que le sexe masculin était une condition imposée par une loi, non par la nature du sacrement. Mais dans ces passages est appelée diaconesse la femme qui remplit quelque fonction diaconale, à savoir, la lecture de l’homélie à l’Eglise ; prêtresse, une veuve prêtre en effet signifie ancien.

Solutions :

1. La prophétie n’est pas un sacrement mais un don de Dieu. Elle n’implique donc point de symbolisme mais seulement une réalité. Or, dans la réalité de l’âme, rien ne distingue la femme de l’homme ; une femme est parfois meilleure en son âme que beaucoup d’hommes. Aussi peut-elle recevoir le don de prophétie et d’autres dons semblables, mais non le sacrement de l’Ordre.

2 et 3. On répond par là à la deuxième et à la troisième difficulté. Disons pourtant que les abbesses ne jouissent pas d’un pouvoir ordinaire, mais d’un pouvoir délégué, en raison du danger résultant d’une cohabitation d’hommes et de femmes. Quant à Déborah, elle n’exerçait qu’un pouvoir temporel et non sacerdotal, comme maintenant encore le peuvent faire les femmes.

Article 2 — Les enfants et ceux qui sont privés de l’usage de la raison peuvent-ils recevoir les ordres ?

 

Objections :

1. Les saints canons ont marqué un âge déterminé pour la réception des ordres. Cela ne serait pas, si les enfants pouvaient recevoir le sacrement de l’ordre.

2. Le sacrement de l’ordre est plus excellent que celui du mariage. Or les enfants et ceux qui sont privés de l’usage de la raison ne peuvent contracter mariage. Ils ne peuvent pas non plus être promus aux ordres.

3. A qui appartient la puissance, à celui-là appartient l’acte. Or tout acte d’ordre requiert l’usage de la raison. Le pouvoir le requiert donc aussi.

Cependant :

On permet parfois d’exercer un ordre à celui qui a été ordonné avant l’âge de discrétion, sans le soumettre à une réordination, ce qui ne serait pas, si l’ordination n’avait pas été valide. L’enfant peut donc recevoir les ordres.

En outre, les enfants peuvent recevoir les autres sacrements qui impriment un caractère, le baptême et la confirmation ; de même peu vent-ils recevoir les ordres.

Conclusion :

L’enfance et les infirmités qui privent de l’usage de la raison sont un obstacle à l’action. C’est pourquoi, tous les sacrements qui requièrent l’action de ceux qui les reçoivent, tels la pénitence, le mariage et autres du même genre, ne peuvent être conférés aux hommes qui sont en pareils états. Mais les puissances infuses, comme les puissances naturelles, sont antérieures à leurs actes, à la différence des puissances acquises qui sont un effet des actes ; et puisque l’absence d’une réalité ultérieure ne nuit pas à une réalité antérieure, il suit que tous les sacrements dont la nature ne requiert pas d’acte de la part de leur sujet, et par lesquels un pouvoir spirituel est conféré, peuvent être reçus par les enfants et les hommes privés de l’usage de la raison.

Avec cette réserve que l’honneur dû à la dignité du sacrement impose, pour l’admission aux ordres mineurs âge de discrétion, ce qui n’est exigé par aucune loi ni par la nature du sacrement. Par conséquent, en face d’une nécessité et dans l’espérance d’un profit spirituel, des enfants peuvent être sans péché promus aux ordres mineurs avant l’âge de discrétion ; réellement ils reçoivent l’ordre, et quoiqu’ils ne soient pas encore capables de remplir les fonctions qui leur sont confiées, ils s’en rendront capables par l’accoutumance. Quant aux ordres majeurs, l’usage de la raison est requis, et par déférence pour le sacrement, et par nécessité de précepte à cause du vœu de continence qui leur est annexé, et de leur fonction dont les sacrements sont l’objet immédiat. Mais pour l’épiscopat, où pouvoir est reçu sur le corps mystique, sa collation suppose un acte de la part de celui qui est chargé de la sollicitude pastorale : ainsi la nature même de la consécration épiscopale exige en lui l’usage de la raison.

Certains auteurs prétendent que tous les ordres exigent de par leur nature l’usage de la raison, mais ni la raison ni l’autorité ne justifient leur opinion.

Solutions :

1. Tout ce qui est nécessaire de par une loi, ne l’est pas, ainsi qu’on vient de l’exposer, de par la nature du sacrement.

2. Le mariage est l’effet du consentement, qui ne peut être sans l’usage de la raison. Mais, dans la réception de l’ordre, aucun acte n’est requis de la part du sujet ; ceci apparaît du fait que dans l’ordination pareil acte n’est aucunement mentionné. On ne saurait donc pas assimiler ces deux sacrements.

3. En effet, un pouvoir et son acte relèvent du même sujet. Cependant le pouvoir peut précéder son usage, tel le libre arbitre le cas exposé dans la difficulté est analogue.

 

Article 3 — Le servage est-il un empêchement à la réception des ordres ?

Objections :

1. La sujétion corporelle n’est pas incompatible avec la prélature spirituelle. Or, la sujétion que comporte le servage n’est que corporelle. Elle ne peut donc être un empêchement à la prélature spirituelle communiquée par l’ordre.

2. De plus, ce qui est une occasion d’humilité ne doit pas être un empêchement à la réception d’un sacrement. Or, tel est le servage, aussi l’Apôtre conseille t-il de tirer profit rie cet état qui ne doit donc pas être un empêchement à la promotion à l’ordre.

3. En outre, il est plus indigne de vendre un clerc comme esclave que de promouvoir un esclave à la cléricature. Or, on peut licitement vendre un clerc comme esclave : Paulin, évêque de Noie, se vendit ainsi, comme en témoigne S. Grégoire dans les Dialogues.

Cependant :

1. Il semble que le servage est incompatible avec la nature du sacrement. La femme en effet ne peut recevoir le sacrement de l’ordre en raison de son état de sujétion. Or, plus grande est la sujétion du serf, car la femme n’est pas servante de l’homme, aussi n’a-t-elle pas été créée des pieds de l’homme. Comme elle, le serf ne peut donc pas recevoir le sacrement.

2. Enfin, quiconque a reçu un ordre est tenu d’en remplir les fonctions. Or, on ne peut à la fois servir un maître temporel et accomplir un ministère spirituel. Il semble donc que le serf ne peut recevoir le sacrement de l’ordre, car le droit du maître doit être conservé indemne.

Conclusion :

Dans la réception de l’ordre l’homme est voué au service divin. Or nul ne peut donner à un autre ce qui n’est pas sien ; c’est pourquoi le serf, qui ne s’appartient pas, ne saurait être élevé aux ordres. Si pourtant il est ordonné, l’ordination est valide. La liberté, en effet, n’est pas exigée par la nature du sacrement mais seulement par une loi, puisque son défaut n’enlève pas le pouvoir, mais seulement son exercice. Cette remarque vaut pour tous ceux qui sont engagés en quelques liens, en des dettes par exemple, ou autre chose

Solutions :

1. La réception du pouvoir spirituel impose l’obligation de certaines œuvres matérielles, pour autant la sujétion corporelle lui est un empêchement.

2. Beaucoup d’autres occasions d’humiliation se présentent, qui ne sont aucunement une entrave au ministère. La raison alléguée est donc sans valeur.

3. Le bienheureux Paulin a agi dans le débordement de la charité, conduit par l’Esprit de Dieu. L’événement l’a prouvé : son esclavage valut à beaucoup des membres de son troupeau (l’être délivrés de la servitude. Mais on ne peut de ce fait tirer quelque conclusion. "Où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté s.

4. Le symbolisme sacramentel tient sa valeur des ressemblances naturelles. Or, la femme est par sa nature dans un état de sujétion, non le serf : le cas n’est donc pas semblable.

5. Si le serf est ordonné au su du maître et sans réclamation de sa part, de ce fait il est affranchi. Si c’est à l’insu du maître, l’évêque et celui qui a présenté, s’ils connaissaient son état de serf, sont tenus de payer au maître le double de son prix ; toutefois si le serf possède un pécule, il doit se racheter lui-même. Sans cette indemnité, il retombe sous le pouvoir de son maître, bien que par là il ne puisse pas exercer l’ordre reçu.

 

Article 4 — L’homicide est-il un motif d’écarter quelqu’un des ordres ?

Objections :

1. Nos ordres tiennent leur origine du ministère des Lévites. Or, les Lévites consacrèrent leurs mains en versant le sang de leurs frères. Donc, dans le Nouveau Testament, nul ne doit être écarté des ordres pour avoir répandu le sang.

2. De plus, un acte de vertu ne peut être un empêchement à la réception d’un sacrement. Or, parfois c’est justice de répandre le sang : c’est le cas du juge qui pécherait en raison de sa fonction s’il ne prenait cette responsabilité. Là ne se trouve donc aucun motif de l’écarter des sacrements.

3. En outre, la peine n’est due qu’à la faute. Or un homicide peut être commis sans faute en cas de légitime défense, par exemple, ou par hasard. Dans ces cas, la peine d’irrégularité n’est donc pas encourue.

Cependant :

Plusieurs décrets du droit et la coutume de l’Église sont contraires à ces raisons.

Conclusion :

Tous les ordres sont en vue du sacrement de l’Eucharistie qui est le sacrement de la paix à nous procurée par l’effusion du sang du Christ. Or, le crime d’homicide est à l’opposé de la paix ; et les homicides ressemblent plutôt aux bourreaux du Christ qu’au Christ tué, modèle de tous les ministres de l’Eucharistie. Pour ces raisons, la loi interdit qu’un homicide soit promu aux ordres, bien que cela ne soit pas exigé par la nature du sacrement.

Solutions :

1. La loi ancienne portait la peine du sang, non la nouvelle. La comparaison ne vaut donc pas entre les ministres de la Loi ancienne et ceux de la nouvelle : celle-ci est "un joug suave et un fardeau léger".

2. L’irrégularité n’est pas encourue du seul fait du péché ; mais surtout en raison de l’inhabilité de la personne à administrer le sacrement de l’Eucharistie. Le juge donc et tous ceux qui prennent part à une condamnation à mort, sont irréguliers car l’effusion du sang ne convient pas aux ministres de ce sacrement.

3. Nul ne fait que ce dont il est cause ; pour l’homme, ce qui est volontaire. Aussi celui qui, à son insu, et par hasard, tue un homme, n’est pas appelé homicide, et il n’encourt pas d’irrégularité, à moins de s’être permis quelque manœuvre illicite, ou de n’avoir pas apporté une attention suffisante, car alors son acte est en quelque manière volontaire. Mais s’il n’en court pas l’irrégularité, ce n’est pas du fait qu’il n’a pas péché, car une irrégularité peut être encourue sans péché. Celui-là donc qui commet un homicide en se défendant, ne pèche point ; et pourtant il est irrégulier.

 

Article 5 — La naissance illégitime peut-elle être un empêchement à la réception de l’ordre ?

Objections :

1. "Le fils ne doit pas porter l’iniquité de son père". Or, il la porterait, si l’illégitimité de sa naissance lui était un empêchement à la réception des ordres.

2. De plus, un empêchement naît beaucoup plus des propres déficiences du sujet que de celles d’autrui. Or, la fornication personnelle n’est pas toujours un empêchement à la réception des ordres, donc pas davantage celle du père.

Cependant :

On lit dans le Deutéronome : "Le fruit d’une union illicite n’entrera pas dans l’as semblée de Yahvé jusqu’à la dixième génération". A plus forte raison doit-il être écarté des ordres.

Conclusion :

Ceux qui sont promus aux ordres sont constitués en dignité au-dessus des autres. Il convient donc que leur personne soit entourée d’un certain éclat la loi le requiert, non la nature du sacrement : -leur réputation doit être intacte, leurs mœurs intègres, ils ne doivent pas être sous le coup d’une pénitence publique. Or, cet éclat est diminué chez un homme par la flétrissure de sa naissance, c’est pourquoi sont exclus des ordres, à moins d’une dispense, ceux qui sont nés d’un commerce illégitime ; et cette dispense est accordée d’au tant plus difficilement que leur origine est plus déshonorée.

Solutions :

1. L’irrégularité n’est pas une peine due au péché. Les fils illégitimes ne portent donc pas l’iniquité de leur père du fait de leur irrégularité.

2. Une faute personnelle peut être effacée par la pénitence et par l’acte de la vertu opposée. Il n’en est pas de même d’un défaut qui vient de la nature ; on ne peut donc raisonner pareillement sur un acte coupable et une origine déshonorée.

 

Article 6 — Un défaut corporel est-il un empêchement à la réception de l’ordre ?

Objections :

1. "L’affliction ne doit pas être ajoutée à l’affliction ". Nul ne doit donc être exclu des ordres parce qu’il est affligé de quelque défaut corporel.

2. Les fonctions de l’ordre exigent bien plutôt l’intégrité du jugement que l’intégrité corporelle. Or, on peut être ordonné avant l’âge de raison. On peut donc l’être malgré quelque défaut du corps.

Cependant :

Dans l’ancienne loi ceux qui souffraient de quelque défaut corporel étaient écartés du ministère. A plus forte raison en doit-il être ainsi sous la loi nouvelle. -En ce qui concerne la bigamie, nous y reviendrons dans le traité du mariage.

Conclusion :

Quelqu’un est inhabile à recevoir les ordres soit parce qu’il n’en peut remplir les fonctions, soit parce qu’un certain éclat personnel lui fait défaut. Ceux donc qui sont affligés de quelque défaut corporel sont écartés des ordres, si ce défaut est tel qu’il dépare notablement leur personne (tel un nez coupé), ou fasse courir quelque risque dans l’accomplissement des fonctions ministérielles. En tout autre cas, un défaut corporel n’est pas un empêchement. D’ailleurs l’intégrité corporelle n’est requise que par la loi et non par la nature du sacrement.

Cet exposé de doctrine donne la solution aux difficultés.

 

QUESTION 40 — QUESTIONS ANNEXES AU SACREMENT DE L’ORDRE.

Il nous reste à étudier quelques questions annexes au sacrement de l’ordre, qui sont au nombre de sept 1. Les clercs doivent-ils porter les cheveux rasés en forme de couronne, ainsi que la tonsure ? 2. La tonsure est-elle un ordre ? 3. Le fait d’être tonsuré entraîne t-il la renonciation aux biens temporels ? -4. Doit- il y avoir un pouvoir épiscopal supérieur au sacerdoce ? 5. L’épiscopat est-il un ordre ? -6. Dans l’Église existe t-il une autorité supérieure aux évêques ? -7. Convenait-il, dans l’Eglise, d’établir une forme de vêtement pour les ministres ?

 

Article 1 — Les clercs doivent-ils porter la tonsure ?

Objections :

1. Le Seigneur ne menace t-il pas de la captivité et de l’exil ceux qui se font raser la tête ? On lit dans le Deutéronome "Mes ennemis, la tête nue, iront en captivité", et dans Jérémie : "Je les disperserai à tous les vents, ces hommes aux têtes rasées". Comme la liberté convient aux ministres du Christ pins que la servitude, ils ne doivent donc porter ni rasure ni tonsure.

2. La vérité doit correspondre à la figure. Or, la couronne a été figurée dans l’ancienne loi par la tonsure des Nazaréens. Ceux-ci n’étant pas députés au ministère des autels, les ministres de l’Église ne doivent donc porter ni ton sure ni rasure. Ce qui est confirmé par cet autre fait, que la rasure est imposée aux religieux convers qui ne sont pas ministres de l’autel.

3. Les cheveux sont le symbole des superfluités, parce qu’ils sont le produit d’humeurs superflues. Or les ministres de l’autel doivent répudier toute superfluité. Aussi doivent-ils se faire raser tous les cheveux, non se les faire couper en forme de couronne.

Cependant :

Selon S. Grégoire "servir Dieu c’est régner". Or la couronne est le signe distinctif de la royauté. Elle convient donc à ceux qui sont voués au divin ministère.

D’ailleurs, au dire de S. Paul, les cheveux "sont donnés pour servir de voile". Or les ministres de Dieu ne doivent pas dissimuler les sentiments de leur cœur. Il convient donc qu’ils portent la rasure en forme de couronne.

Conclusion :

La rasure et la tonsure en forme de couronne conviennent aux ministres des autels en raison de leur forme. La couronne est le symbole de la royauté, et, par sa forme circulaire, de la perfection. Or ceux qui sont voués au service de Dieu sont revêtus d’une dignité royale et sont tenus à une grande perfection de vertu.

Elles leur conviennent aussi en raison de l’ablation des cheveux : à la partie supérieure de la tête, par la rasure indiquant que leur esprit ne doit pas être distrait de la contemplation des vérités divines par les occupations temporelles ; à la partie inférieure par la tonsure, pour signifier que leurs sens ne doivent plus être retenus par les plaisirs temporels.

Solutions :

1. Les menaces divines s’adressent à ceux qui se rasaient la tête dans le but de se consacrer au service des idoles.

2. Les pratiques de l’Ancien Testament étaient une représentation imparfaite de celles du Nouveau. Aussi tout ce qui est propre aux ministres de la nouvelle Loi était figuré non seulement par les obligations des lévites, mais par tous ceux qui se vouaient à une vie plus parfaite. Tels étaient les Nazaréens qui, en se dépouillant de leur chevelure, affichaient leur mépris des biens temporels. Leurs cheveux n’étaient point coupés en forme de couronne, mais totalement rasés, car le temps n’était pas encore du sacerdoce royal et parfait.

De même, parce qu’ils ont renoncé au monde les frères convers portent les cheveux coupés. Cependant ils n’ont pas la tonsure, privilège de ceux qui sont consacrés aux divins ministères, lesquels exigent la contemplation des choses divines.

3. Il ne faut pas seulement symboliser le mépris des biens de la terre, mais encore la dignité royale, par la forme de couronne. Le clerc ne doit donc pas raser toute sa chevelure, ce qui par ailleurs pour lui serait messéant.

 

Article 2 — La tonsure est-elle un ordre ?

Objections :

1. A chaque pratique corporelle de l’Église est corrélatif un effet spirituel. Or la tonsure est un symbole matériel adopté par l’Église. Il semble donc qu’à ce symbole corresponde intérieurement la réalité signifiée. Ainsi à la tonsure est imprimé un caractère ; la tonsure est un ordre.

2. Comme la confirmation et les autres ordres, la tonsure est conférée seulement par l’évêque. Or, à la confirmation et dans les autres ordres, un caractère est imprimé. Il en est donc de même à la tonsure ; nous retrouvons par là notre première conclusion.

3. L’ordre implique un certain degré de dignité. Or le clerc, du seul fait de sa cléricature, est établi en un degré supérieur au peuple. Donc la tonsure qui est l’entrée dans la cléricature, est un ordre.

Cependant :

Aucun ordre n’est conféré en dehors de la célébration de la messe. Or, la tonsure est donnée même hors de la messe.

De plus, dans la collation d’un ordre il est fait mention du pouvoir conféré, ce qui n’est pas dans la tonsure.

Conclusion :

Les ministres de l’Eglise sont séparés du peuple pour s’adonner au culte divin. Dans ce culte, l’exercice de certaines fonctions dépend de pouvoirs spéciaux, dont la collation est le but de l’ordre ; d’autres actes sont communs à tout le corps des ministres, tel le chant des divines louanges ; ceux-ci ne supposent aucun pouvoir d’ordre, mais seulement une députation à tel ou tel office ; tel est l’effet de la tonsure. La tonsure n’est donc pas un ordre, mais une préparation à l’ordre.

Solutions :

1. A la tonsure est corrélative une réalité intérieure, comme l’est à son signe une réalité signifiée. Mais cette réalité n’est pas un pouvoir spirituel. A la tonsure n’est donc pas imprimé de caractère ; elle n’est pas un ordre.

2. Quoique nul caractère ne soit imprimé par la tonsure, par elle pourtant l’homme est voué au culte divin. C’est pourquoi pareille députation relève du premier ministre, l’évêque, qui bénit aussi les vêtements, les vases et les autres objets, destinés au culte divin.

3. Du fait de la cléricature, le clerc est supérieur au laïc ; il ne possède pourtant pas un pouvoir plus ample, ce qui est requis pour l’ordre.

 

Article 3 — Le fait de recevoir la tonsure entraîne t-il la renonciation aux biens temporels ?

Objections :

1. Les tonsurés, à la cérémonie de la tonsure, prononcent ces mots : "Le Seigneur est la part de mon héritage". Or, remarque S. Jérôme : "Le Seigneur refuse d’être la part de notre héritage en concurrence avec les biens temporels".

2. La justice des ministres du Nouveau Testament doit dépasser celle des ministres de l’Ancien Testament. Or les ministres de l’Ancien Testament, les lévites, ne reçurent pas, comme leurs frères, une part à l’héritage d’Israël.

3. D’après Hugues de Saint-Victor un clerc doit être entretenu aux frais de l’Eglise ; ce qui ne devrait pas être, si ce clerc gardait son patrimoine.

Cependant :

1. Jérémie était de l’ordre sacerdotal ; il avait pourtant des possessions par droit d’héritage. Les clercs peuvent donc conserver leurs biens patrimoniaux.

2. De plus, s’ils ne le pouvaient, on ne verrait plus la différence entre les religieux et les clercs séculiers.

Conclusion :

Du fait qu’ils reçoivent la tonsure, les clercs ne renoncent pas à leur patrimoine ni aux autres biens temporels. La possession des biens terrestres n’est pas en effet contraire au culte divin auquel les clercs sont voués, mais seulement l’excès de sollicitude par rapport à ces biens, S. Grégoire l’affirme : Est criminel l’attachement à la fortune, non la fortune".

Solutions :

1. Le Seigneur refuse d’être part d’héritage en ce sens qu’il serait aimé à l’égal des autres biens, au point que l’on place sa fin en Dieu et dans les biens terrestres ; cependant il ne refuse pas d’être cette part pour ceux que la possession des biens ne détourne pas du culte divin.

2. Dans l’Ancien Testament, les lévites avaient droit à l’héritage paternel. Mais ils n’eurent point part avec les autres tribus, car ils devaient vivre dispersés au milieu d’elles, ce qui eût été impossible si, comme les autres, ils avaient reçu une portion déterminée de terre.

3. Si les clercs, promus aux ordres sacrés, sont dans l’indigence, l’évêque qui les a promus est tenu de subvenir à leurs besoins ; autrement, nulle obligation ; mais les clercs sont tenus, en vertu de l’ordre reçu, de servir l’Église. L’affirmation d’Hugues de Saint-Victor doit s’en tendre de ceux qui n’ont pas de quoi vivre.

 

Article 4 — Doit-il y avoir un pouvoir épiscopal supérieur à l’ordre sacerdotal ?

Objections :

1. Comme le rappellent les Sentences, l’ordre sacerdotal découle d’Aaron. Or, dans l’ancienne Loi, "nul n’était au-dessus d’Aaron". Pareillement, dans la nouvelle Loi, aucun pouvoir n’est supérieur au pouvoir sacerdotal.

2. Les pouvoirs se hiérarchisent d’après leurs actes. Or aucun acte sacré ne dépasse en excellence la consécration du corps du Christ, acte du pouvoir sacerdotal. Donc le pouvoir épiscopal ne peut être supérieur au pouvoir sacerdotal.

3. Le prêtre, dans son offrande, est dans l’Eglise la figure du Christ qui s’offrit au Père pour nous. Or, dans l’Eglise, nul n’est plus grand que le Christ, puisqu’il est la tête de l’Église. Ainsi nous retrouvons la conclusion précédente.

Cependant :

un pouvoir est d’autant plus grand qu’il est plus étendu. Or le pouvoir sacerdotal, selon Denys, ne s’exerce que pour purifier et illuminer, tandis que le pouvoir épiscopal s’exerce encore pour perfectionner.

2. De plus, la hiérarchie des divins ministères doit être plus parfaite que celle de l’administration humaine. Or, le bon ordre de celle-ci exige qu’à la tête de chaque département soit préposé un chef, tel le général à l’armée. De même un chef doit être préposé aux prêtres : l’évêque. Ainsi le pouvoir épiscopal est supérieur au pouvoir sacerdotal.

Conclusion :

Le prêtre exerce une double fonction l’une principale, consacrer le vrai corps du Christ ; l’autre secondaire, préparer le peuple à la réception de ce sacrement. Le pouvoir du prêtre concernant la première fonction ne dépend d’aucun autre, si ce n’est du pouvoir divin ; tandis que pour la seconde fonction le prêtre dépend d’un pouvoir supérieur humain. Tout pouvoir en effet dont l’exercice est lié à certaines conditions relève du pouvoir qui pose ces conditions. Or le prêtre ne peut ni absoudre ni lier à moins d’avoir la juridiction qui lui soumet ceux qu’il absout. Il peut au contraire consacrer toute matière déterminée par le Christ ; nulle autre exigence n’est apportée par la nature du sacrement, bien qu’une raison de convenance présuppose un acte épis copal pour la consécration de l’autel et la bénédiction des vêtements. On voit ainsi qu’au-dessus du pouvoir sacerdotal, considéré dans sa fonction secondaire non dans sa fonction principale, est requis le pouvoir épiscopal.

Solutions :

1. Aaron était prêtre et pontife, c’est-à-dire "prince des prêtres". Le pouvoir sacerdotal prit origine en lui en tant que, prêtre, il offrait les sacrifices : ce qui était permis même à des prêtres inférieurs ; mais non en tant que, pontife, lui revenaient des pouvoirs spéciaux, telle l’entrée une fois chaque année dans le Saint des Saints, à nul autre permise.

2. Nul pouvoir n’est en effet supérieur à celui du prêtre consécrateur de l’Eucharistie ; il n’en va plus de même dans l’exercice de son autre fonction.

3. Comme Dieu est l’archétype en qui préexistent les perfections de tous les êtres de la nature, ainsi le Christ fut l’exemplaire de tous les ministères ecclésiastiques ; aussi chaque ministre de l’Église est-il sous quelque aspect la figure du Christ, comme le dit P. Lombard ; celui-là est supérieur aux autres qui représente une plus grande perfection du Christ. Le prêtre est la figure du Christ en tant que par lui-même il a rempli certains ministères, l’évêque en tant que le Christ a institué d’autres ministres et fondé l’Eglise. Dès lors il appartient à l’évêque de vouer les personnes et les choses au culte divin, régissant ainsi, de quelque manière comme le Christ, le culte divin ; ce qui lui vaut à titre spécial d’être appelé, comme le Christ, l’époux de l’Eglise.

 

Article 5 — L’Épiscopat est-il un ordre ?

Objections :

1. Denys distingue trois ordres dans la hiérarchie ecclésiastique : l’évêque, le prêtre et le ministre. Dans les Sentences, il est de même parlé de l’ordre des évêques divisé en quatre classes.

2. L’ordre n’est rien autre qu’un certain degré dans le pouvoir de dispenser les biens spirituels. Or les évêques peuvent administrer des sacrements, tels que la confirmation et l’ordre, pour lesquels les prêtres n’ont aucun pouvoir. L’épiscopat est donc un ordre distinct du sacerdoce.

3. Dans l’Eglise, on ne distingue que le pou voir d’ordre et le pouvoir de juridiction. Or les fonctions, réservées au pouvoir épiscopal, ne ressortissent pas au pouvoir de juridiction, autrement elles pourraient être confiées à un sujet qui ne serait pas évêque : ce qui est faux. Elles relèvent donc du pouvoir d’ordre. Ainsi l’évêque a un caractère d’ordre que n’a point un simple prêtre. On peut donc conclure que l’épiscopat est un ordre.

Cependant :

Pour la réception valide du sacrement, un ordre ne dépend pas du précédent. Mais le pouvoir épiscopal dépend du pou voir sacerdotal au point que nul ne le peut recevoir s’il ne possède déjà celui-ci. L’épiscopat n’est donc pas un ordre.

En outre, les ordres majeurs ne sont conférés que les samedis. Or les sacres d’évêque ont lieu le dimanche. L’épiscopat n’est donc pas un ordre.

Conclusion :

Le nom d’ordre peut désigner deux réalités. Premièrement, le sacrement ; en ce sens, tout ordre converge vers le sacrement d’Eucharistie. Et puisque l’évêque n’a pas, vis-à-vis de ce sacrement, un pouvoir supérieur à celui du prêtre, à ce point de vue l’épiscopat n’est pas un ordre. Deuxièmement, un office duquel relève un groupe d’actions sacrées ; en ce sens, puisque l’évêque a un pouvoir supérieur à celui du prêtre vis-à-vis des actions hiérarchiques dont le corps mystique est l’objet, l’épiscopat est un ordre. C’est dans ce sens que les autorités alléguées ont parlé.

Solutions :

1. La première difficulté est par là résolue.

2. L’ordre, sacrement qui imprime un caractère, a une relation particulière avec le sacrement d’Eucharistie dans lequel est contenu le Christ, puisque par le caractère nous sommes configurés au Christ. Aussi, bien que le sacre confère à l’évêque un pouvoir spirituel vis-à-vis de certains sacrements, ce pouvoir n’a pourtant pas raison de caractère. C’est pourquoi l’épiscopat n’est pas un ordre, si par ce mot on désigne le sacrement.

3. Le pouvoir épiscopal est non seulement un pouvoir de juridiction, mais aussi un pouvoir d’ordre, dans le sens générique du mot, expliqué dans la conclusion.

 

Article 6 — Dans l’Église peut-il se trouver quelqu’un qui soit supérieur aux évêques ?

Objections :

1. Tous les évêques sont les successeurs des apôtres. Or le pouvoir concédé à l’un d’entre eux, à Pierre, selon Matthieu 16, 19, a été concédé à tous, selon Jean 20, 23. Tous les évêques sont donc égaux, aucun n’est supé rieur aux autres.

2. Le rite de l’Église doit davantage ressembler à celui des juifs qu’à celui des païens. Or, le rang de la dignité épiscopale et la supériorité d’un évêque sur l’autre sont empruntés aux païens, comme l’affirment les Sentences ; dans l’Ancienne Loi elle n’existait pas. Dans l'un évêque ne doit donc pas être au-dessus des autres.

3. Un pouvoir supérieur ne peut être conféré par un pouvoir inférieur, ni un égal par un égal : "sans contredit, c’est l’inférieur qui est béni par le supérieur" ; ainsi un prêtre ne consacre pas un évêque, pas plus qu’il n’ordonne un autre prêtre, tandis que l’évêque ordonne le prêtre. Or un évêque peut promouvoir tout évêque ; puis que même l’évêque d’Ostie consacre le pape. Donc la dignité épiscopale est égale en tous ; aucun évêque ne doit être inférieur à un autre, ainsi qu’il est dit dans le texte de P. Lombard.

Cependant :

On lit dans les actes du Concile de Constantinople : "Nous confessons, conformément aux Ecritures et aux définitions des canons, que le très saint évêque de l’antique Rome est le premier et le plus grand des évêques, et après lui vient l’évêque de Constantinople". Il est donc un évêque au-dessus des autres.

2. De plus, le bienheureux Cyrille, évêque d’Alexandrie, dit : "Demeurons les membres de notre tête, le trône apostolique des Pontifes romains, à qui nous devons demander ce qu’il faut croire et tenir, le vénérant, nous confiant en lui de préférence aux autres ; car c’est à lui de reprendre, corriger, statuer, disposer, absoudre ou lier au nom de Celui qui l’a établi ; à nul autre Celui-ci n’a concédé la plénitude de son pouvoir, il n’en a gratifié que le trône apostolique que tous révèrent, conformément à l’institution divine, et auquel les princes de ce monde obéis sent comme à Notre Seigneur Jésus-Christ." Donc les évêques sont, de droit divin, les sujets de l’un d’entre eux.

Conclusion :

Des autorités diverses dont le but est unique supposent une autorité générale qui commande aux particulières : il est dit en effet au premier livre des Éthiques. : l’ordre à établir dans les virtualités et les actes est celui de leurs fins. Or, le bien commun est plus divin que le bien particulier ; ainsi au-dessus du pouvoir qui assure le bien particulier doit-il en être un autre, pouvoir universel dont l’objet est le bien commun, sans quoi les pouvoirs particuliers ne convergeraient pas vers l’unité. Puisque donc l’Église est un seul corps, il est nécessaire au maintien de cette unité que soit un pouvoir suprême pour toute l’Eglise au-dessus du pouvoir épiscopal qui régit chaque église parti culière ; ce pouvoir est celui du pape. C’est pourquoi ceux qui nient ce pouvoir sont appelés schismatiques, ils brisent l’unité de l’Eglise. Entre le simple évêque et le pape existent d’autres degrés intermédiaires d’autorité qui correspondent aux différents degrés d’unité, selon lesquels une communauté ou un groupe en inclut d’autres ainsi la province inclut la cité, le royaume la province, le monde entier le royaume.

Solutions :

1. Quoique le pouvoir de lier et de délier ait été conféré en général à tous les apôtres, cependant pour marquer une hiérarchie dans ce pouvoir, il fut d’abord donné à Pierre seul, ce qui signifie que ce pouvoir doit descendre de lui sur les autres ; pour ce même motif il lui fut dit à lui particulièrement "confirme tes frères" ; de même, "pais mes brebis" ; c’est-à-dire, explique saint Chrysostome : "S3is à ma place le chef et la tête de tes frères, afin qu’ils te reconnaissent comme mon vicaire, prêchent et affirment par toute la terre la suprématie de ton trône".

2. La religion juive n’était pas répandue en diverses nations et provinces mais dans un seul peuple, aussi n’était-il point nécessaire de distinguer d’autres pontifes sous celui en qui résidait le pouvoir principal. Tandis que la forme religieuse de l’Eglise, comme celle des gentils, est destinée à toutes les nations ; il convenait donc qu’en ce point la hiérarchie de l’Eglise ressemblât davantage à celle des païens qu’à celle des juifs.

3. Le pouvoir de l’évêque dépasse celui du prêtre comme un pouvoir d’un autre genre, tandis que le pouvoir du pape dépasse celui de l’évêque comme un pouvoir du même genre. C’est pourquoi tout acte hiérarchique que le pape peut accomplir dans l’administration des sacrements, est susceptible d’être exercé par l’évêque, mais une fonction propre à l’évêque dans l’administration des sacrements ne peut être remplie par un prêtre. Donc en ce qui ressortit à l’ordre épiscopal, tous les évêques sont égaux, aussi tout évêque peut en consacrer un autre.

 

Article 7 — Convenait-il que dans l’Église soient assignés des vêtements pour les ministres ?

Objections :

1. Les ministres du Nouveau Testament sont plus tenus à la chasteté que les ministres de l’Ancien. Or, parmi les vêtements de ceux-ci on comptait le vêtement de dessous, symbole de chasteté ; à fortiori le faudrait-il retrouver parmi les vêtements des ministres du Nouveau Testament.

2. Le sacerdoce du Nouveau Testament est plus digne que celui de l’Ancien. Or les prêtres de l’Ancien Testament portaient la mitre, symbole de dignité. Pareillement les prêtres de la Nouvelle Loi devraient-ils la porter.

3. Le prêtre est plus rapproché que l’évêque des ordres ministériels. Or les évêques portent les vêtements des ministres la dalmatique et la tunique, vêtements du diacre et du sous-diacre. A fortiori les simples prêtres devraient-ils s’en revêtir.

4. Dans l’Ancienne Loi le Pontife portait l’éphod, figure du fardeau de l’Évangile, comme l’explique Bède le Vénérable. Or ce fardeau incombe surtout à nos pontifes. Ils doivent donc porter l’éphod.

5. Sur le rational des pontifes de l’Ancienne Loi étaient écrits ces mots : Doctrine et Vérité. Or la vérité est surtout manifestée en la Nouvelle Loi ; nos pontifes devraient donc porter cet ornement.

6. La lame d’or sur laquelle était inscrit le très auguste nom de Dieu était le plus digne des ornements de l’Ancienne Loi ; il eût donc été d’une extrême convenance d’en transporter l’usage dans la Nouvelle Loi. -

7. Les insignes des ministres de l’Eglise sont le symbole de leur pouvoir. Or le pouvoir d’un archevêque n’est pas d’un autre genre que celui d’un évêque. L’archevêque ne devrait donc pas revêtir le pallium dont les évêques n’ont pas l’usage.

8. La plénitude du pouvoir appartient au Pontife Romain. Or, celui-ci n’a pas la crosse. Pareillement les autres évêques ne devraient-ils point en avoir.

Conclusion :

Les vêtements des ministres symbolisent les dispositions requises en eux pour traiter les choses divines. Quelques-unes de ces dispositions sont exigées chez tous les ministres ; d’autres le sont chez les ministres supérieurs, qui sont moins nécessaires chez les inférieurs ; c’est pourquoi certains vêtements sont communs à tous les ministres tandis que d’autres sont réservés aux ministres supérieurs.

A tous les ministres donc convient l’amict, qui recouvre les épaules, symbole de la force dans l'accomplissement des divins offices auxquels ils sont voués ; de même l’aube qui figure la pureté de la vie, et le cordon qui signifie la répression de la chair.

Le sous-diacre porte en outre le manipule, ce qui symbolise la purification des moindres souillures, car le manipule est comme un linge servant à essuyer le visage ; les sous-diacres sont en effet les premiers admis aux ministères sacrés. Les sous-diacres sont encore revêtus d’une tunique étroite, figure de la doctrine du Christ ; dans l’Ancienne Loi à cette tunique étaient suspendues des clochettes. Les sous- diacres, en effet, sont initiés à l’enseignement de la doctrine de la Loi Nouvelle.

Le diacre porte de plus une étole sur l’épaule gauche, pour rappeler que l’objet de ses fonctions ce sont les sacrements eux-mêmes, et la dalmatique (vêtement large, ainsi nommé parce que l’usage en commença en Dalmatie) pour faire entendre qu’il est initié à la dispensation des sacrements ; lui-même en effet distribue le précieux sang, or la largesse doit présider a toute dispensation.

Quant au prêtre il porte l’étole sur les deux épaules en signe de la plénitude du pouvoir qui lui est concédé, non comme à un ministre subalterne, dans la dispensation des sacrements ; aussi son étole descend-elle jusqu’aux pieds. Il revêt également la chasuble, symbole de charité, puisqu’il consacre le sacrement de charité, l’Eucharistie.

Les évêques portent neuf ornements de plus que les prêtres ; les sandales, les bas, la ceinture, la tunique, la dalmatique, la mitre, les gants, l’anneau et la crosse ; car ils ont neuf pouvoirs de plus que ceux-ci : l’ordination des clercs, la bénédiction des vierges, la consécration des pontifes, l’imposition des mains, la dédicace des églises, la déposition des clercs, la célébration des synodes, la confection du chrême, la consécration des vêtements et des vases. -Ou bien disons que les sandales symbolisent la rectitude des démarches ; les bas qui couvrent les pieds, le mépris des biens terrestres ; la ceinture qui fixe l’étole sur l’aube, l’amour de la vertu ; la tunique, la persévérance on lit que Joseph était vêtu d’une tunique qui lui descendait jusqu’aux talons ; or les talons sont le symbole de l’extrémité de la vie - ; la dalmatique symbolise la libéralité dans les œuvres de miséricorde ; les gants, la prudence dans l’action ; la mitre, la science des deux Testaments, aussi est-elle à deux cornes ; la crosse, la sollicitude pastorale qui ramène les errants (ce que figure la courbure du sommet), soutient les faibles (ce que signifie la tige), et stimule les tièdes (ce qu’exprime la pointe inférieure) ; d’où ce vers : "Recueille les errants, soutiens les infirmes, aiguillonne les paresseux".

L’anneau symbolise les mystères de la foi qui unit l’Eglise au Christ : les évêques sont les époux de l’Église, tenant la place du Christ.

Enfin les archevêques portent le pallium en signe de leur pouvoir privilégié ; cet ornement rappelle le collier d’or qu’on avait coutume de donner à ceux qui avaient vaillamment combattu.

Solutions :

1. La continence n’était prescrite aux ministres de l’Ancienne Loi qu’au temps de l’exercice de leur ministère ; et pour rappeler cette chasteté temporaire, ils portaient le vêtement de dessous dans l’offrande des sacrifices. Mais les ministres du Nouveau Testament sont astreints à la chasteté perpétuelle ; l’assimilation que fait la difficulté ne vaut donc pas.

2. La mitre n’était pas un signe de dignité ; c’était une coiffure quelconque, ainsi que l’explique S. Jérôme dans une lettre à Fabiola (Epist., 64 : P. L , 22, 614) ; tandis que la tiare, symbole de dignité, était réservée aux pontifes, comme maintenant la mitre.

3. Le pouvoir des ministres est en l’évêque comme en sa source, non dans le prêtre car il ne peut conférer les ordres ; il convient donc mieux à l’évêque qu’au prêtre de faire usage de leurs vêtements.

4. Au lieu de l’éphod, nos pontifes portent l’étole dont le symbolisme est le même.

5. Le pallium a de même remplacé le rational.

6. Au lieu de cette lame, notre pontife porte la croix comme l’interprète Innocent III. les bas remplacent de même les vêtements de dessous ; l’aube, la robe de lin ; la ceinture, celle du grand prêtre ; la tunique, la longue robe ; l’amict, l’éphod ; le pallium, le rational ; la mitre, la tiare.

7. Quoique le pouvoir de l’archevêque ne soit pas d’un autre genre que celui des évêques, il est pourtant plus étendu, perfection signifiée par le pallium qui l’entoure de tout côté.

8. Le pontife romain ne se sert pas de la crosse, car S. Pierre envoya la sienne pour exciter un de ses disciples qui devint dans la suite évêque de Trèves ; c’est pourquoi encore dans ce diocèse de Trèves, le pape fait usage de la crosse, ce qu’il ne fait nulle part ailleurs. On pourrait encore avancer que ne pas user de la crosse symbolise un pouvoir non limité ; la courbure de la crosse suggère en effet l’idée de limite.

 

LE MARIAGE

QUESTION 41 — LE MARIAGE, INSTITUTION NATURELLE.

Nous nous proposons ici d’étudier le mariage et nous traiterons : 1° de son institution naturelle ; 2° de son institution sacramentelle ; 3° de sa nature spéciale et particulière.

Au sujet du premier point nous nous poserons quatre questions -1. Le mariage est-il de droit naturel ? -2. Est-il obligatoire ? -3. L’acte conjugal est-il licite ? -4. Peut-il être méritoire ?

 

Article 1 — Le mariage est-il de droit naturel ?

Objections :

1. Ce que la nature enseigne aux animaux est de droit naturel. Or les animaux pratiquent l’union passagère des sexes et non pas l’union permanente du mariage. Ce dernier n’est donc pas de droit naturel.

2. Si, d’autre part, le mariage était de droit naturel, on l’aurait contracté à toutes les époques de l’histoire de l’humanité. Mais à certaines périodes de la civilisation, on ne connaissait pas le mariage. Comme le disait Cicéron, "les hommes de l’antiquité étaient des sauvages, personne ne connaissait ses propres enfants, on ignorait l’union stable du mariage". Celui-ci n’est donc pas de droit naturel.

3. D’ailleurs, ce qui est de droit naturel ne varie pas. Or le mariage s’est modifié puisque la législation matrimoniale diffère selon les peuples. Il n’est donc pas de droit naturel.

4. Les moyens dont la nature peut se passer pour aboutir à son but ne sont pas de droit naturel. Or, le but visé par la nature dans le mariage consiste dans la propagation de l’espèce au moyen de la procréation. Mais celle-ci peut très bien avoir lieu en dehors du mariage, comme il arrive dans la fornication. Le mariage n’est donc pas une institution de la nature.

Cependant :

Il est dit au commencement du Digeste "Du droit naturel tire son origine l’union de l’homme et de la femme que nous appelons mariage".

En outre Aristote déclare dans les Ethiques : "Si l’homme est naturellement social, il est encore plus naturellement fait pour le mariage". Or, c’est la loi naturelle qui rend l’homme social, aussi fera-t-elle de lui un être enclin au mariage. Le mariage est donc de droit naturel.

Conclusion :

Il y a deux sortes de réalités naturelles. Les premières sont les, effets qui dérivent nécessairement des principes d’une nature, par exemple, s’élever dans l’air est naturel au feu. A cette catégorie n’appartient pas le mariage, pas plus d’ailleurs que tout ce qui requiert l’intervention du libre arbitre. Le second groupe de réalités naturelles se compose des inclinations de notre nature mais que réalise notre libre arbitre : sont naturels de cette façon les actes de vertu. Le mariage est aussi naturel de cette manière et pour une double raison : l’instinct de la nature incline d’abord l’homme vers la f fin principale du mariage, l’enfant et son éducation complète, car la venue de l’enfant n’est pas le seul bien désiré de la nature : ce bien est aussi son éducation et son acheminement jusqu’à l’état d’homme parfait, c’est-à-dire, l’état d’homme vertueux. A cette fin, en effet, dit Aristote, nous recevons trois choses de nos parents : l’existence, la nourriture, l’éducation. La conclusion suit : un enfant ne peut recevoir l’éducation et l’instruction familiale que s’il a des parents cer tains et connus, ce qui ne se produirait pas si aucun lien obligatoire ne liait, l’un à l’autre, l’homme et la femme. Or c’est en cela que consiste le mariage.

La nature pousse encore l’homme et la femme vers le mariage, parce qu’elle les invite à rechercher la fin secondaire du mariage, c’est-à-dire, les services mutuels que se rendent les époux dans la société domestique. De même que la nature et la raison invitent les hommes à se réunir, un seul ne pouvant pas s’assurer tout ce qui est nécessaire à sa vie, et c’est pour cela que l’homme est dit naturellement social, de même la nature invite l’homme à s’associer avec la femme par le mariage, car, dans les œuvres indispensables à l’existence, il y a des travaux qui ne peuvent être convenablement accomplis que par les hommes, et il y en a d’autres qui ne peuvent être entrepris que par les femmes. Telles sont les deux raisons alléguées par Aristote en faveur de notre thèse.

Solutions :

1. La nature a mis dans l’homme des inclinations de deux sortes : les unes lui con viennent en raison, de son caractère animal et ces instincts lui sont innés comme à tous les animaux. D’autres inclinations conviennent à l’homme seul, à cause de ce qui différencie sa nature : la nature humaine, en effet, déborde le cadre du genre animal, car elle est raisonnable ; ainsi en est-il dans le domaine des actes de prudence et de tempérance. Si, d’autre part, le caractère animal se retrouve dans tous les animaux, ce n’est pas de la même façon ; les attraits de l’animal ne seront donc pas partout identiques mais différents selon le caractère de chacun.

Vers le mariage envisagé sous son second aspect, l’homme se sentira naturellement attiré, à cause de ce qui le distingue de l’animal. Aussi Aristote, en donnant cette raison, place l’homme au-dessus de tous les animaux. -Vers le mariage, considéré au contraire sous son premier aspect, l’homme sera attiré parce qu’il appartient au genre animal ainsi, dit Aristote, la procréation est commune à tous les animaux. Mais cet instinct ne revêt pas la même forme chez tous. Il y a, en effet, des animaux dont les petits, aussitôt nés, peuvent suffisamment trouver leur nourriture, ou bien, dont la mère seule peut pour voir à l’entretien de la vie ; chez eux point d’association stable entre le mâle et la femelle. Que si le secours des parents est nécessaire pendant un peu plus de temps, l’association dure encore pendant ce temps, comme cela se produit pour certains oiseaux. Mais l’homme, lui, a besoin de ses parents pendant une longue période de sa vie. Aussi l’union matrimoniale ne peut-elle consister que dans une association très intime entre tel homme et telle femme bien déterminés. C’est aussi de c côté que l porte l’attrait dont la cause est la nature animale.

2. Le mot de Cicéron peut se vérifier pour les origines particulières et immédiates d’une race donnée et qui la différencient d’une autre race car ce vers quoi nous incline la nature, ne se réa lise pas toujours et partout. Mais cet état de choses ne s’applique pas à l’origine primitive de tout le genre humain. La Sainte Ecriture nous atteste, en effet, qu’il y a eu de vrais mariages au début de l’humanité.

3. Selon le mot du Philosophe, la nature humaine n’est pas immuable, à la différence de la nature divine ; aussi selon les divers états et conditions des hommes, le droit naturel peut-il varier. Par contre les choses divines et le droit divin ne varient pas.

4. La nature ne recherche pas seulement la naissance des enfants, mais aussi leur éducation parfaite : ceci exige l’association permanente du mariage.

 

Article 2 — Le mariage est-il obligatoire ?

Objections :

1. Comme autrefois, le mariage est encore obligatoire, car une loi dure jusqu’à sa révocation. Or, Dieu, en instituant le mariage, l’a déclaré obligatoire et ne paraît pas avoir abrogé sa loi : au contraire, semble t-il, le Christ l’a confirmée en disant : "Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer".

2. Les préceptes de droit naturel obligent en tout temps. Le mariage, étant de droit naturel, reste donc obligatoire.

3. Le bien de l’espèce humaine est supérieur au bien de l’individu, car, comme le dit Aristote, "le bien du peuple est plus divin que le bien d’un seul homme". Mais le précepte qui impose à l’homme de veiller à la conservation de sa vie et donc de se nourrir dure encore ; à plus forte raison, le précepte qui lui fait un devoir de pro pager l’espèce humaine par le mariage.

4. Une obligation subsiste autant que demeure le motif qui la justifie. Mais l’obligation de con tracter mariage, telle qu’elle astreignait les anciens, avait pour raison d’être le besoin d’éviter un arrêt dans la propagation de la race humaine. Or, ceci pourrait encore se produire, si chacun était libre de se marier. Le mariage est donc obligatoire.

Cependant :

Saint Paul écrit : "Celui qui ne marie pas sa fille fait mieux" que celui qui la marie. Contracter mariage n’est donc pas obligatoire.

En outre, la transgression d’un précepte ne mérite aucune récompense. Mais ne récompense-t-on pas les vierges par une auréole spéciale ? Il n’y a donc pas de précepte qui contraigne l’homme au mariage.

Conclusion :

La nature nous porte vers deux sortes de biens : les uns sont nécessaires à la perfection de l’individu ; chacun est alors obligé de les rechercher, puisque les perfections naturelles doivent être communes à tous les hommes. Les seconds sont nécessaires à la société : ces biens sont nombreux et se contrarient les uns les autres ; chacun n’est donc pas tenu de les pour suivre tous en même temps ; sinon, chaque homme devrait s’adonner à la fois à l’agriculture, à la construction et aux autres métiers indispensables à la société humaine : pour obéir à la nature, il suffit que chacun remplisse l’un des emplois nécessaires à tout le groupe.

Or il est nécessaire au bien commun de toute la société humaine que certains hommes se con sacrent à la contemplation, et celle-ci, par ailleurs, n’a pas de plus grand obstacle que le mariage. L’inclination naturelle qui pousse au mariage n’a donc pas force de loi, même au dire des philosophes. Aussi Théophraste disait qu’il ne con vient pas au sage de prendre femme.

Solutions :

1. L’ancien précepte de se marier n’a pas été révoqué, mais il n’oblige plus tous les hommes pour la raison donnée : il ne les obligeait tous qu’à l’époque où, en raison de leur petit nombre, les hommes avaient le devoir de propager l’espèce humaine par la génération.

2 et 3. Les Solutions :

à la deuxième et à la troisième objection se trouvent contenues dans ce qui précède.

4. La nature humaine, prise en général, comporte, on vient de le dire, toutes les inclinations aux diverses fonctions sociales ; mais, dès qu’elle s’individualise chez tel ou tel homme, elle incline de préférence celui-ci à telle fonction, celui-là à telle autre, selon les différents individus. De cette variété de tempéraments jointe à l’action de la providence qui dirige toutes choses, il s’en suit que certains préfèrent tel métier à tel autre, par exemple, le métier d’agriculteur. Pour la même raison, les uns choisiront le mariage, les autres la vie contemplative : il n’en résulte donc aucune menace pour la société.

 

Article 3 — L’acte conjugal est-il licite ?

Objections :

1. L’acte conjugal semble bien être toujours un péché. Saint Paul dit en effet "Que ceux qui sont mariés, soient comme ne l’étant pas". Or, ceux qui ne sont pas mariés, n’accomplissent pas l’acte conjugal. Ceux qui se marient pèchent donc en l’accomplissant.

2. Isaïe, s’adressant aux Juifs, leur dit : "Vos iniquités ont mis une séparation entre Dieu et vous". Mais l’acte conjugal sépare aussi l’homme de Dieu, car, dans l’Exode, on raconte que Moïse, pour préparer le peuple à la descente de Yahvé, lui enjoignit de ne s’approcher d’aucune femme. Saint Jérôme dit aussi que l’Esprit Saint ne touchait pas le cœur des prophètes quand ces derniers accomplissaient les devoirs du mariage. L’acte conjugal est donc un péché.

3. Un acte qui, de lui-même, est indécent, ne peut jamais devenir un acte bon. Or à l’acte con jugal se joint toujours le mouvement de la passion charnelle qui est un acte indécent. Il est donc toujours défendu de l’accomplir.

4. On ne cherche des excuses qu’au péché. Mais l’acte matrimonial a besoin d’être excusé par les biens du mariage, comme l’enseigne le Maître des Sentences. C’est donc un péché.

5. Le même verdict doit s’appliquer aux choses semblables. Or le commerce charnel du mariage ne ressemble t-il pas à celui de l’adultère, puisque le résultat est le même, c’est-à-dire, la propagation de l’espèce humaine ? L’adultère étant un péché, l’acte conjugal le sera aussi.

6. L’excès de la passion est un manque de vertu. Mais l’acte du mariage entraîne une telle sensation de plaisir que la raison, principale qualité de l’homme, s’en trouve abolie : Aristote dit, en effet, qu’il est impossible à l’homme de comprendre quelque chose dans une telle situation. L’acte matrimonial est donc toujours un péché.

Cependant :

saint Paul déclare : "Si une jeune fille se marie, elle ne pèche pas" et encore : "Je veux que les jeunes veuves se marient et aient des enfants". Or, on ne peut pas avoir d’enfants sans accomplir l’union charnelle. L’acte conjugal n’est donc pas un péché : sinon, l’Apôtre ne l’aurait pas prescrit.

En outre aucun précepte n’oblige au péché. Or, l’acte du mariage est l’objet d’un précepte, car "l’homme doit rendre à son épouse le devoir conjugal", disait saint Paul. Il n’y a donc là aucun péché.

Conclusion :

Si nous supposons que la nature corporelle a été créée bonne par Dieu, les moyens qui sont destinés à la conserver et auxquels incline d’ailleurs son être même, ne sauraient être universellement mauvais. Or, l’attrait qui porte à la procréation des enfants est une inclination naturelle et cette procréation est nécessaire à la conservation de l’espèce. On ne peut donc pas dire que l’acte de génération de l’enfant est mauvais de toute façon, à tel point qu’il ne puisse être accompli dans une juste mesure et devenir ainsi vertueux ; à moins d’admettre l’opinion insensée de ceux qui prétendaient que les choses corruptibles ont été créées par un dieu mauvais : de là, peut-être, est venue cette théorie que le texte des Sentences rapporte, et c’est la plus pernicieuse des hérésies.

Solutions :

1. L’Apôtre, dans le texte cité, n’a pas interdit l’usage du mariage, pas plus qu’il n’a défendu l’usage de la propriété, quand il a dit : "Que ceux qui usent de ce monde, soient comme n’en usant pas". Dans ces deux cas, il en règle la jouissance et c’est ce que montre sa manière de parler. Il ne dit pas en effet : "Qu’ils n’en usent pas ou qu’ils n’en aient pas" mais ceci’ : "Qu’ils soient comme n’en usant pas ou comme n’en ayant pas".

2. Nous nous unissons à Dieu de deux manières : par l’état de grâce et par l’acte de contemplation et d’amour. Ce qui brise la première union est toujours un péché ; mais ce qui fait obstacle à l’union contemplative et affective n’est pas de soi un péché, car il y a des occupations bonnes qui, ayant pour objet les choses de ce monde, distraient l’âme et la rendent incapable de s’unir au même instant à Dieu ; et c’est ce qui se produit dans l’union charnelle dont le plaisir intense empêche l’âme de s’élever vers Dieu. Pour cette raison, ceux dont l’office consistait à s’adonner à la contemplation des choses divines ou à remplir des fonctions sacrées devaient s’abs tenir de rapports avec leurs épouses. Pour cela encore, l’Esprit Saint n’agissait pas sur l’intelligence des prophètes pour leur révéler les secrets divins, quand les prophètes usaient du mariage.

3. Le mouvement de la chair qui accompagne toujours l’acte du mariage engendre une honte non pas coupable, mais pénale : cette peine provient du péché originel, car, à la suite de ce dernier, les puissances inférieures et les membres du corps n’obéissent plus à la raison. Il ne s’ensuit donc pas que l’acte du mariage soit un péché.

4. On n’excuse, à proprement parler, que ce qui semble être un mal sans l’être vraiment, ou, n’en est pas si grand qu’il le paraît ; car il y a des circonstances qui enlèvent toute culpabilité et d’autres qui l’atténuent seulement. Or l’acte du mariage, en raison de la passion déréglée qui s’y attache, a toutes les apparences d’un acte désordonné : voilà pourquoi les biens du mariage lui enlèvent toute culpabilité ; de cette façon, il n’est plus un péché.

5. En vérité, l’acte du mariage et de l’adultère est bien le même matériellement, mais combien différent au point de vue moral, en raison d’une circonstance notable : dans un cas on accomplit cet acte avec son épouse, dans le second avec une autre femme. N’en est-il pas de même dans l’homicide ? Tuer un homme par violence ou le tuer justement sont des actes différents au point de vue moral, bien que ce soient les mêmes au point de vue matériel. Ainsi l’un est-il permis et l’autre défendu.

6. L’excès de la passion opposé à la vertu, non seulement supprime l’exercice de la raison, mais détruit tout ordre rationnel : ce que ne fait pas le plaisir intense de l’acte matrimonial ; il est vrai qu’alors l’homme ne peut exercer sa raison, mais son action est conforme à l’ordre rationnel.

 

Article 4 — L’acte conjugal est-il méritoire ?

Objections :

1. Il semble que non. Saint Jean Chrysostome dit, en effet : "Bien que le mariage n’attire point de châtiments sur ceux qui en usent, il ne leur procure cependant aucune récompense". Mais la récompense est due au mérite. L’acte conjugal n’est donc pas méritoire.

2. On ne mérite point de louanges quand on renonce à une chose méritoire. Or, on loue ceux qui conservent la virginité et renoncent au mariage. L’acte conjugal n’est donc pas méritoire.

3. Celui qui use d’une indulgence, utilise un bienfait reçu et n’a aucun mérite. Or, celui qui use du mariage agit de cette façon. Il n’a donc aucun mérite.

4. Le mérite consiste dans l’effort comme la vertu. Or, aucun effort n’est requis pour accomplir l’acte du mariage, car, au contraire, on n’y ressent que le plaisir. Ce n’est donc pas méritoire.

5. Ce que l’on ne peut pas faire sans commettre un péché véniel ne sera jamais méritoire, car on ne peut à la fois mériter une récompense et une punition. Or, l’acte conjugal n’est-il pas toujours un péché véniel, puisque le premier mouvement vers une délectation de ce genre est péché véniel ?

Cependant :

Accomplir un acte obligatoire est méritoire si on le fait par charité. Or l’acte du mariage est obligatoire puisque saint Paul déclare : "L’homme doit rendre à son épouse ce qu’il lui doit". En outre, tout acte de vertu est méritoire. Or l’acte conjugal est un acte de la vertu de justice, et on l’appelle, en effet, le paiement d’un dû. Il est donc méritoire.

Conclusion :

Aucun des actes qui procèdent de la volonté délibérée n’est indifférent, comme on l’a dit ailleurs. L’acte du mariage sera donc toujours ou peccamineux ou méritoire en celui qui possède la grâce. Par suite, accomplir l’acte conjugal sous l’inspiration de la vertu de justice, pour payer son dû, ou de la vertu de religion, pour mettre au monde des êtres destinés à rendre un culte à Dieu, sera une chose méritoire. Mais ce serait un péché véniel que d’accomplir cet acte pour le plaisir, tout en demeurant dans les limites du mariage et en ne désirant d’autre femme que son épouse. Par contre, transgresser les limites permises et être prêt par exemple à accomplir le même acte avec toute autre femme, c’est commettre un péché mortel. Tout mouvement de la nature réglé par la raison est un acte de vertu. S’il est désordonné, c’est un acte de concupiscence.

Solutions :

1. Le mérite qui donne droit à la récompense essentielle du ciel a pour source la charité, mais le mérite qui donne droit à une récompense surérogatoire est fondé sur la difficulté de l’action à accomplir. Le mariage n’est pas méritoire de cette dernière façon, mais il l’est de la première.

2. L’homme peut mériter en accomplissant une bonne action de moindre valeur, aussi bien qu’en recherchant un bien supérieur : ainsi l’homme qui se détache des biens inférieurs pour en poursuivre de plus grands mérite d’être loué, car il abandonne une œuvre moins méritoire pour une autre qui l’est davantage.

3. Une permission peut avoir pour objet un moindre mal : ainsi l’acte du mariage. Si on l’accomplit pour le plaisir, en restant dans les limites du mariage, c’est un péché véniel. Si on l’accomplit par vertu, c’est un acte méritoire ; en ce dernier cas, il ne s’agit pas à proprement par ler d’indulgence, à moins que l’on entende par là la permission d’accomplir une action bonne mais de moindre valeur : c’est bien plutôt une con cession. Il n’y a aucun inconvénient à ce que celui qui use de cette permission ait droit à une récompense, puisque le bon usage des bienfaits de la Providence est une action méritoire.

4. Le mérite qui donne droit à une récompense supplémentaire correspond à la difficulté de l’acte, mais le mérite qui donne droit à la récompense essentielle consiste dans la difficulté à maintenir dans l’ordre le moyen qui conduit à cette fin ainsi en est-il pour le mérite de l’acte conjugal.

5. Le premier mouvement de la passion que l’on appelle péché véniel est celui qui se porte vers un plaisir désordonné, ce qui n'est pas le cas pour l’acte matrimonial.

 

QUESTION 42 — LE SACREMENT DE MARIAGE

 

Considérons maintenant le mariage sous son aspect sacramentel. A ce sujet, nous nous poserons quatre questions : 1. Le mariage est-il un sacrement ? 2. Devait-il être institué avant le péché ? -3. Confère t-il la grâce ? -4. L’acte sexuel fait-il partie intégrante du mariage ?

Article 1 — Le mariage est-il un sacrement ?

Objections :

1. Le mariage ne semble pas être un sacrement, car tout sacrement de la loi nouvelle exige la présence d’une forme essentielle. Or la bénédiction liturgique donnée par le prêtre n’est pas essentielle au mariage. Ce dernier n’est donc pas un sacrement.

2. D’autre part, selon Hugues de S. Victor, un sacrement exige une réalité matérielle. Mais le mariage n’a pour matière rien de semblable. Ce n’est donc pas un sacrement.

3. Les sacrements tirent leur efficacité de la Passion du Christ. Mais, dans le mariage, l’homme ne se conforme nullement à la Passion douloureuse du Christ, car il y trouve du plaisir. Le mariage n’est donc pas un sacrement.

4. Tout sacrement de la loi nouvelle produit ce qu’il signifie. Or, le mariage ne produit pas l’union du Christ et de son Eglise et pourtant il en est le signe. Il n’est donc pas un sacrement.

5. Les autres sacrements contiennent un élément auquel on a donné le nom de réalité et signe à la fois. Or, on ne trouve rien d’équivalent dans le mariage, puisqu’il n’imprime aucun caractère sinon il ne serait pas réitéré. Il n’est donc pas un sacrement.

Cependant :

S. Paul déclare : "Ce sacrement est grand". Le mariage est donc un sacrement.

D’autre part, tout sacrement est le signe d’une chose sacrée. Mais le mariage est un signe de ce genre. Il est donc un sacrement.

Conclusion :

Les sacrements sont des remèdes destinés à sanctifier l’homme et à le guérir du péché, et ces remèdes sont symbolisés par des signes sensibles. Or, le mariage remplit ces conditions. On doit donc le ranger parmi les sacrements.

Solutions :

1. La forme du mariage consiste dans les paroles prononcées par les époux pour exprimer leur consentement et non pas dans la bénédiction du prêtre : celle-ci est un sacramental.

2. Le sacrement de mariage exige la coopération de celui qui le reçoit, comme le sacrement de pénitence. D’ailleurs la pénitence n’a pour matière que les actes extérieurs du pénitent, car ces actes tiennent lieu de réalité matérielle. De même en est-il pour la matière du mariage.

3. Dans le mariage, en effet, l’homme ne se conforme pas à la Passion du Christ en souffrant comme lui, mais il s’y conforme par l’amour, car c’est, par amour que le Christ a souffert pour s’unir à l’Eglise, son épouse.

4. L’union du Christ et de l’Eglise n’est pas la réalité contenue dont le sacrement serait la cause, mais la réalité que le sacrement signifie sans la contenir et la produire aucun des sacrements, d’ailleurs, n’a cette union pour effet. Il y a cependant une autre chose que contient, signifie et produit ce sacrement, comme on va le dire. Le Maître des Sentences parlait de la seule réalité qui n’est pas l’effet du sacrement, parce qu’il pensait, comme d’autres, que le mariage n’était pas cause d’une réalité que celui-ci puisse contenir.

5. Le sacrement de mariage renferme, lui aussi, ces trois éléments. Les signes sensibles seulement, ce sont les actes extérieurs ; ce qui devient réalité. Réalité et signe à la fois, est le lien contracté par l’homme et la femme du fait de ces actes extérieurs. Puis la dernière réalité contenue et produite est l’effet de ce sacrement. Enfin, la réalité non contenue ou non produite est celle que désigne le Maître des Sentences.

 

Article 2 — N’aurait-on pas dû instituer ce sacrement avant le péché ?

Objections :

1. L’institution du mariage ne devait pas précéder le péché. Pourquoi instituer ce qui est de droit naturel ? Or le mariage est de droit naturel. Son institution n’avait donc pas de raison d’être.

2. Les sacrements sont comme des remèdes destinés à la guérison du péché. Mais on ne donne des remèdes qu’aux malades. L’institution du mariage devait donc suivre le péché

3. Une même institution n’a besoin d’être établie qu’une seule fois. Mais le mariage a été institué après le péché, comme le rapporte le texte du Maître. Il ne le fut donc pas avant le péché.

4. C’est Dieu qui a institué les sacrements. Or, les paroles qui concernent le mariage et qui furent prononcées avant le péché, ne furent pas dites par Dieu, mais par Adam. Quant aux mots proférés par Dieu lui-même "Croissez et multipliez-vous", ils furent aussi adressés aux animaux pour lesquels, en vérité, il n’y a pas de mariage.

5. Le mariage est un des sacrements de la loi nouvelle. Or, ces sacrements furent institués par le Christ. Le mariage ne fut donc pas institué avant le péché.

Cependant :

On lit ceci dans S. Matthieu : "N’avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, les fit homme et femme ?"

En outre, le mariage est ordonné à la procréation des enfants. Mais, avant le péché, n’était-il pas nécessaire que l’homme ait des enfants ? Le mariage devait donc être institué avant le péché.

Conclusion :

Si l’instinct naturel pousse l’homme à se marier, c’est en vue d’un bien. Mais ce bien a varié selon les diverses situations de l’homme. Par suite, aux différentes modalités de ce bien, ont pourvu les nombreuses institutions qui eurent lieu dans l’histoire. Ainsi le mariage, sous sa forme de moyen destiné à la procréation des enfants, fut institué avant le péché, car cette procréation était nécessaire, alors même que le péché n’existait pas. Sous sa forme de remède contre la blessure du péché, le mariage a été institué après la faute, à l’époque où la loi naturelle existait seule. La loi de Moïse ensuite a établi les conditions que doivent remplir les sujets du mariage. Enfin, sous sa forme de symbole représentatif de l’union du Christ et de son Eglise, le mariage a été institué au temps de la loi nouvelle et devint ainsi un sacrement de la nouvelle alliance. Quant aux autres utilités du mariage, telles que l’amitié et les services mutuels entre époux, tout cela relève de l’institution des lois civiles.

Mais puisque le sacrement est, de sa nature, un signe et un remède, le mariage est un sacrement en raison des institutions intermédiaires dont il a été l’objet. Du fait de sa première institution il était seulement établi comme une fonction naturelle, en vertu de la dernière il joue le rôle d’office social.

Solutions :

1. Ce qui est de droit naturel a besoin d’être promulgué quant aux détails de son application. Celle-ci peut varier selon les diverses situations humaines : ainsi le droit naturel exige que les malfaiteurs soient punis, mais l’application de telle peine à telle faute relève du droit positif.

2. Le mariage n’a pas seulement été institué comme un remède au péché, mais surtout comme une fonction de la nature. Il a donc été institué avant le péché, mais il ne servait pas de préservatif contre ce dernier.

3. Puisqu’il est nécessaire de réglementer le mariage de diverses manières, aucun inconvénient ne s’oppose à ce qu’il ait été l’objet de diverses institutions : chacune de celles-ci a pour objet un aspect différent du mariage.

4. Dieu institua le mariage avant le péché en formant le corps de la femme avec une côte d’Adam : il destinait ainsi la femme à servir d’aide au premier homme. Il dit aussi à tous deux : "Croissez et multipliez-vous". En vérité, il adressa cette même parole aux animaux mais ces derniers n’étaient point faits pour obéir à ce commandement de la même façon que les hommes. C’est aussi sous l’inspiration divine qu’Adam prononça les mots cités : il comprenait que le mariage venait de Dieu.

 

Article 3 — Le mariage confère t-il la grâce ?

Objections :

1. Le mariage ne confère pas la grâce, car, selon Hugues de S. -Victor, les sacrements produisent une grâce invisible parce qu’ils sanctifient. Or, le mariage n’a pas pour but essentiel de produire une sanctification. Il ne confère donc pas de grâce.

2. Tout sacrement, cause de la grâce, ne la donne qu’en raison de sa matière et de sa forme. Or, les actes qui sont la matière de ce sacrement ne sont pas la cause de la grâce : dire le contraire serait tomber dans l’hérésie de Pélage qui pré tendait voir dans nos actions des causes de la grâce. D’autre part, les paroles expressives du consentement ne sont pas encore cause de la grâce, car elles n’opèrent aucune sanctification. Le mariage ne confère donc aucune grâce.

3. La grâce destinée à guérir la maladie du péché est nécessaire à tous ceux qui en souffrent. Or tous les hommes subissent cette infirmité de la concupiscence. Si donc le mariage donne la grâce qui guérit cette plaie de la concupiscence, tous les hommes devraient se marier, et insensé serait alors celui qui s’en abstiendrait.

4. On ne soigne pas une maladie avec un remède qui l’aggrave. Mais le mariage augmente la passion de la concupiscence : comme le dit en effet Aristote, la concupiscence est insatiable et devient plus exigeante quand on lui obéit. Le mariage ne confère donc aucune grâce pour réprimer la concupiscence.

5. Sous sa forme de sacrement de la bonne nouvelle, en effet, le mariage ne fut pas institué avant le Christ.

Cependant :

La définition et la chose définie sont convertibles. Or, dans la définition des sacrements, on déclare qu’ils sont causes de la grâce. Le mariage étant un sacrement, devient donc cause de la grâce.

En outre, d’après S. Augustin, le mariage sert de remède aux malades. Remède, le mariage doit donc être efficace pour refréner les mouvements de la concupiscence. Or seule, la grâce peut ré primer la concupiscence. Elle est donc un effet du mariage.

Conclusion :

A cette question, on a répondu de trois manières différentes. Selon certains, le mariage ne serait pas du tout cause de la grâce, il n’en serait que le signe. Mais cela est impossible ; sinon le mariage ne l’emporterait en aucune façon sur les sacrements de l’ancienne loi et on n’aurait aucune raison de le compter parmi les sacrements de la nouvelle alliance. S’il offre un remède à la concupiscence en la satisfaisant en vue de prévenir le danger fatal d’une trop grande continence, il le faisait déjà dans l’ancienne loi en vertu de la nature même de l’acte conjugal.

Une seconde opinion prétend que le mariage confère une grâce destinée à supprimer le mal car ce qui est péché hors du mariage ne l’est plus dans le mariage. Mais ce ne serait pas assez dire, car il en était ainsi dans l’ancienne loi. Le mariage arrêterait-il le mal, en ce sens qu’il maintiendrait la passion dans les limites tracées par les biens du mariage, sans que cette grâce confère quelque secours pour bien user du mariage ? Ceci serait pareillement insoutenable, car la grâce, qui éloigne du péché, excite en même temps à bien agir, comme la chaleur diminue le froid et à la fois réchauffe.

Selon une troisième opinion, le mariage con tracté dans la religion du Christ est institué pour donner la grâce qui facilitera l’accomplissement des devoirs du mariage. Et cette opinion est la plus probable. Quand Dieu, en effet, donne un pouvoir ou une faculté, il donne en même temps les secours nécessaires au bon emploi de ce pouvoir : à toutes les facultés de l’âme, par exemple, correspondent les divers membres du corps qui leur servent de moyens d’action. Or, le mariage, de par son institution divine, confère à l’homme le droit de se servir de son épouse pour donner la vie à des enfants, il lui donne en même temps la grâce sans laquelle il ne pourrait le faire honnêtement. On disait plus haut quelque chose d’analogue à propos du pouvoir d’ordre. Cette grâce donnée est donc la dernière réalité contenue et produite par le sacrement.

Solutions :

1. L’eau du baptême peut purifier le cœur en coulant sur le corps, grâce au contact du Christ ; de même le mariage peut produire son effet grâce à la passion du Christ, symbole de l’union conjugale et non pas à cause d’une intervention liturgique du prêtre.

2. Il en est bien du mariage comme du baptême : l’eau que l’on verse en prononçant la formule n’a pas pour effet immédiat le don de la grâce mais le caractère. Ici, de même, les actes extérieurs et les paroles qui sont la manifestation du consentement ont pour effet immédiat un certain lien qui est le sacrement de mariage ; et ce lien, en vertu de l’institution divine, est une disposition qui entraîne la réception de la grâce.

3. La raison alléguée aurait sa valeur si on ne pouvait employer contre la concupiscence morbide un remède plus efficace que le mariage. Mais ce remède existe ; il consiste dans les exercices spirituels, la mortification de la chair et c’est celui dont se servent ceux qui n’usent pas du mariage.

4. On peut remédier à la concupiscence de deux manières : d’abord en agissant sur la passion elle-même afin de l’atteindre dans sa racine et c’est ce que fait le mariage au moyen de la grâce qu’il donne. En second lieu, en agissant sur l’acte charnel et cela d’une double façon : ou bien l’on fera en sorte que l’action dont la concupiscence sera l’instigation visible, ne soit pas déshonnête et ceci se produit grâce aux biens du mariage qui légitiment la passion charnelle. Ou bien on évite l’acte dont on aurait à rougir, et ceci est le résultat naturel des relations conjugales, car du fait que la concupiscence y trouve sa satisfaction, elle n’excite plus à d’autres actions mauvaises. Aussi l’Apôtre S. Paul disait : "Il vaut mieux se marier que de brûler".

Il est vrai que les actions conformes aux désirs de la concupiscence sont de nature à rendre celle-ci plus exigeante. Néanmoins, modérées par la raison, elles refrènent la passion de la chair, car des actes semblables font naître des dispositions et des manières d’être semblables.

 

Article 4 — L’union charnelle est-elle nécessaire au mariage ?

Objections :

1. Il semble que oui. Au moment de l’institution du mariage, il fut établi que l’homme et la femme seraient deux en une seule chair. Mais l’union charnelle peut seule réaliser ce but. Le mariage ne peut donc être parfait sans l’union des corps.

2. Ce qui donne au sacrement sa signification lui est nécessaire, comme on l’a déjà dit. Mais c’est grâce à l’union charnelle que le sacrement de mariage devient un signe, comme le dit le texte du Maître. Cette union est donc une partie intégrante du mariage.

3. Ce sacrement a pour but la conservation de l’espèce. Mais la conservation de l’espèce ne peut avoir lieu s’il n’y a pas d’union charnelle. Cette union est donc nécessaire au sacrement.

4. Le mariage est un sacrement parce qu’il est un remède destiné à refréner la concupiscence. De ce remède parle saint Paul en disant : "Il vaut mieux se marier que de brûler". Or ce remède ne produira son effet qu’en ceux qui S’unissent dans la chair. L’union charnelle fait donc partie intégrante du mariage.

Cependant :

Le mariage existait dans le para dis où il n’y avait pas d’union charnelle. Celle-ci n’est donc pas essentielle au mariage.

En outre, le sacrement, comme son nom le suggère, sanctifie. Mais le mariage sans union charnelle sanctifie davantage, comme le dit le Maître des Sentences. Cette union n’est donc pas nécessaire au sacrement.

Conclusion :

Une chose peut être parfaite de deux façons dans sa nature et c’est sa perfection essentielle, dans son opération et c’est sa perfection complémentaire. Or, l’union charnelle est une action : on use du mariage, celui-ci don nant le pouvoir de réaliser cette union. L’union des corps apporte donc au mariage sa perfection complémentaire, mais non sa perfection essentielle.

Solutions :

1. Adam parlait de l’intégrité du mariage quant aux deux perfections on reconnaît en effet une chose à son action.

2. Il est nécessaire que le sacrement signifie la chose qu’il contient. L’union charnelle ne signifie pas cette réalité, mais plutôt la chose non contenue, comme on l’a déjà dit.

3. Une chose ne peut aboutir à sa fin que par son opération propre. Le fait que le mariage atteint son but par l’union charnelle seule montre donc que celle-ci lui donne la perfection complémentaire et non la première.

4. Avant qu’il n’y ait union charnelle, le mariage est déjà un remède à cause de la grâce qu’il donne, mais il ne l’est pas encore matériellement. Cela lui viendra de sa perfection complémentaire.

 

QUESTION 43 — DU MARIAGE ET DES FIANÇAILLES.

Il nous reste encore à étudier la nature spéciale du mariage. Ceci nous oblige à considérer 1° les fiançailles ; 2° la définition du mariage ; 3° sa cause efficiente ou le consentement ; 4° les biens du mariage ; 5° les empêchements ; 6° les secondes noces ; 7° les conséquences du mariage. Au sujet des fiançailles nous nous demanderons 1. Que sont les fiançailles ? -2. Qui peut les contracter ? -3. Peut-on les rompre ?

 

Article 1 — Les fiançailles consistent-elles dans la promesse d’un mariage futur ?

Objections :

1. Le pape Nicolas I a mal défini les fiançailles en les appelant la promesse d’un prochain mariage. Isidore dit en effet : "Ce n’est pas la promesse qui fait le fiancé, mais l’engagement qu’il prend et les gages qu’il donne". Or fiancé vient de fiançailles. Celles-ci ne doivent donc pas être appelées une promesse.

2. On impose l’accomplissement d’une promesse à qui l’a faite. Or, l’Eglise n’oblige pas les fiancés à contracter mariage. Les fiançailles ne sont donc pas une promesse.

3. D’ailleurs, elles sont souvent plus qu’une simple promesse on y joint un serment et l’échange des arrhes. On ne doit donc pas les définir par ce seul mot de promesse.

4. Le mariage doit être libre et sans conditions. Or, on contracte quelquefois les fiançailles sous condition et à charge de percevoir une somme d’argent en cas de rupture. Il ne convient donc pas d’appeler les fiançailles une promesse de mariage.

5. S. Jacques blâme les promesses de choses futures. Les sacrements, d’autre part, exigent qu’on ne fasse rien de blâmable à leur occasion. On ne doit donc pas faire des promesses de mariage.

6. On n’appelle fiancés que ceux qui con tractent des fiançailles. Or, selon le Maître des Sentences, on appelle aussi fiancés Ceux qui célèbrent leur mariage. Les fiançailles ne sont donc pas toujours la promesse d’un mariage prochain.

Conclusion :

Consentir à l’union conjugale par des engagements pris pour l’avenir, ce n’est pas contracter, mais promettre le mariage. Cette promesse est appelée fiançailles, mot qui vient du verbe fiancer, c’est-à-dire donner sa parole. Comme le dit Isidore, avant que les publications de mariage ne fussent en usage, les personnes qui voulaient se marier ensemble donnaient des cautions, s’engageaient ainsi à contracter mariage et présentaient des témoins garants de leur fidélité.

Cette promesse se fait de deux façons : d’une manière absolue ou sous conditions. D’une manière absolue, cette promesse peut se traduire sous quatre formes : par un simple engagement, lorsqu’on dit, par exemple : "Je t’accepte pour ma future épouse" et réciproquement. En second lieu, par des arrhes de fiançailles, argent ou dons analogues. En troisième lieu, par la remise d’un anneau d’alliance. Enfin, par un serment.

Quand elle se fait sous conditions, celles-ci sont de diverses natures : ou bien elles sont honnêtes, ce qui arrive quand on dit : "Je t’accepte, si cela plaît à mes parents", en ce cas, la condition étant réalisée, la promesse oblige ; sinon, elle ne vaut plus. Ou bien les conditions sont déshonnêtes. Si elles sont alors contraires aux biens du mariage, par exemple, lorsqu’on dit : "Je t’accepte à condition que tu me procures du poison pour devenir stérile", les fiançailles sont nulles. Si elles ne sont pas contraires aux biens du mariage, quand on dit, par exemple : "Je t’accepte situ consens à voler avec moi", la promesse tient, mais la condition ne doit pas être remplie.

Solutions :

1. Les cérémonies des fiançailles et les dons que se font réciproquement les fiancés sont une confirmation de la promesse. Voilà pour quoi on appelle fiançailles cette promesse : on indique ainsi ce qu’il y a de plus parfait en elles.

2. En vertu de la promesse, chacun des fiancés est obligé de contracter mariage et pèche mortellement s’il ne le fait pas, à moins que ne se soit produit un empêchement légitime. Conformément à ce principe, l’Eglise oblige les fiancés à se marier, et impose une pénitence en cas de faute. Cependant au for contentieux, aucune contrainte n’a lieu parce que les mariages imposés par la force tournent ordinairement mal. -A moins peut-être que ne soit intervenu un serment. Alors, disent les uns, on doit imposer le mariage. D’autres sont d’un avis contraire, en raison du motif qui vient d’être allégué et surtout par crainte du conjugicide.

3. Ce qu’on ajoute à la promesse ne fait que la confirmer. Les gages ne sont donc pas autre chose que la promesse.

4. Une condition apposée ne supprime pas la liberté du mariage. Car si cette condition est déshonnête, on doit la rejeter. Si elle est honnête, de deux choses l’une, ou bien son objet est légitime, comme celui-ci : "je vous épouserai si mes parents y consentent" : une telle condition, loin de détruire la liberté des fiançailles, en accroît l’honnêteté. Ou bien son objet est utile, quand on dit, par exemple : "je contracterai avec vous, si vous me donnez tant d’argent". Ce n’est pas alors une condition vénale mise au consentement, c’est plutôt une promesse de dot qui n’entrave nullement la liberté du mariage.

Enfin la condition consiste parfois dans le paiement d’une somme d’argent considérée comme une amende : or, cette condition n’a pas de valeur, car on doit sauvegarder la liberté du mariage, et on ne peut imposer la sanction à celui qui refuse de contracter mariage.

5. Saint Jacques n’entendait pas interdire les promesses pour l’avenir, mais défendait que l’on en fasse comme si on était certain de vivre toujours. Aussi, demandait-il qu’on ajoute cette clause : s’il plaît à Dieu. Il n’est pas nécessaire de le dire expressément, il suffit de le penser dans son cœur.

6. On peut considérer deux choses dans le mariage : le lien matrimonial et l’acte conjugal. C’est la promesse de consentir plus tard au lien du mariage qui a fait donner à ceux qui font cette promesse le nom de fiancés : les fiançailles sont, en effet, un contrat consenti par des paroles dites au temps futur. Et c’est la promesse du second qui fait donner le nom d’époux à ceux qui contractent mariage par des paroles dites au temps présent ils promettent alors d’accomplir l’acte matrimonial. Cependant la première pro messe est appelée plus justement fiançailles, et c’est un sacramental qui fait partie du mariage, comme les exorcismes sont des sacramentaux faisant partie du baptême.

 

Article 2 — convenait-il de fixer l’age de sept ans pour le contrat de fiançailles ?

Objections :

1. Il semble que l’âge de sept ans n’est pas requis pour que l’on puisse con tracter des fiançailles. En effet, un contrat qui peut être passé entre personnes interposées ne requiert pas l’âge de discrétion. Or les fiançailles peuvent être promises par les parents à l’insu des deux fiancés. Les fiançailles peuvent donc se célébrer aussi bien avant qu’après l’âge de sept ans.

2. L’usage de la raison est nécessaire pour que l’on puisse contracter des fiançailles, comme il est nécessaire pour que l’on puisse commettre un péché mortel. Or, ainsi que le raconte saint Grégoire, un jeune enfant mourut subitement pour avoir commis le péché de blasphème. On peut donc contracter les fiançailles avant l’âge de sept ans.

3. Les fiançailles préparent au mariage. Mais l’âge requis pour le mariage n’est pas le même pour un garçon et pour une fille. On ne doit donc pas fixer pour eux deux le même âge de sept ans comme condition des fiançailles.

4. C’est à l’âge où l’on se sent de l’attrait pour le mariage futur que l’on peut contracter des fiançailles. Or les signes de cet attrait apparaissent souvent chez des enfants qui n’ont pas encore l’âge de sept ans. On peut donc se fiancer avant cet âge.

5. Si des enfants se fiancent avant l’âge de sept ans et essaient de se marier avant l’âge de puberté, en prenant des engagements immédiats, on les considère simplement comme des fiancés. Mais ce n’est pas en vertu du second contrat, car à ce moment-là ils n’ont plus l’intention de se fiancer, mais de se marier. C’est donc le premier contrat qui a été celui de fiançailles. On peut donc le faire avant l’âge de sept ans.

6. Lorsque plusieurs personnes entreprennent une œuvre commune, ce que l’une n’apporte point, l’autre le donne : ainsi en est-il de ceux qui tirent un bateau. Or, le contrat de fiançailles est l’œuvre commune des fiancés : si donc l’un d’eux a déjà l’âge de puberté, il peut se fiancer avec un enfant même âgé de moins de sept ans, car le défaut d’âge de l’un est compensé par l’excès d’âge de l’autre.

7. Quand certains enfants qui n’ont pas l’âge de puberté mais en approchent, contractent mariage par des engagements immédiats, on regarde ce contrat comme un vrai mariage. Pour la même raison, on devra tenir pour fiançailles l’engagement qu’ils prendront pour le mariage à venir et qu’ils contracteront un peu avant l’âge de sept ans.

Conclusion :

L’âge de sept ans est fixé par le droit comme condition des fiançailles et cela est assez raisonnable. Les fiançailles sont des promesses pour l’avenir : ceux qui les contractent doivent donc être capables de faire ces pro messes, et pour cela capables de prévoir prudemment l’avenir. Or, cette prévoyance exige un certain développement de la raison. Selon la remarque du Philosophe, on peut distinguer trois étapes dans ce développement : pendant la première, l’enfant ni ne comprend, ni ne peut comprendre, même aidé par autrui ; pendant la seconde, l’homme est capable de comprendre, grâce aux leçons d’autrui, sans toutefois se suffire à lui-même pour apprendre ; à la troisième, l’homme est en mesure de comprendre et de réfléchir par lui-même. Durant la première étape, l’intelligence se développe mais avec lenteur, à mesure que s’apaisent les mouvements et les variations d’humeur : cette étape dure sept ans, et pendant ce temps l’enfant est inapte à faire aucun contrat et à célébrer des fiançailles. Il arrive à la seconde étape à la fin de ces sept ans : aussi bien, envoie-t-on les enfants de cet âge à l’école. Sept ans encore et l’homme commence la troisième étape, s’il s’agit du moins des obligations personnelles qu’il peut assumer, car dans ce domaine sa raison naturelle se développe plus vite. Mais s’il s’agit d’œuvres extérieures, il n’arrive à bien raisonner qu’à la fin du troisième septennat. Avant donc que ne s’achève le premier septennat, l’homme ne peut s’engager par aucun contrat. A la fin de ce premier septennat, il commence alors à pouvoir faire des promesses pour l’avenir, surtout pour ce vers quoi sa raison l’incline davantage. Mais il ne peut s’engager pour toujours car sa volonté n’est pas encore assez ferme. A cette époque il peut donc con tracter des fiançailles. A la fin du second septennat, il est alors capable d’assumer des obligations personnelles, d’entrer en religion, par exemple, de se marier. Enfin ce n’est qu’après le troisième septennat qu’il peut contracter des obligations altruistes. Aussi, selon les lois civiles, n’est-ce qu’après l’âge de vingt-cinq ans que l’homme peut disposer de ses biens.

Solutions :

1. Si les fiancés n’ont pas encore l’âge de puberté et si leurs fiançailles ont été conclues par des tiers, l’un et l’autre, ou l’un seulement peuvent réclamer. Il n’y a donc rien de définitif, à tel point qu’aucune affinité n’en résulte. Aussi, les fiançailles contractées par d’autres personnes que les fiancés n’ont de valeur que si les intéressés parvenus à l’âge voulu ne se récusent point : leur silence montrera qu’ils consentent à ce que d’autres ont fait en leur nom.

2. Selon certains auteurs, l’enfant dont parle saint Grégoire ne fut pas damné et ne fut pas coupable de péché mortel, mais son père vit ce spectacle dans une vision destinée à l’attrister, lui qui avait péché pour n’avoir pas corrigé son enfant. Or cette explication contredit positivement la pensée de saint Grégoire dont voici les paroles : "Ce n’est pas un petit pécheur que le père a élevé pour le feu de l’enfer, en négligeant de veiller sur l’âme de son petit enfant".

Disons donc ceci : pour qu’il y ait péché mortel, il suffit que l’on consente à un acte immédiat. Mais, en contractant fiançailles, on acquiesce à un acte futur Or, pour prévoir l’avenir il faut avoir une plus grande dose de jugement que pour consentir à une démarche présente. L’homme peut donc pécher mortellement avant qu’il ne soit capable de prendre des engagements pour l’avenir.

3. Au moment de contracter mariage, les époux doivent avoir non seulement l’esprit suffisamment mûr, mais encore les aptitudes physiques nécessaires pour être à l’âge où l’on peut transmettre la vie. Or, à douze ans, la jeune fille peut être apte à l’acte de la génération et, à la fin du second septennat, le jeune homme acquiert la même aptitude, comme le dit Aristote. Mais l’age de discrétion suffisant pour contracter fiançailles est le même pour tous deux : voilà pourquoi on fixe à tous deux le même âge pour les fiançailles et un âge différent pour le mariage.

4. Ce goût pour le mariage chez les enfants âgés de moins de sept ans ne provient pas d’une connaissance parfaite, car ils ne sont pas encore pleinement capables d’être instruits, mais plutôt d’une inclination naturelle et non du jugements Aussi bien un tel goût ne suffit pas pour qu’ils puissent contracter des fiançailles.

5. Dans le cas allégué, les personnes en question ne contractent pas mariage par un second contrat, mais ratifient leurs premières promesses qui reçoivent donc une confirmation du fait du second contrat.

6. Ceux qui tirent un bateau agissent comme s’ils ne faisaient qu’un : aussi l’un supplée ce qui manque à l’autre. Mais les fiancés, eux, agissent comme des personnes distinctes, car les fiançailles sont un contrat passé entre deux parties. Les conditions nécessaires au contrat doivent donc se vérifier des deux côtés. Le manque de dispositions de l’un ne peut alors être suppléé par l’autre.

7. Si les fiancés approchent de l’âge de sept ans, le contrat de fiançailles est valide, car, selon Aristote, ce qui manque en petite quantité n’est compté pour rien.

L’époque où l’on approche suffisamment de l’âge voulu est fixée par certains aux six mois qui précèdent. Mais il vaut mieux l’évaluer chaque fois, selon les dispositions des contractants, car, chez certains, l’usage de la raison est plus précoce que chez d’autres.

 

Article 3 — Les fiançailles peuvent-elles lire rompues ?

Objections :

1. Les fiançailles, semble t-il, ne peuvent pas être rompues par l’entrée en religion de l’un des fiancés. Si on promet à quelqu’un une somme d’argent, on ne peut plus engager cette même somme ailleurs. Or le fiancé a promis son corps à sa future épouse il ne peut donc plus l’offrir à Dieu en entrant en religion.

2. Le départ de l’un des fiancés pour un pays lointain ne semble pas être non plus une cause de rupture des fiançailles. Dans le doute, en effet, il faut toujours choisir le parti le plus sûr. Or il est plus sûr d’attendre l’absent. Les fiançailles ne doivent donc pas être rompues.

3. La maladie de l’un des deux fiancés ne suffit pas d’autre part pour légitimer la rupture. Car on ne doit punir personne pour cause de maladie. Or l’homme qui tombe malade serait puni si on le privait du droit de s’unir à la fiancée qui a déjà contracté avec lui les fiançailles. On ne peut donc pas rompre celles-ci sous prétexte d’infirmité corporelle.

4. Ce n’est pas non plus l’affinité qui est de nature à rompre les fiançailles, dans le cas où le fiancé aurait eu des relations illicites avec la sœur de sa fiancée. Celle-ci serait alors punie à cause du péché de son fiancé. Mais cela ne paraît pas juste.

5. Les fiancés ne peuvent pas non plus se dispenser mutuellement de leurs obligations. Car la rupture des fiançailles une fois contractées serait preuve de trop grande légèreté. Or, l’Eglise ne peut pas permettre de tels abus. Il n’y a donc pas de rupture possible.

6. On ne peut davantage rompre les fiançailles à cause de la fornication de l’un des fiancés. Ceux-ci ne se sont donné aucun droit sur le corps l’un de l’autre. Aucun d’eux ne commet alors une injustice en péchant par fornication. Cette faute n’est donc pas un motif suffisant pour rompre les fiançailles. -

7. Les engagements que contracterait l’un des fiancés avec un tiers pour le moment présent, n’annuleraient pas non plus les fiançailles. Une seconde vente, en effet, ne révoque pas la première. Le second contrat n’annule donc pas le premier.

8. Le défaut d’âge ne peut pas non plus être cause de rupture ce qui n’existe pas encore ne peut être dissous. Mais contractées avant l’âge requis, les ançail1es sont nulles. Elles ne peuvent donc être dissoutes.

Conclusion :

Dans tous les cas cités, les fiançailles sont rompues et pour diverses raisons. Elles le sont d’abord de droit dans le cas où le fiancé entre en religion, et dans le cas où l’un des -deux contracte mariage et s’y engage de suite avec un tiers. Dans les autres cas elles doivent être rompues selon l’esprit de l’Eglise.

Solutions :

1. Une telle promesse ne tient plus par suite de la mort spirituelle au monde, car cette promesse aussi, comme on l’a dit, n’était elle-même que spirituelle.

2. Ce doute se trouve résolu dès lors que l’une des parties ne comparaît pas au moment fixé pour le mariage. Si donc l’autre partie n’est pas responsable de l’insuccès du mariage, elle peut sans commettre de faute se marier avec une autre personne. Mais si, par sa faute, elle a contribué à ne pas faire aboutir le mariage, elle doit réparer la faute commise par la rupture de sa promesse ou de son serment, si elle avait prêté serment ; elle peut alors, si elle le veut, épouser une autre personne, après que l’Eglise aura prononcé la sentence de rupture.

3. Si l’un des fiancés est atteint, avant de se marier, d’une maladie grave qui le réduit à un état de faiblesse extrême (épilepsie, paralysie), ou qui le rend difforme (amputation du nez, privation de la vue), ou autre accident de ce genre, ou bien s’il s’agit d’une maladie qui peut nuire au bien des enfants, comme la lèpre qui est habituellement héréditaire, les fiançailles peuvent être rompues, de peur que les fiancés ne se déplaisent et que le mariage fait en de telles conditions n’ait un résultat fâcheux. Il ne s’ensuit pas qu’ici une affliction fasse encourir une punition, mais elle entraîne un dommage, ce qui n’est pas injuste.

4. Si le fiancé a eu des relations charnelles avec la sœur de la fiancée ou réciproquement, il faut rompre les fiançailles. Le fait sera tenu comme certain, si la nouvelle s’en répand, car il s’agit d’éviter le scandale. Une cause dont l’effet est à venir, peut ne pas aboutir, non seulement en raison d’un obstacle présent, mais aussi en raison d’obstacles futurs. L’affinité qui existe au moment des fiançailles les rend inaptes, en les invalidant, à produire leur effet qui est de conduire au mariage ; de même l’affinité qui se pro duit après les fiançailles empêche celles-ci d’aboutir au mariage. D’ailleurs cette rupture ne fait aucun tort à la partie innocente, mais lui est plutôt avantageuse, car elle la libère d’un lien contracté avec une personne coupable devant Dieu du péché de fornication.

5. Selon quelques auteurs, le cas invoqué de dispense mutuelle ne peut pas se réaliser. Mais une décrétale d’innocent III prouve le contraire, car elle dit expressément : "Si on peut être indulgent et user de tolérance vis-à-vis de ceux qui, après avoir, pris des engagements de fidélité réciproque, se rendent ensuite leur parole, on peut l’être aussi et faire de même vis-à-vis de ceux qui contractent fiançailles et se dispensent ensuite mutuellement du devoir d’y être fidèles".

Les mêmes auteurs répondent que l’Eglise use ici de tolérance pour éviter un plus grand mal, plutôt qu’elle n’en fait un point de droit. Or, une pareille explication ne s’accorde pas avec l’exemple allégué par la Décrétale. Il faut donc conclure que revenir sur des pro messes n’est pas toujours preuve de légèreté, car nos prévisions sont incertaines, comme le dit le livre de la Sagesse.

6. Les fiancés, il est vrai, ne se sont pas donné de droits réciproques sur leurs corps, mais leurs fautes peuvent les rendre suspects l’un à l’autre et leur faire soupçonner qu’ils ne seront pas fidèles dans l’avenir. En rompant les fiançailles, ils se mettront donc en garde l’un contre l’autre.

7. Cette raison serait valable si le contrat de fiançailles et le contrat de mariage étaient de même nature : or, il n’en est pas ainsi. Le second contrat, celui de mariage, est plus fort que le premier et peut donc le rompre.

8. Si les fiançailles conclues avant l’âge requis ne sont pas de vraies fiançailles, elles en ont pourtant les apparences. Aussi, afin de n’avoir pas l’air de les approuver, une fois parvenus à l’âge requis, les fiancés doivent ; pour le bon exemple, demander au juge ecclésiastique de prononcer la rupture de leurs fiançailles.

 

QUESTION 44 — LA DÉFINITION DU MARIAGE

Il faut définir le mariage. A ce sujet on peut se demander trois choses : 1. Le mariage est-il une union ? -2. Porte t-il le nom qui lui con vient ? -3. Sa définition est-elle exacte ?

 

Article 1 — Le mariage est-il une union ?

Objections :

1. Il semble que non. Le lien qui réunit deux choses se distingue de leur union comme la cause se distingue de l’effet. Or, le mariage est un lien spécial que contractent ceux qui se sont épousés. Il n’est donc pas une sorte d’union.

2. Tout sacrement est signe sensible. Mais aucune relation n’est chose sensible. Le mariage, étant un sacrement, ne rentre donc pas dans la catégorie des relations, ni par suite dans celle des unions.

3. L’union est une relation d’équivalence, comme l’égalité. Or, comme l’a remarqué Avicenne, la relation d’égalité n’est pas la même numériquement dans chacun des termes comparés. Ainsi en sera t-il de l’union. Si donc le mariage était alors une sorte d’union, les deux époux ne con tracteraient pas le même et unique mariage.

Cependant :

La relation est un rapport mutuel entre deux êtres. Or, le mariage consiste dans un rapport mutuel entre deux personnes : le mari est nommé époux de la femme, la femme épouse du mari. Le mariage rentre donc dans la catégorie des relations et n’est pas autre chose qu’une union.

En outre, pour ne faire qu’un, deux êtres n’ont pas d’autre moyen que de s’unir ensemble. Or, il en est ainsi dans le mariage, car selon les mots de la Genèse : "ils sont deux dans une seule chair", Le mariage est donc une espèce d’union.

Conclusion :

L’union implique une certaine association. Partout ou des êtres s’associent, il y a donc une certaine union. Mais des êtres qui se destinent à un même but, on dit qu’ils sont associés. Ainsi, on appelle compagnons d’armes ou associés de commerce tous ceux qui se réunissent pour former une milice ou pour faire des affaires. Or Contracter mariage, c’est se destiner à poursuivre le même but, la génération ou l’éducation des enfants et à vivre de la même vie familiale. Il en résulte donc que le mariage consiste en une sorte d’union entre deux êtres appelés mari et femme. Association en vue d’une même fin, voilà donc le mariage. Quant à l’union des corps et des âmes, elle est une conséquence du mariage.

Solutions :

1. Le mariage est ce lien qui unit les époux formellement et non par mode d’efficience. Il ne doit donc pas s’identifier avec autre chose que l’union des époux.

2. Si la relation n’est pas un objet perceptible au sens, ses causes peuvent être perçues par les sens. D’ailleurs, ce qui est réalité et signe à la fois dans les sacrements n’est pas nécessairement sensible : or c’est, précisément, l’union en question qui joue ce rôle dans le sacrement de mariage. Mais les paroles expressives du consentement, qui sont seulement signes en même temps que causes de l’union, sont perceptibles aux sens.

3. Toute relation a une cause et un sujet : ainsi la relation de ressemblance a comme cause une qualité et comme sujets les réalités qui sont semblables. Suivant l’un ou l’autre de ces points de vue, la relation apparaît une ou multiple. Quand il s’agit de ressemblance, la qualité qui cause la ressemblance n’est pas numériquement la même mais spécifiquement identique dans les deux êtres semblables ; d’autre part, les sujets qui se ressemblent sont numériquement deux. Il en est de même pour la relation d’égalité : l’égalité et la ressemblance sont donc de toutes manières numériquement distinctes dans les deux réalités semblables ou égales. Or cette relation qu’est le mariage est une en chacun de ceux qu’elle unit, grâce à sa cause, car elle a pour but une même et commune génération. Mais du côté des contractants elle est numériquement différente. Elle est donc à la fois une et multiple. Envisagée dans sa multiplicité, c’est-à-dire dans ses sujets, elle est désignée par les noms de mari et e con sidérée dans son unité, elle prend le nom de mariage.

 

Article 2 — Le mariage porte t-il le nom qui lui convient ?

Objections :

1. Ce nom ne lui convient pas, semble t-il. On doit, en effet, désigner les choses par ce qu’elles renferment de plus digne. Or, dans la famille, le père est supérieur à la mère. Leur union doit donc emprunter son nom plutôt au père.

2. Ce qui est essentiel à une chose doit servir à la désigner, car, selon Aristote "les éléments indiqués par le nom entrent dans la définition". Or la cérémonie des noces n’est pas essentielle au contraire. On ne doit donc pas donner à ce dernier le nom de noces.

3. L’espèce ne peut pas prendre le nom qui appartient au genre. Mais l’union est un genre dont le mariage est une espèce. On ne doit donc pas appeler le mariage union conjugale.

Cependant :

L’usage et le langage universel justifient cette appellation.

Conclusion :

Dans le mariage il faut distinguer son essence, sa cause, son effet. Son essence, c’est l’union, aussi l’appelle-t-on union conjugale.

Sa cause, c’est la cérémonie des épousailles ; on leur donne le nom de noces, puisque le mot de nuptice (noces) vient du verbe nubere, couvrir, et que dans la cérémonie nuptiale on met un voile sur la tête des époux.

L’effet du mariage est la procréation des enfants, on emploie alors le nom de mariage-(matrimo nium) parce que, comme le dit S. Augustin : "la femme ne doit pas se marier sinon pour devenir mère". On peut dire encore que ce mot de mariage (matrimonium) signifie la fonction de : la mère (mains munium), car c’est à la femme surtout qu’incombe le devoir du mariage, c’est- à-dire l’éducation de l’enfant.- : Ou bien on l’appelle mariage (matnimonium) parce qu’il protège la mère (matrem muniens) ; celle-ci, en effet trouve un défenseur, un protecteur, en son mari. -Ou bien ce mot peut signifier avertis seinent de la mère (matrem monens), c’est-à-dire avertissement de ne pas quitter son époux pour s’unir à un antre. -Ou bien on l’appelle mariage, c’est-à-dire matière d’un seul (materia unius) parce que l’union a pour résultat matériel une famille unique, comme si le mot de matrimonium venait de &o et de materia. -Enfin S. Isidore dit que ce mot de mariage vient des deux mots mère et né (matre, nato, matrimonium) parce que dans le mariage la femme devient la mère d’un nouveau-né.

Solutions :

1. Si le père est supérieur à la mère, les devoirs- de la mère- près de l’enfant- sont cependant plus importants. On peut dire aussi que la femme a été créée principalement pour- aider l’homme à donner aux enfants lest soins nécessaires, mais non l’homme pour aider- la femme. Dans ce qui distingue le mariage, la mère a donc une plus grande importance que le père.

2. On arrive quelquefois à connaître les essences des choses par le moyen de leurs accidents. Aussi peut les dénommer d’après ces accidents, puisque le nom a pour but de les faire connaître.

3. L’espèce conserve parfois à cause de son imperfection -le nom du genre auquel elle appartient : elle vérifie alors complètement la définition du genre mais n’ajoute rien qui dénote une perfection particulière le propre accidentel par exemple, conserve le nom du propre prédicamental. Cela peut provenir encore de la perfection de l’espèce : car une espèce, à la différence d’une autre, peut réaliser parfaitement l’idée générique. Ainsi l’animal tire son nom de l’âme, que contient le corps animé, genre de l’animal. Mais l’animation des êtres animés, en dehors des animaux, n’est pas parfaite. Il en est de même dans le mariage l’union de l’homme et de la femme réalise l’union la plus grande qui soit, car c’est l’union des âmes et des corps. Aussi lui donne- t-on ce nom d’union.

 

Article 3 — Le Maître des Sentences a t-il bien défini le mariage ?

Objections :

1. Il semble que le Maître des Sentences définit mal le mariage en l’appelant "union maritale entre personnes légitimes et qui maintient entre elles une même manière de vivre". Pour dire ce qu’est le mari, il faut définir le mariage, car le mari est l’homme uni à la femme par le mariage. Mais pour définir le mariage, on dit union maritale. Il y a donc, semble t-il, un cercle vicieux.

2. Dans le mariage, si l’homme devient le mari de la femme, celle-ci devient aussi l’épouse de l’homme. Pourquoi appeler alors le mariage union maritale et se servir d’un terme dérivé du mot mari, plutôt que du mot épouse.

3. La manière de vivre se rapporte aux mœurs d’un chacun. Mais les gens mariés ont souvent des mœurs différentes. Il ne faut donc pas ajouter à la définition ces mots "qui main tient entre époux une même manière de vivre".

4. On peut lire encore d’autres définitions du mariage. Selon Hugues de Saint-Victor, le mariage consiste dans le consentement légitime à l’union conjugale de deux personnes aptes à le donner. Selon d’autres, le mariage st le partage d’une fie commune et mie société de droit divin et humain. On demande en quoi diffèrent ces définitions.

Conclusion :

Comme on vient de le dire, il faut considérer trois choses dans le mariage sa cause, son caractère essentiel, son effet. Aussi bien a-t-on donné trois définitions correspondantes. Hugues de Saint-Victor, en effet, a défini le mariage par sa cause, c’est-à-dire, le consentement, et cette définition est claire. La définition du Maître des Sentences indique le caractère essentiel du mariage, l’union. Puis, elle énonce l sujets particuliers qui le contractent, par ces mots : entre personnes légitimes. Elle indique aussi la différence spécifique de cette union par le mot maritale, car le mariage, sorte d’union contractée en vue d’un but déterminé, se distingue des autres espèces par sa fin et celle-ci dépend du mari. Elle énonce encore la force de cette union qui est indissoluble, au moyen des mots maintient entre les époux une même manière de vivre.

La troisième définition indique l’effet du ma nage, c’est-à-dire, la "communauté de vie" dans la famille. Et comme toute société est l’objet de lois qui réglementent sa nature, on énonce quelles sont les lois qui régissent la société des époux, en ajoutant "de droit divin et humain". Au contraire, les autres sociétés, comme celles des gens d’affaires, des soldats, sont l’objet des lois humaines seules.

Solutions :

1. Comme cela se produit quelquefois, les caractères principaux qui devraient entrer dans la définition ne sont pas mentionnés ; aussi, pour définir, énonce-t-on les éléments qui, logiquement viennent en second lieu, mais que nous connaissons mieux ainsi dans la définition de la qualité, on emploie l’adjectif quel, comme le fait Aristote quand il définit la qualité "ce qui permet de dire quels nous sommes". De même, dans la définition du mariage, on parle d’union maritale ; et cela signifie que le mariage est une association ayant pour but de réaliser ce que le mari a le devoir d’accomplir ; on ne pouvait exprimer cela en un seul mot.

2. Comme nous l’avons dit, cette manière de parler indique la fin du mariage, et comme, selon le mot de l’Apôtre, "ce n’est pas l’homme qui a été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme", il fallait expliquer cette particularité en nommant l’homme plutôt que la femme.

3. Il en est de la vie conjugale comme de la vie civile : ce n’est pas l’acte particulier de tel ou tel individu qui intéresse la vie civile, mais ce qui touche aux intérêts communs ; ainsi la vie conjugale implique-t-elle toujours une même vie commune ce qui n’empêche pas les époux d’accomplir différemment les actes qui les con cernent individuellement.

4. La réponse à la quatrième difficulté se trouve dans ce qui précède.

 

QUESTION 45 — LE CONSENTEMENT MATRIMONIAL

 

La suite du traité nous amène à parler du consentement. Il faut d’abord considérer le consentement en lui-même, puis le consentement donné sous serment, ou ratifié par l’acte sexuel, en troisième lieu celui qui est donné par force ou sous condition ; enfin nous parlerons de l’objet du consentement.

Au sujet du consentement en lui-même, cinq questions demandent une réponse : 1. Le consentement est-il la cause efficiente du mariage ? -2. Est-il nécessaire de l’exprimer de vive voix ? -3. Consentir, sous forme de promesses, pour l’avenir, est-ce contracter mariage ? -4. Le consentement exprimé de vive voix suffit-il quand le consentement intérieur fait défaut ? -5. Le consentement donné en secret sous la forme d’un engagement immédiat fait-il contracter le mariage ?

 

Article 1 — Le consentement est-il la cause efficiente du mariage ?

Objections :

1. Il semble que non. Les Sacrements ne dépendent pas, en effet, de la volonté humaine, mais de l’institution divine. Or le consentement est un acte de la volonté humaine. Il n’est donc ni la cause du mariage, ni la cause des autres sacrements. .

2. Rien n’est cause de soi-même. Mais le mariage s’identifie avec le consentement, puisque celui-ci symbolise l’union du Christ et de son Eglise. Le consentement n’est donc pas la causé efficiente du mariage.

3. Un effet unique ne sort que d’une cause unique. Or, le mariage entre deux personnes consiste, comme on l’a dit, en une relation unique ; Au contraire les consentements des deux personnes sont deux choses différentes et se rapportent à des sujets différents, car, si l’un des consentements est donné à l’homme, l’autre est donné à la femme. Le consentement mutuel n’est donc pas la cause du mariage.

Cependant :

1. Saint Jean Chrysostome écrit : "Ce ne sont pas les relations charnelles qui font le mariage,'mais l’union volontaire".

2. En outre, on ne peut user de ce dont autrui dispose librement sans le consentement de celui-ci. Mais, dans le mariage, chacun des époux, comme le dit l’Apôtre, reçoit le droit d’user du corps de l’autre, alors qu’auparavant chacun d’eux pouvait librement disposer du sien. Le consentement est donc la cause du mariage.

Conclusion :

Tous les sacrements produisent un effet spirituel par l’entremise d’une action matérielle qui en est le signe : ainsi, grâce à l’ablution corporelle, le baptême opère la purification spirituelle de l’âme. Or le mariage consiste en une union spirituelle, car c’est un sacrement ; il a aussi pour effet un lien matériel, puisqu’il est une institution naturelle nécessaire à la vie sociale. Il atteindra donc toujours, la vertu divine aidant, son but spirituel grâce à son effet matériel. Or, les associations par contrat, dans la vie matérielle, ont pour cause le consentement mutuel des parties. L’union matrimoniale se formera donc nécessairement de cette façon.

Solutions :

1. La cause première des sacrements est la vertu divine qui se sert d’eux comme d’instruments de salut, mais les causes secondes instrumentales sont les actions matérielles instituées par Dieu et douées d’une réelle efficacité.

2. On l’a déjà montré, le mariage ne consiste pas dans le consentement comme tel, mais dans l’union de deux personnes qui se proposent une même fin. Le consentement a donc cette union pour effet. D’autre part, il ne représente pas, à proprement parler, l’union du Christ et de son Eglise, mais plutôt la volonté du Christ qui a voulu réaliser cette Union.

3. Si le mariage est un en raison de l’objet de l’association, il est aussi multiple en raison des deux conjoints. De même, les consentements des deux époux ne font qu’un puisqu’ils ont le même but, mais ils sont aussi multiples parce qu’ils sont donnés par des personnes différentes. Enfin, le consentement de l’épouse ne porte pas précisément sur l’homme mais sur l’union avec cet homme, de même que le consentement de l’homme a pour objet l’union avec la femme,

 

Article 2 — Est-il nécessaire d’exprimer le consentement de vive voix ?

Objections :

1. Ce n’est pas nécessaire. L’homme qui se marie se soumet en effet au pouvoir d’autrui, comme celui qui prononce un vœu. Mais un vœu oblige devant Dieu, bien qu’on ne l’exprime pas de vive voix. De même le consentement sans paroles rendra le mariage obligatoire.

2. Le mariage peut avoir lieu entre deux personnes incapables de se dire l’une à l’autre de vive voix qu’elles consentent, comme entre des muets ou des gens de nationalité différente. Il n’est donc pas nécessaire que l’on manifeste en paroles le consentement.

3. Si on néglige une condition de validité pour quelque raison que ce soit, le sacrement est nul ; Or il arrive que le mariage est valide, sans qu’il y ait eu des paroles prononcées : ainsi en est-il pour une jeune fille qui se tait par pudeur, quand ses parents la remettent entre les mains de son époux. La prononciation des mots n’est donc pas nécessaire au consentement.

Cependant :

Le mariage est un sacrement. Mais tout sacrement exige la présence d’un signe sensible. Le mariage requiert donc des paroles exprimant le consentement.

En outre, le mariage est un contrat entre l’homme et la femme. Or, tout contrat exige que les parties se manifestent extérieurement - la nature de leurs obligations réciproques. Le mariage doit donc se faire par un consentement exprimé de vive voix.

Conclusion :

Nous savons, par ce qui pré cède, que l’union conjugale revêt la forme d’un engagement obligatoire, semblable aux contrats de la vie matérielle. Or il ne peut y avoir contrat de cette sorte sans que les parties se fassent connaître mutuellement et verbalement leurs desseins. Il faudra donc, pour la même raison, exprimer de vive voix le consentement matri monial. Ainsi la manifestation verbale du consentement jouera dans le mariage le même rôle que l’ablution extérieure dans le baptême.

Solutions :

1. L’obligation du vœu n’est pas sacramentelle, mais spirituelle. Il n’est donc pas nécessaire que le vœu, pour avoir force obligatoire, soit fait à la manière d’un contrat. Cela est cependant requis pour le mariage.

2. Si certaines personnes ne peuvent pas se faire connaître d’e vive voix leurs désirs, elles peuvent le faire par des gestes. Et ces gestes tiennent lieu de paroles.

3. Comme le fait remarquer Hugues de S. Victor, "les époux doivent consentir au don réciproque qu’ils se font et se donner de plein gré : la preuve de ce fait sera l’absence du refus de s’unir". Dans le cas proposé on considère les signes donnés par les parents comme donnés aussi par la jeune fille : la preuve suffisante de son adhésion, c’est qu’elle n’y contredit pas.

 

Article 3 — Le consentement, exprime sous forme de promesse pour l’avenir, est-il cause du mariage ?

Objections :

1. Exprimé de cette façon, le consentement sera cause du mariage, semble t-il. Car ce que le présent est au présent, l’avenir l’est à l’avenir. Or, du consentement donné sous forme d’engagement immédiat résulte le mariage immédiat. Donné sous forme de promesse pour l’avenir, le consentement aura donc pour effet le mariage futur.

2. Dans le mariage, comme dans les autres contrats civils, on accepte les obligations en manifestant son consentement. Mais il est indifférent que les parties de ces autres contrats prennent des engagements immédiats ou futurs. Ceux qui contractent mariage pourront donc faire l’un ou l’autre.

3. Par les vœux de religion, l’homme contracte un mariage spirituel avec Dieu. Mais les vœux de religion sont des promesses qui engagent l’avenir et ont force obligatoire. De même, le mariage pourra se faire sous la forme de promesse pour l’avenir.

Cependant :

celui qui consent à prendre dans l’avenir telle femme pour épouse et s’engage ensuite présentement avec telle autre, est obligé de conserver cette dernière : c’est le droit qui le veut. Or, il n’en serait pas de la sorte si l’union acceptée pour l’avenir avait été un vrai mariage, car celui qui est lié à une femme, ne peut du vivant de celle-ci, s’unir à une autre. Le consentement exprimé par un engagement pour l’avenir ne peut donc avoir le mariage pour effet.

En outre, celui qui promet de faire une chose ne l’accomplit pas encore. Or celui qui consent au mariage par un engagement pour l’avenir, promet qu’il contractera mariage avec une certaine personne. Il ne le contracte donc pas présentement.

Conclusion :

Ces causes que sont les sacrements sont des signes efficaces : ils produisent ce qu’ils signifient. Or, exprimer son consentement sous forme d’engagement pour l’avenir, ce n’est pas faire entendre que l’on contracte mariage, mais que l’on promet de se marier. Une telle forme du consentement n’entraîne donc pas le mariage, mais c’est un accord que l’on appelle fiançailles.

Solutions :

1. Quand le consentement revêt la forme d’un engagement immédiat, celui qui s’engage s’exprime au présent, son consentement vise le moment même où il s’engage. Mais quand il accepte de consentir à un engagement pour l’avenir, il exprime bien présentement ses pro messes, mais ne veut les réaliser que plus tard, Il ne s’engage donc pas à agir immédiatement. Il existe donc une différence entre les deux manières de faire.

2. De même en est-il pour les autres contrats en parlant au futur, on ne transmet pas des droits sur l’objet du contrat. On dit seulement alors "je te donnerai". On ne cède ses droits que si on s’y engage immédiatement.

3. Dans la profession, ce qu’on promet pour l’avenir, c’est la fidélité aux obligations du mariage spirituel, c’est-à-dire l’obéissance ou l’observation de la règle, mais non pas le mariage spirituel. Si l’on ne s’engage à réaliser un mariage spirituel que dans l’avenir, le mariage spirituel n’existe pas encore, car de ce fait on ne devient pas moine, on promet seulement de l’être.

Article 4 — Un simple signe d’assentiment, même verbal, suffi à constituer le mariage, si le consentement intérieur fait défaut ?

Objections :

1. Quand il n’y a pas consentement intérieur, les paroles extérieures suffisent à nouer le mariage. Il est juste, en effet que la fraude et la ruse tournent au détriment de ceux qui osent s’en servir ; d’ailleurs le droit l’exige. Or, celui-là use de fraude qui déclare consentir alors qu’il ne le fait pas dans son cœur. Il ne peut donc profiter de ce fait pour se libérer de l’obligation que lui impose le mariage.

2. Le seul moyen de faire connaître le consentement intérieur est de le manifester au dehors. Et si cette expression ne suffisait pas, si les deux époux devaient encore consentir dans leur cœur, aucun d’eux ne pourrait savoir si l’autre est vraiment son conjoint. Ils seraient donc coupables de fornication chaque fois qu’ils useraient du mariage.

3. Quand un homme a consenti ouvertement à prendre présentement une femme, on le force, sous peine d’excommunication, à la conserver comme épouse, même s’il prétend n’avoir pas consenti intérieurement, et bien qu’il ait épousé ensuite une autre femme, en y consentant cette fois vraiment. Or on n’agirait pas ainsi envers lui, si le consentement ultérieur était nécessaire au mariage. Il ne l’est donc pas.

Cependant :

Innocent III, dans une décrétai ; répond ainsi à la question présente "Sans le consentement tout le reste ne vaut rien pour établir l’union conjugale".

D’autre part, l’intention est une condition nécessaire à la validité des sacrements. Or, celui qui ne consent pas intérieurement au mariage n’a pas l’intention de le contracter. Il n’y a donc pas mariage.

Conclusion :

Les paroles expressives du consentement remplissent, dans le mariage, le même rôle que l’ablution extérieure dans le baptême. Or, on ne recevrait pas le baptême si, tout en se soumettant à l’ablution extérieure, on se proposait non pas de recevoir le sacrement, mais de se divertir ou de tromper. De même, la manifestation extérieure du consentement sans l’acquiescement intérieur ne suffit pas à nouer le mariage.

Solutions :

1. Il faut ici considérer deux choses en premier lieu, le défaut de consentement que l’homme revendique au for de sa conscience pour ne pas contracter le lien con jugal, mais dont il ne peut se prévaloir devant le for extérieur de l’Eglise, qui juge les faits selon les témoignages allégués. En second lieu, la fausseté des paroles dont le coupable ne bénéficie ni au for de la pénitence ni au for externe de l’Eglise, car il est puni pour cela en l’une et l’autre de ces juridictions.

2. Si le consentement intérieur de l’un des deux époux fait défaut, le mariage n’existe ni d’un côté ni de l’autre, car point de mariage sans union réciproque. On peut cependant regarder comme probable l’absence de fraude, à moins de preuve évidente, car on doit se fier à la loyauté de quelqu’un jusqu’à preuve du contraire. Aussi bien, celui qui n’a pas usé de fraude est-il excusable en raison de son ignorance.

3. Dans le cas proposé, l’Eglise contraint l’homme à demeurer avec sa première épouse, car elle juge selon les apparences et elle ne commet pas d’erreur injuste, mais une erreur de fait. Mais l’homme doit supporter d’être excommunié plutôt que de reprendre sa première épouse, ou bien alors fuir dans des régions lointaines.

 

Article 5 — Suffit-il de consentir en secret au mariage immédiat pour être marié ?

Objections :

1. Cela ne suffit point. Ce que possède une personne, en effet, ne peut devenir la propriété d’autrui sans le consentement de la première. Or un père possède des droits sur sa fille. Une jeune fille ne peut donc se marier et se soumettre au pouvoir de son mari sans l’adhésion de son père. Consentir en secret même au mariage immédiat ne suffit donc pas pour contracter mariage.

2. Le mariage ressemble à la pénitence, car il exige comme condition essentielle un acte personnel de notre part. Or, le sacrement de pénitence requiert l’intervention des ministres de l’Eglise, dispensateurs des choses saintes. Le mariage ne peut donc se faire secrètement sans la bénédiction sacerdotale.

3. Le baptême peut être privé ou solennel, car l’Eglise n’interdit pas qu’on l’administre en secret. Mais l’Eglise interdit les mariages clandestins. On ne peut donc contracter mariage secrètement.

4. Les parents au second degré ne peuvent se marier ensemble puisque l’Eglise le leur défend. Or, l’Eglise s’oppose d la même façon aux mariages clandestins. Ces derniers ne peuvent donc être valides.

Cependant :

La cause une fois posée, l’effet suit. Or la cause efficiente du mariage est le consentement donné au mariage immédiat. Que ce consentement soit secret ou public, le mariage s’ensuivra donc toujours.

D’autre part, quand la vraie matière et la forme des sacrements sont présentes, le sacrement produit son effet. Or le mariage même secret est pourvu de la forme requise puisqu’on a prononcé les paroles du consentement à l’union immédiate, et de la matière idoine puisque les personnes légitimes sont présentes. Il y a donc mariage valide.

Conclusion :

Il en est du mariage comme des autres sacrements certaines cérémonies leur sont essentielles, tandis que d’autres ne font qu’ajouter une plus grande solennité. L’absence des secondes n’empêche point la validité du sacrement, bien qu’il y ait faute à les omettre. Or, ici, le consentement donné à l’union présente entre personnes capables de se marier réalise le mariage. Ce sont là, en effet, les deux conditions essentielles, car tout le reste contribue à la solennité du sacrement et consiste seulement en des cérémonies de convenance dont l’omission ne nuit pas à la validité du mariage. Toutefois les personnes qui contracteraient union sans les accomplir commettraient une faute, à moins d’excuse légitime.

Solutions :

1. Une jeune fille n’est pas soumise à son père à la façon d’une esclave, à tel point qu’elle ne puisse disposer elle-même de son corps elle dépend en réalité de son père quant à son éducation. Conservant donc sa liberté, elle peut se soumettre à un tiers sans le consentement paternel ; de même un jeune homme et une jeune fille peuvent entrer en religion sans le gré de leurs parents, car ils peuvent disposer d’eux-mêmes.

2. Nos actes personnels sont essentiels au sacrement de pénitence, mais ne suffisent pas à produire l’effet immédiat du sacrement, à savoir l’absolution des péchés : aussi est-il nécessaire que le prêtre intervienne pour compléter le sacrement. Dans le mariage, nos actes personnels suffisent à créer le lien qui est l’effet immédiat du sacrement, car toute personne peut s’engager vis-à-vis d’une autre. La bénédiction du prêtre n’est donc pas requise comme condition essentielle du sacrement.

3. On ne peut pas recevoir le baptême d’une personne autre que le prêtre, sinon en cas de nécessité. Mais le mariage n’est pas un sacrement que l’on doive nécessairement recevoir. Les deux cas sont donc différents.

Les mariages clandestins, d’autre part, sont interdits en raison des graves inconvénients qui en sont habituellement la conséquence ; car ici, une partie trompe souvent l’autre. En outre, les conjoints convolent fréquemment à d’autres noces en se repentant d’avoir agi avec précipitation. Ces mariages ont encore beaucoup d’autres inconvénients, et ont enfin quelque chose de répugnant.

4. Les mariages clandestins ne sont pas interdits parce que les conditions essentielles du contrat font défaut, ce qui arrive au contraire pour les mariages entre personnes inaptes, car celles-ci ne représentent pas la matière exigée par ce sacrement. Il n’y a donc pas parité entre les deux cas.

 

QUESTION 46 — DU CONSENTEMENT SUIVI D’UN SERMENT OU DE RELATIONS SEXUELLES

La suite de notre étude nous amène à considérer les cas où le consentement est suivi d’un serment ou de l’acte sexuel. A ce propos, deux questions à résoudre : 1. Y a t-il mariage quand, à la promesse de le contracter, on ajoute un serment ? -2. Les relations charnelles qui suivent une promesse de mariage incluent-elles le mariage en fait ?

 

Article 1 — Y a t-il mariage quand, à la promesse de le contracter, on ajoute un serment ?

Objections :

1. Il semble que oui, Aucun homme, en effet, ne peut s’obliger à désobéir au droit divin. Or celui-ci exige que l’on reste fidèle à ses serments, car il est dit dans saint Matthieu "Vous vous acquitterez de vos serments envers le Seigneur". Aucune obligation nouvelle ne peut donc dispenser d’accomplir le serment déjà prêté. Aussi l’homme qui consent à prendre dans l’avenir telle femme pour épouse, et qui confirme cette promesse par serment, aura beau se marier avec une autre femme en la prenant aussitôt pour épouse, il devra néanmoins observer le serment antérieur. Or cela ne serait pas possible si ce serment n’avait eu le mariage pour effet. Consentir à se marier dans l’avenir et ajouter un serment, c’est donc conclure le mariage.

2. La véracité divine l’emporte sur la véracité humaine. Mais faire un serment, c’est appuyer sa parole sur la véracité divine. Si donc les mots qui expriment le consentement au mariage immédiat et qui ne sont que de la vérité humaine, ont le mariage pour effet, à plus forte raison les paroles que l’on exprime pour consentir au mariage futur et que l’on confirme par serment auront elles le même résultat.

3. Selon l’Apôtre, le serment met fin à toute discussion. Dans les jugements on doit toujours s’en rapporter à un serment plus qu’à une simple affirmation. Si donc un homme affirme simplement qu’il consent à prendre immédiatement une personne pour épouse, alors qu’auparavant il avait promis sous serment d’en prendre une autre dans l’avenir, le juge ecclésiastique doit le forcer, semble t-il, à demeurer avec la première et non pas à prendre la seconde.

4. Les simples promesses, comme telles, ont les fiançailles pour effet. Mais le serment qui s’y ajouterait ne peut pas rester inutile. Il doit donc produire quelque chose de plus ferme que les fiançailles. Or, au-dessus des fiançailles, il n’y a que le mariage. Les promesses faites avec serment ont donc le mariage pour effet.

Cependant :

Ce qui est à venir, n’est pas encore. Or, malgré le serment, les promesses signifient que le consentement est promis pour l’avenir. Le mariage n’existe donc pas encore.

Quand, d’autre part, le mariage est conclu, aucun autre consentement n’a besoin d’être échangé. Or, après le serment, on donne un nouveau consentement et le mariage s’ensuit, sinon il serait inutile de jurer qu’on le contractera. Ce n’est donc pas au moment du serment que se réalise le mariage.

Conclusion :

On prête serment pour confirmer ses dires. Le serment atteste donc la vérité des paroles énoncées mais n’en change pas le sens. Or, la promesse de consentir dans l’avenir ne signifie pas que le mariage est conclu, car, ce que l’on promet, on ne l’accomplit pas encore. Ajouter un Serment cette promesse, ce ne sera donc pas encore contracter mariage, comme le remarque le Maître des Sentences.

Solutions :

1. Le droit divin impose la fidélité après un serment licite mais non après un serment illicite. Quand, après le serment licite, survient une obligation nouvelle qui rend celui-là illicite, ce n’est pas désobéir au droit divin que de ne pas l’exécuter. Il en est ainsi dans le cas proposé. Le serment est, en effet, illicite, quand la promesse l’est aussi. Or promettre le bien d’autrui est interdit. Par conséquent le fait de céder de suite à une épouse les droits conjugaux rend illicite, pour celui qui les avait promis à une autre, l’exécution du serment prononcé.

2. La vérité divine est la plus efficace pour confirmer ce dont on la prend à témoin.

3. La réponse à la troisième difficulté est la même que la précédente.

4. Le serment ne fait pas naître une obligation nouvelle mais confirme celle qui existe déjà. Dès lors, c’est commettre un plus grand péché que de ne pas l’accomplir.

 

Article 2 — Les relations charnelles qui suivent une promesse de mariage incluent-elles le mariage en fait ?

Objections :

1. Les relations charnelles qui suivent les fiançailles semblent nouer le mariage. Consentir en actes, c’est, en vérité, acquiescer plus qu’on ne le ferait en paroles. Mais celui qui a des rapports charnels consent en actes à l’exécution de sa promesse. Si donc le mariage existe dès qu’il y a consentement verbal à l’union immédiate, à plus forte raison résultera t-il de l’union charnelle.

2. Le consentement au mariage n’a pas besoin d’être exprimé : il suffit qu’on puisse le présumer. Or il n’y a pas de présomption plus claire du consentement que les relations charnelles. Elles ont donc le mariage pour effet.

3. Toute relation charnelle entretenue en dehors du mariage est péché : or une femme ne pèche pas, semble t-il, en ayant des rapports charnels avec son fiancé. Ces rapports incluent donc le mariage.

4. Un péché ne peut être remis qu’après restitution du bien dérobé. Or, à la femme séduite sous prétexte de mariage, l’homme ne peut rendre le bien dérobé qu’en l’épousant immédiatement. Si donc, à la suite des relations entretenues avec cette femme, il en épouse une autre et contracte aussitôt mariage avec elle, il est tenu, semble t-il, de reprendre la première. Il n’en serait pas ainsi, s’il n’y avait eu mariage avec celle-ci. Les rap ports charnels quj suivent la promesse auront donc le mariage pour effet.

Cependant :

Le pape Nicolas Ier déclare : "Si le consentement au mariage fait défaut, toutes les autres démarches, même les relations charnelles, qui s’y joindront, seront sans valeur".

En outre ce qui est postérieur à une chose n’en est pas la cause. Or les relations charnelles suivent le mariage, comme l’effet, sa cause. Elles ne sont donc pas le mariage.

Conclusion :

On peut parler du mariage de deux manières. En premier lieu, au point de vue de la conscience : à ce point de vue, l’union charnelle ne peut vraiment pas nouer le mariage entre deux fiancés, si le consentement intérieur fait défaut. En l’absence du consentement intérieur, des engagements même immédiats n’auraient pas le mariage pour effet.

En second lieu, on peut parler du mariage selon la manière dont l’Eglise en juge. Or, ce sont les gestes extérieurs qui servent de base au jugement de for externe. Mais il n’y a point d’expression plus significative du consentement que les rapports charnels. Aussi l’Eglise déclare dans son jugement que ces rapports postérieurs aux fiançailles incluent le mariage, à moins qu’il n’y ait eu des preuves évidentes de fraude ou de dol.

Solutions :

1. Accomplir l’acte sexuel ; c’est, il est vrai, consentir en fait aux véritables rapports conjugaux, mais ce n’est pas consentir au mariage, sauf selon l’interprétation juridique.

2. Cette présomption ne change pas la réalité des choses, mais le jugement que l’on porte sur elles.

3. Quand la fiancée accepte les rapports charnels parce qu’elle suppose en son fiancé le désir de consommer le mariage, elle est excusable de péché’. A moins que des preuves évidentes ne manifestent un mensonge, ce qui se produirait si tous deux étaient de condition très inégale au point de vue du rang social ou au point de vue de la fortune, ou si un autre signe certain manifestait la tromperie. Mais le fiancé, lui, commet un péché : il pèche d’abord en se livrant à la fornication ; ensuite et davantage en usant de fraude.

4. Si le fiancé a déshonoré sa fiancée, il doit la prendre pour femme et la préférer à toute autre, pourvu que la fiancée soit de rang égal ou de condition plus élevée’. Mais s’il a déjà con tracté mariage avec une autre, il est devenu incapable de satisfaire à cette obligation. Il lui suffit alors de pourvoir à l’avenir de sa fiancée. Cependant disent certains, il n’est pas même tenu à cela, quand il est de condition beaucoup plus élevée ou quand il y a eu des signes certains de tromperie, car on peut supposer avec probabilité que la fiancée n’a pas été trompée mais a feint de l’être.

 

QUESTION 47 — DU CONSENTEMENT FORCÉ ET DU CONSENTEMENT SOUS CONDITION

Parlons maintenant du consentement forcé et du consentement donné sous condition. A ce sujet, nous nous poserons six questions : -1. Le consentement forcé est-il possible ? -2. Y a t-il une forme de violence que puisse subir un homme résolu ? -3. Le consentement forcé rend-il le mariage valide ? -4. Le mariage est-il valide pour le conjoint qui a obtenu de force le consentement de l’autre ? -5. Le consentement donné sous condition rend-il le mariage valide ? -6. Un père peut-il forcer son enfant à contracter mariage ?

 

Article 1 — Le consentement forcé est-il possible ?

Objections :

1. On ne peut exiger de force le consentement. La contrainte, en effet, ne peut avoir raison du libre arbitre, comme on l’a dit ailleurs. Or, le consentement est un acte du libre arbitre. Il ne peut donc être obtenu de force.

2. Selon le Philosophe, la violence ou la contrainte est ce dont la cause se trouve hors du patient mais qui n’y coopère d’aucune façon. Or, tout consentement a sa cause dans le patient. On ne peut donc pas être forcé à consentir.

3. Tout péché s’achève dans le consentement. Mais ce qui est cause du péché ne peut être effet de la violence, puisque selon saint Augustin : "nul ne pèche par un acte impossible à éviter". Or, les juristes l’enseignent, la violence -consiste dans la poussée irrésistible d’un être plus puissant. Le consentement ne peut donc être contraint ou forcé.

4. Assujettissement s’oppose à liberté. Mais la violence est un assujettissement, car, comme le dit Cicéron, "la violence est une force impétueuse qui assujettit un être à des liens étrangers". La violence ne peut donc s’exercer sur le libre arbitre. Elle ne peut donc pas non plus forcer le consentement, acte de liberté.

Cependant :

Ce qui ne peut pas être n’est pas un empêchement. Or la violence qui force le - consentement est un empêchement de mariage, comme l’indique le texte des Sentences. Le consentement peut donc être forcé.

D’autre part, le mariage revêt la forme d’un contrat. Mais, dans les contrats, la volonté peut subir une contrainte. Aussi le législateur exige-t qu’en l’occurrence on remette les choses en leur premier état, car "il ne ratifie pas les actes accomplis par force ou par crainte". Le consentement du mariage peut donc être un consentement forcé.

Conclusion :

La violence s’exerce de deux manières elle peut d’abord imposer une nécessité absolue. Aristote l’appelle alors violence pure elle consiste, par exemple, à pousser brutalement quelqu’un pour le faire avancer. D’une autre manière, elle n’impose qu’une nécessité relative. Aristote la nomme alors violence mixte c’est ainsi que le navigateur jette ses marchandises à la mer pour ne pas couler. Et dans ce cas de violence, l’acte accompli considéré dans l’abs trait, n’est pas volontaire. Cependant étant donné les circonstances, au moment de son exécution, il est bel et bien volontaire. Et comme tout acte ne se réalise que "dans ses conditions particulières", celui-ci a été simplement volontaire et partiellement involontaire. Le consentement de la volonté peut subir cette violence relative, mais non pas la première, la violence p violence mixte, d’ailleurs, ayant pour cause la peur de quelque danger imminent, se confond avec la crainte qui ébranle en quelque sorte la volonté.

Or, le législateur, lui, ne considère pas seulement les actes intérieurs, mais surtout les actes extérieurs ; aussi entend-il par ce mot de violence la violence pure, qu’il distingue de la crainte. Au contraire, on ne parle ici que du consentement intérieur qui ne peut subir cette violence ou force que l’on distingue de la crainte. Dans la question présente, la violence et la crainte sont donc identiques. Et les juristes définissent ainsi la crainte : "le trouble de l’esprit provoqué par un danger présent ou futur"

Solutions :

Les réponses aux difficultés sont contenues dans ce qui précède. Les premières difficultés parlaient de la violence pure, les autres de la violence mixte. La crainte peut-elle forcer la volonté de l’homme résolu ?

 

Article 2 — Y a t-il une forme de violence que puisse subir un homme résolu ?

Objections :

1. Il semble que non. Un homme résolu est en effet celui qui ne se trouble pas devant le danger. Or, la crainte consiste précisément "dans le trouble de l’âme en face d’un danger imminent". Elle ne peut donc forcer la volonté de l’homme résolu.

2. La mort est le plus terrible de tous les maux, d’après Aristote, et comme le plus parfait objet de terreur. Or, les hommes résolus ne se troublent pas devant la mort, car l’homme courageux affronte même le danger de mourir. Aucune crainte ne peut donc forcer la volonté de l’homme résolu.

3. De tous les dangers, c’est celui du déshonneur que les vertueux redoutent le plus. Or, on ne considère pas la crainte du déshonneur comme capable d’influencer un homme résolu, car, comme le dit la loi, "la crainte du déshonneur n’est pas mentionnée dans le décret intitulé : Les actes dont la crainte est la cause". Aucune autre crainte ne peut donc forcer la volonté de l’homme résolu.

4. La crainte n’excuse pas de péché celui qui la subit, car elle l’incite à promettre ce qu’il ne veut pas accomplir elle le fait donc mentir. Or ce n’est pas avoir du courage que de commettre même un petit péché sous l’empire de la crainte. Aucune espèce de crainte ne peut donc forcer la volonté de l’homme résolu.

Cependant :

Abraham et Isaac eurent de la fermeté et pourtant la crainte les fit agir par crainte, en effet, ils prétendirent que leurs épouses étaient leurs sœurs. La crainte peut donc forcer la volonté de l’homme ferme et résolu.

Partout aussi la crainte astreignante va de pair avec la violence relative. Or n’importe quel homme peut subir cette violence et jettera, par exemple, ses marchandises à la mer au moment de la tempête. La crainte peut donc forcer la volonté de l’homme résolu.

Conclusion :

La crainte force la volonté de quelqu’un lorsque celui-ci agit par contrainte, c’est-à-dire, accomplit un acte qu’il ne voudrait pas faire, pour éviter un mal qui lui fait peur. Mais, en cette circonstance, l’homme résolu diffère de celui qui ne l’est pas sur deux points : d’abord relativement à l’importance du danger qui le fait craindre. L’homme résolu, en effet, grâce à son jugement droit, sait ce qu’il faut omettre ou accomplir en face de tel danger. Or, on doit toujours choisir le moindre mal ou le plus grand bien. Aussi un tel homme supportera t-il malgré lui un moindre mal par crainte d’un plus grand ; la crainte ne lui fera jamais commettre un plus grand mal pour en éviter un moindre. L’homme inconstant, au contraire, se sentira forcé de faire un plus grand mal par crainte d’un mal plus petit : par exemple, il commettra un péché par peur d’une peine physique. A l’opposé, l’homme opiniâtre ne pourra pas même être contraint de supporter ou de faire un moindre mal pour en éviter un plus grand. L’homme résolu tient donc le juste milieu entre l’inconstant et l’opiniâtre.

L’homme résolu et l’homme inconstant diffèrent encore dans la manière d’apprécier le danger imminent. Le premier ne se laisse influencer que par des événements estimés graves et susceptibles de se réaliser, le second est ému par des riens : "L’impie prend la fuite quand personne ne le poursuit", lit-on dans les Proverbes.

Solutions :

L’homme résolu ou celui qui a la vertu de force, d’après Aristote, est un intrépide, non pas qu’il ne craigne rien ; mais, ce qui ne mérite aucune crainte ne lui en inspire point. Il ne craint aussi qu’au moment où i il le faut.

2. Le plus grand de tous les maux c’est le péché. Rien ne peut donc contraindre à le commettre l’homme résolu : il doit plutôt mourir que de se résigner à une mauvaise action, comme le dit d’ailleurs Aristote. Quant aux maux corporels, il y en a de moindres et il y en a de plus grands. Plus importants sont ceux qui atteignent les personnes, comme la mort, les blessures, la honte d’un affront, la servitude. Aussi amènent-ils l’homme courageux à subir d’autres dommages corporels dont la liste est contenue dans ce vers : Déshonneur ou situation, blessures, mort violente. Peu importe que ces maux atteignent sa personne ou bien son épouse, ses enfants, ou d’autres parmi ses proches.

3. Si le déshonneur est le plus grand dommage que l’on puisse subir, il est facile toutefois d’empêcher qu’il se produise. Aussi, les juristes ne considèrent pas la crainte du déshonneur comme capable d’influencer un homme résolu.

4. La crainte ne force pas à mentir l’homme résolu, car celui-ci veut tenir ses promesses. Mais il se décide ensuite à demander la restitution, ou s’il a promis de ne pas la demander, il dénonce au juge la violence qui lui est faite. En toute hypothèse, il ne peut s’engager à omettre cette dénonciation ce serait contraire à la vertu de justice et on ne peut forcer personne à agir ainsi, c’est-à-dire à faire un acte injuste.

 

Article 3 — Le consentement forcé rend-il le mariage nul ?

Objections :

1. Non, car le consentement est une condition du mariage au même titre que l’intention dans le sacrement de baptême. Or, celui que l’on force à recevoir le baptême le reçoit validement. De même, celui qui, par crainte, consent au mariage en contracte les obligations.

2. Un acte accompli sous l’influence de la violence relative est plus volontaire qu’involontaire, comme le déclare Aristote. Or on ne peut pas forcer le consentement d’une manière absolue. Celui-ci reste donc quelque peu volontaire. Le mariage est donc encore librement consenti.

3. On doit vraisemblablement conseiller de rester marié à celui qui a consenti au mariage malgré lui ; car faire une promesse et ne pas la tenir est faire un acte apparemment déshonnête, et S. Paul veut que l’on s’abstienne de toute action de ce genre. Mais il n’en serait pas de la sorte si le consentement forcé rendait nul le mariage. Il ne l’annule donc pas.

Cependant :

Une décrétale déclare : "Comme la crainte et la violence détruisent le consentement quand elles interviennent on doit éviter, dans les contrats bilatéraux, tout ce qui peut les produire." Or le mariage exige le consentement mutuel des parties. Celui-ci ne peut donc être obtenu de force.

Le mariage signifie aussi l’union que le Christ a contractée avec son Eglise dans la liberté de l’amour. Il ne peut donc être l’effet d’un consentement forcé.

Conclusion :

Le lien du mariage est un lien perpétuel. Tout ce qui empêche donc le lien d’être perpétuel annule le mariage. Or la crainte qui vient forcer la volonté de l’homme résolu enlève au contrat sa perpétuité, puisqu’il peut en demander la résiliation. Une telle crainte, à la différence des autres, annulera donc le mariage. On considère en effet l’homme résolu comme un vertueux, et c’est pourquoi sa conduite sert de règle dans toutes les actions humaines, comme le dit Aristote.

Cependant selon certains, le consentement une fois donné, même de force, le mariage est valide devant Dieu au for interne, mais non pas devant l’Eglise qui, elle, suppose que le consentement intérieur a fait défaut pour laisser place à la crainte. Or, cette explication ne vaut rien. L’Eglise, en effet, ne doit soupçonner personne de péché, sans en avoir la preuve. Or celui qui a prétendu consentir et n’a pas consenti a commis un péché. Aussi, l’Eglise suppose plutôt qu’il a consenti ; mais elle estime d’autre part que ce consentement extorqué n’est pas suffisant pour donner lieu à un vrai mariage.

Solutions :

1. Dans le baptême, l’intention de recevoir le sacrement n’est pas la cause efficiente de ce dernier, mais une des raisons qui a motivé la démarche du baptisé. Dans le mariage, au contraire, le consentement est la cause efficiente du sacrement. La comparaison ne porte donc pas.

2. Pour contracter mariage, il ne suffit pas de le vouloir d’une façon quelconque, mais en toute liberté ; car le mariage doit rester indissoluble. Par suite, la violence est un empêchement au mariage.

3. En pareille circonstance, on ne doit pas toujours conseiller de demeurer dans le mariage : on ne doit le faire que dans les cas où la rupture ferait craindre un danger. Rompre le mariage ne serait pas d’ailleurs Un péché, car manquer à une promesse faite malgré soi n’est pas un acte d’apparence déshonnête.

 

Article 4 — Le mariage est-il valide pour le conjoint qui a obtenu de force le consentement de l’autre ?

Objections :

1. Quand le consentement a été obtenu de force, le conjoint qui a forcé l’autre à consentir est vraiment marié. Le mariage, en effet, est le signe de l’union des esprits. Mais l’union spirituelle qui est l’effet de la charité peut avoir pour objet une personne dépourvue de charité. Le mariage peut donc être contracté même avec celui qui refuse de consentir.

2. Si la personne que l’on a contrainte à donner son consentement consent ensuite, le mariage sera valide. Or ce consentement n’engage pas celui qui avait forcé cette personne à consentir. Celui-là était donc déjà marié en vertu du consentement précédemment donné.

Cependant :

Le mariage est une relation qui établit l’égalité entre deux personnes. Or pareille relation affecte également l’une et l’autre personne. Si pour l’une il y a empêchement, le mariage ne pourra donc pas exister du côté de l’autre.

Conclusion :

Le mariage consiste en une relation d’un genre spécial. Mais une relation entre deux êtres ne peut exister pour l’un sans exister aussi pour l’autre. Aussi, tout ce qui sera un obstacle au mariage pour l’un le sera aussi pour l’autre il est d’ailleurs impossible à un homme d’être le mari d’une femme qui ne soit pas son épouse, et une femme ne peut être épouse sans avoir un mari, de même qu’il n’y a pas de mère sans enfants. Aussi, dit-on communément qu’il n’y a pas de mariage boiteux.

Solutions :

1. Si une personne peut en aimer une autre qui ne l’aime pas, l’union entre deux personnes ne peut exister sans amour réciproque. Par suite, comme le dit Aristote, l’amitié, qui unit les personnes d’une façon particulière, exige l’affection mutuelle.

2. Quand la personne forcée à consentir donne ensuite de plein gré son consentement, le mariage ne devient valide que si l’autre conjoint continue de consentir pleinement. Si au contraire celui-ci se désistait, il n’y aurait pas mariage.

Article 5 — Le mariage est-il valide quand le consentement a été donné sous condition ?

Objections :

1. On n’affirme pas d’une façon absolue ce que l’on déclare soumettre à une condition. Or, le consentement au mariage doit être exprimé d’une façon absolue. La condition apposée au consentement rend donc nul le mariage.

2. L’existence du mariage doit être certaine. Mais affirmer une chose sous condition, c’est la donner comme douteuse. Un pareil consentement n’a donc pas le mariage pour effet.

Cependant :

L’obligation qui naît des autres contrats peut être subordonnée à une condition ; et l’obligation suit lorsque la condition est réalisée. Puisque le mariage est un contrat, il peut donc être conclu par un consentement donné sous condition.

Conclusion :

La condition apposée au consentement peut avoir pour objet un événement présent ou un événement futur. Porte-t-elle sur le présent, si elle n’est pas contraire aux biens du mariage, qu’elle soit honnête ou non, le mariage est valide lorsque la condition est remplie ; il est nul dans le cas contraire. Mais une condition contraire aux biens du mariage le rend nul.

Si la condition porte sur l’avenir, de deux choses l’une, ou bien le fait se produira nécessairement comme, le lever du soleil pour le lendemain le mariage est alors valide, car de tels événements sont déjà présents dans leur cause. Ou bien, la réalité est incertaine, comme le don d’une somme d’argent, ou l’approbation des parents. Un consentement donné à de telles conditions doit sous forme de promesse pour l’avenir. . Il n’a donc pas le mariage, pour effet.

Solutions :

Cette distinction résout les difficultés.

 

Article 6 — Un père peut-il imposer le mariage à son enfant ?

Objections :

1. Il le peut, semble t-il. S. Paul dit, en effet, dans l’épître aux Colossiens : "Enfants, obéissez en tout à vos parents". Les enfants doivent donc obéir aussi en cette circonstance.

2. Isaac enjoignit à Jacob de ne pas prendre pour épouse une fille de Chanaan. Il ne lui aurait pas donné cet ordre s’il n’en avait pas eu le droit. Un fils est donc tenu d’obéir à son père sur ce point.

3. On ne doit rien promettre et surtout avec serment au nom de ceux que l’on ne pourra contraindre à exécuter la promesse. Or, les parents font au nom de leurs enfants des promesses de mariage et les font même sous serment. Ils peuvent donc imposer à leurs enfants l’exécution de ces promesses.

4. Le Pape, père spirituel, peut imposer un mariage spirituel, c'est-à-dire, l’acceptation de l’épiscopat. Un père selon la chair peut donc imposer à son enfant le mariage charnel.

Cependant :

Un fils peut entrer en religion sans commettre de péché, quand son père lui impose de se marier. Il n’est donc pas obligé d’obéir à son père sur ce point.

Si par ailleurs un fils devait obéir en cette occasion, les parents pourraient fiancer leurs enfants malgré eux et les fiançailles seraient valides. Or cela est contraire au droit. En pareil cas, les enfants ne doivent donc pas obéissance.

Conclusion :

Le mariage ressemblant à une sorte de servitude perpétuelle, un père ne peut forcer son fils à lui obéir et à contracter mariage, car le fils est une personne libre par sa condition.

Ce que peut faire le père c’est de persuader son enfant par justes motifs d’agir de la sorte. La valeur que prendront ces raisons pour le fils montrera la valeur des avis de son père. Si les motifs imposent le mariage et en montrent la nécessité ou le bien fondé, le précepte du père aura la même force : sinon, il ne vaudra pas.

Solutions :

1. Le mot de l’Apôtre ne s’applique pas aux circonstances où l’enfant devient libre comme son père. Or l’une de ces circonstances est précisément le mariage, par lequel le fils va devenir père à son tour.

2. Jacob devait obéir à Isaac pour d’autres raisons, c’est-à-dire à cause de la dépravation des femmes de Chanaan, et de la disparition prochaine de la race de Chanaan sur la terre promise à la postérité des patriarches. Isaac avait donc le droit d’imposer le mariage.

3. Les parents ne promettent et ne prêtent serment que sous condition, à savoir si cela plaît à leurs enfants. Ils doivent alors s’efforcer de faire consentir leurs enfants, en y mettant de la bonne foi.

4. Certains prétendent que le Pape ne peut imposer l’épiscopat à personne, car, pour être évêque, il faut y consentir en toute liberté. Mais si cela était vrai, la hiérarchie ecclésiastique disparaîtrait ; Supposé, en effet, qu’on ne puisse obliger quelqu’un à prendre le gouvernement de l’Eglise, l’Eglise ne pourrait plus subsister, car les plus capables de la diriger refuseraient de le faire à moins qu’on ne les y force.

Il n’y a donc point de ressemblance entre les deux situations : le mariage spirituel n’est pas une servitude corporelle comme l’union charnelle. Mais il consiste en une fonction nécessaire à la société : "Qu’on nous regarde comme des ministres", dit l’Apôtre.

 

QUESTION 48 — DE L’OBJET DU CONSENTEMENT.

Il faut examiner l’objet du consentement. A ce sujet, deux questions se posent : 1. Le consentement qui constitue le mariage a t-il pour objet l’union charnelle ? -2. Le mariage est-il l’effet du consentement donné pour un motif déshonnête ?

 

Article 1 — Le consentement qui constitue le mariage a t-il pour objet l’union charnelle ?

Objections :

1. Le consentement efficace au mariage est le consentement à l’union charnelle. Saint Jérôme dit en effet : "Ceux qui ont fait le vœu de virginité se damnent non seulement en se mariant, mais encore en voulant se marier". Or il n’y aurait là rien de condamnable, si la chose n’était pas contraire à la virginité. Mais le mariage ne s’oppose à la virginité qu’en raison de l’union sexuelle. Le consentement de la volonté tel que le comporte le mariage, porte donc sur l’union charnelle.

2. Tous les rapports entre mari et femme peuvent être licites entre frère et sœur à l’exception d’un seul, l’acte sexuel. Puisque le frère et la sœur ne peuvent échanger le consentement matrimonial, ce dernier a donc pour objet l’union charnelle.

3. Si la femme dit à. l’homme "Je consens à vous prendre, à condition que vous n’ayez aucune relation charnelle avec moi", le consentement matrimonial n’existe pas, , car cette condition est contraire à la substance du consentement. Or il n’en serait pas ainsi si le consentement ne portait sur l’union sexuelle. Celle-ci est donc l’objet du consentement.

4. En toute chose l’acte initial correspond à l’acte final. Mais la consommation du mariage consiste dans l’union charnelle. Le consentement, acte initial, a donc pour objet les rapports charnels.

Cependant :

On ne peut consentir à l’œuvre de chair et rester vierge d’esprit et de corps. Mais, après avoir consenti au mariage, saint Jean l’Evangéliste est resté vierge d’esprit et de corps. Il n’a donc pas consenti à l’œuvre de la chair.

D’autre part, l’effet correspond toujours à sa cause. Or le consentement est. la cause du ma nage. Si donc l’union charnelle n’est pas essentielle au mariage, le consentement, cause du mariage, ne sera pas nécessairement un consentement à l’union charnelle.

Conclusion :

Le consentement pour réaliser le mariage doit avoir pour objet ce en quoi consiste le mariage, car la volonté ne réalise vraiment que ce qu’elle entend accomplir. Le rapport de l’acte charnel avec le consentement sera donc le même que le rapport de l’acte charnel avec le mariage. Or, nous l’avons déjà dit, le mariage ne consiste pas essentiellement dans les relations charnelles, il consiste plutôt en une association de l’homme et de la femme, ordonnée à l’union sexuelle et à tout ce qui en résulte pour eux deux, étant donné qu’ils reçoivent l’un sur l’autre des droits à l’acte conjugal. Et cette association est appelée union conjugale. On avait donc rai son de le dire, consentir au mariage, c’est con sentir d’une façon implicite aux relations charnelles, mais non d’une manière expresse, c’est-à-dire, -et il n’y a en effet que cette seule façon de le comprendre, -de la manière dont l’effet est implicitement contenu dans sa cause, car le droit de réaliser l’union de la chair, objet du consentement, est la cause des relations sexuelles, de même que le droit d’user d’une chose est la cause de l’usage qu’on en fait.

Solutions :

1. Si on mérite d’être damné en consentant au mariage, après avoir fait le vœu de virginité, c’est parce que l’on donne à autrui le pouvoir d’accomplir un acte illicite, de même que l’on pèche en permettant à autrui de prendre un dépôt confié et non pas seulement en lui livrant le dépôt On a traite ailleurs du consentement de la Sainte Vierge.

2. Le frère et la sœur ne peuvent avoir le droit de réaliser entre eux l’union charnelle, pas plus que celle-ci ne peut leur être permise. L’argument n’est donc pas concluant. .

3. Cette condition expresse s’oppose non seulement à l’acte du mariage, mais encore à la possibilité de l’accomplir. Elle est donc contraire au mariage.

4. L’acte initial du mariage a le même rapport avec le mariage consommé que l’habitude ou la puissance avec l’action qui en est l’effet.

Les raisons alléguées en sens contraire prouvent seulement que l’on ne consent pas. d’une façon expresse à l’union charnelle dans le mariage. Et ceci est vrai.

 

Article 2 — Y a t-il mariage quand le consentement a été motivé par un but déshonnête ?

Objections :

1. Ce n’est pas contracter mariage que de consentir à épouser une personne pour une fin malhonnête. Une seule chose n’a qu’une seule raison l'être. Or le mariage est un sacrement un. On ne peut donc le contracter qu’en se proposant la fin que Dieu lui a assignée, c’est-à-dire, la procréation de l’enfant.

2. L’union conjugale a été instituée par Dieu, comme le rapporte le texte de saint Matthieu "Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer". Mais l’union contractée pour des motifs déshonnêtes ne vient pas de Dieu. Ce n’est donc pas un vrai mariage.

3. Les autres sacrements ne sont valides que si l’on se conforme à l’intention de l’Eglise. Mais dans le sacrement de mariage, l’Eglise ne pour suit pas des fins déshonnêtes. Consentir pour des motifs honteux n’est donc pas contracter mariage.

4. Boèce l’a dit : "Ce dont la fin est bonne est bon". Mais le mariage est toujours un bien. Il n’y aura donc pas mariage si on contracte pour une fin déshonnête.

5. Le mariage signifie l’union du Christ et de son Eglise. Or celle-ci n’a rien de malhonnête. On ne peut donc pas contracter mariage pour un but déshonnête.

Cependant :

Celui qui baptise avec l’intention de réaliser un gain baptise validement ; de même, celui qui contracte mariage pour gagner de l’argent contracte validement.

Cette vérité est encore prouvée par les exemples et les arguments d’autorité cités dans le texte.

Conclusion :

On peut distinguer deux fins dans le mariage une fin essentielle et une fin accidentelle. La première est le but auquel le mariage est destiné : cette fin est toujours bonne et consiste dans la procréation des enfants et la préservation du péché de fornication. La fin accidentelle est celle que se proposent les époux, en contractant mariage. Mais ce que l’on recherche à propos du mariage ne peut être que l’une de ses conséquences, et comme, d’autre part, les conséquences ne modifient pas la nature de la cause, mais que la cause modifie la nature des conséquences, le mariage ne sera pas un bien ou un mal selon la fin accidentelle que se proposeront les époux, mais ce seront ces derniers qui seront bons ou mauvais, car ils feront de cette fin le but essentiel de leur union. Et comme les causes accidentelles sont en nombre immense, on pourra poursuivre, dans le mariage, une multitude de buts secondaires dont les uns seront honnêtes et les autres ne le seront pas.

Solutions :

1. Sans doute une réalité n’est l’effet que d’une seule cause essentielle et principale. Mais une réalité destinée à une fin essentielle et principale peut servir à plusieurs autres buts secondaires essentiels, et à une infinité de buts accidentels.

2. On peut considérer dans l’union conjugale la relation même qui constitue le mariage ; et celle-ci, venant de Dieu, est toujours un bien, quel que soit le motif du mariage. On peut aussi envisager l’acte accompli par les deux époux quelquefois c’est une mauvaise action qui ne vient pas de Dieu à proprement parler. Il ne répugne pas d’ailleurs qu’un effet vienne à la fois de Dieu et d’une cause mauvaise ainsi, l’enfant né de l’adultère. L’effet ne provient pas de sa cause parce que celle-ci est mauvaise, mais parce qu’elle est bonne en partie ; ce bien a Dieu pour auteur, quoique tout ne vienne pas de Dieu.

3. L’intention qu’a l’Eglise d’administrer le sacrement est nécessaire à la validité de tout sacrement ; sans cette intention il n’y a pas de sacrement Mais l’intention que se propose l’Eglise en cherchant un avantage spirituel dans l’administration du sacrement est utile au sacrement et non nécessaire. Si donc on n’a pas cette intention, le sacrement reste valide. C’est commettre une faute cependant que de ne pas l’avoir. Ce serait, par exemple, une faute de donner le baptême sans vouloir chercher la purification de l’âme, que l’Eglise se propose de faire. De même, en voulant contracter mariage pour un autre but que celui qui est proposé par l’Eglise, on con tracte néanmoins un mariage valide.

4. Cette fin mauvaise n’est pas la fin du mariage, mais le but recherché par les époux.

5. Le symbole de l’union du Christ avec son Eglise est l’union conjugale, mais non l’action que font les conjoints quand ils se marient. L’argument n’a donc pas de valeur.

 

QUESTION 49 — DES BIENS DU MARIAGE.

Reste à considérer les biens du mariage. A ce propos, il faudra répondre à six questions -1. Certains biens sont-ils nécessaires pour justifier le mariage ? -2. L’énumération de ces biens est- elle suffisante ? -3. Le bien du sacrement est-il le premier parmi les autres ? -4. Ces biens excusent- ils de péché l’acte conjugal ? -5. A défaut de ces biens, l’acte conjugal est-il légitime ? -6. A dé faut de ces biens, l’acte conjugal est-il un péché mortel ?

 

Article 1 — Le mariage doit-il être justifié par les biens qu’il procure ?

Objections :

1. Il est dans l’ordre de la nature que la conservation de l’individu se fasse et se réalise par la nutrition, de même que la propagation de l’espèce se réalise par le mariage ; ceci est d’autant plus dans l’ordre que le bien de l’espèce est meilleur et plus digne que le bien de l’individu. Or la nutrition n’a pas à se justifier, pas davantage donc le mariage.

2. Selon Aristote, l’amitié entre mari et femme est une amitié naturelle qui est à la fois honnête, utile et agréable. Or, on n’a pas besoin de justifier ce qui est honnête. On ne doit donc pas assigner au mariage des biens qui l’excuseraient.

3. Le mariage a été institué comme un remède au péché et comme une fonction de la nature. A ce dernier titre, le mariage n’a nul besoin d’être justifié, sinon il aurait dû l’être au paradis, ce qui n’a pas eu lieu, puisque, selon le mot de saint Augustin, "le mariage était alors honorable et le lit nuptial sans tache". De même en est-il du mariage, remède au péché, car il n’est pas nécessaire d le justifier plus que les autres sacrements qui ont été institués aussi pour remédier au péché.

4. Les actions qui peuvent être vertueuses s’accomplissent toutes sous l’influence des vertus. Si le mariage peut être vertueux, il n’a donc besoin pour le devenir que des vertus de l’âme. On ne doit donc pas alléguer des biens qui justifient le mariage, pas plus qu’on ne doit en désigner pour justifier les actes accomplis sous l’in fluence des vertus.

Cependant :

Partout où intervient une permission indulgente, il faut une excuse qui la justifie. Or, c’est en vertu d’une permission indulgente, comme le dit saint Paul, qu’en raison de la faiblesse humaine, on autorise le mariage. Le mariage a donc besoin de motifs qui le justifient.

En outre, les relations charnelles du mariage sont au point de vue naturel de même espèce que celles de la fornication. Or, les relations du concubinage ont d’elles-mêmes un caractère honteux. Pour que le mariage n’ait pas ce caractère, il faut que certains motifs le rendent honnête et le mettent dans une autre catégorie d’actes moraux.

Conclusion :

Aucun homme sage ne doit consentir à supporter un dommage, quand celui-ci n’est pas compensé par un bien égal ou meilleur. Le choix d’un parti qui aura nécessairement un inconvénient quelconque doit donc être justifié par la présence d’un bien qui rétablira l’équilibre en rendant raisonnable et honnête le parti choisi. Or, l’union de l’homme et de la femme cause du tort à la raison, car, d’un côté la délectation sensuelle est si véhémente que la raison absorbée par le plaisir ne peut plus comprendre quoi que ce soit, et d’un autre côté, les tribulations inévitables de la chair accablent les époux de soucis matériels. Aussi, le choix du mariage ne peut devenir raisonnable que moyennant la compensation de certains avantages qui rendront vertueuse pareille union, et tels sont les biens du mariage qui rendent celui-ci légitime et honnête.

Solutions :

1. Le plaisir de l’acte de nutrition est loin d’être aussi intense que le plaisir de l’acte du mariage et il paralyse beaucoup moins la raison, car si la force génératrice par laquelle se transmet le péché originel est dépravée et corrompue, la force de nutrition qui ne le transmet pas est Corrompue, il est vrai, mais non dépravée. D’autre part, chacun a un plus vif sentiment personnel de ses besoins individuels que de ceux de l’espèce. Aussi pour se décider à manger et subvenir ainsi aux besoins personnels, il suffit d’en ressentir le désir. Mais pour stimuler l’acte destine à subvenir aux besoins de l’espèce, la Providence a joint à celui-ci une sensation de plaisir qui pousse même les animaux à l’accomplir, bien qu’ils ne soient pas corrompus par le péché originel. Les deux cas ne sont donc pas semblables.

2. Ces biens qui justifient le mariage lui sont essentiels. S’ils sont nécessaires, ce n’est donc pas parce qu’ils seraient des motifs d’ordre externe qui viendraient rendre le mariage vertueux, mais parce qu’ils sont des éléments essentiels et les causes de l’honnêteté que le mariage possède de par sa nature.

3. Du fait que le mariage est fonction de la nature et remède au péché, il vérifie la définition de l’utile et de l’honnête. Mais ces deux qualités lui conviennent en raison des biens qu’il possède et qui le rendent apte à remplir sa fonction naturelle et à servir de remède à la concupiscence.

4. La rectitude de l’acte vertueux provient à la fois de la vertu qui en est la cause et des circonstances qui en sont les conditions formelles. Or les biens du mariage jouent vis-à-vis du mariage le même rôle que les circonstances vis-à-vis de l’acte vertueux grâce à elles, le mariage peut donc être un acte de vertu.

 

Article 2 — La fidélité, l’enfant, le sacrement, sont-ils les seuls biens du mariage ?

Objections :

1. Il ne suffit pas de compter la fidélité, l’enfant, le sacrement parmi les biens du mariage, comme l’a fait le Maître des Sentences. Le mariage, en effet, n’a pas seulement pour but la procréation et l’éducation de l’enfant, mais encore la collaboration des époux dans la vie commune grâce au partage des travaux, ainsi que le dit Aristote dans les Ethiques. Puisqu’on met l’enfant parmi les biens du mariage, il faut mettre aussi l’association dans le travail.

2. L’union du Christ et de son Eglise, dont le mariage est le signe, se fait par la charité. Parmi les biens du mariage, on devrait donc compter la charité de préférence à la fidélité.

3. Le mariage qui défend aux époux d'avoir des relations charnelles avec une autre personne leur impose encore à tous deux l’accomplissement du devoir conjugal. Mais la première obligation se rapporte à la fidélité, comme le fait remarquer le Maître des Sentences. Puis donc que les époux sont encore tenus au devoir con jugal, on devrait mentionner aussi la justice parmi les biens du mariage.

4. Le mariage, qui symbolise l’union du Christ et de son l'Eglise et qui, par suite, exige l’indissolubilité, doit posséder pour la même raison l’unité, afin d’être l’union d’un seul et d’une seule. Or le sacrement, que l’on compte parmi les biens, se réfère à l’indissolubilité. On devrait donc ajouter un autre bien qui se réfère à l’unité.

5. D’autre part, les biens énumérés semblent trop nombreux. Une seule vertu, en effet, suffit à rendre vertueuse une seule action. Mais la fidélité est une vertu. Il est donc inutile d’ajouter les deux autres biens pour justifier le mariage.

6. De même un acte est utile et vertueux pour des raisons différentes, car l’utile et l’honnête sont deux espèces de bien. Or, c’est à cause de l’enfant que le mariage est utile. L’enfant ne doit donc pas être un des biens qui rendent le mariage vertueux.

7. Enfin rien ne peut être à soi-même sa propriété ou sa condition. Mais les biens sont les conditions du mariage. Comme alors le mariage est de lui-même un sacrement, on ne peut donc regarder le sacrement comme un bien du mariage.

Conclusion :

Le mariage est à la fois fonction naturelle et sacrement de l’Eglise. Institution naturelle, il est soumis à deux conditions comme tout acte de vertu ; selon la première, celui qui agit doit avoir l’intention de réaliser la fin voulue, et voilà pourquoi on mentionne l’enfant parmi les biens du mariage. La seconde condition doit se vérifier dans l’acte lui-même qui sera une bonne action s’il porte sur une matière légitime. Tel est le rôle de la fidélité selon laquelle l’homme entretient des relations avec son épouse et non pas avec une autre femme. Enfin, étant un sacrement, le mariage est une bonne chose, et le mot de sacrement signifie cet autre bien.

Solutions :

1. Le mot enfant désigne non seulement sa procréation mais encore son éducation l’œuvre commune de l’homme et de la femme qui sont unis conjugalement s’étend à ces deux choses puisque les parents thésaurisent naturellement pour leurs enfants, comme le dit saint Paul. C’est ainsi que dans le bien des enfants, fin principale du mariage, se trouve inclus le bien de la vie commune, but secondaire de l’union matrimoniale.

2. La fidélité n’est pas ici la vertu théologale de foi mais une vertu particulière ressortissant à la justice on l’appelle ainsi parce qu’elle consiste à faire "les choses dites" pour rester fidèle aux promesses. Le mariage étant, en effet, une sorte de contrat, renferme une promesse qui lie tel homme à telle épouse.

3. Par cette promesse, les époux s’engagent à ne pas avoir de relations charnelles avec une tierce personne et à se rendre l’un à l’autre le devoir conjugal. Cette dernière obligation est aussi essentielle, puisqu’elle est la conséquence du don réciproque des époux. Les deux engagements rentrent donc dans le devoir de fidélité. Mais le texte des Sentences n’a mentionné que l’engagement qui, au premier abord, est moins évident.

4. Par le mot "sacrement" il faut entendre non seulement l’indissolubilité, mais aussi toutes les conséquences qui résultent de ce que le mariage signifie l’union du Christ et de son Eglise. On peut dire encore que l’unité en question est un des aspects de la fidélité comme l’indissolubilité est un des aspects du sacrement.

5. La fidélité dont on parle ici n’est p ne vertu spéciale mais une condition de la vertu, c’est-à-dire la condition qui justifie le nom de fidélité donné à cette vertu spéciale qui est une des espèces de la justice.

6. L’usage modéré d’un bien utile est honnête ou vertueux non parce qu’il est utile, mais parce qu’il est raisonnable : c’est la raison qui règle l’emploi d’une Chose. De même, la destination d’une chose à un but utile peut la rendre bonne et vertueuse quand la raison en règlera l’usage d’une manière convenable. Ainsi en est-il pour le mariage il est utile puisqu’il a pour but la procréation des enfants, el néanmoins il est un bien honnête parce qu’il a été convenablement réglé pour atteindre cette fin.

7. Selon l’explication du Maître des Sentences, on n’appelle pas ici du nom de sacrement le mariage en tant que tel, mais son indissolubilité qui est signe de la même réalité que le mariage. Ou bien on peut dire que le mariage est de fait un sacrement, mais que pour lui ce n’est pas la même chose d’être un mariage et d’être un sacrement, car il n’a pas été seulement institué pour être le signe d’une chose sacrée, mais aussi pour remplir une fonction naturelle. La qualité de sacrement est donc comme une condition qui s’ajoute aux éléments que possédait le mariage et qui le rendaient vertueux. Par suite, on nomme la sacramentalité parmi les biens qui justifient le mariage. Quand on parle de ce troisième bien, c’est-à-dire du sacrement, on entend non seulement son indissolubilité mais tout ce qui lui donne sa signification.

 

Article 3 — Le sacrement est-il le bien principal du mariage ?

Objections :

1. Il ne l’est pas, car c'est la fin "qui est partout la chose la plus importante". Or, l’enfant est la fin du mariage. L’enfant est donc le principal bien du mariage.

2. Parmi les éléments qui distinguent l’espèce, la différence l’emporte sur le genre parce qu’elle le complète, de même que la forme prévaut sur la matière dans l’organisation d’un être de la nature. Or la qualité de sacrement appartient au mariage en raison de son genre ; l’enfant et la fidélité, en raison de sa différence, c’est-à-dire, parce qu’il est tel sacrement. Ces deux biens sont donc plus importants que le bien du sacrement.

3. Il peut y avoir mariage sans qu’il y ait des enfants et sans que les époux fidèles ; de même l’union peut ne pas être indissoluble ainsi en est-il, par exemple, quand un époux entre en religion, avant de consommer le mariage. Pour ce motif encore, le sacrement n’est donc pas le bien principal du mariage.

4. L’effet ne peut être plus important que la cause. Or le consentement, cause du mariage, est souvent de courte durée. Le mariage peut alors être rompu, l’indissolubilité n’est donc pas toujours une propriété du mariage.

5. Les sacrements dont l’effet est indélébile impriment un caractère. Mais le mariage ne confère pas de caractère. Il n’est donc pas absolument indissoluble. De même alors qu’il peut se réaliser sans qu’il y ait des enfants, il peut exister aussi sans être sacrement. Il faut donc conclure comme précédemment.

Cependant :

Ce qui entre dans la définition d’une réalité lui est absolument essentiel. Or l’indissolubilité, propriété du sacrement, fait partie de la définition déjà donnée du mariage, mais non l’enfant ni la fidélité. Le sacrement est donc le bien principal du mariage.

D’autre part, la puissance divine qui agit dans les sacrements est plus efficace que la puissance humaine. Or l’enfant et la fidélité sont les biens du mariage en tarit qu’institution naturelle, le sacrement est le bien du mariage parce que celui-ci est d’institution divine. Le sacrement l’emporte donc sur les deux autres biens.

Conclusion :

Une réalité peut l’emporter sur une autre pour l’un des deux motifs suivants : parce qu’elle est plus essentielle, ou parce qu’elle est plus excellente. A ce dernier point de vue, le sacrement est plus important que les deux autres biens, car il est propriété du mariage en tant que celui-ci est signe de la grâce, et les deux autres biens appartiennent au mariage parce que celui-ci est institution naturelle. Or, la perfection de la grâce est plus excellente que la perfection de la nature. Mais si une réalité est plus importante parce que plus essentielle, il faut faire une distinction. On peut, en effet, considérer la fidélité et l’enfant sous un double rapport : en eux-mêmes d’abord, et ils sont alors la conséquence du mariage, car user du mariage, c’est être fécond et fidèle aux engagements. Par contre, au mariage même, car du fait que les époux se sont donnés par le contrat conjugal et pour toujours des droits l’un sur l’autre, il s’ensuit qu’ils ne peuvent plus se séparer. Aussi le mariage ne se réalise jamais sans l’indissolubilité, alors qu’il peut exister sans qu’il y ait enfant et fidélité, car l’existence et l’usage d’une chose sont indépendants l’un de l’autre. Sous ce rapport, le sacrement est donc plus important que la fidélité et l’enfant.

Cependant on peut encore envisager la fidélité et l’enfant sous un autre rapport, dans leurs intentions ; par "enfant" on entendra l’intention d’en avoir et par "fidélité" l’intention de rester fidèle. Ces deux intentions accompagnent nécessairement le mariage, parce qu’elles sont comprises dans le contrat matrimonial des deux époux, à tel point que celui qui formulerait dans ce contrat une intention contraire aux deux précédentes ne ferait pas un vrai mariage. Sous ce rapport, l’enfant devient donc la chose la plus essentielle du mariage, la fidélité vient ensuite, et enfin le sacrement : de même, pour l’homme, la nature humaine est plus essentielle que la grâce, bien que la grâce soit plus excellente.

Solutions :

1. Dans l’ordre de l’intention, la fin vient en premier lieu, mais dans l’ordre d’exécution, elle se réalise au dernier instant. De même en est-il pour l’enfant vis-à-vis des autres biens du mariage. Ce bien de l’enfant obtient le premier rang à un point de vue, mais non pas à tous.

2. Le sacrement proposé comme troisième bien convient au mariage, en raison différence spécifique de celui-ci : on emploie, en effet, le mot de sacrement parce que le mariage imite d’une façon spéciale la chose sacrée dont il est le signe.

3. Saint Augustin considère les noces comme des biens humains : aussi, après la résurrection, les hommes n’auront-ils plus d’épouses ni les femmes de Matthieu. Le lien conjugal ne durera donc point au delà de la vie terrestre. Si on l’appelle indissoluble, c’est qu’il ne peut être brisé en cette vie. La mort peut cependant en rompre le lien, qu’il s’agisse de la mort corporelle pour l’union charnelle, ou qu’il s’agisse de la mort spirituelle pour la seule union spirituelle.

4. Le consentement, cause du mariage, ne dure pas toujours d’une façon matérielle, c’est-à-dire n’est pas toujours substantiellement le même acte, car il peut cesser, et un acte contraire peut survenir. Mais le consentement formel est perpétuel, parce qu’il a pour objet l’indissolubilité du lien : sinon, il n’y aurait pas mariage, car consentir à une union temporaire n’est pas contracter mariage. On appelle formel ce consentement parce qu’un acte reçoit sa forme de l’objet sur lequel il porte. Et l’indissolubilité a ainsi pour cause le consentement.

5. Les sacrements qui produisent le caractère confèrent le pouvoir d’accomplir des actes spirituels, mais le mariage donne le pouvoir d’accomplir des actes corporels. Aussi en raison du pou voir qu’il donne à chacun des époux vis-à-vis de l’autre, ressemble t-il aux sacrements qui confèrent le caractère : de là vient son indissolubilité, comme le déclare le Maître des Sentences. Il diffère cependant des autres sacrements en ce que le pouvoir conféré a pour objet des actes corporels ; aussi n’imprime t-il aucun caractère spirituel.

 

Article 4 — Les biens du mariage justifient-ils l’acte conjugal ?

Objections :

1. Les biens du mariage ne justifient pas l’acte conjugal. Celui qui consent, en effet, à souffrir un grand dommage pour un moindre bien commet une faute, car cette manière de faire n’est pas raisonnable. Or le bien de la raison, que diminue l’acte conjugal, est plus important que les trois autres biens : ces derniers ne suffisent donc pas à excuser l’acte conjugal.

2. Quand on associe le bien au mal, tout devient mauvais au point de vue moral : car une seule circonstance mauvaise rend un acte mauvais et une circonstance bonne ne suffit pas à le rendre bon. Or, l’acte conjugal est intrinsèquement mauvais, sinon on n’aurait pas besoin de le justifier. Les biens allégués ne suffisent donc pas à le rendre bon.

3. Partout où il y a excès dans la passion, il y a vice moral. Les biens du mariage, qui ne peuvent empêcher l’excès de délectation de l’acte conjugal, ne peuvent donc pas excuser et justifier celui-ci.

4. On ne rougit pudiquement que d’actes honteux, ainsi que le remarque saint Jean Damascène. Or, malgré les biens du mariage, on rougit de l’acte conjugal. Les biens ne peuvent donc le justifier.

Cependant :

l’acte conjugal ne diffère du péché de fornication que grâce aux biens du mariage. Si ces derniers ne suffisaient pas à justifier l’acte conjugal, le mariage resterait toujours illicite, et on a dit pourtant le contraire précédemment.

D’autre part les biens du mariage sont comme les circonstances obligatoires de l’acte conjugal. Or de telles circonstances suffisent pour rendre un acte bon. Les biens énumérés peuvent donc justifier le mariage et faire qu’il n soit pas un péché.

Conclusion :

On peut justifier un acte de deux façons : d’abord on peut excuser celui qui l’accomplit, alors même que l’action serait mauvaise, ou bien ne pas le rendre totalement responsable de la faute commise : l’ignorance excuse ainsi du péché soit totalement soit en partie.

Ensuite l’action elle-même peut trouver une justification en elle-même, si bien qu’elle ne sera pas une faute ; c’est de cette dernière façon que l’acte conjugal trouve dans les biens du mariage sa justification. Or les mêmes motifs qui empêchent une action d’être moralement mauvaise la rendent bonne, car il n’y a pas d’actes indifférents, comme on l’a déjà dit. Mais un acte humain peut être bon pour l’une des deux taisons sui vantes : ou bien parce qu’il est vertueux ; ce qui le justifie est alors la cause dont il provient. Tel est le rôle de la fidélité et de l’enfant vis-à-vis de l’acte conjugal. Ou bien un acte peut être bon en raison d’un sacrement qui le rend non seulement bon mais saint. L’acte conjugal devient ainsi un acte bon à cause du lien indissoluble qui unit les époux et qui fait du mariage le symbole de l’union du Christ et de son Eglise. Les biens du mariage justifient donc suffisamment l’acte conjugal.

Solutions :

1. L’acte du mariage nuit à la raison non pas en portant préjudice à la faculté de l’âme, mais en empêchant celle-ci de fonctionner. D’ailleurs un acte plus parfait en son genre peut être interrompu sans inconvénient pour un acte moins bon. Cette manière d’agir n’est pas un péché. Ainsi fait le contemplatif qui interrompt sa contemplation pour vaquer à la vie active.

2. La raison alléguée serait juste si le mal inséparable de l’acte conjugal était le mal du péché. Mais dans l’état actuel de l’humanité, ce mal n’est pas le mal du péché, n le mal de la peine qui consiste dans la révolte de la concupiscence contre la raison. L’argument n’est donc pas concluant.

3. L’excès de passion, cause du vice, ne se me sure pas à l’intensité quantitative de la passion, mais au rapport de celle-ci avec la raison. On ne regarde alors comme immodérée que la passion qui dépasse les limites raisonnables. Or, quoique très intense matériellement, la délectation d l’acte du mariage ne dépasse pas les limites que la raison lui impose antérieurement, bien qu’en vérité la raison soit impuissante à le modérer au moment où il s’accomplit.

4. Cette honte qui se joint toujours à l’acte matrimonial et qui en fait rougir est une peine et non pas une faute, car tout défaut inspire naturellement à l’homme un sentiment de honte.

 

Article 5 — Sans les biens du mariage, l’acte conjugal peut-il se justifier ?

Objections :

1. L’acte conjugal peut, semble t-il, se justifier même sans la présence des biens du mariage. Celui qui obéit uniquement à la nature pour accomplir l’acte conjugal ne paraît se proposer aucun des biens matrimoniaux qui appartiennent, en effet, ou à l’ordre de la grâce, ou à l’ordre de la vertu. Or il semble qu’on ne pèche pas en suivant uniquement le penchant naturel pour accomplir l’acte en question, car rien de naturel n’est mauvais, puisque le mal est "en dehors de la nature et de l’ordre", comme le remarque Denys. L’acte du mariage peut donc être légitime sans les biens énumérés.

2. Celui qui s’unit à son épouse pour éviter la fornication ne paraît avoir en vue aucun bien matrimonial. Or celui-là ne pèche pas, semble t-il, car, comme le dit saint Paul, le mariage a été permis à l’humanité infirme pour la détourner de la fornication. L’acte conjugal n’a donc pas besoin des biens du mariage pour se justifier.

3. Celui qui use de son bien à son gré ne blesse pas la justice et ne pèche pas, à ce qu’il paraît. Or, dans le mariage, l’épouse devient le bien de son mari et le mari le bien de l’épouse. Ils ne commettront donc aucune faute quand, selon leur gré, ils useront de leurs droits réciproques sous l’impulsion du plaisir.

4. Un acte bon en lui-même ne peut devenir mauvais qu’en raison de la mauvaise intention qu’on y apporte. Or l’acte du mariage, accompli entre mari et épouse, est un acte bon en son genre. Il ne deviendra mauvais que si on l’accomplit avec une mauvaise intention. Or on peut remplir le devoir conjugal avec une bonne intention mais sans se proposer l’un des biens du mariage ainsi on peut le remplir pour conserver sa santé ou la recouvrer. Les biens du mariage ne sont donc pas nécessaires pour justifier l’acte conjugal.

Cependant :

Supprimer la cause c’est supprimer l’effet. Or les causes qui justifient l’acte conjugal sont les biens du mariage. Si ces derniers font défaut, l’acte conjugal ne peut donc se justifier.

En outre, cet acte ne diffère de la fornication que par les biens du mariage. Or l’acte sexuel de la fornication est toujours mauvais. Si on ne se propose donc pas les biens du mariage, on commettra toujours un péché en accomplissant l’acte conjugal.

Conclusion :

De même que les biens énumérés rendent le mariage honnête et saint, parce qu’ils forment son cortège habituel, de même font-ils de l’acte conjugal un acte légitime, lors qu’on les poursuit avec une intention actuelle. Du moins en est-il ainsi des deux biens qui se réfèrent à l’acte conjugal. Par suite, les époux qui entretiennent des relations charnelles pour avoir des enfants ou pour accomplir leur devoir conjugal, c’est-à-dire pour être fidèles, sont absolument exempts de faute. Le troisième bien, lui, ne concerne pas l’usage du mariage, mais, comme on l’a dit, le mariage lui-même. Il rend donc vertueuse l’union conjugale mais non l’acte du mariage. Pour que celui-ci ne soit pas alors un péché, il ne suffit pas que les époux veuillent donner à leur union sa signification spirituelle.

Restent donc deux raisons pour lesquelles les époux peuvent accomplir l’œuvre de chair : avoir des enfants ou rendre le devoir conjugal. Les époux qui agiront autrement commettront un péché, au moins un péché véniel.

Solutions :

1. Considéré comme bien du sacrement, l’enfant exige plus que ne le veut le bien poursuivi par la nature. Celle-ci, en effet, recherche la génération des enfants pour conserver le bien de l’espèce. Mais le bien du sacrement suppose que l’enfant sera dirigé en outre vers -sa fin dernière qui est Dieu. Si donc on a naturellement l’intention d’avoir des enfants, on doit encore avoir l’intention, soit actuelle, soit habituelle de chercher le bien des enfants comme l’exige le sacrement : sinon on s’arrêterait à l’ordre naturel, ce qui serait un péché. Par con séquent obéir uniquement à la nature pour accomplir l’acte du mariage n’excuse pas tout à fait de péché, à moins que l’on ne dirige ce désir naturel, d’une façon actuelle ou habituelle, à un but ultérieur, c’est-à-dire, à la génération des enfants, telle que le réclame le bien du sacrement. Il ne s’ensuit pas que l’inclination naturelle soit mauvaise ; mais elle est imparfaite quand elle n’est pas ordonnée ultérieurement à l’un des biens du mariage.

2. Rendre le devoir conjugal pour préserver le conjoint de la fornication n’est pas un péché, car c’est s’acquitter du devoir conjugal. Mais l’accomplir pour ne pas s’exposer soi-même à la fornication, c’est faire une chose superflue et commettre un péché véniel. Le mariage n’a été institué pour ce but que par indulgence, et l’indulgence suppose l’existence des péchés véniels.

3. Une seule circonstance bonne ne suffit pas à rendre un acte bon. Ainsi l’usage d’un bien personnel n’est pas nécessairement bon, quelle que soit la façon dont on en use. Il faut encore que l’on en use de la bonne manière, dans les circonstances voulues.

4. S’il n’y a pas de mal en soi à chercher la conservation de la santé, cette recherche peut cependant devenir mauvaise, si l’on prend des moyens que leur nature ne destine pas à produire cet effet. Il en serait ainsi pour quelqu’un qui chercherait uniquement dans le baptême la santé du corps. Il en est de même ici pour l’usage du mariage.

 

Article 6 — Celui qui dans les relations conjugales ne se propose aucun des biens du mariage, mais le seul plaisir commet-il un péché mortel ?

Objections :

1. L’homme qui dans les relations avec son épouse ne se propose aucun bien du mariage, mais le seul plaisir, pèche mortellement. Saint Jérôme dit, en effet, et sa parole est citée dans les Sentences : "Il faut condamner la recherche, auprès des épouses, des plaisirs que l’on ressent dans les embrassements des courtisanes". Or le péché mortel seul est condamnable. Avoir des relations charnelles avec l’épouse pour le seul plaisir, c’est donc commettre toujours un péché mortel.

2. Consentir à la délectation sexuelle est un péché mortel. Or celui qui par plaisir accomplit l’œuvre de chair avec son épouse consent à la délectation charnelle. Il pèche donc mortellement.

3. Celui qui n’ordonne pas à Dieu l’usage de la créature s’arrête dans la jouissance qu’il en retire et commet un péché mortel. Mais celui qui fréquente son épouse pour le seul plaisir n’or donne pas à Dieu cet usage. Il pèche donc mortellement.

4. On ne doit être excommunié que pour un péché mortel. Or, on interdit l’entrée de l’église à celui qui entretient des relations conjugales pour le seul plaisir, comme on l’interdit aux excommuniés. Celui-là pèche donc mortellement.

Cependant :

Saint Augustin considère de telles relations comme un de ces péchés quotidiens dont on s’accuse dans le "Notre Père". Or, ces péchés ne sont pas mortels. De telles relations ne le sont donc pas.

En outre prendre de la nourriture pour le seul plaisir n’est pas pécher mortellement. De même, accomplir l’acte sexuel avec son épouse uniquement pour satisfaire la concupiscence, n’est pas pécher gravement.

Conclusion :

On a prétendu que l’accomplissement de l’acte conjugal est péché mortel, chaque fois que le motif principal en est le plaisir. Mais si le plaisir n’est qu’un motif accessoire, il y a péché véniel. Par suite, celui qui accomplirait l’acte en dédaignant le plaisir et en n’ayant pour celui-ci que de la répugnance ne commet trait aucun péché véniel. Ainsi, disait-on, rechercher la jouissance dans l’acte conjugal, c’e pécher mortellement, accepter le plaisir quand il se présente, est péché véniel, le mépriser c’est la perfection.

Mais cela ne peut être vrai. Selon Aristote, en effet, on doit juger de la moralité du plaisir selon la moralité de l’acte qui en est la cause. Le plaisir goûté dans une bonne action est bon, le plaisir trouvé dans un acte mauvais est mauvais. Puisque l’acte conjugal n’est pas un acte mauvais par lui-même, la recherche du plaisir qui l’accompagne ne sera pas toujours un péché mortel.

Il faut alors dire ceci : l’époux qui cherche le plaisir plus que ne le permettent les lois du mariage, au point, par exemple, de ne pas considérer dans sa femme la qualité d’épouse mais de voir simplement en elle une femme quelconque et au point d’être prêt à faire de même avec elle, si elle n’était pas sa femme, cet époux pèche mortellement. Un tel homme peut être appelé l’amant passionné de son épouse, car la passion le pousse au delà des biens du mariage. Rechercher au contraire le plaisir, mais sans enfreindre les lois du mariage, c’est-à-dire, ne le chercher avec personne d’autre que son épouse, est seulement péché véniel.

Solutions :

1. Un mari cherche dans les relations avec son épouse les plaisirs que l’on trouve dans les relations avec les courtisanes, quand il n’attend rien d’autre d’elle que ce que l’on attend d’une courtisane.

2. Consentir au plaisir de l’acte sexuel, quand ce plaisir est péché mortel, c’est commettre un péché mortel. Mais tel n’est pas le plaisir qui accompagne l’acte conjugal.

3. L’homme qui n’offre pas à Dieu le plaisir dont il jouit présentement, ne place pas pour autant sa fin dernière dans le plaisir, sinon il le rechercherait indifféremment partout où il pour rait le trouver. Il ne s’ensuit donc pas qu’il jouisse de la créature pour elle-même, mais il en use pour lu i me, et lui-même vit habituellement pour Dieu, bien qu’actuellement il n’y pense pas.

4. On ne parle pas ainsi, comme si l’homme méritait l’excommunication à cause de son péché, mais parce que cet homme s’est rendu inapte aux fonctions spirituelles, étant devenu tout charnel par ses plaisirs voluptueux.

 

QUESTION 50 — DES EMPÊCHEMENTS DE MARIAGE.

Nous devons parler ici des empêchements de mariage. Nous en parlerons d’abord d’une façon générale, puis de chacun d’eux en particulier.

 

Article UNIQUE — Convient-il d’assigner des empêchements au mariage ?

Objections :

1. Il ne convient pas de le faire : le mariage, en effet, prend rang parmi les sacrements. Or on n’assigne aucun empêchement aux autres sacrements. On ne doit donc pas en assigner au mariage.

2. En outre, moins une chose est parfaite, moins nombreux sont les obstacles qu’il convient de mettre à sa réalisation. Or le mariage est le moins parfait des sacrements. On ne doit donc mettre au mariage aucun empêchement, ou n’en mettre qu’un très petit nombre.

3. Partout où se trouve une infirmité, il est nécessaire de placer aussi le remède destiné à la guérir. Or tous les hommes sont atteints par la concupiscence, que le mariage est destiné à guérir, puisqu’il a été permis pour cette raison. Il ne doit donc exister aucun empêchement susceptible de rendre une personne tout à fait inapte au mariage,

4. On appelle illégitime ce qui est contre la loi. Mais les empêchements illégitimes, que l’on assigne au mariage, ne sont point illégitimes parce qu’ils sont contraires à la loi naturelle, car on ne les a pas établis de la même façon à chaque étape de l’histoire du genre humain l’étendue de l’empêchement de consanguinité, par exemple, a été plus grande à certaines époques qu’à d’autres. Quant à la loi humaine, elle ne peut stipuler des empêchements au mariage, puisque celui-ci n’a pas été institué par les hommes, mais par Dieu comme les autres sacrements. On ne doit donc pas stipuler pour le sacrement de mariage des empêchements particuliers qui rendent certaines personnes incapables de se marier.

5. Ce qui est légal diffère de ce qui est il comme ce qui est conforme à la loi diffère de ce qui s’oppose à la loi : entre les deux, il n’y a pas de milieu pas plus qu’entre l’affirmation et la négation. On ne peut donc pas trouver des empêchements au mariage qui établiraient certaines personnes entre celles qui peuvent se marier et celles qui ne peuvent pas se marier.

6. L’union de l’homme et de la femme n’est permise que dans le mariage. Mais toute union qui se ferait d’une manière illicite doit être dis soute. Si donc quelque obstacle s’oppose à ce que le mariage se fasse, il annulera de ce fait le mariage une fois conclu. On ne doit donc pas assigner au mariage des empêchements qui seraient prohibants et non dirimants.

7. Aucun obstacle ne peut enlever à une réalité les éléments qui font partie de sa définition. Or l’indissolubilité fait partie de la définition du mariage. Il ne peut donc pas y avoir d’empêchements qui annulent le mariage contracté.

Cependant :

Les empêchements doivent être en nombre illimité. Le mariage, en effet, est une bonne chose. Or le mal peut se glisser dans une chose bonne d’une infinité de manières, comme le remarque Denys. Il y a donc un nombre infini d’empêchements.

En outre, les empêchements de mariage ont pour origine les situations particulières. Or ces situations varient à l’infini. Les empêchements de mariage seront donc infinis eux aussi.

Conclusion :

Le mariage, comme les autres sacrements, se compose de diverses réalités ; les unes lui sont essentielles, les autres ne font que le rendre plus solennel. Mais la suppression de ce qui n’est pas essentiel à un sacrement n’empêche pas celui-ci d’être valide. Aussi, les empêchements qui s’opposent à la solennité du sacrement de mariage ne le rendent pas invalide. On dira donc que de tels empêchements interdisent la célébration du mariage, mais ne l’annulent pas, une fois contracté. Ainsi en est-il du veto de l’Eglise et du temps prohibé. D’où l’adage : Le veto de l’Eglise et le temps prohibé s’opposent à la célébration du mariage, mais laissent subsister l’union contractée.

Au contraire, les empêchements qui suppriment une condition essentielle du mariage ont pour effet de le rendre nul. Non seulement ils s’opposent à la célébration du mariage mais ils diriment celui qui a été déjà célébré. Ces empêchements sont énumérés dans la proposition suivante

L’erreur, la condition, le vœu, la parenté, le crime, la disparité de culte, l’ordre, le lien, l’honnêteté, l’affinité ; l’impuissance sont des obstacles qui empêchent les associations conjugales de se créer, ou les brisent si elles sont déjà contractées.

Cette énumération peut s’expliquer ainsi : les empêchements au mariage peuvent provenir soit du contrat, soit des parties contractantes. Le contrat d’abord est l’effet du consentement volontaire : or celui-ci n’existe pas en cas d’ignorance et de violence. On obtient ainsi deux empêchements, celui de la violence, c’est-à-dire de la contrainte, et celui de l’erreur causée par l’ignorance. De ces deux obstacles a parlé le Maître des Sentences quand il a traité de la cause du mariage.

Quant aux empêchements qui concernent les parties contractantes, on les distingue de la façon suivante : ou bien ils sont absolus, ou bien ils sont relatifs à telle ou telle personne.

Les empêchements absolus s’opposent à l’accomplissement de l’acte conjugal : ils se rencontrent en deux circonstances : 1° Quand, en fait, l’acte ne peut s’accomplir, soit parce qu’il est physiquement impossible et c’est l’empêchement d’impuissance, soit parce qu’on ne jouit plus du droit de l’accomplir, et c’est l’empêchement de servitude ou de condition. 2° Quand l’acte conjugal est devenu illicite : ainsi en est-il pour celui qui est obligé de garder la continence. On peut être astreint à la continence de deux façons : en raison d’une charge, -et c’est l’empêchement d’ordre, -ou en raison d’une promesse, et c’est l’empêchement de vœu.

Les empêchements relatifs à telle ou telle personne peuvent provenir : 1° d’un engagement pris vis-à-vis d’une autre personne : ainsi le mari, lié à son épouse, ne peut plus se marier avec une autre, et c’est l’empêchement de lien ; 2° d’une inadaptation de situation entre deux personnes ; premièrement les situations sont trop distantes, et c’est la disparité de culte ; secondement elles sont trop proches, soit à cause des personnes elles-mêmes, et c’est la parenté ; soit à cause d’une troisième personne unie à l’une des deux p le mariage, et c’est l’affinité ; soit à cause d’une troisième personne unie à l’une des deux par les fiançailles et c’est l’honnêteté publique ; 30 de l’union illégitime qui a précédé, et c’est l’empêchement de crime pour adultère.

Solutions :

1. Les autres sacrements peuvent aussi ne pas produire leurs effets, dans le cas où l’on omet, par exemple, une cérémonie essentielle ou nécessaire à la solennité. Toutefois on assigne des empêchements au mariage plutôt qu’aux autres sacrements pour trois raisons : 1° Parce que le mariage consiste dans l’union de deux personnes : il peut donc rencontrer plus d’obstacles que les autres sacrements qui ne con cernent qu’une seule personne. 2° Parce que le mariage a sa cause en nous et en Dieu, tandis que la cause des autres sacrements n’est qu’en Dieu. Il est vrai que la pénitence a aussi en quelque manière sa cause en nous c’est pourquoi le Maître des Sentences assigne à ce sacrement quelques empêchements comme l’hypocrisie, la moquerie et d’autres de ce genre. 3° Parce que les autres sacrements sont l’objet d’un précepte ou d’un conseil, comme cela arrive pour des biens plus parfaits, mais le mariage est l’objet d’une permission indulgente, car c’est un bien d’un ordre inférieur. Et précisément, pour que l’on s’élève plus haut, on a mis au mariage des obstacles plus nombreux qu’aux autres sacrements.

2. Les réalités les plus parfaites peuvent rencontrer un plus grand nombre d’obstacles parce qu’elles exigent plus de conditions. Mais s’il arrive qu’un bien imparfait requière pour son obtention de nombreuses conditions, les empêchements se multiplient aussi en proportion : le mariage est précisément dans ce cas.

3. L’argument serait concluant, s’il n’existait pas d’autres remèdes plus efficaces pour guérir la maladie de la concupiscence : or il y en a.

4. Certaines personnes sont regardées comme inhabiles à contracter mariage parce qu’elles sont en opposition avec la loi qui l’a établi. Or le mariage, institution naturelle, est régi par la loi naturelle ; sacrement, il est régi par le droit divin ; fonction sociale, il est régi par la loi civile. Chacune de ces lois peut rendre une personne inhabile à contracter mariage. Il n’en est pas de même des autres sacrements qui ne sont que sacrements. D’autre part, la loi naturelle reçoit des précisions différentes selon les diverses situations de l’humanité, et le droit positif varie suivant les diverses conditions des hommes et selon les différentes époques. Par suite, le Maître des Sentences montre comment, à diverses époques, différentes personnes furent inhabiles à contracter mariage.

5. Les prohibitions de la loi peuvent être universelles ou relatives à certains cas seulement. Il y a donc un milieu entre l’opposition complète et la conformité totale à la loi, qui ne sont pas deux contraires comme l’affirmation et la négation : c’est la conformité et l’opposition à la loi sous un aspect seulement. Certaines personnes peuvent donc tenir le milieu entre celles qui sont capables de contracter mariage et celles qui en sont incapables.

6. Les empêchements qui ne sont pas dirimants sont un obstacle au contrat matrimonial non parce qu’ils le rendent impossible, mais parce qu’ils le rendent illicite. Les époux qui s’unissent malgré ces empêchements font un mariage valide mais commettent une faute. De même le prêtre qui consacre sans être à jeun commet une faute de désobéissance à la loi de l’Eglise, mais le sacrement reste valide, car le jeûne du ministre n’est pas nécessaire à l’existence du sacrement.

7. Quand on dit que les empêchements cités diriment le mariage, cela ne signifie pas qu’ils annulent un mariage valide, mais qu’ils sont cause de nullité pour le mariage qui, de fait, a été contracté contrairement au droit. Au contraire, un empêchement dirimant qui survient après le mariage validement contracté ne peut annuler celui-ci.

8. Les obstacles qui peuvent nuire par hasard à un bien sont infinis, comme toutes les causes accidentelles. Mais les causes qui de soi peuvent empêcher la réalisation d’un bien comme le mariage sont prévues et déterminées au même titre que les causes qui le réalisent. Car les circonstances qui provoquent la naissance d’un être et celles qui amènent sa destruction sont opposées les unes aux autres, ou, si ce sont les mêmes, elles agissent en sens contraire.

9. Il est vrai que les conditions dans lesquelles se trouvent les personnes individuelles sont en nombre infini, si on les considère séparément. Mais si on les envisage à un point de vue général, on peut les ramener à un certain nombre. C’est ce que font la médecine et les arts pratiques dont l’objet est l’individuel.

 

QUESTION 51 — DE L’EMPÊCHEMENT D’ERREUR

Parlons maintenant de chacun des empêchements de mariage. Et d’abord de l’empêchement d’erreur. A ce propos deux questions se posent -1. L’erreur, de sa nature, empêche-t-elle le mariage ? -2. Quelle espèce d’erreur produit cet effet ?

 

Article 1 — convient-il de considérer l’erreur comme un empêchement de mariage ?

Objections :

1. On ne peut pas mettre l’erreur au nombre des empêchements de mariage. Le consentement, cause efficiente du mariage, subit, en effet, les mêmes vicissitudes que le volontaire. Or, le volontaire, selon Aristote, ne subsiste plus dans le cas d’ignorance. Mais l’ignorance et l’erreur sont deux choses différentes, car l’ignorance est l’absence de toute connaissance et l’erreur est la présence d’une idée fausse puisqu’elle consiste, selon saint Augustin, à considérer comme vraies des choses qui sont fausses. Ce n’est donc pas l’erreur, mais l’ignorance que l’on doit mettre au nombre des empêchements de mariage.

2. Une chose empêche naturellement le mariage quand elle répugne aux biens du mariage. Or, l’erreur n’est pas contraire aux biens du mariage. Par sa nature, elle n’empêche donc point le mariage.

3. Le mariage exige le consentement, de la même façon que le baptême exige l’intention. Mais si quelqu’un baptise Jean en croyant que c’est Pierre, le baptême reste néanmoins valide. Pour la même raison, l’erreur ne nuit pas à la validité du mariage.

4. Lia et Jacob contractèrent un vrai mariage. Or, il y eut erreur. Celle-ci n’empêche donc point le mariage.

Cependant :

On lit dans le Digeste : "Quoi de plus contraire au consentement que l’erreur ?" Puisque le consentement est nécessaire au mariage, l’erreur annule donc le mariage.

En outre, le consentement désigne quelque chose de volontaire. Or l’erreur empêche un acte d’être volontaire, car, selon Aristote, saint Grégoire de Nysse et saint Jean Damascène, l’acte volontaire est l’acte de celui qui connaît les contingences particulières de l’action qu’il exécute, ce qui ne s’applique pas dans le cas de l’erreur. Celle-ci est donc un empêchement de mariage.

Conclusion :

Tout ce qui entrave une cause entrave également son effet. Or le consentement est la cause du mariage, comme on l’a déjà dit. Tout ce qui annulera le consentement annulera donc le mariage. Mais le consentement est un acte de volonté qui présuppose un acte d’intelligence. Si celui-ci manque, l’acte de volonté fait également défaut. Par suite, dans le cas de l’erreur qui empêche de savoir, le consentement volontaire fait défaut et le mariage n’existe pas. L’erreur peut donc, de par le droit naturel, annuler le mariage.

Solutions :

1. L’ignorance diffère à proprement parler de l’erreur, car l’ignorance consiste dans le manque total de connaissance : tandis que l’erreur implique un faux jugement de la raison à propos d’une réalité. Mais, peu importe qu’il y ait ignorance ou erreur, l’acte volontaire fait défaut dans l’une et dans l’autre hypothèse. L’ignorance, en effet, ne pourrait pas entraver l’acte volontaire si une erreur ne se joignait à elle, puisque l’intervention de la volonté suit toujours une appréciation ou un jugement sur l’objet d’une action projetée. Si donc il y a ignorance, il y aura aussi erreur. Mais on ne mentionne que l’erreur comme empêchement parce qu’elle est la cause immédiate du défaut de consentement.

2. Si l’erreur de sa nature n’est pas contraire au mariage lui-même, elle ne se concilie pas cependant avec la cause du mariage.

3. Le caractère du baptême a pour cause propre non pas l’intention du ministre mais le rite matériel accompli extérieurement. L’intention ne fait qu’adapter le rite à son effet spécial. Le lien conjugal, au contraire, est l’effet direct du consentement. Les deux cas ne se ressemblent donc point.

4. Comme le remarque le Maître des Sentences, le mariage de Jacob et de Lia ne résulta point des relations charnelles qu’ils entretinrent par erreur mais du consentement qu’ils échangèrent ensuite. Toutefois, ils furent excusables de péché, comme le dit le Maître au même endroit.

 

Article 2 — Toute erreur empêche-t-elle le mariage ?

Objections :

1. Oui, semble t-il ; l’erreur sur la condition et l’erreur sur la personne ne sont pas les seules qui empêchent le mariage, ainsi que le dit le Maître des Sentences. Ce qui convient, en effet, à une réalité en raison de sa nature qui convient dans tous les cas. Or, l’erreur a ceci de particulier qu’elle est un empêchement de mariage, comme on l’a dit : toute erreur empêchera donc le mariage.

2. Si l’erreur, en tant que telle, est un obstacle au mariage, à plus forte raison en sera t-il ainsi d’une erreur grave. Or l’erreur au sujet des vérités de foi, et dont sont victimes les hérétiques qui ne croient pas au sacrement de mariage, est plus grave que l’erreur sur la personne. Elle empêchera donc le mariage.

3. L’erreur annule le mariage pour cette seule raison qu’elle supprime le volontaire. Or, l’ignorance d’une circonstance quelconque produit le même effet. Parmi les empêchements de mariage, il ne faut donc pas seulement compter l’erreur sur la condition et l’erreur sur la personne.

4. La condition d’esclave est un accident qui affecte la personne ; de même en est-il des qua lités physiques et spirituelles. Mais l’erreur sur la condition est un empêchement. L’erreur sur la qualité ou la fortune en sera donc un aussi.

5. Si la condition d’une personne dépend de l’état d’esclavage ou de liberté, en lequel elle se trouve, elle dépend encore de sa noblesse ou de sa situation modeste, de la considération dont elle jouit ou dont elle ne jouit plus. Mais l’erreur sur la qualité d’esclave ou de personne libre est un empêchement. L’erreur sur les autres qualités en sera donc un aussi.

6. Comme la condition d’esclave, la disparité de culte et l’impuissance sont des empêchements. Puisque l’erreur sur la condition est un obstacle au mariage, on devrait aussi considérer comme tel l’erreur sur la disparité du culte et sur l’impuissance.

Cependant :

Il semble qu’aucune erreur, même sur la personne, n’empêche le mariage. Il en est en effet du mariage comme de l’achat qui est un contrat. Or dans les contrats d’achat et de vente, la vente ne sera pas annulée parce qu’à la place d’une pièce d’or, on aura donné une autre pièce d’or de même valeur. De la même façon, le mariage ne deviendra pas nul, parce que l’on aura épousé une femme pour une autre.

De plus, supposons le cas où après un long temps de mariage passé dans cette erreur, les époux aient mis au monde de nombreux fils et filles. La séparation des époux amènerait des conséquences très graves. L’erreur du début n’a donc pas annulé le mariage.

Il peut encore arriver qu’on présente à une femme le frère de celui auquel elle entendait donner son consentement et que des relations charnelles s’établissent entre eux. En toute vrai semblance, la femme ne peut alors retourner à celui avec lequel elle entendait se marier, mais doit rester avec le frère de celui-ci. L’erreur sur la personne n’empêche donc pas le mariage.

Conclusion :

De même que l’erreur en causant un acte involontaire peut excuser de la faute, de même elle peut nuire à la valeur du mariage. Mais toute erreur n’excuse pas de péché : elle ne le fera que si elle porte sur la présence ou l’absence de certaines circonstances, c’est-à-dire de celles qui rendent un acte bon ou mauvais. Si en effet je frappe le père d’un enfant avec une canne ferrée, croyant ne tenir qu’une canne de bois, je ne suis pas complètement excusable, bien que je le sois en partie. Mais si voulant frapper un enfant pour le corriger, je frappe par erreur son père, je suis entièrement excusable, à condition que ce soit tout à fait par mégarde. Ainsi l’erreur pour annuler le mariage devra porter sur la présence ou l’absence des conditions essentielles au mariage. Or le mariage exige deux conditions qu’il y ait d’abord deux personnes qui s’unissent et ensuite qu’elles se donnent l’une à l’autre le droit de réaliser la fin du mariage. Mais la première condition ne se vérifie pas quand il y a erreur sur la personne, la seconde non plus quand il y a erreur sur la condition, car un esclave ne peut, sans le consentement de son maître, conférer à d’autres les droits de son maître sur lui. Ainsi l’erreur sur la personne et l’erreur sur la condition sont les deux seuls empêchements au mariage.

Solutions :

1. L’erreur est un obstacle au mariage non n raison de sa nature, mais à cause des conditions sur lesquelles elle porte et qui sont essentielles au mariage.

2. L’infidèle, qui fait erreur sur le mariage, ne se trompe que sur les conséquences du mariage, à savoir si c’est un sacrement ou s’il est licite. Une telle erreur ne nuit pas à la validité du mariage, de même que l’erreur d’un baptisé ne nuit pas à la réception du caractère, s’il a l’intention de recevoir ce que l’Eglise lui donne peu importe qu’il n’y croie point.

3. L’involontaire qui excuse le péché ne résulte pas de l’ignorance de toute espèce de circonstance. L’argument n’est donc pas concluant.

4. La différence de fortune, la diversité des qualités ne portent pas atteinte aux caractères essentiels du mariage, comme le fait la condition servile. La parité n’existe donc pas.

5. L’erreur portant sur la noblesse n’annule pas plus le mariage que l’erreur portant sur les qua lités et pour la même raison mais si l’erreur sur la noblesse ou la dignité du conjoint retombe. sur la personne, elle devient alors empêchement de mariage. Si donc la femme consent à épouser telle personne déterminée, l’erreur sur la noblesse de celle-ci n’annule pas le mariage. Quand, au contraire, le femme avait l’intention d’épouser précisément le fils du roi, quel qu’il soit individuellement et qu’on lui présente une autre personne, il y a erreur sur l’identité de personne et le mariage est nul.

6. L’erreur touchant les autres empêchements dirimants qui rendent certaines personnes incapables de se marier annule également le mariage. Le droit ne fait pas mention de cette erreur, parce que, qu’elle existe ou non, les empêchements produisent toujours leurs effets. Qu’une femme, par exemple, contracte mariage avec un sous-diacre, à son escient ou non, le mariage sera nul. Quant à la condition d’esclave elle n’est pas un empêchement si on la connaît. Ce n’est donc point le même cas.

7. La monnaie dans les contrats joue le rôle de mesure universelle et non pas de matière à échange. Si l’on ne donne pas alors les pièces de monnaie attendues mais d’autres équivalentes, le contrat reste valide. Mais s’il y avait erreur sur la matière, objet du contrat, ce dernier serait nul, ce qui arriverait par exemple si on vendait un âne au lieu d’un cheval. Ainsi en est-il du cas proposé.

8. Dans les circonstances alléguées, il n’y aura mariage que si la femme renouvelle son consentement, quel que soit le temps pendant lequel les conjoints ont vécu ensemble.

9. Si l’épouse n’a pas donné son consentement au premier des frères, elle peut rester avec le second qu’elle a accepté par erreur et elle ne pourra pas reprendre la vie commune avec le premier, surtout si elle a eu des relations charnelles avec le second. Mais si elle avait vraiment donné son consentement au premier, elle ne peut pas, du vivant de celui-ci, demeurer avec le second. Elle peut alors soit quitter ce dernier sans plus, soit accepter la vie commune avec le premier en tout cas l’ignorance du fait excuse du péché. La solution serait la même, si, après la consommation du mariage, la femme était trompée par le frère de son mari et avait des relations avec lui. La fraude d’autrui ne peut pas causer de préjudice à sa victime.

 

QUESTION 52 — DE L’EMPÊCHEMENT DE CONDITION SERVILE

Il faut considérer maintenant l’empêchement de condition servile. A ce sujet nous nous poserons quatre questions : 1. La condition servile est-elle un empêchement de mariage ? -2. Un serf peut-il contracter mariage sans le consentement de son maître ?-3. Un homme marié peut-il devenir serf sans le consentement de son épouse ? -4. Les enfants doivent-ils suivre la condition du père ou celle de la mère ?

 

Article 1 — La condition servile est-elle un empêchement de mariage ?

Objections :

1. La condition servile n’est pas un empêchement. Un empêchement de mariage, en effet, est toujours un obstacle au mariage. Or la condition servile n’a rien en elle qui s’oppose au mariage ; autrement les serfs ne pour raient pas se marier entre eux. La condition servile n’est donc pas un empêchement de mariage.

2. Ce qui est contraire à la nature ne peut empêcher ce qui est conforme à la nature. Or le servage est contraire à la nature, car comme le dit saint Grégoire, "l’homme agit contrairement à la nature quand il veut être le maître d’un autre" ; de plus, d’après la Genèse, Dieu a voulu que l’homme établisse sa domination sur les poissons rie la mer et les autres animaux, mais non sur l’homme. Le servage ne peut donc être un empêchement au mariage qui est une chose naturelle.

3. Si la condition servile est un empêchement, cela peut venir ou bien du droit naturel, ou bien du droit positif. Mais cela ne vient pas du droit naturel, puisque, selon le. droit naturel, tous les hommes sont égaux, Comme le dit saint Grégoire ; au commencement du Digeste, il est dit aussi que le servage n’est pas de droit naturel. Cicéron, d’autre part, montre que le droit positif dérive du droit naturel. D’aucune façon, par conséquent, le servage n’est empêchement de mariage.

4. Un empêchement de mariage produit son effet, qu’on le connaisse ou qu’on l’ignore : ainsi en est-il de l’empêchement de parenté. Or quand un des deux contractants connaît la condition servile de l’autre, il n’y a pas d’empêchement. De par sa nature, le servage n’est donc pas un obstacle au mariage on ne devrait donc pas le considérer comme un empêchement distinct des autres.

5. On peut se tromper sur la condition servile d’une personne, en la croyant libre alors qu’elle est serve, comme on peut se tromper sur la liberté d’une autre en la croyant serve alors qu’elle est libre. Or on ne considère pas la liberté comme un empêchement de mariage : on ne devrait donc pas non plus considérer l’état servile comme en étant un.

6. La maladie de la lèpre rend la société conjugale bien plus insupportable que le servage et elle est un plus grand obstacle au bien des enfants. Or la lèpre n’est pas un empêchement au mariage. La condition servile n’en est donc pas un non plus.

Cependant :

le droit déclare, au sujet du mariage des serfs, que l’erreur touchant la condition servile est un empêchement au mariage et une cause de nullité pour le mariage déjà contracté.

D’autre part le mariage, étant une chose honorable, peut être recherché pour lui-même ; le servage, au contraire, est une chose qui, de soi, doit être évitée. Il est donc contraire au mariage et devient ainsi un empêchement.

Conclusion :

Dans le contrat de mariage, chacun des époux s’engage à rendre à l’autre le devoir conjugal. Si donc l’un des contractants est incapable de remplir son engagement et que l’autre l’ignore, Cette ignorance annule le Contrat. Or de même que l’impuissance met dans l’incapacité absolue de rendre le devoir, de même le servage rend le serf iÏ de rendre le devoir à son gré. Dès lors, comme l’impuissance qui est un empêchement quand on l’ignore mais non pas quand on la connaît, la condition servile est un empêchement si l’autre l’ignore et n’en est pas s’il la connaît.

Solutions :

1. Le servage est d’abord contraire au mariage à cause de l’acte conjugal auquel on s’oblige en se mariant, car l’esclave ne peut pas le rendre à son gré. Le servage est encore contraire au mariage à cause des enfants dont le bien est compromis puisqu’ils se trouvent dans une situation pire en raison de la condition servile de leurs parents. Mais, comme chacun peut renoncer à jouir de son droit et consentir à subir un dommage personnel, le mariage sera valide quand un époux connaîtra la condition servile de l’autre époux.

De même, étant donné que l’obligation de rendre le devoir est la même pour chaque époux, et que l’un des deux ne peut pas obliger l’autre plus qu’il n’y est obligé lui-même, un serf, con tractant mariage avec une personne de condition servile mais qu’il croit libre, fera un mariage valide.

La condition servile ne devient donc empêchement de mariage que dans le cas où elle est ignorée de l’autre partie et peu importe que celle-ci soit personne libre. Voilà pourquoi rien ne s’oppose à ce que les serfs se marient entre eux et à ce qu’un homme libre épouse une personne serve.

2. Une chose peut être contraire à la nature parce qu’elle s’oppose à l’intention première de la nature, tout en étant conforme à l’intention seconde de celle-ci : ainsi toute corruption, tout défaut, la vieillesse, d’après Aristote, sont contraires à l’intention première de la nature, puisque celle-ci tend à produire l’être et à le conduire à sa perfection. Mais elles ne sont pas contraires à l’intention seconde de la nature ; car quand la nature ne peut pas maintenir l’existence dans un être, elle la conserve dans un autre qui naît de la corruption du premier : de même, quand la nature ne peut plus pousser une chose à une plus grande perfection, elle la conduit à une moindre perfection : par exemple, quand elle ne peut pas produire un mâle, elle fait naître une femelle qui, selon l’expression d’Aristote, est un mâle diminué. Nous disons la même chose du servage : elle est contraire à la première intention de la nature, mais non pas à la seconde, car la raison naturelle pousse chacun à être bon et c’est une tendance naturelle. Mais si quelqu’un a péché, la nature demande aussi qu’il soit puni, et c’est ainsi que la servitude s’est introduite en punition du péché. Il n’y a d’ailleurs aucun inconvénient à ce qu’une chose naturelle soit empêchée par une autre contraire à la nature : ainsi l’impuissance, contraire à la nature, comme nous l’avons dit, est un empêchement au mariage.

3. Le droit naturel exige qu’on soit puni quand on a péché, et que personne ne soit puni sans avoir péché. Mais c’est au droit positif de préciser la peine et de la proportionner à la qualité de la personne et à la grandeur de la faute. Ainsi la servitude qui est une peine déterminée est donc, comme telle, de droit positif, et elle dérive du droit naturel, comme le déterminé de l’indéterminé. C’est également en vertu du droit positif que la servitude est un empêchement de mariage, quand elle est ignorée, afin que personne ne soit puni sans l’avoir mérité, car c’est une peine pour la femme d’avoir un mari esclave et réciproquement.

4. Il y a des empêchements qui rendent le mariage illicite : or ce n’est pas notre volonté qui rend une chose licite ou illicite mais la loi à laquelle la volonté doit se soumettre. C’est le mariage ne dépend pas, en ce qui con cerne certains empêchements, de leur connaissance ou de leur ignorance qui rend l’acte involontaire : à cette catégorie d’empêchements appartiennent le vœu, l’affinité, et autres du même genre. Mais il y a aussi des empêchements qui s’opposent à la réalisation du devoir conjugal dans le mariage. Et comme il dépend de notre volonté de dispenser les autres de leurs devoirs vis-à-vis de nous, de tels empêchements n’annulent pas le mariage quand ils sont connus, ils l’annulent seulement quand l’ignorance supprime le volontaire. Tels sont les empêchements de condition servile et d’impuissance. Comme ils causent par eux-mêmes un obstacle au mariage, on les considère comme des empêchements spéciaux à côté de celui d’erreur. Par contre, le changement de la personne ne crée pas un empêchement spécial à côté de celui d’erreur : car ici la personne substituée ne devient un obstacle au mariage qu’en raison de l’intention de l’autre partie contractante.

5. La liberté d’une personne ne s’oppose pas à ce qu’elle rende le devoir conjugal : si on ignore sa condition de personne libre, il n’y a donc pas empêchement

6. La lèpre n’empêche pas le mariage en ce qui regarde son acte premier les lépreux, en effet, peuvent librement rendre le devoir conjugal, bien qu’il puisse en résulter des effets dommageables. C’est pourquoi la lèpre n’empêche pas le mariage comme la condition servile.

 

Article 2 — Un serf peut-il contracter mariage sans le consentement de son maître ?

Objections :

1. Il ne le peut pas, car il n’est pas permis de disposer du bien d’autrui sans que celui-ci n’y consente. Mais le serf est le bien de son maître. Il ne peut donc pas contracter mariage et donner son corps à l’épouse sans le consentement du maître.

2. Le serf doit obéir à son maître. Or le maître peut lui défendre de consentir au mariage. Le premier ne peut donc se marier sans que le second n’y consente.

3. Une fois marié, le serf doit rendre le devoir à son épouse, en vertu du précepte divin. Or il peut se faire que le maître impose à son serf un service au moment où l’épouse réclame le droit conjugal le serf ne pourra donc pas rendre ce service s’il veut satisfaire son épouse. Si donc un serf n’avait pas besoin du consentement de son maître pour contracter mariage, celui-ci serait privé d’un service auquel il a droit : ce qui ne doit pas être.

4. Un seigneur peut vendre son serf dans des régions éloignées où l’épouse ne pourra pas le suivre, soit en raison d’une maladie, soit à cause d’un danger pour sa foi, comme si, par exemple, son mari était livré à des infidèles, soit en raison du refus du maître, parce qu’elle est elle-même esclave. Il en résultera donc que le mariage sera dissous, ce qui répugne. Un serf ne petit donc pas contracter mariage sans le consentement de son maître.

5. L obligation par laquelle un homme s’engage au service de Dieu lui est plus favorable que celle qu’il s’impose en se donnant à son épouse. Or un serf ne peut ni entrer, en religion, ni recevoir les ordres sans le consentement de son maître. Encore moins peut-il s’engager dans le lien du mariage sans le consentement du maître.

Cependant :

Saint Paul, dans l’Epître aux Galates, dit : "En Jésus-Christ, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre". Les serfs jouissent donc de la même liberté que les hommes libres pour contracter mariage dans la religion de Jésus-Christ.

En outre la servitude est de doit positif, tandis que le mariage est à la fois de droit naturel et de droit divin. Puisque le droit, positif ne déroge ni au droit naturel, ni au droit divin, un serf pourra donc contracter mariage sans le consentement de son maître.

Conclusion :

Le droit positif découle du droit naturel ; par conséquent le servage qui est de droit positif ne peut déroger à ce qui est de droit naturel. De même donc que la nature, qui tend à conserver l’individu, travaille aussi à conserver l’espèce par la génération, le serf non assujetti à son maître au point de ne pouvoir librement dormir et manger et pourvoir aussi aux besoins du corps, sans quoi la nature ne pourrait se conserver, n’est pas non plus soumis à son maître de telle sorte qu’il ne puisse pas librement contracter mariage même à l’insu ou contre le gré de son maître.

Solutions :

1. Le serf est la propriété de son maître dans le domaine des choses qui s’ajoutent à la nature, car quant aux choses naturelles, tous les hommes sont égaux. Et donc dans le domaine des actes naturels, l’esclave peut céder, par un contrat de mariage, ses droits sur son corps à une autre personne et malgré son maître.

2. Le serf est tenu d’obéir aux ordres que le maître a le droit de lui donner ; mais comme le maître ne peut lui défendre de manger, de dormir, il ne peut non plus lui défendre de contracter mariage le législateur doit, en effet, veiller à la manière dont on exerce ses droits. Par suite le serf ne serait pas obligé d’obéir au maître qui lui défendrait de se marier.

3. Le serf qui a contracté mariage du consentement de son maître doit, en de pareilles circonstances, omettre de servir le maître qui l’appelle, et rendre à son épouse le devoir conjugal, car du fait que son maître lui a permis de contracter mariage, on doit supposer qu’il lui a permis de remplir tous les devoirs du mariage. Quand, au contraire, l’esclave s’est marié à l’insu ou contre le gré de son maître, il ne doit pas rendre le devoir conjugal, mais plutôt obéir, s’il ne peut concilier les deux choses.

Cependant, une telle situation, il ne faut pas perdre de vue comme dans toute action humaine beaucoup de circonstances particulières, comme le danger auquel est exposée l’épouse du côté de la chasteté, l’empêchement que l’accomplissement du devoir conjugal apportera à l’exécution des ordres donnés et autres circonstances du même genre après les avoir examinées, on pourra voir à qui le serf doit d’abord obéir, à son maître ou à son épouse.

4. En pareil cas, le maître ne doit absolument pas vendre son esclave dans des conditions telles que les devoirs du mariage deviennent impossibles, surtout s’il peut vendre son esclave en tout lieu et à un juste prix.

5. Celui qui entre en religion ou reçoit les ordres se consacre au culte divin pour toute sa vie ; un époux, lui, n’est pas toujours obligé de rendre le devoir à son épouse mais au temps opportun les deux situations ne sont donc pas semblables. En outre l’entrée en religion ou la réception des ordres comporte des obligations qui se surajoutent aux obligations naturelles et sont, par le fait même, du ressort du maître. Mais le droit de ce dernier ne s’étend pas aux obligations naturelles contractées par le mariage. Le serf ne pourrait donc faire vœu de continence sans le consentement de son maître.

 

Article 3 — Un homme peut-il se vendre comme serf après son mariage ?

Objections :

1. Cela est impossible, semble- t-il. On ne doit pas, en effet, ratifier ce qui se fait en fraude et au préjudice d’un tiers. Or un époux qui se vend comme esclave le fait quelquefois par fraude pour se libérer du mariage, et en tout cas il agit au détriment de son épouse. Un tel marché ne doit donc pas être valide.

2. Deux institutions qui jouissent de la faveur du droit prévalent sur une troisième qui n’a pas cet avantage. Or le mariage et la liberté jouissent de la faveur du droit, tandis que le servage, qui leur est contraire, n’a pas ce privilège. Le servage contracté après mariage est donc absolument nul.

3. Dans le mariage, l’homme et la femme sont sur le même plan d’égalité. Or l’épouse ne peut pas se vendre en servage contre le gré de son mari ; de même le mari ne peut pas le faire sans le consentement de son épouse.

4. Ce qui dans l’ordre naturel peut empêcher une chose de se produire est capable aussi de la détruire. Or le servage du mari, quand la femme l’ignore, est un empêchement au mariage. Le servage, survenant après le mariage, pourrait donc aussi le détruire, ce qui paraît inadmissible.

Cependant :

Chacun peut donner à autrui ce qui lui appartient en propre. Or l’homme s’appartient à lui-même, puisqu’il est libre. Il peut donc céder à d’autres ses droits sur lui-même. Un serf, d’autre part, peut prendre femme contre le gré de son maître, ainsi qu’on l’a déjà dit ; pour la même raison, un homme peut se soumettre à un seigneur contre le gré de sa femme.

Conclusion :

Le mari ne dépend de son épouse qu’en ce qui concerne l'acte naturel du mariage, en face duquel les deux époux sont sur un plan d’égalité et avec lequel l’assujettissement du servage n’a pas de rapport. Aussi, un homme peut se vendre comme serf contre le gré de son épouse. Il ne s’ensuit pas que le mariage soit rompu, car aucun empêchement survenant après le mariage ne peut l’annuler, comme on l’a dit plus haut.

Solutions :

1. La fraude peut bien nuire à celui qui la commet, mais elle ne peut pas porter préjudice à un autre. Si donc un mari se vend comme serf, sans en avertir son épouse, il en supportera le dommage en perdant cet inestimable bien de la liberté. Mais il n’en résultera aucun préjudice pour l’épouse, car l’époux ne sera pas dispensé de rendre le devoir conjugal quand la femme le demandera et de remplir toutes les obligations du mariage. Les ordres de son maître ne pourront pas l’en affranchir.

2. Il y a bien réelle opposition entre le mariage et le servage, mais c’est le mariage qui doit porter préjudice à la servitude, puisque le serf doit rendre le devoir conjugal à son épouse, alors même que son maître n’y consent pas.

3. Par rapport à l’acte conjugal et aux obligations naturelles, que l’assujettissement du servage ne saurait modifier, l’homme et la femme doivent être considérés comme égaux ; cependant quand il s’agit du gouvernement domestique et des autres choses semblables qui ne sont plus naturelles, l’homme est le chef de la femme et doit la corriger ; mais la réciproque n’est pas vraie. L’épouse ne peut donc s’engager dans le servage, quand son mari n’y consent pas.

4. Cet argument vaut pour le cas des êtres corruptibles et, même encore là, beaucoup d’obstacles peuvent empêcher un être d’exister alors qu’ils ne suffisent plus pour le détruire quand il existe. Pour les êtres perpétuels il peut arriver qu’un obstacle les empêche d’exister, mais celui-ci ne peut pas faire qu’ils cessent d’exister. C’est le cas de l’âme raisonnable. C’est aussi celui du mariage, car il est un lien perpétuel tant que dure la vie présente.

 

Article 4 — Les enfants doivent-ils hériter de la condition du père ?

Objections :

1. Il semble que oui. Un être, en effet, reçoit sa dénomination de son principe le plus élevé en dignité. Or, dans la génération, le père est supérieur à la mère. Les enfants doivent donc suivre la condition du père.

2. L’être d’une chose dépend plus de sa forme que de sa matière. Or, comme l’a observé Aristote, le père dans la génération donne la forme et la mère donne la matière. L’enfant doit donc suivre la condition du père plutôt que celle de la mère.

3. Un être doit suivre de préférence celui auquel il ressemble le plus. Or le fils ressemble plus au père et la fille plus à la mère. Le fils au moins doit donc suivre la condition du père et la fille la c de la mère.

4. La Sainte Ecriture n’établit pas les généalogies par les femmes mais par les hommes. L’enfant doit donc suivre le père plutôt que la mère.

Cependant :

Si l’on sème dans le terrain d’autrui, les fruits appartiennent au propriétaire du sol. C’est ce qui arrive dans les rapports entre homme et femme.

On constate que les animaux produits par le croisement d’espèces diverses suivent plutôt la condition de la femelle que du mâle : ainsi un mulet né d’une jument et d’un âne ressemble beaucoup plus aux juments que celui qui naît d’une ânesse et d’un cheval. 11 doit donc en être de même pour les hommes.

Conclusion :

Selon les lois civiles, l’enfant suit la condition de sa mère. Cela est raisonnable, car, si l’enfant reçoit de son père son complément formel, il reçoit cependant de sa mère sa substance corporelle. Or le servage affecte le corps, puisque le serf, en travaillant, devient comme l’instrument de son maître. L’enfant suit donc la mère en ce qui concerne la condition de liberté et de servitude ; quant à la dignité de la personne qui pro vient de la forme de l’être, l’enfant suit son père : ainsi pour les honneurs, les fonctions civiles, les héritages et autres choses du même genre. Sur ce point le droit civil est d’accord avec le droit canon et la loi de Moïse.

Mais, dans les pays qui ne sont pas régis par le droit civil, l’enfant hérite de la condition la moins favorable : si donc le père est serf, les enfants le seront aussi, bien que la mère soit une personne libre. Cependant il n’en est pas de même lorsqu’après le mariage le père se livre comme serf malgré son épouse ou réciproquement. Si les deux époux sont de condition servile et qu'ils relèvent chacun d’un maître différent, les maîtres se partageront les enfants, s’il y en a plusieurs, ou s’il n’y en a qu’un, un des seigneurs paiera à l’autre une indemnité et prendra l’enfant à son service. Il ne semble pas pourtant qu’une telle coutume puisse être aussi raisonnable que la décision qui se fonde sur le conseil expérimenté de nombreux sages.

D’ailleurs, c’est un fait constaté même dans l’ordre naturel, une chose reçue revêt la condition de l’être qui la reçoit, non de celui qui la donne. Il semble donc raisonnable que l’enfant suive la condition de la mère qui l’a reçu et qui l’a porté dans son sein.

Solutions :

1. Si le père est supérieur à la mère, c’est la mère pourtant qui don rie à l’enfant son corps auquel s’attache la condition servile.

2. En ce qui touche aux caractères de l’espèce, le fils ressemble plus au père qu’à la mère, Quand il s’agit des conditions matérielles, il ressemble plus à la mère qu’au père, car chaque être tire de sa forme son être spécifique, mais les conditions matérielles lui viennent de la matière.

3. Le fils ressemble à son père par sa forme et cette forme est pour lui comme pour son père le complément de son être. L’argument est donc en dehors de la question.

4. Dans les généalogies de la Sainte Ecriture et selon la coutume générale, les enfants reçoivent plutôt le nom de leur père que celui de leur mère, parce que l’honneur qu’ils héritent leur vient plutôt du père que de la mère. Mais pour la condition servile, les enfants suivent de préférence leur mère.

 

QUESTION 53 — DES EMPÊCHEMENTS DU VŒU ET DE L’ORDRE.

A propos de ces deux empêchements il faut répondre aux quatre questions suivantes : -1. Le vœu simple annule t-il le mariage ? -2. Le vœu solennel produit-il le même effet ? -3. L’ordre est-il un empêchement de mariage ? -4. Peut-on recevoir les ordres sacrés après avoir contracté mariage ?

Article 1 — Le vœu simple entraîne t-il nécessairement la rupture du mariage ?

Objections :

1. Le vœu simple a nécessairement pour effet la rupture du mariage. Un lien plus fort l’emporte sur un lien plus faible. Or le vœu crée un lien plus fort que le lien du mariage : car, dans le mariage, on s’engage vis-à-vis de l’homme, tandis que dans le vœu on s’engage vis-à-vis de Dieu. L’obligation du vœu nuit donc à l’obligation du mariage.

2. Les lois divines ne le cèdent point aux lois de l’Eglise. Or les lois de l’Eglise ont une vigueur telle que leur transgression annule le mariage de ceux qui y désobéissent : ainsi en est-il pour ceux qui épousent des parents malgré le degré de parenté fixé par l’Eglise. Puisque la loi divine impose l’observation des vœux, l’union contractée malgré un vœu sera donc nulle.

3. Tout homme marié peut avoir des relations sexuelles sans commettre de faute. Mais celui qui a prononcé le vœu simple de chasteté ne peut jamais user du mariage sans pécher. Le vœu simple annule donc le mariage. La mineure se prouve ainsi : se marier après le vœu simple de chasteté, c’est pécher mortellement, car, selon saint Augustin, "les personnes qui ont fait vœu de virginité encourent la damnation non seulement quand elles se marient, mais aussi quand elles se proposent de le faire". Or l’usage du mariage est la seule chose qui rende l’union con jugale contraire au vœu de chasteté. Si ce vœu existe, en effet, le premier acte sexuel est un péché mortel et, pour la même raison les actes suivants en sont un, car un premier péché ne peut excuser les péchés subséquents.

4. En vérité, les deux époux doivent jouir des mêmes droits, principalement dans l’usage du mariage. Mais le conjoint qui a fait le vœu simple de continence ne peut jamais sans commettre de faute demander le devoir conjugal, car ce serait agir à l’encontre du vœu qui l’oblige à garder la chasteté : pas davantage ne peut-il sans péché rendre à l’autre le devoir conjugal.

Cependant :

Le pape Alexandre III déclare : "le vœu simple est un empêchement, mais n’annule pas le mariage".

Conclusion :

On cesse d’être le maître d’une chose quand celle-ci devient la propriété d’autrui. Or une promesse ne transfère pas la propriété de la chose promise au bénéficiaire de la promesse. Dès lors que l’on a promis une chose, on ne cesse donc pas d’en être le maître. Le vœu simple n’étant ainsi que la simple promesse faite à Dieu d’observer la chasteté, l’homme qui l’a prononcé reste maître de son corps. Il peut donc en disposer en faveur de son épouse et c’est en ce don que consiste l’indissoluble sacrement de mariage. Le vœu simple reste donc un obstacle au mariage, puisque celui qui se marie après l’avoir prononcé, commet une faute, mais il n’annule pas le mariage, car celui-ci est un vrai contrat.

Solutions :

1. Le vœu, en vérité, est un lien plus fort que le lien conjugal, étant donné celui auquel la promesse est faite et ce à quoi elle oblige car si le mariage lie l’homme à la femme et impose le devoir conjugal, le vœu lie l’homme à Dieu et exige la continence. Mais, étant donnée la manière dont tout cela oblige, le lien matrimonial l’emporte sur le vœu simple, car l’homme qui se marie cède immédiatement ses droits à son épouse, tandis que l’homme qui émet le vœu simple ne cède rien immédiatement. Or, celui qui conserve ses droits jouit de la situation la meilleure. L’obligation du vœu simple est la même que celle des fiançailles. Aussi le vœu simple entraîne t-il la rupture des fiançailles.

2. La loi qui défend aux personnes parentes de se marier entre elles annule le mariage, non parce qu’elle est divine ou ecclésiastique, mais parce qu’elle rend le corps de la parente inapte à passer au pouvoir de son allié. Or, la loi qui défend le mariage après le vœu simple n’a pas cet effet. L’argument ne prouve donc rien puisqu’il donne pour cause ce qui n’en est pas une.

3. Toute personne qui, après avoir fait le vœu simple de chasteté, contracte mariage, ne peut user de celui-ci sans pécher mortellement, car avant la consommation du mariage, elle conserve le pouvoir d’accomplir son vœu. Une fois le mariage consommé, il lui est devenu impossible de refuser sans commettre un péché le devoir conjugal à l’époux qui l’exige, et elle s’est mise dans cette situation par sa faute. Aussi bien l’obligation du vœu ne s’étendra pas jusque là, comme on pourrait le conclure de ce qui précède. Mais cette personne doit réparer par la pénitence la transgression de son vœu.

4. Celui qui a fait vœu de chasteté est obligé de l’observer même après le mariage, de la meilleure manière possible. Si l’épouse meurt, il doit donc vivre dans la continence parfaite. Etant donné toutefois que le lien matrimonial n’impose pas l’obligation de demander le devoir conjugal, l’époux qui a prononcé le vœu ne peut, il est vrai, demander cette satisfaction sans pécher, mais il peut, sans pécher, rendre le devoir à l’épouse qui le demande, une fois qu’il s’y est d’ailleurs obligé en consommant le mariage. Peu importe que l’épouse demande le de conjugal expressément ou implicitement, ce qui arrive, par exemple, quand la pudeur la retient et que l’époux devine son désir ; celui-ci peut toujours sans pécher, satisfaire ce désir, surtout s’il craint pour sa vertu. Qu’on n’objecte pas que les époux ont des droits égaux vis-à-vis de l’acte conjugal : chacun peut renoncer à ce qui lui revient de droit.

Certains prétendent que l’époux peut aussi bien demander le devoir que le rendre, afin de ne pas faire du mariage une charge trop lourde pour l’épouse qui devrait demander toujours le devoir. Mais cela revient à dire que l’époux peut rendre le devoir à son épouse, chaque fois que celle-ci le demande implicitement.

 

Article 2 — Le vœu solen rompt-il le mariage ?

Objections :

1. Il faut répondre non, semble- t-il ; car, selon les Décrétales, le vœu simple 11 pas moins devant Dieu que le vœu solennel. Et la validité ou la nullité du mariage ne dépendent que du bon plaisir divin. Puisque le vœu simple ne rompt pas le mariage, le vœu solennel ne pourra donc pas le rompre non plus.

2. D’autre part, la solennité ne donne pas autant de force au vœu simple que le serment. Or, même confirmé par un serment, le vœu simple ne dissout pas le mariage une fois contracté. Le vœu solennel ne produira donc pas non plus cet effet.

3. Enfin, le vœu solennel ne possède rien que ne puisse avoir aussi le vœu simple. Ainsi le vœu simple, tout comme le vœu solennel, peut être public, et par suite être cause d’un scandale. En outre l’Eglise pourrait et devrait même décréter que le vœu simple dirime le mariage pour empêcher un grand nombre de fautes. Pour la même raison que le vœu simple, le vœu solennel n’annule donc pas le mariage.

Cependant :

Le mariage spirituel que l’on contracte avec Dieu par le vœu solennel est beaucoup plus digne que le mariage charnel. Or celui-ci rend nul le mariage que l’on viendrait à contracter dans la suite. Le vœu solennel produit donc le même résultat.

La preuve de ce fait peut encore se tirer de nombreux arguments d’autorités, cités dans le texte parallèle du Livre des Sentences.

Conclusion :

On admet communément que le vœu solennel qui empêche de contracter mariage le rend nul si on le contracte. Selon certains, la raison en est le scandale qui s’en suivrait. Mais il n’en est rien. Le vœu simple, en effet, peut aussi donner lieu au scandale lorsqu’on l’a émis publiquement. De plus le scandale n’est pas une raison suffisante pour briser le lien indissoluble qui constitue la véritable vie conjugale.

D’autres donnent comme motif la loi de l’Eglise. Mais ce motif ne suffit point ; car autrement l’Eglise pourrait tout aussi bien décréter le contraire, ce qui ne paraît pas exact.

Il faut donc dire ceci avec d’autres théologiens : le vœu solennel, de par sa nature, rend nul le mariage contracté, car celui qui le prononce ne jouit plus du droit de disposer de son corps, puisqu’il en a fait don à Dieu en s’engageant à la chasteté perpétuelle. Il ne peut donc plus donner son corps à une épouse en contractant mariage avec elle. Et puisque le mariage qui suit le vœu solennel est nul, on dit que le vœu solennel dirime le mariage déjà contracté.

Solutions :

1. Le vœu simple est considéré comme ayant la même force obligatoire que le Vœu solennel devant Dieu, quand il s’agit des rapports avec Lui, telle la séparation - de Dieu produite par le péché mortel ; car la transgression du vœu simple, comme celle du vœu solennel, est péché mortel, bien qu’il soit plus grave d’enfreindre le vœu solennel. Cette comparaison, d’ailleurs, vaut seulement pour le genre de culpabilité, non pour le degré précis de cette culpabilité. Mais, en face du mariage par lequel les époux se lient entre eux, les deux vœux n’ont pas la même force oblige même au point de vue générique, car le vœu solennel entraîne des devoirs que n’impose pas le vœu simple.

2. Le serment a plus de force que le vœu en raison du motif pour lequel il oblige. Mais le vœu solennel oblige d’une manière plus immédiate, car il consiste dans le don de ce que l’on promet. Le serment n’a pas cet effet. L’argument ne vaut donc point.

3. En prononçant un vœu solennel, l’homme livre à Dieu son propre corps, ce qu’il ne fait point par le vœu simple. L’argument se fonde donc sur une raison insuffisante.

 

Article 3 — L’Ordre est-il un empêchement de mariage ?

Objections :

1. Il ne le paraît point, car seules les choses qui se contrarient sont incompatibles. Or l’Ordre et le mariage ne se contrarient nullement, car ce sont deux sacrements distincts. L’Ordre n’est donc pas un empêchement de mariage.

2. L sacrement d’Ordre est le même pour nous et pour l’Eglise Orientale. Mais, dans l’Eglise Orientale, il n’est pas un empêchement de mariage. Il n’en est donc pas non plus dans l’Eglise Occidentale.

3. Le mariage signifie l’union du Christ et de son Eglise. Or ce symbolisme sera surtout mis en relief par le mariage des ministres du Christ, c’est-à-dire, de ceux qui sont ordonnés. L’ordre n’exige donc pas que l’on ne puisse se marier.

4. Tous les ordres préparent aux fonctions spirituelles. Le sacrement d’Ordre ne peut donc devenir un empêchement de mariage que pour une raison spirituelle ; mais alors chacun des ordres sera un obstacle au mariage, ce qui est contraire à la doctrine de l’Eglise.

5. Après l’ordination, les clercs peuvent recevoir des bénéfices ecclésiastiques et jouir des privilèges cléricaux. Si, comme le disent les juristes, l’Ordre est un empêchement au mariage parce que les clercs mariés ne peuvent pas posséder de bénéfices d’Eglise ni jouir des privilèges accordés aux clercs, chacun des ordres sera un empêchement. Or ceci est faux, comme le déclare une décrétale d’Alexandre III. Aucun ordre n’empêche donc le mariage.

Cependant :

On lit dans les Décrets : "Les clercs sous-diacres ou promus à des ordres supérieurs et connus comme étant mariés, doivent être contraints à renvoyer leurs épouses". Or, il ne devrait pas en être ainsi, si le mariage avait été valide.

D’autre part, le vœu de continence interdit le mariage à celui qui l’a prononcé. Mais la réception de certains ordres entraîne avec elle le vœu de continence. Ces ordres sont donc un empêchement de mariage.

Conclusion :

Des raisons de convenance exigent que les ordres sacrés, à cause de leur nature, soient un empêchement au mariage. Car les clercs investis de ces ordres touchent les vases sacrés et administrent les sacrements : la décence leur demande donc de rester purs en gardant la continence Pourtant c’est en vertu d’une loi de l’Eglise que le sacrement d’Ordre constitue, en fait, un empêchement au mariage. Toutefois les Latins et les Grecs ont légiféré sur ce point d’une façon différente. Chez les Grecs, l’Ordre est la seule cause de l’empêchement ; chez les Latins il s’y ajoute le vœu de continence que l’on forme lors de la réception des ordres sacrés ; celui qui ne prononcerait pas ce vœu serait cependant censé l’avoir émis par le seul fait qu’il aurait reçu l’ordre selon le rite de l’Eglise occidentale. Aussi bien, chez les Grecs et chez les autres Orientaux, l’ordre sacré s’oppose à ce que l’on con tracte ensuite mariage mais non pas à l’usage du mariage. Les Orientaux peuvent donc user dii mariage qui a précédé leur ordination mais ne peuvent plus en contracter un nouveau. Les Occidentaux, eux, ne peuvent ni se marier, ni user du mariage : à moins qu’un époux, à l’insu de son épouse ou contre le gré de celle-ci ait reçu un ordre sacré, car son épouse ne doit pas subir un préjudice du fait de son mari. On a dit plus haut la différence qui existe aujourd’hui et qui existait dans l’Eglise primitive entre les ordres sacrés et les ordres non sacrés.

Solutions :

1. L’ordre sacré n’est pas incompatible avec le mariage considéré comme sacrement, mais avec l’acte du mariage, qui est un obstacle à l’accomplissement des fonctions sacrées.

2. L’argument repose sur une erreur : partout, en effet, l’ordre est un empêchement au mariage, bien que, partout, sa réception ne soit pas accompagnée de l’émission d’un vœu.

3. Les clercs dans les ordres sacrés représentent le Christ en accomplissant des fonctions beaucoup plus nobles que celles des gens mariés, ainsi qu’on l’a montré dans le traité de l’Ordre. L’argument ne vaut donc pas.

4. Les clercs minorés peuvent contracter mariage malgré l’ordre reçu, car les ordres mineurs qui établissent les ordinands dans des fonctions spirituelles ne leur donnent pas toutefois, comme les ordres majeurs, le pouvoir immédiat de toucher les choses sacrées. Mais selon les lois de l’Eglise Occidentale, on ne peut à la fois user du mariage et remplir une fonction d’un ordre mineur, car on doit observer une grande dignité dans les charges ecclésiastiques. Aussi, le détenteur d’un bénéfice ecclésiastique étant obligé de remplir les fonctions de son ordre et jouissant pour cette raison des privilèges cléricaux, les clercs mariés de rite latin sont privés de ces avantages.

5. La solution de la dernière difficulté ressort de ce qui précède.

 

Article 4 — Après le mariage, peut-on recevoir un ordre sacré ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car les liens spirituels sont plus forts que les liens matériels. Un homme marié recevrait-il le sacrement d’ordre, son épouse en subirait alors un préjudice, car elle ne pourrait plus exiger l’accomplissement du devoir conjugal, puisque l’ordre est un lien spirituel et le mariage, un lien matériel. On ne peut donc pas, semble. t-il, recevoir un ordre sacré après le mariage consommé.

2. Une fois le mariage consommé, aucun des époux ne peut faire le vœu de continence sans le consentement de l’autre. Mais la réception d’un ordre sacré entraîne l’obligation du vœu de continence. Si donc un époux recevait un ordre sacré, malgré son épouse, celle-ci serait alors contrainte de garder la continence puisqu’elle ne pourrait pas se remarier du vivant de son époux.

3. Un époux a encore besoin du consentement de son épouse pour prier, ne fût-ce que momentanément, comme il est dit dans l’épître aux Corin tiens. Mais les Orientaux qui ont reçu les ordres sacrés doivent observer la continence pendant le temps de leur ministère. Ils ne peuvent donc recevoir les ordres sans le consentement de leurs épouses. A plus forte raison, les Latins.

4. L’époux et l’épouse sont astreints aux mêmes obligations. Or le prêtre grec ne peut se remarier après le décès de son épouse. La veuve du prêtre défunt ne le pourrait donc pas non plus. Cependant on ne peut refuser à cette veuve le droit de se remarier à cause d’une ancienne démarche de son mari disparu. Le mari ne peut donc recevoir les ordres après son mariage.

5. Le mariage s’oppose à la réception de l’Ordre autant que l’Ordre s’oppose à la réception du sacrement de mariage. Mais l’Ordre reçu avant le mariage est un empêchement de mariage. Le mariage contracté avant la réception de l’Ordre sera donc aussi un empêchement à l’Ordre.

Cependant :

Les religieux sont tenus de garder la continence comme les clercs investis des ordres sacrés. Or, après son mariage, un homme peut entrer en religion, soit parce que son épouse est défunte, soit parce que celle-ci y consent. Cet homme peut donc recevoir aussi le sacrement d’Ordre.

D’autre part, après le mariage, on peut devenir serviteur des hommes. Pourquoi ne pourrait-on pas devenir serviteur de Dieu, en recevant le sacrement d’Ordre ?

Conclusion :

Le mariage ne s’oppose pas à ce qu’on reçoive ensuite un ordre sacré, car un homme marié qui accéderait aux ordres contre le gré de son épouse, recevrait néanmoins le caractère sacramentel ; il ne pourrait pas cependant exercer son ordre. Mais, en recevant l’Ordre avec le consentement de son épouse ou après le décès de celle-ci, il recevrait le sacrement et aurait le droit d’exercer l’Ordre.

Solutions :

1. Les liens créés par l’Ordre brisent le lien matrimonial, du côté de celui qui a reçu l’Ordre, sous le rapport du devoir conjugal, car à ce point de vue il y a opposition entre Ordre et Mariage ; en effet, celui qui a reçu l’Ordre ne peut plus demander le devoir conjugal à son épouse et celle-ci n’est pas obligée de le rendre. Mais le lien matrimonial n’est pas rompu du côté de l’épouse puisque son mari est tenu de lui rendre le devoir conjugal, s’il ne peut pas obtenir qu’elle observe la continence.

2. L’épouse qui sciemment permet à son époux de recevoir un ordre sacré doit faire le vœu de continence perpétuelle, mais son époux ferait-il profession solennelle, elle n’est pas obligée d’entrer en religion, si elle ne craint point d’ex poser au danger sa vertu de chasteté. Il en sera autrement si son époux n’a fait qu’un vœu simple. En outre, rien ne l’oblige à faire le vœu de continence, quand son mari s’est engagé dans les ordres malgré elle, car aucun préjudice ne doit lui survenir du fait d’un tel engagement.

3. Malgré l’opinion contraire, il faut regarder comme plus probable l’existence du devoir imposé aux Grecs de ne pas recevoir les ordres sacrés sans le consentement de leurs épouses, car celles-ci seraient privées de leur droit au devoir conjugal les jours où leurs époux exerceraient le ministère. Le droit ne permet pas d’ailleurs qu’on leur inflige cette privation quand leurs époux ont reçu les ordres malgré elles ou à leur insu.

4. Quand l’épouse d’un grec consent à voir son mari recevoir un ordre sacré, elle contracte l’obligation de ne plus jamais se remarier ; s’il en était autrement le sens symbolique du mariage ne serait pas respecté. Or ce sens doit être surtout conservé dans le mariage d’un prêtre. Mais quand son mari a été ordonné malgré elle, l’épouse n’est pas astreinte à cette obligation.

5. Le mariage a pour cause le consentement des contractants il n’en est pas de même pour l’ordre dont la cause sacramentelle est déterminée par Dieu. Aussi bien, l’ordre qui précède le mariage peut empêcher ce dernier d’être valide tandis que le mariage ne peut pas faire que l’ordre soit invalide : l’efficacité des sacrements est infaillible, alors que les actes humains peuvent rencontrer des empêchements.

 

QUESTION 54 — L’EMPÊCHEMENT DE CONSANGUINITÉ.

Considérons à présent l’empêchement de consanguinité. A ce propos, flous nous poserons les questions suivantes : -1. La consanguinité a-t-elle été bien définie ? -2. Peut-on la diviser par degrés et par lignes ? 3. L’empêchement de parenté annule t-il le mariage, de droit naturel ? -4. L’Eglise pouvait-elle fixer les degrés de parenté qui empêchent le mariage ?

 

Article 1 — La définition de la consanguinité est-elle empêchement au mariage ?

Objections :

1. On ne peut pas approuver la définition suivante de la consanguinité : C’est un lien que des personnes de même origine contractent en vertu de la génération charnelle. Tous les hommes, en effet, descendent par la génération charnelle du même ancêtre, c’est-à-dire d’Adam. Si la définition précédente était correcte, tous les hommes seraient parents entre eux, ce qui est faux.

2. Un lien ne peut exister qu’entre ceux qui se ressemblent, puisque le lien les unit. Or ceux qui descendent du même ancêtre n’ont pas plus de ressemblances entre eux qu’ils n’en ont avec les autres hommes : puisque s’ils ont même espèce, ils diffèrent entre eux par des caractères individuels, comme les autres hommes. La consanguinité n’est donc pas un lien.

3. La génération charnelle comme le dit Aristote provient d’un excédent de substance nutritive. Or ce superflu nutritif a bien plus de rapports avec la nourriture elle-même qu’avec la personne qui la consomme, car il est de même substance que cette nourriture. Dira-t-on qu’un lien de consanguinité se crée entre l’enfant qui naît du superflu nutritif et la nourriture qui a été consommée par ses engendrants ? Aucun lien ne rattache donc plus l’enfant et ses engendrants.

4. Comme le rapporte la Genèse, Laban dit à Jacob "Tu es mes os et ma chair" car ils étaient parents entre eux. Une telle parenté devrait donc s’appeler charnelle plutôt que consanguine.

5. La génération charnelle est commune aux hommes et aux animaux. Or elle n’établit pas entre les animaux un lien de consanguinité. Elle n’en établit donc point non plus parmi les hommes.

Conclusion :

Toute amitié, comme le remarque Aristote dans le 8e livre des Ethiques, consiste en une sorte de vie commune. Et puisque l’amitié est un lien ou une manière de s’unir, on appellera du nom de lien la vie commune cause de l’amitié. Aussi bien c’est du genre de vie commune que l’on tirera le nom qui désignera ceux qu'elle lie quasi réciproquement : ainsi on appelle concitoyens ceux qui ont le même genre de vie politique, et compagnons d’armes, ceux qui se réunissent dans le métier militaire. De même on donne le nom de consanguins à ceux qu’unit une vie commune naturelle. Dans la définition précédente le mot lien désigne le genre de la consanguinité ; les mots personnes de même origine se rapportent aux sujets de ce lien, puisque c’est entre elles que ce dernier existe ; enfin, les mots génération charnelle désignent le principe de ce lien.

Solutions :

1. La puissance active n’a pas la même perfection dans l’instrument que dans l’agent principal. Et comme tout moteur, qui est lui-même mobile, est un instrument, la puissance du premier moteur, à quelque genre qu’il appartienne, en passant par beaucoup d’intermédiaires, finit par s’épuiser et aboutit à un être qui, lui, ne peut plus mouvoir les autres, mais se contente d’être mû. Quand il s’agit de transmettre la vie, celui qui la donne non seulement transmet les caractères spécifiques, mais encore les qualités individuelles de son être, et telle est la raison pour laquelle le fils ressemble à son père, même dans ses traits accidentels et non pas seulement dans ses caractères spécifiques. Cependant les traits particuliers du père ne se communiquent pas au fils avec la même perfection qu’ils sont dans le père. Encore moins s’il s’agit du petit-fils, de sorte que la ressemblance finit par disparaître. Et voilà comment l’influence de celui qui transmet la vie diminue peu à peu au point de n’avoir plus d’effet. La consanguinité, consistant en ce que beaucoup de personnes procèdent, par voie de propagation, de la même puissance active de génération, disparaît peu à peu, comme le dit

S. Isidore. Quand on définit la consanguinité, il ne faut donc pas mentionner l’ancêtre le plus éloigné mais le plus proche, c’est-à-dire, celui dont l’influence active se fait sentir dans ses descendants.

2. On l’a déjà dit, les consanguins ne se ressemblent pas seulement en ce qu’ils ont la même nature humaine, mais par des traits individuels qui leur viennent de la vie qu’ils dut reçue d’un même individu et qui s’est transmise à plusieurs aussi arrive t-il que le fils ressemble non seulement à son père mais encore à son grand père et même à des parents éloignés, comme le dit Aristote.

3. La ressemblance vient plutôt de la forme qui donne d’être en acte au sens philosophique, que de la matière en vertu de laquelle on est en puissance le charbon de bois, par exemple, a plus d’affinité avec le feu qu’avec l’arbre d’où le bois a été tiré. De même l’aliment une fois assimilé par l’organisme grâce à la force de nutrition ressemble plus à l’être qui s’en est nourri qu’à la matière qui a servi de nourriture.

L’argument serait concluant si on admettait l’opinion de certains philosophes selon lesquels la substance d’un être vient de sa matière tandis que toutes les formes sont des accidents, mais cette opinion est fausse.

4. Ce qui se transforme immédiatement en semence c’est le sang, comme on l’a prouvé ailleurs. Aussi le nom de consanguinité convient-il mieux que le mot de parenté charnelle au lien contracté par la génération, et l’on dit qu’un parent est la chair de l’autre, parce que le sang devenu semence chez l’homme ou menstrues chez la femme est os et chair en puissance.

5. Selon certains, la raison pour laquelle les hommes et non pas les animaux contractent des liens de parenté serait la suivante : tous les caractères de la nature humaine que l’on rencontre dans tel ou tel homme se seraient déjà trouvés chez le premier homme ; or ceci ne se réalise pas chez les animaux. Mais s’il en était ainsi la parenté ne pourrait jamais s’étendre et nous avons déjà réfuté ailleurs cette opinion.

Voici au contraire la seule explication de ce fait : les animaux, à la différence des hommes, ne s’unissent pas pour contracter une amitié et propager ainsi la vie en plusieurs êtres, à partir d’une origine unique et prochaine.

 

Article 2 — Peut-on diviser la consanguinité par degrés et par lignes ?

Objections :

1. Cela ne convient pas. On définit, en effet, la ligne de consanguinité une série qui contient plusieurs degrés de personnes unies par le sang, issues du même parent. D’autre part, la consanguinité n’est pas autre chose que la collection de ces personnes. La ligne de consanguinité équivaut donc à la consanguinité. Or rien ne se distingue de soi. Il ne convient donc pas de diviser la consanguinité en lignes de parenté.

2. Les divisions d’un genre commun ne peuvent entrer dans sa définition. Or la descendance fait partie de la définition précédente de la consanguinité. Celle-ci ne peut donc pas être divisée en ligne ascendante, descendante, collatérale.

3. On définit la ligne : l’intervalle qui sépare deux points. Or deux points ne font qu’un degré ; la ligne n’a don elle-même qu’un seul degré. Par suite, cela revient au même de diviser la consanguinité en lignes et en degrés.

4. Par définition, le degré est le rapport entre personnes éloignées qui fait connaître à quelle distance elles sont l’une de l’autre. Mais puisque la consanguinité consiste dans un certain rapprochement, la distance qui sépare les personnes semble donc être le contraire plutôt qu’une partie de la consanguinité. On ne doit donc pas diviser cette dernière en degrés.

5. Si la consanguinité se divise en degrés qui serviront de moyens pour la faire connaître, les personnes qui seront distantes d’une autre au même degré devront être parentes entre elles de la même façon. Or ceci est faux, car le grand oncle paternel et le petit neveu de la même personne sont ses parents au même degré et cependant ils ne sont pas parents de la même façon, comme le déclarent les Décrets. Il n’est donc pas correct de diviser en degrés la consanguinité.

6. Dans les séries échelonnées des êtres, ajouter quelque chose à l’un d’entre eux, c’est le placer à un autre degré ainsi l’addition de l’unité à un nombre en produit un différent. Or, si à côté d’une personne on en met une autre, cela ne changera pas toujours le degré de parenté si à côté du père on met l’oncle paternel, le degré de consanguinité ne change pas entre eux. La division de la consanguinité par degrés n’est donc pas bonne.

7. Entre deux proches parents existe toujours la même parenté, puisque les deux extrêmes sont toujours à égale distance l’un de l’autre. Or le degré de parenté n’est pas le même des deux côtés, car un des parents peut l’être au troisième degré et l’autre au quatrième. Les degrés ne suffisent donc pas pour faire connaître les relations de parenté.

Conclusion :

La consanguinité, a-t-on dit, est un lien contracté par une communication naturelle, en vertu de la génération charnelle, moyen par lequel se propage la nature. Or Aristote, dans ses Ethiques, distingue trois espèces de communication ainsi comprises : 1° Celle qui existe entre une cause et son effet et c’est la parenté du père au fils : aussi, ajoute t-il, les pères aiment leurs enfants comme quelque chose d’eux-mêmes. 2° Celle qui consiste dans la relation de l’effet à sa cause, et telle est la relation du fils au père : aussi, dit encore le Philosophe, les enfants aiment leurs pères comme leur devant l’existence. 3° Celle qui consiste dans le rapport mutuel de deux effets d’une même cause par exemple,'dit encore Aristote au même endroit, les frères qui naissent des mêmes parents.

-Puisque le mouvement du point fait donc la ligne et que le père en transmettant la vie se met comme en mouvement vers son fils, les trois communications que nous avons distinguées donnent naissance à trois lignes, la première à la ligne descendante, la seconde à la ligne ascendante, la troisième à la ligne collatérale.

En outre comme le mouvement transmis par la génération ne s’arrête pas à un terme mais continue de progresser, il arrive que le père se relie à un autre père, le fils à un autre fils et ainsi de suite r à chacune de ces diverses progressions, on avancera donc par divers degrés dans la même ligne. Mais, d’autre part, le degré où s’échelonne une chose fait partie de la nature de cette chose ; il ne pourra donc pas y avoir degrés de proche parenté là où la proximité n’existe pas. Par con séquent l’identité et la trop grande distance suppriment la consanguinité r aucune personne n’est ainsi parente avec elle-même, de même qu’elle ne ressemble point à elle-même. Aucune personne ne fait donc par elle-même un degré, mais il faut pour cela la comparer à une autre personne.

Cependant :

la manière de compter les degrés varie selon les lignes : Dans la ligne ascendante et descendante, un degré existe entre cieux personnes, quand l’une est née de l’autre. Ainsi, selon la manière de compter employée par le droit canonique et le droit civil, la première personne qui se rencontre dans la série des générations, soit en montant, soit en descendant, se trouve être distante d’une autre, de Pierre, par exemple, au premier degré. Ainsi en est-il du père et du fils ; la personne qui vient ensuite est au second degré, par exemple le grand-père et le petit-fils ; et ainsi de suite.

Quand il s’agit de la ligne collatérale, le lien de consanguinité entre deux personnes ne vient pas de ce que l’une est née de l’autre mais de ce qu’elles tiennent toutes deux leur origine d’une même troisième. Pour compter les degrés dans cette ligne, ii faut donc comparer les personnes au premier parent d’où elles sont issues. Mais ici la manière de compter varie, selon qu’il s’agit du droit canonique ou du droit civil. Le droit civil compte les degrés à la fois dans les deux lignes de descendance du parent commun ; le droit canon ne compte que les degrés d’une seule ligne, c’est-à-dire, de la ligne où les degrés sont plus nombreux. Ainsi, selon le droit civil, le frère et la sœur ou deux frères sont entre eux au second degré, parce que chacun d’eux est distant d’un degré de l’ancêtre commun. De même, les enfants de deux frères sont parents au quatrième degré. Mais, selon le droit canonique, les deux frères sont entre eux au premier degré, car l’un et l’autre ne sont éloignés du parent commun que d’un degré ; le fils de l’un des deux frères est parent de l’autre frère au second degré, puisqu’ils sont éloignés d’autant de l’ancêtre commun. Voilà pourquoi selon le mode de computation canonique, autant il y a de degrés entre une personne et l’un de ses ancêtres, autant il y en a entre elle et les autres descendants collatéraux de ce même ancêtre et jamais moins ; car ce qui est cause d’une qualité la possède lui-même au maximum. Par suite, bien que les descendants d’un parent aient des liens avec un autre descendant de même origine mais d’une autre ligne, ils ne peuvent pas être plus proches de lui que ne l’est le parent commun. Cependant une personne peut être plus éloignée d’une autre qu’elle ne l’est du parent commun dont toutes deux descendent, parce que la seconde est à une plus grande distance que la première de l’ancêtre commun. Il faut, en effet, compter les degrés de parenté selon la plus grande distance.

Solutions :

1. L’argument repose sur une erreur la consanguinité n’est pas une série de personnes mais la relation spéciale des personnes entre elles, et la série de celles-ci forme la ligne de consanguinité.

2. La descendance, en prenant ce mot en un sens général, signifie n’importe quelle ligne de parenté, car toute génération charnelle d’où naît la consanguinité est une sorte de descendance. Mais la descendance qui désigne la série des personnes issues de telle autre forme la ligne descendante.

3. On peut entendre le mot de "ligne" de deux manières. Au sens propre du mot, la ligne est une dimension, première espèce de la quantité continue. Ainsi la ligne droite ne comprend que les deux points en acte qui la terminent, mais elle en renferme une infinité en puissance et si on détermine un autre point en acte sur cette ligne, la ligne est divisée et cette division produit deux lignes. Quelquefois le mot "ligne" signifie des choses rangées les unes à la suite des autres ou les unes à côté des autres. On place alors la ligne ainsi comprise, , avec la figure, dans la catégorie des nombres, puisqu’un nombre se compose d’unités ajoutées les unes aux autres. Chaque unité ajoutée indique alors un degré différent la ligne ainsi entendue. Il en est de même de la ligne de consanguinité. Une seule ligne contient donc plusieurs degrés.

4. La ressemblance n’existe pas là où il n’y a aucune diversité ; il n’y a pas non plus de parenté là où il n’y a aucune distance. Toute distance n’est donc pas contraire à la consanguinité, mais celle-là seulement qui exclut tout rapprochement de parenté.

5. De même que la blancheur peut augmenter de deux façons, soit que la couleur devienne plus vive, soit que la surface blanche devienne plus grande, de même la consanguinité peut être dite plus ou moins grande pour deux raisons soit parce que les relations de consanguinité sont plus intimes, soit parce que celles-ci sont plus étendues dans ce dernier cas l’étendue de la consanguinité se mesure au nombre de personnes qu’elle unit du fait de la génération et. c’est de cette deuxième manière que l’on distingue des degrés dans la consanguinité. Mais de deux personnes qui sont parentes au même degré vis-à-vis d’une troisième, l’une peut être plus intimement parente de cette troisième au premier sens du mot "consanguinité". Ainsi le père et le frère d’une personne sont parents de cette personne au premier degré, puisque ni d’un côté ni de l’autre, il n’y a d’intermédiaire. Mais si on se place au point de vue de l’intimité, le père est plus proche parent de cette personne puisque le frère n’est parent à celle-ci que parce qu’il est issu du même père qu’elle. Par conséquent, plus l’on se rapproche de l’ancêtre commun, d’où naît la parenté, plus intime est la parenté, quoiqu’elle ne se présente pas au degré le plus rapproché. Ainsi le grand-oncle d’une personne est plus intime avec elle que le petit neveu quoique tous les deux aient le même degré de parenté avec elle.

6. Le père et l’oncle sont parents au même degré de l’ancêtre commun, car chacun d’eux se tient à un degré de l’aïeul. Cependant vis-à-vis de la personne dont on cherche la parenté, ils ne sont plus au même degré, car le père est au premier degré, mais l’oncle ne peut l’être qu’au second, puisque l’aïeul est parent à ce degré de la dite personne.

7. Deux personnes sont toujours distantes l’une de l’autre, d’un même nombre de degrés, bien qu’elles puissent être à une inégale distance de leur parent commun.

 

Article 3 — La parenté est-elle un empêchement de droit naturel ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Car aucune femme ne peut avoir avec un homme une relation de parenté plus étroite que celle d’Eve vis à vis d’Adam qui parlait ainsi de son épouse : "Voici l’os de mes os et la chair de ma chair". Or Adam et Eve vivaient dans l’état du mariage. Aucune parenté n’est donc un empêchement de droit naturel.

2. La loi naturelle est la même pour tous. Or, chez les barbares, on peut contracter mariage avec une personne de sa parenté. La consanguinité n’est donc pas un empêchement de droit naturel.

3. Comme le dit le Digeste, est de droit naturel ce que la nature enseigne aux animaux. Or, les animaux s’unissent même à leur mère. La nature n’enseigne donc pas que le mariage soit interdit à une personne à cause des relations de parenté.

4. N’est empêchement au mariage que ce qui nuit aux biens qui lui sont propres. Or la consanguinité ne contrarie aucun des biens du mariage. Elle n’est donc pas un empêchement.

5. L’union entre deux êtres est d’autant plus facile et plus ferme qu’ils sont plus proches l’un de l’autre et se ressemblent davantage. La parenté qui rapproche les personnes n’est donc pas un obstacle, mais contribue, au contraire, au succès de l’union conjugale.

Cependant :

Ce qui nuit au bien de l’enfant est un empêchement au mariage de par la loi naturelle. Or la consanguinité des parents est nuisible à l’enfant, car, selon la parole de S. Grégoire, "nous savons par expérience que les enfants nés de pareilles unions ne peuvent se développer". La consanguinité est donc un empêchement de droit naturel.

Ce qui, d’autre part, était obligatoire aux origines de l’humanité est 4e droit naturel. Or, à l’origine, obligation était faite à l’homme de se marier avec d’autres que le père et la mère car il était dit dans la Genèse "L’homme quittera son père et sa mère", et il ne peut s’agir ici de la simple cohabitation : il faut donc entendre ces mots de l’union conjugale. La consanguinité est donc un empêchement de droit naturel.

Conclusion :

Ce qui compromet la fin du mariage, voilà ce qui est contraire à la loi naturelle du mariage. Mais la fin primordiale du mariage est avant tout le bien de l’enfant. Sans doute, l’union entre consanguins, comme entre le père et sa fille, ou, entre le fils et sa mère, compromet ce bien de l’enfant, mais ne le fait pas disparaître totalement : une fille peut avoir un enfant de son père et, de concert avec ce dernier, assurer la nourriture et l’éducation de son fils. Mais il ne convient pas que cela soit ainsi. N’est-ce point un désordre qu’une fille devienne par le mariage l’associée de son père dans la procréation et l’éducation des enfants, alors qu’elle a le devoir de rester sous la tutelle de son père qui lui a donné la vie ? La loi naturelle défend donc au père et à la mère de contracter de tels mariages. Elle le défend davantage à la mère qu’au père, car le mariage de la mère avec son fils déroge plus au respect dû aux parents que le mariage du père avec sa fille : l’épouse, en effet, doit obéissance à son mari et il répugne que la mère soit soumise à son fils.

Ajoutons encore ceci : la fin secondaire du mariage consiste dans l’apaisement de la concupiscence. Or cette fin serait frustrée si chacun pouvait épouser sa parente. Les passions de la chair pourraient se donner libre carrière si on n’interdisait pas le mariage aux personnes que les liens de famille obligent à vivre ensemble dans la même maison. Aussi bien la loi divine interdit-elle le mariage non seulement au père et à la mère, mais encore aux autres parents qui doivent habiter ensemble et auxquels incombe le devoir de se témoigner les uns aux autres des marques de respect et c’est précisément cette raison que donne le Lévitique où nous lisons "Ne faites pas honte à telle ou telle personne, parce que c’est votre propre honte".

D’autre part, le mariage est accidentellement destiné à favoriser l’association des personnes et l’extension des rapports d’amitié. L’homme, en effet, entretient avec les parents de sa femme les mêmes rapports amicaux qu’avec les siens. Or, ce serait restreindre l’étendue de ces relations d’amitié que de contracter mariage avec des personnes de la parenté. Aucune nouvelle amitié ne résulterait, en effet, de cette union conjugale. C’est pourquoi selon les lois humaines et les canons de l’Eglise, les personnes parentes à certains degrés ne peuvent se marier entre elles. De tout ce qui précède on peut donc conclure que la consanguinité est suivant les degrés un empêchement de droit naturel, ou un empêchement de droit divin, ou un empêchement de droit positif.

Solutions :

1. Eve, issue d’Adam, n’était pas cependant sa fille, car elle n’est pas sortie d’Adam par voie de génération, mais par une action divine. Dieu aurait pu faire sortir aussi bien un cheval de la côte d’Adam. Le rapport naturel qui existait entre Adam et Eve est donc moins intime que celui qui existe entre un père et sa fille, Adam n’a pas été la cause naturelle d’Eve, comme l’est un père de sa fille.

2. Les barbares pratiquent, il est vrai, la promiscuité ; ils ne le font pas en vertu de la loi naturelle mais à cause des passions exagérées de la chair qui obscurcissent la loi naturelle dans leur conscience.

3. L’union du mâle et de la femelle est appelée naturelle, car elle procède d’un instinct donné par la nature. Or, sur ce point les instincts sont très divers suivant les animaux et leurs genres de vie. Comme l’union charnelle avec les parents déroge au respect qui leur est dû, la nature, qui inculque aux parents la sollicitude nécessaire aux besoins de leur progéniture, inspire aux petits de la même façon le respect pour leurs parents. En revanche, la nature n’apprend à aucune espèce d’animaux à garder continuellement cette sollicitude pour leurs petits, ou ce respect pour leur père et leur mère. L’homme seul fait exception. Chez les autres animaux cette sollicitude et ce respect durent en fait plus ou moins longtemps, selon que le père et la mère sont plus ou moins nécessaires à leurs petits et réciproquement. De là vient que certains animaux ont en horreur tout rapport charnel avec leur mère, aussi longtemps qu’ils sont capables de la reconnaître et de la tenir pour telle Aristote cite comme exemples de ce fait le chameau et le cheval. Et comme les hommes pratiquent naturellement et plus parfaitement que les autres animaux les mœurs les plus honnêtes que l’on rencontre chez ces derniers, les hommes ont instinctivement horreur de tout commerce charnel non seulement avec leurs mères mais même avec leurs filles, ce qui répugnerait moins à la nature. La génération charnelle rie crée donc pas chez les animaux des liens de consanguinité, comme elle le fait chez les hommes, ainsi qu’on l’a dit. On ne peut donc pas raisonner de la même façon dans les deux cas.

4. On l’a déjà remarqué, la parenté des époux nuit aux biens du mariage. L’argument repose donc sur une erreur. Sans aucun inconvénient, un lien en peut en empêcher un autre ; de même que là où il y a identité, il n’y a pas ressemblance les liens de parenté peuvent donc être un obstacle aux liens du mariage.

Article 4 — L’Eglise pouvait-elle fixer au quatrième degré les liens de consanguinité qui empêchent le mariage ?

Objections :

1. L’Eglise ne le pouvait pas. Dans S. Matthieu, on lit en effet : "L’homme ne doit pas séparer ceux que Dieu a unis". Or, Dieu a uni par le mariage des personnes parentes entre elles à un degré inférieur au quatrième, puisque la loi divine ne défend pas à de telles personnes de s’unir. La loi positive ne doit donc pas les séparer.

2. Le mariage est un sacrement comme baptême. Or, l’Eglise ne peut pas empêcher celui qui s’approche du baptême de recevoir le caractère baptismal si la loi divine l’en reconnaît capable. L’Eglise ne peut donc pas non plus interdire le sacrement de mariage aux époux qui n’ont aucun empêchement de droit divin à le recevoir.

3. Le droit positif ne peut pas supprimer ou étendre ce qui est de droit naturel. Or, la consanguinité est un lien naturel qui, de lui-même, constitue un obstacle au mariage. L’Eglise ne peut donc pas décréter que telles personnes pourront ou ne pourront pas s’unir en mariage, de même qu’elle ne peut pas faire que ces personnes soient parentes ou ne le soient pas.

4. Toute loi positive doit avoir un but raison nable, car elle ne procède du droit naturel que si elle est motivée par une juste raison. Or les motifs mis en avant pour justifier le nombre de degrés auxquels s’étend l’empêchement paraissent tout à fait déraisonnables, car ils n’ont aucun rapport avec leurs effets. Ainsi, dit-on, la consanguinité est un empêchement jusqu’au quatrième degré à cause des quatre éléments, jusqu’au sixième à cause des six âges du monde, jusqu’au septième en raison des sept jours de la semaine qui est l’abrégé du temps entier. Une telle prohibition ne peut donc acquérir force de loi.

5. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Or, les raisons qui justifient l’empêchement de consanguinité, c’est-à-dire, le bien de l’enfant, la modération des passions sensuelles, la plus grande extension des rapports d’amitié, valent pour toutes les époques. Les degrés de parenté qui sont un empêchement au mariage, auraient donc dû rester toujours les mêmes. En réalité, il n’en a pas été ainsi, car aujourd’hui il y a empêchement jusqu’au quatrième degré, et autre fois la prohibition s’étendait jusqu’au septième.

6. Un seul et même mariage ne peut appartenir à deux genres différents et être à la fois un sacrement et une liaison illégitime. N’en serait-il pas ainsi si l’Eglise avait le pouvoir de changer le nombre de degrés auxquels s’étend l’empêchement ? Quand, en effet, l’Eglise défendait le mariage aux parents au cinquième degré, une telle union devenait illégitime ; mais quand l’Eglise retira sa défense, cette union devenait vraiment un sacrement. Inversement, il pourrait arriver que l’Eglise dans l’avenir interdise le mariage entre parents à certains degrés, alors que ces derniers peuvent aujourd’hui s’unir entre eux. Etendra-t-on le pouvoir de l’Eglise jusque-là ?

7. La loi humaine doit imiter la loi divine : or, dans l’Ancien Testament où la loi divine était promulguée, les degrés de l’empêchement n’étaient pas les mêmes dans la ligne ascendante que dans la ligne de descendance. La loi mosaïque, en effet, défendait à un homme d’épouser la sœur de son père mais non pas la fille de son frère. Actuellement, aucun empêchement ne devrait donc exister pour les neveux et les oncles. Notre Seigneur a dit à ses apôtres "Qui vous écoute, m’écoute". La loi ecclésiastique est donc aussi impérieuse que la loi divine. Or, l'Eglise a défendu et permis, selon les circonstances, de contracter mariage dans certains degrés de parenté où l’ancienne loi ne l’empêchait point. L’empêchement s’étend donc à ces degrés.

D’autre part, la loi ecclésiastique règle actuellement les mariages des chrétiens, tout comme les lois civiles réglaient autrefois les mariages des païens. Or, l’ancien droit civil précisait le nombre de degrés ou commençait l’empêchement. Le droit ecclésiastique peut donc faire de même aujourd’hui.

Conclusion :

Selon les époques, l’empêchement de consanguinité s’est étendu à divers degrés. A l’origine du genre humain, il n’était défendu d’épouser que son père et sa mère : le petit nombre des hommes et la nécessité de pourvoir à la propagation de l’espèce humaine justifiait cette exception, car il ne fallait exclure que les personnes incapables d’atteindre la fin principale du mariage qui est le bien de l’enfant.

Puis, une fois accru le nombre des hommes, la loi de Moïse, qui commençait à réprimer les passions de la chair, excepta un plus grand nombre de personnes. Ainsi, selon Rabbi Moïse, le mariage était interdit à tous les membres de la même famille qui devaient habiter ensemble ; sinon la possibilité pour elles d’entretenir des relations charnelles aurait amené un grand débordement des passions mauvaises. Mais aux personnes parentes à d’autres degrés, la loi ancienne permettait et, bien plus, imposait même le mariage ainsi, par exemple, chaque homme devait prendre pour femme une de ses parentes, afin d’éviter la confusion des héritages, car à ce moment là, le culte divin se propageait par hérédité. Vint alors la loi nouvelle, loi de l’Esprit et loi d’amour l’empêchement s’étendit à plusieurs autres degrés de parenté, car désormais la grâce spirituelle et non plus la descendance charnelle servit de moyen de propagation et de multiplication pour le culte de Dieu. Les hommes eurent alors le devoir de s’abstenir davantage des œuvres charnelles pour vaquer plus souvent aux occupations spirituelles et pour faire rayonner davantage la charité.

Aussi bien, dans l’Eglise naissante, l’empêchement s’étendait jusqu’aux degrés les plus éloignés de la consanguinité afin de laisser libre cours à l’amitié naturelle qui naît de la consanguinité et de l’affinité. Avec raison on l’étendit jusqu’au septième degré au delà, en effet, le souvenir d’une origine commune se serait perdu facilement. Ce nombre correspondait aussi à la grâce septiforme de l’Esprit Saint.

En ces derniers temps, par contre, l’Eglise restreignit l’interdiction au quatrième degré étendre la défense à des degrés plus lointains devenait inutile et dangereux. C’était vraiment inutile car à cause du refroidissement général de la charité, on ne manifestait pas plus d’amitié aux parents éloignés qu’aux étrangers ; c’était aussi dangereux, car en raison de leurs passions plus vives et de leur plus grande négligence, les hommes ne respectaient plus suffisamment un aussi grand nombre de proches : la défense de contracter mariage dans des degrés plus éloignés aurait été pour beaucoup le "piège de la damnation".

Des raisons de convenance, d’autre part, ont justifié la restriction de l’empêchement au quatrième degré. Les hommes en effet, continuent à vivre jusqu’à la quatrième génération, si bien que le souvenir de leur parenté ne leur échappe point. Dieu ne menace t-il pas aussi de punir les péchés des parents jusqu’à la "troisième et quatrième génération" ? En outre, la parenté n’étant autre chose que l’identité de sang, à chaque génération, le sang se mêle à un nouveau sang étranger, et devient de plus en plus différent de ce qu’il était. Puisque chacun des quatre éléments que renferme le sang se mêle d’autant mieux qu’il est plus subtil, dans le premier mélange, l’identité de sang disparaît quant au premier élément le plus subtil de tous ; à la seconde génération disparaît le second élément, à la suivante, le troisième, à la quatrième génération le quatrième élément. Ainsi l’union charnelle peut convenablement se faire à nouveau après la quatrième génération.

Solutions :

1. Dieu ne peut unir ni ceux qui se marient en désobéissant à la loi divine, ni ceux qui contractent mariage contrairement à la loi ecclésiastique, douée de la même force obligatoire.

2. Le mariage n’est pas seulement un sacrement mais aussi une institution sociale. Les ministres de l’Eglise ont donc dès lors plus de pouvoir sur lui que sur le baptême qui n’est qu’un sacrement, car à la façon des contrats et des institutions humaines régies par les lois humaines, les contrats et institutions spirituelles sont l’objet des lois ecclésiastiques.

3. Les liens de parenté sont, il est vrai, des liens naturels, mais il n’est pas naturel que la parenté empêche le mariage, sauf quand il s’agit d’un certain degré, comme on l’a dit. Aussi l’Eglise, dans sa législation ne fait pas que certaines personnes deviennent ou ne deviennent pas parentes, car celles qui le sont le restent toujours au même degré. L’Eglise plutôt décrète que les mariages seront ou ne seront pas licites, quand les époux sont parents à certains degrés et ces degrés varient selon les époques.

4. Quand on allègue des raisons de symbolisme, on veut plutôt montrer l’adaptation et la convenance de la loi qu’en indiquer les causes et en prouver la nécessité.

5. On l’a dit dans l’article, les motifs d’interdire le mariage dans certains degrés de parenté ne sont pas les mêmes. Ce qu’il est donc utile d’accorder à une époque, il peut être avantageux de l’interdire à une autre.

6. Les lois n’ont pas effet rétroactif mais règlent l’avenir. Si donc on en venait un jour à étendre l’empêchement au cinquième degré, alors qu’aujourd’hui il ne s’étend pas si loin, on ne devrait pas séparer les époux parents au cinquième degré, car aucun empêchement postérieur au mariage ne peut l’annuler et la loi de l’Eglise ne pourrait rendre illégitime une union vraiment valide. De même, si l’on permettait dans l’avenir à certains parents de s’unir entre eux, alors qu’ils ne peuvent le faire actuellement, la loi de l’Eglise ne ferait pas de leur union un mariage légitime en raison du premier contrat, car les époux pourraient se séparer, s’ils le voulaient, mais ils pourraient contracter un nouveau mariage et ce serait alors une autre union.

7. En interdisant le mariage aux parents selon certains degrés, l’Eglise tient compte des lois de l’amour. Or, il y a autant de raisons d’aimer le neveu que l’oncle ; il y en a plutôt davantage, car un fils touche de plus près son père que le père son fils, ainsi que l’observe Aristote. L’Eglise interdit donc le mariage aux neveux aussi bien qu’aux oncles.

Mais la loi ancienne, dans ses interdictions, tenait surtout compte de la cohabitation et défendait le mariage à des personnes qui, vivant ensemble, entretenaient plus facilement des relations. Or la nièce habitait plus fréquemment avec son oncle que ne le faisait la tante avec son neveu, car la fille ne fait qu’un avec son père elle tient tout de lui. La sœur, elle, n’est pas aussi unie à son frère, car elle n’est pas de lui, mais tous deux viennent du même père. La raison d’écarter la tante du mariage ne valait donc pas pour la nièce.

 

QUESTION 55 — DE L’EMPÊCHEMENT D’AFFINITÉ.

Etudions maintenant l’empêchement d’affinité. A son propos nous nous poserons onze questions :

1. Le mariage est-il cause d’affinité ? -2. L’affinité subsiste-t-elle après la mort du mari ou de l’épouse ? -3. L’affinité naît-elle à la suite de relations coupables ? -Les fiançailles produisent-elles l’affinité ? -5. L’affinité est-elle cause d’une nouvelle affinité ? -6. Est-elle un empêchement de mariage ? 7. Comporte-t-elle par elle-même des degrés ? -8. L’affinité s’étend-elle aussi loin que la consanguinité ? -9. Faut-il toujours séparer les époux consanguins et parents par affinité ? -10. Pour dirimer un tel mariage, faut-il procéder par voie d’accusation ? -11. Doit-on appeler des témoins dans cette cause ?

 

Article 1 — Le mariage est-il cause d’affinité ?

Objections :

1. L’affinité ne résulte pas, semble t-il, du mariage d’un parent. Car celui qui donne à un autre une qualité, la possède à un degré supérieur. Or l’épouse n’est unie à la parenté de son mari qu’à cause de celui-ci. Puis qu’elle ne contracte pas affinité avec son époux, elle n’en contractera pas davantage avec les parents de ce dernier.

2. Quand deux êtres sont indépendants, s’unir à l’un ce n’est pas s’unir à l’autre. Or les parents sont indépendants les uns des autres. Du fait qu’elle se lie à un homme, une femme ne contracte donc pas nécessairement affinité avec les parents de cet homme.

3. Les relations entre personnes naissent de leur union entre elles. Or aucune union ne se fait entre les parents consanguins d’un époux, du fait que celui-ci se marie. Aucune relation d’affinité ne se crée donc entre eux.

Cependant :

le mari et l’épouse ne font plus qu’une seule chair. Puisque le mari reste uni à tous ses parents par la chair, avec eux aussi la femme s’unira d’une façon semblable.

D’autre part, les textes cités dans les Sentences prouvent la même chose.

Conclusion :

Une certaine amitié naturelle naît d’une vie commune matérielle. Cette communauté de vie, selon Aristote, peut provenir de deux sources : d’une part de la vie transmise par la chair, et d’autre part de l’union contractée en vue de la génération de la chair. Aussi, comme le remarque encore Aristote, l’amitié du mari pour son épouse est-elle une amitié naturelle. L’union des époux crée donc des liens spéciaux d’amitié, comme ils en contractent avec ceux à qui ils transmettent la vie. Il y a cependant cette différence : la personne liée à celle qui l’a engendrée, tel le fils à son père, fait partie de la même lignée et hérite du même sang ; aussi les liens du fils avec les parents de son père sont semblables aux liens du père avec ses ancêtres, et ce sont des liens de consanguinité ; mais le degré varie selon que le fils est plus ou moins éloigné du même ancêtre. Au contraire une personne unie à une autre par le même mariage ne fait pas partie de la même lignée, mais s’y rattache par un lien extérieur : ce lien, d’un genre spécial, s’appelle l’affinité et c’est ce que signifie ce vers : "Dans le mariage, l’union change d’espèce, dans la génération, elle change de degré". En effet, une personne née d’une autre contracte la même parenté, mais à un autre degré ; une personne qui se marie contracte, elle, une parenté d’un autre genre.

Solutions :

1. La cause, supérieure à l’effet, ne porte pas nécessairement le même nom que celui-ci ; car ce qui se trouve dans l’effet peut ne pas se trouver dans la cause sous la même forme, mais s’y rencontrer sous une forme supérieure, et par suite la cause et son effet ne doivent pas s’appeler du même nom et se définir de la même façon ainsi en est-il pour toutes les causes que la philosophie nomme équivoques. En vertu de ce principe, l’union réciproque des époux, supérieure à l’union de l’épouse avec les parents de son mari ne doit pas s’appeler affinité mais mariage qui est une sorte d’unité ; de même que l’homme est identique à lui-même mais non son propre parent.

2. Les parents par consanguinité sont à la fois indépendants les uns des autres et unis les uns aux autres. A cause de cette union mutuelle, une personne qui s’unit à l’un d’eux s’unit en quelque sorte à toutes les autres. Mais étant donnée leur indépendance et leur distance, une personne liée à l’un d’eux d’une certaine façon ou un certain degré, peut être parente d’une autre d’une manière différente ou à un autre degré.

3. La relation naît quelquefois du mouvement des deux extrêmes ainsi en est-il pour la paternité et la filiation cette relation est alors réelle dans chacun des deux termes.

Quelquefois aussi, la relation est l’effet du mou- veinent d’un seul des deux extrêmes et cela peut se produire d’une double façon la relation peut provenir d’abord du seul mouvement de l’un de deux êtres sans qu’il n’y ait mouvement correspondant, soit antérieur, soit concomitant, chez l’autre. Ainsi en est-il des relations entre le Créateur et la créature, entre les choses sensibles et les facultés sensibles, entre la science et son objet. Et alors, la relation est réelle dans l’un des extrêmes et de raison seulement dans l’autre, En second lieu, une relation peut provenir du mou- veinent de l’un des deux extrêmes, tandis que l’autre ne se meut pas simultanément, mais s’est déjà mû précédemment ainsi deux hommes deviennent égaux par la taille quand l’un grandit sans que l’autre croisse ou diminue, celui-ci étant déjà parvenu à sa taille actuelle par suite d’une croissance antérieure. Les relations de cette espèce ont un fondement réel dans chacun des extrêmes. Ainsi en est-il de la consanguinité et de l’affinité, car si la relation de fraternité qui s’établit entre un enfant nouveau-né et un homme déjà avancé en âge vient à se former sans que ce dernier ait changé, celui-ci avait changé auparavant, c’est-à-dire en venant lui-même au monde, et c’est alors le mouvement d’un autre qui crée en lui une telle relation. De même du fait qu’un homme par sa naissance doit son origine au même ancêtre qu’un autre homme marié, une relation d’affinité s’établira entre lui et l’épouse de cet homme marié, sans qu’elle ait subi aucun changement.

Article 2 — Après la mort de l’époux, l’affinité subsiste-t-elle entre la femme et les parents du mari ?

Objections :

1. Non, semble t-il, car la disparition de la cause entraîne celle de l’effet. Or le mariage qui a produit l’affinité cesse à la mort du mari, puisqu’alors, selon l’expression de saint Paul "l’épouse est affranchie de la loi qui l’assujettissait à son époux". L’affinité n’existe donc plus.

2. La consanguinité, elle aussi, est la cause de l’affinité. Mais à la mort de l’époux, plus de consanguinité entre lui et ses parents. De même, il n’y a plus d’affinité entre la femme et les con sanguins de son mari.

Cependant :

L’affinité est un effet de la consanguinité. Or celle-ci est un lien perpétuel qui dure aussi longtemps que les personnes parentes par affinité. L’affinité subsistera donc toujours et ne disparaîtra pas, une fois le mariage dissous par la mort de l’un des époux.

Conclusion :

Une relation cesse d’exister de deux manières par suite de la disparition du sujet ou par suite de la disparition de sa cause. Ainsi, il n’y a plus de ressemblance entre deux êtres quand l’un d’eux vient à mourir, ou quand disparaît la qualité en laquelle ils se ressemblaient. Or, parmi les relations, les unes ont pour cause l’action, d’autres la passion d’autres le mouvement. Dans cette dernière catégorie de relations, les unes proviennent du mouvement actuel d’un être, telle la relation entre le moteur et le mobile ; les autres, de l’aptitude des êtres à se mouvoir ou à être mû, telle la relation entre un motif et un mobile, entre un maître et son esclave. Enfin d’autres relations proviennent d’un mouvement qui s’est déjà produit, ainsi en est-il de la relation entre le père et le fils qui sont unis non parce que la génération existe encore, mais parce que celle-ci a eu lieu auparavant.

Or si l’aptitude au mouvement passe, si l’impulsion au mouvement passe aussi, le fait d’avoir subi le mouvement subsiste toujours, car ce qui a existé ne cesse pas d’avoir existé. Aussi la paternité et la filiation sont des relations qui ne cessent pas d’exister, quand bien même leur cause disparaîtrait ; elles ne peuvent cesser que si leur sujet, c’est-à-dire l’un des deux extrêmes vient à disparaître. De même pour l’affinité, qui provient non de l'union actuelle des conjoints mais du fait de leur union passée. Elle ne disparaît donc point tant que vivent les personnes entre lesquelles elle s’est établie, alors même que viendrait à mourir la personne à cause de laquelle l’affinité a été contractée.

Solutions :

1. Le mariage n’est pas seulement cause d’affinité parce qu’il unit actuellement les époux, mais aussi parce qu’il les a unis d’abord clans le passé.

2. Ce n’est pas la consanguinité qui est la cause prochaine de l’affinité, mais l’union avec les consanguins du mari et non seulement l’union actuelle, mais l’union contractée autrefois. L’argument n’est donc pas concluant.

 

Article 3 — L’affinité provient-elle de relations illicites ?

Objections :

1. Les relations illicites ne produisent pas l’affinité, car celle-ci est une chose honnête. Or, ce qui est honnête ne peut provenir de mœurs déshonnêtes. Les relations illicites ne produisent donc pas l’affinité.

2. L’affinité ne peut se trouver là où existe la consanguinité, puisque par affinité on entend "le rapprochement que produit l’union charnelle entre certaines personnes sans qu’il y ait parenté". Or si les relations illicites entraînaient l’affinité, une personne pourrait la contracter avec ses parents et avec elle-même et cela se produirait, par exemple, si un homme avait des relations incestueuses avec sa parente. L’affinité ne provient donc pas de relations illicites.

3. Les relations charnelles illicites peuvent être ou conformes à la nature ou contre nature. Or le droit dit expressément que les actions contre nature n’engendrent pas l’affinité. Celle ne résulte donc pas non plus de relations illicites conformes à la nature.

Cependant :

Saint Paul déclare dans l’Epître aux Corinthiens : "Celui qui s’unit à une prostituée devient un même corps avec elle". Or telle est la raison pour laquelle le mariage produit l’affinité. Pour le même motif celle-ci résultera de relations coupables.

L’union sexuelle est la cause de l’affinité comme le prouve la définition suivante "L’affinité est la relation que fait naître l’acte charnel entre certaines personnes sans qu’il y ait parenté". Or l’acte charnel s’accomplit aussi dans les relations illicites. Celles-ci sont donc causes d’affinité.

Conclusion :

Comme le prouve Aristote dans le 8° livre des Ethiques, l’union de l’homme et de la femme est appelée union naturelle principalement en raison de la procréation de l’enfant, et secondairement à cause des charges communes des époux. Or la procréation est l’effet du mariage parce que celui-ci est une union charnelle et les charges communes résultent du mariage parce que celui-ci est une association établie en vue d'une vie commune. Le premier effet peut provenir après toute union charnelle tandis que le second résultat peut faire défaut. L’affinité qui provient de l’union charnelle est clone aussi pro duite par la fornication qui est également une union charnelle.

Solutions :

1. Il y a dans la fornication quelque chose de naturel et de commun à l’union conjugale d’où l’affinité qui en résulte. Il y aussi dans la fornication quelque chose de désordonné et qui la met en opposition avec le mariage ; or ce motif ne contribue nullement à produire l’affinité. L’affinité reste donc toujours chose honnête, lors même que sa cause ne l’est pas tout à fait.

2. Deux relations opposées peuvent se trouver dans le même sujet en raison de causes différentes. L’affinité et la consanguinité peuvent donc exister simultanément entre deux personnes, non pas seulement en raison de relations illicites, mais aussi en vertu de relations licites. Cela arrive, par exemple, quand un parent du côté du père épouse une des parentes du côté de la mère. Quand on dit dans la définition de l’affinité qu’il n’y a pas de parenté, il faut donc sous-entendre en tant que telle. Il ne s’ensuit pas qu’un homme qui commet un inceste contracte affinité avec lui- même, car l’affinité et la consanguinité, comme la ressemblance, supposent deux termes distincts.

3. Les relations contre nature ne comportent pas d’union qui produise la génération. De telles relations n’engendrent donc pas l’affinité.

 

Article 4 — L’affinité résulte-t-elle des fiançailles ?

Objections :

1. Aucune affinité ne peut résulter des fiançailles. L’affinité en effet, est un lieu perpétuel. Or les fiançailles sont quelquefois rompues. Elles ne peuvent donc pas être cause d’affinité.

2. Un homme qui impose violence à une femme et ne réussit pas à consommer l’acte, ne contracte pas avec celle-ci l’empêchement d’affinité. Il est plus près cependant de l’union du mariage que celui qui a contracté les fiançailles. Celles-ci ne produisent donc pas l’affinité.

3. Les fiançailles ne sont que la promesse d’un mariage. Or il arrive quelquefois que l’on promet le mariage sans contracter pour cela l’affinité. Ainsi en est-il pour des enfants fiancés avant l’âge de sept ans ou pour un homme qui a promis à une femme de l’épouser un jour alors qu’il est incapable d’accomplir le devoir conjugal ; ainsi en est-il encore des fiançailles entre deux personnes qui ne peuvent pas se marier par suite d’un vœu ou d’une autre cause. Les fiançailles ne peuvent donc pas être source d’affinité.

Cependant :

Le pape Alexandre défendit à une femme d’épouser le frère de l’homme auquel elle avait été fiancée. Cette interdiction n’aurait pas été faite si les fiançailles n’avaient produit quelque affinité.

Conclusion :

Comme les fiançailles ne sont pas un vrai mariage mais une préparation au mariage, elles ne sont donc pas causes d’affinité comme le mariage. Mais il en résulte quelque chose qui ressemble à l’affinité et qu’on appelle honnêteté publique. Celle-ci est aussi un empêchement dirimant du mariage, comme l’affinité et la consanguinité et aux mêmes degrés. On définit ainsi l’honnêteté publique "Une parenté qui provient des fiançailles et qui a été instituée par l’Eglise pour une raison de convenance". Tels sont donc le motif de cette appellation et la justification de cet empêchement l’Eglise a institué cette parenté pour cause de convenance.

Solutions :

1. Si les fiançailles sont la cause de cet empêchement d’affinité qu’on appelle honnêteté publique, ce n’est pas en vertu de leur nature, mais en raison de leur but qui est le mariage. Le mariage étant un lien perpétuel, l’affinité en question subsistera donc toujours.

2. C’est par l’acte conjugal que l’homme et la femme deviennent une seule chair aussi l’homme aura beau faire violence à la femme et la toucher, s’il n’y a pas acte conjugal, il n’y aura pas affinité.

Mais le mariage est cause d’affinité non seulement en raison de l’acte conjugal mais encore en raison de la vie commune des époux, effet naturel du mariage. Il y a donc affinité aussitôt après la célébration du mariage et avant sa consommation de même, les fiançailles produisent quelque chose de semblable à l’affinité, c’est-à-dire l’honnêteté publique, car par les fiançailles on s’engage à vivre en commun dans le mariage.

3. Tous les empêchements qui annulent les fiançailles font que les promesses de mariage ne sont cause d’aucune affinité. Si donc celui qui n’a pas l’âge requis, ou qui a prononcé le vœu solennel de continence, ou qui est lié par un empêchement semblable contracte fiançailles, il n’en résulte aucune affinité, ni autre chose de semblable puisque les fiançailles sont nulles.

Mais si un mineur incapable d’accomplir l’acte du mariage ou rendu tel par un maléfice, et supposé que l’empêchement soit perpétuel, con tractait fiançailles avant sa puberté et après sa septième année avec une jeune fille adulte, il y aurait empêchement d’honnêteté publique ; pour tant l’empêchement ne pourrait pas encore produire son effet, car, en tout état de cause, un enfant de cet âge reste incapable d’accomplir l’acte du mariage.

 

Article 5 — L’affinité peut-elle se multiplier par elle-même ?

Objections :

1. Il peut y avoir une multiplication de l’affinité par elle-même. Le pape Jules disait "On ne peut pas épouser la veuve de l’un des parents de l’épouse à laquelle on survit". Cette décision est contenue dans le Décret, et dans le chapitre suivant, il est encore dit que "les femmes de deux cousins ne peuvent pas épouser l’une après l’autre le même homme". Or ces prohibitions ne sont fondées que sur l’affinité provenant de l’union avec une personne parente par affinité. L’affinité se multiplie donc par elle-même.

2. La parenté résulte des rapports charnels aussi bien que de la génération, puisqu’on compte de la même manière les degrés d’affinité et ceux de consanguinité. Or la consanguinité produit l’affinité. Celle-ci peut donc être aussi la cause d’une autre affinité.

3. Deux choses identiques à une troisième sont identiques entre elles. Mais l’épouse contracte la même parenté avec tous les parents de son époux. Tous les parents de l’époux se relient alors de la même façon à tous les alliés de la femme. L’affinité se multiplie donc par elle-même.

Cependant :

1. Si l’affinité engendrait l’affinité, un homme qui aurait eu des rapports charnels avec deux femmes ne pourrait épouser ni l’une ni l’autre, car, dans ce cas toutes deux seraient devenues alliées. Or cela est faux. L’affinité ne se multiplie donc pas par elle-même.

2. Si cela était encore vrai, un homme qui épouserait une veuve, deviendrait l’allié de tous les parents du premier mari de cette femme. Or cela est impossible, car, s’il en était ainsi, cet homme deviendrait surtout le parent du mari défunt. L’affinité n’engendre donc pas une nouvelle affinité.

3. De plus, la consanguinité est un lien plus fort que l’affinité. Or il n’y a pas d’affinité entre les consanguins de l’épouse d’une part et les consanguins du mari d’autre part. A plus forte raison il n’y a pas d’affinité entre les alliés de l’épouse d’une part et les alliés du mari d’autre part. Il faut donc en déduire la même conclusion que précédemment.

Conclusion :

Un être procède d’un autre de l’une des deux formes suivantes : ou bien il est de même espèce, comme l’homme qui naît d’un autre homme. Ou bien il est d’une espèce différente, et, en ce cas d’une espèce toujours inférieure, comme le montrent les effets des causes équivoques. Dans le premier cas l’espèce conserve son identité chaque fois que la production se répète ainsi un homme qui naît d’un autre homme par voie de génération, engendrera lui- même un autre homme et ainsi de suite. Dans le second cas, où l’on se trouve en présence d’une autre espèce dès le commencement, il y aura aussi une autre espèce chaque fois que la production se répétera : ainsi le mouvement du point aboutit non pas à un autre point mais à la ligne ; de même la ligne en mouvement ne produit pas une ligne mais une surface, et la surface donne un corps. Au delà il ne peut plus se produire un changement du même ordre.

Au sujet de la parenté nous constatons alors que le lien de parenté peut se produire de deux façons. D’abord par la génération charnelle d’où résulte toujours la même espèce de parenté. Le lien de parenté peut provenir aussi de l’union conjugale, qui donne naissance dès le commencement à une autre espèce de parenté : en effet, la femme d’un parent par consanguinité ne devient pas parente par consanguinité mais par affinité. Si donc ce second mode se reproduit, il ne sera plus cause d’affinité mais d’une autre espèce de parenté. Une personne qui épouse le parent par alliance d’une autre personne ne devient pas l’alliée de cette autre personne, mais contracte une autre parenté qu’on appelle affinité du second genre. Et un homme qui épouse une femme liée avec d’autres par cette affinité du second genre ne contractera pas avec les autres cette même affinité mais une troisième espèce, car le mariage change l’espèce de la parenté tandis que la génération change seulement le degré, comme il est dit dans ce dicton

Une personne mariée change de parenté. Une personne engendrée change de degré. Autrefois ces deux dernières espèces d’affinité étaient des empêchements de mariage plutôt à cause de l’honnêteté publique qu’en raison de l’affinité, car ces deux genres d’alliance ne sont pas de vrais rapports d’affinité mais la parenté que font naître les fiançailles. Mais cette ancienne interdiction a cessé et il ne reste comme empêchement que l’affinité de première espèce seule, qui est l’affinité réelle.

Solutions :

1. Le parent de l’épouse est lié avec le mari par la première espèce d’affinité et la femme de ce parent par la seconde espèce d’affinité. Après la mort de ce parent, la veuve ne pourra pas être épousée par le mari de son alliée à cause de la seconde espèce d’affinité. De même quand un homme épouse une veuve, le parent du premier mari de cette femme, qui avait avec le premier mari une affinité de première espèce, contracte avec le second mari une affinité de seconde espèce, et l’épouse du parent du premier mari qui avait avec ce dernier la seconde espèce d’affinité devient alliée du deuxième mari par la troisième espèce d’affinité. Comme cette troisième espèce donnait lieu à une interdiction plutôt à cause de l’honnêteté qu’en raison de l’affinité, le canon cité déclarait "L’honnêteté publique empêche que les épouses de deux cousins se marient ensuite l’une après l’autre avec le même homme". Mais cette interdiction n’existe plus désormais.

2. Si l’acte charnel est cause d’union, cette union n’est pas du même genre que celle qui provient de la génération.

3. L’épouse contracte avec les parents de son mari une parenté de même degré, mais non pas de même espèce.

On a donné plus haut des raisons qui semblent montrer que l’affinité au contraire n’entraîne aucun lien : il faut donc y répondre afin de prou ver au moins que l’ancienne interdiction de l’Eglise n’était pas déraisonnable.

4. La femme ne contracte pas avec l’homme auquel elle s’unit par l’acte sexuel une affinité de première espèce, comme le prouve ce qui précède. Avec une autre femme que ce même homme aurait connue, elle ne contracte donc pas non plus une affinité de seconde espèce. Si cet homme alors épouse une de ces deux femmes, l’autre ne devient pas pour autant son alliée par l’affinité de troisième espèce. Aussi bien l’ancienne législation ne s’opposait pas à ce que le même homme épousât successivement deux femmes avec lesquelles il avait eu des relations charnelles.

5. Puisque le mari ne contracte pas d’affinité de première espèce avec son épouse, il ne devient pas non plus l’allié du second mari de cette femme par l’affinité de seconde espèce. L’argument n’est donc pas concluant.

6. Une personne ne peut m’être unie par l’intermédiaire d’une autre qu’autant qu’elle est unie celle-ci. Aucune personne n’a donc avec moi des relations de parenté par l’intermédiaire d’une femme qui est mon alliée que s’il y a un lien quelconque entre elle et cette femme. Ce lien ne peut être que le lien de la génération ou le lien du mariage. Et dans les deux cas, selon l’ancien droit, il y avait parenté entre elle et moi par l’intermédiaire de cette femme, car son fils, alors même qu’il naîtrait d’un autre mari devient mon allié par la même espèce d’affinité, quoiqu’à un autre degré, selon la règle donnée plus haut ; de même son second mari devient encore mon allié par une autre espèce d’affinité. Les autres parents de cette femme ne sont pas unis à son mari, mais c’est elle qui leur est unie, par exemple le père et la mère dont elle procède, ou les frères avec qui elle a le même principe de vie. Le frère de mon parent par alliance ou bien son père ne contracte donc avec moi aucune espèce d’affinité.

 

Article 6 — L’affinité est-elle un empêchement de mariage ?

Objections :

1. L’affinité n’est pas un empêchement de mariage. N’est empêchement, en effet, que ce qui est contraire au mariage. Mais l’affinité ne contrarie pas le mariage, puisqu’elle en est l’effet. Elle n’est donc pas un empêchement.

2. A son mariage, l’épouse devient le bien de son mari. Or les héritiers du mari défunt reçoivent en héritage tous les biens de ce dernier. Ils peuvent donc prendre son épouse bien qu’elle soit leur alliée par affinité. Par suite l’affinité n’est pas un empêchement de mariage.

Cependant :

Le Lévitique dit "Vous ne découvrirez pas la honte de l’épouse de votre père". Or, cette épouse n’est parente que par alliance. L’affinité est donc un empêchement de mariage.

Conclusion :

Pour la même raison que la consanguinité, l’affinité antécédente est un obstacle au mariage, et une cause de nullité pour le mariage que l’on aurait déjà contracté. Les alliés par affinité doivent, en effet, habiter nécessairement ensemble, comme les parents par consanguinité : entre les premiers, comme entre les seconds se forment donc des liens d’amitié. Mais si l’affinité se produit, une fois que le mariage est contracté, elle ne peut pas annuler ce dernier, comme on l’a déjà dit.

Solutions :

1. L’affinité ne contrarie point le mariage qui l’a fait naître, mais le mariage que l’on voudrait contracter ensuite avec une personne alliée un tel mariage empêcherait, en effet, les liens de famille de s’étendre plus loin, et ne mettrait pas un frein aux passions de la chair, comme doit le faire tout mariage.

2. Les biens dont l’homme est propriétaire ne sont pas une seule et même chose avec lui, tandis que l’épouse est "une même chair" avec son mari. La consanguinité, empêchant l’union avec le mari, empêchera aussi l’union avec l’épouse du mari.

 

Article 7 — L'affinité a-1-elle, par elle-même des degrés ?

Objections :

1. Oui, semble t-il. Toute parenté comporte par elle-même des degrés. L’affinité, sorte de parenté, aura donc des degrés différents de ceux de la consanguinité, dont elle est la conséquence.

2. On lit dans les Sentences "Les enfants d’un second mariage ne peuvent s’unir aux alliés du premier mari". Or il n’en serait pas ainsi, si les fils de parents par alliance ne devenaient pas aussi alliés entre eux. L’affinité a donc par elle- même des degrés comme la consanguinité.

Cependant :

L’affinité est une conséquence de la consanguinité. Tous les degrés de la première correspondront donc aux degrés de la seconde. L’affinité ne se comportera donc pas d’une façon spéciale.

Conclusion :

On établit les espèces d’une chose en prenant comme principe de division ce qui est essentiel au genre et non pas ce qui est accidentel. On divise ainsi le genre animal en animal raisonnable et animal irraisonnable, et non pas en animal noir et blanc. Or la génération charnelle est essentielle à la consanguinité, car les liens de parenté se nouent à cause d’elle. L’affinité, elle, ne se rattache à la génération que par l’intermédiaire de la consanguinité d’où elle provient. Et puisque les degrés de parenté dépendent du nombre de générations, la division en degrés s’établira d’abord et immédiatement dans la consanguinité, et, par son intermédiaire seulement, dans l’affinité. Pour compter les degrés d’affinité, il faut donc suivre cette règle générale autant de degrés de consanguinité me séparent d’un époux, autant de degrés d’affinité me séparent de son épouse.

Solutions :

1. Pour calculer les degrés de parenté, il faut prendre pour échelle la ligne ascendante et la ligne descendante. Or on ne peut mesurer les degrés d’affinité de cette façon qu’en recourant d’abord à la consanguinité. L’affinité ne se compte donc pas d’une autre façon que la consanguinité.

2. Selon l’ancien droit, les enfants nés d’un second mariage ne pouvaient pas, pour Cause d’affinité, se marier avec les parents du premier époux. Mais ce n’était là qu’une affinité secondaire et non la vraie. En outre, cette interdiction était justifiée par une raison d’honnêteté publique et non par l’affinité. Aussi a-t-elle été supprimée.

 

Article 8 — Les degrés d’affinité s’étendent-ils aussi loin que les degrés de consanguinité ?

Objections :

1. Les degrés d’affinité ne s’étendent pas aussi loin que les autres. Les relations d’affinité sont, en effet, moins étroites que les relations de consanguinité, puisque l’affinité vient de la consanguinité, mais en diffère selon son espèce, comme l’effet d’une cause équivoque. Or plus un lien est fort, plus il dure longtemps. Les liens d’affinité ne durent donc pas assez longtemps pour s’étendre à des degrés aussi nombreux que ceux de la consanguinité.

2. La loi humaine doit se conformer à la loi divine : or la loi divine étendait l’empêchement de mariage à certains degrés de consanguinité, alors qu’aux degrés correspondants l’empêchement d’affinité n’existait plus : un homme pouvait ainsi épouser la veuve de son frère, tandis qu’il ne pouvait se marier avec sa propre sœur. Aujourd’hui donc on ne doit pas donner à l’empêchement d’affinité la même étendue qu’à l’empêchement de consanguinité.

Cependant :

Telle personne est mon alliée, parce qu’elle est l’épouse de mon parent. Quel que soit donc le degré de parenté qui existe entre son mari et moi, la femme sera toujours mon alliée au degré correspondant. Les degrés d’affinité s’étendent donc aussi loin que les degrés de consanguinité.

Conclusion :

Dès lors qu’on se fonde sur les degrés de consanguinité pour calculer les degrés d’affinité, il y aura toujours corrélation entre les uns et les autres. Mais en raison de la moins grande force des liens d’affinité, on accordait autrefois et on accorde encore aujourd’hui plus facilement la dispense de l’empêchement d’affinité à des degrés éloignés que la dispense de l’empêchement de consanguinité à ces mêmes degrés.

Solutions :

1. Cette infériorité des liens d’affinité par rapport aux liens de consanguinité change l’espèce de parenté, mais non le degré.

2. Selon la loi divine un homme ne pouvait épouser la veuve de son frère que dans une seule circonstance : à savoir quand ce dernier était mort sans laisser d’enfants, pour que la postérité de son frère ne s’éteignît point et parce qu’à cette époque le culte religieux se transmettait de père en fils. Mais il n’en est plus de même aujourd’hui. Dans le cas allégué, d’ailleurs, le frère n’épousait pas pour ainsi dire sa belle-sœur en son propre nom, mais comme pour suppléer à l’absence de son frère.

 

Article 9 — Doit-on toujours rompre le mariage contracté entre parents et alliés ?

Objections :

1. Il ne faut pas toujours rompre le mariage que des parents ou alliés ont contracté entre eux. "Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni" lit-on dans l’Evangile. Puis donc que Dieu est censé faire ce que fait l’Eglise et que celle-ci parfois unit sans le savoir parents et alliés ensemble, on ne doit pas ensuite rompre cette union, si on vient à découvrir l’empêchement.

2. Le lien matrimonial est plus privilégié que le lien de propriété. Or il arrive qu’on acquiert par une longue prescription la propriété d’une chose dont on n’avait pas le droit de jouir. La longue durée peut donc convalider le mariage, quand bien même il aurait été nul au commencement. Il faut juger de la même manière les cas semblables. Supposé donc que l’on doive rompre le mariage des parents entre eux, et supposé le cas où deux frères auraient épousé les deux sœurs, la rupture de l’un des deux mariages pour cause de parenté entraînerait la rupture de l’autre, ce qui ne paraît pas juste. On ne doit donc pas rompre le mariage sous prétexte d’affinité ou de consanguinité.

Cependant :

Les empêchements de consanguinité et d’affinité s’opposent à ce que l’on contracte mariage et le rendent nul, s’il est déjà contracté. Si donc l’existence des liens de parenté ou d’alliance est certaine, on doit séparer les époux, même une fois mariés.

Conclusion :

Toute œuvre de chair en dehors d’un vrai mariage est péché mortel et un mal que l’Eglise s’efforce de prévenir par tous les moyens. A l’Eglise incombe donc le devoir de séparer ceux qui ne sont pas mariés légitimement et principalement les parents par consanguinité ou par alliance, qui, d’ailleurs, en entretenant des relations charnelles les uns avec les autres, commettent toujours un inceste.

Solutions :

1. L’Eglise, il est vrai, brille par les dons et l’autorité qu’elle a reçus de Dieu, mais elle est une société composée d’hommes et peut être sujette aux déficiences humaines dans ses entreprises, sans que Dieu en soit incriminé. Quand un mariage est contracté devant l’Eglise qui en ignore l’empêchement, ce mariage ne devient pas indissoluble de par le commandement divin ; c’est une union contractée contrairement à la loi divine à cause d’une erreur humaine. Cette erreur excuse du péché, tant qu’elle subsiste. Mais quand elle est découverte, l’Eglise est obligée de séparer les époux qui se sont ainsi mariés.

2. Aucune prescription ne peut donner force de loi à des faits dont l’accomplissement entraîne un péché. Innocent III dit, en effet : "Loin de diminuer le péché, la longueur du temps l’aggrave". Rien ne sert donc d’invoquer les prérogatives dont jouit le mariage, car il ne pouvait avoir lieu entre personnes inhabiles à contracter.

3. Un fait accompli entre certaines personnes ne peut porter préjudice à d’autres devant le tribunal contentieux. Quand un frère ne peut conserver comme épouse une des deux sœurs à cause d’un empêchement de consanguinité’, l’Eglise ne rompt pas pour cela le mariage de l’autre frère, car il n’en est pas question devant le for ecclésiastique. Mais au for de la conscience, il ne faut pas non plus que cet autre frère se croie obligé de renvoyer son épouse à cause du même fait. Les accusations portées contre la validité d’un mariage sont souvent inspirées par la malveillance et prouvées par de faux témoins. Cet homme n’est donc pas tenu de se former la conscience d’après ce qui s’est passé pour le mariage de son frère. Cependant une distinction s’impose ici : ou bien il connaît d’une façon certaine l’empêchement, ou bien il le soupçonne, ou bien il l’ignore. Dans le premier cas, il ne doit ni exiger ni rendre le devoir conjugal ; dans le second cas il doit le rendre mais non l’exiger ; dans le troisième cas il peut et le rendre et l’exiger.

 

Article 10 — Faut-il procéder par voie d’accusation pour faire rompre un mariage contracté entre parents par alliance et parents par le sang ?

Objections :

1. On ne doit pas procéder par voie d’accusation pour faire rompre un mariage entre alliés et parents. L’accusation, en effet, est précédée de l’inscription par laquelle on s’engage à subir la peine du talion si on échoue dans la preuve. Or, cette procédure n’est pas obligatoire quand il s’agit de la rupture du mariage. Il n’y a donc pas lieu de procéder par accusation.

2. Dans les causes matrimoniales on entend seulement les parents, comme le déclare le texte des Sentences. Or quand il s’agit des accusations on entend aussi les étrangers. On ne procède donc pas par voie d’accusation dans les causes d’annulation de mariage.

3. Si l’on devait procéder par voie d’accusation dans le mariage il faudrait le faire au moment où la rupture est moins difficile, c’est-à-dire au moment où les fiançailles seules existent. Mais on n’attaque pas à ce moment le mariage. On ne devra donc pas procéder par voie d’accusation dans la suite.

4. Il n’est pas interdit de faire une accusation parce qu’on ne l’a pas présentée immédiatement. Mais c’est ce qui a lieu pour le mariage, car si la personne qui l’attaque a d’abord gardé le silence au moment du contrat de mariage, elle ne peut plus l’accuser ensuite comme étant devenue suspecte. On ne procède donc pas par accusation.

Cependant :

On peut diriger une accusation contre tout ce qui est illicite. Or le mariage entre alliés et parents est illicite. On peut donc attaquer la valeur du mariage.

Conclusion :

L’accusation a été instituée que l’on ne traite pas comme un innocent l’homme coupable. Or de même qu’en raison de faits ignorés un homme peut être considéré comme innocent alors qu’il est coupable, en raison de circonstances inconnues, un fait peut être regardé comme licite alors qu’il est illicite. Si donc on peut mettre un homme en accusation on peut aussi attaquer un fait. C’est ainsi qu’on attaque un mariage quand, par suite d’un empêchement ignoré, on le croyait légitime alors qu’il ne l’était pas.

Solutions :

1. L’obligation de subir la peine du talion n’a sa raison d’être que dans les procès où l’on accuse une personne d’un crime commis, car il s’agit de la faire punir. Dans les procès où l’on attaque au contraire la valeur d’un fait, on ne cherche pas à faire punir celui qui l’a accompli mais à empêcher une action illicite. Aussi celui qui attaque la valeur d’un mariage ne s’oblige pas d’avance à subir une peine. L’accusation doit cependant être faite, soit verbalement soit par écrit, de manière à faire connaître la personne qui accuse, le mariage qui est attaqué et le motif pour lequel on l’attaque.

2. Les étrangers ne peuvent pas connaître les liens de consanguinité sinon par les parents qui, selon toute probabilité, connaissent mieux que quiconque les liens de parenté. Si donc les parents gardent le silence, il y a lieu de soupçonner que l’étranger agit par malveillance, à moins qu’il n’ait voulu faire appel au témoignage des parents. On rejettera donc son accusation si les parents se taisent, et s’il ne peut en tirer aucune preuve. En principe, on ne repousse pas l’accusation venant des parents eux-mêmes, si proches qu’ils soient, quand cette accusation repose sur l’existence d’un empêchement perpétuel qui s’oppose à la célébration du mariage et qui annule celui qui a déjà été contracté. Mais quand on accuse le mariage et qu’on allègue comme raison qu’il n’a pas encore été célébré, on ne doit pas recevoir la déposition des parents, sauf si l’un des partis est dans une situation plus inférieure et plus modeste ; dans ce cas on peut, en effet, raisonnablement présumer que les parents plus pauvres verraient volontiers la célébration du mariage.

3. S’il n’y a pas encore mariage mais seulement fiançailles, on ne peut pas procéder par accusation, car on n’attaque point ce qui n’est pas. Mais on peut dénoncer l’empêchement, afin que le mariage ne puisse pas se faire.

4. Parfois on admet et parfois on rejette la déposition d’une personne qui a d’abord gardé le silence et qui veut ensuite attaquer le mariage. Tel est, en effet, le sens de la Décrétale : "S’il se présente, après la célébration du mariage, un accusateur, qui avait d’abord gardé le silence, au moment de la proclamation habituelle des bans à l’église, on peut se demander si on doit admettre -son accusation. Nous pensons qu’il faut distinguer deux cas : Si, au moment où se faisait la publication, celui qui attaque le mariage était hors du diocèse, ou s’il n’a pas pu connaître la proclamation, soit parce qu’à ce moment il était gravement malade, ou parce qu’il n’avait pas l’usage de ses facultés, ou parce que son jeune âge ne lui permettait pas de comprendre ces choses, ou à cause d’un autre obstacle, on doit alors entendre son accusation. Dans le cas contraire, il faut le repousser comme suspect, à moins qu’il ne jure avoir appris trop tard l’empêchement qu’il dénonce et affirme aussi agir sans malice".

 

Article 11 — Doit-on procéder à l’audition de témoins pour rompre un mariage contracté entre des parents par alliance ou par le sang ?

Objections :

1. On ne doit pas procéder à l’audition de témoins, comme on le fait dans les autres causes. Là, en effet, on n’admet comme témoins que les personnes au de tout soupçon. Mais ici on n’admet pas les étrangers, bien qu’ils soient au-dessus de tout soupçon. On ne doit donc admettre aucun témoin.

2. On refuse le témoignage des personnes suspectes de haine, ou d’attachement particulier. Or on peut soupçonner les parents surtout de partialité pour une des parties et de haine pour l’autre. On ne doit donc pas recevoir leur déposition.

3. Le mariage jouit de la faveur du droit plus que les autres causes qui portent sur des choses purement matérielles. Or ici, on ne peut pas être en même temps témoin et accusateur. De même pour le mariage. En pareille cause, on ne peut donc procéder à l’audition de témoins.

Cependant :

On appelle des témoins dans un procès pour fournir au juge les moyens de se former une certitude sur des choses douteuses. Or le juge a besoin de cette certitude aussi bien dans les causes matrimoniales que dans les autres, car il ne doit pas se hâter de rendre un verdict dans une question encore obscure. Ici comme ailleurs, il faut donc entendre des témoins.

Conclusion :

Ici comme ailleurs, en effet, les dépositions des témoins doivent faire apparaître la vérité. Mais, comme le remarquent les juristes, de nombreuses règles particulières peuvent être appliquées dans ces procès : ainsi, la même personne peut être à la fois accusateur et témoin ; on omet le serment de ne pas dire de calomnie, car il s’agit d’une cause qui est presque spirituelle ; les parents sont admis comme témoins ; on ne suit pas exactement la procédure judiciaire, car, après la dénonciation on peut punir de l’excommunication l’accusé contumace, bien que le litige ne soit pas encore commencé ; le témoignage sur ouï dire est accepté ; les témoins peuvent être appelés après que la liste en a été publiée. Tout cela se fait pour empêcher que des personnes commettent une faute en contractant mariage.

Ainsi se trouvent résolues les difficultés.

 

QUESTION 56 — DE L’EMPÊCHEMENT DE PARENTÉ SPIRITUELLE.

A propos de cet empêchement de parenté spi rituelle nous nous poserons cinq questions : -1. La parenté spirituelle est-elle un empêchement de mariage ? -2. Comment naît cette parenté ? -3. Entre qui naît-elle ? -4. Se transmet-elle de l’époux à l’épouse ? -5. Se transmet-elle aux enfants du parrain ?

 

Article 1 — La parenté spirituelle est-elle un e de mariage ?

Objections :

1. Il ne le paraît point, car parmi les empêchements, on compte seulement les obstacles à l’un des biens du mariage. Or la parenté spirituelle ne contrarie aucun des biens du mariage. Elle n’est donc pas un empêchement au mariage.

2. Un empêchement perpétuel ne Saurait subsister simultanément avec le mariage. Or il y a des cas où on rencontre à la fois parenté spirituelle et mariage : c’est le cas d’un père qui baptise son enfant en cas de nécessité et qui contracte alors parenté spirituelle avec son épouse. Cependant le mariage n’est pas rompu pour cela. La parenté spi rituelle n’est donc pas un empêchement au mariage.

3. L’union des esprits ne se fait pas dans la chair. Or, le mariage est l’union dans la chair, tandis que la parenté spirituelle est l’union des esprits : celle-ci ne peut donc devenir un empêchement de mariage.

4. Les contraires ne produisent pas les mêmes effets. Or la parenté spirituelle semble être contraire à la disparité de culte, car elle est un lien que l’on contracte en administrant un sacrement ou en y participant d’intention. Or la disparité de culte, elle, consiste dans la privation d’un sacrement, comme on l’a déjà dit. Puisque la disparité de culte est un empêchement au mariage, la parenté spirituelle n’en sera donc pas un.

Cependant :

Plus un lien est saint, plus il est inébranlable. Mais les liens spirituels sont plus sanctifiants que les liens matériels. Puisque les liens de parenté charnelle sont un empêchement au mariage, les liens de parenté spirituelle le seront donc eux aussi.

Dans le mariage, d’autre part, l’union des âmes est bien plus importante que l’union des corps et précède d’ailleurs celle-ci. A plus forte raison, la parenté spirituelle sera un plus grand empêchement que ne l’est la parenté charnelle.

Conclusion :

Comme la génération charnelle donne à l’homme la vie naturelle, les sacrements lui donnent la vie spirituelle de la grâce. Et de même que les liens de parenté contractés par un homme, au moment de sa naissance, lui sont naturels, car c’est un effet de la nature, de même les liens spirituels, contractés au moment où il reçoit les sacrements, deviennent pour lui des liens naturels en quelque sorte, car il est membré de l’Eglise. Puis donc que la parenté naturelle est un empêchement de mariage, la parenté spirituelle en sera un également, de par la loi de l’Eglise.

A propos de cette parenté spirituelle, il faut cependant distinguer plu cas, car celle-ci peut précéder le mariage, ou survenir ensuite. Dans le premier cas, elle est un obstacle au mariage futur et annule le mariage déjà célébré. Dans le second cas, elle ne brise pas le lien con jugal : mais la moralité de l’acte conjugal dépend de plusieurs circonstances qu’il faut énumérer. Si la parenté spirituelle est survenue dans un cas de nécessité, ce qui se produit quand un père baptise son enfant en danger de mort, elle n’interdit l’acte conjugal ni au père ni à la mère. La parenté spirituelle est-elle survenue en dehors du cas de nécessité, et les époux ignoraient-ils cet effet, il en advient alors comme dans le cas précédent à condition toutefois que le responsable ait agi avec toute l’attention nécessaire. -L’un des époux a t-il agi en connaissance de cause sans qu’il y ait nécessité ? Celui-là ne peut plus demander à l’autre le devoir conjugal. Mais il doit le rendre, car sa faute ne peut faire tort à l’autre.

Solutions :

1. Si la parenté spirituelle ne lèse pas les liens premiers du mariage, elle nuit à l’un des liens secondaires, c’est-à-dire à l’extension de l’amitié. La parenté spirituelle, par elle-même, est, en effet, un motif suffisant d’entretenir des relations amicales. Mais le mariage doit devenir une source de rapports familiaux et amicaux avec de nouvelles personnes.

2. Le lien matrimonial est indissoluble et aucun empêchement postérieur ne peut le rompre. Voilà pourquoi le mariage peut subsister simultanément avec un empêchement. Mais le cas est tout autre quand l’empêchement existait déjà avant la célébration du mariage.

3. Le mariage ne produit pas seulement l’union des corps, mais aussi l’union des âmes. La parenté spirituelle est donc un empêchement sans avoir besoin pour cela de se transformer en parenté charnelle. -

4. Aucun inconvénient ne s’oppose à ce que deux contraires soient contraires à une même troisième ainsi ce qui est grand et ce qui est petit diffèrent de ce qui est équivalent. De même, la disparité de culte et la parenté spirituelle s’opposent à la célébration du mariage la première met une trop grande différence entre les époux, la seconde une trop grande parenté ce sont donc deux empêchements.

 

Article 2 — Contracte-t-on la parenté spirituelle par le baptême seulement ?

Objections :

1. C’est par le baptême seul. Entre la parenté spirituelle et la régénération spirituelle existe le même rapport qu’entre la parenté naturelle et la génération charnelle. Or seul le baptême est sacrement de régénération spirituelle. Le baptême seul sera donc cause de parenté spirituelle, comme la naissance physique seule est cause de parenté naturelle.

2. La confirmation, comme le sacrement d’ordre, confère un caractère. Mais la réception de l’ordre n’entraîne pas de parenté spirituelle. La confirmation n’en entraînera donc pas non plus. Reste donc le baptême seul.

3. Les sacrements l’emportent sur les sacra mentaux. Or certains sacrements ne sont pas cause de parenté spirituelle, tel l’extrême-onction. A plus forte raison, un sacramental comme l’instruction catéchistique ne peut-il produire cet effet, malgré les dires de certains.

4. Parmi les sacramentaux du baptême, on ne compte pas seulement l’instruction du catéchisme, mais encore beaucoup d’autres aucune raison n’oblige à voir dans cette catéchèse plutôt que dans les autres sacramentaux une cause de parenté spirituelle.

5. La prière fait progresser dans le bien avec au tant d’efficacité que l’enseignement du catéchisme. Or la prière n’a pas pour effet la parenté spirituelle. Le catéchisme n’aura pas cet effet non plus.

6. La doctrine prêchée aux baptisés a une valeur égale à celle prêchée aux non baptisés. Or dans le premier cas il n’y a aucune parenté spirituelle. Il n’y en aura pas non plus dans le second cas.

Cependant :

S. Paul dit aux Corinthiens "Je vous ai engendrés en Jésus-Christ par l’Evangile" une telle régénération spirituelle fait naître évidemment la parenté spirituelle. Celle-ci pro vient donc non seulement du baptême, mais encore de la prédication de l’Evangile et de l’enseignement de la religion.

Puisque, d’autre part, la pénitence efface le péché actuel, ressemblant ainsi au baptême qui détruit le péché originel, la pénitence sera source de parenté spirituelle comme le sacrement de baptême.

Enfin on donne le nom de père à celui qu’on a pour parent. Or on doline le nom de père spi rituel à celui qui administre le sacrement de pénitence, à celui qui enseigne, à celui qui exerce la charge pastorale.

En dehors du baptême et de la confirmation, beaucoup d’autres institutions sont donc cause de parenté spirituelle.

Conclusion :

Trois opinions ont été émises sur cette question

1° D’après certains, la régénération spirituelle, effet de la grâce septiforme de l’Esprit Saint, est aussi le résultat de sept cérémonies, à commencer par l’absorption du sel béni, jusqu’à la confirmation donnée par l’évêque, et chacune de ces cérémonies entraîne la parenté spirituelle. Mais cette opinion ne paraît pas raisonnable. Car la parenté naturelle ne naît qu’après l’acte de génération complètement achevé de même il n’y a affinité qu’après l’acte conjugal de l’homme et de la femme, susceptible de provoquer la génération charnelle. Or la régénération spirituelle ne peut provenir que d’un sacrement. Il est donc de toute convenance que les sacrements seuls soient causes de parenté spirituelle.

2° D’autres alors disent ceci : la parenté spirituelle n’est l’effet que de trois sacrements : le catéchisme, le baptême, et la confirmation. En vérité, parler ainsi c’est ne pas comprendre le sens des mots qu’on emploie, car l’enseignement catéchistique n’est pas un sacrement mais un sacramental.

3° Enfin, pour d’autres, la parenté spirituelle n’est l’effet que de deux sacrements : le baptême et la confirmation et c’est l’opinion la plus commune. Cependant certains prétendent que l’instruction catéchistique est un empêchement de moindre valeur parce qu’il est un empêchement prohibant, mais non dirimant.

Solutions :

1. La naissance physique comprend deux étapes dont la première s’accomplit dans le sein maternel où séjourne l’être conçu, si faible qu’il ne peut vivre au dehors sans danger : à cette étape correspond le baptême ou régénération spirituelle de celui qui doit être encore protégé dans le sein de l’Eglise. La seconde étape commence quand le nouveau-né sort du sein de sa mère : celui qui était déjà dans le sein maternel a acquis les forces suffisantes pour pouvoir être exposé sans danger aux périls extérieurs capables de le détruire. A cette seconde étape correspond la confirmation, grâce à laquelle l’homme plein de forces est appelé à confesser publiquement le nom du Christ. Il convient donc que ces deux sacrements soient causes de parenté spirituelle.

2. Le sacrement d’Ordre ne consiste pas en une régénération mais dans la transmission d’un pouvoir. C’est pourquoi la femme ne reçoit pas ce sacrement. Il ne peut donc en résulter aucun empêchement pour le mariage : aussi ne tient-on aucun compte de cette parenté.

3. L’assistance au catéchisme équivaut à une certaine promesse de baptême, à la façon dont les fiançailles sont une promesse de contracter mariage. De même donc que les fiançailles entraînent certains liens de parenté, de même en sera t-il du catéchisme, qui deviendra un empêchement de mariage, au moins prohibant, comme disent certains. Rien de semblable pour les autres sacrements.

4. Les cérémonies du baptême autres que le catéchisme n’entraînent pas une profession de foi il n’y a donc pas lieu d’en tenir compte.

La même réponse est à faire à la cinquième difficulté à propos de la prière et à la sixième à propos de la prédication.

7. Les enseignements que S. Paul donnait sur la foi aux Corinthiens prenaient la forme d’instructions catéchistiques : aussi cette prédication avait un rapport étroit avec le sacrement de la régénération spirituelle.

8. Le sacrement de pénitence n’est pas cause, à proprement parler, de parenté spirituelle. Le fils d’un prêtre peut donc contracter mariage avec la pénitente de son père, sinon le fils du curé de la paroisse ne trouverait pas dans la paroisse une seule personne avec laquelle il puisse se marier. Il ne sert de rien de prétendre que la pénitence efface le péché actuel : ceci a lieu, en effet, non par manière de régénération, mais par manière de guérison.

Cependant le sacrement de pénitence entraîne aussi certains liens entre la femme et son con fesseur, liens semblables à ceux de la parenté spirituelle. Aussi le péché de la chair commis entre le prêtre et sa pénitente serait-il aussi grave que le péché commis entre parrain et filleule. En raison de cette grande intimité spirituelle entre confesseur et pénitent, des pénalités très sévères ont été édictées pour éloigner les péchés de cette nature.

9. Le père spirituel reçoit ce nom par analogie avec le père naturel. Or le père selon la chair, dit Aristote, donne trois choses à ses enfants : l’existence, la nourriture, l’instruction ; de même celui qui donne au fils spirituel l’une de ces trois choses sera appelé père spirituel. Pourtant une personne n’a de parenté spirituelle avec son père spirituel que dans la mesure o celui-ci ressemble au père selon la chair, lequel est l’auteur de la génération physique, cause de l’existence.

Ce même principe peut aussi servir de réponse à la difficulté précédente.

 

Article 3 — Y a t-il parenté spirituelle entre le baptise et son parrain ou sa marraine ?

Objections :

1. Il n’y en a pas. L’enfant qui vient à naître contracte un lien de parenté avec celui-là seul qui l’a engendré dans la chair et non avec la personne qui le reçoit au moment de la naissance ; pour la même raison, il n’y a pas de parenté spirituelle entre le baptisé et le parrain ou la marraine qui le reçoivent au sortir des fonts baptismaux.

2. Denys appelle "anadoque" celui qui reçoit le baptisé au sortir des fonts baptismaux et lui assigne comme fonction l’instruction de l’enfant. Or l’enseignement n’entraîne pas de parenté spirituelle, comme on l’a déjà dit Celle-ci ne s’établit donc pas entre l’anadoque et le baptisé.

3. 11 peut arriver qu’une personne qui n’est pas encore baptisée reçoive un baptisé au sortir de la piscine baptismale. Il n’y a pas de parenté spirituelle dans ce cas, puisqu’un non baptisé ne peut contracter aucun lien spirituel. Il ne suffit donc pas de recevoir quelqu’un au sortir des fonts pour contracter avec lui la parenté spirituelle.

Cependant :

La définition spirituelle donnée plus haut et les textes cités dans les Sente disent le contraire.

Conclusion :

Il en est de la régénération spirituelle comme de la génération physique si par la génération physique un enfant naît d’une mère et d’un père, par la régénération spirituelle un enfant naît de Dieu qui devient son père et de l’Eglise qui devient sa mère. Et comme celui qui confère le sacrement représente la personne divine, dont il est l’instrument et le ministre, de même celui qui reçoit l’enfant au sortir des fonts ou le tient pendant la confirmation représente l’Eglise. Un lien de parenté spirituelle s’établit donc entre le baptisé d’une part et d’autre part le ministre, le parrain ou la marraine.

Solutions :

1. Non seulement le père duquel est né l’enfant est uni à celui-ci par des liens charnels, mais la mère l’est aussi, puisqu’elle a donné son corps et a porté l’enfant dans son sein. De même l’anadoque ou le parrain qui, au nom de toute l’Eglise, présente et reçoit le baptisé ou le tient pendant la confirmation contracte avec ce dernier un lien de parenté spirituelle.

2. Il contracte ce lien non pas à cause de l’enseignement religieux qu’il donne, mais à cause de sa coopération à la régénération spirituelle.

3. Le non baptisé ne peut tenir un néophyte sur les fonts car, n’étant pas membre de l’Eglise, il ne peut pas la représenter et accomplir cette fonction. Toutefois il peut baptiser car il est une créature de Dieu et peut donc le représenter, comme le représente celui qui baptise. Il ne contracte pas cependant la parenté spirituelle car il est privé de cette vie spirituelle qui anime l’homme aussitôt après son baptême.

 

Article 4 — La parenté spirituelle se transmet-elle de l’époux à l’épouse ?

Objections :

1. La parenté spirituelle ne se transmet pas de l’époux à l’épouse. L’union Spi rituelle et l’union corporelle sont des unions différentes et appartiennent à des genres divers. La parenté spirituelle ne passe donc pas du mari à la femme à cause de leur union dans la chair.

2. Le parrain et la marraine collaborent bien plus à la régénération spirituelle qui entraîne la parenté spirituelle que le mari remplissant l’office de parrain et l’épouse de celui-ci. Or il n’y a pas de parenté spirituelle entre parrain et marraine. Il ne suffit donc pas que le mari soit parrain d’une personne pour que son épouse contracte avec elle une parenté spirituelle.

3. Il peut arriver que le mari soit baptisé et que l’épouse ne le soit pas. Ainsi en est-il quand un époux infidèle se convertit à la vraie foi sans que son épouse fasse de même. Or la parenté spirituelle ne peut se communiquer à un non- baptisé. Elle ne se transmet donc pas toujours du mari à l’épouse.

4. Le mari et l'épouse peuvent recevoir en semble une personne au sortir des fonts baptismaux. Si la parenté spirituelle passait du mari à l’épouse, il arriverait que chacun d’eux serait ou bien deux fois père spirituel ou deux fois mère spirituelle de la même personne, ce qui ne se peut.

Cependant :

Les liens spirituels se communiquent plus facilement que les liens corporels. Or la consanguinité de l’époux passe à l’épouse par l’affinité. A plus forte raison la parenté spirituelle se communiquera-t-elle aussi.

Conclusion :

Une personne peut nouer des relations de compaternité avec une autre de deux façons : ou bien à cause d’un acte accompli par cette autre personne, quand celle-ci baptise ou présente au baptême l’enfant de la première. Dans ce cas la parenté spirituelle ne passe pas du mari à l’épouse, à moins que l’enfant ne soit le fils de celle-ci, car, dans ce cas, l’épouse con tracte directement la parenté spirituelle aussi bien que son mari. La compaternité peut naître aussi à cause d’une action personnelle de celui qui devient compère ceci a lieu quand une personne reçoit au sortir des fonts l’enfant d’un autre. La parenté spirituelle passe alors du mari à l’épouse, si le mariage est consommé ; dans le cas contraire, elle ne se communique pas, car les deux époux ne sont pas encore devenus une seule chair quand elle se communique, c’est par une sorte d’affinité. Pour la même raison la parenté spirituelle se transmet à toute femme avec laquelle l’homme a eu un commerce charnel, bien qu’elle ne soit pas son épouse.

On exprime cela dans le dicton suivant la femme qui a tenu mon enfant au baptême, ou celle dont l’enfant a été tenu par mon épouse est ma commère et ne peut devenir mon épouse. Si une femme a tenu l’enfant de mon épouse qui n’est pas le mien, elle pourra devenir ma femme après la mort de mon épouse.

Solutions :

1. L’union spirituelle et l’union corporelle appartiennent à des genres divers ; ce sont deux choses différentes, mais il ne s’ensuit pas que l’une ne puisse pas être la cause de l’autre : de deux choses qui appartiennent à des genres différents, l’une peut être cause de l’autre soit par elle-même, soit par accident.

2. Le père et la mère spirituels d’une même personne ne sont unis qu’accidentellement dans la régénération spirituelle : un des deux seul suffirait. Ils ne contractent donc pas une parenté spirituelle qui les empêcherait de s’unir en mariage ; d’où le dicton : "Toujours un des deux compères est le père spirituel et l’autre est le père charnel ; cette règle est infaillible". Or, dans le mariage, les deux époux ne font qu’une seule chair. Il n’y a donc pas parité.

3. Si l’épouse n’est pas baptisée, la parenté spirituelle ne lui sera pas communiquée, parce qu’elle n’est pas susceptible de la recevoir et non pas parce que la parenté spirituelle ne peut pas se transmettre du mari à l’épouse par le mariage.

4. Puisque le père et la mère spirituels ne contractent aucune parenté spirituelle, rien ne s’oppose à ce que deux époux reçoivent au sortir des fonts la même personne. Il ne répugne pas non plus que l’épouse devienne à des titres divers la mère spirituelle d’une même personne ; ne peut-elle pas aussi être l’alliée et la parente de la même personne par les liens de la chair ?

 

Article 5 — La parenté spirituelle se communique-t-elle du père spirituel à ses fils selon la chair ?

Objections :

1. La parenté spirituelle ne passe pas du père spirituel à ses fils selon la chair. Elle n’a pas, en effet, de degrés. Or elle aurait des degrés si elle passait du père au fils, puisque la personne engendrée, comme on l’a vu, change le degré. Elle ne passe donc pas aux fils selon la chair.

2. Le père est avec son fils au même degré que le frère avec son frère. Si donc la parenté spirituelle passe du père au fils, elle se communiquera pour la même raison du frère à son frère, ce qui est faux.

Cependant :

Les autorités citées par le Maître des Sentences prouvent le contraire.

Conclusion :

Comme le dit Aristote dans les Ethiques, le fils est quelque chose du père mais la réciproque n’est pas vraie. La parenté spirituelle se communiquera donc du père à son fils selon la chair, mais non réciproquement. Il ressort donc qu’il y a trois sortes de liens spirituels : le premier, qui est la parenté spirituelle, rattache le fils spirituel à son père spirituel. Le second est la compaternité qui crée un lien entre le père spirituel d’une personne et le père charnel de celle-ci. Le troisième est la fraternité spirituelle et elle existe entre les fils spirituels et les fils selon la chair du même père. Ces trois parentés sont un empêchement de mariage et une cause de nullité pour le mariage déjà contracté.

Solutions :

1. Une personne née d’une autre par la génération Charnelle est distante d’un degré de plus de la personne parente dans la même espèce de parenté, mais reste au même degré avec Celle qui lui est parente d’une autre façon ainsi le fils est avec l’épouse de son père au même degré que son père lui-même, mais la parenté est d’une autre espèce. Or la parenté spirituelle est d’une autre espèce que la parenté charnelle le fils spirituel n’est donc pas avec le fils charnel de son père spirituel au même degré que le fils par nature avec son père par l’intermédiaire duquel le premier participe à la parenté spirituelle ce, qui prouve que la parenté spirituelle n’a pas nécessairement des degrés.

2. Le frère n’est pas quelque chose du frère comme le fils est quelque chose du père : l’épouse, elle, est quelque chose du mari puisqu’elle est devenue une même chair avec lui. La parenté spirituelle ne se transmet donc pas du frère au frère et peu importe qu’il soit né avant ou après que la fraternité spirituelle ait pu se produire.

 

QUESTION 57 — DE LA PARENTÉ LÉGALE, EFFET DE L’ADOPTION.

 

Considérons maintenant la parenté légale, effet de l’adoption. Nous nous poserons à ce sujet trois questions : 1. La définition de l’adoption est-elle exacte ? -2. L’adoption fait-elle naître un lien qui empêche le mariage ? -3. Entre quelles personnes cet empêchement existe t-il ?

Article 1 — La définition de l’adoption est-elle exacte ?

Objections :

1. Il semble inexact de dire que l’adoption consiste à prendre légitimement pour fils, petit-fils, et ainsi de suite une personne étrangère. Un enfant doit, en effet, rester soumis à son père. Or il arrive quelquefois que l’adopté ne passe pas effectivement sous l’autorité de l’adoptant. On ne prend donc pas toujours pour fils celui qu’on adopte.

2. "Les parents ; dit l’Apôtre, doivent s’enrichir pour leurs enfants". Or le père adoptif n’est pas toujours obligé de le faire puisque son héritage ne revient pas toujours au fils adopté. L’adoption ne consiste donc pas à prendre quelqu’un pour enfant.

3. L’adoption, qui consiste à prendre un étranger pour enfant, ressemble à la génération physique, dont l’effet naturel est la naissance de l’enfant. L’homme, naturellement capable d’avoir des enfants, pourrait donc en adopter aussi. Or cela est faux, car celui qui n’est pas majeur, l’homme âgé de moins de vingt-cinq ans, par exemple, et la femme ne peuvent adopter personne, alors qu’ils peuvent avoir des enfants. On ne doit donc pas dire que l’adoption consiste à prendre quelqu’un pour enfant.

4. L’adoption semble nécessaire pour suppléer à l’absence de fils par nature. Or l’homme im puissant, comme le mutilé, l’anormal, seront toujours incapables d’avoir naturellement des enfants. Ils devraient donc avoir plus que les autres le droit d’adopter. Or ils ne l’ont pas. L’adoption ne consiste donc pas à prendre un étranger pour enfant.

5. Dans la parenté spirituelle, grâce à laquelle on prend quelqu’un pour fils sans lui avoir donné la vie, l’âge est de nulle importance. Un homme plus âgé peut devenir le père d’un plus jeune et réciproquement, car un jeune homme peut baptiser un vieillard et inversement le vieillard baptiser un jeune homme. Si l’adoption consiste alors à prendre pour enfant un étranger auquel on n’a pas donné la vie, un jeune homme pourrait adopter un vieillard et un vieillard adopter un jeune homme. Or il n’en est rien. Nous revenons donc à la même conclusion que précédemment.

6. Entre l’adoptant et les adoptés, il n’y a aucune différence de degrés. Tout adopté est donc fils. Impossible alors de dire que l’on peut adopter quelqu’un comme petit-fils.

7. L’adoption a pour cause l’affection : aussi dit-on que Dieu par amour nous a adoptés pour ses enfants. Mais on doit préférer ses parents aux étrangers. On ne doit donc pas adopter des étrangers mais les parents d’abord.

Conclusion :

L’art imite la nature et corrige les défauts que la nature a laissés dans les choses. Aussi, de même que l’homme se donne des enfants grâce à la génération naturelle, il peut aussi grâce au droit positif, qui est l’art du bien et de l’équité, prendre un étranger pour enfant et le considérer comme son fils par nature, afin de remplacer les enfants qu’il a perdus, car c’est là le but de l’adoption. Toute appropriation, d’autre part, comporte un point de départ, de telle sorte que celui qui s’approprie est autre que ce qui est approprié. Il faut donc que la personne qui est adoptée pour fils soit une personne étrangère.

Comme la génération physique dont le résultat est la forme, fin de la génération et dont le point de départ est la forme opposée, la génération légale a donc pour résultat un fils ou un petit-fils et pour point de départ une personne étrangère. Il s’ensuit que la définition donnée énonce le genre de l’adoption par ces mots "prendre légalement" ; le point de départ "une personne étrangère" et le résultat : "fils ou petit-fils"

Solutions :

1. La filiation adoptive imite d’une certaine façon la filiation naturelle. Aussi peut-on distinguer deux espèces d’adoption ; la première imite parfaitement la filiation naturelle ; elle se nomme adrogation et fait passer l’adopté sous l’autorité de l’adoptant. La personne ainsi adoptée succède au père adoptif ab intestat, et celui-ci ne peut la priver du quart de l’héritage, à moins qu’elle n’ait commis une faute. On ne peut adopter de cette manière qu’une personne qui est libre d’elle-même, c’est-à-dire qui n’a plus de père, ou qui est émancipée si son père vit encore. Cette adoption exige l’intervention du prince.

La seconde espèce d’adoption est une imitation imparfaite de la filiation naturelle ; elle se nomme simple adoption et ne fait pas passer l’adopté sous l’autorité de l’adoptant. Loin d’être l’adoption parfaite, elle est plutôt une étape préparatoire à celle-ci. Il est permis d’adopter ainsi une personne qui ne peut pas encore disposer d’elle-même ; l’intervention du prince n’est pas nécessaire, l’autorité du magistrat suffit. Dans ce cas l’adopté ne succède pas à l’adoptant dans ses biens, et celui-ci n’est pas obligé de lui laisser une partie de sa fortune, par testament, mais il peut le faire, s’il le veut

2. Il faut faire ici la même réponse qu’à la première difficulté.

3. La génération physique a pour but la reproduction de l’espèce tous ceux qui possèdent les qualités complètes de l’espèce peuvent donc avoir naturellement des enfants. L’adoption, elle, est destinée à la transmission de l’héritage ont alors le droit d’adopter ceux-là seuls qui peuvent dis poser de leurs biens par héritage. Aussi, ceux qui sont incapables de disposer d’eux-mêmes, ou qui sont âgés de moins de vingt-cinq ans, ne peuvent adopter qu’avec une permission spéciale du prince

4. Toute personne qui, par suite d’un empêchement perpétuel, est incapable d’avoir des enfants, ne peut transmettre à des descendants son héritage. Pour cette raison, ses biens doivent revenir à ceux que le droit de parenté appelle à la succession. Une telle personne n’a donc pas plus le pouvoir d’adopter que le pouvoir d’engendrer. D’autre part, on regrette bien plus la perte des enfants que le fait de n’en avoir jamais eu. Ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfants n’ont donc pas besoin d’être consolés de la perte des enfants, comme ceux qui en ont eus et qui les ont perdus, ou comme ceux qui auraient pu en avoir, mais qui n’en ont pas à cause d’un empêchement accidentel.

5. On contracte parenté spirituelle au moyen du sacrement qui fait renaître les fidèles en Jésus- Christ. Or, devant le Christ, il n’y a plus de différence entre l’homme et la femme, l’esclave et l’homme libre, le jeune homme et le vieillard. Tout homme peut donc indifféremment devenir le parrain d’un autre. Quant à l’adoption elle doit assurer la transmission de l’héritage et faire passer l’adopté sous la tutelle de l’adoptant. Or il ne convient pas que le plus âgé dépende du plus jeune dans l’administration des biens de la famille. Un jeune homme ne peut donc pas adopter une personne plus âgée. Au contraire la loi exige que l’adopté soit suffisamment plus jeune que l’adoptant au point qu’il en pourrait être le fils par nature.

6. Il arrive que l’on perde des petits-fils comme l’on perd des fils. L’adoption ayant été instituée pour consoler les parents de la perte de leurs enfants, une personne peut donc être adoptée aussi bien à la place du fils qu’à la place du petit- fils et ainsi de suite.

7. Le droit de succéder revient aux parents en raison de leur parenté. Il ne convient donc pas que la succession leur arrive par voie d’adoption. Mais si on adopte un parent qui n’a pas le droit d’hériter, on ne l’adopte pas à titre de parent, mais à titre d’étranger, en regard de l’héritage des biens de l’adoptant.

 

Article 2 — L’adoption entraîne t elle un lien qui soit empêchement au mariage ?

Objections :

1. L’adoption, semble t-il, ne fait naître aucun lien qui soit un empêchement au mariage. Le soin des âmes est une fonction plus noble que le soin des corps. Or ceux qui ont charge d’âmes ne contractent point de parenté avec ceux dont ils sont responsables ; sinon, le curé de la paroisse deviendrait parent de tous ses paroissiens et aucun de ceux-ci ne pourrait épouser le fils du curé. Cela ne se produit donc pas non plus après l’adoption qui fait passer l’adopté sous la direction de l’adoptant.

2. La relation de bienfaiteur à protégé n’en traîne pas entre eux deux un lien de parenté. Or l’adoption n’est que l’octroi d’un bienfait. Elle ne produit donc aucun lien de parenté.

3. Un père procure surtout à son fils trois choses, comme le dit Aristote la vie, la nourriture, l’éducation. La succession dans l’héritage ne vient qu’ensuite. Or on peut pourvoir à l’entretien et à l’éducation de quelqu’un sans con tracter pour cela des liens de parenté avec lui sinon, les nourrices, les pédagogues, les maîtres deviendraient parents de ceux dont ils s’occupent, ce qui est faux. De même, l’adoption, ou le fait de succéder à quelqu’un comme héritier, n’entraîne pas des liens de parenté.

4. Les sacrements de l’Eglise ne sont pas soumis aux lois humaines. Or le mariage est un sacrement de l’Eglise. L’adoption, instituée par une loi humaine, ne peut donc créer aucun lien qui soit empêchement de mariage.

Cependant :

La parenté est un empêchement de mariage. Or, de l’adoption résulte une certaine parenté, à savoir, une parenté légale puisque celle-ci se définit "une parenté provenant de l’adoption". L’adoption entraîne donc un lien qui met obstacle au mariage.

On peut déduire aussi la même conclusion des textes cités dans les Sentences.

Conclusion :

La loi divine interdit aux personnes qui habitent nécessairement ensemble de contracter mariage entre elles, car, comme le remarque Maimonide, la permission de s’unir dans la chair, favoriserait chez ces personnes la concupiscence que le mariage est destiné à réprimer. Or le fils par adoption habite dans la maison de son père adoptif, tout comme l’enfant par nature. Aussi les lois humaines leur interdisent de contracter mariage ensemble. L’Eglise approuve cette interdiction. La parenté légale est donc un empêchement de mariage

Solutions :

I, 2, 3. Ce qui précède fournit la réponse aux trois premières difficultés, car la charge d’âmes, les relations de bienfaisance, l’instruction n’exigent pas une cohabitation telle qu’elle puisse exciter la concupiscence. Il n’en résulte donc aucun lien qui soit un empêchement de mariage.

4. La loi humaine ne suffirait pas à établir un empêchement de mariage si l’Eglise n’intervenait pas pour la sanctionner de sa propre autorité.

 

Article 3 — Ce lien spécial de parenté n’existe t-il qu’entre l’adoptant et l’adopté ?

Objections :

1. Seuls le père qui adopte et le fils adoptif contractent, semble t-il, ce lien de parenté. Celui-ci, en effet, devrait surtout unir le père par adoption et la mère naturelle de l’enfant adopté. Or aucune parenté légale n’existe entre ces deux personnes ; elle n’existera donc pas entre d’autres personnes, mais seulement entre celle qui adopte et l’adopté.

2. Les liens de parenté qui empêchent le mariage sont des empêchements perpétuels. Or il n’y a pas d’empêchement perpétuel entre le fils adoptif et la fille naturelle de l’adoptant, puisqu’ils peuvent contracter mariage à la mort du père ou au moment de l’émancipation du fils adoptif : il n’y avait donc entre eux aucun lien de parenté qui empêchait le mariage.

3. La parenté spirituelle ne passe pas à une personne incapable soit de présenter quelqu’un à un sacrement soit de le recevoir elle-même c’est ainsi que les non baptisés ne la contractent pas. Or la femme est incapable d’adopter, comme on l’a déjà remarqué. La parenté légale ne passe donc pas du mari à l’épouse.

4. La parenté spirituelle l’emporte sur la parenté légale. Or la première ne se transmet pas au petit-fils. La seconde ne se communiquera donc pas non plus à celui-ci.

Cependant :

La parenté légale touche de plus près à l’union charnelle ou à la propagation de la chair que ne le fait la parenté spirituelle. Mais celle-ci se transmet à des personnes autres que le fils spirituel. La parenté légale se communiquera donc de la même façon.

En outre, les textes cités dans les Sentences appuient la même conclusion.

Conclusion :

Il y a trois sortes de parenté légale : la première, qui suit la ligne de descendance, existe entre l’adoptant d’une part, et, d’autre part, le fils adoptif, le fils de ce dernier, le petit-fils et ainsi de suite. La seconde existe entre le fils par adoption et le fils par nature. La troisième, qui imite d’une certaine façon l’affinité, existe entre le père adoptif et l’épouse du fils adopté, ou, inversement, entre le fils adoptif et l’épouse du père adoptant.

La première et la troisième parenté sont un empêchement perpétuel au mariage. La seconde ne l’est pas, à moins que l’enfant adopté ne soit encore sous la tutelle de son père adoptif. Lors donc que le père par adoption est mort ou que le fils adoptif est émancipé, celui-ci peut épouser la fille par nature de l’adoptant

Solutions :

1. A la différence de l’adoption, le baptême ne soustrait pas l’enfant au pouvoir de son père naturel. L’enfant reste donc, à la fois, fils du père que la nature lui a donné, et fils spirituel de son parrain. Il n’en est pas ainsi du fils adoptif. Par conséquent, le père par adoption ne contracte ni avec la mère, ni avec le père naturels de l’adopté un lien analogue à la parenté spirituelle.

2. C’est à cause de la cohabitation que la parenté légale est un empêchement de mariage. Mais quand disparaît la nécessité de cohabiter aucun inconvénient ne s’oppose à ce que le lien cesse d’exister, par exemple, quand l’adopté n’est plus soumis à son père adoptif. Pourtant le père adoptif et son épouse conservent toujours une certaine autorité sur le fils par adoption et sa femme, Aussi un lien subsiste t-il entre eux.

3. La femme, elle-même, peut adopter, en vertu d’une concession du législateur. Dans ce cas, elle contracte donc la parenté légale. D’autre part, si la parenté spirituelle ne se communique pas à un non baptisé, cela ne vient pas de ce que celui-ci est incapable de présenter une personne à un sacrement, mais de ce qu’il ne peut recevoir aucune réalité spirituelle.

4. La parenté spirituelle ne place pas l’enfant SOUS l’autorité et la tutelle du père spirituel, comme cela se produit par la parenté légale. Tout ce qui appartient, en effet, au fils adopté relève nécessairement de l’autorité du père adoptif. Lors donc qu’un homme a été adopté, ses enfants et ses petits-enfants sont adoptés par le fait même.

 

QUESTION 58 — DES EMPÊCHEMENTS D’IMPUISSANCE, DE MALÉFICE, DE FOLIE, D’INCESTE, D’AGE.

Il y a lieu de considérer maintenant ensemble cinq empêchements de mariage l’impuissance, le maléfice, la folie, l’inceste et le défaut d’âge. Nous nous poserons à ce sujet cinq questions 1. L’impuissance est-elle un empêchement de ma— nage ? — 2. Le maléfice en est-il un ? — 3. La folie en est-elle un aussi ? — 4. En est-il de même de l’inceste ? — 5. En est-il de même du défaut d’âge ?

 

Article 1 — L'impuissance est-elle un empêchement de mariage ?

Objections :

1. Elle n’en est pas un, car l’œuvre de chair n’est pas essentielle au mariage, puisque les époux observant la continence à la suite d’un vœu honorent le mariage mieux que les autres. Or l’impuissance n’empêche qu’une seule chose dans le mariage, l’union charnelle. L’impuissance n’est donc pas un empêchement dirimant au mariage.

2. L’impuissance, d’autre part, n’est pas seule à empêcher la génération une excessive passion en fait autant. Mais une passion excessive n’est pas empêchement de mariage. L’impuissance ne saurait donc l’être.

3. Tous les vieillards sont impuissants et cependant ce n’est point pour eux empêchement au mariage. L’impuissance ne saurait donc en être un.

4. La femme qui connaît l’impuissance de son époux, au moment où elle se marie avec lui, fait un mariage valide. Par elle-même, l’impuissance n’empêche donc pas le mariage.

5. L’impuissance peut être relative : tel qui est impuissant avec une vierge, ne le sera pas avec une femme déflorée. Tel autre aura besoin de la beauté féminine pour stimuler son désir. L’impuissance est donc relative : comment serait-elle un empêchement absolu ?

6. C’est aussi un fait général que la passion sexuelle est moins vive chez la femme que chez l’homme. Or cela n’empêche pas que les femmes puissent se marier. Pourquoi en serait-il autrement pour les hommes ?

Cependant :

D’après le Droit, de même que l’enfant incapable d’accomplir le devoir conjugal, est inapte au mariage, de même les impuissants seront considérés comme radicalement inaptes à contracter mariage. Rentrent dans cette catégorie tous ceux qui sont frappés d’impuissance.

De plus personne ne peut s’obliger à l’impossible. Or le mariage oblige à l’œuvre de chair et les époux se font un don réciproque de leur corps. Il en résulte donc que l’impuissant ne pourra contracter mariage.

Conclusion :

Il en est du mariage comme de tout contrat où, en aucun cas, l’obligation ne peut valoir si l’une des parties contractantes s’engage à ce qu’elle est incapable de faire ou de donner ; le contrat de mariage ne vaudra donc pas si l’un des deux conjoints ne peut accomplir le devoir conjugal. Cet empêchement est appelé impuissance, d’un terme général.

Cette impuissance peut être d’origine interne et naturelle ou être d’origine externe et accidentelle, par exemple dans le cas de quelque maléfice, ainsi qu’on le dira plus loin.

L’impuissance, effet d’une cause naturelle, peut être double ou bien elle est temporaire et donc curable soit médicalement, soit avec le temps, et elle ne rend pas nul le mariage ; ou bien elle est définitive et dirime le mariage, à ce point qu’elle fait disparaître, chez celui qui en est affligé, tout espoir de se marier, l’autre conjoint demeurant libre d’épouser qui il veut, dans le Seigneur bien entendu.

Pour reconnaître si l’impuissance est définitive ou non, l’Eglise a fixé un délai de trois ans, qui seront un temps d’épreuve. Si après trois années, au cours desquelles les époux se seront fidèlement appliqués au devoir conjugal, le mariage n’a pu être consommé, l’Eglise l’annule.

Mais il peut arriver que l’Eglise se trompe parce que trois ans ne suffisent pas toujours à établir le caractère définitif d’une impuissance. Si donc celui qui fut l’objet d’empêchement par impuissance a pu, dans la suite, avoir des relations avec succès, soit avec une autre femme, soit avec la sienne, l’Eglise revalide le premier mariage et annule le second, même contracté avec sa permission

Solutions :

1. Si l’acte sexuel n’est pas essentiel au mariage, le pouvoir de l’accomplir est cependant une des conditions requises, puisque chacun des deux époux donne à l’autre le droit d’accomplir cet acte.

2. Un excès de passion sera difficilement un empêchement définitif. On le considérerait cependant ainsi après trois années d’essai. Toutefois, comme l’impuissance est, bien davantage et bien plus fréquemment, cause d’empêchement par l’obstacle qu’elle apporte à la génération, c’est elle qui est envisagée ici. D’ailleurs, c’est bien à elle que tout défaut naturel se ramène.

3. Impuissants parfois à engendrer, les vieillards ne le sont pas toujours pour accomplir l’acte sexuel. Aussi le mariage leur est-il permis comme remède à la concupiscence bien qu’ils ne puissent pas le contracter en vue de la fin pour laquelle il a été institué par la nature.

4. C’est un principe général de tout contrat : celui qui est incapable d’en acquitter une clause ne saurait être tenu pour capable de s’y engager. Or cette incapacité peut être de deux sortes : tout d’abord une incapacité de droit ; si le droit s’oppose au contrat, cela suffit pour annuler tout engagement, quelque connaissance qu’en ait l’autre partie.

En second lieu, une incapacité de fait ; si l’autre partie, tout en connaissant cet obstacle, accepte le contrat, elle prouve par là même que la fin qu’elle y cherche est tout autre et le contrat vaut dans le cas contraire, il est nul.

Or l’impuissance cause bien chez l’homme cette incapacité réelle de s’acquitter de son devoir. Son cas est le même que celui de la condition servile en raison de laquelle l’homme n’est pas libre de satisfaire à ce même devoir. Dans les deux cas il y a empêchement, mais il faut que le conjoint ignore l’incapacité de l’autre. Par contre un empêchement de droit, tel que la consanguinité, annule toujours le mariage, que le conjoint en ait ou non connaissance. Pour cette raison le Maître des Sentences déclare que l’impuissance et la servitude ne rendent pas les personnes "absolument incapables de se marier"

5. L’impuissance relative n’est pas un empêchement naturel et définitif. Si un homme est capable de relations avec une femme déflorée et non avec une vierge, il est possible de faire appel à une intervention chirurgicale et d’assurer ainsi l’acte conjugal. Il n’y a rien ici qui aille contre le mariage, puisqu’il s’agit non de plaisir mais d’une infirmité à guérir.

La répugnance dont une femme est l’objet n’est pas une cause naturelle d’impuissance mais une cause accidentelle et extrinsèque ; dès lors le cas est à juger comme le maléfice dont nous allons parler

6. L’homme est actif et la femme passive dans la génération. Aussi le pouvoir de donner la vie est bien plus nécessaire à l’homme qu’à la femme. L’impuissance qui rend l’homme incapable d’accomplir l’acte générateur ne produirait pas la même incapacité chez la femme. Mais il peut y avoir chez celle-ci un empêchement naturel provenant d’une autre cause à savoir l’impénétrabilité physique. On en jugera alors comme de l’impuissance chez l’homme.

 

Article 2 — Le maléfice est-il un empêchement de mariage ?

Objections :

1. Ce n’en est pas un. Les maléfices sont l’œuvre des démons. Mais les démons n’ont pas plus le pouvoir d’empêcher l’acte du mariage qu’ils n’ont celui d’empêcher les autres actions du corps. Cela est hors de leur prise, sinon ils sèmeraient le désordre complet dans le monde, en empêchant, par exemple, la nutrition, la marche, et autres actions de ce genre. Leurs maléfices ne peuvent donc mettre obstacle au mariage.

2. L’œuvre de Dieu est plus forte que l’œuvre du diable. Le maléfice, œuvre diabolique, ne peut donc faire obstacle à l’œuvre divine du mariage.

3. Seuls, les empêchements perpétuels sont des empêchements dirimants du mariage. Mais le maléfice ne peut devenir un obstacle perpétuel, car, le diable n’ayant de pouvoir que sur les pécheurs, le maléfice n’existera plus, une fois le péché enlevé. D’autres maléfices pourront encore le faire disparaître ou bien les exorcismes de l’Eglise destinés à entraver la puissance des démons. Le maléfice n’est donc pas un empêchement.

4. L’acte charnel ne devient impossible que si l’homme ne peut plus user du pouvoir d’engendrer. Or l’homme conserve ce pouvoir vis-à-vis de n’importe quelle femme. Le maléfice n’est donc un empêchement à l’union de l’homme avec telle ou telle femme que s’il l’est par rapport à toutes les femmes.

Cependant :

d’après le décret de Gratien, "les sorts ou maléfices empêchent le mariage" et encore "si on ne réussit pas à les guérir, on pourra séparer les époux".

D’autre part les démons sont plus puissants que les hommes. Il est dit en effet dans le livre de Job "Léviathan n’a pas son égal sur la terre". Mais par la castration, par la boisson, on peut rendre quelqu’un impuissant et incapable de con tracter mariage. A plus forte raison, le démon peut-il empêcher le mariage.

Conclusion :

Certains ont prétendu qu’il n’y a pas de maléfices dans le monde et que cela existe seulement dans l’imagination des hommes qui attribuent à des maléfices les effets naturels dont ils ignorent la cause.

C’est contredire les témoignages des saints qui affirment le pouvoir des démons sur le corps et sur l’imagination des hommes avec la permission de Dieu. Les magiciens, grâce aux démons, peuvent donc faire des prodiges.

L’opinion susdite provient d’un manque de foi ou de l’incrédulité. On croit, en effet, que les démons n’existent que dans l’esprit du peuple ; ceux qui ont des mouvements de frayeur les attribuent au démon et quand l’imagination vivement impressionnée éveille dans les sens des représentations du démon, tel qu’ils se le figurent, ils sont persuadés qu’ils voient le démon lui-même.

Or cette explication est incompatible avec la vraie foi qui nous enseigne la chute des mauvais anges, devenus les démons, et qui nous affirme que la nature subtile des démons les rend capables de faire beaucoup de choses impossibles pour nous. Et on appelle magiciens les hommes qui excitent les démons à produire ces effets.

D’autres affirment que les maléfices peuvent empêcher l’union charnelle mais non d’une manière perpétuelle, et que ce n’est donc pas un empêchement dirimant du mariage contracté.

D’après eux, les textes juridiques affirmant le contraire sont abrogés. Cependant on leur oppose l’expérience et le droit nouveau conforme à l’ancien.

Il faut donc distinguer deux cas : ou bien l’impuissance due au maléfice est perpétuelle et elle dirime alors le mariage, ou bien elle ne l’est pas et par suite elle n’annule point le mariage. Pour savoir alors si elle est perpétuelle ou non, l’Eglise a fixé un délai de trois ans, comme pour l’empêchement d’impuissance.

Le maléfice diffère cependant de l’impuissance. Car l’homme impuissant l’est aussi bien vis-à-vis d’une femme que vis-à-vis d’une autre : l’annulation de son mariage ne lui permettra donc pas de se marier avec une autre. Par contre, l’homme victime d’un maléfice peut être impuissant vis-à-vis d’une femme et non vis-à-vis d’une autre. Voilà pourquoi lorsque le juge ecclésiastique annule le mariage, chacun des deux époux est libre de chercher un autre conjoint.

Solutions :

1. La tache du péché originel, qui nous rend esclaves vis-à-vis du démon, nous est transmise par la génération. Avec la permission divine, le démon peut dès lors exercer son pouvoir malfaisant sur l’acte de la génération plus efficacement que sur les autres. De même la vertu malfaisante des démons se révèle davantage dans les serpents que dans les autres animaux, parce que le démon a pris la forme d’un serpent pour tromper la femme.

2. Ce n’est qu’avec la permission de Dieu que le diable peut nuire à une œuvre divine et non pas parce qu’il serait plus puissant que Dieu, au point de pouvoir détruire l’ouvrage divin grâce à la violence.

3. Un maléfice est perpétuel quand aucun secours humain n’est assez fort pour le faire dis paraître. En vérité, Dieu pourrait y remédier en arrêtant le démon ; le démon pourrait aussi le faire cesser en se désistant de son pouvoir. Il n’est pas toujours possible, en effet, de remédier à un maléfice par un autre, et les magiciens le savent bien. Alors même qu’on pourrait le faire, on tiendrait cependant le maléfice pour perpétuel, car il n’est jamais permis d’invoquer le secours du démon par un autre maléfice.

De même un pécheur qui par le péché s’est soumis au pouvoir du démon, n’est pas nécessairement délivré, une fois le péché enlevé, car la faute peut disparaître et la peine subsister.

De même encore les exorcismes de l’Eglise ne réussissent pas toujours à éloigner le diable et à faire cesser les châtiments corporels, car la justice divine peut exiger le contraire. Cependant ces exorcismes sont toujours efficaces pour écarter les attaques du démon contre lesquelles ils ont été institués.

4. Un maléfice peut frapper un homme d’impuissance tantôt vis-à-vis de toutes les femmes, tantôt vis-à-vis d’une seule, car le démon agit comme il le veut et non pas par contrainte naturelle. L’empêchement qui provient du maléfice peut être aussi l’effet d’une impression faite par le démon sur l’imagination d’un homme, de telle sorte que les désirs charnels de celui-ci se portent vers telle femme et non pas vers telle autre.

 

Article 3 — La démence est-elle un empêchement de mariage ?

Objections :

1. Non, car le mariage spirituel que l’on contracte au baptême est bien supérieur au mariage charnel. Or les déments peuvent recevoir le baptême. Ils peuvent donc contracter mariage.

2. L’impuissance est un obstacle au mariage, parce qu’elle rend l’acte charnel impossible. Or la démence ne produit pas cet effet. Elle n’est donc pas un empêchement.

3. Seul dirime le mariage l’empêchement qui est perpétuel. Mais il n’est pas possible de savoir si la démence empêchera toujours le mariage. Elle n’annule donc pas le mariage.

4. Dans la liste précédente où sont énumérés chacun des empêchements perpétuels on ne trouve pas le nom de la démence. Elle n’en est donc pas un.

Cependant :

La démence, plus que l’erreur, supprime l’exercice des facultés mentales. Or, l’erreur est un empêchement au mariage. Donc, à plus forte raison, la démence.

D’autre part, les fous ne peuvent faire aucun contrat. Or le mariage est une sorte de contrat. Les fous ne peuvent donc pas se marier.

Conclusion :

La folie peut précéder ou suivre le mariage. Si elle survient après le mariage, celui-ci reste valide. Si elle précède le mariage, de deux choses l’une : ou bien le dément a des intervalles lucides, ou bien il n’en a pas. S’il en a, encore qu’il soit préférable pour lui de ne pas se marier dans ces moments de lucidité, car il est incapable de bien élever ses enfants, le mariage qu’il contractera sera cependant valide. S’il n’a point de moments de lucidité, ou s’il se marie alors qu’il n’a plus sa raison, le mariage sera nul, car le consentement n’aura pas été valide en raison du défaut d’intelligence

Solutions :

1. L’usage de la raison n’est pas une condition requise au baptême, mais est nécessaire pour le contrat de mariage. La parité n’existe pas. Cependant on a parlé plus haut de la manière dont on doit baptiser les déments.

2. La folie est t empêchement de mariage à cause du consentement requis et non pas parce que la folie empêche l’acte conjugal, ce que fait l’impuissance. Le Maître des Sentences traite au même endroit de ces deux empêchements, parce que tous deux sont un défaut naturel.

3. Tout obstacle momentané au consentement, annule tout à fait le mariage. Un obstacle à l’accomplissement de l’acte conjugal au contraire n’annulera le mariage que s’il est perpétuel.

4. empêchement de folie se ramène à l'empêchement d’erreur ; ici et là, le défaut de consentement provient de la même source, c’est-à-dire de l’absence de consentement.

 

Article 4 — L’inceste commis avec la sœur de l’épouse annule t-il le mariage ?

Objections :

1. L’inceste n’annule pas le mariage. On ne doit pas, en effet, punir une épouse à cause du péché de son mari. Mais celle-ci serait punie si le mariage était rompu. L’inceste n’est donc pas cause de nullité.

2. L’homme qui a des relations charnelles avec sa propre parenté commet une plus grande faute que celui qui fait de même avec la parente de son épouse. Or dans le premier cas, le mariage reste valide malgré la faute. Il en est donc de même dans le second cas.

3. Si le mariage devait être rompu en punition du péché, on devrait aussi annuler l’union de l’incestueux, devenu veuf, avec une autre femme. Or cela n’a pas lieu.

4. Cet empêchement ne figure pas parmi ceux qui ont été énumérés précédemment. Ce n’en est donc pas un.

Cependant :

Le conjoint qui a des relations charnelles avec la sœur de sa femme contracte affinité avec son épouse elle-même. Mais l’affinité est un empêchement dirimant. L’inceste en question en est donc un aussi.

D’autre part, "on est puni par ou on a péché". Or l’incestueux a péché contre les lois du mariage. Sa punition consistera donc dans la privation du mariage.

Conclusion :

Quand un homme marié a eu des relations charnelles avec la sœur ou une autre parente de sa femme, avant la célébration de son mariage, même après les fiançailles, il faut le séparer de son épouse à cause de l’affinité qu’il a contractée ; mais si l’inceste a été posté rieur à la célébration et à la consommation du mariage, on ne devra pas séparer les époux. Cependant le mari n’aura plus le droit de demander le devoir conjugal et ne pourra pas le demander sans pécher. Il sera néanmoins obligé de le rendre, si l’épouse le lui demande, car l’épouse ne peut être punie par la faute de son conjoint.

Après la mort de son épouse, l’incestueux ne pourra plus prétendre à un nouveau mariage, à moins qu’on lui accorde une dispense à cause de sa faiblesse et de crainte qu’il ne contracte des relations mauvaises. S’il se marie de nouveau sans dispense, il désobéit aux lois de l'Eglise et commet une faute ; mais on ne devra pas pour cela annuler son mariage

Solutions :

Ce que nous venons de dire répond aux difficultés. On range l’inceste parmi les empêchements de mariage, non pas à cause du péché dont il est la cause, mais en raison de l’affinité qui en résulte. On n’avait donc pas besoin d’en faire mention spéciale dans la liste des empêchements, car il se trouve inclus dans l’empêchement d’affinité.

 

Article 5 — Le défaut d’âge est-il un empêchement de mariage ?

Objections :

1. Le défaut d’âge n’est pas un obstacle au mariage. Les lois civiles, en effet, imposent un tuteur à l’enfant jusqu’à la vingt cinq année ; jusque-là, semble t-il, l’enfant n’a donc pas un jugement assez sûr pour con sentir à un mariage. C’est à cette époque que l’on devrait donc fixer le moment où l’enfant peut se marier. Or il peut le faire avant cette date. Le défaut d’âge n’empêche donc pas le mariage.

2. Le lien du mariage est un lien perpétuel, comme le lien de la profession religieuse. Or, selon une nouvelle décrétale, on ne peut faire profession avant d’avoir atteint l’âge de quatorze ans. Si le défaut d’âge était un empêchement au mariage, on ne pourrait donc pas non plus se marier avant ce moment.

3. Le consentement de l’homme au mariage est le même que le consentement de la femme. Or la femme peut consentir dès l’âge de 14 ans. L’homme le peut donc également.

4. L’impuissance n’est un empêchement que si elle est perpétuelle et ignorée de l’autre partie. Le défaut d’âge, lui, n’est ni perpétuel, ni ignoré. Il n’est donc pas un empêchement.

5. Le défaut d’âge n’est pas nommé dans la liste des empêchements. Ce n’en est donc pas un.

Cependant :

d’après une décrétale, "l’enfant incapable de rendre le devoir conjugal est inapte au mariage". Or avant l’âge de 14 ans la plupart des enfants sont incapables de remplir cette obligation, comme l’a remarqué Aristote. Celui-ci disait encore : "Toutes les choses naturelles ont des limites tant dans leur grandeur que dans leur accroissement". Or le mariage est une réalité naturelle. Il doit donc y avoir un temps déterminé en deçà duquel on ne peut pas se marier.

Conclusion :

Le mariage, qui est une sorte de contrat, est l’objet d’une législation positive comme tous les autres contrats. Or le droit romain et le droit canonique exigent que l’on ne contracte pas mariage avant d’avoir atteint l’âge de discrétion, âge auquel les contractants peuvent réfléchir sérieusement au mariage et s’acquitter du devoir conjugal. Sinon, le mariage doit être rompu. Or cet âge est ordinairement celui de 14 ans pour les garçons et de 12 ans pour les filles.

Cependant les lois positives sont basées sur les faits généraux. Si donc on acquiert l’aptitude requise au mariage avant l’âge légal, parce que la précocité naturelle supplée au défaut d’âge, le mariage reste indissoluble. Aussi l’union que les époux auront contractée avant l’âge de puberté et auront consommée avant ce délai restera néanmoins indissoluble

Solutions :

1. On a besoin d’un jugement moins vigoureux pour délibérer sur des actes conformes aux inclinations naturelles que pour le faire sur d’autres actions. Aussi peut-on être suffisamment raisonnable pour réfléchir et con sentir au mariage avant de pouvoir s’engager à des donations en faveur d’autrui sans l’intervention du tuteur.

2. Il faut répondre de même à la seconde difficulté, car les vœux de religion obligent à des actes qui dépassent les forces de la nature et qui sont plus difficiles à accomplir que les devoirs du mariage.

3. La femme parvient plus tôt que l’homme à l’âge de puberté, comme le dit Aristote. Il y a donc une différence entre eux deux.

4. Envisagé à ce point de vue, le défaut d’âge est un empêchement non seulement à cause de l’impuissance physique, mais encore à cause du défaut de jugement celui-ci n’est pas assez mûr pour que l’on puisse consentir à un engagement perpétuel.

5. L’empêchement d’âge, se ramène à celui de l’erreur comme l’empêchement de démence dans les deux cas, l’homme n’a pas encore le plein usage de son libre arbitre.

 

QUESTION 59 — DE L’EMPÊCHEMENT DE DISPARITÉ DE CULTE.

Au sujet de l’empêchement de disparité de culte, nous nous poserons six questions : 1. Un fidèle peut-il contracter mariage avec un infidèle ? — 2. Le mariage des infidèles entre eux est un vrai mariage ? 3. Un époux converti à la vraie foi peut-il demeurer avec son épouse qui refuse de se convertir ? — 4. Peut-il renvoyer cette épouse infidèle ? — 5. Après le renvoi, peut- il en épouser une autre ? — 6. Outre le péché d’infidélité, y a t-il d’autres péchés qui permettent à un homme de renvoyer son épouse ?

 

Article 1 — Un fidèle peut-il contracter mariage avec un infidèle ?

Objections :

1. Rien ne l’en empêche. Joseph a contracté mariage avec une Egyptienne et Esther devint l’épouse d’Assuérus. Dans les deux cas il y avait disparité de culte, puisque l’un des époux était un fidèle et l’autre un infidèle. La différence de culte, antérieure au mariage, n’est donc pas un empêchement.

2. La loi ancienne et la loi nouvelle nous enseignent la même foi. Or la première permet tait le mariage entre fidèle et infidèle, comme on le lit dans le Deutéronome : "Quand tu sortiras pour combattre, si tu vois parmi les captifs une femme de belle figure, et qu’épris d’amour tu veuilles l’épouser, tu l’amèneras dans ta maison, tu iras vers elle et elle deviendra ta femme". La loi nouvelle le permet donc aussi.

3. Les fiançailles sont la préparation du mariage. Or les fidèles peuvent contracter fiançailles avec les infidèles dont la conversion future sera !osée comme condition du contrat. Ils peuvent donc contracter mariage avec eux sous la même condition.

4. Tout empêchement de mariage contrecarre en quelque sorte le mariage. Or l’infidélité ne s’oppose pas au mariage, puisque celui-ci est une fonction naturelle, et que la foi est en dehors des lois de la nature. La disparité de culte n’est donc pas un empêchement.

5. La disparité de religion peut exister aussi entre deux baptisés dont l’un, par exemple, est devenu hérétique après son baptême. Or si cet hérétique contracte avec un fidèle, le mariage est pourtant valide. La disparité de culte n’est donc pas un empêchement de mariage.

Cependant :

S. Paul disait aux Corinthiens "Qu’a de commun la lumière avec les ténèbres" ? Tout est commun, au contraire, entre mari et femme. Celui qui vit dans la lumière de foi ne peut donc épouser celle qui se trouve dans les ténèbres de l’infidélité.

D’autre part, on lit ceci dans le prophète Malachie "Judas profane ce qui est consacré à Iahvé car il a aimé et épousé la fille d’un dieu étranger". Il ne pouvait donc pas contracter mariage avec elle. La disparité de culte est donc un empêchement.

Conclusion :

Le but principal du mariage consiste à élever les enfants dans le culte de Dieu. Comme cette éducation est l’œuvre commune du père et de la mère, tous deux voudront élever leurs enfants dans le service du Dieu auquel adhère leur foi. Mais s’ils ne professent pas la même religion, ils poursuivront chacun un but opposé. Il ne pourra donc pas y avoir entre eux de véritable mariage. Aussi la disparité de cuite, quand elle précède le mariage est un empêchement.

Solutions :

1. L’ancienne loi permettait aux Israélites de contracter mariage avec certains infidèles mais leur défendait de le faire avec certains autres. Il leur était particulièrement interdit de se marier avec les infidèles qui habitaient le pays de Chanaan pour les raisons suivantes le Seigneur avait d’abord demandé qu’on les fasse disparaître à cause de leur obstination ; d’autre part, les époux et les enfants couraient ici un plus grand danger de perversion idolâtrique, car les Israélites étaient plus disposés à adopter les rites et les mœurs de ces infidèles, avec qui ils avaient des rapports. Au contraire, l’union à d’autres infidèles était permise, car le danger de passer à l’idolâtrie était ici moins pressant. Aussi, Joseph, Moïse, Esther ont-ils pu épouser des infidèles.

Mais la loi nouvelle, propagée dans le monde entier, défend de contracter mariage avec n’importe quel infidèle et pour les mêmes raisons. La disparité de culte qui précède le mariage est donc un empêchement et une cause de nullité.

2. Cette disposition de la loi deutéronomique concernait ou bien les étrangers que l’on pouvait épouser ou bien les captives qui voulaient se convertir à la vraie foi et au culte divin.

3. Les conditions présentes régissent le présent comme les conditions futures l’avenir. Au moment même de la célébration du mariage, la profession du même culte est donc présentement requise chez les deux contractants. De même au moment des fiançailles, le mariage étant promis pour l’avenir, il suffit de promettre comme condition future de professer la même foi.

4. La disparité de culte s’oppose au mariage, comme on l’a déjà dit, parce qu’elle nuit au bien principal du mariage, au bien des enfants.

5. Le mariage est un sacrement ; la validité du sacrement exige donc que les deux époux soient dans la même situation vis-à-vis du sacrement de la foi, c’est-à-dire du baptême, plutôt que vis-à-vis de la foi intérieure. Aussi appelle-t-on cet empêchement non pas disparité de foi, mais disparité de culte ; le culte concerne, comme on l’a dit, le service extérieur. Ainsi le fidèle qui contracte mariage avec une femme baptisée mais hérétique contracte un mariage valide. Mais il commet une faute, s’il la connaît comme hérétique ; il commettrait la même faute s’il épousait une excommuniée. Cependant le mariage ne devrait pas être rompu pour cela. Inversement un catéchumène qui a embrassé la vraie foi mais qui n’est pas encore baptisé ferait un mariage nul, s’il se mariait avec une chrétienne baptisée

 

Article 2 — Le mariage des infidèles est-il un vrai mariage ?

Objections :

1. Entre infidèles, il ne peut y avoir un vrai mariage. Le mariage est, en effet, un sacrement de l’Eglise. Or le baptême est la porte des sacrements. Les infidèles qui ne sont pas baptisés ne peuvent donc pas recevoir le sacrement de mariage, comme ils ne peuvent pas recevoir les autres sacrements.

2. Deux maux ensemble font échec au bien avec plus de force qu’un seul. Or l’infidélité d’un seul époux nuit déjà au bien du mariage ; à plus forte raison, l’infidélité des deux conjoints. Le mariage ne peut donc pas exister entre deux infidèles.

3. La disparité de culte peut exister aussi bien entre deux infidèles qu’entre un fidèle d’une part et un infidèle d’autre part. Ainsi existe-t-elle entre un juif et un païen. Or la disparité de culte est un empêchement de mariage. Il y aura donc au moins un cas où le mariage ne pourra exister et ce sera le cas de deux infidèles appartenant à une religion différente.

4. Dans le mariage doit régner une vraie pudeur. Mais, selon le mot de saint Augustin, cité par le Maître des Sentences "entre un infidèle et son épouse il ne saurait y avoir de vraie pudeur". Ce n’est donc pas un vrai mariage.

5. Dans le mariage vrai, l’acte charnel est exempt de faute. Or cela ne peut avoir lieu dans l’union contractée par les infidèles, car selon la parole de Saint Paul, "toute la vie des infidèles est une vie de péché". Entre eux il ne peut donc y avoir un vrai mariage.

Cependant :

Il est dit dans l'Epître aux Corinthiens : "Si un frère a comme épouse une infidèle...etc.". Or qui dit épouse dit mariage. L’union des infidèles entre eux est donc un vrai mariage.

D’autre part, quand un état de choses disparaît, ne disparaît pas pour autant l’état de choses qu’il supposait. Or le mariage, institution naturelle, existait en tant que tel, avant le temps de la loi nouvelle qui est la loi de grâce dont la foi est le principe. L’infidélité n’empêche donc pas que l’union conjugale entre infidèles ne soit un vrai mariage.

Conclusion :

Le mariage a comme but principal le bien de l’enfant. Il ne s’agit pas seulement ici de la naissance de l’enfant, car cela peut se réaliser en dehors du mariage, mais encore de son éducation jusqu’à son complet achèvement car toute cause tend à conduire son effet jusqu’à Son état le plus parfait. Or l’enfant dit parvenir à deux perfections différentes la perfection naturelle tant du corps que de l’âme, que l’enfant atteindra en suivant la loi naturelle, et la perfection de la grâce. La première perfection est matérielle et imparfaite au regard de la seconde. Aussi étant donné que les institutions correspondent au but auquel elles sont destinées, le mariage qui procure aux enfants la perfection naturelle restera matériel et imparfait vis-à-vis de celui qui se propose de donner aux enfants la perfection sur naturelle. Or les mariages entre infidèles et les mariages entre fidèles ont ceci de commun qu’ils procurent à l’enfant la perfection naturelle. Seuls, les seconds peuvent assurer la perfection surnaturelle. Un vrai mariage peut donc exister entre infidèles mais il n’atteint pas sa dernière perfection comme le mariage entre chrétiens

Solutions :

1. Le mariage n’est pas seulement un sacrement mais il est aussi une institution naturelle. Si les infidèles ne peuvent donc recevoir le sacrement de mariage tel que le confèrent les ministres de l’Eglise, ils contractent cependant le mariage tel que celui-ci a été institué par la nature. On peut même soutenir que le mariage des infidèles est un sacrement en puissance bien qu’il ne le soit pas actuellement parce qu’il n’est pas contracté dans la foi de l’Eglise.

2. Ce qui fait de la disparité de culte un empêchement, ce n’est pas l’infidélité, mais la diversité des croyances, car cette diversité nuit non seulement à l’éducation surnaturelle et parfaite de l’enfant, mais encore à son éducation naturelle, puisque les parents dirigeront l’enfant vers des buts différents, ce qui ne se produit pas quand les parents sont tous deux infidèles.

3. Les infidèles contractent le mariage tel qu’il a été institué par la nature. Mais l’application des lois naturelles peut être précisée par les lois positives. Si donc certaines lois positives inter disent à des infidèles d’épouser les infidèles d’un autre rite, la disparité de culte deviendra un empêchement à leur mariage. Le droit divin, en effet, ne leur interdit pas de se marier entre eux, car, devant Dieu, peu importe la façon dont on est infidèle, quand on est en dehors de la grâce. De même l’Eglise ne les empêche point de se marier entre eux, car l’Eglise ne juge point "ceux qui vivent en dehors d’elle".

4. La pudeur et les autres vertus des infidèles ne sont pas de vraies vertus, car elles ne sont pas des moyens d’atteindre la vraie béatitude. On n’appelle pas, en effet, vin véritable le liquide qui n’a pas les propriétés du vin.

5. L’infidèle ne commet pas une faute en entre tenant des relations conjugales avec sa femme, s’il rend à celle-ci le devoir conjugal pour avoir des enfants ou pour lui témoigner la fidélité qu’il lui doit : ce sont là des actes de la vertu de justice et de cette vertu de tempérance grâce à laquelle on observe les conditions requises dans les plaisirs du toucher ; de même l’infidèle ne pèche point en pratiquant les vertus politiques. On n’appelle pas d’ailleurs péché toute la vie des infidèles parce que toutes leurs actions sont des péchés, mais parce qu’ils ne peuvent être délivrés de la servitude du péché par aucun de leurs actes.

 

Article 3 — Après sa conversion, un époux peut-il conserver l’épouse infidèle qu'il avait avant sa conversion, quand celle-ci refuse de se convertir ?

Objections :

1. Un époux converti à la vraie foi ne peut pas conserver sa femme qui refuse de se convertir. Devant un même danger, en effet, on doit prendre les mêmes précautions. Or en raison du danger de perversion dans la foi, un fidèle ne peut épouser un infidèle. Mais ce même danger subsiste quand un fidèle demeure avec l’épouse infidèle qu’il avait avant sa conversion : En outre, le danger est plus grand ici, car les néophytes perdent plus facilement la foi que les personnes élevées dans la foi. Un époux converti ne peut donc demeurer avec sa femme infidèle.

2. Selon le Décret, "l’infidèle ne peut pas rester l’associé d’une épouse qui a déjà embrassé la foi chrétienne". Un fidèle doit donc renvoyer son épouse infidèle.

3. Le mariage des chrétiens entre eux est plus parfait que le mariage entre infidèles. Or si des fidèles contractent mariage malgré le degré de parenté qui les unit et malgré la défense de l’Eglise, l’Eglise annule leur mariage. De même pour les infidèles. Un époux devenu chrétien ne peut donc conserver sa femme infidèle, au moins dans un cas lorsqu’il l’a épousée alors qu’il était infidèle et qu’il lui était parent au degré prévu par l’empêchement de parenté.

4. Un infidèle peut avoir plusieurs épouses conformément aux dispositions de la loi qui le concerne. Lui permettre de conserver les femmes qu’il a épousées durant le temps de son infidélité, serait lui permettre d’avoir plusieurs épouses même après sa conversion.

5. Il peut arriver que l’infidèle après avoir renvoyé une première épouse, en prenne une seconde et se convertisse pendant son mariage avec celle-ci. Au moins dans ce cas, on ne peut pas le laisser demeurer avec sa seconde épouse après sa conversion.

Cependant :

L’apôtre saint Paul conseille au fidèle de rester avec son épouse. D’autre part, aucun empêchement survenant après le mariage ne peut le rendre nul.

Or les deux infidèles avaient contracté un mariage valide. La conversion de l’un d’eux ne rend donc pas nul ce dernier. Ils peuvent donc demeurer ensemble.

Conclusion :

La vertu de foi des époux ne porte pas préjudice au mariage, mais au contraire le rend plus parfait. Puisque les infidèles, ainsi qu’on l’a montré. Contractent un vrai mariage, la conversion de l’un d’eux à la vraie foi ne brise pas pour autant le lien matrimonial. Mais si parfois le lien subsiste, la vie conjugale de cohabitation et de devoir mutuel est rompue. A ce point de vue l’infidélité et l’adultère ont des effets semblables, car dans les deux cas, le bien de l’enfant est compromis. Aussi de même qu’un époux a le pouvoir de renvoyer ou de conserver l’épouse adultère, de même il a le droit de renvoyer ou de garder la femme infidèle. En effet, l’homme qui n’a rien à se reprocher peut rester avec l’épouse adultère dans l’espoir de la corriger (cependant il ne pourrait pas le faire si son épouse s’obstinait dans sa faute, car il aurait l’air de favoriser ce vice honteux). Toutefois il a le droit de la renvoyer, même s’il lui reste un espoir de la corriger. De la même manière, l’époux converti peut conserver l’épouse infidèle dans l’espoir de la convertir, quand il ne la voit pas obstinée dans l’infidélité. Il fait bien en restant avec elle, quoiqu’il n’y soit pas tenu c’est le conseil de saint Paul.

Solutions :

1. Il est plus facile d’empêcher une œuvre de s’accomplir que de la détruire quand elle a été faite. Aussi compte-t-on un grand nombre d’empêchements qui s’opposent à la célébration du mariage mais qui ne peuvent annuler le mariage une fois contracté. Ainsi en est-il pour l’affinité. Le cas est le même pour la disparité de culte.

2. Dans l’Eglise primitive, au temps des Apôtres, les conversions à la vraie foi s’opéraient indistinctement chez les juifs et chez les païens. Un époux chrétien pouvait donc espérer avec probabilité la conversion de son épouse, alors même que- celle-ci ne promettait pas de le faire. Mais, dans la suite des temps, les Juifs se montrèrent plus obstinés que les Gentils ; ceux-ci, en effet, continuaient à se convertir, comme il en advint à l’époque des martyrs, durant le règne de l’empereur Constantin et dans le temps qui suivit. Il était donc dangereux pour un chrétien de demeurer avec une infidèle de religion juive : il ne pouvait pas espérer la voir se convertir, tandis qu’il pouvait nourrir cet espoir pour une épouse païenne. Il était donc permis à l’époux converti de conserver une épouse païenne mais non une épouse juive, à moins que celle-ci ne promît de se convertir. Et c’est ce que déclare le canon allégué. Aujourd’hui, au contraire, juifs et païens con servent la même attitude : tous s’obstinent dans l’incroyance. Par conséquent, l’époux chrétien ne peut plus habiter avec une femme infidèle, qu’elle soit païenne ou juive, à moins qu’elle ne veuille se convertir.

3. Les infidèles non baptisés ne sont pas soumis aux lois de l’Eglise, mais doivent obéir aux lois divines. Si donc deux infidèles unis par des liens de parenté contractent mariage entre eux, alors que la loi divine le leur défendait en raison de leur degré de parenté, ils ne pourront pas rester mariés, et peu importe que l’un d’eux ou tous deux se convertissent. S’ils se sont mariés, tout en étant parents à un degré défendu par les lois de l’Eglise, ils pourront rester mariés, s’ils se convertissent tous les deux, ou bien si l’un se convertit et puisse espérer la conversion de l’autre

4. La polygamie est contraire à la loi naturelle à laquelle les infidèles eux-mêmes doivent se soumettre. Dans ce cas, l’infidèle ne contracte de vrai mariage qu’avec sa première femme. S’il se convertit et que toutes ses épouses suivent son exemple, il peut demeurer avec la première mais il doit renvoyer toutes les autres. Mais si sa première épouse refuse de se convertir et que l’une des autres accepte de le faire, l’époux a le droit de contracter un nouveau mariage avec cette dernière, comme il a le droit de se marier avec une autre. Nous reparlerons plus loin de cette question

5. Le renvoi de l’épouse est contraire à la loi naturelle. Un infidèle n’a donc pas le droit de renvoyer sa femme. Mais s’il se convertit après avoir renvoyé son épouse et en avoir pris une autre, sa situation est semblable à celle de l’homme qui avait plusieurs femmes. Il doit reprendre la première qu’il avait chassée, quand celle-ci promet de se convertir, et renvoyer les autres.

 

Article 4 — Le converti peut-il renvoyer son épouse infidèle quand celle-ci consent à continuer la vie commune sans offenser Dieu ?

Objections :

1. L’époux converti ne peut pas, semble t-il, renvoyer son épouse infidèle, quand celle-ci consent à habiter avec lui "sans offenser Dieu". Entre mari et femme existe un lien plus étroit qu’entre maître et serviteur. Or un esclave qui se convertit ne devient pas affranchi pour cela, ainsi que l’enseigne S. Paul. L’époux converti ne peut donc pas renvoyer son épouse infidèle.

2. Personne ne peut faire du tort à autrui à moins qu’autrui n’y consente. Or l’épouse infidèle avait des droits sur son mari non chrétien. Si donc du fait de la conversion de son époux, la femme pouvait subir un préjudice, celui de son renvoi, il s’ensuivrait que le mari n’aurait pas plus le droit de se convertir sans le consentement de son épouse qu’il n’a celui de recevoir les ordres ou de faire vœu de continence malgré sa femme.

3. L’esclave ou l’homme libre qui contracte mariage sciemment avec une esclave ne peut pas la renvoyer en prétextant la différence des situations. De même, quand celui qui épouse une infidèle la sait infidèle, il ne peut pas la renvoyer pour cause d’infidélité.

4. Un père doit veiller au salut de ses enfants. S’il se séparait alors de son épouse infidèle, les enfants communs resteraient à la mère en vertu de cet adage : "Les fruits reviennent à celui qui les a produits", et leur salut serait alors en péril. L’époux ne peut donc renvoyer sa femme infidèle.

5. Un homme adultère ne peut pas renvoyer sa femme elle aussi adultère, alors même qu’il aurait fait pénitence de son crime. Si donc l’infidèle et l’adultère sont soumis aux mêmes lois, un infidèle ne pourra pas renvoyer son épouse infidèle, même après sa conversion.

Cependant :

l’Apôtre saint Paul enseigne le contraire. En outre, l’adultère spirituel est plus grave que l’adultère charnel. Or ce dernier donne à l’homme le droit d’abandonner sa femme et de ne plus habiter avec elle. A plus forte raison, l’homme aura t-il ce droit dans le cas de l’infidélité qui est un adultère spirituel.

Conclusion :

Les devoirs et les avantages de l’homme varient selon son genre de vie. Aussi celui qui renonce à son ancienne manière de vivre n’est plus tenu à ses obligations antérieures. Selon ce principe, une personne, qui a fait un vœu quand elle était dans le monde, n’est plus tenue de l’accomplir, quand elle meurt au monde, en embrassant la vie religieuse. Or l’époux qui se présente au baptême est régénéré dans le Christ, et renonce à sa vie passée, en vertu de cet adage : la génération d’un être entraîne la disparition d’un autre. Il est donc libéré de l’obligation qui lui incombait de rendre le devoir à son épouse et n’est pas obligé de cohabiter avec elle, quand elle ne veut pas se convertir. Il y a cependant un cas où il reste libre de demeurer avec elle, comme on vient de le voir dans l’article précédent. L’époux converti est comme le religieux qui peut accomplir les vœux prononcés dans le monde, à condition qu’ils ne soient pas contraires à la règle, mais qui n’y est pas obligé

Solutions :

1. La condition d’esclave ne répugne pas à l’état de perfection chrétienne celle-ci n’exige-t-elle pas une très grande humilité ? Au contraire, l’état du mariage déroge quelque peu à la perfection chrétienne, car ceux qui observent la continence sont dans un état plus parfait. Il n’y a donc pas similitude entre les deux états.

En outre, chacun des époux n’est pas soumis à son conjoint comme sa propriété, tandis que l’esclave est la propriété du maître : en réalité, chaque conjoint forme avec l’autre une sorte de société, et cette association ne peut pas convenablement exister entre infidèle et fidèle, comme le remarque saint Paul. Il ne faut donc pas assimiler l’épouse à l’esclave.

2. L’épouse n’a de droits sur le corps de son mari que durant le temps où son mari conserve le genre de vie qu’il avait au moment de son mariage, car "après la mort de l’époux, dit saint Paul, la femme est affranchie de la loi vis-à-vis de son époux". Si donc le mari, après avoir renoncé au passé et embrassé un autre état de vie, s’éloigne de son épouse, il ne fait à celle-ci aucun tort.

Quant à l’entrée en religion, elle est une mort spirituelle et non pas une mort corporelle une fois le mariage consommé, l’époux ne peut donc pas entrer en religion sans le consentement de son épouse, mais il peut le faire avant la consommation du mariage, car à ce moment l’union des époux n’est encore que spirituelle. Par contre celui qui reçoit le baptême meurt aussi à la vie du corps, car "il est enseveli avec le Christ dans la mort". Il n’est donc plus obligé de rendre le devoir conjugal même après le mariage consommé.

Ou bien, peut-on dire, l’épouse subit un dom mage par sa faute puisqu’elle refuse de se convertir.

3. La disparité de culte rend une personne tout à fait inhabile à contracter mariage : il n’en est pas ainsi de l’état de servitude qui ne produit cet effet que dans le cas d’ignorance. On ne peut donc pas raisonner de la même façon pour une infidèle et pour une esclave.

4. En cas de séparation des époux, si l’enfant est parvenu à l’âge de discrétion, il peut suivre à son gré le père ou la mère. S’il est encore trop jeune c’est à son père chrétien qu’on devra le confier, bien qu’il ait encore besoin des secours de sa mère pour son éducation.

5. L’époux adultère qui fait pénitence n’embrasse pas un autre état de vie, ce que fait l’infidèle une fois baptisé. On ne peut donc pas rai sonner de la même façon.

 

Article 5 — Un époux chrétien peut-il prendre une nouvelle femme après avoir renvoyé son épouse infidèle ?

Objections :

1. Il ne le peut pas, car le mariage est indissoluble et le renvoi de l’épouse contraire à la loi naturelle. Or l’union des deux infidèles étant un vrai mariage est absolument indissoluble et, tant que subsiste le lien conjugal, un époux ne peut contracter mariage avec une autre femme. Le chrétien séparé de sa femme infidèle ne peut donc en épouser une autre.

2. Un crime commis après le mariage ne le rompt point. Or quand l’épouse infidèle consent à la vie commune sans vouloir offenser Dieu, le lien conjugal subsiste et l’époux ne peut pas faire un nouveau mariage. Et donc le péché de l’épouse, qui ne veut pas demeurer avec son mari sans offenser le Créateur, ne pourra pas rompre le lien matrimonial et permettre à l’époux de prendre une autre femme.

3. Mari et femme sont égaux en ce qui touche le lien du mariage. Puisqu’il n’est pas permis à l’épouse infidèle de se remarier du vivant de son premier mari, on ne doit pas permettre non plus à l’époux chrétien de contracter un nouveau mariage.

4. Le droit favorise davantage le vœu de chasteté que le contrat matrimonial. Or, vraisemblablement, l’époux chrétien ne peut émettre ce vœu sans le consentement de sa femme, car celle-ci serait frustrée de ses droits conjugaux quand elle viendrait à se convertir. A plus forte raison est-il défendu à l’époux de prendre une autre femme.

5. L’enfant qui demeure dans l’infidélité, après la conversion de son père, ne jouit plus de ses droits à l’héritage paternel. S’il se convertit, il les recouvre alors, même si l’héritage était devenu la propriété d’un autre. D’une façon analogue, l’épouse infidèle qui se convertirait devrait pou voir reprendre son mari, même si celui-ci avait épousé une autre femme. Or cela serait impossible si le second mariage était valide. L’époux ne peut donc pas contracter mariage avec une autre femme.

Cependant :

Le mariage n’est ratifié que par le sacrement de baptême. Or le mariage qui n’est pas ratifié peut être dissous. Une fois le lien rompu, l’époux peut donc prendre une autre femme.

En outre, un époux ne doit pas demeurer avec une femme infidèle, si celle-ci refuse de continuer la vie commune sans offenser le Créateur. S’il ne pouvait pas alors se remarier, il devrait donc observer la continence, ce qui ne semble pas à propos, car s’il en était ainsi, la conversion aurait pour lui un inconvénient.

Conclusion :

Quand l’un des deux époux se convertit et que l’autre reste dans l’infidélité, deux cas peuvent se présenter : 1° L’époux infidèle consent à vivre la vie commune sans offenser Dieu, c’est-à-dire sans provoquer l’autre à l’infidélité ; l’époux chrétien peut cependant se séparer de son conjoint infidèle, mais, en ce cas, il ne peut pas se remarier. 2° Le conjoint infidèle n’accepte la vie commune qu’avec la volonté d’offenser le Créateur, se mettant à proférer des blasphèmes et refusant d’entendre prononcer le nom du Christ, cherchant ainsi à faire tomber son conjoint dans l’infidélité, l’époux chrétien peut alors, après la séparation, contracter un nouveau mariage

Solutions :

1. Le mariage entre infidèles est un mariage imparfait, comme on l’a déjà dit. Entre fidèles, il est parfait et donc plus stable. Or un lien plus fort brise le lien moins fort qui lui résiste. Voilà pourquoi le second mariage contracté dans la religion du Christ rompt celui qui est contracté dans l’infidélité. Le mariage des infidèles n’est donc pas tout à fait ferme ni pleinement ratifié, mais il aura ces qualités grâce à la religion chrétienne

2. Le crime de l’épouse qui refuse de continuer la vie commune sans offenser le Créateur, affranchit l’époux de cette espèce de servitude qui le retenait près de sa femme et qui l’empêchait de se remarier du vivant de celle-ci. Mais cette faute ne rompt pas le mariage, car si l’épouse se convertissait et cessait ses blasphèmes avant le second mariage de son mari, celui-ci lui serait rendu. Le premier mariage n’est dissous que par le second et l’époux chrétien ne peut se remarier avant d’avoir été délivré de la servitude vis-à-vis de son épouse et par la faute de celle-ci

3. Après le second mariage du conjoint fidèle, le premier mariage est rompu des deux côtés, parce que les liens du mariage ne sont pas unilatéraux tandis que les effets peuvent l’être. Aussi l’interdiction de se remarier faite à la femme infidèle est plutôt une punition qu’une conséquence du mariage précédent. Mais si elle se convertit ensuite, on peut l’autoriser par voie de dispense à se remarier, si son mari a contracté un second mariage.

4. Si, après la conversion de l’époux, on peut espérer avec quelque probabilité que l’épousé se convertisse à son tour, l’époux ne doit pas prononcer le vœu de continence, ni contracter un nouveau mariage : car l’épouse se convertirait alors plus difficilement, en se voyant privée de son mari. Si, au contraire, rien ne fait espérer cette conversion, l’époux peut recevoir les ordres sacrés, ou entrer en religion après avoir préalablement invité sa femme à se convertir. Dans le cas où l’épouse se convertirait après que son mari aurait reçu les ordres sacrés, elle ne pourra pas exiger le retour de celui-ci, mais devra s’imputer à elle-même cette privation qui sera la peine du retard apporté à sa conversion.

5. Les liens de père à fils ne sont pas rompus par la différence de religion, les rapports matri moniaux le sont. Il n’y a donc point de parité entre l’héritier et l’épouse.

 

Article 6 — Les autres vices rompent-ils le mariage comme celui de l’infidélité ?

Objections :

1. Il semble que oui. L’adultère paraît être plus directement opposé au mariage que l’infidélité. Or il est un cas où l’infidélité brise le lien du mariage, et permet d’en con tracter un autre. N’en est-il pas de même de l’adultère ?

2. L’infidélité est une fornication spirituelle et tout péché lui ressemble sur ce point. Si l lité dissout le mariage parce qu’elle est une fornication spirituelle, les autres péchés produiront le même résultat.

3. Dans saint Matthieu il est dit "Si ta main droite te scandalise, coupe-la et jette-la loin de toi", et selon la Glose, "par ces expressions : main, œil droit, on peut entendre les frères, épouses, proches parents et enfants". Or, à l’occasion de chaque péché, ceux-ci peuvent devenir pour nous un obstacle au salut. Le mariage pourra donc être rompu à cause de n’importe quel péché.

4. L’avarice est une sorte d’idolâtrie, comme le dit saint Paul. Or le mari peut renvoyer son épouse pour cause d’idolâtrie. La même raison l’autorise donc à le faire pour cause d’avarice, et aussi pour les autres péchés plus graves.

5. C’est également l’opinion explicite du Maître des Sentences.

Cependant :

Il est dit dans saint Matthieu "Celui qui renverra sa femme, hors le cas d’impudicité, la rend adultère".

Si, d’autre part, cela était vrai, les divorces se multiplieraient tous les jours, car on rencontre rarement des personnes mariées dont l’une ne tombe pas dans le péché.

Conclusion :

La fornication corporelle et l’infidélité nuisent d’une façon spéciale aux biens du mariage, comme on l’a déjà dit. Aussi, possèdent-elles une efficacité spéciale pour rompre le mariage. Mais il faut savoir que la rupture du mariage peut viser deux choses : 1° Tout d’abord le lien conjugal. Sous ce rapport le mariage con tracté devant l’Eglise ne peut être rompu ni par l’infidélité, ni par l’adultère. Mais s’il n’a pas été contracté devant l’Eglise, le lien peut être dissous quand, un époux s’obstinant dans l’infidélité, son conjoint se convertit et contracte un nouveau mariage. Quant à l’adultère, il ne peut pas rompre le lien conjugal, sinon un infidèle pourrait renvoyer son épouse adultère et après ce renvoi épouser une autre femme, ce qui est faux. 2° Les devoirs conjugaux. De cette manière, le mariage peut être rompu par l’infidélité et l’adultère, mais non par les autres péchés, à moins que l’époux ne veuille se séparer momentanément de sa femme, afin de la punir, en la privant du bienfait de sa présence

Solutions :

1. L’adultère va plus directement que l’infidélité contre le mariage envisagé comme institution naturelle ; par contre, l’infidélité lui répugne davantage si on le considère comme sacrement de l’Eglise car sous cet aspect, le mariage jouit d’une parfaite indissolubilité, puis qu’il représente l’union indestructible du Christ et de son Eglise. Aussi le lien du mariage qui n’est pas ratifié comme sacrement peut-il être rompu plus facilement par l’infidélité que par l’adultère.

2. L’âme s’unit d’abord à Dieu par la foi et devient son épouse, comme le dit Osée "Je t’épouserai dans la foi". Pour cela, la Sainte Ecriture désigne plus spécialement, sous le nom de fornication, l’idolâtrie et l’infidélité. Ce n’est que dans une acception beaucoup plus large qu’on appelle, les autres péchés des fornications spirituelles.

3. Il faut entendre le texte de saint Matthieu en ce sens : si la femme devient pour son mari une occasion très prochaine de péché, à tel point que celui-ci ait des craintes sérieuses pour son propre salut. En ce cas, le mari est en droit de cesser la vie commune.

4. On appelle l’avarice une idolâtrie parce que toutes deux ressemblent à une servitude car l’avare, comme l’idolâtre, sert plutôt la Créature que le Créateur. Mais l’avarice ne ressemble pas à l’idolâtrie, en ce sens qu’elle serait aussi une infidélité celle-ci est un vice de l’esprit, celle-là un vice du cœur.

5. Le texte du Maître des Sentences s’applique aux fiançailles on peut les rompre, en effet, à la suite d’un crime.

Ou si on applique ce texte au mariage, on peut l’entendre d’une séparation momentanée dans la vie commune, ou bien l’appliquer au cas où l’épouse n’accepte de vivre sous le même toit qu’à la condition de pouvoir pécher et. dit par exemple : "Je ne serai ton épouse que si tu m’apportes les richesses que tu auras volées". On devrait alors renvoyer cette femme plutôt que de commettre des vols.

 

QUESTION 60 — DU MEURTRE DE L’ÉPOUSE

A propos du meurtre de l’épouse, il convient de poser deux questions : 1. Le mari peut-il en certaines circonstances tuer son épouse ? — 2. Le meurtre de l’épouse devient-il empêchement de mariage ?

 

Article 1 — Un homme peut-il tuer sa femme surprise dans l’acte d’adultère ?

Objections :

1. Il semble que oui. La loi divine, en effet, ordonne de lapider les femmes adultères. Mais obéir à cette loi n’est pas pécher. Celui qui tue sa propre épouse devenue adultère ne pèche donc point.

2. Dès lors qu’une chose est permise par la loi, elle l’est aussi pour celui qui est chargé par la loi de l’accomplir. Or il est permis à la loi de mettre à mort une femme adultère ou toute personne punissable de mort. Puisque la loi charge le mari de tuer son épouse lorsqu’il la surprend en adultère, il lui est donc permis de le faire.

3. Le mari a plus de pouvoir sur sa femme adultère que sur le complice de celle-ci. Si ce complice est un clerc et que l’époux le frappe, il n’y a pas d’excommunication. L’époux peut donc, semble t-il, frapper de mort sa femme elle-même, quand ii la surprend en adultère.

4. Un mari a le devoir de corriger son épouse. Or la correction consiste à infliger une punition juste. Mais c’est la mort que mérite justement l’adultère, crime capital. Mettre à mort une épouse adultère semble donc permis à un mari.

Cependant :

Le texte des Sentences cite ce décret : "L’Eglise de Dieu n’est jamais obligée de se conformer aux lois du monde, car elle n’a d’autre glaive que le glaive spirituel". Celui qui appartenir à l’Eglise ne doit donc pas user de la permission que lui donne la loi, c’est-à-dire la permission de tuer sa femme adultère.

D’autre part, le mari et l’épouse sont égaux. Or la femme n’a pas le droit de tuer son mari adultère le mari n’a donc pas non plus le droit de tuer sa femme dans les mêmes circonstances.

Conclusion :

Un époux peut provoquer la mort de son épouse de deux façons. 1° En la faisant comparaître d’abord devant le tribunal civil. Il n’y a aucun doute que le mari poussé bien entendu par un sentiment de justice et non pas par le désir de la vengeance ou la haine, peut sans commettre de faute accuser sa femme d’adultère devant le tribunal séculier et demander qu’on lui applique la peine de mort prévue par la loi, comme il est permis d’accuser quelqu’un d’homicide ou d’un autre crime. Toutefois on ne peut porter une telle accusation devant le tribunal ecclésiastique, car l’Eglise ne dispose point du glaive matériel, comme le dit le texte des Sentences. 2° En la frappant lui-même, alors qu’elle n’a pas été accusée en justice. Mais ni les lois civiles, ni la loi de la conscience n’autorisent l’époux à tuer ainsi sa femme, quand il ne l’a pas surprise en flagrant délit d’adultère, si certain que soit d’autre part ce crime.

En réalité, la loi civile considère comme permis le meurtre de la femme surprise en adultère, mais elle ne l’impose pas ; en fait, elle ne punit pas ce meurtre, comme elle punit l’homicide, en raison de l’intensité de la passion qui pousse l’homme à tuer ainsi son épouse.

L’Eglise, elle, n’est pas liée par les lois humaines au point de déclarer le mari excusable de la peine éternelle ou de la peine temporelle prononcée par le juge ecclésiastique, sous prétexte qu’il n’a pas été condamné devant le tribunal séculier. Le mari n’a donc jamais le droit de tuer lui-même son épouse

Solutions :

1. La loi a confié le soin d’infliger la peine prévue non pas à des simples particuliers, mais à des personnages officiels investis de ce pouvoir. Le mari n’est pas le juge de son épouse. Il ne peut donc pas la mettre à mort, mais il peut l’accuser devant le magistrat.

2. La loi civile ne donne pas au mari le pouvoir de tuer sa femme, en lui commandant d’en user, car, s’il en était ainsi, l’homme ne commettrait aucune faute en agissant de la sorte, comme ne commet aucune faute le bourreau chargé de faire mourir le voleur condamné à mort. Mais la loi tolère cette manière d’agir en n’infligeant aucune punition. D’ailleurs elle a mis à l’exercice de cet acte des conditions difficiles capables de détourner les maris de tels meurtres.

3. La raison donnée ne prouve pas la licéité du meurtre, mais l’exemption de cette peine qu’est l’excommunication.

4. Il y a deux espèces de société la société domestique, la famille,par exemple, et la société politique, la cité et le royaume. Celui qui gou verne la seconde société, tel le roi ou le juge, peut infliger une peine pour corriger le coupable ou le faire disparaître, afin d’épurer la société dont il est chargé. Mais le chef de la première société, le père de famille, n’a le pouvoir d’infliger qu’une correction qui ne doit pas être plus sévère que ne l’exige l’amendement du coupable : or la peine de mort dépasse les limites d’une correction. L’homme qui est- le chef de la femme ne peut donc pas la mettre à mort mais seulement la corriger.

 

Article 2 — Le meurtre de l’épouse est-il un empêchement de mariage ?

Objections :

1. Ce n’en est pas un. L’adultère blesse plus foncièrement la sainteté du mariage que l’homicide. Or l’adultère n’est pas un empêchement. Le meurtre de l’épouse n’en est donc pas un non plus.

2. Le meurtre d’une mère est plus grave que le meurtre d’une épouse, car il n’est jamais permis de frapper sa mère, tandis que l’on peut parfois châtier son épouse. Or le parricide n’est pas un empêchement de mariage. Le meurtre de l’épouse n’en est donc pas un.

3. Un homme pèche plus gravement en tuant l’épouse d’un autre pour cause d’adultère qu’en mettant à mort sa propre épouse, car il n’a pas l’excuse d’une passion irrésistible et il n’a pas le droit de corriger la femme des autres. Or le meurtre de l’épouse d’un autre n’empêche pas celui qui l’a commis de se marier. Il est donc de même du meurtre de la propre épouse.

4. Une fois la cause disparue, l’effet disparaît. aussi. Or la pénitence peut effacer le péché d’homicide. Elle peut donc aussi enlever l’empêchement qui provenait du péché. Après avoir fait pénitence, un mari qui a tué son épouse a donc le droit de contracter un autre mariage.

Cependant :

Un canon de l’Eglise déclare : "Ceux qui auront tué leur épouse devront faire pénitence et ne pourront plus se remarier".

L’homme, d’autre part, doit être puni par où il a péché. Celui qui met à mort son épouse doit donc être puni par la défense d’en prendre une autre.

Conclusion :

Le meurtre de l’épouse est un empêchement de droit ecclésiastique. Mais il peut avoir deux effets différents : tantôt il empêche la célébration du mariage projeté, mais n’annule pas le mariage déjà contracté : c’est le cas de l’époux qui a mis à mort son épouse à cause de l’adultère ou de la haine qu’il a pour elle. Mais la crainte de le voir manquer à la continence justifie la dispense que l’Eglise lui accorde pour un mariage ultérieur.

Tantôt le meurtre de l’épouse annule le mariage déjà contracté ainsi en est-il quand un mari tue son épouse afin de pouvoir se remarier avec sa complice dans l’adultère. Il devient alors absolument incapable de contracter avec celle-ci, et, s’il le fait, le mariage est nul. Mais il ne devient pas pour cela inhabile à épouser d’autres femmes et s’il se marie en fait avec une autre, il pèche évidemment par désobéissance aux lois de l’Eglise : son mariage toutefois ne devient pas nul de ce fait

Solutions :

1. Dans un certain cas, l’adultère et l’homicide s’opposent à la célébration du mariage et annulent celui qui existe déjà, comme on vient de le dire pour le meurtre de l’épouse, et comme on l’a déjà dit pour l’adultère.

On peut faire observer encore que le meurtre de l’épouse nuit à la nature du mariage et l’adultère à la fidélité conjugale. Aussi l’adultère ne répugne t-il pas plus au mariage que le meurtre de l’épouse : l’argument repose donc sur une erreur.

2. Absolument parlant, le meurtre d’une mère est plus grave que celui d’une épouse et plus contraire à la nature, car l’homme respecte naturellement sa mère. Il est donc plus dénaturé de tuer sa mère que de tuer son épouse. C’est afin de réprimer toute tentation de tuer leur épouse que l’Eglise interdit le mariage à ceux qui se sont rendus coupables de ce crime.

3. Celui qui tue la femme d’un autre ne porte pas atteinte à son propre mariage, comme le fait celui qui donne la mort à sa propre épouse. Le cas n’est donc pas le même.

4. Une fois la faute effacée, la peine ne doit pas nécessairement disparaître ainsi en est-il pour l’irrégularité. La pénitence, en effet, ne restitue pas au pécheur sa dignité première, bien qu’elle puisse lui rendre l’état de grâce.

 

QUESTION 61 — DE L’EMPÊCHEMENT DE VŒU SOLENNEL

Nous avons à examiner maintenant les empêchements qui surviennent après le mariage : d’abord celui qui peut survenir avant sa consommation, c’est-à-dire le vœu solennel ; puis celui qui suppose la consommation du mariage ; la fornication

Au sujet du vœu solennel, trois questions se posent 1. Un des époux peut-il, après la consommation du mariage, entrer en religion contre le gré de l’autre ? — 2. Le peut-il avant que le mariage ne soit consommé ? — 3. La femme peut-elle se remarier lorsque son époux est entré en religion avant la consommation du mariage ?

 

Article 1 — Un des époux peut-il, contre le gré de l’autre, entrer en religion après la consommation du mariage ?

Objections :

1. Il le peut. La loi divine, en effet, plus que la loi humaine, doit favoriser la vie spirituelle. Or, la loi humaine permet à l’époux d’agir ainsi. A plus forte raison la loi divine doit-elle le permettre.

2. Un moindre bien n’est pas un obstacle à un bien plus grand. Or, l’Apôtre S. Paul nous enseigne que l’état de mariage est moins parfait que l’état religieux. Le mariage ne doit donc pas être un obstacle à l’entrée en religion.

3. Dans tout ordre religieux on contracte un mariage spirituel. Il est pourtant permis de passer d’un ordre religieux à un autre plus sévère. Il est donc également possible, même contre le gré de l’épouse, de passer de l’union moins sévère du mariage charnel au mariage plus austère de la profession religieuse.

Cependant :

1. S. Paul ne veut pas que les époux s’abstiennent du mariage, même pour un temps, afin de se livrer à la prière, si ce n’est d’un commun accord.

2. En outre, on ne peut porter préjudice à autrui sans son consentement. Or, le vœu de religion émis par l’un des conjoints porte préjudice à l’autre, puisque chacun d’eux a pouvoir sur le corps de l’autre. L’un des époux ne peut donc faire profession religieuse sans le consentement de l’autre.

Conclusion :

On ne peut pas offrir à Dieu ce qui appartient à autrui. Puisque la consommation du mariage a fait du corps du mari la propriété de l’épouse, celui-ci ne peut plus l’offrir à Dieu par le vœu de continence sans le consentement de sa femme.

Solutions :

1. La loi humaine considère le mariage comme une institution naturelle, tandis que la loi divine le considère comme un sacrement, propriété d’où découle son indissolubilité absolue. Il n’y a donc pas parité

2. Il n’est pas impossible qu’un moindre bien en empêche un plus grand, s’il lui est contraire, puisque le mal lui-même peut faire obstacle au bien.

3. Dans tous les ordres religieux on contracte mariage avec une seule et même personne, le Christ, bien qu’on assume vis-à-vis de lui plus d’obligations dans un ordre que dans un autre, tandis que dans le mariage charnel et celui de la profession religieuse on ne s’unit pas avec la même personne. Il n’y a donc pas parité

 

Article 2 — Avant la consommation du mariage, un des époux peut-il entrer en religion contre le gré de l’autre ?

Objections :

1. Il ne peut agir ainsi. Le sacrement de mariage, en effet, est indissoluble, car il symbolise l’union permanente du Christ avec son Eglise. Or, dès avant la consommation, le mariage contracté par paroles de présent est le véritable sacrement de mariage. Il ne peut donc être dis sous par l’entrée en religion de l’un des époux.

2. Par le consentement exprimé par paroles de présent chaque époux donne à l’autre le droit d’user de son corps. Chacun d’eux peut donc exiger aussitôt le devoir conjugal, et, dans ce cas, l’autre doit le lui rendre. Aussi l’un des époux ne peut-il entrer en religion contre le gré de l’autre.

3. Notre Seigneur a dit "Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare point." Or, l’union qui existe avant la consommation du mariage est l’œuvre de Dieu. La volonté humaine ne peut donc pas la briser.

Cependant :

S. Jérôme nous dit que S. Jean était déjà marié lorsque le Seigneur l’appela.

Conclusion :

Avant la consommation du mariage, il n’y a entre les époux qu’une union spirituelle. La consommation y ajoute un lien charnel. Par conséquent, si la mort physique peut rompre le mariage consommé, le mariage non consommé est, lui aussi, dissous par l’entrée en religion, sorte de mort spirituelle, qui fait mourir au monde et vivre pour Dieu.

Solutions :

1. Avant sa consommation, le mariage symbolise l’union du Christ et de l’âme par la grâce, union qui est brisée par une disposition spirituelle contraire, c’est-à-dire par le péché. Le mariage consommé représente en outre l’union que le Christ a contractée avec son Eglise en assumant la nature humaine dans l’unité de personne, et cette union est absolument indissoluble.

2. Avant l’union charnelle, les époux ne possèdent pas sur le corps de leur conjoint un droit tout à fait absolu, mais un droit subordonné à cette condition que l’un d’eux ne choisira pas un état de vie meilleur. L’union sexuelle achève le transfert des droits, puisque, par elle, chacun entre en possession corporelle du pouvoir qu’ils se sont réciproquement donné. Aussi les époux qui n’ont pas encore accompli l’acte conjugal ne sont-ils pas obligés de se rendre le devoir aussitôt après la célébration du mariage ; on leur accorde, en effet, un délai de deux mois, et cela pour trois raisons d’abord, pour qu’ils puissent réfléchir sur la possibilité d’entrer en religion, puis pour permettre de faire les préparatifs nécessaires à la solennité des noces ; enfin, pour éviter que l’épouse ne paraisse d’un moindre prix au mari, si elle lui était donnée avant qu’un délai ne la lui eût fait désirer

3. Avant la consommation, l’union Conjugale est parfaite dans son être premier, mais non quant à son acte second, c’est-à-dire son opération propre, qui ressemble à la possession corporelle, et c’est pourquoi son indissolubilité n’est pas absolument parfaite

 

Article 3 — Une femme peut-elle se remarier, lorsque son épouse est entré en religion avant la consommation du mariage ?

Objections :

1. Il semble que non. En effet, ce qui est compatible avec le mariage n’en rompt pas le lien. Or, le lien conjugal subsiste lorsque les époux entrent tous deux en religion. Si l’un d’eux y entre seul, l’autre n’est donc pas affranchi pour autant du lien conjugal. Aussi, puisque tant que ce lien subsiste on n’en peut contracter un autre, la femme dont le mari entre en religion avant la consommation du mariage ne peut se remarier.

2. Après son entrée en religion, l’homme peut retourner dans le monde tant qu’il n’a pas fait profession. Si la femme avait pu se remarier dès l’entrée en religion de son époux, celui-ci pourrait aussi le faire une fois rentré dans le monde, ce qui est absurde.

3. Une nouvelle décrétale exige un délai d’un an entre l’entrée en religion et la profession, sous peine de nullité. Si l’homme revient dans son foyer après une profession nulle, sa femme sera obligée de le recevoir. Ni l’entrée en religion, ni la profession religieuse de l’époux ne donnent donc à la femme la faculté de se remarier.

Cependant :

On ne peut obliger personne à la recherche de la perfection. Or la continence est un des conseils qui conduit à la perfection. La femme n’est donc pas obligée à la continence du seul fait de l’entrée en religion de son mari. Aussi peut-elle se remarier.

Conclusion :

De même que la mort corporelle de l’époux brise le lien conjugal et permet à la femme de se remarier "avec qui bon lui semble", selon l’expression de S. Paul, de même la mort spirituelle de l’époux qui entre en religion permettra à la femme de contracter un nouveau mariage.

Solutions :

1. Quand chacun des époux prononce le vœu de continence, aucun d’eux ne renonce au lien conjugal, et celui-ci subsiste. Mais quand un seul fait ce vœu, alors, autant qu’il est en lui, il renonce au lien conjugal. Aussi son conjoint en est-il affranchi.

2. Celui qui entre en religion n’est considéré comme mort au monde que lorsqu’il a fait profession. Aussi l’épouse est-elle tenue d’attendre jusqu’à ce moment-là le retour possible de son mari.

3. Il faut porter sur la profession émise avant le temps fixé par le droit le même jugement que sur le vœu simple. Or, si après le vœu simple du mari, la femme n’est pas tenue de lui rendre le devoir conjugal, elle ne pourrait cependant un autre. Il en est de même dans le cas présent.

 

QUESTION 62 — DE L’EMPÊCHEMENT QUI PEUT SURVENIR APRÈS LA CONSOMMATION DU MARIAGE, C’EST-À-DIRE LA FORNICATION

Nous avons à nous occuper maintenant de l’empêchement qui peut se produire après la consommation du mariage, c’est-à-dire la fornication : celle-ci est un obstacle à l’accomplissement de l’acte conjugal, mais laisse subsister le lien matrimonial.

A ce sujet nous poserons six questions 1. Un mari peut-il renvoyer sa femme pour cause de fornication ? — 2. Est-il tenu de le faire ? — 3 Peut-il prendre sur lui de le faire ? — 4. Le mari et la femme jouissent-ils des mêmes droits sur ce point ? — 5. Après la séparation doivent-ils s’abstenir de contracter un nouveau mariage ? — 6. Peuvent-ils ensuite se réconcilier ?

 

Article 1 — Un mari peut-il renvoyer sa femme pour cause de fornication ?

Objections :

1. Il ne le peut. On ne doit pas rendre le mal pour le mal. Or, le mari semblerait agir ainsi en renvoyant sa femme Coupable de fornication. Cela ne lui est donc pas permis.

2. L’adultère des deux époux est plus grave que celui d’un seul. Or, quand les deux époux commettent l’adultère, la séparation ne peut avoir lieu pour ce motif. Le péché d’un seul ne pourra donc pas, lui non plus, motiver la séparation.

3. La fornication spirituelle et certains autres péchés sont plus graves que l’adultère, et pourtant ils ne sont pas des motifs suffisants de séparation. L’adultère ne pourra donc pas autoriser la séparation.

4. Le vice contre nature est beaucoup plus opposé aux biens du mariage que la fornication, qui se fait d’une manière naturelle. C’est donc ce vice, plutôt que la fornication, qui devrait être une cause de séparation.

Cependant :

1. On lit le contraire dans S. Matthieu.

2. D’autre part on n’est pas obligé de rester fidèle à celui qui ne l’est pas. Or, l’époux adultère a manqué de fidélité à son conjoint. Aussi celui-ci a t-il le droit de le renvoyer

Conclusion :

Notre Seigneur a accordé au mari le droit de renvoyer son épouse adultère afin de punir la partie qui a violé sa foi et de favoriser celle qui l’a gardée, en la dégageant de l’obligation de rendre le devoir conjugal au conjoint infidèle. On excepte cependant sept cas où il n’est pas permis de renvoyer sa femme adultère ce sont ceux dans lesquels celle-ci est exempte de faute, ou bien les deux époux sont également coupables.

Le premier cas est celui où le mari a commis lui aussi cette faute. Le second, celui où il a lui-même livré son épouse à la prostitution. Le troisième, celui où une longue absence du mari a pu amener la femme à le croire mort et que, par suite, elle s’est remariée. Le quatrième, celui où un étranger s’est introduit frauduleusement dans le lit conjugal en se faisant passer pour le mari. Dans le cinquième cas, la femme a été victime de la violence. Dans le sixième, l’époux s’est réconcilié avec sa femme adultère en accomplissant avec elle l’acte conjugal. Le septième cas est celui où, les deux conjoints ayant contracté mariage dans l’infidélité, le mari a donné à sa femme une lettre de divorce et celle-ci s’est remariée. Si les époux viennent à se convertir tous les deux, le mari est tenu de recevoir son épouse

Solutions :

1. Le mari commet une faute si c’est par vengeance qu’il renvoie son épouse.

Il est exempt de tout péché si, craignant de paraître complice, il le fait pour éviter son propre déshonneur, ou pour corriger son épouse, ou bien encore pour ne pas laisser d’incertitude sur la légitimité des enfants.

2. La séparation pour cause d’adultère suppose l’accusation faite par l’un des époux. Or on ne peut accuser personne d’un crime que l’on a commis soi-même. Aussi les époux qui ont tous deux commis l’adultère ne pourront-ils se séparer. Cela n’empêche pas que l’adultère des deux époux ne soit un plus grand péché contre le mariage que l’adultère d’un seul.

3. La fornication est directement opposée aux biens du mariage, parce qu’elle rend incertaine la légitimité des enfants, viole la foi conjugale, fausse le symbolisme du mariage, puisque l’un des époux se donne à plusieurs. Voilà pourquoi les autres péchés, même plus graves, ne sont pas des causes de séparation.

Seule parmi eux, l’infidélité, cette fornication spirituelle, porte aussi atteinte à l’un des biens du mariage, l’éducation des enfants pour le culte de Dieu, et, de ce fait, motive également la séparation. Ce n’est pourtant pas de la même façon un seul acte de fornication autorise la séparation, mais un seul acte d’infidélité ne suffit pas ; il faut une habitude révélatrice de l’obstination requise pour qu’il y ait infidélité

4. Le vice contre nature permet aussi de procéder au renvoi. Il n’en est cependant pas fait mention, soit parce que c’est une passion qui ne peut être nommée, soit parce que ce vice se rencontre plus rarement, soit parce qu’il ne rend pas incertaine la légitimité des enfants comme le fait la fornication.

 

Article 2 — Le mari est-il obligé de renvoyer sa femme coupable de fornication ?

Objections :

1. Il semble que le mari ait le devoir de renvoyer sa femme coupable de fornication. Etant le chef de la femme, il est tenu de la corriger. Or, la séparation de corps a été établie pour corriger l’épouse coupable. Le mari est donc obligé de se séparer d’elle.

2. Donner son assentiment à quelqu’un qui commet un péché mortel, c’est pécher soi-même mortellement. Or, selon le Maître des Sentences, le mari qui garde son épouse coupable de fornication semble consentir à ses désordres. Il commet donc une faute s’il ne la renvoie pas.

3. "Celui qui s’unit à une prostituée ne fait qu’un seul corps avec elle", nous dit S. Paul. Or, ajoute l’Apôtre, on ne peut être en même temps membre d’une prostituée et membre du Christ. En s’attachant à sa femme coupable de fornication le mari cesse donc d’être membre du Christ, puisqu’il pèche mortellement.

4. De même que la parenté empêche le lien conjugal, la fornication produit la séparation de corps. Or, le mari qui découvre un lien de parenté avec son épouse pèche mortellement s’il a avec elle des rapports charnels. Il en sera de même s’il a des relations avec sa femme, lorsqu’il la sait coupable de fornication.

Cependant :

1. La Glose nous dit que "le Seigneur a permis le renvoi de l’épouse pour cause de fornication". Ce n’est donc pas une obligation.

2. En outre, chacun peut toujours pardonner l’offense qu’on lui a faite. Or, l’épouse a offensé son mari en s’adonnant à la fornication. Celui-ci peut donc l’épargner et ne pas la renvoyer.

Conclusion :

Le renvoi de l’épouse coupable a été établi pour que cette peine servît à la correction de son crime. Or, une peine médicinale n’est plus nécessaire lorsque l’amendement a déjà eu lieu. Si la femme se repent de sa faute, le mari n’est donc plus obligé de la renvoyer. Mais, si elle ne se repent pas, il doit la punir, car il semblerait consentir à son péché en ne lui infligeant pas la correction qu’elle mérite.

Solutions :

1. Le renvoi n’est pas le seul moyen de corriger l’épouse coupable de fornication : on peut user aussi des réprimandes et des coups. Si la femme est disposée à se corriger sans cela, le mari n’est donc pas obligé d’user du renvoi pour obtenir son amendement.

2. Le mari semblerait consentir au péché de son épouse s’il la gardait quand elle ne renonce pas à ses fautes passées ; mais, si elle s’est amendée, ce n’est plus consentir à sa faute que de la garder.

3. L’épouse repentante ne mérite plus le nom de prostituée. Aussi, en s’unissant à elle, l’époux ne devient pas membre d’une prostituée.

On peut dire également qu’en ayant rapport avec elle, l’époux ne la considère pas comme une prostituée, mais comme son épouse.

4. 11 n’y a pas de parité entre les deux cas la consanguinité empêche la formation du lien conjugal, si bien que les rapports sexuels sont illicites ; la fornication, au contraire, ne rompt pas le lien conjugal : l’acte conjugal reste donc permis, de soi ; ce n’est que par accident qu’il pourrait devenir illicite, si, en l’accomplissant, le mari paraissait approuver les désordres de son épouse.

5. La dite permission doit s’entendre comme l’absence d’une défense. Elle ne s’oppose donc pas au précepte, puisque même ce qui est de précepte n’est pas prohibé

6. En se livrant à la fornication l’épouse ne pèche pas seulement contre son mari, mais encore contre elle-même et contre Dieu. Aussi l’époux ne peut-il lui remettre complètement la peine qu’elle a encourue que si elle s’amende.

 

Article 3 — Le mari peut-il, de sa propre autorité, renvoyer sa femme en cas de fornication ?

Objections :

1. Il ne peut, car il est permis d’exécuter sans autre jugement la sentence portée par un juge. Or Dieu, qui est un juste juge, a prononcé cette sentence que le mari pouvait renvoyer sa femme coupable de fornication. Il n’est donc pas besoin pour cela d’un autre jugement.

2. On lit dans l’évangile de S. Mathieu que "Joseph, qui était un homme juste, pensa à renvoyer secrètement Marie". Il semble donc que le mari peut se séparer de sa femme sans un jugement de l’Eglise.

3. Si le mari qui connaît le crime de sa femme continue à lui rendre le devoir conjugal, il perd le droit de l’accuser en justice. Le refus du devoir conjugal, inhérent à la séparation, doit donc précéder le jugement de l’Eglise.

4. Ce qui n’est pas susceptible de preuve ne doit pas être déféré au jugement de l’Eglise. Or, on ne peut faire la preuve du crime de fornication, puisque, lisons-nous dans le livre de Job, "l’œil de l’adultère épie le crépuscule". Le jugement de l’Eglise n’est donc pas nécessaire pour effectuer la séparation.

5. Avant l’accusation, on doit s’engager par écrit à subir la peine du talion si l’on n’arrive pas à faire la preuve. Or cela est ii ici, car, quelle que soit l’issue du procès, le mari atteindra son but, que ce soit lui qui renvoie son épouse, ou que ce soit elle qui l’abandonne. Cette cause ne doit donc pas être déférée au tribunal ecclésiastique par voie d’accusation.

6. Le mari a plus d’obligations envers sa femme qu’envers un étranger. Or, avant de dénoncer à l’Eglise le crime d’une personne, même étrangère, on doit la reprendre secrètement, comme il est dit dans S. Mathieu. A plus forte raison un époux ne peut-il dénoncer à l’Eglise le crime de son épouse avant de l’avoir secrètement admonestée.

Cependant :

1. Personne ne doit se faire justice soi-même. Or, c’est ce que ferait l’époux qui renverrait sa femme de sa propre autorité. Cela ne doit donc pas se faire.

2. D’autre part, on ne peut être juge et partie dans la même cause. Or, le mari est partie, puisqu’il attaque sa femme pour l’offense qu’elle a commise envers lui. Il ne peut donc être juge, et, par conséquent, il ne doit pas renvoyer sa femme de sa propre autorité.

Conclusion :

Le mari peut abandonner sa femme de deux manières. Dans le premier cas, il ne s’agit que d’une séparation de lit, et le mari a le droit de l’opérer de sa propre autorité, aussitôt connue avec certitude la fornication de son épouse. Il n’est plus tenu alors au devoir conjugal, à moins que l’Eglise ne l’y oblige, et, dans ce cas, il peut le rendre sans se causer aucun préjudice.

Dans le second cas, il s’agit d’une séparation de lit et d’habitation. La femme ne peut être ainsi renvoyée qu’après jugement de l’Eglise. Si elle avait été renvoyée autrement, on doit la contraindre à la cohabitation, à moins que son mari ne soit en mesure de fournir immédiatement la preuve de sa fornication. C’est à cette dernière forme de renvoi qu’on donne le nom de divorce. Il faut donc reconnaître que le divorce ne peut s’opérer qu’en vertu d’un jugement de l’Eglise

Solutions :

1. Prononcer une sentence, c’est appliquer la loi générale à un cas particulier. Or le Seigneur n’a fait que promulguer la loi, à laquelle la sentence du juge doit se conformer.

2. S. Joseph voulait renvoyer la Ste Vierge, non parce qu’il la soupçonnait de fornication, mais par respect pour sa sainteté, craignant d’habiter avec elle.

D’ailleurs le cas n’est pas le même, car à cette époque l’adultère entraînait non seulement le divorce, mais encore la lapidation, ce qui n’a pas lieu maintenant, quand la cause est jugée par l’Eglise

3. La solution est donnée dans la conclusion.

4. Quelquefois l’homme qui soupçonne sa femme lui tend des pièges pour pouvoir la surprendre avec des témoins en flagrant délit d’adultère. S’il réussit, il peut alors procéder à l’accusation.

En outre, à défaut de preuves du fait lui- même, il peut y avoir des présomptions très fortes, et, du moment qu’elles sont établies, la fornication paraît suffisamment prouvée. C’est le cas, par exemple, si l’on trouve un homme seul avec une femme seule, à des heures et dans des lieux suspects, et tous deux sans vêtements

5. Le mari peut accuser sa femme d’adultère de deux manières devant le juge ecclésiastique, pour obtenir la séparation de lit, et alors le mari ne doit pas s’inscrire à l’avance, en s’engageant à subir la loi du talion, car ainsi il atteindrait toujours son but, comme le montre l’objection. — Devant le juge séculier, pour obtenir la punition du crime le mari doit alors s’inscrire au préalable, en s’engageant à subir la peine du talion s’il n’arrive pas à faire la preuve

6. Comme le déclare la Décrétale en question, il y a trois formes de procès criminel. La première est l’inquisition il faut qu’elle soit pré cédée de la rumeur publique qui tient lieu d’accusation. La seconde est l’accusation, que doit précéder l’inscription. La troisième est la dénonciation qui ne doit venir qu’après la correction fraternelle. La parole du Seigneur s’applique au cas où l’on agit par voie de dénonciation, et non à celui où l’on procède par voie d’accusation. Il ne s’agit plus seulement alors d’obtenir l’amendement du coupable ; on se propose également de le faire punir, afin de sauvegarder le bien commun qui péricliterait si la justice venait à faire défaut.

 

Article 4 — Peut-on mettre le mari et la femme sur le pied de l’égalité dans la cause de divorce ?

Objections :

1. Il semble que non. Le divorce remplace en effet, dans la loi nouvelle, la répudiation qui existait sous la loi ancienne, comme nous le montre S. Matthieu. Or, le mari et la femme n’étaient pas mis sur le même pied, puisque le mari pouvait renvoyer sa femme, tandis que la femme ne pouvait renvoyer son mari. Pour le divorce non plus, on ne doit donc pas les mettre sur le même pied.

2. La polyandrie est plus contraire à la loi naturelle que la polygynie ; aussi celle-ci fut-elle parfois permise, tandis que la première ne l’a jamais été. L’adultère est donc un péché plus grave chez la femme que chez le mari ; aussi ne peut-on les mettre sur le pied d’égalité.

3. Plus le tort fait au prochain est considérable, et plus le péché est grand. Or, la femme adultère nuit davantage à son mari que l’homme adultère ne nuit à son épouse. En effet, le péché de la femme rend incertaine la légitimité des enfants, tandis que celui de l’homme ne produit pas le même inconvénient. Le péché de la femme est donc plus grand, et, par conséquent, on ne peut mettre les deux époux sur le pied d’égalité.

4. Le divorce est établi pour corriger le crime d’adultère. Or, il appartient davantage à l’homme qui est le chef de la femme, selon l’expression de S. Paul, de corriger son épouse, qu’à celle-ci de corriger sou mari. Les deux époux ne doivent donc pas être mis sur le pied d’égalité par rapport au divorce, mais la condition du mari doit être meilleure.

Cependant :

Il semble que ce soit la condition de l’épouse qui doive être la meilleure, car plus grande est la faiblesse du pécheur, et plus sa faute mérite le pardon. Or, les femmes sont plus faibles que les hommes. Aussi S. Jean Chrysostome déclare t-il que "la luxure est la passion propre des femmes", et Aristote dit qu’on ne peut pas, en rigueur de termes, dire que les femmes soient continentes à cause de leur inclination à la concupiscence". Les animaux, eux non plus, ne peuvent, en effet, observer la continence, parce qu’il n’y a rien en eux qui puisse s’opposer aux convoitises. On doit donc être plus indulgent pour la femme dans la peine du divorce pour la corriger. Il pèche donc plus gravement qu’elle et doit être plus sévèrement puni.

Conclusion :

Dans le procès de divorce le mari et la femme sont sur un pied d’égalité, en ce sens que ce qui est licite ou illicite pour l’un l’est également pour l’autre. Cela n’empêche pas que la cause de séparation soit plus grande chez l’un que chez l’autre, bien que suffisante chez tous les deux le divorce est en effet la punition de l’adultère, en tant qu’il est opposé aux biens du mariage. Or, en ce qui concerne le bien de la fidélité, que les époux sont également tenus de se garder réciproquement, l’adultère de l’un porte aussi gravement atteinte au mariage que l’adultère de l’autre, et est pour tous deux une cause suffisante de divorce. Mais si l’on considère le bien des enfants, l’adultère de la femme est un péché plus grave que celui du mari, et donc un motif plus fort en faveur du divorce. Chacun d’eux a donc les mêmes obligations, mais le motif de cette obligation n’a pas la même force des deux côtés. Il n’y a pourtant point en cela d’injustice, puisqu’il y a chez tous deux une raison suffisante pour motiver cette peine. C’est un cas analogue à celui de deux coupables condamnés à la même peine de mort, quoique la faute de l’un soit plus grave que celle de l’autre.

Solutions :

1. La répudiation n’était permise que pour éviter l’homicide. Comme ce crime était plus à redouter chez l’homme que chez la femme, la loi du divorce permettait à celui-ci de la renvoyer, tandis que la femme n’avait pas le droit de renvoyer son mari.

2 et 3. Les raisons alléguées se basent sur ce fait que, en raison du bien des enfants, l’adultère de la femme est un motif plus puissant de divorce que celui du mari. Il ne s’ensuit pas cependant qu’ils ne soient pas sur un pied d’égalité, comme nous l’avons montré dans la conclusion.

4. Si l’homme est le chef de la femme, en ce sens qu’il est chargé de la gouverner, il n’est cependant pas son juge, pas plus que la femme n’est juge de son mari. Aussi, dans tout ce qui réclame la procédure judiciaire, l’homme n’a pas plus de pouvoir sur sa femme que celle-ci n’en a sur son mari.

5. Dans l’adultère, on trouve tout ce qui constitue le péché de simple fornication, et quelque chose de plus qui aggrave la faute, c’est-à-dire le préjudice causé au mariage. Si l’on considère donc ce qui est commun à l’adultère et à la fornication, le péché de l’homme et celui de la femme apparaissent comme ayant entre eux un rapport de plus et de moins. Les femmes ont en effet le tempérament plus lymphatique, ce qui fait qu’elles cèdent plus facilement à la concupiscence, tandis que l’ardeur qui excite la passion est plus intense chez l’homme. Cependant absolument parlant et toutes choses égales, l’homme qui se livre à la fornication pèche plus gravement que la femme, car sa raison plus forte lui permet de mieux dominer tous les mouvements des passions corporelles.

Si l’on considère, au contraire, l’injure faite au mariage que l’adultère ajoute à la fornication et qui motive le divorce, le péché de la femme est plus grave que celui du mari, nous l’avons déjà montré. Comme ce péché est plus grave que la simple fornication, absolument parlant et toutes choses égales, la femme pèche plus gravement que l’homme en commettant l’adultère.

6. L’autorité de l’homme sur la femme est une circonstance aggravante, c’est vrai. Mais il est une autre circonstance qui aggrave davantage encore le péché, en changeant son espèce : la violation du mariage fait, en effet, de l’adultère qui introduit furtivement dans la famille les enfants d’un autre, un péché contre la justice.

 

Article 5 — Après le divorce, l’homme peut-il épouser une autre femme ?

Objections :

1. Il semble qu’il le peut. Personne, en effet, n’est tenu à la continence perpétuelle. Or, nous avons vu qu’il y a un cas où le mari a l’obligation de renvoyer pour toujours sa femme coupable de fornication. Dans cette circonstance tout au moins, il pourra se remarier.

2. On ne doit pas fournir au pécheur une occasion plus grande de pécher. Or, si l’époux renvoyé pour cause de fornication n’a pas le droit de chercher une autre union, l’occasion du péché s’offre davantage à lui. Il n’est pas probable, en effet, que celui qui n’a pu se contenir dans le mariage le puisse dans la suite. Il semble donc qu’il lui soit permis de contracter une nouvelle union.

3. L’épouse n’a pas d’autre obligation envers son mari que la reddition du devoir conjugal et la cohabitation. Or, le divorce la libère de ces deux obligations. Elle est donc affranchie de la loi du mari et peut en épouser un autre. Cette raison vaut également pour le mari.

4. On lit dans S. Mathieu "Celui qui renvoie sa femme, si ce n’est pour adultère, et qui épouse une autre femme, commet un adultère." Il semble donc que le mari n’est pas adultère s’il épouse une autre femme après avoir renvoyé la première pour cause de fornication, et par conséquent son second mariage sera valide.

Cependant :

1. S. Paul déclare "J’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur, que la femme ne se sépare point de son mari ; si elle en est séparée, qu’elle reste sans se remarier."

2. Nul ne doit d’ailleurs tirer avantage de son péché. Or, s’il était permis à l’épouse adultère de contracter un nouveau mariage plus conforme à ses désirs, elle profiterait de sa faute, et ce serait une incitation à l’adultère pour ceux qui aspirent à une autre union. Il n’est donc permis, ni au mari, ni à l’épouse, de rechercher un nouveau mariage.

Conclusion :

Rien de ce qui est postérieur au mariage ne peut le dissoudre. L’adultère ne l’empêche donc pas d’être un mariage véritable, car, comme le dit S. Augustin, "le lien conjugal subsiste tant que vivent les époux, et ni la séparation, ni l’union avec un autre, ne le peuvent rompre." Aucun époux n’a donc le droit, du vivant de l’autre, de contracter une nouvelle union.

Solutions :

1. En principe, personne n’est obligé de garder la continence, bien que, cependant des circonstances exceptionnelles puissent y contraindre. C’est le cas, par exemple, lorsque la femme est atteinte d’une maladie incurable qui rend impossible l’acte conjugal. Il en est de même lorsqu’elle est atteinte d’une manière irrémédiable de cette maladie spirituelle qu’est la fornication.

2. La honte qui résulte pour elle du divorce doit empêcher la femme de tomber dans le péché. Si cela ne suffit pas pour la retenir, c’est un moindre mal qu’elle pèche seule, que si le mari participe à sa faute.

3. Bien que la femme, après la séparation, ne soit plus tenue de rendre le devoir conjugal à son époux adultère, et d’habiter avec lui, le lien conjugal, d’où découlaient ces deux obligations, subsiste cependant. Aussi ne peut-elle pas con tracter une nouvelle union, du vivant de son mari. Elle peut cependant faire, malgré lui, le vœu de continence, à moins que l’on ne constate que l’Eglise a été trompée par de faux témoins, lorsqu’elle a prononcé la sentence de divorce. Dans ce cas, quand bien même elle aurait fait profession religieuse, la femme serait rendue à son mari et devrait lui rendre le devoir conjugal, sans pouvoir cependant l’exiger elle- même

4. L’exception mentionnée dans les paroles du Seigneur se rapporte au renvoi de la femme. L’objection repose donc sur une fausse interprétation.

 

Article 6 — Après le divorce, le mari et la femme peuvent-ils se réconcilier ?

Objections :

1. Il semble que non. Le droit contient en effet la règle suivante "Ce qui a été une fois bien défini ne doit être rétracté par aucune décision nouvelle." Or, un jugement de l’Eglise a prononcé que les époux doivent être séparés ; ils ne peuvent donc plus se réconcilier.

2. Si la réconciliation était possible, ce serait surtout, semble t-il, lorsque son épouse a fait pénitence, que le mari serait tenu de la recevoir. Or, il n’est pas tenu de le faire, car dans le jugement, la femme ne peut pas exciper de sa pénitence contre son mari qui l’accuse de fornication. La réconciliation est donc absolument impossible.

3. Si la réconciliation pouvait avoir lieu, il semble que l’épouse adultère serait obligée de rejoindre son mari lorsque celui-ci la rappelle. Or, elle n’y est pas tenue, puisqu’ils ont été séparés par un jugement de l’Eglise.

4. Si la réconciliation était possible avec la femme adultère, elle devrait surtout avoir lieu lorsque, après la séparation, le mari s’est rendu coupable d’adultère. Or, l’épouse ne peut pas, dans ce cas, le contraindre à la réconciliation, puisque le divorce a été justement prononcé. Ils ne peuvent donc se réconcilier en aucune manière.

5. Si le mari dont l’adultère est resté secret renvoie par un jugement de l’Eglise son épouse convaincue du même crime, le divorce ne semble pas juste. Cependant le mari n’est pas tenu de se réconcilier avec sa femme, puisque celle-ci ne peut prouver juridiquement l’adultère de son mari. La réconciliation est encore bien moins possible, lorsque le divorce a été justement prononcé.

Cependant :

1. S. Paul nous dit "Si l’épouse se sépare, qu’elle reste sans se remarier, ou qu’elle se réconcilie, avec son mari".

2. Le mari peut ne pas renvoyer son épouse lorsqu’elle a commis l’adultère. Pour la même raison il peut donc se réconcilier avec elle après le divorce.

Conclusion :

Lorsque, après le divorce, la femme a fait pénitence de son péché et s’est amendée, le mari peut se réconcilier avec elle. Si, au contraire, elle reste incorrigible, et persiste dans sa faute, il ne doit pas la reprendre, et cela pour la même raison qui lui interdisait de la garder quand elle refusait de renoncer à sa mauvaise conduite.

Solutions :

1. La sentence par laquelle l’Eglise prononçait le divorce n’obligeait pas à la séparation, mais autorisait à l’opérer. La réconciliation peut donc se faire sans que la sentence précédente ait besoin d’être rapportée.

2. Le repentir de l’épouse doit engager le mari à ne pas accuser son épouse adultère, ou à ne pas la renvoyer. On ne peut cependant le contraindre à agir ainsi. L’épouse ne peut pas non plus arguer de son repentir pour repousser l’accusation, car, alors même que le péché n’existe plus ni quant à l’acte, ni quant à la tache, il reste encore quelque chose de la dette qu’il a fait contracter. Si cette dette était acquittée vis-à-vis de Dieu, il resterait encore à subir la peine que doit infliger la justice humaine, car l’homme ne voit pas, comme Dieu, les dispositions du cœur.

3. Un jugement rendu en faveur de quelqu’un ne lui porte aucun préjudice. La sentence de séparation qui a été rendue en faveur du mari ne le prive donc pas du droit de demander le devoir conjugal ou de rappeler son épouse. Aussi celle-ci est-elle tenue de rendre le devoir et de revenir à son mari, s’il la rappelle, à moins qu’avec sa permission elle n’ait prononcé le vœu de continence.

4. En rigueur de droit, l’adultère commis après le divorce par le mari resté jusque là innocent n’est pas suffisant pour qu’on puisse l’obliger à recevoir son épouse adultère. Cependant d’après les règles de l’équité et en vertu de sa charge, le juge a le devoir de contraindre le mari à prendre garde au danger de son âme et au scandale du prochain. La femme, cependant ne peut demander la réconciliation.

5. Lorsque l’adultère du mari est secret, cela n’enlève pas à la femme adultère le droit d’exciper contre l’accusation de celui-ci, bien qu’elle ne puisse fournir de preuves. Le mari commet donc une faute en demandant le divorce, et si, après la sentence, sa femme demande le devoir con jugal ou la réconciliation, il doit y consentir.

 

QUESTION 63 — DES SECONDES NOCES

A ce sujet, deux questions se posent 1. Les secondes noces sont-elles permises ? — 2. Sont- elles un sacrement ?

 

Article 1 — Les secondes noces sont-elles permises ?

Objections :

1. Il semble que non. Il faut, en effet, juger des choses selon la vérité. Or, d’après S. Jean Chrysostome, "prendre un second mari c’est, en vérité, commettre la fornication". Puisque celle-ci n’est pas permise, les secondes noces ne le sont pas non plus.

2. Tout ce qui n’est pas bon n’est pas permis. Or, S. Ambroise déclare que les secondes noces ne sont pas bonnes ; elles ne sont donc pas permises.

3. On ne doit interdire à personne d'assister à ce qui est honnête et licite. Or, le Maître des Sentences rappelle qu’il est interdit aux prêtres d’assister aux secondes noces. Elles ne sont donc pas permises.

4. Point de peine sans péché. Or, ceux qui convolent à de secondes noces subissent la peine de l’irrégularité. Ces noces ne sont donc pas permises.

Cependant :

1. L’Ecriture rapporte qu’Abraham a contracté un second mariage.

2. S. Paul nous dit, par ailleurs "Je veux que les jeunes veuves se marient et aient des enfants". Les secondes noces sont donc permises.

Conclusion :

S. Paul nous enseigne que le lien conjugal ne dure que jusqu’à la mort. Il est donc détruit lorsque l’un des époux vient à mourir. Par conséquent, le mariage précédent n’empêche pas l’époux survivant d’en contracter un second. Dès lors, ce ne sont pas seulement les secondes noces qui sont permises, mais encore les troisièmes, et les suivantes

Solutions :

1. S. Jean Chrysostome parle du motif qui incite quelquefois à contracter un second mariage, c’est-à-dire de la concupiscence, qui pousse également à commettre la fornication

2. Lorsqu’on dit que les secondes noces ne sont pas bonnes, on ne veut pas dire qu’elles ne sont pas permises, mais simplement qu’elles sont dépourvues de la haute signification qu’avait le premier mariage, et qui consistait en ce qu’une seule épouse appartenait à un seul mari, de même que l’Eglise n’appartient qu’au Christ.

3. Les hommes consacrés au service divin doivent éviter non seulement ce qui est illicite, mais encore tout ce qui peut avoir une apparence déshonnête. Aussi leur interdit-on d’assister aux secondes noces, qui n’ont plus la même honnêteté que les premières. L’irrégularité ne provient pas toujours d’une faute ; elle peut provenir simplement d’un défaut de "sacrement". La raison invoquée est donc hors de propos

 

Article 2 — Le second mariage est-il un sacrement ?

Objections :

1. Il semble que le second mariage ne soit pas un sacrement. En effet, réitérer un sacrement, c’est lui faire injure. Or, on ne doit faire injure à aucun sacrement. Si le second mariage était un sacrement, on ne pourrait donc pas le réitérer.

2. Tout sacrement est accompagné d’une bénédiction. Or, on ne bénit pas les secondes noces, comme le fait remarquer le Maître des Sentences. C’est donc qu’elles ne sont pas un sacrement.

3. Il est essentiel au sacrement d’être signe. Or, dans les secondes noces ne se vérifie pas le symbolisme du mariage, puisqu’il n’y a plus union d’un seul époux avec une seule épouse, à l’image de l’union du Christ avec son Eglise.

4. Un sacrement ne peut être un obstacle à la réception d’un autre sacrement. Or les secondes noces empêchent la réception des ordres. C’est donc qu’elles ne sont pas un sacrement.

Cependant :

1. L’acte conjugal n’est pas un péché dans les secondes noces, pas plus que dans les premières. Or, trois biens justifient l’acte du mariage :

la fidélité conjugale, l’enfant et le sacrement. Le second mariage est donc bien un sacrement.

2. D’autre part, une seconde union non sacramentelle d’un homme avec une femme ne produit pas l’irrégularité, comme le prouve la fornication. Or, les secondes noces font contracter l’irrégularité. Elles sont donc un sacrement.

Conclusion :

Partout où se trouvent les éléments essentiels d’un sacrement, il y a sacrement véritable. Or, dans les secondes noces on retrouve tout ce qui est essentiel au sacrement de mariage : la matière voulue, c’est-à-dire les personnes aptes à contracter légitimement, et la forme prescrite, c’est-à-dire l’expression du consentement intérieur par des paroles de présent. Par conséquent, le second mariage est bien un sacrement, tout comme le premier

Solutions :

1. L’objection ne vaut que pour les sacrements qui produisent un effet perpétuel, leur réitération laisserait en effet supposer que la première administration n’a pas produit d’effet, ce qui serait faire injure à celle-ci. Cela est manifeste pour tous les sacrements qui impriment un caractère. Quant aux sacrements dont l’effet n’est pas perpétuel, on peut les réitérer sans irrévérence, tel, par exemple, le sacrement de pénitence. Puisque la mort brise le lien conjugal, aucune injure n’est faite au sacrement si la femme se remarie après la mort de son époux.

2. Considéré en lui-même, le second mariage est un sacrement parfait ; mais si on le compare au premier, il y a en lui un défaut de "sacrement". Il n’a, en effet, qu’un symbolisme imparfait, puisqu’il n’est plus l’union d’un seul homme et d’une seule femme, à l’image de l’union du Christ avec son Eglise.

Cela ne vaut, cependant que si ce mariage est le second pour l’homme et pour la femme, ou pour la femme seulement. Car si une jeune fille se marie avec un veuf, on lui donne la bénédiction nuptiale. Dans ce cas, en effet, la signification est conservée en quelque manière, même si l’on compare ces noces aux premières ; car, si le Christ n’a qu’une seule Eglise comme épouse, il possède cependant plusieurs épouses dans cette unique Eglise. L’âme humaine, au contraire, ne peut avoir d’autre époux que le Christ, sinon elle commet la fornication avec le démon, et cette union ne peut être un mariage spirituel. Aussi quand la femme se remarie, on ne donne pas la bénédiction nuptiale, à cause du symbolisme imparfait de ce second mariage

3. Considéré en lui-même, le second mariage jouit de sa signification parfaite, mais il n’en va plus de même si on le compare au premier. Aussi le "sacrement" est-il déficient.

4. Les secondes noces sont un empêchement à la réception de l’ordre, non parce qu’elles sont un sacrement, mais à cause de leur symbolisme déficient.

 

QUESTION 64 — DE CERTAINES QUESTIONS ANNEXES AU MARIAGE. 1° DU DEVOIR CONJUGAL

Nous avons à examiner maintenant certaines questions annexes au mariage. La première a trait au devoir conjugal, la seconde à la polygamie, la troisième à la bigamie, la quatrième à la lettre de divorce, la cinquième aux enfants illégitimes.

Au sujet du devoir conjugal, sept questions se posent : -1. Chacun des époux doit-il rendre à l’autre le devoir conjugal ? — 2. Doit-il parfois le faire lorsque l’autre ne le demande pas ? — 3. Le mari et la femme jouissent-ils des mêmes droits à cet égard ? — 4. Un époux peut-il, sans le consentement de l’autre, prononcer un vœu qui l’empêche de rendre le devoir conjugal ? — 5. Y a t-il un temps où l’on ne puisse demander le devoir ? — 6. Est-ce un péché mortel que de le demander dans un temps sacré ? — 7. Y a t-il obligation de le rendre un jour de fête ?

 

Article 1 — Chacun des époux est-il tenu de nécessité de précepte de rendre à l’autre le devoir conjugal ?

Objections :

1. Il semble qu’aucun précepte ne les y oblige. Personne, en effet, n’est écarté de la réception de l’Eucharistie pour avoir rempli un précepte. Or, nous dit S. Jérôme, celui qui rend à son épouse le devoir conjugal ne peut manger la chair de l’Agneau. Rendre le devoir conjugal n’est donc l’objet d’aucun précepte.

2. Chacun peut s’abstenir de ce qui lui est personnellement nuisible. Or, rendre le devoir à l’époux qui le demande peut parfois être nuisible à l’autre époux, soit parce qu’il est malade, soit parce qu’il l’a déjà rendu, Il semble donc permis de refuser le devoir à celui qui le demande.

3. On commet une faute en se rendant incapable d’accomplir ce qui est l’objet d’un précepte. Par conséquent, s’il y avait une obligation d’accomplir le devoir conjugal, il y aurait faute à s’en rendre incapable en jeûnant, ou en affaiblissant son corps de quelque autre manière, ce qui ne semble point vrai.

4. D’après Aristote, le mariage a pour but la procréation et l’éducation des enfants, ainsi que la communauté de vie. Or, la lèpre s’oppose à la réalisation de ces deux buts maladie contagieuse, elle dispense la femme d’habiter avec son mari lépreux, et, de plus, elle se transmet fréquemment aux enfants. Il semble donc que la femme n’est pas obligée de rendre le devoir conjugal à son époux, si celui-ci est atteint de la lèpre.

Cependant :

1. Chacun des époux est sous la dépendance de l’autre comme l’esclave sous la dépendance de son maître, comme il ressort de l’enseignement de S. Paul. Or, l’esclave est tenu par un précepte de rendre à son maître le devoir de la servitude, car l’Apôtre déclare "Rendez à chacun ce qui lui est dû, l’impôt à celui auquel on le doit, etc.". Un précepte oblige donc pareillement chacun des époux à rendre à l’autre le devoir conjugal

2. L’Apôtre dit encore que le mariage est destiné à éviter la fornication, ce qui ne pourrait être s’il n’y avait pas obligation de rendre le devoir à celui des époux qui est pressé par la concupiscence. Rendre le devoir conjugal est donc de nécessité de précepte.

Conclusion :

Le mariage a été principalement institué comme un office de nature. Aussi pour l’acte conjugal faut-il se conformer à l’impulsion de la nature, d’après laquelle la puissance nutritive ne fournit à la puissance génératrice que l’excédent de ce qui est nécessaire à la conservation de l’individu. L’ordre naturel demande, en effet, que chacun se perfectionne d’abord lui- même avant de communiquer à autrui sa propre perfection. Tel est également l’ordre de la Charité qui perfectionne la nature. Aussi, puisque le pouvoir de l’épouse sur son mari se limite à ce qui concerne la puissance génératrice, et ne s’étend aucunement à ce qui se rapporte à la conservation de l’individu, le mari est tenu de rendre à sa femme le devoir conjugal pour autant que le demande la génération de l’enfant, en veillant cependant tout d’abord au bon état de sa santé

Solutions :

1. En accomplissant un précepte on peut se rendre inapte à remplir une fonction Sacrée : ainsi, le juge qui prononce une sentence capitale devient irrégulier, bien qu’il accomplisse son devoir. Il en va de même de celui qui accomplit par devoir l’acte conjugal il devient inapte à remplir les fonctions sacrées ; non pas que cet acte soit un péché, mais à cause de son caractère charnel. Aussi, comme le dit le Maître des Sentences, S. Jérôme, dans le passage allégué, parle t-il seulement des ministres de l’Eglise, et non pas des autres personnes, que l’on doit laisser à leur propre jugement ; car elles peuvent sans péché se priver par dévotion du corps du Christ, ou bien au contraire le recevoir

2. L’épouse, avons-nous dit, n’a de pouvoir sur le corps de son mari qu’autant que le permet la santé de celui-ci. Si elle exige davantage, ce n’est plus la demande d’une chose due, mais une injuste exigence ; aussi son mari n’est-il pas tenu de la satisfaire.

3. Si l’homme ne peut plus rendre le devoir conjugal pour une raison qui découle du mariage, par exemple, si, l’ayant déjà rendu, il ne peut le faire à nouveau, sa femme n’a pas le droit de le demander encore ; en le faisant, elle agirait en courtisane plutôt qu’en épouse. Si l’impuissance du mari provient d’une autre cause, et que celle-ci soit licite, il n’est pas non plus tenu de rendre le devoir, et sa femme n’a pas le droit de l’exiger de lui. Si cette cause n’est pas licite, alors le mari commet une faute. Et si, par suite de son refus, son épouse commettait un adultère, il en serait responsable en quelque manière. Il doit donc, autant qu’il le peut, faire en sorte que son épouse reste chaste

4. La lèpre dissout les fiançailles, mais non le mariage. L’épouse doit donc rendre le devoir conjugal à son époux, même s’il est atteint par la lèpre, bien qu’elle ne soit pas obligée de cohabiter avec lui, car l’acte conjugal ne propage pas aussi rapidement le mal qu’une cohabitation habituelle. Et quand bien même naîtrait de leurs rapports un enfant malade, il vaut mieux pour lui exister ainsi que de ne pas exister du tout

 

Article 2 — Le mari est-il tenu de rendre le devoir à son épouse lorsqu'elle ne le demande pas ?

Objections :

1. Il n’y est pas tenu, car un précepte positif n’oblige qu’à un moment déterminé. Or, le moment déterminé pour la reddition du devoir ne peut être que celui o il est demandé. Le mari n’est donc pas tenu de le rendre à un autre moment.

2. On doit toujours présumer de chacun ce qui est le meilleur. Or, il est meilleur, même pour les époux, de garder la continence que d’user du mariage. A moins donc que l’épouse ne fasse une demande expresse, le mari doit présumer qu’il lui plaît de garder la continence. Il n’est donc pas obligé de lui rendre le devoir conjugal.

3. Comme la femme a pouvoir sur son mari, de même le maître sur son esclave. Or, l’esclave n’est tenu de servir son maître que lorsque celui-ci lui en donne l’ordre. Pareillement le mari n’est tenu de rendre à sa femme le devoir conjugal que lorsque celle-ci l’exige.

4. Quand la femme exige le devoir, le mari peut parfois l’en détourner par ses prières ; à plus forte raison peut-il ne pas le lui rendre, si elle ne demande rien.

Cependant :

1. Le devoir conjugal est pour la femme un remède contre la concupiscence. Or, le médecin qui a la charge d’un malade est tenu de soigner sa maladie, même si celui-ci ne le demande pas. Le mari doit donc rendre à sa femme le devoir conjugal même si elle ne le demande pas

2. Un supérieur est tenu de corriger les fautes de ses subordonnés même quand ceux-ci s’y opposent. Or, le devoir conjugal est pour l’homme un moyen d’éviter les fautes de sa femme. Il doit donc le lui rendre parfois, même si elle n’en fait pas la demande.

Conclusion :

Il y a deux façons de demander le devoir conjugal. Parfois, la demande est expresse, lorsqu’elle est exprimée par des paroles. Parfois, elle n’est qu’interprétative le mari comprend alors à certains signes que son épouse désire l’accomplissement du devoir conjugal, mais qu’elle se tait par pudeur. Lorsque sa femme ne le lui demande pas par des paroles, le mari est donc tenu de lui rendre le devoir, si quelques signes extérieurs manifestent sa volonté.

Solutions :

1. Le moment déterminé pour l’accomplissement du devoir conjugal n’est pas seulement celui où il est demandé, mais aussi celui où certains indices font redouter, s’il n’est alors rendu, le danger qu’il est destiné à prévenir.

2. Le mari peut présumer que sa femme désire garder la continence quand il ne voit chez elle aucun indice du contraire ; mais s’il en voit, cette présomption serait une sottise.

3. Le maître qui veut réclamer à son esclave les services que lui doit celui-ci n’est pas retenu par la pudeur qui empêche l’épouse de demander à son mari le devoir conjugal. Si cependant le maître ne demandait rien, par ignorance ou pour tout autre motif, l’esclave serait tenu de remplir sa fonction en cas de danger imminent. C’est ce qu’on appelle "ne pas servir à l’œil", comme le demande l’Apôtre aux esclaves.

4. Il faut une cause raisonnable pour que le mari puisse dissuader son épouse de demander le devoir conjugal, et même en ce cas, à cause du danger auquel il l’expose, il ne doit pas insister beaucoup pour la détourner de sa demande.

 

Article 3 — Le mari et la femme jouissent-ils des mêmes droits pour l’acte du mariage ?

Objections :

1. Ils ne jouissent pas des mêmes droits. L’agent est, en effet, plus noble que le patient, nous dit S. Augustin. Or, dans l’acte conjugal, l’homme joue le rôle actif, tandis que la femme reste passive. Il n’y a donc pas égalité de droits.

2. La femme n’est tenue de rendre le devoir conjugal que si son mari le demande. L’homme, au contraire, nous venons de le voir, doit parfois le rendre même si sa femme ne le demande pas. Il n’y a donc pas parité.

l’homme, puisqu’on lit dans la Genèse : "Faisons- lui une aide semblable à lui". Or, celui pour qui un autre a été fait, est toujours supérieur à ce dernier.

4. L’acte conjugal est la fin principale du mariage. Or, dans le mariage, l’homme est le chef de la femme, nous dit S. Paul. Les époux ne sont donc pas égaux dans l’acte conjugal.

Cependant :

1. S. Paul nous dit : "Le mari n’a plus de droits sur son propre corps", et il en dit autant de l’épouse. Ils sont donc égaux dans l’acte conjugal.

2. En outre, le mariage est une relation d’équipollence, puisqu’il est Une union, comme nous l’avons déjà vu. L’homme et la femme sont donc égaux dans l’acte conjugal.

Conclusion :

Il y a deux sortes d’égalités, l’égalité de quantité et l’égalité de proportion. La première existe entre deux quantités de même mesure, par exemple entre deux longueurs de deux coudées chacune. La seconde, entre deux proportions de même espèce, par exemple entre le double et le double. Si on parle de la première égalité, on ne peut pas dire que l’homme et la femme soient égaux dans le mariage, ni dans l’acte conjugal, où le rôle le plus noble appartient au mari, ni dans le gouvernement domestique, où l’homme gouverne et la femme obéit. Si on parle, au contraire, de l’égalité de proportion, alors l’homme et la femme sont égaux sur ces deux points. De même, en effet, que le mari est tenu envers son épouse à remplir son rôle, aussi bien dans l’acte conjugal que dans le gouvernement de la maison, de même la femme est tenue envers son mari à remplir le sien. Voilà pourquoi le texte des Sentences déclare que les époux sont égaux pour rendre et demander le devoir conjugal

Solutions :

1. Bien qu’il soit plus noble d’agir que de pâtir, il y a cependant la même proportion entre le patient et l’action de pâtir qu’entre l’agent et l’action. Sous ce rapport il y a donc égalité de proportion entre les deux époux.

2. Cela est accidentel, car le mari, qui a la part la plus noble dans l’acte conjugal, est ainsi fait qu’il ne rougit pas autant que la femme de le demander. C’est pourquoi l’épouse n’a pas la même obligation de rendre le devoir conjugal, si son mari ne le demande pas, que ce dernier si sa femme ne lui adresse aucune demande

3. Le texte de la Genèse montre que les deux époux ne sont pas absolument égaux, mais non pas qu’il n’y a entre eux aucune égalité de proportion.

4. Si la tête est le membre principal du corps, elle a cependant un rôle à remplir à l’égard des autres membres, tout comme ceux-ci a son égard. Il y a donc ici encore égalité de proportion.

 

Article 4 — Le mari et la femme peuvent-ils, sans le consentement l’un de l’autre, faire un vœu contraire au devoir conjugal ?

Objections :

1. Il semble qu’ils le peuvent, car l’obligation du devoir pèse également sur le mari et sur l’épouse. Or, il est permis au mari, même si son épouse s’y oppose, de prendre la croix pour aller délivrer la Terre Sainte. L’épouse peut donc le faire aussi. Puisque ce vœu empêche de rendre le devoir conjugal, l’un des époux peut donc, sans le consentement de l’autre, faire un vœu qui lui soit contraire.

2. Pour faire un vœu, point n’est besoin d’attendre le consentement de qui ne peut le refuser sans péché. Or, un époux ne peut sans péché s’opposer à ce que son conjoint prononce le vœu perpétuel ou temporaire de continence, car empêcher le progrès spirituel, c’est pécher contre le Saint Esprit. L’un des époux peut donc, sans le consentement de l’autre, prononcer le vœu de continence, soit perpétuel, soit seulement temporaire.

3. L’acte conjugal requiert l’accomplissement du devoir, mais aussi sa demande. Or, l’un des époux peut, sans le consentement de l’autre s’engager par vœu à ne pas demander le devoir, puisque cela dépend de lui. Pour la même raison, il peut donc faire vœu de ne pas le rendre.

4. Nul ne peut être forcé par un ordre de son supérieur à faire ce qu’il ne serait pas permis de promettre par vœu et d’accomplir, car on ne doit pas obéir dans les choses illicites. Or, un supérieur pourrait prescrire à un mari de s’abs tenir momentanément de l’acte conjugal, en l’occupant à quelque service. Le mari pourrait donc, lui aussi, accomplir et promettre par vœu ce qui l’empêcherait de rendre le devoir conjugal.

Cependant :

1. On lit dans la première épître de S. Paul aux Corinthiens "Ne vous refusez pas l’un à l’autre, si ce n’est d’un commun accord et pour un temps, afin de vaquer à la prière".

2. D’autre part, personne ne peut faire du bien d’autrui l’objet d’un vœu. Or, le mari n’est pas le maître de son corps ; il appartient à sa femme. Par conséquent il ne peut, sans son consentement, faire le vœu perpétuel ou temporaire de continence.

Conclusion :

Le vœu, comme son nom l’indique, est un acte de volonté. Il ne peut donc avoir pour objet que ce qui dépend de notre volonté, ce qui n’est pas le cas de tout ce qui est déjà l’objet d’une obligation envers autrui. En pareille matière, on ne peut faire un vœu sans le consentement de celui envers qui on est engagé. Par conséquent, puisque les époux ont l’obligation réciproque de se rendre le devoir conjugal, ce qui rend impossible la pratique de la continence, aucun d’eux ne peut faire le vœu de continence sans le consentement de son conjoint. Faire un tel vœu, ce serait commettre une faute, et l’époux coupable ne devrait pas accomplir sa promesse, mais faire pénitence pour l’avoir prononcée indûment.

Solutions :

1. Il est assez probable qu’il y a obligation pour l’épouse de vouloir garder momentanément la continence s’il le faut pour subvenir aux besoins de l’Eglise universelle. Aussi, pour favoriser les croisades, a t-il été décidé que le mari pourrait prendre la croix sans le consentement de sa femme, de même qu’un vassal pourrait, sans ce consentement, porter les armes pour le seigneur dont il tient son fief. L’épouse n’est pas pour cela absolument frustrée de son droit, car elle peut suivre son mari. Il ne faut d’ailleurs pas assimiler l’épouse au mari, car, puisque le mari doit diriger l’épouse, alors que la réciproque n’est pas vraie, il y a une obligation plus grande pour la femme de suivre son mari que pour le mari de suivre sa femme. De plus la chasteté de la femme serait bien plus en danger que celle du mari dans de pareils voyages, et il en résulterait moins d’avantages pour l’Eglise. Aussi la femme ne peut-elle pas faire ce vœu sans le consentement de son mari

2. Celui des époux qui ne veut pas consentir au vœu de continence de son conjoint ne commet aucune faute, car ce refus n’a pas pour but d’empêcher le bien de l’autre, mais d’éviter un préjudice personnel.

3. Il y a sur ce point deux opinions. Selon certains, un époux peut se passer du consentement de l’autre pour faire le vœu de ne pas demander le devoir conjugal, mais non pour faire celui de ne pas le rendre ; pour le premier, en effet, chacun d’eux ne dépend que de lui-même, mais il n’en est pas de même pour le second. Cependant si l’un des époux ne demandait jamais le devoir, le mariage deviendrait trop onéreux pour le conjoint qui devrait toujours subir la confusion de le demander ; aussi d’autres auteurs enseignent-ils, et leur opinion est plus probable, qu’aucun des époux ne peut faire un tel vœu sans le consentement de l’autre.

4. De même que le pouvoir de l’épouse sur le corps de son mari ne porte pas préjudice aux devoirs de celui-ci envers son propre corps, de même laisse t-il intacts les devoirs qu’il a envers son maître. Aussi, de même que l’épouse ne peut demander à son mari le devoir conjugal lorsque ce serait contraire à sa santé, elle ne le peut pas davantage lorsque cette exigence l’empêcherait de remplir ses obligations envers son maître. En dehors de ce cas, le maître ne peut pas l’empêcher de rendre le devoir conjugal.

 

Article 5 — Est-il défendu de demander le devoir conjugal les jours de fêtes ?

Objections :

1. Cela semble permis. C’est, en effet, quand une maladie s’aggrave qu’il faut lui appliquer le remède approprié. Or, il peut se faire que la concupiscence devienne plus violente un jour de fête. Il faut donc alors y apporter remède en demandant le devoir conjugal.

2. La seule raison qui s’oppose àla demande du devoir conjugal les jours de fêtes, c’est que ceux-ci sont consacrés à la prière. Or, il y a ces jours-là des heures fixées pour la prière. Le reste du temps on peut donc demander le devoir.

Cependant :

Certains lieux sont sacrés à cause de leur destination sainte ; de même, pour la même raison, il y a des temps qui sont sacrés. Or, il n’est pas permis de demander le devoir conjugal dans un lieu sacré ; il ne l’est donc pas davantage un jour sacré.

Conclusion :

Bien qu’il soit exempt de culpabilité, l’acte conjugal, qui affaiblit la raison par suite du plaisir charnel qu’il provoque, rend l’homme inapte aux choses spirituelles. Il n’est donc pas permis de le demander les jours où l’on doit vaquer principalement aux exercices spirituels

Solutions :

1. Ces jours-là, on peut employer d’autres moyens pour apaiser la concupiscence, la prière, par exemple, et beaucoup d’autres pratiques- de ce genre, auxquelles ont également recours ceux qui gardent la continence perpétuelle.

2. Si on n’est pas obligé de prier à chaque heure du jour de fête, on doit cependant se tenir toute la journée en état je le faire.

 

Article 6 — commet-on un péché mortel en demandant le devoir conjugal un jour de fête ?

Objections :

1. Il semble que S. Grégoire raconte, en effet, qu’une femme qui vint un matin à la procession, après avoir eu des relations avec son mari pendant la nuit, fut brusquement saisie du démon. Or, il n’en eût pas été ainsi, si elle n’avait pas commis un péché mortel.

2. Désobéir à- un précepte divin, c’est pécher mortellement. Or, lorsque les Israélites furent sur le point de recevoir la loi, le Seigneur leur donna cet ordre : "Ne vous approchez pas de vos épouses". A plus forte raison y aurait-il faute mortelle à s’approcher de son épouse au moment ou il faut s’appliquer aux choses saintes de la loi nouvelle.

Cependant :

Aucune circonstance n’aggrave le péché à l’infini. Or, la non convenance du temps est une circonstance. Elle n’aggrave donc pas le péché à l’infini, jusqu’à rendre mortel ce qui ne serait qu’une faute vénielle.

Conclusion :

Demander le devoir conjugal un jour de fête n’est pas une circonstance qui change l’espèce du péché : elle ne peut donc pas l’aggraver à l’infini. Aussi n’y a t-il pas faute mortelle pour le mari ou pour la femme à demander le devoir conjugal un jour de fête. La faute sera cependant plus grave, si la demande est faite uniquement en vue du plaisir, que si elle provient de la crainte d’une faute charnelle

Solutions :

1. La femme dont parle S. Grégoire ne fut pas punie pour avoir accompli le devoir conjugal, mais pour avoir ensuite participé témérairement aux divins offices, en agissant contre sa conscience.

2. Le texte cité ne prouve pas qu’il y aurait faute mortelle à avoir des rapports conjugaux, mais seulement que ce serait inconvenant. La loi ancienne, destinée à des hommes charnels, con tenait beaucoup de préceptes relatifs à la pureté du corps, dont il n’est plus question dans la loi nouvelle qui est la loi de l’esprit.

 

Article 7 — Y a t-il obligation de rendre le devoir conjugal un jour de fêle ?

Objections :

1. Il semble que non. L’Apôtre nous dit en effet que ceux qui commettent le péché et ceux qui y consentent méritent la même peine. Or, celui qui rend le devoir conjugal cotisent à la faute de celui qui le demande. Il pèche donc lui aussi.

2. Un précepte positif nous oblige à prier, et à consacrer ainsi à la prière un temps déterminé. On ne doit donc pas rendre le devoir conjugal au moment où l’on est tenu de prier, pas plus qu’au moment où l’on a l’obligation de rendre à son maître temporel un service spécial.

Cependant :

S. Paul dit aux époux : "Ne vous refusez pas l’un à l’autre, si ce n’est d’un commun accord, et pour un temps, etc.". Il y a donc obligation de rendre le devoir conjugal lorsque l’autre conjoint le demande.

Conclusion :

L’épouse a pouvoir sur le corps de son mari en ce qui regarde l’acte générateur, et réciproquement. Ils sont donc tenus de se rendre l’un à l’autre le devoir conjugal en tout temps et à toute heure, en respectant cependant la décence qui convient en cette matière, car il ne convient pas de le rendre aussitôt en public

Solutions :

1. Dans cette circonstance, autant qu’il est en lui, l’époux qui rend le devoir ne consent pas au péché d’autrui ; il accorde malgré lui, et avec peine, ce qu’exige son conjoint ; aussi ne commet-il aucune faute. A cause des dangers de la passion charnelle, la loi divine demande en effet de rendre toujours le devoir à celui qui le demande, pour ne pas lui donner une occasion de péché.

2. Il n’y a pas d’heure tellement déterminée pour la prière qu’on ne puisse remplir cette obligation à un autre moment. L’objection n’est donc pas décisive.

 

QUESTION 65 — DES BIGAMES.

Il nous faut traiter maintenant de la polygamie. A ce sujet, cinq questions se posent : 1. La polygamie est-elle contraire à la loi naturelle ? — 2. A-t-elle été parfois permise ? — 3. La loi naturelle interdit-elle d’avoir une concubine ? — 4. Est-ce un péché mortel que d’avoir rapport avec elle ? — 5. A t-il été parfois permis d’en avoir une ?

 

Article 1 — La polygamie est-elle contraire à la loi naturelle ?

Objections :

1. Il ne le semble pas. La coutume, en effet ne prescrit pas contre la loi naturelle. Or, selon S. Augustin, cité par le Maître des Sentences, la polygamie n’était pas un péché, quand la coutume l’autorisait. La loi naturelle ne défend donc pas d’avoir plusieurs épouses.

2. Agir contre la loi naturelle, c’est agir contre un précepte, puisque, comme toute loi écrite, la loi naturelle se formule en préceptes. Or, le fait d’avoir plusieurs épouses n’était contraire à aucun précepte, nous dit S. Augustin, car aucune loi ne le défendait. La polygamie n’est donc pas contraire à la loi naturelle.

3. Le mariage a pour but principal la pro création des enfants. Or, un homme peut avoir des enfants de plusieurs femmes. La loi naturelle ne s’oppose donc pas à la pluralité des épouses.

4. Est de droit naturel ce que la nature enseigne à tous les animaux, selon la définition donnée au début du Digeste. Or, la nature n’enseigne pas la monogamie aux animaux, puisqu’en de nombreuses espèces animales un seul mâle s’unit à plusieurs femelles. Il n’est donc pas con traire au droit naturel d’avoir plusieurs épouses.

5. Selon Aristote, le mâle remplit dans la génération le rôle de l’agent vis-à-vis du patient, ou celui de l’artisan vis-à-vis de la matière. Or, il n’est aucunement contraire à l’ordre naturel qu’un principe actif -agisse sur plusieurs sujets, ou qu’un artisan travaille sur diverses matières. Par conséquent, la loi naturelle ne s’oppose pas à ce qu’un homme ait plusieurs épouses.

Cependant :

1. Ce qui paraît surtout appartenir au droit naturel, c’est ce que l’homme a reçu au moment de sa création. Or, à ce moment là, il a été établi que la femme serait l’épouse d’un seul homme, car il est dit dans la Genèse : "Ils seront cieux dans une seule chair". La monogamie est donc bien de droit naturel.

2. Ce serait, d’autre part, aller contre la loi naturelle que de s’obliger à l’impossible, ou de donner à quelqu’un ce qu’on a déjà donné à un autre. Or, l’homme qui prend femme lui donne pouvoir sur son corps, - si bien qu’il est obligé de lui rendre le devoir conjugal lorsqu’elle le demande. La loi naturelle s’oppose - donc à ce qu’il cède ensuite à une autre ce droit sur son corps, car il serait dans l’impossibilité de leur rendre à toutes deux le devoir conjugal, si elles le demandaient en même temps.

3. D’ailleurs, la loi naturelle ne dit-elle pas Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas que l’on vous fasse à vous-mêmes. Or, le mari ne voudrait à aucun prix que sa femme eùt un autre mari. Il irait donc lui-même à l’encontre de la loi naturelle en prenant une seconde femme.

4. Enfin, tout ce qui est contraire à un désir naturel va contre la loi de nature. Or, la jalousie du mari pour son épouse, et celle de l’épouse pour son mari, sont des sentiments naturels, puisqu’on les retrouve chez tous. Puis donc que "-la jalousie est un amour qui ne supporte pas le partage de l’objet aimé", il paraît contraire à la loi naturelle que plusieurs épouses aient un seul mari.

Conclusion :

Il y a dans tous les êtres de la nature des principes qui leur permettent non seulement d’exécuter leurs opérations propres, mais encore de les adapter à leur fin, que ces actions procèdent d’un être en raison de son genre ou en raison de son espèce : l’aimant, par exemple, a la propriété de se porter en bas en vertu de son genre, et d’attirer le fer en raison de son espèce.

Dans les êtres qui agissent sous l’empire d’une nécessité de nature, les principes d’action sont les formes elles-mêmes, et les opérations propres qui en procèdent sont adaptées à leur fin. De même, chez les êtres doués de connaissance, les principes d’action sont la connaissance et l’appétit. Il faut donc qu’il y ait dans la puissance cognitive une conception naturelle, et dans la puissance appétitive une inclination naturelle, grâce auxquelles l’opération qui convient au genre ou à l’espèce soit adaptée à sa fin.

Parmi les animaux l’homme a ceci de particulier qu’il connaît la notion de fin et le rapport des opérations à leur fin. Aussi a t-il reçu une connaissance naturelle qui le dirige pour agir convenablement, et qu’on appelle loi naturelle, ou droit naturel, alors que chez les autres animaux on lui donne le nom d’estimative naturelle. Les bêtes, en effet, sont poussées par une force naturelle à accomplir les actions qui leur conviennent, plutôt qu’elles ne sont réglées comme si elles agissaient de leur propre initiative.

La loi naturelle n’est donc pas autre chose que la connaissance naturellement donnée à l’homme, qui lui permet de se diriger pour agir d’une manière qui lui convienne dans toutes ses actions propres, que ces actions lui appartiennent en raison de son genre, comme celles d’engendrer, de manger, et autres opérations semblables, ou en raison de son espèce, comme le raisonnement et les opérations analogues. Par contre, on appelle contraire à la loi naturelle tout ce qui rend une action inadaptée à la fin que poursuit la nature dans une opération quelconque.

Cette action peut ne pas être proportionnée soit à la fin principale, soit à la fin secondaire, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, peut se réaliser de deux manières. Dans le premier cas, cela provient d’un obstacle qui rend absolument impossible la fin poursuivie ; ainsi, une excessive abondance ou le défaut de nourriture empêchent la santé corporelle, but principal de la manducation, et aussi la bonne disposition nécessaire pour gérer ses affaires qui en est la fin secondaire. Dans le second cas, l’obstacle n permet d’atteindre que difficilement ou d’une manière moins convenable la fin principale ou la fin secondaire. C’est le cas du dérèglement dans la nourriture ; lorsqu’on ne la prend pas en temps opportun.

Lorsqu’une action ne convient pas à la fin parce qu’elle empêche absolument la réalisation de la fin principale, elle est directement interdite par la loi naturelle, en vertu des premiers principes de cette loi, qui jouent vis-à-vis des actes le rôle des principes premiers de l’esprit dans le domaine de la spéculation. Si, au contraire, une action ne convient pas à la fin secondaire de quelque manière que ce soit, ou même à la fin principale parce que, à cause d’elle, la réalisation en est plus difficile ou obtenue d’une manière moins convenable, cette action est interdite, non pas par les premiers préceptes de la loi naturelle, mais par les préceptes seconds, qui dérivent des premiers, à la manière dont, dans l’ordre spéculatif, les conclusions tirent leur certitude de principes évidents par eux-mêmes ; et c’est à ce titre que l’on déclare cette action contraire à la loi naturelle.

Or, le mariage a pour fin principale la procréation et l’éducation des enfants. Cette fin convient à l’homme en raison du genre auquel il appartient. Aussi Aristote remarque t-il qu’elle lui est commune avec les autres animaux. C’est pour cela que l’enfant est rangé parmi les biens du mariage. Aristote remarque, en outre, que, chez les hommes seuls, le mariage a pour fin secondaire la mise en commun des travaux nécessaires à la vie. C’est pour cela que les époux se doivent une fidélité réciproque, qui est un des biens du mariage. Le mariage entre chrétiens a encore une autre fin, qui est de symboliser l’union du Christ et de l'Eglise, et c’est pourquoi le sacrement est également compté parmi les biens du mariage.

La première fin convient donc au mariage de l’homme considéré comme animal, la seconde à l’homme en tant qu’homme, la troisième en tant que chrétien.

La pluralité des épouses ne supprime pas complètement, ni même n’empêche en quelque façon, la fin première du mariage, puisqu’un seul mari suffit pour féconder plusieurs épouses et élever leurs enfants. Par contre, si elle n’est pas un obstacle absolu à la fin secondaire du mariage, elle en gêne cependant considérablement la réalisation. La paix peut, en effet, difficilement régner dans une famille où plusieurs épouses sont unies à un seul mari, car il ne pourra pas les satisfaire toutes selon leur désir. D’autre part, la collaboration de plusieurs personnes à une même fonction engendre des querelles. "Comme les potiers se disputent entre eux", ainsi font les femmes d’un seul époux. Quant à la troisième fin du mariage, la polygamie la supprime totalement, puisque, comme le Christ est un, l’Eglise elle aussi est une.

De tout ce qui vient d’être dit, il résulte donc que la polygamie est contraire à la loi naturelle sous un rapport, et ne lui est pas opposée sous un autre

Solutions :

1. La coutume ne saurait prévaloir contre la loi naturelle, lorsqu’il s’agit de ses premiers préceptes qui sont l’équivalent des premiers principes dans l’ordre spéculatif. Mais s’il s’agit des principes qui en découlent comme des conclusions, la coutume, au dire de Cicéron, en augmente ou en diminue la portée. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient le précepte de la loi naturelle concernant l’unicité d’épouse.

2. Comme le dit Cicéron, "la crainte des lois et la religion ont apporté une sanction aux choses établies par la nature et confirmées par la coutume". Il est donc évident que celles des intimations de la loi naturelle qui ne sont que des conclusions dérivées des premiers principes n’ont de force coactive par manière de précepte qu’après avoir été sanctionnées par la loi divine et humaine. C’est ce que veut dire S. Augustin lorsqu’il déclare que les polygames ne violaient pas les préceptes de la loi, puisqu’aucune loi n’interdisait la polygamie.

3. La réponse à la troisième objection ressort de ce qui précède.

4. L’expression "droit naturel" a plusieurs acceptions. Tout d’abord, on appelle droit naturel, en raison de son principe, celui qui est établi par la nature. C’est la définition qu’en donne Cicéron lorsqu’il écrit : "Le droit naturel est celui qui n’est pas le produit de l’opinion, mais qu’une force innée a mis en nous".

Dans l’ordre de la nature, on appelle naturels certains mouvements, non parce qu’ils proviennent d’un principe intrinsèque, mais parce qu’ils pro viennent d’un principe supérieur jouant le rôle de moteur, C’est ainsi qu’Averroès appelle naturels les mouvements qui, dans les éléments, pro-- viennent de l’influence des corps célestes. Pour le même motif, on range dans le droit naturel ce qui est de droit divin, puisque cela provient de l’action et de l’influence d’un principe supérieur qui est Dieu. C’est ainsi que l’entend S. Isidore lorsqu’il dit que le droit naturel est celui qui est contenu dans la loi et l’Evangile.

Le droit naturel peut enfin tirer son nom, non seulement de son principe, mais aussi de la nature, lorsqu’il a pour objet les choses naturelles. Puisque la nature se distingue par opposition de la raison qui donne à l’homme sa caractéristique propre, si l’on prend l’expression de droit naturel dans son sens le plus strict, on n’appellera pas. droit naturel ce qui concerne uniquement les hommes, lors même que cela serait dicté par la. raison naturelle. On réservera ce nom à ce que- dicte la raison naturelle touchant ce qui est commun à l’homme et aux autres animaux. On aboutit alors à la définition déjà donnée : le droit naturel est ce que la nature a appris à tous les animaux.

Quoique la polygamie ne soit pas contraire au droit naturel entendu dans ce troisième sens, elle est cependant contraire au droit naturel entendu dans le second sens, puisque le droit divin l’a prohibée. Elle est également opposée au droit naturel entendu selon sa première acception, et ce que nous avons dit dans le corps de l’article le montre bien. La nature, en effet, commande à chaque animal d’agir de la façon qui convient à son espèce. C’est pour cela que certains animaux, dont les petits ont besoin pour être élevés des soins conjugués du mâle et de la femelle, conservent par instinct naturel l’union d’un seul mâle à une seule femelle, comme on le voit chez la tourterelle, la colombe et autres animaux semblables.

Mais comme les arguments apportés en sens contraire semblent prouver que la polygamie est opposée aux premiers préceptes de la loi naturelle, il faut également leur apporter une réponse.

5. La nature humaine a été créée sans aucun défaut. Elle a donc reçu non seulement ce qui est absolument requis pour l’obtention de la fin principale du mariage, mais aussi ce qui est nécessaire pour que cette fin puisse être obtenue sans difficulté. Aussi suffit-il à l’homme, au moment de sa création, d’avoir une seule épouse.

6. Par le mariage, le mari ne donne pas à son épouse un pouvoir absolu sur son corps, mais un p limité à ce qu’exige le mariage. Or celui-ci, pour réaliser sa fin principale, le bien de l’enfant, ne requiert pas qu’à n’importe quel moment le mari rende le devoir conjugal à la requête de sa femme, mais seulement qu’il le fasse d’une manière suffisante à provoquer la conception. Envisagé au contraire comme remède à la concupiscence, et c’est là sa fin secondaire, le mariage exige que le devoir conjugal soit en tout temps rendu à celui qui le demande. Il est donc clair que, si l’on considère la fin principale du mariage, le mari qui prend plusieurs épouses ne s’oblige pas à l’impossible. La polygamie n’est donc pas contraire aux premiers préceptes de la loi naturelle.

7. Ce précepte de la loi naturelle : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse à vous-mêmes, doit s’entendre : toutes proportions gardées. Si un supérieur ne veut pas, en effet, qu’un de ses sujets lui résiste, il ne s’ensuit pas que lui-même ait l’obligation de ne pas résister à celui-ci. Il ne résulte donc pas du précepte en question que, si l’époux ne veut pas que sa femme ait un second mari, lui-même ne puisse avoir une autre épouse. Qu’un homme ait plusieurs épouses, cela ne va pas contre les premiers préceptes de la loi naturelle, nous l’avons déjà dit ; mais qu’une femme ait plusieurs maris, cela leur est opposé. Par là en effet, sous un certain rapport est totalement supprimé, et, sous un autre est notablement compromis, le bien de l’enfant, fin principale du mariage. Par bien de l’enfant il faut entendre, en effet, non seulement sa procréation, mais aussi son éducation. Or, si la polyandrie ne rend pas la génération complètement impossible, puisque, selon la remarque d’Aristote, la fécondation est quelquefois suivie d’une superfétation, elle lui est cependant très nuisible, car il est difficile que ne se produise pas la corruption des deux fétus, ou tout au moins de l’un deux. Quant à l’éducation, elle est rendue totalement impossible, car, si une femme avait plusieurs maris, on ne pourrait plus savoir avec certitude quel est le père de l’enfant, et cependant les soins du père sont nécessaires pour assurer l’éducation de celui-ci. C’est pour cela qu’aucune loi ni coutume n’ont jamais autorisé la polyandrie, tandis qu’elles ont parfois permis la polygamie

8. L’inclination naturelle dans la faculté appétitive suit la conception naturelle dans la con naissance. Or, l’union d’un homme avec plusieurs épouses n’est pas aussi opposée à la conception naturelle que l’union d’une femme avec plusieurs maris. C’est pour cela que l’épouse n’éprouve pas autant de répugnance à voir son mari appartenir à d’autres femmes que n’en éprouverait le mari à voir sa femme appartenir à d’autres hommes. De là vient que, aussi bien chez l’homme que chez les animaux, on constate une plus grande jalousie du mâle vis-à-vis de la femelle que de la femelle vis-à-vis du mâle.

 

Article 2 — La polygamie a t-elle pu parfois être permise ?

Objections :

1. La polygamie n’a jamais pu être permise. Aristote ne dit-il pas, en effet, que le droit naturel conserve toujours et partout la même force. Or, nous l’avons vu le droit naturel interdit la polygamie. Puisque celle-ci n’est pas permise maintenant, c’est donc qu’elle ne l’a jamais été.

2. Si la polygamie a parfois été permise, ce n’a pu être que parce qu’elle était légitime en soi, ou bien par suite d’une dispense. Mais si elle avait été autrefois légitime, elle le serait encore aujourd’hui. Par ailleurs, il n’est pas possible qu’elle ait fait l’objet d’une dispense. Comme le dit en effet S. Augustin, Dieu, auteur de la nature, ne fait rien de contraire aux principes qu’il y a lui-même inscrits. Puis donc que Dieu a mis dans notre nature qu’une seule femme devait appartenir à un seul mari, il n’a jamais donné de dispense sur ce point.

3. Quand une chose devient licite par dispense, ce n’est que pour ceux auxquels est accordée la dispense. Or, on ne lit dans la loi aucune dispense accordée communément à tous. Par conséquent, puisque, sous l’ancien Testament, tous ceux qui le voulaient prenaient plusieurs épouses, sans encourir pour autant aucun blâme de la Loi ni des Prophètes, il ne semble pas que cela ait été permis en vertu d’une dispense.

4. Partout où existe la même cause de dispense, on doit dispenser de la même manière. Or, il ne peut y avoir d’autre cause de dispense que la multiplication des enfants pour le culte divin, multiplication qui est encore nécessaire à l’heure actuelle. Cette dispense durerait donc encore, d’autant plus qu’on ne lit nulle part qu’elle ait été révoquée.

5. Dans la dispense, on ne doit pas omettre un plus grand bien pour un moindre bien. Or la fidélité et le sacrement, qui semblent ne pouvoir subsister dans, le mariage qui unit un seul homme à plusieurs femmes, sont des biens supérieurs à la multiplication des enfants. La dispense dont il s’agit n’aurait donc pas dû être accordée pour favoriser cette multiplication.

Cependant :

1. S. Paul déclare que la loi a été établie à cause des prévaricateurs, afin de les réprimer. Or la loi ancienne mentionne la polygamie sans faire allusion, à ce sujet, à aucune prohibition. On lit, par exemple, dans le Deutéronome "Si un homme a deux femmes, etc.". En ayant deux femmes, on n’était donc pas prévaricateur. Par conséquent, c’est que cela était permis.

2. On peut d’ailleurs tirer la même conclusion de l’exemple des patriarches dont plusieurs, d’après l'Ecriture, étaient polygames, et qui furent néanmoins très agréables à Dieu, tels Jacob, David et plusieurs autres. C’est donc que la polygamie a été parfois permise.

Conclusion :

Nous venons de le voir, la polygamie est contraire, non pas aux premiers préceptes de la loi naturelle, mais aux préceptes secondaires qui sont comme des conclusions découlant des premiers. Puisque les actes humains varient nécessairement avec les situations diverses des, personnes, avec les époques comme aussi avec les autres circonstances, il s’ensuit que ces conclusions ne découlent pas des premiers préceptes de la loi naturelle d’une manière tellement rigoureuse qu’elles doivent s’appliquer toujours ; elles ne s’appliqueront que dans la plupart des cas. Il en est d’ailleurs ainsi de toute la morale, comme nous le montre Aristote dans ses Ethiques. Aussi quand les circonstances infirment ces conclusions, on peut licitement passer outre. Cependant, comme il n’est pas facile de déterminer ces changements de circonstances, il appartient à celui dont l’autorité donne à la loi toute sa force de permettre de ne pas l’observer dans les cas auxquels son efficacité ne doit pas s’étendre. C’est à cette permission qu’on donne le nom de dispense.

Or, la loi qui prescrit de n’avoir qu’une seule épouse n’est pas une loi humaine, mais une loi divine ; jamais elle n’a été donnée verbalement ni par écrit, mais elle est imprimée dans le cœur, comme tout ce qui tient en quelque manière à la loi naturelle. Aussi Dieu seul a t-il pu en dispenser, par une inspiration intérieure. Cette inspiration a été reçue surtout par les patriarches et par leur exemple elle s’est communiquée aux autres hommes, à l’époque où il fallait ne pas observer ce précepte de la nature pour favoriser la multiplication des enfants destinés au culte de Dieu. Toujours, en effet, il faut rechercher la fin principale avant la fin secondaire. La fin principale du mariage étant le bien des enfants il a fallu, à l’époque où leur multiplication était nécessaire, négliger momentanément l’obstacle qui pouvait gêner l’obtention des fins secondaires, obstacle dont la suppression est précisément, comme nous l’avons vu, le but de la loi qui interdit la polygamie

Solutions :

1. De sa nature, le droit naturel a toujours et partout la même puissance. Accidentellement, cependant, par suite d’un obstacle, il peut subir quelques changements, à telle ou telle époque, ici ou là, comme le montre Aristote par l’exemple qu’il emprunte à d’autres choses naturelles toujours et partout la main droite est naturellement plus habile que la main gauche ; accidentellement il arrive, cependant que tel ou tel est ambidextre, car notre nature est sujette à ces variations. Il en est de même pour la justice naturelle, comme l’observe encore Aristote.

2. Il est dit dans une décrétale que jamais il ne fut permis d’avoir plusieurs épouses, sans une dispense donnée par inspiration divine. Cette dispense, cependant n’est pas contraire aux principes que Dieu a inscrits dans la nature, mais les transcende, puisque, nous l’avons vu, ces principes ne sont pas destinés à trouver toujours leur application, mais seulement dans la plupart des cas. De même ne sont pas contraires à la nature les événements miraculeux qui s’y produisent parfois en dehors des règles coutumières.

3. Telle la loi, telle doit être la dispense de la loi. Puisque la loi naturelle n’est pas promulguée par écrit, mais inscrite dans les cœurs, il n’était donc pas nécessaire que la dispense des préceptes de la loi naturelle fût donnée par une loi écrite il suffisait d’une inspiration intérieure.

4. L’avènement du Christ inaugure l’ère de la plénitude de sa grâce, par laquelle le culte de Dieu s’est répandu dans toutes les nations par une propagation spirituelle. Il n’y a donc plus la même raison de dispenser qui existait avant la venue du Christ, alors que le culte de Dieu se multipliait et se conservait par la propagation charnelle.

5. En tant que bien du mariage, l’enfant implique la foi envers Dieu, car si l’enfant est rangé dans les liens du mariage, c’est parce qu’on envisage son éducation en vue du culte divin. Or, la foi due à Dieu l’emporte sur la fidélité envers l’épouse, qui est un des liens du mariage, et sur la signification qui appartient au sacrement, car cette signification est ordonnée à la connaissance de la foi. Il n’y a donc aucun inconvénient à ce que, pour assurer le lien de l’enfant, on cause un préjudice aux deux autres biens.

Ces biens ne sont d’ailleurs pas supprimés complètement. La fidélité subsiste à l’égard de plusieurs épouses, et le bien du sacrement subsiste également en quelque façon. Si, en effet, on ne retrouve plus signifiée l’union du Christ avec l’Eglise en tant qu’elle est une, la pluralité des épouses symbolise la hiérarchie des degrés dans l’Eglise, hiérarchie qui existe non seulement dans l’Eglise militante, mais aussi dans l’Eglise triomphante. Ainsi les mariages des polygames représentaient l’union du Christ, non seulement avec l’Eglise militante, comme le disent certains, mais aussi avec l’Eglise triomphante, dans laquelle se trouvent plusieurs demeures.

 

Article 3 — La loi naturelle interdit-elle d’avoir une concubine ?

Objections :

1. Le concubinage ne paraît pas contraire à la loi naturelle, car les préceptes cérémoniels ne font pas partie de cette loi. Or, les Actes des Apôtres placent la défense de commettre la fornication parmi les préceptes cérémoniels de la loi imposés momentanément aux païens convertis. La simple fornication, qui consiste à avoir rapport avec une concubine, n’est donc pas contraire à la loi naturelle.

2. Comme le dit Cicéron, le droit positif découle du droit naturel. Or, le droit positif n’interdit pas la fornication : bien plus, les lois antiques con damnaient les femmes coupables à être livrées aux lieux de prostitution. Avoir une concubine n’est donc pas contraire à la loi naturelle.

3. La loi naturelle ne défend point de donner d’une façon passagère et avec restriction ce que l’on peut donner d’une manière absolue. Or, une femme non mariée peut donner pour toujours à un homme célibataire pouvoir sur son corps, en sorte qu’il puisse en user licitement lorsqu’il lui plaira. La femme n’agit donc pas contre la loi naturelle si elle donne pouvoir sur son corps pour un temps limité.

4. Quiconque use de son bien comme il l’entend ne fait injure à personne. Or, la servante appartient à son maître. Si donc le maître en use selon son bon plaisir, il ne fait injure à personne. Avoir une concubine n’est donc pas contraire à la loi naturelle.

5. Chacun peut donner à autrui ce qui lui appartient. Or, l’épouse a pouvoir sur le corps de son mari. Si l’épouse y consent le mari pourra donc, sans péché, s’unir à une autre femme.

Cependant :

1. Toutes les lois considèrent les enfants nés d’une concubine comme infâmes. Il n’en serait pas ainsi, si les rapports qui leur ont donné naissance n’étaient pas naturellement honteux. Il est donc contraire à la loi naturelle d’avoir une concubine.

2. Le mariage, en outre, est une institution naturelle. Cela ne serait pas si l’homme pouvait s’unir à une femme en dehors du mariage sans enfreindre la loi naturelle. Il est donc contraire â la loi naturelle d’avoir une concubine.

Conclusion :

Une action est contraire à la loi naturelle quand elle ne convient pas à la fin voulue, soit parce que l’agent ne l’ordonne pas à cette fin, soit parce qu’elle ne lui est pas proportionnée. Or, la fin poursuivie par la nature dans l’union charnelle est la procréation et l’éducation de l'enfant c'est pour que ce bien fut recherché qu’elle a attaché un, plaisir à l’acte charnel, nous dit Constantin. Quiconque use du commerce charnel pour le plaisir qui y est attaché, sans le référer à la fin que la nature a en vue, agit donc contre la nature. Il en va de même lorsqu’il s’agit de relations sexuelles qui ne sont pas susceptibles d’être ordonnées à cette fin d’une manière convenable. Comme la plupart du temps les choses tirent leur nom de ce qui est le meilleur, de même que l’union matrimoniale a reçu son nom du bien des enfants, ainsi le mot de concubine exprime cette union dans laquelle l’acte sexuel est recherché pour lui-même.

Quand bien même par ces rapports de concubinage on se proposerait d’avoir des enfants, cela ne serait cependant pas convenable au bien de l’enfant, car il faut entendre par là non seulement la procréation qui lui donne l’existence, mais aussi l’éducation et l’instruction qui lui assurent la nourriture et la formation ; ce sont les trois obligations des parents envers leurs enfants, nous dit Aristote dans les Ethiques. Comme les parents doivent à l’enfant cette éducation et cette instruction pendant un long laps de temps, la loi naturelle exige que le père et la mère demeurent longtemps ensemble, pour subvenir en commun aux besoins de l’enfant. C’est pour cette raison que les oiseaux qui nourrissent ensemble leurs petits ne rompent pas l’union commencée au moment de l’accouplement avant que ceux-ci ne soient complètement élevés. Or, c’est cette obligation de la cohabitation de la femme avec son mari qui constitue le mariage. Il est donc évident qu’il est contraire à la loi naturelle d’avoir des rapports charnels avec une femme qui ne vous est pas unie par les liens du mariage, et que l’on appelle une concubine

Solutions :

1. Chez les païens, la loi naturelle était obscurcie sur beaucoup de points. Aussi ne considéraient-ils pas comme une faute les rapports sexuels avec une concubine, mais, à l’occasion, se livraient à la fornication comme à une chose permise, ainsi d’ailleurs qu’à d’autres pratiques opposées aux lois cérémonielles des Juifs, bien que non interdites par la loi naturelle. Aussi les Apôtres ont-ils inséré la prohibition de la fornication parmi des préceptes cérémoniels à cause de la différence qui existait sur ces deux points entre les Juifs et les Gentils

2. La loi dont il est question provient non pas de l’instinct de la loi naturelle, mais des ténèbres dans lesquelles étaient tombés les Gentils en ne rendant pas à Dieu la gloire qui lui est due, comme dit S. Paul dans l’épître aux Romains. Aussi quand la religion chrétienne vint à pré valoir, cette loi fut-elle abrogée.

3. En certains cas, il n’y a pas plus d’inconvénient à donner d’une manière absolue à un autre ce dont on a la propriété, qu’à le donner pour un temps aucune de ces manières d’agir ne s’oppose alors à la loi naturelle. Il n’en va pas de même dans le cas présent. Aussi l’argument n’est-il pas concluant.

4. L’injustice est contraire à la justice. Or, la loi naturelle interdit non seulement l’injustice, mais aussi ce qui est opposé à toutes les vertus celui qui, par exemple, mange d’une façon immodérée, agit contrairement à la loi naturelle, bien que, en usant de ce qui lui appartient, il ne commette d’injustice envers personne. De plus, si la servante appartient à son maître pour ce qui a trait à son service, elle ne lui appartient cependant pas à titre de concubine. Ajoutons que la manière dont chacun use de ce qui lui appartient a une grande importance. Le concubinaire commet, en effet, une injustice vis-à-vis de l’enfant qui naîtra de ces rapports, puisque, nous l’avons dit, une pareille union ne pourvoit pas suffisamment au bien de l’enfant.

5. L’épouse a pouvoir sur le corps de son mari, non pas d’une façon pure et simple et en toutes choses, mais uniquement en ce qui a trait au mariage. Elle ne peut donc pas, contrairement au bien du mariage, livrer à une autre le corps de son mari.

 

Article 4 — Est-ce un péché mortel que d’avoir rapport avec une concubine ?

Objections :

1. Il semble qu’avoir des rapports charnels avec une concubine ne soit pas un péché mortel. Le mensonge, en effet, est un péché plus grave que la fornication nous en avons une preuve dans la conduite de Juda qui ne recula pas devant la fornication avec Thamar et qui, néanmoins, refusa de mentir en disant : "Elle ne pourra certainement pas m’accuser de mensonge". Or, le mensonge n’est pas toujours un péché mortel, la fornication non plus, par conséquent.

2. Le péché mortel doit être puni de mort. Or, la loi ancienne ne punissait de mort le concubinage que dans un cas déterminé. C’est donc que cette action n’est pas un péché mortel.

3. Selon S. Grégoire, les péchés de la chair sont moins graves que les péchés de l’esprit. Or, l’orgueil ou l’avarice, péchés de l’esprit, ne sont pas toujours des péchés mortels, la fornication non plus, par conséquent, qui est un péché de la chair.

4. Plus la tentation est grande, moins le péché est grave, car celui-là pèche plus grièvement qui se laisse vaincre par une tentation plus faible. Or, la concupiscence nous pousse très fortement aux délectations charnelles. Puisqu’un acte de gourmandise n’est pas toujours un péché mortel, la fornication ne le sera pas non plus.

Cependant :

1. Seul le péché mortel exclut du royaume de Dieu. Or, les fornicateurs en sont exclus, nous dit l’Apôtre. C’est donc que la fornication est un péché mortel.

2. De plus, seuls les péchés mortels sont appelés crimes. Or, on donne ce nom à la fornication. Nous lisons, en effet, dans le livre de Tobie : "Garde-toi de toute fornication et qu’en dehors de ton épouse, ta conscience ne te reproche jamais aucun crime".

Conclusion :

Comme on l’a déjà vu dans la deuxième partie, sont, de leur espèce, des péchés mortels, les actions qui brisent le lien d’amitié entre l’homme et Dieu et entre l’homme et ses semblables, car elles sont opposées aux deux préceptes de la charité, qui est la vie de l’âme. Par conséquent, puisque les relations concubinaires détruisent le rapport nécessaire entre parents et enfant que la nature a en vue dans l’acte sexuel, il est indubitable que, de sa nature, la fornication est un péché mortel, lors même qu’aucune loi écrite ne l’interdirait

Solutions :

1. Souvent l’homme qui n’évite pas le péché mortel échappe à un péché véniel auquel il n’est pas si fortement poussé. C’est ainsi que Juda évita le mensonge, tout en commettant la fornication. Ce mensonge, cependant eût été pernicieux, puisqu’une injustice s’en serait suivie si Juda n’avait pas donné ce qu’il avait promis.

2. Le péché mortel est ainsi nommé, non parce qu’il est puni de la mort temporelle, mais parce qu’il est puni de la mort éternelle. Aussi les lois ne punissent-elles pas toujours de mort le vol, qui est un péché mortel, et bien d’autres fautes. Il en est de même de la fornication.

3. Tous les mouvements d’orgueil ne sont pas des péchés mortels, ni, non plus, tous les mouvements de luxure. Les premiers mouvements de luxure, en effet, ainsi que ceux des passions analogues, sont des péchés véniels, et parfois même il en est ainsi de l’acte conjugal. Il y a cependant des actes de luxure qui sont des péchés mortels, alors que certains mouvements d’orgueil ne sont que des péchés véniels. Dans le passage cité, S. Grégoire fait porter la comparaison établie entre les vices sur leur espèce, et non pas sur chaque acte en particulier.

4. La circonstance la plus aggravante est celle qui tient de plus près à l’espèce d’un péché. Aussi, bien que la force du penchant diminue la gravité de la fornication, celle-ci cependant, à cause de sa matière, reste plus grave qu’un désordre dans le manger, car elle a pour objet ce qui doit resserrer les liens de la société humaine. Aussi l’argument n’est-il pas concluant.

 

Article 5 — A t-il été parfois permis d’avoir une concubine ?

Objections :

1. Il semble qu’il y eut un temps où il était permis d’avoir une concubine. La loi naturelle prescrit, en effet, tout autant de n’avoir qu’une seule épouse que de ne pas avoir de concubine. Or, il fut permis pendant un temps d’avoir plusieurs épouses. Il l’était donc aussi d’avoir une concubine.

2. Une femme ne peut être à la fois esclave et épouse. Aussi, d’après la loi, dès là qu’un maître épousait son esclave, du fait même il la rendait libre. Or, l’Ecriture nous rapporte que les plus grands amis de Dieu eurent des rapports charnels avec leurs esclaves, tels Abraham et Jacob. Celles-ci n’étaient donc pas leurs épouses, ce qui prouve qu’il fut parfois permis d’avoir des concubines.

3. Le mari ne peut pas renvoyer la femme qu’il a prise pour épouse, et son fils doit avoir part à l’héritage. Or, Abraham renvoya Agar et son fils n’eut pas de part à l’héritage. C’est donc qu’Agar n’était pas l’épouse d’Abraham.

Cependant :

1. Ce qui est contraire au Décalogue n’a jamais été permis. Or, on ne peut avoir une concubine sans désobéir à ce précepte du Décalogue : "Tu ne commettras pas d’adultère". Celui-ci ne fut donc jamais permis.

2. S. Ambroise dit, en outre, dans son livre sur les patriarches que "ce qui n’est pas permis à la femme n’est pas non plus permis à l’homme". Or, il n’a jamais été permis à la femme de délaisser son mari pour avoir des rapports avec un autre homme. A l’homme non plus, par conséquent, il n’a jamais été permis d’avoir une concubine.

Conclusion :

Maimonide prétend qu’avant l’époque de la loi la fornication n’était pas un péché, et il cite comme preuve les rapports de Juda avec Thamar. Cette raison n’est pas convaincante. Il n’est pas nécessaire, en effet, d’excuser de péché les fils de Jacob, puisqu’ils furent accusés auprès de leur père d’un crime détestable et qu’ils ont consenti au meurtre ou à la vente de Joseph.

Il faut donc dire que, du moment que la loi naturelle interdit d’avoir une concubine qui ne vous est pas unie par les liens du mariage, cela ne fut permis en aucun temps, ni de soi, ni par dispense. Nous l’avons vu, en effet, les rapports sexuels avec une femme qui n’est pas votre épouse ne sont pas de nature à procurer le bien de l’enfant, qui est la fin première du mariage. Ils sont donc contraires aux premiers préceptes de la loi naturelle, qui n’admettent pas de dispense.

Aussi, chaque fois qu’on lit dans l’Ancien Testament que des personnages qu’il faut excuser de péché mortel ont eu des concubines, il faut l’entendre de femmes qui leur étaient réellement unies par les liens du mariage, et auxquelles on donne le nom de concubines parce qu’elles tenaient à la fois de l’épouse et de la concubine. En effet, en raison du rapport du mariage avec sa fin principale, le bien de l’enfant, l’épouse, nous l’avons dit, est unie à son époux par un lien indissoluble, ou au moins de longue durée, et sur ce point il n’y a pas de dispense possible. Mais en regard du but secondaire du mariage, c’est-à-dire du gouvernement de la famille et de la mise en commun des activités, la femme est unie à son mari comme une compagne. C’est ce qui manquait à celles qu’on appelle concubines. Sur ce dernier point la dispense était possible, puisqu’il ne s’agissait que de la fin secondaire du mariage. Sous ce rapport elles ressemblaient donc aux concubines, et c’est ce qui leur en fit donner le nom

Solutions :

1. La polygamie n’est pas contraire aux premiers préceptes de la loi naturelle. Il en est autrement du concubinage. Aussi l’argument n’est-il pas concluant.

2. En vertu de la dispense qui leur permettait d’avoir plusieurs épouses, les anciens patriarches avaient dans leurs rapports avec leurs servantes une affection de mari. Elles étaient, en effet, leurs épouses en regard du but principal du mariage. Elles ne l’étaient plus, par contre, si l’on considère l’union que réclame la fin secondaire du mariage. A cette union s’oppose la condition d’esclave, puisqu’on ne peut être à la fois compagne et esclave

3. Comme nous le verrons plus loin, afin d’éviter le meurtre de l’épouse, la loi mosaïque permettait, par dispense, de donner une lettre de divorce. C’est en vertu d’une dispense ana logue qu’Abraham put chasser Agar, symbolisant par 1à le mystère dont parle S. Paul dans son épître aux Galates. Si le fils d’Agar n’eut aucune part à l’héritage d’Abraham, cela également est symbolique, comme le montre l’Apôtre dans le même passage. Mystérieux également le fait qu’Esaü, fils d’une femme libre, fut privé de son héritage, comme le montre l’épître aux Romains. Mystère encore le fait que les fils de Jacob, qu’ils soient nés de femmes libres ou d’esclaves, eurent tous part à l’héritage paternel. C’est qu’en effet, nous dit S. Augustin, le baptême engendre des enfants au Christ aussi bien par l’intermédiaire des bons ministres, symbolisés par les femmes libres, que par celui des mauvais, représentés par les esclaves.

 

QUESTION 66 — DE LA BIGAMIE ET DE L’IRRÉGULARITÉ QUI EN RÉSULTE.

A ce sujet cinq questions se posent : -1. La bigamie qui consiste à avoir eu successivement deux épouses entraîne-t-elle l’irrégularité ? — 2. Celui qui, en même temps ou successivement, a eu deux femmes, l’une légitime et l’autre non, encourt-il l’irrégularité ? — 3. Encourt-on l’irrégularité en épousant une femme qui a perdu sa virginité ? — 4. Le baptême supprime t-il l’empêchement de bigamie ? — 5. Est-il permis de dis penser un bigame ?

 

Article 1 — La bigamie qui consiste à avoir eu successivement deux épouses entraîne-t-elle l’irrégularité ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, la multiplicité et l’unité suivent l’être. Par con séquent l’être et le non-être ne produisent aucune multiplicité. Or, celui qui a successivement deux femmes, lorsqu’il possède l’une, n’a plus l’autre. Il reste donc l’époux d’une seule femme, condition exigée par S. Paul pour l’épiscopat.

2. C’est une plus grande preuve d’incontinence de commettre plusieurs fornications successives que d’avoir successivement plusieurs femmes. Or, dans le premier cas on n’encourt pas d’irrégularité ; dans le second non plus, par conséquent.

3. Si la bigamie produit l’irrégularité, c'est en raison ou du sacrement, ou de l’union charnelle. Ce ne peut être en raison du sacrement en effet, s’il en était ainsi, celui qui a contracté mariage par des paroles de présent avec une femme qui vient à mourir avant qu’il n’ait eu avec elle des rapports conjugaux deviendrait irrégulier en contractant un nouveau mariage, ce qui est con- traire à une décrétale du pape Innocent III. Ce ne peut être non plus à cause de l’union charnelle, car alors celui qui a commis la fornication avec plusieurs femmes serait irrégulier, ce qui est faux. D’aucune façon, par conséquent, la bigamie ne produit l’irrégularité.

Conclusion :

Par le sacrement de l’ordre on est constitué ministre des sacrements. Il faut donc que celui qui a charge d’administrer aux autres les sacrements ne souffre lui-même d’aucun défaut relatif aux sacrements. Or, il y a défectuosité dans un sacrement lorsque celui-ci n’a pas son entière signification. Le sacrement de mariage symbolisant l’union du Christ avec l’Eglise, union par conséquent d’un seul époux avec une unique épouse, il est nécessaire pour la signification parfaite de ce sacrement que l’époux n’ait qu’une seule femme, et que l’épouse n’ait qu’un seul mari. Voilà pourquoi la bigamie, qui empêche qu’il en soit ainsi, produit l’irrégularité.

Il y a quatre sortes de bigamie. La première suppose le mariage successif avec plusieurs épouses légitimes. La seconde consiste dans la possession simultanée de plusieurs femmes, l’une légitime, l’autre non. La troisième se réalise lorsqu’on a successivement plusieurs femmes, dont une seule est légitime. La quatrième, lorsqu’on épouse une veuve. Dans tous ces cas on contracte l’irrégularité.

On donne encore une autre raison, qui découle de la précédente. Chez ceux qui reçoivent le sacrement de l’Ordre doit, en effet, resplendir la plus grande spiritualité, soit parce qu’ils administrent des choses spirituelles, les sacrements, soit parce qu’ils enseignent une doctrine spirituelle, soit enfin parce que leur vie doit être occupée de choses spirituelles. Or, il n’y a rien de plus opposé à la spiritualité que la concupiscence, par laquelle l’homme tout entier devient charnel. Aussi faut-il que chez eux n’apparaisse aucun signe d’une concupiscence permanente comme celle qui se manifeste chez les bigames qui n’ont pas voulu se contenter d’une seule femme. La première raison est pourtant la meilleure

Solutions :

1. La multiplicité qui résulte de la possession simultanée de plusieurs femmes est une multiplicité pure et simple. Elle est donc absolument opposée à la signification sacramentelle, et c’est pourquoi elle détruit le sacrement lui-même. La pluralité successive des épouses, au contraire, ne produit qu’une multiplicité relative. Elle ne détruit donc pas totalement la signification sacramentelle et ne fait pas disparaître ce qui est essentiel au sacrement elle en altère seulement la perfection qui est exigée chez les dispensateurs des sacrements.

2. Si les fornicateurs donnent des marques d’une concupiscence plus grande, celle-ci n’est cependant pas aussi persistante, puisque la fornication ne crée aucun lien perpétuel entre ceux qui s’y livrent. Il n’y a donc pas là de défaut dans le symbolisme sacramentel.

3. Comme nous l’avons déjà dit, la bigamie produit l’irrégularité parce qu’elle empêche la signification parfaite du mariage, qui consiste dans l’union des âmes produite par le consentement, et dans l’union des corps. Ces unions sont requises toutes deux pour qu’existe la bigamie cause d’irrégularité. La décrétale d’innocent III, lorsqu’elle enseigne que le seul consentement donné par paroles de présent suffit pour produire l’irrégularité, déroge donc à la doctrine enseignée ici par le Maître des Sentences.

 

Article 2 — La bigamie qui consiste dans la possession simultanée ou successive de deux épouses l’une le l’autre illégitimes, produit-elle l’irrégularité ?

Objections :

1. Il ne semble pas. Là, en effet, où il n’y a pas de sacrement, il ne peut y avoir défaut de "sacrement". Or, lorsqu’un homme s’unit irrégulièrement à une femme, il n’y a pas là de sacrement, puisque cette union rie symbolise pas celle du Christ avec son Eglise. Par con séquent, puisque la bigamie ne produit l’irrégularité qu’à raison du défaut de "sacrement", il ne semble pas que cette espèce de bigamie produise une irrégularité.

2. L’homme qui a des rapports charnels avec la femme qu’il épouse de manière irrégulière commet une fornication s’il n’est pas marié, un adultère s’il a déjà une épouse. Or, le partage de sa chair entre plusieurs par la fornication ou l’adultère ne produit pas d’irrégularité ; cette espèce de bigamie non plus, par conséquent.

3. Il arrive parfois qu’avant de consommer le mariage avec la femme qu’il épouse légitimement, un homme contracte une union irrégulière avec une autre femme et ait avec elle des rapports charnels, soit après la mort de la première, soit même de son vivant. Cet homme a bien contracté mariage avec plusieurs, de droit ou de fait, et cependant il n’est pas irrégulier, puisqu’il n’a pas divisé sa chair entre plusieurs. L’espèce de bigamie dont il est ici question ne produit donc pas l’irrégularité.

Conclusion :

La deuxième et la troisième espèce de bigamie dont nous avons parlé à l’article précédent produisent l’irrégularité. Bien que l’une de ces deux unions ne soit pas sacramentelle, elle a cependant en effet, une certaine ressemblance avec le sacrement. Nous avons donc là deux modes secondaires de bigamie, le premier étant le principal comme cause d’irrégularité.

Solutions :

1. Bien que dans l’union irrégulière il n’y ait pas de sacrement, il y a cependant avec le sacrement une certaine ressemblance qui n’existe ni dans la fornication, ni dans l’adultère. On ne peut donc assimiler les deux cas.

2. La réponse à la deuxième difficulté est par là même évidente.

3. Dans le cas supposé, l’homme n’est pas considéré comme bigame, parce que le premier mariage n’a pas eu sa parfaite signification. Cependant s’il est forcé par un jugement de l’Eglise de retourner à sa première femme et d’avoir avec elle des rapports conjugaux, il devient aussitôt irrégulier. Ce n’est pas, en effet, le péché qui produit l’irrégularité, mais l’imperfection de la signification sacramentelle.

 

Article 3 — Encourt-on l’irrégularité en épousant une femme qui a perdu sa virginité ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, chacun est plus gêné par ses propres déficiences que par celles d’autrui. Or celui qui contracte mariage ne devient pas irrégulier s’il a perdu sa virginité ; à plus forte raison, si c’est son épouse qui n’est plus vierge.

2. Il peut arriver qu’un homme épouse une femme après l’avoir déflorée. Or il ne semble pas que dans ce cas il devienne irrégulier, puisque ni lui, ni sa femme, n’ont partagé leur chair entre plusieurs. Il se marie pourtant avec une femme qui n’est plus vierge. C’est donc que cette espèce de bigamie ne produit pas d’irrégularité.

3. On ne peut contracter l’irrégularité que par un acte volontaire. Or, c’est parfois sans le vouloir qu’un homme épouse une femme qui n’est plus vierge. Il peut arriver, en effet, qu’il la croie vierge, et qu’ensuite, en consommant le mariage, il s’aperçoive qu’elle a été déflorée. Cette espèce de bigamie ne produit donc pas toujours l’irrégularité.

4. La corruption postérieure au mariage est plus condamnable que celle qui le précède. Or si, après la consommation du mariage, une femme a des rapports charnels avec un autre que son mari, celui-ci ne devient pas irrégulier ; sinon, il serait puni pour le péché de sa femme. Il peut même arriver que, connaissant la conduite de celle-ci, il accède à sa demande du devoir con jugal, avant que l’accusation d’adultère ne l’ait fait condamner. Il ne semble donc pas que cette espèce de bigamie produise l’irrégularité.

Cependant :

S. Grégoire écrit "Nous vous défendons de faire jamais des ordinations illicites, de laisser accéder aux ordres sacrés un bigame, un homme qui n’a pas épousé une vierge, quel qu’un qui ignore les lettres ou a quelque difformité corporelle, qui a été soumis à la pénitence publique, qui remplit une fonction curiale ou est soumis à une charge quelconque".

Conclusion :

Dans l’union du Christ et de l’Eglise, il y a unité des deux côtés. Aussi y a t-il déficience dans la signification sacramentelle lorsque le partage de la chair provient du mari aussi bien que lorsqu’il provient de la femme. Il y a cependant une différence il est exigé de l’homme qu’il n’ait pas eu d’autre épouse, mais non qu’il soit vierge lui-même, tandis que la femme doit avoir conservé sa virginité.

La raison qu’en donnent les Décrétistes, c’est que l’évêque personnifie l’Eglise militante dont il a la charge, et dans laquelle se rencontrent de nombreuses souillures. L’épouse, par contre, représente le Christ, qui est vierge. C’est pour cela qu’on exige que celui qui doit être promu à l’épiscopat ait épousé une vierge, alors que sa propre virginité n’est pas requise. Cette explication, pourtant, est expressément contraire à la parole de l’Apôtre "Maris, aimez vos épouses comme le Christ aime l’Eglise". Ce passage montre, en effet, que l’épouse représente l’Eglise, et le mari le Christ. L’Apôtre dit encore : "Le mari est le chef de la femme comme le Christ est le chef de l’Eglise".

Aussi d’autres auteurs affirment-ils que l’époux représente le Christ, et l’épouse l’Eglise triomphante dans laquelle il n’y a aucune tache. Or, le Christ a eu d’abord la synagogue comme concubine. Aussi la signification sacramentelle ne perd-elle rien de sa perfection lorsque le mari a déjà eu une concubine.

Mais cette explication est parfaitement absurde. De même, en effet, qu’anciens et modernes n’ont qu’une même foi, ils ne forment qu’une même Eglise. Par conséquent, ceux qui servaient Dieu au temps de la synagogue appartiennent à l’unité de l’Eglise dans laquelle nous servons Dieu. Cette explication va, d’ailleurs, à l’encontre de ce que nous lisons dans les prophètes Jérémie, Ezéchiel et Osée, qui font mention expresse des épousailles de la synagogue. Elle n’était donc pas une concubine, mais une épouse véritable. En outre, d’après cette interprétation, la fornication serait le symbole de cette union, ce qui est absurde. C’est pourquoi la gentilité, avant d’être épousée par le Christ dans la foi de l’Eglise, fut corrompue par le diable qui l’entraîna dans l’idolâtrie.

Il faut donc dire que c’est une défectuosité dans le sacrement lui-même qui produit l’irrégularité. Or, la corruption de la chair, en dehors du mariage et antérieurement à lui, ne produit aucune défectuosité dans le sacrement du côté du sujet de la corruption, mais uniquement chez l’autre partie. L’acte de celui qui contracte mariage n’a pas le contractant lui-même pour objet, mais l’autre partie ; il est donc spécifié par son terme qui est par rapport à lui comme la matière du sacrement. De même donc que l’homme devient irrégulier en prenant pour épouse une femme déflorée, et non pas en contractant mariage après avoir lui-même perdu sa virginité, la femme, si elle était susceptible de recevoir les ordres, encourrait l’irrégularité en épousant un homme qui ne serait plus vierge, mais non pas si elle avait déjà perdu elle-même sa virginité au moment du mariage, à moins que cela ne soit le résultat d’un mariage précédent.

Solutions :

1. Ce que nous venons de dire résout la première objection.

2. Sur ce point il y a plusieurs opinions divergentes. Il est plus probable, toutefois, que l’homme n’est pas irrégulier, car il n’a pas divisé sa chair entre plusieurs.

3. L’irrégularité n’est pas une peine, mais un défaut de "sacrement". Il n’est donc pas nécessaire que la bigamie soit toujours volontaire, pour produire l’irrégularité. Aussi celui qui épouse une femme déflorée, alors qu’il la croit encore vierge, devient irrégulier en consommant le mariage

4. Si l’épouse commet l’adultère après la célébration du mariage, son mari ne devient irrégulier que si, par la suite, il a avec elle de nouveaux rapports charnels ; sans cela la corruption de l’épouse n’aurait aucun rapport avec l’acte con jugal du mari. Mais il encourrait l’irrégularité, lors même qu’il serait forcé juridiquement de lui rendre le devoir, ou que sa propre conscience le pousserait à le faire sur la demande de l’épouse, avant que celle-ci n’ait été condamnée pour adultère.

Sur ce point cependant il y a plusieurs opinions, mais ce que nous avons dit est le plus probable on ne recherche pas ici, en effet, ce qui est péché ; on ne se préoccupe que de la signification sacramentelle.

 

Article 4 — La bigamie est-elle détruite par le baptême ?

 

Objections :

1. Il semble que la bigamie soit détruite par le baptême. Saint Jérôme dit, en effet, que celui-là n’est pas bigame qui a eu plusieurs femmes avant son baptême, ou bien encore l’une avant et l’autre après. C’est donc que la bigamie est détruite par le baptême.

2. Qui fait le plus fait le moins. Or, le baptême détruit le péché, qui est quelque chose de bien plus grave que l’irrégularité. Il supprime donc aussi l’irrégularité de bigamie.

3. Le baptême supprime toute peine provenant d’un acte. Or, tel est le cas de l’irrégularité de bigamie. Le bigame est irrégulier parce qu’il ne représente qu’imparfaitement le Christ. Or, le baptême nous rend pleinement conforme au Christ. Il supprime donc cette irrégularité.

5. Les sacrements de la loi nouvelle sont plus efficaces que ceux de la loi ancienne. Or, les sacrements de la loi ancienne supprimaient les irrégularités, comme le Maître nous l’a montré au début du IV° livre des Sentences.

Par conséquent le baptême, qui est le plus efficace des sacrements de la loi nouvelle, détruit l’irrégularité qui provient de la bigamie.

Cependant :

1. S. Augustin nous dit : "Ceux là ont une intelligence plus pénétrante, qui ont pensé qu’on ne doit pas ordonner celui qui a eu une autre femme alors qu’il était encore catéchumène ou païen ; ici, en effet, il ne s’agit pas de péché, mais de signification sacramentelle".

2. S. Augustin dit encore "La femme qui a été déflorée alors qu’elle était catéchumène ou païenne ne peut, après son baptême, recevoir le voile parmi les vierges de Dieu".

Conclusion :

Le baptême efface les fautes, mais ne dissout pas les mariages. Aussi, comme le dit S. Augustin, puisque l’irrégularité provient du mariage lui-même, elle ne peut être détruite par le baptême

Solutions :

1. L’opinion de S. Jérôme n’est pas suivie dans ce cas, à moins, peut-être, que nous ne voulions l’expliquer en disant qu’il envisage une dispense plus facile.

2. Qui fait le plus ne fait pas nécessairement le moins, s’il n’est pas destiné à produire cet effet. C’est justement le cas du baptême, qui n’a pas pour but de détruire l’irrégularité.

3. Cela doit s’entendre des peines qui sont la conséquence nécessaire d’un péché actuel, non de celles qui peuvent être infligées. Par le baptême, en effet, on ne retrouve pas sa virginité perdue, ni non plus l’indivision de sa chair.

4. Le baptême nous rend conformes au Christ quant à la vertu de l’âme, mais non quant à la condition de la chair, la seule qui soit envisagée lorsqu’on parle de la virginité ou de l’indivision de la chair.

5. Ces irrégularités provenaient de causes légères et non perpétuelles. Aussi pouvaient-elles être détruites par les sacrements de la loi ancienne qui, d’ailleurs, étaient destinés à cela, ce qui n’est pas le cas du baptême.

 

Article 5 — Est-il permis de dispenser un bigame ?

Objections :

1. Il semble que non, car on lit dans le droit "Il n’est pas permis de dis penser les clercs qui, autant qu’ils le pouvaient, ont contracté un second mariage, car ils sont considérés comme bigames".

2. Il n’est pas permis de donner une dispense contraire au droit divin. Or, tout ce qu’on lit dans les livres canoniques est de droit divin. Puisque S. Paul dit, dans un livre canonique : "Il faut que l’évêque soit le mari d’une seule femme", il ne semble donc pas que cette exigence soit susceptible de dispense.

3. Personne ne peut accorder de dispense dans ce qui est essentiel au sacrement. Or, l’absence d’irrégularité est essentielle au sacrement de l’Ordre, puisque sans cela ferait défaut la signification qui est essentielle au sacrement. On ne peut donc pas dispenser sur ce point.

4. Ce qui a été fait raisonnablement ne peut pas raisonnablement être changé. Si donc on peut raisonnablement accorder la dispense à un bigame, c’est qu’il n’a pas été raisonnable de lui faire encourir cette irrégularité, ce que l’on ne saurait admettre.

Cependant :

1. Le pape Lucius III accorda cette dispense à l’évêque de Palerme qui était bigame.

2. Le pape Martin dit également : "Le lecteur qui a épousé une veuve doit demeurer lecteur, ou, si cela est nécessaire, être promu au sous- diaconat, mais on ne doit lui conférer aucun ordre supérieur". On peut donc dispenser un bigame au moins jusqu’au sous-diaconat.

Conclusion :

Ce n’est pas d’après le droit naturel, mais d’après le droit positif, que la bigamie entraîne l’irrégularité. De plus, il n’est pas essentiel an sacrement de l’ordre que celui qui le reçoit ne soit pas bigame ; ce qui le montre bien, c’est que le bigame qui accède aux ordres reçoit le caractère sacramentel. Aussi le Pape peut-il dispenser totalement de cette irrégularité, l’évêque pour les ordres mineurs seulement. Quelques auteurs prétendent, en outre, que l’évêque peut accorder cette dispense même pour les ordres majeurs, lorsqu’il s’agit de ceux qui veulent servir Dieu dans l’état religieux, afin de leur éviter des voyages

Solutions :

1. Cette décrétale montre qu’il y a la même difficulté à accorder cette dispense à ceux qui ont contracté plusieurs unions irrégulières qu’à ceux dont les mariages successifs ont été réguliers, mais non que le Pape ne possède pas le pouvoir d’accorder cette dispense.

2. Ce principe est vrai lorsqu’il s’agit du droit naturel ou de ce qui est essentiel aux sacrements et à la foi. S’il s’agit, au contraire, d’une chose qui soit d’institution apostolique, puisque l’Eglise possède actuellement le même pouvoir d’établir et d’abroger qu’elle avait à l’origine, la dispense peut être accordée par celui qui a la primauté dans l’Eglise.

3. Toute signification n’est pas essentielle au sacrement, mais seulement celle qui appartient au rôle du sacrement, et cette signification n’est pas détruite par l’irrégularité.

4. Dans les cas particuliers, on ne peut trouver une raison qui convienne également à tous, à cause de leur diversité. Aussi ce qui a été établi raisonnablement d’une manière générale, en con sidérant ce qui arrive ordinairement, peut-il être supprimé raisonnablement, par dispense, dans un cas particulier.

 

QUESTION 67 — DE LA LETTRE DE DIVORCE

A ce sujet se posent sept questions 1. L’indissolubilité du mariage est-elle de droit naturel ? — 2. La répudiation de l’épouse peut-elle être permise par dispense ? — 3. La loi de Moïse autorisait-elle la répudiation ? —4. L’épouse renvoyée pouvait-elle prendre un autre mari ? — 5. Le mari pouvait-il reprendre l’épouse qu’il avait renvoyée ? — 6. La haine du mari pour son épouse était-elle la cause du renvoi ? -7. Les causes du renvoi devaient-elles être mentionnées par écrit dans la lettre de divorce ?

 

Article 1 — L’indissolubilité du mariage est-elle de droit naturel ?

Objections :

1. Il ne semble pas. La loi naturelle, en effet, est commune à tous les hommes. Or, à part la loi du Christ, aucune autre loi n’a interdit de renvoyer son épouse. Ce n’est donc pas la loi naturelle qui interdit de se séparer de son épouse.

2. Les sacrements ne sont pas de droit naturel. Or, l’indissolubilité du mariage tient au bien du sacrement. Elle n’est donc pas de droit naturel.

3. L’union de l’homme et de la femme par le mariage a pour fin principale la procréation, l’éducation et l’instruction des enfants. Or, tout ceci prend fin au bout d’un certain temps. Après ce laps de temps, il est donc permis de renvoyer sa femme sans porter préjudice à la loi naturelle.

4. Dans le mariage, on recherche surtout le bien de l’enfant. Or, l’indissolubilité est contraire à ce bien, car, disent les physiciens, il arrive qu’un homme qui ne peut avoir d’enfants avec une femme, en pourrait avoir avec une autre, alors que cette première femme pourrait, elle aussi, avoir des enfants avec un autre mari. Loin d’appartenir au droit naturel, l’indissolubilité du mariage lui est donc plutôt contraire.

Cependant :

1. Ce qui appartient principalement à la loi naturelle, c’est ce que la nature bien constituée a reçu à son origine. Or, tel est le cas de l’indissolubilité du mariage, comme nous le voyons dans S. Matthieu. Elle est donc de droit naturel.

2. La loi naturelle exige, en outre, que l’homme n’aille pas à l’encontre de Dieu. Or, l’homme serait en quelque sorte en opposition avec Dieu, s’il séparait ceux que Dieu a unis. Puisque l’indissolubilité du mariage vient de ce que Dieu a uni les époux, comme on le voit dans S. Matthieu, il semble donc qu’elle soit de droit naturel.

Conclusion :

Dans l’intention de la nature, le mariage a pour but l’éducation des enfants non seulement pendant quelque temps, mais pendant toute leur vie. Aussi, d’après la loi naturelle, les parents doivent-ils amasser des biens pour leurs enfants, et ceux-ci devenir leurs héritiers. Puisque les enfants sont le bien commun du mari et de la femme, ii faut donc que l’union de ceux-ci subsiste perpétuellement sans brisure, en vertu du précepte de la loi naturelle. L’indissolubilité du mariage est donc de droit naturel.

Solutions :

1. Seule la loi du Christ a conduit le genre humain à sa perfection, en le ramenant à l’état de sa nouveauté première. Aussi, ni la loi de Moïse, ni aucune loi humaine n’ont pu abolir tout ce qui était contraire à la loi naturelle. Cela était réservé à la seule loi de l’esprit et de la vie.

2. Le mariage jouit de l’indissolubilité parce qu’il est le signe de l’union perpétuelle du Christ et de l’Eglise, et aussi parce qu’il est une fonction naturelle ayant pour but le bien de l’enfant, comme nous l’avons déjà dit. Or, la dissolution du mariage s’oppose plus directement à son symbolisme qu’au bien de l’enfant, car elle ne nuit à celui-ci que par voie de conséquence. Aussi l’indissolubilité du mariage se conçoit-elle plutôt dans le bien du sacrement que dans le bien de l’enfant, bien qu’on puisse l’envisager dans tous les deux. En tant qu’appartenant au bien de l’enfant, l’indissolubilité sera donc de droit naturel, mais non en tant qu’elle appartient au bien du sacrement.

3. La réponse à la troisième objection ressort de ce qui précède.

4. Le mariage est principalement ordonné au bien commun en raison de sa fin principale qui est le bien de l’enfant ; ce qui ne l’empêche pas, vu sa fin secondaire, d’être également ordonné au bien de celui qui le contracte, puisqu’il est par lui-même un remède à la concupiscence. Aussi, dans les lois matrimoniales, on se préoccupe davantage de l’utilité commune que de la convenance particulière. Si l’indissolubilité du mariage empêche le bien des enfants chez tel individu, elle est cependant utile au bien des enfants, considéré absolument. Aussi l’argument n’est-il pas concluant.

 

Article 2 — La répudiation de l’épouse a-t-elle pu être permise par dispense ?

Objections :

1. Il ne semble pas. En effet, ce qui, dans le mariage, est contraire au bien de l’enfant va à l’encontre des premiers préceptes de la loi naturelle qui n’admettent pas de dispense. Or, on a vu que c’est le cas du renvoi de l’épouse.

2. La concubine diffère de l’épouse surtout parce que l’union qui existe avec elle n’est pas indissoluble. Or, il n’a jamais été possible par dispense d’avoir une concubine. Il était donc également impossible de répudier son épouse.

3. Les hommes sont aujourd’hui tout aussi capables qu’autrefois de recevoir des dispenses. Or. aujourd’hui personne ne peut être autorisé par dispense à renvoyer sa femme. Ce n’était donc pas possible autrefois.

Cependant :

Nous avons vu qu’Abraham usa d’Agar comme d’une épouse, et pourtant, en vertu d’un ordre divin, il la renvoya sans commettre en cela aucune faute. Cela prouve qu’une dispense peut autoriser un homme à renvoyer son épouse.

Conclusion :

La dispense à l’égard des préceptes, surtout s’il s’agit de ceux qui appartiennent en quelque manière à la loi naturelle, est semblable au changement du cours d’une chose de la nature. Or, celui-ci peut être changé de deux manières. Tout d’abord, par une cause naturelle qui détourne de son cours une autre cause naturelle c’est ce qui a lieu dans tous les cas, en petit nombre d’ailleurs, qui arrivent par l’effet du hasard. Un tel changement dans le cours des choses naturelles ne se produit d’ailleurs pas dans celles qui se réalisent toujours, mais uniquement dans celles qui se réalisent dans la plupart des cas. — En second lieu, sous l’effet d’une cause absolument surnaturelle, comme c’est le cas du miracle. De cet manière peut être modifié non seulement le cours naturel organisé de manière, à se réaliser ordinairement, mais même celui qui l’est de manière à se réaliser toujours, comme le prouvent l’arrêt du soleil au temps de Josué, son retour en arrière à l’époque d’Ezéchias, et l’éclipse miraculeuse au moment de la Passion.

La raison de la dispense des préceptes de la loi naturelle provient parfois de causes inférieures. Cette dispense peut alors porter sur les préceptes secondaires de la loi naturelle, mais non pas sur ses préceptes premiers, car ceux-ci conservent toujours toute leur force, comme nous l’avons vu pour la polygamie et d’autres questions analogues. Elle peut également provenir d’une cause supérieure. Une dispense divine pourra alors avoir pour objet les premiers préceptes de la loi naturelle eux-mêmes, afin de symboliser ou de manifester quelque mystère divin, comme on le voit pour le précepte, qui contenait une dispense, fait à Abraham d’immoler son fils innocent. De telles dispenses, cependant ne sont pas accordées Communément à tous, mais à quelques individus seulement, comme cela se produit également pour les miracles.

Si donc l’indissolubilité du mariage est comprise dans les premiers préceptes de la loi naturelle, ce n’est que de cette seconde manière qu’elle peut faire l’objet d’une dispense. Si, au contraire, elle se range parmi les préceptes secondaires, elle a pu également recevoir une dispense de la première manière. Il semble qu’elle soit plutôt contenue dans les préceptes secondaires. L’indissolubilité du mariage, en effet, n’est ordon née au bien de l’enfant, fin principale du mariage, que parce que les parents doivent pourvoir aux besoins des enfants pour toute leur vie, en leur préparant d’une manière convenable ce qui est nécessaire à leur existence. Or, cette appropriation des choses n’est pas dans l’intention première de la nature, puisque, d’après elle, tous les biens sont communs. Le renvoi de l’épouse ne paraît donc pas opposé à l’intention première de la nature, ni, par conséquent, aux premiers préceptes de la loi naturelle, mais seulement à ses préceptes secondaires. Il semble donc susceptible d’être autorisé par la première sorte de dispense

Solutions :

1. Le bien de l’enfant, tel qu’il est dans l’intention première de la nature, comprend la procréation, la nutrition et l’éducation jusqu’à ce que l’enfant soit arrivé à l’âge parfait. Mais le fait de pourvoir à son avenir par la transmission de l’héritage et des autres biens paraît être seulement dans l’intention secondaire de la nature.

2. Le concubinage est opposé au bien de l’enfant si l’on considère ce que la nature a en vue dans ce bien par son intention première, c’est-à-dire l’éducation et l’instruction, qui requièrent une longue cohabitation des parents ; ce qui n’a pas lieu pour la concubine, puisque l’union avec elle n’est que temporaire Il n’y a donc pas de parité entre les deux cas. Cependant si l’on envisage le second mode de dispense, la possession d’une concubine peut en faire l’objet, comme le montre l’exemple d’Osée.

3. L’indissolubilité, il est vrai, n’appartient qu’à la seconde intention du mariage, si on le considère comme une institution naturelle, mais il fait partie de sa première intention en tant que sacrement de l’Eglise. Aussi, depuis que le mariage a été institué comme sacrement de l’Eglise, et tant que durera cette institution, il ne peut y avoir dispense de son indissolubilité, à moins, peut-être, qu’il ne s’agisse de la seconde espèce de dispense.

 

Article 3 — La loi de Moïse permettait-elle la répudiation de l’épouse ?

 

Objections :

1. Il le semble. C’est, en effet, une manière de consentir que de ne pas empêcher lorsqu’on pourrait le faire. Or, il n’est pas permis de consentir à une chose illicite. Puis donc que Moïse n’a pas interdit la répudiation de l’épouse, et qu’en cela il n’a pas commis de faute, puisque la loi est sainte, nous dit l’épître aux Romains, il semble que cette répudiation a été parfois permise.

2. Les prophètes ont parlé sous l’inspiration de l’Esprit Saint, lisons-nous dans la deuxième épître de S. Pierre. Or, le prophète Malachie nous dit "Si tu hais ton épouse, renvoie-là." Puisque ce qu’inspire l’Esprit Saint ne peut être illicite, il semble que le renvoi de l’épouse n’a pas toujours été illicite.

3. D’après S. Jean Chrysostome, de même que les apôtres ont permis les secondes noces, Moïse a autorisé la lettre de divorce. Or, les secondes noces ne sont pas un péché. Sous la loi de Moïse le renvoi de l’épouse n’en était donc pas un non plus.

Cependant :

1. Notre Seigneur nous dit que la lettre de divorce avait été accordée aux Juifs par Moïse à cause de la dureté de leur cœur. Or, cette dureté de cœur ne les excusait pas de péché. Ils n’étaient donc pas davantage excusés par la loi sur la lettre de divorce.

2. En outre, S. Jean Chrysostome commente ainsi S. Matthieu : "En autorisant la lettre de divorce, Moïse n’a pas fait connaître ce qu’exige la justice divine, de telle sorte qu’à ceux qui agissent conformément à la loi leur péché ne parût plus un péché".

Conclusion :

Il y a deux opinions sur ce point. Les uns disent que ceux qui, sous la loi ancienne, renvoyaient leurs épouses en leur donnant une lettre de divorce n’étaient pas excusés de péché, bien qu’ils ne fussent pas passibles de la peine prévue par la loi. C’est pour cela disent-ils que Moïse a permis de donner la lettre de divorce. Ils distinguent donc quatre manières de donner une permission. La première consiste à s’abstenir de commander ainsi quand un bien supérieur n’est pas commandé, on considère comme permis le bien inférieur. L’Apôtre S. Paul, par exemple, en n’imposant pas la virginité, a autorisé le mariage. La seconde manière consiste à ne pas défendre : en ce sens on dit que les péchés véniels sont permis, puisqu’ils ne sont pas interdits. Une troisième manière consiste à ne pas user de contrainte de la sorte, dit-on, Dieu permet tous les péchés, puisqu’il n’empêche pas de les commettre, alors qu’il pourrait le faire. La quatrième manière consiste à ne pas punir. C’est de cette manière que la loi autorisait la lettre de divorce : non pas pour obtenir un plus grand bien, comme c’était le cas de la dispense autorisant la polygamie, mais pour empêcher un plus grand mal, le meurtre de l’épouse, auquel les Juifs étaient enclins par suite de la dépravation de leur appétit irascible. De la même façon, à cause de la dépravation de leur appétit concupiscible, il leur était permis de pratiquer l’usure vis-à-vis des étrangers, de peur qu’ils n’agissent ainsi avec leurs frères. De même, en raison de la mauvaise influence des soupçons sur la raison, il leur fut permis d’offrir le sacrifice de jalousie, afin qu’un simple soupçon n’altérât pas leur jugement.

Cependant :

Puisque l’ancienne loi, bien que ne conférant pas la grâce, avait été donnée pour faire connaître le péché, ainsi que les saints Pères l’enseignent communément, d’autres auteurs pensent que, si les Juifs avaient péché en renvoyant leur épouse, la loi ou les prophètes auraient dû au moins les en avertir, puisque Dieu dit à Isaïe : "Fais connaître ses crimes à mon peuple." Autrement, il semble qu’ils auraient été trop abandonnés, si on ne leur avait jamais fait connaître les vérités nécessaires au salut qu’ils ignoraient. Or, c’est ce qu’on ne peut soutenir, puisque l’observance de la loi, lorsqu’elle était en vigueur, était un acte méritoire de la vie éternelle. Pour cette raison, disent-ils, le renvoi de l’épouse, bien que mauvais en soi, devenait licite par une permission divine. Ils appuient leur opinion sur l’autorité de S. Jean Chrysostome qui nous dit que le législateur enleva an péché sa culpabilité lorsqu’il permit la répudiation.

Quoique cette opinion soit probable, la première est cependant plus communément soute nue. Aussi faut-il répondre aux arguments de l’une et de l’autre

Solutions :

1. Celui qui peut interdire une chose ne pèche pas s’il s’abstient de porter Ïine défense, lorsqu’il n’en espère aucun amendement, mais qu’il estime, au contraire, que cette défense serait l’occasion d’un plus grand mal. C’est ce qui est arrivé à Moïse : et c’est pourquoi, appuyé sur l’autorité divine, il n’a pas interdit la lettre de divorce.

2. Les prophètes, inspirés par l’Esprit Saint, ne disaient pas qu’il fallait renvoyer l’épouse parce que l’Esprit Saint l’ordonnait ; ils disaient seulement que cela était permis, pour éviter un plus grand mal.

3. On ne peut assimiler sous tous les rapports ces deux permissions : elles ne se ressemblent que par leur motif, car elles avaient toutes deux pour but de prévenir un désordre honteux.

4. Si la dureté de cœur n’excuse pas de péché, la permission accordée à cause de cette dureté excuse cependant. Souvent, en effet, on interdit aux bien portants ce que l’on permet aux malades, et ceux-ci,cependant ; ne commettent aucune faute en usant de la permission qui leur est accordée.

5. On peut omettre l’accomplissement d’un bien de deux manières. Tout d’abord, pour réaliser un plus grand bien. Dans ce cas, l’omission de l’acte bon devient vertueux, à cause de son rapport avec le bien supérieur. Ainsi Jacob a t-il omis de se conformer à la loi de la monogamie à cause du bien des enfants. — On peut également omettre un acte bon pour éviter un plus grand mal. Si cela se fait de par l’autorité du supérieur qui a le pouvoir d’accorder la dispense, cette omission n’entraîne aucune culpabilité, mais elle ne devient pas vertueuse pour autant. C’est ainsi que, sous la loi de Moïse, on n’observait pas la loi de l’indissolubilité du mariage, afin d’éviter un plus grand mal, à savoir le meurtre de l’épouse. C’est ce qui fait dire à S. Jean Chrysostome que Moïse a enlevé au péché sa culpabilité. S’il restait, en effet, dans la répudia tion, un désordre qui lui fait donner le nom de péché, elle ne faisait cependant encourir aucune peine, ni temporelle, ni éternelle, puisqu’elle se faisait en vertu d’une dispense divine, et, de ce chef, était dénuée de toute culpabilité. C’est pour cela encore que le même S. Jean Chrysostome dit que : "la répudiation fut autorisée, et que, bien qu’elle fût un mal, elle devint cependant licite". Les partisans de la première opinion entendent ce texte en ce sens seulement que la répudiation n’entraînait pas l’obligation à la peine temporelle.

 

Article 4 — L’épouse renvoyée pouvait-elle prendre un autre mari ?

Objections :

1. Il le semble, car dans la répudiation l’injustice était plutôt du côté du mari, auteur du renvoi, que du côté de l’épouse renvoyée. Or, le mari pouvait sans péché prendre une autre épouse. La femme renvoyée pouvait donc, elle aussi, sans péché, prendre un autre mari.

2. S. Augustin dit, en parlant de la polygamie, que lorsque c’était la coutume, elle n’était pas un péché. Or, c’était la coutume, sous l’ancienne loi, que l’épouse répudiée prît un autre mari. Nous en avons la preuve dans ce texte du Deutéronome : "Lorsque l’épouse sortie de la maison de son mari aura épousé un autre homme, etc." Elle ne péchait donc pas en prenant un autre mari.

3. Notre Seigneur nous montre, dans l’Evangile selon S. Matthieu, que la justice du Nouveau Testament surpasse la justice de l’Ancien Testament. Or, il nous dit que l’un des points sur lesquels la justice du Nouveau Testament l’emporte sur celle de l’Ancien c’est que l’épouse répudiée ne prend pas un autre mari ; ce qui prouve que cela était permis sous l’ancienne loi.

Cependant :

1. Il est dit dans S. Matthieu : "Celui qui épouse une femme renvoyée, commet un adultère". Or, l’adultère n’a jamais été permis sous l’ancienne loi. L’épouse renvoyée ne pouvait donc pas prendre un autre mari.

2. La Deutéronome dit également que la femme renvoyée qui prenait un autre mari était souillée et en abomination devant le Seigneur. Elle commettait donc une faute en se remariant.

Conclusion :

D’après les tenants de la première opinion (exposée à l’article précédent) la femme renvoyée commettait une faute en prenant un autre mari, car le premier mariage n’était pas encore dissous, puisque, nous enseigne l’épître aux Romains, la femme est enchaînée sous la loi du mari tant qu’il est vivant. Elle ne pouvait donc avoir plusieurs maris à la fois. D’après la seconde opinion, de même que, en vertu d’une dispense divine, le mari pouvait renvoyer son épouse, de même celle-ci pouvait se remarier. L’indissolubilité du mariage était alors supprimée par la dispense divine ; or, le texte de l’Apôtre ne s’applique qu’au cas où cette indissolubilité subsiste. Il nous faut donc répondre aux arguments apportés de part et d’autre.

Solutions :

1. En vertu d’une dispense divine, il était permis au mari d’avoir plusieurs femmes à la fois. Aussi, après en avoir renvoyé une, pouvait-il en prendre une autre, même si le premier mariage n’était pas dissous. A la femme, au contraire, il n’a jamais été permis d’avoir plusieurs maris. Il n’y a donc pas parité.

2. Dans ce texte de S. Augustin le mot "mos" n’est pas pris dans le sens de coutume, mais dans celui d’acte honnête. C’est en employant ce mot dans le même sens qu’on appelle moral quelqu’un qui est de bonnes mœurs, et qu’on donne son nom à la philosophie morale.

3. Notre Seigneur nous montre que la loi nouvelle l’emporte par ses conseils sur la loi ancienne non seulement par rapport à ce que la loi ancienne rendait licite, mais encore par rapport à ce qui, bien qu’illicite, était cependant considéré par beaucoup comme permis, par suite d’une fausse interprétation des préceptes. C’est le cas, par exemple, de la haine des ennemis, et c’est également celui de la répudiation.

4. Cette parole de Notre Seigneur s’applique à l’époque de la loi nouvelle, où la permission autrefois accordée a été révoquée.

C’est dans ce même sens qu’il faut entendre S. Jean Chrysostome lorsqu’il dit que : "Celui qui s’autorise de la loi pour renvoyer son épouse commet quatre fautes. Aux yeux de Dieu il est homicide", puisque disposé à tuer son épouse s’il ne la renvoyait pas. "Il la renvoie sans qu’elle ait commis l’adultère", bien que ce soit le seul cas où la loi évangélique permet de renvoyer sa femme. "Enfin il la fait tomber dans l’adultère, ainsi que celui auquel elle s’unit".

5. Il est dit dans une glose interlinéaire : "Elle est souillée et objet d’abomination au jugement de celui qui l’a renvoyée auparavant comme souillée". Il ne s’ensuit donc pas qu’elle le soit réellement.

On peut dire également qu’elle était souillée, d’une manière analogue à celle qui faisait donner le nom d’impurs à ceux qui touchaient un mort ou un lépreux : il ne s’agissait pas, dans ce cas, d’une impureté coupable, mais seulement d’une irrégularité légale. C’est pour cette raison qu’il n’était pas permis à un prêtre d’épouser une veuve ou une femme répudiée.

 

Article 5 — Le mari pouvait-il reprendre l’épouse qu’il avait renvoyée ?

Objections :

1. Il semble que le mari pouvait reprendre l’épouse qu’il avait renvoyée. Il est permis, en effet, de réparer le mal qu’on a fait. Or, c’était une mauvaise action que de renvoyer son épouse. On pouvait donc la réparer en rappelant l’épouse.

2. Il a toujours été permis d’user d’indulgence envers le pécheur c’est un précepte moral qui reste en vigueur sous n’importe quelle loi. Or, en reprenant l’épouse qu’il avait renvoyée, le mari traitait une pécheresse avec indulgence. Il pouvait donc le faire.

3. D’après le Deutéronome, la raison qui s’opposait à ce que le mari pût reprendre son épouse, c’est qu’elle était souillée. Or, une femme renvoyée ne se souille qu’en épousant un autre homme. Il était donc permis au mari de la reprendre, tout au moins avant qu’elle en eût épousé un autre.

Cependant :

Le Deutéronome enseigne le contraire "Son premier mari ne pourra la reprendre."

Conclusion :

La loi relative à la lettre de divorce permettait deux choses le renvoi de l’épouse, et l’union de l’épouse renvoyée avec un autre homme. Elle contenait également deux prescriptions : la lettre de divorce devait être mise par écrit, et le mari qui renvoyait sa femme ne pouvait plus la, reprendre. D’après les parti sans de la première opinion, cette défense fut portée pour punir la femme qui s’était remariée et souillée par ce péché. Les partisans de l’autre opinion disent que cette loi visait à empêcher le mari de renvoyer facilement son épouse, puisqu’il ne pourrait plus la reprendre dans la suite.

Solutions :

1. C’est pour empêcher le mal que commettait celui qui renvoyait son épouse qu’il était défendu au mari de reprendre la femme qu’il avait renvoyée. Telle est la raison de cette loi divine.

2. Il a toujours été permis d’user d’indulgence envers le pécheur, en évitant tout sentiment d’aigreur à son égard, mais non pas en le dispensant de la peine portée par Dieu.

3. Il y a deux opinions sur ce point. Certains prétendent que l’épouse renvoyée pouvait se réconcilier avec son mari, à moins qu’elle n’eût contracté un nouveau mariage. Dans ce cas, en effet, en punition de l’adultère qu’elle avait volontairement commis, il lui était interdit de retourner à son premier mari.

Mais, comme la défense portée par la loi est générale, d’autres enseignent que, dès lors qu’elle avait été renvoyée, son mari ne pouvait la reprendre, même si elle n’avait contracté aucun nouveau mariage. La souillure dont parle le Deutéronome ne s’entend pas, en effet, d’une souillure coupable, mais comme nous l’avons exposé.

 

Article 6 — La haine de l’épouse était-elle la cause de son renvoi ?

Objections :

1. Il le semble, car on lit dans Malachie : "Si vous avez de la haine pour votre épouse, renvoyez-là."

2. On lit dans le Deutéronome : "Si elle ne trouve pas grâce devant ses yeux parce qu’elle a quelque chose de repoussant, etc." Il faut donc conclure comme précédemment.

3. Cependant la stérilité et la fornication s’opposent davantage au mariage que la haine. Plus que la haine, par conséquent, ils auraient dû motiver le renvoi.

4. La haine peut être provoquée par la vertu de celui que l’on hait. Si donc la haine était une cause suffisante de renvoi, une épouse pourrait être répudiée à cause de sa vertu, ce qui est absurde.

5. Il est écrit dans le Deutéronome : "Si un homme, après avoir épousé une femme, vient à éprouver pour elle de la haine", et qu’il lui impute des choses déshonorantes antérieures au mariage, sans pouvoir en fournir la preuve, "il sera châtié, on lui imposera une amende de cent sicles d’argent, et il ne pourra pas la renvoyer, tant qu’il vivra." La haine du mari n’est donc pas une raison suffisante de renvoi.

Conclusion :

Comme l’enseignent communément les Pères, c’est pour éviter le meurtre de l’épouse que sa répudiation fut autorisée. Or, la cause prochaine de l’homicide est la haine : aussi la haine est-elle la cause prochaine du renvoi. Mais la haine, tout comme l’amour, provient d’une autre cause. Il faut donc admettre d’autres causes éloignées du renvoi, qui ont provoqué la haine.

Or, S. Augustin nous dit, dans un passage cité par la glose "Il y avait dans la loi des causes nombreuses autorisant le renvoi de l’épouse : le Christ n’admet que la fornication. Quant aux autres désagréments, il ordonne de les supporter, en considération de la fidélité et de la chasteté conjugales." On range parmi ces causes les difformités corporelles, comme la maladie ou une tare notable, ou des difformités de l’âme, comme l’adultère ou une autre faute analogue, qui détruisent l’honnêteté des mœurs.

Certains auteurs, cependant réduisent le nombre de ces causes, en soutenant, avec assez de probabilité, qu’il n’était permis de renvoyer sa femme que pour une cause survenue après le mariage. Non pas, d’ailleurs, pour n’importe quelle Cause, mais uniquement pour une cause susceptible d’empêcher le bien de l’enfant ; soit son bien corporel, comme la stérilité, la lèpre, ou autre chose de ce genre, soit le bien de son âme, si, par exemple, la femme était de mauvaises mœurs et que les enfants, vivant habituellement avec elle, seraient ainsi tentés de l’imiter.

Une glose sur ce texte du Deutéronome : "Si elle n’a pas trouvé grâce, etc." semble réduire davantage encore les causes de renvoi, et n’admettre que le péché, car c’est le péché, dit- elle, qui est désigné ici par le mot de "chose honteuse". Mais par péché la glose entend non seulement le désordre moral de l’âme, mais aussi les défauts corporels

Solutions :

1 et 2. Nous admettons les deux premiers arguments.

3. La stérilité et les défauts analogues sont des causes de haine, et, par conséquent, des causes éloignées de renvoi.

4. Absolument parlant, personne n’est haïssable à cause de sa vertu, car la bonté est une cause d’amour. L’argument n’est donc pas concluant.

5. C’était pour punir mari que la loi lui enlevait à perpétuité la possibilité de renvoyer son épouse dans le cas envisagé ici, aussi bien, d’ailleurs, que dans le cas où il l’avait déflorée avant son mariage.

 

Article 7 — Les causes du renvoi devaient-elles être inscrites dans la lettre de divorce ?

Objections :

1. Il semble que la lettre devait mentionner les causes du renvoi. En écrivant cette lettre, en effet, le mari se mettait à l’abri de la peine portée par la loi. Or, cela eût été tout à fait injuste s’il n’avait pas allégué des causes suffisantes de répudiation. Il fallait donc mentionner ces causes dans la lettre.

2. La lettre semble n’avoir pas eu d’autre but que de faire connaître les causes du renvoi. Si ces causes n’étaient pas mentionnées, il était donc parfaitement inutile que le mari la remît à l’épouse.

3. Le Maître des Sentences l’affirme explicitement.

Cependant :

Les causes du renvoi étaient suffisantes, ou bien ne l’étaient pas. Si elles étaient suffisantes, la femme perdait la possibilité d’un second mariage que la loi lui permettait. Si, au contraire, elles étaient insuffisantes, elles montraient l’injustice du renvoi, qui ne pouvait donc avoir lieu. Par conséquent, on n’inscrivait en aucune manière les causes du renvoi sur la lettre du divorce.

Conclusion :

Les causes du renvoi n’étaient pas mentionnées dans la lettre d’une manière détaillée, mais seulement en général, afin de prouver la justice du renvoi. D’après Josèphe, on agissait ainsi pour que la femme munie d’une lettre de divorce pût se remarier ; autrement on ne la lui aurait pas donnée. Voilà pourquoi, selon le même auteur, la lettre était ainsi rédigée : "Je promets de ne plus jamais vivre maritalement avec toi".

Mais, d’après S. Augustin, on exigeait une lettre "afin que le délai qui en résultait et les conseils des scribes qui cherchaient à le dissuader, fassent renoncer le mari à son projet"

Ce qui précède donne la solution des difficultés.

 

QUESTION 68 — DES ENFANTS ILLÉGITIMES

Trois questions se posent au sujet des enfants illégitimes : -1. Les enfants qui naissent en dehors d’un vrai mariage sont-ils illégitimes ? — 2. Les enfants illégitimes doivent-ils souffrir un dom mage par suite de leur illégitimité ? — 3. Peuvent- ils être légitimés ?

 

Article 1 — Les enfants qui naissent en dehors d’un vrai mariage sont-ils illégitimes ?

Objections :

1. Ils ne le sont pas, semble t-il. On appelle, en effet, légitime, l’enfant né selon la loi. Or, la naissance de n’importe quel enfant est conforme au moins à la loi naturelle, qui est la plus forte des lois. Tout enfant est donc légitime.

2.         On enseigne communément que l’enfant légitime est celui qui est né d’un mariage légitime ou regardé comme tel au for externe ecclésiastique. Or, il arrive parfois qu’un mariage soit regardé comme légitime au for externe de l’Eglise, alors qu’un empêchement, connu d’ailleurs par ceux qui contractent publiquement le mariage, empêche sa légitimité. Si le mariage se conclut en secret et que les parties ignorent l’empêchement, il semble également légitime au for externe ecclésiastique, puisque l’Eglise ne s’y oppose pas. Les enfants qui naissent en dehors d’un vrai mariage ne sont donc pas illégitimes.

Cependant :

on appelle illégitime ce qui est contraire à la loi. Or, ceux qui naissent hors mariage naissent contrairement à la loi. Ils sont donc illégitimes.

Conclusion :

Les enfants peuvent se trouver dans quatre conditions. Les uns sont naturels et légitimes ce sont ceux qui naissent d’un légitime mariage. D’autres sont naturels et illégitimes ce sont ceux qui naissent à la suite d’une simple fornication. Certains sont légitimes, mais non naturels, comme les fils adoptifs. D’autres, enfin, ne sont ni légitimes, ni naturels, comme les enfants qui naissent de l’adultère ou du stupre leur naissance est, en effet, contraire à la loi positive et à la loi naturelle. Il faut donc admettre qu’il y a des enfants illégitimes

Solutions :

1. Bien que les enfants issus d’un commerce illicite naissent conformément à la nature commune à l’homme et à tous les animaux, leur naissance est cependant contraire à la loi naturelle qui est propre à l’homme, puisque la fornication, l’adultère et autres actions de ce genre sont opposés à la loi naturelle. Aucune loi n’admet donc la légitimité de ces enfants

2. L’ignorance excuse de péché le commerce illicite, à moins qu’elle ne soit affectée. Aussi ceux qui, de bonne foi, contractent mariage devant l’Eglise, malgré l’existence d’un empêchement qu’ils ignorent, ne commettent aucune faute, et leurs enfants ne sont pas illégitimes. Si, au contraire, ils ont connaissance de l’empêchement, bien que l’Eglise qui l’ignore n’inter vienne pas, ils ne sont pas exempts de péché, ni leurs enfants de l'illégitimité Si au contraire ils ignorent l’empêchement et contractent mariage en secret, ils ne jouissent d’aucune excuse, car leur ignorance paraît affectée

 

Article 2 — Les enfants illégitimes doivent-ils subir un dommage par suite de leur illégitimité ?

Objections :

1. Il ne semble pas, car un enfant ne doit pas être puni pour le péché de son père, comme l’affirme le Seigneur lui-même dans le livre d’Ezéchiel. Or, si un enfant naît d’un commerce illégitime, ce n’est pas lui, mais son père, qui a commis le péché. L’enfant n’en doit donc subir aucun détriment.

2. La justice humaine se règle sur la justice divine. Or Dieu distribue les biens naturels avec une égale largesse aux enfants légitimes et aux enfants illégitimes. Les lois humaines doivent donc également les mettre sur le même pied.

Cependant :

Il est dit dans la Genèse qu’Abraham donna tous ses biens à Isaac et fit simplement des présents aux enfants de ses concubines. Et cependant ceux-ci n’étaient pas nés d’un commerce illicite. A plus forte raison ceux qui naissent de relations illégitimes doivent-ils subir le dommage qui consiste à ne pas avoir part à l’héritage paternel.

Conclusion :

On peut subir un dommage de deux manières. Tout d’abord, en étant privé de ce qui vous est dû : et de cette manière l’enfant illégitime ne subit aucun dommage. Ensuite, parce qu’on n’a aucun droit sur ce qui, en d’autres circonstances, vous aurait été dû. De la sorte, le fils illégitime subit un double détriment il est exclu des actes légitimes, tels que les offices et les dignités, qui exigent chez ceux qui en sont revêtus une certaine honorabilité ; il est, en outre, exclu de la succession paternelle.

Les enfants naturels peuvent cependant recevoir la sixième partie de l’héritage de leurs parents. Les enfants adultérins ne peuvent rien recevoir, mais le droit naturel oblige pourtant les parents à leur fournir ce qui est nécessaire à la vie. Il appartient donc à la sollicitude de l’évêque de forcer les parents à subvenir à leur entretien

Solutions :

1. Subir un dommage de la seconde manière n’est pas une peine. Aussi nous ne disons pas que c’est une peine, pour celui qui n’est pas le fils du roi, de ne pas lui succéder sur le trône. De même ce n’est pas une peine, pour un fils illégitime, de n’avoir aucun droit à ce qui appartient aux enfants légitimes.

2. Si le commerce charnel illicite est contraire à la loi naturelle, ce n’est pas comme acte de la puissance génératrice, mais parce qu’il procède d’une volonté pervertie. Aussi l’enfant illégitime ne subit aucun dommage dans ce qui s’acquiert par l’origine naturelle, -mais uniquement dans ce dont la production ou la possession dépendent de la volonté.

 

Article 3 — Peut-on légitimer un enfant illégitime ?

Objections :

1. Cela ne semble pas possible. La distance est la même, en effet, entre l’enfant légitime et l’enfant illégitime qu’entre l’enfant illégitime et l’enfant légitime. Or, l’enfant légitime ne devient jamais illégitime. De même l’enfant illégitime ne peut-il jamais devenir légitime.

2. C’est l’illégitimité de l’acte sexuel qui cause l’illégitimité de l’enfant. Or, l’acte sexuel illégitime ne devient jamais légitime. L’enfant illégitime, lui non plus, ne peut donc jamais être légitimé.

Cependant :

Ce que la loi établit, la loi peut le révoquer. Or c’est une loi positive qui a institué l’illégitimité des enfants. Le fils illégitime peut donc être légitimé par celui auquel la loi accorde le pouvoir nécessaire.

Conclusion :

La légitimation d’un enfant illégitime ne consiste pas à faire qu’il soit né de relations légitimes. Ces relations sont un fait passé, et dès lors qu’elles ont été illégitimes, elles ne peuvent jamais devenir légitimes. La légitimation consiste simplement à éviter à l’enfant, par l’autorité de la loi, les dommages que lui fait subir sa naissance illégitime.

Il y a six- façons de légitimer un enfant. Deux appartiennent au droit canonique. Elles se réalisent quand un homme épouse la femme dont il a eu un enfant illégitime, pourvu qu’il n’y ait pas eu d’adultère, ou bien encore lorsque le Pape,-par faveur spéciale, accorde cette dispense.

Les quatre autres manières ont été établies par les lois civiles. La première se vérifie lorsque le père offre son fils naturel à la cour impériale l’enfant est alors légitimé par le fait même, à cause de la dignité de la cour. La seconde, lorsque le père nomme son fils naturel son légitime héritier, et que celui-ci offre ensuite le testament à l’empereur. La troisième, lorsqu’il n’existe aucun enfant légitime, et que l’enfant naturel se met au service du prince. La quatrième, enfin, lorsque le père, dans un acte public, ou dans un acte signé de trois témoins, donne à son fils la qualification de légitime sans ajouter celle de naturel

Solutions :

1. On peut sans injustice faire une grâce à quelqu’un, mais personne ne doit subir de dommage sans avoir commis de faute. L’enfant illégitime peut donc devenir légitime, alors que le contraire ne peut avoir lieu. Bien que l’enfant légitime soit parfois privé de son héritage en punition d’une faute, on ne l’appelle cependant pas illégitime, car sa naissance a été légitime.

2. L’acte illégitime a un défaut intrinsèque inséparable qui le met en opposition avec la loi aussi ne peut-il devenir légitime. Il n’en est pas de même de l’enfant illégitime qui n’a aucun défaut de cette sorte.

 

TRAITÉ DES FINS DERNIERES

 

L’AU- DELÀ

 

QUESTION 69 — LA DEMEURE DES ÂMES APRÈS LA MORT

Nous sommes arrivés à traiter de la résurrection. En effet, après avoir parlé des sacrements qui délivrent l’homme du péché qui est une mort, il est logique de parler de la résurrection qui délivre l’homme de la mort qui est une peine.

Ce traité se divise en trois parties ce qui précède la résurrection, ce qui l’accompagne, ce qui la suit ; en d’autres termes un certain nombre de choses qui la précèdent, la résurrection elle- même et ses circonstances, ce qui s’ensuivra.

Dans la première partie nous aurons à considérer 1° les demeures assignées aux âmes après la mort ; la condition des âmes séparées de leur corps et la peine que le feu peut leur infliger ; 3° les suffrages par lesquels les vivants peuvent aider les défunts ; 4° les prières des saints du ciel ; 5° les signes précurseurs du Jugement général ; 6° la conflagration universelle qui doit précéder l’arrivée du Juge.

La première question suggère les demandes suivantes : 1. Y a-t-il certaines demeures assignées aux âmes après la mort ? - 2. Y vont-elles aussitôt après la mort ? - 3. Peuvent-elles en sortir ? - 4. Cette expression "le sein d’Abraham" désigne-t-elle un limbe de l’enfer ? - 5. Ce limbe est-il le même que l’enfer des damnés ? - 6. Le limbe des enfants est-il identique à celui des Patriarches ? - 7. Est-il nécessaire de distinguer cinq demeures, ni plus ni moins ?

Article 1 — Y a-t-il certaines demeures assignées aux âmes après la mort ?

Objections 1. "L’opinion commune des sages, dit Boèce, est que les êtres incorporels ne sont pas dans un lieu". Saint Augustin dit également : "Il est facile de répondre que c’est seulement par son union avec un corps que l’âme peut se porter vers un lieu corporel". Il est donc ridicule d’assigner certaines demeures aux âmes séparées du corps.

2. Ce qui occupe un lieu déterminé doit avoir plus de rapport avec ce lieu qu’avec tout autre. Or, les âmes séparées sont indifférentes à tous les lieux ; en effet, on ne peut pas dire qu’il y a convenance ou répugnance entre elles et certains corps, puisqu’elles sont absolument soustraites à toutes les conditions corporelles.

3. Après la mort, les âmes ne reçoivent rien qui ne se rapporte à la récompense ou au châtiment. Or, un lieu corporel ne peut avoir ce caractère vis-à-vis d’êtres devenus totalement indépendants des corps.

Cependant :

1. Le ciel empyrée est un lieu corporel. Et pourtant "lorsqu’il eut été fait, dit saint Bède, il fut aussitôt rempli par les saints anges". Or les anges sont incorporels, comme aussi les âmes séparées. On peut donc bien assigner à celles-ci certaines demeures.

2. La même affirmation résulte de ce que dit saint Grégoire de l’âme d’un certain Paschasius rencontrée dans des thermes par Germain, évêque de Capoue, et de celle du roi Théodoric, menée en enfer.

Conclusion :

Il est vrai que les substances spirituelles ne dépendent point d’un corps dans leur être même ; mais il est vrai aussi que Dieu régit les êtres corporels par l’entremise des êtres spirituels. Il existe donc entre eux une certaine convenance, en ce sens que les plus dignes parmi les premiers doivent être confiés aux plus dignes parmi les seconds. C’est ainsi que les philosophes avaient établi la hiérarchie des substances incorporelles d’après celle des êtres soumis au mouvement. Aux âmes séparées on ne saurait sans doute attribuer des corps pour s’y unir ou pour les mouvoir, mais on peut leur assigner certains lieux corporels correspondant à leurs degrés de valeur. Ces âmes y sont comme dans un lieu, selon le mode dont les êtres incorporels peuvent y être ; et dans des lieux différents, selon qu’elles- mêmes se rapprochent de la Substance première à laquelle convient le lieu suprême, c’est-à-dire de Dieu dont l’Ecriture dit que le ciel est sa demeures. Les âmes qui participent parfaitement à la divinité, nous les mettons donc dans le ciel ; celles qui en sont empêchées, nous les plaçons, au contraire, dans un lieu inférieur.

Solutions :

1. Les êtres incorporels ne sont pas dans un lieu selon le mode normal et expérimental dont nous disons que c’est une propriété des corps que d’y être. Ils y sont cependant d’une manière qui leur est spéciale et dont il nous est impossible d’avoir une connaissance parfaite.

2. Il faut distinguer deux espèces de convenance et de similitude. La première consiste dans la participation d’une même qualité c’est ainsi qu’il y a convenance entre les corps chauds ; mais il est impossible qu’il en soit ainsi entre les être incorporels et les lieux corporels. - La seconde consiste dans un certain rapport : c’est ainsi que l’Ecriture attribue par métaphore les qualités des corps aux esprits, donne à Dieu le nom de Soleil, parce qu’il est le principe de la vie spi rituelle comme le soleil l’est de la vie corporelle. C’est cette convenance qui existe entre certaines âmes et certains lieux, entre les âmes éclairées par la grâce et les corps lumineux, entre les âmes obscurcies par le péché et les lieux ténébreux.

3. Les lieux corporels n’agissent pas sur les âmes séparées de la manière dont ils agissent su les corps, par exemple, pour les préserver ; mais les âmes elles-mêmes, du fait qu’elles connaissent que tel ou tel lieu leur est assigné, en conçoivent de la joie ou de la tristesse c’est ainsi que leur demeure contribue à leur récompense ou à châtiment.

 

Article 2 — Y a-t-il des âmes qui aillent au ciel ou en enfer aussitôt après la mort ?

Objections :

1. Ces paroles du Psalmiste "Encore un peu de temps et le pécheur n’est plus", suggèrent à la Glose ce commentaire : "Les saints sont délivrés à la fin du monde ; cependant, après cette vie, tu ne seras pas encore où seront les saints auxquels il sera dit Venez, les bénis de mon Père". Mais les saints seront dans le ciel. Donc, au sortir de cette vie, les saints ne montent pas immédiatement au ciel.

2. Saint Augustin dit : "Dans l’intervalle entre la mort et la résurrection générale, les âmes habitent des demeures mystérieuses, suivant que chacune a mérité le repos ou la peine". Or, ces demeures ne sauraient signifier le ciel et l’enfer où les âmes seront avec leur corps après la résurrection, car alors la distinction faite par le saint Docteur entre le temps qui précède la résurrection et celui qui la suit n’aurait plus de sens.

3. La gloire de l’âme est supérieure à celle du corps. Or, la gloire corporelle sera donnée à tous en même temps, afin que la joie de chacun soit comme multipliée par la joie de tous, comme le dit la Glose. Donc, à plus forte raison, la gloire des âmes doit-elle être différée jusqu’à la fin du monde où elle sera donnée à tous en même temps.

4. Le châtiment et la récompense qui dépendent du jugement ne doivent pas le précéder. Or, le feu de l’enfer ou le bonheur du paradis seront décernés à tous les hommes par la sentence du souverain Juge, au dernier jugement. Donc, jusque-là, personne ne va au ciel ou en enfer.

Cependant :

1. Saint Paul a dit : "Nous savons que si cette tente, notre demeure terrestre, vient à être détruite, nous avons une maison qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, dans le ciel". Donc, après la dissolution du corps, l’homme a une demeure qui l’attend dans le ciel.

2. Saint Paul dit encore : "J’ai le désir de partir et d’être avec le Christ". Ce qui suggère à saint Grégoire cet argument : "Celui-là donc qui ne doute pas que le Christ ne soit au ciel ne saurait nier non plus que l’âme de saint Paul soit au ciel". Or, le Christ est au ciel, c’est un article de foi. Donc il faut affirmer aussi que les âmes des saints vont au ciel. - Que certaines âmes aillent en enfer aussitôt après la mort, saint Luc le déclare : "Le riche mourut et il fut enseveli dans l’enfer".

Conclusion :

De même que la gravité ou la légèreté porte les corps au lieu qui est le terme de leur mouvement, de même le mérite ou le démérite au châtiment qui sont le terme de leur activité. De même donc que, si rien n’y met obstacle, les corps obéissent à la gravitation et atteignent le lieu qui leur convient, de même les âmes, après la rupture du lien corporel qui les retenait ici-bas, reçoivent leur récompense ou leur châtiment, si rien n’y met obstacle ; obstacle qui peut venir, par exemple, du péché véniel qui exige une purification et empêche la récompense d’être immédiate. De plus, comme le lieu qui est assigné à une âme correspond à la récompense ou au châtiment qu’elle a mérité, aussitôt que cette âme est séparée du corps, elle est engloutie en enfer ou elle s’envole au ciel, à moins, en ce dernier cas, qu’une dette envers la justice divine ne retarde son envolée en l’obligeant à une purification préalable.

Cette vérité est proclamée avec évidence par les Ecritures canoniques et les ouvrages des saints Pères : sa négation doit donc être regardée comme hérétique.

Solutions :

1. La Glose s’explique elle-même : car, après avoir dit : "Tu ne seras pas encore où seront les saints, etc." elle ajoute : "C’est-à-dire, Tu n’auras pas la double étole qu’auront les saints lors de la résurrection".

2. Parmi les demeures mystérieuses dont parle saint Augustin, il faut ranger le ciel et l’enfer où il y a des âmes même avant la résurrection. Ce qui distingue le temps qui précède celle-ci et le temps qui la suit, c’est l’absence ou la présence du corps, et aussi le fait que certaines demeures qui contiennent aujourd’hui des âmes n’en contiendront plus après la résurrection.

3. Le corps crée une espèce de continuité entre tous les hommes ; c’est par lui que se vérifie cette parole des Actes : "D’un seul homme Dieu a fait sortir tout le genre humain". Au contraire, "Dieu a créé chacune des âmes". La glorification simultanée de toutes les âmes s’impose donc moins que celle de tous les corps.

De plus, la gloire du corps est moins essentielle que celle de l’âme. L’ajournement de celle-ci causerait donc aux saints un préjudice d’autant plus grave, et que ne suffirait pas à compenser le supplément de joie que chacun recevrait de la joie de tous.

4. Saint Grégoire propose et résout cette même objection. "Si les âmes des saints sont dès aujourd’hui dans le ciel, que recevront-ils donc, au jour du Jugement, comme prix de leurs vertus ?" Et il répond : "Un merveilleux accroissement jusque-là, leurs âmes seules goûtent le bonheur qui est leur récompense, mais alors ils jouiront de la béatitude de leur corps, ils seront heureux dans cette même chair dans laquelle ils ont enduré les douleurs et les tourments pour le Seigneur." La même distinction s’applique aux damnés.

Article 3 — Les âmes qui sont au ciel ou en enfer peuvent-elles en sortir ?

Objections :

1. "Si les âmes des morts, dit saint Augustin, s’intéressaient aux affaires des vivants, (si ces âmes, quand nous les voyons, nous parlaient dans le sommeil), il s’ensuivrait, pour ne pas citer d’autres personnes, que ma pieuse mère serait toujours avec moi chaque nuit, elle qui m’a suivi sur terre et sur mer pour vivre avec moi". Il en conclut que les âmes des morts restent distantes du monde des vivants. C’est dire qu’elles ne peuvent pas quitter leurs de meures posthumes.

2. Il est écrit au livre des Psaumes : "Je voudrais habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie", c’est-à-dire, ne jamais la quitter. Et dans celui de Job : "Celui qui descend au schéol ne remontera plus".

3. Les demeures sont assignées aux âmes pour leur récompense ou leur punition. Mais aucune âme ne verra diminuer l’une ou l’autre ; elle restera donc toujours où elle est.

Cependant :

1. Saint Jérôme apostrophe Vigilantius en ces termes : "Tu prétends que les âmes des Apôtres et des martyrs, qu’elles soient dans le sein d’Abraham, dans le lieu du rafraîchissement, ou sous l’autel de Dieu, ne peuvent pas se rendre présentes à leurs tombeaux, au gré de leur volonté. C’est ainsi que tu fais la loi à Dieu, que tu charges de liens les Apôtres, les retenant en prison jusqu’au jour du Jugement et les empêchant d’être avec leur Seigneur, quoiqu’ils soient de ceux dont il est écrit : "Ils suivent l’Agneau partout où il ira". Et, puisque l’Agneau est partout, il faut donc croire que ceux qui sont avec lui sont partout".

2. Saint Jérôme argumente encore dans le même sens : "Le diable et les démons parcourent l’uni vers entier ; leur prodigieuse mobilité les rend en quelque sorte présents partout ; et les martyrs, après avoir versé leur sang, resteraient enfermés sous l’autel mystique, sans pouvoir en sortir ?". Ils le peuvent donc, et les damnés eux-mêmes ne sauraient être dans une condition pire que celle des démons.

3. Saint Grégoire, de son côté, relate de nombreuses apparitions d’âmes après la mort.

Conclusion :

On peut donner deux sens à cette expression sortir de l’enfer ou du paradis. En sortir définitivement, de telle sorte que le paradis ou l’enfer ne soit plus le lieu de l’âme. En ce sens, aucun de ceux que la sentence irrévocable a faits entrer au ciel ou en enfer ne peut en sortir, comme on l’expliquera plus loin.

En sortir pour un temps. Et ici il faut distinguer ce qui est possible selon l’ordre naturel ou l’ordre providentiel, car, comme le dit saint Augustin, "autres sont les limites de la puissance humaine, autres les marques de la puissance divine ; autres sont les faits naturels, autres les faits miraculeux".

Selon l’ordre naturel, les âmes séparées, renfermées dans les demeures qu’elles ont méritées, sont complètement dissociées d’avec les vivants. En effet, les hommes qui vivent dans un corps et qui ne peuvent rien connaître indépendamment des sens sont incapables d’entrer en rapports immédiats avec ces âmes qui pourtant, semble-t-il, ne quitteraient leurs demeures que pour lier commerce avec les vivants.

Mais, selon l’ordre providentiel, il arrive que des âmes séparées sortent de leurs demeures et apparaissent aux hommes ; c’est ainsi que saint Augustin raconte que le martyr saint Félix se montra aux habitants de Noie, alors qu’ils étaient assiégés par les Barbares. On peut croire la même chose des damnés dont Dieu permet l’apparition dans le but d’instruire et de terrifier, comme aussi des âmes du purgatoire qui viennent implorer des suffrages, ainsi que saint Grégoire en cite de nombreux exemples. Toutefois,il y a cette différence entre les saints et les damnés, que les premiers peuvent apparaître à leur gré. De même, en effet, que les saints, pendant leur vie terrestre, reçoivent des grâces, dites gratuites, pour réaliser des guérisons et des prodiges dont le caractère miraculeux suppose une puissance divine et dont ceux qui n’ont pas reçu de pareilles grâces sont incapables, de même il n’est pas impossible que l’état de gloire confère aux âmes des saints une certaine puissance dont ils disposent à leur gré pour se rendre visibles. Quant aux damnés, ils ne peuvent le faire d’eux- mêmes, mais Dieu le leur permet quelquefois.

Solutions :

1. Saint Augustin, comme le contexte le prouve, se place au point de vue de l’ordre naturel. Il ne s’ensuit pas pourtant, que même si les morts pouvaient apparaître à leur gré, leurs relations seraient aussi ordinaires que celles des vivants entre eux. S’ils sont au ciel, leur union à la volonté divine est telle que rien ne leur semble permis qu’ils ne voient conforme aux dispositions de la Providence ; s’ils sont en enfer, ils sont tellement accablés par leurs peines qu’ils pensent plus à se lamenter sur eux-mêmes qu’à apparaître aux vivants.

2. Il s’agit ici d’une sortie définitive et non pas seulement d’une sortie temporaire.

3. Le lieu des âmes fait partie de leur récompense ou de leur châtiment selon qu’elles se réjouissent ou s’attristent de voir qu’il leur est assigné. Cette joie ou cette tristesse sont indépendantes de leur présence même en ce lieu ; de même que l’évêque auquel un siège d’honneur est réservé dans son église ne perd rien pour le quitter, parce que, même quand il n’y est pas actuellement assis, ce siège lui revient de droit.

Aux difficultés en sens contraire il faut répondre 1. Saint Jérôme parle de ce que peuvent les Apôtres et les martyrs par une puissance qu’ils tiennent, non de la nature, niais de leur état glorieux. Quand il ajoute qu’ils sont partout, cela ne veut pas dire qu’ils soient en plusieurs lieux ou partout à la fois, niais qu’ils peuvent être où ils le désirent.

2. Il ne faudrait pas assimiler les âmes des saints ou des damnés aux purs esprits, anges ou démons. Ceux-ci ont pour mission de vivre parmi les hommes pour les garder ou les éprouver. On n’en peut pas dire autant des âmes, mais seulement que celles des saints possèdent, comme un attribut de leur état glorieux, la puissance d’être où ils le désirent. Et c’est ce que veut dire saint Jérôme.

3. Il arrive que les âmes des saints ou des damnés sont réellement présentes au lieu de leurs apparitions ; mais il n’en est point toujours ainsi. Ces apparitions peuvent avoir lieu, pendant la veille ou le sommeil, par l’opération des bons ou des mauvais anges, dans le but d’instruire ou de tromper ; comme d’ailleurs - saint Augustin en cite de nombreux exemples - des vivants apparaissent à des vivants pendant leur sommeil et leur parlent longuement, sans cependant être réellement présents.

 

Article 4 — Cette expression "le sein d’Abraham" désigne-t-elle un limbe de l’enfer ?

Objections :

1. Saint Augustin dit : "Je n’ai jamais vu l’Ecriture prendre le mot enfer dans un sens favorable". Par contre, il ajoute "Ne pas prendre dans un sens favorable le sein d’Abraham et ce lieu de repos où le pauvre fut porté par les anges, je ne crois pas que personne puisse l’admettre".

2. Dans l’enfer on ne voit pas Dieu ; mais on voit Dieu dans le sein d’Abraham. "Quel que soit le lieu qu’on appelle le sein d’Abraham, mon cher Nebridius y est et il y est vivant... Il n’approche plus son oreille de mes lèvres, mais il applique les lèvres de son âme à la source que vous êtes, ô mon Dieu, il y boit la sagesse autant qu’il en a soif et il est heureux, heureux pour toujours".

3. L’Église ne demande jamais que personne soit conduit en enfer ; or elle demande que les anges conduisent les âmes des défunts "dans le sein d’Abraham".

Cependant :

1. On appelle "sein d’Abraham" le lieu où fut conduite l’âme du mendiant Lazare. Mais elle fut conduite en enfer, puisque, comme le déclare la Glose, "l’enfer était la demeure universelle des âmes avant la venue du Christ".

2. Jacob disait à ses fils : "(S’il arrivait malheur à Benjamin), vous feriez descendre mes cheveux blancs avec douleur dans les enfers". Jacob savait donc devoir y aller après sa mort. Abraham y alla aussi, et le sein d’Abraham ne peut que signifier une partie des enfers.

Conclusion :

Le mérite de la foi est le moyen nécessaire pour les âmes humaines de parvenir au repos après la mort "Pour s’approcher de Dieu, il faut croire". Or, Abraham est le grand exemple de la foi, lui qui, le premier, se sépara de la multitude incroyante et reçut "le signe de l’alliance" avec Dieu. C’est pourquoi le repos que les âmes trouvent après la mort est appelé "le sein d’Abraham".

Cependant, les âmes des justes n’ont pas toujours joui du même repos. Après la venue du Christ, c’est la plénitude du repos par la vision béatifique. Auparavant, c’était le repos par l’absence de toute peine, mais ce n’était pas encore le repos du désir satisfait, puisque la fin dernière restait encore à atteindre. Dès lors, l’état des âmes justes, avant la venue de Jésus-Christ, nous apparaît à la fois comme un repos : en ce sens, c’est le sein d’Abraham ; mais comme un repos encore incomplet : en ce sens, c’est un limbe des enfers. L’identité de ces deux lieux, avant la venue du Christ, tenait donc à des circonstances accidentelles et non à la nature même des choses. Rien n’empêche donc que, après la venue du Christ, elle ait cessé d’être, puisqu’une union accidentelle peut être rompue.

Solutions :

1. Le repos incomplet qui faisait autrefois du sein d’Abraham un limbe des enfers suffit à expliquer que le premier n’est pas pris dans un sens défavorable, pas plus que le second dans un sens favorable, quoique les deux eussent alors une certaine identité.

2. Le sein d’Abraham désigne le repos des justes de l’ancienne Loi après comme avant la venue du Christ, mais avec une autre signification. Avant, leur repos était incomplet par défaut de la Vision béatifique ; c’est pourquoi il était à la fois le sein d’Abraham et un limbe des enfers. Après, ce repos a reçu sa plénitude par la vision de Dieu, et ce n’est plus que le sein d’Abraham, dans lequel l’Église prie Dieu de placer ses fidèles.

3. La réponse vient d’être donnée, comme aussi l’explication de ces paroles d’une glose sur la parabole du mauvais riche "Le sein d’Abraham, c’est le repos des bienheureux pauvres auxquels appartient le royaume des cieux".

 

Article 5 — Le limbe des Patriarches est-il autre chose que l’enfer des damnés ?

Objections :

1. Il est dit du Christ qu’il a "blessé" l’enfer, mais sans le tuer, car il n’a délivré qu’une partie de ceux qui y étaient détenus. Or, cette expression n’a de sens que si ceux qu’il a libérés étaient dans l’enfer ou dans une partie de l’enfer.

2. Un des articles du Symbole, c’est la descente du Christ en enfer. Or, il n’est descendu qu’au limbe des patriarches, qui est donc identique à l’enfer.

3. L’âme de Job, homme juste et saint , est allée au limbe des Patriarches. Il disait cependant "Tout ce qui est à moi descendra dans l’enfer le plus profond".

Cependant :

1. "Il n’y a pas de rédemption pour ceux qui sont en enfer". Or, les justes de l’ancienne Loi furent délivrés. Le limbe où étaient leurs âmes n’est donc pas identique à l’enfer.

2. "Je ne vois pas, dit saint Augustin, comment on pourrait croire que le lieu de repos", où fut conduit Lazare, "soit dans l’enfer". Le limbe où il fut conduit n’est donc pas l’enfer.

Conclusion :

On peut considérer dans les demeures des âmes après la mort ou leur situation, ou leur condition qui en fait une récompense ou un châtiment. A ce second point de vue, il est évident que le limbe des Patriarches et l’enfer des damnés sont différents, puisque celui-. ci est un lieu de tourments, et de tourments éternels, tandis que celui-là était un lieu de détention temporaire d’où la souffrance était absente.

Mais, au point de vue de la situation, il est probable que le limbe des Patriarches occupait le même lieu que l’enfer, ou un lieu voisin, quoique supérieur. En effet, ceux qui sont dans les enfers y sont traités d’une manière proportionnée à leurs fautes ; parmi les damnés eux-mêmes, ceux qui ont le plus gravement péché occupent un lieu plus profond et plus obscur. D’où il suit que les justes de l’ancienne Loi, qui n’avaient aucune faute personnelle à expier, occupaient la partie la plus haute et la moins obscure de ce qu’on appelle les enfers.

Solutions :

1 et 2. A cause de leur proximité, le Christ est dit avoir blessé l’enfer, être descendu en enfer, lorsqu’il est allé au limbe des Patriarches pour les délivrer.

3. L’âme de Job est bien descendue au limbe des Patriarches ; s’il parle de sa très grande pro fondeur, c’est seulement par rapport à la situation de tous les enfers sans distinction.

On pourrait dire encore que cette parole était moins une affirmation que l’expression d’une crainte, ainsi que saint Augustin le dit de Jacob "Cette parole : "Vous ferez descendre mes cheveux blancs avec douleur dans les enfers", semble avoir surtout exprimé la crainte que le trouble excessif causé par la douleur ne le conduisît à l’enfer des pécheurs plutôt qu’au repos des bienheureux".

 

Article 6 — Le limbe des enfants est-il le même que celui des Patriarches ?

Objections :

1. La punition et le lieu de la punition doivent correspondre à la faute. Or les Patriarches et les enfants étaient retenus dans les limbes pour la même faute, la faute originelle. Donc dans le même lieu.

2. "La punition des enfants morts avec le seul péché originel, dit saint Augustin, est de toutes la plus légère". Mais tel est aussi le caractère de la punition subie par les Patriarches dans les limbes.

Cependant :

De même que le péché actuel est puni d’une peine temporelle en purgatoire et éternelle en enfer, de même le péché originel l’était d’une peine temporelle dans le limbe des Patriarches, éternelle dans celui des enfants. Dès lors, puisque le purgatoire et l’enfer ne sont pas le même lieu, il semble que le limbe des Patriarches et celui des enfants ne le sont pas non plus.

Conclusion :

Il est hors de doute que le limbe des Patriarches et celui des enfants étaient différents au point de vue de la récompense et de la peine : les enfants n’ont pas l’espérance de la béatitude que les Patriarches possédaient en même temps que la foi et la grâce. Au point de vue de la situation, on peut croire que celle-ci était la même, ou encore que le limbe des Patriarches était situé au-dessus de celui des enfants.

Solutions :

1. La condition des Patriarches et celle des enfants n’était pas la même par rapport au péché originel. Chez les premiers, ce péché était expié pour autant qu’il atteint la personne humaine ; il constituait cependant encore un empêchement du côté de la nature humaine jusqu’à la satisfaction plénière et universelle du Christ. Chez les seconds, il demeurait et demeure à l’état de double empêchement, personnel aussi bien que naturel. C’est pourquoi l’on distingue le limbe des Patriarches de celui des enfants.

2. Saint Augustin parle des punitions infligées pour une faute personnelle, et la plus légère de toutes est celle que mérite le seul péché originel. Mais plus légère encore est la punition de ceux dont le seul empêchement à l’état glorieux vient de la nature humaine et non de leur personne, si même on peut appeler ce retard une punition.

 

Article 7 — Faut-il distinguer cinq demeures, ni plus ni moins ?

Objections :

1. Les demeures correspondent au mérite ou au démérite. Or, au mérite correspond une seule demeure, le paradis. Une seule aussi devrait donc correspondre au démérite ou péché.

2. C’est dans un seul et même lieu que, pendant la vie, les hommes méritent ou déméritent. Il semble donc que, après la mort, une seule et même demeure dût être assignée à tous.

3. Les lieux où l’on est puni doivent correspondre aux péchés. Il ne devrait donc y en avoir que trois, comme il n’y a que trois espèces de péchés : originel, véniel, mortel.

Cependant :

1. Il faudrait distinguer d’autres demeures encore, par exemple, l’air ténébreux qui est représenté comme la prison des démons.

2. Ou encore, le paradis terrestre dans lequel Hénoch et Elie ont été transportés.

3. L’âme qui sort de ce monde avec le péché originel et n’ayant commis que des péchés véniels doit avoir une demeure à part. En effet, elle ne peut aller ni au ciel, puisqu’elle n’a pas la grâce ; ni au limbe des Patriarches, pour la même raison ; ni au limbe des enfants, puisqu’il n’y a pas là de souffrance sensible, due cependant au péché véniel ; ni au purgatoire, puisqu’on n’y reste pas toujours ; ni en enfer, puisque seul le péché mortel y condamne.

4. Puisque les demeures correspondent au mérite et au démérite dont il peut y avoir des degrés infinis, elles doivent donc être, elles aussi, en nombre infini.

5. Les âmes sont quelquefois punies au lieu même o elles ont péché, c’est-à-dire ici-bas, ce qui fait encore une demeure, d’autant plus que les pécheurs sont parfois punis dès cette vie et en ce monde.

6. Aux âmes en état de grâce, mais avec des fautes vénielles à expier, est assignée une demeure spéciale, le purgatoire. Aux âmes en état de péché mortel, mais ayant fait quelques bonnes œuvres, devrait donc aussi être assignée une demeure spéciale, distincte de l’enfer.

7. De même que, avant la venue du Christ, les âmes justes attendaient leur gloire plénière dans une demeure spéciale ; de même il semble qu’elles devraient dès lors et jusqu’à la résurrection attendre la gloire de leurs corps dans une demeure autre que le ciel.

Conclusion :

Des demeures distinctes sont assignées aux âmes selon leurs divers états ou conditions. L’âme unie au corps est ici-bas en état de mériter ; séparée du corps, elle est en état de recevoir ce qu’elle a mérité, en bien ou en mal. Si donc, après la mort, elle est en état de recevoir, d’une manière définitive, la récompense du bien qu’elle a fait, c’est le paradis ; la punition du péché actuel et mortel qu’elle a commis, c’est l’enfer des damnés ; la punition du seul péché originel, c’est le limbe des enfants. - S’il est un empêchement à ce caractère définitif, il peut venir ou de la personne, et c’est le purgatoire dans lequel les âmes sont retenues jusqu’à expiation des péchés commis ; ou de la seule nature humaine, et c’est le limbe des Patriarches où les retenait une humanité pour laquelle le Christ n’avait pas encore souffert et expié.

Solutions :

1. "Il n’y a qu’une manière d’être bon, il y en a de multiples d’être mauvais". On peut donc, sans contradiction, unifier la demeure où le bien est finalement récompensé et multiplier celles où le mal est puni.

2. Chaque homme peut mériter et démériter ; cela ne fait donc qu’un seul état et ne suppose donc aussi qu’une seule et même demeure. Il n’en va plus de même quand il s’agit de recevoir la récompense ou la punition selon que l’on a mérité ou démérité.

3. Le péché originel peut mériter une double punition, selon qu’il tient à la personne ou seulement à la nature humaine : deux demeures distinctes doivent donc lui correspondre.

4. L’air n’est pas le lieu où les démons reçoivent leur punition, mais celui qui semble leur convenir dans la guerre qu’ils font aux hommes. Leur vraie demeure, c’est l’enfer.

5. Le paradis terrestre se rapporte plus à la vie présente qu’à la vie future, la seule dont il est ici question.

6. C’est là une hypothèse impossible. A supposer qu’elle soit possible, il faudrait répondre que cette âme irait en enfer. Si le péché véniel est puni d’une peine temporelle en purgatoire, c’est qu’il coexiste avec la grâce. Si, au contraire, il s’ajoute à un péché mortel, qui exclut la grâce, il est puni d’une peine éternelle en enfer. Dès lors, puisque celui qui meurt avec le péché originel n’a pas la grâce, il n’est pas déraisonnable de le condamner à une punition éternelle pour les péchés véniels qu’il a commis.

7. Les divers degrés dans la récompense ou la punition ne constituent pas divers états, donc pas davantage diverses demeures.

8. Les lieux terrestres où il arrive que des âmes séparées expient leurs fautes, ne sont cependant pas le vrai lieu de leur punition ; Dieu le permet pour nous instruire et nous inspirer une crainte salutaire du péché.

La punition du péché en cette vie est étrangère à la question, car elle ne, constitue pas un état spécial et laisse l’homme en état de mériter ou de démériter, tandis qu’il s’agit ici des demeures assignées aux âmes en conséquence et comme conclusion de ce premier état.

9. Le mal ne se présente jamais à l’état pur et sans mélange de bien, de la façon dont le souverain bien existe sans aucun mélange de mal. C’est pourquoi, pour atteindre la béatitude, qui est le souverain bien, il faut être purifié de tout mal, soit avant de quitter ce monde, soit après-, dans un lieu spécial qui est le purgatoire. Mais, en enfer, une saurait y avoir une absolue privation de bien. Les deux. cas sont donc dissemblables parce que les bonnes œuvres qu’ils ont faites sur la terre peuvent valoir aux damnés un certain adoucissement de leur punition.

10. La gloire de l’âme constitue la récompense essentielle ; celle du corps, qui en est comme un rejaillissement, est tout entière contenue dans l’âme comme dans son principe. Seule la privation de la première constitue donc aussi un état spécial. Le même lieu, le ciel empyrée, est donc la demeure des âmes séparées de leurs corps mortels et des âmes réunies à leurs corps glorifiés. Au contraire, les âmes des Patriarches, avant et après leur glorification, exigeaient des demeures différentes.

 

QUESTION 70 — LA CONDITION DE L’AME SÉPARÉE DU CORPS, ET LA PEINE QUE PEUT LUI INFLIGER UN FEU CORPOREL

Trois demandes : 1. Les puissances sensibles demeurent-elles dans l’âme séparée ? - 2. Les actes de ces puissances y demeurent-elles ? - 3. L’âme séparée peut-elle souffrir d’un feu corporel ?

 

Article 1 — Les puissances sensibles demeurent-elles dans l’âme séparée ?

Objections :

1. Saint Augustin le dit : "L’âme se retire du corps, emportant tout avec elle la sensibilité, l’imagination, la raison, l’intellection, l’intelligence, l’appétit concupiscible et l’appétit irascible".

2. Saint Augustin dit encore : "Nous croyons que seul l’homme possède une âme subsistante qui, séparée du corps, continue à vivre et garde vivants ses sens et son intelligence".

3. Les puissances de l’âme font partie de son essence, ainsi que certains l’affirment, ou, du moins, lui appartiennent comme des propriétés naturelles. Mais, dans un cas comme dans l’autre, elles en sont donc inséparables.

Un tout n’est plus entier s’il lui manque quelque partie. Mais les puissances de l’âme sont considérées comme des parties de l’âme. Si la mort lui en enlevait quelques-unes, elle ne serait donc plus entière : ce qui est inadmissible.

5. Les puissances de l’âme coopèrent au mérite plus que le corps, puisqu’elles sont des principes d’action, tandis que le corps n’est qu’un instrument. Si donc, à cause de sa coopération, le corps doit être récompensé avec l’âme, à plus forte raison les puissances sensibles, que l’âme doit donc garder.

6. Si l’âme, par sa séparation d’avec le corps, perd ses puissances sensibles, celles-ci tombent dans le néant, car, étant immatérielles, elles ne peuvent être résorbées dans une matière. Mais ce qui est annihilé ne saurait retrouver son identité individuelle. L’âme, à la résurrection, ne récupérerait donc pas les mêmes puissances sensibles. Or, ce que l’âme est au corps, les puissances le sont aux parties du corps, par exemple, la puissance visuelle aux yeux. Si ce n’est pas la même âme qui reprend le corps, l’on n’a plus le même homme ; et, pour la même raison, si ce n’est pas la même puissance visuelle, on n’a plus les mêmes yeux, et de même pour les autres parties de l’organisme ce qui fait que l’homme tout entier n’est plus le même. L’âme ne peut donc perdre ses puissances sensibles.

7. Si la disparition du corps faisait disparaître les puissances sensibles de l’âme, il faudrait aussi que, lorsqu’il s’affaiblit, elles s’affaiblissent du même coup. Or, il n’en est pas ainsi "Si l’on pouvait rendre à un vieillard des yeux de jeune homme, dit Aristote, sa vue serait celle d’un jeune homme".

Cependant :

1. "L’homme, dit saint Augustin, est composé de cieux substances : une âme et un corps, une âme avec sa raison, un corps avec ses sens". Or, les puissances sensitives dépendent du corps. Donc, dans l’âme séparée du corps, elles ne sont plus.

2. Aristote parlant de la séparation de l’âme d’avec le corps, s’exprime ainsi : "Il faut rechercher s’il y a, en dernière analyse, quelque chose de permanent. Ce n’est pas impossible pour certains êtres, l’âme, par exemple, sinon tout entière, du moins cette partie qui est l’entendement, car peut-être l’âme tout entière ne peut avoir cette propriété", c’est-à-dire que ses puissances sensibles ou végétatives périssent avec le corps.

3. Parlant de l’intelligence ou entendement, Aristote dit qu’elle est un autre genre d’âme "et le seul qui puisse être isolé du reste comme l’éternel du périssable. Quant aux autres parties, il est manifeste qu’elles sont inséparables du corps, à l’encontre de ce que prétendent certains philosophes", et, par conséquent, qu’elles ne subsistent plus dans l’âme séparée.

Conclusion :

Cette question a reçu diverses réponses. Les uns, croyant que toutes les puissances sont dans l’âme, de la manière dont les couleurs sont dans un corps, disent que l’âme séparée du corps les emporte toutes avec elle si quelqu’une faisait défaut, l’âme serait donc changée quant à l’une de ses propriétés naturelles, qui doivent cependant demeurer invariables aussi longtemps que leur sujet lui-même demeure.

Cette manière de voir est erronée. Une puissance, c’est ce qui rend capable d’action ou de passion, et c’est le même sujet qui agit (ou pâtit) et qui en est capable ; et c’est à lui qu’il faut donc que la puissance appartienne. Ce qu’Aristote exprime ainsi "Au même appartiennent puissance et action". Or, il est évident que certaines opérations, qui ont les puissances de l’âme pour principes, ne sont pas de l’âme seule, à proprement parler, mais du composé humain, puisqu’elles s’accomplissent au moyen du corps, par exemple, voir, entendre, etc. De ces puissances le composé humain est donc le sujet, l’âme en est le principe actif, de même que la forme est le principe des propriétés de l’être composé de matière et de forme. Certaines opérations, au contraire, sont accomplies par l’âme, indépendamment de l’organisme, par exemple, comprendre, considérer, vouloir ; étant. donc propres à l’âme, il s’ensuit que les puissances d elles émanent ont l’âme non seulement pour principe, mais encore pour sujet. Dès lors, puisque sujet et propriétés de meurent ou disparaissent ensemble, il est nécessaire que l’âme séparée garde les puissances dont l’action est indépendante de l’organisme, mais qu’elle perde celles dont l’action en dépend, c’est-à-dire celles qui appartiennent à l’âme sensitive et à l’âme végétative.

C’est pour cette raison que certains philosophes ont distingué dans l’âme deux espèces de puissances sensibles : les unes sont les actes des organes, dérivent de l’âme dans le corps et disparaissent avec lui ; les autres, principes originels des précédentes, sont dans l’âme par elles l’âme rend le corps sensible à la vision, à l’audition, etc., et elles demeurent dans l’âme séparée.

Mais cette distinction est imaginaire. En effet, c’est de l’âme elle-même, de son essence, et sans puissances interposées, que dérivent les puissances qui actuent les organes ; de même qu’une forme quelconque, du fait que, par son essence, elle détermine une matière, est l’origine des propriétés naturelles de l’être qui résulte de leur union. D’ailleurs, entre l’âme et ces puissances interposées, il en faudrait interposer d’autres, et ainsi de suite à l’infini. Si l’on doit s’arrêter quelque part, mieux vaut s’arrêter au premier pas.

Aussi, d’autres philosophes ont proposé une autre distinction les puissances sensibles, et les autres du même ordre, demeurent dans l’âme séparée, non pas formellement, mais radicalement, à la manière dont les effets sont contenus dans leurs causes ;en d’autres termes, l’âme séparée conserve l’énergie capable de produire à nouveau ces puissances, si elle est unie au corps, sans qu’il soit nécessaire de faire de cette énergie quelque chose de surajouté à l’âme. Cette opinion semble la plus raisonnable.

Solutions :

1. Il faut entendre cette parole de saint Augustin en ce sens que l’âme emporte avec elle toutes ses puissances, mais les unes formellement, les autres radicalement.

2. Les sens que l’âme emporte avec elle, ce ne sont pas les sens extérieurs, mais les sens intérieurs qui appartiennent à l’entendement, car le mot sensus désigne aussi bien l’intelligence. Si l’on veut désigner par là les sens extérieurs, la distinction précédente (sol. 1) donne la réponse.

3. Les puissances sensibles ne se rapportent pas à l’âme comme des propriétés naturelles à leur sujet, mais comme à leur principe.

4. On dit que les puissances de l’âme en des parties potentielles. Or, un tout composé pareilles parties, un tout potentiel, a ceci caractéristique que l’énergie totale du compos existe à l’état parfait dans l’une des parties, cl à l’état imparfait dans les autres ; l’énergie l’âme, par exemple, est tout entière dans puissance intellectuelle, partielle dans les autres puissances. L’âme séparée reste donc entière ne subit aucun amoindrissement, puisqu’elle conserve ses facultés intellectuelles, encore que puissances sensibles aient cessé d’exister formellement ; de même que la puissance du roi n’est nullement amoindrie par la mort du ministre qui détenait une part de la puissance royale.

5. L’homme mérite par son corps comme une partie essentielle de lui-même. On n’en saurait dire autant des puissances sensibles qui sont quelque chose d’accidentel.

6. Quand on dit que les puissances sensibles actuent les organes, leur donnent leur forme essentielle, il faut entendre que c’est en tant que puissances de l’âme en qui elles sont et qui est en elles ; leur fonction propre est de rendre les organes capables de leurs opérations, de même que la chaleur joue le rôle d’acte par rapport au feu, parce qu’elle le rend capable de brûler. Dès lors, le feu resterait identique à lui-même, à supposer que sa chaleur ne le restât pas ; comme l’eau, froide d’abord, puis chauffée, et qui redevient froide, reste la même, quoique le froid, avant et après, ne soit pas identiquement le même. Ainsi, les organes corporels conserveront leur identité individuelle, quoique les puissances sensibles aient perdu la leur.

7. Aristote parle des puissances sensibles selon qu’elles ont leur racine dans l’âme, comme le prouve ce qu’il ajoute "On vieillit par le corps et non par l’âme". En ce sens, le corps n’exerce aucune influence sur les puissances de l’âme, ni pour les affaiblir, ni pour les faire disparaître.

 

Article 2 — Les actes des puissances sensibles demeurent-ils dans l’âme séparée ?

Objections :

1. Saint Augustin semble l’affirmer : "L’âme séparée du corps jouit ou souffre, selon qu’elle l’a mérité, de ces choses", à savoir, l’imagination, l’appétit concupiscible et irascible, qui sont des puissances sensibles.

2. "Ce n’est pas le corps qui éprouve la sensation, mais l’âme", dit-il encore. "Il y a cependant certaines choses que l’âme ressent par elle-même, indépendamment du corps, comme la crainte, etc.". Elle peut donc aussi les ressentir, séparée du corps.

3. Voir des images corporelles, comme dans le rêve, appartient à l’imagination qui est une puissance sensible. Or, l’âme séparée en est capable. "Je ne vois pas, dit saint Augustin, pourquoi l’âme aurait une ressemblance de son corps, lorsque, ce corps étant étendu privé de sentiment, mais sans être mort, elle voit ce qu’une foule de personnes rendues à la vie, après avoir éprouvé cette sorte de ravissement, ont raconté qu’elles avaient vu ; je ne vois pas, dis-je, pourquoi elle ne l’aurait pas, une fois que, par la mort corporelle, elle a complètement quitté son corps". Or, on ne peut comprendre que l’âme ait une ressemblance de son corps, sinon parce qu’elle la voit.

C’est pourquoi saint Augustin venait de dire que ces personnes ravies hors de leurs Sens corporels, "ont en elles-mêmes une certaine ressemblance de leur corps, par laquelle elles peuvent être emportées vers des lieux corporels et éprouver quelque chose de semblable aux images des sens".

4. La mémoire est une puissance sensible. Or, les âmes séparées ont le souvenir de ce qu’elles ont fait en ce monde. Abraham disait au mauvais riche : "Souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie".

5. L’appétit concupiscible et l’appétit irascible sont des puissances sensibles. Or, c’est en eux que se trouvent les passions, joie et tristesse, amour et haine, crainte et espoir, dont la foi nous commande d’attribuer les actes aux âmes séparées.

Cependant :

1. Ce qui exige l’union de l'â et du corps ne saurait demeurer dans l’âme séparée. Or, toutes les opérations des puissances sensibles exigent cette union, puisque toutes exercent leur activité par l’entremise d’un organe corporel. Cette activité doit donc être refusée à l’âme séparée.

2. Aristote dit que "le corps ayant disparu, l’âme n’a plus ni souvenir ni amour". Et il en va de même pour tous les actes des puissances sensibles.

Conclusion :

Certains philosophes distinguent deux espèces d’actes des puissances sensibles : les uns, extérieurs, avec le concours de l’organisme ; les autres, intérieurs, produits par l’âme elle-même et dont, à la différence des précédents, elle demeure capable, même à l’état séparé. Cette opinion semble avoir sa source chez Platon, d’après lequel l’âme est unie au corps comme une substance parfaite en elle-même et totalement indépendante de lui, sinon pour le mouvoir, comme le prouve sa théorie de la transmigration des âmes ou métempsychose. D’autre part, comme il n’admettait pas que rien pût mouvoir à moins d’être mû, et comme, pour éviter d’aller à l’infini, le premier moteur doit se mouvoir lui-même, il concluait que l’âme se meut elle-même. Il y aurait donc en elle un double mouvement : l’un qu’elle se donne à elle-même, l’autre qu’elle imprime au corps. Ainsi, l’acte de voir est premièrement dans l’âme elle-même, secondairement dans l’organe visuel.

Aristote a réfuté cette opinion et démontré que l’âme ne se meut pas elle-même ; de plus, que les mouvements, voir, sentir, etc. ne sont nullement en elle, mais dans le composé humain. Il faut donc conclure que les actes des puissances sensibles ne demeurent pas dans l’âme séparée, sinon comme dans leur principe éloigné.

Solutions :

1. Certains auteurs prétendent que l’ouvrage d’où est tiré cette objection n’est pas de saint Augustin, mais d’un moine cistercien qui l’a composé avec des textes du saint Docteur, non sans y mêler du sien. Ce livre ne ferait donc pas autorité.

S’il en était autrement, il faudrait distinguer la joie et la douleur ne sont pas provoquées dans l’âme séparée par des actes de l’imagination ou de toute autre puissance sensible que l’âme produirait dans cet état ; mais par les actes de ces puissances qu’elle a produits dans l’état d’union avec le corps. En d’autres termes, il ne s’agit pas, pour l’âme séparée, d’actes sensibles présents, mais passés.

2. Quand on dit que l’âme sent au moyen du corps, ce n’est pas que cet acte soit de l’âme elle-même, mais du composé auquel elle donne le pouvoir de sentir ; c’est ainsi que l’on dit que la chaleur chauffe.

Quand saint Augustin ajoute que l’âme éprouve certaines sensations sans corps, il faut entendre sans l’action d’un corps extérieur, comme il en faut une pour l’exercice des sens propres ; car la crainte et les autres passions sont toujours accompagnées au moins d’un mouvement organique intérieur. - On pourrait encore répondre que saint Augustin suit ici l’opinion platonicienne.

3. Dans ce livre tout entier, ou presque, saint Augustin enquête plutôt qu’il n’affirme. - En effet, il est clair que la condition de l’âme pendant le sommeil est autre que celle de l’âme séparée. Dans le premier état, elle use de l’organe de l’imagination, gardienne des images sensibles, ce qui, dans le second, est impossible.

On peut répondre encore que les ressemblances des choses se trouvent dans la sensation, dans l’imagination et aussi dans l’intelligence, quoiqu’à des degrés différents d’abstraction de la matière et des conditions matérielles. La comparaison de saint Augustin est donc juste en ceci : de même que l’âme, dans le rêve ou le ravissement, possède les ressemblances des choses extérieures à l’état d’images, l’âme séparée les possède à l’état d’idées, mais pas autrement.

4. Le mot mémoire peut désigner deux choses : une puissance de la sensibilité, selon qu’elle a pour objet le temps passé. Cette mémoire fait défaut à l’âme séparée ; C’est en ce sens qu’Aristote dit : "Le corps disparu, l’âme n’a plus le sou venir". Il peut désigner encore "une partie de l’image" de la Trinité dans l’âme, et dans la partie intellectuelle de l’âme ; car elle fait abs traction de toute différence de temps et a pour objet le présent et le futur aussi bien que le passé. Cette mémoire persiste dans l’âme séparée.

5. Si par l’amour, la joie, la tristesse, etc. on entend des passions de la sensibilité, elles ne sont pas dans l’âme séparée, puisque, par définition, elles supposent un mouvement du cœur et de l’organisme. Si l’on entend des actes de la volonté, faculté intellectuelle, elles sont dans l’âme séparée ; c’est ainsi que le plaisir qui, en un sens, est une passion de la sensibilité, comporte un autre sens suivant lequel Aristote l’attribue à Dieu qui, dit-il, "jouit toujours d’un plaisir unique et simple".

 

Article 3 — L’âme se peut-elle souffrir d’un feu corporel ?

Objections :

1. Saint Augustin semble dire que c’est impossible. (Qu. Disp., de Anima, art. 6, ad 7 ; art. 2) "Les choses par lesquelles sont affectées, en bien ou en mal, les âmes sorties corps, ne sont pas corporelles, mais ressemblent seulement à des choses corporelles".

2. L’être qui agit sur un autre lui est toujours supérieur. Or, aucun être corporel ne peut être supérieur à l’âme séparée, donc agir sur elle.

3. Action et passion exigent une matière commune à l’agent et au patient. Or il n’y en a pas pour l’âme séparée qui est esprit et un feu corporel. C’est pourquoi il ne peut y avoir non plus de transformation réciproque.

4. Si le feu corporel pouvait agir sur l’âme séparée, celle-ci en recevrait donc quelque chose, qui serait donc spirituel comme elle-même, et donc une perfection, au lieu d’une punition.

5. L’âme ne peut pas davantage "être punie par le feu, du fait qu’elle le voit", comme semble le dire saint Grégoire. Car cette vision, en l’absence de tout organe, ne peut être qu’intellectuelle, et donc agréable, puisque, comme le dit Aristote, "il n’y pas de tristesse contraire au plaisir de la connaissance".

6. L’âme ne peut souffrir non plus d’être retenue dans le feu comme elle l’est ici-bas dans son corps, car elle ne lui est pas unie, comme elle l’est à son corps, pour faire avec lui un seul être composé de forme et de matière.

7. Toute action corporelle suppose un contact, qui n’est possible qu’entre deux corps dont les surfaces peuvent s’unir, mais qui est impossible ici

8. Un être corporel ne peut agir à distance qu’en agissant sur les intermédiaires. Or, on ne voit pas comment le feu de l’enfer aurait une telle puissance, ni surtout qu’il l’exerce de fait, sur les âmes et sur les démons qui ne sont pas toujours dans l’enfer, et dont cependant la peine doit être ininterrompue, comme l’est aussi le bonheur des élus.

Cependant :

1. La condition des âmes séparées est identique à celle des démons par rapport à un feu matériel. Or, telle est la punition des démons, puisqu’ils souffrent du même feu dans lequel seront précipités les corps des damnés après la résurrection, et qui sera donc un feu corporel. "Allez, maudits, au feu éternel qui a été préparé au démon et à ses anges". Les âmes séparées peuvent donc souffrir d’un feu corporel.

2. La punition doit correspondre à la faute. Or, l’âme s’est faite l’esclave du corps en cédant à ses convoitises coupables. Il est donc juste qu’elle devienne comme le souffre-douleur d’une créature matérielle.

3. L’union de la forme avec la matière est plus intime, donc plus difficile à réaliser, que celle de l’agent avec le patient. Or, la première est réalisée dans l’union de l’âme avec le corps. Donc, à plus forte raison, la seconde peut l’être, de l’âme avec un feu corporel qui agit sur elle pour la faire souffrir.

Conclusion :

Si l’on admet que le feu de l’enfer n’est ni un feu métaphorique ni un feu imaginaire, mais un feu réel et corporel, il faut affirmer que l’âme en souffrira, puisque le Christ dit "qu’il a été préparé au démon et à ses anges," dont la nature est spirituelle comme celle de l’âme elle-même. Mais les opinions sont divisées sur la manière dont l’âme peut en souffrir.

Certains ont prétendu que, pour l’âme, voir le feu, c’est souffrir du feu. "Du seul fait qu’elle le voit, dit saint Grégoire, l’âme en souffre".

Mais cette explication semble insuffisante En effet, une chose vue, par cela seul qu’Elie est vue, est une perfection de celui qui la voit. Ce n’est donc pas ainsi qu’Elie peut faire souffrir, mais seulement si ce qui est vu apparaît en même temps comme nuisible. Il faut donc que l’âme non seulement voie le feu, mais encore voie en lui une cause de souffrance.

D’autres ont donc pensé que si l’âme ne peut être brûlée par un feu corporel, elle le voit cependant, et le voit comme un supplice, ce qui suffit à lui causer crainte et douleur, réalisant ainsi cette parole des Livres Saints : "Ils ont tremblé là où il n’y avait pas à trembler". Ce que saint Grégoire exprime en ces termes : "L’âme se voit brûler et elle brûle" pas du feu en réalité, mais seulement en apparence. Sans doute, on peut éprouver de réels sentiments de crainte ou de douleur pour un motif purement imaginaire, comme le dit saint Augustin ; cependant, on ne pourrait pas dire, s’il en était ainsi, que la souffrance de l’âme vient de la réalité même, mais seulement de l’idée qu’elle s’en fait. - De plus, cette souffrance s’éloignerait plus encore de la réalité qu’une souffrance imaginaire, car celle-ci est causée par des images représentant des choses réelles, tandis que celle-là serait causée par de fausses idées fabriquées par l’âme elle-même. - Enfin, il n’est guère probable que les âmes séparées ou les démons, à qui la perspicacité ne fait nullement défaut, puissent croire à la nocivité d’un feu dont ils n’éprouve raient jamais les effets.

Une nouvelle opinion admet donc que l’âme peut souffrir en réalité d’un feu corporel. "Nous pouvons conclure des récits évangéliques, dit saint Grégoire, que l'âme souffre du feu non seulement en le voyant, mais en l’éprouvant". Mais voici l’explication qu’on en donne. Le feu corporel de l’enfer peut être considéré à un double point de vue : comme une chose corporelle quel conque, et ainsi il est incapable d’agir sur l’âme ; comme instrument de la justice divine qui exige et c’est dans l’ordre, que l’âme qui, par le péché, s’est faite l’esclave des choses corporelles pour jouir, le soit aussi pour être punie. D’autre part, l’instrument agit non seulement par sa vertu propre, mais encore par la vertu de celui qui l’emploie. Il n’est donc pas déraisonnable d’admettre que ce feu vengeur, servant d’instrument à un être spirituel, puisse agir sur des esprits, comme l’âme et le démon. C’est ainsi que s’explique la sanctification de l’âme par les sacrements.

Cette opinion prête encore à la critique. En effet, un instrument n’agit pas seulement par la vertu que lui communique l’agent principal, mais encore par sa vertu propre et naturelle ; bien plus, c’est l’usage de celle-ci qui permet à la première de s’exercer : c’est parce que l’eau du baptême lave le corps qu’elle peut sanctifier l’âme, c’est parce que la scie coupe le bois qu’elle peut concourir à la bâtisse. Il est donc nécessaire d’assigner au feu une action sur l’âme, qui soit en rapport avec sa nature corporelle, pour qu’on puisse en faire l’instrument de la justice divine sur l’âme pécheresse.

Il faut donc dire qu’une certaine union est la condition nécessaire pour qu’un corps puisse naturellement agir sur un esprit, en bien ou en mal, suivant qu’il est écrit : "Le corps, sujet à la Corruption, appesantit l’âme". Or, un esprit peut être uni à un corps de deux manières. 1° Comme la forme l’est à la matière, de façon à ne faire qu’un seul et même être composé des deux. C’est ainsi que l’âme est unie au corps, lui donne la vie, mais aussi en porte le poids ; mais ce n’est pas ainsi que l’âme ou le démon sont unis au feu. - 2° Comme l’être qui en meut un autre est uni à cet autre, ou comme l’être qui est dans un lieu est uni à ce lieu, selon le mode dont les êtres incorporels sont dans un lieu, ce qui signifie que, pour eux, être renfermés dans un lieu, c’est être dans celui-là et pas dans un autre. Cependant, si un corps a, par sa nature, le pouvoir de déterminer un lieu à un esprit, il n’a pas le pouvoir de l’y retenir, de telle sorte que cet esprit y soit comme attaché, sans possibilité d’aller ailleurs ; car une pareille sujétion est étrangère à la nature d’un être spirituel. Mais, la justice divine vengeresse donne au feu corporel qui lui sert d’instrument ce pouvoir de détention ; il devient par là le châtiment de l’âme, lui inter disant l’exercice de sa volonté, l’empêchant d’agir où elle veut et comme elle veut.

Saint Grégoire parle du feu de l’enfer en termes analogues : "Dès lors que la Vérité déclare le mauvais riche condamné au feu, quel homme sage pourrait nier que le feu est la prison des réprouvés ?" - Julien, évêque de Tolède, dit de même : "Si l’âme qui est spirituelle est détenue dans le corps pendant la vie, pourquoi, après la mort, ne serait-elle pas détenue dans un feu corporel ?" Et saint Augustin dit aussi que, de même que, dans l’homme, l’âme est unie à un corps, malgré leur différence de nature, et en conçoit pour lui un violent amour, de même, unie au feu, comme la victime à son bourreau, elle en conçoit une indicible horreur.

Pour l’intelligence complète de la manière dont l’âme peut souffrir d’un feu corporel, il faut donc réunir toutes les opinions précédentes et dire que, par sa nature même, le feu peut servir de lieu à un être incorporel ; comme instrument de la justice divine, non seulement il lui est uni, mais il le retient captif ; et, par là, en toute vérité, il est pour lui une cause de souffrance, et cet esprit, voyant dans le feu la cause de sa souffrance, est tourmenté par le feu. Saint Grégoire a exposé, l’un après l’autre, les divers éléments de cette réponse, comme on a pu le voir au cours de l’article.

Solutions :

1. Ce texte de saint Augustin n’est pas une réponse définitive ; celle-ci a été donnée par lui dans la Cité de Dieu, et nous l’avons citée vers la fin de l’article.

Ou bien saint Augustin veut dire que la cause prochaine de douleur ou d’affliction pour l’âme est spirituelle : elle souffre par la connaissance qu’elle a du feu comme cause de sa souffrance ; tandis que le feu corporel en lui-même n’en est que la cause éloignée.

2. Quoique, par nature, l’âme soit supérieure au feu, celui-ci, comme instrument de la justice divine, est supérieur à l’âme.

3. Aristote et Boèce parlent de l’action par laquelle un être en rend un autre semblable à lui-même. Or telle n’est pas l’action du feu sur l’âme. L’objection ne porte donc pas.

4. Le feu n’exerce sur l’âme pas influence que de la retenir captive.

5. La vision intellectuelle ne comporte aucune souffrance du fait que quelque chose est vu, car, à ce point de vue précis, il ne peut y avoir de contrariété entre l’objet et la faculté. Dans la vision sensible, il peut y avoir contrariété indirectement, s’il arrive que l’objet, par l’action qu’il exerce pour être vu, blesse l’organe visuel. Cependant, la vision intellectuelle elle-même peut être une cause de souffrance, si ce que l’on voit est appréhendé comme un mal, non pas par le seul fait d’être vu, mais pour tout autre motif. C’est ainsi que la vision du feu fait souffrir l’âme.

6. La similitude des deux unions n’est pas absolue, mais seulement relative, ainsi qu’on l’a expliqué.

7. Entre une âme et un corps il n’y a pas un contact corporel, mais seulement un certain con tact spirituel, le même qui existe entre le ciel et l’être spirituel qui en est le moteur, et qu’Aristote compare à la relation entre deux personnes dont "l’une seulement contriste l’autre et l’atteint", sans être atteinte elle-même. Ce contact est suffisant pour agir sur un être.

8. Les esprits condamnés à l’enfer n’en sortent jamais sans que Dieu le permette pour instruire ou exercer les élus. Où qu’ils soient, ils voient toujours le feu de l’enfer comme le châtiment qui leur est destiné, et, puisque cette vue est la cause de leur souffrance, celle-ci est donc continuelle et causée par ce feu, de même que des prisonniers, même hors de leur prison, souffrent en quelque sorte de la prison à laquelle ils sont condamnés. Dès lors, si la gloire des élus ne subit aucune diminution, ni quant à la récompense essentielle, ni quant à la récompense accidentelle, lorsqu’ils sont hors du ciel empyrée, qui constitue une certaine portion de leur gloire, la peine des damnés n’est pas non plus diminuée lorsque la Providence leur permet de sortir momentanément de l’enfer. C’est ce que dit la Glose : "Partout où se trouve le démon, dans l’air ou sous terre, il porte avec lui le supplice de ses flammes". L’objection suppose que le feu agit directement sur l’âme comme il agirait sur un corps.

 

QUESTION 70 bis — LA CONDITION DES AMES EN ÉTAT DE PÉCHÉ ORIGINEL

Deux demandes - 1. Les âmes qui sortent de ce monde avec le seul péché originel doivent-elles subir la peine du sens ? - 2. Eprouvent-elles une souffrance intérieure, d’ordre spirituel ?

 

Article 1 — Le péché originel mérite-t-il par lui-même la peine du sens ?

Objections :

1. Saint Augustin semble l’affirmer : "Tiens fermement et ne doute nullement que les enfants morts sans baptême seront punis d’un éternel supplice". Le mot "supplice" désigne bien la peine du sens.

2. Une faute plus grave mérite une peine plus grande. Or, le péché originel est plus grave que le péché véniel : il contient plus d’aversion de Dieu, puisqu’il prive de la grâce et qu’il est puni d’une peine éternelle, tandis que le péché véniel, compatible avec la grâce, n’est puni que d’une peine temporelle. Donc, si le péché véniel mérite la peine du sens, à plus forte raison le péché originel la mérite-t-il.

3. Dans l’autre monde le péché est puni plus sévèrement qu’en cette vie où s’exerce la miséricorde divine. Or nous voyons le péché originel puni en cette vie et sans injustice, par des peines sensibles, comme cela arrive aux enfants. Donc, à plus forte raison, le sera-t-il dans l’autre vie.

4. Les deux éléments du péché actuel se retrouvent dans le péché originel s l’aversion de Dieu correspond la privation de la justice originelle, à la conversion vers les biens créés correspond la concupiscence. Or, ce second élément est puni par la peine du sens, quand il s’agit du péché actuel. Donc il doit en être de même pour le péché originel.

5. Après la résurrection, les corps des enfants seront passibles ou impassibles. Si on les suppose impassibles, ce ne peut être qu’en vertu de la qualité spéciale qui rend tels les corps des bien heureux, ou en raison de la justice originelle, comme dans l’état d’innocence. Dès lors, ou bien les corps des enfants seront doués de l’impassibilité et seront donc glorieux, et il n’y aura aucune différence entre baptisés et non-baptisés, ce qui est hérétique ; ou purifiés du péché d’origine, ils ne seront pas punis pour ce péché, ce qui est également hérétique. - Si on les suppose passibles : puisque tout être passible subit nécessairement l’action favorable ou défavorable, des êtres actifs qui sont en rapport avec lui, la peine du sens ne leur sera donc pas épargnée.

Cependant :

1. Saint Augustin dit que la peine à laquelle sont condamnés les enfants pour le seul péché originel "est la plus légère de toutes". Or, il n’en serait pas ainsi s’ils subissaient la peine du sens, c’est-à-dire le feu de l’enfer, qui est, au contraire, la plus terrible.

2. L’acuité de la peine du sens correspond au plaisir de la faute, comme il est dit dans l’Apocalypse : "Autant elle s’est glorifiée et plongée dans le luxe, autant... etc.". Or, le péché originel ne comporte aucune opération, donc aucun plaisir, puisque celui-ci dépend de celle-là. Le péché originel ne mérite donc pas la peine du sens.

Conclusion :

La peine doit être proportionnée à la faute, selon la parole d’Isaïe : "Avec mesure, vous l’exilez, vous la châtiez". Or, le défaut héréditaire, qui porte le nom mérité de faute originelle, ne consiste pas dans la soustraction ou corruption d’un bien essentiel à la nature humaine, mais d’un bien additionnel ; de plus, cette faute n’est imputable à une personne que parce qu’elle possède la nature humaine privée de ce bien dont elle avait été gratifiée dès l’origine et qu’elle pouvait conserver. Cette personne ne mérite donc pas d’autre punition que la privation de la fin que le bien perdu était destiné à atteindre et qui dépasse la nature humaine laissée à ses seules forces, c’est-à-dire, la vision de Dieu. Ainsi donc, ne pas voir Dieu est la punition spécifique et unique du péché originel dans l’autre vie. En effet, si une autre punition, la peine du sens, était alors infligée pour le péché originel, on serait puni pour une faute que l’on n’a pas commise, puisque la peine du sens correspond à quelque chose de personnel et atteint la personne Comme telle. Dès lors, puisque la personne n’a pas agi pour commettre le péché originel, elle ne doit pas pâtir en punition de ce péché, mais seulement être privée d’une fin qui dépasse la nature laissée à elle-même. Quant aux autres perfections et qualités purement naturelles, elles demeurent entières chez ceux qui subissent la peine du dam pour le seul péché originel.

Solutions :

1. Dans le texte allégué, le mot "supplice" ne désigne pas la peine du sens, mais seulement la peine du dam, ou privation de la vision de Dieu ; de même que, dans l’Ecriture, le mot "feu" désigne souvent toute espèce de peine.

2. Le péché originel est le moindre de tous, parce qu’il est le moins volontaire ; en effet, il ne l’est pas par la volonté personnelle d’un chacun, mais par celle du premier père de toute la race humaine. Au contraire, le péché actuel, même véniel, vient de la volonté de celui en qui il est. Le péché originel doit donc être puni moins sévèrement que le péché véniel. Le fait que le péché originel est incompatible avec la grâce ne prouve rien, La privation de la grâce est une peine et non une faute, à moins qu’elle ne soit volontaire. La même conclusion demeure : moindre volonté, moindre faute.

Le fait que le péché véniel est seulement puni d’une peine temporelle n’est pas plus concluant, car c’est accidentel c’est parce que celui qui meurt en état de péché véniel meurt aussi en état de grâce que sa punition a un terme. Si, par impossible, le péché véniel existait sans la grâce, la punition serait éternelle.

3. La peine du sens n’est pas absolument la même avant et après la mort. En cette vie, elle est causée par les agents naturels, et vient, soit de l’intérieur, comme la fièvre, etc., soit de l’extérieur, comme une brûlure, etc. Au contraire, en l’autre vie, aucune activité naturelle ne s’exerce plus spontanément mais sous l’influence de la justice divine, soit pour agir sur l’âme séparée que le feu, par sa seule vertu naturelle, ne saurait atteindre, soit sur le corps lui-même après la résurrection : car alors toute activité naturelle aura cessé en même temps que le mouvement du premier mobile qui est la cause de tous les mouvements et changements corporels.

4. La douleur sensible correspond au plaisir sensible que recherche le péché actuel en se tournant vers les biens créés, plaisir qui n’existe pas dans la concupiscence habituelle que comporte le péché originel.

5. Les corps des enfants ne devront pas leur impassibilité à un défaut de passibilité qui leur soit inhérente, mais au défaut de toute action venue du dehors ; car, après la résurrection, les corps n’exerceront plus, les uns sur les autres, d’activité surtout si elle est nuisible, en vertu de leur propre nature, mais seulement comme instrument de la vengeance divine qui n’aura pas à sévir contre les enfants. Quant aux corps des élus, la passibilité interne elle-même leur fera défaut, ce qui leur conférera l’impassibilité qui est une qualité des corps glorieux et à laquelle les corps des enfants ne sauraient prétendre.

 

Article 2 — La peine du dam fait-elle souffrir l’âme des enfants morts sans baptême ?

Objections :

1. Saint Chrysostome semble l’insinuer quand il dit que, chez les damnés, la privation de Dieu est plus cruelle que la morsure du feu. Les enfants souffrent donc, eux aussi, de cette privation.

2. Ne pas avoir ce qu’on voudrait avoir ne va pas sans souffrance. Or, les enfants voudraient voir Dieu, autrement leur volonté serait perverse, et ils ne le peuvent pas.

3. Dire qu’ils ne souffrent pas, parce qu’ils savent que cette privation n’est pas une punition, ne résout pas la difficulté. En effet, être innocent augmente plutôt la souffrance ; être atteint par erreur dans son corps ou dans ses biens n’empêche pas d’en souffrir autant et plus.

4. Le démérite d’Adam est pour les non- baptisés ce qu’est le mérite du Christ pour les baptisés, c’est-à-dire une cause de souffrance d’avoir perdu la vie éternelle, au lieu d’être une cause de joie de l’avoir obtenue.

5. Etre séparé d’un être aimé, c’est souffrir. Or, les enfants ont une connaissance naturelle de Dieu qu’ils aiment par conséquent d’un amour naturel. Comment pourraient-ils ne pas souffrir d’être séparés de lui pour toujours ?

Cependant :

1. Cette souffrance aurait pour cause la faute ou la peine. Si c’était la faute, comme celle-ci est alors irrémédiable, elle causerait le désespoir, le ver rongeur des damnés, mais la souffrance qui en résulterait serait loin d’être "la plus légère de toutes". - Si c’était la peine, qui leur est infligée par la justice de Dieu, cela supposerait une révolte contre cette justice et une volonté perverse, ce qui n’est admis par personne. L’âme des enfants n’éprouve donc aucune souffrance extérieure.

2. La droite raison n’admet pas que l’on soit troublé par l’inévitable ; d’où Sénèque conclut à la sérénité du sage. Or, la droite raison, chez les enfants, n’est déviée par aucun péché actuel. La peine qu’ils éprouvent, et qu’il n’était pas en leur pouvoir d’éviter, ne leur cause donc aucun trouble intérieur.

Conclusion :

Trois opinions à ce sujet. La première explique cette absence de souffrance par un manque de lumière, grâce auquel les enfants ignorent la perte qu’ils ont faite. - Mais il paraît peu probable que l’âme délivrée du fardeau corporel ignore les choses accessibles à la raison, sans parler de beaucoup d’autres.

Une seconde opinion admet donc que les enfants ont une parfaite connaissance de tout ce qui peut être connu naturellement ils connaissent Dieu, savent qu’ils sont privés de le voir et en conçoivent une certaine douleur, mais mitigée du fait que la faute qu’ils expient ainsi ne vient pas de leur propre volonté. - Mais, ici encore, il paraît peu probable que la perte d’un si grand bien, surtout une perte sans espoir, ne cause qu’une souffrance médiocre, une souffrance qui soit "la plus légère de toutes". - De plus, la même raison vaut pour l’absence de souffrance sensible et pour l’absence de souffrance spirituelle.

C’est toujours la jouissance illégitime qui mérite de souffrir, et le péché originel n’en comporte pas : il est donc exempt de toute souffrance.

La troisième opinion admet donc que les enfants ont une parfaite connaissance de tout ce qui peut être connu naturellement, ils se savent privés de la vie éternelle et en savent la raison, et, cependant, ils n’en éprouvent aucune souffrance. C’est ce qu’il faut expliquer.

L’absence d’une perfection qui le dépasse n’afflige pas celui dont la raison est droite, par exemple, d’être impuissant à voler comme l’oiseau, de n’être ni roi ni empereur puisqu’il n y a aucun droit, mais il devrait s affliger d’être prive d un bien qui lui est proportionné et auquel il est apte. Je dis donc que tous les hommes ayant l’usage de leur libre arbitre sont capables d’obtenir la vie éternelle, puisqu’ils peuvent se préparer à la grâce qui en est le moyen. Dès lors, s’ils y manquent, ils concevront une souveraine douleur d’avoir perdu ce qu’ils pouvaient posséder. Or, cette capacité a toujours fait défaut aux enfants : la vie éternelle ne leur était point due de par leur nature dont elle dépasse totalement les exigences, et, par ailleurs, ils ne pouvaient faire aucun acte personnel, méritoire d’un si grand bien. Donc, ils ne s’affligent en aucune façon de ne pas voir Dieu, et, d’autre part, ils se réjouissent d’avoir une large part au bien dont Dieu est la source et de posséder tous les dons naturels qu’ils tiennent de lui.

On ne peut pas non plus leur attribuer une capacité d’obtenir la vie éternelle sinon par leur action personnelle, du moins par une action étrangère ; on ne peut pas dire qu’ils auraient pu être baptisés, comme beaucoup d’autres l’ont été, et qui jouissent ainsi de la vue de Dieu Car, être récompensé pour une action qui n’est pas personnelle est l’effet d’une grâce toute particulière, que les enfants ne s’attristent pas plus de n’avoir pas reçue qu’un homme sage ne s’attriste de n’avoir pas reçu bien des grâces accordées par Dieu à d’autres hommes.

Solutions :

1. Les enfants n’ayant pas eu l’usage de leur libre arbitre ni l’aptitude à la vie éternelle sont donc dans une tout autre condition que ceux qui les ont eus, et qui sont damnés pour des péchés actuels.

2. Quoique la volonté puisse avoir pour objet le possible et l’impossible, cependant, celui dont la volonté n’est ni une simple velléité, ni désordonnée, ne se propose rien que ce à quoi il peut prétendre. S’il ne l’atteint pas, il en souffre ; mais il ne souffre pas de ne pas atteindre l’impossible : car la volonté dont il le veut est plutôt une velléité, c’est-à-dire une volonté non pas absolue, mais hypothétique : si c’était possible.

3. Tout homme peut prétendre à la propriété de ses biens, à l’usage de ses membres. Rien donc d’étonnant s’il souffre de ce qui l’atteint dans les uns ou les autres, quelle qu’en soit la cause, sa propre faute ou celle d’autrui. L’argument ne porte donc pas.

4. Le don du Christ surpasse le péché d’Adam, Il n’est donc pas nécessaire que la proportion soit égale entre la souffrance des non-baptisés et le bonheur des baptisés.

5. Quoique les enfants morts sans baptême ne soient pas unis à Dieu dans la gloire, ils ne sont point totalement séparés de lui. Au contraire, ils lui sont unis par tous les biens naturels qu’ils tiennent de lui et ainsi il peut être leur joie par la connaissance naturelle qu’ils ont de Dieu et l’amour naturel qu’ils éprouvent pour Dieu.

 

QUESTION 70 ter — LE PURGATOIRE

Huit demandes 1. Y a-t-il un purgatoire après cette vie ? - 2. Est-ce dans le même lieu que les âmes sont purifiées et les damnés punis ? - 3. Les souffrances du purgatoire surpassent- elles toutes les souffrances d’ici-bas ? - 4. Sont- elles volontaires ? - 5. Les âmes du purgatoire sont-elles tourmentées par les démons ? - 6. Le péché véniel, comme péché, est-il expié par les souffrances du purgatoire ? - 7. Les flammes du purgatoire libèrent-elles de la peine due au péché ? - 8. Les âmes du purgatoire sont-elles délivrées plus vite les unes que les autres ?

 

Article 1 — Y a-t-il un purgatoire après cette vie ?

Objections

1. L’Apocalypse semble le nier : "Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur! Dès maintenant, dit l’Esprit, qu se reposent de leurs travaux". Ceux qui meurent dans le Seigneur n’ont donc pas à subir un travail de purification après cette vie ; pas davantage ceux qui ne meurent pas dans le Seigneur, puisqu’il n’y a pas, pour eux, de purification possible.

2. Le rapport est le même entre la charité et la récompense éternelle, le péché mortel et le supplice éternel. Or, ceux qui meurent en état de péché mortel vont immédiatement au supplice éternel. Donc ceux qui meurent en état de grâce vont tout droit au ciel.

3. Dieu, qui est souverainement miséricordieux, est plus prompt à récompenser le bien qu’à punir le mal, Or, de même que ceux qui sont en état de grâce peuvent avoir commis certains péchés qui ne méritent pas la peine éternelle, de même ceux qui sont en état de péché mortel peuvent avoir fait quelque bien qui ne mérite pas la récompense éternelle. Dès lors, puisque ce bien n’est pas récompensé dans l’autre vie, ces péchés ne doivent pas être punis non plus.

Cependant :

1. Il est écrit au livre des Macchabées : "C’est une sainte et salutaire pensée que de prier pour les défunts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés". Or, ceux qui sont en paradis n’ont pas besoin de prières, puisqu’ils ne manquent de rien ; ceux qui sont en enfer n’en ont que faire, puisqu’ils ne peuvent être délivrés de leurs péchés. Il y a donc, dans l’autre monde, des âmes que retiennent encore leurs péchés, mais qui peuvent en être délivrées. Ce sont des âmes qui ont la charité, sans laquelle le péché est irrémissible : "L’amour couvre toutes les fautes", Elles ne seront donc pas condamnées à la mort éternelle : "Quiconque vit et croit en moi ne mourra point pour toujours". Mais elles ne peuvent parvenir à la gloire que purifiées, car rien d’impur ne saurait y être admis. Donc il y a une purification posthume.

2. Même affirmation chez saint Grégoire de Nysse : "Celui qui est dans l’amitié du Christ, et qui n’a pas achevé de se purifier de ses péchés en ce monde, en sera purifié, au sortir de cette vie, dans les flammes du purgatoire."

Conclusion :

Des principes déjà exposés il est facile de conclure à l’existence du purgatoire. S’il est vrai que la contrition efface la faute, mais ne remet pas totalement la peine due au péché ; s’il est vrai que les péchés mortels peuvent être pardonnés sans que les péchés véniels le soient toujours en même temps ; s’il est vrai que la justice de Dieu exige qu’une peine proportionnée rétablisse l’ordre bouleversé par le péché : il faut conclure que celui qui meurt, contrit et absous de ses péchés, mais sans avoir pleinement satisfait pour eux, doit être puni dans l’autre vie.

Nier le purgatoire, c’est donc blasphémer contre la justice divine. C’est donc une erreur, et une erreur contre la foi. C’est pourquoi saint Grégoire de Nysse ajoutait aux paroles citées plus haut : "Nous l’affirmons comme une vérité dogmatique et nous le croyons".

L’Église universelle manifeste sa foi par "les prières qu’elle fait pour les défunts afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés", ce qui ne peut s’entendre que des âmes du purgatoire. Or, résister à l’autorité de l'Église, c’est être hérétique.

Solutions :

1. Il est ici question du travail par lequel on mérite et non de celui par lequel on se purifie.

2. Il n’est pas nécessaire "au mal" de l’être totalement "tout manque partiel de bien suffit à le causer" ; au contraire, "le bien ne peut être que s’il l’est uniquement et parfaitement", selon les principes posés par Denys. Un défaut quel conque empêche donc le bien d’être parfait ; mais la présence d’un certain bien n’empêche pas le mal d’être parfait, puisque, au contraire, c’est la condition même de son existence. Dès lors, le péché véniel empêche celui qui est en état de grâce d’atteindre le bien parfait, la vie éternelle, aussi longtemps qu’il n’en est pas purifié. Par contre, un certain bien coexistant avec le péché morte] n’empêche pas celui-ci d’entraîner immédiatement au mal suprême.

3. Celui qui tombe dans le péché mortel frappe de mort toutes ses bonnes œuvres antérieures, comme aussi sont mortes toutes celles qu’il fait en cet état, parce que, en offensant Dieu, il mérite de perdre tous les biens qu’il tient de Dieu. Celui donc qui meurt en état de péché mortel n’a droit à aucune récompense ; celui qui meurt en état de grâce peut avoir à subir une peine, car la charité ne détruit pas tout le mal qui se trouve dans l’âme, mais seulement le mal qui lui est incompatible.

 

Article 2 — Est-ce dans le même lieu que les âmes sont purifiées et les damnés punis ?

Objections :

1. La peine des damnés est éternelle, puisqu'"ils iront au feu éternel" ; le feu du purgatoire ne dure qu’un temps. Ce n’est donc ni le même feu ni le même lieu.

2. Même conclusion négative, du fait que le Supplice de l’enfer reçoit différents noms dans l’Ecriture, par exemple, "le feu, le soufre, le vent des tempêtes, etc.", tandis que celui du purgatoire, c’est uniquement le feu.

3. Hugues de saint Victor dit : "Il est probable que les âmes expient aux mêmes lieux où elles ont péché". Saint Grégoire raconte que Germain, évêque de Capoue, rencontra dans les thermes l’âme d’un certain Paschasius qui faisait là son purgatoire.

Cependant :

1. "Ainsi que dans le même feu, dit saint Grégoire, l’or brille et la paille fume, ainsi par le même feu le pécheur est brûlé et l’élu purifié". Le purgatoire et l’enfer ont donc même feu et même lieu.

2. Les âmes des Patriarches, avant la venue du Christ, occupaient un lieu plus digne que le purgatoire, puisque la peine du sens n’y existait pas. Cependant, ce lieu était le même que l’enfer, ou tout proche ; autrement, quand le Christ alla les visiter, on ne dirait pas qu’il descendit "aux enfers". Donc, à plus forte raison, en est de même pour le purgatoire.

Conclusion :

L’Ecriture ne dit pas où est situé le purgatoire, et, sur ce point, la raison est dépourvue d’arguments décisifs. Il semble pourtant probable, et mieux d’accord avec les déclarations des Pères et de nombreuses révélations, que le lieu du purgatoire est double. - 1° Selon la loi commune, c’est un lieu inférieur, contigu à l’enfer, de telle sorte que le même feu tourmente les damnés et purifie les justes ; mais situé au-dessus de lui, comme la condition morale des uns et des autres semble l’exiger. - 2° Par une disposition particulière de la Providence, certains défunts font leur purgatoire ici ou là, soit pour instruire les vivants, soit pour les apitoyer par la vue de leurs souffrances et en obtenir l’adoucissement au moyen des suffrages de l’Église.

Certains auteurs prétendent que c’est la loi commune que le lieu du péché soit aussi celui du purgatoire. - Mais cette opinion manque de probabilité, car il se peut que l’on soit puni en même temps pour des péchés commis en des lieux différents.

D’autres prétendent que, selon la loi commune, le purgatoire est situé au-dessus de nous et correspond ainsi à l’état de ces âmes qui sont à mi-chemin entre la terre et le ciel. - Mais cet argument ne prouve rien. Car elles ne sont pas punies pour ce qu’il y a en elles de supérieur, mais pour ce qu’il y a d’inférieur, c’est-à-dire le péché.

Solutions :

1. Le feu du purgatoire est éternel quant à sa substance ; mais l’action purificatrice qu’il opère ne dure qu’un temps.

2. Les peines de l’enfer sont destinées à faire souffrir on leur donne donc les noms de toutes les choses qui nous font souffrir ; celles du purgatoire ont pour but principal d’effacer les restes du péché : on leur donne donc le seul nom de feu, parce que le feu purifie et consume.

3. Il ne s’agit pas ici de la loi commune, mais de certaines exceptions providentielles.

 

Article 3 — Les souffrances du purgatoire surpassent-elles toutes celles d’ici-bas ?

Objections :

1. Plus un être est passif, plus la souffrance est vive, s’il a le sentiment de son mal. Or, le corps est plus passif que l’âme séparée : le feu lui est plus contraire et agit sur lui plus fortement ; ses souffrances doivent donc aussi être plus grandes.

2. Les souffrances du purgatoire ont pour objet direct les péchés véniels, qui sont les péchés les plus légers et doivent donc subir la peine la plus légère, s’il est vrai que "le nombre de coups doit être proportionné à la faute".

3. La dette, qui résulte de la faute, ne peut s’intensifier qu’avec elle. Mais une faute pardon née ne peut plus augmenter. Donc, celui qui a reçu le pardon d’un péché mortel, pour lequel il n’a pas pleinement satisfait, ne voit pas sa dette augmenter à la mort. Or, en cette vie, il n’était pas passible de la peine la plus grave. Donc, la peine qu’il subira dans l’autre vie ne sera pas supérieure à toutes les peines que l’on peut endurer ici-bas.

Cependant :

1. "Le feu du purgatoire, dit saint Augustin, fait plus souffrir que tout ce que nous pouvons éprouver, voir ou imaginer en ce monde".

2. C’est quand la souffrance atteint l’être tout entier qu’elle est la plus grande. Or, l’âme séparée, étant simple, est atteinte dans sa totalité ; il n’en va pas de même pour le corps. Donc, la souffrance de l’âme séparée est supérieure à toute souffrance du corps.

Conclusion :

Il y a deux peines en purgatoire : la peine du dam, l’ajournement de la vue de Dieu ; la peine du sens, le tourment infligé par le feu. Le moindre degré de l’une comme de l’autre surpasse la peine la plus grande que l’on puisse endurer ici-bas.

Plus une chose est désirée, plus son absence est cruelle. Or, au sortir de ce monde, le souverain bien excite dans les âmes justes le désir le plus intense, parce que le poids du corps ne l’étouffe plus ; d’autre part, ce désir serait déjà réalisé, si rien n’était venu y faire obstacle : l’ajournement leur cause donc la plus grande des souffrances.

De même, comme ce n’est pas la blessure, mais le sentiment que l’on en a, qui cause la souffrance, celle-ci est en proportion de la sensibilité c’est pour cette raison que les parties du corps les plus sensibles éprouvent les souffrances les plus vives.

Or, toute la sensibilité du corps vient de l’âme ; il s’ensuit donc nécessairement que, si l’âme est atteinte directement en elle-même, c’est alors qu’elle souffre le plus. On a établi plus haut qu’elle peut souffrir d’un feu corporel. Il faut donc conclure que les souffrances du purgatoire, la peine du sens aussi bien que la peine du dam, surpassent toutes celles de cette vie.

Certains auteurs en donnent pour raison que l’âme est seule à éprouver la souffrance tout entière, puisqu’elle est séparée du corps. - Mais cette raison ne vaut rien, car alors les damnés souffriraient moins après la résurrection, ce qui est faux.

Solutions :

1. L’âme est moins passive que le corps, mais elle a un sentiment plus vif de ce qui la fait pâtir, et c’est cela surtout qui cause la souffrance.

2 et 3. L’acuité des peines du purgatoire vient de la quantité du péché qui est puni que de la condition de celui qui est puni ce qui fait que la punition du même péché est plus sévère dans l’autre vie ; de même que le condamné dont la sensibilité est plus grande souffre plus qu’un autre, sans cependant recevoir plus de coups, et cependant, sans manquer à la justice, le juge infligera à tous deux le même nombre de coups pour les mêmes fautes.

 

Article 4 — Les souffrances du purgatoire sont-elles volontaires ?

Objections :

1. Les âmes du purgatoire ont une volonté droite. Or, la rectitude de la volonté consiste dans sa conformité à la volonté divine. Dès lors, puisque Dieu veut qu’elles soient punies, elles le veulent donc pareillement.

2. Tout homme sage veut le moyen nécessaire de parvenir à la fin qu’il veut. Or, les âmes du purgatoire savent que leurs souffrances sont le chemin de la gloire ; elles veulent donc souffrir.

Cependant :

On ne demande pas à être délivré d’une peine que l’on subit volontairement. Or, les âmes du purgatoire demandent leur délivrance, comme saint Grégoire en cite de nombreux exemples. Leurs souffrances ne sont donc pas volontaires.

Conclusion :

Une chose peut être dite volontaire de deux manières. - 1° D’une volonté absolue ; ainsi, aucune peine n’est volontaire, puisqu’il est de sa raison même qu’elle soit contraire à la volonté. - 2° D’une volonté conditionnelle ; ainsi une brûlure est volontaire en vue d’une plaie à guérir. Ici deux cas se présentent. Dans le premier, la peine fait acquérir un bien, et, à cause de cela, la volonté la recherche, comme dans la satisfaction ; ou encore, l’accepte volontiers et ne veut pas en être privée, comme dans le martyre. Dans le second, la peine ne mérite pas un bien, mais elle est le moyen d’y parvenir ainsi en est-il de la mort. Cette peine, la volonté ne la recherche pas, elle voudrait en être délivrée, mais elle la supporte, et, pour autant, cette souffrance est dite volontaire. C’est en ce sens que les souffrances du purgatoire sont volontaires.

Certains auteurs prétendent qu’elles ne le sont en aucune façon ; car, disent-ils, les âmes du purgatoire sont tellement absorbées par elles qu’elles ignorent qu’il s’agit d’une purification et se croient damnées. - Cette opinion est erronée ; car si ces âmes ne savaient pas qu’elles dussent être délivrées, elles ne solliciteraient pas nos suffrages, comme il leur arrive souvent de le faire.

Solutions :

Elles viennent d’être données.

 

Article 5 — Les âmes du purgatoire sont-elles tourmentées par les démons ?

Objections :

1. D’après le Maître des Sentences, "les âmes ont pour bourreaux dans l’autre monde ceux-là mêmes qui ont été ici-bas leurs mauvais conseillers", c’est-à-dire, les démons qui poussent au péché véniel qu’on expie en purgatoire, aussi bien qu’au péché mortel.

2. Les justes sont purifiés de leurs péchés non seulement dans l’autre monde, mais dès cette vie. Or, ici-bas, les démons sont les instruments de cette purification, comme nous le voyons par l’exemple de Job ; ils font donc de même en purgatoire.

Cependant :

Il serait injuste que celui qui a triomphé d’un ennemi lui fût soumis après sa victoire. Mais les âmes du purgatoire ont quitté cette vie en état de grâce, après avoir triomphé du démon. Celui-ci a donc perdu tout pouvoir sur elles.

Conclusion :

De même que, après le Jugement, l’éternel châtiment des damnés sera le feu allumé par la justice divine, de même, jusque-là, c’est elle, et elle seule, qui purifie les élus, au sortir de ce monde. Elle ne requiert, pour cela, ni le ministère des démons qui ont été vaincus par eux, ni celui des anges qui ne sauraient tourmenter aussi cruellement des concitoyens. Il est possible, toutefois, que ces derniers conduisent les âmes au purgatoire, et que les démons eux- mêmes soient là, d’abord au moment où elles quittent leur corps, pour voir s’ils n’ont aucun droit sur elles, et ensuite, pour les regarder souffrir et assouvir ainsi leur haine.

Mais, en ce monde, qui est un lieu de combat, les hommes sont frappés et par les mauvais anges, leurs ennemis, comme nous le voyons par l’exemple de Job, et par les bons anges, comme Denys l’affirme en propres termes, et comme nous le voyons en la personne de Jacob, dont l’ange toucha et démit la hanche, au cours de la lutte qu’il soutint avec lui.

Solutions :

Elles viennent d’être données.

 

Article 6 — Le péché véniel comme péché, est-il expié par les souffrances du purgatoire ?

Objections :

1. La Glose semble le nier : "Ce qui n’a pas été amendé en cette vie, c’est en vain qu’on en demande le pardon après la mort".

2. Tomber dans le péché et en être délivré sont corrélatifs. Or, l’âme, après la mort, ne peut plus commettre de péché véniel. Elle ne peut donc pas davantage en être absoute.

3. Saint Grégoire dit que l’âme sera, au Jugement, telle qu’elle est sortie du corps, car "l’arbre demeure où il est tombé". Si donc elle avait le péché véniel, au sortir de ce monde, elle l’aura encore au Jugement, et le purgatoire ne l’aura point expié.

4. Le péché actuel n’est effacé que par la contrition. Mais, après cette vie, il n’y a plus de contrition, qui est un acte méritoire, puisqu’alors on ne peut plus ni mériter ni démériter, selon le principe posé par saint Damascène : "La mort est pour les hommes ce que fut la chute pour les anges".

5. La cause du péché véniel, c’est le foyer de convoitise ; aussi, dans l’état primitif, Adam n’aurait pu pécher véniellement. Mais la convoitise, dont le foyer, justement appelé "la loi de la chair", est détruit par la mort, n’existe plus dans l’âme séparée. Le péché véniel n’y peut donc plus être, ni non plus être expié par le feu du purgatoire.

Cependant :

1. Saint Grégoire et saint Augustin déclarent que certaines fautes légères sont remises dans l’autre monde. Or, il ne s’agit pas de la peine qu’elles méritent, car, sous ce rapport, tous les péchés, même les plus graves sont expiés en purgatoire. Donc, les péchés véniels, comme péchés, y sont expiés

2. "Le bois, le foin, le chaume", dont parle saint Paul, signifient les péchés véniels. Mais, puisque ces choses seront consumées par le feu, cela signifie donc aussi que les péchés véniels seront remis dans l’autre monde.

Conclusion :

Certains auteurs ont prétendu que, dans l’autre monde, aucun péché, comme péché, n’était remis. Celui qui meurt en état de péché mortel est damné, sans rémission possible. Or, on ne peut mourir avec e seul péché véniel, car la grâce finale le détruit. En effet, le péché véniel vient de ce qu’un fidèle, établi sur le Christ comme fondement, aime avec excès quelque bien temporel, excès qui a sa racine dans la convoitise. Si la grâce triomphait complètement de celle-ci, comme il en advint pour la Vierge Marie, le péché véniel serait impossible. Dès lors, puisque, à la mort, la convoitise est diminuée jusqu’à être réduite à néant, les puissances de l’âme sont totalement soumises à la grâce, et le péché véniel est détruit.

Cette opinion est peu solide et en elle-même et dans sa preuve.

1° En elle-même, car elle contredit les affirmations de l’Evangile et des Pères, qui ne peuvent s’entendre de la rémission de la seule peine due aux péchés, puisque, sous ce rapport, tous les péchés, légers ou graves, sont remis dans l’autre monde ; quoique saint Grégoire dise que, seuls, les péchés légers le sont. - Répondre que saint Grégoirementionne spécialement les fautes légères pour combattre l’idée que leur punition ne sera pas sévère, est bien insuffisant car, le fait qu’une punition sera levée en diminue la sévérité plutôt qu’elle ne l’augmente.

2° La preuve ne vaut pas davantage. En effet, la défaillance corporelle, qui a lieu au terme de la vie, ne supprime ni ne diminue la convoitise quant à sa racine, mais seulement quant à son acte, comme on le voit dans les maladies graves. Elle ne pacifie pas non plus les puissances de l’âme pour les soumettre à la grâce ; car, cette pacification, cette soumission, consistent dans l’obéissance des puissances inférieures aux puissances supérieures "qui prennent plaisir à la loi de Dieu" ; ce qui est impossible en cet état où les unes et les autres ne peuvent plus produire d’acte, - à moins que l’on appelle pacification l’absence de lutte, comme il arrive dans le sommeil. Mais personne ne dira jamais que le sommeil diminue la convoitise, pacifie les puissances de l’âme ou les soumet à la grâce.

En outre, supposé que cette défaillance corporelle atteignît la convoitise jusque dans sa racine et soumît à la grâce les puissances de l’âme, cela suffirait bien pour ne plus commettre de péché véniel, mais cela ne suffirait pas pour expier le péché véniel déjà commis ; car, un péché actuel, même léger, exige, pour être remis, non seulement la contrition habituelle, même à un très haut degré, mais un acte de contrition. Or, il arrive de mourir pendant le sommeil, après s’être endormi en état de grâce et de péché véniel et sans acte de contrition possible pour celui-ci. Dira-t-on que, faute de repentir actuel ou intentionnel, spécial ou général, "le péché véniel devient mortel, du moment qu’on s’y complaît ?" Evidemment non toute complaisance dans le péché véniel ne le rend pas mortel ; autrement, tout péché véniel serait mortel, puisqu’il plaît, étant volontaire ; la seule complaisance capable d’opérer ce changement, c’est Celle dont parle saint Augustin, "celle qui est au fond de toute l’humaine perversité, et qui consiste à jouir des choses dont seul l’usage est permis". Mais cette complaisance doit être un acte, comme tout péché mortel est un acte. Or, il peut arriver de commettre un péché véniel, et de ne plus penser actuellement à le rejeter ou à le garder, mais de penser à tout autre chose, par exemple, que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles droits, de s’endormir là-dessus et de mourir. - La susdite opinion est donc tout à fait déraisonnable.

Il faut bien lui en substituer une autre et dire que, si l’on meurt en état de grâce, le péché véniel est remis, dans l’autre monde, par le feu du purgatoire. En effet, la souffrance qu’il cause, et qui est volontaire de la manière expliquée plus haut, reçoit de la grâce le pouvoir d’expier tout péché qui n’est pas incompatible avec la grâce.

Solutions :

1. La Glose parle du péché mortel. - Sinon, on peut distinguer entre l’amendement effectué et l’amendement mérité, en ce sens, qu’on peut mériter que les peines du purgatoire servent à l’amendement dans l’autre monde.

2. Le péché véniel vient du foyer de convoitise qui, au purgatoire, n’existera plus dans l’âme séparée. Elle ne pourra donc plus le commettre. Mais la rémission du péché véniel commis en cette vie vient de la volonté en état de grâce qui, au purgatoire, existera dans l’âme séparée. Les deux cas sont donc différents.

3. Les péchés véniels ne changent pas l’état de l’âme, car ils n’enlèvent ni ne diminuent la charité qui est la mesure de sa valeur surnaturelle. Donc, qu’ils soient commis ou remis, l’âme demeure la même.

4. Après la mort, on ne peut plus mériter par rapport à la récompense essentielle. Mais, tant que l’homme n’est pas au terme, il peut mériter par rapport à quelque chose d’accidentel ; c’est ainsi que, au purgatoire, il peut y avoir des actes qui méritent la rémission du péché véniel.

5. Le péché véniel a son principe dans le foyer de convoitise, mais il a sa consommation dans l’esprit. Il peut donc y demeurer, même après que le foyer a été détruit.

 

Article 7 — Les flammes du purgatoire libèrent-elles de la peine due au péché ?

Objections :

1. On purifie ce qui est souillé. Mais peine n’est pas synonyme de souillure. Elle ne saurait donc être effacée par le purgatoire.

2. Le contraire n’est purifié que par son con traire. Comment la peine du purgatoire pourrait- elle donc purifier de la peine due au péché ?

3. A propos du feu dont parle saint Paul, et qui consume le bois, le foin, le chaume, symboles des péchés véniels, la Glose dit : "Ce feu est celui de l’épreuve et de la tribulation, dont il est écrit : La fournaise éprouve les vases du potier." L’expiation consiste donc dans les peines de la vie, surtout dans la mort, la plus grande de toutes, et non dans le feu du purgatoire.

Cependant :

Les souffrances du purgatoire sont plus grandes que toutes les souffrances de ce monde. Mais par celles-ci on peut payer la peine due au péché. A plus forte raison, par celles du purgatoire.

Conclusion :

Un débiteur s’acquitte de sa dette en la payant. Or, la dette contractée par le péché n’est pas autre chose que la peine qu’il mérite. Donc, celui qui subit cette peine acquitte ainsi sa dette. C’est en ce sens que les souffrances du purgatoire purifient de la dette du péché.

Solutions :

1. La dette du péché ne comporte pas de souillure par elle-même, mais par le péché qui en est la cause.

2. La peine n’est pas contraire à la peine comme telle, mais comme dette, car, on reste débiteur tant qu’on n’a pas subi la peine dont on est redevable.

3. Les mêmes expressions scripturaires peuvent renfermer plusieurs sens. Le "feu" dont il s’agit ici peut désigner les souffrances de ce monde ou celles de l’autre monde, qui, les unes et les autres, purifient du péché véniel, tandis que la mort, comme simple phénomène naturel, y est impuissante, ainsi qu’on l’a dit.

 

Article 8 — Les âmes du purgatoire sont-elles délivrées plus vite les unes que les autres ?

Objections :

1. Plus grave est la faute et grande la dette, plus la peine infligée en purgatoire est sévère. Or, cette même proportion existe entre une faute plus légère et la peine moins sévère qui la punit. Donc les âmes du purgatoire n’en sont pas délivrées plus tôt les unes que les autres.

2. Au ciel et en enfer, tous les mérites et tous les démérites ne sont pas égaux ; cependant, la durée est la même. Il doit donc en être ainsi au purgatoire.

Cependant :

Saint Paul compare les péchés véniels "au bois, au foin et au chaume" Or, il est évident que le premier met plus longtemps à se consumer. Donc, il y a des péchés véniels qui seront punis plus longtemps que d’autres, en purgatoire.

Conclusion :

Certains péchés véniels sont plus adhérents, selon que l’âme s’y porte avec plus de penchant et s’y attache avec plus de force. Or, ce qui imprègne plus profondément exige aussi plus de temps pour être enlevé. C’est pourquoi certaines âmes du purgatoire sont tourmentées plus longtemps, dans la mesure où le péché véniel a pénétré davantage dans leurs affections.

Solutions :

1. La grandeur de la peine correspond proprement à la grandeur de la faute ; mais sa durée correspond à la profondeur de pénétration de celle-ci dans l’âme. Il peut donc arriver qu’au purgatoire certaines âmes souffrent moins vivement mais plus longtemps, ou inversement.

2. Le péché mortel qui mérite l’enfer et la charité qui mérite le ciel sont, après la mort, enracinés dans l’âme pour jamais. C’est donc pour tous les damnés et tous les élus la même durée sans fin. Mais il en va autrement du péché véniel qui est puni en purgatoire.

 

QUESTION 71 — LES SUFFRAGES POUR LES DÉFUNTS

Quatorze demandes : 1. Les suffrages d’un fidèle peuvent-ils être utiles à un autre ? - 2. Les morts peuvent-ils être aidés par les œuvres des vivants ? - 3. Les suffrages des pécheurs peuvent- ils être utiles aux défunts ? - 4. Les suffrages pour les défunts sont-ils utiles à leurs auteurs ? 5. Sont-ils utiles aux damnés ? 6. Aux âmes du purgatoire ? - 7. Aux enfants morts sans baptême ? - 8. Aux bienheureux ? 9. Les prières de l’Église, le saintsacrifice et l’aumône sont-ils utiles aux défunts ? - 10. Les indulgences accordées par l’Église ? - 11. Les cérémonies des obsèques ? - 12. Les suffrages spécialement destinés à un défunt sont-ils plus utiles à lui qu’aux autres ? - 13. Les suffrages destinés à plusieurs sont-ils aussi utiles à chacun que s’ils lui étaient uniquement destinés ? - 14. Les suffrages communs sont-ils aussi utiles à ceux qui n’en ont pas d’autres que le sont les suffrages spéciaux et les suffrages communs à ceux qui bénéficient des uns et des autres ?

 

Article 1 — Les suffrages d’un fidèle peuvent-ils être utiles à un autre ?

Objections :

1. "Ce qu’on aura semé, dit saint Paul, on le moissonnera". Mais profiter des suffrages d’un autre, c’est moissonner ce que l’on n’a pas semé. La réponse semble donc négative.

2. La justice de Dieu a pour fonction de rendre à chacun selon ses mérites. "Tu rends à chacun selon ses œuvres", dit le Psalmiste, Mais cette justice est indéfectible et empêche donc qu’on puisse se prévaloir des œuvres d’autrui.

3. Une œuvre est méritoire pour la même raison qu’elle est louable, et qui est qu’elle soit volontaire. Or, une œuvre étrangère rie nous attire aucune louange ; elle ne nous confère donc aussi aucun mérite.

4. La justice divine récompense le bien comme elle punit le mal. Or, personne n’est puni pour le mal commis par un autre : "L’âme qui pèche, c’est elle qui mourra". Le bien n’est donc pas davantage communicable.

Cependant :

1. Le Psalmiste dit : "J’ai part avec tous ceux qui te craignent", etc.

2. Tous les fidèles unis par la charité "ne font qu’un seul corps, qui est l’Église". Mais, dans un même corps, les membres s’aident les uns les autres.

Conclusion :

Nos actes peuvent avoir un double effet : l’acquisition d’un état, par exemple, la béatitude par les œuvres méritoires ; l’acquisition de quelque chose d’accessoire à cet état, par exemple, une récompense accidentelle ou la rémission d’une dette. De plus, nos actes peuvent obtenir ce double effet d’une double manière par mode de mérite, par mode de prière ; et ces deux modes diffèrent en ce que le premier repose sur la justice, le second, sur la seule libéralité de celui que l’on prie.

Il faut donc répondre que, s’il s’agit d’un état, personne ne peut l’obtenir pour un autre par mode de mérite, en ce sens qu’il est impossible que, par mes bonnes œuvres, un autre mérite la vie éternelle. En effet, l’état de gloire est accordé à chacun selon sa capacité, selon les dispositions qui proviennent de ses actes et non de ceux d’autrui ; en notant bien qu’il s’agit des dispositions qui rendent digne de la récompense.

Mais, par mode de prière, on le peut, tant que le terme n’est pas atteint ; par exemple, on peut obtenir pour un autre l’état de grâce. Puisque l’efficacité de la prière dépend de la libéralité de Dieu que l’on prie, elle peut donc s’étendre à tout ce que la toute-puissance divine peut réaliser, en harmonie avec l’ordre providentiel.

S’il s’agit de quelque chose d’accessoire à un état, on peut l’obtenir pour un autre non seulement par mode de prière, mais encore par mode de mérite ; et cela, de deux manières. 1 En vertu d’une communication dans le principe radical de l’œuvre, qui est la charité pour les œuvres méritoires. De là vient que chacun de ceux qui sont unis ensemble par la charité bénéficie des bonnes œuvres de tous ; chacun, cependant, selon l’état où il est : c’est ainsi qu’au ciel chacun des élus se réjouit du bonheur de tous les autres. C’est ce qu’exprime l’article du Symbole : "la communion des saints". - 2° En vertu de l’intention de celui qui fait de bonnes œuvres, et qui les fait spécialement dans le but qu’elles soient utiles à celui-ci ou à celui-là. Dès lors, ces œuvres appartiennent en quelque sorte à ceux pour qui elles ont été faites, par une espèce de donation. Elles peuvent donc leur servir, soit pour satisfaire à la justice de Dieu, soit pour toute autre chose qui les laisse dans l’état où ils sont.

Solutions :

1. La moisson dont il s’agit ici, c’est la vie éternelle : "Le moissonneur recueille du fruit pour la vie éternelle". Or, la vie éternelle n’est accordée qu’en récompense d’œuvres personnelles. Si on l’obtient pour un autre, c’est toujours à la condition qu’il la méritera par ce qu’il fera lui-même : les prières lui valent la grâce, dont le bon usage lui mérite la vie éternelle.

2. L’œuvre faite pour quelqu’un lui appartient ; de même, l’œuvre faite par celui avec lequel je suis un, est en quelque sorte mienne. Il n’est donc pas contraire à la justice de Dieu que quelqu’un bénéficie des bonnes œuvres de ceux qui lui sont Unis par la charité ou des bonnes œuvres faites à son intention. La justice humaine elle-même permet qu’un homme satisfasse à la place d’un autre.

3. La louange récompense la manière d’agir c’est "cette relation" de puissance à acte qu’elle vise. Or, l’œuvre d’autrui ne met et ne montre en nous-mêmes aucune disposition à agir bien ou mal : c’est pour cela qu’elle ne nous attire aucune louange ; sinon indirectement, dans la mesure où nous y avons contribué par nos conseils, notre assistance, nos encouragements, etc. - Au con traire, une œuvre peut être méritoire pour quel qu’un, non pas toujours en proportion de son état ou de ses dispositions, mais par rapport à quelque chose d’accessoire.

4. Enlever à quelqu’un ce qui lui est dû est directement contraire à la justice ; lui donner ce qui ne lui est pas dû n’est pas contraire, mais supérieur à la justice c’est de la libéralité. Or, nul ne peut être puni pour les fautes d’autrui qu’en perdant quelque chose de son bien personnel, ce qui répugne tout autrement que de gagner quelque chose par les bonnes œuvres d’autrui.

 

Article 2 — Les morts peuvent-ils être aidés par les œuvres des vivants ?

Objections :

1. Saint Paul dit : "Nous tous, il nous faut comparaître devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qu’il a mérité étant dans son corps, selon ses œuvres". Il semble donc qu’aucune œuvre ne puisse être utile à l’âme séparée de son corps par la mort.

2. Même Conclusion négative suggérée par ce texte de l’Apocalypse : "Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur! Car leurs œuvres les Suivent".

3. Une œuvre ne peut aider à avancer que si l’on n’est pas encore au terme. Or, les morts ont atteint le terme ; car, on peut mettre sur leurs lèvres ces paroles de Job : "Il m’a barré le chemin et je ne puis passer".

4. La condition, pour aider quelqu’un, c’est d’être en communication avec lui. Or, selon Aristote, toute communication est coupée entre les morts et les vivants.

Cependant :

1. "C’est une sainte et salutaire pensée que de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés". Mais cette prière serait inutile, si elle ne les aidait Les suffrages des vivants sont donc utiles aux morts.

2. "Le sentiment de l’Église universelle, dit saint Augustin, se manifeste avec une grande autorité par la coutume qu’a le prêtre, lorsqu’il offre ses prières à l’autel du Seigneur, de recommander les fidèles trépassés". Cette coutume date des Apôtres qui, dit saint Damascène, "établirent la pratique de faire mémoire, au cours des redoutables et vivifiants mystères, de ceux qui sont morts dans la foi". De son côté, Denys signale la prière pour les défunts comme un rite pratiqué dans la primitive Église, et affirme que les suffrages des vivants sont utiles aux morts. C’est donc une vérité qu’il faut croire sans la moindre hésitation

Conclusion :

Le lien de la charité, qui unit entre eux les membres de l’Église, n’embrasse pas seulement les vivants, mais aussi les morts qui ont quitté ce monde en état de charité ; car celle-ci ne cesse pas avec la vie, puisque saint Paul l’affirme "La charité ne passera jamais". De plus, les morts continuent de vivre dans le souvenir des vivants, qui peuvent ainsi leur appliquer leurs intentions. Dès lors, les suffrages des vivants peuvent être utiles aux fidèles trépassés aussi bien qu’à ceux qui sont encore en ce monde, et d’après les mêmes principes : l’union de charité, la direction d’intention.

Il faut toutefois se garder de croire que les suffrages des vivants sont capables de faire passer les défunts de l’état de damnation à l’état de béatitude, ou réciproquement. Ils peuvent seulement contribuer à la diminution de la peine ou à quelque autre chose d’analogue, c’est-à-dire d’accessoire à l’état, qui est définitif.

Solutions :

1. L’âme mérite, étant dans le corps, que les suffrages lui soient utiles après la mort. L’aide qu’elle en reçoit vient donc de ce qu’elle a fait, étant dans le corps.

On peut encore, avec saint Damascène, entendre cette parole de la sentence qui sera rendue au jugement dernier, où l’âme sera condamnée ou glorifiée à jamais, selon qu’elle l’aura mérité, étant dans son corps. Jusque-là les suffrages des vivants peuvent être utiles aux morts.

2. Il s’agit ici expressément de la récompense éternelle, comme l’indiquent les premiers mots "Bienheureux les morts", etc. - Sinon, on peut répondre que les œuvres faites pour les défunts deviennent en quelque sorte leurs œuvres.

3. Il est des âmes qui, au sortir de cette vie, sont au terme, sans cependant y être tout à fait : ce sont celles qui n’ont pas encore atteint la récompense définitive. On peut dire que, absolument parlant, leur chemin est "barré", en ce sens qu’aucune œuvre ne peut désormais modifier l’état de damnation ou de salut. Mais le chemin reste ouvert, en ce sens qu’elles n’ont pas encore atteint la plénitude du salut ; elles peuvent donc y être aidées, car, à ce point de vue, elles ne sont pas encore au terme dernier.

4. Aristote parle des relations de la vie civile, à laquelle les morts sont morts, et qui sont par là même impossibles entre eux et les vivants ; mais les relations de la vie spirituelle demeurent : car celle-ci est fondée sur la charité, l’amour de Dieu, "pour qui sont vivantes les âmes des fidèles trépassés".

 

Article 3 — Les suffrages des pécheurs sont-ils utiles aux défunts ?

Objections :

1. "Dieu n’exauce point les pécheurs". Leurs prières ne sont donc point utiles aux défunts, puisque, s’il en était autrement, Dieu les exaucerait.

2. "Employer un intercesseur qui déplaît, dit saint Grégoire, c’est redoubler la colère et la vengeance". Donc, puisque tout pécheur déplaît à Dieu, ses suffrages ne l’inclinent pas à la miséricorde.

3. Une œuvre est plus utile à celui qui la fait qu’elle ne l’est à d’autres. Or, le pécheur ne peut rien mériter pour lui-même. Donc, pour les autres, moins encore.

4. Une œuvre, pour être méritoire, doit être vivante, c’est-à-dire, "informée par la charité". Or, toutes les œuvres des pécheurs sont mortes, et donc, dépourvues de tout mérite.

Cependant :

1. On ignore qui est en état de péché, et qui est en état de grâce. Si donc étaient utiles les suffrages de ceux-là seulement qui sont en état de grâce, on ne saurait à qui s’adresser en faveur des défunts, et les demandes de suffrages seraient diminuées d’autant.

2. Saint Augustin dit que les défunts sont aidés par es suffrages, selon qu’ils l’ont mérité de leur vivant. La valeur des suffrages dépend donc de la condition du défunt, peu importe leur provenance.

Conclusion :

Par rapport aux suffrages des pécheurs, il faut distinguer deux choses l’œuvre qui est opérée, par exemple, le sacrifice de la messe or, les sacrements de la religion chrétienne étant efficaces par eux-mêmes indépendamment de celui qui opère, il s’ensuit que les suffrages de ce genre sont utiles aux défunts, même s’ils viennent d’un pécheur ; l’œuvre Opérante, c’est-à-dire l’opération d’où procède l’œuvre opérée, et ici il faut encore distinguer.

Si le pécheur agit en son nom propre, son action ne peut être méritoire ni pour lui-même ni pour autrui ; ses suffrages sont donc dénués de toute valeur. Mais il peut agir au nom d’autre, et cela, de deux manières. 1° Il peut représenter l’Église universelle, par exemple, lorsqu’il célèbre les cérémonies des obsèques. En ce cas, comme c’est celui au nom ou à la place duquel est faite une action qui est censé la faire, il en résulte que les suffrages d’un prêtre, même s est un pécheur, sont utiles aux défunts. - 2° Il peut remplir le rôle d’instrument, auquel l’œuvre appartient moins qu’elle n’appartient à l’agent principal. C’est celui-ci qui peut donner à l’action d’être méritoire, même s’il se sert d’un instrument incapable de mériter ; ainsi qu’il arrive dans le cas d’un serviteur, qui est en état de péché, et qui fait une œuvre de miséricorde sur l’ordre de son maître qui, lui, est en état de grâce. Dès lors, si quelqu’un, mourant en état de grâce, demande des suffrages, ou si quelqu’autre, également en état de grâce, les demande pour Fui, ces suffrages sont utiles à ce défunt, même si ceux qui les acquittent sont en état de péché. S’ils étaient en état de grâce, leurs suffrages n’en vaudraient que mieux, puisque la valeur en serait doublée.

Solutions :

1. Le pécheur ne prie pas toujours en son propre nom, mais au nom d’un autre, et ainsi, sa prière est digne d’être exaucée. - Les pécheurs eux-mêmes sont parfois exaucés, quand ils demandent quelque chose d’agréable à Dieu. En effet, Dieu ne réserve pas sa bonté pour les justes, mais il l’étend aux pécheurs, non pas à cause de leurs mérites, mais à cause de sa miséricorde. Aussi, la Glose dit que prétendre que Dieu n’exauce pas les pécheurs, c’est parler "sans l’onction", et comme quelqu’un qui n’est pas pleinement illuminé.

2. La prière du pécheur, en tant que faite par lui, n’est pas agréable à Dieu, mais elle peut l’être, en tant qu’inspirée par celui au nom ou par ordre de qui il prie.

3. Les suffrages du pécheur lui sont inutiles, parce qu’il y a en lui un empêchement ; mais ils peuvent être utiles à d’autres qui ne sont pas dans le même mauvais cas.

4. L’œuvre du pécheur, morte en tant qu’elle vient de lui, peut être vivante en tant qu’elle vient d’un autre.

Les deux arguments du Cependant semblent exagérer en sens contraire et demandent aussi une réponse.

5. On ne peut connaître avec certitude l’état spirituel d’une autre personne ; on peut cependant en juger avec probabilité sur ses actes extérieurs et visibles, d’après la parole du Maître : "On reconnaît l’arbre à ses fruits".

6. Pour être utile à un défunt, le suffrage doit trouver en lui une capacité, et celle-ci est acquise par les œuvres qu’il a faites en cette vie ; c’est ce que dit saint Augustin. Cependant, il faut encore que l’œuvre elle-même ait une valeur, qui ne dépend plus de celui pour qui elle est faite, mais de celui qui la fait ou qui la prescrit.

 

Article 4 — Les suffrages des vivants pour les défunts sont-ils utiles à leurs auteurs ?

Objections :

1. Payer les dettes d’autrui, ce n’est pas payer les siennes : la justice humaine le dit. Il en va donc de même pour les suffrages par lesquels on paye la dette contractée par les défunts envers la justice divine.

2. Ce que l’on fait, on doit le faire le mieux possible. Or, aider deux personnes à la fois vaut mieux que d’en aider une seule. Si donc les suffrages payaient à la fois les dettes du défunt et celles du vivant, il semble que chacun dût faire toutes les œuvres satisfactoires pour les défunts et aucune pour lui-même.

3. Si les mêmes suffrages suffisent à satisfaire pour deux, pourquoi pas pour trois, pour quatre, pour tous ? Ce qui est absurde.

Cependant :

1. Le Psalmiste dit "Ma prière retournait sur mon sein". C’est, par retour ana logue, que les suffrages pour les défunts sont utiles à leurs auteurs.

2. "De même, dit saint Damascène, que celui qui veut oindre un malade avec les saintes huiles, y touche le premier avant d’en toucher le patient ; de même, quiconque travaille au salut du prochain, est utile à lui-même d’abord, et ensuite au prochain".

Conclusion :

Dans l’œuvre de suffrage on peut considérer deux caractères : 1° Le caractère satisfactoire, en tant que le suffrage expie la peine en offrant pour elle une espèce de compensation. A ce point de vue, le suffrage devient la propriété du défunt qui en bénéficie, et il sert à payer sa dette à lui, uniquement. En effet, il s’agit ici de justice, et la justice exige l’égalité. Or, une œuvre satisfactoire peut être suffisante à payer une dette et insuffisante à en payer une autre en même temps, car il est clair que deux péchés exigent une satisfaction double. 2° Le caractère méritoire, par rapport à la vie éternelle ; c’est la charité, son inspiratrice, qui le donne au suffrage. Ainsi considéré, celui-ci est utile non seulement au défunt, mais plus encore au vivant.

Solutions :

Elles viennent d’être données. Les trois premiers arguments visaient le caractère satisfactoire du suffrage ; les deux autres, au contraire, son caractère méritoire.

 

Article 5 — Les suffrages sont-ils utiles aux damnés ?

Objections :

z. Il est raconté, au 2° livre des Machabées que "l’on trouva, sous les tuniques de chacun des morts, des objets idolâtriques, que la loi interdit aux Juifs" ; et, nonobstant, "Judas envoya à Jérusalem la somme de deux mille drachmes pour être employée à un sacrifice expiatoire". Or, ces Juifs avaient péché mortellement en transgressant la loi, ils étaient morts en cet état, ils étaient damnés.

2. Saint Augustin dit que, "l’utilité des suffrages consiste soit à obtenir pleine rémission pour les défunts, soit à rendre leur état de damnation plus supportable".

3. "Si, dès cette vie, dit Denys, les prières des justes ont une telle puissance, combien plus, après la mort, pour ceux qui en sont dignes". D’où l’on peut conclure que les suffrages sont plus utiles aux morts qu’aux vivants. Mais ils sont utiles à ces derniers, même en état de péché mortel, puisque l’Église prie tous les jours pour la conversion des pécheurs. Pourquoi ne le seraient-ils pas aux défunts qui sont dans le même état, c’est-à-dire aux damnés ?

4. On lit, dans les Vies des Pères, le fait suivant que raconte aussi saint J. Damascène. Saint Macaire rencontra sur son chemin une tête, et, après avoir fait une prière, il lui demanda à qui elle avait appartenu ; cette tête répondit : à un prêtre païen qui était en enfer. Et elle ajouta que, cependant, ce prêtre et d’autres damnés étaient assistés par les prières de Macaire.

5. Dans le même sermon, saint Damascène raconte que saint Grégoire, priant pour l’âme de Trajan, en tendit une voix qui venait du ciel "J’ai exaucé ta prière et j’accorde à Trajan son pardon". "De ce fait, ajoute saint Damascène, tout l’Orient et tout l’Occident peuvent témoigner". Or, Trajan était en enfer, "lui qui avait infligé une mort cruelle à tant de martyrs".

Cependant :

1. "Le souverain prêtre, dit Denys, ne prie pas pour les immondes ; autrement, il s’écarterait de l’ordre providentiel". Un commentateur ajoute "Il ne demande pas la ré mission pour les pécheurs, car il ne serait pas exaucé".

2. "C’est pour la même raison, dit saint Grégoire, que l’on ne priera pas alors (après le Jugement) pour les damnés, et que l’on ne prie pas aujourd’hui pour le démon et ses anges. C’est encore pour cette raison qu’aujourd’hui les saints ne prient pas pour ceux qui sont morts dans l’infidélité et l’impiété : c’est qu’ils ne veulent pas que leur prière perde son mérite aux yeux du Juge souverainement juste".

3. Saint Augustin dit de même : "A ceux qui meurent sans la foi qui opère par la charité, et sans ses sacrements, tous les devoirs religieux que leur rendent leurs proches rie servent de rien".

Conclusion :

Une première opinion prétend qu’il faut faire à ce sujet deux distinctions. L’une, par rapport au temps : après le Jugement, aucun suffrage ne sera plus utile à aucun damné ; avant, certains damnés peuvent être aidés par les suffrages de l’Église. - L’autre, par rapport aux personnes il y a des damnés tout à fait mauvais, qui sont morts sans la foi et sans les sacrements de l’Église, à laquelle ils n’ont appartenu "ni en fait ni en droit" ; il en est d’autres, moitis mauvais, qui ont été membres de l’Église, qui ont eu la foi, reçu les sacrements, fait quelques bonnes œuvres : aux premiers les suffrages de l'Église ne peuvent être d’aucune utilité, tandis qu’ils peuvent être utiles aux seconds.

Mais, sur ce point, un doute venait troubler les tenants de cette opinion. Comme la peine des damnés, infinie en durée, est finie en intensité, il pourrait donc arriver que, grâce à la cation des suffrages, elle fût diminuée peu à peu jusqu’à cesser d’être, ce qui est l’erreur d’Origène. Diverses explications furent donc proposées.

Le Prévôtin admit que la multiplication des suffrages pouvait aboutir à la suppression de la peine des damnés, non pas à tout jamais, comme le disait Origène, mais jusqu’au Jugement : alors, leurs âmes réunies à leurs corps, rentreraient en enfer sans espoir de pardon.

Mais cette opinion semble aller contre la divine Providence qui est incompatible avec le désordre. Or, la faute ne rentre dans l’ordre que par la peine, qui doit donc durer aussi longtemps que la faute n’est pas expiée. Dès lors, puisque celle des damnés ne peut pas l’être, leur peine doit durer toujours.

Les disciples de Gilbert de la Porrée cher chèrent une autre réponse. La diminution de la peine par le suffrage, dirent-ils, procède comme la division d’une ligne ; celle-ci, quoique finie, peut être divisée à l’infini, si la division se fait par parties proportionnelles, c’est-à-dire, si, par exemple, on prend d’abord le quart de la longueur, puis le quart de ce quart, et ainsi de suite, en continuant toujours. De même, les premiers suffrages enlèvent telle quantité de la peine totale, les suivants, une quantité proportionnelle de la peine qui reste encore, etc.

Mais cette réponse soulève de nombreuses difficultés. 1° La division à l’infini ne semble pas transportable de la quantité continue à une quantité spirituelle. - 2° On ne voit pas pourquoi les seconds suffrages, de valeur égale aux premiers, diminuent la peine d’une quantité moindre. - 3° La peine, qui ne peut finir qu’avec la faute, ne peut aussi être diminuée qu’avec elle. - 4° La division à l’infini ne convient qu’au corps mathématique ; s’il s’agit d’un corps sensible, on arrive à un point o il perd ce caractère ; après de nombreux suffrages, la peine serait donc diminuée au point de n’être plus sensible, donc de n’être plus une peine.

Guillaume d’Auxerre se plaça donc à un autre point de vue. Les suffrages sont utiles aux dam nés, dit-il, non pour diminuer ou interrompre leur peine, mais pour leur donner la force de la supporter ; de même que baigner le visage d’un homme chargé d’un lourd fardeau, ce n’est pas diminuer celui-ci, mais cependant le rendre plus facile à porter.

Mais il ne saurait en être ainsi. Le tourment infligé par le feu de l’enfer est en proportion de la culpabilité, dit saint Grégoire. De là vient que les uns ou les autres sont tourmentés plus ou moins cruellement. Mais, comme la faute de chacun d’eux demeure toujours égale, la peine elle-même doit donc être toujours aussi difficile à supporter.

- De plus, cette opinion est présomptueuse, puisqu’elle est contraire aux affirmations des Pères ; elle est vaine, puisqu’aucune autorité ne l’appuie ; enfin, elle est irrationnelle. En effet, les damnés ne sont plus rattachés aux vivants par le lien de la charité qui est l’indispensable condition de l’utilité des suffrages. De plus, ils sont parvenus au terme ; comme les saints du ciel, ils ont reçu définitivement ce que leur vie a mérité. La gloire ou la souffrance du corps, qui est encore à venir, n’empêche pas d’être au terme, puisque c’est l’âme qui est le siège essentiel et radical du bonheur des élus et de la misère des damnés. Il n’y a donc, à ce point de vue, aucune diminution possible ni de la gloire des uns ni de la peine des autres.

Cependant, certains auteurs envisagent la question d’une manière qui n’est pas absolument insoutenable. Les suffrages n’interrompent pas, ne diminuent pas la peine du sens ; ils épargnent seulement aux damnés les souffrances qu’ils auraient de se voir tellement oubliés des vivants que personne ne se soucie plus d’eux.

Mais il ne peut s’agir ici d’une règle générale.

saint Augustin dit, en effet, que "là où sont les âmes des défunts, elles ne connaissent ni ce qui arrive ni ce qui se fait sur la terre". Cette parole se vérifie surtout pour les damnés qui ignorent donc si des suffrages leur sont accordés ; à moins que, par exception, la Providence ne permette à quelques-uns de le savoir. Mais de ce fait parti culier nous n’avons absolument aucune certitude.

Il est donc plus sûr de dire sans restriction que les suffrages sont inutiles aux damnés, que l’Église les exclut de ses prières, comme le déclarent les autorités que nous avons alléguées.

Solutions :

1. Rien ne prouve que les objets trouvés sur les soldats de Judas Machabée fussent un signe de culte idolâtrique c’étaient les dépouilles des vaincus qu’ils s’étaient appropriées. Il y avait là pourtant un péché véniel d’avarice ; ils n’étaient donc pas damnés pour ce péché, et les suffrages pouvaient leur être utiles.

On pourrait dire encore comme quelques-uns l’ont dit, que, dans le combat, voyant le péril imminent, ils se repentirent, selon la parole du Psalmiste : "Quand Dieu les frappait de mort, ils le cherchaient". C’est une opinion probable. Un sacrifice peut donc être offert à leur intention.

2. Il S’agit ici de damnation au sens large, synonyme de condamnation à n’importe quelle peine, donc, aussi bien à celle du purgatoire, que les suffrages tantôt ne font que diminuer, tantôt enlèvent tout à fait.

3. Les suffrages sont plus utiles aux morts qu’aux vivants, parce que les premiers en Ont un plus grand besoin, étant incapables de s’aider eux-mêmes comme le peuvent les vivants ; mais ceux-ci ont cet avantage de pouvoir passer de l’état de péché mortel à l’état de grâce, ce qui est impossible aux morts. La prière à l’intention des uns et des autres s’inspire donc de motifs différents.

4. Cette assistance ne consistait pas en une diminution de peine, mais seulement, comme le récit en fait foi, en ceci que la prière de saint Macaire obtenait qu’ils pussent se voir, et cet accomplissement de leur désir leur causait une certaine joie, plus imaginaire que réelle. C’est ainsi que l’on dit que les démons se réjouissent des péchés qu’ils font commettre, quoique cela ne diminue en rien leur peine, pas plus que la joie des bons anges ne l’est par ce que nous appelons leur compassion pour nos maux.

5. Le fait de Trajan peut s’interpréter avec une certaine probabilité en ce sens que, rappelé à la vie par les prières de saint Grégoire, il obtint la grâce et avec elle la rémission de ses péchés et, en conséquence, la remise de sa peine. C’est ce que l’on voit dans tous ces ressuscités par miracle, dont plusieurs étaient des idolâtres et des damnés. De tous 0fl peut dire qu’ils étaient en enfer, d’une manière juste et méritée, mais non définitive, puisque, d’après ses desseins providentiels, Dieu prévoyait leur résurrection et le changement qui devait en résulter pour eux.

Certains disent que l’âme de Trajan ne fut pas délivrée de l’enfer à tout jamais, mais seulement jusqu’au jour du Jugement. Il ne faudrait pour tant pas s’imaginer que les suffrages ont toujours cet effet, car il faut distinguer la loi générale et les exceptions particulières ; comme le dit saint Augustin, "autres sont les limites des forces naturelles, autres les prodiges de la puissance divine".

 

Article 6 — Les suffrages sont-ils utiles aux âmes du purgatoire ?

Objections :

1. Le purgatoire fait partie de l’enfer. Or, en enfer il n’y a pas de rédemption". Le Psalmiste dit aussi "Seigneur, qui vous louera en enfer ?" Les suffrages sont donc inutiles aux âmes du purgatoire.

2. La peine du purgatoire est limitée. Si les suffrages l’expient en partie, il pourrait donc se faire que leur multiplication l’expiât en totalité. Le péché resterait donc totalement impuni, ce qui semble contraire à la justice divine.

3. Les âmes sont retenues en purgatoire afin d’y être purifiées et d’entrer ensuite dans le Royaume. Mais la purification doit porter sur la chose même qui a besoin d’être purifiée. D ; ce chef encore, les suffrages sont donc inutiles.

4. Si les suffrages étaient utiles aux âmes du purgatoire, ils le seraient surtout à celles qui, de leur vivant, ont donné des ordres à cet effet. Or, cela n’arrive pas toujours. Supposons un défunt qui a demandé tels et tels suffrages dont l’acquittement eût suffi à satisfaire pleinement pour ses péchés. Supposons encore que ces suffrages soient différés jusqu’à ce qu’il ait subi toute sa peine : ces suffrages ne lui serviront de rien. On ne peut pas admettre qu’ils lui ont servi avant d’être acquittés ; et, quand ils le sont enfin, lui- même n’en a plus besoin. Les suffrages sont donc inutiles aux âmes du purgatoire.

Cependant :

1. Saint Augustin déclare que les suffrages sont utiles à ceux qui ne sont ni tout à fait bons, ni tout à fait mauvais. Telles sont bien les âmes du purgatoire.

2. Denys dit aussi que "le prêtre de Dieu, quand il prie pour les défunts, prie pour ceux qui ont vécu saintement, mais auxquels la fragilité humaine a fait contracter quelques souillures".

Conclusion :

Les peines du purgatoire ont pour fonction de parfaire la satisfaction pour le péché qui n’a pas été complète en cette vie. Or, comme on l’a établi, les œuvres satisfactoires des uns peuvent servir à d’autres, vivants ou morts. Sans aucun doute les suffrages des vivants sont donc utiles aux âmes du purgatoire.

Solutions :

1. Il est question ici de l’enfer des damnés, où il n’y a "pas de rédemption" pour ceux qui y sont envoyés définitivement,

On peut encore, comme le fait saint Damascène, entendre ces textes par rapport aux causes secondes, c’est-à-dire, ici, par rapport à ce qu’ont mérité ceux qui sont ainsi punis. Mais, si l’on regarde plus haut, la divine miséricorde, qui ne s’arrête pas à ce que les hommes ont mérité, peut quelquefois en décider autrement, par égard pour les prières des justes. "Dieu,dit saint Grégoire, ne modifie pas son dessein, mais il peut modifier sa sentence". Saint Damascène en donne pour exemples les Ninivites, Achab et Ezéchias, où l’on voit la sentence divine changée par la divine miséricorde.

2. On peut parfaitement admettre que la multiplication des suffrages réduise à néant la peine du purgatoire. En effet, il ne s’ensuit pas que le péché reste impuni, puisque les œuvres satisfactoires faites à l’intention d’un défunt sont justement regardées comme faites par lui-même.

3. La purification des âmes au purgatoire n’est pas autre chose que le payement de la dette sans lequel elles ne peuvent entrer au ciel. Mais, puisque cette dette peut être payée par les œuvres satisfactoires des vivants, la purification des âmes du purgatoire est opérée du même coup.

4. Les suffrages tirent leur valeur et de l’œuvre opérée et de l’œuvre opérante. J’appelle œuvre opérée non seulement les sacrements de l’Église, mais encore tout effet résultant de l’opération, par exemple, d’une aumône, qui soulage les pauvres et obtient leurs prières pour un défunt. - De même, l’œuvre opérante peut être envisagée par rapport à l’agent principal et à l’agent secondaire.

Je dis donc que, lorsqu’un moribond s’assure des suffrages, il entre en jouissance de leurs effets, quant à la part qui revient à l’agent principal, même avant leur acquittement, mais seulement après, pour ce qui est de l’agent secondaire et des bonnes œuvres elles-mêmes. Et, s’il arrive à ce défunt d’avoir subi sa peine tout entière avant l’acquittement indûment retardé des suffrages, ceux-ci seront donc stériles, mais leur stérilité sera imputable à ceux qui l’auront causée Il n’est d’ailleurs pas impossible de subir un dommage temporel par la faute d’autrui, et précisément la peine du purgatoire est temporelle, quoique, s’il s’agit de la récompense éternelle, nul ne peut en être privé que par sa propre faute.

 

Article 7 — Les suffrages sont-ils utiles aux enfants morts sans baptême ?

Objections :

1. C’est le seul péché d’autrui qui les retient dans les limbes. Il semble donc tout à fait convenable qu’ils soient aidés aussi par les suffrages d’autrui.

2. Saint Augustin dit que les suffrages de l’Église "sont utiles à ceux qui ne sont pas tout à fait mauvais". Or, les enfants sont de ceux-là, puisque "leur peine est la plus légère de toutes".

Cependant :

Saint Augustin déclare que les suffrages sont inutiles à ceux "qui ont quitté ce monde sans avoir la foi qui opère par la charité".

Conclusion :

Les enfants morts sans baptême ne sont retenus dans les limbes que parce qu’ils ne sont pas en état de grâce. Or, les œuvres des vivants ne peuvent changer l’état des défunts, surtout pour ce qui constitue l’essentiel de la récompense ou de la punition Il faut donc conclure à l’inutilité des suffrages pour les enfants morts sans baptême.

Solutions :

1. Quoique le péché originel soit une chose par rapport à laquelle on puisse être aidé, cependant, les âmes des enfants morts sans baptême sont dans un état qui les empêche de l’être, car, après cette vie, le temps d’obtenir la grâce est passé.

2. Saint Augustin parle de ceux qui ne sont pas tout à fait mauvais, mais qui sont baptisés, comme le prouvent les paroles qui précèdent "Lorsque les sacrifices, soit celui de l’autel, soit ceux des aumônes, sont offerts pour tous ceux qui ont été baptisés", etc.

 

Article 8 — Les suffrages sont-ils utiles de quelque manière aux âmes qui sont au ciel ?

Objections :

1. Nous lisons dans une oraison de la messe de saint André "De même que les saints mystères servent à la gloire de vos saints, de même puissent-ils servir à notre guérison". Or, le mystère de l’autel est le premier de tous les suffrages.

2. "Les sacrements réalisent ce qu’ils symbolisent". Or, la troisième partie de l’hostie, qui est déposée dans le calice, symbolise les âmes bienheureuses.

3. Les élus ne se réjouissent pas seulement de leur propre bien, mais encore du bien des autres, ainsi qu’il est dit dans saint Luc : "il y a de la joie aux anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence". Les bonnes œuvres des vivants procurent donc un accroissement de joie aux âmes qui sont au ciel.

4. "Si les païens, dit saint Damascène, brûlent avec les morts ce qui leur appartenait, combien plus, ô fidèle, dois-tu faire suivre le fidèle défunt de ce qui était à lui, non pour réduire ces objets en cendres, mais pour les faire servir à une plus grande gloire si c’est un pécheur qui est mort, afin que la dette soit payée ; si c’est un juste, afin que la récompense soit donnée".

Cependant :

1. Saint Augustin dit : "L’Église regarde comme une injustice de prier pour un martyr, aux prières duquel nous devons nous recommander".

2. On ne peut aider que celui qui est dans le besoin. Mais les élus ne manquent absolument de rien. Les suffrages de l'Église ne peuvent donc les aider.

Conclusion :

Par sa nature même, le suffrage est une assistance, qui ne convient donc en aucune façon à qui ne manque de rien seul, l’indigent peut être assisté. Dès lors, puisque les saints du ciel ne connaissent plus aucune indigence, "enivrés qu’ils sont des délices de la maison du Seigneur", ils n’ont que faire des suffrages.

Solutions :

1. Ces expressions ne doivent pas s’entendre d’un profit que retireraient les saints de la célébration de leurs fêtes. Le profit est pour nous qui célébrons plus solennellement leur gloire ; tout de même que, du fait que nous connaissons et louons Dieu et que, d’une certaine manière, sa gloire augmente en nous, Dieu n’y gagne rien, c’est nous qui y gagnons.

2. Sans doute, les sacrements "réalisent ce qu’ils symbolisent" ; cependant, ils ne réalisent pas tout ce qu’ils symbolisent : autrement, comme ils symbolisent le Christ, il faudrait donc dire qu’ils réalisent quelque chose en lui, ce qui est absurde. Mais, par la vertu du Christ, ils réalisent ce qu’ils signifient dans celui qui les reçoit. Ainsi donc, le sacrifice offert pour les fidèles défunts n’est pas utile aux saints, mais, par le mérite des saints qui sont commémorés ou signifiés dans la célébration, il est utile à ceux pour qui il est offert.

3. Les saints du ciel se réjouissent de tous nos biens ; cependant la multiplication de nos joies n’augmente la leur que matériellement. En effet, l’augmentation essentielle ou formelle d’un sentiment dépend de la nature même de son objet. Or, l’objet unique de la joie universelle des saints, c’est Dieu lui-même, et cette joie est invariable car, si elle ne l’était pas, leur récompense, dans ce qu’elle a d’essentiel, varierait, puisqu’elle consiste en cette joie même. Dès lors, la multiplication des biens, dont Dieu est pour eux l’unique raison de se réjouir, ne leur donne pas nécessairement une joie plus intense, mais seulement plus étendue. On ne peut donc pas dire non plus que nos bonnes œuvres les aident.

4. Les suffrages obtiennent que la récompense soit donnée non pas au juste lui-même, mais à celui qui les fait. - A moins de dire qu’ils contribuent à la récompense d’un fidèle défunt dans la mesure où, de son vivant, il a fait l’acte méritoire de les solliciter.

 

Article 9 — Les prières de l’Église, le saintsacrifice et les aumônes sont-ils les suffrages les seuls utiles ou les plus utiles aux défunts ?

Objections :

1. Une peine doit s’expier par une peine. Or, le jeûne est plus pénible que l’aumône ou la prière. Il est donc aussi un suffrage plus efficace.

2. Ces trois suffrages énumérés par saint Augustin semblent insuffisants, puisque saint Grégoire y ajoute un autre : "Les âmes des défunts, dit-il, sont délivrées par les oblations des prêtres, les prières des saints, les aumônes de leurs amis, le jeûne de leurs proches".

3. Le baptême est le principal des sacrements, surtout par l’effet qu’il produit. Il devrait donc - et on en peut dire autant des autres- être utile aux défunts autant ou même plus que le sacrement de l’autel.

4. La même conclusion, pour ce qui est du baptême, n’est-elle pas suggérée par ce texte de saint Paul : "Si les morts ne ressuscitent en aucune manière, pourquoi (y en a-t-il qui) se font baptiser pour eux ?"

5. Quelle que soit la messe, c’est le même sacrifice. Si l’on compte parmi les suffrages le sacrifice et non la messe, il semble que n’importe quelle messe, de la Sainte Vierge, du Saint Esprit, ou toute autre, soit également utile aux défunts, ce qui est contraire aux décisions de l’Église qui a institué une messe spéciale à leur intention.

6. Saint Damascène enseigne que "les cierges et l’huile", etc., sont offerts à l’intention des défunts. Il faut donc ajouter ces oblations à celle du sacrifice de l’autel.

Conclusion :

La condition de l’utilité des suffrages, c’est l’union de charité et la direction d’intention entre les vivants et les défunts. Les œuvres les plus utiles sont donc celles qui con tiennent davantage de l’une ou de l’autre. A la charité se rapporte principalement le sacrement de l’Eucharistie, qui est le sacrement de l'entre les membres de l’Église, puisqu’il contient celui qui fait l’unité et la solidité de l’Église tout entière, c’est-à-dire le Christ. L’eucharistie est donc comme la source ou le lien de la charité. Quant aux effets de celle-ci, le principal, c’est l’aumône. Si donc on envisage les suffrages au point de vue de la charité, les deux qui ont le plus de valeur, c’est le sacrifice eucharistique et l’aumône. D’autre part, si l’on regarde l’intention, la première place revient à la prière, car, par sa nature même, elle n’est pas seulement en relation avec celui qui la fait, mais, encore plus directement que tout autre suffrage, avec celui pour qui elle est faite. C’est pourquoi ces trois suffrages sont les trois principaux moyens d’assister les défunts, sans dénier pour autant leur utilité propre à toutes les autres bonnes œuvres faites, en état de grâce, à l’intention des âmes du purgatoire.

Solutions :

1. Dans l’œuvre satisfactoire faite pour un défunt, et qui ne lui est utile que si elle lui devient en quelque sorte personnelle, ce qui effectue cette transmission a plus d’importance que l’œuvre elle-même ; encore que celle-ci, dans la mesure où elle est afflictive et donc médicinale, puisse expier davantage les péchés de celui-là même qui la fait. Les trois suffrages que nous avons dits sont donc utiles aux défunts plus encore que le jeûne.

2. Le jeûne peut être utile aux défunts par la charité et la direction d’intention ; mais ces deux conditions lui sont, pour ainsi dire, extérieures. C’est la raison pour laquelle saint Augustin ne l’a pas compté parmi les principaux suffrages, quoique saint Grégoire l’ait fait.

3. Le baptême est une naissance, dans l’ordre spirituel. Or, de même que c’est le seul nouveau-né qui vient au monde, de même, c’est au seul baptisé que le baptême est utile, par l’œuvre opérée ; quoique, par l’œuvre opérante de celui qui donne ou de celui qui reçoit le baptême, celui-ci, comme toute œuvre méritoire, puisse être utile à d’autres. Mais l’Eucharistie est le symbole de l’union entre tous les membres de l’Église ; aussi, en vertu de l’œuvre opérée elle-même, son efficacité est communicable ; ce qui n’a pas lieu pour les autres sacrements.

4. La Glose donne deux interprétations de ce texte de saint Paul. "Si les morts ne doivent pas ressusciter, le Christ n’est pas non plus ressuscité. Pourquoi donc se font-ils baptiser pour eux ? - c’est-à-dire pour leurs péchés, puisque ceux-ci ne sont pas remis, si le Christ n’est pas ressuscité". L’œuvre opérée, c’est-à-dire le baptême lui-même ; œuvre opérante, c’est-à-dire l’action de donner ou de recevoir le baptême (s’il s’agit d’adultes). En effet, la résurrection du Christ opère en même temps que sa Passion, puisqu’elle est, en quelque manière, la cause de notre résurrection spirituelle.

La seconde interprétation est celle-ci : "Il y eut des ignorants qui se faisaient baptiser pour ceux qui étaient morts sans baptême, croyant que cela leur serait utile". C’est simplement cette erreur que mentionne l’Apôtre.

5. Dans la messe il n’y a pas seulement le sacrifice, mais encore des prières, c’est-à-dire deux des trois principaux suffrages énumérés par saint Augustin. Au point de vue du sacrifice, qui est la partie principale de la messe, celle-ci, quelle qu’elle soit par ailleurs, a toujours la même valeur pour les défunts. Mais, au point de vue des prières, plus utile est la messe qui contient des prières spéciales pour les défunts. Cependant, l’infériorité d’une messe qui n’est pas celle des morts peut être compensée par la dévotion plus grande de celui qui la célèbre ou la fait célébrer comme aussi par l’intercession du Saint dont les suffrages y sont plus spécialement sollicités.

6. Cette oblation de cierges ou d’huile peut servir aux défunts à titre d’aumône : elle est, en effet, destinée au culte ou encore à l’usage des fidèles.

 

Article 10 — Les indulgences accordées par l’Église sont-elles utiles aux défunts ?

Objections :

1. L’affirmative n’est-elle pas autorisée par la coutume de l’Église de faire prêcher la croisade et d’accorder à celui qui prend la croix l’indulgence pour lui-même et deux ou trois et même dix personnes, vivantes ou défuntes.

2. Le mérite de l’Église tout entière a plus de valeur que celui d’un seul fidèle. Or, un acte personnel méritoire, par exemple, une aumône peut être utile aux défunts. Donc, à fortiori, les Indulgences qui représentent les actes méritoires de l’Église, doivent l’être.

3. Les Indulgences sont utiles aux membres de l’Église. Or, les âmes du purgatoire appartiennent à l’Église ; autrement, aucun suffrage ne leur servirait.

Cependant :

1. Une Indulgence n’est efficace que si elle est accordée pour une cause juste et spécialement pour une bonne œuvre utile à l’Église. Or, les défunts ne peuvent plus rien faire et ne peuvent donc pas mériter d’indulgence.

2. La portée des Indulgences dépend de celui qui les accorde. Il pourrait donc, à supposer qu’elles soient utiles aux défunts, accorder à un défunt une Indulgence équivalente à une expiation totale ; ce qui est absurde.

Conclusion :

Une Indulgence peut être utile de deux manières : Principalement et directement, à celui qui la reçoit, c’est-à-dire qui accomplit l’œuvre pour laquelle elle est accordée, par exemple, un pèlerinage au tombeau d’un saint. Cette manière est évidemment incompatible avec la condition des défunts.

Une indulgence peut être utile secondairement et indirectement à celui en faveur duquel elle est gagnée par un fidèle qui accomplit l’œuvre prescrite. Mais cette utilité dépend de la formule même de l’Indulgence. Si la formule est celle-ci : "Celui qui fera telle ou telle chose gagnera tant d’indulgence", l’Indulgence demeure strictement personnelle, car l’Église seule a le droit d’attribuer les suffrages communs d’où les Indulgences tirent leur valeur. Si, au contraire, la formule est celle-ci : "Si quelqu’un fait telle ou telle chose, lui-même, et aussi son père ou un membre quelconque de sa famille, détenu en purgatoire, recevra tant d’Indulgence", l’Indulgence n’est plus réservée aux vivants, mais applicable aux défunts. En effet, puisque l'Église a le pouvoir de faire participer, pendant leur vie, les fidèles aux mérites communs, source des Indulgences, il n’y a aucune raison de lui refuser celui de les y faire participer, après leur mort.

Il ne s’ensuit pourtant pas que le supérieur ecclésiastique peut délivrer à son gré les âmes du purgatoire, puisque les Indulgences ne sont efficaces que s’il existe une raison légitime de les accorder.

 

Article 11 — Les cérémonies des obsèques sont-elles utiles aux défunts ?

Objections :

1. Saint Athanase dit : "Quoique l’âme de celui qui est mort pieusement se soit envolée, ne laisse pas de faire brûler de l’huile et des cierges à son tombeau ; car ces pratiques, accompagnées de prières, sont agréables à Dieu et grandement récompensées par lui".

2. Saint Augustin dit aussi : "Une piété respectueuse rendait les derniers devoirs aux justes d’autrefois, célébrait leurs obsèques, leur prépa rait un tombeau ; eux-mêmes, de leur vivant, exprimaient à leurs fils leur volonté à cet égard". C’est donc que toutes ces choses ont leur importance et leur utilité pour les défunts.

3. Quiconque reçoit une aumône en profite. Mais ensevelir les morts est regardé comme une espèce d’aumône. "Au témoignage de l’ange Raphaël, Tobie, en donnant la sépulture aux morts, se concilia la faveur divine".

4. On ne saurait dire que la dévotion des fidèles soit vaine. Or, par dévotion, certains désirent être enterrés dans des lieux saints.

5. Dieu est plus porté à pardonner qu’à punir. Or, "les pécheurs, dit saint Grégoire, en se faisant ensevelir dans les églises, ajoutent à leur condamnation au lieu de contribuer à leur délivrance". Donc, au contraire et à fortiori, le lieu et les circonstances de leur sépulture sont utiles aux justes.

Cependant :

1. Saint Augustin déclare que "tout ce que l’on fait pour le corps des défunts ne leur sert de rien pour la vie éternelle, mais n’est qu’un devoir d’humanité".

2. Saint Grégoire parle dans le même sens : "La célébration des funérailles, la condition de la sépulture, la pompe des obsèques, sont une consolation pour les vivants plutôt qu’un secours pour les défunts".

3. "Ne craignez pas, disait Jésus, ceux qui tuent le corps, et qui après cela ne peuvent rien faire de plus". Or, il arrive qu’ils refusent la sépulture à leurs victimes, comme on le rapporte de certains martyrs de l’Église de Lyon. L’absence de sépulture ne nuit donc pas aux défunts, et les cérémonies de la sépulture ne leur servent pas davantage.

Conclusion :

La pratique d’ensevelir les morts a été motivée par une double utilité. L’une pour les vivants : quant au corps, pour qu’il ne soit ni offensé ni incommodé par la vue et l’odeur des cadavres ; quant à l’âme, pour affirmer et confirmer la foi au dogme de la résurrection. - L’autre pour les défunts en même temps que l’on voit leurs tombeaux, on évoque leur souvenir et l’on prie pour eux. C’est même de là que vient le nom de "monument", d’après saint Augustin monere, avertir, mentem, l’esprit, faire penser à quelqu’un ou à quelque chose. Les païens se trompaient en croyant que la sépulture était nécessaire pour assurer aux âmes le repos, qu’ils jugeaient impossible pour elles, jusqu’à ce que leur corps ait été enseveli ; ce qui est le comble du ridicule et de l’absurde.

La sépulture dans un lieu consacré à un saint peut être utile aux défunts, non par l’œuvre opérée, mais par l’œuvre opérante, ce qui signifie que l’utilité ne vient pas du fait même d’y être enseveli, mais du patronage et de l’intercession du saint auquel les défunts, ensevelis chez lui, ont été comme confiés, ou encore des prières plus fréquentes et plus spéciales que les personnes, chargées du soin de ce sanctuaire, font pour les âmes de ceux dont les corps y reposent.

Ce qui contribue à la richesse et à l’éclat d’une sépulture est utile aux vivants, comme une espèce de "consolation" ; mais peut encore être utile aux morts, du moins indirectement, parce que les spectateurs sont excités à la compassion et à la prière, ou encore parce qu’une partie des frais est consacrée à soulager les pauvres ou à orner l’église, la sépulture devenant ainsi une espèce d’aumône.

Solutions :

1. L’huile et les cierges apportés aux tombeaux peuvent être utiles aux défunts indirectement, s’ils sont donnés à l’église ou aux pauvres ; ou encore si on les fait brûler comme un hommage à Dieu, et s’ils méritent ainsi le nom d'"holocauste" qui leur est donné.

2. Les Patriarches s’occupaient de leur sépulture, afin de montrer "que la Providence veille sur les corps des défunts : non parce qu’ils con servent la moindre conscience, mais pour affirmer la foi à la résurrection", comme le dit saint Augustin. C’est aussi pourquoi ils voulurent être ensevelis dans la Terre promise ou ils croyaient que devait naître et mourir le Christ, dont la résurrection est cause de la nôtre.

3. Le corps faisant partie de la nature humaine, il est naturel à l’homme de l’aimer : "Jamais personne n’a haï sa propre chair". Il lui est naturel aussi de s’inquiéter de ce que deviendra son cadavre, et s’il prévoyait que celui-ci dût subir quelque indignité, il en souffrirait. Ceux donc qui aiment quelqu’un, aiment aussi ce qu’il aime et traitent son cadavre avec affection et respect. En effet, comme le dit saint Augustin, "si le vêtement ou l’anneau ou un objet quel conque dont s’est servi leur père est d’autant plus cher à ses enfants que ceux-ci l’ont aimé lui- même davantage, il est donc défendu de mépriser ce corps qui nous est plus étroitement uni que n’importe quel vêtement". Aussi, lorsque, partageant les sentiments d’un défunt, on rend à son corps les derniers devoirs, ce dont il est lui-même incapable, c’est vraiment une aumône qu’on lui fait.

4. La dévotion qui pousse les fidèles à faire ensevelir les corps de leurs chers défunts dans un sanctuaire n’est point vaine, parce qu’elle procure à leurs âmes les suffrages du saint auquel ce sanctuaire est dédié.

5. Etre enseveli dans un lieu saint ne nuit à un défunt qui fut un impie que s’il a recherché par vaine gloire cette sépulture dont il était indigne.

 

Article 12 — Les suffrages spécialement destinés à un défunt sont-ils plus utiles à lui qu’aux autres ?

Objections :

1. On peut comparer les suffrages à des lumières. Or, une lumière spirituelle est encore plus communicable qu’une lumière corporelle ; et cependant celle-ci, un cierge, par exemple, quand elle est allumée pour quelqu’un, éclaire également tous ceux qui sont avec lui, quoiqu’elle n’ait pas été allumée pour eux.

2. Les suffrages "sont utiles aux défunts clans l’autre vie, dit saint Augustin, autant qu’ils l’ont mérité, pendant qu’ils étaient en cette vie". Or, il y en a qui l’ont mérité bien plus que ceux-là mêmes auxquels les suffrages sont destinés. L’utilité des suffrages est donc aussi pour eux.

3. Il y a une grande disproportion entre les riches et les pauvres, par rapport aux suffrages. Si donc les nombreux suffrages assurés aux premiers n’étaient pas en même temps utiles aux seconds, ceux-ci seraient dans une condition d’infériorité qui semble incompatible avec la promesse évangélique : "Bienheureux vous qui êtes pauvres, car le royaume des cieux est à vous!"

Cependant :

1. La justice humaine se modèle sur la justice divine. Or, chez les hommes, celui qui paye la dette de quelqu’un ne libère que lui. Donc, comme les suffrages sont en quelque sorte le payement d’une dette, ils sont utiles au seul défunt auquel ils sont destinés.

2. Les suffrages sont une satisfaction applicable aux vivants aussi bien qu’aux défunts. Mais, dans le premier cas, celui à qui ils sont destinés est le seul à en bénéficier. Il en va donc de même, quand il s’agit des défunts.

Conclusion :

Cette question a reçu deux réponses. Les uns, parmi lesquels le Prévôtin, ont dit que les suffrages destinés à un défunt ne lui sont pas plus utiles à lui-même, mais à d’autres plus dignes. Et ils en donnaient deux exemples celui d’un cierge qu’on allume pour un riche, et qui n’éclaire pas moins ceux qui sont avec lui, et même davantage ceux qui ont de meilleurs yeux ; celui d’une lecture faite spécialement pour quelqu’un, et dont profitent tous les auditeurs autant et même plus que lui, s’ils ont l’esprit plus ouvert. Et, si on leur objectait la coutume approuvée par l’Église de prier spécialement pour tel ou tel défunt, ils répondaient que cette manière d’agir avait pour but d’exciter la dévotion des fidèles qui sont plus portés aux suffrages particuliers qu’aux suffrages communs et prient avec plus de ferveur pour leurs parents que pour des étrangers. - Au contraire, d’autres ont dit que les suffrages sont plus utiles aux défunts auxquels ils sont destinés.

Chacune de ces deux opinions contient une part de vérité. En effet, l’utilité des suffrages dépend de deux choses. D’abord, de l’union de charité qui fait que tous les biens sont communs à tous. A ce point de vue, les suffrages destinés à un défunt sont cependant plus utiles à un autre en qui la charité est plus grande. Ainsi considérée, l’utilité des suffrages consiste moins en une diminution de la peine qu’en une certaine consolation intérieure, qui vient de la joie causée à celui qui a la charité par les bonnes œuvres du prochain ; après la mort, en effet, celles-ci, malgré l’union de charité, ne peuvent plus, comme en cette vie, nous obtenir la grâce ou l’augmenter en nous.

Elle dépend, en second lieu, de la direction d’intention, par laquelle les œuvres satisfactoires passent d’un vivant à un défunt. A ce point de vue, il est hors de doute que les suffrages destinés à un défunt lui sont non seulement plus utiles qu’aux autres, mais ne le sont qu’à lui. La satisfaction, en effet, a pour but direct et unique la remise de la peine. Ainsi considérés, les suffrages sont utiles à celui-là surtout auquel ils sont destinés. Sur ce point, la seconde opinion est plus vraie que la première.

Solutions :

1. Les suffrages agissent à la façon de la lumière, lorsqu’ils parviennent aux défunts pour leur apporter une certaine consolation d’autant plus grande que leur charité l’est aussi. Mais, comme satisfaction transmise à un défunt par l’intention d’un vivant, ce n’est plus à la lumière qu’il faut comparer les suffrages, mais au payement d’une dette. Or, il n’y a aucune raison, si l’on paye les dettes de quelqu’un, pour que celles d’autres personnes soient payées du même coup.

2. Ce mérite personnel est en même temps conditionnel : ces défunts ont mérité que les suffrages leur soient utiles, s’il en est qui leur soient destinés ; en d’autres termes, ils n’ont fait autre chose que de se disposer à les recevoir. Il est donc clair qu’ils n’ont pas mérité directement d’être secourus par des suffrages, mais ils se sont seulement, par les mérites acquis de leur vivant, préparés à en recevoir le fruit. Il ne s’ensuit donc pas que ce mérite soit nul et de nul effet.

3. Rien n’empêche que les riches soient plus favorisés que les pauvres, à un certain point de vue, par exemple, celui de l’expiation. Mais cela n’est rien ou presque rien en comparaison de la possession du royaume des cieux, par rapport à laquelle les pauvres sont les favoris, d’après le texte évangélique lui-même.

 

Article 13 — Les suffrages destinés à plusieurs sont-ils aussi utiles à chacun que s’ils lui étaient uniquement destinés ?

Objections

1. Celui pour qui est faite une lecture n’en perd rien si un autre en profite. Il en va de même pour les suffrages ; et ainsi, s’ils sont destinés à plusieurs défunts, chacun en bénéficie autant que s’ils lui étaient uniquement destinés.

2. Selon l’usage commun de l’Église, nous voyons que, dans une messe célébrée à l’intention particulière d’un défunt, on ajoute des prières pour d’autres défunts. Cette pratique n’aurait pas lieu si elle devait tourner au détriment de celui pour lequel la messe est célébrée. Il faut donc conclure comme ci-dessus.

3. La valeur des suffrages, des prières surtout, dépend de la puissance divine. Mais le nombre de ceux par lesquels il accorde son secours est indifférent à Dieu, aussi bien que le nombre de ceux auxquels il l’accorde. Donc, chacun des défunts pour lesquels une prière commune est faite en bénéficie tout autant que celui à l’intention spéciale duquel la même prière serait faite.

Cependant :

1. Mieux vaut secourir plusieurs personnes qu’une seule. Si donc le suffrage destiné à plusieurs défunts était aussi utile à chacun que s’il lui était uniquement destiné, il semble que l’Église n’aurait pas dû instituer des messes ou des prières à l’intention spéciale d’un défunt, mais que les unes et les autres dussent toujours être offertes pour tous les défunts, ce qui est évidemment faux.

2. L’efficacité d’un suffrage est limitée. Divisé entre plusieurs défunts, il est donc moins utile à chacun que s’il était attribué en entier à un seul.

Conclusion :

Si l’on considère dans les suffrages la valeur provenant de la vertu de charité qui unit tous les membres de l’Église, la réponse est affirmative : les suffrages destinés à plusieurs défunts donnent à chacun autant que s’ils étaient destinés à lui seul. Car la charité n’est pas diminuée, mais plutôt augmentée, par la diffusion de ses bienfaits ; la joie, elle aussi, s’accroît en se communiquant, comme le dit saint Augustin. Ainsi donc, la bonne œuvre destinée à plusieurs défunts réjouit chacun d’eux tout autant que si elle était faite pour lui seul.

Au contraire, si l’on considère le suffrage comme une satisfaction dont la valeur est transmise aux défunts par l’intention des vivants, il faut répondre que le suffrage destiné à un seul défunt lui est plus utile que s’il lui était destiné en même temps qu’à d’autres : car, en ce cas, la justice divine attribue à chacun une part seulement de la valeur satisfactoire totale.

On voit par là que cet article est un corollaire du précédent ; et l’on voit aussi la raison des suffrages individuels dans l’Église.

Solutions :

1. Les suffrages, considérés comme satisfaction, ne sont pas utiles en agissant, comme le serait un enseignement dont l’efficacité, et il en est ainsi de toute action, est proportionnée aux dispositions de celui qui le reçoit ; ils sont utiles en acquittant une dette, comme on l’a expliqué. La comparaison est donc défectueuse.

2. On a dit que les suffrages destinés à un défunt sont, d’une certaine manière, utiles à d’autres ; rien n’empêche donc d’ajouter à une messe célébrée pour un défunt certaines prières pour d’autres défunts ; car on ne prétend point par là détourner à leur profit la valeur satisfactoire du sacrifice, mais seulement les secourir par ces prières faites à leur intention.

3. Il faut considérer dans la prière celui qui prie et celui qui est prié : l’effet dépend de tous les deux. Sans doute le Dieu tout-puissant peut aussi facilement pardonner à plusieurs qu’à un seul ; mais celui qui prie n’est pas capable, par une même prière, de satisfaire autant pour plu sieurs que pour un seul.

 

Article 14 — Les suffrages communs sont-ils aussi utiles à ceux qui n’en ont pas d’autres, que le sont tout ensemble des suffrages spéciaux et les suffrages communs à ceux qui bénéficient des uns et des autres ?

Objections :

1. Dans l’autre monde, chacun est traité selon ses mérites. Mais, celui à qui aucun suffrage spécial n’est destiné peut avoir mérité d’être secouru, après sa mort, autant qu’un autre qui bénéficie de pareils suffrages. Donc les suffrages communs lui seront, à eux seuls, tout aussi utiles.

2. De tous les suffrages de l’Église, le principal, c’est l’Eucharistie. Mais celle-ci, du fait qu’elle contient le Christ tout entier, a une efficacité en quelque sorte infinie. Une seule oblation du sacrifice eucharistique, à l’intention de tous les défunts, suffit donc à leur délivrance plénière, et ce suffrage commun ne laisse à désirer le secours d’aucun suffrage particulier.

Cependant :

Deux biens sont meilleurs qu’un seul. Les suffrages spéciaux ajoutés aux suffrages communs sont donc plus utiles à un défunt que ces derniers seuls.

Conclusion :

La réponse dépend de celle qui a été donnée à l’article 12. Si les suffrages destinés à un défunt en particulier sont utiles à tous sans distinction, tous les suffrages sont communs ; dès lors, un défunt privé de tout suffrage spécial est secouru, s’il en est également digne, tout autant que celui auquel des suffrages sont spécialement destinés. Au contraire, si la valeur des suffrages n’est pas attribuée indifféremment à tous les défunts, mais d’abord et surtout à ceux qui en sont les destinataires, il n’est pas douteux que les suffrages spéciaux ajoutés aux suffrages communs ne soient plus efficaces que ces derniers seulement. C’est pourquoi le Maître des Sentences signale deux opinions. La première soutient que les suffrages communs ont pour le pauvre une valeur égale à celle qu’ont pour le riche les suffrages communs et les suffrages particuliers : ce dernier a des secours plus nombreux, mais qui ne sont pas plus efficaces. - La seconde opinion admet que celui à qui sont destinés des suffrages parti culiers reçoit un pardon plus rapide, mais non pas plus entier, puisque riche et pauvre seront, en fin de compte, entièrement délivrés.

Solutions :

1. Le secours apporté par les suffrages ne dépend pas directement et absolument du seul mérite, mais, pour ainsi dire, conditionnellement, comme on l’a expliqué à la sol. 2 de l’art. 12.

2. La puissance du Christ contenu dans l’Eucharistie est infinie, mais son efficacité est orientée vers le défunt à l’intention duquel le saint sacrifice est offert. Il ne s’ensuit donc pas nécessairement qu’une seule oblation eucharistique expie toute la peine des âmes du purgatoire, pas plus qu’elle n’opère, pour un vivant, la satisfaction totale pour les péchés qu’il a commis : la preuve en est que plusieurs messes sont parfois imposées en réparation d’un seul péché.

On peut croire cependant que, par un effet de la divine miséricorde, le surplus des suffrages particuliers, surabondants pour ceux auxquels ils sont destinés, est appliqué à d’autres défunts, qui sont privés de tels suffrages et qui ont besoin de secours. "Parce que Dieu est juste, dit saint Damascène, il n’exige de la faiblesse que ce qu’elle peut donner ; parce qu’il est sage, il trouve le moyen de combler les indigences". Et ce moyen, c’est de transférer ce que les uns ont de trop à d’autres qui n’ont pas assez.

 

QUESTION 72 — LA PRIÈRE DES SAINTS QUI SONT AU CIEL.

Il s’agit maintenant de la prière des saints qui sont au ciel. Trois demandes : 1. Connaissent-ils les prières que nous leur adressons ? - 2. Devons-nous leur demander de prier pour nous ? - 3. Leurs prières en notre faveur sont-elles toujours exaucées ? La question de savoir s’ils prient pour nous a été déjà traitée : 2a qu. 83, art. 2.

 

Article 1 — Les saints connaissent-ils les prières que nous leur adressons ?

Objections :

1. "Seigneur, vous êtes notre père, dit Isaïe, car Abraham nous ignore et Israël ne nous connaît pas". Ce qui fait dire à saint Augustin que "les saints qui sont morts ignorent ce que font les vivants, ce que font même leurs enfants". Et il ajoute "Si de tels Patriarches n’ont pas su ce que faisait le peuple sorti d’eux, comment croire que les morts sont en relation avec les vivants de façon à savoir ce qui leur arrive, ce qu’ils font, et à les assister ?" Les saints ne peuvent donc connaître nos prières.

2. Dieu fit dire au roi Josias : "Parce que tu as pleuré devant moi, voici que je te recueillerai auprès de tes pères, et tes yeux ne verront pas tous les malheurs que je ferai venir sur ce lieu". Mais la mort n’eût pas épargné à Josias ce douloureux spectacle, s’il en avait eu la connaissance posthume. Les saints, après leur mort, ignorent donc et nos actes et nos prières.

3. Plus la charité est parfaite, plus elle s’empresse au secours du prochain. C’est ce que nous voyons que font les saints, lorsqu’ils sont sur la terre. Mais, après leur mort, leur charité est encore plus grande, et, s’ils connaissaient ce qui se passe ici-bas, plus grand aussi serait leur empressement à secourir ceux qui leur sont chers. Or, c’est ce que nous ne voyons pas. C’est donc qu’ils ignorent et nos actes et nos prières.

4. Les saints du ciel contemplent le Verbe, ainsi que les anges dont il est écrit "qu’ils voient sans cesse la face de mon Père". Or, cette vision ne fait pas tout connaître aux anges, puisque l’une des fonctions des anges supérieurs est d’apprendre aux anges inférieurs ce qu’ils ignorent. Les saints voient donc le Verbe, mais ils ne voient en lui ni nos vies ni nos prières.

5. Dieu seul "voit les cœurs". Mais c’est dans le cœur surtout qu’est la prière. Dieu est donc seul capable de la voir.

Cependant :

1. Ces paroles de Job : "Que ses enfants soient honorés, il n’en sait rien ; qu’ils soient dans l’abaissement, il l’ignore", sont ainsi commentées par saint Grégoire : "Il ne faut pas attribuer cette ignorance aux âmes des saints. Elles dont la vue plonge dans les profondeurs lumineuses du Dieu tout puissant, il ne faut absolument pas croire que rien de ce qui est en dehors leur échappe". Ns prières leur sont donc connues.

2. "Toute créature se rapetisse devant l’âme qui voit le Créateur. A la lumière du Créateur, tout le créé lui apparaît Court". Or, c’est la distance qui semble devoir empêcher les saints de connaître nos prières et nos vies. Mais cette distance n’est rien pour eux : saint Grégoire vient de le dire. Elle n’est donc pas un obstacle.

3. Si les saints ne connaissaient pas ce qui se passe ici-bas, ils ne prieraient pas pour nous, puisqu’ils ignoreraient nos besoins. Or, c’est là l’erreur de Vigilantius, comme l’explique saint Jérôme dans la lettre qu’il écrivit contre lui.

Conclusion :

L’essence divine est un moyen suffisant pour connaître toutes choses ; la preuve en est que Dieu voit tout en se voyant lui-même. Il ne s’ensuit cependant pas que quiconque voit l’essence divine y voit tout : il faudrait pour cela la comprendre, la voir dans sa totalité ; de même qu’il faut saisir toute la virtualité d’un principe pour en apercevoir toutes les conséquences. Dès lors, comme les âmes des saints ne comprennent pas l’essence divine, il ne faut donc pas dire qu’ils connaissent tout ce qu’elle contient. C’est pour la même raison que les anges inférieurs ignorent certaines choses dont les instruisent les anges supérieurs, quoique tous jouissent de la vision de Dieu. Mais il est nécessaire que chaque bienheureux voie en Dieu les choses de ce monde dans la mesure requise à la parfaite béatitude. Or, celle-ci exige d’"avoir tout ce que l’on veut, sans rien vouloir d’une volonté déréglée". Mais il est d’une volonté bien réglée que chacun veuille connaître ce qui le concerne. Les saints, dont la rectitude est parfaite, le veulent donc, et il faut donc qu’ils le voient dans le Verbe. Or, c’est un élément de leur gloire que de prêter leur assistance à ceux qui en ont besoin pour être sauvés ; ainsi deviennent-ils "les coopérateurs de Dieu, la plus divine chose qui soit", selon l’expression de Denys. Il est donc évident que les saints connaissent ce qui est exigé pour cet office ; évident, par conséquent, qu’ils voient dans le Verbe les vœux, les prières, les pratiques pieuses des humains qui implorent leur secours.

Solutions :

1. Saint Augustin parle ici de la connaissance naturelle des âmes séparées, dont il faut dire qu’elle n’est pas obscurcie dans les âmes des saints comme elle l’est dans celle des pécheurs. Mais il ne parle pas de la connaissance résultant de la vision du Verbe, connaissance qu’Abraham, à l’époque où Isaïe parlait ainsi de lui, ne pouvait avoir, puisque, avant la Rédemption, personne ne fut admis à voir Dieu.

2. Quoique les saints connaissent les choses d’ici-bas et les épreuves de ceux qui leur furent chers, il ne faut cependant pas croire qu’ils en souffrent, car la joie de la béatitude les remplit tellement qu’elle les rend incapables de toute souffrance. Donc, même s’ils connaissent ces épreuves survenues après leur mort, la mort elle-même, qui les a devancées, a servi de remède à leur douleur. Mais il se pourrait que les âmes non glorifiées fussent affligées de ces épreuves, si elles les connaissaient, l’âme de Josias, par exemple, qui était dans le Limbe des Patriarches. C’est pour cette raison que saint Augustin s’efforce de prouver que les âmes des saints ignorent ce qui se passe chez les vivants.

3. Les saints ont une volonté pleinement con forme à celle de Dieu, même quant à l’objet voulu par Dieu. Dès lors, tout en gardant leur affection pour leurs proches, ils ne veulent cependant pas leur porter secours autrement que la justice divine n’en a disposé. Il faut croire néanmoins que leur intercession auprès de Dieu est d’un grand secours pour ceux auxquels ils s’intéressent.

4. Quoique ceux qui voient le Verbe ne voient pas nécessairement toutes choses en lui, ils y voient cependant tout ce qu’exige la perfection de leur béatitude, ainsi qu’on l’a dit.

5. Dieu seul connaît par lui-même les pensées des cœurs ; mais d’autres peuvent les connaître dans la mesure où elles leur sont révélées, soit par la vision du Verbe, soit de tout autre manière.

 

Article 2 — Devons-nous demander aux saints de prier pour nous ?

Objections

1. On s’adresse aux amis de quelqu’un pour une faveur parce qu’on croit l’obtenir plus facilement qu’en s’adressant à lui- même. Mais Dieu est infiniment plus miséricordieux que n’importe lequel de ses saints. Il semble donc superflu de les prendre pour intermédiaires entre Dieu et nous.

2. Nous demandons aux saints de prier pour nous parce que nous savons leur prière agréable à Dieu. Mais plus ils sont près de Dieu, plus leur prière lui est agréable. Il faudrait donc toujours prier les plus grands saints et jamais les autres.

3. Le Christ, même en tant qu’homme, est appelé "le Saint des saints", et son humanité lui permet la prière. Néanmoins, nous ne lui demandons jamais de prier pour nous. Il ne faut donc pas non plus le demander aux autres saints.

4. En prenant les saints pour intercesseurs auprès de Dieu, nous les chargeons de lui présenter nos requêtes. Mais à quoi bon ? puisque toutes choses sont présentes à Dieu.

5. Il est inutile d’employer un moyen pour atteindre une fin qui en est indépendante. Or, que nous les priions ou non, les saints prieront ou ne prieront pas pour nous, selon que nous sommes dignes ou indignes de leurs prières.

Cependant :

1. "Appelle donc! Y aura-t-il quelqu’un qui te réponde ? Vers lequel des saints te tourneras-tu ?" "Notre appel, dit saint Grégoire, c’est notre humble prière adressée à Dieu". Quand donc nous voulons prier Dieu, nous devons nous tourner vers les saints et leur demander de prier pour nous.

2. Les saints ont plus de crédit auprès de Dieu après leur mort que pendant leur vie. Mais, de leur vivant, nous devons les Constituer nos intercesseurs, l’exemple de saint Paul : "Je vous exhorte, mes frères, par Notre Seigneur Jésus-Christ et par la charité du Saint -Esprit, de m’aider par vos prières auprès de Dieu". A plus forte raison devons-nous demander aux saints du ciel le secours de leurs prières.

3. C’est une coutume générale dans l’Église que d’implorer les saints en récitant leurs litanies.

Conclusion :

"C’est une loi établie par Dieu que les êtres les plus éloignés de lui soient ramenés à lui par les plus proches". Or, les saints du ciel sont toujours près de Dieu ; nous, au contraire, "aussi longtemps que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur" ; ils doivent donc nous servir d’intermédiaires. Ils le sont, lorsque la divine bonté se répand sur nous par eux ; et notre réponse doit suivre le même chemin. Ainsi donc, de même que c’est par les suffrages des saints que les bienfaits de Dieu descendent sur nous, de même, c’est par eux que nous devons remonter à Dieu pour en recevoir de nouveaux bienfaits. C’est pour cette raison que nous constituons les saints nos intercesseurs auprès de Dieu et comme nos médiateurs, lorsque nous leur demandons de prier pour nous.

Solutions :

1. Ce n’est point par impuissance que Dieu se sert des causes secondes, mais pour une plus grande perfection de l’univers et une communication plus variée du bien divin, du fait que certains êtres reçoivent de Dieu non seulement d’être bons en eux-mêmes, mais d’être cause que d’autres le soient. De même, le recours aux prières des saints ne suppose point en Dieu un défaut de miséricorde ; c’est simplement une application particulière de la loi universelle.

2. Les plus grands saints ont, auprès de Dieu, plus de crédit que les autres ; il n’est cependant pas inutile de prier également ceux-ci pour cinq raisons. 1° Pour prier avec la ferveur plus grande qu’excitent en nous certains saints moins haut placés, et un succès correspondant à cette ferveur. - 2° Pour remédier au dégoût qu’engendre la monotonie ; s’adresser à différents saints, c’est comme un moyen de renouveler, la ferveur. - 3° Pour obtenir les secours particuliers dont certains saints semblent avoir le monopole ; par exemple, la guérison de la maladie qu’on appelle "le feu infernal", en s’adressant à saint Antoine. - 4° Pour qu’aucun saint ne soit frustré de l’honneur qui lui est dû. - 5° Pour que nos prières soient plus sûrement exaucées, étant recommandées par de plus nombreux intercesseurs.

3. La prière est un certain acte, qui, comme tous les actes, appartient au suppôt, à l’individu. Dès lors, si nous disions "Christ, priez pour nous", sans addition ni explication, nous semblerions attribuer cette prière à la personne du Christ, ce qui sentirait le nestorianisme, qui distingue dans le Christ une personne humaine à côté de la personne divine, ou l’arianisme, qui déclare la personne du Fils inférieure à celle du Père. Pour éviter ces erreurs, l’Église ne dit donc pas "Christ, priez pour nous", mais "Christ, écoutez-nous", ou "ayez pitié de nous".

4. Les saints ne présentent pas à Dieu nos prières comme pour lui manifester ce qu’il ignore, mais pour lui demander de les exaucer ; ou encore, pour les confronter avec la vérité qui est en Dieu et les décrets de la Providence. On se rend digne de la prière d’un saint par le fait de recourir à lui, en cas de besoin, avec pureté d’intention. Ce recours n’est donc pas inutile.

 

Article 3 — Les prières des Saints en notre faveur sont-elles toujours exaucées ?

Objections :

1. S’il en était ainsi, les prières qu’ils adressent à Dieu pour eux-mêmes seraient, à plus forte raison, toujours exaucées. Or, elles ne le sont pas toujours ; d’après l’Apocalypse, aux martyrs qui crient vengeance "il est répondu de se tenir en repos encore un peu de temps jusqu’à ce que soit complet le nombre de leurs frères".

2. Même réponse négative suggérée par ce texte de Jérémie : "Quand même Moïse et Samuel se tiendraient devant moi, mon me ne se tourne rait pas vers ce peuple", dit le Seigneur.

3. Les saints sont "comme les anges de Dieu dans le ciel". Mais la prière des anges n’est pas toujours exaucée. L’ange dit à Daniel "Je suis venu à cause de tes paroles, mais le chef du royaume des Perses s’est opposé à moi pendant vingt et un jours" : c’est-à-dire à l’effet de ma prière.

4. Obtenir quelque chose par la prière, c’est en quelque façon le mériter. Or, dans le ciel, les Saints ne sont plus en état de mériter.

5. La volonté des Saints est en parfaite conformité avec celle de Dieu. Ils ne veulent donc que ce qu’ils savent voulu par Dieu et ils ne demandent donc que ce qu’ils veulent eux-mêmes et qui est aussi ce qu’ils savent que Dieu veut. Mais ce que Dieu veut s’accomplirait tout aussi bien sans leurs prières. Celles-ci sont donc de nul effet.

6. Les prières de toute la cour céleste, si elles sont efficaces, le sont plus que tous les suffrages de l’Église de la terre. Mais ceux-ci peuvent s’accroître jusqu’à la délivrance totale d’une âme du purgatoire. Or, les saints prient non seulement pour les vivants, mais encore pour les défunts, et, si leurs prières étaient efficaces pour nous, elles le seraient aussi pour les âmes du purgatoire, qu’elles délivreraient donc en totalité ; ce qui est faux, car, s’il en était ainsi, les suffrages de l’Église pour les défunts seraient inutiles.

Cependant :

1. Il est écrit au livre des Macabées : "Celui-ci est l’ami de ses frères, qui prie beaucoup pour le peuple et pour la ville saint e, Jérémie, le prophète de Dieu". Et les paroles suivantes montrent l’efficacité de sa prière "Jérémie, étendant la main droite, donna à Judas une épée d’or, en disant : Prends cette sainte épée, c’est un don de Dieu, etc.".

2. Saint Jérôme interpelle ainsi Vigilantius : "Tu prétends, dans ton méchant petit livre, que c’est pendant notre vie que nous pouvons prier les uns pour les autres". Et il le réfute en disant : "Si les Apôtres et les martyrs peuvent prier pour les autres, quand ils sont encore mortels, quand ils ont encore le souci de prier pour eux-mêmes, combien plus le peuvent-ils après leurs couronnes, leurs victoires, leurs triomphes ?"

3. C’est la coutume de l’Église de se recommander fréquemment aux prières des Saint s.

Conclusion :

On peut dire que les saints prient pour nous de deux manières par des prières proprement dites, des désirs qu’ils expriment à Dieu en notre faveur ; par leurs mérites que l’on peut regarder comme des prières et qui, devant Dieu, ne sont pas seulement une gloire pour eux-mêmes, mais deviennent des suffrages et comme des prières pour nous ; c’est en ce sens que le sang du Christ est dit implorer notre pardon. Les prières des saints, en l’un et l’autre sens et à les considérer en elles-mêmes, ont le pouvoir d’obtenir ce qu’elles demandent. Mais, s’il s’agit des prières que sont leurs mérites, il peut y avoir en nous-mêmes un empêchement à recevoir les grâces qu’elles obtiennent. S’il s’agit de leurs prières proprement dites, elles sont toujours exaucées, car les saints ne demandent que ce qu’ils veulent et ils ne veulent que ce que Dieu veut. Or, ce que Dieu veut absolument s’accomplit toujours ; à moins qu’il ne s’agisse de cette volonté que nous appelons antécédente, selon laquelle, par exemple, "il veut le salut de tous les hommes", et qui ne s’accomplit pas toujours. Il n’est donc pas étonnant que ce que les saints veulent de cette même espèce de volonté ne s’accomplisse pas non plus toujours.

Solutions :

1. Cette prière des martyrs, comme le dit la Glose, n’est pas autre chose que leur désir de voir leur corps glorifié, de jouir de la société des futurs élus, et leur acquiescement à la justice divine qui punira les méchants.

2. Dieu parle ici de Moïse et de Samuel tels qu’ils étaient. de leur vivant, "alors que, par leurs prières, ils détournèrent de leur peuple la colère de Dieu". S’ils avaient vécu au temps de Jérémie, la malice des Juifs aurait réduit leurs prières à l’impuissance tel est le sens littéral.

3. Ce combat entre les bons anges ne vient pas de ce qu’ils adressent à Dieu des prières opposées, mais de ce qu’ils soumettent les mérites opposés des deux parties au jugement de Dieu dont ils attendent la sentence. C’est le sens donné par saint Grégoire à ce texte de Daniel : "Les esprits angéliques préposés aux nations ne combattent jamais pour l’injustice, mais examinent et apprécient les actes conformément à la justice. Quand une nation est présentée au tribunal suprême comme ayant agi bien ou mal, c’est alors que l’ange qui en est le chef est dit avoir gagné ou perdu la bataille. Mais la volonté suprême du Créateur remporte toujours la victoire sur eux tous ; car, ils la contemplent toujours et ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent pas obtenir". Ils ne le demandent jamais non plus ; c’est pourquoi leurs prières sont toujours exaucées.

4. Les saints, lorsqu’ils sont au ciel, ne peuvent plus mériter pour eux-mêmes, mais ils le peuvent pour les autres, ou plutôt ils peuvent les aider par le mérite qu’ils ont acquis pendant leur vie, à savoir, que leurs prières seraient agréées de Dieu après leur mort.

On pourrait dire encore que ce n’est point un seul et même principe qui donne à la prière son mérite et son efficacité. Le mérite consiste en une certaine proportion entre un acte et la fin qui lui correspond et qui en est comme le salaire. L’efficacité de la prière dépend de la libéralité de celui à qui elle est adressée et qui veut bien accorder parfois ce que l’on n’a pas mérité. Ainsi, les Saints peuvent n’être pas en état de mériter, mais être cependant en état d’obtenir.

5. Les saints et les anges ne veulent que ce qu’ils voient conforme à la volonté de Dieu, et ils ne demandent jamais que cela. Il ne s’ensuit pas que leur prière soit inutile ; car, ainsi que le remarque saint Augustin, Dieu peut avoir décrété que les prédestinés lui devront leur salut ; de telle sorte que Dieu veut que soit accompli par les prières des saints cela même que les saints voient voulu par Dieu.

6. Les suffrages de l’Église consistent en certaines satisfactions accomplies par les vivants au nom et à la place des défunts dont la dette est ainsi, en tout ou en partie, payée par d’autres que par eux-mêmes. Mais les saints du ciel ne sont plus en état de satisfaire. On ne saurait donc mettre en parallèle leurs prières et les suffrages de l'Église.

 

LA FIN DU MONDE

QUESTION 73 — LES SIGNES PRÉCURSEURS DU JUGEMENT

Il s’agit maintenant des signes précurseurs du Jugement.

On demande : 1. Y aura-t-il des signes pré curseurs de l’avènement du souverain Juge ? - 2. Le soleil et la lune doivent-ils vraiment cesser de briller ? - 3. Les vertus des cieux seront-elles ébranlées ?

 

Article 1 — Y aura-t-il des si précurseurs de l’avènement du Souverain Juge ?

Objections :

1. La réponse négative semble imposée par cette parole de saint Paul "Quand les hommes diront : Paix et sûreté! C’est alors qu’une ruine soudaine fondra sur eux". En effet, cette paix et cette sûreté n’existeraient pas, si des signes avant-coureurs venaient semer l’épouvante.

2. Des signes sont nécessaires quand une chose doit être rendue manifeste. Mais l’avènement du Seigneur doit être caché "Le jour du Seigneur vient ainsi qu’un voleur pendant la nuit".

3. Le premier avènement de Notre Seigneur fut connu d’avance par les prophètes, et cependant il ne fut précédé d’aucun signe. A plus forte raison, ainsi en sera-t-il du second que personne ne connaît.

Cependant :

1. Il est dit en saint Luc "Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles".

2. Saint Jérôme énumère quinze signes : les mers se soulèveront de quinze coudées plus haut que les montagnes ; - elles s’enfonceront dans les abîmes jusqu’à être à peine visibles ; - elles reprendront leur niveau habituel ; - tous les monstres marins se rassembleront, lèveront la tête au-dessus des flots et mugiront les uns contre les autres, comme s’ils se querellaient ; - tous les oiseaux du ciel se réuniront dans les champs, gémissant à l’envi, sans manger ni boire ; - des torrents de feu prendront naissance à l’occident et parcourront le ciel jusqu’à l’orient ; - tous les astres errants et fixes jetteront des flammes semblables à la crinière ardente des comètes ; - un grand tremblement de terre renversera tous les animaux ; - toutes les pierres, petites et grandes, se heurteront et se briseront en quatre morceaux ; - de toutes les plantes coulera une rosée sanglante ; - les montagnes, collines et édifices seront réduits en poussière ; - tous les animaux sortiront des forêts et des montagnes, hurlant et oubliant de manger ; - tous les tombeaux s’ouvriront pour rendre leurs morts à la vie ; - tous les hommes sortiront de leurs demeures, hébétés, muets, courant çà et là ; - ils mourront tous pour ressusciter en même temps que ceux qui les ont pré cédés dans la mort.

Conclusion :

Quand le Christ viendra juger tous les hommes, il apparaîtra dans sa gloire, comme il convient à la dignité de sa fonction. Mais celle-ci doit être manifestée par certains indices capables d’inspirer 1 respect et la sou mission. L’avènement du souverain Juge sera donc précédé de signes multiples destinés à avertir les hommes de se préparer au Jugement et à soumettre les cœurs au Juge qui va venir.

Mais il est difficile de savoir quels seront ces signes. Ceux que nous lisons dans l’Evangile, comme le remarque saint Augustin, se rapportent non seulement au Jugement dernier, mais encore à la destruction de Jérusalem et à cet avènement continuel par lequel le Christ visite et éprouve son Église. De telle sorte que, si l’on y réfléchit bien, on pourrait conclure qu’aucun n’est caractéristique du dernier avènement, comme saint Augustin le dit encore ; car, les combats, les épouvantes, etc., mentionnés dans l’Evangile, se rencontrent tout au long de l’humanité. Dira-t-on qu’il y aura comme une recrudescence de ces phénomènes à la fin du monde ? Mais il est impossible de préciser quel degré elle doit atteindre pour l’annoncer clairement. Quant aux signes énumérés par saint Jérôme, il n’affirme point leur réalité ; il dit seulement les avoir rencontrés dans les annales des Juifs, et l’on doit dire qu’ils paraissent fort peu vraisemblables.

Solutions :

1. Saint Augustin dit que, à la fin des temps, les méchants persécuteront les bons ; ceux-ci craindront donc, tandis que ceux-là seront tranquilles. Ce sont donc les méchants qui diront : "Paix et sûreté", parce qu’ils négligeront les signes annonciateurs du Jugement ; tandis que les bons "sécheront de frayeur, etc.", comme parle saint Luc.

On peut dire encore que ces signes avant- coureurs sont compris dans le temps et le jour du Jugement. Avant donc leur apparition et l’effroi qu’ils en éprouveront, les impies se croiront en paix et en sécurité, en voyant que la fin du monde ne suit pas immédiatement la mort de l’Antéchrist, ainsi qu’ils se l’étaient imaginé.

2. Le jour du Seigneur viendra "comme un voleur", parce que la date précise en est in connue, les signes précurseurs étant insuffisants à le manifester. Quant aux signes indubitables qui précéderont immédiatement le Jugement, on peut dire qu’ils font partie de ce jour même.

3. Quoique les prophètes connussent d’avance le premier avènement du Christ, cet avènement eut lieu en secret ; il ne devait donc pas être annoncé par des signes, à la différence du second, dont la date reste mystérieuse, mais où le Christ viendra dans sa gloire.

 

Article 2 — Le soleil et la lune doivent-ils réellement cesser de briller, à l’époque du Jugement ?

Objections :

1. Raban Maur déclare que "rien n’empêche de croire qu’alors le soleil, la lune et les astres seront privés de leur lumière, comme il advint du soleil pendant la Passion".

2. La lumière des corps célestes est destinée à la génération des corps terrestres : car c’est aussi par elle que leur influence s’exerce et non seulement par leur mouvement, comme le dit Averroès. Mais, cette génération cessant, leur lumière deviendra inutile.

3. Certains auteurs disent que les créatures matérielles seront purifiées des qualités qui sont les principes de leur action. Or, les corps célestes agissent aussi bien par leur lumière que par leur mouvement, qui doivent donc disparaître ensemble.

Cependant :

1. Au dire des astrologues, il ne peut y avoir en même temps éclipse de soleil et éclipse de lune. Donc l’obscurcissement dont on parle ne peut être réel, comme conséquence d une double éclipse.

2 Le même fait ne peut être à la fois cause d’accroissement et de disparition par rapport a un même phénomène. Or a l’avènement du Seigneur, dit Isaïe, "la lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus grande".

Conclusion :

Si l’on parle du moment même de l'avènement du Christ il n est pas croyable que le soleil et la lune cessent de briller, puisque l’univers entier sera renouvelé lorsque le Christ apparaîtra et que les saints ressusciteront glorieux. S’il s’agit du temps qui précédera le Jugement, il est possible que le soleil, la lune et les astres s’obscurcissent, simultanément ou les uns après les autres, par un miracle de la puissance divine destiné à frapper de terreur les humains.

Solutions :

1. Il est ici question du temps qui précédera le Jugement.

2. La lumière des corps célestes n’a point pour but unique d’agir sur les êtres terrestres, mais encore d’être pour eux-mêmes un élément de perfection et de beauté. Si donc la génération cesse sur la terre, il ne s’ensuit pas que la lumière des corps célestes disparaisse, mais plutôt devra- t-elle devenir plus brillante.

3. L’opinion d’après laquelle les éléments doivent perdre leurs qualités élémentaires paraît peu probable. Si on l’admet, il faut faire exception pour la lumière ; en effet, les autres qualités élémentaires sont contraires entre elles et agissent par destruction, tandis que la lumière agit comme un principe de règle et d’harmonie. - Il y a aussi cette différence entre elle et le mouvement des corps célestes, à savoir, que celui-ci est "l’acte d’un être imparfait", qui doit donc cesser avec l’état de perfection ; ce qui n’est pas le cas pour la lumière.

 

Article 3 — A l’avènement du Seigneur, les vertus des cieux seront-elles ébranlées ?

Objections :

1. Ce nom ne peut désigner que des esprits bienheureux. Or, l’immutabilité est un élément de la béatitude.

2. L’étonnement a pour cause l’ignorance. Or, dans les anges il n’y a ni surprise, ni ignorance "Ceux qui voient Celui qui voit tout, est-il quelque chose qu’ils ne voient pas ?"

3. "Tous les anges se tiendront autour du trône" ; tous seront présents au Jugement. Mais les Vertus sont un Ordre angélique. Pourquoi feraient-elles exception ?

Cependant :

1. Il est dit dans Job : "Les colonnes du ciel s’ébranlent et s’épouvantent à sa venue

2. Et en saint Matthieu : "Les étoiles tomberont du ciel et les vertus des cieux seront ébranlées".

Conclusion :

Selon Denys, le mot "vertus", employé en parlant des anges, peut désigner soit un Ordre spécial, dont il fait le second de la seconde Hiérarchie, tandis que saint Grégoire en fait le premier de la Hiérarchie inférieure, - soit tous les esprits angéliques sans distinction.

Le Maître des Sentences préfère ce second sens et explique le saisissement des anges par la vue du nouvel état de choses dont l’univers donnera le spectacle.

S’il s’agit des anges qui composent l’Ordre des "Vertus", le changement qu’on leur attribue spécialement s’explique par l’effet dont ils sont la cause. D’après saint Grégoire, ils sont chargés d’opérer les miracles ; or, à la fin du monde, les miracles seront multipliés. - Selon Denys, et la place qu’il leur assigne, ils ont une puissance qui n’est point particularisée ; leur fonction doit donc avoir pour objet les causes universelles, c’est-à-dire, le mouvement des corps célestes dont l’influence s’exerce sur les êtres terrestres. Leur nom même de "Vertus des cieux" semblerait indiquer leur fonction. Or en ce temps en eux un changement, une cessation d’activité, puisqu’ils n’auront plus à mouvoir les corps célestes, de même que les fonctions des anges gardiens n’auront plus de raison d’être.

Solutions :

1. Ce changement n’affecte en rien leur état ; il se rapporte seulement aux effets produits par eux et qui peuvent changer sans qu’ils changent eux-mêmes, ou encore, à une connaissance nouvelle que n’avaient pu leur fournir leurs idées innées. Cette mobilité de pensées n’empêche pas leur béatitude ; ce qui fait dire à saint Augustin que "Dieu meut la créature spirituelle dans le temps".

2. L’étonnement a pour objet les choses qui dépassent notre condition ou nos forces. Ainsi, les Vertus des cieux s’étonneront de voir la vertu divine opérer de si grands prodiges qu’elles sont incapables d’imiter et de comprendre ; c’est dans le même sens que sainte Agnès disait que "la beauté divine est un sujet d’étonnement pour le soleil et la lune". Cela ne suppose donc pas de l’ignorance dans les anges, mais seulement une incapacité de comprendre Dieu.

 

QUESTION 74 — LA CONFLAGRATION DE L’UNIVERS À LA FIN DES TEMPS

Il s’agit maintenant de la conflagration de l’univers qui doit avoir lieu à la fin des temps.

On demande : 1. Le monde doit-il être purifié ? - 2. Purifié par le feu ? - 3. Par un feu de même nature que celui qui est l’un des quatre éléments ? - 4. Purifiera-t-il tous les cieux supérieurs ? - 5. Consumera-t-il les autres éléments ? - 6. Purifiera-t-il tous les éléments ? - 7. La conflagration aura-t-elle lieu avant ou après le Jugement ? - 8. Atteindra-t-elle les hommes ? - 9. Engloutira-t-elle les réprouvés ?

 

Article 1 — Le monde doit-il être purifié ?

Objections :

1. Seul, ce qui est impur a besoin d’être purifié. Mais les créatures de Dieu ne le sont point : "Ce que Dieu a déclaré pur, ne l’appelle pas impur".

2. La purification opérée par la justice divine a pour objet le péché, par exemple, en purgatoire. Mais il ne saurait y avoir rien de pareil dans les éléments de l’univers.

3. Purifier une chose, c’est séparer d’elle ce qui lui est étranger et la diminue ; lui enlever ce qui l’ennoblit, ce n’est plus la purifier, mais l’amoindrir. Or, leur combinaison rend les éléments composés plus parfaits et plus nobles, puisque la forme du corps composé est supérieure à celle du corps simple. La purification de l’univers semble donc inadmissible.

Cependant :

1. Tout renouvellement exige une certaine purification. Or, les éléments seront renouvelés : "Je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre, car le premier ciel et la première terre avaient disparu".

2. "La figure de ce monde passe", dit saint Paul ; et la Glose ajoute : "La beauté de ce monde périra dans la conflagration universelle".

Conclusion :

Puisque le monde a été fait, à certains égards, pour l’homme, il faut que, lorsque l’homme sera glorifié dans son corps, les autres êtres corporels soient améliorés, afin que l’univers devienne un séjour à la fois plus convenable et plus agréable. La glorification du corps humain exige la disparition des deux choses qui s’y opposent, à savoir, la corruption et la souillure du péché : "La corruption ne possédera point l’incorruptibilité", et tous les immondes seront "exclus" de la cité glorieuse. De même, et toute proportion gardée, faut-il que les éléments cosmiques soient purifiés des dispositions contraires avant d’être renouvelés et glorifiés.

Sans doute, le péché ne peut pas, à proprement parler, souiller les choses corporelles ; il met cependant en elles une espèce de répugnance à un enrichissement spirituel. Les lieux profanés par certains crimes sont jugés impropres aux cérémonies religieuses, tant qu’ils n’ont pas été purifiés. D’après ce principe, la partie de l’univers où vivent les hommes a contracté, à cause de leurs péchés, une certaine inaptitude à être glorifiée, et donc un besoin de purification. - De même, les éléments de la partie intermédiaire, par leur contact avec les nôtres, subissent des influences : corruption, génération, altération, qui les dégradent et exigent qu’ils soient purifiés, eux aussi, avant d’être renouvelés et glorifiés.

Solutions :

1. Quand on dit que toute créature de Dieu est pure, il faut entendre que sa substance ne contient aucun mélange de mal, au sens des Manichéens qui prétendaient que le bien et le mal sont deux substances, tantôt séparées, tantôt mêlées. Mais cela n’exclut pas la possibilité d’un alliage, par lequel une chose, bonne en elle-même, déprécie cependant celle à laquelle elle s’allie. Cela n’exclut pas non plus la possibilité du mal pour une créature, mais toujours comme un accident, et jamais comme une partie essentielle.

2. Quoique les éléments corporels ne puissent être le sujet du péché, celui-ci leur fait cependant contracter une certaine inaptitude à recevoir leur glorification.

3. Si l’on considère dans la forme du corps composé et celle du corps simple, ou élément, la perfection spécifique, le corps composé est plus excellent ; si l’on y considère la permanence dans l’être, le corps simple est meilleur ; car, s’il peut subir l’action d’une cause étrangère à lui, il n’a pas en lui-même, comme le corps composé, ce mélange d’éléments contraires qui est un principe de dissolution. Il peut donc être atteint dans l’une de ses parties, mais il est incorruptible comme un tout , ce qu’on ne peut pas dire du corps composé. Il est donc plus près de l’état glorieux, dont l’un des attributs est l’incorruption, que ce dernier, à moins que celui-ci n’ait en lui-même un principe d’incorruption, comme, par exemple, le corps humain dont la forme (l’âme humaine) est incorruptible. Quoique le corps composé soit, d’une certaine manière, plus excellent - Le corps simple, étant un corps, a des parties quantitatives homogènes ; étant un corps simple, il forme un tout indivisible, puisqu’il n’est pas composé de plusieurs parties essentielles. Ainsi le corps simple est meilleur en lui-même que comme partie du corps composé car en celui-ci il est, pour ainsi dire, en puissance, tandis que, en lui-même, il possède son ultime perfection.

 

Article 2 — Cette purification se fera-t-elle par le feu ?

Objections :

1. Le feu, étant une partie de l’univers, a besoin, autant que les autres, d’être purifié ; mais il ne peut pas l’être par lui-même.

2. Aussi bien que le feu, l’eau sert à purifier, et certaines purifications lui étaient réservées dans l’ancienne Loi. La purification de l’univers, du moins dans sa totalité, ne se fera donc pas par le feu.

3. Elle semble devoir consister à désagréger les parties qui composent l’univers afin de les rendre plus pures. Mais "cette œuvre de distinction", à l’origine du monde, eut pour cause la seule puissance divine ; Anaxagore dit qu’elle est un acte de l’intelligence qui meut toutes choses. La purification finale sera donc faite par Dieu lui-même, et non par le feu.

Cependant :

1. La réponse affirmative est suggérée par un texte des Psaumes qui parle en ces termes de la fin du monde et du Jugement "Devant lui est un feu dévorant, autour de lui se déchaîne la tempête... Il appelle les cieux en haut, et la terre, pour juger son peuple".

2. Saint Pierre dit aussi : "Les cieux enflammés se dissoudront, et les éléments embrasés se fondront".

Conclusion :

La purification de l’univers est destinée à enlever la souillure résultant du péché, l’impureté consécutive au mélange des éléments, et à préparer l’état glorieux. Le feu convient très parfaitement à ce triple effet. Il est le plus noble des éléments, celui dont les propriétés naturelles, par exemple et surtout la lumière, ressemblent le plus à celles de la gloire.

2° L’énergie de son activité rend un alliage avec lui plus difficile qu’avec tout autre élément. - 3° La sphère ignée est éloignée du globe terrestre, demeure des hommes, et ceux-ci emploient le feu moins communément que la terre, l’eau ou l’air ; il est donc par là même moins contaminé. - Pour ces motifs, il possède une grande efficacité pour purifier et diviser jusqu’aux parties les plus subtiles.

Solutions :

1. C’est uni à une matière étrangère que le feu est employé par l’homme ; uni à la seule matière qui lui est propre, il n’est pas à notre portée, et c’est en cet état de pureté originelle qu’il pourra purifier et comme raffiner le feu que nous employons.

2. Le déluge purifia le monde de la seule souillure du péché, et surtout du péché de convoitise auquel l’eau convenait bien comme élément purificateur. La purification finale ayant pour objet et la souillure du péché et l’impureté provenant du mélange des éléments, le feu paraît lui convenir mieux que l’eau. Celle-ci est plus apte à amalgamer qu’à désagréger, et donc moins capable de séparer les éléments pour les purifier. D’autre part, à la fin du monde, devenu vieux, pour ainsi dire, le grand péché, ce sera la tiédeur : "La charité d’un grand nombre se refroidira". Il convient donc qu’il soit purifié par le feu.

Il n’y a rien qui ne puisse être purifié par le feu. Cependant, certaines choses ne peuvent l’être sans être consumées, par exemple, les linges, ustensiles en bois, etc., dont l’ancienne Loi or donnait la purification par l’eau. Mais, à la fin du monde, toutes ces choses doivent être détruites par le feu.

3. Par l’œuvre de distinction les choses ont reçu, à l’origine, les formes diverses qui les distinguent les unes des autres ; ce qui ne pouvait être fait que par l’Auteur de la nature. Mais la purification finale doit ramener les choses à la pureté de leur création ; et, en cela, une créature peut servir d’instrument au Créateur, d’autant mieux que ce sera pour elle un honneur.

 

Article 3 — Ce feu sera-t-il de même nature que celui qui est l’un des quatre éléments ?

Objections :

1. Aucune chose ne se consume elle-même. Or, la Glose affirme que "ce feu consumera les quatre éléments".

2. L’opération manifeste la puissance, et celle-ci, la nature. Or, le feu qui doit purifier l’univers sera autrement puissant que le nôtre, qui en est incapable. Il sera donc aussi d’une nature différente.

3. Les choses corporelles de même espèce ont même mouvement. Or, le feu purificateur ne se mouvra pas dans un sens unique, comme le nôtre, mais dans tous les sens, afin d’envelopper et de purifier toutes choses.

Cependant :

1. Saint Augustin dit : "La figure de ce monde périra par la conflagration des feux de l’univers".

2. La dernière purification de l’univers par le feu correspond à la première, à celle du déluge, qui s’accomplit par l’eau, qui était de même nature que la nôtre. Il en sera donc de même du feu purificateur.

Conclusion :

Cette question a reçu trois réponses. Certains ont prétendu que le feu descendra de la sphère ignée, en se multipliant. Le feu, en effet, s’accroît dans la mesure où il rencontre des matières inflammables. Il en sera ainsi, surtout à la fin du monde, où sa puissance triomphera de tous les autres éléments.

Cependant, il semble que, à la fin du monde, le feu ne doive pas seulement descendre, mais encore monter, "et atteindre la hauteur des eaux du déluge", dit la Glose. Il semble donc qu’il prendra naissance dans le lieu intermédiaire.

On a donc dit encore que ce feu serait allumé, non loin de la terre, par la concentration des rayons émanés des corps célestes qui se réfléchiront dans les concavités des nuages comme dans un miroir ardent.

Cette opinion a contre elle que, les effets des corps célestes dépendant de leur position et de leur aspect, les astronomes pourraient donc prévoir et prédire le temps de la conflagration finale, ce qui est contraire aux Ecritures.

C’est pourquoi, on a dit enfin, avec saint Augustin, que, "de même que le déluge a été produit par l’inondation des eaux de l’univers, c’est aussi par la conflagration des feux de l’univers que la figure de ce monde périra". Cette conflagration résultera de la combinaison de toutes les- causes supérieures et inférieures capables de produire le feu ; combinaison qui, au lieu d’être naturelle, sera due à la puissance de Dieu et provoquera un embrasement universel qui détruira la face de ce monde.

Si l’on considère ces opinions en elles-mêmes, on voit qu’elles diffèrent quant à l’origine du feu purificateur, mais qu’elles s’accordent sur sa nature. En effet, le feu engendré par le soleil ou par quelque agent terrestre ne diffère du feu à l’état pur, tel qu’il est dans sa sphère, que par un mélange d’éléments étrangers. Il faudra bien qu’il en soit ainsi, à la fin du monde, puisque le feu ne saurait purifier une chose sans se l’incorporer en quelque façon. Il faut donc admettre purement et simplement que le feu purificateur sera de même nature que le nôtre.

Solutions :

1. Ce feu sera spécifiquement le même que le nôtre, mais il en différera numériquement. Or, nous voyons que de deux feux de même espèce, le plus violent supprime l’autre, en consumant la matière qui alimentait ce dernier. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde.

2. Une puissance se manifeste par l’opération qu’elle produit, comme elle-même manifeste l’essence ou nature issue des principes constitutifs d’un être. Au contraire, une opération qui n’est pas produite par une puissance inhérente à l’être qui agit ne saurait manifester cette puissance, comme on le voit dans les êtres qui servent d’instruments. En effet, l’action de l’instrument manifeste surtout la puissance de celui qui l’emploie, puisqu’elle la manifeste comme premier principe de l’opération, tandis qu’elle ne montre, dans l’instrument, que la faculté de recevoir l’influence motrice. De même, une puissance qui ne procède pas des principes constitutifs d’un être ne manifeste, de la nature de cet être, que la réceptivité ; par exemple, le pouvoir qu’a l’eau chaude de chauffer montre seulement qu’elle peut recevoir la chaleur ; ce qui n’empêche donc pas l’eau chaude d’être de même nature que l’eau froide. De même, rien n’empêche que le feu qui aura la puissance de purifier l’univers soit de même nature que le nôtre, puisque cette puissance ne viendra pas de ses principes essentiels, mais de l’action divine ; peu importe, d’ailleurs, qu’elle soit en lui une qualité absolue, comme la chaleur dans l’eau chaude, ou une simple influence transitoire, comme c le cas pour un instrument. Cette dernière explication semble plus probable, puisque le feu purificateur n’agira que comme instrument de la puissance divine.

3. Par sa nature propre, le feu tend seulement à monter ; mais, attaché à la matière combustible qui lui est nécessaire pour exister en dehors de sa sphère, il occupe le lieu qu’elle occupe elle- même, On comprend qu’il puisse ainsi tournoyer ou descendre, surtout comme instrument de la puissance divine.

 

Article 4 — Ce feu purifiera-t-il aussi les cieux supérieurs ?

Objections :

1. Ils font partie de la création : "Les cieux, dit le Psalmiste s’adressant au Seigneur, sont l’ouvrage de vos mains. Ils périront, mais vous, vous demeurez". Ils doivent donc être atteints par la conflagration universelle.

2. "Les cieux enflammés se dissoudront, dit saint Pierre, et les éléments embrasés se fondront". Mais les cieux qui se distinguent des éléments sont les cieux supérieurs auxquels sont fixés les astres. Ils doivent donc, eux aussi, être purifiés par le feu.

3. Le feu doit éliminer des êtres corporels tout obstacle à leur glorification. Or, dans le ciel supérieur se rencontre un double obstacle. L’un vient du péché, puisque c’est là que le démon a péché. L’autre vient de leur nature même ; ces paroles de saint Paul : "Nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière gémit et souffre des douleurs de l’enfantement", sont ainsi commentées par la Glose : "Tous les éléments rem plissent leur fonction avec effort ; ce n’est pas sans effort que le soleil et la lune agissent dans les espaces qui leur sont assignés". Leur purification s’impose donc.

Cependant :

1. C’est un principe aristotélicien que "les corps célestes ne sont pas susceptibles d’une impression venue du dehors".

2. A propos de ces paroles de saint Paul : "Jésus viendra au milieu d’une flamme de feu pour faire justice, etc." la Glose dit : "Ce feu, qui précédera sa venue, s’élèvera dans les airs à la hauteur des eaux du déluge". Mais ces eaux n’ont point atteint les cieux supérieurs ; elles ont seulement dépassé de quinze coudées le sommet des montagnes.

Conclusion :

La purification finale doit éliminer des êtres corporels ce qui y est contraire à l’état glorieux, qui sera comme l’apothéose de l’univers. En tous il se rencontre un obstacle, mais pas le même en tous. Dans les corps inférieurs, c’est quelque chose d’inhérent à leur substance : car, en se mélangeant les uns avec les autres, ils ont perdu leur pureté native. Dans les corps célestes, ce n’est autre chose que le mouvement, qui est un acheminement à la perfection, et encore, le seul mouvement local, qui n’affecte ni leur substance, quantité ou qualité, mais leur localisation, c’est-à-dire, quelque chose d’extérieur à leur être. Le ciel supérieur n’a donc pas besoin qu’on lui enlève rien de substantiel, mais seulement qu’on arrête son mouvement ; pas besoin qu’une action dissolvante s’exerce sur lui, mais seulement que celui qui le meut cesse d’agir. La purification des corps célestes ne se fera donc ni par le feu ni par quelque autre créature, mais par un arrêt de leur mouvement, causé par la seule volonté divine

Solutions :

1. Saint Augustin remarque qu’il s’agit ici des "cieux aériens", qui doivent être purifiés par le feu. - Si on veut appliquer ce texte aux cieux supérieurs, il faut répondre qu’ils périront en ce sens que le mouvement qui les anime aujourd’hui cessera.

2. Saint Pierre parle, comme il s’en explique lui- même, "des cieux et de la terre qui furent atteints par le déluge, et que la même parole de Dieu tient en réserve et garde pour le feu, au jour du Jugement". il s’agit donc seulement des cieux aériens.

3. Cet effort, cette contrainte, que saint Ambroise attribue aux corps célestes, n’est autre chose que la variation du mouvement, qui les soumet au temps, et le défaut de la perfection finale qui doit être un jour la leur. Le péché des mauvais anges n’a pas non plus souillé le ciel empyrée dont ils furent immédiatement chassés.

 

Article 5 — Ce feu doit-il consumer les autres éléments ?

Objections :

1. "Les quatre éléments dont se compose l’univers, dit Bède, seront la proie du grand feu. Il ne les consumera pas tous jusqu’à les réduire à néant, mais deux seulement ; les deux autres seront transformés et rendus plus parfaits". Ainsi donc, deux éléments au moins seront entièrement détruits.

2. "Le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n’y avait plus de mer". Par ciel, il faut entendre l’air, selon saint Augustin. Quant à la mer, ce mot désigne "l’ensemble des eaux". Ce n’est donc plus seulement deux, mais trois éléments, dont la destruction sera complète.

3. Le feu ne purifie une chose, que si elle devient sa matière. Il faudra donc que les autres éléments deviennent du feu, c’est-à-dire, qu’ils perdent leur propre nature.

4. La forme (substantielle) du feu est la plus noble que puisse recevoir la matière élémentaire. Donc, la purification finale, qui doit être une œuvre de perfection, devra changer en feu tous les éléments, et totalement.

Cependant :

1. A cette parole de saint Paul : "La figure de ce monde passe", la Glose ajoute : "C’est sa beauté qui passe, mais non point son être". Or, l’être même des éléments est nécessaire à la perfection de l’univers. Il ne sera donc pas détruit par le feu.

2. La purification finale par le feu ressemblera à celle dont l’eau fut autrefois l’instrument, et qui n’atteignit pas les éléments dans leur être même.

Conclusion :

Il y a plusieurs opinions à ce sujet. Certains admettent, pour les quatre éléments, la permanence de leur matière en même temps que la disparition de ce qu’il peut y avoir en eux d’imparfait ; mais ils ajoutent que l’air et la terre conserveront leur forme substantielle, tandis que le feu et l’eau prendront celle du ciel ils en porteront le nom, ainsi que l’air que, sous la forme qu’il possède actuellement et qu’il gardera, nous appelons le ciel. C’est pour cette raison que l’Apocalypse ne mentionne que le ciel et la terre : "Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle".

Cette opinion est tout à fait déraisonnable. Elle est antiphilosophique : car on ne saurait admettre que les corps terrestres sont en puissance à la forme des corps célestes, puisqu’ils n’ont avec ceux-ci ni matière commune ni qualités contraires. Elle est antithéologique : car elle enlève à l’univers deux de ses éléments et par là même son intégrité et sa perfection. Dans le texte précité, il faut entendre par "ciel" un cinquième corps, et par "terre" les quatre éléments, comme il est dit dans le psaume : "De la terre louez le Seigneur,... feu et grêle, neige et glace", etc.

C’est pourquoi d’autres disent que les éléments garderont leur substance, mais perdront leurs qualités actives et passives. Ils admettent aussi que, dans le corps composé, les éléments conservent leur forme substantielle, sans avoir cependant leurs qualités propres, qui sont réduites à une moyenne et, par le fait même, ne sont plus ce qu’elles étaient. Saint Augustin semble avoir dit quelque chose d’analogue : "Les qualités des éléments corruptibles, qui étaient en rapport avec nos corps sujets à la corruption, seront entièrement détruites par cette conflagration du monde, et leur substance jouira de ces qualités qui, par un merveilleux changement, conviennent à des corps immortels".

Cependant, les qualités propres des éléments étant causées par leur forme substantielle, il paraît improbable que, si celle-ci demeure,celles-là puissent être modifiées, sinon par une action violente et passagère ; comme nous voyons l’eau chaude reprendre naturellement sa température normale que l’action du feu lui avait fait perdre, pourvu que cette action n’ait point altéré sa nature. - De plus ces qualités sont une perfection secondaire pour les éléments dont elles sont les attributs caractéristiques, et il n’est pas probable que la transformation finale enlève aux éléments quelque chose de leur perfection naturelle.

Il faut donc dire que les éléments conserveront leur substance et leurs qualités propres, mais seront purifiés des souillures qu’ils ont contractées par les péchés des hommes, et de l’impureté consécutive à leurs actions et réactions mutuelles, car celles-ci deviendront impossibles par l’arrêt du premier mobile. C’est ce que saint Augustin appelle "les qualités des éléments corruptibles", c’est-à-dire, des manières d’être qui ne leur sont pas naturelles et qui les rapprochent de la corruption.

Solutions :

1. Ce feu consumera les quatre éléments en ce sens qu’il les purifiera. "Deux seront totalement consumés", ne veut pas dire qu’ils seront détruits jusqu’à leur substance même, mais que leur activité sera réduite davantage. Suivant certains auteurs, il s’agit du feu et de l’eau qui attaquent le plus violemment les autres corps par le chaud et le froid, mais qui n’agiront plus ainsi dans le nouvel état du monde, et sembleront donc d’autant plus différents de ce qu’ils étaient. - Selon d’autres, il s’agit de l’air et de l’eau, à cause des mouvements variés que leur imprime l’influence des corps célestes. Comme ces perturbations, marées, vents, etc., n’existeront plus, ces deux éléments sembleront avoir subi une modification plus profonde.

2. "Il n’y avait plus de mer". Selon saint Augustin, on peut entendre par là le siècle présent, comme dans cette autre parole de saint Jean : "La mer rendit ses morts". - Si l’on prend le mot "mer" au sens littéral, il faut dire que la mer subsistera quant à la substance de ses eaux, mais celles-ci ne seront plus ni salées, ni agitées.

3. Ce feu sera l’instrument de la Providence et de la puissance divine. Il agira donc sur les autres éléments, non pour les détruire, mais pour les purifier. Il n’est pas nécessaire que ce qui devient la matière du feu perde sa nature propre ; le fer incandescent, retiré de la fournaise, revient naturellement à son premier état. Il en sera ainsi des éléments purifiés par le feu.

4. Dans les parties d’un tout, il ne faut pas considérer seulement ce qui convient à chacune isolément, mais encore ce qui leur convient par rapport à l’ensemble. L’eau, la terre et l’air acquerraient une forme plus excellente, s’ils devenaient feu ; mais l’univers perdrait de son excellence, si toute la matière des éléments se transformait en feu.

 

Article 6 — Tous les éléments seront-ils purifiés par ce feu ?

Objections :

1. Il ne doit atteindre que la hauteur des eaux du déluge, qui ne s’élevèrent point jusqu’à la sphère du feu. Cet élément ne sera donc pas purifié.

2. Il n’est pas certain non plus que l’eau sera purifiée. "Il est hors de doute que l’air et la terre seront transformés par le feu. Il n’en va pas de même pour l’eau, car on peut croire qu’elle porte la purification en elle-même".

3. Le lieu de l’éternelle souillure ne sera jamais purifié, c’est-à-dire l’enfer, qui fait partie de l’uni vers. Celui-ci ne sera donc pas purifié en entier.

4. Même difficulté pour le paradis terrestre qui ne sera pas touché par le feu, pas plus qu’il ne le fut par le déluge, selon ce que dit Bède.

Cependant :

La Glose déjà citée dit que "le grand feu consumera les quatre éléments".

Conclusion :

On a prétendu que ce feu s’élèvera jusqu’au sommet de l’espace qui contient les quatre éléments, de telle sorte que ceux-ci seront totalement purifiés et de la souillure du péché qui est montée jusque-là, par exemple la fumée des sacrifices idolâtriques, et aussi de la corruption qui leur est naturelle, puisqu’ils sont corruptibles dans toutes leurs parties. Cette opinion est contraire à l'Ecriture. Saint Pierre déclare que les cieux qui furent purifiés par l’eau "sont réservés au feu". Saint Augustin dit aussi que "le même univers qui périt par le déluge, est destiné au feu". Or, en fait, les eaux du déluge n’ont pas atteint le sommet de l’espace qui contient les éléments, mais dépassèrent de quinze coudées seulement le sommet des montagnes. Il est non moins évident que jamais vapeur ou fumée n’est capable de traverser de part en part la sphère du feu, qui n’a donc pu être totalement souillée par le péché. Ce feu ne purifiera pas non plus les éléments de leur corruptibilité en leur enlevant quelque chose d’eux-mêmes, niais en consumant les impuretés qu’ils ont contractées par leurs mélanges, principalement sur la terre et jusqu’à la région moyenne de l’air. C’est d’ailleurs la hauteur probable des eaux du déluge, à en juger par les quinze coudées dont elles dépassèrent le sommet des montagnes.

Solutions :

1. Elle vient d’être donnée.

2. L’eau possède sans doute une vertu purificatrice, mais insuffisante pour préparer à l’état glorieux.

3. Cette purification aura surtout pour but d’éloigner toute imperfection de la demeure des élus. Toutes les souillures seront dirigées vers la demeure des damnés ; l’enfer ne sera donc pas purifié ; il sera, au contraire, comme le cloaque des immondices de l’univers.

4. Quoique le premier péché y ait été commis, le paradis terrestre ne fut pas la demeure des pécheurs, pas plus que le ciel empyrée, puisque, de l’un et de l’autre, l’homme et le démon furent aussitôt chassés. Une purification n’est donc pas nécessaire

 

Article 7 — La dernière conflagration suivra- t-elle le Jugement ?

Objections :

1. Saint Augustin le dit : "Quels sont les signes qui doivent arriver à ce Jugement, ou non loin de là ? Les voici l’arrivée d’Elie de Thesbé, la conversion des Juifs, la persécution de l’Antéchrist, le jugement du Christ, la résurrection des morts, la séparation des bons et des méchants, l’embrasement du monde et son renouvellement".

2. Il le répète : "Après que les impies auront été jugés et jetés au feu éternel, alors la figure de ce monde périra dans une conflagration Universelle".

3. Quand le Seigneur viendra pour juger, il y aura encore des vivants, auquel saint Paul fait dire "Alors, nous, laissés pour l’avènement du Seigneur, etc.". Mais cela suppose que le feu n’a pas encore passé, car tous auraient péri.

4. Il est écrit que le Seigneur jugera l’univers par le feu. La dernière conflagration sera ainsi l’exécution du Jugement, qu’elle doit donc nécessairement suivre.

Cependant :

1. Le Psalmiste a dit "Le feu le précédera".

2. "Tout œil verra" le Christ-Juge. La résurrection doit donc précéder le Jugement. Mais elle-même doit être précédée par le feu. En effet, après la résurrection, les corps des saints seront spirituels et impassibles, incapables donc d’être purifiés par le feu, qui cependant, saint Augustin le dit, doit purifier tout ce qui doit l’être.

Conclusion :

La conflagration du monde, quant à son premier effet, précédera certainement le Jugement. La résurrection doit elle même le précéder, puisque même "les fidèles qui sont morts seront emportés sur les nuées, à la rencontre du Seigneur, dans les airs". Or, c’est en même temps que tous les hommes ressusciteront, que les saints seront glorifiés dans leur corps "semé dans l’ignominie et qui ressuscite glorieux", et que la création tout entière sera renouvelée, "affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu". La conflagration, qui doit préparer cette rénovation, aura donc son premier effet, la purification de l’univers, avant le Jugement. C’est ensuite seulement qu’elle aura son second effet, l’engloutissement des méchants dans l’enfer.

Solutions :

1. Saint Augustin ne prétend donner ici que son opinion personnelle. Il ajoute, en effet "Croyons que tout cela doit arriver ; mais comment ? Dans quel ordre ? C’est ce qu’apprendra l’expérience mieux que la raison humaine. Je pense cependant que tous ces événements arriveront dans l’ordre que j’ai exposé".

2. Même réponse.

3. Tous les hommes mourront et ressusciteront. Saint Paul appelle vivants ceux qui le seront à l’époque de la dernière conflagration.

4. Le feu ne suivra la sentence du Juge que pour ce qui regarde la punition des méchants.

 

Article 8 — Ce feu produira-t-il sur les hommes les effets indiques par le Maître des Sentences ?

Objections :

1. Ces effets sont les suivants : consumer les méchants, purifier les imparfaits, épargner les parfaits. Consumer, c’est réduire à néant Mais le feu n’aura point cet effet sur les corps des méchants qui doivent endurer un supplice éternel.

2. Dira-t-on que consumer, c’est seulement réduire en cendres ? Mais il en sera ainsi pour les bons aussi bien que pour les méchants, puisque le Christ seul a ce privilège que "sa chair ne connaisse pas la corruption".

3. La souillure du péché imprègne les éléments qui font partie du corps humain, même chez les bons, héritiers, comme les autres, du péché originel, plus que les éléments étrangers. Or ceux-ci doivent être purifiés par le feu. A plus forte raison, les corps de tous les hommes, bons ou méchants.

4. Tant que dure cette vie, les éléments agissent indifféremment sur les hommes, qu’ils soient bons ou méchants. Donc, à la fin du monde, le feu agira également sur tous les vivants, sans distinction.

5. Cette conflagration sera l’œuvre d’un instant. Mais il semble bien que beaucoup d’hommes auront besoin d’une purification prolongée.

Conclusion :

Dans son action préliminaire au Jugement, le feu de la conflagration universelle agira à la fois conformément à sa nature propre et comme instrument de la justice divine. Comme feu, il produira les mêmes effets sur tous les hommes, bons ou méchants, qu’il trouvera encore vivants il réduira leurs corps en cendres. Comme instrument, il produira des effets sensibles différents. Les méchants en subiront toutes les rigueurs. Les parfaits, qui n’auront rien à purifier, n’en ressentiront aucune douleur, par un miracle semblable à celui des trois enfants dans la fournaise, bien que, à la différence de ceux-ci, leurs corps deviennent la proie des flammes. Les bons, qui auront besoin d’être purifiés, le seront par les souffrances qu’il leur infligera, plus ou moins vives selon qu’ils l’auront mérité. - Après le Jugement, ce feu n’agira que sur les réprouvés ; car tous les élus auront des corps impassibles.

Solutions :

1. Consumer ne signifie pas ici réduire à néant, mais réduire en cendres.

2. Les corps des bons seront réduits en cendres, mais ils n’en ressentiront aucune douleur, pas plus que les trois enfants dans la fournaise.

3. Les éléments seront purifiés dans le corps des parfaits, mais sans douleur.

4. Ce feu n’agira pas seulement par sa vertu naturelle, mais comme instrument de la justice divine.

5. Il y a trois raisons pour lesquelles les hommes que le feu trouvera vivants pourront être purifiés en un instant. Les terreurs et les persécutions des derniers temps auront effacé déjà en grande partie leurs souillures. - Ils subiront leur peine volontairement et en ce monde où la douleur acceptée est beaucoup plus efficace que les châtiments d’outre-tombe ; comme saint Augustin le dit des martyrs, chez qui "le tranchant de leurs supplices a enlevé ce qu’il y avait à émonder". - Enfin, ce feu gagnera en intensité ce qu’il perdra en durée.

 

Article 9 — Ce feu engloutira-t-il les réprouvés ?

Objections :

1. La Glose dit "Il est écrit qu’il y aura deux feux : l’un qui purifiera les élus et précédera le Jugement ; l’autre qui tourmentera les réprouvés". Le premier, le feu de la conflagration universelle, n’est donc pas le même que le second, qui est celui de l’enfer, et ce n’est pas lui qui engloutira les réprouvés.

2. Ce feu sera l’instrument de Dieu pour purifier le monde. Il doit donc avoir part à la même récompense que les autres éléments, d’autant plus qu’il est le plus excellent de tous, et ne pas être enfoui dans l’enfer pour y faire souffrir les damnés.

3. Le feu qui doit engloutir les méchants, c’est le feu de l’enfer. Mais ce feu leur a été préparé dès l’origine du monde : "Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable". Ces paroles d’Isaïe : "Dès hier Tophet a été préparé, préparé par le Roi", sont ainsi interprétées par la Glose "Dès hier, c’est-à-dire, depuis le commencement ; Tophet, c’est-à-dire, la vallée de la Géhenne". Au contraire le feu de la dernière conflagration s’allumera par le concours de tous les feux de l’univers. Ce n’est donc pas le même.

Cependant :

1. Il est écrit au livre des Psaumes : "(Le feu s’avance devant lui, et) dévore à l’entour ses adversaires".

2. A ces paroles de Daniel : "Un fleuve de feu coulait, sortant de devant lui", la Glose ajoute : "afin d’engloutir les pécheurs dans l’enfer". Il s’agit bien du feu dont nous parlons, car il doit "purifier les bons et punir les méchants".

Conclusion :

La purification et la rénovation de l’univers ont pour but celles de l’humanité et doivent leur correspondre. Or, la purification de l’humanité se fera par la séparation des bons d’avec les méchants : "Sa main tient le van, et il nettoiera son aire ; il amassera le froment dans son grenier, et il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint point". Il en sera de même clans la purification du monde. Les matières viles et souillées seront rejetées dans l’enfer avec les réprouvés ; tout ce qu’il y aura de noble et de beau sera réservé pour le glorieux séjour des élus. Le feu purificateur lui-même subira une séparation analogue. "Ses matières grossières et brûlantes, dit saint Basile, descendront en enfer pour le supplice des damnés ; ses parties pures et lumineuses serviront à la gloire des élus dans les régions supérieures de la création".

Solutions :

1. Le même feu purifiera les élus et l’univers, quoique quelques-uns disent le con traire. Il convient, en effet, que ce soit le même feu qui purifie l’univers et l’homme qui en fait partie. On peut dédoubler ce feu quant à sa fonction, puisqu’il purifiera les bons et tourmentera les méchants, et même quant à sa substance, puisque ce n’est pas dans sa totalité que celle-ci sera refoulée en enfer.

2. Ce feu sera récompensé par la séparation qui sera faite de ses éléments.

3. Après le Jugement, la gloire des élus et la peine des réprouvés seront toutes les deux plus grandes. La partie supérieure du inonde brillera d’un plus vif éclat pour augmenter la gloire des élus, et tout ce qu’il y a de vil et de grossier dans les créatures sera rejeté en enfer pour y accroître la misère des damnés. On peut donc admettre qu’un nouveau feu vienne s’ajouter au feu préparé dès le commencement du monde.

 

LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR

QUESTION 75 — LA RÉSURRECTION

Nous avons à considérer maintenant la résurrection et les circonstances qui doivent l’accompagner. Nous étudierons le fait de la résurrection ; - la cause ; - le temps et la manière ; - le point de départ ; - l’état des ressuscités.

La première question suggère les demandes suivantes - 1. La résurrection des corps doit- elle avoir lieu ? - 2. Sera-t-elle universelle ? - 3. Naturelle ou miraculeuse ?

 

Article 1 — La résurrection des corps doit-elle avoir lieu ?

Objections :

1. Job déclare : "L’homme se couche et ne se réveillera pas tant que subsistera le ciel." Mais le ciel subsistera toujours, puisque "la terre" elle-même, au dire de l’Ecclésiaste, "subsiste toujours". Il n’y a donc pas de résurrection après la mort.

2. Notre Seigneur prouve la résurrection par ces paroles de Dieu même : "Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob," et ajoute : "Or Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants." Mais, lorsqu’il parlait ainsi, Abraham, Isaac et Jacob ne vivaient plus que par leurs âmes. Ce ne sont donc pas les corps qui ressusciteront, mais seulement les âmes.

3. Saint Paul semble prouver la résurrection par la récompense due aux saints pour leurs labeurs d’ici-bas "Si nous n’avons d’espérance que pour cette vie seulement, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes." Mais une récompense accordée à l’âme seule peut suffire le corps n’est que son instrument, et l’instrument ne doit pas être récompensé comme celui qui s’en est servi. La preuve en est que l’âme seule est punie en purgatoire où pourtant chacune reçoit "ce qu’elle a mérité étant dans son corps." Il n’est donc pas nécessaire d’admettre une résurrection des corps, mais seulement des âmes, ce qui veut dire leur passage de la mort du péché et de la souffrance à la vie de la grâce et de la gloire.

4. Le terme dernier d’un être marque son apogée ; c’est alors qu’il atteint sa fin. Mais l’état le plus parfait pour l’âme, c’est d’être séparée du corps elle est plus semblable à Dieu et aux anges ; plus pure aussi, étant dégagée de tout ce qui n’est pas elle-même. L’état de séparation d’avec le corps est donc dernier pour l’âme. Elle ne reprendra donc pas son corps, pas plus que l’homme fait ne redevient enfant.

5. La mort corporelle est le châtiment du péché originel, de même que la mort, séparation de l’âme d’avec Dieu, est le châtiment du péché mortel. Mais, après la sentence de damnation, le retour à la vie spirituelle est impossible. Il n’y a donc pas non plus de retour à la vie corporelle, de résurrection.

Cependant :

1. "Je sais, dit Job, que mon Rédempteur est vivant et qu’au dernier jour, je me relèverai de la terre et de nouveau je serai recouvert de ma peau." il y aura donc une résurrection des corps.

2. Le don du Christ surpasse le péché d’Adam. Or, c’est par ce péché que la mort a été introduite ; car, sans lui, il n’y aurait pas eu de mort. Le don du Christ doit donc le réparer en rappelant à la vie.

3. Il doit y avoir conformité entre les membres et la tête. Mais le Christ qui est la tête, vit et vivra éternellement dans son corps et dans son âme, car "ressuscité des morts, il ne meurt plus." Donc, les hommes, qui sont ses membres, vivront aussi dans leur corps et dans leur âme. Il faut donc qu’il y ait une résurrection des corps.

Conclusion :

On affirme ou l’on nie la résurrection selon que l’on définit différemment la fin dernière de l’homme. Cette fin dernière, que tous désirent naturellement, c le bonheur. Certains ont pensé qu’il était possible d’en jouir en cette vie ; dès lors, point n’était besoin pour eux d’en admettre une autre dans laquelle l’homme atteindrait sa perfection dernière : ils niaient donc la résurrection.

Mais cette opinion ne tient guère devant la variété des conditions humaines, la fragilité de notre organisme, l’imperfection et l’instabilité de la science et de la vertu, toutes choses qui empêchent le bonheur d’être parfait, comme saint Augustin le développe aux derniers chapitres de la Cité de Dieu.

Une seconde opinion admet donc une survie, mais pour l’âme seule, ce qui semble suffisant à satisfaire le désir du bonheur naturel à l’homme.

saint Augustin cite cette parole de Porphyre : "L’âme ne peut être heureuse qu’en fuyant toute espèce de corps." Donc il n’y aura pas de résurrection.

Cette opinion n’était pas, chez tous ses tenants, la conclusion des mêmes principes. Certains hérétiques prétendaient que tous les êtres corporels venaient d’un principe mauvais, tous les êtres spirituels, d’un principe bon. Le seul moyen, pour l’âme, d’atteindre sa perfection suprême, c’était donc de quitter définitivement son corps, afin de pouvoir s’unir à son principe et y trouver sa béatitude. C’est pourquoi toutes les sectes hérétiques qui professent que c’est le diable qui a créé ou formé les êtres corporels nient la résurrection des corps. La fausseté de cette doctrine des deux principes a été établie au commencement du second livre des Sentences.

D’autres ont prétendu que l’âme, à elle seule, constitue toute la nature humaine, et qu’elle se sert du corps comme d’un instrument ou qu’elle est en lui comme le pilote dans le navire. Ainsi, du moment que l’âme seule est béatifiée, le désir du bonheur, naturel à l’homme, est satisfait, sans qu’il soit besoin d’admettre la résurrection des corps. Aristote a suffisamment réfuté cette théorie en démontrant que l’âme est unie au corps comme la forme l’est à la matière.

Il est donc de toute évidence que, puisque l’homme ne peut trouver le bonheur en cette vie, il est nécessaire d’affirmer la résurrection.

Solutions :

1. Le ciel ne cessera jamais de subsister quant à sa substance, mais seulement quant à l’influence qu’il exerce sur les transformations des êtres terrestres ; c’est ce sens qu’il faut donner à la parole de saint Paul "La figure de ce monde passe."

2. A proprement parler, l’âme d’Abraham n’est pas Abraham, mais seulement une partie de lui- même ; et ainsi des autres. La vie de son âme ne suffirait donc pas pour qu’Abraham soit vivant, ou pour que le Dieu d’Abraham soit le Dieu d’un vivant ; il y faut la vie du composé tout entier, de l’âme et du corps. Cette vie n’existait pas, à l’état de réalisation, au moment où Dieu prononçait ces paroles ; elle existait cependant dans la réunion prévue de l’âme et du corps par la résurrection. Ces paroles de Notre Seigneur sont donc un argument très ingénieux, non moins qu’efficace, en faveur de la résurrection.

3. L’âme est unie au corps, non seulement comme l’agent à l’instrument, mais comme la forme à la matière ; c’est pourquoi l’opération est du composé, et non de l’âme seule. Or, comme la récompense de l’œuvre est due à l’ouvrier, c’est l’homme lui-même, composé d’âme et de corps, qui doit recevoir la récompense de ce qu’il a fait. Les péchés véniels sont appelés péchés, moins parce qu’ils ont absolument la nature du péché que parce qu’ils y prédisposent ; de même, les peines du purgatoire sont moins une punition qu’une purification ; le corps et l’âme sont purifiés séparément le corps par la mort et la dissolution, l’âme par le feu.

4. Toutes choses égales d’ailleurs, l’état de l’âme unie au corps est plus parfait, parce qu’elle est une partie d’un tout et qu’une partie intégrale est faite pour le tout. Ce qui ne l’empêche pas d’être plus semblable à Dieu, à un certain point de vue. En effet, absolument parlant, un être ressemble le plus à Dieu, quand il a tout ce qu’exige sa nature, parce qu’alors il reflète le mieux la divine perfection. L’organe, qu’on appelle le cœur, est plus semblable à Dieu, qui est immuable, quand il est en mouvement que lorsqu’il s’arrête, car son mouvement, c’est sa perfection, son arrêt, c’est sa mort.

5. La mort corporelle est la conséquence du péché d’Adam qui fut effacé par la mort du Christ : elle doit donc disparaître, elle aussi ; tandis que la mort spirituelle est la conséquence d’un péché dont on ne s’est pas repenti, et dont on ne pourra plus jamais se repentir : elle est donc éternelle.

 

Article 2 — Tous les hommes ressusciteront-ils ?

Objections :

1. La résurrection n’aura lieu qu’à l’heure du Jugement. Mais il est dit dans les Psaumes "Les impies ne ressusciteront pas au Jugement." Tous les hommes ne ressusciteront donc pas.

2. La même conclusion négative semble ressortir de ce texte de Daniel qui contient une certaine restriction : "Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront."

3. La résurrection rendra les hommes semblables au Christ ressuscité ; c’est pourquoi l’Apôtre conclut que, puisque le Christ est ressuscité, nous aussi nous ressusciterons. Mais ceux-là seulement doivent devenir semblables au Christ ressuscité, qui "ont porté son image," c’est-à-dire les bons.

4. La remise de la peine exige la disparition de la faute. Or, la mort corporelle est la peine du péché originel, qui n’est pas effacé chez tous les hommes. Tous ne ressusciteront donc pas.

5. C’est par la grâce du Christ que nous renaissons, et par elle aussi que nous ressusciterons. Mais les enfants qui meurent dans le sein maternel sont incapables de renaître, donc de ressusciter.

Cependant :

1. Saint Jean écrit : "Tous ceux qui sont dans le tombeau entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront."

2. De même, saint Paul : "Nous ressusciterons tous, etc."

3. La résurrection est nécessaire pour que les ressuscités reçoivent la peine ou la récompense qu’ils ont méritée. Or tous en sont là : les adultes par leur action personnelle, les enfants, par l’action d’autrui. Tous doivent donc ressusciter.

Conclusion :

Ce qui a sa raison d’être dans la nature même d’une espèce doit se retrouver également en tous ceux qui en font partie. Telle est la résurrection : sa raison d’être, c’est que l’âme séparée du corps est incapable de réaliser la perfection dernière de l’espèce humaine. Aucune âme ne restera donc éternellement séparée de son corps. Il est donc nécessaire que tous les hommes ressuscitent, aussi bien qu’un seul.

Solutions :

1. Il s’agit ici de la résurrection spirituelle, qui ne sera pas le partage des impies, lorsque les consciences seront examinées au Jugement. - On pourrait dire encore qu’il s’agit des impies tout à fait infidèles, qui ne ressusciteront pas pour être jugés, puisqu'"ils sont déjà jugés".

2. "Beaucoup, c’est-à-dire, tous," comme l’explique saint Augustin. Cette manière de parler se rencontre souvent dans l’Ecriture. - Si on l’entend dans un sens restreint, la restriction pourrait s’appliquer aux enfants morts sans baptême, qui ressusciteront comme les autres, mais sans "se réveiller". Au sens propre du mot, puisqu’ils ne doivent ressentir ni la peine de l’enfer, ni le bonheur du ciel ; se réveiller, c’est "reprendre ses sens".

3. En cette vie, les méchants comme les bons sont conformes au Christ par l’humanité, mais non par la grâce. Tous aussi lui seront conformés par la vie naturelle qui sera rendue à tous ; mais les bons seuls lui ressembleront par la gloire.

4. Ceux qui sont morts avec le péché originel en ont subi la peine en mourant. Quoiqu’ils aient encore le péché originel, ils peuvent néanmoins ressusciter, car la peine de ce péché, c’est de mourir plutôt que de rester mort.

5. Nous renaissons par la grâce du Christ qui nous est donnée ; nous ressuscitons par la grâce qui lui a fait prendre notre nature et notre ressemblance. Ceux qui meurent dans le sein maternel, quoique la grâce du Christ ne leur ait pas infusé la vie surnaturelle, ressusciteront cependant, puisqu’ils ont la même nature humaine que le Christ, du fait qu’ils possèdent tous les éléments essentiels de cette nature.

 

Article 3 — La résurrection est-elle naturelle ?

Objections :

1. "L’universalité, dit saint Damascène, est le caractère de ce qui est naturel dans les individus qui ont la même nature." Or, la résurrection doit être universelle ; elle est donc naturelle.

2. "Ceux qui ne veulent pas croire docilement à la résurrection, dit saint Grégoire, devraient en être convaincus par leur raison. L’univers ne nous montre-t-il pas partout et tous les jours des images de notre résurrection ?" Et il cite la lumière, dont la disparition est comme une mort, et le retour, comme une résurrection ; les arbres, qui ne perdent leur verdure que pour la voir renaître ; les graines qui pourrissent et meurent, mais ensuite germent et revivent. Or, la raison ne peut apprendre des phénomènes naturels rien que de naturel. La résurrection l’est donc aussi.

3. Ce qui n’est pas naturel est l’effet d’une certaine violence, et ne dure pas. Or, ce que la résurrection aura refait durera éternellement Elle est donc naturelle.

4. L’unique fin à laquelle tend la nature est ce qu’il y a de plus naturel. Mais cette fin, c’est la résurrection et la glorification des saints, comme le dit saint Paul.

5. La résurrection est un mouvement dont le terme est la perpétuelle union de l’âme et du corps, et un mouvement est naturel, quand son terme l’est aussi. Or, la perpétuelle union de l’âme et du corps est naturelle : l’âme étant faite pour le corps, il est naturel à celui-ci d’être toujours vivant par l’âme, comme à l’âme de vivre toujours en lui. La résurrection sera donc naturelle.

Cependant :

1. "De la privation à la possession il n’y a pas de retour naturel." Or, la mort est la privation de la vie. Donc, la résurrection, ou retour à la vie, n’est pas naturelle.

2. Les êtres d’une même espèce ont leur origine selon un mode unique et déterminé ; c’est pourquoi les animaux qui sortent de la pourriture et ceux qui viennent d’un germe appartiennent toujours à des espèces différentes. Or, le mode naturel à l’homme, c’est d’être engendré par un autre homme. La résurrection ne sera donc point naturelle, puisque le procédé sera tout différent.

Conclusion :

On peut considérer trois espèces de mouvement ou action dans un être par rapport à sa nature. Le mouvement ou action, dont la nature n’est ni le principe ni le terme, et qui peut provenir soit d’un principe surnaturel, comme dans la glorification du corps, soit d’un principe quelconque, comme dans la pierre lancée en l’air par un mouvement violent et ayant pour terme un repos qui ne l’est pas moins. - Le mouvement, dont le principe et le terme sont tous les deux naturels, telle la pierre qui descend de son propre poids. - Le mouvement, dont le terme est naturel, quoique le principe ne le soit pas ; ce principe est tantôt supérieur à la nature : par exemple, dans la vue miraculeusement recouvrée, le terme est naturel, mais le miracle ne l’est pas ; tantôt simplement extérieur, comme dans le forçage des fleurs et des fruits. En aucun cas, le principe ne saurait être naturel sans que le terme le soit aussi, parce que les principes naturels sont déterminés à certains effets, au delà desquels ils sont inopérants.

Le mouvement ou action de la première espèce ne peut en aucune façon être dit naturel ; mais miraculeux ou violent. - Celui de la seconde est absolument naturel. - Celui de la troisième ne l’est que relativement au terme naturel auquel il aboutit ; par ailleurs, il est miraculeux, artificiel, ou violent. Est "naturel", à proprement parler, "ce qui est selon la nature", c’est-à-dire, l’être qui possède cette nature et les propriétés qui en découlent. Donc, à moins d’une restriction, un mouvement ne peut être dit naturel, s’il n’a pas la nature pour principe.

Quoique le terme de la résurrection soit naturel, il est impossible que son principe le soit. La nature, en effet, est "principe de mouvement dans l’être où elle est" ; principe actif, comme dans le déplacement des corps lourds ou légers, les changements naturels des corps vivants ; principe passif, comme dans la génération des corps simples. Le principe passif d’une génération naturelle est une puissance passive naturelle, à laquelle correspond toujours une puissance active naturelle aussi, peu importe d’ailleurs, quant à la question présente, que ce principe actif ait pour objet la perfection dernière, c’est-à-dire, la forme, ou seulement une prédisposition nécessaire, comme pour l’âme humaine, selon la doctrine catholique, ou même pour toutes les formes, selon l’opinion de Platon et d’Averroès.

Il n’existe aucun principe actif naturel de la résurrection, ni pour unir le corps et l’âme, ni pour préparer cette union, puisque la seule prédisposition qui soit naturelle, c’est l’évolution du germe humain. Donc, même en admettant qu’il y ait dans le corps une certaine puissance passive, une inclination quelconque à sa réunion avec l’âme, elle serait hors de toute proportion avec c qu’exige un mouvement pour être naturel. Dès lors, absolument parlant, la résurrection est un miracle ; on ne peut l’appeler naturelle que relativement à son terme, ainsi qu’on l’a expliqué.

Solutions :

1. Saint Damascène parle des caractères communs à tous les individus et qui ont leur nature pour principe. En effet, si, par miracle, tous les hommes devenaient blancs, ou se trouvaient réunis dans le même lieu comme au temps du déluge, cela ne ferait ni de la blancheur, ni de cette localisation, des caractères naturels de l’homme.

2. Les phénomènes naturels ne peuvent aller jusqu’à démontrer ce qui n’est pas naturel, mais ils peuvent servir à en persuader ; car la nature est comme un symbole du surnaturel, par exemple, l’union du corps avec l’âme représente l’union de l’âme béatifiée avec Dieu. De même, les exemples allégués par saint Paul et saint Grégoire servent à nous persuader de la résurrection qui est un article de foi.

3. Il s’agit ici d’un mouvement dont le terme est contraire à la nature. Or, il n’en sera point ainsi dans la résurrection. L’argument ne porte donc pas.

4. L’action de la nature tout entière est subordonnée à celle de Dieu. Or, de même qu’un art inférieur tend toujours à une fin que peut seul réaliser l’art supérieur qui achève l’œuvre ou se sert de l’œuvre déjà achevée, de même, la nature, à elle seule, est impuissante à réaliser la fin dernière à laquelle elle aspire. La réalisation de cette fin ne petit donc pas être naturelle.

5. S’il ne peut y avoir de mouvement naturel qui ait pour terme un repos violent, il peut cependant y avoir un mouvement qui ne soit pas naturel et qui ait pour terme un repos naturel.

 

QUESTION 76 — LA CAUSE DE LA RÉSURRECTION.

Trois demandes 1. La résurrection du Christ est-elle la cause de la nôtre ? - 2. La voix de la trompette ? - 3. Les anges ?

 

Article 1 — La résurrection du Christ est-elle la cause de la nôtre ?

Objections :

1. "Poser la cause, c’est poser l’effet." Mais la résurrection du Christ n’a pas été aussitôt suivie de celle des autres hommes. Elle n’est donc pas la cause de notre résurrection.

2. Un effet exige la préexistence de sa cause. Or, la résurrection aurait eu lieu même si le Christ n’était pas ressuscité, car Dieu aurait pu sauver les hommes d’une autre manière. La résurrection du Christ n’est donc pas la cause de la nôtre.

3. Un même phénomène, commun à tous les êtres d’une même espèce, a une seule et même cause. Or, la résurrection est commune à tous les hommes. Donc, comme celle du Christ n’est pas la cause d’elle-même, elle ne l’est pas non plus de la résurrection des autres hommes.

4. L’effet doit avoir une certaine ressemblance avec sa cause. Mais la résurrection des méchants ne ressemblera en rien à celle du Christ. Elle ne l’aura donc point pour cause.

Cependant :

1. "Dans un genre quelconque, ce qui est premier est cause de tout le reste." Or, la résurrection corporelle du Christ le fait appeler "les prémices de ceux qui dorment" ; "le premier-né d’entre les morts". Sa résurrection sera donc la cause de celle des autres hommes.

2. La résurrection du Christ a plus de rapport avec notre résurrection corporelle qu’avec notre résurrection spirituelle ou justification. Or, la résurrection du Christ est la cause de celle-ci : "Il est ressuscité pour notre justification." Donc elle est la cause de celle-là.

Conclusion :

Le Christ est appelé le Médiateur entre Dieu et les hommes, en vertu de sa nature humaine ; aussi est-ce par l’entremise de celle-ci que les dons de Dieu parviennent aux hommes. L’unique remède à la mort spirituelle, c’est la grâce donnée par Dieu ; l’unique remède à la mort corporelle, c’est la résurrection opérée par Dieu. Ainsi, de même que le Christ a reçu de Dieu les prémices de la grâce, et que sa grâce est cause de la nôtre : "C’est de sa plénitude que nous avons tous reçu, et grâce sur grâce" ; de même, le Christ est le premier ressuscité et sa résurrection est cause de la nôtre. Comme Dieu, il en est la cause, pour ainsi dire, équivoque ; comme Dieu-homme ressuscité, il en est la cause prochaine et, en quelque sorte, univoque.

La cause efficiente univoque produit un effet dont la forme est semblable à la sienne. Mais il faut distinguer. En certains cas, la forme même, par laquelle l’effet ressemble à sa cause, est le principe direct de l’action productrice de l’effet telle la chaleur du feu. En d’autres, ce n’est pas cette forme elle-même, mais les principes dont elle est issue : par exemple, si un homme blanc engendre un homme blanc, la blancheur n’est pas le principe actif, mais on peut dire néanmoins qu’elle est la cause de ce caractère, parce que c’est en vertu des principes par lesquels il est blanc que le père engendre un fils qui l’est aussi.

C’est de cette manière que la résurrection du Christ est cause de la nôtre. Ce qui a ressuscité le Christ, cause efficiente univoque de notre résurrection, nous ressuscitera également, et c’est la puissance divine qu’il partage avec son Père "Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels."

La résurrection même du Christ, Homme- Dieu, est pour ainsi dire, la cause instrumentale de la nôtre. En effet, le Christ agissait divinement en usant de son corps comme d’un instrument saint Damascène en donne comme exemple le lépreux que Jésus guérit en le touchant.

Solutions :

1. Une cause suffisante produit aussitôt son effet direct et immédiat ; mais il en va autrement de l’effet dont un intermédiaire la sépare : par exemple, la chaleur, si intense soit-elle, ne se communique pas tout d’un coup, mais peu à peu, en faisant passer l’objet du froid au chaud, parce que son moyen d’action, c’est le mouvement. La résurrection du Christ ne cause pas. la nôtre directement, mais moyennant le principe qui l’a causée elle-même, c’est-à-dire, la puissance divine, qui nous ressuscitera comme elle a ressuscité le Christ. La puissance divine elle-même agit toujours par le moyen de la volonté divine, qui est en rapport immédiat avec l’effet à produire. La résurrection des hommes ne devait donc pas suivre sans délai celle du Christ, mais elle la suivra à l’heure marquée par la volonté de Dieu.

2. La puissance divine ne dépend pas de telles ou telles causes secondes au point de ne pouvoir produire leurs effets sans elles ou au moyen d’autres causes. Elle pourrait, par exemple, entretenir la vie sur la terre indépendamment des influences célestes, qui, cependant, selon l’ordre providentiel, eu sont la cause normale. De même, la divine Providence a voulu que, dans le plan choisi par elle pour l’humanité, la résurrection du Christ fût la cause de la nôtre. Elle aurait pu choisir un autre plan, et alors, la cause de notre résurrection eût été celle que Dieu lui aurait assignée.

3. Cet argument suppose des êtres de même espèce, ayant tous le même rapport avec la cause première de tel effet auquel l'espèce tout entière doit participer. Il n’en est pas de même ici L’humanité du Christ est plus proche que la nôtre de la divinité dont la puissance est la cause première de la vie. La résurrection du Christ a donc pour cause immédiate la divinité, qui n’est cause de la nôtre que par l’intermédiaire du Christ ressuscite

4. La résurrection de tous, les hommes aura une certaine ressemblance avec celle du Christ par la vie naturelle, que tous partagèrent avec lui et que tous retrouveront pour ne plus la perdre. Mais les saints, qui ressemblèrent au Christ par la grâce, lui ressembleront aussi par la gloire.

 

Article 2 — La voix de la trompette sera-t-elle la cause de notre résurrection ?

Objections :

1. "Croyez, dit saint Damascène, que la résurrection aura pour causes la volonté, la puissance, un signe divins." Ces causes étant suffisantes, il n’y a pas lieu d’en ajouter une autre.

2. A quoi bon la voix de la trompette, puisque les morts sont incapables de l’entendre ?

3. Si une voix est cause de la résurrection, ce ne peut être qu’en raison d’une puissance qu’elle a reçue de Dieu. "Il donnera à sa voix la puissance", dit le Psaume ; et la Glose ajoute "de ressusciter les morts." Mais lorsqu’une puissance est donnée à un être, même par miracle, l’acte qui s’ensuit n’en est pas moins naturel ; par exemple, la vision de l’aveugle-né est naturelle, quoiqu’il ait recouvré la vue par un miracle. La résurrection serait donc naturelle ; ce qui est faux.

Cependant :

1. "Au son de la trompette divine, écrit saint Paul, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord."

2. "Ceux qui sont dans les tombeaux, dit saint Jean, entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront." Or, cette voix, le Maître des Sentences l’appelle une trompette.

Conclusion :

La cause doit être, d’une manière ou d’une autre, jointe à son effet le moteur et le mobile, l’ouvrier et l’œuvre, sont ensemble, dit Aristote. Or, le Christ ressuscité est la cause univoque de notre résurrection, il faut donc qu’il l’opère par quelque signe sensible.

Certains disent que ce signe sera la voix même du Christ commandant la résurrection, comme "il commanda à la mer et calma la tempête."

D’autres disent que ce sera l’apparition du Fils de Dieu dans le monde : "Comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme." Ils s’appuient sur l’autorité de saint Grégoire, d’après lequel le son de la trompette signifie simplement la manifestation du Fils de Dieu comme Juge. Cette apparition est appelée sa "voix," en tant qu’elle aura la puissance d’un commandement ; car aussitôt la nature entière s’empressera de refaire les corps des hommes. Aussi l’Apôtre, quand il décrit l’avènement du Christ, parle-t-il d’un "ordre donné".

Cette voix, quelle qu’elle soit d’ailleurs, est appelée parfois "un cri", comme celui du héraut qui cite à comparaître. - Ailleurs elle est appelée le son de "la trompette", soit à cause de son éclat, soit par comparaison avec ce qui se passa sous l’Ancien Testament : la trompette annonçait l’assemblée, excitait au combat, conviait aux fêtes ; de même, les ressuscités seront convoqués au grand conseil du Jugement, au combat que "l’univers livrera aux insensés", à la célébration de la fête éternelle.

Solutions :

1. Saint Damascène mentionne trois choses : la volonté divine qui commande, la puissance qui exécute, la facilité de l’exécution qu’il exprime par le mot "signe", par une comparaison empruntée aux actions humaines. Une chose semble facile, quand une parole suffit pour qu’elle soit faite ; mais, combien plus, lorsque, sans même ouvrir la bouche, au premier signe de notre volonté, celle-ci est exécutée par ceux qui en Sont chargés. Le signe fait par nous est cause de l’exécution, parce que c’est l’expression de notre volonté. Le signe fait par Dieu, dont l’exécution sera la résurrection, sera le signal donné par lui, auquel toute la nature obéira en ressuscitant les morts. Ce signal est identique à "la voix de la trompette", comme on le voit par ce qui a été dit.

2. Il en sera de cette voix, quelle qu’elle soit, comme des paroles qui sont la forme des sacrements et qui ont le pouvoir de sanctifier, non parce qu’elles sont entendues, mais parce qu’elles sont proférées ; de même encore, la voix réveille le dormeur par le mouvement de l’air dont elle frappe son oreille et non par la connaissance qu’il en a, puisque celle-ci suit le réveil et n’en est donc pas la cause.

3. Cet argument porterait si la puissance donnée à cette voix était un être achevé, car alors ce qui viendrait d’elle aurait pour principe une puissance devenue naturelle. Mais il n’en sera pas ainsi, et la puissance qu’elle aura sera semblable à celle des paroles sacramentelles.

 

Article 3 — Les anges coopéreront-ils à la résurrection ?

Objections :

1. La résurrection est l’œuvre d’une puissance plus grande que la génération. Or, en celle-ci, l’âme est unie au corps sans le ministère des anges. Il en sera donc de même pour la résurrection.

2. Si certains anges devaient y coopérer, ce seraient les Vertus, qui ont pour fonction d’opérer les miracles. Or, mention est faite des Archanges. C’est donc qu’aucune coopération ne sera requise.

Cependant :

"Le Seigneur descendra du ciel à la voix de l’Archange, et les morts ressusciteront."

Conclusion :

"De même, dit saint Augustin, que les corps plus grossiers et inférieurs sont régis, d’après certaines lois, par ceux qui sont plus subtils et plus puissants, de même Dieu gouverne tous les corps par les esprits doués de la vie raisonnable." saint Grégoire dit aussi quelque chose de semblable. D’où il suit que Dieu se sert du ministère des anges pour tout ce qui regarde le monde matériel. Or, la résurrection comporte quelque chose de matériel, à savoir, la collection des cendres destinées à la reconstruction des corps humains. Dieu en chargera ses anges. Mais c’est sans leur ministère qu’il réunira à leurs corps les âmes que lui seul aussi a créées, et qu’il glorifiera les corps comme lui seul glorifie les âmes. - C’est à ce ministère angélique que certains appliquent le mot "voix", d’après le Maître des Sentences

Solutions :

1. Elle vient d’être donnée.

2. C’est surtout l’archange saint Michel qui remplira ce ministère, lui qui est le prince de l’Église ; après l’avoir été de la Synagogue, comme le dit Daniel. Mais il agira sous l’influence des Vertus et des Ordres angéliques supérieurs. De même, les anges gardiens coopéreront à la résurrection de ceux qui leur étaient confiés. Cette voix peut donc être dite celle d’un ange ou de plusieurs.

 

QUESTION 77 — LE TEMPS ET LE MODE DE LA RÉSURRECTION

Il s’agit maintenant du temps et du mode de la résurrection.

Quatre demandes 1. La résurrection doit-elle être différée jusqu’à la fin du monde ? - 2. Le temps en est-il caché ? - 3. Aura-t-elle lieu pendant la nuit ? - 4. En un instant ?

 

Article 1 — La résurrection doit-elle être différée jusqu’à la fin du monde, pour que tous les hommes ressuscitent ensemble ?

Objections :

1. Il y a une plus grande harmonie entre la cause et les effets qu’entre les effets eux-mêmes, comme aussi entre la tête et les membres qu’entre les membres eux-mêmes. Or, le Christ, tête de l’humanité, n’a pas différé sa résurrection jusqu’à la fin du monde. Donc les saints qui meurent avant cette date doivent faire de même.

2. La résurrection du Christ est la cause de la nôtre. Or, certains membres, plus unis au chef, sont ressuscités sans délai ; on croit que ce privilège fut accordé à la Sainte Vierge. On peut donc croire aussi que la promptitude de la résurrection dépend de la conformité au Christ par la grâce et le mérite.

3. L’état du Nouveau Testament est plus parfait, représente mieux l’image du Christ, que celui de l’Ancien Testament. Or, plusieurs saints, morts avant le Christ, sont ressuscités en même temps que lui "Plusieurs saints, qui dormaient dans leurs tombeaux, ressuscitèrent." A plus forte raison, les saints du Nouveau Testament doivent donc ressusciter sans attendre la fin du Monde,

4. Après la fin du monde, il n’y aura plus d’années. Mais il doit y en avoir un grand nombre entre la résurrection des premiers ressuscités et celle des autres : "Je vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus et de la parole de Dieu... lis eurent la vie et régnèrent avec le Christ pendant mille ans ; mais les autres morts n’eurent point la vie, jusqu’à ce que les mille ans furent écoulés." Tous les morts n’attendront donc pas la fin du monde pour ressusciter ensemble.

Cependant :

1. "L’homme, dit Job, ne se réveillera pas tant que subsistera le ciel, on ne le fera pas sortir de son sommeil." Or, le ciel doit subsister jusqu’à la fin du monde.

2. "Tous les saints que leur foi a rendus recommandables n’ont pas obtenu l’objet de la foi", c’est-à-dire, la béatitude complète de l’âme et du corps parce que Dieu nous a fait une condition meilleure pour qu’ils n’obtinssent pas sans nous la perfection du bonheur", qui consistera, ajoute la Glose, "dans l’accroissement de la joie de chacun des élus par celle de tous les autres". Mais la glorification du corps aura lieu en même temps que leur résurrection : c’est alors que le Christ "transformera notre corps si misérable, en le rendant semblable à son corps glorieux" ; c’est alors que "les fils de la résurrection seront comme les anges de Dieu dans le ciel." Tous les hommes doivent donc ressusciter ensemble, à la fin du inonde.

Conclusion :

"Les corps plus grossiers et inférieurs, dit saint Augustin, sont régis, d’après certaines lois, par les corps plus subtils et plus puissants." Toute la matière des corps terrestres est donc soumise, dans ses transformations, à l’action des corps célestes ; aussi, son passage à l’état d’incorruptibilité, pendant que les cieux exercent encore leur action, serait une dérogation à l’ordre providentiel. Dès lors, puisque la foi catholique nous enseigne que la résurrection a pour terme la vie éternelle, la conformité au Christ qui "ressuscité d’entre les morts, ne meurt plus", il faut donc qu’elle soit différée jusqu’à la fin du monde et coïncide avec l’arrêt des corps célestes. C’est pour cette raison que certains philosophes, partisans de l’éternité du mouvement du ciel, affirmaient le retour des âmes humaines à des corps mortels, comme les nôtres ; soit de la même âme au même corps, à la fin de "la grande année", comme Empédocle, soit "de n’importe quelle âme à n’importe quel corps", Comme Pythagore.

Solutions :

1. Entre la tête et les membres, une plus grande harmonie qu’entre les membres eux-mêmes est nécessaire pour qu’elle agisse sur eux ; par contre, la causalité qu’elle exerce sur les membres, qui ne l’exercent pas les uns sûr les autres, rend ceux-ci différents de la tête et ressemblants entre eux. D’où il suit que la résurrection du Christ, et on ne peut le dire d’aucune autre, est comme le type de notre résurrection ; et la foi au Christ ressuscité nous donne l’espoir de ressusciter nous-mêmes. Sa résurrection devait donc précéder celle des autres hommes, qui ressusciteront ensemble à la fin du monde.

2. Certains membres du Christ peuvent être plus dignes, plus conformes à celui qui est la tête, mais sans partager ni son titre ni son influence. Leur conformité au Christ ne leur donne donc aucun droit à une résurrection anticipée et typique. Si ce privilège a été accordé à quelques-uns, c’est seulement par une grâce toute spéciale.

3. Saint Jérôme hésite, à ce sujet, entre une résurrection temporaire, comme celle de Lazare, destinée simplement à leur permettre de rendre témoignage au Christ ressuscité, et une résurrection définitive, suivie d’une "ascension en corps et en âme à la suite du Christ montant aux cieux." Cette seconde alternative paraît plus probable. Une vraie résurrection semble mieux en harmonie avec un vrai témoignage au Christ vraiment ressuscité. D’ailleurs, e n’est point à cause d’eux-mêmes que leur résurrection fut aussi prompte, mais afin de témoigner de celle du Christ et fonder ainsi la foi du Nouveau Testament. Il convenait donc mieux aussi que ces ressuscités fussent des Justes de l’Ancien Testament.

Il faut ajouter que si l’Evangile mentionne leur résurrection avant celle du Christ, c’est par une anticipation dont les historiens sont coutumiers. De fait, personne n’est définitivement ressuscité avant le Christ, "prémices de ceux qui dorment du dernier sommeil" ; quoiqu’il y. ait eu des résurrections temporaires comme celle de Lazare.

4. Comme saint Augustin le rapporte, certains hérétiques prirent occasion de ces paroles pour admettre que certains doivent ressusciter avant les autres et régner mille ans sur la terre avec le Christ : de là, leur nom de Chiliastes ou Millénaires. Il montre donc qu’il faut les interpréter autrement et les entendre de la résurrection spirituelle par laquelle les pécheurs recouvrent la vie de la grâce. La seconde résurrection sera celle des corps. "Le royaume du Christ", c’est l’Église, dans laquelle règnent avec lui non seulement les martyrs, mais tous les élus, "une partie étant prise ici pour le tout". - Ou encore, s’il s’agit du royaume glorieux du Christ, les martyrs sont spécialement nommés, "parce que ceux-là sur tout règnent après leur mort qui ont combattu jusqu’à la mort pour la vérité".

Le mot "millénaire" ne signifie point un nombre déterminé, mais désigne tout le temps qui s’écoule maintenant, et pendant lequel, maintenant, les saints règnent avec le Christ. Le nombre mille désigne l’universalité mieux que le nombre cent : cent, c’est le carré de dix ; mais mille, c’est un nombre achevé, le produit de dix multiplié deux fois par lui-même, dix fois dix dizaines. Les Psaumes emploient ce mot dans le même sens "La parole que Dieu a affirmée pour mille générations", c’est-à-dire, pour toutes.

 

Article 2 — Le temps de la résurrection est-il caché ?

Objections :

1. Si le commencement d’une chose est connu avec précision, sa fin peut l’être aussi, "puisque toutes choses ont leur mesure temporelle." Or, il en est ainsi du commencement de l’univers, donc de sa fin et, par conséquent, de la résurrection et du Jugement qui doivent l’accompagner.

2. Il est dit, dans l’Apocalypse, de "la femme", symbole de l’Église, que "Dieu lui avait préparé une retraite, afin qu’elle y fût nourrie pendant 1260 jours". Daniel, lui aussi, assigne un nombre déterminé de jours qui semblent bien être des années, comme dans Ezéchiel : "Je t’ai compté un jour pour un an." L’Ecriture nous fait donc connaître exactement l’époque de la fin du monde et de la résurrection.

3. L’Ancien Testament est la figure du Nouveau, et nous en connaissons exactement la durée. Nous connaissons donc, par là même, celle du Nouveau Testament et, du même coup, l’époque de la fin du monde et de la résurrection, puisqu’il doit durer jusque-là : "Voici, je suis avec vous jusqu’à la fin du monde."

Cependant :

1. Ce qui est ignoré des anges l’est aussi, et à plus forte raison, des hommes ; car ce que ceux-ci peuvent découvrir par leur raison, les anges en ont une connaissance naturelle beaucoup plus nette et certaine. D’autre part, s’il s’agit de révélations, elles sont faites aux hommes par le ministère des anges. Or, "quant aux temps, nul ne les connaît, pas même les anges du ciel".

2. Plus que tous les autres, les Apôtres furent mis dans les secrets de Dieu, eux qui, selon saint Paul, "eurent les prémices de l’Esprit", c’est-à-dire, explique la Glose, qu’ils l’eurent "avant les autres et en plus grande abondance". Cependant, à leur question Jésus fit cette réponse : "Ce n’est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité."

Conclusion :

"Le dernier âge de l’humanité, dit saint Augustin, qui s’étend de l’avènement du Seigneur jusqu’à la fin du monde, comprendra un nombre de générations qu’on ne saurait déterminer" ; de même que le dernier âge de l’homme, la vieillesse, n’a point de limites aussi fixes que les autres, mais parfois, à lui seul, dure autant que tous les autres ensemble".

Il n’y a, en effet, que deux moyens de con naître l’avenir : la raison ou la révélation. Or, la raison est impuissante à supputer le temps qui doit s’écouler jusqu’à la résurrection, celle-ci devant coïncider avec l’arrêt du mouvement du ciel. C’est par le mouvement que la raison peut calculer et aussi prévoir, pour un temps déterminé, ce qui doit arriver. Or, le mouvement du ciel ne permet pas d’en connaître le terme ; car, il est circulaire, et donc de telle nature qu’il puisse durer toujours.

D’autre part, aucune révélation n’est faite à ce sujet, afin que tous les hommes se tiennent toujours prêts à paraître devant le Souverain Juge. Aux Apôtres qui l’interrogeaient Jésus répondit "Ce n’est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité." "Par cette parole, dit saint Augustin, il coupe, pour ainsi dire, les doigts à tous les calculateurs et leur ordonne de se tenir tranquilles," Ce qu’il a refusé de révéler à ses Apôtres qui le lui demandaient, il ne le révélera à personne.

C’est pourquoi tous ceux qui jusqu’ici ont voulu calculer se sont trompés. "Les uns, dit saint Augustin, parlent de quatre cents, d’autres de cinq cents, et même de mille ans, à partir de l’Ascension du Seigneur jusqu’à son dernier avènement." Leur erreur est flagrante ; telle sera toujours celle de leurs imitateurs.

Solutions :

1. Pour connaître la fin des choses dont nous connaissons le commencement, il est nécessaire d’en connaître aussi la mesure. C’est pourquoi, si nous connaissons le commencement d’une chose dont la durée est mesurée par le mouvement du ciel, nous pouvons en connaître la fin, parce que le mouvement du ciel nous est connu. Mais la durée même du mouvement du ciel a pour unique mesure la volonté divine qui nous est cachée. Dès lors, nous avons beau en connaître le commencement, il nous est impossible d’en connaître la fin.

2. Les 1260 jours dont parle l’Apocalypse représentent la vie de l’Église dans sa totalité plutôt qu’un nombre déterminé d’années. La raison en est que la prédication du Christ, sur laquelle est fondée l'Église, a duré trois ans et demi, c’est-à-dire, un nombre de jours sensiblement égal au précédent. Le nombre cité par Daniel ne se rapporte pas aux années qui doivent s’écouler jusqu’à la fin du monde ou à la prédication de l’Antéchrist, mais à la durée de sa prédication même et de sa persécution.

3. L’Ancien Testament est la figure du Nouveau, d’une manière générale et sans correspondance nécessaire des détails, d’autant plus que le Christ en a réalisé tous les symboles. C’est pourquoi saint Augustin répond à ceux qui voulaient compter les persécutions de l’Église en se basant sur les plaies d’Egypte : "A mon avis, ce qui se passe en Egypte ne figurait point prophétiquement ces persécutions. Il est vrai que les partisans de cette opinion font à ce sujet des rapprochements d’une ingénieuse habileté, mais ils ne sont point appuyés sur l’esprit prophétique, et, si l’esprit de l’homme parvient quelquefois à la vérité, quelquefois aussi il se trompe." - Ce mélange de vérités et d’erreurs se retrouve dans les prophéties de l’abbé Joachim.

 

Article 3 — La résurrection aura-t-elle lieu pendant la nuit ?

Objections :

1. Elle n’aura pas lieu "tant que subsistera le ciel," c’est-à-dire, tant que son mouvement continuera. Mais lorsqu’il cessera, il n’y aura plus ni temps, ni jour, ni nuit.

2. La fin de toute chose doit être l’apogée de sa perfection. Mais ce sera alors la fin du temps, puisqu’ensuite "il n’y aura plus de temps". Le temps sera donc à son apogée, qui est le plein jour.

3. La qualité du temps doit correspondre à ce qui s’y passe saint Jean mentionne qu’il faisait nuit quand Judas se sépara de la Lumière. Or, à la fin du monde, aura lieu la manifestation la f plus éclatante de tous les secrets ; quand le Seigneur viendra, "il mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres et manifestera les desseins des cœurs". Ce sera donc le jour.

Cependant :

1. La résurrection du Christ est le modèle de la nôtre. Or elle eut lieu la nuit, comme le dit saint Grégoire.

2. Le Seigneur viendra comme un voleur. Mais c’est pendant la nuit que celui-ci s’introduit dans les maisons. C’est donc aussi la nuit que le Christ viendra et qu’aura lieu la résurrection.

Conclusion :

L’heure exacte de la résurrection ne peut pas être définie avec certitude. On peut cependant regarder comme assez probable l’opinion de ceux qui disent qu’elle aura lieu à l’aube, lorsque le soleil est à l’orient et la lune à l’occident ; car n croit que c’est dans cette position qu’ils furent créés, et ainsi leur cycle serait complet par leur arrêt à leur point de départ. C’est à cette heure même que le Christ est ressuscité, comme le dit l’Evangile.

Solutions :

1. Quand aura lieu la résurrection, il n’y aura plus de temps, mais ce sera la fin du temps, car elle coïncidera avec l’arrêt du mouvement du ciel. Mais, en ce moment même, les astres seront dans une position déterminée à laquelle correspond actuellement une heure déterminée. C’est en ce sens que l’on dit que la résurrection aura lieu à telle ou telle heure.

2. Le temps est à son apogée à midi, à cause de la clarté du soleil. Mais alors "la cité de Dieu n’aura besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illuminera". Peu importe donc, à ce point de vue que la résurrection ait lieu le jour ou la nuit.

3. Ce temps sera celui d’une manifestation, c’est vrai ; mais lui-même est indéterminé et caché : le jour ou la nuit conviennent donc également à la résurrection.

 

Article 4 — La résurrection sera-t-elle instantanée ?

Objections :

1. Le prophète Ezéchiel la décrit ainsi "Les os se rapprochèrent les uns des autres ; et je vis : et voici que des muscles et de la chair avaient crû au-dessus d’eux, et qu’une peau les recouvrait, mais il n’y avait point d’esprit en eux." La résurrection ne sera donc point instantanée, puisque les corps devront être refaits avant que les âmes leur soient réunies.

2. Ce qui exige plusieurs actions successives ne peut être instantané. Or, la résurrection en exige trois : la collection des cendres, la reconstruction du corps, l’infusion de l’âme.

3. Le son est toujours mesuré par le temps. Or, le son de la trompette sera cause de la résurrection.

4. Aucun mouvement local n’est instantané. La collection des cendres ne peut donc pas l’être, et pas davantage la résurrection.

Cependant :

1. "Nous ressusciterons tous, écrit saint Paul, en un instant, en un clin d’œil."

2. L’action d’une puissance infinie est instantanée. Or, "croyez, dit saint Damascène, que la résurrection sera l’œuvre de la puissance divine", qui est infinie.

Conclusion :

Dans la résurrection, certaines choses seront confiées au ministère des anges ; d’autres seront réservées à la toute-puissance divine. Les premières ne seront pas faites en un instant, au sens philosophique du mot, un temps indivisible, mais en un temps imperceptible. Les secondes seront instantanées, c’est-à-dire, accomplies par Dieu à l’instant même où les anges auront achevé leur œuvre l’activité inférieure reçoit, en effet, de l’activité supérieure sa dernière perfection.

Solutions :

1. Ezéchiel s’adressait à un peuple grossier ; aussi a-t-il décrit l’une après l’autre les phases de la résurrection, quoique tout doive être instantané ; tout comme Moïse, pour se rendre intelligible au même peuple, avait divisé en six jours la création du monde, que saint Augustin nous dit avoir été faite en une seule fois. Les opérations sont successives si l’on regarde leur nature, mais elles ne le sont pas au point de vue du temps : soit qu’elles aient lieu au même instant, soit que, à l’instant même où l’une s’achève, l’autre soit faite.

3. Il en est ici comme des paroles sacramentelles c’est au dernier instant que l’effet se produit.

4. La collection des cendres, qui exige le mouvement local, sera faite par les anges, mais en un temps imperceptible, à cause de la facilité d’action qui est leur privilège.

 

QUESTION 78 — LE POINT DE DÉPART DE LA RESURRECTION

Il s’agit maintenant du point de départ de la résurrection.

Trois demandes : 1. La mort sera-t-elle pour tous les hommes le point de départ de la résurrection ? - 2. Tous ressusciteront-ils de leurs cendres ou de leur poussière ? - 3. Celles-ci ont-elles une inclination naturelle pour leur âme ?

 

Article 1 — La mort sera-t-elle pour tous les hommes le point de d de la résurrection ?

Objections :

1. Certains seront revêtus d’immortalité "comme d’un vêtement surajouté", selon le mot de saint Paul. Le Symbole dit, en effet, que le Christ "viendra juger les vivants et les morts". Or, au Jugement tous seront vivants. La distinction doit donc signifier que certains hommes comparaîtront au Jugement sans avoir passé par la mort.

2. Un désir naturel et universel doit être réalisé au moins en quelques individus. Or, ce que nous voulons tous, c’est "de n’être pas dépouillés, mais revêtus". Quelques hommes au moins seront donc revêtus de gloire par la résurrection, sans que la mort les ait dépouillés de leur corps.

3. Selon saint Augustin, les quatre dernières demandes de l’Oraison dominicale se rapportent à la vie présente, et, par l’une d’elles, l’Église demande, "pour cette vie, la remise de toutes ses dettes". Prière qui ne saurait être vaine : "Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l’accordera." Or, une de ces dettes, contractée par le péché d’Adam, c’est de naître avec le péché originel. Donc, Dieu remettra un jour cette dette, ainsi que la mort qui en est la peine, et les hommes naîtront alors purs et immortels.

4. Le sage, et Dieu est infiniment sage, choisit toujours les voies les plus simples.

Or, il est plus simple de conférer aux hommes alors vivants les privilèges de l’état de résurrection, que de les faire mourir d’abord, ressusciter ensuite, et obtenir enfin ces mêmes privilèges.

Cependant :

1. Saint Paul dit expressément, dans une comparaison qu’il fait au sujet de la résurrection : "Ce que tu sèmes ne reprend pas vie, s’il ne meurt d’abord."

2. Il dit encore : "Comme tous meurent en Adam, de même aussi tous seront vivifiés dans 1e Christ."

Conclusion :

Les Pères se sont partagés sur cette question ; mais l’opinion la plus commune et la plus sûre, c’est que tous les hommes mourront et ressusciteront après être morts. 1. Elle est plus conforme à la justice de Dieu, qui a condamné la nature humaine tout entière, en punition du péché d’Adam dont tous les descendants contractent la souillure du péché originel, et, en conséquence, doivent subir la mort. - 2. Elle est plus conforme à la sainte Ecriture qui enseigne la résurrection universelle. Or, ressusciter ne se dit proprement que "d’un corps tombé en dissolution", comme le déclare saint Damascène. - 3. Elle est plus conforme aux lois naturelles qui nous montrent que les choses viciées et corrompues ne peuvent être régénérées qu’en passant par la mort : le vinaigre ne peut devenir vin qu’en cessant d’être pour se retrouver liqueur de vigne. Dès lors, puisque la nature humaine a subi une altération entraînant la nécessité de mourir, la mort est pour elle le moyen nécessaire de parvenir à l’immortalité. - Une seconde conformité à ces mêmes lois consiste en ce que "le mouvement du ciel est comme la vie de la nature tout entière", de même que le mouvement du cœur est comme la vie de l’organisme tout entier. Si le cœur s’arrête, c’est la mort pour tous les membres ; si le mouvement du ciel cesse, c’est aussi la mort pour tous les êtres auxquels son influence con servait la vie, et, en particulier, la vie humaine sur la terre. Les hommes encore vivants à l’heure où le ciel s’arrêtera devront donc perdre la vie.

Solutions :

1. Cette distinction entre les vivants et les morts ne se rapporte pas à l’heure même du Jugement ; ni à tout le temps qui l’aura précédé, en ce sens que tous les hommes auront été d’abord des vivants et ensuite des morts ; mais aux jours qui doivent le précéder immédiatement, alors que les signes précurseurs commenceront à paraître.

2. Le désir des saints ne peut être vain, s’il est absolu ; mais il peut l’être, s’il n’est que conditionnel. Tel est le désir "de n’être pas dépouillés, mais revêtus ;" il sous-entend cette condition si c’est possible. C’est à un désir de cette nature que certains donnent le nom de "velléité".

3. C’est une erreur d’affirmer que quelqu’un, le Christ excepté, soit conçu sans le péché originel. Car, s’il en était ainsi, ce privilégié n’aurait nul besoin d’être racheté par le Christ, qui ne serait donc pas le Rédempteur universel. Cette exemption du péché originel et du besoin d’être racheté ne saurait être attribuée à une grâce de guérison de la nature corrompue, accordée aux parents ou à l’enfant. Il faut admettre, en effet, que tout homme a besoin d’être racheté par le Christ, en raison de sa personnalité, et non pas seulement en raison de la nature humaine.

4. La délivrance d’un mal, la remise d’une dette", ne sont possibles que si l’on souffre de ce mal, que si l’on a contracté cette dette. Pour éprouver en soi-même tous les bienfaits de l’Oraison dominicale, il faut donc être né débiteur et malheureux. "La remise des dettes, la délivrance du mal", ne peuvent donc signifier que l’on puisse naître sans dette à payer ou sans mal à subir ; mais que les dettes apportées en naissant sont remises ensuite par la grâce du Christ. - Si l’on peut affirmer sans erreur que quelqu’un peut ne pas mourir, il ne s’ensuit pas que l’on puisse affirmer qu’il peut naître sans le péché originel. La miséricorde divine peut, en effet, remettre une peine qui est la conséquence d’une faute, comme le Christ pardonna à la femme adultère. Elle peut tout aussi bien f exempter de la mort ceux que le péché originel condamne à mourir. "S’ils ne meurent pas, c’est qu’ils sont nés sans le péché originel," est donc un illogisme.

4. Les voies les plus simples sont les meilleures, quand elles conduisent à la fin, ou mieux ou également bien ; ce qui n’est point ici le cas.

 

Article 2 — Tous les hommes ressusciteront- ils de leurs cendres ?

Objections :

1. La résurrection du Christ est le modèle de la nôtre. Or, il ne ressuscite point de ses cendres, lui "dont la chair n’a point connu la corruption."

2. Le corps humain n’est pas toujours brûlé, ce qui est pourtant le seul moyen de le réduire en cendres.

3. Le corps humain n’est pas réduit en cendres aussitôt après la mort. Mais ceux que la fin du monde trouvera vivants, et qui mourront alors, ressusciteront aussitôt.

4. Le point de départ correspond au point d’arrivée. Mais celui-ci, dans la résurrection, n’est pas le même pour les bons et pour les méchants : "Nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés." Si donc les méchants ressuscitent de leurs cendres, les bons n’en ressusciteront pas.

Cependant :

1. "C’est contre tous ceux qui naissent avec le péché originel qu’a été portée la sentence : Tu es poussière et tu retourneras en poussière." Or, tous ceux qui doivent ressusciter au dernier jour, sont nés, nés vivants ou mort-nés, avec le péché originel. Tous doivent donc ressusciter de leurs cendres.

2. Le corps humain contient de nombreux éléments étrangers à la vraie nature humaine. Or, tous ces éléments doivent disparaître. Il faudra donc que tous les corps soient réduits en cendres.

Conclusion :

Les mêmes raisons qui démontrent que tous les hommes doivent mourir avant de ressusciter, démontrent aussi que tous ressusciteront de leurs cendres ; à moins que Dieu n’ait accordé à quelques-uns le privilège d’une résurrection anticipée et -différente.

La sainte Ecriture, qui enseigne la résurrection des corps, enseigne aussi "leur reformation". Or, de même que tous les hommes doivent mourir afin de pouvoir vraiment ressusciter, de même tous les corps doivent être dissous afin de pouvoir être refaits. De plus, la justice divine n’a pas seulement infligé à l’homme la peine de mort, mais encore la dissolution de son corps : "Tu es poussière et tu retourneras en poussière." - De son côté, l’ordre naturel exige non seulement la séparation de l’âme et du corps, mais encore la dissociation des éléments dont celui-ci est composé : le vinaigre ne peut redevenir vin qu’après une décomposition radicale. De plus, l’union des éléments dans les corps composés dépend, pour son existence et sa conservation, du mouvement du ciel ; quand celui-ci s’arrêtera, tous les corps composés se résoudront en leurs éléments.

Solutions :

1. La résurrection du Christ est le modèle de la nôtre quant au point d’arrivée, mais non quant au point de départ.

2. On donne le nom de "cendres" à tout ce qui reste du corps humain après s dissolution, pour deux raisons. - 1° C’était une coutume générale, chez les anciens, de brûler les cadavres et d’en conserver les cendres ; d’où l’emploi de ce mot pour désigner les restes mortels. - 2° Ce qui rend nécessaire cette dissolution, c’est le foyer de convoitise dont le corps humain est infecté tout entier et qui exige une purification non moins radicale ; puisque celle-ci est due à un foyer, le nom de cendres convient donc bien à son résidu, à ce qui reste du corps humain après sa décomposition.

3. Le feu purificateur sera capable de brûler en un instant et de réduire en cendres les corps des hommes qu’il trouvera vivants, comme aussi de réduire en leurs éléments les corps composés

4. Le mouvement n’est pas spécifié par son point de départ, mais par son point d’arrivée. C’est donc celui-ci seul qui différenciera la résurrection des saints, qui sera glorieuse, de celle des impies, qui ne le sera pas. A un même point de départ correspondent souvent des points d’arrivée différents un objet qui était noir peut devenir blanc ou gris.

 

Article 3 — Les cendres avec lesquelles le corps sera refait ont-elles une inclination naturelle pour l’âme qui leur sera réunie ?

Objections :

1. Si elles n’en avaient point, elles seraient vis-à-vis de cette âme comme toutes les autres. Il serait donc indifférent que le corps fût refait avec elles ou avec d’autres : ce qui est faux.

2. Le corps dépend plus de l’âme que celle-ci ne dépend du corps. Or, l’âme séparée n’est pas totalement indépendante le son corps, puisque "le désir qu’elle en a, dit saint Augustin, retarde l’élan qui l’emporte vers Dieu." A plus forte raison, le corps conserve-t-il une inclination naturelle pour l’âme dont il est séparé.

3. "Ses os seront remplis des iniquités de sa jeunesse ; elles dormiront avec lui dans la poussière." Mais les iniquités sont dans l’âme. Une inclination naturelle pour celle-ci persiste donc dans le corps même réduit en poussière.

Cependant :

1. Le corps humain peut être décomposé en ses éléments ou devenir la chair d’autres animaux. Or, les éléments sont homogènes ; la chair du lion et de tout animal l’est aussi. Puisque, ni dans celle-ci, ni dans ceux-là, il n’y a d’inclination naturelle à une âme déterminée, il n’y en a donc pas non plus dans ce qui reste du corps après sa dissolution. "Le corps humain, dit saint Augustin, en quelque substance d’autre corps ou en quelque élément qu’il se soit changé ; en quelque nourriture ou en quelque chair d’animaux et même d’hommes il ait été converti ; en un instant, ce corps se réunira à l’âme par laquelle il a été animé pour devenir homme, naître et se développer."

2. A toute inclination naturelle correspond un agent naturel, autrement, "la nature ferait défaut dans une chose nécessaire". Or, il n’existe aucune puissance naturelle capable de réunir des cendres à l’âme qui les animait. Donc, il n’y a pas en elles d’inclination naturelle pour cette âme.

Conclusion :

Trois opinions à ce sujet. 1° La première prétend que le corps humain ne sera jamais réduit à ses premiers éléments ; et qu’ainsi il reste toujours dans les cendres une certaine force de cohésion qui leur donne une inclination naturelle pour l’âme qui fut la leur. Cette opinion est contraire à l’autorité de saint Augustin, citée plus haut, aux sens et à la raison : tout composé d’éléments Contraires est susceptible d’être réduit à ces éléments. - 2° La seconde prétend que les éléments résultant de la décomposition du corps humain, ayant été unis à une âme humaine, en gardent plus de lumière et, par conséquent une certaine inclination à lui être réunis. Mais cette raison est imaginaire ; en fait, les principes élémentaires n’ont tous qu’une seule et même nature, et ont autant de lumière et d’obscurité les uns que les autres. - 3° La troisième, et la vraie, n’admet, dans les cendres humaines, aucune inclination naturelle à ressusciter, mais seulement une loi providentielle en vertu de laquelle elles seront réunies à l’âme, de préférence à d’autres éléments.

Solutions :

1. Elle vient d’être donnée.

2. L’âme séparée du corps conserve la même nature ; il n’en va pas de même du corps l’argument ne porte donc pas.

3. Ces paroles ne signifient pas que les iniquités subsistent dans les cendres des défunts ; mais que celles-ci, de par la justice divine, sont destinées à réintégrer un corps qui sera éternellement puni pour les iniquités auxquelles il a pris part.

 

QUESTION 79 — L’ÉTAT DES RESSUSCITÉS ET D’ABORD LEUR IDENTITÉ

Il s’agit maintenant de l’état des ressuscités des caractères communs aux bons et aux méchants, et de ceux qui sont propres aux uns et aux autres.

Trois caractères sont communs : l’identité, l’intégrité, la qualité.

Au sujet du premier, on demande : 1. L’âme reprendra-t-elle le même corps ? - 2. L’homme ressuscité sera-t-il le même qu’avant la résurrection ? - 3. Les cendres reprendront-elles dans le corps la place qu’elles y occupaient ?

 

Article 1 — L’âme reprendra-t-elle le même corps ?

Objections :

1. Saint Paul semble nier cette identité dans la comparaison qu’il emploie à ce sujet : "Ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps qui sera un jour, c’est un simple grain."

2. Toute forme exige une matière, et tout agent, un instrument, en harmonie avec leur condition ; le corps est, par rapport à l’âme, matière et instrument. Or, après la résurrection, l’âme ne sera plus la même, mais ou toute céleste ou toute animale, selon la vie qu’elle aura menée ici-bas. Elle devra donc reprendre un corps, qui, comme elle, ne soit plus le même.

3. La mort résout le corps humain en ses éléments, qui, dès lors, n’ont plus rien de commun avec lui que leur caractère de matière première, caractère qu’ils partagent avec tous les autres principes matériels. Le corps humain refait avec les éléments qui lui ont appartenu n’est donc pas plus identique à lui-même que s’il était refait avec des éléments quelconques.

4. Il est impossible qu’une chose soit la même, quand ses parties essentielles ne sont plus les mêmes. Or, la forme du composé humain ne peut pas se retrouver la même. Donc le corps humain ne sera plus le même. - La mineure se prouve ainsi. Ce qui tombe dans le néant ne peut en sortir identique à lui-même ; en effet, il en va de l’existence, qui est l’acte de l’être, comme de tout autre acte : s’il est interrompu, c’est un acte nouveau et différent qui lui succède. Or, la forme du composé humain, étant corporelle, est réduite à néant par la mort, comme aussi les qualités contraires qui entrent en composition. La forme qui reparaît n’est donc pas identique â la première.

Cependant :

1. "Dans ma chair je verrai Dieu, mon Sauveur." Ainsi s’exprime Job ; et il parle de la vision qui suivra la résurrection : "Au dernier jour, je me relèverai de terre." C’est donc bien le même corps qui ressuscitera

2. "La résurrection, c’est le relèvement de ce qui est tombé," dit saint Damascène. Or, ce qui tombe par la mort, c’est le corps que nous avons maintenant. C’est donc bien lui aussi, le même, qui ressuscitera.

Conclusion :

Certains philosophes admettaient la réunion de l’âme et du corps, mais ils commettaient deux erreurs. La première portait sur le mode de réunion qui, d’après quelques-uns, n’était autre que la voie ordinaire de génération. La seconde portait sur le corps repris par l’âme et qu’ils prétendaient n’être pas le même, mais un autre soit d’une espèce différente, corps de l’animal, chien, lion, etc., auquel l’âme avait ressemblé par ses mœurs bestiales ; soit de la même espèce, un corps humain, auquel, après avoir vécu moralement ici-bas et après des siècles de félicité posthume, l’âme désirerait être réunie et le serait.

Cette opinion suppose deux principes également faux. 1° L’âme n’est pas unie au corps essentiellement, comme la forme l’est à la matière, mais accidentellement, comme le moteur l’est au mobile, ou l’homme au vêtement. Dès lors, on peut regarder l’âme comme préexistant au corps, avant que la génération ait rendu possible son union avec lui ; comme capable aussi de s’unir à différents corps. - 2° Il n’y a entre l’intelligence et la sensibilité qu’une différence de degré : le privilège de l’intelligence attribué à l’homme signifie simplement une sensibilité plus excellente résultant d’un organisme parfait. Une âme humaine pourrait donc passer dans le corps d’un animal, surtout si elle en a vécu la vie. - Mais Aristote, dans son traité de l’âme, a montré la fausseté de ces deux principes, et, par conséquent, de l’opinion qui repose sur eux.

Certains hérétiques ont partagé les mêmes erreurs philosophiques et sont donc réfutés, eux aussi. - D’autres, parmi lesquels un évêque de Constantinople cité par saint Grégoire, ont prétendu que les âmes seraient unies à des corps célestes ou à des corps subtils comme l’air. - D’ailleurs, toutes les affirmations de ces hérétiques sont erronées parce qu’elles sont incompatibles avec une vraie résurrection telle que l’Ecriture l’enseigne. Il ne peut y avoir résurrection que si l’âme reprend le même corps : ressusciter, c’est se relever ; c’est celui-là même qui est tombé qui doit se relever. La résurrection concerne donc le corps qui tombe par la mort plutôt que l’âme qui continue de vivre. Dès lors, si l’âme ne reprend pas le même corps, il ne s’agit plus de résurrection, mais de son union avec un nouveau corps.

Solutions :

1. Une comparaison est toujours imparfaite. Le grain qui sort de terre n’est pas le même que celui qui y fut jeté ; il ne lui est pas non plus semblable, puisqu’il a des feuilles que l’autre n’avait point. Le corps ressuscité sera bien le même corps, mais transformé ; non plus mortel, mais devenu immortel.

2. Après la résurrection, l’âme ne sera pas essentiellement différente de ce qu’elle était ici-bas ; elle sera glorieuse ou malheureuse, ce qui ne constitue qu’une différence accidentelle. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit unie à un corps nouveau ; il suffit qu’elle soit réunie au même corps, mais transformé, de façon qu’il s’harmonise avec l’âme.

3. Ce que nous concevons comme inhérent à la matière, avant son union avec la forme, demeure en elle après que cette union a été rompue : perdre ce qui a suivi n’empêche pas de conserver ce qui précédait. Or, la matière des êtres corruptibles nous paraît posséder des dimensions indéterminées qui permettent qu’elle soit divisée et répartie entre diverses formes.

Ainsi, la matière, considérée avec ces dimensions et quelque forme qu’elle prenne, est en relations plus étroites d’identité avec l'être qu’elle contribue à produire, que toute autre portion de matière unie à toute autre forme. La même matière qui servit à faire un corps humain servira donc aussi à le refaire.

4. De même que la qualité simple n’est pas la forme substantielle de l’élément ou corps simple, mais sa propriété et la disposition qui rend la matière apte à telle forme, de même, la forme qui résulte de l’équilibre des qualités simples n’est pas la forme substantielle du corps composé, mais une propriété et une disposition à la forme substantielle. Celle-ci, pour le corps humain, est l’âme raisonnable elle-même. En effet, si l’on admettait une forme substantielle préalable, elle donnerait au corps humain son être substantiel, en ferait une substance ; et l’âme ne jouerait plus vis-à-vis de lui que le rôle d’une forme artificielle et son union avec lui ne serait plus qu’accidentelle, ce qui est l’erreur des anciens philosophes réfutée par Aristote, dans son Traité de l’Ame. Il s’ensuivrait aussi que les termes qui désignent le corps et ses divers organes, pendant et après leur union avec l’âme, ne seraient plus de purs homonymes, comme le dit cependant Aristote. Donc, du moment que l’âme raisonnable subsiste, aucune forme substantielle du corps humain ne tombe dans le néant. Quant aux formes accidentelles, elles peuvent varier sans compromettre l’identité foncière. C’est donc bien le même corps qui ressuscitera, puisque c’est la même matière qui sera réunie à la même âme, comme la solution précédente l’a établi.

 

Article 2 — L’homme ressuscité sera-t-il le même homme ?

Objections :

1. "Dans une nature corruptible sujette au changement, ce n’est jamais le même individu qui reparaît", dit Aristote. Or, telle est la condition présente de l’homme. Donc, après le changement apporté par la mort, ce n’est pas le même homme qui revivra.

2. Avec deux humanités différentes, il est impossible d’avoir le même homme. Socrate et Platon ne sont pas un seul et même homme, mais deux hommes, parce que leur humanité est différente. Or, l’humanité de l’homme vivant et celle de l’homme ressuscité sont différentes. Donc ce n’est pas le même homme. - Deux arguments prouvent la mineure. 1° L’humanité, forme du composé humain, n’est pas, comme l’âme, une forme substantielle ; elle tombe donc dans le néant, et c’est une autre qui lui succédera. - 2° L’humanité résulte de l’union des parties qui composent l’homme. Or, cette union sera nouvelle, ce sera une seconde union, donc pas la même, ni la même humanité, ni le même homme.

3. Pour que l’homme soit le même, il faut que l’animal, en lui, soit le même, et, pour cela, il faut que la sensibilité soit la même, puisque l’animal se définit par la sensibilité tactile. Or, les sens ne demeurent pas dans l’âme séparée ; ce ne sera donc pas la même sensibilité qui reparaîtra, ni le même animal, ni le même homme.

4. La matière de la statue est plus importante dans la statue que celle de l’homme dans l’homme, puisque les êtres artificiels sont substance par leur matière, tandis que les êtres naturels le sont par leur forme. Mais, si une statue est refaite avec le même airain, ce n’est plus la même statue. Donc, à plus forte raison, quoique l’homme soit refait avec les mêmes cendres, ce ne sera plus le même homme.

Cependant :

1. Job, parlant de la vision qui suivra la résurrection, dit "Moi-même je le verrai, moi-même et non un autre." L’homme ressuscité sera donc bien le même.

2. "Ressusciter, dit saint Augustin, ce n’est pas autre chose que revivre." Mais, si ce n’était pas le même homme qui était mort et qui revient à la vie, on ne pourrait pas dire qu’il revit. Il n’y aurait donc pas de résurrection ce qui est contraire à la foi.

Conclusion :

La résurrection est nécessaire pour que l’homme atteigne sa fin dernière, qu’il ne peut atteindre ni en cette vie ni par la survivance de l’âme seule. En effet, l’homme aurait été créé en vain, s’il lui était impossible d’atteindre la fin pour laquelle il a été créé. La même raison exige que ce soit le même homme qui atteigne la fin pour laquelle il a été fait. Il faut donc que l’homme ressuscité soit le même, et il sera le même par la réunion de la même âme au même corps. Il n’y aurait pas vraiment résurrection, si l’homme qui revit n’était pas le même. Nier cette identité est donc hérétique, parce que contraire à la vérité de l’Ecriture qui enseigne la résurrection.

Solutions :

1. Aristote parle de la réapparition causée par un mouvement ou changement naturel. En effet, il montre la différence qui existe entre le mouvement de translation qui ramène le ciel,'es -in r identique à son point de départ, et le mouvement de génération qui, dans les êtres corruptibles, ramène la même espèce, mais dans des individus différents : l’homme, par exemple, engendre un homme, mais différent de lui-même ; ou encore, le feu engendre l’air, qui devient eau, qui devient terre, qui devient feu, mais un feu différent du premier. Cet argument est donc étranger à la question.

On pourrait dire encore que, parmi toutes les formes des êtres corruptibles, l’âme raisonnable seule subsiste par soi l’être qu’elle avait inauguré dans le corps, elle le conserve après sa séparation d’avec le corps, et y fera participer le corps à la résurrection ; puisque, dans l’homme, l’âme et le corps n’ont qu’un seul être, autrement, leur union serait accidentelle. L’être substantiel de l’homme ne subit donc jamais cette interruption qui empêcherait l’identité humaine avant et après elle ; tandis que l’interruption de l’être est complète dans les autres choses, dont la forme est abolie et dont la matière passe à un autre être.

Ajoutons que la génération humaine ne saurait aboutir à l’identité numérique. Le père, en effet, contribue seulement à former un nouveau corps, qui possède sa matière à lui, son âme à lui, et constitue donc un autre homme.

2. Au sujet de l’humanité, forme du composé humain, et de toute forme d’un composé quel conque, il y a deux opinions. Les uns disent que la même réalité est forme de la partie, en achevant sa matière, et forme du tout, en lui donnant sa nature spécifique. D’après cette opinion, la réalité qui correspond à l’humanité, c’est l’âme raisonnable elle-même ; et, comme l’homme ressuscité aura la même âme, il aura donc aussi la même humanité. - L’opinion d’Avicenne est différente et semble plus vraie. D’après lui, la forme du composé ne peut être ni celle d’une

seule partie, ni une forme qui ne soit pas celle d’une partie ; mais c’est un tout, résultant de l’union de la forme avec la matière et comprenant l’une et l’autre. Dès lors, puisque le ressuscité aura la même âme et le même corps, il aura donc la même humanité. - L’argument supposait que l’humanité était une forme nouvelle, surajoutée à la forme et à la matière : ce qui est faux.

La seconde preuve de la mineure n’est pas plus concluante. L’union (de l’âme et du corps) désigne une action ou passion ; mais le fait que celle-ci n’est pas la même n’empêche pas que l’humanité ne le soit. En effet, cette action ou passion ne fait pas partie de l’essence de l’humanité qui résulte d’elle. La génération et la résurrection ne sont évidemment pas un seul et même mouvement, ce qui n’empêche pas le ressuscité d’être le même. Verra-t-on dans l’union la relation même entre le corps et l’âme ? Mais cette relation ne constitue pas l’humanité, elle l’accompagne. L’humanité, en effet, n’est pas la forme d’un être artificiel, qui consiste simplement dans l’assemblage et l’ordonnance, lesquels, en se renouvelant, font un être nouveau, par exemple, une nouvelle maison.

3. Cet argument est décisif contre ceux qui admettent que, dans l’homme, l’âme sensitive et l’âme raisonnable sont deux âmes distinctes ; car ainsi l’âme sensitive serait corruptible dans l’homme comme dans les autres animaux. A la résurrection, on n’aurait donc ni la même âme sensitive, ni le même animal, ni le même homme.

- Si l’on admet, au contraire, que, dans l’homme, la même âme est à la fois, raisonnable et sensitive, la difficulté s’évanouit. - L’âme sensitive, qui est la forme essentielle de l’animal, en est aussi la définition ; la puissance sensitive, qui est une forme accidentelle, "de toute première importance pour pénétrer jusqu’à l’essence", sert à faire connaître cette définition. Après la mort, l’âme sensitive humaine demeure donc substantiellement, comme l’âme raisonnable elle- même. Certains n’admettent pas que les puissances sensitives demeurent. Mais, puisqu’elles ne sont que des propriétés accidentelles, leur défaut d’identité ne porte aucun préjudice à l’identité de l’animal considéré dans son ensemble ni même à celle de ses parties organiques les puissances, en effet, ne sont des perfections ou actes des organes que comme principes d’action, comme la chaleur dans le feu.

4. Une statue peut être considérée à deux points de vue, comme substance et comme œuvre d’art. Elle est substance par la matière dont elle est faite, et donc, à ce point de vue, la statue refaite avec la même matière est la même. Ce qui en fait une œuvre d’art, c’est sa forme, qui est quelque chose d’accidentel, et qui disparaît, quand la statue est détruite. Si cette forme reparaît, ce n’est donc plus la même, ni la même statue. Mais l’âme humaine est une forme qui demeure après la dissolution du corps : le cas est donc tout différent.

 

Article 3 — Les cendres reprendront-elles, dans le corps humain ressuscité la place qu’elles y occupaient ?

Objections :

1. "Ce que toute l’âme est pour tout le corps, chaque partie de l’âme l’est pour chaque partie du corps", par exemple, la vue pour la pupille de l’œil. Or, à la résurrection, le corps sera repris par la même âme ; ses parties devront donc redevenir les membres qu étaient, afin d’être reprises et animées par les mêmes parties de l’âme.

2. Avec une matière différente, il est impossible d’avoir le même être. Or, si les cendres ne redeviennent pas ce qu’elles étaient, les parties du corps auront une matière différente de celle qu’elles avaient. Elles ne seront donc plus les mêmes ; le tout, dont elles sont comme la matière, ne sera plus le même ; l’homme ne sera plus le même ; et il n’y aura pas de véritable résurrection.

3. La résurrection est nécessaire pour qu’il soit rendu à chacun selon ses œuvres. Mais les différentes parties du corps concourent aux œuvres bonnes ou mauvaises, Il faut donc que chacune se retrouve ce qu’elle était pour recevoir ce qui lui est dû.

Cependant :

1. Les choses artificielles dépendent plus de leur matière que les choses naturelles. Or, quand une œuvre d’art est refaite avec la même matière, peu importe que les différentes parties de celle-ci reprennent la place qu’elles occupaient.

2. Une variation accidentelle n’empêche pas l’identité de l’être où elle se produit. Or, la place occupée par les parties dans un tout est quelque chose d’accidentel. Elle peut donc varier, et l’homme rester le même.

Conclusion :

Quand on parle d’identité, il faut distinguer la question de nécessité et celle de convenance. Quant à la première, à ce qu’exige l’identité, il faut considérer dans le corps humain deux espèces de parties : les unes sont homogènes ou de même nature, par exemple, des parties de chair ou des parties d’os ; les autres sont hétérogène ou de nature différente, par exemple, de la chair et de l’os. Si une partie en remplace une autre de même espèce, le changement est purement local, et ne constitue pas une différence spécifique dans un tout homogène et n’empêche donc pas l’identité de ce tout. Il en est ainsi dans l’exemple cité par le Maître des Sentences une statue refaite avec les mêmes éléments n’est plus la même quant à la forme ; mais elle est la même quant à la matière qui lui donne d’être une substance déterminée ; et c’est par sa matière qu’elle est homogène, et non par sa forme artificielle.

Si la matière d’une partie en refait une autre d’espèce différente, elle ne change plus seulement de place, mais d’espèce : elle n’est plus la même, à condition toutefois que toute la matière de la première, ou tout ce qui, en elle, appartenait vraiment à la nature humaine, passe dans la seconde. Or, si les parties ne sont plus les mêmes, les parties essentielles, bien entendu, le tout, lui aussi, n’est plus le même ; il en va autrement, s’il s’agit de parties accidentelles, comme les cheveu et les ongles, auxquels saint Augustin semble faire allusion. - On voit par là à quelles conditions un tout peut rester le même, quand ses éléments matériels changent de place.

La question de convenance rend plus probable le retour des mêmes parties matérielles à la place qu’elles occupaient, au moins quant aux parties essentielles et organiques ; quoiqu’il puisse en être autrement pour les parties accidentelles, comme les cheveux et les ongles.

Solutions :

1. Il s’agit ici de parties organiques et non plus seulement de parties homogènes.

2. Un changement de matière empêche l’identité, mais un Changement de place des mêmes éléments matériels ne l’empêche pas.

3. C’est le tout, et non pas la partie, qui est, à proprement parler, le principe de l’opération. C’est donc à lui, et non pas à elle, que la récompense est due.

 

QUESTION 80 — L’INTÉGRITÉ DU CORPS RESSUSCITÉ

 

Nous avons à étudier maintenant l’intégrité du corps ressuscité.

On se demande : 1. Tous les membres du corps humain ressusciteront-ils ? - 2. Les cheveux et les ongles ? - 3. Les humeurs ? - 4. Tout ce qui, dans le corps, fut vraiment humain ? - 5. Tout ce qui en fut un élément matériel ?

 

Article 1 — Tous les membres du corps humain ressusciteront-ils ?

Objections :

1. La disparition de la fin entraîne celle du moyen. Or, la fin des membres, c’est leur acte. Dès lors, certains actes n’ayant plus à être produits, les membres qui leur correspondent ne ressusciteront donc pas, puisque la providence ne fait rien d’inutile.

2. Les intestins devront être pleins ou vides. Mais l’une et l’autre de ces deux hypothèses semblent inadmissibles.

3. Le corps doit ressusciter afin d’être récompensé ou puni pour le bien ou le mal que l’âme accomplit par lui. Mais, la main coupée à un voleur, repentant ensuite et sauvé, ne peut être ni récompensée du bien auquel elle n’a pas coopéré, ni punie du mal qu’elle a fait et dont la punition atteindrait l’homme lui-même. Tous les membres ne ressusciteront donc pas.

Cependant :

1. Les autres membres sont plus vraiment humains que les cheveux et les ongles. Or, ceux-ci ressusciteront, comme le dit le Maître des Sentences.

2. "Les œuvres de Dieu sont parfaites." Or la résurrection sera l’œuvre de Dieu. L’homme en sortira donc parfait en tous ses membres.

Conclusion :

L’âme, dans ses relations avec le corps, n’est pas seulement cause formelle et finale, mais encore cause efficiente. Il y a donc entre elle et lui les mêmes rapports qu’entre l’art et l’œuvre d’art : tout ce que celle-ci manifeste et développe, celui-là le contient en germe et en est le principe. De même, tout ce qui se révèle dans les parties du corps a son origine dans l’âme, qui le possède, pour ainsi dire, implicitement. L’œuvre d’art serait imparfaite, s’il lui manquait quelque détail que l’art avait prévu ; l’homme, lui aussi, ne saurait être parfait, si toute la virtualité de l’âme ne s’épanouissait pas dans le corps, s’il n’y avait pas pleine correspondance entre l’un et l’autre. Dès lors, comme la résurrection doit établir ce parfait accord, le corps ne devant ressusciter que parce qu’il est fait pour l’âme raisonnable, il faut donc que rien ne manque à l’homme ressuscité et qui ressuscite pour atteindre sa perfection suprême ; il faut donc que tous les membres qu’il possède actuellement ressuscitent avec lui.

Solutions :

1. Les membres peuvent être considérés comme la matière dont l’âme est la forme, ou comme l’instrument dont elle se sert ; la comparaison est, en effet, la même entre le corps tout entier et l’âme tout entière qu’entre les parties de l’un et celles de l’autre. Considéré comme matière, la fin d’un membre n’est pas l’opération, mais plutôt la perfection spécifique, que la résurrection doit respecter. Considéré comme instrument, sa fin, c’est l’opération. Mais, même alors, quand l’opération cesse, il ne s’ensuit pas que l’instrument perde toute utilité ; car il peut servir à manifester, sinon l’action, du moins la puissance d’agir. Ainsi en sera-t-il pour les puissances de l’âme dont l’énergie, sinon l’activité, se manifestera par les organes corporels, comme une louange à la Sagesse du Créateur.

2. Les intestins ressusciteront comme les autres membres, mais leur plénitude n’aura rien de vil.

3. A proprement parler, les actes méritoires n’appartiennent ni à la main, ni au pied, mais à l’homme tout entier ; de même que l’œuvre d’art n’est pas attribuée à la scie, mais à l’ouvrier, comme à son principe. Un membre coupé avant les bonnes œuvres méritoires du salut n’y a pas coopéré ; mais l’homme lui-même, qui s’est donné tout entier au service de Dieu, mérite d’être récompensé tout entier.

 

Article 2 — Les cheveux et les ongles ressusciteront-ils ?

Objections 1. Ils proviennent du superflu des aliments, comme la sueur et autres déchets organiques qui ne ressusciteront pas.

2. L’élément nécessaire à la transmission de la vie ne ressuscitera pas. Cependant Aristote l’appelle "un superflu nécessaire".

3. Rien n’est informé par l’âme raisonnable, qui ne le soit d’abord par l’âme sensitive. Or, les cheveux et les ongles ne le sont pas, puisqu’"ils sont insensibles".

Cependant :

1. "Pas un cheveu de votre tête ne se perdra."

2. Les cheveux et les ongles sont des ornements du corps humain. Or celui-ci, surtout chez les élus, doit ressusciter avec tout ce qui peut contribuer à sa beauté.

Conclusion :

L’âme est au corps comme l’art à l’œuvre d’art ; et aux différentes parties du corps comme l’art aux instruments qu’il emploie c’est pourquoi le corps animé est dit "organique". Or, certains instruments sont destinés à l’exécution de l’œuvre elle-même l’art les exige donc d’abord et avant tout ; d’autres ne sont exigés qu’en second lieu et n’ont pour but que de conserver les premiers : par exemple, l’art militaire a besoin de l’épée pour combattre, et du fourreau pour conserver l’épée. De même, certaines parties du corps, le cœur, le foie, les pieds et les mains, etc., ont pour fonction d’exécuter les opérations de l’âme ; d’autres, seulement de protéger les premières, comme les feuilles servent à abriter les fruits ; tels sont, dans l’homme, les cheveux et les ongles, qui sont donc des perfections, mais secondaires, Dès lors, puisque l’homme doit ressusciter avec toutes ses perfections naturelles, il ressuscitera donc avec ses cheveux et ses ongles.

Solutions :

1. Il y a un superflu inutile dont la nature se débarrasse, et qui est étranger à la perfection du corps humain. Mais il en est un autre qu’elle utilise pour la formation des cheveux et des ongles, qui sont nécessaires de la manière que nous avons dite.

2. Cet élément n’est pas nécessaire à la perfection de l’individu, mais seulement à la conservation de l’espèce.

3. Les cheveux et les ongles se nourrissent et croissent, ce qui montre bien l’action du principe vital. Dès lors, puisqu’il n’y en a qu’un dans l’homme, à savoir, l’âme raisonnable, ils subissent donc son influence, quoique celle-ci n’aille pas jusqu’à leur donner la sensibilité, pas plus, d’ailleurs, qu’aux os, qui pourtant font bien partie de l’individu et ressusciteront avec lui.

 

Article 3 — Les humeurs du corps humain ressusciteront-elles ?

Objections :

1. On parle ici de toute substance liquide ou demi-liquide qui se trouve dans un corps organisé. Saint Paul déclare : "La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu." Or, le sang est la principale des humeurs du corps humain.

2. Elles sont destinées à réparer les pertes subies par l’organisme, ce qui n’aura plus de raison d’être après la résurrection.

3. Ce qui est en voie de formation dans le corps humain n’est pas encore informé par l’âme raisonnable. Or, telles sont les humeurs, qui sont chair et os seulement en puissance. Elles ne ressusciteront donc pas.

Cependant :

1. Les parties constitutives du corps ressusciteront en lui. Or, telles sont les humeurs, selon saint Augustin : "Le corps est composé de membres fonctionnels ; ceux-ci sont composés de parties entièrement semblables, qui, à leur tour sont formées par les humeurs."

2. Le Christ est le modèle des ressuscités. Or, il est ressuscité avec son sang ; autrement, la transsubstantiation du vin en son sang n’aurait pas lieu sur nos autels. Le sang ressuscitera donc, et, pareillement, les autres humeurs.

Conclusion :

Tout ce qui concourt à l’intégrité de la nature humaine individuelle doit ressusciter dans l’individu. Or, on peut distinguer trois espèces d’humeurs.

Les premières ne font point partie de la perfection individuelle ; les unes, parce qu’elles sont des résidus que la nature rejette urine, sueur, pus, etc. ; les autres, parce qu’elles ont pour fin la conservation de l’espèce, soit en transmettant la vie, soit en la nourrissant dans l’enfant à la mamelle. Aucune de ces humeurs ne doit donc ressusciter.

Les secondes n’ont point encore atteint le dernier degré de perfection auquel la nature les destine dans l’individu, mais elles y sont ordonnées. On peut en distinguer de deux sortes. 1° Les unes, le sang et les trois humeurs (bile noire, bile jaune et phlegme), ont une forme déterminée, comme les autres parties du corps, et ressusciteront donc comme elles. 2° Les autres sont en voie de transformation, en voie de devenir des membres ;peu importe qu’elles soient au stade initial, alors qu’on les appelle ras (rosée) et qu’elles occupent les pertuis des petites veines, ou au stade plus avancé, alors qu’elles commencent à blanchir et qu’on les appelle camblium (échange) : en aucun de ces deux états elles ne doivent ressusciter, puisque la rénovation du corps en stabilisera toutes les parties, chacune dans sa forme parfaite.

Les troisièmes sont parvenues à la dernière perfection naturelle au corps elles sont toutes blanches et incorporées aux membres ; on les appelle gluten (glu). Puisqu’elles sont entrées dans la substance des membres, elles ressusciteront donc avec eux.

Solutions :

1. L’Apôtre entend par là les œuvres de la chair et du sang, les œuvres de péché, ou même les œuvres de la vie purement naturelle. - D’après saint Augustin, ces paroles signifient la corruption qui imprègne la chair et le sang ; c’est pourquoi saint Paul ajoute : "La corruption n’héritera pas non plus l’incorruptibilité."

2. De même que certains membres ressusciteront, non plus pour agir, mais pour concourir à l’intégrité de la nature humaine ; de même, les humeurs ne seront plus réparatrices, mais seulement des éléments d’intégrité et des signes de puissance

3. Les humeurs sont par rapport aux membres ce que sont les éléments pour les corps composés dont ils sont la matière. Or, les éléments n’ont pas seulement un être changeant dans les corps composés, mais ils ont d’abord en eux-mêmes un être fixe, des formes déterminées par lesquelles ils concourent à la perfection de l’univers, comme les corps composés, sans être toutefois aussi parfaits que ceux-ci ; Il en va de même pour les humeurs dans le corps humain. Toutes les parties de l’univers ont reçu de Dieu une perfection, non pas égale, mais proportionnée à chacune ; les humeurs reçoivent de l’âme raisonnable une certaine perfection, moindre cependant que celle des parties du corps les plus importantes.

 

Article 4 — Tout ce qui, dans le corps, fut vraiment humain ressuscitera-t-il ?

Objections :

1. Les aliments, par l’assimilation, deviennent quelque chose de vraiment humain. Or, la chair du bœuf sert d’aliment. Elle devrait donc ressusciter.

2. La côte d’Adam fit vraiment partie de sa nature humaine. Or, elle ne ressuscitera pas en lui, mais en Eve qui en fut formée et qui, autrement, ne ressusciterait pas.

3. Les mêmes éléments peuvent avoir vraiment appartenu à différents corps humains, par exemple, dans le cas d’anthropophagie. Il est cependant impossible qu’ils se retrouvent en chacun d’eux, après la résurrection.

4 et 5. Comment résoudre les deux cas vraiment étranges, et d’ailleurs purement hypothétiques, de l’enfant dont le père se serait nourri exclusivement de chair humaine, ou, qui pis est, d’embryons humains ?

Cependant :

1. Tout ce qui fut vraiment humain a été sous l’emprise de l’âme raisonnable. Or, c’est ce fait qui explique la résurrection du corps, et, par conséquent, de tout ce qui fut vraiment humain en lui.

2. S’il manquait au corps quelque chose, qui, en lui, appartînt vraiment à la nature humaine, il serait donc imparfait. Or, la résurrection doit, au contraire, remédier à toutes les imperfections, surtout dans les élus "Pas un cheveu de votre tête ne se perdra."

Conclusion :

Toute chose est vraie dans la mesure ou elle est être. En effet, une chose est vraie quand elle est en elle-même, en acte, telle qu’elle est en celui qui la connaît. Ce qui a fait dire à Avicenne : "La vérité de toute chose est une propriété de son être, tel qu’il lui a été fixé." Dès lors, une chose est vraiment humaine, appartient à la vérité de la nature humaine, quand elle appartient proprement à l’être de la nature humaine, quand elle participe à la forme de la nature humaine de l’or vrai, c’est celui qui possède la vraie forme de l’or, qui lui donne de posséder l’être propre à l’or. - La question de savoir ce qui appartient vraiment à la nature humaine a suscité trois opinions.

1° Rien de nouveau, qui soit vraiment humain, ne vient s’ajouter à ce qui est primitif ; tout ce qui appartient vraiment à la nature humaine lui a été donné dans son institution même. Ce principe se multiplie par lui-même, se transmet de père en fils, se multiplie à son tour en ce dernier, y atteint par la croissance la quantité convenable, et ainsi de suite, pour aboutir à la multiplication du genre humain tout entier. Selon cette opinion, ce qui provient des aliments n’a donc que les apparences de la chair et du sang humains, mais n’appartient pas réellement et vraiment à la nature humaine.

2° La transformation naturelle des aliments en substance corporelle ajoute quelque chose de nouveau et de vraiment humain, si l’on considère l’espèce humaine, à la conservation de laquelle la génération est ordonnée. Si l’on considère l’individu, à la conservation et perfection duquel la nutrition est ordonnée, celle-ci ne lui ajoute rien qui soit vraiment et premièrement humain, mais secondairement. Ce qui est premièrement et principalement humain, disent-ils, c’est "humide radical" duquel est formé d’abord le genre humain ; la partie des aliments convertie en vraie chair et en vrai sang dans un individu, n’est que secondairement humaine pour lui, mais peut l’être premièrement pour un autre ; pour celui qui naîtra de lui.

3° Quelque chose de vraiment et de premièrement humain commence d’être, même dans tel individu déterminé. On n’est nullement fondé à affirmer qu’une certaine quantité fixe de matière demeure nécessairement pendant la vie tout entière ; n’importe quelle partie demeure quant à ce qu’il y a en elle de spécifique, mais est soumise à une espèce de flux et de reflux quant à ce qu’il y a en elle de matériel.

Ces trois opinions ont été étudiées plus au long dans le deuxième livre des Sentences. Il suffisait d’en rappeler ce qui intéresse notre sujet, auquel chacune apporte sa solution.

1° La nature humaine est parfaite, quant au nombre des individus et quant à la quantité convenable à chacun, indépendamment de l’action des aliments, celle-ci n’ayant d’autre but que de réparer la déperdition causée par la chaleur naturelle. Dès lors, puisque la résurrection rétablit la nature humaine dans son état de perfection ; puisque, d’autre part, la chaleur naturelle ne lui enlève plus rien ; ce que les aliments avaient fourni ne ressuscitera donc pas, mais seulement ce principe constitutif de l’individu humain et qui, transmis et multiplié, amène la nature humaine à sa perfection en nombre et en quantité.

2° Ce que l’homme a reçu de celui qui l’a procréé est premièrement humain et ressuscitera donc d’abord et entièrement. Les éléments qu’il doit à la nutrition ne ressusciteront pas en totalité, mais dans la mesure nécessaire à la quantité qu’il doit avoir, car cela seul est vraiment humain, et encore seulement d’une manière secondaire, puisque, d’une part, ces éléments n’ont fait que prendre la place de ceux qui avaient disparu, et que, d’autre part, cette addition constante d’éléments étrangers diminue graduellement la vérité spécifique, comme l’eau ajoutée au vin l’affaiblit de plus en plus. Tout ce qui est vraiment et premièrement humain ressuscitera donc, mais ce qui ne l’est que secondairement ne ressuscitera qu’en partie.

3° Toutes les parties de l’individu, des Chairs et des os, etc., appartiennent vraiment et également à la nature humain ; quant à leur forme spécifique, car, à ce point de vu ; elles demeurent, mais non quant à leur matière, car, à ce point de vue, elles sont soumises au changement. Il en est du corps humain comme d’une cité certains citoyens, enlevés par la mort, sont remplacés par d’autres, de telle sorte que les individus changent matériellement, mais demeurent formellement, en ce sens que les mêmes fonctions et les mêmes places, laissées vides par les uns, sont occupées par d’autres, et la société conserve son unité et son identité. De même, des parties semblables se substituent à d’autres dans le corps humain les éléments matériels changent, mais la forme spécifique demeure et l’on a donc toujours identiquement le même homme. Pour ce qui est de la résurrection, la troisième opinion répond donc comme la seconde, avec cette différence qu’elle maintient que ce qui est primitif dans l’individu, et qui doit ressusciter d’abord et tout entier, n’est pas plus vraiment humain, mais seulement plus parfaitement humain que ce qui s’y ajoute par la suite.

Solutions :

1. Les êtres sont ce qu’ils sont par leur forme et non par leur matière. Quand les éléments matériels, qui furent d’abord dans le bœuf et ensuite dans l’homme, ressusciteront en celui-ci, ce ne sera pas de la chair bovine, mais de la chair humaine qui ressuscitera. On pourrait tout aussi bien conclure à la résurrection du limon dont fut formé le corps d’Adam.

2. Cette côte n’appartenait pas à la perfection individuelle d’Adam, mais elle était destinée à la multiplication de l’espèce humaine. C’est donc en Eve, qui fut formée d’elle, qu’elle doit ressusciter.

3. La première opinion répond simplement que la chair humaine ne devint jamais vraiment humaine en celui qui s’en nourrit ; elle ne ressuscitera donc pas en lui, mais en l’autre. - Les deux autres opinions répondent que la résurrection des éléments matériels se fera en celui dans lequel ils ont été plus spécifiquement humains. A titre égal, c’est le droit de priorité qui l’emporte. S’il y a un surplus, par rapport à l’idéal du type humain, il pourra ressusciter dans le second. A défaut de la quantité suffisante, la puissance divine y pourvoira, comme elle le fera pour ceux qui sont morts avant l’âge parfait qui sera celui de la résurrection. Cela ne portera aucun préjudice à leur identité, pas plus que le flux et le reflux des éléments matériels dans le même individu.

4 et 5. En dehors de la portion de matière qui a servi à former l’enfant et qui ressuscitera avec lui, il en restera une quantité suffisante aussi bien pour le père lui-même que pour ceux dont il s’est nourri.

 

Article 5 — Tous les éléments matériels qui ont fait partie du corps ressusciteront-ils ?

Objections :

1. La résurrection des autres membres semble plus nécessaire que celle des cheveux. Or, selon S Augustin, toute la matière des cheveux ressuscitera, sinon en eux-mêmes, du moins en quelque autre partie du corps.

2. Ce qui a été partie matérielle du corps a été actué par l’âme, aussi bien que ce qui en a été partie spécifique, et doit donc ressusciter.

3. C’est la matière disposée par la quantité qui donne au corps sa divisibilité comme aussi sa totalité. Si toutes les parties matérielles ne ressuscitent pas, le corps ne ressuscitera donc pas non plus dans sa totalité.

Cependant :

1. Les éléments matériels ne demeurent pas dans le corps, mais passent et repassent. S’ils devaient tous ressusciter, le corps serait donc d’une densité ou d’une taille absolument excessives.

2. Le cas d’anthropophagie nous amènerait à conclure que, si tous les éléments matériels qui ont appartenu à un corps doivent ressusciter en lui, ce qui a été vraiment humain dans un homme doit ressusciter dans un autre, ce qui est inadmissible.

Conclusion :

Les éléments matériels du corps humain n’ont droit à la résurrection que pour autant qu’ils sont vraiment humains et, par là même, en relations avec l’âme raisonnable. Tous sont vraiment humains quant à ce qu’il y a en eux de spécifique, mais non quant à ce qu’il y a en eux de matériel ; car, pris dans leur ensemble, pendant toute une vie, ils dépasseraient la quantité exigée par l'espèce. Telle est la teneur de la troisième opinion, qui me paraît la plus probable. Tout ce qu’il y a dans l’homme ressuscitera donc, à considérer non pas la totalité matérielle, mais la totalité spécifique, caractérisée par la quantité, la figure, la place et l’ordre des parties.

La première et la seconde opinion n’utilisent pas la distinction précédente, mais une autre entre des parties qui sont à la fois spécifiques et matérielles. Elles admettent, l’une et l’autre, que ce qui est primitif dans l’individu, et transmis par voie de génération, ressuscitera en totalité même matérielle. Quant à ce qui s’y ajoute par voie de nutrition, rien n’en ressuscitera, d’après la première ; une partie seulement, d’après la seconde.

Solutions :

1. La totalité spécifique, et non la totalité matérielle, règlera la résurrection des cheveux comme des autres parties du corps. Or, en celles-ci, la nutrition produit deux effets l’accroissement, la formation d’une partie humaine nouvelle, qui prend, dans le corps, sa place et sa position à elle ; la restauration, le renouvellement d’une partie usée, où il n’y donc de nouveau que la matière. Saint Augustin parle des cheveux selon le premier effet leur matière ressuscitera donc, mais en quantité convenable ; le reste sera distribué dans le corps, au gré de la divine Providence, ou employé à une suppléance, s’il en était besoin.

2. La troisième opinion admet l’identité des parties spécifiques et des parties matérielles. Aristote, en effet, n’entend point, par cette distinction, des parties différentes, mais seulement différents points de vue applicables aux mêmes parties, selon que l’on considère ce qu’il y a en elles de formel et de spécifique ou de matériel. Or, il est évident que la matière qui compose la chair, par exemple, n’est en relations avec l’âme que parce qu’elle est sous cette forme déterminée ; et c’est aussi par là qu’elle a droit à la résurrection. - Les deux autres opinions admettent que ces parties sont différentes, et aussi que l’âme actue les parties matérielles par les parties spécifiques ; elles n’ont donc pas toutes un droit égal à la résurrection.

3. Quand on parle des dimensions indéfinies de la matière des corps terrestres, on la considère dans son état antérieur à l’union avec la forme substantielle. La division selon ces dimensions appartient proprement à la matière. Mais celle-ci reçoit sa quantité complète et définie après son union avec la forme substantielle. La division selon ces dimensions définies intéresse donc l’espèce, surtout quand celle-ci donne à chaque partie sa position déterminée, comme dans le corps humain.

 

QUESTION 81 — LA QUALITE DU CORPS DES RESSUSCITES

Nous avons à considérer maintenant la qualité des ressuscités.

On demande : 1. Tous les ressuscités auront-ils le même âge, celui de la pleine jeunesse ? - 2. La même taille ? - 3. Le même sexe ? - 4. La vie animale ?

 

Article 1 — Tous les ressuscités auront-ils le même âge, celui de la pleine jeunesse ?

Objections :

1. Dieu n’enlèvera aux ressuscités, surtout aux élus, aucun élément de la perfection humaine. Or, telle est la vieillesse, qui rend l’homme vénérable.

2. L’âge se mesure au temps passé. Or, il est impossible que le temps passé ne le soit pas. Il est donc impossible que ceux qui ont atteint un âge avancé redeviennent jeunes.

3. La nature humaine semble avoir toute son activité dans l’enfant, tandis qu’elle se débilite, avec l’âge, comme le vin étendu d’eau. Si donc tous les ressuscités doivent avoir le même âge, ils seront tous des enfants.

Cependant :

1. Saint Paul écrit : "Jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’état d’homme fait, à la mesure de l’âge parfait du Christ." Or, le Christ est ressuscité en pleine jeunesse, qui commence, dit saint Augustin, vers la trentième année. Ce sera donc l’âge des ressuscités.

2. L’homme doit ressusciter dans l’état le plus parfait de sa nature. Or, cet état, c’est celui de la pleine jeunesse.

Conclusion :

La nature doit ressusciter sans défaut telle Dieu l’a faite, telle Dieu la refera. Or, la nature est sujette à un double défaut soit qu’elle n’ait pas encore atteint son plus haut degré de perfection, comme chez les enfants ; soit qu’elle l’ait dépassé, comme chez les vieillards. La résurrection ramènera donc tous les hommes à la pleine jeunesse, à l’âge où finit la croissance et où commence le déclin.

Solutions :

1. Ce qui rend la vieillesse digne de respect, ce n’est pas l’état du corps, qui a perdu sa perfection, mais la sagesse de l’âme, qui est censée grandir avec les ans. Les élus auront droit à ce respect à cause de la sagesse divine dont ils seront pleins, mais sans qu’il y ait en eux rien de sénile.

2. L’âge ne signifie pas ici le nombre des années, mais l’état de l’organisme qui lui correspond. C’est ainsi qu’Adam fut créé en pleine jeunesse, car telle fut sa condition le jour même o il sortit des mains de Dieu.

3. La nature humaine peut être dite plus parfaite dans l’enfant, parce qu’elle possède en lui une plus grande puissance d’assimilation ; mais, dans l’homme jeune, elle a atteint son plein épanouissement. La jeunesse sera donc l’état des ressuscités, plutôt que l’enfance, alors que la formation est encore inachevée.

 

Article 2 — Tous les ressuscités auront-ils la même taille ?

Objections :

1. La quantité est une mesure, comme la durée. Puisque tous les ressuscités auront le même âge, ils auront donc aussi la même taille.

2. "Dans tous les êtres naturels, il y a un terme et une raison de leur croissance et de leur grandeur." Ce terme ne peut être assigné que par la forme, à laquelle doit s’adapter la quantité comme les autres accidents. Tous les hommes, ayant la même forme spécifique, doivent donc avoir la même quantité, la même taille. Les erreurs que la nature peut actuellement commettre sur ce point seront corrigées par la résurrection.

3. La quantité des corps ressuscités ne sera pas proportionnée à l’énergie naturelle qui les forma une première fois, mais à la puissance divine qui les reformera et qui est la même pour tous les corps, et à la matière dont Dieu dispo sera, c’est-à-dire les cendres, qui sont toutes également prêtes à recevoir son action.

Cependant :

1. La quantité naturelle dépend de la nature individuelle, que la résurrection ne changera pas.

2. La résurrection aura pour terme la récompense ou le châtiment, dont la quantité ne sera pas la même pour tous. La quantité naturelle des corps ne sera donc pas non plus identique.

Conclusion :

La résurrection n’aura pas seulement en vue l’identité spécifique, mais encore l’identité numérique ou individuelle. La nature spécifique exige une quantité renfermée dans certaines limites, non pas absolues mais relatives, dont elle ne saurait se départir, par excès ou par défaut, sans se mentir à elle-même. Chaque homme, dans ces limites, a une certaine quantité correspondant à sa nature individuelle, et la croissance doit l’y amener, à moins d’une anomalie aboutissant à un excès ou à un défaut. Cette quantité dépend de l’activité organique et de la matière assimilable, qui ne sont pas les mêmes chez tous. Tous les hommes ne ressusciteront donc pas avec la même quantité ; mais chacun, avec celle à laquelle l’aurait a mené une croissance libre et normale. La puissance divine remédiera à l’excès ou au défaut.

Solutions :

1. Tous les hommes auront le même âge, c’est-à-dire, non pas le même nombre d’années, mais le même état de perfection naturelle, compatible avec une quantité, plus ou moins considérable.

2. La quantité individuelle ne dépend pas seulement de la forme spécifique, mais encore de la nature d’un chacun.

3. La quantité des corps ressuscités ne sera pas proportionnelle à la puissance qui les refera, et qui leur est étrangère ; ni à l’état où tous furent réduits pour être à même de ressusciter ; mais à la nature individuelle que chaque. vivant possédait. Cependant, si la croissance naturelle eut quelque chose d’anormal, la puissance divine y remédiera, par exemple, pour les nains et les géants.

 

Article 3 — Tous les ressuscités auront-ils le même sexe, le sexe masculin ?

Objections :

1. "Jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’état d’hommes faits", écrit saint Paul.

2. Dans l’autre monde, "il n’y aura plus de supériorité", dit la Glose. La femme ne sera donc plus soumise à l’homme, et n’aura donc plus le sexe qui rend cette soumission naturelle.

3. Ce qui est accidentel et non voulu par la nature ne ressuscitera pas. Or, il en est ainsi du sexe féminin, selon Aristote.

Cependant :

1. Saint Augustin écrit : "Ceux qui admettent la résurrection des deux sexes semblent plus sages."

2. Dieu refera par la résurrection ce qu’il fit par la création ; les deux sexes y participeront donc.

Conclusion :

Si l’on considère les exigences de leur nature individuelle, les ressuscités n’auront pas tous la même quantité, ni le même sexe. Cette diversité est également réclamée par la perfection de l’espèce. Mais la convoitise aura disparu, et, avec elle, tout sentiment de honte.

Solutions :

1. Cette expression signifie simplement la perfection dé l’âme, qui sera dans tous les élus sans distinction.

2. La femme est inférieure à l’homme à cause de sa faiblesse, corporelle et spirituelle. Mais, après la résurrection, ce sont surtout les mérites qui feront la différence entre les élus, quels qu’ils soient.

3. Quoi qu’il en soit de la nature individuelle, la nature, prise dans son ensemble, requiert l’un et l’autre sexe pour la perfection de l’espèce humaine ; sans que, d’ailleurs, au ciel, l’un soit inférieur à l’autre, comme on vient de le dire.

 

Article 4 — Les ressuscités exerceront-ils les deux principales fonctions de la vie animale ?

Objections :

1. L’Evangile rapporte que le Christ, idéal des ressuscités, mangea avec ses disciples.

2. L’homme ressuscitera avec tous ses organes : il exercera donc les fonctions auxquelles ils sont destinés.

3. L’homme tout entier doit être béatifié, dans son âme et dans son corps. Or, la béatitude consiste en une action parfaite. Chez les bienheureux, les puissances de l’âme et les organes du corps ne seront donc pas inactifs.

4. La béatitude est "un état rendu parfait par la somme totale de tous les biens" ; parfait, c’est-à-dire que "rien n’y manque". Les plaisirs du corps n’y feront donc pas défaut.

Cependant :

1. "Après la résurrection, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes, de maris."

2. Les deux principales fonctions de la vie animale ont pour but la conservation de l’espèce et de l’individu. Or, après la résurrection, le nombre des prédestinés sera complet ; chaque individu aura et gardera la quantité qu’il doit avoir : "il n’y aura plus de mort." Ces fonctions seront donc inutiles.

Conclusion :

La résurrection n’est pas nécessaire pour donner à l’homme sa perfection première qui consiste à posséder tout ce qu’exige sa nature ; car l’homme peut y parvenir, en cette vie, par l’action des causes naturelles. Elle est nécessaire pour donner à l’homme sa perfection dernière, pour le faire parvenir à sa fin dernière. Dès lors, tout ce qui est destiné à lui donner ou à lui conserver sa perfection première les actes de la vie animale en lui-même, manger, boire, dormir, procréer, et, en dehors de lui, l’action mutuelle des éléments, le mouvement du ciel, n’existeront plus après la résurrection.

Solutions :

1. Le Christ ressuscité n’avait nul besoin de manger ; s’il le fit, c’est qu’il le voulut pour montrer à ses disciples qu’il avait la même nature humaine qu’au temps où il mangeait et buvait avec eux. A la résurrection générale, cette démonstration n’aurait aucune raison d’être, en face de l’évidence. Cet acte du Christ est donc l’effet motivé d’une dispense, au sens juridique, "d’une exception à la loi commune" qui régira les ressuscités.

2. Il ne faut pas considérer seulement les fonctions auxquelles sont destinés les organes, mais encore l’élément de perfection que leur variété apporte à la nature humaine, tant spécifique qu’individuelle.

3. Cette activité n’est pas humaine au sens propre et distinctif de ce mot. Ce n’est donc point par elle que le corps sera béatifié ; il le sera par son union à l’âme bienheureuse à laquelle il sera parfaitement soumis.

4. Les plaisirs du corps sont appelés par Aristote "des remèdes", des soulagements à la fatigue et à la monotonie ; mais aussi "des maladies", car l’homme est porté à en jouir avec excès, à les prendre pour les vraies joies, comme celui qui a le goût dépravé aime certaines choses que l’homme sain trouve désagréables. Ces plaisirs sont donc étrangers à la béatitude, au rebours de ce que pensent les Juifs, les Mahométans et certains hérétiques appelés Millénaristes. Leur opinion est également contraire à la doctrine d’Aristote, suivant lequel seuls les plaisirs spirituels sont délectables par eux-mêmes et désirables pour eux-mêmes, et donc seuls exigés par la béatitude.

 

QUESTION 82 — L’ETAT CORPOREL DES ELUS.

Nous avons à étudier maintenant l’état corporel des élus, à savoir, l’impassibilité, la subtilité, l’agilité et la clarté qui seront leurs prérogatives.

Au sujet de la première, on demande : 1. Les corps des élus seront-ils impassibles ? - 2. Le seront-ils tous également ? - 3. Cette impassibilité supprimera-t-elle les actes de la sensibilité ? - 4. Tous les sens exerceront-ils leur activité ?

 

Article 1 — Le corps des élus sera-t-il impassible ?

Objections :

1. Après la résurrection, l’homme conservera sa nature et sa définition "animal raisonnable mortel." Or, qui dit mortel, dit passible.

2. Tout être en puissance à la forme d’un autre est passible par rapport à ce dernier c’est la condition de la passibilité. Or, les corps des élus seront en puissance à une autre forme. Ils seront donc passibles. - La mineure se prouve ainsi. Tous les êtres matériels sont eu puissance à une forme différente de celle qui est la leur puisque la matière, du fait qu’elle est sous telle forme, ne perd point sa puissance à être sous une autre. Or, les corps des élus seront reconstitués avec leurs éléments antérieurs ; ils seront donc matériels, donc passibles.

3. Les corps des élus seront composés d’éléments contraires, entre lesquels il y aura donc "l’action et la passion qui leur sont naturelles".

4. Le sang et les humeurs se retrouveront dans les corps ressuscités, et seront donc, par leur contrariété, une source de maladies et autres malaises.

5. La passibilité n’est une imperfection qu’en puissance ; moindre, par conséquent qu’une imperfection en acte. Or, celle-ci n’est pas incompatible avec l’état glorieux, puisque les martyrs, comme le Christ lui-même, porteront leurs cicatrices.

Cependant :

1. Etre passible, c’est être corruptible : "Toute passion qui s’accentue tend à détruire la nature." Or, saint Paul dit du corps des élus : "Semé dans la corruption, il ressuscitera incorruptible", donc impassible.

2. Ce qui est plus fort ne subit pas l’action de ce qui est plus faible. Or, saint Paul dit encore : "Semé dans la faiblesse, il ressuscitera plein de force."

Conclusion :

Le mot passion peut s’entendre en deux sens. 1° Au sens large, il désigne toute modification d’un être, sympathique ou antipathique à sa nature, élément de perfection ou de corruption. Le corps des élus ne sera pas impassible en ce sens, car il ne faut lui refuser aucun élément de perfection. - 2° Au sens propre, saint Damascène définit la passion : "un mouvement étranger à la nature même de l’être où il se produit." Le mouvement désordonné du cœur s’appelle une passion ; son mouvement normal s’appelle son action. La raison en est que tout être qui pâtit est entraîné dans l’orbite de l’être qui agit sur lui et qui tend à le rendre semblable à lui : il est donc, à ce point de vue, comme arraché à lui-même. Le corps des élus sera incapable de subir une pareille influence ; il sera donc impassible.

Tout le monde n’est pas d’accord pour expliquer cette impassibilité. Les uns l’attribuent à la condition des éléments qui ne seront plus alors ce qu’ils sont aujourd’hui : ils conserveront leur substance, mais perdront leurs qualités actives et passives. - Cette explication semble controuvée. En effet, les qualités concourent à la perfection des éléments, qui seraient donc moins parfaits après la résurrection. En outre, comme elles sont des propriétés des éléments et résultent de leur matière et de leur forme, il est tout-à-fait déraisonnable de conserver la cause et de supprimer l’effet.

D’autres admettent que les qualités demeurent, mais que la puissance divine empêchera leur action, dans le but de sauvegarder le corps humain. - Cette opinion paraît également insoutenable. Le corps composé exige l’action des qualités actives et passives, la prédominance de l’une ou de l’autre lui donnant son caractère distinctif. Il doit en être ainsi dans le corps ressuscité, formé de. chair, d’os et autres parties dissemblables. En outre, l’impassibilité ne serait plus alors une prérogative substantielle,h une simple préservation miraculeuse telle que Dieu pourrait l’accorder au corps humain dans sa condition présente.

D’autres invoquent la présence et l’action, inefficace aujourd’hui, mais devenue victorieuse, du cinquième élément destiné à faire régner l’harmonie entre les quatre autres et à rendre le corps humain impassible, comme le sont les corps célestes. - Opinion erronée, elle aussi. D’abord, parce que ce cinquième élément est étranger à la composition du corps humain, Ensuite, parce que cet élément, s’il y entrait, n’empêcherait pas les autres d’être ce qu’ils sont, c’est-à-dire, essentiellement passibles. Enfin, parce qu’aucune puissance naturelle n’est capable de donner au corps des élus l’impassibilité surnaturelle que l’Apôtre fait dériver de la puissance du Christ : "Tel est le céleste (Adam), tels sont aussi les célestes." - "Il transformera notre corps misérable, en le rendant semblable à son corps glorieux, etc."

Il faut donc répondre que tout être qui pâtit est vaincu par l’être qui agit sur lui et qui, autrement, ne pourrait le soumettre à sa domination. Ce qui suppose, de la part du premier, une diminution de l’emprise de la forme sur la matière celle-ci, en effet, ne peut être soumise en tout ou en partie à l’une des forces contraires, sans que le domaine que l’autre a sur elle ne soit supprimé ou diminué. Or, le corps des élus, avec tous ses éléments, sera parfaitement soumis à l’âme raisonnable, comme elle-même sera parfaitement soumise à Dieu. Il ne peut donc survenir en lui aucune modification contraire à la disposition parfaite qu’il recevra de l’âme. C’est ainsi qu’il sera impassible.

Solutions :

1. On peut répondre, avec saint Anselme, que "le mot mortel a été introduit dans la définition de l’homme par les philosophes qui ne croyaient pas que l’homme tout entier pût être immortel", et qui ne le considéraient que dans son état actuel de mortalité. - On peut répondre encore, d’après Aristote, que, les différences essentielles des êtres nous étant inconnues, nous employons parfois, pour les signifier, les différences accidentelles qui en sont les effets. Etre mortel ne fait pas partie de la définition de l’homme, comme appartenant à son essence, mais parce que la cause actuelle de la passibilité et de la mortalité, à savoir, être composé d’éléments contraires, appartient à son essence. La résurrection éliminera cette cause, en assurant la victoire de l’âme sur le corps.

2. On peut considérer deux états d’une puissance : l’état lié et l’état libre. Cette distinction s’applique non seulement à la puissance active, mais encore à la puissance passive car la forme lie la puissance de la matière en la dominant et eu lui imposant un caractère déterminé. Dans les êtres corruptibles, cette domination est imparfaite, et le lien n’est pas tellement serré qu’il ne se puisse introduire dans la matière une modification contraire à la forme. Mais, chez les élus, l’âme sera complètement maîtresse du corps, sans que rien puisse lui enlever Cette maîtrise, car elle-même sera soumise à Dieu d’une manière immuable, ce qui n’existait pas dans l’état d’innocence Dans le corps des élus, la matière gardera bien essentiellement la même puissance qu’aujourd’hui à une forme différente, mais cette puissance sera liée par la victoire de l’âme sur Je corps, de telle sorte qu’elle sera à jamais incapable de s’exercer.

3. Les qualités élémentaires sont les instruments de l’âme ; c’est elle, par exemple, qui règle la chaleur corporelle dans l’acte de nutrition. Quand l’agent principal est parfait et que l’instrument est sans défaut, celui-ci n’agit jamais qu’en harmonie complète avec celui-là. Dans le corps des élus, les qualités élémentaires ne seront donc jamais le principe d’aucune action capable de contrarier l’âme dans sa volonté de conserver son corps intact.

4. "La puissance divine, dit saint Augustin, peut à son gré, enlever aux corps visibles et tangibles certaines de leurs qualités, et leur laisser les autres." C’est ainsi que, par miracle, le feu de la fournaise perdit le pouvoir de! brûler le corps des trois enfants, tout en gardant celui de brûler le bois. De même Dieu, de la manière expliquée dans l’article, laissera aux humeurs leur nature, mais supprimera leur passibilité.

5. Pas plus que dans le Christ, les cicatrices ne seront dans les saints une imperfection, mais le symbole de l’héroïque courage avec lequel ils ont souffert et sont morts pour la justice et la foi ; elles seront pour eux-mêmes et pour les autres un surcroît de bonheur. "Je ne sais comment il se fait, dit saint Augustin, que notre amour pour les bienheureux martyrs nous porte à désirer voir, sur leur corps, dans le royaume des cieux, les cicatrices des blessures qu’ils ont reçues pour le nom du Christ, et peut-être les verrons-nous en effet. Car ce ne sera point une difformité, mais une gloire, et ce sera dans leur corps une beauté sinon du corps, du moins de la vertu. Cependant il ne s’ensuit point que les martyrs qui auront perdu quelques-uns de leurs membres en seront privés à la résurrection des morts, puisqu’il leur est dit : "Il ne périra pas un cheveu de votre tête."

 

Article 2 — L’impassibilité sera-t-elle en tous les élus ?

Objections :

1. La Glose dit que tous les élus auront également de ne pouvoir pâtir. Or, ils le devront à la prérogative de l’impassibilité, qui sera donc égale chez tous.

2. Les négations ne sont pas susceptibles de plus et de moins. Or, l’impassibilité, c’est la négation ou privation de passibilité.

3. Un objet est dit plus blanc, quand il est moins mêlé de noir. Mais, il n’y aura, dans le corps des élus, aucun mélange de passibilité. Ils seront donc tous également impassibles.

Cependant :

1. La récompense doit être proportionnelle au mérite. Mais le mérite de certains élus est plus grand. L’impassibilité, qui est une certaine récompense, sera donc, en eux, plus grande aussi.

2. L’impassibilité est une prérogative du corps des élus, comme la clarté. Comme celle-ci, elle ne sera donc pas égale chez tous.

Conclusion :

Si l’on considère l’impassibilité en elle-même, celle-ci n’est pas autre chose qu’une négation ou privation, et, n’étant pas susceptible de plus et de moins, elle est égale chez tous les élus. Si on la considère dans sa cause, il n’en va plus de même. Elle provient, en effet, du domaine de l’âme sur le corps ; ce domaine, à son tour, provient de l’union indissoluble avec Dieu. Plus parfaite sera cette union, plus puissante sera la cause de l’impassibilité.

Solutions :

1. Il s’agit ici de l’impassibilité considérée en elle-même.

2. Considérées en elles-mêmes, les négations et privations ne sont pas susceptibles de plus et de moins ; mais elles peuvent l’être, considérées dans leurs causes on peut appeler plus ténébreux un lieu où la lumière rencontre de plus nombreux et de plus grands obstacles.

3. Une qualité peut croître en intensité non seulement par son éloignement de la qualité contraire, mais par son rapprochement avec son terme c’est ainsi que la lumière devient plus intense. C’est également de cette façon que l’impassibilité sera plus grande chez certains élus, quoique chez tous il n’y ait plus aucune passibilité.

 

Article 3 — L’impassibilité empêchera-t-elle l’activité des sens ?

Objections :

1. Selon Aristote, "la sensation en acte est une espèce de passion" ; elle est donc incompatible avec l’impassibilité.

2, Une sensation ou impression sensible pré suppose une impression physique, une passion, dont le corps impassible des élus ne sera pas susceptible.

2. Des sensations nouvelles supposent des jugements nouveaux. Or, de pareils jugements seront impossibles aux élus, dont "les pensées ne seront plus mouvantes", dit saint Augustin.

3. L’intensité de l’acte d’une puissance de l’âme diminue celui d’une autre puissance. Or, l’âme des élus sera absorbée tout entière par l’acte intellectuel de la vision de Dieu. Elle sera donc incapable de tout acte sensible.

Cependant :

1. Il est dit dans l’Apocalypse "Tout œil le verra (le Seigneur qui vient sur les nuées)."

2. Selon Aristote, "ce qui caractérise un être vivant, c’est le mouvement et la sensation". Or, le corps des élus sera doué de mouvement, "ils courront comme des étincelles à travers le chaume". Il sera donc aussi doué de sensation.

Conclusion :

Tout le monde admet une certaine activité des sens dans le corps des élus.

S’il en était autrement, leur vie ressemblerait plutôt à un sommeil ; ce qui s’accorde mal avec leur état de perfection : car, pendant le sommeil, qu’Aristote appelle "une moitié de vie", la vie sensible n’a pas toute sa plénitude. Toutefois, les opinions sont partagées sur la manière dont s’exerce cette activité.

Les uns disent que le corps des élus étant impassible, et donc "incapable de recevoir une impression venue du dehors", les sens exerceront leur activité non pas par réception, mais plutôt par émission. - Il ne saurait en être ainsi. La nature humaine ressuscitée sera ce qu’elle était, dans l’homme tout entier et chacune de ses parties. Le sens est essentiellement une puissance passive et l’opinion susdite en fait une puissance active. Or, une puissance passive ne peut pas devenir active, pas plus que la matière ne peut devenir forme.

D’autres disent que les sens entreront en activité sous l’action, non pas des réalités extérieures, mais des facultés supérieures, qui, alors, leur donneront, au lieu de recevoir d’elles, comme aujourd’hui. - Cela ne suffit pas pour qu’il y ait vraiment une sensation. Toute puissance passive, selon son espèce, a pour corrélatif un être actif déterminé, par rapport auquel elle se définit. Or, ce qui est fait pour agir sur le sens externe, ce sont les réalités extérieures, et non pas seulement leur image ou leur idée. Si celles-ci étaient les seuls excitants de l’organe sensoriel, il n’y aurait pas vraiment sensation. C’est pourquoi l’on ne dit pas que les hallucinés et autres malades du cerveau, chez lesquels la prédominance de l’imagination provoque une excitation des organes sensitifs, ont de véritables sensations, mais seulement qu’ils se figurent en avoir.

D’autres disent, et il faut dire avec eux, que, dans le corps des élus, les sens réagiront sous l’impression des réalités extérieures. Mais à condition de distinguer deux sortes d’impression. Une impression naturelle, lorsque l’organe reçoit la même qualité naturelle dont la réalité est elle-même affectée, lorsque, par exemple, la main devient chaude et brûlante au contact d’un objet chaud, ou odorante au contact d’un objet par fumé. Une impression immatérielle, lorsque l’organe reçoit une qualité sensible selon son être immatériel, c’est-à-dire l’espèce ou représentation de cette qualité, mais à part de cette qualité elle-même, comme la rétine reçoit l’espèce de la blancheur, sans devenir elle-même blanche. L’impression naturelle n’est pas, à proprement parler, la cause de la sensation, car "le sens est réceptif des espèces" qui sont dans la matière "sans la matière", sans l’être matériel qu’elles possèdent en dehors de l’âme. Pareille impression modifie la nature de l’organe qui la reçoit, car elle y est reçue avec son être matériel, Il faut donc la refuser au corps des élus, et admettre seulement l’impression immatérielle, qui provoque l’activité des sens mais sans modifier leur nature.

Solutions :

1. Si l’on entend la passion que comporte la sensation comme nous venons de la définir, elle n’entraîne aucune modification matérielle, mais ajoute une perfection immatérielle.

2. Tout être passif reçoit, à sa manière, l’in fluence de l’être qui agit sur lui. S’il est de nature à recevoir une impression à la fois matérielle et immatérielle, la première précède la seconde, comme l’être naturel précède l’être intentionnel ou représentatif. Mais s’il est de nature à recevoir seulement la seconde, la première n’est pas nécessaire : l’air ne reçoit que l’impression immatérielle de la couleur ; au contraire, les corps inanimés ne peuvent recevoir des qualités sensibles que l’impression matérielle. Le corps des élus ne sera pas susceptible de celle-ci, mais seulement de celle-là.

3. Cette activité des sens provoquera de nouveaux jugements du sens commun, mais pas de l’intelligence ; il en arrive ainsi quand nous voyons une chose que nous connaissions déjà. Or, saint Augustin parle ici de la faculté intellectuelle.

4. Quand, de deux choses, l’une est la raison de l’autre, l’attention à l’une ne distrait pas de l’autre ; par exemple, chez le médecin qui étudie la couleur d’un liquide pour juger de l’état du malade. Or, Dieu est la raison de tout ce que connaissent les élus et de tout ce qu’ils font. Aussi, l’exercice de leurs facultés sensitives ou intellectuelles n’empêche aucunement leur contemplation de Dieu, pas plus qu’il n’est empêché par elle. - On peut répondre encore qu’une puissance est contrariée par l’intense activité d’une autre, parce que celle-ci exige alors un surcroît de vitalité qu’elle emprunte à l’âme ou au corps. Or, toutes les puissances des élus seront absolument parfaites ; chacune pourra donc agir avec la plus grande intensité, sans mettre obstacle à l’activité des autres ; il en fut ainsi dans le Christ.

 

Article 4 — Tous les sens des élus exerceront-ils leurs fonctions ?

Objections :

1. Le sens du toucher exige, pour s’exercer, d’être modifié par quelque qualité active ou passive prédominante dans un corps extérieur. Or, toute modification sera devenue impossible.

2. Le sens du goût sert à la nutrition, désormais inutile.

3. La création tout entière sera comme revêtue d’incorruptibilité. Mais les corps, pour être perçus par l’odorat, doivent dégager leurs particules odorantes par une émanation ou évaporation, qui est une espèce de corruption.

4. "L’ouïe sert à recevoir l’enseignement", dit Aristote. Mais tout enseignement par des moyens sensibles sera inutile aux élus que la vision de Dieu remplira de sagesse.

5. Pour voir, il est nécessaire que l’espèce de la chose vue soit reçue dans l’œil : ce qui sera impossible chez les élus dont le corps tout entier, y compris l’œil lui-même, aura le privilège de la clarté. En effet, ce qui est lumineux ne peut recevoir une espèce visible un miroir exposé directement aux rayons solaires ne reflète pas le corps placé devant lui.

6. C’est une loi de la perspective que toute vision a lieu sous un certain angle proportionné à la distance de l’objet, d’autant plus aigu que celui-ci est plus lointain, et qui peut le devenir à tel point que l’objet en devient lui-même invisible. La vue des élus, si elle s’exerçait, aurait donc une portée aussi restreinte que la nôtre, ce qui est inadmissible.

Cependant :

1. Une puissance est plus parfaite quand elle est en acte. Les sens le seront donc chez les élus dont la perfection sera suprême.

2. Les puissances sensitives sont plus rapprochées de l’âme que le corps. Or, celui-ci sera récompensé ou puni selon que l’âme l’aura mérité. Tous les sens le seront donc aussi ils jouiront chez les élus, ils souffriront chez les damnés.

Conclusion :

Certains prétendent que, chez les élus, deux sens seulement seront en exercice : la vue et le toucher. Les trois autres existeront et contribueront à l’intégrité de la nature humaine, mais l’absence de milieu et d’objet ne leur permettra pas d’agir. - Cette opinion ne semble pas justifiée. Le milieu est le même pour ces trois sens que pour les deux autres : l’air, qui est celui de la vue, est aussi celui de l’ouïe et de l’odorat ; le goût, comme le toucher dont il est une certaine espèce, a un milieu qui lui est uni. D’autre part, l’odorat ne sera pas sans objet : l’Église chante le très suave parfum qu’exhalera le corps des élus. La louange vocale remplira le ciel : "les cœurs et les langues", dit saint Augustin, ne cesseront de célébrer les grandeurs de Dieu.

Il faut donc répondre que l’odorat et l’ouïe exerceront leurs fonctions vis-à-vis de leur objet. Le goût exercera la sienne, sans être impressionné cependant par l’action des aliments devenus inutiles ; mais peut-être y aura-t-il une certaine humidité délicieuse de la langue.

Solutions :

1. Les qualités perçues par le toucher sont celles-là mêmes qui constituent le corps doué de sensibilité : ce sens exige donc, dans notre condition présente, une double impression, matérielle et immatérielle ; aussi dit-on qu’il est le plus matériel de tous les sens, à cause de la prédominance de la première, qui, cependant, est accidentelle à la sensation tactile dont l’impression immatérielle est la cause propre. Celle-ci existera donc seule dans le corps des élus dont la première, comme on l’a dit, doit être exclue.

2. Si l’on entend par goût le sens des aliments, il n’agira pas ; comme sens des saveurs, peut-être agira-t-il de la manière que nous avons dite.

3. Certains ont pensé que l’odeur n’est pas autre chose qu’une espèce d’émanation ou d’évaporation. Mais ce n’est guère croyable, puisque les vautours accourent de si grandes distances autour d’un cadavre, que celui-ci tout entier ne suffirait pas aux émanations nécessaires pour J atteindre aussi loin, en rayonnant dans toutes les directions. Il y a donc des cas où l’odeur ne produit dans le milieu et dans l’organe qu’une impression immatérielle, sans émanation qui les atteigne. Celle-ci, en effet, est requise parce que, dans les corps, l’odeur est imprégnée d’humidité et exige un certain dégagement pour être perceptible. Mais, l’odeur émise par les corps glorieux sera à son dernier état de perfection et produira une impression purement immatérielle. D’autre part, le sens de l’odorat n’aura alors aucun empêchement physiologique et percevra les odeurs jusque dans leurs nuances les plus subtiles.

4. Quoiqu’on l’ait nié, il faut affirmer que la louange vocale existera au ciel, mais ne fera sur l’ouïe qu’une impression immatérielle. Ce sens ne servira plus à l’enseignement, mais il s’exercera pour sa propre perfection et pour la joie des élus.

5. La lumière, si intense soit-elle, n’empêche pas l’impression immatérielle de l’espèce colorée, pourvu qu’elle demeure dans un milieu transparent : l’air, aussi lumineux qu’il soit, peut servir de milieu à la vue ; plus il l’est, mieux l’objet est vu, à moins d’une faiblesse de l’organe. Dans le miroir exposé au soleil, ce n’est pas l’impression de l’objet qui fait défaut, mais sa réverbération par quelque chose d’obscur. Celle-ci est nécessaire pour que l’image y apparaisse ; c’est pour cela que, dans un miroir, l’une des faces de la plaque de verre est enduite de tain. Les rayons solaires, tombant directement sur le miroir, dissipent cette obscurité et l’image reste invisible. - Puisque la gloire ne détruit pas la nature, la clarté dont jouiront les corps glorieux n’enlèvera pas à la prunelle sa transparence ; au contraire, plus elle sera grande, plus la vue sera perçante.

6. Plus un sens est parfait, moindre est l’impression nécessaire à la perception de son objet. L’impression visuelle diminue avec l’angle de vision, qui devient d’autant plus petit que la distance est plus grande ; celui qui a meilleure vue est donc capable d’apercevoir les objets sous un angle plus petit et à une distance plus grande. Les élus auront la vue tellement parfaite qu’une très légère impression lui suffira pour s’exercer ; ils pourront donc voir sous un angle très petit et de très loin.

 

QUESTION 83 — LA SUBTILITÉ DU CORPS DES ÉLUS

Il s’agit maintenant de la subtilité des corps des élus.

On demande 1. La subtilité est-elle une propriété du corps glorieux ? - 2. Lui permet-elle d’être dans un lieu occupé déjà par un corps non glorieux ? - 3. Deux corps peuvent-ils, par miracle, occuper le même lieu ? - 4. Deux corps glorieux le peuvent-ils ? - 5. Le corps glorieux exige-t-il un lieu égal à lui-même ? - 6. Est-il palpable ?

 

Article 1 — La subtilité est-elle une propriété du corps glorieux ?

Objections :

1. Les propriétés de la gloire dépassent celles de la nature, autant que sa clarté dépasse celle du soleil. Si le corps glorieux était subtil, il le serait donc plus que les corps les plus subtils ; "il serait plus subtil que le vent et l’air", ce qui est une hérésie condamnée à Constantinople par saint Grégoire, comme il le raconte lui-même.

2. La subtilité est une qualité des corps simples ou éléments, comme la chaleur et le froid. Mais ces deux qualités et les autres dans le corps glorieux, resteront ce qu’elles sont aujourd’hui, ou même seront ramenées à de plus justes proportions. Il en sera donc ainsi de la subtilité.

3. La subtilité vient de la raréfaction on appelle subtils les corps qui, à volume égal, ont moins de matière que d’autres, le feu moins que l’air, l’air moins que l’eau, l’eau moins que la terre. Or, le corps glorieux aura autant de matière et le même volume qu’aujourd’hui. Il ne sera donc pas plus subtil.

Cependant :

1. "Semé corps animal, dit saint Paul, il ressuscite corps spirituel."

2. Plus un corps est subtil, plus il est noble. Or, le corps glorieux sera noble entre tous.

Conclusion :

La subtilité d’un corps signifie premièrement son pouvoir de pénétration, "d’occuper un espace à cause de la petitesse et ténuité de ses éléments". Ce pouvoir dépend de l’une ou l’autre de ces deux conditions : le peu de quantité, surtout en largeur et en épaisseur ; la longueur n’y fait rien, puisque la pénétration, en ce cas, a lieu dans le sens de la longueur ; - le peu de densité : on appelle subtiles les choses où la matière est raréfiée. Or, comme, dans ces choses, la forme domine plus complètement la matière, on a donc appelé subtils les corps les plus soumis à la forme et les plus perfectionnés par elle : par exemple ; les corps célestes, ou encore, l’or, ou tout autre métal, quand il possède au plus haut point l’être et la vertu de son espèce. - Les êtres incorporels n’ayant ni quantité ni matière, on leur attribue la subtilité, non seulement à raison de leur substance, mais encore de leur puissance : un esprit subtil est celui qui pénètre jusqu’aux principes intimes et aux qualités cachées des choses ; une vue subtile est celle qui aperçoit un objet très petit ; et ainsi des autres sens.

Il n’est donc pas étonnant que la subtilité du corps glorieux ait été diversement comprise. Certains hérétiques, au dire de saint Augustin, lui ont attribué la subtilité dans le sens où elle convient aux purs esprits et ont prétendu que, à la résurrection, le corps deviendrait esprit, selon le mot de saint Paul entendu littéralement. - C’est impossible. D’abord, parce que le corps ne peut devenir esprit, puisqu’il n’y a pas de matière commune à l’un et à l’autre ; ensuite, parce que, s’il en était ainsi, l’homme, naturellement composé d’une âme et d’un corps, ne ressusciterait donc pas ; enfin, parce que, si ç’eût été la pensée de saint Paul, il aurait aussi bien pu dire que le corps ressusciterait âme, ce qui est évidemment faux.

C’est pourquoi certains hérétiques ont prétendu que, à la résurrection, le corps, demeuré corps, serait subtil par raréfaction et semblable au vent et à l’air, comme saint Grégoire le relate. C’est également impossible. Le corps du Christ ressuscité possédait cette prérogative au plus haut degré, et cependant on pouvait le toucher. De plus, le corps humain ressuscité sera semblable à celui du Christ dont il disait lui-même : "Un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai." Or, la chair et les os sont incompatibles avec cette prétendue raréfaction.

Il faut donc attribuer au corps glorieux une autre espèce de subtilité, celle qui résulte de la perfection achevée du corps humain. Certains font dériver cette perfection de la quintessence qui prédominerait alors en lui. - C’est faux ; d’abord parce que cette essence n’entre pas dans la composition du corps humain. Ensuite, à supposer qu’elle y entrât, il faudrait, pour qu’elle l’emportât sur les autres éléments, ou l’introduire dans de telles proportions que l’homme n’aurait plus ses dimensions normales, ou modifier la nature des éléments et ainsi la nature du corps, ou leur attribuer par là une propriété nouvelle et naturelle qui serait cause de la subtilité, propriété surnaturelle, ce que l’on ne saurait admettre.

La seule et véritable explication, c’est que cette perfection corporelle que nous appelons la subtilité, résultera du domaine de l’âme glorifiée sur le corps dont elle est la forme, domaine tel que le corps glorieux pourra être dit spirituel, c’est-à-dire, entièrement soumis à l’esprit Le corps est d’abord soumis à l’âme, comme la matière l’est à la forme, pour participer à l’être spécifique, à l’être humain ; il lui est soumis ensuite, comme le mobile l’est à celui qui le meut, pour aider l’âme dans ses opérations. La spiritualité du corps glorieux a donc pour premier effet la subtilité, ensuite l’agilité et les autres prérogatives. L’Apôtre, en parlant de la "spiritualité" du corps ressuscité, a donc fait allusion à sa subtilité : tel est l’enseignement des Maîtres. Et saint Grégoire lui-même déclare que "ce qu’on appelle subtilité du corps glorieux est l’effet de la puissance spirituelle qui l’anime".

Solutions :

Elles viennent d’être données, puisque les trois difficultés procédaient de la subtilité par raréfaction, qui est hors de cause.

 

Article 2 — La subtilité permet-elle au corps glorieux d’être dans un lieu occupé déjà par un corps non glorieux ?

Objections :

1. "Le Christ transformera notre corps misérable, en le rendant semblable à son corps glorieux." Or, le corps du Christ fut dans un lieu occupé déjà par un corps ordinaire, lorsque, "les portes étant fermées", il entra dans l’appartement où ses disciples étaient réunis.

2. Ce que peuvent les rayons solaires : être dans un lieu occupé déjà par un autre corps ; les corps glorieux, dont l’excellence est encore plus grande puisqu’elle est suprême, le pourront aussi.

3. S’ils ne le pouvaient pas, ils ne pourraient donc pas traverser les cieux, "solides comme un miroir d’airain", dit Job, et parvenir au ciel empyrée.

4. Ils pourraient donc aussi rencontrer dans un autre corps un obstacle ou une prison.

5. Deux points, deux lignes, deux surfaces peuvent être en contact, c’est-à-dire, dans le même lieu. La nature du corps n’y répugne donc pas, et ce sera une qualité des corps glorieux.

Cependant :

1. "La différence numérique, dit Boèce, provient de la diversité des accidents. Trois hommes ne diffèrent ni par le genre, ni par l’espèce, mais par leurs accidents. Quand bien même nous ferions abstraction de tous les autres, chacun de ces trois hommes occupe un lieu différent, et il nous est impossible d’imaginer que ce lieu soit le même." Placer deux corps dans le même lieu, ce serait donc les identifier.

2. Certains prétendent que les individus angéliques ne peuvent être distingués que par les lieux différents qu’ils occupent, et que leur création était donc impossible avant celle du monde. A plus forte raison faut-il dire qu’il est impossible à deux corps quelconques d’occuper même lieu.

Conclusion :

Le corps glorieux ne pourrait avoir cette propriété que si la subtilité lui enlevait ce qui l’empêche de la posséder aujourd’hui. Certains attribuent cet empêchement à la corpulence, ou nécessité d’occuper un lieu, et prétendent que la subtilité la fera disparaître. C’est impossible pour deux raisons : j0 la corpulence que la subtilité fera disparaître ne peut désigner qu’une imperfection, par exemple, un certain défaut de proportion et d’adaptation entre la matière et la forme. En effet, tout ce qui est requis pour l’intégrité du corps, que cela tienne à la forme ou à la matière, se retrouvera dans le corps ressuscité, et, par conséquent, la propriété d’occuper un lieu. Le plein étant le contraire du vide, la seule condition pour qu’un lieu soit vide, c’est qu’il ne soit pas occupé. Aristote définit le vide, "un lieu qui n’est pas occupé par un corps sensible", c’est-à-dire, un corps avec sa matière, sa forme, ses accidents naturels, en un mot, tout ce qui concourt à son intégrité. Or, il est évident que le corps glorieux sera un corps sensible, et même palpable ; ni la matière, ni la forme, ni les accidents naturels, le chaud, le froid, etc., ne lui feront donc défaut. Sa subtilité ne l’empêchera donc pas d’occuper un lieu ; car, ce serait folie d’affirmer que le lieu occupé par un corps glorieux est vide. – 2° Empêcher un autre corps d’occuper un lieu est quelque chose de pins que de l’occuper soi-même. Supposons des dimensions séparées de la matière ; elles n’occupent pas un lieu c’est pourquoi certains définissent le vide par des dimensions de ce genre indépendantes de tout corps sensible. Cependant Aristote n’admet pas la possibilité de la coexistence dans le même lieu de ces dimensions et d’un corps sensible. - Ainsi donc, en supposant que la subtilité permît au corps glorieux de ne pas occuper un lieu, elle ne lui permettrait pas d’y coexister avec un autre corps.

Il semble donc bien que ce qui empêche le corps humain, dans son état actuel, d’être dans un lieu occupé par un autre corps, ne lui sera pas enlevé par la subtilité. Cet empêchement, c’est qu’un lieu lui est nécessaire, et un lieu distinct de tout autre : car, le seul obstacle à l’identité, c’est ce qui cause la diversité. Or, ce qui rend nécessaire que le corps ait un lieu à lui, ce n’est pas une qualité ; ainsi, en faisant abstraction de toutes les qualités sensibles, la susdite nécessité demeure. Ce n’est pas non plus la matière, puisqu’elle n’exige un lieu que moyennant la quantité étendu ; ni la forme qui, à ce point de vue, dépend de la matière. En définitive, ce qui fait que deux corps doivent avoir chacun leur lieu, c’est la nature de la quantité étendue, qui se définit précisément par la propriété d’occuper un lieu. Deux lignes ou deux parties d’une même ligne doivent occuper deux lieux différents ; autrement, l’addition d’une ligne à une autre ne rendrait pas celle-ci plus grande, ce qui est contre le sens commun. Il en va de même pour les surfaces et les corps mathématiques. Puisque la matière exige un lieu en raison des dimensions de sa quantité, il faut dire que, de même qu’il est impossible d’avoir deux lignes ou deux parties de ligne à moins qu’elles n’occupent deux lieux distincts, de même avoir deux matières ou deux parties de matière n’est possible qu’à cette condition. Enfin, puisque la distinction de la matière est le principe de la distinction des individus, Boèce déclare donc qu'"il nous est impossible d’imaginer deux corps dans le même lieu" ; pour être plusieurs, les individus doivent différer au moins par là.

La subtilité n’enlève point au corps glorieux ses dimensions, ni, par conséquent, la nécessité d’avoir son lieu distinct de celui de tout autre corps Elle ne lui permet donc pas d’être dans le lieu occupé déjà par un autre corps. Mais la puissance divine peut opérer ce miracle et lui accorder ce privilège comme un surcroît de gloire, de même qu’elle accorda à saint Pierre le privilège de guérir les malades par sa seule présence, en confirmation de la foi au Christ.

Solutions :

1. Ce phénomène ne fut point dû à la subtilité du corps du Christ ressuscité, mais à la puissance divine, "de même que, dans sa nativité, ce même corps sortit sans violence du sein virginal de Marie".

2. La lumière n’est pas un corps : l’objection est donc sans portée.

3. Le corps glorieux traversera les sphères célestes, par un effet de la puissance divine, qui se prêtera à tous les désirs des élus.

4. Cette même puissance empêchera également tout ce qui pourrait être un obstacle ou un emprisonnement.

5. "Le point n’est pas dans le lieu", sinon par l’entremise du corps qu’il termine tout le lieu correspond à tout le corps, et son extrémité à celle du corps. Deux lieux peuvent avoir une extrémité commune, de même que deux lignes peuvent se terminer en un même point. Ainsi, quoique deux corps doivent occuper deux lieux différents, cependant il peut se faire que la même extrémité le ces deux lieux corresponde aux deux extrémités de ces corps. C’est ce qu’on exprime en disant que les extrémités de deux corps qui se touchent sont dans le même lieu.

 

Article 3 — Deux corps peuvent-ils, par miracle, occuper le même lieu ?

Objections :

1. Les contradictoires ne peuvent pas coexister, même par miracle. Deux corps ne peuvent donc être à la fois deux et un, ce qui arriverait, S’ils occupaient le même lieu, puisqu’ils auraient les mêmes dimensions, identiquement, et qu’avoir les mêmes dimensions, comme avoir la même et identique blancheur, ne saurait convenir qu’à un seul et même corps.

2. Un miracle ne peut contredire le et les premiers théorèmes géométriques, qui sont des conclusions infaillibles des principes universels et évidents. Or, si deux corps étaient dans le même lieu, il y aurait deux lignes droites entre un point et un autre ; et, si ces corps étaient circulaires, ils se toucheraient non pas en un seul point, mais en tous ; ce qui est contraire aux théorèmes de la ligne droite et de la circonférence.

3. Il est impossible, même par miracle, qu’un corps n’ait qu’un lieu commun et pas son lieu propre. Or, si deux corps de différente grandeur sont dans le même lieu, le plus petit est contenu dans le plus grand qui occupe le lieu, à lui seul.

4. Il y a proportion entre le lieu et le corps qui l’occupe. Or, jamais un corps ne peut être en plusieurs lieux à la fois, même par miracle, à moins d’un certain changement, par exemple, la transsubstantiation eucharistique. Donc, jamais non plus, même par miracle, deux corps ne peuvent être dans un seul et même lieu.

Cependant :

1. La naissance de jésus fut miraculeuse, et l’enfantement de Marie virginal.

2. Jésus entra dans le cénacle et apparut à ses disciples, les portes étant fermées.

Conclusion :

A deux corps il faut deux lieux, parce que la pluralité de matière exige la pluralité de localisation C’est pourquoi nous constatons que, lorsque deux corps fusionnent, l’être distinct de chacun est détruit et remplacé par un être nouveau, commun à tous les deux ensemble, comme il arrive pour les corps composés. Il est donc impossible que deux corps conservent leur dualité et occupent cependant le même lieu, à moins que chacun ne garde l’être distinct qui était le sien et grâce auquel il était lui-même "un être indivis en soi et divisé de tout autre". De cet état distinct, les principes essentiels sont la cause prochaine, Dieu est la cause première. Or, celle-ci peut suppléer les causes secondes et, par exemple, faire - ce quelle seule peut faire, - qu’un accident existe sans sujet, comme dans l’Eucharistie. De même, la puissance divine, et elle seule, peut faire qu’un corps garde son être distinct de celui d’un autre, alors que sa matière se confond localement avec celle de cet autre, Il peut donc arriver, par miracle, que deux corps occupent le même lieu.

Solutions :

1. Cette objection est un sophisme. 1° Ou bien elle suppose à tort qu’il existe entre les surfaces opposées du lieu une dimension qui soit propre à celui-ci et avec laquelle se confondrait la dimension du corps localisé. Dès lors, les dimensions de deux corps localisés ensemble s’identifieraient en s’identifiant avec celle du lieu. Or, cela est faux. Il s’ensuivrait, en effet, que chaque fois qu’un corps change de lieu, il devrait se produire un changement dans la dimension de ce lieu ou celle de ce corps, car deux choses ne peuvent devenir une que par un changement dans l’une d’elles. Si, au contraire et en vérité, le lieu n’a pas d’autres dimensions que celles du corps localisé, l’objection ne prouve plus rien. - 2° Ou bien elle est une pétition de principe et signifie simplement que les dimensions du lieu, s’il en possédait en propre, seraient les mêmes que celles du corps localisé. Dès lors, dire que deux corps ont les dimensions d’un même lieu, c’est dire qu’ils l’occupent ensemble : ce qui est la proposition même qui est en cause.

2. La coexistence miraculeuse de deux corps dans le même lieu ne porte aucune atteinte ni aux premiers principes de la raison ni aux théorèmes de la géométrie. La quantité étendue diffère de tous les autres accidents en ce que, non seulement elle partage avec eux l’individuation et la distinction qu’elle tire, comme eux, de la matière, qui est leur commun sujet, mais encore elle possède un principe propre d’individuation et de distinction qu’elle tire de l’espace exigé par les parties qui la composent. Ainsi donc, on peut concevoir qu’une ligne est distincte d’une autre, ou parce qu’elle n’est pas dans le même sujet, ce qui ne s’applique qu’à une ligne matérielle ; ou parce qu’elle n’occupe pas le même espace, ce qui s’applique aussi bien aux lignes mathématiques, qui font abstraction de la matière. Si donc On ne tient pas compte de celle-ci, deux lignes ne peuvent être distinctes que par le lieu qu’elles occupent ; et il en est de même des points, des surfaces et de toutes les dimensions. Dès lors, la géométrie ne peut admettre l’addition d’une ligne à une autre, comme distincte de cette autre, qu’à la condition qu’elles n’occupent pas le même lieu. Mais, à supposer que, par miracle, il y ait pluralité de sujets et unité de lieu, on comprend qu’il puisse y avoir, occupant le même lieu, plusieurs points ou plusieurs lignes, puisqu’ils appartiennent à des sujets différents ; donc aussi et par là même, deux lignes droites entre un point et un autre, ou deux circonférences tangentes en un point.

3. Dieu pourrait faire qu’un corps ne soit pas localisé. Mais, même en ce cas, un corps plus petit contenu dans le premier y aurait son lieu, déterminé par les parties de ce corps avec les quelles lui-même serait en contact.

4. Il est impossible, même par miracle, qu’un corps soit localisé en plusieurs lieux ; le corps du Christ est dans l’hostie, mais sans y être localisé. Par contre, il est possible, par miracle, que deux corps soient dans le même lieu. La différence consiste en ce que être en plusieurs lieux à la fois nie "l’indivision en", qui est essentielle à l’individu : il serait, en effet, ici et là en même temps ; être avec un autre corps dans le même lieu nie seulement "la division d’avec tout autre", qui n’est qu’une conséquence de l’individualité. La première affirmation serait donc une contradiction, comme serait de dire que l’homme n’est pas raisonnable ; la seconde n’en est pas une. On ne saurait donc conclure de l’une à l’autre.

 

Article 4 — Deux corps glorieux peuvent-ils occuper le même lieu ?

Objections :

1. Si un corps glorieux peut occuper le même lieu qu’un corps ordinaire, à plus forte raison le pourra-t-il, s’il s’agit d’un corps glorieux qui, à cause de sa subtilité, offre moins de résistance.

2. Les corps glorieux n’ont pas tous le même degré de subtilité. Celui qui est plus subtil peut donc occuper le même lieu qu’un autre qui l’est moins, puisqu’il peut faire de même avec un corps ordinaire.

3. Le ciel sera devenu subtil et comme glorifié. Mais le corps des élus pourra le traverser, donc occuper le même lieu, lorsque l’âme, parfaitement maîtresse de ce corps, voudra descendre vers la terre ou en remonter.

Cependant :

1. Les corps glorieux seront "spirituels", c’est-à-dire, semblables aux esprits sous certains rapports. Mais, quoiqu’un esprit et un corps puissent occuper le même lieu, deux esprits ne le peuvent pas. Donc deux corps glorieux ne le peuvent pas davantage.

2. La coexistence de deux corps dans le même lieu suppose la pénétration de l’un dans l’autre, donc, en celui-ci, une espèce d’imperfection qu’un corps glorieux ne saurait admettre.

Conclusion :

Ce n’est pas une propriété du corps glorieux de pouvoir occuper le même lieu qu’un autre corps, glorieux ou non. La puissance divine peut réaliser ce miracle. Mais il semble plus raisonnable qu’il ne se réalise pas pour deux corps glorieux : d’abord, parce que l’ordre normal exige leur distinction ; ensuite, parce que l’un ne fera jamais obstacle à l’autre. Ils n’occuperont donc jamais le même lieu

Solutions :

1 et 2. Ces deux objections supposent à tort que la subtilité du corps glorieux lui permet d’occuper le même lieu qu’un autre corps.

3. Les corps célestes et autres ne seront glorieux que par une certaine participation, mais nullement au sens propre où ce mot signifie les prérogatives dont jouiront les corps des élus.

 

Article 5 — La subtilité du corps glorieux l’affranchit-elle de la nécessité d’être dans un lieu semblable à lui-même ?

Objections :

1. Le corps glorieux sera semblable à celui du Christ, qui n’est pas soumis à cette nécessité, puisqu’il est contenu tout entier dans l’hostie.

2. Si deux corps peuvent être dans le même lieu, il s’ensuit qu’un corps très grand peut occuper un lieu très petit. Or, on admet généralement qu’un corps glorieux pourra occuper le même lieu qu’un autre corps quelconque, donc, par le fait, un lieu quelconque, même très petit.

3. De même que la visibilité d’un corps dépend de sa couleur, de même, sa localisation dépend de sa quantité. Or, l’âme pourra rendre le corps glorieux visible ou invisible, à son gré, comme nous le voyons dans le Christ ressuscité. Elle pourra donc aussi augmenter ou diminuer sa quantité et lui faire occuper un lieu plus grand ou plus petit.

Cependant :

1. Aristote déclare que tout corps qui est dans un lieu, occupe un lieu égal à lui-même. Or, le corps glorieux sera dans un lieu et occupera donc un lieu égal à lui-même.

2. Les dimensions du lieu et celles du corps qui l’occupe sont les mêmes. Si le lieu était plus grand que le corps, la même chose serait donc à la fois plus grande et plus petite qu’elle-même, ce qui est déraisonnable.

Conclusion :

Un corps n’est en rapport avec le lieu que par les dimensions qui lui sont propres et qui sont comme épousées par le corps dans lequel il est localisé. Pour qu’un corps pût être dans un lieu plus petit que lui-même, il faudrait donc que sa quantité devînt plus petite. On ne peut concevoir cette diminution que de deux manières. 1 La matière reste la même, mais sa quantité varie. Certains l’ont admis et font dépendre cette variation, en plus ou en moins, de la volonté de l’âme qui commande à son gré au corps glorieux. C’est impossible. En effet, aucun mouvement ne peut porter sur les éléments intrinsèques d’un être, sans "une passion ou modification qui affecte sa substance même". C’est pourquoi les corps célestes, qui sont incorruptibles, ne sont soumis qu’au mouvement local, extérieur à eux-mêmes. Un changement de quantité serait donc en contradiction avec l’im passibilité et l’incorruptibilité du corps glorieux. En outre, ce corps aurait donc une densité variable, puisque sa matière resterait la même avec un volume différent, ce qui est également inadmissible. - 20 La quantité du corps glorieux pourrait diminuer par une nouvelle disposition de ses parties qui rentreraient les unes dans les autres et pourraient se réduire à une quantité infinitésimale. Ceux qui admettent la coexistence dans le même lieu d’un corps glorieux et d’un corps ordinaire, l’attribuant à la subtilité, ad mettent également ce phénomène de compénétration, qui peut aller si loin, prétendent-ils, qu’un corps glorieux serait capable de passer tout entier par le pore le plus étroit d’un autre corps. C’est ainsi qu’ils expliquent la naissance du Christ et son apparition à ses disciples. Cette opinion est inadmissible. D’abord, la subtilité ne permet pas à un corps glorieux d’occuper le même lieu qu’un corps ordinaire, ni surtout qu’un autre corps glorieux, comme beaucoup le disent. De plus, pareille hypothèse est contraire à la condition normale du corps humain, qui exige que chacune de ses parties ait sa place déterminée et que toutes soient juxtaposées les unes aux autres. Un miracle même ne saurait donc la réaliser. Il faut donc conclure que le corps glorieux occupera toujours un lieu égal à lui-même.

Solutions :

1. Le corps du Christ n’est pas dans l’hostie comme dans un lieu.

2. Aristote base son argumentation sur la compénétration des éléments corporels, que nous avons déclarée contraire à la condition du corps glorieux.

3. Un corps est vu parce qu’il agit sur la vue. Etre vu, ou ne pas l’être, n’affecte donc en rien sa nature intime, et l’on peut admettre qu’il puisse être vu, ou ne pas l’être, au gré de la volonté. Mais la localisation n’est pas une action qui dépend de lui, en raison de la quantité, de la même façon que la vision dépend de lui, en raison de la couleur. Les deux cas sont donc dissemblables et l’argument ne conclut pas.

 

Article 6 — Lu subtilité rend-elle palpable le corps glorieux ?

Objections :

1. "Ce qui est palpable est nécessairement corruptible", dit saint Grégoire. Or, le corps glorieux est incorruptible.

2. Etre palpable, c’est opposer une certaine résistance qui semble faire défaut au corps glorieux, puisque celui-ci peut être avec un autre corps dans le même lieu.

3. Etre palpable, c’est être tangible, ce qui suppose des qualités capables d’impressionner le sens du toucher, donc en excès par rapport à lui. Or, dans le corps glorieux, toutes les qualités seront ramenées à la plus parfaite égalité.

Cependant :

1. Le corps du Christ ressuscité était glorieux et en même temps palpable, comme il le disait à ses disciples, pour les convaincre qu’il n’était pas "un fantôme qui n’a ni chair ni os".

2. Eutychès, évêque de Constantinople, se rendit coupable d’hérésie en affirmant, comme le rapporte saint Grégoire, que, "après la résurrection, le corps des élus sera impalpable".

Conclusion :

Tout corps palpable est tangible ; mais la réciproque n’est pas vraie. Un corps tangible est celui qui possède des qualités capables d’impressionner le sens du toucher, tels l’air, le feu, etc.. Un corps palpable est celui qui résiste au toucher : l’air, qui n’oppose aucune résistance, mais se laisse traverser avec la plus grande facilité, est tangible mais non palpable. Pour être palpable, un corps doit donc réunir ces deux conditions : qualités sensibles et résistance. Les premières, le chaud, le froid, etc., ne se rencontrent que dans les corps lourds et légers, contraires les uns aux autres, et donc corruptibles ; aussi, les corps célestes, incorruptibles par nature, sont visibles, mais ni tangibles, ni palpables. - Le corps glorieux est naturellement doué des qualités propres à impressionner le toucher ; mais, parfaitement soumis à l’âme, il peut, au gré de celle-ci, agir ou ne pas agir sur ce sens. Il possède encore, et naturellement, la faculté de résister au corps qui voudrait le traverser, et donc de ne pas occuper le même lieu ; comme aussi, par un miracle de la puissance divine dont l’âme dispose à son gré, il peut n’offrir aucune résistance et donc occuper le même lieu. Il est donc tout à la fois palpable par nature et impalpable par miracle. "Le Seigneur, dit saint Grégoire, se fit toucher par ses disciples lorsqu’il fut au milieu d’eux, les portes étant fermées, afin de leur montrer que, après sa résurrection, son corps était le même par la nature mais autre par la gloire".

Solutions :

1. Si l’incorruptibilité du corps glorieux venait de la nature de ses éléments, il serait corruptible du fait qu’il est palpable ; mais elle vient d’ailleurs.

2. Le corps glorieux peut, par miracle, occuper le même lieu qu’un autre corps ; mais il peut aussi lui résister, au gré de la volonté.

3. Les qualités tangibles, dans le corps glorieux, ne seront pas réduites à une moyenne matérielle, mais proportionnelle, c’est-à-dire, à la plus grande perfection convenable à chaque partie ; ce qui rendra ce corps très agréable au toucher qui, comme toute puissance, éprouve du plaisir en ce qui lui est exactement proportionné, tandis que tout excès lui cause une souffrance.

 

QUESTION 84 — L’AGILITÉ DU CORPS DES ÉLUS

Il s’agit maintenant de l’agilité du corps des élus.

Trois demandes : 1. Le corps des élus sera-t-il doué d’agilité ? - 2. En useront-ils pour se mou voir ? - 3. Leur mouvement sera-t-il instantané ?

 

Article 1 — Le corps des élus sera-t-il doué d’agilité ?

Objections :

1. S’il en était ainsi, les corps glorifiés n’auraient pas besoin "d’être portés sur les nuées à la rencontre du Seigneur", dit saint Paul ; et portés "par les anges", ajoute la Glose.

2. L’agilité exclut l’effort. Mais l’âme imprimera au corps glorieux des mouvements contraires à celui qui lui est naturel, donc des mouvements qui exigeront un certain effort.

3. La sensibilité est plus noble et plus voisine de l’âme que le mouvement ; cependant, on n’attribue au corps glorieux aucune propriété spéciale destinée à la rendre plus parfaite.

4. Dieu, par la nature ou par lui-même, donne à chaque être les organes adaptés à son mouvement, lent ou rapide. Or, les membres du corps glorieux seront semblables à ce qu’ils sont aujourd’hui. Son agilité sera donc aussi la même.

Cependant :

1. Saint Paul dit du corps des élus : "Semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force" ; ce que la Glose interprète : "plein d’agi lité et de vitalité."

2. La lenteur est tout à fait opposée à la "spiritualité" que saint Paul attribue au corps glorieux.

Conclusion :

Le corps glorieux sera absolument soumis à l’âme glorifiée, non seulement en ce sens qu’il n’opposera aucune résistance à sa volonté, car Adam innocent jouissait de ce privilège, mais parce que l’âme lui communiquera une certaine perfection, ou "prérogative", qui le rendra capable de cette soumission totale. Or, l’âme est unie au corps pour lui donner l’être et le mouvement. A ce double point de vue, le corps glorieux lui sera parfaitement soumis. Par la subtilité, il le sera comme à la forme dont il reçoit son être spécifique ; par l’agilité, comme au principe de son mouvement par lequel il obéira docilement et promptement à toutes les impulsions et actions de l’âme.

Certains attribuent la subtilité à la quintessence ; mais nous avons réfuté à plusieurs reprises cette théorie. Il est plus raisonnable de la faire dépendre de l’âme qui communique au corps la gloire dont elle jouit elle-même.

Solutions :

1. S’il en est ainsi, ce ne sera pas par impuissance, mais comme un témoignage de respect rendu au corps des élus par les anges et toutes les créatures.

2. Plus l’âme est maîtresse du corps, moins elle a de peine à lui imprimer un mouvement contraire à sa nature. C’est un fait d’expérience chez ceux dont la vigueur est plus grande ou le corps plus exercé. Ces deux conditions, d’âme et de corps, seront réalisées au plus haut degré chez les élus : le mouvement ne leur coûtera donc aucun effort ; c’est ce qu’on appelle l’agilité.

3. Cette prérogative ne rend pas le corps apte seulement à se mouvoir, mais à sentir et, en général. à Servir parfaitement l’âme dans toutes ses opérations.

4. De même que la nature donne à certains animaux des organes adaptés à un mouvement plus rapide ; de même, Dieu donnera au corps des élus non pas d’autres organes de locomotion, mais cette prérogative qui s’appelle l’agilité, au sens que nous avons dit.

 

Article 2 — Les élus feront-ils usage de leur agilité ?

Objections :

1. Le mouvement, qu’Aristote définit "l’acte d’un être imparfait", ne convient donc pas à la perfection du corps glorieux.

2. Le mouvement, ou recherche d’une fin, Suppose donc une certaine indigence. Mais le ciel, dit saint Augustin, "c’est la présence de tous les biens et l’absence de tous les maux".

3. Il est plus excellent de participer la perfection divine sans mouvement qu’avec mouvement. Si donc il doit en être ainsi des corps célestes, à plus forte raison en sera-t-il ainsi des corps humains glorifiés.

4. "L’âme affermie en Dieu, dit saint Augustin, affermira par là même son propre corps." Or, l’âme sera affermie en Dieu jusqu’à l’immobilité absolue.

5. L’excellence du lieu correspondra à celle du corps glorieux. Le Christ "a été élevé au-dessus des cieux", dit saint Paul : il est le premier "par le rang et par la dignité", ajoute la Glose. De même, chacun des élus occupera la place dont il est digne et qui sera un des éléments de sa gloire. Donc puisque, après la résurrection, les élus auront atteint le terme et que leur gloire demeurera invariable, chacun gardera, sans changement, la place qu’il aura méritée.

Cependant :

"Ils courront, dit Isaïe, et ne se fatigueront point ; ils marcheront et ne se lasseront point." - Ils seront, dit la Sagesse, "comme des étincelles qui courent à travers le chaume".

Conclusion :

Il faut nécessairement un certain mouvement dans le corps glorieux. Celui du Christ est monté au ciel ; ceux des élus y monteront aussi après la résurrection. Mais, alors qu’ils y seront, il est vraisemblable qu’ils se mouvront au gré dé la volonté, aussi bien pour glorifier Dieu par l’exercice des facultés qu’ils posséderont, que pour charmer leurs regards par les magnificences de la création, miroir éclatant des perfections divines : les sens, en effet, même chez les élus, exigent la présence de leur objet. Cependant, ce mouvement ne diminuera en rien leur béatitude qui consiste dans la vision de Dieu, dont ils jouiront partout où ils seront ; il en sera d’eux comme des anges dont saint Grégoire dit : "Où qu’ils soient envoyés, c’est en Dieu qu’ils courent".

Solutions :

1. Le mouvement local ne comporte qu’un changement extérieur, mais n’affecte en rien la constitution même d’un être. Celui-ci peut donc être parfait en lui-même ; il n’est imparfait que par rapport au lieu ; en ce sens que, étant dans un lieu, il est en puissance à un autre, puisqu’il ne peut être en plusieurs lieux à la fois, privilège réservé à Dieu. Ce défaut ne répugne donc pas à l’état de gloire, pas plus que d’être une créature tirée du néant.

2. Il y a deux espèces d’indigence : une indigence absolue et une indigence relative. La première a pour objet ce sans quoi l’on ne peut conserver son être ou sa perfection ; elle ne s’applique donc pas au mouvement du corps glorieux ; la béatitude lui suffit. La seconde a pour objet ce sans quoi l’on ne peut atteindre une fin aussi bien ou de la manière que l’on veut ; elle s’applique au mouvement du corps glorieux dont les élus ont évidemment besoin pour manifester au dehors la force motrice qui est en eux. Il n’y a aucune difficulté à admettre de pareilles indigences dans le corps glorieux.

3. L’objection porterait si le mouvement était nécessaire au corps glorieux pour participer la perfection divine d’une manière de beaucoup supérieure aux corps célestes, ce qui est faux, C’est la béatitude qui leur donne cette participation. Le mouvement ne sert aux élus que pour manifester leurs énergies. Le mouvement des corps célestes, au contraire, ne pourrait manifester les leurs qu’en opérant des transformations dans les corps terrestres, ce qui serait incompatible avec l’état de l’univers après son renouvellement.

4. Le mouvement local, étant extérieur à l’être, ne diminue en rien la stabilité de l’âme établie en Dieu.

5. Le lieu plus ou moins élevé assigné aux élus est une récompense accidentelle. Cette récompense ne consiste pas à occuper ce lieu, qui n’exerce sur eux aucune influence, mais à en être dignes. lis peuvent donc le quitter sans perdre pour cela leur bonheur.

 

Article 3 — Leur mouvement sera-t-il instantané ?

Objections :

1. Le mouvement de la volonté est instantané. Or, saint Augustin dit "L’âme n’aura qu’à vouloir être quelque part, et aussitôt le corps y sera."

2. D’après Aristote, si un mouvement se produisait dans le vide, il serait instantané, puisqu’il n’éprouverait aucune résistance. Or, ainsi que nous l’avons dit, le corps glorieux n’en éprouvera aucune ; son mouvement sera donc instantané.

3. L’énergie de l’âme glorifiée dépassera infiniment, peut-on dire, celle de l’âme non glorifiée. Le mouvement qu’elle imprimera à son corps devra, donc échapper au temps et être instantané.

4. Le mouvement qui parcourt, avec la même célérité, une petite ou une grande distance, est instantané. Or, tel sera celui du corps glorieux, au dire de saint Augustin, qui compare sa vélocité à celle du rayon lumineux.

5. Après la résurrection, "il n’y aura plus de temps". Le mouvement du corps glorieux ne sera donc plus dans le temps, mais instantané.

Cependant :

1. Dans le mouvement local, l’espace, le mouvement et le temps ont la même divisibilité. Or, l’espace parcouru par le corps glorieux est divisible ; donc, son mouvement l’est aussi et se mesure par un certain temps. Il ne peut donc pas être instantané, puisque l’instant est indivisible.

2. Il est impossible qu’une chose soit, en même temps, tout entière dans un lieu et partiellement dans un lieu et dans un autre ; car il s’ensuivrait que l’une de ses parties occupe deux lieux à la fois, ce qui est impossible. Or, une chose qui se meut est partiellement au point de départ et partiellement au point d’arrivée, ou elle est tout entière, quand le mouvement est achevé. Elle ne saurait donc être à la fois en train de se mouvoir et au terme de son mouvement. Mais il en serait ainsi, dans l’hypothèse du mouvement instantané, qu’il faut donc refuser au corps glorieux.

Conclusion :

Ce problème a reçu diverses solutions. Certains prétendent que, semblable à la volonté, le corps glorieux passe d’un lieu à un autre sans franchir le milieu qui les sépare ; son mouvement est donc instantané comme celui de la volonté. - C’est impossible. Le corps glorieux sera toujours un corps, sans jamais acquérir une nature purement spirituelle. De plus, c’est métaphoriquement que la volonté est dite se transporter d’un lieu à un autre, puisqu’elle n’y est pas contenue par elle-même ; cela signifie simplement que son intention se porte vers un lieu après s’être portée vers un autre.

D’autres admettent bien que le corps glorieux, parce qu’il est corps, doit franchir le milieu et se mouvoir dans le temps mais, ajoutent-ils parce qu’il est glorieux, il peut s’en dispenser et se transporter instantanément - Cette opinion ne saurait être admise, parce qu’elle implique contradiction. Supposons un corps qui se meut de A à B. Quand il est tout entier en A, le mouvement n’est pas commencé ; tout entier en B, le mouvement est terminé. Quand il se meut, puisqu’il faut bien qu’il soit quelque part, il est ou tout entier dans un lieu intermédiaire, ou partiellement dans ce lieu et l’un ou l’autre des deux extrêmes. A étant distant de B, ce corps ne peut être en partie dans A et en partie dans B, sans être dans le milieu, ce qui détruirait la continuité entre les deux parties de lui-même.

Il faut donc, s’il se meut entre A et B distants l’un de l’autre, qu’il soit successivement dans tous les lieux qui séparent A de B Autrement, il faudrait admettre qu’il est passé de A à B sans se mouvoir, ce qui implique contradiction, puisque le mouvement local, c’est précisément le passage par tous les lieux qui séparent deux termes. Telle est la loi pour tout mouvement entre deux termes positifs. Il en va autrement, si l’un des termes est une simple privation, parce que, entre une affirmation et une négation, il n’y a pas de distance déterminée, mais celle-ci peut être plus ou moins grande selon ce qui prépare ou cause le changement ; c’est pourquoi, même en ce cas, une action exercée précède le mouvement réalisé. Quant au mouvement des anges, il est étranger à la question, car ce n’est pas de la même manière qu’un ange et un corps sont dits être dans un lieu. En définitive, il faut conclure qu’il est absolument impossible qu’un corps se transporte d’un lieu dans un autre sans passet par tous les intermédiaires.

Cette conclusion est admise par d’autres qui n’en maintiennent pas moins le mouvement instantané du corps glorieux. Ils voient bien la difficulté, à savoir, que ce corps serait dans le même instant en plusieurs lieux, celui d’arrivée et tous les intermédiaires ; mais ils croient pouvoir greffer sur l’identité réelle de l’instant une distinction de raison, comme pour le même point qui termine des lignes. - Cette distinction est factice. L’instant est la mesure réelle, et non logique, de son contenu. Une distinction logique, ou de pure raison, ne peut donc en faire la commune mesure de plusieurs choses qui ne sont pas simultanées ; pas plus que, appliquée au point, elle ne peut y réduire des éléments éloignés les uns des autres.

La plus probable, c’est donc que le corps glorieux se meut dans le temps, mais un temps que sa brièveté rend imperceptible. Et cependant, un corps glorieux peut mettre moins de temps qu’un autre à franchir le même espace, car le temps, si minime qu’on le suppose, est divisible à l’infini.

Solutions :

1. "Quand il manque un rien, c’est comme si rien ne manquait", dit Aristote. Nous disons "Je le fais tout de suite", de ce que nous faisons avec un délai minime. C’est ce sens qu’il faut donner au texte de saint Augustin.

2. Cette assertion d’Aristote a été contredite. On a dit que la vitesse n’est pas proportionnée seulement à la résistance rencontrée, mais encore à l’espace parcouru. Le mouvement est plus ou moins rapide selon la force exercée par le moteur sur le mobile, même s’il n’y a pas d’autre résistance. Le mouvement d’un corps dans le vide ne serait donc pas instantané, mais, par suite de non-résistance extérieure, aucun temps ne s’additionnerait avec celui qui serait nécessaire au mobile, proportionnellement à sa force motrice. - Averroès critique et rejette cette idée, ou plutôt cette imagination, d’une addition quantitative et propose une autre explication. Il faut mettre ensemble toutes les résistances qui peuvent se rencontrer, qu’elles viennent du mobile lui-même ou de l’extérieur la lenteur sera d’autant plus grande que la force motrice sera moins capable de les vaincre. Le mobile résiste toujours à son moteur, puisque mouvoir et être mû, agir et pâtir, sont contraires. La résistance peut venir du mobile lui-même, s’il est prédisposé à un mouvement contraire à celui qu’on lui impose, ou du moins s’il occupe un lieu contraire à celui vers lequel on l’achemine. Elle peut venir aussi d’ailleurs, c’est-à-dire, du milieu, comme dans le mouvement naturel des corps pesants. Enfin, elle peut venir à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, comme dans les mouvements des animaux. Quand la résistance vient du seul mobile, comme dans les corps célestes, le mouvement a lieu dans le temps et dépend de la proportion entre la force motrice et le corps mû ce cas n’est pas visé par la proposition d’Aristote, puisque, même en l’absence de tout milieu, leur mouvement n’est pas instantané. Quand la résistance vient du seul milieu, c’est sur elle seule aussi que se mesure le temps : si le milieu est supprimé, tout obstacle le sera donc aussi et le mouvement sera instantané. Quand elle vient à la fois du mobile et du milieu, c’est aussi une double résistance qui influe sur le mouvement et le temps. - L’application de ces principes au corps glorieux est évidente. Ce corps n’éprouve aucune résistance de la part du milieu, puisqu’il peut occuper le même lieu qu’un autre corps et le traverser sans effort ; mais lui-même, du fait qu’il est un corps et doit toujours occuper un certain lieu, oppose par lui-même une résistance à la force qui le meut ; il est donc impossible que son mouvement soit instantané.

3. Quoique l’énergie de l’âme glorifiée soit incomparablement supérieure à celle de l’âme non glorifiée, elle n’est cependant pas infinie et rie saurait donc causer un mouvement instantané. Elle ne le pourrait pas non plus, alors même que son énergie serait infinie, à moins de supprimer radicalement toute résistance opposée par le mobile. Celle qui vient de l’inclination à un mouvement contraire pourrait être totalement vaincue par un moteur d’une énergie infinie ; mais celle qui vient de l’espace ne saurait l’être qu’à la condition de soustraire le mobile corporel à la nécessité d’occuper un lieu et une position déterminés. En effet, de même que le blanc résiste au noir, et d’autant plus qu’il en est plus éloigné, de même, le corps résiste à un lieu du fait qu’il occupe un lieu opposé, et sa résistance est en proportion de la distance. Or, il est impossible de soustraire un corps à la nécessité d’occuper un lieu ou une position déterminés, à moins de lui enlever sa nature corporelle dont elle est la conséquence. Donc, aussi longtemps qu’il garde cette nature, son mouvement ne peut pas être instantané, quelle que soit l’énergie de son moteur ; conclusion qui s’applique au corps glorieux, puisqu’il ne cessera jamais d’être un corps.

4. Saint Augustin parle d’une "égale célérité", parce que la différence sera imperceptible, comme le temps même nécessaire à ce mouvement.

5. Après la résurrection, il n’y aura plus le temps qui est le nombre du mouvement sidéral ; mais il y aura toujours celui qui est le nombre de la succession essentielle à tout mouvement.

 

QUESTION 85 — LA CLARTÉ DU CORPS DES ÉLUS

Il s’agit maintenant de la clarté du corps des élus après la résurrection

On demande 1. Sera-t-elle une prérogative du corps des élus ? - 2. Pourra-t-elle être vue par un œil non glorifié ? - 3. Ou, au contraire, le sera-t-elle nécessairement ?

 

Article 1 — La clarté est-elle une prérogative du corps glorieux ?

Objections :

1. "Tout corps lumineux est composé de parties transparentes", dit Avicenne.

Or, beaucoup de parties du corps glorieux, la chair, les os, etc., ne sont pas transparentes, ni, par conséquent, lumineuses.

2. Un corps lumineux fait écran un astre en éclipse un autre ; la flamme empêche de voir ce qui est derrière elle. Or, saint Grégoire dit que, "au ciel, l’épaisseur corporelle ne fera pas obstacle aux regards des élus ils pourront voir de leurs yeux la merveilleuse harmonie intérieure du corps humain".

3. Selon Aristote, "la lumière est dans le diaphane indéterminé, tandis que la couleur est à la limite des corps". Or, "la beauté, dont la proportion et le coloris sont les éléments", dit saint Augustin, ne saurait faire défaut au corps glorieux, qui ne peut donc pas être lumineux.

4. La clarté devrait être égale dans toutes les parties du corps glorieux, de même que toutes sont également impassibles, subtiles et agiles. Mais il semble bien que, au contraire, certaines devraient être plus éclatantes que d’autres : les yeux plus que les mains, les humeurs plus que la chair et les tendons.

Cependant :

1. "Les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père." - "Ils brilleront, et, semblables à des étincelle etc."

2. Le corps des élus, "semé dans l’ignominie, ressuscitera glorieux", dit saint Paul ; ce qui signifie la clarté, puisqu’il vient de parler de celle des étoiles.

Conclusion :

Il faut attribuer cette prérogative au corps des élus, puisque l’Ecriture l’affirme, ainsi que nous venons de le dire. Certains veulent y voir un effet de la quintessence ; mais nous avons, à mainte reprise, dénoncé l’absurdité de cette opinion. Il vaut donc mieux dire que la clarté aura pour cause le rejaillissement de la gloire de l’âme sur le corps. Ce qu’un être reçoit, il le reçoit selon sa nature à lui, et non pas selon la nature de l’être qui le lui communique. La clarté, spirituelle dans l’âme, sera donc corporelle dans le corps, et, en lui comme en elle, proportionnée au mérite. La clarté du corps manifestera donc la gloire de l’âme, comme un vase de cristal reflète la couleur de l’objet qu’il renferme, dit saint Grégoire.

Solutions :

1. Avicenne parle du corps dont la clarté dépend des éléments dont il est formé. Celle du corps glorieux dépend du mérite et de la vertu.

2. Saint Grégoire, commentant Job, compare le corps glorieux à l’or, à cause de son éclat, et au cristal, à cause de sa transparence. Il semble donc bien qu’il aura ces deux qualités à la fois. C’est la densité des éléments qui fait que leur éclat s’oppose à la transparence. Mais la clarté du corps glorieux n’aura pas sa cause en lui-même. Il pourra donc, comme le cristal, posséder tout ensemble densité et transparence. Certains veulent qu’il y ait ici une simple comparaison le corps glorieux laisse voir la gloire de l’âme, comme un vase de cristal laisse voir l’objet qu’il renferme. Mais la première explication convient mieux à la dignité du corps glorieux, et elle est plus conforme à ce que dit saint Grégoire.

3. La gloire du corps ne détruira pas sa nature, mais la perfectionnera. La couleur qui lui est naturelle demeurera donc, mais la gloire de l’âme y ajoutera un nouvel éclat ; de même qu’on voit ici-bas la splendeur du soleil, ou toute autre cause interne ou externe, faire briller davantage les objets naturellement colorés.

4. La gloire de l’âme rejaillira sur chaque partie du corps de la manière convenable à celle-ci. Il est donc raisonnable d’admettre que chacune aura une clarté plus ou moins grande selon ses prédispositions naturelles. Il n’en va pas de même pour les autres prérogatives, car les différentes parties du corps s’y prêtent également.

 

Article 2 — La clarté du corps glorieux peut-elle être vue par un œil non glorifié ?

Objections :

1. Il faut une proportion entre le sens de la vue et son objet. Or, il n’y en a pas entre l’œil humain non glorifié et la clarté de la gloire qui est d’une autre espèce que celle de la nature.

2. Le corps glorieux sera plus brillant que le soleil, qui brillera lui-même encore davantage qu’aujourd’hui. Or, l’œil humain n’est pas capable de contempler le soleil dans tout son éclat.

3. Un objet visible, placé devant un œil sain, est nécessairement vu par lui. Or, les disciples virent le corps du Sauveur ressuscité sans en voir la clarté. C’est donc que la clarté du corps glorieux n’est pas visible pour l’œil humain.

Cependant :

1. Le Sauveur transformera notre corps misérable "en le rendant semblable à son corps glorieux", dit saint Paul ; et la Glose ajoute "Nous aurons une clarté semblable à celle qu’il eut lui-même lors de sa transfiguration", clarté que ses disciples purent voir de leurs yeux.

2. Au Jugement, les impies seront torturés en voyant la gloire des justes, dont la clarté est un élément.

Conclusion :

Certains ont nié la possibilité de cette vision à moins d’un miracle. Mais, pour admettre cette opinion, il faudrait, quand on parle du corps glorieux, donner au mot clarté un sens tout différent de celui auquel nous sommes habitués. En effet, la lumière est, par elle-même, de nature à impressionner la vue, comme la vue est, par elle-même, de nature à percevoir la lumière ; les mêmes rapports existent aussi entre le vrai et l’intelligence, le bien et la volonté. Pour dire que la vue est absolument incapable de percevoir la lumière, il faudrait donc prendre le mot vue ou le mot lumière dans un sens tout nouveau. Il ne saurait en être ainsi quant à la question présente ; car alors, nous dire que la clarté est une prérogative du corps glorieux ne nous apprendrait rien, pas plus que si l’on disait qu’il y a un chien dans le ciel, (en désignant la constellation ainsi nommée), à quelqu’un qui ne connaîtrait que le chien animal. Il faut donc conclure que la clarté du corps glorieux peut être vue par un œil non glorifié.

Solutions :

1. La clarté de la gloire a une autre cause que celle de la nature, mais elle n’est pas d’une autre espèce, ni donc sans pro portion avec la vue.

2. Le corps glorieux ne peut agir ou pâtir que sous l’influence de l’âme. Une clarté intense qui émane de l’âme n’offense pas la vue, mais la délecte ; au contraire, celle qui provient d’une cause naturelle brûle et désagrège l’organe visuel. Ainsi, la clarté du corps glorieux, quoiqu’elle dépasse celle du soleil, n’est donc pas de nature à blesser le regard, mais plutôt à le réjouir. C’est pourquoi l’Apocalypse la compare à l’éclat du jaspe.

3. C’est la volonté qui a mérité la clarté du corps. Celle-ci lui sera donc soumise, visible ou invisible à son gré : le corps glorieux pourra donc ou manifester ou dissimuler son éclat. Telle est l’opinion du Prévôtin.

 

Article 3 — Le corps glorieux est-il nécessairement vu par un œil non glorifié ?

Objections :

1. Le corps glorieux sera lumineux. Or, il est de la nature de la lumière d’être vue et de faire voir.

2. Un corps qui empêche de voir ce qui est derrière lui est vu nécessairement et par le fait même. Or, il en est ainsi du corps glorieux, puisqu’il est coloré.

3. Comme la quantité, la visibilité est inhérente au corps. Donc celle-ci, pas plus que celle-là, ne dépend de la volonté.

Cependant :

1. Le corps des élus ressemblera à celui du Christ ressuscité, qui n’était pas nécessairement vu, puisque tout d’un coup les disciples d’Emmaüs ne le virent plus.

2. Le corps glorieux obéira parfaitement à l’âme il sera donc visible ou invisible au gré de celle-ci.

Conclusion :

Un objet visible est vu par l’action qu’il exerce sur la vue. Mais cette action sur quelque chose d’extérieur à lui ne le change pas lui-même. Donc, sans perdre aucun des éléments de sa perfection, le corps glorieux peut être vu ou ne l’être pas. Donc, l’âme glorifiée a le pouvoir de rendre son corps visible ou invisible cette action, comme les autres, dépend d’elle. Autrement, le corps glorieux ne serait pas, vis-à-vis d’elle, l’instrument tout-à-fait obéissant qu’il doit être.

Solutions :

1. Le corps glorieux sera maître de manifester ou dissimuler sa clarté.

2. La couleur d’un corps n’empêche sa transparence que si elle agit sur la vue, qui peut difficilement être impressionnée par deux couleurs à la fois de façon à voir parfaitement l’une et l’autre. Mais la couleur du corps glorieux agira ou n’agira pas sur la vue, au gré de l’âme, et pourra donc de même être opaque ou transparente.

3. La quantité est inhérente au corps glorieux, de telle sorte qu’elle ne puisse varier au gré de l’âme, sans un changement intrinsèque qui serait en contradiction avec l’impassibilité de ce corps. Il n’en va pas de même pour la visibilité. Sans doute, il ne dépend pas de l’âme que la qualité, qui en est le principe, soit ou ne soit pas ; mais l’action de cette qualité, et donc le fait d’être visible ou de ne l’être pas, dépend de l’âme.

 

QUESTION 86 — L’ÉTAT CORPOREL DES DAMNÉS.

Il s’agit maintenant de l’état corporel des damnés.

On demande : 1. Ressusciteront-ils avec leurs difformités corporelles ? - 2. Leur corps sera-t-il corruptible ? - 3. Sera-t-il impassible ?

 

Article 1 — Les damnés ressusciteront-ils avec leurs difformités corporelles ?

Objections :

1. La peine du péché ne peut cesser qu’avec sa rémission. Or, la mutilation est parfois un châtiment du péché, et on pourrait en dire autant de toutes les difformités corporelles. La résurrection ne les fera donc pas disparaître du corps des damnés, dont les péchés ne seront jamais remis.

2. De même que les élus auront tout ce qui peut rendre leur félicité parfaite ; de même les damnés devront avoir tout ce qui peut porter leur malheur à son comble.

3. La résurrection ne remédiera pas au défaut d’agilité chez les damnés ; donc, pas davantage, à leurs difformités.

Cependant :

1. "Les morts ressusciteront incorruptibles", dit saint Paul ; et la Glose ajoute "tous les morts sans distinction, même les pécheurs, ressusciteront avec leurs membres au complet".

2. La maladie émousse parfois la sensibilité et la douleur ; de même la perte d’un membre ne lui permet plus de souffrir. Mais rien ne doit empêcher les damnés de souffrir dans leur corps tout entier.

Conclusion :

On peut distinguer deux espèces de difformités corporelles. L’une résulte de l’absence d’un membre, d’une mutilation, qui détruit l’harmonie et la beauté du corps. Tout le monde affirme que le corps des damnés ne sera pas difforme de cette manière, puisque le corps humain, chez les méchants comme chez les bons, doit ressusciter tout entier. - L’autre résulte d’un désordre, ayant pour objet la quantité, la qualité, la disposition des membres et, en tout cas, nuisible à l’équilibre et à l’harmonie du corps tout entier. Sur cette espèce de difformités, comme les infirmités, fièvres, maladies, etc., qui en sont parfois la cause, saint Augustin n’a pas voulu se prononcer.

Certains ont été plus hardis et ont déclaré que les damnés ressusciteront avec elles, pour que rien ne manque au malheur suprême qu’ils ont mérité. - Cette opinion ne semble pas raison nable. La réparation du corps humain vise sa perfection naturelle plus encore que son état antérieur ; c’est pourquoi les enfants ressusciteront à l’âge de la pleine jeunesse. Dès lors, tout défaut corporel et toute difformité conséquente devraient disparaître à la résurrection, à moins, prétend-on, que le péché ne s’y oppose et en impose la réviviscence comme un châtiment. Mais "la peine doit correspondre à la faute" ; et il pourrait donc arriver qu’un pécheur moins coupable souffrît de ces infirmités dont un autre plus coupable serait exempt : dès lors la mesure de son châtiment serait disproportionnée à celle de sa faute, et il semblerait plutôt qu’il fût puni pour des peines qu’il a déjà endurées en cette vie, ce qui est absurde.

Il est donc plus raisonnable de dire que le Créateur de la nature humaine la refera dans son intégrité. C’est-à-dire : tous les défauts et difformités corporels, fièvre, mal d’yeux, etc., ayant pour principe une corruption ou une débilité de la nature ou des principes naturels, seront éliminés par la résurrection ; au contraire, les imperfections inhérentes au corps humain de par sa nature même, pesanteur, passibilité, etc., dont l’état de gloire délivrera le corps des élus, se retrouveront dans le corps des damnés.

Solutions :

1. Un tribunal ne peut infliger une peine que dans les limites de sa juridiction ; c’est pourquoi les peines infligées au péché en cette vie sont temporelles comme elle et finissent avec elle. Ainsi donc, quoique le péché des damnés ne soit pas remis, il ne s’ensuit point qu’ils doivent subir les mêmes peines qu’ici-bas ; la justice divine leur en réserve d’autres, plus truelles et éternelles.

2. Il n’y a point parité entre les bons et les méchants ; car, quelque chose peut être absolument bon, mais rien ne peut être absolument mauvais. Le bonheur des élus exige l’absence de tout mal ; mais le malheur des damnés se saurait exiger celle de tout bien, car "le mal, s’il n’était que mal, se détruirait lui-même", comme le dit Aristote. Le malheur des damnés exige donc la présence d’un certain bien naturel, à savoir, la nature humaine, œuvre du Créateur parfait, qui la leur rendra dans toute sa perfection spécifique.

3. L’absence d’agilité est une imperfection naturelle au corps humain ; il n’en est pas ainsi d’une difformité.

 

Article 2 — Le corps des damnés sera-1-il incorruptible ?

Objections :

1. C’est impossible, puisqu’il sera composé d’éléments contraires, comme aujourd’hui ; autrement, il ne serait plus le même, ni comme espèce, ni comme individu.

2. Son incorruptibilité viendrait ou de la nature, ou de la grâce et de, la gloire. Mais la première sera en eux la même qu’aujourd’hui, et les deux autres leur feront défaut.

3. Il ne semble pas raisonnable de soustraire ceux qui ont mérité le malheur suprême à la mort, qui est le plus grand des châtiments.

Cependant :

1. Il est dit dans l’Apocalypse "En ces jours-là, les hommes chercheront la mort et ils ne la trouveront pas ; ils souhaiteront la mort, et la mort fuira loin d’eux."

2. Et dans saint Matthieu "Ceux-ci iront au supplice éternel" ; ce qui suppose l’incorruptibilité corporelle de ceux qui y sont condamnés.

Conclusion :

Comme tout mouvement exige une cause, un mouvement ou changement peut être supprimé si la cause fait défaut ou si quel que chose met obstacle à son action. Or, la corruption est une espèce de changement, et peut donc aussi être empêchée des deux manières qui viennent d’être dites. 1° En supprimant totalement sa cause ; c’est ainsi que le corps des damnés sera incorruptible. En effet, le mouvement du ciel est la cause principale des altérations, et toutes les autres causes en dé pendent ; lorsqu’il aura cessé, après la résurrection, le corps humain ne subira donc plus aucune influence capable de l’altérer et finalement de le corrompre. Cette incorruptibilité corporelle des damnés servira la justice divine qui exige qu’ils vivent toujours pour être punis toujours, de même que la corruptibilité des êtres corporels en ce monde sert la Providence divine qui les renouvelle ainsi en les remplaçant les uns par les autres. - 2° En mettant obstacle à son action. C’est ainsi que le corps d’Adam était incorruptible : la grâce d’innocence empêchait en lui la lutte des éléments contraires et la dissolution qui en aurait été la conséquence. C’est ainsi que le sera, et mieux encore, le corps des élus, pleinement soumis à leur âme, et dans lequel se trouveront donc à la fois les deux modes d’incorruptibilité.

Solutions :

1. Les éléments contraires dont sont formés les corps agissent sous l’influence du mouvement du ciel, et la corruption s’ensuit nécessairement, à moins qu’une énergie plus puissante n’y mette obstacle. Sans cette influence, ils ne sont plus des causes suffisantes de corruption, même dans l’ordre naturel. Les anciens philosophes ignoraient que le mouvement du ciel dût s’arrêter un jour ; la corruption des corps composés d’éléments contraires était donc pour eux un principe universel et nécessaire.

2. Cette incorruptibilité sera naturelle, non par la présence d’un principe interne d’incorruption, mais par l’absence du premier principe externe de toute corruption.

3. La mort, en elle-même, est le plus grand des maux ; mais, à un certain point de vue, elle peut être un remède aux maux que l’on souffre et que l’immortalité ne peut qu’aggraver. "Vivre, dit Aristote, paraît agréable à tous, parce que tout être désire être ; mais à condition de l’entendre d’une vie qui ne soit ni mauvaise, ni diminuée, ni douloureuse." De même donc que la vie en elle même, quand elle est exempte de souffrance, est un bien, de même, la mort, qui prive de la vie, est, par elle-même, un mal et le plus grand des maux, parce qu’elle enlève le bien premier, qui est l’être, et avec lui, tous les autres ; mais, quand elle met un terme à une vie misérable et tourmentée, elle est un remède aux maux que l’on endure et qui finissent avec elle. C’est ainsi que l’immortalité met le comble aux maux, puisqu’ils ne finiront jamais. Si l’on regarde la mort comme une peine à cause de la douleur que ressentent les mourants, il n’est pas douteux que les damnés éprouveront sans répit des douleurs bien plus cruelles encore ; ce sera donc, pour eux, comme une mort de tous les instants : "La mort les dévorera comme une proie", selon l’expression du Psalmiste.

 

Article 3 — Le corps des damnés sera-t-il impassible ?

Objections :

1. "Toute passion (modification) qui s’accentue tend à détruire la nature", dit Aristote. De plus, "une destruction partielle, mais continue, d’un être fini, aboutit à sa totale corruption". Or, on vient de prouver que le corps des damnés est incorruptible ; il doit donc aussi être impassible.

2. Même conclusion tirée de la loi d’après laquelle l’agent tend à s’assimiler le patient : si le feu fait pâtir le corps des damnés, il finira par le consumer.

3. Les animaux que l’on dit capables de vivre dans le feu, comme la salamandre, n’en souffrent pas, puisque leur corps n’en subit aucune atteinte. Pour que le corps des damnés demeure incorruptible dans le feu de l’enfer, il faut donc qu’il n’en souffre pas, qu’il soit impassible.

4. Si le corps des damnés était passible, leurs souffrances surpasseraient toutes celles d’ici-bas, de même que la félicité des élus est incomparable. Mais nous voyons l’intensité de la douleur causer parfois la mort. A plus forte raison, le corps des damnés ne peut pas être à la fois passible et incorruptible.

Cependant :

1. A ces paroles de saint Paul "Nous serons transformés", la Glose ajoute "Nous seuls, les bons, serons transformés par la gloire et deviendrons immuables et impassibles".

2. Le corps est l’auxiliaire de l’âme pour le mal comme pour le bien. Or, le corps partagera la récompense de l’âme ; il doit donc partager aussi son châtiment, et, pour cela, être passible.

Conclusion :

L’impassibilité dont il s’agit aura pour cause principale la justice de Dieu qui veut infliger aux damnés des peines éternelles, non sans adapter à cette fin les lois qui régissent l’action et la passion. En effet, pâtir signifie une modification éprouvée par le patient : ce qui peut avoir lieu de deux manières. Le patient peut recevoir de l’agent une forme, selon l’être matériel de celle-ci : telle, la chaleur que l’air reçoit du feu ; on appelle cette manière passion naturelle. Il peut la recevoir immatériellement, selon son être intentionnel : telle, une couleur, la blancheur, par exemple, reçue dans l’air et dans l’œil ; c’est de cette manière que l’âme reçoit les similitudes des réalités, aussi l’appelle-t-on passion de l’âme. - Après la résurrection et l’arrêt du mouvement du ciel, il n’y aura plus d’altération ni donc de passion naturelle, et, en ce sens, le corps des damnés sera impassible aussi bien qu’incorruptible. Mais l’autre mode de passion demeurera : l’air sera illuminé par le soleil, et, par lui, la vue recevra l’impression des objets colorés. Le corps des damnés sera passible de cette manière : leur sensibilité s’exercera, donc ressentira la souffrance, sans pourtant que l’état naturel de leur corps soit modifié. Quant au corps des élus, quoiqu’il soit passif, en un certain sens, puisque leur sensibilité s’exercera, on ne doit cependant pas le dire passible, parce que jamais leur sensibilité n’aura pour objet quelque chose qui puisse les affliger ou les faire souffrir.

Solutions :

1. Aristote parle ici de la passion qui modifie l’état naturel du patient ; le corps des damnés en sera indemne.

2. Le patient peut ressembler à l’agent ou parce que la même forme est de la même manière dans tous les deux, comme c’est la loi pour tous les agents univoques : le feu allume du feu, la chaleur cause de la chaleur ; ou parce que la même forme est dans tous les deux, quoique d’une manière différente, comme c’est la loi pour tous les agents équivoques : la forme peut être spirituelle dans l’agent et matérielle dans le patient, par exemple, l’idée d’une maison et cette maison elle-même, ou, au contraire, matérielle dans l’agent et immatérielle dans le patient, par exemple, la couleur d’un mur et cette même couleur dans l’air qui la transmet et l’œil qui la reçoit. Ainsi en sera-t-il du feu et du corps des damnés : ce qui est forme matérielle dans celui-là deviendra forme immatérielle dans celui-ci, qui sera donc assimilé sans cependant être consumé.

3 Aristote n’admet pas qu’un animal puisse vivre dans le feu. De son côté, Galien nie qu’aucun corps puisse résister au feu, quoique certains, l’ébène, par exemple, soient plus lents à subir son action. Ce que l’on allègue de la salamandre manque donc de justesse, car le feu finirait par la consumer, ce qui n’arrivera pas au corps des damnés. Il ne faudrait pas en conclure que ceux-ci ne souffrent pas ; car, outre l’action naturelle, qui s’exerce sur l’organisme en bien ou en mal, il y a l’action immatérielle. Celle-ci met la sensibilité en rapport avec un objet sensible qui l’affecte agréablement ou douloureusement, selon qu’il lui est proportionné ou disproportionné, par exemple, des couleurs ou des voix, harmonieuses ou criardes.

4. La douleur ne sépare pas l’âme du corps, tant qu’elle reste dans la puissance de l’âme qui en est le sujet, mais seulement lorsqu’elle se communique au corps pour le modifier, comme nous voyons la colère l’échauffer ou la peur le glacer. Mais, après la résurrection, le corps ne sera plus soumis à des modifications de ce genre ; et ainsi, quelque grande que soit la douleur, jamais elle ne séparera l’âme de son corps.

 

LE MONDE DES RESSUSCITÉS

 

QUESTION 87 — LA CONNAISSANCE QUE LES RESSUSCITÉS AURONT, AU JOUR DU JUGEMENT, DE LEURS MÉRITES ET DE LEURS DÉMÉRITES.

Nous nous proposons d’étudier maintenant ce qui suit la résurrection. Nous considérerons :

1. La connaissance qu’auront les ressuscités, au jugement dernier, de leurs mérites et de leurs démérites. - 2. Le jugement général, le temps et le lieu de sa réalisation. - 3. Les juges et ceux qui seront jugés. - 4. Sous quelle forme le juge viendra juger. - 5. L’état du monde et des ressuscités après le jugement.

Au sujet du premier point, trois questions se posent 1. Chaque homme connaîtra-t-il, au jugement, tous ses péchés ? - 2. Chacun pourra-t-il lire dans la conscience d’autrui tout ce qu’elle renferme ? - 3. Chacun pourra- t-il voir d’un seul regard tous les mérites et démérites ?

 

Article 1 — Chaque homme connaîtra-t-il, après la résurrection, les péchés qu’il a commis ?

Objections :

1. Il semble qu’après la résurrection chacun ne connaîtra pas tous les péchés qu’il a commis. Car tout ce que nous connaissons, ou bien est appréhendé nouvellement par un sens, ou bien provient du trésor de la mémoire. Mais les hommes, après la résurrection, ne pourront plus percevoir sensiblement leurs péchés, puisque ceux-ci seront du passé, alors que le sens ne saisit que le présent. D’autre part, beaucoup de péchés auront disparu de la mémoire du pécheur. Le ressuscité n’aura donc pas la connaissance de tous ses péchés.

2. Il est dit dans les Sentences : "Il y a des livres de la conscience dans lesquels on lit les mérites de chacun." Mais on ne peut lire une chose dans un livre que si elle y est inscrite. Or il y a des inscriptions de péchés dans la conscience qui semblent consister seulement dans une culpabilité ou une tache, comme cela ressort d’un texte d’Origène sur ce passage de l’Epître aux Romains : "Le témoignage étant rendu..." Puisque la tache et la culpabilité de beaucoup de péchés auront été effacées par la grâce, il ne semble pas que quelqu’un puisse lire dans sa conscience tous les péchés qu’il a accomplis.

3. "L’effet croît avec sa cause." La cause de la douleur des péchés dont le souvenir nous revient, c’est la charité. Puisque les saints qui ressuscitent possèdent une charité parfaite, ils devraient avoir une très vive douleur de leurs péchés, s’ils s’en souvenaient or cela ne peut être, puisqu’ils ne connaîtront plus ni douleur ni gémissement. Ils ne retrouveront donc plus le souvenir de leurs propres péchés.

4. Les ressuscités bienheureux se comporteront à l’égard des péchés commis autrefois comme les ressuscités damnés à l’égard du bien qu’ils auront fait. Or les ressuscités damnés ne semblent pas devoir connaître le bien qu’ils ont accompli autrefois, car cela allégerait beaucoup leur peine. Donc les bienheureux ne connaîtront pas non plus les péchés qu’ils auront commis.

Cependant :

Saint Augustin dit que "une force divine interviendra, qui rappellera à la mémoire tous les péchés."

En outre, de même que le jugement humain s’appuie sur le témoignage extérieur, de même le jugement divin porte sur le témoignage de la conscience, selon ce verset des Rois "L’homme voit les choses qui paraissent au dehors, tandis que Dieu voit l’intérieur du cœur." Mais on ne peut porter un jugement parfait sur quelqu’un que si les témoins ont déposé au sujet de tous les faits qui doivent être jugés. Dès lors, puisque le jugement divin est absolument parfait, il faut que la conscience garde toutes les choses sur lesquelles il doit porter. Ce jugement doit s’étendre à toutes les œuvres, bonnes et mauvaises, s. Paul déclare : "Nous devons tous apparaître devant le tribunal du Christ, afin que chacun apporte toutes ses actions de la vie corporelle, bonnes ou mauvaises." Il est donc indispensable que la conscience de chacun garde toutes les œuvres qu’il a accomplies, bonnes ou mauvaises.

Conclusion :

Saint Paul dit "Au jour du jugement du Seigneur, la conscience de chacun lui rendra témoignage : ses pensées l’accuseront et le défendront." En outre, en tout jugement, il faut que le témoin, l’accusateur et le défenseur connaissent les faits au sujet desquels on juge donc, dans ce jugement commun où seront appréciées toutes les œuvres des hommes, il est indispensable que chacun connaisse toutes ses œuvres. La conscience de chacun sera donc comme un livre conte nant tous ses actes, desquels résultera le jugement, de même que dans les jugements humains nous nous servons de registres.

Tels sont les livres dont parle l’Apocalypse "Les livres furent ouverts, ainsi qu’un autre livre, le Livre de Vie : et les morts furent jugés selon ce qui était écrit dans les livres, conformément à leurs actes. Saint Augustin affirme que par les livres ainsi ouverts "on désigne les livres saints du Nouveau et de l’Ancien Testament, dans lesquels Dieu expose les préceptes qu’il a ordonné d’accomplir s. Richard de Saint -Victor dit "Leurs cœurs seront comme des décrets canoniques." Le Livre de Vie est, par contre, la conscience de chacun, livre unique puisque la force divine fait que les actions de chacun sont rappelées à sa mémoire. Cette force divine est appelée le Livre de Vie, On pourrait dire aussi que les premiers livres dont parle l’Apocalypse sont les consciences, tandis que le second serait la sentence du juge décrétée en sa sagesse.

Solutions :

1. Bien que les mérites et démérites s’échappent de la mémoire, cependant tous demeurent de quelque manière en leurs suites les mérites non détruits demeurent dans la récompense qui leur est donnée ; les mérites perdus demeurent comme une faute d’ingratitude, qui vient de ce que l’homme a péché malgré la grâce reçue ; les démérites non effacés par la pénitence demeurent dans l’obligation de la peine qui leur est due ; les fautes effacées par la pénitence demeurent dans le souvenir de cette pénitence, qui subsiste ainsi que celui des autres mérites. Il y a donc en tout homme quelque chose qui peut rappeler à sa mémoire toutes ses œuvres. Pourtant, comme dit saint Augustin, c’est surtout par l’action de Dieu que cette évocation s’accomplira.

2. Quelques souvenirs demeurent inscrits dans la conscience de chacun au sujet des actions accomplies. Il n’importe pas que ces souvenirs soient seulement ceux des actions coupables, comme nous l’avons dit plus haut.

3. Bien que la charité soit ici-bas une cause de regret du péché, cependant les saints dans la patrie seront tellement pénétrés de joie que la douleur n’aura plus de place en eux. C’est pourquoi ils ne souffriront plus de leurs péchés, mais se réjouiront plutôt de la miséricorde divine qui les a pardonnés. De même que les anges actuellement se réjouissent de la justice divine, qui fait que ceux dont ils ont la garde et qui ont repoussé la grâce, tombent dans le péché, alors que pourtant les anges veillent avec sollicitude sur leur salut.

4. Les méchants connaîtront tout le bien qu’ils ont fait ; mais loin d’atténuer leur douleur, cela l’augmentera plutôt, car on souffre d’autant plus qu’on a perdu plus de biens. Boèce dit que "la pire des infortunes est d’avoir été heureux".

 

Article 2 — Chacun pourra-t-il lire dans la conscience d’autrui tout ce qu’elle renferme ?

Objections :

1. Cela ne semble pas. La connaissance des ressuscités ne sera pas plus complète que celle des anges qu’il leur est promis d’égaler. Mais les anges ne peuvent pas découvrir dans l’esprit l’un de l’autre ce qui dépend du libre arbitre ils ne le connaissent que par une communication verbale entre eux. Les ressuscités ne pourront donc pas apercevoir ce qui est contenu dans la conscience des autres.

2. Tout ce qui est connu l’est en soi, ou en sa cause, ou en ses effets. Les mérites ou démérites contenus dans la conscience de quelqu’un ne peuvent être connus : ni en eux-mêmes, parce que Dieu seul pénètre les cœurs et aperçoit leurs secrets ; ni en leur cause, parce que tous ne verront pas Dieu qui seul peut agir sur le cœur, duquel procèdent les actes méritoires ou déméritoires ; ni dans leurs effets, parce qu’il y a beaucoup de fautes dont ne demeurera aucun effet, ceux-ci étant supprimés par la pénitence. Donc tout ce qui est contenu dans la conscience de quelqu’un ne pourra pas être connu par un autre.

3. Saint Jean Chrysostome dit : "Si maintenant tu te souviens de tes péchés et les rappelles souvent en face de Dieu et pries à cause d’eux, ils seront vite effacés. Mais si tu les oublies, alors tu t’en souviendras malgré toi quand ils seront rendus publics et révélés en présence de tous, amis, ennemis et saints anges. s Il en résulte que cette publication est le châtiment de la négligence par laquelle un homme omet de se confesser. C’est donc que les péchés confessés ne seront pas publiés.

4. C’est un réconfort pour un pécheur que de savoir qu’il a beaucoup de semblables dans son péché, et il en a moins de honte. Si donc chacun connaissait les péchés des autres, la honte de chaque pécheur en serait très diminuée, ce qui ne convient pas. Tous les hommes ne connaissent donc pas les péchés de tous les autres.

Cependant :

Au sujet de l’Épitre aux Corinthiens, la Glose dit "Les choses accomplies et les pensées bonnes et mauvaises seront alors révélées à tous et connues.

En outre, les péchés passés de tous les justes seront effacés également pour tous. Or nous connaîtrons les péchés de certains saints comme de Marie-Madeleine, de Pierre et de David. Nous devons donc connaître également les péchés des autres élus et plus encore des damnés.

Conclusion :

Au jugement dernier et universel, la justice divine doit apparaître à tous avec évidence, tandis que maintenant elle échappe à beaucoup. Or, la sentence qui condamne ou récompense ne peut apparaître juste que si elle est portée selon les mérites ou les fautes. Dès lors, de même que le juge et son assesseur doivent connaître les mérites de la personne jugée pour pouvoir prononcer une juste sentence, de même pour qu’une sentence se montre juste, il faut que les mérites de la personne jugée apparaissent à tous ceux qui connaissent la sentence. C’est pourquoi, puisque la récompense ou la condamnation est connue de chacun et aussi de tous les autres, il est nécessaire que celui qui est jugé ne retrouve pas seulement le souvenir de ses mérites et démérites, mais qu’il connaisse aussi ceux des autres.

Telle est l’opinion plus probable et plus commune. Pourtant le Maître des Sentences pense le contraire, c’est-à-dire que les péchés effacés par la pénitence n’apparaîtront pas aux autres hommes lors du jugement. Mais il en résulterait que les autres ne connaîtraient pas parfaitement la réparation accomplie pour ces péchés : et cela réduirait beaucoup la gloire des saints, et la louange de Dieu qui a si miséricordieusement libéré les saints.

Solutions :

1. Tous les mérites et démérites de la vie terrestre composent une certaine somme pour la gloire ou l’humiliation de l’homme qui ressuscite. C’est pourquoi, en apercevant les actes extérieurs, il sera possible de tout découvrir dans les consciences, surtout grâce l’action de la puissance divine, de telle sorte que la sentence du juge se révélera juste pour tous.

2. Les mérites ou démérites pourront être manifestés aux autres grâce à leurs effets, comme nous l’avons vu, ou aussi en eux-mêmes grâce à la puissance divine, bien que la puissance de l’intelligence créée n’y puisse parvenir.

3. La publication des péchés pour l’humiliation du pécheur est l’effet de la négligence commise par l’omission de leur confession. Mais la révélation des péchés des saints ne pourra pas être pour eux une source d’humiliation ou de honte : ce n’est pas pour Marie-Madeleine une source de confusion que de voir ses péchés racontés publiquement à l’église, car la honte est "la crainte de la diminution de sa renommée ", chose qui, comme dit saint Jean Damascène, est impossible pour les bien heureux. Cette publication augmentera la gloire des élus à cause de la pénitence qu’ils ont faite pour leurs péchés c’est ainsi que le confesseur approuve celui qui confesse avec courage les grands crimes qu’il a accomplis. On dit que les péchés sont effacés en ce sens que Dieu ne les regarde plus pour les punir.

4. Quand le pécheur considérera les péchés des autres, cela ne diminuera en rien sa confusion, mais l’accroîtra plutôt, car il aura encore plus de honte de ses péchés en voyant la honte que les autres en ont. Si ici-bas la vue des péchés des autres diminue notre honte, c’est parce que nous les considérons selon le jugement des autres, que l’habitude rend plus large. Dans l’au-delà au contraire nous aurons la confusion de voir le jugement porté par Dieu, pleinement vrai pour tout péché, de nous ou de beaucoup d’autres.

 

Article 3 — Chacun pourra-t-il voir d’un seul regard tous les mérites et démérites de lui-même et des autres ?

Objections :

1. Il semble que non. Les choses que l’on considère chacune en parti Culier ne peuvent être vues d’un seul regard. Or les damnés considéreront leurs péchés un à un et les pleureront : la Sagesse leur fait dire par exemple "A quoi nous a servi notre orgueil ?" Ils ne verront donc pas tous leurs péchés d’un seul regard.

2. Aristote dit "Il n’est pas possible de saisir par l’intelligence plusieurs choses en même temps." Or c’est par l’intelligence que nous connaîtrons les mérites et démérites, de nous-même et d’autrui. On ne pourra donc pas les connaître tous ensemble.

3. L’intelligence des damnés ne sera pas, après la résurrection, plus puissante que celle que possèdent maintenant les bienheureux et les anges, selon le mode naturel par lequel ils connaissent les choses par des espèces intelligibles innées. Mais dans cette connaissance, les anges ne voient pas plusieurs choses en même temps. Les damnés ne pourront donc pas, après la résurrection, voir en même temps toutes les actions passées.

Cependant :

À propos de ce texte de Job "Ils seront couverts de confusion", la Glose dit "En apercevant le juge, tous leurs péchés apparaîtront au regard de leur esprit". Or, ce juge, ils le verront en un instant. Ils verront donc de même tous les péchés qu’ils ont commis, ainsi que toutes les autres actions accomplies.

En outre, saint Augustin montre l’inconvénient qu’il y aurait à ce que, lors du jugement on doive lire un livre matériel dans lequel seraient inscrites les actions de chacun : nul ne pourrait concevoir la grandeur d’un pareil livre, ni le temps qu’il faudrait pour le lire. De même il serait impossible d’évaluer le temps requis pour qu’un homme considère tous ses mérites et démérites, ainsi que ceux des autres, s’il devait les voir successivement. On doit donc dire que chacun voit toutes ces choses en même temps.

Conclusion :

A ce sujet, nous nous trouvons en face de deux opinions certains disent que tous les mérites et démérites, personnels et d’autrui, seront vus par chacun en un seul instant. Pour les bienheureux, il est facile de l’admettre puisqu’ils verront tout dans le Verbe de cette manière, il n’y a pas de difficulté à ce que plusieurs choses soient vues en même temps. Par contre, cela est plus difficile pour les damnés, puisque leur intelligence n’est pas élevée au point de pouvoir voir Dieu, et toutes choses en Lui.

C’est pourquoi, d’autres disent que les méchants verront en même temps, d’une manière globale, tous leurs péchés et ceux des autres. Et cela suffit pour constituer l’accusation nécessaire pour la condamnation ou l’absolution. Mais ils ne verront pas tous ces péchés en même temps d’une manière individuelle. Pourtant cela ne semble pas conforme à la pensée de saint Augustin, qui dit que toutes les actions seront énumérées dans un seul regard de l’esprit : ce qui est connu globalement n’est pas énuméré.

On peut donc adopter une solution intermédiaire chacune des actions sera vue, non pas en un seul instant, mais en un temps fort bref, grâce à l’action divine. C’est ce que dit saint Augustin "Elles seront vues avec une étonnante rapidité." Cela n’est pas impossible, car dans le plus petit espace de temps, il y a une infinité d’instants possibles.

Cela résout les objections proposées.

 

QUESTION 88 — DU JUGEMENT GÉNÉRAL, DE SA DATE ET DE SON LIEU

Considérons le jugement général, en posant quatre questions 1. Doit-il avoir lieu ? - 2. Aura-t-il lieu oralement ? - 3. Sa date est-elle inconnue ? - 4. Aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat ?

 

Article 1 — Le jugement général aura-t-il lieu ?

Objections :

1. Il semble que non. Nahum déclare, selon la version des Septante : "Dieu ne jugera pas deux fois la même chose." Or, ici-bas, Dieu juge chacune des actions des hommes, et aussitôt après la mort il attribue selon ses mérites ; même en cette vie, il récompense ou punit certains hommes selon leurs œuvres bonnes ou mauvaises. Il semble donc qu’il ne doive plus y avoir d’autre jugement.

2. Aucun jugement n’est précédé de l’exécution de sa sentence. Or la sentence du jugement divin au sujet des hommes, c’est l’admission dans le royaume, ou l’exclusion, comme dit saint Matthieu. Donc, puisque dès maintenant il y a des hommes qui entrent dans le royaume éternel tandis que d’autres en sont exclus pour toujours, il ne semble pas qu’il y aura un autre jugement.

3. La raison d’être d’un jugement c’est le doute au sujet de ce qui doit y être décidé. Mais la sentence de damnation pour les pécheurs ou de béatitude pour les saints est fixée avant la fin du monde.

Cependant :

nous lisons en saint Matthieu"Les hommes de Ninive se dresseront au jour du jugement contre cette génération, et la condamneront." Il y aura donc un jugement après la résurrection.

En outre, nous voyons en saint Jean : "Ceux qui auront accompli de bonnes actions s’avanceront dans la résurrection pour la vie, ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement." Il semble donc qu’il doive y avoir un jugement après la résurrection.

Conclusion :

De même que l’opération se rattache au principe des choses qui leur donne l’existence, de même le jugement se rattache au terme, par lequel les choses atteignent leur fin. Or on distingue deux sortes d’opérations de Dieu : l’une par laquelle il donne primitivement l’existence à chaque créature en instituant sa nature, et en déterminant ce qui doit contribuer à son achèvement. Après cette opération, la création, on dit que Dieu se reposa.

Il est une autre opération de Dieu, par laquelle il gouverne les créatures. Saint Jean dit : "Mon Père a travaillé jusqu’à maintenant, et moi aussi, je travaille."

On peut aussi distinguer deux jugements de Dieu, mais dans un ordre inverse. L’un correspond à l’œuvre du gouvernement, qui ne peut s’accomplir sans jugement par ce jugement chacun est jugé individuellement selon ses œuvres, non seulement selon son point de vue propre, mais aussi selon sa relation avec le gouvernement de l’univers. La récompense de chacun sera donc diversifiée selon l’utilité des autres, comme dit saint Paul aux Hébreux, et les châtiments de l’un sont modifiés pour le bénéfice des autres. Il est donc nécessaire qu’il y ait un autre jugement, universel, correspondant, dans l’ordre inverse, à la première production des choses dans l’existence. De même qu’alors toutes les créatures procédèrent immédiatement de Dieu, de même l’achèvement suprême du monde s’accomplira quand chacun recevra finalement ce qui lui est dû selon lui-même.

C’est pourquoi au jugement général la justice divine apparaîtra manifestement au sujet de toutes les choses qui actuellement sont cachées : car parfois Dieu dispose main tenant d’un homme pour l’utilité des autres, d’une manière qui diffère de ce que semble raient exiger les œuvres que nous le voyons accomplir. A la fin du monde aura lieu la séparation totale des bons et des méchants, parce qu’il n’y aura plus désormais d’occasion pour les méchants de progresser grâce aux bons, ni pour ceux-ci grâce aux méchants. C’est en vue de ce progrès que les bons sont ici-bas mélangés aux mauvais tandis que cette existence est gouvernée par la divine providence.

Solutions :

1. Tout homme est à la fois une personne distincte et une partie de tout le genre humain : il doit donc être l’objet de deux jugements. L’un, individuel, a lieu après la mort, quand il est traité selon ce qu’il a fait en sa vie corporelle, bien que pas totalement, puisqu’il ne possède plus son corps, mais seulement son âme. L’autre porte sur l’homme en tant que partie de tout le genre humain : de même qu’on dit que quelqu’un est jugé par la justice humaine quand celle-ci porte un jugement sur une collectivité dont il fait partie. Ainsi donc, au jugement universel de tout le genre humain, qui séparera totalement les bons et les méchants, chacun sera encore jugé. Dieu cependant ne jugera pas deux fois le même objet, car il n’infligera pas deux peines pour un seul péché : il achèvera dans le dernier jugement la peine qui dans le premier jugement n’avait pas été complètement infligée, puisque les damnés seront désormais tourmentés en même temps dans leur corps et dans leur âme.

2. La sentence propre du jugement général sera la séparation totale des bons et des méchants, qui n’était pas complète auparavant. Nous pouvons ajouter que même la sentence particulière de chaque homme n’aura pas entièrement précédé ce jugement : car d’une part les bons seront davantage récompensés après le jugement, par suite de l’adjonction de la gloire des corps ressuscités et de l’achèvement du nombre définitif des saints, et d’autre part, les méchants seront davantage tourmentés, par l’adjonction de la peine du corps et l’achèvement du nombre des damnés : en brûlant avec un plus grand nombre d’autres, ils en souffriront davantage.

3. Le jugement universel regarde plus directement la totalité des hommes que chacun de ceux qui sont jugés. Bien que, avant ce jugement, chaque homme ait la connaissance certaine de sa propre damnation ou de sa récompense, cependant, cette sanction ne sera pas encore connue de tous. Le jugement universel est donc nécessaire.

 

Article 2 — Ce jugement aura-t-il lieu oralement ?

Objections :

1. Il semble que les débats et la sentence doivent être oraux, puisque saint Augustin dit : "Combien durera ce jugement, c’est chose incertaine." Ce ne serait pas incertain si les choses qui doivent être dites en ce jugement l’étaient seulement mentalement. C’est donc que ce jugement aura lieu oralement et non seulement mentalement.

2. Saint Grégoire dit : "Ceux-là entendront les paroles du juge, qui auront gardé foi en sa parole." Il ne peut pas s’agir là de paroles intérieures, car au jugement tous entendront les paroles du juge, puisque les actes accomplis seront connus de tous, bons et mauvais. Il semble donc que ce jugement aura lieu oralement.

3. Le Christ jugera sous la forme humaine, pour qu’il puisse être vu corporellement par tous. Il semble donc qu’il parlera par la voix du corps, afin d’être entendu de tous.

Cependant :

Saint Augustin dit à propos du Livre de Vie dont parle l’Apocalypse : "Ce sera une certaine force divine qui fera que chacun retrouvera en sa mémoire toutes ses œuvres bonnes et mauvaises, et les verra par une intuition rapide de l’esprit de sorte que cette connaissance accusera ou excusera sa conscience : c’est ainsi que tous et chacun seront jugés ensemble." Mais si on discutait de vive voix les mérites de chacun, il serait impossible que tous et chacun soient jugés ensemble. Il ne semble donc pas que ces débats seront oraux.

En outre, la sentence doit être proportionnée au témoignage ; or ce témoignage, accusant ou excusant, sera mental. Saint Paul dit aux Romains : "Leur conscience leur rendra témoignage, et leurs pensées s’accuseront ou se défendront l’une l’autre, en ce jour où Dieu jugera les actions secrètes des hommes. Il semble donc que la sentence et tout le jugement s’accompliront seulement mentalement.

Conclusion :

Impossible de définir avec certitude ce qui est vrai à ce sujet. On estime pourtant plus probable que ce jugement tout entier : débats, accusations des méchants, témoignages favorables aux bons, sentence pour chacun, sera seulement mental. Si chacun des faits devait être narré oralement, cela exigerait une durée inestimable. Saint Augustin dit aussi s Si on conçoit comme matériel le livre selon lequel tous seront jugés, qui pourrait en imaginer la hauteur ou la longueur, ou dire eu combien de temps on pourrait lire un livre dans lequel seraient inscrites toutes les vies de tous ?" Or il faudrait autant de temps pour raconter verbalement les faits de chacun que pour les lire s’ils étaient matériellement inscrits dans un livre. Il est donc probable que ce dont parle saint Matthieu s’accomplira non pas oralement, mais mentalement.

Solutions :

1. Si saint Augustin dit : "qu’on ignore combien de jours durera ce jugement," c’est parce qu’on ne sait pas s’il aura lieu mentalement ou oralement. En ce cas en effet, il exigerait un temps prolongé. Mentalement, il pourrait se faire en un instant.

2. Même si le jugement est seulement mental, ce texte de saint Grégoire peut se défendre. En supposant que tous connaissent leurs propres actions et celles d’autrui, grâce à une action divine, que l’Evangile nomme "parole", cependant, ceux qui auront eu la foi, conformément aux paroles de Dieu, seront jugés selon ces paroles. Car saint Paul dit aux Romains : "Quiconque a péché sous la loi, sera jugé selon la loi. "Il y aura donc une différence entre les croyants et ceux que nous nommons incroyants.

3. Le Christ apparaîtra dans son corps afin d’être reconnu par tous comme juge corporellement : cela peut se faire en un instant. Au contraire, la parole, qui est mesurée par le temps, exigerait une immense durée de temps si le jugement avait lieu oralement.

 

Article 3 — La date du jugement général est-elle inconnue ?

Objections :

1. Cela ne paraît pas. De même que les Pères saints attendaient le premier avènement du Christ, ainsi nous attendons le second. Or ces Pères connurent la date du premier avènement ; ainsi que nous le voyons grâce au nombre de semaines annoncé par Daniel. C’est à cause de cela que le Christ reproche aux Juifs de n’avoir pas reconnu le temps de sa venue : "Hypocrites, vous voulez sonder le ciel et la terre ; comment n’avez-vous pas recherché le temps de l’avènement du Messie ?" Il semble donc que doive nous être aussi indiqué le temps du second avènement par lequel Dieu viendra juger.

2. A travers les signes nous parvenons à la connaissance de ce qu’ils signifient. L’Ecriture nous propose de nombreux signes de l’approche du jugement futur. Nous pouvons donc par venir à la connaissance de sa date.

3. Saint Paul dit : "C’est pour nous que viendra la fin des siècles." Et saint Jean : "Mes petits enfants, c’est la dernière heure." Puisqu’un long espace de temps s’est écoulé depuis lors, il semble que nous puissions maintenant savoir que le dernier jugement est proche.

4. Le temps du jugement ne doit être caché que pour que chacun s’y prépare avec sollicitude, puisqu’il en ignore la date fixe. Mais cette sollicitude demeurerait même si on connaissait cette date, parce que pour chaque homme la date de sa mort personnelle est incertaine, "date, comme dit saint Augustin, à laquelle chacun vit son dernier jour, qui est en fait pour lui le dernier jour de ce monde." Il n’est donc pas nécessaire que la date du jugement soit cachée.

Cependant :

Il est dit en saint Marc : "Ce jour ou cette heure nul ne le sait, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, sauf le Père." Le Christ ne le sait pas en ce sens qu’il ne nous le fait pas savoir.

En outre, 5. Paul dit aux Thessaloniciens : "Le jour du Seigneur viendra comme le voleur vient la nuit.". Il semble donc que, comme la venue du voleur la nuit est tout à fait incertaine, ainsi le jour du jugement dernier soit tout à fait incertain.

Conclusion :

Dieu est cause des choses par sa science. Il communique aux créatures soit la puissance de produire d’autres choses dont elles sont causes, soit la connaissance des autres choses. Dans ces deux sortes de communications, il se réserve certains pouvoirs. En effet, il accomplit certaines choses sans aucune coopération de créatures, et il connaît aussi certaines choses qu’il ne communique à aucune pure créature. Parmi celles-ci, il n’y en a pas qui doive être plus secrète que celles qui dépendent du seul pouvoir divin, sans aucune coopération de créature. Telle est la fin du monde, avec le jour du jugement. Le monde en effet finira sans l’action d’aucune cause créée, de même qu’il a été commencé par l’action immédiate de Dieu. Il convient donc que la connaissance de la fin du monde soit réservée à Dieu seul. C’est cette raison que le Seigneur lui-même semble apporter quand il dit : "Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a placés en son pouvoir," comme pour signifier : qui sont réservés à son seul pouvoir.

Solutions :

1. En son premier avènement, le Christ vint caché, selon ce mot d’Isaïe "Tu es vraiment un Dieu caché, Dieu sauveur d’Israël". Pour qu’il puisse être reconnu par les croyants, il fallait prédéterminer une époque fixe. Mais dans le second avènement, il viendra manifestement. Le Psalmiste assure : "Dieu viendra manifestement." Il n’y a donc point de possibilité d’erreur au sujet de cet avènement. Le cas est donc différent.

2. Saint Augustin dit "Les signes précurseurs indiqués dans l’Évangile n’ont pas tous trait à la seconde venue qui aura lieu à la fin du monde. Certains se rapportent à l’époque de la destruction de Jérusalem, qui a déjà eu lieu. D’autres, nombreux, ont trait à la venue quotidienne du Christ dans l’Église, qu’il visite spirituellement en habitant en nous par la foi et l’amour." Les signes qui sont dans les Evangiles, concernant la dernière venue, ne suffisent pas pour permettre de reconnaître d’une manière précise le temps du jugement car les malheurs qui sont prédits comme annonçant le proche avènement du Christ ont existé dès l’époque de l’Église primitive, tantôt plus, tantôt moins. C’est pourquoi les jours des apôtres furent déjà appelés les derniers jours, comme nous le voyons dans les Actes, là où saint Pierre expose, en l’appliquant à son temps, le mot de Joël : "Il y aura dans les derniers temps..." Depuis lors, beaucoup de temps s’est écoulé, et les tribulations de l’Église furent tantôt plus fortes, tantôt moindres. On ne peut donc point déterminer le temps qui reste encore : ni le nombre de mois, ni d’années, ni de centaines ou de milliers d’années, comme dit saint Augustin. Bien qu’on croie qu’à la fin du monde ces malheurs augmenteront, on ne peut déterminer la quantité de ces maux qui précéderont immédiatement le jour du jugement ou la venue de l’Antéchrist. Dès l’époque de la primitive Église, il y eut des persécutions si graves, et une telle abondance de corruptions et d’erreurs, que certains attendaient comme proche ou même imminente la venue de l’Antéchrist, ainsi que nous le voyons dans l’Histoire ecclésiastique et dans le livre de saint Jérôme : "Des hommes illustres."

3. On ne peut pas tirer une période déterminée de temps à partir d’expressions comme "Le dernier jour est venu" ou d’autres semblables, qu’on lit dans l'Ecriture. Elles n’ont point pour but de signifier une période brève, mais d’indiquer la dernière phase du monde, qui sera comme un âge nouveau. On ne précise pas la durée de cet espace de temps, de même que la vieillesse, dernier âge de l’homme, n’est pas une période nettement marquée, puisque parfois elle dure autant que tous les âges précédents, et même plus, comme dit saint Augustin. C’est pourquoi, saint Paul écarte cette idée fausse que quelques-uns ont tirée de ses paroles, croyant que "le jour du Seigneur était déjà tout proche".

4. Même en reconnaissant l’incertitude de la date de notre mort, l’incertitude de celle du jugement nous incite doublement à la vigilance : d’abord parce que nous ne savons pas s’il tardera jusqu’au-delà de la fin de notre vie d’où une deuxième raison d’être vigilants. Ensuite parce que l’homme n’a pas seulement le souci de sa personne, mais aussi de sa famille, de sa cité, de son pays et de toute l’Église, qui durent au-delà de la limite d’une vie humaine. Or il faut disposer chacune de ces collectivités de sorte que le jour du Seigneur ne la trouve pas mal préparée.

 

Article 4 — Le jugement aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le jugement doive avoir lieu dans la vallée de Josaphat, ou dans ses environs. Il est indispensable, en effet, que tous ceux qui doivent être jugés se tiennent sur le sol, tandis que ceux-là seuls qui auront à juger se tiendront sur les nuées. Mais toute la Terre promise ne suffirait pas à contenir la multitude de ceux qui doivent être jugés. Le futur jugement ne pourra donc pas avoir lieu dans cette vallée.

2. Le Christ en tant qu’homme jugera dans la justice, lui qui a été injustement condamné dans le prétoire de Pilate, et qui a été victime de cette injuste sentence sur le Golgotha. Ce sont donc ces lieux-là qui devraient être désignés pour le jugement.

3. Les nuées proviennent de la condensation des vapeurs. Mais à la fin du monde il n’y aura plus d’évaporation ou de condensation. Il ne sera donc pas possible que "les justes soient enlevés sur les nuées au-devant du Christ dans l’air." Bons et mauvais devront donc être sur terre, ce qui requiert un lieu beaucoup plus étendu que cette vallée.

Cependant :

Joël dit : "Je rassemblerai toutes les nations, et je les conduirai dans la vallée de Josaphat : là, je discuterai avec elles."

En outre, les Actes disent "Comme vous l’avez vu monter au ciel, vous l’en verrez descendre." Or le Christ s’est élevé vers le ciel à partir du Mont des Oliviers, qui domine la vallée de Josaphat. C’est donc près de ces lieux qu’il viendra juger.

Conclusion :

On ne peut pas savoir grand-chose de certain au sujet des modalités du jugement et de la façon dont les hommes s’assembleront. Il est pourtant probable, d’après les Ecritures, que le Christ descendra près du Mont des Oliviers, comme il s’en est élevé, afin de montrer que c’est lui-même qui est descendu après être monté.

Solutions :

1. Une grande multitude peut être contenue en un lieu restreint il suffit d’occuper autour de ce lieu autant d’espace qu’il en faut pour recevoir la multitude de ceux qui doivent être jugés. Il importe seulement qu’à partir de cet espace ils puissent tous voir le Christ qui est élevé dans l’air et brille d’une très grande clarté, qui le rend visible de loin.

2. Bien que le Christ, ayant été condamné injustement, mérite le pouvoir judiciaire, il ne l’exercera cependant pas sous son apparence de faiblesse, en laquelle il fut jugé, mais sous la forme glorieuse dans laquelle il est monté vers le Père. C’est pourquoi le lieu de son ascension convient mieux pour le jugement que celui de sa condamnation.

3. Les nuées dont on parle ici sont l’intense lumière qui resplendit des corps des saints, et non des évaporations dégagées de la terre et de l’eau. On pourrait dire aussi que ces nuées seront engendrées par la puissance divine pour montrer une certaine conformité entre la venue pour le jugement et l’ascension. Celui qui est monté sur la nuée revient pour juger sur la nuée. Les nuées, à cause de leur fraîcheur, peuvent indiquer aussi la miséricorde du juge.

 

QUESTION 89 — JUGES ET JUGÉS AU JUGEMENT GÉNÉRAL

Traitons maintenant de ceux qui jugeront et de ceux qui seront jugés au jugement général : 1. Y a-t-il des hommes qui jugeront avec le Christ ? - 2. Le pouvoir judiciaire correspond-il à la pauvreté volontaire ? - 3. Les anges jugeront-ils ? 4. Les démons sont-ils exécuteurs de la sentence à l’égard des damnés ? 5. Tous les hommes comparaîtront- ils au jugement ? - 6. Y a-t-il des hommes bons qui seront jugés ? - 7. Et des hommes mauvais ? - 8. Les anges seront-ils aussi jugés ?

 

Article 1 — Y a-t-il des hommes qui jugeront avec le Christ ?

Objections :

1. Il semble qu’il n’y en ait aucun. Dans saint Jean, nous lisons : "Le Père a donné tout jugement au Fils, afin que tous l’honorent." Cet honneur n’est dû à aucun autre que le Christ.

2. Celui qui juge a autorité sur ce qu’il juge. Or l’objet du jugement final, c’est-à-dire les mérites et démérites des hommes, n’est soumis qu’à l’autorité divine. Il n’appartient donc à personne de juger de ces

3. Ce jugement n’aura pas lieu oralement, mais mentalement, selon l’opinion plus probable. Mais la révélation faite aux cœurs des hommes, de leurs mérites et démérites, constituera en quelque sorte l’accusation ou la recommandation, ou même l’attribution de la peine ou de la récompense, ce qui équivaut à l’énoncé de la sentence. Or cela ne peut être accompli que par la puissance divine. Nul ne jugera donc que le Christ, qui est Dieu.

Cependant :

Nous lisons en saint Matthieu "Vous siégerez vous aussi sur douze sièges, jugeant les douze tribus d’Israël"

En outre, nous voyons dans Isaïe "Dieu viendra juger avec les anciens de son peuple." Il semble donc que d’autres jugeront avec le Christ.

Conclusion :

Juger peut s’entendre de diverses manières : D’abord causalement : on dit qu’une chose juge quand elle montre que quelqu’un doit être jugé de telle manière. C’est ainsi qu’on dit que certains sont jugés par une comparaison, en tant que par comparaison avec les autres, on voit comment ils doivent être jugés. Dans saint Matthieu, nous lisons : "Les hommes de Ninive se dresseront au jugement contre cette génération et la condamneront." Cette manière de juger vaut aussi bien pour les bons que pour les méchants.

On juge aussi interprétativement : nous considérons comme faisant une chose ceux qui consentent à ce qu’elle se fasse. Ainsi ceux qui acceptent le jugement du Christ en approuvant sa sentence sont regardés comme jugeant avec lui. Ce sera le cas de tous les élus. C’est pourquoi la Sagesse dit : "Les justes jugeront les nations.

En un troisième sens, on dit que quelqu’un juge en tant qu’assesseur : parce qu’il a un comportement semblable à celui du juge, par exemple en siégeant en un lieu élevé comme lui ; c’est ainsi qu’on dit que les assesseurs jugent. Selon cette manière de parler, certains disent que les hommes parfaits, auxquels est promis le pouvoir judiciaire, jugeront par le fait seulement de siéger de manière honorable : ils apparaîtront, lors du jugement, supérieurs aux autres, en s’avançant au-devant du Christ, dans l’air. Pourtant, cela ne semble pas suffire pour réaliser la promesse du Seigneur : "Vous siégerez en jugeant" : il semble que le jugement doive s’ajouter au fait de siéger.

Il est un autre mode de jugement qui convient aux hommes parfaits, en tant qu’ils possèdent les décrets de la justice divine, en vertu desquels les hommes seront jugés : comme si on disait que le livre qui contient la loi, porte un jugement. L’Apocalypse dit : "Le jugement débute et les livres sont ouverts." C’est de cette manière que Richard de Saint Victor explique le jugement : "Ceux qui prennent part à la contemplation divine, qui lisent chaque jour dans le livre de la sagesse, écrivent pour ainsi dire dans les volumes de leur cœur tout ce qu’ils saisissent par leur pénétrante intelligence de la vérité." Il ajoute "Que sont les cœurs de ceux qui jugent, instruits divinement de toute vérité, sinon les décrets des canons ?"

Mais puisque juger comporte une action exercée sur un autre, on dit que juge, à proprement parler, celui qui profère une sentence au sujet d’un autre. Cela peut s’accomplir de deux manières. D’une part en vertu de sa propre autorité, et cela appartient à celui qui jouit d’une autorité et d’un pouvoir sur les autres qui lui sont soumis : il possède le droit de les juger ; Dieu seul possède ce droit. D’autre part, juger peut consister à rendre publique une sentence portée par une autre autorité : c’est seulement l’énonciation d’une sentence déjà fixée. De cette manière les hommes justes jugeront parce qu’ils révéleront aux autres la sentence de la justice divine, afin qu’ils sachent ce qui est dû en justice à leurs mérites. Cette divulgation de la justice peut s’appeler jugement. C’est pourquoi Richard de Saint Victor dit : "Les juges ouvrent les livres de leurs décrets devant ceux qui sont jugés, quand ils admettent les inférieurs à inspecter leur propre cœur, en leur révélant leur manière d’apprécier les choses soumises au jugement."

Solutions :

1. Cette objection vaut pour le jugement d’autorité qui n’appartient qu’au Christ seul.

2. Celle-ci aussi.

3. Il n’est pas exclu que certains saints révèlent des choses aux autres, soit par manière d’illumination, comme les anges supérieurs éclairent les inférieurs, soit par manière de conversation, comme les inférieurs parlent aux supérieurs.

 

Article 2 — Le pouvoir judiciaire appartient-il à la pauvreté volontaire ?

Objections :

1. Il semble que non. Car le pouvoir de juger est promis seulement aux douze apôtres : "Vous siégerez sur douze sièges, en jugeant." Puisqu’il y a des pauvres volontaires en dehors des apôtres, il semble que le pouvoir judiciaire ne leur soit pas accordé à tous.

2. Il est plus grand de sacrifier à Dieu son propre corps que les biens matériels. Or, les martyrs et les vierges offrent à Dieu le sacrifice de leur propre corps, tandis que les pauvres volontaires ne sacrifient que les biens matériels. Le privilège du pouvoir judiciaire semble donc convenir davantage aux martyrs et aux vierges.

3. A ce texte de saint Jean : "Moïse en qui vous espérez vous accuse", la Glose ajoute : "parce que vous n’avez pas cru à sa voix." saint Jean dit plus loin : "Le discours que je vous ai fait jugera l’homme au dernier jour." C’est donc que celui qui expose la loi ou exhorte en vue d’une instruction morale, jugera ceux qui les méprisent. Or cette mission est celle des docteurs. Il convient donc qu’ils jugent plutôt que les pauvres volontaires.

4. Le Christ, parce qu’il a été jugé injustement en tant qu’homme a mérité d’être le juge de tous les hommes dans sa nature humaine. Saint Jean : "Dieu lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est le Fils de l’homme." Ceux qui souffrent persécution pour la justice sont, eux aussi, jugés injustement. Le pouvoir judiciaire leur convient donc mieux qu’aux pauvres.

5. Le supérieur n’est pas jugé par l’inférieur. Mais beaucoup de ceux qui usent licitement des richesses auront plus de mérites que bien des pauvres volontaires. Ceux-ci ne les jugeront donc pas.

Cependant :

Nous lisons dans Job : "Il ne sauve pas les impies, et donne aux pauvres le pouvoir de juger." Juger appartient donc aux pauvres.

En outre, à propos de saint Matthieu : "Vous qui avez tout quitté, etc.", la Glose dit "Ceux qui auront tout quitté et auront suivi Dieu, seront juges ; ceux qui auront bien usé des biens légitimement possédés, seront jugés."

Conclusion :

Le pouvoir judiciaire est dû à la pauvreté spécialement pour trois motifs : Premièrement, par raison de convenance car la pauvreté volontaire est la vertu de ceux qui, méprisant toutes les choses du monde, adhèrent au Christ seul. Il n’y a donc rien en eux qui fasse dévier de la justice leur propre jugement. Ils sont donc aptes à juger, puisqu’ils aiment par-dessus tout la vraie justice.

Secondairement, par raison de mérite : car l’humilité appelle l’exaltation des mérites. Or, parmi les choses qui ici-bas font mépriser les hommes, la principale est la pauvreté. L’excellence du pouvoir judiciaire est donc promise aux pauvres, pour que celui qui s’est humilié pour le Christ soit exalté. - Troisièmement, parce que la pauvreté dispose à juger dans la vérité. On dit en effet d’un saint qu’il juge, dans le sens que flous avons dit, parce qu’il a le cœur empli de toute la vérité divine : il sera donc capable de la manifester aux autres.

Dans la marche progressive vers la perfection la première chose qu’on doit abandonner, ce sont les richesses extérieures r car ce sont les derniers biens acquis Or ce qui est le dernier dans l’ordre de la génération doit être le premier dans l’ordre de la destruction. C’est pourquoi parmi les béatitudes qui nous font progresser vers la perfection la pauvreté est placée la première. De la sorte, la pauvreté correspond au pouvoir judiciaire en tant qu’elle est la première disposition pour la perfection. Ce pouvoir n’est pas promis à tous les pauvres, même volontaires, mais à ceux qui, ayant tout quitté, suivent le Christ dans la perfection de la vie.

Solutions :

1. Saint Augustin écrit : "Nous ne devons pas penser, parce qu’il est dit que les juges siégeront sur douze sièges, qu’ils ne seront pas plus de douze. Sinon, puisque nous lisons que Matthias fut nommé apôtre à la place de Judas le traître, nous devrions croire que Paul, qui a travaillé plus que les autres, ne siégerait pas pour juger." "Ce nombre de douze signifie toute la multitude des juges ; car les deux parties du chiffre sept, c’est-à-dire trois et quatre, si nous les multiplions font douze." Or, douze est un nombre parfait, puisqu’il consiste en l’addition de deux six, qui est un nombre parfait.

On peut dire aussi que littéralement le Christ donne le chiffre des douze apôtres en désignant par eux tous leurs successeurs.

2. La virginité et le martyre ne disposent pas autant que la pauvreté à retenir en son cœur les décrets de la justice divine. Les richesses extérieures, par les soucis qu’elles donnent, étouffent la parole de Dieu comme il est dit en saint Luc.

On pourrait dire aussi que la pauvreté ne suffit pas, à elle seule, à mériter le pouvoir judiciaires mais elle est la première partie de la perfection qui le mérite. C’est pourquoi, parmi les choses qui suivent la pauvreté et tendent à la perfection on peut compter la virginité et le martyre, et toutes les œuvres de perfection. Elles ne sont pourtant pas aussi importantes que la pauvreté parce que le début d’une chose en est la partie principale.

3. Celui qui a enseigné la loi ou exhorté au bien jugera, causalement, en ce sens que les autres seront jugés en les comparant aux paroles qu’il a exposées. C’est pourquoi le pouvoir judiciaire ne répond pas proprement à la prédication ou à l’enseignement.

On peut aussi dire, selon certains, que le pouvoir judiciaire requiert trois choses d’abord le dépouillement des soucis temporels, pour que l’esprit ne soit pas empêché de recevoir la sagesse ; ensuite une disposition consistant à connaître et à observer la justice divine ; enfin le fait d’avoir enseigné aux autres cette justice. Ainsi l’enseignement est une perfection qui achève de mériter le pouvoir judiciaire.

4. Le Christ, en tant que jugé injustement, s’est humilié lui-même. "Il a été offert, parce qu’il l’a voulu." Cette humilité mérite l’élévation au titre de juge, par lequel tout lui est soumis, comme dit saint Paul. C’est pourquoi le pouvoir judiciaire est davantage dû à ceux qui s’humilient volontairement, en rejetant les biens temporels, à cause desquels les hommes sont honorés par les mondains, qu’à ceux qui ne sont humiliés que par les autres.

5. Un inférieur ne peut pas juger son supérieur en vertu de son autorité propre, mais il le peut en vertu de l’autorité d’un être supérieur à tous deux, comme nous le voyons chez les juges délégués. Il n’y a donc pas d’inconvénients, si les pauvres reçoivent cette récompense, en quelque sorte accidentelle, à ce qu’ils jugent ceux-là mêmes qui possèdent un mérite supérieur à l’égard de la récompense essentielle.

 

Article 3 — Les anges doivent-ils juger ?

Objections :

1. Il semble que oui. Saint Matthieu dit : "Quand le Fils de l’homme viendra en sa majesté, avec tous les anges." Or, il s’agit là de la venue pour le jugement : les anges aussi jugeront donc.

2. Les ordres des anges tirent leur nom de la charge qu’ils remplissent. Parmi eux se trouve l’ordre des trônes, qui semble se rapporter au pouvoir judiciaire le trône est en effet le siège du juge, le fauteuil du roi, la chaire du docteur. Il y aura donc des anges qui jugeront.

3. Il est promis aux saints qu’après cette vie ils seront égaux aux anges. S’il y a même des hommes qui auront le pouvoir de juger, à plus forte raison les anges l’auront-ils aussi.

Cependant :

Saint Jean dit : "Dieu a donné au Christ le pouvoir de juger parce qu’il est le Fils de l’homme." Or les anges ne participent pas à la nature humaine. Donc pas non plus au pouvoir judiciaire.

En outre, le juge et son ministre sont deux êtres distincts. Les anges, lors du jugement, seront les ministres du juge, selon saint Matthieu "Le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils recueilleront dans son royaume tous les scandales." Ils ne jugeront donc pas.

Conclusion :

Les assesseurs du juge doivent lui être conformes. Le droit de juger est attribué au Fils de l’homme afin qu’il apparaisse en sa nature humaine aux bons comme aux méchants, bien que toute la Trinité juge par son autorité. Il convient donc que les assesseurs de ce juge possèdent aussi la nature humaine, de manière à être vus par tous, bons et mauvais. Il n’appartient donc pas aux anges de juger, bien qu’on puisse dire que de quelque manière ils jugent aussi, en tant qu’ils approuvent la sentence.

Solutions :

1. La Glose ordinaire dit que les anges viendront avec le Christ lors du jugement, non comme juges, mais "pour être les témoins des actes humains, que les hommes ont accomplis, bons ou mauvais, tandis qu’ils étaient sous leur garde".

2. Le nom de trônes est attribué aux anges en raison de ce jugement que Dieu ne cesse d’exercer en gouvernant toutes les créatures avec une parfaite justice : les anges sont de quelque manière les exécuteurs et les promulgateurs de ce jugement. Par contre le jugement que le Christ en tant qu’homme tiendra au sujet des hommes, requiert des assesseurs qui soient hommes.

3. L’égalité avec les anges est promise aux hommes quant à la récompense essentielle. Rien n’empêche par contre que les hommes puissent recevoir une récompense accidentelle qui ne sera pas donnée aux anges, par exemple l’auréole des vierges et des martyrs : de même pour le pouvoir judiciaire.

 

Article 4 — Les démons exécuteront-ils la sentence du juge à l’égard des damnés ?

Objections :

1. Il semble que non, saint Paul dit : "Alors, le Christ expulsera toute principauté, puissance et vertu." Il n’y aura donc plus de détenteurs d’autorité. Mais, exécuter la sentence du juge dénote une certaine autorité ; les démons, après le jour du jugement ne seront donc plus les exécuteurs de la sentence du juge.

2. Les démons ont péché plus gravement que les hommes. Il n’est pas juste que ceux-ci soient tourmentés par eux.

3. Comme les démons ont poussé les hommes au mal, les anges les ont portés au bien. Récompenser les bons n’est pas la charge des bons anges : Dieu le fera sans intermédiaire. Punir les méchants ne sera donc pas non plus la charge des démons.

Cependant :

les pécheurs se sont soumis au démon en péchant. Il est juste qu’ils lui soient soumis dans leurs châtiments, afin d’être punis par lui.

Conclusion :

Le Maître des Sentences signale à ce sujet deux opinions l’une et l’autre semblent compatibles avec la justice divine. La première part de ce fait que, quand l’homme pèche, il se soumet justement au démon ; mais cette domination du démon est une chose en soi injuste. L’ordre de la justice divine qui demande la punition des démons, légitimerait cette opinion qui exclut que les démons, après le jour du jugement, dominent encore les hommes en leur appliquant leurs peines. L’opinion contraire s’attache plutôt à respecter la justice divine au point de vue des hommes qui doivent être punis.

Impossible pour nous de discerner la plus vraie de ces opinions. J’estime cependant plus vraisemblable que, de même qu’un certain ordre sera gardé à l’égard des élus, en ce sens que certains seront illuminés et perfectionnés par d’autres, et que l’ordre des hiérarchies célestes demeurera perpétuellement, de même un certain ordre sera conservé dans les châtiments, en tant que les hommes seront punis par les démons, afin que la disposition divine qui a institué des anges comme intermédiaires entre la nature humaine et la nature divine, ne soit pas totalement supprimée pour les damnés. De la sorte, de même que les bons anges transmettent aux hommes des illuminations divines, ainsi les démons sont les exécuteurs de la justice divine pour les méchants. Cela ne réduit en rien la peine des démons, car en tourmentant les autres, ils sont tourmentés eux-mêmes la société de ces malheureux ne. diminue par leur malheur, elle l’augmente.

Solutions :

1. La supériorité que le Christ supprimera est celle de ce monde ici-bas, des hommes sont supérieurs à d’autres hommes, et les anges aux hommes, et des anges à d’autres anges, et les anges aux démons, et certains démons à d’autres, et des démons aux hommes ; et cela sert à conduire les autres à leur fin ou à les en détourner. Quand toutes choses seront parvenues à leur fin, il n’y aura plus de supériorité pour éloigner de la fin ou y conduire, mais seulement pour conserver dans la fin, bonne ou mauvaise.

2. Bien que le mérite des démons ne requière pas qu’ils dominent les hommes, parce que c’est injustement qu’ils se les ont soumis, cela est demandé par le rapport entre leur nature et celle des hommes. Denys dit : "Les biens naturels demeurent intègres chez eux."

3. Les bons anges ne sont pas la cause efficiente de la récompense principale des élus : ceux-ci la reçoivent directement de Dieu. Mais ils sont la cause de certaines récompenses accidentelles, en tant que les anges supérieurs illuminent les anges inférieurs, et les hommes, au sujet de certains secrets divins, qui n’appartiennent pas à la substance de la béatitude.

De même, la peine principale du damné lui viendra directement de Dieu : c’est l’exclusion perpétuelle de la vision de Dieu. Mais il n’y a pas d’inconvénient à ce que d’autres peines, sensibles, lui soient infligées par les démons.

Il y a pourtant cette différence, que le mérite fait monter, tandis que le péché accable. C’est pourquoi, puisque la nature de l’ange est plus élevée que celle de l’homme, certains hommes, à cause de l’excellence de leurs mérites, sont tellement élevés qu’ils dépassent l’élévation de la nature et de la récompense méritée par des anges : dès lors, il y aura des anges qui seront illuminés par des hommes. Mais aucun pécheur ne parviendrai à cause de son degré de malice, à cette élévation qui est due aux démons en vertu de leur nature.

 

Article 5 — Tous les hommes comparaîtront-il en jugement ?

Objections :

1. Il semble que les hommes ne comparaîtront pas tous au jugement. Nous lisons en effet en saint Marc : "Vous siégerez sur douze sièges pour juger les douze tribus d’Israël." Tous les hommes n’appartiennent pas à ces douze tribus. Il semble donc qu’ils ne viendront pas tous au jugement.

2. Le Psalmiste dit "Les impies ne ressusciteront pas pour le jugement." Or, il y en a beaucoup. Tous les hommes ne comparaîtront donc pas.

3. Si quelqu’un est amené au jugement, c’est pour qu’on discute ses mérites. Mais il y a des hommes qui n’ont eu aucun mérite, par exemple les enfants morts en bas âge. Il ne sera donc pas nécessaire qu’ils comparaissent.

Cependant :

Les Actes disent que "le Christ a été institué par Dieu juge des vivants et des morts." Ces deux catégories englobent tous les hommes, quelle que soit la manière de distinguer les morts des vivants. Tous les hommes viendront donc au jugement.

En outre, nous lisons dans l’Apocalypse : "Voici qu il vient sur les nuées, et tout œil le verra." Ce qui ne serait pas si tous n’étaient pas présents.

Conclusion :

Le pouvoir judiciaire a été conféré au Christ homme en récompense de l’humilité manifestée dans sa passion. Il y répandu son sang d’une manière suffisante pour tous les hommes, bien qu’il n’ait pas réalisé en tous le salut, à cause des obstacles trouvés en certains. Il convient donc que tous les hommes soient assemblés pour le jugement, afin de contempler son exaltation dans sa nature humaine, en laquelle il a été constitué par Dieu juge des vivants et des morts.

Solutions :

1. Nous devons dire avec saint Augustin : "Ce n’est point parce qu’il est dit'jugeant les douze tribus d’Israël que la tribu de Lévi, qui est la treizième, ne devrait pas être jugée, ou que le Maître jugerait seulement ce peuple et non pas les autres nations." Par cette expression les douze tribus, toutes les nations sont désignées, parce qu’elles ont été appelées par le Christ au même sort que les douze tribus.

2. Cette proposition : "Les impies ne ressusciteront pas pour le jugement", si on l’applique à tous les pécheurs, doit être prise en ce sens qu’ils ne ressusciteront pas en vue de juger. Si on l’applique aux infidèles, elle signifie qu’ils ne ressusciteront pas pour être jugés, puisqu’ils "auront déjà été jugés". Mais tous les hommes ressusciteront pour comparaître au jugement afin d’apercevoir la gloire de leur juge.

3. Même les enfants morts avant l’âge du discernement paraîtront au jugement, non pour être jugés, mais pour voir la gloire du juge.

 

Article 6 — Les bons seront-ils jugés en ce dernier jugement ?

Objections :

1. Il semble qu’aucun des hommes bons ne sera jugé, car il est dit en saint Jean : "Celui qui croit en moi n’est pas jugé", et tous les bons croient au Christ.

2. Point de bonheur pour ceux qui sont incertains de leur béatitude. Saint Augustin prouve par là que les démons n’ont jamais été bien heureux. Or tous les saints sont bienheureux ils ont donc la certitude de leur béatitude. Puisqu’on ne juge pas ce qui est déjà certain, les bons ne seront pas jugés.

3. La crainte est incompatible avec la béatitude. Le jugement dernier, qui est dit très redoutable, ne pourrait avoir lieu sans provoquer la crainte de ceux qui doivent être jugés.

Saint Grégoire, à propos de ce texte de Job : "Quand il aura été enlevé, les anges craindront", déclare "Pensons au trouble de la conscience des méchants, alors que même la vie des bons sera bouleversée." Les bienheureux ne seront donc pas jugés.

Cependant :

Il semble que tous les bons seront jugés, car saint Paul dit aux Corinthiens : "Il faut que nous soyons tous présentés au tribunal du Christ, pour que chacun rapporte ce qu’il a fait de son propre corps, en bien et en mal." Il s’agit bien là du jugement tous les bons seront donc jugés.

En outre, qui dit universel, dit toutes choses. Or ce dernier jugement s’appelle universel tous seront donc jugés.

Conclusion :

Dans un jugement, il y a deux éléments les débats sur les mérites, et l’attribution des récompenses. Pour celle-ci, tous seront jugés, même les bons, puisque chacun recevra, par la sentence divine, un prix correspondant à son mérite. Mais les débats sur les mérites n’ont lieu que là où il subsiste un mélange de bonnes et de mauvaises actions. Or, pour ceux qui édifient leur vie sur la base de la foi, avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, en se livrant totalement au service de Dieu, sans admettre aucun mélange considérable de culpabilité, il n’y a point place pour une discussion au sujet des mérites c’est le cas de ceux qui s’étant dépouillés totalement des choses du monde, "n’ont plus de sollicitude que pour Dieu seul". Ceux-là seront sauvés, mais non jugés.

Par contre, ceux qui construisent sur la base de la foi, mais avec du bois, du foin et de la paille, c’est-à-dire qui aiment encore les choses du siècle, et se livrent à des affaires terrestres, tout en ne faisant rien passer avant le Christ, et en s’efforçant de réparer leurs péchés par des aumônes, ceux-là gardent un mélange de mérites et de culpabilités. Pour eux, il y a place pour une discussion au sujet de leurs mérites ils seront donc jugés, et pourtant sauvés.

Solutions :

1. La punition est l’effet de la justice, tandis que la récompense est celui de la miséricorde c’est pourquoi on attache de préférence au jugement, qui est un acte de justice, l’idée de punition ; on en vient donc à parler de jugement pour dire condamnation. C’est en ce sens qu’on doit prendre le texte cité. Du reste la Glose le montre bien.

2. La discussion au sujet des mérites des élus n’est point pour enlever de leur cœur la certitude de la béatitude elle montre à tous d’une manière évidente la prééminence de leurs bonnes œuvres sur leurs fautes ; la justice divine en est mieux démontrée.

3. Saint Grégoire parle des justes qui sont encore dans leur chair mortelle : il avait dit plus haut "Ceux qui auront été surpris dans leurs corps (par la fin du monde), bien que déjà forts et parfaits, cependant, parce qu’ils sont encore dans leurs corps, ne pourront pas, au milieu d’une telle vague de terreur, éviter toute épouvante. "Il est clair que cette terreur se rapporte au temps qui précédera immédiatement le jugement. Il sera absolument terrible pour les méchants, mais non pour les bons, qui ne se sentiront pas soupçonnés de mal.

Les arguments contraires valent pour le jugement en tant que répartition des récompenses.

 

Article 7 — Les méchants seront-ils jugés ?

Objections :

1. Aucun des méchants, semble-t-il, ne sera jugé. La damnation est certaine pour ceux qui meurent dans le péché mortel, comme pour les incrédules. Or nous voyons, en saint Jean, que, a cause de cette certitude de damnation, "celui qui ne croit pas est déjà jugé". Pour ce même motif, aucun pécheur ne sera jugé.

2. La voix du juge est terrible pour ceux qu’il condamne. Mais nous lisons dans les Sentences, d’après saint Grégoire : "La parole du juge ne s’adressera pas aux incrédules." Si donc elle s’adresse au contraire aux croyants condamnés, les incrédules tireraient avantage de leur incrédulité : c’est absurde.

Cependant :

Tous les méchants doivent être jugés, parce que le châtiment est infligé à chaque faute selon sa gravité cela n’est pas possible sans la détermination du jugement. Tous les méchants seront donc jugés.

Conclusion :

Le jugement en tant que détermination des peines pour les péchés concerne tous les méchants. En tant qu’appréciation des mérites, il concerne seulement les croyants. Chez les incroyants, il n’y a pas le fondement de la foi son absence prive toutes les œuvres qu’ils accomplissent de la parfaite rectitude d’intention. Il n’y a donc pas pour eux un mélange de bonnes œuvres et de culpabilités qui exigerait une délibération. Mais les croyants, chez qui demeure le fondement de la foi, gardent au moins cet acte louable de leur foi : bien que non méritoire sans la charité, il reste pourtant en soi-même ordonné à un certain mérite il y a donc ici place pour une délibération. C’est pourquoi les croyants, qui ont été au moins numériquement citoyens de la cité de Dieu, seront jugés comme des citoyens, contre lesquels on ne peut porter sans discernement la sentence de mort. Au contraire, les incrédules seront condamnés comme des ennemis, qu’on extermine, chez les hommes, sans discuter leurs mérites.

Solutions :

1. Ceux qui meurent en état de péché mortel, doivent manifestement être damnés. Mais ils ont peut-être commis des actions secondaires auxquelles serait attaché un certain mérite. Pour manifester la justice divine, il faut qu’une délibération ait lieu au sujet de leurs mérites, afin de montrer qu’ils sont justement exclus de la cité des saints, dont ils paraissent extérieurement être du nombre des citoyens.

2. Le discours du juge, si on le considère par rapport à chaque individu, ne sera pas dur pour les croyants sur ce point spécial qu’il manifestera qu’il y a en eux des côtés louables qui n’existent pas chez les incroyants : puisque "sans la foi il est impossible de plaire à Dieu". Malgré cela, la sentence de condamnation, portée pour tous les pécheurs, sera terrible pour tous.

L’argument apporté en faveur du contraire valait pour le jugement de récompense.

 

Article 8 — Les anges seront-ils jugés au jugement dernier ?

Objections :

1. Il semble que oui, d’après saint Paul aux Corinthiens : "Ignorez-vous que nous jugerons les anges ?" Il ne peut s’agir là de notre état actuel : il doit donc être question du jugement dernier.

2. Dans Job, nous voyons au sujet de Béhémoth, ou Léviathan, c’est-à-dire du diable : "Il sera précipité à la vue de tous ;" et dans saint Marc, le démon interpelle le Christ "Pourquoi es-tu venu nous perdre avant le temps ?" Et la Glose d’ajouter : "Les démons apercevant le Seigneur sur la terre, croyaient qu’ils seraient aussitôt jugés." Il semble donc que le jugement final leur soit destiné.

3. S. Pierre dit : "Dieu n’a point pardonné aux anges qui péchaient. Il les a réservés pour être jugés et livrés aux êtres hurlants de l’enfer et tourmentés dans le Tartare." Il semble donc que les anges seront jugés.

Cependant :

"Dieu ne juge pas deux fois le même objet." Les mauvais anges ont déjà été jugés, selon ce mot de saint Jean : "Le prince de ce monde a déjà été jugé." Les anges ne seront donc plus jugés.

En outre, la bonté ou la malice des anges est plus parfaite que celle des hommes sur la terre. Mais certains hommes, bons et mauvais, ne seront pas jugés, comme il est dit dans les Sentences. Les anges bons et mauvais ne seront donc pas jugés.

Conclusion :

Le jugement en tant que délibération n’aura aucunement lieu pour les anges, bons ou mauvais : car on ne pourrait trouver rien de mal chez les bons ni de bon chez les mauvais. Par contre, si nous parlons du jugement en tant que rétribution, nous devons distinguer deux sortes de rétributions : l’une répond aux mérites personnels des anges : elle fut accomplie dès le début, quand les uns furent élevés jusqu’à la béatitude, et les autres noyés dans la misère. Il y a une autre rétribution qui correspond aux œuvres bonnes ou mauvaises accomplies grâce à l’intervention des anges : celle-là aura lieu au jugement dernier : les bons anges se réjouiront davantage du salut de ceux qu’ils auront portés aux actions méritoires, tandis que les mauvais anges seront davantage tourmentés par la chute des hommes méchants, qui auront été poussés par eux au mal. Donc, à proprement parler, il n’y aura point place au jugement dernier pour les anges, ni comme juges ni comme jugés, mais seulement pour les hommes. Cependant indirectement, le jugement regardera les anges, en tant qu’ils auront été mêlés aux actions des hommes.

Solutions :

1. Ce mot de l’Apôtre doit être appliqué au jugement de comparaison, car certains hommes seront trouvés supérieurs à certains anges.

2. Les démons eux-mêmes seront précipités, aux yeux des hommes, en ce sens qu’ils seront jetés pour toujours dans la prison de l’enfer sans avoir désormais la liberté d’en sortir celle-ci ne leur était accordée que tant qu’ils étaient ordonnés par la divine providence à éprouver la vie des hommes.

Cela vaut aussi pour la troisième difficulté.

 

QUESTION 90 — LA FORME SOUS LAQUELLE LE JUGE VIENDRA

Recherchons sous quelle forme le juge viendra juger : 1. Le Christ nous jugera-t-il sous la forme de son humanité ? - 2. Apparaîtra-t dans son humanité glorieuse ? - . Peut-on voir la divinité sans en être réjoui ?

 

Article 1 — Le Christ nous jugera-t-il sous la forme de son humanité ?

Objections :

1. Le Christ ne semble pas devoir nous juger sous cette forme, parce que le jugement requiert chez le juge l’autorité. Celle-ci est dans le Christ, à l’égard des vivants et des morts, en tant qu’il est Dieu comme tel, il est le Maître et le Créateur de toutes choses. C’est donc sous cette forme divine qu’il jugera.

2. Le juge a besoin d’un pouvoir invincible. L’Ecclésiastique dit "Ne cherche pas à devenir juge, à moins que tu aies le pouvoir de vaincre les iniquités. "Or, c’est en tant que Dieu que le Christ possède cette force invincible. Il jugera donc sous la forme de la divinité.

3. En saint Jean, il est dit : "Le Père a donné au Fils tout jugement, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père." Mais un honneur égal à celui du Père n’est pas dû au Fils selon sa nature humaine. Il ne jugera donc pas sous la forme humaine.

4. En Daniel, nous voyons ceci : "Je regardais jusqu’à ce que les sièges fussent disposés et que l’Ancien siégeât." Les trônes désignent le pouvoir judiciaire. L’ancienneté est attribuée à Dieu, à cause de son éternité, selon Denys. Juger convient donc au Fils en tant qu’éternel, non en tant qu’homme.

5. Saint Augustin affirme : "Par le Verbe Fils de Dieu s’accomplit la résurrection des âmes. Par le Verbe devenu dans l’incarnation Fils de l’homme, se fera la résurrection des corps." Le jugement final concerne plutôt l’âme que la chair. Il convient donc mieux au Christ de juger en tant que Dieu qu’en tant qu’homme.

Cependant :

Saint Jean dit "Il lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est le fils de l’homme."

En outre, nous voyons dans Job "Ta cause a été jugée comme celle d’un impie (la Glose ajoute : par Pilate) ; c’est pourquoi tu recevras le jugement et la cause." Et la Glose reprend "pour juger justement". Mais le Christ a été jugé par Pilate selon sa nature humaine : c’est donc en elle qu’il jugera.

De même, juger appartient à qui a le droit de poser des lois. Or, c’est en apparaissant dans sa nature humaine que le Christ nous a donné la loi de l’Evangile. C’est donc en elle qu’il jugera.

Conclusion :

Pour juger, on doit avoir autorité. Saint Paul dit aux Romains : "Qui es-tu donc pour juger le serviteur d’un autre ?" Le Christ a le pouvoir de juger en tant qu’il possède autorité sur les hommes, au sujet desquels aura lieu principalement le jugement final. Il est notre maître, non seulement en vertu de la création, parce que "le Seigneur lui-même est Dieu, lui-même nous a faits ; nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes", mais aussi en vertu de la rédemption qu’il a réalisée en sa nature humaine. Saint Paul dit aux Romains : "Le Christ est mort et est ressuscité pour dominer les morts et les vivants." Pour obtenir la récompense de la vie éternelle, les biens de la création ne nous suffiraient pas sans le bienfait de la rédemption, à cause de l’empêchement que le péché de nos premiers parents a inséré dans notre nature. C’est pourquoi, puisque le jugement final a pour but d’admettre certains hommes dans le royaume, tandis que d’autres en sont exclus, il convient que ce soit le Christ lui-même en sa nature humaine, grâce à laquelle l’homme est admis dans le royaume, qui préside ce jugement. C’est ce que signifient les Actes : "Lui-même a été institué par Dieu juge des vivants et des morts."

En outre, grâce à la rédemption du genre humain, il n’a pas restauré seulement l’humanité, mais par cette restauration de l’homme, il a amélioré aussi toute la créature, universellement. Saint Paul dit aux Colossiens : "Pacifiant par son sang répandu sur la Croix, tout ce qui est sur terre et dans les cieux." C’est pourquoi, par sa passion, le Christ a mérité la domination et le pouvoir judiciaire, non seulement sur les hommes, mais sur toute créature. Saint Matthieu "Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre."

Solutions :

1. Le Christ, en vertu de sa nature divine, possède le pouvoir de dominer toutes les créatures, par droit de création. En sa nature humaine il possède le pouvoir de domination qu’il a mérité par sa passion. C’est comme une autorité secondaire et acquise tandis que la première est naturelle et éternelle.

2. Le Christ en tant qu’homme ne possède pas un pouvoir irrésistible qui résulterait de la puissance de l’espèce humaine. Pourtant, par suite d’un don de sa divinité, il possède ce pouvoir invincible jusqu’en sa nature humaine, en tant que toutes choses lui sont soumises, comme dit saint Paul aux Corinthiens et aux Hébreux. C’est pourquoi il jugera dans sa nature humaine, mais par sa puissance divine.

3. Le Christ n aurait pas suffi a racheter le genre humain s’il avait été seulement homme. S’il a pu racheter le genre humain selon sa nature humaine et obtenir par là le pouvoir judiciaire cela manifeste qu’il est Dieu lui- même et doit être honoré autant que le Père, non pas comme homme, mais comme Dieu.

4. Dans cette vision de Daniel, il s’agit manifestement de la plénitude de l’ordre du pouvoir judiciaire. Elle réside d’abord, comme en sa source première, en Dieu lui-même, et plus spécialement dans le Père, qui est le principe de toute déité. C’est pour cela que le texte dit d’abord "L’Ancien siège." Mais le pouvoir judiciaire a été transmis par le Père au Fils, non seulement éternellement en vertu de sa nature divine, mais même dans le temps, selon sa nature humaine, qui l’a méritée. C’est pourquoi la vision prophétique se poursuit "Et voici que sur les nuées du ciel il semblait que le Fils de l’homme venait, et parvenait jusqu’à l’Ancien, qui lui donna pouvoir, honneur et royaume.

5. Saint Augustin parle en vertu d’une certaine appropriation : il ramène les effets que le Christ a opérés dans la nature humaine, à des causes qui sont semblables de quelque manière. Par notre âme, nous sommes faits à l’image et la similitude de Dieu, tandis que par notre chair nous sommes de la même espèce que le Christ homme. C’est pourquoi il attribue à la divinité ce que le Christ a fait dans nos âmes, tandis qu’il attribue à sa chair ce qu’il a fait ou fera dans notre chair. Cependant sa chair, en tant qu’organe de sa divinité, selon l’expression de saint Damascène, produit aussi des effets dans nos âmes : comme dit saint Paul aux Hébreux : "Son sang a purifié nos consciences de nos œuvres de mort." Ainsi le Verbe fait chair est cause de la résurrection de nos âmes. Des lors, même en sa nature humaine, il convient que le Christ soit le juge, non seulement des valeurs corporelles, mais des valeurs spirituelles.

 

Article 2 — Le Christ au jugement apparaîtra-t-il sous la forme de son humanité glorieuse ?

Objections :

1. Au jugement, il ne semble pas que le Christ apparaîtra sous la forme de son humanité glorieuse. A propos de saint Jean : "Ils verront celui qu’ils ont transpercé", la Glose dit : "Car il viendra en cette même chair dans laquelle il fut crucifié." Or il a été crucifié en une forme de faiblesse corporelle. C’est donc dans cette forme qu’il apparaîtra non sous une forme glorieuse.

2. Saint Matthieu dit : "Le signe du Fils de l’homme apparaîtra dans le ciel" : il s’agit du signe de la Croix. Saint Jean Chrysostome ajoute "Le Christ viendra juger en montrant non seulement les cicatrices de ses blessures, mais même la forme très ignominieuse de sa mort." Il ne sera donc pas sous une forme glorieuse.

3. Le Christ se présentera au jugement sous une forme qui puisse être vue par tous. Sous la forme de son humanité glorieuse, il ne pourrait pas être vu par tous, bons et méchants, car l’œil non glorifié ne semble pas être adapté pour voir l’éclat d’un corps glorieux. Il ne se présentera donc pas sous cette forme.

4. Ce qui est promis aux justes à titre de récompense ne peut pas être accordé à celui qui n’est pas juste. Voir la gloire de l’humanité du Christ est promis aux justes comme récompense selon saint Jean : "Il entrera et sortira et trouvera des pâturages." Saint Augustin l’interprète : "Ce sera la communion à la Divinité et à l’humanité." Et Isaïe dit : "Ils verront le Roi dans sa splendeur." Tous ne pourront donc pas voir au jugement la forme glorieuse du Christ.

5. Le Christ jugera dans la forme oit il a été jugé. A propos de saint Jean "Ainsi le Fils vivifie qui il veut", la Glose dit "Dans la forme où il a été jugé injustement il jugera justement pour pouvoir être vu par les impies." Puisqu’il a été jugé sous sa forme de faiblesse, c’est en celle-là qu’il apparaîtra au jugement.

Cependant :

Nous lisons en saint Luc "Ils verront le Fils de l’homme venir sur les nuées, avec grande puissance et majesté." Majesté et puissance appartiennent à la gloire. C’est donc en sa forme glorieuse qu’il apparaîtra.

En outre, le juge doit dépasser ceux qu’il juge or les élus qui seront jugés par le Christ auront des corps glorieux. A plus forte raison, le juge lui-même se présentera sous sa forme glorieuse.

De plus, être jugé est un signe de faiblesse, tandis que juger marque l’autorité et la gloire. En son premier avènement, quand le Christ est venu pour être jugé, il apparut sous une forme de faiblesse. Au second avènement, quand il viendra pour juger, il apparaîtra sous sa forme glorieuse.

Conclusion :

Le Christ est appelé "médiateur de Dieu et des hommes s, parce qu’il répare pour les hommes et implore le Père, tandis qu’il communique aux hommes ce qui vient du Père : saint Jean dit : "Je leur ai donné la lumière que tu m’as donnée." Il lui convient donc de communiquer avec chacun des termes qu unit : communiquant avec les hommes, il représente les hommes auprès du Père ; communiquant avec le Père, il transmet ses dons aux hommes. Dans le premier avènement, il était venu pour réparer pour nous auprès du Père : il apparaissait donc sous notre forme d’infirmité. Dans le second avènement, il viendra pour accomplir la justice du Père parmi les hommes il devra alors manifester la gloire qui lui vient de la communion avec le Père ; il se montrera donc sous la forme glorieuse.

Solutions :

1. Il se montrera dans la même chair, mais dans une autre manière d’être.

2. Le signe de la Croix apparaîtra au jugement pour manifester une infirmité passée, mais non plus actuelle par là il montrera la justice de la condamnation de ceux qui ont repoussé tant de miséricorde, et surtout de ceux qui ont injustement persécuté le Christ. Les cicatrices qui apparaîtront sur son corps ne seront pas un signe d’infirmité : elles seront les marques de la très grande force par laquelle le Christ dans sa passion et sa souffrance a triomphé de ses ennemis. Il manifestera aussi sa mort très humiliante, non pas en la présentant aux regards comme s’il la subissait maintenant, mais en portant les hommes à se souvenir de cette mort passée, par la présentation des traces de cette passion d’autrefois.

3. Le corps glorieux possède le pouvoir de se manifester ou non comme tel à un œil non glorifié, comme nous l’avons vu. C’est pourquoi le Christ pourra être vu par tous en sa forme glorieuse.

4. La gloire d’un ami nous réjouit. Par contre la gloire et la puissance de celui que l’on hait est une grande source de tristesse. C’est pourquoi, tandis que la vision de la gloire de l’humanité du Christ sera une récompense pour les justes, elle sera un supplice pour ses ennemis. Isaïe : "Qu’ils le voient et soient confondus les dirigeants du peuple, et que le feu (c’est-à-dire l’envie) dévore tes ennemis."

5. La forme signifie ici la nature humaine, en laquelle le Christ a été jugé et jugera. Elle ne vise pas la qualité de cette nature, qui ne sera pas infirme dans le juge comme elle l’était quand il fut jugé.

 

Article 3 — La divinité peut-elle être vue sans jouissance par les méchants ?

Objections :

1. Il semble que la divinité puisse être vue par les méchants sans en éprouver de joie. Il est en effet certain que les impies savent manifestement que le Christ est Dieu. Ils verront donc sa divinité, et pourtant ils n’en jouiront pas. Il pourra donc être vu sans joie.

2. La volonté perverse des impies n’est pas plus contraire à. l’humanité du Christ qu’à sa divinité. Mais le fait de voir la gloire de son humanité sera pour eux une peine. A bien plus forte raison, s’ils voyaient sa divinité, ils en seraient plus attristés que réjouis.

3. L’affectivité ne suit pas nécessairement l’intelligence. Saint Augustin dit : "L’intelligence précède, et le sentiment suit plus tard ou pas du tout." La vision appartient à l’intelligence et la joie à l’affectivité. Il pourra donc y avoir vision de la divinité sans joie.

4. "Tout ce qui est reçu en quelqu’un est reçu selon le mode de celui qui reçoit, et non selon le mode de ce qui est reçu." Tout ce qui est vu est reçu de quelque manière dans celui qui le voit. C’est pourquoi bien que la divinité soit elle-même source de très grande joie, cependant, si elle est vue par ceux qui sont accablés de tristesse, elle ne les réjouira pas, mais les contristera davantage.

5. L’intelligence est à l’égard de l’intelligible comme le sens à l’égard du sensible. Nous voyons dans l’ordre sensible que "pour un palais malade le pain devient désagréable, alors qu’il est agréable pour un palais sain," comme dit saint Augustin. Il en va de même pour nos autres sens. Dès lors, puisque les damnés ont l’intelligence désordonnée, il semble que la Vision de la lumière incréée lui apportera plus de souffrance que de joie.

Cependant :

Nous lisons en saint Jean : "La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi le vrai Dieu" : l’essence de la béatitude consiste donc en la vision de Dieu. Mais la notion même de béatitude inclut la joie. On ne peut donc voir la divinité sans en jouir.

En outre, l’essence même de la divinité est l’essence de la vérité : voir le vrai est pour tous une source de délectation ; "tous par nature désirent savoir," comme dit Aristote dans les Métaphysiques. La divinité ne peut donc pas être vue sans joie.

De plus, si une vision n’était pas toujours source de joie, ce serait que parfois elle engendre la tristesse. Mais la vision intellectuelle n’est jamais attristante, parce que, comme dit Aristote, "il n’y a pas de tristesse opposée à la délectation que l’on a en comprenant." Puisque la divinité ne peut être vue que par l’intelligence, il semble qu’elle ne puisse pas être vue sans joie.

Conclusion :

En toute chose désirable ou délectable, on peut considérer deux aspects ce qui est désirable ou délectable, et ce qui est le motif de ce désir et de cette délectation. Boèce dit : "Ce qui est, peut contenir quelque chose d’autre que son être ; mais le fait d’être ne peut rien contenir d’autre que lui-même." De même, ce qui est désirable ou délectable peut contenir quelque chose qui ne soit ni délectable ni désirable ; mais ce qui est le motif même de cette délectabilité ne peut rien contenir, en soi-même, à cause de quoi il ne serait ni délectable m désirable. De même les choses qui sont délectables seulement par participation à une bonté qui est la raison pour laquelle elles sont désirables et délectables, peuvent, si on les perçoit, ne pas apporter de jouissance mais ce qui est bon en vertu de sa propre nature, il est impossible qu’en percevant son essence on n’en jouisse pas. Dès lors, puisque Dieu est essentiellement la Bonté en elle-même, il n’est pas possible de voir la divinité sans en jouir.

Solutions :

1. Les impies sauront manifestement que le Christ est Dieu, non en voyant sa divinité, mais grâce à des signes très manifestes de sa divinité.

2. On ne peut pas davantage avoir de la haine pour la divinité telle qu’elle est en elle-même, qu’on ne pourrait haïr la bonté elle-même ; mais la divinité peut devenir objet de haine pour certains à cause d’effets particuliers qu’elle produit, parce qu’elle agit ou qu’elle ordonne contrairement à leur propre volonté. Il est donc impossible que la vision de la divinité ne soit pas délectable pour quelqu’un.

3. Ce texte de saint Augustin doit s’appliquer quand ce que l’intelligence perçoit est bon par participation seulement, et non par essence, comme sont toutes les créatures : en elles il peut y avoir quelque chose qui n’émeut point l’affectivité. Ici-bas, Dieu même n’est connu que par ses œuvres, et l’intelligence ne parvient pas à la connaissance de l’essence elle-même de sa bonté. L’affectivité ne suit donc pas nécessairement la connaissance, comme elle le devrait si celle-ci pénétrait l’essence de Dieu, qui est la bonté même.

4. La tristesse n’est pas une disposition, mais plutôt une passion. Toute passion est supprimée par une cause plus puissante qui survient ; elle ne peut chasser cette cause. C’est pourquoi, la tristesse des damnes disparaîtrait, s ils voyaient Dieu en son essence.

5. Si un organe est indisposé, sa conformité naturelle avec l’objet qui devrait normalement le faire jouir, disparaît, et la jouissance est empêchée. Mais la mauvaise disposition des damnés ne peut supprimer la disposition naturelle foncière qui les orientait vers la bonté divine, dont l’image demeure toujours en eux. Le cas est donc différent.

 

QUESTION 91 — L’ÉTAT DU MONDE APRÈS LE JUGEMENT

Recherchons quel sera l’état du monde et des ressuscités après le jugement. Nous considérerons l’état du monde, puis des bienheureux et des damnés. A propos du monde, nous poserons cinq questions 1. Y aura-t-il une rénovation du monde ? 2. Le mouvement des corps célestes cessera-t-il ? - 3. Les astres seront-ils plus brillants ? - 4. Les éléments recevront-ils une plus grande clarté ? - 5. Les animaux et les plantes subsisteront-ils ?

 

Article 1 — Le monde sera-t-il renouvelé ?

Objections :

1. Il semble qu’il ne le sera jamais. Rien n’arrivera que ce qui a déjà existé de quelque manière dans la même espèce de choses. L’Ecclésiaste dit : "Qu’est-ce qui a été ? sinon ce qui arrivera." Or le monde n’a jamais eu d’autre état que celui dans lequel il est, quant à ses parties essentielles, ses genres et ses espèces. Il ne sera donc jamais renouvelé.

2. Une innovation est une altération. Mais l’univers ne peut être altéré car tout ce qui est altéré l’est en vertu d’une cause qui l’altère sans se modifier elle-même, tout en ayant un mouvement local ; or on ne peut poser un tel être en dehors de l’univers. Il n’est donc pas possible que le monde soit renouvelé.

3. La Genèse dit que "Dieu se reposa le septième jour de toute l’œuvre qu’il avait accomplie" et de saints auteurs commentent : "qu’il se reposa de la production de nouvelles créatures". Mais dans cette première manière d’être les choses ne reçurent pas d’autre disposition que celle dans laquelle elles se trouvent maintenant en leur ordre naturel. Elles n’en auront donc jamais d’autre.

4. La disposition dans laquelle se trouvent maintenant les choses est naturelle. Si donc elles étaient changées en une autre, cette autre disposition ne leur serait pas naturelle. Or ce qui n’est pas naturel et est accidentel ne peut durer perpétuellement. La disposition nouvelle supposée devrait donc être ensuite enlevée au monde il y aurait une sorte d’évolution circulaire du monde, comme Empédocle et Origène le disaient ; après ce monde, il y en aurait un autre, et puis de nouveau un autre.

La rénovation dans la gloire et la récompense donnée à la créature raisonnable. Là où il n’y a point de mérite, il ne peut y avoir de récompense. Les créatures insensibles n’ayant rien mérité, il semble qu’elles ne seront pas renouvelées.

Cependant :

Isaïe dit : "Voici que je crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre, et on ne se souviendra plus des précédents." Et l’Apocalypse "J’ai vu un nouveau ciel et une nouvelle terre : le premier ciel et la première terre avaient disparu."

En outre, l’habitation doit convenir à l’habitant. Le monde a été fait pour être l’habitation de l’homme. Il doit donc lui convenir. L’homme étant renouvelé, le monde doit l’être aussi.

De plus, "tout animal aime le semblable à lui-même" : il en ressort que la similitude est la raison de l’amour. L’homme a une certaine similitude avec l’univers : on dit qu’il est le monde en petit. Il aime donc naturellement le monde entier, et désire son bien. Pour satisfaire ce désir de l’homme, l’univers doit être amélioré.

Conclusion :

On pense généralement que toutes les créatures corporelles ont été faites pour l’homme c’est pourquoi on dit que toutes lui sont soumises. Il y a deux manières de servir l’homme : d’une part en soutenant sa vie corporelle, d’autre part en facilitant son progrès dans la connaissance de Dieu, en tant que l’homme "à travers les choses créées découvre les choses invisibles de Dieu", comme dit saint Paul aux Romains. L’homme glorifié n’aura plus aucun besoin d’être servi de la première manière par les créatures puisque son corps sera tout à fait incorruptible, grâce à la puissance divine, qui opérera cela à travers l’âme, glorifiée immédiatement par Dieu. L’homme n’aura pas besoin d’être servi de la deuxième manière, dans sa connaissance intellectuelle, car les saints verront Dieu immédiatement dans son essence. Mais l’œil de chair ne pourra point parvenir à cette vision de l’essence divine. Pour lui accorder une récompense juste dans la vision de la divinité, cet œil pourra la considérer dans ses effets corporels, dans lesquels apparaîtront des signes manifestes de la majesté divine, surtout dans la chair du Christ, puis dans le corps des bienheureux, et enfin dans tous les autres corps. C’est pourquoi il faudra que même ces corps reçoivent une plus grande communication de la bonté divine que maintenant ; celle-ci ne changera pas leur espèce, mais leur ajoutera une perfection glorieuse telle sera la rénovation du monde. Donc, en même temps, le monde sera renouvelé, et l’homme glorifié.

Solutions :

1. Salomon parle ici du cours naturel des choses, comme cela ressort de ce qui suit "Rien de nouveau sous le soleil." Puisque le soleil se meut en cercle, les choses qui sont soumises à sa puissance doivent subir une sorte d’évolution circulaire, qui consiste en ce que les choses qui ont été auparavant reviennent de nouveau "dans la même espèce, mais en nombre différent", comme dit Aristote. Mais ce qui appartient à l’état de gloire ne dépend plus du soleil

2. Cet argument est tiré de l’altération naturelle qui vient d’un agent naturel, qui agit par nécessité de nature. Cet agent en effet ne peut produire une disposition différente sans se comporter lui-même de telle ou telle manière. Mais les choses qui s’accomplissent par l’action de Dieu procèdent de la liberté de sa volonté c’est pourquoi sans changement de la volonté de Dieu, il peut exister dans l’univers telle, puis telle autre disposition venant de lui. Ainsi ce renouvellement ne remonte pas à un principe mû, mais au principe immobile, qui est Dieu.

3. On dit que Dieu a cessé le septième jour que rien n’a été produit ensuite, qui n’ait pas préexisté auparavant de quelque manière dans son genre, ou son espèce, ou au moins dans son principe séminal ou dans une puissance obédientielle La nouveauté future du monde a précédé dans les œuvres des six jours, dans une similitude éloignée, à savoir la gloire et la grâce des anges ; elle a précédé aussi dans la puissance obédientielle, qui fut alors déposée dans la créature, pour qu’elle puisse recevoir plus tard de Dieu cette nouvelle manière d’être.

4. Cette disposition qui renouvellera les choses ne sera ni naturelle, ni contre nature elle sera au-dessus de la nature (comme la grâce et la gloire sont au-dessus de la nature de l’âme), et elle sera l’œuvre de cet agent perpétuel qui la conservera à jamais.

5. Les corps insensibles ne mériteront pas à proprement parler cette gloire. Mais l’homme aura mérité que cette gloire soit conférée à tout l’univers, parce qu’elle tendra à l’augmentation de la gloire de l’homme : de même qu’un homme mérite d’être revêtu de plus riches vêtements, sans que cette richesse soit aucunement méritée par le vêtement lui-même.

 

Article 2 — Le mouvement des corps célestes cessera-t-il ?

Objections :

1. Il semble que non, d’après la Genèse : "Tous les jours de la terre, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, la nuit et le jour ne cesseront pas." Or la nuit et le jour, l’été et l’hiver résultent du mouvement du soleil. Celui-ci ne cessera donc jamais.

2. Jérémie dit : "Ainsi parle le Seigneur, qui donne le soleil pour éclairer le jour et l’armée de la lune et des étoiles pour éclairer la nuit, qui agite la mer et fait résonner ses flots. Si les lois de ces choses disparaissent devant moi, la race d’Israël disparaîtra aussi, pour qu’il n’y ait plus de nations devant moi à jamais." Mais la race d’Israël ne disparaîtra jamais et demeurera éternellement. Donc les lois du jour et de la nuit, et des flots de l’océan, qui résultent du mouvement du ciel, seront à jamais : le mouvement du ciel ne cessera donc jamais.

3. La substance des corps célestes existera toujours. Or il est vain de faire exister quelque chose sans qu’existe ce à cause de quoi elle a été faite. Les corps célestes ont été créés "pour diviser le jour et la nuit, et pour marquer les époques et les temps, les jours et les années" : ils ne peuvent le faire que par leur mouvement ; celui-ci demeurera donc toujours, sinon il serait inutile que ces corps subsistent.

4. Dans cette rénovation du monde, il sera amélioré tout entier. Aucun des corps restant ne perdra donc ce qui appartient à sa perfection. Or le mouvement appartient à la perfection des corps célestes, puisque "ces corps participent à la divinité par le mouvement". Celui-ci ne cessera donc pas.

5. Le soleil illumine successivement les diverses parties du monde tandis qu’il se meut en cercle. Si le mouvement circulaire du ciel cessait, il y aurait une obscurité perpétuelle en certaines parties de la surface de la terre cela ne convient pas à une terre renouvelée.

6. Si ce mouvement cessait ce serait parce qu’il y aurait dans le ciel une certaine imperfection, comme de la fatigue ou de l’effort ce ne peut être ; puisque ce mouvement est naturel et que les corps célestes sont impassibles, ils ne peuvent pas se fatiguer dans leur mouvement, comme dit Aristote. Ce mouvement ne cessera donc jamais.

7. Vaine est la puissance qui ne s’actue pas. En toute position occupée par le corps céleste, il est en puissance à passer à une autre position. S’il n’y passait pas, cette puissance demeurerait vaine et serait toujours imparfaite. Elle ne peut être actuée que par le mouvement local. Le corps céleste se mouvra donc toujours.

8. Ce qui est indifférent par rapport à plu sieurs actions, passe à l’une ou à l’autre. Mais le soleil est indifférent par rapport à sa situation à l’Orient OU à l'Occident ; sinon son mouvement ne serait pas constamment uni forme, parce qu’il se mouvrait plus rapidement vers le lieu qui lui serait plus naturel. Donc, ou bien ni l’un ni l’autre de ces lieux ne lui est attribué, ou bien ils le sont tous deux. Or cela n’est possible que par un mouvement successif s’il se reposez ce doit être en un lieu déterminé. Il sera donc perpétuellement en mouvement, ainsi que, pour le même motif, tous les corps célestes.

9. Le mouvement du ciel est la cause du temps. S’il cessait, le temps aussi cesserait, et cela en un instant précis. Or le temps, par définition, est "le commencement de l’instant futur et la fin du passé". Ainsi, après le dernier instant du temps, il y aurait encore un temps ce qui est impossible. Le mouvement du ciel ne cessera donc jamais.

10. La glorification n’enlève pas la nature. Le mouvement du ciel lui est naturel : il ne lui sera donc pas enlevé par la glorification.

Cependant :

nous lisons dans l’Apocalypse que l’ange qui apparut "jura, par celui qui est le Vivant à travers les siècles, que le temps ne sera plus s, cela, après que le septième ange eût sonné de la trompette. Après cette sonnerie, "les morts ressusciteront s, comme dit saint Paul aux Corinthiens. Mais s’il n’y a plus de temps, il n’y a plus de mouvement du ciel. Celui-ci cessera donc.

En outre, Isaïe dit "Le soleil ne se couchera plus et la lune ne décroîtra plus." Le coucher du soleil et la décroissance de la lune viennent du mouvement du ciel. Celui-ci cessera donc un jour.

De plus, comme dit Aristote, "le mouvement du ciel a pour but les continuelles générations parmi les êtres qui sont sur terre s. Mais la génération cessera après i'achèvement du nombre des élus. Le mouvement du ciel cessera donc.

De même, tout mouvement est orienté vers une fin, comme dit Aristote. Mais tout mouvement, après avoir réalisé sa fin s’achève. Donc le mouvement du ciel, ou bien n’atteindra jamais sa fin et n’aurait donc pas sa raison d’être, ou bien s’achèvera.

Enfin, le repos est plus noble que le mouvement, car dans la mesure où les choses sont immobiles, elles ressemblent à Dieu, qui est la suprême immobilité. Le mouvement des corps inférieurs s’achève naturellement dans le repos. Donc les corps célestes qui sont beaucoup plus nobles, doivent naturellement achever leur mouvement dans le repos.

Conclusion :

Au sujet de ce problème, il existe trois positions : la première est celle de philosophes qui disent que le mouvement du ciel durera toujours. Mais cela n’est pas conforme à notre foi, qui tient qu’un certain nombre d’élus a été fixé par Dieu ; la génération des hommes ne durera donc pas perpétuellement, ni les autres choses qui sont ordonnées à la génération des hommes, comme le mouvement du ciel et les changements des éléments. D’autres disent que le mouvement du ciel cessera naturellement. Mais cela aussi est faux, parce que tout corps qui se meut naturellement, possède un lieu où il se repose naturellement, vers lequel il est mû naturellement, et dont il ne sort que par violence. Or on ne peut pas assigner un pareil lieu au corps céleste, parce qu’il n’est pas plus naturel pour le soleil de se rendre à un point de l’Orient que de s’en éloigner. Donc, ou bien son mouvement ne serait pas pleinement naturel, ou bien il ne s’achèverait pas naturellement dans le repos.

C’est pourquoi on doit dire, avec d’autres, que le mouvement du ciel cessera lors de cette rénovation du monde, non en vertu d’une cause naturelle, mais par la volonté divine. Le corps céleste, comme tous les autres, a été créé au service de l’homme à double titre, comme nous l’avons dit. L’homme, dans l’état de gloire, n’aura plus besoin de ce double service des corps célestes servant à la sustentation de sa vie corporelle le corps céleste lui sert par son mouvement, en tant que par ce mouvement le genre humain se multiplie, et les plantes et les animaux sont engendrés eux dont l’usage est nécessaire à l’homme. Même les températures de l’air servent à conserver sa santé. Donc, après la glorification de l’homme, le mouvement du ciel cessera.

Solutions :

1. Ces paroles s’appliquent à la terre dans son état actuel, dans lequel se produisent les générations et corruptions des plantes l’auteur ajoute en effet "tous les jours de la terre, de la semaille et de la moisson". On doit donc concéder simplement que tant que la terre sera apte aux semailles et à la moisson, le mouvement du ciel ne cessera pas.

2. Ici aussi, le Seigneur parle de la durée de la race d’Israël dans l’état présent. Il est dit en effet "La race d’Israël disparaîtra pour qu’il n’y ait plus de nation devant moi tous les jours." Il n’y aura plus de succession des jours après l’état présent. C’est pourquoi les lois auxquelles il est fait allusion n’existeront plus après cet état.

3. La fin qui est ici assignée aux corps célestes est leur fin prochaine, car c’est leur acte propre. Mais cet acte est en outre ordonne a une autre fin, à savoir le service de l’homme, comme il est dit dans le Deutéronome : "De peur qu’en élevant les yeux vers le ciel tu voies le soleil et la lune et tous les astres du ciel, et que tombant dans l’erreur tu adores ces choses créées par le Seigneur ton Dieu pour le service de toutes les nations qui sont sous le ciel." C’est pourquoi, on doit juger des corps célestes d’après le service rendu aux hommes, plutôt que selon la fin indiquée par la Genèse. Les corps célestes serviront d’une autre manière à l’homme glorifié, comme nous l’avons dit plus haut : ils ne demeureront donc pas inutilement.

4. Le mouvement n’est une perfection pour le corps céleste que parce qu’il est cause de génération et de corruption dans les choses de la terre par là, le corps céleste participe à la bonté divine, en vertu d’une certaine similitude de causalité. Mais ce mouvement n’appartient pas à la perfection de la substance du ciel qui demeurera. C’est pourquoi, la cessation du mouvement du ciel n’enlèvera rien à la perfection de sa substance.

5. Tous les corps des éléments du monde posséderont alors en eux-mêmes une certaine clarté de gloire. Bien qu’une certaine superficie de la terre ne soit plus illuminée par le soleil, elle ne restera nullement dans l’obscurité.

6. A propos du texte de saint Paul aux Romains : "Toute créature gémit...", une glose de saint Ambroise dit expressément que : "Tous les éléments suivent leurs lois avec effort. Le soleil et la lune ne parcourent pas sans effort les espaces désignés pour eux : ils le font à cause de nous ; ils se reposeront donc quand nous aurons été enlevés de la terre." Cet effort, je le crois, n’implique pas une fatigue ou une souffrance affectant ces corps à cause de leur mouvement. Celui-ci étant naturel n’a rien de violent. Ce mot effort doit être pris ici dans le sens d’une privation de ce vers quoi quelque chose tend. Puisque ce mouvement a été ordonné par la divine providence à l’achèvement du nombre des élus, tant qu’il n’est pas achevé, il n’atteint pas ce à quoi il a été destiné. C’est pourquoi, par analogie, on parle d’effort, comme pour l’homme qui n’a pas encore ce vers quoi il tend. Cette déficience disparaîtra du ciel à l’achèvement du nombre des élus.

On pourrait aussi entendre par cet effort le désir de la future rénovation que le ciel attend en vertu d’une disposition divine.

7. Il n’y a pas dans le corps céleste une puissance qui serait actuée par un lieu, ou qui aurait été créée pour cette fin, d’être en tel lieu Mais la puissance du corps céleste à se trouver dans un lieu peut être comparée à celle qu’aurait un artisan de faire plusieurs maisons du même modèle : s’il n’en fait qu’une on ne peut pas dire que c’est en vain qu’il a cette puissance. De même, quel que soit le lieu où se trouve le corps céleste, sa puissance à être dans un lieu ne demeurera pas incomplète ni frustrée.

8. Bien que le corps céleste, par nature, soit indifférent à se trouver en n’importe quel lieu parmi ceux qui lui sont possibles, pourtant si on le considère par rapport avec certaines choses autres que lui-même, il ne se comporte pas de la même manière dans les diverses positions ; il y en a de meilleures pour certaines choses ainsi, par rapport à nous, il est préférable que le soleil soit dans le jour que dans la nuit. Il est donc probable, puisque la rénovation du monde sera ordonnée à l’homme, que le ciel aura dans cet état la meilleure des positions possibles par rapport à notre habitation sur terre. Selon d’autres, le ciel s’arrêtera dans la position dans laquelle il a été créé : sans cela sa révolution circulaire demeurerait inachevée. Mais cet argument ne semble pas concluant, car on sait que la révolution du ciel ne se terminera qu’en trente six mille ans ; le monde devrait donc durer aussi longtemps, ce qui ne semble pas probable. En outre dans cette hypothèse, on pourrait savoir quand le monde devrait finir. Les astrologues peuvent sans doute parvenir à savoir en quelle position les corps célestes ont été créés, en tenant compte du nombre d’années écoulées depuis le commencement du monde. On pourrait donc savoir le nombre des années nécessaires pour que le ciel revienne à la même position. Or il est dit que l’époque de la fin du monde est inconnue.

9. Le temps cessera un jour avec l’arrêt du mouvement du ciel. Mais le dernier instant ne sera pas le commencement d’un instant futur. La définition de l’instant donnée dans l’objection ne vaut qu’en tant qu’il est une partie du temps qui s’écoule, non en tant qu’il serait l’instant achevant complètement le temps.

10. Le mouvement du ciel est dit naturel, non en ce sens qu’il serait une partie de la nature comme les principes naturels, ni en tant qu’il aurait un principe actif dans la nature des corps. Son principe actif est une substance spirituelle. Il n’y a donc pas d’obstacle à ce que, par la rénovation de gloire, ce mouvement soit supprimé : sa disparition ne modifiera pas la nature du corps céleste.

Nous concédons les autres arguments, les trois premiers, qui sont en faveur de notre thèse, puisqu’ils concluent justement. Mais puisque les deux autres semblent conclure que le mouvement du ciel cessera naturellement, nous devons les réfuter.

Au premier nous répondons qu’un mouvement cesse quand il a atteint sa fin, si celle-ci est consécutive au mouvement et ne lui est pas concomitant. Mais la fin du mouvement céleste, selon les philosophes, lui est concomitante : c’est l’imitation de la bonté divine, par l’effet qu’il produit dans les êtres inférieurs. Il ne convient donc pas que ce mouvement cesse naturellement.

Au deuxième argument nous répondons en soi l’immobilité est plus noble que le mouvement. Cependant, dans une créature qui par son mouvement peut atteindre une participation parfaite à la bonté divine, le mouvement est plus noble que l’inertie dans laquelle elle ne pourrait aucunement atteindre cette perfection. C’est pourquoi, la terre, qui est le plus inférieur des éléments, n’a pas de mouvement. Dieu lui-même, qui est le plus noble des êtres, est sans mouvement, mais il meut les corps les plus nobles. C’est pourquoi aussi les mouvements des corps supérieurs pourraient être considérés comme perpétuels, selon la loi de leur nature, et ne jamais s’achever en un repos, tandis que le mouvement des corps inférieurs se termine dans le repos.

 

Article 3 — La clarté des corps célestes sera-t-elle augmentée en cette rénovation ?

Objections :

1. Cela ne semble pas. Cette rénovation s’accomplira dans les corps inférieurs par la purification du feu. Mais le feu purifiant n’atteint pas les corps célestes. Ils ne seront donc pas renouvelés par la réception d’une plus grande clarté.

2. Les corps célestes, qui sont par leur mouvement cause de la génération dans les êtres inférieurs, le sont aussi par la lumière. Mais quand cessera la génération, leur mouvement aussi cessera, comme nous l’avons vu. Leur lumière cessera donc également, plutôt que d’être intensifiée.

3. Si par la rénovation de l’homme les corps célestes sont eux-mêmes renouvelés, il faut que par la détérioration de l’homme les corps célestes soient eux-mêmes détériorés. Or ceci ne paraît pas probable, puisqu’ils sont invariables dans leur substance. Ils ne seront donc pas non plus renouvelés si l’homme se renouvelle.

4. Si les corps célestes ont été détériorés, ils doivent l’avoir été autant qu’ils seront améliorés par la rénovation de l’homme. Isaïe dit que "la lumière de la lune sera comme celle du soleil". Donc dans l’état primitif, avant le péché, la lune brillait autant que le soleil de maintenant. Donc quand elle se trouvait au-dessus de la terre, elle réalisait le jour, comme le fait maintenant le soleil. Or cela apparaît comme manifestement faux, selon la Genèse, qui dit que la lune a été créée pour "présider à la nuit s. Le péché de l’homme n’a donc pas été cause d’une diminution de la lumière des corps célestes. Leur lumière ne sera pas non plus augmentée par la glorification de l’homme.

5. La clarté des corps célestes a pour but de servir les hommes, ainsi que les autres créatures. Mais après la résurrection, la clarté du soleil ne servira plus aux hommes. Isaïe dit "Tu n’auras plus le soleil pour briller le jour, mi la splendeur de la lune pour t’illuminer." Et l’Apocalypse : "Cette cité n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer. Leur clarté ne sera donc pas accrue.

6. Il ne serait pas sage pour un artisan de fabriquer de très grands instruments pour construire un petit objet fabriqué. L’homme est très petit en face des corps célestes, qui par

leur énorme grandeur dépassent incomparablement ses dimensions. Bien plus, toute la masse de la terre est, en face du ciel, comme un point par rapport à la sphère, comme disent les astrologues. Dieu, qui est infiniment sage, ne semble pas avoir assigné l’homme comme fin de la création du ciel. Il ne semble donc pas qu’à cause de son péché le ciel doive être détérioré, ni qu’à cause de sa gloire il soit amélioré.

Cependant :

Isaïe affirme "La lumière de la lune sera comme celle du soleil, et la lumière du soleil sera septuplée."

En outre, le monde entier sera transformé en mieux. Mais le ciel est la partie la plus noble du monde corporel. Il sera donc modifié en mieux. Cela ne peut être qu’en resplendissant d’une plus grande clarté. Il sera donc amélioré, et sa clarté croîtra.

De plus, "toute créature qui gémit et engendre attend la révélation de la gloire des fils de Dieu", comme dit saint Paul aux Romains. Il en est ainsi des corps célestes, comme dit la Glose. Ils attendent donc la gloire des saints. Cela ne se peut que s’ils doivent en être enrichis. C’est donc que leur clarté en sera accrue, puisqu’elle est leur principal ornement.

Conclusion :

La rénovation du monde a pour but de nous donner des signes manifestes, grâce auxquels l’homme verra Dieu, pour ainsi dire sensiblement. La créature conduit à la connaissance de Dieu surtout par sa beauté et sa splendeur, qui manifestent la sagesse de celui qui l’a faite et la gouverne. La Sagesse dit : "Le Créateur pourra être vu grâce à la grandeur de la beauté de sa créature." La beauté des corps célestes réside surtout en leur lumière. L’Ecclésiastique dit : "La splendeur du ciel c’est la gloire des étoiles, le Seigneur illuminant le monde dans les hauteurs." Les corps célestes seront donc surtout améliorés dans leur clarté. La quantité et la modalité de cette amélioration sont connues de celui-là seul qui en sera l’auteur.

Solutions :

1. Le feu purificateur ne causera pas une rénovation de la forme des choses, mais il les y préparera, en les purifiant de la corruption du péché et de la pénétration des impuretés, qui ne se trouvent pas dans les corps célestes. Ceux-ci n’ont donc pas besoin d’être purifiés par le feu ; mais ils doivent être rénovés divinement.

2. Le mouvement n’apporte pas de perfection à celui qui se meut, considéré en lui-même car le mouvement est l’acte d’un être imparfait. Il peut cependant contribuer à la perfection d’un corps en produisant en lui quelque chose qui y concourt. La lumière contribue à la perfection du corps lumineux, même considéré en sa substance. C’est pourquoi, quand le corps céleste aura cessé d’être la cause des générations, il gardera sa clarté en perdant son mouvement.

3. Au sujet du texte d’Isaïe : "La lumière de la lune sera comme celle du soleil," la Glose dit : "Toutes les choses faites pour l’homme ont été abîmées par son péché ; le soleil et la lune ont vu réduire leur lumière." Certains interprètent cette diminution comme une réelle réduction de leur lumière. L’invariabilité naturelle des corps célestes n’empêche pas ce changement, puisqu’il a été opéré par la puissance divine. D’autres pensent, et cela est probable, que cette diminution ne marque pas une réelle déficience de la lumière, mais seulement un amoindrissement, dans son service des hommes, du bénéfice qu’ils tiraient de la lumière. des corps célestes : celui-ci serait moindre après le péché. C’est de cette manière que la Genèse dit : "Que soit maudite la terre que tu travailles : elle fera germer pour toi des épines et des chardons." Auparavant, il poussait déjà des épines et des chardons, mais pas pour le châtiment de l’homme. Si la lumière des corps célestes n’est pas réduite en son essence par le péché de l’homme, il n’en résulte pas qu’elle ne doive pas être augmentée dans la glorification de l’homme, parce que le péché de l’homme n’a pas modifié l’état de l’univers. Avant comme après, l’homme a une vie animale, qui a besoin du mouvement et de la génération de toute créature corporelle. Mais la glorification de l’homme modifiera l’état de toute la création corporelle, comme il a été dit plus haut. Ce n’est donc pas la même chose.

4. Cette diminution, ainsi qu’on l’estime plus probable, n’affecte pas la substance, mais un effet de la lune. Il n’en résulte donc pas que quand la lune était au-dessus de la terre elle produisait le jour, mais seulement que l’avantage que l’homme tirait de la lumière de la lune égalait celui qu’il tire maintenant de la lumière du soleil. Mais après la résurrection, quand la lumière de la lune croîtra réellement, il n’y aura nulle part de nuit sur la terre, sauf dans le centre de la terre, où sera l’enfer. Alors, comme il est dit, la lune brillera autant que maintenant le soleil, et le soleil sept fois plus que maintenant. Les corps des bienheureux brilleraient sept fois plus que le soleil, bien que cela ne soit pas établi par des textes faisant autorité ni par une raison.

5. Une chose peut rendre service à l’homme de deux manières : d’une manière, parce qu’elle lui serait nécessaire ; aucune créature ne sera plus nécessaire à l’usage des hommes, parce qu’ils recevront de Dieu tout le suffisant. L’Apocalypse le signifie en disant que "cette cité n’a besoin ni de soleil ni de lune". D’une autre manière une chose peut être utile à l’homme pour sa plus grande perfection et ainsi l’homme se servira d’autres créatures, non en tant que nécessaires pour parvenir à sa fin, mais de même qu’il emploie maintenant certaines créatures.

6. Cet argument est du Rabbi Moïse, qui s’efforce de rejeter tout à fait la thèse que le monde a été créé pour l’homme. Il déclare donc que ce qui est dit dans l’Ancien Testament de la rénovation du monde, par exemple dans les textes d’Isaïe, n’est qu’une métaphore. Selon lui, quand il est dit à une personne que le soleil s’obscurcit, cela signifie qu’elle tombe dans une grande tristesse et ne sait plus que faire (selon une manière de parler fréquente dans l’Écriture), tandis que si on dit au contraire que le soleil brille davantage pour une personne et que tout le monde se renouvelle, c’est parce que cette personne passe de l’état de tristesse à une très grande joie. Mais cela est en désaccord avec les textes faisant autorité et les exposés des saints. On doit donc répondre à ce raisonnement que, bien que les corps célestes soient très au-dessus du corps humain, cependant l’âme raisonnable dépasse beaucoup plus les corps Célestes que ceux-ci ne dépassent le corps humain. Il n’y a donc pas de difficulté à admettre que les corps célestes ont été créés pour l’homme, mais non comme fin principale, puisque la fin principale de toutes choses est Dieu.

 

Article 4 — Les éléments seront-ils renouvelés par la réception d’une clarté ?

Objections :

1. Il semble qu’on doive le nier. La lumière est une qualité propre aux corps célestes, comme le chaud et le froid, l’humide et le sec sont les qualités propres des éléments. De même que le ciel sera renouvelé par une augmentation de sa clarté, ainsi les éléments doivent l’être par l’accroissement de qualités actives et passives.

2. Le rare et le dense sont des qualités des éléments, qu’ils ne perdront pas à la rénovation du monde. Mais la rareté et la densité des éléments semblent résister à la lumière, puisque un corps clair doit être condensé ; il ne semble donc pas que la rareté de l’air puisse recevoir la clarté, ni la densité de la terre, qui la rend impénétrable. Il n’est dès lors pas possible que les éléments soient renouvelés par l’addition d’une clarté.

3. Il est évident que les damnés seront dans la terre. Mais ils seront dans les ténèbres, non seulement intérieures, mais même extérieures. La terre ne sera donc pas douée de clarté dans cette rénovation, ni, pour le même motif, les autres éléments.

4. L’augmentation de la clarté dans les éléments accroît leur chaleur. Si donc en cette rénovation il y avait une plus grande clarté des éléments que maintenant, il y aurait une chaleur plus grande ; ils seraient donc transformés jusqu’en leurs qualités naturelles, qui leur appartiennent en une mesure déterminée. Ce serait absurde.

5. Le bien de l’univers, qui consiste dans l’ordre et l’harmonie de ses parties, est plus appréciable que le bien d’une nature particulière. Si une créature devenait meilleure, le bien de l’univers disparaîtrait, puisque son harmonie serait troublée. Si donc les éléments de l’univers qui selon leur état naturel dans l’univers doivent être privés de clarté, recevaient de la clarté, la perfection de l’univers périrait plutôt que d’en être accrue.

Cependant :

L’Apocalypse dit : "J’ai vu un nouveau ciel et une nouvelle terre. "Le ciel sera renouvelé par une plus grande clarté ; donc aussi la terre et les autres éléments.

En outre, les corps inférieurs sont destinés à servir à l’homme comme les supérieurs. Mais la créature corporelle sera récompensée à cause du service qu’elle aura rendu à l’homme, comme semble le signifier la Glose de l’Epître de saint Paul aux Romains. Les éléments seront donc revêtus de clarté comme les corps célestes.

De plus, le corps de l’homme est composé des éléments. Leurs parties qui sont dans le corps de l’homme seront glorifiées avec l’homme, par la réception de la clarté. Il convient que le tout et la partie possèdent la même disposition et que les éléments eux- mêmes soient doués de clarté.

Conclusion :

Le rapport entre l’ordre des esprits célestes et celui des esprits terrestres est le même qu’entre l’ordre des corps célestes et des corps terrestres. Puisque la créature corporelle a été faite pour la créature spirituelle et est gouvernée par elle, la disposition des choses corporelles doit être la même que celle des choses spirituelles. A la fin du monde, les esprits inférieurs recevront les propriétés des esprits supérieurs : les hommes "seront comme les anges dans le ciel", selon saint Matthieu. L’esprit humain parviendra à la plus haute perfection en ce par quoi il peut recevoir une communication de l’esprit angélique. De même, puisque les corps inférieurs ne communiquent avec les corps célestes que dans l’ordre de la lumière et de la transparence, comme dit Aristote, il faut que les corps inférieurs soient surtout perfectionnés dans l’ordre de la clarté. Tous les éléments revêtiront donc une sorte de clarté, pas tous également, mais chacun à sa manière : on dit en effet que la terre sera, à sa surface transparente comme le verre, l’eau comme le cristal, l’air comme le ciel, le feu comme les astres du ciel.

Solutions :

1. Nous l’avons vu, la rénovation du monde tend à ce que l’homme puisse voir la Divinité, même sensiblement, à travers les corps, par des signes manifestes. Parmi nos sens, le plus spirituel et le plus subtil est la vue. C’est donc surtout par leurs qualités visuelles, dont le principe est la lumière, que les corps inférieurs seront améliorés. Mais les qualités élémentaires sont soumises au toucher, qui est le plus matériel des sens. L’excès de ses sensations est plus pénible que délectable. Par contre l’excès de la lumière sera délectable, parce qu’elle n’est pénible qu’à cause de la débilité de l’organe visuel, laquelle n’existera plus dans la vie nouvelle.

2. L’air ne sera pas clair comme s’il projetait des rayons, mais comme une chose diaphane pénétrée par la lumière. La terre, bien que opaque par nature, à cause du manque de lumière, revêtira sur sa surface, par la vertu divine, une gloire de clarté sans préjudice de son opacité.

3. Dans le lieu de l’enfer, il n’y aura point de terre glorifiée par la clarté, mais au lieu de cette forme de gloire, il y aura dans cette partie de la terre les esprits intelligents des hommes et des démons, qui, bien qu’affaiblis à cause de leur faute, seront supérieurs par la dignité de leur nature à n’importe quelle qualité corporelle. On pourrait dire aussi que même si toute la terre était glorifiée, néanmoins les damnés seront dans les ténèbres extérieures parce que le feu de l’enfer qui sous un certain aspect luira, par ailleurs ne pourra pas briller pour eux.

4. Cette clarté sera dans ces corps comme elle est dans les corps célestes, dans lesquels elle ne cause pas de chaleur ; ces corps seront devenus inaltérables comme le sont maintenant les corps célestes.

5. L’ordre de l’univers ne sera pas supprimé par l’amélioration des éléments, puisque toutes les autres parties de l’univers seront elles- mêmes améliorées : la même harmonie demeurera donc.

 

Article 5 — Les plantes et les animaux demeureront-ils dans cette rénovation ?

Objections :

1. Il semble que oui. Il ne convient pas que dans ce monde nouveau les éléments perdent quelque chose qui servait à les orner. Or ils sont ornés par les animaux et les plantes ceux-ci ne leur seront donc pas enlevés dans la rénovation du monde.

2. Les animaux, les plantes et les minéraux servent à l’homme comme les éléments. Ceux-ci seront glorifiés à cause de ce service. De même les animaux, les plantes et les minéraux doivent l’être.

3. L’univers demeurerait imparfait si quelque chose qui fait partie de sa perfection lui était enlevé. Or les espèces des animaux, des plantes et des minéraux font partie de la perfection de l’univers. Puisqu’on ne peut pas dire que le monde demeurerait imparfait dans sa rénovation, il semble qu’on doive affirmer que les plantes et les animaux subsisteront.

4. Les animaux et les plantes ont une forme plus noble que les éléments. Or le monde, dans la rénovation finale, doit être changé en mieux. Donc les animaux et les plantes doivent demeurer, plus encore que les éléments, puisqu’ils sont plus nobles.

5. Il ne convient pas de dire qu’un appétit naturel sera frustré. Selon leur appétit naturel, les animaux et les plantes désirent exister perpétuellement, sinon comme individus, du moins en tant qu’espèce c’est à cela qu’est ordonnée leur génération continuelle, comme dit Aristote. Il ne convient donc pas de dire que ces espèces disparaîtront un jour.

Cependant :

si les plantes et les animaux demeurent, cela vaudra pour tous, ou seulement pour quelques-uns. Si c’est pour tous, il faut que les animaux privés de raison, morts avant la fin du monde, ressuscitent comme les hommes. Cela ne peut être, car leur forme disparaît avec leur mort, et ne peut donc pas être réincarnée la même forme individuellement. Si ce n’est pas pour tous, mais seulement pour quelques-uns on ne voit pas de motif pour que l’un demeure plutôt que l’autre ; il semble donc qu'aucun ne demeurera perpétuellement.

Tout ce qui demeure après la rénovation du monde, demeurera perpétuellement avec cessation de génération et de corruption. Il saut donc dire que les plantes et les animaux cesseront tout à fait d’exister après la rénovation du monde.

En outre, selon Aristote, la perpétuité de l’espèce des plantes des animaux et autres choses corruptibles, n’est assurée que par la continuation du mouvement céleste. Mais celui-ci cessera. Les espèces ne pourront donc pas être gardées perpétuellement.

De plus, quand la fin cesse, ce qui lui est ordonné doit cesser. Les animaux et les plantes ont été créés pour soutenir la vie animale de l’homme. La Genèse dit : "Je vous ai donné toute chair comme tout légume." Avec la cessation de la vie animale de l’homme, les animaux et les plantes doivent donc cesser. Après la glorification, la vie animale de l’homme n’existera plus les plantes et les animaux ne resteront donc plus.

Conclusion :

Puisque la rénovation du monde se fera en faveur de l’homme, elle doit être conforme à la rénovation de l’homme lui-même. Or l’homme renouvelé passera de l’état de corruption à celui d’incorruption et de repos perpétuel. Saint Paul dit aux Corinthiens : "Il faut que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité, et que ce corps mortel revête l’immortalité." Le monde sera donc renouvelé de telle sorte que, rejetant toute corruption, il demeure perpétuellement dans le repos. Rien ne pourra être ordonné à cette rénovation qui ne soit lui-même ordonné à l’incorrution. Tels sont les corps célestes, les éléments et les hommes. Les corps célestes sont incorruptibles par nature, en tout et en particulier. Les éléments sont corruptibles dans leurs parties, mais incorruptibles dans leur totalité. Les hommes se corrompent dans leur tout comme dans leurs parties, mais seulement dans la matière du corps, non dans sa forme, l’âme raisonnable, qui demeure incorruptible après la corruption du corps. Les animaux dénués d’intelligence et les plantes et les minéraux et tous les corps mixtes, se corrompent dans le tout et dans les parties, et dans leur matière qui perd sa forme, et dans leur forme qui cesse d’être en acte. Ils n’ont donc aucune disposition à l’incorruptibilité. Ils ne demeureront pas après cette rénovation, mais seules resteront les choses que nous avons dites.

Solutions :

1. Ces corps sont l’ornement des éléments en tant qu’ils amènent jusqu’à des actions supérieures les pouvoirs actifs et passifs des éléments : ils sont donc un ornement pour les éléments tant que ceux-ci sont à l’état actif et passif. Mais cet état ne demeure pas dans les éléments : il ne convient donc pas que les animaux et les plantes demeurent.

2. Les animaux, les plantes et les autres créatures corporelles ne méritent rien en servant l’homme, puisqu’ils sont dépourvus du libre arbitre ; on dit que certains corps sont récompensés, mais c’est parce que l’homme a mérité que soient renouvelées les choses qui y sont aptes. Les plantes et les animaux ne sont pas aptes à cette transformation qui les rendrait incorruptibles, comme nous l’avons vu. L’homme ne peut donc pas mériter cette transformation, parce que personne ne peut mériter pour un autre que ce dont celui-ci est capable, pas plus que pour soi-même. Donc, même si les animaux privés de raison méritaient au service de l’homme, ils ne devraient pas être renouvelés.

3. La perfection de l’homme peut être comprise diversement (perfection de nature telle qu’elle a été créée, et de nature glorifiée). De même, la perfection de l’univers est double :

L’une selon l’état présent de mutabilité, l’autre selon l’état de la future rénovation. Les plantes et les animaux appartiennent à la perfection de l’univers dans l’état présent, non à celui de rénovation, auquel ils ne sont pas destinés.

4. Bien que les animaux et les plantes, à certains points de vue, soient plus nobles que les éléments, cependant, au point de vue de l'incorruptibilité, les éléments sont plus nobles, comme cela ressort de ce que nous avons dit.

5. L’appétit naturel de perpétuité qui se trouve dans les animaux et les plantes, doit être considéré selon le mouvement du ciel, c’est-à-dire qu’il ne dure que tant que celui-ci demeure. Un effet ne peut pas posséder un appétit qui demeure au-delà de sa cause. Si donc, à la cessation du mouvement du premier moteur, les plantes et les animaux ne demeurent pas selon leur espèce, il ne s’ensuit pas que l’appétit naturel est frustré.

 

QUESTION 92 — LA VISION DE L’ESSENCE DIVINE.

 

Considérons ce qui concerne les bienheureux après le jugement général : 1. Leur vision de l’essence divine, en laquelle consiste principalement leur béatitude. 2. Leur béatitude et leurs demeures. 3. Leur état par rapport aux damnés. - 4. Les dons contenus dans leur béatitude. - 5. Les auréoles qui perfectionnent et ornent leur béatitude.

Au sujet du premier point, trois questions se posent : 1. Les saints verront-ils Dieu en son essence ? - 2. Le verront-ils des yeux du corps ? - 3. En voyant Dieu verront-ils aussi tout ce que Dieu voit ?

 

Article 1 — L'intelligence humaine peut-elle parvenir à voir Dieu en son essence ?

Objections :

1. Cela ne lui semble pas possible. Saint Jean dit "Personne n’a jamais vu Dieu "et saint Jean Chrysostome affirme que "même les essences célestes (les Chérubins et les Séraphins eux-mêmes) ne pourront pas le voir jamais tel qu’il est." Aux hommes est promise seulement l’égalité avec les anges. En saint Matthieu : "Ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel." Donc les saints eux- mêmes dans la patrie céleste ne verront pas Dieu en son essence.

2. Denys raisonne comme ceci : "On ne peut connaître que ce qui existe. Or tout ce qui existe est fini, puisqu’il se trouve en un genre déterminé. Dieu, qui est infini, est au-dessus de tous les êtres qui existent. Il n’y a donc point de connaissance possible de lui il est au-dessus de toute connaissance."

3. Denys montre que le moyen le plus parfait pour notre intelligence d’être unie à. Dieu, c’est d’adhérer à lui comme à l’Inconnu. Une chose qui est vue en son essence n’est pas inconnue. Il est donc impossible que notre intelligence voie Dieu en son essence.

4. Denys dit : "Si on pose sur Dieu des ténèbres (qu’il appelle abondance de lumière), elles sont couvertes de toute lumière et sont cachées à toute connaissance. Et si quelqu’un en voyant Dieu comprend ce qu’il voit, c’est qu’il ne le voit pas lui-même, mais voit quelque chose qui vient de lui." Donc aucune intelligence créée ne pourra voir Dieu en son essence.

5. Selon Denys, "Dieu, l’Être, est quelqu’un d’invisible à cause de son excessive clarté". Cette clarté qui est trop vive pour l’intelligence de l’homme sur la terre, l’est aussi pour son intelligence dans la patrie. Elle sera donc invisible dans la patrie comme pour l’homme en marche sur terre.

6. Puisque l’être intelligible perfectionne l’intelligence, il doit y avoir une proportion entre l’intelligible et l’intelligence, comme entre le visible et la vue. Or il ne peut pas y avoir de proportion entre notre intelligence et l’essence divine, puisqu’elles sont infiniment distantes. Notre intelligence ne pourra donc pas atteindre en une vision l’essence divine.

7. Dieu est plus distant de notre intelligence que l’intelligible créé est distant du sens. Le sens ne peut d’aucune manière atteindre la vision de la créature spirituelle. Notre intelligence ne peut pas davantage atteindre la vision de l’essence divine.

Quand une quelque chose, il faut toujours qu’elle soit informée par la représentation en elle de cette chose, représentation imprimée en elle, qui est le principe de l’opération qui s’achève dans l’objet, comme la chaleur est le principe de l’échauffement. Si donc notre intelligence connaît Dieu, cela doit se faire grâce à une similitude de lui qui informe cette intelligence. Ce ne peut pas être l’essence divine elle-même, puisque l’être de la forme et de ce qu’elle informe est unique or l’essence divine diffère de notre intelligence selon son essence et selon son être. Il faut donc que la forme qui informe notre intelligence dans la connaissance de Dieu soit une similitude de Dieu imprimée par lui dans notre esprit. Mais cette similitude étant quelque chose de créé, ne peut conduire à la connaissance de Dieu que comme un effet conduit à sa cause. Il est donc impossible que notre intelligence voie Dieu autrement que par son effet. Mais voir Dieu par son effet n’est pas le voir par son essence. Notre intelligence ne- pourra donc pas le voir en son essence.

9. L’essence divine est plus éloignée de notre intelligence que n’importe quel ange ou intelligence. Mais, comme dit Avicenne, "qu’une intelligence soit connue de notre esprit, cela ne signifie pas que l’essence de cette intelligence soit dans notre esprit". Car alors la science que nous avons de cette intelligence serait une substance et non un accident. En réalité, "c’est la représentation de cette intelligence qui se trouve dans notre esprit. Donc, Dieu aussi n’est dans notre esprit, pour être connu par nous, qu’en tant qu’une similitude est imprimée par lui dans notre esprit. Cette similitude ne peut conduire à la connaissance de l’essence divine, car, étant infiniment distante de cette essence, elle dégénère en une espèce, encore bien plus que si l’espèce du blanc dégénérait dans l’espèce du noir. Dès lors, de même que celui dans la vue duquel l’image du blanc dégénère en celle du noir, à cause d’une indisposition de l’organe visuel, ne voit pas le blanc, ainsi notre intelligence qui voit seulement Dieu à travers une représentation de lui, ne peut le voir dans son essence.

10. "Dans les choses séparées de la matière, dit Aristote, l’intelligence et son objet ne sont qu’un." Mais Dieu est absolument séparé de toute matière. Puisqu’une intelligence créée ne peut parvenir à devenir une essence incréée, il n’est pas possible que notre intelligence voie Dieu en son essence.

11. Tout ce qui est vu dans son essence, on sait ce qu’il est. Mais notre intelligence ne peut pas savoir de Dieu ce qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est pas, comme disent Denys et saint Jean Damascène. Notre intelligence ne pourra donc pas voir Dieu en son essence.

12. Tout infini, comme tel, est inconnu. Dieu est infini de toutes manières et donc tout à fait inconnu. Il ne pourra donc pas être vu en son essence par une intelligence créée.

13. Saint Augustin dit "Dieu est, par nature, invisible." Les choses qui appartiennent à Dieu par nature ne peuvent se modifier. Impossible donc qu’il soit vu par essence.

14. Tout ce qui existe d’une manière et est vu d’une autre manière, n’est pas vu tel qu’il est. Mais Dieu existe d’une manière, et sera vu d’une autre manière par les saints dans la patrie. Il existe en effet à sa manière et sera vu par les saints à leur manière. Il ne sera donc pas vu par eux selon ce qu’il est. Donc, point en son essence.

15. Ce qui est vu à travers un intermédiaire n’est pas vu en son essence. Dieu, dans la patrie, sera vu par l’intermédiaire de la lumière de gloire, comme dit le Psalmiste "Dans ta lumière nous verrons la lumière." Il ne sera donc point vu en son essence.

16. Dans la patrie Dieu sera vu face à face, selon saint Paul aux Corinthiens. Quand nous voyons un homme face à face, nous le voyons dans sa représentation imprimée en nous. Dieu dans la patrie sera donc vu dans une représentation de lui, non en son essence.

Cependant :

Saint Paul dit aux Corinthiens "Maintenant, nous voyons dans un miroir, d’une manière mystérieuse, mais alors nous verrons face à face." Ce qui se voit face à face se voit dans son essence. Les saints dans la patrie verront donc Dieu dans son essence.

En outre, saint Jean dit : "Quand il apparaîtra, nous serons semblables a lui, car nous le verrons tel qu’il est." Nous le verrons donc en son essence.

De plus, saint Paul dit aux Corinthiens : "Quand il aura remis le royaume à Dieu et au Père." La Glose ajoute : "Là où (dans la patrie) l’essence du Père et du Fils et du Saint -Esprit sera vue, elle qui apparaîtra seulement aux cœurs purs, puisqu’elle est la suprême béatitude." Les bienheureux verront donc Dieu en son essence.

De plus, saint Jean dit "Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera ; et je l’aimerai et je me manifesterai moi-même à lui." Ce qui est manifesté, on le voit en son essence. Dieu sera donc vu en son essence par les saints dans la patrie.

De plus, à propos de l’Exode "L’homme ne pourra me voir et vivre", saint Grégoire rejette l’opinion de ceux qui disaient que "dans cette région de la béatitude Dieu peut être considéré dans sa clarté, mais que sa nature ne peut être vue. Sa clarté et sa nature ne diffèrent pas". Sa nature, c’est son essence. Il pourra donc être vu en elle.

De plus, le désir des saints ne peut pas être tout à fait frustré. Or c’est leur désir commun de voir Dieu en son essence, selon l’Exode : "Montre-moi ta gloire", et le Psalmiste "Montre ta face et nous serons sauvés", et saint Jean "Montre-nous le Père, et cela nous suffit." Les saints verront donc Dieu en son essence.

Conclusion : Selon la foi, nous tenons que la fin ultime de la vie humaine est la vision de Dieu ; de même les philosophes soutiennent que la félicité ultime de l’homme est de connaître dans leur essence les substances séparées de la matière. C’est pourquoi au sujet de cette question nous trouvons la même difficulté et la même diversité d’opinions chez les philosophes et chez les théologiens. Quelques philosophes affirmèrent que notre intellect possible ne peut jamais parvenir à la connaissance des substances séparées par exemple, Alpharabe à la fin de son Ethique, bien qu’il dise le contraire dans le livre "De l’Intelligence," d’après son commentateur. De même, quelques théologiens disent que l’intelligence humaine ne peut jamais parvenir à voir Dieu en son essence. Les uns et les autres sont conduits à cette conclusion par la distance constatée entre notre intelligence et l’essence divine ou les autres substances séparées. L’intelligence en acte étant de quelque manière une seule chose avec l’intelligible en acte, il semble difficile que l’intelligence créée devienne de quelque manière l’essence incréée. Saint Jean Chrysostome dit : "Comment le créable voit-il l’incréable ?" Pour ceux qui tiennent que l’intellect possible peut être engendré et est corruptible, comme puissance dépendant du corps, la difficulté majeure se présente, non seulement à l'égard de la vision divine, mais même à l’égard de la vision de toute substance séparée.

Mais cette opinion ne peut nullement être tenue. D’abord parce qu’elle s’oppose à l’autorité des Écritures canoniques, comme le dit saint Augustin dans son livre "De la vision de Dieu." Ensuite, parce que connaître intellectuellement étant par-dessus tout l’opération propre de l’homme, il faut que sa béatitude consiste en la forme la plus parfaite de cette opération. La perfection de celui qui connaît, en tant que tel, est l’intelligible lui-même si dans l’opération la plus parfaite de l’intelligence l’homme ne parvenait pas à voir l’essence divine, mais un autre objet, on devrait dire que l’homme est béatifié par autre chose que Dieu. Et puisque l’ultime perfection de chaque chose consiste dans la conjonction avec son principe, il s’ensuivrait que le principe effectif de l’homme serait autre chose que Dieu, ce qui nous semble absurde. Ce serait absurde aussi pour les philosophes qui pensent que nos âmes émanent des substances séparées, de telle sorte qu’à la fin nous pourrions les connaître.

C’est pourquoi, selon nous, on doit dire que notre intelligence parviendra à voir l’essence divine. Et les philosophes doivent dire qu’elle parviendra à voir l’essence des substances séparées. Il nous reste à rechercher comment cela peut se faire. Certains affirmèrent, comme Alpharabe et Avempace, que par le fait même que notre intelligence connaît n’importe quel objet intelligible, elle parvient à voir l’essence d’une substance séparée. Pour le montrer, ils procèdent de deux manières. La première : de même que la nature de l’espèce ne varie pas dans les divers individus, sauf en tant qu’elle est unie aux principes d’individuation, de même, la forme intelligible connue ne varie pas selon qu’elle est connue par tel ou tel, sauf en tant qu’elle est unie à diverses formes imaginatives. C’est pourquoi quand l’intelligence sépare par l’abstraction la forme intelligible des formes imaginatives, il reste la quiddité intellectuelle, qui est une et identique dans les diverses intelligences qui la connaissent. Et cela c’est la quiddité de la substance séparée. C’est pourquoi, quand notre intelligence parvient à la totale abstraction de la quiddité intelligible de n’importe quoi, elle connaît, par là, la quiddité de la substance séparée, qui est semblable à elle-même. La seconde manière de démonstration : notre intelligence est faite pour abstraire la quiddité de tous les êtres intelligibles qui en ont une. Si donc la quiddité qu’elle abstrait, de tel être individué ayant une quiddité, est une quiddité qui n’a pas elle-même de quiddité, en la connaissant, elle connaît la quiddité d’une substance séparée, qui est ainsi disposée, puisque les substances séparées sont des quiddités subsistantes, qui n’ont pas de quiddité ; car la quiddité de ce qui est simple est simple elle-même, comme dit Avicenne. Mais si la quiddité abstraite de tel être sensible individué est une quiddité qui possède sa quiddité, alors l’intelligence est apte à abstraire cette quiddité. Ainsi, puisqu’on ne peut pas remonter à l’infini, on doit arriver à une quiddité qui n’a pas elle-même de quiddité, c’est-à-dire une quiddité séparée.

Mais cette argumentation ne semble pas suffisante. D’abord parce que la quiddité de la substance matérielle, que l’intelligence abstrait, n’est pas de la même nature que les quiddités de substances séparées : donc, du fait que notre intelligence abstrait les quiddités des choses matérielles et les connaît, il ne suit pas qu’elle connaisse la quiddité de la substance séparée, et surtout l’essence divine, qui est tout à fait d’une autre nature que toute quiddité créée. Ensuite, parce que même en supposant qu’elle soit de la même nature, cependant en connaissant la quiddité d’une chose composée, on ne connaîtrait pas celle de la substance séparée, sauf selon son genre le plus éloigné, qui est la substance. Mais cette connaissance est imparfaite tant qu’on ne parvient pas aux caractères propres de la chose. En effet, celui qui connaît l’homme seulement en tant qu’il est animal ne le connaît que relativement et en puissance. Et il le connaît bien moins encore s’il ne connaît que la nature de la substance en lui-même. C’est pourquoi, connaître ainsi Dieu ou les substances séparées, ce n’est point voir l’essence divine ou la quiddité de la substance séparée : c’est seulement connaître par les effets produits et comme dans un miroir.

C’est pourquoi Avicenne, dans ses Métaphysiques, expose un autre moyen de connaître les substances séparées : celles-ci seraient connues par nous à travers les intentions de leurs quiddités, qui seraient des similitudes d’elles-mêmes, non pas abstraites d’elles-mêmes, puisqu’elles sont immatérielles, mais imprimées par elles dans nos âmes. Mais ce nouveau mode de connaître ne nous paraît pas non plus suffisant pour la vision divine que nous recherchons. Il est en effet évident que "tout ce qui est reçu en quelque chose est en elle selon la manière d’être de cette chose qui reçoit." La similitude de la divine essence imprimée dans notre intelligence serait donc en elle selon le mode de notre esprit. Mais le mode de notre esprit est déficient en regard de la parfaite réception de la similitude divine. Cette déficience à l’égard de la parfaite similitude peut se produire avec autant de manières qu’il y a de manières d’être dissemblables.

D’une manière, la similitude est déficiente quand la forme est participée dans la même espèce, mais non d’une manière aussi parfaite comme si quelqu’un est seulement un peu blanc, tandis que l’autre l’est bien plus. D’une autre manière, la similitude est encore plus déficiente quand les deux êtres n’appartiennent pas à la même espèce, mais seulement au même genre comme seraient semblables celui qui a une couleur citron ou jaunâtre et celui qui a la couleur blanche. D’une autre manière encore il y a davantage déficience de similitude quand deux êtres n’appartiennent pas au même genre, mais sont seulement analogues ou proportion nés comme si on parle de similitude entre la blancheur et l’homme parce que tous deux sont des êtres. Et de cette manière, toute similitude entre une créature et la divine essence est tout à fait déficiente. Pour que la vue connaisse la blancheur, il faut que la représentation de la blancheur soit reçue en elle selon sa raison d’espèce, bien que non selon le même mode d’être, car être une forme reçue dans un sens, ou bien être une chose existant en dehors de l’âme, ce sont deux modes d’être fort différents. Si l’œil recevait la forme couleur citron, on ne dirait pas qu’il voit la blancheur. De même pour que l’intelligence connaisse une quiddité, il faut qu’elle reçoive une similitude selon la raison d’espèce, bien que peut-être les deux n’aient pas le même mode d’être : en effet la forme qui se trouve dans l’intelligence ou le sens n’est pas principe de connaissance selon le mode d’être possédé par l’un et l’autre, mais selon la raison par laquelle elle communique avec la chose extérieure. Il est ainsi évident que Dieu ne peut être connu, de telle sorte que son essence serait vue immédiatement, par aucune similitude reçue dans un esprit créé. C’est pourquoi certains qui pensaient que l’essence divine pouvait être vue seulement de cette manière, dirent que cette essence même ne sera pas vue, mais seulement une sorte d’éclair, comme un rayon d’elle-même. Cette manière de connaître ne suffit donc pas à atteindre la vision divine, que nous cherchons à expliquer.

Nous devons donc considérer une autre manière que certains philosophes, Alexandre et Averroès, ont proposée : en toute connaissance, il doit y avoir quelque forme par laquelle elle connue ou est vue. La forme par laquelle l’intelligence est perfectionnée pour voir les substances séparées ne serait pas la quiddité que l’intelligence abstrait des choses composées, comme le prétendait la première opinion. Ce ne serait pas non plus une impression produite dans notre esprit par la substance séparée, comme disait la seconde opinion : ce serait la substance elle-même qui s’unirait à notre intelligence comme une forme de telle sorte qu’elle serait a la fois ce qui est connu, et ce par quoi on le connaît. Quoi qu’il en soit des autres substances séparées, nous devons accepter cette manière de connaître quand il s’agit de la vision de Dieu en son essence ; car toute autre forme qui informerait notre intelligence ne pourrait pas la conduire à l’essence divine.

Nous ne devons pas entendre cela en ce sens que l’essence divine serait la vraie forme de notre intelligence, ou que par l’union entre elle et notre intelligence serait formée quelque chose d’un absolument, comme dans les choses naturelles résultant de l’union de la forme et de la matière ; mais en ce sens que le rapport entre l’essence divine et notre intelligence est comparable au rapport entre la forme et la matière. Chaque fois en effet que deux choses dont l’une est plus parfaite que l’autre sont reçues dans le même réceptacle, le rapport de l’une à l’autre est analogue au rapport de la forme à la matière : ainsi la lumière et la couleur sont reçues dans le diaphane, et la lumière est par rapport à la couleur comme la forme par rapport à la matière. De même, quand l’âme reçoit la lumière intellective et l’essence divine elle-même, qui l’habite, bien que ce ne soit point de la même manière, l’essence divine est par rapport à l’intelligence comme la forme par rapport à la matière. Et l’on peut prouver de la façon suivante que cela suffit pour que l’intelligence puisse voir l’essence divine elle- même à travers cette même essence divine de même que par l’union de la forme naturelle, de laquelle une chose reçoit l’être, et de la matière, il se forme un seul être unique, ainsi par l’union de la forme par laquelle l’intelligence connaît, et de l’intelligence elle-même, il se forme un seul être dans celui qui connaît.

Dans les choses naturelles, une chose subsistante en soi ne peut pas devenir la forme d’une matière, si cette chose possède déjà de la matière qui fait partie d’elle, car une matière ne peut pas devenir la forme de quelque chose. Mais si cette chose subsistante en elle-même est seulement une forme, rien n’empêche qu’elle devienne la forme de quelque matière et qu’elle devienne ce par quoi existe un composé comme cela se produit pour l’âme humaine. Dans l’intelligence, nous devons considérer l’intelligence elle-même étant en puissance comme une sorte de matière tandis que l’espèce intelligible est la forme. Quand l’intelligence connaît en acte, elle est comme un composé des deux. Donc, s’il y a une chose subsistante par elle-même qui n’a pas en soi autre chose que d’être intelligible en elle-même, cette chose pourra par elle-même être la forme par laquelle l’intelligence connaît. Une chose est intelligible en tant qu’elle est en acte, non en tant qu’elle est en puissance. Nous en voyons un signe dans ce fait que la forme intelligible doit être abstraite de la matière et de toutes ses propriétés. C’est pourquoi, puisque l’essence divine est acte pur, elle pourra être la forme par laquelle l’intelligence connaît : telle sera la vision béatifiante. Aussi Aristote dit-il que l’union entre l’âme et le corps est "un exemple de l’union bienheureuse par laquelle l’esprit est uni à Dieu".

Solutions :

1. Le texte cité peut être interprété de trois manières, comme le dit saint Augustin dans le livre "la vision de Dieu". Ou bien il exclut la vision corporelle, par laquelle personne n’a vu ni ne verra l’essence divine ; ou bien il exclut la vision intellectuelle de Dieu dans son essence pour ceux qui vivent dans cette chair mortelle ; ou bien il exclut la vision de compréhension par une intelligence créée. Et c’est ainsi que l’entend saint Jean Chrysostome. Il ajoute donc "L’Evangéliste parle ici de la connaissance qui serait la contemplation tout à fait sûre et la compréhension telle que le Père l’a du Fils." C’est bien aussi la pensée de l’Évangéliste, qui continue : "Le Fils unique qui est dans le sein du Père, nous le décrira lui-même" voulant nous prouver d’une manière exhaustive que le Fils est Dieu.

2. De même que Dieu dépasse par son essence infinie toutes les choses existantes qui ont une essence déterminée, de même la connaissance qu’il a de lui-même est au-dessus de toute connaissance. Le rapport de notre connaissance avec notre essence créée est comme le rapport de la connaissance divine avec son essence infinie. Dans toute connaissance, il y a deux termes : Celui qui Connaît et Celui qui est connu. Mais la vision par laquelle nous verrons Dieu en son essence est la même que Celle par laquelle Dieu se voit, à considérer ce par quoi il est vu : car nous le verrons dans son essence comme il se voit dans son essence. Mais du côté du connaissant, il y a une différence : celle qui existe entre l’intelligence divine et la nôtre. Dans celui qui connaît, ce qui est connu suit la forme par laquelle nous connaissons, parce que c’est par la forme de la pierre que nous voyons la pierre. Mais l’intensité de la connaissance dans celui qui connaît dépend de la puissance de celui-ci : celui qui a une vue plus forte voit plus nettement. C’est pourquoi dans la vision de Dieu, nous voyons la même chose que Dieu, son essence, mais pas aussi parfaitement.

3. Denys parle ici de la connaissance par laquelle sur terre nous connaissons Dieu à travers une forme créée, par laquelle notre intelligence est informée pour voir Dieu. Mais, comme dit saint Augustin, "Dieu échappe à toute forme de notre esprit" parce que, quelle que soit la forme conçue par notre esprit, elle n’atteint pas la notion de l’essence divine. C’est pourquoi il ne peut être rejoint par notre intelligence. Mais nous le connaissons très parfaitement dans notre condition de voyageurs, si nous savons qu’il est au-dessus de tout ce que notre intelligence peut concevoir : et ainsi nous lui sommes unis comme à quelqu’un d’ignoré. Au contraire, dans la patrie, nous le verrons par cette forme qu’est son essence, et nous lui serons unis comme à quelqu’un de connu.

4. "Dieu est Lumière", comme il est dit en saint Jean. Or la lumière est l’impression de la clarté sur quelqu’un qui est illuminé. Comme l’essence divine est d’une manière autre que toute similitude d’elle-même imprimée dans l’intelligence, Denys dit : "Les ténèbres divines sont couvertes pour toute lumière", parce que l’essence divine, qu’il appelle ténèbres à cause de son excès de lumière qui aveugle, demeure insaisissable à cause de l’impression produite dans notre esprit. Il suit de là qu’elle échappe à toute connaissance. C’est pourquoi tout être qui, voyant Dieu, conçoit quelque chose en son esprit, ne conçoit pas vraiment Dieu, mais quelque chose qui n’est qu’un des effets produits par Dieu.

5. La clarté de Dieu, bien qu’elle dépasse toutes les formes par lesquelles notre esprit est informé ici-bas, ne dépasse pas l’essence divine elle-même, qui sera comme la forme de notre esprit dans la patrie. C’est pourquoi, bien qu’elle soit maintenant invisible, elle ne le sera plus alors.

6. Il ne peut y avoir de proportion entre le fini et l’infini, puisque l’infini dépasse le fini d’une manière absolument indéterminée. Mais il peut y avoir entre eux une certaine proportion dans le sens d’une similitude de leurs proportions : car de même que le fini est égal à tel autre fini, ainsi l’infini est égal à l’infini. Pour qu’une chose soit totalement connue, il faut parfois qu’il y ait une proportion entre le connaissant et le connu, puisque la puissance du connaissant doit égaler la possibilité d’être connu de la chose connue cette égalité constitue une certaine proportion. Mais parfois la cognoscibilité de la chose dépasse la puissance de celui qui connaît : comme quand nous connaissons Dieu ou au contraire quand Dieu connaît les créatures. Et alors il ne doit pas y avoir une proportion entre le connaissant et le connu, mais seulement une certaine proportionnalité : c’est-à-dire que celui qui connaît soit par rapport à ce qui doit être connu comme le connaissable par rapport à ce qui est connu. Et cette proportionnalité suffit pour que l’infini soit connu par le fini, et vice versa.

On pourrait dire aussi que la proportion, selon la signification propre de ce mot, indique un rapport de quantité à quantité, selon un certain dépassement déterminé ; ou bien une égalité. Mais on peut l’étendre pour signifier toute relation d’une chose avec une autre. C’est ainsi que nous disons que la matière doit être proportionnée à la forme. De cette manière, rien n’empêche que notre intelligence, bien que finie, soit proportionnée à la vision de l’essence infinie, non cependant en la saisissant totalement, à cause de son immensité.

7. Il y a deux sortes de similitudes ou de distances entre les choses. La première est considérée selon leurs natures : et ainsi Dieu est plus distant de l’intelligence créée que l’être intelligible créé est distant du sens. La seconde est considérée selon la proportionnalité ici, c’est le contraire, car le sens n’est pas proportionné pour connaître quelque chose d’immatériel comme l’intelligence l’est pour connaître n’importe quel être immatériel. Cette seconde similitude est requise pour connaître, non la première : car il est évident que l’intelligence qui connaît une pierre ne lui est point semblable en son état naturel, de même que l’œil voit du miel rougeâtre et du fiel rougeâtre, bien qu’il ne saisisse pas la douceur du miel. La rougeur du fiel se compare mieux avec le miel en tant que visible, que la douceur du miel avec le miel en tant que visible.

8. Dans la vision que l’homme aura de Dieu en son essence, celle-ci sera elle-même comme la forme de l’intelligence par laquelle elle connaîtra : il n’est pas nécessaire qu’elle devienne une seule chose avec cette intelligence dans son être, mais seulement que l’une et l’autre deviennent une seule chose dans l’acte de connaître.

9. Nous ne retenons pas cette affirmation d’Avicenne, car même d’autres philosophes le contredisent à ce sujet. A moins de vouloir dire qu’Avicenne parle de la connaissance des substances séparées selon qu’elles sont connues par les sciences spéculatives et à travers les similitudes d’autres choses. Il affirmerait donc cela pour montrer que la science n’est pas en nous une substance mais un accident. L’essence divine, bien qu’elle soit plus distante de notre intelligence par sa nature supérieure que la substance de l’ange, possède pourtant davantage d’intelligibilité, parce qu’elle est acte pur, sans aucun mélange de puissance. Cela ne se retrouve pas dans les autres substances séparées. Mais cette connaissance que nous aurons de Dieu en son essence constituera un accident, si nous considérons ce par quoi nous le verrons : seulement quant à l’acte de celui qui la connaîtra, puisqu’il ne sera pas la substance même de celui qui verra ou de celui qui sera vu.

10. La substance séparée de la matière se connaît et connaît les autres choses : et dans les deux cas nous pouvons constater la vérité du texte cité. En effet, puisque l’essence même de la substance séparée est intelligible par elle-même et est en acte en tant que séparée de la matière, il est évident que quand la substance séparée se connaît elle-même, le connaissant et le connu sont tout à fait la même chose. Car elle ne se connaît pas elle-même à travers quelque intention abstraite d’elle- même, comme nous connaissons les choses matérielles. Telle semble être la pensée d’Aristote, comme cela ressort du commentaire. Mais en tant que la substance séparée connaît d’autres choses, ce qui est connu en acte devient une même chose avec ce qui connaît en acte, en tant que la forme du connu devient forme de l’intelligence, comme le prouve Avicenne. Car l’essence de l’intelligence demeure une sous deux formes, en tant qu’elle connaît deux choses successivement, comme la matière première demeure unique sous diverses formes. C’est pourquoi le commentateur compare l’intellect possible, dans ce cas, à la matière première. Et ainsi il ne suit nullement que notre intelligence en voyant Dieu devienne l’essence divine elle-même, mais qu’elle est comparée à lui comme à sa perfection et à sa forme.

11. Ces citations et toutes les semblables doivent s’entendre de la connaissance que nous avons de Dieu sur terre, pour les raisons dites plus haut.

12. L’infini considéré au sens privatif (ou indéfini) est inconnaissable, en tant que tel, puisqu’il est privé de ce complément de détermination d’où vient la connaissance d’une chose. Il se réduit à la manière d’être de la matière qui serait privée de toute détermination, comme dit Aristote dans les Physiques. Mais l’infini pris dans le sens seulement négatif signifie l’absence d’une matière qui le limite, puisque la forme est de quelque manière limitée par la matière. Donc cet infini-là est de soi tout à fait connaissable. C’est de cette manière que Dieu est infini.

13. Saint Augustin parle ici de la vision corpo- relie par laquelle Dieu ne pourra jamais être vu. Cela ressort de ce qui précède. "Jamais personne n’a vu Dieu ni ne peut le voir comme on voit les choses visibles : par nature il est invisible comme il est incorruptible." Mais de même que par sa nature il est l’être le plus accompli, ainsi de soi il est le plus intelligible. Si parfois il n’est pas Connu par nous, c’est à cause de notre déficience : si donc nous le voyons après n’avoir pas pu le voir, ce n’est pas lui qui a changé, mais nous.

14. Dieu dans la patrie sera vu par les saints tel qu’il est, si nous parlons de celui-là même qui est vu ; les saints le verront de la manière qu’il est lui-même. Mais si nous parlons de celui qui le connaît, alors il ne sera pas vu tel qu’il est, parce que l’esprit créé n’aura pas une capacité suffisante pour le voir, en comparaison avec la possibilité que l’essence divine possède en elle-même d’être connue.

15. Dans la vision corporelle et dans la vision intellectuelle, on peut considérer trois sortes d’intermédiaires. D’abord, l’intermédiaire grâce auquel on voit : celui-là perfectionne la vue pour toute vision en général, sans la déterminer à tel objet spécial ; telle est la lumière corporelle pour la vue corporelle, et la lumière de l’intellect agent pour l’intellect possible, en tant qu’intermédiaire. Puis, il y a l’intermédiaire par lequel on voit : et c’est la forme visible, par laquelle chacune des deux puissances visuelles est déterminée à tel objet spécial ; ainsi la forme de la pierre fait voir la pierre. Enfin, il y a l’intermédiaire dans lequel on voit : c’est ce par la vue de quoi le regard est conduit à voir autre chose : en regardant un miroir nous c à y voir ce qu’il réfléchi en voyant une image nous sommes conduits à ce qu’elle représente ; de même l’intelligence, par la connaissance de l’effet, est conduite à sa cause ou inversement. Dans la vision de la patrie, il n’y aura pas ce troisième intermédiaire, c’est-à-dire que Dieu serait connu par les images d’autre chose, comme ici-bas : c’est pourquoi on dit que nous voyons maintenant dans un miroir. Il n’y a pas non plus le second intermédiaire, parce que l’essence divine sera elle-même ce par quoi notre intelligence verra Dieu. Nous aurons seulement le premier intermédiaire, qui élèvera notre intelligence pour qu’elle puisse être unie à la substance incréée, comme nous l’avons dit. Mais cet intermédiaire ne permet pas de dire que la vision sera médiate : puisqu’il ne se place pas entre le connaissant et la chose connue, mais il est ce qui donne à celui qui connaît la puissance de connaître

16. On dit des créatures corporelles qu’elles sont vues sans intermédiaire que quand ce qui en elles peut être uni au sens de la vue lui est uni en fait ; mais elles ne peuvent pas être unies à la vue dans leur essence, à cause de leur matérialité. Elles sont donc vues sans intermédiaire, quand leur image est unie à la vue. Mais Dieu est par essence capable d’être uni à l’intelligence ; il ne serait donc pas vu immédiatement si son essence n’était pas unie à l’intelligence. Et cette vision qui s’opère d’une manière immédiate, s’appelle la vision de la face.

En outre, l’image de la chose corporelle est reçue dans le sens de la vue telle qu’elle est dans la réalité, quoique pas selon la même manière d’être elle conduit donc directement à cette chose. Aucune représentation ne peut conduire notre esprit de cette manière jusqu’à Dieu, comme cela ressort de ce que nous avons dit. Ce n’est donc pas la même chose.

 

Article 2 — Les saints, après la résurrection, verront-ils Dieu avec les yeux du corps ?

Objections :

1. Il semble que oui. L’œil glorifié aura une puissance plus grande que celle de tout œil non glorifié. Or le bienheureux Job a vu Dieu de ses yeux : "Je t’ai entendu par mon oreille, et maintenant mon œil te voit." A bien plus forte raison l’œil glorifié pourra-t-il voir Dieu en son essence.

2. Job dit : "Dans ma chair, je verrai Dieu mon Sauveur." Dans la patrie, on verra donc Dieu, des yeux du corps.

3. Parlant de la vue qu’auront les yeux glorifiés, saint Augustin s’exprime ainsi : "Leurs yeux posséderont une force toute-puissante, non pour qu’ils voient d’un regard plus perçant comme celui qu’on attribue aux serpents ou aux aigles quelle que soit la pénétration de vision de ces animaux, ils ne peuvent voir rien d’autre que les corps. Mais les yeux glorifiés verront même les choses incorporelles." Toute puissance capable de voir les choses incorporelles peut être élevée jusqu’à la vision de Dieu. Les yeux glorifiés pourront donc le voir.

4. La différence entre les choses corporelles et les incorporelles est la même qu’entre celles-ci et les premières. Or l’œil incorporel peut voir les choses corporelles. Donc l’œil corporel peut voir les choses incorporelles donc, même conclusion que plus haut.

5. Saint Grégoire dit "L’homme qui, s’il avait observé les préceptes, serait devenu spirituel jusqu’en sa chair, est devenu, par le péché, charnel jusqu’en son esprit." Mais de ce fait, "il ne pense plus qu’aux choses qui parviennent à l’esprit par les images des corps". Quand sa chair sera devenue spirituelle (ce qui est promis aux saints après leur résurrection), il pourra voir dans sa chair même les choses spirituelles. Donc, aussi Dieu.

6. L’homme ne peut recevoir que de Dieu sa béatitude. Il la recevra non seulement dans son âme, mais aussi dans son corps. Il verra donc Dieu ; non seulement par l’intelligence, mais aussi par sa chair.

7. Comme Dieu est présent par son essence dans l’intelligence, ainsi il sera présent dans le sens, car "il sera toutes choses en tous", comme dit saint Paul aux Corinthiens. Mais l’intelligence le voit parce que son essence lui est unie. Il pourra donc être vu aussi par le sens.

Cependant :

Saint Ambroise dit, au sujet de saint Luc : "Dieu ne peut être cherché par les yeux du corps, il ne sera pas cerné par la vue ni touché par le tact." Dieu ne sera donc vu en aucune manière par un sens corporel.

En outre, saint Jérôme dit à propos d’Isaïe, "J’ai vu le siège du Seigneur". Les yeux de chair ne peuvent apercevoir ni la divinité du Père, ni celle du Fils, ni celle de l’Esprit-Saint ; mais seuls la voient les yeux de l’esprit, dont il est dit : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur."

De plus, saint Jérôme dit ailleurs : "Une chose incorporelle n’est pas visible pour des yeux corporels." Or Dieu est le plus incorporel de tous les êtres. Donc, etc.

De plus, saint Augustin dit "Personne n’a jamais vu Dieu tel qu’il est, soit en cette vie, soit en la vie des anges, à la manière dont sont visibles les choses qui sont vues par la vision corporelle." Mais la vie des anges est la vie bienheureuse dans laquelle les ressuscités vivront. Donc, etc.

De plus "on dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu, en tant qu’il peut voir Dieu", comme dit saint Augustin. Mais l’homme est à l’image de Dieu par son esprit, non par sa chair. C’est donc par l’esprit et non par la chair qu’il verra Dieu.

Conclusion :

Il y a deux manières de percevoir quelque chose par le sens corporel par soi ou par accident. Par soi : nous percevons ce qui peut produire par soi une impression sur le sens corporel. Une chose peut produire cette impression ou bien sur le sens en tant que sens, ou sur tel sens en tant qu’il est tel sens. Ce qui agit sur le sens de cette dernière façon est le sensible propre de tel sens, par exemple la couleur pour la vue, le son pour l’ouïe. Puisque le sens en tant que tel se sert d’un organe corporel, une chose ne peut être perçue par lui que corporellement, car tout ce qui est reçu en quelque chose l’est à la manière de ce qui le reçoit. C’est pourquoi toutes les Choses sensibles impressionnent le sens en tant que sens, selon qu’elles possèdent une dimension. Dès lors, la dimension et toutes ses conséquences, comme le mouvement, le repos, le nombre, etc., sont appelées des sensibles communs par soi. Ce qui n’impressionne pas le sens, ni en tant que sens, ni en tant qu’il est tel sens, peut pourtant être connu, par accident : parce qu’il est uni aux choses qui impressionnent le sens par elles-mêmes. C’est ainsi que Socrate, et le fils de Diares, et son ami, et d’autres réalités de ce genre, qui sont connues par soi universellement par l’intelligence, peuvent être connues dans le concret par la puissance cogitative de l’homme ou par l’estimative des autres animaux. Nous disons que le sens extérieur perçoit ces choses, par accident seulement, quand, à partir de ce qu’il connaît par soi, la puissance cognoscitive (à qui il appartient de connaître par soi cet objet connu), le perçoit aussitôt, sans doute et sans déduction : de même que nous voyons que quelqu’un vit s’il parle. Quand il n’en est pas ainsi, on ne dit pas que le sens connaît, même par accident.

Je dis donc que Dieu ne peut en aucune manière être vu du regard corporel, ni être perçu par quelque sens, comme une chose visible par soi, ni ici-bas, ni dans la patrie ; car si on enlève au sens ce qui lui convient en tant que sens, il cesse d’être un sens. De même, si on enlève à la vue ce qui lui convient en tant que telle, il n’y a plus de vue. Le sens en tant que tel perçoit la dimension et la vue en tant que telle perçoit la couleur. Il est donc impossible que la vue perçoive quelque chose qui n’est pas coloré, ni étendu, à moins de parler de sensation d’une manière équivoque. Puisque la vue et le sens seront dans le corps glorieux spécifiquement les mêmes qu’ici-bas, il n’est pas possible qu’ils voient l’essence divine comme une chose visible par soi. La vue le percevra seulement comme une chose visible par accident, d’une part en considérant la gloire de Dieu dans les corps, surtout glorifiés, et principalement dans le corps du Christ ; et d’autre part parce que l’intelligence verra Dieu si clairement, que la vue le percevra dans les choses corporelles, de même que si quelqu’un parle on perçoit qu’il vit. Assurément notre intelligence ne verra pas Dieu dans les créatures, mais elle le verra à travers les créatures vues corporellement. C’est de cette manière de voir Dieu corporellement que saint Augustin parle quand il dit : "Il est tout à fait croyable que nous verrons les réalités corporelles du monde, du nouveau ciel et de la nouvelle terre, de telle sorte que nous apercevrons dans une éblouissante clarté Dieu présent en toutes choses et gouvernant tous les êtres même corporels. Cela se fera, non pas comme maintenant nous découvrons les choses invisibles de Dieu à travers celles qu’il a créées, mais de la manière dont, quand nous voyons les hommes, nous ne croyons pas, mais nous voyons qu’ils vivent.

Solutions :

1. Ce mot de Job s’applique à l’œil spirituel ; c’est pourquoi saint Paul dit que "seront éclairés les yeux de notre cœur".

2. Cette citation doit être comprise non en ce sens que nous verrons Dieu par nos yeux de chair, mais en ce sens que, étant dans la chair, nous verrons Dieu.

3. Dans ce passage, saint Augustin est la recherche du sens de ces paroles, et parle conditionnellement. Cela ressort de ce qu’il dit plus haut : "Ils seront d’une toute autre puissance si par les yeux ils voient la nature incorporelle." Il ajoute : "C’est pourquoi cette puissance..." et il conclut en accord avec ce que nous avons vu plus haut.

4. Toute connaissance se réalise par une abstraction de la matière. C’est pourquoi, plus la forme corporelle est abstraite de la matière, plus elle est principe de connaissance. La forme qui existe dans la matière n’est aucunement principe de connaissance ; elle l’est de quelque manière dans le sens, en tant que séparée de la matière, et mieux encore dans notre intelligence. C’est pourquoi l’œil spirituel, libéré de l’empêchement matériel de la connaissance, peut voir une chose corporelle. Il n’en découle pas que l’œil corporel, dépourvu de la puissance de connaître à cause de sa participation à la matière, puisse connaître parfaitement les choses connaissables incorporelles.

5. Bien que l’esprit devenu charnel ne puisse connaître que ce qu’il reçoit des sens, cependant, il le connaît immatériellement. Tout ce que la vue saisit, elle le voit corporellement. Elle ne peut donc pas connaître les choses qui ne peuvent être saisies corporellement.

6. La béatitude est la perfection de l’homme en tant qu’homme. Il n’est pas homme par son corps, mais plutôt par son âme. Les corps ne sont de l’essence de l’homme qu’en tant qu’ils sont perfectionnés par l’âme. C’est pourquoi la béatitude de l’homme ne consiste principalement que dans un acte de l’âme, et c’est d’elle qu’elle dérive dans le corps par une sorte de débordement, comme nous l’avons vu. Il y aura cependant une certaine béatitude de notre corps en tant qu’il verra Dieu dans les créatures sensibles, et surtout dans le corps du Christ.

7. L’intelligence perçoit les choses spirituelles, qui échappent à la vue du corps. C’est pourquoi l’intelligence pourra connaître l’essence divine qui lui sera unie ; mais non l’œil corporel.

 

Article 3 — Les saints en voyant Dieu voient-ils tout ce que Dieu voit ?

Objections :

1. Il semble que les saints qui voient Dieu en son essence voient toutes les choses que Dieu connaît en lui-même, car, comme dit Isidore : "Les anges voient toutes choses dans le Verbe de Dieu, avant qu’elles s’accomplissent. "Les saints seront égaux aux anges de Dieu, selon saint Matthieu. En voyant Dieu, ils verront donc toutes choses.

2. Saint Grégoire dit : "Puisque là-haut ils verront tous Dieu en une même clarté, que pourraient-ils ignorer en connaissant celui qui sait toutes choses ?" Il parle des bienheureux qui voient Dieu par essence. Ceux qui le voient de cette manière connaissent donc toutes choses.

3. Comme dit Aristote : "L’intelligence qui connaît les plus grandes choses peut plus encore connaître les plus petites." Mais le plus élevé des intelligibles est Dieu. La puissance de l’intelligence est donc très augmentée en le connaissant. En le voyant elle voit donc toutes choses.

4. L’intelligence n’est empêchée de connaître quelque chose que parce que celle-ci la dépasse. Mais aucune créature ne peut dépasser l’intelligence qui voit Dieu. En effet, saint Grégoire dit : "Toute créature devient minime pour l’âme qui voit le créateur." Ceux qui voient Dieu en son essence connaissent donc toutes choses.

5. Toute puissance passive qui ne passe pas à l’acte est imparfaite. L’intellect possible de l’âme humaine est une puissance passive ordonnée à tout connaître, puisque "l’intellect possible est ce par quoi nous devenons toutes choses", comme dit saint Grégoire. Si donc dans la béatitude il ne connaissait pas toutes choses, il demeurerait imparfait, ce qui est absurde.

6. Tout homme qui voit un miroir y voit tout ce que ce miroir reflète. Or toutes choses sont comme reflétées dans le Verbe de Dieu, qui est la raison et l’image de tout. Les saints qui voient le Verbe par essence, voient donc toutes les créatures.

7. Les Proverbes disent : "Les justes obtiendront l’objet de leur désir." Les saints désirent connaître toutes choses, puisque "tous les hommes, par nature, désirent connaître", et que la nature n’est point supprimée par la gloire. Dieu leur donnera donc de tout connaître.

8. L’ignorance est une sorte de châtiment de la vie présente. Or tout châtiment sera supprimé pour les saints, dans la gloire. Donc aussi toute ignorance : ils connaîtront donc toutes choses.

9. La béatitude des saints est d’abord dans l’âme, puis dans le corps. Les corps des saints seront transformés dans la gloire pour être assimilés au corps du Christ, selon saint Paul aux Éphésiens. Les âmes seront donc perfectionnées aussi par la similitude de l’âme du Christ. Celle-ci voit toutes choses dans le Verbe. Toutes les âmes des saints verront donc toutes choses dans le Verbe.

10. L’intelligence comme le sens connaît tout ce dont elle reçoit en elle la similitude. Or l’essence divine représente toutes choses plus exactement que toute autre similitude des autres choses. Puisque, dans la vision bien heureuse, l’essence divine devient comme la forme de notre intelligence, il semble que les saints verront tout en Dieu.

11. Aristote dit que : "si l’intellect agent devenait la forme de notre intellect possible, nous connaîtrions toutes choses." Mais la divine essence contient la représentation de toutes choses plus clairement que l’intellect agent. L’intelligence, en voyant Dieu en son essence, connaît donc toutes choses.

12. Les anges inférieurs, qui ne connaissent pas toutes choses, sont illuminés au sujet de ce qu’ils ignorent, par les anges supérieurs. Mais après le jour du jugement un ange n’en éclairera plus un autre, car alors toute prééminence cessera, comme dit la Glose au sujet de l’Epître de saint Paul aux Corinthiens. Les anges inférieurs connaîtront alors toutes choses, et pour le même motif, tous les saints qui verront Dieu en son essence.

Cependant :

Comme dit Denys, "les anges supérieurs libèrent les inférieurs de leur ignorance ". Or les anges inférieurs voient l’essence divine ; un ange qui voit cette essence peut donc quand même ignorer certaines choses. Et l’âme ne voit pas Dieu plus parfaitement qu’un ange. Il n’est donc point nécessaire que les âmes qui voient Dieu connaissent toutes choses.

En outre, le Christ seul possède l’esprit sans mesure, comme dit saint Jean. C’est en tant que tel qu’il connaît toutes choses dans le Verbe. C’est pourquoi, nous voyons dans le même passage, que "le Père a mis toutes choses dans sa main ". Nul autre que le Christ n’a donc le pouvoir de connaître toutes choses dans le Verbe.

De plus, plus un principe est connu parfaitement, plus on connaît à travers lui ses nombreux effets. Mais certains de ceux qui verront Dieu dans son essence le connaîtront plus parfaitement, lui qui est le principe de toutes choses. Certains connaîtront donc plus de choses que d’autres, et tous ne sauront pas tout.

Conclusion :

Dieu, en connaissant son essence, connaît tout ce qui est, sera, a été. Et ce mode de connaissance est appelé connaissance de vision, parce qu’elle est semblable à la vision corporelle qui connaît toutes les choses présentes. En voyant son essence, Dieu connaît en outre tout ce qu’il est capable de faire, bien qu’il ne l’ait jamais réalisé et ne le réalisera pas. Sinon il ne connaîtrait point parfaitement sa puissance, car on ne connaît pas sa puissance si on en ignore les objets. C’est ce qu’on appelle connaître de science ou connaissance de simple intelligence.

Il est impossible qu’une intelligence créée, en voyant l’essence divine connaisse toutes les choses que Dieu peut faire. Plus un principe est connu parfaitement, plus on connaît de choses à travers lui, de même que dans un principe de démonstration, celui qui possède un esprit plus perspicace découvre plus de conclusions que celui qui a un esprit plus lent. Puisque le degré de la perfection divine correspond à ce dont elle est capable, si une intelligence voyait dans l’essence divine tout ce que Dieu est capable de faire, elle serait d’un degré de perfection égal, dans son acte de connaissance, à la perfection de la puissance divine réalisant ses effets : elle engloberait donc la puissance divine, ce qui est impossible pour tout esprit créé. Par contre, les choses que Dieu connaît par science de vision peuvent être connues dans le Verbe par un esprit créé, c’est-à-dire l’âme du Christ.

Au sujet de ceux qui, en dehors du Christ, voient l’essence divine, il y a deux opinions différentes : Les uns disent que tous ceux qui voient Dieu en son essence voient tout ce que Dieu voit par science de vision. Mais cela est en désaccord avec les affirmations des saints, qui disent que les anges ignorent certaines choses, bien qu’il soit de foi qu’ils voient tous Dieu en son essence. Les autres disent que les autres que le Christ, bien qu’ils voient Dieu en son essence, ne voient pas tout ce que Dieu voit, parce qu’ils ne saisissent pas la plénitude de l’essence divine. Il n’est pas nécessaire que celui qui connaît une cause en connaisse tous les effets, s’il connaît intégralement la cause. Or cela n’est pas possible pour un esprit créé. C’est pourquoi chacun de ceux qui voient Dieu en son essence voit d’autant plus de choses en elle, qu’il la pénètre plus clairement : certains pourront donc en éclairer d’autres. De cette manière, la science des anges et des saintes âmes peut croître jusqu’au jour du jugement, comme les éléments qui appartiennent à la récompense accidentelle. Mais ensuite, cette science ne croîtra plus, car ce sera le dernier état des choses, et dans cet état il est possible que tous connaissent tout ce que Dieu connaît par sa science de vision.

Solutions :

1. Ce que dit Isidore : "Les anges savent dans le Verbe toutes choses avant qu’elles s’accomplissent ", ne peut se rapporter à ce que Dieu sait de science de simple intelligence, puisque ces choses ne se produiront jamais ; elles ne peuvent être rapportées qu’à ce que Dieu connaît par science de vision. De ces choses, il ne dit pas que tous les anges les connaissent toutes, mais peut-être quelques- uns. Et ceux-là même qui les connaissent ne le font pas parfaitement. Dans une même chose on peut en effet considérer de multiples raisons intelligibles, comme diverses propriétés, et relations avec les autres choses : il est possible que tandis que deux personnes connaissent la même chose, l’une perçoive plus de raisons que l’autre et puisse les communiquer à l’autre. C’est pourquoi Denys dit que "les anges inférieurs reçoivent des anges supérieurs les raisons intelligibles des choses". Les anges qui connaissent toutes les créatures ne perçoivent pas nécessairement tout ce qui est intelligible en elles.

2. De cette citation de saint Grégoire, il ressort que dans la vision béatifique nous est donné le pouvoir de tout connaître, puisque l’intermédiaire de notre connaissance sera alors l’essence divine elle-même, essence par laquelle il connaît tout. Mais le fait que tout ne sera pas compris est à mettre au compte des limites de notre intelligence créée, qui ne peut comprendre l’essence divine.

3. L’intelligence créée ne voit pas l’essence divine selon le mode d’être de cette essence, mais selon son mode propre, qui est limité ; il n’est donc pas exigé que sa pénétration de connaissance en cette vision soit étendue infiniment jusqu’à la connaissance de toutes choses.

4. Le défaut de connaissance ne provient pas seulement d’un excès ou d’un défaut de ce qui est connaissable, mais aussi de ce que la raison connaissable n’est pas unie entièrement à l’intelligence : de même que la vue parfois ne voit pas une pierre, parce que l’image de cette pierre ne l’atteint pas. Bien que l’esprit qui voit Dieu soit uni à son essence divine, qui est le principe de toutes choses, il ne lui est pas uni en tant qu’elle est la raison (ou source intelligible) de toutes les choses, mais en tant qu’elle est la raison de quelques choses : et chacun pénètre d’autant plus l’essence divine qu’il y voit la raison de plus de choses.

5. Quand une puissance passive peut être perfectionnée par plusieurs perfections ordon nées l’une à l’autre, si elle est perfectionnée par la plus élevée de ces perfections, on ne dit pas qu’elle est imparfaite parce quelques dispositions précédentes lui manquent. Toute con naissance qui perfectionne l’intelligence créée est ordonnée, comme à sa fin, à la connaissance de Dieu. Donc, en voyant Dieu en son essence, même si on ne voyait rien d’autre, l’intelligence serait parfaite. Et elle n’est pas plus parfaite parce qu’elle connaît en même temps quelque autre chose, à moins que cela augmente sa connaissance de Dieu. C’est pourquoi saint Augustin dit : "Malheureux l’homme qui connaît toutes les choses créées et t’ignore. Bienheureux celui qui te connaît, même s’il ignore le reste. Celui qui te connaît, et aussi d’autres choses, n’en est pas plus heureux il n’est bienheureux qu’à cause de toi seul."

6. Ce miroir est doué de volonté, et de même qu’il se montre à qui il veut, ainsi il manifeste en lui-même ce qu’il veut. Ce n’est point comme le miroir matériel qui n’a pas le pouvoir de se faire voir ou non. - On pourrait dire aussi que dans le miroir matériel les choses reflétées, comme le miroir lui-même, apparaissent sous leur propre forme. Bien que ce miroir apparaisse grâce à la forme qu’il reçoit de la réalité, tandis que la pierre réfléchie par lui, n’est vue que par sa propre forme qui est réfléchie par autre chose qu’elle-même. Par la même raison on connaît l’un et l’autre. Au contraire, dans le miroir incréé, on voit quelque chose par la forme du miroir lui-même, comme un effet est vu à travers la connaissance de sa cause, et vice versa. Il n’est donc pas nécessaire que qui voit le miroir éternel voie tout ce qui s’y trouve contenu. En effet, quelqu’un qui voit une cause ne voit pas nécessairement tous ses effets, à moins qu’il n’ait une connaissance exhaustive de cette cause.

7. Le désir qu’ont les saints de tout connaître est assouvi seulement par la vue de Dieu, de même que leur désir de posséder tous les biens sera satisfait par la possession de Dieu. De même que Dieu, bonté parfaite, comble tout amour de bien, et que sa possession procure de quelque manière tous les biens, de même sa vue donne une satisfaction totale à l’intelligence. Comme dit saint Jean : "Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit."

8. L’ignorance proprement dite marque une privation de quelque chose : comme telle, elle est une peine ; elle est alors la privation de la connaissance de choses qui devraient être connues ou qu’il est nécessaire de connaître. Dans la patrie céleste, les saints ne seront privés d’aucune connaissance de ce genre. Mais parfois, on prend le mot ignorance pour signifier n’importe quelle absence d’une connaissance.

En ce sens, les anges et les saints ignoreront certaines choses dans la patrie. C’est pourquoi Denys dit que "les anges sont libérés de l’ignorance". Ainsi comprise, l’ignorance n’est pas un châtiment, mais seulement une déficience. Et il n’est point nécessaire que toute déficience de ce genre disparaisse dans la gloire : dans le même sens, on pourrait dire que c’était un défaut pour le Pape Lin de ne point parvenir à la gloire de saint Pierre.

9. Notre corps sera conforme â celui du Christ dans la gloire, en similitude mais non en égalité : il sera lumineux comme le corps du Christ, mais non également. De même notre âme possédera la gloire â la ressemblance de l’âme du Christ, mais non également. Elle possédera donc la science comme l’âme du Christ, mais non autant. Elle ne saura pas toutes choses comme l’âme du Christ.

10. Bien que l’essence divine soit le principe de toutes les choses connaissables, ce n’est pas en tant que principe de toutes choses qu’elle sera unie à l’intelligence créée. L’argument proposé ne vaut donc pas.

11. L’intellect agent est la forme proportionnée à l’intellect possible, de même que la puissance de la matière est proportionnée à la puissance naturelle : de telle sorte que tout ce qui est dans la puissance passive de la matière, ou de l’intellect possible, se trouve dans la puissance active de l’intellect agent, ou de l’agent naturel. C’est pourquoi, si l’intellect agent devient la forme de l’intellect possible, celui-ci doit connaître tout ce à quoi s’étend la puissance de l’intellect agent. Mais l’essence divine n’est pas une forme qui serait proportionnée de cette manière à notre intelligence. La comparaison ne vaut donc pas.

12. Rien n’empêche de dire qu’après le jour du jugement, quand la gloire des hommes et des anges sera totalement achevée, tous les bienheureux sauront tout ce que Dieu connaît de science de vision, bien que tous ne voient pas toutes choses dans l’essence divine. Mais l’âme du Christ verra alors pleinement toutes choses, comme elle le voit déjà maintenant. Les autres âmes verront alors plus ou moins de choses, selon le degré de clarté de leur connaissance de Dieu c’est ainsi que l’âme du Christ illuminera les autres âmes au sujet de ce qu’elle voit mieux qu’elles dans le Verbe. C’est pourquoi l’Apocalypse dit que "la clarté de Dieu illuminera la cité de Jérusalem, et sa source de lumière est l’Agneau." De même les supérieurs illumineront les inférieurs, non par une nouvelle illumination qui augmenterait la science des inférieurs, mais par une sorte de prolongation d’illumination comme si on imagine que le soleil au repos illumine l’air. C’est pourquoi Daniel dit que "ceux qui enseignent à beaucoup la justice, brilleront comme les étoiles pour l’éternité." La prééminence des divers ordres cessera seulement quant aux choses qu’ils exercent actuellement à notre égard par leurs ministères subordonnés l’un à l’autre, comme cela ressort de la Glose de ce texte.

 

QUESTION 93 — LA BÉATITUDE DES SAINTS ET LEURS DEMEURES

Traitons maintenant de la béatitude des saints et de leurs demeures. Nous poserons trois questions : 1. La béatitude des saints croît-elle après le jugement ? - 2. Convient-il de désigner les degrés de béatitude par le terme de demeures ? - 3. Les diverses demeures se distinguent-elles selon les degrés de charité ?

 

Article 1 — La béatitude des saints sera-t-elle plus grande après le jugement qu’auparavant ?

Objections :

1. Il semble que non. Plus une chose parvient à la ressemblance avec Dieu, plus elle participe parfaitement à sa béatitude. L’âme séparée du corps est plus semblable à Dieu que quand elle est unie au corps. La béatitude est donc plus grande avant qu’elle reprenne son corps.

2. Une force unifiée est plus puissante que si elle est divisée. Mais l’âme hors du corps est plus unifiée que dans le corps. Sa puissance d’action est donc plus grande, et ainsi elle participe plus parfaitement à la béatitude qui consiste en un acte.

3. La béatitude consiste en un acte de l’intelligence spéculative. Mais l’intelligence dans son acte n’implique pas un organe corporel. La reprise du corps ne donnera donc pas à l’âme la possibilité de comprendre plus parfaitement. La béatitude de l’âme ne sera donc pas plus grande après sa résurrection.

4. Rien de plus grand que l’infini un être fini ajouté à l’infini ne le grandit pas. Mais l’âme bienheureuse avant la résurrection du corps possède la béatitude puisqu’elle jouit d’un bien infini, Dieu. Après la résurrection du corps, elle ne jouira pas d’autre chose, sauf peut-être de la gloire du corps, qui est un. bien fini. La joie qui suivra la reprise du corps ne sera donc pas plus grande qu’auparavant.

Cependant :

À propos de l’Apocalypse, la Glose ordinaire dit : "Actuellement, les âmes des saints se trouvent sous les autels, c’est-à-dire dans une moindre dignité que plus tard. Leur béatitude sera donc plus grande après la résurrection qu’après leur mort.

En outre, la béatitude est accordée aux bons comme récompense, comme la souffrance est infligée aux méchants. Mais la souffrance des méchants sera plus grande après la reprise de leur corps, car ils seront punis non seulement dans l’âme mais dans le corps. La béatitude des saints sera donc plus grande après la résurrection des corps.

Conclusion :

Il est manifeste que la béatitude des saints sera augmentée en étendue après la résurrection, car elle ne sera plus seulement de l’âme, mais aussi du corps. Et la béatitude de l’âme elle-même sera accrue en étendue puisqu’elle ne jouira pas seulement de son propre bien, mais aussi du bien du corps. On peut même dire que la béatitude de l’âme sera accrue en intensité. Le corps de l’homme peut, en effet, être considéré de deux manières : d’une part, en tant qu’il peut être perfectionné par l’âme ; d’autre part, selon qu’il y a en lui quelque chose qui gêne l’âme dans ses opérations, parce qu’elle ne parvient pas à le perfectionner totalement. Selon la première manière de considérer le corps, son union avec l’âme ajoute à celle-ci quelque perfection, puisque toute partie est imparfaite et se complète dans son tout : le tout se comporte à l’égard de la partie comme la forme à l’égard de la matière. L’âme est donc plus parfaite dans son existence naturelle quand elle est dans le tout, c’est-à-dire dans l’homme composé de l’âme et du corps, que quand elle est une partie séparée. Mais l’union avec le corps, dans la seconde manière de considérer, empêche la perfection de l’âme.

C’est pourquoi la Sagesse dit que "le corps qui se corrompt, appesantit l’âme. "Si donc on enlève du corps tout ce par quoi il résiste à l’action de l’âme, celle-ci sera absolument parlant plus parfaite dans ce corps que séparée de lui. Plus une chose est parfaite en son être, plus elle peut agir parfaitement. L’opération de l’âme unie à un tel corps sera donc plus parfaite que celle de l’âme séparée. Tel sera le corps glorieux, entièrement soumis à l’esprit. Puisque la béatitude consiste en une opération, celle de l’âme sera plus parfaite après la reprise du corps qu’auparavant. Tout être imparfait tend à sa perfection. L’âme séparée tend naturellement vers son union avec le corps ; et à cause de cette tendance, qui vient d’une imperfection, l’opération par laquelle elle tend vers Dieu est moins intense. C’est ce que dit saint Augustin : "Par le désir du corps, l’âme est retardée dans sa tendance totale vers ce bien suprême."

Solutions :

1. L’âme unie au corps glorieux est plus semblable à Dieu que quand elle en est séparée, parce que, en lui étant unie, elle possède plus parfaitement l’existence. En effet, plus une chose existe parfaitement, plus elle est semblable à Dieu : ainsi le cœur, dont la perfection vitale consiste dans le mouvement, est plus semblable à Dieu quand il se meut que quand il se repose, bien que Dieu ne se meuve jamais.

2. La puissance qui par nature doit être dans la matière est plus puissante quand elle se trouve dans la matière que quand elle en est séparée, bien que, absolument parlant, la puissance soit supérieure quand elle est séparée de la matière.

3. Bien que l’âme ne se serve pas du corps dans l’acte de connaissance, cependant la perfection du corps contribue de quelque manière à la perfection de l’opération intellectuelle, en tant que l’âme, par l’union avec le corps glorieux, sera plus parfaite en sa nature, et donc plus efficace dans son opération. C’est pourquoi le bien du corps lui-même coopérera, pour ainsi dire instrumentalement, à l’opération en laquelle consiste la béatitude. Aristote dit que les biens extérieurs coopèrent instrumentalement à la félicité de la vie.

4. Bien que le fini ajouté à l’infini ne le grandisse pas, il lui ajoute quand même quelque chose parce que fini et infini sont deux choses, tandis que l’infini en lui-même n’en est qu’une. L’extension dans la joie ne la rend pas plus grande mais plus intense. C’est pourquoi la joie augmente en étendue quand elle porte sur Dieu et sur la gloire du corps et non seulement sur Dieu. La gloire du corps coopérera à l’intensification de la joie au sujet de Dieu, en tant qu’elle perfectionnera l’opération par laquelle l’âme adhère à Dieu. En effet, plus une opération est parfaite, plus la jouissance est grande, comme cela ressort de ce que nous avons dit.

 

Article 2 — Les degrés de béatitude doivent-ils être appelés demeures ?

Objections :

1. Il semble que non. Car la béatitude contient l’idée de récompense, et la demeure ne signifie rien qui ait trait à une récompense.

2. La demeure semble signifier un lieu. Mais le lieu dans lequel les saints sont heureux n’est point corporel, mais spirituel c’est Dieu, indivisible. Il n’y a donc en lui qu’une demeure. Les divers degrés de béatitude ne doivent donc pas être appelés demeures.

3. De même que dans le ciel il y aura des hommes de mérites inégaux, de même il en est ainsi actuellement dans le purgatoire, et il en fut ainsi dans les limbes des Pères.

Cependant :

Nous lisons en saint Jean : "Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures." Et saint Augustin l’explique par les divers degrés de récompense.

En outre, dans toute cité organisée, il y a des différences de demeures. Mais la patrie céleste est comparée à une cité, comme on le voit dans l’Apocalypse. On doit donc y distinguer diverses demeures selon les divers degrés de béatitude.

Conclusion :

Le mouvement local est le premier de tous les mouvements : c’est pour quoi, selon Aristote, les noms de mouvement, de distance et des autres choses connexes sont dérivés du mouvement local pour tous les autres mouvements. La fin du mouvement local est le lieu, dans lequel la chose une fois parvenue demeure en repos et s’y conserve. C’est pourquoi, à propos de tout mouvement, le repos auquel a abouti finalement le mouvement se nomme situation ou demeure. Et puisque le nom de mouvement est appliqué même aux actes. de l’appétit sensible et de la volonté, le fait d’atteindre la fin de ces mouvements s’appelle demeure ou position dans la fin. On donne donc le nom de diverses demeures aux diverses manières d’atteindre sa fin ultime. L’unité de la demeure correspond à l’unité de la béatitude considérée en son objet, et la pluralité des demeures correspond aux différences qui se trouvent dans la béatitude, considérée dans les bienheureux. Nous voyons aussi dans les choses naturelles que le lieu élevé vers lequel tendent les corps légers est le même pour tous, mais chacun d’entre eux en approche plus ou moins selon son degré de légèreté : ils ont donc des demeures différentes selon leur différence de légèreté.

Solutions :

1. La demeure inclut la notion de fin et par conséquent celle de récompense qui est la fin du mérite.

2. Bien qu’il n’y ait qu’un seul lieu spirituel, il y a divers degrés de rapprochement à son égard : cela constitue les diverses demeures.

3. Ceux qui étaient dans les limbes ou sont maintenant dans le purgatoire ne sont point parvenus à leur fin : il n’y a donc pas de demeures dans le purgatoire ou les limbes, mais seulement dans le paradis et l’enfer, où se trouve la fin des bons et des méchants.

 

Article 3 — Les diverses demeures se distinguent-elles selon les degrés de charité ?

Objections :

1. Il semble que non, puisque nous lisons en saint Matthieu : "Il a donné à chacun selon sa propre vertu. "Or la vertu de chaque chose est sa puissance naturelle. Les dons de la grâce et de la gloire sont donc distribués selon les divers degrés de vertu naturelle.

2. Le Psalmiste dit "Tu rendras à chacun selon ses œuvres." Mais ce que Dieu rendra est la mesure de la béatitude. Les degrés de celle-ci sont donc distingués selon la diversité des œuvres, et non selon celle de la charité.

3. La récompense est due aux actes et non aux dispositions : c’est pourquoi "ce ne sont pas les plus forts qui sont couronnés, mais ceux qui luttent", comme dit Aristote dans les Ethiques, et saint Paul à Timothée : "Seul sera couronné celui qui aura combattu selon les règles." La béatitude est une récompense. Ses divers degrés correspondent donc à ceux des œuvres et non à ceux de la charité.

Cependant :

Plus quelqu’un sera uni à Dieu, plus il sera heureux. Mais la manière d’adhérer à Dieu dépendra du degré de charité. La diversité de la béatitude correspondra donc à la différence de charité.

En outre, "le simple suit le simple et le plus suit le plus". Posséder simplement la béatitude suit la simple possession de la charité ; donc la possession d’une plus grande béatitude suit celle d’une plus grande charité.

Conclusion :

Il y a deux principes qui distinguent les demeures ou degrés de béatitude : l’un proche, l’autre éloigné. Le proche est la disposition différente des bienheureux, selon laquelle s’établit en eux une diversité de perfection dans l’opération de la béatitude ; tandis que le principe éloigné est le mérite grâce auquel ils ont obtenu cette béatitude. Selon la première manière, on distingue des demeures d’après la charité dans le ciel, qui plus elle est parfaite, plus elle rendra le bienheureux capable de recevoir la divine clarté, dont l’augmentation accroît la perfection de la vision de Dieu. Selon la seconde manière, on distingue des demeures d’après la charité de la vie sur terre. Notre acte en effet n’est pas méritoire dans sa substance même, mais à cause de la disposition de vertu qui le pénètre. Or la puissance du mérite dans toutes les vertus provient de la charité qui a pour objet notre fin même. C’est pourquoi la diversité de mérite revient tout entière à la diversité de charité. Et ainsi notre charité d’ici-bas distingue les demeures à la manière du mérite.

Solutions :

1. La vertu ne doit pas être prise ici seulement en tant que capacité naturelle, mais en tant que capacité naturelle à laquelle s’ajoute l’effort pour recevoir la grâce : alors la vertu devient comme une disposition matérielle à la mesure de la grâce et de la gloire future. Mais la charité constitue formellement la mesure de la gloire : c’est pourquoi la distinction du degré de gloire vient du degré de charité plutôt que de celui de la vertu naturelle.

2. Les œuvres ne méritent une récompense de gloire qu’en tant qu’elles sont pénétrées par la charité. Les divers degrés de gloire correspondent donc à ceux de la charité.

3. Bien que la disposition de la charité ou de toute vertu ne constitue pas le mérite auquel est due la récompense, elle est cependant le principe et toute la raison du mérite de l’acte. Les récompenses se distinguent donc selon sa diversité, bien que l’on puisse attribuer un certain degré de mérite d’après le genre même de l’acte, non pas pour la récompense essentielle, qui est la jouissance de Dieu, mais pour une certaine récompense accidentelle, qui est la jouissance de quelque bien créé.

 

QUESTION 94 — LE COMPORTEMENT DES SAINTS ENVERS LES DAMNÉS

Voyons maintenant le comportement des saints envers les damnés, et posons trois questions : 1. Les saints voient-ils les souffrances des damnés ? - 2. Ont-ils pour eux de la compassion ? - 3. Sont-ils satisfaits de les voir souffrir ?

 

Article 1 — Les saints dans le ciel verront-ils les souffrances des damnés ?

Objections :

1. Il semble qu’ils ne les verront pas. La distance entre les damnés et les bienheureux est plus grande que celle qui sépare ceux-ci des hommes de la terre. Mais les bienheureux ne voient pas les événements des hommes de la terre, puisque, à propos d’Isaïe : "Abraham nous a ignorés", la Glose dit : "Les morts, même saints, ignorent ce que font les vivants, fussent-ils leurs propres fils. "Ils voient donc moins encore les souffrances des damnés.

2. La perfection de la vision dépend de l’objet à voir. Aristote dit que "la plus parfaite opération du sens de la vue est celle de ce sens quand il est le mieux disposé à voir le plus bel objet visible". Donc, au contraire, la laideur de l’objet à voir produit une imperfection dans la vision. Il n’y aura aucune imperfection chez les bienheureux ils ne verront donc pas les misères des damnés, dans lesquelles il y a une extrême laideur.

Cependant :

Isaïe dit : "Ils sortiront et verront les cadavres des hommes qui se sont révoltés contre moi." Et la Glose ajoute "Les élus sortiront par leur intelligence ou par une vision directe, pour être davantage enthousiasmés dans la louange de Dieu."

Conclusion :

Rien ne doit être enlevé aux bienheureux de ce qui appartient à leur béatitude. Une chose est mieux connue par contraste avec son contraire, car les contraires quand ils se rapprochent sont mieux mis en lumière. C’est pourquoi, pour que la béatitude des saints leur plaise davantage, et qu’ils en rendent à Dieu de meilleures actions de grâces, il leur est donné de voir parfaitement les souffrances des impies.

Solutions :

1. La Glose parle ici des saints décédés, selon leur possibilité naturelle. Par celle-ci, il n’est en effet pas nécessaire qu’ils parviennent à la connaissance de tout ce qui se passe chez les vivants. Mais les saints qui sont dans le ciel, connaissent clairement tout ce qui arrive chez les hommes de la terre et chez les damnés. C’est pourquoi saint Grégoire dit : "A propos des âmes des saints, on ne peut point penser ce que dit Job (à savoir "que ses fils soient nobles ou misérables, il ne connaîtra pas..."), parce que pour ceux qui possèdent la clarté de Dieu, on ne peut en aucune manière croire qu’il y ait en dehors de Dieu quoi que ce soit qu’ils ignorent"

2. Bien que la beauté de l’objet vu contribue à la perfection de la vue, cependant la laideur de l’objet peut ne pas entraîner d’imperfection de la vision. Les représentations des choses, par lesquelles on connaît les contraires, ne sont pas contraires dans l’âme. C’est pourquoi Dieu, qui a la plus parfaite des connaissances, voit toutes les choses, belles comme laides.

 

Article 2 — Les bienheureux ont-ils de la compassion pour les souffrances des damnés ?

Objections :

1. Cela semble. La compassion procède de la charité. Les bienheureux auront une très parfaite Charité : ils compatiront donc pleinement aux souffrances des damnés.

2. Les bienheureux ne seront jamais aussi éloignés de la compassion que Dieu peut l’être. Mais Dieu a de quelque manière de la compassion pour nos misères (d’où son titre de miséricordieux), et aussi les anges. Les bienheureux ont donc de la compassion pour les souffrances des damnés.

Cependant :

Toute personne qui compatit devient de quelque manière participante à la souffrance d’autrui. Mais les bienheureux ne peuvent point participer à aucune souffrance. Ils n’ont donc point de compassion pour les souffrances des damnés.

Conclusion :

La miséricorde ou compassion peut se trouver en quelqu’un de deux manières : soit par passion, soit par un acte de choix de la volonté. Chez les bienheureux il n’y aura pas de passion dans la partie inférieure de leur nature, sauf à la suite d’un choix de la raison. Il n’y aura donc chez eux de compassion ou de miséricorde qu’à la suite d’un tel choix de la raison. Une telle élection de la raison ne peut faire naître la miséricorde ou la compassion que si quelqu’un veut que le mal d’autrui soit éloigné : point de compassion si nous ne voulons pas raisonnablement que les maux d’autrui soient écartés. Tant que les pécheurs sont en ce monde, ils se trouvent dans un tel état qu’ils peuvent être libérés de leur misère et de leur péché sans préjudice pour la justice divine, et être introduits dans la béatitude. La compassion est donc possible envers eux, par choix de la volonté (comme Dieu, les anges et les saints compatissent en voulant leur salut) ou par passion, comme les hommes bons compatissent aux pécheurs qui sont encore dans la vie terrestre. Mais dans l’au-delà, les pécheurs ne pourront plus sortir de leur misère. Il n’y aura donc plus de possibilité d’une compassion, voulue avec rectitude, à l’égard de leurs souffrances. Les bienheureux qui seront dans la gloire n’auront donc aucune compassion pour les damnés.

Solutions :

1. La charité est source de compassion quand nous pouvons à cause d’elle vouloir l’éloignement de la souffrance d’autrui. Mais les saints ne peuvent pas vouloir cela par charité à l’égard des damnés, puisque ce serait contraire à la justice divine.

2. Dieu est miséricordieux en tant qu’il va au secours de ceux qui, selon l’ordre de sa sagesse et de sa justice, peuvent être libérés légitimement il ne peut pas avoir pitié des damnés, sauf en les punissant moins qu’ils ne le méritent.

 

Article 3 — Les bienheureux se réjouiront-ils des peines des impies ?

Objections :

1. Cela ne semble pas : se réjouir du mal d’autrui se rattache à la haine. Dans les bienheureux il n’y en aura pas. Ils ne se réjouiront donc pas des souffrances des damnés.

2. Les bienheureux au ciel seront tout à fait conformes à Dieu. Mais "Dieu ne se réjouit pas de nos peines". Donc pas davantage les bien heureux.

3. Ce qui est réprouvable chez l’homme de la terre ne peut aucunement se trouver en celui du ciel. Mais ici-bas il est tout à fait condamnable de se réjouir des peines d’autrui, et très louable de s’en affliger. Donc, les bienheureux ne se réjouiront aucunement des peines des damnés.

Cependant :

Le Psalmiste dit : "Le juste se réjouira en voyant la vengeance."

En outre, Isaïe dit que les cadavres des révoltés "donneront une vision de satiété à toute chair". Mais la satiété signifie l’assouvissement de l’esprit. Les bienheureux jouiront donc des peines des impies.

Conclusion :

Une chose peut être occasion de joie de deux manières : ou bien, par soi, quand on se réjouit d’une chose pour elle- même ; et de cette manière les saints ne se réjouiront pas des peines des impies. Ou bien par accident, c’est-à-dire à cause de quelque chose qui s’y ajoute ; et ainsi les saints se réjouiront des peines des impies en considérant l’ordonnance de la divine justice pour ceux-ci, et leur libération personnelle, source de joie. Ainsi la justice divine et la libération des bienheureux seront par elles-mêmes causes de joie, tandis que la peine des damnés ne le sera que par accident.

Solutions :

1. Se réjouir du mal d’autrui, en soi, appartient à la haine, mais non pas se réjouir de ce mal à cause d’une autre circonstance qui s’y rattache. De cette manière, il arrive même que quelqu’un se réjouisse de son propre mal : si, par exemple, quelqu’un se réjouit de ses proches souffrances en tant qu’elles lui procurent du mérite pour le ciel.

Saint Jacques dit : "Frères, quand vous tombez en diverses tentations, considérez-le comme une joie."

2. Bien que Dieu ne se réjouisse pas des peines en tant que telles, il s’en réjouit en tant qu’elles sont ordonnées à sa justice.

3. Chez l’homme de la terre, il n’est pas louable de se réjouir, en soi, des peines des autres ; mais cela devient louable s’il s’en réjouit en tant qu’elles sont liées à quelque bien. Cependant, il y a cette différence entre l’homme de la terre et celui du ciel : en celui de la terre, les passions naissent fréquemment sans jugement de sa raison ; et pourtant, elles sont parfois louables, en tant qu’elles indiquent une bonne disposition de l’esprit : comme les mouvements de honte, ou de miséricorde, ou de regret du mal. Chez les hommes du ciel, il ne peut y avoir de passion qui ne suive pas un jugement de la raison.

 

QUESTION 95 — LES DOTS DES BIENHEUREUX

Considérons maintenant les dots des bien heureux. Cinq questions se posent à leur sujet

1. Doit-on attribuer des dots aux bienheureux ? - 2. La dot diffère-t-elle de la béatitude ? - 3. Appartenait-il au Christ d’avoir des dots ? 4. Et aux anges ? - 5. Convient-il d’assigner trois dots à l’âme ?

 

Article 1 — Doit-on attribuer des dots aux hommes bienheureux ?

Objections :

1. Il semble que non. La dot, selon le droit, est donnée à l’époux pour supporter les charges du mariage. Mais les saints ne font pas figure d’époux, mais plutôt d’épouses, en tant qu’ils sont membres de l’Église. Ils ne doivent donc pas recevoir de dot.

2. Les dots, selon le droit, ne sont point données par le père de l’époux, mais par celui de l’épouse. Or tous les dons de la béatitude sont remis aux bienheureux par le père de l’Époux, c’est-à-dire du Christ. Nous voyons en saint Jacques : "Tout don excellent et tout don parfait vient d’en-haut, descendant du Père des lumières". Ces dons faits aux bien heureux ne doivent donc pas être appelés des dots.

3. Dans le mariage charnel, on donne des dots pour faciliter les charges du mariage. Dans le mariage spirituel, il n’y a point de charges, surtout dans l’Église triomphante. Il n’y a donc pas à donner de dots.

4. Les dots ne sont données qu’à cause du mariage. Mais le mariage spirituel est contracté avec le Christ par la foi, dans l’état de l’Église militante. Si donc à cause de ce mariage des dots doivent être données aux bienheureux, elle devraient l’être aussi tandis qu’ils sont sur terre. Mais cela ne leur convient pas ; donc, pas non plus aux bienheureux.

5. Les dots font partie de ces biens extérieurs qu’on nomme biens de la fortune. Mais les récompenses des bienheureux sont des biens d’ordre intérieur. On ne doit donc pas les appeler dots.

Cependant :

Saint Paul dit aux Éphésiens "Ce sacrement est grand ; je vous le dis dans le Christ et dans l’Église." Cela montre que le mariage spirituel est évoqué par le mariage charnel. Mais dans le mariage charnel, l’épouse est dotée pour entrer dans la maison de l’époux. Donc, quand les saints pénètrent dans la mai son du Christ pour entrer dans la béatitude, il semble qu’ils soient dotés de divers dons.

En outre, les dots dans le mariage corporel sont données comme agrément du mariage. Le mariage spirituel est plus délectable que le mariage corporel. On doit donc lui joindre des agréments fort grands.

De plus, les parures des épouses font partie de la dot. Mais les saints sont ornés pour entrer dans la gloire, comme dit Isaïe : "Il m’a revêtu des vêtements du salut, comme l’épouse ornée par ses servantes." Les saints auront donc des dots dans la patrie céleste.

Conclusion :

Il n’est pas douteux que les bienheureux, quand ils entrent dans la gloire, reçoivent de Dieu des dons pour leur ornementation, et ces dons honorifiques sont appelés dots par les maîtres spirituels. C’est pourquoi on définit ainsi la dot dont nous parlons ici "La dot est un ornement perpétuel de l’âme et du corps, s’ajoutant à leur vie, et persévérant sans interruption dans la béatitude éternelle." Et cette description est comparée à la dot corporelle qui orne l’épouse et apporte au mari de quoi pouvoir nourrir l’épouse et les enfants ; cependant la dot de l’épouse est conservée sans pouvoir disparaître, afin que si le mariage était dissous, elle revienne à l’épouse. Mais dans l’interprétation de ce nom, nous trouvons diverses opinions.

Certains disent que la dot ne doit pas être considérée en comparaison avec le mariage corporel, mais que c’est là une manière de parler par laquelle on désigne toute perfection ou ornement de n’importe quel homme comme on dit de quelqu’un qu’il est doté de science parce qu’il brille par sa science. Ovide s’est servi ainsi du mot dot, quand il dit "Efforce-toi de plaire par toute dot qui peut plaire." Mais cela ne semble aucunement convenir, car quand un nom est créé pour désigner principalement une chose, il n’est pas d’usage de l’appliquer à autre chose qui n’a pas avec elle quelque ressemblance. Puisque, dans son acception première, la dot est liée au mariage charnel, il est nécessaire que dans toutes ses autres acceptions il y ait une ressemblance avec la première signification.

D’autres disent que cette similitude consiste en ce que la dot signifie proprement le don qui, dans le mariage corporel, est donné à l’épouse par l’époux quand elle pénètre en sa maison, don qui contribue à la parure de l’épouse : cela ressort de ce que Sichem dit à Jacob et à ses fils : "Augmentez la dot et demandez des présents," et "Si quelqu’un a séduit une vierge et a dormi avec elle, qu’il la dote, et la prenne comme épouse." C’est pourquoi l’ornement que le Christ donne à ses saints en les introduisant dans la demeure de gloire est appelé dot. Cependant, cela est manifestement contraire à ce que disent les juristes, auxquels il appartient de traiter ces choses. Ils déclarent que la dot est, à proprement parler, "une donation faite de la part de la femme à ceux qui sont du côté de l’homme, à cause de la charge du mariage que l’homme doit supporter", tandis que ce que l’époux donne à l’épouse est appelé "donation pour les noces". C’est dans ce sens qu’il est parlé de dot au livre des Rois, quand il est dit : "Pharaon, roi d’Egypte, prit Gazer et la donna en dot à sa fille, épouse de Salomon." Les auteurs cités ne s’opposent pas à cela. Car bien qu’il soit d’usage que des dots soient données par les parents de la fille, cependant il arrive parfois que l’époux ou son père donne des dots à la place du père de la fille. Cela se produit de deux manières : soit à cause d’un grand amour pour l’épouse, comme cela eût lieu pour Hamor, père de Sichem, qui voulut donner la dot, qu’il aurait dû recevoir, à cause de l’amour ardent de son fils pour la jeune fille ; ou bien cela a lieu comme une réparation de l’époux pour assigner une dot à la vierge violée par lui, tandis que le père de cette vierge aurait dû la donner. Et c’est de cela que parle Moïse dans le texte cité.

C’est pourquoi, selon une autre opinion, on doit dire que la dot est proprement, dans le mariage corporel, ce qui est donné par ceux qui sont du côté de la femme à ceux qui sont du côté de l’homme, pour supporter les charges du mariage, comme nous l’avons dit. Mais alors il reste la difficulté d’adopter cette signification au cas présent, puisque les ornements de la béatitude sont donnés à l’épouse spirituelle par le père de l’époux. Cela sera éclairé par la solution des objections.

Solutions :

1. Bien que des dots soient remises à l’époux, dans le mariage charnel, pour son usage, cependant la propriété et le domaine en demeurent à l’épouse, comme cela ressort du fait que, en cas de dissolution du mariage, la dot demeure à l’épouse, selon le droit. Ainsi aussi dans le mariage spirituel, les ornements eux-mêmes qui sont donnés à l’épouse spirituelle, à savoir l’Église dans ses membres, appartient à l’époux en tant qu’ils tendent à sa gloire et à son honneur, et à l’épouse en tant qu’ils la parent.

2. Le père de l’époux, Jésus-Christ, est la personne même du Père. Or le père de l’épouse est toute la Trinité : les effets produits dans les créatures remontent en effet à toute la Trinité. C’est pourquoi les dots, dans le mariage spirituel, sont données à proprement parler plus par le père de l’épouse que par celui de l’époux. Pourtant cette attribution, bien que faite par les trois personnes, peut être appropriée à chacune d’elles de quelque manière à la personne du Père, en tant qu’il donne, puisqu’en lui est l’autorité : la paternité lui est appropriée à l’égard des créatures de telle sorte qu’il est à la fois père de l’épouse et de l’époux ; elle est attribuée à la personne du Fils, en tant qu’elle est donnée à cause de lui et par lui ; elle est attribuée au Saint -Esprit, en tant qu’elle est donnée en lui et selon lui, car l’amour est la source de toute donation.

3. Ce qui est accompli par les dots, c’est-à-dire l’allégement donné au poids du mariage, convient par soi aux dots, tandis que lui convient seulement par accident ce qui est écarté par elles, c’est-à-dire la charge du mariage qu’elles réduisent ; de même qu’il convient par soi à la grâce de faire un être juste, tandis que c’est par accident qu’elle transforme un impie en juste. Donc, bien que dans le mariage spirituel il n’y ait point de charges, cependant il s’y trouve une grande jouissance. Et les dots sont données à l’épouse pour perfectionner cette jouissance, afin que par elles, elle soit unie plus agréablement à l’époux.

4. Les dots n’étaient pas données à l’épouse à ses épousailles, mais quand elle était amenée à la maison de l’époux pour y demeurer présente. Comme dit saint Paul : "Tant que nous sommes en cette vie, nous sommes en marche vers le Seigneur." Les dons qui sont conférés aux saints en cette vie ne s’appellent donc pas des dots, mais seulement ceux qui leur sont conférés quand ils entrent dans la gloire, où ils jouissent de la présence de l’époux.

5. Dans le mariage spirituel, c’est l’ornement intérieur qui est requis. Le Psalmiste dit "La gloire de la fille du roi est au-dedans." Mais dans le mariage corporel, c’est l’ornement extérieur qui est requis. Il n’est donc pas nécessaire que ces dots extérieures soient données dans le mariage spirituel comme dans le mariage corporel.

 

Article 2 — La dot est-elle ta même chose que ta béatitude ?

Objections :

1. Il semble que ce soit la même chose. La définition de la dot est, avons-nous vu, "un ornement du corps et de l’esprit qui persévère sans interruption dans la béatitude éternelle". Mais la béatitude de l’âme est déjà son ornement : elle constitue donc elle-même la dot.

2. La dot est quelque chose par quoi l’épouse est unie à l’époux d’une manière agréable. Dans le mariage spirituel la béatitude joue ce rôle : elle est donc elle-même une dot.

3. La vision, selon saint Augustin, "est la substance de la béatitude". Mais la vision est une des dots. La béatitude est donc une dot.

4. La fruition rend heureux. Elle est une des dots. La dot rend donc heureux : la béatitude est donc une dot.

5. Selon Boèce, "la béatitude est un état rendu parfait par l’accumulation de tous les biens". Mais l’état des bienheureux est perfectionné par les dots : celles-ci sont donc une partie de la béatitude.

Cependant :

La dot se donne sans être méritée. La béatitude n’est pas donnée, mais elle est accordée aux mérites. Elle n’est donc pas une dot.

En outre, il n’y a qu’une béatitude, tandis qu’il y a plusieurs dots. Ce n’est donc pas la même chose.

De plus, la béatitude se trouve dans l’homme en ce qu’il y a de meilleur en lui, comme dit Aristote. Mais la dot se trouve aussi dans le corps. Ce n’est donc pas la même chose.

Conclusion :

A ce sujet deux opinions sont émises : certains disent que la béatitude et la dot sont la même chose en fait, mais diffèrent en leur notion, car la dot regarde le mariage spirituel entre le Christ et l’âme, mais non la béatitude. Mais cela n’est pas possible, car la béatitude consiste en une opération, tandis que la dot n’est pas une opération mais plutôt une qualité ou une disposition. C’est pourquoi d’autres disent que la béatitude et la dot diffèrent même dans la réalité : la béatitude est l’opération parfaite grâce à laquelle l’âme bienheureuse est unie à Dieu, tandis que les dots sont des manières d’être, des dispositions ou d’autres qualités qui sont ordonnées à la perfection de cette opération. De la sorte, les dots sont ordonnées à la béatitude, plutôt qu’elles n’en sont des parties.

Solutions :

1. La béatitude proprement dite n’est pas un ornement de l’âme, mais quelque chose qui provient de l’ornement de l’âme, puisqu’elle est une opération, tandis que l’ornement est un embellissement du bien heureux lui-même.

2. La béatitude n’est pas ordonnée à l’union de l’âme avec le Christ : elle est cette union elle-même qui consiste en une opération, tandis que les dots sont des dons qui disposent à cette union.

3. La vision peut être prise en deux sens. Comme acte, c’est l’acte même de la vision, et ainsi elle n’est pas une dot, mais la béatitude elle-même. Comme manière d’être, c’est-à-dire comme disposition qui contribue à cette opération, ou comme clarté de gloire par laquelle l’âme est éclairée par Dieu pour le voir : ainsi elle est une dot, et le principe de la béatitude, mais non la béatitude elle-même.

4. Cela vaut aussi pour la fruition.

5. La béatitude rassemble tous les biens, non comme parties de son essence, mais comme ordonnés de quelque manière la béatitude, comme il est dit plus haut.

 

Article 3 — Convient-il au Christ d’avoir des dots ?

Objections :

1. Il semble que cela convienne. En effet, les saints dans la gloire sont conformes au Christ, saint Paul dit aux Philippiens : "Il restaurera notre corps de faiblesse en le rendant conforme à son corps de lumière." Le Christ a donc aussi des dots.

2. Dans le mariage spirituel, des dots sont données par ressemblance avec le mariage corporel. Dans le Christ nous trouvons une sorte de mariage spirituel, d’un type unique, c’est-à-dire l’union des deux natures en une personne, de sorte qu’on dit qu’en lui la nature humaine est épousée par le Verbe. Cela résulte de la Glose au sujet du Psaume i8 "Il a posé sa tente dans le soleil", et de l’Apocalypse "Voici que la tente de Dieu est parmi les hommes." Il convient donc que le Christ ait des dots.

3. 5. Augustin dit "Le Christ, selon la règle de Ticonius, à cause de l’unité du corps mystique entre la tête et les membres, se nomme parfois épouse et non seulement époux", comme cela se voit dans Isaïe : "Comme l’époux orné d’une couronne, et comme l’épouse parée par ses servantes." Puisqu’on doit des dots à l’épouse, il faut en donner au Christ.

4. Une dot est due à tous les membres de l’Église, puisqu’elle est épouse. Or le Christ est membre de l’Église, selon saint Paul aux Corinthiens : "Vous êtes le corps du Christ, membre de ce membre." La Glose interlinéaire ajoute : "du Christ." Des dots sont donc dues au Christ.

5. Le Christ possède la vision parfaite, la fruition et la délectation : or ce sont là des dots.

Cependant :

Entre l’époux et l’épouse il y a nécessairement distinction de personnes. Mais dans le Christ, il n’y a pas de distinction de personnes avec le Fils de Dieu, qui est époux, comme cela se voit dans saint Jean : "Celui qui possède l’épouse est l’époux." Donc, puisque les dots sont données à l’épouse ou pour elle, il semble qu’il n’appartienne pas au Christ d’avoir des dots.

En outre, la même personne ne peut avoir des dots et en recevoir. Mais le Christ est le donateur des dots spirituelles. Il ne lui convient donc pas d’en avoir.

Conclusion :

Deux opinions se manifestent à ce sujet. Certains disent que dans le Christ il y a une triple union : une, qui est appelée consentie, qui l’unit à Dieu par un lien d’amour ; une autre, de dignité, par laquelle la nature humaine est unie à la nature divine ; la troisième par laquelle le Christ lui-même est uni à l'Église. Ils disent que, selon les deux premières unions, il convient que le Christ ait des dots, à titre de dot ; mais selon la troisième union il lui convient d’avoir une dot tout à fait excellente, mais pas à titre de dot : car dans cette union, le Christ est comme l’époux, et l’Église comme épouse. Or, la dot est donnée à l’épouse en tant que propriété et possession. Dans l’union par laquelle le Christ est uni au Père par consentement d’amour, mais en tant que Dieu, on ne peut dire qu’il y ait mariage, car il n’y a pas là cette soumission qui doit exister entre l’épouse et l’époux. De même dans l’union de la nature humaine avec la nature divine, en union personnelle ou même par conformité de volonté, il ne peut pas y avoir une raison de dot. Pour trois motifs : - d’abord parce qu’il doit y avoir conformité de nature entre l’époux et l’épouse pour le mariage dans lequel sont données des dots ; et cela n’est pas réalisé dans l’union de la nature humaine avec la nature divine ; - secondement, parce que la distinction des personnes est exigée, et que la nature humaine n’est pas personnellement distincte du Verbe ; - troisièmement, parce que la dot est donnée quand l’épouse entre pour la première fois dans la maison de l’époux, et ainsi elle est attribuée à l’épouse, qui n’étant pas auparavant con jointe, le devient : mais la nature humaine qui est assumée par le Verbe dans l’unité de la personne, n’a jamais existé avant de lui être parfaitement unie.

C’est pourquoi, selon d’autres, on doit dire, ou bien que la notion de dot ne convient nullement au Christ, ou bien qu’elle ne lui convient pas à proprement parler comme elle convient aux saints ; mais ce qu’on appelle dots lui convient à un degré éminent.

Solutions :

1. Cette conformité doit être entendue d’après ce qui est la dot, et non d’après la notion même de dot qui serait dans le Christ. Il n’est pas nécessaire que ce qui est dans le Christ, et à quoi nous serons rendus conformes, soit de la même manière dans le Christ et en nous.

2. La nature humaine n’est pas appelée épouse dans cette union par laquelle elle est unie au Verbe, puisqu’il n’y a point là cette distinction de personnes qui est requise entre l’époux et l’épouse. Mais on dit parfois que la nature humaine est épousée par le Verbe auquel elle est unie, dans ce sens qu’il y a en elle quelque chose qui rappelle l’épouse, puisqu’elle est unie inséparablement, et que dans cette union elle est inférieure au Verbe, et est régie par lui, comme l’épouse par l’époux.

3. Si le Christ est parfois appelé épouse, ce n’est pas qu’il soit lui-même vraiment épouse, mais en tant qu’il assume la personne de son épouse, l’Église, qui lui est spirituellement unie. C’est pourquoi rien n’empêche qu’en cette manière de parler on dise qu’il a des dots, bien qu’il ne les ait pas lui-même, mais parce que l’Église les a.

4. Le nom d’Église peut être pris en deux sens quelquefois, il désigne seulement le corps, auquel le Christ est uni comme tête, et alors l’Église réalise la notion d’épouse. Ainsi le Christ n’est pas membre de l’Église, mais il est la tête qui exerce son influence sur tous les membres de l’Église. En un autre sens, on considère l’Église en tant qu’elle désigne, avec la tête, les autres membres qui lui sont unis. Et ainsi le Christ est dit membre de l’Église, en tant qu’il exerce ce rôle distinct, à savoir de faire descendre la vie dans tous les membres. Cependant, ce n’est pas très exact de l’appeler membre, parce que le membre signifie une partie seulement, tandis que dans le Christ le bien spirituel n’est pas seulement partiellement, mais se trouve entier intégralement. Il est lui-même tout le bien contenu dans l’Église, et les membres qui s’y ajoutent ne le rendent pas meilleur que quand il est seul. En parlant de l’Église en ce sens, on ne doit pas l’appeler épouse, mais époux et épouse, en tant que l’union spirituelle des membres ne produit qu’un seul effet. C’est pourquoi, si le Christ peut être dit de quelque manière membre de l’Église, on ne peut aucunement le dire membre de l’épouse : et ainsi la notion de dot ne lui convient pas.

5. Dans cet argument, il y a une fausseté de présentation, car ces trois opérations du Christ ne lui conviennent pas à titre de dot.

 

Article 4 — Les anges ont-ils des dots ?

Objections :

1. Ils semblent en avoir, puisque, au sujet du Cantique des Cantiques : "Une seule est ma colombe," la Glose dit "Il n’y a qu’une Église pour les hommes et les anges." Mais l’Église est épouse ; il convient donc que ses membres aient des dots, y compris les anges.

2. A propos de saint Luc : "Et vous êtes semblables à des hommes qui attendent que leur maître reviennent des noces", la Glose ordinaire dit "Le Seigneur est allé aux noces quand, après la résurrection, homme nouveau, il s’est uni à la multitude des anges. "Cette multitude est donc épouse du Christ, et, ainsi, il convient que les anges aient des dots.

3. Le mariage spirituel consiste en une union spirituelle. Mais celle-ci n’est pas inférieure entre les anges et Dieu à ce qu’elle est entre les hommes bienheureux et Dieu. Donc, puisque les dots sont assignées en raison du mariage spirituel, il semble qu’elles conviennent aux anges.

4. Le mariage spirituel requiert un époux spirituel et une épouse spirituelle. Mais les anges sont par nature plus conformes au Christ, esprit suprême, que les hommes. Le mariage spirituel est donc davantage possible entre les anges et le Christ qu’entre les hommes et lui.

5. Une plus grande connexion est exigée entre la tête et les membres qu’entre l’époux et l’épouse. Mais la conformité qui existe entre le Christ et les anges suffit pour qu’on dise que le Christ est la tête des anges. Elle suffit donc plus encore pour qu’on l’appelle leur époux.

Cependant :

Origène, commentant le Cantique des Cantiques, au début du Prologue, distingue quatre personnes, à savoir : "l’époux et l’épouse, et les adolescentes et les compagnons de l’époux", et il dit que "les anges sont les compagnons de l’époux". Puisque les dots ne sont dues qu’à l’épouse, il semble que les anges n’en doivent pas avoir.

En outre, le Christ a épousé l’Église par l’incarnation et la passion. C’est à lui qu’il est fait allusion dans l’Exode : "Tu es pour moi un époux sanglant ." Mais dans son incarnation et sa passion il ne fut pas uni aux anges autrement qu’il ne l’était. Ceux-ci n’appartiennent donc pas à l’Église en tant qu’épouse. Les dots ne leur conviennent donc pas.

Conclusion :

Il n’est pas douteux que ce qui compose les dots de l’âme convient aux anges comme aux hommes ; mais non en tant que dot, parce que la notion d’épouse n’appartient pas aux anges comme aux hommes. Entre l’époux et l’épouse, il doit y avoir conformité de nature, en tant qu’ils appartiennent à la même espèce. A ce titre, les hommes sont en harmonie avec le Christ en tant qu’il a assumé la nature humaine, et est par là devenu conforme à la nature de l’espèce humaine, comme elle se trouve en tous les hommes. Il n’est pas conforme aux anges selon l’unité de l’espèce, ni en sa nature divine, ni dans la nature humaine. C’est pourquoi la notion de dot ne convient pas proprement aux anges comme aux hommes.

Cependant, dans les choses dites métaphoriquement, on n’exige pas une similitude sur tous les points on ne peut donc pas, à cause d’une dissemblance, conclure qu’il n’est pas possible d’attribuer métaphoriquement une chose à une autre. On ne peut donc pas dire, absolument, que les dots ne conviennent pas aux anges, mais seulement qu’elles ne leur conviennent pas à proprement parler comme aux hommes, à cause de la différence dite plus haut.

Solutions :

1. Bien que les anges appartiennent à l’unité de l’Église, ils n’en sont pas les membres en tant que l’Église est dite épouse par conformité de nature. Ainsi il ne leur convient pas à proprement parler d’avoir des dots.

2. Ces épousailles sont prises largement dans le sens d’une union qui ne renferme pas la conformité de nature en espèce. Rien n’empêche donc, en prenant au sens large le mot dot, d’en attribuer aux anges.

3. Bien que dans le mariage spirituel il n’y ait qu’une union spirituelle, il convient que ceux qui sont unis selon la notion parfaite du mariage appartiennent à la même espèce de nature.

4. Cette ressemblance par laquelle les anges sont conformes au Christ en tant que Dieu n’est pas suffisante pour réaliser la notion parfaite de mariage : car il n’y a pas de conformité d’espèce, mais il demeure plutôt une infinie distance.

5. Le Christ ne peut être dit tête des anges en tant que la tête exige une conformité de nature avec le membre. Pourtant, on doit savoir que bien que la tête et les autres membres soient les parties d’un individu d’une seule espèce, cependant, si on les considère en eux-mêmes, ils ne sont pas de la même espèce, puisque la main est une autre espèce de partie que la tête. Donc en parlant des membres en eux-mêmes, on ne requiert qu’une convenance de proportion, de telle sorte qu’ils reçoivent quelque chose l’un de l’autre et se servent l’un l’autre. Ainsi la convenance qu’il y a entre Dieu et les anges suffit davantage pour réaliser la notion de tête que pour celle d’époux.

 

Article 5 — Convient-il d’attribuer à l’âme trois dots ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’on doive attribuer à l’âme les trois dots, qui seraient la vision, la délectation et la fruition. Car l’âme est unie à Dieu selon son esprit, qui est l’image de la Trinité, en tant qu’il est mémoire, intelligence et volonté. La délectation appartient à la volonté et la vision à l’intelligence. On doit donc désigner quelque autre chose qui appartienne à la mémoire. Or la fruition n’appartient pas à la mémoire, mais à la volonté.

2. Les dots de la béatitude correspondent aux vertus de la marche terrestre, par les quelles nous sommes unis à Dieu : ce sont la foi, l’espérance et la charité, qui ont Dieu lui- même pour objet. La dilection correspond à la charité et la vision à la foi. Il doit donc y avoir autre chose qui correspond à l’espérance. Au contraire, la fruition correspond à la charité.

3. Nous ne jouissons de Dieu que par la dilection et la vision, comme dit saint Augustin : "On dit que nous jouissons des choses que nous aimons pour elles-mêmes". La fruition ne doit donc pas être présentée comme une autre dot que la dilection.

4. Pour la perfection de la béatitude, la prise de possession est requise. Saint Paul dit aux Corinthiens : "Courez de telle sorte que vous preniez possession du but. "On doit donc admettre une quatrième dot.

5. Saint Anselme dit que la béatitude contient "la sagesse, l’amitié, la concorde, le pouvoir, l’honneur, la sérénité, la joie". Il semble donc qu’on doive substituer ces dots aux autres.

6. 5. Augustin dit que "Dieu dans la béatitude sera vu sans fin, aimé sans lassitude, loué sans fatigue". On doit donc ajouter la louange aux dots citées.

7. Boèce dit que cinq choses concourent à la béatitude : la suffisance, qu’assurent les richesses, le plaisir, qu’assure la volupté, la célébrité, qu’assure la renommée, la sécurité, qu’assure le pouvoir, la vénération, qu’assure la renommée, la sécurité, qu’assure le pouvoir, la vénération, qu’assure la dignité. Il semble donc que ce sont plutôt ces choses qui devraient être données comme dots.

Conclusion :

Tous s’accordent à accorder à l’âme trois dots, mais diversement. Certains disent que ces trois dots de l’âme sont la vision, la dilection et la fruition. D’autres disent que ce sont la vision, la prise de possession et la fruition. D’autres que ce sont la vision, la délectation et la prise de possession. Mais tous réduisent en fait ces dots à la même chose, et en donnent le même nombre. Nous avons vu plus haut que la dot est quelque chose qui est inhérent à l’âme, et qui l’ordonne à cette opération en laquelle consiste la béatitude. Dans cette opération, deux choses sont requises : la substance elle-même de l’opération, qui est la vision, et sa perfection, qui est la délectation. Car la béatitude doit être une opération parfaite.

La vision est délectable de deux manières de la part de l’objet, en tant que ce qui est vu est délectable, et de la part de la vision, en tant qu’il est délectable de voir cet objet comme nous nous réjouissons de connaître les maux, bien que ceux-ci ne nous réjouissent pas. Puisque l’opération en laquelle consiste la béatitude ultime doit être tout à fait parfaite, il faut qu’elle soit délectable sous ces deux aspects. Pour que cette vision soit délectable de la part de la vision, elle doit devenir connaturelle à celui qui voit, grâce à quelque disposition. Mais pour qu’elle soit délectable de la part de l’objet visible, il faut deux conditions : d’une part que cet objet visible convienne, et d’autre part qu’il soit en fait en contact avec celui qui voit. Donc, pour que la vision soit délectable en elle-même, il faut une disposition qui la rende telle ; et c’est la première dot, que tous appellent vision. Mais de la part de l’objet visible, deux conditions sont requises dans la vision qu’elle convienne, et cela regarde l’affectivité ; et c’est pour cela que certains appellent cette dot dilection, tandis que d’autres l’appellent fruition, parce que la fruition a trait à l’affectivité, car ce que nous aimons le plus nous apparaît très digne d’estime. De la part de l’objet visible, le contact est requis : et c’est pourquoi certains donnent comme dot la prise de possession, qui n’est pas autre chose que de prendre conscience de la présence de Dieu et de le garder en soi. Mais selon d’autres, il y a une fruition qui est non dans l’espérance, comme dans la marche terrestre, mais déjà dans la possession, comme dans la patrie. Et ainsi, les trois dots répondraient aux trois vertus théologales : à la foi correspond la vision ; à l’espérance, la prise de possession ou la fruition, selon une manière de la concevoir ; à la charité, la fruition ou la délectation, selon une autre conception. La fruition parfaite, comme elle sera dans la patrie, inclut la délectation et la compréhension. C’est pourquoi certains la confondent avec l’une, et d’autres avec l’autre.

Certains, par contre, attribuent ces trois dots aux trois forces de l’âme, c’est-à-dire la vision à la force rationnelle, la délectation au concupiscible, et la fruition à l’irascible, en tant qu’elle est le fruit d’une certaine victoire. Mais cela ne peut être admis à proprement parler, car l’irascible et le concupiscible ne sont pas dans la partie intellective, mais dans la partie sensitive, tandis que les dots de l’âme sont dans l’esprit lui-même

Solutions :

1. La mémoire et l’intelligence n’ont qu’une seule opération, soit parce que l’intelligence est l’opération de la mémoire, soit, si on dit que l’intelligence est une puissance, parce que la mémoire n’entre en action que par l’intelligence, puisque la mémoire ne fait que garder la connaissance acquise, c’est pourquoi il n’y a qu’une seule disposition de la mémoire et de l’intelligence, à savoir la connaissance. A chacune de ces facultés correspond une seule dot la vision.

2. La fruition correspond à l’espérance en tant qu’elle inclut la prise de possession, qui succède à l’espérance : ce qu’on espère, on ne le possède pas encore ; donc l’espérance est de quelque manière source de souffrance, à cause de la distance de ce qu’on aime. Elle ne demeurera donc pas dans la patrie céleste, mais sera remplacée par la prise de possession.

3. La fruition, en tant qu’elle inclut la prise de possession, se distingue de la vision et de la dilection : mais pas comme la dilection se distingue de la vision. La dilection et la vision désignent des dispositions différentes, dont l’une appartient à l’intelligence, l’autre à l’affectivité. Mais la prise de possession, ou la fruition entendue dans le sens de la prise de possession, n’inclut pas d’autre disposition que celles-là, mais elle comporte l’éloignement des obstacles qui empêchaient l’esprit d’être uni à Dieu présent. Et cela se réalise parce que la disposition de la gloire libère l’âme de tout défaut. Elle rend aussi l’âme capable de connaître sans images, et de maîtriser le corps, et d’accomplir d’autres choses semblables, qui écartent les obstacles qui font que maintenant nous sommes seulement en marche vers le Seigneur.

4. La réponse résulte de ce que nous avons dit dans la conclusion.

5. Les dots sont proprement les principes immédiats de cette opération en laquelle consiste la béatitude parfaite, par laquelle l’âme est unie au Christ. Les choses que saint Anselme énumère ne sont point de cette sorte, mais sont seulement des éléments qui accompagnent ou suivent la béatitude, non seulement par comparaison avec l’époux, auquel seule appartient la sagesse, parmi les choses énumérées par lui, mais par comparaison avec diverses autres choses. Ce sont des éléments égaux, auxquels appartient l’amitié quant à l’union des sentiments, et la concorde quant au consentement dans les actes ; ou bien des éléments inférieurs, auxquels appartiennent le pouvoir, en tant que les choses inférieures sont disposées par les choses supérieures, et l’honneur, en tant qu’il est rendu aux supérieurs par les inférieurs ; ou bien ce sont des éléments de comparaison avec soi-même, comme la sécurité par l’éloignement du mal, et la joie par l’acquisition du bien.

6. La louange, que saint Augustin donne comme le troisième des éléments qui seront dans la patrie, n’est pas une disposition à la béatitude, mais plutôt une conséquence de la béatitude par le fait même que l’âme est unie à Dieu en qui consiste la béatitude, il suit qu’elle s’épanouit en louange : celle-ci n’est donc pas une dot.

7. Ces cinq choses énumérées par Boèce sont des conditions de béatitude, non des dispositions à la béatitude ou à l’acte de béatitude, puisque celle-ci, à cause de sa perfection, possède elle-même, et elle seule, tout ce que l’homme peut chercher dans les diverses choses, comme dit Aristote. Boèce montre que ces cinq choses se trouvent dans la vraie béatitude, parce que ce sont elles que les hommes cherchent pour leur bonheur temporel : elles appartiennent soit à l’exclusion de tout mal, comme la sécurité, soit à l’acquisition du bien convenable, comme la joie, ou du bien parfait, comme la suffisance, soit à la manifestation du bien, comme la célébrité, en tant que le bien de l’un est connu par beaucoup, et la révérence, en tant que quelque signe manifeste cette connaissance et ce bien la révérence consiste en effet à rendre honneur, ce qui est un témoignage de vertu. Il est donc clair que ces cinq choses ne doivent pas être appelées dots, mais conditions de béatitude.

 

QUESTION 96 — LES AURÉOLES

Pour étudier les auréoles, nous poserons treize questions : 1. L’auréole diffère-t-elle de la récompense essentielle ? - 2. Diffère-t-elle du fruit ? - 3. Le fruit est-il dû à la seule vertu de continence ? 4. Convient-il d’assigner trois fruits aux trois parties de la continence ? - 5. Une auréole est-elle due aux vierges ? - 6. Et aux martyrs ? - 7. Et aux docteurs ? - 8. Une auréole est-elle due au Christ ? - 9. Et aux anges ? - 10. Au corps humain ? – 11. Convient-il de distinguer trois auréoles ? -12. L’auréole des vierges est-elle la plus appréciable ? - 13. Un bienheureux possède-t-il la même auréole plus intensément qu’un autre ?

 

Article 1 — L’auréole est-elle autre chose que la récompense essentielle, qu’on appelle couronne d’or ?

Objections :

1. Il semble que non. La récompense essentielle est la béatitude elle-même. Mais la béatitude, selon Boèce, "est un état rendu parfait par l’union de tous les biens". La récompense essentielle inclut donc tous les biens que nous aurons dans la patrie. L’auréole est donc comprise dans la couronne d’or.

2. Le plus et le moins ne modifient pas l’espèce des choses. Ceux qui gardent les conseils et les préceptes, sont davantage récompensés que ceux qui gardent seulement les préceptes. Et leur récompense ne semble pas différer sauf parce que l’une est plus grande que l’autre. Puisque l’auréole désigne une récompense qui est due aux œuvres de perfection, il semble qu’elle ne signifie rien de distinct de la couronne d’or.

3. La récompense répond au mérite. Mais la source de tout mérite est la charité. Puisque la couronne d’or correspond à la charité, il semble que dans la patrie il n’y aura pas de récompense distincte de la couronne d’or.

4. "Tous les hommes bienheureux seront analogues aux ordres des anges", comme dit saint Grégoire. Mais chez les anges "bien que certaines choses soient données davantage à certains, cependant, rien n’est possédé seulement par certains ; toutes choses se retrouvent chez tous, non certes également, parce que certains possèdent d’une manière plus sublime ce que tous possèdent". Chez les bienheureux, il n’y aura donc que des récompenses communes. L’auréole n’est donc point distincte de la couronne d’or.

5. Une récompense supérieure est due au mérite supérieur. Si donc la couronne d’or est due aux œuvres qui sont de précepte, et l’auréole à celles qui sont de conseil, l’auréole est plus parfaite que la couronne (en latin aurea), et alors on ne devrait pas la désigner par un diminutif. Il semble donc que l’auréole ne soit pas une récompense distincte de la couronne d’or.

Cependant :

à propos de l’Exode "Tu feras une autre couronne, qui soit une auréole," la Glose dit "A cette couronne appartient le cantique nouveau, que seules les vierges chantent devant l’Agneau." ii en résulte que l’auréole est une couronne donnée, non à tous, mais spécialement à certains. La couronne d’or est donnée à tous les bienheureux. L’auréole est donc autre chose que la couronne d’or.

En outre, la couronne est due au combat suivi de la victoire. Saint Paul dit à Timothée : "Il ne sera pas couronné s’il n’a pas lutté selon les règles." Donc, là où il y a une nature spéciale de combat, il doit y avoir une couronne spéciale. Mais, dans certaines œuvres, il y a une espèce particulière de combat elles doivent donc recevoir une couronne spéciale. Et c’est ce que nous appelons l’auréole.

De plus, l’Église militante est la partie inférieure de l’Église triomphante, comme cela ressort de l’Apocalypse : "J’ai vu la cité sainte, etc." Mais dans l’Église militante, des récompenses spéciales, comme la couronne des vainqueurs, le prix des coureurs, sont accordées à ceux qui ont accompli certaines œuvres. Il doit donc en être de même de l’Église triomphante.

Conclusion :

La récompense essentielle de l’homme, qui est sa béatitude, consiste dans une parfaite union de l’âme avec Dieu, en tant qu’elle jouit parfaitement de lui, vu et aimé à la perfection. Cette récompense est appelée métaphoriquement couronne, ou couronne d’or, soit par considération du mérite qui est acquis par une sorte de combat, puisque la vie de l’homme sur la terre est une bataille, soit par considération de la récompense, par laquelle l’homme devient de quelque manière participant de la Divinité, et donc du pouvoir royal ; l’Apocalypse dit : "Vous nous avez faits rois pour notre Dieu." La couronne est le signe propre du pouvoir royal ; et pour ce motif, la récompense accidentelle, ajoutée à l’essentielle, prend aussi une forme de couronne. La couronne signifie aussi une certaine perfection, à cause de sa forme de cercle, et à ce titre convient à la perfection des bienheureux. Mais comme on ne peut rien ajouter à la récompense essentielle, qui ne lui soit inférieur, cette récompense ajoutée est appelée : auréole.

A cette récompense essentielle, qu’on appelle couronne d’or (= aurea) une chose peut être ajoutée de deux manières. D’une première manière : à cause de la condition de la nature de celui qui est récompensé : ainsi la gloire du corps s’ajoute à la béatitude de l’âme ; cette gloire du corps est quelquefois nommée auréole. Au sujet de l’Exode : "Tu feras une autre couronne, l’auréole", la Glose dit : "A la fin, l’auréole est surajoutée, puisque l’Ecriture dit qu’ils recevront une gloire plus élevée lors de la reprise des corps." Mais en ce moment, il ne s’agit pas de cette auréole. D’une seconde manière : à cause d’une œuvre méritoire ; et ce mérite peut provenir de deux causes, qui sont aussi sources de bonté : c’est-à-dire de la racine de la charité, par laquelle l’acte se rapporte à la fin ultime ; et ainsi lui est due la récompense essentielle, à savoir d’atteindre sa fin, ce qui est la couronne d’or - ou bien d’un genre spécial de l’action bonne elle-même, qui est particulièrement digne de louange à cause des circonstances, ou d’une disposition dont elle émane, ou de sa fin prochaine, et ainsi cette action mérite quelque récompense acci­dentelle, qu’on appelle auréole. Et c’est de cette auréole-là que nous parlons présentement.

Ainsi, on doit dire que l’auréole est quelque chose d’ajouté à la couronne, c’est-à-dire une sorte de joie au sujet des œuvres accomplies qui incluent une victoire plus grande ; et c’est là une autre joie que celle dont jouit quelqu’un à cause de son union avec Dieu, et qui est appelée la couronne d’or.

Cependant, certains disent que la récompense commune elle-même, qu’on nomme la couronne, prend le nom d’auréole si elle est attribuée aux vierges, aux martyrs ou aux docteurs, de même que le denier prend le nom de dette du fait qu’il est dû à quelqu’un, bien que ce soit tout à fait la même chose qu’on appelle dette et denier. La récompense essentielle ne serait pas plus grande quand on la nomme auréole, mais elle correspondrait à un acte meilleur non selon l’intensité du mérite, mais selon la manière de mériter. De la sorte, bien qu’en deux bienheureux il y ait la même limpidité de vision de Dieu, cependant dans l’un on l’appellerait auréole, parce que cela corres­pondrait à un mérite supérieur dans la manière d’agir. Mais cela semble contraire à l’intention de la Glose du texte de l’Exode. Si la couronne et l’auréole sont la même chose, on ne peut dire que l’auréole est surajoutée à la couronne. En outre, puisque la récompense correspond au mérite, il faut qu’à un mérite meilleur prove­nant de la manière d’agir corresponde une supériorité de la récompense. Et c’est cette supériorité que nous appelons auréole. Celle-ci doit donc différer de la couronne.

 

Solutions :

1. La béatitude renferme tous les biens nécessaires pour la vie parfaite de l’homme, qui consiste en son opération parfaite. Mais des choses peuvent lui être ajoutées, qui ne sont point nécessaires pour cette opération parfaite à ce point qu’elle ne pourrait pas exister sans elles, mais qui, par leur addition, rendent la béatitude plus éclatante ; elles appartiennent donc à une meilleure réalisation de la béatitude, et à une sorte de décor de celle-ci ; de même que la félicité d’un gouver­nant reçoit un ornement de sa noblesse et de la beauté de son corps, et d’autres facteurs analogues, sans lesquels elle existe quand même. L’auréole joue un rôle analogue par rapport à la béatitude céleste.

2. Celui qui observe les conseils et les pré­ceptes mérite toujours plus que celui qui n’observe que les préceptes, si nous considérons le motif du mérite dans les œuvres, selon leur espèce, mais non selon le degré de charité. Quelquefois, quelqu’un observe seulement les préceptes, mais avec une plus grande charité que celui qui observe à la fois les préceptes et les conseils. Mais le plus souvent, c’est le contraire qui se produit, parce que "la preuve de l’amour se manifeste dans les œuvres" comme dit saint Grégoire. Ce n’est donc pas la récompense essentielle plus intense qui est appelée auréole, mais ce qui lui est ajouté, d’une manière indifférente à l’égard du fait que quelqu’un mérite davantage de récompense essentielle ou moins ou également.

3. La charité est le premier principe du mérite, mais notre action est comme l’ins­trument par lequel nous méritons. Pour obtenir un effet, il ne suffit pas qu’il y ait la disposition requise chez le premier moteur, mais aussi une juste disposition de l’instrument. C’est pourquoi, dans l’effet produit, il y a quelque chose qui provient du premier principe, et c’est le principal, et quelque chose qui provient de l’instrument, et qui est secondaire. C’est pour­quoi, dans la récompense, il y a quelque chose qui vient de la charité : c’est la couronne, et quelque chose qui vient de la nature de l’opé­ration : c’est l’auréole.

4. Les anges ont tous mérité leur béatitude par le même genre d’acte, c’est-à-dire par leur conversion vers Dieu. Il n’y a donc pas en eux une récompense individuelle qui serait chez l’un sans être de quelque manière chez l’autre. Les hommes ont mérité leur béatitude par des actes d’espèces différentes : ce n’est donc point la même chose. Cependant, ce que l’un des hommes semble posséder individuellement, appartient de quelque manière en commun à tous, en tant que par la charité parfaite chacun considère comme sien le bien d’autrui. Mais cette joie par laquelle l’un se réjouit du bonheur de l’autre ne peut être appelée auréole : Car elle n’est pas donnée comme récompense d’une victoire propre, mais plutôt de la victoire d’un autre. La couronne est décernée aux Victorieux eux-mêmes, non à ceux qui se réjouissent de leur victoire.

5. L’excellence du mérite qui découle de la charité est plus grande que celle qui vient du genre d’acte accompli, de même que la fin de la charité est plus élevée que les choses ordonnées à cette fin, comme sont nos actes. C’est pourquoi la récompense qui répond au mérite acquis par la charité, si petite soit-elle est plus grande que toute récompense qui correspond à un acte à cause de sa nature. L’auréole est donc désignée par un diminutif de la couronne d’or.

 

Article 2 — L’auréole diffère-t-elle du fruit ?

Objections :

1. L’auréole ne paraît pas différente du fruit. Il ne convient pas de donner plusieurs récompenses pour le même mérite. Mais l’auréole et le fruit au centuple correspondent au même mérite, c’est-à-dire la virgi­nité, comme cela ressort de ce que dit la Glose au sujet de saint Matthieu. L’auréole est donc la même chose que le fruit.

2. Saint Augustin dit que "le fruit au centuple est dû aux martyrs et aux vierges". Le fruit est donc une récompense commune aux vierges et aux martyrs. Mais l’auréole leur est due aussi à tous deux : c’est donc la même chose que le fruit.

3. Dans la béatitude on ne trouve que deux récompenses : l’essentielle, et l’accidentelle qui lui est surajoutée. Mais cette récompense surajoutée se nomme auréole, comme cela se voit dans l’Exode, où l’on dit que l’auréole est placée au-dessus de la couronne d’or. Le fruit n’est pas la récompense essentielle, sinon il serait dû à tous les bienheureux. Il est donc la même chose que l’auréole.

 

Cependant :

Les choses qui ne se divisent pas de la même manière ne sont pas de la même nature. Mais le fruit et l’auréole ne se divisent pas de la même manière, car l’auréole se divise en celle des vierges, des martyrs et des docteurs, tandis que le fruit se divise en fruit des époux, des veuves et des vierges. Ce n’est donc pas la même chose.

En outre, si le fruit et l’auréole étaient la même chose, ceux à qui est dû le fruit devraient aussi avoir l’auréole. Mais cela est faux, puisque le fruit est dû au veuvage, mais non l’auréole.

 

Conclusion :

Les choses dites métaphoriquement peuvent être prises de diverses façons, selon les considérations des diverses propriétés de ce à quoi on les compare. Puisque le fruit est, au sens propre, ce qui se trouve dans les choses corporelles nées de la terre, on peut parler des fruits spirituels selon les diverses conditions que nous trouvons dans les fruits corporels. Le fruit corporel possède la douceur, par laquelle il nous restaure quand il est à l’usage de l’homme. C’est aussi le dernier effet auquel parvient l’œuvre de la nature. C’est encore ce que nous espérons grâce à l’agriculture, par l’ensemencement et tous les autres travaux. Le fruit spirituel est donc lui aussi parfois considéré comme ce qui nous restaure totalement, comme fin ultime. Dans ce sens, on dit que nous puisons notre fruit en Dieu, parfaitement dans le Ciel, et imparfaitement sur terre. C’est dans ce sens qu’on prend la fruition, qui est une dot. Mais ici nous ne parlons pas de fruits en ce sens-là. D’autres fois, on désigne comme fruit spirituel ce qui nous restaure, sans être notre fin dernière et ainsi on dit des vertus du fruit "qu’elles refont l’esprit par une vraie douceur", comme dit saint Ambroise. C’est dans ce sens que saint Paul dit aux Galates : "Les fruits de l’esprit sont la charité, la joie, etc". Nous ne parlons pas ici de fruits dans ce sens ; nous en avons parlé ailleurs. On peut prendre en un autre sens le fruit spirituel, par comparaison avec le corps, en tant que le fruit corporel est quelque chose d’utile que l’on attend du travail d’agriculture : alors le fruit est la récompense que l’homme obtient par le travail accompli en cette vie ; et ainsi toute récompense que nous aurons dans la vie future grâce à nos efforts, est appelée fruit. Et saint Paul parle en ce sens aux Romains : "Vous possédez votre fruit dans la sanctification, mais votre fin dans la vie éternelle". Ce n’est pas non plus dans ce sens que nous parlons maintenant de fruits, mais en tant que le fruit est ce qui naît de la semence. Dans saint Matthieu, c’est ainsi que le Maître parle du fruit, qu’il divise en trente pour un ou soixante pour un ou en centuple. Le fruit ne peut sortir de la semence que parce que la force de la semence est efficace pour trans­former en sa nature les humeurs de la terre ; et, plus cette force est efficace et la terre bien préparée, plus le fruit est abondant. La semence spirituelle semée en nous est la parole de Dieu ; et plus quelqu’un est converti en spiritualité par la libération de la chair, plus le fruit de cette parole est abondant. Le fruit de la parole de Dieu diffère de la couronne et de l’auréole, parce que la couronne consiste en la joie que quelqu’un a de posséder Dieu, l’auréole en la joie qu’il a de la perfection de ses œuvres, tandis que le fruit consiste dans la joie qu’il a de sa disposition à accomplir ces œuvres selon son degré de spiritualité, grâce auquel il a fait valoir la semence de la parole de Dieu.

Certains distinguent entre l’auréole et le fruit en disant que l’auréole est due au lutteur, selon ce mot de saint Paul à Timothée : "Il ne sera pas couronné s’il n’a pas lutté selon les règles", tandis que le fruit est dû au travailleur, selon la Sagesse : "Le fruit des bons travaux est glorieux". Mais d’autres disent que la couronne concerne la conversion vers Dieu, tandis que l’auréole et le fruit consistent dans les choses qui sont ordonnées à cette fin : Le fruit regar­derait surtout la volonté, et l’auréole surtout le corps. Mais comme le travail et la lutte sont dans le même homme et selon la même chose, et que la récompense du corps dépend de celle de l’âme, selon l’opinion citée, il n’y aurait qu’une différence de raison entre le fruit, la couronne et l’auréole. Cela n’est pas possible, car le fruit est assigné à certains, à qui n’est pas assignée l’auréole.

 

Solutions :

1. Il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’on attribue diverses récompenses au même mérite, selon des éléments divers qui sont en lui. Ainsi la couronne est donnée à la virginité en tant qu’elle est gardée à cause de Dieu, par suite d’un vouloir de charité. Tandis que l’auréole lui est ajoutée en tant qu’elle est une œuvre de perfection qui com­porte une forme de victoire supérieure, et que le fruit lui est accordé parce que par la virginité l’homme se dégage du charnel et passe à un certain état spirituel.

2. Le fruit, en son acception propre, comme nous en parlons ici, n’est pas une récompense commune au martyre et à la virginité, mais qui correspond aux trois degrés de continence. Cette Glose qui affirme que le fruit au centuple convient aux martyrs, prend ce mot au sens large, en tant que toute rémunération est appelée fruit. De la sorte, le fruit au centuple désigne la rémunération due à n’importe quelle œuvre de perfection.

3. Bien que l’auréole soit une récompense accidentelle s’ajoutant à l’essentielle, cependant toute récompense accidentelle n’est pas une auréole, mais seulement la récompense d’œuvres de perfection par lesquelles l’homme est tout à fait conforme au Christ grâce à une victoire parfaite. Il n’y a donc pas d’inconvénient à ce que quelque récompense accidentelle, appelée fruit, soit accordée à la libération de la vie charnelle.

 

Article 3 — Le fruit est-il réservé à la vertu de continence ?

Objections :

1. Il semble que non, car au sujet de saint Paul écrivant aux Corinthiens : "Autre est l’éclat du soleil", la Glose dit que : "On compare à la clarté du soleil la dignité de ceux qui reçoivent du fruit au centuple, à celle de la lune ceux qui reçoivent soixante pour un, à celle des étoiles ceux qui reçoivent trente pour un". Mais cette diversité de clarté, dans l’intention de l’Apôtre, correspond à toute différence de béatitude. Les divers fruits ne doivent donc pas correspondre à la seule vertu de continence.

2. Les fruits sont ainsi nommés à cause de la fruition. Mais celle-ci est liée à la récompense essentielle, qui correspond à toutes les vertus.

3. Le fruit est dû au travail, selon la Sagesse : "Le fruit des bons travaux est glorieux". Mais dans le travail, le rôle de la force est plus grand que celui de la tempérance ou de la continence. Le fruit ne correspond donc pas à la seule continence.

4. Il est plus difficile de ne pas dépasser la mesure dans les aliments, nécessaires à la vie, que dans les plaisirs sexuels, sans lesquels on peut conserver la vie. L’effort pour garder la tempérance est donc plus grand que pour la continence. Le fruit correspond donc plus à la tempérance qu’à la continence.

5. Le fruit apporte une restauration. Mais celle-ci existe surtout dans la fin. Comme les vertus théologales ont comme objet la fin, c’est-à-dire Dieu, il semble que le fruit leur corresponde davantage.

 

Cependant :

Dans la Glose au sujet de saint Matthieu, on assigne les fruits à la virginité, au veuvage et à la continence conjugale, qui sont les parties de la continence.

 

Conclusion :

Le fruit est une récompense due à l’homme parce qu’il est passé de la vie charnelle à la vie spirituelle. Il correspond donc surtout à la vertu qui libère l’homme de la domination de la chair. C’est ce qu’opère la continence, parce que c’est surtout par les plaisirs sexuels que l’âme est soumise à la chair. C’est à ce point que, selon saint Jérôme, dans l’acte charnel l’esprit de prophétie ne touche plus le cœur des prophètes, et que, selon Aristote, "dans ce plaisir il n’est pas possible à l’intelligence de connaître". Le fruit corres­pond donc mieux à la continence qu’à une autre vertu.

 

Solutions

1. Cette glose prend le fruit au sens large, selon lequel toute rémunération est appelée fruit.

2. La fruition ne tire pas son origine du mot fruit dans le sens dans lequel nous parlons de fruit, comme cela est évident.

3. Le fruit, dans le sens où nous en parlons ici, ne correspond pas au travail à cause de la fatigue, mais en tant que c’est par le travail que les semences donnent leur fruit. C’est pourquoi les moissons elles-mêmes sont appelées travaux, parce que c’est à cause d’elles qu’on travaille ou parce que c’est par le travail qu’on les acquiert. La comparaison avec le fruit, en tant qu’il vient de la semence, est plus proche de la continence que de la force, parce que l’homme n’est pas soumis à la chair par les passions qui sont l’objet de la force comme par celles auxquelles s’oppose la continence.

4. Bien que les plaisirs des aliments soient plus nécessaires que ceux qui viennent des choses sexuelles, ils ne sont pourtant pas aussi véhéments ; ils ne soumettent donc pas autant l’âme à la chair.

5. Le fruit n’est pas pris ici pour signifier le fruit que reçoit celui qui est restauré par la fin, mais dans un autre sens. L’argument ne porte donc pas.

 

Article 3 — Convient-il d’assigner trois couronnes aux trois parties de la partie de la continence ?

Objections :

1. Cela ne semble pas convenir, car saint Paul s’adressant aux Galates énumère douze fruits de l’Esprit : la charité, la joie, la paix, etc. Il semble donc qu’on ne doive pas les réduire à trois.

2. Le fruit indique une récompense spéciale. Mais la récompense accordée aux vierges, aux veufs et aux époux, n’est point spéciale, puisque tous les hommes sauvés appartiennent à l’une de ces trois catégories. En effet, nul n’est sauvé s’il ne garde la continence ; et celle-ci est divisée en ces trois catégories. Il ne convient donc pas d’assigner les trois fruits à ces trois groupes.

3. De même que le veuvage dépasse la continence conjugale, ainsi la virginité l’em­porte sur le veuvage. Mais le soixante pour un ne dépasse pas le trente pour un de la même manière que le centuple dépasse le soixante pour un - ni selon la proportion arithmétique, puisque soixante dépasse trente de trente, et cent dépasse soixante de quarante - ni selon la proportion géométrique, puisque soixante est le double de trente, tandis que cent est dépassé par le double de soixante, puisqu’il le contient une fois entier, plus ses deux tiers. Il ne convient donc pas d’attribuer les fruits aux trois degrés de continence.

4. Les choses dites par l’Écriture sont immuables. Saint Luc dit : "Le Ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas". Par contre, les choses d’institution humaine peuvent changer chaque jour. On ne peut donc pas interpréter les choses de l’Écriture Sainte d’après ce qui est d’institution humaine. Il ne convient donc pas d’accepter le motif qu’ap­porte Bède pour assigner les trois fruits, quand il dit : "Le fruit à trente pour un, convient aux époux, parce que dans la représentation des chiffres que l’on fait au jeu, trente est signifié par le contact entre le pouce et l’index à leur sommet, de telle sorte qu’ils semblent s’embrasser, et ainsi le chiffre trente évoque les baisers des époux. Soixante est signifié par le contact de l’index avec le milieu de l’arti­culation du pouce, et de la sorte, comme l’index repose sur le pouce et le domine, il signifie l’oppression que les veuves supportent dans le monde. Quand on parvient au nombre cent, on passe de la main gauche à la main droite donc la centaine désigne la virginité, qui possède en partie la dignité des anges, qui sont à droite, c’est-à-dire dans la gloire, tandis que nous sommes à gauche, à cause de l’imper­fection de la vie présente.

 

Conclusion :

La continence, à laquelle correspond le fruit, introduit l’homme dans une sorte de spiritualisation, en rejetant la vie charnelle. On distingue donc les divers fruits selon les divers modes de spiritualisation que la continence constitue. Il y a une spiritualité indispensable et une autre qui est une surabon­dance. La spiritualité indispensable consiste en ce que la droiture de l’esprit ne soit point pervertie par la délectation chamelle : cela se produit quand quelqu’un jouit des plaisirs de la chair dans la conformité à l’ordre de la raison telle est la spiritualité des époux. La spiritualité surabondante consiste pour l’homme à se détacher totalement des délectations char­nelles qui oppriment l’esprit. Cela peut s’accom­plir de deux manières : soit à l’égard de tout temps, passé, présent et futur : et c’est la spiritualité des vierges, soit pour un temps limité : Et c’est la spiritualité des veufs. À ceux qui gardent la continence conjugale est donné le fruit à trente pour un. À ceux qui gardent la continence des veufs est donné soixante pour un, à ceux qui gardent la continence virginale est donné le centuple ; selon le motif assigné plus haut par Bède.

Cependant, on pourrait donner à ces divisions un autre motif, selon la nature des nombres. Le nombre trente vient de la multiplication de dix par trois ; trois est le chiffre de toutes choses, comme dit Aristote, et il contient en soi la perfection commune à tout : le commen­cement, le milieu et la fin. Il convient donc que le nombre trente soit assigné aux époux chez eux, à l’observation du Décalogue, qui est désigné par dix, ne s’ajoute que la perfection commune sans laquelle n’y a pas de salut.

Le nombre six, dont la multiplication par dix fait soixante, possède la perfection en vertu de ses parties, puisqu’il résulte du groupement de toutes ses parties : il convient donc qu’il corresponde au veuvage, dans lequel se trouve le parfait éloignement des plaisirs charnels, dans toutes les circonstances, qui sont comme les parties de l’acte vertueux : En effet, le veuf n’use des plaisirs charnels avec personne, en aucun lieu et dans aucune circonstance, chose qui n’existait pas dans la continence conjugale. Le centuple correspond parfaitement à la virgi­nité, parce que le nombre dix, dont la multi­plication par lui-même donne cent, est la limite des nombres. De même, la virginité atteint la limite de la spiritualisation, puisqu’on ne peut rien lui ajouter quant à la spiritualité. Le nombre cent, en tant que nombre carré, possède la perfection en vertu de sa figure en effet, la figure carrée est parfaite parce qu’elle possède l’égalité de toutes ses parties, ayant des côtés égaux : Elle convient donc à la virginité, dans laquelle l’incorruptibilité est gardée en tous les temps passé, présent et futur.

 

Solutions :

1. En cette difficulté, le mot fruit n’est pas pris dans le sens où nous le prenons ici.

2. Rien n’oblige à tenir que le fruit soit une récompense qui n’est pas donnée à tous ceux qui seront sauvés. La récompense essentielle n’est pas seule commune à tous les hommes. Mais aussi des choses accidentelles, comme la joie des œuvres accomplies, sans lesquelles on ne serait pas sauvé. On peut dire cependant que les fruits ne conviennent pas à tous ceux qui seront sauvés, comme cela est manifeste chez ceux qui se convertissent à la fin de la vie, et n’ont pas vécu dans la continence : ils ont droit à la récompense essentielle, mais non aux fruits.

3. La distinction des fruits est prise davan­tage selon les espèces et les figures des nombres que selon les quantités désignées. Cependant, on peut donner une justification même au sujet de la quantité. L’homme marié s’abstient seulement de celle qui n’est pas sa femme, tandis que la veuve s’abstient de son mari et de celui qui ne l’est pas. Et ainsi ou trouve cette explication : comme soixante est le double de trente, cent ajoute à soixante le nombre quarante, qui vient de la multiplication de dix par quatre. Le nombre quatre est le premier nombre entier et cubique. Il convient donc à la virginité, dans laquelle, à la perfection du veuvage s’ajoute l’incorruption perpétuelle.

4. Bien que cette désignation des chiffres pour le jeu soit d’institution humaine, cepen­dant elle est fondée de quelque manière sur la nature des choses, en tant que les chiffres sont désignés graduellement selon l’ordre des articulations et des contacts des doigts.

 

Article 5 — Une auréole est-elle due à la virginité ?

Objections :

1. Il semble que non. Une plus grande récompense est due quand une œuvre présente plus de difficulté. Mais les veuves souffrent plus que les vierges de s’abstenir des jouissances charnelles. Saint Jérôme dit en effet que plus grande est la difficulté que certains rencontrent pour s’abstenir des voluptés défendues, plus grande est leur récom­pense. Il dit cela en faisant l’éloge des veuves. Aristote dit aussi que "les jeunes filles avant perdu leur virginité désirent davantage l’acte charnel, à cause du souvenir de leur jouissance". L’auréole, qui est la plus grande récompense, est donc due davantage aux veuves qu’aux vierges.

2. Si l’auréole était due à la virginité, elle devrait se trouver là où se rencontre la plus parfaite virginité. Mais dans la Bienheureuse Vierge se trouve la plus parfaite virginité, d’où son appellation de Vierge des vierges. Et pourtant l’auréole ne lui est pas due, parce qu’elle n’a subi aucune lutte pour garder la continence, puisqu’elle ne fut pas atteinte par les passions de la corruption. L’auréole n’est donc pas due à la virginité.

3. On ne doit pas accorder une récompense très élevée à ce qui n’est pas louable en tout temps. Mais il n’aurait pas été louable de garder la virginité dans l’état d’innocence, puisque alors il avait été prescrit "Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre", ni même dans le temps de la loi mosaïque, puisque les stériles étaient maudites. Une auréole n’est donc point due à la virginité.

4. On ne doit pas donner la même récompense à la virginité gardée et à la virginité perdue. Mais l’auréole est due parfois à la virginité perdue, si par exemple une femme est violée malgré elle par un tyran parce quelle confesse la foi au Christ. L’auréole n’est donc point due à la virginité.

5. Une récompense élevée ne doit pas être attribuée à ce qui est en nous naturellement. Mais la virginité appartient de naissance, à tout homme, bon et mauvais. L’auréole ne lui est donc pas due.

6. De même que le veuvage, dans la conti­nence, reçoit un fruit de soixante pour un, ainsi la virginité reçoit le centuple et l’auréole. Mais ce fruit n’est pas dû à toute veuve, mais seulement à celle qui demeure vouée au veuvage, comme on dit. Il semble donc que l’auréole ne soit pas due à toute virginité, muais seulement à celle à laquelle on s’est voué.

7. On ne donne pas de récompense à ce qui existe nécessairement, puisque tout mérite consiste en un acte de la volonté. Or, il y a des vierges qui le sont par nécessité, comme les frigides et les eunuques. L’auréole n’est donc pas toujours due à la virginité.

 

Cependant :

Dans l’Exode nous lisons : "Tu feras une autre couronne, l’auréole". Et la Glose ajoute : "À cette couronne-là appartient le cantique nouveau, que les vierges chantent devant l’Agneau, ceux qui suivent l’Agneau partout où il ira". La récompense due à la virginité se nomme donc auréole.

En outre, Isaïe dit : "Le Seigneur Dieu dit ceci aux eunuques : je leur donnerai le meilleur nom parmi les fils et les filles". Et la Glose ajoute : "Cela signifie une gloire spéciale et élevée". Or, par les eunuques "qui se sont mutilés pour le royaume des cieux", on désigne les vierges. La virginité a donc droit à une récompense supérieure, qui est l’auréole.

 

Conclusion :

Là où est obtenue une forme supérieure de victoire, on a droit à une couronne spéciale. Quand quelqu’un, en gardant la virgi­nité, obtient une victoire exceptionnelle sur la chair, contre laquelle il mène une lutte incessante, comme dit saint Paul aux Galates : "L’esprit lutte contre la chair", il a droit à une couronne spéciale, qui est appelée auréole. Tous l’affirment communément ; mais ils ne sont pas d’accord pour préciser à quelle virginité est due cette auréole. Les uns disent qu’elle est due à un acte : elle sera donc donnée à celle qui garde, en acte, la virginité, si elle est du nombre de ceux qui seront sauvés. Mais cela ne semble pas convenir, car alors celles qui ont la volonté de se marier, mais meurent aupa­ravant, posséderaient l’auréole. D’autres disent que l’auréole est due à un état et non à un acte : seules mériteraient l’auréole celles qui se sont mises par un vœu dans l’état de virginité perpétuelle. Mais cela non plus ne semble pas convenir, car quelqu’un peut garder la virginité sans l’avoir vouée, avec une volonté égale à celle d’un autre qui en a fait le vœu. C’est pourquoi on peut dire, autrement, que le mérite est dû à tout acte de vertu impéré par la charité. La virginité est de l’ordre de la vertu, en tant que l’incorruption perpétuelle de l’esprit et du corps est l’effet d’un choix, comme cela découle de ce que nous avons dit. L’auréole n’est donc due à proprement parler qu’à ceux qui ont décidé de garder la virginité perpétuelle, qu’ils aient exprimé ou non cette décision. Et je dis cela en tant que l’auréole est prise, à proprement parler, comme une récompense donnée au mérite, bien que cette résolution ait été quelquefois interrompue, tout en gardant l’intégrité de la chair : pourvu que celle-ci persévère jusqu’à la fin de la vie, car la virginité de l’esprit peut être réparée, mais non celle de la chair. Mais si nous prenons l’auréole au sens large, pour toute joie qui s’ajoute dans le Ciel à la joie essentielle, alors l’auréole est donnée à ceux qui sont demeurés incorrompus dans leur chair, même s’ils n’ont pas eu la volonté de garder perpétuellement la virginité. Il n’est pas douteux en effet qu’ils jouissent de l’incorruption du corps, commue les innocents qui sont demeurés exempts du péché, bien qu’ils n’aient pas eu la possibilité de pécher, comme les enfants baptisés. Ce n’est point l’acception propre de l’auréole, mais elle est très commune.

 

Solutions :

1. Dans la garde de la continence, une lutte plus forte est soutenue, à un certain point de vue, par les vierges, à un autre point de vue, par les veuves. Les vierges sont enflammées par la concupiscence et par le désir d’expérimenter, qui provient d’une certaine curiosité, en vertu de laquelle l’homme voit plus volontiers ce qu’il n’a pas encore vu. Et parfois cette concupiscence augmente l’appréciation du plaisir au-delà de ce qu’il est dans la réalité. Il y a aussi une absence de considération des inconvénients qui sont liés à un plaisir de ce genre. À ce point de vue, les veuves obtiennent une lutte moindre, tandis que celle-ci est accrue, au contraire, par le souvenir du plaisir éprouvé. Et en ces diverses choses, les hommes diffèrent en leur jugement, selon leurs diverses conditions et dispositions, car certains sont davantage mus par un point de vue, et les autres par un autre. Quoi qu’il en soit de l’intensité de la lutte, il est certain que la victoire des vierges est plus parfaite que celle des veuves : car c’est une victoire plus parfaite et plus belle, de n’avoir jamais cédé à l’ennemi. La couronne n’est pas due à la lutte, mais à la victoire dans la lutte.

2. À ce sujet, deux opinions sont émises. Certains disent que la Bienheureuse Vierge ne reçoit pas l’auréole comme récompense de la virginité, si l’auréole est considérée comme récompensant la lutte, mais qu’elle reçoit quelque chose de plus grand que l’auréole, à cause de sa décision parfaite de garder la virginité. D’autres disent qu’elle possède l’auréole, et même très supérieure, sous la raison propre d’auréole : car, bien qu’elle n’ait pas éprouvé le combat, elle a quand même connu une certaine lutte de la chair. Mais, à cause de la puissance de sa vertu, sa chair était tellement soumise, que cette lutte la laissait insensible. Pourtant, cela ne semble point convenir, car on croit que la Bienheureuse Vierge fut tout à fait préservée de l’inclination sensuelle, à cause de sa parfaite sanctification. Il n’est point respectueux de dire qu’il y eût en elle quelque lutte de la chair, car celle-ci ne vient que d’une inclination dépravée. La tentation qui vient de la chair ne peut pas exister sans le péché, comme dit la Glose, à propos de saint Paul aux Corinthiens : "J’ai reçu le stimulant de ma chair". La Vierge doit donc posséder à proprement parler l’auréole, pour que, en cela, elle soit conforme aux autres membres de l’Église, qui possèdent la virginité. Bien qu’elle ne connût pas la tentation qui vient de la chair, elle connut la lutte qui vient de la tentation opérée par l’ennemi, qui n’a même pas respecté le Christ lui-même, comme nous le voyons en saint Matthieu.

3. L’auréole n’est due à la virginité qu’en tant qu’elle ajoute une certaine supériorité aux autres degrés de la continence. Si Adam n’avait pas péché, la virginité ne posséderait pas une perfection supérieure à la continence conjugale, car il y aurait eu alors des noces honorables, et une union nuptiale immaculée, la perversion de la concupiscence n’existant pas. La virginité n’aurait pas alors été gardée, et n’aurait pas droit à une auréole. Mais la condition de la nature humaine étant changée, la virginité revêt une beauté spéciale et mérite donc une récompense particulière. Au temps de la Loi de Moïse, quand le culte de Dieu devait être propagé par l’acte charnel, il n’était pas tout à fait louable de s’abstenir de l’acte de la chair : on ne donnait donc pas une récompense spéciale à cette décision, sauf si elle venait d’une inspiration divine : comme on le croit pour Jérémie et Élie, dont on ne lit pas qu’ils aient été mariés.

4. Si une vierge a été violée par contrainte, elle ne perd pas pour autant son auréole, dès lors qu’elle garde inviolablement sa volonté de défendre à jamais sa virginité, car ne consen­tant nullement à l’acte subi elle ne perd pas pour cela sa virginité ; et cela vaut si elle a été violée à cause de sa foi, pour n’importe quelle autre cause. Mais si elle souffre cela pour la foi, cela augmentera son mérite, et lui donnera le mérite du martyre. C’est pourquoi sainte Lucie dit : "Si tu me fais violer contre ma volonté, ma couronne de chasteté sera doublée" : non qu’elle ait deux auréoles de virginité, mais parce qu’elle recevra une double récompense, une pour la garde de la virginité, l’autre à cause de l’injustice subie. En suppo­sant même qu’une vierge ainsi violentée conçoive, elle ne perd pas pour autant le mérite de la virginité. Elle n’égalera cependant pas la Mère du Christ, qui garda, avec l’intégrité de l’esprit, celle de la chair.

5. La virginité nous est donnée par la nature quant à ce qui est physique en elle, mais la résolution de garder une incorruption perpé­tuelle, qui donne le mérite de la virginité, n’est pas innée ; elle vient d’un don de la grâce.

6. Le fruit de soixante pour un n’est pas dû à toute veuve, mais seulement à celle qui a résolu de garder le veuvage, même si elle n’en a pas fait le vœu, comme nous l’avons dit pour la virginité.

7. Si les frigides et les eunuques sont résolus à garder une incorruption perpétuelle, même s’ils recevaient la possibilité d’accomplir l’acte de la chair, ils doivent être appelés vierges, et méritent l’auréole : ils font en effet de nécessité vertu. Mais s’ils sont décidés à se marier s’ils en deviennent capables, ils ne méritent pas l’auréole. C’est pourquoi saint Au­gustin dit : "Pour ceux dont l’organe viril est malade, de sorte qu’ils ne peuvent pas engen­drer, comme sont les eunuques, s’ils deviennent chrétiens et gardent les préceptes de Dieu, mais avec l’intention de se marier s’ils le pouvaient, il suffit de les considérer comme semblables aux époux croyants".

 

Article 6 — Une auréole est-elle due aux martyrs ?

Objections :

1. Il semble que non, car l’auréole est une récompense attribuée aux œuvres surérogatoires. Bède dit à propos de l’Exode : "Tu feras une autre couronne", "Cette récompense vaut pour ceux qui dépassent les préceptes généraux, par un choix spontané d’une vie plus parfaite". Or, mourir pour la confession de sa foi est quelquefois obligatoire et non surérogatoire comme nous le voyons dans l’épître aux Romains : "Par le cœur nous croyons à la justice, mais par la bouche nous confessons ce qui est requis pour le salut". L’auréole n’est donc pas toujours due au martyre.

2. Selon saint Grégoire et saint Augustin, "plus les services sont libres, plus ils sont dignes de récompense". Mais le martyre n’est aucune­ment libre, puisqu’il est une peine imposée avec violence par un autre. L’auréole n’est donc pas due au martyre, parce qu’elle corres­pond à un mérite supérieur.

3. Le martyre ne consiste pas seulement dans la souffrance de la mort, mais aussi dans la volonté intime. C’est pourquoi saint Bernard distingue trois espèces de martyrs : par la volonté et sans meurtre, comme saint Jean, par la volonté et le meurtre, comme saint Etienne, par le meurtre sans la volonté, comme les Saints Innocents. Si donc l’auréole était due au martyre, elle serait due davantage au martyre de la volonté qu’au martyre extérieur, puisque le mérite procède de la volonté. Or, ce n’est point ce que l’on dit. L’auréole n’est donc pas due au martyre.

4. La souffrance du corps est moindre que celle de l’esprit provenant de douleurs intimes et des passions de l’âme. La souffrance inté­rieure est une sorte de martyre ; saint Jérôme dans son sermon sur l’assomption : "Je dirai à bon droit que la Vierge Mère de Dieu fut aussi martyre, bien que sa vie se soit achevée dans la paix. C’est pourquoi il est dit qu’"un glaive transpercera ton âme", à savoir la douleur de la mort de son Fils". Puisqu’il n’y a pas d’auréole pour la douleur intérieure, il ne doit pas y en avoir pour la douleur extérieure.

5. La mortification elle-même est une sorte de martyre ; Saint Grégoire dit "Même sans avoir l’occasion d’être persécutés, notre vie paisible connaît son martyre : car bien que nous n’inclinions pas sous le fer notre cou de chair, nous exterminons en esprit les désirs de la chair, avec le glaive spirituel". L’auréole n’est point due à cette pénitence, qui consiste en des œuvres extérieures. Elle n’est donc pas due non plus au martyre extérieur.

6. L’auréole n’est pas due à une œuvre défendue. Or il est interdit de se faire violence à soi-même, comme dit saint Augustin, et cepen­dant l’Église célèbre le martyre de certains qui se sont fait violence pour échapper à la rage des tyrans, comme cela se voit dans l’Histoire d’Eusèbe, à propos de certaines femmes d’An­tioche. L’auréole n’est donc pas toujours due au martyre.

7. Il arrive parfois que quelqu’un est blessé à cause de sa foi, et survit cependant quelque temps. Il est manifestement martyr. Et pourtant l’auréole ne lui est pas due, parce qu’il n’a pas souffert jusqu’à la mort. L’auréole n’est donc pas toujours due au martyre.

8. Certains souffrent plus de la perte des biens temporels que de la souffrance de leur propre corps : comme on le voit puisqu’ils se donnent tant de mal pour acquérir des richesses. Si donc on leur enlève, à cause du Christ, leurs biens temporels, il semble qu’ils soient des martyrs. Et cependant on dit que l’auréole ne leur est pas due.

9. Il semble que le martyr soit seulement celui qui est mis à mort pour la foi. C’est pourquoi Isidore dit : "On les appelle martyrs, selon le terme grec, témoins en latin, parce qu’ils ont supporté leurs souffrances pour apporter au Christ leur témoignage, et ont lutté jusqu’à la mort pour la vérité". Mais il y a des vertus supérieures à la foi, comme la justice, la charité, etc., qui ne peuvent exister sans la grâce ; et cependant l’auréole ne leur est point due. Il semble donc qu’elle ne le soit pas non plus au martyre.

10. De même que les vérités de foi, toute autre vérité vient de Dieu, comme dit saint Am­broise, parce que "toute vérité, quel que soit celui qui l’exprime, vient du Saint -Esprit". Si donc on doit l’auréole à celui qui supporte la mort pour la vérité de foi, on la devrait aussi pour ceux qui supportent la mort pour toute autre vérité : et cela n’est évidemment pas exact.

11. Le bien commun l’emporte sur le bien particulier. Si quelqu’un meurt, dans une guerre juste pour la défense de l’Etat, on ne lui doit pas l’auréole. Donc pas non plus s’il est tué pour la conservation en lui-même de la foi.

12. Tout mérite procède du libre arbitre. Mais l’Église célèbre le martyre que certains qui n’eurent pas l’usage du libre arbitre. Ils n’ont donc pas mérité l’auréole, et dès lors, celle-ci n’est pas due à tous les martyrs.

 

Cependant :

Saint Augustin dit : "Personne, je pense, n’a osé mettre la virginité au-dessus du martyre". Mais la virginité a droit à une auréole. Donc aussi le martyre.

En outre, la couronne est due au lutteur. Dans le martyre, il y a une difficulté spéciale dans le combat. On lui doit donc une auréole spéciale.

 

Conclusion :

De même que l’esprit lutte contre les concupiscences intérieures, ainsi l’homme lutte contre les passions qui viennent du dehors. De même que la victoire la plus parfaite par laquelle l’homme triomphe des concupiscences de la chair, c’est-à-dire la virginité, a droit à une couronne spéciale qui s’appelle auréole, de même celui qui a remporté la plus parfaite victoire qui se conquiert dans la lutte extérieure, a droit à une auréole. La victoire la plus parfaite contre les passions extérieures peut être considérée sous deux aspects : d’abord selon la grandeur de la passion vaincue ; parmi toutes les passions provoquées du dehors, la peur de la mort tient le premier rang, de même que dans les passions intérieures les principales sont les concupis­cences sexuelles. C’est pourquoi, quand quel­qu’un parvient à la victoire sur la mort et contre ce qui lui est rattaché, il est parfai­tement vainqueur. La grandeur de la victoire sur les passions peut aussi être considérée d’après la cause de la lutte, quand par exemple on combat pour une cause très honorable, qui est le Christ lui-même. Or ces deux choses sont contenues dans le martyre, qui est l’acceptation de la mort à cause du Christ". Ce qui constitue le martyre, ce n’est pas la souffrance, mais sa cause" dit saint Augustin. L’auréole est donc due au martyre comme à la virginité.

 

Solutions :

1. Supporter la mort à cause du Christ est en soi une œuvre surérogatoire : tous ne sont pas mis dans l’obligation de confesser leur foi devant un persécuteur. Mais en certaines occasions cela est obligatoire pour se sauver : ainsi quand quelqu’un arrêté par un persécuteur est interrogé sur sa foi, il est obligé de la confesser. Mais il n’ensuit pas qu’il ne mérite pas l’auréole. Celle-ci en effet n’est pas due à l’œuvre surérogatoire en tant que telle, mais en tant qu’elle contient une certaine perfection. Donc, si cette perfection demeure, même sans qu’il y ait surérogation, on mérite l’auréole.

2. La récompense est due au martyre non en tant qu’il est infligé du dehors, mais en tant qu’il est supporté volontairement, car nous ne méritons que par les choses qui sont en nous. Plus ce que quelqu’un supporte volontairement est difficile et de nature à répugner à la volonté, plus cette volonté qui le supporte à cause du Christ, se montre fermement fixée dans le Christ. On lui doit donc une récompense supérieure.

3. Il y a des actes qui possèdent en eux-mêmes une grande intensité de jouissance ou de difficulté. Dans ces actes le fait de les accomplir augmente toujours le mérite ou le démérite, car en les accomplissant la volonté, à cause de cette intensité, a dû modifier profondément l’état dans lequel elle se trouvait auparavant. C’est pourquoi, toutes choses restant les mêmes, celui qui accomplit un acte de luxure pèche plus que celui qui ne fait que consentir à l’acte, parce qu’en accomplissant l’acte, la volonté est intensifiée. De même, puisque l’acte du martyre comporte une très grande difficulté, le vouloir du martyre n’atteint pas le mérite qui est dû à l’acte même du martyre, à cause de cette difficulté. Cependant cette volonté du martyre peut parvenir à une plus haute récompense, en raison de son mérite, parce que quelqu’un peut vouloir supporter le martyre, sans le subir, avec une plus grande charité que celui qui le subit en fait. C’est pourquoi le martyr volontaire peut mériter, par sa volonté seule, une récompense essentielle égale ou plus grande que celle qui est due au martyr réel. Mais puisque l’auréole est due à la difficulté qui se rencontre dans la lutte même du martyre, elle n’est pas due à ceux qui ne sont martyrs que dans leur vouloir, mais non en fait.

4. De même que les plaisirs du toucher, auxquels est ordonnée la tempérance, tiennent la première place parmi les plaisirs intérieurs et extérieurs, de même les douleurs du toucher sont au-dessus de toutes les autres douleurs. C’est pourquoi une auréole est due davantage à la difficulté qui se manifeste dans le support des douleurs du toucher par exemple celles des coups et autres choses semblables, qu’elle n’est due à la difficulté de supporter les douleurs intérieures, à cause desquelles quelqu’un n’est pas appelé à proprement parler martyr, sauf par comparaison ; Et c’est dans ce sens que parle saint Jérôme.

5. Les souffrances de la mortification ne sont pas à proprement parler un martyre, parce qu’elles ne consistent pas en des choses ordon­nées à causer la mort, mais seulement destinées à dominer la chair. Si quelqu’un dépasse cette mesure, sa pénitence devient une faute. Cependant, on peut, par comparaison, appeler la mortification un martyre, parce qu’elle peut l’emporter en durée sur le martyre, tandis que celui-ci l’emporte en intensité.

6. Selon saint Augustin, nul ne peut attenter à sa vie pour aucune cause, à moins qu’il ne le fasse sous l’action d’une inspiration divine, pour donner un exemple de courage en mépri­sant la mort. On croit que ceux dont il est parlé dans cette difficulté se sont donné la mort sous une inspiration divine : C’est pourquoi l’Église célèbre leur martyre.

7. Si quelqu’un reçoit à cause de sa foi une blessure mortelle, mais ne meurt pas aussitôt, il n’est point douteux qu’il mérite l’auréole, comme cela est évident pour la bienheureuse Cécile, qui a survécu trois jours, et pour de nombreux martyrs morts en prison. Même si quelqu’un reçoit une blessure qui n’est pas mortelle, et qui est cependant suivie de mort, on croit qu’il mérite l’auréole, bien que certains disent que celui qui aboutit à la mort à cause de son insouciance ou de sa négligence, ne mérite pas l’auréole. Cependant, cette négli­gence ne l’aurait pas conduit à la mort sans la blessure antérieure, reçue pour la foi : Celle-ci est donc la première occasion de sa mort ; il semble dès lors qu’il ne perde pas l’auréole, à moins que sa négligence soit telle qu’elle comporte une faute mortelle, qui lui enlève la couronne et l’auréole. Mais si quelqu’un ne meurt pas après avoir reçu une blessure mortelle, à cause de quelque circonstance fortuite ou s’il n’a pas reçu de blessure mortelle, mais qu’ensuite, étant en prison, il meurt, il mérite encore l’auréole. C’est pourquoi l’Église célèbre de saints martyrs qui sont morts en prison, longtemps après avoir subi des blessures, comme le pape Marcel. Donc, toute souffrance infligée pour le Christ et s’achevant dans la mort, que celle-ci suive immédiatement ou non, suffit à constituer le martyre et à mériter l’auréole. Si elle ne va pas jusqu’à la mort, on ne considère pas cet homme comme martyr : comme c’est le cas du bienheureux Sylvestre, que l’Église ne fête pas comme martyr, parce qu’il a achevé sa vie dans la paix, après avoir subi auparavant bien des tourments.

8. De même que la tempérance ne regarde pas les plaisirs de l’argent ou des honneurs, mais seulement les jouissances du toucher, parce qu’elles sont les principales, de même la force ne regarde que les menaces de mort, parce qu’elles sont les plus graves, comme dit Aris­tote. C’est pourquoi l’auréole n’est due qu’aux attaques qui menacent le propre corps, capables d’engendrer la mort. Si donc quelqu’un, à cause du Christ, perd les biens temporels ou sa réputation ou toute autre chose de ce genre, il n’est pas martyr pour autant, et ne mérite pas l’auréole. On ne peut aimer d’une manière normale les choses extérieures plus que le propre corps. Un attachement déréglé ne peut concourir à faire mériter une auréole. La douleur de la perte des biens matériels ne peut égaler celle de la mort du corps, ni d’autres souffrances semblables.

9. La cause suffisante pour constituer le martyre n’est pas seulement le fait de confesser la foi, mais aussi toute autre vertu, non pas humaine, mais surnaturelle, qui a le Christ comme fin. Par tout acte de vertu, on peut devenir témoin du Christ, en tant que les œuvres qu’il opère en nous sont un témoignage de sa bonté. C’est ainsi que des vierges furent tuées à cause de leur virginité qu’elles voulaient garder, comme la bienheureuse Agnès et quelques autres, dont le martyre est célébré par l’Église.

10. La vérité de foi a le Christ comme fin et comme objet : c’est pourquoi sa confession mérite l’auréole, si une peine lui est infligée, non seulement à cause de la fin poursuivie, mais aussi à cause de cette souffrance. Mais la confession de toute autre vérité n’est pas une cause suffisante pour constituer un martyre en raison d’une semblable souffrance : elle ne le serait qu’à cause de la fin, si par exemple quelqu’un préférait être mis à mort pour le Christ, plutôt que de dire n’importe quel mensonge qui est un péché contre lui.

11. Le Bien incréé dépasse tout bien créé. Dès lors, toute fin créée, qu’elle soit le bien commun ou un bien privé, ne peut conférer à une action autant de bonté que le Bien incréé le fait quand quelque chose est accompli à cause de Dieu. Donc, si quelqu’un subit la mort à cause du bien commun, sans réfé­rence au Christ, il ne mérite pas l’auréole. Mais s’il rapporte cela au Christ, il la mérite, et il est martyr s’il défend l’État contre les attaques des ennemis qui veulent corrompre la foi au Christ, et qu’il meurt dans cette lutte de défense.

12. Certains disent que chez les Innocents morts pour le Christ l’usage de la raison fut anticipé par un miracle divin, comme chez saint Jean Baptiste quand il était dans le sein maternel par là, ils furent de vrais martyrs, en acte et en volonté ; Et ils possèdent l’auréole. Mais d’autres disent qu’ils furent martyrs seulement en acte, mais non en volonté : telle semble être la pensée de saint Bernard dans sa division des trois sortes de martyrs. D’après cela, les Innocents, qui ne réalisèrent pas la notion parfaite du martyre, mais y partici­pèrent de quelque manière en souffrant pour le Christ, ont aussi l’auréole, non dans sa parfaite définition, mais en une certaine participation, en tant qu’ils se réjouissent d’avoir été tués au service du Christ, comme nous l’avons vu au sujet des enfants baptisés qui jouissent de leur innocence et de l’intégrité de leur chair.

 

 

Article 7 — Les docteurs ont-ils droit à une auréole ?

Objections :

1. Cela ne semble pas. Toute récompense dans l’au-delà correspond à un acte de vertu. Prêcher ou enseigner n’en est pas un. On ne doit donc point l’auréole à la prédication ou à l’enseignement.

2. Enseigner et prêcher sont le fruit de l’étude et de l’enrichissement doctrinal. Les choses qui sont récompensées dans l’au-delà ne s’acquièrent point par l’effort humain, car nous ne méritons pas par les choses naturelles et acquises. Aucune auréole n’est donc promise pour l’au-delà à l’enseignement et à la prédi­cation.

3. L’exaltation dans le Ciel correspond à l’humiliation ici-bas, car "celui qui s’humilie sera exalté "Enseigner et prêcher n’humilient pas : ce sont plutôt des occasions d’orgueil. La Glose dit, au sujet de saint Matthieu, que "le diable trompe beaucoup d’hommes enflés par les honneurs du magistère. Il semble donc que la prédication et l’enseignement n’aient pas droit à l’auréole.

 

Cependant :

À propos de saint Paul. Aux Ephésiens "Pour que vous sachiez quelle est l’éminence...", la Glose dit "Les saints docteurs recevront une augmentation de gloire supérieure à celle que tous auront commu­nément".

En outre, la Glose ordinaire, commentant le Cantique des Cantiques, "Ma vigne est devant moi ", dit : "Il montre quelle récompense particulière il prépare pour ses docteurs". Ils auront donc une récompense spéciale, et c’est ce que nous nommons auréole.

 

Conclusion :

Par le martyre et la virginité, l’homme remporte une très parfaite victoire contre la chair et le monde. De même, il remporte une très parfaite victoire contre le diable quand, non content de résister à ses assauts, il le chasse non seulement de lui-même, mais aussi des autres. C’est ce qui se fait par la prédication et l’enseignement. C’est pourquoi on leur doit une auréole, comme à la virginité et au martyre. Qu’on ne dise pas, comme certains le font, qu’elle est due seulement aux prélats, à qui il appartient, en vertu de leur charge, de prêcher et d’enseigner : elle appar­tient à tous ceux qui exercent licitement cette mission. Elle n’est due aux prélats, bien qu’ils aient la charge de prêcher, que s’ils le font en fait, car la couronne n’est pas due à une disposition, mais à une lutte en acte, selon ce mot de saint Paul à Timothée : "Il ne sera pas couronné s’il n’a pas lutté selon les règles".

 

Solutions :

1. Prêcher et enseigner sont les actes d’une vertu : la miséricorde. On doit donc les ranger parmi les aumônes spirituelles.

2. Bien que la faculté de prêcher et d’ensei­gner vienne de l’étude, le fait d’enseigner vient de la volonté, qui est enrichie par la charité infusée par Dieu. Son exercice peut donc être méritoire.

3. L’exaltation en cette vie ne diminue la récompense de l’autre vie que si quelqu’un cherche, à travers cette exaltation, sa propre gloire. Mais celui qui transforme cette exal­tation en bénéfice pour les autres, mérite une récompense. Quand on dit que l’enseignement a droit à l’auréole, on doit l’entendre de l’ensei­gnement des choses du salut, qui chasse le diable du cœur des hommes, comme une arme spirituelle. Saint Paul dit aux Corinthiens : "Les armes de notre armée ne sont pas charnelles, mais spirituelles".

 

Article 8 — Une auréole est-elle due au Christ ?

Objections :

1. Il semble que oui. Une auréole est due à la virginité, au martyre et à l’enseignement. Ces trois choses existèrent excellemment dans le Christ. L’auréole lui convient donc excellemment.

2. Tout ce qui est très parfait dans les choses humaines, doit être attribué, à un degré supérieur, au Christ. La récompense de l’au­réole est due aux mérites les plus élevés. Elle est donc due au Christ.

3. Saint Cyprien dit que la virginité porte l’image de Dieu à son type idéal est donc en Dieu. Il semble donc que l’auréole convienne au Christ même en tant que Dieu.

 

Cependant :

L’auréole, avons-nous dit, est la joie de se sentir conforme au Christ. Nul ne se conforme ni ne devient semblable à soi-même, comme dit Aristote. L’auréole n’est donc pas due au Christ.

En outre, la récompense du Christ n’aug­mente jamais. Or il ne posséda pas l’auréole dès l’instant de sa conception, car alors il n’avait encore jamais lutté. Il ne l’eût donc pas davantage ensuite.

 

Conclusion :

Deux opinions se présentent à ce sujet certains disent que dans le Christ il y a eu à proprement parler une auréole, parce qu’il a connu là lutte et la victoire, et donc mérité la couronne proprement dite. Mais en y regardant de près, s’il possède la couronne en sa notion propre, il ne possède pas celle de l’auréole. Celle-ci en effet, par cela même qu’elle est un diminutif, indique quelque chose qui est possédé seulement en participation et non en sa plénitude. Elle ne convient donc qu’à ceux chez qui il n’y a qu’une participation à la victoire parfaite, dans l’imitation de celui qui réalise pleinement la notion de victoire parfaite. Dans le Christ au contraire nous trouvons une réalisation parfaite de la notion de pleine victoire tous les autres vainqueurs ne font qu’y participer, comme nous le voyons en saint Jean "Ayez confiance, j’ai vaincu le monde", et dans l’apocalypse "Voici qu’a vaincu le lion de la tribu de Juda". Il ne convient donc pas qu’il possède l’auréole, mais plutôt une chose de laquelle jailliront toutes les auréoles. C’est pourquoi l’apocalypse dit : "Je ferai asseoir sur mon trône celui qui aura vaincu, de même que j’ai vaincu et je siège sur le trône de mon Père". Aussi, d’autres estiment qu’on doit dire bien que ce qui se trouve dans le Christ ne soit pas préci­sément une auréole, c’est mieux que toute auréole.

 

Solutions :

1. Le Christ fut très vérita­blement vierge, martyr et docteur. Mais en lui, la récompense accidentelle correspondant à ces titres est très faible en comparaison de la grandeur de sa récompense essentielle. Il ne possède donc pas l’auréole en sa notion précise.

2. Bien que l’auréole soit due à une œuvre très parfaite, pourtant, en tant qu’elle est désignée par un diminutif, elle signifie une participation seulement à la perfection qui se trouve pleinement réalisée dans un autre. Par là, elle marque une certaine infériorité. Elle ne se trouve donc pas dans le Christ, en qui toute perfection existe en sa plénitude.

3. Bien que la virginité ait de quelque manière son modèle parfait en Dieu, cependant ce modèle idéal n’est pas de la même nature que chez l’homme. L’incorruption de Dieu, qu’imite la virginité, n’est pas de même nature en Dieu et dans un homme vierge. Elle est pour eux de nécessité de salut, puisque pour eux aucune réparation ne peut suivre la déchéance. Les actes par lesquels les anges nous instruisent appartiennent à leur gloire et à leur état commun ils ne méritent donc pas l’auréole pour cela.

 

Article 9 — Une auréole est-elle due aux anges ?

Objections :

1. Il semble que oui, d’après ce que dit saint Jérôme au sujet de la virginité "Vivre dans la chair en en étant dégagé, c’est plutôt une vie angélique qu’une vie humaine", et la Glose, à propos d’un passage de saint Paul, aux Corinthiens, dit que "la virginité est une part angélique". Puisque la virginité reçoit l’auréole, elle semble due aux anges.

2. L’incorruption de l’esprit est supérieure à celle de la chair. Dans les anges nous trouvons l’incorruption de l’esprit, car ils n’ont jamais péché. L’auréole leur est donc due plus qu’aux hommes qui seraient incorrompus dans leur chair, mais qui ont parfois péché.

3. L’auréole est due à ceux qui enseignent. Les anges nous instruisent en nous purifiant, nous illuminant et nous perfectionnant, comme dit Denys. Ils doivent donc avoir au moins l’auréole des docteurs.

 

Cependant :

Saint Paul dit à Timothée "Il ne sera pas couronné, s’il n’a pas combattu selon les règles". Dans les anges, pas de combat, donc pas d’auréole.

En outre, l’auréole n’est pas due à un acte qui ne s’accomplit pas avec coopération du corps. Pour ceux qui ont l’amour de la virgi­nité, du martyre et de l’enseignement, l’auréole ne leur sera pas donnée s’ils ne réalisent pas ces choses extérieurement. Les anges étant incor­porels, n’ont pas d’auréole.

 

Conclusion :

L’auréole n’est pas due aux anges, car elle correspond à une forme supé­rieure de perfection dans le mérite. Les choses qui chez l’homme contribuent à la perfection de son mérite sont naturelles pour les anges ou appartiennent à leur état commun ou font partie de leur récompense essentielle. Le motif même pour lequel l’auréole est due aux hommes, fait que les anges n’en ont pas.

 

Solutions :

1. La virginité est appelée vie angélique parce que les vierges imitent, par l’effet de la grâce, ce que les anges possèdent par nature. Pour ceux-ci, ce n’est point de la vertu que de s’abstenir complètement des plaisirs de la chair, puisque ceux-ci ne pour­raient pas exister chez eux.

2. L’incorruption perpétuelle de l’esprit mérite aux anges leur récompense essentielle ; Elle est pour eux essentiel au salut, puisque pour eux aucune réparation ne peut suivre la déchéance.

3. Les actes par lesquels les anges nous instruisent appartiennent à leur gloire et à leur état commun : ils ne méritent donc pas l’auréole pour cela.

 

Article 10 — Convient-il de désigner trois auréoles — pour les vierges, les martyrs et les prédicateurs ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’on ne doive distinguer que trois auréoles, pour les vierges, les martyrs et les prédicateurs. Car l’auréole des martyrs correspond à la vertu de force, celle des vierges à la vertu de tempé­rance et celle des docteurs à la vertu de prudence. Il semble donc qu’il doit y avoir une quatrième auréole correspondante à la vertu de justice.

2. À propos de l’Exode, la Glose dit que "la couronne est donnée quand l’Évangile promet la vie éternelle à ceux qui gardent les comman­dements", et à propos de saint Matthieu : "Si tu veux entrer dans la vie, garde les comman­dements", la Glose dit "L’auréole lui est ajoutée quand il est dit : si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres". L’auréole est donc due à la pauvreté.

3. Par le vœu d’obéissance, l’homme se soumet totalement à Dieu : c’est donc en ce vœu que consiste la plus grande perfection ; dès lors, il semble que l’auréole lui soit due.

4. Il y a beaucoup d’autres œuvres suréro­gatoires, à cause desquelles l’homme dans la vie future aura une joie spéciale. Il n’y a donc beaucoup d’auréoles outre les trois citées plus haut.

5. De même que répand la foi en prêchant et en enseignant, de même il le fait en copiant des écrits. Une quatrième auréole lui est donc due.

 

Conclusion :

L’auréole est une récompense privilégiée correspondant à une victoire excep­tionnelle. C’est pourquoi on désigne trois auréoles en considérant les victoires excep­tionnelles dans les trois luttes qui menacent tout homme. Dans la lutte contre la chair, celui qui remporte la plus grande victoire est celui qui s’abstient tout à fait des délectations charnelles, qui sont les principales en ce domaine : c’est l’homme vierge. Une auréole est donc due à la virginité. Dans la lutte contre le monde, la victoire principale consiste à soutenir la persécution du monde jusqu’à la mort : la seconde auréole est donc due aux martyrs, qui remportent la victoire dans cette lutte. Dans la lutte contre le diable, la prin­cipale victoire consiste à chasser le démon non seulement de soi-même, mais même du cœur des autres : Ce qui s’opère par l’enseignement et la prédication : La troisième auréole est donc due aux docteurs et aux prédicateurs.

Cependant, certains distinguent trois auréoles selon les trois puissances de l’âme : les trois auréoles correspondraient aux actes les meil­leurs de ces trois puissances. L’acte le meilleur de la puissance rationnelle est de diffuser la vérité de foi chez les autres : à cet acte est due l’auréole des docteurs. L’acte le meilleur de l’irascible est de supporter même la mort pour le Christ : et cet acte a droit à l’auréole des martyrs. L’acte le meilleur du concupiscible est de s’abstenir complètement des plus grandes délectations de la chair : et cela donne droit à l’auréole de la virginité.

D’autres distinguent trois auréoles selon les choses par lesquelles nous sommes rendus conformes au Christ de la manière la plus élevée. Il fut médiateur entre le Père et le monde : il fut donc docteur, en tant qu’il a manifesté au monde la vérité qu’il avait reçue du Père. Il fut martyr, en supportant la persé­cution du monde. Il fut vierge, en gardant en lui-même la pureté. Donc, les docteurs, les martyrs et les vierges lui sont très parfaitement conformes : ils méritent donc l’auréole.

 

Solutions :

1. Dans l’acte de la justice, il n’y a point de lutte comme dans les actes des autres vertus. Il n’est point vrai qu’ensei­gner soit un acte de prudence : C’est plutôt un acte de charité ou de miséricorde, car c’est par ces vertus que nous sommes portés à l’exercice de l’enseignement ou encore, c’est un acte de sagesse, en tant qu’on dirige les autres. On pourrait dire, selon d’autres, que la justice englobe toutes les vertus : On ne lui doit donc pas une auréole particulière.

2. Bien que la pauvreté soit une œuvre de perfection, elle n’occupe pas la première place dans une lutte spirituelle, car l’amour des biens temporels est moins agressif que la concupiscence de la chair ou la persécution infligée à son propre corps. On ne doit donc pas donner l’auréole à la pauvreté, mais le pouvoir judiciaire, à cause de l’humiliation qui l’accom­pagne. La Glose citée prend l’auréole au sens large, pour toute récompense accordée à un mérite supérieur.

De même pour la troisième et la quatrième difficulté.

5. Une auréole est due à ceux qui écrivent la doctrine sacrée, mais elle ne se distingue pas de celle des docteurs, car rédiger un écrit est une manière d’enseignement.

 

Article 11 — L’auréole des vierges est-elle supérieure aux autres ?

Objections :

1. Il semble que oui, car l’apocalypse dit des vierges qu'" elles suivent l’Agneau partout où il ira "et que "personne d’autre ne pouvait chanter le cantique qu’elles chantaient". Elles auront donc pas une auréole supérieure.

2. Saint Cyprien, dans un traité Des vierges, dit qu’elles sont "la plus illustre portion du troupeau du Christ". Elles ont donc droit à une auréole plus élevée.

3. Il semble que l’auréole la plus élevée soit celle des martyrs, car, à propos de l’apocalypse : "et personne ne pouvait dire le can­tique", Haymon dit que "tous les vierges ne précèdent pas les personnes mariées, mais spécialement les vierges qui dans le tourment de leur passion sont rendus égaux aux martyrs mariés, en ayant gardé leur virginité". Le martyre donne donc à la virginité la préémi­nence sur tous les états. L’auréole serait donc plutôt due au martyre.

4. Il semble quel l’auréole la plus élevée soit due aux docteurs, car l’Église militante modèle l’Église triomphante. Dans l’Église militante, le plus grand honneur est dû aux docteurs. Saint Paul dit à Timothée : "Les prêtres qui gouvernent bien sont dignes d’un double honneur, surtout ceux qui s’appliquent à la parole et à l’enseignement". Donc, dans l’Église triomphante, c’est à eux qu’est due davantage l’auréole.

 

Conclusion :

La supériorité d’une auréole à l’égard d’une autre peut être appréciée de deux manières. D’abord en considérant la lutte : l’auréole plus élevée est due à la lutte plus forte ; à ce point de vue, l’auréole des martyrs l’emporte de quelque manière sur les autres, et celle de la virginité l’emporte d’une autre manière. La lutte des martyrs est plus forte en elle-même, et afflige plus violemment ; mais la lutte contre la chair est plus dangereuse, parce qu’elle est plus durable et nous menace de plus près. Secondement, en considérant les choses sur lesquelles porte la lutte : l’auréole des docteurs l’emporte sur toutes, parce que leur lutte porte sur les biens intellectuels, tandis que les autres luttes portent sur les passions sensibles. Mais cette supériorité qui est considérée dans la lutte est plus essentielle à l’auréole, puisque celle-ci regarde essen­tiellement la victoire et la lutte. La difficulté de la lutte considérée en elle-même est supé­rieure à celle qui est considérée en nous, en tant qu’elle est plus intime à nous. C’est pourquoi, à parler absolument, l’auréole des martyrs est supérieure à toutes. Il nous est dit sur saint Matthieu, dans la Glose ordinaire, que "dans la huitième béatitude, qui concerne les martyrs, toutes les autres béatitudes se perfectionnent". C’est pour cela que l’Église, quand elle énumère les saints, fait passer les martyrs avant les docteurs et les vierges. Mais à certains points de vue, rien n’empêche que les autres auréoles soient plus parfaites.

 

D’où la solution des difficultés.

 

Article 12 — Un bienheureux possède-t-il plus qu’un autre une auréole ?

Objections :

1. Il ne semble pas qu’un bienheureux possède plus qu’un autre l’auréole de la virginité ou du martyre ou des docteurs car les choses parvenues à leur achèvement ne connaissent plus d’augmentation ni de dimi­nution. Or l’auréole est due aux œuvres qui sont dans l’achèvement de la perfection. L’auréole ne comporte donc pas de plus ou de moins.

2. La virginité ne connaît pas de plus ou de moins, puisqu’elle est une privation : les privations ne peuvent augmenter ni diminuer. Donc la récompense de la virginité, l’auréole des vierges, ne peut augmenter ni diminuer.

 

Cependant :

L’auréole s’ajoute à la couronne, et celle-ci est plus riche pour l’un que pour l’autre. Donc aussi l’auréole.

 

Conclusion :

Puisque le mérite est de quelque manière la cause de la récompense, celle-ci doit varier selon les degrés du mérite une chose augmente ou diminue selon l’augmen­tation ou la diminution de sa cause. Le mérite de l’auréole peut être plus ou moins grand. Cependant, on doit savoir que le mérite d’une auréole peut être considéré de deux manières d’une part en sa racine, d’autre part dans l’œuvre accomplie. On peut rencontrer deux hommes dont l’un supporte le tourment du martyre avec moins de charité ou se livre davantage à la prédication ou s’écarte davan­tage des délectations de la chair. L’augmenta­tion du mérite qui vient de sa racine n’entraîne pas une augmentation de l’auréole, mais de la couronne, tandis que l’augmentation du mérite qui vient de la nature de l’acte entraîne l’augmentation de l’auréole. Il peut donc arriver que quelqu’un qui mérite moins dans le martyre à l’égard de la récompense essen­tielle, possède une auréole plus grande à cause de la nature de son martyre.

 

Solutions :

1. Les mérites qui comportent le droit à l’auréole ne parviennent pas d’une manière absolue à l’achèvement de la perfection, mais seulement selon leur nature, comme le feu est par nature le plus subtil des corps. Rien n’empêche qu’une auréole soit plus élevée qu’une autre, comme un feu peut être plus subtil qu’un autre.

2. Une virginité peut être plus grande qu’une autre, par un plus grand éloignement de ce qui lui est contraire : comme on dit que la virginité de quelqu’un est plus grande parce qu’il évite davantage les occasions de corruption. On peut dire qu’une privation est plus totale qu’une autre, par exemple si un homme est plus aveugle parce qu’il est davantage privé de la vue.

 

QUESTION 97 — LE CHATIMENT DES DAMNÉS

Voyons maintenant ce qui concerne les damnés après le jugement dernier. Nous verrons ce qui concerne leur châtiment et le feu qui tourmentera leur corps ; puis nous considérerons ce qui regarde leur cœur et leur intelligence ; enfin nous rechercherons ce que peut être la justice et la miséricorde de Dieu envers eux.

Pour le premier point, nous poserons sept questions : 1. Les damnés, en enfer, ne souffrent-ils que de la peine du feu ? - 2. Sont-ils tourmentés par un ver corporel ? - 3. Auront- ils des pleurs corporels ? - 4. Leurs ténèbres seront-elles physiques ? - 5. Le feu qui les tourmentera sera-t-il physique ? - 6. Sera-t-il de même nature que le nôtre ? 7. Ce feu est-il souterrain ?

 

Article 1 — Les damnés, en enfer, ne souffrent-ils que de la peine du feu ?

Objections :

1. Cela semble, d’après saint Matthieu, car en parlant de leur damnation, il ne fait mention que du feu : "Éloignez-vous de moi, maudits, dans le feu éternel."

2. Comme la peine du purgatoire est due au péché véniel, celle de l’enfer est due au péché mortel. Au purgatoire, on ne dit pas qu’il y ait d’autre peine que le feu, comme dit saint Paul aux Corinthiens : "L’œuvre de chacun sera éprouvée par le feu. "Donc, en enfer aussi il n’y aura que la peine du feu.

3. La variation des tourments inclut un refroidissement, comme quand quelqu’un passe de la chaleur au froid. Mais il n’y aura pas de rafraîchissement pour les damnés. Ils ne subiront donc pas diverses peines, mais seulement celle du feu.

Cependant :

Le Psalmiste dit "Le feu et le soufre, et le souffle des tempêtes seront la part de leur calice."

En outre, Job dit : "De l’eau des neiges, il passe à l’extrême chaleur."

Conclusion :

Selon saint Basile, à la purification finale du monde se produira une séparation des éléments : tout ce qui est pur et noble demeurera en haut, pour la gloire des bienheureux, mais tout ce qui est vil et corrompu sera précipité en enfer pour la peine des damnés ainsi toute créature sera pour les bienheureux matière à jouissance, et pour les damnés augmentation de tourments, selon la Sagesse : "L’Univers combattra avec lui les insensés." Il convient à la justice divine que ceux qui se sont écartés de l’unité de Dieu en mettant leur fin dans les choses matérielles, multiples et variées, soient affligés par elles d’une manière multiple et variée.

Solutions :

1. Le feu étant source de vives souffrances parce qu’il renferme une force très active, on désigne par le nom de feu toute source de souffrance si elle est véhémente.

2. La peine du purgatoire n’est pas destinée surtout à faire souffrir, mais à purifier ; elle s’accomplit donc seulement par le feu, qui a une très grande propriété purificatrice. Mais la peine des damnés n’est pas destinée à une purification. Ce n’est donc point la même chose.

3. Les damnés passeront d’une chaleur très ardente à un froid très violent sans que cela les rafraîchisse. Car la souffrance produite par des causes extérieures ne s’accomplira pas en vertu d’une transformation du corps à partir de sa disposition naturelle précédente, comme une souffrance contraire ramenant à un juste niveau ou à un état tempéré produit un rafraîchissement, comme cela se passe ici-bas. Mais cette souffrance sera l’effet d’une action spirituelle, en tant que des éléments sensibles agissent sur les sens, en se faisant sentir par la production de ces formes de souffrance dans l’organe, selon leur existence spirituelle et non selon leur existence matérielle.

 

Article 2 — Le ver des damnés est-il corporel ?

Objections :

1. Le ver qui torture les damnés semble être corporel, car la chair ne peut être tourmentée par un ver spirituel. Nous lisons en Judith : "Il enverra le feu et des vers dans leurs chairs." Et dans l’Ecclésiastique : "La vengeance sera, pour la chair de l’impie, le feu et le ver." Ce ver sera donc corporel.

2. Saint Augustin dit "L’un et l’autre, le feu et le ver, seront le châtiment de la chair.". Donc...

Cependant :

Saint Augustin dit aussi : "Les auteurs expliquent différemment, parmi les peines des damnés, la nature du feu et du ver virulent. Les uns les rapportent tous deux au corps, d’autres tous deux à l’âme, et d’autres attribuent le feu au corps, et le ver,. pris métaphoriquement, à l’âme et ceci semble plus admissible."

Conclusion :

Après le jour du jugement, dans le monde renouvelé, il ne restera aucun animal ni aucun corps mixte, en dehors du corps de l’homme : car la nature n’est pas ordonnée à l’incorruption, et après ce jour, il n’y aura plus de génération ni de corruption. Le ver qui sera infligé aux damnés ne doit donc pas être considéré comme corporel, mais comme spirituel : c’est le remords de la conscience qui est ainsi appelé, parce qu’il naît de la pourriture du péché, et fait souffrir l’âme, comme le ver corporel, né de la pourriture, fait souffrir en mordant

Solutions :

1. Les âmes des damnés sont appelées leur chair, parce qu’elles se sont soumises à la chair. On pourrait dire aussi .que la chair est torturée par le ver spirituel, parce que les souffrances de l’âme rejaillissent sur le corps, ici-bas et dans l’au-delà.

2. Saint Augustin parle ici par comparaison. Il ne veut pas affirmer absolument que ce ver est matériel, mais bien qu’il est préférable .de dire que ce feu et ce ver doivent être pris matériellement, plutôt que de penser que l’un et l’autre doivent être pris seulement spirituellement ; car alors les damnés ne subiraient aucune peine corporelle : cela ressort des diverses expressions qu’il emploie à ce sujet.

 

Article 3 — Les pleurs des damnés sont-ils corporels ?

Objections :

1. Il semble que les pleurs des damnés soient corporels, car, à propos du passage de saint Luc : "Il y aura des pleurs", une Glose dit que "par les pleurs dont le Seigneur menace les réprouvés, on peut prouver la vraie résurrection des corps : ce qui ne serait pas exact si ces pleurs étaient seulement spirituels. Donc, etc.

2. La tristesse de la peine correspond à la délectation de la faute, selon l’Apocalypse : . "Donnez-lui autant de tourment et de pleurs. qu’il a eu de glorification de lui-même et de délices." Or les pécheurs, dans leur faute, ont connu la délectation intérieure et extérieure. Ils auront donc aussi des pleurs extérieurs.

Cependant :

les pleurs corporels s’accomplissent en répandant des larmes. Mais dans le corps des damnés il ne peut y avoir un écoulement perpétuel, puisque chez eux il n’y a aucune restauration de l’organisme par des aliments : tout ce qui est fini s’épuise si quelque chose en découle continuellement. Il n’y aura donc pas chez les damnés de pleurs corporels.

Conclusion :

Dans les pleurs corporels, nous distinguons deux choses : d’abord l’écoulement des larmes ; et quant à cela les pleurs corporels ne peuvent se trouver chez les damnés, car, après le jour du jugement, le mouvement du premier moteur ayant cessé, il n’y aura plus de génération, ni de corruption, ni d’altération corporelle. Dans l’écoulement des larmes, il doit y avoir sécrétion du liquide qui passe dans les larmes. A ce point de vue, il ne pourra pas y avoir de pleurs corporels chez les damnés. Mais dans les pleurs corporels, il y a aussi une certaine commotion et un certain trouble de la tête et des yeux : sous cet aspect, les pleurs pourront exister chez les damnés après la résurrection : les corps des damnés, en effet, ne sont pas seulement affligés de l’extérieur, mais même de l’intérieur, en tant que le corps est poussé par la passion de l’âme vers un état bon ou mauvais. A ce point de vue, les pleurs prouvent la résurrection de la chair, et correspondent à la délectation de la faute, qui était dans l’âme et dans le corps.

Par là, nous répondons aux difficultés objectées.

 

Article 4 — Les damnés sont-ils en des ténèbres physiques ?

Objections :

1. Cela ne semble pas, puisque à propos de Job : "Une horreur sempiternelle y résidera", saint Grégoire déclare : "Bien que ce feu ne brille pas pour consoler, il brillera quand même de quelque manière, pour faire davantage souffrir ; en effet, les suites que les réprouvés ont entraînées avec eux en sortant du monde, seront éclairées par la flamme." Il n’y aura donc pas là de ténèbres pour le corps.

2. Les damnés voient leur châtiment, et cela augmente leur peine. On ne peut rien voir sans lumière : il n’y aura donc pas de ténèbres physiques.

3. Après la reprise de leur corps, les damnés posséderont leur puissance visuelle. Elle serait vaine s’ils ne voyaient rien. Puisque rien n’est vu sans lumière, il semble qu’ils ne seront pas tout à fait dans les ténèbres.

Cependant :

Saint Matthieu dit : "Après lui avoir lié les mains et les pieds, jetez-le dans les ténèbres extérieures." saint Grégoire ajoute

"Si ce feu possédait de la lumière, on ne dirait pas que les réprouvés sont jetés dans les ténèbres extérieures."

En outre, saint Basile, à propos du Psaume "La voix du Seigneur divise la flamme du feu", dit que "par la puissance de Dieu, la clarté du feu sera distinguée de sa puissance combustible, de telle sorte que la clarté deviendra la joie des bienheureux, tandis que le feu brûlant sera le tourment des damnés". Les damnés seront donc dans les ténèbres physiques. D’autres choses concernant la peine des damnés ont déjà été précisées plus haut.

Conclusion :

L’enfer sera disposé en vue de procurer la plus grande souffrance des damnés. La lumière et les ténèbres y seront donc dans la mesure où ils procurent le plus de souffrance. Le fait de voir, en soi, est agréable. Comme dit Aristote, "le sens des yeux est le plus aimable, car par lui nous connaissons beaucoup de choses". Mais, occasionnellement, la vision est pénible, quand nous voyons des choses qui nous nuisent ou qui répugnent à notre volonté. L’enfer doit donc être un lieu disposé de telle sorte, dans la lumière et les ténèbres, que rien d’agréable n’y soit vu, tandis qu’on n’y voit, dans une demi-lumière, que des choses qui peuvent être pénibles pour le cœur. C’est pourquoi, absolument parlant, ce lieu est ténébreux. Pourtant, par une disposition divine, il y a là assez de lumière pour qu’on puisse voir ce qui peut faire souffrir l’âme. Pour cela, la situation naturelle de ce lieu est déjà suffisante car, au centre de la terre, où est placé l’enfer, il ne peut y avoir qu’un feu bourbeux, tumultueux et enfumant. D’autres pensent que la cause de ces ténèbres doit être le grouillement des corps des damnés, qui à cause de leur nombre remplissent tellement l’espace de l’enfer, qu’il n’y reste plus d’air : il n’y a donc plus d’atmosphère qui puisse être pénétrée par la lumière il n’y a là que les ténèbres, qui obscurcissent les yeux des damnés.

Par là, on peut répondre aux objections.

 

Article 5 — Le feu de l’enter est-il physique ?

Objections :

1. Il semble que le feu de l’enfer, qui tourmentera les corps des damnés ne sera pas corporel. Saint Jean Damascène dit en effet "Le diable, et les démons, et leur homme, c’est-à-dire l’Antéchrist, seront livrés avec les impies et les pécheurs, au feu éternel non pas matériel comme celui qui est ici, parmi nous, mais tel que Dieu le connaît." Tout ce qui est corporel est matériel. Le feu de l’enfer ne sera donc pas corporel.

2. Les âmes des damnés, séparées de leur corps, sont jetées au feu de l’enfer. Mais saint Augustin dit : "Je pense que le lieu où l’âme est envoyée après la mort, est spirituel, et non corporel." Donc, etc.

3. Le feu physique, dans sa manière d’agir, ne se conforme pas à la modalité de la faute qui est brûlée par le feu, mais plutôt à la manière d’agir de l’humide et du sec. Nous voyons en effet que dans le même feu physique, ici-bas, sont tourmentés le juste et l’injuste. Au contraire, le feu de l’enfer, dans sa manière de tourmenter ou d’agir, se conforme à la modalité de la faute de celui qui est puni. C’est pourquoi saint Grégoire dit "Il n’y a qu’un feu de la géhenne, mais il ne tourmente pas tous les pécheurs de la même manière car chacun subira une peine proportionnée à sa faute." Ce feu n’est donc pas physique.

Cependant :

nous lisons dans saint Grégoire : "Je ne doute pas que le feu de la géhenne soit corporel, puisqu’il est certain que les corps y sont tourmentés."

En outre, la Sagesse dit : "L’univers terrestre luttera contre les insensés." Cela ne serait pas si leur peine était seulement spirituelle, et non corporelle. Ils sont donc punis par un feu physique.

Conclusion :

Au sujet du feu de l’enfer, de multiples opinions furent énoncées. Certains philosophes, comme Avicenne, ne croyant pas à la résurrection, crurent que l’âme seule était punie après la mort. Comme il leur paraissait inadmissible que l’âme incorporelle soit punie par un feu physique, ils nièrent que ce feu, qui punit les méchants, soit physique : pour eux, tout ce qui est dit de la souffrance imposée aux âmes après la mort avec des éléments corporels, est exprimé seulement métaphoriquement. La jouissance et le bonheur des âmes des élus, selon eux, ne consisteront pas en une chose corporelle, mais seulement en une chose spirituelle, l’obtention de leur fin. De même les souffrances des méchants seront seulement spirituelles, consistant dans la tristesse qu’ils auront d’être séparés de leur fin, dont ils possèdent le désir naturel. De même qu’on doit entendre dans le sens d’une comparaison seulement tout ce qui est dit de la jouissance des âmes après la mort, bien que cela semble indiquer des jouissances corporelles (comme le fait de prendre un repas, ou de rire, etc.) ainsi, tout ce qui est dit de leurs souffrances, même si cela semble indiquer une punition corporelle, doit être entendu comme une simple comparaison par exemple, qu’elles brûlent dans le feu, qu’elles soient affligées par des puanteurs, etc. La jouissance et la tristesse spirituelles étant ignorées de la masse, on doit les traduire figurativement, par des jouissances ou souffrances corporelles, afin qu’elles provoquent davantage chez les hommes des désirs ou des craintes. Mais il ne suffit pas d’admettre ce mode de punition, car, dans le châtiment des damnés il n’y aura pas seulement la peine du dam, qui correspond à l’aversion à l’égard de Dieu qu’ils ont eue dans leur faute, mais il y a aussi la peine du sens, qui correspond au fait qu’ils se sont tournés vers les créatures d’une manière défendue.

C’est pourquoi Avicenne lui-même a présenté une autre explication : il dit que les âmes des méchants, après la mort, sont punies, non dans leur corps, mais dans une sorte de similitude de leur corps ; de même que dans les songes, cause des similitudes des choses, qui se trouvent dans l’imagination, il semble à l’homme qu’il soit torturé par des peines diverses. Il semble que saint Augustin admette aussi ce mode de punition, dans son commentaire de la Genèse. Mais cela ne parait pas convenir. L’imagination est en effet une puissance qui se sert d’un organe corporel : de semblables visions imaginaires ne peuvent donc pas exister dans l’âme séparée du corps, comme elles existent dans l’âme du dormeur. C’est pourquoi, Avicenne, pour éviter cet inconvénient, dit que les âmes séparées du corps se servent, comme d’organe, d’une partie d’un corps céleste, auquel le corps humain doit être conforme pour être perfectionné par une âme rationnelle, qui joue le rôle des moteurs des corps célestes. En cela, il suivait de quelque façon l’opinion des philosophes antiques, qui dirent que les âmes retournaient après la mort aux étoiles qui leur ressemblent. Mais cela est parfaitement absurde, d’après la doctrine d’Aristote, car l’âme emploie nécessairement un instrument corporel déterminé, comme l’art emploie des instruments déterminés. Elle ne peut donc point passer d’un corps à l’autre. Pythagore le prétendait. Nous dirons plus loin comment répondre à l’affirmation de saint Augustin.

Quoi qu’on dise du feu qui torture les âmes séparées du corps, on doit dire, au sujet du feu qui tourmente les corps des damnés après leur résurrection, qu’il est corporel, car le corps ne peut souffrir une peine adaptée que si elle est corporelle. C’est pourquoi saint Grégoire prouve que le feu de l’enfer est corporel par cela même que les damnés, après la résurrection, y sont précipités. Saint Augustin aussi, comme nous le voyons cité dans les Sentences, affirme que le feu qui torture les corps est corporel. Et c’est de cela qu’il s’agit ici. Nous avons vu plus haut comment les âmes des damnés sont punies par ce feu corporel.

Solutions :

1. Saint Damascène ne nie pas absolument que ce feu soit matériel, mais il affirme qu’il ne l’est pas à la manière du nôtre ici-bas, car il en diffère par plusieurs propriétés. On peut dire aussi que ce feu n’altère pas matériellement les corps, mais qu’il agit sur eux par une action spirituelle, pour les punir ; dès lors, on dira qu’il n’est pas matériel - non en sa substance - mais en son effet de punition des corps et bien plus encore des âmes.

2. Ce mot de saint Augustin peut être pris en ce sens que le lieu dans lequel les âmes sont placées après la mort n’est pas corporel, parce que l’âme ne s’y trouve pas corporellement, à la façon dont les corps sont dans le lieu, mais selon un autre mode, spirituel, comme les anges sont dans le lieu. On pourrait encore dire que saint Augustin émet une opinion, sans prendre position, comme il le fait souvent dans ses œuvres.

3. Ce feu sera l’instrument de la justice divine qui châtie. L’instrument n’agit pas seulement par sa vertu propre et selon sa modalité, mais aussi par la vertu de l’agent principal, et en tant que réglé par lui. Bien que le feu, par sa nature propre, ne soit pas capable de faire souffrir plus ou moins selon les modalités du péché, son action peut être modifiée par l’ordre de la justice divine, de même que le feu d’une fournaise est modifié par l’intervention du forgeron, en son travail, selon ce qui convient pour l’effet de son art.

 

Article 6 — Le feu de l’enfer est-il de même nature que le nôtre ?

Objections :

1. Il semble que non. Saint Augustin dit en effet : "J’estime que nul homme ne connaît la nature du feu éternel, à moins que l’Esprit Saint ne le lui ait révélé." Or, tous, ou presque, savent la nature de notre feu c’est donc que celui-là n’est pas de la même espèce que celui-ci.

2. Saint Grégoire, commentant Job "il sera dévoré par un feu qui n’est pas entretenu", dit : "Le feu corporel, pour exister, a besoin de combustible matériel ; il ne peut subsister sans être entretenu et ranimé. Au contraire, le feu de la géhenne, qui est physique, et qui brûle corporellement les réprouvés qui y sont jetés, n’est pas entretenu par un effort humain, ni alimenté par des branches. Créé une seule fois, il demeure inextinguible et n’a point besoin d’entretien ni ne manque d’ardeur." Il n’est donc pas de la même nature que celui que nous voyons ici.

3. Éternel et corruptible sont deux notions différentes, et ne communiquent même pas dans un genre commun, selon Aristote. Or notre feu est corruptible, et celui de l’enfer est éternel, saint Matthieu : "Eloignez-vous de moi, maudits, dans le feu éternel." Ils ne sont donc pas de même nature.

4. Notre feu brille naturellement ; tandis que celui de l’enfer ne brille pas. Job dit "La lumière de l’impie ne sera-t-elle pas éteinte ?" Donc...

Cependant :

Selon Aristote, "toute eau est de la même espèce que toute autre" : pour la même raison, tout feu est de la même espèce que tout feu.

En outre, la Sagesse dit "Chacun sera torturé par ce en quoi il pèche." Les hommes pèchent par les choses sensibles de ce monde. Il est donc juste qu’ils soient punis par elles.

Conclusion :

Le feu, parce qu’il est, de tous les éléments, celui dont l’action a le plus de puissance, a comme matière les autres corps. On le trouve donc sous deux formes : en sa matière propre, tel qu’il est dans sa sphère, et dans une autre matière, soit terrestre, comme dans le charbon, soit aérienne, comme dans la flamme. Quelle que soit sa manière d’être, il est toujours de la même espèce, celle qui appartient à sa nature ; mais il peut comporter des différences selon les corps qui deviennent sa matière. C’est ainsi que la flamme et le charbon diffèrent d’espèce, comme le bois qui flambe et le fer qui rougit. Mais ils ne diffèrent point par le fait seul qu’ils sont allumés par violence, comme cela se voit dans le fer, ou en vertu d’un principe intrinsèque naturel, comme cela arrive dans le soufre. Il est manifeste que le feu de l’enfer, en tant qu’il possède la nature du feu, est de même espèce que celui de chez nous. Mais nous ne savons pas si ce feu existe dans sa propre matière ou dans une autre, et laquelle. En cela, il peut différer de notre feu, en le considérant en sa matière. Il possède pourtant certaines propriétés différentes de notre feu, comme de ne pas avoir besoin d’être entretenu ni nourri avec du bois. Mais ces différences ne prouvent pas une diversité d’espèce en ce qui appartient à la nature du feu.

Solutions :

1. Saint Augustin parle seulement de ce qui est matériel dans ce feu, mais non de sa nature.

2. Notre feu est alimenté par du bois, et allumé par l’homme, parce qu’il est introduit artificiellement et par violence dans une autre matière. Mais le feu de l’enfer n’a pas besoin de bois pour l’entretenir, soit parce qu’il existe en sa propre matière, soit parce qu’il se trouve en une autre matière, non par violence, mais par nature, en vertu d’un principe intrinsèque. Il n’est donc pas allumé par l’homme, mais par Dieu créateur de sa nature. Et c’est ce que dit Isaïe : "Le souffle du Seigneur, comme un torrent de soufre, va l’embraser."

3. Les corps des damnés seront de la même espèce que maintenant, bien que à présent ils soient corruptibles ; mais alors ils seront incorruptibles, par l’ordre de la justice divine, et à cause de l’arrêt du mouvement du ciel ; il en va de même du feu de l’enfer qui punira ces corps.

4. Briller ne Convient pas au feu en toutes ses manières d’être, car quand il existe en sa propre matière il ne brille pas les philosophes disent qu’il ne brille pas dans sa propre sphère. De même, quand il est dans certaines matières étrangères, il ne brille pas : comme quand il est dans la matière terrestre opaque, comme dans le soufre. De même quand sa clarté est offusquée par une fumée épaisse. Le fait que le feu de l’enfer ne brille pas n’est pas une raison suffisante pour qu’il ne soit pas de la même espèce que le nôtre.

 

Article 7 — Le feu de l’enfer est-il souterrain ?

Objections :

1. Il ne semble pas que le feu de l’enfer soit sous terre, car Job, parlant de l’homme damné, dit : "Et Dieu l’enlèvera du monde." Le feu qui châtiera les damnés n’est donc pas sous terre, mais hors du monde.

2. Aucune chose qui est contre nature et accidentelle ne peut être éternelle. Mais le feu de l’enfer y est éternellement : il n’y sera donc point par violence, mais naturellement. Or le feu ne peut se trouver sous terre que par violence. Le feu de l’enfer n’est donc pas souterrain.

3. Dans le feu de l’enfer, tous les corps des damnés seront tourmentés après le jour du jugement. Mais les corps empliront ce lieu. Puisque la multitude des damnés sera très grande, car "le nombre des insensés est infini, l’espace qui contiendra ce feu doit être immense. Mais il ne semble pas qu’il convienne de dire que sous la terre il y a une si grande cavité, puisque les parties de la terre sont naturellement soutenues par son centre. Ce feu n’est donc pas sous terre.

4. La Sagesse dit : "Chacun est torturé par les choses par lesquelles il a péché. Mais les méchants ont péché à la surface de la terre. Le feu qui les punit ne doit donc pas être au-dessous de la terre.

Cependant :

Isaïe dit : "L’enfer souterrain a été troublé par l’approche de ton avènement." Le feu de l’enfer est donc au-dessous de nous.

En outre, saint Grégoire dit : "Je ne vois pas ce qui s’oppose à ce qu’on croie que l’enfer est sous la terre."

De plus, à propos de ce texte de Jonas : "Tu m’as projeté dans le cœur de la mer", la Glose interlinéaire dit : "c’est-à-dire en enfer." C’est pourquoi, dans l’Évangile, on dit : dans le cœur de la terre", car, comme le cœur est au centre de l’animal, l’enfer semble être au centre de la terre.

Conclusion :

Comme dit saint Augustin, "j’estime que nul ne sait en quelle partie du monde se trouve l’enfer, sauf celui à qui l’Esprit Saint l’a révélé". Saint Grégoire, interrogé sur ce point, répond : "Je n’ose rien préciser témérairement à ce sujet. Certains en effet pensèrent que l’enfer était en quelque partie de la terre. D’autres estiment qu’il est sous terre." Et il montre que cette dernière opinion est plus probable, pour deux motifs. D’abord en raison du nom même de l’enfer. "Si nous l’appelons enfer (infernum) parce qu’il se trouve au-dessous (inferius) l’enfer doit être sous la terre comme la terre est sous le ciel." Ensuite, à cause de ce que dit l’Apocalypse : "Personne ne pouvait ouvrir le livre, ni dans le ciel, ni sur terre, ni sous la terre" : ceux qui sont dans le ciel, ce sont les anges ; sur terre, ce sont les hommes vivants encore dans leur corps ; sous terre, ce sont les âmes qui se trouvent en enfer. Saint Augustin semble trouver deux motifs pour lesquels il convient que l’enfer soit sous terre. Premièrement : "Puisque les âmes des défunts ont péché par amour de la chair, on leur donne ce qu’on donne habituellement à la chair morte, c’est-à-dire qu’elles soient ensevelies sous la terre." Secondement a tristesse est dans les esprits comme la pesanteur est dans les corps, tandis que la joie apparaît comme la légèreté de l’esprit. Dès lors, "de même que pour les corps, s’ils suivent l’ordre de leur pesanteur, les plus lourds sont les plus bas, de même pour les esprits, les plus bas sont les plus tristes". Ainsi, de même que le lieu le plus adapté pour la joie des élus est le ciel empyrée, de même pour la tristesse des damnés, le lieu le plus adapté est le plus bas de la terre. On ne doit pas objecter que saint Augustin écrit : "On dit ou on croit que les enfers sont sous les terres", parce que dans le livre II des Rétractations, il l’a corrigé en écrivant : "Il me semble que j’aurais dû dire que les enfers sont sous les terres, plutôt que d’apporter a raison pour laquelle on pense ou on croit qu’ils le sont." Cependant, certains philosophes ont affirmé que le lieu de l’enfer était sous le globe terrestre, mais à la surface de la terre en la partie qui nous est opposée. Il semble qu’Isidore le pense, quand il dit que "le soleil et la lune se tiendront dans l’ordre dans lequel ils ont été créés, afin que les impies livrés à leurs tourments ne jouissent pas de leur lumière". Cela ne vaudrait aucunement si l’enfer était au-dessous de la terre.

Nous avons vu plus haut comment on peut interpréter ces paroles.

Pythagore plaça le lieu des tourments dans une sphère de feu, qu’il dit se trouver au milieu de tout l’univers. Il appela cette région prison de Jupiter, comme nous le voyons dans Aristote. Mais il est plus conforme à l’Ecriture de dire qu’il est sous la terre.

Solutions :

1. Ce mot de Job : "Dieu l’enlèvera du globe", doit s’entendre du globe de la terre, c’est-à-dire de ce monde. Saint Grégoire l’explique ainsi : "Quelqu’un est enlevé de ce monde, quand à l’apparition du juge d’en-haut, il est ôté de ce monde dans lequel il est injustement glorifié." Le globe n’est point ici celui de l’univers, comme si le lieu des peines se trouvait en dehors de tout l’univers.

2. Le feu est conservé dans ce lieu pour l’éternité, par un ordre de la justice divine, bien que selon sa nature un élément ne puisse pas durer pour toujours en dehors de son lieu naturel, surtout tant que la génération et la corruption subsistent dans les choses. Mais le feu sera là d’une extrême chaleur, puisque celle-ci sera condensée de toutes parts, à cause du froid de la terre qui l’entoure de partout.

3. L’enfer ne manque jamais d’étendue au point de ne pas suffire à contenir tous les corps des damnés. Les Proverbes l’énumèrent parmi les trois choses insatiables. Et il n’y a pas de difficulté à ce que dans les entrailles de la terre soit conservée par la puissance divine une si grande cavité capable de recevoir les corps de tous les damnés.

4. L’affirmation "chacun est torturé par ce par quoi il a péché" ne vaut que pour les principaux instruments du péché : puisque l’homme pèche par l’âme et par le corps, il sera puni en chacun d’eux. Mais il n’est pas exigé que l’homme soit puni en chaque lieu où il a péché, car le lieu de la vie terrestre est autre que celui des damnés. On peut dire aussi que cette affirmation vaut pour les peines par lesquelles l’homme est puni dès cette vie, en tant que chaque faute entraîne sa peine, car "tout esprit qui est sorti de l’ordre est son propre châtiment", comme dit saint Augustin.

 

QUESTION 98 — LA VOLONTÉ ET L’INTELLIGENCE DES DAMNÉS

Nous sommes amenés à étudier maintenant ce qui concerne l’affectivité et l’intelligence des damnés. Neuf questions se posent 1. Tout vouloir des damnés est-il mauvais ? 2. Se repentent-ils parfois des fautes commises ? - 3. Préfèrent-ils ne plus exister ? - 4. Voudraient-ils la damnation des autres ? - 5. Les impies ont-ils de la haine pour Dieu ? - 6. Peuvent-ils démériter ? - 7. Peuvent-ils se servir de la science acquise ici-bas ? - 8. Pensent-ils parfois à Dieu ? 9. Voient-ils la gloire des bienheureux ?

 

Article 1 — Tout vouloir des damnés est-il mauvais ?

Objections :

1. Il semble que non, car, comme dit Denys, "les démons désirent le bien et le meilleur, à savoir être, vivre et connaître. Puisque les hommes damnés ne sont pas d’une condition pire que les démons, il semble qu’ils puissent avoir eux-mêmes de bons vouloirs.

2. "Le mal, dit Denys, est tout à fait involontaire." Si donc les damnés veulent quelque chose, ils le veulent en tant que bon ou comme bien apparent. Mais le vouloir qui est ordonné de soi au bien est bon. Les damnés peuvent donc avoir de bons vouloirs.

3. Certains seront damnés, bien que, se trouvant en ce monde, ils aient eu des dispositions vertueuses, comme les païens, qui eurent des vertus civiques. Or, les dispositions ver tueuses engendrent un vouloir louable. Il pourra donc y avoir un vouloir louable chez certains damnés.

Cependant :

Une volonté obstinée ne peut jamais être inclinée que vers le mal. Mais les hommes damnés seront obstinés, comme les démons. Leur volonté ne pourra donc jamais être bonne.

En outre, la volonté des damnés est à l’égard du mal comme celle des bienheureux à l’égard du bien. Mais les bienheureux n’ont jamais de mauvais vouloir. Donc les damnés n’en ont jamais de bon.

Conclusion :

Chez les damnés nous pouvons distinguer deux volontés : la volonté délibérative et la volonté naturelle. Celle-ci ne vient pas d’eux, mais de l’auteur de la nature, qui a mis en elle cette inclination qu’on nomme volonté naturelle. Puisque la nature demeure en eux, il pourra y avoir en eux cette bonne volonté naturelle. Mais la volonté délibérative vient d’eux-mêmes, en tant qu’ils ont le pouvoir de s’incliner par sentiment vers ceci ou cela. Et cette volonté est en eux seulement mauvaise. Ils sont en effet totalement détournés de la fin ultime d’une volonté droite, et aucune volonté ne peut être bonne que si elle est ordonnée à cette fin. Donc, même s’ils voulaient quelque chose de bon, ils ne le voudraient pas bien de manière qu’on puisse dire que leur volonté est bonne.

Solutions :

1. Ce mot de Denys s’entend de la volonté naturelle, qui est l’inclination de la nature vers quelque bien. Mais cette inclination naturelle est corrompue par la malice des damnés, en tant que ce bien qu’ils désirent naturellement est recherché par eux en de mauvaises conditions.

2. Le mal ne meut pas la volonté en tant que mal, mais en tant qu’on l’estime bon. Mais, à cause de leur malice, les damnés estiment bon ce qui est mal. Leur volonté demeure donc mauvaise

3. Les dispositions des vertus civiques ne demeurent pas dans l’âme séparée, puisque ces vertus perfectionnent l’homme dans sa vie civile seulement, et celle-ci n’existe plus après la vie terrestre. Si elles demeuraient, elles n’aboutiraient jamais à un acte, parce qu’elles seraient liées par l’obstination de l’esprit.

 

Article 2 — Les damnés se repentent-ils du mal qu’ils ont accompli ?

Objections :

1. Il semble qu’ils ne s’en repentent jamais, car saint Bernard dit dans son commentaire des Cantiques que "le damné veut toujours l’iniquité qu’il a accomplie". Il ne se repent donc point du péché commis.

2. Vouloir n’avoir pas péché est un bon vouloir. Les damnés n’en auront jamais. Ils ne voudront donc jamais n’avoir pas péché.

3. Selon saint Jean Damascène, "la mort est pour les hommes ce que la chute fut pour les. anges". Mais la volonté de l’ange après sa chute devint inconvertible, en ce sens qu’il ne put revenir sur le choix par lequel il avait péché. Les damnés ne peuvent donc pas se repentir des péchés qu’ils ont commis.

4. La perversité des damnés en enfer est plus grande que celle des pécheurs en ce monde. Mais il y a des pécheurs, ici-bas, qui ne se repentent pas des péchés commis, soit par aveuglement de l’esprit, comme les hérétiques,. soit par obstination, comme ceux dont les Proverbes disent "qu’ils se réjouissent d’avoir mal fait et exultent dans les pires choses". Donc...

Cependant :

La Sagesse dit, des damnés, qu'"ils se repentent intérieurement".

En outre, Aristote dit que "les êtres corrompus sont pleins de regret ; car ils sont bien vite attristés de ce qui les réjouissait". Les damnés, très corrompus, ont donc beaucoup de regret.

Conclusion :

Se repentir du péché peut se réaliser de deux manières : en soi, ou par accident. En soi, quand quelqu’un s’en repent parce qu’il le déteste en tant que péché ; par accident, quand il le repousse à cause de quelque chose qui s’y ajoute, c’est-à-dire le châtiment ou quelque autre suite semblable. Les mauvais ne se repentiront pas de leur péché en soi, parce que le vouloir de la malice du péché demeure en eux ; ils se repentiront par accident, en tant qu’ils seront attristés de la peine subie i cause du péché.

Solutions :

1. Les damnés veulent l’iniquité, mais repoussent le châtiment : par là, ils se repentent, par accident, de leur iniquité.

2. Vouloir n’avoir pas péché à cause de la honte de l’iniquité, serait un bon vouloir ; mais il n’existe pas chez les damnés.

3. Il arrive que des damnés se repentent de leurs péchés, sans aversion de la volonté à leur égard, car ils regrettent, non pas ce qui les avait entraînés au péché, mais la peine qui a suivi.

4. En ce inonde, les hommes, même les plus obstinés dans le mal, se repentent parfois, par accident, de leurs péchés, s’ils sont châtiés à cause d’eux, parce que, comme dit saint Augustin, "nous voyons même les bêtes les plus féroces s’abstenir de plaisirs très attirants, à cause de la souffrance du châtiment menaçant".

 

Article 3 — Les damnés voudraient-ils, d’une volonté droite et délibérée, ne pas exister ?

Objections :

1. Il semble qu’ils ne le puissent pas. Saint Augustin dit : "Vois combien est bonne cette existence, qu’heureux et malheureux veulent également" ; il est en effet meilleur d’exister et d’être malheureux que de ne pas être du tout.

2. Saint Augustin raisonne ainsi : La préélection suppose un choix. Mais on ne peut choisir de ne pas exister, car cela ne présente aucun aspect bon. Ne pas exister ne peut donc pas être plus désirable pour les damnés que l’existence.

3. Le mal majeur est le plus à fuir. Mais le plus grand des maux est de ne pas exister, car cela supprime tout bien, n’en laissant subsister aucun. L inexistence est donc plus à fuir que la souffrance.

Cependant :

il est écrit dans l’Apocalypse "En ces jours-là les hommes désireront la mort, et elle leur échappera."

En ou le malheur des damnés dépasse tout malheur de ce monde. Mais pour échapper au malheur d’ici-bas, certains désirent mourir. Il est dit dans l’Ecclésiastique "O mort, ta sentence est bonne pour l’homme malheureux et qui a perdu ses forces, pour l’homme usé par l’âge et pour celui qui est accablé de soucis, pour celui à qui on ne croit plus et qui a perdu la raison. Il est donc bien plus désirable encore de ne pas exister pour les damnés, avec délibération raisonnable.

Conclusion :

Ne pas exister peut être considéré de deux façons : en soi et ainsi ce n’est aucunement désirable, puisque cela ne contient aucun aspect de bien, et n’est qu’une pure privation de bien - ou bien, en tant que c’est la libération d’une vie de peine ou de malheur : et alors, ne pas être prend un aspect de bonté. "Etre exempt du mal est une sorte de bien", comme dit Aristote. Sous cet aspect, il est préférable pour les damnés de ne pas être que d’être malheureux. Il est dit en saint Matthieu : "Il eût été mieux pour cet homme de n’être pas né, et à propos de Jérémie : "Maudit soit le jour où je suis né", la Glose de saint Jérôme ajoute : "Il vaut mieux n’être pas que d’être mal." Et ainsi, les damnés peuvent choisir délibérément de ne plus exister.

Solutions :

1. Ce mot de saint Augustin doit s’entendre en ce sens que ne point exister n’est pas préférable en soi, mais seulement par accident, en tant que c’est là le terme d’une souffrance. Dire qu’exister et vivre sont désirés par tous, ne vaut pas pour la vie malheureuse et corrompue, ni pour celle qui s’écoule au milieu des tristesses, comme dit Aristote, mais seulement absolument parlant.

2. Ne pas être n’est point préférable en soi, mais par accident, comme nous l’avons dit.

3. Ne pas exister est le pire des maux. Cependant, la privation de l’existence est un grand bien, si elle entraîne la privation du plus grand des maux : ainsi considérée, on peut la préférer à l’existence.

 

Article 4 — Les damnés voudraient-ils la damnation des non damnés ?

Objections :

1. Il semble que les damnés, en enfer, ne veuillent pas la damnation de ceux qui ne sont point damnés. Saint Luc dit en effet, du riche damné, qu’il priait pour ses frères, afin qu’ils ne viennent pas en ce lieu de tourments. Les autres damnés ne voudraient donc pas, pour le même motif, que, au moins leurs amis de la terre, soient condamnés à l’enfer.

2. Les damnés gardent leurs affections désordonnées. Mais quelques-uns ont aimé d’une manière désordonnée quelques personnes qui ne sont pas damnées. Ils ne leur voudraient donc pas ce mal que serait la damnation.

3. Les damnés ne désirent pas l’augmentation de leur peine. Mais s’il y avait davantage de damnés, leur peine croîtrait, de même que la multiplication des bienheureux augmente leur joie. Les damnés ne voudraient donc pas la damnation des élus.

Cependant :

A propos d’Isaïe : "Ils se levèrent de leurs sièges", la Glose dit "C’est un soulagement pour les malheureux que d’avoir de nombreux compagnons de souffrances."

En outre, chez les damnés, l’envie règne au maximum. Ils souffrent de la félicité des bienheureux, et désirent leur damnation.

Conclusion :

Chez les bienheureux dans la patrie règne la plus parfaite charité : chez les damnés, c’est la plus parfaite haine. Comme les saints se réjouissent de voir tous les bons, les impies en souffrent. La vue de la félicité des saints les fait souffrir. C’est pourquoi Isaïe écrit : "Que les peuples envieux le voient et soient confondus ; et que le feu dévore tes ennemis." Les damnés voudraient que tous les bons soient damnés.

Solutions :

1. L’envie des damnés sera telle qu’elle atteindra même la gloire de leurs proches, tandis qu’ils se verront dans le plus grand malheur : cela se produit même en cette vie, quand l’envie parvient à son comble. Pourtant, ils auront moins d’envie à l’égard de leurs proches qu’à l’égard des autres. Ils souffriraient davantage si tous leurs proches étaient damnés, tandis que les autres seraient sauvés, que si quelques-uns des leurs étaient sauvés.

C’est pour cela que le riche demandait que ses frères pussent échapper à la damnation. Il savait que certains hommes seraient sauvés. Il aurait pourtant préféré encore que ses frères soient damnés ainsi que tous les autres, sans exception.

2. L’affection malhonnête se brise facilement, surtout chez les hommes méchants, comme dit Aristote. Les damnés ne conservent donc pas d’amitié pour ceux qu’ils ont aimés d’une manière désordonnée. Mais leur volonté demeurera perverse en ceci, qu’ils s’attacheront encore à la cause de leur affectivité coupable.

3. Bien que la souffrance de chaque damné soit accrue par leur multitude, pourtant la haine et l’envie se développeront chez eux à un tel point qu’ils préféreront souffrir davantage avec un plus grand nombre que de souffrir moins, mais en étant seuls.

 

Article 5 — Les damnés haïront-ils Dieu ?

Objections :

1. Cela ne semble pas, car Denys dit : "Il est objet d’amour pour tous, ce beau et ce bon qui est la cause de toute bonté et de toute beauté." C’est Dieu. Il ne peut donc être haï par personne.

2. Nul ne peut haïr la bonté elle-même, comme nul ne peut vouloir sa propre malice. "Il est en effet tout à fait impossible de vouloir le mal", comme dit Denys. Dieu est la Bonté même. Donc personne ne peut le haïr.

Cependant :

Le Psalmiste dit : "L’orgueil de ceux qui te haïssent, augmente toujours."

Conclusion :

L’affectivité est attirée par le bien ou le mal, en tant qu’ils nous sont connus. Dieu peut être connu de deux manières :

- en lui-même, comme il l’est par les bien heureux, qui le voient en son essence

- ou à travers ses effets, comme il est vu par nous et par les damnés.

En lui-même, puisqu’il est par essence la Bonté, il ne peut déplaire à aucune volonté : quiconque le voit en son essence ne peut le haïr. Mais certains de ses effets choquent la volonté, parce qu’ils s’opposent à quelqu’un. Ainsi, un homme peut avoir de la haine pour Dieu, non en lui-même, mais à. cause des effets de son action. Les damnés, qui voient Dieu à travers les effets de sa justice, c’est-à-dire dans leur châtiment, le haïssent, comme ils haïssent leurs tourments.

Solutions :

1. Ce mot de Denys vaut pour l’appétit naturel : lui-même est perverti chez les damnés, sous l’influence de leur vouloir libre.

2. Cet argument vaudrait si les damnes voyaient Dieu en lui-même en tant qu’il est bon par essence.

 

Article 6 — Les damnés déméritent-ils encore ?

Objections :

1. Cela paraît, car ils ont une volonté mauvaise, comme disent les Sentences. Or, c’est par leur volonté mauvaise en cette vie qu’ils ont démérité. Si, là où ils sont, ils ne déméritaient plus, ils tireraient avantage de leur damnation.

2. Les damnés sont dans la même condition que les démons. Mais ceux-ci déméritent encore après leur chute, puisque Dieu infligea une peine au serpent qui entraîna l’homme au péché, comme il est dit dans la Genèse. Les damnés déméritent donc.

3. Un acte déréglé procédant du libre arbitre, est toujours déméritoire, même s’il est l’effet d’une sorte de déterminisme, dont la personne qui pose l’acte est elle-même la cause. Ainsi, "l’homme ivre mérite un double châtiment "si, à cause de sou ivresse, il commet un autre péché. Or, les damnés ont été la cause de leur propre obstination, à cause de laquelle ils sont comme déterminés à pécher. Puisque leur acte déréglé procède de leur libre arbitre, ils gardent son démérite.

Cependant :

le châtiment se distingue de la faute. Mais la volonté perverse procède chez les damnés de leur obstination, qui est leur châtiment. Cette volonté perverse ne constitue donc pas une faute par laquelle ils démériteraient.

En outre, après le terme ultime, il ne reste plus de mouvement ni vers le bien, ni vers le mal. Mais les damnés, après le jour du jugement, sont parvenus tout à fait au dernier terme de leur damnation, parce que "alors les deux cités atteindront leur fin, comme dit saint Augustin. Après le jour du jugement, les damnés ne démériteront donc plus ; sinon leur damnation croîtrait encore.

Conclusion :

Au sujet des damnés, nous devons distinguer entre ce qui précède et ce qui suit le jour du jugement. Tous les auteurs reconnaissent qu’après ce jour, il n’y aura plus de mérite ni de démérite ceux-ci sont en effet ordonnés à l’acquisition de quelque bien ou quelque mal. Après le jour du jugement, ce sera l’achèvement ultime des bons et des méchants, et il n’y aura plus rien à ajouter au bien ou au mal. Chez les bienheureux, la volonté bonne ne sera plus un mérite, mais une récompense ; chez les damnés, la volonté mauvaise ne sera plus un démérite, mais seulement un châtiment. "Les actes des vertus sont surtout dans le bonheur, et leurs contraires surtout dans le malheur", comme dit Aristote.

Certains disent qu’avant le jour du jugement les bienheureux méritent et les damnés déméritent : mais cela ne peut pas être au sujet de la récompense essentielle, ni de la peine principale, car sur ce point, ils sont tous parvenus au terme. Ce peut être à l’égard d’une récompense accidentelle ou d’une peine secondaire, qui peuvent augmenter jusqu’au jour du jugement. C’est surtout vrai pour les démons ou les bons anges : ceux-ci entraînent les hommes vers leur salut ; ainsi croît la joie des anges[4475] ; tandis que les peines des démons augmentent parce qu’ils ont entraîné des hommes à la damnation.

Solutions :

1. C’est le plus grand désavantage que de parvenir au comble du mal. C’est ainsi que les damnés ne peuvent plus démériter : leur péché ne leur apporte donc rien.

2. Il n’appartient pas au rôle des hommes damnés d’attirer les autres à la damnation, comme cela appartient aux démons, qui, par là, méritent une plus grande peine secondaire.

3. Les damnés ne sont pas mis dans l’impossibilité de démériter parce qu’ils sont déterminés à pécher, mais parce qu’ils sont parvenus au comble du mal. Cependant, la nécessité de pécher, dont nous sommes nous-mêmes la cause, diminue la faute, en tant qu’elle constitue un certain déterminisme, car tout péché doit être volontaire et libre ; mais il n’y a point réellement d’excuse, en tant que ce déterminisme provient d’un vouloir libre précédent. Ainsi le démérite de la faute qui suit remonte à la culpabilité de la première faute.

 

Article 7 — Les damnés peuvent-ils se servir des connaissances acquises en ce monde ?

Objections :

1. Il semble que non. La considération de sa science procure en effet une très grande satisfaction. Or il n’y a pas de satisfaction chez les damnés. Ils ne peuvent donc pas se servir de la science acquise auparavant pour la considérer.

2. Les peines des damnés sont plus grandes que celles de ce monde. En ce monde, quand quelqu’un est plongé en de grands tourments, il n’est plus capable de considérer des conclusions intellectuelles, en se dégageant de ses souffrances. Donc, bien moins encore en enfer.

3. Les damnés sont soumis au temps. Mais "la longueur du temps est cause d’oubli," comme dit Aristote. ils oublieront donc les choses qu’ils ont sues.

Cependant :

en saint Luc, il est dit au riche damné : "Souviens que tu as reçu des biens au cours de ta vie." Les damnés considéreront donc les choses qu’ils ont sues.

En outre, les espèces intelligibles demeurent dans l’âme séparée, comme nous l’avons dit plus haut. Si elles ne pouvaient servir, elles seraient vaines.

Conclusion :

A cause de la parfaite béatitude des saints, il n’y aura rien en eux qui ne soit matière à. joie. De même, chez les damnés, rien qui ne soit pour eux matière et cause de tristesse, et il ne leur manquera rien de ce qui peut Contribuer à leur tristesse, afin que leur souffrance soit consommée. Or la considération des choses connues apporte une certaine joie, soit à cause de ces choses qu’on aime, soit à cause de la connaissance qu’on en a, et qui est agréable et parfaite. Il peut aussi y avoir de la tristesse, en cette considération, soit à cause des choses connues, si elles sont de nature à attrister, soit à cause de la connaissance qu’on en a, si elle apparaît imparfaite : quand, par exemple, quelqu’un s’aperçoit qu’il n’a pas une pleine connaissance d’une chose qu’il désirerait connaître parfaitement. Ainsi, chez les damnés, il y aura une considération des choses connues auparavant, mais comme source de tristesse et non de délectation. Ils considéreront les péchés qu’ils ont commis, et pour lesquels ils sont damnés, ainsi que les biens agréables qu’ils ont perdus ; et ces considérations les tourmenteront. De même, ils souffriront de voir que la connaissance qu’ils ont eue des choses visibles est imparfaite, et de voir qu’ils ont perdu cette grande perfection qu’ils avaient la possibilité de réaliser.

Solutions :

1. Bien que la considération de sa science soit en elle-même délectable, elle peut devenir source de tristesse à cause d’une circonstance accidentelle, comme nous venons de le dire et c’est le cas des damnés.

2. En ce monde, l’âme est unie au corps corruptible quand le corps souffre, le regard de l’âme est paralysé. Mais dans l’au-de1 l’âme ne sera point ainsi influencée par le corps. Quelle que soit la souffrance du corps, l’âme considérera toujours très clairement les choses qui pourront être pour elle cause de douleur.

3. C’est accidentellement que le temps est cause d’oubli, en tant que le mouvement, dont il est la mesure, est cause de changements. Mais après le jour du jugement, il n’y aura plus de mouvement céleste. L’oubli ne pourra donc plus résulter de la durée. D’ailleurs, même avant ce jour, l’âme séparée n’est plus transformée en ses dispositions par le mouvement du ciel.

 

Article 8 — Les damnés penseront-ils parfois à Dieu ?

Objections :

1. Il semble que les damnés penseront parfois à Dieu, car on ne peut avoir un acte de haine que pour ce à quoi on pense. Et les damnés haïssent Dieu, comme il est dit dans les Sentences. Ils pensent donc parfois à Dieu.

2. Les damnés souffriront du remords de la conscience, et celle-ci a du remords des actes commis contre Dieu : ils penseront donc parfois à Dieu.

Cependant :

la plus parfaite connaissance de l’homme est celle qu’il a de Dieu. Mais les damnés sont dans le plus imparfait des états. Ils ne penseront donc pas à Dieu.

Conclusion :

On peut considérer Dieu de deux manières : ou bien en soi, et selon ce qui lui est propre, à savoir être le principe de toute bonté ; ainsi, il est impossible de penser à lui sans jouissance et les damnés ne pourront aucunement penser à lui de la sorte. Ou bien, en quelque chose qui lui est pour ainsi dire accidentel, c’est-à-dire les effets de son action, comme de punir ou d’autres choses semblables. Sous cet aspect, la pensée de Dieu peut conduire à la tristesse ; et c’est ainsi que les damnés penseront à Dieu.

Solutions :

1. Les damnés n’ont de haine pour Dieu qu’à cause de sa punition et de son interdiction, qui correspondent à leur volonté mauvaise : ils ne le considéreront donc que comme celui qui punit et qui interdit.

La deuxième difficulté est résolue par là, puisque la conscience n’a du remords du péché qu’en tant qu’il est contraire au précepte divin.

 

Article 9 — Les damnés voient-ils la gloire des bienheureux ?

Objections :

1. Les damnés ne paraissent pas voir la gloire des bienheureux, car elle est encore plus distante d’eux que les événements de ce monde. Or, ils ne les voient pas. Saint Grégoire, au sujet de Job "Que leurs fils soient nobles" dit "De même que ceux qui vivent encore, ignorent en quel lieu se trouvent les âmes des morts, ainsi les morts qui ont vécu d’une manière charnelle, ignorent comment se passe la vie de ceux qui se trouvent encore dans la vie de la chair." Donc, bien moins encore peuvent-ils voir la gloire des bienheureux.

2. Ce qui est accordé aux saints en cette vie, à titre de grande récompense, n’est jamais accordé aux damnés. Mais c’est à titre de haute récompense que fut accordé à saint Paul de voir

la vie en laquelle les saints vivent éternellement avec Dieu, comme il le dit aux Corinthiens. Les damnés ne verront donc pas la gloire des saints.

Cependant :

il est dit en saint Luc que le riche se trouvant au milieu des tourments, vit Abraham, et Lazare en son sein.

Conclusion :

Les damnés, avant le jour du jugement, verront les bienheureux dans la gloire, mais non de telle sorte qu’ils comprennent quelle est leur gloire, mais en sachant qu’ils sont dans une gloire inestimable. Cela les troublera, soit à cause de leur envie qui les fera souffrir de voir leur félicité, soit parce qu’ils auront conscience d’avoir perdu eux- mêmes cette gloire. C’est pourquoi la Sagesse dit "A ce spectacle, ils seront troublés par une crainte horrible."

Mais, après le jour du jugement, les damnés seront complètement privés de la vue des bienheureux. Cela, loin de diminuer leur peine l’augmentera, car ils garderont le souvenir de la gloire des bienheureux, qu’ils auront aperçus au jugement, ou avant le jugement. Plus tard, ils souffriront de voir qu’ils sont considérés comme indignes même de voir la gloire méritée par les saints.

Solutions :

1. Les événements de cette vie n’affligeraient pas les damnés en enfer autant que la vue de la gloire des saints. Cependant, parmi les choses qui arrivent ici, leur sont révélées celles-là seules qui peuvent les attrister.

2. Saint Paul put apercevoir la vie dans laquelle se trouvent les saints avec Dieu en l’expérimentant et en espérant la vivre plus tard plus parfaitement ce n’est point le cas des damnés ce n’est donc point la même chose.

 

QUESTION 99 — LA MISÉRICORDE ET LA JUSTICE DE DIEU À L’ÉGARD DES DAMNÉS

Il nous reste à considérer la justice et la miséricorde de Dieu à l’égard des damnés. Cinq questions se posent : 1. Est-ce la justice divine qui inflige aux pécheurs une peine éternelle ? - 2. La miséricorde divine mettra- t-elle fin à toute peine des hommes et des démons ? - 3. Est-ce que au moins le châtiment des hommes aura une fin ? - 4. Au moins celui des chrétiens ? - 5. Et celui de ceux qui ont accompli des œuvres de miséricorde ?

 

Article 1 — Est-ce la justice divine qui inflige aux pécheurs une peine éternelle ?

Objections :

1. Il ne semble pas que la justice divine puisse infliger aux pécheurs une peine éternelle car la peine ne doit point dépasser la faute. Le Deutéronome dit "La modalité des châtiments sera à la mesure de la faute." Mais celle-ci est temporelle. La peine ne doit donc pas être éternelle.

2. Si nous considérons deux péchés mortels, l’un est plus grand que l’autre, et doit donc être puni par une peine plus grande. Mais aucune peine n’est plus grande qu’une peine éternelle, car elle est infinie. Dès lors, celle-ci n’est pas due à tout péché mortel. Or si elle n’est pas due à l’un d’eux, elle n’est due à aucun, puisqu’il n’y a pas entre eux de distance infinie.

3. Un juge juste n’inflige de peine que pour corriger. Aristote dit que "les peines sont des médicaments". Mais la punition éternelle de l’impie ne sert pas à sa correction, ni à celle d’autres êtres, puisque, après le jugement, il n’y aura plus d’hommes qui puissent être corrigés par cette vue. La justice divine n’inflige donc pas aux péchés une peine éternelle.

4. Ce qui n’est point voulu en soi ne peut l’être que pour quelque avantage. Mais Dieu ne veut pas les châtiments pour eux-mêmes il n’en tire aucune jouissance. Puisque Dieu ne peut tirer aucun avantage de la perpétuité du châtiment, il semble qu’il ne doive pas imposer une punition perpétuelle pour le péché.

5. Rien de ce qui n’existe que par accident est perpétuel, comme dit Aristote. Le châtiment fait partie des choses qui existent par accident, en tant qu’il est contraire à la nature. Il ne peut donc être perpétuel.

6. La justice de Dieu semble exiger que les pécheurs soient réduits au néant : en effet, l’ingratitude mérite la perte des bienfaits reçus. Or, parmi les bienfaits de Dieu, il y a l’existence même. Il semble donc juste que le pécheur, ingrat envers Dieu, perde l’existence. Si les pécheurs sont réduits au néant, leur punition ne peut être perpétuelle.

Cependant :

Il est écrit en saint Matthieu : "Ceux-ci, c’est-à-dire les pécheurs, iront au supplice éternel."

En outre, la peine est, par rapport à la faute, comme la récompense par rapport au mérite. Mais selon la justice divine, un mérite temporel a droit à une récompense éternelle. Saint Jean : "Tout homme qui voit le Fils et croit en lui, possède la vie éternelle." La faute temporelle mérite donc, selon la justice divine, une peine éternelle.

De plus, selon Aristote, la peine est mesurée à la dignité de celui qui est offensé : on punit d’un plus grand châtiment celui qui gifle un prince que celui qui gifle un autre homme. Or, celui qui commet un péché mortel pèche contre Dieu, en transgressant ses préceptes, et en adressant à un autre l’honneur qui lui est dû, puisqu’il met sa fin en cet autre. La majesté de Dieu est infinie. Tout être qui pèche mortellement est donc digne d’une peine infinie. Il semble donc juste que pour un péché mortel quelqu’un soit châtié perpétuellement,

Conclusion :

Une peine peut être évaluée quantitativement selon sa rigueur, ou selon sa durée. La quantité du châtiment correspond à celle de la faute, selon l’intensité de sa malice, de telle sorte que si quelqu’un a péché plus gravement on lui impose une punition plus grave. L’Apocalypse dit : "Plus il s’est glorifié et a vécu dans les délices, plus vous lui procurerez de torture et de tristesse." La durée de la peine ne correspond pas à celle de la faute, comme dit saint Augustin. C’est ainsi que l’adultère, accompli en un instant, n’est point puni par une peine brève, même selon les lois humaines. La durée de la peine correspond à la disposition du pécheur. Parfois, en effet, celui qui commet une faute dans une ville, est, à cause de cette faute, rendu digne d’être arraché à la communauté des citoyens, par l’exil perpétuel ou même par la mort. D’autres fois, il n’est pas devenu digne d’être totalement exclu de la société de la cité, et alors, pour qu’il puisse redevenir digne membre de cette ville, on prolonge son châtiment, ou on l’abrège, autant que cela est nécessaire pour sa correction, afin qu’il puisse désormais vivre en cette ville d’une manière décente et pacifique.

De même, selon la justice divine, quelqu’un se rend par le péché digne d’être totalement séparé de la communauté de la cité de Dieu cela se réalise dans le péché contre la charité, qui est le lien qui unit cette cité. C’est pourquoi, à cause du péché mortel, qui est contraire la charité, quelqu’un est, pour l’éternité, frappé de la peine de l’exclusion définitive de la société des saints. Comme dit saint Augustin : "Les hommes sont enlevés à cette ville mortelle par le supplice de la première mort ; et ils sont enlevés à la ville immortelle par le supplice de la seconde mort."

Le fait que le châtiment infligé par la cité de la terre n’est pas perpétuel provient de quelque chose d’accidentel, ou bien de ce que l’homme ne vit pas perpétuellement, ou bien de ce que la cité elle-même disparaît. Mais si l’homme vivait perpétuellement sur terre, la peine de l’exil ou de l’esclavage qui lui est imposée par la loi humaine, lui resterait perpétuellement. Ceux qui pèchent de telle sorte que cependant ils ne sont point devenus dignes d’être totalement séparés de la communauté de la cité sainte, comme sont ceux qui pèchent seulement véniellement, subiront une peine plus brève ou plus longue, selon qu’ils ont besoin d’être plus ou moins purifiés, c’est-à-dire selon que leurs péchés ont plus ou moins pénétré en eux. C’est ce qui se réalise, selon la justice divine, dans les peines de ce monde ou du purgatoire.

Les saints indiquent aussi d’autres motifs pour lesquels, à cause d’un péché seulement temporel, certains subissent une peine perpétuelle. L’un de ces motifs est qu’ils ont péché contre un bien éternel, en méprisant la vie éternelle. Saint Augustin dit à ce propos "Il s’est rendu digne d’un mal éternel celui qui détruit en lui-même un bien qui pouvait être éternel." Un autre motif est qu’un homme a péché d’une manière perpétuelle. Saint Grégoire dit "Il appartient à la grande justice du juge, que jamais ne cesse le supplice de ceux qui, en cette vie, n’ont jamais voulu faire cesser leur péché."

Et si l’on objecte que certains hommes, en péchant mortellement, se proposent d’améliorer leur vie plus tard, et ne seraient donc pas dignes d’un supplice éternel, nous devons dire que, selon certains, saint Grégoire parle d’une volonté qui se manifeste par une œuvre. En effet, celui qui tombe dans le péché mortel, par sa volonté propre, se met dans un état dont il ne peut sortir qu’avec l’aide de Dieu. Donc, par le fait même qu’il veut commettre ce péché, il veut y demeurer perpétuellement. L’homme en effet est "l’esprit qui s’en va vers le péché, et qui n’en revient point" par lui-même. Si quelqu’un se jetait dans une fosse dont il ne pourrait pas sortir sans aide, on pourrait dire qu’il a voulu y demeurer pour l’éternité, même s’il pensait autre chose. On peut aussi dire, et mieux encore, que par le fait même qu’il a péché mortellement, l’homme met sa fin dans la créature. Et puisque toute la vie est ordonnée à la fin qu’on lui donne, par le fait même, cet homme ordonne toute sa vie à ce péché et il voudrait demeurer perpétuellement dans ce péché s’il le pouvait impunément. C’est ce que dit saint Grégoire, à propos de ce passage de Job "Il verra l’abîme vieillir" : "Les pervers ont péché avec un terme parce que leur vie a eu un terme ; mais ils auraient voulu vivre sans terme afin de pouvoir demeurer sans terme dans leurs iniquités ; en effet ils désirent plus pécher que vivre."

On pourrait encore apporter un autre motif de l’éternité de la faute mortelle : c’est que par elle on pèche contre Dieu, qui est infini. Puisque le châtiment ne peut être infini en intensité, la créature n’étant pas capable d’une qualité infinie, il doit l’être au moins par une durée infinie.

Il y a encore un quatrième motif : la peine demeure éternellement, parce que la faute ne peut être effacée sans la grâce et l’homme ne peut plus acquérir la grâce après sa mort. La peine ne doit plus cesser tant que la faute demeure.

Solutions :

1. La punition ne doit pas être égale à la faute en durée, comme nous le voyons même dans les lois humaines. On peut dire aussi, comme saint Grégoire, que bien que la faute soit temporelle en son acte, elle est éternelle dans la volonté qui la commet.

2. Le degré de la peine, en intensité, correspond au degré du péché. C’est pourquoi, pour les péchés mortels inégaux, il y aura des peines inégales en intensité, mais non en durée.

3. Les châtiments infligés à ceux qui ne sont pas complètement chassés de la société civile, sont ordonnés à leur correction, mais non les peines qui constituent une expulsion totale de la société. Celles-ci peuvent du moins servir à la correction et à la tranquillité des autres citoyens qui demeurent dans la cité. De même, la damnation éternelle des impies sert à la correction des membres actuels de l’Église : car les châtiments ne servent pas seulement à corriger quand ils sont appliqués, mais aussi quand ils sont déterminés.

4. Les châtiments des impies, qui dureront perpétuellement, ne seront pas tout à fait inutiles, car ils serviront à deux choses d’abord à maintenir la justice divine, ce qui est en soi agréable à Dieu. Saint Grégoire dit "Le Dieu tout-puissant, parce qu’il est bon, n’est point satisfait de voir la torture des malheureux ; mais parce qu’il est juste, il ne sera point apaisé, éternellement, par le châtiment des réprouvés." Secondement, ces peines sont utiles, parce qu’elles procurent aux justes la satisfaction d’y contempler la manifestation de la justice de Dieu, et de se rendre compte qu’ils ont échappé à ces souffrances. Le Psalmiste dit "Le juste se réjouira de voir la vengeance" et Isaïe : "Les impies seront la satisfaction de la vue de toute chair", c’est-à-dire des saints, comme le précise la Glose. C’est ce qu’affirme saint Grégoire : "Tous les réprouvés envoyés au supplice éternel sont punis à cause de leur iniquité. Cependant, leur supplice servira à autre chose car tous les justes, en Dieu, ont conscience des joies qu’ils goûtent, et en même temps aperçoivent chez les damnés les supplices auxquels eux- mêmes ont échappé. Ils comprendront ainsi d’autant mieux ce qu’ils doivent éternellement à la grâce divine, en voyant combien sont punis éternellement les péchés auxquels ils ont résisté grâce au secours de Dieu."

5. Bien que le châtiment, par accident" corresponde à l’âme, pourtant il correspond, par soi, à cette âme en tant que souillée par la faute. Et puisque la faute commise demeure à jamais en elle, sa peine sera perpétuelle.

6. Le châtiment correspond à la faute, à proprement parler, selon le désordre qu’elle renferme, et non selon la dignité de celui contre qui on a péché, sinon tout péché appellerait une peine infinie en intensité. Bien que, donc, quand quelqu’un a péché contre Dieu, auteur de l’existence, il mériterait de perdre l’existence, cependant, en considérant le dérèglement de cet acte, il n’exige pas la perte de l’existence, parce que celle-ci est présupposée pour tout mérite ou démérite. Elle n’est donc pas enlevée ni corrompue par le désordre du péché. La privation de l’existence ne peut donc pas être la peine exigée par un péché.

 

Article 2 — La miséricorde divine donnera-t-elle un terme à tout châtiment des hommes comme des démons ?

Objections :

1. Il semble que la miséricorde divine doive mettre un terme à tout châtiment des hommes aussi bien que des démons, car nous lisons dans la Sagesse : "Tu as pitié de tous, Seigneur, car tu es tout-puissant." Mais parmi tous ces êtres, il y a même les démons, qui sont les créatures de Dieu. Donc leur peine elle-même aura une fin.

2. 5. Paul dit aux Romains : "Dieu a enfermé toutes choses dans la désobéissance, pour faire à tous miséricorde." Or, Dieu a enfermé les démons dans leur péché, ou du moins permis qu’ils soient enfermés. Il semble donc qu’il doive un jour leur faire miséricorde.

3. Comme dit saint Anselme : "Il n’est pas juste que Dieu permette qu’une créature qu’il a faite pour la béatitude périsse tout fait." Il semble donc que, puisque toute créature raisonnable a été créée pour la béatitude, il ne soit pas juste que Dieu permette qu’elle périsse totalement.

Cependant :

il est dit en saint Matthieu : "Eloignez-vous de moi, maudits, dans le feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges." Ils seront donc punis éternellement.

En outre, comme les bons anges furent rendus bienheureux par leur conversion vers Dieu, ainsi les mauvais anges furent rendus malheureux par leur aversion à son égard. Si le malheur des mauvais anges finissait un jour, la béatitude des bons anges devrait se terminer aussi, ce qui ne convient pas.

Conclusion :

"Ce fut une erreur d’Origène, comme dit saint Augustin, de penser que les démons seront un jour libérés de leurs peines par la miséricorde de Dieu." Cette erreur fut réprouvée par l’Église pour deux motifs d’abord, parce que cela est manifestement contraire à l’autorité de la Sainte Ecriture, qui dit dans l’Apocalypse : "Le diable qui les séduisait fut envoyé dans un étang de feu et de soufre, où les gens abêtis et les pseudo prophètes seront torturés jour et nuit dans les siècles des siècles, formule qui signifie l’éternité ; ensuite, parce que d’une part Origène étendait trop la miséricorde divine, et d’autre part il la contraignait trop. Il semble en effet que le même motif exige que les bons anges demeurent dans la béatitude éternelle, et que les mauvais anges soient punis pour l’éternité. C’est pourquoi, comme il affirmait que les démons et les âmes des damnés seraient un jour libérés du châtiment, ainsi, il affirmait que les anges et les âmes des bienheureux seraient quelquefois déchus de leur béatitude dans les misères de cette vie.

Solutions :

1. Dieu, en lui-même, a compassion de tous. Mais, parce que sa miséricorde est réglée par l’ordre de sa sagesse, elle ne s’étend pas à certains, qui se sont rendus indignes de cette miséricorde, comme les démons et les damnés, obstinés dans leur malice. Cependant, on peut dire que même à leur égard la miséricorde intervient, en tant qu’ils sont punis moins qu’ils le méritent, sans être totalement libérés de leur peine.

2. Ici, l’universalité doit s’entendre de toutes les espèces d’êtres, mais non de tous les membres de chaque espèce. Cette citation doit être entendue des hommes dans leur état terrestre, en ce sens que Dieu eût pitié des Juifs comme des Gentils, mais non de tous les Gentils ni de tous les Juifs.

3. S. Anselme estime que ce ne serait point juste et ne conviendrait pas à la bonté divine ; mais il parle de la créature selon son espèce. Il ne convient pas à la bonté divine que toute une espèce de créatures manque la fin pour laquelle elle a été faite. Il ne convient donc pas que tous les hommes ou tous les anges soient damnés. Mais rien n’empêche que quelques-uns parmi les hommes ou les anges périssent éternellement, puisque l’intention de la volonté divine se trouve réalisée en ceux qui sont sauvés.

 

Article 3 — La miséricorde divine supporte-t-elle que les hommes soient punis éternellement ?

Objections :

1. Il semble que la miséricorde divine ne supporte pas un châtiment éternel, du moins pour les hommes, car il est dit dans la Genèse : "Mon esprit ne demeurera pas contre l’homme éternellement, car il est chair." Et ici, le mot esprit signifie "mon indignation," comme cela ressort de la Glose. Puisque l’indignation de Dieu n’est pas autre chose que le châtiment qu’il inflige, il ne punira pas éternellement.

2. La Charité des saints, en Cette vie, les fait prier pour leurs ennemis. Là-haut, ils auront une Charité plus parfaite, et prieront donc pour leurs ennemis damnés. Leurs prières ne pourront être inefficaces, puisqu’ils sont très agréés par Dieu. Donc, à cause de ces prières des saints, la miséricorde divine libérera un jour les damnés de leur punition.

3. La prédiction par Dieu, de l’éternité, du châtiment des damnés appartient aux prophéties de menace. Mais une prophétie de menace ne s’accomplit pas toujours, comme cela apparaît dans Joins il dit que Ninive serait détruite, et elle ne le fut point comme il l’avait prédit, et Jonas en fut attristé. Il semble donc que, bien plus encore, la miséricorde divine changera la menace d’un châtiment éternel en une sentence plus douce, qui ne donnera à personne de la tristesse, mais procurera à tous de la joie.

4. Le Psalmiste dit "Dieu sera-t-il en colère pour l’éternité ?" Or, la colère de Dieu, c’est la punition des méchants. Donc...

5. A propos d’Isaïe, "Tu as été projeté", la Glose interlinéaire dit "Même si toutes les âmes trouvent un jour le repos, toi tu ne l’auras jamais ", en parlant du diable. Il semble donc que toutes les âmes humaines trouveront un jour la cessation de leurs tourments.

Cependant :

Il est dit en saint Matthieu, à propos des élus et des réprouvés : "Ceux-ci iront au supplice éternel, mais les justes, à la vie éternelle. "Il ne convient pas de dire que la vie des justes cessera. Il ne convient donc pas non plus de dire que le supplice des réprouvés se terminera.

En outre, saint Jean Damascène dit : "La mort est pour les hommes ce que la chute fut pour les anges." Mais les anges, après la chute, furent irréparables. Donc aussi les hommes après leur mort. Le supplice des réprouvés ne cessera donc jamais.

Conclusion :

Comme le dit saint Augustin, certains suivirent sur ce point l’erreur d’Origène, et affirmèrent que les démons seraient punis à jamais, tandis que tous les hommes, même les infidèles, seraient un jour libérés de leur châtiment. Mais cette position est tout à fait déraisonnable. Car, de même que les démons doivent être punis perpétuellement à cause de leur obstination dans le mal, ainsi également, les âmes des hommes qui sont morts sans la charité, puisque "la mort est pour les hommes ce que leur chute est pour les anges", comme dit saint Jean Damascène.

Solutions :

1. Cette citation doit être entendue de l’homme selon son genre, parce que parfois l’indignation de Dieu s’éloigne du genre humain, à cause de l’avènement du Christ. Mais ceux qui ne veulent pas entrer ou demeurer dans cette réconciliation que le Christ a opérée, perpétuent en eux-mêmes la colère divine, puisqu’il n’y a point pour nous d’autres manières de réconciliation que celle qui se réalise à travers le Christ.

2. Comme disent saint Augustin et saint Grégoire, "les saints, au cours de cette vie, prient pour leurs ennemis afin qu’ils se convertissent à Dieu, tant que cela est encore possible. Si nous savions qu’ils sont prédestinés à la mort spirituelle, nous ne prierions pas plus pour eux que pour les dénions". Mais puisque, après cette vie, ceux qui sont morts sans la grâce ne connaîtront plus un instant où leur con version serait possible, aucune prière ne sera faite pour eux, ni par l’Église militante, ni par l’Église triomphante. Pour eux, on ne peut prier, comme dit saint Paul, que pour que Dieu donne de f aire pénitence, et qu’ils sortent des lacets du diable".

3. La prophétie de menace ne change que si sont modifiés les mérites de celui contre qui est proférée la menace. C’est pourquoi Jérémie dit : "Je parlerai aussitôt contre cette nation, contre ce royaume, afin de le déraciner, de le détruire et de le disperser. Si cette nation fait pénitence de son mal, je ferai moi-même pénitence pour le mal que j’ai eu l’intention de lui faire." Puisque les mérites des damnés ne peuvent plus changer, la menace de leur châtiment s’accomplira toujours en eux. Ce pendant, la prophétie de menace s’accomplira toujours en eux en un certain sens, car, comme dit saint Augustin, "Ninive a été bouleversée, puis qu’elle était mauvaise et est devenue bonne : ses remparts et ses maisons sont demeurés, mais les mauvaises mœurs de la ville furent détruites".

4. Ce mot du psaume vaut pour les vases de miséricorde qui ne se sont pas rendus indignes de la miséricorde ; car, en cette vie, qui est comme une manifestation de la colère de Dieu à cause des souffrances d’ici-bas, les vases de miséricorde sont transformés en mieux. D’où ce mot du psaume : "Ce changement est l’œuvre de la droite du Très-Haut."

On peut dire aussi que ce passage doit être entendu de la miséricorde qui produit un relâchement, mais sans libérer totalement, si on l’applique aux damnés. C’est pourquoi, il est écrit : non pas "il préservera de sa colère ses miséricordes", mais bien : "dans sa colère", parce que la peine ne sera pas totalement supprimée, et tandis qu’elle demeure, la miséricorde agira pour la diminuer.

5. Cette Glose ne peut pas être prise absolument, mais dans une hypothèse impossible, pour accroître la grandeur du péché du diable lui-même, ou de Nabuchodonosor.

 

Article 4 — La miséricorde divine mettra-t-elle fin au châtiment des chrétiens damnés ?

Objections :

1. Il semble que, du moins pour les chrétiens, la miséricorde divine mettra fin au châtiment, car nous lisons en saint Marc : "Celui qui aura cru et aura été baptisé sera sauvé." C’est le cas de tous les chrétiens : ils seront donc finalement sauvés.

2. Il est dit en saint Jean : "Celui qui mange ma chair et boit mon sang, possède la vie éternelle. C’est l’aliment et le breuvage communs des chrétiens. Tous ceux-ci seront donc finalement sauvés.

3. Saint Paul écrit aux Corinthiens "Si celui dont l’œuvre est brûlée subit un dommage, lui-même sera pourtant sauvé, bien que comme à travers le feu." Il parle ici de ceux qui ont possédé le fondement de la foi chrétienne. Donc, ceux-ci seront tous sauvés finalement.

Cependant :

1. Paul dit aux Corinthiens : "Les gens iniques ne posséderont pas le royaume de Dieu." Mais il y a des chrétiens qui sont iniques. Tous les chrétiens ne parviendront donc pas au royaume, et certains seront punis perpétuellement.

2. En outre, il est dit en saint Pierre : "Il eût été mieux pour eux de ne point connaître la voie de la justice, plutôt que, après l’avoir connue, de retourner en arrière, loin du saint précepte qui leur avait été donné." Ceux qui n’ont pas connu la voie de la vérité seront punis éternellement ; donc aussi les chrétiens qui ont reculé après l’avoir connue.

Conclusion :

Certains, à ce que dit saint Augustin, promirent l’absolution de la peine éternelle, non à tous les hommes, mais aux seuls Chrétiens ; et ils différèrent dans la précision de leur pensée. Les uns dirent que tous ceux qui ont reçu les sacrements de la foi seront exempts de la peine éternelle. Mais cela est contraire à la vérité, puisque certains reçoivent les sacrements de la foi sans avoir la foi, "sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu ". D’autres dirent que seuls seront exempts de la peine éternelle ceux qui ont reçu les sacrements de la foi et ont possédé la foi catholique. Mais il semble contraire à cette opinion que des hommes aient possédé la foi catholique et s’en soient ensuite éloignés ils sont donc dignes non pas d’un châtiment moindre, mais plus grand. Car, "il eût été mieux pour eux de ne pas connaître la voie de la justice que de retourner en arrière après l’avoir connue". Il est clair que le péché des chefs religieux qui, abandonnant la foi, fondent de nouvelles hérésies, est plus grand que celui de ceux qui dès le début ont suivi une hérésie. C’est pourquoi, d’autres ont dit que seuls sont exempts de la peine éternelle ceux qui persévèrent jusqu’à la fin dans la foi catholique, quels que soient les crimes dans lesquels ils sont impliqués. Mais cela est manifestement contraire à l’Ecriture, car il est dit en saint Jacques : "La foi sans les œuvres est morte", et dans saint Matthieu : "Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux, mais bien celui qui accomplit la volonté de mon Père qui est dans les cieux." Et en beaucoup d’autres passages, l’Écriture menace les pécheurs de châtiments éternels.

Donc, tous ceux qui persistent jusqu’à la fin dans la foi ne seront exempts de la peine éternelle que si, à la fin, ils sont libérés de tous les crimes.

Solutions :

1. Le Seigneur parle ici de la foi formée, qui agit par amour : tout homme qui meurt avec cette foi sera sauvé. A cette foi s’oppose, non seulement l’erreur de l’infidélité, mais tout péché mortel.

2. Cette parole du Seigneur doit être entendue non au sujet de ceux qui ne font que manger sacramentellement l’Eucharistie, et dont certains parfois la mangent indignement, et, selon saint Paul aux Corinthiens, "mangent et boivent leur condamnation". Le Maître parle de ceux qui mangent spirituellement, et qui sont incorporés à lui par la charité : c’est ce qu’opère la manducation sacramentelle, si quelqu’un s’en approche dignement. Donc, en vertu du sacrement l’âme est introduite en la vie éternelle, bien que quelqu’un puisse être privé de ce fruit par son péché, même après avoir reçu dignement ce sacrement.

3. Le fondement dont parle l’Apôtre est la foi formée. Celui qui a construit sur elle des péchés véniels subira un dommage, puisqu’il sera puni par Dieu mais lui-même sera finalement sauvé, comme par le feu : soit celui d’une épreuve temporelle, soit celui de la peine du purgatoire après la mort.

 

Article 5 — Tous ceux qui ont accompli des œuvres de miséricorde seront-ils exempts des peines éternelles ?

Objections :

1. Il semble que oui, et que seuls seront punis éternellement ceux qui ont négligé les œuvres de miséricorde. Il est dit en effet dans saint Jacques "Le jugement s’accomplira sans miséricorde pour ceux qui n’ont point fait miséricorde", et dans saint Matthieu : "Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils jouiront eux-mêmes de la miséricorde."

2. S. Matthieu expose la discussion judiciaire du Seigneur avec les réprouvés et les élus. Mais elle ne porte que sur les œuvres de miséricorde. Donc certains seront punis éternellement uniquement à cause de leur omission des œuvres de miséricorde. Donc...

3. Il est dit en saint Matthieu : "Remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs", et plus loin "Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos péchés." Il semble donc que les miséricordieux qui pardonnent aux autres leurs fautes, obtiendront eux- même le pardon de leurs péchés : ils ne seront donc pas punis éternellement.

4. Une glose de saint Ambroise, au sujet de l’épître de saint Paul à Timothée : "la piété est utile à tout", dit : "Tout l’essentiel de la discipline chrétienne consiste en la miséricorde et la piété si quelqu’un les pratique, mais subit les périls de la chair, il sera sûrement châtié, mais ne périra pas. Mais si quelqu’un n’a pratiqué que la discipline corporelle, il souffrira des peines éternelles." Dès lors, ceux qui se livrent aux œuvres de miséricorde tout en étant entraînés par les péchés de la chair, ne seront point punis éternellement.

Cependant :

Saint Paul dit aux Corinthiens : "Ni les fornicateurs, ni les adultères, ne posséderont le royaume de Dieu." Or, parmi eux il y a beaucoup de personnes qui s’adonnent aux œuvres de miséricorde. Les miséricordieux ne parviendront donc pas tous au royaume éternel, et quelques-uns d’entre eux seront punis éternellement.

En outre, il est dit en saint Jacques "Qui conque a observé toute la loi, mais l’enfreint sur un point, est coupable de tout." Donc, celui qui garde la loi au sujet des œuvres de miséricorde, mais néglige d’autres bonnes œuvres, est coupable de transgression de la loi, et sera puni éternellement.

Conclusion :

Comme dit saint Augustin, certains affirmèrent que ceux qui possèdent la foi catholique ne seraient pas tous libérés de la peine éternelle, mais seulement ceux qui se livrent aux œuvres de miséricorde, même s’ils sont coupables d’autres crimes. Mais cela ne peut être, car sans la charité rien n’est agréable à Dieu, et rien ne peut servir à mériter la vie éternelle. Or, il y a des personnes qui pratiquent la miséricorde sans avoir la charité. Pour elles, rien ne sert à obtenir la vie éternelle, ni à les libérer du châtiment éternel, comme nous le voyons dans l’épître aux Corinthiens. Cela apparaît surtout absurde à propos des voleurs, qui s’emparent de beaucoup de biens, mais font quelques dons par miséricorde. On doit donc dire que tous ceux qui meurent en état de péché mortel ne seront libérés du châtiment éternel, ni par leur foi, ni par leurs œuvres de miséricorde, même après un très long espace de temps.

Solutions :

1. Ceux-là seuls obtiendront miséricorde, qui exercent la miséricorde d’une manière bien ordonnée. Ce n’est point le cas de ceux qui, en faisant miséricorde aux autres, se négligent eux-mêmes, et s’attaquent à eux- mêmes en agissant mal. Ceux-là ne recevront pas une miséricorde qui les absoudrait totalement, même s’ils reçoivent une miséricorde qui les soulage de quelque partie de leurs peines.

2. La discussion judiciaire n’est pas instituée seulement au sujet des œuvres de miséricorde, parce que certains seront punis éternellement uniquement à cause de leur négligence à cet égard. Mais tous ceux-là seront libérés de la peine éternelle due à leurs péchés, qui auront obtenu la rémission de ceux-ci grâce aux œuvres de miséricorde, "en se faisant des amis avec le Mammon d’iniquité."

3. Cette parole du Seigneur s’adresse à ceux qui demandent la rémission de leur dette, non à ceux qui demeurent dans leur péché. Dès lors, ceux-là seuls qui font pénitence obtiennent, par leurs œuvres de miséricorde, le pardon qui les délivre totalement.

4. La glose de saint Ambroise parle du péché véniel, dont quelqu’un, après les peines purificatrices, qu’il appelle châtiment, sera absout, à cause de ses œuvres de miséricorde. Ou bien, s’il parle de péril du péché mortel, on doit l’entendre en ce sens que, se trouvant encore en cette vie, ceux qui sont tombés dans les péchés charnels par fragilité, seront disposés à la pénitence, à cause de leurs œuvres de miséricorde.

Un tel pécheur ne périra pas, parce que grâce à ces œuvres il sera disposé de telle sorte qu’il ne périra pas, par le Seigneur qui est béni dans les siècles des siècles. Amen.

 


 

BIBLE DE JERUSALEM

 

TEXTE COMPLET

 

 

 

Genèse

 

Genèse 1, 1 Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.

Genèse 1, 2 Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l'abîme, un vent de Dieu tournoyait sur les eaux.

Genèse 1, 3 Dieu dit: "Que la lumière soit" et la lumière fut.

Genèse 1, 4 Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres.

Genèse 1, 5 Dieu appela la lumière "jour" et les ténèbres "nuit." Il y eut un soir et il y eut un matin: premier jour.

Genèse 1, 6 Dieu dit: "Qu'il y ait un firmament au milieu des eaux et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux" et il en fut ainsi.

Genèse 1, 7 Dieu fit le firmament, qui sépara les eaux qui sont sous le firmament d'avec les eaux qui sont au-dessus du firmament,

Genèse 1, 8 et Dieu appela le firmament "ciel." Il y eut un soir et il y eut un matin: deuxième jour.

Genèse 1, 9 Dieu dit: "Que les eaux qui sont sous le ciel s'amassent en une seule masse et qu'apparaisse le continent" et il en fut ainsi.

Genèse 1, 10 Dieu appela le continent "terre" et la masse des eaux "mersª, et Dieu vit que cela était bon.

Genèse 1, 11 Dieu dit: "Que la terre verdisse de verdure: des herbes portant semence et des arbres fruitiers donnant sur la terre selon leur espèce des fruits contenant leur semence" et il en fut ainsi.

Genèse 1, 12 La terre produisit de la verdure: des herbes portant semence selon leur espèce, des arbres donnant selon leur espèce des fruits contenant leur semence, et Dieu vit que cela était bon.

Genèse 1, 13 Il y eut un soir et il y eut un matin: troisième jour.

Genèse 1, 14 Dieu dit: "Qu'il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit; qu'ils servent de signes, tant pour les fêtes que pour les jours et les années;

Genèse 1, 15 qu'ils soient des luminaires au firmament du ciel pour éclairer la terre" et il en fut ainsi.

Genèse 1, 16 Dieu fit les deux luminaires majeurs: le grand luminaire comme puissance du jour et le petit luminaire comme puissance de la nuit, et les étoiles.

Genèse 1, 17 Dieu les plaça au firmament du ciel pour éclairer la terre,

Genèse 1, 18 pour commander au jour et à la nuit, pour séparer la lumière et les ténèbres, et Dieu vit que cela était bon.

Genèse 1, 19 Il y eut un soir et il y eut un matin: quatrième jour.

Genèse 1, 20 Dieu dit: "Que les eaux grouillent d'un grouillement d'êtres vivants et que des oiseaux volent au-dessus de la terre contre le firmament du ciel" et il en fut ainsi.

Genèse 1, 21 Dieu créa les grands serpents de mer et tous les êtres vivants qui glissent et qui grouillent dans les eaux selon leur espèce, et toute la gent ailée selon son espèce, et Dieu vit que cela était bon.

Genèse 1, 22 Dieu les bénit et dit: "Soyez féconds, multipliez, emplissez l’eau des mers, et que les oiseaux multiplient sur la terre."

Genèse 1, 23 Il y eut un soir et il y eut un matin: cinquième jour.

Genèse 1, 24 Dieu dit: "Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce: bestiaux, bestioles, bêtes sauvages selon leur espèce" et il en fut ainsi.

Genèse 1, 25 Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les bestioles du sol selon leur espèce, et Dieu vit que cela était bon.

Genèse 1, 26 Dieu dit: "Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu'ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre."

Genèse 1, 27 Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa.

Genèse 1, 28 Dieu les bénit et leur dit: "Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre."

Genèse 1, 29 Dieu dit: "Je vous donne toutes les herbes portant semence, qui sont sur toute la surface de la terre, et tous les arbres qui ont des fruits portant semence: ce sera votre nourriture.

Genèse 1, 30 A toutes les bêtes sauvages, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui rampe sur la terre et qui est animé de vie, je donne pour nourriture toute la verdure des plantes" et il en fut ainsi.

Genèse 1, 31 Dieu vit tout ce qu'il avait fait: cela était très bon. Il y eut un soir et il y eut un matin: sixième jour.

Genèse 2, 1 Ainsi furent achevés le ciel et la terre, avec toute leur armée.

Genèse 2, 2 Dieu conclut au septième jour l'ouvrage qu'il avait fait et, au septième jour, il chôma, après tout l'ouvrage qu'il avait fait.

Genèse 2, 3 Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car il avait chômé après tout son ouvrage de création.

Genèse 2, 4 Telle fut l'histoire du ciel et de la terre, quand ils furent créés. Au temps où Yahvé Dieu fit la terre et le ciel,

Genèse 2, 5 il n'y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n'avait encore poussé, car Yahvé Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n'y avait pas d’homme pour cultiver le sol.

Genèse 2, 6 Toutefois, un flot montait de terre et arrosait toute la surface du sol.

Genèse 2, 7 Alors Yahvé Dieu modela l'homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint un être vivant.

Genèse 2, 8 Yahvé Dieu planta un jardin en Eden, à l'orient, et il y mit l’homme qu'il avait modelé.

Genèse 2, 9 Yahvé Dieu fit pousser du sol toute espèce d'arbres séduisants à voir et bons à manger, et l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal.

Genèse 2, 10 Un fleuve sortait d'Eden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former quatre bras.

Genèse 2, 11 Le premier s'appelle le Pishôn: il contourne tout le pays de Havila, où il y a l'or;

Genèse 2, 12 l'or de ce pays est pur et là se trouvent le bdellium et la pierre de cornaline.

Genèse 2, 13 Le deuxième fleuve s'appelle le Gihôn: il contourne tout le pays de Kush.

Genèse 2, 14 Le troisième fleuve s'appelle le Tigre: il coule à l'orient d'Assur. Le quatrième fleuve est l'Euphrate.

Genèse 2, 15 Yahvé Dieu prit l'homme et l'établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder.

Genèse 2, 16 Et Yahvé Dieu fit à l'homme ce commandement: "Tu peux manger de tous les arbres du jardin.

Genèse 2, 17 Mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort."

Genèse 2, 18 Yahvé Dieu dit: "Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie."

Genèse 2, 19 Yahvé Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait: chacun devait porter le nom que l'homme lui aurait donné.

Genèse 2, 20 L'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais, pour un homme, il ne trouva pas l'aide qui lui fût assortie.

Genèse 2, 21 Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place.

Genèse 2, 22 Puis, de la côte qu'il avait tirée de l'homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l'amena à l'homme.

Genèse 2, 23 Alors celui-ci s'écria: "Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair! Celle-ci sera appelée "femme", car elle fut tirée de l'homme, celle-ci!"

Genèse 2, 24 C’est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair.

Genèse 2, 25 Or tous deux étaient nus, l'homme et sa femme, et ils n'avaient pas honte l'un devant l'autre.

Genèse

Genèse 3, 1 Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Yahvé Dieu avait faits. Il dit à la femme: "Alors, Dieu adit: Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin?"

Genèse 3, 2 La femme répondit au serpent: "Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin.

Genèse 3, 3 Mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu adit: Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort."

Genèse 3, 4 Le serpent répliqua à la femme: "Pas du tout! Vous ne mourrez pas!

Genèse 3, 5 Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal."

Genèse 3, 6 La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea.

Genèse 3, 7 Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus; ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes.

Genèse 3, 8 Ils entendirent le pas de Yahvé Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour, et l'homme et sa femme se cachèrent devant Yahvé Dieu parmi les arbres du jardin.

Genèse 3, 9 Yahvé Dieu appela l'homme: "Où es-tu?" Dit-il.

Genèse 3, 10 "J'ai entendu ton pas dans le jardin, répondit l'homme; j'ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché."

Genèse 3, 11 Il reprit: "Et qui t'a appris que tu étais nu? Tu as donc mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger!"

Genèse 3, 12 L'homme répondit: "C'est la femme que tu as mise auprès de moi qui m'a donné de l'arbre, et j'ai mangé!"

Genèse 3, 13 Yahvé Dieu dit à la femme: "Qu'as-tu fait là?" Et la femme répondit: "C'est le serpent qui m'a séduite, et j'ai mangé."

Genèse 3, 14 Alors Yahvé Dieu dit au serpent: "Parce que tu as fait cela, maudit sois-tu entre tous les bestiaux et toutes les bêtes sauvages. Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie.

Genèse 3, 15 Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t'écrasera la tête et tu l'atteindras au talon."

Genèse 3, 16 A la femme, il dit: "Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils. Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi."

Genèse 3, 17 A l'homme, il dit: "Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais interdit de manger, maudit soit le sol à cause de toi! A force de peines tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie.

Genèse 3, 18 Il produira pour toi épines et chardons et tu mangeras l'herbe des champs.

Genèse 3, 19 A la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu'à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise."

Genèse 3, 20 L'homme appela sa femme "Eve", parce qu'elle fut la mère de tous les vivants.

Genèse 3, 21 Yahvé Dieu fit à l'homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit.

Genèse 3, 22 Puis Yahvé Dieu dit: "Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous, pour connaître le bien et le mal! Qu'il n'étende pas maintenant la main, ne cueille aussi de l'arbre de vie, n'en mange et ne vive pour toujours!"

Genèse 3, 23 Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d'Eden pour cultiver le sol d'où il avait été tiré.

Genèse 3, 24 Il bannit l'homme et il posta devant le jardin d'Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie.

 

Genèse 4, 1 L'homme connut Eve, sa femme; elle conçut et enfanta Caïn et elle dit: "J'ai acquis un homme de par Yahvé."

Genèse 4, 2 Elle donna aussi le jour à Abel, frère de Caïn. Or Abel devint pasteur de petit bétail et Caïn cultivait le sol.

Genèse 4, 3 Le temps passa et il advint que Caïn présenta des produits du sol en offrande à Yahvé,

Genèse 4, 4 et qu'Abel, de son côté, offrit des premiers-nés de son troupeau, et même de leur graisse. Or Yahvé agréa Abel et son offrande.

Genèse 4, 5 Mais il n'agréa pas Caïn et son offrande, et Caïn en fut très irrité et eut le visage abattu.

Genèse 4, 6 Yahvé dit à Caïn: "Pourquoi es-tu irrité et pourquoi ton visage est-il abattu?

Genèse 4, 7 Si tu es bien disposé, ne relèveras-tu pas la tête? Mais si tu n'es pas bien disposé, le péché n'est-il pas à la porte, une bête tapie qui te convoite? pourras-tu la dominer?"

Genèse 4, 8 Cependant Caïn dit à son frère Abel: "Allons dehors", et, comme ils étaient en pleine campagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua.

Genèse 4, 9 Yahvé dit à Caïn: "Où est ton frère Abel?" Il répondit: "Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère?"

Genèse 4, 10 Yahvé reprit: "Qu'as-tu fait! Ecoute le sang de ton frère crier vers moi du sol!

Genèse 4, 11 Maintenant, sois maudit et chassé du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère.

Genèse 4, 12 Si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son produit: tu seras un errant parcourant la terre."

Genèse 4, 13 Alors Caïn dit à Yahvé: "Ma peine est trop lourde à porter.

Genèse 4, 14 Vois! Tu me bannis aujourd'hui du sol fertile, je devrai me cacher loin de ta face et je serai un errant parcourant la terre: mais, le premier venu me tuera!"

Genèse 4, 15 Yahvé lui répondit: "Aussi bien, si quelqu'un tue Caïn, on le vengera sept fois" et Yahvé mit un signe sur Caïn, afin que le premier venu ne le frappât point.

Genèse 4, 16 Caïn se retira de la présence de Yahvé et séjourna au pays de Nod, à l'orient d'Eden.

Genèse 4, 17 Caïn connut sa femme, qui conçut et enfanta Hénok. Il devint un constructeur de ville et il donna à la ville le nom de son fils, Hénok.

Genèse 4, 18 A Hénok naquit Irad, et Irad engendra Mehuyaël, et Mehuyaël engendra Metushaël, et Metushaël engendra Lamek.

Genèse 4, 19 Lamek prit deux femmes: le nom de la première était Ada et le nom de la seconde Cilla.

Genèse 4, 20 Ada enfanta Yabal: il fut l'ancêtre de ceux qui vivent sous la tente et ont des troupeaux.

Genèse 4, 21 Le nom de son frère était Yubal: il fut l'ancêtre de tous ceux qui jouent de la lyre et du chalumeau.

Genèse 4, 22 De son côté, Cilla enfanta Tubal-Caïn: il fut l'ancêtre de tous les forgerons en cuivre et en fer; la sœur de Tubal-Caïn était Naama.

Genèse 4, 23 Lamek dit à ses femmes: "Ada et Cilla, entendez ma voix, femmes de Lamek, écoutez ma parole: J'ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure.

Genèse 4, 24 C'est que Caïn est vengé sept fois, mais Lamek, 77 fois!"

Genèse 4, 25 Adam connut sa femme; elle enfanta un fils et lui donna le nom de Seth "car, dit-elle, Dieu m'a accordé une autre descendanceà la place d'Abel, puisque Caïn l'a tué."

Genèse 4, 26 Un fils naquit à Seth aussi, et il lui donna le nom d'Enosh. Celui-ci fut le premier à invoquer le nom de Yahvé.

Genèse 5, 1 Voici le livret de la descendance d'Adam: Le jour où Dieu créa Adam, il le fit à la ressemblance de Dieu.

Genèse 5, 2 Homme et femme il les créa, il les bénit et leur donna le nom d'"Homme", le jour où ils furent créés.

Genèse 5, 3 Quand Adam eut 130 ans, il engendra un fils à sa ressemblance, comme son image, et il lui donna le nom de Seth.

Genèse 5, 4 Le temps que vécut Adam après la naissance de Seth fut de 800 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 5, 5 Toute la durée de la vie d'Adam fut de 930 ans, puis il mourut.

Genèse 5, 6Quand Seth eut 10 5 ans, il engendra Enosh.

Genèse 5, 7 Après la naissance d'Enosh, Seth vécut 807 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 5, 8 Toute la durée de la vie de Seth fut de 912 ans, puis il mourut.

Genèse 5, 9 Quand Enosh eut 90 ans, il engendra Qénân.

Genèse 5, 10 Après la naissance de Qénân, Enosh vécut 815 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 5, 11 Toute la durée de la vie d'Enosh fut de 905 ans, puis il mourut.

Genèse 5, 12 Quand Qénân eut 70 ans, il engendra Mahalaléel.

Genèse 5, 13 Après la naissance de Mahalaléel, Qénân vécut 840 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 5, 14 Toute la durée de la vie de Qénân fut de 910 ans, puis il mourut.

Genèse 5, 15 Quand Mahalaléel eut 65 ans, il engendra Yéred.

Genèse 5, 16 Après la naissance de Yéred, Mahalaléel vécut 830 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 5, 17 Toute la durée de la vie de Mahalaléel fut de 895 ans, puis il mourut.

Genèse 5, 18 Quand Yéred eut 16 2 ans, il engendra Hénok.

Genèse 5, 19 Après la naissance d'Hénok, Yéred vécut 800 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 5, 20 Toute la durée de la vie de Yéred fut de 962 ans, puis il mourut.

Genèse 5, 21 Quand Hénok eut 65 ans, il engendra Mathusalem.

Genèse 5, 22 Hénok marcha avec Dieu. Après la naissance de Mathusalem, Hénok vécut 300 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 5, 23 Toute la durée de la vie d'Hénok fut de 365 ans.

Genèse 5, 24 Hénok marcha avec Dieu, puis il disparut, car Dieu l'enleva.

Genèse 5, 25 Quand Mathusalem eut 187 ans, il engendra Lamek.

Genèse 5, 26 Après la naissance de Lamek, Mathusalem vécut 782 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 5, 27 Toute la durée de la vie de Mathusalem fut de 969 ans, puis il mourut.

Genèse 5, 28 Quand Lamek eut 182 ans, il engendra un fils.

Genèse 5, 29 Il lui donna le nom de Noé, car, dit-il, "celui-ci nous apportera, dans notre travail et le labeur de nos mains, une consolation tirée du sol que Yahvé a maudit."

Genèse 5, 30 Après la naissance de Noé, Lamek vécut 595 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 5, 31 Toute la durée de la vie de Lamek fut de 777 ans, puis il mourut.

Genèse 5, 32 Quand Noé eut atteint 500 ans, il engendra Sem, Cham et Japhet.

Genèse 6, 1 Lorsque les hommes commencèrent d'être nombreux sur la face de la terre et que des filles leur furent nées,

Genèse 6, 2les fils de Dieu trouvèrent que les filles des hommes leur convenaient et ils prirent pour femmes toutes celles qu'il leur plut.

Genèse 6, 3 Yahvé dit: "Que mon esprit ne soit pas indéfiniment responsable de l'homme, puisqu'il est chair; sa vie ne sera que de 120 ans."

Genèse 6, 4Les Nephilim étaient sur la terre en ces jours-là (et aussi dans la suite) quand les fils de Dieu s'unissaient aux filles des hommes et qu'elles leur donnaient des enfants; ce sont les héros du temps jadis, ces hommes fameux.

Genèse 6, 5 Yahvé vit que la méchanceté de l'homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée.

Genèse 6, 6 Yahvé se repentit d'avoir fait l'homme sur la terre et il s'affligea dans son cœur.

Genèse 6, 7 Et Yahvé dit: "Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j'ai créés -- et avec les hommes, les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel --, car je me repens de les avoir faits."

Genèse 6, 8 Mais Noé avait trouvé grâce aux yeux de Yahvé.

Genèse 6, 9 Voici l'histoire de Noé: Noé était un homme juste, intègre parmi ses contemporains, et il marchait avec Dieu.

Genèse 6, 10 Noé engendra trois fils, Sem, Cham et Japhet.

Genèse 6, 11 La terre se pervertit au regard de Dieu et elle se remplit de violence.

Genèse 6, 12 Dieu vit la terre: elle était pervertie, car toute chair avait une conduite perverse sur la terre.

Genèse 6, 13 Dieu dit à Noé: "La fin de toute chair est arrivée, je l'ai décidé, car la terre est pleine de violence à cause des hommes et je vais les faire disparaître de la terre.

Genèse 6, 14 Fais-toi une arche en bois résineux, tu la feras en roseaux et tu l'enduiras de bitume en dedans et en dehors.

Genèse 6, 15 Voici comment tu la feras: 300 coudées pour la longueur de l'arche, 50 coudées pour sa largeur, 30 coudées pour sa hauteur.

Genèse 6, 16 Tu feras à l'arche un toit et tu l'achèveras une coudée plus haut, tu placeras l'entrée de l'arche sur le côté et tu feras un premier, un second et un troisième étages.

Genèse 6, 17 "Pour moi, je vais amener le déluge, les eaux, sur la terre, pour exterminer de dessous le ciel toute chair ayant souffle de vie: tout ce qui est sur la terre doit périr.

Genèse 6, 18 Mais j'établirai mon alliance avec toi et tu entreras dans l'arche, toi et tes fils, ta femme et les femmes de tes fils avec toi.

Genèse 6, 19 De tout ce qui vit, de tout ce qui est chair, tu feras entrer dans l'arche deux de chaque espèce pour les garder en vie avec toi; qu'il y ait un mâle et une femelle.

Genèse 6, 20 De chaque espèce d'oiseaux, de chaque espèce de bestiaux, de chaque espèce de toutes les bestioles du sol, un couple viendra avec toi pour que tu les gardes en vie.

Genèse 6, 21 De ton côté, procure-toi de tout ce qui se mange et fais-en provision: cela servira de nourriture pour toi et pour eux."

Genèse 6, 22 Noé agit ainsi; tout ce que Dieu lui avait commandé, il le fit.

Genèse 7, 1 Yahvé dit à Noé: "Entre dans l'arche, toi et toute ta famille, car je t'ai vu seul juste à mes yeux parmi cette génération.

Genèse 7, 2 De tous les animaux purs, tu prendras sept paires, le mâle et sa femelle; des animaux qui ne sont pas purs, tu prendras un couple, le mâle et sa femelle

Genèse 7, 3 (et aussi des oiseaux du ciel, sept paires, le mâle et sa femelle), pour perpétuer la race sur toute la terre.

Genèse 7, 4 Car encore sept jours et je ferai pleuvoir sur la terre pendant 40 jours et 40 nuits et j'effacerai de la surface du sol tous les êtres que j'ai faits."

Genèse 7, 5 Noé fit tout ce que Yahvé lui avait commandé.

Genèse 7, 6 Noé avait 600 ans quand arriva le déluge, les eaux sur la terre.

Genèse 7, 7 Noé -- avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils -- entra dans l'arche pour échapper aux eaux du déluge.

Genèse 7, 8 (Des animaux purs et des animaux qui ne sont pas purs, des oiseaux et de tout ce qui rampe sur le sol,

Genèse 7, 9un couple entra dans l'arche de Noé, un mâle et une femelle, comme Dieu avait ordonné à Noé.)

Genèse 7, 10 Au bout de sept jours, les eaux du déluge vinrent sur la terre.

Genèse 7, 11 En l'an 600 de la vie de Noé, le second mois, le dix-septième jour du mois, ce jour-là jaillirent toutes les sources du grand abîme et les écluses du ciel s'ouvrirent.

Genèse 7, 12 La pluie tomba sur la terre pendant 40 jours et 40 nuits.

Genèse 7, 13 Ce jour même, Noé et ses fils, Sem, Cham et Japhet, avec la femme de Noé et les trois femmes de ses fils, entrèrent dans l'arche,

Genèse 7, 14 et avec eux les bêtes sauvages de toute espèce, les bestiaux de toute espèce, les bestioles de toute espèce qui rampent sur la terre, les volatiles de toute espèce, tous les oiseaux, tout ce qui a des ailes.

Genèse 7, 15 Auprès de Noé, entra dans l'arche un couple de tout ce qui est chair, ayant souffle de vie,

Genèse 7, 16 et ceux qui entrèrent étaient un mâle et une femelle de tout ce qui est chair, comme Dieu le lui avait commandé. Et Yahvé ferma la porte sur Noé.

Genèse 7, 17 Il y eut le déluge pendant 40 jours sur la terre; les eaux grossirent et soulevèrent l'arche, qui fut élevée au-dessus de la terre.

Genèse 7, 18 Les eaux montèrent et grossirent beaucoup sur la terre et l'arche s'en alla à la surface des eaux.

Genèse 7, 19 Les eaux montèrent de plus en plus sur la terre et toutes les plus hautes montagnes qui sont sous tout le ciel furent couvertes.

Genèse 7, 20 Les eaux montèrent quinze coudées plus haut, recouvrant les montagnes.

Genèse 7, 21 Alors périt toute chair qui se meut sur la terre: oiseaux, bestiaux, bêtes sauvages, tout ce qui grouille sur la terre, et tous les hommes.

Genèse 7, 22 Tout ce qui avait une haleine de vie dans les narines, c'est-à-dire tout ce qui était sur la terre ferme, mourut.

Genèse 7, 23 Ainsi disparurent tous les êtres qui étaient à la surface du sol, depuis l'homme jusqu'aux bêtes, aux bestioles et aux oiseaux du ciel: ils furent effacés de la terre et il ne resta que Noé et ce qui était avec lui dans l'arche.

Genèse 7, 24 La crue des eaux sur la terre dura 150 jours.

Genèse 8, 1 Alors Dieu se souvint de Noé et de toutes les bêtes sauvages et de tous les bestiaux qui étaient avec lui dans l'arche;Dieu fit passer un vent sur la terre et les eaux désenflèrent.

Genèse 8, 2 Les sources de l'abîme et les écluses du ciel furent fermées;-- la pluie fut retenue de tomber du ciel

Genèse 8, 3 et les eaux se retirèrent petit à petit de la terre; -- les eaux baissèrent au bout de 15 0 jours

Genèse 8, 4 et, au septième mois, au dix-septième jour du mois, l'arche s'arrêta sur les monts d'Ararat.

Genèse 8, 5 Les eaux continuèrent de baisser jusqu'au dixième mois et, au premier du dixième mois, apparurent les sommets des montagnes.

Genèse 8, 6 Au bout de 40 jours, Noé ouvrit la fenêtre qu'il avait faite à l'arche

Genèse 8, 7 et il lâcha le corbeau, qui alla et vint en attendant que les eaux aient séché sur la terre.

Genèse 8, 8 Alors il lâcha d'auprès de lui la colombe pour voir si les eaux avaient diminué à la surface du sol.

Genèse 8, 9 La colombe, ne trouvant pas un endroit où poser ses pattes, revint vers lui dans l'arche, car il y avait de l'eau sur toute la surface de la terre; il étendit la main, la prit et la fit rentrer auprès de lui dans l'arche.

Genèse 8, 10 Il attendit encore sept autres jours et lâcha de nouveau la colombe hors de l'arche.

Genèse 8, 11 La colombe revint vers lui sur le soir et voici qu'elle avait dans le bec un rameau tout frais d'olivier! Ainsi Noé connut que les eaux avaient diminué à la surface de la terre.

Genèse 8, 12 Il attendit encore sept autres jours et lâcha la colombe, quine revint plus vers lui.

Genèse 8, 13 C'est en l'an 60 1 de la vie de Noé, au premier mois, le premier du mois, que les eaux séchèrent sur la terre. Noé enleva la couverture de l'arche; il regarda, et voici que la surface du sol était sèche!

Genèse 8, 14 Au second mois, le vingt-septième jour du mois, la terre fut sèche.

Genèse 8, 15 Alors Dieu parla ainsi à Noé:

Genèse 8, 16 "Sors de l'arche, toi et ta femme, tes fils et les femmes de tes fils avec toi.

Genèse 8, 17 Tous les animaux qui sont avec toi, tout ce qui est chair, oiseaux, bestiaux et tout ce qui rampe sur la terre, fais-les sortir avec toi: qu'ils pullulent sur la terre, qu'ils soient féconds et multiplient sur la terre."

Genèse 8, 18 Noé sortit avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils;

Genèse 8, 19 et toutes les bêtes sauvages, tous les bestiaux, tous les oiseaux, toutes les bestioles qui rampent sur la terre sortirent de l'arche, une espèce après l'autre.

Genèse 8, 20 Noé construisit un autel à Yahvé, il prit de tous les animaux purs et de tous les oiseaux purs et offrit des holocaustes sur l'autel.

Genèse 8, 21 Yahvé respira l'agréable odeur et il se dit en lui-même: "Je ne maudirai plus jamais la terre à cause de l'homme, parce que les desseins du cœur de l'homme sont mauvais dès son enfance, plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme j’ai fait.

Genèse 8, 22 Tant que durera la terre, semailles et moisson, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus."

Genèse 9, 1 Dieu bénit Noé et ses fils et il leur dit: "Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre.

Genèse 9, 2 Soyez la crainte et l'effroi de tous les animaux de la terre et de tous les oiseaux du ciel, comme de tout ce dont la terre fourmille et de tous les poissons de la mer: ils sont livrés entre vos mains

Genèse 9, 3 Tout ce qui se meut et possède la vie vous servira de nourriture, je vous donne tout cela au même titre que la verdure des plantes.

Genèse 9, 4 Seulement, vous ne mangerez pas la chair avec son âme, c'est-à-dire le sang.

Genèse 9, 5 Mais je demanderai compte du sang de chacun de vous. J'en demanderai compte à tous les animaux et à l'homme, aux hommes entre eux, je demanderai compte de l'âme de l'homme.

Genèse 9, 6 "Qui verse le sang de l'homme, par l'homme aura son sang versé. Car à l'image de Dieu l'homme a été fait.

Genèse 9, 7 Pour vous, soyez féconds, multipliez, pullulez sur la terre et la dominez."

Genèse 9, 8 Dieu parla ainsi à Noé et à ses fils:

Genèse 9, 9 "Voici que j'établis mon alliance avec vous et avec vos descendants après vous,

Genèse 9, 10 et avec tous les êtres animés qui sont avec vous: oiseaux, bestiaux, toutes bêtes sauvages avec vous, bref tout ce qui est sorti de l'arche, tous les animaux de la terre.

Genèse 9, 11 J'établis mon alliance avec vous: tout ce qui est ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n'y aura plus de déluge pour ravager la terre."

Genèse 9, 12 Et Dieu dit: "Voici le signe de l'alliance que j'institue entre moi et vous et tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à venir:

Genèse 9, 13 je mets mon arc dans la nuée et il deviendra un signe d'alliance entre moi et la terre.

Genèse 9, 14 Lorsque j'assemblerai les nuées sur la terre et que l'arc apparaîtra dans la nuée,

Genèse 9, 15 je me souviendrai de l'alliance qu'il y a entre moi et vous et tous les êtres vivants, en somme toute chair, et les eaux ne deviendront plus un déluge pour détruire toute chair.

Genèse 9, 16 Quand l'arc sera dans la nuée, je le verrai et me souviendrai de l'alliance éternelle qu'il y a entre Dieu et tous les êtres vivants, en somme toute chair qui est sur la terre."

Genèse 9, 17 Dieu dit à Noé: "Tel est le signe de l'alliance que j'établis entre moi et toute chair qui est sur la terre."

Genèse 9, 18 Les fils de Noé qui sortirent de l'arche étaient Sem, Cham et Japhet; Cham est le père de Canaan.

Genèse 9, 19 Ces trois-là étaient les fils de Noé et à partir d'eux se fit le peuplement de toute la terre.

Genèse 9, 20 Noé, le cultivateur, commença de planter la vigne.

Genèse 9, 21 Ayant bu du vin, il fut enivré et se dénuda à l'intérieur de sa tente.

Genèse 9, 22 Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père et avertit ses deux frères au-dehors.

Genèse 9, 23 Mais Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent tous deux sur leur épaule et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père; leurs visages étaient tournés en arrière et ils ne virent pas la nudité de leur père.

Genèse 9, 24 Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son fils le plus jeune.

Genèse 9, 25 Et il dit: "Maudit soit Canaan! Qu'il soit pour ses frères le dernier des esclaves!"

Genèse 9, 26 Il dit aussi: "Béni soit Yahvé, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave!

Genèse 9, 27 Que Dieu mette Japhet au large, qu'il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit son esclave!"

Genèse 9, 28 Après le déluge, Noé vécut 350 ans.

Genèse 9, 29 Toute la durée de la vie de Noé fut de 950 ans, puis ilmourut.

Genèse 10, 1 Voici la descendance des fils de Noé, Sem, Cham et Japhet, auxquels des fils naquirent après le déluge:

Genèse 10, 2 Fils de Japhet: Gomer, Magog, les Mèdes, Yavân, Tubal, Moshek, Tiras.

Genèse 10, 3 Fils de Gomer: Ashkenaz, Riphat, Togarma.

Genèse 10, 4 Fils de Yavân: Elisha, Tarsis, les Kittim, les Dananéens.

Genèse 10, 5 A partir d'eux se fit la dispersion dans les îles des nations. Tels furent les fils de Japhet, d'après leurs pays et chacun selon sa langue, selon leurs clans et d'après leurs nations.

Genèse 10, 6 Fils de Cham: Kush, Miçrayim, Put, Canaan.

Genèse 10, 7 Fils de Kush: Séba, Havila, Sabta, Rama, Sabteka. Fils deRama: Sheba, Dedân.

Genèse 10, 8 Kush engendra Nemrod, qui fut le premier potentat sur la terre.

Genèse 10, 9 C'était un vaillant chasseur devant Yahvé, et c'est pourquoi l'on dit: "Comme Nemrod, vaillant chasseur devant Yahvé."

Genèse 10, 10 Les soutiens de son empire furent Babel, Erek et Akkad, villes qui sont toutes au pays de Shinéar.

Genèse 10, 11 De ce pays sortit Ashshur, et il bâtit Ninive, Rehobot-Ir, Kalah,

Genèse 10, 12 et Rèsèn entre Ninive et Kalah (c'est la grande ville).

Genèse 10, 13 Miçrayim engendra les gens de Lud, de Anam, de Lehab, de Naphtuh,

Genèse 10, 14 de Patros, de Kasluh et de Kaphtor, d'où sont sortis les Philistins.

Genèse 10, 15 Canaan engendra Sidon, son premier-né, puis Hèt,

Genèse 10, 16 et le Jébuséen, l'Amorite, le Girgashite,

Genèse 10, 17 le Hivvite, l'Arqite, le Sinite,

Genèse 10, 18 l'Arvadite, le Cemarite, le Hamatite; ensuite se dispersèrent les clans cananéens.

Genèse 10, 19 La frontière des Cananéens allait de Sidon en direction de Gérar, jusqu'à Gaza, puis en direction de Sodome, Gomorrhe, Adma et Ceboyim, et jusqu'à Lésha.

Genèse 10, 20 Tels furent les fils de Cham, selon leurs clans et leurs langues, d'après leurs pays et leurs nations.

Genèse 10, 21 Une descendance naquit également à Sem, l'ancêtre de tous les fils de Eber et le frère aîné de Japhet.

Genèse 10, 22 Fils de Sem: Elam, Ashshur, Arpakshad, Lud, Aram.

Genèse 10, 23 Fils d'Aram: Uç, Hul, Géter et Mash.

Genèse 10, 24 Arpakshad engendra Shélah et Shélah engendra Eber.

Genèse 10, 25 A Eber naquirent deux fils: le premier s'appelait Péleg, carce fut en son temps que la terre fut divisée, et son frères'appelait Yoqtân.

Genèse 10, 26 Yoqtân engendra Almodad, Shéleph, Haççarmavet, Yérah,

Genèse 10, 27 Hadoram, Uzal, Diqla,

Genèse 10, 28 Obal, Abimaël, Sheba,

Genèse 10, 29 Ophir, Havila, Yobab; tous ceux-là sont fils de Yoqtân.

Genèse 10, 30 Ils habitaient à partir de Mesha en direction de Sephar, la montagne de l'Orient.

Genèse 10, 31 Tels furent les fils de Sem, selon leurs clans et leurs langues, d'après leurs pays et leurs nations.

Genèse 10, 32 Tels furent les clans des descendants de Noé, selon leurs lignées et d'après leurs nations. Ce fut à partir d'eux que les peuples se dispersèrent sur la terre après le déluge.

Genèse 11, 1 Tout le monde se servait d'une même langue et des mêmes mots.

Genèse 11, 2 Comme les hommes se déplaçaient à l'orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils s'y établirent.

Genèse 11, 3 Ils se dirent l'un à l'autre: "Allons! Faisons des briques et cuisons-les au feu!" La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier.

Genèse 11, 4 Ils dirent: "Allons! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux! Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre!"

Genèse 11, 5 Or Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties.

Genèse 11, 6 Et Yahvé dit: "Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises!Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux.

Genèse 11, 7 Allons! Descendons! Et là, confondons leur langage pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres."

Genèse 11, 8 Yahvé les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville.

Genèse 11, 9 Aussi la nomma-t-on Babel, car c'est là que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c'est de là qu'illes dispersa sur toute la face de la terre.

Genèse 11, 10 Voici la descendance de Sem: Quand Sem eut cent ans, il engendra Arpakshad, deux ans après le déluge.

Genèse 11, 11 Après la naissance d'Arpakshad, Sem vécut 500 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 11, 12 Quand Arpakshad eut 35 ans, il engendra Shélah.

Genèse 11, 13 Après la naissance de Shélah, Arpakshad vécut 403 ans et ilengendra des fils et des filles.

Genèse 11, 14 Quand Shélah eut 30 ans, il engendra Eber.

Genèse 11, 15 Après la naissance de Eber, Shélah vécut 403 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 11, 16 Quand Eber eut 34 ans, il engendra Péleg.

Genèse 11, 17 Après la naissance de Péleg, Eber vécut 430 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 11, 18 Quand Péleg eut 30 ans, il engendra Réu.

Genèse 11, 19 Après la naissance de Réu, Péleg vécut 209 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 11, 20 Quand Réu eut 32 ans, il engendra Serug.

Genèse 11, 21 Après la naissance de Serug, Réu vécut 207 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 11, 22 Quand Serug eut 30 ans, il engendra Nahor.

Genèse 11, 23 Après la naissance de Nahor, Serug vécut 200 ans et il engendra des fils et des filles.

Genèse 11, 24 Quand Nahor eut 29 ans, il engendra Térah.

Genèse 11, 25 Après la naissance de Térah, Nahor vécut 119 ans et ilengendra des fils et des filles.

Genèse 11, 26 Quand Térah eut 70 ans, il engendra Abram, Nahor et Harân.

Genèse 11, 27 Voici la descendance de Térah: Térah engendra Abram, Nahor et Harân. Harân engendra Lot.

Genèse 11, 28 Harân mourut en présence de son père Térah dans son pays natal, Ur des Chaldéens.

Genèse 11, 29 Abram et Nahor se marièrent: la femme d'Abram s'appelait Saraï; la femme de Nahor s'appelait Milka, fille de Harân, quiétait le père de Milka et de Yiska.

Genèse 11, 30 Or Saraï était stérile: elle n'avait pas d'enfant.

Genèse 11, 31 Térah prit son fils Abram, son petit-fils Lot, fils de Harân, et sa bru Saraï, femme d'Abram. Il les fit sortir d'Ur des Chaldéens pour aller au pays de Canaan, mais, arrivés à Harân, ils s'y établirent.

Genèse 11, 32 La durée de la vie de Térah fut de 205 ans, puis il mourut à Harân.

Genèse 12, 1 Yahvé dit à Abram: "Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t'indiquerai.

Genèse 12, 2 Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom; sois une bénédiction!

Genèse 12, 3 Je bénirai ceux qui te béniront, je réprouverai ceux qui te maudiront. Par toi se béniront tous les clans de la terre."

Genèse 12, 4 Abram partit, comme lui avait dit Yahvé, et Lot partit avec lui. Abram avait 75 ans lorsqu'il quitta Harân.

Genèse 12, 5 Abram prit sa femme Saraï, son neveu Lot, tout l'avoir qu'ils avaient amassé et le personnel qu'ils avaient acquis à Harân; ils se mirent en route pour le pays de Canaan et ils y arrivèrent.

Genèse 12, 6 Abram traversa le pays jusqu'au lieu saint de Sichem, au Chêne de Moré. Les Cananéens étaient alors dans le pays.

Genèse 12, 7 Yahvé apparut à Abram et dit: "C'est à ta postérité que je donnerai ce pays." Et là, Abram bâtit un autel à Yahvé qui lui était apparu.

Genèse 12, 8 Il passa de là dans la montagne, à l'orient de Béthel, et il dressa sa tente, ayant Béthel à l'ouest et Aï à l'est. Là, il bâtit un autel à Yahvé et il invoqua son nom.

Genèse 12, 9 Puis, de campement en campement, Abram alla au Négeb.

Genèse 12, 10 Il y eut une famine dans le pays et Abram descendit en Egypte pour y séjourner, car la famine pesait lourdement sur le pays.

Genèse 12, 11 Lorsqu'il fut près d'entrer en Egypte, il dit à sa femme Saraï: "Vois-tu, je sais que tu es une femme de belle apparence.

Genèse 12, 12 Quand les Egyptiens te verront, ils diront: "C'est sa femme", et ils me tueront et te laisseront en vie.

Genèse 12, 13 Dis, je te prie, que tu es ma sœur, pour qu'on me traite bien à cause de toi et qu'on me laisse en vie par égard pour toi."

Genèse 12, 14 De fait, quand Abram arriva en Egypte, les Egyptiens virent que la femme était très belle.

Genèse 12, 15 Les officiers de Pharaon la virent et la vantèrent à Pharaon; et la femme fut emmenée au palais de Pharaon.

Genèse 12, 16 Celui-ci traita bien Abram à cause d'elle: il eut du petit et du gros bétail, des ânes, des esclaves, des servantes, des ânesses, des chameaux.

Genèse 12, 17 Mais Yahvé frappa Pharaon de grandes plaies, et aussi sa maison, à propos de Saraï, la femme d'Abram.

Genèse 12, 18 Pharaon appela Abram et dit: "Qu'est-ce que tu m'as fait? Pourquoi ne m'as-tu pas déclaré qu'elle était ta femme?

Genèse 12, 19 Pourquoi as-tu dit: Elle est ma sœur! en sorte que je l'ai prise pour femme. Maintenant, voilà ta femme: prends-la et va-t'en!"

Genèse 12, 20 Pharaon le confia à des hommes qui le reconduisirent à la frontière, lui, sa femme et tout ce qu'il possédait.

Genèse 13, 1 D'Egypte, Abram avec sa femme et tout ce qu'il possédait, et Lot avec lui, remonta au Négeb.

Genèse 13, 2 Abram était très riche en troupeaux, en argent et en or.

Genèse 13, 3 Ses campements le conduisirent du Négeb jusqu'à Béthel, à l'endroit où sa tente s'était dressée d'abord entre Béthel et Aï,

Genèse 13, 4 à l'endroit de l'autel qu'il avait érigé précédemment, et là, Abram invoqua le nom de Yahvé.

Genèse 13, 5 Lot, qui accompagnait Abram, avait également du petit et du gros bétail, ainsi que des tentes.

Genèse 13, 6 Le pays ne suffisait pas à leur installation commune: ils avaient de trop grands biens pour pouvoir habiter ensemble.

Genèse 13, 7 Il y eut une dispute entre les pâtres des troupeaux d'Abram et ceux des troupeaux de Lot (les Cananéens et les Perizzites habitaient alors le pays).

Genèse 13, 8Aussi Abram dit-il à Lot: "Qu'il n'y ait pas discorde entre moi et toi, entre mes pâtres et les tiens, car nous sommes des frères!

Genèse 13, 9Tout le pays n'est-il pas devant toi? Sépare-toi de moi. Si tu prends la gauche, j'irai à droite, si tu prends la droite, j'irai à gauche."

Genèse 13, 10 Lot leva les yeux et vit toute la Plaine du Jourdain qui était partout irriguée -- c'était avant que Yahvé ne détruisît Sodome et Gomorrhe -- comme le jardin de Yahvé, comme le pays d'Egypte, jusque vers Coar.

Genèse 13, 11 Lot choisit pour lui toute la Plaine du Jourdain et il émigra à l'orient; ainsi ils se séparèrent l'un de l'autre:

Genèse 13, 12 Abram s'établit au pays de Canaan et Lot s'établit dans les villes de la Plaine; il dressa ses tentes jusqu'à Sodome.

Genèse 13, 13 Les gens de Sodome étaient de grands scélérats et pécheurs contre Yahvé.

Genèse 13, 14 Yahvé dit à Abram, après que Lot se fut séparé de lui: "Lève les yeux et regarde, de l'endroit où tu es, vers le nord et le midi, vers l'orient et l'occident.

Genèse 13, 15 Tout le pays que tu vois, je le donnerai à toi et à ta postérité pour toujours.

Genèse 13, 16 Je rendrai ta postérité comme la poussière de la terre: quand on pourra compter les grains de poussière de la terre, alors on comptera tes descendants!

Genèse 13, 17 Debout! Parcours le pays en long et en large, car je te le donnerai."

Genèse 13, 18 Avec ses tentes, Abram alla s'établir au Chêne de Mambré, quiest à Hébron, et là, il érigea un autel à Yahvé.

Genèse 14, 1 Au temps d'Amraphel roi de Shinéar, d'Aryok roi d'Ellasar, de Kedor-Laomer roi d'Elam et de Tidéal roi des Goyim,

Genèse 14, 2 ceux-ci firent la guerre contre Béra roi de Sodome, Birsha roi de Gomorrhe, Shinéab roi d'Adma, Shémeéber roi de Ceboyim etle roi de Béla (c'est Coar).

Genèse 14, 3 Ces derniers se liguèrent dans la vallée de Siddim (c'est lamer du Sel).

Genèse 14, 4 Douze ans ils avaient été soumis à Kedor-Laomer mais, la treizième année, ils se révoltèrent.

Genèse 14, 5 En la quatorzième année, arrivèrent Kedor-Laomer et les rois qui étaient avec lui. Ils battirent les Rephaïm à Ashterot-Qarnayim, les Zuzim à Ham, les Emim dans la plaine de Qiryatayim,

Genèse 14, 6 les Horites dans les montagnes de Séïr jusqu'à El-Parân, qui est à la limite du désert.

Genèse 14, 7 Ils firent un mouvement tournant et vinrent à la Source du Jugement (c'est Cadès); ils battirent tout le territoire des Amalécites et aussi les Amorites qui habitaient Haçaçôn-Tamar.

Genèse 14, 8Alors le roi de Sodome, le roi de Gomorrhe, le roi d'Adma, le roi de Ceboyim et le roi de Béla (c'est Coar) s'ébranlèrent et se rangèrent en bataille contre eux dans la vallée de Siddim,

Genèse 14, 9contre Kedor-Laomer roi d'Elam, Tidéal roi des Goyim, Amraphel roi de Shinéar et Aryok roi d'Ellasar: quatre rois contre cinq!

Genèse 14, 10 Or la vallée de Siddim était pleine de puits de bitume; dansleur fuite, le roi de Sodome et le roi de Gomorrhe y tombèrent, et le reste se réfugia dans la montagne.

Genèse 14, 11 Les vainqueurs prirent tous les biens de Sodome et de Gomorrheet tous leurs vivres, et s'en allèrent.

Genèse 14, 12 Ils prirent aussi Lot et ses biens (le neveu d'Abram), et s'enallèrent; il habitait Sodome.

Genèse 14, 13 Un rescapé vint informer Abram l'Hébreu, qui demeurait auChêne de l'Amorite Mambré, frère d'Eshkol et d'Aner; ils étaient les alliés d'Abram.

Genèse 14, 14 Quand Abram apprit que son parent était emmené captif, il leva ses partisans, ses familiers, au nombre de 318, et mena la poursuite jusqu'à Dan.

Genèse 14, 15 Il les attaqua de nuit en ordre dispersé, lui et ses gens, il les battit et les poursuivit jusqu'à Hoba, au nord de Damas.

Genèse 14, 16 Il reprit tous les biens, et aussi son parent Lot et ses biens, ainsi que les femmes et les gens.

Genèse 14, 17 Quand Abram revint après avoir battu Kedor-Laomer et les rois qui étaient avec lui, le roi de Sodome alla à sa rencontre dans la vallée de Shavé (c'est la vallée du Roi).

Genèse 14, 18 Melchisédech, roi de Shalem, apporta du pain et du vin; il était prêtre du Dieu Très-Haut.

Genèse 14, 19 Il prononça cette bénédiction: "Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui créa ciel et terre,

Genèse 14, 20 et béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains." Et Abram lui donna la dîme de tout.

Genèse 14, 21 Le roi de Sodome dit à Abram: "Donne-moi les personnes et prends les biens pour toi."

Genèse 14, 22 Mais Abram répondit au roi de Sodome: "Je lève la main devant le Dieu Très-Haut qui créa ciel et terre:

Genèse 14, 23 ni un fil ni une courroie de sandale, je ne prendrai rien de ce qui est à toi, et tu ne pourras pas dire: J'ai enrichi Abram.

Genèse 14, 24 Rien pour moi. Seulement ce que mes serviteurs ont mangé et la part des hommes qui sont venus avec moi, Aner, Eshkol et Mambré; eux prendront leur part."

Genèse 15, 1 Après ces événements, la parole de Yahvé fut adressée à Abram, dans une vision: "Ne crains pas, Abram! Je suis ton bouclier, ta récompense sera très grande."

Genèse 15, 2 Abram répondit: "Mon Seigneur Yahvé, que me donnerais-tu? Je m'en vais sans enfant..."

Genèse 15, 3 Abram dit: "Voici que tu ne m'as pas donné de descendance et qu'un des gens de ma maison héritera de moi."

Genèse 15, 4 Alors cette parole de Yahvé lui fut adressée: "Celui-là ne sera pas ton héritier, mais bien quelqu'un issu de ton sang."

Genèse 15, 5 Il le conduisit dehors et dit: "Lève les yeux au ciel et dénombre les étoiles si tu peux les dénombrer" et il lui dit: "Telle sera ta postérité."

Genèse 15, 6 Abram crut en Yahvé, qui le lui compta comme justice.

Genèse 15, 7 Il lui dit: "Je suis Yahvé qui t'ai fait sortir d'Ur des Chaldéens, pour te donner ce pays en possession."

Genèse 15, 8 Abram répondit: "Mon Seigneur Yahvé, à quoi saurai-je que je le posséderai?"

Genèse 15, 9 Il lui dit: "Va me chercher une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et un pigeonneau."

Genèse 15, 10 Il lui amena tous ces animaux, les partagea par le milieu et plaça chaque moitié vis-à-vis de l'autre; cependant il ne partagea pas les oiseaux.

Genèse 15, 11 Les rapaces s'abattirent sur les cadavres, mais Abram les chassa.

Genèse 15, 12 Comme le soleil allait se coucher, une torpeur tomba sur Abram et voici qu'un grand effroi le saisit.

Genèse 15, 13 Yahvé dit à Abram: "Sache bien que tes descendants seront des étrangers dans un pays qui ne sera pas le leur. Ils y seront esclaves, on les opprimera pendant 400 ans.

Genèse 15, 14 Mais je jugerai aussi la nation à laquelle ils auront été asservis et ils sortiront ensuite avec de grands biens.

Genèse 15, 15 Pour toi, tu t'en iras en paix avec tes pères, tu seras enseveli dans une vieillesse heureuse.

Genèse 15, 16 C'est à la quatrième génération qu'ils reviendront ici, car jusque-là l'iniquité des Amorites n'aura pas atteint son comble."

Genèse 15, 17 Quand le soleil fut couché et que les ténèbres s'étendirent, voici qu'un four fumant et un brandon de feu passèrent entre les animaux partagés.

Genèse 15, 18 Ce jour-là Yahvé conclut une alliance avec Abram en ces termes: "A ta postérité je donne ce pays, du Fleuve d'Egypte jusqu'au Grand Fleuve, le fleuve d'Euphrate,

Genèse 15, 19 les Qénites, les Qenizzites, les Qadmonites,

Genèse 15, 20 les Hittites, les Perizzites, les Rephaïm, les Amorites, les Cananéens, les Girgashites et les Jébuséens."

Genèse 16, 1 La femme d'Abram, Saraï, ne lui avait pas donné d'enfant. Mais elle avait une servante égyptienne, nommée Agar,

Genèse 16, 2 et Saraï dit à Abram: "Vois, je te prie: Yahvé n'a pas permis que j'enfante. Va donc vers ma servante. Peut-être obtiendrai-je par elle des enfants." Et Abram écouta la voix de Saraï.

Genèse 16, 3 Ainsi, au bout de dix ans qu'Abram résidait au pays de Canaan, sa femme Saraï prit Agar l'Egyptienne, sa servante, et la donna pour femme à son mari, Abram.

Genèse 16, 4 Celui-ci alla vers Agar, qui devint enceinte. Lorsqu'elle se vit enceinte, sa maîtresse ne compta plus à ses yeux.

Genèse 16, 5 Alors Saraï dit à Abram: "Tu es responsable de l'injure qui m'est faite! J'ai mis ma servante entre tes bras et, depuis qu'elle s'est vue enceinte, je ne compte plus à ses yeux. Que Yahvé juge entre moi et toi!"

Genèse 16, 6 Abram dit à Saraï: "Eh bien, ta servante est entre tes mains, fais-lui comme il te semblera bon." Saraï la maltraita tellement que l'autre s'enfuit de devant elle.

Genèse 16, 7 L'Ange de Yahvé la rencontra près d'une certaine source au désert, la source qui est sur le chemin de Shur.

Genèse 16, 8 Il dit: "Agar, servante de Saraï, d'où viens-tu et où vas-tu?"Elle répondit: "Je fuis devant ma maîtresse Saraï."

Genèse 16, 9 L'Ange de Yahvé lui dit: "Retourne chez ta maîtresse et sois-lui soumise."

Genèse 16, 10 L'Ange de Yahvé lui dit: "Je multiplierai beaucoup ta descendance, tellement qu'on ne pourra pas la compter."

Genèse 16, 11 L'Ange de Yahvé lui dit: "Tu es enceinte et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom d'Ismaël, car Yahvé a entendu ta détresse.

Genèse 16, 12 Celui-là sera un onagre d'homme, sa main contre tous, la main de tous contre lui, il s'établira à la face de tous ses frères."

Genèse 16, 13 A Yahvé qui lui avait parlé, Agar donna ce nom: "Tu es El-Roï", car, dit-elle, "Ai-je encore vu ici après celui qui me voit."

Genèse 16, 14 C'est pourquoi on a appelé ce puits le puits de Lahaï-Roï; il se trouve entre Cadès et Bérèd.

Genèse 16, 15 Agar enfanta un fils à Abram, et Abram donna au fils qu'enfanta Agar le nom d'Ismaël.

Genèse 16, 16 Abram avait 86 ans quand Agar le fit père d'Ismaël.

Genèse 17, 1 Lorsqu'Abram eut atteint 99 ans, Yahvé lui apparut et lui dit: "Je suis El Shaddaï, marche en ma présence et sois parfait.

Genèse 17, 2 J'institue mon alliance entre moi et toi, et je t'accroîtrai extrêmement."

Genèse 17, 3 Et Abram tomba la face contre terre. Dieu lui parla ainsi:

Genèse 17, 4 "Moi, voici mon alliance avec toi: tu deviendras père d'une multitude de nations.

Genèse 17, 5 Et l'on ne t'appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te fais père d'une multitude de nations.

Genèse 17, 6 Je te rendrai extrêmement fécond, de toi je ferai des nations, et des rois sortiront de toi.

Genèse 17, 7 J'établirai mon alliance entre moi et toi, et ta race après toi, de génération en génération, une alliance perpétuelle, pour être ton Dieu et celui de ta race après toi.

Genèse 17, 8 A toi et à ta race après toi, je donnerai le pays où tu séjournes, tout le pays de Canaan, en possession à perpétuité, et je serai votre Dieu."

Genèse 17, 9 Dieu dit à Abraham: "Et toi, tu observeras mon alliance, toi et ta race après toi, de génération en génération.

Genèse 17, 10 Et voici mon alliance qui sera observée entre moi et vous, c'est-à-dire ta race après toi: que tous vos mâles soient circoncis.

Genèse 17, 11 Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l'alliance entre moi et vous.

Genèse 17, 12 Quand ils auront huit jours, tous vos mâles seront circoncis, de génération en génération. Qu'il soit né dans la maison ou acheté à prix d'argent à quelque étranger qui n'est pas de ta race,

Genèse 17, 13 on devra circoncire celui qui est né dans la maison et celui qui est acheté à prix d'argent. Mon alliance sera marquée dans votre chair comme une alliance perpétuelle.

Genèse 17, 14 L'incirconcis, le mâle dont on n'aura pas coupé la chair du prépuce, cette vie-là sera retranchée de sa parenté: il a violé mon alliance."

Genèse 17, 15 Dieu dit à Abraham: "Ta femme Saraï, tu ne l'appelleras plus Saraï, mais son nom est Sara.

Genèse 17, 16 Je la bénirai et même je te donnerai d'elle un fils; je la bénirai, elle deviendra des nations, et des rois de peuples viendront d'elle."

Genèse 17, 17 Abraham tomba la face contre terre, et il se mit à rire car il se disait en lui-même: "Un fils naîtra-t-il à un homme de cent ans, et Sara qui a 90 ans va-t-elle enfanter?"

Genèse 17, 18 Abraham dit à Dieu: "Oh! qu'Ismaël vive devant ta face!"

Genèse 17, 19 Mais Dieu reprit: "Non, mais ta femme Sara te donnera un fils, tu l'appelleras Isaac, j'établirai mon alliance avec lui, comme une alliance perpétuelle, pour être son Dieu et celui de sa race après lui.

Genèse 17, 20 En faveur d'Ismaël aussi, je t'ai entendu: je le bénis, je le rendrai fécond, je le ferai croître extrêmement, il engendrera douze princes et je ferai de lui une grande nation.

Genèse 17, 21 Mais mon alliance, je l'établirai avec Isaac, que va t'enfanter Sara, l'an prochain à cette saison."

Genèse 17, 22 Lorsqu'il eut fini de lui parler, Dieu remonta d'auprès d'Abraham.

Genèse 17, 23 Alors Abraham prit son fils Ismaël, tous ceux qui étaient nés dans sa maison, tous ceux qu'il avait acquis de son argent, bref tous les mâles parmi les gens de la maison d'Abraham, et il circoncit la chair de leur prépuce, ce jour même, comme Dieu le lui avait dit.

Genèse 17, 24 Abraham était âgé de 99 ans lorsqu'on circoncit la chair de son prépuce

Genèse 17, 25 et Ismaël, son fils, était âgé de treize ans lorsqu'on circoncit la chair de son prépuce.

Genèse 17, 26 Ce jour même furent circoncis Abraham et son fils Ismaël,

Genèse 17, 27 et tous les hommes de sa maison, enfants de la maison ou acquis d'un étranger à prix d'argent, furent circoncis avec lui.

Genèse 18, 1 Yahvé lui apparut au Chêne de Mambré, tandis qu'il était assis à l'entrée de la tente, au plus chaud du jour.

Genèse 18, 2 Ayant levé les yeux, voilà qu'il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui; dès qu'il les vit, il courut de l'entrée de la Tente à leur rencontre et se prosterna à terre.

Genèse 18, 3 Il dit: "Monseigneur, je t'en prie, si j'ai trouvé grâce à tes yeux, veuille ne pas passer près de ton serviteur sans t'arrêter.

Genèse 18, 4 Qu'on apporte un peu d'eau, vous vous laverez les pieds et vous vous étendrez sous l'arbre.

Genèse 18, 5 Que j'aille chercher un morceau de pain et vous vous réconforterez le cœur avant d'aller plus loin; c'est bien pour cela que vous êtes passés près de votre serviteur!" Ils répondirent: "Fais donc comme tu as dit."

Genèse 18, 6 Abraham se hâta vers la tente auprès de Sara et dit: "Prends vite trois boisseaux de farine, de fleur de farine, pétris et fais des galettes."

Genèse 18, 7 Puis Abraham courut au troupeau et prit un veau tendre et bon; il le donna au serviteur qui se hâta de le préparer.

Genèse 18, 8 Il prit du caillé, du lait, le veau qu'il avait apprêté et plaça le tout devant eux; il se tenait debout près d'eux, sous l'arbre, et ils mangèrent.

Genèse 18, 9 Ils lui demandèrent: "Où est Sara, ta femme?" Il répondit: "Elle est dans la tente."

Genèse 18, 10 L'hôte dit: "Je reviendrai vers toi l'an prochain; alors, ta femme Sara aura un fils." Sara écoutait, à l'entrée de latente, qui se trouvait derrière lui.

Genèse 18, 11 Or Abraham et Sara étaient vieux, avancés en âge, et Sara avait cessé d'avoir ce qu'ont les femmes.

Genèse 18, 12 Donc, Sara rit en elle-même, se disant: "Maintenant que je suis usée, je connaîtrais le plaisir! Et mon mari qui est un vieillard!"

Genèse 18, 13 Mais Yahvé dit à Abraham: "Pourquoi Sara a-t-elle ri, se disant: Vraiment, vais-je encore enfanter, alors que je suis devenue vieille?

Genèse 18, 14 Y a-t-il rien de trop merveilleux pour Yahvé? A la même saison l'an prochain, je reviendrai chez toi et Sara aura un fils."

Genèse 18, 15 Sara démentit: "Je n'ai pas ri", dit-elle, car elle avait peur, mais il répliqua: "Si, tu as ri."

Genèse 18, 16 S'étant levés, les hommes partirent de là et arrivèrent en vue de Sodome. Abraham marchait avec eux pour les reconduire.

Genèse 18, 17 Yahvé s'était dit: "Vais-je cacher à Abraham ce que je vais faire,

Genèse 18, 18 alors qu'Abraham deviendra une nation grande et puissante et que par lui se béniront toutes les nations de la terre?

Genèse 18, 19 Car je l'ai distingué, pour qu'il prescrive à ses fils et à sa maison après lui de garder la voie de Yahvé en accomplissant la justice et le droit; de la sorte, Yahvé réalisera pour Abraham ce qu'il lui a promis."

Genèse 18, 20 Donc, Yahvé dit: "Le cri contre Sodome et Gomorrhe est bien grand! Leur péché est bien grave!

Genèse 18, 21 Je veux descendre et voir s'ils ont fait ou non tout ce qu'indique le cri qui, contre eux, est monté vers moi; alors je saurai."

Genèse 18, 22 Les hommes partirent de là et allèrent à Sodome. Yahvé se tenait encore devant Abraham.

Genèse 18, 23 Celui-ci s'approcha et dit: "Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le pécheur?

Genèse 18, 24 Peut-être y a-t-il 50 justes dans la ville. Vas-tu vraiment les supprimer et ne pardonneras-tu pas à la cité pour les 50 justes qui sont dans son sein?

Genèse 18, 25 Loin de toi de faire cette chose-là! de faire mourir le juste avec le pécheur, en sorte que le juste soit traité comme le pécheur. Loin de toi! Est-ce que le juge de toute la terre ne rendra pas justice?"

Genèse 18, 26 Yahvé répondit: "Si je trouve à Sodome 50 justes dans la ville, je pardonnerai à toute la cité à cause d'eux."

Genèse 18, 27 Abraham reprit: "Je suis bien hardi de parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre.

Genèse 18, 28 Mais peut-être, des 50 justes en manquera-t-il cinq: feras-tu, pour cinq, périr toute la ville?" Il répondit: "Non, si j'y trouve 45 justes."

Genèse 18, 29 Abraham reprit encore la parole et dit: "Peut-être n'y en aura-t-il que 40 ", et il répondit: "Je ne le ferai pas, à cause des 40."

Genèse 18, 30 Abraham dit: "Que mon Seigneur ne s'irrite pas et que je puisse parler: peut-être s'en trouvera-t-il 30 ", et il répondit: "Je ne le ferai pas, si j'en trouve 30."

Genèse 18, 31 Il dit: "Je suis bien hardi de parler à mon Seigneur: peut-être s'en trouvera-t-il vingt", et il répondit: "Je ne détruirai pas, à cause des vingt."

Genèse 18, 32 Il dit: "Que mon Seigneur ne s'irrite pas et je parlerai une dernière fois: peut-être s'en trouvera-t-il dix", et il répondit: "Je ne détruirai pas, à cause des dix."

Genèse 18, 33 Yahvé, ayant achevé de parler à Abraham, s'en alla, et Abraham retourna chez lui.

Genèse 19, 1 Quand les deux Anges arrivèrent à Sodome sur le soir, Lot était assis à la porte de la ville. Dès que Lot les vit, il se leva à leur rencontre et se prosterna, face contre terre.

Genèse 19, 2 Il dit: "Je vous en prie, Messeigneurs! Veuillez descendre chez votre serviteur pour y passer la nuit et vous laver les pieds, puis au matin vous reprendrez votre route", mais ils répondirent: "Non, nous passerons la nuit sur la place."

Genèse 19, 3 Il les pressa tant qu'ils allèrent chez lui et entrèrent dans sa maison. Il leur prépara un repas, fit cuire des pains sans levain, et ils mangèrent.

Genèse 19, 4 Ils n'étaient pas encore couchés que la maison fut cernée parles hommes de la ville, les gens de Sodome, depuis les jeunes jusqu'aux vieux, tout le peuple sans exception.

Genèse 19, 5 Ils appelèrent Lot et lui dirent: "Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit? Amène-les nous pour que nous en abusions."

Genèse 19, 6 Lot sortit vers eux à l'entrée et, ayant fermé la porte derrière lui,

Genèse 19, 7 il dit: "Je vous en supplie, mes frères, ne commettez pas le mal!

Genèse 19, 8 Ecoutez: j'ai deux filles qui sont encore vierges, je vais vous les amener: faites-leur ce qui vous semble bon, mais, pour ces hommes, ne leur faites rien, puisqu'ils sont entrés sous l'ombre de mon toit."

Genèse 19, 9 Mais ils répondirent: "Ote-toi de là! En voilà un qui est venu en étranger, et il fait le juge! Eh bien, nous te ferons plus de mal qu'à eux!" Ils le pressèrent fort, lui Lot, et s'approchèrent pour briser la porte.

Genèse 19, 10 Mais les hommes sortirent le bras, firent rentrer Lot auprès d'eux dans la maison et refermèrent la porte.

Genèse 19, 11 Quant aux hommes qui étaient à l'entrée de la maison, ils les frappèrent de berlue, du plus petit jusqu'au plus grand, et ils n'arrivaient pas à trouver l'ouverture.

Genèse 19, 12 Les hommes dirent à Lot: "As-tu encore quelqu'un ici? Tes fils, tes filles, tous les tiens qui sont dans la ville, fais-les sortir de ce lieu.

Genèse 19, 13 Nous allons en effet détruire ce lieu, car grand est le cri qui s'est élevé contre eux à la face de Yahvé, et Yahvé nous a envoyés pour les exterminer."

Genèse 19, 14 Lot alla parler à ses futurs gendres, qui devaient épouser ses filles: "Debout, dit-il, quittez ce lieu, car Yahvé va détruire la ville." Mais ses futurs gendres crurent qu'il plaisantait.

Genèse 19, 15 Lorsque pointa l'aurore, les Anges insistèrent auprès de Lot, en disant: "Debout! prends ta femme et tes deux filles qui se trouvent là, de peur d'être emporté par le châtiment de la ville."

Genèse 19, 16 Et comme il hésitait, les hommes le prirent par la main, ainsi que sa femme et ses deux filles, pour la pitié que Yahvé avait de lui. Ils le firent sortir et le laissèrent en dehors de la ville.

Genèse 19, 17 Comme ils le menaient dehors, il dit: "Sauve-toi, sur ta vie! Ne regarde pas derrière toi et ne t'arrête nulle part dans la Plaine, sauve-toi à la montagne, pour n'être pas emporté!"

Genèse 19, 18 Lot leur répondit: "Non, je t'en prie, Monseigneur!

Genèse 19, 19 Ton serviteur a trouvé grâce à tes yeux et tu as montré unegrande miséricorde à mon égard en m'assurant la vie. Mais moi, je ne puis pas me sauver à la montagne sans que m'atteigne le malheur et que je meure.

Genèse 19, 20 Voilà cette ville, assez proche pour y fuir, et elle est peu de chose. Permets que je m'y sauve -- est-ce qu'elle n'est pas peu de chose? -- et que je vive!"

Genèse 19, 21 Il lui répondit: "Je te fais encore cette grâce de ne pas renverser la ville dont tu parles.

Genèse 19, 22 Vite, sauve-toi là-bas, car je ne puis rien faire avant que tu n'y sois arrivé." C'est pourquoi on a donné à la ville le nom de Coar.

Genèse 19, 23 Au moment où le soleil se levait sur la terre et que Lot entrait à Coar,

Genèse 19, 24 Yahvé fit pleuvoir sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu venant de Yahvé,

Genèse 19, 25 et il renversa ces villes et toute la Plaine, avec tous les habitants des villes et la végétation du sol.

Genèse 19, 26 Or la femme de Lot regarda en arrière, et elle devint une colonne de sel.

Genèse 19, 27 Levé de bon matin, Abraham vint à l'endroit où il s'était tenu devant Yahvé

Genèse 19, 28 et il jeta son regard sur Sodome, sur Gomorrhe et sur toute la Plaine, et voici qu'il vit la fumée monter du pays comme la fumée d'une fournaise!

Genèse 19, 29 Ainsi, lorsque Dieu détruisit les villes de la Plaine, il s'est souvenu d'Abraham et il a retiré Lot du milieu de la catastrophe, dans le renversement des villes où habitait Lot.

Genèse 19, 30 Lot monta de Coar et s'établit dans la montagne avec ses deux filles, car il n'osa pas rester à Coar. Il s'installa dans une grotte, lui et ses deux filles.

Genèse 19, 31 L'aînée dit à la cadette: "Notre père est âgé et il n'y a pas d'homme dans le pays pour s'unir à nous à la manière de tout le monde.

Genèse 19, 32 Viens, faisons boire du vin à notre père et couchons avec lui; ainsi, de notre père, nous susciterons une descendance."

Genèse 19, 33 Elles firent boire, cette nuit-là, du vin à leur père, et l'aînée vint s'étendre près de son père, qui n'eut conscience ni de son coucher ni de son lever.

Genèse 19, 34 Le lendemain, l'aînée dit à la cadette: "La nuit dernière, j'ai couché avec mon père; faisons-lui boire du vin encore cette nuit et va coucher avec lui; ainsi, de notre père nous susciterons une descendance."

Genèse 19, 35 Elles firent boire du vin à leur père encore cette nuit-là, et la cadette s'étendit auprès de lui, qui n'eut conscience ni de son coucher ni de son lever.

Genèse 19, 36 Les deux filles de Lot devinrent enceintes de leur père.

Genèse 19, 37 L'aînée donna naissance à un fils et elle l'appela Moab; c'est l'ancêtre des Moabites d'aujourd'hui.

Genèse 19, 38 La cadette aussi donna naissance à un fils et elle l'appela Ben-Ammi; c'est l'ancêtre des Bené-Ammon d'aujourd'hui.

Genèse 20, 1 Abraham partit de là pour le pays du Négeb et demeura entre Cadès et Shur. Il vint séjourner à Gérar.

Genèse 20, 2 Abraham dit de sa femme Sara: "C'est ma sœur" et Abimélek, le roi de Gérar, fit enlever Sara.

Genèse 20, 3 Mais Dieu visita Abimélek en songe, pendant la nuit, et lui dit: "Tu vas mourir à cause de la femme que tu as prise, car elle est une femme mariée."

Genèse 20, 4 Abimélek, qui ne s'était pas approché d'elle, dit: "MonSeigneur, vas-tu aussi tuer quelqu'un d'innocent?

Genèse 20, 5 N'est-ce pas lui qui m'a dit: C'est ma sœur, et elle, oui elle-même, a dit: C'est mon frère. C'est avec une bonne conscience et des mains pures que j'ai fait cela!"

Genèse 20, 6 Dieu lui répondit dans le songe: "Moi aussi je sais que tu as fait cela en bonne conscience, et c'est encore moi qui t'ai retenu de pécher contre moi; aussi n'ai-je pas permis que tu la touches.

Genèse 20, 7 Maintenant, rends la femme de cet homme: il est prophète et il intercédera pour toi afin que tu vives. Mais si tu ne la rends pas, sache que tu mourras sûrement, avec tous les tiens."

Genèse 20, 8 Abimélek se leva tôt et appela tous ses serviteurs. Il leur raconta toute cette affaire et les hommes eurent grand-peur.

Genèse 20, 9 Puis Abimélek appela Abraham et lui dit: "Que nous as-tu fait? Quelle offense ai-je commise contre toi pour que tu attires une si grande faute sur moi et sur mon royaume? Tu as agi à mon égard comme on ne doit pas agir."

Genèse 20, 10 Et Abimélek dit à Abraham: "Qu'est-ce qui t'a pris d'agir ainsi?"

Genèse 20, 11 Abraham répondit: "Je me suis dit: Pour sûr, il n'y a aucune crainte de Dieu dans cet endroit, et on va me tuer à cause dema femme.

Genèse 20, 12 Et puis, elle est vraiment ma soeur, la fille de mon père maisnon la fille de ma mère, et elle est devenue ma femme.

Genèse 20, 13 Alors, quand Dieu m'a fait errer loin de ma famille, je lui aidit: Voici la faveur que tu me feras: partout où nous arriverons, dis de moi que je suis ton frère."

Genèse 20, 14 Abimélek prit du petit et du gros bétail, des serviteurs etdes servantes et les donna à Abraham, et il lui rendit sa femme Sara.

Genèse 20, 15 Abimélek dit aussi: "Vois mon pays qui est ouvert devant toi.Etablis-toi où bon te semble."

Genèse 20, 16 A Sara il dit: "Voici mille pièces d'argent que je donne à tonfrère. Ce sera pour toi comme un voile jeté sur les yeux detous ceux qui sont avec toi, et de tout cela tu es justifiée."

Genèse 20, 17 Abraham intercéda auprès de Dieu et Dieu guérit Abimélek, safemme et ses servantes, pour qu'ils puissent avoir desenfants.

Genèse 20, 18 Car Yahvé avait rendu stérile le sein de toutes les femmes dans la maison d'Abimélek, à cause de Sara, la femme d'Abraham.

Genèse 21, 1 Yahvé visita Sara comme il avait dit et il fit pour elle comme il avait promis.

Genèse 21, 2 Sara conçut et enfanta un fils à Abraham déjà vieux, au temps que Dieu avait marqué.

Genèse 21, 3 Au fils qui lui naquit, enfanté par Sara, Abraham donna le nom d'Isaac.

Genèse 21, 4 Abraham circoncit son fils Isaac, quand il eut huit jours, comme Dieu lui avait ordonné.

Genèse 21, 5 Abraham avait cent ans lorsque lui naquit son fils Isaac.

Genèse 21, 6 Et Sara dit: "Dieu m'a donné de quoi rire, tous ceux qui l'apprendront me souriront."

Genèse 21, 7 Elle dit aussi: "Qui aurait dit à Abraham que Sara allaiterait des enfants! car j'ai donné un fils à sa vieillesse."

Genèse 21, 8 L'enfant grandit et fut sevré, et Abraham fit un grand festin le jour où l'on sevra Isaac.

Genèse 21, 9 Or Sara aperçut le fils né à Abraham de l'Egyptienne Agar, qui jouait avec son fils Isaac,

Genèse 21, 10 et elle dit à Abraham: "Chasse cette servante et son fils, il ne faut pas que le fils de cette servante hérite avec mon fils Isaac."

Genèse 21, 11 Cette parole déplut beaucoup à Abraham, à propos de son fils,

Genèse 21, 12 mais Dieu lui dit: "Ne te chagrine pas à cause du petit et de ta servante, tout ce que Sara te demande, accorde-le, car c'est par Isaac qu'une descendance perpétuera ton nom,

Genèse 21, 13 mais du fils de la servante je ferai aussi une grande nation car il est de ta race."

Genèse 21, 14 Abraham se leva tôt, il prit du pain et une outre d'eau qu'il donna à Agar, et il mit l'enfant sur son épaule, puis il la renvoya. Elle s'en fut errer au désert de Bersabée.

Genèse 21, 15 Quand l'eau de l'outre fut épuisée, elle jeta l'enfant sous un buisson

Genèse 21, 16 et elle alla s'asseoir vis-à-vis, loin comme une portée d'arc. Elle se disait en effet: "Je ne veux pas voir mourir l'enfant!" Elle s'assit vis-à-vis et elle se mit à crier et à pleurer.

Genèse 21, 17 Dieu entendit les cris du petit et l'Ange de Dieu appela du ciel Agar et lui dit: "Qu'as-tu, Agar? Ne crains pas, car Dieu a entendu les cris du petit, là où il était.

Genèse 21, 18 Debout! soulève le petit et tiens-le ferme, car j'en ferai une grande nation."

Genèse 21, 19 Dieu dessilla les yeux d'Agar et elle aperçut un puits. Elle alla remplir l'outre et fit boire le petit.

Genèse 21, 20 Dieu fut avec lui, il grandit et demeura au désert, et il devint un tireur d'arc.

Genèse 21, 21 Il demeura au désert de Parân et sa mère lui choisit une femme du pays d'Egypte.

Genèse 21, 22 En ce temps-là, Abimélek vint avec Pikol, le chef de son armée, dire à Abraham: "Dieu est avec toi en tout ce que tu fais.

Genèse 21, 23 Maintenant, jure-moi ici par Dieu que tu ne me tromperas pas, ni mon lignage et parentage, et que tu auras pour moi et pour ce pays où tu es venu en hôte la même amitié que j'ai eue pour toi."

Genèse 21, 24 Abraham répondit: "Oui, je le jure!"

Genèse 21, 25 Abraham fit reproche à Abimélek à propos du puits que les serviteurs d'Abimélek avaient usurpé.

Genèse 21, 26 Et Abimélek répondit: "Je ne sais pas qui a pu faire cela: toi-même ne m'en as jamais informé et moi-même je n'en ai rienappris qu'aujourd'hui."

Genèse 21, 27 Abraham prit du petit et du gros bétail et le donna à Abimélek, et tous les deux conclurent une alliance.

Genèse 21, 28 Abraham mit à part sept brebis du troupeau,

Genèse 21, 29 et Abimélek lui demanda: "Que font là ces sept brebis que tuas mises à part?"

Genèse 21, 30 Il répondit: "C'est pour que tu acceptes de ma main ces sept brebis, afin qu'elles soient un témoignage que j'ai bien creusé ce puits."

Genèse 21, 31 C'est ainsi qu'on appela ce lieu Bersabée, parce qu'ils y avaient tous deux prêté serment.

Genèse 21, 32 Après qu'ils eurent conclu alliance à Bersabée, Abimélek se leva, avec Pikol, le chef de son armée, et ils retournèrent au pays des Philistins.

Genèse 21, 33 Abraham planta un tamaris à Bersabée et il y invoqua le nom de Yahvé, Dieu d'Eternité.

Genèse 21, 34 Abraham séjourna longtemps au pays des Philistins.

Genèse 22, 1 Après ces événements, il arriva que Dieu éprouva Abraham et lui dit: "Abraham! Abraham!" Il répondit: "Me voici!"

Genèse 22, 2 Dieu dit: "Prends ton fils, ton unique, que tu chéris, Isaac, et va-t'en au pays de Moriyya, et là tu l'offriras en holocauste sur une montagne que je t'indiquerai."

Genèse 22, 3 Abraham se leva tôt, sella son âne et prit avec lui deux de ses serviteurs et son fils Isaac. Il fendit le bois de l'holocauste et se mit en route pour l'endroit que Dieu lui avait dit.

Genèse 22, 4 Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit l'endroit de loin.

Genèse 22, 5 Abraham dit à ses serviteurs: "Demeurez ici avec l'âne. Moi et l'enfant nous irons jusque là-bas, nous adorerons et nous reviendrons vers vous."

Genèse 22, 6 Abraham prit le bois de l'holocauste et le chargea sur son fils Isaac, lui-même prit en mains le feu et le couteau et ils s'en allèrent tous deux ensemble.

Genèse 22, 7 Isaac s'adressa à son père Abraham et dit: "Mon père!" Il répondit: "Oui, mon fils" -- "Eh bien, reprit-il, voilà le feu et le bois, mais où est l'agneau pour l'holocauste?"

Genèse 22, 8 Abraham répondit: "C'est Dieu qui pourvoira à l'agneau pour l'holocauste, mon fils", et ils s'en allèrent tous deux ensemble.

Genèse 22, 9 Quand ils furent arrivés à l'endroit que Dieu lui avait indiqué, Abraham y éleva l'autel et disposa le bois, puis il lia son fils Isaac et le mit sur l'autel, par-dessus le bois.

Genèse 22, 10 Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils.

Genèse 22, 11 Mais l'Ange de Yahvé l'appela du ciel et dit: "Abraham! Abraham!" Il répondit: "Me voici!"

Genèse 22, 12 L'Ange dit: "N'étends pas la main contre l'enfant! Ne lui fais aucun mal! Je sais maintenant que tu crains Dieu: tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique."

Genèse 22, 13 Abraham leva les yeux et vit un bélier, qui s'était pris parles cornes dans un buisson, et Abraham alla prendre le bélier et l'offrit en holocauste à la place de son fils.

Genèse 22, 14 A ce lieu, Abraham donna le nom de "Yahvé pourvoit", en sorte qu'on dit aujourd'hui: "Sur la montagne, Yahvé pourvoit."

Genèse 22, 15 L'Ange de Yahvé appela une seconde fois Abraham du ciel

Genèse 22, 16 et dit: "Je jure par moi-même, parole de Yahvé: parce que tuas fait cela, que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique,

Genèse 22, 17 je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable qui est sur le bord de la mer, et ta postérité conquerra la porte de sesennemis.

Genèse 22, 18 Par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre, parce que tu m'as obéi."

Genèse 22, 19 Abraham revint vers ses serviteurs et ils se mirent en route ensemble pour Bersabée. Abraham résida à Bersabée.

Genèse 22, 20 Après ces événements, on annonça à Abraham que Milka elleaussi avait enfanté des fils à son frère Nahor:

Genèse 22, 21 son premier-né Uç, Buz, le frère de celui-ci, Qemuel, père d'Aram,

Genèse 22, 22 Késed, Hazo, Pildash, Yidlaph, Bétuel

Genèse 22, 23 (et Bétuel engendra Rébecca). Ce sont les huit enfants que Milka donna à Nahor, le frère d'Abraham.

Genèse 22, 24 Il avait une concubine, nommée Réuma, qui eut aussi des enfants: Tébah, Gaham, Tahash et Maaka.

Genèse 23, 1 La durée de la vie de Sara fut de 12 7 ans,

Genèse 23, 2 et elle mourut à Qiryat-Arba -- c'est Hébron -- au pays de Canaan. Abraham entra faire le deuil de Sara et la pleurer.

Genèse 23, 3 Puis Abraham se leva de devant son mort et parla ainsi aux fils de Hèt:

Genèse 23, 4 "Je suis chez vous un étranger et un résident. Accordez-moi chez vous une possession funéraire pour que j'enlève mon mort et l'enterre."

Genèse 23, 5 Les fils de Hèt firent cette réponse à Abraham:

Genèse 23, 6 "Monseigneur, écoute-nous plutôt! Tu es un prince de Dieu parmi nous: enterre ton mort dans la meilleure de nos tombes; personne ne te refusera sa tombe pour que tu puisses enterrer ton mort."

Genèse 23, 7 Abraham se leva et s'inclina devant les gens du pays, les fils de Hèt,

Genèse 23, 8 et il leur parla ainsi: "Si vous consentez que j'enlève mon mort et que je l'enterre, écoutez-moi et intercédez pour moi auprès d'Ephrôn, fils de Cohar,

Genèse 23, 9 pour qu'il me cède la grotte de Makpéla, qui lui appartient et qui est à l'extrémité de son champ. Qu'il me la cède pour sapleine valeur, en votre présence, comme possession funéraire."

Genèse 23, 10 Or Ephrôn était assis parmi les fils de Hèt, et Ephrôn le Hittite répondit à Abraham au su des fils de Hèt, de tous ceux qui franchissaient la porte de sa ville:

Genèse 23, 11 "Non, Monseigneur, écoute-moi! Je te donne le champ et je te donne aussi la grotte qui y est, je te fais ce don au vu des fils de mon peuple. Enterre ton mort."

Genèse 23, 12 Abraham s'inclina devant les gens du pays

Genèse 23, 13 et il parla ainsi à Ephrôn, au su des gens du pays: "Si seulement tu voulais m'écouter! Je donne le prix du champ, accepte-le de moi, et j'enterrerai là mon mort."

Genèse 23, 14 Ephrôn répondit à Abraham:

Genèse 23, 15 "Monseigneur, écoute-moi plutôt: une terre de 400 sicles d'argent, entre moi et toi, qu'est-ce que cela? Enterre ton mort."

Genèse 23, 16 Abraham donna son consentement à Ephrôn et Abraham pesa à Ephrôn l'argent dont il avait parlé au su des fils de Hèt, soit 400 sicles d'argent ayant cours chez le marchand.

Genèse 23, 17 Ainsi le champ d'Ephrôn, qui est à Makpéla, vis-à-vis de Mambré, le champ et la grotte qui y est sise, et tous les arbres qui sont dans le champ, dans sa limite,

Genèse 23, 18 passèrent en propriété à Abraham au vu des fils de Hèt, detous ceux qui franchissaient la porte de sa ville.

Genèse 23, 19 Puis Abraham enterra Sara, sa femme, dans la grotte du champ de Makpéla, vis-à-vis de Mambré, (c'est Hébron) au pays de Canaan.

Genèse 23, 20 C'est ainsi que le champ et la grotte qui y est sise furent acquis à Abraham des fils de Hèt comme possession funéraire.

Genèse 24, 1 Abraham était alors un vieillard avancé en âge, et Yahvé avait béni Abraham en tout.

Genèse 24, 2 Abraham dit au plus vieux serviteur de sa maison, le régisseur de tous ses biens: "Mets ta main sous ma cuisse.

Genèse 24, 3 Je te fais jurer par Yahvé, le Dieu du ciel et de la terre, que tu ne prendras pas pour mon fils une femme parmi les filles des Cananéens au milieu desquels j'habite.

Genèse 24, 4 Mais tu iras dans mon pays, dans ma parenté, et tu choisiras une femme pour mon fils Isaac."

Genèse 24, 5 Le serviteur lui demanda: "Peut-être la femme ne voudra-t-elle pas me suivre dans ce pays-ci: faudra-t-il que je ramène ton fils dans le pays d'où tu es sorti?"

Genèse 24, 6 Abraham lui répondit: "Garde-toi bien de ramener mon fils là-bas.

Genèse 24, 7 Yahvé, le Dieu du ciel et le Dieu de la terre, qui m'a pris de ma maison paternelle et du pays de ma parenté, qui m'a dit et qui m'a juré qu'il donnerait ce pays-ci à ma descendance, Yahvé enverra son Ange devant toi, pour que tu prennes une femme de là-bas pour mon fils.

Genèse 24, 8 Et si la femme ne veut pas te suivre, tu seras quitte du serment que je t'impose. En tout cas, ne ramène pas mon fils là-bas."

Genèse 24, 9 Le serviteur mit sa main sous la cuisse de son maître Abraham et il lui prêta serment pour cette affaire.

Genèse 24, 10 Le serviteur prit dix des chameaux de son maître et, emportant de tout ce que son maître avait de bon, il se mit en route pour l'Aram Naharayim, pour la ville de Nahor.

Genèse 24, 11 Il fit agenouiller les chameaux en dehors de la ville, près du puits, à l'heure du soir, à l'heure où les femmes sortent pourpuiser.

Genèse 24, 12 Et il dit: "Yahvé, Dieu de mon maître Abraham, sois-moi propice aujourd'hui et montre ta bienveillance pour mon maître Abraham!

Genèse 24, 13 Je me tiens près de la source et les filles des gens de la ville sortent pour puiser de l'eau.

Genèse 24, 14 "La jeune fille à qui je dirai: Incline donc ta cruche, que je boive et qui répondra: Bois et j'abreuverai aussi tes chameaux, ce sera celle que tu as destinée à ton serviteur Isaac, et je connaîtrai à cela que tu as montré ta bienveillance pour mon maître."

Genèse 24, 15 Il n'avait pas fini de parler que sortait Rébecca, qui était fille de Bétuel, fils de Milka, la femme de Nahor, frère d'Abraham, et elle avait sa cruche sur l'épaule.

Genèse 24, 16 La jeune fille était très belle, elle était vierge, aucun homme ne l'avait approchée. Elle descendit à la source, emplit sa cruche et remonta.

Genèse 24, 17 Le serviteur courut au-devant d'elle et dit: "S'il te plaît, laisse-moi boire un peu d'eau de ta cruche."

Genèse 24, 18 Elle répondit: "Bois, Monseigneur" et vite elle abaissa sa cruche sur son bras et le fit boire.

Genèse 24, 19 Quand elle eut fini de lui donner à boire, elle dit: "Je vais puiser aussi pour tes chameaux, jusqu'à ce qu'ils soientdésaltérés."

Genèse 24, 20 Vite elle vida sa cruche dans l'auge, courut encore au puits pour puiser et puisa pour tous les chameaux.

Genèse 24, 21 L'homme la considérait en silence, se demandant si Yahvé l'avait ou non mené au but.

Genèse 24, 22 Lorsque les chameaux eurent fini de boire, l'homme prit un anneau d'or pesant un demi-sicle, qu'il mit à ses narines, et, à ses bras, deux bracelets pesant dix sicles d'or,

Genèse 24, 23 et il dit: "De qui es-tu la fille? Apprends-le moi, je te prie. Y a-t-il de la place chez ton père pour que nous passions la nuit?"

Genèse 24, 24 Elle répondit: "Je suis la fille de Bétuel, le fils que Milkaa enfanté à Nahor"

Genèse 24, 25 et elle continua: "Il y a, chez nous, de la paille et du fourrage en quantité, et de la place pour gîter."

Genèse 24, 26 Alors l'homme se prosterna et adora Yahvé,

Genèse 24, 27 et il dit: "Béni soit Yahvé, Dieu de mon maître Abraham, qui n'a pas ménagé sa bienveillance et sa bonté à mon maître. Yahvé a guidé mes pas chez le frère de mon maître!"

Genèse 24, 28 La jeune fille courut annoncer chez sa mère ce qui était arrivé.

Genèse 24, 29 Or Rébecca avait un frère qui s'appelait Laban, et Laban courut au-dehors vers l'homme, à la source.

Genèse 24, 30 Dès qu'il eut vu l'anneau et les bracelets que portait sa sœur et qu'il eut entendu sa sœur Rébecca dire: "Voilà comment cet homme m'a parlé", il alla vers l'homme et le trouva encore debout près des chameaux, à la source.

Genèse 24, 31 Il lui dit: "Viens, béni de Yahvé! Pourquoi restes-tu dehors, quand j'ai débarrassé la maison et fait de la place pour les chameaux?"

Genèse 24, 32 L'homme vint à la maison et Laban débâta les chameaux, il donna de la paille et du fourrage aux chameaux et, pour lui et les hommes qui l'accompagnaient, de l'eau pour se laver les pieds.

Genèse 24, 33 On lui présenta à manger, mais il dit: "Je ne mangerai pas avant d'avoir dit ce que j'ai à dire", et Laban répondit: "Parle."

Genèse 24, 34 Il dit: "Je suis le serviteur d'Abraham.

Genèse 24, 35 Yahvé a comblé mon maître de bénédictions et celui-ci est devenu très riche: il lui a donné du petit et du gros bétail, de l'argent et de l'or, des serviteurs et des servantes, des chameaux et des ânes.

Genèse 24, 36 Sara, la femme de mon maître, lui a, quand il était déjà vieux, enfanté un fils, auquel il a transmis tous ses biens.

Genèse 24, 37 Mon maître m'a fait prêter ce serment: Tu ne prendras pas pour mon fils une femme parmi les filles des Cananéens dont j'habite le pays.

Genèse 24, 38 Malheur à toi si tu ne vas pas dans ma maison paternelle, dans ma famille, choisir une femme pour mon fils!

Genèse 24, 39 J'ai dit à mon maître: Peut-être cette femme n'acceptera pas de me suivre,

Genèse 24, 40 et il m'a répondu: Yahvé, en présence de qui j'ai marché, enverra son Ange avec toi, il te mènera au but et tu prendras pour mon fils une femme de ma famille, de ma maison paternelle.

Genèse 24, 41 Tu seras alors quitte de ma malédiction: tu seras allé dans ma famille et, s'ils te refusent, tu seras quitte de ma malédiction.

Genèse 24, 42 Je suis arrivé aujourd'hui à la source et j'ai dit: Yahvé, Dieu de mon maître Abraham, montre, je te prie, si tu es disposé à mener au but le chemin par où je vais:

Genèse 24, 43 je me tiens près de la source; la jeune fille qui sortira pour puiser, à qui je dirai: S'il te plaît, donne-moi à boire un peu d'eau de ta cruche,

Genèse 24, 44 et qui répondra: Bois toi-même et je puiserai aussi pour tes chameaux, ce sera la femme que Yahvé a destinée au fils de mon maître.

Genèse 24, 45 Je n'avais pas fini de parler en moi-même que Rébecca sortait, sa cruche sur l'épaule. Elle descendit à la source et puisa. Je lui dis: Donne-moi à boire, s'il te plaît!

Genèse 24, 46 Vite, elle se déchargea de sa cruche et dit: Bois, et j'abreuverai aussi tes chameaux. J'ai bu et elle a abreuvé aussi mes chameaux.

Genèse 24, 47 Je lui ai demandé: De qui es-tu la fille? Et elle a répondu:Je suis la fille de Bétuel, le fils que Milka a donné à Nahor. Alors j'ai mis cet anneau à ses narines et ces bracelets à ses bras,

Genèse 24, 48 et je me suis prosterné et j'ai adoré Yahvé, et j'ai béni Yahvé, Dieu de mon maître Abraham, qui m'avait conduit par un chemin de bonté prendre pour son fils la fille du frère de mon maître.

Genèse 24, 49 Maintenant, si vous êtes disposés à montrer à mon maître bienveillance et bonté, déclarez-le-moi, si non, déclarez-le-moi, pour que je me tourne à droite ou à gauche."

Genèse 24, 50 Laban et Bétuel prirent la parole et dirent: "La chose vient de Yahvé, nous ne pouvons te dire ni oui ni non.

Genèse 24, 51 Rébecca est là devant toi: prends-la et pars, et qu'elle devienne la femme du fils de ton maître, comme a dit Yahvé."

Genèse 24, 52 Lorsque le serviteur d'Abraham entendit ces paroles, il se prosterna à terre devant Yahvé.

Genèse 24, 53 Il sortit des bijoux d'argent et d'or et des vêtements, qu'il donna à Rébecca; il fit aussi de riches cadeaux à son frère et à sa mère.

Genèse 24, 54 Ils mangèrent et ils burent, lui et les hommes qui l'accompagnaient, et ils passèrent la nuit. Le matin, quand ils furent levés, il dit: "Laissez-moi aller chez mon maître."

Genèse 24, 55 Alors le frère et la mère de Rébecca dirent: "Que la jeune fille reste avec nous une dizaine de jours, ensuite elle partira."

Genèse 24, 56 Mais il leur répondit: "Ne me retardez pas, puisque c'est Yahvé qui m'a mené au but: laissez-moi partir, que j'aille chez mon maître."

Genèse 24, 57 Ils dirent: "Appelons la jeune fille et demandons-lui son avis."

Genèse 24, 58 Ils appelèrent Rébecca et lui dirent: "Veux-tu partir avec cet homme?" Et elle répondit: "Je veux bien."

Genèse 24, 59 Alors ils laissèrent partir leur sœur Rébecca, avec sa nourrice, le serviteur d'Abraham et ses hommes.

Genèse 24, 60 Ils bénirent Rébecca et lui dirent: "Notre sœur, ô toi, deviens des milliers de myriades! Que ta postérité conquière la porte de ses ennemis!"

Genèse 24, 61 Rébecca et ses servantes se levèrent, montèrent sur les chameaux et suivirent l'homme. Le serviteur prit Rébecca et partit.

Genèse 24, 62 Isaac était revenu du puits de Lahaï-Roï, et il habitait au pays du Négeb.

Genèse 24, 63Or Isaac sortit pour se promener dans la campagne, à la tombée du soir, et, levant les yeux, il vit que des chameaux arrivaient.

Genèse 24, 64 Et Rébecca, levant les yeux, vit Isaac. Elle sauta à bas du chameau

Genèse 24, 65 et dit au serviteur: "Quel est cet homme-là, qui vient dans la campagne à notre rencontre?" Le serviteur répondit: "C'est mon maître"; alors elle prit son voile et se couvrit.

Genèse 24, 66 Le serviteur raconta à Isaac toute l'affaire qu'il avait faite.

Genèse 24, 67 Et Isaac introduisit Rébecca dans sa tente: il la prit et elle devint sa femme et il l'aima. Et Isaac se consola de la perte de sa mère.

Genèse 25, 1 Abraham prit encore une femme, qui s'appelait Qetura.

Genèse 25, 2 Elle lui enfanta Zimrân, Yoqshân, Medân, Madiân, Yishbaq etShuah. --

Genèse 25, 3 Yoqshân engendra Sheba et Dedân, et les fils de Dedân furent les Ashshurites, les Letushim et les Léummim. --

Genèse 25, 4 Fils de Madiân: Epha, Epher, Hanok, Abida, Eldaa. Tous ceux-là sont fils de Qetura.

Genèse 25, 5 Abraham donna tous ses biens à Isaac.

Genèse 25, 6 Quant aux fils de ses concubines, Abraham leur fit des présents et les envoya, de son vivant, loin de son fils Isaac, à l'est, au pays d'Orient.

Genèse 25, 7 Voici la durée de la vie d'Abraham: 175 ans.

Genèse 25, 8 Puis Abraham expira, il mourut dans une vieillesse heureuse, âgé et rassasié de jours, et il fut réuni à sa parenté.

Genèse 25, 9 Isaac et Ismaël, ses fils, l'enterrèrent dans la grotte de Makpéla, dans le champ d'Ephrôn fils de Cohar, le Hittite, qui est vis-à-vis de Mambré.

Genèse 25, 10 C'est le champ qu'Abraham avait acheté aux fils de Hèt; là furent enterrés Abraham et sa femme Sara.

Genèse 25, 11 Après la mort d'Abraham, Dieu bénit son fils Isaac, et Isaac habita près du puits de Lahaï-Roï.

Genèse 25, 12 Voici la descendance d'Ismaël, le fils d'Abraham, que lui enfanta Agar, la servante égyptienne de Sara.

Genèse 25, 13 Voici les noms des fils d'Ismaël, selon leurs noms et leur lignée: le premier-né d'Ismaël Nebayot, puis Qédar, Adbéel, Mibsam,

Genèse 25, 14 Mishma, Duma, Massa,

Genèse 25, 15 Hadad, Téma, Yetur, Naphish et Qédma.

Genèse 25, 16 Ce sont là les fils d'Ismaël et tels sont leurs noms, d'après leurs douars et leurs camps, douze chefs d'autant de clans.

Genèse 25, 17 Voici la durée de la vie d'Ismaël: 137 ans. Puis il expira; il mourut et il fut réuni à sa parenté.

Genèse 25, 18 Il habita depuis Havila jusqu'à Shur, qui est à l'est de l'Egypte, en allant vers l'Assyrie. Il s'était établi à la face de tous ses frères.

Genèse 25, 19 Voici l'histoire d'Isaac fils d'Abraham. Abraham engendra Isaac.

Genèse 25, 20 Isaac avait 40 ans lorsqu'il épousa Rébecca, fille de Bétuel, l'Araméen de Paddân-Aram, et sœur de Laban l'Araméen.

Genèse 25, 21 Isaac implora Yahvé pour sa femme, car elle était stérile: Yahvé l'exauça et sa femme Rébecca devint enceinte.

Genèse 25, 22 Or les enfants se heurtaient en elle et elle dit: "S'il en est ainsi, à quoi bon vivre?" Elle alla donc consulter Yahvé,

Genèse 25, 23 et Yahvé lui dit: "Il y a deux nations en ton sein, deux peuples, issus de toi, se sépareront, un peuple dominera un peuple, l'aîné servira le cadet."

Genèse 25, 24 Quand vint le temps de ses couches, voici qu'elle portait des jumeaux.

Genèse 25, 25 Le premier sortit: il était roux et tout entier comme un manteau de poils; on l'appela Esaü.

Genèse 25, 26 Ensuite sortit son frère et sa main tenait le talon d'Esaü; on l'appela Jacob. Isaac avait 60 ans à leur naissance.

Genèse 25, 27 Les garçons grandirent: Esaü devint un habile chasseur, courant la steppe, Jacob était un homme tranquille, demeurant sous les tentes.

Genèse 25, 28 Isaac préférait Esaü car le gibier était à son goût, mais Rébecca préférait Jacob.

Genèse 25, 29 Une fois, Jacob prépara un potage et Esaü revint de la campagne, épuisé.

Genèse 25, 30 Esaü dit à Jacob: "Laisse-moi avaler ce roux, ce roux-là; je suis épuisé" -- C'est pourquoi on l'a appelé Edom. --

Genèse 25, 31 Jacob dit: "Vends-moi d'abord ton droit d'aînesse.

Genèse 25, 32 Esaü répondit: "Voici que je vais mourir, à quoi me servira le droit d'aînesse?"

Genèse 25, 33 Jacob reprit: "Prête-moi d'abord serment"; il lui prêta serment et vendit son droit d'aînesse à Jacob.

Genèse 25, 34 Alors Jacob lui donna du pain et du potage de lentilles, il mangea et but, se leva et partit. C'est tout le cas qu'Esaü fit du droit d'aînesse.

Genèse 26, 1 Il y eut une famine dans le pays -- en plus de la première famine qui eut lieu du temps d'Abraham -- et Isaac se rendit à Gérar chez Abimélek, roi des Philistins.

Genèse 26, 2 Yahvé lui apparut et dit: "Ne descends pas en Egypte; demeure au pays que je te dirai.

Genèse 26, 3 Séjourne dans ce pays-ci, je serai avec toi et te bénirai. Car c'est à toi et à ta race que je donnerai tous ces pays-ci et je tiendrai le serment que j'ai fait à ton père Abraham.

Genèse 26, 4 Je rendrai ta postérité nombreuse comme les étoiles du ciel, je lui donnerai tous ces pays et par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre,

Genèse 26, 5 en retour de l'obéissance d'Abraham, qui a gardé mes observances, mes commandements, mes règles et mes lois."

Genèse 26, 6 Ainsi Isaac demeura à Gérar.

Genèse 26, 7 Les gens du lieu l'interrogèrent sur sa femme et il répondit: "C'est ma sœur." Il eut peur de dire: "Ma femme", pensant: "Les gens du lieu me feront mourir à cause de Rébecca, car elle est belle."

Genèse 26, 8 Il était là depuis longtemps quand Abimélek, le roi des Philistins, regardant une fois par la fenêtre, vit Isaac qui caressait Rébecca, sa femme.

Genèse 26, 9 Abimélek appela Isaac et dit: "Pour sûr, c'est ta femme!Comment as-tu pu dire: C'est ma sœur?" Isaac lui répondit:"Je me disais: je risque de mourir à cause d'elle."

Genèse 26, 10 Abimélek reprit: "Qu'est-ce que tu nous as fait là? Un peu plus, quelqu'un du peuple couchait avec ta femme et tu nous chargeais d'une faute!"

Genèse 26, 11 Alors Abimélek donna cet ordre à tout le peuple: "Quiconque touchera à cet homme et à sa femme sera mis à mort."

Genèse 26, 12 Isaac fit des semailles dans ce pays et, cette année-là, il moissonna le centuple. Yahvé le bénit

Genèse 26, 13 et l'homme s'enrichit, il s'enrichit de plus en plus, jusqu'à devenir extrêmement riche.

Genèse 26, 14 Il avait des troupeaux de gros et de petit bétail et de nombreux serviteurs. Les Philistins en devinrent jaloux.

Genèse 26, 15 Tous les puits que les serviteurs de son père avaient creusés, -- du temps de son père Abraham, -- les Philistins le savaient bouchés et comblés de terre.

Genèse 26, 16 Abimélek dit à Isaac: "Pars de chez nous, car tu es devenu beaucoup plus puissant que nous."

Genèse 26, 17 Isaac partit donc de là et campa dans la vallée de Gérar, où il s'établit.

Genèse 26, 18 Isaac creusa de nouveau les puits qu'avaient creusés les serviteurs de son père Abraham et que les Philistins avaient bouchés après la mort d'Abraham, et il leur donna les mêmes noms que son père leur avait donnés.

Genèse 26, 19 Les serviteurs d'Isaac creusèrent dans la vallée et ils trouvèrent là un puits d'eaux vives.

Genèse 26, 20 Mais les bergers de Gérar entrèrent en dispute avec les bergers d'Isaac, disant: "L'eau est à nous!" Isaac nomma ce puits Eseq, parce qu'ils s'étaient querellés avec lui.

Genèse 26, 21 Ils creusèrent un autre puits et il y eut encore une dispute à son propos; il le nomma Sitna.

Genèse 26, 22 Alors il partit de là et creusa un autre puits, et il n'y eut pas de dispute à son propos; il le nomma Rehobot et dit:"Maintenant Yahvé nous a donné le champ libre pour que nous prospérions dans le pays."

Genèse 26, 23 De là il monta à Bersabée.

Genèse 26, 24 Yahvé lui apparut cette nuit-là et dit: "Je suis le Dieu de ton père Abraham. Ne crains rien, car je suis avec toi. Je te bénirai, je multiplierai ta postérité, en considération de mon serviteur Abraham."

Genèse 26, 25 Il bâtit là un autel et invoqua le nom de Yahvé. Il dressa là sa tente. Les serviteurs d'Isaac forèrent un puits.

Genèse 26, 26 Abimélek vint le voir de Gérar, avec Ahuzzat son familier et Pikol le chef de son armée.

Genèse 26, 27 Isaac leur dit: "Pourquoi venez-vous à moi, puisque vous me haïssez et que vous m'avez renvoyé de chez vous?"

Genèse 26, 28 Ils répondirent: "Nous avons eu l'évidence que Yahvé était avec toi et nous avons dit: Qu'il y ait un serment entre nous et toi et concluons une alliance avec toi:

Genèse 26, 29 jure de ne nous faire aucun mal, puisque nous ne t'avons pas molesté, que nous ne t'avons fait que du bien et t'avons laissé partir en paix. Maintenant, tu es un béni de Yahvé."

Genèse 26, 30 Il leur prépara un festin, et ils mangèrent et burent.

Genèse 26, 31 Levés de bon matin, ils se firent un serment mutuel. Puis Isaac les congédia et ils le quittèrent en paix.

Genèse 26, 32 Or ce fut ce jour-là que les serviteurs d'Isaac lui apportèrent des nouvelles du puits qu'ils creusaient et ils lui dirent: "Nous avons trouvé l'eau!"

Genèse 26, 33 Il appela le puits Sabée, d'où le nom de la ville, Bersabée, jusqu'à maintenant.

Genèse 26, 34 Quand Esaü eut 40 ans, il prit pour femmes Yehudit, fille de Bééri le Hittite, et Basmat, fille d'Elôn le Hittite.

Genèse 26, 35 Elles furent un sujet d'amertume pour Isaac et pour Rébecca.

Genèse 27, 1 Isaac était devenu vieux et ses yeux avaient faibli jusqu'à ne plus voir. Il appela son fils aîné Esaü: "Mon fils!" lui dit-il, et celui-ci répondit: "Oui!"

Genèse 27, 2 Il reprit: "Tu vois, je suis vieux et je ne connais pas le jour de ma mort.

Genèse 27, 3 Maintenant, prends tes armes, ton carquois et ton arc, sors dans la campagne et tue-moi du gibier.

Genèse 27, 4 Apprête-moi un régal comme j'aime et apporte-le moi, que je mange, afin que mon âme te bénisse avant que je meure" --

Genèse 27, 5 Or Rébecca écoutait pendant qu'Isaac parlait à son fils Esaü.-- Esaü alla donc dans la campagne chasser du gibier pour sonpère.

Genèse 27, 6 Rébecca dit à son fils Jacob: "Je viens d'entendre ton père dire à ton frère Esaü:

Genèse 27, 7 Apporte-moi du gibier et apprête-moi un régal, je mangerai et je te bénirai devant Yahvé avant de mourir.

Genèse 27, 8 Maintenant, fils, écoute-moi et fais comme je t'ordonne.

Genèse 27, 9Va au troupeau et apporte-moi de là deux beaux chevreaux, etj'en préparerai un régal pour ton père, comme il aime.

Genèse 27, 10 Tu le présenteras à ton père et il mangera, afin qu'il te bénisse avant de mourir."

Genèse 27, 11 Jacob dit à sa mère Rébecca: "Vois: mon frère Esaü est velu, et moi j'ai la peau bien lisse.

Genèse 27, 12 Peut-être mon père va-t-il me tâter, il verra que je me suis moqué de lui et j'attirerai sur moi la malédiction au lieu de la bénédiction."

Genèse 27, 13 Mais sa mère lui répondit: "Je prends sur moi ta malédiction, mon fils! Ecoute-moi seulement et va me chercher les chevreaux."

Genèse 27, 14 Il alla les chercher et les apporta à sa mère qui apprêta un régal comme son père aimait.

Genèse 27, 15 Rébecca prit les plus beaux habits d'Esaü, son fils aîné, qu'elle avait à la maison, et en revêtit Jacob, son fils cadet.

Genèse 27, 16 Avec la peau des chevreaux elle lui couvrit les bras et la partie lisse du cou.

Genèse 27, 17 Puis elle mit le régal et le pain qu'elle avait apprêtés entre les mains de son fils Jacob.

Genèse 27, 18 Il alla auprès de son père et dit: "Mon père!" celui-ci répondit: "Oui! Qui es-tu, mon fils?"

Genèse 27, 19 Jacob dit à son père: "Je suis Esaü, ton premier-né, j'ai fait ce que tu m'as commandé. Lève-toi, je te prie, assieds-toi et mange de ma chasse, afin que ton âme me bénisse."

Genèse 27, 20 Isaac dit à Jacob: "Comme tu as trouvé vite, mon fils" -- "C'est, répondit-il, que Yahvé ton Dieu m'a été propice."

Genèse 27, 21 Isaac dit à Jacob: "Approche-toi donc, que je te tâte, mon fils, pour savoir si, oui ou non, tu es mon fils Esaü."

Genèse 27, 22 Jacob s'approcha de son père Isaac, qui le tâta et dit: "La voix est celle de Jacob, mais les bras sont ceux d'Esaü!"

Genèse 27, 23 Il ne le reconnut pas car ses bras étaient velus comme ceux d'Esaü son frère, et il le bénit.

Genèse 27, 24 Il dit: "Tu es bien mon fils Esaü?" Et l'autre répondit:"Oui."

Genèse 27, 25 Isaac reprit: "Sers-moi et que je mange de la chasse de mon fils, afin que mon âme te bénisse." Il le servit et il mangea, il lui présenta du vin et il but.

Genèse 27, 26 Son père Isaac lui dit: "Approche-toi et embrasse-moi, mon fils!"

Genèse 27, 27 Il s'approcha et embrassa son père, qui respira l'odeur de ses vêtements. Il le bénit ainsi: "Oui, l'odeur de mon fils est comme l'odeur d'un champ fertile que Yahvé a béni.

Genèse 27, 28 Que Dieu te donne la rosée du ciel et les gras terroirs, froment et vin en abondance!

Genèse 27, 29 Que les peuples te servent, que des nations se prosternent devant toi! Sois un maître pour tes frères, que se prosternent devant toi les fils de ta mère! Maudit soit qui te maudira, Béni soit qui te bénira!"

Genèse 27, 30 Isaac avait achevé de bénir Jacob et Jacob sortait tout juste de chez son père Isaac lorsque son frère Esaü rentra de la chasse.

Genèse 27, 31 Lui aussi apprêta un régal et l'apporta à son père. Il lui dit: "Que mon père se lève et mange de la chasse de son fils, afin que ton âme me bénisse!"

Genèse 27, 32 Son père Isaac lui demanda: "Qui es-tu" -- "Je suis, répondit-il, ton fils premier-né, Esaü."

Genèse 27, 33 Alors Isaac fut secoué d'un très grand frisson et dit: "Que lest donc celui-là qui a chassé du gibier et me l'a apporté? De confiance j'ai mangé avant que tu ne viennes et je l'ai béni, et il restera béni!"

Genèse 27, 34 Lorsque Esaü entendit les paroles de son père, il cria avec beaucoup de force et d'amertume et dit à son père: "Bénis-moi aussi, mon père!"

Genèse 27, 35 Mais celui-ci répondit: "Ton frère est venu par ruse et a pris ta bénédiction."

Genèse 27, 36 Esaü reprit: "Est-ce parce qu'il s'appelle Jacob qu'il m'a supplanté ces deux fois? Il avait pris mon droit d'aînesse et voilà maintenant qu'il a pris ma bénédiction! Mais, ajouta-t-il, ne m'as-tu pas réservé une bénédiction?"

Genèse 27, 37 Isaac, prenant la parole, répondit à Esaü: "Je l'ai établi ton maître, je lui ai donné tous ses frères comme serviteurs, je l'ai pourvu de froment et de vin. Que pourrais-je faire pour toi, mon fils?"

Genèse 27, 38 Esaü dit à son père: "Est-ce donc ta seule bénédiction, mon père? Bénis-moi aussi, mon père!" Isaac resta silencieux et Esaü se mit à pleurer.

Genèse 27, 39 Alors son père Isaac prit la parole et dit: "Loin des gras terroirs sera ta demeure, loin de la rosée qui tombe du ciel.

Genèse 27, 40 Tu vivras de ton épée, tu serviras ton frère. Mais, quand tu t'affranchiras, tu secoueras son joug de dessus ton cou."

Genèse 27, 41 Esaü prit Jacob en haine à cause de la bénédiction que son père avait donnée à celui-ci et il se dit en lui-même: "Proche est le temps où l'on fera le deuil de mon père. Alors je tuerai mon frère Jacob."

Genèse 27, 42 Lorsqu'on rapporta à Rébecca les paroles d'Esaü, son fils aîné, elle fit appeler Jacob, son fils cadet, et lui dit: "Ton frère Esaü veut se venger de toi en te tuant.

Genèse 27, 43 Maintenant, mon fils, écoute-moi: pars, enfuis-toi chez mon frère Laban à Harân.

Genèse 27, 44 Tu habiteras avec lui quelques temps, jusqu'à ce que se détourne la fureur de ton frère,

Genèse 27, 45 jusqu'à ce que la colère de ton frère se détourne de toi et qu'il oublie ce que tu lui as fait; alors je t'enverrai chercher là-bas. Pourquoi vous perdrais-je tous les deux en un seul jour?"

Genèse 27, 46 Rébecca dit à Isaac: "Je suis dégoûtée de la vie à cause des filles de Hèt. Si Jacob épouse une des filles de Hèt comme celles-là, une des filles du pays, que m'importe la vie?"

Genèse 28, 1Isaac appela Jacob, il le bénit et lui fit ce commandement: "Ne prends pas une femme parmi les filles de Canaan.

Genèse 28, 2 Lève-toi! Va en Paddân-Aram chez Bétuel, le père de ta mère, et choisis-toi une femme de là-bas, parmi les filles de Laban, le frère de ta mère.

Genèse 28, 3 Qu'El Shaddaï te bénisse, qu'il te fasse fructifier et multiplier pour que tu deviennes une assemblée de peuples.

Genèse 28, 4 Qu'il t'accorde, ainsi qu'à ta descendance, la bénédiction d'Abraham, pour que tu possèdes le pays dans lequel tu séjournes et que Dieu a donné à Abraham."

Genèse 28, 5 Isaac congédia Jacob et celui-ci partit en Paddân-Aram chez Laban, fils de Bétuel l'Araméen et frère de Rébecca, la mère de Jacob et d'Esaü.

Genèse 28, 6 Esaü vit qu'Isaac avait béni Jacob et l'avait envoyé en Paddân-Aram pour y prendre femme, et qu'en le bénissant il lui avait fait ce commandement: "Ne prends pas une femme parmi les filles de Canaan."

Genèse 28, 7 Et Jacob avait obéi à son père et à sa mère et était parti en Paddân-Aram.

Genèse 28, 8 Esaü comprit que les filles de Canaan étaient mal vues de son père Isaac

Genèse 28, 9 et il alla chez Ismaël et prit pour femme -- en plus de celles qu'il avait -- Mahalat, fille d'Ismaël, le fils d'Abraham, et sœur de Nebayot.

Genèse 28, 10 Jacob quitta Bersabée et partit pour Harân.

Genèse 28, 11 Il arriva d'aventure en un certain lieu et il y passa la nuit, car le soleil s'était couché. Il prit une des pierres du lieu, la mit sous sa tête et dormit en ce lieu.

Genèse 28, 12 Il eut un songe: Voilà qu'une échelle était dressée sur la terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient!

Genèse 28, 13 Voilà que Yahvé se tenait devant lui et dit: "Je suis Yahvé, le Dieu d'Abraham ton ancêtre et le Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donne à toi et à ta descendance.

Genèse 28, 14 Ta descendance deviendra nombreuse comme la poussière du sol, tu déborderas à l'occident et à l'orient, au septentrion et au midi, et tous les clans de la terre se béniront par toi et par ta descendance.

Genèse 28, 15 Je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras et te ramènerai en ce pays, car je ne t'abandonnerai pas tant que je n'aie accompli ce que je t'ai promis."

Genèse 28, 16 Jacob s'éveilla de son sommeil et dit: "En vérité, Yahvé est en ce lieu et je ne le savais pas!"

Genèse 28, 17 Il eut peur et dit: "Que ce lieu est redoutable! Ce n'est rien de moins qu'une maison de Dieu et la porte du ciel!"

Genèse 28, 18 Levé de bon matin, il prit la pierre qui lui avait servi de chevet, il la dressa comme une stèle et répandit de l'huile sur son sommet.

Genèse 28, 19 A ce lieu, il donna le nom de Béthel, mais auparavant la ville s'appelait Luz.

Genèse 28, 20 Jacob fit ce vœu: "Si Dieu est avec moi et me garde en la route où je vais, s'il me donne du pain à manger et des habits pour me vêtir,

Genèse 28, 21 si je reviens sain et sauf chez mon père, alors Yahvé sera mon Dieu

Genèse 28, 22 et cette pierre que j'ai dressée comme une stèle sera une maison de Dieu, et de tout ce que tu me donneras je te payeraifidèlement la dîme."

Genèse 29, 1 Jacob se mit en marche et alla au pays des fils de l'Orient.

Genèse 29, 2 Et voici qu'il vit un puits dans la campagne, près duquel étaient couchés trois troupeaux de petit bétail: c'était à ce puits qu'on abreuvait les troupeaux, mais la pierre qui enfermait l'ouverture était grande.

Genèse 29, 3 Quand tous les troupeaux étaient rassemblés là, on roulait la pierre de sur la bouche du puits, on abreuvait le bétail, puis on remettait la pierre en place sur la bouche du puits.

Genèse 29, 4Jacob demanda aux bergers: "Mes frères, d'où êtes-vous?" Et ils répondirent: "Nous sommes de Harân."

Genèse 29, 5 Il leur dit: "Connaissez-vous Laban, fils de Nahor" -- "Nous le connaissons", répondirent-ils.

Genèse 29, 6 Il leur demanda: "Va-t-il bien?" Ils répondirent: "Il va bien, et voici justement sa fille Rachel qui vient avec le troupeau."

Genèse 29, 7 Jacob dit: "Il fait encore grand jour, ce n'est pas le moment de rentrer le bétail. Abreuvez les bêtes et retournez au pâturage."

Genèse 29, 8 Mais ils répondirent: "Nous ne pouvons le faire avant que soient rassemblés tous les troupeaux et qu'on roule la pierre de sur la bouche du puits; alors nous abreuverons les bêtes."

Genèse 29, 9 Il conversait encore avec eux lorsque Rachel arriva avec le troupeau de son père, car elle était bergère.

Genèse 29, 10 Dès que Jacob eut vu Rachel, la fille de son oncle Laban, et le troupeau de son oncle Laban, il s'approcha, roula la pierre de sur la bouche du puits et abreuva le bétail de son oncle Laban.

Genèse 29, 11 Jacob donna un baiser à Rachel puis éclata en sanglots.

Genèse 29, 12 Il apprit à Rachel qu'il était le parent de son père et le fils de Rébecca, et elle courut en informer son père.

Genèse 29, 13 Dès qu'il entendit qu'il s'agissait de Jacob, le fils de sa sœur, Laban courut à sa rencontre, il le serra dans ses bras, le couvrit de baisers et le conduisit dans sa maison. Et Jacob lui raconta toute cette histoire.

Genèse 29, 14 Alors Laban lui dit: "Oui, tu es de mes os et de ma chair!" et Jacob demeura chez lui un mois entier.

Genèse 29, 15 Alors Laban dit à Jacob: "Parce que tu es mon parent, vas-tu me servir pour rien? Indique-moi quel doit être ton salaire."

Genèse 29, 16 Or Laban avait deux filles: l'aînée s'appelait Léa, et la cadette, Rachel.

Genèse 29, 17 Les yeux de Léa étaient doux, mais Rachel avait belle tournure et beau visage

Genèse 29, 18 et Jacob aimait Rachel. Il répondit: "Je te servirai sept années pour Rachel, ta fille cadette."

Genèse 29, 19 Laban dit: "Mieux vaut la donner à toi qu'à un étranger; reste chez moi."

Genèse 29, 20 Donc Jacob servit pour Rachel, pendant sept années qui lui parurent comme quelques jours, tellement il l'aimait.

Genèse 29, 21 Puis Jacob dit à Laban: "Accorde-moi ma femme car mon temps est accompli, et que j'aille vers elle!"

Genèse 29, 22 Laban réunit tous les gens du lieu et donna un banquet.

Genèse 29, 23 Mais voici qu'au soir il prit sa fille Léa et la conduisit à Jacob; et celui-ci s'unit à elle! --

Genèse 29, 24 Laban donna sa servante Zilpa comme servante à sa fille Léa.--

Genèse 29, 25 Le matin arriva, et voilà que c'était Léa! Jacob dit à Laban: "Que m'as-tu fait là? N'est-ce pas pour Rachel que j'ai servi chez toi? Pourquoi m'as-tu trompé?"

Genèse 29, 26 Laban répondit: "Ce n'est pas l'usage dans notre contrée de marier la plus jeune avant l'aînée.

Genèse 29, 27 Mais achève cette semaine de noces et je te donnerai aussi l'autre comme prix du service que tu feras chez moi pendant encore sept autres années."

Genèse 29, 28 Jacob fit ainsi: il acheva cette semaine de noces et Laban lui donna sa fille Rachel pour femme. --

Genèse 29, 29 Laban donna sa servante Bilha comme servante à sa fille Rachel. --

Genèse 29, 30 Jacob s'unit aussi à Rachel et il aima Rachel plus que Léa; il servit chez son oncle encore sept autres années.

Genèse 29, 31 Yahvé vit que Léa n'était pas aimée et il la rendit féconde, tandis que Rachel demeurait stérile.

Genèse 29, 32 Léa conçut et elle enfanta un fils qu'elle appela Ruben, car, dit-elle, "Yahvé a vu ma détresse; maintenant mon mari m'aimera."

Genèse 29, 33 Elle conçut encore et elle enfanta un fils; elle dit: "Yahvé a entendu que je n'étais pas aimée et il m'a aussi donné celui-ci"; et elle l'appela Siméon.

Genèse 29, 34 Elle conçut encore et elle enfanta un fils; elle dit: "Cette fois, mon mari s'attachera à moi, car je lui ai donné trois fils", et elle l'appela Lévi.

Genèse 29, 35 Elle conçut encore et elle enfanta un fils; elle dit: "Cette fois, je rendrai gloire à Yahvé"; c'est pourquoi elle l'appela Juda. Puis elle cessa d'avoir des enfants.

Genèse 30, 1 Rachel, voyant qu'elle-même ne donnait pas d'enfants à Jacob, devint jalouse de sa sœur et elle dit à Jacob: "Fais-moi avoir aussi des enfants, ou je meurs!"

Genèse 30, 2 Jacob s'emporta contre Rachel et dit: "Est-ce que je tiens la place de Dieu, qui t'a refusé la maternité?"

Genèse 30, 3 Elle reprit: "Voici ma servante Bilha. Va vers elle et qu'elle enfante sur mes genoux: par elle j'aurai moi aussi des enfants!"

Genèse 30, 4 Elle lui donna donc pour femme sa servante Bilha et Jacob s'unit à celle-ci.

Genèse 30, 5Bilha conçut et enfanta à Jacob un fils.

Genèse 30, 6Rachel dit: "Dieu m'a rendu justice, même il m'a exaucée et m'a donné un fils"; c'est pourquoi elle l'appela Dan.

Genèse 30, 7Bilha, la servante de Rachel, conçut encore et elle enfanta à Jacob un second fils.

Genèse 30, 8Rachel dit: "J'ai lutté contre ma sœur les luttes de Dieu et je l'ai emporté"; et elle l'appela Nephtali.

Genèse 30, 9Léa, voyant qu'elle avait cessé d'avoir des enfants, prit sa servante Zilpa et la donna pour femme à Jacob.

Genèse 30, 10 Zilpa, la servante de Léa, enfanta à Jacob un fils.

Genèse 30, 11 Léa dit: "Par bonne fortune!" et elle l'appela Gad.

Genèse 30, 12 Zilpa, la servante de Léa, enfanta à Jacob un second fils.

Genèse 30, 13 Léa dit: "Pour ma félicité! car les femmes me féliciteront"; et l'appela Asher.

Genèse 30, 14 Etant sorti au temps de la moisson des blés, Ruben trouva dans les champs des pommes d'amour, qu'il apporta à sa mère, Léa. Rachel dit à Léa: "Donne-moi, s'il te plaît, des pommes d'amour de ton fils",

Genèse 30, 15 mais Léa lui répondit: "N'est-ce donc pas assez que tu m'aies pris mon mari, pour que tu prennes aussi les pommes d'amour de mon fils?" Rachel reprit: "Eh bien, qu'il couche avec toi cette nuit, en échange des pommes d'amour de ton fils."

Genèse 30, 16 Lorsque Jacob revint des champs le soir, Léa sortit à sa rencontre et lui dit: "Il faut que tu viennes vers moi, car je t'ai pris à gages pour les pommes d'amour de mon fils", et il coucha avec elle cette nuit-là.

Genèse 30, 17 Dieu exauça Léa, elle conçut et elle enfanta à Jacob un cinquième fils;

Genèse 30, 18 Léa dit: "Dieu m'a donné mon salaire, pour avoir donné ma servante à mon mari"; et elle l'appela Issachar.

Genèse 30, 19 Léa conçut encore et elle enfanta à Jacob un sixième fils.

Genèse 30, 20 Léa dit: "Dieu m'a fait un beau présent, cette fois mon mari m'honorera, car je lui ai donné six fils"; et elle l'appela Zabulon.

Genèse 30, 21 Ensuite elle mit au monde une fille et elle l'appela Dina.

Genèse 30, 22 Alors Dieu se souvint de Rachel, il l'exauça et la rendit féconde.

Genèse 30, 23 Elle conçut et elle enfanta un fils; elle dit: "Dieu a enlevé ma honte";

Genèse 30, 24 et elle l'appela Joseph, disant: "Que Yahvé m'ajoute un autre fils!"

Genèse 30, 25 Lorsque Rachel eut enfanté Joseph, Jacob dit à Laban: "Laisse-moi partir, que j'aille chez moi, dans mon pays.

Genèse 30, 26 Donne-moi mes femmes, pour lesquelles je t'ai servi, et mes enfants, et que je m'en aille. Tu sais bien quel service j'ai accompli pour toi."

Genèse 30, 27 Laban lui dit: "Si j'ai trouvé grâce à tes yeux... J'ai appris par les présages que Yahvé m'avait béni à cause de toi.

Genèse 30, 28 Aussi, ajouta-t-il, fixe-moi ton salaire et je te payerai."

Genèse 30, 29 Il lui répondit: "Tu sais bien de quelle façon je t'ai servi et ce que ton bien est devenu avec moi.

Genèse 30, 30 Le peu que tu avais avant moi s'est accru énormément, et Yahvé t'a béni sur mes pas. Maintenant, quand travaillerai-je aussi pour ma maison?"

Genèse 30, 31 Laban reprit: "Que faut-il te payer?" Jacob répondit: "Tu n'auras rien à me payer: si tu fais pour moi ce que je vais dire, je reprendrai la conduite de ton troupeau.

Genèse 30, 32 "Je passerai aujourd'hui dans tout ton troupeau. Sépares-en tout animal noir parmi les moutons et ce qui est tacheté ou moucheté parmi les chèvres. Tel sera mon salaire,

Genèse 30, 3 3et mon honnêteté portera témoignage pour moi dans la suite: quand tu viendras vérifier mon salaire, tout ce qui ne sera pas moucheté ou tacheté parmi les chèvres, ou noir parmi les moutons, sera chez moi un vol."

Genèse 30, 34 Laban dit: "C'est bien; qu'il en soit comme tu as dit."

Genèse 30, 35 Ce jour-là, il mit à part les boucs rayés et tachetés, toutes les chèvres mouchetées et tachetées, tout ce qui avait du blanc, et tout ce qui était noir parmi les moutons. Il les confia à ses fils

Genèse 30, 36 et il mit trois jours de chemin entre lui et Jacob. Et Jacob faisait paître le reste du bétail de Laban.

Genèse 30, 37 Jacob prit des baguettes fraîches de peuplier, d'amandier et de platane et il les écorça de bandes blanches, mettant à nu l'aubier qui était sur les baguettes.

Genèse 30, 38 Il mit les baguettes qu'il avait écorcées en face des bêtes dans les auges, dans les abreuvoirs où les bêtes venaient boire, et les bêtes s'accouplaient en venant boire.

Genèse 30, 39 Elles s'accouplèrent donc devant les baguettes et elles mirent bas des petits rayés, mouchetés et tachetés.

Genèse 30, 40 Quant aux moutons, Jacob les mit à part et il tourna les bêtes vers ce qui était rayé et tout ce qui était noir dans le troupeau de Laban. Ainsi il se constitua des troupeaux à lui, qu'il ne mit pas avec les troupeaux de Laban.

Genèse 30, 41 De plus, chaque fois que s'accouplaient les bêtes robustes, Jacob mettait les baguettes devant les yeux des bêtes dans les auges, pour qu'elles s'accouplent devant les baguettes.

Genèse 30, 42 Quand les bêtes étaient chétives, il ne les mettait pas, et ainsi ce qui était chétif fut pour Laban, ce qui était robuste fut pour Jacob.

Genèse 30, 43 L'homme s'enrichit énormément et il eut du bétail en quantité, des servantes et des serviteurs, des chameaux et des ânes.

Genèse 31, 1 Jacob apprit que les fils de Laban disaient: "Jacob a pris tout ce qui était à notre père et c'est aux dépens de notre père qu'il a constitué toute cette richesse."

Genèse 31, 2 Jacob vit à la mine de Laban qu'il n'était plus avec lui comme auparavant.

Genèse 31, 3 Yahvé dit à Jacob: "Retourne au pays de tes pères, dans ta patrie, et je serai avec toi."

Genèse 31, 4 Jacob fit appeler Rachel et Léa aux champs où étaient ses troupeaux,

Genèse 31, 5 et il leur dit: "Je vois à la mine de votre père qu'il n'est plus à mon égard comme auparavant, mais le Dieu de mon père a été avec moi.

Genèse 31, 6 Vous savez vous-mêmes que j'ai servi votre père de toutes mes forces.

Genèse 31, 7 Votre père s'est joué de moi, il a changé dix fois mon salaire, mais Dieu ne lui a pas permis de me faire du tort.

Genèse 31, 8 Chaque fois qu'il disait: Ce qui est moucheté sera ton salaire, toutes les bêtes mettaient bas des petits mouchetés; chaque fois qu'il disait: Ce qui est rayé sera ton salaire, toutes les bêtes mettaient bas des petits rayés,

Genèse 31, 9 et Dieu a enlevé son bétail à votre père et me l'a donné.

Genèse 31, 10 Il arriva, au temps où les bêtes entrent en chaleur, que je levai les yeux et je vis en songe que les boucs en passe de saillir les bêtes étaient rayés, tachetés ou tavelés.

Genèse 31, 11 L'Ange de Dieu me dit en songe: Jacob, et je répondis: Oui.

Genèse 31, 12 Il dit: Lève les yeux et vois: tous les boucs qui saillissent les bêtes sont rayés, tachetés ou tavelés, car j'ai vu tout ce que Laban te fait.

Genèse 31, 13 Je suis le Dieu qui t'est apparu à Béthel, où tu as oint une stèle et où tu m'as fait un vœu. Maintenant debout, sors de ce pays et retourne dans ta patrie."

Genèse 31, 14 Rachel et Léa lui répondirent ainsi: "Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père?

Genèse 31, 15 Ne sommes-nous pas considérées par lui comme des étrangères, puisqu'il nous a vendues et qu'il a ensuite mangé notre argent?

Genèse 31, 16 Oui, toute la richesse que Dieu a retirée à notre père est à nous et à nos enfants. Fais donc maintenant tout ce que Dieu t'a dit."

Genèse 31, 17 Jacob se leva, fit monter ses enfants et ses femmes sur des chameaux,

Genèse 31, 18 et poussa devant lui tout son bétail, -- avec tous les biens qu'il avait acquis, le bétail qui lui appartenait et qu'il avait acquis en Paddân-Aram, -- pour aller chez son père Isaac, au pays de Canaan.

Genèse 31, 19 Laban était allé tondre son troupeau et Rachel déroba les idoles domestiques qui étaient à son père.

Genèse 31, 20 Jacob abusa l'esprit de Laban l'Araméen en ne lui laissant pas soupçonner qu'il fuyait.

Genèse 31, 21 Il s'enfuit avec tout ce qu'il avait, il partit, passa le Fleuve et se dirigea vers le mont Galaad.

Genèse 31, 22 Le troisième jour, on apprit à Laban que Jacob s'était enfui.

Genèse 31, 23 Il prit ses frères avec lui, le poursuivit sept jours de chemin et l'atteignit au mont Galaad.

Genèse 31, 24 Dieu visita Laban l'Araméen dans une vision nocturne et lui dit: "Garde-toi de dire à Jacob quoi que ce soit."

Genèse 31, 25 Laban rejoignit Jacob qui avait planté sa tente dans la montagne, et Laban planta sa tente au mont Galaad.

Genèse 31, 26 Laban dit à Jacob: "Qu'as-tu fait d'abuser mon esprit et d'emmener mes filles comme des captives de guerre?

Genèse 31, 27 Pourquoi as-tu fui en secret et m'as-tu abusé au lieu de m'avertir, pour que je te reconduise dans l'allégresse et les chants, avec tambourins et lyres?

Genèse 31, 28 Tu ne m'as pas laissé embrasser mes fils et mes filles. Vraiment, tu as agi en insensé!

Genèse 31, 29 Il serait en mon pouvoir de te faire du mal, mais le Dieu de ton père, la nuit passée, m'a dit ceci: Garde-toi de dire à Jacob quoi que ce soit.

Genèse 31, 30 Maintenant, tu es donc parti, parce que tu languissais tellement après la maison de ton père! Mais pourquoi as-tu volé mes dieux?"

Genèse 31, 31 Jacob répondit ainsi à Laban: "J'ai eu peur, je me suis dit que tu allais m'enlever tes filles.

Genèse 31, 32 Mais celui chez qui tu trouveras tes dieux ne restera pas vivant: devant nos frères, reconnais ce qui est à toi chez moi, et prends-le." Jacob ignorait en effet que Rachel les avait dérobés.

Genèse 31, 33 Laban alla chercher dans la tente de Jacob, puis dans la tente de Léa, puis dans la tente des deux servantes, et il ne trouva rien. Il sortit de la tente de Léa et entra dans celle de Rachel.

Genèse 31, 34 Or Rachel avait pris les idoles domestiques, les avait mises dans le palanquin du chameau et s'était assise dessus; Laban fouilla toute la tente et ne trouva rien.

Genèse 31, 35 Rachel dit à son père: "Que Monseigneur ne voie pas avec colère que je ne puisse me lever en ta présence, car j'ai ce qui est coutumier aux femmes." Laban chercha et ne trouva pas les idoles.

Genèse 31, 36 Jacob se mit en colère et prit à partie Laban. Et Jacob adressa ainsi la parole à Laban: "Quel est mon crime, quelle est ma faute, que tu te sois acharné après moi?

Genèse 31, 37 Tu as fouillé toutes mes affaires: as-tu rien trouvé de toutes les affaires de ta maison? Produis-le ici, devant mes frères et tes frères, et qu'ils jugent entre nous deux!

Genèse 31, 38 Voici vingt ans que je suis chez toi, tes brebis et tes chèvres n'ont pas avorté et je n'ai pas mangé les béliers de ton troupeau.

Genèse 31, 39 Les animaux déchirés par les fauves, je ne les rapportais pas, c'était moi qui compensais leur perte; tu me les réclamais, que j'aie été volé de jour ou que j'aie été volé de nuit.

Genèse 31, 40 J'ai été dévoré par la chaleur pendant le jour, par le froid pendant la nuit, et le sommeil a fui mes yeux.

Genèse 31, 41 Voici vingt ans que je suis dans ta maison: je t'ai servi quatorze ans pour tes deux filles et six ans pour ton troupeau, et tu as changé dix fois mon salaire.

Genèse 31, 42 Si le Dieu de mon père, le Dieu d'Abraham, le Parent d'Isaac, n'avait pas été avec moi, tu m'aurais renvoyé les mains vides. Mais Dieu a vu mes fatigues et le labeur de mes bras et, la nuit passée, il a rendu son jugement."

Genèse 31, 43 Laban répondit ainsi à Jacob: "Ces filles sont mes filles, ces enfants sont mes enfants, ce bétail est mon bétail, tout ce que tu vois est à moi. Mais que pourrais-je faire aujourd'hui à mes filles que voici et aux enfants qu'elles ont mis au monde?

Genèse 31, 44 Allons, concluons un traité, moi et toi..., et que cela serve de témoin entre moi et toi."

Genèse 31, 45 Alors Jacob prit une pierre et la dressa comme une stèle.

Genèse 31, 46 Et Jacob dit à ses frères: "Ramassez des pierres." Ils ramassèrent des pierres et en firent un monceau et ils mangèrent là, sur le monceau.

Genèse 31, 47 Laban le nomma Yegar Sahadûta et Jacob le nomma Galéed.

Genèse 31, 48 Laban dit: "Que ce monceau soit aujourd'hui un témoin entre moi et toi." C'est pourquoi il le nomma Galéed,

Genèse 31, 49 et Miçpa, parce qu'il dit: "Que Yahvé soit un guetteur entre moi et toi, quand nous ne serons plus en vue l'un de l'autre.

Genèse 31, 50 Si tu maltraites mes filles ou si tu prends d'autres femmes en sus de mes filles, et que personne ne soit avec nous, vois:Dieu est témoin entre moi et toi."

Genèse 31, 51 Et Laban dit à Jacob: "Voici ce monceau que j'ai entassé entre moi et toi, et voici la stèle.

Genèse 31, 52 Ce monceau est témoin, la stèle est témoin, que moi je ne dois pas dépasser ce monceau vers toi et que toi tu ne dois pas dépasser ce monceau et cette stèle, vers moi, avec de mauvaises intentions.

Genèse 31, 53 Que le Dieu d'Abraham et le Dieu de Nahor jugent entre nous."Et Jacob prêta serment par le Parent d'Isaac, son père.

Genèse 31, 54 Jacob fit un sacrifice sur la montagne et invita ses frères au repas. Ils prirent le repas et passèrent la nuit sur la montagne.

Genèse 32, 1 Levé de bon matin, Laban embrassa ses petits-enfants et ses filles et les bénit. Puis Laban partit et retourna chez lui.

Genèse 32, 2 Comme Jacob poursuivait son chemin, des anges de Dieu l'affrontèrent.

Genèse 32, 3 En les voyant, Jacob dit: "C'est le camp de Dieu!" et il donna à ce lieu le nom de Mahanayim.

Genèse 32, 4 Jacob envoya au-devant de lui des messagers à son frère Esaü, au pays de Séïr, la steppe d'Edom.

Genèse 32, 5 Il leur donna cet ordre: "Ainsi parlerez-vous à Monseigneur Esaü: Voici le message de ton serviteur Jacob: J'ai séjourné chez Laban et je m'y suis attardé jusqu'à maintenant.

Genèse 32, 6 J'ai acquis bœufs et ânes, petit bétail, serviteurs et servantes. Je veux en faire porter la nouvelle à Monseigneur, pour trouver grâce à ses yeux."

Genèse 32, 7 Les messagers revinrent auprès de Jacob en disant: "Nous sommes allés vers ton frère Esaü. Lui-même vient maintenant à ta rencontre et il a 400 hommes avec lui."

Genèse 32, 8 Jacob eut grand peur et se sentit angoissé. Alors il divisa en deux camps les gens qui étaient avec lui, le petit et le gros bétail.

Genèse 32, 9Il se dit: "Si Esaü se dirige vers l'un des camps et l'attaque, le camp qui reste pourra se sauver."

Genèse 32, 10 Jacob dit: "Dieu de mon père Abraham et Dieu de mon père Isaac, Yahvé, qui m'as commandé: Retourne dans ton pays et dans ta patrie et je te ferai du bien,

Genèse 32, 11 je suis indigne de toutes les faveurs et de toute la bonté que tu as eues pour ton serviteur. Je n'avais que mon bâton pour passer le Jourdain que voici, et maintenant je puis former deux camps.

Genèse 32, 12 Veuille me sauver de la main de mon frère Esaü, car j'ai peur de lui, qu'il ne vienne et ne nous frappe, la mère avec les enfants.

Genèse 32, 13 Pourtant, c'est toi qui as dit: Je te comblerai de bienfaits et je rendrai ta descendance comme le sable de la mer, qu'on ne peut pas compter, tant il y en a."

Genèse 32, 14 Et Jacob passa la nuit en cet endroit. De ce qu'il avait en mains, il prit de quoi faire un présent à son frère Esaü:

Genèse 32, 15 deux chèvres et vingt boucs, 200 brebis et vingt béliers,

Genèse 32, 16 30 chamelles qui allaitaient, avec leurs petits, 40 vaches et dix taureaux, vingt ânesses et dix ânons.

Genèse 32, 17 Il les confia à ses serviteurs, chaque troupeau à part, et il dit à ses serviteurs: "Passez devant moi et laissez du champ entre les troupeaux."

Genèse 32, 18 Au premier il donna cet ordre: "Lorsque mon frère Esaü te rencontrera et te demandera: A qui es-tu? Où vas-tu? A qui appartient ce qui est devant toi?

Genèse 32, 19 Tu répondras: C'est à ton serviteur Jacob, c'est un présent envoyé à Monseigneur Esaü, et lui-même arrive derrière nous."

Genèse 32, 20 Il donna le même ordre au second et au troisième et à tous ceux qui marchaient derrière les troupeaux: "Voilà, leur dit-il, comment vous parlerez à Esaü quand vous le trouverez,

Genèse 32, 21 et vous direz: Et même, ton serviteur Jacob arrive derrière nous." Il s'était dit en effet: "Je me le concilierai par un présent qui me précédera, ensuite je me présenterai à lui, peut-être me fera-t-il grâce."

Genèse 32, 22 Le présent passa en avant et lui-même demeura cette nuit-là au camp.

Genèse 32, 23 Cette même nuit, il se leva, prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants et passa le gué du Yabboq.

Genèse 32, 24 Il les prit et leur fit passer le torrent, et il fit passer aussi tout ce qu'il possédait.

Genèse 32, 25 Et Jacob resta seul. Et quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore.

Genèse 32, 26 Voyant qu'il ne le maîtrisait pas, il le frappa à l'emboîture de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui.

Genèse 32, 27 Il dit: "Lâche-moi, car l'aurore est levée", mais Jacob répondit: "Je ne te lâcherai pas, que tu ne m'aies béni."

Genèse 32, 28 Il lui demanda: "Quel est ton nom" -- "Jacob", répondit-il.

Genèse 32, 29 Il reprit: "On ne t'appellera plus Jacob, mais Israël, car tuas été fort contre Dieu et contre les hommes et tu l'as emporté."

Genèse 32, 30 Jacob fit cette demande: "Révèle-moi ton nom, je te prie", mais il répondit: "Et pourquoi me demandes-tu mon nom?" Et, là même, il le bénit.

Genèse 32, 31 Jacob donna à cet endroit le nom de Penuel, "car, dit-il j'ai vu Dieu face à face et j'ai eu la vie sauvé."

Genèse 32, 32 Au lever du soleil, il avait passé Penuel et il boitait de la hanche.

Genèse 32, 33 C'est pourquoi les Israélites ne mangent pas, jusqu'à ce jour, le nerf sciatique qui est à l'emboîture de la hanche, parce qu'il avait frappé Jacob à l'emboîture de la hanche, au nerf sciatique.

Genèse 33, 1 Jacob levant les yeux, vit qu'Esaü arrivait accompagné de 400 hommes. Alors, il répartit les enfants entre Léa, Rachel et les deux servantes,

Genèse 33, 2 il mit en tête les servantes et leurs enfants, plus loin Léa et ses enfants, plus loin Rachel et Joseph.

Genèse 33, 3 Cependant, lui-même passa devant eux et se prosterna sept fois à terre avant d'aborder son frère.

Genèse 33, 4 Mais Esaü, courant à sa rencontre, le prit dans ses bras, se jeta à son cou et l'embrassa en pleurant.

Genèse 33, 5 Lorsqu'il leva les yeux et qu'il vit les femmes et les enfants, il demanda: "Qui sont ceux que tu as là?" Jacob répondit: "Ce sont les enfants dont Dieu a gratifié ton serviteur."

Genèse 33, 6 Les servantes s'approchèrent, elles et leurs enfants, et se prosternèrent.

Genèse 33, 7 Léa s'approcha elle aussi avec ses enfants et ils se prosternèrent; enfin Rachel et Joseph s'approchèrent et se prosternèrent.

Genèse 33, 8 Esaü demanda: "Que veux-tu faire de tout ce camp que j'ai rencontré" -- "C'est, répondit-il, pour trouver grâce aux yeux de Monseigneur."

Genèse 33, 9 Esaü reprit: "J'ai suffisamment, mon frère, garde ce qui est à toi."

Genèse 33, 10 Mais Jacob dit: "Non, je t'en prie! Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, reçois de ma main mon présent. En effet, j'ai affronté ta présence comme on affronte celle de Dieu, et tu m'as bien reçu.

Genèse 33, 11 Accepte donc le présent qui t'est apporté, car Dieu m'a favorisé et j'ai tout ce qu'il me faut" et, sur ses instances, Esaü accepta.

Genèse 33, 12 Celui-ci dit: "Levons le camp et partons, je marcherai entête."

Genèse 33, 13 Mais Jacob lui répondit: "Monseigneur sait que les enfants sont délicats et que je dois penser aux brebis et aux vaches qui allaitent: si on les surmène un seul jour, tout le bétail va mourir.

Genèse 33, 14 Que Monseigneur parte donc en avant de son serviteur; pour moi, je cheminerai doucement au pas du troupeau que j'ai devant moi et au pas des enfants, jusqu'à ce que j'arrive chez Monseigneur, en Séïr."

Genèse 33, 15 Alors Esaü dit: "Je vais au moins laisser avec toi une partie des gens qui m'accompagnent!" Mais Jacob répondit: "Pourquoi cela? Que je trouve seulement grâce aux yeux de Monseigneur!"

Genèse 33, 16 Esaü reprit ce jour-là sa route vers Séïr,

Genèse 33, 17 mais Jacob partit pour Sukkot, il se bâtit une maison et fit des huttes pour son bétail; c'est pourquoi on a donné à l'endroit le nom de Sukkot.

Genèse 33, 18 Puis Jacob arriva sain et sauf à la ville de Sichem, au pays de Canaan, lorsqu'il revint de Paddân-Aram, et il campa en face de la ville.

Genèse 33, 19 Il acheta aux fils de Hamor, le père de Sichem, pour cent pièces d'argent, la parcelle de champ où il avait dressé sa tente

Genèse 33, 20 et il y érigea un autel, qu'il nomma "El, Dieu d'Israël."

Genèse 34, 1 Dina, la fille que Léa avait donnée à Jacob, sortit pour aller voir les filles du pays.

Genèse 34, 2 Sichem, le fils de Hamor le Hivvite, prince du pays, la vit et, l'ayant enlevée, il coucha avec elle et lui fit violence.

Genèse 34, 3 Mais son cœur s'attacha à Dina, fille de Jacob, il eut de l'amour pour la jeune fille et il parla à son cœur.

Genèse 34, 4 Sichem parla ainsi à son père Hamor: "Prends-moi cette petite pour femme."

Genèse 34, 5 Jacob avait appris qu'il avait déshonoré sa fille Dina, mais comme ses fils étaient aux champs avec son troupeau, Jacob garda le silence jusqu'à leur retour.

Genèse 34, 6 Hamor, le père de Sichem, se rendit chez Jacob pour lui parler.

Genèse 34, 7 Lorsque les fils de Jacob revinrent des champs et apprirent cela, ces hommes furent indignés et entrèrent en grand courroux de ce qu'il avait commis une infamie en Israël en couchant avec la fille de Jacob: cela ne doit pas se faire!

Genèse 34, 8 Hamor leur parla ainsi: "Mon fils Sichem s'est épris de votre fille, veuillez la lui donner pour femme.

Genèse 34, 9 Alliez-vous à nous: vous nous donnerez vos filles et vous prendrez les nôtres pour vous.

Genèse 34, 10 Vous demeurerez avec nous et le pays vous sera ouvert: vous pourrez y habiter, y circuler, vous y établir."

Genèse 34, 11 Sichem dit au père et aux frères de la jeune fille: "Que je trouve grâce à vos yeux et je donnerai ce que vous me demanderez!

Genèse 34, 12 Imposez-moi une grosse somme, comme prix et comme présent, je payerai autant que vous me demanderez, mais donnez-moi la jeune fille pour femme!"

Genèse 34, 13 Les fils de Jacob répondirent à Sichem et à son père Hamor et ils parlèrent avec ruse, parce qu'il avait déshonoré leur sœur Dina.

Genèse 34, 14 Ils leur dirent: "Nous ne pouvons pas faire une chose pareille: donner notre sœur à un homme incirconcis, car c'est un déshonneur chez nous.

Genèse 34, 15 Nous ne vous donnerons notre consentement qu'à cette condition: c'est que vous deveniez comme nous et fassiez circoncire tous vos mâles.

Genèse 34, 16 Alors nous vous donnerons nos filles et nous prendrons les vôtres pour nous, nous demeurerons avec vous et formerons un seul peuple.

Genèse 34, 17 Mais si vous ne nous écoutez pas, touchant la circoncision, nous prendrons notre fille et nous partirons."

Genèse 34, 18 Leurs paroles plurent à Hamor et à Sichem, fils de Hamor.

Genèse 34, 19 Le jeune homme n'hésita pas à faire la chose, car il était épris de la fille de Jacob; or il était le plus considéré de toute sa famille.

Genèse 34, 20 Hamor et son fils Sichem allèrent à la porte de leur ville et parlèrent ainsi aux hommes de leur ville:

Genèse 34, 21 "Ces gens-là sont bien intentionnés: qu'ils demeurent avec nous dans le pays, ils y circuleront, le pays sera ouvert pour eux dans toute son étendue, nous prendrons leurs filles pour femmes et nous leur donnerons nos filles.

Genèse 34, 22 Mais ces gens ne consentiront à demeurer avec nous pour former un seul peuple qu'à cette condition: c'est que tous nos mâles soient circoncis comme ils le sont eux-mêmes.

Genèse 34, 23 Leurs troupeaux, leurs biens, tout leur bétail ne seront-ils pas à nous? Donnons-leur seulement notre consentement, pour qu'ils demeurent avec nous."

Genèse 34, 24 Hamor et son fils Sichem furent écoutés par tous ceux qui ranchissaient la porte de leur ville, et tous les mâles se firent circoncire.

Genèse 34, 25 Or, le troisième jour, tandis qu'ils étaient souffrants, les deux fils de Jacob, Siméon et Lévi, les frères de Dina, prirent chacun son épée et marchèrent sans opposition contre la ville: ils tuèrent tous les mâles.

Genèse 34, 26 Ils passèrent au fil de l'épée Hamor et son fils Sichem, enlevèrent Dina de la maison de Sichem et partirent.

Genèse 34, 27 Les fils de Jacob assaillirent les blessés et pillèrent la ville, parce qu'on avait déshonoré leur sœur.

Genèse 34, 28 Ils prirent leur petit et leur gros bétail et leurs ânes, ce qui était dans la ville et ce qui était aux champs.

Genèse 34, 29 Ils ravirent tous leurs biens, tous leurs enfants et leurs femmes, et ils pillèrent tout ce qu'il y avait dans les maisons.

Genèse 34, 30 Jacob dit à Siméon et Lévi: "Vous m'avez mis en mauvaise posture en me rendant odieux aux habitants du pays, les Cananéens et les Perizzites: j'ai peu d'hommes, ils se rassembleront contre moi, me vaincront et je serai anéanti avec ma maison."

Genèse 34, 31 Mais ils répliquèrent: "Devait-on traiter notre sœur comme une prostituée?"

Genèse 35, 1 Dieu dit à Jacob: "Debout! Monte à Béthel et fixe-toi là-bas. Tu y feras un autel au Dieu qui t'est apparu lorsque tu fuyais la présence de ton frère Esaü."

Genèse 35, 2 Jacob dit à sa famille et à tous ceux qui étaient avec lui:"Otez les dieux étrangers qui sont au milieu de vous, purifiez-vous et changez vos vêtements.

Genèse 35, 3 Partons et montons à Béthel! J'y ferai un autel au Dieu qui m'a exaucé lorsque j'étais dans l'angoisse et m'a assisté dans le voyage que j'ai fait."

Genèse 35, 4 Ils donnèrent à Jacob tous les dieux étrangers qu'ils possédaient et les anneaux qu'ils portaient aux oreilles, et Jacob les enfouit sous le chêne qui est près de Sichem.

Genèse 35, 5 Ils levèrent le camp et une terreur divine tomba sur les villes d'alentour: on ne poursuivit pas les fils de Jacob.

Genèse 35, 6 Jacob arriva à Luz, au pays de Canaan, -- c'est Béthel, -- lui et tous les gens qu'il avait.

Genèse 35, 7 Là, il construisit un autel et appela le lieu El-Béthel, car Dieu s'y était révélé à lui lorsqu'il fuyait la présence de son frère.

Genèse 35, 8 Alors mourut Débora, la nourrice de Rébecca, et elle fut ensevelie au-dessous de Béthel, sous le chêne; aussi l'appela-t-on le Chêne-des-Pleurs.

Genèse 35, 9 Dieu apparut encore à Jacob, à son retour de Paddân-Aram, et il le bénit.

Genèse 35, 10 Dieu lui dit: "Ton nom est Jacob, mais on ne t'appellera plus Jacob, ton nom sera Israël." Aussi l'appela-t-on Israël.

Genèse 35, 11 Dieu lui dit: "Je suis El Shaddaï. Sois fécond et multiplie. Une nation, une assemblée de nations naîtra de toi et des rois sortiront de tes reins.

Genèse 35, 12 Le pays que j'ai donné à Abraham et à Isaac, je te le donne, et à ta postérité après toi je donnerai ce pays."

Genèse 35, 13 Et Dieu remonta d'auprès de lui.

Genèse 35, 14 Jacob dressa une stèle à l'endroit où il lui avait parlé, une stèle de pierre, sur laquelle il fit une libation et versa de l'huile.

Genèse 35, 15 Et Jacob donna le nom de Béthel au lieu où Dieu lui avait parlé.

Genèse 35, 16 Ils partirent de Béthel. Il restait un bout de chemin pour arriver à Ephrata quand Rachel accoucha. Ses couches furent pénibles

Genèse 35, 17 et, comme elle accouchait difficilement, la sage-femme lui dit: "Rassure-toi, c'est encore un fils que tu as!"

Genèse 35, 18 Au moment de rendre l'âme, car elle se mourait, elle le nomma Ben-Oni, mais son père l'appela Benjamin.

Genèse 35, 19 Rachel mourut et fut enterrée sur le chemin d'Ephrata -- c'est Bethléem.

Genèse 35, 20 Jacob dressa une stèle sur son tombeau; c'est la stèle du tombeau de Rachel, qui existe encore aujourd'hui.

Genèse 35, 21 Israël partit et planta sa tente au-delà de Migdal-Edèr.

Genèse 35, 22 Pendant qu'Israël habitait dans cette région, Ruben alla coucher avec Bilha, la concubine de son père, et Israël l'apprit. Les fils de Jacob furent au nombre de douze.

Genèse 35, 23 Les fils de Léa: le premier-né de Jacob, Ruben, puis Siméon, Lévi, Juda, Issachar et Zabulon.

Genèse 35, 24 Les fils de Rachel: Joseph et Benjamin.

Genèse 35, 25 Les fils de Bilha, la servante de Rachel: Dan et Nephtali.

Genèse 35, 26 Les fils de Zilpa, la servante de Léa: Gad et Asher. Tels sontles fils qui furent enfantés à Jacob en Paddân-Aram.

Genèse 35, 27 Jacob arriva chez son père Isaac, à Mambré, à Qiryat-Arba, -- c'est Hébron, -- où séjournèrent Abraham et Isaac.

Genèse 35, 28 La durée de la vie d'Isaac fut de 180 ans,

Genèse 35, 29 et Isaac expira. Il mourut et il fut réuni à sa parenté, âgé et rassasié de jours; ses fils Esaü et Jacob l'ensevelirent.

Genèse 36, 1 Voici la descendance d'Esaü, qui est Edom.

Genèse 36, 2 Esaü prit ses femmes parmi les filles de Canaan: Ada, la fille d'Elôn le Hittite, Oholibama, la fille d'Ana, fils de Cibéôn le Horite,

Genèse 36, 3 Basmat, la fille d'Ismaël et la sœur de Nebayot.

Genèse 36, 4 Ada enfanta à Esaü Eliphaz, Basmat enfanta Réuel,

Genèse 36, 5 Oholibama enfanta Yéush, Yalam et Qorah. Tels sont les fils d'Esaü qui lui naquirent au pays de Canaan.

Genèse 36, 6 Esaü prit ses femmes, ses fils et ses filles, toutes les personnes de sa maison, son bétail et toutes ses bêtes de somme, bref tout le bien qu'il avait acquis au pays de Canaan, et il partit pour le pays de Séïr, loin de son frère Jacob.

Genèse 36, 7 En effet, ils avaient de trop grands biens pour habiter ensemble et le pays où ils séjournaient ne pouvait pas leur suffire, en raison de leur avoir.

Genèse 36, 8 Ainsi Esaü s'établit dans la montagne de Séïr. Esaü c'est Edom.

Genèse 36, 9 Voici la descendance d'Esaü, père d'Edom, dans la montagne de Séïr.

Genèse 36, 10 Voici les noms des fils d'Esaü: Eliphaz, le fils d'Ada, femme d'Esaü, et Réuel, le fils de Basmat, femme d'Esaü.

Genèse 36, 11 Les fils d'Eliphaz furent: Témân, Omar, Cepho, Gatam, Qenaz.

Genèse 36, 12 Eliphaz, fils d'Esaü, eut pour concubine Timna et elle lui enfanta Amaleq. Tels sont les fils d'Ada, la femme d'Esaü.

Genèse 36, 13 Voici les fils de Réuel: Nahat, Zérah, Shamma, Mizza. Tels furent les fils de Basmat, la femme d'Esaü.

Genèse 36, 14 Voici les fils d'Oholibama, fille d'Ana, fils de Cibéôn, la femme d'Esaü: elle lui enfanta Yéush, Yalam et Qorah.

Genèse 36, 15 Voici les chefs des fils d'Esaü. Fils d'Eliphaz, premier-né d'Esaü: le chef Témân, le chef Omar, le chef Cepho, le chef Qenaz,

Genèse 36, 16 le chef Gatam, le chef Amaleq. Tels sont les chefs d'Eliphazau pays d'Edom, tels sont les fils d'Ada.

Genèse 36, 17 Et voici les fils de Réuel, le fils d'Esaü: le chef Nahat, lechef Zérah, le chef Shamma, le chef Mizza. Tels sont les chefs de Réuel au pays d'Edom, tels sont les fils de Basmat, femme d'Esaü.

Genèse 36, 18 Et voici les fils d'Oholibama, la femme d'Esaü: le chef Yéush, le chef Yalam, le chef Qorah. Tels sont les chefs d'Oholibama, fille d'Ana, femme d'Esaü.

Genèse 36, 19 Tels sont les fils d'Esaü et tels sont leurs chefs. C'est Edom.

Genèse 36, 20 Voici les fils de Séïr le Horite, les indigènes du pays: Lotân, Shobal, Cibéôn, Ana,

Genèse 36, 21 Dishôn, Eçer, Dishân, tels sont les chefs des Horites, les fils de Séïr au pays d'Edom.

Genèse 36, 22 Les fils de Lotân furent Hori et Hémam, et la sœur de Lotân était Timna.

Genèse 36, 23 Voici les fils de Shobal: Alvân, Manahat, Ebal, Shepho, Onam.

Genèse 36, 24 Voici les fils de Cibéôn: Ayya, Ana -- c'est cet Ana qui trouva les eaux chaudes au désert en faisant paître les ânesde son père Cibéôn.

Genèse 36, 25 Voici les enfants d'Ana: Dishôn, Oholibama, fille d'Ana.

Genèse 36, 26 Voici les fils de Dishôn: Hemdân, Eshbân, Yitrân, Kerân.

Genèse 36, 27 Voici les fils d'Eçer: Bilhân, Zaavân, Aqân.

Genèse 36, 28 Voici les fils de Dishân: Uç et Arân.

Genèse 36, 29 Voici les chefs des Horites: le chef Lotân, le chef Shobal, lechef Cibéôn, le chef Ana,

Genèse 36, 30 le chef Dishôn, le chef Eçer, le chef Dishân. Tels sont les chefs des Horites, d'après leurs clans, au pays de Séïr.

Genèse 36, 31 Voici les rois qui régnèrent au pays d'Edom avant que ne régnât un roi des Israélites.

Genèse 36, 32 En Edom régna Béla, fils de Béor, et sa ville s'appelait Dinhaba.

Genèse 36, 33 Béla mourut et à sa place régna Yobab, fils de Zérah, deBoçra.

Genèse 36, 34 Yobab mourut et à sa place régna Husham du pays des Témanites.

Genèse 36, 35 Husham mourut et à sa place régna Hadad, fils de Bedad, qui battit les Madianites dans la campagne de Moab, et sa ville s'appelait Avvit.

Genèse 36, 36 Hadad mourut et à sa place régna Samla, de Masréqa.

Genèse 36, 37 Samla mourut et à sa place régna Shaûl, de Rehobot-ha-Nahar.

Genèse 36, 38 Shaûl mourut et à sa place régna Baal-Hanân, fils d'Akbor.

Genèse 36, 39 Baal-Hanân, fils d'Akbor, mourut et à sa place régna Hadad; sa ville s'appelait Paü; sa femme s'appelait Mehétabéel, fille de Matred, de Mé-Zahab.

Genèse 36, 40 Voici les noms des chefs d'Esaü, selon leurs clans et leurs lieux, d'après leurs noms: le chef Timna, le chef Alva, le chef Yetèt,

Genèse 36, 41 le chef Oholibama, le chef Ela, le chef Pinôn,

Genèse 36, 42 le chef Qenaz, le chef Témân, le chef Mibçar,

Genèse 36, 43 le chef Magdiel, le chef Iram. Tels sont les chefs d'Edom, selon leurs résidences au pays qu'ils possédaient. C'est Esaü, père d'Edom.

Genèse 37, 1 Mais Jacob demeura dans le pays où son père avait séjourné, dans le pays de Canaan.

Genèse 37, 2 Voici l'histoire de Jacob. Joseph avait dix-sept ans. Il gardait le petit bétail avec ses frères, -- il était jeune, -- avec les fils de Bilha et les fils de Zilpa, femmes de son père, et Joseph rapporta à leur père le mal qu'on disait d'eux.

Genèse 37, 3 Israël aimait Joseph plus que tous ses autres enfants, car il était le fils de sa vieillesse, et il lui fit faire une tunique ornée.

Genèse 37, 4 Ses frères virent que son père l'aimait plus que tous ses autres fils et ils le prirent en haine, devenus incapables de lui parler amicalement.

Genèse 37, 5 Or Joseph eut un songe et il en fit part à ses frères qui le haïrent encore plus.

Genèse 37, 6 Il leur dit: "Ecoutez le rêve que j'ai fait:

Genèse 37, 7 il me paraissait que nous étions à lier des gerbes dans les champs, et voici que ma gerbe se dressa et qu'elle se tintdebout, et vos gerbes l'entourèrent et elles se prosternèrent devant ma gerbe."

Genèse 37, 8 Ses frères lui répondirent: "Voudrais-tu donc régner sur nous en roi ou bien dominer en maître?" Et ils le haïrent encoreplus, à cause de ses rêves et de ses propos.

Genèse 37, 9 Il eut encore un autre songe, qu'il raconta à ses frères. Il dit: "J'ai encore fait un rêve: il me paraissait que lesoleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi."

Genèse 37, 10 Il raconta cela à son père et à ses frères, mais son père le gronda et lui dit: "En voilà un rêve que tu as fait!Allons-nous donc, moi, ta mère et tes frères, venir nous prosterner à terre devant toi?"

Genèse 37, 11 Ses frères furent jaloux de lui, mais son père gardait la chose dans sa mémoire.

Genèse 37, 12 Ses frères allèrent paître le petit bétail de leur père à Sichem.

Genèse 37, 13 Israël dit à Joseph: "Tes frères ne sont-ils pas au pâturage à Sichem? Viens, je vais t'envoyer vers eux" et il répondit: "Je suis prêt."

Genèse 37, 14 Il lui dit: "Va donc voir comment se portent tes frères et le bétail, et rapporte-moi des nouvelles." Il l'envoya de la vallée d'Hébron et Joseph arriva à Sichem.

Genèse 37, 15 Un homme le rencontra errant dans la campagne et cet homme lui demanda: "Que cherches-tu?"

Genèse 37, 16 Il répondit: "Je cherche mes frères. Indique-moi, je te prie, où ils paissent leurs troupeaux."

Genèse 37, 17 L'homme dit: "Ils ont décampé d'ici, je les ai entendus quidisaient: Allons à Dotân"; Joseph partit en quête de ses frères et il les trouva à Dotân.

Genèse 37, 18 Ils l'aperçurent de loin et, avant qu'il n'arrivât près d'eux, ils complotèrent de le faire mourir.

Genèse 37, 19 Ils se dirent entre eux: "Voilà l'homme aux songes qui arrive!

Genèse 37, 20 Maintenant, venez, tuons-le et jetons-le dans n'importe quelle citerne; nous dirons qu'une bête féroce l'a dévoré. Nous allons voir ce qu'il adviendra de ses songes!"

Genèse 37, 21 Mais Ruben entendit et il le sauva de leurs mains. Il dit: "N'attentons pas à sa vie!"

Genèse 37, 22 Ruben leur dit: "Ne répandez pas le sang! Jetez-le dans cette citerne du désert, mais ne portez pas la main sur lui!"C'était pour le sauver de leurs mains et le ramener à son père.

Genèse 37, 23 Donc, lorsque Joseph arriva près de ses frères, ils le dépouillèrent de sa tunique, la tunique ornée qu'il portait.

Genèse 37, 24 Ils se saisirent de lui et le jetèrent dans la citerne; c'était une citerne vide, où il n'y avait pas d'eau.

Genèse 37, 25 Puis ils s'assirent pour manger. Comme ils levaient les yeux, voici qu'ils aperçurent une caravane d'Ismaélites qui venait de Galaad. Leurs chameaux étaient chargés de gomme adragante, de baume et de ladanum, qu'ils allaient livrer en Egypte.

Genèse 37, 26 Alors Juda dit à ses frères: "Quel profit y aurait-il à tuer notre frère et couvrir son sang?

Genèse 37, 27 Venez, vendons-le aux Ismaélites, mais ne portons pas la main sur lui: il est notre frère, de la même chair que nous." Et ses frères l'écoutèrent.

Genèse 37, 28 Or des gens passèrent, des marchands madianites, et ils retirèrent Joseph de la citerne. Ils vendirent Joseph aux Ismaélites pour vingt sicles d'argent et ceux-ci le conduisirent en Egypte.

Genèse 37, 29 Lorsque Ruben retourna à la citerne, voilà que Joseph n'y était plus! Il déchira ses vêtements

Genèse 37, 30 et, revenant vers ses frères, il dit: "L'enfant n'est plus là! Et moi, où vais-je aller?"

Genèse 37, 31 Ils prirent la tunique de Joseph et, ayant égorgé un bouc, ils trempèrent la tunique dans le sang.

Genèse 37, 32 Ils envoyèrent la tunique ornée, ils la firent porter à leur père avec ces mots: "Voilà ce que nous avons trouvé! Regarde si ce ne serait pas la tunique de ton fils."

Genèse 37, 33 Celui-ci regarda et dit: "C'est la tunique de mon fils! Une bête féroce l'a dévoré. Joseph a été mis en pièces!"

Genèse 37, 34 Jacob déchira son vêtement, il mit un sac sur ses reins et fit le deuil de son fils pendant longtemps.

Genèse 37, 35 Tous ses fils et ses filles vinrent pour le consoler, mais il refusa toute consolation et dit: "Non, c'est en deuil que je veux descendre au shéol auprès de mon fils." Et son père le pleura.

Genèse 37, 36 Cependant, les Madianites l'avaient vendu en Egypte à Potiphar, eunuque de Pharaon et commandant des gardes.

Genèse 38, 1 Il arriva, vers ce temps-là, que Juda se sépara de ses frères et se rendit chez un homme d'Adullam qui se nommait Hira.

Genèse 38, 2 Là, Juda vit la fille d'un Cananéen qui se nommait Shua, il la prit pour femme et s'unit à elle.

Genèse 38, 3 Celle-ci conçut et enfanta un fils, qu'elle appela Er.

Genèse 38, 4 De nouveau, elle conçut et enfanta un fils, qu'elle appela Onân.

Genèse 38, 5 Encore une fois, elle enfanta un fils, qu'elle appela Shéla; elle se trouvait à Kezib quand elle lui donna naissance.

Genèse 38, 6 Juda prit une femme pour son premier-né Er; elle se nommait Tamar.

Genèse 38, 7 Mais Er, premier-né de Juda, déplut à Yahvé, qui le fit mourir.

Genèse 38, 8 Alors Juda dit à Onân: "Va vers la femme de ton frère, remplis avec elle ton devoir de beau-frère et assure une postérité à ton frère."

Genèse 38, 9 Cependant Onân savait que la postérité ne serait pas sienne et, chaque fois qu'il s'unissait à la femme de son frère, il laissait perdre à terre pour ne pas donner une postérité à son frère.

Genèse 38, 10 Ce qu'il faisait déplut à Yahvé, qui le fit mourir lui aussi.

Genèse 38, 11 Alors Juda dit à sa belle-fille Tamar: "Retourne comme veuve chez ton père, en attendant que grandisse mon fils Shéla." Il se disait: "Il ne faut pas que celui-là meure comme ses frères." Tamar s'en retourna donc chez son père.

Genèse 38, 12 Bien des jours passèrent et la fille de Shua, la femme de Juda, mourut. Lorsque Juda fut consolé, il monta à Timna pour la tonte de ses brebis, lui et Hira, son ami d'Adullam.

Genèse 38, 13 On avertit Tamar: "Voici, lui dit-on, que ton beau-père monte à Timna pour tondre ses brebis."

Genèse 38, 14 Alors, elle quitta ses vêtements de veuve, elle se couvrit d'un voile, s'enveloppa et s'assit à l'entrée d'Enayim, qui est sur le chemin de Timna. Elle voyait bien que Shéla était devenu grand et qu'elle ne lui avait pas été donnée pour femme.

Genèse 38, 15 Juda l'aperçut et la prit pour une prostituée, car elle s'était voilé le visage.

Genèse 38, 16 Il se dirigea vers elle sur le chemin et dit: "Laisse, que j'aille avec toi!" Il ne savait pas que c'était sabelle-fille. Mais elle demanda: "Que me donneras-tu pour aller avec moi?"

Genèse 38, 17 Il répondit: "Je t'enverrai un chevreau du troupeau." Mais elle reprit: "Oui, si tu me donnes un gage en attendant que tu l'envoies!"

Genèse 38, 18 Il demanda: "Quel gage te donnerai-je?" Et elle répondit: "Ton sceau et ton cordon et la canne que tu as à la main." Il les lui donna et alla avec elle, qui devint enceinte de lui.

Genèse 38, 19 Elle se leva, partit, enleva son voile et reprit ses vêtements de veuve.

Genèse 38, 20 Juda envoya le chevreau par l'intermédiaire de son ami d'Adullam, pour reprendre les gages des mains de la femme, mais celui-ci ne la retrouva pas.

Genèse 38, 21 Il demanda aux gens du lieu: "Où est cette prostituée qui était à Enayim, sur le chemin?" Mais ils répondirent: "Il n'y a jamais eu là de prostituée!"

Genèse 38, 22 Il revint donc auprès de Juda et dit: "Je ne l'ai pas retrouvée. Et même, les gens du lieu m'ont dit qu'il n'y avait jamais eu là de prostituée."

Genèse 38, 23 Juda reprit: "Qu'elle garde tout: il ne faut pas qu'on se moque de nous, mais j'ai bien envoyé le chevreau que voici, et toi, tu ne l'as pas retrouvée."

Genèse 38, 24 Environ trois mois après, on avertit Juda: "Ta belle-fille Tamar, lui dit-on, s'est prostituée, elle est même enceinte par suite de son inconduite." Alors Juda ordonna: "Qu'elle soit amenée dehors et brûlée vive!"

Genèse 38, 25 Mais, comme on l'amenait, elle envoya dire à son beau-père:"C'est de l'homme à qui appartient cela que je suis enceinte. Reconnais donc, dit-elle, à qui appartient ce sceau, ce cordon et cette canne."

Genèse 38, 26 Juda les reconnut et dit: "Elle est plus juste que moi. C'est qu'en effet je ne lui avait pas donné mon fils Shéla." Et il n'eut plus de rapports avec elle.

Genèse 38, 27 Lorsque vint le temps de ses couches, il apparut qu'elle avait dans son sein des jumeaux.

Genèse 38, 28 Pendant l'accouchement, l'un d'eux tendit la main et la sage-femme la saisit et y attacha un fil écarlate, en disant:"C'est celui-là qui est sorti le premier."

Genèse 38, 29 Mais il advint qu'il retira sa main et ce fut son frère quisortit. Alors elle dit: "Comme tu t'es ouvert une brèche!" Eton l'appela Pérèç.

Genèse 38, 30 Ensuite sortit son frère, qui avait le fil écarlate à la main, et on l'appela Zérah.

Genèse 39, 1 Joseph avait donc été emmené en Egypte. Potiphar, eunuque de Pharaon et commandant des gardes, un Egyptien, l'acheta aux Ismaélites qui l'avaient emmené là-bas.

Genèse 39, 2 Or Yahvé assista Joseph, à qui tout réussit, et il resta dans la maison de son maître, l'Egyptien.

Genèse 39, 3 Comme son maître voyait que Yahvé l'assistait et faisait réussir entre ses mains tout ce qu'il entreprenait,

Genèse 39, 4 Joseph trouva grâce à ses yeux: il fut attaché au service du maître, qui l'institua son majordome et lui confia tout ce qui lui appartenait.

Genèse 39, 5 Et, à partir du moment où il l'eut préposé à sa maison et à ce qui lui appartenait, Yahvé bénit la maison de l'Egyptien, en considération de Joseph: la bénédiction de Yahvé atteignit tout ce qu'il possédait à la maison et aux champs.

Genèse 39, 6 Alors, il abandonna entre les mains de Joseph tout ce qu'il avait et, avec lui, il ne se préoccupa plus de rien, sauf de la nourriture qu'il prenait. Joseph avait une belle prestance et un beau visage.

Genèse 39, 7 Il arriva, après ces événements, que la femme de son maître jeta les yeux sur Joseph et dit: "Couche avec moi!"

Genèse 39, 8 Mais il refusa et dit à la femme de son maître: "Avec moi, mon maître ne se préoccupe pas de ce qui se passe à la maison et il m'a confié tout ce qui lui appartient.

Genèse 39, 9 Lui-même n'est pas plus puissant que moi dans cette maison: il ne m'a rien interdit que toi, parce que tu es sa femme. Comment pourrais-je accomplir un aussi grand mal et pécher contre Dieu?"

Genèse 39, 10 Bien qu'elle parlât à Joseph chaque jour, il ne consentit pas à coucher à son côté, à se donner à elle.

Genèse 39, 11 Or, un certain jour, Joseph vint à la maison pour faire son service et il n'y avait là, dans la maison, aucun des domestiques.

Genèse 39, 12 La femme le saisit par son vêtement en disant: "Couche avec moi!" mais il abandonna le vêtement entre ses mains, prit la fuite et sortit.

Genèse 39, 13 Voyant qu'il avait laissé le vêtement entre ses mains et qu'il s'était enfui dehors,

Genèse 39, 14 elle appela ses domestiques et leur dit: "Voyez cela! Il nous a amené un Hébreu pour badiner avec nous! Il m'a approchée pour coucher avec moi, mais j'ai poussé un grand cri,

Genèse 39, 15 et en entendant que j'élevais la voix et que j'appelais il a laissé son vêtement près de moi, il a pris la fuite et il est sorti."

Genèse 39, 16 Elle déposa le vêtement à côté d'elle en attendant que le maître vint à la maison.

Genèse 39, 17 Alors, elle lui dit les mêmes paroles: "L'esclave hébreu que tu nous as amené m'a approchée pour badiner avec moi

Genèse 39, 18 et, quand j'ai élevé la voix et appelé, il a laissé son vêtement près de moi et il s'est enfui dehors."

Genèse 39, 19 Lorsque le mari entendit ce que lui disait sa femme: "Voilà de quelle manière ton esclave a agi envers moi", sa colère s'enflamma.

Genèse 39, 20 Le maître de Joseph le fit saisir et mettre en geôle, là où étaient détenus les prisonniers du roi. Ainsi, il demeura en geôle.

Genèse 39, 21 Mais Yahvé assista Joseph, il étendit sur lui sa bonté et lui fit trouver grâce aux yeux du geôlier chef.

Genèse 39, 22 Le geôlier chef confia à Joseph tous les détenus qui étaient en geôle; tout ce qui s'y faisait se faisait par lui.

Genèse 39, 23 Le geôlier chef ne s'occupait en rien de ce qui lui était confié, parce que Yahvé l'assistait et faisait réussir ce qu'il entreprenait.

Genèse 40, 1 Il arriva, après ces événements, que l'échanson du roi d'Egypte et son panetier se rendirent coupables envers leur maître, le roi d'Egypte.

Genèse 40, 2 Pharaon s'irrita contre ses deux eunuques, le grand échanson et le grand panetier,

Genèse 40, 3 et il les mit aux arrêts chez le commandant des gardes, dans la geôle où Joseph était détenu.

Genèse 40, 4 Le commandant des gardes leur adjoignit Joseph pour qu'il les servit et ils restèrent un certain temps aux arrêts.

Genèse 40, 5 Or, une même nuit, tous deux eurent un songe ayant pour chacun sa signification, l'échanson et le panetier du roi d'Egypte, qui étaient détenus dans la geôle.

Genèse 40, 6 Venant les trouver le matin, Joseph s'aperçut qu'ils étaient maussades

Genèse 40, 7 et il demanda aux eunuques de Pharaon qui étaient avec lui aux arrêts chez son maître: "Pourquoi faites-vous mauvais visage aujourd'hui?"

Genèse 40, 8 Ils lui répondirent: "Nous avons eu un songe et il n'y a personne pour l'interpréter", Joseph leur dit: "C'est Dieu qui donne l'interprétation; mais racontez-moi donc!"

Genèse 40, 9 Le grand échanson raconta à Joseph le songe qu'il avait eu:"J'ai rêvé, dit-il, qu'il y avait devant moi un cep de vigne,

Genèse 40, 10 et sur le cep trois sarments: dès qu'il bourgeonna, il monta en fleurs, ses grappes firent mûrir les raisins.

Genèse 40, 11 J'avais en main la coupe de Pharaon, je pris les raisins, je les pressai sur la coupe de Pharaon et je mis la coupe dans la main de Pharaon."

Genèse 40, 12 Joseph lui dit: "Voici ce que cela signifie: les trois sarments représentent trois jours.

Genèse 40, 13 Encore trois jours et Pharaon t'élèvera la tête, et il te rendra ton emploi: tu mettras la coupe de Pharaon en sa main, comme tu avais coutume de faire autrefois où tu étais son échanson.

Genèse 40, 14 Souviens-toi de moi, lorsqu'il te sera arrivé du bien, et sois assez bon pour parler de moi à Pharaon, qu'il me fasse sortir de cette maison.

Genèse 40, 15 En effet, j'ai été enlevé du pays des Hébreux et ici même je n'ai rien fait pour qu'on me mette en prison."

Genèse 40, 16 Le grand panetier vit que c'était une interprétation favorable et il dit à Joseph: "Moi aussi, j'ai rêvé: il y avait trois corbeilles de gâteaux sur ma tête.

Genèse 40, 17 Dans la corbeille du dessus, il y avait toutes sortes de pâtisseries que mange Pharaon, mais les oiseaux les mangeaient dans la corbeille, sur ma tête."

Genèse 40, 18 Joseph lui répondit ainsi: "Voici ce que cela signifie: les trois corbeilles représentent trois jours.

Genèse 40, 19 Encore trois jours et Pharaon t'élèvera la tête, il te pendra au gibet et les oiseaux mangeront la chair de dessus de toi."

Genèse 40, 20 Effectivement, le troisième jour, qui était l'anniversaire de Pharaon, celui-ci donna un banquet à tous ses officiers et il relâcha le grand échanson et le grand panetier au milieu de ses officiers.

Genèse 40, 21 Il rétablit le grand échanson dans son échansonnerie et celui-ci mit la coupe dans la main de Pharaon;

Genèse 40, 22 quant au grand panetier, il le pendit, comme Joseph lui avait expliqué.

Genèse 40, 23 Mais le grand échanson ne se souvint pas de Joseph, il l'oublia.

Genèse 41, 1 Deux ans après, il advint que Pharaon eut un songe: il se tenait près du Nil

Genèse 41, 2 et il vit monter du Nil sept vaches de belle apparence et grasses de chair, qui pâturèrent dans les joncs.

Genèse 41, 3 Mais voici que sept autres vaches montèrent du Nil derrière elles, laides d'apparence et maigres de chair, et elles se rangèrent à côté des premières, sur la rive du Nil.

Genèse 41, 4 Et les vaches laides d'apparence et maigres de chair dévorèrent les sept vaches grasses et belles d'apparence. Alors Pharaon s'éveilla.

Genèse 41, 5 Il se rendormit et eut un second songe: sept épis montaient d'une même tige, gros et beaux.

Genèse 41, 6 Mais voici que sept épis grêles et brûlés par le vent d'est poussèrent après eux.

Genèse 41, 7 Et les épis grêles engloutirent les sept épis gros et pleins. Alors Pharaon s'éveilla: voilà que c'était un songe!

Genèse 41, 8 Au matin, l'esprit troublé, Pharaon fit appeler tous les magiciens et tous les sages d'Egypte et il leur raconta le songe qu'il avait eu, mais personne ne put l'expliquer à Pharaon.

Genèse 41, 9 Alors, le grand échanson adressa la parole à Pharaon et dit: "Je dois confesser aujourd'hui mes fautes!

Genèse 41, 10 Pharaon s'était irrité contre ses serviteurs et les avait mis aux arrêts chez le commandant des gardes, moi et le grand panetier.

Genèse 41, 11 Nous eûmes un songe, la même nuit, lui et moi, mais la signification du songe était différente pour chacun.

Genèse 41, 12 Il y avait là avec nous un jeune Hébreu, un esclave du commandant des gardes. Nous lui avons raconté nos songes et il nous les a interprétés: il a interprété le songe de chacun.

Genèse 41, 13 Et juste comme il nous l'avait expliqué, ainsi arriva-t-il: je fus rétabli dans mon emploi et l'autre fut pendu."

Genèse 41, 14 Alors Pharaon fit appeler Joseph, et on l'amena en hâte de la prison. Il se rasa, changea de vêtements et se présenta devant Pharaon.

Genèse 41, 15 Pharaon dit à Joseph: "J'ai eu un songe et personne ne peut l'interpréter. Mais j'ai entendu dire de toi qu'il te suffit d'entendre un songe pour savoir l'interpréter."

Genèse 41, 16 Joseph répondit à Pharaon: "Je ne compte pas! C'est Dieu qui donnera à Pharaon une réponse favorable."

Genèse 41, 17 Alors Pharaon parla ainsi à Joseph: "Dans mon songe, il me semblait que je me tenais sur la rive du Nil.

Genèse 41, 18 Voici que montèrent du Nil sept vaches grasses de chair et belles d'aspect, qui pâturèrent dans les joncs.

Genèse 41, 19 Mais voici que sept autres vaches montèrent après elles, efflanquées, très laides d'aspect et maigres de chair, je n'en ai jamais vu d'aussi laides dans tout le pays d'Egypte.

Genèse 41, 20 Les vaches maigres et laides dévorèrent les sept premières, les vaches grasses.

Genèse 41, 21 Et lorsqu'elles les eurent avalées, on ne s'aperçut pas qu'elles les avaient avalées, car leur apparence était aussi laide qu'au début. Là-dessus, je m'éveillai.

Genèse 41, 22 Puis j'ai vu en songe sept épis monter d'une même tige, pleins et beaux.

Genèse 41, 23 Mais voici que sept épis desséchés, grêles et brûlés par le vent d'est poussèrent après eux.

Genèse 41, 24 Et les épis grêles engloutirent les sept beaux épis. J'ai dit cela aux magiciens mais il n'y a personne qui me donne la réponse."

Genèse 41, 25 Joseph dit à Pharaon: "Le Pharaon n'a fait qu'un seul songe: Dieu a annoncé à Pharaon ce qu'il va accomplir.

Genèse 41, 26 Les sept belles vaches représentent sept années, et les sept beaux épis représentent sept années, c'est un seul et même songe.

Genèse 41, 27 Les sept vaches maigres et laides qui montent ensuite représentent sept années et aussi les sept épis grêles et brûlés par le vent d'est: c'est qu'il y aura sept années de famine.

Genèse 41, 28 C'est ce que j'ai dit à Pharaon; Dieu a montré à Pharaon ce qu'il va accomplir:

Genèse 41, 29 voici que viennent sept années où il y aura grande abondance dans tout le pays d'Egypte,

Genèse 41, 30 puis leur succéderont sept années de famine et on oubliera toute l'abondance dans le pays d'Egypte; la famine épuisera le pays

Genèse 41, 31 et l'on ne saura plus ce qu'était l'abondance dans le pays, en face de cette famine qui suivra, car elle sera très dure.

Genèse 41, 32 Et si le songe de Pharaon s'est renouvelé deux fois, c'est que la chose est bien décidée de la part de Dieu et que Dieu a hâte de l'accomplir.

Genèse 41, 33 "Maintenant, que Pharaon discerne un homme intelligent et sage et qu'il l'établisse sur le pays d'Egypte.

Genèse 41, 34 Que Pharaon agisse et qu'il institue des fonctionnaires sur le pays; il imposera au cinquième le pays d'Egypte pendant les sept années d'abondance,

Genèse 41, 35 ils ramasseront tous les vivres de ces bonnes années qui viennent, ils emmagasineront le blé sous l'autorité de Pharaon, ils mettront les vivres dans les villes et les y garderont.

Genèse 41, 36 Ces vivres serviront de réserve au pays pour les sept années de famine qui s'abattront sur le pays d'Egypte, et le pays ne sera pas exterminé par la famine."

Genèse 41, 37 Le discours plut à Pharaon et à tous ses officiers

Genèse 41, 38 et Pharaon dit à ses officiers: "Trouverons-nous un homme comme celui-ci, en qui soit l'esprit de Dieu?"

Genèse 41, 39 Alors Pharaon dit à Joseph: "Après que Dieu t'a fait connaître tout cela, il n'y a personne d'intelligent et de sage comme toi.

Genèse 41, 40 C'est toi qui seras mon maître du palais et tout mon peuple se conformera à tes ordres, je ne te dépasserai que par le trône."

Genèse 41, 41 Pharaon dit à Joseph: "Vois: je t'établis sur tout le pays d'Egypte"

Genèse 41, 42 et Pharaon ôta son anneau de sa main et le mit à la main de Joseph, il le revêtit d'habits de lin fin et lui passa au coule collier d'or.

Genèse 41, 43 Il le fit monter sur le meilleur char qu'il avait après le sien et on criait devant lui "Abrek." Ainsi fut-il établi surtout le pays d'Egypte.

Genèse 41, 44 Pharaon dit à Joseph: "Je suis Pharaon, mais sans ta permission personne ne lèvera la main ni le pied dans tout le pays d'Egypte."

Genèse 41, 45 Et Pharaon imposa à Joseph le nom de Cophnat-Panéah et il lui donna pour femme Asnat, fille de Poti-Phéra, prêtre d'On. Et Joseph partit pour le pays d'Egypte.

Genèse 41, 46 Joseph avait 30 ans lorsqu'il se présenta devant Pharaon, roi d'Egypte, et Joseph quitta la présence de Pharaon et parcourut tout le pays d'Egypte.

Genèse 41, 47 Pendant les sept années d'abondance, la terre produisit à profusion

Genèse 41, 48 et il ramassa tous les vivres des sept années où il y eut abondance au pays d'Egypte et déposa les vivres dans les villes, mettant dans chaque ville les vivres de la campagne environnante.

Genèse 41, 49 Joseph emmagasina le blé comme le sable de la mer, en telle quantité qu'on renonça à en faire le compte, car cela dépassait toute mesure.

Genèse 41, 50 Avant que vînt l'année de la famine, il naquit à Joseph deux fils que lui donna Asnat, fille de Poti-Phéra, prêtre d'On.

Genèse 41, 51 Joseph donna à l'aîné le nom de Manassé, "car, dit-il, Dieu m'a fait oublier toute ma peine et toute la famille de mon père."

Genèse 41, 52 Quant au second, il l'appela Ephraïm, "car, dit-il, Dieu m'a rendu fécond au pays de mon malheur."

Genèse 41, 53 Alors prirent fin les sept années d'abondance qu'il y eut au pays d'Egypte

Genèse 41, 54 et commencèrent à venir les sept années de famine, comme l'avait dit Joseph. Il y avait famine dans tous les pays, mais il y avait du pain dans tout le pays d'Egypte.

Genèse 41, 55 Puis tout le pays d'Egypte souffrit de la faim et le peuple demanda à grands cris du pain à Pharaon, mais Pharaon dit à tous les Egyptiens: "Allez à Joseph et faites ce qu'il vous dira" --

Genèse 41, 56 La famine sévissait par toute la terre. -- Alors Joseph ouvrit tous les magasins à blé et vendit du grain aux Egyptiens. La famine s'aggrava encore au pays d'Egypte.

Genèse 41, 57 De toute la terre on vint en Egypte pour acheter du grain à Joseph, car la famine s'aggravait par toute la terre.

Genèse 42, 1 Jacob, voyant qu'il y avait du grain à vendre en Egypte, dit à ses fils: "Pourquoi restez-vous à vous regarder?

Genèse 42, 2 J'ai appris, leur dit-il, qu'il y avait du grain à vendre en Egypte. Descendez-y et achetez-nous du grain là-bas, pour que nous restions en vie et ne mourions pas."

Genèse 42, 3 Dix des frères de Joseph descendirent donc pour acheter du blé en Egypte.

Genèse 42, 4 Quant à Benjamin, le frère de Joseph, Jacob ne l'envoya pas avec les autres: "Il ne faut pas, se disait-il, qu'il lui arrive malheur."

Genèse 42, 5 Les fils d'Israël allèrent donc pour acheter du grain, mêlés aux autres arrivants, car la famine sévissait au pays de Canaan.

Genèse 42, 6 Joseph -- il avait autorité sur le pays -- était celui qui vendait le grain à tout le peuple du pays. Les frères de Joseph arrivèrent et se prosternèrent devant lui, la face contre terre.

Genèse 42, 7Dès que Joseph vit ses frères il les reconnut, mais il feignit de leur être étranger et leur parla durement. Il leur demanda:"D'où venez-vous?" Et ils répondirent: "Du pays de Canaan pour acheter des vivres."

Genèse 42, 8Ainsi Joseph reconnut ses frères, mais eux ne le reconnurent pas.

Genèse 42, 9Joseph se souvint des songes qu'il avait eus à leur sujet et il leur dit: "Vous êtes des espions! C'est pour reconnaître les points faibles du pays que vous êtes venus."

Genèse 42, 10 Ils protestèrent: "Non, Monseigneur! Tes serviteurs sont venus pour acheter des vivres.

Genèse 42, 11 Nous sommes tous les fils d'un même homme, nous sommes sincères, tes serviteurs ne sont pas des espions."

Genèse 42, 12 Mais il leur dit: "Non! Ce sont les points faibles du pays que vous êtes venus voir."

Genèse 42, 13 Ils répondirent: "Tes serviteurs étaient douze frères, nous sommes fils d'un même homme, au pays de Canaan: le plus jeune est maintenant avec notre père et il y en a un qui n'est plus."

Genèse 42, 14 Joseph reprit: "C'est comme je vous ai dit: vous êtes des espions!

Genèse 42, 15 Voici l'épreuve que vous subirez: aussi vrai que Pharaon est vivant, vous ne partirez pas d'ici à moins que votre plus jeune frère n'y vienne!

Genèse 42, 16 Envoyez l'un de vous chercher votre frère; pour vous, restez prisonniers. On éprouvera vos paroles et l'on verra si la vérité est avec vous ou non. Si non, aussi vrai que Pharaon est vivant, vous êtes des espions!"

Genèse 42, 17 Et il les mit tous en prison pour trois jours.

Genèse 42, 18 Le troisième jour, Joseph leur dit: "Voici ce que vous ferez pour avoir la vie sauve, car je crains Dieu:

Genèse 42, 19 si vous êtes sincères, que l'un de vos frères reste détenu dans votre prison; pour vous, partez en emportant le grain dont vos familles ont besoin.

Genèse 42, 20 Vous me ramènerez votre plus jeune frère: ainsi vos paroles seront vérifiées et vous ne mourrez pas" – Ainsi firent-ils. --

Genèse 42, 21 Ils se dirent l'un à l'autre: "En vérité, nous expions ce que nous avons fait à notre frère: nous avons vu la détresse de son âme, quand il nous demandait grâce, et nous n'avons pas écouté. C'est pourquoi cette détresse nous est venue."

Genèse 42, 22 Ruben leur répondit: "Ne vous avais-je pas dit de ne pas commettre de faute contre l'enfant? Mais vous ne m'avez pas écouté et voici qu'il nous est demandé compte de son sang."

Genèse 42, 23 Ils ne savaient pas que Joseph les comprenait car, entre lui et eux, il y avait l'interprète.

Genèse 42, 24 Alors il s'écarta d'eux et pleura. Puis il revint vers eux et leur parla; il prit d'entre eux Siméon et le fit lier sous leurs yeux.

Genèse 42, 25 Joseph donna l'ordre de remplir de blé leurs bagages, de remettre l'argent de chacun dans son sac et de leur donner des provisions de route. Et c'est ce qu'on leur fit.

Genèse 42, 26 Ils chargèrent le grain sur leurs ânes et s'en allèrent.

Genèse 42, 27 Mais lorsque l'un d'eux, au campement pour la nuit, ouvrit son sac à blé pour donner du fourrage à son âne, il vit son argent qui était à l'entrée de son sac à blé.

Genèse 42, 28 Il dit à ses frères: "On a rendu mon argent, voici qu'il est dans mon sac à blé!" Alors le cœur leur manqua et ils se regardèrent en tremblant, se disant: "Qu'est-ce que Dieu nous a fait?"

Genèse 42, 29 Revenus chez leur père Jacob, au pays de Canaan, ils lui racontèrent tout ce qui leur était arrivé.

Genèse 42, 30 "L'homme qui est seigneur du pays, dirent-ils, nous a parlé durement et nous a pris pour des espions du pays.

Genèse 42, 31 Nous lui avons dit: Nous sommes sincères, nous ne sommes pas des espions,

Genèse 42, 32 nous étions douze frères, les fils d'un même père, l'un de nous n'est plus et le plus jeune est maintenant avec notre père au pays de Canaan.

Genèse 42, 33 Mais cet homme qui est seigneur du pays nous a répondu: Voici comment je saurai si vous êtes sincères: laissez près de moi un de vos frères, prenez le grain dont vos familles ont besoin et partez,

Genèse 42, 34 mais ramenez-moi votre plus jeune frère et je saurai que vous n'êtes pas des espions mais que vous êtes sincères. Alors je vous rendrai votre frère et vous pourrez circuler dans le pays."

Genèse 42, 35 Comme ils vidaient leurs sacs, voici que chacun avait dans son sac sa bourse d'argent, et lorsqu'ils virent leurs bourses d'argent ils eurent peur, eux et leur père.

Genèse 42, 36 Alors leur père Jacob leur dit: "Vous me privez de mes enfants: Joseph n'est plus, Siméon n'est plus, et vous voulez prendre Benjamin, c'est sur moi que tout cela retombe!"

Genèse 42, 37 Mais Ruben dit à son père: "Tu mettras mes deux fils à mort si je ne te le ramène pas. Confie-le-moi et je te le rendrai!"

Genèse 42, 38 Mais il reprit: "Mon fils ne descendra pas avec vous: son frère est mort et il reste seul. S'il lui arrivait malheur dans le voyage que vous allez entreprendre, vous feriez descendre dans l'affliction mes cheveux blancs au shéol."

Genèse 43, 1 Mais la famine pesait sur le pays

Genèse 43, 2 et lorsqu'ils eurent achevé de manger le grain qu'ils avaient apporté d'Egypte, leur père leur dit: "Retournez et achetez-nous un peu de vivres."

Genèse 43, 3 Juda lui répondit: "Cet homme nous a expressément avertis:Vous ne serez pas admis en ma présence à moins que votre frère ne soit avec vous.

Genèse 43, 4 Si tu es prêt à laisser notre frère avec nous, nous descendrons et t'achèterons des vivres,

Genèse 43, 5 mais si tu ne le laisses pas partir, nous ne descendrons pas, car cet homme nous a dit: Vous ne serez pas admis en ma présence à moins que votre frère ne soit avec vous."

Genèse 43, 6Israël dit: "Pourquoi m'avez-vous fait ce mal de dire à cet homme que vous aviez encore un frère"

Genèse 43, 7 "C'est, répondirent-ils, que l'homme s'est enquis de nous et de notre famille en demandant: Votre père est-il encore vivant, avez-vous un frère? Et nous l'avons informé en conséquence. Pouvions-nous savoir qu'il dirait: Amenez votre frère?"

Genèse 43, 8 Alors Juda dit à son père Israël: "Laisse aller l'enfant avec moi. Allons, mettons-nous en route pour que nous conservions la vie et ne mourions pas, nous-mêmes avec toi et les personnes à notre charge.

Genèse 43, 9 Je me porte garant pour lui et tu m'en demanderas compte: s'il m'arrive de ne pas te le ramener et de ne pas le remettre devant tes yeux, j'en porterai la faute pendant toute ma vie.

Genèse 43, 10 Si nous n'avions pas tant tardé, nous serions déjà revenus pour la seconde fois!"

Genèse 43, 11 Alors leur père Israël leur dit: "Puisqu'il le faut, faites donc ceci: dans vos bagages prenez des meilleurs produits du pays pour les apporter en présent à cet homme, un peu de baume et un peu de miel, de la gomme adragante et du ladanum, des pistaches et des amandes.

Genèse 43, 12 Prenez avec vous une seconde somme d'argent et rapportez l'argent qui a été remis à l'entrée de vos sacs à blé: c'était peut-être une méprise.

Genèse 43, 13 Prenez votre frère et partez, retournez auprès de cet homme.

Genèse 43, 14 Qu'El Shaddaï vous fasse trouver miséricorde auprès de cet homme et qu'il vous laisse ramener votre autre frère et Benjamin. Pour moi, que je perde mes enfants si je dois les perdre!"

Genèse 43, 15 Nos gens prirent donc ce présent, le double d'argent avec eux, et Benjamin; ils partirent et descendirent en Egypte et ils se présentèrent devant Joseph.

Genèse 43, 16 Quand Joseph les vit avec Benjamin, il dit à son intendant:"Conduis ces gens à la maison, abats une bête et apprête-là, car ces gens mangeront avec moi à midi."

Genèse 43, 17 L'homme fit comme Joseph avait commandé et conduisit nos gens à la maison de Joseph.

Genèse 43, 18 Nos gens eurent peur parce qu'on les conduisait à la maison de Joseph et ils dirent: "C'est à cause de l'argent qui s'est retrouvé la première fois dans nos sacs à blé qu'on nous emmène: on va nous assaillir, tomber sur nous et nous prendre pour esclaves, avec nos ânes."

Genèse 43, 19 Ils s'approchèrent de l'intendant de Joseph et lui parlèrent à l'entrée de la maison:

Genèse 43, 20 "Pardon, Monseigneur! dirent-ils, nous sommes descendus une première fois pour acheter des vivres

Genèse 43, 21 et, lorsque nous sommes arrivés au campement pour la nuit et que nous avons ouvert nos sacs à blé, voici que l'argent de chacun se trouvait à l'entrée de son sac, notre argent bien compté, et nous le rapportons avec nous.

Genèse 43, 22 Nous avons apporté une autre somme pour acheter des vivres. Nous ne savons pas qui a mis notre argent dans nos sacs à blé."

Genèse 43, 23 Mais il répondit: "Soyez en paix et n'ayez pas peur! C'est votre Dieu et le Dieu de votre père qui vous a mis un trésor dans vos sacs à blé; votre argent m'est bien parvenu" et il leur amena Siméon.

Genèse 43, 24 L'homme introduisit nos gens dans la maison de Joseph, il leur apporta de l'eau pour qu'ils se lavent les pieds et il donna du fourrage à leurs ânes.

Genèse 43, 25 Ils disposèrent le présent en attendant que Joseph vienne pour midi, car ils avaient appris qu'ils prendraient là leur repas.

Genèse 43, 26 Quand Joseph rentra à la maison, ils lui offrirent le présent qu'ils avaient avec eux et se prosternèrent à terre.

Genèse 43, 27 Mais il les salua amicalement et demanda: "Comment se porte votre vieux père dont vous m'avez parlé, est-il encore envie?"

Genèse 43, 28 Ils répondirent: "Ton serviteur, notre père, se porte bien, il est encore en vie" et ils s'agenouillèrent et se prosternèrent.

Genèse 43, 29 Levant les yeux, Joseph vit son frère Benjamin, le fils de sa mère, et demanda: "Est-ce là votre plus jeune frère, dont vous m'avez parlé?" Et s'adressant à lui: "Que Dieu te fasse grâce, mon fils."

Genèse 43, 30 Et Joseph se hâta de sortir, car ses entrailles s'étaient émues pour son frère et les larmes lui venaient aux yeux: il entra dans sa chambre et là, il pleura.

Genèse 43, 31 S'étant lavé le visage, il revint et, se contenant, il ordonna: "Servez le repas."

Genèse 43, 32 On le servit à part, eux à part et à part aussi les Egyptiens qui mangeaient chez lui, car les Egyptiens ne peuvent pas prendre leurs repas avec les Hébreux: ils ont cela en horreur.

Genèse 43, 33 Ils étaient placés en face de lui, chacun à son rang, de l'aîné au plus jeune, et nos gens se regardaient avec étonnement.

Genèse 43, 34 Mais lui leur fit porter, de son plat, des portions d'honneur, et la portion de Benjamin surpassait cinq fois celle de tous les autres. Avec lui ils burent et s'enivrèrent.

Genèse 44, 1 Puis Joseph dit à son intendant: "Remplis les sacs de ces gens avec autant de vivres qu'ils peuvent porter et mets l'argent de chacun à l'entrée de son sac.

Genèse 44, 2 Ma coupe, celle d'argent, tu la mettras à l'entrée du sac du plus jeune, avec le prix de son grain." Et il fit comme Joseph avait dit.

Genèse 44, 3 Lorsque le matin parut, on renvoya nos gens avec leurs ânes.

Genèse 44, 4 Ils étaient à peine sortis de la ville et n'étaient pas bien loin que Joseph dit à son intendant: "Debout! Cours après ces hommes, rattrape-les et dis-leur: Pourquoi avez-vous rendu le mal pour le bien?

Genèse 44, 5 N'est-ce pas ce qui sert à mon maître pour boire et aussi pour lire les présages? C'est mal ce que vous avez fait!"

Genèse 44, 6 Il les attrapa donc et leur redit ces paroles.

Genèse 44, 7 Mais ils répondirent: "Pourquoi Monseigneur parle-t-il ainsi?Loin de tes serviteurs de faire une chose pareille!

Genèse 44, 8 Vois donc: l'argent que nous avions trouvé à l'entrée de nos sacs à blé, nous te l'avons rapporté du pays de Canaan, comment aurions-nous volé de la maison de ton maître argent ou or?

Genèse 44, 9 Celui de tes serviteurs avec qui on trouvera l'objet sera mis à mort et nous-mêmes deviendrons esclaves de Monseigneur."

Genèse 44, 10 Il reprit: "Eh bien! Qu'il en soit comme vous avez dit: celui avec qui on trouvera l'objet sera mon esclave, mais vous autres vous serez quittes."

Genèse 44, 11 Vite, chacun descendit à terre son sac à blé et chacun l'ouvrit.

Genèse 44, 12 Il les fouilla en commençant par l'aîné et en finissant par le plus jeune, et la coupe fut trouvée dans le sac de Benjamin!

Genèse 44, 13 Alors, ils déchirèrent leurs vêtements, rechargèrent chacun son âne et revinrent à la ville.

Genèse 44, 14 Lorsque Juda et ses frères entrèrent dans la maison de Joseph, celui-ci s'y trouvait encore, et ils tombèrent à terre devant lui.

Genèse 44, 15 Joseph leur demanda: "Quelle est cette action que vous avez commise? Ne saviez-vous pas qu'un homme comme moi sait deviner?"

Genèse 44, 16 Et Juda répondit: "Que dirons-nous à Monseigneur, comment parler et comment nous justifier? C'est Dieu qui a mis en évidence la faute de tes serviteurs. Nous voici donc les esclaves de Monseigneur, aussi bien nous autres que celui aux mains duquel on a trouvé la coupe."

Genèse 44, 17 Mais il reprit: "Loin de moi d'agir ainsi! L'homme aux mains duquel la coupe a été trouvée sera mon esclave, mais vous, retournez en paix chez votre père."

Genèse 44, 18 Alors Juda s'approcha de lui et dit: "S'il te plaît, Monseigneur, permets que ton serviteur fasse entendre un mot aux oreilles de Monseigneur, sans que ta colère s'enflamme contre ton serviteur, car tu es vraiment comme Pharaon!

Genèse 44, 19 Monseigneur avait posé cette question à ses serviteurs:Avez-vous encore un père ou un frère?

Genèse 44, 20 Et nous avons répondu à Monseigneur: Nous avons un vieux père et un cadet, qui lui est né dans sa vieillesse; le frère de celui-ci est mort, il reste le seul enfant de sa mère et notre père l'aime!

Genèse 44, 21 Alors tu as dit à tes serviteurs: Amenez-le moi, que mon regard se pose sur lui.

Genèse 44, 22 Nous avons répondu à Monseigneur: L'enfant ne peut pas quitter son père; s'il quitte son père, celui-ci en mourra.

Genèse 44, 23 Mais tu as insisté auprès de tes serviteurs: Si votre plus jeune frère ne descend pas avec vous, vous ne serez plus admis en ma présence.

Genèse 44, 24 Donc, lorsque nous sommes remontés chez ton serviteur, mon père, nous lui avons apporté les paroles de Monseigneur.

Genèse 44, 25 Et lorsque notre père a dit: Retournez pour nous acheter un peu de vivres,

Genèse 44, 26 nous avons répondu: Nous ne pouvons pas descendre. Nous ne descendrons que si notre jeune frère est avec nous, car il n'est pas possible que nous soyons admis en présence de cet homme sans que notre plus jeune frère soit avec nous.

Genèse 44, 27 Alors ton serviteur, mon père, nous a dit: Vous savez bien que ma femme ne m'a donné que deux enfants:

Genèse 44, 28 l'un m'a quitté et j'ai dit: il a été mis en pièces! et je ne l'ai plus revu jusqu'à présent.

Genèse 44, 29 Que vous preniez encore celui-ci d'auprès de moi et qu'il lui arrive malheur et vous feriez descendre dans la peine mes cheveux blancs au shéol.

Genèse 44, 30 Maintenant, si j'arrive chez ton serviteur, mon père, sans que soit avec nous l'enfant à l'âme duquel son âme est liée,

Genèse 44, 31 dès qu'il verra que l'enfant n'est pas avec nous, il mourra, et tes serviteurs auront fait descendre dans l'affliction les cheveux blancs de ton serviteur, notre père, au shéol.

Genèse 44, 32 Et ton serviteur s'est porté garant de l'enfant auprès de mon père, en ces termes: Si je ne te le ramène pas, j'en serai coupable envers mon père toute ma vie.

Genèse 44, 33 Maintenant, que ton serviteur reste comme esclave de Monseigneur à la place de l'enfant et que celui-ci remonte avec ses frères.

Genèse 44, 34 Comment, en effet, pourrais-je remonter chez mon père sans que l'enfant soit avec moi? Je ne veux pas voir le malheur qui frapperait mon père."

Genèse 45, 1 Alors Joseph ne put se contenir devant tous les gens de sa suite et il s'écria: "Faites sortir tout le monde d'auprès de moi"; et personne ne resta auprès de lui pendant que Joseph se faisait connaître à ses frères,

Genèse 45, 2 mais il pleura tout haut et tous les Egyptiens entendirent, et la nouvelle parvint au palais de Pharaon.

Genèse 45, 3 Joseph dit à ses frères: "Je suis Joseph! Mon père vit-il encore?" Et ses frères ne purent lui répondre, car ils étaient bouleversés de le voir.

Genèse 45, 4 Alors Joseph dit à ses frères: "Approchez-vous de moi!" et ils s'approchèrent. Il dit: "Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu en Egypte.

Genèse 45, 5 Mais maintenant ne soyez pas chagrins et ne vous fâchez pas de m'avoir vendu ici, car c'est pour préserver vos vies que Dieu m'a envoyé en avant de vous.

Genèse 45, 6 Voici, en effet, deux ans que la famine est installée dans le pays et il y aura encore cinq années sans labour ni moisson.

Genèse 45, 7 Dieu m'a envoyé en avant de vous pour assurer la permanence de votre race dans le pays et sauver vos vies pour une grande délivrance.

Genèse 45, 8 Ainsi, ce n'est pas vous qui m'avez envoyé ici, c'est Dieu, et il m'a établi comme père pour Pharaon, comme maître sur toute sa maison, comme gouverneur dans tout le pays d'Egypte.

Genèse 45, 9 "Remontez vite chez mon père et dites-lui: Ainsi parle ton fils Joseph: Dieu m'a établi maître sur toute l'Egypte. Descends auprès de moi sans tarder.

Genèse 45, 10 Tu habiteras dans le pays de Goshèn et tu seras près de moi, toi-même, tes enfants, tes petits-enfants, ton petit et ton gros bétail, et tout ce qui t'appartient.

Genèse 45, 11 Là, je pourvoirai à ton entretien, car la famine durera encore cinq années, pour que tu ne sois pas dans l'indigence, toi, ta famille et tout ce qui est à toi.

Genèse 45, 12 Vous voyez de vos propres yeux et mon frère Benjamin voit que c'est ma bouche qui vous parle.

Genèse 45, 13 Racontez à mon père toute la gloire que j'ai en Egypte et tout ce que vous avez vu, et hâtez-vous de faire descendre ici mon père."

Genèse 45, 14 Alors il se jeta au cou de son frère Benjamin et pleura. Benjamin aussi pleura à son cou.

Genèse 45, 15 Puis il couvrit tous ses frères de baisers et pleura en les embrassant. Après quoi, ses frères s'entretinrent avec lui.

Genèse 45, 16 La nouvelle parvint au palais de Pharaon que les frères de Joseph étaient venus, et Pharaon comme ses officiers virent cela d'un bon oeil.

Genèse 45, 17 Pharaon parla ainsi à Joseph: "Dis à tes frères: Faites ceci: chargez vos bêtes et allez-vous-en au pays de Canaan.

Genèse 45, 18 Prenez votre père et vos familles et revenez vers moi; je vous donnerai le meilleur de la terre d'Egypte et vous vous nourrirez de la graisse du pays.

Genèse 45, 19 Pour toi, donne-leur cet ordre: Agissez ainsi: emmenez du pays d'Egypte des chariots pour vos petits enfants et vos femmes, prenez votre père et venez.

Genèse 45, 20 N'ayez pas un regard de regret pour ce que vous laisserez, car ce qu'il y a de meilleur dans toute l'Egypte sera pour vous."

Genèse 45, 21 Ainsi firent les fils d'Israël. Joseph leur procura des chariots selon l'ordre de Pharaon, et les munit de provisions de route.

Genèse 45, 22 A chacun d'eux il donna un habit de fête, mais à Benjamin il donna 300 sicles d'argent et cinq habits de fête.

Genèse 45, 23 De la même manière, il envoya à son père dix ânes chargés des meilleurs produits d'Egypte et dix ânesses portant du blé, du pain et des vivres pour le voyage de son père.

Genèse 45, 24 Puis il congédia ses frères qui partirent, non sans qu'il leur eût dit: "Ne vous excitez pas en chemin!"

Genèse 45, 25 Ils remontèrent donc d'Egypte et arrivèrent au pays de Canaan, chez leur père Jacob.

Genèse 45, 26 Ils lui annoncèrent: "Joseph est encore vivant, c'est même lui qui gouverne tout le pays d'Egypte!" Mais son cœur resta inerte, car il ne les crut pas.

Genèse 45, 27 Cependant, quand ils lui eurent répété toutes les paroles que Joseph leur avait dites, quand il vit les chariots que Joseph avait envoyés pour le prendre, alors l'esprit de Jacob, leur père, se ranima.

Genèse 45, 28 Et Israël dit: "Cela suffit! Joseph, mon fils, est encore vivant! Que j'aille le voir avant que je ne meure!"

Genèse 46, 1 Israël partit avec tout ce qu'il possédait. Arrivé à Bersabée, il offrit des sacrifices au Dieu de son père Isaac

Genèse 46, 2 et Dieu dit à Israël dans une vision nocturne: "Jacob! Jacob!" et il répondit: "Me voici."

Genèse 46, 3 Dieu reprit: "Je suis El, le Dieu de ton père. N'aie pas peur de descendre en Egypte, car là-bas je ferai de toi une grande nation.

Genèse 46, 4 C'est moi qui descendrai avec toi en Egypte, c'est moi aussi qui t'en ferai remonter, et Joseph te fermera les yeux."

Genèse 46, 5 Jacob partit de Bersabée, et les fils d'Israël firent monter leur père Jacob, leurs petits enfants et leurs femmes sur les chariots que Pharaon avait envoyés pour le prendre.

Genèse 46, 6 Ils emmenèrent leurs troupeaux et tout ce qu'ils avaient acquis au pays de Canaan et ils vinrent en Egypte, Jacob et tous ses descendants avec lui:

Genèse 46, 7 ses fils et les fils de ses fils, ses filles et les filles de ses fils, bref tous ses descendants, il les emmena avec lui en Egypte.

Genèse 46, 8 Voici les noms des fils d'Israël qui vinrent en Egypte, Jacob et ses fils. Ruben, l'aîné de Jacob,

Genèse 46, 9 et les fils de Ruben: Hénok, Pallu, Heçrôn, Karmi.

Genèse 46, 10 Les fils de Siméon: Yemuel, Yamîn, Ohad, Yakîn, Cohar et Shaûl, le fils de la Cananéenne.

Genèse 46, 11 Les fils de Lévi: Gershôn, Qehat, Merari.

Genèse 46, 12 Les fils de Juda: Er, Onân, Shéla, Pérèç et Zérah (mais Er et Onân étaient morts au pays de Canaan), et les fils de Pérèç, Heçrôn et Hamul.

Genèse 46, 13 Les fils d'Issachar: Tola, Puvva, Yashub et Shimrôn.

Genèse 46, 14 Les fils de Zabulon: Séred, Elôn, Yahléel.

Genèse 46, 15 Tels sont les fils que Léa avait enfantés à Jacob en Paddân-Aram, en plus sa fille Dina, en tout, fils et filles, 33 personnes.

Genèse 46, 16 Les fils de Gad: Cephôn, Haggi, Shuni, Eçbôn, Eri, Arodi etAréli.

Genèse 46, 17 Les fils d'Asher: Yimna, Yishva, Yishvi, Beria et leur sœur Sérah; les fils de Beria: Héber et Malkiel.

Genèse 46, 18 Tels sont les fils de Zilpa, donnée par Laban à sa fille Léa;elle enfanta ceux-là à Jacob, seize personnes.

Genèse 46, 19 Les fils de Rachel, femme de Jacob: Joseph et Benjamin.

Genèse 46, 20 Joseph eut pour enfants en Egypte Manassé et Ephraïm, nésd'Asnat, fille de Poti-Phéra, prêtre d'On.

Genèse 46, 21 Les fils de Benjamin: Béla, Béker, Ashbel, Géra, Naamân, Ehi, Rosh, Muppim, Huppim et Ard.

Genèse 46, 22 Tels sont les fils que Rachel enfanta à Jacob, en tout quatorze personnes.

Genèse 46, 23 Les fils de Dan: Hushim.

Genèse 46, 24 Les fils de Nephtali: Yahçéel, Guni, Yéçer et Shillem.

Genèse 46, 25 Tels sont les fils de Bilha, donnée par Laban à sa fille Rachel; elle enfanta ceux-là à Jacob, en tout sept personnes.

Genèse 46, 26 Toutes les personnes de la famille de Jacob, issues de lui, qui vinrent en Egypte, sans compter les femmes des fils de Jacob, étaient en tout 66.

Genèse 46, 27 Les fils de Joseph qui lui naquirent en Egypte étaient aunombre de deux. Total des personnes de la famille de Jacob qui vinrent en Egypte: 70.

Genèse 46, 28 Israël envoya Juda en avant vers Joseph pour que celui-ci parût devant lui en Goshèn, et ils arrivèrent à la terre de Goshèn.

Genèse 46, 29 Joseph fit atteler son char et monta à la rencontre de son père Israël en Goshèn. Dès qu'il parut devant lui, il se jeta à son cou et pleura longtemps en le tenant embrassé.

Genèse 46, 30 Israël dit à Joseph: "Pour lors, je puis mourir, après que j'ai vu ton visage et que tu es encore vivant!"

Genèse 46, 31 Alors Joseph dit à ses frères et à la famille de son père: "Je vais monter avertir Pharaon et lui dire: Mes frères et la famille de mon père, qui étaient au pays de Canaan, sont arrivés auprès de moi.

Genèse 46, 32 Ces gens sont des bergers -- ils se sont occupés de troupeaux-- et ils ont amené leur petit et leur gros bétail et tout ce qui leur appartient.

Genèse 46, 33 Aussi, lorsque Pharaon vous appellera et vous demandera: Que lest votre métier?

Genèse 46, 34 Vous répondrez: Tes serviteurs se sont occupés de troupeaux depuis leur plus jeune âge jusqu'à maintenant, nous-mêmes comme déjà nos pères. Ainsi vous pourrez demeurer dans la terre de Goshèn." En effet, les Egyptiens ont tous les bergers en horreur.

Genèse 47, 1 Donc Joseph alla avertir Pharaon: "Mon père et mes frères, dit-il, sont arrivés du pays de Canaan avec leur petit et leur gros bétail et tout ce qui leur appartient; les voici dans la terre de Goshèn."

Genèse 47, 2 Il avait pris cinq de ses frères, qu'il présenta à Pharaon.

Genèse 47, 3 Celui-ci demanda à ses frères: "Quel est votre métier", et ils répondirent: "Tes serviteurs sont des bergers, nous-mêmes comme déjà nos pères."

Genèse 47, 4 Ils dirent aussi à Pharaon: "Nous sommes venus séjourner dans le pays, car il n'y a plus de pâture pour les troupeaux de tes serviteurs: la famine, en effet, accable le pays de Canaan. Permets maintenant que tes serviteurs demeurent dans la terre de Goshèn."

Genèse 47, 5 Alors Pharaon dit à Joseph: Jacob et ses fils vinrent en Egypte auprès de Joseph. Pharaon, roi d'Egypte, l'apprit et il dit à Joseph: "Ton père et tes frères sont arrivés près de toi. Le pays d'Egypte est à ta disposition: établis ton père et tes frères dans la meilleure région."

Genèse 47, 6 "Qu'ils habitent la terre de Goshèn et, si tu sais qu'il y a parmi eux des hommes capables, place-les comme régisseurs de mes propres troupeaux."

Genèse 47, 7 Alors Joseph introduisit son père Jacob et le présenta à Pharaon, et Jacob salua Pharaon.

Genèse 47, 8 Pharaon demanda à Jacob: "Combien comptes-tu d'années de vie?"

Genèse 47, 9 Et Jacob répondit à Pharaon: "Les années de mon séjour sur terre ont été de 13 0 ans, mes années ont été brèves et malheureuses et n'ont pas atteint l'âge de mes pères, les années de leur séjour."

Genèse 47, 10 Jacob salua Pharaon et prit congé de lui.

Genèse 47, 11 Joseph établit son père et ses frères et il leur donna une propriété au pays d'Egypte, dans la meilleure région, la terre de Ramsès, comme l'avait ordonné Pharaon.

Genèse 47, 12 Joseph procura du pain à son père, à ses frères et à toute la famille de son père, selon le nombre des personnes à leur charge.

Genèse 47, 13 Il n'y avait pas de pain sur toute la terre, car la famine était devenue très dure et le pays d'Egypte et le pays de Canaan languissaient de faim.

Genèse 47, 14 Joseph ramassa tout l'argent qui se trouvait au pays d'Egypte et au pays de Canaan en échange du grain qu'on achetait et il livra cet argent au palais de Pharaon.

Genèse 47, 15 Lorsque fut épuisé l'argent du pays d'Egypte et du pays de Canaan, tous les Egyptiens vinrent à Joseph en disant:"Donne-nous du pain! Pourquoi devrions-nous mourir sous tesyeux? Car il n'y a plus d'argent."

Genèse 47, 16 Alors Joseph leur dit: "Livrez vos troupeaux et je vous donnerai du pain en échange de vos troupeaux, s'il n'y a plus d'argent."

Genèse 47, 17 Ils amenèrent leurs troupeaux à Joseph et celui-ci leur donna du pain pour prix des chevaux, du petit et du gros bétail et des ânes; il les nourrit de pain, cette année-là, en échange de leurs troupeaux.

Genèse 47, 18 Lorsque fut écoulée cette année-là, ils revinrent vers lui l'année suivante et lui dirent: "Nous ne pouvons le cacher à Monseigneur: vraiment l'argent est épuisé et les bestiaux sont déjà à Monseigneur, il ne reste à la disposition de Monseigneur que notre corps et notre terroir.

Genèse 47, 19 Pourquoi devrions-nous mourir sous tes yeux, nous et notre terroir? Acquiers donc nos personnes et notre terroir pour du pain, et nous serons, avec notre terroir, les serfs de Pharaon. Mais donne-nous de quoi semer pour que nous restions en vie et ne mourions pas et que notre terroir ne soit pas désolé."

Genèse 47, 20 Ainsi Joseph acquit pour Pharaon tout le terroir d'Egypte, car les Egyptiens vendirent chacun son champ, tant les pressait la famine, et le pays passa aux mains de Pharaon.

Genèse 47, 21 Quant aux gens, il les réduisit en servage, d'un bout à l'autre du territoire égyptien.

Genèse 47, 22 Il n'y eut que le terroir des prêtres qu'il n'acquit pas, car les prêtres recevaient une rente de Pharaon et vivaient de la rente qu'ils recevaient de Pharaon. Aussi n'eurent-ils pas à vendre leur terroir.

Genèse 47, 23 Puis Joseph dit au peuple: "Donc, je vous ai maintenant acquis pour Pharaon, avec votre terroir. Voici pour vous de la semence, pour ensemencer votre terroir.

Genèse 47, 24 Mais, sur la récolte, vous devrez donner un cinquième à Pharaon, et les quatre autres parts seront à vous, pour la semence du champ, pour votre nourriture et celle de votre famille, pour la nourriture des personnes à votre charge."

Genèse 47, 25 Ils répondirent: "Tu nous as sauvé la vie! Puissions-nous seulement trouver grâce aux yeux de Monseigneur, et nous serons les serfs de Pharaon."

Genèse 47, 26 De cela, Joseph fit une règle, qui vaut encore aujourd'hui pour le terroir d'Egypte: on verse le cinquième à Pharaon. Seul le terroir des prêtres ne fut pas à Pharaon.

Genèse 47, 27 Ainsi Israël s'établit au pays d'Egypte dans la terre de Goshèn. Ils y acquirent des propriétés, furent féconds et devinrent très nombreux.

Genèse 47, 28 Jacob vécut dix-sept ans au pays d'Egypte et la durée de la vie de Jacob fut de 14 7 ans.

Genèse 47, 29 Lorsqu'approcha pour Israël le temps de sa mort, il appela son fils Joseph et lui dit: "Si j'ai ton affection, mets ta main sous ma cuisse, montre-moi bienveillance et bonté: ne m'enterre pas en Egypte!

Genèse 47, 30 Quand je serai couché avec mes pères, tu m'emporteras d'Egypte et tu m'enterreras dans leur tombeau." Il répondit: "Je ferai comme tu as dit."

Genèse 47, 31 Mais son père insista: "Prête-moi serment", et il lui prêta serment, pendant qu'Israël se prosternait sur le chevet de son lit.

Genèse 48, 1 Il arriva, après ces événements, qu'on dit à Joseph: "Voici que ton père est malade!" et il emmena avec lui ses deux fils, Manassé et Ephraïm.

Genèse 48, 2 Lorsqu'on eut annoncé à Jacob: "Voici ton fils Joseph qui est venu auprès de toi", Israël rassembla ses forces et se mit assis sur le lit.

Genèse 48, 3 Puis Jacob dit à Joseph: "El Shaddaï m'est apparu à Luz, au pays de Canaan, il m'a béni

Genèse 48, 4 et m'a dit: Je te rendrai fécond et je te multiplierai, je te ferai devenir une assemblée de peuples et je donnerai ce pays en possession perpétuelle à tes descendants après toi.

Genèse 48, 5 Maintenant, les deux fils qui te sont nés au pays d'Egypte avant que je ne vienne auprès de toi en Egypte, ils seront miens! Ephraïm et Manassé seront à moi au même titre que Ruben et Siméon.

Genèse 48, 6 Quant aux enfants que tu as engendrés après eux, ils seront tiens; ils porteront le nom de leurs frères pour l'héritage.

Genèse 48, 7 Lorsque je revenais de Paddân, ta mère Rachel est morte, pour mon malheur, au pays de Canaan, en route, encore un bout de chemin avant d'arriver à Ephrata, et je l'ai enterrée là, sur le chemin d'Ephrata -- c'est Bethléem."

Genèse 48, 8 Israël vit les deux fils de Joseph et demanda: "Qui sont ceux-là" --

Genèse 48, 9 "Ce sont les fils que Dieu m'a donnés ici", répondit Joseph à son père, et celui-ci reprit: "Amène-les-moi, que je les bénisse."

Genèse 48, 10 Or les yeux d'Israël étaient usés par la vieillesse, il n'y voyait plus, et Joseph les fit approcher de lui, qui les embrassa et les serra dans ses bras.

Genèse 48, 11 Et Israël dit à Joseph: "Je ne pensais pas revoir ton visage et voici que Dieu m'a fait voir même tes descendants!"

Genèse 48, 12 Alors Joseph les retira de son giron et se prosterna, la face contre terre.

Genèse 48, 13 Joseph les prit tous deux, Ephraïm de sa main droite pour qu'il soit à la gauche d'Israël, Manassé de sa main gauche pour qu'il soit à la droite d'Israël, et il les fit approcher de celui-ci.

Genèse 48, 14 Mais Israël étendit sa main droite et la posa sur la tête d'Ephraïm, qui était le cadet, et sa main gauche sur la tête de Manassé, en croisant ses mains -- en effet Manassé était l'aîné.

Genèse 48, 15 Il bénit ainsi Joseph: "Que le Dieu devant qui ont marché mes pères Abraham et Isaac, que le Dieu qui fut mon pasteur depuis que je vis jusqu'à maintenant,

Genèse 48, 16 que l'Ange qui m'a sauvé de tout mal bénisse ces enfants, que survivent en eux mon nom et le nom de mes ancêtres, Abraham et Isaac, qu'ils croissent et multiplient sur la terre!"

Genèse 48, 17 Cependant Joseph vit que son père mettait sa main droite sur la tête d'Ephraïm et cela lui déplut. Il saisit la main de son père pour la détourner de la tête d'Ephraïm sur la tête de Manassé,

Genèse 48, 18 et Joseph dit à son père: "Pas comme cela, père, car c'est celui-ci l'aîné: mets ta main droite sur sa tête."

Genèse 48, 19 Mais son père refusa et dit: "Je sais, mon fils, je sais: lui aussi deviendra un peuple, lui aussi sera grand. Pourtant, son cadet sera plus grand que lui, sa descendance deviendra une multitude de nations."

Genèse 48, 20 En ce jour-là, il les bénit ainsi: "Soyez en bénédiction dans Israël et qu'on dise: Que Dieu te rende semblable à Ephraïm et à Manassé!" mettant ainsi Ephraïm avant Manassé.

Genèse 48, 21 Puis Israël dit à Joseph: "Voici que je vais mourir, mais Dieu sera avec vous et vous ramènera au pays de vos pères.

Genèse 48, 22 Pour moi, je te donne un Sichem de plus qu'à tes frères, ce que j'ai conquis sur les Amorites par mon épée et par mon arc."

Genèse 49, 1 Jacob appela ses fils et dit: "Réunissez-vous, que je vous annonce ce qui vous arrivera dans la suite des temps.

Genèse 49, 2 "Rassemblez-vous, écoutez, fils de Jacob, écoutez Israël, votre père.

Genèse 49, 3 Ruben, tu es mon premier-né, ma vigueur, les prémices de ma virilité, comble de fierté et comble de force,

Genèse 49, 4 un débordement comme les eaux: tu ne seras pas comblé, car tu es monté sur le lit de ton père, alors tu as profané ma couche, contre moi!

Genèse 49, 5 Siméon et Lévi sont frères, ils ont mené à bout la violence de leurs intrigues.

Genèse 49, 6 Que mon âme n'entre pas en leur conseil, que mon cœur ne s'unisse pas à leur groupe, car dans leur colère ils ont tué des hommes, dans leur dérèglement, mutilé des taureaux.

Genèse 49, 7 Maudite leur colère pour sa rigueur, maudite leur fureur pour sa dureté. Je les diviserai dans Jacob, je les disperserai dans Israël.

Genèse 49, 8 Juda, toi, tes frères te loueront, ta main est sur la nuque de tes ennemis et les fils de ton père s'inclineront devant toi.

Genèse 49, 9 Juda est un jeune lion; de la proie, mon fils, tu es remonté; il s'est accroupi, s'est couché comme un lion, comme une lionne: qui le ferait lever?

Genèse 49, 10 Le sceptre ne s'éloignera pas de Juda, ni le bâton de chef d'entre ses pieds, jusqu'à ce que le tribut lui soit apporté et que les peuples lui obéissent.

Genèse 49, 11 Il lie à la vigne son ânon, au cep le petit de son ânesse, il lave son vêtement dans le vin, son habit dans le sang des raisins,

Genèse 49, 12 ses yeux sont troubles de vin, ses dents sont blanches de lait.

Genèse 49, 13 Zabulon réside au bord de la mer, il est matelot sur les navires, il a Sidon à son côté.

Genèse 49, 14 Issachar est un âne robuste, couché au milieu des enclos.

Genèse 49, 15 Il a vu que le repos était bon, que le pays était agréable, il a tendu son échine au fardeau, il est devenu esclave à la corvée.

Genèse 49, 16 Dan juge son peuple, comme chaque tribu d'Israël.

Genèse 49, 17 Que Dan soit un serpent sur le chemin, un céraste sur le sentier, qui mord le cheval au jarret et son cavalier tombe à la renverse!

Genèse 49, 18 En ton salut j'espère, ô Yahvé!

Genèse 49, 19 Gad, des détrousseurs le détroussent et lui, détrousse et les talonne.

Genèse 49, 20 Asher, son pain est gras, il fournit des mets de roi.

Genèse 49, 21 Nephtali est une biche rapide, qui donne de beaux faons.

Genèse 49, 22 Joseph est un plant fécond près de la source, dont les tiges franchissent le mur.

Genèse 49, 23 Les archers l'ont exaspéré, ils ont tiré et l'ont pris à partie.

Genèse 49, 24 Mais leur arc a été brisé par un puissant, les nerfs de leurs bras ont été rompus par les mains du Puissant de Jacob, par le Nom de la Pierre d'Israël,

Genèse 49, 25 par le Dieu de ton père, qui te secourt, par El Shaddaï qui bénit: Bénédictions des cieux en haut, bénédictions de l'abîme couché en bas, bénédictions des mamelles et du sein,

Genèse 49, 26 bénédictions des épis et des fleurs, bénédictions des montagnes antiques, attirance des collines éternelles, qu'elles viennent sur la tête de Joseph, sur le front du consacré d'entre ses frères!

Genèse 49, 27 Benjamin est un loup rapace, le matin il dévore une proie, jusqu'au soir il partage le butin."

Genèse 49, 28 Tous ceux-là forment les tribus d'Israël, au nombre de douze, et voilà ce que leur a dit leur père. Il les a bénis: à chacun il a donné une bénédiction qui lui convenait.

Genèse 49, 29 Puis il leur donna cet ordre: "Je vais être réuni aux miens. Enterrez-moi près de mes pères, dans la grotte qui est dans le champ d'Ephrôn le Hittite,

Genèse 49, 30 dans la grotte du champ de Makpéla, en face de Mambré, au pays de Canaan, qu'Abraham a achetée à Ephrôn le Hittite comme possession funéraire.

Genèse 49, 31 Là furent ensevelis Abraham et sa femme Sara, là furent ensevelis Isaac et sa femme Rébecca, là j'ai enseveli Léa.

Genèse 49, 32 C'est le champ et la grotte y comprise, qui furent acquis des fils de Hèt."

Genèse 49, 33 Lorsque Jacob eut achevé de donner ses instructions à ses fils, il ramena ses pieds sur le lit, il expira et fut réuni aux siens.

Genèse 50, 1 Alors Joseph se jeta sur le visage de son père, le couvrit de larmes et de baisers.

Genèse 50, 2 Puis Joseph donna aux médecins qui étaient à son service l'ordre d'embaumer son père, et les médecins embaumèrent Israël.

Genèse 50, 3 Cela dura 40 jours, car telle est la durée de l'embaumement. Les Egyptiens le pleurèrent 70 jours.

Genèse 50, 4 Quand fut écoulé le temps des pleurs, Joseph parla ainsi au palais de Pharaon: "Si vous avez de l'amitié pour moi, veuillez rapporter ceci aux oreilles de Pharaon:

Genèse 50, 5 mon père m'a fait prêter ce serment: Je vais mourir, m'a-t-il dit, j'ai un tombeau que je me suis creusé au pays de Canaan, c'est là que tu m'enterreras. Qu'on me laisse donc monter pour enterrer mon père, et je reviendrai."

Genèse 50, 6 Pharaon répondit: "Monte et enterre ton père, comme il te l'a fait jurer."

Genèse 50, 7 Joseph monta enterrer son père, et montèrent avec lui tous les officiers de Pharaon, les dignitaires de son palais et tous les dignitaires du pays d'Egypte,

Genèse 50, 8 ainsi que toute la famille de Joseph, ses frères et la famille de son père. Ils ne laissèrent en terre de Goshèn que les invalides, le petit et le gros bétail.

Genèse 50, 9 Avec lui montèrent aussi des chars et des charriers: c'était un cortège très imposant.

Genèse 50, 10 Etant parvenus jusqu'à Gorèn-ha-Atad, --c'est au-delà du Jourdain,-- ils y firent une grande et solennelle lamentation, et Joseph célébra pour son père un deuil de sept jours.

Genèse 50, 11 Les habitants du pays, les Cananéens, virent le deuil àGorèn-ha-Atad: "Voilà un grand deuil pour les Egyptiens"; et c'est pourquoi on a appelé ce lieu Abel-Miçrayim -- c'est au-delà du Jourdain.

Genèse 50, 12 Ses fils agirent à son égard comme il leur avait ordonné

Genèse 50, 13 et ils le transportèrent au pays de Canaan et l'ensevelirent dans la grotte du champ de Makpéla, qu'Abraham avait acquise d'Ephrôn le Hittite comme possession funéraire, en face de Mambré.

Genèse 50, 14 Joseph revint alors en Egypte, ainsi que ses frères et tous ceux qui étaient montés avec lui pour enterrer son père.

Genèse 50, 15 Voyant que leur père était mort, les frères de Joseph se dirent: "Si Joseph allait nous traiter en ennemis et nous rendre tout le mal que nous lui avons fait?"

Genèse 50, 16 Aussi envoyèrent-ils dire à Joseph: "Avant de mourir, ton père a exprimé cette volonté:

Genèse 50, 17 Vous parlerez ainsi à Joseph: Ah! pardonne à tes frères leur crime et leur péché, tout le mal qu'ils t'ont fait! Et maintenant, veuille pardonner le crime des serviteurs du Dieu de ton père!" Et Joseph pleura aux paroles qu'ils lui adressaient.

Genèse 50, 18 Ses frères eux-mêmes vinrent et, se jetant à ses pieds, dirent: "Nous voici pour toi comme des esclaves!"

Genèse 50, 19 Mais Joseph leur répondit: "Ne craignez point! Vais-je me substituer à Dieu?

Genèse 50, 20 Le mal que vous aviez dessein de me faire, le dessein de Dieu l'a tourné en bien, afin d'accomplir ce qui se réalise aujourd'hui: sauver la vie à un peuple nombreux.

Genèse 50, 21 Maintenant, ne craignez point: c'est moi qui vous entretiendrai, ainsi que les personnes à votre charge." Il les consola et leur parla affectueusement.

Genèse 50, 22 Ainsi Joseph et la famille de son père demeurèrent en Egypte, et Joseph vécut 110 ans.

Genèse 50, 23 Joseph vit les arrière-petits-enfants qu'il eut d'Ephraïm, de même les enfants de Makir, fils de Manassé, naquirent sur les genoux de Joseph.

Genèse 50, 24 Enfin Joseph dit à ses frères: "Je vais mourir, mais Dieu vous visitera et vous fera remonter de ce pays dans le pays qu'il a promis par serment à Abraham, Isaac et Jacob."

Genèse 50, 25 Et Joseph fit prêter ce serment aux fils d'Israël: "Quand Dieu vous visitera, vous emporterez d'ici mes ossements."

Genèse 50, 26 Joseph mourut à l'âge de 110 ans, on l'embauma et on le mit dans un cercueil en Egypte.

 

 

 

Exode

 

Exode 1, 1 Voici les noms des Israélites qui entrèrent en Egypte avec Jacob; ils y vinrent chacun avec sa famille:

Exode 1, 2 Ruben, Siméon, Lévi et Juda,

Exode 1, 3 Issachar, Zabulon et Benjamin,

Exode 1, 4 Dan et Nephtali, Gad et Asher.

Exode 1, 5 Les descendants de Jacob étaient, en tout, 70 personnes. Joseph, lui, était déjà en Egypte.

Exode 1, 6 Puis Joseph mourut, ainsi que tous ses frères et toute cette génération.

Exode 1, 7 Les Israélites furent féconds et se multiplièrent, ils devinrent de plus en plus nombreux et puissants, au point que le pays en fut rempli.

Exode 1, 8 Un nouveau roi vint au pouvoir en Egypte, qui n'avait pas connu Joseph.

Exode 1, 9 Il dit à son peuple: "Voici que le peuple des Israélites est devenu plus nombreux et plus puissant que nous.

Exode 1, 10 Allons, prenons de sages mesures pour l'empêcher de s'accroître, sinon, en cas de guerre, il grossirait le nombre de nos adversaires. Il combattrait contre nous pour, ensuite, sortir du pays."

Exode 1, 11 On imposa donc à Israël des chefs de corvée pour lui rendre la vie dure par les travaux qu'ils exigeraient. C'est ainsi qu'il bâtit pour Pharaon les villes-entrepôts de Pitom et de Ramsès.

Exode 1, 12 Mais plus on lui rendait la vie dure, plus il croissait en nombre et surabondait, ce qui fit redouter les Israélites.

Exode 1, 13 Les Egyptiens contraignirent les Israélites au travail

Exode 1, 14 et leur rendirent la vie amère par de durs travaux: préparation de l'argile, moulage des briques, divers travaux des champs, toutes sortes de travaux auxquels ils les contraignirent.

Exode 1, 15 Le roi d'Egypte dit aux accoucheuses des femmes des Hébreux, dont l'une s'appelait Shiphra et l'autre Pua:

Exode 1, 16 "Quand vous accoucherez les femmes des Hébreux, regardez les deux pierres. Si c'est un fils, faites-le mourir, si c'est une fille, laissez-la vivre."

Exode 1, 17 Mais les accoucheuses craignirent Dieu, elles ne firent pas ce que leur avait dit le roi d'Egypte et laissèrent vivre les garçons.

Exode 1, 18 Le roi d'Egypte les appela et leur dit: "Pourquoi avez-vous agi de la sorte et laissé vivre les garçons?"

Exode 1, 19 Elles répondirent à Pharaon: "Les femmes des Hébreux ne sont pas comme les Egyptiennes, elles sont vigoureuses. Avant que l'accoucheuse n'arrive auprès d'elles, elles se sont délivrées."

Exode 1, 20 Dieu favorisa les accoucheuses; quant au peuple, il devint très nombreux et très puissant.

Exode 1, 21 Comme les accoucheuses avaient craint Dieu, il leur accorda une postérité.

Exode 1, 22 Pharaon donna alors cet ordre à tout son peuple: "Tout fils qui naîtra, jetez-le au Fleuve, mais laissez vivre toute fille."

Exode 2, 1 Un homme de la maison de Lévi s'en alla prendre pour femme une fille de Lévi.

Exode 2, 2 Celle-ci conçut et enfanta un fils. Voyant combien il était beau, elle le dissimula pendant trois mois.

Exode 2, 3 Ne pouvant le dissimuler plus longtemps, elle prit pour lui une corbeille de papyrus qu'elle enduisit de bitume et de poix, y plaça l'enfant et la déposa dans les roseaux sur la rive du Fleuve.

Exode 2, 4 La soeur de l'enfant se posta à distance pour voir ce qui lui adviendrait.

Exode 2, 5 Or la fille de Pharaon descendit au Fleuve pour s'y baigner, tandis que ses servantes se promenaient sur la rive du Fleuve. Elle aperçut la corbeille parmi les roseaux et envoya sa servante la prendre.

Exode 2, 6 Elle l'ouvrit et vit l'enfant: c'était un garçon qui pleurait. Touchée de compassion pour lui, elle dit: "C'est un des petits Hébreux."

Exode 2, 7 La soeur de l'enfant dit alors à la fille de Pharaon: "Veux-tu que j'aille te chercher, parmi les femmes des Hébreux, une nourrice qui te nourrira cet enfant? --

Exode 2, 8 Va", lui répondit la fille de Pharaon. La jeune fille alla donc chercher la mère de l'enfant.

Exode 2, 9 La fille de Pharaon lui dit: "Emmène cet enfant et nourris-le moi, je te donnerai moi-même ton salaire." Alors la femme emporta l'enfant et le nourrit.

Exode 2, 10 Quand l'enfant eut grandi, elle le ramena à la fille de Pharaon qui le traita comme un fils et lui donna le nom de Moïse, car, disait-elle, "je l'ai tiré des eaux."

Exode 2, 11 Il advint, en ces jours-là, que Moïse, qui avait grandi, alla voir ses frères. Il vit les corvées auxquelles ils étaient astreints; il vit aussi un Egyptien qui frappait un Hébreu, un de ses frères.

Exode 2, 12 Il se tourna de-ci de-là, et voyant qu'il n'y avait personne, il tua l'Egyptien et le cacha dans le sable.

Exode 2, 13 Le jour suivant, il revint alors que deux Hébreux se battaient. "Pourquoi frappes-tu ton compagnon?" Dit-il à l'agresseur.

Exode 2, 14 Celui-ci répondit: "Qui t'a constitué notre chef et notre juge? Veux-tu me tuer comme tu as tué l'Egyptien?" Moïse effrayé se dit: "Certainement l'affaire se sait."

Exode 2, 15 Pharaon entendit parler de cette affaire et chercha à tuer Moïse. Moïse s'enfuit loin de Pharaon; il se rendit au pays de Madiân et s'assit auprès d'un puits.

Exode 2, 16 Or un prêtre de Madiân avait sept filles. Elles vinrent puiser et remplir les auges pour abreuver le petit bétail de leur père.

Exode 2, 17 Des bergers survinrent et les chassèrent. Moïse se leva, vint à leur secours et abreuva le petit bétail.

Exode 2, 18 Elles revinrent auprès de Réuel, leur père, qui leur dit: "Pourquoi revenez-vous si tôt aujourd'hui?"

Exode 2, 19 Elles lui dirent: "Un Egyptien nous a tirées des mains des bergers; il a même puisé pour nous et abreuvé le petit bétail. --

Exode 2, 20 Et où est-il? Demanda-t-il à ses filles. Pourquoi donc avez-vous abandonné cet homme? Invitez-le à manger."

Exode 2, 21 Moïse consentit à s'établir auprès de cet homme qui lui donna sa fille, Cippora.

Exode 2, 22 Elle mit au monde un fils qu'il nomma Gershom car, dit-il, "je suis un immigré en terre étrangère."

Exode 2, 23 Au cours de cette longue période, le roi d'Egypte mourut. Les Israélites, gémissant de leur servitude, crièrent, et leur appel à l'aide monta vers Dieu, du fond de leur servitude.

Exode 2, 24 Dieu entendit leur gémissement; Dieu se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob.

Exode 2, 25 Dieu vit les Israélites et Dieu connut...

Exode 3, 1 Moïse faisait paître le petit bétail de Jéthro, son beau-père, prêtre de Madiân; il l'emmena par-delà le désert et parvint à la montagne de Dieu, l'Horeb.

Exode 3, 2 L'Ange de Yahvé lui apparut, dans une flamme de feu, du milieu d'un buisson. Moïse regarda: le buisson était embrasé mais le buisson ne se consumait pas.

Exode 3, 3 Moïse dit: "Je vais faire un détour pour voir cet étrange spectacle, et pourquoi le buisson ne se consume pas."

Exode 3, 4 Yahvé vit qu'il faisait un détour pour voir, et Dieu l'appela du milieu du buisson. "Moïse, Moïse", dit-il, et il répondit: "Me voici."

Exode 3, 5 Il dit: "N'approche pas d'ici, retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte."

Exode 3, 6 Et il dit: "Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob." Alors Moïse se voila la face, car il craignait de fixer son regard sur Dieu.

Exode 3, 7 Yahvé dit: "J'ai vu, j'ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte. J'ai entendu son cri devant ses oppresseurs; oui, je connais ses angoisses.

Exode 3, 8 Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel, vers la demeure des Cananéens, des Hittites, des Amorites, des Perizzites, des Hivvites, et des Jébuséens.

Exode 3, 9 Maintenant, le cri des Israélites est venu jusqu'à moi, et j'ai vu l'oppression que font peser sur eux les Egyptiens.

Exode 3, 10 Maintenant va, je t'envoie auprès de Pharaon, fais sortir d'Egypte mon peuple, les Israélites."

Exode 3, 11 Moïse dit à Dieu: "Qui suis-je pour aller trouver Pharaon et faire sortir d'Egypte les Israélites?"

Exode 3, 12 Dieu dit: "Je serai avec toi, et voici le signe qui te montrera que c'est moi qui t'ai envoyé. Quand tu feras sortir le peuple d'Egypte, vous servirez Dieu sur cette montagne."

Exode 3, 13 Moïse dit à Dieu: "Voici, je vais trouver les Israélites et je leur dis: Le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous. Mais s'ils me disent: Quel est son nom?, que leur dirai-je?"

Exode 3, 14 Dieu dit à Moïse: "Je suis celui qui est." Et il dit: "Voici ce que tu diras aux Israélites: Je suis m'a envoyé vers vous."

Exode 3, 15 Dieu dit encore à Moïse: "Tu parleras ainsi aux Israélites: Yahvé, le Dieu de vos pères, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob m'a envoyé vers vous. C'est mon nom pour toujours, c'est ainsi que l'on m'invoquera de génération en génération.

Exode 3, 16 "Va, réunis les anciens d'Israël et dis-leur: Yahvé, le Dieu de vos pères, m'est apparu -- le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob -- et il m'a dit: Je vous ai visités et j'ai vu ce qu'on vous fait en Egypte,

Exode 3, 17 alors j'ai dit: Je vous ferai monter de l'affliction d'Egypte vers la terre des Cananéens, des Hittites, des Amorites, des Perizzites, des Hivvites et des Jébuséens, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel.

Exode 3, 18 Ils écouteront ta voix et vous irez, toi et les anciens d'Israël, trouver le roi d'Egypte et vous lui direz: Yahvé, le Dieu des Hébreux, est venu à notre rencontre. Toi, permets-nous d'aller à trois jours de marche dans le désert pour sacrifier à Yahvé notre Dieu.

Exode 3, 19 Je sais bien que le roi d'Egypte ne vous laissera aller que s'il y est contraint par une main forte.

Exode 3, 20 Aussi j'étendrai la main et je frapperai l'Egypte par les merveilles de toute sorte que j'accomplirai au milieu d'elle; après quoi, il vous laissera partir.

Exode 3, 21 "Je ferai gagner à ce peuple la faveur des Egyptiens, et quand vous partirez, vous ne partirez pas les mains vides.

Exode 3, 22 La femme demandera à sa voisine et à celle qui séjourne dans sa maison des objets d'argent, des objets d'or et des vêtements. Vous les ferez porter à vos fils et à vos filles et vous en dépouillerez les Egyptiens."

Exode 4, 1 Moïse reprit la parole et dit: "Et s'ils ne me croient pas et n'écoutent pas ma voix, mais me disent: Yahvé ne t'est pas apparu?"

Exode 4, 2 Yahvé lui dit: "Qu'as-tu en main? -- Un bâton, dit-il. --

Exode 4, 3 Jette-le à terre", lui dit Yahvé. Moïse le jeta à terre, le bâton se changea en serpent et Moïse fuit devant lui.

Exode 4, 4 Yahvé dit à Moïse: "Avance la main et prends-le par la queue." Il avança la main, le prit, et dans sa main il redevint un bâton.

Exode 4, 5 "Afin qu'ils croient que Yahvé t'est apparu, le Dieu de leurs pères, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob."

Exode 4, 6 Yahvé lui dit encore: "Mets ta main dans ton sein." Il mit la main dans son sein, puis la retira, et voici que sa main était lépreuse, blanche comme neige.

Exode 4, 7 Yahvé lui dit: "Remets ta main dans ton sein." Il remit la main dans son sein et la retira de son sein, et voici qu'elle était redevenue comme le reste de son corps.

Exode 4, 8 "Ainsi, s'ils ne te croient pas et ne sont pas convaincus par le premier signe, ils croiront à cause du second signe.

Exode 4, 9 Et s'ils ne croient pas, même avec ces deux signes, et qu'ils n'écoutent pas ta voix, tu prendras de l'eau du Fleuve et tu la répandras par terre, et l'eau que tu auras puisée au Fleuve se changera en sang sur la terre sèche."

Exode 4, 10 Moïse dit à Yahvé: "Excuse-moi, mon Seigneur, je ne suis pas doué pour la parole, ni d'hier ni d'avant-hier, ni même depuis que tu adresses la parole à ton serviteur, car ma bouche et ma langue sont pesantes."

Exode 4, 11 Yahvé lui dit: "Qui a doté l'homme d'une bouche? Qui rend muet ou sourd, clairvoyant ou aveugle? N'est-ce pas moi, Yahvé?

Exode 4, 12 Va maintenant, je serai avec ta bouche et je t'indiquerai ce que tu devras dire."

Exode 4, 13 Moïse dit encore: "Excuse-moi, mon Seigneur, envoie, je t'en prie, qui tu voudras."

Exode 4, 14 La colère de Yahvé s'enflamma contre Moïse et il dit: "N'y a-t-il pas Aaron, ton frère, le lévite? Je sais qu'il parle bien, lui; le voici qui vient à ta rencontre et à ta vue il se réjouira en son coeur.

Exode 4, 15 Tu lui parleras et tu mettras les paroles dans sa bouche. Moi, je serai avec ta bouche et avec sa bouche, et je vous indiquerai ce que vous devrez faire.

Exode 4, 16 C'est lui qui parlera pour toi au peuple; il te tiendra lieu de bouche et tu seras pour lui un dieu.

Exode 4, 17 Quant à ce bâton, prends-le dans ta main, c'est par lui que tu accompliras les signes."

Exode 4, 18 Moïse s'en alla et retourna vers Jéthro, son beau-père. Il lui dit: "Permets que je m'en aille et que je retourne vers mes frères qui sont en Egypte pour voir s'ils sont encore en vie." Jéthro lui répondit: "Va en paix."

Exode 4, 19 Yahvé dit à Moïse en Madiân: "Va, retourne en Egypte, car ils sont morts, tous ceux qui cherchaient à te faire périr."

Exode 4, 20 Moïse prit sa femme et son fils, les fit monter sur un âne et s'en retourna au pays d'Egypte. Moïse prit en main le bâton de Dieu.

Exode 4, 21 Yahvé dit à Moïse: "Tandis que tu retourneras en Egypte, vois les prodiges que j'ai mis en ton pouvoir: tu les accompliras devant Pharaon, mais moi, j'endurcirai son coeur et il ne laissera pas partir le peuple.

Exode 4, 22 Alors tu diras à Pharaon: Ainsi parle Yahvé: mon fils premier-né, c'est Israël.

Exode 4, 23 Je t'avais dit: Laisse aller mon fils, qu'il me serve. Puisque tu refuses de le laisser aller, eh bien, moi, je vais faire périr ton fils premier-né."

Exode 4, 24 Et ce fut en route, à la halte de la nuit, que Yahvé vint à sa rencontre et chercha à le faire mourir.

Exode 4, 25 Cippora prit un silex, coupa le prépuce de son fils et elle en toucha ses pieds. Et elle dit: "Tu es pour moi un époux de sang."

Exode 4, 26 Et il se retira de lui. Elle avait dit alors "Epoux de sang", ce qui s'applique aux circoncisions.

Exode 4, 27 Yahvé dit à Aaron: "Va à la rencontre de Moïse en direction du désert." Il partit, le rencontra à la montagne de Dieu et l'embrassa.

Exode 4, 28 Moïse informa Aaron de toutes les paroles de Yahvé, qui l'avait envoyé, et de tous les signes qu'il lui avait ordonné d'accomplir.

Exode 4, 29 Moïse partit avec Aaron et ils réunirent tous les anciens des Israélites.

Exode 4, 30 Aaron répéta toutes les paroles que Yahvé avait dites à Moïse; il accomplit les signes aux yeux du peuple.

Exode 4, 31 Le peuple crut et se réjouit de ce que Yahvé avait visité les Israélites et avait vu leur misère. Ils s'agenouillèrent et se prosternèrent.5, 1 Après cela, Moïse et Aaron vinrent trouver Pharaon et lui dirent: "Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël: Laisse partir mon peuple, qu'il célèbre une fête pour moi dans le désert."

Exode 5, 2 Pharaon répondit: "Qui est Yahvé, pour que j'écoute sa voix et que je laisse partir Israël? Je ne connais pas Yahvé, et quant à Israël, je ne le laisserai pas partir."

Exode 5, 3 Ils dirent: "Le Dieu des Hébreux est venu à notre rencontre. Accorde-nous d'aller à trois jours de marche dans le désert pour sacrifier à Yahvé notre Dieu, sinon il nous frapperait de la peste ou de l'épée."

Exode 5, 4 Le roi d'Egypte leur dit: "Pourquoi, Moïse et Aaron, voulez-vous débaucher le peuple de ses travaux? Retournez à vos corvées."

Exode 5, 5 Pharaon dit: "Maintenant que le peuple est nombreux dans le pays, vous voudriez lui faire interrompre ses corvées?"

Exode 5, 6 Le jour même, Pharaon donna cet ordre aux surveillants du peuple et aux scribes:

Exode 5, 7 "Ne continuez plus à donner de la paille hachée au peuple pour mouler les briques, comme hier et avant-hier; qu'ils aillent eux-mêmes ramasser la paille qu'il leur faut.

Exode 5, 8 Mais vous leur imposerez la même quantité de briques qu'ils fabriquaient hier et avant-hier, sans rien en retrancher car ce sont des paresseux. C'est pour cela qu'ils crient: Allons sacrifier à notre Dieu.

Exode 5, 9 Qu'on alourdisse le travail de ces gens, qu'ils le fassent et ne prêtent plus attention à ces paroles trompeuses."

Exode 5, 10 Les surveillants du peuple et les scribes allèrent dire au peuple: "Ainsi parle Pharaon: Je ne vous donne plus de paille hachée.

Exode 5, 11 Allez vous-mêmes vous chercher de la paille hachée où vous pourrez en trouver, mais rien ne sera retranché de votre travail."

Exode 5, 12 Alors le peuple se dispersa dans tout le pays d'Egypte pour ramasser du chaume pour en faire de la paille hachée.

Exode 5, 13 Les surveillants les harcelaient: "Terminez votre travail quotidien comme lorsqu'il y avait de la paille hachée."

Exode 5, 14 On frappa les scribes des Israélites, ceux que les surveillants de Pharaon leur avaient imposés en disant: "Pourquoi n'avez-vous pas terminé la quantité de briques prescrite, aujourd'hui comme hier et avant-hier?"

Exode 5, 15 Les scribes des Israélites vinrent se plaindre auprès de Pharaon en disant: "Pourquoi traiter ainsi tes serviteurs?

Exode 5, 16 On ne donne plus de paille hachée à tes serviteurs et l'on nous dit: Faites des briques, et voici que l'on frappe tes serviteurs..."

Exode 5, 17 Il répondit: "Vous êtes des paresseux, des paresseux, voilà pourquoi vous dites: Nous voulons aller sacrifier à Yahvé.

Exode 5, 18 Maintenant allez travailler. On ne vous donnera pas de paille hachée mais vous livrerez la quantité de briques fixée."

Exode 5, 19 Les scribes des Israélites se virent dans un mauvais cas quand on leur dit: "Vous ne diminuerez rien de votre production quotidienne de briques."

Exode 5, 20 Ayant quitté Pharaon, ils se heurtèrent à Moïse et à Aaron qui se tenaient devant eux.

Exode 5, 21 Ils leur dirent: "Que Yahvé vous observe et qu'il juge! Vous nous avez rendus odieux aux yeux de Pharaon et de ses serviteurs et vous leur avez mis l'épée en main pour nous tuer."

Exode 5, 22 Moïse retourna vers Yahvé et lui dit: "Seigneur, pourquoi maltraites-tu ce peuple? Pourquoi m'as-tu envoyé?

Exode 5, 23 Depuis que je suis venu trouver Pharaon et que je lui ai parlé en ton nom, il maltraite ce peuple, et tu ne fais rien pour délivrer ton peuple."

Exode 6, 1 Yahvé dit alors à Moïse: "Maintenant, tu vas voir ce que je vais faire à Pharaon. Une main forte l'obligera à les laisser partir, une main forte l'obligera à les expulser de son pays."

Exode 6, 2 Dieu parla à Moïse et lui dit: "Je suis Yahvé.

Exode 6, 3 Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme El Shaddaï, mais mon nom de Yahvé, je ne le leur ai pas fait connaître.

Exode 6, 4 J'ai aussi établi mon alliance avec eux pour leur donner le pays de Canaan, la terre où ils résidaient en étrangers.

Exode 6, 5 Et moi, j'ai entendu le gémissement des Israélites asservis par les Egyptiens et je me suis souvenu de mon alliance.

Exode 6, 6 C'est pourquoi tu diras aux Israélites: Je suis Yahvé et je vous soustrairai aux corvées des Egyptiens; je vous délivrerai de leur servitude et je vous rachèterai à bras étendu et par de grands jugements.

Exode 6, 7 Je vous prendrai pour mon peuple et je serai votre Dieu. Et vous saurez que je suis Yahvé, votre Dieu, qui vous aura soustraits aux corvées des Egyptiens.

Exode 6, 8 Puis je vous ferai entrer dans la terre que j'ai juré de donner à Abraham, à Isaac et à Jacob, et je vous la donnerai en patrimoine, moi Yahvé."

Exode 6, 9 Moïse parla ainsi aux Israélites mais ils n'écoutèrent pas Moïse car ils étaient à bout de souffle à cause de leur dure servitude.

Exode 6, 10 Yahvé parla à Moïse et lui dit:

Exode 6, 11 "Va dire à Pharaon, le roi d'Egypte, qu'il laisse partir les Israélites de son pays."

Exode 6, 12 Mais Moïse prit la parole en présence de Yahvé et dit: "Les Israélites ne m'ont pas écouté, comment Pharaon m'écouterait-il, moi qui n'ai pas la parole facile?"

Exode 6, 13 Yahvé parla à Moïse et Aaron et les envoya auprès de Pharaon, le roi d'Egypte, pour faire sortir les Israélites du pays d'Egypte.

Exode 6, 14 Voici leurs chefs de familles: Fils de Ruben, premier-né d'Israël: Hénok, Pallu, Heçrôn et Karmi; tels sont les clans de Ruben.

Exode 6, 15 Fils de Siméon: Yemuel, Yamîn, Ohad, Yakîn, Cohar et Shaûl, le fils de la Cananéenne; tels sont les clans de Siméon.

Exode 6, 16 Voici les noms des fils de Lévi avec leurs descendances: Gershôn, Qehat et Merari. Lévi vécut 137 ans.

Exode 6, 17 Fils de Gershôn: Libni et Shiméï avec leurs clans.

Exode 6, 18 Fils de Qehat: Amram, Yiçhar, Hébrôn et Uzziel. Qehat vécut 133 ans.

Exode 6, 19 Fils de Merari: Mahli et Mushi. Tels sont les clans de Lévi avec leurs descendances.

Exode 6, 20 Amram épousa Yokébed, sa tante, qui lui donna Aaron et Moïse. Amram vécut 137 ans.

Exode 6, 21 Les fils de Yiçhar furent: Coré, Népheg et Zikri,

Exode 6, 22 et les fils d'Uzziel: Mishaël, Elçaphân et Sitri.

Exode 6, 23 Aaron épousa Elishéba, fille d'Amminadab, soeur de Nahshôn, et elle lui donna Nadab, Abihu, Eléazar et Itamar.

Exode 6, 24 Fils de Coré: Assir, Elqana et Abiasaph; tels sont les clans des Coréites.

Exode 6, 25 Eléazar, fils d'Aaron, épousa l'une des filles de Putiel, qui lui enfanta Pinhas. Tels sont les chefs des familles des Lévites, selon leurs clans.

Exode 6, 26 Ce sont eux, Aaron et Moïse, à qui Yahvé avait dit: "Faites sortir les Israélites du pays d'Egypte, selon leurs armées."

Exode 6, 27 Ce sont eux qui parlèrent à Pharaon, le roi d'Egypte, pour faire sortir d'Egypte les Israélites, -- Moïse et Aaron.

Exode 6, 28 Or le jour où Yahvé parla à Moïse en terre d'Egypte,

Exode 6, 29 Yahvé dit à Moïse: "Je suis Yahvé. Dis à Pharaon, le roi d'Egypte, tout ce que moi je vais te dire."

Exode 6, 30 Moïse dit en présence de Yahvé: "Je n'ai pas la parole facile, comment Pharaon m'écouterait-il?"

Exode 7, 1 Yahvé dit à Moïse: "Vois, j'ai fait de toi un dieu pour Pharaon, et Aaron, ton frère, sera ton prophète.

Exode 7, 2 Toi, tu lui diras tout ce que je t'ordonnerai, et Aaron, ton frère, le répétera à Pharaon pour qu'il laisse les Israélites partir de son pays.

Exode 7, 3 Pour moi, j'endurcirai le coeur de Pharaon et je multiplierai mes signes et mes prodiges dans le pays d'Egypte.

Exode 7, 4 Pharaon ne vous écoutera pas, alors je porterai la main sur l'Egypte et je ferai sortir mes armées, mon peuple, les Israélites, du pays d'Egypte, avec de grands jugements.

Exode 7, 5 Ils sauront, les Egyptiens, que je suis Yahvé, quand j'étendrai ma main contre les Egyptiens et que je ferai sortir de chez eux les Israélites."

Exode 7, 6 Moïse et Aaron firent comme Yahvé leur avait ordonné.

Exode 7, 7 Moïse était âgé de 80 ans et Aaron de 83 ans lorsqu'ils parlèrent à Pharaon.

Exode 7, 8 Yahvé dit à Moïse et à Aaron:

Exode 7, 9 "Si Pharaon vous dit d'accomplir un prodige, tu diras à Aaron: Prends ton bâton, jette-le devant Pharaon, et qu'il se change en serpent."

Exode 7, 10 Moïse et Aaron allèrent trouver Pharaon et firent comme l'avait ordonné Yahvé. Aaron jeta son bâton devant Pharaon et ses serviteurs, et il se changea en serpent.

Exode 7, 11 Pharaon à son tour convoqua les sages et les enchanteurs, et, avec leurs sortilèges, les magiciens d'Egypte en firent autant.

Exode 7, 12 Ils jetèrent chacun son bâton qui se changea en serpent, mais le bâton d'Aaron engloutit leurs bâtons.

Exode 7, 13 Cependant le coeur de Pharaon s'endurcit et il ne les écouta pas, comme l'avait prédit Yahvé.

Exode 7, 14 Yahvé dit à Moïse: "Le coeur de Pharaon s'est appesanti et il a refusé de laisser partir le peuple.

Exode 7, 15 Va, demain matin, trouver Pharaon, à l'heure où il se rend au bord de l'eau et tiens-toi à l'attendre sur la rive du Fleuve. Tu prendras en main le bâton qui s'est changé en serpent.

Exode 7, 16 Tu lui diras: Yahvé, le Dieu des Hébreux, m'a envoyé vers toi pour te dire: Laisse partir mon peuple, qu'il me serve dans le désert. Jusqu'à présent tu n'as pas écouté.

Exode 7, 17 Ainsi parle Yahvé: En ceci tu sauras que je suis Yahvé. Du bâton que j'ai en main, je vais frapper les eaux du Fleuve et elles se changeront en sang.

Exode 7, 18 Les poissons du Fleuve crèveront, le Fleuve s'empuantira, et les Egyptiens ne pourront plus boire l'eau du Fleuve."

Exode 7, 19 Yahvé dit à Moïse: "Dis à Aaron: Prends ton bâton et étends la main sur les eaux d'Egypte -- sur ses fleuves et sur ses canaux, sur ses marais et sur tous ses réservoirs d'eau -- et elles se changeront en sang, et tout le pays d'Egypte sera plein de sang, même les arbres et les pierres."

Exode 7, 20 Moïse et Aaron firent comme l'avait ordonné Yahvé. Il leva son bâton et il frappa les eaux qui sont dans le Fleuve aux yeux de Pharaon et de ses serviteurs, et toutes les eaux qui sont dans le Fleuve se changèrent en sang.

Exode 7, 21 Les poissons du Fleuve crevèrent et le Fleuve s'empuantit; et les Egyptiens ne purent plus boire l'eau du Fleuve; il y eut du sang dans tout le pays d'Egypte.

Exode 7, 22 Mais les magiciens d'Egypte avec leurs sortilèges en firent autant; le coeur de Pharaon s'endurcit et il ne les écouta pas, comme l'avait prédit Yahvé.

Exode 7, 23 Pharaon s'en retourna et rentra dans sa maison sans même prêter attention à cela.

Exode 7, 24 Tous les Egyptiens firent des sondages aux abords du Fleuve en quête d'eau potable, car ils ne pouvaient boire l'eau du Fleuve.

Exode 7, 25 Sept jours s'écoulèrent après que Yahvé eut frappé le Fleuve.

Exode 7, 26 Yahvé dit à Moïse: "Va trouver Pharaon et dis-lui: Ainsi parle Yahvé: Laisse partir mon peuple, qu'il me serve.

Exode 7, 27 Si tu refuses, toi, de le laisser partir, moi je vais infester de grenouilles tout ton territoire.

Exode 7, 28 Le Fleuve grouillera de grenouilles, elles monteront et entreront dans ta maison, dans la chambre où tu couches, sur ton lit, dans les maisons de tes serviteurs et de ton peuple, dans tes fours et dans tes huches.

Exode 7, 29 Les grenouilles grimperont même sur toi, sur ton peuple et sur tous tes serviteurs."

Exode 8, 1 Yahvé dit à Moïse: "Dis à Aaron: Etends ta main avec ton bâton sur les fleuves, les canaux et les marais, et fais monter les grenouilles sur la terre d'Egypte."

Exode 8, 2 Aaron étendit la main sur les eaux d'Egypte, les grenouilles montèrent et recouvrirent la terre d'Egypte.

Exode 8, 3 Mais les magiciens avec leurs sortilèges en firent autant, et firent monter les grenouilles sur la terre d'Egypte.

Exode 8, 4 Pharaon appela Moïse et Aaron et dit: "Priez Yahvé de détourner les grenouilles de moi et de mon peuple, et je m'engage à laisser partir le peuple pour qu'il sacrifie à Yahvé."

Exode 8, 5 Moïse dit à Pharaon: "A toi l'avantage! Pour quand dois-je prier pour toi, pour tes serviteurs et pour ton peuple, afin que les grenouilles soient supprimées de chez toi et de vos maisons pour ne rester que dans le Fleuve?"

Exode 8, 6 Il dit: "Pour demain." Moïse reprit: "Il en sera selon ta parole afin que tu saches qu'il n'y a personne comme Yahvé notre Dieu.

Exode 8, 7 Les grenouilles s'éloigneront de toi, de tes maisons, de tes serviteurs, de ton peuple, et il n'en restera plus que dans le Fleuve."

Exode 8, 8 Moïse et Aaron sortirent de chez Pharaon, et Moïse cria vers Yahvé au sujet des grenouilles qu'il avait infligées à Pharaon.

Exode 8, 9 Yahvé fit ce que demandait Moïse, et les grenouilles crevèrent dans les maisons, dans les cours et dans les champs.

Exode 8, 10 On les amassa en tas et le pays en fut empuanti.

Exode 8, 11 Pharaon vit qu'il y avait un répit; il appesantit son coeur et il ne les écouta pas, comme l'avait prédit Yahvé.

Exode 8, 12 Yahvé dit à Moïse: "Dis à Aaron: Etends ton bâton et frappe la poussière du sol, et elle se changera en moustiques dans tout le pays d'Egypte."

Exode 8, 13 Aaron étendit la main avec son bâton et frappa la poussière du sol, et il y eut des moustiques sur les gens et les bêtes, toute la poussière du sol se changea en moustiques dans tout le pays d'Egypte.

Exode 8, 14 Les magiciens d'Egypte avec leurs sortilèges firent la même chose pour faire sortir les moustiques mais ils ne le purent, et il y eut des moustiques sur les gens et les bêtes.

Exode 8, 15 Les magiciens dirent à Pharaon: "C'est le doigt de Dieu", mais le coeur de Pharaon s'endurcit et il ne les écouta pas, comme l'avait prédit Yahvé.

Exode 8, 16 Yahvé dit à Moïse: "Lève-toi de bon matin et tiens-toi devant Pharaon quand il se rendra au bord de l'eau. Tu lui diras: Ainsi parle Yahvé: Laisse partir mon peuple, qu'il me serve.

Exode 8, 17 Si tu ne veux pas laisser partir mon peuple, je vais envoyer des taons sur toi, sur tes serviteurs, sur ton peuple et sur tes maisons. Les maisons des Egyptiens seront pleines de taons, et même le sol sur lequel ils se tiennent.

Exode 8, 18 Et ce jour-là, je mettrai à part la terre de Goshèn où réside mon peuple pour que là il n'y ait pas de taons, afin que tu saches que je suis Yahvé, au milieu du pays.

Exode 8, 19 Je discernerai mon peuple de ton peuple; c'est demain que se produira ce signe."

Exode 8, 20 Yahvé fit ainsi, et des taons en grand nombre entrèrent dans la maison de Pharaon, dans les maisons de ses serviteurs et dans tout le pays d'Egypte; le pays fut ruiné à cause des taons.

Exode 8, 21 Pharaon appela Moïse et Aaron et leur dit: "Allez sacrifier à votre Dieu dans le pays."

Exode 8, 22 Moïse répondit: "Il ne convient pas d'agir ainsi, car nos sacrifices à Yahvé notre Dieu sont une abomination pour les Egyptiens. Si nous offrons sous les yeux des Egyptiens des sacrifices qu'ils abominent, ne nous lapideront-ils pas?

Exode 8, 23 C'est à trois jours de marche dans le désert que nous irons sacrifier à Yahvé notre Dieu, comme il nous l'a dit."

Exode 8, 24 Pharaon dit: "Moi je vais vous laisser partir pour sacrifier à votre Dieu dans le désert, seulement vous n'irez pas très loin. Priez pour moi."

Exode 8, 25 Moïse dit: "Dès que je serai sorti de chez toi, je prierai Yahvé. Demain les taons s'éloigneront de Pharaon, de ses serviteurs et de son peuple. Que Pharaon, toutefois, cesse de se moquer de nous en ne laissant pas le peuple partir pour sacrifier à Yahvé."

Exode 8, 26 Moïse sortit de chez Pharaon et pria Yahvé.

Exode 8, 27 Yahvé fit ce que demandait Moïse et les taons s'éloignèrent de Pharaon, de ses serviteurs et de son peuple; il n'en resta plus un seul.

Exode 8, 28 Mais Pharaon appesantit son coeur, cette fois encore, et il ne laissa pas partir le peuple.

Exode 9, 1 Yahvé dit à Moïse: "Va trouver Pharaon et dis-lui: Ainsi parle Yahvé, le Dieu des Hébreux: Laisse partir mon peuple, qu'il me serve.

Exode 9, 2 Si tu refuses de le laisser partir et le retiens plus longtemps,

Exode 9, 3 voici que la main de Yahvé frappera tes troupeaux qui sont dans les champs, les chevaux, les ânes, les chameaux, les boeufs et le petit bétail, d'une peste très grave.

Exode 9, 4 Yahvé discernera les troupeaux d'Israël des troupeaux des Egyptiens, et rien ne mourra de ce qui appartient aux Israélites.

Exode 9, 5 Yahvé a fixé le temps en disant: Demain Yahvé fera cela dans le pays."

Exode 9, 6 Le lendemain, Yahvé fit cela, et tous les troupeaux des Egyptiens moururent, mais des troupeaux des Israélites, pas une bête ne mourut.

Exode 9, 7 Pharaon fit une enquête, et voici que des troupeaux d'Israël pas une seule bête n'était morte. Mais le coeur de Pharaon s'appesantit et il ne laissa pas partir le peuple.

Exode 9, 8 Yahvé dit à Moïse et à Aaron: "Prenez plein vos mains de suie de fourneau et que Moïse la lance en l'air, sous les yeux de Pharaon.

Exode 9, 9 Elle se changera en fine poussière sur tout le pays d'Egypte et provoquera, sur les gens et sur les bêtes, des ulcères bourgeonnant en pustules, dans toute l'Egypte."

Exode 9, 10 Ils prirent de la suie de fourneau et se tinrent devant Pharaon; Moïse la lança en l'air et gens et bêtes furent couverts d'ulcères bourgeonnant en pustules.

Exode 9, 11 Les magiciens ne purent se tenir devant Moïse à cause des ulcères, car les magiciens étaient couverts d'ulcères comme tous les Egyptiens.

Exode 9, 12 Yahvé endurcit le coeur de Pharaon et il ne les écouta pas, comme l'avait prédit Yahvé.

Exode 9, 13 Yahvé dit à Moïse: "Lève-toi de bon matin et tiens-toi devant Pharaon. Tu lui diras: Ainsi parle Yahvé, le Dieu des Hébreux: Laisse partir mon peuple, qu'il me serve.

Exode 9, 14 Car cette fois-ci, je vais envoyer tous mes fléaux contre toi-même, contre tes serviteurs et contre ton peuple, afin que tu apprennes qu'il n'y en a pas comme moi sur toute la terre.

Exode 9, 15 Si j'avais étendu la main et vous avais frappés de la peste, toi et ton peuple, tu aurais été effacé de la terre.

Exode 9, 16 Mais je t'ai laissé subsister afin que tu voies ma force et qu'on publie mon nom par toute la terre.

Exode 9, 17 Tu le prends de haut avec mon peuple en ne le laissant pas partir.

Exode 9, 18 Eh bien demain, à pareille heure, je ferai tomber une grêle très forte, comme il n'y en a jamais eu en Egypte depuis le jour de sa fondation jusqu'à maintenant.

Exode 9, 19 Et maintenant, envoie mettre tes troupeaux à l'abri, et tout ce qui, dans les champs, t'appartient. Tout ce qui, homme ou bête, se trouvera dans les champs et n'aura pas été ramené à la maison, la grêle tombera sur lui et il mourra."

Exode 9, 20 Celui des serviteurs de Pharaon qui craignit la parole de Yahvé fit rentrer en hâte ses esclaves et ses troupeaux dans les maisons.

Exode 9, 21 Mais celui qui ne prit pas à coeur la parole de Yahvé laissa aux champs ses esclaves et ses troupeaux.

Exode 9, 22 Yahvé dit à Moïse: "Etends ta main vers le ciel et qu'il grêle dans tout le pays d'Egypte, sur les hommes et sur les bêtes, sur toute l'herbe des champs au pays d'Egypte."

Exode 9, 23 Moïse étendit son bâton vers le ciel, et Yahvé tonna et fit tomber la grêle. La foudre frappa le sol, et Yahvé fit tomber la grêle sur le pays d'Egypte.

Exode 9, 24 Il y eut de la grêle et le feu jaillissait au milieu de la grêle, une grêle très forte, comme il n'y en avait jamais eu au pays des Egyptiens depuis qu'ils formaient une nation.

Exode 9, 25 La grêle frappa, dans tout le pays d'Egypte, tout ce qui était dans les champs, hommes et bêtes. La grêle frappa toutes les herbes des champs et brisa tous les arbres des champs.

Exode 9, 26 Ce n'est qu'au pays de Goshèn, où se trouvaient les Israélites, qu'il n'y eut pas de grêle.

Exode 9, 27 Pharaon fit appeler Moïse et Aaron et leur dit: "Cette fois, j'ai péché; c'est Yahvé qui est juste, moi et mon peuple, nous sommes coupables.

Exode 9, 28 Priez Yahvé. Il y a eu assez de tonnerre et de grêle. Je m'engage à vous laisser partir et vous ne resterez pas plus longtemps."

Exode 9, 29 Moïse lui dit: "Quand je sortirai de la ville, j'étendrai les mains vers Yahvé, le tonnerre cessera et il n'y aura plus de grêle, afin que tu saches que la terre est à Yahvé.

Exode 9, 30 Mais ni toi ni tes serviteurs, je le sais bien, vous ne craindrez encore Yahvé Dieu."

Exode 9, 31 Le lin et l'orge furent abattus, car l'orge était en épis et le lin en fleurs.

Exode 9, 32 Le froment et l'épeautre ne furent pas abattus car ils sont tardifs.

Exode 9, 33 Moïse sortit de chez Pharaon et de la ville; il étendit les mains vers Yahvé; le tonnerre et la grêle cessèrent, et la pluie ne se déversa plus sur la terre.

Exode 9, 34 Quand Pharaon vit que la pluie, la grêle et le tonnerre avaient cessé, il recommença à pécher, et lui et ses serviteurs appesantirent leur coeur.

Exode 9, 35 Le coeur de Pharaon s'endurcit et il ne laissa pas partir les Israélites, comme Yahvé l'avait prédit par Moïse.

Exode 10, 1 Yahvé dit à Moïse: "Va trouver Pharaon car c'est moi qui ai appesanti son coeur et le coeur de ses serviteurs afin d'opérer mes signes au milieu d'eux,

Exode 10, 2 pour que tu puisses raconter à ton fils et au fils de ton fils comment je me suis joué des Egyptiens et quels signes j'ai opérés parmi eux, et que vous sachiez que je suis Yahvé."

Exode 10, 3 Moïse et Aaron allèrent trouver Pharaon et lui dirent: "Ainsi parle Yahvé le Dieu des Hébreux: Jusqu'à quand refuseras-tu de t'humilier devant moi? Laisse partir mon peuple, qu'il me serve.

Exode 10, 4 Si tu refuses de laisser partir mon peuple, dès demain je ferai venir des sauterelles sur ton territoire.

Exode 10, 5 Elles couvriront la surface du sol et l'on ne pourra plus voir le sol. Elles dévoreront le reste de ce qui a échappé, ce que vous a laissé la grêle; elles dévoreront tous vos arbres qui croissent dans les champs.

Exode 10, 6 Elles rempliront tes maisons, les maisons de tous tes serviteurs et les maisons de tous les Egyptiens, ce que tes pères et les pères de tes pères n'ont jamais vu, depuis le jour où ils sont venus sur terre, jusqu'à ce jour." Puis il se retourna et sortit de chez Pharaon.

Exode 10, 7 Les serviteurs de Pharaon lui dirent: "Jusqu'à quand celui-ci nous sera-t-il un piège? Laisse partir ces gens, qu'ils servent Yahvé leur Dieu. Ne sais-tu pas encore que l'Egypte va à sa ruine?"

Exode 10, 8 On fit revenir Moïse et Aaron auprès de Pharaon qui leur dit: "Allez servir Yahvé votre Dieu, mais qui sont ceux qui vont s'en aller?"

Exode 10, 9 Moïse répondit: "Nous emmènerons nos jeunes gens et nos vieillards, nous emmènerons nos fils et nos filles, notre petit et notre gros bétail, car c'est pour nous une fête de Yahvé."

Exode 10, 10 Pharaon dit: "Que Yahvé soit avec vous comme je vais vous laisser partir, vous, vos femmes et vos enfants! Voyez comme vous avez de mauvais desseins!

Exode 10, 11 Non! Allez, vous, les hommes, servir Yahvé, puisque c'est là ce que vous demandez." Et on les expulsa de la présence de Pharaon.

Exode 10, 12 Yahvé dit à Moïse: "Etends ta main sur le pays d'Egypte pour que viennent les sauterelles; qu'elles montent sur le pays d'Egypte et qu'elles dévorent toute l'herbe du pays, tout ce qu'a épargné la grêle."

Exode 10, 13 Moïse étendit son bâton sur le pays d'Egypte, et Yahvé fit lever sur le pays un vent d'est qui souffla tout ce jour-là et toute la nuit. Le matin venu, le vent d'est avait apporté les sauterelles.

Exode 10, 14 Les sauterelles montèrent sur tout le pays d'Egypte, elles se posèrent sur tout le territoire de l'Egypte en très grand nombre. Auparavant il n'y avait jamais eu autant de sauterelles, et par la suite il ne devait jamais plus y en avoir autant.

Exode 10, 15 Elles couvrirent toute la surface du pays et le pays fut dévasté. Elles dévorèrent toute l'herbe du pays et tous les fruits des arbres qu'avait laissés la grêle; rien de vert ne resta sur les arbres ou sur l'herbe des champs, dans tout le pays d'Egypte.

Exode 10, 16 Pharaon se hâta d'appeler Moïse et Aaron et dit: "J'ai péché contre Yahvé votre Dieu et contre vous.

Exode 10, 17 Et maintenant pardonne-moi ma faute, je t'en prie, cette fois seulement, et priez Yahvé votre Dieu qu'il détourne de moi ce fléau meurtrier."

Exode 10, 18 Moïse sortit de chez Pharaon et pria Yahvé.

Exode 10, 19 Yahvé changea le vent en un vent d'ouest très fort qui emporta les sauterelles et les entraîna vers la mer des Roseaux. Il ne resta plus une seule sauterelle dans tout le territoire d'Egypte.

Exode 10, 20 Mais Yahvé endurcit le coeur de Pharaon et il ne laissa pas partir les Israélites.

Exode 10, 21 Yahvé dit à Moïse: "Etends ta main vers le ciel et que des ténèbres palpables recouvrent le pays d'Egypte."

Exode 10, 22 Moïse étendit la main vers le ciel et il y eut d'épaisses ténèbres sur tout le pays d'Egypte pendant trois jours.

Exode 10, 23 Les gens ne se voyaient plus l'un l'autre et personne ne se leva de sa place pendant trois jours, mais tous les Israélites avaient de la lumière là où ils habitaient.

Exode 10, 24 Pharaon appela Moïse et lui dit: "Allez servir Yahvé, mais votre petit et votre gros bétail devra rester ici. Même vos femmes et vos enfants pourront aller avec vous."

Exode 10, 25 Moïse dit: "Tu dois toi-même mettre à notre disposition des sacrifices et des holocaustes pour que nous les offrions à Yahvé notre Dieu.

Exode 10, 26 Même nos troupeaux viendront avec nous, pas une tête ne restera, car c'est d'eux que nous prendrons de quoi servir Yahvé notre Dieu; et nous-mêmes, jusqu'à notre arrivée là-bas, nous ne saurons comment servir Yahvé."

Exode 10, 27 Mais Yahvé endurcit le coeur de Pharaon et il ne voulut pas les laisser partir.

Exode 10, 28 Pharaon dit à Moïse: "Hors d'ici! Prends garde à toi! ne te présente plus devant moi, car le jour où tu te présenteras devant moi, tu mourras."

Exode 10, 29 Et Moïse dit: "Tu l'as dit, je ne reviendrai plus me présenter devant toi."

Exode 11, 1 Yahvé dit à Moïse: "Je vais encore envoyer une plaie à Pharaon et à l'Egypte, après quoi il vous renverra d'ici. Quand il vous renverra, ce sera fini, et même, il vous expulsera d'ici.

Exode 11, 2 Parle donc au peuple pour que chaque homme demande à son voisin, chaque femme à sa voisine, des objets d'argent et des objets d'or."

Exode 11, 3 Yahvé fit que le peuple trouvât grâce aux yeux des Egyptiens. Moïse lui-même était un très grand personnage au pays d'Egypte, aux yeux des serviteurs de Pharaon et aux yeux du peuple.

Exode 11, 4 Alors Moïse dit: "Ainsi parle Yahvé: Vers le milieu de la nuit je parcourrai l'Egypte,

Exode 11, 5 et tous les premiers-nés mourront dans le pays d'Egypte, aussi bien le premier-né de Pharaon qui doit s'asseoir sur son trône, que le premier-né de la servante qui est derrière la meule, ainsi que tous les premiers-nés du bétail.

Exode 11, 6 Ce sera alors, dans tout le pays d'Egypte, une grande clameur, telle qu'il n'y en eut jamais et qu'il n'y en aura jamais plus.

Exode 11, 7 Mais chez tous les Israélites, pas un chien ne jappera contre qui que ce soit, homme ou bête, afin que tu saches que Yahvé discerne Israël de l'Egypte.

Exode 11, 8 Alors tous tes serviteurs que voici viendront me trouver et se prosterneront devant moi en disant: Va-t'en, toi et tout le peuple qui marche à ta suite! Après quoi je partirai." Et, enflammé de colère, il sortit de chez Pharaon.

Exode 11, 9 Yahvé dit à Moïse: "Pharaon ne vous écoutera pas, afin que se multiplient mes prodiges au pays d'Egypte."

Exode 11, 10 Moïse et Aaron accomplirent tous ces prodiges devant Pharaon; mais Yahvé endurcit le coeur de Pharaon et il ne laissa pas les Israélites partir de son pays.

Exode 12, 1 Yahvé dit à Moïse et à Aaron au pays d'Egypte:

Exode 12, 2 "Ce mois sera pour vous en tête des autres mois, il sera pour vous le premier mois de l'année.

Exode 12, 3 Parlez à toute la communauté d'Israël et dites-lui: Le dix de ce mois, que chacun prenne une tête de petit bétail par famille, une tête de petit bétail par maison.

Exode 12, 4 Si la maison est trop peu nombreuse pour une tête de petit bétail, on s'associera avec son voisin le plus proche de la maison, selon le nombre des personnes. Vous choisirez la tête de petit bétail selon ce que chacun peut manger.

Exode 12, 5 La tête de petit bétail sera un mâle sans tare, âgé d'un an. Vous la choisirez parmi les moutons ou les chèvres.

Exode 12, 6 Vous la garderez jusqu'au quatorzième jour de ce mois, et toute l'assemblée de la communauté d'Israël l'égorgera au crépuscule.

Exode 12, 7 On prendra de son sang et on en mettra sur les deux montants et le linteau des maisons où on le mangera.

Exode 12, 8 Cette nuit-là, on mangera la chair rôtie au feu; on la mangera avec des azymes et des herbes amères.

Exode 12, 9 N'en mangez rien cru ni bouilli dans l'eau, mais rôti au feu, avec la tête, les pattes et les tripes.

Exode 12, 10 Vous n'en réserverez rien jusqu'au lendemain. Ce qui en resterait le lendemain, vous le brûlerez au feu.

Exode 12, 11 C'est ainsi que vous la mangerez: vos reins ceints, vos sandales aux pieds et votre bâton en main. Vous la mangerez en toute hâte, c'est une pâque pour Yahvé.

Exode 12, 12 Cette nuit-là je parcourrai l'Egypte et je frapperai tous les premiers-nés dans le pays d'Egypte, tant hommes que bêtes, et de tous les dieux d'Egypte, je ferai justice, moi Yahvé.

Exode 12, 13 Le sang sera pour vous un signe sur les maisons où vous vous tenez. En voyant ce signe, je passerai outre et vous échapperez au fléau destructeur lorsque je frapperai le pays d'Egypte.

Exode 12, 14 Ce jour-là, vous en ferez mémoire et vous le fêterez comme une fête pour Yahvé, dans vos générations vous la fêterez, c'est un décret perpétuel.

Exode 12, 15 "Pendant sept jours, vous mangerez des azymes. Dès le premier jour vous ferez disparaître le levain de vos maisons car quiconque, du premier au septième jour, mangera du pain levé, celui-là sera retranché d'Israël.

Exode 12, 16 Le premier jour vous aurez une sainte assemblée, et le septième jour, une sainte assemblée. On n'y fera aucun ouvrage, vous préparerez seulement ce que chacun doit manger.

Exode 12, 17 Vous observerez la fête des Azymes, car c'est en ce jour-là que j'ai fait sortir vos armées du pays d'Egypte. Vous observerez ce jour-là dans vos générations, c'est un décret perpétuel.

Exode 12, 18 Le premier mois, le soir du quatorzième jour, vous mangerez des azymes jusqu'au soir du vingt et unième jour.

Exode 12, 19 Pendant sept jours il ne se trouvera pas de levain dans vos maisons, car quiconque mangera du pain levé sera retranché de la communauté d'Israël, qu'il soit étranger ou né dans le pays.

Exode 12, 20 Vous ne mangerez pas de pain levé, en tout lieu où vous habiterez vous mangerez des azymes."

Exode 12, 21 Moïse convoqua tous les anciens d'Israël et leur dit: "Allez vous procurer du petit bétail pour vos familles et immolez la pâque.

Exode 12, 22 Puis vous prendrez un bouquet d'hysope, vous le tremperez dans le sang qui est dans le bassin et vous toucherez le linteau et les deux montants avec le sang qui est dans le bassin. Quant à vous, que personne ne franchisse la porte de sa maison jusqu'au matin.

Exode 12, 23 Lorsque Yahvé traversera l'Egypte pour la frapper, il verra le sang sur le linteau et sur les deux montants, il passera au-delà de cette porte et ne laissera pas l'Exterminateur pénétrer dans vos maisons pour frapper.

Exode 12, 24 Vous observerez cette disposition comme un décret pour toi et tes fils, à perpétuité.

Exode 12, 25 Quand vous serez entrés dans la terre que Yahvé vous donnera comme il l'a dit, vous observerez ce rite.

Exode 12, 26 Et quand vos fils vous diront: Que signifie pour vous ce rite?

Exode 12, 27 Vous leur direz: C'est le sacrifice de la Pâque pour Yahvé qui a passé au-delà des maisons des Israélites en Egypte, lorsqu'il frappait l'Egypte, mais épargnait nos maisons." Le peuple alors s'agenouilla et se prosterna.

Exode 12, 28 Les Israélites s'en allèrent et firent ce que Yahvé avait ordonné à Moïse et à Aaron.

Exode 12, 29 Au milieu de la nuit, Yahvé frappa tous les premiers-nés dans le pays d'Egypte, aussi bien le premier-né de Pharaon qui devait s'asseoir sur son trône, que le premier-né du captif dans la prison et tous les premiers-nés du bétail.

Exode 12, 30 Pharaon se leva pendant la nuit, ainsi que tous ses serviteurs et tous les Egyptiens, et ce fut en Egypte une grande clameur car il n'y avait pas de maison où il n'y eût un mort.

Exode 12, 31 Pharaon appela Moïse et Aaron pendant la nuit et leur dit: "Levez-vous et sortez du milieu de mon peuple, vous et les Israélites, et allez servir Yahvé comme vous l'avez demandé.

Exode 12, 32 Prenez aussi votre petit et votre gros bétail comme vous l'avez demandé, partez et bénissez-moi, moi aussi."

Exode 12, 33 Les Egyptiens pressèrent le peuple en se hâtant de le faire partir du pays car, disaient-ils: "Nous allons tous mourir."

Exode 12, 34 Le peuple emporta sa pâte avant qu'elle n'eût levé, ses huches serrées dans les manteaux, sur les épaules.

Exode 12, 35 Les Israélites firent ce qu'avait dit Moïse et demandèrent aux Egyptiens des objets d'argent, des objets d'or et des vêtements.

Exode 12, 36 Yahvé fit que le peuple trouvât grâce aux yeux des Egyptiens qui les leur prêtèrent. Ils dépouillèrent ainsi les Egyptiens.

Exode 12, 37 Les Israélites partirent de Ramsès en direction de Sukkot au nombre de près de 600.000 hommes de pied -- rien que les hommes, sans compter leur famille.

Exode 12, 38 Une foule mêlée monta avec eux, ainsi que du petit et du gros bétail, formant d'immenses troupeaux.

Exode 12, 39 Ils firent cuire la pâte qu'ils avaient emportée d'Egypte en galettes non levées, car la pâte n'était pas levée: chassés d'Egypte, ils n'avaient pu s'attarder ni se préparer des provisions de route.

Exode 12, 40 Le séjour des Israélites en Egypte avait duré 430 ans.

Exode 12, 41 Le jour même où prenait fin les 430 ans, toutes les armées de Yahvé sortirent du pays d'Egypte.

Exode 12, 42 Cette nuit durant laquelle Yahvé a veillé pour les faire sortir d'Egypte doit être pour tous les Israélites une veille pour Yahvé, pour leurs générations.

Exode 12, 43 Yahvé dit à Moïse et à Aaron: "Voici le rituel de la pâque: aucun étranger n'en mangera.

Exode 12, 44 Mais tout esclave acquis à prix d'argent, quand tu l'auras circoncis, pourra en manger.

Exode 12, 45 Le résident et le serviteur à gages n'en mangeront pas.

Exode 12, 46 On la mangera dans une seule maison et vous ne ferez sortir de cette maison aucun morceau de viande. Vous n'en briserez aucun os.

Exode 12, 47 Toute la communauté d'Israël la fera.

Exode 12, 48 Si un étranger en résidence chez toi veut faire la Pâque pour Yahvé, tous les mâles de sa maison devront être circoncis; il sera alors admis à la faire, il sera comme un citoyen du pays; mais aucun incirconcis ne pourra en manger.

Exode 12, 49 La loi sera la même pour le citoyen et pour l'étranger en résidence parmi vous."

Exode 12, 50 Tous les Israélites firent comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse et à Aaron.

Exode 12, 51 Ce jour-là même, Yahvé fit sortir les Israélites du pays d'Egypte, selon leurs armées.

Exode 13, 1 Yahvé parla à Moïse et lui dit:

Exode 13, 2 "Consacre-moi tout premier-né, prémices du sein maternel, parmi les Israélites. Homme ou animal, il est à moi."

Exode 13, 3 Moïse dit au peuple: "Souvenez-vous de ce jour, celui où vous êtes sortis d'Egypte, de la maison de servitude, car c'est par la force de sa main que Yahvé vous en a fait sortir, et l'on ne mangera pas de pain levé.

Exode 13, 4 Aujourd'hui vous sortez dans le mois d'Abib.

Exode 13, 5 Quand Yahvé t'aura fait entrer dans la terre des Cananéens, des Hittites, des Amorites, des Hivvites et des Jébuséens, qu'il a juré à tes pères de te donner, terre qui ruisselle de lait et de miel, tu pratiqueras ce rite en ce même mois.

Exode 13, 6 Pendant sept jours tu mangeras des azymes et le septième jour il y aura une fête pour Yahvé.

Exode 13, 7 Ce sont des azymes que l'on mangera pendant les sept jours et l'on ne verra pas chez toi de pain levé, ni on ne verra chez toi de levain, dans tout ton territoire.

Exode 13, 8 Ce jour-là, tu parleras ainsi à ton fils: C'est à cause de ce que Yahvé a fait pour moi lors de ma sortie d'Egypte.

Exode 13, 9 Ce sera pour toi un signe sur ta main, un mémorial sur ton front, afin que la loi de Yahvé soit toujours dans ta bouche, car c'est à main forte que Yahvé t'a fait sortir d'Egypte.

Exode 13, 10 Tu observeras cette loi au temps prescrit, d'année en année.

Exode 13, 11 "Quand Yahvé t'aura fait entrer dans le pays des Cananéens, comme il te l'a juré ainsi qu'à tes pères, et qu'il te l'aura donné,

Exode 13, 12 tu céderas à Yahvé tout être sorti le premier du sein maternel et toute la première portée des bêtes qui t'appartiennent: les mâles sont à Yahvé.

Exode 13, 13 Les premiers ânons mis bas, tu les rachèteras par une tête de petit bétail. Si tu ne les rachètes pas, tu leur briseras la nuque, mais tous les premiers-nés de l'homme, parmi tes fils, tu les rachèteras.

Exode 13, 14 Lorsque ton fils te demandera demain: Que signifie ceci? Tu lui diras: C'est par la force de sa main que Yahvé nous a fait sortir d'Egypte, de la maison de servitude.

Exode 13, 15 Comme Pharaon s'entêtait à ne pas nous laisser partir, Yahvé fit périr tous les premiers-nés au pays d'Egypte, aussi bien les premiers-nés des hommes que les premiers-nés du bétail. C'est pourquoi je sacrifie à Yahvé tout mâle sorti le premier du sein maternel et je rachète tout premier-né de mes fils.

Exode 13, 16 Ce sera pour toi un signe sur ta main, un bandeau sur ton front, car c'est par la force de sa main que Yahvé nous a fait sortir d'Egypte."

Exode 13, 17 Lorsque Pharaon eut laissé partir le peuple, Dieu ne lui fit pas prendre la route du pays des Philistins, bien qu'elle fût plus proche, car Dieu s'était dit qu'à la vue des combats le peuple pourrait se repentir et retourner en Egypte.

Exode 13, 18 Dieu fit donc faire au peuple un détour par la route du désert de la mer des Roseaux. C'est bien armés que les Israélites montèrent du pays d'Egypte.

Exode 13, 19 Moïse emporta les ossements de Joseph avec lui, car celui-ci avait adjuré les Israélites en disant: "Oui, Dieu vous visitera, et alors vous emporterez d'ici mes ossements avec vous."

Exode 13, 20 Ils partirent de Sukkot et campèrent à Etam, en bordure du désert.

Exode 13, 21 Yahvé marchait avec eux, le jour dans une colonne de nuée pour leur indiquer la route, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu'ils puissent marcher de jour et de nuit.

Exode 13, 22 La colonne de nuée ne se retirait pas le jour devant le peuple, ni la colonne de feu la nuit.

Exode 14, 1 Yahvé parla à Moïse et lui dit:

Exode 14, 2 "Dis aux Israélites de rebrousser chemin et de camper devant Pi-Hahirot, entre Migdol et la mer, devant Baal-Cephôn; vous camperez face à ce lieu, au bord de la mer.

Exode 14, 3 Pharaon dira des Israélites: Les voilà qui errent dans le pays, le désert s'est refermé sur eux.

Exode 14, 4 J'endurcirai le coeur de Pharaon et il se lancera à leur poursuite. Je me glorifierai aux dépens de Pharaon et de toute son armée, et les Egyptiens sauront que je suis Yahvé." C'est ce qu'ils firent.

Exode 14, 5 Lorsqu'on annonça au roi d'Egypte que le peuple avait fui, le coeur de Pharaon et de ses serviteurs changea à l'égard du peuple. Ils dirent: "Qu'avons-nous fait là, de laisser Israël quitter notre service!"

Exode 14, 6 Pharaon fit atteler son char et emmena son armée.

Exode 14, 7 Il prit 600 des meilleurs chars et tous les chars d'Egypte, chacun d'eux monté par des officiers.

Exode 14, 8 Yahvé endurcit le coeur de Pharaon, le roi d'Egypte, qui se lança à la poursuite des Israélites sortant la main haute.

Exode 14, 9 Les Egyptiens se lancèrent à leur poursuite et les rejoignirent alors qu'ils campaient au bord de la mer -- tous les chevaux de Pharaon, ses chars, ses cavaliers et son armée -- près de Pi-Hahirot, devant Baal-Cephôn.

Exode 14, 10 Comme Pharaon approchait, les Israélites levèrent les yeux, et voici que les Egyptiens les poursuivaient. Les Israélites eurent grand-peur et crièrent vers Yahvé.

Exode 14, 11 Ils dirent à Moïse: "Manquait-il de tombeaux en Egypte, que tu nous aies menés mourir dans le désert? Que nous as-tu fait en nous faisant sortir d'Egypte?

Exode 14, 12 Ne te disions-nous pas en Egypte: Laisse-nous servir les Egyptiens, car mieux vaut pour nous servir les Egyptiens que de mourir dans le désert?"

Exode 14, 13 Moïse dit au peuple: "Ne craignez pas! Tenez ferme et vous verrez ce que Yahvé va faire pour vous sauver aujourd'hui, car les Egyptiens que vous voyez aujourd'hui, vous ne les reverrez plus jamais.

Exode 14, 14 Yahvé combattra pour vous; vous, vous n'aurez qu'à rester tranquilles."

Exode 14, 15 Yahvé dit à Moïse: "Pourquoi cries-tu vers moi? Dis aux Israélites de repartir.

Exode 14, 16 Toi, lève ton bâton, étends ta main sur la mer et fends-la, que les Israélites puissent pénétrer à pied sec au milieu de la mer.

Exode 14, 17 Moi, j'endurcirai le coeur des Egyptiens, ils pénétreront à leur suite et je me glorifierai aux dépens de Pharaon, de toute son armée, de ses chars et de ses cavaliers.

Exode 14, 18 Les Egyptiens sauront que je suis Yahvé quand je me serai glorifié aux dépens de Pharaon, de ses chars et de ses cavaliers."

Exode 14, 19 L'Ange de Dieu qui marchait en avant du camp d'Israël se déplaça et marcha derrière eux, et la colonne de nuée se déplaça de devant eux et se tint derrière eux.

Exode 14, 20 Elle vint entre le camp des Egyptiens et le camp d'Israël. La nuée était ténébreuse et la nuit s'écoula sans que l'un puisse s'approcher de l'autre de toute la nuit.

Exode 14, 21 Moïse étendit la main sur la mer, et Yahvé refoula la mer toute la nuit par un fort vent d'est; il la mit à sec et toutes les eaux se fendirent.

Exode 14, 22 Les Israélites pénétrèrent à pied sec au milieu de la mer, et les eaux leur formaient une muraille à droite et à gauche.

Exode 14, 23 Les Egyptiens les poursuivirent, et tous les chevaux de Pharaon, ses chars et ses cavaliers pénétrèrent à leur suite au milieu de la mer.

Exode 14, 24 A la veille du matin, Yahvé regarda de la colonne de feu et de nuée vers le camp des Egyptiens, et jeta la confusion dans le camp des Egyptiens.

Exode 14, 25 Il enraya les roues de leurs chars qui n'avançaient plus qu'à grand-peine. Les Egyptiens dirent: "Fuyons devant Israël car Yahvé combat avec eux contre les Egyptiens!"

Exode 14, 26 Yahvé dit à Moïse: "Etends ta main sur la mer, que les eaux refluent sur les Egyptiens, sur leurs chars et sur leurs cavaliers."

Exode 14, 27 Moïse étendit la main sur la mer et, au point du jour, la mer rentra dans son lit. Les Egyptiens en fuyant la rencontrèrent, et Yahvé culbuta les Egyptiens au milieu de la mer.

Exode 14, 28 Les eaux refluèrent et recouvrirent les chars et les cavaliers de toute l'armée de Pharaon, qui avaient pénétré derrière eux dans la mer. Il n'en resta pas un seul.

Exode 14, 29 Les Israélites, eux, marchèrent à pied sec au milieu de la mer, et les eaux leur formèrent une muraille à droite et à gauche.

Exode 14, 30 Ce jour-là, Yahvé sauva Israël des mains des Egyptiens, et Israël vit les Egyptiens morts au bord de la mer.

Exode 14, 31 Israël vit la prouesse accomplie par Yahvé contre les Egyptiens. Le peuple craignit Yahvé, il crut en Yahvé et en Moïse son serviteur.

Exode 15, 1 Alors Moïse et les Israélites chantèrent pour Yahvé le chant que voici: "Je chante pour Yahvé car il s'est couvert de gloire, il a jeté à la mer cheval et cavalier.

Exode 15, 2 Yah est ma force et mon chant, à lui je dois mon salut. Il est mon Dieu, je le célèbre, le Dieu de mon père et je l'exalte.

Exode 15, 3 Yahvé est un guerrier, son nom est Yahvé.

Exode 15, 4 Les chars de Pharaon et son armée, il les a jetés à la mer, l'élite de ses officiers, la mer des Roseaux l'a engloutie.

Exode 15, 5 Les abîmes les recouvrent, ils ont coulé au fond du gouffre comme une pierre.

Exode 15, 6 Ta droite, Yahvé, s'illustre par sa force, ta droite, Yahvé, taille en pièces l'ennemi.

Exode 15, 7 Par l'excès de ta majesté, tu renverses tes adversaires, tu déchaînes ta colère, elle les dévore comme du chaume.

Exode 15, 8 Au souffle de tes narines, les eaux s'amoncelèrent, les flots se dressèrent comme une digue, les abîmes se figèrent au coeur de la mer.

Exode 15, 9 L'ennemi s'était dit: Je poursuivrai, j'atteindrai, je partagerai le butin, mon âme s'en gorgera, je dégainerai mon épée, ma main les supprimera.

Exode 15, 10 Tu soufflas de ton haleine, la mer les recouvrit, ils s'enfoncèrent comme du plomb dans les eaux formidables.

Exode 15, 11 Qui est comme toi parmi les dieux, Yahvé? Qui est comme toi illustre en sainteté, redoutable en exploits, artisan de merveilles?

Exode 15, 12 Tu étendis ta droite, la terre les engloutit.

Exode 15, 13 Ta grâce a conduit ce peuple que tu as racheté, ta force l'a guidé vers ta sainte demeure.

Exode 15, 14 Les peuples ont entendu, ils frémissent, des douleurs poignent les habitants de Philistie.

Exode 15, 15 Alors sont bouleversés les chefs d'Edom, les princes de Moab, la terreur s'en empare, ils titubent, tous ceux qui habitent Canaan.

Exode 15, 16 Sur eux s'abattent terreur et crainte, la puissance de ton bras les laisse pétrifiés, tant que passe ton peuple, Yahvé, tant que passe ce peuple que tu t'es acheté.

Exode 15, 17 Tu les amèneras et tu les planteras sur la montagne de ton héritage, lieu dont tu fis, Yahvé, ta résidence, sanctuaire, Seigneur, qu'ont préparé tes mains.

Exode 15, 18 Yahvé régnera pour toujours et à jamais."

Exode 15, 19 Car lorsque la cavalerie de Pharaon avec ses chars et ses cavaliers était entrée dans la mer, Yahvé avait fait refluer sur eux les eaux de la mer, alors que les Israélites avaient marché à pied sec au milieu de la mer.

Exode 15, 20 Miryam, la prophétesse, soeur d'Aaron, prit en main un tambourin et toutes les femmes la suivirent avec des tambourins, formant des choeurs de danses.

Exode 15, 21 Et Miryam leur entonna: "Chantez pour Yahvé, car il s'est couvert de gloire, il a jeté à la mer cheval et cavalier."

Exode 15, 22 Moïse fit partir Israël de la mer des Roseaux. Ils se dirigèrent vers le désert de Shur et marchèrent trois jours dans le désert sans trouver d'eau.

Exode 15, 23 Mais quand ils arrivèrent à Mara ils ne purent boire l'eau de Mara, car elle était amère, c'est pourquoi on l'a appelé Mara.

Exode 15, 24 Le peuple murmura contre Moïse en disant: "Qu'allons-nous boire?"

Exode 15, 25 Moïse cria vers Yahvé, et Yahvé lui montra un morceau de bois. Moïse le jeta dans l'eau, et l'eau devint douce. C'est là qu'il leur fixa un statut et un droit; c'est là qu'il les mit à l'épreuve.

Exode 15, 26 Puis il dit: "Si tu écoutes bien la voix de Yahvé ton Dieu et fais ce qui est droit à ses yeux, si tu prêtes l'oreille à ses commandements et observes toutes ses lois, tous les maux que j'ai infligés à l'Egypte, je ne te les infligerai pas, car je suis Yahvé, celui qui te guérit."

Exode 15, 27 Ils arrivèrent ensuite à Elim où se trouvent douze sources et 70 palmiers, et ils y campèrent au bord de l'eau.

Exode 16, 1 Ils partirent d'Elim, et toute la communauté des Israélites arriva au désert de Sîn, situé entre Elim et le Sinaï, le quinzième jour du second mois qui suivit leur sortie d'Egypte.

Exode 16, 2 Toute la communauté des Israélites se mit à murmurer contre Moïse et Aaron dans le désert.

Exode 16, 3 Les Israélites leur dirent: "Que ne sommes-nous morts de la main de Yahvé au pays d'Egypte, quand nous étions assis auprès de la marmite de viande et mangions du pain à satiété! A coup sûr, vous nous avez amenés dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette multitude."

Exode 16, 4 Yahvé dit à Moïse: "Je vais faire pleuvoir pour vous du pain du haut du ciel. Les gens sortiront et recueilleront chaque jour leur ration du jour; je veux ainsi les mettre à l'épreuve pour voir s'ils marcheront selon ma loi ou non.

Exode 16, 5 Et le sixième jour, quand ils prépareront ce qu'ils auront rapporté, il y en aura le double de ce qu'ils recueillent chaque jour."

Exode 16, 6 Moïse et Aaron dirent à toute la communauté des Israélites: "Ce soir vous saurez que c'est Yahvé qui vous a fait sortir du pays d'Egypte

Exode 16, 7 et au matin vous verrez la gloire de Yahvé. Car il a entendu vos murmures contre Yahvé. Et nous, que sommes-nous pour que vous murmuriez contre nous?"

Exode 16, 8 Moïse dit: "Yahvé vous donnera ce soir de la viande à manger et, au matin, du pain à satiété, car Yahvé a entendu vos murmures contre lui. Nous, que sommes-nous? Ce n'est pas contre nous que vont vos murmures, mais contre Yahvé."

Exode 16, 9 Moïse dit à Aaron: "Dis à toute la communauté des Israélites: Approchez-vous devant Yahvé, car il a entendu vos murmures."

Exode 16, 10 Comme Aaron parlait à toute la communauté des Israélites, ils se tournèrent vers le désert, et voici que la gloire de Yahvé apparut dans la nuée.

Exode 16, 11 Yahvé parla à Moïse et lui dit:

Exode 16, 12 "J'ai entendu les murmures des Israélites. Parle-leur et dis-leur: Au crépuscule vous mangerez de la viande et au matin vous serez rassasiés de pain. Vous saurez alors que je suis Yahvé votre Dieu."

Exode 16, 13 Le soir, des cailles montèrent et couvrirent le camp, et au matin, il y avait une couche de rosée tout autour du camp.

Exode 16, 14 Cette couche de rosée évaporée, apparut sur la surface du désert quelque chose de menu, de granuleux, de fin comme du givre sur le sol.

Exode 16, 15 Lorsque les Israélites virent cela, ils se dirent l'un à l'autre: "Qu'est-ce cela?" Car ils ne savaient pas ce que c'était. Moïse leur dit: "Cela, c'est le pain que Yahvé vous a donné à manger.

Exode 16, 16 Voici ce qu'a ordonné Yahvé: Recueillez-en chacun selon ce qu'il peut manger, un gomor par personne. Vous en prendrez chacun selon le nombre des personnes qu'il a dans sa tente."

Exode 16, 17 Les Israélites firent ainsi et en recueillirent les uns beaucoup, les autres peu.

Exode 16, 18 Quand ils mesurèrent au gomor, celui qui avait beaucoup recueilli n'en avait pas trop, et celui qui avait peu recueilli en avait assez: chacun avait recueilli ce qu'il pouvait manger.

Exode 16, 19 Moïse leur dit: "Que personne n'en mette en réserve jusqu'au lendemain."

Exode 16, 20 Certains n'écoutèrent pas Moïse et en mirent en réserve jusqu'au lendemain, mais les vers s'y mirent et cela devint infect. Moïse s'irrita contre eux.

Exode 16, 21 Ils en recueillirent chaque matin, chacun selon ce qu'il pouvait manger, et quand le soleil devenait chaud, cela fondait.

Exode 16, 22 Or le sixième jour, ils recueillirent le double de pain, deux gomors par personne, et tous les chefs de la communauté vinrent l'annoncer à Moïse.

Exode 16, 23 Il leur dit: "Voici ce qu'a dit Yahvé: Demain est un jour de repos complet, un saint sabbat pour Yahvé. Cuisez ce que vous voulez cuire, faites bouillir ce que vous voulez faire bouillir et tout le surplus, mettez-le en réserve jusqu'à demain."

Exode 16, 24 Ils le mirent en réserve jusqu'au lendemain, comme Moïse l'avait ordonné; ce ne fut pas infect et il n'y eut pas de vers dedans.

Exode 16, 25 Moïse dit: "Mangez-le aujourd'hui, car ce jour est un sabbat pour Yahvé; aujourd'hui vous n'en trouveriez pas dans les champs.

Exode 16, 26 Pendant six jours vous en recueillerez mais le septième jour, le sabbat, il n'y en aura pas."

Exode 16, 27 Le septième jour cependant, des gens sortirent pour en recueillir mais ils n'en trouvèrent pas.

Exode 16, 28 Yahvé dit à Moïse: "Jusqu'à quand refuserez-vous d'écouter mes commandements et mes lois?

Exode 16, 29 Voyez, Yahvé vous a donné le sabbat, c'est pourquoi le sixième jour il vous donne du pain pour deux jours. Restez chacun là où vous êtes, que personne ne sorte de chez soi le septième jour."

Exode 16, 30 Le peuple chôma donc le septième jour.

Exode 16, 31 La maison d'Israël donna à cela le nom de manne. On eût dit de la graine de coriandre, c'était blanc et cela avait un goût de galette au miel.

Exode 16, 32 Moïse dit: "Voici ce qu'a ordonné Yahvé: Remplissez-en un gomor et préservez-le pour vos descendants, afin qu'ils voient le pain dont je vous ai nourri dans le désert, quand je vous ai fait sortir du pays d'Egypte."

Exode 16, 33 Moïse dit à Aaron: "Prends un vase, mets-y un plein gomor de manne et place-le devant Yahvé afin de le préserver pour vos générations."

Exode 16, 34 Comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse, Aaron le plaça devant le Témoignage, pour qu'il y soit préservé.

Exode 16, 35 Les Israélites mangèrent de la manne pendant 40 ans, jusqu'à ce qu'ils arrivent en pays habité; ils mangèrent la manne jusqu'à ce qu'ils arrivent aux confins du pays de Canaan.

Exode 16, 36 Le gomor, c'est un dixième de mesure.

Exode 17, 1 Toute la communauté des Israélites partit du désert de Sîn pour les étapes suivantes, sur l'ordre de Yahvé, et ils campèrent à Rephidim où il n'y avait pas d'eau à boire pour le peuple.

Exode 17, 2 Celui-ci s'en prit à Moïse; ils dirent: "Donne-nous de l'eau, que nous buvions!" Moïse leur dit: "Pourquoi vous en prenez-vous à moi? Pourquoi mettez-vous Yahvé à l'épreuve?"

Exode 17, 3 Le peuple y souffrit de la soif, le peuple murmura contre Moïse et dit: "Pourquoi nous as-tu fait monter d'Egypte? Est-ce pour me faire mourir de soif, moi, mes enfants et mes bêtes?"

Exode 17, 4 Moïse cria vers Yahvé en disant: "Que ferai-je pour ce peuple? Encore un peu et ils me lapideront."

Exode 17, 5 Yahvé dit à Moïse: "Passe en tête du peuple et prends avec toi quelques anciens d'Israël; prends en main ton bâton, celui dont tu as frappé le Fleuve et va.

Exode 17, 6 Voici que je vais me tenir devant toi, là sur le rocher (en Horeb), tu frapperas le rocher, l'eau en sortira et le peuple boira." C'est ce que fit Moïse, aux yeux des anciens d'Israël.

Exode 17, 7 Il donna à ce lieu le nom de Massa et Meriba, parce que les Israélites cherchèrent querelle et parce qu'ils mirent Yahvé à l'épreuve en disant: "Yahvé est-il au milieu de nous, ou non?"

Exode 17, 8 Les Amalécites survinrent et combattirent contre Israël à Rephidim.

Exode 17, 9 Moïse dit alors à Josué: "Choisis-toi des hommes et demain, sors combattre Amaleq; moi, je me tiendrai au sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main."

Exode 17, 10 Josué fit ce que lui avait dit Moïse, il sortit pour combattre Amaleq, et Moïse, Aaron et Hur montèrent au sommet de la colline.

Exode 17, 11 Lorsque Moïse tenait ses mains levées, Israël l'emportait, et quand il les laissait retomber, Amaleq l'emportait.

Exode 17, 12 Comme les mains de Moïse s'alourdissaient, ils prirent une pierre et la mirent sous lui. Il s'assit dessus tandis qu'Aaron et Hur lui soutenaient les mains, l'un d'un côté, l'autre de l'autre. Ainsi ses mains restèrent-elles fermes jusqu'au coucher du soleil.

Exode 17, 13 Josué défit Amaleq et son peuple au fil de l'épée.

Exode 17, 14 Yahvé dit alors à Moïse: "Ecris cela dans un livre pour en garder le souvenir, et déclare à Josué que j'effacerai la mémoire d'Amaleq de dessous les cieux."

Exode 17, 15 Puis Moïse bâtit un autel qu'il nomma Yahvé-Nissi

Exode 17, 16 car, dit-il: "La bannière de Yahvé en main! Yahvé est en guerre contre Amaleq de génération en génération."

Exode 18, 1 Jéthro, prêtre de Madiân, beau-père de Moïse, entendit raconter tout ce que Dieu avait fait pour Moïse et pour Israël son peuple: comment Yahvé avait fait sortir Israël d'Egypte.

Exode 18, 2 Jéthro, le beau-père de Moïse, prit Cippora, la femme de Moïse, après qu'il l'eut renvoyée,

Exode 18, 3 ainsi que ses deux fils. L'un s'appelait Gershom car, avait-il dit, "Je suis un immigré en terre étrangère",

Exode 18, 4 l'autre s'appelait Eliézer car, "le Dieu de mon père est mon secours et m'a délivré de l'épée de Pharaon."

Exode 18, 5 Jéthro, le beau-père de Moïse, vint trouver Moïse avec ses fils et sa femme au désert où il campait, à la montagne de Dieu.

Exode 18, 6 L'on dit à Moïse: "Voici ton beau-père Jéthro qui vient vers toi, accompagné de ta femme et ses deux fils."

Exode 18, 7 Moïse sortit à la rencontre de son beau-père, se prosterna devant lui, l'embrassa et, s'étant mutuellement interrogés sur leur santé, ils se rendirent à la tente.

Exode 18, 8 Moïse raconta à son beau-père tout ce que Yahvé avait fait à Pharaon et aux Egyptiens à cause d'Israël, ainsi que toutes les tribulations qu'ils avaient rencontrées en chemin, et dont Yahvé les avait délivrés.

Exode 18, 9 Jéthro se réjouit de tout le bien que Yahvé avait fait à Israël, de ce qu'il l'avait délivré de la main des Egyptiens.

Exode 18, 10 Jéthro dit alors: "Béni soit Yahvé qui vous a délivrés de la main des Egyptiens et de la main de Pharaon, qui a délivré le peuple de la sujétion égyptienne.

Exode 18, 11 Maintenant je sais que Yahvé est plus grand que tous les dieux..."

Exode 18, 12 Jéthro, le beau-père de Moïse, offrit à Dieu un holocauste et des sacrifices. Aaron et tous les anciens d'Israël vinrent manger avec le beau-père de Moïse en présence de Dieu.

Exode 18, 13 Le lendemain, Moïse s'assit pour rendre la justice au peuple, tandis que le peuple demeurait debout auprès de lui du matin au soir.

Exode 18, 14 Le beau-père de Moïse, voyant tout ce qu'il faisait pour le peuple, lui dit: "Comment t'y prends-tu pour traiter seul les affaires du peuple? Pourquoi sièges-tu seul alors que tout le peuple se tient auprès de toi du matin au soir?"

Exode 18, 15 Moïse dit à son beau-père: "C'est que le peuple vient à moi pour consulter Dieu.

Exode 18, 16 Lorsqu'ils ont une affaire, ils viennent à moi. Je juge entre l'un et l'autre et je leur fais connaître les décrets de Dieu et ses lois."

Exode 18, 17 Le beau-père de Moïse lui dit: "Tu t'y prends mal!

Exode 18, 18 A coup sûr tu t'épuiseras, toi et le peuple qui est avec toi, car la tâche est trop lourde pour toi; tu ne pourras pas l'accomplir seul.

Exode 18, 19 Maintenant écoute le conseil que je vais te donner pour que Dieu soit avec toi. Tiens-toi à la place du peuple devant Dieu, et introduis toi-même leurs causes auprès de Dieu.

Exode 18, 20 Instruis-les des décrets et des lois, fais-leur connaître la voie à suivre et la conduite à tenir.

Exode 18, 21 Mais choisis-toi parmi tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, sûrs, incorruptibles, et établis-les sur eux comme chefs de milliers, chefs de centaines, chefs de cinquantaines et chefs de dizaines.

Exode 18, 22 Ils jugeront le peuple en tout temps. Toute affaire importante, ils te la déféreront et toute affaire mineure, ils la jugeront eux-mêmes. Allège ainsi ta charge et qu'ils la portent avec toi.

Exode 18, 23 Si tu fais cela et que Dieu te l'ordonne tu pourras tenir et tout ce peuple, de son côté, pourra rentrer en paix chez lui."

Exode 18, 24 Moïse suivit le conseil de son beau-père et fit tout ce qu'il lui avait dit.

Exode 18, 25 Moïse choisit dans tout Israël des hommes capables, et il les mit chefs du peuple: chefs de milliers, chefs de centaines, chefs de cinquantaines et chefs de dizaines.

Exode 18, 26 Et ils jugeaient le peuple en tout temps. Toute affaire importante, ils la déféraient à Moïse, et toute affaire mineure, ils la jugeaient eux-mêmes.

Exode 18, 27 Puis Moïse laissa repartir son beau-père qui reprit le chemin de son pays.

Exode 19, 1 Le troisième mois après leur sortie du pays d'Egypte, ce jour-là, les Israélites atteignirent le désert du Sinaï.

Exode 19, 2 Ils partirent de Rephidim et atteignirent le désert du Sinaï, et ils campèrent dans le désert; Israël campa là, en face de la montagne.

Exode 19, 3 Moïse alors monta vers Dieu. Yahvé l'appela de la montagne et lui dit: "Tu parleras ainsi à la maison de Jacob, tu déclareras aux Israélites:

Exode 19, 4 Vous avez vu vous-mêmes ce que j'ai fait aux Egyptiens, et comment je vous ai emportés sur des ailes d'aigles et amenés vers moi.

Exode 19, 5 Maintenant, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, je vous tiendrai pour mon bien propre parmi tous les peuples, car toute la terre est à moi.

Exode 19, 6 Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte. Voilà les paroles que tu diras aux Israélites."

Exode 19, 7 Moïse alla et convoqua les anciens du peuple et leur exposa tout ce que Yahvé lui avait ordonné,

Exode 19, 8 et le peuple entier, d'un commun accord, répondit: "Tout ce que Yahvé a dit, nous le ferons." Moïse rapporta à Yahvé les paroles du peuple.

Exode 19, 9 Yahvé dit à Moïse: "Je vais venir à toi dans l'épaisseur de la nuée, afin que le peuple entende quand je parlerai avec toi et croie en toi pour toujours." Et Moïse rapporta à Yahvé les paroles du peuple.

Exode 19, 10 Yahvé dit à Moïse: "Va trouver le peuple et fais-le se sanctifier aujourd'hui et demain; qu'ils lavent leurs vêtements

Exode 19, 11 et se tiennent prêts pour après-demain, car après-demain Yahvé descendra aux yeux de tout le peuple sur la montagne du Sinaï.

Exode 19, 12 Puis délimite le pourtour de la montagne et dis: Gardez-vous de gravir la montagne et même d'en toucher le bord. Quiconque touchera la montagne sera mis à mort.

Exode 19, 13 Personne ne portera la main sur lui; il sera lapidé ou percé de flèches, homme ou bête, il ne vivra pas. Quand la corne de bélier mugira, eux graviront la montagne."

Exode 19, 14 Moïse descendit de la montagne et vint trouver le peuple qu'il fit se sanctifier, et ils lavèrent leurs vêtements.

Exode 19, 15 Puis il dit au peuple: "Tenez-vous prêts pour après-demain, ne vous approchez pas de la femme.

Exode 19, 16 Or le surlendemain, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs et une épaisse nuée sur la montagne, ainsi qu'un très puissant son de trompe et, dans le camp, tout le peuple trembla.

Exode 19, 17 Moïse fit sortir le peuple du camp, à la rencontre de Dieu, et ils se tinrent au bas de la montagne.

Exode 19, 18 Or la montagne du Sinaï était toute fumante, parce que Yahvé y était descendu dans le feu; la fumée s'en élevait comme d'une fournaise et toute la montagne tremblait violemment.

Exode 19, 19 Le son de trompe allait en s'amplifiant; Moïse parlait et Dieu lui répondait dans le tonnerre.

Exode 19, 20 Yahvé descendit sur la montagne du Sinaï, au sommet de la montagne. Yahvé appela Moïse au sommet de la montagne et Moïse monta.

Exode 19, 21 Yahvé dit à Moïse: "Descends et avertis le peuple de ne pas franchir les limites pour venir voir Yahvé, car beaucoup d'entre eux périraient.

Exode 19, 22 Même les prêtres qui approchent Yahvé doivent se sanctifier de peur que Yahvé ne se déchaîne contre eux."

Exode 19, 23 Moïse dit à Yahvé: "Le peuple ne peut pas gravir la montagne du Sinaï puisque toi-même tu nous as avertis: délimite la montagne et déclare-la sacrée."

Exode 19, 24 Yahvé reprit: "Allons, descends et remontez, toi et Aaron. Mais que les prêtres et le peuple ne franchissent pas les limites pour monter vers Yahvé, de peur qu'il ne se déchaîne contre eux."

Exode 19, 25 Moïse descendit alors vers le peuple et lui dit...

Exode 20, 1 Dieu prononça toutes ces paroles, et dit:

Exode 20, 2 "Je suis Yahvé, ton Dieu, qui t'a fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude.

Exode 20, 3 Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi.

Exode 20, 4 Tu ne te feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre.

Exode 20, 5 Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car moi Yahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants pour ceux qui me haïssent,

Exode 20, 6 mais qui fais grâce à des milliers pour ceux qui m'aiment et gardent mes commandements.

Exode 20, 7 Tu ne prononceras pas le nom de Yahvé ton Dieu à faux, car Yahvé ne laisse pas impuni celui qui prononce son nom à faux.

Exode 20, 8 Tu te souviendras du jour du sabbat pour le sanctifier.

Exode 20, 9 Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage;

Exode 20, 10 mais le septième jour est un sabbat pour Yahvé ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l'étranger qui est dans tes portes.

Exode 20, 11 Car en six jours Yahvé a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, mais il s'est reposé le septième jour, c'est pourquoi Yahvé a béni le jour du sabbat et l'a consacré.

Exode 20, 12 Honore ton père et ta mère, afin que se prolongent tes jours sur la terre que te donne Yahvé ton Dieu.

Exode 20, 13 Tu ne tueras pas.

Exode 20, 14 Tu ne commettras pas d'adultère.

Exode 20, 15 Tu ne voleras pas.

Exode 20, 16 Tu ne porteras pas de témoignage mensonger contre ton prochain.

Exode 20, 17 Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, rien de ce qui est à ton prochain."

Exode 20, 18 Tout le peuple voyant ces coups de tonnerre, ces lueurs, ce son de trompe et la montagne fumante, eut peur et se tint à distance.

Exode 20, 19 Ils dirent à Moïse: "Parle-nous, toi, et nous t'écouterons; mais que Dieu ne nous parle pas, car alors c'est la mort."

Exode 20, 20 Moïse dit au peuple: "Ne craignez pas. C'est pour vous mettre à l'épreuve que Dieu est venu, pour que sa crainte vous demeure présente et que vous ne péchiez pas."

Exode 20, 21 Le peuple se tint à distance et Moïse s'approcha de la nuée obscure où était Dieu.

Exode 20, 22 Yahvé dit à Moïse: "Tu parleras ainsi aux Israélites: Vous avez vu vous-mêmes comment je vous ai parlé du haut du ciel.

Exode 20, 23 Vous ne ferez pas à côté de moi des dieux d'argent, et des dieux d'or vous ne vous en ferez pas.

Exode 20, 24 Tu me feras un autel de terre sur quoi immoler tes holocaustes et tes sacrifices de communion, ton petit et ton gros bétail. En tout lieu où je rappellerai mon nom, je viendrai à toi et je te bénirai.

Exode 20, 25 Si tu me fais un autel de pierres, ne le bâtis pas de pierres taillées, car, en le travaillant au ciseau, tu le profanerais.

Exode 20, 26 Et tu ne monteras pas à mon autel par des marches pour n'y pas laisser voir ta nudité."

Exode 21, 1 "Voici les lois que tu leur donneras.

Exode 21, 2 Lorsque tu acquerras un esclave hébreu, son service durera six ans, la septième année il s'en ira, libre, sans rien payer.

Exode 21, 3 S'il est venu seul, il s'en ira seul, et s'il était marié, sa femme s'en ira avec lui.

Exode 21, 4 Si son maître le marie et que sa femme lui donne des fils ou des filles, la femme et ses enfants resteront la propriété du maître et lui s'en ira seul.

Exode 21, 5 Mais si l'esclave dit: J'aime mon maître, ma femme et mes enfants, je ne veux pas être libéré,

Exode 21, 6 son maître le fera s'approcher de Dieu, il le fera s'approcher du vantail ou du montant de la porte; il lui percera l'oreille avec un poinçon et l'esclave sera pour toujours à son service.

Exode 21, 7 Si quelqu'un vend sa fille comme servante, elle ne s'en ira pas comme s'en vont les esclaves.

Exode 21, 8 Si elle déplaît à son maître qui se l'était destinée, il la fera racheter; il ne pourra la vendre à un peuple étranger, usant ainsi de fraude envers elle.

Exode 21, 9 S'il la destine à son fils, il la traitera selon la coutume en vigueur pour les filles.

Exode 21, 10 S'il prend pour lui-même une autre femme, il ne diminuera pas la nourriture, le vêtement ni les droits conjugaux de la première.

Exode 21, 11 S'il la frustre de ces trois choses, elle s'en ira sans rien payer, sans verser d'argent.

Exode 21, 12 "Quiconque frappe quelqu'un et cause sa mort sera mis à mort.

Exode 21, 13 S'il ne l'a pas traqué mais que Dieu l'a mis à portée de sa main, je te fixerai un lieu où il pourra se réfugier.

Exode 21, 14 Mais si un homme va jusqu'à en tuer un autre par ruse, tu l'arracheras même de mon autel pour qu'il soit mis à mort.

Exode 21, 15 Qui frappe son père ou sa mère sera mis à mort.

Exode 21, 16 Qui enlève un homme -- qu'il l'ait vendu ou qu'on le trouve en sa possession -- sera mis à mort.

Exode 21, 17 Qui maudit son père ou sa mère sera mis à mort.

Exode 21, 18 "Si des hommes se querellent et que l'un frappe l'autre avec une pierre ou avec le poing de telle sorte qu'il n'en meure pas mais doive garder le lit, s'il se relève et peut circuler dehors, fût-ce appuyé sur un bâton,

Exode 21, 19 celui qui a frappé sera quitte, mais il devra le dédommager pour son immobilisation et le soigner jusqu'à sa guérison.

Exode 21, 20 Si quelqu'un frappe son esclave ou sa servante avec un bâton et que celui-ci meure sous sa main, il subira la vengeance.

Exode 21, 21 Mais s'il survit un jour ou deux il ne sera pas vengé, car il a été acquis à prix d'argent.

Exode 21, 22 Si des hommes, en se battant, bousculent une femme enceinte et que celle-ci avorte mais sans autre accident, le coupable paiera l'indemnité imposée par le maître de la femme, il paiera selon la décision des arbitres.

Exode 21, 23 Mais s'il y a accident, tu donneras vie pour vie,

Exode 21, 24 oeil pour oeil, dent pour dent, pied pour pied,

Exode 21, 25 brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour plaie.

Exode 21, 26 Si un homme frappe l'oeil de son esclave ou l'oeil de sa servante et l'éborgne, il lui rendra la liberté en compensation de son oeil.

Exode 21, 27 Et s'il fait tomber une dent de son esclave ou une dent de sa servante, il lui rendra la liberté en compensation de sa dent.

Exode 21, 28 Si un boeuf encorne un homme ou une femme et cause sa mort, le boeuf sera lapidé et l'on n'en mangera pas la viande, mais le propriétaire du boeuf sera quitte.

Exode 21, 29 Mais si le boeuf donnait déjà de la corne auparavant, et que le propriétaire, averti de cela, ne l'a pas surveillé, s'il cause la mort d'un homme ou d'une femme, ce boeuf sera lapidé et son propriétaire sera mis à mort.

Exode 21, 30 Si on lui impose une rançon, il devra donner pour le rachat de sa vie tout ce qui lui est imposé.

Exode 21, 31 Si c'est un garçon ou une fille qu'il encorne, on le traitera selon cette coutume.

Exode 21, 32 Si c'est un esclave ou une servante que le boeuf encorne, son propriétaire versera le prix -- 30 sicles -- à leur maître, et le boeuf sera lapidé.

Exode 21, 33 Si quelqu'un laisse une citerne ouverte, ou si quelqu'un creuse une citerne sans la couvrir et qu'un boeuf ou un âne y tombe,

Exode 21, 34 le propriétaire de la citerne indemnisera, il dédommagera en argent son propriétaire, et la bête morte sera pour lui.

Exode 21, 35 Si le boeuf de quelqu'un frappe le boeuf d'autrui et cause sa mort, les propriétaires vendront le boeuf vivant et s'en partageront le prix, ils se partageront aussi la bête morte.

Exode 21, 36 Mais s'il est notoire que le boeuf donnait de la corne auparavant, et que son propriétaire ne l'a pas surveillé, il donnera un boeuf vivant en compensation du boeuf mort, et la bête morte sera pour lui.

Exode 21, 37 "Si quelqu'un vole un boeuf ou un agneau puis l'abat et le vend, il rendra cinq têtes de gros bétail pour le boeuf et quatre têtes de petit bétail pour l'agneau.

Exode 22, 1 Si le voleur surpris à percer un mur reçoit un coup mortel, son sang ne sera pas vengé.

Exode 22, 2 Mais si le soleil était déjà levé, son sang sera vengé. Il devra restituer, et s'il n'a pas de quoi, on le vendra pour rembourser ce qu'il a volé.

Exode 22, 3 Si l'animal volé, boeuf, âne ou tête de petit bétail, est retrouvé vivant en sa possession, il restituera au double.

Exode 22, 4 "Si quelqu'un fait brouter un champ ou une vigne et laisse brouter le champ d'autrui, il restituera la partie broutée de ce champ d'après ce qu'il rapporte. S'il a laissé brouter le champ entier, il restituera sur la base de la meilleure récolte du champ ou de la vigne.

Exode 22, 5 Si un feu prend et rencontre des buissons épineux et qu'il consume meules, moissons ou champs, l'auteur de l'incendie restituera ce qui a brûlé.

Exode 22, 6 Si quelqu'un donne en garde à un autre de l'argent ou des objets, et qu'on les vole chez celui-ci, le voleur, si on le découvre, devra restituer au double.

Exode 22, 7 Si on ne découvre pas le voleur, le maître de la maison s'approchera de Dieu pour attester qu'il n'a pas porté la main sur le bien de l'autre.

Exode 22, 8 Dans toute cause litigieuse relative à un boeuf, à un âne, à une tête de petit bétail, à un vêtement ou à n'importe quel objet perdu dont on dit: C'est bien lui, le différend sera porté devant Dieu. Celui que Dieu aura déclaré coupable restituera le double à l'autre.

Exode 22, 9 Si quelqu'un confie à la garde d'un autre un âne, un taureau, une tête de petit bétail ou tout autre animal, et que la bête crève, se brise un membre ou est enlevée sans témoins,

Exode 22, 10 un serment par Yahvé décidera entre les deux parties si le gardien a porté la main sur le bien de l'autre ou non. Le propriétaire prendra ce qui reste et le gardien n'aura pas à restituer.

Exode 22, 11 Mais si l'animal volé se trouvait auprès de lui, il le restituera à son propriétaire.

Exode 22, 12 Si l'animal est déchiqueté par une bête de proie, il apportera en témoignage l'animal déchiqueté et n'aura pas à restituer.

Exode 22, 13 Si quelqu'un emprunte une bête à un autre et qu'elle se brise un membre ou crève en l'absence de son propriétaire, il devra restituer.

Exode 22, 14 Mais si le propriétaire est auprès de l'animal, il n'aura pas à restituer. Si le propriétaire est un loueur, il touchera son prix de louage.

Exode 22, 15 "Si quelqu'un séduit une vierge non encore fiancée et couche avec elle, il versera le prix et la prendra pour femme.

Exode 22, 16 Si son père refuse de la lui donner, il versera une somme équivalente au prix fixé pour les vierges.

Exode 22, 17 "Tu ne laisseras pas en vie la magicienne.

Exode 22, 18 Quiconque s'accouple avec une bête sera mis à mort.

Exode 22, 19 Qui sacrifie à d'autres dieux sera voué à l'anathème.

Exode 22, 20 Tu ne molesteras pas l'étranger ni ne l'opprimeras car vous-mêmes avez été étrangers dans le pays d'Egypte.

Exode 22, 21 Vous ne maltraiterez pas une veuve ni un orphelin.

Exode 22, 22 Si tu le maltraites et qu'il crie vers moi, j'écouterai son cri;

Exode 22, 23 ma colère s'enflammera et je vous ferai périr par l'épée: vos femmes seront veuves et vos fils orphelins.

Exode 22, 24 Si tu prêtes de l'argent à un compatriote, à l'indigent qui est chez toi, tu ne te comporteras pas envers lui comme un prêteur à gages, vous ne lui imposerez pas d'intérêts.

Exode 22, 25 Si tu prends en gage le manteau de quelqu'un, tu le lui rendras au coucher du soleil.

Exode 22, 26 C'est sa seule couverture, c'est le manteau dont il enveloppe son corps, dans quoi se couchera-t-il? S'il crie vers moi je l'écouterai, car je suis compatissant, moi!

Exode 22, 27 Tu ne blasphémeras pas Dieu ni ne maudiras un chef de ton peuple.

Exode 22, 28 "Ne diffère pas d'offrir de ton abondance et de ton surplus. Le premier-né de tes fils, tu me le donneras.

Exode 22, 29 Tu feras de même pour ton gros et ton petit bétail: pendant sept jours il restera avec sa mère, le huitième jour tu me le donneras.

Exode 22, 30 Vous serez pour moi des hommes saints. Vous ne mangerez pas la viande d'une bête déchiquetée par un fauve dans la campagne, vous la jetterez aux chiens.

Exode 23, 1 "Tu ne colporteras pas de fausses rumeurs. Tu ne prêteras pas la main au méchant en témoignant injustement.

Exode 23, 2 Tu ne prendras pas le parti du plus grand nombre pour commettre le mal, ni ne témoigneras dans un procès en suivant le plus grand nombre pour faire dévier le droit,

Exode 23, 3 ni ne favoriseras le miséreux dans son procès.

Exode 23, 4 Si tu rencontres le boeuf ou l'âne de ton ennemi qui vague, tu dois le lui ramener.

Exode 23, 5 Si tu vois l'âne de celui qui te déteste tomber sous sa charge, cesse de te tenir à l'écart; avec lui tu lui viendras en aide.

Exode 23, 6 Tu ne feras pas dévier le droit de ton pauvre dans son procès.

Exode 23, 7 Tu te tiendras loin d'une cause mensongère. Ne fais pas périr l'innocent ni le juste et ne justifie pas le coupable.

Exode 23, 8 Tu n'accepteras pas de présents, car le présent aveugle les gens clairvoyants et ruine les causes des justes.

Exode 23, 9 Tu n'opprimeras pas l'étranger. Vous savez ce qu'éprouve l'étranger, car vous-mêmes avez été étrangers au pays d'Egypte.

Exode 23, 10 "Pendant six ans tu ensemenceras la terre et tu en engrangeras le produit.

Exode 23, 11 Mais la septième année, tu la laisseras en jachère et tu en abandonneras le produit; les pauvres de ton peuple le mangeront et les bêtes des champs mangeront ce qu'ils auront laissé. Tu feras de même pour ta vigne et pour ton olivier.

Exode 23, 12 Pendant six jours tu feras tes travaux, et le septième jour tu chômeras, afin que se repose ton boeuf et ton âne et que reprennent souffle le fils de ta servante ainsi que l'étranger.

Exode 23, 13 Vous prendrez garde à tout ce que je vous ai dit et vous ne ferez pas mention du nom d'autres dieux: qu'on ne l'entende pas sortir de ta bouche.

Exode 23, 14 "Tu me fêteras trois fois l'an.

Exode 23, 15 Tu observeras la fête des Azymes. Pendant sept jours tu mangeras des azymes, comme je te l'ai ordonné, au temps fixé du mois d'Abib, car c'est en ce mois que tu es sorti d'Egypte. On ne se présentera pas devant moi les mains vides.

Exode 23, 16 Tu observeras la fête de la Moisson, des prémices de tes travaux de semailles dans les champs, et la fête de la Récolte, en fin d'année, quand tu rentreras des champs le fruit de tes travaux.

Exode 23, 17 Trois fois l'an, toute ta population mâle se présentera devant le Seigneur Yahvé.

Exode 23, 18 Tu ne sacrifieras pas avec du pain levé le sang de ma victime, et la graisse de ma fête ne sera pas gardée jusqu'au lendemain.

Exode 23, 19 Tu apporteras à la maison de Yahvé ton Dieu le meilleur des prémices de ton terroir. Tu ne feras pas cuire un chevreau dans le lait de sa mère.

Exode 23, 20 "Voici que je vais envoyer un ange devant toi, pour qu'il veille sur toi en chemin et te mène au lieu que je t'ai fixé.

Exode 23, 21 Révère-le et écoute sa voix, ne lui sois pas rebelle, il ne pardonnerait pas vos transgressions car mon Nom est en lui.

Exode 23, 22 Mais si tu écoutes bien sa voix et fais ce que je dis, je serai l'ennemi de tes ennemis et l'adversaire de tes adversaires.

Exode 23, 23 Mon ange ira devant toi et te mènera chez les Amorites, les Hittites, les Perizzites, les Cananéens, les Hivvites, les Jébuséens, et je les exterminerai.

Exode 23, 24 Tu ne te prosterneras pas devant leurs dieux ni ne les serviras; tu ne feras pas ce qu'ils font, mais tu détruiras leurs dieux et tu briseras leurs stèles.

Exode 23, 25 Vous servirez Yahvé votre Dieu, alors je bénirai ton pain et ton eau et je détournerai de toi la maladie.

Exode 23, 26 Nulle femme dans ton pays n'avortera ou ne sera stérile et je laisserai s'achever le nombre de tes jours.

Exode 23, 27 Je sèmerai devant toi ma terreur, je jetterai la confusion chez tous les peuples où tu pénétreras, et je ferai détaler tous tes ennemis.

Exode 23, 28 J'enverrai devant toi des frelons qui chasseront les Hivvites, les Cananéens et les Hittites devant toi.

Exode 23, 29 Je ne les chasserai pas devant toi en une seule année, de peur que le pays ne devienne un désert où se multiplieraient à tes dépens les bêtes des champs.

Exode 23, 30 Je les chasserai devant toi peu à peu, jusqu'à ce que tu aies assez fructifié pour hériter du pays.

Exode 23, 31 Je fixerai tes frontières de la mer des Roseaux à la mer des Philistins, et du désert au Fleuve, car je livrerai entre vos mains les habitants du pays, et tu les chasseras devant toi.

Exode 23, 32 Tu ne feras pas alliance avec eux ni avec leurs dieux.

Exode 23, 33 Ils n'habiteront pas ton pays, de peur qu'ils ne te fassent pécher contre moi, car tu servirais leurs dieux et ce serait pour toi un piège."

Exode 24, 1 Il dit à Moïse: "Montez vers Yahvé, toi, Aaron, Nadab, Abihu et 70 des anciens d'Israël, et vous vous prosternerez à distance.

Exode 24, 2 Moïse s'approchera seul de Yahvé. Eux n'approcheront pas et le peuple ne montera pas avec lui."

Exode 24, 3 Moïse vint rapporter au peuple toutes les paroles de Yahvé et toutes les lois, et tout le peuple répondit d'une seule voix; ils dirent: "Toutes les paroles que Yahvé a prononcées, nous les mettrons en pratique."

Exode 24, 4 Moïse mit par écrit toutes les paroles de Yahvé puis, se levant de bon matin, il bâtit un autel au bas de la montagne, et douze stèles pour les douze tribus d'Israël.

Exode 24, 5 Puis il envoya de jeunes Israélites offrir des holocaustes et immoler à Yahvé de jeunes taureaux en sacrifice de communion.

Exode 24, 6 Moïse prit la moitié du sang et la mit dans des bassins, et l'autre moitié du sang, il la répandit sur l'autel.

Exode 24, 7 Il prit le livre de l'Alliance et il en fit la lecture au peuple qui déclara: "Tout ce que Yahvé a dit, nous le ferons et nous y obéirons."

Exode 24, 8 Moïse, ayant pris le sang, le répandit sur le peuple et dit: "Ceci est le sang de l'Alliance que Yahvé a conclue avec vous moyennant toutes ces clauses."

Exode 24, 9 Moïse monta, ainsi qu'Aaron, Nadab, Abihu et 70 des anciens d'Israël.

Exode 24, 10 Ils virent le Dieu d'Israël. Sous ses pieds il y avait comme un pavement de saphir, aussi pur que le ciel même.

Exode 24, 11 Il ne porta pas la main sur les notables des Israélites. Ils contemplèrent Dieu puis ils mangèrent et burent.

Exode 24, 12 Yahvé dit à Moïse: "Monte vers moi sur la montagne et demeure là, que je te donne les tables de pierre -- la loi et le commandement -- que j'ai écrites pour leur instruction."

Exode 24, 13 Moïse se leva, ainsi que Josué son serviteur, et ils montèrent à la montagne de Dieu.

Exode 24, 14 Il dit aux anciens: "Attendez-nous ici jusqu'à notre retour; vous avez avec vous Aaron et Hur, que celui qui a une affaire à régler s'adresse à eux."

Exode 24, 15 Puis Moïse monta sur la montagne. La nuée couvrit la montagne.

Exode 24, 16 La gloire de Yahvé s'établit sur le mont Sinaï, et la nuée le couvrit pendant six jours. Le septième jour, Yahvé appela Moïse du milieu de la nuée.

Exode 24, 17 L'aspect de la gloire de Yahvé était aux yeux des Israélites celui d'une flamme dévorante au sommet de la montagne.

Exode 24, 18 Moïse entra dans la nuée et monta sur la montagne. Et Moïse demeura sur la montagne 40 jours et 40 nuits.

Exode 25, 1 Yahvé parla à Moïse et lui dit:

Exode 25, 2 "Dis aux Israélites de prélever pour moi une contribution. Vous prendrez la contribution de tous ceux que leur coeur incite.

Exode 25, 3 Et voici la contribution que vous accepterez d'eux: de l'or, de l'argent et du bronze;

Exode 25, 4 de la pourpre violette et écarlate, du cramoisi, du lin fin et du poil de chèvre;

Exode 25, 5 des peaux de béliers teintes en rouge, du cuir fin et du bois d'acacia;

Exode 25, 6 de l'huile pour le luminaire, des aromates pour l'huile d'onction et l'encens aromatique;

Exode 25, 7 des pierres de cornaline et des pierres à enchâsser dans l'éphod et le pectoral.

Exode 25, 8 Fais-moi un sanctuaire, que je puisse résider parmi eux.

Exode 25, 9 Tu feras tout selon le modèle de la Demeure et le modèle de son mobilier que je vais te montrer.

Exode 25, 10 "Tu feras en bois d'acacia une arche longue de deux coudées et demie, large d'une coudée et demie et haute d'une coudée et demie.

Exode 25, 11 Tu la plaqueras d'or pur, au-dedans et au-dehors, et tu feras sur elle une moulure d'or, tout autour.

Exode 25, 12 Tu fondras pour elle quatre anneaux d'or, et tu les mettras à ses quatre pieds: deux anneaux d'un côté et deux anneaux de l'autre.

Exode 25, 13 Tu feras aussi des barres en bois d'acacia; tu les plaqueras d'or,

Exode 25, 14 et tu engageras dans les anneaux fixés sur les côtés de l'arche les barres qui serviront à la porter.

Exode 25, 15 Les barres resteront dans les anneaux de l'arche et n'en seront pas ôtées.

Exode 25, 16 Tu mettras dans l'arche le Témoignage que je te donnerai.

Exode 25, 17 Tu feras aussi un propitiatoire d'or pur, de deux coudées et demie de long et d'une coudée et demie de large.

Exode 25, 18 Tu feras deux chérubins d'or repoussé, tu les feras aux deux extrémités du propitiatoire.

Exode 25, 19 Fais l'un des chérubins à une extrémité et l'autre chérubin à l'autre extrémité: tu feras les chérubins faisant corps avec le propitiatoire, à ses deux extrémités.

Exode 25, 20 Les chérubins auront les ailes déployées vers le haut et protégeront le propitiatoire de leurs ailes en se faisant face. Les faces des chérubins seront tournées vers le propitiatoire.

Exode 25, 21 Tu mettras le propitiatoire sur le dessus de l'arche, et tu mettras dans l'arche le Témoignage que je te donnerai.

Exode 25, 22 C'est là que je te rencontrerai. C'est de sur le propitiatoire, d'entre les deux chérubins qui sont sur l'arche du Témoignage, que je te donnerai mes ordres pour les Israélites.

Exode 25, 23 "Tu feras une table en bois d'acacia, longue de deux coudées, large d'une coudée et haute d'une coudée et demie.

Exode 25, 24 Tu la plaqueras d'or pur, et tu lui feras tout autour une moulure d'or.

Exode 25, 25 Tout autour, tu lui feras des entretoises larges d'une palme, et tu feras autour des entretoises une moulure d'or.

Exode 25, 26 Tu lui feras quatre anneaux d'or, et tu mettras les anneaux aux quatre angles formés par les quatre pieds.

Exode 25, 27 Les anneaux seront placés près des entretoises pour loger les barres qui serviront à porter la table.

Exode 25, 28 Tu feras les barres en bois d'acacia et tu les plaqueras d'or; elles serviront à porter la table.

Exode 25, 29 Tu feras ses plats, ses coupes, ses aiguières ainsi que ses bols pour les libations; c'est d'or pur que tu les feras,

Exode 25, 30 et tu placeras toujours sur la table, devant moi, les pains d'oblation.

Exode 25, 31 Tu feras un candélabre d'or pur; le candélabre, sa base et son fût seront repoussés; ses calices, boutons et fleurs feront corps avec lui.

Exode 25, 32 Six branches s'en détacheront sur les côtés: trois branches du candélabre d'un côté, trois branches du candélabre de l'autre côté.

Exode 25, 33 La première branche portera trois calices en forme de fleur d'amandier, avec bouton et fleur; la deuxième branche portera aussi trois calices en forme de fleur d'amandier, avec bouton et fleur; il en sera ainsi pour les six branches partant du candélabre.

Exode 25, 34 Le candélabre lui-même portera quatre calices en forme de fleur d'amandier, avec bouton et fleur:

Exode 25, 35 un bouton sous les deux premières branches partant du candélabre, un bouton sous les deux branches suivantes et un bouton sous les deux dernières branches -- donc aux six branches se détachant du candélabre.

Exode 25, 36 Les boutons et les branches feront corps avec le candélabre et le tout sera fait d'un bloc d'or pur repoussé.

Exode 25, 37 Puis tu feras ses sept lampes. On montera les lampes de telle sorte qu'elles éclairent en avant de lui.

Exode 25, 38 Ses mouchettes et ses cendriers seront d'or pur.

Exode 25, 39 Tu le feras, avec tous ses accessoires, d'un talent d'or pur.

Exode 25, 40 Regarde et exécute selon le modèle qui t'est montré sur la montagne.

Exode 26, 1 "Quant à la demeure, tu la feras de dix bandes d'étoffe de fin lin retors, de pourpre violette et écarlate et de cramoisi. Tu les feras brodées de chérubins.

Exode 26, 2 La longueur d'une bande sera de 28 coudées, sa largeur de quatre coudées, et toutes les bandes auront la même dimension.

Exode 26, 3 Cinq des bandes seront assemblées l'une à l'autre, et les cinq autres bandes seront assemblées l'une à l'autre.

Exode 26, 4 Tu feras des brides de pourpre violette à la lisière de la première bande, à l'extrémité de l'assemblage, et tu feras de même à la lisière de la bande qui termine le second assemblage.

Exode 26, 5 Tu feras 50 brides à la première bande, et 50 brides à l'extrémité de la bande du second assemblage, les brides se correspondant l'une à l'autre.

Exode 26, 6 Tu feras aussi 50 agrafes d'or, et tu assembleras les bandes l'une à l'autre avec les agrafes. Ainsi la Demeure sera d'un seul tenant.

Exode 26, 7 Tu feras des bandes d'étoffe en poil de chèvre pour former une tente au-dessus de la Demeure. Tu en feras onze.

Exode 26, 8 La longueur d'une bande sera de 30 coudées et sa largeur de quatre coudées; les onze bandes auront mêmes dimensions.

Exode 26, 9 Tu assembleras cinq bandes d'une part et six bandes d'autre part, et tu rabattras la sixième sur le devant de la tente.

Exode 26, 10 Tu feras 50 brides à la lisière de la première bande, à l'extrémité du premier assemblage, et 50 brides à la lisière de la bande du second assemblage.

Exode 26, 11 Tu feras 50 agrafes de bronze, et tu introduiras les agrafes dans les brides pour assembler la tente qui sera ainsi d'un seul tenant.

Exode 26, 12 De ce qui retombera en surplus des bandes de la tente, la moitié de la bande en surplus retombera sur l'arrière de la Demeure.

Exode 26, 13 La coudée en surplus de part et d'autre, sur la longueur des bandes de la tente, retombera sur les côtés de la Demeure, de part et d'autre, pour la couvrir.

Exode 26, 14 Tu feras pour la tente une couverture en peaux de béliers teintes en rouge, et une couverture en cuir fin, par-dessus.

Exode 26, 15 "Tu feras pour la Demeure des cadres en bois d'acacia qui seront dressés debout.

Exode 26, 16 Chaque cadre sera long de dix coudées et large d'une coudée et demie.

Exode 26, 17 Chaque cadre aura deux tenons jumelés; tu feras de même pour tous les cadres de la Demeure.

Exode 26, 18 Tu feras les cadres pour constituer la Demeure: vingt cadres pour le côté sud, vers le midi.

Exode 26, 19 Tu feras 40 socles d'argent sous les vingt cadres: deux socles sous un cadre pour ses deux tenons, deux socles sous un autre cadre pour ses deux tenons.

Exode 26, 20 Du second côté de la Demeure, le côté nord, il y aura vingt cadres

Exode 26, 21 et 40 socles d'argent: deux socles sous un cadre, deux socles sous un autre cadre.

Exode 26, 22 Pour le fond de la Demeure, vers la mer, tu feras six cadres,

Exode 26, 23 et tu feras deux cadres pour les angles du fond de la Demeure.

Exode 26, 24 Les cadres seront jumelés à leur base et le resteront jusqu'à leur sommet, à la hauteur du premier anneau. Ainsi en sera-t-il pour les deux cadres destinés aux deux angles.

Exode 26, 25 Il y aura donc huit cadres avec leurs socles d'argent, soit seize socles: deux socles sous un premier cadre, deux socles sous un autre cadre.

Exode 26, 26 Tu feras des traverses en bois d'acacia: cinq pour les cadres du premier côté de la Demeure,

Exode 26, 27 cinq traverses pour les cadres du second côté de la Demeure, et cinq traverses pour les cadres qui forment le fond de la Demeure, vers l'ouest.

Exode 26, 28 La traverse médiane, placée à mi-hauteur, assemblera les cadres d'une extrémité à l'autre.

Exode 26, 29 Tu plaqueras d'or les cadres, tu leur feras des anneaux d'or où se logeront les traverses, et tu plaqueras les traverses d'or.

Exode 26, 30 Ainsi tu dresseras la Demeure, selon le modèle qui t'a été montré sur la montagne.

Exode 26, 31 "Tu feras un rideau de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors, brodé de chérubins.

Exode 26, 32 Tu le mettras sur quatre colonnes d'acacia plaquées d'or, munies de crochets d'or, posées sur quatre socles d'argent.

Exode 26, 33 Tu mettras le rideau sous les agrafes, tu introduiras là, derrière le rideau, l'arche du Témoignage, et le rideau marquera pour vous la séparation entre le Saint et le Saint des Saints.

Exode 26, 34 Tu mettras le propitiatoire sur l'arche du Témoignage, dans le Saint des Saints.

Exode 26, 35 Tu placeras la table à l'extérieur du rideau, et le candélabre en face d'elle, du côté sud de la Demeure, et tu mettras la table du côté nord.

Exode 26, 36 Tu feras pour l'entrée de la tente un voile broché de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors.

Exode 26, 37 Tu feras pour ce voile cinq colonnes d'acacia et tu les plaqueras d'or, leurs crochets seront en or, et tu couleras pour elles cinq socles de bronze.

Exode 27, 1 "Tu feras l'autel en bois d'acacia; de cinq coudées de long et de cinq coudées de large, l'autel sera carré; il aura trois coudées de haut.

Exode 27, 2 Tu feras à ses quatre angles des cornes faisant corps avec lui, et tu le plaqueras de bronze.

Exode 27, 3 Tu feras ses vases pour en ôter les cendres grasses, ses pelles, ses bols à aspersion, ses fourchettes et ses encensoirs. Tous les accessoires de l'autel, tu les feras de bronze.

Exode 27, 4 Tu lui feras un treillis de bronze en forme de filet, et tu feras aux quatre extrémités de ce filet quatre anneaux de bronze.

Exode 27, 5 Tu le mettras sous la corniche de l'autel, en bas, de telle sorte qu'il soit à mi-hauteur de l'autel.

Exode 27, 6 Tu feras des barres pour l'autel, des barres en bois d'acacia, et tu les plaqueras de bronze.

Exode 27, 7 On engagera les barres dans les anneaux, de telle sorte que les barres soient des deux côtés de l'autel lorsqu'on le transporte.

Exode 27, 8 Tu le feras creux, en planches; tu le feras comme on t'a montré sur la montagne.

Exode 27, 9 "Tu feras le parvis de la Demeure. Pour le côté sud, vers le midi, les courtines du parvis, de fin lin retors, auront une longueur de cent coudées (pour le premier côté).

Exode 27, 10 Ses vingt colonnes et ses vingt socles seront en bronze; les crochets des colonnes et leurs tringles en argent.

Exode 27, 11 De même pour le côté nord, tu feras des rideaux d'une longueur de cent coudées, ses vingt colonnes et leurs vingt socles seront en bronze; les crochets des colonnes et leurs tringles en argent.

Exode 27, 12 La largeur du parvis, du côté de la mer, comportera 50 coudées de courtines, avec leurs dix colonnes et leurs dix socles.

Exode 27, 13 La largeur du parvis sur le côté est, à l'orient, sera de 50 coudées.

Exode 27, 14 Quinze coudées de courtines pour un côté de l'entrée, avec leurs trois colonnes et leurs trois socles;

Exode 27, 15 pour le second côté de l'entrée, quinze coudées de courtines, avec leurs trois colonnes et leurs trois socles.

Exode 27, 16 A la porte du parvis il y aura vingt coudées de voile damassé, de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors, avec leurs quatre colonnes et leurs quatre socles.

Exode 27, 17 Toutes les colonnes autour du parvis seront réunies par des tringles d'argent; leurs crochets seront d'argent et leurs socles de bronze.

Exode 27, 18 La longueur du parvis sera de cent coudées, sa largeur de 50 coudées et sa hauteur de cinq coudées. Tous les rideaux seront de fin lin retors et leurs socles de bronze.

Exode 27, 19 Tous les accessoires pour le service général de la Demeure, tous ses piquets et ceux du parvis seront de bronze.

Exode 27, 20 "Quant à toi, tu ordonneras aux Israélites de te procurer de l'huile d'olives broyées pour le luminaire, afin qu'une lampe brûle en permanence.

Exode 27, 21 Aaron et ses fils disposeront cette lampe dans la Tente du Rendez-vous, à l'extérieur du rideau qui pend devant le Témoignage, pour qu'elle brûle du soir au matin devant Yahvé. C'est un décret perpétuel pour les générations des Israélites.

Exode 28, 1 "Quant à toi, fais approcher de toi Aaron ton frère et ses fils, d'entre les Israélites, pour qu'il exerce mon sacerdoce: Aaron, Nadab et Abihu, Eléazar et Itamar, fils d'Aaron.

Exode 28, 2 Tu feras pour Aaron ton frère des vêtements sacrés qui lui feront une glorieuse parure.

Exode 28, 3 Tu t'adresseras à tous les hommes habiles que j'ai comblés d'habileté et ils feront les vêtements d'Aaron, pour qu'il soit consacré à l'exercice de mon sacerdoce.

Exode 28, 4 Voici les vêtements qu'ils feront: un pectoral, un éphod, un manteau et une tunique brodée, un turban et une ceinture. Ils feront des vêtements sacrés pour ton frère Aaron et pour ses fils, afin qu'ils exercent mon sacerdoce.

Exode 28, 5 Ils prendront l'or, la pourpre violette et écarlate, le cramoisi et le fin lin.

Exode 28, 6 "Ils feront l'éphod brodé en or, en pourpre violette et écarlate, en cramoisi et en fin lin retors.

Exode 28, 7 Deux épaulettes y seront fixées: il y sera fixé par ses deux bords.

Exode 28, 8 L'écharpe qui est dessus pour l'attacher sera de même travail et fera corps avec lui, elle sera d'or, de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors.

Exode 28, 9 Tu prendras ensuite deux pierres de cornaline sur lesquelles tu graveras les noms des Israélites,

Exode 28, 10 six de leurs noms sur la première pierre, et les six noms restants sur la deuxième pierre, selon l'ordre de leur naissance.

Exode 28, 11 C'est selon l'art du lapidaire -- en gravure de sceau -- que tu graveras les deux pierres aux noms des Israélites, et tu les sertiras dans des chatons d'or.

Exode 28, 12 Tu placeras les deux pierres aux épaulettes de l'éphod, comme mémorial des Israélites. Ainsi Aaron portera leurs noms sur ses deux épaules en présence de Yahvé, pour en faire mémoire.

Exode 28, 13 Tu feras des rosettes d'or,

Exode 28, 14 et deux chaînettes d'or pur que tu feras comme des cordelettes, en forme de torsades, et tu mettras les chaînettes en torsades aux rosettes.

Exode 28, 15 "Tu feras le pectoral du jugement brodé comme l'éphod -- tu le feras d'or, de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors.

Exode 28, 16 Il sera carré et double, d'un empan de long et d'un empan de large.

Exode 28, 17 Tu le garniras de pierres serties disposées sur quatre rangs: une sardoine, une topaze, une émeraude pour la première rangée;

Exode 28, 18 pour la deuxième rangée, une escarboucle, un saphir et un diamant;

Exode 28, 19 pour la troisième rangée, une agate, une hyacinthe et une améthyste;

Exode 28, 20 pour la quatrième rangée, une chrysolithe, une cornaline et un jaspe; elles seront serties dans des chatons d'or.

Exode 28, 21 Les pierres seront aux noms des Israélites, elles seront douze selon leurs noms, gravées comme des sceaux, chacune sera au nom de l'une des douze tribus.

Exode 28, 22 Tu feras pour le pectoral des chaînettes d'or pur en forme de torsades.

Exode 28, 23 Tu feras pour le pectoral deux anneaux d'or, tu les mettras à ses deux extrémités,

Exode 28, 24 et tu mettras les deux torsades d'or aux deux anneaux fixés aux deux extrémités du pectoral.

Exode 28, 25 Les deux autres bords des deux torsades, tu les mettras aux deux rosettes, et tu les mettras sur les épaulettes de l'éphod, par-devant.

Exode 28, 26 Tu feras deux anneaux d'or et tu les placeras sur les deux extrémités du pectoral, sur la lisière intérieure de l'éphod.

Exode 28, 27 Tu feras deux anneaux d'or et tu les mettras sur les deux épaulettes de l'éphod, vers le bas, en avant, près de leur point d'attache au-dessus de l'écharpe de l'éphod.

Exode 28, 28 On liera le pectoral par ses anneaux aux anneaux de l'éphod avec un cordon de pourpre violette, afin qu'il soit sur l'écharpe, et que le pectoral ne puisse se séparer de l'éphod.

Exode 28, 29 Ainsi Aaron portera les noms des Israélites sur le pectoral du jugement, sur son coeur, quand il entrera dans le sanctuaire, comme mémorial devant Yahvé, toujours.

Exode 28, 30 Tu joindras au pectoral du jugement l'Urim et le Tummim, ils seront sur le coeur d'Aaron quand il pénétrera devant Yahvé, et Aaron portera sur son coeur le jugement des Israélites devant Yahvé, toujours.

Exode 28, 31 "Tu feras le manteau de l'éphod tout entier de pourpre violette;

Exode 28, 32 il aura en son milieu une ouverture pour la tête; son ouverture aura tout autour une lisière tissée comme l'ouverture d'un corselet de mailles, indéchirable.

Exode 28, 33 Sur son ourlet tu feras des grenades de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors, tout autour de l'ourlet, avec, tout autour, des clochettes d'or intercalées:

Exode 28, 34 une clochette d'or et une grenade, une clochette d'or et une grenade tout autour de l'ourlet de son manteau.

Exode 28, 35 Aaron le portera pour officier, on en entendra le bruit quand il entre dans le sanctuaire devant Yahvé, ou qu'il en sort, et il ne mourra pas.

Exode 28, 36 "Tu feras une fleur d'or pur et tu y graveras en intaille, comme un sceau: Consacré à Yahvé.

Exode 28, 37 Tu la placeras sur un cordon de pourpre violette, et elle sera sur le turban: c'est sur le devant du turban qu'elle sera.

Exode 28, 38 Elle sera sur le front d'Aaron, et Aaron se chargera ainsi des fautes concernant les choses saintes que consacreront les Israélites, pour toutes leurs saintes offrandes. Elle sera sur son front toujours pour leur attirer la faveur de Yahvé.

Exode 28, 39 Tu tisseras la tunique de lin fin, tu feras un turban de lin fin et une ceinture brochée.

Exode 28, 40 "Pour les fils d'Aaron, tu feras des tuniques et des ceintures. Tu leur feras aussi des calottes qui leur feront une glorieuse parure.

Exode 28, 41 Tu en revêtiras Aaron, ton frère, et ses fils, puis tu les oindras, tu les investiras et tu les consacreras à mon sacerdoce.

Exode 28, 42 Fais-leur, pour couvrir leur nudité, des caleçons de lin qui iront des reins jusqu'aux cuisses.

Exode 28, 43 Aaron et ses fils les porteront quand ils entreront dans la Tente du Rendez-vous, ou qu'ils s'approcheront de l'autel pour faire le service dans le sanctuaire, afin de ne pas se charger d'une faute qui entraînerait leur mort. C'est là un décret perpétuel pour Aaron et sa postérité après lui.

Exode 29, 1 "Voici ce que tu leur feras pour les consacrer à mon sacerdoce. Prends un jeune taureau et deux béliers sans défaut,

Exode 29, 2 puis des pains sans levain, des gâteaux sans levain pétris à l'huile, des galettes sans levain frottées d'huile que tu auras faites de fleur de farine de froment.

Exode 29, 3 Tu les mettras dans une même corbeille et tu les offriras, dans la corbeille, en même temps que le taureau et les deux béliers.

Exode 29, 4 "Tu feras approcher Aaron et ses fils de l'entrée de la Tente du Rendez-vous, et tu les laveras avec de l'eau.

Exode 29, 5 Tu prendras les vêtements et tu revêtiras Aaron de la tunique, du manteau de l'éphod, de l'éphod, du pectoral, et tu lui fixeras l'écharpe de l'éphod.

Exode 29, 6 Tu placeras le turban sur sa tête, et tu y mettras le signe de la sainte consécration.

Exode 29, 7 Tu prendras l'huile d'onction, tu en répandras sur sa tête et tu l'oindras.

Exode 29, 8 Tu feras alors approcher ses fils et tu les revêtiras de tuniques.

Exode 29, 9 Tu les ceindras d'une ceinture et tu assujettiras leur calotte. Le sacerdoce leur appartiendra alors par un décret perpétuel. Tu investiras Aaron et ses fils.

Exode 29, 10 "Tu amèneras le jeune taureau devant la Tente du Rendez-vous. Aaron et ses fils poseront leurs mains sur la tête du taureau

Exode 29, 11 puis tu abattras le taureau devant Yahvé, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Exode 29, 12 Tu prendras du sang du taureau et tu le mettras avec ton doigt sur les cornes de l'autel; tout le sang, tu le répandras à la base de l'autel.

Exode 29, 13 Tu prendras toute la graisse qui recouvre les entrailles, la masse graisseuse partant du foie, les deux rognons avec la graisse qui y adhère, et tu les feras fumer à l'autel.

Exode 29, 14 Mais la chair du jeune taureau, sa peau et sa fiente, tu les brûleras au feu hors du camp, car c'est un sacrifice pour le péché.

Exode 29, 15 Tu prendras ensuite l'un des béliers; Aaron et ses fils poseront leurs mains sur la tête du bélier,

Exode 29, 16 puis tu abattras le bélier et tu prendras son sang que tu répandras contre l'autel, tout autour.

Exode 29, 17 Tu couperas le bélier en quartiers, tu en laveras les entrailles et les pattes, et tu les mettras sur ses quartiers et sur sa tête.

Exode 29, 18 Puis tu feras fumer le bélier tout entier à l'autel. C'est là un holocauste pour Yahvé. C'est un parfum d'apaisement, un mets consumé pour Yahvé.

Exode 29, 19 Tu prendras ensuite le second bélier; Aaron et ses fils poseront leurs mains sur la tête du bélier;

Exode 29, 20 tu abattras le bélier. Tu prendras de son sang et tu le mettras sur le lobe de l'oreille droite d'Aaron, sur le lobe de l'oreille droite de ses fils, sur le pouce de leur main droite et sur le gros orteil de leur pied droit. Puis tu répandras le sang contre l'autel, tout autour.

Exode 29, 21 Tu prendras du sang qui est sur l'autel et de l'huile d'onction, et tu en aspergeras Aaron et ses vêtements, ainsi que ses fils et les vêtements de ses fils; ils seront ainsi consacrés, lui et ses vêtements, ainsi que ses fils et les vêtements de ses fils.

Exode 29, 22 "Du bélier, tu prendras la graisse, la queue, la graisse qui recouvre les entrailles et la masse graisseuse partant du foie, les rognons et la graisse qui y adhère, ainsi que la patte droite, car c'est un bélier d'investiture.

Exode 29, 23 Tu prendras aussi un pain rond, un gâteau à l'huile et une galette dans la corbeille d'azymes qui est devant Yahvé.

Exode 29, 24 Tu placeras le tout sur les paumes d'Aaron et les paumes de ses fils, et tu feras le geste de présentation devant Yahvé.

Exode 29, 25 Tu les prendras ensuite de leurs mains et tu les feras fumer à l'autel, par-dessus l'holocauste, en parfum d'apaisement devant Yahvé; c'est là un mets consumé pour Yahvé.

Exode 29, 26 Tu prendras la poitrine du bélier d'investiture d'Aaron, et tu feras avec elle le geste de présentation devant Yahvé; ce sera ta part.

Exode 29, 27 Tu consacreras la poitrine qui a été présentée, ainsi que la patte qui a été prélevée, qui ont été présentées et prélevées sur le bélier d'investiture d'Aaron et de ses fils.

Exode 29, 28 Ce sera, selon un décret perpétuel, ce qu'Aaron et ses fils recevront des Israélites, car c'est un prélèvement, le prélèvement de Yahvé, fait par les Israélites sur leurs sacrifices de communion; un prélèvement pour Yahvé.

Exode 29, 29 Les vêtements sacrés d'Aaron passeront après lui à ses fils qui les revêtiront lors de leur onction et de leur investiture.

Exode 29, 30 Pendant sept jours il les revêtira, celui des fils d'Aaron qui sera prêtre après lui et qui entrera dans la Tente du Rendez-vous pour servir dans le sanctuaire.

Exode 29, 31 "Tu prendras le bélier d'investiture et tu en feras cuire la viande dans un lieu saint.

Exode 29, 32 Aaron et ses fils mangeront la viande du bélier et le pain qui est dans la corbeille, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Exode 29, 33 Ils mangeront ce qui aura servi à faire l'expiation pour eux, lors de leur investiture et de leur consécration. Nul profane n'en mangera, car ce sont choses saintes.

Exode 29, 34 Si, au matin, il reste de la viande du sacrifice d'investiture et du pain, tu brûleras le reste au feu, on ne le mangera pas: c'est chose sainte.

Exode 29, 35 Tu feras ainsi pour Aaron et ses fils, conformément à tout ce que je t'ai ordonné: tu emploieras sept jours pour leur investiture.

Exode 29, 36 "Chaque jour tu offriras aussi un jeune taureau en sacrifice pour le péché -- en expiation. Tu offriras pour l'autel un sacrifice pour le péché, quand tu fais pour lui l'expiation, et tu l'oindras pour le consacrer.

Exode 29, 37 Pendant sept jours tu feras l'expiation pour l'autel et tu le consacreras; il sera alors éminemment saint et tout ce qui touchera l'autel sera saint.

Exode 29, 38 "Voici ce que tu offriras sur l'autel: deux agneaux mâles d'un an, chaque jour, à perpétuité.

Exode 29, 39 Tu offriras l'un de ces agneaux le matin et l'autre au crépuscule;

Exode 29, 40 avec le premier agneau, un dixième de mesure de leur fleur de farine pétrie avec un quart de setier d'huile d'olives broyées et une libation d'un quart de setier de vin.

Exode 29, 41 Le second agneau, tu l'offriras au crépuscule; tu l'offriras avec une oblation et une libation semblables à celles du matin: en parfum d'apaisement, en offrande consumée pour Yahvé.

Exode 29, 42 Ce sera un holocauste perpétuel pour toutes vos générations, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous, en présence de Yahvé, où je te donnerai rendez-vous pour te parler.

Exode 29, 43 Je donnerai rendez-vous aux Israélites en ce lieu, et il sera consacré par ma gloire.

Exode 29, 44 Je consacrerai la Tente du Rendez-vous et l'autel. Je consacrerai aussi Aaron et ses fils pour qu'ils exercent mon sacerdoce.

Exode 29, 45 Je demeurerai au milieu des Israélites et je serai leur Dieu,

Exode 29, 46 et ils sauront que je suis Yahvé, leur Dieu, qui les ai fait sortir du pays d'Egypte pour demeurer parmi eux, moi Yahvé, leur Dieu.

Exode 30, 1 "Tu feras un autel où faire fumer l'encens, tu le fera en bois d'acacia.

Exode 30, 2 D'une coudée de long et d'une coudée de large, il sera carré, et il aura deux coudées et demie de haut; ses cornes feront corps avec lui.

Exode 30, 3 Tu plaqueras d'or pur sa partie supérieure, ses parois tout autour et ses cornes, et tu lui feras tout autour une moulure d'or.

Exode 30, 4 Tu lui feras deux anneaux d'or au-dessous de la moulure, sur ses deux côtés; tu les feras sur les deux faces pour y loger les barres servant à son transport.

Exode 30, 5 Tu feras ces barres en bois d'acacia, et tu les plaqueras d'or.

Exode 30, 6 Tu le mettras devant le rideau qui pend devant l'arche du Témoignage -- devant le propitiatoire qui est sur le Témoignage -- où je te donnerai rendez-vous.

Exode 30, 7 Aaron y fera fumer l'encens aromatique chaque matin, quand il mettra les lampes en ordre il le fera fumer.

Exode 30, 8 Et quand Aaron replacera les lampes, au crépuscule, il le fera encore fumer. C'est un encens perpétuel devant Yahvé, pour vos générations.

Exode 30, 9 Vous n'offrirez dessus ni encens profane ni holocauste ni oblation, et vous n'y verserez aucune libation.

Exode 30, 10 Une fois l'an, Aaron fera l'expiation sur les cornes de l'autel; avec le sang du sacrifice pour le péché, au jour de l'Expiation, une fois l'an, il fera l'expiation pour lui, pour vos générations; il est éminemment saint, pour Yahvé."

Exode 30, 11 Yahvé parla à Moïse et lui dit:

Exode 30, 12 "Quand tu dénombreras les Israélites par le recensement, chacun d'eux donnera à Yahvé la rançon de sa vie pour qu'aucun fléau n'éclate parmi eux à l'occasion du recensement.

Exode 30, 13 Quiconque est soumis au recensement donnera un demi-sicle sur la base du sicle du sanctuaire: vingt géras par sicle. Ce demi-sicle sera un prélèvement pour Yahvé.

Exode 30, 14 Quiconque est soumis au recensement, c'est-à-dire âgé de vingt ans et au-delà, donnera le prélèvement de Yahvé.

Exode 30, 15 Le riche ne donnera pas plus et le pauvre ne donnera pas moins d'un demi-sicle lorsqu'il donnera le prélèvement pour Yahvé, en rançon de vos vies.

Exode 30, 16 Tu prendras l'argent de la rançon des Israélites, et tu le donneras au service de la Tente du Rendez-vous; il sera pour les Israélites un mémorial devant Yahvé, pour la rançon de vos vies."

Exode 30, 17 Yahvé parla à Moïse et lui dit:

Exode 30, 18 "Tu feras pour les ablutions un bassin de bronze à socle de bronze; tu le mettras entre la Tente du Rendez-vous et l'autel, et tu y mettras de l'eau,

Exode 30, 19 avec quoi Aaron et ses fils laveront leurs mains et leurs pieds.

Exode 30, 20 Quand ils entreront dans la Tente du Rendez-vous, ils se laveront avec de l'eau afin de ne pas mourir; de même, quand ils s'approcheront de l'autel pour le service, pour faire fumer une offrande consumée pour Yahvé,

Exode 30, 21 ils laveront leurs mains et leurs pieds, afin de ne pas mourir: c'est là un décret perpétuel pour lui et sa descendance, pour leurs générations."

Exode 30, 22 Yahvé parla à Moïse et lui dit:

Exode 30, 23 "Pour toi, prends des parfums de choix: 500 sicles de myrrhe vierge, la moitié de cinnamome odoriférant: 250 sicles, et de roseau odoriférant 250 sicles.

Exode 30, 24 500 sicles de casse -- selon le sicle du sanctuaire -- et un setier d'huile d'olives.

Exode 30, 25 Tu en feras une huile d'onction sainte, un mélange odoriférant comme en compose le parfumeur: ce sera une huile d'onction sainte.

Exode 30, 26 Tu en oindras la Tente du Rendez-vous et l'arche du Témoignage,

Exode 30, 27 la table et tous ses accessoires, les candélabres et ses accessoires, l'autel des parfums,

Exode 30, 28 l'autel des holocaustes et tous ses accessoires, le bassin et son socle.

Exode 30, 29 Tu les consacreras, ils seront alors éminemment saints, et tout ce qui les touchera sera saint.

Exode 30, 30 Tu oindras Aaron et ses fils, et tu les consacreras pour qu'ils exercent mon sacerdoce.

Exode 30, 31 Puis tu parleras aux Israélites et tu leur diras: ceci sera pour vous, pour vos générations, une huile d'onction sainte.

Exode 30, 32 On n'en versera pas sur le corps d'un homme quelconque et vous n'en ferez pas de semblable, de même composition. C'est une chose sainte, elle sera sainte pour vous.

Exode 30, 33 Quiconque fera le même parfum et en mettra sur un profane sera retranché de son peuple."

Exode 30, 34 Yahvé dit à Moïse: "Prends des aromates: storax, onyx, galbanum, aromates et pur encens, chacun en quantité égale

Exode 30, 35 et tu en feras un parfum à brûler comme en opère le parfumeur, salé, pur, saint.

Exode 30, 36 Tu en broieras finement une partie et tu en mettras devant le Témoignage, dans la Tente du Rendez-vous, là où je te donnerai rendez-vous. Il sera pour vous éminemment saint.

Exode 30, 37 Le parfum que tu fais là, vous n'en ferez pas pour vous-mêmes de même composition. Il sera saint pour toi, réservé à Yahvé. Quiconque fera le même pour en humer l'odeur, sera retranché de son peuple."

Exode 31, 1 Yahvé parla à Moïse et lui dit:

Exode 31, 2 "Vois, j'ai désigné nommément Beçaléel, fils de Uri, fils de Hur, de la tribu de Juda.

Exode 31, 3 Je l'ai comblé de l'esprit de Dieu en habileté, intelligence et savoir pour toutes sortes d'ouvrages;

Exode 31, 4 pour concevoir des projets et les exécuter en or, en argent et en bronze;

Exode 31, 5 pour tailler les pierres à enchâsser, pour tailler le bois et pour exécuter toute sorte d'ouvrage.

Exode 31, 6 Voici que je lui adjoins Oholiab, fils d'Ahisamak, de la tribu de Dan, et j'ai mis la sagesse dans le coeur de tous les hommes au coeur sage pour qu'ils fassent tout ce que je t'ai ordonné:

Exode 31, 7 la Tente du Rendez-vous, l'arche du Témoignage, le propitiatoire qui est sur elle et tout le mobilier de la Tente;

Exode 31, 8 la table et tous ses accessoires, le candélabre pur et tous ses accessoires, l'autel des parfums,

Exode 31, 9 l'autel des holocaustes et tous ses accessoires, le bassin et son socle;

Exode 31, 10 les vêtements d'apparat, les vêtements sacrés pour Aaron le prêtre, et les vêtements de ses fils, pour exercer le sacerdoce;

Exode 31, 11 l'huile d'onction et l'encens aromatique pour le sanctuaire. En tout, ils feront comme je te l'ai ordonné."

Exode 31, 12 Yahvé dit à Moïse:

Exode 31, 13 "Toi, parle aux Israélites et dis-leur: vous garderez bien mes sabbats, car c'est un signe entre moi et vous pour vos générations, afin qu'on sache que je suis Yahvé, celui qui vous sanctifie.

Exode 31, 14 Vous garderez le sabbat car il est saint pour vous. Qui le profanera sera mis à mort; quiconque fera ce jour-là quelque ouvrage sera retranché du milieu de son peuple.

Exode 31, 15 Pendant six jours on fera l'ouvrage à faire, mais le septième jour sera jour de repos complet, consacré à Yahvé. Quiconque travaillera le jour du sabbat sera mis à mort.

Exode 31, 16 Les Israélites garderont le sabbat, en observant le sabbat dans leurs générations, c'est une alliance éternelle.

Exode 31, 17 Entre moi et les Israélites c'est un signe à perpétuité, car en six jours Yahvé a fait les cieux et la terre, mais le septième jour il a chômé et repris haleine."

Exode 31, 18 Quand il eut fini de parler avec Moïse sur le mont Sinaï, Il lui remit les deux tables du Témoignage, tables de pierre écrites du doigt de Dieu.

Exode 32, 1 Quand le peuple vit que Moïse tardait à descendre de la montagne, le peuple s'assembla auprès d'Aaron et lui dit: "Allons, fais-nous un dieu qui aille devant nous, car ce Moïse, l'homme qui nous a fait monter du pays d'Egypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé."

Exode 32, 2 Aaron leur répondit: "Otez les anneaux d'or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles et apportez-les-moi."

Exode 32, 3 Tout le peuple ôta les anneaux d'or qui étaient à leurs oreilles et ils les apportèrent à Aaron.

Exode 32, 4 Il reçut l'or de leurs mains, le fit fondre dans un moule et en fit une statue de veau; alors ils dirent: "Voici ton Dieu, Israël, celui qui t'a fait monter du pays d'Egypte."

Exode 32, 5 Voyant cela, Aaron bâtit un autel devant la statue et fit cette proclamation: "Demain, fête pour Yahvé."

Exode 32, 6 Le lendemain, ils se levèrent de bon matin, ils offrirent des holocaustes et apportèrent des sacrifices de communion. Le peuple s'assit pour manger et pour boire, puis ils se levèrent pour se divertir.

Exode 32, 7 Yahvé dit alors à Moïse: "Allons! descends, car ton peuple que tu as fait monter du pays d'Egypte s'est perverti.

Exode 32, 8 Ils n'ont pas tardé à s'écarter de la voie que je leur avais prescrite. Ils se sont fabriqué un veau en métal fondu, et se sont prosternés devant lui. Ils lui ont offert des sacrifices et ils ont dit: Voici ton Dieu, Israël, qui t'a fait monter du pays d'Egypte."

Exode 32, 9 Yahvé dit à Moïse: "J'ai vu ce peuple: c'est un peuple à la nuque raide.

Exode 32, 10 Maintenant laisse-moi, ma colère va s'enflammer contre eux et je les exterminerai; mais de toi je ferai une grande nation."

Exode 32, 11 Moïse s'efforça d'apaiser Yahvé son Dieu et dit: "Pourquoi, Yahvé, ta colère s'enflammerait-elle contre ton peuple que tu as fait sortir d'Egypte par ta grande force et ta main puissante?

Exode 32, 12 Pourquoi les Egyptiens diraient-ils: C'est par méchanceté qu'il les a fait sortir, pour les faire périr dans les montagnes et les exterminer de la face de la terre? Reviens de ta colère ardente et renonce au mal que tu voulais faire à ton peuple.

Exode 32, 13 Souviens-toi de tes serviteurs Abraham, Isaac et Israël, à qui tu as juré par toi-même et à qui tu as dit: Je multiplierai votre postérité comme les étoiles du ciel, et tout ce pays dont je vous ai parlé, je le donnerai à vos descendants et il sera leur héritage à jamais."

Exode 32, 14 Et Yahvé renonça à faire le mal dont il avait menacé son peuple.

Exode 32, 15 Moïse se retourna et descendit de la montagne avec, en main, les deux tables du Témoignage, tables écrites des deux côtés, écrites sur l'une et l'autre face.

Exode 32, 16 Les tables étaient l'oeuvre de Dieu et l'écriture était celle de Dieu, gravée sur les tables.

Exode 32, 17 Josué entendit le bruit du peuple qui poussait des cris et il dit à Moïse: "Il y a un bruit de bataille dans le camp!"

Exode 32, 18 Mais il dit: "Ce n'est pas le bruit de chants de victoire, ce n'est pas le bruit de chants de défaite, c'est le bruit de chants alternés que j'entends."

Exode 32, 19 Et voici qu'en approchant du camp il aperçut le veau et des choeurs de danse. Moïse s'enflamma de colère; il jeta de sa main les tables et les brisa au pied de la montagne.

Exode 32, 20 Il prit le veau qu'ils avaient fabriqué, le brûla au feu, le moulut en poudre fine, et en saupoudra la surface de l'eau qu'il fit boire aux Israélites.

Exode 32, 21 Moïse dit à Aaron: "Que t'a fait ce peuple pour l'avoir chargé d'un si grand péché?"

Exode 32, 22 Aaron répondit: "Que la colère de Monseigneur ne s'enflamme pas, tu sais toi-même que ce peuple est mauvais.

Exode 32, 23 Ils m'ont dit: Fais-nous un dieu qui aille devant nous, car ce Moïse, l'homme qui nous a fait monter du pays d'Egypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé.

Exode 32, 24 Je leur ai dit: Quiconque a de l'or s'en dessaisisse. Ils me l'ont donné. Je l'ai jeté dans le feu et il en est sorti le veau que voici."

Exode 32, 25 Moïse vit que le peuple s'était déchaîné -- car Aaron les avait abandonnés à la honte parmi leurs adversaires --

Exode 32, 26 et Moïse se tint à la porte du camp et dit: "Qui est pour Yahvé, à moi!" Tous les fils de Lévi se groupèrent autour de lui.

Exode 32, 27 Il leur dit: "Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël: ceignez chacun votre épée sur votre hanche, allez et venez dans le camp, de porte en porte, et tuez qui son frère, qui son ami, qui son proche."

Exode 32, 28 Les fils de Lévi firent ce que Moïse avait dit, et du peuple, il tomba ce jour-là environ 3.000 hommes.

Exode 32, 29 Moïse dit: "Vous vous êtes aujourd'hui conféré l'investiture pour Yahvé, qui au prix de son fils, qui au prix de son frère, de sorte qu'il vous donne aujourd'hui la bénédiction."

Exode 32, 30 Le lendemain, Moïse dit au peuple: "Vous avez commis, vous, un grand péché. Je m'en vais maintenant monter vers Yahvé. Peut-être pourrai-je expier votre péché!"

Exode 32, 31 Moïse retourna donc vers Yahvé et dit: "Hélas! ce peuple a commis un grand péché. Ils se sont fabriqué un dieu en or.

Exode 32, 32 Pourtant, s'il te plaisait de pardonner leur péché... Sinon, efface-moi, de grâce, du livre que tu as écrit!"

Exode 32, 33 Yahvé dit à Moïse: "Celui qui a péché contre moi, c'est lui que j'effacerai de mon livre.

Exode 32, 34 Va maintenant, conduis le peuple où je t'ai dit. Voici que mon ange ira devant toi, mais au jour de ma visite, je les punirai de leur péché."

Exode 32, 35 Et Yahvé frappa le peuple parce qu'ils avaient fabriqué le veau, celui qu'avait fabriqué Aaron.

Exode 33, 1 Yahvé dit à Moïse: "Va, monte d'ici, toi et le peuple que tu as fait monter du pays d'Egypte, vers la terre dont j'ai dit par serment à Abraham, Isaac et Jacob que je la donnerais à leur descendance.

Exode 33, 2 J'enverrai un ange devant toi et j'expulserai les Cananéens, les Amorites, les Hittites, les Perizzites, les Hivvites et les Jébuséens.

Exode 33, 3 Monte vers une terre qui ruisselle de lait et de miel, mais je ne monterai pas au milieu de toi, de peur que je ne t'extermine en chemin car tu es un peuple à la nuque raide."

Exode 33, 4 Lorsqu'il eut entendu cette parole sévère, le peuple prit le deuil et personne ne porta plus ses parures.

Exode 33, 5 Alors Yahvé dit à Moïse: "Dis aux Israélites: Vous êtes un peuple à la nuque raide, si je montais au milieu de toi, ne fût-ce qu'un moment, je t'exterminerais. Et maintenant, dépouille-toi de tes parures, que je sache comment te traiter."

Exode 33, 6 Alors les Israélites se débarrassèrent de leurs parures à partir du mont Horeb.

Exode 33, 7 Moïse prenait la Tente et la plantait pour lui hors du camp, loin du camp. Il la nomma Tente du Rendez-vous, et quiconque avait à consulter Yahvé sortait vers la Tente du Rendez-vous qui se trouvait hors du camp.

Exode 33, 8 Chaque fois que Moïse sortait vers la Tente, tout le peuple se levait, chacun se postait à l'entrée de sa tente, et suivait Moïse du regard jusqu'à ce qu'il entrât dans la Tente.

Exode 33, 9 Chaque fois que Moïse entrait dans la Tente, la colonne de nuée descendait, se tenait à l'entrée de la Tente et Il parlait avec Moïse.

Exode 33, 10 Tout le peuple voyait la colonne de nuée qui se tenait à l'entrée de la Tente, et tout le peuple se levait et se prosternait, chacun à l'entrée de sa tente.

Exode 33, 11 Yahvé parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami, puis il rentrait au camp, mais son serviteur Josué, fils de Nûn, un jeune homme, ne quittait pas l'intérieur de la Tente.

Exode 33, 12 Moïse dit à Yahvé: "Vois, tu me dis: Fais monter ce peuple, et tu ne me fais pas connaître qui tu enverras avec moi. Tu avais pourtant dit: Je te connais par ton nom et tu as trouvé grâce à mes yeux.

Exode 33, 13 Si donc j'ai trouvé grâce à tes yeux, daigne me faire connaître tes voies pour que je te connaisse et que je trouve grâce à tes yeux. Considère aussi que cette nation est ton peuple."

Exode 33, 14 Yahvé dit: "J'irai moi-même, et je te donnerai le repos."

Exode 33, 15 Et il dit: "Si tu ne viens pas toi-même, ne nous fais pas monter d'ici;

Exode 33, 16 comment saura-t-on alors que j'ai trouvé grâce à tes yeux, moi et ton peuple? N'est-ce pas à ce que tu iras avec nous? En sorte que nous soyons distincts, moi et ton peuple, de tous les peuples qui sont sur la face de la terre."

Exode 33, 17 Yahvé dit à Moïse: "Cette chose que tu as dite, je la ferai encore parce que tu as trouvé grâce à mes yeux et que je te connais par ton nom."

Exode 33, 18 Il lui dit: "Fais-moi de grâce voir ta gloire."

Exode 33, 19 Et il dit: "Je ferai passer devant toi toute ma beauté et je prononcerai devant toi le nom de Yahvé. Je fais grâce à qui je fais grâce et j'ai pitié de qui j'ai pitié."

Exode 33, 20 "Mais, dit-il, tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre."

Exode 33, 21 Yahvé dit encore: "Voici une place près de moi; tu te tiendras sur le rocher.

Exode 33, 22 Quand passera ma gloire, je te mettrai dans la fente du rocher et je te couvrirai de ma main jusqu'à ce que je sois passé.

Exode 33, 23 Puis j'écarterai ma main et tu verras mon dos; mais ma face, on ne peut la voir."

Exode 34, 1 Yahvé dit à Moïse: "Taille deux tables de pierre semblables aux premières, monte vers moi sur la montagne, et j'écrirai sur les tables les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as brisées.

Exode 34, 2 Sois prêt au matin, monte dès le matin sur le mont Sinaï et attends-moi là, au sommet de la montagne.

Exode 34, 3 Que personne ne monte avec toi; que personne même ne paraisse sur toute la montagne. Que même le bétail, petit et gros, ne paisse pas devant cette montagne."

Exode 34, 4 Il tailla donc deux tables de pierre, semblables aux premières, et, s'étant levé de bon matin, Moïse monta sur le mont Sinaï, comme Yahvé le lui avait ordonné, et il prit dans sa main les deux tables de pierre.

Exode 34, 5 Yahvé descendit dans une nuée et il se tint là avec lui. Il invoqua le nom de Yahvé.

Exode 34, 6 Yahvé passa devant lui et il cria: "Yahvé, Yahvé, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité;

Exode 34, 7 qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché mais ne laisse rien impuni et châtie les fautes des pères sur les enfants et les petits-enfants, jusqu'à la troisième et la quatrième génération."

Exode 34, 8 Aussitôt Moïse tomba à genoux sur le sol et se prosterna,

Exode 34, 9 puis il dit: "Si vraiment, Seigneur, j'ai trouvé grâce à tes yeux, que mon Seigneur veuille bien aller au milieu de nous, bien que ce soit un peuple à la nuque raide, pardonne nos fautes et nos péchés et fais de nous ton héritage."

Exode 34, 10 Il dit: "Voici que je vais conclure une alliance: devant tout ton peuple je ferai des merveilles telles qu'il n'en a été accompli dans aucun pays ni aucune nation. Le peuple au milieu duquel tu te trouves verra l'oeuvre de Yahvé, car c'est chose redoutable, ce que je vais faire avec toi.

Exode 34, 11 Observe donc ce que je te commande aujourd'hui. Je vais chasser devant toi les Amorites, les Cananéens, les Hittites, les Perizzites, les Hivvites et les Jébuséens.

Exode 34, 12 Garde-toi de faire alliance avec les habitants du pays où tu vas entrer, de peur qu'ils ne constituent un piège au milieu de toi.

Exode 34, 13 Vous démolirez leurs autels, vous mettrez leurs stèles en pièces et vous couperez leurs pieux sacrés.

Exode 34, 14 Tu ne te prosterneras pas devant un autre dieu, car Yahvé a pour nom Jaloux: c'est un Dieu jaloux.

Exode 34, 15 Ne fais pas alliance avec les habitants du pays, car lorsqu'ils se prostituent à leurs dieux et leur offrent des sacrifices, ils t'inviteraient et tu mangerais de leur sacrifice,

Exode 34, 16 tu prendrais de leurs filles pour tes fils, leurs filles se prostitueraient à leurs dieux et feraient se prostituer tes fils à leurs dieux.

Exode 34, 17 Tu ne te feras pas de dieu de métal fondu.

Exode 34, 18 Tu observeras la fête des Azymes. Pendant sept jours tu mangeras des azymes, comme je te l'ai ordonné, au temps fixé du mois d'Abib, car c'est au mois d'Abib que tu es sorti d'Egypte.

Exode 34, 19 Tout être sorti le premier du sein maternel est à moi: tout mâle, tout premier-né de ton petit ou de ton gros bétail.

Exode 34, 20 Les premiers ânons mis bas tu les rachèteras par une tête de petit bétail et si tu ne les rachètes pas, tu leur briseras la nuque. Tous les premiers-nés de tes fils, tu les rachèteras, et l'on ne se présentera pas devant moi les mains vides.

Exode 34, 21 Pendant six jours tu travailleras, mais le septième jour, tu chômeras, que ce soient les labours ou la moisson, tu chômeras.

Exode 34, 22 Tu célébreras la fête des Semaines, prémices de la moisson des blés, et la fête de la récolte au retour de l'année.

Exode 34, 23 Trois fois l'an, toute ta population mâle se présentera devant le Seigneur Yahvé, Dieu d'Israël.

Exode 34, 24 Je déposséderai les nations devant toi et j'élargirai tes frontières, et nul ne convoitera ta terre quand tu monteras te présenter devant Yahvé ton Dieu, trois fois l'an.

Exode 34, 25 Tu n'offriras pas avec du pain levé le sang de ma victime, et la victime de la fête de Pâque ne sera pas gardée jusqu'au lendemain.

Exode 34, 26 Le meilleur des prémices de ton terroir, tu l'apporteras à la maison de Yahvé ton Dieu et tu ne feras pas cuire un chevreau dans le lait de sa mère."

Exode 34, 27 Yahvé dit à Moïse: "Mets par écrit ces paroles car selon ces clauses, j'ai conclu mon alliance avec toi et avec Israël."

Exode 34, 28 Moïse demeura là, avec Yahvé, 40 jours et 40 nuits. Il ne mangea ni ne but, et il écrivit sur les tables les paroles de l'alliance, les dix paroles.

Exode 34, 29 Lorsque Moïse redescendit de la montagne du Sinaï, les deux tables du Témoignage étaient dans la main de Moïse quand il descendit de la montagne, et Moïse ne savait pas que la peau de son visage rayonnait parce qu'il avait parlé avec lui.

Exode 34, 30 Aaron et tous les Israélites virent Moïse, et voici que la peau de son visage rayonnait, et ils avaient peur de l'approcher.

Exode 34, 31 Moïse les appela; Aaron et tous les chefs de la communauté revinrent alors vers lui, et Moïse leur parla.

Exode 34, 32 Ensuite tous les Israélites s'approchèrent, et il leur ordonna tout ce dont Yahvé avait parlé sur le mont Sinaï.

Exode 34, 33 Quand Moïse eut fini de leur parler, il mit un voile sur son visage.

Exode 34, 34 Lorsque Moïse entrait devant Yahvé pour parler avec lui, il ôtait le voile jusqu'à sa sortie. En sortant, il disait aux Israélites ce qui lui avait été ordonné,

Exode 34, 35 et les Israélites voyaient le visage de Moïse rayonner. Puis Moïse remettait le voile sur son visage, jusqu'à ce qu'il entrât pour parler avec lui.

Exode 35, 1 Moïse assembla toute la communauté des Israélites et leur dit: "Voici ce que Yahvé a ordonné de faire:

Exode 35, 2 Pendant six jours on fera le travail, mais le septième jour sera pour vous un jour saint, un jour de repos complet consacré à Yahvé. Quiconque fera ce jour-là un travail quelconque sera mis à mort.

Exode 35, 3 Vous n'allumerez de feu, le jour du sabbat, dans aucune de vos demeures."

Exode 35, 4 Moïse dit à toute la communauté des Israélites: "Voici ce qu'a ordonné Yahvé:

Exode 35, 5 Prélevez sur vos biens une contribution pour Yahvé. Que tous ceux que leur coeur y incite apportent la contribution de Yahvé: de l'or, de l'argent et du bronze;

Exode 35, 6 de la pourpre violette et écarlate, du cramoisi, du lin fin et du poil de chèvre;

Exode 35, 7 des peaux de béliers teintes en rouge, du cuir fin et du bois d'acacia;

Exode 35, 8 de l'huile pour le luminaire, des aromates pour l'huile d'onction et l'encens aromatique;

Exode 35, 9 des pierres de cornaline et des pierreries à enchâsser pour l'éphod et le pectoral.

Exode 35, 10 Que ceux parmi vous qui sont habiles viennent faire tout ce qu'a ordonné Yahvé:

Exode 35, 11 la Demeure, sa tente et sa couverture, ses agrafes, ses cadres, ses traverses, ses colonnes et ses socles;

Exode 35, 12 l'arche et ses barres, le propitiatoire et le rideau du voile;

Exode 35, 13 la table, ses barres et tous ses accessoires ainsi que les pains d'oblation;

Exode 35, 14 le candélabre pour la lumière, ses accessoires, ses lampes ainsi que l'huile pour le luminaire;

Exode 35, 15 l'autel des parfums et ses barres, l'huile d'onction, l'encens aromatique et le voile de l'entrée, pour l'entrée de la Demeure;

Exode 35, 16 l'autel des holocaustes et son treillis de bronze, ses barres et tous ses accessoires, le bassin et son socle;

Exode 35, 17 les courtines du parvis, ses colonnes, ses socles et le rideau de l'entrée du parvis;

Exode 35, 18 les piquets de la Demeure et les piquets du parvis avec leurs cordes;

Exode 35, 19 les vêtements d'apparat pour officier dans le sanctuaire -- les vêtements sacrés pour le prêtre Aaron et les vêtements de ses fils pour l'exercice du sacerdoce."

Exode 35, 20 Alors toute la communauté des Israélites se retira de la présence de Moïse.

Exode 35, 21 Puis tous ceux que leur coeur y portait et tous ceux que leur âme y incitait apportèrent la contribution de Yahvé, pour le travail de la Tente du Rendez-vous, pour son service général et pour les vêtements sacrés.

Exode 35, 22 Les hommes et les femmes vinrent, tous ceux que leur coeur y incitait apportèrent des broches, des anneaux, des bagues, des colliers, toutes sortes d'objets d'or -- tous ceux qui avaient voué de l'or à Yahvé.

Exode 35, 23 Tous ceux qui se trouvaient avoir de la pourpre violette et écarlate, du cramoisi, du lin fin, du poil de chèvre, des peaux de béliers teintes en rouge et du cuir fin, l'apportèrent.

Exode 35, 24 Tous ceux qui offraient une contribution d'argent et de bronze apportèrent la contribution de Yahvé, et tous ceux qui se trouvaient avoir du bois d'acacia pour tous les travaux à exécuter l'apportèrent.

Exode 35, 25 Toutes les femmes habiles filèrent de leurs mains et apportèrent ce qu'elles avaient filé: pourpre violette et écarlate, cramoisi et lin fin.

Exode 35, 26 Toutes les femmes que leur coeur y portait en raison de leur habileté, filèrent le poil de chèvre.

Exode 35, 27 Les chefs apportèrent les pierres de cornaline et les pierres à enchâsser dans l'éphod et le pectoral,

Exode 35, 28 les aromates et l'huile pour le luminaire, pour l'huile d'onction et pour l'encens aromatique.

Exode 35, 29 Tous les Israélites, hommes et femmes, que leur coeur incitait à contribuer à l'ensemble de l'ouvrage que Yahvé, par l'intermédiaire de Moïse, avait ordonné d'exécuter, apportèrent une offrande à Yahvé.

Exode 35, 30 Moïse dit aux Israélites: "Voyez, Yahvé a désigné nommément Beçaléel, fils de Uri, fils de Hur, de la tribu de Juda.

Exode 35, 31 Il l'a comblé de l'esprit de Dieu, d'habileté, d'intelligence et de savoir, pour toute sorte d'ouvrages;

Exode 35, 32 pour concevoir les projets et les exécuter en or, en argent et en bronze,

Exode 35, 33 pour tailler les pierres à enchâsser, pour tailler le bois et pour exécuter toutes sortes d'oeuvres d'art.

Exode 35, 34 Il a mis en son coeur, à lui ainsi qu'à Oholiab, fils d'Ahisamak, de la tribu de Dan, le don d'enseigner.

Exode 35, 35 Il les a comblés d'habileté pour exécuter toute sorte d'ouvrages, tous les ouvrages du ciseleur, du brodeur, du brocheur de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de lin fin, et du tisserand, de tous ceux qui font toute sorte d'ouvrages et de ceux qui conçoivent des projets.

Exode 36, 1 Beçaléel, Oholiab et tous les hommes à qui Yahvé a donné l'habileté et l'intelligence pour qu'ils sachent faire tout le travail à accomplir au sanctuaire, feront tout comme Yahvé l'a ordonné."

Exode 36, 2 Moïse appela donc Beçaléel, Oholiab et tous les hommes habiles à qui Yahvé avait donné l'habileté, tous ceux que leur coeur portait à s'appliquer à l'ouvrage pour le faire.

Exode 36, 3 Ils reçurent de Moïse tout ce que les Israélites avaient apporté en contribution pour exécuter le travail d'édification du sanctuaire. Comme ils continuaient d'apporter, chaque matin, leurs offrandes,

Exode 36, 4 tous les hommes habiles faisant tout le travail du sanctuaire, vinrent, chacun quittant le travail qu'il était en train de faire,

Exode 36, 5 et dirent à Moïse: "Le peuple apporte plus qu'il n'en faut pour le travail que Yahvé a ordonné de faire."

Exode 36, 6 Moïse donna un ordre et l'on fit passer dans le camp une proclamation: "Que personne, homme ou femme, ne fasse plus quoi que ce soit pour la contribution du sanctuaire", et l'on empêcha le peuple de rien apporter.

Exode 36, 7 Les matériaux suffisaient pour faire tout le travail et il y en avait même en surplus.

Exode 36, 8 Tous les hommes habiles, parmi ceux qui faisaient le travail, firent la Demeure. Il la fit de dix bandes d'étoffe de fin lin retors, de pourpre violette et écarlate et de cramoisi, brodées de chérubins.

Exode 36, 9 La longueur d'une bande était de 28 coudées et sa largeur de quatre coudées. Toutes les bandes avaient les mêmes dimensions.

Exode 36, 10 Il assembla les bandes cinq d'un côté, cinq de l'autre.

Exode 36, 11 Il fit des brides de pourpre violette à la lisière de la première bande, à l'extrémité du premier assemblage, et fit de même à la lisière de la dernière bande du second assemblage.

Exode 36, 12 Il fit 50 brides à la première bande et 50 brides à l'extrémité de la bande du second assemblage, les brides se correspondant l'une à l'autre.

Exode 36, 13 Il fit 50 agrafes d'or et assembla les bandes l'une à l'autre avec les agrafes: la Demeure fut ainsi d'un seul tenant.

Exode 36, 14 Puis il fit des bandes d'étoffe de poil de chèvre pour la tente qui est sur la Demeure. Il en fit onze.

Exode 36, 15 La longueur d'une bande était de 30 coudées et sa largeur de quatre coudées: les onze bandes avaient mêmes dimensions.

Exode 36, 16 Il assembla cinq bandes d'une part et six bandes d'autre part.

Exode 36, 17 Il fit 50 brides à la lisière de la dernière bande du premier assemblage, et il fit 50 brides à la lisière de la bande du second assemblage.

Exode 36, 18 Il fit 50 agrafes de bronze pour assembler la tente afin qu'elle soit d'un seul tenant.

Exode 36, 19 Il fit pour la tente une couverture en peaux de béliers teintes en rouge, et une en cuir fin par-dessus.

Exode 36, 20 Il fit pour la Demeure des cadres en bois d'acacia dressés debout.

Exode 36, 21 Chaque cadre était long de dix coudées et large d'une coudée et demie;

Exode 36, 22 chaque cadre avait deux tenons jumelés. Il fit de même pour les cadres de la Demeure.

Exode 36, 23 Il fit les cadres pour la Demeure: vingt cadres pour le côté sud, vers le midi.

Exode 36, 24 Il fit 40 socles d'argent pour les vingt cadres: deux socles sous un cadre pour ses deux tenons, deux socles sous un autre cadre pour ses deux tenons.

Exode 36, 25 Il fit pour le second côté de la Demeure, vers le nord, vingt cadres

Exode 36, 26 et 40 socles d'argent: deux socles sous un cadre, deux socles sous un autre cadre.

Exode 36, 27 Pour le fond de la Demeure, vers l'ouest, il fit six cadres.

Exode 36, 28 Il fit aussi deux cadres pour les angles du fond de la Demeure.

Exode 36, 29 Ils étaient jumelés à leur partie inférieure et le demeuraient jusqu'au sommet, à la hauteur du premier anneau. Ainsi fit-il pour les deux cadres des deux angles.

Exode 36, 30 Il y avait huit cadres avec leurs seize socles d'argent, deux socles sous chaque cadre.

Exode 36, 31 Il fit des traverses en bois d'acacia,

Exode 36, 32 cinq pour les cadres du premier côté de la Demeure, cinq pour les cadres du second côté de la Demeure et cinq pour les cadres du fond de la Demeure, du côté de la mer.

Exode 36, 33 Il fit la traverse médiane pour assembler les cadres à mi-hauteur, d'une extrémité à l'autre.

Exode 36, 34 Il plaqua d'or les cadres et leur fit des anneaux d'or où s'engageraient les traverses, et il plaqua d'or leurs traverses.

Exode 36, 35 Il fit le rideau de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors, brodé de chérubins.

Exode 36, 36 Il lui fit quatre colonnes en acacia qu'il plaqua d'or, avec leurs crochets d'or, et il fondit pour elles quatre socles d'argent.

Exode 36, 37 Il fit pour l'entrée de la tente un voile broché de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors,

Exode 36, 38 ainsi que ses cinq colonnes avec leurs crochets; il plaqua d'or leurs chapiteaux et leurs tringles; leurs cinq socles étaient en bronze.

Exode 37, 1 Beçaléel fit l'arche en bois d'acacia. Elle était longue de deux coudées et demie, large d'une coudée et demie et haute d'une coudée et demie.

Exode 37, 2 Il la plaqua d'or pur au-dedans et au-dehors et fit une moulure d'or tout autour.

Exode 37, 3 Il fondit, pour l'arche, quatre anneaux d'or, à ses quatre pieds: deux anneaux sur un côté, et deux anneaux sur l'autre.

Exode 37, 4 Il fit des barres en bois d'acacia et les plaqua d'or.

Exode 37, 5 Puis il introduisit les barres dans les anneaux fixés sur les côtés de l'arche pour porter l'arche.

Exode 37, 6 Il fit un propitiatoire d'or pur, de deux coudées et demie de long et d'une coudée et demie de large.

Exode 37, 7 Il fit deux chérubins d'or repoussé, il les fit aux deux extrémités du propitiatoire:

Exode 37, 8 un chérubin à cette extrémité-ci, un chérubin à cette extrémité-là, il fit faire corps aux chérubins avec le propitiatoire à ses deux extrémités.

Exode 37, 9 Les chérubins avaient les ailes déployées vers le haut et protégeaient de leurs ailes le propitiatoire, en se faisant face; les faces des chérubins étaient tournées vers le propitiatoire.

Exode 37, 10 Il fit la table en bois d'acacia; elle avait deux coudées de long, une coudée de large et une coudée et demie de haut.

Exode 37, 11 Il la plaqua d'or pur et fit une moulure d'or tout autour.

Exode 37, 12 Il fit, tout autour, des entretoises larges d'une palme et fit une moulure d'or autour des entretoises.

Exode 37, 13 Il fondit pour elle quatre anneaux d'or et il mit les anneaux aux quatre angles formés par les quatre pieds.

Exode 37, 14 Les anneaux étaient placés près des entretoises et servaient de logement aux barres qui servaient pour porter la table.

Exode 37, 15 Il fit les barres en bois d'acacia et les plaqua d'or, pour porter la table.

Exode 37, 16 Il fit les accessoires qui devaient être sur la table: ses plats, ses coupes, ses bols et ses aiguières pour les libations, tous d'or pur.

Exode 37, 17 Il fit le candélabre d'or pur. D'or repoussé, il fit le candélabre, sa base et son fût. Ses calices, boutons et fleurs, faisaient corps avec lui.

Exode 37, 18 Six branches s'en détachaient sur les côtés: trois branches du candélabre d'un côté, trois branches du candélabre de l'autre côté.

Exode 37, 19 La première branche portait trois calices en forme de fleur d'amandier, avec bouton et fleur. La deuxième branche portait trois calices en forme de fleur d'amandier, avec bouton et fleur. Il en était ainsi pour les six branches partant du candélabre.

Exode 37, 20 Le candélabre lui-même portait quatre calices en forme de fleur d'amandier, avec bouton et fleur:

Exode 37, 21 un bouton sous les deux premières branches partant du candélabre, un bouton sous les deux branches suivantes, un bouton sous les deux dernières branches: donc aux six branches s'en détachant.

Exode 37, 22 Les boutons et les branches faisaient corps avec le candélabre, et le tout était fait d'un bloc d'or pur repoussé.

Exode 37, 23 Puis il fit ses sept lampes, avec leurs mouchettes et leurs cendriers d'or pur.

Exode 37, 24 D'un talent d'or pur, il fit le candélabre et tous ses accessoires.

Exode 37, 25 Il fit l'autel des parfums en bois d'acacia, de cinq coudées de long, de cinq coudées de large -- donc carré -- et de trois coudées de haut; ses cornes faisaient corps avec lui.

Exode 37, 26 Il le plaqua d'or pur, sa partie supérieure, ses parois tout autour et ses cornes, et fit une moulure d'or tout autour.

Exode 37, 27 Il lui fit deux anneaux d'or au-dessous de la moulure, sur les deux côtés, sur les deux faces pour loger les barres servant à son transport.

Exode 37, 28 Il fit les barres en bois d'acacia et les plaqua d'or.

Exode 37, 29 Il fit aussi l'huile d'onction sainte et l'encens aromatique -- comme un parfumeur.

Exode 38, 1 Il fit l'autel des holocaustes en bois d'acacia; de cinq coudées de long, de cinq coudées de large -- donc carré -- et de trois coudées de haut.

Exode 38, 2 Il fit à ses quatre angles des cornes qui faisaient corps avec lui, et il le plaqua de bronze.

Exode 38, 3 Il fit tous les accessoires de l'autel: les vases à cendres et les pelles, les bols à aspersion, les fourchettes et les encensoirs. Tous les accessoires de l'autel, il les fit de bronze.

Exode 38, 4 Il fit pour l'autel un treillis de bronze en forme de filet, sous la corniche, depuis le bas jusqu'à mi-hauteur.

Exode 38, 5 Il fondit quatre anneaux aux quatre angles du treillis de bronze pour recevoir les barres.

Exode 38, 6 Il fit les barres en bois d'acacia et les plaqua de bronze.

Exode 38, 7 Il engagea les barres dans les anneaux fixés sur les deux côtés de l'autel, pour le transporter grâce à elles; il le fit creux, en planches.

Exode 38, 8 Il fit le bassin en bronze et son socle en bronze avec les miroirs des femmes qui faisaient le service à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Exode 38, 9 Il fit le parvis; du côté du sud, au midi, les rideaux du parvis, en fin lin retors, avaient cent coudées.

Exode 38, 10 Leurs vingt colonnes et leurs vingt socles étaient de bronze; les crochets des colonnes et leurs tringles étaient d'argent.

Exode 38, 11 Cent coudées aussi du côté du nord; leurs vingt colonnes et leurs vingt socles étaient de bronze; les crochets des colonnes et leurs tringles étaient d'argent.

Exode 38, 12 Du côté de l'ouest les rideaux avaient 50 coudées, avec leurs dix colonnes et leurs dix socles. Les crochets des colonnes et leurs tringles étaient d'argent.

Exode 38, 13 Et du côté de l'est, à l'orient, 50 coudées.

Exode 38, 14 A l'un des côtés il y avait quinze coudées de rideaux avec leurs trois colonnes et leurs trois socles.

Exode 38, 15 Au second côté -- de part et d'autre de la porte du parvis -- il y avait quinze coudées de rideaux avec leurs trois colonnes et leurs trois socles.

Exode 38, 16 Tous les rideaux entourant l'enceinte du parvis étaient de fin lin retors.

Exode 38, 17 Les socles des colonnes étaient de bronze; les crochets des colonnes et leurs tringles étaient d'argent; le revêtement de leurs chapiteaux était d'argent, et toutes les colonnes du parvis étaient munies de tringles d'argent.

Exode 38, 18 Le voile de la porte du parvis était broché, fait de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors. Il avait vingt coudées de long et cinq coudées de haut (dans la largeur), comme les rideaux du parvis.

Exode 38, 19 Leurs quatre colonnes et leurs quatre socles étaient de bronze, leurs crochets étaient d'argent, le revêtement de leurs chapiteaux et leurs tringles étaient d'argent.

Exode 38, 20 Tous les piquets autour de la Demeure et du parvis étaient de bronze.

Exode 38, 21 Voici les comptes de la Demeure -- la Demeure du Témoignage -- établis sur l'ordre de Moïse, travail des Lévites, par l'intermédiaire d'Itamar, fils d'Aaron, le prêtre.

Exode 38, 22 Beçaléel, fils de Uri, fils de Hur, de la tribu de Juda, fit tout ce que Yahvé avait ordonné à Moïse,

Exode 38, 23 et avec lui Oholiab, fils de Ahisamak, de la tribu de Dan, ciseleur, brodeur, brocheur en pourpre violette et écarlate, en cramoisi et en lin fin.

Exode 38, 24 Total de l'or employé pour les travaux, pour l'ensemble des travaux du sanctuaire (c'était l'or consacré): 29 talents et 730 sicles, selon le sicle du sanctuaire.

Exode 38, 25 L'argent du recensement de la communauté: cent talents et 1.775 sicles, selon le sicle du sanctuaire:

Exode 38, 26 un beqa par tête, un demi-sicle, selon le sicle du sanctuaire, pour tous ceux qui furent recensés, âgés de vingt ans et plus, pour 603.550.

Exode 38, 27 Cent talents d'argent pour fondre les socles du sanctuaire et les socles du rideau: cent socles pour cent talents, un talent par socle.

Exode 38, 28 Avec les 1.775 sicles, il fit les crochets pour les colonnes, il plaqua leurs chapiteaux et fit leurs tringles.

Exode 38, 29 Le bronze consacré se montait à 70 talents et 2.400 sicles;

Exode 38, 30 il en fit les socles pour l'entrée de la Tente du Rendez-vous, l'autel de bronze, son treillis de bronze et tous les accessoires de l'autel;

Exode 38, 31 les socles du pourtour du parvis, les socles de la porte du parvis, tous les piquets de la Demeure et tous les piquets du pourtour du parvis.

Exode 39, 1 Avec la pourpre violette et écarlate et le cramoisi, ils firent les vêtements liturgiques pour officier dans le sanctuaire. Ils firent les vêtements sacrés destinés à Aaron, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 39, 2 Ils firent l'éphod d'or, de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors.

Exode 39, 3 Ils battirent les plaques d'or et les découpèrent en fils pour les entremêler à la pourpre violette et écarlate, au cramoisi et au lin fin, à la manière du brocheur.

Exode 39, 4 Ils lui firent deux épaulettes qui y furent fixées, il y fut fixé par ses deux bords.

Exode 39, 5 L'écharpe qui était dessus pour l'attacher faisait corps avec lui et était de même travail. Elle était d'or, de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 39, 6 Ils travaillèrent les pierres de cornaline, serties dans des chatons d'or, où furent gravés en gravure de sceaux les noms des Israélites.

Exode 39, 7 Ils placèrent sur les épaulettes de l'éphod des pierres comme mémorial des Israélites, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 39, 8 Ils firent le pectoral, brodé comme l'éphod, d'or, de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors.

Exode 39, 9 Il était carré et double, d'un empan de long et d'un empan de large.

Exode 39, 10 Ils le garnirent de quatre rangées de pierres. Une sardoine, une topaze, une émeraude pour la première rangée;

Exode 39, 11 pour la deuxième rangée, une escarboucle, un saphir et un diamant;

Exode 39, 12 pour la troisième rangée, une agate, une hyacinthe et une améthyste;

Exode 39, 13 pour la quatrième rangée, une chrysolithe, une cornaline et un jaspe. Elles étaient serties dans des chatons d'or.

Exode 39, 14 Les pierres étaient aux noms des Israélites, elles étaient douze, selon leurs noms, gravées comme des sceaux, chacune au nom de l'une des douze tribus.

Exode 39, 15 Ils firent pour le pectoral des chaînettes d'or pur en forme de torsades.

Exode 39, 16 Ils firent deux rosettes d'or et deux anneaux d'or, et ils mirent les deux anneaux aux deux bords du pectoral.

Exode 39, 17 Ils mirent les deux torsades d'or aux deux anneaux, aux bords du pectoral,

Exode 39, 18 et les deux bords des torsades, ils les mirent aux deux rosettes: ils les mirent ainsi sur les épaulettes de l'éphod, par-devant.

Exode 39, 19 Ils firent aussi deux anneaux d'or et les mirent aux deux bords du pectoral, sur le bord intérieur, du côté de l'éphod.

Exode 39, 20 Ils firent encore deux anneaux d'or, et ils les mirent sur les épaulettes de l'éphod, vers le bas en avant, près de leur point d'attache, au-dessus de l'écharpe de l'éphod.

Exode 39, 21 Ils lièrent le pectoral par ses anneaux aux anneaux de l'éphod avec un cordon de pourpre violette, afin que le pectoral soit au-dessus de l'écharpe de l'éphod et ne puisse se séparer de l'éphod, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 39, 22 Puis ils firent le manteau de l'éphod, tissé tout entier de pourpre violette.

Exode 39, 23 L'ouverture au milieu du manteau était comme l'ouverture d'un corselet de mailles; l'ouverture avait tout autour une lisière indéchirable.

Exode 39, 24 Ils firent sur l'ourlet du manteau des grenades de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors.

Exode 39, 25 Ils firent aussi des clochettes d'or pur et placèrent les clochettes au milieu des grenades;

Exode 39, 26 une clochette une grenade, une clochette une grenade, tout autour de l'ourlet du manteau à porter pour officier, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 39, 27 Puis ils firent les tuniques de fin lin tissé, pour Aaron et pour ses fils;

Exode 39, 28 le turban de lin fin, les calottes de lin fin, les caleçons de fin lin retors,

Exode 39, 29 les ceintures brochées de fin lin retors, de pourpre violette et écarlate et de cramoisi, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 39, 30 Puis ils firent la fleur -- le signe de la sainte consécration, en or pur -- et ils y gravèrent en intaille, comme un sceau: "Consacré à Yahvé."

Exode 39, 31 Ils mirent dessus un cordon de pourpre violette, pour le mettre sur le turban, en haut, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 39, 32 Ainsi furent achevés tous les travaux de la Demeure, de la Tente du Rendez-vous; en tout ils avaient fait comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 39, 33 Ils apportèrent à Moïse la Demeure, la Tente et tous ses accessoires, ses agrafes, ses cadres, ses traverses, ses colonnes et ses socles;

Exode 39, 34 la couverture en peaux de béliers teintes en rouge, la couverture en cuir fin et le rideau du voile;

Exode 39, 35 l'arche du Témoignage avec ses barres et le propitiatoire;

Exode 39, 36 la table, tous ses accessoires et les pains d'oblation;

Exode 39, 37 le candélabre d'or pur, ses lampes -- une rangée de lampes -- et tous ses accessoires, ainsi que l'huile pour le luminaire;

Exode 39, 38 l'autel d'or, l'huile d'onction, l'encens aromatique et le voile pour l'entrée de la Tente;

Exode 39, 39 l'autel de bronze et son treillis de bronze, ses barres et tous ses accessoires; le bassin et son socle;

Exode 39, 40 les courtines du parvis, ses colonnes, ses socles et le voile pour la porte du parvis, ses cordes, ses piquets ainsi que tous les accessoires du service de la Demeure, pour la Tente du Rendez-vous;

Exode 39, 41 les vêtements liturgiques pour officier dans le sanctuaire -- les vêtements sacrés pour Aaron, le prêtre, et les vêtements de ses fils pour exercer le sacerdoce.

Exode 39, 42 Les Israélites avaient fait tous les travaux comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 39, 43 Moïse vit tout l'ouvrage: ils l'avaient fait comme Yahvé l'avait ordonné. Et Moïse les bénit.

Exode 40, 1 Yahvé parla à Moïse et lui dit:

Exode 40, 2 "Le premier jour du premier mois, tu dresseras la Demeure, la Tente du Rendez-vous,

Exode 40, 3 tu y placeras l'arche du Témoignage et tu voileras l'arche avec le rideau.

Exode 40, 4 Tu apporteras la table et tu disposeras sa garniture. Tu apporteras le candélabre et tu monteras ses lampes.

Exode 40, 5 Tu mettras l'autel d'or des parfums devant l'arche du Témoignage, et tu placeras le voile à l'entrée de la Demeure.

Exode 40, 6 Tu mettras l'autel des holocaustes devant l'entrée de la Demeure, de la Tente du Rendez-vous.

Exode 40, 7 Tu mettras le bassin entre la Tente du Rendez-vous et l'autel, et tu y mettras de l'eau.

Exode 40, 8 Tu placeras le parvis tout autour et tu mettras le voile à la porte du parvis.

Exode 40, 9 Tu prendras l'huile d'onction et tu oindras la Demeure et tout ce qui est dedans; tu la consacreras, elle et tous ses accessoires, et elle sera éminemment sainte.

Exode 40, 10 Tu oindras l'autel des holocaustes et tous ses accessoires, tu consacreras l'autel, et l'autel sera éminemment saint.

Exode 40, 11 Tu oindras le bassin et son socle et tu le consacreras.

Exode 40, 12 Puis tu feras approcher Aaron et ses fils de l'entrée de la Tente du Rendez-vous, tu les laveras avec de l'eau,

Exode 40, 13 et tu revêtiras Aaron de ses vêtements sacrés, tu l'oindras et tu le consacreras pour qu'il exerce mon sacerdoce.

Exode 40, 14 Ses fils, tu les feras approcher, tu les revêtiras de tuniques,

Exode 40, 15 et tu les oindras comme tu auras oint leur père, pour qu'ils exercent mon sacerdoce. Cela se fera pour que leur onction leur confère un sacerdoce éternel, dans leurs générations."

Exode 40, 16 Moïse le fit. Il fit tout comme Yahvé l'avait ordonné.

Exode 40, 17 Le premier jour du premier mois de la seconde année, on dressa la Demeure.

Exode 40, 18 Moïse dressa la Demeure; il mit ses socles, plaça ses cadres, mit ses traverses et dressa ses colonnes.

Exode 40, 19 Il étendit la tente pour la Demeure et plaça dessus la couverture de la tente, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 40, 20 Il prit le Témoignage, le mit dans l'arche, plaça les barres sur l'arche et mit le propitiatoire sur l'arche.

Exode 40, 21 Il introduisit l'arche dans la Demeure et plaça le rideau du voile; il voila ainsi l'arche du Témoignage, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 40, 22 Il mit la table dans la Tente du Rendez-vous, sur le côté de la Demeure, au nord, à l'extrémité du voile,

Exode 40, 23 et il disposa avec ordre le pain devant Yahvé, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 40, 24 Il plaça le candélabre dans la Tente du Rendez-vous, en face de la table, sur le côté de la Demeure, au sud,

Exode 40, 25 et monta les lampes devant Yahvé, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 40, 26 Il plaça l'autel d'or dans la Tente du Rendez-vous, devant le voile,

Exode 40, 27 et fit fumer dessus l'encens aromatique, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 40, 28 Puis il plaça le voile à l'entrée de la Demeure.

Exode 40, 29 L'autel des holocaustes, il le plaça à l'entrée de la Demeure, de la Tente du Rendez-vous, et offrit dessus l'holocauste et l'oblation, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 40, 30 Il plaça le bassin entre la Tente du Rendez-vous et l'autel et il y mit, pour les ablutions, de l'eau

Exode 40, 31 avec laquelle Moïse, Aaron et ses fils se lavaient les mains et les pieds.

Exode 40, 32 Quand ils entraient dans la Tente du Rendez-vous ou qu'ils s'approchaient de l'autel, ils se lavaient, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Exode 40, 33 Il dressa le parvis autour de la Demeure et de l'autel, et il mit le voile à la porte du parvis. Ainsi Moïse termina les travaux.

Exode 40, 34 La nuée couvrit la Tente du Rendez-vous, et la gloire de Yahvé emplit la Demeure.

Exode 40, 35 Moïse ne put entrer dans la Tente du Rendez-vous, car la nuée demeurait sur elle, et la gloire de Yahvé emplissait la Demeure.

Exode 40, 36 A toutes leurs étapes, lorsque la nuée s'élevait au-dessus de la Demeure, les Israélites se mettaient en marche.

Exode 40, 37 Si la nuée ne s'élevait pas, ils ne se mettaient pas en marche jusqu'au jour où elle s'élevait.

Exode 40, 38 Car, le jour, la nuée de Yahvé était sur la Demeure et, la nuit, il y avait dedans un feu, aux yeux de toute la maison d'Israël, à toutes leurs étapes.

 

 

 

 

Lévitique

 

1, 1 Yahvé appela Moïse et, de la Tente du Rendez-vous, lui parla et lui dit:

Lévitique 1, 2 Parle aux Israélites; tu leur diras: Quand l'un de vous présentera une offrande à Yahvé, vous pourrez faire cette offrande en bétail, gros ou petit.

Lévitique 1, 3 Si son offrande consiste en un holocauste de gros bétail, il offrira un mâle sans défaut; il l'offrira à l'entrée de la Tente du Rendez-vous, pour qu'il soit agréé devant Yahvé.

Lévitique 1, 4 Il posera la main sur la tête de la victime et celle-ci sera agréée pour que l'on fasse sur lui le rite d'expiation.

Lévitique 1, 5 Puis il immolera le taureau devant Yahvé, et les fils d'Aaron, les prêtres, offriront le sang. Ils le feront couler sur le pourtour de l'autel qui se trouve à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Lévitique 1, 6 Il écorchera ensuite la victime, la dépècera par quartiers,

Lévitique 1, 7 les fils d'Aaron, les prêtres, apporteront du feu sur l'autel et disposeront du bois sur ce feu.

Lévitique 1, 8 Puis les fils d'Aaron, les prêtres, disposeront quartiers, tête et graisse au-dessus du bois placé sur le feu de l'autel.

Lévitique 1, 9 L'homme lavera dans l'eau les entrailles et les pattes et le prêtre fera fumer le tout à l'autel. Cet holocauste sera un mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Lévitique 1, 10 Si son offrande consiste en petit bétail, agneau ou chevreau offert en holocauste, c'est un mâle sans défaut qu'il offrira.

Lévitique 1, 11 Il l'immolera sur le côté nord de l'autel, devant Yahvé, et les fils d'Aaron, les prêtres, feront couler le sang sur le pourtour de l'autel.

Lévitique 1, 12 Puis il le dépècera par quartiers et le prêtre disposera ceux-ci, ainsi que la tête et la graisse, au-dessus du bois placé sur le feu de l'autel.

Lévitique 1, 13 L'homme lavera dans l'eau les entrailles et les pattes et le prêtre offrira le tout qu'il fera fumer à l'autel. Cet holocauste sera un mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Lévitique 1, 14 Si son offrande à Yahvé consiste en un holocauste d'oiseau, il offrira une tourterelle ou un pigeon.

Lévitique 1, 15 Le prêtre l'offrira à l'autel, et, en pinçant le cou, il arrachera la tête qu'il fera fumer à l'autel; puis le sang en sera exprimé sur la paroi de l'autel.

Lévitique 1, 16 Il en détachera alors le jabot et le plumage; il les jettera du côté est de l'autel, à l'endroit où l'on dépose les cendres grasses.

Lévitique 1, 17 Il fendra l'animal en deux moitiés, une aile de part et d'autre, mais sans les séparer. Le prêtre fera alors fumer l'animal à l'autel, sur le bois placé sur le feu. Cet holocauste sera un mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Lévitique 2, 1 Si quelqu'un offre à Yahvé une oblation, son offrande consistera en fleur de farine sur laquelle il versera de l'huile et déposera de l'encens.

Lévitique 2, 2 Il l'apportera aux fils d'Aaron, les prêtres; il en prendra une pleine poignée de fleur de farine et d'huile, plus tout l'encens, ce que le prêtre fera fumer à l'autel à titre de mémorial, mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Lévitique 2, 3 Le reste de l'oblation reviendra à Aaron et à ses fils, part très sainte des mets de Yahvé.

Lévitique 2, 4 Lorsque tu offriras une oblation de pâte cuite au four, la fleur de farine sera préparée en gâteaux sans levain pétris à l'huile, ou en galettes sans levain frottées d'huile.

Lévitique 2, 5 Si ton offrande est une oblation cuite à la plaque, la fleur de farine pétrie à l'huile sera sans levain.

Lévitique 2, 6 Tu la rompras en morceaux et verseras de l'huile par-dessus. C'est une oblation.

Lévitique 2, 7 Si ton offrande est une oblation cuite au moule, la fleur de farine sera préparée dans l'huile.

Lévitique 2, 8 Tu apporteras à Yahvé l'oblation qui aura été ainsi préparée. On la présentera au prêtre, qui l'approchera de l'autel.

Lévitique 2, 9 De l'oblation le prêtre prélèvera le mémorial, qu'il fera fumer à l'autel à titre de mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Lévitique 2, 10 Le reste de l'oblation reviendra à Aaron et à ses fils, part très sainte des mets de Yahvé.

Lévitique 2, 11 Aucune des oblations que vous offrirez à Yahvé ne sera préparée avec un ferment, car vous ne ferez jamais fumer ni levain ni miel à titre de mets consumé pour Yahvé.

Lévitique 2, 12 Vous en offrirez à Yahvé comme offrande de prémices, mais à l'autel ils ne monteront point en parfum d'apaisement.

Lévitique 2, 13 Tu saleras toute oblation que tu offriras et tu ne manqueras pas de mettre sur ton oblation le sel de l'alliance de ton Dieu; à toute offrande tu joindras une offrande de sel à ton Dieu.

Lévitique 2, 14 Si tu offres à Yahvé une oblation de prémices, c'est sous forme d'épis grillés au feu ou de pain cuit avec du blé moulu que tu feras cette oblation de prémices.

Lévitique 2, 15 Tu y ajouteras de l'huile et y déposeras de l'encens, c'est une oblation;

Lévitique 2, 16 et le prêtre en fera fumer le mémorial avec une partie du pain et de l'huile (plus tout l'encens) à titre de mets consumé pour Yahvé.

Lévitique 3, 1 Si son sacrifice est un sacrifice de communion et s'il offre du gros bétail, mâle ou femelle, c'est une pièce sans défaut qu'il offrira devant Yahvé.

Lévitique 3, 2 Il posera la main sur la tête de la victime et l'immolera à l'entrée de la Tente du Rendez-vous. Puis les fils d'Aaron, les prêtres, feront couler le sang sur le pourtour de l'autel.

Lévitique 3, 3 Il offrira une part de ce sacrifice de communion à titre de mets consumé pour Yahvé: la graisse qui couvre les entrailles, toute la graisse qui est au-dessus des entrailles,

Lévitique 3, 4 les deux rognons, la graisse qui y adhère ainsi qu'aux lombes, la masse graisseuse qu'il détachera du foie et des rognons.

Lévitique 3, 5 Les fils d'Aaron feront fumer cette part à l'autel en plus de l'holocauste, sur le bois placé sur le feu. Ce sera un mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Lévitique 3, 6 Si c'est du petit bétail qu'il offre à titre de sacrifice de communion pour Yahvé, c'est un mâle ou une femelle sans défaut qu'il offrira.

Lévitique 3, 7 S'il offre un mouton, il l'offrira devant Yahvé,

Lévitique 3, 8 il posera la main sur la tête de la victime et l'immolera devant la Tente du Rendez-vous, puis les fils d'Aaron en répandront le sang sur le pourtour de l'autel.

Lévitique 3, 9 De ce sacrifice de communion il offrira la graisse en mets consumé pour Yahvé: la queue entière qu'il détachera près du sacrum, la graisse qui couvre les entrailles, toute la graisse qui est au-dessus des entrailles,

Lévitique 3, 10 les deux rognons, la graisse qui y adhère ainsi qu'aux lombes, la masse graisseuse qu'il détachera du foie et des rognons.

Lévitique 3, 11 Le prêtre fera fumer cette part à l'autel à titre de nourriture, de mets consumé pour Yahvé.

Lévitique 3, 12 Si son offrande consiste en une chèvre, il l'offrira devant Yahvé,

Lévitique 3, 13 il lui posera la main sur la tête et l'immolera devant la Tente du Rendez-vous, et les fils d'Aaron en répandront le sang sur le pourtour de l'autel.

Lévitique 3, 14 Voici ce qu'il en offrira ensuite à titre de mets consumé pour Yahvé: la graisse qui couvre les entrailles, toute la graisse qui est au-dessus des entrailles,

Lévitique 3, 15 les deux rognons, la graisse qui y adhère ainsi qu'aux lombes, la masse graisseuse qu'il détachera du foie et des rognons.

Lévitique 3, 16 Le prêtre fera fumer ces morceaux à l'autel à titre de nourriture, de mets consumé en parfum d'apaisement. Toute la graisse appartient à Yahvé.

Lévitique 3, 17 C'est pour tous vos descendants une loi perpétuelle, en quelque lieu que vous demeuriez: vous ne mangerez ni graisse ni sang.

Lévitique 4, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 4, 2 Parle aux Israélites, dis-leur: Si quelqu'un pèche par inadvertance contre l'un quelconque des commandements de Yahvé et commet une de ces actions défendues,

Lévitique 4, 3 si c'est le prêtre consacré par l'onction qui pèche et rend ainsi le peuple coupable, il offrira à Yahvé pour le péché qu'il a commis un taureau, pièce de gros bétail sans défaut, à titre de sacrifice pour le péché.

Lévitique 4, 4 Il amènera ce taureau devant Yahvé à l'entrée de la Tente du Rendez-vous, lui posera la main sur la tête et l'immolera devant Yahvé.

Lévitique 4, 5 Puis le prêtre consacré par l'onction prendra un peu du sang de ce taureau et le portera dans la Tente du Rendez-vous.

Lévitique 4, 6 Il trempera son doigt dans le sang et en fera sept aspersions devant le rideau du sanctuaire, devant Yahvé.

Lévitique 4, 7 Le prêtre déposera alors un peu de ce sang sur les cornes de l'autel des parfums qui fument devant Yahvé dans la Tente du Rendez-vous, et il versera tout le sang du taureau à la base de l'autel des holocaustes qui se trouve à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Lévitique 4, 8 De toute la graisse de ce taureau offert en sacrifice pour le péché voici ce qu'il prélèvera: la graisse qui couvre les entrailles, toute la graisse qui est au-dessus des entrailles,

Lévitique 4, 9 les deux rognons, la graisse qui y adhère ainsi qu'aux lombes, la masse graisseuse qu'il détachera du foie et des rognons, --

Lévitique 4, 10 tout comme la part prélevée sur le sacrifice de communion, -- et le prêtre fera fumer ces morceaux sur l'autel des holocaustes.

Lévitique 4, 11 La peau du taureau et toute sa chair, sa tête, ses pattes, ses entrailles et sa fiente,

Lévitique 4, 12 le taureau tout entier, il le fera porter hors du camp, dans un lieu pur, lieu de rebut des cendres grasses. Il le brûlera sur un feu de bois; c'est au lieu de rebut des cendres grasses que le taureau sera brûlé.

Lévitique 4, 13 Si c'est toute la communauté d'Israël qui a péché par inadvertance et commis l'une des choses défendues par les commandements de Yahvé sans que la communauté s'en soit aperçue,

Lévitique 4, 14 la communauté offrira en sacrifice pour le péché un taureau, pièce de gros bétail sans défaut, lorsque le péché dont elle est responsable sera reconnu. On l'amènera devant la Tente du Rendez-vous;

Lévitique 4, 15 devant Yahvé les anciens de la communauté poseront leurs mains sur la tête de ce taureau, et devant Yahvé on l'immolera.

Lévitique 4, 16 Puis le prêtre consacré par l'onction portera dans la Tente du Rendez-vous un peu du sang de ce taureau.

Lévitique 4, 17 Il trempera son doigt dans le sang et fera sept aspersions devant le voile, devant Yahvé.

Lévitique 4, 18 Il déposera alors un peu de ce sang sur les cornes de l'autel qui se trouve devant Yahvé dans la Tente du Rendez-vous, puis versera tout le sang à la base de l'autel des holocaustes qui est à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Lévitique 4, 19 Il prélèvera alors de l'animal toute la graisse et la fera fumer à l'autel.

Lévitique 4, 20 Il traitera ce taureau comme il aurait traité le taureau du sacrifice pour le péché. Ainsi le traitera-t-on, et le prêtre ayant fait sur les membres de la communauté le rite d'expiation, il leur sera pardonné.

Lévitique 4, 21 Il fera porter le taureau hors du camp et il le brûlera comme il aurait brûlé le précédent taureau. C'est là le sacrifice pour le péché de la communauté.

Lévitique 4, 22 A supposer qu'un chef pèche et fasse par inadvertance quelqu'une des choses interdites par les commandements de Yahvé son Dieu et se rende ainsi coupable

Lévitique 4, 23 (ou si on l'avertit du péché commis sur ce point), il apportera comme offrande un bouc, un mâle sans défaut.

Lévitique 4, 24 Il posera la main sur la tête du bouc et l'immolera au lieu où l'on immole les holocaustes devant Yahvé. C'est un sacrifice pour le péché:

Lévitique 4, 25 le prêtre prendra à son doigt un peu du sang de la victime et le déposera sur les cornes de l'autel des holocaustes. Puis il en versera le sang à la base de l'autel des holocaustes

Lévitique 4, 26 et en fera fumer toute la graisse à l'autel, comme la graisse du sacrifice de communion. Le prêtre fera ainsi sur ce chef le rite d'expiation pour le délivrer de son péché, et il lui sera pardonné.

Lévitique 4, 27 Si c'est un homme du peuple du pays qui pèche par inadvertance et se rend coupable en faisant quelqu'une des choses interdites par les commandements de Yahvé

Lévitique 4, 28 (ou si on l'avertit du péché commis), il amènera comme offrande pour le péché qu'il a commis une chèvre, une femelle sans défaut.

Lévitique 4, 29 Il posera la main sur la tête de la victime et l'immolera au lieu où l'on immole les holocaustes.

Lévitique 4, 30 Le prêtre prendra à son doigt un peu de son sang et le déposera sur les cornes de l'autel des holocaustes. Puis il versera tout le sang à la base de l'autel.

Lévitique 4, 31 Il détachera ensuite toute la graisse comme on détache la graisse d'un sacrifice de communion et le prêtre la fera fumer à l'autel en parfum d'apaisement pour Yahvé. Le prêtre fera ainsi sur cet homme le rite d'expiation, et il lui sera pardonné.

Lévitique 4, 32 Si c'est un agneau qu'il veut amener comme offrande pour un tel sacrifice, c'est une femelle sans défaut qu'il amènera.

Lévitique 4, 33 Il posera la main sur la tête de la victime et l'immolera en sacrifice pour le péché au lieu où l'on immole les holocaustes.

Lévitique 4, 34 Le prêtre prendra à son doigt un peu du sang de ce sacrifice et le déposera sur les cornes de l'autel des holocaustes. Puis il en versera tout le sang à la base de l'autel.

Lévitique 4, 35 Il en détachera toute la graisse comme on détache celle du mouton d'un sacrifice de communion, et le prêtre fera fumer ces morceaux à l'autel en plus des mets consumés pour Yahvé. Le prêtre fera ainsi sur l'homme le rite d'expiation pour le péché qu'il a commis, et il lui sera pardonné.5, 1 Si quelqu'un pèche en l'un de ces cas: Après avoir entendu la formule d'adjuration il aurait dû porter témoignage, car il avait vu ou il savait, mais il n'a rien déclaré et porte le poids de sa faute;

Lévitique 5, 2 ou bien quelqu'un touche à une chose impure, quelle qu'elle soit, cadavre de bête impure, d'animal domestique impur, de bestiole impure, et à son insu il devient impur et responsable;

Lévitique 5, 3 ou bien il touche à une souillure humaine, quelle qu'elle soit, dont le contact rend impur; il ne s'en aperçoit pas, puis, venant à l'apprendre, il en devient responsable;

Lévitique 5, 4 ou bien un individu laisse échapper un serment défavorable ou favorable, en toute matière où un homme peut jurer inconsidérément; il ne s'en aperçoit pas, puis, venant à l'apprendre, il en devient responsable;

Lévitique 5, 5 s'il est responsable en l'un de ces cas, il aura à confesser le péché commis,

Lévitique 5, 6 il amènera à Yahvé à titre de sacrifice de réparation pour le péché commis une femelle de petit bétail (brebis ou chèvre) en sacrifice pour le péché; et le prêtre fera sur lui le rite d'expiation qui le délivrera de son péché.

Lévitique 5, 7 S'il n'a pas les moyens de se procurer une tête de petit bétail, il amènera à Yahvé en sacrifice de réparation pour le péché qu'il a commis deux tourterelles ou deux pigeons, l'un en sacrifice pour le péché et l'autre en holocauste.

Lévitique 5, 8 Il les amènera au prêtre, qui offrira d'abord celui qui est destiné au sacrifice pour le péché. En pinçant le cou le prêtre lui rompra la nuque sans détacher la tête.

Lévitique 5, 9 Avec le sang de la victime il aspergera la paroi de l'autel, puis le reste du sang sera exprimé à la base de l'autel. C'est un sacrifice pour le péché.

Lévitique 5, 10 Quant à l'autre oiseau, il en fera un holocauste suivant la règle. Le prêtre fera ainsi sur l'homme le rite d'expiation pour le péché qu'il a commis, et il lui sera pardonné.

Lévitique 5, 11 S'il n'a pas les moyens de se procurer deux tourterelles ou deux pigeons, il amènera à titre d'offrande pour le péché commis un dixième de mesure de fleur de farine; il n'y mettra pas d'huile et n'y déposera pas d'encens, car c'est un sacrifice pour le péché.

Lévitique 5, 12 Il l'apportera au prêtre et celui-ci en prendra une pleine poignée en mémorial qu'il fera fumer à l'autel en plus des mets consumés pour Yahvé. C'est un sacrifice pour le péché.

Lévitique 5, 13 Le prêtre fera ainsi sur l'homme le rite d'expiation pour le péché qu'il a commis en l'un de ces cas, et il sera pardonné. Le prêtre a dans ce cas les mêmes droits que pour l'oblation.

Lévitique 5, 14 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 5, 15 Si quelqu'un commet une fraude et pèche par inadvertance en retranchant sur les droits sacrés de Yahvé, il amènera à Yahvé en sacrifice de réparation un bélier sans défaut de son troupeau, à estimer en sicles d'argent au taux du sicle du sanctuaire.

Lévitique 5, 16 Il acquittera ce que son péché aura retranché au droit sacré, en en majorant la valeur d'un cinquième, et le remettra au prêtre. Celui-ci fera sur lui le rite d'expiation avec le bélier du sacrifice de réparation, et il lui sera pardonné.

Lévitique 5, 17 Si quelqu'un pèche et fait sans s'en apercevoir l'une des choses interdites par les commandements de Yahvé, il sera responsable et portera le poids de sa faute.

Lévitique 5, 18 Il amènera au prêtre à titre de sacrifice de réparation un bélier sans défaut de son troupeau, sujet à estimation. Le prêtre fera sur lui le rite d'expiation pour l'inadvertance commise sans le savoir, et il lui sera pardonné.

Lévitique 5, 19 C'est un sacrifice de réparation, cet homme était certainement responsable envers Yahvé.

Lévitique 5, 20 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 5, 21 Si quelqu'un pèche et commet une fraude envers Yahvé en trompant son compatriote au sujet d'un dépôt, d'une garde ou d'un retrait d'objet, ou s'il exploite ce compatriote,

Lévitique 5, 22 ou s'il trouve un objet perdu et le nie, ou s'il prête un faux serment à propos de n'importe quel péché que peut commettre un homme,

Lévitique 5, 23 s'il pèche et devient ainsi responsable, il devra restituer ce qu'il a retiré ou exigé en trop: le dépôt qui lui fut confié, l'objet perdu qu'il a trouvé,

Lévitique 5, 24 ou tout objet au sujet duquel il a prêté un faux serment. En le majorant d'un cinquième, il versera ce capital au détenteur de l'objet au jour où lui-même est devenu responsable.

Lévitique 5, 25 Puis il amènera à Yahvé comme sacrifice de réparation un bélier sans défaut de son troupeau; on l'estimera à la valeur versée au prêtre pour un sacrifice de réparation.

Lévitique 5, 26 Celui-ci fera sur lui le rite d'expiation devant Yahvé, et il lui sera pardonné, quel que soit l'acte qui a entraîné sa culpabilité.

Lévitique 6, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 6, 2 Donne ces ordres à Aaron et à ses fils: Voici le rituel de l'holocauste. (C'est l'holocauste qui se trouve sur le brasier de l'autel toute la nuit jusqu'au matin et que le feu de l'autel consume.)

Lévitique 6, 3 Le prêtre revêtira sa tunique de lin et d'un caleçon de lin couvrira son corps. Puis il enlèvera la cendre grasse de l'holocauste consumé par le feu sur l'autel et la déposera à côté de l'autel.

Lévitique 6, 4 Il retirera alors ses vêtements; il en revêtira d'autres et transportera cette cendre grasse en un lieu pur hors du camp.

Lévitique 6, 5 Le feu qui sur l'autel consume l'holocauste ne s'éteindra pas. Chaque matin le prêtre l'alimentera de bois. Il y disposera l'holocauste et y fera fumer les graisses des sacrifices de communion.

Lévitique 6, 6 Un feu perpétuel brûlera sur l'autel sans s'éteindre.

Lévitique 6, 7 Voici le rituel de l'oblation: Après que l'un des fils d'Aaron l'aura apportée devant l'autel en présence de Yahvé,

Lévitique 6, 8 après qu'il en aura prélevé une poignée de fleur de farine (avec l'huile et tout l'encens qu'on y a joint), après qu'il en aura fait fumer à l'autel le mémorial en parfum d'apaisement pour Yahvé,

Lévitique 6, 9 Aaron et ses fils mangeront le reste sous forme de pains sans levain. Ils le mangeront dans un lieu pur sur le parvis de la Tente du Rendez-vous.

Lévitique 6, 10 On ne cuira pas avec du levain la part de mes mets que je leur donne. C'est une part très sainte comme le sacrifice pour le péché et le sacrifice de réparation.

Lévitique 6, 11 Tout mâle d'entre les fils d'Aaron pourra manger cette part des mets de Yahvé (c'est pour tous vos descendants une loi perpétuelle) et tout ce qui y touche se trouvera consacré.

Lévitique 6, 12 Yahvé parla à Moïse et lui dit:

Lévitique 6, 13 Voici l'offrande que feront à Yahvé Aaron et ses fils le jour de leur onction: un dixième de mesure de fleur de farine à titre d'oblation perpétuelle, moitié le matin et moitié le soir.

Lévitique 6, 14 Elle sera préparée sur la plaque, à l'huile, comme un mélange; tu apporteras la pâte sous forme d'oblation en plusieurs morceaux que tu offriras en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Lévitique 6, 15 Le prêtre qui parmi ses fils recevra l'onction fera de même. C'est une loi perpétuelle. Pour Yahvé cette oblation passera tout entière en fumée.

Lévitique 6, 16 Toute oblation faite par un prêtre doit être un sacrifice total, on n'en mangera pas.

Lévitique 6, 17 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 6, 18 Parle à Aaron et à ses fils, dis-leur: Voici le rituel du sacrifice pour le péché. La victime en sera immolée devant Yahvé, là où l'on immole l'holocauste. C'est une chose très sainte.

Lévitique 6, 19 Le prêtre qui aura offert ce sacrifice la mangera. Elle sera mangée dans un lieu sacré sur le parvis de la Tente du Rendez-vous.

Lévitique 6, 20 Tout ce qui en touchera la chair se trouvera consacré et, si du sang gicle sur les vêtements, la tache sera nettoyée dans un lieu sacré.

Lévitique 6, 21 Le vase d'argile où la viande aura cuit sera brisé et, si elle a cuit dans un vase de bronze, il sera frotté et rincé à grande eau.

Lévitique 6, 22 Tout mâle parmi les prêtres en pourra manger, c'est une chose très sainte;

Lévitique 6, 23 mais on ne mangera aucune des victimes offertes pour le péché, dont le sang aura été porté dans la Tente du Rendez-vous pour faire l'expiation dans le sanctuaire: elles seront livrées au feu.

Lévitique 7, 1 Voici le rituel du sacrifice de réparation: C'est une chose très sainte.

Lévitique 7, 2 On immolera la victime là où l'on immole les holocaustes et le prêtre en fera couler le sang sur le pourtour de l'autel.

Lévitique 7, 3 Puis il en offrira toute la graisse: la queue, la graisse qui couvre les entrailles,

Lévitique 7, 4 les deux rognons, la graisse qui y adhère ainsi qu'aux lombes, la masse graisseuse qu'il détachera du foie et des rognons.

Lévitique 7, 5 Le prêtre fera fumer ces morceaux à l'autel comme mets consumés pour Yahvé. C'est un sacrifice de réparation:

Lévitique 7, 6 tout mâle parmi les prêtres en pourra manger. On en mangera dans un lieu sacré, c'est une chose très sainte.

Lévitique 7, 7 Tel le sacrifice pour le péché, tel le sacrifice de réparation: il y a pour eux même rituel. Au prêtre reviendra l'offrande avec laquelle il a fait le rite d'expiation.

Lévitique 7, 8 La peau de la victime qu'un homme aura présentée à un prêtre pour être offerte en holocauste reviendra à ce prêtre.

Lévitique 7, 9 Toute oblation cuite au four, toute oblation préparée dans un moule ou sur la plaque reviendra au prêtre qui l'aura offerte.

Lévitique 7, 10 Toute oblation pétrie à l'huile ou sèche reviendra à tous les fils d'Aaron sans distinction.

Lévitique 7, 11 Voici le rituel du sacrifice de communion qu'on offrira à Yahvé:

Lévitique 7, 12 Si on le joint à un sacrifice avec louange, on ajoutera à celui-ci une offrande de gâteaux sans levain pétris à l'huile, de galettes sans levain frottées d'huile et de fleur de farine en mélange sous forme de gâteaux pétris à l'huile.

Lévitique 7, 13 On ajoutera donc cette offrande aux gâteaux de pain fermenté et au sacrifice de communion avec louange.

Lévitique 7, 14 On présentera l'un des gâteaux de cette offrande à titre de prélèvement pour Yahvé; il reviendra au prêtre qui aura fait couler le sang du sacrifice de communion.

Lévitique 7, 15 La chair de la victime sera mangée le jour même où sera faite l'offrande, sans en rien laisser jusqu'au lendemain matin.

Lévitique 7, 16 Si la victime est offerte à titre de sacrifice votif ou volontaire, elle sera mangée le jour où on l'offrira ainsi que le lendemain,

Lévitique 7, 17 mais on jettera au feu le troisième jour ce qui resterait de la chair de la victime.

Lévitique 7, 18 S'il arrive qu'au troisième jour on mange de la chair offerte en sacrifice de communion, celui qui l'aura offerte ne sera pas agréé. Il ne lui en sera pas tenu compte, c'est de la viande avariée et la personne qui en mangera portera le poids de sa faute.

Lévitique 7, 19 La chair qui aura touché quoi que ce soit d'impur ne pourra être mangée, on la jettera au feu. Quiconque est pur pourra manger de la chair,

Lévitique 7, 20 mais si quelqu'un se trouve en état d'impureté et mange de la chair d'un sacrifice de communion offert à Yahvé, celui-là sera retranché de sa race.

Lévitique 7, 21 Si quelqu'un touche à une impureté quelconque, d'homme, d'animal ou d'une chose immonde quelle qu'elle soit, et mange ensuite la chair d'un sacrifice de communion offert à Yahvé, celui-là sera retranché de sa race.

Lévitique 7, 22 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 7, 23 Parle aux Israélites, dis-leur: Vous ne mangerez pas de graisse de taureau, de mouton ou de chèvre.

Lévitique 7, 24 La graisse d'une bête morte ou déchirée pourra servir à tout usage, mais vous n'en mangerez point.

Lévitique 7, 25 Quiconque en effet mange la graisse d'un animal dont on offre un mets à Yahvé, celui-là sera retranché de sa race.

Lévitique 7, 26 Où que vous habitiez, vous ne mangerez pas de sang, qu'il s'agisse d'oiseau ou d'animal.

Lévitique 7, 27 Quiconque mange du sang, quel qu'il soit, celui-là sera retranché de sa race.

Lévitique 7, 28 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 7, 29 Parle aux Israélites, dis-leur: Celui qui offrira un sacrifice de communion à Yahvé lui apportera pour offrande une part de son sacrifice.

Lévitique 7, 30 Il apportera de ses propres mains le mets de Yahvé, c'est-à-dire la graisse qui adhère à la poitrine. Il l'apportera ainsi que la poitrine avec laquelle il doit faire le geste de présentation devant Yahvé.

Lévitique 7, 31 Le prêtre fera fumer la graisse à l'autel et la poitrine reviendra à Aaron et à ses fils.

Lévitique 7, 32 A titre de prélèvement sur vos sacrifices de communion, vous donnerez au prêtre la cuisse droite.

Lévitique 7, 33 Cette cuisse droite sera la part de celui des fils d'Aaron qui aura offert le sang et la graisse du sacrifice de communion.

Lévitique 7, 34 Je retiens en effet aux enfants d'Israël sur leurs sacrifices de communion la poitrine à offrir et la cuisse à prélever; je les donne à Aaron le prêtre, et à ses fils: c'est une loi perpétuelle pour les Israélites.

Lévitique 7, 35 Telle fut la part d'Aaron sur les mets consumés de Yahvé et celle de ses fils, le jour où il les présenta à Yahvé pour qu'ils soient ses prêtres.

Lévitique 7, 36 C'est ce que Yahvé ordonne aux Israélites de leur donner le jour de leur onction: loi perpétuelle pour tous leurs descendants.

Lévitique 7, 37 Tel est le rituel concernant l'holocauste, l'oblation, le sacrifice pour le péché, les sacrifices de réparation, d'investiture et de communion.

Lévitique 7, 38 C'est ce que Yahvé a ordonné à Moïse sur le mont Sinaï le jour où il ordonna aux Israélites de présenter leurs offrandes à Yahvé dans le désert du Sinaï.

Lévitique 8, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 8, 2 Prends Aaron, ses fils avec lui, les vêtements, l'huile d'onction, le taureau du sacrifice pour le péché, les deux béliers, la corbeille des azymes.

Lévitique 8, 3 Puis convoque toute la communauté à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Lévitique 8, 4 Moïse suivit les ordres de Yahvé, la communauté se réunit à l'entrée de la Tente du Rendez-vous,

Lévitique 8, 5 et Moïse lui dit: "Voici ce que Yahvé a ordonné de faire."

Lévitique 8, 6 Il fit approcher Aaron et ses fils et les lava dans l'eau.

Lévitique 8, 7 Il lui mit la tunique, lui passa la ceinture, le revêtit du manteau et plaça sur lui l'éphod. Puis il le ceignit de l'écharpe de l'éphod et la fixa sur lui.

Lévitique 8, 8 Il lui imposa le pectoral, où il mit l'Urim et le Tummim.

Lévitique 8, 9 Sur la tête il lui mit le turban, et sur le devant du turban la fleur d'or; c'est le signe de sainte consécration tel que Yahvé le prescrivit à Moïse.

Lévitique 8, 10 Moïse prit alors l'huile d'onction, il oignit pour les consacrer la Demeure et tout ce qui s'y trouvait.

Lévitique 8, 11 Il fit sept aspersions sur l'autel et oignit pour les consacrer l'autel et ses accessoires, le bassin et son socle.

Lévitique 8, 12 Il versa de l'huile d'onction sur la tête d'Aaron, et l'oignit pour le consacrer.

Lévitique 8, 13 Moïse fit alors approcher les fils d'Aaron, qu'il revêtit de tuniques, auxquels il passa des ceintures et fixa des calottes, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Lévitique 8, 14 Puis il fit approcher le taureau du sacrifice pour le péché. Aaron et ses fils posèrent leur main sur la tête de cette victime,

Lévitique 8, 15 et Moïse l'immola. Il prit alors le sang, avec son doigt il en déposa sur les cornes du pourtour de l'autel pour ôter le péché de celui-ci. Puis il versa le sang à la base de l'autel, qu'il consacra en faisant sur lui le rite d'expiation.

Lévitique 8, 16 Il prit ensuite toute la graisse qui enveloppe les entrailles, la masse de graisse qui part du foie, les deux rognons et leur graisse, et il les fit fumer à l'autel.

Lévitique 8, 17 Quant à la peau du taureau, sa chair et sa fiente, il les brûla hors du camp comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Lévitique 8, 18 Il fit alors approcher le bélier de l'holocauste. Aaron et ses fils posèrent leur main sur la tête de ce bélier,

Lévitique 8, 19 et Moïse l'immola. Il en fit couler le sang sur le pourtour de l'autel.

Lévitique 8, 20 Puis il dépeça le bélier en quartiers et fit fumer la tête, les quartiers et la graisse.

Lévitique 8, 21 Il lava dans l'eau les entrailles et les pattes et fit fumer à l'autel le bélier tout entier. C'était un holocauste en parfum d'apaisement, un mets consumé pour Yahvé, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Lévitique 8, 22 Il fit alors approcher le second bélier, bélier du sacrifice d'investiture. Aaron et ses fils posèrent leur main sur la tête de ce bélier,

Lévitique 8, 23 et Moïse l'immola. Il en prit du sang qu'il déposa sur le lobe de l'oreille droite d'Aaron, sur le pouce de sa main droite et sur le gros orteil de son pied droit.

Lévitique 8, 24 Puis il fit approcher les fils d'Aaron et déposa de ce sang sur le lobe de leur oreille droite, sur le pouce de leur main droite et sur le gros orteil de leur pied droit. Moïse fit ensuite couler le sang sur le pourtour de l'autel;

Lévitique 8, 25 il prit aussi la graisse: la queue, toute la graisse qui adhère aux entrailles, la masse de graisse qui part du foie, les deux rognons et leur graisse, la cuisse droite.

Lévitique 8, 26 De la corbeille des azymes placée devant Yahvé il prit un gâteau d'azyme, un gâteau de pain à l'huile, et une galette qu'il joignit aux graisses et à la cuisse droite.

Lévitique 8, 27 Il mit le tout dans les mains d'Aaron et dans celles de ses fils et fit le geste de présentation devant Yahvé.

Lévitique 8, 28 Moïse les reprit alors de leurs mains et les fit fumer à l'autel en plus de l'holocauste. C'était le sacrifice d'investiture en parfum d'apaisement, un mets consumé pour Yahvé.

Lévitique 8, 29 Moïse prit aussi la poitrine et fit le geste de présentation devant Yahvé. Ce fut la part du bélier d'investiture qui revint à Moïse, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Lévitique 8, 30 Moïse prit ensuite de l'huile d'onction et du sang qui était sur l'autel; il en aspergea Aaron et ses vêtements ainsi que ses fils et leurs vêtements. Il consacra par là Aaron et ses vêtements ainsi que ses fils et leurs vêtements.

Lévitique 8, 31 Moïse dit alors à Aaron et à ses fils: "Faites cuire la viande à l'entrée de la Tente du Rendez-vous; vous la mangerez là, ainsi que le pain déposé dans la corbeille du sacrifice d'investiture, comme je l'ai ordonné en disant: Aaron et ses fils le mangeront.

Lévitique 8, 32 Ce qui reste de la viande et du pain, vous le brûlerez.

Lévitique 8, 33 Sept jours durant vous ne quitterez pas l'entrée de la Tente du Rendez-vous jusqu'à ce que s'achève le temps de votre investiture, car il faudra sept jours pour votre investiture.

Lévitique 8, 34 Yahvé a commandé de procéder comme on a procédé aujourd'hui pour accomplir sur vous le rite d'expiation,

Lévitique 8, 35 et, pendant sept jours, jour et nuit, vous demeurerez à l'entrée de la Tente du Rendez-vous en observant le rituel de Yahvé; ainsi vous ne mourrez pas. C'est en effet l'ordre que j'ai reçu."

Lévitique 8, 36 Aaron et ses fils firent tout ce que Yahvé avait ordonné par l'intermédiaire de Moïse.

Lévitique 9, 1 Au huitième jour Moïse convoqua Aaron, ses fils et les anciens d'Israël;

Lévitique 9, 2 il dit à Aaron: "Prends un veau pour faire un sacrifice pour le péché et un bélier pour un holocauste, l'un et l'autre sans défaut, et amène-les devant Yahvé."

Lévitique 9, 3 Tu diras ensuite aux enfants d'Israël: "Prenez un bouc pour offrir un sacrifice pour le péché, un veau et un agneau d'un an (tous deux sans défaut) pour un holocauste,

Lévitique 9, 4 un taureau et un bélier pour des sacrifices de communion à immoler devant Yahvé, enfin une oblation pétrie à l'huile. Aujourd'hui en effet Yahvé vous apparaîtra."

Lévitique 9, 5 Ils amenèrent devant la Tente du Rendez-vous ce qu'avait commandé Moïse, puis toute la communauté s'approcha et se tint devant Yahvé.

Lévitique 9, 6 Moïse dit: "Voici ce que Yahvé vous a ordonné de faire pour que sa gloire vous apparaisse."

Lévitique 9, 7 Moïse alors s'adressa à Aaron: "Approche-toi de l'autel, offre ton sacrifice pour le péché et ton holocauste, et fais ainsi le rite d'expiation pour toi et pour ta maison. Présente alors l'offrande du peuple et fais pour lui le rite d'expiation comme l'a ordonné Yahvé."

Lévitique 9, 8 Aaron s'approcha de l'autel, immola le veau du sacrifice pour son propre péché.

Lévitique 9, 9 Puis les fils d'Aaron lui présentèrent le sang; il y trempa le doigt et en déposa sur les cornes de l'autel, puis il versa le sang à la base de l'autel.

Lévitique 9, 10 La graisse du sacrifice pour le péché, les rognons et la masse de graisse qui part du foie, il les fit fumer à l'autel comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse;

Lévitique 9, 11 la chair et la peau, il les brûla hors du camp.

Lévitique 9, 12 Il immola ensuite l'holocauste, dont les fils d'Aaron lui remirent le sang; il le fit couler sur le pourtour de l'autel.

Lévitique 9, 13 Ils lui remirent aussi la victime dépecée en quartiers, ainsi que la tête, et il les fit fumer à l'autel.

Lévitique 9, 14 Il lava entrailles et pattes et les fit fumer à l'autel en plus de l'holocauste.

Lévitique 9, 15 Il présenta alors l'offrande du peuple: il prit le bouc du sacrifice pour le péché du peuple, il l'immola et en fit un sacrifice pour le péché de la même manière que pour le premier.

Lévitique 9, 16 Il fit alors approcher l'holocauste et procéda selon la règle.

Lévitique 9, 17 Puis, ayant fait approcher l'oblation, il en prit une pleine poignée qu'il fit fumer à l'autel en plus de l'holocauste du matin.

Lévitique 9, 18 Enfin il immola le taureau et le bélier en sacrifice de communion pour le peuple. Les fils d'Aaron lui en remirent le sang et il le fit couler sur le pourtour de l'autel.

Lévitique 9, 19 Les graisses de ce taureau et de ce bélier, la queue, la graisse enveloppante, les rognons, la masse de graisse qui part du foie,

Lévitique 9, 20 il les posa sur les poitrines et les fit fumer à l'autel.

Lévitique 9, 21 Avec les poitrines et la cuisse droite Aaron fit le geste de présentation devant Yahvé, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Lévitique 9, 22 Aaron éleva les mains vers le peuple et le bénit. Ayant ainsi accompli le sacrifice pour le péché, l'holocauste et le sacrifice de communion, il descendit;

Lévitique 9, 23 avec Moïse il entra dans la Tente du Rendez-vous. Puis ils en sortirent tous deux pour bénir le peuple. La gloire de Yahvé apparut à tout le peuple,

Lévitique 9, 24 une flamme jaillit de devant Yahvé, qui dévora sur l'autel l'holocauste et les graisses. A cette vue le peuple entier poussa des cris de jubilation et tous tombèrent la face contre terre.

Lévitique 10, 1 Les fils d'Aaron, Nadab et Abihu, prirent chacun leur encensoir. Ils y mirent du feu sur lequel ils posèrent de l'encens, et ils présentèrent devant Yahvé un feu irrégulier qu'il ne leur avait pas prescrit.

Lévitique 10, 2 De devant Yahvé jaillit alors une flamme qui les dévora, et ils périrent en présence de Yahvé.

Lévitique 10, 3 Moïse dit alors à Aaron: "C'est là ce que Yahvé avait déclaré par ces mots: En mes proches je montre ma sainteté, et devant tout le peuple je montre ma gloire." Aaron resta muet.

Lévitique 10, 4 Moïse appela Mishaël et Elçaphân, fils d'Uzziel oncle d'Aaron, et leur dit: "Approchez et emportez vos frères loin du sanctuaire, hors du camp."

Lévitique 10, 5 Ils s'approchèrent et les emportèrent dans leurs propres tuniques, hors du camp, comme Moïse l'avait dit.

Lévitique 10, 6 Moïse dit à Aaron et à ses fils, Eléazar et Itamar: "Ne déliez point vos cheveux et ne déchirez point vos vêtements, vous ne mourrez pas. C'est contre la communauté tout entière qu'Il s'est irrité, c'est toute la maison d'Israël qui pleurera vos frères, ces victimes du feu de Yahvé.

Lévitique 10, 7 Ne quittez pas l'entrée de la Tente du Rendez-vous de peur que vous ne mouriez, vous avez eu en effet sur vous l'huile de l'onction de Yahvé." Ils se conformèrent aux paroles de Moïse.

Lévitique 10, 8 Yahvé parla à Aaron et dit:

Lévitique 10, 9 "Quand vous venez à la Tente du Rendez-vous, toi et tes fils avec toi, ne buvez ni vin ni autre boisson fermentée; alors vous ne mourrez pas. C'est pour tous vos descendants une loi perpétuelle.

Lévitique 10, 10 Qu'il en soit de même quand vous séparez le sacré et le profane, l'impur et le pur,

Lévitique 10, 11 et quand vous faites connaître aux Israélites n'importe lequel des décrets que Yahvé a édictés pour vous par l'intermédiaire de Moïse."

Lévitique 10, 12 Moïse dit à Aaron et à ses fils survivants, Eléazar et Itamar: "Prenez l'oblation qui reste des mets de Yahvé. Mangez-en les azymes à côté de l'autel, car c'est chose très sainte.

Lévitique 10, 13 Puis mangez-la dans un lieu sacré: c'est la part prescrite pour toi et tes fils sur les mets de Yahvé; ainsi en ai-je reçu l'ordre.

Lévitique 10, 14 "La poitrine de présentation et la cuisse de prélèvement, vous les mangerez dans un lieu pur, toi, tes fils et tes filles avec toi; c'est la part prescrite, pour toi et tes fils, celle que l'on te donne sur les sacrifices de communion des Israélites.

Lévitique 10, 15 La cuisse de prélèvement et la poitrine de présentation qui accompagnent les graisses consumées te reviennent, à toi et à tes fils avec toi, après qu'on les aura offertes en geste de présentation devant Yahvé; ceci en vertu d'une loi perpétuelle, comme Yahvé l'a ordonné."

Lévitique 10, 16 Moïse s'enquit alors du bouc offert en sacrifice pour le péché: voilà qu'on l'avait brûlé! Il s'irrita contre Eléazar et Itamar, les fils survivants d'Aaron:

Lévitique 10, 17 "Pourquoi, dit-il, n'avez-vous pas mangé cette victime dans le lieu sacré? Car c'est une chose très sainte qui vous a été donnée pour ôter la faute de la communauté en faisant sur elle le rite d'expiation devant Yahvé.

Lévitique 10, 18 Puisque le sang n'en a pas été porté à l'intérieur du sanctuaire, vous y deviez manger la chair comme je l'avais ordonné."

Lévitique 10, 19 Aaron dit à Moïse: "Voici qu'ils ont offert aujourd'hui leur sacrifice pour le péché et leur holocauste devant Yahvé! Qu'il se fût agi de moi, si j'avais mangé aujourd'hui de la victime pour le péché, cela eût-il paru bon à Yahvé?"

Lévitique 10, 20 Moïse entendit, et cela lui parut bon.

Lévitique 11, 1 Yahvé parla à Moïse et à Aaron, et leur dit:

Lévitique 11, 2 Parlez aux Israélites, dites-leur: Voici, entre tous les animaux terrestres, les bêtes que vous pourrez manger.

Lévitique 11, 3 Tout animal qui a le sabot fourchu, fendu en deux ongles, et qui rumine, vous pourrez le manger.

Lévitique 11, 4 Voici seulement, parmi ceux qui ruminent ou qui ont le sabot fourchu, les espèces que vous ne pourrez manger. Vous tiendrez pour impur le chameau parce que, bien que ruminant, il n'a pas le sabot fourchu;

Lévitique 11, 5 vous tiendrez pour impur le daman parce que, bien que ruminant, il n'a pas le sabot fourchu;

Lévitique 11, 6 vous tiendrez pour impur le lièvre parce que, bien que ruminant, il n'a pas le sabot fourchu;

Lévitique 11, 7 vous tiendrez pour impur le porc parce que tout en ayant le sabot fourchu, fendu en deux ongles, il ne rumine pas.

Lévitique 11, 8 Vous ne mangerez pas de leur chair ni ne toucherez à leur cadavre, vous les tiendrez pour impurs.

Lévitique 11, 9 Parmi tout ce qui vit dans l'eau, vous pourrez manger ceci. Tout ce qui a nageoires et écailles et vit dans l'eau, mers ou fleuves, vous en pourrez manger.

Lévitique 11, 10 Mais tout ce qui n'a point nageoires et écailles, dans les mers ou dans les fleuves, entre toutes les bestioles des eaux et tous les êtres vivants qui s'y trouvent, vous les tiendrez pour immondes.

Lévitique 11, 11 Vous les tiendrez pour immondes, vous n'en mangerez point la chair et vous aurez en dégoût leurs cadavres.

Lévitique 11, 12 Tout ce qui vit dans l'eau sans avoir nageoires et écailles, vous le tiendrez pour immonde.

Lévitique 11, 13 Voici, parmi les oiseaux, ceux que vous tiendrez pour immondes; on n'en mangera pas, c'est chose immonde: le vautour-griffon, le gypaète, l'orfraie,

Lévitique 11, 14 le milan noir, les différentes espèces de milan rouge,

Lévitique 11, 15 toutes les espèces de corbeau,

Lévitique 11, 16 l'autruche, le chat-huant, la mouette et les différentes espèces d'épervier,

Lévitique 11, 17 le hibou, le cormoran, la chouette,

Lévitique 11, 18 l'ibis, le pélican, le vautour blanc,

Lévitique 11, 19 la cigogne et les différentes espèces de héron, la huppe, la chauve-souris.

Lévitique 11, 20 Toutes les bestioles ailées qui marchent sur quatre pattes, vous les tiendrez pour immondes.

Lévitique 11, 21 De toutes ces bestioles ailées qui marchent sur quatre pattes vous ne pourrez manger que celles-ci: celles qui ont des pattes au-dessus de leurs pieds, pour sauter sur le sol.

Lévitique 11, 22 Voici celles dont vous pourrez manger: les différentes espèces de sauterelles migratrices, de sauterelles solham, de sauterelles hargol, de sauterelles hagab.

Lévitique 11, 23 Mais toutes les bestioles ailées à quatre pattes, vous les tiendrez pour immondes.

Lévitique 11, 24 Vous contracterez d'elles une impureté: quiconque touchera leur cadavre sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 11, 25 Quiconque transportera leur cadavre devra nettoyer ses vêtements et sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 11, 26 Quant aux animaux qui ont un sabot, mais non fendu, et qui ne ruminent pas, vous les tiendrez pour impurs, quiconque les touchera sera impur.

Lévitique 11, 27 Ceux des animaux à quatre pattes qui marchent sur la plante des pieds, vous les tiendrez pour impurs; quiconque touchera leur cadavre sera impur jusqu'au soir,

Lévitique 11, 28 et quiconque transportera leur cadavre devra nettoyer ses vêtements et sera impur jusqu'au soir. Vous les tiendrez pour impurs.

Lévitique 11, 29 Voici, parmi les bestioles qui rampent sur terre, celles que vous tiendrez pour impures: la taupe, le rat et les différentes espèces de lézards:

Lévitique 11, 30 gecko, koah, letaah, caméléon et tinchamète.

Lévitique 11, 31 Parmi toutes les bestioles ce sont ces animaux que vous tiendrez pour impurs. Quiconque les touchera quand ils sont morts sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 11, 32 Tout objet sur lequel tombe l'un d'entre eux, une fois mort, en devient impur: tout ustensile de bois, vêtement, peau, sac, quelque ustensile que ce soit. On le passera dans l'eau et il restera impur jusqu'au soir; puis il sera pur.

Lévitique 11, 33 Tout vase d'argile dans lequel tombera l'un d'entre eux, vous le briserez; son contenu en est impur.

Lévitique 11, 34 Toute nourriture dont on mange sera impure, même humectée d'eau; tout breuvage dont on boit sera impur, quel qu'en soit le récipient.

Lévitique 11, 35 Tout ce sur quoi tombe l'un de leurs cadavres sera impur; four et fourneau seront détruits car impurs ils sont et impurs ils seront pour vous

Lévitique 11, 36 (toutefois sources, citernes, et étendues d'eau resteront pures); quiconque touche à l'un de leurs cadavres sera impur.

Lévitique 11, 37 Si l'un de leurs cadavres tombe sur une semence quelconque, elle restera pure,

Lévitique 11, 38 mais si la graine a été humectée d'eau et si un de leurs cadavres tombe dessus, vous la tiendrez pour impure.

Lévitique 11, 39 Si vient à périr un des animaux qui vous servent de nourriture, celui qui en touchera le cadavre sera impur jusqu'au soir,

Lévitique 11, 40 celui qui mangera de sa chair morte devra nettoyer ses vêtements et sera impur jusqu'au soir, celui qui transportera son cadavre devra nettoyer ses vêtements et sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 11, 41 Toute bestiole qui grouille sur terre est immonde, on n'en mangera pas.

Lévitique 11, 42 Tout ce qui se traîne sur le ventre, tout ce qui marche sur quatre pattes ou plus, bref toutes les bestioles qui grouillent sur terre, vous n'en mangerez pas car elles sont immondes.

Lévitique 11, 43 Ne vous rendez pas vous-mêmes immondes avec toutes ces bestioles grouillantes, ne vous contaminez pas avec elles et ne soyez pas contaminés par elles.

Lévitique 11, 44 Car c'est moi, Yahvé, qui suis votre Dieu. Vous vous êtes sanctifiés et vous êtes devenus saints car je suis saint; ne vous rendez donc pas impurs avec toutes ces bestioles qui rampent sur terre.

Lévitique 11, 45 Oui, c'est moi Yahvé qui vous ai fait monter du pays d'Egypte pour être votre Dieu: vous serez donc saints parce que je suis saint.

Lévitique 11, 46 Telle est la loi concernant les animaux, les oiseaux, tout être vivant qui se meut dans l'eau et tout être qui rampe sur terre.

Lévitique 11, 47 Elle a pour but de séparer le pur et l'impur, les bêtes que l'on peut manger et celles que l'on ne doit pas manger.

Lévitique 12, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 12, 2 Parle aux Israélites, dis-leur: Si une femme est enceinte et enfante un garçon, elle sera impure pendant sept jours comme au temps de la souillure de ses règles.

Lévitique 12, 3 Au huitième jour on circoncira le prépuce de l'enfant

Lévitique 12, 4 et pendant 33 jours encore elle restera à purifier son sang. Elle ne touchera à rien de consacré et n'ira pas au sanctuaire jusqu'à ce que soit achevé le temps de sa purification.

Lévitique 12, 5 Si elle enfante une fille, elle sera impure pendant deux semaines, comme pendant ses règles, et restera de plus 66 jours à purifier son sang.

Lévitique 12, 6 Quand sera achevée la période de sa purification, que ce soit pour un garçon ou pour une fille, elle apportera au prêtre, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous, un agneau d'un an pour un holocauste et un pigeon ou une tourterelle en sacrifice pour le péché.

Lévitique 12, 7 Le prêtre l'offrira devant Yahvé, accomplira sur elle le rite d'expiation et elle sera purifiée de son flux de sang. Telle est la loi concernant la femme qui enfante un garçon ou une fille.

Lévitique 12, 8 Si elle est incapable de trouver la somme nécessaire pour une tête de petit bétail, elle prendra deux tourterelles ou deux pigeons, l'un pour l'holocauste et l'autre en sacrifice pour le péché. Le prêtre fera sur elle le rite d'expiation et elle sera purifiée.

Lévitique 13, 1 Yahvé parla à Moïse et à Aaron, et dit:

Lévitique 13, 2 S'il se forme sur la peau d'un homme une tumeur, une dartre ou une tache, un cas de lèpre de la peau est à prévoir. On le conduira à Aaron, le prêtre, ou à l'un des prêtres ses fils.

Lévitique 13, 3 Le prêtre examinera le mal sur la peau. Si à l'endroit malade le poil a viré au blanc, si ce mal fait un creux dans l'épiderme, c'est bien un cas de lèpre; après observation le prêtre déclarera l'homme impur.

Lévitique 13, 4 Mais si sur la peau il y a une tache blanche, sans dépression visible de la peau et sans blanchissement du poil, le prêtre séquestrera le malade pendant sept jours.

Lévitique 13, 5 Il l'examinera le septième jour. S'il constate de ses propres yeux que le mal subsiste sans se développer sur la peau, il le séquestrera encore durant sept jours

Lévitique 13, 6 et l'examinera à nouveau le septième jour. S'il constate que le mal est devenu mat et ne s'est pas développé sur la peau, le prêtre déclarera pur cet homme: il s'agit d'une dartre. Après avoir nettoyé ses vêtements il sera pur.

Lévitique 13, 7 Mais si la dartre s'est développée sur la peau après que le malade a été examiné par le prêtre et déclaré pur, il se présentera à lui de nouveau.

Lévitique 13, 8 Après l'avoir examiné et après avoir constaté le développement de la dartre sur la peau, le prêtre le déclarera impur: il s'agit de lèpre.

Lévitique 13, 9 Lorsqu'apparaîtra sur un homme un mal du genre lèpre, on le conduira au prêtre.

Lévitique 13, 10 Le prêtre l'examinera, et s'il constate sur la peau une tumeur blanchâtre avec blanchissement du poil et production d'un ulcère,

Lévitique 13, 11 c'est une lèpre invétérée sur la peau. Le prêtre le déclarera impur. Il ne le séquestrera pas, sans aucun doute il est impur.

Lévitique 13, 12 Mais si la lèpre prolifère sur la peau, si la maladie la recouvre tout entière et s'étend de la tête aux pieds, où que regarde le prêtre,

Lévitique 13, 13 celui-ci examinera le malade et, constatant que la lèpre recouvre tout son corps, il déclarera pur le malade. Puisque tout a viré au blanc, il est pur.

Lévitique 13, 14 Toutefois, le jour où apparaîtra sur lui un ulcère, il sera impur.

Lévitique 13, 15 Après examen de l'ulcère, le prêtre le déclarera impur: l'ulcère est chose impure, c'est de la lèpre.

Lévitique 13, 16 Mais si l'ulcère redevient blanc, l'homme ira trouver le prêtre,

Lévitique 13, 17 celui-ci l'examinera et, s'il constate que le mal a viré au blanc, il déclarera pur le malade: il est pur.

Lévitique 13, 18 Lorsqu'il s'est produit sur la peau de quelqu'un un ulcère qui a guéri,

Lévitique 13, 19 s'il se forme à la place de l'ulcère une tumeur blanchâtre ou une tache d'un blanc rougeâtre, cet homme se montrera au prêtre.

Lévitique 13, 20 Celui-ci l'examinera; s'il constate un affaissement visible de la peau et un blanchissement du poil, le prêtre le déclarera impur: c'est un cas de lèpre qui prolifère dans un ulcère.

Lévitique 13, 21 Si, à l'examen, le prêtre ne constate ni poils blancs, ni affaissement de la peau, mais un ternissement du mal, il séquestrera sept jours le malade.

Lévitique 13, 22 Il le déclarera impur si le mal s'est développé sur la peau: c'est un cas de lèpre.

Lévitique 13, 23 Mais si la tache est restée stationnaire sans s'étendre, c'est la cicatrice de l'ulcère: le prêtre déclarera cet homme pur.

Lévitique 13, 24 Lorsqu'il s'est produit sur la peau de quelqu'un une brûlure, s'il se forme sur la brûlure un abcès, une tache blanc-rougeâtre ou blanchâtre,

Lévitique 13, 25 le prêtre l'examinera. S'il constate un blanchissement du poil ou un affaissement visible de la tache dans la peau, c'est la lèpre qui prolifère dans la brûlure. Le prêtre déclarera l'homme impur: c'est un cas de lèpre.

Lévitique 13, 26 Si au contraire le prêtre, à l'examen, ne constate point de poils blancs dans la tache ni d'affaissement de la peau mais un ternissement de cette tache, le prêtre le séquestrera sept jours.

Lévitique 13, 27 Il l'examinera le septième jour et, si le mal s'est étendu sur la peau, il le déclarera impur: c'est un cas de lèpre.

Lévitique 13, 28 Si la tache est restée stationnaire sans s'étendre sur la peau, si elle s'est au contraire ternie, ce n'est qu'une tumeur due à la brûlure. Le prêtre déclarera l'homme pur, ce n'est que la cicatrice de la brûlure.

Lévitique 13, 29 Si un homme ou une femme porte une plaie à la tête ou au menton,

Lévitique 13, 30 le prêtre examinera cette plaie et, s'il y constate une dépression visible de la peau avec poil jaunâtre et grêle, il déclarera le malade impur. C'est la teigne, c'est-à-dire la lèpre de la tête ou du menton.

Lévitique 13, 31 Si à l'examen de ce cas de teigne le prêtre constate qu'il n'y a point dépression visible de la peau ni poil jaunâtre, il séquestrera sept jours le teigneux.

Lévitique 13, 32 Il examinera le mal le septième jour et, s'il constate que la teigne ne s'est pas développée, que le poil n'y est point jaunâtre, qu'il n'y a point de dépression visible de la peau,

Lévitique 13, 33 le malade se rasera, en omettant toutefois la partie teigneuse, et le prêtre le séquestrera une seconde fois pendant sept jours.

Lévitique 13, 34 Il examinera le mal le septième jour, et, s'il constate qu'il ne s'est pas développé sur la peau, qu'il n'y a pas dépression visible de la peau, le prêtre déclarera pur ce malade. Après avoir nettoyé ses vêtements il sera pur.

Lévitique 13, 35 Si toutefois après cette purification la teigne s'est développée sur la peau,

Lévitique 13, 36 le prêtre l'examinera: s'il constate un développement de la teigne sur la peau, c'est que le malade est impur et l'on ne vérifiera pas si le poil est jaunâtre.

Lévitique 13, 37 Tandis que si la teigne apparaît stationnaire et s'il y pousse du poil noir, c'est que le malade est guéri. Il est pur et le prêtre le déclarera pur.

Lévitique 13, 38 S'il se produit des taches sur la peau d'un homme ou d'une femme et si ces taches sont blanches,

Lévitique 13, 39 le prêtre les examinera. S'il constate que ces taches sur la peau sont d'un blanc terne, il s'agit d'un exanthème qui a proliféré sur la peau: le malade est pur.

Lévitique 13, 40 Si un homme perd les cheveux de son crâne, c'est la calvitie du crâne, il est pur.

Lévitique 13, 41 Si c'est sur le devant de la tête qu'il perd ses cheveux, c'est une calvitie du front, il est pur.

Lévitique 13, 42 Mais s'il y a au crâne ou au front un mal blanc-rougeâtre, c'est qu'une lèpre prolifère sur le crâne ou le front de cet homme.

Lévitique 13, 43 Le prêtre l'examinera et, s'il constate au crâne ou au front une tumeur blanc-rougeâtre, de même aspect que la lèpre de la peau,

Lévitique 13, 44 c'est que l'homme est lépreux; il est impur. Le prêtre devra le déclarer impur, il est atteint de lèpre à la tête.

Lévitique 13, 45 Le lépreux atteint de ce mal portera ses vêtements déchirés et ses cheveux dénoués; il se couvrira la moustache et il criera: "Impur! Impur!"

Lévitique 13, 46 Tant que durera son mal, il sera impur et, étant impur, il demeurera à part: sa demeure sera hors du camp.

Lévitique 13, 47 Lorsqu'un vêtement est atteint de lèpre, que ce soit un vêtement de laine ou de lin,

Lévitique 13, 48 un tissu ou une couverture en laine ou en lin, du cuir ou un travail quelconque en cuir,

Lévitique 13, 49 si la tache de ce vêtement, de ce cuir, de ce tissu, de cette couverture ou de cet objet de cuir apparaît verdâtre ou rougeâtre c'est un cas de lèpre à montrer au prêtre.

Lévitique 13, 50 Le prêtre examinera le mal et séquestrera l'objet pendant sept jours.

Lévitique 13, 51 S'il observe au septième jour que le mal s'est étendu sur ce vêtement, ce tissu, cette couverture, ce cuir ou cet objet fait en cuir, quel qu'il soit, c'est un cas de lèpre contagieuse: l'objet atteint est impur.

Lévitique 13, 52 Il brûlera ce vêtement, ce tissu, cette couverture de laine ou de lin, cet objet de cuir quel qu'il soit, sur lequel s'est déclaré le mal, car c'est une lèpre contagieuse qui doit être consumée par le feu.

Lévitique 13, 53 Mais si, à l'examen, le prêtre constate que le mal ne s'est pas étendu sur ce vêtement, ce tissu, cette couverture, ou sur cet objet de cuir quel qu'il soit,

Lévitique 13, 54 il ordonnera de nettoyer l'objet attaqué et le séquestrera une seconde fois pendant sept jours.

Lévitique 13, 55 Après nettoiement il examinera le mal et, s'il constate qu'il n'a pas changé d'aspect, tout en ne s'étendant pas, l'objet est impur. Tu le consumeras par le feu: il y a corrosion à l'endroit et à l'envers.

Lévitique 13, 56 Mais si, à l'examen, le prêtre constate qu'après nettoiement le mal a terni, il l'arrachera du vêtement, du cuir, du tissu ou de la couverture.

Lévitique 13, 57 Toutefois, si le mal reparaît sur ce vêtement, ce tissu, cette couverture ou cet objet de cuir quel qu'il soit, c'est que le mal est actif et tu consumeras par le feu ce qui en est atteint.

Lévitique 13, 58 Quant au vêtement, au tissu, à la couverture et à l'objet quelconque en cuir dont le mal aura disparu après nettoiement, il sera pur après avoir été nettoyé une seconde fois.

Lévitique 13, 59 Telle est la loi pour le cas de lèpre d'un vêtement en laine ou en lin, d'un tissu, d'une couverture ou d'un objet en cuir quel qu'il soit, lorsqu'il s'agit de les déclarer purs ou impurs.

Lévitique 14, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 14, 2 Voici la loi à appliquer au lépreux le jour de sa purification. On le conduira au prêtre,

Lévitique 14, 3 et le prêtre sortira du camp. S'il constate, après examen, que le lépreux est guéri de sa lèpre,

Lévitique 14, 4 il ordonnera de prendre pour l'homme à purifier deux oiseaux vivants et purs, du bois de cèdre, du rouge de cochenille et de l'hysope.

Lévitique 14, 5 Il ordonnera ensuite d'immoler un oiseau sur un pot d'argile au-dessus d'une eau vive.

Lévitique 14, 6 Quant à l'oiseau encore vivant, il le prendra ainsi que le bois de cèdre, le rouge de cochenille, l'hysope, et il plongera le tout (y compris l'oiseau vivant) dans le sang de l'oiseau immolé au-dessus de l'eau courante.

Lévitique 14, 7 Il fera alors sept aspersions sur l'homme à purifier de la lèpre et, l'ayant déclaré pur, il lâchera l'oiseau vivant dans la campagne.

Lévitique 14, 8 Celui qui se purifie nettoiera ses vêtements, il se rasera tous les poils, il se lavera à l'eau et sera pur. Après quoi il rentrera au camp, mais il restera sept jours hors de sa tente.

Lévitique 14, 9 Le septième jour il se rasera tous les poils: cheveux, barbe, sourcils; il devra se raser tous les poils. Après avoir nettoyé ses vêtements et s'être lavé à l'eau, il sera pur.

Lévitique 14, 10 Le huitième jour il prendra deux agneaux sans défaut, une agnelle d'un an sans défaut, trois dixièmes de fleur de farine pétrie à l'huile, pour l'oblation, et une pinte d'huile.

Lévitique 14, 11 Le prêtre qui accomplit la purification placera l'homme à purifier, ainsi que ses offrandes, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous, devant Yahvé.

Lévitique 14, 12 Puis il prendra l'un des agneaux. Il l'offrira en sacrifice de réparation ainsi que la pinte d'huile. Il fera avec eux le geste de présentation devant Yahvé.

Lévitique 14, 13 Il immolera l'agneau à l'endroit du lieu saint où l'on immole les victimes du sacrifice pour le péché et de l'holocauste. Cette victime de réparation reviendra au prêtre comme un sacrifice pour le péché, c'est une chose très sainte.

Lévitique 14, 14 Le prêtre prendra du sang de ce sacrifice. Il le mettra sur le lobe de l'oreille droite de celui qui se purifie, sur le pouce de sa main droite et sur le gros orteil de son pied droit.

Lévitique 14, 15 Il prendra ensuite la pinte d'huile et en versera un peu dans le creux de sa main gauche.

Lévitique 14, 16 Il trempera un doigt de sa main droite dans l'huile qui est au creux de sa main gauche et de cette huile il fera avec son doigt sept aspersions devant Yahvé.

Lévitique 14, 17 Puis il mettra un peu de l'huile qui lui reste dans le creux de la main sur le lobe de l'oreille droite de celui qui se purifie, sur le pouce de sa main droite et sur le gros orteil de son pied droit, en plus du sang du sacrifice de réparation.

Lévitique 14, 18 Le reste d'huile qu'il a dans le creux de la main, il le mettra sur la tête de celui qui se purifie. Il aura fait ainsi sur lui le rite d'expiation devant Yahvé.

Lévitique 14, 19 Le prêtre fera alors le sacrifice pour le péché et accomplira sur celui qui se purifie le rite d'expiation de son impureté. Après quoi il immolera l'holocauste,

Lévitique 14, 20 il fera monter à l'autel holocauste et oblation. Quand le prêtre aura ainsi accompli sur cet homme le rite d'expiation, il sera pur.

Lévitique 14, 21 S'il est pauvre et dépourvu des ressources suffisantes, il prendra un seul agneau, celui du sacrifice de réparation, et on l'offrira selon le geste de présentation pour accomplir sur cet homme le rite d'expiation. Il ne prendra aussi qu'un dixième de fleur de farine pétrie à l'huile, pour l'oblation, et la pinte d'huile,

Lévitique 14, 22 enfin deux tourterelles ou deux pigeons -- s'il est en mesure de se les procurer -- dont l'un sera destiné au sacrifice pour le péché et l'autre à l'holocauste.

Lévitique 14, 23 C'est le huitième jour qu'en vue de sa purification il les apportera au prêtre, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous, devant Yahvé.

Lévitique 14, 24 Le prêtre prendra l'agneau du sacrifice de réparation et la pinte d'huile. Il les offrira en geste de présentation devant Yahvé.

Lévitique 14, 25 Puis, ayant immolé cet agneau du sacrifice de réparation, il en prendra du sang et le mettra sur le lobe de l'oreille droite de celui qui se purifie, sur le pouce de sa main droite et sur le gros orteil de son pied droit.

Lévitique 14, 26 Il versera de l'huile dans le creux de sa main gauche

Lévitique 14, 27 et, de cette huile qui est dans le creux de sa main gauche, il fera avec son doigt sept aspersions devant Yahvé.

Lévitique 14, 28 Il en mettra sur le lobe de l'oreille droite de celui qui se purifie, sur le pouce de sa main droite, sur le gros orteil de son pied droit, à l'endroit où a été posé le sang du sacrifice de réparation.

Lévitique 14, 29 Ce qui lui reste d'huile dans le creux de la main, il le mettra sur la tête de celui qui se purifie en faisant sur lui le rite d'expiation devant Yahvé.

Lévitique 14, 30 De l'une des deux tourterelles ou de l'un des deux pigeons -- de ce qu'il est en mesure de se procurer -- il fera

Lévitique 14, 31 un sacrifice pour le péché et, de l'autre, un holocauste accompagné d'oblation -- avec ce qu'il aura été en mesure de se procurer. Le prêtre aura fait ainsi le rite d'expiation devant Yahvé sur celui qui se purifie.

Lévitique 14, 32 Telle est la loi concernant celui qui est atteint de lèpre sans être à même de pourvoir à sa purification.

Lévitique 14, 33 Yahvé parla à Moïse et à Aaron et dit:

Lévitique 14, 34 Lorsque vous serez arrivés au pays de Canaan que je vous donne pour domaine, si je frappe de la lèpre une maison du pays que vous posséderez,

Lévitique 14, 35 son propriétaire viendra avertir le prêtre et dira: "J'ai vu comme de la lèpre dans la maison."

Lévitique 14, 36 Le prêtre ordonnera de vider la maison avant qu'il ne vienne examiner le mal; ainsi rien ne deviendra impur de ce qui s'y trouve. Après quoi le prêtre viendra observer la maison,

Lévitique 14, 37 et si, après examen, il constate sur les murs de la maison des cavités verdâtres ou rougeâtres qui font creux dans le mur,

Lévitique 14, 38 le prêtre sortira de la maison, à la porte, et il la fera fermer sept jours.

Lévitique 14, 39 Il reviendra le septième jour et si, après examen, il constate que le mal s'est développé sur les murs de la maison,

Lévitique 14, 40 il ordonnera que l'on retire les pierres attaquées par le mal et qu'on les jette hors de la ville en un lieu impur.

Lévitique 14, 41 Puis il fera gratter toutes les parois intérieures de la maison et l'on répandra le crépi ainsi détaché dans un lieu impur à l'extérieur de la ville.

Lévitique 14, 42 On prendra d'autres pierres pour remplacer les premières et un autre enduit pour recrépir la maison.

Lévitique 14, 43 Si le mal prolifère à nouveau après l'enlèvement des pierres, le décapage et le crépissage de la maison,

Lévitique 14, 44 le prêtre viendra l'examiner; s'il constate que le mal s'est développé, c'est une lèpre contagieuse dans la maison; celle-ci est impure.

Lévitique 14, 45 On la démolira, on portera dans un lieu impur, hors de la ville, ses pierres, ses charpentes et tout son crépi.

Lévitique 14, 46 Quiconque entrera dans la maison, pendant tout le temps qu'on la tient fermée, sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 14, 47 Quiconque y couchera devra nettoyer ses vêtements. Quiconque y mangera devra nettoyer ses vêtements.

Lévitique 14, 48 Mais si le prêtre, lorsqu'il vient examiner le mal, constate qu'il ne s'est pas développé dans la maison après le crépissage, il déclarera pure la maison, car le mal est guéri.

Lévitique 14, 49 En vue d'un sacrifice pour le péché de la maison, il prendra deux oiseaux, du bois de cèdre, du rouge de cochenille et de l'hysope.

Lévitique 14, 50 Il immolera un des oiseaux sur un pot d'argile au-dessus d'une eau courante.

Lévitique 14, 51 Puis il prendra le bois de cèdre, l'hysope, le rouge de cochenille et l'oiseau encore vivant, pour les plonger dans le sang de l'oiseau immolé et dans l'eau courante. Il fera sept aspersions sur la maison

Lévitique 14, 52 et, après avoir fait le sacrifice pour le péché de la maison par le sang de l'oiseau, l'eau courante, l'oiseau vivant, le bois de cèdre, l'hysope et le rouge de cochenille,

Lévitique 14, 53 il lâchera l'oiseau vivant hors de la ville, dans la campagne. Le rite d'expiation ainsi fait sur la maison, elle sera pure.

Lévitique 14, 54 Telle est la loi concernant tous cas de lèpre et de teigne,

Lévitique 14, 55 la lèpre des vêtements et des maisons,

Lévitique 14, 56 les tumeurs, dartres et taches.

Lévitique 14, 57 Elle fixe les temps d'impureté et de pureté. Telle est la loi sur la lèpre.

Lévitique 15, 1 Yahvé parla à Moïse et à Aaron, et dit:

Lévitique 15, 2 Parlez aux Israélites, vous leur direz: Lorsqu'un homme a un écoulement sortant de son corps, cet écoulement est impur.

Lévitique 15, 3 Voici en quoi consistera son impureté tant qu'il a cet écoulement: Que sa chair laisse échapper l'écoulement ou qu'elle le retienne, il est impur.

Lévitique 15, 4 Tout lit où couchera cet homme sera impur et tout meuble où il s'assiéra sera impur.

Lévitique 15, 5 Celui qui touchera son lit devra nettoyer ses vêtements, se laver à l'eau, et il sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 15, 6 Celui qui s'assiéra sur un meuble où cet homme se sera assis devra nettoyer ses vêtements, se laver à l'eau, et il sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 15, 7 Celui qui touchera le corps de cet homme devra nettoyer ses vêtements, se laver à l'eau, et il sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 15, 8 Si cet homme crache sur une personne pure, celle-ci devra nettoyer ses vêtements, se laver à l'eau, et elle sera impure jusqu'au soir.

Lévitique 15, 9 Tout siège sur lequel aura voyagé cet homme sera impur.

Lévitique 15, 10 Tous ceux qui toucheront à un objet quelconque qui se sera trouvé sous lui seront impurs jusqu'au soir. Celui qui transportera un tel objet devra nettoyer ses vêtements, se laver à l'eau, et il sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 15, 11 Tous ceux que touchera cet homme sans s'être rincé les mains devront nettoyer leurs vêtements, se laver à l'eau, et ils seront impurs jusqu'au soir.

Lévitique 15, 12 Le vase d'argile que touchera cet homme sera brisé et tout ustensile en bois devra être rincé.

Lévitique 15, 13 Quand cet homme sera guéri, il comptera sept jours pour sa purification. Il devra nettoyer ses vêtements, laver son corps à l'eau courante, et il sera pur.

Lévitique 15, 14 Le huitième jour il prendra deux tourterelles ou deux pigeons et viendra devant Yahvé à l'entrée de la Tente du Rendez-vous pour les remettre au prêtre.

Lévitique 15, 15 De l'un celui-ci fera un sacrifice pour le péché et de l'autre un holocauste. Le prêtre fera ainsi sur lui devant Yahvé le rite d'expiation de son écoulement.

Lévitique 15, 16 Lorsqu'un homme aura un épanchement séminal, il devra se laver à l'eau tout le corps et il sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 15, 17 Tout vêtement et tout cuir qu'aura atteint l'épanchement séminal devra être nettoyé à l'eau et sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 15, 18 Quand une femme aura couché maritalement avec un homme, ils devront tous deux se laver à l'eau, et ils seront impurs jusqu'au soir.

Lévitique 15, 19 Lorsqu'une femme a un écoulement de sang et que du sang s'écoule de son corps, elle restera pendant sept jours dans la souillure de ses règles. Qui la touchera sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 15, 20 Toute couche sur laquelle elle s'étendra ainsi souillée, sera impure; tout meuble sur lequel elle s'assiéra sera impur.

Lévitique 15, 21 Quiconque touchera son lit devra nettoyer ses vêtements, se laver à l'eau, et il sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 15, 22 Quiconque touchera un meuble, quel qu'il soit, où elle se sera assise, devra nettoyer ses vêtements, se laver à l'eau, et il sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 15, 23 Si quelque objet se trouve sur le lit ou sur le meuble sur lequel elle s'est assise, celui qui le touchera sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 15, 24 Si un homme couche avec elle, la souillure de ses règles l'atteindra. Il sera impur pendant sept jours. Tout lit sur lequel il couchera sera impur.

Lévitique 15, 25 Lorsqu'une femme aura un écoulement de sang de plusieurs jours hors du temps de ses règles ou si ses règles se prolongent, elle sera pendant toute la durée de cet écoulement dans le même état d'impureté que pendant le temps de ses règles.

Lévitique 15, 26 Il en sera de tout lit sur lequel elle couchera pendant toute la durée de son écoulement comme du lit où elle couche lors de ses règles. Tout meuble sur lequel elle s'assiéra sera impur comme lors de ses règles.

Lévitique 15, 27 Quiconque les touchera sera impur, devra nettoyer ses vêtements, se laver à l'eau, et il sera impur jusqu'au soir.

Lévitique 15, 28 Lorsqu'elle sera guérie de son écoulement, elle comptera sept jours puis elle sera pure.

Lévitique 15, 29 Le huitième jour elle prendra deux tourterelles ou deux pigeons qu'elle apportera au prêtre à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Lévitique 15, 30 De l'un le prêtre fera un sacrifice pour le péché et de l'autre un holocauste. Le prêtre fera ainsi sur elle, devant Yahvé, le rite d'expiation de son écoulement qui la rendait impure.

Lévitique 15, 31 Vous avertirez les Israélites de leurs impuretés, afin qu'à cause d'elles ils ne meurent pas en souillant ma Demeure qui se trouve au milieu d'eux.

Lévitique 15, 32 Telle est la loi concernant l'homme qui a un écoulement, celui que rend impur un épanchement séminal,

Lévitique 15, 33 la femme lors de la souillure de ses règles, l'homme ou la femme qui a un écoulement, l'homme qui couche avec une femme impure.

Lévitique 16, 1 Yahvé parla à Moïse après la mort des deux fils d'Aaron qui périrent en présentant devant Yahvé un feu irrégulier.

Lévitique 16, 2 Yahvé dit à Moïse: Parle à Aaron ton frère: qu'il n'entre pas à n'importe quel moment dans le sanctuaire derrière le voile, en face du propitiatoire qui se trouve sur l'arche. Il pourrait mourir, car j'apparais au-dessus du propitiatoire dans une nuée.

Lévitique 16, 3 Voici comment il pénétrera dans le sanctuaire: avec un taureau destiné à un sacrifice pour le péché et un bélier pour un holocauste.

Lévitique 16, 4 Il revêtira une tunique de lin consacrée, il portera à même le corps un caleçon de lin, il se ceindra d'une ceinture de lin, il s'enroulera sur la tête un turban de lin. Ce sont des vêtements sacrés qu'il revêtira après s'être lavé à l'eau.

Lévitique 16, 5 Il recevra de la communauté des enfants d'Israël deux boucs destinés à un sacrifice pour le péché et un bélier pour un holocauste.

Lévitique 16, 6 Après avoir offert le taureau du sacrifice pour son propre péché et fait le rite d'expiation pour lui et pour sa maison,

Lévitique 16, 7 Aaron prendra ces deux boucs et les placera devant Yahvé à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Lévitique 16, 8 Il tirera les sorts pour les deux boucs, attribuant un sort à Yahvé et l'autre à Azazel.

Lévitique 16, 9 Aaron offrira le bouc sur lequel est tombé le sort "A Yahvé" et en fera un sacrifice pour le péché.

Lévitique 16, 10 Quant au bouc sur lequel est tombé le sort "A Azazel", on le placera vivant devant Yahvé pour faire sur lui le rite d'expiation, pour l'envoyer à Azazel dans le désert.

Lévitique 16, 11 Aaron offrira le taureau du sacrifice pour son propre péché, puis il fera le rite d'expiation pour lui et pour sa maison et immolera ce taureau.

Lévitique 16, 12 Il remplira alors un encensoir avec des charbons ardents pris sur l'autel, de devant Yahvé, et il prendra deux pleines poignées d'encens fin aromatique. Il portera le tout derrière le rideau,

Lévitique 16, 13 et déposera l'encens sur le feu devant Yahvé; il recouvrira d'un nuage d'encens le propitiatoire qui est sur le Témoignage, et ne mourra pas.

Lévitique 16, 14 Puis il prendra du sang du taureau et en aspergera avec le doigt le côté oriental du propitiatoire; devant le propitiatoire il fera de ce sang sept aspersions avec le doigt.

Lévitique 16, 15 Il immolera alors le bouc destiné au sacrifice pour le péché du peuple et il en portera le sang derrière le rideau. Il procédera avec ce sang comme avec celui du taureau, en faisant des aspersions sur le propitiatoire et devant celui-ci.

Lévitique 16, 16 Il fera ainsi le rite d'expiation sur le sanctuaire pour les impuretés des Israélites, pour leurs transgressions et pour tous leurs péchés. Ainsi procédera-t-il pour la Tente du Rendez-vous qui demeure avec eux au milieu de leurs impuretés.

Lévitique 16, 17 Que personne ne se trouve dans la Tente du Rendez-vous depuis l'instant où il entrera pour faire l'expiation dans le sanctuaire jusqu'à ce qu'il en sorte! Quand il aura fait l'expiation pour lui, pour sa maison et pour toute la communauté d'Israël,

Lévitique 16, 18 il sortira, ira à l'autel qui est devant Yahvé et fera sur l'autel le rite d'expiation. Il prendra du sang du taureau et du sang du bouc et il en mettra sur les cornes au pourtour de l'autel.

Lévitique 16, 19 De ce sang il fera sept aspersions sur l'autel avec son doigt. Ainsi le purifiera-t-il et le séparera-t-il des impuretés des enfants d'Israël.

Lévitique 16, 20 Une fois achevée l'expiation du sanctuaire, de la Tente de Rendez-vous et de l'autel, il fera approcher le bouc encore vivant.

Lévitique 16, 21 Aaron lui posera les deux mains sur la tête et confessera à sa charge toutes les fautes des Israélites, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi chargé la tête du bouc, il l'enverra au désert sous la conduite d'un homme qui se tiendra prêt,

Lévitique 16, 22 et le bouc emportera sur lui toutes leurs fautes en un lieu aride. Quand il aura envoyé le bouc au désert,

Lévitique 16, 23 Aaron rentrera dans la Tente du Rendez-vous, retirera les vêtements de lin qu'il avait mis pour entrer au sanctuaire. Il les déposera là,

Lévitique 16, 24 et se lavera le corps avec de l'eau dans un lieu consacré. Puis il reprendra ses vêtements et sortira pour offrir son holocauste et celui du peuple. Il fera le rite d'expiation pour lui et pour le peuple;

Lévitique 16, 25 la graisse du sacrifice pour le péché, il la fera fumer à l'autel.

Lévitique 16, 26 Celui qui aura conduit le bouc à Azazel devra nettoyer ses vêtements et se laver le corps avec de l'eau, après quoi il pourra rentrer au camp.

Lévitique 16, 27 Quant au taureau et au bouc offerts en sacrifice pour le péché et dont le sang a été porté dans le sanctuaire pour faire le rite d'expiation, on les emportera hors du camp et l'on brûlera dans un feu leur peau, leur chair et leur fiente.

Lévitique 16, 28 Celui qui les aura brûlés devra nettoyer ses vêtements, se laver le corps avec de l'eau, après quoi il pourra rentrer au camp.

Lévitique 16, 29 Cela sera pour vous une loi perpétuelle. Au septième mois, le dixième jour du mois, vous jeûnerez, et ne ferez aucun travail, pas plus le citoyen que l'étranger qui réside parmi vous.

Lévitique 16, 30 C'est en effet en ce jour que l'on fera sur vous le rite d'expiation pour vous purifier. Vous serez purs devant Yahvé de tous vos péchés.

Lévitique 16, 31 Ce sera pour vous un repos sabbatique et vous jeûnerez. C'est une loi perpétuelle.

Lévitique 16, 32 Le prêtre qui aura reçu l'onction et l'investiture pour officier à la place de son père fera le rite d'expiation. Il revêtira les vêtements de lin, vêtements sacrés;

Lévitique 16, 33 il fera l'expiation du sanctuaire consacré, de la Tente du Rendez-vous et de l'autel. Il fera ensuite le rite d'expiation sur les prêtres et sur tout le peuple de la communauté.

Lévitique 16, 34 Cela sera pour vous une loi perpétuelle; une fois par an se fera sur les enfants d'Israël le rite d'expiation pour tous leurs péchés. Et l'on fit comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Lévitique 17, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 17, 2 Parle à Aaron, à ses fils et à tous les Israélites. Tu leur diras: Voici l'ordre qu'a donné Yahvé:

Lévitique 17, 3 Tout homme de la maison d'Israël qui, dans le camp ou hors du camp, immolera taureau, agneau ou chèvre,

Lévitique 17, 4 sans l'amener à l'entrée de la Tente du Rendez-vous pour en faire offrande à Yahvé devant sa demeure, cet homme répondra du sang répandu, il sera retranché du milieu de son peuple.

Lévitique 17, 5 Ainsi les Israélites apporteront au prêtre pour Yahvé, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous, les sacrifices qu'ils voudraient faire dans la campagne, et ils en feront pour Yahvé des sacrifices de communion.

Lévitique 17, 6 Le prêtre versera le sang sur l'autel de Yahvé qui se trouve à l'entrée de la Tente du Rendez-vous et il fera fumer la graisse en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Lévitique 17, 7 Ils n'offriront plus leurs sacrifices à ces satyres à la suite desquels ils se prostituaient. C'est une loi perpétuelle que celle-ci, pour eux et leurs descendants.

Lévitique 17, 8 Tu leur diras encore: Tout homme de la maison d'Israël ou tout étranger résidant parmi vous qui offre un holocauste ou un sacrifice

Lévitique 17, 9 sans l'apporter à l'entrée de la Tente du Rendez-vous pour l'offrir à Yahvé, cet homme sera retranché de sa race.

Lévitique 17, 10 Tout homme de la maison d'Israël ou tout étranger résidant parmi vous qui mangera du sang, n'importe quel sang, je me tournerai contre celui-là qui aura mangé ce sang, et je le retrancherai du milieu de son peuple.

Lévitique 17, 11 Oui, la vie de la chair est dans le sang. Ce sang, je vous l'ai donné, moi, pour faire sur l'autel le rite d'expiation pour vos vies; car c'est le sang qui expie pour une vie.

Lévitique 17, 12 Voilà pourquoi j'ai dit aux enfants d'Israël: "Nul d'entre vous ne mangera de sang et l'étranger qui réside parmi vous ne mangera pas de sang."

Lévitique 17, 13 Quiconque, enfant d'Israël ou étranger résidant parmi vous, prendra à la chasse un gibier, bête ou oiseau qu'il est permis de manger, en devra répandre le sang et le recouvrir de terre.

Lévitique 17, 14 Car la vie de toute chair, c'est son sang, et j'ai dit aux Israélites: "Vous ne mangerez du sang d'aucune chair car la vie de toute chair, c'est son sang, et quiconque en mangera sera supprimé."

Lévitique 17, 15 Quiconque, citoyen ou étranger, mangera une bête morte ou déchirée, devra nettoyer ses vêtements et se laver avec de l'eau; il sera impur jusqu'au soir, puis il sera pur.

Lévitique 17, 16 Mais s'il ne les nettoie pas et ne se lave pas le corps, il portera le poids de sa faute.

Lévitique 18, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 18, 2 Parle aux Israélites; tu leur diras: Je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 18, 3 Vous n'agirez point comme on fait au pays d'Egypte où vous avez habité; vous n'agirez point comme on fait au pays de Canaan où moi je vous mène. Vous ne suivrez point leurs lois,

Lévitique 18, 4 ce sont mes coutumes que vous appliquerez et mes lois que vous garderez, c'est d'après elles que vous vous conduirez. Je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 18, 5 Vous garderez mes lois et mes coutumes: qui les accomplira y trouvera la vie. Je suis Yahvé.

Lévitique 18, 6 Aucun de vous ne s'approchera de sa proche parente pour en découvrir la nudité. Je suis Yahvé.

Lévitique 18, 7 Tu ne découvriras pas la nudité de ton père ni la nudité de ta mère. C'est ta mère, tu ne découvriras pas sa nudité.

Lévitique 18, 8 Tu ne découvriras pas la nudité de la femme de ton père, c'est la nudité même de ton père.

Lévitique 18, 9 Tu ne découvriras pas la nudité de ta soeur, qu'elle soit fille de ton père ou fille de ta mère. Qu'elle soit née à la maison, qu'elle soit née au-dehors, tu n'en découvriras pas la nudité.

Lévitique 18, 10 Tu ne découvriras pas la nudité de la fille de ton fils; ni celle de la fille de ta fille. Car leur nudité, c'est ta propre nudité.

Lévitique 18, 11 Tu ne découvriras pas la nudité de la fille de la femme de ton père, née de ton père. C'est ta soeur, tu ne dois pas en découvrir la nudité.

Lévitique 18, 12 Tu ne découvriras pas la nudité de la soeur de ton père, car c'est la chair de ton père.

Lévitique 18, 13 Tu ne découvriras pas la nudité de la soeur de ta mère, car c'est la chair même de ta mère.

Lévitique 18, 14 Tu ne découvriras pas la nudité du frère de ton père; tu ne t'approcheras donc pas de son épouse, car c'est la femme de ton oncle.

Lévitique 18, 15 Tu ne découvriras pas la nudité de ta belle-fille. C'est la femme de ton fils, tu n'en découvriras pas la nudité.

Lévitique 18, 16 Tu ne découvriras pas la nudité de la femme de ton frère, car c'est la nudité même de ton frère.

Lévitique 18, 17 Tu ne découvriras pas la nudité d'une femme et celle de sa fille; tu ne prendras pas la fille de son fils ni la fille de sa fille pour en découvrir la nudité. Elles sont ta propre chair, ce serait un inceste.

Lévitique 18, 18 Tu ne prendras pas pour ton harem une femme en même temps que sa soeur en découvrant la nudité de celle-ci du vivant de sa soeur.

Lévitique 18, 19 Tu ne t'approcheras pas, pour découvrir sa nudité, d'une femme souillée par ses règles.

Lévitique 18, 20 A la femme de ton compatriote tu ne donneras pas ton lit conjugal, tu en deviendrais impur.

Lévitique 18, 21 Tu ne livreras pas de tes enfants à faire passer à Molek, et tu ne profaneras pas ainsi le nom de ton Dieu. Je suis Yahvé.

Lévitique 18, 22 Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C'est une abomination.

Lévitique 18, 23 Tu ne donneras ta couche à aucune bête; tu en deviendrais impur. Une femme ne s'offrira pas à un animal pour s'accoupler à lui. Ce serait une souillure.

Lévitique 18, 24 Ne vous rendez impurs par aucune de ces pratiques: c'est par elles que se sont rendues impures les nations que je chasse devant vous.

Lévitique 18, 25 Le pays est devenu impur, j'ai sanctionné sa faute et le pays a dû vomir ses habitants.

Lévitique 18, 26 Mais vous, vous garderez mes lois et mes coutumes, vous ne commettrez aucune de ces abominations, pas plus le citoyen que l'étranger qui réside parmi vous.

Lévitique 18, 27 Car toutes ces abominations-là, les hommes qui ont habité ce pays avant vous les ont commises et le pays en a été rendu impur.

Lévitique 18, 28 Si vous le rendez impur, ne vous vomira-t-il pas comme il a vomi la nation qui vous a précédés?

Lévitique 18, 29 Oui, quiconque commet l'une de ces abominations, quelle qu'elle soit, tous les êtres qui les commettent, ceux-là seront retranchés de leur peuple.

Lévitique 18, 30 Gardez mes observances sans mettre en pratique ces lois abominables que l'on appliquait avant vous; ainsi ne vous rendront-elles pas impurs. Je suis Yahvé, votre Dieu.

Lévitique 19, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 19, 2 Parle à toute la communauté des Israélites. Tu leur diras: Soyez saints, car moi, Yahvé votre Dieu, je suis saint.

Lévitique 19, 3 Chacun de vous craindra sa mère et son père. Et vous garderez mes sabbats. Je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 19, 4 Ne vous tournez pas vers les idoles et ne vous faites pas fondre des dieux de métal. Je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 19, 5 Si vous faites pour Yahvé un sacrifice de communion, offrez-le de manière à être agréés.

Lévitique 19, 6 On en mangera le jour du sacrifice ou le lendemain; ce qui en restera le surlendemain sera brûlé au feu.

Lévitique 19, 7 Si on en mangeait le surlendemain ce serait un mets avarié qui ne serait point agréé.

Lévitique 19, 8 Celui qui en mangera portera le poids de sa faute, car il aura profané la sainteté de Yahvé: cet être sera retranché des siens.

Lévitique 19, 9 Lorsque vous récolterez la moisson de votre pays, vous ne moissonnerez pas jusqu'à l'extrême bout du champ. Tu ne glaneras pas ta moisson,

Lévitique 19, 10 tu ne grappilleras pas ta vigne et tu ne ramasseras pas les fruits tombés dans ton verger. Tu les abandonneras au pauvre et à l'étranger. Je suis Yahvé votre Dieu;

Lévitique 19, 11 Nul d'entre vous ne commettra vol, dissimulation ou fraude envers son compatriote.

Lévitique 19, 12 Vous ne commettrez point de fraude en jurant par mon nom; tu profanerais le nom de ton Dieu. Je suis Yahvé.

Lévitique 19, 13 Tu n'exploiteras pas ton prochain et ne le spolieras pas: le salaire de l'ouvrier ne demeurera pas avec toi jusqu'au lendemain matin.

Lévitique 19, 14 Tu ne maudiras pas un muet et tu ne mettras pas d'obstacle devant un aveugle, mais tu craindras ton Dieu. Je suis Yahvé.

Lévitique 19, 15 Vous ne commettrez point d'injustice en jugeant. Tu ne feras pas acception de personnes avec le pauvre ni ne te laisseras éblouir par le grand: c'est selon la justice que tu jugeras ton compatriote.

Lévitique 19, 16 Tu n'iras pas diffamer les tiens et tu ne mettras pas en cause le sang de ton prochain. Je suis Yahvé.

Lévitique 19, 17 Tu n'auras pas dans ton coeur de haine pour ton frère. Tu dois réprimander ton compatriote et ainsi tu n'auras pas la charge d'un péché.

Lévitique 19, 18 Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis Yahvé.

Lévitique 19, 19 Vous garderez mes lois. Tu n'accoupleras pas dans ton bétail deux bêtes d'espèce différente, tu ne sèmeras pas dans ton champ deux espèces différentes de graine, tu ne porteras pas sur toi un vêtement en deux espèces de tissu.

Lévitique 19, 20 Si un homme couche maritalement avec une femme, si celle-ci est la servante concubine d'un homme auquel elle n'a pas été rachetée et qui ne lui a pas donné sa liberté, le premier sera passible d'un droit mais ils ne mourront pas, car elle n'était pas libre.

Lévitique 19, 21 Il apportera pour Yahvé un sacrifice de réparation à l'entrée de la Tente du Rendez-vous. Ce sera un bélier de réparation.

Lévitique 19, 22 Avec ce bélier de réparation le prêtre fera sur l'homme le rite d'expiation devant Yahvé pour le péché commis; et le péché qu'il a commis lui sera pardonné.

Lévitique 19, 23 Lorsque vous serez entrés en ce pays et que vous aurez planté quelque arbre fruitier, vous considérerez ses fruits comme si c'était son prépuce. Pendant trois ans ils seront pour vous une chose incirconcise, on n'en mangera pas.

Lévitique 19, 24 La quatrième année tous les fruits en seront consacrés dans une fête de louange à Yahvé.

Lévitique 19, 25 C'est la cinquième année que vous en pourrez manger les fruits et récolter pour vous-mêmes les produits. Je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 19, 26 Vous ne mangerez rien avec du sang; vous ne pratiquerez ni divination ni incantation.

Lévitique 19, 27 Vous n'arrondirez pas le bord de votre chevelure et tu ne couperas pas le bord de ta barbe.

Lévitique 19, 28 Vous ne vous ferez pas d'incisions dans le corps pour un mort et vous ne vous ferez pas de tatouage. Je suis Yahvé.

Lévitique 19, 29 Ne profane pas ta fille en la prostituant; ainsi le pays ne sera pas prostitué et rendu tout entier incestueux.

Lévitique 19, 30 Vous garderez mes sabbats et révérerez mon sanctuaire. Je suis Yahvé.

Lévitique 19, 31 Ne vous tournez pas vers les spectres et ne recherchez pas les devins, ils vous souilleraient. Je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 19, 32 Tu te lèveras devant une tête chenue, tu honoreras la personne du vieillard et tu craindras ton Dieu. Je suis Yahvé.

Lévitique 19, 33 Si un étranger réside avec vous dans votre pays, vous ne le molesterez pas.

Lévitique 19, 34 L'étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l'aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d'Egypte. Je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 19, 35 Vous ne commettrez point d'injustice en jugeant, qu'il s'agisse de mesures de longueur, de poids ou de capacité.

Lévitique 19, 36 Vous aurez des balances justes, des poids justes, une mesure juste, un setier juste. Je suis Yahvé votre Dieu qui vous ai fait sortir du pays d'Egypte.

Lévitique 19, 37 Gardez toutes mes lois et toutes mes coutumes, mettez-les en pratique. Je suis Yahvé.

Lévitique 20, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 20, 2 Tu diras aux Israélites: Quiconque, Israélite ou étranger résidant en Israël, livre de ses fils à Molek devra mourir. Les gens du pays le lapideront,

Lévitique 20, 3 je me tournerai contre cet homme et le retrancherai du milieu de son peuple, car en ayant livré l'un de ses fils à Molek il aura souillé mon sanctuaire et profané mon saint nom.

Lévitique 20, 4 Si les gens du pays veulent fermer les yeux sur cet homme quand il livre l'un de ses fils à Molek et ne le mettent pas à mort,

Lévitique 20, 5 c'est moi qui m'opposerai à cet homme et à son clan. Je les retrancherai du milieu de leur peuple, lui et tous ceux qui après lui iront se prostituer à la suite de Molek.

Lévitique 20, 6 Celui qui s'adressera aux spectres et aux devins pour se prostituer à leur suite, je me tournerai contre cet homme-là et je le retrancherai du milieu de son peuple.

Lévitique 20, 7 Vous vous sanctifierez pour être saints, car je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 20, 8 Vous garderez mes lois et vous les mettrez en pratique, car c'est moi Yahvé qui vous rends saints.

Lévitique 20, 9 Donc: Quiconque maudira son père ou sa mère devra mourir. Puisqu'il a maudit son père ou sa mère, son sang retombera sur lui-même.

Lévitique 20, 10 L'homme qui commet l'adultère avec la femme de son prochain devra mourir, lui et sa complice.

Lévitique 20, 11 L'homme qui couche avec la femme de son père a découvert la nudité de son père. Tous deux devront mourir, leur sang retombera sur eux.

Lévitique 20, 12 L'homme qui couche avec sa belle-fille: tous deux devront mourir. Ils se sont souillés, leur sang retombera sur eux.

Lévitique 20, 13 L'homme qui couche avec un homme comme on couche avec une femme: c'est une abomination qu'ils ont tous deux commise, ils devront mourir, leur sang retombera sur eux.

Lévitique 20, 14 L'homme qui prend pour épouses une femme et sa mère: c'est un inceste. On les brûlera, lui et elles, pour qu'il n'y ait point chez vous d'inceste.

Lévitique 20, 15 L'homme qui donne sa couche à une bête: il devra mourir et vous tuerez la bête.

Lévitique 20, 16 La femme qui s'approche d'un animal quelconque pour s'accoupler à lui: tu tueras la femme et l'animal. Ils devront mourir, leur sang retombera sur eux.

Lévitique 20, 17 L'homme qui prend pour épouse sa soeur, la fille de son père ou la fille de sa mère: s'il voit sa nudité et qu'elle voie la sienne, c'est une ignominie. Ils seront exterminés sous les yeux des membres de leur peuple, car il a découvert la nudité de sa soeur et il portera le poids de sa faute.

Lévitique 20, 18 L'homme qui couche avec une femme pendant ses règles et découvre sa nudité: il a mis à nu la source de son sang, elle-même a découvert la source de son sang, aussi tous deux seront retranchés du milieu de leur peuple.

Lévitique 20, 19 Tu ne découvriras pas la nudité de la soeur de ta mère ni celle de la soeur de ton père. Il a mis à nu sa propre chair, ils porteront le poids de leur faute.

Lévitique 20, 20 L'homme qui couche avec la femme de son oncle paternel: il a découvert la nudité de celui-ci, ils porteront le poids de leur péché et mourront sans enfant.

Lévitique 20, 21 L'homme qui prend pour épouse la femme de son frère: c'est une souillure, il a découvert la nudité de son frère, ils mourront sans enfant.

Lévitique 20, 22 Vous garderez toutes mes lois, toutes mes coutumes, et vous les mettrez en pratique; ainsi ne vous vomira pas le pays où je vous conduis pour y demeurer.

Lévitique 20, 23 Vous ne suivrez pas les lois des nations que je chasse devant vous car elles ont pratiqué toutes ces choses et je les ai prises en dégoût.

Lévitique 20, 24 Aussi vous ai-je dit: "Vous prendrez possession de leur sol, je vous en donnerai moi-même la possession, une terre qui ruisselle de lait et de miel." C'est moi Yahvé votre Dieu qui vous ai mis à part de ces peuples.

Lévitique 20, 25 Mettez donc la bête pure à part de l'impure, l'oiseau pur à part de l'impur. Ne vous rendez pas vous-mêmes immondes avec ces bêtes, ces oiseaux, avec tout ce qui rampe sur le sol: je vous les ai fait mettre à part comme impurs.

Lévitique 20, 26 Soyez-moi consacrés puisque moi, Yahvé, je suis saint, et je vous mettrai à part de tous ces peuples pour que vous soyez à moi.

Lévitique 20, 27 L'homme ou la femme qui parmi vous serait nécromant ou devin: ils seront mis à mort, on les lapidera, leur sang retombera sur eux.

Lévitique 21, 1 Yahvé dit à Moïse: Parle aux prêtres, enfants d'Aaron; tu leur diras: Aucun d'eux ne se rendra impur près du cadavre de l'un des siens,

Lévitique 21, 2 sinon pour sa parenté la plus proche: mère, père, fils, fille, frère.

Lévitique 21, 3 Pour sa soeur vierge qui reste sa proche parente puisqu'elle n'a pas appartenu à un homme, il pourra se rendre impur;

Lévitique 21, 4 pour une femme mariée parmi les siens, il ne se rendra pas impur: il se profanerait.

Lévitique 21, 5 Ils ne se feront pas de tonsure sur la tête, ils ne se raseront pas le bord de la barbe et ne se feront pas d'incisions sur le corps.

Lévitique 21, 6 Ils seront consacrés à leur Dieu et ne profaneront point le nom de leur Dieu: ce sont eux en effet qui apportent les mets de Yahvé, nourriture de leur Dieu, et ils doivent être en état de sainteté.

Lévitique 21, 7 Ils ne prendront pas pour épouse une femme prostituée et profanée, ni une femme que son mari a chassée, car le prêtre est consacré à son Dieu.

Lévitique 21, 8 Tu le traiteras comme un être saint car il offre la nourriture de ton Dieu. Il sera pour toi un être saint car je suis saint, moi Yahvé qui vous sanctifie.

Lévitique 21, 9 Si la fille d'un homme qui est prêtre se profane en se prostituant, elle profane son père et doit être brûlée au feu.

Lévitique 21, 10 Quant au prêtre qui a la prééminence sur ses frères, lui sur la tête duquel est versée l'huile d'onction et qui reçoit l'investiture en revêtant les habits sacrés, il ne déliera pas ses cheveux, il ne déchirera pas ses vêtements,

Lévitique 21, 11 il ne viendra près du cadavre d'aucun mort et ne se rendra impur ni pour son père ni pour sa mère.

Lévitique 21, 12 Il ne sortira pas du lieu saint, de manière à ne pas profaner le sanctuaire de son Dieu, car il porte sur lui-même la consécration de l'huile d'onction de son Dieu. Je suis Yahvé.

Lévitique 21, 13 Il prendra pour épouse une femme encore vierge.

Lévitique 21, 14 La veuve, la femme répudiée ou profanée par la prostitution, il ne les prendra pas pour épouses; c'est seulement une vierge d'entre les siens qu'il prendra pour épouse:

Lévitique 21, 15 il ne profanera point sa descendance, car c'est moi, Yahvé, qui l'ai sanctifiée.

Lévitique 21, 16 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 21, 17 Parle à Aaron et dis-lui: Nul de tes descendants, à quelque génération que ce soit, ne s'approchera pour offrir l'aliment de son Dieu s'il a une infirmité.

Lévitique 21, 18 Car aucun homme ne doit s'approcher s'il a une infirmité, que ce soit un aveugle ou un boiteux, un homme défiguré ou déformé,

Lévitique 21, 19 un homme dont le pied ou le bras soit fracturé,

Lévitique 21, 20 un bossu, un rachitique, un homme atteint d'ophtalmie, de dartre ou de plaies purulentes, ou un eunuque.

Lévitique 21, 21 Nul des descendants d'Aaron, le prêtre, ne pourra s'approcher pour offrir les mets de Yahvé s'il a une infirmité; il a une infirmité, il ne s'approchera pas pour offrir la nourriture de son Dieu.

Lévitique 21, 22 Il pourra manger des aliments de son Dieu, choses très saintes et choses saintes,

Lévitique 21, 23 mais il ne viendra pas auprès du rideau et ne s'approchera pas de l'autel; il a une infirmité et ne doit pas profaner mes objets sacrés, car c'est moi, Yahvé, qui les ai sanctifiés.

Lévitique 21, 24 Et Moïse le dit à Aaron, à ses fils et à tous les Israélites.

Lévitique 22, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 22, 2 Parle à Aaron et à ses fils: qu'ils se consacrent par les saintes offrandes des Israélites sans profaner mon saint nom; à cause de moi ils doivent le sanctifier. Je suis Yahvé.

Lévitique 22, 3 Dis-leur: Tout homme de votre descendance, à quelque génération que ce soit, qui s'approchera en état d'impureté des saintes offrandes consacrées à Yahvé par les Israélites, cet homme-là sera retranché de ma présence. Je suis Yahvé.

Lévitique 22, 4 Tout homme de la descendance d'Aaron qui sera atteint de lèpre ou d'écoulement ne mangera pas des choses saintes avant d'être purifié. Celui qui aura touché tout ce qu'un cadavre aura rendu impur, celui qui aura émis du liquide séminal,

Lévitique 22, 5 celui qui aura touché n'importe quelle bestiole et se sera ainsi rendu impur, ou un homme qui l'aura contaminé de sa propre impureté, quelle qu'elle soit,

Lévitique 22, 6 bref quiconque aura eu de tels contacts sera impur jusqu'au soir et ne pourra manger des choses saintes qu'après s'être lavé le corps avec de l'eau.

Lévitique 22, 7 Au coucher du soleil il sera purifié et pourra manger ensuite des choses saintes, car c'est là sa nourriture.

Lévitique 22, 8 Il ne mangera pas de bête morte ou déchirée, il en contracterait l'impureté. Je suis Yahvé.

Lévitique 22, 9 Qu'ils gardent mes observances et ne se chargent pas d'un péché: ils mourraient en les profanant, c'est moi Yahvé qui les ai sanctifiées.

Lévitique 22, 10 Aucun laïc ne mangera d'une chose sainte: ni l'hôte d'un prêtre ni le serviteur à gages ne mangeront d'une chose sainte.

Lévitique 22, 11 Mais si un prêtre acquiert une personne à prix d'argent, celle-ci en pourra manger comme celui qui est né dans sa maison; ils mangent en effet sa propre nourriture.

Lévitique 22, 12 Si la fille d'un prêtre est devenue l'épouse d'un laïc, elle ne peut manger des prélèvements sacrés;

Lévitique 22, 13 mais si elle est devenue veuve ou a été répudiée et que, n'ayant pas d'enfant, elle ait dû retourner à la maison de son père comme au temps de sa jeunesse, elle mangera de la nourriture de son père. Nul laïc n'en mangera:

Lévitique 22, 14 si un homme mange par inadvertance une chose sainte, il la restituera au prêtre avec majoration d'un cinquième.

Lévitique 22, 15 Ils ne profaneront point les saintes offrandes qu'ont prélevées les Israélites pour Yahvé.

Lévitique 22, 16 En les mangeant ils chargeraient ceux-ci d'une faute qui obligerait à réparation, car c'est moi Yahvé qui ai sanctifié ces offrandes.

Lévitique 22, 17 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 22, 18 Parle à Aaron, à ses fils, à tous les Israélites; tu leur diras: Tout homme de la maison d'Israël, ou tout étranger résidant en Israël, qui apporte son offrande à titre de voeu ou de don volontaire et en fait un holocauste pour Yahvé,

Lévitique 22, 19 devra pour être agréé offrir un mâle sans défaut, taureau, mouton ou chevreau.

Lévitique 22, 20 Vous n'en offrirez point qui ait une tare, car il ne vous ferait pas agréer.

Lévitique 22, 21 Si quelqu'un offre à Yahvé un sacrifice de communion pour s'acquitter d'un voeu ou pour faire un don volontaire, de gros ou de petit bétail, l'animal devra, pour être agréé, être sans défaut; il ne s'y trouvera aucune tare.

Lévitique 22, 22 Vous n'offrirez pas à Yahvé d'animal aveugle, estropié, mutilé, ulcéreux, dartreux ou purulent. Aucune partie de tels animaux ne sera déposée sur l'autel à titre de mets pour Yahvé.

Lévitique 22, 23 Tu pourras faire le don volontaire d'une pièce naine ou difforme en gros ou en petit bétail, mais pour l'acquittement d'un voeu elle ne sera point agréée.

Lévitique 22, 24 Vous n'offrirez pas à Yahvé un animal dont les testicules soient rentrés, écrasés, arrachés ou coupés. Vous ne ferez pas cela dans votre pays

Lévitique 22, 25 et vous n'accepterez rien de tel de la main d'un étranger pour l'offrir comme nourriture de votre Dieu. Leur difformité est en effet une tare et ces victimes ne vous feraient pas agréer.

Lévitique 22, 26 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 22, 27 Une fois né, un veau, un agneau ou un chevreau restera sept jours auprès de sa mère. Dès le huitième il pourra être agréé comme mets offert à Yahvé.

Lévitique 22, 28 Veau ou agneau, vous n'immolerez pas le même jour un animal et son petit.

Lévitique 22, 29 Si vous faites à Yahvé un sacrifice avec louange, faites-le de manière à être agréés:

Lévitique 22, 30 on le mangera le jour même sans en rien laisser jusqu'au lendemain matin. Je suis Yahvé.

Lévitique 22, 31 Vous garderez mes commandements et les mettrez en pratique. Je suis Yahvé.

Lévitique 22, 32 Vous ne profanerez pas mon saint nom, afin que je sois sanctifié au milieu des Israélites, moi Yahvé qui vous sanctifie.

Lévitique 22, 33 Moi qui vous ai fait sortir du pays d'Egypte afin d'être votre Dieu, je suis Yahvé.

Lévitique 23, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 23, 2 Parle aux Israélites; tu leur diras: (Les solennités de Yahvé auxquelles vous les convoquerez, ce sont là mes saintes assemblées.) Voici mes solennités:

Lévitique 23, 3 Pendant six jours on travaillera, mais le septième jour sera jour de repos complet, jour de sainte convocation, où vous ne ferez aucun travail. Où que vous habitiez, c'est un sabbat pour Yahvé.

Lévitique 23, 4 Voici les solennités de Yahvé, les saintes assemblées où vous appellerez les Israélites à la date fixée:

Lévitique 23, 5 Le premier mois, le quatorzième jour du mois, au crépuscule, c'est Pâque pour Yahvé,

Lévitique 23, 6 et le quinzième jour de ce mois, c'est la fête des Azymes pour Yahvé. Pendant sept jours vous mangerez des pains sans levain.

Lévitique 23, 7 Le premier jour il y aura pour vous une sainte assemblée; vous ne ferez aucune oeuvre servile.

Lévitique 23, 8 Pendant sept jours vous offrirez un mets à Yahvé. Le septième jour, jour de sainte assemblée, vous ne ferez aucune oeuvre servile.

Lévitique 23, 9 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 23, 10 Parle aux Israélites; tu leur diras: Quand vous serez entrés dans le pays que je vous donne et quand vous y ferez la moisson, vous apporterez au prêtre la première gerbe de votre moisson.

Lévitique 23, 11 Il l'offrira devant Yahvé en geste de présentation pour que vous soyez agréés. C'est le lendemain du sabbat que le prêtre fera cette présentation

Lévitique 23, 12 et, le jour où vous ferez cette présentation, vous offrirez à Yahvé l'holocauste d'un agneau d'un an, sans défaut.

Lévitique 23, 13 L'oblation en sera ce jour-là de deux dixièmes de fleur de farine pétrie à l'huile, mets consumé pour Yahvé en parfum d'apaisement; la libation de vin en sera d'un quart de setier.

Lévitique 23, 14 Vous ne mangerez pas de pain, épis grillés ou pain cuit, avant ce jour, avant d'avoir apporté l'offrande de votre Dieu. C'est une loi perpétuelle pour vos descendants, où que vous habitiez.

Lévitique 23, 15 A partir du lendemain du sabbat, du jour où vous aurez apporté la gerbe de présentation, vous compterez sept semaines complètes.

Lévitique 23, 16 Vous compterez 50 jours jusqu'au lendemain du septième sabbat et vous offrirez alors à Yahvé une nouvelle oblation.

Lévitique 23, 17 Vous apporterez de vos demeures du pain à offrir en geste de présentation, en deux parts de deux dixièmes de fleur de farine cuite avec du ferment, à titre de prémices pour Yahvé.

Lévitique 23, 18 Vous offrirez en plus du pain sept agneaux d'un an, sans défaut, un taureau et deux béliers à titre d'holocauste pour Yahvé, accompagnés d'une oblation et d'une libation, mets consumés en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Lévitique 23, 19 Vous ferez aussi avec un bouc un sacrifice pour le péché et avec deux agneaux nés dans l'année un sacrifice de communion.

Lévitique 23, 20 Le prêtre les offrira en geste de présentation devant Yahvé, en plus du pain des prémices. En plus des deux agneaux, ce sont choses saintes pour Yahvé, qui reviendront au prêtre.

Lévitique 23, 21 Ce même jour vous ferez une convocation; ce sera pour vous une sainte assemblée, vous ne ferez aucune oeuvre servile. C'est une loi perpétuelle pour vos descendants, où que vous habitiez.

Lévitique 23, 22 Lorsque vous ferez la moisson dans votre pays, tu ne moissonneras pas jusqu'à l'extrême bord de ton champ et tu ne glaneras pas ta moisson. Tu abandonneras cela au pauvre et à l'étranger. Je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 23, 23 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 23, 24 Parle aux Israélites, dis-leur: Le septième mois, le premier jour du mois, il y aura pour vous jour de repos, appel en clameur, sainte assemblée.

Lévitique 23, 25 Vous ne ferez aucune oeuvre servile et vous offrirez un mets à Yahvé.

Lévitique 23, 26 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 23, 27 D'autre part, le dixième jour de ce septième mois, c'est le jour des Expiations. Il y aura pour vous une sainte assemblée. Vous jeûnerez et vous offrirez un mets à Yahvé.

Lévitique 23, 28 Ce jour-là vous ne ferez aucun travail, car c'est le jour des Expiations où l'on accomplit sur vous le rite d'expiation devant Yahvé votre Dieu.

Lévitique 23, 29 Oui, quiconque ne jeûnera pas ce jour-là sera retranché des siens;

Lévitique 23, 30 quiconque fera un travail ce jour-là, je le supprimerai du milieu de son peuple.

Lévitique 23, 31 Vous ne ferez aucun travail, c'est une loi perpétuelle pour vos descendants, où que vous habitiez.

Lévitique 23, 32 Ce sera pour vous un jour de repos complet. Vous jeûnerez; le soir du neuvième jour du mois, depuis ce soir jusqu'au soir suivant, vous cesserez le travail.

Lévitique 23, 33 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 23, 34 Parle aux Israélites, dis-leur: Le quinzième jour de ce septième mois il y aura pendant sept jours la fête des Tentes pour Yahvé.

Lévitique 23, 35 Le premier jour, jour de sainte assemblée, vous ne ferez aucune oeuvre servile.

Lévitique 23, 36 Pendant sept jours vous offrirez un mets à Yahvé. Le huitième jour il y aura pour vous une sainte assemblée, vous offrirez un mets à Yahvé. C'est jour de réunion, vous ne ferez aucune oeuvre servile.

Lévitique 23, 37 Telles sont les solennités de Yahvé où vous convoquerez les Israélites, saintes assemblées destinées à offrir des mets à Yahvé, holocaustes, oblations, sacrifices, libations, selon le rituel propre à chaque jour,

Lévitique 23, 38 outre les sabbats de Yahvé, les présents, dons votifs et volontaires que vous ferez à Yahvé.

Lévitique 23, 39 D'autre part, le quinzième jour du septième mois, lorsque vous aurez récolté les produits du pays, vous célébrerez la fête de Yahvé pendant sept jours. Le premier et le huitième jour il y aura jour de repos.

Lévitique 23, 40 Le premier jour vous prendrez de beaux fruits, des rameaux de palmier, des branches d'arbres touffus et de gattiliers, et vous vous réjouirez pendant sept jours en présence de Yahvé votre Dieu.

Lévitique 23, 41 Vous célébrerez ainsi une fête pour Yahvé sept jours par an. C'est une loi perpétuelle pour vos descendants. C'est au septième mois que vous ferez cette fête.

Lévitique 23, 42 Vous habiterez sept jours sous des huttes. Tous les citoyens d'Israël habiteront sous des huttes,

Lévitique 23, 43 afin que vos descendants sachent que j'ai fait habiter sous des huttes les Israélites quand je les ai fait sortir du pays d'Egypte. Je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 23, 44 Et Moïse décrivit aux Israélites les solennités de Yahvé.

Lévitique 24, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 24, 2 Ordonne aux Israélites de t'apporter de l'huile d'olives broyées pour le candélabre, et d'y faire monter une flamme permanente.

Lévitique 24, 3 C'est devant le rideau du Témoignage, dans la Tente du Rendez-vous, qu'Aaron disposera cette flamme. Elle sera là devant Yahvé du soir au matin, en permanence. Ceci est un décret perpétuel pour vos descendants:

Lévitique 24, 4 Aaron disposera les lampes sur le candélabre pur, devant Yahvé, en permanence.

Lévitique 24, 5 Tu prendras de la fleur de farine et tu en feras cuire douze gâteaux, chacun de deux dixièmes.

Lévitique 24, 6 Puis tu les placeras en deux rangées de six sur la table pure qui est devant Yahvé.

Lévitique 24, 7 Sur chaque rangée tu déposeras de l'encens pur. Ce sera l'aliment offert en mémorial, un mets pour Yahvé.

Lévitique 24, 8 C'est chaque jour de sabbat qu'en permanence on les disposera devant Yahvé. Les Israélites les fourniront à titre d'alliance perpétuelle;

Lévitique 24, 9 ils appartiendront à Aaron et à ses fils, qui les mangeront en un lieu sacré, car c'est pour lui une part très sainte des mets de Yahvé. C'est une loi perpétuelle.

Lévitique 24, 10 Le fils d'une Israélite, mais dont le père était égyptien, sortit de sa maison et, se trouvant au milieu des Israélites, il se prit de querelle dans le camp avec un homme qui était israélite.

Lévitique 24, 11 Or le fils de l'Israélite blasphéma le Nom et le maudit. On le conduisit alors à Moïse (le nom de la mère était Shelomit, fille de Dibri, de la tribu de Dan).

Lévitique 24, 12 On le mit sous bonne garde pour n'en décider que sur l'ordre de Yahvé.

Lévitique 24, 13 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 24, 14 Fais sortir du camp celui qui a prononcé la malédiction. Tous ceux qui l'ont entendu poseront leurs mains sur sa tête et toute la communauté le lapidera.

Lévitique 24, 15 Puis tu parleras ainsi aux Israélites: Tout homme qui maudit son Dieu portera le poids de son péché.

Lévitique 24, 16 Qui blasphème le nom de Yahvé devra mourir, toute la communauté le lapidera. Qu'il soit étranger ou citoyen, il mourra s'il blasphème le Nom.

Lévitique 24, 17 Si un homme frappe un être humain, quel qu'il soit, il devra mourir.

Lévitique 24, 18 Qui frappe un animal en doit donner la compensation: vie pour vie.

Lévitique 24, 19 Si un homme blesse un compatriote, comme il a fait on lui fera:

Lévitique 24, 20 fracture pour fracture, oeil pour oeil, dent pour dent. Tel le dommage que l'on inflige à un homme, tel celui que l'on subit:

Lévitique 24, 21 qui frappe un animal en doit donner compensation et qui frappe un homme doit mourir.

Lévitique 24, 22 La sentence sera chez vous la même, qu'il s'agisse d'un citoyen ou d'un étranger, car je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 24, 23 Moïse ayant ainsi parlé aux Israélites, ils firent sortir du camp celui qui avait prononcé la malédiction et ils le lapidèrent. Ils accomplirent ainsi ce que Yahvé avait ordonné à Moïse.

Lévitique 25, 1 Yahvé parla à Moïse sur le mont Sinaï; il dit:

Lévitique 25, 2 Parle aux Israélites, tu leur diras: Lorsque vous entrerez au pays que je vous donne, la terre chômera un sabbat pour Yahvé.

Lévitique 25, 3 Pendant six ans tu ensemenceras ton champ, pendant six ans tu tailleras ta vigne et tu en récolteras les produits.

Lévitique 25, 4 Mais en la septième année la terre aura son repos sabbatique, un sabbat pour Yahvé: tu n'ensemenceras pas ton champ et tu ne tailleras pas ta vigne,

Lévitique 25, 5 tu ne moissonneras pas tes épis, qui ne seront pas mis en gerbe, et tu ne vendangeras pas tes raisins, qui ne seront pas émondés. Ce sera pour la terre une année de repos.

Lévitique 25, 6 Le sabbat même de la terre vous nourrira, toi, ton serviteur, ta servante, ton journalier, ton hôte, bref ceux qui résident chez toi.

Lévitique 25, 7 A ton bétail aussi et aux bêtes de ton pays tous ses produits serviront de nourriture.

Lévitique 25, 8 Tu compteras sept semaines d'années, sept fois sept ans, c'est-à-dire le temps de sept semaines d'années, 49 ans.

Lévitique 25, 9 Le septième mois, le dixième jour du mois tu feras retentir l'appel de la trompe; le jour des Expiations vous sonnerez de la trompe dans tout le pays.

Lévitique 25, 10 Vous déclarerez sainte cette cinquantième année et proclamerez l'affranchissement de tous les habitants du pays. Ce sera pour vous un jubilé: chacun de vous rentrera dans son patrimoine, chacun de vous retournera dans son clan.

Lévitique 25, 11 Cette cinquantième année sera pour vous une année jubilaire: vous ne sèmerez pas, vous ne moissonnerez pas les épis qui n'auront pas été mis en gerbe, vous ne vendangerez pas les ceps qui auront poussé librement.

Lévitique 25, 12 Le jubilé sera pour vous chose sainte, vous mangerez des produits des champs.

Lévitique 25, 13 En cette année jubilaire vous rentrerez chacun dans votre patrimoine.

Lévitique 25, 14 Si tu vends ou si tu achètes à ton compatriote, que nul ne lèse son frère!

Lévitique 25, 15 C'est en fonction du nombre d'années écoulées depuis le jubilé que tu achèteras à ton compatriote; c'est en fonction du nombre d'années productives qu'il te fixera le prix de vente.

Lévitique 25, 16 Plus sera grand le nombre d'années, plus tu augmenteras le prix, moins il y aura d'années, plus tu le réduiras, car c'est un certain nombre de récoltes qu'il te vend.

Lévitique 25, 17 Que nul d'entre vous ne lèse son compatriote, mais aie la crainte de ton Dieu, car c'est moi Yahvé votre Dieu.

Lévitique 25, 18 Vous mettrez en pratique mes lois et mes coutumes, vous les garderez pour les mettre en pratique, et ainsi vous habiterez dans le pays en sécurité.

Lévitique 25, 19 La terre donnera son fruit, vous mangerez à satiété et vous habiterez en sécurité.

Lévitique 25, 20 Pour le cas où vous diriez: "Que mangerons-nous en cette septième année si nous n'ensemençons pas et ne récoltons pas nos produits" --

Lévitique 25, 21 j'ai prescrit à ma bénédiction de vous être acquise la sixième année en sorte qu'elle assure des produits pour trois ans.

Lévitique 25, 22 Quand vous sèmerez la huitième année vous pourrez encore manger des produits anciens jusqu'à la neuvième année; jusqu'à ce que viennent les produits de cette année-là vous mangerez des anciens.

Lévitique 25, 23 La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car la terre m'appartient et vous n'êtes pour moi que des étrangers et des hôtes.

Lévitique 25, 24 Pour toute propriété foncière vous laisserez un droit de rachat sur le fonds.

Lévitique 25, 25 Si ton frère tombe dans la gêne et doit vendre de son patrimoine, son plus proche parent viendra chez lui exercer ses droits familiaux sur ce que vend son frère.

Lévitique 25, 26 Celui qui n'a personne pour exercer ce droit pourra, lorsqu'il aura trouvé de quoi faire le rachat,

Lévitique 25, 27 calculer les années que devrait durer l'aliénation, restituer à l'acheteur le montant pour le temps encore à courir, et rentrer dans son patrimoine.

Lévitique 25, 28 S'il ne trouve pas de quoi opérer cette restitution, le fonds vendu restera à l'acquéreur jusqu'à l'année jubilaire. C'est au jubilé que celui-ci en sortira pour rentrer dans son propre patrimoine.

Lévitique 25, 29 Si quelqu'un vend une maison d'habitation dans une ville enclose d'une muraille, il aura droit de rachat jusqu'à l'expiration de l'année qui suit la vente; son droit de rachat est limité à l'année

Lévitique 25, 30 et, si le rachat n'a pas été fait à l'expiration de l'année, cette maison en ville close sera la propriété de l'acquéreur et de ses descendants à l'exclusion de tout autre droit: il n'aura pas à en sortir au jubilé.

Lévitique 25, 31 Mais les maisons des villages non enclos de murailles seront considérées comme sises à la campagne, elles comporteront droit de rachat et l'acquéreur en devra sortir au jubilé.

Lévitique 25, 32 Quant aux villes des lévites, aux maisons des villes que ceux-ci possèdent, elles comportent à leur profit un droit de rachat perpétuel.

Lévitique 25, 33 Et si c'est un lévite qui subit l'effet du droit de rachat, il quittera au jubilé le bien vendu pour retourner à sa maison, à la ville où il a un titre de propriété. Les maisons des villes des lévites sont en effet leur propriété au milieu des Israélites,

Lévitique 25, 34 et les champs de culture dépendant de ces villes ne pourront pas être vendus, car c'est leur propriété pour toujours.

Lévitique 25, 35 Si ton frère qui vit avec toi tombe dans la gêne et s'avère défaillant dans ses rapports avec toi, tu le soutiendras à titre d'étranger ou d'hôte et il vivra avec toi.

Lévitique 25, 36 Ne lui prends ni travail ni intérêts, mais aie la crainte de ton Dieu et que ton frère vive avec toi.

Lévitique 25, 37 Tu ne lui donneras pas d'argent pour en tirer du profit ni de la nourriture pour en percevoir des intérêts:

Lévitique 25, 38 je suis Yahvé votre Dieu qui vous ai fait sortir du pays d'Egypte pour vous donner le pays de Canaan, pour être votre Dieu.

Lévitique 25, 39 Si ton frère tombe dans la gêne alors qu'il est en rapports avec toi et s'il se vend à toi, tu ne lui imposeras pas un travail d'esclave;

Lévitique 25, 40 il sera pour toi comme un salarié ou un hôte et travaillera avec toi jusqu'à l'année jubilaire.

Lévitique 25, 41 Alors il te quittera, lui et ses enfants, et il retournera dans son clan, il rentrera dans la propriété de ses pères.

Lévitique 25, 42 Ils sont en effet mes serviteurs, eux que j'ai fait sortir du pays d'Egypte, et ils ne doivent pas se vendre comme un esclave se vend.

Lévitique 25, 43 Tu n'exerceras pas sur lui un pouvoir de contrainte mais tu auras la crainte de ton Dieu.

Lévitique 25, 44 Les serviteurs et servantes que tu auras viendront des nations qui vous entourent; c'est d'elles que vous pourrez acquérir serviteurs et servantes.

Lévitique 25, 45 De plus vous en pourrez acquérir parmi les enfants des hôtes qui résident chez vous ainsi que de leurs familles qui vivent avec vous et qu'ils ont engendrées sur votre sol: ils seront votre propriété

Lévitique 25, 46 et vous les laisserez en héritage à vos fils après vous pour qu'ils les possèdent à titre de propriété perpétuelle. Vous les aurez pour esclaves, mais sur vos frères, les Israélites, nul n'exercera un pouvoir de contrainte.

Lévitique 25, 47 Si l'étranger ou celui qui est ton hôte atteint une certaine aisance alors que ton frère, dans ses rapports avec lui, tombe dans la gêne et se vend à cet étranger, à cet hôte, ou au descendant de la famille d'un résidant,

Lévitique 25, 48 il jouira d'un droit de rachat, vente faite, et l'un de ses frères pourra le racheter.

Lévitique 25, 49 Pourront le racheter son oncle paternel, le fils de son oncle ou l'un des membres de sa famille; ou, s'il en a les moyens, il pourra se racheter lui-même.

Lévitique 25, 50 En accord avec celui qui l'a acquis, il fera le compte des années comprises entre l'année de la vente et l'année jubilaire; le montant du prix de vente sera évalué en fonction des années, en comptant ses journées comme celles d'un salarié.

Lévitique 25, 51 S'il reste encore beaucoup d'années à courir, c'est en fonction de leur nombre qu'il remboursera comme valeur de son rachat une partie de son prix de vente.

Lévitique 25, 52 S'il ne reste que peu d'années à courir jusqu'au jubilé, c'est en fonction de leur nombre qu'il calculera ce qu'il remboursera pour son rachat,

Lévitique 25, 53 comme s'il était salarié à l'année. On ne le traitera pas arbitrairement sous tes yeux.

Lévitique 25, 54 S'il n'a été racheté d'aucune de ces manières, c'est en l'année jubilaire qu'il s'en ira, lui et ses enfants avec lui.

Lévitique 25, 55 Car c'est de moi que les Israélites sont les serviteurs; ce sont mes serviteurs que j'ai fait sortir du pays d'Egypte. Je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 26, 1 Vous ne vous ferez pas d'idoles, vous ne vous dresserez ni statue ni stèle, vous ne mettrez pas dans votre pays des pierres peintes pour vous prosterner devant elles, car je suis Yahvé votre Dieu.

Lévitique 26, 2 Vous garderez mes sabbats et révérerez mon sanctuaire. Je suis Yahvé.

Lévitique 26, 3 Si vous vous conduisez selon mes lois, si vous gardez mes commandements et les mettez en pratique,

Lévitique 26, 4 je vous donnerai en leur saison les pluies qu'il vous faut, la terre donnera ses produits et l'arbre de la campagne ses fruits,

Lévitique 26, 5 vous battrez jusqu'aux vendanges et vous vendangerez jusqu'aux semailles. Vous mangerez votre pain à satiété et vous habiterez dans votre pays en sécurité.

Lévitique 26, 6 Je mettrai la paix dans le pays et vous dormirez sans que nul vous effraie. Je ferai disparaître du pays les bêtes néfastes. L'épée ne traversera pas votre pays.

Lévitique 26, 7 Vous poursuivrez vos ennemis qui succomberont devant votre épée.

Lévitique 26, 8 Cinq d'entre vous en poursuivront cent, cent en poursuivront 10.000, et vos ennemis succomberont devant votre épée.

Lévitique 26, 9 Je me tournerai vers vous, je vous ferai croître et multiplier, et je maintiendrai avec vous mon alliance.

Lévitique 26, 10 Après vous être nourris de la précédente récolte, vous aurez encore à mettre dehors du vieux grain pour faire place au nouveau.

Lévitique 26, 11 J'établirai ma demeure au milieu de vous et je ne vous rejetterai pas.

Lévitique 26, 12 Je vivrai au milieu de vous, je serai votre Dieu et vous serez mon peuple.

Lévitique 26, 13 C'est moi Yahvé votre Dieu qui vous ai fait sortir du pays d'Egypte pour que vous n'en fussiez plus les serviteurs; j'ai brisé les barres de votre joug et je vous ai fait marcher la tête haute.

Lévitique 26, 14 Mais si vous ne m'écoutez pas et ne mettez pas en pratique tous ces commandements,

Lévitique 26, 15 si vous rejetez mes lois, prenez mes coutumes en dégoût et rompez mon alliance en ne mettant pas en pratique tous mes commandements,

Lévitique 26, 16 j'agirai de même, moi aussi, envers vous. Je vous assujettirai au tremblement, ainsi qu'à la consomption et à la fièvre qui usent les yeux et épuisent le souffle. Vous ferez de vaines semailles dont se nourriront vos ennemis.

Lévitique 26, 17 Je me tournerai contre vous et vous serez battus par vos ennemis. Vos adversaires domineront sur vous et vous fuirez alors même que personne ne vous poursuivra.

Lévitique 26, 18 Et si malgré cela vous ne m'écoutez point, je continuerai à vous châtier au septuple pour vos péchés.

Lévitique 26, 19 Je briserai votre orgueilleuse puissance, je vous ferai un ciel de fer et une terre d'airain;

Lévitique 26, 20 votre force se consumera vainement, votre terre ne donnera plus ses produits et l'arbre de la campagne ne donnera plus ses fruits.

Lévitique 26, 21 Si vous vous opposez à moi et ne consentez pas à m'écouter, j'accumulerai sur vous ces plaies au septuple pour vos péchés.

Lévitique 26, 22 Je lâcherai contre vous les bêtes sauvages qui vous raviront vos enfants, anéantiront votre bétail et vous décimeront au point que vos chemins deviendront déserts.

Lévitique 26, 23 Et si cela ne vous corrige point, et si vous vous opposez toujours à moi,

Lévitique 26, 24 je m'opposerai, moi aussi, à vous, et de plus je vous frapperai, moi, au septuple pour vos péchés.

Lévitique 26, 25 Je ferai venir contre vous l'épée qui vengera l'Alliance. Vous vous grouperez alors dans vos villes, mais j'enverrai la peste au milieu de vous et vous serez livrés au pouvoir de l'ennemi.

Lévitique 26, 26 Quand je vous retirerai la baguette de pain, dix femmes pourront vous cuire ce pain dans un seul four, c'est à poids compté qu'elles vous rapporteront ce pain, et vous mangerez sans vous rassasier.

Lévitique 26, 27 Et si malgré cela vous ne m'écoutez point et que vous vous opposiez à moi,

Lévitique 26, 28 je m'opposerai à vous avec fureur, je vous châtierai, moi, au septuple pour vos péchés.

Lévitique 26, 29 Vous mangerez la chair de vos fils et vous mangerez la chair de vos filles.

Lévitique 26, 30 Je détruirai vos hauts lieux, j'anéantirai vos autels à encens, j'entasserai vos cadavres sur les cadavres de vos idoles et je vous rejetterai.

Lévitique 26, 31 Je ferai de vos villes une ruine, je dévasterai vos sanctuaires et ne respirerai plus vos parfums d'apaisement.

Lévitique 26, 32 C'est moi qui dévasterai le pays et ils en seront stupéfaits, vos ennemis venus l'habiter!

Lévitique 26, 33 Vous, je vous disperserai parmi les nations. Je dégainerai contre vous l'épée pour faire de votre pays un désert et de vos villes une ruine.

Lévitique 26, 34 C'est alors que le pays acquittera ses sabbats, pendant tous ces jours de désolation, alors que vous serez dans le pays de vos ennemis. C'est alors que le pays chômera et pourra acquitter ses sabbats.

Lévitique 26, 35 Il chômera durant tous les jours de la désolation, ce qu'il n'avait pas fait à vos jours de sabbat quand vous y habitiez.

Lévitique 26, 36 Chez ceux d'entre vous qui survivront, je ferai venir la peur dans leur coeur; quand ils se trouveront dans le pays de leurs ennemis, poursuivis par le bruit d'une feuille morte, ils fuiront comme on fuit devant l'épée et ils tomberont alors que nul ne les poursuivait.

Lévitique 26, 37 Ils trébucheront l'un sur l'autre comme devant une épée, et nul ne les poursuit! Vous ne pourrez tenir devant vos ennemis,

Lévitique 26, 38 vous périrez parmi les nations et le pays de vos ennemis vous dévorera.

Lévitique 26, 39 Ceux qui parmi vous survivront dépériront dans les pays de leurs ennemis à cause de leurs fautes; c'est aussi à cause des fautes de leurs pères, jointes aux leurs, qu'ils dépériront.

Lévitique 26, 40 Ils confesseront alors leurs fautes et celles de leurs pères, fautes commises par infidélité envers moi, mieux, par opposition contre moi.

Lévitique 26, 41 Moi aussi je m'opposerai à eux et je les mènerai au pays de leurs ennemis. Alors leur coeur incirconcis s'humiliera, alors ils expieront leurs fautes.

Lévitique 26, 42 Je me rappellerai mon alliance avec Jacob ainsi que mon alliance avec Isaac et mon alliance avec Abraham, je me souviendrai du pays.

Lévitique 26, 43 Abandonné d'eux, le pays acquittera ses sabbats lorsqu'il restera désolé, eux partis. Mais ils devront, eux, expier leur faute, puisqu'ils ont rejeté mes coutumes et pris mes lois en dégoût.

Lévitique 26, 44 Cependant ce ne sera pas tout: quand ils seront dans le pays de leurs ennemis, je ne les rejetterai pas et ne les prendrai pas en dégoût au point d'en finir avec eux et de rompre mon alliance avec eux, car je suis Yahvé leur Dieu.

Lévitique 26, 45 Je me souviendrai en leur faveur de l'alliance conclue avec les premières générations que j'ai fait sortir du pays d'Egypte, sous les yeux des nations, afin d'être leur Dieu, moi, Yahvé.

Lévitique 26, 46 Tels sont les décrets, les coutumes et les lois qu'établit Yahvé, entre lui et les Israélites, sur le mont Sinaï, par l'intermédiaire de Moïse.

Lévitique 27, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Lévitique 27, 2 Parle aux Israélites, tu leur diras: Si quelqu'un veut s'acquitter envers Yahvé du voeu qu'il a fait de la valeur d'une personne,

Lévitique 27, 3 un homme entre vingt et 60 ans sera estimé à 50 sicles d'argent -- sicle du sanctuaire --

Lévitique 27, 4 pour une femme l'estimation sera de 30 sicles;

Lévitique 27, 5 entre cinq et vingt ans, le garçon sera estimé à vingt sicles et la fille à dix sicles;

Lévitique 27, 6 entre un mois et cinq ans, le garçon sera estimé à cinq sicles d'argent et la fille à trois sicles d'argent;

Lévitique 27, 7 à 60 ans et au-dessus, l'homme sera estimé à quinze sicles et la femme à dix sicles.

Lévitique 27, 8 Si celui qui a voué est incapable de faire face à cette estimation, il présentera la personne au prêtre. Celui-ci fera l'estimation, mais il la fera selon les ressources de celui qui a voué.

Lévitique 27, 9 S'il s'agit d'animaux dont on peut faire offrande à Yahvé, tout animal que l'on donne à Yahvé sera chose consacrée.

Lévitique 27, 10 On ne pourra ni le changer ni le remplacer, mettre un bon pour un mauvais ou un mauvais pour un bon. Si l'on substitue un animal à un autre, l'un et l'autre seront choses consacrées.

Lévitique 27, 11 S'il s'agit d'un animal impur dont on ne peut faire offrande à Yahvé, quel qu'il soit, on le présentera au prêtre

Lévitique 27, 12 et celui-ci en fera l'estimation, le jugeant bon ou mauvais; on s'en tiendra à son estimation,

Lévitique 27, 13 mais si l'on veut le racheter, on majorera cette estimation d'un cinquième.

Lévitique 27, 14 Si un homme consacre sa maison à Yahvé, le prêtre en fera l'estimation, la jugeant de grande ou de faible valeur. On s'en tiendra à l'estimation du prêtre,

Lévitique 27, 15 mais si cet homme qui a voué la maison la veut racheter, il majorera cette estimation d'un cinquième et elle lui reviendra.

Lévitique 27, 16 Si un homme consacre à Yahvé l'un des champs de son patrimoine, l'estimation en sera faite en fonction de son produit à raison de 50 sicles d'argent pour un muid d'orge.

Lévitique 27, 17 S'il consacre le champ pendant l'année jubilaire, on s'en tiendra à cette estimation;

Lévitique 27, 18 mais s'il le consacre après le jubilé, le prêtre en calculera le prix en fonction des années restant à courir jusqu'à celle du jubilé et une déduction sera faite sur l'estimation.

Lévitique 27, 19 S'il veut racheter le champ, il majorera l'estimation d'un cinquième et le champ lui reviendra.

Lévitique 27, 20 S'il ne le rachète pas mais le vend à un autre, le droit de rachat s'éteint;

Lévitique 27, 21 quand à l'année jubilaire l'acquéreur devra l'abandonner, ce sera chose consacrée à Yahvé, tel un champ dévoué par anathème: la propriété de cet homme passe au prêtre.

Lévitique 27, 22 S'il consacre à Yahvé un champ qu'il a acquis mais qui ne fait pas partie de son patrimoine,

Lévitique 27, 23 le prêtre en calculera le prix d'estimation en fonction du temps à courir jusqu'à l'année jubilaire, et l'homme en versera le montant ce jour même à titre de chose consacrée à Yahvé.

Lévitique 27, 24 Lors de l'année jubilaire le champ reviendra au vendeur, à celui dont c'est la propriété dans le pays.

Lévitique 27, 25 Toute estimation sera faite en sicles du sanctuaire, vingt géras valant un sicle.

Lévitique 27, 26 Nul, toutefois, ne pourra de son bétail consacrer un premier-né qui de droit appartient à Yahvé; gros ou petit bétail, il appartient à Yahvé.

Lévitique 27, 27 Mais si c'est un animal impur on pourra le racheter au prix d'une estimation majorée d'un cinquième; s'il n'est pas racheté, l'animal sera vendu au prix de l'estimation.

Lévitique 27, 28 Cependant rien de ce qu'un homme dévoue par anathème à Yahvé ne peut être vendu ou racheté, rien de ce qu'il peut posséder en hommes, bêtes ou champs patrimoniaux. Tout anathème est chose très sainte qui appartient à Yahvé.

Lévitique 27, 29 Aucun être humain dévoué par anathème ne pourra être racheté, il sera mis à mort.

Lévitique 27, 30 Toute dîme du pays prélevée sur les produits de la terre ou sur les fruits des arbres appartient à Yahvé; c'est une chose consacrée à Yahvé.

Lévitique 27, 31 Si un homme veut racheter une partie de sa dîme, il en majorera la valeur d'un cinquième.

Lévitique 27, 32 En toute dîme de gros et de petit bétail, sera chose consacrée à Yahvé le dixième de tout ce qui passe sous la houlette.

Lévitique 27, 33 On ne triera pas le bon et le mauvais, on ne fera pas de substitution: si l'on en fait une, l'animal et son remplaçant seront choses consacrées sans possibilité de rachat.

Lévitique 27, 34 Tels sont les ordres que Yahvé donna à Moïse sur le mont Sinaï à l'intention des Israélites.

 

 

 

 

Nombres

 

1, 1 Yahvé parla à Moïse, au désert du Sinaï, dans la Tente du Rendez-vous, le premier jour du second mois, la deuxième année après la sortie du pays d'Egypte. Il dit:

Nombres 1, 2 "Faites le recensement de toute la communauté des Israélites, par clans et par familles, en comptant les noms de tous les mâles, tête par tête.

Nombres 1, 3 Tous ceux d'Israël qui ont vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne, vous les enregistrerez, toi et Aaron, selon leurs formations au combat.

Nombres 1, 4 Il vous sera adjoint un homme par tribu, un chef de famille.

Nombres 1, 5 "Voici les noms de ceux qui vous assisteront: Pour Ruben, Eliçur, fils de Shedéur.

Nombres 1, 6 Pour Siméon, Shelumiel, fils de Curishaddaï.

Nombres 1, 7 Pour Juda, Nahshôn, fils d'Amminadab.

Nombres 1, 8 Pour Issachar, Netanéel, fils de Cuar.

Nombres 1, 9 Pour Zabulon, Eliab, fils de Hélôn.

Nombres 1, 10 Pour les fils de Joseph: pour Ephraïm, Elishama, fils d'Ammihud; pour Manassé, Gamliel, fils de Pedahçur.

Nombres 1, 11 Pour Benjamin, Abidân, fils de Gidéoni.

Nombres 1, 12 Pour Dan, Ahiézer, fils d'Ammishaddaï.

Nombres 1, 13 Pour Asher, Pagiel, fils d'Okrân.

Nombres 1, 14 Pour Gad, Elyasaph, fils de Réuel.

Nombres 1, 15 Pour Nephtali, Ahira, fils d'Enân."

Nombres 1, 16 C'étaient des hommes considérés dans la communauté; ils étaient princes de la tribu de leur ancêtre; ils étaient à la tête des milliers d'Israël.

Nombres 1, 17 Moïse et Aaron prirent ces hommes qui avaient été désignés par leur nom

Nombres 1, 18 et rassemblèrent toute la communauté, le premier jour du second mois. Les Israélites déterminèrent leurs parentés, par clans et par familles, et l'on relevait les noms des hommes de vingt ans et au-dessus, tête par tête.

Nombres 1, 19 Comme Yahvé le lui avait ordonné, Moïse les enregistra dans le désert du Sinaï.

Nombres 1, 20 Quand on eut déterminé les parentés des fils de Ruben, premier-né d'Israël, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 21 On en recensa 46.500 pour la tribu de Ruben.

Nombres 1, 22 Quand on eut déterminé les parentés des fils de Siméon, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 23 On en recensa 59.300 pour la tribu de Siméon.

Nombres 1, 24 Quand on eut déterminé les parentés des fils de Gad, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 25 On en recensa 45.650 pour la tribu de Gad.

Nombres 1, 26 Quand on eut déterminé les parentés des fils de Juda, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 27 On en recensa 74.600 pour la tribu de Juda.

Nombres 1, 28 Quand on eut déterminé les parentés des fils d'Issachar, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 29 On en recensa 54.400 pour la tribu d'Issachar.

Nombres 1, 30 Quand on eut déterminé les parentés des fils de Zabulon, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 31 On en recensa 57.400 pour la tribu de Zabulon.

Nombres 1, 32 Fils de Joseph: Quand on eut déterminé les parentés des fils d'Ephraïm, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 33 On en recensa 40.500 pour la tribu d'Ephraïm.

Nombres 1, 34 Quand on eut déterminé les parentés des fils de Manassé, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 35 On en recensa 32.200 pour la tribu de Manassé.

Nombres 1, 36 Quand on eut déterminé les parentés des fils de Benjamin, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 37 On en recensa 35.400 pour la tribu de Benjamin.

Nombres 1, 38 Quand on eut déterminé les parentés des fils de Dan, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 39 On en recensa 62.700 pour la tribu de Dan.

Nombres 1, 40 Quand on eut déterminé les parentés des fils d'Asher, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 41 On en recensa 41.500 pour la tribu d'Asher.

Nombres 1, 42 Quand on eut déterminé les parentés des fils de Nephtali, par clans et par familles, on releva, tête par tête, les noms de tous les mâles de vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne.

Nombres 1, 43 On en recensa 53.400 pour la tribu de Nephtali.

Nombres 1, 44 Tels furent ceux que recensèrent Moïse, Aaron et les princes d'Israël, au nombre de douze, un pour chacune de leurs familles.

Nombres 1, 45 Tous les Israélites de vingt ans et au-dessus, tous ceux d'Israël qui étaient aptes à faire campagne, furent recensés par familles.

Nombres 1, 46 Le total des recensés fut de 603.550.

Nombres 1, 47 Mais on ne recensa pas avec eux les Lévites, ni leur tribu patriarcale.

Nombres 1, 48 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 1, 49 "N'enregistre pas cependant la tribu de Lévi, et ne la recense pas au milieu des Israélites.

Nombres 1, 50 Mais inscris toi-même les Lévites pour le service de la Demeure du Témoignage, de tout son mobilier et de tout ce qui lui appartient. Ce sont eux qui porteront la Demeure et tout son mobilier, ils en auront le ministère et camperont alentour.

Nombres 1, 51 Lorsque la Demeure se déplacera, les Lévites la démonteront; lorsque la Demeure fera halte, les Lévites la dresseront. Tout profane qui s'en approchera sera mis à mort.

Nombres 1, 52 Les Israélites camperont chacun dans son camp, chacun près de son étendard, selon leurs unités.

Nombres 1, 53 Mais les Lévites camperont autour de la Demeure du Témoignage. Ainsi la Colère n'éclatera pas contre la communauté des Israélites. Et les Lévites assureront le service de la Demeure du Témoignage."

Nombres 1, 54 Les Israélites se conformèrent en tout point à ce que Yahvé avait ordonné à Moïse. C'est ainsi qu'ils firent.

Nombres 2, 1 Yahvé parla à Moïse et à Aaron et dit:

Nombres 2, 2 "Les Israélites camperont chacun près de son étendard, sous les emblèmes de leurs familles. Ils camperont autour de la Tente du Rendez-vous, à une certaine distance.

Nombres 2, 3 Ceux qui camperont à l'est: A l'orient, l'étendard du camp de Juda, selon leurs unités. Prince des fils de Juda: Nahshôn, fils d'Amminadab.

Nombres 2, 4 Son contingent: 74.600 recensés.

Nombres 2, 5 Campent près de lui: La tribu d'Issachar. Prince des fils d'Issachar: Netanéel, fils de Cuar.

Nombres 2, 6 Son contingent: 54.400 recensés.

Nombres 2, 7 La tribu de Zabulon. Prince des fils de Zabulon: Eliab, fils de Hélôn.

Nombres 2, 8 Son contingent: 57.400 recensés.

Nombres 2, 9 Les recensés du camp de Juda, selon leurs unités, sont en tout 186.400. Ils lèveront le camp les premiers.

Nombres 2, 10 Au sud, l'étendard du camp de Ruben, selon leurs unités. Prince des fils de Ruben: Eliçur, fils de Shedéur.

Nombres 2, 11 Son contingent: 46.500 recensés.

Nombres 2, 12 Campent près de lui: La tribu de Siméon. Prince des fils de Siméon: Shelumiel, fils de Curishaddaï.

Nombres 2, 13 Son contingent: 59.300 recensés.

Nombres 2, 14 La tribu de Gad. Prince des fils de Gad: Elyasaph, fils de Réuel.

Nombres 2, 15 Son contingent: 45.650 recensés.

Nombres 2, 16 Les recensés du camp de Ruben, selon leurs unités, sont en tout 151.450. Ils lèveront le camp les seconds.

Nombres 2, 17 C'est alors que la Tente du Rendez-vous partira, le camp des Lévites se trouvant au milieu des autres camps. On part dans l'ordre où l'on campe, chacun sous son étendard.

Nombres 2, 18 A l'ouest, l'étendard du camp d'Ephraïm, selon leurs unités. Prince des fils d'Ephraïm: Elishama, fils d'Ammihud.

Nombres 2, 19 Son contingent: 40.500 recensés.

Nombres 2, 20 Près de lui: La tribu de Manassé. Prince des fils de Manassé: Gamliel, fils de Pedahçur.

Nombres 2, 21 Son contingent: 32.200 recensés.

Nombres 2, 22 La tribu de Benjamin. Prince des fils de Benjamin: Abidân, fils de Gidéoni.

Nombres 2, 23 Son contingent: 35.400 recensés.

Nombres 2, 24 Les recensés du camp d'Ephraïm, selon leurs unités, sont en tout 108.100. Ils lèveront le camp les troisièmes.

Nombres 2, 25 Au nord, l'étendard du camp de Dan, selon leurs unités. Prince des fils de Dan: Ahiézer, fils d'Ammishaddaï.

Nombres 2, 26 Son contingent: 62.700 recensés.

Nombres 2, 27 Campent près de lui: La tribu d'Asher. Prince des fils d'Asher: Pagiel, fils d'Okrân.

Nombres 2, 28 Son contingent: 41.500 recensés.

Nombres 2, 29 La tribu de Nephtali. Prince des fils de Nephtali: Ahira, fils d'Enân.

Nombres 2, 30 Son contingent: 53.400 recensés.

Nombres 2, 31 Les recensés du camp de Dan sont en tout 157.600; ils lèveront le camp les derniers. Tous selon leurs étendards."

Nombres 2, 32 Tels furent les Israélites dont on fit le recensement par famille. Les recensés de ces camps, selon leurs unités, sont en tout 603.550.

Nombres 2, 33 Mais, comme Yahvé l'avait commandé à Moïse, les Lévites ne furent pas recensés avec les Israélites.

Nombres 2, 34 Les Israélites se conformèrent en tout point à ce que Yahvé avait ordonné à Moïse. C'est ainsi qu'ils campèrent, répartis par étendards. C'est ainsi qu'ils levèrent le camp, chacun dans son clan, chacun avec sa famille.3, 1 Voici la postérité d'Aaron et de Moïse, à l'époque où Yahvé parla à Moïse au mont Sinaï.

Nombres 3, 2 Voici les noms des fils d'Aaron: Nadab, l'aîné, puis Abihu, Eléazar, Itamar.

Nombres 3, 3 Tels sont les noms des fils d'Aaron, prêtres qui reçurent l'onction et que l'on investit pour exercer le sacerdoce.

Nombres 3, 4 Nadab et Abihu moururent devant Yahvé, dans le désert du Sinaï, lorsqu'ils présentèrent devant lui un feu irrégulier. Ils n'avaient pas eu d'enfants, et c'est Eléazar et Itamar qui exercèrent le sacerdoce en présence d'Aaron leur père.

Nombres 3, 5 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 3, 6 "Fais avancer la tribu de Lévi et mets-la à la disposition d'Aaron le prêtre: ils seront à son service.

Nombres 3, 7 Ils assumeront la charge qui lui incombe, ainsi qu'à toute la communauté, devant la Tente du Rendez-vous, en faisant le service de la Demeure.

Nombres 3, 8 Ils auront soin de tout le mobilier de la Tente du Rendez-vous, et ils assumeront la charge qui incombe aux Israélites en faisant le service de la Demeure.

Nombres 3, 9 Tu donneras à Aaron et à ses fils les Lévites, à titre de donnés; ils lui seront donnés par les Israélites.

Nombres 3, 10 Tu enregistreras Aaron et ses fils, qui rempliront leur charge sacerdotale. Mais tout profane qui s'approchera sera mis à mort."

Nombres 3, 11 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 3, 12 "Vois. Moi, j'ai choisi les Lévites au milieu des Israélites, à la place de tous les premiers-nés, de ceux qui chez les Israélites ouvrent le sein maternel; ces Lévites sont donc à moi.

Nombres 3, 13 Car tout premier-né m'appartient. Le jour où j'ai frappé tous les premiers-nés en terre d'Egypte, je me suis consacré tous les premiers-nés en Israël, aussi bien ceux des hommes que ceux du bétail. Ils sont à moi; je suis Yahvé."

Nombres 3, 14 Yahvé parla à Moïse dans le désert du Sinaï, et dit:

Nombres 3, 15 "Tu recenseras les fils de Lévi par familles et par clans; ce sont tous les mâles, depuis l'âge d'un mois et au-dessus, que tu recenseras."

Nombres 3, 16 Sur l'ordre de Yahvé, Moïse les recensa, comme Yahvé le lui avait ordonné.

Nombres 3, 17 Voici les noms des fils de Lévi: Gershôn, Qehat et Merari.

Nombres 3, 18 Voici les noms des fils de Gershôn, par clans: Libni et Shiméï;

Nombres 3, 19 les fils de Qehat, par clans: Amram, Yiçhar, Hébrôn et Uzziel;

Nombres 3, 20 les fils de Merari, par clans: Mahli et Mushi. Tels sont les clans de Lévi, groupés en familles.

Nombres 3, 21 De Gershôn relevaient le clan Libnite et le clan Shiméite. Ce sont les clans Gershonites;

Nombres 3, 22 le nombre total des mâles recensés, depuis l'âge d'un mois et au-dessus, fut pour eux de 7.500.

Nombres 3, 23 Les clans Gershonites campaient derrière la Demeure, à l'occident.

Nombres 3, 24 Le prince de la maison de Gershôn était Elyasaph, fils de Laël.

Nombres 3, 25 Les fils de Gershôn avaient, dans la Tente du Rendez-vous, la charge de la Demeure, de la Tente et de sa couverture, du voile d'entrée de la Tente du Rendez-vous,

Nombres 3, 26 des rideaux du parvis, du voile d'entrée du parvis qui entoure la Demeure et l'autel, enfin des cordages nécessaires à tout ce service.

Nombres 3, 27 De Qehat relevaient les clans Amramite, Yiçharite, Hébronite et Uzziélite. Ce sont les clans Qehatites;

Nombres 3, 28 le nombre total des mâles recensés, depuis l'âge d'un mois et au-dessus, fut pour eux de 41.500. Ils étaient chargés du sanctuaire.

Nombres 3, 29 Les clans Qehatites campaient sur le côté méridional de la Demeure.

Nombres 3, 30 Le prince de la maison des clans Qehatites était Eliçaphân, fils d'Uzziel.

Nombres 3, 31 Ils avaient la charge de l'arche, de la table du candélabre, des autels, des objets sacrés pour officier, du voile avec tout son appareil.

Nombres 3, 32 Le prince des princes de Lévi était Eléazar, fils d'Aaron le prêtre. Il exerçait la surveillance sur ceux qui avaient la charge du sanctuaire.

Nombres 3, 33 De Merari relevaient le clan Mahlite et le clan Mushite. Ce sont les clans Merarites;

Nombres 3, 34 le nombre total des mâles recensés, depuis l'âge d'un mois et au-dessus, fut pour eux de 6.200.

Nombres 3, 35 Le prince de la maison des clans Merarites était Curiel, fils d'Abihayil. Ils campaient sur le côté septentrional de la Demeure.

Nombres 3, 36 Les fils de Merari avaient la charge des cadres de la Demeure, de ses traverses, de ses colonnes et de ses socles, de tous ses accessoires et de tout son appareil,

Nombres 3, 37 ainsi que des colonnes qui entourent le parvis, de leurs socles, de leurs piquets et de leurs cordages.

Nombres 3, 38 Enfin campaient à l'est devant la Demeure, devant la Tente du Rendez-vous à l'orient, Moïse, Aaron et ses fils, qui avaient la charge du sanctuaire au nom des Israélites. Tout profane qui s'approcherait devait être mis à mort.

Nombres 3, 39 Le total des Lévites recensés, que Moïse dénombra par clans sur l'ordre de Yahvé, le nombre des mâles depuis l'âge d'un mois et au-dessus, fut de 22.000.

Nombres 3, 40 Yahvé dit à Moïse: "Fais le recensement de tous les premiers-nés mâles des Israélites, depuis l'âge d'un mois et au-dessus; fais le compte de leurs noms.

Nombres 3, 41 Puis, à la place des premiers-nés d'Israël, tu m'attribueras, à moi Yahvé, les Lévites, et de même leur bétail à la place des premiers-nés du bétail des Israélites."

Nombres 3, 42 Comme Yahvé le lui avait ordonné, Moïse recensa tous les premiers-nés des Israélites.

Nombres 3, 43 Le recensement des noms des premiers-nés, depuis l'âge d'un mois et au-dessus, donna le nombre total de 22.273.

Nombres 3, 44 Alors Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 3, 45 "Prends les Lévites à la place de tous les premiers-nés des Israélites, et le bétail des Lévites à la place de leur bétail; les Lévites seront à moi, à moi Yahvé.

Nombres 3, 46 Pour le rachat des 273 premiers-nés des Israélites qui excèdent le nombre des Lévites,

Nombres 3, 47 tu prendras cinq sicles par tête; tu les prendras selon le sicle du sanctuaire, à vingt géras le sicle.

Nombres 3, 48 Puis, tu donneras cet argent à Aaron et à ses fils pour le rachat de ceux qui sont en excédent."

Nombres 3, 49 Moïse reçut cet argent pour le rachat de ceux que le nombre insuffisant des Lévites ne rachetait point.

Nombres 3, 50 Il reçut l'argent des premiers-nés des Israélites, 1.365 sicles, selon le sicle du sanctuaire.

Nombres 3, 51 Moïse versa l'argent de cette rançon à Aaron et à ses fils, sur l'ordre de Yahvé, comme Yahvé l'avait commandé à Moïse.

Nombres 4, 1 Yahvé parla à Moïse et à Aaron et dit:

Nombres 4, 2 "Faites le recensement de ceux des Lévites qui sont fils de Qehat, par clans et par familles:

Nombres 4, 3 tous les hommes de 30 à 50 ans, qui devraient faire campagne, et qui accompliront leur fonction dans la Tente du Rendez-vous.

Nombres 4, 4 Voici quel sera le service des fils de Qehat dans la Tente du Rendez-vous: la charge des choses très saintes.

Nombres 4, 5 Quand on lèvera le camp, Aaron et ses fils viendront déposer le rideau du voile. Ils en couvriront l'arche du Témoignage.

Nombres 4, 6 Ils mettront par-dessus une housse en cuir fin, sur laquelle ils étendront une étoffe toute de pourpre violette. Puis ils ajusteront les barres de l'arche.

Nombres 4, 7 Sur la table d'oblation, ils étendront une étoffe de pourpre, sur laquelle ils déposeront les plats, les coupes, les patères et les aiguières à libation; le pain de l'oblation perpétuelle y sera aussi.

Nombres 4, 8 Ils étendront par-dessus une étoffe de cramoisi, qu'ils recouvriront d'une housse en cuir fin. Puis ils ajusteront les barres de la table.

Nombres 4, 9 Ils prendront alors une étoffe de pourpre, dont ils couvriront le candélabre de lumière, ses lampes, ses mouchettes et ses cendriers, et tous les vases à huile employés pour son service.

Nombres 4, 10 Ils le déposeront avec tous ses accessoires sur une housse en cuir fin et le placeront sur le brancard.

Nombres 4, 11 Sur l'autel d'or, ils étendront une étoffe de pourpre, et le recouvriront d'une housse en cuir fin. Puis ils y ajusteront les barres.

Nombres 4, 12 Ils prendront ensuite tous les objets employés pour le service du sanctuaire. Ils les déposeront sur une étoffe de pourpre, ils les recouvriront d'une housse en cuir fin, et mettront le tout sur le brancard.

Nombres 4, 13 Après avoir retiré de l'autel ses cendres grasses, ils étendront dessus une étoffe d'écarlate,

Nombres 4, 14 sur laquelle ils déposeront tous les objets que l'on emploie pour officier, les encensoirs, les fourchettes, les pelles, les coupes d'aspersion, tous les accessoires de l'autel. Ils étendront par-dessus une housse en cuir fin; puis ils ajusteront les barres.

Nombres 4, 15 Lorsque Aaron et ses fils auront fini d'envelopper les choses sacrées et tous leurs accessoires, au moment de lever le camp, les fils de Qehat viendront les porter, mais sans toucher à ce qui est consacré: ils mourraient. Telle est la charge des fils de Qehat dans la Tente du Rendez-vous.

Nombres 4, 16 Mais à Eléazar, fils d'Aaron le prêtre, il incombera de veiller à l'huile du luminaire, aux parfums d'herbes odorantes, à l'oblation perpétuelle, à l'huile d'onction; il devra veiller sur toute la Demeure, sur tout ce qui s'y trouve: les choses sacrées et leurs accessoires."

Nombres 4, 17 Yahvé parla à Moïse et à Aaron. Il dit:

Nombres 4, 18 "Ne retranchez pas du nombre des Lévites la tribu des clans Qehatites.

Nombres 4, 19 Agissez donc ainsi pour eux, afin qu'ils vivent et n'encourent pas la mort en s'approchant des choses très saintes: Aaron et ses fils viendront placer chacun d'eux au lieu de son service et près de son fardeau.

Nombres 4, 20 Ils éviteront ainsi d'entrer et de porter le regard, ne fût-ce qu'un instant, sur les choses sacrées: ils mourraient!"

Nombres 4, 21 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 4, 22 "Fais aussi le recensement des fils de Gershôn, par familles et par clans:

Nombres 4, 23 Tu recenseras tous les hommes de 30 à 50 ans, aptes à faire campagne, et qui feront le service dans la Tente du Rendez-vous.

Nombres 4, 24 Voici quel sera le service des clans Gershonites, leurs fonctions et leurs fardeaux.

Nombres 4, 25 Ils porteront les tentures de la Demeure, la Tente du Rendez-vous avec sa bâche et la bâche en cuir fin qui la recouvre, la portière d'entrée de la Tente du Rendez-vous,

Nombres 4, 26 les rideaux du parvis, le voile d'entrée de la porte du parvis qui entoure la Demeure et l'autel, les cordages et tous les accessoires du culte, tout le matériel nécessaire. Ils feront leur service.

Nombres 4, 27 Tout ce service des fils de Gershôn -- fonctions et fardeaux -- se fera sous les ordres d'Aaron et de ses fils: vous aurez à les surveiller dans l'observance de leur charge.

Nombres 4, 28 Tel sera le service des clans Gershonites dans la Tente du Rendez-vous. Leur ministère dépendra d'Itamar, fils d'Aaron le prêtre."

Nombres 4, 29 "Tu feras le recensement des fils de Merari, par clans et par familles.

Nombres 4, 30 Tu feras le recensement de tous les hommes de 30 à 50 ans aptes à faire campagne, et qui feront le service dans la Tente du Rendez-vous.

Nombres 4, 31 Voici le fardeau qu'ils assumeront, et tout le service qui leur incombera dans la Tente du Rendez-vous: les cadres de la Demeure, ses traverses, ses colonnes et ses socles.

Nombres 4, 32 Les colonnes qui entourent le parvis, leurs socles, leurs piquets, leurs cordages et tout leur appareil. Vous ferez le relevé de leurs noms avec les objets dont ils assumeront le fardeau.

Nombres 4, 33 Tel sera le service des clans Merarites. Pour tout leur service dans la Tente du Rendez-vous, ils dépendront d'Itamar, fils d'Aaron le prêtre."

Nombres 4, 34 Moïse, Aaron et les princes de la communauté firent le recensement des fils de Qehat, par clans et par familles;

Nombres 4, 35 tous les hommes de 30 à 50 ans, aptes à faire campagne et chargés du service dans la Tente du Rendez-vous.

Nombres 4, 36 On compta pour leurs clans 2.750 recensés.

Nombres 4, 37 Tel fut le nombre des recensés des clans Qehatites, tous ceux qui devraient servir dans la Tente du Rendez-vous, et que recensèrent Moïse et Aaron, sur l'ordre de Yahvé transmis par Moïse.

Nombres 4, 38 On fit le recensement des fils de Gershôn, par clans et par familles:

Nombres 4, 39 tous les hommes de 30 à 50 ans, aptes à faire campagne et chargés du service dans la Tente du Rendez-vous.

Nombres 4, 40 On compta 2.630 recensés, par clans et par familles.

Nombres 4, 41 Tel fut le nombre des recensés des clans Gershonites, tous ceux qui devaient servir dans la Tente du Rendez-vous, et que recensèrent Moïse et Aaron, sur l'ordre de Yahvé.

Nombres 4, 42 On fit le recensement des clans des fils de Merari par clans et par familles:

Nombres 4, 43 tous les hommes de 30 à 50 ans, aptes à faire campagne et chargés du service dans la Tente du Rendez-vous.

Nombres 4, 44 On compta pour leurs clans 3.200 recensés.

Nombres 4, 45 Tel fut le nombre des recensés des clans Merarites, que recensèrent Moïse et Aaron, sur l'ordre de Yahvé transmis par Moïse.

Nombres 4, 46 Le nombre total des Lévites que Moïse, Aaron et les princes d'Israël recensèrent par clans et par familles --

Nombres 4, 47 tous les hommes de 30 à 50 ans, aptes à servir dans le culte et à servir dans le service du transport de la Tente du Rendez-vous --

Nombres 4, 48 se monta à 8.580 recensés.

Nombres 4, 49 Sur l'ordre de Yahvé transmis par Moïse, on fit leur recensement en attribuant à chacun son service et son fardeau; ils furent recensés comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Nombres 5, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 5, 2 "Ordonne aux Israélites de renvoyer du camp tout lépreux, toute personne atteinte d'écoulement, ou qu'un cadavre aurait rendue impure.

Nombres 5, 3 Homme ou femme, vous les renverrez, vous les expulserez du camp. Ainsi, les Israélites ne souilleront pas leur camp, où je demeure au milieu d'eux."

Nombres 5, 4 Ainsi firent les Israélites: ils les renvoyèrent du camp. Les Israélites agirent comme Yahvé l'avait dit à Moïse.

Nombres 5, 5 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 5, 6 "Parle aux Israélites. Si un homme ou une femme commet quelqu'un de ces péchés par lesquels on frustre Yahvé, cette personne est en faute.

Nombres 5, 7 Elle confessera le péché commis, et restituera la somme dont elle est redevable, majorée d'un cinquième. Elle la restituera à celui envers qui elle est en faute.

Nombres 5, 8 Et si ce dernier n'a point de parent auquel on puisse restituer, la restitution due à Yahvé revient au prêtre, sans compter le bélier d'expiation au moyen duquel le prêtre fera sur le coupable le rite d'expiation.

Nombres 5, 9 Car sur toute chose que les Israélites ont consacrée et apportée au prêtre, celui-ci a droit au prélèvement.

Nombres 5, 10 A chacun reviennent les choses qu'il a consacrées; ce que chacun remet au prêtre revient à celui-ci."

Nombres 5, 11 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 5, 12 "Parle aux Israélites; tu leur diras: S'il est quelqu'un que sa femme a trompé, s'étant dévoyée,

Nombres 5, 13 si un homme, à l'insu du mari, a couché maritalement avec cette femme et qu'elle s'est rendue impure dans le secret, sans qu'il y ait de témoins contre elle et sans qu'on l'ait prise sur le fait;

Nombres 5, 14 si maintenant un esprit de jalousie, venant sur le mari, le rend jaloux de sa femme qui s'est déshonorée, ou encore si cet esprit de jalousie, venant sur lui, le rend jaloux de sa femme innocente:

Nombres 5, 15 cet homme conduira sa femme devant le prêtre, et fera pour elle une offrande d'un dixième de mesure de farine d'orge. Il n'y versera pas d'huile et n'y mettra pas d'encens, car c'est une oblation de jalousie, une oblation commémorative, qui doit rappeler une faute.

Nombres 5, 16 Le prêtre fera approcher la femme et la placera devant Yahvé.

Nombres 5, 17 Puis il prendra de l'eau vive dans un vase d'argile et, ayant pris de la poussière sur le sol de la Demeure, il la répandra sur cette eau.

Nombres 5, 18 Ayant placé la femme devant Yahvé, il lui dénouera la chevelure et lui mettra dans les mains l'oblation commémorative (c'est-à-dire l'oblation de jalousie). Mais dans la main du prêtre seront les eaux d'amertume et de malédiction.

Nombres 5, 19 Ensuite, le prêtre déférera le serment à la femme. Il lui dira: S'il n'est pas vrai qu'un homme ait couché avec toi, que tu te sois dévoyée et rendue impure, alors que ton mari a pouvoir sur toi, que ces eaux d'amertume et de malédiction te soient inoffensives!

Nombres 5, 20 Mais s'il est vrai que tu te sois dévoyée alors que ton mari a pouvoir sur toi, que tu te sois rendue impure et qu'un homme autre que ton mari t'ait fait partager sa couche...

Nombres 5, 21 Le prêtre déférera ici à la femme un serment imprécatoire. Il lui dira:... Que Yahvé te fasse servir, dans ton peuple, aux imprécations et aux serments, en faisant flétrir ton sexe et enfler ton ventre!

Nombres 5, 22 Que ces eaux de malédiction pénètrent en tes entrailles pour que s'enfle ton ventre et que se flétrisse ton sexe! La femme répondra: Amen! Amen!

Nombres 5, 23 Puis le prêtre mettra par écrit ces imprécations et les effacera dans les eaux d'amertume.

Nombres 5, 24 Il fera boire à la femme ces eaux d'amertume et de malédiction, et ces eaux de malédiction pénétreront en elle pour lui être amères.

Nombres 5, 25 Prenant alors des mains de la femme l'oblation de jalousie, le prêtre tendra celle-ci en geste de présentation devant Yahvé et la portera sur l'autel.

Nombres 5, 26 Il en prendra une poignée, en mémorial, qu'il fera fumer sur l'autel. Il fera boire ces eaux à la femme.

Nombres 5, 27 Et lorsqu'il les lui aura fait boire, s'il est vrai qu'elle s'est rendue impure en trompant son mari, alors les eaux de malédiction, pénétrant en elle, lui seront amères: son ventre enflera, son sexe se flétrira, et pour son peuple elle servira d'exemple dans les malédictions.

Nombres 5, 28 Si au contraire elle ne s'est pas rendue impure et si elle est pure, elle restera indemne et elle aura des enfants.

Nombres 5, 29 Tel est le rituel pour le cas de jalousie, quand une femme s'est dévoyée et rendue impure, alors que son mari a pouvoir sur elle,

Nombres 5, 30 ou quand un esprit de jalousie est venu sur un homme et l'a rendu jaloux de sa femme. Lorsque le mari aura conduit cette femme devant Yahvé, le prêtre lui appliquera intégralement ce rituel.

Nombres 5, 31 Le mari sera exempt de faute; la femme, elle, portera la sienne."

Nombres 6, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 6, 2 "Parle aux Israélites; tu leur diras: Si un homme ou une femme entend s'acquitter d'un voeu, le voeu de naziréat, par lequel il s'est voué à Yahvé,

Nombres 6, 3 il s'abstiendra de vin et de boissons fermentées, il ne boira pas le vinaigre qu'on tire de l'un ou de l'autre, il ne boira d'aucun jus de raisin, il ne mangera ni raisins frais ni raisins secs.

Nombres 6, 4 Durant tout le temps de sa consécration, il ne prendra d'aucun produit du cep de vigne, depuis le verjus jusqu'au marc.

Nombres 6, 5 Aussi longtemps qu'il sera consacré par son voeu, le rasoir ne passera pas sur sa tête; jusqu'à ce que soit écoulé le temps pour lequel il s'est voué à Yahvé, il sera consacré et laissera croître librement sa chevelure.

Nombres 6, 6 Durant tout le temps de sa consécration à Yahvé, il ne s'approchera pas d'un mort;

Nombres 6, 7 ni pour son père, ni pour sa mère, ni pour son frère, ni pour sa soeur il ne se rendra impur s'ils viennent à mourir, car il porte sur sa tête la consécration de son Dieu.

Nombres 6, 8 Durant tout le temps de son naziréat il est un consacré à Yahvé.

Nombres 6, 9 Si près de lui quelqu'un meurt de mort subite, rendant impure sa chevelure consacrée, il se rasera la tête au jour de sa purification, il se rasera la tête le septième jour.

Nombres 6, 10 Le huitième jour, il apportera deux tourterelles ou deux pigeons au prêtre, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Nombres 6, 11 Le prêtre offrira l'un en sacrifice pour le péché, et l'autre en holocauste; il accomplira ensuite sur cet homme le rite d'expiation pour la souillure contractée près de ce mort. L'homme consacrera sa tête ce jour-là;

Nombres 6, 12 il se consacrera à Yahvé pour le temps de son naziréat, et il amènera un agneau d'un an, à titre de sacrifice de réparation. Le temps déjà écoulé ne comptera pas, puisque sa chevelure a été rendue impure.

Nombres 6, 13 Voici le rituel du nazir, pour le jour où le temps de sa consécration est révolu. Conduit à l'entrée de la Tente du Rendez-vous,

Nombres 6, 14 il apportera à Yahvé son offrande: pour un holocauste, un agneau d'un an, sans défaut; pour un sacrifice pour le péché, une agnelle d'un an, sans défaut; pour un sacrifice de communion, un bélier sans défaut;

Nombres 6, 15 une corbeille de gâteaux de fleur de farine sans levain, pétris à l'huile, des galettes sans levain frottées d'huile, avec les oblations et libations conjointes.

Nombres 6, 16 Ayant apporté tout cela devant Yahvé, le prêtre fera le sacrifice pour le péché et l'holocauste du nazir.

Nombres 6, 17 Celui-ci fera un sacrifice de communion avec le bélier et avec les azymes de la corbeille, et le prêtre offrira l'oblation et la libation conjointes.

Nombres 6, 18 Puis le nazir rasera sa chevelure consacrée à l'entrée de la Tente du Rendez-vous et, prenant les cheveux de sa tête consacrée, il les mettra dans le feu du sacrifice de communion.

Nombres 6, 19 Le prêtre prendra l'épaule du bélier, une fois cuite, un gâteau sans levain de la corbeille et une galette sans levain. Il les mettra dans la main du nazir quand celui-ci aura rasé sa chevelure.

Nombres 6, 20 Il les tendra en geste de présentation devant Yahvé; c'est chose sainte qui revient au prêtre, outre la poitrine de présentation et la cuisse de prélèvement. Le nazir pourra dès lors boire du vin.

Nombres 6, 21 Tel est le rituel concernant le nazir. Si, en plus de sa chevelure, il a fait voeu d'une offrande personnelle à Yahvé, il acquittera (sans compter ce que ses moyens lui permettront) ce voeu qu'il a fait, en plus de ce que prévoit le rituel pour sa chevelure."

Nombres 6, 22 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 6, 23 "Parle à Aaron et à ses fils et dis-leur: Voici comment vous bénirez les Israélites. Vous leur direz:

Nombres 6, 24 Que Yahvé te bénisse et te garde!

Nombres 6, 25 Que Yahvé fasse pour toi rayonner son visage et te fasse grâce!

Nombres 6, 26 Que Yahvé te découvre sa face et t'apporte la paix!

Nombres 6, 27 Qu'ils mettent ainsi mon nom sur les Israélites, et je les bénirai."

Nombres 7, 1 Le jour où Moïse eut achevé d'ériger la Demeure, il l'oignit et la consacra avec tout son mobilier, ainsi que l'autel avec tous ses accessoires. Quand il eut oint et consacré tout cela,

Nombres 7, 2 les princes d'Israël firent une offrande; c'étaient les chefs des familles, ceux qui étaient les princes des tribus et présidaient au recensement.

Nombres 7, 3 Ils conduisirent leur offrande devant Yahvé: six chariots couverts et douze boeufs, un chariot pour deux princes, et un boeuf chacun. Ils les firent venir devant la Demeure.

Nombres 7, 4 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 7, 5 "Reçois-les d'eux, et qu'ils soient affectés au service de la Tente du Rendez-vous. Tu les donneras aux Lévites, à chacun en raison de sa fonction."

Nombres 7, 6 Moïse prit les chariots et les boeufs, il les donna aux Lévites.

Nombres 7, 7 Aux fils de Gershôn, il donna deux chariots et quatre boeufs, en raison de leur fonction.

Nombres 7, 8 Aux fils de Merari, il donna quatre chariots et huit boeufs, en raison de la fonction qu'ils avaient à remplir sous la direction d'Itamar, fils d'Aaron le prêtre.

Nombres 7, 9 Mais aux fils de Qehat, il n'en donna point, car eux devaient porter sur les épaules la charge sacrée qui leur incombait.

Nombres 7, 10 Les princes firent alors une offrande pour la dédicace de l'autel, le jour de son onction. Ils apportèrent leur offrande devant l'autel,

Nombres 7, 11 et Yahvé dit à Moïse: "Que chaque jour l'un des princes apporte son offrande pour la dédicace de l'autel."

Nombres 7, 12 Celui qui apporta son offrande le premier jour fut Nahshôn, fils d'Amminadab, de la tribu de Juda.

Nombres 7, 13 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 14 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 15 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 16 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 17 et pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande de Nahshôn, fils d'Amminadab.

Nombres 7, 18 Celui qui apporta son offrande le second jour fut Netanéel, fils de Cuar, prince d'Issachar.

Nombres 7, 19 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 20 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 21 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 22 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 23 et pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande de Netanéel, fils de Cuar.

Nombres 7, 24 Celui qui apporta son offrande le troisième jour fut Eliab, fils de Hélôn, prince des fils de Zabulon.

Nombres 7, 25 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 26 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 27 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 28 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 29 et pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande d'Eliab, fils de Hélôn.

Nombres 7, 30 Celui qui apporta son offrande le quatrième jour fut Eliçur, fils de Shedéur, prince des fils de Ruben.

Nombres 7, 31 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 32 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 33 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 34 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 35 et pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande d'Eliçur, fils de Shedéur.

Nombres 7, 36 Celui qui apporta son offrande le cinquième jour fut Shelumiel, fils de Curishaddaï, prince des fils de Siméon.

Nombres 7, 37 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 38 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 39 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 40 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 41 et pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande de Shelumiel, fils de Curishaddaï.

Nombres 7, 42 Celui qui apporta son offrande le sixième jour fut Elyasaph, fils de Réuel, prince des fils de Gad.

Nombres 7, 43 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 44 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 45 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 46 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 47 et pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande d'Elyasaph, fils de Réuel.

Nombres 7, 48 Celui qui apporta son offrande le septième jour fut Elishama, fils d'Ammihud, prince des fils d'Ephraïm.

Nombres 7, 49 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 50 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 51 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 52 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 53 et, pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande d'Elishama, fils d'Ammihud.

Nombres 7, 54 Celui qui apporta son offrande le huitième jour fut Gamliel, fils de Pedahçur, prince des fils de Manassé.

Nombres 7, 55 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 56 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 57 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 58 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 59 et pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande de Gamliel, fils de Pedahçur.

Nombres 7, 60 Celui qui apporta son offrande le neuvième jour fut Abidân, fils de Gidéoni, prince des fils de Benjamin.

Nombres 7, 61 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 62 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 63 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 64 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 65 et pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande d'Abidân, fils de Gidéoni.

Nombres 7, 66 Celui qui apporta son offrande le dixième jour fut Ahiézer, fils d'Ammishaddaï, prince des fils de Dan.

Nombres 7, 67 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 68 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 69 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 70 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 71 et pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande d'Ahiézer, fils d'Ammishaddaï.

Nombres 7, 72 Celui qui apporta son offrande le onzième jour fut Pagiel, fils d'Okrân, prince des fils d'Asher.

Nombres 7, 73 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 74 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 75 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 76 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 77 et pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande de Pagiel, fils d'Okrân.

Nombres 7, 78 Celui qui apporta son offrande le douzième jour fut Ahira, fils d'Enân, prince des fils de Nephtali.

Nombres 7, 79 Son offrande comprenait: une coupe d'argent pesant 130 sicles, une coupe d'aspersion en argent de 70 sicles (en sicles du sanctuaire), toutes deux remplies, pour l'oblation, de fleur de farine pétrie à l'huile,

Nombres 7, 80 une coupe d'or de dix sicles, pleine d'encens,

Nombres 7, 81 un taureau, un bélier et un agneau d'un an pour l'holocauste,

Nombres 7, 82 un bouc pour le sacrifice pour le péché,

Nombres 7, 83 et pour le sacrifice de communion, deux boeufs, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. Telle fut l'offrande d'Ahira, fils d'Enân.

Nombres 7, 84 Telles furent les offrandes des princes d'Israël pour la dédicace de l'autel, le jour de son onction: douze coupes d'argent, douze coupes d'aspersion en argent, douze coupes d'or.

Nombres 7, 85 Chaque coupe d'argent pesant 130 sicles, et chaque coupe d'aspersion 70, l'argent de ces objets pesait en tout 2.400 sicles du sanctuaire.

Nombres 7, 86 Les douze coupes d'or remplies d'encens pesant chacune dix sicles, en sicles du sanctuaire, l'or de ces coupes pesait en tout 120 sicles.

Nombres 7, 87 Total du bétail pour l'holocauste: douze taureaux, douze béliers, douze agneaux d'un an, avec les oblations conjointes. Pour le sacrifice pour le péché, douze boucs.

Nombres 7, 88 Total du bétail pour le sacrifice de communion: 24 taureaux, 60 béliers, 60 boucs, 60 agneaux d'un an. Telles furent les offrandes pour la dédicace de l'autel, après son onction.

Nombres 7, 89 Quand Moïse pénétrait dans la Tente du Rendez-vous pour s'adresser à Lui, il entendait la voix qui lui parlait du haut du propitiatoire que portait l'arche du Témoignage, entre les deux chérubins. Alors il s'adressait à Lui.

Nombres 8, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 8, 2 "Parle à Aaron; tu lui diras: Lorsque tu disposeras les lampes, c'est sur le devant du candélabre que les sept lampes donneront leur lumière."

Nombres 8, 3 Ainsi fit Aaron. Il disposa les lampes sur le devant du candélabre, comme Yahvé l'avait ordonné Moïse.

Nombres 8, 4 Ce candélabre était un ouvrage d'or repoussé, y compris la tige et la corolle qui étaient aussi en or repoussé. Ce candélabre avait été fait conformément à la vision que Yahvé en avait donnée à Moïse.

Nombres 8, 5 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 8, 6 "Prends les Lévites du milieu des Israélites et purifie-les.

Nombres 8, 7 Ainsi feras-tu pour les purifier: tu feras sur eux une aspersion d'eau lustrale, ils se raseront tout le corps et laveront leurs vêtements, alors ils seront purs.

Nombres 8, 8 Puis ils prendront un taureau, avec l'oblation conjointe de fleur de farine pétrie dans l'huile, et tu prendras un second taureau pour un sacrifice pour le péché.

Nombres 8, 9 Tu feras alors avancer les Lévites devant la Tente du Rendez-vous, et tu rassembleras toute la communauté des Israélites.

Nombres 8, 10 Lorsque tu auras fait avancer les Lévites devant Yahvé, les Israélites leur imposeront les mains.

Nombres 8, 11 Puis Aaron offrira les Lévites, en faisant le geste de présentation devant Yahvé, de la part des Israélites. Ils seront alors affectés au service de Yahvé.

Nombres 8, 12 Les Lévites poseront ensuite la main sur la tête des taureaux, et tu feras de l'une des bêtes un sacrifice pour le péché, de l'autre un holocauste à Yahvé, afin d'accomplir sur les Lévites le rite d'expiation.

Nombres 8, 13 Ayant placé les Lévites devant Aaron et ses fils, tu les offriras à Yahvé avec le geste de présentation.

Nombres 8, 14 C'est ainsi que tu mettras à part les Lévites, du milieu des Israélites, pour qu'ils m'appartiennent.

Nombres 8, 15 Les Lévites commenceront alors à faire le service de la Tente du Rendez-vous. Tu les purifieras et tu les offriras avec le geste de présentation

Nombres 8, 16 parce qu'ils me sont cédés, à titre de donnés, parmi les Israélites. Ils sont substitués à ceux qui ouvrent le sein maternel, aux premiers-nés de tous; parmi les Israélites, je me les suis attribués.

Nombres 8, 17 Oui, c'est à moi que revient tout premier-né chez les Israélites, homme ou animal: le jour où j'ai frappé tous les premiers-nés en terre d'Egypte, je me les suis consacrés,

Nombres 8, 18 et, à la place de tous les premiers-nés des Israélites, j'ai pris les Lévites.

Nombres 8, 19 Du milieu des Israélites je donne les Lévites à Aaron et à ses fils, à titre de donnés; ils feront pour les Israélites le service cultuel dans la Tente du Rendez-vous et feront sur eux le rite d'expiation, en sorte qu'aucun des Israélites ne soit frappé pour s'être approché du sanctuaire."

Nombres 8, 20 Moïse, Aaron et toute la communauté des Israélites agirent à l'égard des Lévites selon tout ce que Yahvé avait ordonné à Moïse à leur sujet; ainsi agirent les Israélites à leur égard.

Nombres 8, 21 Les Lévites se purifièrent, lavèrent leurs vêtements, et Aaron les offrit avec le geste de présentation devant Yahvé. Puis il accomplit sur eux le rite d'expiation pour les purifier.

Nombres 8, 22 Les Lévites furent admis à faire leur service dans la Tente du Rendez-vous en présence d'Aaron et de ses fils. Selon ce que Yahvé avait prescrit à Moïse au sujet des Lévites, ainsi agit-on à leur égard.

Nombres 8, 23 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 8, 24 "Voici pour les Lévites. A partir de l'âge de 25 ans, le Lévite devra servir, en s'acquittant d'une fonction dans la Tente du Rendez-vous.

Nombres 8, 25 A partir de 50 ans, il ne sera plus astreint au service; il n'aura plus de fonction;

Nombres 8, 26 il aidera pourtant ses frères à assurer l'observance dans la Tente du Rendez-vous, mais il n'aura plus de service. Ainsi feras-tu en ce qui concerne les observances des Lévites."

Nombres 9, 1 Yahvé parla à Moïse, dans le désert du Sinaï, la seconde année après la sortie d'Egypte, au premier mois, et il dit:

Nombres 9, 2 "Que les Israélites célèbrent la Pâque au temps fixé.

Nombres 9, 3 C'est le quatorzième jour de ce mois, au crépuscule, que vous la célébrerez au temps fixé. Vous la célébrerez selon toutes les lois et coutumes qui la concernent."

Nombres 9, 4 Moïse dit aux Israélites de célébrer la Pâque.

Nombres 9, 5 Ils la célébrèrent, dans le désert du Sinaï, au premier mois, le quatorzième jour du mois, au crépuscule. Les Israélites firent tout ce que Yahvé avait ordonné à Moïse.

Nombres 9, 6 Or, il se trouva des hommes qui avaient contracté une impureté du fait d'un mort; ils ne purent célébrer la Pâque ce jour-là. Ils vinrent le même jour trouver Moïse et Aaron

Nombres 9, 7 et leur dirent: "Nous avons contracté une impureté du fait d'un mort. Pourquoi serions-nous exclus, et privés d'apporter l'offrande de Yahvé au temps fixé, au milieu des Israélites?"

Nombres 9, 8 Moïse leur répondit: "Tenez-vous là, que j'entende ce que Yahvé ordonne pour vous."

Nombres 9, 9 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 9, 10 "Parle aux Israélites et dis-leur: Si quelqu'un, parmi vous ou vos descendants, se trouve impur, du fait d'un mort, ou est en voyage au loin, il célébrera une Pâque pour Yahvé.

Nombres 9, 11 C'est au second mois, le quatorzième jour, au crépuscule, qu'ils la célébreront. Ils la mangeront avec des azymes et des herbes amères;

Nombres 9, 12 rien n'en devra rester au matin, ils n'en briseront aucun os. C'est selon tout le rituel de la Pâque qu'ils la célébreront.

Nombres 9, 13 Mais celui qui se trouve pur ou qui n'a pas eu à voyager, celui-là sera retranché de sa race s'il omet de célébrer la Pâque. Il n'a pas apporté l'offrande de Yahvé au temps fixé, il portera le poids de son péché.

Nombres 9, 14 Si quelque étranger réside parmi vous et célèbre une Pâque pour Yahvé, c'est selon le rituel et les coutumes de la Pâque qu'il la célébrera. Il n'y aura chez vous qu'une loi, pour l'étranger comme pour le citoyen."

Nombres 9, 15 Le jour où l'on avait dressé la Demeure, la Nuée avait couvert la Demeure, la Tente du Rendez-vous. Du soir au matin, elle reposait sur la Demeure sous l'aspect d'un feu.

Nombres 9, 16 Ainsi la nuée la couvrait en permanence, prenant l'aspect d'un feu jusqu'au matin.

Nombres 9, 17 Lorsque la Nuée s'élevait au-dessus de la Tente, alors les Israélites levaient le camp; au lieu où la Nuée s'arrêtait, là campaient les Israélites.

Nombres 9, 18 Les Israélites partaient sur l'ordre de Yahvé et sur son ordre ils campaient. Ils campaient aussi longtemps que la Nuée reposait sur la Demeure.

Nombres 9, 19 Si la Nuée restait de longs jours sur la Demeure, les Israélites rendaient leur culte à Yahvé et ne partaient pas.

Nombres 9, 20 Mais s'il arrivait que la Nuée restât peu de jours sur la Demeure, alors ils campaient sur l'ordre de Yahvé et partaient sur l'ordre de Yahvé.

Nombres 9, 21 S'il arrivait que la Nuée, après avoir reposé du soir au matin, s'élevât au matin, ils partaient alors. Ou bien, elle s'élevait après avoir séjourné un jour et une nuit, et ils partaient alors.

Nombres 9, 22 Ou bien encore elle séjournait deux jours, un mois ou une année; aussi longtemps que la Nuée reposait sur la Demeure, les Israélites campaient sur place, mais lorsqu'elle s'élevait ils partaient.

Nombres 9, 23 Sur l'ordre de Yahvé ils campaient, et sur l'ordre de Yahvé ils partaient. Ils rendaient leur culte à Yahvé, suivant les ordres de Yahvé transmis par Moïse.

Nombres 10, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 10, 2 "Fais-toi deux trompettes; tu les feras d'argent repoussé. Elles te serviront à convoquer la communauté et à donner aux camps le signal du départ.

Nombres 10, 3 Lorsqu'on en sonnera, toute la communauté se rassemblera auprès de toi, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Nombres 10, 4 Mais si l'on ne sonne que d'une trompette, ce sont les princes, chefs des milliers d'Israël, qui se réuniront auprès de toi.

Nombres 10, 5 Lorsque vous accompagnerez d'acclamations la sonnerie, les camps établis à l'orient partiront.

Nombres 10, 6 A la seconde sonnerie accompagnée d'acclamations, les camps établis au midi partiront. Pour partir, on accompagnera la sonnerie d'acclamations,

Nombres 10, 7 mais pour rassembler la communauté, on sonnera sans acclamations.

Nombres 10, 8 Ce sont les fils d'Aaron, les prêtres, qui sonneront des trompettes; c'est pour vous et pour vos descendants un décret perpétuel.

Nombres 10, 9 Lorsque, dans votre pays, vous devrez partir en guerre contre un ennemi qui vous opprime, vous sonnerez des trompettes en poussant des acclamations: votre souvenir sera évoqué devant Yahvé votre Dieu et vous serez délivrés de vos ennemis.

Nombres 10, 10 En vos jours de fêtes, solennités ou néoménies, vous sonnerez des trompettes lors de vos holocaustes et sacrifices de communion, et elles vous rappelleront au souvenir de votre Dieu. Je suis Yahvé votre Dieu."

Nombres 10, 11 La seconde année, au second mois, le vingtième jour du mois, la Nuée s'éleva au-dessus de la Demeure du Rendez-vous.

Nombres 10, 12 Les Israélites partirent, en ordre de marche, du désert du Sinaï. C'est au désert de Parân que la Nuée s'arrêta.

Nombres 10, 13 Voici ceux qui partirent en tête, sur l'ordre de Yahvé transmis par Moïse:

Nombres 10, 14 partit en tête l'étendard du camp des fils de Juda selon leurs unités. A la tête du contingent de Juda était Nahshôn, fils d'Amminadab;

Nombres 10, 15 à la tête du contingent de la tribu des fils d'Issachar selon leurs unités, était Netanéel, fils de Cuar;

Nombres 10, 16 à la tête du contingent de la tribu des fils de Zabulon selon leurs unités, était Eliab, fils de Hélôn.

Nombres 10, 17 Puis la Demeure fut démontée, alors partirent les fils de Gershôn et les fils de Merari, qui portaient la Demeure.

Nombres 10, 18 Partit ensuite l'étendard du camp des fils de Ruben selon leurs unités. A la tête de son contingent était Eliçur, fils de Shedéur;

Nombres 10, 19 à la tête du contingent de la tribu des fils de Siméon selon leurs unités, était Shelumiel, fils de Curishaddaï;

Nombres 10, 20 à la tête du contingent de la tribu des fils de Gad selon leurs unités, était Elyasaph, fils de Réuel.

Nombres 10, 21 Partirent alors les fils de Qehat, qui portaient le sanctuaire (on dressait la Demeure avant leur arrivée).

Nombres 10, 22 Partit ensuite l'étendard du camp des fils d'Ephraïm selon leurs unités. A la tête de son contingent était Elishama, fils d'Ammihud;

Nombres 10, 23 à la tête du contingent de la tribu des fils de Manassé selon leurs unités, était Gamliel, fils de Pedahçur;

Nombres 10, 24 à la tête du contingent de la tribu des fils de Benjamin selon leurs unités, était Abidân, fils de Gidéoni.

Nombres 10, 25 Partit enfin, à l'arrière-garde de tous les camps, l'étendard du camp des fils de Dan selon leurs unités. A la tête de son contingent était Ahiézer, fils d'Ammishaddaï;

Nombres 10, 26 à la tête du contingent de la tribu des fils d'Asher selon leurs unités, était Pagiel, fils d'Okrân;

Nombres 10, 27 à la tête du contingent des fils de Nephtali selon leurs unités, était Ahira, fils d'Enân.

Nombres 10, 28 Tel fut l'ordre de marche des Israélites, selon leurs unités. Et ils partirent.

Nombres 10, 29 Moïse dit à Hobab, fils de Réuel le Madianite, son beau-père: "Nous partons pour le pays dont Yahvé a dit: Je vous le donnerai. Viens avec nous, et nous te ferons du bien, car Yahvé a promis du bonheur à Israël" --

Nombres 10, 30 "Je ne viendrai pas, lui répondit-il, mais j'irai dans mon pays et dans ma parenté" --

Nombres 10, 31 "Ne nous abandonne pas, reprit Moïse. Car tu connais les lieux où nous devons camper dans le désert, et ainsi tu seras nos yeux.

Nombres 10, 32 Si tu viens avec nous, ce bonheur que Yahvé nous donnera, nous te le donnerons."

Nombres 10, 33 Ils partirent de la montagne de Yahvé pour faire trois journées de marche. L'arche de l'alliance de Yahvé devait les précéder durant ces trois journées de marche, leur cherchant un lieu d'étape.

Nombres 10, 34 Pendant le jour, la Nuée de Yahvé fut au-dessus d'eux, lorsqu'ils furent partis du camp.

Nombres 10, 35 Quand l'arche partait, Moïse disait: "Lève-toi, Yahvé, que tes ennemis se dispersent, que ceux qui te haïssent fuient devant toi!"

Nombres 10, 36 Et à l'étape, il disait: "Reviens, Yahvé, vers les multitudes des milliers d'Israël."11, 1 Or le peuple élevait une lamentation mauvaise aux oreilles de Yahvé, et Yahvé l'entendit. Sa colère s'enflamma et le feu de Yahvé s'alluma chez eux: il dévorait une extrémité du camp.

Nombres 11, 2 Le peuple fit appel à Moïse, qui intercéda auprès de Yahvé, et le feu tomba.

Nombres 11, 3 On appela donc ce lieu Tabeéra, parce que le feu de Yahvé s'était allumé chez eux.

Nombres 11, 4 Le ramassis de gens qui s'était mêlé au peuple fut saisi de fringale. Les Israélites eux-mêmes recommencèrent à pleurer, en disant: "Qui nous donnera de la viande à manger?

Nombres 11, 5 Ah! quel souvenir! le poisson que nous mangions pour rien en Egypte, les concombres, les melons, les laitues, les oignons et l'ail!

Nombres 11, 6 Maintenant nous dépérissons, privés de tout; nos yeux ne voient plus que de la manne!"

Nombres 11, 7 La manne ressemblait à de la graine de coriandre et avait l'aspect du bdellium.

Nombres 11, 8 Le peuple s'égaillait pour la récolter; puis on la broyait à la meule ou on l'écrasait au pilon; enfin on la faisait cuire dans un pot pour en faire des galettes. Elle avait le goût d'un gâteau à l'huile.

Nombres 11, 9 Quand la rosée tombait la nuit sur le camp, la manne y tombait aussi.

Nombres 11, 10 Moïse entendit pleurer le peuple, chaque famille à l'entrée de sa tente. La colère de Yahvé s'enflamma d'une grande ardeur. Moïse en fut très affecté,

Nombres 11, 11 et il dit à Yahvé: "Pourquoi fais-tu du mal à ton serviteur? Pourquoi n'ai-je pas trouvé grâce à tes yeux, que tu m'aies imposé la charge de tout ce peuple?

Nombres 11, 12 Est-ce moi qui ai conçu tout ce peuple, est-ce moi qui l'ai enfanté, que tu me dises: Porte-le sur ton sein, comme la nourrice porte l'enfant à la mamelle, au pays que j'ai promis par serment à ses pères?

Nombres 11, 13 Où trouverais-je de la viande à donner à tout ce peuple, quand ils m'obsèdent de leurs larmes en disant: Donne-nous de la viande à manger?

Nombres 11, 14 Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple: c'est trop lourd pour moi.

Nombres 11, 15 Si tu veux me traiter ainsi, tue-moi plutôt! Ah! si j'avais trouvé grâce à tes yeux, que je ne voie plus mon malheur!"

Nombres 11, 16 Yahvé dit à Moïse: "Rassemble-moi 70 des anciens d'Israël, que tu sais être des anciens et des scribes du peuple. Tu les amèneras à la Tente du Rendez-vous, où ils se tiendront avec toi.

Nombres 11, 17 Je descendrai parler avec toi; mais je prendrai de l'Esprit qui est sur toi pour le mettre sur eux. Ainsi ils porteront avec toi la charge de ce peuple et tu ne seras plus seul à le porter.

Nombres 11, 18 A ce peuple tu diras: Sanctifiez-vous pour demain, et vous mangerez de la viande, puisque vous avez pleuré aux oreilles de Yahvé, en disant: Qui nous donnera de la viande à manger? Nous étions heureux en Egypte! Eh bien! Yahvé vous donnera de la viande à manger.

Nombres 11, 19 Vous n'en mangerez pas un jour seulement, ou deux ou cinq ou dix ou vingt,

Nombres 11, 20 mais bien tout un mois, jusqu'à ce qu'elle vous sorte par les narines et vous soit en dégoût, puisque vous avez rejeté Yahvé qui est au milieu de vous et que vous avez pleuré devant lui en disant: Pourquoi donc être sortis d'Egypte?"

Nombres 11, 21 Moïse dit: "Le peuple où je suis compte 600.000 hommes de pied, et tu dis: Je leur donnerai de la viande à manger pendant tout un mois!

Nombres 11, 22 Si l'on égorgeait pour eux petit et gros bétail, en auraient-ils assez? Si l'on ramassait pour eux tous les poissons de la mer, en auraient-ils assez?"

Nombres 11, 23 Yahvé répondit à Moïse: "Le bras de Yahvé serait-il si court? Tu vas voir si la parole que je t'ai dite s'accomplit ou non."

Nombres 11, 24 Moïse sortit pour dire au peuple les paroles de Yahvé. Puis il réunit 70 anciens du peuple et les plaça autour de la Tente.

Nombres 11, 25 Yahvé descendit dans la nuée. Il lui parla, et prit de l'Esprit qui reposait sur lui pour le mettre sur les 70 anciens. Quand l'Esprit reposa sur eux ils prophétisèrent, mais ils ne recommencèrent pas.

Nombres 11, 26 Deux hommes étaient restés au camp; l'un s'appelait Eldad et l'autre Médad. L'Esprit reposa sur eux; bien que n'étant pas venus à la Tente, ils comptaient parmi les inscrits. Ils se mirent à prophétiser dans le camp.

Nombres 11, 27 Un jeune homme courut l'annoncer à Moïse: "Voici Eldad et Médad, dit-il, qui prophétisent dans le camp."

Nombres 11, 28 Josué, fils de Nûn, qui depuis sa jeunesse servait Moïse, prit la parole et dit: "Moïse, Monseigneur, empêche-les!"

Nombres 11, 29 Moïse lui répondit: "Serais-tu jaloux pour moi? Ah! puisse tout le peuple de Yahvé être prophète, Yahvé leur donnant son Esprit!"

Nombres 11, 30 Puis Moïse regagna le camp, et avec lui les anciens d'Israël.

Nombres 11, 31 Envoyé par Yahvé, un vent se leva qui, venant de la mer, entraîna des cailles et les précipita sur le camp. Il y en avait aussi loin qu'un jour de marche, de part et d'autre du camp, et sur une épaisseur de deux coudées au-dessus du sol.

Nombres 11, 32 Le peuple fut debout tout le jour, toute la nuit et le lendemain pour ramasser des cailles: celui qui en ramassa le moins en eut dix muids; puis ils les étalèrent autour du camp.

Nombres 11, 33 La viande était encore entre leurs dents, elle n'était pas encore mâchée, que la colère de Yahvé s'enflamma contre le peuple. Yahvé le frappa d'une très grande plaie.

Nombres 11, 34 On donna à ce lieu le nom de Qibrot-ha-Taava, car c'est là qu'on enterra les gens qui s'étaient abandonnés à leur fringale.

Nombres 11, 35 De Qibrot-ha-Taava, le peuple partit pour Haçérot, et on campa à Haçérot.

Nombres 12, 1 Miryam, ainsi qu'Aaron, parla contre Moïse à cause de la femme kushite qu'il avait prise. Car il avait épousé une femme kushite.

Nombres 12, 2 Et ils dirent: "Yahvé ne parlerait-il donc qu'à Moïse? N'a-t-il pas parlé à nous aussi?" Yahvé entendit.

Nombres 12, 3 Or Moïse était un homme très humble, l'homme le plus humble que la terre ait porté.

Nombres 12, 4 Soudain, Yahvé dit à Moïse, à Aaron et à Miryam: "Venez-vous en tous les trois à la Tente du Rendez-vous." Ils allèrent tous trois,

Nombres 12, 5 et Yahvé descendit dans une colonne de nuée et se tint à l'entrée de la Tente. Il appela Aaron et Miryam; tous deux s'avancèrent.

Nombres 12, 6 Yahvé dit: "Ecoutez donc mes paroles: S'il y a parmi vous un prophète, c'est en vision que je me révèle à lui, c'est dans un songe que je lui parle.

Nombres 12, 7 Il n'en est pas ainsi de mon serviteur Moïse, toute ma maison lui est confiée.

Nombres 12, 8 Je lui parle face à face dans l'évidence, non en énigmes, et il voit la forme de Yahvé. Pourquoi avez-vous osé parler contre mon serviteur Moïse?"

Nombres 12, 9 La colère de Yahvé s'enflamma contre eux. Il partit

Nombres 12, 10 et la nuée quitta la Tente. Voilà que Miryam était devenue lépreuse, blanche comme neige. Aaron se tourna vers elle: elle était devenue lépreuse.

Nombres 12, 11 Aaron dit à Moïse: "A moi, Monseigneur! Veuille ne pas nous infliger la peine du péché que nous avons eu la folie de commettre et dont nous sommes coupables.

Nombres 12, 12 Je t'en prie, qu'elle ne soit pas comme l'avorton dont la chair est à demi rongée lorsqu'il sort du sein de sa mère!"

Nombres 12, 13 Moïse implora Yahvé: "O Dieu, dit-il, daigne la guérir, je t'en prie!"

Nombres 12, 14 Yahvé dit alors à Moïse: "Et si son père lui crachait au visage, ne serait-elle pas sept jours dans la honte? Qu'elle soit pendant sept jours séquestrée hors du camp, et qu'elle y soit admise ensuite à nouveau."

Nombres 12, 15 Miryam fut séquestrée pendant sept jours hors du camp. Le peuple ne partit pas avant sa rentrée.

Nombres 12, 16 Puis le peuple partit de Haçérot, et alla camper dans le désert de Parân.

Nombres 13, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 13, 2 "Envoie des hommes, un par tribu, pour reconnaître le pays de Canaan, que je donne aux Israélites. Vous enverrez tous leurs princes."

Nombres 13, 3 Sur l'ordre de Yahvé, Moïse les envoya du désert de Parân. Ces hommes étaient tous chefs des Israélites.

Nombres 13, 4 En voici les noms: Pour la tribu de Ruben, Shammua, fils de Zakkur;

Nombres 13, 5 pour la tribu de Siméon, Shaphat, fils de Hori;

Nombres 13, 6 pour la tribu de Juda, Caleb, fils de Yephunné;

Nombres 13, 7 pour la tribu d'Issachar, Yigéal, fils de Yoseph;

Nombres 13, 8 pour la tribu d'Ephraïm, Hoshéa, fils de Nûn;

Nombres 13, 9 pour la tribu de Benjamin, Palti, fils de Raphu;

Nombres 13, 10 pour la tribu de Zabulon, Gaddiel, fils de Sodi;

Nombres 13, 11 pour la tribu de Joseph, pour la tribu de Manassé, Gaddi, fils de Susi;

Nombres 13, 12 pour la tribu de Dan, Ammiel, fils de Gemalli;

Nombres 13, 13 pour la tribu d'Asher, Setur, fils de Mikaël;

Nombres 13, 14 pour la tribu de Nephtali, Nahbi, fils de Vaphsi;

Nombres 13, 15 pour la tribu de Gad, Géuel, fils de Maki.

Nombres 13, 16 Tels sont les noms des hommes que Moïse envoya reconnaître le pays. Puis Moïse donna à Hoshéa, fils de Nûn, le nom de Josué.

Nombres 13, 17 Moïse les envoya reconnaître le pays de Canaan: "Montez au Négeb, montez ensuite dans la montagne.

Nombres 13, 18 Voyez ce qu'est le pays; ce qu'est le peuple qui l'habite, fort ou faible, clairsemé ou nombreux;

Nombres 13, 19 ce qu'est le pays où il habite, bon ou mauvais; ce que sont les villes où il habite, camps ou villes fortifiées;

Nombres 13, 20 ce qu'est le pays, fertile ou pauvre, boisé ou non. Ayez bon courage. Prenez des produits du pays." C'était l'époque des premiers raisins.

Nombres 13, 21 Ils montèrent reconnaître le pays, depuis le désert de Cîn jusqu'à Rehob, l'Entrée de Hamat.

Nombres 13, 22 Ils montèrent par le Négeb et parvinrent à Hébron, où se trouvaient Ahimân, Sheshaï et Talmaï, les Anaqim. (Hébron avait été fondée sept ans avant Tanis d'Egypte.)

Nombres 13, 23 Ils parvinrent au val d'Eshkol; ils y coupèrent un sarment et une grappe de raisin qu'ils emportèrent à deux, sur une perche, ainsi que des grenades et des figues.

Nombres 13, 24 On appela ce lieu val d'Eshkol, à cause de la grappe qu'y avaient coupée les Israélites.

Nombres 13, 25 Au bout de 40 jours, ils revinrent de cette reconnaissance du pays.

Nombres 13, 26 Ils allèrent trouver Moïse, Aaron, et toute la communauté d'Israël, dans le désert de Parân, à Cadès. Ils leur firent leur rapport, ainsi qu'à toute la communauté, et leur montrèrent les produits du pays.

Nombres 13, 27 Ils leur firent ce récit: "Nous sommes allés dans le pays où tu nous as envoyés. En vérité, il ruisselle de lait et de miel; en voici les produits.

Nombres 13, 28 Toutefois, le peuple qui l'habite est puissant; les villes sont fortifiées, très grandes; nous y avons même vu des descendants d'Anaq.

Nombres 13, 29 Les Amalécites occupent la région du Négeb; les Hittites, les Amorites et les Jébuséens, la montagne; les Cananéens, le bord de la mer et les rives du Jourdain."

Nombres 13, 30 Caleb harangua le peuple assemblé près de Moïse: "Il faut marcher, disait-il, et conquérir ce pays: nous en sommes capables."

Nombres 13, 31 Mais les hommes qui l'avaient accompagné répondirent: "Nous ne pouvons pas marcher contre ce peuple, car il est plus fort que nous."

Nombres 13, 32 Et ils se mirent à décrier devant les Israélites le pays qu'ils avaient été reconnaître: "Le pays que nous sommes allés reconnaître est un pays qui dévore ses habitants. Tous ceux que nous y avons vus sont des hommes de haute taille.

Nombres 13, 33 Nous y avons aussi vu des géants (les fils d'Anaq, descendance des Géants). Nous, nous faisions l'effet de sauterelles, et c'est bien aussi l'effet que nous leur faisions."

Nombres 14, 1 Alors toute la communauté éleva la voix; ils poussèrent des cris; et cette nuit-là le peuple pleura.

Nombres 14, 2 Tous les Israélites murmurèrent contre Moïse et Aaron, et la communauté tout entière leur dit: "Que ne sommes-nous morts au pays d'Egypte! Que ne sommes-nous morts du moins en ce désert!

Nombres 14, 3 Pourquoi Yahvé nous mène-t-il en ce pays pour nous faire tomber sous l'épée, pour livrer en butin nos femmes et nos enfants? Ne vaudrait-il pas mieux retourner en Egypte?"

Nombres 14, 4 Et ils se disaient l'un à l'autre: "Donnons-nous un chef et retournons en Egypte."

Nombres 14, 5 Devant toute la communauté assemblée des Israélites, Moïse et Aaron tombèrent la face contre terre.

Nombres 14, 6 De ceux qui avaient exploré le pays, Josué, fils de Nûn, et Caleb, fils de Yephunné, déchirèrent leurs vêtements.

Nombres 14, 7 Ils dirent à toute la communauté des Israélites: "Le pays que nous sommes allés reconnaître est un bon, un très bon pays.

Nombres 14, 8 Si Yahvé nous est favorable, il nous fera entrer en ce pays et nous le donnera. C'est une terre qui ruisselle de lait et de miel.

Nombres 14, 9 Mais ne regimbez pas contre Yahvé. Et n'ayez pas peur, vous, du peuple de ce pays, car nous n'en ferons qu'une bouchée. Leur ombre protectrice les a quittés, tandis que Yahvé est avec nous. N'en ayez donc pas peur."

Nombres 14, 10 La communauté tout entière parlait de les lapider quand la gloire de Yahvé apparut, dans la Tente du Rendez-vous, à tous les Israélites.

Nombres 14, 11 Et Yahvé dit à Moïse: "Jusques à quand ce peuple va-t-il me mépriser? Jusques à quand refusera-t-il de croire en moi, malgré les signes que j'ai produits chez lui?

Nombres 14, 12 Je vais le frapper de la peste, je le déposséderai. Mais de toi, je ferai une nation, plus grande et plus puissante que lui."

Nombres 14, 13 Moïse répondit à Yahvé: "Mais les Egyptiens ont appris que, par ta propre force, tu as fait sortir de chez eux ce peuple.

Nombres 14, 14 Ils l'ont dit aux habitants de ce pays. Ils ont appris que toi, Yahvé, tu es au milieu de ce peuple, à qui tu te fais voir face à face; que c'est toi, Yahvé, dont la nuée se tient au-dessus d'eux; que tu marches devant eux le jour dans une colonne de nuée, la nuit dans une colonne de feu.

Nombres 14, 15 Si tu fais périr ce peuple comme un seul homme, les nations qui ont entendu parler de toi s'en vont dire:

Nombres 14, 16 Yahvé n'a pas pu faire entrer ce peuple dans le pays qu'il lui avait promis par serment, aussi l'a-t-il massacré au désert.

Nombres 14, 17 Non, que maintenant ta force, mon Seigneur, se déploie! Selon ta parole:

Nombres 14, 18 Yahvé est lent à la colère et riche en bonté, il tolère faute et transgression, mais il ne laisse rien impuni, lui qui châtie la faute des pères sur les enfants jusqu'à la troisième et la quatrième génération.

Nombres 14, 19 Pardonne donc la faute de ce peuple selon la grandeur de ta bonté, tout comme tu l'as traité depuis l'Egypte jusqu'ici."

Nombres 14, 20 Yahvé dit: "Je lui pardonne, comme tu l'as dit.

Nombres 14, 21 Mais -- je suis vivant! et la gloire de Yahvé remplit toute la terre! --

Nombres 14, 22 tous ces hommes qui ont vu ma gloire et les signes que j'ai produits en Egypte et au désert, ces hommes qui m'ont déjà dix fois mis à l'épreuve sans obéir à ma voix,

Nombres 14, 23 ne verront pas le pays que j'ai promis par serment à leurs pères. Aucun de ceux qui me méprisent ne le verra.

Nombres 14, 24 Mais mon serviteur Caleb, puisqu'un autre esprit l'a animé et qu'il m'a parfaitement obéi, je le ferai entrer dans le pays où il est allé, et sa descendance le possédera.

Nombres 14, 25 (Les Amalécites et les Cananéens habitent dans la plaine.) Demain, faites demi-tour et retournez au désert, dans la direction de la mer de Suph."

Nombres 14, 26 Yahvé parla à Moïse et à Aaron. Il dit:

Nombres 14, 27 "Jusques à quand cette communauté perverse qui murmure contre moi? J'ai entendu les plaintes que murmurent contre moi les Israélites.

Nombres 14, 28 Dis-leur: Par ma vie -- oracle de Yahvé -- je vous traiterai selon les paroles mêmes que vous avez prononcées à mes oreilles.

Nombres 14, 29 Vos cadavres tomberont dans ce désert, vous tous les recensés, vous tous qu'on a dénombrés depuis l'âge de vingt ans et au-dessus, vous qui avez murmuré contre moi.

Nombres 14, 30 Je jure que vous n'entrerez pas dans ce pays où, levant la main, j'avais fait serment de vous établir. Mais c'est Caleb, fils de Yephunné, c'est Josué, fils de Nûn,

Nombres 14, 31 ce sont vos petits enfants dont vous avez dit qu'ils seraient livrés en butin, ce sont eux que j'y ferai entrer et qui connaîtront le pays que vous avez dédaigné.

Nombres 14, 32 Pour vous, vos cadavres tomberont dans ce désert,

Nombres 14, 33 et vos fils seront nomades dans le désert pendant 40 ans, portant le poids de votre infidélité, jusqu'à ce que vos cadavres soient au complet dans le désert.

Nombres 14, 34 Vous avez reconnu le pays pendant 40 jours. Chaque jour vaut une année: 40 ans vous porterez le poids de vos fautes, et vous saurez ce que c'est que m'abandonner.

Nombres 14, 35 J'ai parlé, moi, Yahvé; c'est ainsi que je traiterai toute cette communauté perverse réunie contre moi. Dans ce désert même il n'en manquera pas un, c'est là qu'ils mourront."

Nombres 14, 36 Ces hommes que Moïse avait envoyés reconnaître le pays et qui, à leur tour, avaient excité toute la communauté d'Israël à murmurer contre lui en décriant le pays,

Nombres 14, 37 ces hommes qui décriaient malignement le pays furent frappés de mort devant Yahvé.

Nombres 14, 38 Des hommes qui étaient allés reconnaître le pays, seuls Josué, fils de Nûn, et Caleb, fils de Yephunné, restèrent en vie.

Nombres 14, 39 Moïse rapporta ces paroles à tous les Israélites et le peuple fit de grandes lamentations.

Nombres 14, 40 Puis, s'étant levés de bon matin, ils montèrent vers le sommet de la montagne, en disant: "Nous voici qui montons vers ce lieu, à propos duquel Yahvé a dit que nous avions péché."

Nombres 14, 41 Moïse répondit: "Pourquoi transgressez-vous l'ordre de Yahvé? Cela ne réussira pas.

Nombres 14, 42 Ne montez point, car Yahvé n'est pas au milieu de vous; ne vous faites pas battre par vos ennemis.

Nombres 14, 43 Oui, les Amalécites et les Cananéens sont là en face de vous, et vous tomberez sous l'épée, parce que vous vous êtes détournés de Yahvé et que Yahvé n'est pas avec vous."

Nombres 14, 44 Ils montèrent pourtant, dans leur présomption, au sommet de la montagne. Ni l'arche de l'alliance de Yahvé ni Moïse ne quittèrent le camp.

Nombres 14, 45 Les Amalécites et les Cananéens qui habitaient cette montagne descendirent, les battirent et les taillèrent en pièces jusqu'à Horma.

Nombres 15, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 15, 2 "Parle aux Israélites, tu leur diras: Quand vous serez entrés dans le pays où vous demeurerez et que je vous donne,

Nombres 15, 3 si vous consumez des viandes pour Yahvé en holocauste ou en sacrifice, soit pour accomplir un voeu, soit à titre d'offrande spontanée, soit à l'occasion de vos solennités, -- faisant ainsi de votre gros ou petit bétail un parfum d'apaisement pour Yahvé, --

Nombres 15, 4 l'offrant apportera, pour son offrande personnelle à Yahvé, une oblation d'un dixième de fleur de farine, pétrie avec un quart de setier d'huile.

Nombres 15, 5 Tu feras une libation de vin d'un quart de setier par agneau, en plus de l'holocauste ou du sacrifice.

Nombres 15, 6 Pour un bélier, tu feras une oblation de deux dixièmes de fleur de farine, pétrie avec un tiers de setier d'huile,

Nombres 15, 7 et une libation de vin d'un tiers de setier, que tu offriras en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Nombres 15, 8 Si c'est un taureau que tu offres en holocauste ou en sacrifice, pour accomplir un voeu ou comme sacrifice de communion pour Yahvé,

Nombres 15, 9 on offrira en plus de la bête une oblation de trois dixièmes de fleur de farine, pétrie avec un demi-setier d'huile,

Nombres 15, 10 et tu offriras une libation de vin d'un demi-setier, comme mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Nombres 15, 11 Ainsi fera-t-on pour chaque taureau, chaque bélier ou chaque tête de petit bétail, mouton ou chèvre.

Nombres 15, 12 Selon le nombre des victimes que vous aurez à immoler, vous ferez de même pour chacune d'elles, autant qu'il y en aura.

Nombres 15, 13 Ainsi fera tout homme de votre peuple, quand il offrira un mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Nombres 15, 14 Et si quelque étranger réside avec vous, ou avec vos descendants, il offrira un mets consumé, en parfum d'apaisement pour Yahvé: comme vous faites, ainsi fera

Nombres 15, 15 l'assemblée. Il n'y aura qu'une seule loi pour vous et pour l'étranger. C'est une loi perpétuelle pour vos descendants: devant Yahvé il en sera de vous comme de l'étranger.

Nombres 15, 16 Il n'y aura qu'une loi et qu'un droit pour vous et pour l'étranger qui réside chez vous."

Nombres 15, 17 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 15, 18 "Parle aux Israélites, tu leur diras: Quand vous serez entrés dans le pays où je vous conduis,

Nombres 15, 19 vous devrez faire un prélèvement pour Yahvé lorsque vous mangerez du pain de ce pays.

Nombres 15, 20 Comme prémices de vos huches vous prélèverez un gâteau; vous ferez ce prélèvement comme celui que l'on fait sur l'aire.

Nombres 15, 21 Vous donnerez à Yahvé un prélèvement sur le meilleur de vos huches. Ceci concerne vos descendants.

Nombres 15, 22 "Si vous manquez par inadvertance à quelqu'un de ces commandements que Yahvé a énoncés à Moïse

Nombres 15, 23 (tout ce que Yahvé vous a ordonné par l'intermédiaire de Moïse, depuis le jour où il a ordonné tout cela, et pour vos générations),

Nombres 15, 24 il en sera ainsi: Si c'est à la communauté que l'inadvertance a échappé, la communauté tout entière fera l'holocauste d'un jeune taureau en parfum d'apaisement pour Yahvé, avec l'oblation et la libation conjointes selon la règle, et elle offrira un bouc en sacrifice pour le péché.

Nombres 15, 25 Le prêtre fera le rite d'expiation sur toute la communauté des Israélites, et il leur sera pardonné, puisque c'est une inadvertance. Quand ils auront apporté leur offrande, en mets consumé pour Yahvé, et présenté devant Yahvé leur sacrifice pour le péché, pour réparer leur inadvertance,

Nombres 15, 26 il sera pardonné à toute la communauté des Israélites, et aussi à l'étranger qui réside parmi eux, puisque le peuple entier a agi par inadvertance.

Nombres 15, 27 Si c'est une seule personne qui a péché par inadvertance, elle offrira, en sacrifice pour le péché, un chevreau d'un an.

Nombres 15, 28 Le prêtre fera devant Yahvé le rite d'expiation sur la personne qui s'est fourvoyée par ce péché d'inadvertance; en accomplissant sur elle le rite d'expiation, il lui sera pardonné,

Nombres 15, 29 qu'il s'agisse d'un citoyen d'entre les Israélites ou d'un étranger en résidence parmi eux. Il n'y aura chez vous qu'une loi pour celui qui agit par inadvertance.

Nombres 15, 30 Mais celui qui agit délibérément, qu'il soit citoyen ou étranger, c'est Yahvé qu'il outrage. Un tel individu sera retranché du milieu de son peuple:

Nombres 15, 31 il a méprisé la parole de Yahvé et enfreint son commandement. Cet individu devra être supprimé, sa faute est en lui."

Nombres 15, 32 Alors que les Israélites étaient dans le désert, on surprit un homme qui ramassait du bois le jour du sabbat.

Nombres 15, 33 Ceux qui l'avaient surpris à ramasser du bois l'amenèrent à Moïse, à Aaron et à toute la communauté.

Nombres 15, 34 On le mit sous bonne garde, car le traitement qu'il devait subir n'avait pas encore été fixé.

Nombres 15, 35 Yahvé dit à Moïse: "Cet homme doit être mis à mort. Que toute la communauté le lapide hors du camp."

Nombres 15, 36 Toute la communauté le fit sortir du camp et le lapida jusqu'à ce que mort s'ensuivît, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Nombres 15, 37 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 15, 38 "Parle aux Israélites; tu leur diras, pour leurs générations, de se faire des houppes aux pans de leurs vêtements et de mettre un fil de pourpre violette à la houppe du pan.

Nombres 15, 39 Vous aurez donc une houppe, et sa vue vous rappellera tous les commandements de Yahvé. Vous les mettrez alors en pratique, sans plus suivre les désirs de vos coeurs et de vos yeux, qui vous ont conduits à vous prostituer.

Nombres 15, 40 Ainsi vous vous rappellerez tous mes commandements, vous les mettrez en pratique, et vous serez des consacrés pour votre Dieu.

Nombres 15, 41 C'est moi Yahvé votre Dieu qui vous ai fait sortir du pays d'Egypte, afin d'être Dieu pour vous, moi Yahvé votre Dieu."

Nombres

Nombres 16, 1 Coré, fils de Yiçhar, fils de Qehat, fils de Lévi, Datân et Abiram, fils d'Eliab, et On, fils de Pélèt (Eliab et Pélèt étaient fils de Ruben) furent orgueilleux;

Nombres 16, 2 ils se dressèrent contre Moïse, ainsi que 250 des Israélites, princes de la communauté, considérés dans les solennités, hommes de renom.

Nombres 16, 3 Ils s'attroupèrent alors contre Moïse et Aaron en leur disant: "Vous passez la mesure! C'est toute la communauté, ce sont tous ses membres qui sont consacrés, et Yahvé est au milieu d'eux. Pourquoi vous élevez-vous au-dessus de la communauté de Yahvé?"

Nombres 16, 4 Moïse, l'ayant entendu, tomba face contre terre.

Nombres 16, 5 Puis il dit à Coré et à tout son groupe: "Demain matin, Yahvé fera connaître qui est à lui, qui est l'homme consacré qu'il laissera approcher de lui. Celui qu'il fera approcher de lui, c'est celui-là qu'il choisit.

Nombres 16, 6 Voici ce que vous ferez: prenez les encensoirs de Coré et de tout son groupe,

Nombres 16, 7 mettez-y du feu et, demain, déposez dessus de l'encens devant Yahvé. Celui que choisira Yahvé, c'est lui l'homme consacré. Vous passez la mesure, fils de Lévi!"

Nombres 16, 8 Moïse dit à Coré: "Ecoutez donc, fils de Lévi!

Nombres 16, 9 Est-ce trop peu pour vous que le Dieu d'Israël vous ait distingués de la communauté d'Israël, vous appelant auprès de lui pour faire le service de la Demeure de Yahvé, vous plaçant en face de cette communauté quand vous officiez pour elle?

Nombres 16, 10 Il t'a appelé auprès de lui, toi et avec toi tous tes frères les Lévites, et vous voulez en plus être prêtres!

Nombres 16, 11 C'est donc contre Yahvé que vous vous êtes ligués, toi et ton groupe: qu'est donc Aaron, pour que vous murmuriez contre lui?"

Nombres 16, 12 Moïse envoya appeler Datân et Abiram, fils d'Eliab. Ils répondirent: "Nous ne viendrons pas.

Nombres 16, 13 N'est-ce pas assez de nous avoir fait quitter une terre qui ruisselle de lait et de miel pour nous faire mourir en ce désert, que tu veuilles encore t'ériger en prince sur nous?

Nombres 16, 14 Ah! ce n'est pas une terre qui ruisselle de lait et de miel où tu nous as conduits, et tu ne nous as pas donné en héritage champs et vergers! Penses-tu rendre ces gens aveugles? Nous ne viendrons pas."

Nombres 16, 15 Moïse entra dans une violente colère, et il dit à Yahvé: "Ne prends pas garde à leur oblation. Je ne leur ai pas pris un âne, et je n'ai fait de tort à aucun d'eux."

Nombres 16, 16 Moïse dit à Coré: "Toi et tout ton groupe, venez demain vous mettre en présence de Yahvé, toi et eux, ainsi qu'Aaron.

Nombres 16, 17 Que chacun prenne son encensoir, y mette de l'encens, et que chacun apporte son encensoir devant Yahvé -- 250 encensoirs. Toi et Aaron aussi, apportez chacun votre encensoir."

Nombres 16, 18 Chacun prit son encensoir, y mit du feu et déposa de l'encens par-dessus. Puis ils se tinrent à l'entrée de la Tente du Rendez-vous, ainsi que Moïse et Aaron.

Nombres 16, 19 Coré rassembla en face de ces derniers toute la communauté à l'entrée de la Tente du Rendez-vous, et la gloire de Yahvé apparut à toute la communauté.

Nombres 16, 20 Yahvé parla à Moïse et à Aaron. Il dit:

Nombres 16, 21 "Séparez-vous de cette communauté, je vais la détruire en un instant."

Nombres 16, 22 Ils tombèrent la face contre terre et s'écrièrent: "O Dieu, Dieu des esprits qui animent toute chair, vas-tu t'irriter contre toute la communauté quand un seul pèche?"

Nombres 16, 23 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 16, 24 Parle à cette communauté et dis: "Eloignez-vous de la demeure de Coré."

Nombres 16, 25 Moïse se leva et s'en vint auprès de Datân et Abiram; les anciens d'Israël le suivirent.

Nombres 16, 26 Il parla à la communauté et dit: "De grâce, écartez-vous des tentes de ces hommes pervers, et ne touchez à rien de ce qui leur appartient, de peur que tous leurs péchés ne vous emportent."

Nombres 16, 27 Ils s'écartèrent des alentours de la maison de Coré. Datân et Abiram étaient sortis et se trouvaient à l'entrée de leurs tentes, avec leurs femmes, leurs fils et leurs jeunes enfants.

Nombres 16, 28 Moïse dit: "A ceci vous saurez que c'est Yahvé qui m'a envoyé pour accomplir toutes ces oeuvres, et que je ne les fais pas de mon propre chef:

Nombres 16, 29 si ces gens meurent de mort naturelle, atteints par la sentence commune à tous les hommes, c'est que Yahvé ne m'a pas envoyé.

Nombres 16, 30 Mais si Yahvé fait quelque chose d'inouï, si la terre ouvre sa bouche et les engloutit, eux et tout ce qui leur appartient, et qu'ils descendent vivants au shéol, vous saurez que ces gens ont rejeté Yahvé."

Nombres 16, 31 Comme il achevait de prononcer toutes ces paroles, le sol se fendit sous leurs pieds,

Nombres 16, 32 la terre ouvrit sa bouche et les engloutit, eux et leurs familles, ainsi que tous les hommes de Coré et tous ses biens.

Nombres 16, 33 Ils descendirent vivants au shéol, eux et tout ce qui leur appartenait. La terre les recouvrit et ils disparurent du milieu de l'assemblée.

Nombres 16, 34 A leurs cris, tous les Israélites qui se trouvaient autour d'eux s'enfuirent. Car ils se disaient: "Que la terre ne nous engloutisse pas!"

Nombres 16, 35 Un feu jaillit de Yahvé, qui consuma les 250 hommes porteurs d'encens.

Nombres 17, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 17, 2 "Dis à Eléazar, fils d'Aaron, le prêtre, qu'il enlève les encensoirs du milieu des braises et disperse au loin ce feu,

Nombres 17, 3 car ces encensoirs de péché sont sanctifiés, au prix de la vie de ces hommes. Puisqu'on les a apportés devant Yahvé et qu'ils sont consacrés, qu'on en batte le métal en plaques pour recouvrir l'autel. Ils serviront de signe aux Israélites."

Nombres 17, 4 Eléazar, le prêtre, prit les encensoirs de bronze qu'avaient apportés les hommes que le feu avait détruits. On les battit en plaques pour recouvrir l'autel.

Nombres 17, 5 Elles rappellent aux Israélites qu'aucun profane, étranger à la descendance d'Aaron, ne doit s'approcher pour faire fumer l'encens devant Yahvé, sous peine de subir le sort de Coré et de son groupe, selon ce qu'avait dit Yahvé par l'intermédiaire de Moïse.

Nombres 17, 6 Le lendemain, toute la communauté des Israélites murmura contre Moïse et Aaron, en disant: "Vous avez fait périr le peuple de Yahvé."

Nombres 17, 7 Or, comme la communauté s'attroupait contre Moïse et Aaron, ceux-ci se tournèrent vers la Tente du Rendez-vous. Voici que la Nuée la recouvrit et que la gloire de Yahvé apparut.

Nombres 17, 8 Moïse et Aaron se rendirent alors devant la Tente du Rendez-vous.

Nombres 17, 9 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 17, 10 "Sortez du milieu de cette communauté; je vais la détruire en un instant." Ils tombèrent face contre terre.

Nombres 17, 11 Puis Moïse dit à Aaron: "Prends l'encensoir, mets-y du feu pris sur l'autel, dépose dessus l'encens et hâte-toi d'aller près de la communauté pour faire sur elle le rite d'expiation. Car la Colère est sortie de devant Yahvé: la Plaie a commencé."

Nombres 17, 12 Aaron le prit, comme avait dit Moïse, et courut au milieu de l'assemblée; mais la Plaie avait déjà commencé parmi le peuple. Il mit l'encens et fit le rite d'expiation sur le peuple.

Nombres 17, 13 Puis il se tint entre les morts et les vivants; la Plaie s'arrêta.

Nombres 17, 14 Il y eut 14.700 victimes de cette plaie, sans compter ceux qui étaient morts à cause de Coré.

Nombres 17, 15 Puis Aaron revint auprès de Moïse à l'entrée de la Tente du Rendez-vous: la Plaie s'était arrêtée.

Nombres 17, 16 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 17, 17 "Parle aux Israélites. Qu'ils te remettent, pour chaque famille, un rameau; que tous leurs chefs, pour leurs familles, te remettent douze rameaux. Tu écriras le nom de chacun sur son rameau;

Nombres 17, 18 et sur le rameau de Lévi tu écriras le nom d'Aaron, car il y aura un rameau pour le chef des familles de Lévi.

Nombres 17, 19 Tu les déposeras ensuite dans la Tente du Rendez-vous, devant le Témoignage où je me rencontre avec toi.

Nombres 17, 20 L'homme dont le rameau bourgeonnera sera celui que je choisis; ainsi je ne laisserai pas monter jusqu'à moi les murmures que les Israélites profèrent contre vous."

Nombres 17, 21 Moïse parla aux Israélites, et tous leurs princes lui remirent chacun un rameau, douze rameaux pour l'ensemble de leurs familles patriarcales; parmi eux était le rameau d'Aaron.

Nombres 17, 22 Moïse les déposa devant Yahvé dans la Tente du Témoignage.

Nombres 17, 23 Le lendemain, quand Moïse vint à la Tente du Témoignage, le rameau d'Aaron, pour la maison de Lévi, avait bourgeonné: des bourgeons avaient éclos, des fleurs s'étaient épanouies et des amandes avaient mûri.

Nombres 17, 24 Moïse reprit tous les rameaux de devant Yahvé et les apporta à tous les Israélites; ils constatèrent, et chacun reprit son rameau.

Nombres 17, 25 Yahvé dit alors à Moïse: "Remets le rameau d'Aaron devant le Témoignage où il aura sa place rituelle, comme un signe pour ces rebelles. Il réduira à néant leurs murmures qui ne monteront plus jusqu'à moi, et eux ne mourront pas."

Nombres 17, 26 Moïse fit comme Yahvé le lui avait ordonné. Il fit ainsi.

Nombres 17, 27 Les Israélites dirent à Moïse: "Nous voici perdus! Nous périssons! Nous périssons tous!

Nombres 17, 28 Quiconque s'approche de la Demeure de Yahvé pour une offrande meurt. Allons-nous à notre perte jusqu'au dernier?"

Nombres 18, 1 Alors Yahvé dit à Aaron: "Toi, tes fils et la maison de ton père avec toi, vous porterez le poids des fautes commises envers le sanctuaire. Toi et tes fils avec toi vous porterez le poids des fautes de votre sacerdoce.

Nombres 18, 2 Fais aussi, avec toi, approcher tes frères du rameau de Lévi, la tribu de ton père. Qu'ils te soient adjoints et qu'ils te servent, toi et tes fils, devant la Tente du Témoignage.

Nombres 18, 3 Ils assureront ton service et celui de toute la Tente. A condition qu'ils ne s'approchent pas des objets sacrés ni de l'autel, ils ne mourront pas plus que vous.

Nombres 18, 4 Ils te seront adjoints, ils assumeront la charge de la Tente du Rendez-vous, pour tout le service de la Tente, et aucun profane n'approchera de vous.

Nombres 18, 5 Vous assumerez la charge du sanctuaire et la charge de l'autel, et la Colère ne sévira plus contre les Israélites.

Nombres 18, 6 C'est moi qui ai pris vos frères les Lévites d'entre les Israélites pour vous en faire don. A titre de donnés, ils appartiennent à Yahvé, pour faire le service de la Tente du Rendez-vous.

Nombres 18, 7 Toi et tes fils, vous assumerez les fonctions sacerdotales pour tout ce qui concerne l'autel et pour tout ce qui est derrière le rideau. Vous accomplirez le service cultuel dont j'accorde l'office à votre sacerdoce. Mais le profane qui s'approchera mourra."

Nombres 18, 8 Yahvé dit à Aaron: "Moi, je t'ai donné la charge de ce qu'on prélève pour moi. Tout ce que consacrent les Israélites, je te le donne comme la part qui t'est assignée, ainsi qu'à tes fils, en vertu d'un décret perpétuel.

Nombres 18, 9 Voici ce qui te reviendra sur les choses très saintes, sur les mets offerts: toutes les offrandes que me restituent les Israélites, à titre d'oblation, de sacrifice pour le péché, de sacrifice de réparation; c'est chose très sainte, qui te reviendra ainsi qu'à tes fils.

Nombres 18, 10 Vous vous nourrirez des choses très saintes. Tout mâle en pourra manger. Tu les tiendras pour sacrées.

Nombres 18, 11 Ceci encore te reviendra: ce qui est prélevé sur les offrandes des Israélites, sur tout ce qui est tendu en geste de présentation, je te le donne, ainsi qu'à tes fils et à tes filles, en vertu d'un décret perpétuel. Quiconque est pur dans ta maison en pourra manger.

Nombres 18, 12 Tout le meilleur de l'huile, tout le meilleur du vin nouveau et du blé, ces prémices qu'ils offrent à Yahvé, je te les donne.

Nombres 18, 13 Tous les premiers produits de leur pays, qu'ils apportent à Yahvé, te reviendront; quiconque est pur dans ta maison en pourra manger.

Nombres 18, 14 Tout ce qui est frappé d'anathème en Israël te reviendra.

Nombres 18, 15 Tout premier-né qu'on apporte à Yahvé te reviendra, issu de tout être de chair, homme ou animal; mais tu devras faire racheter le premier-né de l'homme, et tu feras racheter le premier-né d'un animal impur.

Nombres 18, 16 Tu le feras racheter dans le mois de la naissance, en l'évaluant à cinq sicles d'argent, selon le sicle du sanctuaire qui est de vingt géras.

Nombres 18, 17 Seuls les premiers-nés de la vache, de la brebis et de la chèvre ne seront pas rachetés. Ils sont chose sainte: tu en verseras le sang sur l'autel, tu en feras fumer la graisse, comme mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé,

Nombres 18, 18 et la viande t'en reviendra, ainsi que la poitrine de présentation et la cuisse droite.

Nombres 18, 19 Tous les prélèvements que les Israélites font pour Yahvé sur les choses saintes, je te les donne, ainsi qu'à tes fils et à tes filles, en vertu d'un décret perpétuel. C'est là une alliance éternelle par le sel devant Yahvé, pour toi et pour ta descendance avec toi."

Nombres 18, 20 Yahvé dit à Aaron: "Tu n'auras point d'héritage dans leur pays, il n'y aura pas de part pour toi au milieu d'eux. C'est moi qui serai ta part et ton héritage au milieu des Israélites.

Nombres 18, 21 Voici: aux enfants de Lévi je donne pour héritage toute dîme perçue en Israël, en échange de leurs services, du service qu'ils font dans la Tente du Rendez-vous.

Nombres 18, 22 Les Israélites n'approcheront plus de la Tente du Rendez-vous: ils se chargeraient d'un péché et mourraient.

Nombres 18, 23 C'est Lévi qui fera le service de la Tente du Rendez-vous, et les Lévites porteront le poids de leurs fautes. C'est un décret perpétuel pour vos générations: les Lévites ne posséderont point d'héritage au milieu des Israélites,

Nombres 18, 24 car c'est la dîme que les Israélites prélèvent pour Yahvé que je donne pour héritage aux Lévites. Voilà pourquoi je leur ai dit qu'ils ne posséderaient point d'héritage au milieu des Israélites."

Nombres 18, 25 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 18, 26 "Tu parleras aux Lévites et tu leur diras: Quand vous percevrez sur les Israélites la dîme que je vous donne en héritage de leur part, vous en retiendrez le prélèvement de Yahvé, la dîme de la dîme.

Nombres 18, 27 Elle tiendra lieu du prélèvement à prendre sur vous, au même titre que le blé pris sur l'aire et le vin nouveau pris sur la cuve.

Nombres 18, 28 Ainsi, vous aussi, vous retiendrez le prélèvement de Yahvé, sur toutes les dîmes que vous percevrez sur les Israélites. Vous donnerez ce que vous aurez prélevé pour Yahvé au prêtre Aaron.

Nombres 18, 29 Sur tous les dons que vous recevrez vous retiendrez le prélèvement de Yahvé; c'est sur le meilleur de toutes choses que vous retiendrez la part sacrée.

Nombres 18, 30 Tu leur diras: Lorsque vous en aurez prélevé le meilleur, tous ces dons tiendront lieu aux Lévites du produit de l'aire et du produit de la cuve.

Nombres 18, 31 Vous pourrez les consommer, en tout lieu, vous et vos gens: c'est votre salaire pour votre service dans la Tente du Rendez-vous.

Nombres 18, 32 Vous ne serez pour cela chargés d'aucun péché, du moment que vous en aurez prélevé le meilleur; vous ne profanerez pas les choses consacrées par les Israélites et vous ne mourrez pas."

Nombres 19, 1 Yahvé parla à Moïse et à Aaron Il dit:

Nombres 19, 2 "Voici un décret de la Loi que Yahvé a prescrite. Parle aux Israélites. Qu'ils t'amènent une vache rousse sans défaut ni tare, et qui n'ait pas porté le joug.

Nombres 19, 3 Vous la donnerez à Eléazar, le prêtre. On la mènera hors du camp et on l'immolera devant lui.

Nombres 19, 4 Puis Eléazar, le prêtre, prendra sur son doigt un peu du sang de la victime, et de ce sang il fera sept aspersions dans la direction de l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Nombres 19, 5 On brûlera alors la vache sous ses yeux; on en brûlera la peau, la chair, le sang, ainsi que la fiente.

Nombres 19, 6 Le prêtre prendra ensuite du bois de cèdre, de l'hysope et du rouge de cochenille, et les jettera dans le feu où se consume la vache.

Nombres 19, 7 Puis il nettoiera ses vêtements, il se lavera le corps avec de l'eau; après quoi, il rentrera au camp, mais il sera impur jusqu'au soir.

Nombres 19, 8 Celui qui aura brûlé la vache nettoiera ses vêtements, se lavera le corps avec de l'eau, et sera impur jusqu'au soir.

Nombres 19, 9 C'est un homme en état de pureté qui recueillera les cendres de la vache et les déposera, hors du camp, en un lieu pur. Elles resteront à l'usage rituel de la communauté des Israélites pour faire l'eau lustrale; c'est un sacrifice pour le péché.

Nombres 19, 10 Celui qui aura recueilli les cendres de la vache nettoiera ses vêtements et sera impur jusqu'au soir. Pour les Israélites comme pour l'étranger qui réside parmi eux, ce sera un décret perpétuel.

Nombres 19, 11 "Celui qui touche un cadavre, quel que soit le mort sera impur sept jours.

Nombres 19, 12 Il se purifiera avec ces eaux, le troisième et le septième jour, et il sera pur; mais s'il ne se purifie pas le troisième et le septième jour, il ne sera pas pur.

Nombres 19, 13 Quiconque a touché un mort, le corps d'un homme qui meurt, et ne s'est pas purifié, souille la Demeure de Yahvé; cet homme sera retranché d'Israël, car les eaux lustrales n'ont pas coulé sur lui, il est impur, son impureté est en lui.

Nombres 19, 14 Voici la loi pour le cas d'un homme qui meurt dans une tente. Quiconque entre dans la tente, et quiconque s'y trouve, sera impur sept jours.

Nombres 19, 15 Est également impur tout récipient ouvert, qui n'a pas été fermé par un couvercle ou par un lien.

Nombres 19, 16 Quiconque touche, dans la campagne, un homme assassiné, un mort, des ossements humains, ou un tombeau, sera impur sept jours.

Nombres 19, 17 "On prendra, pour cet homme impur, de la cendre de la victime consumée en sacrifice pour le péché. On versera de l'eau vive par-dessus, dans un vase.

Nombres 19, 18 Puis un homme en état de pureté prendra de l'hysope qu'il plongera dans l'eau. Il fera alors l'aspersion sur la tente, sur tous les vases et sur toutes les personnes qui s'y trouvent, et de même sur celui qui a touché des ossements, un homme assassiné, un mort ou un tombeau.

Nombres 19, 19 L'homme pur fera l'aspersion sur l'impur, le troisième et le septième jour, et le septième jour il l'aura délivré de son péché. L'homme impur nettoiera alors ses vêtements, il se lavera avec de l'eau et le soir il sera pur.

Nombres 19, 20 Mais un homme impur qui omettrait de se purifier ainsi sera retranché de la communauté, car il souillerait le sanctuaire de Yahvé. Les eaux lustrales n'ont pas coulé sur lui, c'est un impur.

Nombres 19, 21 Ce sera pour eux un décret perpétuel. Celui qui fait l'aspersion d'eaux lustrales nettoiera ses vêtements et celui qui a touché à ces eaux sera impur jusqu'au soir.

Nombres 19, 22 Tout ce que l'impur a touché sera impur, et la personne qui l'a touché sera impure jusqu'au soir.

Nombres 20, 1 Les Israélites, toute la communauté, arrivèrent le premier mois au désert de Cîn. Le peuple s'établit à Cadès. C'est là que Miryam mourut et qu'elle fut enterrée.

Nombres 20, 2 Il n'y avait pas d'eau pour la communauté; alors ils s'ameutèrent contre Moïse et Aaron.

Nombres 20, 3 Le peuple s'en prit à Moïse: "Que n'avons-nous péri, disaient-ils, comme nos frères ont péri devant Yahvé!

Nombres 20, 4 Pourquoi avez-vous conduit l'assemblée de Yahvé en ce désert, pour que nous y mourions, nous et nos bêtes?

Nombres 20, 5 Pourquoi nous avoir fait monter d'Egypte pour nous conduire en ce sinistre lieu? C'est un lieu impropre aux semailles, sans figuiers, ni vignes, ni grenadiers, sans même d'eau à boire!"

Nombres 20, 6 Quittant l'assemblée, Moïse et Aaron vinrent à l'entrée de la Tente du Rendez-vous. Ils tombèrent face contre terre, et la gloire de Yahvé leur apparut.

Nombres 20, 7 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 20, 8 "Prends le rameau et rassemble la communauté, toi et ton frère Aaron. Puis, sous leurs yeux, dites à ce rocher qu'il donne ses eaux. Tu feras jaillir pour eux de l'eau de ce rocher et tu feras boire la communauté et son bétail."

Nombres 20, 9 Moïse prit le rameau de devant Yahvé, comme il le lui avait commandé.

Nombres 20, 10 Moïse et Aaron convoquèrent l'assemblée devant le rocher, puis il leur dit: "Ecoutez donc, rebelles. Ferons-nous jaillir pour vous de l'eau de ce rocher?"

Nombres 20, 11 Moïse leva la main et, avec le rameau, frappa le rocher par deux fois: l'eau jaillit en abondance, la communauté et son bétail purent boire.

Nombres 20, 12 Yahvé dit alors à Moïse et à Aaron: "Puisque vous ne m'avez pas cru capable de me sanctifier aux yeux des Israélites, vous ne ferez pas entrer cette assemblée dans le pays que je lui donne."

Nombres 20, 13 Ce sont là les eaux de Meriba, où les Israélites s'en prirent à Yahvé, et où il manifesta par elles sa sainteté.

Nombres 20, 14 Moïse envoya de Cadès des messagers: "Au roi d'Edom. Ainsi parle ton frère Israël. Tu sais, toi, quelles tribulations nous avons rencontrées.

Nombres 20, 15 Nos pères sont descendus en Egypte, où nous sommes restés bien des jours. Mais les Egyptiens nous ont maltraités, ainsi que nos pères.

Nombres 20, 16 Nous en avons appelé à Yahvé. Il a entendu notre voix et il a envoyé l'ange qui nous a fait sortir d'Egypte. Nous voici maintenant à Cadès, ville qui est aux confins de ton territoire.

Nombres 20, 17 Nous voulons, s'il t'agrée, traverser ton pays. Nous n'irons pas à travers les champs ni les vignes; nous ne boirons pas l'eau des puits; nous suivrons la route royale sans nous écarter à droite ou à gauche, jusqu'à ce que nous ayons traversé ton territoire."

Nombres 20, 18 Edom lui répondit: "Tu ne passeras pas chez moi, sinon je marcherai en armes à ta rencontre."

Nombres 20, 19 Les Israélites lui dirent: "Nous suivrons la grand-route; si nous buvons de ton eau, moi et mes troupeaux, j'en paierai le prix. Ce n'est pas une affaire que de me laisser passer à pied."

Nombres 20, 20 Edom répondit: "Tu ne passeras pas", et Edom marcha à sa rencontre en grand nombre et en grande force.

Nombres 20, 21 Edom ayant ainsi refusé à Israël le passage sur son territoire, Israël s'en écarta.

Nombres 20, 22 Ils partirent de Cadès, et les Israélites, toute la communauté, arrivèrent à Hor-la-Montagne.

Nombres 20, 23 Yahvé parla à Moïse et à Aaron, à Hor-la-Montagne, sur la frontière du pays d'Edom. Il dit:

Nombres 20, 24 "Qu'Aaron soit réuni aux siens: car il ne doit pas entrer dans le pays que je donne aux Israélites, puisque vous avez été rebelles à ma voix, aux eaux de Meriba.

Nombres 20, 25 Prends Aaron et Eléazar, son fils, et fais-les monter sur la montagne de Hor.

Nombres 20, 26 Tu ôteras alors à Aaron ses vêtements, pour en revêtir Eléazar, son fils, et Aaron sera réuni aux siens: c'est là qu'il doit mourir."

Nombres 20, 27 Moïse fit ce que Yahvé avait ordonné. Sous les yeux de toute la communauté, ils montèrent sur la montagne de Hor.

Nombres 20, 28 Moïse ôta à Aaron ses vêtements pour en revêtir Eléazar, son fils; et Aaron mourut là, au sommet de la montagne. Puis Moïse et Eléazar redescendirent de la montagne.

Nombres 20, 29 Toute la communauté vit qu'Aaron avait expiré, et toute la maison d'Israël pleura Aaron pendant 30 jours.

Nombres 21, 1 Le roi d'Arad, le Cananéen habitant au Négeb, apprit qu'Israël venait par la route d'Atarim. Il attaqua Israël et lui fit des prisonniers.

Nombres 21, 2 Israël fit alors ce voeu à Yahvé: "Si tu livres ce peuple en mon pouvoir, je vouerai ses villes à l'anathème."

Nombres 21, 3 Yahvé écouta la voix d'Israël et livra les Cananéens en son pouvoir. Ils les vouèrent à l'anathème, eux et leurs villes. On donna à ce lieu le nom de Horma.

Nombres 21, 4 Ils partirent de Hor-la-Montagne par la route de la mer de Suph, pour contourner le pays d'Edom. En chemin, le peuple perdit patience.

Nombres 21, 5 Il parla contre Dieu et contre Moïse: "Pourquoi nous avez-vous fait monter d'Egypte pour mourir en ce désert? Car il n'y a ni pain ni eau; nous sommes excédés de cette nourriture de famine."

Nombres 21, 6 Dieu envoya alors contre le peuple les serpents brûlants, dont la morsure fit périr beaucoup de monde en Israël.

Nombres 21, 7 Le peuple vint dire à Moïse: "Nous avons péché en parlant contre Yahvé et contre toi. Intercède auprès de Yahvé pour qu'il éloigne de nous ces serpents." Moïse intercéda pour le peuple

Nombres 21, 8 et Yahvé lui répondit: "Façonne-toi un Brûlant que tu placeras sur un étendard. Quiconque aura été mordu et le regardera restera en vie."

Nombres 21, 9 Moïse façonna donc un serpent d'airain qu'il plaça sur l'étendard, et si un homme était mordu par quelque serpent, il regardait le serpent d'airain et restait en vie.

Nombres 21, 10 Les Israélites partirent et campèrent à Obot.

Nombres 21, 11 Puis ils partirent d'Obot et campèrent à Iyyé-ha-Abarim, dans le désert qui confine à Moab, du côté du soleil levant.

Nombres 21, 12 Ils partirent de là et campèrent dans le torrent de Zéred.

Nombres 21, 13 Ils partirent de là et campèrent au-delà de l'Arnon. Ce torrent sortait, dans le désert, du pays des Amorites. Car l'Arnon était à la frontière de Moab, entre les Moabites et les Amorites.

Nombres 21, 14 Aussi est-il dit dans le livre des Guerres de Yahvé: Vaheb... près de Supha et le torrent d'Arnon

Nombres 21, 15 et la pente du ravin qui s'incline vers le site d'Ar et s'appuie à la frontière de Moab.

Nombres 21, 16 Et de là ils allèrent à Béer -- C'est au sujet de ce puits que Yahvé avait dit à Moïse: "Rassemble le peuple et je leur donnerai de l'eau."

Nombres 21, 17 Alors Israël chanta ce cantique: Sur le Puits. Chantez-le,

Nombres 21, 18 le Puits qu'ont creusé des princes, qu'ont foré les chefs du peuple, avec le sceptre, avec leurs bâtons. -- et du désert à Mattana,

Nombres 21, 19 Malheur Mattana à Nahaliel, de Nahaliel à Bamot,

Nombres 21, 20 et de Bamot à la vallée qui s'ouvre dans la campagne de Moab, vers les hauteurs du Pisga, qui fait face au désert et le domine.

Nombres 21, 21 Israël envoya des messagers dire à Sihôn, roi des Amorites:

Nombres 21, 22 "Je voudrais traverser ton pays. Nous ne nous écarterons pas à travers les champs ni les vignes; nous ne boirons pas l'eau des puits; nous suivrons la route royale, jusqu'à ce que nous ayons traversé ton territoire."

Nombres 21, 23 Mais Sihôn ne laissa pas Israël traverser son pays. Il rassembla tout son peuple, marcha dans le désert à la rencontre d'Israël et atteignit Yahaç, où il livra bataille à Israël.

Nombres 21, 24 Israël le frappa du tranchant de l'épée et conquit son pays, depuis l'Arnon jusqu'au Yabboq, jusqu'aux fils d'Ammon, car Yazèr se trouvait à la frontière ammonite.

Nombres 21, 25 Israël s'empara de toutes ces villes. Il occupa toutes les villes des Amorites, Heshbôn et toutes ses dépendances.

Nombres 21, 26 Heshbôn était en effet la capitale de Sihôn, roi des Amorites. C'est Sihôn qui avait fait la guerre au premier roi de Moab et lui avait enlevé tout son pays jusqu'à l'Arnon.

Nombres 21, 27 C'est pourquoi les poètes disent: Venez à Heshbôn, qu'elle soit rebâtie, qu'elle soit bien fondée la ville de Sihôn!

Nombres 21, 28 Un feu est sorti de Heshbôn, une flamme de la cité de Sihôn, elle a dévoré Ar-Moab, englouti les hauteurs de l'Arnon.

Nombres 21, 29 Malheur à toi, Moab! Tu es perdu, peuple de Kemosh! Il fait de ses fils des fuyards et de ses filles des captives du roi des Amorites, de Sihôn.

Nombres 21, 30 Mais leur postérité a été détruite depuis Heshbôn jusqu'à Dibôn, et nous avons mis le feu depuis Nophah et jusqu'à Médba.

Nombres 21, 31 Israël s'établit dans le pays des Amorites.

Nombres 21, 32 Moïse envoya espionner Yazèr, et Israël la prit ainsi que ses dépendances; il déposséda les Amorites qui y habitaient.

Nombres 21, 33 Puis ils prirent la direction du Bashân et ils y montèrent. Le roi du Bashân, Og, marcha à leur rencontre avec tout son peuple pour livrer bataille à Edréï.

Nombres 21, 34 Yahvé dit à Moïse: "Ne crains pas, car j'ai livré en ton pouvoir, lui, tout son peuple et son pays. Tu le traiteras comme tu as traité Sihôn, roi des Amorites, qui habitait à Heshbôn."

Nombres 21, 35 Ils le battirent, lui, ses fils et son peuple, sans que personne en réchappât. Ils prirent possession de son pays.

Nombres 22, 1 Puis les Israélites partirent, et s'en allèrent camper dans les Steppes de Moab, au-delà du Jourdain, vers Jéricho.

Nombres 22, 2 Balaq, fils de Cippor, vit tout ce qu'Israël avait fait aux Amorites;

Nombres 22, 3 Moab fut pris de panique devant ce peuple, car il était fort nombreux. Moab eut peur des Israélites;

Nombres 22, 4 il dit aux anciens de Madiân: "Voilà cette multitude en train de tout brouter autour de nous comme un boeuf broute l'herbe des champs." Balaq, fils de Cippor, était roi de Moab en ce temps-là.

Nombres 22, 5 Il envoya des messagers mander Balaam, fils de Béor, à Pétor, sur le Fleuve, au pays des fils d'Ammav. Il lui disait: "Voici que le peuple qui est sorti d'Egypte a couvert tout le pays; il s'est établi en face de moi.

Nombres 22, 6 Viens donc, je te prie, et maudis-moi ce peuple, car il est plus puissant que moi. Ainsi pourrons-nous le battre et le chasser du pays. Car je le sais: celui que tu bénis est béni, celui que tu maudis est maudit."

Nombres 22, 7 Les anciens de Moab et les anciens de Madiân partirent, le salaire de l'augure en main. Ils vinrent trouver Balaam et lui transmirent les paroles de Balaq.

Nombres 22, 8 Il leur dit: "Passez ici la nuit, et je vous répondrai selon ce que m'aura dit Yahvé." Les princes de Moab restèrent chez Balaam.

Nombres 22, 9 Dieu vint à Balaam et lui dit: "Quels sont ces hommes qui sont chez toi?"

Nombres 22, 10 Balaam répondit à Dieu: "Balaq, fils de Cippor, roi de Moab, m'a fait dire ceci:

Nombres 22, 11 Voici que le peuple qui est sorti d'Egypte a couvert tout le pays. Viens donc, maudis-le-moi; ainsi pourrai-je le combattre et le chasser."

Nombres 22, 12 Dieu dit à Balaam: "Tu n'iras pas avec eux. Tu ne maudiras pas ce peuple, car il est béni."

Nombres 22, 13 Au matin, Balaam se leva et dit aux princes envoyés par Balaq: "Partez pour votre pays, car Yahvé refuse de me laisser aller avec vous."

Nombres 22, 14 Les princes de Moab se levèrent, se rendirent auprès de Balaq et lui dirent: "Balaam a refusé de venir avec nous."

Nombres 22, 15 Balaq envoya de nouveau des princes, mais plus nombreux et plus considérés que les premiers.

Nombres 22, 16 Ils se rendirent auprès de Balaam et lui dirent: "Ainsi a parlé Balaq, fils de Cippor: Ne refuse pas, je te prie, de venir jusqu'à moi.

Nombres 22, 17 Car je t'accorderai les plus grands honneurs, et tout ce que tu me diras, je le ferai. Viens donc, et maudis-moi ce peuple."

Nombres 22, 18 Balaam fit aux envoyés de Balaq cette réponse: "Quand Balaq me donnerait plein sa maison d'argent et d'or, je ne pourrais transgresser l'ordre de Yahvé mon Dieu en aucune chose, petite ou grande.

Nombres 22, 19 Maintenant, passez ici la nuit vous aussi, et j'apprendrai ce que Yahvé pourra me dire encore."

Nombres 22, 20 Dieu vint à Balaam pendant la nuit et lui dit: "Ces gens ne sont-ils pas venus t'appeler? Lève-toi, pars avec eux. Mais tu ne feras que ce que je te dirai."

Nombres 22, 21 Au matin, Balaam se leva, sella son ânesse et partit avec les princes de Moab.

Nombres 22, 22 Son départ excita la colère de Yahvé, et l'Ange de Yahvé se posta sur la route pour lui barrer le passage. Lui montait son ânesse, ses deux garçons l'accompagnaient.

Nombres 22, 23 Or l'ânesse vit l'Ange de Yahvé posté sur la route, son épée nue à la main; elle s'écarta de la route à travers champs. Mais Balaam battit l'ânesse pour la ramener sur la route.

Nombres 22, 24 L'Ange de Yahvé se tint alors dans un chemin creux, au milieu des vignes, avec un mur à droite et un mur à gauche.

Nombres 22, 25 L'ânesse vit l'Ange de Yahvé et rasa le mur, y frottant le pied de Balaam. Il la battit encore une fois.

Nombres 22, 26 L'Ange de Yahvé changea de place et se tint en un passage resserré, où il n'y avait pas d'espace pour passer ni à droite ni à gauche.

Nombres 22, 27 Quand l'ânesse vit l'Ange de Yahvé, elle se coucha sous Balaam. Balaam se mit en colère et battit l'ânesse à coups de bâton.

Nombres 22, 28 Alors Yahvé ouvrit la bouche de l'ânesse et elle dit à Balaam: "Que t'ai-je fait, pour que tu m'aies battue ainsi par trois fois?"

Nombres 22, 29 Balaam répondit à l'ânesse: "C'est que tu t'es moquée de moi! Si j'avais eu à la main une épée, je t'aurais déjà tuée."

Nombres 22, 30 L'ânesse dit à Balaam: "Ne suis-je pas ton ânesse, qui te sers de monture depuis toujours et jusqu'aujourd'hui? Ai-je l'habitude d'agir ainsi envers toi?" Il répondit: "Non."

Nombres 22, 31 Alors Yahvé ouvrit les yeux de Balaam. Il vit l'Ange de Yahvé posté sur la route, son épée nue à la main. Il s'inclina et se prosterna face contre terre.

Nombres 22, 32 Et l'Ange de Yahvé lui dit: "Pourquoi as-tu battu ainsi ton ânesse par trois fois? C'est moi qui étais venu te barrer le passage; car moi présent, la route n'aboutit pas.

Nombres 22, 33 L'ânesse m'a vu et devant moi elle s'est détournée par trois fois. Bien t'en a pris qu'elle se soit détournée, car je t'aurais déjà tué. Elle, je l'aurais laissée en vie."

Nombres 22, 34 Balaam répondit à l'Ange de Yahvé: "J'ai péché. C'est que j'ignorais que tu étais posté devant moi sur la route. Et maintenant, si cela te déplaît, je m'en retourne."

Nombres 22, 35 L'Ange de Yahvé répondit à Balaam: "Va avec ces hommes. Seulement, ne dis rien de plus que ce que je te ferai dire." Balaam s'en alla avec les princes envoyés par Balaq.

Nombres 22, 36 Balaq apprit donc que Balaam arrivait et partit à sa rencontre, dans la direction d'Ar-Moab, sur la frontière de l'Arnon, à l'extrémité du territoire.

Nombres 22, 37 Balaq dit à Balaam: "Ne t'avais-je pas envoyé des messagers pour t'appeler? Pourquoi n'es-tu pas venu vers moi? Vraiment, n'étais-je pas en mesure de t'honorer?"

Nombres 22, 38 Balaam répondit à Balaq: "Me voici arrivé près de toi. Pourrai-je maintenant dire quelque chose? La parole que Dieu me mettra dans la bouche, je la dirai."

Nombres 22, 39 Balaam partit avec Balaq. Ils parvinrent à Qiryat-Huçot.

Nombres 22, 40 Balaq immola du gros et du petit bétail, et il en présenta les morceaux à Balaam et aux princes qui l'accompagnaient.

Nombres 22, 41 Puis, au matin, Balaq prit Balaam et le fit monter à Bamot-Baal d'où il put voir l'extrémité du camp.

Nombres 23, 1 Balaam dit à Balaq: "Bâtis-moi ici sept autels, et fournis-moi ici sept taureaux et sept béliers."

Nombres 23, 2 Balaq fit comme avait dit Balaam et offrit en holocauste un taureau et un bélier sur chaque autel.

Nombres 23, 3 Balaam dit alors à Balaq: "Tiens-toi debout près de tes holocaustes tandis que j'irai. Peut-être Yahvé fera-t-il que je le rencontre? Ce qu'il me fera voir, je te le révélerai." Et il s'en alla sur une une colline dénudée.

Nombres 23, 4 Or Dieu vint à la rencontre de Balaam, qui lui dit: "J'ai disposé les sept autels et j'ai offert en holocauste un taureau et un bélier sur chaque autel."

Nombres 23, 5 Yahvé lui mit alors une parole dans la bouche, et lui dit: "Retourne auprès de Balaq et c'est ainsi que tu parleras."

Nombres 23, 6 Balaam retourna donc auprès de lui; il le trouva toujours debout près de son holocauste, avec tous les princes de Moab.

Nombres 23, 7 Il prononça son poème: "Balaq me fait venir d'Aram, le roi de Moab, des monts de Qédem: Viens, maudis-moi Jacob, viens, fulmine contre Israël.

Nombres 23, 8 Comment maudirais-je quand Dieu ne maudit pas? Comment fulminerais-je quand Dieu ne fulmine pas?

Nombres 23, 9 Oui, de la crête du rocher je le vois, du haut des collines je le regarde. Voici un peuple qui habite à part, il n'est pas rangé parmi les nations.

Nombres 23, 10 Qui pourrait compter la poussière de Jacob? Qui pourrait dénombrer la nuée d'Israël? Puissé-je mourir de la mort des justes! Puisse ma fin être comme la leur!"

Nombres 23, 11 Balaq dit à Balaam: "Que m'as-tu fait! Je t'avais pris pour maudire mes ennemis et tu prononces sur eux des bénédictions!"

Nombres 23, 12 Balaam reprit: "Ne dois-je pas prendre soin de dire ce que Yahvé me met dans la bouche?"

Nombres 23, 13 Balaq lui dit: "Viens donc ailleurs avec moi. Ce peuple que tu vois d'ici, tu n'en vois qu'une extrémité, tu ne le vois pas tout entier. Maudis-le-moi de là-bas."

Nombres 23, 14 Il l'emmena au Champ des Guetteurs, vers le sommet du Pisga. Il y bâtit sept autels et offrit en holocauste un taureau et un bélier sur chaque autel.

Nombres 23, 15 Balaam dit à Balaq: "Tiens-toi debout près de tes holocaustes, tandis que moi j'irai attendre."

Nombres 23, 16 Dieu vint à la rencontre de Balaam, il lui mit une parole dans la bouche et lui dit: "Retourne auprès de Balaq, et c'est ainsi que tu parleras."

Nombres 23, 17 Il retourna donc auprès de Balaq; il le trouva toujours debout près de ses holocaustes, avec tous les princes de Moab. "Qu'a dit Yahvé?" Lui demanda Balaq.

Nombres 23, 18 Et Balaam prononça son poème: "Lève-toi, Balaq, et écoute, prête-moi l'oreille, fils de Cippor.

Nombres 23, 19 Dieu n'est pas homme, pour qu'il mente, ni fils d'Adam, pour qu'il se rétracte. Est-ce lui qui dit et ne fait pas, qui parle et n'accomplit pas?

Nombres 23, 20 J'ai reçu la charge d'une bénédiction, je bénirai et je ne me reprendrai pas.

Nombres 23, 21 Je n'ai pas aperçu de mal en Jacob ni vu de souffrance en Israël. Yahvé son Dieu est avec lui; chez lui retentit l'acclamation royale.

Nombres 23, 22 Dieu le fait sortir d'Egypte, Il est pour lui comme des cornes de buffle.

Nombres 23, 23 Car il n'y a pas de présage contre Jacob ni d'augure contre Israël. Alors même que l'on dit à Jacob et à Israël: "Que fait donc Dieu?"

Nombres 23, 24 Voici qu'un peuple se dresse comme une lionne, qu'il surgit comme un lion: il ne se couche pas, qu'il n'ait dévoré sa proie et bu le sang de ceux qu'il a tués."

Nombres 23, 25 Balaq dit à Balaam: "Ne le maudis pas, soit! Du moins, ne le bénis pas!"

Nombres 23, 26 Balaam répondit à Balaq: "Ne t'avais-je pas dit: Tout ce que Yahvé dira, je le ferai?"

Nombres 23, 27 Balaq dit à Balaam: "Viens donc, que je t'emmène ailleurs. Et là, peut-être Dieu trouvera bon de le maudire."

Nombres 23, 28 Balaq emmena Balaam au sommet du Péor, qui domine le désert.

Nombres 23, 29 Balaam dit alors à Balaq: "Bâtis-moi ici sept autels et fournis-moi ici sept taureaux et sept béliers."

Nombres 23, 30 Balaq fit comme avait dit Balaam et offrit en holocauste un taureau et un bélier sur chaque autel.

Nombres 24, 1 Balaam vit alors que Yahvé trouvait bon de bénir Israël. Il n'alla pas comme les autres fois à la recherche de présages, mais il se tourna face au désert.

Nombres 24, 2 Levant les yeux, Balaam vit Israël, établi par tribus; l'esprit de Dieu vint sur lui

Nombres 24, 3 et il prononça son poème. Il dit: "Oracle de Balaam, fils de Béor, oracle de l'homme au regard pénétrant,

Nombres 24, 4 oracle de celui qui écoute les paroles de Dieu. Il voit ce que Shaddaï fait voir, il obtient la réponse divine et ses yeux s'ouvrent.

Nombres 24, 5 Que tes tentes sont belles, Jacob! et tes demeures, Israël!

Nombres 24, 6 Comme des vallées qui s'étendent, comme des jardins au bord d'un fleuve, comme des aloès que Yahvé a plantés, comme des cèdres auprès des eaux!

Nombres 24, 7 Un héros grandit dans sa descendance, il domine sur des peuples nombreux. Son roi est plus grand qu'Agag, sa royauté s'élève.

Nombres 24, 8 Dieu le fait sortir d'Egypte, il est pour lui comme des cornes de buffle. Il dévore le cadavre de ses adversaires, il leur brise les os.

Nombres 24, 9 Il s'est accroupi, il s'est couché, comme un lion, comme une lionne: qui le fera lever? Béni soit qui te bénit, et maudit qui te maudit!"

Nombres 24, 10 Balaq se mit en colère contre Balaam. Il frappa des mains et dit à Balaam: "Je t'avais mandé pour maudire mes ennemis, et voilà que tu les bénis, et par trois fois!

Nombres 24, 11 Et maintenant déguerpis et va-t'en chez toi. J'avais dit que je te comblerais d'honneurs. C'est Yahvé qui t'en a privé."

Nombres 24, 12 Balaam répondit à Balaq: "N'avais-je pas dit déjà à tes messagers:

Nombres 24, 13 Quand Balaq me donnerait plein sa maison d'argent et d'or, je ne pourrais transgresser l'ordre de Yahvé et faire de moi-même ni bien ni mal; ce que Yahvé dira, c'est ce que je dirai?

Nombres 24, 14 Maintenant que je pars chez les miens, viens, je vais t'aviser de ce que ce peuple fera à ton peuple, dans l'avenir."

Nombres 24, 15 Alors il prononça son poème. Il dit: "Oracle de Balaam, fils de Béor, oracle de l'homme au regard pénétrant,

Nombres 24, 16 oracle de celui qui écoute les paroles de Dieu, de celui qui sait la science du Très-Haut. Il voit ce que Shaddaï fait voir, il obtient la réponse divine et ses yeux s'ouvrent.

Nombres 24, 17 Je le vois -- mais non pour maintenant, je l'aperçois -- mais non de près: Un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève, issu d'Israël. Il frappe les tempes de Moab et le crâne de tous les fils de Seth.

Nombres 24, 18 Edom devient un pays conquis; pays conquis, Séïr. Israël déploie sa puissance,

Nombres 24, 19 Jacob domine sur ses ennemis et fait périr les rescapés d'Ar."

Nombres 24, 20 Balaam vit Amaleq, il prononça son poème. Il dit: "Amaleq: prémices des nations! Mais sa postérité périra pour toujours."

Nombres 24, 21 Puis il vit les Qénites, il prononça son poème. Il dit: "Ta demeure fut stable, Qayîn, et ton nid juché sur le rocher.

Nombres 24, 22 Mais le nid appartient à Béor; jusques à quand seras-tu captif d'Assur?"

Nombres 24, 23 Puis il prononça son poème. Il dit: "Des peuples de la Mer se rassemblent au nord,

Nombres 24, 24 des vaisseaux du côté de Kittim. Ils oppriment Assur, ils oppriment Ebèr, lui aussi périra pour toujours."

Nombres 24, 25 Puis Balaam se leva, partit et retourna chez lui. Balaq lui aussi passa son chemin.

Nombres 25, 1 Israël s'établit à Shittim. Le peuple se livra à la prostitution avec les filles de Moab.

Nombres 25, 2 Elles l'invitèrent aux sacrifices de leurs dieux; le peuple mangea et se prosterna devant leurs dieux;

Nombres 25, 3 Israël s'étant ainsi commis avec le Baal de Péor, la colère de Yahvé s'enflamma contre lui.

Nombres 25, 4 Yahvé dit à Moïse: "Prends tous les chefs du peuple. Empale-les à la face du soleil, pour Yahvé: alors l'ardente colère de Yahvé se détournera d'Israël."

Nombres 25, 5 Moïse dit aux juges d'Israël: "Que chacun mette à mort ceux de ses hommes qui se sont commis avec le Baal de Péor."

Nombres 25, 6 Survint un homme des Israélites, amenant auprès de ses frères cette Madianite, sous les yeux mêmes de Moïse et de toute la communauté des Israélites pleurant à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

Nombres 25, 7 A cette vue, Pinhas, fils d'Eléazar, fils d'Aaron, le prêtre, se leva du milieu de la communauté, saisit une lance,

Nombres 25, 8 suivit l'Israélite dans l'alcôve et là il les transperça tous les deux, l'Israélite et la femme, en plein ventre. Le fléau qui frappait les Israélites fut arrêté.

Nombres 25, 9 24.000 d'entre eux en étaient morts.

Nombres 25, 10 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 25, 11 "Pinhas, fils d'Eléazar, fils d'Aaron, le prêtre, a détourné mon courroux des Israélites, parce qu'il a été, parmi eux, possédé de la même jalousie que moi; c'est pourquoi je n'ai pas, dans ma jalousie, achevé les Israélites.

Nombres 25, 12 C'est pourquoi je dis: Je lui accorde mon alliance de paix.

Nombres 25, 13 Il y aura pour lui et pour sa descendance après lui une alliance, qui lui assurera le sacerdoce à perpétuité. En récompense de sa jalousie pour son Dieu, il pourra accomplir le rite d'expiation sur les Israélites."

Nombres 25, 14 L'Israélite frappé (il avait été frappé avec la Madianite) se nommait Zimri, fils de Salu, prince d'une famille de Siméon.

Nombres 25, 15 La femme, la Madianite qui avait été frappée, se nommait Kozbi, fille de Cur, qui était chef d'un clan, d'une famille, en Madiân.

Nombres 25, 16 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 25, 17 "Pressez les Madianites et frappez-les.

Nombres 25, 18 Car ce sont eux qui vous ont pressés, par leurs artifices contre vous dans l'affaire de Péor, et dans l'affaire de Kozbi leur soeur, la fille d'un prince de Madiân, celle qui fut frappée le jour du fléau survenu à cause de l'affaire de Péor."

Nombres 25, 19 Après ce fléau,

Nombres 26, 1 Yahvé parla à Moïse et à Eléazar, fils d'Aaron, le prêtre. Il dit:

Nombres 26, 2 "Faites le recensement de toute la communauté des Israélites, par familles: tous ceux qui ont vingt ans et au-dessus, aptes à faire campagne en Israël."

Nombres 26, 3 Moïse et Eléazar le prêtre les recensèrent donc, dans les Steppes de Moab, près du Jourdain vers Jéricho.

Nombres 26, 4 (Comme Yahvé l'a ordonné à Moïse et aux Israélites à leur sortie du pays d'Egypte.) Hommes de vingt ans et au-dessus:

Nombres 26, 5 Ruben, premier-né d'Israël. Les fils de Ruben: pour Hénok, le clan Hénokite; pour Pallu, le clan Palluite;

Nombres 26, 6 pour Hèçrôn, le clan Hèçronite; pour Karmi, le clan Karmite.

Nombres 26, 7 Tels étaient les clans Rubénites. Ils comprenaient 30 recensés.

Nombres 26, 8 Les fils de Pallu: Eliab.

Nombres 26, 9 Les fils d'Eliab: Nemuel, Datân et Abiram. Ce sont Datân et Abiram, hommes considérés dans la communauté, qui se soulevèrent contre Moïse et Aaron; ils étaient de la bande de Coré quand elle se souleva contre Yahvé.

Nombres 26, 10 La terre ouvrit sa bouche et les engloutit (ainsi que Coré, lorsque périt cette bande), lorsque le feu consuma les 250 hommes. Ils furent un signe.

Nombres 26, 11 Les fils de Coré ne périrent pas.

Nombres 26, 12 Les fils de Siméon, par clans: pour Nemuel, le clan Nemuélite; pour Yamîn, le clan Yaminite; pour Yakîn, le clan Yakinite;

Nombres 26, 13 pour Zérah, le clan Zarhite; pour Shaûl, le clan Shaûlite.

Nombres 26, 14 Tels étaient les clans Siméonites. Ils comprenaient 22.200 recensés.

Nombres 26, 15 Les fils de Gad, par clans: pour Cephôn, le clan Céphonite; pour Haggi, le clan Haggite; pour Shuni, le clan Shunite;

Nombres 26, 16 pour Ozni, le clan Oznite; pour Eri, le clan Erite;

Nombres 26, 17 pour Arod, le clan Arodite; pour Aréli, le clan Arélite.

Nombres 26, 18 Tels étaient les clans des fils de Gad. Ils comprenaient 40.500 recensés.

Nombres 26, 19 Les fils de Juda: Er et Onân. Er et Onân moururent au pays de Canaan.

Nombres 26, 20 Les fils de Juda devinrent des clans: pour Shéla, le clan Shélanite; pour Pérèç, le clan Parçite; pour Zérah, le clan Zarhite.

Nombres 26, 21 Les fils de Pérèç furent: pour Hèçrôn, le clan Hèçronite; pour Hamul, le clan Hamulite.

Nombres 26, 22 Tels étaient les clans de Juda. Ils comprenaient 76.500 recensés.

Nombres 26, 23 Les fils d'Issachar, par clans: pour Tola, le clan Tolaïte; pour Puvva, le clan Puvvite;

Nombres 26, 24 pour Yashub, le clan Yashubite; pour Shimrôn, le clan Shimronite.

Nombres 26, 25 Tels étaient les clans d'Issachar. Ils comprenaient 64.300 recensés.

Nombres 26, 26 Les fils de Zabulon, par clans: pour Séred, le clan Sardite; pour Elôn, le clan Elonite; pour Yahléel, le clan Yahléélite.

Nombres 26, 27 Tels étaient les clans de Zabulon. Ils comprenaient 60.500 recensés.

Nombres 26, 28 Les fils de Joseph, par clans: Manassé et Ephraïm.

Nombres 26, 29 Les fils de Manassé: pour Makir, le clan Makirite; et Makir engendra Galaad: pour Galaad, le clan Galaadite.

Nombres 26, 30 Voici les fils de Galaad; pour Iézer, le clan Iézrite; pour Héleq, le clan Helqite;

Nombres 26, 31 Asriel, le clan Asriélite; Shékem, le clan Shékémite;

Nombres 26, 32 Shemida, le clan Shemidaïte; Hépher, le clan Héphrite.

Nombres 26, 33 Celophehad, fils de Hépher, n'eut pas de fils, mais des filles; voici les noms des filles de Celophehad: Mahla, Noa, Hogla, Milka et Tirça.

Nombres 26, 34 Tels étaient les clans de Manassé. Ils comprenaient 52.700 recensés.

Nombres 26, 35 Et voici les fils d'Ephraïm, par clans: pour Shutélah, le clan Shutalhite; pour Béker, le clan Bakrite; pour Tahân, le clan Tahanite.

Nombres 26, 36 Voici les fils de Shutélah: pour Erân, le clan Eranite.

Nombres 26, 37 Tels étaient les clans d'Ephraïm. Ils comprenaient 32.500 recensés. Tels étaient les fils de Joseph, par clans.

Nombres 26, 38 Les fils de Benjamin, par clans: pour Béla, le clan Baléite; pour Ashbel, le clan Ashbélite; pour Ahiram, le clan Ahiramite;

Nombres 26, 39 pour Shephupham, le clan Shephuphamite; pour Hupham, le clan Huphamite.

Nombres 26, 40 Béla eut pour fils Ard et Naamân: pour Ard le clan Ardite; pour Naamân, le clan Naamite.

Nombres 26, 41 Tels étaient les fils de Benjamin, par clans. Ils comprenaient 45.600 recensés.

Nombres 26, 42 Voici les fils de Dan, par clans: pour Shuham, le clan Shuhamite. Tels étaient les fils de Dan, par clans.

Nombres 26, 43 Tous les clans Shuhamites comprenaient 64.400 recensés.

Nombres 26, 44 Les fils d'Asher, par clans: pour Yimna, le clan Yimnite; pour Yishvi, le clan Yishvite; pour Béria, le clan Bériite.

Nombres 26, 45 Pour les fils de Béria: pour Héber, le clan Hébrite; pour Malkiel, le clan Malkiélite.

Nombres 26, 46 La fille d'Asher se nommait Sarah.

Nombres 26, 47 Tels étaient les clans des fils d'Asher. Ils comprenaient 53.400 recensés.

Nombres 26, 48 Les fils de Nephtali, par clans: pour Yahçéel, le clan Yahçéélite; pour Guni, le clan Gunite;

Nombres 26, 49 pour Yéçer, le clan Yiçrite; pour Shillem, le clan Shillémite.

Nombres 26, 50 Tels étaient les clans de Nephtali, répartis par clans. Les fils de Nephtali comprenaient 45.400 recensés.

Nombres 26, 51 Les Israélites étaient donc 601.730 recensés.

Nombres 26, 52 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 26, 53 "C'est à ceux-ci que le pays sera distribué en héritage, suivant le nombre des inscrits.

Nombres 26, 54 A celui qui a un grand nombre, tu donneras un grand domaine, à celui qui a un petit nombre, un petit domaine; à chacun son héritage, en proportion du nombre de ses recensés.

Nombres 26, 55 Toutefois, c'est le sort qui fera le partage du pays. Selon le nombre des noms dans les tribus patriarcales, on recevra son héritage;

Nombres 26, 56 l'héritage de chaque tribu sera réparti par le sort en tenant compte du grand ou du petit nombre."

Nombres 26, 57 Voici, par clans, les Lévites recensés: pour Gershôn, le clan Gershonite; pour Qehat, le clan Qehatite; pour Merari, le clan Merarite.

Nombres 26, 58 Voici les clans Lévites: le clan Libnite, le clan Hébronite, le clan Mahlite, le clan Mushite, le clan Coréite. Qehat engendra Amram.

Nombres 26, 59 La femme d'Amram se nommait Yokébed, fille de Lévi, qui lui était née en Egypte. Elle donna à Amram Aaron, Moïse et Miryam leur soeur.

Nombres 26, 60 Aaron engendra Nadab et Abihu, Eléazar et Itamar.

Nombres 26, 61 Nadab et Abihu moururent lorsqu'ils portèrent devant Yahvé un feu irrégulier.

Nombres 26, 62 Il y eut en tout 23.000 mâles recensés, d'un mois et au-dessus. Car ils n'avaient pas été recensés avec les Israélites, n'ayant pas reçu d'héritage au milieu d'eux.

Nombres 26, 63 Tels furent les hommes que recensèrent Moïse et Eléazar le prêtre, qui firent ce recensement des Israélites dans les Steppes de Moab, près du Jourdain vers Jéricho.

Nombres 26, 64 Aucun d'eux n'était de ceux que Moïse et Aaron le prêtre avaient recensés, en dénombrant les Israélites dans le désert du Sinaï;

Nombres 26, 65 car Yahvé le leur avait dit: ceux-ci mourraient dans le désert et il n'en resterait aucun, à l'exception de Caleb, fils de Yephunné, et de Josué, fils de Nûn.

Nombres 27, 1 Alors s'approchèrent les filles de Celophehad. Celui-ci était fils de Hépher, fils de Galaad, fils de Makir, fils de Manassé; il était des clans de Manassé, fils de Joseph. Voici les noms de ses filles: Mahla, Noa, Hogla, Milka et Tirça.

Nombres 27, 2 Elles se présentèrent devant Moïse, devant Eléazar le prêtre, devant les princes et toute la communauté, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous et elles dirent:

Nombres 27, 3 "Notre père est mort dans le désert. Il n'était pas du parti qui se forma contre Yahvé, du parti de Coré; c'est pour son propre péché qu'il est mort sans avoir eu de fils.

Nombres 27, 4 Pourquoi le nom de notre père disparaîtrait-il de son clan? Puisqu'il n'a pas eu de fils, donne-nous un domaine au milieu des frères de notre père."

Nombres 27, 5 Moïse porta leur cas devant Yahvé

Nombres 27, 6 et Yahvé parla à Moïse. Il dit:

Nombres 27, 7 "Les filles de Celophehad ont parlé juste. Tu leur donneras donc un domaine qui sera leur héritage au milieu des frères de leur père; tu leur transmettras l'héritage de leur père.

Nombres 27, 8 Puis tu parleras ainsi aux Israélites: Si un homme meurt sans avoir eu de fils, vous transmettrez son héritage à sa fille.

Nombres 27, 9 S'il n'a pas de fille, vous donnerez son héritage à ses frères.

Nombres 27, 10 S'il n'a pas de frères, vous donnerez son héritage aux frères de son père.

Nombres 27, 11 Si son père n'a pas de frères, vous donnerez son héritage à celui de son clan qui est son plus proche parent: il en prendra possession. Ce sera là pour les Israélites une règle de droit, comme Yahvé l'a ordonné à Moïse."

Nombres 27, 12 Yahvé dit à Moïse: "Monte sur cette montagne de la chaîne des Abarim, et regarde le pays que j'ai donné aux Israélites.

Nombres 27, 13 Lorsque tu l'auras regardé, tu seras réuni aux tiens, comme Aaron, ton frère.

Nombres 27, 14 Car vous avez été rebelles dans le désert de Cîn, lorsque la communauté me chercha querelle, quand je vous commandai de manifester devant elle ma sainteté, par l'eau." (Ce sont les eaux de Meriba de Cadès, dans le désert de Cîn.)

Nombres 27, 15 Moïse parla à Yahvé et dit:

Nombres 27, 16 "Que Yahvé, Dieu des esprits qui animent toute chair, établisse sur cette communauté un homme

Nombres 27, 17 qui sorte et rentre à leur tête, qui les fasse sortir et rentrer, pour que la communauté de Yahvé ne soit pas comme un troupeau sans pasteur."

Nombres 27, 18 Yahvé répondit à Moïse: "Prends Josué, fils de Nûn, homme en qui demeure l'esprit. Tu lui imposeras la main.

Nombres 27, 19 Puis tu le feras venir devant Eléazar, le prêtre, et toute la communauté, pour lui donner devant eux tes ordres

Nombres 27, 20 et lui transmettre une part de ta dignité, afin que toute la communauté des Israélites lui obéisse.

Nombres 27, 21 Il se tiendra devant Eléazar le prêtre, qui consultera pour lui selon le rite de l'Urim, devant Yahvé. C'est sur son ordre que sortiront et rentreront avec lui tous les Israélites, toute la communauté."

Nombres 27, 22 Moïse fit comme Yahvé l'avait ordonné. Il prit Josué, le fit venir devant Eléazar, le prêtre, et toute la communauté,

Nombres 27, 23 il lui imposa la main et lui donna ses ordres, comme Yahvé l'avait dit par l'intermédiaire de Moïse.

Nombres 28, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 28, 2 "Ordonne ceci aux Israélites: Vous aurez soin de m'apporter au temps fixé mon offrande, ma nourriture, sous forme de mets consumés en parfum d'apaisement.

Nombres 28, 3 Tu leur diras: Voici le mets que vous offrirez à Yahvé: "Chaque jour, deux agneaux d'un an, sans défaut, comme holocauste perpétuel.

Nombres 28, 4 Tu feras du premier agneau l'holocauste du matin et du second l'holocauste du crépuscule,

Nombres 28, 5 avec l'oblation d'un dixième de mesure de fleur de farine pétrie dans un quart de setier d'huile vierge.

Nombres 28, 6 C'est l'holocauste perpétuel accompli jadis au mont Sinaï en parfum d'apaisement, un mets consumé pour Yahvé.

Nombres 28, 7 La libation conjointe sera d'un quart de setier pour chaque agneau; c'est dans le sanctuaire que sera répandue la libation de boisson fermentée pour Yahvé.

Nombres 28, 8 Pour le second agneau, tu en feras l'holocauste du crépuscule; tu le feras avec la même oblation et la même libation que le matin, comme mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé.

Nombres 28, 9 "Le jour du sabbat, vous offrirez deux agneaux d'un an, sans défaut, et deux dixièmes de fleur de farine, en oblation pétrie dans l'huile, ainsi que la libation conjointe.

Nombres 28, 10 L'holocauste du sabbat s'ajoutera chaque sabbat à l'holocauste perpétuel et de même la libation conjointe.

Nombres 28, 11 "Au commencement de vos mois, vous ferez un holocauste pour Yahvé: deux taureaux, un bélier, et sept agneaux d'un an, sans défaut;

Nombres 28, 12 pour chaque taureau, trois dixièmes de fleur de farine, en oblation pétrie dans l'huile; pour chaque bélier, deux dixièmes de fleur de farine, en oblation pétrie dans l'huile;

Nombres 28, 13 pour chaque agneau, un dixième de fleur de farine, en oblation pétrie dans l'huile. C'est un holocauste offert en parfum d'apaisement, un mets consumé pour Yahvé.

Nombres 28, 14 Les libations conjointes seront d'un demi-setier de vin par taureau, d'un tiers de setier par bélier et d'un quart de setier par agneau. Tel sera mois après mois l'holocauste du mois, pour tous les mois de l'année.

Nombres 28, 15 En plus de l'holocauste perpétuel, il sera offert à Yahvé un bouc, en sacrifice pour le péché, avec la libation conjointe.

Nombres 28, 16 "Le premier mois, le quatorzième jour du mois, c'est la Pâque de Yahvé,

Nombres 28, 17 et le quinzième jour de ce mois est un jour de fête. Pendant sept jours on mangera des azymes.

Nombres 28, 18 Le premier jour, il y aura une sainte assemblée. Vous ne ferez aucune oeuvre servile.

Nombres 28, 19 Vous offrirez à Yahvé des mets consumés en holocauste: deux taureaux, un bélier, sept agneaux d'un an, sans défaut.

Nombres 28, 20 L'oblation conjointe, en fleur de farine pétrie dans l'huile, sera de trois dixièmes par taureau, de deux dixièmes par bélier,

Nombres 28, 21 et d'un dixième pour chacun des sept agneaux.

Nombres 28, 22 Et il y aura un bouc en sacrifice pour le péché, pour faire sur vous le rite d'expiation.

Nombres 28, 23 Vous ferez cela en plus de l'holocauste du matin offert à titre d'holocauste perpétuel.

Nombres 28, 24 Vous ferez ainsi chaque jour pendant sept jours. C'est une nourriture, un mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé; il est offert en plus de l'holocauste perpétuel et de sa libation conjointe.

Nombres 28, 25 Le septième jour vous aurez une sainte assemblée; vous ne ferez aucune oeuvre servile.

Nombres 28, 26 "Le jour des prémices, quand vous offrirez à Yahvé une oblation de fruits nouveaux, à votre fête des Semaines, vous aurez une sainte assemblée; vous ne ferez aucune oeuvre servile.

Nombres 28, 27 Vous ferez un holocauste, en parfum d'apaisement pour Yahvé: deux taureaux, un bélier, sept agneaux d'un an.

Nombres 28, 28 L'oblation conjointe, en fleur de farine pétrie dans l'huile, sera de trois dixièmes pour chaque taureau, de deux dixièmes pour chaque bélier,

Nombres 28, 29 d'un dixième pour chacun des sept agneaux.

Nombres 28, 30 Et il y aura un bouc en sacrifice pour le péché, pour faire sur vous le rite d'expiation.

Nombres 28, 31 Vous ferez cela en plus de l'holocauste perpétuel, de son oblation et des libations conjointes.

Nombres 29, 1 "Le septième mois, le premier du mois, vous aurez une sainte assemblée; vous ne ferez aucune oeuvre servile. Ce sera pour vous le jour des Acclamations.

Nombres 29, 2 Vous ferez un holocauste, en parfum d'apaisement pour Yahvé: un taureau, un bélier, sept agneaux d'un an, sans défaut.

Nombres 29, 3 L'oblation conjointe, en fleur de farine pétrie dans l'huile, sera de trois dixièmes pour le taureau, de deux dixièmes pour le bélier,

Nombres 29, 4 d'un dixième pour chacun des sept agneaux.

Nombres 29, 5 Et il y aura un bouc en sacrifice pour le péché, pour faire sur vous le rite d'expiation.

Nombres 29, 6 Cela en plus de l'holocauste mensuel et de son oblation, de l'holocauste perpétuel et de son oblation, de leurs libations conjointes selon la règle, -- en parfum d'apaisement, comme mets consumés pour Yahvé.

Nombres 29, 7 "Le dixième jour de ce septième mois, vous aurez une sainte assemblée. Vous jeûnerez et vous ne ferez aucun travail.

Nombres 29, 8 Vous ferez un holocauste à Yahvé, en parfum d'apaisement: un taureau, un bélier, sept agneaux d'un an, que vous choisirez sans défaut.

Nombres 29, 9 L'oblation conjointe, en fleur de farine pétrie dans l'huile, sera de trois dixièmes pour le taureau, de deux dixièmes pour le bélier,

Nombres 29, 10 d'un dixième pour chacun des sept agneaux.

Nombres 29, 11 Un bouc sera offert en sacrifice pour le péché. Cela en plus de la victime pour le péché de la fête des Expiations, de l'holocauste perpétuel et de son oblation, et de leurs libations conjointes.

Nombres 29, 12 "Le quinzième jour du septième mois, vous aurez une sainte assemblée, vous ne ferez aucune oeuvre servile et pendant sept jours vous célébrerez une fête pour Yahvé.

Nombres 29, 13 Vous ferez un holocauste, mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé: treize taureaux, deux béliers, quatorze agneaux d'un an, sans défaut.

Nombres 29, 14 Les oblations conjointes, en fleur de farine pétrie dans l'huile, seront de trois dixièmes pour chacun des treize taureaux, de deux dixièmes pour chacun des deux béliers,

Nombres 29, 15 d'un dixième pour chacun des quatorze agneaux.

Nombres 29, 16 On ajoutera un bouc en sacrifice pour le péché. Cela en plus de l'holocauste perpétuel, de son oblation et de sa libation.

Nombres 29, 17 Le second jour: douze taureaux, deux béliers, quatorze agneaux d'un an sans défaut;

Nombres 29, 18 l'oblation et les libations conjointes, faites suivant la règle selon le nombre des taureaux, des béliers et des agneaux;

Nombres 29, 19 un bouc pour le sacrifice pour le péché; en plus de l'holocauste perpétuel, de son oblation et de ses libations.

Nombres 29, 20 Le troisième jour: onze taureaux, deux béliers, quatorze agneaux d'un an, sans défaut;

Nombres 29, 21 l'oblation et les libations conjointes, faites suivant la règle, selon le nombre des taureaux, des béliers et des agneaux;

Nombres 29, 22 un bouc pour le sacrifice pour le péché; en plus de l'holocauste perpétuel, de son oblation et de sa libation.

Nombres 29, 23 Le quatrième jour: dix taureaux, deux béliers, quatorze agneaux d'un an, sans défaut;

Nombres 29, 24 l'oblation et les libations conjointes, faites suivant la règle, selon le nombre des taureaux, des béliers et des agneaux;

Nombres 29, 25 un bouc pour le sacrifice pour le péché; en plus de l'holocauste perpétuel, de son oblation et de sa libation.

Nombres 29, 26 Le cinquième jour: neuf taureaux, deux béliers, quatorze agneaux d'un an, sans défaut;

Nombres 29, 27 les oblations et libations conjointes, faites suivant la règle, selon le nombre des taureaux, des béliers et des agneaux;

Nombres 29, 28 un bouc pour le sacrifice pour le péché; en plus de l'holocauste perpétuel, de son oblation et de sa libation.

Nombres 29, 29 Le sixième jour: huit taureaux, deux béliers, quatorze agneaux d'un an, sans défaut;

Nombres 29, 30 l'oblation et les libations conjointes, faites suivant la règle, selon le nombre des taureaux, des béliers et des agneaux;

Nombres 29, 31 un bouc pour le sacrifice pour le péché; en plus de l'holocauste perpétuel, de son oblation et de ses libations.

Nombres 29, 32 Le septième jour: sept taureaux, deux béliers, quatorze agneaux d'un an, sans défaut;

Nombres 29, 33 les oblations et libations conjointes, faites suivant la règle, selon le nombre des taureaux, des béliers et des agneaux;

Nombres 29, 34 un bouc pour le sacrifice pour le péché; en plus de l'holocauste perpétuel, de son oblation et de sa libation.

Nombres 29, 35 Le huitième jour, vous aurez une réunion. Vous ne ferez aucune oeuvre servile.

Nombres 29, 36 Vous offrirez un holocauste, mets consumé en parfum d'apaisement pour Yahvé: un taureau, un bélier, sept agneaux d'un an, sans défaut;

Nombres 29, 37 l'oblation et les libations conjointes, faites suivant la règle, selon le nombre des taureaux, des béliers et des agneaux;

Nombres 29, 38 un bouc pour le sacrifice pour le péché; en plus de l'holocauste perpétuel, de son oblation et de sa libation.

Nombres 29, 39 C'est là ce que vous ferez pour Yahvé, lors de vos solennités, en plus de vos offrandes votives et de vos offrandes volontaires, de vos holocaustes, oblations et libations, et de vos sacrifices de communion."

Nombres 30, 1 Moïse parla aux Israélites conformément à tout ce que Yahvé lui avait ordonné.

Nombres 30, 2 Moïse parla aux chefs de tribu des Israélites. Il dit: "Voici ce que Yahvé a ordonné.

Nombres 30, 3 Si un homme fait un voeu à Yahvé ou prend par serment un engagement formel, il ne violera pas sa parole: tout ce qui est sorti de sa bouche, il l'exécutera.

Nombres 30, 4 Si une femme fait un voeu à Yahvé ou prend un engagement formel, alors que, jeune encore, elle habite la maison de son père,

Nombres 30, 5 et si celui-ci, apprenant son voeu ou l'engagement qu'elle a pris, ne lui dit rien, son voeu, quel qu'il soit, sera valide, et l'engagement qu'elle a pris, quel qu'il soit, sera valide.

Nombres 30, 6 Mais si son père, le jour où il l'apprend, y fait opposition, aucun de ses voeux et aucun des engagements qu'elle a pris ne seront valides. Yahvé ne lui en tiendra pas rigueur, puisque c'est son père qui y a fait opposition.

Nombres 30, 7 Si, étant tenue par des voeux ou par un engagement sorti inconsidérément de sa bouche, elle se marie,

Nombres 30, 8 et si son mari, l'apprenant, ne lui dit rien le jour où il en est informé, ses voeux seront valides et les engagements qu'elle a pris seront valides.

Nombres 30, 9 Mais si, le jour où il l'apprend, son mari lui fait opposition, il annulera le voeu qui la tient ou l'engagement qui l'oblige, sorti inconsidérément de sa bouche. Yahvé ne lui en tiendra pas rigueur.

Nombres 30, 10 Le voeu d'une femme veuve ou répudiée, et tous les engagements qu'elle a pris, seront valides pour elle.

Nombres 30, 11 Si c'est dans la maison de son mari qu'elle a fait un voeu, ou pris un engagement par serment,

Nombres 30, 12 et si, l'apprenant, son mari ne lui dit rien et ne lui fait pas opposition, son voeu, quel qu'il soit, sera valide et l'engagement qu'elle a pris, quel qu'il soit, sera valide.

Nombres 30, 13 Mais si son mari, l'apprenant, les annule le jour où il en est informé, rien ne sera valide de ce qui est sorti de sa bouche, voeux ou engagements. Son mari les ayant annulés, Yahvé ne lui en tiendra pas rigueur.

Nombres 30, 14 Tout voeu et tout serment qui engage la femme, son mari peut les valider ou les annuler.

Nombres 30, 15 Si au lendemain son mari ne lui a rien dit, c'est qu'il valide son voeu, quel qu'il soit, ou son engagement, quel qu'il soit. Il les a validés s'il ne lui dit rien le jour où il en est informé.

Nombres 30, 16 Mais si, informé, il les annule plus tard, c'est lui qui portera le poids de la faute qui incomberait à sa femme."

Nombres 30, 17 Telles sont les lois que Yahvé prescrivit à Moïse, en ce qui concerne la relation entre un homme et sa femme, et entre un père et sa fille lorsque, jeune encore, elle habite la maison de son père.

Nombres 31, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 31, 2 "Accomplis la vengeance des Israélites sur les Madianites. Ensuite tu seras réuni aux tiens."

Nombres 31, 3 Moïse parla ainsi au peuple: "Que certains d'entre vous s'arment pour la campagne de Yahvé contre Madiân, pour payer à Madiân le salaire de la vengeance de Yahvé.

Nombres 31, 4 Vous mettrez en campagne mille hommes pour chacune des tribus d'Israël."

Nombres 31, 5 Les milliers d'Israël fournirent, à raison d'un millier par tribu, 12.000 hommes armés pour la campagne.

Nombres 31, 6 Moïse les mit en campagne, un millier par tribu, et leur joignit Pinhas, fils d'Eléazar le prêtre, porteur des objets sacrés et des trompettes pour les acclamations.

Nombres 31, 7 Ils firent campagne contre Madiân, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse, et tuèrent tous les mâles.

Nombres 31, 8 En outre, ils tuèrent les rois de Madiân, Evi, Réqem, Cur, Hur et Réba, cinq rois madianites; ils passèrent aussi au fil de l'épée Balaam, fils de Béor.

Nombres 31, 9 Les Israélites emmenèrent captives les femmes des Madianites avec leurs petits enfants, ils razzièrent tout leur bétail, tous leurs troupeaux et tous leurs biens.

Nombres 31, 10 Ils mirent le feu aux villes qu'ils habitaient ainsi qu'à tous leurs campements.

Nombres 31, 11 Puis, prenant tout leur butin, tout ce qu'ils avaient capturé, bêtes et gens,

Nombres 31, 12 ils amenèrent captifs, prises et butin à Moïse, à Eléazar le prêtre et à toute la communauté des Israélites, jusqu'au camp, aux Steppes de Moab qui se trouvent près du Jourdain vers Jéricho.

Nombres 31, 13 Moïse, Eléazar le prêtre et tous les princes de la communauté sortirent du camp à leur rencontre.

Nombres 31, 14 Moïse s'emporta contre les commandants des forces, chefs de milliers et chefs de centaines, qui revenaient de cette expédition guerrière.

Nombres 31, 15 Il leur dit: "Pourquoi avez-vous laissé la vie à toutes les femmes?

Nombres 31, 16 Ce sont elles qui, sur les conseils de Balaam, ont été pour les Israélites une cause d'infidélité à Yahvé dans l'affaire de Péor: d'où le fléau qui a sévi sur la communauté de Yahvé.

Nombres 31, 17 Tuez donc tous les enfants mâles. Tuez aussi toutes les femmes qui ont connu un homme en partageant sa couche.

Nombres 31, 18 Ne laissez la vie qu'aux petites filles qui n'ont pas partagé la couche d'un homme, et qu'elles soient à vous.

Nombres 31, 19 Quant à vous, campez durant sept jours hors du camp, vous tous qui avez tué quelqu'un ou touché un cadavre. Purifiez-vous, vous et vos prisonniers, le troisième et le septième jour;

Nombres 31, 20 purifiez aussi tous les vêtements, tous les objets en peau, tous les tissus en poil de chèvre, tous les objets en bois."

Nombres 31, 21 Eléazar le prêtre dit aux combattants qui revenaient de cette campagne: "Voici un article de la Loi que Yahvé a prescrite à Moïse.

Nombres 31, 22 Toutefois l'or, l'argent, le bronze, le fer, l'étain, le plomb,

Nombres 31, 23 tout ce qui peut aller au feu, vous le ferez passer par le feu et cela sera pur; mais c'est par les eaux lustrales que cela sera purifié. Et tout ce qui ne peut aller au feu vous le ferez passer par l'eau."

Nombres 31, 24 Vous laverez vos vêtements le septième jour et vous serez purs. Vous pourrez ensuite rentrer au camp.

Nombres 31, 25 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 31, 26 "Avec Eléazar le prêtre et les chefs de famille de la communauté, fais le compte des prises et des captifs, gens et bêtes.

Nombres 31, 27 Puis tu partageras les prises, par moitié, entre les combattants qui ont fait la campagne et l'ensemble de la communauté.

Nombres 31, 28 Comme redevance pour Yahvé, tu prélèveras, sur la part des combattants qui ont fait la campagne, un sur 500 des gens, du gros bétail, des ânes et du petit bétail.

Nombres 31, 29 Tu prendras cela sur la moitié qui leur revient, et tu le donneras à Eléazar le prêtre, comme prélèvement pour Yahvé.

Nombres 31, 30 Sur la moitié qui revient aux Israélites tu prendras un sur 50 des gens, du gros bétail, des ânes et du petit bétail, de toutes les bêtes, et tu le donneras aux Lévites qui assument la charge de la Demeure de Yahvé."

Nombres 31, 31 Moïse et Eléazar le prêtre firent comme Yahvé l'avait commandé à Moïse.

Nombres 31, 32 Or les prises, le reste du butin que la troupe partie en campagne avait razzié, se montaient à mille têtes de petit bétail,

Nombres 31, 33 72.000 têtes de gros bétail,

Nombres 31, 34 61.000 ânes,

Nombres 31, 35 et, en fait de gens, de femmes n'ayant pas partagé la couche d'un homme, mille personnes en tout.

Nombres 31, 36 La moitié en fut assignée à ceux qui avaient fait campagne, soit 337.500 têtes de petit bétail,

Nombres 31, 37 dont 675 en redevance pour Yahvé,

Nombres 31, 38 36.000 têtes de gros bétail, dont 72 en redevance pour Yahvé,

Nombres 31, 39 30.500 ânes, dont 61 en redevance pour Yahvé,

Nombres 31, 40 et 16.000 personnes, dont 32 en redevance pour Yahvé.

Nombres 31, 41 Moïse donna à Eléazar le prêtre la redevance prélevée pour Yahvé, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Nombres 31, 42 Quant à la moitié qui revenait aux Israélites, et que Moïse avait séparée de celle des combattants,

Nombres 31, 43 cette moitié, part de la communauté, se montait à 337.500 têtes de petit bétail,

Nombres 31, 44 36.000 têtes de gros bétail,

Nombres 31, 45 30.500 ânes

Nombres 31, 46 et 16.000 personnes.

Nombres 31, 47 Sur cette moitié, part des Israélites, Moïse prit un sur 50 des gens et des bêtes et il les donna aux Lévites qui assumaient la charge de la Demeure de Yahvé, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Nombres 31, 48 Les commandants des milliers qui avaient fait la campagne, chefs de milliers et chefs de centaines, vinrent trouver Moïse

Nombres 31, 49 et lui dirent: "Tes serviteurs ont fait le compte des combattants dont ils disposaient: il n'en manque aucun.

Nombres 31, 50 Aussi apportons-nous chacun en offrande à Yahvé ce que nous avons trouvé en fait d'objets d'or, bracelets de bras et de poignet, bagues, boucles d'oreille, pectoraux, qui serviront pour nous d'expiation devant Yahvé."

Nombres 31, 51 Moïse et Eléazar le prêtre reçurent d'eux cet or, tous ces bijoux.

Nombres 31, 52 Ce prélèvement d'or qu'ils firent pour Yahvé donna un total de 16.750 sicles, fourni par les chefs de milliers et chefs de centaines.

Nombres 31, 53 Les combattants firent chacun leur butin.

Nombres 31, 54 Mais Moïse et Eléazar le prêtre reçurent l'or des chefs de milliers et de centaines, et l'apportèrent à la Tente du Rendez-vous pour faire mémoire des Israélites devant Yahvé.

Nombres 32, 1 Les fils de Ruben et les fils de Gad avaient de grands troupeaux, très importants. Or ils virent que le pays de Yazèr et le pays de Galaad étaient une région propice à l'élevage.

Nombres 32, 2 Les fils de Gad et les fils de Ruben vinrent donc trouver Moïse, Eléazar le prêtre et les princes de la communauté, et leur dirent:

Nombres 32, 3 "Atarot, Dibôn, Yazèr, Nimra, Heshbôn, Eléalé, Sebam, Nebo et Meôn,

Nombres 32, 4 ce pays que Yahvé a conquis devant la communauté d'Israël, ce pays est propice à l'élevage, et tes serviteurs élèvent du bétail."

Nombres 32, 5 Ils dirent: "Si nous avons trouvé grâce à tes yeux, que ce pays soit donné en propriété à tes serviteurs; ne nous fais pas passer le Jourdain."

Nombres 32, 6 Moïse répondit aux fils de Gad et aux fils de Ruben: "Vos frères iraient au combat et vous resteriez ici?

Nombres 32, 7 Pourquoi découragez-vous les Israélites de passer dans le pays que Yahvé leur a donné?

Nombres 32, 8 Ainsi firent vos pères quand je les envoyai de Cadès-Barné voir le pays.

Nombres 32, 9 Ils montèrent jusqu'au val d'Eshkol, ils virent le pays, puis ils découragèrent les Israélites, de sorte qu'ils n'allèrent pas au pays que Yahvé leur avait donné.

Nombres 32, 10 Aussi la colère de Yahvé s'enflamma-t-elle ce jour-là, et il fit ce serment:

Nombres 32, 11 Si jamais ces hommes, qui sont sortis d'Egypte et qui ont l'âge de vingt ans au moins, voient le pays que j'ai promis par serment à Abraham, à Isaac et à Jacob..., car ils ne m'ont pas suivi sans défaillance,

Nombres 32, 12 sauf Caleb, fils de Yephunné le Qenizzite, et Josué, fils de Nûn: eux certes ont suivi Yahvé sans défaillance!

Nombres 32, 13 La colère de Yahvé s'enflamma contre Israël et il les fit errer 40 ans dans le désert, jusqu'à ce que disparût tout entière cette génération qui avait fait ce qui déplaît à Yahvé.

Nombres 32, 14 Et voici que vous vous levez à la place de vos pères comme le surgeon d'une souche de pécheurs, pour attiser encore l'ardeur de la colère de Yahvé contre Israël!

Nombres 32, 15 Si vous vous détournez de lui, il fera durer encore le séjour au désert, et vous aurez causé la perte de tout ce peuple."

Nombres 32, 16 Ils s'approchèrent de Moïse et lui dirent: "Nous voudrions construire ici des parcs à moutons pour nos troupeaux et des villes pour nos petits enfants.

Nombres 32, 17 Mais nous-mêmes, nous prendrons les armes à la tête des Israélites, jusqu'à ce que nous ayons pu les conduire au lieu qui leur est destiné; ce sont nos petits enfants qui resteront dans les villes fortes, à l'abri des habitants du pays.

Nombres 32, 18 Nous ne rentrerons pas chez nous avant que chacun des Israélites n'ait pris possession de son héritage.

Nombres 32, 19 Car nous ne posséderons pas d'héritage avec eux sur l'autre rive du Jourdain ni plus loin, puisque notre héritage nous sera échu au-delà du Jourdain, à l'orient."

Nombres 32, 20 Moïse leur dit: "Si vous mettez ces paroles en pratique, si vous êtes prêts au combat devant Yahvé

Nombres 32, 21 et si tous ceux d'entre vous qui portent les armes passent le Jourdain devant Yahvé, jusqu'à ce qu'il ait chassé devant lui tous ses ennemis,

Nombres 32, 22 alors, quand le pays aura été soumis à Yahvé, vous pourrez vous en retourner; vous serez quittes envers Yahvé et envers Israël, et ce pays-ci sera votre propriété devant Yahvé.

Nombres 32, 23 Mais si vous n'agissez pas ainsi, vous pécherez contre Yahvé, et sachez que votre péché vous trouvera.

Nombres 32, 24 Construisez donc des villes pour vos enfants et des parcs pour votre petit bétail; mais ce que vous avez promis, faites-le."

Nombres 32, 25 Les fils de Gad et les fils de Ruben dirent à Moïse: "Tes serviteurs feront ce que Monseigneur a prescrit.

Nombres 32, 26 Nos enfants, nos femmes, nos troupeaux, et tout notre bétail sont là, dans les villes de Galaad,

Nombres 32, 27 mais tes serviteurs, tous ceux qui sont armés pour la campagne, passeront, devant Yahvé, pour combattre comme l'a dit Monseigneur."

Nombres 32, 28 Alors Moïse donna des ordres à leur sujet à Eléazar le prêtre, à Josué, fils de Nûn, et aux chefs de familles des tribus d'Israël.

Nombres 32, 29 Moïse leur dit: "Si les fils de Gad et les fils de Ruben, tous ceux qui portent les armes, passent avec vous le Jourdain pour combattre devant Yahvé, quand le pays vous aura été soumis vous leur donnerez en propriété le pays de Galaad.

Nombres 32, 30 Mais s'ils ne passent pas en armes avec vous, c'est au pays de Canaan qu'ils recevront au milieu de vous leur propriété."

Nombres 32, 31 Les fils de Gad et les fils de Ruben répondirent: "Ce que Yahvé a dit à tes serviteurs, nous le ferons.

Nombres 32, 32 Nous, nous passerons en armes devant Yahvé en terre de Canaan; toi, mets-nous en possession de notre héritage au-delà du Jourdain."

Nombres 32, 33 Moïse leur donna -- aux fils de Gad, aux fils de Ruben et à la demi-tribu de Manassé, fils de Joseph -- le royaume de Sihôn, roi des Amorites, le royaume d'Og, roi du Bashân, le pays avec les villes comprises dans son territoire, les villes-frontières du pays.

Nombres 32, 34 Les fils de Gad construisirent Dibôn, Atarot et Aroër,

Nombres 32, 35 Atrot-Shophân, Yazèr, Yogboha,

Nombres 32, 36 Bet-Nimra, Bet-Harân, villes fortes, et des parcs pour le petit bétail.

Nombres 32, 37 Les fils de Ruben construisirent Heshbôn, Eléalé, Qiryatayim,

Nombres 32, 38 Nebo, Baal-Meôn (dont les noms furent changés), Sibma. Ils donnèrent des noms aux villes qu'ils avaient construites.

Nombres 32, 39 Les fils de Makir, fils de Manassé, partirent en Galaad. Ils le conquirent et chassèrent les Amorites qui s'y trouvaient.

Nombres 32, 40 Moïse donna Galaad à Makir, fils de Manassé, qui s'y établit.

Nombres 32, 41 Yaïr, fils de Manassé, alla s'emparer de leurs douars et les appela Douars de Yaïr.

Nombres 32, 42 Nobah alla s'emparer de Qenat et des villes de son ressort, et l'appela de son propre nom, Nobah.

Nombres 33, 1 Voici les étapes que parcoururent les Israélites lorsqu'ils furent sortis du pays d'Egypte selon leurs unités, sous la conduite de Moïse et d'Aaron.

Nombres 33, 2 Moïse consignait par écrit leurs points de départ quand ils partaient sur l'ordre de Yahvé. Voici leurs étapes par point de départ.

Nombres 33, 3 Ils partirent de Ramsès le premier mois. C'est le quinzième jour du premier mois, lendemain de la Pâque, que les Israélites partirent la main haute, aux yeux de toute l'Egypte.

Nombres 33, 4 Les Egyptiens ensevelissaient ceux des leurs que Yahvé avait frappés, tous les premiers-nés; Yahvé avait fait justice de leurs dieux.

Nombres 33, 5 Les Israélites partirent de Ramsès et campèrent à Sukkot.

Nombres 33, 6 Puis ils partirent de Sukkot et campèrent à Etam, qui est aux confins du désert.

Nombres 33, 7 Ils partirent d'Etam, ils revinrent sur Pi-Hahirot, qui est en face de Baal-Cephôn, et campèrent devant Migdol.

Nombres 33, 8 Ils partirent de Pi-Hahirot, ils gagnèrent le désert en passant à travers la mer, et après trois jours de marche dans le désert d'Etam ils campèrent à Mara.

Nombres 33, 9 Ils partirent de Mara et arrivèrent à Elim. A Elim il y a douze sources d'eau et 70 palmiers; ils campèrent là.

Nombres 33, 10 Ils partirent d'Elim et campèrent près de la mer des Roseaux.

Nombres 33, 11 Ils partirent de la mer des Roseaux et campèrent dans le désert de Sîn.

Nombres 33, 12 Ils partirent du désert de Sîn et campèrent à Dophka.

Nombres 33, 13 Ils partirent de Dophka et campèrent à Alush.

Nombres 33, 14 Ils partirent d'Alush et campèrent à Rephidim; le peuple n'y trouva point d'eau à boire.

Nombres 33, 15 Ils partirent de Rephidim et campèrent dans le désert du Sinaï.

Nombres 33, 16 Ils partirent du désert du Sinaï et campèrent à Qibrot-ha-Taava.

Nombres 33, 17 Ils partirent de Qibrot-ha-Taava et campèrent à Haçérot.

Nombres 33, 18 Ils partirent de Haçérot et campèrent à Ritma.

Nombres 33, 19 Ils partirent de Ritma et campèrent à Rimmôn-Pérèç.

Nombres 33, 20 Ils partirent de Rimmôn-Pérèç et campèrent à Libna.

Nombres 33, 21 Ils partirent de Libna et campèrent à Rissa.

Nombres 33, 22 Ils partirent de Rissa et campèrent à Qehélata.

Nombres 33, 23 Ils partirent de Qehélata et campèrent au mont Shéphèr.

Nombres 33, 24 Ils partirent du mont Shéphèr et campèrent à Harada.

Nombres 33, 25 Ils partirent de Harada et campèrent à Maqhélot.

Nombres 33, 26 Ils partirent de Maqhélot et campèrent à Tahat.

Nombres 33, 27 Ils partirent de Tahat et campèrent à Térah.

Nombres 33, 28 Ils partirent de Térah et campèrent à Mitqa.

Nombres 33, 29 Ils partirent de Mitqa et campèrent à Hashmona.

Nombres 33, 30 Ils partirent de Hashmona et campèrent à Mosérot.

Nombres 33, 31 Ils partirent de Mosérot et campèrent à Bené-Yaaqân.

Nombres 33, 32 Ils partirent de Bené-Yaaqân et campèrent à Hor-Gidgad.

Nombres 33, 33 Ils partirent de Hor-Gidgad et campèrent à Yotbata.

Nombres 33, 34 Ils partirent de Yotbata et campèrent à Abrona.

Nombres 33, 35 Ils partirent de Abrona et campèrent à Eçyôn-Gébèr.

Nombres 33, 36 Ils partirent de Eçyôn-Gébèr et campèrent dans le désert de Cîn; c'est Cadès.

Nombres 33, 37 Ils partirent de Cadès et campèrent à Hor-la-Montagne, aux confins du pays d'Edom.

Nombres 33, 38 Aaron, le prêtre, monta à Hor-la-Montagne sur l'ordre de Yahvé et c'est là qu'il mourut, dans la quarantième année de l'exode des Israélites hors du pays d'Egypte, au cinquième mois, le premier du mois.

Nombres 33, 39 Aaron avait 123 ans lorsqu'il mourut à Hor-la-Montagne.

Nombres 33, 40 Le roi d'Arad, un Cananéen qui habitait le Négeb au pays de Canaan, fut informé lors de l'arrivée des Israélites.

Nombres 33, 41 Ils partirent de Hor-la-Montagne et campèrent à Calmona.

Nombres 33, 42 Ils partirent de Calmona et campèrent à Punôn.

Nombres 33, 43 Ils partirent de Punôn et campèrent à Obot.

Nombres 33, 44 Ils partirent de Obot et campèrent sur le territoire de Moab à Iyyé-ha-Abarim.

Nombres 33, 45 Ils partirent de Iyyim et campèrent à Dibôn-Gad.

Nombres 33, 46 Ils partirent de Dibôn-Gad et campèrent à Almôn-Diblatayim.

Nombres 33, 47 Ils partirent de Almôn-Diblatayim et campèrent aux monts Abarim en face de Nebo.

Nombres 33, 48 Ils partirent des monts Abarim et campèrent aux Steppes de Moab, près du Jourdain vers Jéricho.

Nombres 33, 49 Ils campèrent près du Jourdain entre Bet-ha-Yeshimot et Abel-ha-Shittim, dans les Steppes de Moab.

Nombres 33, 50 Yahvé parla à Moïse, dans les Steppes de Moab, près du Jourdain vers Jéricho. Il dit:

Nombres 33, 51 "Parle aux Israélites; tu leur diras: Quand vous aurez passé le Jourdain vers le pays de Canaan,

Nombres 33, 52 vous chasserez devant vous tous les habitants du pays. Vous détruirez leurs images peintes, vous détruirez toutes leurs statues de métal fondu et vous saccagerez tous leurs hauts lieux.

Nombres 33, 53 Vous posséderez ce pays et vous y demeurerez, car je vous ai donné ce pays pour domaine.

Nombres 33, 54 Vous le partagerez au sort entre vos clans. A celui qui est nombreux vous ferez une plus grande part d'héritage, à celui qui est moins nombreux vous ferez une plus petite part d'héritage. Là où le sort tombera pour chacun, là sera son domaine. Vous ferez le partage dans vos tribus.

Nombres 33, 55 Mais si vous ne chassez pas devant vous les habitants du pays, ceux d'entre eux que vous aurez laissés deviendront des épines dans vos yeux et des chardons dans vos flancs, ils vous presseront dans le pays que vous habiterez

Nombres 33, 56 et je vous traiterai comme j'avais pensé les traiter."

Nombres 34, 1 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 34, 2 "Ordonne ceci aux Israélites, tu leur diras: Quand vous entrerez dans le pays (de Canaan), voici le pays qui deviendra votre héritage. C'est le pays de Canaan selon ses frontières.

Nombres 34, 3 La région méridionale de votre domaine s'étendra à partir du désert de Cîn, qui confine à Edom. Votre frontière méridionale commencera du côté de l'orient à l'extrémité de la mer Salée.

Nombres 34, 4 Puis elle obliquera au sud, vers la montée des Scorpions, passera par Cîn et aboutira au midi à Cadès-Barné. Puis elle ira vers Haçar-Addar et passera par Açmôn.

Nombres 34, 5 D'Açmôn, la frontière obliquera ensuite vers le Torrent d'Egypte et aboutira à la Mer.

Nombres 34, 6 Vous aurez pour frontière maritime la Grande Mer; cette limite vous servira de frontière à l'occident.

Nombres 34, 7 Et voici votre frontière septentrionale. Vous tracerez une ligne depuis la Grande Mer jusqu'à Hor-la-Montagne,

Nombres 34, 8 puis de Hor-la-Montagne vous tracerez une ligne jusqu'à l'Entrée de Hamat, et la frontière aboutira à Cedad.

Nombres 34, 9 Elle ira vers Ziphrôn et aboutira à Haçar-Enân. Elle sera votre frontière septentrionale.

Nombres 34, 10 Puis vous tracerez votre frontière orientale de Haçar-Enân à Shepham.

Nombres 34, 11 La frontière descendra de Shepham vers Harbel, à l'orient de Ayîn. Descendant encore elle touchera la rive orientale de la mer de Kinnérèt.

Nombres 34, 12 La frontière suivra alors le Jourdain pour aboutir à la mer Salée. Tel sera votre pays avec les frontières qui en font le tour."

Nombres 34, 13 Moïse ordonna alors ceci aux Israélites: "Voici le pays que vous vous partagerez par le sort, et que Yahvé a prescrit de donner aux neuf tribus et à la demi-tribu.

Nombres 34, 14 Car la tribu des fils de Ruben avec ses familles et la tribu des fils de Gad avec ses familles ont déjà reçu leur héritage; la demi-tribu de Manassé a aussi reçu son héritage.

Nombres 34, 15 Ces deux tribus et la demi-tribu ont reçu leur héritage au-delà du Jourdain de Jéricho, à l'orient, au levant."

Nombres 34, 16 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 34, 17 "Voici les noms des hommes qui vous partageront le pays: Eléazar le prêtre et Josué fils de Nûn,

Nombres 34, 18 et pour chaque tribu vous prendrez un prince pour le partage du pays.

Nombres 34, 19 Voici les noms de ces hommes: Pour la tribu de Juda, Caleb, fils de Yephunné;

Nombres 34, 20 pour la tribu des fils de Siméon, Shemuel, fils d'Ammihud;

Nombres 34, 21 pour la tribu de Benjamin, Elidad, fils de Kislôn;

Nombres 34, 22 pour la tribu des fils de Dan, le prince Buqqi, fils de Yogli;

Nombres 34, 23 pour les fils de Joseph, pour la tribu des fils de Manassé, le prince Hanniel, fils d'Ephod;

Nombres 34, 24 et pour la tribu des fils d'Ephraïm, le prince Qemuel, fils de Shiphtân;

Nombres 34, 25 pour la tribu de Zabulon, le prince Eliçaphân, fils de Parnak;

Nombres 34, 26 pour la tribu des fils d'Issachar, le prince Paltiel, fils d'Azzân;

Nombres 34, 27 pour la tribu des fils d'Asher, le prince Ahiud, fils de Shelomi;

Nombres 34, 28 pour la tribu des fils de Nephtali, le prince Pedahel, fils d'Ammihud."

Nombres 34, 29 Tels sont ceux à qui Yahvé ordonna d'assigner aux Israélites leur part d'héritage en terre de Canaan.

Nombres 35, 1 Yahvé parla à Moïse, dans les Steppes de Moab, près du Jourdain vers Jéricho. Il dit:

Nombres 35, 2 "Ordonne aux Israélites de donner aux Lévites, sur l'héritage qu'ils possèdent, des villes pour qu'ils y demeurent et des pâturages autour de villes. Vous les donnerez aux Lévites.

Nombres 35, 3 Les villes seront leur demeure et les pâturages attenants seront pour leur bétail, leurs biens et toutes leurs bêtes.

Nombres 35, 4 Les pâturages attenant aux villes que vous donnerez aux Lévites s'étendront, à partir de la muraille de la ville, sur mille coudées alentour.

Nombres 35, 5 Vous mesurerez, hors de la ville, 2.000 coudées pour le côté oriental, 2.000 coudées pour le côté méridional, 2.000 coudées pour le côté occidental, 2.000 coudées pour le côté septentrional, la ville étant au centre, ce seront les pâturages de ces villes.

Nombres 35, 6 Les villes que vous donnerez aux Lévites seront les six villes de refuge, cédées par vous pour que le meurtrier puisse s'y enfuir; mais vous donnerez en plus 42 villes.

Nombres 35, 7 Vous donnerez en tout aux Lévites 48 villes, les villes avec leurs pâturages.

Nombres 35, 8 Ces villes que vous donnerez sur la possession des Israélites, vous les prendrez en plus grand nombre à celui qui a beaucoup, en plus petit nombre à celui qui a peu. Chacun donnera de ses villes aux Lévites en proportion de l'héritage qu'il aura reçu."

Nombres 35, 9 Yahvé parla à Moïse et dit:

Nombres 35, 10 "Parle ainsi aux Israélites. Quand vous aurez passé le Jourdain pour gagner la terre de Canaan,

Nombres 35, 11 vous trouverez des villes dont vous ferez des villes de refuge, où puisse s'enfuir le meurtrier qui a frappé quelqu'un par inadvertance.

Nombres 35, 12 Ces villes vous serviront de refuge contre le vengeur du sang, et le meurtrier ne devra pas mourir avant d'avoir comparu en jugement devant la communauté.

Nombres 35, 13 Les villes que vous donnerez seront pour vous six villes de refuge:

Nombres 35, 14 les trois que vous donnerez au-delà du Jourdain et les trois que vous donnerez dans le pays de Canaan seront des villes de refuge.

Nombres 35, 15 Pour les Israélites comme pour l'étranger et pour l'hôte qui vivent chez vous, ces six villes serviront de refuge, où puisse s'enfuir quiconque a frappé quelqu'un involontairement.

Nombres 35, 16 Mais s'il l'a frappé avec un objet de fer et qu'il ait ainsi causé sa mort, c'est un meurtrier. Le meurtrier sera mis à mort.

Nombres 35, 17 S'il l'a frappé avec une pierre propre à tuer et s'il l'a tué, c'est un meurtrier. Le meurtrier sera mis à mort.

Nombres 35, 18 Ou bien s'il l'a frappé avec un outil de bois propre à tuer et s'il l'a tué, c'est un meurtrier. Le meurtrier sera mis à mort.

Nombres 35, 19 C'est le vengeur du sang qui mettra à mort le meurtrier. Quand il le rencontrera, il le mettra à mort.

Nombres 35, 20 Si le meurtrier a bousculé la victime par haine, ou si pour l'atteindre il lui a lancé un projectile mortel,

Nombres 35, 21 ou si par inimitié il lui a porté des coups de poing mortels, celui qui a frappé doit mourir; c'est un meurtrier que le vengeur du sang mettra à mort quand il le rencontrera.

Nombres 35, 22 Mais s'il a bousculé la victime fortuitement, sans inimitié, ou s'il a lancé sur elle quelque projectile, sans chercher à l'atteindre,

Nombres 35, 23 ou si sans la voir il a fait tomber sur elle une pierre propre à tuer et a ainsi causé sa mort, alors qu'il n'avait contre elle aucune haine et ne lui voulait aucun mal,

Nombres 35, 24 la communauté jugera, selon ces règles, entre celui qui a frappé et le vengeur du sang,

Nombres 35, 25 et sauvera le meurtrier de la main du vengeur du sang. Elle le fera retourner dans la ville de refuge où il s'était enfui, et il y demeurera jusqu'à la mort du grand prêtre qui a été oint de l'huile sainte.

Nombres 35, 26 Si le meurtrier vient à sortir du territoire de la ville de refuge où il s'est enfui,

Nombres 35, 27 et que le vengeur du sang le rencontre hors du territoire de sa ville de refuge, le vengeur du sang pourra le tuer sans crainte de représailles:

Nombres 35, 28 car le meurtrier doit rester dans sa ville de refuge jusqu'à la mort du grand prêtre; c'est après la mort du grand prêtre qu'il pourra retourner au pays où il a son domaine.

Nombres 35, 29 Ce sera règle de droit pour vous et pour vos générations, partout où vous habiterez.

Nombres 35, 30 En toute affaire d'homicide, c'est sur la déposition de témoins que le meurtrier sera mis à mort; mais un témoin unique ne pourra porter une accusation capitale.

Nombres 35, 31 Vous n'accepterez pas de rançon pour la vie d'un meurtrier passible de mort; car il doit mourir.

Nombres 35, 32 Vous n'accepterez pas de rançon de quelqu'un qui, s'étant enfui dans sa ville de refuge, veut revenir habiter son pays avant la mort du grand prêtre.

Nombres 35, 33 Vous ne profanerez pas le pays où vous êtes. C'est le sang qui profane le pays et il n'y a pour le pays d'autre expiation du sang versé que par le sang de celui qui l'a versé.

Nombres 35, 34 Tu ne rendras pas impur le pays où vous habitez et au milieu duquel j'habite. Car moi, Yahvé, j'habite au milieu des Israélites."

Nombres 36, 1 Les chefs de famille du clan des fils de Galaad, fils de Makir, fils de Manassé, l'un des clans des fils de Joseph, se présentèrent. Ils prirent la parole en présence de Moïse et des princes, chefs de famille des Israélites,

Nombres 36, 2 et dirent: "Yahvé a ordonné à Monseigneur de donner le pays aux Israélites en le répartissant par le sort; et Monseigneur a reçu de Yahvé l'ordre de donner la part d'héritage de Celophehad, notre frère, à ses filles.

Nombres 36, 3 Or, si elles épousent un membre d'une autre tribu israélite, leur part sera retranchée de la part de nos pères. La part de la tribu à laquelle elles vont appartenir sera augmentée, et la part que le sort nous a donnée sera réduite.

Nombres 36, 4 Et quand viendra le jubilé pour les Israélites, la part de ces femmes sera ajoutée à la part de la tribu à laquelle elles vont appartenir, et elle sera retranchée de la part de notre tribu."

Nombres 36, 5 Moïse, sur l'ordre de Yahvé, donna cet ordre aux Israélites. Il dit: "La tribu des fils de Joseph a parlé juste.

Nombres 36, 6 Voici ce que Yahvé ordonne pour les filles de Celophehad: Elles épouseront qui bon leur semblera, pourvu qu'elles se marient dans un clan de la tribu de leur père.

Nombres 36, 7 La part des Israélites ne passera pas de tribu à tribu; les Israélites resteront attachés chacun à la part de sa tribu.

Nombres 36, 8 Toute fille qui possède une part dans l'une des tribus Israélites devra se marier dans un clan de sa tribu paternelle, de sorte que les Israélites conservent chacun la part de son père.

Nombres 36, 9 Une part ne pourra être transférée d'une tribu à l'autre: chacune des tribus des Israélites restera attachée à sa part."

Nombres 36, 10 Les filles de Celophehad firent comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Nombres 36, 11 Mahla, Tirça, Hogla, Milka et Noa, filles de Celophehad, épousèrent les fils de leurs oncles paternels.

Nombres 36, 12 Comme elles s'étaient mariées dans des clans des fils de Manassé, fils de Joseph, c'est à la tribu du clan de leur père que revint leur part.

Nombres 36, 13 Tels sont les commandements et les lois que Yahvé prescrivit aux Israélites, par l'intermédiaire de Moïse, dans les Steppes de Moab, près du Jourdain, vers Jéricho.

 

 

 

Deutéronome

 

 

Deutéronome 1, 1 Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël au-delà du Jourdain, dans le désert, dans la Araba, en face de Suph, entre Parân et Tophel, Labân, Haçérot et Di-Zahab. --

Deutéronome 1, 2 Il y a onze jours de marche depuis l'Horeb, par le chemin de la montagne de Séïr, jusqu'à Cadès-Barné. --

Deutéronome 1, 3 Ce fut la quarantième année, le premier jour du onzième mois, que Moïse parla aux Israélites selon tout ce que Yahvé lui avait ordonné à leur sujet.

Deutéronome 1, 4 Il avait battu Sihôn, roi des Amorites qui résidait à Heshbôn, et Og, roi du Bashân qui résidait à Ashtarot et à Edréï.

Deutéronome 1, 5 C'est au-delà du Jourdain, au pays de Moab, que Moïse se décida à graver cette Loi. Il dit:

Deutéronome 1, 6 Yahvé notre Dieu nous a parlé à l'Horeb: "Vous avez assez séjourné dans cette montagne.

Deutéronome 1, 7 Allez-vous-en, partez, et allez à la montagne des Amorites, chez tous ceux qui habitent la Araba, la Montagne, le Bas-Pays, le Négeb et le bord de la mer, allez en terre de Canaan et au Liban jusqu'au grand fleuve, l'Euphrate.

Deutéronome 1, 8 Voici le pays que je vous ai donné; allez donc prendre possession du pays que Yahvé a promis par serment à vos pères, Abraham, Isaac et Jacob, et à leur postérité après eux."

Deutéronome 1, 9 Je vous ai dit alors: "Je ne puis à moi seul me charger de vous.

Deutéronome 1, 10 Yahvé votre Dieu vous a multipliés et vous voici nombreux comme les étoiles du ciel.

Deutéronome 1, 11 Yahvé le Dieu de vos pères vous multipliera mille fois autant et vous bénira comme il vous l'a dit!

Deutéronome 1, 12 Comment donc porterais-je seul vos aigreurs, accusations et contestations?

Deutéronome 1, 13 Prenez donc des hommes sages, perspicaces et d'expérience dans chacune de vos tribus, que j'en fasse vos chefs."

Deutéronome 1, 14 Vous m'avez répondu: "Ce que tu proposes est bon."

Deutéronome 1, 15 Je pris donc vos chefs de tribus, hommes sages et d'expérience, et je vous les donnai pour chefs: chefs de milliers, de centaines, de cinquantaines et de dizaines, et scribes pour vos tribus.

Deutéronome 1, 16 En ce même temps je prescrivis à vos juges: "Vous entendrez vos frères et vous rendrez la justice entre un homme et son frère ou un étranger en résidence près de lui.

Deutéronome 1, 17 Vous ne ferez pas acception de personne en jugeant, mais vous écouterez le petit comme le grand. Vous ne craindrez pas l'homme, car la sentence est à Dieu. Si un cas est trop difficile pour vous, vous me l'enverrez pour que je l'entende."

Deutéronome 1, 18 Je vous prescrivis alors tout ce que vous aviez à faire.

Deutéronome 1, 19 Nous partîmes de l'Horeb et entrâmes en ce désert grand et redoutable que vous avez vu sur le chemin de la montagne des Amorites, comme Yahvé notre Dieu nous l'avait ordonné, et nous arrivâmes à Cadès-Barné.

Deutéronome 1, 20 Je vous dis alors: "Vous voici arrivés à cette montagne des Amorites que Yahvé notre Dieu nous a donnée.

Deutéronome 1, 21 Vois: Yahvé ton Dieu t'a donné ce pays. Monte en prendre possession comme te l'a dit Yahvé le Dieu de tes pères; ne crains pas et ne sois pas effrayé."

Deutéronome 1, 22 Vous vîntes tous me trouver pour me dire: "Envoyons devant nous des gens pour explorer le pays; ils nous feront rapport sur la route à suivre et sur les villes où nous pourrons aller"

Deutéronome 1, 23 L'avis me parut bon et je pris parmi vous douze hommes, un par tribu.

Deutéronome 1, 24 Ils prirent la direction de la montagne, y montèrent et atteignirent le val d'Eshkol qu'ils espionnèrent.

Deutéronome 1, 25 Ils prirent avec eux des produits du pays, nous les apportèrent et nous dirent: "C'est un heureux pays que Yahvé notre Dieu nous a donné."

Deutéronome 1, 26 Mais vous avez refusé d'y monter et vous avez été rebelles à la voix de Yahvé votre Dieu,

Deutéronome 1, 27 et vous avez déblatéré dans vos tentes en disant: "C'est en haine de nous que Yahvé nous a fait sortir du pays d'Egypte, pour nous livrer au pouvoir des Amorites et pour nous détruire.

Deutéronome 1, 28 Où nous fait-on monter? Nos frères nous ont découragés en disant: C'est un peuple plus grand et de plus haute stature que nous, les villes sont grandes et leurs remparts montent jusqu'au ciel. Et même nous y avons vu des Anaqim"

Deutéronome 1, 29 Je vous dis: "Ne tremblez pas, n'ayez pas peur d'eux.

Deutéronome 1, 30 Yahvé votre Dieu qui marche à votre tête combattra pour vous, tout comme vous l'avez vu faire en Egypte.

Deutéronome 1, 31 Tu l'as vu aussi au désert: Yahvé ton Dieu te soutenait comme un homme soutient son fils, tout au long de la route que vous avez suivie jusqu'ici."

Deutéronome 1, 32 Mais en cette circonstance aucun d'entre vous ne crut en Yahvé votre Dieu,

Deutéronome 1, 33 lui qui vous précédait sur la route pour vous chercher un lieu de campement, dans le feu pendant la nuit pour éclairer votre route, et dans la nuée pendant le jour.

Deutéronome 1, 34 Yahvé entendit le son de vos paroles et dans sa colère il fit ce serment:

Deutéronome 1, 35 "Pas un seul de ces hommes, de cette génération perverse, ne verra cet heureux pays que j'ai juré de donner à vos pères,

Deutéronome 1, 36 excepté Caleb, fils de Yephunné: lui le verra et à lui comme à ses fils je donnerai la terre qu'il a foulée, car il a parfaitement obéi à Yahvé."

Deutéronome 1, 37 A cause de vous Yahvé s'irrita même contre moi et me dit: "Toi non plus, tu n'y entreras pas.

Deutéronome 1, 38 C'est ton serviteur Josué, fils de Nûn, qui y entrera. Affermis-le, car c'est lui qui devra mettre Israël en possession du pays.

Deutéronome 1, 39 Mais vos petits enfants dont vous avez prétendu qu'ils allaient être livrés en butin, vos fils qui ne savent pas encore discerner le bien et le mal, ce sont eux qui y entreront, c'est à eux que je le donnerai et ce sont eux qui le posséderont.

Deutéronome 1, 40 Quant à vous, faites demi-tour et repartez au désert, dans la direction de la mer de Suph."

Deutéronome 1, 41 Vous m'avez alors répondu: "Nous avons péché contre Yahvé notre Dieu. Nous allons monter et combattre, comme Yahvé notre Dieu nous l'a ordonné." Vous avez ceint chacun vos armes et vous vous êtes équipés pour gravir la montagne.

Deutéronome 1, 42 Mais Yahvé me dit: "Dis-leur: Ne montez pas et ne combattez pas, car je ne suis pas au milieu de vous; ne vous faites pas battre par vos ennemis."

Deutéronome 1, 43 J'eus beau vous parler, vous ne m'avez pas écouté et vous vous êtes rebellés contre la voix de Yahvé, vous êtes montés présomptueusement à la montagne.

Deutéronome 1, 44 Les Amorites habitant cette montagne sont sortis à votre rencontre, vous ont poursuivis comme l'auraient fait des abeilles et vous ont battus en Séïr jusqu'à Horma.

Deutéronome 1, 45 A votre retour vous avez pleuré devant Yahvé; il n'écouta pas votre voix et ne fit pas attention à vous.

Deutéronome 1, 46 C'est pourquoi vous avez dû demeurer à Cadès aussi longtemps que vous y êtes demeurés.

Deutéronome 2, 1 Puis nous avons fait demi-tour et nous sommes partis au désert, en direction de la mer de Suph, comme Yahvé me l'avait ordonné. Pendant de longs jours nous avons tourné autour de la montagne de Séïr.

Deutéronome 2, 2 Yahvé me dit alors:

Deutéronome 2, 3 "Vous avez assez tourné autour de la montagne: prenez la direction du nord.

Deutéronome 2, 4 Et donne cet ordre au peuple: Vous allez passer par le territoire de vos frères, les fils d'Esaü, qui habitent Séïr. Ils vous craignent et vous serez bien gardés.

Deutéronome 2, 5 N'allez pas les provoquer, car je ne vous donnerai rien de leur pays, pas même la longueur d'un pied: c'est à Esaü que j'ai donné la montagne de Séïr pour domaine.

Deutéronome 2, 6 La nourriture que vous mangerez, achetez-la-leur à prix d'argent; achetez-leur à prix d'argent l'eau que vous boirez.

Deutéronome 2, 7 Car Yahvé ton Dieu t'a béni en toutes tes actions; il a veillé sur ta marche à travers ce grand désert. Voici 40 ans que Yahvé ton Dieu est avec toi sans que tu manques de rien."

Deutéronome 2, 8 Nous avons donc passé au-delà de nos frères, les fils d'Esaü qui habitent en Séïr, par la route de la Araba, d'Elat et d'Eçyôn-Gébèr; puis, changeant de direction, nous prîmes la route du désert de Moab.

Deutéronome 2, 9 Yahvé me dit alors: "N'attaque pas Moab, ne le provoque pas au combat; car je ne te donnerai rien de son territoire: c'est aux fils de Lot que j'ai donné Ar pour domaine.

Deutéronome 2, 10 (Auparavant y demeuraient les Emim, nation grande, nombreuse et de haute stature comme les Anaqim.

Deutéronome 2, 11 On les considérait comme des Rephaïm, tout comme les Anaqim, mais les Moabites les appellent Emim.

Deutéronome 2, 12 De même en Séïr demeuraient auparavant les Horites, que les fils d'Esaü dépossédèrent et exterminèrent pour s'établir à leur place, ainsi que l'a fait Israël pour sa terre, l'héritage reçu de Yahvé.)

Deutéronome 2, 13 Debout maintenant! et passez le torrent de Zéred." Nous passâmes donc le torrent de Zéred.

Deutéronome 2, 14 De Cadès-Barné au passage du torrent de Zéred notre errance avait duré 38 ans; ainsi avait été éliminée toute la génération des hommes en âge de porter les armes, comme Yahvé le leur avait juré.

Deutéronome 2, 15 La main de Yahvé avait été contre eux pour les éliminer entièrement du camp.

Deutéronome 2, 16 Lorsque la mort eut fait disparaître du milieu du peuple, jusqu'au dernier, les hommes en âge de porter les armes,

Deutéronome 2, 17 Yahvé m'adressa ces paroles:

Deutéronome 2, 18 "Tu es en train de traverser Ar, le pays de Moab,

Deutéronome 2, 19 et tu vas te trouver devant les fils d'Ammon. Ne les attaque pas, ne les provoque pas; car je ne te donnerai rien du pays des fils d'Ammon: c'est aux fils de Lot que je l'ai donné pour domaine.

Deutéronome 2, 20 (On le considérait aussi comme un pays de Rephaïm: des Rephaïm y habitaient auparavant, les Ammonites les appellent Zamzummim,

Deutéronome 2, 21 peuple grand, nombreux et de haute stature comme les Anaqim. Yahvé les extermina devant les Ammonites, qui les dépossédèrent et s'établirent à leur place,

Deutéronome 2, 22 comme il avait fait pour les fils d'Esaü, habitant en Séïr, en exterminant devant eux les Horites, qu'ils dépossédèrent pour s'établir à leur place jusqu'à ce jour.

Deutéronome 2, 23 Ainsi encore des Avvites, qui habitaient des camps jusqu'à Gaza: les Kaphtorim, venus de Kaphtor, les exterminèrent et s'établirent à leur place.)

Deutéronome 2, 24 Debout! levez le camp, et passez le torrent de l'Arnon. Vois, je livre en ton pouvoir Sihôn, roi de Heshbôn, l'Amorite, ainsi que son pays. Commence la conquête; provoque-le au combat.

Deutéronome 2, 25 A partir d'aujourd'hui, je répands la terreur et la crainte de toi parmi les peuples qui sont sous tous les cieux: quiconque entendra le bruit de ton approche sera saisi de trouble et frémira d'angoisse."

Deutéronome 2, 26 Du désert de Qedémot, j'envoyai des messagers porter à Sihôn, roi de Heshbôn, ces paroles de paix:

Deutéronome 2, 27 "J'ai l'intention de traverser ton pays; j'irai mon chemin sans m'écarter ni à droite ni à gauche.

Deutéronome 2, 28 Je mangerai la nourriture que tu m'auras vendue à prix d'argent, et je boirai l'eau que tu m'auras laissée à prix d'argent. Je veux seulement passer à pied,

Deutéronome 2, 29 comme me l'ont accordé les fils d'Esaü qui habitent en Séïr et les Moabites qui habitent en Ar, jusqu'à ce que je passe le Jourdain pour aller au pays que Yahvé notre Dieu nous donne."

Deutéronome 2, 30 Mais Sihôn, roi de Heshbôn, ne consentit pas à nous laisser passer chez lui; car Yahvé ton Dieu avait figé son esprit et endurci son coeur, afin de le livrer en ton pouvoir, comme il l'est encore aujourd'hui.

Deutéronome 2, 31 Yahvé me dit: "Vois! j'ai commencé à te livrer Sihôn et son pays; commence la conquête en t'emparant de son pays."

Deutéronome 2, 32 Sihôn marcha à notre rencontre avec tout son peuple, à Yahaç, pour nous combattre.

Deutéronome 2, 33 Yahvé notre Dieu nous le livra et nous le battîmes, lui, ses fils et tout son peuple.

Deutéronome 2, 34 Nous avons pris toutes ses villes, et nous avons dévoué par anathème toutes ces villes d'hommes mariés, les femmes et les enfants, sans rien laisser échapper,

Deutéronome 2, 35 sauf le bétail, qui fut notre butin, avec les dépouilles des villes prises.

Deutéronome 2, 36 Depuis Aroër qui est sur le bord de la vallée de l'Arnon, et la ville qui est dans la vallée, jusqu'à Galaad, il n'y eut pas pour nous de ville inaccessible; Yahvé notre Dieu nous les livra toutes.

Deutéronome 2, 37 Toutefois du pays des Ammonites tu n'approchas point, ni de la région du torrent du Yabboq ni des villes de la montagne, ni de tout ce qu'avait interdit Yahvé notre Dieu.3, 1 Nous prîmes alors le chemin du Bashân et nous y montâmes. Og, roi du Bashân, marcha à notre rencontre, lui et tout son peuple, pour nous combattre à Edréï.

Deutéronome 3, 2 Yahvé me dit: "Ne le crains pas, car je l'ai livré en ton pouvoir, lui, tout son peuple et son pays. Tu le traiteras comme tu as traité Sihôn, le roi amorite, qui habite à Heshbôn."

Deutéronome 3, 3 Yahvé notre Dieu livra aussi en notre pouvoir Og, roi du Bashân, et tout son peuple. Nous le battîmes si bien que pas un n'en réchappa.

Deutéronome 3, 4 Puis en ce temps nous nous emparâmes de toutes ses villes; il n'y eut cité que nous ne leur ayons prise: 60 villes, toute la confédération d'Argob, royaume d'Og en Bashân,

Deutéronome 3, 5 toutes places fortes fermées de hautes murailles, munies de portes et de barres; sans compter les villes des Perizzites, fort nombreuses.

Deutéronome 3, 6 Nous les dévouâmes par anathème, comme nous avions fait pour Sihôn, roi de Heshbôn, dévouant à l'anathème toutes ces villes d'hommes mariés, les femmes et les enfants;

Deutéronome 3, 7 mais tout le bétail et les dépouilles des villes furent notre butin.

Deutéronome 3, 8 Ainsi, en ce temps-là, avons-nous pris le pays au deux rois amorites d'au-delà du Jourdain, depuis le torrent de l'Arnon jusqu'au mont Hermon

Deutéronome 3, 9 (les Sidoniens appellent l'Hermon Siryôn, les Amorites le nomment Senir):

Deutéronome 3, 10 toutes les villes du Haut-Plateau, tout le Galaad et tout le Bashân jusqu'à Salka et Edréï, capitales d'Og en Bashân.

Deutéronome 3, 11 (Or Og, roi du Bashân, était le dernier survivant des Rephaïm: son lit est le lit de fer qu'on voit à Rabba des Ammonites, long de neuf coudées et large de quatre, en coudées d'hommes.)

Deutéronome 3, 12 Nous avons alors pris possession de ce pays, à partir d'Aroër sur le torrent de l'Arnon. Je donnai aux Rubénites et aux Gadites la moitié de la montagne de Galaad, avec ses villes.

Deutéronome 3, 13 A la demi-tribu de Manassé, je donnai le reste de Galaad et tout le Bashân, royaume d'Og. (Toute la confédération d'Argob, tout le Bashân, c'est ce qu'on appelle le pays des Rephaïm.

Deutéronome 3, 14 Yaïr, fils de Manassé, s'était emparé de toute la confédération d'Argob jusqu'aux frontières des Geshurites et des Maakatites, qu'il appela -- ce Bashân -- de son nom "Douars de Yaïr" jusqu'à ce jour.)

Deutéronome 3, 15 A Makir, je donnai le Galaad.

Deutéronome 3, 16 Aux Rubénites et aux Gadites je donnai le Galaad jusqu'au torrent de l'Arnon, le milieu du torrent marquant la frontière, et jusqu'au Yabboq, le torrent marquant la frontière des Ammonites.

Deutéronome 3, 17 La Araba et le Jourdain servaient de frontière, depuis Kinnérèt jusqu'à la mer de la Araba (la mer Salée), au pied des pentes du Pisga à l'orient.

Deutéronome 3, 18 Je vous donnai alors cet ordre: "Yahvé votre Dieu vous a donné ce pays pour domaine. Armés, vous passerez devant vos frères, les Israélites, tous hommes de guerre;

Deutéronome 3, 19 seuls vos femmes, vos enfants et vos troupeaux (car je sais vos troupeaux nombreux) resteront dans les villes que je vous ai données,

Deutéronome 3, 20 jusqu'à ce que Yahvé ait donné le repos à vos frères comme à vous-mêmes, et qu'ils possèdent eux aussi les pays que Yahvé votre Dieu leur donne au-delà du Jourdain; alors vous retournerez chacun dans les domaines que je vous ai donnés."

Deutéronome 3, 21 Je donnai alors cet ordre à Josué: "Tu vois de tes yeux tout ce que Yahvé notre Dieu a fait à ces deux rois; Yahvé traitera de même tous les royaumes où tu vas passer.

Deutéronome 3, 22 Vous ne les craindrez point: c'est Yahvé votre Dieu qui combat pour vous."

Deutéronome 3, 23 Je demandai alors une grâce à Yahvé:

Deutéronome 3, 24 "Mon Seigneur Yahvé, toi qui as commencé à faire voir à ton serviteur ta grandeur et ta puissante main, qui... Quel dieu dans les cieux et sur la terre agit comme tu agis et avec même puissance?

Deutéronome 3, 25 Ne pourrais-je passer là-bas, et voir cet heureux pays au-delà du Jourdain, cette heureuse montagne, et le Liban?"

Deutéronome 3, 26 Mais, à cause de vous, Yahvé s'irrita contre moi et ne m'exauça point. Il me dit: "Assez! Ne continue plus à me parler de cette affaire!

Deutéronome 3, 27 Monte au sommet du Pisga, porte tes regards à l'occident, au nord, au midi et à l'orient; regarde de tes yeux, car tu ne passeras pas le Jourdain que voici.

Deutéronome 3, 28 Donne tes ordres à Josué, fortifie-le, confirme-le, car c'est lui qui passera, à la tête de ce peuple; à lui de les mettre en possession du pays que tu vas voir."

Deutéronome 3, 29 Puis nous sommes restés dans la vallée, en face de Bet-Péor.

Deutéronome 4, 1 Et maintenant, Israël, écoute les lois et les coutumes que je vous enseigne aujourd'hui pour que vous les mettiez en pratique: afin que vous viviez, et que vous entriez, pour en prendre possession, dans le pays que vous donne Yahvé le Dieu de vos pères.

Deutéronome 4, 2 Vous n'ajouterez rien à ce que je vous ordonne et vous n'en retrancherez rien, mais vous garderez les commandements de Yahvé votre Dieu tels que je vous les prescris.

Deutéronome 4, 3 Vous voyez de vos yeux ce qu'a fait Yahvé à Baal-Péor: quiconque a suivi le Baal de Péor, Yahvé ton Dieu l'a exterminé du milieu de toi;

Deutéronome 4, 4 mais vous qui êtes restés attachés à Yahvé votre Dieu, vous êtes aujourd'hui tous vivants.

Deutéronome 4, 5 Vois! comme Yahvé mon Dieu me l'a ordonné, je vous ai enseigné des lois et des coutumes, pour que vous les mettiez en pratique dans le pays dont vous allez prendre possession.

Deutéronome 4, 6 Gardez-les et mettez-les en pratique, ainsi serez-vous sages et avisés aux yeux des peuples. Quand ceux-ci auront connaissance de toutes ces lois, ils s'écrieront: "Il n'y a qu'un peuple sage et avisé, c'est cette grande nation!"

Deutéronome 4, 7 Quelle est en effet la grande nation dont les dieux se fassent aussi proches que Yahvé notre Dieu l'est pour nous chaque fois que nous l'invoquons?

Deutéronome 4, 8 Et quelle est la grande nation dont les lois et coutumes soient aussi justes que toute cette Loi que je vous prescris aujourd'hui?

Deutéronome 4, 9 Mais prends garde! Garde bien ta vie, ne va pas oublier ces choses que tes yeux ont vues, ni les laisser, en aucun jour de ta vie, sortir de ton coeur; enseigne-les au contraire à tes fils et aux fils de tes fils.

Deutéronome 4, 10 Au jour où tu te tenais à L'Horeb en présence de Yahvé ton Dieu, Yahvé me dit: "Assemble-moi le peuple, que je leur fasse entendre mes paroles, afin qu'ils apprennent à me craindre tant qu'ils vivront sur la terre, et qu'ils l'enseignent à leurs fils."

Deutéronome 4, 11 Et vous vous êtes alors approchés, pour vous tenir auprès de la montagne; la montagne était embrasée jusqu'en plein ciel -- ciel obscurci de nuages ténébreux et retentissants!

Deutéronome 4, 12 Yahvé vous parla alors du milieu du feu; vous entendiez le son des paroles, mais vous n'aperceviez aucune forme, rien qu'une voix.

Deutéronome 4, 13 Il vous révéla son alliance, qu'il vous ordonna de mettre en pratique, les dix paroles qu'il inscrivit sur deux tables de pierre.

Deutéronome 4, 14 Quant à moi, Yahvé m'ordonna en ce même temps de vous enseigner les lois et les coutumes que vous auriez à mettre en pratique dans le pays où vous pénétrez pour en prendre possession.

Deutéronome 4, 15 Prenez bien garde à vous-mêmes: puisque vous n'avez vu aucune forme, le jour où Yahvé, à l'Horeb, vous a parlé du milieu du feu,

Deutéronome 4, 16 n'allez pas vous pervertir et vous faire une image sculptée représentant quoi que ce soit: figure d'homme ou de femme,

Deutéronome 4, 17 figure de quelqu'une des bêtes de la terre, figure de quelqu'un des oiseaux qui volent dans le ciel,

Deutéronome 4, 18 figure de quelqu'un des reptiles qui rampent sur le sol, figure de quelqu'un des poissons qui vivent dans les eaux au-dessous de la terre.

Deutéronome 4, 19 Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune, les étoiles et toute l'armée des cieux, ne va pas te laisser entraîner à te prosterner devant eux et à les servir. Yahvé ton Dieu les a donnés en partage à tous les peuples qui sont sous le ciel,

Deutéronome 4, 20 mais vous, Yahvé vous a pris et vous a fait sortir de cette fournaise pour le fer, l'Egypte, pour que vous deveniez le peuple de son héritage, comme vous l'êtes encore aujourd'hui.

Deutéronome 4, 21 A cause de vous, Yahvé s'est irrité contre moi; il a juré que je ne passerais pas le Jourdain et que je n'entrerais pas dans l'heureux pays qu'il te donne en héritage.

Deutéronome 4, 22 Oui, je vais mourir en ce pays-ci et je ne passerai pas ce Jourdain. Mais vous, vous allez le passer et prendre possession de cet heureux pays.

Deutéronome 4, 23 Gardez-vous d'oublier l'alliance que Yahvé votre Dieu a conclue avec vous et de vous fabriquer une image sculptée de quoi que ce soit, malgré la défense de Yahvé ton Dieu;

Deutéronome 4, 24 car Yahvé ton Dieu est un feu dévorant, un Dieu jaloux.

Deutéronome 4, 25 Lorsque tu auras engendré des enfants et des petits-enfants et que vous aurez vieilli dans le pays, quand vous vous serez pervertis, que vous aurez fabriqué quelque image sculptée, fait ce qui est mal aux yeux de Yahvé ton Dieu de manière à l'irriter,

Deutéronome 4, 26 je prends aujourd'hui à témoin contre vous les cieux et la terre: vous devrez promptement disparaître de ce pays dont vous allez prendre possession en passant le Jourdain. Vous n'y prolongerez pas vos jours, car vous serez bel et bien anéantis.

Deutéronome 4, 27 Yahvé vous dispersera parmi les peuples, et il ne restera de vous qu'un petit nombre, au milieu des nations où Yahvé vous aura conduits.

Deutéronome 4, 28 Vous y servirez des dieux faits de main d'homme, du bois et de la pierre incapables de voir et d'entendre, de manger et de sentir.

Deutéronome 4, 29 De là-bas, tu rechercheras Yahvé ton Dieu, et tu le trouveras si tu le cherches de tout ton coeur et de toute ton âme.

Deutéronome 4, 30 Dans ta détresse, toutes ces paroles t'atteindront, mais à la fin des temps tu reviendras à Yahvé ton Dieu et tu écouteras sa voix;

Deutéronome 4, 31 car Yahvé ton Dieu est un Dieu miséricordieux qui ne t'abandonnera ni ne te détruira, et qui n'oubliera pas l'alliance qu'il a conclue par serment avec tes pères.

Deutéronome 4, 32 Interroge donc les anciens âges, qui t'ont précédé depuis le jour où Dieu créa l'homme sur la terre: d'un bout du ciel à l'autre y eut-il jamais si auguste parole? En entendit-on de semblable?

Deutéronome 4, 33 Est-il un peuple qui ait entendu la voix du Dieu vivant parlant du milieu du feu, comme tu l'as entendue, et soit demeuré en vie?

Deutéronome 4, 34 Est-il un dieu qui soit venu se chercher une nation au milieu d'une autre, par des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par de grandes terreurs -- toutes choses que pour vous, sous tes yeux, Yahvé votre Dieu a faites en Egypte?

Deutéronome 4, 35 C'est à toi qu'il a donné de voir tout cela, pour que tu saches que Yahvé est le vrai Dieu et qu'il n'y en a pas d'autre.

Deutéronome 4, 36 Du ciel il t'a fait entendre sa voix pour t'instruire, et sur la terre il t'a fait voir son grand feu, et du milieu du feu tu as entendu ses paroles.

Deutéronome 4, 37 Parce qu'il a aimé tes pères et qu'après eux il a élu leur postérité, il t'a fait sortir d'Egypte en manifestant sa présence et sa grande force,

Deutéronome 4, 38 il a dépossédé devant toi des nations plus grandes et plus puissantes que toi, il t'a fait entrer dans leur pays et te l'a donné en héritage, comme il le reste encore aujourd'hui.

Deutéronome 4, 39 Sache-le donc aujourd'hui et médite-le dans ton coeur: c'est Yahvé qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre, lui et nul autre.

Deutéronome 4, 40 Garde ses lois et ses commandements que je te prescris aujourd'hui, afin d'avoir, toi et tes fils après toi, bonheur et longue vie sur la terre que Yahvé ton Dieu te donne pour toujours.

Deutéronome 4, 41 Moïse choisit alors trois villes au-delà du Jourdain, à l'orient,

Deutéronome 4, 42 où pourrait s'enfuir le meurtrier qui aurait tué son prochain involontairement, sans avoir eu contre lui de haine invétérée: il pourrait, s'enfuyant dans une de ces villes, sauver sa vie.

Deutéronome 4, 43 C'étaient, pour les Rubénites, Béçèr, dans le désert, sur le Haut-Plateau; pour les Gadites, Ramot en Galaad; pour les Manassites, Golân en Bashân.

Deutéronome 4, 44 Voici la Loi que Moïse présenta aux Israélites.

Deutéronome 4, 45 Voici les stipulations, les lois et les coutumes que Moïse donna aux Israélites à leur sortie d'Egypte,

Deutéronome 4, 46 au-delà du Jourdain, dans la vallée proche de Bet-Péor, au pays de Sihôn, roi amorite résidant à Heshbôn. Moïse et les Israélites l'avaient battu à leur sortie d'Egypte

Deutéronome 4, 47 et s'étaient emparés de son pays, ainsi que du pays d'Og, roi du Bashân, -- tous deux rois amorites au-delà du Jourdain à l'orient,

Deutéronome 4, 48 depuis Aroër qui est sur le bord de la vallée de l'Arnon jusqu'au mont Siôn (c'est l'Hermon) --

Deutéronome 4, 49 et de toute la Araba au-delà du Jourdain à l'orient, jusqu'à la mer de la Araba, au pied des pentes du Pisga.

Deutéronome 5, 1 Moïse convoqua tout Israël et leur dit: Ecoute, Israël, les lois et les coutumes que je prononce aujourd'hui à vos oreilles. Apprenez-les et gardez-les pour les mettre en pratique.

Deutéronome 5, 2 Yahvé notre Dieu a conclu avec nous une alliance à l'Horeb.

Deutéronome 5, 3 Ce n'est pas avec nos pères que Yahvé a conclu cette alliance mais avec nous, nous-mêmes qui sommes ici aujourd'hui tous vivants.

Deutéronome 5, 4 Sur la montagne, au milieu du feu, Yahvé vous a parlé face à face,

Deutéronome 5, 5 et moi je me tenais alors entre Yahvé et vous pour vous faire connaître la parole de Yahvé; car, craignant le feu, vous n'étiez pas montés sur la montagne. Il dit:

Deutéronome 5, 6 "Je suis Yahvé ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude.

Deutéronome 5, 7 "Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi.

Deutéronome 5, 8 "Tu ne te feras aucune image sculptée de rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux là-haut, ou sur la terre ici-bas, ou dans les eaux au-dessous de la terre.

Deutéronome 5, 9 Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux ni ne les serviras. Car moi, Yahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants, pour ceux qui me haïssent,

Deutéronome 5, 10 mais qui fais grâce à des milliers, pour ceux qui m'aiment et gardent mes commandements.

Deutéronome 5, 11 "Tu ne prononceras pas le nom de Yahvé ton Dieu à faux, car Yahvé ne laisse pas impuni celui qui prononce son nom à faux.

Deutéronome 5, 12 "Observe le jour du sabbat pour le sanctifier, comme te l'a commandé Yahvé, ton Dieu.

Deutéronome 5, 13 Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage,

Deutéronome 5, 14 mais le septième jour est un sabbat pour Yahvé ton Dieu. Tu n'y feras aucun ouvrage, toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton boeuf, ni ton âne ni aucune de tes bêtes, ni l'étranger qui est dans tes portes. Ainsi, comme toi-même, ton serviteur et ta servante pourront se reposer.

Deutéronome 5, 15 Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d'Egypte et que Yahvé ton Dieu t'en a fait sortir d'une main forte et d'un bras étendu; c'est pourquoi Yahvé ton Dieu t'a commandé de garder le jour du sabbat.

Deutéronome 5, 16 "Honore ton père et ta mère, comme te l'a commandé Yahvé ton Dieu, afin que se prolongent tes jours et que tu sois heureux sur la terre que Yahvé ton Dieu te donne.

Deutéronome 5, 17 "Tu ne tueras pas.

Deutéronome 5, 18 "Tu ne commettras pas l'adultère.

Deutéronome 5, 19 "Tu ne voleras pas.

Deutéronome 5, 20 "Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.

Deutéronome 5, 21 "Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, tu ne désireras ni sa maison, ni son champ, ni son serviteur ou sa servante, ni son boeuf ou son âne: rien de ce qui est à ton prochain."

Deutéronome 5, 22 Telles sont les paroles que vous adressa Yahvé quand vous étiez tous assemblés sur la montagne. Il vous parla du milieu du feu, dans la nuée et les ténèbres, d'une voix forte. Il n'y ajouta rien et les écrivit sur deux tables de pierre qu'il me donna.

Deutéronome 5, 23 Or, lorsque vous eûtes entendu cette voix sortir des ténèbres, tandis que la montagne était en feu, vous tous, chefs de tribus et anciens, vous vîntes à moi

Deutéronome 5, 24 et vous me dîtes: "Voici que Yahvé notre Dieu nous a montré sa gloire et sa grandeur, et que nous avons entendu sa voix du milieu du feu. Nous avons vu aujourd'hui que Dieu peut parler à l'homme, et l'homme rester en vie.

Deutéronome 5, 25 Et maintenant, pourquoi devrions-nous mourir? Car ce grand feu pourrait nous dévorer si nous continuons à écouter la voix de Yahvé notre Dieu, et nous pourrions mourir.

Deutéronome 5, 26 Est-il en effet un être de chair qui puisse rester en vie, après avoir entendu comme nous la voix du Dieu vivant parlant du milieu du feu?

Deutéronome 5, 27 Toi, approche pour entendre tout ce que dira Yahvé notre Dieu, puis tu nous répéteras ce que Yahvé notre Dieu t'aura dit; nous l'écouterons et le mettrons en pratique."

Deutéronome 5, 28 Yahvé entendit ce que vous disiez et il me dit: "J'ai entendu les paroles de ce peuple. Tout ce qu'ils t'ont dit est bien.

Deutéronome 5, 29 Ah! si leur coeur pouvait toujours être ainsi, pour me craindre et garder mes commandements en sorte qu'ils soient heureux à jamais, eux et leurs fils.

Deutéronome 5, 30 Va leur dire: Retournez à vos tentes.

Deutéronome 5, 31 Mais toi, tu te tiendras ici auprès de moi, je te dirai tous les commandements, les lois et les coutumes que tu leur enseigneras et qu'ils mettront en pratique dans le pays que je leur donne en possession."

Deutéronome 5, 32 Gardez et mettez en pratique! Ainsi vous l'a ordonné Yahvé votre Dieu. Ne vous écartez ni à droite ni à gauche.

Deutéronome 5, 33 Vous suivrez tout le chemin que Yahvé votre Dieu vous a tracé, alors vous vivrez, vous aurez bonheur et longue vie dans le pays dont vous allez prendre possession.

Deutéronome 6, 1 Tels sont les commandements, les lois et les coutumes que Yahvé votre Dieu a ordonné de vous enseigner, afin que vous les mettiez en pratique dans le pays dont vous allez prendre possession.

Deutéronome 6, 2 Ainsi, si tu crains Yahvé ton Dieu tous les jours de ta vie, si tu observes toutes ses lois et ses commandements que je t'ordonne aujourd'hui, tu auras longue vie, toi, ton fils et le fils de ton fils.

Deutéronome 6, 3 Puisses-tu écouter, Israël, garder et pratiquer ce qui te rendra heureux et te multipliera, ainsi que te l'a dit Yahvé, le Dieu de tes pères, en te donnant une terre qui ruisselle de lait et de miel!

Deutéronome 6, 4 Ecoute, Israël: Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé.

Deutéronome 6, 5 Tu aimeras Yahvé ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir.

Deutéronome 6, 6 Que ces paroles que je te dicte aujourd'hui restent dans ton coeur!

Deutéronome 6, 7 Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout;

Deutéronome 6, 8 tu les attacheras à ta main comme un signe, sur ton front comme un bandeau;

Deutéronome 6, 9 tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes.

Deutéronome 6, 10 Lorsque Yahvé ton Dieu t'aura conduit au pays qu'il a juré à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob, de te donner, aux villes grandes et prospères que tu n'as pas bâties,

Deutéronome 6, 11 aux maisons pleines de toutes sortes de biens, maisons que tu n'as pas remplies, aux puits que tu n'as pas creusés, aux vignes et aux oliviers que tu n'as pas plantés, lors donc que tu auras mangé et que tu te seras rassasié,

Deutéronome 6, 12 garde-toi d'oublier Yahvé qui t'a fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude.

Deutéronome 6, 13 C'est Yahvé ton Dieu que tu craindras, lui que tu serviras, c'est par son nom que tu jureras.

Deutéronome 6, 14 Ne suivez pas d'autres dieux, d'entre les dieux des nations qui vous entourent,

Deutéronome 6, 15 car c'est un Dieu jaloux que Yahvé ton Dieu qui est au milieu de toi. La colère de Yahvé ton Dieu s'enflammerait contre toi et il te ferait disparaître de la face de la terre.

Deutéronome 6, 16 Vous ne mettrez pas Yahvé votre Dieu à l'épreuve, comme vous l'avez mis à l'épreuve à Massa.

Deutéronome 6, 17 Vous garderez les commandements de Yahvé votre Dieu, ses instructions et ses lois qu'il t'a prescrites,

Deutéronome 6, 18 et tu feras ce qui est juste et bon aux yeux de Yahvé afin d'être heureux, et de prendre possession de l'heureux pays dont Yahvé a juré à tes pères

Deutéronome 6, 19 qu'il en chasserait tous tes ennemis devant toi; ainsi l'a dit Yahvé.

Deutéronome 6, 20 Lorsque demain ton fils te demandera: "Qu'est-ce donc que ces instructions, ces lois et ces coutumes que Yahvé notre Dieu vous a prescrites?"

Deutéronome 6, 21 Tu diras à ton fils: "Nous étions esclaves de Pharaon, en Egypte, et Yahvé nous a fait sortir d'Egypte par sa main puissante.

Deutéronome 6, 22 Yahvé a accompli sous nos yeux des signes et des prodiges grands et terribles contre l'Egypte, Pharaon et toute sa maison.

Deutéronome 6, 23 Mais nous, il nous a fait sortir de là pour nous conduire dans le pays qu'il avait promis par serment à nos pères, et pour nous le donner.

Deutéronome 6, 24 Et Yahvé nous a ordonné de mettre en pratique toutes ces lois, afin de craindre Yahvé notre Dieu, d'être toujours heureux et de vivre, comme il nous l'a accordé jusqu'à présent.

Deutéronome 6, 25 Telle sera notre justice: garder et mettre en pratique tous ces commandements devant Yahvé notre Dieu, comme il nous l'a ordonné."

Deutéronome 7, 1 Lorsque Yahvé ton Dieu t'aura fait entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, des nations nombreuses tomberont devant toi: les Hittites, les Girgashites, les Amorites, les Cananéens, les Perizzites, les Hivvites, et les Jébuséens, sept nations plus nombreuses et plus puissantes que toi.

Deutéronome 7, 2 Yahvé ton Dieu te les livrera et tu les battras. Tu les dévoueras par anathème. Tu ne concluras pas d'alliance avec elles, tu ne leur feras pas grâce.

Deutéronome 7, 3 Tu ne contracteras pas de mariage avec elles, tu ne donneras pas ta fille à leur fils, ni ne prendras leur fille pour ton fils.

Deutéronome 7, 4 Car ton fils serait détourné de me suivre; il servirait d'autres dieux; et la colère de Yahvé s'enflammerait contre vous et il t'exterminerait promptement.

Deutéronome 7, 5 Mais voici comment vous devrez agir à leur égard: vous démolirez leurs autels, vous briserez leurs stèles, vous couperez leurs pieux sacrés et vous brûlerez leurs idoles.

Deutéronome 7, 6 Car tu es un peuple consacré à Yahvé ton Dieu; c'est toi que Yahvé ton Dieu a choisi pour son peuple à lui, parmi toutes les nations qui sont sur la terre.

Deutéronome 7, 7 Si Yahvé s'est attaché à vous et vous a choisis, ce n'est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples: car vous êtes le moins nombreux d'entre tous les peuples.

Deutéronome 7, 8 Mais c'est par amour pour vous et pour garder le serment juré à vos pères, que Yahvé vous a fait sortir à main forte et t'a délivré de la maison de servitude, du pouvoir de Pharaon, roi d'Egypte.

Deutéronome 7, 9 Tu sauras donc que Yahvé ton Dieu est le vrai Dieu, le Dieu fidèle qui garde son alliance et son amour pour mille générations à ceux qui l'aiment et gardent ses commandements,

Deutéronome 7, 10 mais qui punit en leur propre personne ceux qui le haïssent. Il fait périr sans délai celui qui le hait, et c'est en sa propre personne qu'il le punit.

Deutéronome 7, 11 Tu garderas donc les commandements, lois et coutumes que je te prescris aujourd'hui de mettre en pratique.

Deutéronome 7, 12 Pour avoir écouté ces coutumes, les avoir gardées et mises en pratique, Yahvé ton Dieu te gardera l'alliance et l'amour qu'il a jurés à tes pères.

Deutéronome 7, 13 Il t'aimera, te bénira, te multipliera; il bénira le fruit de ton sein et le fruit de ton sol, ton blé, ton vin nouveau, ton huile, la portée de tes vaches et le croît de tes brebis, sur la terre qu'il a juré à tes pères de te donner.

Deutéronome 7, 14 Tu recevras plus de bénédictions que tous les peuples. Nul chez toi, homme ou femme, ne sera stérile, nul mâle ou femelle de ton bétail.

Deutéronome 7, 15 Yahvé détournera de toi toute maladie; il ne t'infligera pas ces méchants maux d'Egypte que tu as connus, mais il les enverra à tous ceux qui te haïssent.

Deutéronome 7, 16 Tu dévoreras donc tous ces peuples que Yahvé ton Dieu te livre, ton oeil sera sans pitié et tu ne serviras pas leurs dieux: car tu y serais pris au piège.

Deutéronome 7, 17 Peut-être vas-tu dire en ton coeur: "Ces nations sont plus nombreuses que moi, comment pourrais-je les déposséder?"

Deutéronome 7, 18 Ne les crains pas: rappelle-toi donc ce que Yahvé ton Dieu a fait à Pharaon et à toute l'Egypte,

Deutéronome 7, 19 les grandes épreuves que tes yeux ont vues, les signes et les prodiges, la main forte et le bras étendu par lesquels Yahvé ton Dieu t'a fait sortir. Ainsi fera Yahvé ton Dieu contre tous les peuples devant qui tu as peur.

Deutéronome 7, 20 De plus, Yahvé ton Dieu enverra des frelons pour anéantir ceux qui seraient restés et se seraient cachés devant toi.

Deutéronome 7, 21 Ne tremble donc pas devant eux, car au milieu de toi est Yahvé ton Dieu, Dieu grand et redoutable.

Deutéronome 7, 22 C'est peu à peu que Yahvé ton Dieu détruira ces nations devant toi; tu ne pourras les exterminer sur-le-champ, de peur que les bêtes sauvages ne se multiplient à ton détriment,

Deutéronome 7, 23 mais Yahvé ton Dieu te les livrera, et elles resteront en proie à de grands troubles jusqu'à ce qu'elles soient détruites.

Deutéronome 7, 24 Il livrera leurs rois en ton pouvoir et tu effaceras leur nom de dessous les cieux: nul ne tiendra devant toi, jusqu'à ce que tu les aies exterminés.

Deutéronome 7, 25 Vous brûlerez les images sculptées de leurs dieux, et tu n'iras pas convoiter l'or et l'argent qui les recouvrent. Si tu t'en emparais, tu serais pris au piège; car c'est là chose abominable à Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 7, 26 Tu n'introduiras pas dans ta maison une chose abominable, de peur de devenir anathème comme elle. Tu les tiendras pour immondes et abominables, car elles sont anathèmes.

Deutéronome 8, 1 Vous garderez tous les commandements que je vous ordonne aujourd'hui de mettre en pratique, afin que vous viviez, que vous multipliiez et que vous entriez dans le pays que Yahvé a promis par serment à vos pères et le possédiez.

Deutéronome 8, 2 Souviens-toi de tout le chemin que Yahvé ton Dieu t'a fait faire pendant 40 ans dans le désert, afin de t'humilier, de t'éprouver et de connaître le fond de ton coeur: allais-tu ou non garder ses commandements?

Deutéronome 8, 3 Il t'a humilié, il t'a fait sentir la faim, il t'a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères n'aviez connue, pour te montrer que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais que l'homme vit de tout ce qui sort de la bouche de Yahvé.

Deutéronome 8, 4 Le vêtement que tu portais ne s'est pas usé et ton pied n'a pas enflé, au cours de ces 40 ans!

Deutéronome 8, 5 Comprends donc que Yahvé ton Dieu te corrigeait comme un père corrige son enfant,

Deutéronome 8, 6 et garde les commandements de Yahvé ton Dieu pour marcher dans ses voies et pour le craindre.

Deutéronome 8, 7 Mais Yahvé ton Dieu te conduit vers un heureux pays, pays de cours d'eau, de sources qui sourdent de l'abîme dans les vallées comme dans les montagnes,

Deutéronome 8, 8 pays de froment et d'orge, de vigne, de figuiers et de grenadiers, pays d'oliviers, d'huile et de miel,

Deutéronome 8, 9 pays où le pain ne te sera pas mesuré et où tu ne manqueras de rien, pays où il y a des pierres de fer et d'où tu extrairas, dans la montagne, le bronze.

Deutéronome 8, 10 Tu mangeras, tu te rassasieras et tu béniras Yahvé ton Dieu en cet heureux pays qu'il t'a donné.

Deutéronome 8, 11 Garde-toi d'oublier Yahvé ton Dieu en négligeant ses commandements, ses coutumes et ses lois que je te prescris aujourd'hui.

Deutéronome 8, 12 Quand tu auras mangé et te seras rassasié, quand tu auras bâti de belles maisons et les habiteras,

Deutéronome 8, 13 quand tu auras vu multiplier ton gros et ton petit bétail, abonder ton argent et ton or, s'accroître tous tes biens,

Deutéronome 8, 14 que tout cela n'élève pas ton coeur! N'oublie pas alors Yahvé ton Dieu qui t'a fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude:

Deutéronome 8, 15 lui qui t'a fait passer à travers ce désert grand et redoutable, pays des serpents brûlants, des scorpions et de la soif; lui qui dans un lieu sans eau a fait pour toi jaillir l'eau de la roche la plus dure;

Deutéronome 8, 16 lui qui dans le désert t'a donné à manger la manne, inconnue de tes pères, afin de t'humilier et de t'éprouver pour que ton avenir soit heureux!

Deutéronome 8, 17 Garde-toi de dire en ton coeur: "C'est ma force, c'est la vigueur de ma main qui m'ont fait agir avec cette puissance."

Deutéronome 8, 18 Souviens-toi de Yahvé ton Dieu: c'est lui qui t'a donné cette force, pour agir avec puissance, gardant ainsi, comme aujourd'hui, l'alliance jurée à tes pères.

Deutéronome 8, 19 Certes, si tu oublies Yahvé ton Dieu, si tu suis d'autres dieux, si tu les sers et te prosternes devant eux, j'en témoigne aujourd'hui contre vous, vous périrez.

Deutéronome 8, 20 Comme les nations que Yahvé aura fait périr devant vous, ainsi vous-même périrez, pour n'avoir pas écouté la voix de Yahvé votre Dieu.

Deutéronome 9, 1 Ecoute, Israël. Te voilà aujourd'hui sur le point de passer le Jourdain, pour aller déposséder des nations plus grandes et plus puissantes que toi et prendre de grandes villes dont les fortifications montent jusqu'au ciel.

Deutéronome 9, 2 C'est un peuple grand et de haute stature que les Anaqim. Tu le connais, tu as entendu dire: "Qui peut tenir tête aux fils d'Anaq?"

Deutéronome 9, 3 Sache aujourd'hui que c'est Yahvé ton Dieu qui va passer devant toi, comme un feu dévorant qui les détruira, et c'est lui qui va te les soumettre; alors tu les déposséderas et tu les feras périr promptement, comme te l'a dit Yahvé.

Deutéronome 9, 4 Ne dis pas en ton coeur, lorsque Yahvé ton Dieu les chassera devant toi: "C'est à cause de ma juste conduite que Yahvé m'a fait entrer en possession de ce pays", alors que c'est en raison de leur perversité que Yahvé dépossède ces nations à ton profit.

Deutéronome 9, 5 Ce n'est pas en raison de ta juste conduite ni de la droiture de ton coeur que tu entres en possession de leur pays, mais c'est en raison de leur perversité que Yahvé ton Dieu dépossède ces nations à ton profit; et c'est aussi pour tenir la parole qu'il a jurée à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob.

Deutéronome 9, 6 Sache aujourd'hui que ce n'est pas ta juste conduite qui te vaut de recevoir de Yahvé ton Dieu cet heureux pays pour domaine: car tu es un peuple à la nuque raide.

Deutéronome 9, 7 Souviens-toi. N'oublie pas que tu as irrité Yahvé ton Dieu dans le désert. Depuis le jour de ta sortie du pays d'Egypte jusqu'à votre arrivée en ce lieu, vous avez été rebelles à Yahvé.

Deutéronome 9, 8 A l'Horeb vous avez irrité Yahvé, et Yahvé se mit en colère contre vous au point de vous détruire.

Deutéronome 9, 9 J'étais monté sur la montagne pour prendre les tables de pierre, les tables de l'alliance que Yahvé concluait avec vous. J'étais demeuré sur la montagne 40 jours et 40 nuits sans manger de pain ni boire d'eau.

Deutéronome 9, 10 Yahvé m'avait donné les deux tables de pierre écrites du doigt de Dieu, conformes en tout point aux paroles qu'il vous avait dites du milieu du feu, sur la montagne, au jour de l'Assemblée.

Deutéronome 9, 11 Au bout de 40 jours et 40 nuits, m'ayant donné les deux tables de pierre, tables de l'alliance,

Deutéronome 9, 12 Yahvé me dit: "Lève-toi d'ici, descends en toute hâte, car ton peuple s'est perverti, lui que tu as fait sortir d'Egypte. Ils n'ont pas tardé à s'écarter de la voie que je leur avais prescrite: ils se sont fait une idole de métal fondu."

Deutéronome 9, 13 Puis Yahvé me dit: "J'ai vu ce peuple: c'est un peuple à la nuque raide.

Deutéronome 9, 14 Laisse-moi, que je les détruise et que j'efface leur nom de dessous les cieux; et que je fasse de toi une nation plus puissante et plus nombreuse que lui!"

Deutéronome 9, 15 Je redescendis de la montagne, qui était tout embrasée; j'avais les deux tables de l'alliance dans mes deux mains.

Deutéronome 9, 16 Et je vis que vous veniez de pécher contre Yahvé votre Dieu. Vous vous étiez fait un veau de métal fondu: vous n'aviez pas tardé à vous écarter de la voie que Yahvé vous avait prescrite.

Deutéronome 9, 17 Je saisis les deux tables, des deux mains je les jetai et je les brisai sous vos yeux.

Deutéronome 9, 18 Puis je me jetai à terre devant Yahvé; comme la première fois je fus 40 jours et 40 nuits sans manger de pain ni boire d'eau, à cause de tous les péchés que vous aviez commis, en faisant ce qui est mal aux yeux de Yahvé au point de l'irriter.

Deutéronome 9, 19 Car j'avais peur de cette colère, de cette fureur qui transportait Yahvé contre vous au point de vous détruire. Et cette fois encore, Yahvé m'exauça.

Deutéronome 9, 20 Contre Aaron aussi, Yahvé était violemment en colère, au point de le faire périr. J'intercédai aussi en faveur d'Aaron.

Deutéronome 9, 21 Cette oeuvre de péché que vous aviez fabriquée, ce veau, je le pris, je le brûlai au feu, je le broyai, je le réduisis en fine poussière, et j'en jetai la poussière au torrent qui descend de la montagne.

Deutéronome 9, 22 Et à Tabeéra, et à Massa, et à Qibrot-ha-Taava, vous avez irrité Yahvé.

Deutéronome 9, 23 Et lorsque Yahvé voulut vous faire quitter Cadès-Barné en disant: "Montez prendre possession du pays que je vous ai donné", vous vous êtes rebellés contre l'ordre de Yahvé votre Dieu, vous n'avez pas cru en lui ni écouté sa voix.

Deutéronome 9, 24 Vous avez été rebelles à Yahvé depuis le jour où il vous a connus.

Deutéronome 9, 25 Je me jetai donc à terre devant Yahvé et je restai prosterné ces 40 jours et ces 40 nuits, car Yahvé avait parlé de vous détruire.

Deutéronome 9, 26 J'intercédai près de Yahvé et je lui dis: "Mon Seigneur Yahvé, ne détruis pas ton peuple et ton héritage, lui que tu as délivré par ta grandeur et que tu as fait sortir d'Egypte à main forte.

Deutéronome 9, 27 Souviens-toi de tes serviteurs, Abraham, Isaac et Jacob, et ne fais pas attention à l'indocilité de ce peuple, à sa perversité et à son péché,

Deutéronome 9, 28 de crainte que l'on ne dise au pays d'où tu nous as fait sortir: Yahvé n'a pas pu les conduire au pays dont il leur avait parlé, et c'est en haine d'eux qu'il les a fait sortir, pour les faire mourir dans le désert.

Deutéronome 9, 29 Mais ils sont ton peuple, ton héritage, ceux que tu as fait sortir par ta grande force et ton bras étendu."

Deutéronome 10, 1 Yahvé me dit alors: "Taille deux tables de pierre comme les premières, monte vers moi sur la montagne et fais-toi une arche de bois.

Deutéronome 10, 2 J'écrirai sur les tables les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as brisées, puis tu les déposeras dans l'arche."

Deutéronome 10, 3 Je fis une arche en bois d'acacia, je taillai les deux tables de pierre semblables aux premières, et je montai sur la montagne, les deux tables à la main.

Deutéronome 10, 4 Il écrivit sur les tables, comme la première fois, les dix Paroles que Yahvé vous avait dites sur la montagne, du milieu du feu, au jour de l'Assemblée. Puis Yahvé me les donna.

Deutéronome 10, 5 Je redescendis de la montagne, je mis les tables dans l'arche que j'avais faite et elles y restèrent, comme Yahvé me l'avait ordonné.

Deutéronome 10, 6 Les Israélites quittèrent les puits des Bené-Yaaqân pour Moséra, c'est là que mourut Aaron; il fut enterré là, et c'est Eléazar son fils qui lui succéda comme prêtre.

Deutéronome 10, 7 Ils partirent de là pour Gudgoda, et de Gudgoda pour Yotbata, terre riche en cours d'eau.

Deutéronome 10, 8 Yahvé mit alors à part la tribu de Lévi, pour porter l'arche de l'alliance de Yahvé, se tenir en présence de Yahvé, le servir et bénir en son nom jusqu'à ce jour.

Deutéronome 10, 9 Aussi n'y eut-il pas pour Lévi de part ni d'héritage avec ses frères: c'est Yahvé qui est son héritage comme Yahvé ton Dieu le lui a dit.

Deutéronome 10, 10 Pour moi, je me tins sur la montagne, comme la première fois, 40 jours et 40 nuits. Cette fois encore Yahvé m'exauça, et Yahvé renonça à te détruire.

Deutéronome 10, 11 Mais Yahvé me dit: "Debout! Pars et va-t-en à la tête de ce peuple, afin qu'ils aillent prendre possession du pays que j'ai juré à leurs pères de leur donner."

Deutéronome 10, 12 Et maintenant, Israël, que te demande Yahvé ton Dieu, sinon de craindre Yahvé ton Dieu, de suivre toutes ses voies, de l'aimer, de servir Yahvé ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme,

Deutéronome 10, 13 de garder les commandements de Yahvé et ses lois que je te prescris aujourd'hui pour ton bonheur?

Deutéronome 10, 14 C'est bien à Yahvé ton Dieu qu'appartiennent les cieux et les cieux des cieux, la terre et tout ce qui s'y trouve.

Deutéronome 10, 15 Yahvé pourtant ne s'est attaché qu'à tes pères, par amour pour eux, et après eux il a élu entre toutes les nations leur descendance, vous-mêmes, jusqu'aujourd'hui.

Deutéronome 10, 16 Circoncisez votre coeur et ne raidissez plus votre nuque,

Deutéronome 10, 17 car Yahvé votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, vaillant et redoutable, qui ne fait pas acception de personnes et ne reçoit pas de présents.

Deutéronome 10, 18 C'est lui qui fait droit à l'orphelin et à la veuve, et il aime l'étranger, auquel il donne pain et vêtement.

Deutéronome 10, 19 (Aimez l'étranger car au pays d'Egypte vous fûtes des étrangers.)

Deutéronome 10, 20 C'est Yahvé ton Dieu que tu craindras et serviras, t'attachant à lui et jurant par son nom.

Deutéronome 10, 21 C'est lui que tu dois louer et c'est lui ton Dieu: il a accompli pour toi ces choses grandes et redoutables que tes yeux ont vues;

Deutéronome 10, 22 et, alors que tes pères n'étaient que 70 quand ils sont descendus en Egypte, Yahvé ton Dieu t'a rendu aussi nombreux à présent que les étoiles des cieux.

Deutéronome 11, 1 Tu aimeras Yahvé ton Dieu et tu garderas toujours ses observances, ses lois, coutumes et commandements.

Deutéronome 11, 2 C'est vous qui avez fait l'expérience et non vos fils. Eux n'ont pas eu l'expérience et n'ont pas perçu les leçons de Yahvé votre Dieu, sa grandeur, sa main forte et son bras étendu,

Deutéronome 11, 3 les signes et les oeuvres qu'il a accomplis au coeur de l'Egypte, contre Pharaon, roi d'Egypte, et tout son pays,

Deutéronome 11, 4 ce qu'il a fait aux armées de l'Egypte, à ses chevaux et à ses chars, en ramenant sur eux les eaux de la mer des Roseaux lorsqu'ils vous poursuivaient et comme il les a anéantis jusqu'aujourd'hui;

Deutéronome 11, 5 ce qu'il a fait pour vous dans le désert jusqu'à ce que vous arriviez ici;

Deutéronome 11, 6 ce qu'il a fait à Datân et à Abiram, les fils d'Eliab le Rubénite, quand la terre ouvrit sa bouche et les engloutit au milieu de tout Israël, avec leurs familles, leurs tentes et tous les gens qui les suivaient.

Deutéronome 11, 7 Ce sont vos yeux à vous qui ont vu cette grande oeuvre de Yahvé.

Deutéronome 11, 8 Vous garderez tous les commandements que je vous prescris aujourd'hui, afin d'être forts pour conquérir le pays où vous allez passer pour en prendre possession,

Deutéronome 11, 9 afin de demeurer de longs jours sur la terre que Yahvé a promise par serment à vos pères et à leur descendance, terre qui ruisselle de lait et de miel.

Deutéronome 11, 10 Car le pays où tu entres pour en prendre possession n'est pas comme le pays d'Egypte d'où vous êtes sortis, où après avoir semé, il fallait arroser avec le pied, comme on arrose un jardin potager.

Deutéronome 11, 11 Mais le pays où vous allez passer pour en prendre possession est un pays de montagnes et de vallées arrosées de la pluie du ciel.

Deutéronome 11, 12 De ce pays Yahvé ton Dieu prend soin, sur lui les yeux de Yahvé ton Dieu restent toujours fixés, depuis le début de l'année jusqu'à sa fin.

Deutéronome 11, 13 Assurément, si vous obéissez vraiment à mes commandements que je vous prescris aujourd'hui, aimant Yahvé votre Dieu et le servant de tout votre coeur et de toute votre âme,

Deutéronome 11, 14 je donnerai à votre pays la pluie en son temps, pluie d'automne et pluie de printemps, et tu pourras récolter ton froment, ton vin nouveau et ton huile,

Deutéronome 11, 15 je donnerai à ton bétail de l'herbe dans la campagne, et tu mangeras et te rassasieras.

Deutéronome 11, 16 Gardez-vous de laisser séduire votre coeur: vous vous fourvoieriez, vous serviriez d'autres dieux et vous prosterneriez devant eux;

Deutéronome 11, 17 et la colère de Yahvé s'enflammerait contre vous, il fermerait les cieux, il n'y aurait plus de pluie, la terre ne donnerait plus son fruit et vous péririez bientôt en cet heureux pays que Yahvé vous donne.

Deutéronome 11, 18 Ces paroles que je vous dis, mettez-les dans votre coeur et dans votre âme, attachez-les à votre main comme un signe, à votre front comme un bandeau.

Deutéronome 11, 19 Enseignez-les à vos fils, et répétez-les-leur, aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout.

Deutéronome 11, 20 Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes,

Deutéronome 11, 21 afin d'avoir de nombreux jours, vous et vos fils, sur la terre que Yahvé a juré à vos pères de leur donner, aussi longtemps que les cieux demeureront au-dessus de la terre.

Deutéronome 11, 22 Car, si vraiment vous gardez et pratiquez tous ces commandements que je vous prescris, aimant Yahvé votre Dieu, marchant dans toutes ses voies et vous attachant à lui,

Deutéronome 11, 23 Yahvé dépossédera à votre profit toutes ces nations, et vous déposséderez des nations plus grandes et plus puissantes que vous.

Deutéronome 11, 24 Tout lieu que foulera la plante de vos pieds sera vôtre; depuis le désert, depuis le Liban, depuis le Fleuve, le fleuve Euphrate, jusqu'à la mer Occidentale s'étendra votre territoire.

Deutéronome 11, 25 Personne ne tiendra devant vous, Yahvé votre Dieu vous fera craindre et redouter sur toute l'étendue du pays que vous foulerez, ainsi qu'il vous l'a dit.

Deutéronome 11, 26 Vois! Je vous offre aujourd'hui bénédiction et malédiction.

Deutéronome 11, 27 Bénédiction si vous obéissez aux commandements de Yahvé votre Dieu que je vous prescris aujourd'hui,

Deutéronome 11, 28 malédiction si vous désobéissez aux commandements de Yahvé votre Dieu, si vous vous écartez de la voie que je vous prescris aujourd'hui en suivant d'autres dieux que vous n'avez pas connus.

Deutéronome 11, 29 Lorsque Yahvé ton Dieu t'aura conduit dans le pays où tu vas entrer pour en prendre possession, tu placeras la bénédiction sur le mont Garizim et la malédiction sur le mont Ebal.

Deutéronome 11, 30 (Ces monts, on le sait, se trouvent au-delà du Jourdain, sur la route du couchant, dans le pays des Cananéens qui habitent la Araba, vis-à-vis de Gilgal, auprès du Chêne de Moré.)

Deutéronome 11, 31 Car vous allez passer le Jourdain, pour venir prendre possession du pays que Yahvé votre Dieu vous donne. Vous le posséderez, vous y demeurerez,

Deutéronome 11, 32 et vous garderez et pratiquerez toutes les lois et coutumes que j'énonce aujourd'hui devant vous.

Deutéronome 12, 1 Et voici les lois et coutumes que vous garderez et pratiquerez, dans le pays que Yahvé le Dieu de tes pères t'a donné pour domaine, tous les jours que vous vivrez sur ce sol.

Deutéronome 12, 2 Vous abolirez tous les lieux où les peuples que vous dépossédez auront servi leurs dieux, sur les hautes montagnes, sur les collines, sous tout arbre verdoyant.

Deutéronome 12, 3 Vous démolirez leurs autels, briserez leurs stèles; leurs pieux sacrés, vous les brûlerez, les images sculptées de leurs dieux, vous les abattrez, et vous abolirez leur nom en ce lieu.

Deutéronome 12, 4 A l'égard de Yahvé votre Dieu vous agirez autrement.

Deutéronome 12, 5 C'est seulement au lieu choisi par Yahvé votre Dieu, entre toutes vos tribus, pour y placer son nom et l'y faire habiter, que vous viendrez pour le chercher

Deutéronome 12, 6 Vous apporterez là vos holocaustes et vos sacrifices, vos dîmes et les présents de vos mains, vos offrandes votives et vos offrandes volontaires, les premiers-nés de votre gros et de votre petit bétail,

Deutéronome 12, 7 vous y mangerez en présence de Yahvé votre Dieu et vous vous réjouirez de tous vos travaux, vous et vos maisons, parce que Yahvé ton Dieu t'a béni.

Deutéronome 12, 8 Vous n'agirez pas comme nous agissons ici aujourd'hui: chacun fait ce qui lui paraît bon,

Deutéronome 12, 9 puisque vous n'êtes pas encore entrés dans l'établissement et l'héritage que Yahvé ton Dieu te donne.

Deutéronome 12, 10 Vous allez passer le Jourdain et demeurer dans le pays que Yahvé votre Dieu vous donne en héritage; il vous établira à l'abri de tous vos ennemis alentour, et vous aurez une sûre demeure.

Deutéronome 12, 11 C'est au lieu choisi par Yahvé votre Dieu pour y faire habiter son nom que vous apporterez tout ce que je vous prescris, vos holocaustes et vos sacrifices, vos dîmes, les présents de vos mains et toutes les choses excellentes que vous aurez promises par voeu à Yahvé;

Deutéronome 12, 12 vous vous réjouirez alors en présence de Yahvé votre Dieu, vous, vos fils et vos filles, vos serviteurs et vos servantes, et le lévite qui demeure chez vous, puisqu'il n'a ni part ni héritage avec vous.

Deutéronome 12, 13 Garde-toi d'offrir tes holocaustes en tous les lieux sacrés que tu verras,

Deutéronome 12, 14 c'est seulement au lieu choisi par Yahvé dans l'une de tes tribus que tu pourras offrir tes holocaustes et mettre en pratique tout ce que je t'ai ordonné.

Deutéronome 12, 15 Tu pourras pourtant, chaque fois que tu le désireras, immoler et manger, en chacune de tes villes, de la chair pour autant que t'en aura donné la bénédiction de Yahvé ton Dieu. Que l'on soit pur ou impur, on en pourra manger, tout comme si c'était de la gazelle ou du cerf.

Deutéronome 12, 16 Cependant vous ne mangerez pas le sang, mais tu le répandras à terre comme de l'eau.

Deutéronome 12, 17 Tu ne pourras pas manger dans tes villes la dîme de ton froment, de ton vin nouveau ou de ton huile, ni les premiers-nés de ton gros ou de ton petit bétail, ni aucune de tes offrandes votives ou de tes offrandes volontaires, ni ce que tu auras présenté de tes mains à Yahvé.

Deutéronome 12, 18 Mais tu les mangeras en présence de Yahvé ton Dieu, au lieu choisi par Yahvé ton Dieu et là seulement, toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, et le lévite qui est chez toi. Tu te réjouiras en présence de Yahvé ton Dieu de tous tes travaux.

Deutéronome 12, 19 Sur ton sol, garde-toi de négliger le lévite au long de tes jours.

Deutéronome 12, 20 Lorsque Yahvé ton Dieu aura agrandi ton territoire, comme il te l'a dit, et que tu t'écrieras: "Je voudrais manger de la viande", si tu désires manger de la viande, tu pourras le faire autant que tu voudras.

Deutéronome 12, 21 Si le lieu choisi par Yahvé ton Dieu pour y placer son nom est trop loin de toi, tu pourras immoler du gros et du petit bétail que t'aura donné Yahvé, comme je te l'ai ordonné; tu en mangeras dans tes villes autant que tu le désireras,

Deutéronome 12, 22 mais tu en mangeras comme on mange de la gazelle ou du cerf: le pur et l'impur en mangeront ensemble.

Deutéronome 12, 23 Garde-toi seulement de manger le sang, car le sang, c'est l'âme, et tu ne dois pas manger l'âme avec la chair.

Deutéronome 12, 24 Tu ne le mangeras pas, tu le répandras à terre comme de l'eau.

Deutéronome 12, 25 Tu ne le mangeras pas, afin d'être heureux, toi et ton fils après toi, en pratiquant ce qui est juste aux yeux de Yahvé.

Deutéronome 12, 26 Mais les choses saintes qui seraient à toi, et celles que tu aurais vouées, tu iras les porter à ce lieu choisi par Yahvé.

Deutéronome 12, 27 Tu feras l'holocauste de la chair et du sang sur l'autel de Yahvé ton Dieu; quant à tes sacrifices, le sang en sera répandu sur l'autel de Yahvé ton Dieu, et tu mangeras la chair.

Deutéronome 12, 28 Garde docilement et mets en pratique tous ces ordres que je te donne, en sorte d'être heureux pour toujours, toi et ton fils après toi, en accomplissant ce qui est bon et juste aux yeux de Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 12, 29 Lorsque Yahvé ton Dieu aura fait table rase des nations chez qui tu te rends pour les déposséder devant toi, lorsque tu les auras dépossédées et que tu habiteras dans leur pays,

Deutéronome 12, 30 garde-toi de te laisser prendre au piège à leur suite, après qu'elles auront été anéanties devant toi, et ne recherche pas leurs dieux en disant: "Comment ces nations servaient-elles leurs dieux? Ainsi ferai-je, moi aussi."

Deutéronome 12, 31 Tu ne feras pas ainsi envers Yahvé ton Dieu. Car Yahvé a tout cela en abomination, et il déteste ce qu'elles ont fait pour leurs dieux: elles vont même jusqu'à brûler au feu leurs fils et leurs filles pour leurs dieux!

Deutéronome 13, 1 Tout ce que je vous ordonne, vous le garderez et le pratiquerez, sans y ajouter ni en retrancher.

Deutéronome 13, 2 Si quelque prophète ou faiseur de songes surgit au milieu de toi, s'il te propose un signe ou un prodige

Deutéronome 13, 3 et qu'ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s'il te dit alors: "Allons à la suite d'autres dieux (que tu n'as pas connus) et servons-les",

Deutéronome 13, 4 tu n'écouteras pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur. C'est Yahvé votre Dieu qui vous éprouve pour savoir si vraiment vous aimez Yahvé votre Dieu de tout votre coeur et de toute votre âme.

Deutéronome 13, 5 C'est Yahvé votre Dieu que vous suivrez et c'est lui que vous craindrez, ce sont ses commandements que vous garderez, c'est à sa voix que vous obéirez, c'est lui que vous servirez, c'est à lui que vous vous attacherez.

Deutéronome 13, 6 Ce prophète ou ce faiseur de songes devra mourir, car il a prêché l'apostasie envers Yahvé ton Dieu, qui vous a fait sortir du pays d'Egypte et t'a racheté de la maison de servitude, et il t'aurait égaré loin de la voie où Yahvé ton Dieu t'a ordonné de marcher. Tu feras disparaître le mal du milieu de toi.

Deutéronome 13, 7 Si ton frère, fils de ton père ou fils de ta mère, ton fils, ta fille, l'épouse qui repose sur ton sein ou le compagnon qui est un autre toi-même, cherche dans le secret à te séduire en disant: "Allons servir d'autres dieux", que tes pères ni toi n'avez connus,

Deutéronome 13, 8 parmi les dieux des peuples proches ou lointains qui vous entourent, d'une extrémité de la terre à l'autre,

Deutéronome 13, 9 tu ne l'approuveras pas, tu ne l'écouteras pas, ton oeil sera sans pitié, tu ne l'épargneras pas et tu ne cacheras pas sa faute.

Deutéronome 13, 10 Oui, tu devras le tuer, ta main sera la première contre lui pour le mettre à mort, et la main de tout le peuple continuera l'exécution.

Deutéronome 13, 11 Tu le lapideras jusqu'à ce que mort s'ensuive, car il a cherché à t'égarer loin de Yahvé ton Dieu, qui t'a fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude.

Deutéronome 13, 12 Tout Israël en l'apprenant sera saisi de crainte, et cessera de pratiquer ce mal au milieu de toi.

Deutéronome 13, 13 Si tu entends dire que dans l'une des villes que Yahvé ton Dieu t'a données pour y habiter,

Deutéronome 13, 14 des hommes, des vauriens, issus de ta race, ont égaré leurs concitoyens en disant: "Allons servir d'autres dieux", que vous n'avez pas connus,

Deutéronome 13, 15 tu examineras l'affaire, tu feras une enquête, tu interrogeras avec soin. S'il est bien avéré et s'il est bien établi qu'une telle abomination a été commise au milieu de toi,

Deutéronome 13, 16 tu devras passer au fil de l'épée les habitants de cette ville, tu la voueras à l'anathème, elle et tout ce qu'elle contient,

Deutéronome 13, 17 tu en rassembleras toutes les dépouilles au milieu de la place publique et tu brûleras la ville avec toutes ses dépouilles, l'offrant tout entière à Yahvé ton Dieu. Elle deviendra pour toujours une ruine, qui ne sera plus rebâtie.

Deutéronome 13, 18 De cet anathème tu ne garderas rien, afin que Yahvé revienne de l'ardeur de sa colère, qu'il te fasse miséricorde, qu'il ait pitié de toi et qu'il te multiplie comme il l'a juré à tes pères,

Deutéronome 13, 19 à condition que tu écoutes la voix de Yahvé ton Dieu en gardant tous ses commandements que je te prescris aujourd'hui et en pratiquant ce qui est juste aux yeux de Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 14, 1 Vous êtes des fils pour Yahvé votre Dieu. Vous ne vous ferez pas d'incision ni de tonsure sur le front pour un mort.

Deutéronome 14, 2 Car tu es un peuple consacré à Yahvé ton Dieu et Yahvé t'a choisi pour être son peuple à lui parmi tous les peuples qui sont sur la terre.

Deutéronome 14, 3 Tu ne mangeras rien de ce qui est abominable.

Deutéronome 14, 4 Voici les animaux que vous pourrez manger: le boeuf, le mouton, la chèvre,

Deutéronome 14, 5 le cerf, la gazelle, le daim, le bouquetin, l'antilope, l'oryx, le mouflon.

Deutéronome 14, 6 Vous pourrez manger de tout animal qui a le sabot fourchu, fendu en deux ongles, et qui rumine.

Deutéronome 14, 7 Toutefois, parmi les ruminants et parmi les animaux à sabot fourchu et fendu, vous ne pourrez manger ceux-ci: le chameau, le lièvre et le daman, qui ruminent mais n'ont pas le sabot fourchu; vous les tiendrez pour impurs.

Deutéronome 14, 8 Ni le porc, qui a bien le sabot fourchu et fendu mais qui ne rumine pas; vous le tiendrez pour impur. Vous ne mangerez pas de leur chair et ne toucherez pas à leurs cadavres.

Deutéronome 14, 9 Parmi tout ce qui vit dans l'eau, vous pourrez manger ceci: tout ce qui a nageoires et écailles, vous en pourrez manger.

Deutéronome 14, 10 Mais vous ne mangerez point de ce qui n'a pas nageoires et écailles: vous le tiendrez pour impur.

Deutéronome 14, 11 Vous pourrez manger de tout oiseau pur,

Deutéronome 14, 12 mais voici ceux des oiseaux dont vous ne pourrez manger: le vautour-griffon, le gypaète, l'orfraie,

Deutéronome 14, 13 le milan noir, les différentes espèces de milan rouge,

Deutéronome 14, 14 toutes les espèces de corbeau,

Deutéronome 14, 15 l'autruche, le chat-huant, la mouette et les différentes espèces d'épervier,

Deutéronome 14, 16 le hibou, la chouette, l'ibis,

Deutéronome 14, 17 le pélican, le vautour blanc, le cormoran,

Deutéronome 14, 18 la cigogne et les différentes espèces de héron, la huppe, la chauve-souris.

Deutéronome 14, 19 Vous tiendrez toutes les bestioles ailées pour impures, vous n'en mangerez pas.

Deutéronome 14, 20 Vous pourrez manger de tout volatile pur.

Deutéronome 14, 21 Vous ne pourrez manger aucune bête crevée. Tu la donneras à l'étranger qui réside chez toi pour qu'il la mange, ou bien vends-la à un étranger du dehors. Tu es en effet un peuple consacré à Yahvé ton Dieu. Tu ne feras pas cuire un chevreau dans le lait de sa mère.

Deutéronome 14, 22 Chaque année, tu devras prendre la dîme de tout ce que tes semailles auront rapporté dans tes champs

Deutéronome 14, 23 et, en présence de Yahvé ton Dieu, au lieu qu'il aura choisi pour y faire habiter son nom, tu mangeras la dîme de ton froment, de ton vin nouveau et de ton huile, les premiers-nés de ton gros et de ton petit bétail; ainsi tu apprendras à toujours craindre Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 14, 24 Si le chemin est trop long pour toi, si tu ne peux pas apporter la dîme parce que le lieu choisi par Yahvé pour y faire habiter son nom est trop loin de chez toi, quand Yahvé ton Dieu t'aura béni

Deutéronome 14, 25 tu la convertiras en argent, tu serreras l'argent dans ta main et tu iras au lieu choisi par Yahvé ton Dieu;

Deutéronome 14, 26 là tu échangeras cet argent contre tout ce que tu désireras, gros ou petit bétail, vin ou boisson fermentée, tout ce dont tu auras envie. Tu mangeras là en présence de Yahvé ton Dieu et tu te réjouiras, toi et ta maison.

Deutéronome 14, 27 Tu ne négligeras pas le lévite qui est dans tes portes, puisqu'il n'a ni part ni héritage avec toi.

Deutéronome 14, 28 Au bout de trois ans, tu prélèveras toutes les dîmes de tes récoltes de cette année-là et tu les déposeras à tes portes.

Deutéronome 14, 29 Viendront alors manger le lévite (puisqu'il n'a ni part ni héritage avec toi), l'étranger, l'orphelin et la veuve de ta ville, et ils s'en rassasieront. Ainsi Yahvé ton Dieu te bénira dans tous les travaux que tes mains pourront entreprendre.

Deutéronome 15, 1 Au bout de sept ans tu feras remise.

Deutéronome 15, 2 Voici en quoi consiste la remise. Tout détenteur d'un gage personnel qu'il aura obtenu de son prochain, lui en fera remise; il n'exploitera pas son prochain ni son frère, quand celui-ci en aura appelé à Yahvé pour remise.

Deutéronome 15, 3 Tu pourras exploiter l'étranger, mais tu libéreras ton frère de ton droit sur lui.

Deutéronome 15, 4 Qu'il n'y ait donc pas de pauvre chez toi. Car Yahvé ne t'accordera sa bénédiction dans le pays que Yahvé ton Dieu te donne en héritage pour le posséder,

Deutéronome 15, 5 que si tu écoutes vraiment la voix de Yahvé ton Dieu, en gardant et pratiquant tous ces commandements que je te prescris aujourd'hui.

Deutéronome 15, 6 Si Yahvé ton Dieu te bénit comme il l'a dit, tu prêteras à des nations nombreuses, sans avoir besoin de leur emprunter, et tu domineras des nations nombreuses, sans qu'elles te dominent.

Deutéronome 15, 7 Se trouve-t-il chez toi un pauvre, d'entre tes frères, dans l'une des villes de ton pays que Yahvé ton Dieu t'a donné? Tu n'endurciras pas ton coeur ni ne fermeras ta main à ton frère pauvre,

Deutéronome 15, 8 mais tu lui ouvriras ta main et tu lui prêteras ce qui lui manque.

Deutéronome 15, 9 Ne va pas tenir en ton coeur ces mauvais propos: "Voici bientôt la septième année, l'année de remise", en regardant méchamment ton frère pauvre sans rien lui donner; il en appellerait à Yahvé contre toi et tu serais chargé d'un péché!

Deutéronome 15, 10 Quand tu lui donnes, tu dois lui donner de bon coeur, car pour cela Yahvé ton Dieu te bénira dans toutes tes actions et dans tous tes travaux.

Deutéronome 15, 11 Certes, les pauvres ne disparaîtront point de ce pays; aussi je te donne ce commandement: Tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays.

Deutéronome 15, 12 Si ton frère hébreu, homme ou femme, se vend à toi, il te servira six ans. La septième année tu le renverras libre

Deutéronome 15, 13 et, le renvoyant libre, tu ne le renverras pas les mains vides.

Deutéronome 15, 14 Tu chargeras sur ses épaules, à titre de cadeau, quelque produit de ton petit bétail, de ton aire et de ton pressoir; selon ce dont t'aura béni Yahvé ton Dieu, tu lui donneras.

Deutéronome 15, 15 Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d'Egypte et que Yahvé ton Dieu t'a racheté: voilà pourquoi je te donne aujourd'hui cet ordre.

Deutéronome 15, 16 Mais s'il te dit: "Je ne veux pas te quitter", s'il t'aime, toi et ta maison, s'il est heureux avec toi,

Deutéronome 15, 17 tu prendras un poinçon, tu lui en perceras l'oreille contre la porte et il sera ton serviteur pour toujours. Envers ta servante tu feras de même.

Deutéronome 15, 18 Qu'il ne te semble pas trop pénible de le renvoyer en liberté: il vaut deux fois le salaire d'un mercenaire, celui qui t'aura servi six ans. Et Yahvé ton Dieu te bénira en tout ce que tu feras.

Deutéronome 15, 19 Tout premier-né mâle de ta vache ou de ta brebis, tu le consacreras à Yahvé ton Dieu. Tu ne feras pas travailler le premier-né de ta vache, ni ne tondras le premier-né de ta brebis.

Deutéronome 15, 20 Tu le mangeras, toi et ta maison, chaque année, en présence de Yahvé ton Dieu au lieu choisi par Yahvé.

Deutéronome 15, 21 S'il a quelque tare, s'il est boiteux ou aveugle, n'importe quelle tare grave, tu ne l'immoleras pas à Yahvé ton Dieu;

Deutéronome 15, 22 tu le mangeras chez toi, purs et impurs réunis, comme tu mangerais de la gazelle ou du cerf;

Deutéronome 15, 23 seulement, tu n'en mangeras pas le sang, tu le répandras à terre comme de l'eau.

Deutéronome 16, 1 Observe le mois d'Abib et célèbre une Pâque pour Yahvé ton Dieu, car c'est au mois d'Abib que Yahvé ton Dieu, la nuit, t'a fait sortir d'Egypte.

Deutéronome 16, 2 Tu immoleras pour Yahvé ton Dieu une pâque de gros et de petit bétail, au lieu choisi par Yahvé ton Dieu pour y faire habiter son nom.

Deutéronome 16, 3 Tu ne mangeras pas, avec la victime, de pain fermenté; pendant sept jours tu mangeras avec elle des azymes -- un pain de misère -- car c'est en toute hâte que tu as quitté le pays d'Egypte: ainsi tu te souviendras, tous les jours de ta vie, du jour où tu sortis du pays d'Egypte.

Deutéronome 16, 4 Pendant sept jours on ne verra pas chez toi de levain, sur tout ton territoire, et de la chair que tu auras sacrifiée le soir du premier jour rien ne devra être gardé jusqu'au lendemain.

Deutéronome 16, 5 Tu ne pourras pas immoler la pâque dans l'une des villes que Yahvé ton Dieu t'aura données,

Deutéronome 16, 6 mais c'est au lieu choisi par Yahvé ton Dieu pour y faire habiter son nom que tu immoleras la pâque, le soir au coucher du soleil, à l'heure de ta sortie d'Egypte.

Deutéronome 16, 7 Tu la feras cuire et tu la mangeras au lieu choisi par Yahvé ton Dieu, puis, au matin, tu t'en retourneras et tu iras à tes tentes.

Deutéronome 16, 8 Pendant six jours tu mangeras des azymes; au septième jour une réunion aura lieu pour Yahvé ton Dieu; et tu ne feras aucun travail.

Deutéronome 16, 9 Tu compteras sept semaines. Quand la faucille aura commencé à couper les épis, alors tu commenceras à compter ces sept semaines.

Deutéronome 16, 10 Puis tu célébreras pour Yahvé ton Dieu la fête des Semaines, avec l'offrande volontaire que fera ta main, selon ce dont Yahvé ton Dieu te bénit.

Deutéronome 16, 11 En présence de Yahvé ton Dieu tu te réjouiras, au lieu choisi par Yahvé ton Dieu pour y faire habiter son nom: toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, le lévite qui est dans tes portes, l'étranger, l'orphelin et la veuve qui vivent au milieu de toi.

Deutéronome 16, 12 Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d'Egypte, et tu garderas ces lois pour les mettre en pratique.

Deutéronome 16, 13 Tu célébreras la fête des Tentes pendant sept jours, au moment où tu rentreras le produit de ton aire et de ton pressoir.

Deutéronome 16, 14 Tu te réjouiras à ta fête, toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, le lévite et l'étranger, l'orphelin et la veuve qui sont dans tes portes.

Deutéronome 16, 15 Pendant sept jours tu feras fête à Yahvé ton Dieu au lieu choisi par Yahvé; car Yahvé ton Dieu te bénira dans toutes tes récoltes et dans tous tes travaux, pour que tu sois pleinement joyeux.

Deutéronome 16, 16 Trois fois par an, on verra tous les mâles de chez toi, devant Yahvé ton Dieu, au lieu qu'il aura choisi: à la fête des Azymes, à la fête des Semaines, à la fête des Tentes. Aucun ne se présentera les mains vides devant Yahvé;

Deutéronome 16, 17 mais chacun donnera, à la mesure de la bénédiction que Yahvé ton Dieu t'aura donnée.

Deutéronome 16, 18 Tu établiras des juges et des scribes, en chacune des villes que Yahvé ton Dieu te donne, pour toutes tes tribus; ils jugeront le peuple en des jugements justes.

Deutéronome 16, 19 Tu ne feras pas dévier le droit, tu n'auras pas égard aux personnes et tu n'accepteras pas de présent, car le présent aveugle les yeux des sages et ruine les causes des justes.

Deutéronome 16, 20 C'est la stricte justice que tu rechercheras, afin de vivre et de posséder le pays que Yahvé ton Dieu te donne.

Deutéronome 16, 21 Tu ne planteras pas de pieu sacré, de quelque bois que ce soit, à côté de l'autel de Yahvé ton Dieu que tu te seras bâti,

Deutéronome 16, 22 et tu ne dresseras pas de stèle, qui serait odieuse à Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 17, 1 Tu n'immoleras pas à Yahvé ton Dieu une pièce de gros ou de petit bétail qui ait une tare ou un défaut quelconque, car Yahvé ton Dieu a cela en abomination.

Deutéronome 17, 2 S'il se trouve au milieu de toi, dans l'une des villes que Yahvé ton Dieu t'aura données, un homme ou une femme qui fasse ce qui est mal aux yeux de Yahvé ton Dieu, en transgressant son alliance,

Deutéronome 17, 3 qui aille servir d'autres dieux et se prosterner devant eux, et devant le soleil, la lune ou quelque autre de l'armée des cieux, ce que je n'ai pas commandé,

Deutéronome 17, 4 et qu'on te le dénonce; si, après l'avoir entendu et fait une bonne enquête, le fait est avéré et s'il est bien établi que cette chose abominable a été commise en Israël,

Deutéronome 17, 5 tu feras sortir aux portes de ta ville cet homme ou cette femme coupable de cette mauvaise action, et tu lapideras cet homme ou cette femme jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Deutéronome 17, 6 On ne pourra être condamné à mort qu'au dire de deux ou trois témoins, on ne sera pas mis à mort au dire d'un seul témoin.

Deutéronome 17, 7 Les témoins mettront les premiers la main à l'exécution du condamné, puis tout le peuple y mettra la main. Tu feras disparaître le mal du milieu de toi.

Deutéronome 17, 8 Si tu as à juger un cas qui te dépasse, affaire de meurtre, contestation ou voie de fait, un litige quelconque dans ta ville, tu partiras et tu monteras au lieu choisi par Yahvé ton Dieu,

Deutéronome 17, 9 tu iras trouver les prêtres lévites et le juge alors en fonction. Ils feront une enquête, et ils te feront connaître la sentence.

Deutéronome 17, 10 Tu te conformeras à la parole qu'ils t'auront fait connaître en ce lieu choisi par Yahvé, et tu prendras garde d'agir selon toutes leurs instructions.

Deutéronome 17, 11 Tu te conformeras à la décision qu'ils t'auront fait connaître et à la sentence qu'ils auront prononcée, sans t'écarter ni à droite ni à gauche de la parole qu'ils t'auront fait connaître.

Deutéronome 17, 12 Si quelqu'un agit présomptueusement, n'obéissant ni au prêtre qui se tient là pour le service de Yahvé ton Dieu, ni au juge, cet homme mourra. Tu feras disparaître d'Israël le mal.

Deutéronome 17, 13 Le peuple l'apprendra, craindra, et cessera d'agir avec présomption.

Deutéronome 17, 14 Lorsque tu seras arrivé en ce pays que Yahvé ton Dieu te donne, que tu en auras pris possession et que tu y habiteras, si tu te dis: "Je veux établir sur moi un roi, comme toutes les nations d'alentour",

Deutéronome 17, 15 c'est un roi choisi par Yahvé ton Dieu que tu devras établir sur toi, c'est quelqu'un d'entre tes frères que tu établiras sur toi comme roi, tu ne pourras pas te donner un roi étranger qui ne soit pas ton frère.

Deutéronome 17, 16 Mais qu'il n'aille pas multiplier ses chevaux, et qu'il ne ramène pas le peuple en Egypte pour accroître sa cavalerie, car Yahvé vous a dit: "Vous ne retournerez jamais par ce chemin."

Deutéronome 17, 17 Qu'il ne multiplie pas le nombre de ses femmes, ce qui pourrait égarer son coeur. Qu'il ne multiplie pas à l'excès son argent et son or.

Deutéronome 17, 18 Lorsqu'il montera sur le trône royal, il devra écrire sur un rouleau, pour son usage, une copie de cette Loi, sous la dictée des prêtres lévites.

Deutéronome 17, 19 Elle ne le quittera pas; il la lira tous les jours de sa vie, pour apprendre à craindre Yahvé son Dieu en gardant toutes les paroles de cette Loi, ainsi que ces règles pour les mettre en pratique.

Deutéronome 17, 20 Il évitera ainsi de s'enorgueillir au-dessus de ses frères, et il ne s'écartera de ces commandements ni à droite ni à gauche. A cette condition, il aura lui et ses fils, de longs jours sur le trône en Israël.

Deutéronome 18, 1 Les prêtres lévites, toute la tribu de Lévi, n'auront point de part ni d'héritage avec Israël: ils vivront des mets offerts à Yahvé et de son patrimoine.

Deutéronome 18, 2 Cette tribu n'aura pas d'héritage au milieu de ses frères; c'est Yahvé qui sera son héritage, ainsi qu'il le lui a dit.

Deutéronome 18, 3 Voici les droits des prêtres sur le peuple, sur ceux qui offrent un sacrifice de gros ou de petit bétail: on donnera au prêtre l'épaule, les mâchoires et l'estomac.

Deutéronome 18, 4 Tu lui donneras les prémices de ton froment, de ton vin nouveau et de ton huile, ainsi que les prémices de la tonte de ton petit bétail.

Deutéronome 18, 5 Car c'est lui que Yahvé ton Dieu a choisi entre toutes tes tribus pour se tenir devant Yahvé ton Dieu, pour faire le service divin et donner la bénédiction au nom de Yahvé, lui et ses fils pour toujours.

Deutéronome 18, 6 Si le lévite séjournant en l'une de tes villes, où que ce soit en Israël, vient, selon son désir, au lieu choisi par Yahvé,

Deutéronome 18, 7 il y officiera au nom de Yahvé son Dieu comme tous ses frères lévites qui se tiennent là en présence de Yahvé,

Deutéronome 18, 8 mangeant une part égale à la leur -- sans compter ce qui lui vient par la vente de son patrimoine.

Deutéronome 18, 9 Lorsque tu seras entré dans le pays que Yahvé ton Dieu te donne, tu n'apprendras pas à commettre les mêmes abominations que ces nations-là.

Deutéronome 18, 10 On ne trouvera chez toi personne qui fasse passer au feu son fils ou sa fille, qui pratique divination, incantation, mantique ou magie,

Deutéronome 18, 11 personne qui use de charmes, qui interroge les spectres et devins, qui invoque les morts.

Deutéronome 18, 12 Car quiconque fait ces choses est en abomination à Yahvé ton Dieu, et c'est à cause de ces abominations que Yahvé ton Dieu chasse ces nations devant toi.

Deutéronome 18, 13 Tu seras sans tache vis-à-vis de Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 18, 14 Car ces nations que tu dépossèdes écoutaient enchanteurs et devins, mais tel n'a pas été pour toi le don de Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 18, 15 Yahvé ton Dieu suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète comme moi, que vous écouterez.

Deutéronome 18, 16 C'est cela même que tu as demandé à Yahvé ton Dieu, à l'Horeb, au jour de l'Assemblée: "Pour ne pas mourir, je n'écouterai plus la voix de Yahvé mon Dieu et je ne regarderai plus ce grand feu",

Deutéronome 18, 17 et Yahvé me dit: "Ils ont bien parlé.

Deutéronome 18, 18 Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai.

Deutéronome 18, 19 Si un homme n'écoute pas mes paroles, que ce prophète aura prononcées en mon nom, alors c'est moi-même qui en demanderai compte à cet homme.

Deutéronome 18, 20 Mais si un prophète a l'audace de dire en mon nom une parole que je n'ai pas ordonné de dire, et s'il parle au nom d'autres dieux, ce prophète mourra."

Deutéronome 18, 21 Peut-être vas-tu dire en ton coeur: "Comment saurons-nous que cette parole, Yahvé ne l'a pas dite?"

Deutéronome 18, 22 Si ce prophète a parlé au nom de Yahvé, et que sa parole reste sans effet et ne s'accomplit pas, alors Yahvé n'a pas dit cette parole-là. Le prophète a parlé avec présomption. Tu n'as pas à le craindre.

Deutéronome 19, 1 Lorsque Yahvé ton Dieu aura fait table rase des nations dont Yahvé ton Dieu te donne le pays, que tu les auras dépossédées et que tu habiteras leurs villes et leurs maisons,

Deutéronome 19, 2 tu mettras à part trois villes au milieu du pays que Yahvé ton Dieu te donne pour domaine.

Deutéronome 19, 3 Tu tiendras leurs accès en bon état, et tu diviseras en trois le territoire du pays que Yahvé ton Dieu te donne en héritage: cela afin que tout meurtrier puisse fuir en ces villes.

Deutéronome 19, 4 Voici le cas de celui qui peut sauver sa vie en y fuyant. Quelqu'un a-t-il frappé son prochain involontairement, sans avoir contre lui de haine invétérée

Deutéronome 19, 5 (ainsi il va à la forêt avec son prochain pour couper du bois, sa main brandit la hache pour abattre un arbre, le fer s'échappe du manche et s'en va frapper mortellement son compagnon): celui-là peut fuir en l'une de ces villes et conserver la vie.

Deutéronome 19, 6 Il ne faudrait pas que le vengeur du sang, dans l'ardeur de sa colère, poursuivît le meurtrier, que la longueur du chemin lui permît de le rejoindre et de le frapper mortellement -- cet homme qui n'est pas passible de mort, puisqu'il n'avait pas de haine invétérée contre sa victime.

Deutéronome 19, 7 Je te donne donc cet ordre: "Tu mettras à part trois villes",

Deutéronome 19, 8 et si Yahvé ton Dieu agrandit ton territoire comme il l'a juré à tes pères et te donne tout le pays qu'il a promis de donner à tes pères, --

Deutéronome 19, 9 à la condition que tu gardes et pratiques tous les commandements que je te prescris aujourd'hui, aimant Yahvé ton Dieu et suivant toujours ses voies, -- à ces trois-là tu ajouteras encore trois villes.

Deutéronome 19, 10 Ainsi le sang innocent ne sera pas répandu au milieu du pays que Yahvé ton Dieu te donne en héritage: autrement il y aurait du sang sur toi.

Deutéronome 19, 11 Mais s'il arrive qu'un homme haïssant son prochain lui dresse une embûche, se jette sur lui et le frappe mortellement, et qu'il s'enfuie ensuite dans l'une de ces villes,

Deutéronome 19, 12 les anciens de sa cité l'y enverront prendre et le feront livrer au vengeur du sang, pour qu'il meure.

Deutéronome 19, 13 Ton oeil sera sans pitié. Tu feras disparaître d'Israël toute effusion de sang innocent, et tu seras heureux.

Deutéronome 19, 14 Tu ne déplaceras pas les bornes de ton prochain, posées par les ancêtres, dans l'héritage reçu au pays que Yahvé ton Dieu te donne pour domaine.

Deutéronome 19, 15 Un seul témoin ne peut suffire pour convaincre un homme de quelque faute ou délit que ce soit; quel que soit le délit, c'est au dire de deux ou trois témoins que la cause sera établie.

Deutéronome 19, 16 Si un témoin injuste se lève contre un homme pour l'accuser de rébellion,

Deutéronome 19, 17 les deux hommes qui ont ainsi procès devant Yahvé comparaîtront devant les prêtres et les juges alors en fonctions.

Deutéronome 19, 18 Les juges feront une bonne enquête, et, s'il appert que c'est un témoin mensonger, qui a accusé son frère en mentant,

Deutéronome 19, 19 vous le traiterez comme il méditait de traiter son frère. Tu feras disparaître le mal du milieu de toi.

Deutéronome 19, 20 Les autres, en l'apprenant, seront saisis de crainte, et cesseront de commettre un tel mal au milieu de toi.

Deutéronome 19, 21 Ton oeil sera sans pitié. Vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied.

Deutéronome 20, 1 Lorsque tu partiras en guerre contre tes ennemis et que tu verras des chevaux, des chars et un peuple plus nombreux que toi, tu n'en auras pas peur; car Yahvé ton Dieu est avec toi, lui qui t'a fait monter du pays d'Egypte.

Deutéronome 20, 2 Quand vous serez sur le point d'engager le combat, le prêtre s'avancera et parlera au peuple.

Deutéronome 20, 3 Il leur dira: "Ecoute, Israël, vous qui êtes aujourd'hui sur le point d'engager le combat contre vos ennemis, que votre coeur ne faiblisse pas! N'ayez ni crainte ni angoisse, et ne tremblez pas devant eux.

Deutéronome 20, 4 Car Yahvé votre Dieu marche avec vous, pour combattre pour vous, contre vos ennemis, et vous sauver."

Deutéronome 20, 5 Puis les scribes parleront au peuple et diront: "Qui a bâti une maison neuve et ne l'a pas encore dédiée? Qu'il s'en aille et retourne chez lui, de peur qu'il ne périsse au combat et qu'un autre ne la dédie!

Deutéronome 20, 6 "Qui a planté une vigne et n'en a pas encore cueilli les premiers fruits? Qu'il s'en aille et retourne chez lui, de peur qu'il ne périsse au combat et qu'un autre n'en cueille les premiers fruits!

Deutéronome 20, 7 "Qui s'est fiancé à une femme et ne l'a pas encore épousée? Qu'il s'en aille et retourne chez lui, de peur qu'il ne périsse au combat et qu'un autre ne l'épouse!"

Deutéronome 20, 8 Les scribes diront encore ceci au peuple: "Qui a peur et sent mollir son courage? Qu'il s'en aille et retourne chez lui, afin de ne pas faire fondre comme le sien le coeur de ses frères!"

Deutéronome 20, 9 Puis, les scribes ayant achevé de parler au peuple, on placera à sa tête des chefs de troupe.

Deutéronome 20, 10 Lorsque tu t'approcheras d'une ville pour la combattre, tu lui proposeras la paix.

Deutéronome 20, 11 Si elle l'accepte et t'ouvre ses portes, tout le peuple qui s'y trouve te devra la corvée et le travail.

Deutéronome 20, 12 Mais si elle refuse la paix et te livre combat, tu l'assiégeras.

Deutéronome 20, 13 Yahvé ton Dieu la livrera en ton pouvoir, et tu en passeras tous les mâles au fil de l'épée.

Deutéronome 20, 14 Toutefois les femmes, les enfants, le bétail, tout ce qui se trouve dans la ville, toutes ses dépouilles, tu les prendras comme butin. Tu mangeras les dépouilles de tes ennemis que Yahvé ton Dieu t'aura livrés.

Deutéronome 20, 15 C'est ainsi que tu traiteras les villes très éloignées de toi, qui n'appartiennent pas à ces nations-ci.

Deutéronome 20, 16 Quant aux villes de ces peuples que Yahvé ton Dieu te donne en héritage, tu n'en laisseras rien subsister de vivant.

Deutéronome 20, 17 Oui, tu les dévoueras à l'anathème, ces Hittites, ces Amorites, ces Cananéens, ces Perizzites, ces Hivvites, ces Jébuséens, ainsi que te l'a commandé Yahvé ton Dieu,

Deutéronome 20, 18 afin qu'ils ne vous apprennent pas à pratiquer toutes ces abominations qu'ils pratiquent envers leurs dieux: vous pécheriez contre Yahvé votre Dieu!

Deutéronome 20, 19 Si, en attaquant une ville, tu dois l'assiéger longtemps pour la prendre, tu ne mutileras pas ses arbres en y portant la hache; tu t'en nourriras sans les abattre. Est-il homme, l'arbre des champs, pour que tu le traites en assiégé?

Deutéronome 20, 20 Cependant, les arbres que tu sais n'être pas des arbres fruitiers, tu pourras les mutiler, les abattre, et en faire des ouvrages de siège contre cette ville en guerre contre toi, jusqu'à ce qu'elle succombe.

Deutéronome 21, 1 Si l'on découvre, sur la terre que Yahvé ton Dieu te donne pour domaine, un homme assassiné gisant dans la campagne, sans qu'on sache qui l'a frappé,

Deutéronome 21, 2 tes anciens et tes scribes iront mesurer la distance entre la victime et les villes d'alentour,

Deutéronome 21, 3 et détermineront quelle est la ville la plus proche de la victime. Puis les anciens de cette ville prendront une génisse qu'on n'ait pas encore fait travailler ni tirer sous le joug.

Deutéronome 21, 4 Les anciens de cette ville feront descendre la génisse à un cours d'eau qui ne tarit pas, en un lieu qui n'a été ni travaillé ni ensemencé, et là, sur le cours d'eau, ils briseront la nuque de la génisse.

Deutéronome 21, 5 Les prêtres fils de Lévi s'approcheront; car ce sont eux que Yahvé ton Dieu a choisis pour son service et pour donner la bénédiction au nom de Yahvé, et il leur revient de prononcer sur toute querelle et sur toute voie de fait.

Deutéronome 21, 6 Alors, tous les anciens de la ville la plus proche de l'homme tué se laveront les mains dans le cours d'eau, sur la génisse abattue.

Deutéronome 21, 7 Ils prononceront ces paroles: "Nos mains n'ont pas versé ce sang et nos yeux n'ont rien vu.

Deutéronome 21, 8 Pardonne à Israël ton peuple, toi Yahvé qui l'as racheté, et ne laisse pas verser un sang innocent au milieu d'Israël ton peuple. Et ce sang leur sera pardonné."

Deutéronome 21, 9 Mais toi, tu feras disparaître du milieu de toi toute effusion de sang innocent, si tu veux faire ce qui est juste aux yeux de Yahvé.

Deutéronome 21, 10 Lorsque tu partiras en guerre contre tes ennemis, que Yahvé ton Dieu les aura livrés en ton pouvoir et que tu leur auras fait des prisonniers,

Deutéronome 21, 11 si tu vois parmi eux une femme bien faite et que tu t'en éprennes, tu pourras la prendre pour femme

Deutéronome 21, 12 et l'amener en ta maison. Elle se rasera la tête, se coupera les ongles

Deutéronome 21, 13 et quittera son vêtement de captive; elle demeurera dans ta maison et pleurera tout un mois son père et sa mère. Ensuite tu pourras t'approcher d'elle, agir en mari, et elle sera ta femme.

Deutéronome 21, 14 S'il arrive qu'elle cesse de te plaire, tu la laisseras partir à son gré, sans la vendre à prix d'argent: tu ne dois pas en tirer profit, puisque tu as usé d'elle.

Deutéronome 21, 15 Si un homme a deux femmes, l'une qu'il aime et l'autre qu'il n'aime pas, et que la femme aimée et l'autre lui donnent des fils, s'il arrive que l'aîné soit de la femme qu'il n'aime pas,

Deutéronome 21, 16 cet homme ne pourra pas le jour où il attribuera ses biens à ses fils, traiter en aîné le fils de la femme qu'il aime, au détriment du fils de la femme qu'il n'aime pas, l'aîné véritable.

Deutéronome 21, 17 Mais il reconnaîtra l'aîné dans le fils de celle-ci, en lui donnant double part de tout ce qu'il possède: car ce fils, prémices de sa vigueur, détient le droit d'aînesse.

Deutéronome 21, 18 Si un homme a un fils dévoyé et indocile, qui ne veut écouter ni la voix de son père ni la voix de sa mère, et qui, châtié par eux, ne les écoute pas davantage,

Deutéronome 21, 19 son père et sa mère se saisiront de lui et l'amèneront dehors aux anciens de la ville, à la porte du lieu.

Deutéronome 21, 20 Ils diront aux anciens de sa ville: "Notre fils que voici se dévoie, il est indocile et ne nous écoute pas, il est débauché et buveur."

Deutéronome 21, 21 Alors tous ses citoyens le lapideront jusqu'à ce que mort s'ensuive. Tu feras disparaître le mal du milieu de toi, tout Israël l'entendra dire et craindra.

Deutéronome 21, 22 Si un homme, coupable d'un crime capital, a été mis à mort et que tu l'aies pendu à un arbre,

Deutéronome 21, 23 son cadavre ne pourra être laissé la nuit sur l'arbre; tu l'enterreras le jour même, car un pendu est une malédiction de Dieu, et tu ne rendras pas impur le sol que Yahvé ton Dieu te donne en héritage.

Deutéronome 22, 1 Si tu vois vagabonder le boeuf de ton frère ou quelque pièce de son petit bétail, tu ne te déroberas pas, mais tu les ramèneras à ton frère.

Deutéronome 22, 2 Si ton frère n'est pas de ton voisinage ou si tu ne le connais pas, tu les recueilleras chez toi et tu les garderas avec toi jusqu'à ce que ton frère vienne les chercher; alors tu les lui rendras.

Deutéronome 22, 3 Ainsi feras-tu pour son âne, ainsi feras-tu pour son manteau, ainsi feras-tu pour tout objet perdu par ton frère et que tu trouveras; tu n'as pas le droit de te dérober.

Deutéronome 22, 4 Si tu vois tomber en chemin l'âne ou le boeuf de ton frère, tu ne te déroberas pas mais tu aideras ton frère à le relever.

Deutéronome 22, 5 Une femme ne portera pas un costume masculin, et un homme ne mettra pas un vêtement de femme: quiconque agit ainsi est en abomination à Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 22, 6 Si tu rencontres en chemin un nid d'oiseau avec des oisillons ou des oeufs, sur un arbre ou à terre, et que la mère soit posée sur les oisillons ou les oeufs, tu ne prendras pas la mère sur les petits.

Deutéronome 22, 7 Laisse partir la mère; ce sont les petits que tu prendras pour toi. Ainsi auras-tu prospérité et longue vie.

Deutéronome 22, 8 Quand tu bâtiras une maison neuve, tu feras au toit un parapet; ainsi ta maison n'encourra pas la vengeance du sang au cas où quelqu'un viendrait à tomber.

Deutéronome 22, 9 Tu ne sèmeras pas autre chose dans ta vigne, de peur que le tout ne soit consacré: et le produit de ta semence, et le fruit de ta vigne.

Deutéronome 22, 10 Tu ne laboureras pas avec un boeuf et un âne ensemble.

Deutéronome 22, 11 Tu ne porteras pas de vêtement tissé mi-laine mi-lin.

Deutéronome 22, 12 Tu feras des glands aux quatre bords de l'habit dont tu te couvriras.

Deutéronome 22, 13 Si un homme épouse une femme, s'unit à elle et ensuite la prend en aversion,

Deutéronome 22, 14 et qu'il lui impute alors des fautes et la diffame publiquement en disant: "Cette femme que j'ai épousée et dont je me suis approché, je ne lui ai pas trouvé les signes de la virginité",

Deutéronome 22, 15 le père de la jeune femme et sa mère prendront les signes de sa virginité et les produiront devant les anciens de la ville, à la porte.

Deutéronome 22, 16 Le père de la jeune femme dira alors aux anciens: "Ma fille que j'ai donnée pour femme à cet homme, il l'a prise en aversion,

Deutéronome 22, 17 et voici qu'il lui impute des fautes en disant: Je n'ai pas trouvé à ta fille les signes de la virginité. Or, voici les signes de la virginité de ma fille." Et ils déploieront le linge devant les anciens de la cité.

Deutéronome 22, 18 Les anciens de cette cité se saisiront de l'homme, le châtieront

Deutéronome 22, 19 et lui infligeront une amende de cent pièces d'argent, qu'ils donneront au père de la jeune femme, pour avoir diffamé publiquement une vierge d'Israël. Il l'aura pour femme et ne pourra jamais la répudier.

Deutéronome 22, 20 Mais si la chose est avérée, et qu'on n'ait pas trouvé à la jeune femme les signes de la virginité,

Deutéronome 22, 21 on la fera sortir à la porte de la maison de son père et ses concitoyens la lapideront jusqu'à ce que mort s'ensuive, pour avoir commis une infamie en Israël en déshonorant la maison de son père. Tu feras disparaître le mal du milieu de toi.

Deutéronome 22, 22 Si l'on prend sur le fait un homme couchant avec une femme mariée, tous deux mourront: l'homme qui a couché avec la femme et la femme elle-même. Tu feras disparaître d'Israël le mal.

Deutéronome 22, 23 Si une jeune fille vierge est fiancée à un homme, qu'un autre homme la rencontre dans la ville et couche avec elle,

Deutéronome 22, 24 vous les conduirez tous deux à la porte de cette ville et vous les lapiderez jusqu'à ce que mort s'ensuive: la jeune fille parce qu'elle n'a pas appelé au secours dans la ville, et l'homme parce qu'il a usé de la femme de son prochain. Tu feras disparaître le mal du milieu de toi.

Deutéronome 22, 25 Mais si c'est dans la campagne que l'homme a rencontré la jeune fille fiancée, qu'il l'a violentée et a couché avec elle, l'homme qui a couché avec elle mourra seul;

Deutéronome 22, 26 tu ne feras rien à la jeune fille, il n'y a pas en elle de péché qui mérite la mort. Le cas est semblable à celui d'un homme qui se jette sur son prochain pour le tuer:

Deutéronome 22, 27 car c'est à la campagne qu'il l'a rencontrée, et la jeune fille fiancée a pu crier sans que personne vienne à son secours.

Deutéronome 22, 28 Si un homme rencontre une jeune fille vierge qui n'est pas fiancée, la saisit et couche avec elle, pris sur le fait,

Deutéronome 22, 29 l'homme qui a couché avec elle donnera au père de la jeune fille 50 pièces d'argent; elle sera sa femme, puisqu'il a usé d'elle, et il ne pourra jamais la répudier.

Deutéronome 23, 1 Un homme ne prendra pas l'épouse de son père, et il ne retirera pas d'elle le pan du manteau de son père.

Deutéronome 23, 2 L'homme aux testicules écrasés, ou à la verge coupée ne sera pas admis à l'assemblée de Yahvé.

Deutéronome 23, 3 Le bâtard ne sera pas admis à l'assemblée de Yahvé; même ses descendants à la dixième génération ne seront pas admis à l'assemblée de Yahvé.

Deutéronome 23, 4 L'Ammonite et le Moabite ne seront pas admis à l'assemblée de Yahvé; même leurs descendants à la dixième génération ne seront pas admis à l'assemblée de Yahvé, et cela pour toujours;

Deutéronome 23, 5 parce qu'ils ne sont pas venus à votre rencontre avec le pain et l'eau quand vous étiez en route à la sortie d'Egypte, et parce qu'il a soudoyé Balaam fils de Béor pour te maudire, de Pétor en Aram Naharayim.

Deutéronome 23, 6 Mais Yahvé ton Dieu ne consentit pas à écouter Balaam, et Yahvé ton Dieu changea pour toi la malédiction en bénédiction, car Yahvé ton Dieu t'aimait.

Deutéronome 23, 7 Jamais, tant que tu vivras, tu ne rechercheras leur prospérité et leur bonheur.

Deutéronome 23, 8 Tu ne tiendras pas l'Edomite pour abominable, car c'est ton frère. Tu ne tiendras pas l'Egyptien pour abominable, car tu as été un étranger dans son pays.

Deutéronome 23, 9 A la troisième génération, leurs descendants seront admis à l'assemblée de Yahvé.

Deutéronome 23, 10 Quand tu iras camper contre tes ennemis, tu te garderas de tout mal.

Deutéronome 23, 11 S'il se trouve parmi les tiens un homme qui ne soit pas en état de pureté, par suite d'une pollution nocturne, il sortira du camp et n'y rentrera pas.

Deutéronome 23, 12 Vers le soir, il se lavera, et au coucher du soleil il pourra rentrer au camp.

Deutéronome 23, 13 Tu auras un endroit hors du camp et c'est là que tu iras, au-dehors.

Deutéronome 23, 14 Tu auras une pioche dans ton équipement, et quand tu iras t'accroupir au-dehors, tu donneras un coup de pioche et tu recouvriras tes ordures.

Deutéronome 23, 15 Car Yahvé ton Dieu parcourt l'intérieur du camp pour te protéger et te livrer tes ennemis. Aussi ton camp doit-il être une chose sainte, Yahvé ne doit rien voir chez toi de dégoûtant; il se détournerait de toi!

Deutéronome 23, 16 Tu ne laisseras pas enfermer par son maître un esclave qui se sera enfui de chez son maître auprès de toi.

Deutéronome 23, 17 Il demeurera avec toi, parmi les tiens, au lieu qu'il aura choisi dans l'une de tes villes où il se trouvera bien; tu ne le molesteras pas.

Deutéronome 23, 18 Il n'y aura pas de prostituée sacrée parmi les filles d'Israël, ni de prostitué sacré parmi les fils d'Israël.

Deutéronome 23, 19 Tu n'apporteras pas à la maison de Yahvé ton Dieu le salaire d'une prostituée ni le paiement d'un chien, quel que soit le voeu que tu aies fait: car tous deux sont en abomination à Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 23, 20 Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, qu'il s'agisse d'un prêt d'argent, ou de vivres, ou de quoi que ce soit dont on exige intérêt.

Deutéronome 23, 21 A l'étranger tu pourras prêter à intérêt, mais tu prêteras sans intérêt à ton frère, afin que Yahvé ton Dieu te bénisse en tous tes travaux, au pays où tu vas entrer pour en prendre possession.

Deutéronome 23, 22 Si tu fais un voeu à Yahvé ton Dieu, tu ne tarderas pas à l'acquitter: nul doute que Yahvé ton Dieu te le réclame, et tu te chargerais d'un péché.

Deutéronome 23, 23 Mais si tu t'abstiens de voeu, tu ne te chargeras pas d'un péché.

Deutéronome 23, 24 Ce qui sort de ta bouche, tiens-le, et exécute le voeu que tu as fait volontairement à Yahvé ton Dieu, de ta propre bouche.

Deutéronome 23, 25 Si tu passes dans la vigne de ton prochain, tu pourras manger du raisin à ton gré, jusqu'à satiété, mais tu n'en mettras pas dans ton panier.

Deutéronome 23, 26 Si tu traverses les moissons de ton prochain, tu pourras arracher des épis avec la main, mais tu ne porteras pas la faucille sur la moisson de ton prochain.

Deutéronome 24, 1 Soit un homme qui a pris une femme et consommé son mariage; mais cette femme n'a pas trouvé grâce à ses yeux, et il a découvert une tare à lui imputer; il a donc rédigé pour elle un acte de répudiation et le lui a remis, puis il l'a renvoyée de chez lui;

Deutéronome 24, 2 elle a quitté sa maison, s'en est allée et a appartenu à un autre homme.

Deutéronome 24, 3 Si alors cet autre homme la prend en aversion, rédige pour elle un acte de répudiation, le lui remet et la renvoie de chez lui (ou si vient à mourir cet autre homme qui l'a prise pour femme),

Deutéronome 24, 4 son premier mari qui l'a répudiée ne pourra la reprendre pour femme, après qu'elle s'est ainsi rendue impure. Car il y a là une abomination aux yeux de Yahvé, et tu ne dois pas faire pécher le pays que Yahvé ton Dieu te donne en héritage.

Deutéronome 24, 5 Si un homme vient de prendre femme, il n'ira pas à l'armée et on ne viendra pas chez lui l'importuner, il restera un an chez lui, quitte de toute affaire, pour la joie de la femme qu'il a prise.

Deutéronome 24, 6 On ne prendra pas en gage le moulin ni la meule: ce serait prendre la vie même en gage.

Deutéronome 24, 7 Si on trouve un homme qui enlève l'un de ses frères, parmi les Israélites, -- qu'il l'exploite lui-même ou qu'il le vende, -- ce voleur mourra. Tu feras disparaître le mal du milieu de toi.

Deutéronome 24, 8 En cas de lèpre, prends garde d'observer soigneusement et de suivre intégralement tout ce que vous enseigneront les prêtres lévites. Vous observerez et mettrez en pratique ce que je leur aurai ordonné.

Deutéronome 24, 9 Rappelle-toi ce que Yahvé ton Dieu a fait à Miryam, quand vous étiez en chemin au sortir d'Egypte.

Deutéronome 24, 10 Si tu prêtes sur gages à ton prochain, tu n'entreras pas dans sa maison pour saisir le gage, quel qu'il soit.

Deutéronome 24, 11 Tu te tiendras dehors et l'homme auquel tu prêtes t'apportera le gage dehors.

Deutéronome 24, 12 Et si c'est un homme d'humble condition, tu n'iras pas te coucher en gardant son gage,

Deutéronome 24, 13 tu lui rendras au coucher du soleil, il se couchera dans son manteau, il te bénira et ce sera une bonne action aux yeux de Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 24, 14 Tu n'exploiteras pas le salarié humble et pauvre, qu'il soit d'entre tes frères ou étranger en résidence chez toi.

Deutéronome 24, 15 Chaque jour tu lui donneras son salaire, sans laisser le soleil se coucher sur cette dette; car il est pauvre et il attend impatiemment ce salaire. Ainsi n'en appellera-t-il pas à Yahvé contre toi. Autrement tu serais en faute.

Deutéronome 24, 16 Les pères ne seront pas mis à mort pour les fils, ni les fils pour les pères. Chacun sera mis à mort pour son propre crime.

Deutéronome 24, 17 Tu ne porteras pas atteinte au droit de l'étranger et de l'orphelin, et tu ne prendras pas en gage le vêtement de la veuve.

Deutéronome 24, 18 Souviens-toi que tu as été en servitude au pays d'Egypte et que Yahvé ton Dieu t'en a racheté; aussi je t'ordonne de mettre cette parole en pratique.

Deutéronome 24, 19 Lorsque tu feras la moisson dans ton champ, si tu oublies une gerbe au champ, ne reviens pas la chercher. Elle sera pour l'étranger, l'orphelin et la veuve, afin que Yahvé ton Dieu te bénisse dans toutes tes oeuvres.

Deutéronome 24, 20 Lorsque tu gauleras ton olivier, tu n'iras rien y rechercher ensuite. Ce qui restera sera pour l'étranger, l'orphelin et la veuve.

Deutéronome 24, 21 Lorsque tu vendangeras ta vigne, tu n'iras rien y grappiller ensuite. Ce qui restera sera pour l'étranger, l'orphelin et la veuve.

Deutéronome 24, 22 Et tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d'Egypte; aussi je t'ordonne de mettre cette parole en pratique.

Deutéronome 25, 1 Lorsque des hommes auront une contestation, ils iront en justice pour qu'on prononce entre eux: on donnera raison à qui a raison et tort à qui a tort.

Deutéronome 25, 2 Si celui qui a tort mérite des coups, le juge le fera étendre à terre en sa présence, et frapper d'un nombre de coups proportionnel à ses torts.

Deutéronome 25, 3 Il pourra lui infliger 40 coups, mais pas davantage, de peur qu'en frappant davantage la meurtrissure ne soit grave et que ton frère ne soit avili à tes yeux.

Deutéronome 25, 4 Tu ne muselleras pas le boeuf quand il foule le grain.

Deutéronome 25, 5 Si des frères demeurent ensemble et que l'un d'eux vienne à mourir sans enfant, la femme du défunt ne se mariera pas au-dehors avec un homme d'une famille étrangère. Son "lévir" viendra à elle, il exercera son lévirat en la prenant pour épouse

Deutéronome 25, 6 et le premier-né qu'elle enfantera relèvera le nom de son frère défunt; ainsi son nom ne sera pas effacé d'Israël.

Deutéronome 25, 7 Mais si cet homme refuse de prendre celle dont il doit être lévir, elle ira trouver les anciens à la porte et dira: "Je n'ai pas de lévir qui veuille relever le nom de son frère en Israël, il ne consent pas à exercer en ma faveur son lévirat."

Deutéronome 25, 8 Les anciens de sa cité convoqueront cet homme et lui parleront. Ayant comparu, il dira: "Je refuse de la prendre."

Deutéronome 25, 9 Celle à qui il doit le lévirat s'approchera de lui en présence des anciens, lui ôtera sa sandale du pied, lui crachera au visage et prononcera ces paroles: "Ainsi fait-on à l'homme qui ne relève pas la maison de son frère",

Deutéronome 25, 10 et sa maison sera ainsi appelée en Israël: "Maison du déchaussé.

Deutéronome 25, 11 Lorsque des hommes se battent ensemble, un homme et son frère, si la femme de l'un d'eux s'approche et, pour dégager son mari des coups de l'autre, avance la main et saisit celui-ci par les parties honteuses,

Deutéronome 25, 12 tu lui couperas la main sans un regard de pitié.

Deutéronome 25, 13 Tu n'auras pas dans ton sac poids et poids, l'un lourd et l'autre léger.

Deutéronome 25, 14 Il n'y aura pas dans ta maison mesure et mesure, l'une grande et l'autre petite.

Deutéronome 25, 15 Tu auras un poids intact et exact, et tu auras une mesure entière et exacte, afin d'avoir longue vie sur la terre que Yahvé ton Dieu te donne

Deutéronome 25, 16 Car Yahvé ton Dieu a en abomination quiconque pratique ces choses, quiconque exerce la fraude.

Deutéronome 25, 17 Rappelle-toi ce que t'a fait Amaleq quand vous étiez en chemin à votre sortie d'Egypte.

Deutéronome 25, 18 Il vint à ta rencontre sur le chemin et, par derrière, après ton passage, il attaqua les éclopés; quand tu étais las et exténué, il n'eut pas crainte de Dieu.

Deutéronome 25, 19 Lorsque Yahvé ton Dieu t'aura établi à l'abri de tous tes ennemis alentour, au pays que Yahvé ton Dieu te donne en héritage pour le posséder, tu effaceras le souvenir d'Amaleq de dessous les cieux. N'oublie pas!

Deutéronome 26, 1 Lorsque tu parviendras au pays que Yahvé ton Dieu te donne en héritage, lorsque tu le posséderas et l'habiteras,

Deutéronome 26, 2 tu prélèveras les prémices de tous les produits du sol que tu auras fait pousser au pays que te donne Yahvé ton Dieu. Tu les mettras dans une hotte, et tu te rendras au lieu choisi par Yahvé ton Dieu pour y faire habiter son nom.

Deutéronome 26, 3 Tu iras trouver le prêtre alors en charge, et tu lui diras: "Je déclare aujourd'hui à Yahvé mon Dieu que je suis arrivé au pays que Yahvé avait juré à nos pères de nous donner."

Deutéronome 26, 4 Le prêtre prendra de ta main la hotte et la déposera devant l'autel de Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 26, 5 Tu prononceras ces paroles devant Yahvé ton Dieu: "Mon père était un Araméen errant qui descendit en Egypte, et c'est en petit nombre qu'il y séjourna, avant d'y devenir une nation grande, puissante et nombreuse.

Deutéronome 26, 6 Les Egyptiens nous maltraitèrent, nous brimèrent et nous imposèrent une dure servitude.

Deutéronome 26, 7 Nous avons fait appel à Yahvé le Dieu de nos pères. Yahvé entendit notre voix, il vit notre misère, notre peine et notre oppression,

Deutéronome 26, 8 et Yahvé nous fit sortir d'Egypte à main forte et à bras étendu, par une grande terreur, des signes et des prodiges.

Deutéronome 26, 9 Il nous a conduits ici et nous a donné cette terre, terre qui ruisselle de lait et de miel.

Deutéronome 26, 10 Voici que j'apporte maintenant les prémices des produits du sol que tu m'as donné, Yahvé." Tu les déposeras devant Yahvé ton Dieu et tu te prosterneras devant Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 26, 11 Puis tu te réjouiras de toutes les bonnes choses dont Yahvé ton Dieu t'a gratifié, toi et ta maison, -- toi ainsi que le lévite et l'étranger qui est chez toi.

Deutéronome 26, 12 La troisième année, année de la dîme, lorsque tu auras achevé de prendre la dîme de tous tes revenus et que tu l'auras donnée au lévite, à l'étranger, à la veuve et à l'orphelin, et que, l'ayant consommée dans tes villes, ils s'en seront rassasiés,

Deutéronome 26, 13 tu diras en présence de Yahvé ton Dieu: "J'ai retiré de ma maison ce qui était consacré. Oui, je l'ai donné au lévite, à l'étranger, à l'orphelin et à la veuve, selon tous les commandements que tu m'as faits, sans outrepasser tes commandements ni les oublier.

Deutéronome 26, 14 Je n'en ai rien mangé quand j'étais en deuil, je n'en ai rien retiré quand j'étais impur, je n'ai rien donné pour un mort. J'ai obéi à la voix de Yahvé mon Dieu et j'ai agi selon tout ce que tu m'avais ordonné.

Deutéronome 26, 15 De la demeure de ta sainteté, des cieux, regarde et bénis Israël ton peuple, ainsi que la terre que tu nous as donnée comme tu l'avais juré à nos pères, terre qui ruisselle de lait et de miel."

Deutéronome 26, 16 Yahvé ton Dieu t'ordonne aujourd'hui de pratiquer ces lois et coutumes; tu les garderas et tu les pratiqueras de tout ton coeur et de toute ton âme.

Deutéronome 26, 17 Tu as obtenu de Yahvé aujourd'hui cette déclaration, qu'il serait ton Dieu -- mais à la condition que tu marches dans ses voies, que tu gardes ses lois, ses commandements et ses coutumes et que tu écoutes sa voix.

Deutéronome 26, 18 Et Yahvé a obtenu de toi aujourd'hui cette déclaration, que tu serais son peuple à lui, comme il te l'a dit -- mais à la condition de garder tous ses commandements;

Deutéronome 26, 19 il t'élèverait alors au-dessus de toutes les nations qu'il a faites, en honneur, en renom et en gloire, et tu serais un peuple consacré à Yahvé ton Dieu, ainsi qu'il te l'a dit.

Deutéronome 27, 1 Moïse et les anciens d'Israël donnèrent cet ordre au peuple: "Gardez tous les commandements que je vous prescris aujourd'hui.

Deutéronome 27, 2 Lorsque vous passerez le Jourdain pour vous rendre au pays que Yahvé ton Dieu te donne, tu dresseras de grandes pierres, tu les enduiras de chaux

Deutéronome 27, 3 et tu écriras toutes les paroles de cette Loi, au moment où tu passeras pour entrer dans la terre que Yahvé ton Dieu te donne, terre qui ruisselle de lait et de miel, comme te l'a dit Yahvé le Dieu de tes pères.

Deutéronome 27, 4 Et lorsque vous aurez passé le Jourdain, vous dresserez ces pierres sur le mont Ebal, comme je vous l'ordonne aujourd'hui, et vous les enduirez de chaux.

Deutéronome 27, 5 Tu y édifieras pour Yahvé ton Dieu un autel, avec des pierres que le fer n'aura pas travaillées.

Deutéronome 27, 6 C'est de pierres brutes que tu édifieras l'autel de Yahvé ton Dieu, et c'est sur cet autel que tu offriras des holocaustes pour Yahvé ton Dieu,

Deutéronome 27, 7 que tu immoleras des sacrifices de communion, que tu mangeras sur place, et tu te réjouiras en présence de Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 27, 8 Tu écriras sur ces pierres toutes les paroles de cette Loi: grave-les bien."

Deutéronome 27, 9 Puis Moïse et les prêtres lévites dirent à tout Israël: "Fais silence et écoute, Israël. Aujourd'hui tu es devenu un peuple pour Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 27, 10 Tu écouteras la voix de Yahvé ton Dieu, et tu mettras en pratique les commandements et les lois que je te prescris aujourd'hui."

Deutéronome 27, 11 Et Moïse, en ce jour, donna alors cet ordre au peuple:

Deutéronome 27, 12 "Lorsque vous aurez passé le Jourdain, voici ceux qui se tiendront sur le mont Garizim pour bénir le peuple: Siméon et Lévi, Juda et Issachar, Joseph et Benjamin.

Deutéronome 27, 13 Et voici ceux qui se tiendront sur le mont Ebal pour la malédiction: Ruben, Gad et Asher, Zabulon, Dan et Nephtali.

Deutéronome 27, 14 Les lévites prendront la parole et diront à voix haute à tous les Israélites:

Deutéronome 27, 15 Maudit soit l'homme qui fait une idole sculptée ou fondue, abomination pour Yahvé, oeuvre de mains d'artisan, et la place en un lieu caché. -- Et tout le peuple répondra et dira: Amen.

Deutéronome 27, 16 Maudit soit celui qui traite indignement son père et sa mère. -- Et tout le peuple dira: Amen.

Deutéronome 27, 17 Maudit soit celui qui déplace la borne de son prochain. -- Et tout le peuple dira: Amen.

Deutéronome 27, 18 Maudit soit celui qui égare un aveugle en chemin. -- Et tout le peuple dira: Amen.

Deutéronome 27, 19 Maudit soit celui qui fait dévier le droit de l'étranger, de l'orphelin et de la veuve. -- Et tout le peuple dira: Amen.

Deutéronome 27, 20 Maudit soit celui qui couche avec la femme de son père, car il retire d'elle le pan du manteau de son père. -- Et tout le peuple dira: Amen.

Deutéronome 27, 21 Maudit soit celui qui couche avec quelque bête que ce soit. -- Et tout le peuple dira: Amen.

Deutéronome 27, 22 Maudit soit celui qui couche avec sa soeur, fille de son père ou fille de sa mère. -- Et tout le peuple dira: Amen.

Deutéronome 27, 23 Maudit soit celui qui couche avec sa belle-mère. -- Et tout le peuple dira: Amen.

Deutéronome 27, 24 Maudit soit celui qui frappe en secret son prochain. -- Et tout le peuple dira: Amen.

Deutéronome 27, 25 Maudit soit celui qui accepte un présent pour frapper mortellement une vie innocente. -- Et tout le peuple dira: Amen.

Deutéronome 27, 26 Maudit soit celui qui ne maintient pas en vigueur les paroles de cette Loi pour les mettre en pratique. -- Et tout le peuple dira: Amen."

Deutéronome 28, 1 Or donc, si tu obéis vraiment à la voix de Yahvé ton Dieu, en gardant et pratiquant tous ces commandements que je te prescris aujourd'hui, Yahvé ton Dieu t'élèvera au-dessus de toutes les nations de la terre.

Deutéronome 28, 2 Toutes les bénédictions que voici t'adviendront et t'atteindront; car tu auras obéi à la voix de Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 28, 3 Béni seras-tu à la ville et béni seras-tu à la campagne.

Deutéronome 28, 4 Bénis seront le fruit de tes entrailles, le produit de ton sol, le fruit de ton bétail, la portée de tes vaches et le croît de tes brebis.

Deutéronome 28, 5 Bénies seront ta hotte et ta huche.

Deutéronome 28, 6 Bénies seront tes entrées et bénies seront tes sorties.

Deutéronome 28, 7 Des ennemis qui se dresseraient contre toi, Yahvé fera tes vaincus: sortis par un chemin à ta rencontre, par sept chemins ils fuiront devant toi.

Deutéronome 28, 8 Yahvé commandera à la bénédiction d'être avec toi, en tes greniers comme en tes travaux, et il te bénira dans le pays que te donne Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 28, 9 Yahvé fera de toi le peuple qui lui est consacré, ainsi qu'il te l'a juré, si tu gardes les commandements de Yahvé ton Dieu et si tu marches dans ses voies.

Deutéronome 28, 10 Tous les peuples de la terre verront que tu portes le nom de Yahvé et ils te craindront.

Deutéronome 28, 11 Yahvé te fera surabonder de biens: fruit de tes entrailles, fruit de ton bétail et fruit de ton sol, sur cette terre qu'il a juré à tes pères de te donner.

Deutéronome 28, 12 Yahvé ouvrira pour toi les cieux, son trésor excellent, pour donner en son temps la pluie à ton pays, et pour bénir toutes tes oeuvres. Tu annexeras des nations nombreuses et toi, tu ne seras pas annexé.

Deutéronome 28, 13 Yahvé te mettra à la tête et non à la queue, tu ne seras jamais qu'au-dessus et non point au-dessous, si tu écoutes les commandements de Yahvé ton Dieu, que je te prescris aujourd'hui, pour les garder et les mettre en pratique,

Deutéronome 28, 14 sans dévier à droite ni à gauche d'aucune de ces paroles que je vous prescris aujourd'hui, en allant suivre d'autres dieux et les servir.

Deutéronome 28, 15 Mais si tu n'obéis pas à la voix de Yahvé ton Dieu, ne gardant pas ses commandements et ses lois que je te prescris aujourd'hui, toutes les malédictions que voici t'adviendront et t'atteindront.

Deutéronome 28, 16 Maudit seras-tu à la ville et maudit seras-tu à la campagne.

Deutéronome 28, 17 Maudites seront ta hotte et ta huche.

Deutéronome 28, 18 Maudits seront le fruit de tes entrailles et le fruit de ton sol, la portée de tes vaches et le croît de tes brebis.

Deutéronome 28, 19 Maudites seront tes entrées et maudites tes sorties.

Deutéronome 28, 20 Yahvé enverra contre toi la malédiction, le maléfice et l'imprécation dans tous tes travaux, de sorte que tu sois détruit et que tu périsses rapidement, pour la perversité de tes actions, pour m'avoir abandonné.

Deutéronome 28, 21 Yahvé attachera à toi la peste, jusqu'à ce qu'elle t'ait consumé sur cette terre où tu vas entrer pour en prendre possession.

Deutéronome 28, 22 Yahvé te frappera de consomption, de fièvre, d'inflammation, de fièvre chaude, de sécheresse, de rouille et de nielle, qui te poursuivront jusqu'à ta perte.

Deutéronome 28, 23 Les cieux au-dessus de toi seront d'airain et la terre sous toi sera de fer.

Deutéronome 28, 24 La pluie de ton pays, Yahvé en fera de la poussière et du sable; il en tombera du ciel sur toi jusqu'à ta destruction.

Deutéronome 28, 25 Yahvé fera de toi un vaincu en face de tes ennemis: sorti à leur rencontre par un chemin, par sept chemins tu fuiras devant eux, et tu deviendras un objet d'épouvante pour tous les royaumes de la terre.

Deutéronome 28, 26 Ton cadavre sera la pâture de tous les oiseaux du ciel et de toutes les bêtes de la terre, sans que personne leur fasse peur.

Deutéronome 28, 27 Yahvé te frappera d'ulcères d'Egypte, de bubons, de croûtes, de plaques rouges dont tu ne pourras guérir.

Deutéronome 28, 28 Yahvé te frappera de délire, d'aveuglement et d'égarement des sens,

Deutéronome 28, 29 au point que tu iras à tâtons en plein midi comme l'aveugle va à tâtons dans les ténèbres, et tes démarches n'aboutiront pas. Tu ne seras jamais qu'exploité et spolié, sans personne pour te sauver.

Deutéronome 28, 30 Tu prendras une femme comme fiancée, mais un autre homme la possédera; tu bâtiras une maison, mais tu ne pourras l'habiter; tu planteras une vigne, mais tu n'en pourras cueillir les premiers fruits.

Deutéronome 28, 31 Ton boeuf sera égorgé sous tes yeux, et tu n'en pourras manger; ton âne te sera enlevé en ta présence, et il ne te reviendra pas; tes brebis seront livrées à tes ennemis, et personne ne prendra ta défense.

Deutéronome 28, 32 Tes fils et tes filles seront livrés à un autre peuple; chaque jour tes yeux se consumeront à regarder vers eux, et tes mains n'y pourront rien.

Deutéronome 28, 33 Le fruit de ton sol et le fruit de ta peine, un peuple que tu ne connais pas les mangera. Tu ne seras jamais qu'exploité et écrasé.

Deutéronome 28, 34 Ce que verront tes yeux te rendra fou.

Deutéronome 28, 35 Yahvé te frappera de mauvais ulcères aux genoux et aux jambes et tu n'en pourras guérir, de la plante des pieds au sommet de la tête.

Deutéronome 28, 36 Toi et le roi que tu auras mis à ta tête, Yahvé vous mènera en une nation que tes pères ni toi n'avez connue, et tu y serviras d'autres dieux, de bois et de pierre.

Deutéronome 28, 37 Tu seras la stupéfaction, la fable et la risée de tous les peuples où Yahvé te conduira.

Deutéronome 28, 38 Tu jetteras aux champs beaucoup de semence pour récolter peu, car la sauterelle la pillera.

Deutéronome 28, 39 Tu planteras et travailleras ta vigne pour ne pas boire de vin ni rien recueillir, car le ver la dévorera.

Deutéronome 28, 40 Tu auras des oliviers sur tout ton territoire, pour ne pas t'oindre d'huile, car tes oliviers seront abattus.

Deutéronome 28, 41 Tu engendreras des fils et des filles, mais ils ne t'appartiendront pas, car ils iront en captivité.

Deutéronome 28, 42 De tous tes arbres et de tous les fruits de ton sol l'insecte fera sa proie.

Deutéronome 28, 43 L'étranger qui est chez toi s'élèvera à tes dépens de plus en plus haut, et toi tu descendras de plus en plus bas.

Deutéronome 28, 44 C'est lui qui t'annexera, et tu ne pourras l'annexer; c'est lui qui sera à la tête, et toi à la queue.

Deutéronome 28, 45 Toutes ces malédictions t'adviendront, te poursuivront et t'atteindront jusqu'à te détruire, quand tu n'auras pas obéi à la voix de Yahvé ton Dieu en gardant ses commandements et ses lois qu'il t'a prescrits.

Deutéronome 28, 46 Elles seront un signe et un prodige sur toi et sur ta postérité à jamais.

Deutéronome 28, 47 Puisque tu n'auras pas servi Yahvé ton Dieu dans la joie et le bonheur que donne l'abondance de toutes choses,

Deutéronome 28, 48 tu serviras l'ennemi que Yahvé enverra contre toi, dans la faim, la soif, la nudité, la privation totale. Il imposera à ta nuque un joug de fer, jusqu'à ce qu'il t'ait détruit.

Deutéronome 28, 49 Yahvé suscitera contre toi une nation lointaine, des extrémités de la terre; comme l'aigle qui prend son essor. Ce sera une nation dont la langue te sera inconnue,

Deutéronome 28, 50 une nation au visage dur, sans égard pour la vieillesse et sans pitié pour la jeunesse.

Deutéronome 28, 51 Elle mangera le fruit de ton bétail et le fruit de ton sol, jusqu'à te détruire, sans te laisser ni froment, ni vin, ni huile, ni portée de vache ou croît de brebis, jusqu'à ce qu'elle t'ait fait périr.

Deutéronome 28, 52 Elle t'assiégera dans toutes tes villes, jusqu'à ce que soient tombées tes murailles les plus hautes et les mieux fortifiées, toutes celles où tu chercheras la sécurité dans ton pays. Elle t'assiégera dans toutes les villes, dans tout le pays que t'aura donné Yahvé ton Dieu.

Deutéronome 28, 53 Tu mangeras le fruit de tes entrailles, la chair de tes fils et de tes filles que t'aura donnés Yahvé ton Dieu, pendant ce siège et dans cette détresse où ton ennemi te réduira.

Deutéronome 28, 54 Le plus délicat et le plus amolli d'entre les tiens jettera des regards malveillants sur son frère, et même sur la femme qu'il étreint et ceux de ses enfants qui lui resteront,

Deutéronome 28, 55 ne voulant partager avec aucun d'eux la chair de ses fils qu'il mange: car il ne lui restera rien, à cause du siège et de la détresse où ton ennemi te réduira dans toutes tes villes.

Deutéronome 28, 56 La plus délicate et la plus amollie des femmes de ton peuple, si délicate et amollie qu'elle n'aurait pas essayé de poser à terre la plante de son pied, celle-là jettera des regards malveillants sur l'homme qu'elle étreint, et même sur son fils ou sa fille,

Deutéronome 28, 57 sur l'arrière-faix sorti de ses flancs et sur l'enfant qu'elle met au monde, et elle se cachera pour les manger, dans la privation de tout, à cause du siège et de la détresse où ton ennemi te réduira dans toutes tes villes.

Deutéronome 28, 58 Si tu ne gardes pas pour les mettre en pratique toutes les paroles de cette Loi écrites en ce livre, dans la crainte de ce nom glorieux et redoutable: Yahvé ton Dieu,

Deutéronome 28, 59 Yahvé te frappera de ces fléaux étonnants, toi et ta descendance: fléaux grands et persistants, maladies pernicieuses et tenaces.

Deutéronome 28, 60 Il fera revenir chez toi ces maux d'Egypte qui furent ta terreur, et ils s'attacheront à toi.

Deutéronome 28, 61 Bien plus, tous les fléaux et maladies que ne mentionne pas le livre de cette Loi, Yahvé les suscitera contre toi, jusqu'à te détruire.

Deutéronome 28, 62 Vous ne resterez que peu d'hommes, vous qui étiez aussi nombreux que les étoiles du ciel. Parce que tu n'auras pas obéi à la voix de Yahvé ton Dieu,

Deutéronome 28, 63 autant Yahvé avait pris plaisir à vous rendre heureux et à vous multiplier, autant il prendra plaisir à vous perdre et à vous détruire. Vous serez arrachés à la terre où tu vas entrer pour en prendre possession.

Deutéronome 28, 64 Yahvé te dispersera parmi tous les peuples, d'un bout du monde à l'autre; là tu serviras d'autres dieux, que tes pères ni toi n'avez connus, du bois et de la pierre.

Deutéronome 28, 65 Parmi ces nations, tu n'auras pas de tranquillité et il n'y aura pas de repos pour la plante de tes pieds, mais là Yahvé te donnera un coeur tremblant, des yeux éteints, un souffle court.

Deutéronome 28, 66 D'avance la vie te sera une fatigue, tu seras dans l'effroi jour et nuit, sans pouvoir croire en ta vie.

Deutéronome 28, 67 Le matin tu diras: "Qui me donnerait d'être au soir?" Et le soir tu diras: "Qui me donnerait d'être au matin?" A cause de l'effroi qui étreindra ton coeur et du spectacle que verront tes yeux!

Deutéronome 28, 68 Yahvé te renverra en Egypte dans des vaisseaux ou par un chemin dont je t'avais dit: "Tu ne le verras plus!" Et là vous irez vous vendre à tes ennemis comme serviteurs et servantes, sans trouver d'acheteur.

Deutéronome 28, 69 Voici les paroles de l'alliance que Yahvé ordonna à Moïse de conclure avec les Israélites au pays de Moab, outre l'alliance qu'il avait conclue avec eux à l'Horeb.

Deutéronome 29, 1 Moïse convoqua tout Israël et leur dit: Vous avez vu tout ce que Yahvé a fait sous vos yeux au pays d'Egypte, tant à Pharaon et à tous ses serviteurs qu'à tout son pays:

Deutéronome 29, 2 ces grandes épreuves que tu as vues toi-même, ces signes et ces prodiges grandioses.

Deutéronome 29, 3 Mais, jusqu'aujourd'hui, Yahvé ne vous avait pas donné un coeur pour connaître, des yeux pour voir, des oreilles pour entendre.

Deutéronome 29, 4 Je vous ai fait aller 40 ans dans le désert, sans que soient usés vos vêtements sur vous, ni tes sandales à tes pieds.

Deutéronome 29, 5 Vous n'avez pas eu de pain à manger, ni de vin ou de boisson fermentée à boire, afin que vous sachiez d'expérience que moi, Yahvé, je suis votre Dieu.

Deutéronome 29, 6 Puis vous êtes venus en ce lieu. Sihôn, roi d'Heshbôn, et Og, roi du Bashân, sont sortis à notre rencontre pour nous combattre, mais nous les avons battus.

Deutéronome 29, 7 Nous avons conquis leur pays, et nous l'avons donné en héritage à Ruben, à Gad et à la demi-tribu de Manassé.

Deutéronome 29, 8 Gardez les paroles de cette alliance et mettez-les en pratique afin de réussir dans toutes vos entreprises.

Deutéronome 29, 9 Vous voici aujourd'hui debout devant Yahvé votre Dieu: vos chefs de tribus, vos anciens, vos scribes, tous les hommes d'Israël,

Deutéronome 29, 10 avec vos enfants et vos femmes (et aussi l'étranger qui est dans ton camp, aussi bien celui qui coupe ton bois que celui qui puise ton eau),

Deutéronome 29, 11 et tu vas passer dans l'alliance de Yahvé ton Dieu, jurée avec imprécation, alliance qu'il a conclue aujourd'hui avec toi

Deutéronome 29, 12 pour faire aujourd'hui de toi un peuple tandis que lui-même sera pour toi un Dieu, comme il te l'a dit et comme il l'a juré à tes pères Abraham, Isaac et Jacob.

Deutéronome 29, 13 Ce n'est pas avec vous seulement que je conclus aujourd'hui cette alliance et que je profère cette imprécation,

Deutéronome 29, 14 mais aussi bien avec celui qui se tient ici avec nous en présence de Yahvé notre Dieu, qu'avec celui qui n'est pas ici avec nous aujourd'hui.

Deutéronome 29, 15 Oui, vous savez avec qui nous demeurions en Egypte, au milieu de qui nous avons passé, ces nations que vous avez traversées.

Deutéronome 29, 16 Vous avez vu leurs horreurs et leurs idoles, le bois, la pierre, l'or et l'argent qui sont chez elles.

Deutéronome 29, 17 Qu'il n'y ait pas parmi vous homme ni femme, clan ni tribu dont le coeur se détourne aujourd'hui de Yahvé notre Dieu en allant servir les dieux de ces nations! Qu'il n'y ait pas parmi vous de racine d'où lèvent le pavot et l'absinthe!

Deutéronome 29, 18 Si, après avoir entendu cette imprécation, quelqu'un se bénit lui-même en son coeur en disant: "A marcher selon l'assurance de mon propre coeur, je ne manquerai de rien, si bien que l'abondance d'eau fera disparaître la soif",

Deutéronome 29, 19 Yahvé ne consentira pas à lui pardonner. Car la colère et la jalousie de Yahvé s'enflammeront contre cet homme, toute l'imprécation inscrite dans ce livre fondra sur lui, et Yahvé effacera son nom de dessous les cieux.

Deutéronome 29, 20 Yahvé le mettra à part de toutes les tribus d'Israël, pour son malheur, selon toutes les imprécations de l'alliance inscrite au livre de cette Loi.

Deutéronome 29, 21 La génération future, celle de vos fils qui se lèveront après vous, et aussi l'étranger venu d'un pays lointain, verront les fléaux qui frapperont ce pays et les maladies que Yahvé y fera sévir, et s'écrieront:

Deutéronome 29, 22 "Soufre, sel, toute sa terre est brûlée; on n'y sèmera plus, rien n'y germera plus, aucune herbe n'y croîtra plus. Ainsi ont été changées Sodome et Gomorrhe, Adma et Ceboyim que Yahvé dévasta dans sa colère et sa fureur!"

Deutéronome 29, 23 Et toutes les nations s'écrieront: "Pourquoi Yahvé a-t-il ainsi traité ce pays? Pourquoi l'ardeur de cette grande colère?"

Deutéronome 29, 24 Et l'on dira: "Parce qu'ils ont abandonné l'alliance de Yahvé, Dieu de leurs pères, qu'il avait conclue avec eux en les faisant sortir du pays d'Egypte;

Deutéronome 29, 25 parce qu'ils sont allés servir d'autres dieux et les ont adorés, dieux qu'ils n'avaient pas connus ni reçus de lui en partage,

Deutéronome 29, 26 la colère de Yahvé s'est enflammée contre ce pays, faisant venir sur lui toute la malédiction inscrite dans ce livre.

Deutéronome 29, 27 Yahvé les a arrachés de leur terre avec colère, fureur et grande indignation, et les a jetés en un autre pays, comme aujourd'hui."

Deutéronome 29, 28 Les choses cachées sont à Yahvé notre Dieu, mais les choses révélées sont à nous et à nos fils pour toujours, afin que nous mettions en pratique toutes les paroles de cette Loi.

Deutéronome 30, 1 Lorsque toutes ces paroles se seront réalisées pour toi, cette bénédiction et cette malédiction que je t'ai proposées, si tu les médites en ton coeur, parmi toutes les nations où Yahvé ton Dieu t'aura fait errer,

Deutéronome 30, 2 si tu reviens à Yahvé ton Dieu, si tu écoutes sa voix en tout ce que je t'ordonne aujourd'hui, de tout ton coeur et de toute ton âme, toi et tes fils,

Deutéronome 30, 3 Yahvé ton Dieu ramènera tes captifs, il aura pitié de toi, il te rassemblera à nouveau du milieu de tous les peuples où Yahvé ton Dieu t'a dispersé.

Deutéronome 30, 4 Serais-tu banni à l'extrémité des cieux, de là même Yahvé ton Dieu te rassemblerait et il viendrait t'y prendre,

Deutéronome 30, 5 pour te ramener au pays que tes pères ont possédé, afin que tu le possèdes à ton tour, que tu y sois heureux et que tu y multiplies plus que tes pères.

Deutéronome 30, 6 Yahvé ton Dieu circoncira ton coeur et le coeur de ta postérité pour que tu aimes Yahvé ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme, afin que tu vives.

Deutéronome 30, 7 Yahvé ton Dieu fera retomber toutes ces imprécations sur tes ennemis et sur tes adversaires qui t'ont persécuté.

Deutéronome 30, 8 Toi, tu obéiras de nouveau à la voix de Yahvé ton Dieu et tu mettras en pratique tous ses commandements que je te prescris aujourd'hui.

Deutéronome 30, 9 Yahvé ton Dieu te rendra prospère en toutes tes entreprises, dans le fruit de tes entrailles, dans le fruit de ton bétail et dans le fruit de ton sol. Car de nouveau Yahvé prendra plaisir à ton bonheur, comme il avait pris plaisir au bonheur de tes pères,

Deutéronome 30, 10 si tu obéis à la voix de Yahvé ton Dieu en gardant ses commandements et ses décrets, inscrits dans le livre de cette Loi, si tu reviens à Yahvé ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme.

Deutéronome 30, 11 Car cette Loi que je te prescris aujourd'hui n'est pas au-delà de tes moyens ni hors de ton atteinte.

Deutéronome 30, 12 Elle n'est pas dans les cieux, qu'il te faille dire: "Qui montera pour nous aux cieux nous la chercher, que nous l'entendions pour la mettre en pratique?"

Deutéronome 30, 13 Elle n'est pas au-delà des mers, qu'il te faille dire: "Qui ira pour nous au-delà des mers nous la chercher, que nous l'entendions pour la mettre en pratique?"

Deutéronome 30, 14 Car la parole est tout près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur pour que tu la mettes en pratique.

Deutéronome 30, 15 Vois, je te propose aujourd'hui vie et bonheur, mort et malheur.

Deutéronome 30, 16 Si tu écoutes les commandements de Yahvé ton Dieu que je te prescris aujourd'hui, et que tu aimes Yahvé ton Dieu, que tu marches dans ses voies, que tu gardes ses commandements, ses lois et ses coutumes, tu vivras et tu multiplieras, Yahvé ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession.

Deutéronome 30, 17 Mais si ton coeur se détourne, si tu n'écoutes point et si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d'autres dieux et à les servir,

Deutéronome 30, 18 je vous déclare aujourd'hui que vous périrez certainement et que vous ne vivrez pas de longs jours sur la terre où vous pénétrerez pour en prendre possession en passant le Jourdain.

Deutéronome 30, 19 Je prends aujourd'hui à témoin contre vous le ciel et la terre: je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez,

Deutéronome 30, 20 aimant Yahvé ton Dieu, écoutant sa voix, t'attachant à lui; car là est ta vie, ainsi que la longue durée de ton séjour sur la terre que Yahvé a juré à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob, de leur donner.

Deutéronome 31, 1 Moïse vint adresser ces paroles à tout Israël:

Deutéronome 31, 2 "J'ai aujourd'hui 120 ans. Je ne puis plus agir en chef, et Yahvé m'a dit: Tu ne passeras pas ce Jourdain.

Deutéronome 31, 3 C'est Yahvé ton Dieu qui passera devant toi, c'est lui qui détruira ces nations devant toi pour les déposséder. C'est Josué qui passera devant toi, ainsi que l'a dit Yahvé.

Deutéronome 31, 4 Yahvé les traitera comme il a traité Sihôn et Og, rois amorites, et leur pays: il les a détruits.

Deutéronome 31, 5 Yahvé vous les livrera et vous les traiterez en tout point selon les commandements que je vous ai prescrits.

Deutéronome 31, 6 Soyez forts et tenez bon, ne craignez pas et ne tremblez pas devant eux, car c'est Yahvé ton Dieu qui marche avec toi: il ne te délaissera pas et ne t'abandonnera pas."

Deutéronome 31, 7 Puis Moïse appela Josué et il lui dit aux yeux de tout Israël: "Sois fort et tiens bon: tu entreras avec ce peuple au pays que Yahvé a juré à leurs pères de leur donner, et c'est toi qui les en mettras en possession.

Deutéronome 31, 8 C'est Yahvé qui marche devant toi, c'est lui qui sera avec toi; il ne te délaissera pas et ne t'abandonnera pas. Ne crains pas, ne sois pas effrayé."

Deutéronome 31, 9 Moïse mit cette Loi par écrit et la donna aux prêtres, fils de Lévi, qui portaient l'arche de l'alliance de Yahvé, ainsi qu'à tous les anciens d'Israël.

Deutéronome 31, 10 Moïse leur donna cet ordre: "Tous les sept ans, temps fixé pour l'année de Remise, lors de la fête des Tentes,

Deutéronome 31, 11 au moment où tout Israël se rend, pour voir la face de Yahvé ton Dieu, au lieu qu'il aura choisi, tu prononceras cette Loi aux oreilles de tout Israël.

Deutéronome 31, 12 Assemble le peuple, hommes, femmes, enfants, l'étranger qui est dans tes portes, pour qu'ils entendent, qu'ils apprennent à craindre Yahvé votre Dieu et qu'ils gardent, pour les mettre en pratique, toutes les paroles de cette Loi.

Deutéronome 31, 13 Leurs fils, qui ne le savent pas encore, entendront, et apprendront à craindre Yahvé votre Dieu, tous les jours que vous vivrez sur la terre dont vous allez prendre possession en passant le Jourdain."

Deutéronome 31, 14 Yahvé dit à Moïse: "Voici venir les jours de ta mort, appelle Josué. Tenez-vous à la Tente du Rendez-vous, pour que je lui donne mes ordres." Moïse et Josué vinrent se tenir à la Tente du Rendez-vous.

Deutéronome 31, 15 Yahvé se fit voir, dans la Tente, dans une colonne de nuée; la colonne de nuée se tenait à l'entrée de la Tente.

Deutéronome 31, 16 Yahvé dit à Moïse: "Voici que tu vas te coucher avec tes pères, et ce peuple est sur le point de se prostituer en suivant des dieux du pays étranger où il va pénétrer. Il m'abandonnera et rompra l'alliance que j'ai conclue avec lui.

Deutéronome 31, 17 Ce jour-là même ma colère s'enflammera contre lui, je les abandonnerai et je leur cacherai ma face. Pour les dévorer, une foule de maux et d'adversités l'atteindront, de sorte qu'il dira en ce jour-là: Si ces maux m'ont atteint, n'est-ce pas parce que mon Dieu n'est pas au milieu de moi?

Deutéronome 31, 18 Et moi, oui, je cacherai ma face en ce jour, à cause de tout le mal qu'il aura fait, en se tournant vers d'autres dieux.

Deutéronome 31, 19 "Ecrivez maintenant pour votre usage le cantique que voici; enseigne-le aux Israélites, mets-le dans leur bouche, afin qu'il me serve de témoin contre les Israélites.

Deutéronome 31, 20 Lui que je conduis en cette terre que j'ai promise par serment à ses pères, et qui ruisselle de lait et de miel, il mangera, il se rassasiera, il s'engraissera, puis il se tournera vers d'autres dieux, ils les serviront, ils me mépriseront, et il rompra mon alliance.

Deutéronome 31, 21 Mais lorsque des maux et adversités sans nombre l'auront atteint, ce cantique portera témoignage contre lui; car sa postérité ne l'aura pas oublié. Oui, je sais les desseins qu'il forme aujourd'hui, avant même que je l'ai conduit au pays que j'ai juré."

Deutéronome 31, 22 Et Moïse écrivit en ce jour ce cantique et il l'enseigna aux Israélites.

Deutéronome 31, 23 Il donna cet ordre à Josué fils de Nûn: "Sois fort et tiens bon, car c'est toi qui conduiras les Israélites au pays que je leur ai promis par serment, et moi, je serai avec toi."

Deutéronome 31, 24 Lorsqu'il eut achevé d'écrire sur un livre les paroles de cette Loi jusqu'à la fin,

Deutéronome 31, 25 Moïse donna cet ordre aux lévites qui portaient l'arche de l'alliance de Yahvé:

Deutéronome 31, 26 "Prenez le livre de cette Loi. Placez-le à côté de l'arche de l'alliance de Yahvé votre Dieu. Qu'il y serve de témoin contre toi.

Deutéronome 31, 27 Car je connais ton esprit rebelle et la raideur de ta nuque. Si aujourd'hui, alors que je suis encore vivant avec vous, vous êtes rebelles à Yahvé, combien plus le serez-vous après ma mort.

Deutéronome 31, 28 "Faites assembler auprès de moi tous les anciens de vos tribus et vos scribes, que je leur fasse entendre ces paroles, en prenant à témoin contre eux le ciel et la terre.

Deutéronome 31, 29 Car je sais qu'après ma mort vous ne manquerez pas de vous corrompre, vous vous écarterez de la voie que je vous ai prescrite; le malheur vous adviendra dans l'avenir, pour avoir fait ce qui est mal aux yeux de Yahvé en l'irritant par les oeuvres de vos mains."

Deutéronome 31, 30 Puis, aux oreilles de toute l'assemblée d'Israël, Moïse prononça jusqu'à la dernière les paroles de ce cantique:

Deutéronome

Deutéronome 32, 1 Cieux, prêtez l'oreille, et je parlerai; terre, écoute ce que je vais dire!

Deutéronome 32, 2 Que ma doctrine ruisselle comme la pluie, que ma parole tombe comme la rosée, comme les ondées sur l'herbe verdoyante, comme les averses sur le gazon!

Deutéronome 32, 3 Car je vais invoquer le nom de Yahvé; vous, magnifiez notre Dieu.

Deutéronome 32, 4 Il est le Rocher, son oeuvre est parfaite, car toutes ses voies sont le Droit. C'est un Dieu fidèle et sans iniquité, il est Justice et Rectitude.

Deutéronome 32, 5 Ils se sont corrompus, eux qu'il avait engendrés sans tare, génération fourbe et tortueuse.

Deutéronome 32, 6 Est-ce là ce que vous rendez à Yahvé? Peuple insensé, dénué de sagesse! N'est-ce pas lui ton père, qui t'a procréé, lui qui t'a fait et par qui tu subsistes?

Deutéronome 32, 7 Rappelle-toi les jours d'autrefois, considère les années, d'âge en âge. Interroge ton père, qu'il te l'apprenne; tes anciens, qu'ils te le disent.

Deutéronome 32, 8 Quand le Très-Haut donna aux nations leur héritage, quand il répartit les fils d'homme, il fixa les limites des peuples suivant le nombre des fils de Dieu;

Deutéronome 32, 9 mais le lot de Yahvé, ce fut son peuple, Jacob fut sa part d'héritage.

Deutéronome 32, 10 Au pays du désert, il le trouve, dans la solitude lugubre de la steppe. Il l'entoure, il l'élève, il le garde comme la prunelle de son oeil.

Deutéronome 32, 11 Tel un aigle qui veille sur son nid, plane au-dessus de ses petits; il déploie ses ailes et le prend, il le soutient sur son pennage.

Deutéronome 32, 12 Yahvé est seul pour le conduire; point de dieu étranger avec lui.

Deutéronome 32, 13 Il lui fait chevaucher les hauteurs de la terre, il le nourrit des produits des montagnes, il lui fait goûter le miel du rocher et l'huile de la pierre dure;

Deutéronome 32, 14 le lait caillé des vaches et le lait des brebis avec la graisse des pâturages, les béliers, race du Bashân, et les boucs avec la graisse des grains du froment, et pour boisson le sang de la grappe qui fermente.

Deutéronome 32, 15 Jacob a mangé, il s'est rassasié, Yeshurûn s'est engraissé et il a regimbé. (Tu as engraissé, épaissi, élargi.) Il a repoussé le Dieu qui l'avait fait et déshonoré le Rocher, son salut.

Deutéronome 32, 16 Ils l'ont rendu jaloux avec des étrangers, ils l'ont irrité par des abominations.

Deutéronome 32, 17 Ils sacrifiaient à des démons qui ne sont pas Dieu, à des dieux qu'ils ne connaissaient pas, à des nouveaux venus d'hier que leurs pères n'avaient pas redoutés.

Deutéronome 32, 18 (Tu oublies le Rocher qui t'a mis au monde, tu ne te souviens plus du Dieu qui t'a engendré!)

Deutéronome 32, 19 Yahvé l'a vu, et dans sa colère il a rejeté ses fils et ses filles.

Deutéronome 32, 20 Il a dit: Je vais leur cacher ma face et je verrai ce qu'il adviendra d'eux. Car c'est une génération pervertie, des fils sans fidélité.

Deutéronome 32, 21 Ils m'ont rendu jaloux avec un néant de dieu, ils m'ont irrité par leurs êtres de rien; eh bien! moi, je les rendrai jaloux avec un néant de peuple, je les irriterai au moyen d'une nation stupide!

Deutéronome 32, 22 Oui, un feu a jailli de ma colère, il brûlera jusqu'aux profondeurs du shéol; il dévorera la terre et ce qu'elle produit, il embrasera la base des montagnes.

Deutéronome 32, 23 Je lancerai sur eux les calamités, j'épuiserai contre eux mes flèches.

Deutéronome 32, 24 Ils seront affaiblis par la faim, dévorés par la peste et par un amer fléau. J'enverrai contre eux la dent des bêtes avec le venin des reptiles.

Deutéronome 32, 25 Au-dehors l'épée emportera les fils, au-dedans régnera l'épouvante. Périront ensemble jeune homme et jeune fille, enfant à la mamelle et vieillard chenu.

Deutéronome 32, 26 J'ai dit: Je les réduirais bien en poussière, j'abolirais leur souvenir parmi les hommes,

Deutéronome 32, 27 si je ne craignais l'arrogance de l'ennemi. Que leurs adversaires ne s'y trompent pas! Qu'ils ne disent pas: "Notre main l'emporte, et Yahvé n'y est pour rien."

Deutéronome 32, 28 Car c'est une nation aux vues courtes, privée de discernement.

Deutéronome 32, 29 S'ils étaient sages, certes ils aboutiraient, ils sauraient discerner leur avenir.

Deutéronome 32, 30 Comment donc un seul homme en met-il mille en fuite, et comment deux en poursuivent-ils 10.000, sinon parce que leur Rocher les a vendus et que Yahvé les a livrés?

Deutéronome 32, 31 Mais leur rocher n'est pas comme notre Rocher; ce n'est pas à nos ennemis d'intercéder pour nous.

Deutéronome 32, 32 Car leur vigne vient de la vigne de Sodome et des plantations de Gomorrhe: leurs raisins sont raisins vénéneux, leurs grappes sont amères;

Deutéronome 32, 33 leur vin est un venin de serpent, un violent poison de vipère.

Deutéronome 32, 34 Mais lui, n'est-il pas à l'abri près de moi, scellé dans mes trésors?

Deutéronome 32, 35 A moi la vengeance et la rétribution, pour le temps où leur pied trébuchera. Car il est proche, le jour de leur ruine; leur destin se précipite!

Deutéronome 32, 36 (Car Yahvé va faire droit à son peuple, il va prendre en pitié ses serviteurs.) Car il va voir que leur vigueur s'épuise, qu'il ne reste plus ni libre, ni serf.

Deutéronome 32, 37 Alors il dira: Où sont leurs dieux, rocher où ils cherchaient refuge,

Deutéronome 32, 38 ceux qui mangeaient la graisse de leurs sacrifices, buvaient le vin de leurs libations? Qu'ils se lèvent et vous secourent, qu'ils soient au-dessus de vous votre abri!

Deutéronome 32, 39 Voyez maintenant que moi, moi je Le suis et que nul autre avec moi n'est Dieu! C'est moi qui fais mourir et qui fais vivre; quand j'ai frappé, c'est moi qui guéris (et personne ne délivre de ma main).

Deutéronome 32, 40 Oui, je lève ma main vers le ciel et je dis: Aussi vrai que je vis pour toujours,

Deutéronome 32, 41 quand j'aurai aiguisé mon épée fulgurante. Ma main saisira le Droit. Je rendrai la pareille à mes adversaires, je paierai de retour ceux qui me haïssent.

Deutéronome 32, 42 J'enivrerai de sang mes flèches et mon épée se repaîtra de chair: sang des blessés et des captifs, têtes échevelées de l'ennemi.

Deutéronome 32, 43 Cieux, exultez avec lui, et que les fils de Dieu l'adorent! Nations, exultez avec son peuple, et que tous les envoyés de Dieu affirment sa force! Car il vengera le sang de ses serviteurs, il rendra la pareille à ses adversaires, il paiera de retour ceux qui le haïssent et purifiera la terre de son peuple.

Deutéronome 32, 44 Moïse vint avec Josué fils de Nûn, et prononça aux oreilles du peuple toutes les paroles de ce cantique.

Deutéronome 32, 45 Quand Moïse eut achevé de prononcer ces paroles à l'adresse de tout Israël,

Deutéronome 32, 46 il leur dit: "Soyez bien attentifs à toutes ces paroles; je les prends à témoin aujourd'hui contre vous, et vous prescrirez à vos fils de les garder, en mettant en pratique toutes les paroles de cette Loi.

Deutéronome 32, 47 Ce n'est pas pour vous une vaine parole car elle est votre vie, et c'est par elle que vous vivrez de longs jours sur la terre dont vous allez prendre possession en passant le Jourdain."

Deutéronome 32, 48 Yahvé parla à Moïse, ce même jour, et lui dit:

Deutéronome 32, 49 "Monte sur cette montagne des Abarim, sur le mont Nebo, au pays de Moab, face à Jéricho, et regarde le pays de Canaan que je donne en propriété aux Israélites.

Deutéronome 32, 50 Meurs sur la montagne où tu seras monté, et tu seras réuni aux tiens, comme Aaron ton frère, mort sur la montagne de Hor, fut réuni aux siens.

Deutéronome 32, 51 Parce que vous m'avez été infidèles au milieu des Israélites aux eaux de Meriba-Cadès, dans le désert de Cîn, parce que vous n'avez pas manifesté ma sainteté au milieu des Israélites,

Deutéronome 32, 52 c'est du dehors seulement que tu verras le pays, mais tu n'y pourras entrer, en ce pays que je donne aux Israélites."

Deutéronome

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Deutéronome 33, 1 Voici la bénédiction que Moïse, homme de Dieu, prononça sur les Israélites avant de mourir.

Deutéronome 33, 2 Il dit: Yahvé est venu du Sinaï. Pour eux, depuis Séïr, il s'est levé à l'horizon, il a resplendi depuis le mont Parân. Pour eux, il est venu depuis les rassemblements de Cadès, depuis son midi jusqu'aux Pentes.

Deutéronome 33, 3 Toi qui aimes les ancêtres, tous les saints sont dans ta main. Ils étaient prostrés à tes pieds, et ils ont couru sous ta conduite.

Deutéronome 33, 4 (Moïse nous a prescrit une loi.) L'assemblée de Jacob entre dans son héritage;

Deutéronome 33, 5 il y eut un roi en Yeshurûn, quand se rassemblèrent les chefs du peuple, quand se réunirent les tribus d'Israël.

Deutéronome 33, 6 Que vive Ruben et qu'il ne meure pas, et que vive le petit nombre de ses hommes.

Deutéronome 33, 7 Voici ce qu'il dit sur Juda: Ecoute, Yahvé, la voix de Juda et ramène-le vers son peuple. Que ses mains défendent son droit, viens-lui en aide contre ses ennemis.

Deutéronome 33, 8 Il dit sur Lévi: Donne à Lévi tes Urim et tes Tummim à l'homme à qui tu fis grâce, après l'avoir mis à l'épreuve à Massa, s'en être pris à lui aux eaux de Meriba.

Deutéronome 33, 9 Il dit de son père et de sa mère: "Je ne l'ai pas vu." Ses frères, il ne les connaît plus, ses fils, il les ignore. Oui, ils ont gardé ta parole et ils retiennent ton alliance.

Deutéronome 33, 10 Ils enseignent tes coutumes à Jacob et ta Loi à Israël. Ils font monter l'encens à tes narines et mettent l'holocauste sur ton autel.

Deutéronome 33, 11 Bénis, Yahvé, sa valeur et agrée l'oeuvre de ses mains. Brise les reins de ses adversaires et de ceux qui le haïssent pour qu'ils ne tiennent pas!

Deutéronome 33, 12 Il dit sur Benjamin: Bien-aimé de Yahvé, il repose en sécurité près de lui. Le Très-Haut le protège tous les jours et demeure entre ses coteaux.

Deutéronome 33, 13 Il dit sur Joseph: Son pays est béni de Yahvé. A lui le meilleur de la rosée des cieux et de l'abîme souterrain,

Deutéronome 33, 14 le meilleur de ce que fait croître le soleil, de ce qui pousse à chaque lunaison,

Deutéronome 33, 15 les prémices des montagnes antiques, le meilleur des collines d'autrefois,

Deutéronome 33, 16 le meilleur de la terre et de ce qu'elle produit, la faveur de celui qui habite le Buisson. Que la chevelure abonde sur la tête de Joseph, sur le crâne du consacré parmi ses frères!

Deutéronome 33, 17 Premier-né du taureau, à lui la gloire. Ses cornes sont cornes de buffle dont il frappe les peuples jusqu'aux extrémités de la terre. Telles sont les myriades d'Ephraïm, tels sont les milliers de Manassé.

Deutéronome 33, 18 Il dit sur Zabulon: Sois heureux, Zabulon, en tes expéditions. Et toi, Issachar, dans tes tentes!

Deutéronome 33, 19 Sur la montagne où les peuples viennent invoquer ils offrent des sacrifices de succès, car ils aspirent à eux l'abondance des mers et les trésors cachés dans les sables.

Deutéronome 33, 20 Il dit sur Gad: Béni soit celui qui met Gad au large! Il repose comme une lionne; il a déchiré bras, visage et tête.

Deutéronome 33, 21 Puis il s'est attribué les prémices, là, il a vu qu'une part de chef lui était réservée. Il est venu comme chef du peuple, ayant accompli la justice de Yahvé et ses sentences sur Israël.

Deutéronome 33, 22 Il dit sur Dan: Dan est un jeune lion qui s'élance du Bashân.

Deutéronome 33, 23 Il dit sur Nephtali: Nephtali, rassasié de faveurs, comblé des bénédictions de Yahvé: Il prend possession de l'ouest et du midi.

Deutéronome 33, 24 Il dit sur Asher: Béni soit Asher entre tous les fils! Qu'il soit privilégié parmi ses frères et qu'il baigne son pied dans l'huile!

Deutéronome 33, 25 Que tes verrous soient de fer et d'airain et que ta sécurité dure autant que tes jours!

Deutéronome 33, 26 Nul n'est pareil au Dieu de Yeshurûn: il chevauche les cieux pour te secourir, et les nuées, dans sa majesté!

Deutéronome 33, 27 Le Dieu d'autrefois, c'est ton refuge. Ici-bas, c'est lui le bras antique qui chasse devant toi l'ennemi; c'est lui qui dit: Détruis!

Deutéronome 33, 28 Israël demeure en sécurité. La source de Jacob est mise à part pour un pays de froment et de vin; le ciel même y distille la rosée.

Deutéronome 33, 29 Heureux es-tu, ô Israël! Qui est comme toi, peuple vainqueur? En Yahvé est le bouclier qui te secourt, l'épée qui te mène au triomphe. Tes ennemis voudront te corrompre, mais toi, tu fouleras leurs dos.

Deutéronome 34, 1 Alors, partant des Steppes de Moab, Moïse gravit le mont Nebo, sommet du Pisga en face de Jéricho, et Yahvé lui fit voir tout le pays: le Galaad jusqu'à Dan,

Deutéronome 34, 2 tout Nephtali, le pays d'Ephraïm et de Manassé, tout le pays de Juda jusqu'à la mer Occidentale,

Deutéronome 34, 3 le Négeb, le district de la vallée de Jéricho, ville de palmiers, jusqu'à Coar.

Deutéronome 34, 4 Yahvé lui dit: "Voici le pays que j'ai promis par serment à Abraham, Isaac et Jacob, en ces termes: Je le donnerai à ta postérité. Je te l'ai fait voir de tes yeux, mais tu n'y passeras pas."

Deutéronome 34, 5 C'est là que mourut Moïse, serviteur de Yahvé, en terre de Moab, selon l'ordre de Yahvé;

Deutéronome 34, 6 il l'enterra dans la vallée, au pays de Moab, vis-à-vis de Bet-Péor. Jusqu'à ce jour nul n'a connu son tombeau.

Deutéronome 34, 7 Moïse avait 120 ans quand il mourut; son oeil n'était pas éteint, ni sa vigueur épuisée.

Deutéronome 34, 8 Les Israélites pleurèrent Moïse 30 jours dans les Steppes de Moab. Les jours de pleurs pour le deuil de Moïse s'achevèrent.

Deutéronome 34, 9 Josué, fils de Nûn, était rempli de l'esprit de sagesse, car Moïse lui avait imposé les mains. C'est à lui qu'obéirent les Israélites agissant selon l'ordre que Yahvé avait donné à Moïse.

Deutéronome 34, 10 Il ne s'est plus levé en Israël de prophète pareil à Moïse, lui que Yahvé connaissait face à face.

Deutéronome 34, 11 Que de signes et de prodiges Yahvé lui fit accomplir au pays d'Egypte, contre Pharaon, tous ses serviteurs et tout son pays!

Deutéronome 34, 12 Quelle main puissante et quelle grande terreur Moïse avait mises en oeuvre aux yeux de tout Israël!

 

 

 

Josué

 

1, 1 Après la mort de Moïse, serviteur de Yahvé, Yahvé parla à Josué, fils de Nûn, l'auxiliaire de Moïse, et lui dit:

Josué 1, 2 "Moïse, mon serviteur, est mort; maintenant, debout! Passe le Jourdain que voici, toi et tout ce peuple, vers le pays que je leur donne (aux Israélites).

Josué 1, 3 Tout lieu que foulera la plante de vos pieds, je vous le donne, comme je l'ai dit à Moïse.

Josué 1, 4 Depuis le désert et le Liban jusqu'au grand Fleuve, l'Euphrate (tout le pays des Hittites), et jusqu'à la Grande mer, vers le soleil couchant, tel sera votre territoire.

Josué 1, 5 Personne, tout le temps de ta vie, ne pourra tenir devant toi: je serai avec toi comme j'ai été avec Moïse, je ne t'abandonnerai point ni ne te délaisserai.

Josué 1, 6 "Sois fort et tiens bon, car c'est toi qui vas mettre ce peuple en possession du pays que j'ai juré à ses pères de lui donner.

Josué 1, 7 Seulement, sois fort et tiens très bon pour veiller à agir selon toute la Loi que mon serviteur Moïse t'a prescrite. Ne t'en écarte ni à droite ni à gauche, afin de réussir dans toutes tes démarches.

Josué 1, 8 Que le livre de cette Loi soit toujours sur tes lèvres: médite-le jour et nuit afin de veiller à agir selon tout ce qui y est écrit. C'est alors que tu seras heureux dans tes entreprises et réussiras.

Josué 1, 9 Ne t'ai-je pas donné cet ordre: Sois fort et tiens bon! Sois sans crainte ni frayeur, car Yahvé ton Dieu est avec toi dans toutes tes démarches."

Josué 1, 10 Josué donna ensuite cet ordre aux scribes du peuple:

Josué 1, 11 "Parcourez le camp, donnez cet ordre au peuple: Faites des provisions, car dans trois jours, vous passerez ce Jourdain pour aller prendre possession du pays dont Yahvé votre Dieu vous donne la possession."

Josué 1, 12 Puis aux Rubénites, aux Gadites et à la demi-tribu de Manassé, Josué parla ainsi:

Josué 1, 13 "Rappelez-vous ce que vous a ordonné Moïse, serviteur de Yahvé: Yahvé votre Dieu, en vous accordant le repos, vous a donné ce pays-ci.

Josué 1, 14 Vos femmes, vos petits enfants et vos troupeaux peuvent rester dans le pays que vous a donné Moïse au-delà du Jourdain. Quant à vous, tous les hommes de guerre, vous passerez en formation de combat en tête de vos frères, et vous leur viendrez en aide,

Josué 1, 15 jusqu'à ce que Yahvé accorde le repos à vos frères comme à vous, et qu'ils prennent possession, eux aussi, du pays que Yahvé votre Dieu leur donne. Vous pourrez alors retourner au pays qui vous appartient, et vous en prendrez possession, celui que vous a donné Moïse, serviteur de Yahvé, au-delà du Jourdain, vers le soleil levant."

Josué 1, 16 Ils répondirent alors à Josué: "Tout ce que tu nous as ordonné, nous le ferons, et partout où tu nous enverras, nous irons.

Josué 1, 17 De même que nous avons obéi en toute chose à Moïse, de même nous t'obéirons. Puisse seulement Yahvé ton Dieu être avec toi comme il fut avec Moïse!

Josué 1, 18 Quiconque sera rebelle à tes ordres et n'écoutera pas tes paroles, quoi que tu lui ordonnes, qu'il soit mis à mort! Pour toi, sois fort et tiens bon."

Josué 2, 1 Josué, fils de Nûn, envoya secrètement de Shittim deux hommes pour espionner, en disant: "Allez, examinez le pays et Jéricho." Ils y allèrent, se rendirent à la maison d'une prostituée nommée Rahab et ils y couchèrent.

Josué 2, 2 On dit au roi de Jéricho: "Voici que des hommes sont venus ici cette nuit, des Israélites, pour explorer le pays."

Josué 2, 3 Alors le roi de Jéricho envoya dire à Rahab: "Fais sortir les hommes venus chez toi -- qui sont descendus dans ta maison -- car c'est pour explorer tout le pays qu'ils sont venus."

Josué 2, 4 Mais la femme prit les deux hommes et les cacha. "C'est vrai, dit-elle, ces hommes sont venus chez moi, mais je ne savais pas d'où ils étaient.

Josué 2, 5 Lorsqu'à la nuit tombante on allait fermer la porte de la ville, ces hommes sont sortis et je ne sais pas où ils sont allés. Mettez-vous vite à leur poursuite et vous les rejoindrez."

Josué 2, 6 Or elle les avait fait monter sur la terrasse et les avait cachés sous des tiges de lin qu'elle y avait déposées.

Josué 2, 7 Les gens les poursuivirent dans la direction du Jourdain, vers les gués, et l'on ferma la porte dès que furent sortis ceux qui étaient à leur poursuite.

Josué 2, 8 Quant à eux, ils n'étaient pas encore couchés que Rahab monta vers eux sur la terrasse.

Josué 2, 9 Elle leur dit: "Je sais que Yahvé vous a donné ce pays, que vous faites notre terreur, et que tous les habitants du pays ont été pris de panique à votre approche.

Josué 2, 10 Car nous avons appris que Yahvé avait mis à sec devant vous les eaux de la mer des Roseaux, à votre sortie d'Egypte, et ce que vous avez fait aux deux rois amorites, de l'autre côté du Jourdain, à Sihôn et à Og que vous avez voués à l'anathème.

Josué 2, 11 En l'apprenant, le coeur nous a manqué et personne n'a gardé courage devant vous, parce que Yahvé, votre Dieu, est Dieu, aussi bien là-haut dans les cieux qu'ici-bas sur la terre.

Josué 2, 12 Jurez-moi donc maintenant par Yahvé, puisque je vous ai traités avec bonté, qu'à votre tour vous traiterez avec bonté la maison de mon père et m'en donnerez un signe loyal;

Josué 2, 13 que vous laisserez la vie sauve à mon père et à ma mère, à mes frères, à mes soeurs et à tous ceux qui leur appartiennent, et que vous nous préserverez de la mort."

Josué 2, 14 Alors les hommes lui dirent: "Nous mourrons plutôt nous-mêmes, à moins que vous ne révéliez notre affaire. Quand Yahvé nous aura livré le pays, nous agirons envers toi avec bonté et loyauté."

Josué 2, 15 Alors elle les fit descendre par la fenêtre au moyen d'une corde, car sa maison était contre le rempart, elle-même logeait dans le rempart.

Josué 2, 16 "Allez vers la montagne, leur dit-elle, de peur que ceux qui vous poursuivent ne vous retrouvent. Cachez-vous là pendant trois jours, jusqu'au retour de ceux qui vous poursuivent, et puis, allez votre chemin."

Josué 2, 17 Les hommes lui dirent: "Voici comment nous nous acquitterons de ce serment que tu nous as fait prêter:

Josué 2, 18 à notre arrivée dans le pays, tu attacheras ce cordon de fil écarlate à la fenêtre par laquelle tu nous as fait descendre, et tu rassembleras auprès de toi dans la maison ton père, ta mère, tes frères et toute la famille.

Josué 2, 19 Quiconque franchira les portes de ta maison pour sortir, son sang retombera sur sa tête et nous en serons quittes; mais le sang de quiconque restera avec toi dans la maison retombera sur nos têtes si l'on porte la main sur lui.

Josué 2, 20 Mais s'il t'arrive de révéler notre affaire, nous serons quittes de ce serment que tu nous as fait prêter."

Josué 2, 21 Elle répondit: "Qu'il en soit ainsi!" Elle les fit partir et ils s'en allèrent. Alors elle attacha le cordon écarlate à la fenêtre.

Josué 2, 22 Ils partirent et allèrent vers la montagne. Ils y restèrent trois jours, jusqu'à ce que fussent rentrés ceux qui les poursuivaient. Ceux-ci avaient battu tout le chemin sans les trouver.

Josué 2, 23 Alors les deux hommes redescendirent de la montagne, traversèrent et se rendirent auprès de Josué, fils de Nûn, à qui ils racontèrent tout ce qui leur était arrivé.

Josué 2, 24 Ils dirent à Josué: "Yahvé a livré tout ce pays entre nos mains et déjà tous ses habitants sont pris de panique devant nous."

Josué 3, 1 Josué se leva de bon matin et partit de Shittim avec tous les Israélites. Ils allèrent jusqu'au Jourdain et là, ils passèrent la nuit, avant de traverser.

Josué 3, 2 Au bout de trois jours, les scribes parcoururent le camp

Josué 3, 3 et donnèrent au peuple cet ordre: "Quand vous verrez l'arche de l'alliance de Yahvé votre Dieu et les prêtres lévites qui la portent, vous quitterez le lieu où vous vous trouvez et vous la suivrez,

Josué 3, 4 afin de savoir quel chemin prendre, car vous n'êtes jamais passés par ce chemin. Toutefois, qu'il y ait entre vous et l'arche un espace d'environ 2.000 coudées: n'en approchez pas."

Josué 3, 5 Josué dit au peuple: "Sanctifiez-vous, car demain Yahvé accomplira des merveilles au milieu de vous";

Josué 3, 6 puis Josué dit aux prêtres: "Prenez l'arche d'alliance et passez en tête du peuple." Ceux-ci prirent l'arche d'alliance et s'avancèrent à la tête du peuple.

Josué 3, 7 Yahvé dit à Josué: "Aujourd'hui même, je vais commencer à te grandir aux yeux de tout Israël, afin qu'il sache que, comme j'ai été avec Moïse, je serai avec toi.

Josué 3, 8 Pour toi, tu donneras cet ordre aux prêtres portant l'arche d'alliance: Lorsque vous aurez atteint le bord des eaux du Jourdain, c'est dans le Jourdain que vous vous tiendrez."

Josué 3, 9 Josué dit ensuite aux Israélites: "Approchez et écoutez les paroles de Yahvé votre Dieu."

Josué 3, 10 Et Josué dit: "A ceci vous reconnaîtrez que le Dieu vivant est au milieu de vous et qu'il chassera certainement de votre présence les Cananéens, les Hittites, les Hivvites, les Perizzites, les Girgashites, les Amorites et les Jébuséens.

Josué 3, 11 Voici: l'arche de l'alliance du Seigneur de toute la terre va passer devant vous dans le Jourdain.

Josué 3, 12 Dès maintenant, choisissez douze hommes parmi les tribus d'Israël, un homme par tribu.

Josué 3, 13 Aussitôt que les prêtres portant l'arche de Yahvé, Seigneur de toute la terre, auront posé la plante de leurs pieds dans les eaux du Jourdain, les eaux du Jourdain seront coupées, celles qui descendent d'amont, et elles s'arrêteront comme en une seule masse."

Josué 3, 14 Or quand le peuple quitta ses tentes pour traverser le Jourdain, les prêtres portaient l'arche de l'alliance en tête du peuple.

Josué 3, 15 Dès que les porteurs de l'arche furent arrivés au Jourdain, et que les pieds des prêtres porteurs de l'arche touchèrent les eaux -- or le Jourdain coule à pleins bords pendant toute la durée de la moisson --,

Josué 3, 16 les eaux d'amont s'arrêtèrent et formèrent une seule masse à une très grande distance, à Adam, la ville qui est à côté de Cartân, tandis que les eaux descendant vers la mer de la Araba, la mer Salée, étaient complètement séparées. Le peuple traversa vis-à-vis de Jéricho.

Josué 3, 17 Les prêtres qui portaient l'arche de l'alliance de Yahvé se tinrent au sec, immobiles au milieu du Jourdain, tandis que tout Israël traversait à sec, jusqu'à ce que la totalité de la nation eût achevé de traverser le Jourdain.

Josué 4, 1 Lorsque toute la nation eût achevé de traverser le Jourdain, Yahvé parla à Josué et lui dit:

Josué 4, 2 "Choisissez-vous douze hommes parmi le peuple, un homme par tribu,

Josué 4, 3 et donnez-leur cet ordre: Enlevez d'ici, du milieu du Jourdain, là où se sont posés les pieds des prêtres, douze pierres que vous emporterez avec vous et déposerez au bivouac où vous passerez la nuit."

Josué 4, 4 Josué appela les douze hommes qu'il avait désignés parmi les Israélites, un homme par tribu,

Josué 4, 5 et Josué leur dit: "Passez devant l'arche de Yahvé votre Dieu, jusqu'au milieu du Jourdain, et que chacun de vous prenne sur son épaule une pierre, selon le nombre des tribus israélites,

Josué 4, 6 pour en faire un signe au milieu de vous; et quand, demain, vos fils vous demanderont: Ces pierres, que sont-elles pour vous?

Josué 4, 7 Alors vous leur direz: C'est que les eaux du Jourdain se sont séparées devant l'arche de l'alliance de Yahvé: lorsqu'elle traversa le Jourdain, les eaux du Jourdain se sont séparées. Ces pierres sont un mémorial pour les Israélites, pour toujours!"

Josué 4, 8 Les Israélites exécutèrent les ordres de Josué: ayant enlevé douze pierres du milieu du Jourdain, selon le nombre des tribus israélites, comme l'avait dit Yahvé à Josué, ils les transportèrent au bivouac et les y déposèrent.

Josué 4, 9 Puis Josué érigea douze pierres au milieu du Jourdain, à l'endroit où s'étaient posés les pieds des prêtres porteurs de l'arche d'alliance, et elles y sont encore aujourd'hui.

Josué 4, 10 Les prêtres porteurs de l'arche d'alliance se tenaient debout au milieu du Jourdain jusqu'à l'accomplissement de tout ce que Yahvé avait ordonné à Josué de dire au peuple (selon tout ce que Moïse avait ordonné à Josué); et le peuple se hâta de traverser.

Josué 4, 11 Lorsque le peuple eut achevé de traverser, l'arche de Yahvé passa, avec les prêtres, à la tête du peuple.

Josué 4, 12 Les fils de Ruben, les fils de Gad et la demi-tribu de Manassé passèrent en formation de combat à la tête des Israélites, comme Moïse le leur avait dit.

Josué 4, 13 Au nombre d'environ 40.000 guerriers en armes, ils passèrent prêts au combat, devant Yahvé, vers la plaine de Jéricho.

Josué 4, 14 En ce jour-là, Yahvé grandit Josué aux yeux de tout Israël qui le craignit comme il avait craint Moïse sa vie durant.

Josué 4, 15 Yahvé dit à Josué:

Josué 4, 16 "Donne aux prêtres qui portent l'arche du témoignage l'ordre de remonter du Jourdain."

Josué 4, 17 Et Josué ordonna aux prêtres: "Remontez du Jourdain!"

Josué 4, 18 Or, lorsque les prêtres portant l'arche de l'alliance de Yahvé remontèrent du milieu du Jourdain, et que la plante de leurs pieds eut touché la terre ferme, les eaux du Jourdain revinrent dans leur lit et se mirent comme avant à couler à pleins bords.

Josué 4, 19 Ce fut le dix du premier mois que le peuple remonta du Jourdain et campa à Gilgal, à la limite est de Jéricho.

Josué 4, 20 Quant à ces douze pierres qu'on avait prises dans le Jourdain, Josué les érigea à Gilgal.

Josué 4, 21 Il dit ensuite aux Israélites: "Quand vos fils demanderont, demain, à leurs pères: Que sont ces pierres?

Josué 4, 22 Vous expliquerez alors à vos fils: C'est à pied sec qu'Israël a traversé le Jourdain que voilà,

Josué 4, 23 parce que Yahvé votre Dieu assécha devant vous les eaux du Jourdain jusqu'à ce que vous eussiez traversé, comme Yahvé votre Dieu l'avait fait pour la mer des Roseaux qu'il assécha devant nous jusqu'à ce que nous l'eussions traversée,

Josué 4, 24 afin que tous les peuples de la terre sachent comme est puissante la main de Yahvé, et afin qu'ils craignent Yahvé votre Dieu, toujours."

Josué 5, 1 Lorsque tous les rois des Amorites qui habitaient au-delà du Jourdain, vers l'ouest, et tous les rois des Cananéens qui habitaient face à la mer apprirent que Yahvé avait asséché les eaux du Jourdain devant les Israélites, jusqu'à ce qu'ils soient passés, le coeur leur manqua et ils perdirent courage devant les Israélites.

Josué 5, 2 En ce temps-là, Yahvé dit à Josué: "Fais-toi des couteaux de silex, et circoncis de nouveau les Israélites (une seconde fois").

Josué 5, 3 Josué se fit des couteaux de silex et circoncit les Israélites sur le Tertre des Prépuces.

Josué 5, 4 Voici la raison pour laquelle Josué fit cette circoncision: toute la population mâle, sortie d'Egypte en âge de porter les armes, était morte dans le désert, en chemin, après leur sortie d'Egypte.

Josué 5, 5 Or, tout ce peuple émigré avait été circoncis; mais tout le peuple né dans le désert, en chemin, après leur sortie d'Egypte, on ne l'avait pas circoncis;

Josué 5, 6 car pendant 40 ans les Israélites marchèrent dans le désert, jusqu'à ce que toute la nation eût péri, à savoir les hommes sortis d'Egypte en âge de porter les armes; ils n'avaient pas obéi à la voix de Yahvé, et Yahvé leur avait juré de ne pas leur laisser voir la terre qu'il avait juré à leurs pères de nous donner, terre qui ruisselle de lait et de miel.

Josué 5, 7 Quant à leurs fils, il les établit à leur place, et ce sont eux que Josué circoncit: ils étaient incirconcis, car on ne les avait pas circoncis en chemin.

Josué 5, 8 Lorsqu'on eut achevé de circoncire toute la nation, ils restèrent sur place dans le camp jusqu'à leur guérison.

Josué 5, 9 Alors Yahvé dit à Josué: "Aujourd'hui j'ai ôté de dessus vous le déshonneur de l'Egypte." Aussi a-t-on appelé ce lieu du nom de Gilgal jusqu'aujourd'hui.

Josué 5, 10 Les Israélites campèrent à Gilgal et y firent la Pâque, le quatorzième jour du mois, le soir, dans la plaine de Jéricho.

Josué 5, 11 Le lendemain de la Pâque, ils mangèrent du produit du pays: pains sans levain et épis grillés, en ce même jour.

Josué 5, 12 Il n'y eut plus de manne le lendemain, où ils mangeaient du produit du pays. Les Israélites n'ayant plus de manne se nourrirent dès cette année des produits de la terre de Canaan.

Josué 5, 13 Or Josué, se trouvant près de Jéricho, leva les yeux et vit un homme qui se tenait debout devant lui, une épée nue à la main. Josué s'avança vers lui et lui dit: "Es-tu des nôtres ou de nos ennemis?"

Josué 5, 14 Il répondit: "Non! Mais je suis le chef de l'armée de Yahvé, et maintenant je suis venu." Josué, tombant la face contre terre, l'adora et dit: "Que dit mon Seigneur à son serviteur?"

Josué 5, 15 Le chef de l'armée de Yahvé répondit à Josué: "Ote tes sandales de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te trouves est saint." Et Josué fit ainsi.

Josué 6, 1 Or Jéricho s'était enfermée et barricadée (contre les Israélites): personne n'en sortait et personne n'y entrait.

Josué 6, 2 Yahvé dit alors à Josué: "Vois! Je livre entre tes mains Jéricho et son roi, gens d'élite.

Josué 6, 3 Vous tous les combattants, vous contournerez la ville (pour en faire une fois le tour, et pendant six jours tu feras de même.

Josué 6, 4 Sept prêtres porteront en avant de l'arche sept trompes en corne de bélier. Le septième jour, vous ferez sept fois le tour de la ville et les prêtres sonneront de la trompe).

Josué 6, 5 Lorsque la corne de bélier retentira (quand vous entendrez le son de la trompe), tout le peuple poussera un grand cri de guerre et le rempart de la ville s'écroulera sur place; alors le peuple montera à l'assaut, chacun droit devant soi."

Josué 6, 6 Josué, fils de Nûn, appela les prêtres et leur dit: "Prenez l'arche d'alliance, et que sept prêtres portent sept trompes en corne de bélier en avant de l'arche de Yahvé."

Josué 6, 7 Puis il dit au peuple: "Passez et faites le tour de la ville, et que l'avant-garde passe devant l'arche de Yahvé."

Josué 6, 8 (Il fut fait comme Josué l'avait dit au peuple). Sept prêtres portant les sept trompes en corne de bélier devant Yahvé passèrent et sonnèrent de la trompe; l'arche de l'alliance de Yahvé venait après eux,

Josué 6, 9 l'avant-garde précédait les prêtres qui sonnaient de la trompe et l'arrière-garde venait après l'arche: on allait et l'on sonnait de la trompe.

Josué 6, 10 Au peuple, Josué avait donné l'ordre suivant: "Ne criez pas et ne faites pas entendre votre voix (qu'il ne sorte pas un mot de votre bouche), jusqu'au jour où je vous dirai: Poussez le cri de guerre! Alors vous pousserez le cri de guerre."

Josué 6, 11 Il fit faire à l'arche de Yahvé le tour de la ville (en la contournant une fois), puis on rentra au camp où l'on passa la nuit.

Josué 6, 12 Josué se leva de bon matin et les prêtres prirent l'arche de Yahvé.

Josué 6, 13 Munis des sept trompes en corne de bélier, les sept prêtres marchant devant l'arche de Yahvé sonnaient de leur trompe pendant la marche, tandis que l'avant-garde allait devant eux, l'arrière-garde à la suite de l'arche de Yahvé, et que l'on défilait au son de la trompe.

Josué 6, 14 On fit le tour de la ville (le second jour) une fois, et l'on rentra au camp; c'est ainsi que l'on fit pendant six jours.

Josué 6, 15 Le septième jour, s'étant levés dès l'aurore, ils firent le tour de la ville (selon le même rite) sept fois. (C'est seulement ce jour-là qu'on fit sept fois le tour de la ville.)

Josué 6, 16 La septième fois, les prêtres sonnèrent de la trompe et Josué dit au peuple: "Poussez le cri de guerre, car Yahvé vous a livré la ville!"

Josué 6, 17 "La ville sera dévouée par anathème à Yahvé, avec tout ce qui s'y trouve. Seule Rahab, la prostituée, aura la vie sauve ainsi que tous ceux qui sont avec elle dans sa maison, parce qu'elle a caché les émissaires que nous avions envoyés.

Josué 6, 18 Mais vous, prenez bien garde à l'anathème, de peur que, poussés par la convoitise, vous ne preniez quelque chose de ce qui est anathème, car ce serait rendre anathème le camp d'Israël et lui porter malheur.

Josué 6, 19 Tout l'argent et tout l'or, tous les objets de bronze et de fer seront consacrés à Yahvé, ils entreront dans son trésor."

Josué 6, 20 Le peuple poussa le cri de guerre et l'on sonna de la trompe. Quand il entendit le son de la trompe, le peuple poussa un grand cri de guerre, et le rempart s'écroula sur place. Aussitôt le peuple monta vers la ville, chacun devant soi, et ils s'emparèrent de la ville.

Josué 6, 21 Ils dévouèrent à l'anathème tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu'aux taureaux, aux moutons et aux ânes, les passant au fil de l'épée.

Josué 6, 22 Josué dit aux deux hommes qui avaient espionné le pays: "Entrez dans la maison de la prostituée et faites-en sortir cette femme avec tous ceux qui lui appartiennent, ainsi que vous le lui avez juré."

Josué 6, 23 Ces jeunes gens, les espions, s'y rendirent et en firent sortir Rahab, son père, sa mère, ses frères et tous ceux qui lui appartenaient. Ils en firent sortir aussi tout son clan et les mirent en lieu sûr, en dehors du camp d'Israël.

Josué 6, 24 On brûla la ville et tout ce qu'elle contenait, sauf l'argent, l'or et les objets de bronze et de fer qu'on livra au trésor de la Maison de Yahvé.

Josué 6, 25 Mais Rahab, la prostituée, ainsi que la maison de son père et tous ceux qui lui appartenaient, Josué leur laissa la vie sauve. Elle est demeurée au milieu d'Israël jusqu'aujourd'hui, pour avoir caché les émissaires que Josué avait envoyés espionner Jéricho.

Josué 6, 26 En ce temps-là, Josué fit prononcer ce serment: "Maudit soit, devant Yahvé, l'homme qui se lèvera pour rebâtir cette ville (Jéricho)! Il la fondera sur son aîné, et en posera les portes sur son cadet!"

Josué 6, 27 Et Yahvé fut avec Josué, dont la renommée se répandit dans tout le pays.

Josué 7, 1 Mais les Israélites se rendirent coupables d'une violation de l'anathème: Akân, fils de Karmi, fils de Zabdi, fils de Zérah, de la tribu de Juda, prit de ce qui tombait sous l'anathème, et la colère de Yahvé s'enflamma contre les Israélites.

Josué 7, 2 Or Josué envoya des hommes de Jéricho vers Aï (qui est près de Bet-Avèn), à l'orient de Béthel, et il leur dit: "Montez espionner le pays." Ils montèrent espionner Aï.

Josué 7, 3 De retour auprès de Josué, il lui dirent: "Que tout le peuple n'y monte pas, mais que 2.000 ou 3.000 hommes environ montent attaquer Aï. N'y fatigue pas tout le peuple car ces gens-là ne sont pas nombreux."

Josué 7, 4 Il n'y monta du peuple qu'environ 3.000 hommes, mais ils lâchèrent pied devant les habitants de Aï.

Josué 7, 5 Les habitants de Aï leur tuèrent à peu près 36 hommes, puis les poursuivirent en avant de la porte, jusqu'à Shebarim, et à la descente, ils les écrasèrent. Alors le peuple perdit coeur et son courage fondit.

Josué 7, 6 Alors Josué déchira ses vêtements, se prosterna face contre terre devant l'arche de Yahvé jusqu'au soir, ainsi que les anciens d'Israël, et tous répandirent de la poussière sur leur tête.

Josué 7, 7 Josué dit: "Hélas, Seigneur Yahvé, pourquoi as-tu tenu à faire passer le Jourdain à ce peuple si c'est pour nous livrer à la main de l'Amorite et nous faire périr? Ah! si nous avions pu nous établir au-delà du Jourdain!

Josué 7, 8 Excuse-moi, Seigneur! Que dirai-je maintenant qu'Israël a tourné le dos devant ses ennemis?

Josué 7, 9 Les Cananéens vont l'apprendre, ainsi que tous les habitants du pays, ils se coaliseront contre nous pour retrancher notre nom de la terre. Que feras-tu alors pour ton grand nom?"

Josué 7, 10 Yahvé dit à Josué: "Relève-toi! Pourquoi rester ainsi prosterné?

Josué 7, 11 Israël a péché, il a violé l'alliance que je lui avais imposée: Oui! on a pris de ce qui était anathème, et même on l'a dérobé, et même on l'a dissimulé, et même on l'a mis dans ses bagages.

Josué 7, 12 Eh bien, les Israélites ne pourront pas tenir devant leurs ennemis, ils tourneront le dos devant leurs ennemis parce qu'ils sont devenus anathèmes. Si vous ne faites pas disparaître du milieu de vous l'objet de l'anathème, je ne serai plus avec vous.

Josué 7, 13 Lève-toi, sanctifie le peuple et tu diras: Sanctifiez-vous pour demain, car ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël: L'anathème est au milieu de toi, Israël; tu ne pourras pas tenir devant tes ennemis jusqu'à ce que vous ayez écarté l'anathème du milieu de vous.

Josué 7, 14 Vous vous présenterez donc demain matin, par tribus, et la tribu que Yahvé aura désignée par le sort se présentera par clans, et le clan que Yahvé aura désigné par le sort se présentera par familles, et la famille que Yahvé aura désignée par le sort se présentera homme par homme.

Josué 7, 15 Enfin celui qui sera désigné par le sort en ce qui concerne l'anathème sera livré au feu, lui et tout ce qui lui appartient, pour avoir transgressé l'alliance avec Yahvé et avoir commis une infamie en Israël."

Josué 7, 16 Josué se leva de bon matin; il fit avancer Israël par tribus, et c'est la tribu de Juda qui fut désignée par le sort.

Josué 7, 17 Il fit approcher les clans de Juda, et le clan de Zérah fut désigné par le sort. Il fit approcher le clan de Zérah par familles, et Zabdi fut désigné par le sort.

Josué 7, 18 Josué fit avancer la famille de Zabdi homme par homme, et ce fut Akân, fils de Karmi, fils de Zabdi, fils de Zérah, de la tribu de Juda, qui fut désigné par le sort.

Josué 7, 19 Josué dit alors à Akân: "Mon fils, rends gloire à Yahvé, Dieu d'Israël, et fais-lui hommage; déclare-moi ce que tu as fait et ne me cache rien."

Josué 7, 20 Akân répondit à Josué: "En vérité, c'est moi qui ai péché contre Yahvé, Dieu d'Israël, et voici ce que j'ai fait.

Josué 7, 21 J'ai vu dans le butin un beau manteau de Shinéar et 200 sicles d'argent ainsi qu'un lingot d'or pesant 50 sicles, je les ai convoités et je les ai pris. Ils sont cachés dans la terre au milieu de ma tente, l'argent par-dessous."

Josué 7, 22 Josué envoya des messagers qui coururent vers la tente, et en effet le manteau était caché dans la tente et l'argent par-dessous.

Josué 7, 23 Ils prirent le tout du milieu de la tente, l'apportèrent à Josué et à tous les Israélites et le déposèrent devant Yahvé.

Josué 7, 24 Alors Josué prit Akân, fils de Zérah, et le fit monter à la vallée d'Akor avec l'argent, le manteau et le lingot d'or, avec ses fils, ses filles, son taureau, son âne, son petit bétail, sa tente et tout ce qui lui appartenait. Tout Israël l'accompagnait.

Josué 7, 25 Josué dit: "Pourquoi nous as-tu porté malheur? Que Yahvé, en ce jour, t'apporte le malheur!" et tout Israël le lapida (et on les livra au feu et on leur jeta des pierres).

Josué 7, 26 Ils élevèrent sur lui un grand monceau de pierres qui existe encore aujourd'hui. Yahvé revint alors de son ardente colère. C'est pour cela qu'on a donné à ce lieu le nom de vallée d'Akor, jusqu'aujourd'hui.

Josué 8, 1 Yahvé dit alors à Josué: "Sois sans crainte ni frayeur! Prends avec toi tous les gens de guerre. Debout! monte contre Aï. Vois: je livre entre tes mains le roi de Aï, son peuple, sa ville et sa terre.

Josué 8, 2 Tu traiteras Aï et son roi comme tu as traité Jéricho et son roi. Vous ne prendrez comme butin que les dépouilles et le bétail. Aie soin d'établir une embuscade contre la ville, par-derrière."

Josué 8, 3 Josué se leva, avec tous les gens de guerre, pour monter contre Aï. Josué choisit 30.000 hommes d'élite et les fit partir de nuit

Josué 8, 4 en leur donnant cet ordre: "Attention! vous dresserez une embuscade contre la ville, par-derrière, sans vous éloigner beaucoup de la ville, et soyez tous sur le qui-vive.

Josué 8, 5 Moi et tous les gens qui m'accompagnent, nous nous approcherons de la ville, et lorsque les gens de Aï sortiront à notre rencontre comme la première fois, nous prendrons la fuite devant eux.

Josué 8, 6 Ils nous suivront alors et nous les attirerons loin de la ville, car ils se diront: Ils fuient devant nous comme la première fois.

Josué 8, 7 Alors vous surgirez de l'embuscade pour prendre possession de la ville: Yahvé votre Dieu la livrera entre vos mains.

Josué 8, 8 Une fois la ville prise, vous la livrerez au feu, agissant selon la parole de Yahvé. Voyez, je vous ai donné un ordre."

Josué 8, 9 Josué les ayant renvoyés, ils allèrent au lieu de l'embuscade et se postèrent entre Béthel et Aï, à l'ouest de Aï. Josué passa la nuit au milieu du peuple,

Josué 8, 10 puis le lendemain, s'étant levé de bon matin, il passa le peuple en revue et, avec les anciens d'Israël, monta vers Aï en tête du peuple.

Josué 8, 11 Tous les gens de guerre qui étaient avec lui montèrent, s'approchèrent jusqu'en face de la ville et campèrent au nord de Aï, la vallée se trouvant entre eux et la ville.

Josué 8, 12 Josué prit environ 5.000 hommes et les mit en embuscade entre Béthel et Aï, à l'ouest de la ville.

Josué 8, 13 Le peuple dressa l'ensemble du camp qui était au nord de la ville, et son embuscade à l'ouest de la ville. Josué alla cette nuit-là au milieu de la plaine.

Josué 8, 14 Dès que le roi de Aï eut vu cela, les gens de la ville se hâtèrent de se lever et de sortir pour que lui et tout son peuple aillent à la rencontre d'Israël pour le combattre, sur la descente qui est face à la Araba; mais il ne savait pas qu'il y avait une embuscade dressée contre lui derrière la ville.

Josué 8, 15 Josué et tout Israël se firent battre par eux et prirent la fuite sur le chemin du désert.

Josué 8, 16 Tout le peuple qui se trouvait dans la ville se mit à leur poursuite à grands cris. En poursuivant Josué, ils s'écartèrent de la ville.

Josué 8, 17 Il ne resta pas un homme dans Aï (ni dans Béthel) qui ne poursuivît Israël: ils laissèrent la ville ouverte et poursuivirent Israël.

Josué 8, 18 Yahvé dit alors à Josué: "Tends vers Aï le sabre que tu as en main, car c'est en ta main que je vais la livrer." Alors Josué tendit vers la ville le sabre qu'il avait en main.

Josué 8, 19 Et dès qu'il eut étendu la main, ceux de l'embuscade, surgissant en hâte de leur poste, prirent leur course, pénétrèrent dans la ville, s'en emparèrent et se hâtèrent de la livrer au feu.

Josué 8, 20 Les gens de Aï se retournèrent et virent: voici que la fumée de la ville montait vers le ciel. Aucun d'entre eux ne se sentit le courage de fuir ici ou là, tandis que le peuple en fuite vers le désert se retournait contre ceux qui le poursuivaient.

Josué 8, 21 Voyant que ceux de l'embuscade avaient pris la ville et que la fumée montait de la ville, Josué et tout Israël firent volte-face et attaquèrent les gens de Aï.

Josué 8, 22 Les autres sortirent de la ville à leur rencontre, de sorte que les gens de Aï se trouvèrent au milieu des Israélites, ayant les uns d'un côté et les autres de l'autre. Ceux-ci les battirent jusqu'à ce qu'il ne leur restât plus un survivant ni un rescapé.

Josué 8, 23 Mais on prit vivant le roi de Aï et on l'amena à Josué.

Josué 8, 24 Quand Israël eut fini de tuer tous les habitants de Aï, dans la campagne et dans le désert où ils les avaient poursuivis, et que tous jusqu'au dernier furent tombés au fil de l'épée, tout Israël revint à Aï et en passa la population au fil de l'épée.

Josué 8, 25 Le total de tous ceux qui tombèrent ce jour-là, tant hommes que femmes, fut de 12.000, tous gens de Aï.

Josué 8, 26 Josué ne ramena pas la main qu'il avait étendue avec le sabre, jusqu'à ce qu'il eût dévoué à l'anathème tous les habitants de Aï.

Josué 8, 27 Israël ne prit pour butin que le bétail et les dépouilles de cette ville, selon l'ordre que Yahvé avait donné à Josué.

Josué 8, 28 Josué incendia Aï et il en fit pour toujours une ruine, un lieu désolé jusqu'aujourd'hui.

Josué 8, 29 Quant au roi de Aï, il le pendit à un arbre jusqu'au soir; mais au coucher du soleil, Josué ordonna qu'on descendît de l'arbre son cadavre. On le jeta ensuite à l'entrée de la porte de la ville, et on amoncela sur lui un grand tas de pierres, qui existe jusqu'aujourd'hui.

Josué 8, 30 Alors Josué édifia un autel à Yahvé, Dieu d'Israël, sur le mont Ebal,

Josué 8, 31 comme Moïse, serviteur de Yahvé, l'avait ordonné aux Israélites, selon qu'il est écrit dans la Loi de Moïse: un autel de pierres brutes que le fer n'aura pas travaillées. Ils y offrirent des holocaustes à Yahvé et immolèrent des sacrifices de communion.

Josué 8, 32 Là, Josué écrivit sur les pierres une copie de la Loi de Moïse, que celui-ci avait écrite devant les Israélites.

Josué 8, 33 Tout Israël, avec ses anciens, ses scribes et ses juges, se tenait de part et d'autre de l'arche, en face des prêtres lévites qui portaient l'arche d'alliance de Yahvé, les étrangers comme les citoyens, moitié sur le front du mont Garizim et moitié sur le front du mont Ebal, comme Moïse, serviteur de Yahvé, l'avait ordonné pour donner en premier lieu la bénédiction au peuple d'Israël.

Josué 8, 34 Puis Josué lut toutes les paroles de la Loi -- la bénédiction et la malédiction -- suivant tout ce qui est écrit dans le livre de la Loi.

Josué 8, 35 Il n'y eut pas un mot de tout ce que Moïse avait ordonné qui ne fût lu par Josué en présence de toute l'assemblée d'Israël, y compris les femmes, les enfants et les étrangers qui marchaient au milieu d'eux.

Josué 9, 1 Quand ils apprirent cela, tous les rois qui étaient de ce côté du Jourdain, dans la Montagne, dans le Bas-Pays et sur toute la côte de la Grande mer vers le Liban, Hittites, Amorites, Cananéens, Perizzites, Hivvites et Jébuséens,

Josué 9, 2 se coalisèrent pour combattre d'un commun accord Josué et Israël.

Josué 9, 3 Les habitants de Gabaôn apprirent la manière dont Josué avait traité Jéricho et Aï,

Josué 9, 4 et eurent, eux aussi, recours à la ruse. Ils allèrent se munir de provisions, et chargèrent leurs ânes de vieux sacs et de vieilles outres à vin crevées et recousues.

Josué 9, 5 Ils avaient à leurs pieds de vieilles sandales rapiécées, et sur eux de vieux habits. Tout le pain qu'ils emportaient pour leur nourriture était durci et réduit en miettes.

Josué 9, 6 Ils arrivèrent au camp de Gilgal, auprès de Josué, et lui dirent ainsi qu'aux hommes d'Israël: "Nous venons d'un pays lointain, faites donc alliance avec nous."

Josué 9, 7 Les hommes d'Israël répondirent à ces Hivvites: "Qui sait si vous n'habitez pas au milieu de nous? Alors comment pourrions-nous faire alliance avec vous?"

Josué 9, 8 Ils répondirent à Josué: "Nous sommes tes serviteurs" -- "Mais qui êtes-vous, leur demanda Josué, et d'où venez-vous?"

Josué 9, 9 Ils répondirent: "C'est d'un pays très éloigné que viennent tes serviteurs, à cause du renom de Yahvé ton Dieu, car nous avons entendu parler de lui, de tout ce qu'il a fait en Egypte

Josué 9, 10 et de tout ce qu'il a fait aux deux rois des Amorites qui vivaient au-delà du Jourdain, Sihôn, roi de Heshbôn, et Og, roi du Bashân, qui vivait à Ashtarot.

Josué 9, 11 Alors nos anciens et tous les habitants de notre pays nous ont dit: Prenez avec vous des provisions pour le voyage, allez au-devant d'eux et dites-leur: Nous sommes vos serviteurs, faites donc alliance avec nous!

Josué 9, 12 Voici notre pain: il était tout chaud quand nous en avons fait provision dans nos maisons, le jour où nous sommes partis pour aller chez vous, et maintenant le voilà durci et réduit en miettes.

Josué 9, 13 Ces outres à vin que nous avions remplies toutes neuves, les voilà crevées. Nos sandales et nos vêtements, les voilà usés par une très longue marche."

Josué 9, 14 Les notables acceptèrent de leurs provisions et ne consultèrent pas l'oracle de Yahvé.

Josué 9, 15 Josué leur accorda la paix et fit alliance avec eux pour qu'ils aient la vie sauve, et les notables de la communauté leur en firent serment.

Josué 9, 16 Or il arriva que, trois jours après qu'ils aient fait alliance, on apprit qu'ils étaient un peuple voisin, vivant au milieu d'Israël.

Josué 9, 17 Les Israélites partirent du camp et arrivèrent dans leurs villes, le troisième jour. Leurs villes étaient Gabaôn, Kephira, Béérot et Qiryat-Yéarim.

Josué 9, 18 Les Israélites ne les attaquèrent pas, puisque les notables de la communauté leur avaient fait serment par Yahvé, Dieu d'Israël, mais toute la communauté murmura contre les notables.

Josué 9, 19 Alors tous les notables dirent à toute l'assemblée: "Nous leur avons fait serment par Yahvé, Dieu d'Israël, nous ne pouvons donc plus les toucher.

Josué 9, 20 Voici ce que nous leur ferons: Laisse-leur la vie sauve, pour ne pas attirer sur nous la Colère à cause du serment que nous leur avons fait."

Josué 9, 21 Et les notables leur dirent: "Qu'ils vivent, mais qu'ils soient fendeurs de bois et porteurs d'eau au service de toute la communauté." Ainsi leur parlèrent les notables.

Josué 9, 22 Josué convoqua les Gabaonites et leur dit: "Pourquoi nous avez-vous trompés en disant: Nous sommes très éloignés de vous, quand vous habitez au milieu de nous?

Josué 9, 23 Désormais vous êtes maudits et vous ne cesserez jamais d'être en servitude, comme fendeurs de bois et porteurs d'eau dans la Maison de mon Dieu."

Josué 9, 24 Ils répondirent à Josué: "C'est que l'on avait bien dit à tes serviteurs l'ordre donné par Yahvé ton Dieu à Moïse, son serviteur, de vous livrer tout ce pays et d'exterminer devant vous tous ses habitants. Aussi avons-nous été saisis à votre approche d'une grande crainte pour nos vies. Voilà pourquoi nous avons agi ainsi.

Josué 9, 25 Et maintenant, nous voici entre tes mains, ce qu'il te semble bon et juste de nous faire, fais-le."

Josué 9, 26 Il fit ainsi à leur égard; il les délivra de la main des Israélites qui ne les tuèrent pas.

Josué 9, 27 En ce jour-là, Josué les mit comme fendeurs de bois et porteurs d'eau au service de la communauté et de l'autel de Yahvé, jusqu'aujourd'hui, au lieu qu'il choisirait.

Josué 10, 1 Or, il advint qu'Adoni-Cédeq, roi de Jérusalem, apprit que Josué s'était emparé de Aï et l'avait vouée à l'anathème, traitant Aï et son roi comme il avait traité Jéricho et son roi, et que les habitants de Gabaôn avaient fait la paix avec Israël et demeuraient au milieu de lui.

Josué 10, 2 On en fut terrifié, car Gabaôn était une ville aussi grande que l'une des villes royales (elle était plus grande que Aï), et tous ses citoyens étaient des guerriers.

Josué 10, 3 Alors Adoni-Cédeq, roi de Jérusalem, envoya dire à Hoham, roi d'Hébron, à Piréam, roi de Yarmut, à Yaphia, roi de Lakish, et à Debir, roi d'Eglôn:

Josué 10, 4 "Montez donc vers moi pour m'aider à battre Gabaôn, parce qu'elle a fait la paix avec Josué et les Israélites."

Josué 10, 5 Ayant opéré leur jonction, les cinq rois montèrent, à savoir le roi de Jérusalem, le roi d'Hébron, le roi de Yarmut, le roi de Lakish et le roi d'Eglôn, eux et toutes leurs troupes; ils assiégèrent Gabaôn et l'attaquèrent.

Josué 10, 6 Les gens de Gabaôn envoyèrent dire à Josué, au camp de Gilgal: "Ne délaisse pas tes serviteurs, hâte-toi de monter jusqu'à nous pour nous sauver et nous secourir, car tous les rois amorites qui habitent la montagne se sont coalisés contre nous."

Josué 10, 7 Josué monta de Gilgal, lui, tous les gens de guerre et toute l'élite de l'armée.

Josué 10, 8 Yahvé dit à Josué: "Ne les crains pas, je les ai livrés entre tes mains, nul d'entre eux ne te résistera."

Josué 10, 9 Josué arriva sur eux à l'improviste, après avoir marché toute la nuit depuis Gilgal.

Josué 10, 10 Yahvé les mit en déroute, en présence d'Israël, et leur infligea à Gabaôn une rude défaite; il les poursuivit même sur le chemin de la pente de Bet-Horôn et les battit jusqu'à Azéqa (et jusqu'à Maqqéda).

Josué 10, 11 Or, tandis qu'ils fuyaient devant Israël à la descente de Bet-Horôn, Yahvé lança du ciel sur eux, jusqu'à Azéqa, d'énormes grêlons, et ils moururent. Il en mourut plus sous les grêlons que sous le tranchant de l'épée des Israélites.

Josué 10, 12 C'est alors que Josué s'adressa à Yahvé, en ce jour où Yahvé livra les Amorites aux Israélites. Josué dit en présence d'Israël: "Soleil, arrête-toi sur Gabaôn, et toi, lune, sur la vallée d'Ayyalôn!"

Josué 10, 13 Et le soleil s'arrêta, et la lune se tint immobile jusqu'à ce que le peuple se fût vengé de ses ennemis. Cela n'est-il pas écrit dans le livre du Juste? Le soleil se tint immobile au milieu du ciel et près d'un jour entier retarda son coucher.

Josué 10, 14 Il n'y a pas eu de journée pareille, ni avant ni depuis, où Yahvé ait obéi à la voix d'un homme. C'est que Yahvé combattait pour Israël.

Josué 10, 15 Josué, et avec lui tout Israël, regagna le camp de Gilgal.

Josué 10, 16 Quant à ces cinq rois, ils s'étaient enfuis et s'étaient cachés dans la caverne de Maqqéda.

Josué 10, 17 On vint en informer Josué: "Les cinq rois, lui dit-on, viennent d'être découverts cachés dans la caverne de Maqqéda."

Josué 10, 18 Josué dit: "Roulez de grosses pierres à l'entrée de la caverne et postez contre elle des hommes pour y veiller.

Josué 10, 19 Et vous, ne restez pas immobiles, poursuivez vos ennemis, coupez-leur la retraite et ne les laissez pas entrer dans leurs villes, car Yahvé votre Dieu les a livrés entre vos mains."

Josué 10, 20 Quand Josué et les Israélites eurent achevé de leur infliger une très grande défaite jusqu'à les exterminer, tous ceux qui avaient réchappé vivants entrèrent dans les places fortes.

Josué 10, 21 Tout le peuple revint au camp sain et sauf, auprès de Josué à Maqqéda, et personne n'osa rien faire contre les Israélites.

Josué 10, 22 Josué dit alors: "Dégagez l'entrée de la caverne et faites-en sortir ces cinq rois pour me les amener."

Josué 10, 23 On fit ainsi et l'on fit sortir les cinq rois de la caverne pour les lui amener: le roi de Jérusalem, le roi d'Hébron, le roi de Yarmut, le roi de Lakish et le roi d'Eglôn.

Josué 10, 24 Lorsqu'on eut fait sortir ces rois, Josué appela tous les hommes d'Israël et dit aux officiers des gens de guerre qui l'avaient accompagné: "Approchez et mettez le pied sur la nuque de ces rois." Ils s'avancèrent et leur mirent le pied sur la nuque.

Josué 10, 25 "Soyez sans crainte et sans frayeur, leur dit Josué, mais soyez forts et tenez bon, car c'est ainsi que Yahvé traitera tous les ennemis que vous aurez à combattre."

Josué 10, 26 Après quoi, Josué les frappa à mort et les fit pendre à cinq arbres auxquels ils restèrent suspendus jusqu'au soir.

Josué 10, 27 A l'heure du coucher du soleil, sur un ordre de Josué, on les dépendit des arbres et on les jeta dans la caverne où ils s'étaient cachés. De grandes pierres furent dressées contre l'entrée de la caverne, elles y sont restées jusqu'à ce jour même.

Josué 10, 28 Le même jour, Josué se rendit maître de Maqqéda et la fit passer, ainsi que son roi, au fil de l'épée: il les voua à l'anathème avec tout ce qui se trouvait là de vivant, sans laisser échapper personne, et traita le roi de Maqqéda comme il avait traité le roi de Jéricho.

Josué 10, 29 Josué, avec tout Israël, passa de Maqqéda à Libna, qu'il attaqua.

Josué 10, 30 Yahvé la livra aussi, avec son roi, entre les mains d'Israël qui la fit passer au fil de l'épée avec tout ce qui se trouvait de vivant; il n'y laissa pas un survivant. Il traita son roi comme il avait traité le roi de Jéricho.

Josué 10, 31 Josué, avec tout Israël, passa de Libna à Lakish, qu'il assiégea et attaqua.

Josué 10, 32 Yahvé livra Lakish entre les mains d'Israël qui s'en empara le second jour et la fit passer au fil de l'épée avec tout ce qui s'y trouvait de vivant, tout comme il avait agi pour Libna.

Josué 10, 33 C'est alors que le roi de Gézer, Horam, monta pour secourir Lakish, mais Josué le battit, ainsi que son peuple, jusqu'à ce qu'il ne lui laissât pas un survivant.

Josué 10, 34 Josué, avec tout Israël, passa de Lakish à Eglôn. Ils l'assiégèrent et l'attaquèrent.

Josué 10, 35 Ils s'en emparèrent le jour même et la firent passer au fil de l'épée. Il voua à l'anathème, en ce jour-là, tout ce qui s'y trouvait de vivant, tout comme il avait agi pour Lakish.

Josué 10, 36 Josué, avec tout Israël, monta d'Eglôn à Hébron, et ils l'attaquèrent.

Josué 10, 37 Ils s'en emparèrent et la firent passer au fil de l'épée, ainsi que son roi, toutes les localités qui en dépendaient et tout ce qui s'y trouvait de vivant. Il ne laissa pas un survivant, tout comme il avait agi pour Eglôn. Il la voua à l'anathème, ainsi que tout ce qui s'y trouvait de vivant.

Josué 10, 38 Alors Josué, avec tout Israël, retourna vers Debir et l'attaqua.

Josué 10, 39 Il s'en empara avec son roi et avec toutes les localités qui en dépendaient; ils les firent passer au fil de l'épée et vouèrent à l'anathème tout ce qui s'y trouvait de vivant; il ne laissa pas un survivant. Comme il avait traité Hébron, Josué traita Debir et son roi, tout comme il avait traité Libna et son roi.

Josué 10, 40 Ainsi Josué soumit tout ce pays, à savoir: la Montagne, le Négeb, le Bas-Pays et les pentes arrosées, avec tous leurs rois. Il ne laissa pas un survivant et voua tout être vivant à l'anathème, comme Yahvé, le Dieu d'Israël, l'avait ordonné;

Josué 10, 41 Josué les battit depuis Cadès-Barné jusqu'à Gaza, et toute la région de Goshèn jusqu'à Gabaôn.

Josué 10, 42 Tous ces rois avec leur territoire, Josué s'en empara en une seule fois, parce que Yahvé, le Dieu d'Israël, combattait pour Israël.

Josué 10, 43 Puis Josué, avec tout Israël, revint au camp de Gilgal.

Josué 11, 1 Lorsque Yabîn, roi de Haçor, eut appris cela, il fit informer Yobab, roi de Mérom, le roi de Shimrôn, le roi d'Akshaph

Josué 11, 2 et les rois habitant la Montagne au nord, la plaine au sud de Kinnerot, le Bas-Pays, et les coteaux de Dor à l'ouest.

Josué 11, 3 Les Cananéens se trouvaient à l'orient et à l'occident, les Amorites, les Hittites, les Perizzites, et les Jébuséens dans la montagne, les Hivvites au pied de l'Hermon, au pays de Miçpa.

Josué 11, 4 Ils partirent ayant avec eux toutes leurs troupes, un peuple nombreux comme le sable au bord de la mer, avec une énorme quantité de chevaux et de chars.

Josué 11, 5 Tous ces rois, s'étant donné rendez-vous, arrivèrent et campèrent ensemble aux eaux de Mérom pour combattre Israël.

Josué 11, 6 Yahvé dit alors à Josué: "Sois sans crainte devant eux car demain, à la même heure, je les livrerai tous, percés de coups, à Israël; tu couperas les jarrets de leurs chevaux et tu brûleras leurs chars."

Josué 11, 7 Josué, avec tous ses gens de guerre, les atteignit à l'improviste près des eaux de Mérom et tomba sur eux.

Josué 11, 8 Yahvé les livra aux mains d'Israël qui les battit et les poursuivit jusqu'à Sidon-la-Grande-et jusqu'à Misrephot à l'occident et jusqu'à la vallée de Miçpa au levant. Il les battit jusqu'à ne pas leur laisser un survivant.

Josué 11, 9 Josué les traita comme Yahvé lui avait dit: il coupa les jarrets de leurs chevaux et livra leurs chars au feu.

Josué 11, 10 En ce temps-là, Josué revint et s'empara de Haçor dont il tua le roi d'un coup d'épée. Haçor était jadis la capitale de tous ces royaumes.

Josué 11, 11 On passa aussi au fil de l'épée tout ce qui s'y trouvait de vivant, en vertu de l'anathème. On n'y laissa pas âme qui vive et Haçor fut livrée au feu.

Josué 11, 12 Toutes les villes de ces rois, ainsi que tous leurs rois, Josué s'en empara et les passa au fil de l'épée en vertu de l'anathème, comme l'avait ordonné Moïse, serviteur de Yahvé.

Josué 11, 13 Pourtant toutes les villes qui se dressaient sur leurs collines de ruines, Israël ne les incendia pas, sauf Haçor que Josué incendia.

Josué 11, 14 Et toutes les dépouilles de ces villes, y compris le bétail, les Israélites les prirent comme butin. Mais tous les êtres humains, il les passèrent au fil de l'épée, jusqu'à les exterminer. Ils n'y laissèrent pas âme qui vive.

Josué 11, 15 Ce que Yahvé avait ordonné à son serviteur Moïse, Moïse l'avait ordonné à Josué, et Josué l'exécuta sans omettre un seul mot de ce que Yahvé avait ordonné à Moïse.

Josué 11, 16 C'est ainsi que Josué s'empara de tout ce pays: la Montagne, tout le Négeb et tout le pays de Goshèn, le Bas-Pays, la Araba, la montagne d'Israël et son Bas-Pays.

Josué 11, 17 Depuis le mont Pelé, qui s'élève vers Séïr, jusqu'à Baal-Gad, dans la vallée du Liban, au pied du mont Hermon, il s'empara de tous leurs rois qu'il fit frapper à mort.

Josué 11, 18 Pendant de longs jours, Josué avait fait la guerre à tous ces rois;

Josué 11, 19 nulle cité n'avait fait la paix avec les Israélites, sauf les Hivvites qui habitaient Gabaôn: c'est en combattant qu'ils s'emparèrent de toutes les autres.

Josué 11, 20 Car Yahvé avait décidé d'endurcir le coeur de ces gens pour combattre Israël, afin qu'ils soient anathèmes et qu'il n'y ait pas pour eux de rémission, mais qu'ils soient extirpés, comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse.

Josué 11, 21 En ce temps-là, Josué vint exterminer les Anaqim de la Montagne, d'Hébron, de Debir, de Anab, de toute la montagne de Juda et de toute la montagne d'Israël: il les voua à l'anathème avec leurs villes.

Josué 11, 22 Il ne resta plus d'Anaqim dans le pays des Israélites, sauf à Gaza, à Gat et à Ashdod.

Josué 11, 23 Josué s'empara de tout le pays, exactement comme Yahvé l'avait dit à Moïse, et il le donna en héritage à Israël, selon sa répartition en tribus. Et le pays se reposa de la guerre.

Josué 12, 1 Voici les rois du pays que les Israélites battirent et dont ils prirent le territoire, au-delà du Jourdain à l'orient, depuis le torrent de l'Arnon jusqu'à la montagne de l'Hermon, avec toute la Araba à l'orient:

Josué 12, 2 Sihôn, roi des Amorites, qui habitait Heshbôn, avait pour domaine depuis Aroër qui est sur le bord de la vallée de l'Arnon y compris le fond de la vallée, la moitié de Galaad et jusqu'au Yabboq, le torrent qui est la frontière des Ammonites;

Josué 12, 3 la Araba jusqu'à la mer de Kinnerot à l'orient, et jusqu'à la mer de la Araba, ou mer Salée, à l'orient, en direction de Bet-ha-Yeshimot, et, au sud, la base des pentes arrosées du Pisga.

Josué 12, 4 Og, roi du Bashân, un des derniers Rephaïm, qui habitait à Ashtarot et à Edréï,

Josué 12, 5 avait pour domaine le mont Hermon et Salka, tout le Bashân jusqu'à la frontière des Geshurites et des Maakatites, et la moitié de Galaad jusqu'aux frontières de Sihôn, roi de Heshbôn.

Josué 12, 6 Moïse, serviteur de Yahvé, et les Israélites les avaient vaincus, et Moïse, serviteur de Yahvé, en avait donné la possession aux Rubénites, aux Gadites et à la demi-tribu de Manassé.

Josué 12, 7 Voici les rois du pays que Josué et les Israélites battirent en deçà du Jourdain à l'occident, depuis Baal-Gad, dans la vallée du Liban, jusqu'au mont Pelé qui s'élève vers Séïr, et dont Josué distribua l'héritage aux tribus d'Israël suivant leur répartition:

Josué 12, 8 dans la montagne et le Bas-Pays, dans la Araba et sur les pentes arrosées, au Désert et au Négeb, chez les Hittites, les Amorites, les Cananéens, les Perizzites, les Hivvites et les Jébuséens:

Josué 12, 9 Le roi de Jéricho, un; le roi de Aï, près de Béthel, un;

Josué 12, 10 le roi de Jérusalem, un; le roi d'Hébron, un;

Josué 12, 11 le roi de Yarmut, un; le roi de Lakish, un;

Josué 12, 12 le roi d'Eglôn, un; le roi de Gézer, un;

Josué 12, 13 le roi de Debir, un; le roi de Gédèr, un;

Josué 12, 14 le roi de Horma, un; le roi d'Arad, un;

Josué 12, 15 Le roi de Libna, un; le roi d'Adullam, un;

Josué 12, 16 le roi de Maqqéda, un; le roi de Béthel, un;

Josué 12, 17 le roi de Tappuah, un; le roi de Hépher, un;

Josué 12, 18 le roi d'Aphèq, un; le roi en Sarôn, un;

Josué 12, 19 le roi de Mérom, un; le roi de Haçor, un;

Josué 12, 20 le roi de Shimrôn Merôn, un; le roi d'Akshaph, un;

Josué 12, 21 le roi de Tanak, un; le roi de Megiddo, un;

Josué 12, 22 le roi de Qédesh, un; le roi de Yoqnéam au Carmel, un;

Josué 12, 23 Le roi de Dor, aux coteaux de Dor, un; le roi des nations en Galilée, un;

Josué 12, 24 le roi de Tirça, un; nombre de tous ces rois: 31.

Josué 13, 1 Or Josué était devenu vieux et avancé en âge. Yahvé lui dit: "Te voilà vieux, avancé en âge, et pourtant il reste à prendre possession d'un très grand pays.

Josué 13, 2 Voici tout le pays qui reste: "Tous les districts des Philistins et tout le pays des Geshurites;

Josué 13, 3 depuis le Shihor qui fait face à l'Egypte jusqu'à la frontière d'Eqrôn au nord, c'est compté comme cananéen. Les cinq princes des Philistins sont celui de Gaza, celui d'Ashdod, celui d'Ashqelôn, celui de Gat et celui d'Eqrôn; les Avvites sont

Josué 13, 4 au midi. Tout le pays des Cananéens, et Mearah qui est aux Sidoniens, jusqu'à Aphéqa et jusqu'à la frontière des Amorites;

Josué 13, 5 puis le pays du Giblite avec tout le Liban à l'orient, depuis Baal-Gad au pied du mont Hermon jusqu'à l'Entrée de Hamat.

Josué 13, 6 "Tous les habitants de la montagne depuis le Liban jusqu'à Misrephot à l'occident, tous les Sidoniens, c'est moi qui les déposséderai devant les Israélites. Tu n'as qu'à distribuer le pays en héritage aux Israélites comme je te l'ai ordonné.

Josué 13, 7 Le moment est venu de partager ce pays en héritage entre les neuf tribus et la demi-tribu de Manassé: depuis le Jourdain jusqu'à la Grande mer à l'occident, tu le leur donneras; la Grande mer sera leur limite.

Josué 13, 8 Quant à l'autre demi-tribu de Manassé, elle avait, avec les Rubénites et les Gadites, déjà reçu son héritage, celui que Moïse leur avait donné au-delà du Jourdain, à l'orient, comme Moïse, serviteur de Yahvé, le leur avait alors donné:

Josué 13, 9 à partir d'Aroër qui est sur le bord de la vallée de l'Arnon, avec la ville qui est au fond de la vallée et tout le plateau depuis Médba jusqu'à Dibôn;

Josué 13, 10 toutes les villes de Sihôn, roi des Amorites, qui avait régné à Heshbôn, jusqu'à la frontière des Ammonites.

Josué 13, 11 Puis le Galaad et le territoire des Geshurites et des Maakatites, avec tout le massif de l'Hermon et le Bashân en entier, jusqu'à Salka;

Josué 13, 12 et dans le Bashân, tout le royaume de Og qui avait régné à Ashtarot et à Edréï, et fut le dernier survivant des Rephaïm. Moïse avait vaincu et dépossédé ces deux rois.

Josué 13, 13 Mais les Israélites ne dépossédèrent pas les Geshurites ni les Maakatites, aussi Geshur et Maaka sont-ils encore aujourd'hui au milieu d'Israël.

Josué 13, 14 La tribu de Lévi fut la seule à laquelle on ne donna pas d'héritage: Yahvé, Dieu d'Israël, fut son héritage, comme il le lui avait dit.

Josué 13, 15 Moïse avait donné à la tribu des fils de Ruben une part selon leurs clans.

Josué 13, 16 Ils eurent donc pour territoire depuis Aroër qui est sur le bord de la vallée, avec la ville qui est au fond de la vallée, tout le plateau jusqu'à Médba,

Josué 13, 17 Heshbôn avec toutes les villes qui sont sur le plateau: Dibôn, Bamot-Baal, Bet-Baal-Meôn,

Josué 13, 18 Yahaç, Qedémot, Méphaat,

Josué 13, 19 Qiryatayim, Sibma et, dans la montagne de la Araba, Cérèt-ha-Shahar;

Josué 13, 20 Bet-Péor, les pentes arrosées du Pisga, Bet-ha-Yeshimot,

Josué 13, 21 toutes les villes du plateau et tout le royaume de Sihôn, roi des Amorites, qui régna à Heshbôn; il avait été battu par Moïse ainsi que les princes de Madiân, Evi, Réqem, Cur, Hur, Réba, vassaux de Sihôn qui habitaient le pays.

Josué 13, 22 Quant à Balaam, fils de Béor, le devin, les Israélites l'avaient passé au fil de l'épée, avec ceux qu'ils avaient tués.

Josué 13, 23 Ainsi la frontière des Rubénites était le Jourdain et son territoire. Tel fut l'héritage des fils de Ruben selon leurs clans, avec les villes et leurs villages.

Josué 13, 24 Moïse avait donné à la tribu de Gad, aux fils de Gad, une part selon leurs clans.

Josué 13, 25 Ils eurent pour territoire Yazèr, toutes les villes de Galaad, la moitié du pays des Ammonites jusqu'à Aroër qui est en face de Rabba,

Josué 13, 26 et depuis Heshbôn jusqu'à Ramat-ha-Miçpé et Betonim; à partir de Mahanayim jusqu'au territoire de Lo-Debar,

Josué 13, 27 et dans la vallée: Bet-Haram, Bet-Nimra, Sukkot, Caphôn -- le reste du royaume de Sihôn, roi d'Heshbôn --, le Jourdain et le territoire allant jusqu'à l'extrémité de la mer de Kinnérèt, au-delà du Jourdain, à l'orient.

Josué 13, 28 Tel fut l'héritage des fils de Gad, selon leurs clans, avec leurs villes et leurs villages.

Josué 13, 29 Moïse avait donné à la demi-tribu de Manassé une part selon leurs clans.

Josué 13, 30 Ils eurent pour territoire à partir de Mahanayim tout le Bashân, tout le royaume de Og, roi du Bashân, tous les Douars de Yaïr en Bashân, soit 60 villes.

Josué 13, 31 La moitié de Galaad ainsi qu'Ashtarot et Edréï, villes royales de Og en Bashân, passèrent aux fils de Makir, fils de Manassé, à la moitié des fils de Makir selon leurs clans.

Josué 13, 32 Voici ce que Moïse avait donné en héritage dans les Steppes de Moab, au-delà du Jourdain, en face de Jéricho à l'orient.

Josué 13, 33 Mais à la tribu de Lévi, Moïse n'avait pas donné d'héritage: c'est Yahvé, le Dieu d'Israël, qui est son héritage, comme il le lui a dit.

Josué 14, 1 Voici ce que reçurent en héritage les Israélites au pays de Canaan, ce que leur donnèrent en héritage le prêtre Eléazar et Josué, fils de Nûn, avec les chefs de famille des tribus d'Israël.

Josué 14, 2 C'est par le sort qu'ils reçurent leur héritage, comme Yahvé l'avait ordonné par l'intermédiaire de Moïse pour les neuf tribus et demie.

Josué 14, 3 Car Moïse avait donné leur héritage aux deux tribus et demie de l'autre côté du Jourdain, mais aux Lévites, il n'avait pas donné d'héritage parmi elles.

Josué 14, 4 Car les fils de Joseph formaient deux tribus, Manassé et Ephraïm, et l'on ne donna dans le pays aucune part aux Lévites, si ce n'est des villes pour y habiter, avec les pâturages attenants pour leurs bestiaux et leurs biens.

Josué 14, 5 Les Israélites firent comme Yahvé l'avait ordonné à Moïse, et ils partagèrent le pays.

Josué 14, 6 Des fils de Juda vinrent trouver Josué à Gilgal, et Caleb, fils de Yephunné, le Qenizzite, lui dit: "Tu sais bien ce que Yahvé a dit à Moïse, l'homme de Dieu, à mon sujet et au tien à Cadès-Barné.

Josué 14, 7 J'avais 40 ans lorsque Moïse, serviteur de Yahvé, m'envoya de Cadès-Barné pour espionner ce pays, et je lui fis un rapport sincère.

Josué 14, 8 Mais les frères qui étaient montés avec moi découragèrent le peuple, tandis que moi, j'obéissais parfaitement à Yahvé mon Dieu.

Josué 14, 9 Ce jour-là, Moïse fit ce serment: Sois-en sûr, le pays qu'a foulé ton pied t'appartiendra en héritage, à toi et à tes descendants pour toujours, parce que tu as obéi parfaitement à Yahvé mon Dieu.

Josué 14, 10 Depuis lors, Yahvé m'a gardé en vie selon sa promesse. Il y a 45 ans que Yahvé a fait cette déclaration à Moïse, Israël allait alors par le désert, et voici qu'à présent je compte 85 ans.

Josué 14, 11 Je suis aussi robuste aujourd'hui que le jour où Moïse me confia cette mission, ma force d'aujourd'hui vaut ma force d'alors pour combattre et pour aller et venir.

Josué 14, 12 Il est temps de me donner cette montagne dont Yahvé m'a parlé ce jour-là. Tu as appris en ce jour-là qu'il y avait là des Anaqim et de grandes villes fortifiées; mais si Yahvé est avec moi, je les déposséderai comme Yahvé l'a dit."

Josué 14, 13 Josué bénit Caleb, fils de Yephunné, et lui donna Hébron pour héritage.

Josué 14, 14 Aussi Hébron est-il resté jusqu'à ce jour l'héritage de Caleb, fils de Yephunné le Qenizzite, parce qu'il avait suivi sans défaillance Yahvé, Dieu d'Israël.

Josué 14, 15 Autrefois le nom d'Hébron était Qiryat-Arba. Arba était l'homme le plus grand des Anaqim. Et le pays se reposa de la guerre.

Josué 15, 1 Le lot de la tribu des fils de Juda selon leurs clans se trouva vers la frontière d'Edom, depuis le désert de Cîn vers le midi jusqu'à Cadès au sud.

Josué 15, 2 Leur frontière méridionale partait de l'extrémité de la mer Salée, depuis la baie qui regarde vers le midi,

Josué 15, 3 elle se dirigeait vers le sud de la montée des Scorpions, traversait Cîn et montait au sud de Cadès-Barné; passant par Hèçrôn, elle montait à Addar et tournait vers Qarqa;

Josué 15, 4 puis la frontière passait par Açmôn et débouchait au Torrent d'Egypte pour aboutir à la mer. Telle sera votre frontière méridionale.

Josué 15, 5 A l'orient, la frontière était la mer Salée jusqu'à l'embouchure du Jourdain. La frontière du côté nord partait de la baie, à l'embouchure du Jourdain.

Josué 15, 6 La frontière montait à Bet-Hogla, passait au nord de Bet-ha-Araba et montait à la Pierre de Bohân, fils de Ruben.

Josué 15, 7 Puis la frontière montait à Debir, depuis la vallée d'Akor, et tournait au nord vers le cercle de pierres qui est en face de la montée d'Adummim, laquelle est au sud du Torrent. La frontière passait aux eaux de En-Shémesh et aboutissait à En-Rogel.

Josué 15, 8 Elle remontait ensuite le ravin de Ben-Hinnom venant du sud au flanc du Jébuséen -- c'est Jérusalem -- elle montait au sommet de la montagne qui barre le ravin de Hinnom du côté de l'ouest, à l'extrémité septentrionale de la plaine des Rephaïm.

Josué 15, 9 Du sommet de la montagne, la frontière s'infléchissait vers la source des eaux de Nephtoah et se dirigeait vers les villes du mont Ephrôn pour tourner dans la direction de Baala -- c'est Qiryat-Yéarim.

Josué 15, 10 De Baala, la frontière inclinait à l'ouest vers la montagne de Séïr et, longeant le flanc du mont Yéarim vers le nord -- c'est Kesalôn -- elle descendait à Bet-Shémesh, traversait Timna,

Josué 15, 11 aboutissait sur le flanc d'Eqrôn vers le nord, tournait vers Shikkarôn et passait par la montagne de Baala pour aboutir à Yabnéel. La mer était l'aboutissement de la frontière.

Josué 15, 12 La frontière occidentale était formée par la Grande mer. Cette frontière était, dans son pourtour, celle des fils de Juda selon leurs clans.

Josué 15, 13 A Caleb, fils de Yephunné, on donna une part au milieu des fils de Juda, selon l'ordre de Yahvé à Josué: Qiryat-Arba, la ville du père d'Anaq -- c'est Hébron.

Josué 15, 14 Caleb en déposséda les trois fils d'Anaq: Shéshaï, Ahimân et Talmaï, descendants d'Anaq.

Josué 15, 15 De là, il marcha contre les habitants de Debir; Debir s'appelait autrefois Qiryat-Séphèr.

Josué 15, 16 Caleb dit alors: "Celui qui battra Qiryat-Séphèr et s'en emparera, je lui donnerai pour femme ma fille Aksa."

Josué 15, 17 Celui qui s'en empara fut Otniel, fils de Qenaz, frère de Caleb, qui lui donna pour femme sa fille Aksa.

Josué 15, 18 Lorsqu'elle fut arrivée près de son mari, celui-ci lui suggéra de demander à son père un champ. Alors elle sauta à bas de son âne et Caleb lui demanda: "Que veux-tu?"

Josué 15, 19 Elle répondit: "Accorde-moi une faveur. Puisque tu m'as reléguée au pays du Négeb, donne-moi donc des sources d'eau." Et il lui donna les sources d'en haut et les sources d'en bas.

Josué 15, 20 Tel fut l'héritage de la tribu des fils de Juda, selon leurs clans.

Josué 15, 21 Villes à l'extrémité de la tribu des fils de Juda, vers la frontière d'Edom au Négeb: Qabçéel, Arad, Yagur,

Josué 15, 22 Qina, Dimôn, Aroër,

Josué 15, 23 Qédesh, Haçor-Yitnân,

Josué 15, 24 Ziph, Télem, Bealot,

Josué 15, 25 Haçor-Hadatta, Qeriyyot-Héçrôn -- c'est Haçor --

Josué 15, 26 Amam, Shema, Molada,

Josué 15, 27 Haçar-Gadda, Heshmôn, Bet-Pélèt,

Josué 15, 28 Haçar-Shual, Bersabée et ses dépendances,

Josué 15, 29 Baala, Iyyim, Eçem,

Josué 15, 30 Eltolad, Kesil, Horma,

Josué 15, 31 Ciqlag, Madmanna, Sânsanna,

Josué 15, 32 Lebaot, Shilhim; Ayîn et Rimmôn: en tout, 29 villes avec leurs villages.

Josué 15, 33 Dans le Bas-Pays: Eshtaol, Coréa, Ashna,

Josué 15, 34 Zanoah, En-Gannim, Tappuah, Enam,

Josué 15, 35 Yarmut, Adullam, Soko, Azéqa,

Josué 15, 36 Shaarayim, Aditayim, Ha-Gedéra, et Gedérotaïm: quatorze villes avec leurs villages.

Josué 15, 37 Cenân, Hadasha, Migdal-Gad,

Josué 15, 38 Diléân, Ha-Miçpé, Yoqtéel,

Josué 15, 39 Lakish, Boçqat, Eglôn,

Josué 15, 40 Kabbôn, Lahmas, Kitlish,

Josué 15, 41 Gedérot, Bet-Dagôn, Naama et Maqqéda: seize villes avec leurs villages.

Josué 15, 42 Libna, Etèr, Ashân,

Josué 15, 43 Yiphtah, Ashna, Neçib,

Josué 15, 44 Qéïla, Akzib et Maresha: neuf villes avec leurs villages.

Josué 15, 45 Eqrôn avec ses dépendances et ses villages.

Josué 15, 46 D'Eqrôn jusqu'à la mer, tout ce qui se trouve du côté d'Ashdod avec ses villages.

Josué 15, 47 Ashdod avec ses dépendances et ses villages, Gaza avec ses dépendances et ses villages jusqu'au Torrent d'Egypte, la Grande mer formant la frontière.

Josué 15, 48 Dans la Montagne: Shamir, Yattir, Soko,

Josué 15, 49 Danna, Qiryat-Séphèr, aujourd'hui Debir,

Josué 15, 50 Anab, Eshtemoa, Anim,

Josué 15, 51 Goshèn, Holôn et Gilo: onze villes avec leurs villages.

Josué 15, 52 Arab, Duma, Eshéân,

Josué 15, 53 Yanum, Bet-Tappuah, Aphéqa,

Josué 15, 54 Humta, Qiryat-Arba, aujourd'hui Hébron, et Cior: neuf villes avec leurs villages.

Josué 15, 55 Maôn, Karmel, Ziph, Yutta,

Josué 15, 56 Yizréel, Yorqéam, Zanoah,

Josué 15, 57 Haq-Qayîn, Gibéa et Timna: dix villes avec leurs villages.

Josué 15, 58 Halhul, Bet-Cur, Gedor,

Josué 15, 59 Maarat, Bet-Anôt et Elteqôn: six villes avec leurs villages. Teqoa, Ephrata, aujourd'hui Bethléem, Péor, Etam, Qulôn, Tatam, Sorès, Karem, Gallim, Bétèr et Manah: onze villes avec leurs villages.

Josué 15, 60 Qiryat-Baal -- c'est Qiryat-Yéarim -- et Ha-Rabba: deux villes avec leurs villages.

Josué 15, 61 Dans le Désert: Bet-ha-Araba, Middîn, Sekaka,

Josué 15, 62 Nibshân, la Ville du Sel et Engaddi: six villes avec leurs villages.

Josué 15, 63 Mais les Jébuséens qui habitaient Jérusalem, les fils de Juda ne purent les déposséder, aussi les Jébuséens habitent-ils encore aujourd'hui Jérusalem, à côté des fils de Juda.

Josué 16, 1 Le lot des fils de Joseph partait à l'est du Jourdain de Jéricho -- les eaux de Jéricho --, c'est le désert qui monte de Jéricho dans la montagne de Béthel;

Josué 16, 2 puis il partait de Béthel vers Luz et passait vers la frontière des Arkites à Atarot;

Josué 16, 3 il descendait ensuite à l'ouest vers la frontière des Yaphlétites jusqu'à la frontière de Bet-Horôn-le-Bas et jusqu'à Gézer, d'où il aboutissait à la mer.

Josué 16, 4 Tel fut l'héritage des fils de Joseph, Manassé et Ephraïm.

Josué 16, 5 Quant au territoire des fils d'Ephraïm selon leurs clans, la frontière de leur héritage était Atrot-Arak jusqu'à Bet-Horôn-le-Haut,

Josué 16, 6 puis la frontière aboutissait à la mer... le Mikmetat au nord, et la frontière tournait à l'orient vers Taanat-Silo qu'elle traversait à l'est en direction de Yanoah;

Josué 16, 7 elle descendait de Yanoah à Atarot et à Naara, et touchait Jéricho pour aboutir au Jourdain.

Josué 16, 8 De Tappuah, la frontière allait vers l'occident, au torrent de Qana, et aboutissait à la mer. Tel fut l'héritage de la tribu des fils d'Ephraïm, selon leurs clans,

Josué 16, 9 outre les villes réservées aux fils d'Ephraïm au milieu de l'héritage des fils de Manassé, toutes ces villes et leurs villages.

Josué 16, 10 Les Cananéens habitant Gézer ne furent point dépossédés, et ils demeurèrent au milieu d'Ephraïm jusqu'aujourd'hui, soumis à la corvée.

Josué 17, 1 Le lot de la tribu de Manassé -- il était en effet le premier-né de Joseph -- fut d'abord pour Makir, premier-né de Manassé, père de Galaad, parce qu'il était un homme de guerre; il eut le Galaad et le Bashân.

Josué 17, 2 Puis ce fut pour les autres fils de Manassé selon leurs clans: aux fils d'Abiézer, aux fils de Hélèq, aux fils d'Asriel, aux fils de Shékem, aux fils de Hépher et aux fils de Shemida: c'étaient les enfants mâles de Manassé, fils de Joseph, selon leurs clans.

Josué 17, 3 Celophehad, fils de Hépher, fils de Galaad, fils de Makir, fils de Manassé, n'avait pas de fils mais seulement des filles, dont voici les noms: Mahla, Noa, Hogla, Milka et Tirça.

Josué 17, 4 Elles se présentèrent devant le prêtre Eléazar, devant Josué, fils de Nûn, et devant les notables en disant: "Yahvé a ordonné à Moïse de nous donner un héritage au milieu de nos frères." On leur donna donc, selon l'ordre de Yahvé, un héritage parmi les frères de leur père.

Josué 17, 5 Il échut donc à Manassé dix parts outre le pays de Galaad et de Bashân situé au-delà du Jourdain,

Josué 17, 6 puisque les filles de Manassé obtinrent un héritage parmi ses fils. Quant au pays de Galaad, il appartenait aux autres fils de Manassé.

Josué 17, 7 La frontière de Manassé fut, du côté d'Asher, le Mikmetat qui est en face de Sichem, et de là, à droite, vers Yashib qui est sur la source de Tappuah.

Josué 17, 8 Manassé possédait la région de Tappuah, mais Tappuah, sur la frontière de Manassé, était aux fils d'Ephraïm.

Josué 17, 9 La frontière descendait au torrent de Qana; au sud du torrent étaient les villes d'Ephraïm, outre celles qu'avait Ephraïm au milieu des villes de Manassé; la frontière de Manassé était au nord du torrent et son aboutissement était la mer.

Josué 17, 10 Le midi était à Ephraïm et le nord à Manassé, avec la mer pour limite; ils touchaient Asher au nord, et Issachar à l'est.

Josué 17, 11 Manassé eut, avec Issachar et avec Asher, Bet-Shéân et les villes qui en dépendent, Yibleam et les villes qui en dépendent, les habitants de Dor et des villes qui en dépendent, les habitants de Tanak et de Megiddo et des villes qui en dépendent: les trois du Coteau.

Josué 17, 12 Mais comme les fils de Manassé ne purent prendre possession de ces villes, les Cananéens réussirent à demeurer dans ce pays.

Josué 17, 13 Cependant lorsque les Israélites furent devenus plus forts, ils assujettirent les Cananéens à la corvée, mais ne les dépossédèrent point.

Josué 17, 14 Les fils de Joseph s'adressèrent à Josué en ces termes: "Pourquoi ne m'as-tu donné pour héritage qu'un seul lot, une seule part, alors que je suis un peuple nombreux, tant Yahvé m'a béni?"

Josué 17, 15 Josué leur dit: "Si tu formes un peuple nombreux, monte à la région boisée et défriche pour ton compte la forêt de la région des Perizzites et des Rephaïm, puisque la montagne d'Ephraïm est trop étroite pour toi."

Josué 17, 16 Les fils de Joseph dirent: "La montagne ne nous suffit pas, et en plus, tous les Cananéens qui habitent la terre de la plaine ont des chars de fer, aussi bien ceux de Bet-Shéân et des villes qui en dépendent que ceux de la plaine de Yizréel."

Josué 17, 17 Josué dit à la maison de Joseph, à Ephraïm et à Manassé: "Tu es un peuple nombreux et ta force est grande, tu n'auras pas un lot seulement,

Josué 17, 18 mais tu auras une montagne; il est vrai que c'est une forêt, mais tu la défricheras et ses limites seront à toi. Et même, tu déposséderas les Cananéens, bien qu'ils aient des chars de fer et bien qu'ils soient forts."

Josué 18, 1 Toute la communauté des Israélites s'assembla à Silo où l'on dressa la Tente du Rendez-vous; tout le pays était soumis devant eux.

Josué 18, 2 Mais il restait parmi les Israélites sept tribus qui n'avaient pas reçu leur héritage.

Josué 18, 3 Josué dit alors aux Israélites: "Jusqu'à quand négligerez-vous d'aller prendre possession du pays que vous a donné Yahvé, le Dieu de vos pères?

Josué 18, 4 Choisissez-vous trois hommes par tribu pour que je les envoie, ils iront parcourir le pays et en feront la description en vue de l'héritage, après quoi, ils reviendront vers moi.

Josué 18, 5 Ils répartiront le pays en sept parts. Juda restera sur son territoire au sud, et ceux de la maison de Joseph resteront sur leur territoire au nord.

Josué 18, 6 Vous ferez donc une description du pays en sept parts, et vous me l'apporterez ici, que je puisse tirer au sort pour vous, ici, devant Yahvé notre Dieu.

Josué 18, 7 Mais pour ce qui est des Lévites, ils n'auront point de part au milieu de vous: le sacerdoce de Yahvé sera leur héritage. Quant à Gad, à Ruben et à la demi-tribu de Manassé, ils ont reçu leur héritage au-delà du Jourdain, à l'orient, celui que leur a donné Moïse, serviteur de Yahvé.

Josué 18, 8 Ces hommes se levèrent et s'en allèrent. A ceux qui allaient faire la description du pays, Josué donna cet ordre: "Allez, parcourez le pays et décrivez-le, puis venez me retrouver et je jetterai pour vous le sort ici, devant Yahvé, à Silo."

Josué 18, 9 Ces hommes partirent, traversèrent le pays et le décrivirent par villes, en sept parts, sur un livre, puis ils retournèrent trouver Josué au camp, à Silo.

Josué 18, 10 Josué jeta pour eux le sort à Silo, devant Yahvé, et c'est là que Josué partagea le pays entre les Israélites, selon leurs parts.

Josué 18, 11 Un lot revint d'abord à la tribu des fils de Benjamin, selon leurs clans: le territoire de leur lot était compris entre les fils de Juda et les fils de Joseph.

Josué 18, 12 Leur frontière du côté nord partait du Jourdain, montait au flanc de Jéricho, au nord, gravissait la montagne vers l'occident et aboutissait au désert de Bet-Avèn.

Josué 18, 13 De là, la frontière passait à Luz, sur le flanc de Luz au midi, aujourd'hui Béthel; elle descendait à Atrot-Arak sur la montagne qui est au sud de Bet-Horôn-le-Bas.

Josué 18, 14 La frontière s'infléchissait et tournait, face à l'ouest, vers le midi, depuis la montagne qui est en face de Bet-Horôn au midi, pour aboutir vers Qiryat-Baal, aujourd'hui Qiryat-Yéarim, ville des fils de Juda. Tel était le côté ouest.

Josué 18, 15 Voici le côté sud: depuis l'extrémité de Qiryat-Yéarim, la frontière allait vers Gasîn et aboutissait près de la source des eaux de Nephtoah,

Josué 18, 16 puis elle descendait à l'extrémité de la montagne qui fait face à la vallée de Ben-Hinnom, dans la plaine des Rephaïm au nord; elle descendait dans la vallée de Hinnom vers le flanc du Jébuséen au sud, et descendait à En-Rogel.

Josué 18, 17 Elle s'infléchissait ensuite vers le nord pour aboutir à En-Shémesh, et aboutissait au cercle de pierres qui est en face de la montée d'Adummim, puis descendait à la Pierre de Bohân, fils de Ruben.

Josué 18, 18 Elle passait ensuite à Kéteph sur le flanc de Bet-ha-Araba vers le nord, et descendait vers la Araba;

Josué 18, 19 puis la frontière passait au flanc de Bet-Hogla au nord, et le point d'arrivée de la frontière était la baie de la mer du Sel, au nord, à l'extrémité méridionale du Jourdain. Telle était la frontière sud.

Josué 18, 20 Le Jourdain formait la frontière du côté de l'orient. Tel fut l'héritage des fils de Benjamin selon le pourtour de leur frontière, selon leurs clans.

Josué 18, 21 Les villes de la tribu des fils de Benjamin, selon leurs clans, étaient: Jéricho, Bet-Hogla, Emèq-Qeçiç,

Josué 18, 22 Bet-ha-Araba, Cemarayim, Béthel,

Josué 18, 23 Avvim, Para, Ophra,

Josué 18, 24 Kephar-ha-Ammoni, Ophni, Gaba: douze villes et leurs villages.

Josué 18, 25 Gabaôn, Rama, Béérot,

Josué 18, 26 Miçpé, Kephira, Moça,

Josué 18, 27 Réqem, Yirpéel, Taréala,

Josué 18, 28 Céla-ha-Eleph, le Jébuséen -- c'est Jérusalem --, Gibéa et Qiryat: quatorze villes avec leurs villages. Tel fut l'héritage des fils de Benjamin selon leurs clans.

Josué 19, 1 Le deuxième lot sortit pour Siméon, pour la tribu des fils de Siméon selon leurs clans: leur héritage se trouva au milieu de l'héritage des fils de Juda.

Josué 19, 2 Ils reçurent en héritage Bersabée, Shema, Molada,

Josué 19, 3 Haçar-Shual, Bala, Eçem,

Josué 19, 4 Eltolad, Betul, Horma,

Josué 19, 5 Ciqlag, Bet-ha-Markabot, Haçar-Susa,

Josué 19, 6 Bet-Lebaôt et Sharuhén: treize villes et leurs villages;

Josué 19, 7 Ayîn, Rimmôn, Etèr, Ashân: quatre villes et leurs villages,

Josué 19, 8 avec tous les villages situés aux environs de ces villes jusqu'à Baalat-Béèr et Rama du Négeb. Tel fut l'héritage de la tribu des fils de Siméon selon leurs clans.

Josué 19, 9 L'héritage des fils de Siméon fut pris sur le lot des fils de Juda, parce que la part des fils de Juda était trop grande pour eux; les fils de Siméon reçurent donc leur héritage au milieu de l'héritage des fils de Juda.

Josué 19, 10 Le troisième lot revint aux fils de Zabulon selon leurs clans: le territoire de leur héritage s'étendait jusqu'à Sadud;

Josué 19, 11 leur frontière montait à l'occident vers Maraala, elle touchait Dabbeshèt ainsi que le torrent qui est en face de Yoqnéam.

Josué 19, 12 La frontière tournait de Sadud vers l'est, là où le soleil se lève, jusqu'à la frontière de Kislot-Tabor, elle aboutissait vers Daberat et montait à Yaphia.

Josué 19, 13 De là elle passait vers l'est, au levant, vers Gat-Hépher et Itta-Qaçîn, aboutissait à Rimmôn et tournait vers Néa.

Josué 19, 14 La frontière nord se tournait vers Hannatôn, et son point d'arrivée était à la vallée de Yiphtah-El;

Josué 19, 15 avec Qattat, Nahalal, Shimrôn, Yiréala et Bethléem: douze villes avec leurs villages.

Josué 19, 16 Tel fut l'héritage des fils de Zabulon selon leurs clans: ces villes avec leurs villages.

Josué 19, 17 Le quatrième lot sortit pour Issachar, pour les fils d'Issachar selon leurs clans.

Josué 19, 18 Leur territoire s'étendait vers Yizréel et comprenait Kesullot, Shunem,

Josué 19, 19 Hapharayim, Shiôn, Anaharat,

Josué 19, 20 Daberat, Qishyôn, Ebeç,

Josué 19, 21 Rémèt, En-Gannim, En-Hadda, et Bet-Paççèç.

Josué 19, 22 La frontière touchait Tabor, Shahaçima et Bet-Shémesh, et le point d'arrivée de la frontière était le Jourdain: seize villes avec leurs villages.

Josué 19, 23 Tel fut l'héritage de la tribu des fils d'Issachar selon leurs clans: les villes et leurs villages.

Josué 19, 24 Le cinquième lot sortit pour la tribu des fils d'Asher selon leurs clans.

Josué 19, 25 Leur territoire comprenait: Helqat, Hali, Bétèn, Akshaph,

Josué 19, 26 Alammélek, Améad et Mishéal; il touchait le Carmel à l'ouest et le cours du Libnat.

Josué 19, 27 Du côté où le soleil se lève, il allait jusqu'à Bet-Dagôn, touchait Zabulon, la vallée de Yiphtah-El au nord, Bet-ha-Emeq et Néïel, aboutissant vers Kabul à gauche,

Josué 19, 28 avec Abdôn, Rehob, Hammôn, et Qana jusqu'à Sidon-la-Grande. Puis la frontière allait vers Rama et jusqu'à la ville de la place forte de Tyr;

Josué 19, 29 la frontière allait ensuite à Hosa et son point d'arrivée était, à la mer, Mahaleb et Akzib,

Josué 19, 30 avec Akko, Aphèq et Rehob: 22 villes avec leurs villages.

Josué 19, 31 Tel fut l'héritage de la tribu des fils d'Asher selon leurs clans: ces villes et leurs villages.

Josué 19, 32 Pour les fils de Nephtali sortit le sixième lot, pour les fils de Nephtali selon leurs clans.

Josué 19, 33 Leur frontière allait à Héleph et du Chêne de Caanannim, avec Adami-ha-Néqèb et Yabnéel, jusqu'à Laqqum, et son point d'arrivée était le Jourdain.

Josué 19, 34 A l'ouest la frontière passait à Aznot-Tabor, elle aboutissait de là à Huqoq et touchait Zabulon au sud, Asher à l'ouest et le Jourdain à l'est.

Josué 19, 35 Les villes fortes étaient: Ciddim, Cer, Hammat, Raqqat, Kinnérèt,

Josué 19, 36 Adama, Rama, Haçor,

Josué 19, 37 Qédesh, Edréï, En-Haçor,

Josué 19, 38 Yiréôn, Migdal-El, Horem, Bet-Anat, et Bet-Shémesh: dix-neuf villes et leurs villages.

Josué 19, 39 Tel fut l'héritage des fils de Nephtali selon leurs clans: les villes et leurs villages.

Josué 19, 40 Pour la tribu des fils de Dan selon leurs clans sortit le septième lot.

Josué 19, 41 Le territoire de leur héritage comprenait: Coréa, Eshtaol, Ir-Shémesh,

Josué 19, 42 Shaalbim, Ayyalôn, Silata,

Josué 19, 43 Elôn, Timna, Eqrôn,

Josué 19, 44 Elteqé, Gibbetôn, Baalat,

Josué 19, 45 Azor, Bené-Beraq et Gat-Rimmôn;

Josué 19, 46 et vers la mer Yeraqôn avec le territoire qui est en face de Joppé.

Josué 19, 47 Mais le territoire des fils de Dan leur échappa, aussi les fils de Dan montèrent-ils pour combattre Léshem dont ils s'emparèrent et qu'ils passèrent au fil de l'épée. En ayant pris possession, ils s'y établirent et appelèrent Léshem, Dan, du nom de leur ancêtre Dan.

Josué 19, 48 Tel fut l'héritage de la tribu des fils de Dan selon leurs clans: ces villes et leurs villages.

Josué 19, 49 Ayant achevé la répartition du pays selon ses frontières, les Israélites donnèrent à Josué, fils de Nûn, un héritage au milieu d'eux;

Josué 19, 50 sur l'ordre de Yahvé, ils lui donnèrent la ville qu'il avait demandée, Timnat-Sérah, dans la montagne d'Ephraïm; il rebâtit la ville et s'y établit.

Josué 19, 51 Telles sont les parts d'héritage que le prêtre Eléazar, Josué fils de Nûn et les chefs de famille répartirent par le sort entre les tribus d'Israël à Silo, en présence de Yahvé, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous. Ainsi fut terminé le partage du pays.

Josué 20, 1 Yahvé dit à Josué:

Josué 20, 2 "Parle aux Israélites et dis-leur: Donnez-vous les villes de refuge dont je vous ai parlé par l'intermédiaire de Moïse,

Josué 20, 3 où pourra s'enfuir le meurtrier qui a frappé quelqu'un par inadvertance (involontairement), et qui vous serviront de refuge contre le vengeur du sang.

Josué 20, 4 (C'est donc vers une de ces villes que le meurtrier devra s'enfuir. Il se tiendra à l'entrée de la porte de la ville et exposera son cas aux anciens de la ville. Ceux-ci l'admettront dans leur ville et lui assigneront un lieu où il habitera parmi eux.

Josué 20, 5 Si le vengeur du sang le poursuit, ils ne livreront pas le meurtrier entre ses mains, car c'est involontairement qu'il a frappé son prochain, sans avoir eu contre lui de haine invétérée.

Josué 20, 6 Il devra rester dans cette ville) jusqu'à ce qu'il comparaisse en jugement devant la communauté (jusqu'à la mort du grand prêtre en fonction à cette époque. Alors seulement le meurtrier pourra retourner dans sa ville et sa maison, dans la ville d'où il s'est enfui.)"

Josué 20, 7 On consacra donc Qédesh en Galilée, dans la montagne de Nephtali, Sichem dans la montagne d'Ephraïm, et Qiryat-Arba -- c'est Hébron -- dans la montagne de Juda.

Josué 20, 8 De l'autre côté du Jourdain de Jéricho à l'orient, on désigna dans le désert, sur le plateau, Béçer de la tribu de Ruben, Ramot en Galaad, de la tribu de Gad et Golân en Bashân, de la tribu de Manassé.

Josué 20, 9 Telles furent les villes désignées pour tous les Israélites et pour les étrangers qui résident parmi eux, pour qu'y pût fuir quiconque aurait frappé quelqu'un par inadvertance, et qu'il échappât à la main du vengeur du sang, jusqu'à sa comparution devant la communauté.

Josué 21, 1 Alors les chefs de famille des Lévites s'en vinrent trouver le prêtre Eléazar, Josué, fils de Nûn, et les chefs de famille des tribus d'Israël,

Josué 21, 2 alors qu'on se trouvait à Silo, au pays de Canaan, et leur dirent: "Yahvé, par l'intermédiaire de Moïse, a ordonné qu'on nous donne des villes pour y demeurer, et leurs pâturages pour notre bétail."

Josué 21, 3 Les Israélites donnèrent donc aux Lévites, sur leur héritage, selon l'ordre de Yahvé, les villes en question avec leurs pâturages.

Josué 21, 4 On tira au sort pour les clans des Qehatites: aux fils du prêtre Aaron, d'entre les Lévites, échurent treize villes des tribus de Juda, de Siméon et de Benjamin;

Josué 21, 5 aux autres fils de Qehat selon leurs clans, échurent dix villes des tribus d'Ephraïm, de Dan et de la demi-tribu de Manassé.

Josué 21, 6 Aux fils de Gershôn, selon leurs clans, échurent treize villes des tribus d'Issachar, d'Asher, de Nephtali et de la demi-tribu de Manassé en Bashân.

Josué 21, 7 Aux fils de Merari selon leurs clans, échurent douze villes des tribus de Ruben, de Gad et de Zabulon.

Josué 21, 8 Les Israélites assignèrent par le sort ces villes et leurs pâturages aux Lévites, comme l'avait ordonné Yahvé par l'intermédiaire de Moïse.

Josué 21, 9 Ils donnèrent de la tribu des fils de Juda et de la tribu des fils de Siméon les villes que voici dont les noms furent donnés.

Josué 21, 10 Ce fut d'abord la part des fils d'Aaron, appartenant au clan des Qehatites, aux fils de Lévi, car le premier lot était pour eux.

Josué 21, 11 Ils leur donnèrent Qiryat-Arba la ville du père d'Anaq -- c'est Hébron -- dans la montagne de Juda, avec les pâturages environnants.

Josué 21, 12 Mais la campagne de cette ville avec ses villages, ils les donnèrent en propriété à Caleb, fils de Yephunné.

Josué 21, 13 Aux fils du prêtre Aaron, ils donnèrent Hébron, ville de refuge pour le meurtrier, avec ses pâturages, ainsi que Libna et ses pâturages,

Josué 21, 14 Yattir et ses pâturages, Eshtemoa et ses pâturages,

Josué 21, 15 Holôn et ses pâturages, Debir et ses pâturages,

Josué 21, 16 Ashân et ses pâturages, Yutta et ses pâturages, et Bet-Shémesh et ses pâturages: neuf villes prises sur ces deux tribus.

Josué 21, 17 De la tribu de Benjamin, Gabaôn et ses pâturages, Géba et ses pâturages,

Josué 21, 18 Anatot et ses pâturages, et Almôn et ses pâturages: quatre villes.

Josué 21, 19 Total des villes des prêtres fils d'Aaron: treize villes et leurs pâturages.

Josué 21, 20 Quant aux clans des fils de Qehat, aux Lévites qui restaient parmi les fils de Qehat, les villes de leur lot furent prises sur la tribu d'Ephraïm.

Josué 21, 21 On leur donna Sichem, ville de refuge pour le meurtrier, avec ses pâturages, dans la montagne d'Ephraïm, ainsi que Gézer et ses pâturages,

Josué 21, 22 Qibçayim et ses pâturages, et Bet-Horôn et ses pâturages: quatre villes.

Josué 21, 23 De la tribu de Dan, Elteqé et ses pâturages, Gibbetôn et ses pâturages,

Josué 21, 24 Ayyalôn et ses pâturages, et Gat-Rimmôn et ses pâturages: quatre villes.

Josué 21, 25 De la demi-tribu de Manassé, Tanak et ses pâturages, et Yibleam et ses pâturages: deux villes.

Josué 21, 26 Total: dix villes avec leurs pâturages pour les clans qui restaient parmi les fils de Qehat.

Josué 21, 27 Aux fils de Gershôn, de clans lévitiques, on donna, de la demi-tribu de Manassé, Golân en Bashân, ville de refuge pour le meurtrier, et Ashtarot, avec leurs pâturages: deux villes.

Josué 21, 28 De la tribu d'Issachar, Qishyôn et ses pâturages, Daberat et ses pâturages,

Josué 21, 29 Yarmut et ses pâturages, et En-Gannim et ses pâturages: quatre villes.

Josué 21, 30 De la tribu d'Asher, Mishéal et ses pâturages, Abdôn et ses pâturages,

Josué 21, 31 Helqat et ses pâturages, et Rehob et ses pâturages: quatre villes.

Josué 21, 32 De la tribu de Nephtali, Qédesh en Galilée, ville de refuge pour le meurtrier, avec ses pâturages, Hammot-Dor et ses pâturages, et Qartân et ses pâturages: trois villes.

Josué 21, 33 Total des villes des Gershonites, selon leurs clans: treize villes et leurs pâturages.

Josué 21, 34 Au clan des fils de Merari, au reste des Lévites, échurent de la tribu de Zabulon Yoqnéam et ses pâturages, Qarta et ses pâturages,

Josué 21, 35 Rimmôn et ses pâturages, et Nahalal et ses pâturages: quatre villes.

Josué 21, 36 De l'autre côté du Jourdain de Jéricho, de la tribu de Ruben, Béçèr dans le désert, sur le plateau, ville de refuge pour le meurtrier, avec ses pâturages, Yahaç et ses pâturages,

Josué 21, 37 Qedémot et ses pâturages, et Méphaat et ses pâturages: quatre villes.

Josué 21, 38 De la tribu de Gad, Ramot en Galaad, ville de refuge pour le meurtrier, avec ses pâturages, Mahanayim et ses pâturages,

Josué 21, 39 Heshbôn et ses pâturages, et Yazèr et ses pâturages: quatre villes.

Josué 21, 40 Total des villes qui furent le lot des fils de Merari selon leurs clans, du reste des clans lévitiques: douze villes.

Josué 21, 41 Le nombre total des villes des Lévites au milieu du domaine des Israélites était de 48 villes avec leurs pâturages.

Josué 21, 42 Ces villes comprenaient chacune la ville et ses pâturages alentour. Il en allait ainsi pour toutes les villes.

Josué 21, 43 C'est ainsi que Yahvé donna aux Israélites tout le pays qu'il avait juré de donner à leurs pères. Ils en prirent possession et s'y établirent.

Josué 21, 44 Yahvé leur procura la tranquillité sur toutes leurs frontières, tout comme il l'avait juré à leurs pères et, de tous leurs ennemis, aucun ne réussit à tenir devant eux. Tous leurs ennemis, Yahvé les livra entre leurs mains.

Josué 21, 45 De toutes les promesses que Yahvé avait faites à la maison d'Israël, aucune ne manqua son effet: tout se réalisa.

Josué 22, 1 Josué convoqua les Rubénites, les Gadites et la demi-tribu de Manassé

Josué 22, 2 et leur dit: "Vous avez observé tout ce que Moïse, serviteur de Yahvé, vous a ordonné, et vous avez écouté ma voix chaque fois que je vous ai donné un ordre.

Josué 22, 3 Vous n'avez pas abandonné vos frères, depuis longtemps jusqu'aujourd'hui, gardant l'observance du commandement de Yahvé votre Dieu.

Josué 22, 4 Maintenant Yahvé votre Dieu a procuré à vos frères le repos qu'il leur avait promis. Retournez donc à vos tentes, au pays où vous vous êtes fixés et que Moïse, serviteur de Yahvé, vous a donné au-delà du Jourdain.

Josué 22, 5 Seulement, prenez bien soin de mettre en pratique le commandement et la Loi que Moïse, serviteur de Yahvé, vous a prescrits: d'aimer Yahvé votre Dieu, de suivre toujours ses voies, d'observer ses commandements, de vous attacher à lui et de le servir de tout votre coeur et de toute votre âme."

Josué 22, 6 Josué les bénit et les renvoya; et ils s'en allèrent à leurs tentes.

Josué 22, 7 Moïse avait donné à une moitié de la tribu de Manassé un territoire en Bashân; à la seconde moitié, Josué en donna un autre au milieu de ses frères, sur la rive occidentale du Jourdain. Comme il les renvoyait à leurs tentes, Josué les bénit

Josué 22, 8 et leur dit: "Vous retournerez à vos tentes avec de grandes richesses, du bétail à foison, de l'argent, de l'or, du bronze, du fer et des vêtements en très grande quantité; partagez avec vos frères les dépouilles de vos ennemis."

Josué 22, 9 Les fils de Ruben et les fils de Gad s'en retournèrent avec la demi-tribu de Manassé et quittèrent les Israélites à Silo, dans le pays de Canaan, pour s'en aller au pays de Galaad où ils s'étaient fixés, suivant l'ordre de Yahvé transmis par Moïse.

Josué 22, 10 Lorsqu'ils furent arrivés aux cercles de pierres du Jourdain, qui sont au pays de Canaan, les fils de Ruben, les fils de Gad et la demi-tribu de Manassé bâtirent là un autel sur le bord du Jourdain, un autel de grande apparence.

Josué 22, 11 Le fait parvint aux oreilles des Israélites. Voici, disait-on, que les fils de Ruben, les fils de Gad et la demi-tribu de Manassé ont construit cet autel, du côté du pays de Canaan, vers les cercles de pierres du Jourdain, sur la rive des Israélites.

Josué 22, 12 A cette nouvelle toute la communauté des Israélites se réunit à Silo pour marcher contre eux et leur faire la guerre.

Josué 22, 13 Les Israélites envoyèrent auprès des fils de Ruben, des fils de Gad et de la demi-tribu de Manassé, au pays de Galaad, le prêtre Pinhas, fils d'Eléazar,

Josué 22, 14 et avec lui dix notables, un notable par famille pour chaque tribu d'Israël, chacun d'eux étant chef de sa famille parmi les clans d'Israël.

Josué 22, 15 Parvenus chez les fils de Ruben, chez les fils de Gad et dans la demi-tribu de Manassé au pays de Galaad, ils leur dirent:

Josué 22, 16 "Ainsi parle toute la communauté de Yahvé: Que signifie cette infidélité que vous avez commise envers le Dieu d'Israël, vous détournant aujourd'hui de Yahvé et vous bâtissant un autel, ce qui est aujourd'hui une rébellion contre Yahvé?

Josué 22, 17 "N'était-ce donc pas assez pour nous du crime de Péor, dont nous n'avons pas encore réussi à nous purifier jusqu'à présent, en dépit du fléau qui a sévi contre toute la communauté de Yahvé?

Josué 22, 18 Or vous vous détournez aujourd'hui de Yahvé, et puisqu'aujourd'hui vous vous révoltez contre Yahvé, demain sa colère va s'enflammer contre toute la communauté d'Israël.

Josué 22, 19 "Le pays où vous vous êtes fixés est-il impur? Passez dans le pays où s'est fixé Yahvé, là où s'est installée sa demeure, et fixez-vous parmi nous. Mais ne vous révoltez pas contre Yahvé et ne nous entraînez pas dans votre rébellion en vous bâtissant un autel rival de l'autel de Yahvé notre Dieu.

Josué 22, 20 Lorsque Akân, fils de Zérah, fut infidèle dans l'affaire de l'anathème, la Colère n'atteignit-elle pas la communauté d'Israël entière, quoiqu'il ne fût qu'un seul individu? Ne dut-il pas mourir pour son crime?"

Josué 22, 21 Les fils de Ruben, les fils de Gad et la demi-tribu de Manassé, prenant la parole, répondirent aux chefs des clans d'Israël:

Josué 22, 22 "Le Dieu des dieux, Yahvé, le Dieu des dieux, Yahvé le sait bien, et Israël doit le savoir: s'il y a eu de notre part rébellion ou infidélité à l'égard de Yahvé, qu'il refuse de nous sauver aujourd'hui,

Josué 22, 23 et si nous avons bâti un autel pour nous détourner de Yahvé et pour y offrir l'holocauste et l'oblation, ou pour y faire des sacrifices de communion, que Yahvé en demande compte!

Josué 22, 24 En vérité, c'est par un souci motivé que nous avons agi ainsi: Demain, vos fils pourraient dire aux nôtres: Qu'y a-t-il de commun entre vous et Yahvé, le Dieu d'Israël?

Josué 22, 25 Yahvé n'a-t-il pas mis entre nous et vous, fils de Ruben et fils de Gad, une frontière qui est le Jourdain? Vous n'avez aucune part sur Yahvé. Ainsi vos fils seraient cause que les nôtres cesseraient de craindre Yahvé.

Josué 22, 26 "Aussi nous sommes-nous dit: Bâtissons-nous cet autel destiné non à des holocaustes ni à d'autres sacrifices,

Josué 22, 27 mais à servir de témoin entre nous et vous et entre nos descendants après nous, attestant qu'on célèbre le culte de Yahvé avec nos holocaustes, nos victimes et nos sacrifices de communion en sa présence. Vos fils ne pourront donc pas dire demain aux nôtres: Vous n'avez aucune part sur Yahvé!

Josué 22, 28 Et nous nous sommes dit: S'il leur arrivait toutefois de dire cela soit à nous-mêmes, soit demain à nos descendants, nous répondrions: Regardez la bâtisse de l'autel de Yahvé que nos pères ont fait, non en vue d'holocaustes ou d'autres sacrifices, mais comme un témoin entre nous et vous.

Josué 22, 29 Loin de nous de nous révolter contre Yahvé et de nous détourner aujourd'hui de derrière Yahvé en bâtissant, pour y offrir holocaustes, oblations ou sacrifices, un autel rival de l'autel de Yahvé notre Dieu, érigé devant sa demeure."

Josué 22, 30 Quand le prêtre Pinhas, les notables de la communauté et les chefs des clans d'Israël qui l'accompagnaient eurent entendu les paroles prononcées par les fils de Gad, les fils de Ruben et les fils de Manassé, ils les approuvèrent.

Josué 22, 31 Alors le prêtre Pinhas, fils d'Eléazar, dit aux fils de Ruben, aux fils de Gad et aux fils de Manassé: "Nous savons aujourd'hui que Yahvé est au milieu de nous, puisque vous n'avez pas commis une telle infidélité à son égard; dès lors, vous avez préservé les Israélites du châtiment de Yahvé."

Josué 22, 32 Le prêtre Pinhas, fils d'Eléazar, et les notables, ayant quitté les fils de Ruben et les fils de Gad, revinrent du pays de Galaad dans le pays de Canaan, auprès des Israélites auxquels ils rapportèrent la réponse.

Josué 22, 33 La chose plut aux Israélites; les Israélites rendirent grâces à Dieu et ne parlèrent plus de monter contre eux pour leur faire la guerre et ravager le pays habité par les fils de Ruben et les fils de Gad.

Josué 22, 34 Les fils de Ruben et les fils de Gad appelèrent l'autel..., "car, disaient-ils, il sera un témoin entre nous que c'est Yahvé qui est Dieu."

Josué 23, 1 Or, longtemps après que Yahvé eut procuré le repos à Israël, au milieu de tous les ennemis qui l'entouraient -- Josué était devenu vieux, il était avancé en âge --,

Josué 23, 2 Josué convoqua tout Israël, ses anciens, ses chefs, ses juges et ses scribes, et leur dit: "Pour moi, je suis vieux et avancé en âge;

Josué 23, 3 pour vous, vous avez vu tout ce que Yahvé a fait à cause de vous à toutes ces populations; c'est Yahvé votre Dieu qui a combattu pour vous.

Josué 23, 4 Voyez, j'ai tiré au sort pour vous, comme héritage pour vos tribus, ces populations qui restent, et toutes les populations que j'ai exterminées depuis le Jourdain jusqu'à la Grande mer à l'occident.

Josué 23, 5 Yahvé votre Dieu les chassera lui-même devant vous, il les dépossédera devant vous et vous prendrez possession de leur pays, comme vous l'a dit Yahvé votre Dieu.

Josué 23, 6 "Montrez-vous donc très forts pour garder et accomplir tout ce qui est écrit dans le livre de la Loi de Moïse sans vous en écarter ni à droite ni à gauche,

Josué 23, 7 sans vous mêler à ces populations qui subsistent encore à côté de vous. Vous ne prononcerez pas le nom de leurs dieux, vous ne les invoquerez pas dans vos serments, vous ne les servirez pas et vous ne vous prosternerez pas devant eux.

Josué 23, 8 Au contraire, vous vous attacherez à Yahvé votre Dieu, comme vous l'avez fait jusqu'à ce jour.

Josué 23, 9 Yahvé a dépossédé devant vous des populations grandes et fortes, et personne n'a pu, jusqu'à présent, vous tenir tête.

Josué 23, 10 Un seul d'entre vous pouvait en poursuivre mille, car Yahvé votre Dieu combattait lui-même pour vous, comme il vous l'avait dit.

Josué 23, 11 Vous prendrez bien soin, car il y va de votre vie, d'aimer Yahvé votre Dieu.

Josué 23, 12 "Mais s'il vous arrive de vous détourner et de vous lier au restant de ces populations qui subsistent encore à côté de vous, de contracter mariage avec elles, de vous mêler à elles et elles à vous,

Josué 23, 13 alors sachez bien que Yahvé votre Dieu cessera de déposséder devant vous ces populations: elles seront pour vous un filet, un piège, des épines dans vos flancs et des chardons dans vos yeux, jusqu'à ce que vous ayez disparu de ce bon sol que vous avait donné Yahvé votre Dieu.

Josué 23, 14 "Voici que je m'en vais aujourd'hui par le chemin de tout le monde. Reconnaissez de tout votre coeur et de toute votre âme que, de toutes les promesses que Yahvé votre Dieu avait faites en votre faveur, pas une n'a manqué son effet: tout s'est réalisé pour vous, pas une n'a manqué son effet.

Josué 23, 15 "Eh bien! de même que toute promesse faite par Yahvé votre Dieu en votre faveur s'est réalisée pour vous, de même Yahvé réalisera contre vous toutes ses menaces, jusqu'à vous chasser de ce bon sol que Yahvé votre Dieu vous a donné.

Josué 23, 16 "Si en effet vous transgressez l'alliance que Yahvé votre Dieu vous a imposée, si vous allez servir d'autres dieux, si vous vous prosternez devant eux, alors la colère de Yahvé s'enflammera contre vous et vous disparaîtrez rapidement du bon pays qu'il vous a donné."

Josué 24, 1 Josué réunit toutes les tribus d'Israël à Sichem; puis il convoqua tous les anciens d'Israël, ses chefs, ses juges, ses scribes qui se rangèrent en présence de Dieu.

Josué 24, 2 Josué dit alors à tout le peuple: "Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël: Au-delà du Fleuve habitaient jadis vos pères, Térah, père d'Abraham et de Nahor, et ils servaient d'autres dieux.

Josué 24, 3 Alors je pris votre père Abraham d'au-delà du Fleuve et je lui fis parcourir toute la terre de Canaan, je multipliai sa descendance et je lui donnai Isaac.

Josué 24, 4 A Isaac, je donnai Jacob et Esaü. A Esaü, je donnai en possession la montagne de Séïr. Jacob et ses fils descendirent en Egypte.

Josué 24, 5 J'envoyai ensuite Moïse et Aaron et frappai l'Egypte par les prodiges que j'opérai au milieu d'elle; ensuite je vous en fis sortir.

Josué 24, 6 Je fis donc sortir vos pères de l'Egypte et vous arrivâtes à la mer; les Egyptiens poursuivirent vos pères avec des chars et des cavaliers, à la mer des Roseaux.

Josué 24, 7 Ils crièrent alors vers Yahvé qui étendit un brouillard épais entre vous et les Egyptiens, et fit revenir sur eux la mer qui les recouvrit. Vous avez vu de vos propres yeux ce que j'ai fait en Egypte, puis vous avez séjourné de longs jours dans le désert.

Josué 24, 8 Je vous fis entrer ensuite dans le pays des Amorites qui habitaient au-delà du Jourdain. Ils vous firent la guerre et je les livrai entre vos mains, aussi avez-vous pris possession de leur pays, car je les anéantis devant vous.

Josué 24, 9 Puis se leva Balaq, fils de Cippor, roi de Moab, pour faire la guerre à Israël, et il envoya chercher Balaam, fils de Béor, pour vous maudire.

Josué 24, 10 Mais je ne voulus pas écouter Balaam: il dut même vous bénir et je vous ai sauvé de sa main.

Josué 24, 11 Vous avez ensuite passé le Jourdain pour atteindre Jéricho, mais les habitants de Jéricho vous firent la guerre, les Amorites, les Perizzites, les Cananéens, les Hittites, les Girgashites, les Hivvites et les Jébuséens, et je les livrai entre vos mains.

Josué 24, 12 J'envoyai devant vous les frelons qui chassèrent devant vous les deux rois amorites, ce que tu ne dois ni à ton épée ni à ton arc.

Josué 24, 13 Je vous ai donné une terre qui ne vous a demandé aucune fatigue, des villes que vous n'avez pas bâties et dans lesquelles vous vous êtes installés, des vignes et des olivettes que vous n'avez pas plantées et qui sont votre nourriture.

Josué 24, 14 "Et maintenant, craignez Yahvé et servez-le dans la perfection en toute sincérité; éloignez les dieux que servirent vos pères au-delà du Fleuve et en Egypte, et servez Yahvé.

Josué 24, 15 S'il ne vous paraît pas bon de servir Yahvé, choisissez aujourd'hui qui vous voulez servir, soit les dieux que servaient vos pères au-delà du Fleuve, soit les dieux des Amorites dont vous habitez maintenant le pays. Quant à moi et ma famille, nous servirons Yahvé."

Josué 24, 16 Le peuple répondit: "Loin de nous d'abandonner Yahvé pour servir d'autres dieux!

Josué 24, 17 Yahvé notre Dieu est celui qui nous a fait monter, nous et nos pères, du pays d'Egypte, de la maison de servitude, qui devant nos yeux a opéré ces grands signes et nous a gardés tout le long du chemin que nous avons parcouru et parmi toutes les populations à travers lesquelles nous avons passé.

Josué 24, 18 Et Yahvé a chassé devant nous toutes les populations ainsi que les Amorites qui habitaient le pays. Nous aussi, nous servirons Yahvé, car c'est lui notre Dieu."

Josué 24, 19 Alors Josué dit au peuple: "Vous ne pouvez pas servir Yahvé car il est un Dieu saint, il est un Dieu jaloux, qui ne tolérera pas vos transgressions ni vos péchés.

Josué 24, 20 Si vous abandonnez Yahvé pour servir les dieux de l'étranger, il vous maltraitera à nouveau et vous anéantira après vous avoir fait du bien."

Josué 24, 21 Le peuple répondit à Josué: "Non! C'est Yahvé que nous servirons."

Josué 24, 22 Alors Josué dit au peuple: "Vous êtes témoins contre vous-mêmes que vous avez fait choix de Yahvé pour le servir." Ils répondirent: "Nous sommes témoins" --

Josué 24, 23 "Alors, écartez les dieux de l'étranger qui sont au milieu de vous et inclinez votre coeur vers Yahvé, Dieu d'Israël."

Josué 24, 24 Le peuple dit à Josué: "C'est Yahvé notre Dieu que nous servirons, c'est à sa voix que nous obéirons."

Josué 24, 25 Ce jour-là, Josué conclut une alliance pour le peuple; il lui fixa un statut et un droit à Sichem.

Josué 24, 26 Josué écrivit ces paroles dans le livre de la Loi de Dieu. Il prit ensuite une grosse pierre et la dressa là, sous le chêne qui est dans le sanctuaire de Yahvé.

Josué 24, 27 Josué dit alors à tout le peuple: "Voici, cette pierre sera un témoin contre nous parce qu'elle a entendu toutes les paroles que Yahvé nous a adressées; elle sera un témoin contre vous pour vous empêcher de renier votre Dieu."

Josué 24, 28 Puis Josué renvoya le peuple, chacun dans son héritage.

Josué 24, 29 Après ces événements, Josué, fils de Nûn, serviteur de Yahvé, mourut, âgé de 110 ans.

Josué 24, 30 On l'ensevelit dans le domaine qu'il avait reçu en héritage, à Timnat-Sérah, qui est situé dans la montagne d'Ephraïm au nord du mont Gaash.

Josué 24, 31 Israël servit Yahvé pendant toute la vie de Josué et toute la vie des anciens qui survécurent à Josué et qui avaient connu toute l'oeuvre que Yahvé avait accomplie en faveur d'Israël.

Josué 24, 32 Quant aux ossements de Joseph que les Israélites avaient apportés d'Egypte, on les ensevelit à Sichem, dans la parcelle de champ que Jacob avait achetée aux fils de Hamor, père de Sichem, pour cent pièces d'argent, et qui était devenue héritage des fils de Joseph.

Josué 24, 33 Puis Eléazar, le fils d'Aaron, mourut et on l'ensevelit à Gibéa, ville de son fils Pinhas, qui lui avait été donnée dans la montagne d'Ephraïm.

 

 

 

Juges

 

1, 1 Or, après la mort de Josué, les Israélites consultèrent Yahvé en disant: "Qui de nous montera d'abord contre les Cananéens pour les combattre?"

Juges1, 2 Et Yahvé répondit: "C'est Juda qui montera le premier; voici que je livre le pays entre ses mains."

Juges1, 3 Alors Juda dit à Siméon son frère: "Monte avec moi dans le territoire que le sort m'a assigné, nous attaquerons les Cananéens et, à mon tour, je monterai avec toi dans ton territoire." Et Siméon marcha avec lui.

Juges 1, 4 Juda monta donc et Yahvé livra en leurs mains les Cananéens et les Perizzites, et, à Bézeq, ils défirent 10.000 hommes.

Juges 1, 5 Ayant rencontré à Bézeq Adoni-Bézeq, ils lui livrèrent bataille et défirent les Cananéens et les Perizzites.

Juges 1, 6 Adoni-Bézeq s'enfuit, mais ils le poursuivirent, le saisirent et lui coupèrent les pouces des mains et des pieds.

Juges 1, 7 Adoni-Bézeq dit alors: "70 rois, avec les pouces des mains et des pieds coupés, ramassaient les miettes sous ma table. Comme j'ai fait, Dieu me rend." On l'emmena à Jérusalem et c'est là qu'il mourut.

Juges 1, 8 (Les fils de Juda attaquèrent Jérusalem, ils la prirent, la passèrent au fil de l'épée et mirent le feu à la ville.)

Juges 1, 9 Après quoi, les fils de Juda descendirent pour combattre les Cananéens, qui habitaient la Montagne, le Négeb et le Bas-Pays.

Juges 1, 10 Puis Juda marcha contre les Cananéens qui habitaient Hébron -- le nom d'Hébron était autrefois Qiryat-Arba -- et il battit Shéshaï, Ahimân et Talmaï.

Juges 1, 11 De là, il marcha contre les habitants de Debir -- le nom de Debir était autrefois Qiryat-Séphèr.

Juges 1, 12 Et Caleb dit: "Celui qui vaincra Qiryat-Séphèr et la prendra, je lui donnerai ma fille Aksa pour femme."

Juges1, 13 Celui qui la prit fut Otniel, fils de Qenaz, le frère cadet de Caleb, et celui-ci lui donna sa fille Aksa pour femme.

Juges 1, 14 Lorsqu'elle arriva, il lui suggéra de demander à son père un champ. Alors elle sauta à bas de son âne, et Caleb lui demanda: "Que veux-tu?"

Juges 1, 15 Elle lui répondit: "Accorde-moi une faveur. Puisque tu m'as reléguée au pays du Négeb, donne-moi donc des sources d'eau." Et Caleb lui donna les sources d'en haut et les sources d'en bas.

Juges 1, 16 Les fils de Hobab, le Qénite, beau-père de Moïse, montèrent de la ville des Palmiers avec les fils de Juda jusqu'au désert de Juda qui est dans le Négeb d'Arad, et ils vinrent habiter avec le peuple.

Juges 1, 17 Puis Juda s'en alla avec Siméon son frère. Ils battirent les Cananéens qui habitaient Cephat et la vouèrent à l'anathème. C'est pourquoi on donna à la ville le nom de Horma.

Juges 1, 18 Puis Juda s'empara de Gaza et de son territoire, d'Ascalon et de son territoire, d'Eqrôn et de son territoire.

Juges 1, 19 Et Yahvé fut avec Juda qui se rendit maître de la Montagne, mais il ne put déposséder les habitants de la plaine, parce qu'ils avaient des chars de fer.

Juges 1, 20 Comme Moïse l'avait recommandé, on donna Hébron à Caleb, lequel en chassa les trois fils d'Anaq.

Juges 1, 21 Quant aux Jébuséens qui habitaient Jérusalem, les fils de Benjamin ne les dépossédèrent pas, et jusqu'aujourd'hui les Jébuséens ont habité Jérusalem avec les fils de Benjamin.

Juges 1, 22 La maison de Joseph, elle aussi, monta à Béthel et Yahvé fut avec elle.

Juges 1, 23 La maison de Joseph fit faire une reconnaissance contre Béthel. (Le nom de la ville était autrefois Luz.)

Juges 1, 24 Ceux qui étaient en observation virent un homme qui sortait de la ville. Ils lui dirent: "Indique-nous par où l'on peut y entrer et nous te ferons grâce."

Juges 1, 25 Il leur indiqua par où entrer dans la ville. Ils passèrent la ville au fil de l'épée, mais laissèrent aller l'homme avec tout son clan.

Juges 1, 26 Cet homme s'en alla au pays des Hittites et il bâtit une ville à laquelle il donna le nom de Luz. C'est le nom qu'elle porte encore aujourd'hui.

Juges 1, 27 Manassé ne déposséda pas Bet-Shéân et ses dépendances, ni Tanak et ses dépendances, ni les habitants de Dor et de ses dépendances, ni les habitants de Yibleam et de ses dépendances, ni les habitants de Megiddo et de ses dépendances; les Cananéens persistèrent dans ce pays.

Juges 1, 28 Cependant, quand Israël fut devenu plus fort, il soumit les Cananéens à la corvée, mais il ne les déposséda pas.

Juges 1, 29 Ephraïm non plus ne déposséda pas les Cananéens qui habitaient Gézèr, de telle sorte que les Cananéens continuèrent d'y habiter avec lui.

Juges 1, 30 Zabulon ne déposséda pas les habitants de Qitrôn, ni ceux de Nahalol. Les Cananéens demeurèrent au milieu de Zabulon, mais ils furent astreints à la corvée.

Juges 1, 31 Asher ne déposséda pas les habitants d'Akko, ni ceux de Sidon, de Mahaleb, d'Akzib, d'Helbah, d'Aphiq ni de Rehob.

Juges 1, 32 Les Ashérites demeurèrent donc au milieu des Cananéens qui habitaient le pays, car ils ne les dépossédèrent pas.

Juges 1, 33 Nephtali ne déposséda pas les habitants de Bet-Shémesh, ni ceux de Bet-Anat, et il habita au milieu des Cananéens qui habitaient le pays, mais les habitants de Bet-Shémesh et de Bet-Anat furent astreints par lui à la corvée.

Juges 1, 34 Les Amorites refoulèrent dans la montagne les fils de Dan et ils ne les laissèrent pas descendre dans la plaine.

Juges 1, 35 Les Amorites se maintinrent à Har-Hérès, à Ayyalôn et à Shaalbim, mais lorsque la main de la maison de Joseph se fit plus lourde, ils furent soumis à la corvée.

Juges 1, 36 (Le territoire des Edomites s'étend à partir de la montée des Scorpions, à la Roche, et va ensuite en montant.)

Juges 2, 1 L'Ange de Yahvé monta de Gilgal à Béthel et il dit: "Je vous ai fait monter d'Egypte et je vous ai amenés dans ce pays que j'avais promis par serment à vos pères. J'avais dit: Je ne romprai jamais mon alliance avec vous.

Juges 2, 2 De votre côté, vous ne conclurez point d'alliance avec les habitants de ce pays; mais vous renverserez leurs autels. Or vous n'avez pas écouté ma voix. Qu'avez-vous fait là?

Juges 2, 3 Eh bien, je le dis: je ne chasserai point ces peuples devant vous. Ils seront pour vous des oppresseurs et leurs dieux seront pour vous un piège."

Juges 2, 4 Lorsque l'Ange de Yahvé eut adressé ces paroles à tous les Israélites, le peuple se mit à crier et à pleurer.

Juges 2, 5 Ils donnèrent à ce lieu le nom de Bokim et ils offrirent là des sacrifices à Yahvé.

Juges 2, 6 Alors Josué congédia le peuple et les Israélites se rendirent chacun dans son héritage pour occuper le pays.

Juges 2, 7 Le peuple servit Yahvé pendant toute la vie de Josué et toute la vie des anciens qui survécurent à Josué et qui avaient connu toutes les grandes oeuvres que Yahvé avait opérées en faveur d'Israël.

Juges 2, 8 Josué, fils de Nûn, serviteur de Yahvé, mourut à l'âge de 110 ans.

Juges 2, 9 On l'ensevelit dans le domaine qu'il avait reçu en héritage à Timnat-Hérès, dans la montagne d'Ephraïm, au nord du mont Gaash.

Juges 2, 10 Et quand cette génération à son tour fut réunie à ses pères, une autre génération lui succéda qui ne connaissait point Yahvé ni ce qu'il avait fait pour Israël.

Juges 2, 11 Alors les enfants d'Israël firent ce qui est mal aux yeux de Yahvé et ils servirent les Baals.

Juges 2, 12 Ils délaissèrent Yahvé, le Dieu de leurs pères, qui les avait fait sortir du pays d'Egypte, et ils suivirent d'autres dieux parmi ceux des peuples d'alentour. Ils se prosternèrent devant eux, ils irritèrent Yahvé,

Juges 2, 13 ils délaissèrent Yahvé pour servir le Baal et les Astartés.

Juges 2, 14 Alors la colère de Yahvé s'enflamma contre Israël. Il les abandonna à des pillards qui les dépouillèrent, il les livra aux ennemis qui les entouraient et ils ne purent plus tenir devant leurs ennemis.

Juges 2, 15 Dans toutes leurs expéditions la main de Yahvé intervenait contre eux pour leur faire du mal, comme Yahvé le leur avait dit et comme Yahvé le leur avait juré. Leur détresse était extrême.

Juges 2, 16 Alors Yahvé leur suscita des juges qui les sauvèrent de la main de ceux qui les pillaient.

Juges 2, 17 Mais même leurs juges, ils ne les écoutaient pas, ils se prostituèrent à d'autres dieux, et ils se prosternèrent devant eux. Bien vite ils se sont détournés du chemin qu'avaient suivi leurs pères, dociles aux commandements de Yahvé; ils ne les ont point imités.

Juges 2, 18 Lorsque Yahvé leur suscitait des juges, Yahvé était avec le juge et il les sauvait de la main de leurs ennemis tant que vivait le juge, car Yahvé se laissait émouvoir par leurs gémissements devant leurs persécuteurs et leurs oppresseurs.

Juges 2, 19 Mais le juge mort, ils recommençaient à se pervertir encore plus que leurs pères. Ils suivaient d'autres dieux, les servaient et se prosternaient devant eux, ne renonçant en rien aux pratiques et à la conduite endurcie de leurs pères.

Juges 2, 20 La colère de Yahvé s'enflamma alors contre Israël et il dit: "Puisque ce peuple a transgressé l'alliance que j'avais prescrite à ses pères et qu'il n'a pas écouté ma voix,

Juges 2, 21 désormais je ne chasserai plus devant lui aucune des nations que Josué a laissé subsister quand il est mort",

Juges 2, 22 afin de mettre par elles Israël à l'épreuve, pour voir s'il suivra ou non les chemins de Yahvé comme les ont suivi ses pères.

Juges 2, 23 C'est pourquoi Yahvé a laissé subsister ces nations, il ne s'est point hâté de les chasser et ne les a pas livrées aux mains de Josué.

Juges 3, 1 Voici les nations que Yahvé a laissé subsister afin de mettre par elles à l'épreuve tous les Israélites qui n'avaient connu aucune des guerres de Canaan

Juges 3, 2 (ce fut uniquement pour l'enseignement des descendants des Israélites, pour leur apprendre l'art de la guerre; à ceux du moins qui ne l'avaient pas connu autrefois):

Juges 3, 3 les cinq princes des Philistins et tous les Cananéens, les Sidoniens et les Hittites qui habitaient la chaîne du Liban, depuis la montagne de Baal-Hermôn jusqu'à l'Entrée de Hamat.

Juges 3, 4 Ils servirent à éprouver Israël, pour savoir s'ils garderaient les commandements que Yahvé avait donnés à leurs pères par l'intermédiaire de Moïse.

Juges 3, 5 Et les Israélites habitèrent au milieu des Cananéens, des Hittites, des Amorites, des Perizzites, des Hivvites et des Jébuséens;

Juges 3, 6 ils épousèrent leurs filles, ils donnèrent leurs propres fils à leurs filles et ils servirent leurs dieux.

Juges 3, 7 Les Israélites firent ce qui est mal aux yeux de Yahvé. Ils oublièrent Yahvé leur Dieu pour servir les Baals et les Ashéras.

Juges 3, 8 Alors la colère de Yahvé s'enflamma contre Israël, il les livra aux mains de Kushân-Risheatayim, roi d'Edom, et les Israélites furent asservis à Kushân-Risheatayim pendant huit ans.

Juges 3, 9 Alors les Israélites crièrent vers Yahvé et Yahvé suscita aux Israélites un sauveur qui les libéra, Otniel fils de Qenaz, frère cadet de Caleb.

Juges 3, 10 L'esprit de Yahvé fut sur lui; il devint juge d'Israël et se mit en campagne. Yahvé livra entre ses mains Kushân-Risheatayim, roi d'Edom, et il triompha de Kushân-Risheatayim.

Juges 3, 11 Le pays fut alors en repos pendant 40 ans. Puis Otniel, fils de Qenaz, mourut.

Juges 3, 12 Les Israélites recommencèrent à faire ce qui est mal aux yeux de Yahvé et Yahvé fortifia Eglôn, roi de Moab, contre Israël, parce qu'ils faisaient ce qui est mal aux yeux de Yahvé.

Juges 3, 13 Eglôn s'adjoignit les fils d'Ammon et Amaleq, marcha contre Israël, le battit et s'empara de la ville des Palmiers.

Juges 3, 14 Les Israélites furent asservis à Eglôn, roi de Moab, pendant dix-huit ans.

Juges 3, 15 Alors les Israélites crièrent vers Yahvé et Yahvé leur suscita un sauveur, Ehud, fils de Géra, Benjaminite, qui était gaucher. Les Israélites le chargèrent de porter le tribut à Eglôn, roi de Moab.

Juges 3, 16 Ehud se fit un poignard à double tranchant, long d'un gomed, et il le ceignit sous son vêtement, sur sa hanche droite.

Juges 3, 17 Il offrit donc le tribut à Eglôn, roi de Moab. Cet Eglôn était très gros.

Juges 3, 18 Une fois le tribut offert, Ehud renvoya les gens qui l'avaient apporté.

Juges 3, 19 Mais lui-même, arrivé aux Idoles qui sont près de Gilgal, revint et dit: "J'ai un message secret pour toi, ô Roi!" Le roi répondit: "Silence!" et tous ceux qui se trouvaient auprès de lui sortirent.

Juges 3, 20 Ehud vint vers lui; il était assis dans la chambre haute où l'on prend le frais, qui lui était réservée. Ehud lui dit: "C'est une parole de Dieu que j'ai pour toi, ô Roi!" Et celui-ci se leva aussitôt de son siège.

Juges 3, 21 Alors Ehud étendit la main gauche, prit le poignard de dessus sa hanche droite et l'enfonça dans le ventre du roi.

Juges 3, 22 La poignée même entra avec la lame et la graisse se referma sur la lame, car Ehud n'avait pas retiré le poignard de son ventre.

Juges 3, 23 Ehud sortit par les cabinets, il avait fermé derrière lui les portes de la chambre haute et poussé le verrou.

Juges 3, 24 Quand il fut sorti, les serviteurs revinrent et ils regardèrent: les portes de la chambre haute étaient fermées au verrou. Ils se dirent: "Sans doute il se couvre les pieds dans le réduit de la chambre fraîche."

Juges 3, 25 Ils attendirent indéfiniment, car il n'ouvrait toujours pas les portes de la chambre haute. Ils prirent enfin la clef et ouvrirent: leur maître gisait à terre, mort.

Juges 3, 26 Pendant qu'ils attendaient, Ehud s'était enfui. Il dépassa les Idoles et se mit en sûreté à Ha-Séïra.

Juges 3, 27 Sitôt arrivé, il sonna du cor dans la montagne d'Ephraïm et les Israélites descendirent avec lui de la montagne, lui à leur tête.

Juges 3, 28 Et il leur dit: "Suivez-moi, car Yahvé a livré votre ennemi, Moab, entre vos mains." Ils le suivirent donc, coupèrent à Moab le passage des gués du Jourdain et ne laissèrent passer personne.

Juges 3, 29 Ils battirent les gens de Moab en ce temps-là, au nombre d'environ 10.000 hommes, tous robustes et vaillants, et pas un n'échappa.

Juges 3, 30 En ce jour-là Moab fut abaissé sous la main d'Israël et le pays fut en repos 80 ans.

Juges 3, 31 Après lui il y eut Shamgar, fils d'Anat. Il défit les Philistins au nombre de 600 hommes avec un aiguillon à boeufs, et lui aussi sauva Israël.

Juges 4, 1 Après la mort d'Ehud les Israélites recommencèrent à faire ce qui est mal aux yeux de Yahvé,

Juges 4, 2 et Yahvé les livra à Yabîn, roi de Canaan, qui régnait à Haçor. Le chef de son armée était Sisera, qui habitait à Haroshèt-ha-Goyim.

Juges 4, 3 Alors les Israélites poussèrent des gémissements vers Yahvé. Car Yabîn avait 900 chars de fer et il avait opprimé durement les Israélites pendant vingt ans.

Juges 4, 4 En ce temps-là Débora, une prophétesse, femme de Lappidot, jugeait Israël.

Juges 4, 5 Elle siégeait sous le palmier de Débora entre Rama et Béthel, dans la montagne d'Ephraïm, et les Israélites allaient vers elle pour obtenir justice.

Juges 4, 6 Elle envoya chercher Baraq, fils d'Abinoam de Qédesh en Nephtali et lui dit: "Yahvé, Dieu d'Israël, n'a-t-il pas ordonné: Va, marche vers le mont Tabor et prends avec toi 10.000 hommes des fils de Nephtali et des fils de Zabulon.

Juges 4, 7 J'attirerai vers toi au torrent du Qishôn Sisera, le chef de l'armée de Yabîn, avec ses chars et ses troupes, et je le livrerai entre tes mains?"

Juges 4, 8 Baraq lui répondit: "Si tu viens avec moi, j'irai, mais si tu ne viens pas avec moi, je n'irai pas, car je ne sais pas en quel jour l'Ange de Yahvé me donnera le succès" --

Juges 4, 9 "J'irai donc avec toi, lui dit-elle; seulement, dans la voie où tu marches, l'honneur ne sera pas pour toi, car c'est entre les mains d'une femme que Yahvé livrera Sisera." Alors Débora se leva et, avec Baraq, elle se rendit à Qédesh.

Juges 4, 10 Baraq convoqua Zabulon et Nephtali. 10.000 hommes le suivirent et Débora monta avec lui.

Juges 4, 11 Héber, le Qénite, s'était séparé de la tribu de Qayîn et du clan des fils de Hobab, beau-père de Moïse; il avait planté sa tente près du chêne de Caanannim, non loin de Qédesh.

Juges 4, 12 On annonça à Sisera que Baraq, fils d'Abinoam, était monté sur le mont Tabor.

Juges 4, 13 Sisera convoqua tous ses chars, 900 chars de fer, et toutes les troupes qu'il avait, de Haroshèt-ha-Goyim au torrent du Qishôn.

Juges 4, 14 Débora dit à Baraq: "Lève-toi, car voici le jour où Yahvé a livré Sisera entre tes mains. Oui! Yahvé ne marche-t-il pas devant toi?" Et Baraq descendit du mont Tabor avec 10.000 hommes derrière lui.

Juges 4, 15 Yahvé frappa de panique Sisera, tous ses chars et toute son armée devant Baraq. Sisera, descendant de son char, s'enfuit à pied.

Juges 4, 16 Baraq poursuivit les chars et l'armée jusqu'à Haroshèt-ha-Goyim. Toute l'armée de Sisera tomba sous le tranchant de l'épée et pas un homme n'échappa.

Juges 4, 17 Sisera cependant s'enfuyait à pied dans la direction de la tente de Yaël, femme de Héber le Qénite, car la paix régnait entre Yabîn, roi de Haçor, et la maison de Héber le Qénite.

Juges 4, 18 Yaël, sortant au-devant de Sisera, lui dit: "Arrête-toi, Monseigneur, arrête-toi chez moi. Ne crains rien!" Il s'arrêta chez elle sous la tente et elle le recouvrit d'un tapis.

Juges 4, 19 Il lui dit: "Donne-moi à boire un peu d'eau, je te prie, car j'ai soif." Elle ouvrit l'outre où était le lait, le fit boire et le recouvrit de nouveau.

Juges 4, 20 Il lui dit: "Tiens-toi à l'entrée de la tente, et si quelqu'un vient, t'interroge et dit: Y a-t-il un homme ici? Tu répondras: Non."

Juges 4, 21 Mais Yaël, femme de Héber, prit un piquet de la tente, saisit un marteau dans sa main et, s'approchant de lui doucement, elle lui enfonça dans la tempe le piquet, qui se planta en terre. Il dormait profondément, épuisé de fatigue, c'est ainsi qu'il mourut.

Juges 4, 22 Et voici que Baraq survint, poursuivant Sisera. Yaël sortit au-devant de lui: "Viens, lui dit-elle, et je te ferai voir l'homme que tu cherches." Il entra chez elle: Sisera gisait mort, le piquet dans la tempe.

Juges 4, 23 Dieu humilia donc en ce jour Yabîn, roi de Canaan, devant les Israélites.

Juges 4, 24 La main des Israélites s'appesantit de plus en plus durement sur Yabîn, roi de Canaan, jusqu'à ce qu'ils aient supprimé Yabîn, roi de Canaan.

Juges 5, 1 En ce jour-là, Débora et Baraq, fils d'Abinoam, chantèrent, disant:

Juges 5, 2 Puisqu'en Israël des guerriers ont dénoué leur chevelure, puisque le peuple s'est offert librement, bénissez Yahvé!

Juges 5, 3 Ecoutez, rois! Prêtez l'oreille, princes! Moi, pour Yahvé, moi je chanterai. Je célébrerai Yahvé, Dieu d'Israël.

Juges 5, 4 Yahvé, quand tu sortis de Séïr, quand tu t'avanças des campagnes d'Edom, la terre trembla, les cieux se déversèrent, les nuées fondirent en eau.

Juges 5, 5 Les montagnes ruisselèrent devant Yahvé, celui du Sinaï, devant Yahvé, le Dieu d'Israël.

Juges 5, 6 Aux jours de Shamgar fils d'Anat, aux jours de Yaël, il n'y avait plus de caravanes; ceux qui s'en allaient par les chemins prenaient des sentiers détournés.

Juges 5, 7 Les villages étaient morts en Israël, ils étaient morts, jusqu'à ton lever, ô Débora, jusqu'à ton lever, mère en Israël!

Juges 5, 8 On choisissait des dieux nouveaux, alors la guerre était aux portes; on ne voyait ni bouclier ni lance pour 40 milliers en Israël!

Juges 5, 9 Mon coeur va aux chefs d'Israël, avec les libres engagés du peuple! Bénissez Yahvé!

Juges 5, 10 Vous qui montez des ânesses blanches, assis sur des tapis, et vous qui allez par les chemins, chantez,

Juges 5, 11 aux acclamations des pâtres, près des abreuvoirs. Là on célèbre les bienfaits de Yahvé, ses bienfaits pour ses villages d'Israël! (Alors le peuple de Yahvé est descendu aux portes.)

Juges 5, 12 Eveille-toi, éveille-toi, Débora! Eveille-toi, éveille-toi, clame un chant! Courage! Debout, Baraq! et prends ceux qui t'ont pris, fils d'Abinoam!

Juges 5, 13 Alors Israël est descendu aux portes, le peuple de Yahvé est descendu pour sa cause, en héros.

Juges 5, 14 Les princes d'Ephraïm sont dans la vallée. Derrière toi Benjamin est parmi les tiens. De Makir sont descendus des chefs, de Zabulon, ceux qui portent le bâton de commandement.

Juges 5, 15 Les princes d'Issachar sont avec Débora, et Nephtali, avec Baraq, dans la vallée s'est lancé sur ses traces. Dans les clans de Ruben, on s'est concerté longuement.

Juges 5, 16 Pourquoi es-tu resté dans les enclos à l'écoute des sifflements, près des troupeaux? (Dans les clans de Ruben, on s'est concerté longuement.)

Juges 5, 17 Galaad est resté au-delà du Jourdain, et Dan, pourquoi vit-il sur des vaisseaux? Asher est demeuré au bord de la mer, il habite tranquille dans ses ports.

Juges 5, 18 Zabulon est un peuple qui a bravé la mort, ainsi que Nephtali, sur les hauteurs du pays.

Juges 5, 19 Les rois sont venus, ils ont combattu, alors ils ont combattu, les rois de Canaan, à Tanak, aux eaux de Megiddo, mais ils n'ont pas ramassé d'argent en butin.

Juges 5, 20 Du haut des cieux les étoiles ont combattu, de leurs chemins, elles ont combattu Sisera.

Juges 5, 21 Le torrent du Qishôn les a balayés, le torrent des temps anciens, le torrent du Qishôn! Marche hardiment, ô mon âme!

Juges 5, 22 Alors les sabots des chevaux ont martelé le sol: ils galopent, ils galopent, ses coursiers!

Juges 5, 23 Maudissez Méroz, dit l'Ange de Yahvé, maudissez, maudissez ses habitants: car ils ne sont pas venus à l'aide de Yahvé, à l'aide de Yahvé parmi les héros.

Juges 5, 24 Bénie entre les femmes soit Yaël (la femme de Héber le Qénite), entre les femmes qui habitent les tentes, bénie soit-elle!

Juges 5, 25 Il demandait de l'eau, elle a donné du lait, dans la coupe des nobles elle a offert de la crème.

Juges 5, 26 Elle a tendu la main pour saisir le piquet, la droite pour saisir le marteau des travailleurs. Elle a frappé Sisera, elle lui a brisé la tête, elle lui a percé et fracassé la tempe.

Juges 5, 27 Entre ses pieds il s'est écroulé, il est tombé, il s'est couché, à ses pieds il s'est écroulé, il est tombé. Où il s'est écroulé, là il est tombé, anéanti.

Juges 5, 28 Par la fenêtre elle se penche, elle guette, la mère de Sisera, à travers le grillage: "Pourquoi son char tarde-t-il à venir? Pourquoi sont-ils si lents, ses attelages?"

Juges 5, 29 La plus avisée de ses princesses lui répond, et elle se répète à elle-même:

Juges 5, 30 "Sans doute ils recueillent, ils partagent le butin: une jeune fille, deux jeunes filles par guerrier! un butin d'étoffes de couleur brodées pour Sisera, une broderie, deux broderies pour mon cou!"

Juges 5, 31 Ainsi périssent tous tes ennemis, Yahvé! et ceux qui t'aiment, qu'ils soient comme le soleil quand il se lève dans sa force! Et le pays fut en repos pendant 40 ans.

Juges 6, 1 Les Israélites firent ce qui est mal aux yeux de Yahvé; Yahvé les livra pendant sept ans aux mains de Madiân,

Juges 6, 2 et la main de Madiân se fit lourde sur Israël. C'est pour échapper à Madiân que les Israélites utilisèrent les crevasses des montagnes, les cavernes et les refuges.

Juges 6, 3 Chaque fois qu'Israël avait semé, alors Madiân montait, ainsi qu'Amaleq et les fils de l'Orient, ils montaient contre Israël

Juges 6, 4 et, campés sur sa terre, ils dévastaient les produits du sol jusqu'aux abords de Gaza. Ils ne laissaient à Israël aucun moyen de subsistance, ni une tête de petit bétail, ni un boeuf, ni un âne,

Juges 6, 5 car ils arrivaient, eux, leurs troupeaux et leurs tentes, aussi nombreux que les sauterelles; eux et leurs chameaux étaient innombrables et ils envahissaient le pays pour le ravager.

Juges 6, 6 Ainsi Madiân réduisit Israël à une grande misère et les Israélites crièrent vers Yahvé.

Juges 6, 7 Lorsque les Israélites eurent crié vers Yahvé à cause de Madiân,

Juges 6, 8 Yahvé envoya aux Israélites un prophète qui leur dit: "Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël. C'est moi qui vous ai fait monter d'Egypte, et qui vous ai fait sortir d'une maison de servitude.

Juges 6, 9 Je vous ai délivrés de la main des Egyptiens et de la main de tous ceux qui vous opprimaient. Je les ai chassés devant vous, je vous ai donné leur pays,

Juges 6, 10 et je vous ai dit: Je suis Yahvé votre Dieu. Vous ne craindrez pas les dieux des Amorites dont vous habitez le pays Mais vous n'avez pas écouté ma voix."

Juges 6, 11 L'Ange de Yahvé vint et s'assit sous le térébinthe d'Ophra, qui appartenait à Yoash d'Abiézer. Gédéon, son fils, battait le blé dans le pressoir pour le soustraire à Madiân,

Juges 6, 12 et l'Ange de Yahvé lui apparut: "Yahvé avec toi, lui dit-il, vaillant guerrier!"

Juges 6, 13 Gédéon lui répondit: "Je t'en prie, mon Seigneur! Si Yahvé est avec nous, d'où vient tout ce qui nous arrive? Où sont tous ces prodiges que nous racontent nos pères quand ils disent: Yahvé ne nous a-t-il pas fait monter d'Egypte? Et maintenant Yahvé nous a abandonnés, ils nous a livrés au pouvoir de Madiân..."

Juges 6, 14 Alors Yahvé se tourna vers lui et lui dit: "Va avec la force qui t'anime et tu sauveras Israël de la main de Madiân. N'est-ce pas moi qui t'envoie?"

Juges 6, 15 "Pardon --, mon Seigneur! lui répondit Gédéon, comment sauverais-je Israël? Mon clan est le plus pauvre en Manassé et moi, je suis le dernier dans la maison de mon père."

Juges 6, 16 Yahvé lui répondit: "Je serai avec toi et tu battras Madiân comme si c'était un seul homme."

Juges 6, 17 Gédéon lui dit: "Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, donne-moi un signe que c'est toi qui me parles.

Juges 6, 18 Ne t'éloigne pas d'ici, je te prie, jusqu'à ce que je revienne vers toi. Je t'apporterai mon offrande et je la déposerai devant toi." Et il répondit: "Je resterai jusqu'à ton retour."

Juges 6, 19 Gédéon s'en alla, il prépara un chevreau, et avec une mesure de farine il fit des pains sans levain. Il mit la viande dans une corbeille et le jus dans un pot, puis il lui apporta le tout sous le térébinthe. Comme il s'approchait,

Juges 6, 20 l'Ange de Yahvé lui dit: "Prends la viande et les pains sans levain, pose-les sur ce rocher et répands le jus." Et Gédéon fit ainsi.

Juges 6, 21 Alors l'Ange de Yahvé étendit l'extrémité du bâton qu'il tenait à la main et il toucha la viande et les pains sans levain. Le feu jaillit du roc, il dévora la viande et les pains sans levain, et l'Ange de Yahvé disparut à ses yeux.

Juges 6, 22 Alors Gédéon vit que c'était l'Ange de Yahvé et il dit: "Hélas! mon Seigneur Yahvé! C'est donc que j'ai vu l'Ange de Yahvé face à face?"

Juges 6, 23 Yahvé lui répondit: "Que la paix soit avec toi! Ne crains rien: tu ne mourras pas."

Juges 6, 24 Gédéon éleva en cet endroit un autel à Yahvé et il le nomma Yahvé-Paix. Cet autel est encore aujourd'hui à Ophra d'Abiézer.

Juges 6, 25 Il arriva que pendant cette nuit-là, Yahvé dit à Gédéon: "Prends le taureau de ton père, le taureau de sept ans, et tu démoliras l'autel de Baal qui appartient à ton père et tu couperas le pieu sacré qui est à côté.

Juges 6, 26 Puis tu construiras à Yahvé ton Dieu, au sommet de ce lieu fort, un autel bien disposé. Tu prendras alors le taureau et tu le brûleras en holocauste sur le bois du pieu sacré que tu auras coupé."

Juges 6, 27 Gédéon prit alors dix hommes parmi ses serviteurs et il fit comme Yahvé le lui avait ordonné. Seulement, comme il craignait trop sa famille et les gens de la ville pour le faire en plein jour, il le fit de nuit.

Juges 6, 28 Le lendemain matin les gens de la ville se levèrent; l'autel de Baal avait été détruit, le pieu sacré qui se dressait à côté avait été coupé, et le taureau avait été offert en holocauste sur l'autel qu'on venait de bâtir.

Juges 6, 29 Ils se dirent alors les uns aux autres: "Qui a fait cela?" Ils cherchèrent, s'informèrent et ils dirent: "C'est Gédéon fils de Yoash qui a fait cela."

Juges 6, 30 Les gens de la ville dirent alors à Yoash: "Fais sortir ton fils et qu'il meure, car il a détruit l'autel de Baal et coupé le pieu sacré qui se dressait à côté."

Juges 6, 31 Yoash répondit à tous ceux qui se tenaient près de lui: "Est-ce à vous de défendre Baal? Est-ce à vous de lui venir en aide? (Quiconque défend Baal doit être mis à mort avant qu'il ne fasse jour.) S'il est dieu, qu'il se défende lui-même, puisque Gédéon a détruit son autel."

Juges 6, 32 Ce jour-là on donna à Gédéon le nom de Yerubbaal, car, disait-on: "Que Baal s'en prenne à lui, puisqu'il a détruit son autel!"

Juges 6, 33 Tout Madiân, Amaleq et les fils de l'Orient se réunirent et, ayant passé le Jourdain, ils vinrent camper dans la plaine de Yizréel.

Juges 6, 34 L'esprit de Yahvé revêtit Gédéon, il sonna du cor et Abiézer se groupa derrière lui.

Juges 6, 35 Il envoya des messagers dans tout Manassé, qui se groupa aussi derrière lui, et il envoya des messagers dans Asher, dans Zabulon et dans Nephtali; et ils montèrent à sa rencontre.

Juges 6, 36 Gédéon dit à Dieu: "Si vraiment tu veux délivrer Israël par ma main, comme tu l'as dit,

Juges 6, 37 voici que j'étends sur l'aire une toison de laine: s'il y a de la rosée seulement sur la toison et que le sol reste sec, alors je saurai que tu délivreras Israël par ma main, comme tu l'as dit."

Juges 6, 38 Et il en fut ainsi. Gédéon se leva le lendemain de bon matin, il pressa la toison et, de la toison, il exprima la rosée, une pleine coupe d'eau.

Juges 6, 39 Gédéon dit encore à Dieu: "Ne t'irrite pas contre moi si je parle encore une fois. Permets que je fasse une dernière fois l'épreuve de la toison: qu'il n'y ait de sec que la seule toison et qu'il y ait de la rosée sur tout le sol!"

Juges 6, 40 Et Dieu fit ainsi en cette nuit-là. La toison seule resta sèche et il y eut de la rosée sur tout le sol.

Juges 7, 1 Yerubbaal (c'est-à-dire Gédéon) se leva de grand matin ainsi que tout le peuple qui était avec lui, et il vint camper à En-Harod; le camp de Madiân se trouvait au nord du sien, au pied de la colline du Moré dans la vallée.

Juges 7, 2 Alors Yahvé dit à Gédéon: "Le peuple qui est avec toi est trop nombreux pour que je livre Madiân entre ses mains; Israël pourrait en tirer gloire à mes dépens, et dire: C'est ma propre main qui m'a délivré!

Juges 7, 3 Et maintenant, proclame donc ceci aux oreilles du peuple: Que celui qui a peur et qui tremble, s'en retourne et qu'il observe du mont Gelboé." 22.000 hommes parmi le peuple s'en retournèrent et il en resta 10.000.

Juges 7, 4 Yahvé dit à Gédéon: "Ce peuple est encore trop nombreux. Fais-les descendre au bord de l'eau et là, pour toi, je les éprouverai. Celui dont je te dirai: Qu'il aille avec toi, celui-là ira avec toi. Et tout homme dont je te dirai: Qu'il n'aille pas avec toi, celui-là n'ira pas."

Juges 7, 5 Gédéon fit alors descendre le peuple au bord de l'eau et Yahvé lui dit: "Tous ceux qui laperont l'eau avec la langue comme lape le chien, tu les mettras d'un côté. Et tous ceux qui s'agenouilleront pour boire, tu les mettras de l'autre."

Juges 7, 6 Le nombre de ceux qui lapèrent l'eau avec leurs mains à leur bouche fut de 300. Tout le reste du peuple s'était agenouillé pour boire.

Juges 7, 7 Alors Yahvé dit à Gédéon: "C'est avec les 300 hommes qui ont lapé l'eau que je vous sauverai et que je livrerai Madiân entre tes mains. Que tout le peuple s'en retourne chacun chez soi."

Juges 7, 8 Ils prirent les provisions du peuple et leurs cors, puis Gédéon renvoya tous les Israélites chacun sous sa tente, ne gardant que les 300. Le camp de Madiân se trouvait au-dessous du sien dans la vallée.

Juges 7, 9 Or il arriva que pendant cette nuit-là Yahvé lui dit: "Lève-toi, descends au camp, car je le livre entre tes mains.

Juges 7, 10 Cependant, si tu as peur de descendre, descends au camp avec Pura ton serviteur;

Juges 7, 11 écoute ce qu'ils disent; tu en seras réconforté, et tu descendras contre le camp." Il descendit donc avec son serviteur Pura jusqu'à l'extrémité des avant-postes du camp.

Juges 7, 12 Madiân, Amaleq et tous les fils de l'Orient étaient déployés dans la vallée, aussi nombreux que des sauterelles; leurs chameaux étaient sans nombre, comme le sable sur le bord de la mer.

Juges 7, 13 Gédéon vint donc et voici qu'un homme racontait un rêve à son camarade; il disait: "Voici le rêve que j'ai fait: une galette de pain d'orge roulait dans le camp de Madiân, elle atteignit la tente, elle la heurta et la renversa sens dessus dessous."

Juges 7, 14 Son camarade lui répondit: "Ce ne peut être que l'épée de Gédéon, fils de Yoash, l'Israélite. Dieu a livré entre ses mains Madiân et tout le camp."

Juges 7, 15 Quand il eut entendu le récit du songe et son explication, Gédéon se prosterna, puis il revint au camp d'Israël et dit: "Debout! car Yahvé a livré entre vos mains le camp de Madiân!"

Juges 7, 16 Gédéon divisa alors ses 300 hommes en trois groupes. A tous il remit des cors et des cruches vides, avec des torches dans les cruches:

Juges 7, 17 "Regardez-moi, leur dit-il, et faites comme moi! Quand je serai arrivé à l'extrémité du camp, ce que je ferai, vous le ferez aussi!

Juges 7, 18 Je sonnerai du cor, moi et tous ceux qui sont avec moi; alors, vous aussi, vous sonnerez du cor tout autour du camp et vous crierez: Pour Yahvé et pour Gédéon!"

Juges 7, 19 Gédéon et les cent hommes qui l'accompagnaient arrivèrent à l'extrémité du camp au début de la veille de la mi-nuit, comme on venait de placer les sentinelles; ils sonnèrent du cor et brisèrent les cruches qu'ils avaient à la main.

Juges 7, 20 Alors les trois groupes sonnèrent du cor et brisèrent leurs cruches; de la main gauche ils saisirent les torches, de la droite les cors pour en sonner, et ils crièrent: "Epée pour Yahvé et pour Gédéon!"

Juges 7, 21 Et ils se tinrent immobiles chacun à sa place autour du camp. Tout le camp alors s'agita et, poussant des cris, les Madianites prirent la fuite.

Juges 7, 22 Pendant que les 300 sonnaient du cor, Yahvé fit que dans tout le camp chacun tournait l'épée contre son camarade. Tous s'enfuirent jusqu'à Bet-ha-Shitta, vers Cartân, jusqu'à la rive d'Abel-Mehola vis-à-vis de Tabbat.

Juges 7, 23 Les gens d'Israël se rassemblèrent, de Nephtali, d'Asher et de tout Manassé, et ils poursuivirent Madiân.

Juges 7, 24 Gédéon envoya dans toute la montagne d'Ephraïm des messagers dire: "Descendez à la rencontre de Madiân et occupez avant eux les points d'eau jusqu'à Bet-Bara et le Jourdain." Tous les gens d'Ephraïm se rassemblèrent et ils occupèrent les points d'eau jusqu'à Bet-Bara et le Jourdain.

Juges 7, 25 Ils firent prisonniers les deux chefs de Madiân, Oreb et Zéeb, ils tuèrent Oreb au Rocher d'Oreb et Zéeb au Pressoir de Zéeb. Ils poursuivirent Madiân et ils apportèrent à Gédéon au-delà du Jourdain les têtes d'Oreb et de Zéeb.

Juges 8, 1 Or les gens d'Ephraïm dirent à Gédéon: "Quelle est donc cette manière d'agir envers nous: tu ne nous as pas convoqués lorsque tu es allé combattre Madiân?" Et ils le prirent violemment à partie.

Juges 8, 2 Il leur répondit: "Qu'ai-je donc fait en comparaison de vous? Le grappillage d'Ephraïm, n'est-ce pas plus que la vendange d'Abiézer?

Juges 8, 3 C'est entre vos mains que Dieu a livré les chefs de Madiân, Oreb et Zéeb. Qu'ai-je pu faire en comparaison de vous?" Sur ces paroles, leur emportement contre lui se calma.

Juges 8, 4 Gédéon arriva au Jourdain et le traversa, mais lui et les 300 hommes qu'il avait avec lui étaient harassés par la poursuite.

Juges 8, 5 Il dit donc aux gens de Sukkot: "Donnez, je vous prie, des galettes de pain à la troupe qui me suit, car elle est harassée, et je suis à la poursuite de Zébah et de Calmunna, rois de Madiân."

Juges 8, 6 Mais les chefs de Sukkot répondirent: "Les mains de Zébah et de Calmunna sont-elles déjà dans ton poing pour que nous donnions du pain à ton armée" --

Juges 8, 7 "Eh bien! répliqua Gédéon, lorsque Yahvé aura livré en mes mains Zébah et Calmunna, je vous déchirerai les chairs sur les épines du désert et les chardons."

Juges 8, 8 De là, il monta à Penuel et il parla de la même manière aux gens de Penuel, qui répondirent comme l'avaient fait les gens de Sukkot.

Juges 8, 9 Il répliqua également aux gens de Penuel: "Quand je reviendrai vainqueur, je détruirai cette tour."

Juges 8, 10 Zébah et Calmunna se trouvaient dans le Qarqor avec leur armée, environ 15.000 hommes, tous ceux qui étaient restés de l'armée des fils de l'Orient. Ceux qui étaient tombés étaient au nombre de 120.000 hommes tirant l'épée.

Juges 8, 11 Gédéon monta par la route de ceux qui habitent sous la tente, à l'est de Nobah et de Yogbéha, et il défit l'armée, alors qu'elle se croyait en sûreté.

Juges 8, 12 Zébah et Calmunna s'enfuirent. Il les poursuivit et il fit prisonniers les deux rois de Madiân, Zébah et Calmunna. Quant à l'armée, il la mit en déroute.

Juges 8, 13 Après la bataille, Gédéon fils de Yoash s'en revint par la montée de Harès.

Juges 8, 14 Ayant arrêté un jeune homme des gens de Sukkot, il le questionna et celui-ci lui donna par écrit les noms des chefs de Sukkot et des anciens, 77 hommes.

Juges 8, 15 Gédéon se rendit alors auprès des gens de Sukkot et dit: "Voici Zébah et Calmunna, au sujet desquels vous m'avez raillé, disant: Les mains de Zébah et de Calmunna sont-elles déjà dans ton poing pour que nous donnions du pain à tes gens harassés?"

Juges 8, 16 Il saisit alors les anciens de la ville et, prenant des épines du désert et des chardons, il déchira les gens de Sukkot.

Juges 8, 17 Il détruisit la tour de Penuel et massacra les habitants de la ville.

Juges 8, 18 Puis il dit à Zébah et Calmunna: "Comment donc étaient ces hommes que vous avez tués au Tabor" -- "Ils te ressemblaient, répondirent-ils. Chacun d'eux avait l'air d'un fils de roi" --

Juges 8, 19 "C'étaient mes frères, fils de ma mère, reprit Gédéon. Par la vie de Yahvé! si vous les aviez laissés vivre, je ne vous tuerais pas."

Juges 8, 20 Alors il commanda à Yéter, son fils aîné: "Debout! Tue-les." Mais l'enfant ne tira pas son épée, il n'osait pas, car il était encore jeune.

Juges 8, 21 Zébah et Calmunna dirent alors: "Debout! toi, et frappe-nous, car tel est l'homme, telle est sa force." Alors Gédéon se leva, il tua Zébah et Calmunna et il prit les croissants qui étaient au cou de leurs chameaux.

Juges 8, 22 Les gens d'Israël dirent à Gédéon: "Règne sur nous, toi, ton fils et ton petit-fils, puisque tu nous a sauvés de la main de Madiân."

Juges 8, 23 Mais Gédéon leur répondit: "Ce n'est pas moi qui régnerai sur vous, ni mon fils non plus, car c'est Yahvé qui régnera sur vous."

Juges 8, 24 "Laissez-moi, ajouta Gédéon, vous faire une requête. Que chacun de vous me donne un anneau de son butin." Les vaincus avaient en effet des anneaux d'or, car c'étaient des Ismaélites.

Juges 8, 25 "Nous les donnerons volontiers" répondirent-ils. Il étendit donc son manteau et ils y jetèrent chacun un anneau de son butin.

Juges 8, 26 Le poids des anneaux d'or qu'il avait demandés s'éleva à 1.700 sicles d'or, sans compter les croissants, les pendants d'oreilles et les vêtements de pourpre que portaient les rois de Madiân, sans compter non plus les colliers qui étaient au cou de leurs chameaux.

Juges 8, 27 Gédéon en fit un éphod qu'il plaça dans sa ville, à Ophra. Tout Israël s'y prostitua après lui et ce fut un piège pour Gédéon et sa maison.

Juges 8, 28 Ainsi Madiân fut abaissé devant les Israélites. Il ne releva plus la tête et le pays fut en repos pendant 40 ans, aussi longtemps que vécut Gédéon.

Juges 8, 29 Yerubbaal, fils de Yoash, s'en alla donc et demeura dans sa maison.

Juges 8, 30 Gédéon eut 70 fils, issus de lui, car il avait beaucoup de femmes.

Juges 8, 31 Sa concubine qui résidait à Sichem lui enfanta, elle aussi, un fils, auquel il donna le nom d'Abimélek.

Juges 8, 32 Gédéon, fils de Yoash, mourut après une heureuse vieillesse et on l'ensevelit dans le tombeau de Yoash, son père, à Ophra d'Abiézer.

Juges 8, 33 Après la mort de Gédéon, les Israélites recommencèrent à se prostituer aux Baals et ils prirent pour dieu Baal-Berit.

Juges 8, 34 Les Israélites ne se souvinrent plus de Yahvé, leur Dieu, qui les avait délivrés de la main de tous les ennemis d'alentour.

Juges 8, 35 Et à la maison de Yerubbaal-Gédéon, ils ne montrèrent pas la gratitude méritée par tout le bien qu'elle avait fait à Israël.

Juges 9, 1 Abimélek, fils de Yerubbaal, s'en vint à Sichem auprès des frères de sa mère et il leur adressa ces paroles, ainsi qu'à tout le clan de la maison paternelle de sa mère:

Juges 9, 2 "Faites donc entendre ceci, je vous prie, aux notables de Sichem: Que vaut-il mieux pour vous? Avoir pour maîtres 70 personnes, tous les fils de Yerubbaal, ou n'en avoir qu'un seul? Souvenez-vous d'ailleurs que je suis, moi, de vos os et de votre chair!"

Juges 9, 3 Les frères de sa mère parlèrent de lui à tous les notables de Sichem dans les mêmes termes, et leur coeur pencha pour Abimélek, car ils se disaient: "C'est notre frère!"

Juges 9, 4 Ils lui donnèrent donc 70 sicles d'argent du temple de Baal-Berit et Abimélek s'en servit pour soudoyer des gens de rien, des aventuriers, qui s'attachèrent à lui.

Juges 9, 5 Il se rendit alors à la maison de son père à Ophra et il massacra ses frères, les fils de Yerubbaal, 70 hommes, sur une même pierre. Yotam cependant, le plus jeune fils de Yerubbaal, échappa, car il s'était caché.

Juges 9, 6 Puis tous les notables de Sichem et tout Bet-Millo se réunirent et ils proclamèrent roi Abimélek près du chêne de la stèle qui est à Sichem.

Juges 9, 7 On l'annonça à Yotam. Il vint se poster sur le sommet du mont Garizim et il leur cria à haute voix: "Ecoutez-moi, notables de Sichem, pour que Dieu vous écoute!

Juges 9, 8 Un jour les arbres se mirent en chemin pour oindre un roi qui régnerait sur eux. Ils dirent à l'olivier: Sois notre roi!

Juges 9, 9 L'olivier leur répondit: Faudra-t-il que je renonce à mon huile, qui rend honneur aux dieux et aux hommes, pour aller me balancer au-dessus des arbres?

Juges 9, 10 Alors les arbres dirent au figuier: Viens, toi, sois notre roi!

Juges 9, 11 Le figuier leur répondit: Faudra-t-il que je renonce à ma douceur et à mon excellent fruit, pour aller me balancer au-dessus des arbres?

Juges 9, 12 Les arbres dirent alors à la vigne: Viens, toi, sois notre roi!

Juges 9, 13 La vigne leur répondit: Faudra-t-il que je renonce à mon vin, qui réjouit les dieux et les hommes, pour aller me balancer au-dessus des arbres?

Juges 9, 14 Tous les arbres dirent alors au buisson d'épines: Viens, toi, sois notre roi!

Juges 9, 15 Et le buisson d'épines répondit aux arbres: Si c'est de bonne foi que vous m'oignez pour régner sur vous,

Juges 9, 16 "Ainsi donc, si c'est de bonne foi et en toute loyauté que vous avez agi et que vous avez fait roi Abimélek, si vous vous êtes bien conduits envers Yerubbaal et sa maison, si vous l'avez traité selon le mérite de ses action,

Juges 9, 17 alors que mon père a combattu pour vous, qu'il a exposé sa vie, qu'il vous a délivrés de la main de Madiân,

Juges 9, 18 vous, aujourd'hui, vous vous êtes levés contre la maison de mon père, vous avez massacré ses fils, 70 hommes sur une même pierre, et vous avez établi roi sur les notables de Sichem Abimélek, le fils de son esclave, parce qu'il est votre frère! --

Juges 9, 19 si donc c'est de bonne foi et en toute loyauté qu'aujourd'hui vous avez agi envers Yerubbaal et envers sa maison, alors qu'Abimélek fasse votre joie et vous la sienne!

Juges 9, 20 Sinon, qu'un feu sorte d'Abimélek et qu'il dévore les notables de Sichem et de Bet-Millo, et qu'un feu sorte des notables de Sichem et Bet-Millo pour dévorer Abimélek!"

Juges 9, 21 Puis Yotam prit la fuite, il se sauva et se rendit à Béer, où il s'établit pour échapper à son frère Abimélek.

Juges 9, 22 Abimélek exerça le pouvoir pendant trois ans sur Israël.

Juges 9, 23 Puis Dieu envoya un esprit de discorde entre Abimélek et les notables de Sichem, et les notables de Sichem trahirent Abimélek.

Juges 9, 24 C'était afin que le crime commis contre les 70 fils de Yerubbaal fût vengé et que leur sang retombât sur Abimélek leur frère, qui les avait massacrés, ainsi que sur les notables de Sichem qui l'avaient aidé à massacrer ses frères.

Juges 9, 25 Les notables de Sichem placèrent donc contre lui des embuscades au sommet des montagnes et ils dévalisaient quiconque passait près d'eux par le chemin. On le fit savoir à Abimélek.

Juges 9, 26 Gaal, fils d'Obed, accompagné de ses frères, vint à passer par Sichem et il gagna la confiance des notables de Sichem.

Juges 9, 27 Ceux-ci sortirent dans la campagne pour vendanger leurs vignes, ils foulèrent le raisin, organisèrent des réjouissances et entrèrent dans le temple de leur dieu. Ils y mangèrent et burent et maudirent Abimélek.

Juges 9, 28 Alors Gaal, fils d'Obed, s'écria: "Qui est Abimélek, et qu'est-ce que Sichem, pour que nous lui soyons asservis? Ne serait-ce pas au fils de Yerubbaal et à Zebul, son lieutenant, de servir les gens de Hamor, père de Sichem? Pourquoi lui serions-nous asservis, nous?

Juges 9, 29 Qui me mettra ce peuple dans la main, afin que je chasse Abimélek, et je lui dirais: Renforce ton armée et sors!"

Juges 9, 30 Zebul, gouverneur de la ville, apprit les propos de Gaal, fils d'Obed, et il en fut irrité.

Juges 9, 31 Il envoya en secret des messagers vers Abimélek, pour dire: "Voici que Gaal, fils d'Obed, avec ses frères, est arrivé à Sichem, et ils excitent la ville contre toi.

Juges 9, 32 En conséquence, lève-toi de nuit, toi et les gens que tu as avec toi, et mets-toi en embuscade dans la campagne,

Juges 9, 33 puis, le matin, au lever du soleil, tu surgiras et tu t'élanceras contre la ville. Quand Gaal et les gens qui sont avec lui sortiront à ta rencontre, tu les traiteras comme tu pourras."

Juges 9, 34 Abimélek se mit donc en route de nuit avec tous les gens qui étaient avec lui et ils s'embusquèrent en face de Sichem, en quatre groupes.

Juges 9, 35 Comme Gaal, fils d'Obed, sortait et faisait halte à l'entrée de la porte de la ville, Abimélek et les gens qui étaient avec lui surgirent de leur embuscade.

Juges 9, 36 Gaal vit cette troupe et il dit à Zebul: "Voici des gens qui descendent du sommet des montagnes" -- "C'est l'ombre des monts, lui répondit Zebul, et tu la prends pour des hommes."

Juges 9, 37 Gaal reprit encore: "Voici des gens qui descendent du côté du Nombril de la Terre, tandis qu'un autre groupe arrive par le chemin du Chêne des Devins."

Juges 9, 38 Zebul lui dit alors: "Qu'as-tu fait de ta langue? Toi qui disais: Qui est Abimélek pour que nous lui soyons asservis? Ne sont-ce pas là les gens que tu méprisais? Sors donc maintenant et livre-lui combat."

Juges 9, 39 Et Gaal sortit à la tête des notables de Sichem et il livra combat à Abimélek.

Juges 9, 40 Abimélek poursuivit Gaal, qui se sauva devant lui, et beaucoup de gens de celui-ci tombèrent morts avant d'atteindre la porte.

Juges 9, 41 Abimélek demeura alors à Aruma, et Zebul, chassant Gaal et ses frères, les empêcha d'habiter à Sichem.

Juges 9, 42 Le lendemain, le peuple sortit dans la campagne et Abimélek en fut informé.

Juges 9, 43 Il prit ses gens, les partagea en trois groupes et se mit en embuscade dans les champs. Lorsqu'il vit les gens sortir de la ville, il surgit contre eux et les tailla en pièces.

Juges 9, 44 Tandis qu'Abimélek et le groupe qui était avec lui s'élançaient et prenaient position à l'entrée de la porte de la ville, les deux autres groupes se jetèrent contre tous ceux qui étaient dans la campagne et les massacrèrent.

Juges 9, 45 Toute la journée Abimélek donna l'assaut à la ville. L'ayant prise, il en massacra la population, détruisit la ville et y sema du sel.

Juges 9, 46 A cette nouvelle, les notables de Migdal-Sichem se rendirent tous dans la crypte du temple d'El-Berit.

Juges 9, 47 Dès qu'Abimélek eut appris que tous les notables de Migdal-Sichem s'y étaient rassemblés,

Juges 9, 48 il monta sur le mont Calmôn, lui et toute sa troupe. Prenant en mains une hache, il coupa une branche d'arbre, qu'il souleva et chargea sur son épaule, en disant aux gens qui l'accompagnaient: "Ce que vous m'avez vu faire, vite, faites-le comme moi."

Juges 9, 49 Tous ses gens se mirent donc à couper chacun une branche, puis ils suivirent Abimélek et, entassant les branches sur la crypte, ils la brûlèrent sur ceux qui s'y trouvaient. Tous les habitants de Migdal-Sichem périrent aussi, environ mille hommes et femmes.

Juges 9, 50 Puis Abimélek marcha sur Tébèç, il l'assiégea et la prit.

Juges 9, 51 Il y avait là, au milieu de la ville, une tour fortifiée où se réfugièrent tous les hommes et femmes et tous les notables de la ville. Après avoir fermé la porte derrière eux, ils montèrent sur la terrasse de la tour.

Juges 9, 52 Abimélek parvint jusqu'à la tour et il l'attaqua. Comme il s'approchait de la porte de la tour pour y mettre le feu,

Juges 9, 53 une femme lui lança une meule de moulin sur la tête et lui brisa le crâne.

Juges 9, 54 Il appela aussitôt le jeune homme qui portait ses armes et lui dit: "Tire ton épée et tue-moi, pour qu'on ne dise pas de moi: C'est une femme qui l'a tué." Son écuyer le transperça et il mourut.

Juges 9, 55 Quand les gens d'Israël virent qu'Abimélek était mort, ils s'en retournèrent chacun chez soi.

Juges 9, 56 Ainsi Dieu fit retomber sur Abimélek le mal qu'il avait fait à son père en égorgeant ses 70 frères.

Juges 9, 57 Et Dieu fit aussi retomber sur la tête des gens de Sichem toute leur méchanceté. Ainsi s'accomplit sur eux la malédiction de Yotam, fils de Yerubbaal.

Juges 10, 1 Après Abimélek, se leva pour sauver Israël Tola, fils de Pua, fils de Dodo. Il était d'Issachar et il habitait Shamir dans la montagne d'Ephraïm.

Juges 10, 2 Il fut juge en Israël pendant 23 ans, puis il mourut et fut enseveli à Shamir.

Juges 10, 3 Après lui se leva Yaïr de Galaad, qui jugea Israël pendant 22 ans.

Juges 10, 4 Il avait 30 fils qui montaient 30 ânons et ils possédaient 30 villes, qu'on appelle encore aujourd'hui les Douars de Yaïr au pays de Galaad.

Juges 10, 5 Puis Yaïr mourut et il fut enseveli à Qamôn.

Juges 10, 6 Les Israélites recommencèrent à faire ce qui est mal aux yeux de Yahvé. Ils servirent les Baals et les Astartés, ainsi que les dieux d'Aram et de Sidon, les dieux de Moab, ceux des Ammonites et des Philistins. Ils abandonnèrent Yahvé et ne le servirent plus.

Juges 10, 7 Alors la colère de Yahvé s'alluma contre Israël et il le livra aux mains des Philistins et aux mains des Ammonites.

Juges 10, 8 Ceux-ci écrasèrent et opprimèrent les Israélites à partir de cette année-là pendant dix-huit ans, tous les Israélites qui habitaient au-delà du Jourdain, dans le pays amorite en Galaad.

Juges 10, 9 Les Ammonites passèrent le Jourdain pour combattre aussi Juda, Benjamin et la maison d'Ephraïm et la détresse d'Israël devint extrême.

Juges 10, 10 Alors les Israélites crièrent vers Yahvé, disant: "Nous avons péché contre toi, car nous avons abandonné Yahvé notre Dieu pour servir les Baals."

Juges 10, 11 Et Yahvé dit aux Israélites: "Quand des Egyptiens et des Amorites, des Ammonites et des Philistins,

Juges 10, 12 quand les Sidoniens, Amaleq et Madiân vous opprimaient et que vous avez crié vers moi, ne vous ai-je pas sauvés de leurs mains?

Juges 10, 13 Mais vous, vous m'avez abandonné et vous avez servi d'autres dieux. C'est pourquoi je ne vous sauverai plus.

Juges 10, 14 Allez! Criez vers les dieux que vous avez choisis! Qu'ils vous sauvent, eux, au temps de votre détresse!"

Juges 10, 15 Les Israélites répondirent à Yahvé: "Nous avons péché! Agis envers nous comme il te semblera bon, seulement, aujourd'hui délivre-nous!"

Juges 10, 16 Ils firent disparaître de chez eux les dieux étrangers qu'ils avaient et ils servirent Yahvé. Alors Yahvé ne supporta pas plus longtemps la souffrance d'Israël.

Juges 10, 17 Les Ammonites se réunirent et campèrent à Galaad. Les Israélites se rassemblèrent et campèrent à Miçpa.

Juges 10, 18 Alors le peuple, les chefs de Galaad, se dirent les uns aux autres: "Quel est l'homme qui entreprendra d'attaquer les fils d'Ammon? Celui-là sera le chef de tous les habitants de Galaad."

Juges 11, 1 Jephté, le Galaadite, était un vaillant guerrier. Il était fils d'une prostituée. Et c'est Galaad qui avait engendré Jephté.

Juges 11, 2 Mais la femme de Galaad lui enfanta aussi des fils, et les fils de cette femme, ayant grandi, chassèrent Jephté en lui disant: "Tu n'auras pas de part à l'héritage de notre père, car tu es le fils d'une femme étrangère."

Juges 11, 3 Jephté s'enfuit loin de ses frères et s'établit dans le pays de Tob. Il se forma autour de lui une bande de gens de rien qui faisaient campagne avec lui.

Juges 11, 4 Or, à quelque temps de là, les Ammonites s'en vinrent combattre Israël.

Juges 11, 5 Et lorsque les Ammonites eurent attaqué Israël, les anciens de Galaad allèrent chercher Jephté au pays de Tob.

Juges 11, 6 "Viens, lui dirent-ils, sois notre commandant, afin que nous combattions les Ammonites."

Juges 11, 7 Mais Jephté répondit aux anciens de Galaad: "N'est-ce pas vous qui m'avez pris en haine et chassé de la maison de mon père? Pourquoi venez-vous à moi, maintenant que vous êtes dans la détresse?"

Juges 11, 8 Les anciens de Galaad répliquèrent à Jephté: "C'est pour cela que maintenant nous sommes revenus à toi. Viens avec nous, tu combattras les Ammonites et tu seras notre chef, celui de tous les habitants de Galaad."

Juges 11, 9 Jephté répondit aux anciens de Galaad: "Si vous me faites revenir pour combattre les Ammonites et que Yahvé les livre à ma merci, alors je serai votre chef" --

Juges 11, 10 "Que Yahvé soit témoin entre nous, répondirent à Jephté les anciens de Galaad, si nous ne faisons pas comme tu l'as dit!"

Juges 11, 11 Jephté partit donc avec les anciens de Galaad. Le peuple le mit à sa tête comme chef et commandant; et Jephté répéta toutes ses conditions à Miçpa, en présence de Yahvé.

Juges 11, 12 Jephté envoya des messagers au roi des Ammonites pour lui dire: "Qu'y a-t-il donc entre toi et moi pour que tu sois venu faire la guerre à mon pays?"

Juges 11, 13 Le roi des Ammonites répondit aux messagers de Jephté: "C'est parce qu'Israël, au temps où il montait d'Egypte, s'est emparé de mon pays, depuis l'Arnon jusqu'au Yabboq et au Jourdain. Rends-le maintenant de bon gré!"

Juges 11, 14 Jephté envoya de nouveau des messagers au roi des Ammonites,

Juges 11, 15 et il lui dit: "Ainsi parle Jephté. Israël ne s'est emparé ni du pays de Moab, ni de celui des Ammonites.

Juges 11, 16 Quand il est monté d'Egypte, Israël a marché dans le désert jusqu'à la mer des Roseaux et il est parvenu à Cadès.

Juges 11, 17 Alors Israël a envoyé des messagers au roi d'Edom pour lui dire: Laisse-moi, je te prie, traverser ton pays! mais le roi d'Edom ne voulut rien entendre. Il en envoya aussi au roi de Moab, qui refusa, et Israël demeura à Cadès,

Juges 11, 18 puis, s'avançant dans le désert, il contourna le pays d'Edom et celui de Moab et parvint à l'orient du pays de Moab. Le peuple campa au-delà de l'Arnon, et il n'entra pas dans le territoire de Moab, car l'Arnon est la frontière de Moab.

Juges 11, 19 Israël envoya ensuite des messagers à Sihôn, roi des Amorites, qui régnait à Heshbôn, et Israël lui fit dire: Laisse-moi, je te prie, traverser ton pays jusqu'à ma destination.

Juges 11, 20 Mais Sihôn refusa à Israël le passage sur son territoire, il rassembla toute son armée, qui campa à Yahaç, et il engagea le combat contre Israël.

Juges 11, 21 Yahvé, Dieu d'Israël, livra Sihôn et toute son armée aux mains d'Israël qui les défit, et Israël prit possession de tout le pays des Amorites qui habitaient cette contrée.

Juges 11, 22 Il fut ainsi en possession de tout le pays des Amorites, depuis l'Arnon jusqu'au Yabboq et depuis le désert jusqu'au Jourdain.

Juges 11, 23 Et maintenant que Yahvé, Dieu d'Israël, a dépossédé les Amorites devant son peuple Israël, toi, tu nous déposséderais?

Juges 11, 24 Est-ce que tu ne possèdes pas tout ce que Kemosh, ton dieu, a mis en ta possession? De même tout ce que Yahvé, notre Dieu, a enlevé à ses possesseurs, nous le possédons!

Juges 11, 25 Vaudrais-tu donc mieux que Balaq, fils de Cippor, roi de Moab? Est-il entré en contestation avec Israël? Lui a-t-il fait la guerre?

Juges 11, 26 Quand Israël s'est établi à Heshbôn et dans ses dépendances, à Aroër et dans ses dépendances, ainsi que dans toutes les villes qui sont sur les rives de l'Arnon (300 ans), pourquoi ne les avez-vous pas reprises à ce moment-là?

Juges 11, 27 Pour moi, je n'ai pas péché contre toi, mais toi, tu agis mal envers moi en me faisant la guerre. Que Yahvé, le Juge, juge aujourd'hui entre les enfants d'Israël et le roi des Ammonites."

Juges 11, 28 Mais le roi des Ammonites n'écouta pas les paroles que Jephté lui avait fait transmettre.

Juges 11, 29 L'esprit de Yahvé fut sur Jephté, qui parcourut Galaad et Manassé, passa par Miçpé de Galaad et, de Miçpé de Galaad, passa chez les Ammonites.

Juges 11, 30 Et Jephté fit un voeu à Yahvé: "Si tu livres entre mes mains les Ammonites,

Juges 11, 31 celui qui sortira le premier des portes de ma maison pour venir à ma rencontre quand je reviendrai vainqueur du combat contre les Ammonites, celui-là appartiendra à Yahvé, et je l'offrirai en holocauste."

Juges 11, 32 Jephté passa chez les Ammonites pour les attaquer et Yahvé les livra entre ses mains.

Juges 11, 33 Il les battit depuis Aroër jusque vers Minnit (vingt villes), et jusqu'à Abel-Keramim. Ce fut une très grande défaite; et les Ammonites furent abaissés devant les Israélites.

Juges 11, 34 Lorsque Jephté revint à Miçpé, à sa maison, voici que sa fille sortit à sa rencontre en dansant au son des tambourins. C'était son unique enfant. En dehors d'elle il n'avait ni fils, ni fille.

Juges 11, 35 Dès qu'il l'eut aperçue, il déchira ses vêtements et s'écria: "Ah! ma fille, vraiment tu m'accables! Tu es de ceux qui font mon malheur! Je me suis engagé, moi, devant Yahvé, et ne puis revenir en arrière."

Juges 11, 36 Elle lui répondit: "Mon père, tu t'es engagé envers Yahvé, traite-moi selon l'engagement que tu as pris, puisque Yahvé t'a accordé de te venger de tes ennemis, les Ammonites."

Juges 11, 37 Puis elle dit à son père: "Que ceci me soit accordé! Laisse-moi libre pendant deux mois. Je m'en irai errer sur les montagnes et, avec mes compagnes, je pleurerai sur ma virginité" --

Juges 11, 38 "Va", lui dit-il, et il la laissa partir pour deux mois. Elle s'en alla donc, elle et ses compagnes, et elle pleura sa virginité sur les montagnes.

Juges 11, 39 Les deux mois écoulés, elle revint vers son père et il accomplit sur elle le voeu qu'il avait prononcé. Elle n'avait pas connu d'homme. Et de là vient cette coutume en Israël:

Juges 11, 40 d'année en année les filles d'Israël s'en vont se lamenter quatre jours par an sur la fille de Jephté le Galaadite.

Juges 12, 1 Les gens d'Ephraïm se rassemblèrent, ils passèrent le Jourdain dans la direction de Caphôn et ils dirent à Jephté: "Pourquoi es-tu allé combattre les Ammonites sans nous avoir invités à marcher avec toi? Nous brûlerons ta maison sur toi!"

Juges 12, 2 Jephté leur répondit: "Nous étions en grave conflit, mon peuple et moi, avec les Ammonites. Je vous ai appelés à l'aide et vous ne m'avez pas délivré de leurs mains.

Juges 12, 3 Quand j'ai vu que personne ne venait à mon secours, j'ai risqué ma vie, j'ai marché contre les Ammonites et Yahvé les a livrés entre mes mains. Pourquoi donc aujourd'hui êtes-vous montés contre moi pour me faire la guerre?"

Juges 12, 4 Alors Jephté rassembla tous les hommes de Galaad, il livra bataille à Ephraïm et les gens de Galaad défirent Ephraïm, car ceux-ci disaient: "Vous n'êtes que des fuyards d'Ephraïm, vous, Galaadites, au milieu d'Ephraïm, au milieu de Manassé!"

Juges 12, 5 Puis Galaad coupa à Ephraïm les gués du Jourdain, et quand les fuyards d'Ephraïm disaient: "Laissez-moi passer", les gens de Galaad demandaient: "Es-tu Ephraïmite?" S'il répondait: "Non",

Juges 12, 6 alors ils lui disaient: "Eh bien, dis Shibbolet!" Il disait: "Sibbolet" car il n'arrivait pas à prononcer ainsi. Alors on le saisissait et on l'égorgeait près des gués du Jourdain. Il tomba en ce temps-là 42.000 hommes d'Ephraïm.

Juges 12, 7 Jephté jugea Israël pendant six ans, puis Jephté le Galaadite mourut et il fut enseveli dans sa ville, en Galaad.

Juges 12, 8 Après lui Ibçân de Bethléem fut juge en Israël.

Juges 12, 9 Il avait 30 fils et 30 filles. Il maria celles-ci au-dehors et il fit venir du dehors 30 brus pour ses fils. Il fut juge en Israël pendant sept ans.

Juges 12, 10 Puis Ibçân mourut et il fut enseveli à Bethléem.

Juges 12, 11 Après lui Elôn de Zabulon fut juge en Israël. Il jugea Israël pendant dix ans.

Juges 12, 12 Puis Elôn de Zabulon mourut et fut enseveli à Ayyalôn au pays de Zabulon.

Juges 12, 13 Après lui Abdôn, fils de Hillel de Piréatôn, fut juge en Israël.

Juges 12, 14 Il avait 40 fils et 30 petits-fils qui montaient 70 ânons. Il jugea Israël pendant huit ans.

Juges 12, 15 Puis Abdôn, fils de Hillel de Piréatôn, mourut et il fut enseveli à Piréatôn, au pays d'Ephraïm, dans la montagne des Amalécites.

Juges 13, 1 Les Israélites recommencèrent à faire ce qui est mal aux yeux de Yahvé, et Yahvé les livra aux mains des Philistins pendant 40 ans.

Juges 13, 2 Il y avait un homme de Coréa, du clan de Dan, nommé Manoah. Sa femme était stérile et n'avait pas eu d'enfant.

Juges 13, 3 L'Ange de Yahvé apparut à cette femme et lui dit: "Tu es stérile et tu n'as pas eu d'enfant

Juges 13, 4 mais tu vas concevoir et tu enfanteras un fils. Désormais, prends bien garde! Ne bois ni vin, ni boisson fermentée, et ne mange rien d'impur.

Juges 13, 5 Car tu vas concevoir et tu enfanteras un fils. Le rasoir ne passera pas sur sa tête, car l'enfant sera nazir de Dieu dès le sein de sa mère. C'est lui qui commencera à sauver Israël de la main des Philistins."

Juges 13, 6 La femme rentra et dit à son mari: "Un homme de Dieu m'a abordée qui avait l'apparence de l'Ange de Dieu, tant il était majestueux. Je ne lui ai pas demandé d'où il venait et il ne m'a pas fait connaître son nom.

Juges 13, 7 Mais il m'a dit: Tu vas concevoir et tu enfanteras un fils. Désormais ne bois ni vin, ni boisson fermentée, et ne mange rien d'impur, car l'enfant sera nazir de Dieu depuis le sein de sa mère jusqu'au jour de sa mort!"

Juges 13, 8 Alors Manoah implora Yahvé et dit: "Je t'en prie, Seigneur! Que l'homme de Dieu que tu as envoyé vienne encore une fois vers nous, et qu'il nous apprenne ce que nous aurons à faire à l'enfant lorsqu'il sera né!"

Juges 13, 9 Dieu exauça Manoah et l'Ange de Dieu vint de nouveau trouver la femme, alors qu'elle était assise dans la campagne, et que Manoah, son mari, n'était pas avec elle.

Juges 13, 10 Vite, la femme courut informer son mari et lui dit: "Voici que m'est apparu l'homme qui est venu vers moi l'autre jour."

Juges 13, 11 Manoah se leva, suivit sa femme, vint vers l'homme et lui dit: "Es-tu l'homme qui a parlé à cette femme?" Et il répondit: "C'est moi" --

Juges 13, 12 "Quand ta parole s'accomplira, lui dit Manoah, quelle sera la règle pour l'enfant et que devra-t-il faire?"

Juges 13, 13 L'Ange de Yahvé répondit à Manoah: "Tout ce que j'ai interdit à cette femme, qu'elle s'en abstienne.

Juges 13, 14 Qu'elle n'absorbe rien de ce qui provient de la vigne, qu'elle ne boive ni vin, ni boisson fermentée, qu'elle ne mange rien d'impur, et qu'elle observe tout ce que je lui ai prescrit."

Juges 13, 15 Manoah dit alors à l'Ange de Yahvé: "Permets que nous te retenions et que nous t'apprêtions un chevreau."

Juges 13, 16 Car Manoah ne savait pas que c'était l'Ange de Yahvé. Et l'Ange de Yahvé dit à Manoah: "Quand bien même tu me retiendrais, je ne mangerais pas de ta nourriture, mais si tu désires préparer un holocauste, offre-le à Yahvé."

Juges 13, 17 Manoah dit alors à l'Ange de Yahvé: "Quel est ton nom, afin que, lorsque ta parole sera accomplie, nous puissions t'honorer?"

Juges 13, 18 L'Ange de Yahvé lui répondit: "Pourquoi t'informer de mon nom? Il est merveilleux."

Juges 13, 19 Alors Manoah prit le chevreau ainsi que l'oblation et il l'offrit en holocauste, sur le rocher, à Yahvé qui opère des choses merveilleuses. Manoah et sa femme regardaient.

Juges 13, 20 Or comme la flamme montait de l'autel vers le ciel, l'Ange de Yahvé monta dans cette flamme sous les yeux de Manoah et de sa femme, et ils tombèrent la face contre terre.

Juges 13, 21 L'Ange de Yahvé ne se montra plus désormais à Manoah ni à sa femme, et Manoah comprit alors que c'était l'Ange de Yahvé.

Juges 13, 22 "Nous allons certainement mourir, dit Manoah à sa femme, car nous avons vu Dieu" --

Juges 13, 23 "Si Yahvé avait eu l'intention de nous faire mourir, lui répondit sa femme, il n'aurait accepté de notre main ni holocauste ni oblation, il ne nous aurait pas fait voir tout cela et, à l'instant même, fait entendre pareille chose."

Juges 13, 24 La femme mit au monde un fils et elle le nomma Samson. L'enfant grandit, Yahvé le bénit,

Juges 13, 25 et l'esprit de Yahvé commença à l'agiter au camp de Dan, entre Coréa et Eshtaol.

Juges 14, 1 Samson descendit à Timna et remarqua, à Timna, une femme parmi les filles des Philistins.

Juges 14, 2 Il remonta et l'apprit à son père et à sa mère: "J'ai remarqué à Timna, dit-il, parmi les filles des Philistins, une femme. Prends-la-moi donc pour épouse."

Juges 14, 3 Son père lui dit, ainsi que sa mère: "N'y a-t-il pas de femme parmi les filles de tes frères et dans tout mon peuple, pour que tu ailles prendre femme parmi ces Philistins incirconcis?" Mais Samson répondit à son père: "Prends-la-moi, celle-là, car c'est celle-là qui me plaît."

Juges 14, 4 Son père et sa mère ne savaient pas que cela venait de Yahvé qui cherchait un sujet de querelle avec les Philistins, car, en ce temps-là, les Philistins dominaient sur Israël.

Juges 14, 5 Samson descendit à Timna et, comme il arrivait aux vignes de Timna, il vit un jeune lion qui venait à sa rencontre en rugissant.

Juges 14, 6 L'esprit de Yahvé fondit sur lui et, sans rien avoir en main, Samson déchira le lion comme on déchire un chevreau; mais il ne raconta pas à son père ni à sa mère ce qu'il avait fait.

Juges 14, 7 Il descendit, s'entretint avec la femme et elle lui plut.

Juges 14, 8 A quelque temps de là, Samson revint pour l'épouser. Il fit un détour pour voir le cadavre du lion, et voici qu'il y avait dans la carcasse du lion un essaim d'abeilles et du miel.

Juges 14, 9 Il en recueillit dans sa main et, chemin faisant, il en mangea. Lorsqu'il fut revenu près de son père et de sa mère, il leur en donna, ils en mangèrent, mais il ne leur dit pas qu'il l'avait recueilli dans la carcasse du lion.

Juges 14, 10 Son père descendit ensuite chez la femme et Samson fit là un festin, car c'est ainsi qu'agissent les jeunes gens.

Juges 14, 11 Quand on le vit, on choisit 30 compagnons pour rester auprès de lui.

Juges 14, 12 Alors Samson leur dit: "Laissez-moi vous proposer une énigme. Si vous m'en donnez la solution au cours des sept jours de festin, je vous donnerai 30 pièces de toile fine et 30 vêtements d'honneur.

Juges 14, 13 Mais si vous ne pouvez pas me donner la solution, c'est vous qui me donnerez 30 pièces de toile fine et 30 vêtements d'honneur" -- "Propose ton énigme, lui répondirent-ils, nous écoutons."

Juges 14, 14 Il leur dit donc: "De celui qui mange est sorti ce qui se mange, et du fort est sorti le doux." Mais de trois jours ils ne réussirent pas à résoudre l'énigme.

Juges 14, 15 Au quatrième jour ils dirent à la femme de Samson: "Enjôle ton mari pour qu'il nous explique l'énigme, autrement nous te brûlerons, toi et la maison de ton père. Est-ce pour nous dépouiller que vous nous avez invités ici?"

Juges 14, 16 Alors la femme de Samson pleura à son cou: "Tu n'as pour moi que de la haine, disait-elle, tu ne m'aimes pas. Tu as proposé une énigme aux fils de mon peuple, et à moi, tu ne l'as pas expliquée." Il lui répondit: "Je ne l'ai même pas expliquée à mon père et à ma mère, et à toi je l'expliquerais!"

Juges 14, 17 Elle pleura à son cou pendant les sept jours que dura leur festin. Le septième jour, il lui donna la solution, car elle l'avait obsédé, mais elle, elle donna le mot de l'énigme aux fils de son peuple.

Juges 14, 18 Le septième jour, avant qu'il n'entrât dans la chambre à coucher, les gens de la ville dirent donc à Samson: "Qu'y-a-t-il de plus doux que le miel, et quoi de plus fort que le lion?" Il leur répliqua: "Si vous n'aviez pas labouré avec ma génisse, vous n'auriez pas deviné mon énigme."

Juges 14, 19 Alors l'esprit de Yahvé fondit sur lui, il descendit à Ashqelôn, y tua 30 hommes, prit leurs dépouilles et remit les vêtements d'honneur à ceux qui avaient expliqué l'énigme, puis, enflammé de colère, il remonta à la maison de son père.

Juges 14, 20 La femme de Samson fut alors donnée au compagnon qui lui avait servi de garçon d'honneur.

Juges 15, 1 A quelque temps de là, à l'époque de la moisson des blés, Samson s'en vint revoir sa femme avec un chevreau, et il déclara: "Je veux entrer auprès de ma femme, dans sa chambre." Mais le beau-père ne le lui permit pas.

Juges 15, 2 "Je me suis dit, lui objecta-t-il, que tu l'avais prise en aversion et je l'ai donnée à ton compagnon. Mais sa soeur cadette ne vaut-elle pas mieux qu'elle? Qu'elle soit tienne à la place de l'autre!"

Juges 15, 3 Samson leur répliqua: "Cette fois-ci, je ne serai quitte envers les Philistins qu'en leur faisant du mal."

Juges 15, 4 Samson s'en alla donc, il captura 300 renards, prit des torches et, tournant les bêtes queue contre queue, il plaça une torche entre les deux queues, au milieu.

Juges 15, 5 Il mit le feu aux torches, puis lâchant les renards dans les moissons des Philistins, il incendia aussi bien les gerbes que le blé sur pied et même les vignes et les oliviers.

Juges 15, 6 Les Philistins demandèrent: "Qui a fait cela?" Et l'on répondit: "C'est Samson, le gendre du Timnite, car celui-ci lui a repris sa femme et l'a donnée à son compagnon." Alors les Philistins montèrent et ils firent périr dans les flammes cette femme et la maison de son père.

Juges 15, 7 "Puisque c'est ainsi que vous agissez, leur dit Samson, eh bien! je ne cesserai qu'après m'être vengé de vous."

Juges 15, 8 Il les battit à plate couture et ce fut une défaite considérable. Après quoi il descendit à la grotte du rocher d'Etam et y demeura.

Juges 15, 9 Les Philistins montèrent camper en Juda et ils firent une incursion à Lehi.

Juges 15, 10 "Pourquoi êtes-vous montés contre nous?" Leur dirent alors les gens de Juda. "C'est pour lier Samson que nous sommes montés, répondirent-ils, pour le traiter comme il nous a traités."

Juges 15, 11 3.000 hommes de Juda descendirent à la grotte du rocher d'Etam et dirent à Samson: "Ne sais-tu pas que les Philistins sont nos maîtres? Qu'est-ce que tu nous as fait là?" Il leur répondit: "Comme ils m'ont traité, c'est ainsi que je les ai traités."

Juges 15, 12 Ils lui dirent alors: "Nous sommes descendus pour te lier, afin de te livrer aux mains des Philistins" -- "Jurez-moi, leur dit-il, que vous ne me tuerez pas vous-mêmes" --

Juges 15, 13 "Non! lui répondirent-ils, nous voulons seulement te lier et te livrer entre leurs mains, mais nous ne voulons certes pas te faire mourir." Alors ils le lièrent avec deux cordes neuves et ils le hissèrent du rocher.

Juges 15, 14 Comme il arrivait à Lehi et que les Philistins accouraient à sa rencontre avec des cris de triomphe, l'esprit de Yahvé fondit sur Samson, les cordes qu'il avait sur les bras furent comme des fils de lin brûlés au feu et les liens se dénouèrent de ses mains.

Juges 15, 15 Trouvant une mâchoire d'âne encore fraîche, il étendit la main, la ramassa et avec elle il abattit mille hommes.

Juges 15, 16 Samson dit alors: "Avec une mâchoire d'âne, je les ai mis en tas. Avec une mâchoire d'âne, j'ai battu mille hommes."

Juges 15, 17 Quand il eut fini de parler, il jeta loin de lui la mâchoire: c'est pourquoi on a donné à cet endroit le nom de Ramat-Lehi.

Juges 15, 18 Comme il souffrait d'une soif ardente, il invoqua Yahvé en disant: "C'est toi qui as opéré cette grande victoire par la main de ton serviteur, et maintenant, faudra-t-il que je meure de soif et que je tombe aux mains des incirconcis?"

Juges 15, 19 Alors Dieu fendit le bassin qui est à Lehi et il en sortit de l'eau. Samson but, ses esprits lui revinrent et il se ranima. C'est pourquoi on a donné le nom de En-ha-Qoré à cette source, qui existe encore à Lehi.

Juges 15, 20 Samson fut juge en Israël à l'époque des Philistins, pendant vingt ans.

Juges 16, 1 Puis Samson se rendit à Gaza; il y vit une prostituée et il entra chez elle.

Juges 16, 2 On fit savoir aux gens de Gaza: "Samson est venu ici." Ils firent des rondes et le guettèrent toute la nuit à la porte de la ville. Toute la nuit ils se tinrent tranquilles. "Attendons, disaient-ils, jusqu'au point du jour, et nous le tuerons."

Juges 16, 3 Mais Samson resta couché jusqu'au milieu de la nuit et, au milieu de la nuit, se levant, il saisit les battants de la porte de la ville, ainsi que les deux montants, il les arracha avec la barre et, les chargeant sur ses épaules, il les porta jusqu'au sommet de la montagne qui est en face d'Hébron.

Juges 16, 4 Après cela il s'éprit d'une femme de la vallée de Soreq qui se nommait Dalila.

Juges 16, 5 Les princes des Philistins allèrent la trouver et lui dirent: "Séduis-le et sache d'où vient sa grande force, par quel moyen nous pourrions nous rendre maîtres de lui et le lier pour le maîtriser. Quant à nous, nous te donnerons chacun 1.100 sicles d'argent."

Juges 16, 6 Dalila dit à Samson: "Apprends-moi, je te prie, d'où vient ta grande force et avec quoi il faudrait te lier pour te maîtriser."

Juges 16, 7 Samson lui répondit: "Si on me liait avec sept cordes d'arc fraîches et qu'on n'aurait pas encore fait sécher, je perdrais ma vigueur et je deviendrais comme un homme ordinaire."

Juges 16, 8 Les princes des Philistins apportèrent à Dalila sept cordes d'arc fraîches qu'on n'avait pas encore fait sécher et elle s'en servit pour le lier.

Juges 16, 9 Elle avait des gens embusqués dans sa chambre et elle lui cria: "Les Philistins sur toi, Samson!" Il rompit les cordes d'arc comme se rompt un cordon d'étoupe lorsqu'il sent le feu. Ainsi le secret de sa force demeura inconnu.

Juges 16, 10 Alors Dalila dit à Samson: "Tu t'es joué de moi et tu m'as dit des mensonges. Mais maintenant fais-moi connaître, je te prie, avec quoi il faudrait te lier."

Juges 16, 11 Il lui répondit: "Si on me liait fortement avec des cordes neuves qui n'ont jamais servi, je perdrais ma vigueur et je deviendrais comme un homme ordinaire."

Juges 16, 12 Alors Dalila prit des cordes neuves, elle s'en servit pour le lier puis lui cria: "Les Philistins sur toi, Samson!" et elle avait des gens embusqués dans sa chambre. Mais il rompit comme un fil les cordes qu'il avait aux bras.

Juges 16, 13 Alors Dalila dit à Samson: "Jusqu'à présent tu t'es joué de moi et tu m'as dit des mensonges. Apprends-moi avec quoi il faudrait te lier." Il lui répondit: "Si tu tissais les sept tresses de ma chevelure avec la chaîne d'un tissu, et si tu les resserrais en frappant avec la batte, je perdrais ma force et deviendrais comme un homme ordinaire."

Juges 16, 14 Elle l'endormit, puis elle tissa les sept tresses de sa chevelure avec la chaîne, elle les resserra en frappant avec la batte et lui cria: "Les Philistins sur toi, Samson!" Il s'éveilla de son sommeil et arracha la batte avec la chaîne.

Juges 16, 15 Dalila lui dit: "Comment peux-tu dire que tu m'aimes, alors que ton coeur n'est pas avec moi? Voilà trois fois que tu te joues de moi et tu ne m'as pas fait connaître d'où vient ta grande force."

Juges 16, 16 Comme tous les jours elle le poussait à bout par ses paroles et qu'elle le harcelait, il fut excédé à en mourir.

Juges 16, 17 Il lui ouvrit tout son coeur: "Le rasoir n'a jamais passé sur ma tête, lui dit-il, car je suis nazir de Dieu depuis le sein de ma mère. Si on me rasait, alors ma force se retirerait de moi, je perdrais ma vigueur et je deviendrais comme tous les hommes."

Juges 16, 18 Dalila comprit alors qu'il lui avait ouvert tout son coeur, elle fit appeler les princes des Philistins et leur dit: "Venez cette fois, car il m'a ouvert tout son coeur." Et les princes des Philistins vinrent chez elle, l'argent en main.

Juges 16, 19 Elle endormit Samson sur ses genoux, appela un homme et lui fit raser les sept tresses des cheveux de sa tête. Ainsi elle commença à le dominer et sa force se retira de lui.

Juges 16, 20 Elle cria: "Les Philistins sur toi, Samson!" S'éveillant de son sommeil il se dit: "J'en sortirai comme les autres fois et je me dégagerai." Mais il ne savait pas que Yahvé s'était retiré de lui.

Juges 16, 21 Les Philistins se saisirent de lui, ils lui crevèrent les yeux et le firent descendre à Gaza. Ils l'enchaînèrent avec une double chaîne d'airain et il tournait la meule dans la prison.

Juges 16, 22 Cependant, après qu'elle eut été rasée, la chevelure se mit à repousser.

Juges 16, 23 Les princes des Philistins se réunirent pour offrir un grand sacrifice à Dagôn, leur dieu, et se livrer à des réjouissances. Ils disaient: "Notre dieu a livré entre nos mains Samson, notre ennemi."

Juges 16, 24 Dès que le peuple vit son dieu, il poussa une acclamation en son honneur et dit: "Notre dieu a livré entre nos mains Samson, notre ennemi, celui qui dévastait notre pays et qui multipliait nos morts."

Juges 16, 25 Et comme leur coeur était en joie, ils s'écrièrent: "Faites venir Samson pour qu'il nous amuse!" On fit donc venir Samson de la prison et il fit des jeux devant eux, puis on le plaça debout entre les colonnes.

Juges 16, 26 Samson dit alors au jeune garçon qui le menait par la main: "Conduis-moi et fais-moi toucher les colonnes sur lesquelles repose l'édifice, que je m'y appuie."

Juges 16, 27 Or l'édifice était rempli d'hommes et de femmes. Il y avait là tous les princes des Philistins et, sur la terrasse, environ 3.000 hommes et femmes qui regardaient les jeux de Samson.

Juges 16, 28 Samson invoqua Yahvé et il s'écria: "Seigneur Yahvé, je t'en prie, souviens-toi de moi, donne-moi des forces encore cette fois ô Dieu, et que, d'un seul coup, je me venge des Philistins pour mes deux yeux."

Juges 16, 29 Et Samson tâta les deux colonnes du milieu sur lesquelles reposait l'édifice, il s'arc-bouta contre elles, contre l'une avec son bras droit, contre l'autre avec son bras gauche,

Juges 16, 30 et il s'écria: "Que je meure avec les Philistins!" Il poussa de toutes ses forces et l'édifice s'écroula sur les princes et sur tout le peuple qui se trouvait là. Ceux qu'il fit mourir en mourant furent plus nombreux que ceux qu'il avait fait mourir pendant sa vie.

Juges 16, 31 Ses frères et toute la maison de son père descendirent et l'emportèrent. Ils remontèrent et l'ensevelirent entre Coréa et Eshtaol dans le tombeau de Manoah son père. Il avait jugé Israël pendant vingt ans.

Juges 17, 1 Il y avait un homme de la montagne d'Ephraïm appelé Mikayehu.

Juges 17, 2 Il dit à sa mère: "Les 1.100 sicles d'argent qu'on t'avait pris, et au sujet desquels tu avais prononcé une malédiction -- et même tu m'avais dit... eh bien, cet argent, le voici, c'est moi qui l'avais pris." Sa mère dit: "Que mon fils soit béni de Yahvé!"

Juges 17, 3 Il rendit les 1.100 sicles à sa mère, qui dit: "J'avais bien voué cet argent à Yahvé, de ma propre main, pour mon fils, pour faire une image taillée et une idole de métal fondu, mais maintenant je veux te le rendre." Mais il rendit l'argent à sa mère.

Juges 17, 4 Alors sa mère prit 200 sicles d'argent et les remit au fondeur. Celui-ci en fit une image taillée (et une idole de métal fondu) qui fut placée dans la maison de Mikayehu.

Juges 17, 5 Cet homme, Mika, avait une maison de Dieu; il fit un éphod et des téraphim, et il donna l'investiture à l'un de ses fils qui devint son prêtre.

Juges 17, 6 En ce temps-là il n'y avait pas de roi en Israël et chacun faisait ce qui lui plaisait.

Juges 17, 7 Il y avait un jeune homme de Bethléem en Juda, du clan de Juda, qui était lévite et résidait là comme étranger.

Juges 17, 8 Cet homme quitta la ville de Bethléem en Juda, pour aller s'établir là où il pourrait. Au cours de son voyage, il arriva dans la montagne d'Ephraïm à la maison de Mika.

Juges 17, 9 Mika lui demanda: "D'où viens-tu" -- "Je suis lévite de Bethléem en Juda, lui répondit l'autre. Je voyage afin de m'établir là où je pourrai" --

Juges 17, 10 "Fixe-toi chez moi, lui dit Mika, sois pour moi un père et un prêtre et je te donnerai dix sicles d'argent par an, l'habillement et la nourriture."

Juges 17, 11 Le lévite consentit à se fixer chez cet homme et le jeune homme fut pour lui comme l'un de ses fils.

Juges 17, 12 Mika donna l'investiture au lévite; le jeune homme devint son prêtre et il demeura dans la maison de Mika.

Juges 17, 13 "Et maintenant, dit Mika, je sais que Yahvé me fera du bien, puisque j'ai ce lévite pour prêtre."

Juges 18, 1 En ce temps-là, il n'y avait pas de roi en Israël. Or, en ce temps-là, la tribu de Dan cherchait un territoire pour y habiter, car, jusqu'à ce jour, il ne lui était pas échu de territoire parmi les tribus d'Israël.

Juges 18, 2 Les Danites envoyèrent de leur clan cinq hommes vaillants de Coréa et d'Eshtaol pour reconnaître le pays et l'explorer. Il leur dirent: "Allez explorer le pays." Les cinq hommes arrivèrent dans la montagne d'Ephraïm jusqu'à la maison de Mika et ils y passèrent la nuit.

Juges 18, 3 Comme ils étaient près de la maison de Mika, ils reconnurent la voix du jeune lévite et, s'approchant de là, ils lui dirent: "Qui t'a fait venir ici? Qu'y fais-tu? Et qu'est-ce que tu as ici?"

Juges 18, 4 Il leur répondit: "Mika a fait pour moi telle et telle chose. Il m'a pris à gages et je lui sers de prêtre" --

Juges 18, 5 "Consulte donc Dieu, lui répliquèrent-ils, afin que nous sachions si le chemin par lequel nous allons nous mènera à la réussite" --

Juges 18, 6 "Allez en paix, leur répondit le prêtre, votre chemin est sous le regard de Yahvé."

Juges 18, 7 Les cinq hommes partirent donc et ils arrivèrent à Laïsh. Ils virent que les gens qui l'habitaient vivaient en sécurité, à la manière des Sidoniens, tranquilles et confiants, qu'il n'y avait ni insuffisance ni restriction d'aucune sorte dans le pays, qu'ils étaient éloignés des Sidoniens et sans relations avec les Araméens.

Juges 18, 8 Ils s'en revinrent alors vers leurs frères, à Coréa et à Eshtaol, et ceux-ci leur demandèrent: "Que nous rapportez-vous?"

Juges 18, 9 Ils dirent: "Debout! montons contre eux, car nous avons vu le pays, il est excellent. Mais vous demeurez sans rien dire! N'hésitez pas à partir pour aller prendre possession du pays.

Juges 18, 10 En arrivant, vous trouverez un peuple confiant. Le pays est étendu, et Dieu l'a mis entre vos mains; c'est un lieu où rien ne manque de ce qu'on peut avoir sur la terre."

Juges 18, 11 Ils partirent donc de là, du clan des Danites, de Coréa et d'Eshtaol, 600 hommes équipés pour la guerre.

Juges 18, 12 Ils montèrent camper à Qiryat-Yéarim en Juda. C'est pourquoi, encore aujourd'hui, on nomme cet endroit le Camp de Dan. Il se trouve à l'ouest de Qiryat-Yéarim.

Juges 18, 13 De là, ils s'engagèrent dans la montagne d'Ephraïm et ils parvinrent à la maison de Mika.

Juges 18, 14 Or les cinq hommes qui étaient allés reconnaître le pays prirent la parole et dirent à leurs frères: "Savez-vous qu'il y a ici dans ces maisons un éphod, des téraphim, une image taillée et une idole de métal fondu? Et maintenant, voyez ce que vous avez à faire."

Juges 18, 15 Faisant un détour par là, ils allèrent à la maison du jeune lévite, à la maison de Mika, et ils le saluèrent.

Juges 18, 16 Pendant que les 600 hommes des Danites, équipés pour la guerre, se tenaient sur le seuil de la porte,

Juges 18, 17 les cinq hommes qui étaient allés reconnaître le pays vinrent, et, étant entrés, ils prirent l'image taillée, l'éphod, les téraphim et l'idole de métal fondu, tandis que le prêtre se tenait sur le seuil de la porte avec les 400 hommes équipés pour la guerre.

Juges 18, 18 Ceux-là donc, étant entrés dans la maison de Mika, prirent l'image taillée, l'éphod, les téraphim et l'idole de métal fondu. Mais le prêtre leur dit: "Que faites-vous là" --

Juges 18, 19 "Tais-toi! lui répondirent-ils. Mets ta main sur ta bouche et viens avec nous. Tu seras pour nous un père et un prêtre. Vaut-il mieux pour toi être le prêtre de la maison d'un seul homme que d'être le prêtre d'une tribu et d'un clan d'Israël?"

Juges 18, 20 Le prêtre en fut réjoui, il prit l'éphod, les téraphim ainsi que l'image taillée et s'en alla au milieu de la troupe.

Juges 18, 21 Reprenant alors leur direction, ils partirent, ayant placé en tête les femmes et les enfants, les troupeaux et les bagages.

Juges 18, 22 Ils étaient déjà loin de la demeure de Mika quand les gens qui habitaient les maisons voisines de celle de Mika donnèrent l'alarme et se mirent à la poursuite des Danites.

Juges 18, 23 Comme ils criaient après les Danites, ceux-ci, se retournant, dirent à Mika: "Qu'as-tu à crier ainsi" --

Juges 18, 24 "Vous m'avez pris mon dieu que je m'étais fabriqué, leur répondit-il, ainsi que le prêtre. Vous partez, et que me reste-t-il? Comment pouvez-vous me dire: Qu'as-tu?"

Juges 18, 25 Les Danites lui répliquèrent: "Ne nous fais plus entendre ta voix! Sinon des hommes exaspérés pourraient bien tomber sur vous. Tu risques de causer ta perte et celle de ta maison!"

Juges 18, 26 Les Danites poursuivirent leur chemin, et Mika, voyant qu'ils étaient les plus forts, s'en retourna et revint chez lui.

Juges 18, 27 Ainsi, après avoir pris le dieu qu'avait fabriqué Mika, et le prêtre qu'il avait à lui, les Danites marchèrent contre Laïsh, contre un peuple tranquille et confiant. Ils le passèrent au fil de l'épée et ils livrèrent la ville aux flammes.

Juges 18, 28 Il n'y eut personne pour la secourir, car elle était loin de Sidon et elle n'avait pas de relations avec les Araméens. Elle se situait dans la vallée qui s'étend vers Bet-Rehob. Ils rebâtirent la ville, s'y établirent,

Juges 18, 29 et ils l'appelèrent Dan, du nom de Dan leur père qui était né d'Israël. A l'origine pourtant la ville s'appelait Laïsh.

Juges 18, 30 Les Danites dressèrent pour eux l'image taillée. Yehonatân, fils de Gershom, fils de Moïse, et ensuite ses fils, ont été prêtres de la tribu de Dan jusqu'au jour où la population du pays fut emmenée en exil.

Juges 18, 31 Ils installèrent pour leur usage l'image taillée que Mika avait faite, et elle demeura là aussi longtemps que subsista la maison de Dieu à Silo.

Juges 19, 1 En ce temps-là -- il n'y avait pas alors de roi en Israël -- il y avait un homme, un lévite, qui résidait au fond de la montagne d'Ephraïm. Il prit pour concubine une femme de Bethléem de Juda.

Juges 19, 2 Dans un moment de colère sa concubine le quitta pour rentrer dans la maison de son père à Bethléem de Juda, et elle y demeura un certain temps, quatre mois.

Juges 19, 3 Son mari partit et alla la trouver pour parler à son coeur et la ramener chez lui; il avait avec lui son serviteur et deux ânes. Comme il arrivait à la maison du père de la jeune femme, celui-ci l'aperçut et s'en vint tout joyeux au-devant de lui.

Juges 19, 4 Son beau-père, le père de la jeune femme, le retint et il demeura trois jours chez lui, ils y mangèrent et burent et ils y passèrent la nuit.

Juges 19, 5 Le quatrième jour, ils s'éveillèrent de bon matin et le lévite se disposait à partir, quand le père de la jeune femme dit à son gendre: "Restaure-toi en mangeant un morceau de pain, vous partirez après."

Juges 19, 6 S'étant assis, ils se mirent à manger et à boire tous les deux ensemble, puis le père de la jeune femme dit à cet homme: "Consens, je te prie, à passer la nuit, et que ton coeur se réjouisse."

Juges 19, 7 Comme l'homme se levait pour partir, le beau-père insista auprès de lui, et il y passa encore la nuit.

Juges 19, 8 Le cinquième jour, le lévite se leva de bon matin pour partir, mais le père de la jeune femme lui dit: "Restaure-toi d'abord, je t'en prie!" Ils s'attardèrent ainsi jusqu'au déclin du jour et ils mangèrent tous deux ensemble.

Juges 19, 9 Le mari se levait pour partir avec sa concubine et son serviteur, quand son beau-père, le père de la jeune femme, lui fit: "Voici que le jour baisse vers le soir, passez donc la nuit. Voici le déclin du jour, passez la nuit ici, et que ton coeur se réjouisse. Demain de bon matin, vous partirez et tu regagneras ta tente."

Juges 19, 10 Mais l'homme, refusant de passer la nuit, se leva, partit et il arriva en vue de Jébus -- c'est-à-dire de Jérusalem. Il avait avec lui deux ânes bâtés, ainsi que sa concubine et son serviteur.

Juges 19, 11 Lorsqu'ils furent près de Jébus, le jour avait beaucoup baissé. Le serviteur dit à son maître: "Viens donc, je te prie, faisons un détour vers cette ville des Jébuséens et nous y passerons la nuit."

Juges 19, 12 Son maître lui répondit: "Nous ne ferons pas de détour vers une ville d'étrangers qui ne sont pas, ceux-là, des Israélites, mais nous pousserons jusqu'à Gibéa."

Juges 19, 13 Et il ajouta à son serviteur: "Allons, et tâchons d'atteindre l'une de ces localités pour y passer la nuit, Gibéa ou Rama."

Juges 19, 14 Ils poussèrent donc plus loin et continuèrent leur marche. A leur arrivée en face de Gibéa de Benjamin, le soleil se couchait.

Juges 19, 15 Ils se tournèrent alors de ce côté pour passer la nuit à Gibéa. Le lévite, étant entré, s'assit sur la place de la ville, mais personne ne leur offrit dans sa maison l'hospitalité pour la nuit.

Juges 19, 16 Survint un vieillard qui, le soir venu, rentrait de son travail des champs. C'était un homme de la montagne d'Ephraïm, qui résidait à Gibéa, tandis que les gens de l'endroit étaient des Benjaminites.

Juges 19, 17 Levant les yeux, il remarqua le voyageur, sur la place de la ville: "Où vas-tu, lui dit le vieillard, et d'où viens-tu?"

Juges 19, 18 Et l'autre lui répondit: "Nous faisons route de Bethléem de Juda vers le fond de la montagne d'Ephraïm. C'est de là que je suis. J'étais allé à Bethléem de Juda et je retourne chez moi, mais personne ne m'a offert l'hospitalité dans sa maison.

Juges 19, 19 Nous avons pourtant de la paille et du fourrage pour nos ânes, j'ai aussi du pain et du vin pour moi, pour ta servante et pour le jeune homme qui accompagne ton serviteur. Nous ne manquons de rien."

Juges 19, 20 "Sois le bienvenu, repartit le vieillard, laisse-moi pourvoir à tous tes besoins, mais ne passe pas la nuit sur la place."

Juges 19, 21 Il le fit donc entrer dans sa maison et il donna du fourrage aux ânes. Les voyageurs se lavèrent les pieds, puis mangèrent et burent.

Juges 19, 22 Pendant qu'ils se réconfortaient, voici que des gens de la ville, des vauriens, s'attroupèrent autour de la maison et, frappant à la porte à coups redoublés, ils dirent au vieillard, maître de la maison: "Fais sortir l'homme qui est venu chez toi, que nous le connaissions."

Juges 19, 23 Alors le maître de la maison sortit vers eux et leur dit: "Non, mes frères, je vous en prie, ne soyez pas des criminels. Après que cet homme est entré dans ma maison, ne commettez pas cette infamie.

Juges 19, 24 Voici ma fille qui est vierge. Je vous la livrerai. Abusez d'elle et faites ce que bon vous semble, mais ne commettez pas à l'égard de cet homme une pareille infamie."

Juges 19, 25 Ces gens ne voulurent pas l'écouter. Alors l'homme prit sa concubine et la leur amena dehors. Ils la connurent, ils abusèrent d'elle toute la nuit jusqu'au matin et, au lever de l'aurore, ils la lâchèrent.

Juges 19, 26 Vers le matin la femme s'en vint tomber à l'entrée de la maison de l'homme chez qui était son mari et elle resta là jusqu'au jour.

Juges 19, 27 Au matin son mari se leva et, ayant ouvert la porte de la maison, il sortait pour continuer sa route, quand il vit que la femme, sa concubine, gisait à l'entrée de la maison, les mains sur le seuil.

Juges 19, 28 "Lève-toi, lui dit-il, et partons!" Pas de réponse. Alors il la chargea sur son âne et il se mit en route pour rentrer chez lui.

Juges 19, 29 Arrivé à la maison, il prit un couteau et, saisissant sa concubine, il la découpa, membre par membre, en douze morceaux, puis il l'envoya dans tout le territoire d'Israël.

Juges 19, 30 Il donna des ordres à ses émissaires, disant: "Voici ce que vous direz à tous les Israélites: A-t-on jamais vu pareille chose depuis le jour où les Israélites sont montés du pays d'Egypte jusqu'aujourd'hui? Réfléchissez-y, consultez-vous et prononcez." Et tous ceux qui voyaient, disaient: "Jamais chose pareille n'est arrivée et ne s'est vue depuis que les Israélites sont montés du pays d'Egypte jusqu'aujourd'hui."

Juges 20, 1 Tous les Israélites sortirent donc, et, comme un seul homme, toute la communauté se réunit depuis Dan jusqu'à Bersabée et le pays de Galaad, auprès de Yahvé à Miçpa.

Juges 20, 2 Les chefs de tout le peuple, toutes les tribus d'Israël assistèrent à l'assemblée du peuple de Dieu, 400.000 hommes de pied, sachant tirer l'épée.

Juges 20, 3 Les Benjaminites apprirent que les Israélites étaient montés à Miçpa... Les Israélites dirent alors: "Racontez-nous comment ce crime a été commis!"

Juges 20, 4 Le lévite, le mari de la femme qui avait été tuée, prit la parole et dit: "J'étais venu avec ma concubine à Gibéa de Benjamin pour y passer la nuit.

Juges 20, 5 Les habitants de Gibéa se sont soulevés contre moi et, pendant la nuit, ils ont entouré la maison où j'étais; moi, ils voulaient me tuer et, quant à ma concubine, ils lui ont fait violence au point qu'elle en est morte.

Juges 20, 6 J'ai pris alors ma concubine, je l'ai coupée en morceaux et je l'ai envoyée dans toute l'étendue de l'héritage d'Israël, car ils ont commis une chose honteuse et une infamie en Israël.

Juges 20, 7 Vous voici tous ici, Israélites. Consultez-vous et ici même prenez une décision."

Juges 20, 8 Tout le peuple se leva comme un seul homme en disant: "Personne d'entre nous ne regagnera sa tente, personne d'entre nous ne retournera dans sa maison!

Juges 20, 9 Maintenant, voici ce que nous allons faire contre Gibéa. Nous tirerons au sort,

Juges 20, 10 et nous prendrons dans toutes les tribus d'Israël dix hommes sur cent, cent sur mille et mille sur 10.000, ils chercheront des vivres pour le peuple, pour que dès leur arrivée, celui-ci traite Gibéa de Benjamin selon l'infamie qu'elle a commise en Israël."

Juges 20, 11 Ainsi s'assemblèrent contre la ville tous les gens d'Israël, unis comme un seul homme.

Juges 20, 12 Les tribus d'Israël envoyèrent des émissaires dans toute la tribu de Benjamin pour dire: "Quel est ce crime qui a été commis parmi vous?

Juges 20, 13 Maintenant, livrez ces hommes, ces vauriens, qui sont à Gibéa, pour que nous les mettions à mort et que nous fassions disparaître le mal du milieu d'Israël." Mais les Benjaminites ne voulurent pas écouter leurs frères les Israélites.

Juges 20, 14 Les Benjaminites, quittant leurs villes, s'assemblèrent à Gibéa pour combattre les Israélites.

Juges 20, 15 En ce jour-là, on dénombra les Benjaminites venus des diverses villes, ils étaient 26.000 hommes sachant tirer l'épée; c'est à part des habitants de Gibéa qu'ils furent dénombrés.

Juges 20, 16 Dans toute cette armée, il y avait 700 hommes d'élite gauchers. Tous ceux-ci, avec la pierre de leur fronde, étaient capables de viser un cheveu sans le manquer.

Juges 20, 17 Les gens d'Israël furent également dénombrés, sans compter Benjamin; ils étaient 400.000, sachant tirer l'épée, tous gens de guerre.

Juges 20, 18 Ils se mirent en marche pour monter à Béthel, pour consulter Dieu: "Qui de nous montera le premier au combat contre les Benjaminites?" Demandèrent les Israélites. Et Yahvé répondit: "C'est Juda qui montera le premier."

Juges 20, 19 Au matin les Israélites se mirent en marche et ils dressèrent leur camp en face de Gibéa.

Juges 20, 20 Les gens d'Israël s'avancèrent au combat contre Benjamin, ils se rangèrent en bataille en face de Gibéa.

Juges 20, 21 Mais les Benjaminites sortirent de Gibéa et, ce jour-là, ils massacrèrent 22.000 hommes d'Israël.

Juges 20, 22 Alors l'armée des gens d'Israël reprit courage et de nouveau se rangea en bataille au même endroit que le premier jour.

Juges 20, 23 Les Israélites vinrent pleurer devant Yahvé jusqu'au soir, puis ils consultèrent Yahvé en disant: "Dois-je encore engager le combat contre les fils de Benjamin mon frère?" Et Yahvé répondit: "Marchez contre lui!"

Juges 20, 24 Le second jour les Israélites s'approchèrent donc des Benjaminites,

Juges 20, 25 mais, en cette seconde journée, Benjamin sortit de Gibéa à leur rencontre et il massacra encore 18.000 hommes des Israélites; c'étaient tous des guerriers sachant tirer l'épée.

Juges 20, 26 Alors tous les Israélites et tout le peuple s'en vinrent à Béthel, ils pleurèrent, ils s'assirent là devant Yahvé, ils jeûnèrent toute la journée jusqu'au soir et ils offrirent des holocaustes et des sacrifices de communion devant Yahvé;

Juges 20, 27 puis les Israélites consultèrent Yahvé. -- L'arche de l'alliance de Dieu se trouvait alors en cet endroit

Juges 20, 28 et Pinhas, fils d'Eléazar, fils d'Aaron, en ce temps-là, la desservait. -- Ils dirent: "Dois-je sortir encore pour combattre les fils de Benjamin mon frère, ou bien dois-je cesser?" Et Yahvé répondit: "Marchez, car demain, je le livrerai entre vos mains."

Juges 20, 29 Alors Israël plaça des troupes en embuscade tout autour de Gibéa.

Juges 20, 30 Le troisième jour, les Israélites marchèrent contre les Benjaminites, et comme les autres fois, ils se rangèrent en bataille en face de Gibéa.

Juges 20, 31 Les Benjaminites sortirent à la rencontre du peuple et se laissèrent attirer loin de la ville. Ils commencèrent comme les autres fois à tuer du monde parmi le peuple, sur les chemins qui montent, l'un à Béthel et l'autre à Gibéa par la campagne: une trentaine d'hommes d'Israël.

Juges 20, 32 Les Benjaminites se dirent: "Les voilà battus devant nous comme la première fois", mais les Israélites s'étaient dit: "Nous allons fuir et nous les attirerons loin de la ville sur les chemins."

Juges 20, 33 Alors tous les hommes d'Israël quittèrent leur position et se rangèrent à Baal-Tamar, tandis que l'embuscade d'Israël surgit de sa position, à l'ouest de Géba.

Juges 20, 34 10.000 hommes d'élite, choisis dans tout Israël, parvinrent en face de Gibéa; le combat était acharné et les autres ne se doutaient pas du malheur qui les frappait.

Juges 20, 35 Yahvé battit Benjamin devant Israël et, en ce jour, les Israélites tuèrent à Benjamin 25.100 hommes, tous sachant tirer l'épée.

Juges 20, 36 Les Benjaminites virent qu'ils étaient battus -- Les gens d'Israël cédèrent du terrain à Benjamin parce qu'ils comptaient sur l'embuscade qu'ils avaient placée contre Gibéa.

Juges 20, 37 Ceux de l'embuscade se hâtèrent de s'élancer contre Gibéa; ils se déployèrent et passèrent toute la ville au fil de l'épée.

Juges 20, 38 Or il y avait cette convention entre les gens d'Israël et ceux de l'embuscade: ceux-ci devaient, en guise de signal, faire monter de la ville une fumée;

Juges 20, 39 alors les gens d'Israël engagés dans le combat feraient volte-face. Benjamin commença par tuer du monde aux Israélites, une trentaine d'hommes. "Certainement les voilà encore battus devant nous, se disait-il, comme dans le premier combat."

Juges 20, 40 Mais le signal, une colonne de fumée, commença à s'élever de la ville, et Benjamin, se retournant, aperçut que la ville tout entière montait en feu vers le ciel.

Juges 20, 41 Les gens d'Israël firent alors volte-face et les Benjaminites furent dans l'épouvante, car ils voyaient que le malheur les avait frappés.

Juges 20, 42 Ils s'enfuirent devant les gens d'Israël en direction du désert, mais les combattants les serraient de près et ceux qui venaient de la ville les massacrèrent en les prenant à revers.

Juges 20, 43 Ils cernèrent Benjamin, le poursuivirent sans répit et l'écrasèrent en face de Gibéa, du côté du soleil levant.

Juges 20, 44 De Benjamin, 18.000 hommes tombèrent, tous hommes vaillants. --

Juges 20, 45 Alors ils tournèrent le dos et s'enfuirent au désert, vers le Rocher de Rimmôn. Sur les chemins, on ramassa 5.000 hommes, puis on serra Benjamin de près jusqu'à Gideôm, et on lui tua 2.000 hommes.

Juges 20, 46 Le nombre total des Benjaminites qui tombèrent ce jour-là fut de 25.000 hommes sachant tirer l'épée, et c'étaient tous des hommes vaillants.

Juges 20, 47 Six hommes tournèrent le dos et s'enfuirent au désert, vers le Rocher de Rimmôn. Ils y restèrent quatre mois.

Juges 20, 48 Les gens d'Israël revinrent vers les Benjaminites, ils passèrent au fil de l'épée la population mâle de la ville, et même le bétail et tout ce qu'ils trouvaient. Ils mirent aussi le feu à toutes les villes qu'ils rencontrèrent.

Juges 21, 1 Les gens d'Israël avaient prononcé ce serment à Miçpa: "Personne d'entre nous ne donnera sa fille en mariage à Benjamin."

Juges 21, 2 Le peuple se rendit à Béthel, il resta là assis devant Dieu jusqu'au soir, poussant des gémissements et pleurant à gros sanglots:

Juges 21, 3 "Yahvé, Dieu d'Israël, disaient-ils, pourquoi faut-il qu'en Israël manque aujourd'hui une tribu d'Israël?"

Juges 21, 4 Le lendemain, le peuple se leva de bon matin et construisit là un autel; il offrit des holocaustes et des sacrifices de communion.

Juges 21, 5 Puis les Israélites dirent: "Qui d'entre toutes les tribus d'Israël n'est pas venu à l'assemblée auprès de Yahvé?" Car en un serment solennel on avait déclaré que quiconque ne monterait pas à Miçpa auprès de Yahvé mourrait certainement.

Juges 21, 6 Or les Israélites furent pris de pitié pour Benjamin leur frère: "Aujourd'hui, disaient-ils, une tribu a été retranchée d'Israël.

Juges 21, 7 Que ferons-nous pour procurer des femmes à ceux qui restent, puisque nous avons juré par Yahvé de ne pas leur donner de nos filles en mariage?"

Juges 21, 8 Ils s'informèrent alors: "Quel est celui d'entre les tribus d'Israël, qui n'est pas monté auprès de Yahvé à Miçpa?" Et il se trouva que personne de Yabesh en Galaad n'était venu au camp, à l'assemblée.

Juges 21, 9 Le peuple s'était en effet compté et il n'y avait là personne d'entre les habitants de Yabesh en Galaad.

Juges 21, 10 Alors la communauté y envoya 12.000 hommes d'entre les vaillants avec cet ordre: "Allez, et vous passerez au fil de l'épée les habitants de Yabesh en Galaad, ainsi que les femmes et les enfants.

Juges 21, 11 Voici ce que vous ferez: vous vouerez à l'anathème tous les mâles et toutes les femmes qui ont connu la couche d'un homme, mais vous laisserez la vie aux vierges." Et c'est ce qu'ils firent.

Juges 21, 12 Parmi les habitants de Yabesh de Galaad ils trouvèrent 400 jeunes filles vierges, qui n'avaient pas partagé la couche d'un homme, et ils les emmenèrent au camp (à Silo qui est au pays de Canaan).

Juges 21, 13 Toute la communauté envoya alors des émissaires aux Benjaminites qui se trouvaient au Rocher de Rimmôn pour leur proposer la paix.

Juges 21, 14 Benjamin revint alors. On leur donna parmi les femmes de Yabesh en Galaad celles qu'on avait laissé vivre, mais il n'y en eut pas assez pour tous.

Juges 21, 15 Le peuple fut pris de pitié pour Benjamin, parce que Yahvé avait fait une brèche parmi les tribus d'Israël.

Juges 21, 16 "Que ferons-nous pour procurer des femmes à ceux qui restent, disaient les anciens de la communauté, puisque les femmes de Benjamin ont été exterminées?"

Juges 21, 17 Ils ajoutaient: "Comment conserver un reste à Benjamin pour qu'une tribu ne soit pas effacée d'Israël?

Juges 21, 18 Car, pour nous, nous ne pouvons plus leur donner nos filles en mariage." Les Israélites avaient en effet prononcé ce serment: "Maudit soit celui qui donnera une femme à Benjamin!"

Juges 21, 19 "Mais il y a, dirent-ils, la fête de Yahvé qui se célèbre chaque année à Silo." (La ville se trouve au nord de Béthel, à l'orient de la route qui monte de Béthel à Sichem et au sud de Lebona.)

Juges 21, 20 Ils recommandèrent donc aux Benjaminites: "Allez vous mettre en embuscade dans les vignes.

Juges 21, 21 Vous guetterez et, lorsque les filles de Silo sortiront pour danser en choeurs, vous sortirez des vignes, vous enlèverez pour vous chacun une femme parmi les filles de Silo et vous vous en irez au pays de Benjamin.

Juges 21, 22 Si leurs pères ou leurs frères viennent nous chercher querelle, nous leur dirons: Accordez-les nous, car nous n'avons pas pu prendre de femme pour chacun dans le combat; et vous ne pouviez pas les leur donner, car alors vous auriez été coupables.

Juges 21, 23 Ainsi firent les Benjaminites, et, parmi les danseuses qu'ils avaient enlevées, ils prirent un nombre de femmes égal au leur, puis ils partirent, revinrent dans leur héritage, rebâtirent les villes et s'y établirent.

Juges 21, 24 Les Israélites se dispersèrent alors pour regagner chacun sa tribu et son clan, et s'en retournèrent de là chacun dans son héritage.

Juges 21, 25 En ce temps-là il n'y avait pas de roi en Israël et chacun faisait ce qui lui semblait bon.

 

 

 

Ruth

 

1, 1 Au temps où gouvernaient les Juges, une famine survint dans le pays et un homme de Bethléem de Juda s'en alla avec sa femme et ses deux fils pour séjourner dans les Champs de Moab.

Ruth 1, 2 Cet homme s'appelait Elimélek, sa femme Noémi, et ses deux fils Mahlôn et Kilyôn; ils étaient Ephratéens, de Bethléem de Juda. Arrivés dans les champs de Moab, ils s'y établirent.

Ruth 1, 3 Elimélek, le mari de Noémi, mourut, et elle lui survécut avec ses deux fils.

Ruth 1, 4 Ils prirent pour femmes des Moabites, l'une se nommait Orpa et l'autre Ruth. Ils demeurèrent là une dizaine d'années.

Ruth 1, 5 Puis Mahlôn et Kilyôn moururent, tous deux aussi, et Noémi resta seule, privée de ses deux fils et de son mari.

Ruth 1, 6 Alors, avec ses brus, elle se disposa à revenir des Champs de Moab, car elle avait appris dans les Champs de Moab que Dieu avait visité son peuple pour lui donner du pain.

Ruth 1, 7 Elle quitta donc avec ses brus le lieu où elle avait demeuré et elles se mirent en chemin pour retourner au pays de Juda.

Ruth 1, 8 Noémi dit à ses deux brus: "Partez donc et retournez chacune à la maison de votre mère. Que Yahvé use de bienveillance envers vous comme vous en avez usé envers ceux qui sont morts et envers moi-même!

Ruth 1, 9 Que Yahvé accorde à chacune de vous de trouver une vie paisible dans la maison d'un mari!" Elle les embrassa, mais elles se mirent à crier et à pleurer,

Ruth 1, 10 et elles dirent: "Non! Nous reviendrons avec toi vers ton peuple."

Ruth 1, 11 Retournez, mes filles, répondit Noémi, pourquoi viendriez-vous avec moi? Ai-je encore dans mon sein des fils qui puissent devenir vos maris?

Ruth 1, 12 Retournez, mes filles, allez-vous en, car je suis bien trop vieille pour me marier! Et quand bien même je dirais: Il y a encore pour moi de l'espoir, cette nuit même je vais appartenir à mon mari et j'aurai des fils,

Ruth 1, 13 attendriez-vous qu'ils soient devenus grands? Renonceriez-vous à vous marier? Non mes filles! Je suis pleine d'amertume à votre sujet, car la main de Yahvé s'est levée contre moi."

Ruth 1, 14 Elles recommencèrent à crier et à pleurer, puis Orpa embrassa sa belle-mère et retourna vers son peuple, mais Ruth lui resta attachée.

Ruth 1, 15 Noémi dit alors: "Vois, ta belle-soeur s'en est retournée vers son peuple et vers son dieu; retourne toi aussi, et suis-la."

Ruth 1, 16 Ruth répondit: "Ne me presse pas de t'abandonner et de m'éloigner de toi, car où tu iras, j'irai, où tu demeureras, je demeurerai; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu.

Ruth 1, 17 Là où tu mourras, je mourrai et là je serai ensevelie. Que Yahvé me fasse ce mal et qu'il y ajoute encore cet autre, si ce n'est pas la mort qui nous sépare!"

Ruth 1, 18 Voyant que Ruth s'obstinait à l'accompagner, Noémi cessa d'insister auprès d'elle.

Ruth 1, 19 Elles s'en allèrent donc toutes deux et arrivèrent à Bethléem. Leur arrivée à Bethléem mit toute la ville en émoi: "Est-ce bien là Noémi?" S'écriaient les femmes.

Ruth 1, 20 "Ne m'appelez plus Noémi, leur répondit-elle, appelez-moi Mara, car Shaddaï m'a remplie d'amertume.

Ruth 1, 21 Comblée j'étais partie, vide Yahvé me ramène! Pourquoi m'appelleriez-vous encore Noémi, alors que Yahvé a témoigné contre moi et que Shaddaï m'a rendue malheureuse?"

Ruth 1, 22 C'est ainsi que Noémi revint, ayant avec elle sa belle-fille Ruth, la Moabite, celle qui était revenue des Champs de Moab. Elles arrivèrent à Bethléem au début de la moisson des orges.

Ruth 2, 1 Noémi avait, du côté de son mari, un parent. C'était un homme de condition qui appartenait au même clan qu'Elimélek, il s'appelait Booz.

Ruth 2, 2 Ruth la Moabite dit à Noémi: "Permets-moi d'aller dans les champs glaner des épis derrière celui aux yeux duquel je trouverai grâce." Elle lui répondit: "Va, ma fille."

Ruth 2, 3 Ruth partit donc et s'en vint glaner dans les champs derrière les moissonneurs. Sa chance la conduisit dans une pièce de terre appartenant à Booz, du clan d'Elimélek.

Ruth 2, 4 Or voici que Booz arrivait de Bethléem: "Que Yahvé soit avec vous!" dit-il aux moissonneurs, et eux répondirent: "Que Yahvé te bénisse!"

Ruth 2, 5 Booz demanda alors à celui de ses serviteurs qui commandait aux moissonneurs: "A qui est cette jeune femme?"

Ruth 2, 6 Et le serviteur qui commandait aux moissonneurs répondit: "Cette jeune femme est la Moabite, celle qui est revenue des Champs de Moab avec Noémi.

Ruth 2, 7 Elle a dit: Permets-moi de glaner et de ramasser ce qui tombe des gerbes derrière les moissonneurs. Elle est donc venue et elle est restée; depuis le matin jusqu'à présent elle s'est à peine reposée."

Ruth 2, 8 Booz dit à Ruth: "Tu entends, n'est-ce pas ma fille? Ne va pas glaner dans un autre champ, ne t'éloigne pas d'ici mais attache-toi à mes servantes.

Ruth 2, 9 Regarde la pièce de terre qu'on moissonne et suis-les. Sache que j'ai interdit aux serviteurs de te frapper. Si tu as soif, va aux cruches et bois de ce qu'ils auront puisé."

Ruth 2, 10 Alors Ruth, tombant la face contre terre, se prosterna et lui dit: "Comment ai-je trouvé grâce à tes yeux pour que tu t'intéresses à moi qui ne suis qu'une étrangère" --

Ruth 2, 11 "C'est qu'on m'a bien rapporté, lui dit Booz, tout ce que tu as fait pour ta belle-mère après la mort de ton mari; comment tu as quitté ton père, ta mère et ton pays natal pour te rendre chez un peuple que tu n'avais jamais connu, ni d'hier ni d'avant-hier.

Ruth 2, 12 Que Yahvé te rende ce que tu as fait et que tu obtiennes pleine récompense de la part de Yahvé, le Dieu d'Israël, sous les ailes de qui tu es venue t'abriter!"

Ruth 2, 13 Elle dit: "Puissé-je toujours trouver grâce à tes yeux, mon Seigneur! Tu m'as consolée et tu as parlé au coeur de ta servante, alors que je ne suis même pas l'égale d'une de tes servantes."

Ruth 2, 14 Au moment du repas, Booz dit à Ruth: "Approche-toi, mange de ce pain et trempe ton morceau dans le vinaigre." Elle s'assit donc à côté des moissonneurs et Booz lui fit aussi un tas de grains rôtis. Après qu'elle eut mangé à satiété, elle en eut de reste.

Ruth 2, 15 Lorsqu'elle se fut levée pour glaner, Booz donna cet ordre à ses serviteurs: "Laissez-la glaner entre les gerbes, et vous, ne la molestez pas.

Ruth 2, 16 Et même, ayez soin de tirer vous-mêmes quelques épis de vos javelles, vous les laisserez tomber, elle pourra les ramasser et vous ne crierez pas après elle."

Ruth 2, 17 Ruth glana dans le champ jusqu'au soir, et lorsqu'elle eut battu ce qu'elle avait ramassé, il y avait environ une mesure d'orge.

Ruth 2, 18 Elle l'emporta, rentra à la ville et sa belle-mère vit ce qu'elle avait glané; elle tira ce qu'elle avait mis en réserve après avoir mangé à sa faim et le lui donna.

Ruth 2, 19 "Où as-tu glané aujourd'hui, lui dit sa belle-mère, où as-tu travaillé? Béni soit celui qui s'est intéressé à toi!" Ruth fit connaître à sa belle-mère chez qui elle avait travaillé; elle dit: "L'homme chez qui j'ai travaillé aujourd'hui s'appelle Booz."

Ruth 2, 20 Noémi dit à sa bru: "Qu'il soit béni de Yahvé qui ne cesse d'exercer sa bienveillance envers les vivants et les morts!" Et Noémi ajouta: "Cet homme est notre proche parent, il est de ceux qui ont sur nous droit de rachat."

Ruth 2, 21 Ruth la Moabite dit à sa belle-mère: "Il m'a dit aussi: Reste avec mes serviteurs jusqu'à ce qu'ils aient achevé toute la moisson."

Ruth 2, 22 Noémi dit à Ruth, sa bru: "Il est bon, ma fille, que tu ailles avec ses servantes, ainsi on ne te maltraitera pas dans un autre champ."

Ruth 2, 23 Et elle resta parmi les servantes de Booz pour glaner jusqu'à la fin de la moisson des orges et de la moisson des blés, et elle habitait avec sa belle-mère.

Ruth 3, 1 Noémi, sa belle-mère, lui dit: "Ma fille, ne dois-je pas chercher à t'établir pour que tu sois heureuse?

Ruth 3, 2 Eh bien! Booz n'est-il pas notre parent, lui dont tu as suivi les servantes? Cette nuit, il doit vanner l'orge sur l'aire.

Ruth 3, 3 Lave-toi donc et parfume-toi, mets ton manteau et descends à l'aire, mais ne te laisse pas reconnaître par lui avant qu'il ait fini de manger et de boire.

Ruth 3, 4 Quand il sera couché, observe l'endroit où il repose, alors tu iras, tu dégageras une place à ses pieds et tu te coucheras. Il te fera savoir lui-même ce que tu devras faire."

Ruth 3, 5 Et Ruth lui répondit: "Tout ce que tu me dis, je le ferai."

Ruth 3, 6 Elle descendit donc à l'aire et fit tout ce que sa belle-mère lui avait commandé.

Ruth 3, 7 Booz mangea et but, puis, le coeur joyeux, s'en alla dormir auprès du tas d'orge. Alors Ruth s'en alla tout doucement, dégagea une place à ses pieds et se coucha.

Ruth 3, 8 Au milieu de la nuit, l'homme eut un frisson; il se retourna et vit une femme couchée à ses pieds.

Ruth 3, 9 "Qui es-tu?" Dit-il. -- Je suis Ruth, ta servante, lui dit-elle. Etends sur ta servante le pan de ton manteau, car tu as droit de rachat" --

Ruth 3, 10 "Bénie sois-tu de Yahvé, ma fille, lui dit-il, ce second acte de piété que tu accomplis l'emporte sur le premier, car tu n'as pas recherché des jeunes gens, pauvres ou riches.

Ruth 3, 11 Et maintenant, ma fille, sois sans crainte, tout ce que tu me diras, je le ferai pour toi, car tout le peuple à la porte de ma ville sait que tu es une femme parfaite.

Ruth 3, 12 Toutefois, s'il est vrai que j'ai droit de rachat, il y a un parent plus proche que moi.

Ruth 3, 13 Passe la nuit ici et au matin, s'il veut exercer son droit à ton égard, c'est bien, qu'il te rachète; mais s'il ne veut pas te racheter, alors, par Yahvé vivant, c'est moi qui te rachèterai. Reste couchée jusqu'au matin."

Ruth 3, 14 Elle resta donc couchée à ses pieds jusqu'au matin, puis elle se leva avant l'heure où un homme peut en reconnaître un autre; il se disait: "Il ne faut pas qu'on sache que cette femme est venue à l'aire."

Ruth 3, 15 Il dit alors: "Présente le manteau que tu as sur toi et tiens-le." Elle le tint et il mesura six parts d'orge qu'il chargea sur elle, puis elle retourna à la ville.

Ruth 3, 16 Lorsque Ruth rentra chez sa belle-mère, celle-ci lui dit: "Qu'en est-il de toi, ma fille?" Ruth lui raconta tout ce que cet homme avait fait pour elle.

Ruth 3, 17 Elle dit: "Ces six parts d'orge, il me les a données en disant: Tu ne reviendras pas les mains vides chez ta belle-mère" --

Ruth 3, 18 "Ma fille, reste en repos, lui dit Noémi, jusqu'à ce que tu saches comment finira cette affaire; assurément, cet homme n'aura de cesse qu'il ne l'ait terminée aujourd'hui même."

Ruth 4, 1 Or Booz était monté à la porte et s'y était assis, et voici que le parent dont Booz avait parlé vint à passer. "Toi, dit Booz, approche et assieds-toi ici." L'homme s'approcha et vint s'asseoir.

Ruth 4, 2 Booz prit dix hommes parmi les anciens de la ville: "Asseyez-vous ici", dit-il, et ils s'assirent.

Ruth 4, 3 Alors il dit à celui qui avait droit de rachat: "La pièce de terre qui appartenait à notre frère Elimélek, Noémi qui est revenue des Champs de Moab la met en vente.

Ruth 4, 4 Je me suis dit que j'allais t'en informer en disant: Acquiers-la en présence de ceux qui sont assis là et des anciens de mon peuple. Si tu veux exercer ton droit de rachat, rachète, mais si tu ne le veux pas, déclare-le moi pour que je le sache. Tu es le premier à avoir le droit de rachat, moi je ne viens qu'après toi." L'autre répondit: "Oui! je veux racheter."

Ruth 4, 5 Mais Booz dit: "Le jour où, de la main de Noémi, tu acquerras ce champ, tu acquiers aussi Ruth la Moabite, la femme de celui qui est mort, pour perpétuer le nom du mort sur son patrimoine."

Ruth 4, 6 Celui qui avait droit de rachat répondit alors: "Je ne puis exercer mon droit, car je craindrais de nuire à mon patrimoine. Exerce pour toi-même mon droit de rachat, car moi je ne puis l'exercer."

Ruth 4, 7 Or c'était autrefois la coutume en Israël, en cas de rachat ou d'héritage, pour valider toute affaire: l'un ôtait sa sandale et la donnait à l'autre. Telle était en Israël la manière de témoigner.

Ruth 4, 8 Celui qui avait droit de rachat dit donc à Booz: "Fais l'acquisition pour toi-même", et il retira sa sandale.

Ruth 4, 9 Booz dit aux anciens et à tout le peuple: "Vous êtes témoins aujourd'hui que j'acquiers de la main de Noémi tout ce qui appartenait à Elimélek et tout ce qui appartenait à Mahlôn et à Kilyôn,

Ruth 4, 10 et que j'acquiers en même temps pour femme Ruth la Moabite, veuve de Mahlôn, pour perpétuer le nom du mort sur son héritage et pour que le nom du mort ne soit pas retranché d'entre ses frères ni de la porte de sa ville. Vous en êtes aujourd'hui les témoins."

Ruth 4, 11 Tout le peuple qui se trouvait à la porte répondit: "Nous en sommes témoins", et les anciens répondirent: "Que Yahvé rende la femme qui va entrer dans ta maison semblable à Rachel et à Léa qui, à elles deux, ont édifié la maison d'Israël. Deviens puissant en Ephrata et fais-toi un nom dans Bethléem.

Ruth 4, 12 Que grâce à la postérité que Yahvé t'accordera de cette jeune femme, ta maison soit semblable à celle de Pérèç, que Tamar enfanta à Juda."

Ruth 4, 13 Booz prit Ruth et elle devint sa femme. Il alla vers elle, Yahvé donna à Ruth de concevoir et elle enfanta un fils.

Ruth 4, 14 Les femmes dirent alors à Noémi: "Béni soit Yahvé qui ne t'a pas laissé manquer aujourd'hui de quelqu'un pour te racheter. Que son nom soit proclamé en Israël!

Ruth 4, 15 Il sera pour toi un consolateur et le soutien de ta vieillesse, car il a pour mère ta bru qui t'aime, elle qui vaut mieux pour toi que sept fils."

Ruth 4, 16 Et Noémi, prenant l'enfant, le mit sur son sein, et ce fut elle qui prit soin de lui.

Ruth 4, 17 Les voisines lui donnèrent un nom, elles dirent: "Il est né un fils à Noémi" et elles le nommèrent Obed. C'est le père de Jessé, père de David.

Ruth 4, 18 Voici la postérité de Pérèç: Pérèç engendra Heçrôn.

Ruth 4, 19 Heçrôn engendra Ram et Ram engendra Amminadab.

Ruth 4, 20 Amminadab engendra Nahshôn et Nahshôn engendra Salmôn.

Ruth 4, 21 Salmôn engendra Booz et Booz engendra Obed.

Ruth 4, 22 Et Obed engendra Jessé et Jessé engendra David.

 

 

I Samuel

 

1, 1 Il y avait un homme de Ramatayim, un Cuphite de la montagne d'Ephraïm, qui s'appelait Elqana, fils de Yeroham, fils d'Elihu, fils de Tohu, fils de Cuph, un Ephraïmite.

1 Samuel 1, 2 Il avait deux femmes: l'une s'appelait Anne, l'autre Peninna; mais alors que Peninna avait des enfants, Anne n'en avait point.

1 Samuel 1, 3 Chaque année, cet homme montait de sa ville pour adorer et pour sacrifier à Yahvé Sabaot à Silo (là se trouvaient les deux fils d'Eli, Hophni et Pinhas, comme prêtres de Yahvé).

1 Samuel 1, 4 Un jour Elqana offrit un sacrifice. -- Il avait coutume de donner des portions à sa femme Peninna et à tous ses fils et filles,

1 Samuel 1, 5 et il n'en donnait qu'une à Anne bien qu'il préférât Anne, mais Yahvé l'avait rendue stérile.

1 Samuel 1, 6 Sa rivale lui faisait aussi des affronts pour la mettre en colère, parce que Yahvé avait rendu son sein stérile.

1 Samuel 1, 7 C'est ce qui arrivait annuellement, chaque fois qu'ils montaient au temple de Yahvé: elle lui faisait des affronts. -- Or donc, Anne pleura et resta sans manger.

1 Samuel 1, 8 Alors son mari Elqana lui dit: "Anne, pourquoi pleures-tu et ne manges-tu pas? Pourquoi es-tu malheureuse? Est-ce que je ne vaux pas pour toi mieux que dix fils?"

1 Samuel 1, 9 Anne se leva après qu'ils eurent mangé dans la chambre et elle se tint devant Yahvé -- le prêtre Eli était assis sur son siège, contre le montant de la porte, au sanctuaire de Yahvé.

1 Samuel 1, 10 Dans l'amertume de son âme, elle pria Yahvé et elle pleura beaucoup.

1 Samuel 1, 11 Elle fit ce voeu: "O Yahvé Sabaot! Si tu voulais considérer la misère de ta servante, te souvenir de moi, ne pas oublier ta servante et lui donner un petit d'homme, alors je le donnerai à Yahvé pour toute sa vie et le rasoir ne passera pas sur sa tête."

1 Samuel 1, 12 Comme elle prolongeait sa prière devant Yahvé, Eli observait sa bouche.

1 Samuel 1, 13 Anne parlait tout bas: ses lèvres remuaient mais on n'entendait pas sa voix, et Eli pensa qu'elle était ivre.

1 Samuel 1, 14 Alors Eli lui dit: "Jusques à quand seras-tu dans l'ivresse? Fais passer ton vin!"

1 Samuel 1, 15 Mais Anne répondit ainsi: "Non, Monseigneur, je ne suis qu'une femme affligée, je n'ai bu ni vin ni boisson fermentée, j'épanche mon âme devant Yahvé.

1 Samuel 1, 16 Ne juge pas ta servante comme une vaurienne: c'est par excès de peine et de dépit que j'ai parlé jusqu'à maintenant."

1 Samuel 1, 17 Alors Eli lui répondit: "Va en paix et que le Dieu d'Israël t'accorde ce que tu lui as demandé."

1 Samuel 1, 18 Elle dit: "Puisse ta servante trouver grâce à tes yeux", et la femme alla son chemin; elle mangea et son visage ne fut plus le même.

1 Samuel 1, 19 Ils se levèrent de bon matin et, après s'être prosternés devant Yahvé, ils s'en retournèrent et arrivèrent chez eux, à Rama. Elqana s'unit à sa femme Anne, et Yahvé se souvint d'elle.

1 Samuel 1, 20 Anne conçut et, au temps révolu, elle mit au monde un fils, qu'elle nomma Samuel, "car, dit-elle, je l'ai demandé à Yahvé."

1 Samuel 1, 21 Le mari Elqana monta, avec toute sa famille, pour offrir à Yahvé le sacrifice annuel et accomplir son voeu.

1 Samuel 1, 22 Mais Anne ne monta pas, car elle dit à son mari: "Pas avant que l'enfant ne soit sevré! Alors je le conduirai; il sera présenté devant Yahvé et il restera là pour toujours."

1 Samuel 1, 23 Elqana, son mari, lui répondit: "Fais comme il te plaît et attends de l'avoir sevré. Que seulement Yahvé réalise sa parole!" La femme resta donc et allaita l'enfant jusqu'à son sevrage.

1 Samuel 1, 24 Lorsqu'elle l'eut sevré, elle l'emmena avec elle, en même temps qu'un taureau de trois ans, une mesure de farine et une outre de vin, et elle le fit entrer dans le temple de Yahvé à Silo; l'enfant était tout jeune.

1 Samuel 1, 25 Ils immolèrent le taureau et ils conduisirent l'enfant à Eli.

1 Samuel 1, 26 Elle dit: "S'il te plaît, Monseigneur! Aussi vrai que tu vis, Monseigneur, je suis la femme qui se tenait près de toi ici, priant Yahvé.

1 Samuel 1, 27 C'est pour cet enfant que je priais et Yahvé m'a accordé la demande que je lui ai faite.

1 Samuel 1, 28 A mon tour, je le cède à Yahvé tous les jours de sa vie: il est cédé à Yahvé." Et, là, ils se prosternèrent devant Yahvé.

1 Samuel 2, 1 Alors Anne fit cette prière: "Mon coeur exulte en Yahvé, ma corne s'élève en mon Dieu, ma bouche est large ouverte contre mes ennemis, car je me réjouis en ton secours.

1 Samuel 2, 2 Point de Saint comme Yahvé (car il n'y a personne excepté toi), point de Rocher comme notre Dieu.

1 Samuel 2, 3 Ne multipliez pas les paroles hautaines, que l'arrogance ne sorte pas de votre bouche. Un Dieu plein de savoir, voilà Yahvé, à lui de peser les actions.

1 Samuel 2, 4 L'arc des puissants est brisé, mais les défaillants sont ceinturés de force.

1 Samuel 2, 5 Les rassasiés s'embauchent pour du pain, mais les affamés cessent de travailler. La femme stérile enfante sept fois, mais la mère de nombreux enfants se flétrit.

1 Samuel 2, 6 C'est Yahvé qui fait mourir et vivre, qui fait descendre au shéol et en remonter.

1 Samuel 2, 7 C'est Yahvé qui appauvrit et qui enrichit, qui abaisse et aussi qui élève.

1 Samuel 2, 8 Il retire de la poussière le faible, du fumier il relève le pauvre, pour les faire asseoir avec les nobles et leur assigner un siège d'honneur; car à Yahvé sont les piliers de la terre, sur eux il a posé le monde.

1 Samuel 2, 9 Il garde les pas de ses fidèles, mais les méchants disparaissent dans les ténèbres (car ce n'est pas par la force que l'homme triomphe).

1 Samuel 2, 10 Yahvé, ses ennemis sont brisés, le Très-Haut tonne dans les cieux. Yahvé juge les confins de la terre, il donne la force à son Roi, il exalte la vigueur de son Oint."

1 Samuel 2, 11 Elqana partit pour Rama dans sa maison mais l'enfant restait à servir Yahvé, en présence du prêtre Eli.

1 Samuel 2, 12 Or les fils d'Eli étaient des vauriens, qui ne se souciaient pas de Yahvé

1 Samuel 2, 13 ni du droit des prêtres vis-à-vis du peuple: si quelqu'un offrait un sacrifice, le serviteur du prêtre venait pendant qu'on cuisait la viande, tenant une fourchette à trois dents,

1 Samuel 2, 14 il piquait dans le chaudron ou dans la marmite ou dans la terrine ou dans le pot, et le prêtre s'attribuait tout ce que ramenait la fourchette; on agissait ainsi avec tous les Israélites qui venaient là, à Silo.

1 Samuel 2, 15 Et même, on n'avait pas encore fait fumer la graisse que le serviteur du prêtre venait et disait à celui qui sacrifiait: "Donne de la viande à rôtir pour le prêtre, il n'acceptera pas de toi de la viande bouillie, seulement de la viande crue."

1 Samuel 2, 16 Et si cet homme lui disait: "Qu'on fasse d'abord fumer la graisse, puis prends pour toi à ta guise", il répondait: "Non, tu vas me donner tout de suite, sinon je prends de force."

1 Samuel 2, 17 Le péché des jeunes gens était très grand devant Yahvé, car ils traitaient avec mépris l'offrande faite à Yahvé.

1 Samuel 2, 18 Samuel était au service de Yahvé, un enfant vêtu du pagne de lin.

1 Samuel 2, 19 Sa mère lui faisait un petit manteau qu'elle lui apportait chaque année, lorsqu'elle montait avec son mari pour offrir le sacrifice annuel.

1 Samuel 2, 20 Eli bénissait Elqana et sa femme et disait: "Que Yahvé te rende une progéniture de cette femme, en échange du prêt qu'elle a cédé à Yahvé", et ils s'en allaient chez eux.

1 Samuel 2, 21 Yahvé visita Anne, elle conçut et elle mit au monde trois fils et deux filles; le jeune Samuel grandissait auprès de Yahvé.

1 Samuel 2, 22 Bien qu'Eli fût très âgé, il était informé de tout ce que ses fils faisaient à tout Israël.

1 Samuel 2, 23 Il leur dit: "Pourquoi agissez-vous de la manière que j'entends dire par tout le peuple?

1 Samuel 2, 24 Non, mes fils, elle n'est pas belle la rumeur que j'entends le peuple de Yahvé colporter.

1 Samuel 2, 25 Si un homme pèche contre un autre homme, Dieu sera l'arbitre, mais si c'est contre Yahvé que pèche un homme, qui intercédera pour lui?" Cependant ils n'écoutèrent pas la voix de leur père. C'est qu'il avait plu à Yahvé de les faire mourir.

1 Samuel 2, 26 Quant au jeune Samuel, il continuait de croître en taille et en grâce tant auprès de Yahvé qu'auprès des hommes.

1 Samuel 2, 27 Un homme de Dieu vint chez Eli et lui dit: "Ainsi parle Yahvé. Voilà donc que je me suis révélé à la maison de ton père quand ils étaient en Egypte, esclaves de la maison de Pharaon.

1 Samuel 2, 28 Je l'ai distinguée de toutes les tribus d'Israël pour exercer mon sacerdoce, pour monter à mon autel, pour faire fumer l'offrande, pour porter l'éphod en ma présence, et j'ai concédé à la maison de ton père toutes les viandes offertes par les Israélites.

1 Samuel 2, 29 Pourquoi piétinez-vous l'offrande et le sacrifice que j'ai ordonnés pour ma Demeure, et honores-tu tes fils plus que moi, en vous engraissant du meilleur de toutes les offrandes d'Israël, mon peuple?

1 Samuel 2, 30 C'est pourquoi -- oracle de Yahvé, Dieu d'Israël -- j'avais bien dit que ta maison et la maison de ton père marcheraient en ma présence pour toujours, mais maintenant -- oracle de Yahvé -- je m'en garderai! Car j'honore ceux qui m'honorent et ceux qui me méprisent sont traités comme rien.

1 Samuel 2, 31 Voici que des jours viennent où j'abattrai ton bras et le bras de la maison de ton père, en sorte qu'il n'y ait pas de vieillard dans ta maison.

1 Samuel 2, 32 Tu regarderas, à côté de la Demeure, tout le bien que je ferai à Israël, et il n'y aura pas de vieillard dans ta maison, à jamais.

1 Samuel 2, 33 Je maintiendrai quelqu'un des tiens près de mon autel, pour que ses yeux se consument et que son âme s'étiole, mais tout l'ensemble de ta maison périra par l'épée des hommes.

1 Samuel 2, 34 Le présage sera pour toi ce qui va arriver à tes deux fils, Hophni et Pinhas: le même jour, ils mourront tous deux.

1 Samuel 2, 35 Je me susciterai un prêtre fidèle, qui agira selon mon coeur et mon désir, je lui assurerai une maison qui dure et il marchera toujours en présence de mon oint.

1 Samuel 2, 36 Quiconque subsistera de ta famille viendra se prosterner devant lui pour avoir une piécette d'argent et une galette de pain, et dira: Je t'en prie, attache-moi à n'importe quelle fonction sacerdotale, pour que j'aie un morceau de pain à manger."

1 Samuel 3, 1 Le jeune Samuel servait donc Yahvé en présence d'Eli; en ce temps-là, il était rare que Yahvé parlât, les visions n'étaient pas fréquentes.

1 Samuel 3, 2 Or, un jour, Eli était couché dans sa chambre -- ses yeux commençaient de faiblir et il ne pouvait plus voir --

1 Samuel 3, 3 la lampe de Dieu n'était pas encore éteinte et Samuel était couché dans le sanctuaire de Yahvé, là où se trouvait l'arche de Dieu.

1 Samuel 3, 4 Yahvé appela: "Samuel, Samuel!" Il répondit: "Me voici!"

1 Samuel 3, 5 et il courut près d'Eli et dit: "Me voici, puisque tu m'as appelé" -- "Je ne t'ai pas appelé, dit Eli; retourne te coucher." Il alla se coucher.

1 Samuel 3, 6 Yahvé recommença d'appeler: "Samuel, Samuel!" Il se leva et alla près d'Eli et dit: "Me voici, puisque tu m'as appelé" -- "Je ne t'ai pas appelé, mon fils, dit Eli; retourne te coucher."

1 Samuel 3, 7 Samuel ne connaissait pas encore Yahvé et la parole de Yahvé ne lui avait pas encore été révélée.

1 Samuel 3, 8 Yahvé recommença d'appeler Samuel pour la troisième fois. Il se leva et alla près d'Eli et dit: "Me voici, puisque tu m'as appelé." Alors Eli comprit que c'était Yahvé qui appelait l'enfant

1 Samuel 3, 9 et il dit à Samuel: "Va te coucher et, si on t'appelle, tu diras: Parle, Yahvé, car ton serviteur écoute", et Samuel alla se coucher à sa place.

1 Samuel 3, 10 Yahvé vint et se tint présent. Il appela comme les autres fois: "Samuel, Samuel", et Samuel répondit: "Parle, car ton serviteur écoute."

1 Samuel 3, 11 Yahvé dit à Samuel: "Je m'en vais faire en Israël une chose telle que les deux oreilles en tinteront à quiconque l'apprendra.

1 Samuel 3, 12 En ce jour-là, j'accomplirai contre Eli tout ce que j'ai dit sur sa maison, du commencement à la fin.

1 Samuel 3, 13 Tu lui annonceras que je condamne sa maison pour toujours; parce qu'il a su que ses fils maudissaient Dieu et qu'il ne les a pas corrigés.

1 Samuel 3, 14 C'est pourquoi -- je le jure à la maison d'Eli -- ni sacrifice ni offrande n'effaceront jamais la faute de la maison d'Eli."

1 Samuel 3, 15 Samuel reposa jusqu'au matin, puis il ouvrit les portes du temple de Yahvé. Samuel craignait de raconter la vision à Eli,

1 Samuel 3, 16 mais Eli l'appela en disant: "Samuel, mon fils", et il répondit: "Me voici!"

1 Samuel 3, 17 Il demanda: "Quelle est la parole qu'il t'a dite? Ne me cache rien! Que Dieu te fasse ce mal et qu'il ajoute encore cet autre si tu me caches un mot de ce qu'il t'a dit."

1 Samuel 3, 18 Alors Samuel lui rapporta tout, il ne lui cacha rien. Eli dit: "Il est Yahvé; qu'il fasse ce qui lui semble bon!"

1 Samuel 3, 19 Samuel grandit. Yahvé était avec lui et ne laissa rien tomber à terre de tout ce qu'il lui avait dit.

1 Samuel 3, 20 Tout Israël sut, depuis Dan jusqu'à Bersabée, que Samuel était accrédité comme prophète de Yahvé.

1 Samuel 3, 21 Yahvé continua de se manifester à Silo, car il se révélait à Samuel, à Silo, 4, 1 et la parole de Samuel fut pour tout Israël comme la parole de Yahvé. Eli était très âgé et ses fils persévéraient dans leur mauvaise conduite à l'égard de Yahvé. Il advint en ce temps-là que les Philistins se rassemblèrent pour combattre Israël, et les Israélites sortirent à leur rencontre pour le combat. Ils campèrent près d'Eben-ha-Ezèr, tandis que les Philistins étaient campés à Apheq.

1 Samuel 4, 2 Les Philistins s'étant mis en ligne contre Israël, il y eut un rude combat et Israël fut battu devant les Philistins: environ 4.000 hommes furent tués dans les lignes, en rase campagne.

1 Samuel 4, 3 L'armée revint au camp et les anciens d'Israël dirent: "Pourquoi Yahvé nous a-t-il fait battre aujourd'hui par les Philistins? Allons chercher à Silo l'arche de notre Dieu, qu'elle vienne au milieu de nous et qu'elle nous sauve de l'emprise de nos ennemis."

1 Samuel 4, 4 L'armée envoya à Silo et on enleva de là l'arche de Yahvé Sabaot, qui siège sur les chérubins, les deux fils d'Eli, Hophni et Pinhas, accompagnaient l'arche.

1 Samuel 4, 5 Quand l'arche de Yahvé arriva au camp, tous les Israélites poussèrent une grande acclamation, qui fit résonner la terre.

1 Samuel 4, 6 Les Philistins entendirent le bruit de l'acclamation et dirent: "Que signifie cette grande acclamation au camp des Hébreux", et ils connurent que l'arche de Yahvé était arrivée au camp.

1 Samuel 4, 7 Alors les Philistins eurent peur, car ils se disaient: "Dieu est venu au camp!" Ils dirent: "Malheur à nous! Car une chose pareille n'est pas arrivée auparavant.

1 Samuel 4, 8 Malheur à nous! Qui nous délivrera de la main de ce Dieu puissant? C'est lui qui a frappé l'Egypte de toutes sortes de plaies au désert.

1 Samuel 4, 9 Prenez courage et soyez virils, Philistins, pour n'être pas asservis aux Hébreux comme ils vous ont été asservis; soyez virils et combattez!"

1 Samuel 4, 10 Les Philistins livrèrent bataille, les Israélites furent battus et chacun s'enfuit à ses tentes; ce fut un très grand massacre et 30.000 hommes de pied tombèrent du côté d'Israël.

1 Samuel 4, 11 L'arche de Dieu fut prise et les deux fils d'Eli moururent, Hophni et Pinhas.

1 Samuel 4, 12 Un homme de Benjamin courut hors des lignes et atteignit Silo le même jour, les vêtements déchirés et la tête couverte de poussière.

1 Samuel 4, 13 Lorsqu'il arriva, Eli était assis sur son siège, à côté de la porte, surveillant la route, car son coeur tremblait pour l'arche de Dieu. Cet homme donc vint apporter la nouvelle à la ville, et ce furent des cris dans toute la ville.

1 Samuel 4, 14 Eli entendit les cris et demanda: "Quelle est cette grande rumeur?" L'homme se hâta et vint avertir Eli. --

1 Samuel 4, 15 Celui-ci avait 98 ans, il avait le regard fixe et ne pouvait plus voir. --

1 Samuel 4, 16 L'homme dit à Eli: "J'arrive du camp, je me suis enfui des lignes aujourd'hui", et celui-ci demanda: "Que s'est-il passé, mon fils?"

1 Samuel 4, 17 Le messager répondit: "Israël a fui devant les Philistins, ce fut même une grande défaite pour l'armée, et encore tes deux fils sont morts, et l'arche de Dieu a été prise!"

1 Samuel 4, 18 A cette mention de l'arche de Dieu, Eli tomba de son siège à la renverse, en travers de la porte, sa nuque se brisa et il mourut, car l'homme était âgé et pesant. Il avait jugé Israël pendant 40 ans.

1 Samuel 4, 19 Or sa bru, la femme de Pinhas, était enceinte et sur le point d'accoucher. Dès qu'elle eut appris la nouvelle relative à la prise de l'arche de Dieu et à la mort de son beau-père et de son mari, elle s'accroupit et elle accoucha, car ses douleurs l'avaient assaillie.

1 Samuel 4, 20 Comme elle était à la mort, celles qui l'assistaient lui dirent: "Aie confiance, c'est un fils que tu as enfanté", mais elle ne répondit pas et n'y fit pas attention.

1 Samuel 4, 21 Elle appela l'enfant Ikabod, disant: "La gloire a été bannie d'Israël", par allusion à la prise de l'arche de Dieu, et à son beau-père et son mari.

1 Samuel 4, 22 Elle dit: "La gloire a été bannie d'Israël, parce que l'arche de Dieu a été prise."

1 Samuel 5, 1 Lorsque les Philistins se furent emparés de l'arche de Dieu, ils la conduisirent d'Eben-ha-Ezèr à Ashdod.

1 Samuel 5, 2 Les Philistins prirent l'arche de Dieu, l'introduisirent dans le temple de Dagôn et la déposèrent à côté de Dagôn.

1 Samuel 5, 3 Quand les Ashdodites se levèrent le lendemain matin et vinrent au temple de Dagôn, voilà que Dagôn était tombé sur sa face, par terre, devant l'arche de Yahvé. Ils relevèrent Dagôn et le remirent à sa place.

1 Samuel 5, 4 Mais, quand ils se levèrent le lendemain de bon matin, voilà que Dagôn était tombé sur sa face, par terre, devant l'arche de Yahvé, et la tête de Dagôn et ses deux mains gisaient coupées sur le seuil: il ne restait à sa place que le tronc de Dagôn.

1 Samuel 5, 5 C'est pourquoi les prêtres de Dagôn et tous ceux qui entrent dans le temple de Dagôn ne foulent pas du pied le seuil de Dagôn à Ashdod, encore aujourd'hui.

1 Samuel 5, 6 La main de Yahvé s'appesantit sur les Ashdodites: il les ravagea et les affligea de tumeurs, Ashdod et son territoire.

1 Samuel 5, 7 Quand les gens d'Ashdod virent ce qui arrivait, ils dirent: "Que l'arche du Dieu d'Israël ne reste pas chez nous, car sa main s'est raidie contre nous et contre notre dieu Dagôn."

1 Samuel 5, 8 Ils firent donc convoquer tous les princes des Philistins auprès d'eux et dirent: "Que devons-nous faire de l'arche du Dieu d'Israël?" Ils décidèrent: "C'est à Gat que s'en ira l'arche du Dieu d'Israël", et on emmena l'arche du Dieu d'Israël.

1 Samuel 5, 9 Mais après qu'ils l'eurent amenée, la main de Yahvé fut sur la ville et il y eut une très grande panique: les gens de la ville furent frappés, du plus petit au plus grand, et il leur sortit des tumeurs.

1 Samuel 5, 10 Ils envoyèrent alors l'arche de Dieu à Eqrôn, mais lorsque l'arche de Dieu arriva à Eqrôn, les Eqrônites s'écrièrent: "Ils m'ont amené l'arche du Dieu d'Israël pour me faire périr moi et mon peuple!"

1 Samuel 5, 11 Ils firent convoquer tous les princes des Philistins et dirent: "Renvoyez l'arche du Dieu d'Israël, et qu'elle retourne à son lieu et ne me fasse pas mourir, moi et mon peuple." Il y avait en effet une panique mortelle dans toute la ville, tant s'y était appesantie la main de Dieu.

1 Samuel 5, 12 Les gens qui ne mouraient pas étaient affligés de tumeurs et le cri de détresse de la ville montait jusqu'au ciel.

1 Samuel 6, 1 L'arche de Yahvé fut sept mois dans le territoire des Philistins.

1 Samuel 6, 2 Les Philistins en appelèrent aux prêtres et aux devins et demandèrent: "Que devons-nous faire de l'arche de Yahvé? Indiquez-nous comment nous la renverrons en son lieu."

1 Samuel 6, 3 Ils répondirent: "Si vous voulez renvoyer l'arche du Dieu d'Israël, ne la renvoyez pas sans rien, mais payez-lui une réparation. Alors vous guérirez et vous saurez pourquoi sa main ne s'était pas détournée de vous."

1 Samuel 6, 4 Ils demandèrent: "Quelle doit être la réparation que nous lui paierons?" Ils répondirent: "D'après le nombre des princes des Philistins, cinq tumeurs d'or et cinq rats d'or, car ce fut la même plaie pour vous et pour vos princes.

1 Samuel 6, 5 Faites des images de vos tumeurs et des images de vos rats, qui ravagent le pays, et rendez gloire au Dieu d'Israël. Peut-être sa main se fera-t-elle plus légère sur vous, vos dieux et votre pays.

1 Samuel 6, 6 Pourquoi endurciriez-vous votre coeur comme l'ont endurci les Egyptiens et Pharaon? Lorsque Dieu les eut malmenés, ne les ont-ils pas laissés partir?

1 Samuel 6, 7 Maintenant, prenez et préparez un chariot neuf et deux vaches qui allaitent et n'ont pas porté le joug: vous attellerez les vaches au chariot et vous ramènerez leurs petits en arrière à l'étable.

1 Samuel 6, 8 Vous prendrez l'arche de Yahvé et vous la placerez sur le chariot. Quant aux objets d'or que vous lui payez comme réparation, vous les mettrez dans un coffre, à côté d'elle, et vous la laisserez partir.

1 Samuel 6, 9 Puis regardez: s'il prend le chemin de son territoire, vers Bet-Shémesh, c'est lui qui nous a causé ce grand mal, sinon nous saurons que ce n'est pas sa main qui nous a frappés et que cela nous est arrivé par accident.

1 Samuel 6, 10 Ainsi firent les gens: ils prirent deux vaches qui allaitaient et ils les attelèrent au chariot, mais il retinrent les petits à l'étable.

1 Samuel 6, 11 Ils placèrent l'arche de Yahvé sur le chariot, ainsi que le coffre avec les rats d'or et les images de leurs tumeurs.

1 Samuel 6, 12 Les vaches prirent tout droit la route de Bet-Shémesh et gardèrent le même chemin, elles meuglaient en marchant, sans dévier ni à droite ni à gauche. Les princes des Philistins les suivirent jusqu'aux confins de Bet-Shémesh.

1 Samuel 6, 13 Les gens de Bet-Shémesh faisaient la moisson des blés dans la plaine. Levant les yeux, ils virent l'arche et ils allèrent avec joie à sa rencontre.

1 Samuel 6, 14 Lorsque le chariot fut arrivé au champ de Josué de Bet-Shémesh, il s'y arrêta. Il y avait là une grande pierre. On fendit le bois du chariot et on offrit les vaches en holocauste à Yahvé.

1 Samuel 6, 15 Les lévites avaient descendu l'arche de Yahvé et le coffre qui était près d'elle et qui contenait les objets d'or, et ils avaient déposé le tout sur la grande pierre. Les gens de Bet-Shémesh offrirent ce jour-là des holocaustes et firent des sacrifices à Yahvé.

1 Samuel 6, 16 Quand les cinq princes des Philistins eurent vu cela, ils revinrent à Eqrôn, le même jour.

1 Samuel 6, 17 Voici les tumeurs d'or que les Philistins payèrent en réparation à Yahvé: pour Ashdod une, pour Gaza une, pour Ashqelôn une, pour Gat une, pour Eqrôn une.

1 Samuel 6, 18 Et des rats d'or, autant que toutes les villes des Philistins, celles des cinq princes, depuis les villes fortes jusqu'aux villages ouverts. Témoin la grande pierre sur laquelle on déposa l'arche de Yahvé, et qui est encore aujourd'hui dans le champ de Josué de Bet-Shémesh.

1 Samuel 6, 19 Les fils de Yekonya, parmi les gens de Bet-Shémesh, ne s'étaient pas réjouis lorsqu'ils avaient vu l'arche de Yahvé, et Yahvé frappa 70 hommes d'entre eux. Et le peuple fut en deuil, parce que Yahvé l'avait durement frappé.

1 Samuel 6, 20 Alors les gens de Bet-Shémesh dirent: "Qui pourrait tenir en face de Yahvé, le Dieu Saint? Chez qui montera-t-il loin de nous?"

1 Samuel 6, 21 Ils envoyèrent des messagers aux habitants de Qiryat-Yéarim, avec ces mots: "Les Philistins ont rendu l'arche de Yahvé. Descendez et faites-la monter chez vous."

1 Samuel 7, 1 Les gens de Qiryat-Yéarim vinrent et firent monter l'arche de Yahvé. Ils la conduisirent dans la maison d'Abinadab, sur la hauteur, et ils consacrèrent son fils Eléazar pour garder l'arche de Yahvé.

1 Samuel 7, 2 Depuis le jour où l'arche fut installée à Qiryat-Yéarim un long temps s'écoula -- vingt ans -- et toute la maison d'Israël soupira après Yahvé.

1 Samuel 7, 3 Alors Samuel parla ainsi à toute la maison d'Israël: "Si c'est de tout votre coeur que vous revenez à Yahvé, écartez les dieux étrangers du milieu de vous, et les Astartés, fixez votre coeur en Yahvé et ne servez que lui: alors il vous délivrera de la main des Philistins."

1 Samuel 7, 4 Les Israélites écartèrent donc les Baals et les Astartés et ne servirent que Yahvé.

1 Samuel 7, 5 Samuel dit: "Rassemblez tout Israël à Miçpa et je supplierai Yahvé pour vous."

1 Samuel 7, 6 Ils se rassemblèrent donc à Miçpa, ils puisèrent de l'eau qu'ils répandirent devant Yahvé, ils jeûnèrent ce jour-là et ils dirent: "Nous avons péché contre Yahvé." Et Samuel jugea les Israélites à Miçpa.

1 Samuel 7, 7 Lorsque les Philistins surent que les Israélites s'étaient rassemblés à Miçpa, les princes des Philistins montèrent à l'attaque d'Israël. Les Israélites l'apprirent et ils eurent peur des Philistins.

1 Samuel 7, 8 Ils dirent à Samuel: "Ne cesse pas d'invoquer Yahvé notre Dieu, pour qu'il nous délivre de la main des Philistins."

1 Samuel 7, 9 Samuel prit un agneau de lait et l'offrit en holocauste complet à Yahvé, il invoqua Yahvé pour Israël et Yahvé l'exauça.

1 Samuel 7, 10 Pendant que Samuel offrait l'holocauste, les Philistins engagèrent le combat contre Israël, mais Yahvé ce jour-là tonna à grand fracas sur les Philistins, il les frappa de panique et ils furent battus devant Israël.

1 Samuel 7, 11 Les gens d'Israël sortirent de Miçpa et poursuivirent les Philistins, et ils les battirent jusqu'en dessous de Bet-Kar.

1 Samuel 7, 12 Alors Samuel prit une pierre et la dressa entre Miçpa et La Dent, et il lui donna le nom d'Eben-ha-Ezèr, en disant: "C'est jusqu'ici que Yahvé nous a secourus."

1 Samuel 7, 13 Les Philistins furent abaissés. Ils ne revinrent plus sur le territoire d'Israël et la main de Yahvé pesa sur les Philistins pendant toute la vie de Samuel.

1 Samuel 7, 14 Les villes que les Philistins avaient prises à Israël lui firent retour depuis Eqrôn jusqu'à Gat, et Israël délivra leur territoire de la main des Philistins. Il y eut paix entre Israël et les Amorites.

1 Samuel 7, 15 Samuel jugea Israël pendant toute sa vie.

1 Samuel 7, 16 Il allait chaque année faire une tournée par Béthel, Gilgal, Miçpa, et il jugeait Israël en tous ces endroits.

1 Samuel 7, 17 Puis il revenait à Rama, car c'est là qu'il avait sa maison et qu'il jugeait Israël. Il y construisit un autel à Yahvé.

1 Samuel 8, 1 Lorsque Samuel fut devenu vieux, il établit ses fils comme juges en Israël.

1 Samuel 8, 2 Son fils aîné s'appelait Yoël et son cadet Abiyya; ils étaient juges à Bersabée.

1 Samuel 8, 3 Mais ses fils ne suivirent pas son exemple: ils furent attirés par le gain, acceptèrent des présents et firent fléchir le droit.

1 Samuel 8, 4 Tous les anciens d'Israël se réunirent et vinrent trouver Samuel à Rama.

1 Samuel 8, 5 Ils lui dirent: "Tu es devenu vieux et tes fils ne suivent pas ton exemple. Eh bien! établis-nous un roi pour qu'il nous juge, comme toutes les nations."

1 Samuel 8, 6 Cela déplut à Samuel qu'ils aient dit: "Donne-nous un roi, pour qu'il nous juge", et il invoqua Yahvé.

1 Samuel 8, 7 Mais Yahvé dit à Samuel: "Satisfais à tout ce que te dit le peuple, car ce n'est pas toi qu'ils ont rejeté, c'est moi qu'ils ont rejeté, ne voulant plus que je règne sur eux.

1 Samuel 8, 8 Tout ce qu'ils m'ont fait depuis le jour où je les ai fait monter d'Egypte jusqu'à maintenant -- ils m'ont abandonné et ont servi des dieux étrangers -- ils te le font aussi.

1 Samuel 8, 9 Eh bien, satisfais à leur demande. Seulement, tu les avertiras solennellement et tu leur apprendras le droit du roi qui va régner sur eux."

1 Samuel 8, 10 Samuel répéta toutes les paroles de Yahvé au peuple qui lui demandait un roi.

1 Samuel 8, 11 Il dit: "Voici le droit du roi qui va régner sur vous. Il prendra vos fils et les affectera à sa charrerie et à ses chevaux et ils courront devant son char.

1 Samuel 8, 12 Il les emploiera comme chefs de mille et comme chefs de 50; il leur fera labourer son labour, moissonner sa moisson, fabriquer ses armes de guerre et les harnais de ses chars.

1 Samuel 8, 13 Il prendra vos filles comme parfumeuses, cuisinières et boulangères.

1 Samuel 8, 14 Il prendra vos champs, vos vignes et vos oliveraies les meilleures et les donnera à ses officiers.

1 Samuel 8, 15 Sur vos cultures et vos vignes, il prélèvera la dîme et la donnera à ses eunuques et à ses officiers.

1 Samuel 8, 16 Les meilleurs de vos serviteurs, de vos servantes et de vos boeufs, et vos ânes, il les prendra et les fera travailler pour lui.

1 Samuel 8, 17 Il prélèvera la dîme sur vos troupeaux et vous-mêmes deviendrez ses esclaves.

1 Samuel 8, 18 Ce jour-là, vous pousserez des cris à cause du roi que vous vous serez choisi, mais Yahvé ne vous répondra pas, ce jour-là!"

1 Samuel 8, 19 Le peuple refusa d'écouter Samuel et dit: "Non! Nous aurons un roi

1 Samuel 8, 20 et nous serons, nous aussi, comme toutes les nations: notre roi nous jugera, il sortira à notre tête et combattra nos combats."

1 Samuel 8, 21 Samuel entendit toutes les paroles du peuple et les redit à l'oreille de Yahvé.

1 Samuel 8, 22 Mais Yahvé lui dit: "Satisfais à leur demande et intronise-leur un roi." Alors Samuel dit aux hommes d'Israël: "Retournez chacun dans sa ville."

1 Samuel 9, 1 Il y avait, parmi les Benjaminites, un homme qui s'appelait Qish, fils d'Abiel, fils de Ceror, fils de Bekorat, fils d'Aphiah; c'était un Benjaminite, homme de condition.

1 Samuel 9, 2 Il avait un fils nommé Saül, qui était dans la fleur de l'âge et beau. Nul parmi les Israélites n'était plus beau que lui: de l'épaule et au-dessus, il dépassait tout le monde.

1 Samuel 9, 3 Les ânesses appartenant à Qish, père de Saül, s'étant égarées, Qish dit à son fils Saül: "Prends avec toi l'un des serviteurs et va, pars à la recherche des ânesses."

1 Samuel 9, 4 Ils traversèrent la montagne d'Ephraïm, ils traversèrent le pays de Shalisha sans rien trouver; ils traversèrent le pays de Shaalim: elles n'y étaient pas; ils traversèrent le pays de Benjamin sans rien trouver.

1 Samuel 9, 5 Lorsqu'ils furent arrivés au pays de Cuph, Saül dit au serviteur qui l'accompagnait: "Allons! Retournons, de peur que mon père ne laisse les ânesses pour s'inquiéter de nous."

1 Samuel 9, 6 Mais celui-ci lui répondit: "Voici qu'un homme de Dieu habite cette ville-là. C'est un homme réputé: tout ce qu'il dit arrive sûrement. Allons-y donc, peut-être nous éclairera-t-il sur le voyage que nous avons entrepris."

1 Samuel 9, 7 Saül dit à son serviteur: "A supposer que nous y allions, qu'offrirons-nous à l'homme? Le pain a disparu de nos sacs et nous n'avons pas de rétribution à offrir à l'homme de Dieu. Qu'avons-nous d'autre?"

1 Samuel 9, 8 Le serviteur reprit la parole et dit à Saül: "Il se trouve que j'ai en main un quart de sicle d'argent, je le donnerai à l'homme de Dieu et il nous éclairera sur notre voyage."

1 Samuel 9, 9 Autrefois en Israël, voici ce qu'on disait en allant consulter Dieu: "Allons donc chez le voyant", car au lieu de "prophète" comme aujourd'hui on disait autrefois "voyant."

1 Samuel 9, 10 Saül dit à son serviteur: "Tu as bien parlé, allons donc!" Et ils allèrent à la ville où se trouvait l'homme de Dieu.

1 Samuel 9, 11 Comme ils gravissaient la montée de la ville, ils rencontrèrent des jeunes filles qui sortaient pour puiser l'eau et ils leur demandèrent: "Le voyant est-il là?"

1 Samuel 9, 12 Elles leur répondirent en ces termes: "Il est là, il t'a juste précédé. Hâte-toi maintenant: il est venu aujourd'hui en ville, car il y a aujourd'hui un sacrifice pour le peuple sur le haut lieu.

1 Samuel 9, 13 Dès que vous entrerez en ville, vous le trouverez avant qu'il ne monte au haut lieu pour le repas. Le peuple ne mangera pas avant son arrivée, car c'est lui qui doit bénir le sacrifice; après quoi, les invités mangeront. Maintenant, montez: vous le trouverez sur l'heure."

1 Samuel 9, 14 Ils montèrent donc à la ville. Comme ils entraient dans la porte, Samuel sortait à leur rencontre pour monter au haut lieu.

1 Samuel 9, 15 Or, un jour avant que Saül ne vînt, Yahvé avait fait cette révélation à Samuel:

1 Samuel 9, 16 "Demain à pareille heure, avait-il dit, je t'enverrai un homme du pays de Benjamin, tu lui donneras l'onction comme chef de mon peuple Israël, et il délivrera mon peuple de la main des Philistins, car j'ai vu la misère de mon peuple et son cri est venu jusqu'à moi."

1 Samuel 9, 17 Et quand Samuel aperçut Saül, Yahvé lui signifia: "Voilà l'homme dont je t'ai dit: C'est lui qui jugera mon peuple."

1 Samuel 9, 18 Saül aborda Samuel au milieu de la porte et dit: "Indique-moi, je te prie, où est la maison du voyant."

1 Samuel 9, 19 Samuel répondit à Saül: "Je suis le voyant. Monte devant moi au haut lieu. Vous mangerez aujourd'hui avec moi. Je te dirai adieu demain matin et je t'expliquerai tout ce qui occupe ton coeur.

1 Samuel 9, 20 Quant aux ânesses que tu as perdues il y a trois jours, ne t'en inquiète pas: elles sont retrouvées. D'ailleurs, à qui revient toute la richesse d'Israël? N'est-ce pas à toi et à toute la maison de ton père?"

1 Samuel 9, 21 Saül répondit ainsi: "Ne suis-je pas un Benjaminite, la plus petite des tribus d'Israël, et ma famille n'est-elle pas la moindre de toutes celles de la tribu de Benjamin? Pourquoi me dire de telles paroles?"

1 Samuel 9, 22 Samuel emmena Saül et son serviteur. Il les introduisit dans la salle et leur donna une place en tête des invités, qui étaient une trentaine.

1 Samuel 9, 23 Puis Samuel dit au cuisinier: "Sers la part que je t'ai donnée en te disant de la mettre de côté."

1 Samuel 9, 24 Le cuisinier préleva le gigot et la queue, qu'il mit devant Saül, et il dit: "Voilà posé devant toi ce qu'on a laissé. Mange!..." Ce jour-là, Saül mangea avec Samuel.

1 Samuel 9, 25 Ils descendirent du haut lieu à la ville. On prépara un lit sur la terrasse pour Saül

1 Samuel 9, 26 et il se coucha. Dès que parut l'aurore, Samuel appela Saül sur la terrasse: "Lève-toi, dit-il, je vais te dire adieu." Saül se leva, et Samuel et lui sortirent tous deux au-dehors.

1 Samuel 9, 27 Ils étaient descendus à la limite de la ville quand Samuel dit à Saül: "Ordonne au serviteur qu'il passe devant nous, mais toi, reste maintenant, que je te fasse entendre la parole de Dieu."

1 Samuel 10, 1 Samuel prit la fiole d'huile et la répandit sur la tête de Saül, puis il l'embrassa et dit: "N'est-ce pas Yahvé qui t'a oint comme chef de son peuple Israël? C'est toi qui jugeras le peuple de Yahvé et le délivreras de la main de ses ennemis d'alentour. Et voici pour toi le signe que Yahvé t'a oint comme chef sur son héritage.

1 Samuel 10, 2 Quand tu m'auras quitté aujourd'hui, tu rencontreras deux hommes près du tombeau de Rachel, sur la frontière de Benjamin... et ils te diront: Les ânesses que tu étais parti chercher sont retrouvées. Voici que ton père a oublié l'affaire des ânesses et s'inquiète de vous, se disant: Que faut-il faire pour mon fils?

1 Samuel 10, 3 Passant outre, tu arriveras au Chêne de Tabor et tu y rencontreras trois hommes montant vers Dieu à Béthel, l'un portant trois chevreaux, l'autre portant trois miches de pain, le dernier portant une outre de vin.

1 Samuel 10, 4 Ils te salueront et te donneront deux pains, que tu accepteras de leur main.

1 Samuel 10, 5 Ensuite, tu arriveras à Gibéa de Dieu (où se trouve le préfet des Philistins) et, à l'entrée de la ville, tu te heurteras à une troupe de prophètes descendant du haut lieu, précédés de la harpe, du tambourin, de la flûte et de la cithare, et ils seront en délire.

1 Samuel 10, 6 Alors l'esprit de Yahvé fondra sur toi, tu entreras en délire avec eux et tu seras changé en un autre homme.

1 Samuel 10, 7 Lorsque ces signes se seront réalisés pour toi, agis comme l'occasion se présentera, car Dieu est avec toi.

1 Samuel 10, 8 Tu descendras avant moi à Gilgal et je t'y rejoindrai pour offrir des holocaustes et immoler des sacrifices de communion. Tu attendras sept jours que je vienne vers toi et je t'apprendrai ce que tu dois faire."

1 Samuel 10, 9 Dès qu'il eut tourné le dos pour quitter Samuel, Dieu lui changea le coeur et tous ces signes s'accomplirent le jour même.

1 Samuel 10, 10 De là ils arrivèrent à Gibéa et voici qu'une troupe de prophètes venait à sa rencontre; l'esprit de Dieu fondit sur lui et il entra en délire au milieu d'eux.

1 Samuel 10, 11 Lorsque ceux qui le connaissaient de longue date virent qu'il prophétisait avec les prophètes, les gens se dirent l'un à l'autre: "Qu'est-il arrivé au fils de Qish? Saül est-il aussi parmi les prophètes?"

1 Samuel 10, 12 Un homme du groupe reprit: "Et qui est leur père?" C'est pourquoi il est passé en proverbe de dire: "Saül est-il aussi parmi les prophètes?"

1 Samuel 10, 13 Lorsqu'il fut sorti de transe, il rentra à Gibéa.

1 Samuel 10, 14 L'oncle de Saül lui demanda ainsi qu'à son serviteur: "Où êtes-vous allés" -- "A la recherche des ânesses, répondit-il. Nous n'avons rien vu et nous sommes allés chez Samuel."

1 Samuel 10, 15 L'oncle de Saül lui dit: "Raconte-moi donc ce que Samuel vous a dit."

1 Samuel 10, 16 Saül répondit à son oncle: "Il nous a seulement annoncé que les ânesses étaient retrouvées", mais il ne lui raconta pas l'affaire de la royauté, que Samuel avait dite.

1 Samuel 10, 17 Samuel convoqua le peuple auprès de Yahvé à Miçpa

1 Samuel 10, 18 et il dit aux Israélites: "Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël: Moi, j'ai fait monter Israël d'Egypte et vous ai délivrés de l'emprise de l'Egypte et de tous les royaumes qui vous opprimaient.

1 Samuel 10, 19 Mais vous, aujourd'hui, vous avez rejeté votre Dieu, celui qui vous sauvait de tous vos maux et de toutes vos angoisses, et vous avez dit: Non, mais établis sur nous un roi!" Maintenant, comparaissez devant Yahvé par tribus et par clans."

1 Samuel 10, 20 Samuel fit approcher toutes les tribus d'Israël et la tribu de Benjamin fut désignée par le sort.

1 Samuel 10, 21 Il fit approcher la tribu de Benjamin par clans, et le clan de Matri fut désigné. Il fit approcher le clan de Matri homme par homme, et Saül, fils de Qish, fut désigné; on le chercha, mais on ne le trouva pas.

1 Samuel 10, 22 On consulta encore Yahvé: "L'homme est-il venu ici?" Et Yahvé répondit: "Le voilà caché parmi les bagages."

1 Samuel 10, 23 On courut l'y prendre et il se présenta au milieu du peuple: de l'épaule et au-dessus, il dépassait tout le monde.

1 Samuel 10, 24 Samuel dit à tout le peuple: "Avez-vous vu celui qu'a choisi Yahvé? Il n'a pas son pareil dans tout le peuple." Et tous poussèrent des acclamations et crièrent: "Vive le roi!"

1 Samuel 10, 25 Samuel exposa au peuple le droit du roi et il l'écrivit dans un livre qu'il déposa devant Yahvé. Puis Samuel renvoya le peuple chacun chez soi.

1 Samuel 10, 26 Saül aussi rentra chez lui à Gibéa, et partirent avec lui les vaillants dont Dieu avait touché le coeur.

1 Samuel 10, 27 Mais des vauriens dirent: "Comment celui-là nous sauverait-il?" Ils le méprisèrent et ne lui offrirent pas de présent. Environ un mois après,

1 Samuel 11, 1 Nahash l'Ammonite vint dresser son camp contre Yabesh de Galaad. Tous les gens de Yabesh dirent à Nahash: "Fais un traité avec nous et nous te servirons."

1 Samuel 11, 2 Mais Nahash l'Ammonite leur répondit: "Voici à quel prix je traiterai avec vous: je vous crèverai à tous l'oeil droit, j'en ferai un défi à tout Israël."

1 Samuel 11, 3 Les anciens de Yabesh lui dirent: "Accorde-nous une trêve de sept jours. Nous enverrons des messagers dans tout le territoire d'Israël et, si personne ne vient à notre secours, nous nous rendrons à toi."

1 Samuel 11, 4 Les messagers arrivèrent à Gibéa de Saül et exposèrent les choses aux oreilles du peuple, et tout le peuple se mit à crier et à pleurer.

1 Samuel 11, 5 Or, voici que Saül revenait des champs derrière ses boeufs et il demanda: "Qu'a donc le peuple à pleurer ainsi?" On lui raconta les propos des hommes de Yabesh,

1 Samuel 11, 6 et quand Saül entendit ces choses l'esprit de Yahvé fondit sur lui et il entra dans une grande colère.

1 Samuel 11, 7 Il prit une paire de boeufs et la dépeça en morceaux qu'il envoya par messagers dans tout le territoire d'Israël, avec ces mots: "Quiconque ne marchera pas à la suite de Saül, ainsi sera-t-il fait de ses boeufs." Une terreur de Yahvé s'abattit sur le peuple et ils marchèrent comme un seul homme.

1 Samuel 11, 8 Il les passa en revue à Bézeq: il y avait 300.000 Israélites et 30.000 hommes de Juda.

1 Samuel 11, 9 Il dit aux messagers qui étaient venus: "Dites aux hommes de Yabesh de Galaad: Demain, quand le soleil sera ardent, le secours vous arrivera." Une fois rentrés, les messagers donnèrent la nouvelle aux hommes de Yabesh, qui se réjouirent.

1 Samuel 11, 10 Ceux-ci dirent à Nahash: "Demain, nous sortirons vers vous et vous nous ferez tout ce qu'il vous plaira."

1 Samuel 11, 11 Le lendemain, Saül disposa l'armée en trois corps, qui envahirent le camp à la veille du matin, et ils battirent les Ammonites jusqu'au plus chaud du jour. Les survivants se dispersèrent, il n'en resta pas deux ensemble.

1 Samuel 11, 12 Alors le peuple dit à Samuel: "Qui donc disait: Saül régnera-t-il sur nous? Livrez ces gens, que nous les mettions à mort."

1 Samuel 11, 13 Mais Saül dit: "On ne mettra personne à mort en ce jour, car aujourd'hui Yahvé a opéré un salut en Israël."

1 Samuel 11, 14 Puis Samuel dit au peuple: "Venez et allons à Gilgal et nous y renouvellerons la royauté."

1 Samuel 11, 15 Tout le peuple se rendit à Gilgal et Saül y fut proclamé roi devant Yahvé, à Gilgal. Là, on immola devant Yahvé des sacrifices de communion et Saül et tous les hommes d'Israël se livrèrent à de grandes réjouissances.

1 Samuel 12, 1 Samuel dit à tout Israël: "J'ai satisfait à tout ce que vous m'avez demandé et j'ai fait régner un roi sur vous.

1 Samuel 12, 2 Désormais, c'est le roi qui marchera devant vous. Pour moi, je suis devenu vieux, j'ai blanchi et mes fils sont parmi vous. J'ai marché devant vous depuis ma jeunesse jusqu'à ce jour.

1 Samuel 12, 3 Me voici! Témoignez contre moi devant Yahvé et devant son oint: de qui ai-je pris le boeuf et de qui ai-je pris l'âne? Qui ai-je frustré et qui ai-je opprimé? De qui ai-je reçu une compensation pour que je ferme les yeux? Je vous restituerai."

1 Samuel 12, 4 Ils répondirent: "Tu ne nous as ni frustrés ni opprimés, tu n'as rien reçu de personne."

1 Samuel 12, 5 Il leur dit: "Yahvé est témoin contre vous, et son oint est témoin aujourd'hui, que vous n'avez rien trouvé entre mes mains." Et ils répondirent: "Il est témoin."

1 Samuel 12, 6 Alors Samuel dit au peuple: "Il est témoin, Yahvé qui a suscité Moïse et Aaron et qui a fait monter vos pères du pays d'Egypte.

1 Samuel 12, 7 Comparaissez maintenant; que je plaide avec vous devant Yahvé et que je vous rappelle tous les bienfaits que Yahvé a accomplis à votre égard et à l'égard de vos pères:

1 Samuel 12, 8 Quand Jacob fut venu en Egypte, les Egyptiens les opprimèrent et vos pères crièrent vers Yahvé. Celui-ci envoya Moïse et Aaron qui firent sortir vos pères d'Egypte, et il les installa en ce lieu.

1 Samuel 12, 9 Mais ils oublièrent Yahvé leur Dieu et celui-ci les livra aux mains de Sisera, chef de l'armée de Haçor, aux mains des Philistins et du roi de Moab qui leur firent la guerre.

1 Samuel 12, 10 Ils crièrent vers Yahvé: Nous avons péché, dirent-ils, car nous avons abandonné Yahvé et servi les Baals et les Astartés. Maintenant, délivre-nous de la main de nos ennemis et nous te servirons!

1 Samuel 12, 11 Alors Yahvé envoya Yerubbaal, Baraq, Jephté, Samuel, il vous a délivrés de vos ennemis d'alentour et vous êtes demeurés en sécurité.

1 Samuel 12, 12 "Cependant, lorsque vous avez vu Nahash, le roi des Ammonites, marcher contre vous, vous m'avez dit: Non! Il faut qu'un roi règne sur nous. Pourtant, Yahvé votre Dieu, c'est lui votre roi!

1 Samuel 12, 13 Voici maintenant le roi que vous avez choisi, Yahvé a établi sur vous un roi.

1 Samuel 12, 14 Si vous craignez Yahvé et le servez, si vous lui obéissez et ne vous révoltez pas contre ses ordres, si vous-mêmes et le roi qui règne sur vous, vous suivez Yahvé votre Dieu, c'est bien!

1 Samuel 12, 15 Mais si vous n'obéissez pas à Yahvé, si vous vous révoltez contre ses ordres, alors la main de Yahvé pèsera sur vous et sur votre roi.

1 Samuel 12, 16 "Encore une fois comparaissez et voyez le grand prodige que Yahvé accomplit sous vos yeux.

1 Samuel 12, 17 N'est-ce pas maintenant la moisson des blés? Eh bien, je vais invoquer Yahvé et il fera tonner et pleuvoir. Reconnaissez clairement combien grave est le mal que vous avez commis au regard de Yahvé en demandant pour vous un roi."

1 Samuel 12, 18 Samuel invoqua Yahvé et celui-ci fit tonner et pleuvoir le jour même, et tout le peuple eut une grande crainte de Yahvé et de Samuel.

1 Samuel 12, 19 Tous dirent à Samuel: "Prie Yahvé ton Dieu en faveur de tes serviteurs, afin que nous ne mourions pas; nous avons mis le comble à tous nos péchés en demandant pour nous un roi."

1 Samuel 12, 20 Mais Samuel dit au peuple: "Ne craignez pas. Oui, vous avez commis tout ce mal. Seulement, ne vous écartez pas de Yahvé et servez-le de tout votre coeur.

1 Samuel 12, 21 Ne vous écartez pas à la suite des idoles de néant qui ne servent de rien, qui ne sont d'aucun secours, car elles ne sont que néant.

1 Samuel 12, 22 En effet, Yahvé ne réprouvera pas son peuple, pour l'honneur de son grand nom, car Yahvé a daigné faire de vous son peuple.

1 Samuel 12, 23 Pour ma part, que je me garde de pécher contre Yahvé en cessant de prier pour vous et de vous enseigner le bon et droit chemin.

1 Samuel 12, 24 Craignez seulement Yahvé et servez-le sincèrement de tout votre coeur, car voyez le grand prodige qu'il a accompli parmi vous.

1 Samuel 12, 25 Mais si vous commettez le mal, vous périrez, vous et votre roi.

1 Samuel 13, 1 Saül était âgé de... ans lorsqu'il devint roi, et il régna... ans sur Israël.

1 Samuel 13, 2 Saül se choisit 3.000 hommes d'Israël: il y en eut 2.000 avec Saül à Mikmas et dans la montagne de Béthel, il y en eut mille avec Jonathan à Géba de Benjamin, et Saül renvoya le reste du peuple chacun à sa tente.

1 Samuel 13, 3 Jonathan tua le préfet des Philistins qui se trouvait à Gibéa et les Philistins apprirent que les Hébreux s'étaient révoltés. Saül fit sonner du cor dans tout le pays

1 Samuel 13, 4 et tout Israël reçut la nouvelle: "Saül a tué le préfet des Philistins, Israël s'est même rendu odieux aux Philistins!" et le peuple se groupa derrière Saül à Gilgal.

1 Samuel 13, 5 Les Philistins se rassemblèrent pour combattre Israël, 3.000 chars, 6.000 chevaux et une troupe aussi nombreuse que le sable du bord de la mer, et ils vinrent camper à Mikmas, à l'orient de Bet-Avèn.

1 Samuel 13, 6 Lorsque les Israélites se virent en détresse, car on les serrait de près, les gens se cachèrent dans les grottes, les trous, les failles de rocher, les souterrains et les citernes.

1 Samuel 13, 7 Ils passèrent aussi par les gués du Jourdain au pays de Gad et de Galaad. Saül était encore à Gilgal et le peuple tremblait derrière lui.

1 Samuel 13, 8 Il attendit sept jours, selon le terme que Samuel avait fixé, mais Samuel ne vint pas à Gilgal et l'armée, quittant Saül, se débanda.

1 Samuel 13, 9 Alors celui-ci dit: "Amenez-moi l'holocauste et les sacrifices de communion", et il offrit l'holocauste.

1 Samuel 13, 10 Or il achevait d'offrir l'holocauste lorsque Samuel arriva, et Saül sortit à sa rencontre pour le saluer.

1 Samuel 13, 11 Samuel dit: "Qu'as-tu fait", et Saül répondit: "J'ai vu que l'armée me quittait et se débandait, que d'autre part tu n'étais pas venu au jour fixé et que les Philistins étaient rassemblés à Mikmas.

1 Samuel 13, 12 Je me suis dit: Maintenant les Philistins vont descendre sur moi à Gilgal et je n'aurai pas apaisé Yahvé! Alors je me suis contraint et j'ai offert l'holocauste."

1 Samuel 13, 13 Samuel dit à Saül: "Tu as agi en insensé! Tu n'as pas observé l'ordre que Yahvé ton Dieu t'a donné. Autrement Yahvé aurait affermi pour toujours ta royauté sur Israël,

1 Samuel 13, 14 mais maintenant, ta royauté ne tiendra pas: Yahvé s'est cherché un homme selon son coeur et il l'a désigné comme chef sur son peuple, parce que tu n'as pas observé ce que Yahvé t'avait commandé."

1 Samuel 13, 15 Samuel se leva et partit de Gilgal pour suivre son chemin. Ce qui restait du peuple monta derrière Saül à la rencontre des hommes de guerre et vint de Gilgal à Géba de Benjamin. Saül passa en revue la troupe qui se trouvait avec lui: il y avait environ 600 hommes.

1 Samuel 13, 16 Saül et son fils Jonathan et la troupe qui était avec eux résidaient à Géba de Benjamin et les Philistins campaient à Mikmas.

1 Samuel 13, 17 Le corps de destruction sortit du camp philistin en trois bandes: une bande prit la direction d'Ophra, au pays de Shual,

1 Samuel 13, 18 une bande prit la direction de Bet-Horôn et une bande prit la direction de la hauteur qui surplombe la Vallée des Hyènes, vers le désert.

1 Samuel 13, 19 Il n'y avait pas de forgeron dans tout le pays d'Israël, car les Philistins s'étaient dit: "Il faut éviter que les Hébreux ne fabriquent des épées ou des lances."

1 Samuel 13, 20 Aussi tous les Israélites descendaient chez les Philistins pour reforger chacun son soc, sa hache, son herminette ou sa faucille.

1 Samuel 13, 21 Le prix était de deux tiers de sicle pour les socs et les haches, d'un tiers de sicle pour aiguiser les herminettes et redresser les aiguillons.

1 Samuel 13, 22 Aussi arriva-t-il qu'au jour de la bataille, dans l'armée qui était avec Saül et Jonathan, personne n'avait en main ni épée ni lance. Il y en avait cependant pour Saül et pour son fils Jonathan.

1 Samuel 13, 23 Un poste de Philistins partit pour la passe de Mikmas.

1 Samuel 14, 1 Un jour le fils de Saül, Jonathan, dit à son écuyer: "Viens, traversons jusqu'au poste des Philistins qui sont de l'autre côté", mais il n'avertit pas son père.

1 Samuel 14, 2 Saül était assis à la limite de Géba, sous le grenadier qui est près de l'aire, et la troupe qui était avec lui était d'environ 600 hommes.

1 Samuel 14, 3 Ahiyya, fils d'Ahitub, frère d'Ikabod, fils de Pinhas, fils d'Eli, le prêtre de Yahvé à Silo, portait l'éphod. La troupe ne remarqua pas que Jonathan était parti.

1 Samuel 14, 4 Dans le défilé que Jonathan cherchait à franchir pour atteindre le poste philistin, il y a une dent de rocher d'un côté et une dent de rocher de l'autre côté. L'une est appelée Boçèç, et l'autre Senné;

1 Samuel 14, 5 la première dent est au nord, face à Mikmas, la seconde est au sud, face à Géba.

1 Samuel 14, 6 Jonathan dit à son écuyer: "Viens, traversons jusqu'au poste de ces incirconcis. Peut-être Yahvé fera-t-il quelque chose pour nous, car rien n'empêche Yahvé de donner la victoire, qu'on soit beaucoup ou peu."

1 Samuel 14, 7 Son écuyer lui répondit: "Fais tout ce vers quoi penche ton coeur. Je suis avec toi, mon coeur est comme ton coeur."

1 Samuel 14, 8 Jonathan dit: "Voici que nous allons passer vers ces gens et nous découvrir à eux.

1 Samuel 14, 9 S'ils nous disent: Ne bougez pas jusqu'à ce que nous vous rejoignions, nous resterons sur place et nous ne monterons pas vers eux.

1 Samuel 14, 10 Mais s'ils nous disent: Montez vers nous, nous monterons, car Yahvé les aura livrés entre nos mains: cela nous servira de signe."

1 Samuel 14, 11 Lorsqu'ils se découvrirent tous les deux au poste des Philistins, ceux-ci dirent: "Voilà des Hébreux qui sortent des trous où ils se cachaient",

1 Samuel 14, 12 et les gens du poste, s'adressant à Jonathan et à son écuyer, dirent: "Montez vers nous, que nous vous apprenions quelque chose." Alors Jonathan dit à son écuyer: "Monte derrière moi, car Yahvé les a livrés aux mains d'Israël."

1 Samuel 14, 13 Jonathan monta en s'aidant des mains et des pieds, et son écuyer le suivit; ils tombaient devant Jonathan et son écuyer les achevait derrière lui.

1 Samuel 14, 14 Ce premier massacre que firent Jonathan et son écuyer fut d'une vingtaine d'hommes...

1 Samuel 14, 15 La terreur se répandit dans le camp, dans la campagne et dans tout le peuple; le poste et le corps de destruction furent saisis d'effroi eux aussi, la terre trembla et ce fut une panique de Dieu.

1 Samuel 14, 16 Les guetteurs de Saül, qui étaient à Géba de Benjamin, virent que le camp s'agitait en tout sens,

1 Samuel 14, 17 et Saül dit à la troupe qui était avec lui: "Faites l'appel et voyez qui d'entre nous est parti." On fit l'appel et voilà que Jonathan et son écuyer étaient absents!

1 Samuel 14, 18 Alors Saül dit à Ahiyya: "Apporte l'éphod", car c'était lui qui portait l'éphod en présence d'Israël.

1 Samuel 14, 19 Mais pendant que Saül parlait au prêtre, le tumulte au camp philistin allait croissant et Saül dit au prêtre: "Retire ta main."

1 Samuel 14, 20 Saül et toute la troupe qui était avec lui se réunirent et arrivèrent au lieu du combat: voilà qu'ils tiraient l'épée les uns contre les autres, une énorme panique!

1 Samuel 14, 21 Les Hébreux qui s'étaient mis auparavant au service des Philistins et qui étaient montés avec eux au camp firent défection eux aussi, pour se joindre aux Israélites qui étaient avec Saül et Jonathan.

1 Samuel 14, 22 Tous les Israélites qui s'étaient cachés dans la montagne d'Ephraïm, apprenant que les Philistins étaient en fuite, les talonnèrent aussi, en combattant.

1 Samuel 14, 23 Ce jour-là Yahvé donna la victoire à Israël. Le combat s'étendit au-delà de Bet-Horôn.

1 Samuel 14, 24 Comme les gens d'Israël étaient serrés de près ce jour-là, Saül prononça sur le peuple cette imprécation: "Maudit soit l'homme qui mangera quelque chose avant le soir, avant que j'aie tiré vengeance de mes ennemis!" Et personne du peuple ne goûta d'aucune nourriture.

1 Samuel 14, 25 Or il y avait un rayon de miel en plein champ.

1 Samuel 14, 26 Le peuple arriva au rayon de miel et le miel coulait, mais personne ne porta la main à sa bouche, car le peuple redoutait le serment juré.

1 Samuel 14, 27 Cependant Jonathan n'avait pas entendu son père imposer le serment au peuple. Il avança le bout du bâton qu'il avait à la main et le plongea dans le rayon de miel, puis il ramena la main à sa bouche; alors ses yeux s'éclaircirent.

1 Samuel 14, 28 Mais quelqu'un de la troupe prit la parole et dit: "Ton père a imposé ce serment au peuple: Maudit soit l'homme, a-t-il dit, qui mangera quelque chose aujourd'hui."

1 Samuel 14, 29 Jonathan répondit: "Mon père a fait le malheur du pays! Voyez donc comme j'ai les yeux plus clairs pour avoir goûté ce peu de miel.

1 Samuel 14, 30 A plus forte raison, si le peuple avait mangé aujourd'hui du butin qu'il a trouvé chez l'ennemi, est-ce qu'alors la défaite des Philistins n'aurait pas été plus grande?"

1 Samuel 14, 31 Ce jour-là, on battit les Philistins depuis Mikmas jusqu'à Ayyalôn et le peuple était à bout de force.

1 Samuel 14, 32 Alors le peuple se rua sur le butin, il prit du petit bétail, des boeufs, des veaux, les immola à même la terre et il se mit à manger avec le sang.

1 Samuel 14, 33 On avertit ainsi Saül: "Le peuple est en train de pécher contre Yahvé en mangeant avec le sang!" Alors il dit: "Vous avez été infidèles! Roulez-moi ici une grande pierre!"

1 Samuel 14, 34 Puis Saül dit: "Répandez-vous dans le peuple et dites: Que chacun m'amène son boeuf ou son mouton; vous les immolerez ici et vous mangerez, sans pécher contre Yahvé en mangeant avec le sang." Les hommes amenèrent chacun ce qu'il avait cette nuit-là et ils firent l'immolation en cet endroit.

1 Samuel 14, 35 Saül construisit un autel à Yahvé; ce fut le premier autel qu'il lui construisit.

1 Samuel 14, 36 Saül dit: "Descendons de nuit à la poursuite des Philistins et pillons-les jusqu'au lever du jour; nous ne leur laisserons pas un homme." On lui répondit: "Fais tout ce qui te semble bon." Mais le prêtre dit: "Approchons-nous ici de Dieu."

1 Samuel 14, 37 Saül consulta Dieu: "Descendrai-je à la poursuite des Philistins? Les livreras-tu entre les mains d'Israël?" Mais il ne lui répondit pas ce jour-là.

1 Samuel 14, 38 Alors, Saül dit: "Approchez ici, vous tous, chefs du peuple! Examinez bien en quoi a consisté la faute d'aujourd'hui.

1 Samuel 14, 39 Aussi vrai que vit Yahvé qui donne la victoire à Israël, même s'il s'agit de mon fils Jonathan, il mourra sûrement!" Personne dans tout le peuple n'osa lui répondre.

1 Samuel 14, 40 Il dit à tout Israël: "Mettez-vous d'un côté et moi avec mon fils Jonathan nous nous mettrons de l'autre", et le peuple répondit à Saül: "Fais ce qui te semble bon."

1 Samuel 14, 41 Saül dit alors: "Yahvé, Dieu d'Israël, pourquoi n'as-tu pas répondu aujourd'hui à ton serviteur? Si la faute est sur moi ou sur mon fils Jonathan, Yahvé, Dieu d'Israël, donne urim; si la faute est sur ton peuple Israël, donne tummim." Saül et Jonathan furent désignés et le peuple échappa.

1 Samuel 14, 42 Saül dit: "Jetez le sort entre moi et mon fils Jonathan", et Jonathan fut désigné.

1 Samuel 14, 43 Alors Saül dit à Jonathan: "Avoue-moi ce que tu as fait." Jonathan répondit: "J'ai seulement goûté un peu de miel avec le bout du bâton que j'avais à la main. Je suis prêt à mourir."

1 Samuel 14, 44 Saül reprit: "Que Dieu me fasse ce mal et qu'il ajoute cet autre si tu ne meurs pas, Jonathan!"

1 Samuel 14, 45 Mais le peuple dit à Saül: "Est-ce que Jonathan va mourir, lui qui a opéré cette grande victoire en Israël? Gardons-nous en! Aussi vrai que Yahvé est vivant, il ne tombera pas à terre un cheveu de sa tête, car c'est avec Dieu qu'il a agi aujourd'hui!" Ainsi le peuple racheta Jonathan et il ne mourut pas.

1 Samuel 14, 46 Saül renonça à poursuivre les Philistins et les Philistins gagnèrent leur pays.

1 Samuel 14, 47 Saül s'assura la royauté sur Israël et fit la guerre de tous côtés contre tous ses ennemis, contre Moab, les Ammonites, Edom, le roi de Coba et les Philistins; où qu'il se tournât, il était victorieux.

1 Samuel 14, 48 Il fit des prouesses de vaillance, battit les Amalécites et délivra Israël des mains de ceux qui le pillaient.

1 Samuel 14, 49 Saül eut pour fils Jonathan, Ishyo et Malki-Shua. Les noms de ses deux filles étaient Mérab pour l'aînée et Mikal pour la cadette.

1 Samuel 14, 50 La femme de Saül se nommait Ahinoam, fille d'Ahimaaç. Le chef de son armée se nommait Abner, fils de Ner, l'oncle de Saül:

1 Samuel 14, 51 Qish, le père de Saül, et Ner, le père d'Abner, étaient les fils d'Abiel.

1 Samuel 14, 52 Il y eut une guerre acharnée contre les Philistins tant que vécut Saül. Tous les braves et tous les vaillants que voyait Saül, il se les attachait.

1 Samuel 15, 1 Samuel dit à Saül: "C'est moi que Yahvé a envoyé pour te sacrer roi sur son peuple Israël. Ecoute donc les paroles de Yahvé:

1 Samuel 15, 2 Ainsi parle Yahvé Sabaot: J'ai résolu de punir ce qu'Amaleq a fait à Israël, en lui coupant la route quand il montait d'Egypte.

1 Samuel 15, 3 Maintenant, va, frappe Amaleq, voue-le à l'anathème avec tout ce qu'il possède, sois sans pitié pour lui, tue hommes et femmes, enfants et nourrissons, boeufs et brebis, chameaux et ânes."

1 Samuel 15, 4 Saül convoqua le peuple et le passa en revue à Télam: 200.000 fantassins (et 10.000 hommes de Juda).

1 Samuel 15, 5 Saül s'avança jusqu'à la ville d'Amaleq et se mit en embuscade dans le ravin.

1 Samuel 15, 6 Saül dit aux Qénites: "Partez, séparez-vous des Amalécites, de peur que je ne vous fasse disparaître avec eux, car vous avez été bienveillants à tous les Israélites quand ils montaient d'Egypte." Et les Qénites se séparèrent des Amalécites.

1 Samuel 15, 7 Saül battit les Amalécites à partir de Havila en direction de Shur, qui est à l'orient de l'Egypte.

1 Samuel 15, 8 Il prit vivant Agag, roi des Amalécites, et il passa tout le peuple au fil de l'épée, en exécution de l'anathème.

1 Samuel 15, 9 Mais Saül et l'armée épargnèrent Agag et le meilleur du petit et du gros bétail, les bêtes grasses et les agneaux, bref tout ce qu'il y avait de bon; ils ne voulurent pas le vouer à l'anathème. Mais tout le troupeau vil et sans valeur, ils le vouèrent à l'anathème.

1 Samuel 15, 10 La parole de Yahvé fut adressée à Samuel en ces termes:

1 Samuel 15, 11 "Je me repens d'avoir donné la royauté à Saül, car il s'est détourné de moi et n'a pas exécuté mes ordres." Samuel s'enflamma et cria vers Yahvé pendant toute la nuit.

1 Samuel 15, 12 Le matin, Samuel partit à la rencontre de Saül. On lui donna cette information: "Saül est allé à Karmel pour s'y dresser un trophée, puis il est reparti plus loin et il est descendu à Gilgal."

1 Samuel 15, 13 Samuel arriva auprès de Saül et Saül lui dit: "Béni sois-tu de Yahvé! J'ai exécuté l'ordre de Yahvé."

1 Samuel 15, 14 Mais Samuel demanda: "Et qu'est-ce que c'est que ces bêlements qui viennent à mes oreilles et ces meuglements que j'entends" --

1 Samuel 15, 15 "On les a amenés d'Amaleq, répondit Saül, car le peuple a épargné le meilleur du petit et du gros bétail en vue de l'offrir en sacrifice à Yahvé ton Dieu. Quant au reste, nous l'avons voué à l'anathème."

1 Samuel 15, 16 Mais Samuel dit à Saül: "Cesse donc, et laisse-moi t'annoncer ce que Yahvé m'a révélé cette nuit." Il lui dit: "Parle."

1 Samuel 15, 17 Alors Samuel dit: "Si petit que tu sois à tes propres yeux, n'es-tu pas le chef des tribus d'Israël? Yahvé t'a sacré roi sur Israël.

1 Samuel 15, 18 Il t'a envoyé en expédition et il t'a dit: Pars, voue à l'anathème ces pécheurs, les Amalécites, fais-leur la guerre jusqu'à l'extermination.

1 Samuel 15, 19 Pourquoi n'as-tu pas obéi à Yahvé? Pourquoi t'es-tu rué sur le butin et as-tu fait ce qui déplaît à Yahvé?"

1 Samuel 15, 20 Saül répondit à Samuel: "J'ai obéi à Yahvé! J'ai fait l'expédition où il m'envoyait, j'ai ramené Agag, roi d'Amaleq, et j'ai voué Amaleq à l'anathème.

1 Samuel 15, 21 Dans le butin, le peuple a pris, en petit et en gros bétail, le meilleur de ce que frappait l'anathème pour le sacrifier à Yahvé ton Dieu à Gilgal."

1 Samuel 15, 22 Mais Samuel dit: "Yahvé se plaît-il aux holocaustes et aux sacrifices comme dans l'obéissance à la parole de Yahvé? Oui, l'obéissance vaut mieux que le sacrifice, la docilité, plus que la graisse des béliers.

1 Samuel 15, 23 Un péché de sorcellerie, voilà la rébellion, un crime de téraphim, voilà la présomption! Parce que tu as rejeté la parole de Yahvé, il t'a rejeté pour que tu ne sois plus roi!"

1 Samuel 15, 24 Saül dit à Samuel: "J'ai péché en transgressant l'ordre de Yahvé et tes commandements, parce que j'ai eu peur du peuple et je lui ai obéi.

1 Samuel 15, 25 Maintenant, je t'en prie, pardonne ma faute, reviens avec moi, que j'adore Yahvé."

1 Samuel 15, 26 Mais Samuel répondit à Saül: "Je ne reviendrai pas avec toi: puisque tu as rejeté la parole de Yahvé, Yahvé t'a rejeté pour que tu ne sois plus roi sur Israël."

1 Samuel 15, 27 Comme Samuel se détournait pour partir, Saül saisit le pan de son manteau, qui fut arraché,

1 Samuel 15, 28 et Samuel lui dit: "Aujourd'hui, Yahvé t'a arraché la royauté sur Israël et l'a donnée à ton voisin, qui est meilleur que toi."

1 Samuel 15, 29 (Pourtant, la Gloire d'Israël ne ment pas et ne se repent pas, car il n'est pas un homme pour se repentir.)

1 Samuel 15, 30 Saül dit: "J'ai péché, cependant, je t'en prie, honore-moi devant les anciens de mon peuple et devant Israël, et reviens avec moi pour que j'adore Yahvé ton Dieu."

1 Samuel 15, 31 Samuel revint en compagnie de Saül et celui-ci adora Yahvé.

1 Samuel 15, 32 Puis Samuel dit: "Amenez-moi Agag, le roi des Amalécites", et Agag vint vers lui en chancelant et dit: "Vraiment, la mort est amère!"

1 Samuel 15, 33 Samuel dit: "Comme ton épée a privé des femmes de leurs enfants, entre les femmes, ta mère sera privée de son enfant!" Et Samuel égorgea Agag devant Yahvé à Gilgal.

1 Samuel 15, 34 Samuel partit pour Rama et Saül remonta chez lui à Gibéa de Saül.

1 Samuel 15, 35 Samuel ne revit plus Saül jusqu'à sa mort. En effet Samuel pleurait Saül, mais Yahvé s'était repenti de l'avoir fait roi sur Israël.

1 Samuel 16, 1 Yahvé dit à Samuel: "Jusques à quand resteras-tu à pleurer Saül, alors que moi je l'ai rejeté pour qu'il ne règne plus sur Israël? Emplis d'huile ta corne et va! Je t'envoie chez Jessé le Bethléemite, car je me suis choisi un roi parmi ses fils."

1 Samuel 16, 2 Samuel dit: "Comment pourrais-je y aller? Saül l'apprendra et il me tuera!" Mais Yahvé reprit: "Tu prendras avec toi une génisse et tu diras: C'est pour sacrifier à Yahvé que je suis venu.

1 Samuel 16, 3 Tu inviteras Jessé au sacrifice et je t'indiquerai moi-même ce que tu auras à faire: tu oindras pour moi celui que je te dirai."

1 Samuel 16, 4 Samuel fit ce que Yahvé avait ordonné. Quand il arriva à Bethléem, les anciens de la ville vinrent en tremblant à sa rencontre et demandèrent: "Ta venue est-elle de bon augure, voyant" --

1 Samuel 16, 5 "Oui, répondit Samuel, je suis venu offrir un sacrifice à Yahvé. Purifiez-vous et venez avec moi au sacrifice." Il purifia Jessé et ses fils et les invita au sacrifice.

1 Samuel 16, 6 Lorsqu'ils arrivèrent et que Samuel aperçut Eliab, il se dit: "Sûrement, Yahvé a son oint devant lui!"

1 Samuel 16, 7 Mais Yahvé dit à Samuel: "Ne considère pas son apparence ni la hauteur de sa taille, car je l'ai écarté. Les vues de Dieu ne sont pas comme les vues de l'homme, car l'homme regarde à l'apparence, mais Yahvé regarde au coeur."

1 Samuel 16, 8 Jessé appela Abinadab et le fit passer devant Samuel, qui dit: "Ce n'est pas lui non plus que Yahvé a choisi."

1 Samuel 16, 9 Jessé fit passer Shamma, mais Samuel dit: "Ce n'est pas lui non plus que Yahvé a choisi."

1 Samuel 16, 10 Jessé fit ainsi passer ses sept fils devant Samuel, mais Samuel dit à Jessé: "Yahvé n'a choisi aucun de ceux-là."

1 Samuel 16, 11 Il demanda à Jessé: "En est-ce fini avec tes garçons", et celui-ci répondit: "Il reste encore le plus jeune, il est à garder le troupeau." Alors Samuel dit à Jessé: "Envoie-le chercher, car nous ne nous mettrons pas à table avant qu'il ne soit venu ici."

1 Samuel 16, 12 Jessé l'envoya chercher: il était roux, avec un beau regard et une belle tournure. Et Yahvé dit: "Va, donne-lui l'onction: c'est lui!"

1 Samuel 16, 13 Samuel prit la corne d'huile et l'oignit au milieu de ses frères. L'esprit de Yahvé fondit sur David à partir de ce jour-là et dans la suite. Quant à Samuel, il se mit en route et partit pour Rama.

1 Samuel 16, 14 L'esprit de Yahvé s'était retiré de Saül et un mauvais esprit, venant de Yahvé, lui causait des terreurs.

1 Samuel 16, 15 Alors les serviteurs de Saül lui dirent: "Voici qu'un mauvais esprit de Dieu te cause des terreurs.

1 Samuel 16, 16 Que notre seigneur en donne l'ordre et les serviteurs qui t'assistent chercheront un homme qui sache jouer de la cithare: quand un mauvais esprit de Dieu t'assaillira, il en jouera et tu iras mieux."

1 Samuel 16, 17 Saül dit à ses serviteurs: "Trouvez-moi donc un homme qui joue bien et amenez-le-moi."

1 Samuel 16, 18 L'un des serviteurs prit la parole et dit: "J'ai vu un fils de Jessé, le Bethléemite: il sait jouer, et c'est un vaillant, un homme de guerre, il parle bien, il est beau et Yahvé est avec lui."

1 Samuel 16, 19 Saül dépêcha donc des messagers à Jessé, avec cet ordre: "Envoie-moi ton fils David (qui est avec le troupeau").

1 Samuel 16, 20 Jessé prit cinq pains, une outre de vin, un chevreau et fit tout porter à Saül par son fils David.

1 Samuel 16, 21 David arriva auprès de Saül et se mit à son service. Saül se prit d'une grande affection pour lui et David devint son écuyer.

1 Samuel 16, 22 Saül envoya dire à Jessé: "Que David reste donc à mon service, car il a gagné ma bienveillance."

1 Samuel 16, 23 Ainsi, chaque fois que l'esprit de Dieu assaillait Saül, David prenait la cithare et il en jouait; alors Saül se calmait, il allait mieux et le mauvais esprit s'écartait de lui.

1 Samuel 17, 1 Les Philistins rassemblèrent leurs troupes pour la guerre, ils se concentrèrent à Soko de Juda, et campèrent entre Soko et Azéqa, à Ephès-Dammim.

1 Samuel 17, 2 Saül et les Israélites se concentrèrent et campèrent dans la vallée du Térébinthe et ils se rangèrent en bataille face aux Philistins.

1 Samuel 17, 3 Les Philistins occupaient la montagne d'un côté, les Israélites occupaient la montagne de l'autre côté et la vallée était entre eux.

1 Samuel 17, 4 Un champion sortit des rangs philistins. Il s'appelait Goliath, de Gat, et sa taille était de six coudées et un empan.

1 Samuel 17, 5 Il avait sur la tête un casque de bronze et il était revêtu d'une cuirasse à écailles; la cuirasse pesait 5.000 sicles de bronze.

1 Samuel 17, 6 Il avait aux jambes des jambières de bronze, et un cimeterre de bronze en bandoulière.

1 Samuel 17, 7 Le bois de sa lance était comme un liais de tisserand et la pointe de sa lance pesait 600 sicles de fer. Le porte-bouclier marchait devant lui.

1 Samuel 17, 8 Il se campa devant les lignes israélites et leur cria: "Pourquoi êtes-vous sortis pour vous ranger en bataille? Ne suis-je pas, moi, le Philistin, et vous, n'êtes-vous pas les serviteurs de Saül? Choisissez-vous un homme et qu'il descende vers moi.

1 Samuel 17, 9 S'il l'emporte en luttant avec moi et s'il m'abat, alors nous serons vos serviteurs; si je l'emporte sur lui et si je l'abats, alors vous deviendrez nos serviteurs, vous nous serez asservis."

1 Samuel 17, 10 Le Philistin dit aussi: "Moi, j'ai lancé aujourd'hui un défi aux lignes d'Israël. Donnez-moi un homme, et que nous nous mesurions en combat singulier!"

1 Samuel 17, 11 Quand Saül et tout Israël entendirent ces paroles du Philistin, ils furent consternés et ils eurent très peur.

1 Samuel 17, 12 David était le fils d'un Ephratéen de Bethléem de Juda, qui s'appelait Jessé et qui avait huit fils. Cet homme, au temps de Saül, était vieux et chargé d'années.

1 Samuel 17, 13 Les trois fils aînés de Jessé partirent en guerre derrière Saül. Ses trois fils qui partirent en guerre s'appelaient l'aîné Eliab, le second Abinadab et le troisième Shamma.

1 Samuel 17, 14 David était le plus jeune et les trois aînés partirent derrière Saül.

1 Samuel 17, 15 (David allait et venait du service de Saül au soin du troupeau de son père à Bethléem.

1 Samuel 17, 16 Le Philistin s'approchait matin et soir et il se présenta ainsi pendant 40 jours.)

1 Samuel 17, 17 Jessé dit à son fils David: "Emporte donc à tes frères cette mesure de grain grillé et ces dix pains, va vite au camp vers tes frères.

1 Samuel 17, 18 Quant à ces dix morceaux de fromage, tu les offriras au chef de mille. Tu t'informeras de la santé de tes frères et tu rapporteras d'eux un gage.

1 Samuel 17, 19 Ils sont avec Saül et tous les hommes d'Israël dans la vallée du Térébinthe, faisant la guerre aux Philistins."

1 Samuel 17, 20 David se leva de bon matin, il laissa le troupeau à un gardien, prit sa charge et partit comme lui avait ordonné Jessé. Il arriva au campement au moment où l'armée sortait pour prendre ses positions et poussait le cri de guerre.

1 Samuel 17, 21 Israël et les Philistins se rangèrent ligne contre ligne.

1 Samuel 17, 22 David laissa son chargement aux mains du gardien des bagages, il courut aux lignes et demanda à ses frères comment ils allaient.

1 Samuel 17, 23 Pendant qu'il parlait, le champion (il s'appelait Goliath, le Philistin de Gat) montait des lignes philistines. Il dit les mêmes paroles que ci-dessus et David les entendit.

1 Samuel 17, 24 Dès qu'ils aperçurent l'homme, tous les Israélites s'enfuirent loin de lui et eurent très peur.

1 Samuel 17, 25 Les gens d'Israël dirent: "Avez-vous vu cet homme qui monte? C'est pour lancer un défi à Israël qu'il monte. Celui qui l'abattra, le roi le comblera de richesses, il lui donnera sa fille et exemptera sa maison paternelle en Israël."

1 Samuel 17, 26 David demanda aux hommes qui se tenaient près de lui: "Qu'est-ce qu'on fera à celui qui abattra ce Philistin et qui écartera la honte d'Israël? Qu'est-ce que ce Philistin incirconcis pour qu'il ait lancé un défi aux troupes du Dieu vivant?"

1 Samuel 17, 27 Le peuple lui répondit comme ci-dessus: "Voilà ce qu'on fera à celui qui l'abattra."

1 Samuel 17, 28 Son frère aîné Eliab l'entendit qui parlait aux gens et Eliab se mit en colère contre David et dit: "Pourquoi donc es-tu descendu? A qui as-tu laissé ces quelques brebis dans le désert? Je connais ton insolence et la malice de ton coeur: c'est pour voir la bataille que tu es venu!"

1 Samuel 17, 29 David répondit: "Qu'est-ce que j'ai fait? Est-ce qu'on ne peut plus parler?"

1 Samuel 17, 30 Il se détourna de lui et s'adressa à un autre. Il posa la même question et on lui répondit comme la première fois.

1 Samuel 17, 31 On entendit les paroles de David et on les rapporta à Saül qui le fit venir.

1 Samuel 17, 32 David dit à Saül: "Que personne ne perde courage à cause de lui. Ton serviteur ira se battre contre ce Philistin."

1 Samuel 17, 33 Mais Saül répondit à David: "Tu ne peux pas marcher contre ce Philistin pour lutter avec lui, car tu n'es qu'un enfant, et lui, il est un homme de guerre depuis sa jeunesse."

1 Samuel 17, 34 Mais David dit à Saül: "Quand ton serviteur faisait paître les brebis de son père et que venait un lion ou un ours qui enlevait une brebis du troupeau,

1 Samuel 17, 35 je le poursuivais, je le frappais et j'arrachais celle-ci de sa gueule. Et s'il se dressait contre moi, je le saisissais par les poils du menton et je le frappais à mort.

1 Samuel 17, 36 Ton serviteur a battu le lion et l'ours, il en sera de ce Philistin incirconcis comme de l'un d'eux, puisqu'il a défié les troupes du Dieu vivant."

1 Samuel 17, 37 David dit encore: "Yahvé qui m'a sauvé de la griffe du lion et de l'ours me sauvera des mains de ce Philistin." Alors Saül dit à David: "Va et que Yahvé soit avec toi!"

1 Samuel 17, 38 Saül revêtit David de sa tenue militaire, lui mit sur la tête un casque de bronze et lui fit endosser une cuirasse.

1 Samuel 17, 39 Il ceignit David de son épée, par-dessus sa tenue. David essaya de marcher, car il n'était pas entraîné, et il dit à Saül: "Je ne puis pas marcher avec cela, car je ne suis pas entraîné." On l'en débarrassa donc.

1 Samuel 17, 40 David prit son bâton en main, il se choisit dans le torrent cinq pierres bien lisses et les mit dans son sac de berger, sa giberne, puis, la fronde à la main, il marcha vers le Philistin.

1 Samuel 17, 41 Le Philistin s'approcha de plus en plus près de David, précédé du porte-bouclier.

1 Samuel 17, 42 Le Philistin tourna les yeux vers David et, lorsqu'il le vit, il le méprisa car il était jeune -- il était roux, avec une belle apparence.

1 Samuel 17, 43 Le Philistin dit à David: "Suis-je un chien pour que tu viennes contre moi avec des bâtons?" Et le Philistin maudit David par ses dieux.

1 Samuel 17, 44 Le Philistin dit à David: "Viens vers moi, que je donne ta chair aux oiseaux du ciel et aux bêtes des champs!"

1 Samuel 17, 45 Mais David répondit au Philistin: "Tu marches contre moi avec épée, lance et cimeterre, mais moi, je marche contre toi au nom de Yahvé Sabaot, le Dieu des troupes d'Israël que tu as défiées.

1 Samuel 17, 46 Aujourd'hui, Yahvé te livrera en ma main, je t'abattrai, je te couperai la tête, je donnerai aujourd'hui même ton cadavre et les cadavres de l'armée philistine aux oiseaux du ciel et aux bêtes sauvages. Toute la terre saura qu'il y a un Dieu en Israël,

1 Samuel 17, 47 et toute cette assemblée saura que ce n'est pas par l'épée ni par la lance que Yahvé donne la victoire, car Yahvé est maître du combat et il vous livre entre nos mains."

1 Samuel 17, 48 Dès que le Philistin s'avança et marcha au-devant de David, celui-ci sortit des lignes et courut à la rencontre du Philistin.

1 Samuel 17, 49 Il mit la main dans son sac et en prit une pierre qu'il tira avec la fronde. Il atteignit le Philistin au front; la pierre s'enfonça dans son front et il tomba la face contre terre.

1 Samuel 17, 50 Ainsi David triompha du Philistin avec la fronde et la pierre: il abattit le Philistin et le fit mourir; il n'y avait pas d'épée entre les mains de David.

1 Samuel 17, 51 David courut et se tint debout sur le Philistin; saisissant l'épée de celui-ci, il la tira du fourreau, il acheva le Philistin et, avec elle, il lui trancha la tête. Les Philistins voyant que leur champion était mort, s'enfuirent.

1 Samuel 17, 52 Les hommes d'Israël et de Juda se mirent en mouvement, poussèrent le cri de guerre et poursuivirent les Philistins jusqu'aux approches de Gat et jusqu'aux portes d'Eqrôn. Des morts philistins jonchèrent le chemin depuis Shaarayim jusqu'à Gat et Eqrôn.

1 Samuel 17, 53 Les Israélites revinrent de cette poursuite acharnée et pillèrent le camp philistin.

1 Samuel 17, 54 David prit la tête du Philistin et l'apporta à Jérusalem; quant à ses armes, il les mit dans sa propre tente.

1 Samuel 17, 55 En voyant David partir à la rencontre du Philistin, Saül avait demandé à Abner, le chef de l'armée: "De qui ce jeune homme est-il le fils, Abner?" Et Abner répondit: "Aussi vrai que tu es vivant, ô roi, je n'en sais rien."

1 Samuel 17, 56 Le roi dit: "Informe-toi de qui ce garçon est le fils."

1 Samuel 17, 57 Lorsque David revint d'avoir tué le Philistin, Abner le prit et le conduisit devant Saül, tenant dans sa main la tête du Philistin.

1 Samuel 17, 58 Saül lui demanda: "De qui es-tu le fils, jeune homme?" David répondit: "De ton serviteur Jessé le Bethléemite."

1 Samuel 18, 1 Lorsqu'il eut fini de parler à Saül, l'âme de Jonathan s'attacha à l'âme de David et Jonathan se mit à l'aimer comme lui-même.

1 Samuel 18, 2 Saül le retint ce jour même et ne lui permit pas de retourner chez son père.

1 Samuel 18, 3 Jonathan conclut un pacte avec David, car il l'aimait comme lui-même:

1 Samuel 18, 4 Jonathan se dépouilla du manteau qu'il avait sur lui et il le donna à David, ainsi que sa tenue, jusqu'à son épée, son arc et son ceinturon.

1 Samuel 18, 5 Dans ses sorties, partout où l'envoyait Saül, David remportait des succès et Saül le mit à la tête des hommes de guerre; il était bien vu de tout le peuple, et même des officiers de Saül.

1 Samuel 18, 6 A leur retour, quand David revint d'avoir tué le Philistin, les femmes sortirent de toutes les villes d'Israël au-devant du roi Saül pour chanter en dansant, au son des tambourins, des cris d'allégresse et des sistres.

1 Samuel 18, 7 Les femmes qui dansaient chantaient ceci: "Saül a tué ses milliers, et David ses myriades."

1 Samuel 18, 8 Saül fut très irrité et cette affaire lui déplut. Il dit: "On a donné les myriades à David et à moi les milliers, il ne lui manque plus que la royauté!"

1 Samuel 18, 9 Et, à partir de ce jour, Saül regarda David d'un oeil jaloux.

1 Samuel 18, 10 Le lendemain, un mauvais esprit de Dieu assaillit Saül qui entra en délire au milieu de la maison. David jouait de la cithare comme les autres jours et Saül avait sa lance à la main.

1 Samuel 18, 11 Saül brandit sa lance et dit: "Je vais clouer David au mur", mais David l'évita par deux fois.

1 Samuel 18, 12 Saül eut peur de David car Yahvé était avec celui-ci et s'était détourné de Saül.

1 Samuel 18, 13 Alors Saül l'écarta d'auprès de lui et l'institua chef de mille: il sortait et rentrait à la tête du peuple.

1 Samuel 18, 14 Dans toutes ses expéditions, David réussissait et Yahvé était avec lui.

1 Samuel 18, 15 Voyant qu'il réussissait très bien, Saül le craignait,

1 Samuel 18, 16 mais tous en Israël et en Juda aimaient David, car il sortait et rentrait à leur tête.

1 Samuel 18, 17 Saül dit à David: "Voici ma fille aînée Mérab, je vais te la donner pour femme; sers-moi seulement en brave et combats les guerres de Yahvé." Saül s'était dit: "Qu'il ne tombe pas sous ma main, mais sous celle des Philistins!"

1 Samuel 18, 18 David répondit à Saül: "Qui suis-je et quel est mon lignage, la famille de mon père, en Israël, pour que je devienne le gendre du roi?"

1 Samuel 18, 19 Mais, lorsque vint le moment de donner à David la fille de Saül, Mérab, on la donna à Adriel de Mehola.

1 Samuel 18, 20 Or Mikal, la fille de Saül, s'éprit de David et on l'annonça à Saül, qui trouva cela bien.

1 Samuel 18, 21 Il se dit: "Je la lui donnerai, mais elle sera un piège pour lui et la main des Philistins sera sur lui." (Saül dit deux fois à David: "Tu seras aujourd'hui mon gendre.)"

1 Samuel 18, 22 Alors Saül donna cet ordre à ses serviteurs: "Parlez en secret à David et dites: Tu plais au roi et tous ses serviteurs t'aiment, deviens donc le gendre du roi."

1 Samuel 18, 23 Les serviteurs de Saül répétèrent ces paroles aux oreilles de David, mais David répliqua: "Est-ce une petite chose à vos yeux de devenir le gendre du roi? Moi, je ne suis qu'un homme pauvre et de basse condition."

1 Samuel 18, 24 Les serviteurs de Saül en référèrent à celui-ci: "Voilà les paroles que David a dites."

1 Samuel 18, 25 Saül répondit: "Vous direz ceci à David: Le roi ne désire pas un paiement, mais cent prépuces de Philistins, pour tirer vengeance des ennemis du roi." Saül comptait faire tomber David aux mains des Philistins.

1 Samuel 18, 26 Les serviteurs de Saül rapportèrent ces paroles à David et celui-ci trouva que l'affaire était bonne, pour devenir le gendre du roi. Le temps n'était pas écoulé

1 Samuel 18, 27 que David se mit en campagne et partit avec ses hommes. Il tua aux Philistins 200 hommes, il rapporta leurs prépuces et les compta au roi, pour devenir son gendre. Alors Saül lui donna pour femme sa fille Mikal.

1 Samuel 18, 28 Saül dut reconnaître que Yahvé était avec David et que toute la maison d'Israël l'aimait.

1 Samuel 18, 29 Alors Saül eut encore plus peur de David et il conçut contre lui une hostilité de tous les jours.

1 Samuel 18, 30 Les princes des Philistins firent campagne, mais chaque fois qu'ils faisaient campagne, David remportait plus de succès que tous les officiers de Saül, et il acquit un très grand renom.

1 Samuel 19, 1 Saül communiqua à son fils Jonathan et à tous ses officiers son dessein de faire mourir David. Or Jonathan, fils de Saül, avait beaucoup d'affection pour David

1 Samuel 19, 2 et il avertit ainsi David: "Mon père Saül cherche à te faire mourir. Sois donc sur tes gardes demain matin, reste à l'abri et dissimule-toi.

1 Samuel 19, 3 Moi, je sortirai et je me tiendrai à côté de mon père dans le champ où tu seras, je parlerai de toi à mon père, je verrai ce qu'il y a et je t'en informerai."

1 Samuel 19, 4 Jonathan dit du bien de David à son père Saül et il lui parla ainsi: "Que le roi ne pèche pas contre son serviteur David, car celui-ci n'a commis aucune faute contre toi; bien plutôt, ce qu'il a fait a été d'un grand profit pour toi.

1 Samuel 19, 5 Il a risqué sa vie, il a abattu le Philistin et Yahvé a procuré une grande victoire à tout Israël: tu as vu et tu t'es réjoui. Pourquoi pécherais-tu par le sang d'un innocent en faisant mourir David sans raison?"

1 Samuel 19, 6 Saül céda aux paroles de Jonathan et il fit ce serment: "Aussi vrai que Yahvé est vivant, il ne mourra pas!"

1 Samuel 19, 7 Alors Jonathan appela David et il lui rapporta toutes ces choses. Puis il le conduisit à Saül et David reprit son service comme auparavant.

1 Samuel 19, 8 Comme la guerre avait repris, David se mit en campagne et combattit les Philistins; il leur infligea une grande défaite et ils s'enfuirent devant lui.

1 Samuel 19, 9 Or un mauvais esprit de Yahvé prit possession de Saül: comme il était assis dans sa maison, sa lance à la main, et que David jouait de la cithare,

1 Samuel 19, 10 Saül essaya de clouer David au mur avec sa lance, mais celui-ci esquiva le coup de Saül, qui planta sa lance dans le mur. David prit la fuite et se sauva. Cette même nuit,

1 Samuel 19, 11 Saül envoya des émissaires surveiller la maison de David, voulant le mettre à mort dès le matin. Mais la femme de David, Mikal, lui donna cet avertissement: "Si tu ne t'échappes pas cette nuit, demain tu es un homme mort!"

1 Samuel 19, 12 Mikal fit descendre David par la fenêtre. Il partit, prit la fuite et se sauva.

1 Samuel 19, 13 Mikal prit le téraphim, elle le plaça sur le lit, mit à son chevet une tresse en poils de chèvre et le couvrit d'un vêtement.

1 Samuel 19, 14 Lorsque Saül envoya des messagers pour s'emparer de David, elle dit: "Il est malade."

1 Samuel 19, 15 Mais Saül renvoya les messagers voir David et leur dit: "Portez-le moi dans son lit pour que je le mette à mort!"

1 Samuel 19, 16 Les messagers entrèrent, et voilà que c'était le téraphim dans le lit, avec la tresse en poils de chèvre à son chevet!

1 Samuel 19, 17 Saül dit à Mikal: "Pourquoi m'as-tu ainsi trahi et as-tu laissé partir mon ennemi pour qu'il s'échappe?" Mikal répondit à Saül: "C'est lui qui m'a dit: Laisse-moi partir, ou je te tue!"

1 Samuel 19, 18 David avait donc pris la fuite et s'était échappé. Il se rendit chez Samuel à Rama et lui rapporta tout ce que Saül lui avait fait. Lui et Samuel allèrent habiter aux cellules.

1 Samuel 19, 19 On informa ainsi Saül: "Voici que David est aux cellules à Rama."

1 Samuel 19, 20 Saül envoya des messagers pour se saisir de David et ceux-ci virent la communauté des prophètes en train de prophétiser, Samuel se tenant à leur tête. Alors l'esprit de Dieu s'empara des messagers de Saül et ils furent pris de délire eux aussi.

1 Samuel 19, 21 On avertit Saül, qui envoya d'autres messagers, et ils furent pris de délire eux aussi. Saül envoya un troisième groupe de messagers, et ils furent pris de délire eux aussi.

1 Samuel 19, 22 Alors il partit lui-même pour Rama et arriva à la grande citerne qui est à Sékû. Il demanda où étaient Samuel et David et on répondit: "Ils sont aux cellules à Rama."

1 Samuel 19, 23 De là il se rendit donc aux cellules à Rama. Mais l'esprit de Dieu s'empara aussi de lui et il marcha en délirant jusqu'à son arrivée aux cellules à Rama.

1 Samuel 19, 24 Lui aussi il se dépouilla de ses vêtements, lui aussi il fut pris de délire devant Samuel, puis il s'écroula nu et resta ainsi tout ce jour et toute la nuit. D'où le dicton: "Saül est-il aussi parmi les prophètes?"

1 Samuel 20, 1 S'étant enfui des cellules qui sont à Rama, David vint dire en face à Jonathan: "Qu'ai-je donc fait, quelle a été ma faute, quel a été mon crime envers ton père pour qu'il en veuille à ma vie?"

1 Samuel 20, 2 Il lui répondit: "Loin de toi cette pensée! Tu ne mourras pas. Mon père n'entreprend aucune chose, importante ou non, sans m'en faire la confidence. Pourquoi mon père m'aurait-il caché cette affaire? C'est impossible!"

1 Samuel 20, 3 David fit ce serment: "Ton père sait très bien que j'ai ta faveur et il s'est dit: Que Jonathan ne sache rien, de peur qu'il n'en soit peiné. Mais, aussi vrai que vit Yahvé et que tu vis toi-même, il n'y a qu'un pas entre moi et la mort."

1 Samuel 20, 4 Jonathan dit à David: "Que veux-tu que je fasse pour toi?"

1 Samuel 20, 5 David répondit à Jonathan: "C'est demain la nouvelle lune et je devrais m'asseoir avec le roi pour manger, mais tu me laisseras partir et je me cacherai dans la campagne jusqu'au soir.

1 Samuel 20, 6 Si ton père remarque mon absence, tu diras: David m'a demandé avec instance la permission de faire une course à Bethléem, sa ville, car on y célèbre le sacrifice annuel pour tout le clan.

1 Samuel 20, 7 S'il dit: C'est bien, ton serviteur est sauf, mais s'il se met en colère, sache que le malheur est décidé de sa part.

1 Samuel 20, 8 Montre ta bonté envers ton serviteur, puisque tu l'as uni à toi dans un pacte au nom de Yahvé, et, si je suis en faute, fais-moi mourir toi-même; pourquoi m'amener jusqu'à ton père?"

1 Samuel 20, 9 Jonathan reprit: "Loin de toi cette pensée! Si je savais vraiment que mon père est décidé à faire venir sur toi un malheur, est-ce que je ne t'avertirais pas?"

1 Samuel 20, 10 David demanda à Jonathan: "Qui m'avertira si ton père te répond durement?"

1 Samuel 20, 11 Jonathan dit à David: "Viens, sortons dans la campagne", et ils sortirent tous deux dans la campagne.

1 Samuel 20, 12 Jonathan dit à David: "Par Yahvé, Dieu d'Israël! je sonderai mon père demain à la même heure: s'il en va bien pour David et si je n'envoie pas t'en faire confidence,

1 Samuel 20, 13 que Yahvé fasse à Jonathan ce mal et qu'il ajoute encore cet autre! S'il paraît bon à mon père d'amener le malheur sur toi, je t'en ferai confidence et je te laisserai aller; tu partiras sain et sauf, et que Yahvé soit avec toi comme il fut avec mon père!

1 Samuel 20, 14 Si je suis encore vivant, puisses-tu me témoigner une bonté de Yahvé; si je meurs,

1 Samuel 20, 15 ne retire jamais ta bonté à ma maison. Quand Yahvé supprimera de la face de la terre les ennemis de David,

1 Samuel 20, 16 que le nom de Jonathan ne sois pas supprimé avec la maison de Saül, sinon Yahvé en demandera compte à David"

1 Samuel 20, 17 Jonathan prêta de nouveau serment à David, parce qu'il l'aimait de toute son âme.

1 Samuel 20, 18 Jonathan lui dit: "C'est demain la nouvelle lune et on remarquera ton absence, car ta place sera vide.

1 Samuel 20, 19 Après-demain, on remarquera beaucoup ton absence, tu iras à l'endroit où tu t'étais caché le jour de l'affaire, tu t'assiéras à côté de ce tertre que tu sais.

1 Samuel 20, 20 Pour moi, après-demain, je lancerai des flèches de ce côté-là comme pour tirer à la cible.

1 Samuel 20, 21 J'enverrai le servant: Va! Trouve la flèche. Si je dis au servant: La flèche est en deçà de toi, prends-la, viens, c'est que cela va bien pour toi et qu'il n'y a rien, aussi vrai que Yahvé est vivant.

1 Samuel 20, 22 Mais si je dis au garçon: La flèche est au-delà de toi, pars, car c'est Yahvé qui te renvoie.

1 Samuel 20, 23 Quant à la parole que nous avons échangée, moi et toi, Yahvé est témoin pour toujours entre nous deux."

1 Samuel 20, 24 Donc David se cacha dans la campagne. La nouvelle lune arriva et le roi se mit à table pour manger.

1 Samuel 20, 25 Le roi s'assit à sa place habituelle, la place contre le mur, Jonathan se mit en face, Abner s'assit à côté de Saül et la place de David resta inoccupée.

1 Samuel 20, 26 Cependant, Saül ne dit rien ce jour-là; il pensa: "C'est un accident, il n'est pas pur."

1 Samuel 20, 27 Le lendemain de la nouvelle lune, le second jour, la place de David resta inoccupée et Saül dit à son fils Jonathan: "Pourquoi le fils de Jessé n'est-il venu au repas ni hier ni aujourd'hui?"

1 Samuel 20, 28 Jonathan répondit à Saül: "David m'a demandé avec instance la permission d'aller à Bethléem.

1 Samuel 20, 29 Il m'a dit: Laisse-moi partir, je te prie, car nous avons un sacrifice de clan à la ville et mes frères m'ont réclamé; maintenant, si j'ai acquis ta faveur, laisse-moi m'échapper, que j'aille voir mes frères. Voilà pourquoi il n'est pas venu à la table du roi."

1 Samuel 20, 30 Saül s'enflamma de colère contre Jonathan et il lui dit: "Fils d'une dévoyée! Ne sais-je pas que tu prends parti pour le fils de Jessé, à ta honte et à la honte de la nudité de ta mère?

1 Samuel 20, 31 Aussi longtemps que le fils de Jessé vivra sur la terre, tu ne seras pas en sécurité ni ta royauté. Maintenant, fais-le chercher et amène-le-moi, car il est passible de mort."

1 Samuel 20, 32 Jonathan répliqua à son père et lui dit: "Pourquoi mourrait-il. Qu'a-t-il fait?"

1 Samuel 20, 33 Alors Saül brandit sa lance contre lui pour le frapper, et Jonathan comprit que la mort de David était chose décidée de la part de son père.

1 Samuel 20, 34 Jonathan se leva de table échauffé de colère, et il ne mangea rien ce second jour du mois parce qu'il était peiné au sujet de David, parce que son père l'avait insulté.

1 Samuel 20, 35 Le lendemain matin, Jonathan sortit dans la campagne pour le rendez-vous avec David; il était accompagné d'un jeune servant.

1 Samuel 20, 36 Il dit à son servant: "Cours et trouve les flèches que je vais tirer." Le servant courut et Jonathan tira la flèche de manière à le dépasser.

1 Samuel 20, 37 Quand le servant arriva vers l'endroit de la flèche qu'il avait tirée, Jonathan lui cria: "Est-ce que la flèche n'est pas au-delà de toi?"

1 Samuel 20, 38 Jonathan cria encore au servant: "Vite! Dépêche-toi, ne t'arrête pas." Le servant de Jonathan ramassa la flèche et l'apporta à son maître.

1 Samuel 20, 39 Le servant ne se doutait de rien, seuls Jonathan et David savaient de quoi il s'agissait.

1 Samuel 20, 40 Jonathan remit les armes à son servant et lui dit: "Va et porte cela à la ville."

1 Samuel 20, 41 Tandis que le servant rentrait, David se leva d'à côté du tertre, il tomba la face contre terre et se prosterna trois fois, puis ils s'embrassèrent l'un l'autre et ils pleurèrent ensemble abondamment.

1 Samuel 20, 42 Jonathan dit à David: "Va en paix. Quant au serment que nous avons juré tous les deux par le nom de Yahvé, que Yahvé soit témoin pour toujours entre moi et toi, entre ma descendance et la tienne."

1 Samuel 21, 1 David" se leva et partit, et Jonathan rentra en ville.

1 Samuel 21, 2 David arriva à Nob chez le prêtre Ahimélek. Celui-ci vint en tremblant au-devant de David et lui demanda: "Pourquoi es-tu seul et n'y a-t-il personne avec toi?"

1 Samuel 21, 3 David répondit au prêtre Ahimélek: "Le roi m'a donné un ordre et m'a dit: Que personne ne sache la mission dont je te charge et l'ordre que je te donne! Quant à mes hommes, je leur ai donné rendez-vous à tel endroit.

1 Samuel 21, 4 Maintenant, si tu as sous la main cinq pains, donne-les-moi, ou ce qui se trouvera."

1 Samuel 21, 5 Le prêtre répondit: "Je n'ai pas de pain ordinaire sous la main, il n'y a que du pain consacré -- pourvu que tes hommes se soient gardés de rapports avec les femmes."

1 Samuel 21, 6 David répondit au prêtre: "Bien sûr, les femmes nous ont été interdites, comme toujours quand je pars en campagne, et les choses des hommes sont en état de pureté. C'est un voyage profane, mais vraiment aujourd'hui ils sont en état de pureté quant à la chose."

1 Samuel 21, 7 Alors le prêtre lui donna ce qui avait été consacré, car il n'y avait pas d'autre pain que le pain d'oblation, celui qu'on retire de devant Yahvé pour le remplacer par du pain chaud, quand on le prend.

1 Samuel 21, 8 Or, ce jour même, se trouvait là un des serviteurs de Saül, retenu devant Yahvé; il se nommait Doëg l'Edomite et était le plus robuste des bergers de Saül.

1 Samuel 21, 9 David dit à Ahimélek: "Et n'y a-t-il pas ici sous ta main une lance ou une épée? Je n'ai pris avec moi ni mon épée ni mes armes, tant l'affaire du roi était urgente."

1 Samuel 21, 10 Le prêtre répondit: "L'épée de Goliath le Philistin, que tu as abattu dans la vallée du Térébinthe, est là, enveloppée dans un manteau derrière l'éphod. Si tu veux, prends-la, il n'y en a pas d'autre ici. David répondit: "Elle n'a pas sa pareille, donne-la-moi."

1 Samuel 21, 11 David se leva et s'enfuit ce jour-là loin de Saül et il arriva chez Akish, roi de Gat.

1 Samuel 21, 12 Mais les serviteurs d'Akish dirent à celui-ci: "Est-ce que ce n'est pas David, le roi du pays? N'est-ce pas pour celui-là qu'on chantait dans les danses: "Saül a tué ses milliers, et David ses myriades."

1 Samuel 21, 13 David réfléchit sur ces paroles et il eut très peur d'Akish, roi de Gat.

1 Samuel 21, 14 Alors, il fit l'insensé sous leurs yeux et il simula la démence entre leurs mains: il tambourinait sur les battants de la porte et laissait sa salive couler sur sa barbe.

1 Samuel 21, 15 Akish dit à ses serviteurs: "Vous voyez bien que c'est un fou! Pourquoi me l'amenez-vous?

1 Samuel 21, 16 Est-ce que je manque de fous, que vous m'ameniez celui-ci pour m'ennuyer avec ses folies? Va-t-il entrer dans ma maison?"

1 Samuel 22, 1 David partit de là et se réfugia dans la grotte d'Adullam. Ses frères et toute sa famille l'apprirent et descendirent l'y rejoindre.

1 Samuel 22, 2 Tous les gens en détresse, tous ceux qui avaient des créanciers, tous les mécontents se rassemblèrent autour de lui et il devint leur chef. Il y avait avec lui environ 400 hommes.

1 Samuel 22, 3 De là, David se rendit à Miçpé de Moab et dit au roi de Moab: "Permets que mon père et ma mère restent avec vous jusqu'à ce que je sache ce que Dieu fera pour moi."

1 Samuel 22, 4 Il les laissa chez le roi de Moab et ils restèrent avec celui-ci tout le temps que David fut dans le refuge.

1 Samuel 22, 5 Le prophète Gad dit à David: "Ne reste pas dans le refuge, va-t'en et enfonce-toi dans le pays de Juda." David partit et se rendit dans la forêt de Hérèt.

1 Samuel 22, 6 Saül apprit qu'on avait découvert David et les hommes qui l'accompagnaient. Saül était à Gibéa, assis sous le tamaris du haut lieu, sa lance à la main, et tous ses officiers se tenaient debout près de lui.

1 Samuel 22, 7 Et Saül dit aux officiers qui se tenaient près de lui: "Ecoutez donc, Benjaminites! Le fils de Jessé aussi vous donnera-t-il à tous des champs et des vignes et vous nommera-t-il tous chefs de mille et chefs de cent,

1 Samuel 22, 8 que vous conspiriez tous contre moi? Personne ne m'avertit quand mon fils pactise avec le fils de Jessé, personne de vous n'a pitié de moi et ne me révèle que mon fils a dressé mon serviteur en ennemi contre moi, comme il apparaît aujourd'hui."

1 Samuel 22, 9 Doëg l'Edomite, qui se tenait près des officiers de Saül, prit la parole et dit: "J'ai vu le fils de Jessé qui venait à Nob chez Ahimélek, fils d'Ahitub.

1 Samuel 22, 10 Celui-ci a consulté Yahvé pour lui, il lui a donné des vivres, il lui a remis aussi l'épée de Goliath le Philistin."

1 Samuel 22, 11 Alors Saül fit appeler le prêtre Ahimélek fils d'Ahitub et toute sa famille, les prêtres de Nob, et ils vinrent tous chez le roi.

1 Samuel 22, 12 Saül dit: "Ecoute donc, fils d'Ahitub!" et il répondit: "Me voici, Monseigneur."

1 Samuel 22, 13 Saül lui dit: "Pourquoi avez-vous conspiré contre moi, le fils de Jessé et toi? Tu lui as donné du pain et une épée et tu as consulté Dieu pour lui, afin qu'il se dresse en ennemi contre moi, comme il arrive aujourd'hui."

1 Samuel 22, 14 Ahimélek répondit au roi: "Et qui donc, parmi tous tes serviteurs, est comparable à David, le fidèle, le gendre du roi, le chef de ta garde personnelle, celui qu'on honore dans ta maison?

1 Samuel 22, 15 Est-ce aujourd'hui que j'ai commencé de consulter Dieu pour lui? Loin de moi toute autre pensée! Que le roi n'impute à son serviteur et à toute sa famille aucune charge, car ton serviteur ne savait rien de tout cela, ni peu ni prou."

1 Samuel 22, 16 Le roi reprit: "Tu mourras, Ahimélek, toi et toute ta famille."

1 Samuel 22, 17 Le roi ordonna aux coureurs qui se tenaient près de lui: "Approchez et mettez à mort les prêtres de Yahvé, car ils ont eux aussi prêté la main à David, ils ont su qu'il fuyait et ils ne m'ont pas averti." Mais les gardes du roi ne voulurent pas porter la main sur les prêtres de Yahvé et les frapper.

1 Samuel 22, 18 Alors, le roi dit à Doëg: "Toi, approche et frappe les prêtres." Doëg l'Edomite s'approcha et frappa lui-même les prêtres: il mit à mort ce jour-là 85 hommes qui portaient le pagne de lin.

1 Samuel 22, 19 Quant à Nob, la ville des prêtres, Saül la passa au fil de l'épée, hommes et femmes, enfants et nourrissons, boeufs, ânes, brebis.

1 Samuel 22, 20 Il n'échappa qu'un fils d'Ahimélek, fils d'Ahitub. Il se nommait Ebyatar et il s'enfuit auprès de David.

1 Samuel 22, 21 Ebyatar annonça à David que Saül avait massacré les prêtres de Yahvé,

1 Samuel 22, 22 et David lui dit: "Je savais ce jour-là que Doëg l'Edomite, étant présent, avertirait sûrement Saül! C'est moi qui suis responsable de la vie de tous tes parents.

1 Samuel 22, 23 Demeure avec moi, sois sans crainte: c'est le même qui en voudra à ma vie et qui en voudra à la tienne, car tu es sous ma bonne garde."

1 Samuel 23, 1 On apporta cette nouvelle à David: "Les Philistins assiègent Qéïla et pillent les aires."

1 Samuel 23, 2 David consulta Yahvé: "Dois-je partir et battrai-je les Philistins? Yahvé répondit: "Va, tu battras les Philistins et tu délivreras Qéïla."

1 Samuel 23, 3 Cependant les hommes de David lui dirent: "Ici, en Juda, nous avons déjà à craindre; combien plus si nous allons à Qéïla contre les troupes philistines!"

1 Samuel 23, 4 David consulta encore une fois Yahvé, et Yahvé répondit: "Pars! Descends à Qéïla, car je livre les Philistins entre tes mains."

1 Samuel 23, 5 David alla donc à Qéïla avec ses hommes, il attaqua les Philistins, enleva leurs troupeaux et leur infligea une grande défaite. Ainsi David délivra les habitants de Qéïla. --

1 Samuel 23, 6 Lorsqu'Ebyatar, fils d'Ahimélek, se réfugia auprès de David, il descendit à Qéïla, ayant en main l'éphod.

1 Samuel 23, 7 Quand on rapporta à Saül que David était entré à Qéïla, il dit: "Dieu l'a livré en mon pouvoir, car il s'est pris au piège en entrant dans une ville à portes et à verrous!"

1 Samuel 23, 8 Saül appela tout le peuple aux armes pour descendre à Qéïla et bloquer David et ses hommes.

1 Samuel 23, 9 Quand David sut que c'était contre lui que Saül forgeait de mauvais desseins, il dit au prêtre Ebyatar: "Apporte l'éphod."

1 Samuel 23, 10 David dit: "Yahvé, Dieu d'Israël, ton serviteur a entendu dire que Saül se préparait à venir à Qéïla pour détruire la ville à cause de moi.

1 Samuel 23, 11 Saül descendra-t-il, comme ton serviteur l'a appris? Yahvé, Dieu d'Israël, veuille informer ton serviteur!" Yahvé répondit: "Il descendra."

1 Samuel 23, 12 David demanda: "Les notables de Qéïla me livreront-ils, moi et mes hommes, entre les mains de Saül?" Yahvé répondit: "Ils vous livreront."

1 Samuel 23, 13 Alors David partit avec ses hommes, au nombre d'environ 600, ils sortirent de Qéïla et errèrent à l'aventure. On rapporta à Saül que David s'était échappé de Qéïla et il abandonna l'expédition.

1 Samuel 23, 14 David demeura au désert dans les refuges; il demeura dans la montagne au désert de Ziph et Saül fut continuellement à sa recherche, mais Dieu ne le livra pas entre ses mains.

1 Samuel 23, 15 David se rendit compte que Saül était entré en campagne pour attenter à sa vie. David était alors dans le désert de Ziph, à Horsha.

1 Samuel 23, 16 S'étant mis en route, Jonathan, fils de Saül, vint auprès de David à Horsha et le réconforta au nom de Dieu.

1 Samuel 23, 17 Il lui dit: "Sois sans crainte, car la main de mon père Saül ne t'atteindra pas. C'est toi qui régneras sur Israël et moi je serai ton second; mon père Saül lui-même le sait bien."

1 Samuel 23, 18 Ils conclurent tous les deux un pacte devant Yahvé. David demeura à Horsha et Jonathan s'en alla chez lui.

1 Samuel 23, 19 Des gens de Ziph montèrent à Gibéa auprès de Saül pour lui dire: "David ne se cache-t-il pas parmi nous dans les refuges, à Horsha, sur la colline de Hakila, au sud de la steppe?

1 Samuel 23, 20 Maintenant, quand tu désireras descendre, ô roi, descends: c'est à nous de le livrer entre les mains du roi."

1 Samuel 23, 21 Saül répondit: "Soyez bénis de Yahvé pour avoir eu pitié de moi.

1 Samuel 23, 22 Allez donc, informez-vous encore, rendez-vous bien compte de l'endroit où se hâteront ses pas, on m'a dit qu'il était très rusé.

1 Samuel 23, 23 Rendez-vous compte de toutes les cachettes où il se terre et revenez me voir quand vous serez sûrs. Alors, j'irai avec vous et, s'il est dans le pays, je le traquerai dans tous les clans de Juda."

1 Samuel 23, 24 Se mettant en route, ils partirent pour Ziph, en avant de Saül. David et ses hommes étaient au désert de Maôn, dans la plaine au sud de la steppe.

1 Samuel 23, 25 Saül et ses hommes partirent à sa recherche. On l'annonça à David et celui-ci descendit à la gorge qui se trouve dans le désert de Maôn.

1 Samuel 23, 26 Saül et ses hommes suivaient un des versants de la montagne, David et ses hommes suivaient l'autre versant. David fuyait éperdument devant Saül et Saül et ses hommes cherchaient à passer du côté de David et de ses hommes pour s'emparer d'eux,

1 Samuel 23, 27 quand un messager vint dire à Saül: "Viens vite, les Philistins ont envahi le pays!"

1 Samuel 23, 28 Saül cessa donc de poursuivre David et marcha à la rencontre des Philistins. C'est pourquoi on a appelé cet endroit la Gorge des Séparations.

1 Samuel 24, 1 David monta de là et s'établit dans les refuges d'Engaddi.

1 Samuel 24, 2 Quand Saül revint de la poursuite des Philistins, on lui rapporta ceci: "David est au désert d'Engaddi."

1 Samuel 24, 3 Alors Saül prit 3.000 hommes choisis dans tout Israël et partit à la recherche de David et de ses gens, à l'est des Rocs des Bouquetins.

1 Samuel 24, 4 Il arriva aux parcs à brebis qui sont près du chemin; il y a là une grotte où Saül entra pour se couvrir les pieds. Or David et ses gens étaient assis au fond de la grotte,

1 Samuel 24, 5 et les gens de David lui dirent: "Voici le jour où Yahvé te dit: C'est moi qui livre ton ennemi entre tes mains, traite-le comme il te plaît." David se leva et coupa furtivement le pan du manteau de Saül.

1 Samuel 24, 6 Après quoi, le coeur lui battit, d'avoir coupé le pan du manteau de Saül.

1 Samuel 24, 7 Il dit à ses hommes: "Yahvé me garde d'agir ainsi à l'égard de mon seigneur, de porter la main sur lui, car il est l'oint de Yahvé."

1 Samuel 24, 8 David coupa la parole à ses hommes et ne leur permit pas de se jeter sur Saül. Celui-ci quitta la grotte et alla son chemin.

1 Samuel 24, 9 David se leva ensuite, sortit de la grotte et lui cria: "Monseigneur le roi!" Saül regarda derrière lui et David s'inclina jusqu'à terre et se prosterna.

1 Samuel 24, 10 Puis David dit à Saül: "Pourquoi écoutes-tu les gens qui disent: Voici que David cherche ton malheur?

1 Samuel 24, 11 En ce jour même, tes yeux ont vu comment Yahvé t'avait livré aujourd'hui entre mes mains dans la grotte, mais j'ai refusé de te tuer, je t'ai épargné et j'ai dit: Je ne porterai pas la main sur mon seigneur, car il est l'oint de Yahvé.

1 Samuel 24, 12 O mon père, vois, vois donc le pan de ton manteau dans ma main: puisque j'ai pu couper le pan de ton manteau et que je ne t'ai pas tué, reconnais clairement qu'il n'y a chez moi ni méchanceté ni crime. Je n'ai pas péché contre toi alors que, toi, tu tends des embûches à ma vie pour me l'enlever.

1 Samuel 24, 13 Que Yahvé soit juge entre moi et toi, que Yahvé me venge de toi, mais ma main ne te touchera pas!

1 Samuel 24, 14 (Comme dit l'ancien proverbe: Des méchants sort la méchanceté et ma main ne te touchera pas.

1 Samuel 24, 15 Après qui le roi d'Israël s'est-il mis en campagne, après qui cours-tu? Après un chien crevé, après une simple puce!

1 Samuel 24, 16 Que Yahvé soit l'arbitre, qu'il juge entre moi et toi, qu'il examine et défende ma cause et qu'il me rende justice en me délivrant de ta main!"

1 Samuel 24, 17 Lorsque David eut achevé de parler ainsi à Saül, celui-ci dit: "Est-ce bien ta voix, mon fils David?" Et Saül se mit à crier et à pleurer.

1 Samuel 24, 18 Puis il dit à David: "Tu es plus juste que moi, car tu m'as fait du bien et moi je t'ai fait du mal.

1 Samuel 24, 19 Aujourd'hui, tu as révélé ta bonté pour moi, puisque Yahvé m'avait livré entre tes mains et que tu ne m'as pas tué.

1 Samuel 24, 20 Quand un homme rencontre son ennemi, le laisse-t-il aller bonnement son chemin? Que Yahvé te récompense pour le bien que tu m'as fait aujourd'hui.

1 Samuel 24, 21 Maintenant, je sais que tu régneras sûrement et que la royauté sur Israël sera ferme en tes mains.

1 Samuel 24, 22 Jure-moi donc par Yahvé que tu ne feras pas disparaître mon nom de ma famille."

1 Samuel 24, 23 David prêta serment à Saül. Celui-ci s'en alla chez lui, tandis que David et ses gens remontaient au refuge.

1 Samuel 25, 1 Samuel mourut. Tout Israël s'assembla et fit son deuil; on l'ensevelit chez lui à Rama. David partit et descendit au désert de Maôn.

1 Samuel 25, 2 Il y avait à Maôn un homme, qui avait ses affaires à Karmel; c'était un homme très riche, il avait mille moutons et mille chèvres, et il était alors à Karmel pour la tonte de son troupeau.

1 Samuel 25, 3 L'homme se nommait Nabal et sa femme, Abigayil; mais alors que la femme était pleine de bon sens et belle à voir, l'homme était brutal et malfaisant; il était Calébite.

1 Samuel 25, 4 David, ayant appris au désert que Nabal tondait son troupeau,

1 Samuel 25, 5 envoya dix garçons auxquels il dit: "Montez à Karmel, rendez-vous chez Nabal et saluez-le de ma part.

1 Samuel 25, 6 Vous parlerez ainsi à mon frère: Salut à toi, salut à ta maison, salut à tout ce qui t'appartient!

1 Samuel 25, 7 Maintenant, j'apprends que tu as les tondeurs. Or tes bergers ont été avec nous, nous ne les avons pas molestés et rien de ce qui leur appartenait n'a disparu, tout le temps qu'ils furent à Karmel.

1 Samuel 25, 8 Interroge tes serviteurs et ils te renseigneront. Puissent les garçons trouver bon accueil auprès de toi, car nous sommes venus un jour de fête. Donne, je te prie, ce que tu as sous la main à tes serviteurs et à ton fils David."

1 Samuel 25, 9 Les garçons de David, étant arrivés, redirent toutes ces paroles à Nabal de la part de David et attendirent.

1 Samuel 25, 10 Mais Nabal, s'adressant aux serviteurs de David, leur dit: "Qui est David, qui est le fils de Jessé? Il y a aujourd'hui trop de serviteurs qui se sauvent de chez leurs maîtres.

1 Samuel 25, 11 Je vais peut-être prendre mon pain, mon vin, ma viande que j'ai abattue pour mes tondeurs et en faire cadeau à des gens qui viennent je ne sais d'où!"

1 Samuel 25, 12 Les garçons de David rebroussèrent chemin et s'en retournèrent. A leur arrivée, ils répétèrent toutes ces paroles à David.

1 Samuel 25, 13 Alors David dit à ses hommes: "Que chacun ceigne son épée!" Ils ceignirent chacun son épée, David aussi ceignit la sienne, et 400 hommes environ partirent à la suite de David, tandis que 200 restaient près des bagages.

1 Samuel 25, 14 Or Abigayil, la femme de Nabal, avait été avertie par l'un des serviteurs, qui lui dit: "David a envoyé, du désert, des messagers pour saluer notre maître, mais celui-ci s'est jeté sur eux.

1 Samuel 25, 15 Pourtant ces gens ont été très bons pour nous, ils ne nous ont pas molestés et nous n'avons rien perdu, tout le temps que nous avons circulé près d'eux, quand nous étions dans la campagne.

1 Samuel 25, 16 Nuit et jour, ils ont été comme un rempart autour de nous, tout le temps que nous fûmes avec eux à paître le troupeau.

1 Samuel 25, 17 Reconnais maintenant et vois ce que tu dois faire, car la perte de notre maître et de toute sa maison est une affaire réglée, et c'est un vaurien à qui on ne peut rien dire."

1 Samuel 25, 18 Vite Abigayil prit 200 pains, deux outres de vin, cinq moutons apprêtés, cinq boisseaux de grain rôti, cent grappes de raisin sec, 200 gâteaux de figues, qu'elle chargea sur des ânes.

1 Samuel 25, 19 Elle dit à ses serviteurs: "Passez devant, et moi je vous suis", mais elle ne prévint pas Nabal, son mari.

1 Samuel 25, 20 Tandis que, montée sur un âne, elle descendait derrière un repli de la montagne, David et ses hommes descendaient vis-à-vis d'elle et elle les rencontra.

1 Samuel 25, 21 Or David s'était dit: "C'est donc en vain que j'ai protégé dans le désert tout ce qui était à ce bonhomme et que rien de ce qui lui appartenait n'a disparu! Il me rend le mal pour le bien!

1 Samuel 25, 22 Que Dieu fasse à David ce mal et qu'il ajoute cet autre si, d'ici à demain matin, je laisse de tous les siens subsister un seul mâle."

1 Samuel 25, 23 Dès qu'Abigayil aperçut David, elle se hâta de descendre de l'âne et, tombant sur la face devant David, elle se prosterna jusqu'à terre.

1 Samuel 25, 24 Se jetant à ses pieds, elle dit: "Que la faute soit sur moi, Monseigneur! Puisse ta servante parler à tes oreilles et daigne écouter les paroles de ta servante!

1 Samuel 25, 25 Que Monseigneur ne fasse pas attention à ce vaurien, à ce Nabal, car il porte bien son nom: il s'appelle La Brute et vraiment il est abruti. Mais moi, ta servante, je n'avais pas vu les garçons que Monseigneur avait envoyés.

1 Samuel 25, 26 Maintenant, Monseigneur, par la vie de Yahvé et ta propre vie, par Yahvé qui t'a empêché d'en venir au sang et de te faire justice de ta propre main, que deviennent comme Nabal tes ennemis et ceux qui cherchent du mal à Monseigneur!

1 Samuel 25, 27 Quant à ce présent que ta servante apporte à Monseigneur, qu'il soit remis aux garçons qui marchent sur les pas de Monseigneur.

1 Samuel 25, 28 Pardonne, je t'en prie, l'offense de ta servante! Aussi bien, Yahvé assurera à Monseigneur une maison durable, car Monseigneur combat les guerres de Yahvé et, au long de ta vie, on ne trouve pas de mal en toi.

1 Samuel 25, 29 Et si un homme se lève pour te poursuivre et attenter à ta vie, l'âme de Monseigneur sera ensachée dans le sachet de vie auprès de Yahvé ton Dieu, tandis que l'âme de tes ennemis, il la lancera au creux de la fronde.

1 Samuel 25, 30 Lors donc que Yahvé aura accompli pour Monseigneur tout le bien qu'il a dit à ton propos et lorsqu'il t'aura établi chef sur Israël,

1 Samuel 25, 31 que ce ne soit pas pour toi un trouble et un remords pour Monseigneur d'avoir versé en vain le sang et de s'être fait justice de sa main. Quand Yahvé aura fait du bien à Monseigneur, souviens-toi de ta servante."

1 Samuel 25, 32 David répondit à Abigayil: "Béni soit Yahvé, Dieu d'Israël, qui t'a envoyée aujourd'hui à ma rencontre.

1 Samuel 25, 33 Bénie soit ta sagesse et bénie sois-tu, pour m'avoir retenu aujourd'hui d'en venir au sang et de me faire justice de ma propre main!

1 Samuel 25, 34 Mais, par la vie de Yahvé, Dieu d'Israël, qui m'a empêché de te faire du mal, si tu n'étais pas venue aussi vite au-devant de moi, je jure que, d'ici au lever du matin, il ne serait pas resté à Nabal un seul mâle."

1 Samuel 25, 35 David reçut ce qu'elle lui avait apporté et il lui dit: "Remonte en paix chez toi. Vois: je t'ai exaucée et je t'ai fait grâce."

1 Samuel 25, 36 Quand Abigayil arriva chez Nabal, il festoyait dans sa maison. Un festin de roi: Nabal était en joie et complètement ivre; aussi, jusqu'au lever du jour, elle ne lui révéla rien.

1 Samuel 25, 37 Le matin, quand Nabal eut cuvé son vin, sa femme lui raconta cette affaire: alors son coeur mourut dans sa poitrine et il devint comme une pierre.

1 Samuel 25, 38 Une dizaine de jours plus tard, Yahvé frappa Nabal et il mourut.

1 Samuel 25, 39 Ayant appris que Nabal était mort, David dit: "Béni soit Yahvé qui m'a rendu justice pour l'injure que j'avais reçue de Nabal et qui a retenu son serviteur de commettre le mal. Yahvé a fait retomber la méchanceté de Nabal sur sa propre tête." David envoya demander Abigayil en mariage.

1 Samuel 25, 40 Les serviteurs de David vinrent donc trouver Abigayil à Karmel et lui dirent: "David nous a envoyés vers toi pour te prendre comme sa femme."

1 Samuel 25, 41 D'un mouvement, elle se prosterna la face contre terre et dit: "Ta servante est comme une esclave, pour laver les pieds des serviteurs de Monseigneur."

1 Samuel 25, 42 Vite, Abigayil se releva et monta sur un âne; suivie par cinq de ses servantes, elle partit derrière les messagers de David et elle devint sa femme.

1 Samuel 25, 43 David avait aussi épousé Ahinoam de Yizréel, et il les eut toutes deux pour femmes.

1 Samuel 25, 44 Saül avait donné sa fille Mikal, femme de David, à Palti, fils de Layish, de Gallim.

1 Samuel 26, 1 Les gens de Ziph vinrent à Gibéa et dirent à Saül: "Est-ce que David ne se cache pas sur la colline de Hakila, à l'orée de la steppe?"

1 Samuel 26, 2 S'étant mis en route, Saül descendit au désert de Ziph, accompagné de 3.000 hommes, l'élite d'Israël, pour traquer David dans le désert de Ziph.

1 Samuel 26, 3 Saül campa à la colline de Hakila, qui est à l'orée de la steppe, près de la route. David séjournait au désert et il vit que Saül était venu derrière lui au désert.

1 Samuel 26, 4 David envoya des espions et il sut que Saül était effectivement arrivé.

1 Samuel 26, 5 Alors David se mit en route et arriva au lieu où Saül campait. Il vit l'endroit où étaient couchés Saül et Abner, fils de Ner, le chef de son armée: Saül était couché dans le campement et la troupe bivouaquait autour de lui.

1 Samuel 26, 6 David, s'adressant à Ahimélek le Hittite et à Abishaï, fils de Ceruya et frère de Joab, leur dit: "Qui veut descendre avec moi au camp, jusqu'à Saül?" Abishaï répondit: "C'est moi qui descendrai avec toi."

1 Samuel 26, 7 Donc David et Abishaï se dirigèrent de nuit vers la troupe: ils trouvèrent Saül étendu et dormant dans le campement, sa lance plantée en terre à son chevet, et Abner et l'armée étaient couchés autour de lui.

1 Samuel 26, 8 Alors Abishaï dit à David: "Aujourd'hui Dieu a livré ton ennemi en ta main. Eh bien, laisse-moi le clouer à terre avec sa propre lance, d'un seul coup et je n'aurai pas à lui en donner un second!"

1 Samuel 26, 9 Mais David dit à Abishaï: "Ne le tue pas! Qui pourrait porter la main sur l'oint de Yahvé et rester impuni?"

1 Samuel 26, 10 David ajouta: "Aussi vrai que Yahvé est vivant, c'est Yahvé qui le frappera, soit que son jour arrive et qu'il meure, soit qu'il descende au combat et qu'il y périsse.

1 Samuel 26, 11 Mais que Yahvé me garde de porter la main sur l'oint de Yahvé! Maintenant, prends donc la lance qui est à son chevet et la gourde d'eau, et allons-nous en."

1 Samuel 26, 12 David prit du chevet de Saül la lance et la gourde d'eau et ils s'en allèrent: personne n'en vit rien, personne ne le sut, personne ne s'éveilla, ils dormaient tous, car une torpeur venant de Yahvé s'était abattue sur eux.

1 Samuel 26, 13 David passa de l'autre côté et se tint sur le sommet de la montagne au loin; il y avait un grand espace entre eux.

1 Samuel 26, 14 Alors David appela l'armée et Abner, fils de Ner: "Ne vas-tu pas répondre, Abner", dit-il. Et Abner répondit: "Qui es-tu, toi qui appelles?"

1 Samuel 26, 15 David dit à Abner: "N'es-tu pas un homme? Et qui est ton pareil en Israël? Pourquoi donc n'as-tu pas veillé sur le roi ton maître? Car quelqu'un du peuple est venu pour tuer le roi ton maître.

1 Samuel 26, 16 Ce n'est pas bien ce que tu as fait. Aussi vrai que Yahvé est vivant, vous êtes dignes de mort pour n'avoir pas veillé sur votre maître, l'oint de Yahvé. Maintenant, regarde donc où est la lance du roi et où est la gourde d'eau qui était à son chevet!"

1 Samuel 26, 17 Or Saül reconnut la voix de David, et il demanda: "Est-ce bien ta voix, mon fils David" -- "Oui, Monseigneur le roi", répondit David.

1 Samuel 26, 18 Et il continua: "Pourquoi donc Monseigneur poursuit-il son serviteur? Qu'ai-je fait et de quoi suis-je coupable?

1 Samuel 26, 19 Maintenant, que Monseigneur le roi veuille écouter les paroles de son serviteur: si c'est Yahvé qui t'excite contre moi, qu'il soit apaisé par une offrande, mais si ce sont des humains, qu'ils soient maudits devant Yahvé, car ils m'ont banni aujourd'hui, en sorte que je ne participe plus à l'héritage de Yahvé, comme s'ils disaient: Va servir des dieux étrangers!

1 Samuel 26, 20 Maintenant, que mon sang ne soit pas répandu à terre loin de la présence de Yahvé! En effet, le roi d'Israël est sorti à la quête de ma vie, comme on pourchasse la perdrix dans les montagnes."

1 Samuel 26, 21 Saül dit: "J'ai péché! Reviens, mon fils David, je ne te ferai plus de mal, puisque ma vie a eu aujourd'hui tant de prix à tes yeux. Oui, j'ai agi en insensé et je me suis très lourdement trompé."

1 Samuel 26, 22 David répondit: "Voici la lance du roi. Que l'un des garçons traverse et vienne la prendre.

1 Samuel 26, 23 Yahvé rendra à chacun selon sa justice et sa fidélité: aujourd'hui Yahvé t'avait livré entre mes mains et je n'ai pas voulu porter la main contre l'oint de Yahvé.

1 Samuel 26, 24 De même que ta vie a compté beaucoup à mes yeux en ce jour, ainsi ma vie comptera beaucoup au regard de Yahvé et il me délivrera de toute angoisse."

1 Samuel 26, 25 Saül dit à David: "Béni sois-tu, mon fils David. Certainement tu entreprendras et tu réussiras." David alla son chemin et Saül retourna chez lui.

1 Samuel 27, 1 David se dit en lui-même: "Un de ces jours, je vais périr par la main de Saül, je n'ai rien de mieux à faire que de me sauver au pays des Philistins. Saül renoncera à me traquer encore dans tout le territoire d'Israël et j'échapperai à sa main."

1 Samuel 27, 2 Donc David se mit en route et passa, avec les 600 hommes qu'il avait, chez Akish, fils de Maok, le roi de Gat.

1 Samuel 27, 3 David s'établit auprès d'Akish à Gat, lui et ses hommes, chacun avec sa famille, David avec ses deux femmes, Ahinoam de Yizréel et Abigayil, la femme de Nabal de Karmel.

1 Samuel 27, 4 On informa Saül que David s'était enfui à Gat et il cessa de le chercher.

1 Samuel 27, 5 David dit à Akish: "Je t'en prie, si j'ai trouvé faveur à tes yeux, qu'on me donne une place dans l'une des villes de l'extérieur, où je puisse résider. Pourquoi ton serviteur demeurerait-il à côté de toi dans la ville royale?"

1 Samuel 27, 6 Ce même jour, Akish lui donna Ciqlag. C'est pourquoi Ciqlag a appartenu jusqu'à maintenant aux rois de Juda.

1 Samuel 27, 7 La durée du séjour que David fit en territoire philistin fut d'un an et quatre mois.

1 Samuel 27, 8 David et ses gens partirent en razzia contre les Geshurites, les Girzites et les Amalécites, car telles sont les tribus habitant la région qui va de Télam en direction de Shur et jusqu'à la terre d'Egypte.

1 Samuel 27, 9 David dévastait le pays et ne laissait en vie ni homme ni femme, il enlevait le petit et le gros bétail, les ânes, les chameaux et les vêtements, puis il revenait et rentrait chez Akish.

1 Samuel 27, 10 Quand Akish demandait: "Où avez-vous fait la razzia aujourd'hui", David répondait que c'était contre le Négeb de Juda ou le Négeb de Yerahméel ou le Négeb des Qénites.

1 Samuel 27, 11 David ne laissait en vie ni homme ni femme à ramener à Gat, "de peur, se disait-il, qu'ils ne fassent des rapports contre nous en disant: Voilà ce que David a fait." Telle fut sa manière d'agir tout le temps qu'il séjourna en territoire philistin.

1 Samuel 27, 12 Akish avait confiance en David; il se disait: "Il s'est sûrement rendu odieux à Israël son peuple et il sera pour toujours mon serviteur."

1 Samuel 29, 1 Les Philistins concentrèrent toutes leurs troupes à Apheq, tandis que les Israélites campaient à la source qui est en Yizréel.

1 Samuel 29, 2 Les princes des Philistins défilaient par centuries et par milliers, et David et ses hommes défilaient les derniers avec Akish.

1 Samuel 29, 3 Les princes des Philistins demandèrent: "Qu'est-ce que ces Hébreux", et Akish répondit aux princes des Philistins: "Mais c'est David, le serviteur de Saül; roi d'Israël! Voici un an ou deux qu'il est avec moi et je n'ai trouvé aucun reproche à lui faire depuis le jour qu'il s'est rendu à moi jusqu'à maintenant."

1 Samuel 29, 4 Les princes des Philistins s'emportèrent contre lui et ils lui dirent: "Renvoie cet homme et qu'il retourne au lieu que tu lui as assigné. Qu'il ne vienne pas en guerre avec nous et ne se retourne pas contre nous dans le combat! Comment celui-là achèterait-il la faveur de son maître, sinon avec la tête des hommes que voici?

1 Samuel 29, 5 N'est-il pas ce David, duquel on chantait dans les choeurs: "Saül à tué ses milliers et David ses myriades?"

1 Samuel 29, 6 Akish appela donc David et lui dit: "Aussi vrai que Yahvé est vivant, tu es loyal et il me plairait que tu sortes et rentres avec moi dans le camp, car je n'ai rien trouvé de mauvais en toi depuis le jour que tu es venu chez moi jusqu'à maintenant. Mais tu n'es pas bien vu des princes.

1 Samuel 29, 7 Donc retourne et va-t'en en paix, pour ne pas indisposer les princes des Philistins."

1 Samuel 29, 8 David dit à Akish: "Qu'ai-je donc fait et qu'as-tu à reprocher à ton serviteur depuis le jour où je suis entré à ton service jusqu'à maintenant, pour que je ne puisse pas venir et combattre les ennemis de Monseigneur le roi?"

1 Samuel 29, 9 Akish répondit à David: "C'est vrai que tu m'es aussi agréable qu'un ange de Dieu, seulement les princes des Philistins ont dit: Il ne faut pas qu'il aille au combat avec nous.

1 Samuel 29, 10 Donc lève-toi de bon matin avec les serviteurs de ton maître qui sont venus avec toi, et allez à l'endroit que je vous ai assigné. Ne garde en ton coeur aucun ressentiment, car tu m'es agréable. Vous vous lèverez de grand matin et, dès qu'il fera jour, vous partirez."

1 Samuel 29, 11 David et ses hommes se levèrent de bonne heure pour partir dès le matin et retourner au pays philistin. Quant aux Philistins, ils montèrent en Yizréel.

1 Samuel 30, 1 David et ses hommes arrivèrent à Ciqlag le surlendemain. Or les Amalécites avaient fait une razzia au Négeb et contre Ciqlag; ils avaient dévasté Ciqlag et l'avaient livrée au feu.

1 Samuel 30, 2 Ils avaient fait captifs les femmes et tous ceux qui y étaient, petits et grands. Ils n'avaient tué personne, mais ils les avaient emmenés et avaient continué leur chemin.

1 Samuel 30, 3 Lors donc que David et ses hommes arrivèrent à la ville, ils virent qu'elle était brûlée et que leurs femmes, leurs fils et leurs filles avaient été enlevés.

1 Samuel 30, 4 Alors David et toute la troupe qui l'accompagnait se mirent à crier et à pleurer jusqu'à ce qu'ils n'en eussent plus la force.

1 Samuel 30, 5 Les deux femmes de David avaient été emmenées captives, Ahinoam de Yizréel et Abigayil, la femme de Nabal de Karmel.

1 Samuel 30, 6 David était en grande détresse, car les gens parlaient de le lapider; tous avaient en effet l'âme pleine d'amertume, chacun à cause de ses fils et de ses filles. Mais David retrouva courage en Yahvé son Dieu.

1 Samuel 30, 7 David dit au prêtre Ebyatar, fils d'Ahimélek: "Je t'en prie, apporte-moi l'éphod", et Ebyatar apporta l'éphod à David.

1 Samuel 30, 8 Alors David consulta Yahvé et demanda: "Poursuivrai-je ce rezzou et l'atteindrai-je" La réponse fut: "Poursuis, car sûrement tu l'atteindras et tu libéreras les captifs."

1 Samuel 30, 9 David partit avec les 600 hommes qui l'accompagnaient et ils arrivèrent au torrent de Besor.

1 Samuel 30, 10 David continua la poursuite avec 400 hommes, mais 200 restèrent, qui étaient trop fatigués pour franchir le torrent de Besor.

1 Samuel 30, 11 On trouva un Egyptien dans la campagne et on l'amena à David. On lui donna du pain, qu'il mangea, et on lui fit boire de l'eau.

1 Samuel 30, 12 On lui donna aussi une masse de figues et deux grappes de raisins secs. Il mangea et ses esprits lui revinrent; en effet, il n'avait rien mangé ni rien bu depuis trois jours et trois nuits.

1 Samuel 30, 13 David lui demanda: "A qui appartiens-tu et d'où es-tu?" Il répondit: "Je suis un jeune Egyptien, esclave d'un Amalécite. Mon maître m'a abandonné parce que j'étais malade, voici aujourd'hui trois jours.

1 Samuel 30, 14 Nous avons fait la razzia contre le Négeb des Kerétiens et celui de Juda et contre le Négeb de Caleb, et nous avons incendié Ciqlag."

1 Samuel 30, 15 David lui demanda: "Veux-tu me guider vers ce rezzou?" Il répondit: "Jure-moi par Dieu que tu ne me feras pas mourir et que tu ne me livreras pas à mon maître, et je te guiderai vers ce rezzou."

1 Samuel 30, 16 Il l'y conduisit donc, et voici qu'ils étaient disséminés par toute la contrée, mangeant, buvant et faisant la fête, à cause de tout le grand butin qu'ils avaient rapporté du pays des Philistins et du pays de Juda.

1 Samuel 30, 17 David les massacra, depuis l'aube jusqu'au soir du lendemain. Personne n'en réchappa, sauf 400 jeunes hommes, qui montèrent sur les chameaux et s'enfuirent.

1 Samuel 30, 18 David délivra tout ce que les Amalécites avaient pris -- David délivra aussi ses deux femmes.

1 Samuel 30, 19 Rien ne fut perdu pour eux, depuis les petites choses jusqu'aux grandes, depuis le butin jusqu'aux fils et aux filles, tout ce qui leur avait été enlevé: David ramena tout.

1 Samuel 30, 20 Ils prirent tout le petit et le gros bétail et le poussèrent devant lui en disant: "Voilà le butin de David!"

1 Samuel 30, 21 David arriva auprès des 200 hommes qui avaient été trop fatigués pour le suivre et qu'il avait laissés au torrent de Besor. Ils vinrent au-devant de David et de la troupe qui l'accompagnait; David s'approcha avec la troupe et leur souhaita le bonjour.

1 Samuel 30, 22 Mais tous les méchants et les vauriens parmi les gens qui étaient allés avec David prirent la parole et dirent: "Puisqu'ils ne sont pas venus avec nous, qu'on ne leur donne rien du butin que nous avons sauvé, sauf à chacun sa femme et ses enfants: qu'ils les emmènent et s'en aillent!"

1 Samuel 30, 23 Mais David dit: "N'agissez pas ainsi, mes frères, avec ce que Yahvé nous a accordé: il nous a protégés et il a livré entre nos mains le rezzou qui était venu contre nous.

1 Samuel 30, 24 Qui serait de votre avis dans cette affaire? Car: Telle la part de celui qui descend au combat, telle la part de celui qui reste près des bagages. Ils partageront ensemble."

1 Samuel 30, 25 Et, à partir de ce jour-là, il fit de cela pour Israël une règle et une coutume qui persistent encore aujourd'hui.

1 Samuel 30, 26 Arrivé à Ciqlag, David envoya des parts de butin aux anciens de Juda, selon leurs villes, avec ce message: "Voici pour vous un présent pris sur le butin des ennemis de Yahvé",

1 Samuel 30, 27 à ceux de Betul, à ceux de Rama du Négeb, à ceux de Yattir,

1 Samuel 30, 28 à ceux d'Aroër, à ceux de Siphmot, à ceux d'Eshtemoa,

1 Samuel 30, 29 à ceux de Karmel, à ceux des villes de Yerahméel, à ceux des villes des Qénites,

1 Samuel 30, 30 à ceux de Horma, à ceux de Bor-Ashân, à ceux de Etèr,

1 Samuel 30, 31 à ceux d'Hébron et à tous les endroits que David avait fréquentés avec ses hommes.

1 Samuel 31, 1 Les Philistins livrèrent bataille à Israël et les Israélites s'enfuirent devant les Philistins et tombèrent, frappés à mort, sur le mont Gelboé.

1 Samuel 31, 2 Les Philistins serrèrent de près Saül et ses fils et ils tuèrent Jonathan, Abinadab et Malki-Shua, les fils de Saül.

1 Samuel 31, 3 Le poids du combat se porta sur Saül. Les tireurs d'arc le surprirent et il fut blessé gravement par les tireurs.

1 Samuel 31, 4 Alors Saül dit à son écuyer: "Tire ton épée et transperce-moi, de peur que ces incirconcis ne viennent et ne se jouent de moi." Mais son écuyer ne voulut pas, car il était rempli d'effroi. Alors Saül prit son épée et se jeta sur elle.

1 Samuel 31, 5 Voyant que Saül était mort, l'écuyer se jeta lui aussi sur son épée et mourut avec lui.

1 Samuel 31, 6 Ainsi moururent ensemble ce jour-là Saül, ses trois fils et son écuyer.

1 Samuel 31, 7 Lorsque les Israélites qui étaient de l'autre côté de la vallée et ceux qui étaient de l'autre côté du Jourdain virent que les hommes d'Israël étaient en déroute et que Saül et ses fils avaient péri, ils abandonnèrent leurs villes et prirent la fuite. Les Philistins vinrent s'y établir.

1 Samuel 31, 8 Le lendemain, les Philistins, venus pour détrousser les morts, trouvèrent Saül et ses trois fils gisant sur le mont Gelboé.

1 Samuel 31, 9 Ils lui tranchèrent la tête et le dépouillèrent de ses armes, et ils les firent porter à la ronde dans le pays philistin, pour annoncer la bonne nouvelle à leurs idoles et à leur peuple.

1 Samuel 31, 10 Ils déposèrent ses armes dans le temple d'Astarté; quant à son corps, ils l'attachèrent au rempart de Bet-Shân.

1 Samuel 31, 11 Lorsque les habitants de Yabesh de Galaad apprirent ce que les Philistins avaient fait à Saül,

1 Samuel 31, 12 tous les braves se mirent en route et, après avoir marché toute la nuit, ils enlevèrent du rempart de Bet-Shân le corps de Saül et de ses fils et, les ayant apportés à Yabesh, ils les y brûlèrent.

1 Samuel 31, 13 Puis ils prirent leurs ossements, les ensevelirent sous le tamaris de Yabesh et jeûnèrent pendant sept jours.

 

 

II Samuel

 

 

1, 1 Après la mort de Saül, David, revenant de battre les Amalécites, demeura deux jours à Ciqlag.

2 Samuel 1, 2 Le troisième jour, un homme arriva du camp, d'auprès de Saül. Il avait les vêtements déchirés et la tête couverte de poussière. En arrivant près de David, il se jeta à terre et se prosterna.

2 Samuel 1, 3 David lui dit: "D'où viens-tu?" Il répondit: "Je me suis sauvé du camp d'Israël."

2 Samuel 1, 4 David demanda: "Que s'est-il passé? Informe-moi donc!" L'autre dit: "C'est que le peuple s'est enfui de la bataille, et parmi le peuple beaucoup sont tombés et sont morts. Même, Saül et son fils Jonathan sont morts!"

2 Samuel 1, 5 David demanda au jeune porteur de nouvelles: "Comment sais-tu que Saül et son fils Jonathan sont morts?"

2 Samuel 1, 6 Le jeune porteur de nouvelles répondit: "Je me trouvais par hasard sur le mont Gelboé et je vis Saül s'appuyant sur sa lance et serré de près par les chars et les cavaliers.

2 Samuel 1, 7 S'étant retourné, il m'aperçut et m'appela. Je répondis: Me voici!

2 Samuel 1, 8 Il me demanda: Qui es-tu? Et je lui dis: Je suis un Amalécite.

2 Samuel 1, 9 Il me dit alors: Approche-toi de moi et tue-moi, car je suis saisi de vertige, bien que ma vie soit tout entière en moi.

2 Samuel 1, 10 Je m'approchai donc et lui donnai la mort, car je savais qu'il ne survivrait pas, une fois tombé. Puis j'ai pris le diadème qu'il avait sur la tête et le bracelet qu'il avait au bras et je les ai apportés ici à Monseigneur."

2 Samuel 1, 11 Alors David saisit ses vêtements et les déchira, et tous les hommes qui étaient avec lui firent de même.

2 Samuel 1, 12 Ils se lamentèrent, pleurèrent et jeûnèrent jusqu'au soir à cause de Saül, de son fils Jonathan, du peuple de Yahvé et de la maison d'Israël, parce qu'ils étaient tombés par l'épée.

2 Samuel 1, 13 David demanda au jeune porteur de nouvelles: "D'où es-tu?" Et il répondit: "Je suis le fils d'un étranger en résidence, d'un Amalécite."

2 Samuel 1, 14 David lui dit: "Comment n'as-tu pas craint d'étendre la main pour faire périr l'oint de Yahvé?"

2 Samuel 1, 15 David appela l'un des garçons et dit: "Approche et frappe-le!" Celui-ci l'abattit et il mourut.

2 Samuel 1, 16 David lui dit: "Que ton sang retombe sur ta tête, car ta bouche a témoigné contre toi, quand tu as dit: C'est moi qui ai donné la mort à l'oint de Yahvé"

2 Samuel 1, 17 David entonna cette complainte sur Saül et sur son fils Jonathan.

2 Samuel 1, 18 Il dit (c'est pour apprendre l'arc aux fils de Juda; c'est écrit au Livre du Juste:

2 Samuel 1, 19 "La splendeur d'Israël, sur tes hauteurs, a-t-elle péri? Comment sont tombés les héros?

2 Samuel 1, 20 Ne le publiez pas dans Gat, ne l'annoncez pas dans les rues d'Ashqelôn, que ne se réjouissent les filles des Philistins, que n'exultent les filles des incirconcis!

2 Samuel 1, 21 Montagnes de Gelboé, ni rosée ni pluie sur vous, campagnes traîtresses, puisqu'y fut déshonoré le bouclier des héros!

2 Samuel 1, 22 Le bouclier de Saül n'était pas oint d'huile, mais du sang des blessés, de la graisse des guerriers; l'arc de Jonathan jamais ne recula, ni l'épée de Saül ne revint inutile.

2 Samuel 1, 23 Saül et Jonathan, aimés et charmants, dans la vie et dans la mort ne furent pas séparés. Plus que les aigles ils étaient rapides, plus que les lions ils étaient forts.

2 Samuel 1, 24 Filles d'Israël, pleurez sur Saül, qui vous revêtait d'écarlate et de lin fin, qui accrochait des joyaux d'or à vos vêtements.

2 Samuel 1, 25 Comment sont tombés les héros au milieu du combat? Jonathan, par ta mort je suis navré,

2 Samuel 1, 26 j'ai le coeur serré à cause de toi, mon frère Jonathan. Tu m'étais délicieusement cher, ton amitié m'était plus merveilleuse que l'amour des femmes.

2 Samuel 1, 27 Comment sont tombés les héros, ont péri les armes de guerre?"

2 Samuel 2, 1 Après cela, David consulta Yahvé en ces termes: "Monterai-je dans l'une des villes de Juda", et Yahvé lui répondit: "Monte!" David demanda: "Où monterai-je", et la réponse fut: "A Hébron."

2 Samuel 2, 2 David y monta et aussi ses deux femmes, Ahinoam de Yizréel et Abigayil, la femme de Nabal de Karmel.

2 Samuel 2, 3 Quant aux hommes qui étaient avec lui, David les fit monter chacun avec sa famille et ils s'établirent dans les villes d'Hébron.

2 Samuel 2, 4 Les hommes de Juda vinrent et là, ils oignirent David comme roi sur la maison de Juda. On apprit à David que les habitants de Yabesh de Galaad avaient donné la sépulture à Saül.

2 Samuel 2, 5 Alors David envoya des messagers aux gens de Yabesh et leur fit dire: "Soyez bénis de Yahvé pour avoir accompli cette oeuvre de miséricorde envers Saül votre seigneur et pour l'avoir enseveli.

2 Samuel 2, 6 Que Yahvé vous témoigne miséricorde et bonté, moi aussi je vous ferai du bien parce que vous avez agi ainsi.

2 Samuel 2, 7 Et maintenant prenez courage et soyez braves, car Saül votre seigneur est mort. Quant à moi, la maison de Juda m'a oint pour être son roi."

2 Samuel 2, 8 Abner, fils de Ner, le chef d'armée de Saül, avait emmené Ishbaal, fils de Saül, et l'avait fait passer à Mahanayim.

2 Samuel 2, 9 Il l'avait établi roi sur Galaad, sur les Ashérites, sur Yizréel, Ephraïm, Benjamin, et sur tout Israël.

2 Samuel 2, 10 Ishbaal, fils de Saül, avait 40 ans lorsqu'il devint roi d'Israël et il régna deux ans. Seule la maison de Juda se rallia à David.

2 Samuel 2, 11 Le temps que David régna à Hébron sur la maison de Juda fut de sept ans et six mois.

2 Samuel 2, 12 Abner, fils de Ner, et la garde d'Ishbaal, fils de Saül, firent une campagne de Mahanayim vers Gabaôn.

2 Samuel 2, 13 Joab, fils de Ceruya, et la garde de David se mirent aussi en marche et ils se rencontrèrent près de l'étang de Gabaôn. Ils firent halte, ceux-ci d'un côté de l'étang, ceux-là de l'autre côté.

2 Samuel 2, 14 Abner dit à Joab: "Que les cadets se lèvent et luttent devant nous!" Joab répondit: "Qu'ils se lèvent!"

2 Samuel 2, 15 Ils se levèrent et furent dénombrés: douze de Benjamin, pour Ishbaal, fils de Saül, et douze de la garde de David.

2 Samuel 2, 16 Chacun saisit son adversaire par la tête et lui enfonça son épée dans le flanc, en sorte qu'ils tombèrent tous ensemble. C'est pourquoi on a appelé cet endroit le Champ des Flancs; il se trouve à Gabaôn.

2 Samuel 2, 17 Alors il y eut en ce jour une très dure bataille et Abner et les gens d'Israël furent battus devant la garde de David.

2 Samuel 2, 18 Il y avait là les trois fils de Ceruya, Joab, Abishaï et Asahel. Or Asahel était agile à la course comme une gazelle sauvage.

2 Samuel 2, 19 Il se lança à la poursuite d'Abner, sans dévier de sa trace à droite ni à gauche.

2 Samuel 2, 20 Abner se retourna et dit: "Est-ce toi, Asahel?" Et celui-ci répondit: "Oui."

2 Samuel 2, 21 Alors Abner dit: "Détourne-toi à droite ou à gauche, attrape l'un des cadets et empare-toi de ses dépouilles." Mais Asahel ne voulut pas s'écarter de lui.

2 Samuel 2, 22 Abner redit encore à Asahel: "Ecarte-toi de moi, que je ne t'abatte pas à terre. Comment pourrais-je regarder en face ton frère Joab?"

2 Samuel 2, 23 Mais, comme il refusait de s'écarter, Abner le frappa au ventre avec le talon de sa lance et la lance lui sortit par le dos: il tomba là et mourut sur place. En arrivant à l'endroit où Asahel était tombé et était mort, tous s'arrêtaient.

2 Samuel 2, 24 Joab et Abishaï se mirent à la poursuite d'Abner et, au coucher du soleil, ils arrivèrent à la colline d'Amma, qui est à l'est de Giah sur le chemin du désert de Gabaôn.

2 Samuel 2, 25 Les Benjaminites se groupèrent derrière Abner en formation serrée et firent halte au sommet d'une certaine colline.

2 Samuel 2, 26 Abner appela Joab et dit: "L'épée dévorera-t-elle toujours? Ne sais-tu pas que cela finira dans l'amertume? Qu'attends-tu pour ordonner à ces gens d'abandonner la poursuite de leurs frères?"

2 Samuel 2, 27 Joab répondit: "Aussi vrai que Yahvé est vivant, si tu n'avais pas parlé, ce n'est qu'au matin que ces gens auraient renoncé à poursuivre chacun son frère."

2 Samuel 2, 28 Joab fit sonner du cor et toute l'armée fit halte: on ne poursuivit plus Israël et on cessa le combat.

2 Samuel 2, 29 Abner et ses hommes cheminèrent par la Araba pendant toute cette nuit-là, ils passèrent le Jourdain et, après avoir marché toute la matinée, ils arrivèrent à Mahanayim.

2 Samuel 2, 30 Joab, ayant cessé de poursuivre Abner, rassembla toute la troupe: la garde de David avait perdu dix-neuf hommes, plus Asahel,

2 Samuel 2, 31 mais la garde de David avait tué à Benjamin, aux gens d'Abner, 360 hommes.

2 Samuel 2, 32 On emporta Asahel et on l'ensevelit dans le tombeau de son père, qui est à Bethléem. Joab et ses gens marchèrent toute la nuit et le jour se leva quand ils arrivaient à Hébron.

2 Samuel 3, 1 La guerre se prolongea entre la maison de Saül et celle de David, mais David allait se fortifiant, tandis que s'affaiblissait la maison de Saül.

2 Samuel 3, 2 Des fils naquirent à David, à Hébron; ce furent: son aîné Amnon, né d'Ahinoam de Yizréel;

2 Samuel 3, 3 son cadet Kiléab, né d'Abigayil, la femme de Nabal de Karmel; le troisième Absalom, fils de Maaka, la fille de Talmaï roi de Geshur,

2 Samuel 3, 4 le quatrième Adonias, fils de Haggit; le cinquième Shephatya, fils d'Abital;

2 Samuel 3, 5 le sixième Yitréam, né d'Egla, femme de David. Ceux-là naquirent à David, à Hébron.

2 Samuel 3, 6 Voici ce qui arriva pendant la guerre entre la maison de Saül et celle de David: Abner s'arrogeait tout pouvoir dans la maison de Saül.

2 Samuel 3, 7 Il y avait une concubine de Saül qui se nommait Riçpa, fille d'Ayya, et Abner la prit. Ishbaal dit à Abner: "Pourquoi t'es-tu approché de la concubine de mon père?"

2 Samuel 3, 8 Aux paroles d'Ishbaal, Abner entra dans une grande colère et dit: "Suis-je donc une tête de chien? Je suis plein de bienveillance pour la maison de Saül, ton père, pour ses frères et ses amis, je ne t'abandonne pas entre les mains de David, et maintenant tu me fais des reproches pour une histoire de femme!

2 Samuel 3, 9 Que Dieu inflige tel mal à Abner et qu'il y ajoute tel autre si je n'accomplis pas ce que Yahvé a promis par serment à David,

2 Samuel 3, 10 d'enlever la royauté à la maison de Saül et d'établir le trône de David sur Israël et sur Juda depuis Dan jusqu'à Bersabée."

2 Samuel 3, 11 Ishbaal n'osa pas répondre un mot à Abner parce qu'il avait peur de lui.

2 Samuel 3, 12 Abner envoya des messagers dire à David... "Fais alliance avec moi et je te soutiendrai pour rallier autour de toi tout Israël."

2 Samuel 3, 13 David répondit: "Bien! Je ferai alliance avec toi. Il n'y a qu'une chose que j'exige de toi: tu ne seras pas admis en ma présence à moins que tu n'amènes Mikal, fille de Saül, quand tu viendras me voir."

2 Samuel 3, 14 Et David envoya des messagers dire à Ishbaal, fils de Saül: "Rends-moi ma femme Mikal, que je me suis acquise pour cent prépuces de Philistins."

2 Samuel 3, 15 Ishbaal l'envoya prendre chez son mari Paltiel, fils de Layish.

2 Samuel 3, 16 Son mari partit avec elle et la suivit en pleurant jusqu'à Bahurim. Alors Abner lui dit: "Retourne!" et il s'en retourna.

2 Samuel 3, 17 Abner avait eu des pourparlers avec les anciens d'Israël et leur avait dit: "Voici longtemps que vous désirez avoir David pour votre roi.

2 Samuel 3, 18 Agissez donc maintenant, puisque Yahvé a dit ceci à propos de David: C'est par l'entremise de mon serviteur David que je délivrerai mon peuple Israël de la main des Philistins et de tous ses ennemis."

2 Samuel 3, 19 Abner parla aussi à Benjamin, puis il alla à Hébron pour exposer à David tout ce qu'avaient approuvé les Israélites et toute la maison de Benjamin.

2 Samuel 3, 20 Abner, accompagné de vingt hommes, arriva chez David à Hébron et David offrit un festin à Abner et aux hommes qui étaient avec lui.

2 Samuel 3, 21 Abner dit ensuite à David: "Allons! Je vais rassembler tout Israël auprès de Monseigneur le roi: Ils concluront un pacte avec toi et tu régneras sur tout ce que tu souhaites." David congédia Abner, qui partit en paix.

2 Samuel 3, 22 Il se trouva que la garde de David et Joab revenaient alors de la razzia, ramenant un énorme butin, et Abner n'était plus auprès de David à Hébron, puisque David l'avait congédié et qu'il était partit en paix.

2 Samuel 3, 23 Lorsqu'arrivèrent Joab et toute la troupe qui le suivait, on prévint Joab qu'Abner, fils de Ner, était venu chez le roi et que celui-ci l'avait laissé repartir en paix.

2 Samuel 3, 24 Alors Joab entra chez le roi et dit: "Qu'as-tu fait? Abner est venu chez toi, pourquoi donc l'as-tu laissé partir?

2 Samuel 3, 25 Tu connais Abner, fils de Ner. C'est pour te tromper qu'il est venu, pour connaître tes allées et venues, pour savoir tout ce que tu fais!"

2 Samuel 3, 26 Joab sortit de chez David et envoya derrière Abner des messagers qui le firent revenir depuis la citerne de Sira, à l'insu de David.

2 Samuel 3, 27 Quand Abner arriva à Hébron, Joab le prit à l'écart à l'intérieur de la porte, sous prétexte de parler tranquillement avec lui, et là il le frappa mortellement au ventre, à cause du sang d'Asahel son frère.

2 Samuel 3, 28 Lorsque David apprit ensuite la chose, il dit: "Moi et mon royaume, nous sommes pour toujours innocents devant Yahvé du sang d'Abner, fils de Ner:

2 Samuel 3, 29 qu'il retombe sur la tête de Joab et sur toute sa famille! Qu'il ne cesse d'y avoir dans la maison de Joab des gens atteints d'écoulement ou de lèpre, des hommes bons à tenir le fuseau ou qui tombent sous l'épée, ou qui manquent de pain!"

2 Samuel 3, 30 (Joab et son frère Abishaï avaient assassiné Abner parce qu'il avait fait mourir leur frère Asahel au combat de Gabaôn.)

2 Samuel 3, 31 David dit à Joab et à toute la troupe qui l'accompagnait: "Déchirez vos vêtements, mettez des sacs et faites le deuil devant Abner", et le roi David marchait derrière la civière.

2 Samuel 3, 32 On ensevelit Abner à Hébron; le roi éclata en sanglots sur la tombe et tout le peuple pleura aussi.

2 Samuel 3, 33 Le roi chanta cette complainte sur Abner: "Abner devait-il mourir comme meurt l'insensé?

2 Samuel 3, 34 Tes mains n'étaient pas liées, tes pieds n'étaient pas mis aux fers, tu es tombé comme on tombe devant des malfaiteurs!" et les larmes de tout le peuple redoublèrent.

2 Samuel 3, 35 Tout le peuple vint inviter David à prendre de la nourriture alors qu'il faisait encore jour, mais David fit ce serment: "Que Dieu me fasse tel mal et qu'il y ajoute tel autre si je goûte à du pain ou à quoi que ce soit avant le coucher du soleil."

2 Samuel 3, 36 Tout le peuple remarqua cela et le trouva bien, car tout ce que faisait le roi était approuvé par le peuple.

2 Samuel 3, 37 Ce jour-là, tout le peuple et tout Israël comprirent que le roi n'était pour rien dans la mort d'Abner, fils de Ner.

2 Samuel 3, 38 Le roi dit à ses officiers: "Ne savez-vous pas qu'un prince et un grand homme est tombé aujourd'hui en Israël?

2 Samuel 3, 39 Pour moi, je suis faible maintenant, tout roi que je sois par l'onction, et ces hommes, les fils de Ceruya, sont plus violents que moi. Que Yahvé rende au méchant selon sa méchanceté!"4, 1 Lorsque le fils de Saül apprit qu'Abner était mort à Hébron, les mains lui tombèrent et tout Israël fut consterné.

2 Samuel 4, 2 Or le fils de Saül avait deux chefs de bandes, qui s'appelaient l'un Baana et le second Rékab. Ils étaient les fils de Rimmôn de Béérot et Benjaminites, car Béérot aussi est attribuée à Benjamin.

2 Samuel 4, 3 Les gens de Béérot s'étaient réfugiés à Gittayim, où ils sont demeurés jusqu'à ce jour comme résidents étrangers.

2 Samuel 4, 4 Il y avait un fils de Jonathan, fils de Saül, qui était perclus des deux pieds. Il avait cinq ans lorsqu'arriva de Yizréel la nouvelle concernant Saül et Jonathan. Sa nourrice l'emporta et s'enfuit, mais dans la précipitation de la fuite, l'enfant tomba et s'estropia. Il s'appelait Meribbaal.

2 Samuel 4, 5 Les fils de Rimmôn de Béérot, Rékab et Baana, s'étant mis en route, arrivèrent à l'heure la plus chaude du jour à la maison d'Ishbaal, quand celui-ci faisait la sieste.

2 Samuel 4, 6 La portière, qui mondait du blé, s'était assoupie et dormait. Rékab et son frère Baana se faufilèrent

2 Samuel 4, 7 et entrèrent dans la maison, où il était étendu sur le lit dans sa chambre à coucher. Ils le frappèrent à mort et le décapitèrent, puis, emportant sa tête, ils marchèrent toute la nuit par la route de la Araba.

2 Samuel 4, 8 Ils apportèrent la tête d'Ishbaal à David, à Hébron, et dirent au roi: "Voici la tête d'Ishbaal, fils de Saül, ton ennemi qui en voulait à ta vie. Yahvé a accordé aujourd'hui à Monseigneur le roi une vengeance sur Saül et sur sa race."

2 Samuel 4, 9 Mais David, s'adressant à Rékab et à son frère Baana, les fils de Rimmôn de Béérot, leur dit: "Par la vie de Yahvé, qui m'a délivré de toute détresse!

2 Samuel 4, 10 Celui qui m'a annoncé la mort de Saül croyait être porteur d'une bonne nouvelle, et je l'ai saisi et exécuté à Ciqlag, pour le payer de sa bonne nouvelle!

2 Samuel 4, 11 A plus forte raison lorsque des bandits ont tué un homme honnête dans sa maison, sur son lit! Ne dois-je pas vous demander compte de son sang et vous faire disparaître de la terre?"

2 Samuel 4, 12 Alors David donna un ordre aux cadets et ceux-ci les mirent à mort. On leur coupa les mains et les pieds et on les suspendit près de l'étang d'Hébron. Quant à la tête d'Ishbaal, on la prit et on l'ensevelit dans le tombeau d'Abner à Hébron.

2 Samuel 5, 1 Alors toutes les tribus d'Israël vinrent auprès de David à Hébron et dirent: "Vois! Nous sommes de tes os et de ta chair.

2 Samuel 5, 2 Autrefois déjà, quand Saül régnait sur nous, c'était toi qui sortais et rentrais avec Israël, et Yahvé t'a dit: C'est toi qui paîtras mon peuple Israël et c'est toi qui deviendras chef d'Israël."

2 Samuel 5, 3 Tous les anciens d'Israël vinrent donc auprès du roi à Hébron, le roi David conclut un pacte avec eux à Hébron, en présence de Yahvé, et ils oignirent David comme roi sur Israël.

2 Samuel 5, 4 David avait 30 ans à son avènement et il régna pendant 40 ans.

2 Samuel 5, 5 A Hébron, il régna sept ans et six mois sur Juda; à Jérusalem, il régna 33 ans sur tout Israël et sur Juda.

2 Samuel 5, 6 David avec ses gens marcha sur Jérusalem contre les Jébuséens qui habitaient le pays, et ceux-ci dirent à David: "Tu n'entreras pas ici! Les aveugles et les boiteux t'en écarteront" (c'est-à-dire: David n'entrera pas ici).

2 Samuel 5, 7 Mais David s'empara de la forteresse de Sion; c'est la Cité de David.

2 Samuel 5, 8 Ce jour-là, David dit: "Quiconque frappera les Jébuséens et montera par le canal..." Quant aux boiteux et aux aveugles, David les hait en son âme (C'est pourquoi on dit: Aveugle et boiteux n'entreront pas au Temple.)

2 Samuel 5, 9 David s'installa dans la forteresse et l'appela Cité de David. Puis David construisit un mur sur son pourtour, depuis le Millo vers l'intérieur.

2 Samuel 5, 10 David allait grandissant et Yahvé, Dieu Sabaot, était avec lui.

2 Samuel 5, 11 Hiram, roi de Tyr, envoya une ambassade à David, avec du bois de cèdre, des charpentiers et des tailleurs de pierres, qui construisirent une maison pour David.

2 Samuel 5, 12 Alors David sut que Yahvé l'avait confirmé comme roi sur Israël et qu'il exaltait sa royauté à cause d'Israël son peuple.

2 Samuel 5, 13 Après son arrivée d'Hébron, David prit encore des concubines et des femmes à Jérusalem, et il lui naquit des fils et des filles.

2 Samuel 5, 14 Voici les noms des enfants qu'il eut à Jérusalem: Shammua, Shobab, Natân, Salomon,

2 Samuel 5, 15 Yibhar, Elishua, Népheg, Yaphia,

2 Samuel 5, 16 Elishama, Baalyada, Eliphélèt.

2 Samuel 5, 17 Lorsque les Philistins eurent appris qu'on avait oint David comme roi sur Israël, ils montèrent tous pour s'emparer de lui. A cette nouvelle, David descendit au refuge.

2 Samuel 5, 18 Les Philistins arrivèrent et se déployèrent dans le val des Rephaïm.

2 Samuel 5, 19 Alors David consulta Yahvé: "Dois-je attaquer les Philistins? Demanda-t-il. Les livreras-tu entre mes mains?" Yahvé répondit à David: "Attaque! Je livrerai sûrement les Philistins entre tes mains."

2 Samuel 5, 20 Donc David se rendit à Baal-Peraçim et là David les battit. Et il dit: "Yahvé m'a ouvert une brèche dans mes ennemis comme une brèche faite par les eaux." C'est pourquoi on appela cet endroit Baal-Peraçim.

2 Samuel 5, 21 Ils avaient abandonné sur place leurs dieux; David et ses gens les enlevèrent.

2 Samuel 5, 22 Les Philistins montèrent de nouveau et se déployèrent dans le val des Rephaïm.

2 Samuel 5, 23 David consulta Yahvé, et celui-ci répondit: "Ne les attaque pas en face, tourne-les par derrière et aborde-les vis-à-vis des micocouliers.

2 Samuel 5, 24 Quand tu entendras un bruit de pas à la cime des micocouliers, alors dépêche-toi: c'est que Yahvé sort devant toi pour battre l'armée philistine."

2 Samuel 5, 25 David fit comme Yahvé lui avait ordonné et il battit les Philistins depuis Gabaôn jusqu'à l'entrée de Gézer.

2 Samuel 6, 1 David rassembla encore toute l'élite d'Israël, 30.000 hommes.

2 Samuel 6, 2 S'étant mis en route, David et toute l'armée qui l'accompagnait partirent pour Baala de Juda, afin de faire monter de là l'arche de Dieu, qui porte le nom de Yahvé Sabaot, siégeant sur les chérubins.

2 Samuel 6, 3 On chargea l'arche de Dieu sur un chariot neuf et on l'emporta de la maison d'Abinadab, qui est sur la colline. Uzza et Ahyo, les fils d'Abinadab, conduisaient le chariot.

2 Samuel 6, 4 Uzza marchait à côté de l'arche de Dieu et Ahyo marchait devant elle.

2 Samuel 6, 5 David et toute la maison d'Israël dansaient devant Yahvé de toutes leurs forces, en chantant au son des cithares, des harpes, des tambourins, des sistres et des cymbales.

2 Samuel 6, 6 Comme on arrivait à l'aire de Nakôn, Uzza étendit la main vers l'arche de Dieu et la retint, car les boeufs la faisaient verser.

2 Samuel 6, 7 Alors la colère de Yahvé s'enflamma contre Uzza: sur place, Dieu le frappa pour cette faute, et il mourut, là, à côté de l'arche de Dieu.

2 Samuel 6, 8 David fut fâché de ce que Yahvé eût foncé sur Uzza et on donna à ce lieu le nom de Pérèç-Uzza, qu'il a gardé jusqu'à maintenant.

2 Samuel 6, 9 Ce jour-là, David eut peur de Yahvé et dit: "Comment l'arche de Yahvé entrerait-elle chez moi?"

2 Samuel 6, 10 Ainsi David ne voulut pas conserver l'arche de Yahvé chez lui, dans la Cité de David, et la conduisit chez Obed-Edom de Gat.

2 Samuel 6, 11 L'arche de Yahvé demeura trois mois chez Obed-Edom de Gat, et Yahvé bénit Obed-Edom et toute sa famille.

2 Samuel 6, 12 On rapporta au roi David que Yahvé avait béni la famille d'Obed-Edom et tout ce qui lui appartenait à cause de l'arche de Dieu. Alors David partit et fit monter l'arche de Dieu de la maison d'Obed-Edom à la Cité de David en grande liesse.

2 Samuel 6, 13 Quand les porteurs de l'arche de Yahvé eurent fait six pas, il sacrifia un boeuf et un veau gras.

2 Samuel 6, 14 David dansait en tournoyant de toutes ses forces devant Yahvé, il avait ceint un pagne de lin.

2 Samuel 6, 15 David et toute la maison d'Israël faisaient monter l'arche de Yahvé en poussant des acclamations et en sonnant du cor.

2 Samuel 6, 16 Or, comme l'arche de Yahvé entrait dans la Cité de David, la fille de Saül, Mikal, regardait par la fenêtre, et elle vit le roi David qui sautait et tournoyait devant Yahvé, et, dans son coeur, elle le méprisa.

2 Samuel 6, 17 On introduisit l'arche de Yahvé et on la déposa à sa place, sous la tente que David avait fait dresser pour elle, et David offrit des holocaustes en présence de Yahvé, ainsi que des sacrifices de communion.

2 Samuel 6, 18 Lorsque David eut achevé d'offrir des holocaustes et des sacrifices de communion, il bénit le peuple au nom de Yahvé Sabaot.

2 Samuel 6, 19 Puis il fit une distribution à tout le peuple, à la foule entière des Israélites, hommes et femmes, pour chacun une couronne de pain, une masse de dattes et un gâteau de raisins secs, puis tout le monde s'en alla chacun chez soi.

2 Samuel 6, 20 Comme David s'en retournait pour bénir sa maisonnée, Mikal, fille de Saül, sortit à sa rencontre et dit: "Comme il s'est fait honneur aujourd'hui, le roi d'Israël, qui s'est découvert aujourd'hui au regard des servantes de ses serviteurs comme se découvrirait un homme de rien!"

2 Samuel 6, 21 Mais David répondit à Mikal: "C'est devant Yahvé que je danse! Par la vie de Yahvé, qui m'a préféré à ton père et à toute sa maison pour m'instituer chef d'Israël, le peuple de Yahvé, je danserai devant Yahvé

2 Samuel 6, 22 et je m'abaisserai encore davantage. Je serai vil à tes yeux, mais auprès des servantes dont tu parles, auprès d'elles je serai en honneur."

2 Samuel 6, 23 Et Mikal, fille de Saül, n'eut pas d'enfant jusqu'au jour de sa mort.

2 Samuel 7, 1 Quand le roi habita sa maison et que Yahvé l'eut débarrassé de tous les ennemis qui l'entouraient,

2 Samuel 7, 2 le roi dit au prophète Natân: "Vois donc! J'habite une maison de cèdre et l'arche de Dieu habite sous la tente!"

2 Samuel 7, 3 Natân répondit au roi: "Va et fais tout ce qui te tient à coeur, car Yahvé est avec toi."

2 Samuel 7, 4 Mais, cette même nuit, la parole de Yahvé fut adressée à Natân en ces termes:

2 Samuel 7, 5 "Va dire à mon serviteur David: Ainsi parle Yahvé. Est-ce toi qui me construiras une maison pour que j'y habite?

2 Samuel 7, 6 Je n'ai jamais habité de maison depuis le jour où j'ai fait monter d'Egypte les Israélites jusqu'aujourd'hui, mais j'étais en camp volant sous une tente et un abri.

2 Samuel 7, 7 Pendant tout le temps où j'ai voyagé avec tous les Israélites, ai-je dit à un seul des juges d'Israël, que j'avais institués comme pasteurs de mon peuple Israël: Pourquoi ne me bâtissez-vous pas une maison de cèdre?

2 Samuel 7, 8 Voici maintenant ce que tu diras à mon serviteur David: Ainsi parle Yahvé Sabaot. C'est moi qui t'ai pris au pâturage, derrière les brebis, pour être chef de mon peuple Israël.

2 Samuel 7, 9 J'ai été avec toi partout où tu allais; j'ai supprimé devant toi tous tes ennemis. Je te donnerai un grand nom comme le nom des plus grands de la terre.

2 Samuel 7, 10 Je fixerai un lieu à mon peuple Israël, je l'y planterai, il demeurera en cette place, il ne sera plus ballotté et les méchants ne continueront pas à l'opprimer comme auparavant,

2 Samuel 7, 11 depuis le temps où j'instituais des juges sur mon peuple Israël; je te débarrasserai de tous tes ennemis. Yahvé t'annonce qu'il te fera une maison.

2 Samuel 7, 12 Et quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, je maintiendrai après toi le lignage issu de tes entrailles (et j'affermirai sa royauté.

2 Samuel 7, 13 C'est lui qui construira une maison pour mon Nom) et j'affermirai pour toujours son trône royal.

2 Samuel 7, 14 Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils: s'il commet le mal, je le châtierai avec une verge d'homme et par les coups que donnent les humains.

2 Samuel 7, 15 Mais ma faveur ne lui sera pas retirée comme je l'ai retirée à Saül, que j'ai écarté de devant toi.

2 Samuel 7, 16 Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant moi, ton trône sera affermi à jamais."

2 Samuel 7, 17 Natân communiqua à David toutes ces paroles et toute cette révélation.

2 Samuel 7, 18 Alors le roi David entra et s'assit devant Yahvé, et il dit: "Qui suis-je, Seigneur Yahvé, et quelle est ma maison, pour que tu m'aies mené jusque là?

2 Samuel 7, 19 Mais cela est encore trop peu à tes yeux, Seigneur Yahvé, et tu étends aussi tes promesses à la maison de ton serviteur pour un lointain avenir. Voilà le destin de l'homme, Seigneur Yahvé.

2 Samuel 7, 20 Que David pourrait-il te dire de plus, alors que tu as toi-même distingué ton serviteur, Seigneur Yahvé!

2 Samuel 7, 21 A cause de ta parole et selon ton coeur, tu as eu cette magnificence d'instruire ton serviteur.

2 Samuel 7, 22 C'est pourquoi tu es grand, Seigneur Yahvé: il n'y a personne comme toi et il n'y a pas d'autre Dieu que toi seul, comme l'ont appris nos oreilles.

2 Samuel 7, 23 Y a-t-il, comme ton peuple Israël, un autre peuple sur la terre qu'un dieu soit allé racheter pour en faire son peuple, pour le rendre fameux et opérer en sa faveur de grandes et terribles choses en chassant devant son peuple des nations et des dieux?

2 Samuel 7, 24 Tu as établi ton peuple Israël pour qu'il soit à jamais ton peuple, et toi, Yahvé, tu es devenu son Dieu.

2 Samuel 7, 25 Maintenant, Yahvé Dieu, garde toujours la promesse que tu as faite à ton serviteur et à sa maison et agis comme tu l'as dit.

2 Samuel 7, 26 Ton nom sera exalté à jamais et l'on dira: Yahvé Sabaot est Dieu sur Israël. La maison de ton serviteur David subsistera en ta présence.

2 Samuel 7, 27 Car c'est toi, Yahvé Sabaot, Dieu d'Israël, qui as fait cette révélation à ton serviteur: Je te bâtirai une maison. Aussi ton serviteur a-t-il trouvé le courage de te faire cette prière.

2 Samuel 7, 28 Oui, Seigneur Yahvé, c'est toi qui es Dieu, tes paroles sont vérité et tu fais cette belle promesse à ton serviteur.

2 Samuel 7, 29 Consens donc à bénir la maison de ton serviteur, pour qu'elle demeure toujours en ta présence. Car c'est toi, Seigneur Yahvé, qui as parlé, et par ta bénédiction la maison de ton serviteur sera bénie à jamais."

2 Samuel 8, 1 Il advint après cela que David battit les Philistins et les abaissa. David prit des mains des Philistins...

2 Samuel 8, 2 Il battit aussi les Moabites et les mesura au cordeau en les faisant coucher à terre: il en mesura deux cordeaux à mettre à mort et un plein cordeau à laisser en vie, et les Moabites devinrent sujets de David et lui payèrent tribut.

2 Samuel 8, 3 David battit Hadadézer, fils de Rehob, roi de Coba, lorsque celui-ci alla pour étendre son pouvoir sur le Fleuve.

2 Samuel 8, 4 David lui prit 1.700 charriers et 20.000 hommes de pied, et David coupa les jarrets de tous les attelages, il n'en garda que cent.

2 Samuel 8, 5 Les Araméens de Damas vinrent au secours de Hadadézer, roi de Coba, mais David tua aux Araméens 22.000 hommes.

2 Samuel 8, 6 Puis David établit des gouverneurs dans l'Aram de Damas, et les Araméens devinrent sujets de David et lui payèrent tribut. Partout où David allait, Yahvé lui donna la victoire.

2 Samuel 8, 7 David prit les rondaches d'or que portait la garde de Hadadézer et les emporta à Jérusalem.

2 Samuel 8, 8 De Tébah et de Bérotaï, villes de Hadadézer, le roi David enleva une énorme quantité de bronze.

2 Samuel 8, 9 Lorsque Tôou, roi de Hamat, apprit que David avait défait toute l'armée de Hadadézer,

2 Samuel 8, 10 il dépêcha son fils Hadoram au roi David pour le saluer et le féliciter d'avoir fait la guerre à Hadadézer et de l'avoir vaincu, car Hadadézer était en guerre avec Tôou. Hadoram apportait des objets d'argent, d'or et de bronze.

2 Samuel 8, 11 Le roi David les consacra aussi à Yahvé, avec l'argent et l'or qu'il avait consacrés, provenant de toutes les nations qu'il avait subjuguées,

2 Samuel 8, 12 Aram, Moab, les Ammonites, les Philistins, Amaleq, provenant aussi du butin pris à Hadadézer, fils de Rehob, roi de Coba.

2 Samuel 8, 13 David acquit du renom lorsqu'il revint de battre les Edomites dans la vallée du Sel, au nombre de 18.000.

2 Samuel 8, 14 Il établit des gouverneurs en Edom et tous les Edomites devinrent sujets de David. Partout où David allait, Yahvé lui donna la victoire.

2 Samuel 8, 15 David régna sur tout Israël, faisant droit et justice à tout son peuple.

2 Samuel 8, 16 Joab, fils de Ceruya, commandait l'armée; Yehoshaphat, fils d'Ahilud, était héraut;

2 Samuel 8, 17 Sadoq et Ebyatar, fils d'Ahimélek, fils d'Ahitub, étaient prêtres; Seraya était secrétaire;

2 Samuel 8, 18 Benayahu, fils de Yehoyada, commandait les Kerétiens et les Pelétiens; les fils de David étaient prêtres.

2 Samuel 9, 1 David demanda: "Est-ce qu'il y a encore un survivant de la famille de Saül, pour que je le traite avec bonté par égard pour Jonathan?"

2 Samuel 9, 2 Or la famille de Saül avait un serviteur, qui se nommait Ciba. On l'appela auprès de David et le roi lui dit: "Tu es Ciba?" Il répondit: "Pour te servir."

2 Samuel 9, 3 Le roi lui demanda: "Ne reste-t-il pas quelqu'un de la famille de Saül, pour que je le traite avec une bonté comme celle de Dieu?" Ciba répondit au roi: "Il y a encore un fils de Jonathan qui est perclus des deux pieds" --

2 Samuel 9, 4 "Où est-il", demanda le roi, et Ciba répondit au roi: "Il est dans la maison de Makir, fils d'Ammiel, à Lo-Debar."

2 Samuel 9, 5 Le roi l'envoya donc chercher à la maison de Makir, fils d'Ammiel, de Lo-Debar.

2 Samuel 9, 6 En arrivant auprès de David, Meribbaal, fils de Jonathan fils de Saül, tomba sur sa face et se prosterna. David dit: Meribbaal!" Et il répondit: "C'est moi, pour te servir."

2 Samuel 9, 7 David lui dit: "N'aie pas peur, car je veux te traiter avec bonté par égard pour ton père Jonathan. Je te restituerai toutes les terres de Saül ton aïeul et tu mangeras toujours à ma table."

2 Samuel 9, 8 Meribbaal se prosterna et dit: "Qui est ton serviteur pour que tu fasses grâce à un chien crevé tel que moi?"

2 Samuel 9, 9 Puis le roi appela Ciba, le serviteur de Saül, et lui dit: "Tout ce qui appartient à Saül et à sa famille, je le donne au fils de ton maître.

2 Samuel 9, 10 Tu travailleras pour lui la terre, toi avec tes fils et tes esclaves, tu en récolteras le produit qui assurera à la famille de ton maître le pain qu'elle mangera; quant à Meribbaal, le fils de ton maître, il prendra toujours ses repas à ma table." Or Ciba avait quinze fils et vingt esclaves.

2 Samuel 9, 11 Ciba répondit au roi: "Ton serviteur fera tout ce que Monseigneur le roi a ordonné à son serviteur." Donc Meribbaal mangeait à la table de David, comme l'un des fils du roi.

2 Samuel 9, 12 Meribbaal avait un petit garçon qui se nommait Mika. Tous ceux qui habitaient chez Ciba étaient au service de Meribbaal.

2 Samuel 9, 13 Mais Meribbaal résidait à Jérusalem, puisqu'il mangeait toujours à la table du roi. Il était perclus des deux pieds.

2 Samuel 10, 1 Après cela, il advint que le roi des Ammonites mourut et que son fils Hanûn régna à sa place.

2 Samuel 10, 2 David se dit: "J'aurai pour Hanûn, fils de Nahash, les mêmes bontés que son père a eues pour moi", et David envoya ses serviteurs lui présenter des condoléances au sujet de son père. Mais lorsque les serviteurs de David arrivèrent au pays des Ammonites,

2 Samuel 10, 3 les princes des Ammonites dirent à Hanûn leur maître: "T'imagines-tu que David veuille honorer ton père, parce qu'il t'a envoyé des porteurs de condoléances? N'est-ce pas plutôt afin d'explorer la ville, pour en connaître les défenses et la renverser, que David t'a envoyé ses serviteurs?"

2 Samuel 10, 4 Alors Hanûn se saisit des serviteurs de David, il leur fit raser la moitié de la barbe, et couper les vêtements à mi-hauteur jusqu'aux fesses, puis il les congédia.

2 Samuel 10, 5 Lorsque David en fut informé, il envoya quelqu'un à leur rencontre, car ces gens étaient couverts de honte, et le roi leur fit dire: "Restez à Jéricho jusqu'à ce que votre barbe ait repoussé, et vous reviendrez."

2 Samuel 10, 6 Les Ammonites virent bien qu'ils s'étaient rendus odieux à David et ils envoyèrent des messagers pour prendre à leur solde les Araméens de Bet-Rehob et les Araméens de Coba, 20.000 hommes de pied, le roi de Maaka, mille hommes, et le prince de Tob, 12.000 hommes.

2 Samuel 10, 7 L'ayant appris, David envoya Joab avec toute l'armée, les preux.

2 Samuel 10, 8 Les Ammonites sortirent et se rangèrent en bataille à l'entrée de la porte, tandis que les Araméens de Coba et de Rehob et les gens de Tob et de Maaka étaient à part en rase campagne.

2 Samuel 10, 9 Voyant qu'il avait un front de combat à la fois devant et derrière lui, Joab fit choix de toute l'élite d'Israël et la mit en ligne face au Araméens.

2 Samuel 10, 10 Il confia à son frère Abishaï le reste de l'armée et le mit en ligne face aux Ammonites.

2 Samuel 10, 11 Il dit: "Si les Araméens l'emportent sur moi, tu viendras à mon secours; si les Ammonites l'emportent sur toi, j'irai te secourir.

2 Samuel 10, 12 Aie bon courage et montrons-nous forts pour notre peuple et pour les villes de notre Dieu. Que Yahvé fasse ce qui lui semblera bon!"

2 Samuel 10, 13 Joab et la troupe qui était avec lui engagèrent le combat contre les Araméens et ceux-ci s'enfuirent devant eux.

2 Samuel 10, 14 Quand les Ammonites virent que les Araméens avaient fui, ils lâchèrent pied devant Abishaï et rentrèrent dans la ville. Alors Joab revint de la guerre contre les Ammonites et rentra à Jérusalem.

2 Samuel 10, 15 Voyant qu'ils avaient été battus devant Israël, les Araméens concentrèrent leurs forces.

2 Samuel 10, 16 Hadadézer envoya des messagers et mobilisa les Araméens qui sont de l'autre côté du Fleuve. Ceux-ci arrivèrent à Hélam, ayant à leur tête Shobak, le chef de l'armée de Hadadézer.

2 Samuel 10, 17 Cela fut rapporté à David, qui rassembla tout Israël, passa le Jourdain et arriva à Hélam. Les Araméens se rangèrent en face de David et lui livrèrent bataille.

2 Samuel 10, 18 Mais les Araméens lâchèrent pied devant Israël et David leur tua 700 attelages et 40.000 hommes, il abattit aussi Shobak, leur général, qui mourut sur les lieux.

2 Samuel 10, 19 Lorsque tous les rois vassaux de Hadadézer virent qu'ils avaient été battus devant Israël, ils firent la paix avec les Israélites et leur furent assujettis. Les Araméens craignirent de porter encore secours aux Ammonites.

2 Samuel 11, 1 Au retour de l'année, au temps où les rois se mettent en campagne, David envoya Joab et avec lui sa garde et tout Israël: ils massacrèrent les Ammonites et mirent le siège devant Rabba. Cependant David restait à Jérusalem.

2 Samuel 11, 2 Il arriva que, vers le soir, David, s'étant levé de sa couche et se promenant sur la terrasse du palais, aperçut, de la terrasse, une femme qui se baignait. Cette femme était très belle.

2 Samuel 11, 3 David fit prendre des informations sur cette femme, et on répondit: "Mais c'est Bethsabée, fille d'Eliam et femme d'Urie le Hittite!"

2 Samuel 11, 4 Alors David envoya des émissaires et la fit chercher. Elle vint chez lui et il coucha avec elle, alors qu'elle venait de se purifier de ses règles. Puis elle retourna dans sa maison.

2 Samuel 11, 5 La femme conçut et elle envoya dire à David: "Je suis enceinte!"

2 Samuel 11, 6 Alors David expédia un message à Joab: "Envoie-moi Urie le Hittite", et Joab envoya Urie à David.

2 Samuel 11, 7 Lorsqu'Urie fut arrivé auprès de lui, David demanda comment allaient Joab et l'armée et la guerre.

2 Samuel 11, 8 Puis David dit à Urie: "Descends à ta maison et lave-toi les pieds." Urie sortit du palais, suivi d'un présent de la table royale.

2 Samuel 11, 9 Mais Urie coucha à la porte du palais avec tous les gardes de son maître et ne descendit pas à sa maison.

2 Samuel 11, 10 On en informa David: "Urie, lui dit-on, n'est pas descendu à sa maison." David demanda à Urie: "N'arrives-tu pas de voyage? Pourquoi n'es-tu pas descendu à ta maison?"

2 Samuel 11, 11 Urie répondit à David: "L'arche, Israël et Juda logent sous les huttes, mon maître Joab et la garde de Monseigneur campent en rase campagne, et moi j'irais à ma maison pour manger et boire et coucher avec ma femme! Aussi vrai que Yahvé est vivant et que tu vis toi-même, je ne ferai pas une chose pareille!"

2 Samuel 11, 12 Alors David dit à Urie: "Reste encore aujourd'hui ici, et demain je te donnerai congé." Urie resta donc à Jérusalem ce jour-là. Le lendemain,

2 Samuel 11, 13 David l'invita à manger et à boire en sa présence et il l'enivra. Le soir Urie sortit et s'étendit sur sa couche avec les gardes de son maître, mais il ne descendit pas à sa maison.

2 Samuel 11, 14 Le matin suivant, David écrivit une lettre à Joab et la fit porter par Urie.

2 Samuel 11, 15 Il écrivait dans la lettre: "Mettez Urie au plus fort de la mêlée et reculez derrière lui: qu'il soit frappé et qu'il meure."

2 Samuel 11, 16 Joab, qui bloquait la ville, plaça Urie à l'endroit où il savait que se trouvaient de vaillants guerriers.

2 Samuel 11, 17 Les gens de la ville firent une sortie et attaquèrent Joab. Il y eut des tués dans l'armée, parmi les gardes de David, et Urie le Hittite mourut aussi.

2 Samuel 11, 18 Joab envoya à David un compte-rendu de tous les détails du combat.

2 Samuel 11, 19 Il donna cet ordre au messager: "Quand tu auras fini de raconter au roi tous les détails du combat,

2 Samuel 11, 20 si la colère du roi s'élève et qu'il te dise: Pourquoi vous êtes-vous approchés de la ville pour livrer bataille? Ne saviez-vous pas qu'on tire du haut des remparts?

2 Samuel 11, 21 Qui a tué Abimélek, le fils de Yerubbaal? N'est-ce pas une femme, qui a lancé une meule sur lui, du haut du rempart, et il est mort à Tébèç? Pourquoi vous êtes-vous approchés du rempart?, tu diras: Ton serviteur Urie le Hittite est mort lui aussi."

2 Samuel 11, 22 Le messager partit et, à son arrivée, il rapporta à David tout le message dont Joab l'avait chargé. David s'emporta contre Joab et dit au messager: "Pourquoi vous êtes-vous approchés du rempart de la ville pour livrer bataille? Ne saviez-vous pas qu'on tire du haut des remparts? Qui a tué Abimélek, le fils de Yerubbaal? N'est-ce pas une femme qui a jeté une meule sur lui du haut du rempart, et il est mort à Tébèç? Pourquoi vous êtes-vous approchés du rempart?"

2 Samuel 11, 23 Le messager répondit à David: "C'est que ces gens l'avaient emporté sur nous et étaient sortis vers nous en rase campagne, nous les avons refoulés jusqu'à l'entrée de la porte

2 Samuel 11, 24 mais les archers ont tiré sur tes gardes du haut des remparts, certains des gardes du roi ont péri et ton serviteur Urie le Hittite est mort lui aussi."

2 Samuel 11, 25 Alors David dit au messager: "Voici ce que tu diras à Joab: Que cette affaire ne t'affecte pas: l'épée dévore tantôt celui-ci et tantôt celui-là. Force ton attaque contre la ville et détruis-là. Ainsi tu lui rendras courage."

2 Samuel 11, 26 Lorsque la femme d'Urie apprit que son époux, Urie, était mort, elle fit le deuil pour son mari.

2 Samuel 11, 27 Quand le deuil fut achevé, David l'envoya chercher et la recueillit chez lui, et elle devint sa femme. Elle lui enfanta un fils. Mais l'action que David avait commise avait déplut à Yahvé.

2 Samuel 12, 1 Yahvé envoya le prophète Natân vers David. Il entra chez lui et lui dit: "Il y avait deux hommes dans la même ville, l'un riche et l'autre pauvre.

2 Samuel 12, 2 Le riche avait petit et gros bétail en très grande abondance.

2 Samuel 12, 3 Le pauvre n'avait rien du tout qu'une brebis, une seule petite qu'il avait achetée. Il la nourrissait et elle grandissait avec lui et avec ses enfants, mangeant son pain, buvant dans sa coupe, dormant dans son sein: c'était comme sa fille.

2 Samuel 12, 4 Un hôte se présenta chez l'homme riche qui épargna de prendre sur son petit ou gros bétail de quoi servir au voyageur arrivé chez lui. Il vola la brebis de l'homme pauvre et l'apprêta pour son visiteur."

2 Samuel 12, 5 David entra en grande colère contre cette homme et dit à Natân: "Aussi vrai que Yahvé est vivant, l'homme qui a fait cela est passible de mort!

2 Samuel 12, 6 Il remboursera la brebis au quadruple, pour avoir commis cette action et n'avoir pas eu de pitié."

2 Samuel 12, 7 Natân dit alors à David: "Cet homme, c'est toi! Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël: Je t'ai oint comme roi d'Israël, je t'ai sauvé de la main de Saül,

2 Samuel 12, 8 je t'ai livré la maison de ton maître, j'ai mis dans tes bras les femmes de ton maître, je t'ai donné la maison d'Israël et de Juda et, si ce n'est pas assez, j'ajouterai pour toi n'importe quoi.

2 Samuel 12, 9 Pourquoi as-tu méprisé Yahvé et fait ce qui lui déplaît? Tu as frappé par l'épée Urie le Hittite, sa femme tu l'as prise pour ta femme, lui tu l'as fait périr par l'épée des Ammonites.

2 Samuel 12, 10 Maintenant l'épée ne se détournera plus jamais de ta maison, parce que tu m'as méprisé et que tu as pris la femme d'Urie le Hittite pour qu'elle devienne ta femme.

2 Samuel 12, 11 "Ainsi parle Yahvé: Je vais, de ta propre maison, faire surgir contre toi le malheur. Je prendrai tes femmes sous tes yeux et je les livrerai à ton prochain, qui couchera avec tes femmes à la vue de ce soleil.

2 Samuel 12, 12 Toi, tu as agi dans le secret, mais moi j'accomplirai cela à la face de tout Israël et à la face du soleil!"

2 Samuel 12, 13 David dit à Natân: "J'ai péché contre Yahvé!" Alors Natân dit à David: "De son côté, Yahvé pardonne ta faute, tu ne mourras pas.

2 Samuel 12, 14 Seulement, parce que tu as outragé Yahvé en cette affaire, l'enfant qui t'est né mourra."

2 Samuel 12, 15 Et Natân s'en alla chez lui. Yahvé frappa l'enfant que la femme d'Urie avait donné à David, et il tomba gravement malade.

2 Samuel 12, 16 David implora Dieu pour l'enfant: il jeûnait strictement, rentrait chez lui et passait la nuit couché sur la terre nue.

2 Samuel 12, 17 Les dignitaires de sa maison se tenaient debout autour de lui pour le relever de terre, mais il refusa et ne prit avec eux aucune nourriture.

2 Samuel 12, 18 Le septième jour, l'enfant mourut. Les officiers de David avaient peur de lui apprendre que l'enfant était mort. Ils se disaient en effet: "Quand l'enfant était vivant, nous lui avons parlé et il ne nous a pas écoutés. Comment pourrons-nous lui dire que l'enfant est mort? Il fera un malheur!"

2 Samuel 12, 19 David s'aperçut que les officiers chuchotaient entre eux, et il comprit que l'enfant était mort. David demanda à ses officiers: "L'enfant est-il mort", et ils répondirent: "Oui."

2 Samuel 12, 20 Alors David se leva de terre, se baigna, se parfuma et changea de vêtements. Puis il entra dans le sanctuaire de Yahvé et se prosterna. Rentré chez lui, il demanda qu'on lui servît de la nourriture et il mangea.

2 Samuel 12, 21 Ses officiers lui dirent: "Que fais-tu là? Tant que l'enfant était vivant, tu as jeûné et pleuré, et maintenant que l'enfant est mort, tu te relèves et tu prends de la nourriture!"

2 Samuel 12, 22 Il répondit: "Tant que l'enfant était vivant, j'ai jeûné et j'ai pleuré, car je me disais: Qui sait? Yahvé aura peut-être pitié de moi et l'enfant vivra.

2 Samuel 12, 23 Maintenant qu'il est mort, pourquoi jeûnerais-je? Pourrais-je le faire revenir? C'est moi qui m'en vais le rejoindre, mais lui ne reviendra pas vers moi."

2 Samuel 12, 24 David consola Bethsabée, sa femme. Il alla vers elle et coucha avec elle. Elle conçut et mit au monde un fils auquel elle donna le nom de Salomon. Yahvé l'aima

2 Samuel 12, 25 et le fit savoir par le prophète Natân. Celui-ci le nomma Yedidya, suivant la parole de Yahvé.

2 Samuel 12, 26 Joab donna l'assaut à Rabba des Ammonites et il s'empara de la ville royale.

2 Samuel 12, 27 Joab envoya alors des messagers à David pour dire: "J'ai attaqué Rabba, je me suis emparé de la ville des eaux.

2 Samuel 12, 28 Maintenant, rassemble le reste de l'armée, dresse ton camp contre la ville, pour que ce ne soit pas moi qui conquière la ville et lui donne mon nom."

2 Samuel 12, 29 David rassembla toute l'armée et alla à Rabba, il donna l'assaut à la ville et s'en empara.

2 Samuel 12, 30 Il enleva de la tête de Milkom la couronne qui pesait un talent d'or; elle enchâssait une pierre précieuse qui devint l'ornement de la tête de David. Il emporta le butin de la ville en énorme quantité.

2 Samuel 12, 31 Quant à sa population, il la fit sortir, la mit à manier la scie, les pics ou les haches de fer et l'employa au travail des briques; il agissait de même pour toutes les villes des Ammonites. David et toute l'armée revinrent à Jérusalem.

2 Samuel 13, 1 Voici ce qui arriva ensuite. Absalom, fils de David, avait une soeur qui était belle et qui se nommait Tamar, et Amnon, fils de David, s'éprit d'elle.

2 Samuel 13, 2 Amnon était tourmenté au point de se rendre malade à cause de sa soeur Tamar, car elle était vierge et Amnon ne voyait pas la possibilité de lui rien faire.

2 Samuel 13, 3 Mais Amnon avait un ami nommé Yonadab, fils de Shiméa, frère de David, et Yonadab était un homme très avisé.

2 Samuel 13, 4 Il lui dit: "D'où vient, fils du roi, que tu sois si languissant chaque matin? Ne m'expliqueras-tu pas?" Amnon lui répondit: "C'est que j'aime Tamar, la soeur de mon frère Absalom."

2 Samuel 13, 5 Alors Yonadab lui dit: "Mets-toi au lit, fais le malade et quand ton père viendra te voir, tu lui diras: Permets que ma soeur Tamar vienne me donner à manger; elle apprêtera le plat sous mes yeux pour que je le voie et je mangerai de sa main."

2 Samuel 13, 6 Donc, Amnon se coucha et fit le malade. Le roi vint le voir et Amnon dit au roi: "Permets que ma soeur Tamar vienne et que, sous mes yeux, elle prépare une paire de beignets, et je me restaurerai de sa main."

2 Samuel 13, 7 David envoya dire à Tamar au palais: "Va donc chez ton frère Amnon et prépare-lui un plat."

2 Samuel 13, 8 Tamar se rendit à la maison de son frère Amnon. Il était couché. Elle prit de la pâte, la pétrit, façonna des beignets sous ses yeux et fit cuire les beignets.

2 Samuel 13, 9 Puis elle prit la poêle et la vida devant lui, mais il refusa de manger. Amnon dit: "Faites sortir tout le monde d'auprès de moi." Et tout le monde sortit d'auprès de lui.

2 Samuel 13, 10 Alors Amnon dit à Tamar: "Apporte le plat dans l'alcôve, que je me restaure de ta main." Et Tamar prit les beignets qu'elle avait faits et les apporta à son frère Amnon dans l'alcôve.

2 Samuel 13, 11 Comme elle lui présentait à manger, il la saisit et lui dit: "Viens, couche avec moi, ma soeur!"

2 Samuel 13, 12 Mais elle lui répondit: "Non, mon frère! Ne me violente pas, car on n'agit pas ainsi en Israël, ne commets pas cette infamie.

2 Samuel 13, 13 Moi, où irais-je porter ma honte? Et toi, tu serais comme un infâme en Israël! Maintenant parle donc au roi: il ne refusera pas de me donner à toi."

2 Samuel 13, 14 Mais il ne voulut pas l'entendre, il la maîtrisa et, lui faisant violence, il coucha avec elle.

2 Samuel 13, 15 Alors Amnon se prit à la haïr très fort -- la haine qu'il lui voua surpassait l'amour dont il l'avait aimée -- et Amnon lui dit: "Lève-toi! Va-t-en!"

2 Samuel 13, 16 Elle lui dit: "Non, mon frère, me chasser serait pire que l'autre mal que tu m'as fait." Mais il ne voulut pas l'écouter.

2 Samuel 13, 17 Il appela le garçon qui le servait et lui dit: "Débarrasse-moi de cette fille, jette-la dehors et verrouille la porte derrière elle!"

2 Samuel 13, 18 (Elle portait une tunique de luxe qui était autrefois le vêtement des filles qui n'étaient pas mariées.) Le serviteur la mit dehors et verrouilla la porte derrière elle.

2 Samuel 13, 19 Tamar, prenant de la poussière, la jeta sur sa tête, elle déchira la tunique de luxe qu'elle portait, mit la main sur sa tête et s'en alla, poussant des cris en marchant.

2 Samuel 13, 20 Son frère Absalom lui dit: "Serait-ce que ton frère Amnon a été avec toi? Maintenant, ma soeur, tais-toi; c'est ton frère: ne prends pas cette affaire à coeur." Tamar demeura abandonnée, dans la maison de son frère Absalom.

2 Samuel 13, 21 Lorsque le roi David apprit toute cette histoire, il en fut très irrité, mais il ne voulut pas faire de peine à son fils Amnon, qu'il aimait parce que c'était son premier-né.

2 Samuel 13, 22 Quant à Absalom, il n'adressa plus la parole à Amnon, car Absalom s'était pris de haine pour Amnon à cause de la violence qu'il avait faite à sa soeur Tamar.

2 Samuel 13, 23 Deux ans plus tard, comme Absalom avait les tondeurs à Baal-Haçor, qui est près d'Ephraïm, il invita tous les fils du roi.

2 Samuel 13, 24 Absalom se rendit auprès du roi et dit: "Voici que ton serviteur a les tondeurs. Que le roi et ses officiers daignent venir avec ton serviteur."

2 Samuel 13, 25 Le roi répondit à Absalom: "Non, mon fils, il ne faut pas que nous allions tous et te soyons à charge." Absalom insista, mais il ne voulut pas venir et lui donna congé.

2 Samuel 13, 26 Absalom reprit: "Permets-tu du moins que mon frère Amnon vienne avec nous." Et le roi dit: "Pourquoi irait-il avec toi?"

2 Samuel 13, 27 Mais Absalom insista et il laissa partir avec lui Amnon et tous les fils du roi. Absalom prépara un festin de roi

2 Samuel 13, 28 et il donna cet ordre aux serviteurs: "Faites attention! Lorsque le coeur d'Amnon sera mis en gaîté par le vin et que je vous dirai: Frappez Amnon!, vous le mettrez à mort. N'ayez pas peur; n'est-ce pas moi qui vous l'ai ordonné? Prenez courage et montrez-vous vaillants."

2 Samuel 13, 29 Les serviteurs d'Absalom agirent à l'égard d'Amnon comme Absalom l'avait ordonné. Alors tous les fils du roi se levèrent, enfourchèrent chacun son mulet et s'enfuirent.

2 Samuel 13, 30 Comme ils étaient en chemin, cette rumeur parvint à David: "Absalom a tué tous les fils du roi, il n'en reste pas un seul!"

2 Samuel 13, 31 Le roi se leva, déchira ses vêtements et se coucha par terre; tous ses officiers se tenaient debout, les vêtements déchirés.

2 Samuel 13, 32 Mais Yonadab, le fils de Shiméa, frère de David, prit ainsi la parole: "Que Monseigneur ne dise pas qu'on a fait périr tous les jeunes gens, les fils du roi, car seul Amnon est mort: Absalom s'était promis cela depuis le jour où Amnon avait outragé sa soeur Tamar.

2 Samuel 13, 33 Que maintenant Monseigneur le roi ne se mette pas dans l'idée que tous les fils du roi ont péri. Non, Amnon seul est mort

2 Samuel 13, 34 et Absalom s'est enfui." Le cadet qui était en sentinelle, levant les yeux, aperçut une troupe nombreuse qui s'avançait sur le chemin de Bahurim. La sentinelle vint annoncer au roi: "J'ai vu des hommes descendant par le chemin de Bahurim au flanc de la montagne."

2 Samuel 13, 35 Alors Yonadab dit au roi: "Ce sont les fils du roi qui arrivent: il en a été comme ton serviteur l'avait dit."

2 Samuel 13, 36 Il achevait à peine de parler que les fils du roi entrèrent, et ils se mirent à crier et à pleurer; le roi aussi et tous ses officiers pleurèrent très fort.

2 Samuel 13, 37 Absalom s'était enfui et s'était rendu chez Talmaï, fils d'Ammihud, roi de Geshur; le roi garda tout le temps le deuil de son fils.

2 Samuel 13, 38 Absalom s'était enfui et s'était rendu à Geshur; il y resta trois ans.

2 Samuel 13, 39 L'esprit du roi cessa de s'emporter contre Absalom, car il s'était consolé de la mort d'Amnon.

2 Samuel 14, 1 Joab, fils de Ceruya, reconnut que le coeur du roi se tournait vers Absalom.

2 Samuel 14, 2 Alors Joab envoya chercher à Teqoa une femme avisée et lui dit: "Je t'en prie, feins d'être en deuil, mets des habits de deuil, ne te parfume pas, sois comme une femme qui, depuis bien des jours, porte le deuil d'un mort.

2 Samuel 14, 3 Tu iras chez le roi et tu lui tiendras ce discours." Joab lui mit dans la bouche les paroles qu'il fallait.

2 Samuel 14, 4 La femme de Teqoa alla donc chez le roi, elle tomba la face contre terre et se prosterna, puis elle dit: "Au secours, ô roi!"

2 Samuel 14, 5 Le roi lui demanda: "Qu'as-tu?" Elle répondit: "Hélas! je suis veuve. Mon mari est mort

2 Samuel 14, 6 et ta servante avait deux fils. Il se sont querellés ensemble dans la campagne, il n'y avait personne pour les séparer, l'un a frappé l'autre et l'a tué.

2 Samuel 14, 7 Voilà que tout le clan s'est dressé contre ta servante et dit: Livre le fratricide: nous le mettrons à mort pour prix de la vie de son frère qu'il a tué, et nous détruirons en même temps l'héritier. Ils vont ainsi éteindre la braise qui me reste, pour ne plus laisser à mon mari ni nom ni survivant sur la face de la terre."

2 Samuel 14, 8 Le roi dit à la femme: "Va à ta maison, je donnerai moi-même des ordres à ton sujet."

2 Samuel 14, 9 La femme de Teqoa dit au roi: "Monseigneur le roi! Que la faute retombe sur moi et sur ma famille; le roi et son trône en sont innocents."

2 Samuel 14, 10 Le roi reprit: "Celui qui t'a menacée, amène-le moi et il ne reviendra plus te faire du mal."

2 Samuel 14, 11 Elle dit: "Que le roi daigne prononcer le nom de Yahvé ton Dieu, afin que le vengeur du sang n'augmente pas la ruine et ne fasse pas périr mon fils!" Il dit alors: "Aussi vrai que Yahvé est vivant, il ne tombera pas à terre un seul cheveu de ton fils!"

2 Samuel 14, 12 La femme reprit: "Qu'il soit permis à ta servante de dire un mot à Monseigneur le roi", et il répondit: "Parle."

2 Samuel 14, 13 La femme dit: "Et alors, pourquoi le roi -- en prononçant cette sentence, il se reconnaît coupable -- a-t-il eu contre le peuple de Dieu cette pensée de ne pas faire revenir celui qu'il a banni?

2 Samuel 14, 14 Nous sommes mortels et comme les eaux qui s'écoulent à terre et qu'on ne peut recueillir, et Dieu ne relève pas un cadavre: que le roi fasse donc des plans pour que le banni ne reste pas exilé loin de lui.

2 Samuel 14, 15 "Maintenant, si je suis venue parler de cette affaire à Monseigneur le roi, c'est que les gens m'ont fait peur et ta servante s'est dit: Je parlerai au roi et peut-être le roi exécutera-t-il la parole de sa servante.

2 Samuel 14, 16 Car le roi consentira à délivrer sa servante des mains de l'homme qui cherche à nous retrancher, moi et mon fils ensemble, de l'héritage de Dieu.

2 Samuel 14, 17 Ta servante a dit: Puisse la parole de Monseigneur le roi donner l'apaisement. Car Monseigneur le roi est comme l'Ange de Dieu pour saisir le bien et le mal. Que Yahvé ton Dieu soit avec toi!"

2 Samuel 14, 18 Alors le roi, prenant la parole, dit à la femme: "Je t'en prie, ne te dérobe pas à la question que je vais te poser." La femme répondit: "Que Monseigneur le roi parle!"

2 Samuel 14, 19 Le roi demanda: "La main de Joab n'est-elle pas avec toi en tout cela?" La femme répliqua: "Aussi vrai que tu es vivant, Monseigneur le roi, on ne peut pas aller à droite ni à gauche de tout ce qu'a dit Monseigneur le roi: oui, c'est ton serviteur Joab qui m'a donné l'ordre, c'est lui qui a mis toutes ces paroles dans la bouche de ta servante.

2 Samuel 14, 20 C'est pour déguiser l'affaire que ton serviteur Joab a agi ainsi, mais Monseigneur a la sagesse de l'Ange de Dieu, il sait tout ce qui se passe sur la terre."

2 Samuel 14, 21 Le roi dit alors à Joab: "Eh bien, je fais la chose: Va, ramène le jeune homme Absalom."

2 Samuel 14, 22 Joab tomba la face contre terre, il se prosterna et bénit le roi. Puis Joab dit: "Ton serviteur sait aujourd'hui qu'il a trouvé grâce à tes yeux, Monseigneur le roi, puisque le roi a exécuté la parole de son serviteur."

2 Samuel 14, 23 Joab se mit en route, il alla à Geshur et ramena Absalom à Jérusalem.

2 Samuel 14, 24 Cependant le roi dit: "Qu'il se retire dans sa maison, il ne sera pas reçu par moi." Absalom se retira dans sa maison et ne fut pas reçu par le roi.

2 Samuel 14, 25 Dans tout Israël, il n'y avait personne d'aussi beau qu'Absalom, à qui on pût faire tant d'éloges: de la plante des pieds au sommet de la tête, il était sans défaut.

2 Samuel 14, 26 Lorsqu'il se rasait la tête -- il se rasait chaque année parce que c'était trop lourd, alors il se rasait --, il pesait sa chevelure: soit 200 sicles, poids du roi.

2 Samuel 14, 27 Il naquit à Absalom trois fils et une fille, qui se nommait Tamar; c'était une belle femme.

2 Samuel 14, 28 Absalom demeura deux ans à Jérusalem, sans être reçu par le roi.

2 Samuel 14, 29 Absalom convoqua Joab pour l'envoyer chez le roi, mais Joab ne consentit pas à venir chez lui, il le convoqua encore une seconde fois, mais il ne consentit pas à venir.

2 Samuel 14, 30 Absalom dit à ses serviteurs: "Voyez le champ de Joab qui est à côté du mien et où il y a de l'orge, allez-y mettre le feu." Les serviteurs d'Absalom mirent le feu au champ.

2 Samuel 14, 31 Joab vint trouver Absalom dans sa maison et lui dit: "Pourquoi tes serviteurs ont-il mis le feu au champ qui m'appartient?"

2 Samuel 14, 32 Absalom répondit à Joab: "Voilà ce que je t'avais fait dire: Viens ici, je veux t'envoyer auprès du roi avec ce message: Pourquoi suis-je revenu de Geshur? Il vaudrait mieux pour moi y être encore. Je veux maintenant être reçu par le roi et, si je suis coupable, qu'il me mettre à mort!"

2 Samuel 14, 33 Joab se rendit près du roi et lui rapporta ces paroles. Puis il appela Absalom. Celui-ci alla chez le roi, se prosterna devant lui et se jeta la face contre terre devant le roi. Et le roi embrassa Absalom.

2 Samuel 15, 1 Il arriva après cela qu'Absalom se procura un char et des chevaux, et 50 hommes couraient devant lui.

2 Samuel 15, 2 Levé de bonne heure, Absalom se tenait au bord du chemin qui mène à la porte, et chaque fois qu'un homme, ayant un procès, devait venir au tribunal du roi, Absalom l'interpellait et lui demandait: "De quelle ville es-tu?" Il répondait: "Ton serviteur est de l'une des tribus d'Israël"

2 Samuel 15, 3 Alors Absalom lui disait: "Vois! Ta cause est bonne et juste, mais tu n'auras personne qui t'écoute de la part du roi."

2 Samuel 15, 4 Absalom continuait: "Ah! qui m'établira juge dans le pays? Tous ceux qui ont un procès et un jugement viendraient à moi et je leur rendrais justice!"

2 Samuel 15, 5 Et lorsque quelqu'un s'approchait pour se prosterner devant lui, il tendait la main, l'attirait à lui et l'embrassait.

2 Samuel 15, 6 Absalom agissait de la sorte envers tous les Israélites qui en appelaient au tribunal du roi et Absalom séduisait le coeur des gens d'Israël.

2 Samuel 15, 7 Au bout de quatre ans, Absalom dit au roi: "Permets que j'aille à Hébron accomplir le voeu que j'ai fait à Yahvé.

2 Samuel 15, 8 Car, lorsque j'étais à Geshur en Aram, ton serviteur a fait ce voeu: Si Yahvé me ramène à Jérusalem, je rendrai un culte à Yahvé à Hébron."

2 Samuel 15, 9 Le roi lui dit: "Va en paix." Il se mit donc en route et alla à Hébron.

2 Samuel 15, 10 Absalom dépêcha des émissaires à toutes les tribus d'Israël pour dire: "Quand vous entendrez le son du cor, vous direz: Absalom est devenu roi à Hébron."

2 Samuel 15, 11 Avec Absalom étaient partis 200 hommes de Jérusalem; c'étaient des invités qui étaient venus en toute innocence, n'étant au courant de rien.

2 Samuel 15, 12 Absalom envoya chercher, de sa ville de Gilo, Ahitophel le Gilonite, conseiller de David, et l'eut avec lui en offrant les sacrifices. La conjuration était puissante et la foule des partisans d'Absalom allait en augmentant.

2 Samuel 15, 13 Quelqu'un vint informer David: "Le coeur des gens d'Israël, dit-il, est passé à Absalom."

2 Samuel 15, 14 Alors David dit à tous ses officiers qui étaient avec lui à Jérusalem: "En route, et fuyons! Autrement nous n'échapperons pas à Absalom. Hâtez-vous de partir, de crainte qu'il ne se presse et ne nous attaque, qu'il ne nous inflige le malheur et ne passe la ville au fil de l'épée."

2 Samuel 15, 15 Les officiers du roi lui répondirent: "Quelque choix que fasse Monseigneur le roi, nous sommes à ton service."

2 Samuel 15, 16 Le roi sortit à pied avec toute sa famille; cependant le roi laissa dix concubines pour garder le palais.

2 Samuel 15, 17 Le roi sortit à pied avec tout le peuple et ils s'arrêtèrent à la dernière maison.

2 Samuel 15, 18 Tous ses officiers se tenaient à ses côtés. Tous les Kerétiens, tous les Pelétiens, Ittaï et tous les Gittites qui étaient venus de Gat à sa suite, 600 hommes, défilaient devant le roi.

2 Samuel 15, 19 Celui-ci dit à Ittaï le Gittite: "Pourquoi viens-tu aussi avec nous? Retourne et demeure avec le roi, car tu es un étranger, tu es même exilé de ton pays.

2 Samuel 15, 20 Tu es arrivé d'hier, et aujourd'hui je te ferais errer avec nous, quand je m'en vais à l'aventure! Retourne et remmène tes frères avec toi, et que Yahvé te témoigne miséricorde et bonté."

2 Samuel 15, 21 Mais Ittaï répondit au roi: "Par la vie de Yahvé et par la vie de Monseigneur le roi, partout où sera Monseigneur le roi, pour la mort et pour la vie, là aussi sera ton serviteur."

2 Samuel 15, 22 David dit alors à Ittaï: "Va et passe." Et Ittaï de Gat passa avec tous ses hommes et toute sa smala.

2 Samuel 15, 23 Tout le monde pleurait à grands sanglots. Le roi se tenait dans le torrent du Cédron et tout le peuple défilait devant lui en direction du désert.

2 Samuel 15, 24 On vit aussi Sadoq et tous les lévites portant l'arche de Dieu. On déposa l'arche de Dieu auprès d'Ebyatar jusqu'à ce que tout le peuple eût fini de défiler hors de la ville.

2 Samuel 15, 25 Le roi dit à Sadoq: "Rapporte en ville l'arche de Dieu. Si je trouve grâce aux yeux de Yahvé, il me ramènera et me permettra de le revoir ainsi que sa demeure,

2 Samuel 15, 26 et s'il dit: Tu me déplais, me voici: qu'il me fasse comme bon lui semble."

2 Samuel 15, 27 Le roi dit au prêtre Sadoq: "Voyez, toi et Ebyatar, retournez en paix à la ville, et vos deux fils avec vous, Ahimaaç ton fils et Yehonatân le fils d'Ebyatar.

2 Samuel 15, 28 Voyez, moi je m'attarderai dans les passes du désert jusqu'à ce que vienne un mot de vous qui m'apporte des nouvelles."

2 Samuel 15, 29 Sadoq et Ebyatar ramenèrent donc l'arche de Dieu à Jérusalem et ils y demeurèrent.

2 Samuel 15, 30 David gravissait en pleurant la Montée des Oliviers, la tête voilée et les pieds nus, et tout le peuple qui l'accompagnait avait la tête voilée et montait en pleurant.

2 Samuel 15, 31 On avertit alors David qu'Ahitophel était parmi les conjurés avec Absalom, et David dit: "Rends fous, Yahvé, les conseils d'Ahitophel!"

2 Samuel 15, 32 Comme David arrivait au sommet, là où l'on adore Dieu, il vit venir à sa rencontre Hushaï l'Arkite, le familier de David, avec la tunique déchirée et de la terre sur la tête.

2 Samuel 15, 33 David lui dit: "Si tu pars avec moi, tu me seras à charge.

2 Samuel 15, 34 Mais si tu retournes en ville et si tu dis à Absalom: Je serai ton serviteur, Monseigneur le roi; auparavant je servais ton père, maintenant je te servirai, alors tu déjoueras à mon profit les conseils d'Ahitophel.

2 Samuel 15, 35 Sadoq et Ebyatar, les prêtres, ne seront-ils pas avec toi? Tout ce que tu entendras du palais, tu le rapporteras aux prêtres Sadoq et Ebyatar.

2 Samuel 15, 36 Il y a avec eux leurs deux fils, Ahimaaç pour Sadoq, et Yehonatân pour Ebyatar: vous me communiquerez par leur intermédiaire tout ce que vous aurez appris."

2 Samuel 15, 37 Hushaï, le familier de David, rentra en ville au moment où Absalom arrivait à Jérusalem.

2 Samuel 16, 1 Lorsque David eut un peu dépassé le sommet, Ciba, le serviteur de Meribbaal, vint à sa rencontre avec une paire d'ânes bâtés qui portaient 200 pains, cent grappes de raisins secs, cent fruits de saison et une outre de vin.

2 Samuel 16, 2 Le roi demanda à Ciba: "Que veux-tu faire de cela?" Et Ciba répondit: "Les ânes serviront de monture à la famille du roi, le pain et les fruits de nourriture pour les cadets, et le vin servira de breuvage pour qui sera fatigué dans le désert."

2 Samuel 16, 3 Le roi demanda: "Où donc est le fils de ton maître?" Et Ciba dit au roi: "Voici qu'il est resté à Jérusalem, car il s'est dit: Aujourd'hui la maison d'Israël me restituera le royaume de mon père."

2 Samuel 16, 4 Le roi dit alors à Ciba: "Tout ce que possède Meribbaal est à toi." Ciba dit: "Je me prosterne! Puissé-je être digne de faveur à tes yeux, Monseigneur le roi!"

2 Samuel 16, 5 Comme David atteignit Bahurim, il en sortit un homme du même clan que la famille de Saül. Il s'appelait Shiméï, fils de Géra, et il sortait en proférant des malédictions.

2 Samuel 16, 6 Il lançait des pierres à David et à tous les officiers du roi David, et pourtant toute l'armée et tous les preux encadraient le roi à droite et à gauche.

2 Samuel 16, 7 Voici ce que Shiméï disait en le maudissant: "Va-t'en, va-t'en, homme de sang, vaurien!

2 Samuel 16, 8 Yahvé a fait retomber sur toi tout le sang de la maison de Saül, dont tu as usurpé la royauté; aussi Yahvé a-t-il remis la royauté entre les mains de ton fils Absalom. Te voilà livré à ton malheur, parce que tu es un homme de sang."

2 Samuel 16, 9 Abishaï, fils de Ceruya, dit au roi: "Faut-il que ce chien crevé maudisse Monseigneur le roi? Laisse-moi traverser et lui trancher la tête."

2 Samuel 16, 10 Mais le roi répondit: "Qu'ai-je à faire avec vous, fils de Ceruya? S'il maudit et si Yahvé lui a ordonné: Maudis David, qui donc pourrait lui dire: Pourquoi as-tu agi ainsi?"

2 Samuel 16, 11 David dit à Abishaï et à tous ses officiers: "Voyez: le fils qui est sorti de mes entrailles en veut à ma vie. A plus forte raison maintenant ce Benjaminite! Laissez-le maudire, si Yahvé le lui a commandé.

2 Samuel 16, 12 Peut-être Yahvé considérera-t-il ma misère et me rendra-t-il le bien au lieu de sa malédiction d'aujourd'hui."

2 Samuel 16, 13 David et ses hommes continuèrent leur route. Quant à Shiméï, il s'avançait au flanc de la montagne, parallèlement à lui, et tout en marchant il proférait des malédictions, lançait des pierres et jetait de la terre.

2 Samuel 16, 14 Le roi et tout le peuple qui l'accompagnait arrivèrent exténués à... et là, on reprit haleine.

2 Samuel 16, 15 Absalom entra à Jérusalem avec tous les hommes d'Israël et Ahitophel se trouvait avec lui.

2 Samuel 16, 16 Lorsque Hushaï l'Arkite, familier de David, arriva auprès d'Absalom, Hushaï dit à Absalom: "Vive le roi! Vive le roi!"

2 Samuel 16, 17 Et Absalom dit à Hushaï: "C'est toute l'affection que tu as pour ton ami? Pourquoi n'es-tu pas parti avec ton ami?"

2 Samuel 16, 18 Hushaï répondit à Absalom: "Non, celui que Yahvé et ce peuple et tous les gens d'Israël ont choisi, c'est à lui que je veux être et avec lui que je demeurerai!

2 Samuel 16, 19 En second lieu, qui vais-je servir? N'est-ce pas son fils? Comme j'ai servi ton père, ainsi je te servirai."

2 Samuel 16, 20 Absalom dit à Ahitophel: "Consultez-vous: qu'allons-nous faire?"

2 Samuel 16, 21 Ahitophel répondit à Absalom: "Approche-toi des concubines de ton père, qu'il a laissées pour garder le palais: tout Israël apprendra que tu t'es rendu odieux à ton père et le courage de tous tes partisans en sera affermi."

2 Samuel 16, 22 On dressa donc pour Absalom une tente sur la terrasse et Absalom s'approcha des concubines de son père aux yeux de tout Israël.

2 Samuel 16, 23 Le conseil que donnait Ahitophel en ce temps-là était comme un oracle qu'on aurait obtenu de Dieu; tel était, tant pour David que pour Absalom, tout conseil d'Ahitophel.

2 Samuel 17, 1 Ahitophel dit à Absalom: "Laisse-moi choisir 12.000 hommes et me lancer, cette nuit même, à la poursuite de David.

2 Samuel 17, 2 Je tomberai sur lui quand il sera fatigué et sans courage, je l'épouvanterai et tout le peuple qui est avec lui prendra la fuite. Alors je frapperai le roi seul

2 Samuel 17, 3 et je ramènerai à toi tout le peuple, comme la fiancée revient à son époux: tu n'en veux qu'à la vie d'un seul homme et tout le peuple sera sauf."

2 Samuel 17, 4 La proposition plut à Absalom et à tous les anciens d'Israël.

2 Samuel 17, 5 Cependant Absalom dit: "Appelez encore Hushaï l'Arkite, que nous entendions ce qu'il a à dire lui aussi."

2 Samuel 17, 6 Hushaï arriva auprès d'Absalom, et Absalom lui dit: "Ahitophel a parlé de telle manière. Devons-nous faire ce qu'il a dit? Sinon, parle toi-même."

2 Samuel 17, 7 Hushaï répondit à Absalom: "Pour cette fois le conseil qu'a donné Ahitophel n'est pas bon."

2 Samuel 17, 8 Et Hushaï poursuivit: "Tu sais que ton père et ses gens sont des preux et qu'ils sont exaspérés, comme une ourse sauvage à qui on a ravi ses petits. Ton père est un homme de guerre, il ne laissera pas l'armée se reposer la nuit.

2 Samuel 17, 9 Il se cache maintenant dans quelque creux ou dans quelque place. Si, dès l'abord, il y a des victimes dans notre troupe, la rumeur se répandra d'un désastre dans l'armée qui suit Absalom.

2 Samuel 17, 10 Alors même le brave qui a un coeur semblable à celui du lion perdra courage, car tout Israël sait que ton père est un preux et que ceux qui l'accompagnent sont braves.

2 Samuel 17, 11 Pour moi, je donne le conseil suivant: que tout Israël, depuis Dan jusqu'à Bersabée, se rassemble autour de toi, aussi nombreux que les grains de sable au bord de la mer, et tu marcheras en personne au milieu d'eux.

2 Samuel 17, 12 Nous l'atteindrons en quelque lieu qu'il se trouve, nous nous abattrons sur lui comme la rosée tombe sur le sol et nous ne laisserons subsister ni lui ni personne de tous les hommes qui l'accompagnent.

2 Samuel 17, 13 Que s'il se retire dans une ville, tout Israël apportera des cordes à cette ville et nous la traînerons au torrent, jusqu'à ce qu'on n'en trouve plus un caillou."

2 Samuel 17, 14 Absalom et tous les gens d'Israël dirent: "Le conseil de Hushaï l'Arkite est meilleur que celui d'Ahitophel." Yahvé avait décidé de faire échouer le plan habile d'Ahitophel, afin d'amener le malheur sur Absalom.

2 Samuel 17, 15 Hushaï dit alors aux prêtres Sadoq et Ebyatar: "Ahitophel a donné tel et tel conseil à Absalom et aux anciens d'Israël, mais c'est telle et telle chose que moi, j'ai conseillée.

2 Samuel 17, 16 Maintenant, envoyez vite avertir David et dites-lui: Ne bivouaque pas cette nuit dans les passes du désert, mais traverse d'urgence de l'autre côté, de crainte que ne soient anéantis le roi et toute l'armée qui l'accompagne."

2 Samuel 17, 17 Yehonatân et Ahimaaç étaient postés à la source du Foulon: une servante viendrait les avertir et eux-mêmes iraient avertir le roi David, car ils ne pouvaient pas se découvrir en entrant dans la ville.

2 Samuel 17, 18 Mais un jeune homme les aperçut et porta la nouvelle à Absalom. Alors ils partirent tous deux en hâte et arrivèrent à la maison d'un homme de Bahurim. Il y avait dans sa cour une citerne où ils descendirent.

2 Samuel 17, 19 La femme prit une bâche, elle l'étendit sur la bouche de la citerne et étala dessus du grain concassé, de sorte qu'on ne remarquait rien.

2 Samuel 17, 20 Les serviteurs d'Absalom entrèrent chez cette femme dans la maison et demandèrent: "Où sont Ahimaaç et Yehonatân", et la femme leur répondit: "Ils ont passé outre allant d'ici vers l'eau." Ils cherchèrent et, ne trouvant rien, revinrent à Jérusalem.

2 Samuel 17, 21 Après leur départ, Ahimaaç et Yehonatân remontèrent de la citerne et allèrent avertir le roi David: "Mettez-vous en route et hâtez-vous de passer l'eau, car voilà le conseil qu'Ahitophel a donné à votre propos."

2 Samuel 17, 22 David et toute l'armée qui l'accompagnait se mirent donc en route et passèrent le Jourdain; à l'aube, il ne manquait personne qui n'eût passé le Jourdain.

2 Samuel 17, 23 Quant à Ahitophel, lorsqu'il vit que son conseil n'était pas suivi, il sella son âne et se mit en route pour aller chez lui dans sa ville. Il mit ordre à sa maison, puis il s'étrangla et mourut. On l'ensevelit dans le tombeau de son père.

2 Samuel 17, 24 David était arrivé à Mahanayim lorsqu'Absalom franchit le Jourdain avec tous les hommes d'Israël.

2 Samuel 17, 25 Absalom avait mis Amasa à la tête de l'armée à la place de Joab. Or Amasa était le fils d'un homme qui s'appelait Yitra l'Ismaélite et qui s'était uni à Abigayil, fille de Jessé et soeur de Ceruya, la mère de Joab.

2 Samuel 17, 26 Israël et Absalom dressèrent leur camp au pays de Galaad.

2 Samuel 17, 27 Lorsque David arriva à Mahanayim, Shobi, fils de Nahash, de Rabba des Ammonites, Makir, fils d'Ammiel, de Lo-Debar, et Barzillaï le Galaadite, de Roglim,

2 Samuel 17, 28 apportèrent des matelas de lit, des tapis, des coupes et de la vaisselle. Il y avait du froment, de l'orge, de la farine, du grain grillé, des fèves, des lentilles,

2 Samuel 17, 29 du miel, du lait caillé et des fromages de vache et de brebis, qu'ils offrirent à David et au peuple qui l'accompagnait pour qu'ils s'en nourrissent. En effet, ils s'étaient dit: "L'armée a souffert de la faim, de la fatigue et de la soif dans le désert."

2 Samuel 18, 1 David passa en revue les troupes qui étaient avec lui et il mit à leur tête des chefs de mille et des chefs de cent.

2 Samuel 18, 2 David divisa l'armée en trois corps: un tiers aux mains de Joab, un tiers aux mains d'Abishaï, fils de Ceruya et frère de Joab, un tiers aux mains d'Ittaï de Gat. Puis David dit aux troupes: "Je partirai en guerre avec vous moi aussi."

2 Samuel 18, 3 Mais les troupes répondirent: "Tu ne dois pas partir. Car, si nous prenions la fuite, on n'y ferait pas attention, et si la moitié d'entre nous mourait, on n'y ferait pas attention, tandis que toi tu es comme 10.000 d'entre nous. Et puis, il vaut mieux que tu nous sois un secours prêt à venir de la ville."

2 Samuel 18, 4 David leur dit: "Je ferai ce qui vous semble bon." Le roi se tint à côté de la porte, tandis que l'armée sortait par unités de cent et de mille.

2 Samuel 18, 5 Le roi fit un commandement à Joab, à Abishaï et à Ittaï: "Par égard pour moi, ménagez le jeune Absalom!" et toute l'armée entendit que le roi donnait à tous les chefs cet ordre concernant Absalom.

2 Samuel 18, 6 L'armée sortit en pleine campagne à la rencontre d'Israël et la bataille eut lieu dans la forêt d'Ephraïm.

2 Samuel 18, 7 L'armée d'Israël y fut battue devant la garde de David, et ce fut ce jour-là une grande défaite, qui frappa 20.000 hommes.

2 Samuel 18, 8 Le combat s'éparpilla dans toute la région et, ce jour-là, la forêt fit dans l'armée plus de victimes que l'épée.

2 Samuel 18, 9 Absalom se heurta par hasard à des gardes de David. Absalom montait un mulet et le mulet s'engagea sous la ramure d'un grand chêne. La tête d'Absalom se prit dans le chêne et il resta suspendu entre ciel et terre tandis que continuait le mulet qui était sous lui.

2 Samuel 18, 10 Quelqu'un l'aperçut et prévint Joab: "Je viens de voir, dit-il, Absalom suspendu à un chêne."

2 Samuel 18, 11 Joab répondit à l'homme qui portait cette nouvelle: "Puisque tu l'as vu, pourquoi ne l'as-tu pas abattu sur place? J'aurais pris sur moi de te donner dix sicles d'argent et une ceinture!"

2 Samuel 18, 12 Mais l'homme répondit à Joab: "Quand même je soupèserais dans mes paumes mille sicles d'argent, je ne porterais pas la main sur le fils du roi! C'est à nos oreilles que le roi t'a donné cet ordre ainsi qu'à Abishaï et à Ittaï: Par égard pour moi, épargnez le jeune Absalom.

2 Samuel 18, 13 Que si je m'étais menti à moi-même, rien ne reste caché au roi, et toi, tu te serais tenu à distance."

2 Samuel 18, 14 Alors Joab dit: "Je ne vais pas ainsi perdre mon temps avec toi." Il prit en mains trois javelots et les planta dans le coeur d'Absalom encore vivant au milieu du chêne.

2 Samuel 18, 15 Puis s'approchèrent dix cadets, les écuyers de Joab, qui frappèrent Absalom et l'achevèrent.

2 Samuel 18, 16 Joab fit alors sonner du cor et l'armée cessa de poursuivre Israël, car Joab retint l'armée.

2 Samuel 18, 17 On prit Absalom, on le jeta dans une grande fosse en pleine forêt et on dressa sur lui un énorme monceau de pierres. Tous les Israélites s'étaient enfuis, chacun à ses tentes.

2 Samuel 18, 18 De son vivant, Absalom avait entrepris de s'ériger la stèle qui est dans la vallée du Roi, car il s'était dit: "Je n'ai pas de fils pour commémorer mon nom", et il avait donné son nom à la stèle. On l'appelle encore aujourd'hui le monument d'Absalom.

2 Samuel 18, 19 Ahimaaç, fils de Sadoq, dit: "Je vais courir et annoncer au roi cette bonne nouvelle, que Yahvé lui a rendu justice en le délivrant de ses ennemis."

2 Samuel 18, 20 Mais Joab lui dit: "Tu ne serais pas un porteur d'heureux message aujourd'hui; tu le seras un autre jour, mais aujourd'hui tu ne porterais pas une bonne nouvelle, puisque le fils du roi est mort."

2 Samuel 18, 21 Et Joab dit au Kushite: "Va rapporter au roi tout ce que tu as vu." Le Kushite se prosterna devant Joab et partit en courant.

2 Samuel 18, 22 Ahimaaç, fils de Sadoq, insista encore et dit à Joab: "Advienne que pourra, je veux courir moi aussi derrière le Kushite." Joab dit: "Pourquoi courrais-tu, mon fils, tu n'en tireras aucune récompense."

2 Samuel 18, 23 Il reprit: "Advienne que pourra, je courrai!" Joab lui dit: "Cours donc." Et Ahimaaç partit en courant par le chemin de la Plaine et il dépassa le Kushite.

2 Samuel 18, 24 David était assis entre les deux portes. Le guetteur étant monté à la terrasse de la porte, sur le rempart, leva les yeux et aperçut un homme qui courait seul.

2 Samuel 18, 25 Le guetteur cria et avertit le roi, et le roi dit: "S'il est seul, c'est qu'il a une bonne nouvelle sur les lèvres." Comme celui-là continuait d'approcher,

2 Samuel 18, 26 le guetteur vit un autre homme qui courait, et le guetteur qui était sur la porte cria: "Voici un autre homme, qui court seul." Et David dit: "Celui-ci est encore un messager de bon augure."

2 Samuel 18, 27 Le guetteur dit: "Je reconnais la façon de courir du premier, c'est la façon de courir d'Ahimaaç, fils de Sadoq." Le roi dit: "C'est un homme de bien, il vient pour une bonne nouvelle."

2 Samuel 18, 28 Ahimaaç s'approcha du roi et dit: "Salut!" Il se prosterna face contre terre devant le roi et poursuivit: "Béni soit Yahvé ton Dieu qui a livré les hommes qui avaient levé la main contre Monseigneur le roi!"

2 Samuel 18, 29 Le roi demanda: "En va-t-il bien pour le jeune Absalom?" Et Ahimaaç répondit: "J'ai vu un grand tumulte au moment où Joab, serviteur du roi, envoyait ton serviteur, mais je ne sais pas ce que c'était."

2 Samuel 18, 30 Le roi dit: "Range-toi et tiens-toi là." Il se rangea et attendit.

2 Samuel 18, 31 Alors arriva le Kushite et il dit: "Que Monseigneur le roi apprenne la bonne nouvelle. Yahvé t'a rendu justice aujourd'hui en te délivrant de tous ceux qui s'étaient dressés contre toi."

2 Samuel 18, 32 Le roi demanda au Kushite: "En va-t-il bien pour le jeune Absalom?" Et le Kushite répondit: "Qu'ils aient le sort de ce jeune homme, les ennemis de Monseigneur le roi et tous ceux qui se sont dressés contre toi pour le mal!"

2 Samuel 19, 1 Alors le roi frémit. Il monta dans la chambre supérieure de la porte et se mit à pleurer; il disait en sanglotant: "Mon fils Absalom! mon fils! mon fils Absalom! que ne suis-je mort à ta place! Absalom mon fils! mon fils!"

2 Samuel 19, 2 On prévint Joab: "Voici que le roi pleure et se lamente sur Absalom."

2 Samuel 19, 3 La victoire, ce jour-là, se changea en deuil pour toute l'armée, car l'armée apprit ce jour-là que le roi était dans l'affliction à cause de son fils.

2 Samuel 19, 4 Et ce jour-là, l'armée rentra furtivement dans la ville, comme se dérobe une armée qui s'est couverte de honte en fuyant durant la bataille.

2 Samuel 19, 5 Le roi s'était voilé le visage et poussait de grands cris: "Mon fils Absalom! Absalom mon fils! mon fils!"

2 Samuel 19, 6 Joab se rendit auprès du roi à l'intérieur et dit: "Tu couvres aujourd'hui de honte le visage de tous tes serviteurs qui ont sauvé aujourd'hui ta vie, celle de tes fils et de tes filles, celle de tes femmes et celle de tes concubines,

2 Samuel 19, 7 parce que tu aimes ceux qui te haïssent et que tu hais ceux qui t'aiment. En effet, tu as manifesté aujourd'hui que chefs et soldats n'étaient rien pour toi, car je sais maintenant que, si Absalom vivait et si nous étions tous morts aujourd'hui, tu trouverais cela très bien.

2 Samuel 19, 8 Allons, je t'en prie, sors et rassure tes soldats, car, je le jure par Yahvé, si tu ne sors pas, il n'y aura personne qui passe cette nuit avec toi, et ce sera pour toi un malheur plus grand que tous les malheurs qui te sont advenus depuis ta jeunesse jusqu'à présent."

2 Samuel 19, 9 Le roi se leva et vint s'asseoir à la porte. On l'annonça à toute l'armée: "Voici, dit-on, que le roi est assis à la porte", et toute l'armée se rendit devant le roi. Israël s'était enfui chacun à ses tentes.

2 Samuel 19, 10 Dans toutes les tribus d'Israël, tout le monde se querellait. On disait: "C'est le roi qui nous a délivrés de la main de nos ennemis, c'est lui qui nous a sauvés de la main des Philistins et maintenant il a dû s'enfuir du pays, loin d'Absalom.

2 Samuel 19, 11 Quant à Absalom que nous avions oint pour qu'il régnât sur nous, il est mort dans la bataille. Alors pourquoi ne faites-vous rien pour ramener le roi?"

2 Samuel 19, 12 Ce qui se disait dans tout Israël arriva jusqu'au roi. Alors le roi David envoya dire aux prêtres Sadoq et Ebyatar: "Parlez ainsi aux anciens de Juda: Pourquoi seriez-vous les derniers à ramener le roi chez lui?

2 Samuel 19, 13 Vous êtes mes frères, vous êtes de ma chair et de mes os, pourquoi seriez-vous les derniers à ramener le roi?"

2 Samuel 19, 14 Et vous direz à Amasa: N'es-tu pas de mes os et de ma chair? Que Dieu me fasse ce mal et qu'il ajoute cet autre si tu n'es pas pour toujours à mon service comme chef de l'armée à la place de Joab."

2 Samuel 19, 15 Il rallia ainsi le coeur de tous les hommes de Juda comme d'un seul homme et ils envoyèrent dire au roi: "Reviens, toi et tous tes serviteurs."

2 Samuel 19, 16 Le roi revint donc et atteignit le Jourdain. Juda était arrivé à Gilgal, venant à la rencontre du roi, pour aider le roi à passer le Jourdain.

2 Samuel 19, 17 En hâte, Shiméï, fils de Géra, le Benjaminite de Bahurim, descendit avec les gens de Juda au-devant du roi David.

2 Samuel 19, 18 Il avait avec lui mille hommes de Benjamin. Ciba, le serviteur de la maison de Saül, ses quinze fils et ses vingt serviteurs avec lui devancèrent le roi au Jourdain

2 Samuel 19, 19 et ils mirent tout en oeuvre pour faire traverser la famille du roi et satisfaire son bon plaisir. Shiméï fils de Géra se jeta aux pieds du roi quand il traversait le Jourdain,

2 Samuel 19, 20 et il dit au roi: "Que Monseigneur ne m'impute pas de faute! Ne te souviens pas du mal que ton serviteur a commis le jour où Monseigneur le roi est sorti de Jérusalem. Que le roi ne le prenne pas à coeur!

2 Samuel 19, 21 Car ton serviteur reconnaît qu'il a péché, et voici que je suis venu aujourd'hui le premier de toute la maison de Joseph pour descendre au-devant de Monseigneur le roi."

2 Samuel 19, 22 Abishaï fils de Ceruya prit alors la parole et dit: "Shiméï ne mérite-t-il pas la mort pour avoir maudit l'oint de Yahvé?"

2 Samuel 19, 23 Mais David dit: "Qu'ai-je à faire avec vous, fils de Ceruya, pour que vous deveniez aujourd'hui mes adversaires? Quelqu'un pourrait-il aujourd'hui être mis à mort en Israël? N'ai-je pas l'assurance qu'aujourd'hui je suis roi sur Israël?"

2 Samuel 19, 24 Le roi dit à Shiméï: "Tu ne mourras pas", et le roi le lui jura.

2 Samuel 19, 25 Meribbaal, le fils de Saül, était descendu aussi au-devant du roi. Il n'avait soigné ni ses pieds ni ses mains, il n'avait pas taillé sa moustache, il n'avait pas lavé ses vêtements depuis le jour où le roi était parti jusqu'au jour où il revint en paix.

2 Samuel 19, 26 Lorsqu'il arriva de Jérusalem au-devant du roi, celui-ci lui demanda: "Pourquoi n'es-tu pas venu avec moi, Meribbaal?"

2 Samuel 19, 27 Il répondit: "Monseigneur le roi, mon serviteur m'a trompé. Ton serviteur lui avait dit: Selle-moi l'ânesse, je la monterai et j'irai avec le roi, car ton serviteur est infirme.

2 Samuel 19, 28 Il a calomnié ton serviteur auprès de Monseigneur le roi. Mais Monseigneur le roi est comme l'Ange de Dieu: agis comme il te semble bon.

2 Samuel 19, 29 Car toute la famille de mon père méritait seulement la mort de la part de Monseigneur le roi, et pourtant tu as admis ton serviteur parmi ceux qui mangent à ta table. Quel droit puis-je avoir d'implorer encore le roi?"

2 Samuel 19, 30 Le roi dit: "Pourquoi continuer de parler? Je décide que toi et Ciba vous partagerez les terres."

2 Samuel 19, 31 Meribbaal dit au roi: "Qu'il prenne donc tout puisque Monseigneur le roi est rentré en paix chez lui!"

2 Samuel 19, 32 Barzillaï le Galaadite était descendu de Roglim et avait continué avec le roi vers le Jourdain pour prendre congé de lui au Jourdain.

2 Samuel 19, 33 Barzillaï était très âgé, il avait 80 ans. Il avait pourvu à l'entretien du roi pendant son séjour à Mahanayim, car c'était un homme très riche.

2 Samuel 19, 34 Le roi dit à Barzillaï: "Continue avec moi et je pourvoirai à tes besoins auprès de moi à Jérusalem."

2 Samuel 19, 35 Mais Barzillaï répondit au roi: "Combien d'années me reste-t-il à vivre, pour que je monte avec le roi à Jérusalem?

2 Samuel 19, 36 J'ai maintenant 80 ans: puis-je distinguer ce qui est bon et ce qui est mauvais? Ton serviteur a-t-il le goût de ce qu'il mange et de ce qu'il boit? Puis-je entendre encore la voix des chanteurs et des chanteuses? Pourquoi ton serviteur serait-il encore à charge à Monseigneur le roi?

2 Samuel 19, 37 Ton serviteur passera tout juste le Jourdain avec le roi, mais pourquoi le roi m'accorderait-il une telle récompense?

2 Samuel 19, 38 Permets à ton serviteur de s'en retourner: je mourrai dans ma ville près du tombeau de mon père et de ma mère. Mais voici ton serviteur Kimhân, qu'il continue avec Monseigneur le roi, et agis comme bon te semble à son égard."

2 Samuel 19, 39 Le roi dit: "Que Kimhân continue donc avec moi, je ferai pour lui ce qui te plaira et tout ce que tu solliciteras de moi, je le ferai pour toi."

2 Samuel 19, 40 Tout le peuple passa le Jourdain, le roi passa, il embrassa Barzillaï et le bénit, et celui-ci s'en retourna chez lui.

2 Samuel 19, 41 Le roi continua vers Gilgal et Kimhân continua avec lui. Tout le peuple de Juda accompagnait le roi, et aussi la moitié du peuple d'Israël.

2 Samuel 19, 42 Et voici que tous les hommes d'Israël vinrent auprès du roi et lui dirent: "Pourquoi nos frères, les hommes de Juda, t'ont-ils enlevé et ont-ils fait passer le Jourdain au roi et à sa famille, et à tous les hommes de David avec lui?"

2 Samuel 19, 43 Tous les hommes de Juda répondirent aux hommes d'Israël: "C'est que le roi m'est plus apparenté! Pourquoi t'irriter à ce propos? Avons-nous mangé aux dépens du roi ou nous a-t-il apporté quelque portion?"

2 Samuel 19, 44 Les hommes d'Israël répliquèrent aux hommes de Juda et dirent: "J'ai dix parts sur le roi et de plus je suis ton aîné, pourquoi m'as-tu méprisé? N'ai-je pas parlé le premier de faire revenir mon roi?" Mais les propos des hommes de Juda furent plus violents que ceux des hommes d'Israël.

2 Samuel 20, 1 Or, il se trouvait là un vaurien, qui s'appelait Shéba, fils de Bikri, un Benjaminite. Il sonna du cor et dit: "Nous n'avons pas de part avec David, nous n'avons pas d'héritage sur les fils de Jessé! Chacun à ses tentes, Israël!"

2 Samuel 20, 2 Tous les hommes d'Israël abandonnèrent David et suivirent Shéba fils de Bikri, mais les hommes de Juda s'attachèrent aux pas de leur roi, depuis le Jourdain jusqu'à Jérusalem.

2 Samuel 20, 3 David rentra dans son palais à Jérusalem. Le roi prit les dix concubines qu'il avait laissées pour garder le palais et les mit sous surveillance. Il pourvut à leur entretien mais il n'approcha plus d'elles et elles furent séquestrées jusqu'à leur mort, comme les veuves d'un vivant.

2 Samuel 20, 4 Le roi dit à Amasa: "Convoque-moi les hommes de Juda, je te donne trois jours pour te présenter ici."

2 Samuel 20, 5 Amasa partit pour convoquer Juda, mais il tarda au-delà du terme que David lui avait fixé.

2 Samuel 20, 6 Alors David dit à Abishaï: "Shéba fils de Bikri est désormais plus dangereux pour nous qu'Absalom. Toi, prends les gardes de ton maître et pourchasse-le de peur qu'il n'atteigne des villes fortes et ne nous échappe."

2 Samuel 20, 7 Derrière Abishaï partirent en campagne Joab, les Kerétiens, les Pelétiens et tous les preux; ils quittèrent Jérusalem à la poursuite de Shéba fils de Bikri.

2 Samuel 20, 8 Ils étaient près de la grande pierre qui se trouve à Gabaôn, quand Amasa arriva en face d'eux. Or Joab était vêtu de sa tenue militaire sur laquelle il avait ceint une épée attachée à ses reins dans son fourreau; celle-ci sortit et tomba.

2 Samuel 20, 9 Joab demanda à Amasa: "Tu vas bien, mon frère?" Et, de la main droite, il saisit la barbe d'Amasa pour l'embrasser.

2 Samuel 20, 10 Amasa ne prit pas garde à l'épée que Joab avait en main, et celui-ci l'en frappa au ventre et répandit ses entrailles à terre. Il n'eut pas à lui donner un second coup et Amasa mourut, tandis que Joab et son frère Abishaï se lançaient à la poursuite de Shéba fils de Bikri.

2 Samuel 20, 11 L'un des cadets de Joab resta en faction près d'Amasa et il disait: "Quiconque aime Joab et est pour David, qu'il suive Joab!"

2 Samuel 20, 12 Cependant Amasa s'était roulé dans son sang au milieu du chemin. Voyant que tout le monde s'arrêtait, cet homme tira Amasa du chemin dans le champ et jeta un vêtement sur lui, parce qu'il voyait s'arrêter tous ceux qui arrivaient près de lui.

2 Samuel 20, 13 Lorsqu'Amasa eut été écarté du chemin, tous les hommes passèrent outre, suivant Joab à la poursuite de Shéba fils de Bikri.

2 Samuel 20, 14 Celui-ci parcourut toutes les tribus d'Israël jusqu'à Abel-Bet-Maaka et tous les Bikrites... Ils se rassemblèrent et entrèrent aussi derrière lui.

2 Samuel 20, 15 On vint l'assiéger dans Abel-Bet-Maaka et on entassa contre la ville un remblai qui s'adossait à l'avant-mur, et toute l'armée qui accompagnait Joab creusait des sapes pour faire tomber le rempart.

2 Samuel 20, 16 Une femme avisée cria de la ville: "Ecoutez! Ecoutez! Dites à Joab: Approche ici, que je te parle."

2 Samuel 20, 17 Il s'approcha et la femme demanda: "Est-ce toi Joab?" Il répondit: "Oui." Elle lui dit: "Ecoute la parole de ta servante." Il répondit: "J'écoute."

2 Samuel 20, 18 Elle parla ainsi: "Jadis, on avait coutume de dire: Que l'on demande à Abel et à Dan s'il en est fini

2 Samuel 20, 19 de ce qu'ont établi les fidèles d'Israël. Et toi tu cherches à ruiner une ville et une métropole en Israël. Pourquoi veux-tu anéantir l'héritage de Yahvé?"

2 Samuel 20, 20 Joab répondit: "Loin, loin de moi! Je ne veux ni anéantir ni ruiner.

2 Samuel 20, 21 Il ne s'agit pas de cela, mais un homme de la montagne d'Ephraïm, du nom de Shéba fils de Bikri, s'est insurgé contre le roi, contre David. Livrez-le tout seul et je lèverai le siège de la ville." La femme dit à Joab: "Eh bien, on va te jeter sa tête par-dessus la muraille."

2 Samuel 20, 22 La femme alla parler à tout le peuple comme lui dictait sa sagesse: on trancha la tête de Shéba fils de Bikri et on la jeta à Joab. Celui-ci fit sonner du cor et on s'éloigna de la ville, chacun vers ses tentes. Quant à Joab, il revint à Jérusalem auprès du roi.

2 Samuel 20, 23 Joab commandait à toute l'armée, Benayahu fils de Yehoyada commandait les Kerétiens et les Pelétiens;

2 Samuel 20, 24 Adoram était chef de la corvée; Yehoshaphat fils d'Ahilud était héraut;

2 Samuel 20, 25 Shiya était secrétaire; Sadoq et Ebyatar étaient prêtres.

2 Samuel 20, 26 De plus, Ira le Yaïrite était prêtre de David.

2 Samuel 21, 1 Au temps de David, il y eut une famine pendant trois ans de suite. David s'enquit auprès de Yahvé, et Yahvé dit: "Il y a du sang sur Saül et sur sa famille, parce qu'il a mis à mort les Gabaonites."

2 Samuel 21, 2 Le roi convoqua les Gabaonites et leur dit. -- Ces Gabaonites n'étaient pas des Israélites, ils étaient un reste des Amorites, envers qui les Israélites s'étaient engagés par serment. Mais Saül avait cherché à les abattre dans son zèle pour les Israélites et pour Juda. --

2 Samuel 21, 3 Donc David dit aux Gabaonites: "Que faut-il vous faire et comment réparer, pour que vous bénissiez l'héritage de Yahvé?"

2 Samuel 21, 4 Les Gabaonites lui répondirent: "Il ne s'agit pas pour nous d'une affaire d'argent ou d'or avec Saül et sa famille, et il ne s'agit pas pour nous d'un homme à tuer en Israël." David dit: "Ce que vous direz, je le ferai pour vous."

2 Samuel 21, 5 Ils dirent alors au roi: "L'homme qui nous a exterminés et qui avait projeté de nous anéantir, pour que nous ne subsistions plus dans tout le territoire d'Israël,

2 Samuel 21, 6 qu'on nous livre sept de ses fils et nous les démembrerons devant Yahvé à Gabaôn, sur la montagne de Yahvé." Et le roi dit: "Je les livrerai."

2 Samuel 21, 7 Le roi épargna Meribbaal fils de Jonathan fils de Saül, à cause du serment par Yahvé qui les liait, David et Jonathan fils de Saül.

2 Samuel 21, 8 Le roi prit les deux fils que Riçpa, fille d'Ayya, avait donnés à Saül, Armoni et Meribbaal, et les cinq fils que Mérab fille de Saül avait donnés à Adriel fils de Barzillaï, de Mehola.

2 Samuel 21, 9 Il les livra aux mains des Gabaonites et ceux-ci les démembrèrent sur la montagne, devant Yahvé. Les sept succombèrent ensemble; ils furent mis à mort aux premiers jours de la moisson, au début de la moisson des orges.

2 Samuel 21, 10 Riçpa, fille d'Ayya, prit le sac et l'étendit pour elle sur le rocher, depuis le début de la moisson des orges jusqu'à ce que l'eau tombât du ciel sur eux, et elle ne laissa pas s'abattre sur eux les oiseaux du ciel pendant le jour ni les bêtes sauvages pendant la nuit.

2 Samuel 21, 11 On informa David de ce qu'avait fait Riçpa, fille d'Ayya, la concubine de Saül.

2 Samuel 21, 12 Alors David alla réclamer les ossements de Saül et ceux de son fils Jonathan aux notables de Yabesh de Galaad. Ceux-ci les avaient enlevés de l'esplanade de Bet-Shân, où les Philistins les avaient suspendus, quand les Philistins avaient vaincu Saül à Gelboé.

2 Samuel 21, 13 David emporta de là les ossements de Saül et ceux de son fils Jonathan et les réunit aux ossements des suppliciés.

2 Samuel 21, 14 On ensevelit les ossements de Saül, ceux de son fils Jonathan et ceux des suppliciés au pays de Benjamin, à Céla, dans le tombeau de Qish, père de Saül. On fit tout ce que le roi avait ordonné et, après cela, Dieu eut pitié du pays.

2 Samuel 21, 15 Il y eut encore une guerre des Philistins contre Israël. David descendit avec sa garde. Ils combattirent les Philistins, et David était fatigué.

2 Samuel 21, 16 Il y avait un champion d'entre les descendants de Rapha. Le poids de sa lance était de 300 sicles de bronze, il était ceint d'une épée neuve et il se vantait de tuer David.

2 Samuel 21, 17 Mais Abishaï fils de Ceruya vint au secours de celui-ci, frappa le Philistin et le mit à mort. C'est alors que les hommes de David le conjurèrent et dirent: "Tu n'iras plus avec nous au combat, pour que tu n'éteignes pas la lampe d'Israël!"

2 Samuel 21, 18 Après cela, la guerre reprit à Gob avec les Philistins. C'est alors que Sibbekaï de Husha tua Saph, un descendant de Rapha.

2 Samuel 21, 19 La guerre reprit encore à Gob avec les Philistins, et Elhanân, fils de Yaïr, de Bethléem, tua Goliath de Gat; le bois de sa lance était comme un liais de tisserand.

2 Samuel 21, 20 Il y eut encore un combat à Gat et il se trouva là un homme de grande taille, qui avait six doigts à chaque main et à chaque pied, 24 doigts au total. Il était, lui aussi, un descendant de Rapha.

2 Samuel 21, 21 Comme il défiait Israël, Yehonatân, fils de Shiméa, frère de David, l'abattit.

2 Samuel 21, 22 Ces quatre-là étaient descendants de Rapha à Gat et ils succombèrent sous la main de David et de ses gardes.

2 Samuel 22, 1 David adressa à Yahvé les paroles de ce cantique, quand Yahvé l'eut délivré de tous ses ennemis et de la main de Saül.

2 Samuel 22, 2 Il dit: Yahvé est mon roc et ma forteresse, et mon libérateur,

2 Samuel 22, 3 c'est mon Dieu. Je m'abrite en lui, mon rocher, mon bouclier et ma corne de salut, ma citadelle et mon refuge. Mon sauveur, tu m'as sauvé de la violence.

2 Samuel 22, 4 Il est digne de louanges, j'invoque Yahvé et je suis sauvé de mes ennemis.

2 Samuel 22, 5 Les flots de la Mort m'enveloppaient, les torrents de Bélial m'épouvantaient;

2 Samuel 22, 6 les filets du shéol me cernaient, les pièges de la mort m'attendaient.

2 Samuel 22, 7 Dans mon angoisse j'invoquai Yahvé et vers mon Dieu je lançai mon cri; il entendit de son temple ma voix et mon cri parvint à ses oreilles.

2 Samuel 22, 8 Et la terre s'ébranla et chancela, les assises des cieux frémirent (sous sa colère elles furent ébranlées);

2 Samuel 22, 9 une fumée monta à ses narines, et de sa bouche un feu dévorait (des braises s'y enflammèrent).

2 Samuel 22, 10 Il inclina les cieux et descendit, une sombre nuée sous ses pieds;

2 Samuel 22, 11 il chevaucha un chérubin et vola, il plana sur les ailes du vent.

2 Samuel 22, 12 Il fit des ténèbres son entourage, sa tente, ténèbre d'eau, nuée sur nuée;

2 Samuel 22, 13 un éclat devant lui enflammait grêle et braises de feu.

2 Samuel 22, 14 Yahvé tonna des cieux, le Très-Haut donna de la voix;

2 Samuel 22, 15 il décocha des flèches et les dispersa il fit briller l'éclair et les chassa.

2 Samuel 22, 16 Et le lit des mers apparut, les assises du monde se découvrirent, au grondement de la menace de Yahvé, au vent du souffle de ses narines.

2 Samuel 22, 17 Il envoie d'en haut et me prend, il me retire des grandes eaux,

2 Samuel 22, 18 il me délivre d'un puissant ennemi, d'adversaires plus forts que moi.

2 Samuel 22, 19 Ils m'attendaient au jour de mon malheur, mais Yahvé fut pour moi un appui;

2 Samuel 22, 20 il m'a dégagé, mis au large, il m'a sauvé, car il m'aime.

2 Samuel 22, 21 Yahvé me rend selon ma justice, selon la pureté de mes mains il me rétribue,

2 Samuel 22, 22 car j'ai gardé les voies de Yahvé sans faillir loin de mon Dieu.

2 Samuel 22, 23 Ses jugements sont tous devant moi, ses décrets, je ne les ai pas écartés;

2 Samuel 22, 24 mais je suis irréprochable avec lui, je me garde contre le péché.

2 Samuel 22, 25 Et Yahvé me rétribue selon ma justice, ma pureté qu'il voit de ses yeux.

2 Samuel 22, 26 Tu es fidèle avec le fidèle, sans reproche avec l'irréprochable,

2 Samuel 22, 27 pur avec qui est pur mais rusant avec le fourbe,

2 Samuel 22, 28 toi qui sauves le peuple des humbles et rabaisses les yeux hautains.

2 Samuel 22, 29 C'est toi, Yahvé, ma lampe, mon Dieu éclaire ma ténèbre;

2 Samuel 22, 30 avec toi je force l'enceinte, avec mon Dieu je saute la muraille.

2 Samuel 22, 31 Dieu, sa voie est sans reproche, et la parole de Yahvé sans alliage. Il est, lui, le bouclier de quiconque s'abrite en lui.

2 Samuel 22, 32 Qui donc est Dieu, hors Yahvé, qui est Rocher, sinon notre Dieu?

2 Samuel 22, 33 Ce Dieu qui me ceint de force et rend ma voie irréprochable,

2 Samuel 22, 34 qui égale mes pieds à ceux des biches et me tient debout sur les hauteurs,

2 Samuel 22, 35 qui instruit mes mains au combat, mes bras à bander l'arc d'airain.

2 Samuel 22, 36 Tu me donnes ton bouclier de salut et tu ne cesses de m'exaucer,

2 Samuel 22, 37 tu élargis mes pas sous moi et mes chevilles n'ont point fléchi.

2 Samuel 22, 38 Je poursuis mes ennemis et les extermine et je ne reviens pas qu'ils ne soient achevés;

2 Samuel 22, 39 je les frappe, ils ne peuvent se relever, ils tombent, ils sont sous mes pieds.

2 Samuel 22, 40 Tu m'as ceint de force pour le combat, tu fais ployer sous moi mes agresseurs;

2 Samuel 22, 41 mes ennemis, tu me fais voir leur dos, et ceux qui me haïssent, je les extermine.

2 Samuel 22, 42 Ils crient, et pas de sauveur, vers Yahvé, mais pas de réponse;

2 Samuel 22, 43 je les broie comme la poussière des places, je les foule comme la boue des ruelles.

2 Samuel 22, 44 Tu me délivres des querelles des peuples, tu me mets à la tête des nations; le peuple que j'ignorais m'est asservi,

2 Samuel 22, 45 les fils d'étrangers me font leur cour, ils sont tout oreille et m'obéissent,

2 Samuel 22, 46 les fils d'étrangers faiblissent, ils quittent en tremblant leurs réduits.

2 Samuel 22, 47 Vive Yahvé, et béni soit mon Rocher, exalté, le Dieu de mon salut,

2 Samuel 22, 48 le Dieu qui me donne les vengeances et broie les peuples sous moi,

2 Samuel 22, 49 qui me soustrait à mes ennemis. Tu m'exaltes par-dessus mes agresseurs, tu me libères de l'homme de violence.

2 Samuel 22, 50 Aussi je te louerai, Yahvé, chez les païens, et je veux jouer pour ton nom.

2 Samuel 22, 51 Il multiplie pour son roi les délivrances et montre de l'amour pour son oint, pour David et sa descendance à jamais.

2 Samuel 23, 1 Voici les dernières paroles de David: Oracle de David, fils de Jessé, oracle de l'homme haut placé, de l'oint du Dieu de Jacob, du chantre des cantiques d'Israël.

2 Samuel 23, 2 L'esprit de Yahvé s'est exprimé par moi, sa parole est sur ma langue.

2 Samuel 23, 3 Le Dieu de Jacob a parlé, le Rocher d'Israël m'a dit: Qui gouverne les hommes avec justice et qui gouverne dans la crainte de Dieu

2 Samuel 23, 4 est comme la lumière du matin au lever du soleil, (un matin sans nuages) faisant étinceler après la pluie le gazon de la terre.

2 Samuel 23, 5 Oui, ma maison est stable auprès de Dieu: il a fait avec moi une alliance éternelle, réglée en tout et bien assurée; ne fait-il pas germer tout mon salut et tout mon plaisir?

2 Samuel 23, 6 Mais les gens de Bélial sont tous comme l'épine qu'on rejette, car on ne les prend pas avec la main:

2 Samuel 23, 7 personne ne les touche, sinon avec un fer ou le bois d'une lance, et ils sont brûlés au feu.

2 Samuel 23, 8 Voici les noms des preux de David: Ishbaal le Hakmonite, chef des Trois, c'est lui qui brandit sa lance sur 800 victimes en une seule fois.

2 Samuel 23, 9 Après lui, Eléazar fils de Dodo, l'Ahohite, l'un des trois preux. Il était avec David à Pas-Dammim quand les Philistins s'y rassemblèrent pour le combat et que les hommes d'Israël se retirèrent devant eux.

2 Samuel 23, 10 Mais lui tint bon et frappa les Philistins, jusqu'à ce que sa main engourdie se crispât sur l'épée. Yahvé opéra une grande victoire, ce jour-là, et l'armée revint derrière lui, mais seulement pour détrousser.

2 Samuel 23, 11 Après lui Shamma fils d'Ela, le Hararite. Les Philistins étaient rassemblés à Léhi. Il y avait là un champ tout en lentilles; l'armée prit la fuite devant les Philistins,

2 Samuel 23, 12 mais lui se posta au milieu du champ, le préserva et battit les Philistins. Yahvé opéra une grande victoire.

2 Samuel 23, 13 Trois d'entre les Trente descendirent et vinrent, au début de la moisson, vers David à la grotte d'Adullam, tandis qu'une compagnie de Philistins campait dans le val des Rephaïm.

2 Samuel 23, 14 David était alors dans le refuge et un poste de Philistins se trouvait à Bethléem.

2 Samuel 23, 15 David exprima ce désir: "Qui me fera boire l'eau du puits qui est à la porte de Bethléem!"

2 Samuel 23, 16 Les trois preux, s'ouvrant un passage au travers du camp philistin, tirèrent de l'eau au puits qui est à la porte de Bethléem; ils l'emportèrent et l'offrirent à David, mais il ne voulut pas en boire et il la répandit en libation à Yahvé.

2 Samuel 23, 17 Il dit: "Que Yahvé me garde de faire cela! C'est le sang des hommes qui sont allés risquer leur vie!" Il ne voulut donc pas boire. Voilà ce qu'ont fait ces trois preux.

2 Samuel 23, 18 Abishaï, frère de Joab et fils de Ceruya, était chef des Trente. C'est lui qui brandit sa lance sur 300 victimes et se fit un nom parmi les Trente.

2 Samuel 23, 19 Il fut plus illustre que les Trente et devint leur capitaine, mais il ne fut pas compté parmi les Trois.

2 Samuel 23, 20 Benayahu fils de Yehoyada, un brave, prodigue en exploits, originaire de Qabçéel, c'est lui qui abattit les deux héros de Moab, et c'est lui qui descendit et abattit le lion dans la citerne, un jour de neige.

2 Samuel 23, 21 C'est lui aussi qui abattit un Egyptien de grande taille. L'Egyptien avait en main une lance, mais il descendit contre lui avec un bâton, arracha la lance de la main de l'Egyptien et tua celui-ci avec sa propre lance.

2 Samuel 23, 22 Voilà ce qu'accomplit Benayahu fils de Yehoyada, et il se fit un nom parmi les 30 preux.

2 Samuel 23, 23 Il fut plus illustre que les Trente, mais il ne fut pas compté parmi les Trois; David le mit à la tête de sa garde personnelle.

2 Samuel 23, 24 Asahel, frère de Joab, faisait partie des Trente. Elhanân fils de Dodo, de Bethléem.

2 Samuel 23, 25 Shamma, de Harod. Eliqa, de Harod.

2 Samuel 23, 26 Héleç, de Bet-Pélèt. Ira fils d'Iqqèsh, de Teqoa.

2 Samuel 23, 27 Abiézer, d'Anatot. Sibbekaï, de Husha.

2 Samuel 23, 28 Calmôn, d'Ahoh. Mahraï, de Netopha.

2 Samuel 23, 29 Héled fils de Baana, de Netopha. Ittaï fils de Ribaï, de Gibéa de Benjamin.

2 Samuel 23, 30 Benayahu, de Piréatôn. Hiddaï, des torrents de Gaash.

2 Samuel 23, 31 Abibaal, de Bet-ha-Araba. Azmavèt, de Bahurim.

2 Samuel 23, 32 Elyahba, de Shaalbôn. Yashèn, de Gimzo. Yehonatân

2 Samuel 23, 33 fils de Shamma, de Harar. Ahiam fils de Sharar, de Harar.

2 Samuel 23, 34 Eliphélèt fils d'Ahasbaï, de Bet-Maaka. Eliam fils d'Ahitophel, de Gilo.

2 Samuel 23, 35 Hèçraï, de Karmel. Paaraï, d'Arab.

2 Samuel 23, 36 Yigéal fils de Natân, de Coba. Bani, le Gadite.

2 Samuel 23, 37 Céleq, l'Ammonite. Nahraï, de Béérot, écuyer de Joab fils de Ceruya.

2 Samuel 23, 38 Ira, de Yattir. Gareb, de Yattir.

2 Samuel 23, 39 Urie, le Hittite. En tout 37.

2 Samuel 24, 1 La colère de Yahvé s'enflamma encore contre les Israélites et il excita David contre eux: "Va, dit-il, fais le dénombrement d'Israël et de Juda."

2 Samuel 24, 2 Le roi dit à Joab et aux chefs de l'armée qui étaient avec lui: "Parcourez donc toutes les tribus d'Israël, de Dan à Bersabée, et faites le recensement du peuple afin que je sache le chiffre de la population."

2 Samuel 24, 3 Joab répondit au roi: "Que Yahvé ton Dieu accroisse le peuple de cent fois autant, pendant que Monseigneur le roi peut le voir de ses yeux, mais pourquoi Monseigneur le roi aurait-il ce désir?"

2 Samuel 24, 4 Cependant l'ordre du roi s'imposa à Joab et aux chefs de l'armée, et Joab et les chefs de l'armée quittèrent la présence du roi pour recenser le peuple d'Israël.

2 Samuel 24, 5 Ils passèrent le Jourdain et commencèrent par Aroër et la ville qui est au milieu de la vallée, allèrent chez les Gadites et vers Yazèr.

2 Samuel 24, 6 Puis ils allèrent en Galaad et au pays des Hivvites, à Qadesh, ils se rendirent à Dan et de Dan ils obliquèrent vers Sidon.

2 Samuel 24, 7 Puis ils atteignirent la forteresse de Tyr et toutes les villes des Hittites et des Cananéens et aboutirent au Négeb de Juda, à Bersabée.

2 Samuel 24, 8 Ayant parcouru tout le pays, ils rentrèrent à Jérusalem au bout de neuf mois et vingt jours.

2 Samuel 24, 9 Joab donna au roi le chiffre obtenu pour le recensement du peuple: Israël comptait 800.000 hommes d'armes tirant l'épée, et Juda 500.000 hommes.

2 Samuel 24, 10 Après cela le coeur de David lui battit d'avoir recensé le peuple et David dit à Yahvé: "C'est un grand péché que j'ai commis! Maintenant, Yahvé, veuille pardonner cette faute à ton serviteur, car j'ai commis une grande folie."

2 Samuel 24, 11 Quand David se leva le lendemain matin -- cette parole de Yahvé avait été adressée au prophète Gad, le voyant de David:

2 Samuel 24, 12 "Va dire à David: Ainsi parle Yahvé. Je te propose trois choses, choisis-en une et je l'exécuterai pour toi" --

2 Samuel 24, 13 Donc Gad se rendit chez David et lui notifia ceci: "Faut-il que t'adviennent trois années de famine dans ton pays, ou que tu fuies pendant trois mois devant ton ennemi qui te poursuivra, ou qu'il y ait pendant trois jours la peste dans ton pays? Maintenant réfléchis et vois ce que je dois répondre à celui qui m'envoie!"

2 Samuel 24, 14 David dit à Gad: "Je suis dans une grande anxiété... Ah! tombons entre les mains de Yahvé car sa miséricorde est grande, mais que je ne tombe pas entre les mains des hommes!"

2 Samuel 24, 15 David choisit donc la peste. C'était le temps de la moisson des blés. Yahvé envoya la peste en Israël depuis le matin jusqu'au temps fixé, le fléau frappa le peuple et 70.000 hommes du peuple moururent depuis Dan jusqu'à Bersabée.

2 Samuel 24, 16 L'ange étendit sa main vers Jérusalem pour l'exterminer, mais Yahvé se repentit de ce mal et il dit à l'ange qui exterminait le peuple: "Assez! retire à présent ta main." L'ange de Yahvé se trouvait près de l'aire d'Arauna le Jébuséen.

2 Samuel 24, 17 Quand David vit l'ange qui frappait le peuple, il dit à Yahvé: "C'est moi qui ai péché, c'est moi qui ai commis le mal, mais ceux-là, c'est le troupeau, qu'ont-ils fait? Que ta main s'appesantisse donc sur moi et sur ma famille!"

2 Samuel 24, 18 Ce jour-là, Gad se rendit auprès de David et lui dit: "Monte et élève un autel à Yahvé sur l'aire d'Arauna le Jébuséen."

2 Samuel 24, 19 David monta donc, suivant la parole de Gad, comme Yahvé l'avait ordonné.

2 Samuel 24, 20 Arauna regarda et vit le roi et ses officiers qui s'avançaient vers lui. -- Arauna était en train de battre le froment. -- Il sortit et se prosterna devant le roi, la face contre terre.

2 Samuel 24, 21 Arauna dit: "Pourquoi Monseigneur le roi est-il venu chez son serviteur?" Et David répondit: "Pour acquérir de toi cette aire, afin de construire un autel à Yahvé. Ainsi le fléau s'écartera du peuple."

2 Samuel 24, 22 Arauna dit alors au roi: "Que Monseigneur le roi la prenne et qu'il offre ce qui lui semble bon! Voici les boeufs pour l'holocauste, le traîneau et le joug des boeufs pour le bois.

2 Samuel 24, 23 Le serviteur de Monseigneur le roi donne tout au roi!" Et Arauna dit au roi: "Que Yahvé ton Dieu agrée ton offrande!"

2 Samuel 24, 24 Mais le roi dit à Arauna: "Non pas! Je veux te l'acheter en payant, je ne veux pas offrir à Yahvé mon Dieu des holocaustes qui ne me coûtent rien." Et David acheta l'aire et les boeufs pour de l'argent, 50 sicles.

2 Samuel 24, 25 David construisit là un autel à Yahvé et il offrit des holocaustes et des sacrifices de communion. Alors Yahvé eut pitié du pays et le fléau s'écarta d'Israël.

 

 

 

 

I Rois

 

 

1, 1 Le roi David était un vieillard avancé en âge; on lui mit des couvertures sans qu'il pût se réchauffer.

1 Rois 1, 2 Alors ses serviteurs lui dirent: "Qu'on cherche pour Monseigneur le roi une jeune fille qui assiste le roi et qui le soigne: elle couchera sur ton sein et cela tiendra chaud à Monseigneur le roi."

1 Rois 1, 3 Ayant donc cherché une belle jeune fille dans tout le territoire d'Israël, on trouva Abishag de Shunem et on l'amena au roi.

1 Rois 1, 4 Cette jeune fille était extrêmement belle; elle soigna le roi et le servit, mais il ne la connut pas.

1 Rois 1, 5 Or Adonias, le fils de Haggit, jouait au prince en disant: "C'est moi qui régnerai!" il s'était procuré char et attelage et 50 gardes qui couraient devant lui.

1 Rois 1, 6 De sa vie, son père ne l'avait contrarié en disant: "Pourquoi agis-tu ainsi?" Il avait lui aussi très belle apparence et sa mère l'avait enfanté après Absalom.

1 Rois 1, 7 Il s'aboucha avec Joab fils de Ceruya et avec le prêtre Ebyatar, qui se rallièrent à la cause d'Adonias;

1 Rois 1, 8 mais ni le prêtre Sadoq, ni Benayahu fils de Yehoyada, ni le prophète Natân, ni Shiméï et Reï, ni les preux de David, n'étaient avec Adonias.

1 Rois 1, 9 Un jour qu'Adonias immolait des moutons, des boeufs et des veaux gras à la Pierre-qui-glisse, qui est près de la source du Foulon, il invita tous ses frères, les princes royaux, et tous les Judéens au service du roi,

1 Rois 1, 10 mais il n'invita pas le prophète Natân, ni Benayahu, ni les preux, ni son frère Salomon.

1 Rois 1, 11 Alors Natân dit à Bethsabée, la mère de Salomon: "N'as-tu pas appris qu'Adonias fils de Haggit est devenu roi à l'insu de notre seigneur David?

1 Rois 1, 12 Eh bien! laisse-moi te donner maintenant un conseil, pour que tu sauves ta vie et celle de ton fils Salomon.

1 Rois 1, 13 Va, entre chez le roi David, et dis-lui: N'est-ce pas toi, Monseigneur le roi, qui as fait ce serment à ta servante; Ton fils Salomon régnera après moi et c'est lui qui s'assiéra sur mon trône? Comment donc Adonias est-il devenu roi?

1 Rois 1, 14 Et pendant que tu seras là, conversant encore avec le roi, j'entrerai après toi et j'appuierai tes paroles."

1 Rois 1, 15 Bethsabée se rendit chez le roi dans sa chambre (il était très vieux et Abishag de Shunem le servait).

1 Rois 1, 16 Elle s'agenouilla et se prosterna devant le roi, et le roi dit: "Que désires-tu?"

1 Rois 1, 17 Elle lui répondit: "Monseigneur, tu as juré à ta servante par Yahvé ton Dieu: Ton fils Salomon régnera après moi, et c'est lui qui s'assiéra sur mon trône.

1 Rois 1, 18 Voici maintenant qu'Adonias est devenu roi, et toi, Monseigneur le roi, tu n'en saurais rien!

1 Rois 1, 19 Car il a immolé quantité de boeufs, de veaux gras et de moutons, et il a invité tous les princes royaux, le prêtre Ebyatar, le général Joab, mais ton serviteur Salomon, il ne l'a pas invité!

1 Rois 1, 20 Pourtant c'est vers toi, Monseigneur le roi, que tout Israël regarde pour que tu lui désignes le successeur de Monseigneur le roi.

1 Rois 1, 21 Et quand Monseigneur le roi sera couché avec ses pères, moi et mon fils Salomon, nous expierons cela!"

1 Rois 1, 22 Elle parlait encore que le prophète Natân arriva.

1 Rois 1, 23 On annonça au roi: "Le prophète Natân est là." Il entra chez le roi et se prosterna devant lui, la face contre terre.

1 Rois 1, 24 Natân dit: "Monseigneur le roi, tu as donc décrété: Adonias régnera après moi et s'assiéra sur mon trône!

1 Rois 1, 25 Car il est descendu aujourd'hui, il a immolé quantité de boeufs, de veaux gras et de moutons et il a invité tous les princes royaux, les officiers de l'armée et le prêtre Ebyatar; les voilà qui mangent et boivent en sa présence et qui crient: Vive le roi Adonias!

1 Rois 1, 26 Mais moi ton serviteur, le prêtre Sadoq, Benayahu fils de Yehoyada et ton serviteur Salomon, il ne nous a pas invités.

1 Rois 1, 27 Se peut-il que la chose vienne de Monseigneur le roi et que tu n'aies pas fait savoir à tes fidèles qui succéderait sur le trône à Monseigneur le roi?"

1 Rois 1, 28 Le roi David prit la parole et dit: "Appelez-moi Bethsabée." Elle entra chez le roi et se tint devant lui.

1 Rois 1, 29 Alors le roi lui fit ce serment: "Par Yahvé vivant, qui m'a délivré de toutes les angoisses,

1 Rois 1, 30 comme je t'ai juré par Yahvé, Dieu d'Israël, que ton fils Salomon régnerait après moi et s'assiérait à ma place sur le trône, ainsi ferai-je aujourd'hui même."

1 Rois 1, 31 Bethsabée s'agenouilla, la face contre terre, se prosterna devant le roi et dit: "Vive à jamais Monseigneur le roi David!"

1 Rois 1, 32 Puis le roi David dit: "Appelez-moi le prêtre Sadoq, le prophète Natân et Benayahu fils de Yehoyada." Ils entrèrent chez le roi

1 Rois 1, 33 et celui-ci leur dit: "Prenez avec vous la garde royale, faites monter mon fils Salomon sur ma propre mule et faites-le descendre à Gihôn.

1 Rois 1, 34 Là, le prêtre Sadoq et le prophète Natân lui donneront l'onction comme roi d'Israël, vous sonnerez du cor et vous crierez: Vive le roi Salomon!

1 Rois 1, 35 Vous remonterez à sa suite, il entrera s'asseoir sur mon trône et régnera à ma place, car c'est lui que j'ai institué chef sur Israël et sur Juda."

1 Rois 1, 36 Benayahu fils de Yehoyada répondit au roi: "Amen! Que parle ainsi Yahvé, le Dieu de Monseigneur le roi!

1 Rois 1, 37 Comme Yahvé a été avec Monseigneur le roi, qu'il soit avec Salomon et qu'il magnifie son trône encore plus que le trône de Monseigneur le roi David!"

1 Rois 1, 38 Le prêtre Sadoq, le prophète Natân, Benayahu fils de Yehoyada, les Kerétiens et les Pelétiens descendirent; ils mirent Salomon sur la mule du roi et ils le menèrent à Gihôn.

1 Rois 1, 39 Le prêtre Sadoq prit dans la Tente la corne d'huile et oignit Salomon, on sonna du cor et tout le peuple cria: "Vive le roi Salomon!"

1 Rois 1, 40 Puis tout le peuple monta à sa suite, et le peuple jouait de la flûte et manifestait une grande joie, avec des clameurs à fendre la terre.

1 Rois 1, 41 Adonias et tous ses convives entendirent le bruit; ils avaient alors fini de manger. Joab aussi entendit le son du cor et demanda: "Pourquoi cette rumeur de la ville en émoi?"

1 Rois 1, 42 Comme il parlait encore, voici qu'arriva Yonatân, le fils du prêtre Ebyatar, et Adonias dit: "Viens! car tu es un honnête homme et tu dois apporter une bonne nouvelle."

1 Rois 1, 43 Yonatân répondit: "Ah oui! notre seigneur le roi David a fait roi Salomon!

1 Rois 1, 44 Le roi a envoyé avec lui le prêtre Sadoq, le prophète Natân, Benayahu fils de Yehoyada, les Kerétiens et les Pelétiens, ils l'ont mis sur la mule du roi,

1 Rois 1, 45 le prêtre Sadoq et le prophète Natân l'ont sacré roi à Gihôn, ils sont remontés de là en poussant des cris de joie et la ville est en émoi; voilà le bruit que vous avez entendu.

1 Rois 1, 46 Plus que cela: Salomon s'est assis sur le trône royal,

1 Rois 1, 47 et les officiers du roi sont venus féliciter notre seigneur le roi David en disant: Que ton Dieu glorifie le nom de Salomon plus encore que ton nom et qu'il exalte son trône plus que le tien! et le roi s'est prosterné sur son lit,

1 Rois 1, 48 et puis il a parlé ainsi: Béni soit Yahvé, Dieu d'Israël, qui a permis que mes yeux voient aujourd'hui l'un de mes descendants assis sur mon trône."

1 Rois 1, 49 Alors tous les invités d'Adonias furent pris de panique, ils se levèrent et partirent chacun de son côté.

1 Rois 1, 50 Pour Adonias, il eut peur de Salomon, il se leva et s'en alla saisir les cornes de l'autel.

1 Rois 1, 51 On en informa ainsi Salomon: "Voici qu'Adonias a eu peur du roi Salomon et qu'il a saisi les cornes de l'autel en disant: Que le roi Salomon me jure d'abord qu'il ne fera pas mourir son serviteur par l'épée."

1 Rois 1, 52 Salomon dit: "S'il se conduit en honnête homme, pas un de ses cheveux ne tombera à terre, mais si on le trouve en défaut, alors il mourra."

1 Rois 1, 53 Et Salomon ordonna qu'on le fit descendre de l'autel; il vint se prosterner devant Salomon qui lui dit: "Va dans ta maison."

1 Rois 2, 1 Comme la vie de David approchait de sa fin, il fit ces recommandations à son fils Salomon:

1 Rois 2, 2 "Je m'en vais par le chemin de tout le monde. Sois fort et montre-toi un homme!

1 Rois 2, 3 Tu suivras les observances de Yahvé ton Dieu, en marchant selon ses voies, en gardant ses lois, ses commandements, ses ordonnances et ses instructions, selon qu'il est écrit dans la loi de Moïse, afin de réussir en toutes tes oeuvres et tous tes projets,

1 Rois 2, 4 pour que Yahvé accomplisse cette promesse qu'il m'a faite: Si tes fils surveillent leur conduite en marchant loyalement devant moi, de tout leur coeur et de toute leur âme, tu ne manqueras jamais de quelqu'un sur le trône d'Israël.

1 Rois 2, 5 Tu sais aussi ce que m'a fait Joab fils de Ceruya, ce qu'il a fait aux chefs de l'armée d'Israël, Abner fils de Ner et Amasa fils de Yéter, comment il les a tués, comment il a vengé pendant la paix le sang de la guerre et taché d'un sang innocent le ceinturon de mes reins et la sandale de mes pieds:

1 Rois 2, 6 tu agiras sagement en ne laissant pas ses cheveux blancs descendre en paix au shéol.

1 Rois 2, 7 Quant aux fils de Barzillaï le Galaadite, tu les traiteras avec bonté et ils seront parmi ceux qui mangent à ta table, car ils m'ont ainsi secouru quand je fuyais devant ton frère Absalom.

1 Rois 2, 8 Tu as près de toi Shiméï fils de Géra, le Benjaminite de Bahurim, qui m'a maudit atrocement au jour de mon départ pour Mahanayim, mais il est descendu à ma rencontre au Jourdain et je lui ai juré par Yahvé que je ne le tuerais pas par l'épée.

1 Rois 2, 9 Pour toi, tu ne le laisseras pas impuni et, en homme avisé que tu es, tu sauras quoi lui faire pour conduire dans le sang ses cheveux blancs au shéol."

1 Rois 2, 10 Et David se coucha avec ses pères et on l'ensevelit dans la Cité de David.

1 Rois 2, 11 Le règne de David sur Israël a duré 40 ans: à Hébron il a régné sept ans, à Jérusalem il a régné 33 ans.

1 Rois 2, 12 Salomon s'assit sur le trône de David son père et son pouvoir devint très ferme.

1 Rois 2, 13 Adonias fils de Haggit se rendit chez Bethsabée, mère de Salomon. Elle demanda: "Est-ce la paix que tu apportes?" Il répondit: "Oui."

1 Rois 2, 14 Il dit: "J'ai à te parler." Elle dit: "Parle."

1 Rois 2, 15 Il reprit: "Tu sais bien que la royauté me revenait et que tout Israël s'attendait à ce que je règne, mais la royauté m'a échappé et est échue à mon frère, car elle lui est venue de Yahvé.

1 Rois 2, 16 Maintenant, j'ai une seule demande à te faire, ne me rebute pas." Elle lui dit: "Parle."

1 Rois 2, 17 Il reprit: "Dis, je te prie, au roi Salomon -- car il ne te rebutera pas -- qu'il me donne Abishag de Shunem pour femme."

1 Rois 2, 18 Elle répondit: "C'est bien, je parlerai de toi au roi."

1 Rois 2, 19 Bethsabée se rendit donc chez le roi Salomon pour lui parler d'Adonias, et le roi se leva à sa rencontre et se prosterna devant elle, puis il s'assit sur son trône, on mit un siège pour la mère du roi et elle s'assit à sa droite.

1 Rois 2, 20 Elle dit: "Je n'ai qu'une petite demande à te faire, ne me rebute pas." Le roi lui répondit: "Demande, ô ma mère, car je ne te rebuterai pas."

1 Rois 2, 21 Elle continua: "Qu'on donne Abishag de Shunem pour femme à ton frère Adonias."

1 Rois 2, 22 Le roi Salomon reprit et dit à sa mère: "Et pourquoi demandes-tu pour Adonias Abishag de Shunem? Demande donc pour lui la royauté! Car il est mon frère aîné et il a pour lui le prêtre Ebyatar et Joab fils de Ceruya!"

1 Rois 2, 23 Et le roi Salomon jura ainsi par Yahvé: "Que Dieu me fasse tel mal et y ajoute encore tel autre, si ce n'est pas au prix de sa vie qu'Adonias a prononcé cette parole!

1 Rois 2, 24 Eh bien, par Yahvé vivant, qui m'a confirmé et fait asseoir sur le trône de mon père David et qui lui a donné une maison comme il avait promis, aujourd'hui même Adonias sera mis à mort."

1 Rois 2, 25 Et le roi Salomon en chargea Benayahu fils de Yehoyada, qui le frappa, et il mourut.

1 Rois 2, 26 Quant au prêtre Ebyatar, le roi lui dit: "Va à Anatot dans ton domaine, car tu mérites la mort, mais je ne te ferai pas mourir aujourd'hui, car tu as porté l'arche de Yahvé en présence de mon père David et partagé toutes les épreuves de mon père."

1 Rois 2, 27 Et Salomon exclut Ebyatar du sacerdoce de Yahvé, accomplissant ainsi la parole que Yahvé avait prononcée contre la maison d'Eli à Silo.

1 Rois 2, 28 Lorsque la nouvelle parvint à Joab -- car Joab avait pris parti pour Adonias bien qu'il n'eût pas pris parti pour Absalom --, il s'enfuit à la Tente de Yahvé et saisit les cornes de l'autel.

1 Rois 2, 29 On avertit le roi Salomon: "Joab s'est réfugié à la Tente de Yahvé et voici qu'il est à côté de l'autel." Alors Salomon envoya dire à Joab: "Qu'est-ce qui t'a pris de fuir à l'"autel? Joab répondit: "J'ai eu peur de toi et je me suis réfugié près de Yahvé." Alors Salomon envoya Benayahu fils de Yehoyada en disant: "Va et frappe-le!"

1 Rois 2, 30 Benayahu alla à la Tente de Yahvé et lui dit: "Par ordre du roi, sors!" Il répondit: "Non, je mourrai ici." Benayahu rapporta la chose au roi: "Voilà ce que Joab a dit et ce qu'il m'a répondu."

1 Rois 2, 31 Le roi lui dit: "Fais comme il a dit; frappe-le, puis enterre-le. Ainsi tu ôteras aujourd'hui de sur moi et de sur ma famille le sang innocent qu'a versé Joab.

1 Rois 2, 32 Yahvé fera retomber son sang sur sa tête parce qu'il a frappé deux hommes plus justes et meilleurs que lui et les a tués par l'épée à l'insu de mon père David: Abner fils de Ner, chef de l'armée d'Israël, et Amasa fils de Yéter, chef de l'armée de Juda.

1 Rois 2, 33 Que leur sang retombe sur la tête de Joab et de sa postérité à jamais, mais que David et sa postérité et sa dynastie et son trône aient toujours la paix par Yahvé!"

1 Rois 2, 34 Benayahu fils de Yehoyada partit, il frappa Joab et le mit à mort, et on l'enterra chez lui au désert.

1 Rois 2, 35 Le roi mit Benayahu fils de Yehoyada à sa place à la tête de l'armée; et le roi mit le prêtre Sadoq à la place d'Ebyatar.

1 Rois 2, 36 Salomon fit appeler Shiméï et lui dit: "Construis-toi une maison, à Jérusalem: tu y habiteras, mais ne t'en écarte pas où que ce soit.

1 Rois 2, 37 Le jour où tu sortiras et franchiras le ravin du Cédron, sache bien que tu mourras certainement. Ton sang sera sur ta tête."

1 Rois 2, 38 Shiméï répondit au roi: "C'est bien. Comme Monseigneur le roi a ordonné, ainsi fera ton serviteur", et Shiméï demeura longtemps à Jérusalem.

1 Rois 2, 39 Mais, au bout de trois ans, il arriva que deux esclaves de Shiméï s'enfuirent chez Akish fils de Maaka, le roi de Gat, et on avertit Shiméï: "Tes esclaves sont à Gat."

1 Rois 2, 40 Alors Shiméï se leva, sella son âne et partit pour Gat chez Akish chercher ses esclaves; Shiméï alla et ramena ses esclaves de Gat.

1 Rois 2, 41 On apprit à Salomon que Shiméï était allé de Jérusalem à Gat et qu'il était revenu.

1 Rois 2, 42 Le roi fit appeler Shiméï et lui dit: "Ne t'avais-je pas fait jurer par Yahvé et ne t'avais-je pas averti: Le jour où tu sortiras pour aller où que ce soit, sache bien que tu mourras certainement? Et tu m'as dit: Bonne est la parole que j'ai entendue.

1 Rois 2, 43 Pourquoi n'as-tu pas observé le serment de Yahvé et l'ordre que je t'avais intimé?"

1 Rois 2, 44 Puis le roi dit à Shiméï: "Tu connais par coeur tout le mal que tu as fait à mon père David; Yahvé va faire retomber ta méchanceté sur ta propre tête.

1 Rois 2, 45 Mais béni soit le roi Salomon, et que le trône de David subsiste devant Yahvé pour toujours!"

1 Rois 2, 46 Le roi fit commandement à Benayahu fils de Yehoyada; il sortit et frappa Shiméï qui mourut. La royauté fut alors affermie dans la main de Salomon.3, 1 Salomon devint le gendre de Pharaon, le roi d'Egypte; il prit pour femme la fille de Pharaon et l'introduisit dans la Cité de David, en attendant d'avoir achevé de construire son palais, le Temple de Yahvé et le rempart de Jérusalem.

1 Rois 3, 2 Le peuple sacrifiait sur les hauts lieux, car on n'avait pas encore bâti en ce temps-là une maison pour le Nom de Yahvé.

1 Rois 3, 3 Salomon aima Yahvé: il se conduisait selon les préceptes de son père David; seulement il offrait des sacrifices et de l'encens sur les hauts lieux.

1 Rois 3, 4 Le roi alla à Gabaôn pour y sacrifier, car le plus grand haut lieu se trouvait là -- Salomon a offert mille holocaustes sur cet autel.

1 Rois 3, 5 A Gabaôn, Yahvé apparut la nuit en songe à Salomon. Dieu dit: "Demande ce que je dois te donner."

1 Rois 3, 6 Salomon répondit: "Tu as témoigné une grande bienveillance à ton serviteur David, mon père, et celui-ci a marché devant toi dans la fidélité, la justice et la droiture du coeur; tu lui as gardé cette grande bienveillance et tu as permis qu'un de ses fils soit aujourd'hui assis sur son trône.

1 Rois 3, 7 Maintenant, Yahvé mon Dieu, tu as établi roi ton serviteur à la place de mon père David, et moi, je suis un tout jeune homme, je ne sais pas agir en chef.

1 Rois 3, 8 Ton serviteur est au milieu du peuple que tu as élu, un peuple nombreux, si nombreux qu'on ne peut le compter ni le recenser.

1 Rois 3, 9 Donne à ton serviteur un coeur plein de jugement pour gouverner ton peuple, pour discerner entre le bien et le mal, car qui pourrait gouverner ton peuple, qui est si grand?"

1 Rois 3, 10 Il plut au regard du Seigneur que Salomon ait fait cette demande;

1 Rois 3, 11 et Dieu lui dit: "Parce que tu as demandé cela, que tu n'as pas demandé pour toi de longs jours, ni la richesse, ni la vie de tes ennemis, mais que tu as demandé pour toi le discernement du jugement,

1 Rois 3, 12 voici que je fais ce que tu as dit: je te donne un coeur sage et intelligent comme personne ne l'a eu avant toi et comme personne ne l'aura après toi.

1 Rois 3, 13 Et même ce que tu n'as pas demandé, je te le donne aussi: une richesse et une gloire comme à personne parmi les rois.

1 Rois 3, 14 Et si tu suis mes voies, gardant mes lois et mes commandements comme a fait ton père David, je t'accorderai une longue vie."

1 Rois 3, 15 Salomon s'éveilla et voilà que c'était un songe. Il rentra à Jérusalem et se tint devant l'arche de l'alliance du Seigneur; il offrit des holocaustes et des sacrifices de communion et donna un banquet à tous ses serviteurs.

1 Rois 3, 16 Alors deux prostituées vinrent vers le roi et se tinrent devant lui.

1 Rois 3, 17 L'une des femmes dit: "S'il te plaît, Monseigneur! Moi et cette femme nous habitons la même maison, et j'ai eu un enfant, alors qu'elle était dans la maison.

1 Rois 3, 18 Il est arrivé que, le troisième jour après ma délivrance, cette femme aussi a eu un enfant; nous étions ensemble, il n'y avait pas d'étranger avec nous, rien que nous deux dans la maison.

1 Rois 3, 19 Or le fils de cette femme est mort une nuit parce qu'elle s'était couchée sur lui.

1 Rois 3, 20 Elle se leva au milieu de la nuit, prit mon fils d'à côté de moi pendant que ta servante dormait; elle le mit sur son sein et son fils mort elle le mit sur mon sein.

1 Rois 3, 21 Je me levai pour allaiter mon fils, et voici qu'il était mort! Mais, au matin, je l'examinai, et voici que ce n'était pas mon fils que j'avais enfanté!"

1 Rois 3, 22 Alors l'autre femme dit: "Ce n'est pas vrai! Mon fils est celui qui est vivant, et ton fils est celui qui est mort!" et celle-là reprenait: "Ce n'est pas vrai! Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant!" Elles se disputaient ainsi devant le roi

1 Rois 3, 23 qui prononça: "Celle-ci dit: Voici mon fils qui est vivant et c'est ton fils qui est mort! et celle-là dit: Ce n'est pas vrai! Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant!

1 Rois 3, 24 Apportez-moi une épée", ordonna le roi; et on apporta l'épée devant le roi,

1 Rois 3, 25 qui dit: "Partagez l'enfant vivant en deux et donnez la moitié à l'une et la moitié à l'autre."

1 Rois 3, 26 Alors la femme dont le fils était vivant s'adressa au roi, car sa pitié s'était enflammée pour son fils, et elle dit: "S'il te plaît, Monseigneur! Qu'on lui donne l'enfant vivant, qu'on ne le tue pas!" mais celle-là disait: "Il ne sera ni à moi ni à toi, partagez!"

1 Rois 3, 27 Alors le roi prit la parole et dit: "Donnez l'enfant vivant à la première, ne le tuez pas. C'est elle la mère."

1 Rois 3, 28 Tout Israël apprit le jugement qu'avait rendu le roi, et ils révérèrent le roi car ils virent qu'il y avait en lui une sagesse divine pour rendre la justice.

1 Rois 4, 1 Le roi Salomon fut roi sur tout Israël,

1 Rois 4, 2 et voici quels étaient ses grands officiers: Azaryahu fils de Sadoq, prêtre.

1 Rois 4, 3 Elihaph et Ahiyya, fils de Shisha, secrétaires. Yehoshaphat fils d'Ahilud, héraut.

1 Rois 4, 4 (Benayahu, fils de Yehoyada, chef de l'armée. Sadoq et Ebyatar, prêtres.)

1 Rois 4, 5 Azaryahu fils de Natân, chef des préfets. Zabud fils de Natân, familier du roi.

1 Rois 4, 6 Ahishar, maître du palais. Eliab fils de Joab, chef de l'armée. Adoram fils d'Abda, chef de la corvée.

1 Rois 4, 7 Salomon avait douze préfets sur tout Israël, qui approvisionnaient le roi et sa maison; il revenait à chacun d'y pourvoir un mois par an.

1 Rois 4, 8 Voici leurs noms: Fils de Hur, dans la montagne d'Ephraïm.

1 Rois 4, 9 Fils de Déqer, à Mahaç, Shaalbim, Bet-Shémesh, Ayyalôn, Bet-Hanân.

1 Rois 4, 10 Fils de Hésed, à Arubbot; il avait Soko et tout le pays de Héphèr.

1 Rois 4, 11 Fils d'Abinadab: tous les coteaux de Dor. Tabaat, fille de Salomon, fut sa femme.

1 Rois 4, 12 Baana fils d'Ahilud, à Tanak et Megiddo jusqu'au-delà de Yoqméam, et tout Bet-Shéân au-dessous de Yizréel, depuis Bet-Shéân jusqu'à Abel-Mehola, qui est vers Cartân.

1 Rois 4, 13 Fils de Géber, à Ramot de Galaad; il avait les Douars de Yaïr, fils de Manassé, qui sont en Galaad; il avait le territoire d'Argob qui est en Bashân, 60 villes fortes, emmurées et verrouillées de bronze.

1 Rois 4, 14 Ahinadab fils d'Iddo, à Mahanayim.

1 Rois 4, 15 Ahimaaç, en Nephtali; lui aussi épousa une fille de Salomon, Basmat.

1 Rois 4, 16 Baana fils de Hushaï, dans Asher et aux falaises.

1 Rois 4, 17 Yehoshaphat fils de Paruah, en Issachar.

1 Rois 4, 18 Shiméï fils d'Ela, en Benjamin.

1 Rois 4, 19 Géber fils d'Uri, au pays de Gad, le pays de Sihôn roi des Amorites et d'Og roi du Bashân. En plus, il y avait un préfet qui était dans le pays.

1 Rois 4, 20 Juda et Israël étaient nombreux, aussi nombreux que le sable qui est au bord de la mer; ils mangeaient et buvaient et vivaient heureux.

1 Rois 5, 1 Salomon étendit son pouvoir sur tous les royaumes depuis le Fleuve jusqu'au pays des Philistins et jusqu'à la frontière d'Egypte. Ils apportèrent leur tribut et servirent Salomon toute sa vie.

1 Rois 5, 2 Salomon recevait chaque jour comme vivres: 30 muids de fleur de farine et 60 muids de farine,

1 Rois 5, 3 dix boeufs d'engrais, vingt boeufs de pâture, cent moutons, sans compter les cerfs, gazelles, antilopes et coucous engraissés.

1 Rois 5, 4 Car il dominait sur toute la Transeuphratène -- depuis Thapsaque jusqu'à Gaza sur tous les rois de Transeuphratène -- et il avait la paix sur toutes ses frontières alentour.

1 Rois 5, 5 Juda et Israël habitèrent en sécurité chacun sous sa vigne et sous son figuier, depuis Dan jusqu'à Bersabée, pendant toute la vie de Salomon.

1 Rois 5, 6 Salomon avait pour le service de ses chars 4.000 stalles et 12.000 chevaux.

1 Rois 5, 7 Ces préfets pourvoyaient à l'entretien de Salomon et de tous ceux qui avaient accès à la table du roi, chacun pendant un mois; ils ne le laissaient manquer de rien.

1 Rois 5, 8 Ils fournissaient aussi l'orge et la paille pour les chevaux et les bêtes de trait, à l'endroit où il fallait, chacun selon la consigne qu'il avait reçue.

1 Rois 5, 9 Dieu donna à Salomon une sagesse et une intelligence extrêmement grandes et un coeur aussi vaste que le sable qui est au bord de la mer.

1 Rois 5, 10 La sagesse de Salomon fut plus grande que la sagesse de tous les fils de l'Orient et que toute la sagesse de l'Egypte.

1 Rois 5, 11 Il fut sage plus que n'importe qui, plus que l'Ezrahite Etân, que les fils de Mahôl, Hémân, Kalkol et Darda; sa renommée s'étendait à toutes les nations d'alentour.

1 Rois 5, 12 Il prononça 3.000 sentences et ses cantiques étaient au nombre de 1.005.

1 Rois 5, 13 Il parla des plantes, depuis le cèdre qui est au Liban jusqu'à l'hysope qui croît sur les murs; il parla aussi des quadrupèdes, des oiseaux, des reptiles et des poissons.

1 Rois 5, 14 On vint de tous les peuples pour entendre la sagesse de Salomon et il reçut un tribut de tous les rois de la terre, qui avaient ouï parler de sa sagesse.

1 Rois 5, 15 Le roi de Tyr, Hiram, envoya ses serviteurs en ambassade auprès de Salomon, car il avait appris qu'on l'avait sacré roi à la place de son père et Hiram avait toujours été l'ami de David.

1 Rois 5, 16 Et Salomon envoya ce message à Hiram:

1 Rois 5, 17 "Tu sais bien que mon père David n'a pu construire un Temple pour le Nom de Yahvé, son Dieu, à cause de la guerre que les ennemis lui ont faite de tous côtés, jusqu'à ce que Yahvé les eût mis sous la plante de ses pieds.

1 Rois 5, 18 Maintenant, Yahvé mon Dieu m'a donné la tranquillité alentour: je n'ai ni adversaire ni contrariété du sort.

1 Rois 5, 19 Je pense donc à construire un Temple au Nom de Yahvé mon Dieu, selon ce que Yahvé a dit à mon père David: Ton fils que je mettrai à ta place sur ton trône, c'est lui qui construira le Temple pour mon Nom.

1 Rois 5, 20 Maintenant, ordonne que l'on me coupe des arbres du Liban; mes serviteurs seront avec tes serviteurs et je te payerai la location de tes serviteurs selon tout ce que tu me fixeras. Tu sais en effet qu'il n'y a personne chez nous qui soit habile à abattre les arbres comme les Sidoniens."

1 Rois 5, 21 Lorsque Hiram entendit les paroles de Salomon, il éprouva une grande joie et dit: "Béni soit aujourd'hui Yahvé qui a donné à David un fils sage qui commande à ce grand peuple!"

1 Rois 5, 22 Et Hiram manda ceci à Salomon: "J'ai reçu ton message. Pour moi, je satisferai tout ton désir en bois de cèdre et en bois de genévrier.

1 Rois 5, 23 Mes serviteurs les descendront du Liban à la mer, je les ferai remorquer jusqu'à l'endroit que tu me manderas, je les délierai là et toi, tu les prendras. De ton côté, tu assureras selon mon désir l'approvisionnement de ma maison."

1 Rois 5, 24 Hiram procura à Salomon des bois de cèdre et des bois de genévrier autant qu'il en voulut,

1 Rois 5, 25 et Salomon donna à Hiram 20.000 muids de froment, comme nourriture de sa maison, et 20.000 mesures d'huile vierge. Voilà ce que Salomon donnait à Hiram chaque année.

1 Rois 5, 26 Yahvé accorda la sagesse à Salomon, comme il le lui avait promis; la bonne entente régna entre Hiram et Salomon et tous les deux conclurent un accord.

1 Rois 5, 27 Le roi Salomon leva des hommes de corvée dans tout Israël; il y eut 30.000 hommes de corvée.

1 Rois 5, 28 Il les envoya au Liban, 10.000 par mois, à tour de rôle: ils étaient un mois au Liban et deux mois à la maison; Adoram était chef de la corvée.

1 Rois 5, 29 Salomon eut aussi 70.000 porteurs et 80.000 carriers dans la montagne,

1 Rois 5, 30 sans compter les officiers des préfets qui dirigeaient ses travaux; ceux-ci étaient 3.300 et commandaient au peuple employé aux travaux.

1 Rois 5, 31 Le roi ordonna d'extraire de grands blocs, des pierres de choix, pour établir les fondations du Temple, des pierres de taille.

1 Rois 5, 32 Les ouvriers de Salomon et ceux de Hiram et les Giblites taillèrent et mirent en place le bois et la pierre pour la construction du Temple.

1 Rois 6, 1 En la 480ième année après la sortie des Israélites du pays d'Egypte, en la quatrième année du règne de Salomon sur Israël, au mois de Ziv qui est le second mois, il bâtit le Temple de Yahvé.

1 Rois 6, 2 Le Temple que le roi Salomon bâtit pour Yahvé avait 60 coudées de long, vingt de large et 25 de haut.

1 Rois 6, 3 Le Ulam devant le Hékal du Temple avait vingt coudées de long dans le sens de la largeur du Temple et dix coudées de large dans le sens de la longueur du Temple.

1 Rois 6, 4 Il fit au Temple des fenêtres à cadres et à grilles.

1 Rois 6, 5 Il adossa au mur du Temple une annexe autour du Hékal et du Debir, et il fit des étages latéraux autour.

1 Rois 6, 6 L'étage inférieur avait cinq coudées de large, l'intermédiaire six coudées, et le troisième sept coudées, car il avait disposé des retraits autour du Temple à l'extérieur, en sorte que cela n'était pas lié aux murs du Temple.

1 Rois 6, 7 (La construction du Temple se fit en pierres de carrière; on n'entendit ni marteaux, ni pics, ni aucun outil de fer dans le Temple pendant sa construction.)

1 Rois 6, 8 L'entrée de l'étage inférieur était à l'angle droit du Temple, et par des trappes on montait à l'étage intermédiaire, et de l'intermédiaire au troisième.

1 Rois 6, 9 Il construisit le Temple et l'acheva, et il couvrit le Temple d'un plafond à caissons de cèdre.

1 Rois 6, 10 Il construisit l'annexe à tout le Temple; elle avait cinq coudées de hauteur et elle était liée au Temple par des poutres de cèdre.

1 Rois 6, 11 La parole de Yahvé fut adressée à Salomon:

1 Rois 6, 12 "Quant à cette maison que tu es en train de construire, si tu marches selon mes lois, si tu accomplis mes ordonnances et si tu suis fidèlement mes commandements, alors j'accomplirai ma parole sur toi, celle que j'ai dite à ton père David,

1 Rois 6, 13 et j'habiterai au milieu des Israélites et je n'abandonnerai pas mon peuple Israël."

1 Rois 6, 14 Salomon construisit le Temple et il l'acheva.

1 Rois 6, 15 Il garnit de planches de cèdre la face interne des murs du Temple -- depuis le sol du Temple jusqu'aux poutres du plafond, il mit un revêtement de bois à l'intérieur -- et il couvrit de planches de genévrier le sol du Temple.

1 Rois 6, 16 Il construisit les vingt coudées à partir du fond du Temple avec des planches de cèdre depuis le sol jusqu'aux poutres, et elles furent mises à part du Temple pour le Debir, le Saint des Saints.

1 Rois 6, 17 Le Temple avait 40 coudées -- c'est le Hékal -- devant le Debir.

1 Rois 6, 18 Il y avait du cèdre à l'intérieur du Temple, sculpté d'un décor de coloquintes et de rosaces; tout était en cèdre, aucune pierre ne paraissait.

1 Rois 6, 19 Il aménagea un Debir dans le Temple, à l'intérieur, pour y placer l'arche de l'alliance de Yahvé.

1 Rois 6, 20 Le Debir avait vingt coudées de long, vingt coudées de large et vingt coudées de haut, et il les revêtit d'or fin; il fit un autel de cèdre

1 Rois 6, 21 devant le Debir et il le revêtit d'or.

1 Rois 6, 22 Tout le Temple, il le revêtit d'or, absolument tout le Temple.

1 Rois 6, 23 Dans le Debir, il fit deux chérubins en bois d'olivier sauvage... Il avait dix coudées de haut.

1 Rois 6, 24 Une aile du chérubin avait cinq coudées et la seconde aile du chérubin avait cinq coudées, soit dix coudées d'une extrémité à l'autre de ses ailes.

1 Rois 6, 25 Le second chérubin avait aussi dix coudées: même dimension et même facture pour les deux chérubins.

1 Rois 6, 26 La hauteur d'un chérubin était de dix coudées, et de même l'autre.

1 Rois 6, 27 Il plaça les chérubins au milieu de la chambre intérieure; ils déployaient leurs ailes, en sorte que l'aile de l'un touchait au mur, que l'aile de l'autre touchait à l'autre mur et que leurs ailes se touchaient au milieu de la chambre, aile contre aile.

1 Rois 6, 28 Et il revêtit d'or les chérubins.

1 Rois 6, 29 Sur tous les murs du Temple, à l'entour, il sculpta des figures de chérubins, de palmiers et de rosaces, à l'intérieur et à l'extérieur.

1 Rois 6, 30 Il couvrit d'or le plancher du Temple, à l'intérieur et à l'extérieur.

1 Rois 6, 31 Il fit la porte du Debir à montants en bois d'olivier sauvage, le jambage à cinq retraits,

1 Rois 6, 32 deux vantaux en bois d'olivier sauvage. Il sculpta des figures de chérubins, des palmiers et des rosaces, qu'il revêtit d'or; il étendit l'or en pellicule sur les chérubins et les palmiers.

1 Rois 6, 33 De même, il fit à la porte du Hékal des montants en bois d'olivier sauvage, le jambage à quatre retraits,

1 Rois 6, 34 deux vantaux en bois de genévrier: un vantail avait deux bandes qui le cerclaient et l'autre vantail avait deux bandes qui le cerclaient.

1 Rois 6, 35 Il sculpta des chérubins, des palmiers et des rosaces, qu'il revêtit d'or ajusté sur la sculpture.

1 Rois 6, 36 Il construisit le mur de la cour intérieure par trois assises de pierres de taille et une assise de madriers de cèdre.

1 Rois 6, 37 En la quatrième année, au mois de Ziv, les fondations du Temple furent posées;

1 Rois 6, 38 en la onzième année, au mois de Bûl -- c'est le huitième mois --, le Temple fut achevé selon tout son plan et toute son ordonnance. Salomon le construisit en sept ans.

1 Rois 7, 1 Quant à son palais, Salomon y travailla treize ans jusqu'à son complet achèvement.

1 Rois 7, 2 Il construisit la Maison de la Forêt du Liban, cent coudées de long, 50 coudées de large et 30 coudées de haut, sur quatre rangées de colonnes de cèdre, et il y avait des madriers de cèdre sur les colonnes.

1 Rois 7, 3 Elle était lambrissée de cèdre à la partie supérieure jusqu'aux planches qui étaient sur les colonnes.

1 Rois 7, 4 Il y avait trois rangées d'architraves, 45 en tout, soit quinze par rangée, se faisant vis-à-vis trois fois.

1 Rois 7, 5 Toutes les portes et les montants étaient à cadre rectangulaire, se faisant vis-à-vis de face, trois fois.

1 Rois 7, 6 Il fit le vestibule des colonnes, 50 coudées de long et 30 coudées de large... avec un porche par-devant.

1 Rois 7, 7 Il fit le vestibule du trône, où il rendait la justice, c'est le vestibule du jugement; il était lambrissé de cèdre depuis le sol jusqu'aux poutres.

1 Rois 7, 8 Son habitation privée, dans l'autre cour et à l'intérieur par rapport au vestibule, avait la même façon; il y avait aussi une maison, semblable à ce vestibule, pour la fille de Pharaon, qu'il avait épousée.

1 Rois 7, 9 Tous ces bâtiments étaient en pierres de choix, à la mesure des pierres de taille, parées à la scie au-dedans et au-dehors, depuis le fondement jusqu'aux bois de chaînage --

1 Rois 7, 10 ils avaient pour fondations des pierres de choix, de grandes pierres de dix et huit coudées,

1 Rois 7, 11 et, au-dessus, des pierres de choix, à la mesure des pierres de taille, et du cèdre --,

1 Rois 7, 12 et à l'extérieur, la grande cour avait, à l'entour, trois assises de pierres de taille et une assise de madriers de cèdre, de même pour la cour intérieure du Temple de Yahvé et pour le vestibule du Temple.

1 Rois 7, 13 Salomon envoya chercher Hiram de Tyr;

1 Rois 7, 14 c'était le fils d'une veuve de la tribu de Nephtali, mais son père était Tyrien, ouvrier en bronze. Il était plein d'habileté, d'adresse et de savoir pour exécuter tout travail de bronze. Il vint auprès du roi Salomon et il exécuta tous ses travaux.

1 Rois 7, 15 Il coula les deux colonnes de bronze; la hauteur d'une colonne était de dix-huit coudées et un fil de douze coudées en mesurait le tour; de même la seconde colonne.

1 Rois 7, 16 Il fit deux chapiteaux coulés en bronze destinés au sommet des colonnes; la hauteur d'un chapiteau était de cinq coudées et la hauteur de l'autre chapiteau était de cinq coudées.

1 Rois 7, 17 Il fit deux treillis pour couvrir les deux tores des chapiteaux qui étaient au sommet des colonnes, un treillis pour un chapiteau et un treillis pour l'autre chapiteau.

1 Rois 7, 18 Il fit les grenades: il y en avait deux rangées autour de chaque treillis, et de même l'autre chapiteau.

1 Rois 7, 19 Les chapiteaux qui étaient au sommet des colonnes étaient en forme de fleurs. En tout 400,

1 Rois 7, 20 appliquées contre le noyau qui était derrière le treillis; il y avait 200 grenades autour d'un chapiteau,

1 Rois 7, 21 Il dressa les colonnes devant le vestibule du sanctuaire; il dressa la colonne de droite et lui donna pour nom: Yakîn; il dressa la colonne de gauche et lui donna pour nom: Boaz.

1 Rois 7, 22 Ainsi fut achevée l'oeuvre des colonnes.

1 Rois 7, 23 Il fit la Mer en métal fondu, de dix coudées de bord à bord, à pourtour circulaire, de cinq coudées de hauteur; un fil de 30 coudées en mesurait le tour.

1 Rois 7, 24 Il y avait des coloquintes au-dessous de son bord, l'encerclant tout autour: sur 30 coudées elles tournaient autour de la Mer; les coloquintes étaient en deux rangées, coulées avec la masse.

1 Rois 7, 25 Elle reposait sur douze boeufs: trois regardaient le nord, trois regardaient l'ouest, trois regardaient le sud et trois regardaient l'est; la Mer s'élevait au-dessus d'eux, et tous leurs arrière-trains étaient tournés vers l'intérieur.

1 Rois 7, 26 Son épaisseur était d'un palme et son bord avait la même forme que le bord d'une coupe, comme une fleur. Elle contenait 2.000 mesures.

1 Rois 7, 27 Il fit les dix bases en bronze; chaque base avait quatre coudées de long, quatre coudées de large et trois coudées de haut.

1 Rois 7, 28 Voici comment elles étaient faites: elles avaient un châssis et des traverses au châssis.

1 Rois 7, 29 Sur les traverses du châssis, il y avait des lions, des taureaux et des chérubins, et au-dessus du châssis, il y avait un support; en dessous des lions et des taureaux, il y avait des volutes en façon de...

1 Rois 7, 30 Chaque base avait quatre roues de bronze et des axes de bronze; ses quatre pieds avaient des épaulements, en dessous du bassin, et les épaulements étaient coulés...

1 Rois 7, 31 Son embouchure, à partir de la croisée des épaulements jusqu'en haut, avait une coudée et demie; son embouchure était ronde en forme de support de vase et sur l'embouchure aussi il y avait des sculptures; mais les traverses étaient quadrangulaires et non rondes.

1 Rois 7, 32 Les quatre roues étaient sous les traverses. Les tourillons des roues étaient dans la base; la hauteur des roues était d'une coudée et demie.

1 Rois 7, 33 La forme des roues était celle d'une roue de char: leurs tourillons, leurs jantes, leurs rais et leurs moyeux, tout était coulé.

1 Rois 7, 34 Il y avait quatre épaulements, aux quatre angles de chaque base: la base et ses épaulements faisaient corps.

1 Rois 7, 35 Au sommet de la base, il y avait un support d'une demi-coudée de hauteur, à pourtour circulaire; sur le sommet de la base, il y avait des tenons; les traverses faisaient corps avec elle.

1 Rois 7, 36 Il grava sur les bandes des chérubins, des lions et des palmettes... et des volutes autour.

1 Rois 7, 37 Il fit ainsi les dix bases: même fonte et même mesure pour toutes.

1 Rois 7, 38 Il fit dix bassins de bronze, chaque bassin contenait 40 mesures et chaque bassin avait quatre coudées, un bassin sur chaque base pour les dix bases.

1 Rois 7, 39 Il plaça les bases, cinq près du côté droit du Temple et cinq près du côté gauche du Temple; quant à la Mer, il l'avait placée à distance du côté droit du Temple au sud-est.

1 Rois 7, 40 Hiram fit les vases à cendres, les pelles, les bols à aspersion. Il acheva tout l'ouvrage dont l'avait chargé le roi Salomon pour le Temple de Yahvé:

1 Rois 7, 41 deux colonnes; les deux tores des chapiteaux qui étaient au sommet des colonnes; les deux treillis pour couvrir les deux tores des chapiteaux qui étaient au sommet des colonnes;

1 Rois 7, 42 les 400 grenades pour les deux treillis: les grenades de chaque treillis étaient en deux rangées.

1 Rois 7, 43 Les dix bases et les dix bassins sur les bases;

1 Rois 7, 44 la Mer unique et les douze taureaux sous la Mer;

1 Rois 7, 45 les vases à cendres, les pelles, les bols à aspersion. Tous ces objets que Hiram fit au roi Salomon pour le Temple de Yahvé étaient en bronze poli.

1 Rois 7, 46 C'est dans la plaine du Jourdain qu'il les coula en pleine terre, entre Sukkot et Cartân;

1 Rois 7, 47 à cause de leur énorme quantité, on ne calcula pas le poids du bronze.

1 Rois 7, 48 Salomon déposa tous les objets qu'il avait faits dans le Temple de Yahvé, l'autel d'or et la table sur laquelle étaient les pains d'oblation, en or;

1 Rois 7, 49 les chandeliers, cinq à droite et cinq à gauche devant le Debir, en or fin; les fleurons, les lampes, les mouchettes, en or;

1 Rois 7, 50 les bassins, les couteaux, les bols à aspersion, les coupes et les encensoirs, en or fin; les pivots pour les portes de la chambre intérieure -- c'est le Saint des Saints -- et du Hékal, en or.

1 Rois 7, 51 Alors fut achevé tout le travail que fit le roi Salomon pour le Temple de Yahvé, et Salomon apporta ce que son père David avait consacré, l'argent, l'or et les vases, qu'il mit dans le trésor du Temple de Yahvé.

1 Rois 8, 1 Alors Salomon convoqua les anciens d'Israël à Jérusalem pour faire monter de la Cité de David, qui est Sion, l'arche de l'alliance de Yahvé.

1 Rois 8, 2 Tous les hommes d'Israël se rassemblèrent auprès du roi Salomon, au mois d'Etanim, pendant la fête (c'est le septième mois),

1 Rois 8, 3 et les prêtres portèrent l'arche

1 Rois 8, 4 et la Tente du Rendez-vous avec tous les objets sacrés qui y étaient.

1 Rois 8, 5 Le roi Salomon et tout Israël avec lui sacrifièrent devant l'arche moutons et boeufs en quantité innombrable et incalculable.

1 Rois 8, 6 Les prêtres apportèrent l'arche de l'alliance de Yahvé à sa place, au Debir du Temple, c'est-à-dire au Saint des Saints, sous les ailes des chérubins.

1 Rois 8, 7 En effet, les chérubins étendaient leurs ailes au-dessus de l'emplacement de l'arche et faisaient un abri au-dessus de l'arche et de ses barres.

1 Rois 8, 8 Celles-ci étaient assez longues pour qu'on vît leur extrémité depuis le Saint devant le Debir, mais pas en dehors de là. Elles y sont restées jusqu'à ce jour.

1 Rois 8, 9 Il n'y avait rien dans l'arche, sauf les deux tables de pierre que Moïse y déposa à l'Horeb, les tables de l'alliance que Yahvé avait conclue avec les Israélites à leur sortie de la terre d'Egypte;

1 Rois 8, 10 Or quand les prêtres sortirent du sanctuaire, la nuée remplit le Temple de Yahvé

1 Rois 8, 11 et les prêtres ne purent pas continuer leur fonction, à cause de la nuée: la gloire de Yahvé remplissait le Temple de Yahvé!

1 Rois 8, 12 Alors Salomon dit: "Yahvé a décidé d'habiter la nuée obscure.

1 Rois 8, 13 Oui, je t'ai construit une demeure princière, une résidence où tu habites à jamais."

1 Rois 8, 14 Puis le roi se retourna et bénit toute l'assemblée d'Israël, et toute l'assemblée d'Israël se tenait debout.

1 Rois 8, 15 Il dit: "Béni soit Yahvé, Dieu d'Israël, qui a accompli de sa main ce qu'il avait promis de sa bouche à mon père David en ces termes:

1 Rois 8, 16 Depuis le jour où j'ai fait sortir d'Egypte mon peuple Israël, je n'ai pas choisi de ville, dans toutes les tribus d'Israël, pour qu'on y bâtît une maison où serait mon Nom, mais j'ai choisi David pour qu'il commandât à mon peuple Israël.

1 Rois 8, 17 Mon père David eut dans l'esprit de bâtir une maison pour le Nom de Yahvé, Dieu d'Israël,

1 Rois 8, 18 mais Yahvé dit à mon père David: Tu as eu dans l'esprit de bâtir une maison pour mon Nom, et tu as bien fait.

1 Rois 8, 19 Seulement, ce n'est pas toi qui bâtiras cette maison, c'est ton fils, issu de tes reins, qui bâtira la maison pour mon Nom.

1 Rois 8, 20 Yahvé a réalisé la parole qu'il avait dite: j'ai succédé à mon père David et je me suis assis sur le trône d'Israël comme avait dit Yahvé, j'ai construit la maison pour le Nom de Yahvé, Dieu d'Israël,

1 Rois 8, 21 et j'y ai fixé un emplacement pour l'arche, où est l'alliance que Yahvé a conclue avec nos pères lorsqu'il les fit sortir du pays d'Egypte."

1 Rois 8, 22 Puis Salomon se tint devant l'autel de Yahvé, en présence de toute l'assemblée d'Israël; il étendit les mains vers le ciel

1 Rois 8, 23 et dit: "Yahvé, Dieu d'Israël! il n'y a aucun Dieu pareil à toi là-haut dans les cieux ni ici-bas sur la terre, toi qui es fidèle à l'alliance et gardes la bienveillance à l'égard de tes serviteurs, quand ils marchent de tout leur coeur devant toi.

1 Rois 8, 24 Tu as tenu à ton serviteur David, mon père, la promesse que tu lui avais faite, et ce que tu avais dit de ta bouche, tu l'as accompli aujourd'hui de ta main.

1 Rois 8, 25 Et maintenant, Yahvé, Dieu d'Israël, tiens à ton serviteur David, mon père, la promesse que tu lui as faite, quand tu as dit: Tu ne seras jamais dépourvu d'un descendant qui soit devant moi, assis sur le trône d'Israël, à condition que tes fils veillent à leur conduite et marchent devant moi comme tu as marché toi-même devant moi.

1 Rois 8, 26 Maintenant donc, Dieu d'Israël, que se vérifie la parole que tu as dite à ton serviteur David, mon père!

1 Rois 8, 27 Mais Dieu habiterait-il vraiment avec les hommes sur la terre? Voici que les cieux et les cieux des cieux ne le peuvent contenir, moins encore cette maison que j'ai construite!

1 Rois 8, 28 Sois attentif à la prière et à la supplication de ton serviteur, Yahvé, mon Dieu, écoute l'appel et la prière que ton serviteur fait aujourd'hui devant toi!

1 Rois 8, 29 Que tes yeux soient ouverts jour et nuit sur cette maison, sur ce lieu dont tu as dit: Mon Nom sera là, écoute la prière que ton serviteur fera en ce lieu.

1 Rois 8, 30 "Ecoute la supplication de ton serviteur et de ton peuple Israël lorsqu'ils prieront en ce lieu. Toi, écoute du lieu où tu résides, au ciel, écoute et pardonne.

1 Rois 8, 31 "Supposé qu'un homme pèche contre son prochain et que celui-ci prononce sur lui un serment imprécatoire et le fasse jurer devant ton autel dans ce Temple,

1 Rois 8, 32 toi, écoute au ciel et agis; juge entre tes serviteurs: déclare coupable le méchant en faisant retomber sa conduite sur sa tête, et justifie l'innocent en lui rendant selon sa justice.

1 Rois 8, 33 "Quand ton peuple Israël sera battu devant l'ennemi, parce qu'il aura péché contre toi, s'il revient à toi, loue ton Nom, prie et supplie vers toi dans ce Temple,

1 Rois 8, 34 toi, écoute au ciel, pardonne le péché de ton peuple Israël et ramène-le dans le pays que tu as donné à ses pères.

1 Rois 8, 35 "Quand le ciel sera fermé et qu'il n'y aura pas de pluie parce qu'ils auront péché contre toi, s'ils prient en ce lieu, louent ton Nom et se repentent de leur péché, parce que tu les auras humiliés,

1 Rois 8, 36 toi, écoute au ciel, pardonne le péché de ton serviteur et de ton peuple Israël -- tu leur indiqueras la bonne voie qu'ils doivent suivre -- et arrose de pluie ta terre, que tu as donnée en héritage à ton peuple.

1 Rois 8, 37 "Quand le pays subira la famine, la peste, la rouille ou la nielle, quand surviendront les sauterelles ou les criquets, quand l'ennemi de ce peuple assiégera l'une de ses portes, quand il y aura n'importe quel fléau ou épidémie,

1 Rois 8, 38 quelle que soit la prière ou la supplication de quiconque, éprouve le remords de sa propre conscience, s'il étend les mains vers ce Temple,

1 Rois 8, 39 toi, écoute au ciel, où tu résides, pardonne et agis; rends à chaque homme selon sa conduite, puisque tu connais son coeur -- tu es le seul à connaître le coeur de tous --,

1 Rois 8, 40 en sorte qu'ils te craignent tous les jours qu'ils vivront sur la terre que tu as donnée à nos pères.

1 Rois 8, 41 "Même l'étranger qui n'est pas d'Israël ton peuple, s'il vient d'un pays lointain à cause de ton Nom --

1 Rois 8, 42 car on entendra parler de ton grand Nom, de ta main forte et de ton bras étendu --, s'il vient et prie en ce Temple,

1 Rois 8, 43 toi, écoute-le au ciel, où tu résides, exauce toutes les demandes de l'étranger afin que tous les peuples de la terre reconnaissent ton Nom et te craignent comme fait ton peuple Israël, et qu'ils sachent que ce Temple que j'ai bâti porte ton nom.

1 Rois 8, 44 "Si ton peuple part en guerre contre ses ennemis par le chemin où tu l'auras envoyé et s'il prie Yahvé, tourné vers la ville que tu as choisie et vers le Temple que j'ai construit pour ton Nom,

1 Rois 8, 45 écoute au ciel sa prière et sa supplication et fais-lui justice.

1 Rois 8, 46 "Quand ils pécheront contre toi -- car il n'y a aucun homme qui ne pèche --, quand tu seras irrité contre eux, que tu les livreras à l'ennemi et que leurs conquérants les emmèneront captifs dans un pays ennemi, lointain ou proche,

1 Rois 8, 47 s'ils rentrent en eux-mêmes dans le pays où ils auront été déportés, s'ils se repentent et te supplient dans le pays de leurs conquérants en disant: Nous avons péché, nous avons mal agi, nous nous sommes pervertis,

1 Rois 8, 48 s'ils reviennent à toi de tout leur coeur et de toute leur âme dans le pays des ennemis qui les auront déportés, et s'ils te prient tournés vers le pays que tu as donné à leurs pères, vers la ville que tu as choisie et le Temple que j'ai bâti pour ton Nom,

1 Rois 8, 49 écoute au ciel où tu résides,

1 Rois 8, 50 pardonne à ton peuple les péchés qu'il a commis envers toi et toutes les rébellions dont ils furent coupables, fais-leur trouver grâce devant leurs conquérants, que ceux-ci aient pitié d'eux;

1 Rois 8, 51 car ils sont ton peuple et ton héritage, ceux que tu as fait sortir d'Egypte, cette fournaise pour le fer.

1 Rois 8, 52 "Que tes yeux soient ouverts sur la supplication de ton serviteur et de ton peuple Israël, pour écouter tous les appels qu'ils lanceront vers toi.

1 Rois 8, 53 Car c'est toi qui les as mis à part comme ton héritage, parmi tous les peuples de la terre, ainsi que tu l'as déclaré par le ministère de ton serviteur Moïse, quand tu as fait sortir nos pères d'Egypte, Seigneur Yahvé!"

1 Rois 8, 54 Quand Salomon eut achevé d'adresser à Yahvé toute cette prière et cette supplication, il se releva de l'endroit où il était agenouillé, les mains étendues vers le ciel, devant l'autel de Yahvé,

1 Rois 8, 55 et se tint debout. Il bénit à haute voix toute l'assemblée d'Israël:

1 Rois 8, 56 "Béni soit Yahvé, dit-il, qui a accordé le repos à son peuple Israël, selon toutes ses promesses; de toutes les bonnes paroles qu'il a dites par le ministère de son serviteur Moïse, aucune n'a failli.

1 Rois 8, 57 Que Yahvé notre Dieu soit avec nous, comme il fut avec nos pères, qu'il ne nous abandonne pas et ne nous rejette pas!

1 Rois 8, 58 Qu'il incline nos coeurs vers lui, pour que nous suivions toutes ses voies et gardions les commandements, les lois et les ordonnances qu'il a donnés à nos pères.

1 Rois 8, 59 Puissent ces paroles que j'ai dites en suppliant devant Yahvé rester présentes jour et nuit à Yahvé notre Dieu, pour qu'il rende justice à son serviteur et justice à son peuple Israël, selon les besoins de chaque jour;

1 Rois 8, 60 tous les peuples de la terre sauront alors que Yahvé seul est Dieu, qu'il n'y en a point d'autre,

1 Rois 8, 61 et votre coeur sera tout entier à Yahvé, notre Dieu, observant ses lois et gardant ses commandements comme maintenant."

1 Rois 8, 62 Le roi et tout Israël avec lui sacrifièrent devant Yahvé.

1 Rois 8, 63 Comme sacrifices de communion qu'il présenta à Yahvé, Salomon offrit 22.000 boeufs et 120.000 moutons, et le roi et tous les Israélites dédièrent le Temple de Yahvé.

1 Rois 8, 64 En ce jour, le roi consacra le milieu de la cour qui est devant le Temple de Yahvé; c'est là qu'il offrit l'holocauste, l'oblation et les graisses des sacrifices de communion, parce que l'autel de bronze qui était devant Yahvé était trop petit pour contenir l'holocauste, l'oblation et les graisses des sacrifices de communion.

1 Rois 8, 65 En ce temps-là, Salomon célébra la fête, et tous les Israélites avec lui, un grand rassemblement depuis l'Entrée de Hamat jusqu'au Torrent d'Egypte, devant Yahvé notre Dieu, pendant sept jours.

1 Rois 8, 66 Puis, le huitième jour, il congédia les gens; ils bénirent le roi et s'en allèrent chacun chez soi, joyeux et le coeur content de tout le bien que Yahvé avait fait à son serviteur David et à son peuple Israël.

1 Rois 9, 1 Après que Salomon eut achevé de construire le Temple de Yahvé, le palais royal et tout ce qu'il plut à Salomon de réaliser,

1 Rois 9, 2 Yahvé apparut une seconde fois à Salomon comme il lui était apparu à Gabaôn.

1 Rois 9, 3 Yahvé lui dit: "J'exauce la prière et la supplication que tu m'as présentées. Je consacre cette maison que tu as bâtie, en y plaçant mon Nom à jamais; mes yeux et mon coeur y seront toujours.

1 Rois 9, 4 Pour toi, si tu marches devant moi comme a fait ton père David, dans l'innocence du coeur et la droiture, si tu agis selon tout ce que je te commande et si tu observes mes lois et mes ordonnances,

1 Rois 9, 5 je maintiendrai pour toujours ton trône royal sur Israël, comme je l'ai promis à ton père David quand j'ai dit: Il ne te manquera jamais un descendant sur le trône d'Israël;

1 Rois 9, 6 mais si vous m'abandonnez, vous et vos fils, si vous n'observez pas les commandements et les lois que je vous ai proposés, si vous allez servir d'autres dieux et leur rendez hommage,

1 Rois 9, 7 alors je retrancherai Israël du pays que je lui ai donné; ce Temple que j'ai consacré à mon Nom, je le rejetterai de ma présence, et Israël sera la fable et la risée de tous les peuples.

1 Rois 9, 8 Ce Temple sublime, tous ceux qui le longeront seront stupéfaits; ils siffleront et diront: Pourquoi Yahvé a-t-il fait cela à ce pays et à ce Temple?

1 Rois 9, 9 Et l'on répondra: Parce qu'ils ont abandonné Yahvé leur Dieu qui avait fait sortir leurs pères du pays d'Egypte, qu'ils se sont attachés à d'autres dieux et qu'ils leur ont rendu hommage et culte, voilà pourquoi Yahvé leur a envoyé tous ces maux."

1 Rois 9, 10 Au bout des vingt années pendant lesquelles Salomon construisit les deux édifices, le Temple de Yahvé et le palais royal

1 Rois 9, 11 (Hiram, roi de Tyr, lui avait fourni du bois de cèdre et de genévrier, et de l'or, tant qu'il en avait voulu), alors le roi Salomon donna à Hiram vingt villes dans le pays de Galilée.

1 Rois 9, 12 Hiram vint de Tyr pour voir les villes que Salomon lui avait données, et elles ne lui plurent pas;

1 Rois 9, 13 il dit: "Qu'est-ce que ces villes que tu m'as données, mon frère", et, jusqu'à ce jour, on les appelle "le pays de Kabul."

1 Rois 9, 14 Hiram envoya au roi 120 talents d'or.

1 Rois 9, 15 Voici ce qui concerne la corvée que le roi Salomon leva pour construire le Temple de Yahvé, son propre palais, le Millo et le mur de Jérusalem, Haçor, Megiddo, Gézèr,

1 Rois 9, 16 (Pharaon, le roi d'Egypte, fit une expédition, prit Gézèr, l'incendia et massacra les Cananéens qui y habitaient, puis il donna la ville en cadeau de noces à sa fille, la femme de Salomon,

1 Rois 9, 17 et Salomon reconstruisit Gézèr), Bet-Horôn-le-Bas,

1 Rois 9, 18 Baalat, Tamar au désert, dans le pays,

1 Rois 9, 19 toutes les villes-entrepôts qu'avait Salomon, les villes de chars et de chevaux, et ce qu'il plut à Salomon de construire à Jérusalem, au Liban et dans tous les pays qui lui étaient soumis.

1 Rois 9, 20 Tout ce qui restait des Amorites, des Hittites, des Perizzites, des Hivvites et des Jébuséens, qui n'étaient pas des Israélites,

1 Rois 9, 21 leurs descendants restés après eux dans le pays, ceux que les Israélites n'avaient pas pu vouer à l'anathème, Salomon les leva comme hommes de corvée servile; ils le sont encore.

1 Rois 9, 22 Mais il n'imposa pas la corvée servile aux Israélites, plutôt ceux-ci servaient comme soldats: ils étaient ses gardes, ses officiers et ses écuyers, les officiers de sa charrerie et de sa cavalerie.

1 Rois 9, 23 Voici les officiers des préfets qui dirigeaient les travaux de Salomon: 550, qui commandaient au peuple occupé aux travaux.

1 Rois 9, 24 Dès que la fille de Pharaon fut montée de la Cité de David à sa maison qu'il lui avait construite, alors il bâtit le Millo.

1 Rois 9, 25 Salomon offrait trois fois par an des holocaustes et des sacrifices de communion sur l'autel qu'il avait dressé à Yahvé et il faisait fumer devant Yahvé ses offrandes brûlées. Il maintenait le Temple en bon état.

1 Rois 9, 26 Le roi Salomon arma une flotte à Eçyôn-Gébèr, qui est près d'Elat, sur le bord de la mer Rouge, au pays d'Edom.

1 Rois 9, 27 Hiram envoya sur les vaisseaux ses serviteurs, des matelots qui connaissaient la mer, avec les serviteurs de Salomon.

1 Rois 9, 28 Ils allèrent à Ophir et en rapportèrent 420 talents d'or, qu'ils remirent au roi Salomon.

1 Rois 10, 1 La reine de Saba apprit la renommée de Salomon et vint éprouver celui-ci par des énigmes.

1 Rois 10, 2 Elle arriva à Jérusalem avec une très grande suite, des chameaux chargés d'aromates, d'or en énorme quantité et de pierres précieuses. Quand elle fut arrivée auprès de Salomon, elle lui proposa tout ce qu'elle avait médité,

1 Rois 10, 3 mais Salomon l'éclaira sur toutes ses questions et aucune ne fut pour le roi un secret qu'il ne pût élucider.

1 Rois 10, 4 Lorsque la reine de Saba vit toute la sagesse de Salomon, le palais qu'il s'était construit,

1 Rois 10, 5 le menu de sa table, le placement de ses officiers, le service de ses gens et leur livrée, son service à boire, les holocaustes qu'il offrait au Temple de Yahvé, le coeur lui manqua

1 Rois 10, 6 et elle dit au roi: "Ce que j'ai entendu dire sur toi et ta sagesse dans mon pays était donc vrai!

1 Rois 10, 7 Je n'ai pas voulu croire ce qu'on disait avant de venir et de voir de mes yeux, mais vraiment on ne m'en avait pas appris la moitié: tu surpasses en sagesse et en prospérité la renommée dont j'ai eu l'écho.

1 Rois 10, 8 Bienheureuses tes femmes, bienheureux tes serviteurs que voici, qui se tiennent continuellement devant toi et qui entendent ta sagesse!

1 Rois 10, 9 Béni soit Yahvé ton Dieu qui t'a montré sa faveur en te plaçant sur le trône d'Israël; c'est parce que Yahvé aime Israël pour toujours qu'il t'a établi roi, pour exercer le droit et la justice."

1 Rois 10, 10 Elle donna au roi 120 talents d'or, une grande quantité d'aromates et des pierres précieuses; la reine de Saba avait apporté au roi Salomon une abondance d'aromates telle qu'il n'en vint plus jamais de pareille.

1 Rois 10, 11 De même, la flotte d'Hiram, qui apporta l'or d'Ophir, en rapporta du bois d'almuggim en grande quantité et des pierres précieuses.

1 Rois 10, 12 Le roi fit avec le bois d'almuggim des supports pour le Temple de Yahvé et pour le palais royal, des lyres et des harpes pour les musiciens; il ne vint plus de ce bois d'almuggim et on n'en a plus vu jusqu'à maintenant.

1 Rois 10, 13 Quant au roi Salomon, il offrit à la reine de Saba tout ce dont elle manifesta l'envie, en plus des cadeaux qu'il lui fit avec une munificence digne du roi Salomon. Puis elle s'en retourna et alla dans son pays, elle et ses serviteurs.

1 Rois 10, 14 Le poids de l'or qui arriva à Salomon en une année fut de 666 talents d'or,

1 Rois 10, 15 sans compter ce qui venait des redevances des marchands, du gain des commerçants et de tous les rois des Arabes et des gouverneurs du pays.

1 Rois 10, 16 Le roi Salomon fit 200 grands boucliers d'or battu, sur chacun desquels il appliqua 600 sicles d'or,

1 Rois 10, 17 et 300 petits boucliers d'or battu, sur chacun desquels il appliqua trois mines d'or, et il les déposa dans la Maison de la Forêt du Liban.

1 Rois 10, 18 Le roi fit aussi un grand trône d'ivoire et le plaqua d'or raffiné.

1 Rois 10, 19 Ce trône avait six degrés, un dossier à sommet arrondi, et des bras de part et d'autre du siège; deux lions étaient debout près des bras

1 Rois 10, 20 et douze lions se tenaient de part et d'autre des six degrés. On n'a rien fait de semblable dans aucun royaume.

1 Rois 10, 21 Tous les vases à boire du roi Salomon étaient en or et tout le mobilier de la Maison de la Forêt du Liban était en or fin; car on faisait fi de l'argent au temps de Salomon.

1 Rois 10, 22 En effet, le roi avait en mer une flotte de Tarsis avec la flotte d'Hiram et tous les trois ans la flotte de Tarsis revenait chargée d'or, d'argent, d'ivoire, de singes et de guenons.

1 Rois 10, 23 Le roi Salomon surpassa en richesse et en sagesse tous les rois de la terre.

1 Rois 10, 24 Tout le monde voulait être reçu par Salomon pour profiter de la sagesse que Dieu lui avait mise au coeur

1 Rois 10, 25 et chacun apportait son présent: vases d'argent et vases d'or, vêtements, armes, aromates, chevaux et mulets, et ainsi d'année en année.

1 Rois 10, 26 Salomon rassembla des chars et des chevaux; il eut 1.400 chars et 12.000 chevaux et il les cantonna dans les villes des chars et près du roi à Jérusalem.

1 Rois 10, 27 Le roi fit que l'argent était aussi commun à Jérusalem que les cailloux, et les cèdres aussi nombreux que les sycomores du Bas-Pays.

1 Rois 10, 28 Les chevaux de Salomon venaient de Muçur et de Cilicie; les courtiers du roi les importaient de Cilicie à prix d'argent.

1 Rois 10, 29 Un char était livré d'Egypte pour 600 sicles d'argent; un cheval en valait 150. Il en était de même pour les rois des Hittites et les rois d'Aram qui les importaient par leur entremise.

1 Rois 11, 1 Le roi Salomon aima beaucoup de femmes étrangères -- outre la fille de Pharaon --: des Moabites, des Ammonites, des Edomites, des Sidoniennes, des Hittites,

1 Rois 11, 2 de ces peuples dont Yahvé avait dit aux Israélites: "Vous n'irez pas chez eux et ils ne viendront pas chez vous; sûrement ils détourneraient vos coeurs vers leurs dieux." Mais Salomon s'attacha à elles par amour;

1 Rois 11, 3 il eut 700 épouses de rang princier et 300 concubines.

1 Rois 11, 4 Quand Salomon fut vieux, ses femmes détournèrent son coeur vers d'autres dieux et son coeur ne fut plus tout entier à Yahvé son Dieu comme avait été celui de son père David.

1 Rois 11, 5 Salomon suivit Astarté, la divinité des Sidoniens, et Milkom, l'abomination des Ammonites.

1 Rois 11, 6 Il fit ce qui déplaît à Yahvé et il ne lui obéit pas parfaitement comme son père David.

1 Rois 11, 7 C'est alors que Salomon construisit un sanctuaire à Kemosh, l'abomination de Moab, sur la montagne à l'orient de Jérusalem, et à Milkom, l'abomination des Ammonites.

1 Rois 11, 8 Il en fit autant pour toutes ses femmes étrangères, qui offraient de l'encens et des sacrifices à leurs dieux.

1 Rois 11, 9 Yahvé s'irrita contre Salomon parce que son coeur s'était détourné de Yahvé, Dieu d'Israël, qui lui était apparu deux fois

1 Rois 11, 10 et qui lui avait défendu à cette occasion de suivre d'autres dieux, mais il n'observa pas cet ordre.

1 Rois 11, 11 Alors Yahvé dit à Salomon: "Parce que tu t'es comporté ainsi et que tu n'as pas observé mon alliance et les prescriptions que je t'avais faites, je vais sûrement t'arracher le royaume et le donner à l'un de tes serviteurs.

1 Rois 11, 12 Seulement je ne ferai pas cela durant ta vie, en considération de ton père David; c'est de la main de ton fils que je l'arracherai.

1 Rois 11, 13 Encore ne lui arracherai-je pas tout le royaume: je laisserai une tribu à ton fils, en considération de mon serviteur David et de Jérusalem que j'ai choisie.

1 Rois 11, 14 Yahvé suscita un adversaire à Salomon: l'Edomite Hadad, de la race royale d'Edom.

1 Rois 11, 15 Après que David eut battu Edom, quand Joab, chef de l'armée, était allé enterrer les morts, il avait frappé tous les mâles d'Edom

1 Rois 11, 16 (Joab et tout Israël étaient demeurés là six mois jusqu'à l'anéantissement de tous les mâles d'Edom),

1 Rois 11, 17 Hadad s'était enfui en Egypte avec des Edomites au service de son père. Hadad était alors un jeune garçon.

1 Rois 11, 18 Ils partirent de Madiân et arrivèrent à Parân; ils prirent avec eux des hommes de Parân et allèrent en Egypte auprès de Pharaon, roi d'Egypte, qui lui donna une maison, assura son entretien et lui assigna une terre.

1 Rois 11, 19 Hadad jouit d'une grande faveur auprès de Pharaon, qui lui fit épouser la soeur de sa femme, la soeur de Tahpnès la Grande Dame.

1 Rois 11, 20 La soeur de Tahpnès lui enfanta son fils Genubat, que Tahpnès éleva dans le palais de Pharaon, et Genubat vécut dans le palais de Pharaon, parmi les enfants de Pharaon.

1 Rois 11, 21 Quand Hadad apprit, en Egypte, que David s'était couché avec ses pères et que Joab, chef de l'armée, était mort, il dit à Pharaon: "Laisse-moi partir, que j'aille dans mon pays."

1 Rois 11, 22 Pharaon lui dit: "Que te manque-t-il chez moi pour que tu cherches à aller dans ton pays?" Il répondit: "Rien, mais laisse-moi partir."

1 Rois 11, 23 A Salomon Dieu suscita aussi comme adversaire Rezôn, fils d'Elyada. Il avait fui de chez son maître Hadadézer, roi de Coba;

1 Rois 11, 24 des gens s'étaient joints à lui et il était devenu chef de bande (c'est alors que David les massacra). Rezôn prit Damas, s'y installa et régna sur Damas.

1 Rois 11, 25 Il fut un adversaire d'Israël pendant toute la vie de Salomon. Voici le mal que fit Hadad: il eut Israël en aversion et il régna sur Edom.

1 Rois 11, 26 Jéroboam était fils de l'Ephraïmite Nebat, de Cerêda, et sa mère était une veuve nommée Cerua; il était au service de Salomon et se révolta contre le roi.

1 Rois 11, 27 Voici l'histoire de sa révolte. Salomon construisait le Millo, il fermait la brèche de la Cité de David, son père.

1 Rois 11, 28 Ce Jéroboam était homme de condition; Salomon remarqua comment ce jeune homme accomplissait sa tâche et il le préposa à toute la corvée de la maison de Joseph.

1 Rois 11, 29 Il arriva que Jéroboam, étant sorti de Jérusalem, fut abordé en chemin par le prophète Ahiyya, de Silo; celui-ci était vêtu d'un manteau neuf et ils étaient seuls tous les deux dans la campagne.

1 Rois 11, 30 Ahiyya prit le manteau neuf qu'il avait sur lui et le déchira en douze morceaux.

1 Rois 11, 31 Puis il dit à Jéroboam: "Prends pour toi dix morceaux, car ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël: Voici que je vais arracher le royaume de la main de Salomon et je te donnerai les dix tribus.

1 Rois 11, 32 Il aura une tribu, en considération de mon serviteur David et de Jérusalem, la ville que j'ai élue de toutes les tribus d'Israël.

1 Rois 11, 33 C'est qu'il m'a délaissé, qu'il s'est prosterné devant Astarté, la déesse des Sidoniens, Kemosh, le dieu de Moab, Milkom, le dieu des Ammonites, et qu'il n'a pas suivi mes voies, en faisant ce qui est juste à mes yeux, ni mes lois et mes ordonnances, comme son père David.

1 Rois 11, 34 Mais ce n'est pas de sa main que je prendrai le royaume, car je l'ai établi prince pour tout le temps de sa vie, en considération de mon serviteur David, que j'ai élu et qui a observé mes commandements et mes lois;

1 Rois 11, 35 c'est de la main de son fils que j'enlèverai le royaume et je te le donnerai, c'est-à-dire les dix tribus.

1 Rois 11, 36 Pourtant je laisserai à son fils une tribu, pour que mon serviteur David ait toujours une lampe devant moi à Jérusalem, la ville que j'ai choisie pour y placer mon Nom.

1 Rois 11, 37 Pour toi, je te prendrai pour que tu règnes sur tout ce que tu voudras et tu seras roi sur Israël.

1 Rois 11, 38 Si tu obéis à tout ce que je t'ordonnerai, si tu suis mes voies et fais ce qui est juste à mes yeux, en observant mes lois et mes commandements comme a fait mon serviteur David, alors je serai avec toi et je te construirai une maison stable comme j'ai construit pour David. Je te donnerai Israël

1 Rois 11, 39 et j'humilierai la descendance de David à cause de cela; cependant pas pour toujours."

1 Rois 11, 40 Salomon chercha à faire mourir Jéroboam; celui-ci partit et s'enfuit en Egypte auprès de Sheshonq, roi d'Egypte, et il demeura en Egypte jusqu'à la mort de Salomon.

1 Rois 11, 41 Le reste de l'histoire de Salomon, tout ce qu'il a fait, et sa sagesse, n'est-ce pas écrit dans le livre de l'Histoire de Salomon?

1 Rois 11, 42 La durée du règne de Salomon à Jérusalem sur tout Israël fut de 40 ans.

1 Rois 11, 43 Puis Salomon se coucha avec ses pères et on l'enterra dans la Cité de David, son père, et son fils Roboam régna à sa place.

1 Rois 12, 1 Roboam se rendit à Sichem, car c'est à Sichem que tout Israël était venu pour le proclamer roi.

1 Rois 12, 2 (Dès que Jéroboam, fils de Nebat, fut informé -- il était encore en Egypte, où il avait fui le roi Salomon --, il revint d'Egypte.

1 Rois 12, 3 On fit appeler Jéroboam et il vint, lui et toute l'assemblée d'Israël.) Ils parlèrent ainsi à Roboam:

1 Rois 12, 4 "Ton père a rendu pénible notre joug, allège maintenant le dur servage de ton père, la lourdeur du joug qu'il nous imposa, et nous te servirons!"

1 Rois 12, 5 Il leur dit: "Retirez-vous pour trois jours, puis revenez vers moi", et le peuple s'en alla.

1 Rois 12, 6 Le roi Roboam prit conseil des anciens, qui avaient assisté son père Salomon pendant qu'il vivait, et demanda: "Quelle réponse conseillez-vous de faire à ce peuple?"

1 Rois 12, 7 Ils lui répondirent: "Si tu te fais aujourd'hui serviteur de ces gens, si tu te soumets et leur donnes de bonnes paroles, alors ils seront toujours tes serviteurs."

1 Rois 12, 8 Mais il repoussa le conseil que les anciens avaient donné et consulta des jeunes gens qui l'assistaient, ses compagnons d'enfance.

1 Rois 12, 9 Il leur demanda: "Que conseillez-vous que nous répondions à ce peuple qui m'a parlé ainsi: Allège le joug que ton père nous a imposé?"

1 Rois 12, 10 Les jeunes gens, ses compagnons d'enfance, lui répondirent: "Voici ce que tu diras à ce peuple qui t'a dit: Ton père a rendu pesant notre joug, mais toi allège notre charge, voici ce que tu leur répondras: Mon petit doigt est plus gros que les reins de mon père!

1 Rois 12, 11 Ainsi, mon père vous a fait porter un joug pesant, moi j'ajouterai encore à votre joug; mon père vous a châtiés avec des lanières, moi je vous châtierai avec des fouets à pointes de fer!"

1 Rois 12, 12 Jéroboam avec tout le peuple vint à Roboam le troisième jour, selon cet ordre qu'il avait donné: "Revenez vers moi le troisième jour."

1 Rois 12, 13 Le roi fit au peuple une dure réponse, il rejeta le conseil que les anciens avaient donné

1 Rois 12, 14 et, suivant le conseil des jeunes, il leur parla ainsi: "Mon père a rendu pesant votre joug, moi j'ajouterai encore à votre joug; mon père vous a châtiés avec des lanières, moi je vous châtierai avec des fouets à pointes de fer."

1 Rois 12, 15 Le roi n'écouta donc pas le peuple: c'était une intervention de Yahvé, pour accomplir la parole qu'il avait dite à Jéroboam fils de Nebat par le ministère d'Ahiyya de Silo.

1 Rois 12, 16 Quand les Israélites virent que le roi ne les écoutait pas, ils lui répliquèrent: "Quelle part avons-nous sur David? Nous n'avons pas d'héritage sur le fils de Jessé. A tes tentes, Israël! Et maintenant, pourvois à ta maison, David." Et Israël s'en fut à ses tentes.

1 Rois 12, 17 Quant aux Israélites qui habitaient les villes de Juda, Roboam régna sur eux.

1 Rois 12, 18 Le roi Roboam dépêcha Adoram, le chef de la corvée, mais tout Israël le lapida et il mourut; alors le roi Roboam se vit contraint de monter sur son char pour fuir vers Jérusalem.

1 Rois 12, 19 Et Israël fut séparé de la maison de David, jusqu'à ce jour.

1 Rois 12, 20 Lorsque tout Israël apprit que Jéroboam était revenu, ils l'appelèrent à l'assemblée et ils le firent roi sur tout Israël; il n'y eut pour se rallier à la maison de David que la seule tribu de Juda.

1 Rois 12, 21 Roboam se rendit à Jérusalem; il convoqua toute la maison de Juda et la tribu de Benjamin, soit 180.000 guerriers d'élite, pour combattre la maison d'Israël et rendre le royaume à Roboam fils de Salomon.

1 Rois 12, 22 Mais la parole de Dieu fut adressée à Shemaya l'homme de Dieu en ces termes:

1 Rois 12, 23 "Dis ceci à Roboam fils de Salomon, roi de Juda, à toute la maison de Juda, à Benjamin et au reste du peuple:

1 Rois 12, 24 Ainsi parle Yahvé. N'allez pas vous battre contre vos frères, les enfants d'Israël; que chacun retourne chez soi, car cet événement vient de moi." Ils écoutèrent la parole de Yahvé et prirent le chemin du retour comme avait dit Yahvé.

1 Rois 12, 25 Jéroboam fortifia Sichem dans la montagne d'Ephraïm et y séjourna. Puis il sortit de là et fortifia Penuel.

1 Rois 12, 26 Jéroboam se dit en lui-même: "Comme sont les choses, le royaume va retourner à la maison de David.

1 Rois 12, 27 Si ce peuple continue de monter au Temple de Yahvé à Jérusalem pour offrir des sacrifices, le coeur du peuple reviendra à son seigneur, Roboam, roi de Juda, et on me tuera."

1 Rois 12, 28 Après avoir délibéré, il fit deux veaux d'or et dit au peuple: "Assez longtemps vous êtes montés à Jérusalem! Israël, voici ton Dieu qui t'a fait monter du pays d'Egypte."

1 Rois 12, 29 Il dressa l'un à Béthel,

1 Rois 12, 30 et le peuple alla en procession devant l'autre jusqu'à Dan.

1 Rois 12, 31 Il établit le temple des hauts lieux et il institua des prêtres pris du commun, qui n'étaient pas fils de Lévi.

1 Rois 12, 32 Jéroboam célébra une fête le huitième mois, le quinzième jour du mois, comme la fête qu'on célébrait en Juda, et il monta à l'autel. Voilà comme il a agi à Béthel, sacrifiant aux veaux qu'il avait faits, et il établit à Béthel les prêtres des hauts lieux, qu'il avait institués.

1 Rois 12, 33 Il monta à l'autel qu'il avait fait, le quinzième jour du huitième mois, le mois qu'il avait arbitrairement choisi; il institua une fête pour les Israélites et il monta à l'autel pour offrir le sacrifice.

1 Rois 13, 1 Sur l'ordre de Yahvé, un homme de Dieu arriva de Juda à Béthel, au moment où Jéroboam se tenait près de l'autel pour offrir le sacrifice,

1 Rois 13, 2 et, par ordre de Yahvé, il lança contre l'autel cette proclamation: "Autel, autel! ainsi parle Yahvé: Voici qu'il naîtra à la maison de David un fils nommé Josias, il immolera sur toi les prêtres des hauts lieux qui ont offert sur toi des sacrifices, et il brûlera sur toi des ossements humains."

1 Rois 13, 3 Il donna en même temps un signe: "Tel est le signe que Yahvé a parlé: Voici que l'autel va se fendre et que se répandra la cendre qui est sur lui."

1 Rois 13, 4 Quand le roi entendit ce que l'homme de Dieu disait contre l'autel de Béthel, il étendit la main hors de l'autel, en disant: "Saisissez-le!" mais la main qu'il avait tendue contre l'homme sécha, en sorte qu'il ne pouvait plus la ramener à lui,

1 Rois 13, 5 l'autel se fendit et les cendres coulèrent de l'autel, selon le signe qu'avait donné l'homme de Dieu, par ordre de Yahvé.

1 Rois 13, 6 Le roi reprit et dit à l'homme de Dieu: "Apaise, je t'en supplie, Yahvé ton Dieu, afin que ma main puisse revenir à moi." L'homme de Dieu apaisa Yahvé, la main du roi revint à lui et fut comme auparavant.

1 Rois 13, 7 Le roi dit à l'homme de Dieu: "Viens avec moi à la maison pour te réconforter, et je te ferai un cadeau."

1 Rois 13, 8 Mais l'homme de Dieu dit au roi: "Quand tu me donnerais la moitié de ta maison, je n'irais pas avec toi. Je ne mangerai ni ne boirai rien en ce lieu,

1 Rois 13, 9 car j'ai reçu ce commandement de Yahvé: Tu ne mangeras ni ne boiras rien et tu ne reviendras pas par le même chemin."

1 Rois 13, 10 Et il s'en alla par un autre chemin, sans reprendre le chemin par où il était venu à Béthel.

1 Rois 13, 11 Or habitait à Béthel un vieux prophète, et ses fils vinrent lui raconter tout ce qu'avait fait, ce jour-là, l'homme de Dieu à Béthel; les paroles qu'il avait dites au roi, ils les racontèrent aussi à leur père.

1 Rois 13, 12 Celui-ci leur demanda: "Quel chemin a-t-il pris?" Et ses fils lui montrèrent le chemin qu'avait pris l'homme de Dieu qui était venu de Juda.

1 Rois 13, 13 Il dit à ses fils: "Sellez-moi l'âne"; ils lui sellèrent l'âne et il l'enfourcha.

1 Rois 13, 14 Il poursuivit l'homme de Dieu et le trouva assis sous le térébinthe; il lui demanda: "Es-tu l'homme de Dieu venu de Juda?" Et il répondit: "Oui."

1 Rois 13, 15 Le prophète lui dit: "Viens avec moi à la maison pour manger quelque chose."

1 Rois 13, 16 Mais il répondit: "Je ne dois pas revenir avec toi, ni rien manger ou rien boire ici,

1 Rois 13, 17 car j'ai reçu cet ordre de Yahvé: Tu ne mangeras ni ne boiras rien là-bas, et tu ne retourneras pas par le chemin où tu seras allé."

1 Rois 13, 18 Alors l'autre lui dit: "Moi aussi je suis un prophète comme toi, et un ange m'a dit ceci, par ordre de Yahvé: Ramène-le avec toi à la maison pour qu'il mange et qu'il boive"; il lui mentait.

1 Rois 13, 19 L'homme de Dieu revint donc avec lui, il mangea dans sa maison et il but.

1 Rois 13, 20 Or, comme ils étaient assis à table, une parole de Yahvé arriva au prophète qui l'avait ramené

1 Rois 13, 21 et celui-ci interpella l'homme de Dieu venu de Juda: "Ainsi parle Yahvé. Parce que tu as été rebelle à l'ordre de Yahvé et n'as pas observé le commandement que t'avait fait Yahvé ton Dieu,

1 Rois 13, 22 que tu es revenu, que tu as mangé et bu au lieu où il t'avait dit de ne pas manger ni boire, ton cadavre n'entrera pas dans le sépulcre de tes pères."

1 Rois 13, 23 Après qu'il eut mangé et bu, le prophète lui sella l'âne, il s'en retourna et partit.

1 Rois 13, 24 Un lion le trouva sur le chemin et le tua; son cadavre resta étendu sur le chemin, l'âne se tenait près de lui, le lion aussi se tenait près du cadavre.

1 Rois 13, 25 Des gens passèrent, qui virent le cadavre étendu sur le chemin et le lion se tenant près du cadavre, et ils vinrent le dire à la ville où habitait le vieux prophète.

1 Rois 13, 26 Quand le prophète qui lui avait fait rebrousser chemin apprit cela, il dit: "C'est l'homme de Dieu qui a été rebelle à l'ordre de Yahvé! Et Yahvé l'a livré au lion, qui l'a abattu et tué, selon la parole que Yahvé lui avait dite!"

1 Rois 13, 27 Il dit à ses fils: "Sellez-moi l'âne", et ils le sellèrent.

1 Rois 13, 28 Il partit et trouva son cadavre étendu sur le chemin, l'âne et le lion se tenant à côté du cadavre; le lion n'avait pas dévoré le cadavre ni brisé l'échine de l'âne.

1 Rois 13, 29 Il releva le cadavre de l'homme de Dieu et le mit sur l'âne, et il le ramena à la ville où il habitait pour faire le deuil et l'ensevelir.

1 Rois 13, 30 Il déposa le cadavre dans son propre sépulcre et on fit le deuil sur lui: "Hélas, mon frère!"

1 Rois 13, 31 Après qu'il l'eut enseveli, il parla ainsi à ses fils: "Après ma mort, vous m'ensevelirez dans le même sépulcre que l'homme de Dieu; déposez mes os à côté des siens.

1 Rois 13, 32 Car elle s'accomplira vraiment la parole qu'il a prononcée par ordre de Yahvé contre l'autel de Béthel, et contre tous les sanctuaires des hauts lieux qui sont dans les villes de Samarie."

1 Rois 13, 33 Après cet événement, Jéroboam ne se convertit pas de sa mauvaise conduite, mais il continua d'instituer prêtres des hauts lieux des gens pris du commun: à qui le voulait il donnait l'investiture pour devenir prêtre des hauts lieux.

1 Rois 13, 34 Cette conduite fit tomber dans le péché la maison de Jéroboam et motiva sa ruine et son extermination de la face de la terre.

1 Rois 14, 1 En ce temps-là, le fils de Jéroboam, Abiyya, tomba malade,

1 Rois 14, 2 et Jéroboam dit à sa femme: "Lève-toi, je te prie, déguise-toi pour qu'on ne reconnaisse pas que tu es la femme de Jéroboam et va à Silo. Il y a là le prophète Ahiyya: c'est lui qui a prédit que je régnerais sur ce peuple.

1 Rois 14, 3 Prends avec toi dix pains, des friandises et un pot de miel, et va vers lui: il t'apprendra ce qui doit arriver à l'enfant."

1 Rois 14, 4 Ainsi fit la femme de Jéroboam: elle se leva, alla à Silo et entra chez Ahiyya. Or celui-ci ne pouvait pas voir, ayant le regard fixe à cause de son grand âge,

1 Rois 14, 5 mais Yahvé lui avait dit: "Voici que la femme de Jéroboam vient solliciter de toi un oracle pour son fils, car il est malade; tu lui parleras de telle et telle manière. Elle viendra en se donnant pour une autre."

1 Rois 14, 6 Dès qu'Ahiyya entendit le bruit de ses pas à la porte, il dit: "Entre, femme de Jéroboam. Pourquoi donc te donner pour une autre, quand j'ai un dur message pour toi?

1 Rois 14, 7 Va dire à Jéroboam: Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël: Je t'ai tiré du milieu du peuple et t'ai établi comme chef sur mon peuple Israël,

1 Rois 14, 8 j'ai arraché le royaume à la maison de David et je te l'ai donné. Mais tu n'as pas été comme mon serviteur David qui a observé mes commandements et qui m'a suivi de tout son coeur, ne faisant que ce qui me plaît;

1 Rois 14, 9 tu as agi plus mal que tous tes prédécesseurs, tu es allé te fabriquer d'autres dieux, des idoles fondues, pour mon irritation, et tu m'as jeté derrière ton dos.

1 Rois 14, 10 C'est pourquoi je vais faire venir le malheur sur la maison de Jéroboam, j'exterminerai tous les mâles de la famille de Jéroboam, liés ou libres en Israël, je balayerai la maison de Jéroboam comme on balaye complètement l'ordure.

1 Rois 14, 11 Ceux de la famille de Jéroboam qui mourront dans la ville seront mangés par les chiens, et ceux qui mourront dans la campagne seront mangés par les oiseaux du ciel, car Yahvé a parlé.

1 Rois 14, 12 Pour toi, lève-toi et va chez toi: au moment où tes pieds entreront dans la ville, l'enfant mourra.

1 Rois 14, 13 Tout Israël fera son deuil et on l'ensevelira. En effet ce sera le seul de la famille de Jéroboam qui sera mis dans un sépulcre, car en lui seul se sera trouvé quelque chose d'agréable à Yahvé, Dieu d'Israël, dans la maison de Jéroboam.

1 Rois 14, 14 Yahvé établira un roi sur Israël qui exterminera la maison de Jéroboam.

1 Rois 14, 15 Yahvé fera vaciller Israël comme dans l'eau vacille le roseau, il arrachera Israël de ce bon pays qu'il a donné à ses pères et le dispersera de l'autre côté du Fleuve, parce qu'ils ont fait leurs pieux sacrés pour l'irritation de Yahvé.

1 Rois 14, 16 Il abandonnera Israël à cause des péchés que Jéroboam a commis et qu'il a fait commettre à Israël."

1 Rois 14, 17 La femme de Jéroboam se leva et partit. Elle arriva à Tirça et, lorsqu'elle franchit le seuil de la maison, l'enfant était déjà mort.

1 Rois 14, 18 On l'ensevelit et tout Israël fit son deuil, comme avait dit Yahvé, par le ministère de son serviteur le prophète Ahiyya.

1 Rois 14, 19 Le reste de l'histoire de Jéroboam, comment il guerroya et régna, cela est écrit au livre des Annales des rois d'Israël.

1 Rois 14, 20 La durée du règne de Jéroboam fut de 22 années, puis il se coucha avec ses pères et son fils Nadab régna à sa place.

1 Rois 14, 21 Roboam fils de Salomon devint roi sur Juda; il avait 41 ans à son avènement et régna dix-sept ans à Jérusalem, la ville que, dans toutes les tribus d'Israël, Yahvé avait choisie pour y placer son Nom. Sa mère s'appelait Naama, l'Ammonite.

1 Rois 14, 22 Il fit ce qui déplaît à Yahvé: il irrita sa jalousie plus que n'avaient fait ses pères avec tous les péchés qu'ils avaient commis,

1 Rois 14, 23 eux qui s'étaient construit des hauts lieux, avaient dressé des stèles et des pieux sacrés sur toute colline élevée et sous tout arbre verdoyant.

1 Rois 14, 24 Même il y eut des prostitués sacrés dans le pays. Il imita les ignominies des nations que Yahvé avait chassées devant les enfants d'Israël.

1 Rois 14, 25 La cinquième année du roi Roboam, le roi d'Egypte, Sheshonq, marcha contre Jérusalem.

1 Rois 14, 26 Il se fit livrer les trésors du Temple de Yahvé et ceux du palais royal, absolument tout, jusqu'à tous les boucliers d'or qu'avait faits Salomon.

1 Rois 14, 27 A leur place, le roi Roboam fit des boucliers de bronze et les confia aux chefs des gardes, qui veillaient à la porte du palais royal.

1 Rois 14, 28 Chaque fois que le roi allait au Temple de Yahvé, les gardes les prenaient puis il les rapportaient à la salle des gardes.

1 Rois 14, 29 Le reste de l'histoire de Roboam, tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

1 Rois 14, 30 Il y eut tout le temps guerre entre Roboam et Jéroboam.

1 Rois 14, 31 Roboam se coucha avec ses pères et on l'enterra dans la Cité de David. Son fils Abiyyam régna à sa place.

1 Rois 15, 1 La dix-huitième année du roi Jéroboam fils de Nebat, Abiyyam devint roi de Juda

1 Rois 15, 2 et régna trois ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Maaka, fille d'Absalom.

1 Rois 15, 3 Il imita les péchés que son père avait commis avant lui et son coeur ne fut pas tout entier à Yahvé son Dieu comme le coeur de son ancêtre David.

1 Rois 15, 4 Pourtant, en considération de David, Yahvé son Dieu lui donna une lampe à Jérusalem, en maintenant son fils après lui et en épargnant Jérusalem.

1 Rois 15, 5 En effet David avait fait ce qui est juste aux yeux de Yahvé et il ne s'était dérobé à rien de ce qu'il lui avait ordonné durant toute sa vie (sauf dans l'histoire d'Urie le Hittite).

1 Rois 15, 7 Le reste de l'histoire d'Abiyyam, tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda? Il y eut guerre entre Abiyyam et Jéroboam.

1 Rois 15, 8 Puis Abiyyam se coucha avec ses pères et on l'enterra dans la Cité de David; son fils Asa régna à sa place.

1 Rois 15, 9 La vingtième année de Jéroboam, roi d'Israël, Asa devint roi de Juda

1 Rois 15, 10 et régna 41 ans à Jérusalem; sa grand-mère s'appelait Maaka, fille d'Absalom.

1 Rois 15, 11 Asa fit ce qui est juste aux yeux de Yahvé, comme son ancêtre David.

1 Rois 15, 12 Il expulsa du pays les prostitués sacrés et supprima toutes les idoles que ses pères avaient faites.

1 Rois 15, 13 Même il enleva à sa grand-mère la dignité de Grande Dame, parce qu'elle avait fait une horreur pour Ashéra; Asa abattit son horreur et la brûla dans la vallée du Cédron.

1 Rois 15, 14 Les hauts lieux ne disparurent pas; pourtant le coeur d'Asa fut tout entier à Yahvé pendant toute sa vie.

1 Rois 15, 15 Il déposa dans le Temple de Yahvé les offrandes consacrées par son père et ses propres offrandes, de l'argent, de l'or et du mobilier.

1 Rois 15, 16 Il y eut guerre entre Asa et Basha, roi d'Israël, tant qu'ils vécurent.

1 Rois 15, 17 Basha, roi d'Israël, marcha contre Juda et il fortifia Rama pour bloquer les communications d'Asa, roi de Juda.

1 Rois 15, 18 Alors Asa prit l'argent et l'or qui restaient dans les trésors du Temple de Yahvé et ceux du palais royal. Il les remit à ses serviteurs et envoya ceux-ci vers Ben-Hadad fils de Tabrimmôn fils de Hèzyôn, le roi d'Aram qui résidait à Damas, avec ce message:

1 Rois 15, 19 "Alliance entre moi et toi, entre mon père et ton père! Je t'envoie un présent d'argent et d'or: va, romps ton alliance avec Basha, roi d'Israël, pour qu'il s'éloigne de moi!"

1 Rois 15, 20 Ben-Hadad exauça le roi Asa et envoya ses chefs d'armée contre les villes d'Israël; il conquit Iyyôn, Dan, Abel-Bet-Maaka, tout Kinnerot et même tout le pays de Nephtali.

1 Rois 15, 21 Quand Basha l'apprit, il arrêta les travaux à Rama et retourna à Tirça.

1 Rois 15, 22 Le roi Asa convoqua tout Juda, sans exemption pour personne; on enleva les pierres et le bois avec lesquels Basha fortifiait Rama et le roi en fortifia Géba de Benjamin et Miçpa.

1 Rois 15, 23 Le reste de l'histoire d'Asa, toute sa vaillance et tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda? Seulement, au temps de sa vieillesse, il eut les pieds malades.

1 Rois 15, 24 Asa se coucha avec ses pères et on l'enterra dans la Cité de David, son ancêtre. Son fils Josaphat régna à sa place.

1 Rois 15, 25 Nadab, fils de Jéroboam, devint roi d'Israël, en la deuxième année d'Asa, roi de Juda, et régna deux ans sur Israël.

1 Rois 15, 26 Il fit ce qui déplaît à Yahvé: il imita la conduite de son père et le péché où celui-ci avait entraîné Israël.

1 Rois 15, 27 Basha fils d'Ahiyya, de la maison d'Issachar, conspira contre lui et l'assassina à Gibbetôn, ville philistine qu'assiégeaient Nadab et tout Israël.

1 Rois 15, 28 Basha le fit périr dans la troisième année d'Asa, roi de Juda, et régna à sa place.

1 Rois 15, 29 Devenu roi, il massacra toute la maison de Jéroboam sans épargner personne, jusqu'à l'extermination, selon la parole que Yahvé avait dite par le ministère de son serviteur Ahiyya de Silo,

1 Rois 15, 30 pour les péchés qu'il avait commis et où il avait entraîné Israël et pour l'irritation qu'il avait causée à Yahvé Dieu d'Israël.

1 Rois 15, 31 Le reste de l'histoire de Nadab, et tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

1 Rois 15, 33 La troisième année d'Asa, roi de Juda, Basha, fils d'Ahiyya, devint roi sur Israël à Tirça, pour 24 ans.

1 Rois 15, 34 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, et il imita la conduite de Jéroboam et le péché où il avait entraîné Israël.

1 Rois 16, 1 La parole de Yahvé fut adressée à Jéhu, fils de Hanani, contre Basha, en ces termes:

1 Rois 16, 2 "Je t'ai tiré de la poussière et je t'ai établi chef sur mon peuple Israël, mais tu as imité la conduite de Jéroboam et tu as fait commettre à mon peuple Israël des péchés qui m'irritent.

1 Rois 16, 3 Aussi vais-je balayer Basha et sa maison: je rendrai ta maison pareille à celle de Jéroboam fils de Nebat.

1 Rois 16, 4 Celui de la famille de Basha qui mourra dans la ville, les chiens le mangeront, et celui qui mourra dans la campagne, les oiseaux du ciel le mangeront."

1 Rois 16, 5 Le reste de l'histoire de Basha, ce qu'il a fait et ses exploits, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

1 Rois 16, 6 Basha se coucha avec ses pères et on l'enterra à Tirça. Son fils Ela régna à sa place.

1 Rois 16, 7 De plus, par le ministère du prophète Jéhu fils de Hanani, la parole de Yahvé fut transmise à Basha et à sa maison, d'une part à cause de tout le mal qu'il fit au regard de Yahvé, en l'irritant par ses oeuvres, pour devenir comme la maison de Jéroboam, d'autre part, parce qu'il extermina celle-ci.

1 Rois 16, 8 La vingt-sixième année d'Asa, roi de Juda, Ela fils de Basha devint roi sur Israël à Tirça, pour deux ans.

1 Rois 16, 9 Son officier Zimri, chef de la moitié des chars, conspira contre lui. Comme il était dans Tirça, buvant à s'enivrer dans la maison d'Arça, maître du palais à Tirça,

1 Rois 16, 10 Zimri entra, le frappa et le tua, en la vingt-septième année d'Asa roi de Juda, puis il régna à sa place.

1 Rois 16, 11 A son avènement, dès qu'il fut assis sur le trône, il massacra toute la famille de Basha, sans lui laisser aucun mâle, et aussi ses parents et son familier.

1 Rois 16, 12 Zimri extermina toute la maison de Basha, selon la parole que Yahvé avait prononcée contre Basha, par le ministère du prophète Jéhu,

1 Rois 16, 13 pour tous les péchés de Basha et ceux d'Ela, son fils, où ils avaient entraîné Israël, irritant Yahvé, Dieu d'Israël, par leurs vaines idoles.

1 Rois 16, 14 Le reste de l'histoire d'Ela, et tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

1 Rois 16, 15 La vingt-septième année d'Asa, roi de Juda, Zimri devint roi, pour sept jours, à Tirça. Le peuple campait alors devant Gibbetôn qui appartient aux Philistins.

1 Rois 16, 16 Lorsque le bivouac reçut cette nouvelle: "Zimri a conspiré, il a même tué le roi!" tout Israël, le jour même, dans le camp, proclama roi sur Israël Omri, le chef de l'armée.

1 Rois 16, 17 Omri et tout Israël avec lui levèrent le siège de Gibbetôn et vinrent bloquer Tirça.

1 Rois 16, 18 Quand Zimri vit que la ville était prise, il entra dans le donjon du palais royal, brûla sur lui le palais et périt.

1 Rois 16, 19 Ce fut pour le péché qu'il commit en faisant ce qui déplaît à Yahvé, en imitant la conduite de Jéroboam et le péché où il avait entraîné Israël.

1 Rois 16, 20 Le reste de l'histoire de Zimri et la conspiration qu'il ourdit, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

1 Rois 16, 21 Alors le peuple d'Israël se divisa: une moitié se rallia à Tibni fils de Ginat, pour le faire roi, l'autre moitié à Omri.

1 Rois 16, 22 Mais le parti d'Omri l'emporta sur celui de Tibni fils de Ginat; Tibni mourut et Omri devint roi.

1 Rois 16, 23 La trente et unième année d'Asa, roi de Juda, Omri devint roi sur Israël, pour douze ans. Il régna six années à Tirça.

1 Rois 16, 24 Puis il acquit de Shémer le mont Samarie pour deux talents d'argent; il y construisit une ville que, d'après le nom de Shémer, possesseur de la montagne, il nomma Samarie.

1 Rois 16, 25 Omri fit ce qui déplaît à Yahvé et fut pire que tous ses devanciers.

1 Rois 16, 26 Il imita en tout la conduite de Jéroboam fils de Nebat et les péchés où il avait entraîné Israël, irritant Yahvé, Dieu d'Israël, par leurs vaines idoles.

1 Rois 16, 27 Le reste de l'histoire d'Omri, ce qu'il a fait et ses exploits, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

1 Rois 16, 28 Omri se coucha avec ses pères et on l'enterra à Samarie. Son fils Achab régna à sa place.

1 Rois 16, 29 Achab fils d'Omri devint roi sur Israël en la trente-huitième année d'Asa, roi de Juda, et il régna 22 ans sur Israël à Samarie.

1 Rois 16, 30 Achab fils d'Omri fit ce qui déplaît à Yahvé et fut pire que tous ses devanciers.

1 Rois 16, 31 La moindre chose fut qu'il imita les péchés de Jéroboam fils de Nebat: il prit pour femme Jézabel, fille d'Ittobaal, roi des Sidoniens, et se mit à servir Baal et à se prosterner devant lui;

1 Rois 16, 32 il lui dressa un autel dans le temple de Baal qu'il construisit à Samarie.

1 Rois 16, 33 Achab installa aussi le pieu sacré et fit encore d'autres offenses, irritant Yahvé, Dieu d'Israël, plus que tous les rois d'Israël qui avaient été avant lui.

1 Rois 16, 34 De son temps, Hiel de Béthel rebâtit Jéricho; au prix de son premier-né Abiram il en établit le fondement et au prix de son dernier-né Segub il en posa les portes, selon la parole que Yahvé avait dite par le ministère de Josué, fils de Nûn.

1 Rois 17, 1 Elie le Tishbite, de Tishbé en Galaad, dit à Achab: "Par Yahvé vivant, le Dieu d'Israël que je sers, il n'y aura ces années-ci ni rosée ni pluie sauf à mon commandement."

1 Rois 17, 2 La parole de Yahvé lui fut adressée en ces termes:

1 Rois 17, 3 "Va-t'en d'ici, dirige-toi vers l'orient et cache-toi au torrent de Kerit, qui est à l'est du Jourdain.

1 Rois 17, 4 Tu boiras au torrent et j'ordonne aux corbeaux de te donner à manger là-bas."

1 Rois 17, 5 Il partit donc et il fit comme Yahvé avait dit et alla s'établir au torrent de Kerit, à l'est du Jourdain.

1 Rois 17, 6 Les corbeaux lui apportaient du pain le matin et de la viande le soir, et il buvait au torrent.

1 Rois 17, 7 Mais il arriva au bout d'un certain temps que le torrent sécha, car il n'y avait pas eu de pluie dans le pays.

1 Rois 17, 8 Alors la parole de Yahvé lui fut adressée en ces termes:

1 Rois 17, 9 "Lève-toi et va à Sarepta, qui appartient à Sidon, et tu y demeureras. Voici que j'ordonne là-bas à une veuve de te donner à manger."

1 Rois 17, 10 Il se leva et alla à Sarepta. Comme il arrivait à l'entrée de la ville, il y avait là une veuve qui ramassait du bois; il l'interpella et lui dit: "Apporte-moi donc un peu d'eau dans la cruche, que je boive!"

1 Rois 17, 11 Comme elle allait la chercher, il lui cria: "Apporte-moi donc un morceau de pain dans ta main!"

1 Rois 17, 12 Elle répondit: "Par Yahvé vivant, ton Dieu! je n'ai pas de pain cuit; je n'ai qu'une poignée de farine dans une jarre et un peu d'huile dans une cruche, je suis à ramasser deux bouts de bois, je vais préparer cela pour moi et mon fils, nous mangerons et nous mourrons."

1 Rois 17, 13 Mais Elie lui dit: "Ne crains rien, va faire comme tu dis; seulement, prépare-m'en d'abord une petite galette, que tu m'apporteras: tu en feras ensuite pour toi et ton fils.

1 Rois 17, 14 Car ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël: Jarre de farine ne s'épuisera, cruche d'huile ne se videra, jusqu'au jour où Yahvé enverra la pluie sur la face de la terre."

1 Rois 17, 15 Elle alla et fit comme avait dit Elie, et ils mangèrent, elle, lui et son fils.

1 Rois 17, 16 La jarre de farine ne s'épuisa pas et la cruche d'huile ne se vida pas, selon la parole que Yahvé avait dite par le ministère d'Elie.

1 Rois 17, 17 Après ces événements, il arriva que le fils de la maîtresse de maison tomba malade, et sa maladie fut si violente qu'enfin il expira.

1 Rois 17, 18 Alors elle dit à Elie: "Qu'ai-je à faire avec toi, homme de Dieu? Tu es donc venu chez moi pour rappeler mes fautes et faire mourir mon fils!"

1 Rois 17, 19 Il lui dit: "Donne-moi ton fils"; il l'enleva de son sein, le monta dans la chambre haute où il habitait et le coucha sur son lit.

1 Rois 17, 20 Puis il invoqua Yahvé et dit: "Yahvé, mon Dieu, veux-tu donc aussi du mal à la veuve qui m'héberge, pour que tu fasses mourir son fils?"

1 Rois 17, 21 Il s'étendit trois fois sur l'enfant et il invoqua Yahvé: "Yahvé, mon Dieu, je t'en prie, fais revenir en lui l'âme de cet enfant!"

1 Rois 17, 22 Yahvé exauça l'appel d'Elie, l'âme de l'enfant revint en lui et il reprit vie.

1 Rois 17, 23 Elie le prit, le descendit de la chambre haute dans la maison et le remit à sa mère; et Elie dit: "Voici, ton fils est vivant."

1 Rois 17, 24 La femme lui répondit: "Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu et que la parole de Yahvé dans ta bouche est vérité!"

1 Rois 18, 1 Il se passa longtemps et la parole de Yahvé fut adressée à Elie, la troisième année, en ces termes: "Va te montrer à Achab, je vais envoyer la pluie sur la face de la terre."

1 Rois 18, 2 Et Elie partit pour se montrer à Achab. Comme la famine s'était aggravée à Samarie,

1 Rois 18, 3 Achab fit appeler Obadyahu, le maître du palais -- cet Obadyahu craignait beaucoup Yahvé:

1 Rois 18, 4 Lorsque Jézabel massacra les prophètes de Yahvé, il prit cent prophètes et les cacha 50 à la fois dans une grotte, où il les ravitaillait de pain et d'eau --

1 Rois 18, 5 et Achab dit à Obadyahu: "Viens! Nous allons parcourir le pays, vers toutes les sources et tous les torrents; peut-être trouverons-nous de l'herbe pour maintenir en vie chevaux et mulets et ne pas abattre de bétail."

1 Rois 18, 6 Ils se partagèrent le pays pour le parcourir: Achab partit seul par un chemin et Obadyahu partit seul par un autre chemin.

1 Rois 18, 7 Comme celui-ci était en route, voici qu'il rencontra Elie; il le reconnut et se prosterna face contre terre en disant: "Te voilà donc, Monseigneur Elie!"

1 Rois 18, 8 Il lui répondit: "Me voilà! Va dire à ton maître: Voici Elie."

1 Rois 18, 9 Mais l'autre dit: "Quel péché ai-je commis, que tu livres ton serviteur aux mains d'Achab, pour me faire mourir?

1 Rois 18, 10 Par Yahvé vivant, ton Dieu! il n'y a pas de nation ni de royaume où mon maître n'ait envoyé te chercher, et quand on eut répondu: Il n'est pas là, il a fait jurer le royaume et la nation qu'on ne t'avait pas trouvé.

1 Rois 18, 11 Et maintenant tu ordonnes: Va dire à ton maître: voici Elie,

1 Rois 18, 12 mais quand je t'aurai quitté, l'Esprit de Yahvé t'emportera je ne sais où, je viendrai informer Achab, il ne te trouvera pas et il me tuera! Pourtant ton serviteur craint Yahvé depuis sa jeunesse.

1 Rois 18, 13 N'a-t-on pas appris à Monseigneur ce que j'ai fait quand Jézabel a massacré les prophètes de Yahvé? J'ai caché cent des prophètes de Yahvé, 50 à la fois, dans une grotte, et je les ai ravitaillés de pain et d'eau.

1 Rois 18, 14 Et maintenant, tu ordonnes: Va dire à ton maître: voici Elie. Mais il me tuera!"

1 Rois 18, 15 Elie lui répondit: "Aussi vrai que vit Yahvé Sabaot que je sers, aujourd'hui même je me montrerai à lui."

1 Rois 18, 16 Obadyahu partit à la rencontre d'Achab et lui annonça la chose; et Achab alla au-devant d'Elie.

1 Rois 18, 17 Dès qu'il vit Elie, Achab lui dit: "Te voilà, toi, le fléau d'Israël!"

1 Rois 18, 18 Elie répondit: "Ce n'est pas moi qui suis le fléau d'Israël, mais c'est toi et ta famille, parce que vous avez abandonné Yahvé et que tu as suivi les Baals.

1 Rois 18, 19 Maintenant, envoie rassembler tout Israël près de moi sur le mont Carmel, avec les 450 prophètes de Baal, qui mangent à la table de Jézabel."

1 Rois 18, 20 Achab convoqua tout Israël et rassembla les prophètes sur le mont Carmel.

1 Rois 18, 21 Elie s'approcha de tout le peuple et dit: "Jusqu'à quand clocherez-vous des deux jarrets? Si Yahvé est Dieu, suivez-le; si c'est Baal, suivez-le." Et le peuple ne put rien lui répondre.

1 Rois 18, 22 Elie poursuivit: "Moi, je reste seul comme prophète de Yahvé, et les prophètes de Baal sont 450.

1 Rois 18, 23 Donnez-nous deux jeunes taureaux; qu'ils en choisissent un pour eux, qu'ils le dépècent et le placent sur le bois, mais qu'ils n'y mettent pas le feu. Moi, je préparerai l'autre taureau et je n'y mettrai pas le feu.

1 Rois 18, 24 Vous invoquerez le nom de votre dieu et moi, j'invoquerai le nom de Yahvé: le dieu qui répondra par le feu, c'est lui qui est Dieu." Tout le peuple répondit: "C'est bien."

1 Rois 18, 25 Elie dit alors aux prophètes de Baal: "Choisissez-vous un taureau et commencez, car vous êtes les plus nombreux. Invoquez le nom de votre dieu, mais ne mettez pas le feu."

1 Rois 18, 26 Ils prirent le taureau et le préparèrent, et ils invoquèrent le nom de Baal, depuis le matin jusqu'à midi, en disant: "O Baal, réponds-nous!" Mais il n'y eut ni voix ni réponse; et ils dansaient en pliant le genou devant l'autel qu'ils avaient fait.

1 Rois 18, 27 A midi, Elie se moqua d'eux et dit: "Criez plus fort, car c'est un dieu: il a des soucis ou des affaires, ou bien il est en voyage; peut-être il dort et il se réveillera!"

1 Rois 18, 28 Ils crièrent plus fort et ils se tailladèrent, selon leur coutume, avec des épées et des lances jusqu'à l'effusion du sang.

1 Rois 18, 29 Quand midi fut passé, ils se mirent à vaticiner jusqu'à l'heure de la présentation de l'offrande, mais il n'y eut aucune voix, ni réponse, ni signe d'attention.

1 Rois 18, 30 Alors Elie dit à tout le peuple: "Approchez-vous de moi"; et tout le peuple s'approcha de lui. Il répara l'autel de Yahvé qui avait été démoli.

1 Rois 18, 31 Elie prit douze pierres, selon le nombre des tribus des fils de Jacob, à qui Dieu s'était adressé en disant: "Ton nom sera Israël",

1 Rois 18, 32 et il construisit un autel au nom de Yahvé. Il fit un canal d'une contenance de deux boisseaux de semence autour de l'autel.

1 Rois 18, 33 Il disposa le bois, dépeça le taureau et le plaça sur le bois.

1 Rois 18, 34 Puis il dit: "Emplissez quatre jarres d'eau et versez-les sur l'holocauste et sur le bois", et il firent ainsi; il dit: "Doublez", et ils doublèrent; il dit: "Triplez", et ils triplèrent.

1 Rois 18, 35 L'eau se répandit autour de l'autel et même le canal fut rempli d'eau.

1 Rois 18, 36 A l'heure où l'on présente l'offrande, Elie le prophète s'approcha et dit: "Yahvé, Dieu d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, qu'on sache aujourd'hui que tu es Dieu en Israël, que je suis ton serviteur et que c'est par ton ordre que j'ai accompli toutes ces choses.

1 Rois 18, 37 Réponds-moi, Yahvé, réponds-moi, pour que ce peuple sache que c'est toi, Yahvé, qui es Dieu et qui convertis leur coeur!"

1 Rois 18, 38 Et le feu de Yahvé tomba et dévora l'holocauste et le bois, et il absorba l'eau qui était dans le canal.

1 Rois 18, 39 Tout le peuple le vit; les gens tombèrent la face contre terre et dirent: "C'est Yahvé qui est Dieu! C'est Yahvé qui est Dieu!"

1 Rois 18, 40 Elie leur dit: "Saisissez les prophètes de Baal, que pas un d'eux n'échappe", et ils les saisirent. Elie les fit descendre près du torrent du Qishôn, et là il les égorgea.

1 Rois 18, 41 Elie dit à Achab: "Monte, mange et bois, car j'entends le grondement de la pluie."

1 Rois 18, 42 Pendant qu'Achab montait pour manger et boire, Elie monta vers le sommet du Carmel, il se courba vers la terre et mit son visage entre ses genoux.

1 Rois 18, 43 Il dit à son serviteur: "Monte donc, et regarde du côté de la mer." Il monta, regarda et dit: "Il n'y a rien du tout." Elie reprit: "Retourne sept fois."

1 Rois 18, 44 A la septième fois, le serviteur dit: "Voici un nuage, petit comme une main d'homme, qui monte de la mer." Alors Elie dit: "Monte dire à Achab: Attelle et descends, pour que la pluie ne t'arrête pas."

1 Rois 18, 45 Sur le coup, le ciel s'obscurcit de nuages et de tempête et il y eut une grosse pluie. Achab monta en char et partit pour Yizréel.

1 Rois 18, 46 La main de Yahvé fut sur Elie, il ceignit ses reins et courut devant Achab jusqu'à l'arrivée à Yizréel.

1 Rois 19, 1 Achab apprit à Jézabel tout ce qu'Elie avait fait et comment il avait massacré tous les prophètes par l'épée.

1 Rois 19, 2 Alors Jézabel envoya un messager à Elie avec ces paroles: "Que les dieux me fassent tel mal et y ajoutent tel autre, si demain à cette heure je ne fais pas de ta vie comme de la vie de l'un d'entre eux!"

1 Rois 19, 3 Il eut peur; il se leva et partit pour sauver sa vie. Il arriva à Bersabée qui est à Juda, et il laissa là son serviteur.

1 Rois 19, 4 Pour lui, il marcha dans le désert un jour de chemin et il alla s'asseoir sous un genêt. Il souhaita de mourir et dit: "C'en est assez maintenant, Yahvé! Prends ma vie, car je suis pas meilleur que mes pères."

1 Rois 19, 5 Il se coucha et s'endormit. Mais voici qu'un ange le toucha et lui dit: "Lève-toi et mange."

1 Rois 19, 6 Il regarda et voici qu'il y avait à son chevet une galette cuite sur les pierres chauffées et une gourde d'eau. Il mangea et but, puis il se recoucha.

1 Rois 19, 7 Mais l'ange de Yahvé revint une seconde fois, le toucha et dit: "Lève-toi et mange, autrement le chemin sera trop long pour toi."

1 Rois 19, 8 Il se leva, mangea et but, puis soutenu par cette nourriture il marcha 40 jours et 40 nuits jusqu'à la montagne de Dieu, l'Horeb.

1 Rois 19, 9 Là, il entra dans la grotte et il y resta pour la nuit. Voici que la parole de Yahvé lui fut adressée, lui disant: "Que fais-tu ici, Elie?"

1 Rois 19, 10 Il répondit: "Je suis rempli d'un zèle jaloux pour Yahvé Sabaot, parce que les Israélites ont abandonné ton alliance, qu'ils ont abattu tes autels et tué tes prophètes par l'épée. Je suis resté moi seul et ils cherchent à m'enlever la vie."

1 Rois 19, 11 Il lui fut dit: "Sors et tiens-toi dans la montagne devant Yahvé." Et voici que Yahvé passa. Il y eut un grand ouragan, si fort qu'il fendait les montagnes et brisait les rochers, en avant de Yahvé, mais Yahvé n'était pas dans l'ouragan; et après l'ouragan un tremblement de terre, mais Yahvé n'était pas dans le tremblement de terre;

1 Rois 19, 12 et après le tremblement de terre un feu, mais Yahvé n'était pas dans le feu; et après le feu, le bruit d'une brise légère.

1 Rois 19, 13 Dès qu'Elie l'entendit, il se voila le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l'entrée de la grotte. Alors une voix lui parvint, qui dit: "Que fais-tu ici, Elie?"

1 Rois 19, 14 Il répondit: "Je suis rempli d'un zèle jaloux pour Yahvé Sabaot, parce que les Israélites ont abandonné ton alliance, qu'ils ont abattu tes autels et tué tes prophètes par l'épée. Je suis resté moi seul, et ils cherchent à m'enlever la vie."

1 Rois 19, 15 Yahvé lui dit: "Va, retourne par le même chemin, vers le désert de Damas. Tu iras oindre Hazaël comme roi d'Aram.

1 Rois 19, 16 Tu oindras Jéhu fils de Nimshi comme roi d'Israël, et tu oindras Elisée fils de Shaphat, d'Abel-Mehola, comme prophète à ta place.

1 Rois 19, 17 Celui qui échappera à l'épée de Hazaël, Jéhu le fera mourir, et celui qui échappera à l'épée de Jéhu, Elisée le fera mourir.

1 Rois 19, 18 Mais j'épargnerai en Israël sept milliers, tous les genoux qui n'ont pas plié devant Baal et toutes les bouches qui ne l'ont pas baisé."

1 Rois 19, 19 Il partit de là et il trouva Elisée fils de Shaphat, tandis qu'il labourait avec douze paires de boeufs, lui-même étant à la douzième. Elie passa près de lui et jeta sur lui son manteau.

1 Rois 19, 20 Elisée abandonna ses boeufs, courut derrière Elie et dit: "Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, puis j'irai à ta suite." Elie lui répondit: "Va, retourne, que t'ai-je donc fait?"

1 Rois 19, 21 Elisée le quitta, prit la paire de boeufs et l'immola. Il se servit du harnais des boeufs pour les faire cuire, et donna à ses gens, qui mangèrent. Puis il se leva et suivit Elie comme son serviteur.

1 Rois 20, 1 Ben-Hadad, roi d'Aram, rassembla toute son armée -- il y avait avec lui 32 rois, des chevaux et des chars -- et il vint investir Samarie et lui donner l'assaut.

1 Rois 20, 2 Il envoya en ville des messagers à Achab, roi d'Israël,

1 Rois 20, 3 et lui fit dire: "Ainsi parle Ben-Hadad. Ton argent et ton or sont à moi, tes femmes et tes enfants restent à toi."

1 Rois 20, 4 Le roi d'Israël donna cette réponse: "A tes ordres, Monseigneur le roi! Je suis à toi avec tout ce qui m'appartient."

1 Rois 20, 5 Mais les messagers revinrent et dirent: "Ainsi parle Ben-Hadad. Je t'ai mandé: Donne-moi ton argent et ton or, tes femmes et tes enfants.

1 Rois 20, 6 Sois sûr que demain à pareille heure, je t'enverrai mes serviteurs, ils fouilleront ta maison et les maisons de tes serviteurs, ils mettront la main sur tout ce qui leur plaira et ils l'emporteront."

1 Rois 20, 7 Le roi d'Israël convoqua tous les anciens du pays et dit: "Reconnaissez clairement que celui-là nous veut du mal! Il me réclame mes femmes et mes enfants, pourtant je ne lui ai pas refusé mon argent et mon or."

1 Rois 20, 8 Tous les anciens et tout le peuple lui dirent: "N'obéis pas! ne consens pas!"

1 Rois 20, 9 Il donna donc cette réponse aux messagers de Ben-Hadad: "Dites à Monseigneur le roi: Tout ce que tu as demandé à ton serviteur la première fois, je le ferai; mais cette autre exigence, je ne puis la satisfaire." Et les messagers partirent, emportant la réponse.

1 Rois 20, 10 Alors Ben-Hadad lui envoya ce message: "Que les dieux me fassent tel mal et qu'ils y ajoutent encore tel autre, s'il y a assez de poignées de décombres à Samarie pour tout le peuple qui me suit!"

1 Rois 20, 11 Mais le roi d'Israël fit cette réponse: "Dites: Que celui qui boucle son ceinturon ne se glorifie pas comme celui qui le défait!"

1 Rois 20, 12 Lorsque Ben-Hadad apprit cela -- il était à boire avec les rois sous les tentes --, il commanda à ses serviteurs: "A vos postes!" et ils prirent leurs positions contre la ville.

1 Rois 20, 13 Alors un prophète vint trouver Achab, roi d'Israël, et dit: "Ainsi parle Yahvé. As-tu vu cette grande foule? Voici que je la livre aujourd'hui en ta main et tu reconnaîtras que je suis Yahvé."

1 Rois 20, 14 Achab dit: "Par qui?" Le prophète reprit: "Ainsi parle Yahvé: Par les cadets des chefs des districts." Achab demanda: "Qui engagera le combat?" Le prophète répondit: "Toi."

1 Rois 20, 15 Achab passa en revue les cadets des chefs des districts. Ils étaient 232. Après eux, il passa en revue toute l'armée, tous les Israélites, ils étaient 7.000.

1 Rois 20, 16 Ils firent une sortie à midi, alors que Ben-Hadad était à s'enivrer sous les tentes, lui et ces 32 rois, ses alliés.

1 Rois 20, 17 Les cadets des chefs des districts sortirent d'abord. On envoya dire à Ben-Hadad: "Des hommes sont sortis de Samarie."

1 Rois 20, 18 Il dit: "S'ils sont sortis pour la paix, prenez-les vivants, et s'ils sont sortis pour le combat, prenez-les vivants aussi!"

1 Rois 20, 19 Donc ceux-ci sortirent de la ville, les cadets des chefs des districts, puis l'armée derrière eux,

1 Rois 20, 20 et ils frappèrent chacun son homme. Aram s'enfuit et Israël le poursuivit; Ben-Hadad, roi d'Aram, se sauva sur un cheval d'attelage.

1 Rois 20, 21 Alors le roi d'Israël sortit; il prit les chevaux et les chars et infligea à Aram une grande défaite.

1 Rois 20, 22 Le prophète s'approcha du roi d'Israël et lui dit: "Allons! Prends courage et considère bien ce que tu dois faire, car au retour de l'année le roi d'Aram marchera contre toi."

1 Rois 20, 23 Les serviteurs du roi d'Aram lui dirent: "Leur Dieu est un Dieu des montagnes, c'est pourquoi ils l'ont emporté sur nous. Mais combattons-les dans le plat pays et sûrement nous l'emporterons sur eux.

1 Rois 20, 24 Fais donc ceci: destitue ces rois et mets des préfets à leur place.

1 Rois 20, 25 Pour toi, recrute une armée aussi grande que celle qui t'a abandonné, avec autant de chevaux et autant de chars; puis combattons-les dans le plat pays et sûrement nous l'emporterons sur eux." Il écouta leur avis et fit ainsi.

1 Rois 20, 26 Au retour de l'année, Ben-Hadad mobilisa les Araméens et monta à Apheq pour livrer bataille à Israël.

1 Rois 20, 27 Les Israélites furent mobilisés et ravitaillés, et ils marchèrent à leur rencontre. Campés en face d'eux, les Israélites étaient comme deux troupeaux de chèvres, tandis que les Araméens couvraient le pays.

1 Rois 20, 28 L'homme de Dieu aborda le roi d'Israël et dit: "Ainsi parle Yahvé. Parce qu'Aram a dit que Yahvé était un Dieu des montagnes et non un Dieu des plaines, je livrerai en ta main toute cette grande foule et tu sauras que je suis Yahvé."

1 Rois 20, 29 Ils campèrent sept jours les uns en face des autres. Le septième jour, le combat s'engagea et les Israélites massacrèrent les Araméens, 100.000 hommes de pied en un seul jour.

1 Rois 20, 30 Le reste s'enfuit à Apheq, dans la ville, mais le rempart s'écroula sur les 27.000 hommes qui restaient. Or Ben-Hadad avait pris la fuite et s'était réfugié en ville dans une chambre retirée.

1 Rois 20, 31 Ses serviteurs lui dirent: "Vois! Nous avons entendu dire que les rois d'Israël étaient des rois miséricordieux. Nous allons mettre des sacs sur nos reins et des cordes autour de nos têtes et nous nous rendrons au roi d'Israël; peut-être te laissera-t-il la vie sauve."

1 Rois 20, 32 Ils ceignirent de sacs leurs reins et de cordes leurs têtes, allèrent auprès du roi d'Israël et dirent: "Ton serviteur Ben-Hadad parle ainsi: Puissé-je vivre!" Il répondit: "Il est donc encore vivant? Il est mon frère!"

1 Rois 20, 33 Les hommes en augurèrent bien et ils se hâtèrent de le prendre au mot en disant: "Ben-Hadad est ton frère." Achab reprit: "Allez le chercher." Ben-Hadad se rendit à lui et celui-ci le fit monter sur son char.

1 Rois 20, 34 Ben-Hadad lui dit: "Je restituerai les villes que mon père a prises à ton père; tu établiras pour toi des bazars à Damas, comme mon père en avait à Samarie" -- "Pour moi, dit Achab, je te laisserai libre moyennant un traité." Achab conclut un traité avec lui et le laissa libre.

1 Rois 20, 35 Un des frères prophètes dit à son compagnon, par ordre de Yahvé: "Frappe-moi!" mais l'homme refusa de le frapper.

1 Rois 20, 36 Alors il lui dit: "Parce que tu n'as pas obéi à la voix de Yahvé, dès que tu m'auras quitté, le lion te tuera"; comme il s'éloignait, il rencontra le lion, qui le tua.

1 Rois 20, 37 Le prophète alla trouver un autre homme et dit: "Frappe-moi!" L'homme le frappa et le blessa.

1 Rois 20, 38 Le prophète s'en alla et attendit le roi sur le chemin -- il s'était rendu méconnaissable avec un bandeau au-dessus des yeux.

1 Rois 20, 39 Comme le roi passait, il lui cria: "Ton serviteur marchait au combat quand quelqu'un a quitté les rangs et m'a amené un homme en disant: Garde cet homme! S'il vient à manquer, ta vie sera pour sa vie ou tu paieras un talent d'argent.

1 Rois 20, 40 Or, pendant que ton serviteur était occupé ici et là, l'autre a disparu." Le roi d'Israël lui dit: "Voilà ton jugement! Tu l'as toi-même prononcé."

1 Rois 20, 41 Aussitôt celui-ci enleva le bandeau qu'il avait au-dessus des yeux, et le roi d'Israël reconnut qu'il était l'un des prophètes.

1 Rois 20, 42 Il dit au roi: "Ainsi parle Yahvé. Parce que tu as laissé échapper l'homme qui m'était voué par anathème, ta vie répondra pour sa vie, et ton peuple pour son peuple."

1 Rois 20, 43 Et le roi d'Israël s'en alla sombre et irrité, et il rentra à Samarie.

1 Rois 21, 1 Voici ce qui arriva après ces événements: Nabot de Yizréel possédait une vigne à côté du palais d'Achab, roi de Samarie,

1 Rois 21, 2 et Achab parla ainsi à Nabot: "Cède-moi ta vigne pour qu'elle me serve de jardin potager, car elle est tout près de ma maison; je te donnerai en échange une vigne meilleure, ou, si tu préfères, je te donnerai l'argent qu'elle vaut."

1 Rois 21, 3 Mais Nabot, dit à Achab: "Yahvé me garde de te céder l'héritage de mes pères!"

1 Rois 21, 4 Achab s'en alla chez lui sombre et irrité à cause de cette parole que Nabot de Yizréel lui avait dite: "Je ne te céderai pas l'héritage de mes pères." Il se coucha sur son lit, détourna son visage et ne voulut pas manger.

1 Rois 21, 5 Sa femme Jézabel vint à lui et lui dit: "Pourquoi ton esprit est-il chagrin et ne manges-tu pas?"

1 Rois 21, 6 Il lui répondit: "J'ai parlé à Nabot de Yizréel et je lui ai dit: Cède-moi ta vigne pour de l'argent, ou, si tu aimes mieux, je te donnerai une autre vigne en échange. Mais il a dit: Je ne te céderai pas ma vigne."

1 Rois 21, 7 Alors sa femme Jézabel lui dit: "Vraiment, tu fais un joli roi sur Israël! Lève-toi et mange, et que ton coeur soit content, moi je vais te donner la vigne de Nabot de Yizréel."

1 Rois 21, 8 Elle écrivit au nom d'Achab des lettres qu'elle scella du sceau royal, et elle adressa les lettres aux anciens et aux notables qui habitaient avec Nabot.

1 Rois 21, 9 Elle avait écrit dans ces lettres: "Proclamez un jeûne et faites asseoir Nabot en tête du peuple.

1 Rois 21, 10 Faites asseoir en face de lui deux vauriens qui l'accuseront ainsi: Tu as maudit Dieu et le roi! Conduisez-le dehors, lapidez-le et qu'il meure!"

1 Rois 21, 11 Les hommes de la ville de Nabot, les anciens et les notables qui habitaient sa ville, firent comme Jézabel leur avait mandé, comme il était écrit dans les lettres qu'elle leur avait envoyées.

1 Rois 21, 12 Ils proclamèrent un jeûne et mirent Nabot en tête du peuple.

1 Rois 21, 13 Alors arrivèrent les deux vauriens, qui s'assirent en face de lui, et les vauriens témoignèrent contre Nabot devant le peuple en disant: "Nabot a maudit Dieu et le roi." On le fit sortir hors de la ville, on le lapida et il mourut.

1 Rois 21, 14 Puis on envoya dire à Jézabel: "Nabot a été lapidé et il est mort."

1 Rois 21, 15 Lorsque Jézabel eut appris que Nabot avait été lapidé et qu'il était mort, elle dit à Achab: "Lève-toi et prends possession de la vigne de Nabot de Yizréel, qu'il n'a pas voulu te céder pour de l'argent, car Nabot n'est plus en vie, il est mort."

1 Rois 21, 16 Quand Achab apprit que Nabot était mort, il se leva pour descendre à la vigne de Nabot de Yizréel et en prendre possession.

1 Rois 21, 17 Alors la parole de Yahvé fut adressée à Elie le Tishbite en ces termes:

1 Rois 21, 18 "Lève-toi et descends à la rencontre d'Achab, roi d'Israël à Samarie. Le voici qui est dans la vigne de Nabot, où il est descendu pour se l'approprier.

1 Rois 21, 19 Tu lui diras ceci: Ainsi parle Yahvé: Tu as assassiné, et de plus tu usurpes! C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé: A l'endroit même où les chiens ont lapé le sang de Nabot, les chiens laperont ton sang à toi aussi."

1 Rois 21, 20 Achab dit à Elie: "Tu m'as donc rattrapé, ô mon ennemi!" Elie répondit: "Oui, je t'ai rattrapé. Parce que tu as agi en fourbe, faisant ce qui déplaît à Yahvé,

1 Rois 21, 21 voici que je vais faire venir sur toi le malheur: je balayerai ta race, j'exterminerai les mâles de la famille d'Achab, liés ou libres en Israël.

1 Rois 21, 22 Je ferai de ta maison comme de celles de Jéroboam fils de Nebat et de Basha fils d'Ahiyya, car tu as provoqué ma colère et fait pécher Israël.

1 Rois 21, 23 (Contre Jézabel aussi Yahvé a prononcé une parole: Les chiens dévoreront Jézabel dans le champ de Yizréel.

1 Rois 21, 24 Celui de la famille d'Achab qui mourra dans la ville, les chiens le mangeront, et celui qui mourra dans la campagne, les oiseaux du ciel le mangeront."

1 Rois 21, 25 Il n'y eut vraiment personne comme Achab pour agir en fourbe, faisant ce qui déplaît à Yahvé, parce que sa femme Jézabel l'avait séduit.

1 Rois 21, 26 Il a agi d'une manière tout à fait abominable, s'attachant aux idoles, comme avaient fait les Amorites que Yahvé chassa devant les Israélites.

1 Rois 21, 27 Quand Achab entendit ces paroles, il déchira ses vêtements, mit un sac à même sa chair, jeûna, coucha avec le sac et marcha à pas lents.

1 Rois 21, 28 Alors la parole de Yahvé fut adressée à Elie le Tishbite en ces termes:

1 Rois 21, 29 "As-tu vu comme Achab s'est humilié devant moi? Parce qu'il s'est humilié devant moi, je ne ferai pas venir le malheur pendant son temps; c'est au temps de son fils que je ferai venir le malheur sur sa maison."

1 Rois 22, 1 On fut tranquille pendant trois ans, sans combat entre Aram et Israël.

1 Rois 22, 2 La troisième année, Josaphat, roi de Juda, vint visiter le roi d'Israël.

1 Rois 22, 3 Le roi d'Israël dit à ses officiers: "Vous savez bien que Ramot de Galaad est à nous, et nous ne faisons rien pour l'arracher des mains du roi d'Aram."

1 Rois 22, 4 Il dit à Josaphat: "Viendras-tu avec moi combattre à Ramot de Galaad?" Josaphat répondit au roi d'Israël: "Il en sera pour moi comme pour toi, pour mes gens comme pour tes gens, pour mes chevaux comme pour tes chevaux."

1 Rois 22, 5 Cependant Josaphat dit au roi d'Israël: "Je te prie, consulte d'abord la parole de Yahvé."

1 Rois 22, 6 Le roi d'Israël rassembla les prophètes au nombre d'environ 400, et leur demanda: "Dois-je aller attaquer Ramot de Galaad, ou dois-je y renoncer?" Ils répondirent: "Monte, Yahvé la livrera aux mains du roi."

1 Rois 22, 7 Mais Josaphat dit: "N'y a-t-il donc ici aucun autre prophète de Yahvé, par qui nous puissions le consulter?"

1 Rois 22, 8 Le roi d'Israël répondit à Josaphat: "Il y a encore un homme par qui on peut consulter Yahvé, mais je le hais, car il ne prophétise jamais le bien à mon sujet, rien que le mal, c'est Michée fils de Yimla." Josaphat dit: "Que le roi ne parle pas ainsi!"

1 Rois 22, 9 Le roi d'Israël appela un eunuque et dit: "Fais vite venir Michée fils de Yimla."

1 Rois 22, 10 Le roi d'Israël et Josaphat, roi de Juda, étaient assis chacun sur son siège, en grand costume, sur l'aire devant la porte de Samarie, et tous les prophètes se livraient à leurs transports devant eux.

1 Rois 22, 11 Sédécias fils de Kenaana se fit des cornes de fer et dit: "Ainsi parle Yahvé. Avec cela tu encorneras les Araméens jusqu'au dernier."

1 Rois 22, 12 Et tous les prophètes faisaient la même prédiction, disant: "Monte à Ramot de Galaad! Tu réussiras, Yahvé la livrera aux mains du roi."

1 Rois 22, 13 Le messager qui était allé chercher Michée lui dit: Voici que les prophètes n'ont qu'une seule bouche pour parler en faveur du roi. Tâche de parler comme l'un d'eux et prédis le succès."

1 Rois 22, 14 Mais Michée répondit: "Par Yahvé vivant! Ce que Yahvé me dira, c'est cela que j'énoncerai!"

1 Rois 22, 15 Il arriva près du roi, et le roi lui demanda: "Michée, devons-nous aller à Ramot de Galaad pour combattre, ou devons-nous y renoncer?" Il lui répondit: "Monte! Tu réussiras. Yahvé la livrera aux mains du roi."

1 Rois 22, 16 Mais le roi lui dit: "Combien de fois me faudra-t-il t'adjurer de ne me dire que la vérité au nom de Yahvé?"

1 Rois 22, 17 Alors il prononça: "J'ai vu tout Israël dispersé sur les montagnes comme un troupeau sans pasteur. Et Yahvé a dit: Ils n'ont plus de maître, que chacun retourne en paix chez soi!"

1 Rois 22, 18 Le roi d'Israël dit alors à Josaphat: "Ne t'avais-je pas dit qu'il prophétisait pour moi non le bien mais le mal!"

1 Rois 22, 19 Michée reprit: "Ecoute plutôt la parole de Yahvé. J'ai vu Yahvé assis sur son trône; toute l'armée du ciel se tenait en sa présence, à sa droite et à sa gauche.

1 Rois 22, 20 Yahvé demanda: Qui trompera Achab pour qu'il marche contre Ramot de Galaad et qu'il y succombe? Ils répondirent celui-ci d'une manière, celui-là d'une autre.

1 Rois 22, 21 Alors l'Esprit s'avança et se tint devant Yahvé: C'est moi, dit-il, qui le tromperai. Yahvé lui demanda: Comment?

1 Rois 22, 22 Il répondit: J'irai et je me ferai esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. Yahvé dit: Tu le tromperas, tu réussiras. Va et fais ainsi.

1 Rois 22, 23 Voici donc que Yahvé a mis un esprit de mensonge dans la bouche de tous tes prophètes qui sont là, mais Yahvé a prononcé contre toi le malheur."

1 Rois 22, 24 Alors Sédécias fils de Kenaana s'approcha et frappa Michée à la mâchoire, en disant: "Par où l'esprit de Yahvé m'a-t-il quitté pour te parler?"

1 Rois 22, 25 Michée repartit: "C'est ce que tu verras, le jour où tu fuiras dans une chambre retirée pour te cacher."

1 Rois 22, 26 Le roi d'Israël ordonna: "Saisis Michée et remets-le à Amôn, gouverneur de la ville, et au fils du roi, Yoash.

1 Rois 22, 27 Tu leur diras: Ainsi parle le roi. Mettez cet homme en prison et nourrissez-le strictement de pain et d'eau jusqu'à ce que je revienne sain et sauf."

1 Rois 22, 28 Michée dit: "Si tu reviens sain et sauf, c'est que Yahvé n'a pas parlé par ma bouche."

1 Rois 22, 29 Le roi d'Israël et Josaphat, roi de Juda, montèrent contre Ramot de Galaad.

1 Rois 22, 30 Le roi d'Israël dit à Josaphat: "Je me déguiserai pour marcher au combat, mais toi, revêts ton costume!" Le roi d'Israël se déguisa et marcha au combat.

1 Rois 22, 31 Le roi d'Aram avait donné cet ordre à ses commandants de chars: "Vous n'attaquerez ni petit ni grand, mais seulement le roi d'Israël."

1 Rois 22, 32 Lorsque les commandants de chars virent Josaphat, ils dirent: "C'est sûrement le roi d'Israël", et ils dirigèrent le combat de son côté; mais Josaphat poussa son cri de guerre

1 Rois 22, 33 et, lorsque les commandants de chars virent que ce n'était pas le roi d'Israël, ils s'éloignèrent de lui.

1 Rois 22, 34 Or un homme banda son arc sans savoir qui il visait et atteignit le roi d'Israël entre le corselet et les appliques de la cuirasse. Celui-ci dit à son charrier: "Tourne bride et fais-moi sortir de la mêlée, car je me sens mal."

1 Rois 22, 35 Mais le combat devint plus violent ce jour-là, on soutint le roi debout sur son char en face des Araméens, et le soir il mourut; le sang de sa blessure coulait dans le fond du char.

1 Rois 22, 36 Au coucher du soleil, un cri se répandit dans le camp: "Chacun à sa ville et chacun à son pays!

1 Rois 22, 37 Le roi est mort." On alla à Samarie et on enterra le roi à Samarie.

1 Rois 22, 38 On lava à grande eau son char à l'étang de Samarie, les chiens lapèrent le sang et les prostituées s'y baignèrent, selon la parole que Yahvé avait dite.

1 Rois 22, 39 Le reste de l'histoire d'Achab, tout ce qu'il a fait, la maison d'ivoire qu'il construisit, toutes les villes qu'il bâtit, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

1 Rois 22, 40 Achab se coucha avec ses pères et son fils Ochozias régna à sa place.

1 Rois 22, 41 Josaphat fils d'Asa devint roi sur Juda en la quatrième année d'Achab, roi d'Israël.

1 Rois 22, 42 Josaphat avait 35 ans à son avènement et il régna 25 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Azuba, fille de Shilhi.

1 Rois 22, 43 Il suivit entièrement la conduite de son père Asa, sans dévier, faisant ce qui est juste au regard de Yahvé.

1 Rois 22, 44 Seulement, les hauts lieux ne disparurent pas; le peuple continua d'offrir des sacrifices et de l'encens sur les hauts lieux.

1 Rois 22, 45 Josaphat fut en paix avec le roi d'Israël.

1 Rois 22, 46 Le reste de l'histoire de Josaphat, la vaillance qu'il déploya et les guerres qu'il livra, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

1 Rois 22, 47 Le reste des prostitués sacrés qui avaient subsisté au temps de son père Asa, il les fit disparaître du pays.

1 Rois 22, 48 Il n'y avait pas de roi établi sur Edom, et le roi

1 Rois 22, 49 Josaphat construisit des vaisseaux de Tarsis pour aller chercher l'or à Ophir, mais il ne put y aller, car les vaisseaux se brisèrent à Eçyôn-Gébèr.

1 Rois 22, 50 Alors Ochozias fils d'Achab dit à Josaphat: "Mes serviteurs iront avec tes serviteurs sur les vaisseaux"; mais Josaphat n'accepta pas.

1 Rois 22, 51 Josaphat se coucha avec ses pères et on l'enterra dans la Cité de David, son ancêtre; son fils Joram régna à sa place.

1 Rois 22, 52 Ochozias, fils d'Achab, devint roi sur Israël à Samarie en la dix-septième année de Josaphat, roi de Juda, et régna deux ans sur Israël.

1 Rois 22, 53 Il fit ce qui déplaît à Yahvé et suivit la voie de son père et celle de sa mère, et celle de Jéroboam fils de Nebat qui avait entraîné Israël au péché.

1 Rois 22, 54 Il rendit un culte à Baal et se prosterna devant lui, et il irrita Yahvé, Dieu d'Israël, tout comme avait fait son père.

 

 

 

 

 

II Rois

 

 

 

2 Rois 1, 1 Après la mort d'Achab, Moab se révolta contre Israël.

2 Rois 1, 2 Comme Ochozias était tombé du balcon de son appartement à Samarie et qu'il allait mal, il envoya des messagers à qui il dit: "Allez consulter Baal-Zebub, dieu d'Eqrôn, pour savoir si je guérirai de mon mal présent."

2 Rois 1, 3 Mais l'Ange de Yahvé dit à Elie le Tishbite: "Debout! monte à la rencontre des messagers du roi de Samarie et dis-leur: N'y a-t-il donc pas de Dieu en Israël, que vous alliez consulter Baal-Zebub, dieu d'Eqrôn?

2 Rois 1, 4 C'est pourquoi ainsi parle Yahvé: Le lit où tu es monté, tu n'en descendras pas, tu mourras certainement." Et Elie s'en alla.

2 Rois 1, 5 Les messagers revinrent vers Ochozias, qui leur dit: "Pourquoi donc revenez-vous?"

2 Rois 1, 6 Ils lui répondirent: "Un homme nous a abordés et nous a dit: Allez, retournez auprès du roi qui vous a envoyés, et dites-lui: Ainsi parle Yahvé. N'y a-t-il donc pas de Dieu en Israël, que tu envoies consulter Baal-Zebub, dieu d'Eqrôn? C'est pourquoi le lit où tu es monté, tu n'en descendras pas, tu mourras certainement."

2 Rois 1, 7 Il leur demanda: "De quel genre était l'homme qui vous a abordés et vous a dit ces paroles?"

2 Rois 1, 8 Et ils lui répondirent: "C'était un homme avec une toison et un pagne de peau autour des reins." Il dit: "C'est Elie le Tishbite!"

2 Rois 1, 9 Il lui envoya un cinquantenier avec sa cinquantaine, qui monta vers lui -- il était assis au sommet de la montagne -- et lui dit: "Homme de Dieu! Le roi a ordonné: Descends!"

2 Rois 1, 10 Elie répondit et dit au cinquantenier: "Si je suis un homme de Dieu, qu'un feu descende du ciel et te dévore, toi et ta cinquantaine", et un feu descendit du ciel et le dévora, lui et sa cinquantaine.

2 Rois 1, 11 Le roi lui envoya de nouveau un autre cinquantenier avec sa cinquantaine, qui monta et lui dit: "Homme de Dieu! Le roi a donné cet ordre: Dépêche-toi de descendre!"

2 Rois 1, 12 Elie répondit et lui dit: "Si je suis un homme de Dieu, qu'un feu descende du ciel et te dévore, toi et ta cinquantaine", et un feu descendit du ciel et le dévora, lui et sa cinquantaine.

2 Rois 1, 13 Le roi envoya encore un troisième cinquantenier et sa cinquantaine. Le troisième cinquantenier arriva, plia les genoux devant Elie et le supplia ainsi: "Homme de Dieu! Que ma vie et celle de tes 50 serviteurs que voici aient quelque prix à tes yeux!

2 Rois 1, 14 Un feu est descendu du ciel et a dévoré les deux premiers cinquanteniers et leur cinquantaine; mais maintenant, que ma vie ait quelque prix à tes yeux!"

2 Rois 1, 15 L'ange de Yahvé dit à Elie: "Descends avec lui, n'aie pas peur de lui." Il se leva et descendit avec lui vers le roi,

2 Rois 1, 16 à qui il dit: "Ainsi parle Yahvé. Puisque tu as envoyé des messagers consulter Baal-Zebub, dieu d'Eqrôn, eh bien! tu ne descendras pas du lit où tu es monté, tu mourras certainement."

2 Rois 1, 17 Il mourut, selon la parole de Yahvé qu'Elie avait prononcée. Joram, son frère, devint roi à sa place -- en la deuxième année de Joram fils de Josaphat, roi de Juda, en effet il n'avait pas de fils.

2 Rois 1, 18 Le reste de l'histoire d'Ochozias, ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

2 Rois 2, 1 Voici ce qui arriva lorsque Yahvé enleva Elie au ciel dans le tourbillon: Elie et Elisée partirent de Gilgal,

2 Rois 2, 2 et Elie dit à Elisée: "Reste donc ici, car Yahvé ne m'envoie qu'à Béthel"; mais Elisée répondit: "Aussi vrai que Yahvé est vivant et que tu vis toi-même, je ne te quitterai pas!" et ils descendirent à Béthel.

2 Rois 2, 3 Les frères prophètes, qui résident à Béthel, sortirent à la rencontre d'Elisée et lui dirent: "Sais-tu qu'aujourd'hui Yahvé va emporter ton maître par-dessus ta tête?" Il dit: "Moi aussi je sais; silence!"

2 Rois 2, 4 Elie lui dit: "Elisée! Reste donc ici, car Yahvé ne m'envoie qu'à Jéricho"; mais il répondit: "Aussi vrai que Yahvé est vivant et que tu vis toi-même, je ne te quitterai pas!" et ils allèrent à Jéricho.

2 Rois 2, 5 Les frères prophètes qui résident à Jéricho s'approchèrent d'Elisée et lui dirent: "Sais-tu qu'aujourd'hui Yahvé va emporter ton maître par-dessus ta tête?" Il dit: "Moi aussi je sais; silence!"

2 Rois 2, 6 Elie lui dit: "Reste donc ici, car Yahvé ne m'envoie qu'au Jourdain"; mais il répondit: "Aussi vrai que Yahvé est vivant et que tu vis toi-même, je ne te quitterai pas!" et ils s'en allèrent tous deux.

2 Rois 2, 7 50 frères prophètes vinrent et s'arrêtèrent à distance, au loin, pendant que tous deux se tenaient au bord du Jourdain.

2 Rois 2, 8 Alors Elie prit son manteau, le roula et frappa les eaux, qui se divisèrent d'un côté et de l'autre, et tous deux traversèrent à pied sec.

2 Rois 2, 9 Dès qu'ils eurent passé, Elie dit à Elisée: "Demande: Que puis-je faire pour toi avant d'être enlevé d'auprès de toi?" Et Elisée répondit: "Que me revienne une double part de ton esprit!"

2 Rois 2, 10 Elie reprit: "Tu demandes une chose difficile: si tu me vois pendant que je serai enlevé d'auprès de toi, cela t'arrivera; sinon, cela n'arrivera pas."

2 Rois 2, 11 Or, comme ils marchaient en conversant, voici qu'un char de feu et des chevaux de feu se mirent entre eux deux, et Elie monta au ciel dans le tourbillon.

2 Rois 2, 12 Elisée voyait et il criait: "Mon père! Mon père! Char d'Israël et son attelage!" puis il ne le vit plus et, saisissant ses vêtements, il les déchira en deux.

2 Rois 2, 13 Il ramassa le manteau d'Elie, qui avait glissé, et revint se tenir sur la rive du Jourdain.

2 Rois 2, 14 Il prit le manteau d'Elie et il frappa les eaux en disant: "Où est Yahvé, le Dieu d'Elie?" Il frappa les eaux, qui se divisèrent d'un côté et de l'autre, et Elisée traversa.

2 Rois 2, 15 Les frères prophètes le virent à distance et dirent: "L'esprit d'Elie s'est reposé sur Elisée!;" ils vinrent à sa rencontre et se prosternèrent à terre devant lui.

2 Rois 2, 16 Ils lui dirent: "Il y a ici avec tes serviteurs 50 braves. Permets qu'ils aillent à la recherche de ton maître; peut-être l'Esprit de Yahvé l'a-t-il enlevé et jeté sur quelque montagne ou dans quelque vallée", mais il répondit: "N'envoyez personne."

2 Rois 2, 17 Cependant, comme ils l'importunaient de leurs instances, il dit: "Envoyez!" Ils envoyèrent donc 50 hommes, qui cherchèrent pendant trois jours sans le trouver.

2 Rois 2, 18 Ils revinrent vers Elisée qui était resté à Jéricho, et il leur dit: "Ne vous avais-je pas prévenus de ne pas aller?"

2 Rois 2, 19 Les hommes de la ville dirent à Elisée: "La ville est un séjour agréable, comme Monseigneur peut voir, mais les eaux sont malsaines et le pays souffre d'avortements."

2 Rois 2, 20 Il dit: "Apportez-moi une écuelle neuve où vous aurez mis du sel", et ils la lui apportèrent.

2 Rois 2, 21 Il alla où jaillissaient les eaux, il y jeta du sel et dit: "Ainsi parle Yahvé: J'assainis ces eaux, il ne viendra plus de là ni mort ni avortement."

2 Rois 2, 22 Et les eaux furent assainies jusqu'à ce jour, selon la parole qu'Elisée avait dite.

2 Rois 2, 23 Il monta de là à Béthel, et, comme il montait par le chemin, de jeunes garçons sortirent de la ville et se moquèrent de lui, en disant: "Monte, tondu! Monte, tondu!"

2 Rois 2, 24 Il se retourna, les vit et les maudit au nom de Yahvé. Alors deux ourses sortirent du bois et déchirèrent 42 des enfants.

2 Rois 2, 25 Il alla de là au mont Carmel, puis il revint à Samarie.

2 Rois 3, 1 Joram fils d'Achab devint roi sur Israël à Samarie en la dix-huitième année de Josaphat roi de Juda, et il régna douze ans.

2 Rois 3, 2 Il fit ce qui déplaît à Yahvé; non pas pourtant comme son père et sa mère, car il supprima la stèle de Baal que son père avait faite.

2 Rois 3, 3 Seulement, il resta attaché aux péchés où Jéroboam fils de Nebat entraîna Israël et ne s'en détourna pas.

2 Rois 3, 4 Mésha, roi de Moab, était éleveur de troupeaux et il livrait en tribut au roi d'Israël 100.000 agneaux et 100.000 béliers avec leur laine;

2 Rois 3, 5 mais, à la mort d'Achab, le roi de Moab se révolta contre le roi d'Israël.

2 Rois 3, 6 En ce temps-là, le roi Joram sortit de Samarie et passa en revue tout Israël.

2 Rois 3, 7 Ensuite, il envoya ce message au roi de Juda: "Le roi de Moab s'est révolté contre moi. Viendras-tu faire la guerre avec moi en Moab?" Le roi de Juda répondit: "Je viendrai! Il en sera pour moi comme pour toi; pour mon peuple comme pour ton peuple, pour mes chevaux comme pour tes chevaux!"

2 Rois 3, 8 Il ajouta: "Par quel chemin monterons-nous?" Et l'autre répondit: "Par le chemin du désert d'Edom."

2 Rois 3, 9 Le roi d'Israël, le roi de Juda et le roi d'Edom partirent. Ils firent un détour de sept jours de marche et l'eau manqua pour la troupe et pour les bêtes de somme qui suivaient.

2 Rois 3, 10 Le roi d'Israël s'écria: "Malheur! c'est que Yahvé a appelé les trois rois que nous sommes pour les livrer aux mains de Moab!"

2 Rois 3, 11 Mais le roi de Juda dit: "N'y a-t-il pas ici un prophète de Yahvé, que nous consultions Yahvé par lui?" Alors un des serviteurs du roi d'Israël répondit: "Il y a Elisée fils de Shaphat, qui versait l'eau sur les mains d'Elie."

2 Rois 3, 12 Le roi de Juda dit: "Il a la parole de Yahvé." Le roi d'Israël, le roi de Juda et le roi d'Edom descendirent donc vers lui.

2 Rois 3, 13 Mais Elisée dit au roi d'Israël: "Qu'ai-je à faire avec toi? Va trouver les prophètes de ton père et les prophètes de ta mère!" Le roi d'Israël lui répondit: "Mais non! c'est que Yahvé a appelé les trois rois que nous sommes pour les livrer aux mains de Moab!"

2 Rois 3, 14 Elisée reprit: "Par la vie de Yahvé Sabaot, que je sers, si je n'avais égard au roi de Juda, je ne ferais pas attention à toi, je ne te regarderais même pas.

2 Rois 3, 15 Maintenant, amenez-moi un joueur de lyre." Or, comme le musicien jouait, la main de Yahvé fut sur lui

2 Rois 3, 16 et il dit: "Ainsi parle Yahvé: Creusez dans cette vallée des fosses et des fosses,

2 Rois 3, 17 car ainsi parle Yahvé: Vous ne verrez pas de vent, vous ne verrez pas de pluie, et cette vallée se remplira d'eau, et vous boirez, vous, vos troupes et vos bêtes de somme.

2 Rois 3, 18 Encore cela est-il peu aux yeux de Yahvé, car il livrera Moab entre vos mains.

2 Rois 3, 19 Vous frapperez toutes les villes fortes, vous abattrez tous les arbres de rapport, vous boucherez toutes les sources et vous désolerez tous les meilleurs champs en y jetant des pierres."

2 Rois 3, 20 Or, le matin à l'heure de la présentation de l'offrande, voici que l'eau venait de la direction d'Edom et la contrée en fut remplie.

2 Rois 3, 21 Les Moabites ayant appris que les rois étaient montés pour les combattre, tous ceux qui étaient en âge de porter les armes furent convoqués, et ils se tenaient sur la frontière.

2 Rois 3, 22 Quand ils se levèrent le matin et que le soleil brilla sur les eaux, les Moabites virent de loin les eaux rouges comme du sang.

2 Rois 3, 23 Ils dirent: "C'est du sang! Sûrement les rois se sont entre-tués, ils se sont mutuellement frappés. Et maintenant, au pillage, Moab!"

2 Rois 3, 24 Mais quand ils arrivèrent au camp des Israélites, ceux-ci se dressèrent et battirent les Moabites, qui s'enfuirent devant eux; et ils allèrent de l'avant, les taillant en pièces.

2 Rois 3, 25 Ils détruisaient les villes, ils jetaient chacun sa pierre dans tous les meilleurs champs pour les remplir, ils bouchaient toutes les sources et abattaient tous les arbres de rapport. Finalement, il ne resta plus que Qir-Hérès: les frondeurs l'encerclèrent et la battirent de leurs coups.

2 Rois 3, 26 Quand le roi de Moab vit qu'il ne pouvait pas soutenir le combat, il prit avec lui 400 hommes armés de l'épée pour faire une trouée et aller vers le roi d'Aram, mais ils n'y réussirent pas.

2 Rois 3, 27 Alors il prit son fils aîné, qui devait régner à sa place, et il l'offrit en holocauste sur le rempart. Il y eut une grande colère sur les Israélites, qui décampèrent loin de lui et rentrèrent au pays.4, 1 La femme d'un des frères prophètes implora Elisée en ces termes: "Ton serviteur, mon mari, est mort, et tu sais que ton serviteur craignait Yahvé. Or le prêteur sur gages est venu pour prendre mes deux enfants et en faire ses esclaves."

2 Rois 4, 2 Elisée lui dit: "Que puis-je faire pour toi? Dis-moi, qu'as-tu à la maison?" Elle répondit: "Ta servante n'a rien du tout à la maison, sauf un flacon d'huile."

2 Rois 4, 3 Alors, il dit: "Va emprunter dehors des vases à tous tes voisins, des vases vides et pas trop peu!

2 Rois 4, 4 Puis tu rentreras, tu fermeras la porte sur toi et sur tes fils et tu verseras l'huile dans tous ces vases, en les mettant de côté à mesure qu'ils seront pleins."

2 Rois 4, 5 Elle le quitta et ferma la porte sur elle et sur ses fils; ceux-ci lui tendaient les vases et elle ne cessait de verser.

2 Rois 4, 6 Or, quand les vases furent pleins, elle dit à son fils: "Tends-moi encore un vase", mais il répondit: "Il n'y a plus de vase"; alors l'huile cessa de couler.

2 Rois 4, 7 Elle alla rendre compte à l'homme de Dieu, qui dit: "Va vendre cette huile, tu rachèteras ton gage et tu vivras du reste, toi et tes fils!"

2 Rois 4, 8 Un jour qu'Elisée passait à Shunem, une femme de qualité qui y vivait l'invita à table. Depuis, chaque fois qu'il passait, il se rendait là pour manger.

2 Rois 4, 9 Elle dit à son mari: "Vois! Je suis sûre que c'est un saint homme de Dieu qui passe toujours par chez nous.

2 Rois 4, 10 Construisons-lui donc une petite chambre haute avec des murs, et nous y mettrons pour lui un lit, une table, un siège et une lampe: quand il viendra chez nous, il se retirera là."

2 Rois 4, 11 Un jour qu'il vint là, il se retira dans la chambre haute et s'y coucha.

2 Rois 4, 12 Il dit à Géhazi son serviteur: "Appelle cette bonne Shunamite" -- Il l'appela et elle se tint devant lui. --

2 Rois 4, 13 Elisée reprit: "Dis-lui: Tu t'es donné tout ce souci pour nous. Que peut-on faire pour toi? Y a-t-il un mot à dire pour toi au roi ou au chef de l'armée?" Mais elle répondit: "Je séjourne au milieu des miens."

2 Rois 4, 14 Il continua: "Alors, que peut-on faire pour elle?" Géhazi répondit: "Eh bien! Elle n'a pas de fils et son mari est âgé."

2 Rois 4, 15 Elisée dit: "Appelle-la" -- Le serviteur l'appela et elle se tint à l'entrée.

2 Rois 4, 16 "A cette saison, l'an prochain, dit-il, tu tiendras un fils dans tes bras." Mais elle dit: "Non, Monseigneur, ne trompe pas ta servante!"

2 Rois 4, 17 Or la femme conçut et elle enfanta un fils à la saison que lui avait dite Elisée.

2 Rois 4, 18 L'enfant grandit. Un jour il alla trouver son père auprès des moissonneurs

2 Rois 4, 19 et il dit à son père: "Oh! ma tête! ma tête!" et le père ordonna à un serviteur de le porter à sa mère.

2 Rois 4, 20 Celui-ci le prit et le conduisit à sa mère; il resta sur ses genoux jusqu'à midi et il mourut.

2 Rois 4, 21 Elle monta l'étendre sur le lit de l'homme de Dieu, ferma la porte et sortit.

2 Rois 4, 22 Elle appela son mari et dit: "Envoie-moi l'un des serviteurs avec une ânesse, je cours chez l'homme de Dieu et je reviens."

2 Rois 4, 23 Il demanda: "Pourquoi vas-tu chez lui aujourd'hui? Ce n'est pas la néoménie ni le sabbat", mais elle répondit: "Reste en paix."

2 Rois 4, 24 Elle fit seller l'ânesse et dit à son serviteur: "Mène-moi, va! Ne m'arrête pas en route sans que je te l'ordonne";

2 Rois 4, 25 elle partit et alla vers l'homme de Dieu, au mont Carmel. Lorsque l'homme de Dieu la vit de loin, il dit à son serviteur Géhazi: "Voici cette bonne Shunamite.

2 Rois 4, 26 Maintenant, cours à sa rencontre et demande-lui: Vas-tu bien? Ton mari va-t-il bien? Ton enfant va-t-il bien?" Elle répondit: "Bien."

2 Rois 4, 27 Quand elle rejoignit l'homme de Dieu sur la montagne, elle saisit ses pieds. Géhazi s'approcha pour la repousser, mais l'homme de Dieu dit: "Laisse-la, car son âme est dans l'amertume; Yahvé me l'a caché, il ne m'a rien annoncé."

2 Rois 4, 28 Elle dit: "Avais-je demandé un fils à Monseigneur? Ne t'avais-je pas dit de ne pas me leurrer?"

2 Rois 4, 29 Elisée dit à Géhazi: "Ceins tes reins, prends mon bâton en main et va! Si tu rencontres quelqu'un, tu ne le salueras pas, et si quelqu'un te salue, tu ne lui répondras pas. Tu étendras mon bâton au-dessus de l'enfant."

2 Rois 4, 30 Mais la mère de l'enfant dit: "Aussi vrai que Yahvé est vivant et que tu vis toi-même, je ne te quitterai pas!" Alors il se leva et la suivit.

2 Rois 4, 31 Géhazi les avait précédés et il avait étendu le bâton au-dessus de l'enfant, mais il n'y eut ni voix ni réaction. Il revint au-devant d'Elisée et lui rapporta ceci: "L'enfant ne s'est pas réveillé."

2 Rois 4, 32 Elisée arriva à la maison; là était l'enfant, mort et couché sur son propre lit.

2 Rois 4, 33 Il entra, ferma la porte sur eux deux et pria Yahvé.

2 Rois 4, 34 Puis il monta sur le lit, s'étendit sur l'enfant, mit sa bouche contre sa bouche, ses yeux contre ses yeux, ses mains contre ses mains, il se replia sur lui et la chair de l'enfant se réchauffa.

2 Rois 4, 35 Il se remit à marcher de long en large dans la maison, puis remonta et se replia sur lui, jusqu'à sept fois: alors l'enfant éternua et ouvrit les yeux.

2 Rois 4, 36 Il appela Géhazi et lui dit: "Fais venir cette bonne Shunamite." Il l'appela. Lorsqu'elle arriva près de lui, il dit: "Prends ton fils."

2 Rois 4, 37 Elle entra, tomba à ses pieds et se prosterna à terre, puis elle prit son fils et sortit.

2 Rois 4, 38 Elisée revint à Gilgal pendant que la famine était dans le pays. Comme les frères prophètes étaient assis devant lui, il dit à son serviteur: "Mets la grande marmite sur le feu et cuis une soupe pour les frères prophètes."

2 Rois 4, 39 L'un d'eux sortit dans la campagne pour ramasser des herbes, trouva des sarments sauvages, sur lesquels il cueillit des coloquintes, plein son vêtement. Il revint et les coupa en morceaux dans la marmite de soupe, car on ne savait pas ce que c'était.

2 Rois 4, 40 On versa à manger aux hommes. Mais à peine eurent-ils goûté le potage qu'ils poussèrent un cri: "Homme de Dieu! Il y a la mort dans la marmite!" et ils ne purent pas manger.

2 Rois 4, 41 Alors Elisée dit: "Eh bien! apportez de la farine." Il la jeta dans la marmite et dit: "Verse aux gens et qu'ils mangent" -- Il n'y avait plus rien de mauvais dans la marmite.

2 Rois 4, 42 Un homme vint de Baal-Shalisha et apporta à l'homme de Dieu du pain de prémices, vingt pains d'orge et du grain frais dans son épi. Celui-ci ordonna: "Offre aux gens et qu'ils mangent",

2 Rois 4, 43 mais son serviteur répondit: "Comment servirai-je cela à cent personnes?" Il reprit: "Offre aux gens et qu'ils mangent, car ainsi a parlé Yahvé: On mangera et on en aura de reste."

2 Rois 4, 44 Il leur servit, ils mangèrent et en eurent de reste, selon la parole de Yahvé.

2 Rois 5, 1 Naamân, chef de l'armée du roi d'Aram, était un homme en grande considération et faveur auprès de son maître, car c'était par lui que Yahvé avait accordé la victoire aux Araméens, mais cet homme était lépreux.

2 Rois 5, 2 Or les Araméens, sortis en razzia, avaient enlevé du territoire d'Israël une petite fille qui était entrée au service de la femme de Naamân.

2 Rois 5, 3 Elle dit à sa maîtresse: "Ah! si seulement mon maître s'adressait au prophète de Samarie! Il le délivrerait de sa lèpre."

2 Rois 5, 4 Naamân alla informer son seigneur: "Voilà, dit-il, de quelle et quelle manière a parlé la jeune fille qui vient du pays d'Israël."

2 Rois 5, 5 Le roi d'Aram répondit: "Pars donc, je vais envoyer une lettre au roi d'Israël." Naamân partit, prenant avec lui dix talents d'argent, 6.000 sicles d'or et dix habits de fête.

2 Rois 5, 6 Il présenta au roi d'Israël la lettre, ainsi conçue: "En même temps que te parvient cette lettre, je t'envoie mon serviteur Naamân, pour que tu le délivres de sa lèpre."

2 Rois 5, 7 A la lecture de la lettre, le roi d'Israël déchira ses vêtements et dit: "Suis-je un dieu qui puisse donner la mort et la vie, pour que celui-là me mande de délivrer quelqu'un de sa lèpre? Pour sûr, rendez-vous bien compte qu'il me cherche querelle!"

2 Rois 5, 8 Mais quand Elisée apprit que le roi d'Israël avait déchiré ses vêtements, il fit dire au roi: "Pourquoi as-tu déchiré tes vêtements? Qu'il vienne donc vers moi, et il saura qu'il y a un prophète en Israël."

2 Rois 5, 9 Naamân arriva avec son attelage et son char et s'arrêta à la porte de la maison d'Elisée,

2 Rois 5, 10 et Elisée envoya un messager lui dire: "Va te baigner sept fois dans le Jourdain, ta chair redeviendra nette."

2 Rois 5, 11 Naamân, irrité, s'en alla en disant: "Je m'étais dit: Sûrement il sortira et se présentera lui-même, puis il invoquera le nom de Yahvé son Dieu, il agitera la main sur l'endroit malade et délivrera la partie lépreuse.

2 Rois 5, 12 Est-ce que les fleuves de Damas, l'Abana et le Parpar, ne valent pas mieux que toutes les eaux d'Israël? Ne pourrais-je pas m'y baigner pour être purifié?" Il tourna bride et partit en colère.

2 Rois 5, 13 Mais ses serviteurs s'approchèrent et s'adressèrent à lui en ces termes: "Mon père! Si le prophète t'avait prescrit quelque chose de difficile, ne l'aurais-tu pas fait? Combien plus, lorsqu'il te dit: "Baigne-toi et tu seras purifié."

2 Rois 5, 14 Il descendit donc et se plongea sept fois dans le Jourdain, selon la parole d'Elisée: sa chair redevint nette comme la chair d'un petit enfant.

2 Rois 5, 15 Il revint chez Elisée avec toute son escorte, il entra, se présenta devant lui et dit: "Oui, je sais désormais qu'il n'y a pas de Dieu par toute la terre sauf en Israël! Maintenant, accepte, je te prie, un présent de ton serviteur."

2 Rois 5, 16 Mais Elisée répondit: "Aussi vrai qu'est vivant Yahvé que je sers, je n'accepterai rien." Naamân le pressa d'accepter, mais il refusa.

2 Rois 5, 17 Alors Naamân dit: "Puisque c'est non, permets qu'on donne à ton serviteur de quoi charger de terre deux mulets, car ton serviteur n'offrira plus ni holocauste ni sacrifice à d'autres dieux qu'à Yahvé.

2 Rois 5, 18 Seulement, que Yahvé pardonne ceci à ton serviteur: quand mon maître va au temple de Rimmôn pour y adorer, il s'appuie sur mon bras et je me prosterne dans le temple de Rimmôn en même temps qu'il le fait; veuille Yahvé pardonner cette action à son serviteur!"

2 Rois 5, 19 Elisée lui répondit: "Va en paix", et Naamân s'éloigna un bout de chemin.

2 Rois 5, 20 Géhazi, le serviteur d'Elisée, se dit: "Mon maître a ménagé Naamân, cet Araméen, en n'acceptant pas de lui ce qu'il avait offert. Aussi vrai que Yahvé est vivant, je cours après lui et j'en obtiendrai quelque chose."

2 Rois 5, 21 Et Géhazi se lança à la poursuite de Naamân. Lorsque Naamân le vit courir derrière lui, il sauta de son char à sa rencontre et demanda: "Cela va-t-il bien?"

2 Rois 5, 22 Il répondit: "Bien. Mon maître m'a envoyé te dire: A l'instant m'arrivent deux jeunes gens de la montagne d'Ephraïm, des frères prophètes. Donne pour eux, je te prie, un talent d'argent et deux habits de fête."

2 Rois 5, 23 Naamân dit: "Veuille accepter deux talents", et il insista; il lia les deux talents d'argent dans deux sacs, avec les deux habits de fête, et les remit à deux de ses serviteurs qui les portèrent devant Géhazi.

2 Rois 5, 24 Quand il arriva à l'Ophel, il les prit de leurs mains et les déposa dans la maison; puis il congédia les hommes, qui s'en allèrent.

2 Rois 5, 25 Quant à lui, il vint se tenir près de son maître. Elisée lui demanda: "D'où viens-tu, Géhazi?" Il répondit: "Ton serviteur n'est allé nulle part."

2 Rois 5, 26 Mais Elisée lui dit: "Mon coeur n'était-il pas présent lorsque quelqu'un a quitté son char à ta rencontre? Maintenant tu as reçu l'argent, et tu peux acheter avec cela jardins, oliviers et vignes, petit et gros bétail, serviteurs et servantes.

2 Rois 5, 27 Mais la lèpre de Naamân s'attachera à toi et à ta postérité pour toujours." Et Géhazi s'éloigna de lui blanc de lèpre comme la neige.

2 Rois 6, 1 Les frères prophètes dirent à Elisée: "Voici que l'endroit où nous habitons près de toi est trop étroit pour nous.

2 Rois 6, 2 Allons donc jusqu'au Jourdain; nous y prendrons chacun une poutre et nous nous ferons là une demeure." Il répondit: "Allez."

2 Rois 6, 3 L'un d'eux dit: "Consens à accompagner tes serviteurs", et il répondit: "J'irai";

2 Rois 6, 4 il partit avec eux. Arrivés au Jourdain, ils coupèrent le bois.

2 Rois 6, 5 Or, comme l'un deux abattait sa poutre, la lame de fer tomba dans l'eau, et il s'écria: "Hélas, Monseigneur! Et encore elle était empruntée!"

2 Rois 6, 6 Mais l'homme de Dieu lui demanda: "Où est-elle tombée?" Et l'autre lui montra la place. Alors il cassa un bout de bois, le jeta à cet endroit et fit flotter le fer.

2 Rois 6, 7 Il dit: "Retire-le", et l'homme étendit la main et le prit.

2 Rois 6, 8 Le roi d'Aram était en guerre avec Israël. Il tint conseil avec ses officiers et dit: "Vous ferez une descente contre telle place."

2 Rois 6, 9 Elisée envoya dire au roi d'Israël: "Sois sur tes gardes pour cette place, car les Araméens y descendent",

2 Rois 6, 10 et le roi d'Israël envoya des hommes à la place qu'Elisée lui avait dite. Il l'avertissait et le roi se tenait sur ses gardes, et cela pas rien qu'une ou deux fois.

2 Rois 6, 11 Le coeur du roi d'Aram fut troublé par cette affaire, il convoqua ses officiers et leur demanda: "Ne m'apprendrez-vous pas qui nous trahit auprès du roi d'Israël?"

2 Rois 6, 12 L'un de ses officiers répondit: "Non, Monseigneur le roi; c'est Elisée, le prophète d'Israël, qui révèle au roi d'Israël les paroles que tu prononces dans ta chambre à coucher."

2 Rois 6, 13 Il dit: "Allez, voyez où il est, et j'enverrai le saisir." On lui fit ce rapport: "Voici qu'il est à Dotân."

2 Rois 6, 14 Alors le roi envoya là-bas des chevaux, des chars et une forte troupe, qui arrivèrent de nuit et cernèrent la ville.

2 Rois 6, 15 Le lendemain, Elisée se leva de bon matin et sortit. Et voilà qu'une troupe entourait la ville avec des chevaux et des chars! Son serviteur lui dit: "Ah! Monseigneur, comment allons-nous faire?"

2 Rois 6, 16 Mais il répondit: "N'aie pas peur, car il y en a plus avec nous qu'avec eux."

2 Rois 6, 17 Et Elisée fit cette prière: "Yahvé, daigne ouvrir ses yeux pour qu'il voie!" Yahvé ouvrit les yeux du serviteur et il vit: voilà que la montagne était couverte de chevaux et de chars de feu autour d'Elisée!

2 Rois 6, 18 Comme les Araméens descendaient vers lui, Elisée pria ainsi Yahvé: "Daigne frapper ces gens de berlue", et il les frappa de berlue, selon la parole d'Elisée.

2 Rois 6, 19 Alors Elisée leur dit: "Ce n'est pas le chemin, et ce n'est pas la ville. Suivez-moi, je vous conduirai vers l'homme que vous cherchez." Mais il les conduisit à Samarie.

2 Rois 6, 20 A leur entrée dans Samarie, Elisée dit: "Yahvé ouvre les yeux de ces gens et qu'ils voient." Yahvé ouvrit leurs yeux et ils virent: voilà qu'ils étaient au milieu de Samarie!

2 Rois 6, 21 Le roi d'Israël, en les voyant, dit à Elisée: "Faut-il les tuer, mon père?"

2 Rois 6, 22 Mais il répondit: "Ne les tue pas. Ceux même que ton épée et ton arc ont fait captifs, les mets-tu à mort? Offre-leur du pain et de l'eau pour qu'ils mangent et qu'ils boivent, et qu'ils aillent chez leur maître."

2 Rois 6, 23 Le roi leur servit un grand festin; après qu'ils eurent mangé et bu, il les congédia et ils partirent chez leur maître. Les bandes araméennes ne revinrent plus sur le territoire d'Israël.

2 Rois 6, 24 Il advint, après cela, que Ben-Hadad, roi d'Aram, rassembla toute son armée et vint mettre le siège devant Samarie.

2 Rois 6, 25 Il y eut une grande famine à Samarie et le siège fut si dur que la tête d'âne valait 80 sicles d'argent et le quarteron d'oignons sauvages cinq sicles d'argent.

2 Rois 6, 26 Comme le roi passait sur le rempart, une femme lui cria: "Au secours, Monseigneur le roi!"

2 Rois 6, 27 Il répondit: "Si Yahvé ne te secourt pas, d'où pourrais-je te secourir? Serait-ce de l'aire ou du pressoir?"

2 Rois 6, 28 Puis le roi lui dit: "Qu'as-tu?" Elle reprit: "Cette femme m'a dit: Donne ton fils, que nous le mangions aujourd'hui, et nous mangerons mon fils demain.

2 Rois 6, 29 Nous avons fait cuire mon fils et nous l'avons mangé; le jour d'après, je lui ai dit: Donne ton fils, que nous le mangions, mais elle a caché son fils."

2 Rois 6, 30 Quand le roi entendit les paroles de cette femme, il déchira ses vêtements; le roi passait sur le rempart, et le peuple vit qu'en dessous, il portait le sac à même le corps.

2 Rois 6, 31 Il dit: "Que Dieu me fasse tel mal et y ajoute tel autre, si la tête d'Elisée fils de Shaphat lui reste aujourd'hui sur les épaules!"

2 Rois 6, 32 Elisée était assis dans sa maison et les anciens étaient assis avec lui, et le roi se fit précéder par un messager. Mais avant que celui-ci n'arrivât jusqu'à lui, Elisée dit aux anciens: "Avez-vous vu que ce fils d'assassin a donné l'ordre qu'on m'ôte la tête! Voyez: quand arrivera le messager, fermez la porte et repoussez-le avec la porte. Est-ce que le bruit des pas de son maître ne le suit point?"

2 Rois 6, 33 Il leur parlait encore que le roi descendit chez lui et dit: "Voici que tout ce mal vient de Yahvé! Pourquoi garderais-je confiance en Yahvé?"

2 Rois 7, 1 Elisée dit: "Ecoute la parole de Yahvé! Ainsi parle Yahvé: Demain à pareille heure, on aura un boisseau de gruau pour un sicle et deux boisseaux d'orge pour un sicle à la porte de Samarie."

2 Rois 7, 2 L'écuyer sur le bras de qui s'appuyait le roi répondit à Elisée: "A supposer même que Yahvé fasse des fenêtres dans le ciel, cette parole se réaliserait-elle?" Elisée dit: "Tu le verras de tes yeux, mais tu n'en mangeras pas."

2 Rois 7, 3 Or quatre hommes se trouvaient -- car ils étaient lépreux -- à l'entrée de la porte et ils se disaient entre eux: "Pourquoi restons-nous ici à attendre la mort?

2 Rois 7, 4 Si nous décidons d'entrer en ville, il y a la famine dans la ville et nous y mourrons; si nous restons ici, nous mourrons de même. Venez! Désertons et passons au camp des Araméens: s'ils nous laissent la vie, nous vivrons, et s'ils nous tuent, eh bien! nous mourrons!"

2 Rois 7, 5 Au crépuscule, ils se levèrent pour aller au camp des Araméens; ils arrivèrent à la limite du camp, et voilà qu'il n'y avait personne!

2 Rois 7, 6 Car Yahvé avait fait entendre dans le camp des Araméens un bruit de chars et de chevaux, le bruit d'une grande armée, et ils s'étaient dit entre eux: "Le roi d'Israël a pris à solde contre nous les rois des Hittites et les rois d'Egypte, pour qu'ils marchent contre nous."

2 Rois 7, 7 Ils se levèrent et s'enfuirent au crépuscule: abandonnant leurs tentes, leurs chevaux et leurs ânes, bref le camp comme il était, ils s'enfuirent pour sauver leur vie.

2 Rois 7, 8 Ces lépreux donc arrivèrent à la limite du camp et pénétrèrent dans une tente; ayant mangé et bu, ils emportèrent de là argent, or et vêtements qu'ils allèrent cacher. Puis ils revinrent, pénétrèrent dans une autre tente et en emportèrent du butin qu'ils allèrent cacher.

2 Rois 7, 9 Alors ils se dirent entre eux: "Nous faisons là quelque chose d'injuste. Ce jour-ci est un jour de bonne nouvelle, et nous nous taisons! Si nous attendons que le matin se lève, un châtiment nous frappera. Maintenant, venez! Allons porter la nouvelle au palais."

2 Rois 7, 10 Ils vinrent, appelèrent les gardes à la porte de la ville et leur annoncèrent: "Nous sommes allés au camp des Araméens. Il n'y a là personne, aucun bruit humain, seulement les chevaux à l'entrave, les ânes à l'entrave, et leurs tentes telles quelles."

2 Rois 7, 11 Les gardes de la porte crièrent, et on porta la nouvelle à l'intérieur du palais.

2 Rois 7, 12 Le roi se leva de nuit et dit à ses officiers: "Je vais vous expliquer ce que les Araméens nous ont fait. Comme ils savent que nous sommes affamés, ils ont quitté le camp pour se cacher dans la campagne en se disant: ils sortiront de la ville, nous les prendrons vivants et nous entrerons dans la ville."

2 Rois 7, 13 L'un de ses officiers répondit: "Qu'on prenne donc cinq des chevaux survivants, qui restent ici -- il leur arrivera comme à l'ensemble qui a péri --, nous les enverrons et nous verrons."

2 Rois 7, 14 On prit deux attelages, que le roi envoya derrière les Araméens en disant: "Allez et voyez."

2 Rois 7, 15 Ils les suivirent jusqu'au Jourdain; la route était jonchée de vêtements et de matériel que les Araméens avaient abandonnés dans leur panique; les messagers revinrent et informèrent le roi.

2 Rois 7, 16 Le peuple sortit et pilla le camp des Araméens: le boisseau de gruau fut à un sicle et les deux boisseaux d'orge à un sicle, selon la parole de Yahvé.

2 Rois 7, 17 Le roi avait mis de surveillance à la porte l'écuyer sur le bras duquel il s'appuyait; le peuple le foula aux pieds, à la porte, et il mourut, selon ce qu'avait dit l'homme de Dieu (ce qu'il avait dit lorsque le roi était descendu chez lui.

2 Rois 7, 18 Il arriva ce que l'homme de Dieu avait dit au roi: "On aura deux boisseaux d'orge pour un sicle et un boisseau de gruau pour un sicle, demain à pareille heure, à la porte de Samarie."

2 Rois 7, 19 L'écuyer répondit à l'homme de Dieu: "A supposer même que Yahvé fasse des fenêtres dans le ciel, cette parole se réaliserait-elle?" Elisée dit: "Tu le verras de tes yeux, mais tu n'en mangeras pas."

2 Rois 7, 20 C'est ce qui lui arriva: le peuple le foula aux pieds à la porte, et il mourut).

2 Rois 8, 1 Elisée avait dit à la femme dont il avait ressuscité le fils: "Lève-toi, va-t'en avec ta famille et séjourne où tu pourras à l'étranger, car Yahvé a appelé la famine, déjà elle vient sur le pays, pour sept ans."

2 Rois 8, 2 La femme se leva et fit ce qu'avait dit l'homme de Dieu: elle partit, elle et sa famille, et séjourna sept ans au pays des Philistins.

2 Rois 8, 3 Au bout de sept années, cette femme revint du pays des Philistins et elle alla faire appel au roi pour sa maison et pour son champ.

2 Rois 8, 4 Or le roi s'entretenait avec Géhazi, le serviteur de l'homme de Dieu: "Raconte-moi, disait-il, toutes les grandes choses qu'Elisée a faites."

2 Rois 8, 5 Il racontait justement au roi la résurrection de l'enfant mort quand la femme dont Elisée avait ressuscité le fils en appela au roi pour sa maison et pour son champ, et Géhazi dit: "Monseigneur le roi, voici cette femme, et voici son fils qu'Elisée a ressuscité."

2 Rois 8, 6 Le roi interrogea la femme et elle lui fit le récit. Alors le roi lui donna un eunuque, auquel il commanda: "Qu'on lui restitue tout ce qui est à elle et tous les revenus du champ depuis le jour où elle a quitté le pays jusqu'à maintenant."

2 Rois 8, 7 Elisée vint à Damas. Le roi d'Aram, Ben-Hadad, était malade et on lui annonça: "L'homme de Dieu est venu jusque chez nous."

2 Rois 8, 8 Alors le roi dit à Hazaël: "Prends avec toi un présent, va au-devant de l'homme de Dieu et consulte par lui Yahvé pour savoir si je guérirai de ce mal que j'ai."

2 Rois 8, 9 Hazaël alla au-devant d'Elisée et emporta en présent tout ce qu'il y avait de meilleur à Damas, la charge de 40 chameaux. Il vint et, se tenant devant lui: "Ton fils Ben-Hadad roi d'Aram, dit-il, m'a envoyé te demander: Guérirai-je de mon mal présent?"

2 Rois 8, 10 Elisée lui répondit: "Va lui dire: Tu peux guérir, mais Yahvé m'a fait voir que sûrement il mourra."

2 Rois 8, 11 Puis ses traits se figèrent, son regard devint fixe à l'extrême, et l'homme de Dieu pleura.

2 Rois 8, 12 Hazaël dit: "Pourquoi Monseigneur pleure-t-il?" Elisée répondit: "C'est que je sais le mal que tu feras aux Israélites: tu mettras le feu à leurs places fortes, tu tueras par l'épée l'élite de leurs guerriers, tu écraseras leurs petits enfants, tu éventreras leurs femmes enceintes."

2 Rois 8, 13 Hazaël dit: "Mais qu'est ton serviteur? Comment ce chien pourrait-il accomplir cette grande chose?" Elisée répondit: "Dans une vision de Yahvé, je t'ai vu roi d'Aram."

2 Rois 8, 14 Hazaël quitta Elisée et alla chez son maître, qui lui demanda: "Que t'a dit Elisée?" Il répondit: "Il m'a dit que tu pourrais guérir."

2 Rois 8, 15 Le lendemain, il prit une couverture, qu'il trempa dans l'eau et étendit sur sa figure. Ben-Hadad mourut et Hazaël régna à sa place.

2 Rois 8, 16 La cinquième année de Joram fils d'Achab, roi d'Israël, Joram fils de Josaphat devint roi de Juda.

2 Rois 8, 17 Il avait 32 ans à son avènement et régna huit ans à Jérusalem.

2 Rois 8, 18 Il imita la conduite des rois d'Israël, comme avait fait la maison d'Achab, car c'était de la maison d'Achab qu'il avait pris une épouse, et il fit ce qui déplaît à Yahvé.

2 Rois 8, 19 Cependant Yahvé ne voulut pas détruire Juda, à cause de son serviteur David, selon la promesse qu'il lui avait faite de lui laisser toujours une lampe en sa présence.

2 Rois 8, 20 De son temps, Edom s'affranchit de la domination de Juda et se donna un roi.

2 Rois 8, 21 Joram passa à Caïr, et avec lui tous les chars... Il se leva de nuit et força la ligne des Edomites qui l'encerclaient, et les commandants de chars avec lui; le peuple s'enfuit à ses tentes.

2 Rois 8, 22 Ainsi Edom s'affranchit de la domination de Juda, jusqu'à ce jour; Libna aussi se révolta. Dans ce temps-là...

2 Rois 8, 23 Le reste de l'histoire de Joram, tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

2 Rois 8, 24 Joram se coucha avec ses pères et on l'enterra avec ses pères dans la Cité de David. Son fils Ochozias régna à sa place.

2 Rois 8, 25 La douzième année de Joram fils d'Achab, roi d'Israël, Ochozias fils de Joram devint roi de Juda.

2 Rois 8, 26 Ochozias avait 22 ans à son avènement et il régna un an à Jérusalem. Le nom de sa mère était Athalie, fille d'Omri, roi d'Israël.

2 Rois 8, 27 Il imita la conduite de la famille d'Achab et fit ce qui déplaît à Yahvé, comme la famille d'Achab, car il lui était allié.

2 Rois 8, 28 Il alla avec Joram fils d'Achab pour combattre Hazaël, roi d'Aram, à Ramot de Galaad. Mais les Araméens blessèrent Joram.

2 Rois 8, 29 Le roi Joram revint à Yizréel pour faire soigner les blessures reçues à Ramot lorsqu'il combattait Hazaël roi d'Aram, et Ochozias fils de Joram, roi de Juda, descendit à Yizréel pour visiter Joram fils d'Achab parce qu'il était souffrant.

2 Rois 9, 1 Le prophète Elisée appela l'un des frères prophètes et lui dit: "Ceins tes reins, prends avec toi cette fiole d'huile et va à Ramot de Galaad.

2 Rois 9, 2 Arrivé là, cherche à voir Jéhu fils de Yehoshaphat fils de Nimshi. L'ayant trouvé, fais qu'il se lève d'entre ses compagnons et conduis-le dans une chambre retirée.

2 Rois 9, 3 Tu prendras la fiole d'huile et tu la répandras sur sa tête en disant: Ainsi parle Yahvé. Je t'ai oint comme roi d'Israël, puis ouvre la porte et sauve-toi sans tarder."

2 Rois 9, 4 Le jeune homme partit pour Ramot de Galaad.

2 Rois 9, 5 Lorsqu'il arriva, les chefs de l'armée étaient assis ensemble; il dit: "J'ai un mot à te dire, chef." Jéhu demanda: "Auquel d'entre nous?" Il répondit: "A toi, chef."

2 Rois 9, 6 Alors Jéhu se leva et entra dans la maison. Le jeune homme lui versa l'huile sur la tête et lui dit: "Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël. Je t'ai oint comme roi sur le peuple de Yahvé, sur Israël.

2 Rois 9, 7 Tu frapperas la famille d'Achab, ton maître, et je vengerai le sang de mes serviteurs les prophètes et de tous les serviteurs de Yahvé sur Jézabel

2 Rois 9, 8 et sur toute la famille d'Achab. J'exterminerai les mâles de la famille d'Achab, liés ou libres en Israël.

2 Rois 9, 9 Je traiterai la famille d'Achab comme celle de Jéroboam fils de Nebat et celle de Basha fils d'Ahiyya.

2 Rois 9, 10 Quant à Jézabel, les chiens la dévoreront dans le champ de Yizréel; personne ne l'enterrera." Puis il ouvrit la porte et s'enfuit.

2 Rois 9, 11 Jéhu sortit pour rejoindre les officiers de son maître. Ils lui demandèrent: "Tout va-t-il bien? Pourquoi ce fou est-il venu à toi?" Il répondit: "Vous connaissez l'homme et sa chanson!"

2 Rois 9, 12 Mais ils dirent: "C'est faux! Explique-nous donc!" Il dit: "Il m'a parlé de telle et telle façon et a dit: Ainsi parle Yahvé: Je t'ai oint comme roi d'Israël."

2 Rois 9, 13 Aussitôt, tous prirent leurs manteaux et les étendirent sous lui, à même les degrés; ils sonnèrent du cor et crièrent: "Jéhu est roi!"

2 Rois 9, 14 Jéhu fils de Yehoshaphat fils de Nimshi forma une conspiration contre Joram. -- Joram, avec tout Israël, gardait alors Ramot de Galaad contre une attaque de Hazaël, roi d'Aram.

2 Rois 9, 15 Mais le roi Joram était revenu à Yizréel pour faire soigner les blessures que les Araméens lui avaient infligées dans les combats qu'il soutenait contre Hazaël, roi d'Aram. -- Jéhu dit: "Si c'est votre sentiment, que personne ne s'échappe de la ville et n'aille porter la nouvelle à Yizréel!"

2 Rois 9, 16 Jéhu monta en char et partit pour Yizréel; Joram y était alité et Ochozias, roi de Juda, était descendu le visiter.

2 Rois 9, 17 Le guetteur, posté sur la tour de Yizréel, vit la troupe de Jéhu qui arrivait et annonça: "Je vois une troupe." Joram ordonna: "Qu'on prenne un cavalier, qu'on l'envoie au-devant de ces gens et qu'il demande: Cela va-t-il bien?"

2 Rois 9, 18 Le cavalier alla au-devant de Jéhu et demanda: "Ainsi parle le roi: Cela va-t-il bien" -- "Que t'importe si cela va bien? Répondit Jéhu. Passe derrière moi." Le guetteur annonça: "Le messager les a rejoints et ne revient pas."

2 Rois 9, 19 Le roi envoya un second cavalier; celui-ci les rejoignit et demanda: "Ainsi parle le roi: Cela va-t-il bien" -- "Que t'importe si cela va bien? Répondit Jéhu. Passe derrière moi."

2 Rois 9, 20 Le guetteur annonça: "Il les a rejoints et ne revient pas. La manière de conduire est celle de Jéhu fils de Nimshi: il conduit comme un fou!"

2 Rois 9, 21 Joram dit: "Qu'on attelle!" et on attela son char. Joram, roi d'Israël, et Ochozias, roi de Juda, partirent, chacun sur son char, au-devant de Jéhu. Ils le rejoignirent dans le champ de Nabot de Yizréel.

2 Rois 9, 22 Dès que Joram vit Jéhu, il demanda: "Cela va-t-il bien, Jéhu?" Celui-ci répondit: "Quelle question, tant que durent les prostitutions de ta mère Jézabel et ses nombreux sortilèges!"

2 Rois 9, 23 Joram tourna bride et s'enfuit, en disant à Ochozias: "Trahison, Ochozias!"

2 Rois 9, 24 Jéhu avait bandé son arc, il atteignit Joram entre les épaules et la flèche traversa le coeur du roi, qui s'affaissa sur son char.

2 Rois 9, 25 Jéhu dit à Bidqar son écuyer: "Enlève-le et jette-le dans le champ de Nabot de Yizréel. Souviens-toi: lorsque moi et toi nous étions tous deux en char derrière son père Achab, Yahvé a prononcé contre lui cette sentence:

2 Rois 9, 26 Je l'assure! J'ai vu hier le sang de Nabot et le sang de ses fils, oracle de Yahvé. Je te rendrai la pareille dans ce champ même, oracle de Yahvé. Enlève-le donc et jette-le dans le champ, selon la parole de Yahvé."

2 Rois 9, 27 Quand Ochozias, roi de Juda, eut vu cela, il prit la fuite sur la route de Bet-ha-Gân, mais Jéhu le poursuivit et ordonna: "Lui aussi, frappez-le!" On le blessa sur son char, à la montée de Gur, qui est près de Yibleam, et il se réfugia à Megiddo où il mourut.

2 Rois 9, 28 Ses serviteurs le portèrent en char à Jérusalem et l'ensevelirent dans son tombeau, dans la Cité de David.

2 Rois 9, 29 C'était en la onzième année de Joram fils d'Achab qu'Ochozias était devenu roi de Juda.

2 Rois 9, 30 Jéhu rentra à Yizréel et Jézabel l'apprit. Elle se farda les yeux, s'orna la tête, se mit à la fenêtre

2 Rois 9, 31 et, lorsque Jéhu franchit la porte, elle dit: "Cela va-t-il bien, Zimri, assassin de son maître?"

2 Rois 9, 32 Jéhu leva la tête vers la fenêtre et dit: "Qui est avec moi, qui?" Et deux ou trois eunuques se penchèrent vers lui.

2 Rois 9, 33 Il dit: "Jetez-la en bas." Ils la jetèrent en bas, son sang éclaboussa le mur et les chevaux, et Jéhu lui passa sur le corps.

2 Rois 9, 34 Il entra, mangea et but, puis il ordonna: "Occupez-vous de cette maudite et donnez-lui la sépulture, car elle est fille de roi."

2 Rois 9, 35 On alla pour l'ensevelir, mais on ne trouva d'elle que le crâne, les pieds et les mains.

2 Rois 9, 36 On revint en informer Jéhu, qui dit: "C'est la parole de Yahvé, qu'il a prononcée par le ministère de son serviteur Elie le Tishbite: Dans le champ de Yizréel, les chiens dévoreront la chair de Jézabel,

2 Rois 9, 37 le cadavre de Jézabel sera comme du fumier épandu dans la campagne, en sorte qu'on ne pourra pas dire: C'est Jézabel."

2 Rois 10, 1 Il y avait à Samarie 70 fils d'Achab. Jéhu écrivit des lettres qu'il envoya à Samarie aux commandants de la ville, aux anciens et aux tuteurs des enfants d'Achab. Il disait:

2 Rois 10, 2 "Maintenant -- quand cette lettre vous parviendra, -- vous avez avec vous les fils de votre maître, vous avez les chars et les chevaux, une ville forte et des armes.

2 Rois 10, 3 Voyez quel est, parmi les fils de votre maître, le meilleur et le plus digne, mettez-le sur le trône de son père, et combattez pour la maison de votre maître."

2 Rois 10, 4 Ils eurent une très grande peur et dirent: "Voilà que les deux rois n'ont pas tenu devant lui, comment pourrions-nous tenir nous-mêmes?"

2 Rois 10, 5 Le maître du palais, le commandant de la ville, les anciens et les tuteurs envoyèrent ce message à Jéhu: "Nous sommes tes serviteurs, nous ferons tout ce que tu ordonneras, nous ne proclamerons pas de roi, fais ce qui te paraît bon."

2 Rois 10, 6 Jéhu leur écrivit une seconde lettre, où il disait: "Si donc vous êtes pour moi et si vous voulez m'écouter, prenez les chefs des hommes de la maison de votre maître et venez me trouver demain à cette heure à Yizréel." (Il y avait 70 fils du roi chez les grands de la ville, qui les élevaient.)

2 Rois 10, 7 Dès que cette lettre leur parvint, ils prirent les fils du roi, les égorgèrent tous les 70, mirent leur tête dans des corbeilles et les lui envoyèrent à Yizréel.

2 Rois 10, 8 Le messager vint annoncer à Jéhu: "On a apporté les têtes des fils du roi." Il dit: "Mettez-les en deux tas à l'entrée de la porte, jusqu'au matin."

2 Rois 10, 9 Le matin, il sortit et, se tenant debout, il dit à tout le peuple: "Soyez sans reproche! Moi, j'ai conspiré contre mon maître et je l'ai assassiné, mais tous ceux-là, qui les a tués?

2 Rois 10, 10 Sachez donc que rien ne tombera à terre de l'oracle que Yahvé a prononcé contre la famille d'Achab: Yahvé a fait ce qu'il avait dit par le ministère de son serviteur Elie."

2 Rois 10, 11 Et Jéhu frappa tous ceux qui restaient de la maison d'Achab à Yizréel, tous ses grands, ses familiers, ses prêtres; il n'en laissa échapper aucun.

2 Rois 10, 12 Jéhu partit et alla à Samarie. Comme il était en route, à Bet-Eqèd-des-Pasteurs,

2 Rois 10, 13 il y trouva les frères d'Ochozias, roi de Juda, et demanda: "Qui êtes-vous?" Ils répondirent: "Nous sommes les frères d'Ochozias et nous descendons saluer les fils du roi et les fils de la reine mère."

2 Rois 10, 14 Il ordonna: "Prenez-les vivants." On les prit vivants et les égorgea à la citerne de Bet-Eqèd, au nombre de 42; il n'en épargna pas un seul.

2 Rois 10, 15 Parti de là, il trouva Yonadab fils de Rékab, qui venait à sa rencontre; il le salua et lui dit: "Ton coeur est-il loyalement avec le mien, comme mon coeur est avec le tien?" Yonadab répondit: "Oui" -- "Si c'est oui, donne-moi la main." Yonadab lui donna la main et Jéhu le fit monter près de lui sur le char.

2 Rois 10, 16 Il lui dit: "Viens avec moi, tu admireras mon zèle pour Yahvé", et il l'emmena sur son char.

2 Rois 10, 17 Il entra dans Samarie et frappa tous les survivants de la famille d'Achab à Samarie, il l'extermina, selon la parole que Yahvé avait dite à Elie.

2 Rois 10, 18 Jéhu rassembla tout le peuple et lui dit: "Achab a vénéré Baal un peu, Jéhu va le vénérer beaucoup.

2 Rois 10, 19 Maintenant, appelez-moi tous les prophètes de Baal et tous ses prêtres, qu'il n'en manque pas un, car j'ai à offrir un grand sacrifice à Baal. Quiconque s'abstiendra perdra la vie" -- Jéhu agissait par ruse, pour anéantir les fidèles de Baal. --

2 Rois 10, 20 Il ordonna: "Convoquez une assemblée sainte pour Baal"; et ils la convoquèrent.

2 Rois 10, 21 Jéhu envoya des messagers dans tout Israël et tous les fidèles de Baal arrivèrent, il n'en resta pas un qui ne vînt. Ils se rendirent au temple de Baal, qui fut rempli d'un mur à l'autre.

2 Rois 10, 22 Jéhu dit au gardien du vestiaire: "Sors des vêtements pour tous les fidèles de Baal", et il sortit pour eux les vêtements.

2 Rois 10, 23 Jéhu vint au temple de Baal avec Yonadab fils de Rékab et dit aux fidèles de Baal: "Assurez-vous bien qu'il n'y a pas de serviteurs de Yahvé ici avec vous, mais rien que des fidèles de Baal",

2 Rois 10, 24 et il s'avança pour offrir des sacrifices et des holocaustes. Or Jéhu avait posté au-dehors 80 de ses gens et avait dit: "Si l'un de vous laisse échapper un des hommes que je vais vous livrer, sa vie paiera pour la vie de l'autre."

2 Rois 10, 25 Lorsque Jéhu eut achevé d'offrir l'holocauste, il ordonna aux gardes et aux écuyers: "Entrez, frappez-les! Que pas un ne sorte!" Les gardes et les écuyers entrèrent, les passèrent au fil de l'épée et arrivèrent jusqu'au sanctuaire du temple de Baal.

2 Rois 10, 26 Ils enlevèrent le pieu sacré du temple de Baal et le brûlèrent.

2 Rois 10, 27 Ils démolirent la stèle de Baal, ils démolirent aussi le temple de Baal et en firent un cloaque, ce qu'il est resté jusqu'à maintenant.

2 Rois 10, 28 Ainsi Jéhu fit que Baal disparut d'Israël.

2 Rois 10, 29 Cependant Jéhu ne se détourna pas des péchés de Jéroboam fils de Nebat, où il avait entraîné Israël, les veaux d'or de Béthel et de Dan.

2 Rois 10, 30 Yahvé dit à Jéhu: "Parce que tu as bien exécuté ce qui m'était agréable et que tu as accompli tout ce que j'avais dans le coeur contre la maison d'Achab, tes fils jusqu'à la quatrième génération s'assiéront sur le trône d'Israël.

2 Rois 10, 31 Mais Jéhu ne suivit pas fidèlement et de tout son coeur la loi de Yahvé, Dieu d'Israël: il ne se détourna pas des péchés de Jéroboam, où il avait entraîné Israël.

2 Rois 10, 32 En ce temps-là, Yahvé commença à tailler dans Israël et Hazaël battit les Israélites dans tout le territoire

2 Rois 10, 33 à partir du Jourdain vers le soleil levant, tout le pays de Galaad, le pays des Gadites, des Rubénites, des Manassites, depuis Aroër qui est sur le torrent d'Arnon, Galaad et Bashân.

2 Rois 10, 34 Le reste de l'histoire de Jéhu, tout ce qu'il a fait, tous ses exploits, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

2 Rois 10, 35 Il se coucha avec ses pères et on l'enterra à Samarie; son fils Joachaz devint roi à sa place.

2 Rois 10, 36 Jéhu avait régné sur Israël pendant 28 ans à Samarie.

2 Rois 11, 1 Lorsque la mère d'Ochozias, Athalie, eut appris que son fils était mort, elle entreprit d'exterminer toute la descendance royale.

2 Rois 11, 2 Mais Yehoshéba fille du roi Joram et soeur d'Ochozias, retira furtivement Joas, son neveu, du groupe des fils du roi qu'on massacrait et elle le mit, avec sa nourrice, dans la chambre des lits; elle le déroba ainsi à Athalie et il ne fut pas mis à mort.

2 Rois 11, 3 Il resta six ans avec elle, caché dans le Temple de Yahvé, pendant qu'Athalie régnait sur le pays.

2 Rois 11, 4 La septième année, Yehoyada envoya chercher les centeniers des Cariens et des gardes, et les fit venir auprès de lui, dans le Temple de Yahvé. Il conclut un pacte avec eux, leur fit prêter serment et leur montra le fils du roi.

2 Rois 11, 5 Il leur donna cet ordre: "Voici ce que vous allez faire: le tiers d'entre vous, la garde descendante du jour du sabbat, qui prend la faction au palais royal,

2 Rois 11, 7 et vos deux autres sections, toute la garde montante du jour du sabbat, qui prend la faction au Temple de Yahvé,

2 Rois 11, 8 vous ferez un cercle autour du roi; chacun aura ses armes à la main et quiconque voudra forcer vos rangs sera mis à mort. Vous accompagnerez le roi dans ses allées et venues."

2 Rois 11, 9 Les centeniers firent tout ce que leur avait ordonné le prêtre Yehoyada. Ils prirent chacun leurs hommes, la garde descendante du jour du sabbat en même temps que la garde montante du jour du sabbat, et vinrent auprès du prêtre Yehoyada.

2 Rois 11, 10 Le prêtre donna aux centeniers les lances et les boucliers du roi David, qui étaient dans le Temple de Yahvé.

2 Rois 11, 11 Les gardes se rangèrent, leurs armes à la main, depuis l'angle sud jusqu'à l'angle nord du Temple, entourant l'autel et le Temple.

2 Rois 11, 12 Alors Yehoyada fit sortir le fils du roi, il lui imposa le diadème et lui remit le document de l'alliance; on le fit roi et on lui donna l'onction. On battit des mains et on cria: "Vive le roi!"

2 Rois 11, 13 Entendant la clameur populaire, Athalie se rendit vers le peuple au Temple de Yahvé.

2 Rois 11, 14 Quand elle vit le roi debout sur l'estrade, selon l'usage, les chefs et les trompettes près du roi, tout le peuple du pays exultant de joie et sonnant de la trompette, Athalie déchira ses vêtements et cria: "Trahison! Trahison!"

2 Rois 11, 15 Alors le prêtre Yehoyada donna un ordre aux commandants de la troupe: "Faites-la sortir entre les rangs, leur dit-il, et si quelqu'un la suit, qu'on le passe au fil de l'épée"; car le prêtre s'était dit: "Il ne faut pas qu'elle soit tuée dans le Temple de Yahvé."

2 Rois 11, 16 Ils mirent la main sur elle et, quand elle arriva au palais royal par l'Entrée des Chevaux, là elle fut mise à mort.

2 Rois 11, 17 Yehoyada conclut entre Yahvé, le roi et le peuple l'alliance par laquelle celui-ci s'obligeait à être le peuple de Yahvé; de même entre le roi et le peuple.

2 Rois 11, 18 Tout le peuple du pays se rendit ensuite au temple de Baal et le démolit; on brisa de belle façon ses autels et ses images et on tua Mattân, prêtre de Baal, devant les autels. Le prêtre établit des postes de surveillance pour le Temple de Yahvé,

2 Rois 11, 19 puis il prit des centeniers, les Cariens et les gardes, et tout le peuple du pays. Ils firent descendre le roi du Temple de Yahvé et entrèrent au palais par la porte des Gardes. Joas s'assit sur le trône des rois.

2 Rois 11, 20 Tout le peuple du pays était en liesse mais la ville ne bougea pas. Quant à Athalie, on la fit périr par l'épée dans le palais royal.

2 Rois 12, 1 Joas avait sept ans à son avènement.

2 Rois 12, 2 En la septième année de Jéhu, Joas devint roi et il régna 40 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Cibya et était de Bersabée.

2 Rois 12, 3 Joas fit ce qui est agréable à Yahvé, pendant toute sa vie, car le prêtre Yehoyada l'avait instruit.

2 Rois 12, 4 Seulement, les hauts lieux ne disparurent pas et le peuple continuait d'offrir sacrifices et encens sur les hauts lieux.

2 Rois 12, 5 Joas dit aux prêtres: "Tout l'argent des redevances sacrées qu'on apporte au Temple de Yahvé, l'argent des taxes personnelles et tout l'argent offert volontairement au Temple,

2 Rois 12, 6 les prêtres le recevront chacun des gens de sa connaissance et ils feront au Temple toutes les réparations qu'il y a à faire."

2 Rois 12, 7 Or, en la vingt-troisième année du roi Joas, les prêtres n'avaient pas réparé le Temple;

2 Rois 12, 8 alors le roi Joas appela le prêtre Yehoyada et les prêtres et il leur dit: "Pourquoi ne réparez-vous pas le Temple? Il ne faut plus que vous receviez l'argent des gens de votre connaissance, vous le donnerez pour le dommage du Temple."

2 Rois 12, 9 Les prêtres consentirent à ne pas accepter d'argent du peuple et à n'être plus chargés de réparer le Temple.

2 Rois 12, 10 Le prêtre Yehoyada prit un coffre, perça un trou dans son couvercle et le plaça à côté de la stèle, à droite quand on entre dans le Temple de Yahvé, et les prêtres gardiens du seuil y déposaient tout l'argent livré au Temple de Yahvé.

2 Rois 12, 11 Quand ils voyaient qu'il y avait beaucoup d'argent dans le coffre, le secrétaire royal montait, on fondait et on comptait l'argent qui se trouvait dans le Temple de Yahvé.

2 Rois 12, 12 Une fois l'argent éprouvé, on le remettait aux maîtres d'oeuvres attachés au Temple de Yahvé et ceux-ci le dépensaient pour les charpentiers et les ouvriers du bâtiment qui travaillaient au Temple de Yahvé,

2 Rois 12, 13 pour les maçons et les tailleurs de pierres, et pour acheter le bois et les pierres de taille, destinés à la réparation du Temple de Yahvé, bref pour tous les frais de réparation du Temple.

2 Rois 12, 14 Mais on ne faisait dans le Temple de Yahvé ni bassins d'argent, ni couteaux, ni bols à aspersion, ni trompettes, ni aucun objet d'or ou d'argent avec l'argent qui y était livré,

2 Rois 12, 15 on le donnait aux maîtres d'oeuvres qui l'employaient à réparer le Temple de Yahvé.

2 Rois 12, 16 On ne tenait pas de comptes avec les gens aux mains desquels on remettait l'argent pour le donner aux artisans, car ils agissaient avec probité.

2 Rois 12, 17 Quant à l'argent versé pour la satisfaction d'un délit ou d'un péché, il n'était pas livré au Temple de Yahvé, il était pour les prêtres.

2 Rois 12, 18 Alors Hazaël, roi d'Aram, partit en guerre contre Gat et la prit, puis il se disposa à monter contre Jérusalem.

2 Rois 12, 19 Joas, roi de Juda, prit tout ce qu'avaient consacré les rois de Juda, ses pères, Josaphat, Joram et Ochozias, ce qu'il avait consacré lui-même et tout l'or qu'on trouva dans les trésors du Temple de Yahvé et du palais royal; il envoya le tout à Hazaël, roi d'Aram, et celui-ci s'éloigna de Jérusalem.

2 Rois 12, 20 Le reste de l'histoire de Joas et tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

2 Rois 12, 21 Ses officiers se soulevèrent et ourdirent un complot; ils frappèrent Joas au Bet-Millo...

2 Rois 12, 22 Ce furent Yozakar fils de Shiméat et Yehozabad fils de Shomer qui le frappèrent, et il mourut. On l'enterra avec ses pères dans la Cité de David et son fils Amasias régna à sa place.

2 Rois 13, 1 En la vingt-troisième année de Joas fils d'Ochozias, roi de Juda, Joachaz fils de Jéhu devint roi sur Israël à Samarie. Il régna dix-sept ans.

2 Rois 13, 2 Il fit ce qui déplaît à Yahvé et imita le péché de Jéroboam fils de Nebat, où celui-ci avait entraîné Israël; il ne s'en détourna pas.

2 Rois 13, 3 Alors la colère de Yahvé s'enflamma contre les Israélites et il les livra à Hazaël, roi d'Aram, et à Ben-Hadad, fils de Hazaël, tout le temps.

2 Rois 13, 4 Mais Joachaz chercha à apaiser Yahvé, et Yahvé l'exauça, car il avait vu l'oppression que le roi d'Aram faisait subir à Israël.

2 Rois 13, 5 Yahvé donna à Israël un libérateur qui l'affranchit de l'emprise d'Aram, et les Israélites habitèrent leurs tentes comme auparavant.

2 Rois 13, 6 Seulement, ils ne se détournèrent pas du péché de Jéroboam, où celui-ci avait entraîné Israël: ils y persistèrent, et même le pieu sacré resta dressé à Samarie.

2 Rois 13, 7 Yahvé ne laissa comme troupes à Joachaz que 50 cavaliers, dix chars et 10.000 hommes de pied; le roi d'Aram les avait exterminés et rendus comme poussière qu'on foule aux pieds.

2 Rois 13, 8 Le reste de l'histoire de Joachaz, tout ce qu'il a fait et ses exploits, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

2 Rois 13, 9 Joachaz se coucha avec ses pères, on l'enterra à Samarie et son fils Joas régna à sa place.

2 Rois 13, 10 En la trente-septième année de Joas, roi de Juda, Joas fils de Joachaz devint roi sur Israël à Samarie; il régna seize ans.

2 Rois 13, 11 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, il ne se détourna pas du péché de Jéroboam fils de Nebat, où celui-ci avait entraîné Israël, il y persista.

2 Rois 13, 12 Le reste de l'histoire de Joas, tout ce qu'il a fait et ses exploits, comment il fit la guerre à Amasias, roi de Juda, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

2 Rois 13, 13 Joas se coucha avec ses pères et Jéroboam monta sur son trône. Joas fut enterré à Samarie avec les rois d'Israël.

2 Rois 13, 14 Quand Elisée fut frappé de la maladie dont il devait mourir, Joas, le roi d'Israël, descendit vers lui, pleura sur son visage et dit: "Mon père! Mon père! Char d'Israël et son attelage!"

2 Rois 13, 15 Elisée lui dit: "Va chercher un arc et des flèches", et il alla chercher un arc et des flèches.

2 Rois 13, 16 Elisée dit au roi: "Bande l'arc", et il le banda. Elisée mit ses mains sur les mains du roi,

2 Rois 13, 17 puis il dit: "Ouvre la fenêtre vers l'orient", et il l'ouvrit. Alors Elisée dit: "Tire!" et il tira. Elisée dit: "Flèche de victoire pour Yahvé! Flèche de victoire contre Aram! Tu battras Aram à Apheq, complètement."

2 Rois 13, 18 Elisée dit: "Prends les flèches"; et il les prit. Elisée dit au roi: "Frappe contre terre", il frappa trois coups et il s'arrêta.

2 Rois 13, 19 Alors l'homme de Dieu s'irrita contre lui: "Il fallait frapper cinq ou six coups! Alors tu aurais battu Aram complètement; maintenant, tu ne le battras que trois fois!"

2 Rois 13, 20 Elisée mourut et on l'enterra. Des bandes de Moabites faisaient incursion dans le pays chaque année.

2 Rois 13, 21 Il arriva que des gens qui portaient un homme en terre virent la bande; ils jetèrent l'homme dans la tombe d'Elisée et partirent. L'homme toucha les ossements d'Elisée: il reprit vie et se dressa sur ses pieds.

2 Rois 13, 22 Hazaël, roi d'Aram, avait opprimé les Israélites pendant toute la vie de Joachaz.

2 Rois 13, 23 Mais Yahvé leur fit grâce et les prit en pitié. Il se tourna vers eux à cause de l'alliance qu'il avait conclue avec Abraham, Isaac et Jacob; il ne voulut pas les anéantir et ne les rejeta pas loin de sa face.

2 Rois 13, 24 Hazaël, roi d'Aram, mourut et son fils Ben-Hadad régna à sa place.

2 Rois 13, 25 Alors Joas, fils de Joachaz, reprit des mains de Ben-Hadad, fils de Hazaël, les villes que Hazaël avait enlevées par les armes à son père Joachaz. Joas le battit trois fois et recouvra les villes d'Israël.

2 Rois 14, 1 En la deuxième année de Joas fils de Joachaz, roi d'Israël, Amasias fils de Joas devint roi de Juda.

2 Rois 14, 2 Il avait 25 ans à son avènement et régna 29 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Yehoaddân et était de Jérusalem.

2 Rois 14, 3 Il fit ce qui est agréable à Yahvé, non pas pourtant comme son ancêtre David; il imita en tout Joas, son père.

2 Rois 14, 4 Seulement, les hauts lieux ne disparurent pas et le peuple continuait d'offrir sacrifices et encens sur les hauts lieux.

2 Rois 14, 5 Lorsque le pouvoir royal fut affermi entre ses mains, il tua ceux de ses officiers qui avaient tué le roi son père.

2 Rois 14, 6 Mais il ne mit pas à mort les fils des meurtriers, selon ce qui est écrit dans le livre de la Loi de Moïse, où Yahvé a ordonné: Les pères ne seront pas mis à mort pour les fils, ni les fils pour les pères, mais chacun sera mis à mort pour son propre crime.

2 Rois 14, 7 C'est lui qui battit les Edomites dans la vallée du Sel, au nombre de 10.000 hommes, et qui prit de haute lutte la Roche, il lui donna le nom de Yoqtéel, qu'elle porte jusqu'à ce jour.

2 Rois 14, 8 Alors Amasias envoya des messagers à Joas fils de Joachaz fils de Jéhu, roi d'Israël, pour lui dire: "Viens et mesurons-nous!"

2 Rois 14, 9 Joas, roi d'Israël, retourna ce message à Amasias, roi de Juda: "Le chardon du Liban manda ceci au cèdre du Liban: Donne ta fille pour femme à mon fils, mais les bêtes sauvages du Liban passèrent et foulèrent le chardon.

2 Rois 14, 10 Tu as remporté une victoire sur Edom et tu te montes la tête! Sois glorieux et reste chez toi. Pourquoi provoquer le malheur et amener ta chute et celle de Juda avec toi?"

2 Rois 14, 11 Mais Amasias n'écouta pas, et Joas, roi d'Israël, se mit en campagne. Ils se mesurèrent, lui et Amasias, roi de Juda, à Bet-Shémesh qui appartient à Juda.

2 Rois 14, 12 Juda fut battu devant Israël et chacun s'enfuit à sa tente.

2 Rois 14, 13 Quant au roi de Juda, Amasias fils de Joas fils d'Ochozias, le roi d'Israël Joas le fit prisonnier à Bet-Shémesh et l'emmena à Jérusalem. Il fit une brèche au rempart de Jérusalem, depuis la porte d'Ephraïm jusqu'à la porte de l'Angle, sur 400 coudées.

2 Rois 14, 14 Il prit tout l'or et l'argent et tout le mobilier qui se trouvaient dans le Temple de Yahvé et dans le trésor du palais royal, en plus des otages, et retourna à Samarie.

2 Rois 14, 15 Le reste de l'histoire de Joas, tout ce qu'il a fait et ses exploits, et comment il fit la guerre à Amasias, roi de Juda, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

2 Rois 14, 16 Joas se coucha avec ses pères et on l'enterra à Samarie auprès des rois d'Israël: Jéroboam, son fils, régna à sa place.

2 Rois 14, 17 Amasias, fils de Joas, roi de Juda, vécut encore quinze ans après la mort de Joas, fils de Joachaz, roi d'Israël.

2 Rois 14, 18 Le reste de l'histoire d'Amasias, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

2 Rois 14, 19 On trama un complot contre lui à Jérusalem, il s'enfuit vers Lakish, mais on le fit suivre à Lakish et mettre à mort là-bas.

2 Rois 14, 20 On le transporta avec des chevaux et on l'enterra à Jérusalem auprès de ses pères, dans la Cité de David.

2 Rois 14, 21 Tout le peuple de Juda choisit Ozias, qui avait seize ans, et le fit roi à la place de son père Amasias.

2 Rois 14, 22 C'est lui qui rebâtit Elat et la rendit à Juda, après que le roi se fut couché avec ses pères.

2 Rois 14, 23 En la quinzième année d'Amasias fils de Joas, roi de Juda, Jéroboam fils de Joas devint roi d'Israël à Samarie; il régna 41 ans.

2 Rois 14, 24 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, il ne se détourna pas de tous les péchés de Jéroboam fils de Nebat, où celui-ci avait entraîné Israël.

2 Rois 14, 25 C'est lui qui recouvra le territoire d'Israël, depuis l'Entrée de Hamat jusqu'à la mer de la Araba, selon ce que Yahvé, Dieu d'Israël, avait dit par le ministère de son serviteur, le prophète Jonas fils d'Amittaï, qui était de Gat-Hépher.

2 Rois 14, 26 Car Yahvé avait vu la très amère détresse d'Israël, plus de liés ni de libres et personne pour secourir Israël.

2 Rois 14, 27 Yahvé n'avait pas décidé d'effacer le nom d'Israël de dessous le ciel et il le sauva par les mains de Jéroboam fils de Joas.

2 Rois 14, 28 Le reste de l'histoire de Jéroboam, tout ce qu'il a fait et ses exploits, comment il guerroya et comment il fit revenir Damas et Hamat à Juda et à Israël, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

2 Rois 14, 29 Jéroboam se coucha avec ses pères. On l'enterra à Samarie auprès des rois d'Israël et son fils Zacharie régna à sa place.

2 Rois 15, 1 En la vingt-septième année de Jéroboam, roi d'Israël, Ozias fils d'Amasias devint roi de Juda.

2 Rois 15, 2 Il avait seize ans à son avènement et régna 52 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Yekolyahu et était de Jérusalem.

2 Rois 15, 3 Il fit ce qui est agréable à Yahvé, comme tout ce qu'avait fait son père Amasias.

2 Rois 15, 4 Seulement, les hauts lieux ne disparurent pas et le peuple continuait d'offrir sacrifices et encens sur les hauts lieux.

2 Rois 15, 5 Mais Yahvé frappa le roi et il fut affligé de la lèpre jusqu'au jour de sa mort. Il demeura confiné à la chambre, Yotam, son fils, était maître du palais et administrait le peuple.

2 Rois 15, 6 Le reste de l'histoire d'Ozias, et tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

2 Rois 15, 7 Ozias se coucha avec ses pères, on l'enterra dans la Cité de David et son fils Yotam devint roi à sa place.

2 Rois 15, 8 En la trente-huitième année d'Ozias, roi de Juda, Zacharie fils de Jéroboam devint roi sur Israël à Samarie, pour six mois.

2 Rois 15, 9 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, comme avaient fait ses pères, il ne se détourna pas des péchés de Jéroboam fils de Nebat, où celui-ci avait entraîné Israël.

2 Rois 15, 10 Shallum fils de Yabesh fit une conspiration contre lui, il le frappa à mort à Yibleam et devint roi à sa place.

2 Rois 15, 11 Le reste de l'histoire de Zacharie est écrit au livre des Annales des rois d'Israël.

2 Rois 15, 12 C'était ce que Yahvé avait dit à Jéhu: "Tes fils jusqu'à la quatrième génération s'assiéront sur le trône d'Israël"; et il en fut ainsi.

2 Rois 15, 13 Shallum fils de Yabesh devint roi en la trente-neuvième année d'Ozias, roi de Juda, et régna un mois à Samarie.

2 Rois 15, 14 Menahem fils de Gadi monta de Tirça, entra à Samarie, y frappa à mort Shallum fils de Yabesh et devint roi à sa place.

2 Rois 15, 15 Le reste de l'histoire de Shallum et le complot qu'il trama, cela est écrit au livre des Annales des rois d'Israël.

2 Rois 15, 16 C'est alors que Menahem châtia Tappuah -- tuant tous ceux qui y étaient -- et son territoire en partant de Tirça, parce qu'on ne lui avait pas ouvert les portes; il châtia la ville et éventra toutes les femmes enceintes.

2 Rois 15, 17 En la trente-neuvième année d'Ozias, roi de Juda, Menahem fils de Gadi devint roi sur Israël; il régna dix ans à Samarie.

2 Rois 15, 18 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, il ne se détourna pas des péchés de Jéroboam fils de Nebat, où celui-ci avait entraîné Israël. De son temps,

2 Rois 15, 19 Pul, roi d'Assyrie, envahit le pays. Menahem donna à Pul mille talents d'argent pour qu'il le soutînt et qu'il affermît le pouvoir royal entre ses mains.

2 Rois 15, 20 Menahem préleva cette somme sur Israël, sur tous les notables, pour la donner au roi d'Assyrie, à raison de 50 sicles d'argent par tête. Alors le roi d'Assyrie s'en retourna et ne resta pas là, dans le pays.

2 Rois 15, 21 Le reste de l'histoire de Menahem, et tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois d'Israël?

2 Rois 15, 22 Menahem se coucha avec ses pères et Peqahya, son fils, devint roi à sa place.

2 Rois 15, 23 En la cinquantième année d'Ozias, roi de Juda, Peqahya fils de Menahem devint roi sur Israël à Samarie, pour deux ans.

2 Rois 15, 24 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, il ne se détourna pas des péchés de Jéroboam fils de Nebat, où celui-ci avait entraîné Israël.

2 Rois 15, 25 Son écuyer Péqah fils de Remalyahu complota contre lui et le frappa à Samarie, dans le donjon du palais royal... Il y avait avec lui 50 hommes de Galaad. Il fit mourir le roi et régna à sa place.

2 Rois 15, 26 Le reste de l'histoire de Peqahya, et tout ce qu'il a fait, cela est écrit au livre des Annales des rois d'Israël.

2 Rois 15, 27 En la cinquante-deuxième année d'Ozias, roi de Juda, Péqah fils de Remalyahu devint roi sur Israël à Samarie; il régna vingt ans.

2 Rois 15, 28 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, il ne se détourna pas des péchés de Jéroboam fils de Nebat, où celui-ci avait entraîné Israël.

2 Rois 15, 29 Au temps de Péqah, roi d'Israël, Téglat-Phalasar, roi d'Assyrie, vint s'emparer de Iyyôn, d'Abel-Bet-Maaka, de Yanoah, de Qédesh, de Haçor, de Galaad, de la Galilée, tout le pays de Nephtali, et il déporta les habitants en Assyrie.

2 Rois 15, 30 Osée fils d'Ela ourdit un complot contre Péqah fils de Remalyahu, il le frappa à mort et devint roi à sa place.

2 Rois 15, 31 Le reste de l'histoire de Péqah, et tout ce qu'il a fait, cela est écrit au livre des Annales des rois d'Israël.

2 Rois 15, 32 En la deuxième année de Péqah fils de Remalyahu, roi d'Israël, Yotam fils d'Ozias devint roi de Juda.

2 Rois 15, 33 Il avait 25 ans à son avènement et il régna seize ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Yerusha, fille de Sadoq.

2 Rois 15, 34 Il fit ce qui est agréable à Yahvé, imitant en tout la conduite de son père Ozias.

2 Rois 15, 35 Seulement, les hauts lieux ne disparurent pas, le peuple continuait d'offrir sacrifices et encens sur les hauts lieux. C'est lui qui construisit la Porte Supérieure du Temple de Yahvé.

2 Rois 15, 36 Le reste de l'histoire de Yotam, et tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

2 Rois 15, 37 En ces jours-là, Yahvé commença d'envoyer contre Juda Raçôn, roi d'Aram, et Péqah, fils de Remalyahu.

2 Rois 15, 38 Yotam se coucha avec ses pères, on l'enterra dans la Cité de David, son ancêtre, et son fils Achaz devint roi à sa place.

2 Rois 16, 1 En la dix-septième année de Péqah fils de Remalyahu, Achaz fils de Yotam devint roi de Juda.

2 Rois 16, 2 Achaz avait vingt ans à son avènement et il régna seize ans à Jérusalem. Il ne fit pas ce qui est agréable à Yahvé, son Dieu, comme avait fait David son ancêtre.

2 Rois 16, 3 Il imita la conduite des rois d'Israël, et même il fit passer son fils par le feu, selon les coutumes abominables des nations que Yahvé avait chassées devant les Israélites.

2 Rois 16, 4 Il offrit des sacrifices et de l'encens sur les hauts lieux, sur les collines et sous tout arbre verdoyant.

2 Rois 16, 5 C'est alors que Raçôn, roi d'Aram, et Péqah fils de Remalyahu, roi d'Israël, partirent en guerre contre Jérusalem, ils l'assiégèrent mais ils ne purent pas la réduire.

2 Rois 16, 6 (En ce temps-là, le roi d'Edom recouvra Elat pour Edom; il expulsa les Judéens d'Elat, les Edomites y entrèrent et ils y sont restés jusqu'à ce jour.)

2 Rois 16, 7 Alors Achaz envoya des messagers à Téglat-Phalasar, roi d'Assyrie, pour lui dire: "Je suis ton serviteur et ton fils! Viens me délivrer des mains du roi d'Aram et du roi d'Israël, qui se sont levés contre moi."

2 Rois 16, 8 Achaz prit l'argent et l'or qu'on trouva dans le Temple de Yahvé et dans les trésors du palais royal et envoya le tout en présent au roi d'Assyrie.

2 Rois 16, 9 Le roi d'Assyrie l'exauça, il monta contre Damas et s'en empara; il déporta les habitants à Qir et fit mourir Raçôn.

2 Rois 16, 10 Le roi Achaz alla à Damas pour rencontrer Téglat-Phalasar, roi d'Assyrie, et il vit l'autel qui était à Damas. Alors le roi Achaz envoya au prêtre Uriyya l'image de l'autel et son modèle, avec le détail de sa structure.

2 Rois 16, 11 Le prêtre Uriyya construisit l'autel; toutes les instructions que le roi Achaz avait envoyées de Damas, le prêtre Uriyya les exécuta avant que le roi Achaz revînt de Damas.

2 Rois 16, 12 Lorsque le roi Achaz arriva de Damas, il vit l'autel, il s'en approcha et il y monta.

2 Rois 16, 13 Il fit fumer sur l'autel son holocauste et ses oblations, versa sa libation et répandit le sang de ses sacrifices de communion.

2 Rois 16, 14 Quant à l'autel qui était devant Yahvé, il le déplaça de devant le Temple, où il était entre le nouvel autel et le Temple de Yahvé, et le mit à côté du nouvel autel, vers le nord.

2 Rois 16, 15 Le roi Achaz fit ce commandement au prêtre Uriyya: "C'est sur le grand autel que tu feras fumer l'holocauste du matin et l'oblation du soir, l'holocauste du roi et son oblation, l'holocauste, l'oblation et les libations de tout le peuple; tu répandras sur lui tout le sang des holocaustes et des sacrifices. Pour ce qui concerne l'autel de bronze, je vais m'en occuper."

2 Rois 16, 16 Le prêtre Uriyya fit tout ce que lui avait ordonné le roi Achaz.

2 Rois 16, 17 Le roi Achaz mit en pièces les bases roulantes, il en détacha les traverses et les bassins, il descendit la Mer de bronze de dessus les boeufs qui la supportaient et la posa sur le pavé de pierres.

2 Rois 16, 18 En considération du roi d'Assyrie, il supprima du Temple de Yahvé l'estrade du trône, qu'on y avait construite, et l'entrée extérieure du roi.

2 Rois 16, 19 Le reste de l'histoire d'Achaz, et tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

2 Rois 16, 20 Achaz se coucha avec ses pères, on l'enterra dans la Cité de David et son fils Ezéchias régna à sa place.

2 Rois 17, 1 En la douzième année d'Achaz, roi de Juda, Osée fils d'Ela devint roi sur Israël à Samarie; il régna neuf ans.

2 Rois 17, 2 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, non pas pourtant comme les rois d'Israël ses prédécesseurs.

2 Rois 17, 3 Salmanasar, roi d'Assyrie, monta contre Osée, qui se soumit à lui et lui paya tribut.

2 Rois 17, 4 Mais le roi d'Assyrie découvrit qu'Osée le trahissait: celui-ci avait envoyé des messagers à Saïs, vers le roi d'Egypte, et il n'avait pas livré le tribut au roi d'Assyrie, comme chaque année. Alors le roi d'Assyrie le fit mettre en prison, chargé de chaînes.

2 Rois 17, 5 Le roi d'Assyrie envahit tout le pays et vint assiéger Samarie, pendant trois ans.

2 Rois 17, 6 En la neuvième année d'Osée, le roi d'Assyrie prit Samarie et déporta les Israélites en Assyrie. Il les établit à Halah et sur le Habor, fleuve de Gozân, et dans les villes des Mèdes.

2 Rois 17, 7 Cela arriva parce que les Israélites avaient péché contre Yahvé leur Dieu, qui les avait fait monter du pays d'Egypte, les soustrayant à l'emprise de Pharaon, roi d'Egypte. Ils adorèrent d'autres dieux,

2 Rois 17, 8 ils suivirent les coutumes des nations que Yahvé avait chassées devant eux.

2 Rois 17, 9 Les Israélites proférèrent des paroles inconvenantes contre Yahvé leur Dieu, ils se construisirent des hauts lieux partout où ils habitaient, depuis les tours de garde jusqu'aux villes fortes.

2 Rois 17, 10 Ils se dressèrent des stèles et des pieux sacrés sur toute colline élevée et sous tout arbre verdoyant.

2 Rois 17, 11 Ils sacrifièrent sur tous les hauts lieux à la manière des nations que Yahvé avait expulsées devant eux et ils y commirent de mauvaises actions, provoquant la colère de Yahvé.

2 Rois 17, 12 Ils rendirent un culte aux idoles, alors que Yahvé leur avait dit: "Vous ne ferez pas cette chose-là."

2 Rois 17, 13 Pourtant, Yahvé avait fait cette injonction à Israël et à Juda, par le ministère de tous les prophètes et de tous les voyants: "Convertissez-vous de votre mauvaise conduite, avait-il dit, et observez mes commandements et mes lois, selon toute la Loi que j'ai prescrite à vos pères et que je leur ai communiquée par le ministère de mes serviteurs les prophètes."

2 Rois 17, 14 Mais ils n'obéirent pas et raidirent leur nuque plus que n'avaient fait leurs pères, qui n'avaient pas cru en Yahvé leur Dieu.

2 Rois 17, 15 Ils méprisèrent ses lois, ainsi que l'alliance qu'il avait conclue avec leurs pères et les ordres formels qu'il leur avait intimés. A la poursuite de la Vanité, ils sont devenus vanité, à l'imitation des nations d'alentour, bien que Yahvé leur eût commandé de ne pas faire comme elles.

2 Rois 17, 16 Ils rejetèrent tous les commandements de Yahvé leur Dieu, et se firent des idoles fondues, les deux veaux, ils se firent un pieu sacré, ils se prosternèrent devant toute l'armée du ciel et rendirent un culte à Baal.

2 Rois 17, 17 Ils firent passer leurs fils et leurs filles par le feu, ils pratiquèrent la divination et la sorcellerie, ils se vendirent pour faire le mal au regard de Yahvé, provoquant sa colère.

2 Rois 17, 18 Alors Yahvé fut profondément irrité contre Israël et l'écarta de devant sa face. Il ne resta que la seule tribu de Juda.

2 Rois 17, 19 Juda non plus n'observa pas les commandements de Yahvé son Dieu, et suivit les coutumes qu'Israël avait établies.

2 Rois 17, 20 Et Yahvé repoussa toute la race d'Israël, il l'humilia et la livra aux pillards, tant qu'enfin il la rejeta loin de sa face.

2 Rois 17, 21 Il avait, en effet, détaché Israël de la maison de David, et Israël avait proclamé roi Jéroboam fils de Nebat; Jéroboam avait détourné Israël de Yahvé et l'avait entraîné dans un grand péché.

2 Rois 17, 22 Les Israélites imitèrent le péché que Jéroboam avait commis, ils ne s'en détournèrent pas,

2 Rois 17, 23 tant qu'enfin Yahvé écarta Israël de sa face, comme il l'avait annoncé par le ministère de ses serviteurs, les prophètes; il déporta les Israélites loin de leur pays en Assyrie, où ils sont encore aujourd'hui.

2 Rois 17, 24 Le roi d'Assyrie fit venir des gens de Babylone, de Kuta, de Avva, de Hamat et de Sepharvayim et les établit dans les villes de la Samarie à la place des Israélites; ils prirent possession de la Samarie et demeurèrent dans ses villes.

2 Rois 17, 25 Au début de leur installation dans le pays, ils ne révéraient pas Yahvé et celui-ci envoya contre eux des lions, qui en firent un massacre.

2 Rois 17, 26 Ils dirent au roi d'Assyrie: "Les nations que tu as déportées pour les établir dans les villes de la Samarie ne connaissent pas le rite du dieu du pays, et il a envoyé contre elles des lions. Ceux-ci les font mourir parce qu'elles ne connaissent pas le rite du dieu du pays."

2 Rois 17, 27 Alors le roi d'Assyrie donna cet ordre: "Qu'on fasse partir là-bas l'un des prêtres que j'en ai déportés, qu'il aille s'y établir et qu'il leur enseigne le rite du dieu du pays."

2 Rois 17, 28 Alors vint l'un des prêtres qu'on avait déportés de Samarie et il s'installa à Béthel; il leur enseignait comment ils devaient révérer Yahvé.

2 Rois 17, 29 Chaque nation se fit ses dieux et les mit dans les temples des hauts lieux, qu'avaient faits les Samaritains; chaque nation agit ainsi dans les villes qu'elle habitait.

2 Rois 17, 30 Les gens de Babylone avaient fait un Sukkot-Benot, les gens de Kuta un Nergal, les gens de Hamat un Ashima,

2 Rois 17, 31 les Avvites un Nibhaz et un Tartaq, et les gens de Sepharvayim brûlaient leurs enfants au feu en l'honneur d'Adrammélek et d'Anammélek, dieux de Sepharvayim.

2 Rois 17, 32 Ils révéraient aussi Yahvé et ils se firent, en les prenant parmi eux, des prêtres des hauts lieux, qui officiaient pour eux dans les temples des hauts lieux.

2 Rois 17, 33 Ils révéraient Yahvé et ils servaient leurs dieux, selon le rite des nations d'où ils avaient été déportés.

2 Rois 17, 34 Encore aujourd'hui, ils suivent leurs anciens rites. Ils ne révéraient pas Yahvé et ils ne se conformaient pas à ses règles et à ses rites, à la loi et aux commandements que Yahvé avait prescrits aux enfants de Jacob, à qui il avait imposé le nom d'Israël.

2 Rois 17, 35 Yahvé avait conclu avec eux une alliance et il leur avait fait cette prescription: "Vous ne révérerez pas les dieux étrangers, vous ne vous prosternerez pas devant eux, vous ne leur rendrez pas de culte et vous ne leur offrirez pas de sacrifices.

2 Rois 17, 36 C'est seulement à Yahvé, qui vous a fait monter du pays d'Egypte par la grande puissance de son bras étendu, qu'iront votre révérence, votre adoration et vos sacrifices.

2 Rois 17, 37 Vous observerez les règles et les rites, la loi et les commandements qu'il vous a donnés par écrit pour vous y conformer toujours, et vous ne révérerez pas de dieux étrangers.

2 Rois 17, 38 N'oubliez pas l'alliance que j'ai conclue avec vous et ne révérez pas de dieux étrangers,

2 Rois 17, 39 révérez seulement Yahvé, votre Dieu, et il vous délivrera de la main de tous vos ennemis."

2 Rois 17, 40 Mais ils n'obéirent pas, et ils continuent de suivre leur ancien rite.

2 Rois 17, 41 Donc ces nations révéraient Yahvé et rendaient un culte à leurs idoles; leurs enfants et les enfants de leurs enfants continuent de faire aujourd'hui comme avaient fait leurs pères.

2 Rois 18, 1 En la troisième année d'Osée fils d'Ela, roi d'Israël, Ezéchias fils d'Achaz devint roi de Juda.

2 Rois 18, 2 Il avait 25 ans à son avènement et il régna 29 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Abiyya, fille de Zekarya.

2 Rois 18, 3 Il fit ce qui est agréable à Yahvé, imitant tout ce qu'avait fait David, son ancêtre.

2 Rois 18, 4 C'est lui qui supprima les hauts lieux, brisa les stèles, coupa les pieux sacrés et mit en pièces le serpent d'airain que Moïse avait fabriqué. Jusqu'à ce temps-là, en effet, les Israélites lui offraient des sacrifices; on l'appelait Nehushtân.

2 Rois 18, 5 C'est en Yahvé, Dieu d'Israël, qu'il mit sa confiance. Après lui, aucun roi de Juda ne lui fut comparable; et pas plus avant lui.

2 Rois 18, 6 Il resta attaché à Yahvé, sans jamais se détourner de lui, et il observa les commandements que Yahvé avait prescrits à Moïse.

2 Rois 18, 7 Aussi Yahvé fut-il avec lui et il réussit dans toutes ses entreprises. Il se révolta contre le roi d'Assyrie et ne lui fut plus soumis.

2 Rois 18, 8 C'est lui qui battit les Philistins jusqu'à Gaza, dévastant leur territoire, depuis les tours de garde jusqu'aux villes fortes.

2 Rois 18, 9 En la quatrième année d'Ezéchias, qui était la septième année d'Osée fils d'Ela, roi d'Israël, Salmanasar, roi d'Assyrie, attaqua Samarie et y mit le siège.

2 Rois 18, 10 On la prit au bout de trois ans. Ce fut en la sixième année d'Ezéchias, qui était la neuvième année d'Osée, roi d'Israël, que Samarie tomba.

2 Rois 18, 11 Le roi d'Assyrie déporta les Israélites en Assyrie et les installa à Halah et sur le Habor, fleuve de Gozân, et dans les villes des Mèdes.

2 Rois 18, 12 C'était parce qu'ils n'avaient pas obéi à la parole de Yahvé, leur Dieu, et qu'ils avaient transgressé son alliance, tout ce qu'avait prescrit Moïse, le serviteur de Yahvé. Ils n'avaient rien écouté ni rien pratiqué.

2 Rois 18, 13 En la quatorzième année du roi Ezéchias, Sennachérib, roi d'Assyrie, monta contre toutes les villes fortes de Juda et s'en empara.

2 Rois 18, 14 Alors Ezéchias, roi de Juda, envoya ce message au roi d'Assyrie, à Lakish: "J'ai mal agi! Détourne de moi tes coups. Je me plierai à ce que tu m'imposeras." Le roi d'Assyrie exigea d'Ezéchias, roi de Juda, 300 talents d'argent et 30 talents d'or,

2 Rois 18, 15 et Ezéchias livra tout l'argent qui se trouvait dans le Temple de Yahvé et dans les trésors du palais royal.

2 Rois 18, 16 C'est alors qu'Ezéchias fit sauter le revêtement des battants et des montants des portes du sanctuaire de Yahvé, que..., roi de Juda, avait plaqués de métal, et le livra au roi d'Assyrie.

2 Rois 18, 17 De Lakish, le roi d'Assyrie envoya vers le roi Ezéchias à Jérusalem le grand échanson avec un important corps de troupes. Il monta donc à Jérusalem et, étant arrivé, il se posta près du canal de la piscine supérieure, qui est sur le chemin du champ du Foulon.

2 Rois 18, 18 Il appela le roi. Le maître du palais Elyaqim fils de Hilqiyyahu, le secrétaire Shebna et le héraut Yoah fils d'Asaph sortirent à sa rencontre.

2 Rois 18, 19 Le grand échanson leur dit: "Dites à Ezéchias: Ainsi parle le grand roi, le roi d'Assyrie. Quelle est cette confiance sur laquelle tu te reposes?

2 Rois 18, 20 Tu t'imagines que paroles en l'air valent conseil et vaillance pour faire la guerre. En qui donc mets-tu ta confiance, pour t'être révolté contre moi?

2 Rois 18, 21 Voici que tu te fies au soutien de ce roseau brisé, l'Egypte, qui pénètre et perce la main de qui s'appuie sur lui. Tel est Pharaon, roi d'Egypte, pour tous ceux qui se fient en lui.

2 Rois 18, 22 Vous me direz peut-être: C'est en Yahvé, notre Dieu, que nous avons confiance, mais n'est-ce pas lui dont Ezéchias a supprimé les hauts lieux et les autels en disant aux gens de Juda et de Jérusalem: C'est devant cet autel, à Jérusalem, que vous vous prosternerez?

2 Rois 18, 23 Eh bien! fais un pari avec Monseigneur le roi d'Assyrie: je te donnerai 2.000 chevaux si tu peux trouver des cavaliers pour les monter!

2 Rois 18, 24 Comment ferais-tu reculer un seul des moindres serviteurs de mon maître? Mais tu t'es fié à l'Egypte pour avoir chars et cavaliers!

2 Rois 18, 25 Et puis, est-ce sans la volonté de Yahvé que je suis monté contre ce lieu pour le dévaster? C'est Yahvé qui m'a dit: Monte contre ce pays et dévaste-le!"

2 Rois 18, 26 Elyaqim, Shebna et Yoah dirent au grand échanson: "Je t'en prie, parle à tes serviteurs en araméen, car nous l'entendons, ne nous parle pas en judéen à portée des oreilles du peuple qui est sur le rempart."

2 Rois 18, 27 Mais le grand échanson leur dit: "Est-ce à ton maître ou à toi que Monseigneur m'a envoyé dire ces choses, n'est-ce pas plutôt aux gens assis sur le rempart et condamnés à manger leurs excréments et à boire leur urine avec vous?"

2 Rois 18, 28 Alors le grand échanson se tint debout, il cria d'une voix forte, en langue judéenne, et prononça ces mots: "Ecoutez la parole du grand roi, le roi d'Assyrie.

2 Rois 18, 29 Ainsi parle le roi: Qu'Ezéchias ne vous abuse pas, car il ne pourra pas vous délivrer de ma main.

2 Rois 18, 30 Qu'Ezéchias n'entretienne pas votre confiance en Yahvé en disant: Sûrement Yahvé nous délivrera, cette ville ne tombera pas entre les mains du roi d'Assyrie.

2 Rois 18, 31 N'écoutez pas Ezéchias, car ainsi parle le roi d'Assyrie: Faites la paix avec moi, rendez-vous à moi et chacun de vous mangera le fruit de sa vigne et de son figuier, chacun boira l'eau de sa citerne,

2 Rois 18, 32 jusqu'à ce que je vienne et que je vous emmène vers un pays comme le vôtre, un pays de froment et de moût, un pays de pain et de vignobles, un pays d'huile et de miel, pour que vous viviez et ne mouriez pas. Mais n'écoutez pas Ezéchias, car il vous abuse en disant: Yahvé nous délivrera!

2 Rois 18, 33 Les dieux des nations ont-ils vraiment délivré chacun leur pays des mains du roi d'Assyrie?

2 Rois 18, 34 Où sont les dieux de Hamat et d'Arpad, où sont les dieux de Sepharvayim, de Héna et de Ivva, où sont les dieux du pays de Samarie? Ont-ils délivré Samarie de ma main?

2 Rois 18, 35 Parmi tous les dieux des pays, lesquels ont délivré leur pays de ma main, pour que Yahvé délivre Jérusalem?"

2 Rois 18, 36 Ils gardèrent le silence et ne lui répondirent pas un mot, car tel était l'ordre du roi: "Vous ne lui répondrez pas."

2 Rois 18, 37 Le maître du palais Elyaqim fils de Hilqiyya, le secrétaire Shebna et le héraut Yoah fils d'Asaph vinrent auprès d'Ezéchias, les vêtements déchirés, et ils lui rapportèrent les paroles du grand échanson.

2 Rois 19, 1 A ce récit, le roi Ezéchias déchira ses vêtements, se couvrit d'un sac et se rendit au Temple de Yahvé.

2 Rois 19, 2 Il envoya le maître du palais Elyaqim, le secrétaire Shebna et les anciens des prêtres, couverts de sacs, auprès du prophète Isaïe fils d'Amoç.

2 Rois 19, 3 Ceux-ci lui dirent: "Ainsi parle Ezéchias: Ce jour-ci est un jour d'angoisse, de châtiment et d'opprobre. Les enfants sont à terme et la force manque pour enfanter.

2 Rois 19, 4 Puisse Yahvé, ton Dieu, entendre les paroles du grand échanson, que le roi d'Assyrie, son maître, a envoyé insulter le Dieu vivant, et puisse Yahvé, ton Dieu, punir les paroles qu'il a entendues! Adresse une prière en faveur du reste qui subsiste encore."

2 Rois 19, 5 Lorsque les ministres du roi Ezéchias furent arrivés auprès d'Isaïe,

2 Rois 19, 6 celui-ci leur dit: "Vous direz à votre maître: Ainsi parle Yahvé. N'aie pas peur des paroles que tu as entendues, des blasphèmes que les valets du roi d'Assyrie ont lancés contre moi.

2 Rois 19, 7 Voici que je vais mettre en lui un esprit et, sur une nouvelle qu'il entendra, il retournera dans son pays et, dans son pays, je le ferai tomber sous l'épée."

2 Rois 19, 8 Le grand échanson s'en retourna et retrouva le roi d'Assyrie en train de combattre contre Libna. Le grand échanson avait appris en effet que le roi avait décampé de Lakish,

2 Rois 19, 9 car il avait reçu cette nouvelle au sujet de Tirhaqa, roi de Kush: "Voici qu'il est parti en guerre contre toi." De nouveau, Sennachérib envoya des messagers à Ezéchias pour lui dire:

2 Rois 19, 10 "Vous parlerez ainsi à Ezéchias, roi de Juda: Que ton Dieu en qui tu te confies, ne t'abuse pas en disant: Jérusalem ne sera pas livrée aux mains du roi d'Assyrie!

2 Rois 19, 11 Tu as appris ce que les rois d'Assyrie ont fait à tous les pays, les vouant à l'anathème, et toi, tu serais délivré!

2 Rois 19, 12 Les ont-ils délivrées les dieux des nations que mes pères ont dévastées, Gozân, Harân, Réçeph, et les Edénites qui étaient à Tell Basar?

2 Rois 19, 13 Où sont le roi de Hamat, le roi d'Arpad, le roi de Laïr, de Sepharvayim, de Héna et de Ivva?"

2 Rois 19, 14 Ezéchias prit la lettre des mains des messagers et la lut. Puis il monta au Temple de Yahvé et la déplia devant Yahvé.

2 Rois 19, 15 Et Ezéchias fit cette prière en présence de Yahvé: "Yahvé, Dieu d'Israël, qui sièges sur les chérubins, c'est toi qui es seul Dieu de tous les royaumes de la terre, c'est toi qui as fait le ciel et la terre.

2 Rois 19, 16 Prête l'oreille, Yahvé, et entends, ouvre les yeux, Yahvé, et vois! Entends les paroles de Sennachérib, qui a envoyé dire des insultes au Dieu vivant.

2 Rois 19, 17 Il est vrai, Yahvé, les rois d'Assyrie ont exterminé les nations,

2 Rois 19, 18 ils ont jeté au feu leurs dieux, car ce n'étaient pas des dieux, mais l'ouvrage de mains d'hommes, du bois et de la pierre, alors ils les ont anéantis.

2 Rois 19, 19 Mais maintenant, Yahvé, notre Dieu, sauve-nous de sa main, je t'en supplie, et que tous les royaumes de la terre sachent que toi seul es Dieu, Yahvé!"

2 Rois 19, 20 Alors Isaïe, fils d'Amoç, envoya dire à Ezéchias: "Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël. J'ai entendu la prière que tu m'as adressée au sujet de Sennachérib, roi d'Assyrie.

2 Rois 19, 21 Voici l'oracle que Yahvé a prononcé contre lui: Elle te méprise, elle te raille, la vierge, fille de Sion. Elle hoche la tête après toi, la fille de Jérusalem.

2 Rois 19, 22 Qui donc as-tu insulté, blasphémé? Contre qui as-tu parlé haut et levé ton regard altier? Contre le Saint d'Israël!

2 Rois 19, 23 Par tes messagers, tu as insulté le Seigneur. Tu as dit: Avec mes nombreux chars, j'ai gravi le sommet des monts, les dernières cimes du Liban. J'ai coupé sa haute futaie de cèdres et ses plus beaux cyprès. J'ai atteint son ultime retraite, son parc forestier.

2 Rois 19, 24 Moi, j'ai creusé et j'ai bu des eaux étrangères, j'ai asséché sous la plante de mes pieds tous les fleuves d'Egypte.

2 Rois 19, 25 Entends-tu bien? De longue date, j'ai préparé cela, aux jours antiques j'en fis le dessein, maintenant je le réalise. Ton destin fut de réduire en tas de ruines des villes fortifiées.

2 Rois 19, 26 Leurs habitants, les mains débiles, épouvantés et confondus, furent comme plantes des champs, verdure du gazon, herbes des toits et guérets sous le vent d'orient.

2 Rois 19, 27 Quand tu te lèves et quand tu t'assieds, quand tu sors ou tu entres, je le sais.

2 Rois 19, 28 Parce que tu t'es emporté contre moi, que ton insolence est montée à mes oreilles, je passerai mon anneau à ta narine et mon mors à tes lèvres, je te ramènerai sur la route par laquelle tu es venu.

2 Rois 19, 29 Ceci te servira de signe; On mangera cette année du grain tombé, et l'an prochain du grain de jachère, mais, le troisième an, semez et moissonnez, plantez des vignes et mangez de leur fruit.

2 Rois 19, 30 Le reste survivant de la maison de Juda produira de nouvelles racines en bas et des fruits en haut.

2 Rois 19, 31 Car de Jérusalem sortira un reste, et des réchappés, du mont Sion. L'amour jaloux de Yahvé Sabaot fera cela!

2 Rois 19, 32 Voici donc ce que dit Yahvé sur le roi d'Assyrie: Il n'entrera pas dans cette ville, il n'y lancera pas de flèche, il ne tendra pas de bouclier contre elle, il n'y entassera pas de remblai.

2 Rois 19, 33 Par la route qui l'amena, il s'en retournera, il n'entrera pas dans cette ville, oracle de Yahvé.

2 Rois 19, 34 Je protégerai cette ville et la sauverai à cause de moi et de mon serviteur David."

2 Rois 19, 35 Cette même nuit, l'Ange de Yahvé sortit et frappa dans le camp assyrien 185.000 hommes. Le matin, au réveil, ce n'étaient plus que des cadavres.

2 Rois 19, 36 Sennachérib roi d'Assyrie leva le camp et partit. Il s'en retourna et resta à Ninive.

2 Rois 19, 37 Un jour qu'il était prosterné dans le temple de Nisrok, son dieu, ses fils Adrammélek et Saréçer le frappèrent avec l'épée et se sauvèrent au pays d'Ararat. Asarhaddon, son fils, devint roi à sa place.

2 Rois 20, 1 En ces jours-là, Ezéchias fut atteint d'une maladie mortelle. Le prophète Isaïe, fils d'Amoç, vint lui dire: "Ainsi parle Yahvé. Mets ordre à ta maison, car tu vas mourir, tu ne vivras pas."

2 Rois 20, 2 Ezéchias se tourna vers le mur et fit cette prière à Yahvé:

2 Rois 20, 3 "Ah! Yahvé, souviens-toi, de grâce, que je me suis conduit fidèlement et en toute probité de coeur devant toi, et que j'ai fait ce qui était bien à tes yeux." Et Ezéchias versa d'abondantes larmes.

2 Rois 20, 4 Isaïe n'était pas encore sorti de la cour centrale que lui parvint la parole de Yahvé:

2 Rois 20, 5 "Retourne dire à Ezéchias, chef de mon peuple: Ainsi parle Yahvé, Dieu de ton ancêtre David. J'ai entendu ta prière, j'ai vu tes larmes. Je vais te guérir: dans trois jours, tu monteras au Temple de Yahvé.

2 Rois 20, 6 J'ajouterai quinze années à ta vie, je te délivrerai, toi et cette ville, de la main du roi d'Assyrie, je protégerai cette ville à cause de moi et de mon serviteur David."

2 Rois 20, 7 Isaïe dit: "Prenez un pain de figues"; on en prit un, on l'appliqua sur l'ulcère et le roi guérit.

2 Rois 20, 8 Ezéchias dit à Isaïe: "A quel signe connaîtrai-je que Yahvé va me guérir et que, dans trois jours, je monterai au Temple de Yahvé?"

2 Rois 20, 9 Isaïe répondit: "Voici, de la part de Yahvé, le signe qu'il fera ce qu'il a dit: Veux-tu que l'ombre avance de dix degrés, ou qu'elle recule de dix degrés?"

2 Rois 20, 10 Ezéchias dit: "C'est peu de chose pour l'ombre de gagner dix degrés! Non! Que plutôt l'ombre recule de dix degrés!"

2 Rois 20, 11 Le prophète Isaïe invoqua Yahvé et celui-ci fit reculer l'ombre sur les degrés que le soleil avait descendus, les degrés de la chambre haute d'Achaz -- dix degrés en arrière.

2 Rois 20, 12 En ce temps-là, Mérodak-Baladan, fils de Baladan, roi de Babylone, envoya des lettres et un présent à Ezéchias, car il avait appris sa maladie et son rétablissement.

2 Rois 20, 13 Ezéchias s'en réjouit et montra aux messagers sa chambre du trésor, l'argent, l'or, les aromates, l'huile précieuse, ainsi que son arsenal et tout ce qui se trouvait dans ses magasins. Il n'y eut rien qu'Ezéchias ne leur montrât dans son palais et dans tout son domaine.

2 Rois 20, 14 Alors le prophète Isaïe vint chez le roi Ezéchias et lui demanda: "Qu'ont dit ces gens-là et d'où sont-ils venus chez toi?" Ezéchias répondit: "Ils sont venus d'un pays lointain, de Babylone."

2 Rois 20, 15 Isaïe reprit: "Qu'ont-ils vu dans ton palais?" Ezéchias répondit: "Ils ont vu tout ce qu'il y a dans mon palais; il n'y a, dans mes magasins, rien que je ne leur aie montré."

2 Rois 20, 16 Alors Isaïe dit à Ezéchias: "Ecoute la parole de Yahvé:

2 Rois 20, 17 Des jours viennent où tout ce qui est dans ton palais, tout ce qu'ont amassé tes pères jusqu'à ce jour, sera emporté à Babylone, rien ne sera laissé, dit Yahvé.

2 Rois 20, 18 Parmi les fils issus de toi, de ceux que tu as engendrés, on en prendra pour être eunuques dans le palais du roi de Babylone."

2 Rois 20, 19 Ezéchias dit à Isaïe: "C'est une parole favorable de Yahvé que tu annonces." Il pensait en effet: "Pourquoi pas? S'il y a paix et sûreté pendant ma vie!"

2 Rois 20, 20 Le reste de l'histoire d'Ezéchias, tous ses exploits, et comment il a construit la piscine et le canal pour amener l'eau dans la ville, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

2 Rois 20, 21 Ezéchias se coucha avec ses pères et son fils Manassé régna à sa place.

2 Rois 21, 1 Manassé avait douze ans à son avènement et il régna 55 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Hephçiba.

2 Rois 21, 2 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, imitant les abominations des nations que Yahvé avait chassées devant les Israélites.

2 Rois 21, 3 Il rebâtit les hauts lieux qu'avait détruits Ezéchias, son père, il éleva des autels à Baal et fabriqua un pieu sacré, comme avait fait Achab, roi d'Israël, il se prosterna devant toute l'armée du ciel et lui rendit un culte.

2 Rois 21, 4 Il construisit des autels dans le Temple de Yahvé, au sujet duquel Yahvé avait dit: "C'est à Jérusalem que je placerai mon Nom."

2 Rois 21, 5 Il construisit des autels à toute l'armée du ciel dans les deux cours du Temple de Yahvé.

2 Rois 21, 6 Il fit passer son fils par le feu. Il pratiqua les incantations et la divination, installa des nécromants et des devins, il multiplia les actions que Yahvé regarde comme mauvaises, provoquant ainsi sa colère.

2 Rois 21, 7 Il plaça l'idole d'Ashéra, qu'il avait faite, dans le Temple au sujet duquel Yahvé avait dit à David et à son fils Salomon: "Dans ce Temple et dans Jérusalem, la ville que j'ai choisie dans toutes les tribus d'Israël, je placerai mon Nom à jamais.

2 Rois 21, 8 Je ne ferai plus errer les pas des Israélites loin de la terre que j'ai donnée à leurs pères, pourvu qu'ils veillent à pratiquer tout ce que je leur ai commandé, selon toute la Loi qu'a prescrit pour eux mon serviteur Moïse."

2 Rois 21, 9 Mais ils n'obéirent pas, Manassé les égara, au point qu'ils agirent plus mal que les nations que Yahvé avait exterminées devant les Israélites.

2 Rois 21, 10 Alors Yahvé parla ainsi, par le ministère de ses serviteurs les prophètes:

2 Rois 21, 11 "Parce que Manassé, roi de Juda, a commis ces abominations, qu'il a agi plus mal que tout ce qu'avaient fait avant lui les Amorites et qu'il a entraîné Juda lui aussi à pécher avec ses idoles,

2 Rois 21, 12 ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël: Voici que je fais venir sur Jérusalem et sur Juda un malheur tel que les deux oreilles en tinteront à quiconque l'apprendra.

2 Rois 21, 13 Je passerai sur Jérusalem le même cordeau que sur Samarie, le même niveau que pour la maison d'Achab, j'écurerai Jérusalem comme on écure un plat, qu'on retourne à l'envers après l'avoir écuré.

2 Rois 21, 14 Je rejetterai les restants de mon héritage, je les livrerai entre les mains de leurs ennemis, ils serviront de proie et de butin à tous leurs ennemis,

2 Rois 21, 15 parce qu'ils ont fait ce qui me déplaît et qu'ils ont provoqué ma colère, depuis le jour où leurs pères sont sortis d'Egypte jusqu'à ce jour-ci."

2 Rois 21, 16 Manassé répandit aussi le sang innocent en si grande quantité qu'il inonda Jérusalem d'un bout à l'autre, en plus des péchés qu'il avait fait commettre à Juda en agissant mal au regard de Yahvé.

2 Rois 21, 17 Le reste de l'histoire de Manassé et tout ce qu'il a fait, les péchés qu'il a commis, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

2 Rois 21, 18 Manassé se coucha avec ses pères et on l'enterra dans le jardin de son palais, le jardin d'Uzza; son fils Amon régna à sa place.

2 Rois 21, 19 Amon avait 22 ans à son avènement et il régna deux ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Meshullémèt, fille de Haruç, et était de Yotba.

2 Rois 21, 20 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, comme avait fait son père Manassé.

2 Rois 21, 21 Il suivit en tout la conduite de son père, rendit un culte aux idoles qu'il avait servies et se prosterna devant elles.

2 Rois 21, 22 Il abandonna Yahvé, Dieu de ses ancêtres, et ne suivit pas la voie de Yahvé.

2 Rois 21, 23 Les serviteurs d'Amon complotèrent contre lui et ils tuèrent le roi dans son palais.

2 Rois 21, 24 Mais le peuple du pays frappa tous ceux qui avaient conspiré contre le roi Amon et proclama roi à sa place son fils Josias.

2 Rois 21, 25 Le reste de l'histoire d'Amon et tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

2 Rois 21, 26 On l'enterra dans le sépulcre de son père, dans le jardin d'Uzza, et son fils Josias régna à sa place.

2 Rois 22, 1 Josias avait huit ans à son avènement et il régna 31 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Yedida, fille de Adaya, et était de Boçqat.

2 Rois 22, 2 Il fit ce qui est agréable à Yahvé et imita en tout la conduite de son ancêtre David, sans en dévier ni à droite ni à gauche.

2 Rois 22, 3 En la dix-huitième année du roi Josias, le roi envoya le secrétaire Shaphân, fils d'Açalyahu fils de Meshullam, au Temple de Yahvé:

2 Rois 22, 4 "Monte, lui dit-il, chez le grand prêtre Hilqiyyahu pour qu'il fonde l'argent qui a été apporté au Temple de Yahvé et que les gardiens du seuil ont recueilli du peuple.

2 Rois 22, 5 Qu'il le remette aux maîtres d'oeuvre attachés au Temple de Yahvé et que ceux-ci le dépensent pour les ouvriers qui travaillent aux réparations dans le Temple de Yahvé,

2 Rois 22, 6 pour les charpentiers, les ouvriers du bâtiment et les maçons, pour acheter le bois et les pierres de taille destinés à la réparation du Temple.

2 Rois 22, 7 Mais qu'on ne leur demande pas compte de l'argent qui leur est remis, car ils agissent avec probité."

2 Rois 22, 8 Le grand prêtre Hilqiyyahu dit au secrétaire Shaphân: "J'ai trouvé le livre de la Loi dans le Temple de Yahvé." Et Hilqiyyahu donna le livre à Shaphân, qui le lut.

2 Rois 22, 9 Le secrétaire Shaphân vint chez le roi et lui rapporta ceci: "Tes serviteurs, dit-il, ont fondu l'argent qui se trouvait dans le Temple et l'ont remis aux maîtres d'oeuvres attachés au Temple de Yahvé."

2 Rois 22, 10 Puis le secrétaire Shaphân annonça au roi: "Le prêtre Hilqiyyahu m'a donné un livre" et Shaphân le lut devant le roi.

2 Rois 22, 11 En entendant les paroles contenues dans le livre de la Loi, le roi déchira ses vêtements.

2 Rois 22, 12 Il donna cet ordre au prêtre Hilqiyyahu, à Ahiqam fils de Shaphân, à Akbor fils de Mikaya, au secrétaire Shaphân, et à Asaya, ministre du roi:

2 Rois 22, 13 "Allez consulter Yahvé pour moi et pour le peuple, à propos des paroles de ce livre qui vient d'être trouvé. Grande doit être la colère de Yahvé, qui s'est enflammée contre nous parce que nos pères n'ont pas obéi aux paroles de ce livre, en pratiquant tout ce qui y est écrit."

2 Rois 22, 14 Le prêtre Hilqiyyahu, Ahiqam, Akbor, Shaphân et Asaya se rendirent auprès de la prophétesse Hulda, femme de Shallum fils de Tiqva fils de Harhas, le gardien des vêtements; elle habitait à Jérusalem dans la ville neuve. Ils lui exposèrent la chose

2 Rois 22, 15 et elle leur répondit: "Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël. Dites à l'homme qui vous a envoyés vers moi:

2 Rois 22, 16 Ainsi parle Yahvé. Je vais amener le malheur sur ce lieu et sur ses habitants, tout ce que dit le livre qu'a lu le roi de Juda,

2 Rois 22, 17 parce qu'ils m'ont abandonné et qu'ils ont sacrifié à d'autres dieux, pour m'irriter par leurs actions. Ma colère s'est enflammée contre ce lieu, elle ne s'éteindra pas.

2 Rois 22, 18 Et vous direz au roi de Juda qui vous a envoyés pour consulter Yahvé: Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël: Les paroles que tu as entendues...

2 Rois 22, 19 Mais parce que ton coeur a été touché et que tu t'es humilié devant Yahvé en entendant ce que j'ai prononcé contre ce lieu et ses habitants qui deviendront un objet d'épouvante et de malédiction, et parce que tu as déchiré tes vêtements et pleuré devant moi, moi aussi, j'ai entendu, oracle de Yahvé.

2 Rois 22, 20 C'est pourquoi je te réunirai à tes pères, tu seras recueilli en paix dans ton sépulcre, tes yeux ne verront pas tous les malheurs que je fais venir sur ce lieu." Ils portèrent la réponse au roi.

2 Rois 23, 1 Alors le roi fit convoquer auprès de lui tous les anciens de Juda et de Jérusalem,

2 Rois 23, 2 et le roi monta au Temple de Yahvé avec tous les hommes de Juda et tous les habitants de Jérusalem, les prêtres et les prophètes et tout le peuple du plus petit au plus grand. Il lut devant eux tout le contenu du livre de l'alliance trouvé dans le Temple de Yahvé.

2 Rois 23, 3 Le roi était debout sur l'estrade et il conclut devant Yahvé l'alliance qui l'obligeait à suivre Yahvé et à garder ses commandements, ses instructions et ses lois, de tout son coeur et de toute son âme, pour rendre effectives les clauses de l'alliance écrite dans ce livre. Tout le peuple adhéra à l'alliance.

2 Rois 23, 4 Le roi ordonna à Hilqiyyahu, au prêtre en second et aux gardiens du seuil de retirer du sanctuaire de Yahvé tous les objets de culte qui avaient été faits pour Baal, pour Ashéra et pour toute l'armée du ciel; il les brûla en dehors de Jérusalem, dans les champs du Cédron, et porta leur cendre à Béthel.

2 Rois 23, 5 Il supprima les faux prêtres que les rois de Juda avaient installés et qui sacrifiaient dans les hauts lieux, dans les villes de Juda et les environs de Jérusalem, et ceux qui sacrifiaient à Baal, au soleil, à la lune, aux constellations et à toute l'armée du ciel.

2 Rois 23, 6 Il transporta du Temple de Yahvé en dehors de Jérusalem, à la vallée du Cédron, le pieu sacré et le brûla dans la vallée du Cédron; il le réduisit en cendres et jeta ses cendres à la fosse commune.

2 Rois 23, 7 Il démolit la demeure des prostitués sacrés, qui était dans le Temple de Yahvé et où les femmes tissaient des voiles pour Ashéra.

2 Rois 23, 8 Il fit venir des villes de Juda tous les prêtres et il profana les hauts lieux où ces prêtres avaient sacrifié, depuis Géba jusqu'à Bersabée. Il démolit le haut lieu des portes, qui était à la porte de Josué, gouverneur de la ville, à gauche quand on franchit la porte de la ville.

2 Rois 23, 9 Toutefois les prêtres des hauts lieux ne pouvaient pas monter à l'autel de Yahvé à Jérusalem, mais ils mangeaient des pains sans levain au milieu de leurs frères.

2 Rois 23, 10 Il profana le Tophèt de la vallée de Ben-Hinnom, pour que personne ne fît plus passer son fils ou sa fille par le feu en l'honneur de Molek.

2 Rois 23, 11 Il fit disparaître les chevaux que les rois de Juda avaient dédiés au soleil à l'entrée du Temple de Yahvé, près de la chambre de l'eunuque Netân-Mélek, dans les dépendances, et il brûla au feu le char du soleil.

2 Rois 23, 12 Les autels qui étaient sur la terrasse et qu'avaient bâtis les rois de Juda, et ceux qu'avait bâtis Manassé dans les deux cours du Temple de Yahvé, le roi les démolit, les brisa là et jeta leur poussière dans la vallée du Cédron.

2 Rois 23, 13 Les hauts lieux qui étaient en face de Jérusalem, au sud du mont des Oliviers, et que Salomon roi d'Israël avait bâtis pour Astarté, l'horreur des Sidoniens, pour Kemosh, l'horreur des Moabites, et pour Milkom, l'abomination des Ammonites, le roi les profana.

2 Rois 23, 14 Il brisa aussi les stèles, coupa les pieux sacrés et combla leur emplacement avec des ossements humains.

2 Rois 23, 15 De même pour l'autel qui était à Béthel, le haut lieu bâti par Jéroboam fils de Nebat qui avait entraîné Israël dans le péché, il démolit aussi cet autel et ce haut lieu, il en brisa les pierres et les réduisit en poussière; il brûla le pieu sacré.

2 Rois 23, 16 Josias se retourna et vit les tombeaux qui étaient là, dans la montagne; il envoya prendre les ossements de ces tombeaux et les brûla sur l'autel. Ainsi il le profana, accomplissant la parole de Yahvé qu'avait annoncée l'homme de Dieu lorsque Jéroboam se tenait à l'autel pendant la fête. En se retournant, Josias leva les yeux sur le tombeau de l'homme de Dieu qui avait annoncé ces choses

2 Rois 23, 17 et il demanda: "Quel est le monument que je vois?" Les hommes de la ville lui répondirent: "C'est le tombeau de l'homme de Dieu qui est venu de Juda et qui a annoncé ces choses que tu as accomplies contre l'autel" --

2 Rois 23, 18 "Laissez-le en paix, dit le roi, et que personne ne dérange ses ossements." On laissa donc ses ossements intacts avec les ossements du prophète qui était de Samarie.

2 Rois 23, 19 Josias fit également disparaître tous les temples des hauts lieux qui étaient dans les villes de la Samarie, et que les rois d'Israël avaient bâtis pour l'irritation de Yahvé et il agit à leur endroit exactement comme il avait agi à Béthel.

2 Rois 23, 20 Tous les prêtres des hauts lieux qui étaient là furent immolés par lui sur les autels et il y brûla des ossements humains. Puis il revint à Jérusalem.

2 Rois 23, 21 Le roi donna cet ordre à tout le peuple: "Célébrez une Pâque en l'honneur de Yahvé votre Dieu, de la manière qui est écrite dans ce livre de l'alliance."

2 Rois 23, 22 On n'avait pas célébré une Pâque comme celle-là depuis les jours des Juges qui avaient régi Israël et pendant tout le temps des rois d'Israël et des rois de Juda.

2 Rois 23, 23 C'est seulement en la dix-huitième année du roi Josias qu'une telle Pâque fut célébrée en l'honneur de Yahvé à Jérusalem.

2 Rois 23, 24 De plus, les nécromants et les devins, les dieux domestiques et les idoles, et toutes les horreurs qu'on pouvait voir dans le pays de Juda et à Jérusalem, Josias les fit disparaître, en exécution des paroles de la Loi inscrites au livre qu'avait trouvé le prêtre Hilqiyyahu dans le Temple de Yahvé.

2 Rois 23, 25 Il n'y eut avant lui aucun roi qui se fût, comme lui, tourné vers Yahvé de tout son coeur, de toute son âme et de toute sa force, en toute fidélité à la Loi de Moïse, et après lui il ne s'en leva pas qui lui fût comparable.

2 Rois 23, 26 Pourtant, Yahvé ne revint pas de l'ardeur de sa grande colère, qui s'était enflammée contre Juda pour les déplaisirs que Manassé lui avait causés.

2 Rois 23, 27 Yahvé décida: "J'écarterai Juda aussi de devant moi, comme j'ai écarté Israël, je rejetterai cette ville que j'avais élue, Jérusalem, et le Temple dont j'avais dit: Là sera mon Nom."

2 Rois 23, 28 Le reste de l'histoire de Josias, et tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

2 Rois 23, 29 De son temps, le Pharaon Neko, roi d'Egypte, monta vers le roi d'Assyrie, sur le fleuve de l'Euphrate. Le roi Josias se porta au-devant de lui mais Neko le fit périr à Megiddo, à la première rencontre.

2 Rois 23, 30 Ses serviteurs transportèrent son corps en char depuis Megiddo, ils le ramenèrent à Jérusalem et l'ensevelirent dans son tombeau. Le peuple du pays prit Joachaz fils de Josias; on lui donna l'onction et on le proclama roi à la place de son père.

2 Rois 23, 31 Joachaz avait 23 ans à son avènement et il régna trois mois à Jérusalem; sa mère s'appelait Hamital, fille de Yirmeyahu, et était de Libna.

2 Rois 23, 32 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, tout comme avaient fait ses pères.

2 Rois 23, 33 Le Pharaon Neko le mit aux chaînes à Ribla, dans le territoire de Hamat, pour qu'il ne règne plus à Jérusalem, et il imposa au pays une contribution de cent talents d'argent et de talents d'or.

2 Rois 23, 34 Le Pharaon Neko établit comme roi Elyaqim, fils de Josias, à la place de son père Josias, et il changea son nom en celui de Joiaqim. Quant à Joachaz, il le prit et l'emmena en Egypte, où il mourut.

2 Rois 23, 35 Joiaqim livra à Pharaon l'argent et l'or mais il dut imposer le pays pour livrer la somme exigée par Pharaon: il leva sur chacun, selon sa fortune, l'argent et l'or qu'il fallait donner au Pharaon Neko.

2 Rois 23, 36 Joiaqim avait 25 ans à son avènement et il régna onze ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Zebida, fille de Pedaya, et était de Ruma.

2 Rois 23, 37 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, tout comme avaient fait ses pères.

2 Rois 24, 1 De son temps, Nabuchodonosor, roi de Babylone, fit campagne, et Joiaqim lui fut soumis pendant trois ans puis se révolta de nouveau contre lui.

2 Rois 24, 2 Celui-ci envoya sur lui les bandes des Chaldéens, celles des Araméens, celles des Moabites, celles des Ammonites, il les envoya sur Juda pour le détruire, conformément à la parole que Yahvé avait prononcée par le ministère de ses serviteurs les prophètes.

2 Rois 24, 3 Cela arriva à Juda uniquement à cause de la colère de Yahvé, qui voulait l'écarter de devant sa face, pour les péchés de Manassé, pour tout ce qu'avait fait celui-ci

2 Rois 24, 4 et aussi pour le sang innocent qu'il avait répandu, inondant Jérusalem de sang innocent. Yahvé ne voulut pas pardonner.

2 Rois 24, 5 Le reste de l'histoire de Joiaqim et tout ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit au livre des Annales des rois de Juda?

2 Rois 24, 6 Joiaqim se coucha avec ses pères et Joiakîn son fils régna à sa place.

2 Rois 24, 7 Le roi d'Egypte ne sortit plus de son pays, car le roi de Babylone avait conquis, depuis le Torrent d'Egypte jusqu'au fleuve de l'Euphrate, tout ce qui appartenait au roi d'Egypte.

2 Rois 24, 8 Joiakîn avait dix-huit ans à son avènement et il régna trois mois à Jérusalem; sa mère s'appelait Nehushta, fille d'Elnatân, et était de Jérusalem.

2 Rois 24, 9 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, tout comme avait fait son père.

2 Rois 24, 10 En ce temps-là, les officiers de Nabuchodonosor, roi de Babylone, marchèrent contre Jérusalem et la ville fut investie.

2 Rois 24, 11 Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint lui-même attaquer la ville, pendant que ses officiers l'assiégeaient.

2 Rois 24, 12 Alors Joiakîn, roi de Juda, se rendit au roi de Babylone, lui, sa mère, ses officiers, ses dignitaires et ses eunuques, et le roi de Babylone les fit prisonniers; c'était en la huitième année de son règne.

2 Rois 24, 13 Celui-ci emporta tous les trésors du Temple de Yahvé et les trésors du palais royal et il brisa tous les objets d'or que Salomon, roi d'Israël, avait fabriqués pour le sanctuaire de Yahvé, comme l'avait annoncé Yahvé.

2 Rois 24, 14 Il emmena en exil tout Jérusalem, tous les dignitaires et tous les notables, soit 10.000 exilés, et tous les forgerons et serruriers; seule fut laissée la plus pauvre population du pays.

2 Rois 24, 15 Il déporta Joiakîn à Babylone; de même la mère du roi, les femmes du roi, ses eunuques, les nobles du pays, il les fit partir en exil de Jérusalem à Babylone.

2 Rois 24, 16 Tous les gens de condition, au nombre de 7.000, les forgerons et les serruriers, au nombre de mille, tous les hommes en état de porter les armes, furent conduits en exil à Babylone par le roi de Babylone.

2 Rois 24, 17 Le roi de Babylone établit roi à la place de Joiakîn son oncle Mattanya, dont il changea le nom en celui de Sédécias.

2 Rois 24, 18 Sédécias avait vingt ans à son avènement et il régna onze ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Hamital, fille de Yirmeyahu, et était de Libna.

2 Rois 24, 19 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, tout comme avait fait Joiaqim.

2 Rois 24, 20 Cela arriva à Jérusalem et à Juda à cause de la colère de Yahvé, tant qu'enfin il les rejeta de devant sa face. Sédécias se révolta contre le roi de Babylone.

2 Rois 25, 1 En la neuvième année de son règne, au dixième mois, le dix du mois, Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint attaquer Jérusalem avec toute son armée, il campa devant la ville et la cerna d'un retranchement.

2 Rois 25, 2 La ville fut investie jusqu'à la onzième année de Sédécias.

2 Rois 25, 3 Au quatrième mois, le neuf du mois, alors que la famine sévissait dans la ville et que la population n'avait plus rien à manger,

2 Rois 25, 4 une brèche fut faite au rempart de la ville. Alors le roi s'échappa de nuit avec tous les hommes de guerre par la porte entre les deux murs, qui est près du jardin du roi -- les Chaldéens cernaient la ville -- et il prit le chemin de la Araba.

2 Rois 25, 5 Les troupes chaldéennes poursuivirent le roi et l'atteignirent dans les plaines de Jéricho, où tous ses soldats se dispersèrent loin de lui.

2 Rois 25, 6 Les Chaldéens s'emparèrent du roi et le menèrent à Ribla auprès du roi de Babylone, qui le fit passer en jugement.

2 Rois 25, 7 Il fit égorger les fils de Sédécias sous ses yeux, puis il creva les yeux de Sédécias, le mit aux fers et l'emmena à Babylone.

2 Rois 25, 8 Au cinquième mois, le sept du mois -- c'était en la dix-neuvième année de Nabuchodonosor, roi de Babylone --, Nebuzaradân, commandant de la garde, officier du roi de Babylone, fit son entrée à Jérusalem.

2 Rois 25, 9 Il incendia le Temple de Yahvé, le palais royal et toutes les maisons de Jérusalem.

2 Rois 25, 10 Les troupes chaldéennes qui étaient avec le commandant de la garde abattirent les remparts qui entouraient Jérusalem.

2 Rois 25, 11 Nebuzaradân, commandant de la garde, déporta le reste de la population laissée dans la ville, les transfuges qui avaient passé au roi de Babylone et le reste de la foule.

2 Rois 25, 12 Du petit peuple du pays, le commandant de la garde laissa une partie, comme vignerons et comme laboureurs.

2 Rois 25, 13 Les Chaldéens brisèrent les colonnes de bronze du Temple de Yahvé, les bases roulantes et la Mer de bronze qui étaient dans le Temple de Yahvé, et ils en emportèrent le bronze à Babylone.

2 Rois 25, 14 Ils prirent aussi les vases à cendres, les pelles, les couteaux, les navettes et tous les ustensiles de bronze qui servaient au culte.

2 Rois 25, 15 Le commandant de la garde prit les encensoirs et les coupes d'aspersion, tout ce qui était en or et tout ce qui était en argent.

2 Rois 25, 16 Quant aux deux colonnes, à la Mer unique et aux bases roulantes, que Salomon avait fabriquées pour le Temple de Yahvé, on ne pouvait évaluer ce que pesait le bronze de tous ces objets.

2 Rois 25, 17 La hauteur d'une colonne était de dix-huit coudées, elle avait un chapiteau de bronze et la hauteur du chapiteau était de cinq coudées; il y avait un treillis et des grenades autour du chapiteau, le tout en bronze. De même pour la seconde colonne.

2 Rois 25, 18 Le commandant de la garde fit prisonnier Seraya, le prêtre en chef, Cephanyahu, le prêtre en second, et les trois gardiens du seuil.

2 Rois 25, 19 De la ville, il fit prisonniers un eunuque, préposé aux hommes de guerre, cinq des familiers du roi, qui furent trouvés dans la ville, le secrétaire du chef de l'armée, chargé de la conscription, et 60 hommes du pays, qui furent trouvés dans la ville.

2 Rois 25, 20 Nebuzaradân, commandant de la garde, les prit et les mena auprès du roi de Babylone à Ribla,

2 Rois 25, 21 et le roi de Babylone les fit mettre à mort à Ribla, au pays de Hamat. Ainsi Juda fut déporté loin de sa terre.

2 Rois 25, 22 Quant à la population qui était restée dans le pays de Juda et qu'avait laissée Nabuchodonosor, roi de Babylone, celui-ci lui préposa Godolias fils d'Ahiqam fils de Shaphân.

2 Rois 25, 23 Tous les officiers des troupes et leurs hommes apprirent que le roi de Babylone avait institué Godolias gouverneur et ils vinrent auprès de lui à Miçpa: Yishmaël fils de Netanya, Yohanân fils de Qaréah, Seraya fils de Tanhumèt, le Netophatite, Yaazanyahu, le Maakatite, eux et leurs hommes.

2 Rois 25, 24 Godolias leur fit un serment, à eux et à leurs hommes, et leur dit: "Ne craignez rien des Chaldéens, demeurez dans le pays, servez le roi de Babylone et vous vous en trouverez bien."

2 Rois 25, 25 Mais, au septième mois, Yishmaël fils de Netanya fils d'Elishama, qui était de race royale, et dix hommes avec lui, vinrent frapper à mort Godolias, ainsi que les Judéens et les Chaldéens qui étaient avec lui à Miçpa.

2 Rois 25, 26 Alors tout le peuple, du plus petit au plus grand, et les chefs des troupes partirent et allèrent en Egypte, parce qu'ils eurent peur des Chaldéens.

2 Rois 25, 27 En la trente-septième année de la déportation de Joiakîn, roi de Juda, au douzième mois, le 27 du mois, Evil-Mérodak, roi de Babylone, en l'année de son avènement, fit grâce à Joiakîn, roi de Juda, et le tira de prison.

2 Rois 25, 28 Il lui parla avec faveur et lui accorda un siège supérieur à ceux des autres rois qui étaient avec lui à Babylone.

2 Rois 25, 29 Joiakîn quitta ses vêtements de captif et mangea toujours à la table du roi, sa vie durant.

2 Rois 25, 30 Son entretien fut assuré constamment par le roi, jour après jour, sa vie durant.

 

 

 

 

 

I Chroniques

 

 

1, 1 Adam, Seth, Enosh,

1 Chroniques 1, 2 Qénân, Mahalaléel, Yéred,

1 Chroniques 1, 3 Hénok, Mathusalem, Lamek,

1 Chroniques 1, 4 Noé, Sem, Cham et Japhet.

1 Chroniques 1, 5 Fils de Japhet: Gomer, Magog, les Mèdes, Yavân, Tubal, Méshek, Tiras.

1 Chroniques 1, 6 Fils de Gomer: Ashkenaz, Riphat, Togarma.

1 Chroniques 1, 7 Fils de Yavân: Elisha, Tarshish, les Kittim, les Dananéens.

1 Chroniques 1, 8 Fils de Cham: Kush, Miçrayim, Put, Canaan.

1 Chroniques 1, 9 Fils de Kush: Séba, Havila, Sabta, Rama, Sabteka. Fils de Rama: Sheba, Dedân.

1 Chroniques 1, 10 Kush engendra Nemrod, qui fut le premier potentat sur la terre.

1 Chroniques 1, 11 Miçrayim engendra les gens de Lud, de Anam, de Lehab, de Naphtuh,

1 Chroniques 1, 12 de Patros, de Kasluh et de Kaphtor d'où sont sortis les Philistins.

1 Chroniques 1, 13 Canaan engendra Sidon, son premier-né, puis Hèt,

1 Chroniques 1, 14 et le Jébuséen, l'Amorite, le Girgashite,

1 Chroniques 1, 15 le Hivvite, l'Arqite, le Sinite,

1 Chroniques 1, 16 l'Arvadite, le Cemarite, le Hamatite.

1 Chroniques 1, 17 Fils de Sem: Elam, Ashshur, Arpakshad, Lud et Aram. Fils d'Aram: Uç, Hul, Géter et Méshek.

1 Chroniques 1, 18 Arpakshad engendra Shélah et Shélah engendra Eber.

1 Chroniques 1, 19 A Eber naquirent deux fils: le premier s'appelait Péleg, car ce fut en son temps que la terre fut divisée, et son frère s'appelait Yoqtân.

1 Chroniques 1, 20 Yoqtân engendra Almodad, Shéleph, Haççarmavet, Yérah,

1 Chroniques 1, 21 Hadoram, Uzal, Diqla,

1 Chroniques 1, 22 Ebal, Abimaël, Shéba,

1 Chroniques 1, 23 Ophir, Havila, Yobab; tous ceux-là sont fils de Yoqtân.

1 Chroniques 1, 24 Arpakshad, Shélah,

1 Chroniques 1, 25 Eber, Péleg, Réu,

1 Chroniques 1, 26 Serug, Nahor, Térah,

1 Chroniques 1, 27 Abram -- c'est Abraham.

1 Chroniques 1, 28 Fils d'Abraham: Isaac et Ismaël.

1 Chroniques 1, 29 Voici leur postérité: Le premier-né d'Ismaël, Nebayot, puis Qédar, Adbéel, Mibsam,

1 Chroniques 1, 30 Mishma, Duma, Massa, Hadad, Téma,

1 Chroniques 1, 31 Yetur, Naphish et Qédma. Tels sont les fils d'Ismaël.

1 Chroniques 1, 32 Fils de Qetura, concubine d'Abraham. Elle enfanta Zimrân, Yoqshân, Medân, Madiân, Yishbaq et Shuah. Fils de Yoqshân: Sheba et Dedân.

1 Chroniques 1, 33 Fils de Madiân: Epha, Epher, Hanok, Abida, Eldaa. Tous ceux-là sont fils de Qetura.

1 Chroniques 1, 34 Abraham engendra Isaac. Fils d'Isaac: Esaü et Israël.

1 Chroniques 1, 35 Fils d'Esaü: Eliphaz, Réuel, Yéush, Yalam et Qorah.

1 Chroniques 1, 36 Fils d'Eliphaz: Témân, Omar, Cephi, Gatam, Qenaz, Timna, Amaleq.

1 Chroniques 1, 37 Fils de Réuel: Nahat, Zérah, Shamma, Mizza.

1 Chroniques 1, 38 Fils de Séïr: Lotân, Shobal, Cibéôn, Ana, Dishôn, Eçer, Dishân.

1 Chroniques 1, 39 Fils de Lotân: Hori et Homam. Soeur de Lotân: Timna.

1 Chroniques 1, 40 Fils de Shobal: Alyân, Manahat, Ebal, Shephi, Onam. Fils de Cibéôn: Ayya et Ana.

1 Chroniques 1, 41 Fils de Ana: Dishôn. Fils de Dishôn: Hamrân, Eshbân, Yitrân, Kerân.

1 Chroniques 1, 42 Fils d'Eçer: Bilhân, Zaavân, Yaaqân. Fils de Dishân: Uç et Arân.

1 Chroniques 1, 43 Voici les rois qui régnèrent au pays d'Edom avant que ne régnât un roi des Israélites: Béla fils de Béor, et sa ville s'appelait Dinhaba.

1 Chroniques 1, 44 Béla mourut et à sa place régna Yobab, fils de Zérah, de Boçra.

1 Chroniques 1, 45 Yobab mourut et à sa place régna Husham, du pays des Témanites.

1 Chroniques 1, 46 Husham mourut et à sa place régna Hadad, fils de Bedad, qui battit les Madianites dans les champs de Moab; sa ville s'appelait Avvit.

1 Chroniques 1, 47 Hadad mourut et à sa place régna Samla de Masréqa.

1 Chroniques 1, 48 Samla mourut et à sa place régna Shaûl de Rehobot-ha-Nahar.

1 Chroniques 1, 49 Shaûl mourut et à sa place régna Baal-Hanân fils d'Akbor.

1 Chroniques 1, 50 Baal-Hanân mourut et à sa place régna Hadad. Sa ville s'appelait Paï; sa femme s'appelait Mehétabéel, fille de Matred de Mé-Zahab.

1 Chroniques 1, 51 Hadad mourut et il y eut alors des chefs en Edom: le chef Timna, le chef Alya, le chef Yetèt,

1 Chroniques 1, 52 le chef Oholibama, le chef Ela, le chef Pinôn,

1 Chroniques 1, 53 le chef Qenaz, le chef Témân, le chef Mibçar,

1 Chroniques 1, 54 le chef Magdiel, le chef Iram. Tels sont les chefs d'Edom.4, 1 Fils de Juda: Pérèç, Heçrôn, Karmi, Hur, Shobal.2, 1 Voici les fils d'Israël: Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Issachar et Zabulon,

1 Chroniques 2, 2 Dan, Joseph et Benjamin, Nephtali, Gad et Asher.

1 Chroniques 2, 3 Fils de Juda: Er, Onân et Shéla. Tous trois lui naquirent de Bat-Shua, la Cananéenne. Er, premier-né de Juda, déplut à Yahvé; il le fit mourir.

1 Chroniques 2, 4 Tamar, la belle-fille de Juda, lui enfanta Pérèç et Zérah. Il y eut en tout cinq fils de Juda.

1 Chroniques 2, 5 Fils de Pérèç: Heçrôn et Hamul.

1 Chroniques 2, 6 Fils de Zérah: Zimri, Etân, Hémân, Kalkol et Darda, cinq en tout.

1 Chroniques 2, 7 Fils de Karmi: Akar, qui fit le malheur d'Israël pour avoir violé l'anathème.

1 Chroniques 2, 8 Fils d'Etân: Azarya.

1 Chroniques 2, 9 Fils de Heçrôn: lui naquirent: Yerahméel, Ram, Kelubaï.

1 Chroniques 2, 10 Ram engendra Amminadab, Amminadab engendra Nahshôn, prince des fils de Juda,

1 Chroniques 2, 11 Nahshôn engendra Salma et Salma engendra Booz.

1 Chroniques 2, 12 Booz engendra Obed, et Obed engendra Jessé.

1 Chroniques 2, 13 Jessé engendra Eliab son premier-né, Abinadab le second, Shiméa le troisième,

1 Chroniques 2, 14 Netanéel le quatrième, Raddaï le cinquième,

1 Chroniques 2, 15 Oçem le sixième, David le septième.

1 Chroniques 2, 16 Ils eurent pour soeurs Ceruya et Abigayil. Fils de Ceruya: Abishaï, Joab et Asahel: trois.

1 Chroniques 2, 17 Abigayil enfanta Amasa; le père d'Amasa fut Yéter l'Ismaélite.

1 Chroniques 2, 18 Caleb, fils d'Heçrôn, engendra Yeriot d'Azuba sa femme; en voici les fils: Yésher, Shobab et Ardôn.

1 Chroniques 2, 19 Azuba mourut et Caleb épousa Ephrata, qui lui enfanta Hur.

1 Chroniques 2, 20 Hur engendra Uri et Uri engendra Beçaléel.

1 Chroniques 2, 21 Puis Heçrôn s'unit à la fille de Makir, père de Galaad. Il l'épousa alors qu'il avait 60 ans et elle lui enfanta Segub.

1 Chroniques 2, 22 Segub engendra Yaïr qui détint 23 villes dans le pays de Galaad.

1 Chroniques 2, 23 Puis Aram et Geshur leur prirent les Douars de Yaïr, Qenat et ses dépendances, 60 villes. Tout cela appartenait aux fils de Makir père de Galaad.

1 Chroniques 2, 24 Après la mort de Heçrôn, Caleb s'unit à Ephrata, femme de son père Heçrôn, qui lui enfanta Ashehur, père de Teqoa.

1 Chroniques 2, 25 Yerahméel, fils aîné de Heçrôn, eut des fils: Ram son premier-né, Buna, Orèn, Oçem, Ahiyya.

1 Chroniques 2, 26 Yerahméel eut une autre femme du nom de Atara; elle fut la mère d'Onam.

1 Chroniques 2, 27 Les fils de Ram, premier-né de Yerahméel, furent Maaç, Yamîn et Eqer.

1 Chroniques 2, 28 Les fils d'Onam furent Shammaï et Yada. Fils de Shammaï: Nadab et Abishur.

1 Chroniques 2, 29 La femme d'Abishur s'appelait Abihayil; elle lui enfanta Ahbân et Molid.

1 Chroniques 2, 30 Fils de Nadab: Séled et Ephraïm. Séled mourut sans fils.

1 Chroniques 2, 31 Fils d'Ephraïm: Yishéï; fils de Yishéï: Shéshân; fils de Shéshân: Ahlaï.

1 Chroniques 2, 32 Fils de Yada, frère de Shammaï: Yéter et Yonatân. Yéter mourut sans fils.

1 Chroniques 2, 33 Fils de Yonatân: Pélèt et Zaza. Tels furent les fils de Yerahméel.

1 Chroniques 2, 34 Shéshân n'eut pas de fils, mais des filles. Il avait un serviteur égyptien dénommé Yarha,

1 Chroniques 2, 35 auquel Shéshân donna sa fille pour épouse. Elle lui enfanta Attaï.

1 Chroniques 2, 36 Attaï engendra Natân, Natân engendra Zabad,

1 Chroniques 2, 37 Zabad engendra Ephlal, Ephlal engendra Obed,

1 Chroniques 2, 38 Obed engendra Yéhu, Yéhu engendra Azarya,

1 Chroniques 2, 39 Azarya engendra Héleç, Héleç engendra Eléasa,

1 Chroniques 2, 40 Eléasa engendra Sismaï, Sismaï engendra Shallum,

1 Chroniques 2, 41 Shallum engendra Yeqamya, Yeqamya engendra Elishama.

1 Chroniques 2, 42 Fils de Caleb, frère de Yerahméel: Mésha, son premier-né; c'est le père de Ziph. Son fils, Maresha, père de Hébrôn.

1 Chroniques 2, 43 Fils de Hébrôn: Qorah, Tappuah, Réqem et Shéma.

1 Chroniques 2, 44 Shéma engendra Raham, père de Yorqéam. Réqem engendra Shammaï.

1 Chroniques 2, 45 Le fils de Shammaï fut Maôn et Maôn fut le père de Bet-Cur.

1 Chroniques 2, 46 Epha, concubine de Caleb, enfanta Harân, Moça et Gazèz. Harân engendra Gazèz.

1 Chroniques 2, 47 Fils de Yahdaï: Régem, Yotam, Geshân, Pélèt, Epha et Shaaph.

1 Chroniques 2, 48 Maaka, concubine de Caleb, enfanta Shéber et Tirhana.

1 Chroniques 2, 49 Elle enfanta Shaaph, père de Madmanna, et Sheva, père de Makbena et père de Gibéa. La fille de Caleb était Aksa.

1 Chroniques 2, 50 Tels furent les descendants de Caleb. Fils de Hur, premier-né d'Ephrata: Shobal, père de Qiryat-Yéarim,

1 Chroniques 2, 51 Salma, père de Bethléem, Harèph, père de Bet-Gader.

1 Chroniques 2, 52 Shobal, père de Qiryat-Yéarim, eut des fils: Haroé, soit la moitié des Manahatites,

1 Chroniques 2, 53 et les clans de Qiryat-Yéarim, Yitrites, Putites, Shumatites et Mishraïtes. Les gens de Coréa et d'Eshtaol en sont issus.

1 Chroniques 2, 54 Fils de Salma: Bethléem, les Netophatites, Atrot-Bet-Yoab, la moitié des Manahatites, les Coréatites,

1 Chroniques 2, 55 les clans Sophrites habitant Yabèç, les Tiréatites, les Shiméatites, les Sukatites. Ce sont les Qénites qui viennent de Hammat, père de la maison de Rékab.

1 Chroniques 3, 1 Voici les fils de David qui lui naquirent à Hébron: Amnon l'aîné, d'Ahinoam de Yizréel; Daniyyel le deuxième, d'Abigayil de Karmel;

1 Chroniques 3, 2 Absalom le troisième, fils de Maaka, fille de Talmaï, roi de Geshur; Adonias le quatrième, fils de Haggit;

1 Chroniques 3, 3 Shephatya le cinquième, d'Abital; Yitréam, le sixième, de Egla sa femme.

1 Chroniques 3, 4 Il y en eut donc six qui lui naquirent à Hébron, où il régna sept ans et six mois. Il régna 33 ans à Jérusalem.

1 Chroniques 3, 5 Voici les fils qui lui naquirent à Jérusalem: Shiméa, Shobab, Natân, Salomon, tous quatre enfants de Bat-Shua, fille de Ammiel;

1 Chroniques 3, 6 Yibhar, Elishama, Eliphélèt,

1 Chroniques 3, 7 Nogah, Népheg, Yaphia,

1 Chroniques 3, 8 Elishama, Elyada, Eliphélèt: neuf.

1 Chroniques 3, 9 Ce sont là tous les fils de David, sans compter les fils des concubines. Tamar était leur soeur.

1 Chroniques 3, 10 Fils de Salomon: Roboam; Abiyya son fils, Asa son fils, Josaphat son fils,

1 Chroniques 3, 11 Joram son fils, Ochozias son fils, Joas son fils,

1 Chroniques 3, 12 Amasias son fils, Azarias son fils, Yotam son fils,

1 Chroniques 3, 13 Achaz son fils, Ezéchias son fils, Manassé son fils,

1 Chroniques 3, 14 Amon son fils, Josias son fils.

1 Chroniques 3, 15 Fils de Josias: Yohanân l'aîné, Joiaqim le deuxième, Sédécias le troisième, Shallum le quatrième.

1 Chroniques 3, 16 Fils de Joiaqim: Jékonias son fils, Sédécias son fils.

1 Chroniques 3, 17 Fils de Jékonias le captif: Shéaltiel son fils,

1 Chroniques 3, 18 puis Malkiram, Pedaya, Shéneaççar, Yeqamya, Hoshama, Nedabya.

1 Chroniques 3, 19 Fils de Pedaya: Zorobabel et Shiméï. Fils de Zorobabel: Meshullam et Hananya; Shelomit était leur soeur.

1 Chroniques 3, 20 Fils de Meshullam: Hashuba, Ohel, Bérékya, Hasadya, Yushab-Hésed: cinq.

1 Chroniques 3, 21 Fils de Hananya: Pelatya; Yeshaya son fils, Rephaya son fils, Arnân son fils, Obadya son fils, Shekanya son fils.

1 Chroniques 3, 22 Fils de Shekanya: Shemaya, Hattush, Yigéal, Bariah, Néarya, Shaphat: six.

1 Chroniques 3, 23 Fils de Néarya: Elyoénaï, Hizqiyya, Azriqam: trois.

1 Chroniques 3, 24 Fils d'Elyoénaï: Hodaïvahu, Elyashib, Pelaya, Aqqub, Yohanân, Delaya, Anani: sept.

1 Chroniques

1 Chroniques 4, 2 Reaya, fils de Shobal, engendra Yahat, et Yahat engendra Ahumaï et Lahad. Ce sont les clans Coréatites.

1 Chroniques 4, 3 Voici Abi-Etam, Yizréel, Yishma et Yidbash, dont la soeur s'appelait Haçlelponi.

1 Chroniques 4, 4 Penuel était père de Gedor, Ezer père de Husha. Tels sont les fils de Hur, premier-né d'Ephrata, père de Bethléem.

1 Chroniques 4, 5 Ashehur, père de Teqoa, eut deux femmes: Héléa et Naara.

1 Chroniques 4, 6 Naara lui enfanta Ahuzam, Hépher, les Timnites et les Ahashtarites. Tels sont les fils de Naara.

1 Chroniques 4, 7 Fils de Héléa: Céret, Cohar, Etnân.

1 Chroniques 4, 8 Qoç engendra Anub, Haççobéba et les clans d'Aharhel, fils de Harum.

1 Chroniques 4, 9 Yabeç l'emporta sur ses frères. Sa mère lui donna le nom de Yabeç en disant: "J'ai enfanté dans la détresse."

1 Chroniques 4, 10 Yabeç invoqua le Dieu d'Israël: "Si vraiment tu me bénis, dit-il, tu accroîtras mon territoire, ta main sera avec moi, tu feras s'éloigner le malheur et ma détresse prendra fin." Dieu lui accorda ce qu'il avait demandé.

1 Chroniques 4, 11 Kelub, frère de Shuha, engendra Mehir; c'est le père d'Eshtôn.

1 Chroniques 4, 12 Eshtôn engendra Bet-Rapha, Paséah, Tehinna, père de Ir-Nahash. Tels sont les hommes de Rékab.

1 Chroniques 4, 13 Fils de Qenaz: Otniel et Seraya. Fils de Otniel: Hatat et Meonotaï;

1 Chroniques 4, 14 Meonotaï engendra Ophra. Seraya engendra Yoab père de Gé-Harashim. Ils étaient en effet artisans.

1 Chroniques 4, 15 Fils de Caleb fils de Yephunné: Ir, Ela et Naam. Fils d'Ela: Qenaz.

1 Chroniques 4, 16 Fils de Yehalléléel: Ziph, Zipha, Tirya, Asaréel.

1 Chroniques 4, 17 Fils de Ezra: Yéter, Méred, Epher, Yalôn. Puis elle conçut Miryam, Shammaï et Yishba père d'Eshtemoa,

1 Chroniques 4, 18 dont la femme judéenne enfanta Yéred père de Gedor, Héber père de Soko et Yequtiel père de Zanoah. Tels sont les fils de Bitya, la fille du Pharaon qu'avait épousée Méred.

1 Chroniques 4, 19 Fils de la femme de Hodiyya, soeur de Naham père de Qéïla le Garmite et d'Eshtemoa le Maakatite.

1 Chroniques 4, 20 Fils de Shimôn: Amnôn, Rinna, Ben-Hanân, Tilôn. Fils de Yishéï: Zohet et Ben-Zohet.

1 Chroniques 4, 21 Fils de Shéla, fils de Juda: Er père de Léka, Lada père de Maresha et les clans des producteurs de byssus à Bet-Ashbéa,

1 Chroniques 4, 22 Yoqim, les hommes de Kozéba, Yoash et Saraph qui allèrent se marier en Moab avant de revenir à Bethléem. (Ces événements sont anciens.)

1 Chroniques 4, 23 Ce sont eux qui étaient potiers et habitaient Netayim et Gedéra. Ils demeuraient là avec le roi, attachés à son atelier.

1 Chroniques 4, 24 Fils de Siméon: Nemuel, Yamîn, Yarib, Zérah, Shaûl.

1 Chroniques 4, 25 Son fils Shallum, son fils Mibsam, son fils Mishma.

1 Chroniques 4, 26 Fils de Mishma: Hammuel son fils, Zakkur son fils, Shiméï son fils.

1 Chroniques 4, 27 Shiméï eut seize fils et six filles, mais ses frères n'eurent pas beaucoup d'enfants et l'ensemble de leurs clans ne se développa pas autant que les fils de Juda.

1 Chroniques 4, 28 Ils habitèrent Bersabée, Molada et Haçar-Shual,

1 Chroniques 4, 29 Bilha, Eçém et Tolad,

1 Chroniques 4, 30 Bétuel, Horma et Ciqlag,

1 Chroniques 4, 31 Bet-Markabot, Haçar-Susim, Bet-Biréï, Shaarayim. Telles furent leurs villes jusqu'au règne de David.

1 Chroniques 4, 32 Ils eurent pour villages: Etam, Ayîn, Rimmôn, Tokèn et Ashân, cinq villes,

1 Chroniques 4, 33 et tous les villages qui entouraient ces villes jusqu'à Baalat. C'est là qu'ils demeurèrent et qu'ils furent enregistrés:

1 Chroniques 4, 34 Meshobab, Yamlek, Yosha fils d'Amaçya,

1 Chroniques 4, 35 Yoël, Yéhu fils de Yoshibya, fils de Seraya, fils d'Asiel,

1 Chroniques 4, 36 Elyoénaï, Yaaqoba, Yeshohaya, Asaya, Adiel, Yesimiel, Benaya,

1 Chroniques 4, 37 Ziza, Ben-Shiphéï, Ben-Allôn, Ben-Yedaya, Ben-Shimri, Ben-Shemaya.

1 Chroniques 4, 38 Ces hommes, recensés nominativement, étaient princes dans leurs clans et leurs familles s'accrurent énormément.

1 Chroniques 4, 39 Ils allèrent du col de Gérar jusqu'à l'orient de la vallée, cherchant pâture pour leur petit bétail.

1 Chroniques 4, 40 Ils trouvèrent de bons et gras pâturages, le pays était vaste, tranquille et pacifié. Des Chamites en effet y habitaient auparavant.

1 Chroniques 4, 41 Les Siméonites, inscrits nominativement, arrivèrent au temps d'Ezéchias, roi de Juda; ils conquirent leurs tentes et les abris qui se trouvaient là. Ils les vouèrent à un anathème qui dure encore de nos jours et ils s'établirent à leur place, car il y avait là des pâturages pour leur petit bétail.

1 Chroniques 4, 42 Certains d'entre eux, appartenant aux fils de Siméon, gagnèrent la montagne de Séïr: cinq hommes ayant à leur tête Pelatya, Nearya, Rephaya, Uzziel, les fils de Yishéï.

1 Chroniques 4, 43 Ils battirent le reste des réchappés d'Amaleq et demeurèrent là jusqu'à nos jours.

1 Chroniques 5, 1 Fils de Ruben, premier-né d'Israël. Il était en effet le premier-né; mais quand il eut violé la couche de son père, son droit d'aînesse fut donné aux fils de Joseph, fils d'Israël, et il ne fut plus compté comme aîné.

1 Chroniques 5, 2 Juda prévalut sur ses frères et obtint un prince issu de lui, mais le droit d'aînesse appartenait à Joseph.

1 Chroniques 5, 3 Fils de Ruben premier-né d'Israël: Hénok, Pallu, Heçrôn, Karmi.

1 Chroniques 5, 4 Fils de Yoël: Shemaya son fils, Gog son fils, Shiméï son fils,

1 Chroniques 5, 5 Mika son fils, Reaya son fils, Baal son fils,

1 Chroniques 5, 6 Bééra son fils que Téglat-Phalasar, roi d'Assyrie, emmena en captivité. Il fut prince des Rubénites.

1 Chroniques 5, 7 Ses frères, par clans, groupés selon leur parenté: Yeïel en tête, Zekaryahu,

1 Chroniques 5, 8 Béla fils de Azaz, fils de Shéma, fils de Yoël. C'est Ruben qui, établi à Aroër, s'étendait jusqu'à Nebo et Baal-Meôn.

1 Chroniques 5, 9 A l'orient, son habitat atteignait le seuil du désert que limite l'Euphrate, car il avait de nombreux troupeaux au pays de Galaad.

1 Chroniques 5, 10 Au temps de Saül, ils firent la guerre aux Hagrites, ils tombèrent entre leurs mains et les Hagrites s'établirent dans leurs tentes sur toute la zone orientale de Galaad.

1 Chroniques 5, 11 A leur côté, les fils de Gad habitaient le pays du Bashân jusqu'à Salka:

1 Chroniques 5, 12 Yoël en tête, Shapham le second, puis Yanaï et Shaphat en Bashân.

1 Chroniques 5, 13 Leurs frères, par familles: Mikaël, Meshullam, Sheba, Yoraï, Yakân, Zia, Eber: sept.

1 Chroniques 5, 14 Voici les fils d'Abihayil: Ben-Huri, Ben-Yaroah, Ben-Giléad, Ben-Mikaël, Ben-Yeshishaï, Ben-Yahdo, Ben-Buz.

1 Chroniques 5, 15 Ahi, fils de Abdiel, fils de Guni, était le chef de leur famille.

1 Chroniques 5, 16 Ils étaient établis en Galaad, en Bashân et ses dépendances, ainsi que dans tous les pâturages du Sharon jusqu'à leurs extrêmes limites.

1 Chroniques 5, 17 C'est à l'époque de Yotam, roi de Juda, et de Jéroboam, roi d'Israël, qu'ils furent tous enregistrés.

1 Chroniques 5, 18 Les fils de Ruben, les fils de Gad, la demi-tribu de Manassé, certains de leurs guerriers, hommes armés du bouclier, de l'épée, tirant de l'arc et exercés au combat, au nombre de 44.760 aptes à faire campagne,

1 Chroniques 5, 19 firent la guerre aux Hagrites, à Yetur, à Naphish et à Nodad.

1 Chroniques 5, 20 Dieu leur vint en aide contre eux, et les Hagrites, ainsi que tous leurs alliés, tombèrent en leur pouvoir, car ils avaient fait appel à Dieu dans le combat, et ils furent exaucés pour avoir mis en lui leur confiance.

1 Chroniques 5, 21 Ils razzièrent les troupeaux des Hagrites, 50.000 chameaux, 250.000 têtes de petit bétail, 2.000 ânes, et 100.000 personnes,

1 Chroniques 5, 22 car, Dieu ayant mené le combat, la plupart avaient été tués. Et ils s'installèrent à leur place jusqu'à l'exil.

1 Chroniques 5, 23 Les fils de la demi-tribu de Manassé s'établirent dans le pays entre Bashân et Baal-Hermôn, le Senir et le mont Hermon. Ils étaient nombreux.

1 Chroniques 5, 24 Voici les chefs de leurs familles: Epher, Yishéï, Eliel, Azriel, Yirmeya, Hodavya, Yahdiel. C'étaient des preux valeureux, des hommes renommés, chefs de leurs familles.

1 Chroniques 5, 25 Mais ils furent infidèles envers le Dieu de leurs pères, et se prostituèrent aux dieux des peuples du pays que Dieu avait anéantis devant eux.

1 Chroniques 5, 26 Le Dieu d'Israël excita l'animosité de Pul, roi d'Assyrie, et celle de Téglat-Phalasar, roi d'Assyrie. Il déporta Ruben, Gad et la demi-tribu de Manassé, et les emmena à Halah et sur le Habor, à Hara et au fleuve de Gozân. Ils y sont encore aujourd'hui.

1 Chroniques 5, 27 Fils de Lévi: Gershôn, Qehat et Merari.

1 Chroniques 5, 28 Fils de Qehat: Amram, Yiçhar, Hébrôn, Uzziel.

1 Chroniques 5, 29 Fils d'Amram: Aaron, Moïse et Miryam. Fils d'Aaron: Nadab et Abihu, Eléazar et Itamar.

1 Chroniques 5, 30 Eléazar engendra Pinhas, Pinhas engendra Abishua,

1 Chroniques 5, 31 Abishua engendra Buqqi, Buqqi engendra Uzzi,

1 Chroniques 5, 32 Uzzi engendra Zerahya, Zerahya engendra Merayot,

1 Chroniques 5, 33 Merayot engendra Amarya, Amarya engendra Ahitub,

1 Chroniques 5, 34 Ahitub engendra Sadoq, Sadoq engendra Ahimaaç,

1 Chroniques 5, 35 Ahimaaç engendra Azarya, Azarya engendra Yohanân,

1 Chroniques 5, 36 Yohanân engendra Azarya. C'est lui qui exerça le sacerdoce dans le Temple qu'avait bâti Salomon à Jérusalem.

1 Chroniques 5, 37 Azarya engendra Amarya, Amarya engendra Ahitub,

1 Chroniques 5, 38 Ahitub engendra Sadoq, Sadoq engendra Shallum,

1 Chroniques 5, 39 Shallum engendra Hilqiyya, Hilqiyya engendra Azarya,

1 Chroniques 5, 40 Azarya engendra Seraya, Seraya engendra Yehoçadaq

1 Chroniques 5, 41 et Yehoçadaq dut partir quand Yahvé, par la main de Nabuchodonosor, exila Juda et Jérusalem.

1 Chroniques 6, 1 Fils de Lévi: Gershom, Qehat et Merari.

1 Chroniques 6, 2 Voici les noms des fils de Gershom: Libni et Shiméï.

1 Chroniques 6, 3 Fils de Qehat: Amram, Yiçhar, Hébrôn, Uzziel.

1 Chroniques 6, 4 Fils de Merari: Mahli et Mushi. Tels sont les clans de Lévi groupés selon leurs pères.

1 Chroniques 6, 5 Pour Gershom: Libni son fils, Yahat son fils, Zimma son fils,

1 Chroniques 6, 6 Yoah son fils, Iddo son fils, Zérah son fils, Yéatraï son fils.

1 Chroniques 6, 7 Fils de Qehat: Amminadab son fils, Coré son fils, Assir son fils,

1 Chroniques 6, 8 Elqana son fils, Ebyasaph son fils, Assir son fils,

1 Chroniques 6, 9 Tahat son fils, Uriel son fils, Uzziya son fils, Shaûl son fils.

1 Chroniques 6, 10 Fils d'Elqana: Amasaï et Ahimot.

1 Chroniques 6, 11 Elqana son fils, Côphaï son fils, Nahat son fils,

1 Chroniques 6, 12 Eliab son fils, Yeroham son fils, Elqana son fils.

1 Chroniques 6, 13 Fils d'Elqana: Samuel l'aîné et Abiyya le second.

1 Chroniques 6, 14 Fils de Merari: Mahli, Libni son fils, Shiméï son fils, Uzza son fils,

1 Chroniques 6, 15 Shiméa son fils, Haggiyya son fils, Asaya son fils.

1 Chroniques 6, 16 Voici ceux que David chargea de diriger le chant dans le Temple de Yahvé, lorsque l'arche y eut trouvé le repos.

1 Chroniques 6, 17 Ils furent au service du chant devant la demeure de la Tente du Rendez-vous jusqu'à ce que Salomon eût construit à Jérusalem le Temple de Yahvé, et ils remplissaient leur fonction en se conformant à leur règle.

1 Chroniques 6, 18 Voici ceux qui étaient en fonction et leurs fils: Parmi les fils de Qehat: Hémân le chantre, fils de Yoël, fils de Samuel,

1 Chroniques 6, 19 fils d'Elqana, fils de Yeroham, fils d'Eliel, fils de Toah,

1 Chroniques 6, 20 fils de Cuph, fils d'Elqana, fils de Mahat, fils de Amasaï,

1 Chroniques 6, 21 fils d'Elqana, fils de Yoël, fils de Azarya, fils de Cephanya,

1 Chroniques 6, 22 fils de Tahat, fils d'Assir, fils d'Ebyasaph, fils de Coré,

1 Chroniques 6, 23 fils de Yiçhar, fils de Qehat, fils de Lévi, fils d'Israël.

1 Chroniques 6, 24 Son frère Asaph se tenait à sa droite: Asaph, fils de Bérékyahu, fils de Shiméa,

1 Chroniques 6, 25 fils de Mikaël, fils de Baaséya, fils de Malkiyya,

1 Chroniques 6, 26 fils d'Etni, fils de Zérah, fils d'Adaya,

1 Chroniques 6, 27 fils d'Etân, fils de Zimma, fils de Shiméï,

1 Chroniques 6, 28 fils de Yahat, fils de Gershom, fils de Lévi.

1 Chroniques 6, 29 A gauche, leurs frères, fils de Merari: Etân, fils de Qishi, fils d'Abdi, fils de Malluk,

1 Chroniques 6, 30 fils de Hashabya, fils d'Amaçya, fils de Hilqiyya,

1 Chroniques 6, 31 fils d'Amçi, fils de Bani, fils de Shémer,

1 Chroniques 6, 32 fils de Mahli, fils de Mushi, fils de Merari, fils de Lévi.

1 Chroniques 6, 33 Leurs frères les lévites étaient entièrement adonnés au service de la Demeure du Temple de Dieu.

1 Chroniques 6, 34 Aaron et ses fils faisaient fumer les offrandes sur l'autel des holocaustes et sur l'autel des parfums; ils s'occupaient exclusivement des choses très saintes et du rite d'expiation sur Israël; ils se conformaient à tout ce qu'avait ordonné Moïse, serviteur de Dieu.

1 Chroniques 6, 35 Voici les fils d'Aaron: Eléazar son fils, Pinhas son fils, Abishua son fils,

1 Chroniques 6, 36 Buqqi son fils, Uzzi son fils, Zerahya son fils,

1 Chroniques 6, 37 Merayot son fils, Amarya son fils, Ahitub son fils,

1 Chroniques 6, 38 Sadoq son fils, Ahimaaç son fils.

1 Chroniques 6, 39 Voici leurs lieux d'habitation, selon les limites de leurs campements: Aux fils d'Aaron, du clan de Qehat (car c'est sur eux que tomba le sort),

1 Chroniques 6, 40 on donna Hébron, dans le pays de Juda, avec les pâturages environnants.

1 Chroniques 6, 41 On donna la campagne et ses villages à Caleb, fils de Yephunné,

1 Chroniques 6, 42 mais on donna aux fils d'Aaron les villes de refuge: Hébron, Libna et ses pâturages, Yattir, Eshtemoa et ses pâturages,

1 Chroniques 6, 43 Hilaz et ses pâturages, Debir et ses pâturages,

1 Chroniques 6, 44 Ashân et ses pâturages, Bet-Shémesh et ses pâturages.

1 Chroniques 6, 45 Sur la tribu de Benjamin on leur donna Géba et ses pâturages, Alémèt et ses pâturages, Anatot et ses pâturages. Leurs clans comprenaient en tout treize villes.

1 Chroniques 6, 46 Les autres fils de Qehat obtinrent au sort dix villes prises aux clans de la tribu, de la demi-tribu, moitié de Manassé.

1 Chroniques 6, 47 Les fils de Gershom et leurs clans obtinrent treize villes prises sur la tribu d'Issachar, la tribu d'Asher, la tribu de Nephtali et la tribu de Manassé en Bashân.

1 Chroniques 6, 48 Les fils de Merari et leurs clans obtinrent au sort douze villes prises sur la tribu de Ruben, la tribu de Gad et la tribu de Zabulon.

1 Chroniques 6, 49 Les enfants d'Israël attribuèrent aux lévites ces villes avec leurs pâturages.

1 Chroniques 6, 50 Sur les tribus des fils de Juda, des fils de Siméon et des fils de Benjamin, ils attribuèrent aussi par tirage au sort les villes auxquelles ils donnèrent leurs noms.

1 Chroniques 6, 51 C'est sur la tribu d'Ephraïm que furent prises les villes du territoire de quelques clans des fils de Qehat.

1 Chroniques 6, 52 On leur donna les villes de refuge suivantes: Sichem et ses pâturages dans la montagne d'Ephraïm, Gézer et ses pâturages,

1 Chroniques 6, 53 Yoqméam et ses pâturages, Bet-Horôn et ses pâturages,

1 Chroniques 6, 54 Ayyalôn et ses pâturages, Gat-Rimmôn et ses pâturages,

1 Chroniques 6, 55 ainsi que sur la demi-tribu de Manassé: Aner et ses pâturages, Bileam et ses pâturages. Ceci pour le clan des autres fils de Qehat.

1 Chroniques 6, 56 Pour les fils de Gershom, on prit, sur les clans de la demi-tribu de Manassé, Golân en Bashân et ses pâturages, Ashtarot et ses pâturages, --

1 Chroniques 6, 57 sur la tribu d'Issachar, Qédesh et ses pâturages, Daberat et ses pâturages,

1 Chroniques 6, 58 Ramot et ses pâturages, Anem et ses pâturages, --

1 Chroniques 6, 59 sur la tribu d'Asher, Mashal et ses pâturages, Abdôn et ses pâturages,

1 Chroniques 6, 60 Huqoq et ses pâturages, Rehob et ses pâturages, --

1 Chroniques 6, 61 sur la tribu de Nephtali, Qédesh en Galilée et ses pâturages, Hammôn et ses pâturages, Qiryatayim et ses pâturages.

1 Chroniques 6, 62 Pour les autres fils de Merari: sur la tribu de Zabulon: Rimmôn et ses pâturages, Tabor et ses pâturages, --

1 Chroniques 6, 63 au-delà du Jourdain vers Jéricho, à l'orient du Jourdain, sur la tribu de Ruben: Béçer dans le désert et ses pâturages, Yahça et ses pâturages,

1 Chroniques 6, 64 Qedémot et ses pâturages, Méphaat et ses pâturages, --

1 Chroniques 6, 65 sur la tribu de Gad: Ramot en Galaad et ses pâturages, Mahanayim et ses pâturages,

1 Chroniques 6, 66 Heshbôn et ses pâturages, Yazèr et ses pâturages.

1 Chroniques 7, 1 Pour les fils d'Issachar: Tola, Pua, Yashub, Shimrôn: quatre.

1 Chroniques 7, 2 Fils de Tola: Uzzi, Rephaya, Yeriel, Yahmaï, Yibsam, Shemuel, chefs des familles de Tola. Celles-ci comptaient, au temps de David, 22.600 preux valeureux, groupés selon leur parenté.

1 Chroniques 7, 3 Fils de Uzzi: Yizrahya. Fils de Yizrahya: Mikaël, Obadya, Yoël, Yishshiyya. En tout cinq chefs

1 Chroniques 7, 4 responsables des troupes de combat, comptant 36.000 hommes, répartis selon leur parenté et leurs familles; il y avait en effet beaucoup de femmes et d'enfants.

1 Chroniques 7, 5 Ils avaient des frères appartenant à tous les clans d'Issachar, vaillants preux au nombre de 87.000 hommes, ils appartenaient tous à un groupement.

1 Chroniques 7, 6 Benjamin: Béla, Béker, Yediael: trois.

1 Chroniques 7, 7 Fils de Béla: Eçbôn, Uzzi, Uzziel, Yerimot et Iri: cinq, chefs de famille, preux valeureux, groupant 22.034 hommes.

1 Chroniques 7, 8 Fils de Béker: Zemira, Yoash, Eliézer, Elyoénaï, Omri, Yerémot, Abiyya, Anatot, Alémèt, tous ceux-là étaient les fils de Béker;

1 Chroniques 7, 9 les chefs de leurs familles, vaillants preux, groupèrent selon leur parenté 20.200 hommes.

1 Chroniques 7, 10 Fils de Yediael: Bilhân. Fils de Bilhân: Yéush, Benjamin, Ehud, Kenaana, Zetân, Tarshish, Ahishahar.

1 Chroniques 7, 11 Tous ces fils de Yediael devinrent des chefs de famille, preux valeureux, au nombre de 17.200 hommes aptes à faire campagne et à combattre.

1 Chroniques 7, 12 Shuppim et Huppim. Fils de Ir: Hushim; son fils: Aher.

1 Chroniques 7, 13 Fils de Nephtali: Yahaçiel, Guni, Yéçer, Shallum. Ils étaient fils de Bilha.

1 Chroniques 7, 14 Fils de Manassé: Asriel qu'enfanta sa concubine araméenne. Elle enfanta Makir, père de Galaad.

1 Chroniques 7, 15 Makir prit une femme pour Huppim et Shuppim. Le nom de sa soeur était Maaka. Le nom du second était Celophehad. Celophehad eut des filles.

1 Chroniques 7, 16 Maaka, femme de Makir, enfanta un fils qu'elle appela Péresh. Son frère s'appelait Shéresh et ses fils Ulam et Réqem.

1 Chroniques 7, 17 Le fils de Ulam: Bedân. Tels furent les fils de Galaad, fils de Makir, fils de Manassé.

1 Chroniques 7, 18 Il avait pour soeur Hammolékèt. Elle enfanta Ishehod, Abiézer et Mahla.

1 Chroniques 7, 19 Shemida eut des fils: Ahyân, Sichem, Liqhi et Aniam.

1 Chroniques 7, 20 Fils d'Ephraïm: Shutélah. Béred son fils, Tahat son fils, Eléada son fils, Tahat son fils,

1 Chroniques 7, 21 Zabad son fils, Shutélah son fils, Ezer et Eléad. Des gens de Gat natifs du pays les tuèrent, car ils étaient descendus razzier leurs troupeaux.

1 Chroniques 7, 22 Leur père Ephraïm s'en lamenta longtemps et ses frères vinrent le consoler.

1 Chroniques 7, 23 Il s'en fut alors trouver sa femme; elle conçut et enfanta un fils qu'il nomma Béria car "sa maison était dans le malheur."

1 Chroniques 7, 24 Il eut pour fille Shééra qui bâtit Bet-Horôn, le bas et le haut, et Uzzèn-Shééra.

1 Chroniques 7, 25 Réphah son fils, Shutélah son fils, Tahân son fils,

1 Chroniques 7, 26 Ladân son fils, Ammihud son fils, Elishama son fils,

1 Chroniques 7, 27 Nôn son fils, Josué son fils.

1 Chroniques 7, 28 Ils possédaient des domaines et habitaient à Béthel et dans ses dépendances, à Naarân à l'est, à Gézer et dans ses dépendances à l'ouest, à Sichem et dans ses dépendances, et même à Ayya et ses dépendances.

1 Chroniques 7, 29 Bet-Shéân avec ses dépendances, Tanak avec ses dépendances, Megiddo avec ses dépendances, Dor avec ses dépendances étaient aux mains des fils de Manassé. C'est là que demeuraient les fils de Joseph, fils d'Israël.

1 Chroniques 7, 30 Fils d'Asher: Yimna, Yishva, Yishvi, Béria; Sérah leur soeur.

1 Chroniques 7, 31 Fils de Béria: Héber et Malkiel. C'est le père de Birzayit.

1 Chroniques 7, 32 Héber engendra Yaphlet, Shémer, Hotam et Shua leur soeur.

1 Chroniques 7, 33 Fils de Yaphlet: Pasak, Bimhal et Ashvat. Tels sont les fils de Yaphlet.

1 Chroniques 7, 34 Fils de Shémer son frère: Rohga, Hubba et Aram.

1 Chroniques 7, 35 Fils de Hélem son frère: Cophah, Yimna, Shélesh et Amal.

1 Chroniques 7, 36 Fils de Cophah: Suah, Harnépher, Shual, Béri et Yimra,

1 Chroniques 7, 37 Béçer, Hod, Shamma, Shilsha, Yitrân et Bééra.

1 Chroniques 7, 38 Fils de Yitrân: Yephunné, Pispa, Ara.

1 Chroniques 7, 39 Fils d'Ulla: Arah, Hanniel, Riçya.

1 Chroniques 7, 40 Tous ceux-là étaient fils d'Asher, chefs des familles, hommes d'élite, vaillants preux, premiers des princes, ils se groupèrent en troupes de combat comptant 26.000 hommes.

1 Chroniques 8, 1 Benjamin engendra Béla son premier-né, Ashbel le second, Ahiram le troisième,

1 Chroniques 8, 2 Noha le quatrième, Rapha le cinquième.

1 Chroniques 8, 3 Béla eut des fils: Addar, Géra père d'Ehud,

1 Chroniques 8, 4 Abishua, Naamân et Ahoah,

1 Chroniques 8, 5 Géra, Shephupham et Huram.

1 Chroniques 8, 6 Voici les fils d'Ehud. Ce sont eux qui furent les chefs de famille des habitants de Géba et les emmenèrent en captivité à Manahat:

1 Chroniques 8, 7 Naamân, Ahiyya et Géra. C'est lui qui les emmena en captivité; il engendra Uzza et Ahihud.

1 Chroniques 8, 8 Il engendra Shaharayim dans les Champs de Moab après qu'il eut répudié ses femmes, Hushim et Baara.

1 Chroniques 8, 9 De sa nouvelle femme il eut pour fils Yobab, Cibya, Mésha, Malkom.

1 Chroniques 8, 10 Yéuç, Sakya, Mirma. Tels furent ses fils, chefs de famille.

1 Chroniques 8, 11 De Hushim il eut pour fils Abitud et Elpaal.

1 Chroniques 8, 12 Fils d'Elpaal: Eber, Mishéam et Shémed: c'est lui qui bâtit Ono, et Lod avec ses dépendances.

1 Chroniques 8, 13 Béria et Shéma. Ils étaient chefs de famille des habitants d'Ayyalôn et mirent en fuite les habitants de Gat.

1 Chroniques 8, 14 Son frère: Shéshaq. Yerémot,

1 Chroniques 8, 15 Zebadya, Arad, Eder,

1 Chroniques 8, 16 Mikaël, Yishpa et Yoha étaient fils de Béria.

1 Chroniques 8, 17 Zebadya, Meshullam, Hizqi, Haber,

1 Chroniques 8, 18 Yishmeraï, Yizlia, Yobab étaient fils d'Elpaal.

1 Chroniques 8, 19 Yaqim, Zikri, Zabdi,

1 Chroniques 8, 20 Elyoénaï, Cilletaï, Eliel,

1 Chroniques 8, 21 Adaya, Beraya, Shimrat étaient fils de Shiméï.

1 Chroniques 8, 22 Yishpân, Eber, Eliel,

1 Chroniques 8, 23 Abdôn, Zikri, Hanân,

1 Chroniques 8, 24 Hananya, Elam, Antotiyya,

1 Chroniques 8, 25 Yiphdéya, Penuel étaient fils de Shéshaq.

1 Chroniques 8, 26 Shamsheraï, Sheharya, Atalya,

1 Chroniques 8, 27 Yaaréshya, Eliyya, Zikri étaient fils de Yeroham.

1 Chroniques 8, 28 Tels étaient les chefs des familles groupées selon leur parenté. Ils habitèrent Jérusalem.

1 Chroniques 8, 29 A Gabaôn habitaient Yeïel, le père de Gabaôn, dont la femme s'appelait Maaka,

1 Chroniques 8, 30 son fils premier-né Abdôn, ainsi que Cur, Qish, Baal, Ner, Nadab,

1 Chroniques 8, 31 Gedor, Ahyo, Zaker et Miqlot.

1 Chroniques 8, 32 Miqlot engendra Shiméa; mais eux, contrairement à leurs frères, habitaient Jérusalem avec leurs frères.

1 Chroniques 8, 33 Ner engendra Qish, Qish engendra Saül, Saül engendra Jonathan, Malki-Shua, Abinadab et Eshbaal.

1 Chroniques 8, 34 Fils de Jonathan: Meribbaal. Meribbaal engendra Mika

1 Chroniques 8, 35 Fils de Mika: Pitôn, Mélek, Taréa, Ahaz.

1 Chroniques 8, 36 Ahaz engendra Yehoadda, Yehoadda engendra Alémèt, Azmavèt et Zimri. Zimri engendra Moça,

1 Chroniques 8, 37 Moça engendra Binéa. Rapha son fils, Eléasa son fils, Açel son fils.

1 Chroniques 8, 38 Açel eut six fils dont voici les noms: Azriqam son premier-né, puis Yishmaël, Shéarya, Obadya, Hanân. Ils étaient tous fils d'Açel.

1 Chroniques 8, 39 Fils d'Esheq son frère: Ulam son premier-né, Yéush le second, Eliphélèt le troisième.

1 Chroniques 8, 40 Ulam eut des fils, hommes preux et valeureux, tirant de l'arc. Ils eurent beaucoup de fils et de petits-fils, 150. Tous ceux-là étaient fils de Benjamin.

1 Chroniques 9, 1 Tous les Israélites furent répartis par groupes et se trouvaient inscrits sur le livre des rois d'Israël et de Juda quand ils furent déportés à Babylone à cause de leurs prévarications.

1 Chroniques 9, 2 Les premiers à habiter dans leurs villes et leur patrimoine furent les Israélites, les prêtres, les lévites et les "donnés";

1 Chroniques 9, 3 à Jérusalem habitèrent des Judéens, des Benjaminites, des Ephraïmites et des Manassites.

1 Chroniques 9, 4 Utaï, fils d'Ammihud, fils de Omri, fils d'Imri, fils de Bani, l'un des fils de Pérèç fils de Juda.

1 Chroniques 9, 5 Des Shélanites, Asaya, l'aîné, et ses fils.

1 Chroniques 9, 6 Des fils de Zérah, Yéuel. Plus leurs frères: 690 hommes.

1 Chroniques 9, 7 Parmi les fils de Benjamin: Sallu fils de Meshullam, fils de Hodavya, fils de Hassenua;

1 Chroniques 9, 8 Yibneya fils de Yeroham; Ela fils de Uzzi, fils de Mikri; Meshullam fils de Shephatya, fils de Réuel, fils de Yibniyya.

1 Chroniques 9, 9 Ils avaient 956 frères groupés selon leur parenté. Tous ces hommes étaient chefs chacun de leur famille.

1 Chroniques 9, 10 Parmi les prêtres: Yedaya, Yehoyarib, Yakîn,

1 Chroniques 9, 11 Azarya fils de Hilqiyya, fils de Meshullam, fils de Sadoq, fils de Merayot, fils d'Ahitub, chef du Temple de Dieu.

1 Chroniques 9, 12 Adaya, fils de Yeroham, fils de Pashehur, fils de Malkiyya, Maasaï fils de Adiel, fils de Yahzéra, fils de Meshullam, fils de Meshillémit, fils d'Immer.

1 Chroniques 9, 13 Ils avaient des frères, chefs de famille, 1.760 vaillants preux qui étaient affectés au service du Temple de Dieu.

1 Chroniques 9, 14 Parmi les lévites: Shemaya fils de Hashshub, fils d'Azriqam, fils de Hashabya des fils de Merari,

1 Chroniques 9, 15 Baqbaqar, Héresh, Galal. Mattanya, fils de Mika, fils de Zikri, fils d'Asaph,

1 Chroniques 9, 16 Obadya, fils de Shemaya, fils de Galal, fils de Yedutûn, Bérékya, fils d'Asa, fils d'Elqana, qui demeurait dans les villages des Netophatites.

1 Chroniques 9, 17 Les portiers: Shallum, Aqqub, Talmôn, Ahimân et leurs frères. Shallum, le chef,

1 Chroniques 9, 18 se tient encore maintenant à la porte royale, à l'orient. C'étaient eux les portiers des camps des lévites:

1 Chroniques 9, 19 Shallum, fils de Qoré, fils d'Ebyasaph, fils de Coré, et ses frères les Coréites, de la même famille, vaquaient au service liturgique; ils gardaient les seuils de la Tente, et leurs pères, responsables du camp de Yahvé, en avaient gardé l'accès.

1 Chroniques 9, 20 Pinhas, fils d'Eléazar, en avait été autrefois le chef responsable (que Yahvé soit avec lui).

1 Chroniques 9, 21 Zacharie, fils de Meshélémya, était portier à l'entrée de la Tente du Rendez-vous.

1 Chroniques 9, 22 Les portiers des seuils appartenaient tous à l'élite; il y en avait 212. Ils étaient groupés dans leurs villages. Ce sont eux qu'établirent David et Samuel le voyant, à cause de leur fidélité.

1 Chroniques 9, 23 Ils avaient avec leurs fils la responsabilité des portes du Temple de Yahvé, de la maison de la Tente.

1 Chroniques 9, 24 Aux quatre points cardinaux se tenaient des portiers, à l'est, à l'ouest, au nord et au sud.

1 Chroniques 9, 25 Leurs frères, qui habitaient leurs villages, venaient se joindre à eux de temps en temps pour une semaine;

1 Chroniques 9, 26 car les quatre chefs des portiers, eux, y demeuraient en permanence. C'étaient les lévites qui étaient responsables des chambres et des réserves de la maison de Dieu.

1 Chroniques 9, 27 Ils passaient la nuit aux alentours de la maison de Dieu car ils en avaient la garde et devaient l'ouvrir chaque matin.

1 Chroniques 9, 28 Certains d'entre eux avaient la charge des objets du culte; ils les comptaient quand ils les rentraient et les sortaient.

1 Chroniques 9, 29 Certains autres étaient responsables du mobilier, de tout le mobilier sacré, de la fleur de farine, du vin, de l'huile, de l'encens et des parfums,

1 Chroniques 9, 30 tandis que ceux qui préparaient le mélange aromatique destiné aux parfums étaient des prêtres.

1 Chroniques 9, 31 L'un des lévites, Mattitya -- c'était le premier-né de Shallum le Coréite --, fut, à cause de sa fidélité, chargé de la confection des offrandes cuites à la plaque.

1 Chroniques 9, 32 Parmi leurs frères, quelques Qehatites étaient chargés des pains à disposer en rangées, chaque sabbat.

1 Chroniques 9, 33 Voici les chantres, chefs de familles lévitiques. Ils avaient été détachés dans les pièces du Temple, car ils étaient chargés d'officier jour et nuit.

1 Chroniques 9, 34 Tels étaient les chefs des familles lévitiques groupés selon leur parenté. Ces chefs habitaient Jérusalem.

1 Chroniques 9, 35 A Gabaôn habitaient le père de Gabaôn, Yeïel, dont la femme s'appelait Maaka,

1 Chroniques 9, 36 et son fils premier-né Abdôn, ainsi que Cur, Qish, Baal, Ner, Nadab,

1 Chroniques 9, 37 Gedor, Ahyo, Zekarya et Miqlot.

1 Chroniques 9, 38 Miqlot engendra Shiméam. Mais eux, contrairement à leurs frères, habitaient Jérusalem avec leurs frères.

1 Chroniques 9, 39 Ner engendra Qish, Qish engendra Saül, Saül engendra Jonathan, Malki-Shua, Abinadab, Eshbaal.

1 Chroniques 9, 40 Fils de Jonathan: Meribbaal. Meribbaal engendra Mika.

1 Chroniques 9, 41 Fils de Mika: Pitôn, Mélek, Tahréa.

1 Chroniques 9, 42 Ahaz engendra Yara, Yara engendra Alémèt, Azmavèt et Zimri; Zimri engendra Moça.

1 Chroniques 9, 43 Moça engendra Binéa. Rephaya son fils, Eléasa son fils, Açel son fils.

1 Chroniques 9, 44 Açel eut six fils dont voici les noms: Azriqam, son premier-né, Yishmaël, Shéarya, Obadya, Hanân; tels sont les fils de Açel.

1 Chroniques 10, 1 Les Philistins livrèrent bataille à Israël. Les Israélites s'enfuirent devant eux et tombèrent, frappés à mort, sur le mont Gelboé.

1 Chroniques 10, 2 Les Philistins serrèrent de près Saül et ses fils et ils tuèrent Jonathan, Abinadab et Malki-Shua, les fils de Saül.

1 Chroniques 10, 3 Le poids du combat se porta sur Saül. Les tireurs d'arc le surprirent et il fut blessé par les tireurs.

1 Chroniques 10, 4 Alors Saül dit à son écuyer: "Tire ton épée et transperce-moi, de peur que ces incirconcis ne viennent et ne se jouent de moi." Mais son écuyer ne voulut pas, car il était rempli d'effroi. Alors Saül prit son épée et se jeta sur elle.

1 Chroniques 10, 5 Voyant que Saül était mort, l'écuyer se jeta lui aussi sur son épée et mourut avec lui.

1 Chroniques 10, 6 Ainsi moururent ensemble Saül, ses trois fils et toute sa maison.

1 Chroniques 10, 7 Lorsque tous les Israélites qui étaient dans la vallée virent que les hommes d'Israël étaient en déroute et que Saül et ses fils avaient péri, ils abandonnèrent leurs villes et prirent la fuite. Les Philistins vinrent s'y établir.

1 Chroniques 10, 8 Le lendemain, les Philistins, venus pour détrousser les morts, trouvèrent Saül et ses fils gisant sur le mont Gelboé.

1 Chroniques 10, 9 Ils le dépouillèrent, enlevèrent sa tête et ses armes, et les firent porter à la ronde dans le pays philistin, pour annoncer la bonne nouvelle à leurs idoles et à leur peuple.

1 Chroniques 10, 10 Ils déposèrent ses armes dans la maison de leur dieu; quant à son crâne, ils le clouèrent dans le temple de Dagôn.

1 Chroniques 10, 11 Lorsque tous les habitants de Yabesh de Galaad eurent appris tout ce que les Philistins avaient fait à Saül,

1 Chroniques 10, 12 tous les braves se mirent en route. Ils enlevèrent les corps de Saül et de ses fils, les apportèrent à Yabesh, ensevelirent leurs ossements sous le tamaris de Yabesh et jeûnèrent pendant sept jours.

1 Chroniques 10, 13 Saül mourut pour s'être montré infidèle envers Yahvé: il n'avait pas observé la parole de Yahvé et de plus avait interrogé et consulté une nécromancienne.

1 Chroniques 10, 14 Il n'avait pas consulté Yahvé, qui le fit mourir et transféra la royauté à David, fils de Jessé.

1 Chroniques 11, 1 Alors tous les Israélites se rassemblèrent autour de David, à Hébron, et dirent: "Vois! Nous sommes de tes os et de ta chair.

1 Chroniques 11, 2 Autrefois déjà, même quand Saül régnait sur nous, c'était toi qui rentrais et sortais avec Israël, et Yahvé ton Dieu t'a dit: C'est toi qui paîtras mon peuple Israël et c'est toi qui seras chef de mon peuple Israël."

1 Chroniques 11, 3 Tous les anciens d'Israël vinrent donc auprès du roi à Hébron. David conclut un pacte avec eux à Hébron, en présence de Yahvé, et ils oignirent David comme roi d'Israël selon la parole de Yahvé transmise par Samuel.

1 Chroniques 11, 4 David, avec tout Israël, marcha sur Jérusalem (c'est-à-dire Jébus); les habitants du pays étaient les Jébuséens.

1 Chroniques 11, 5 Les habitants de Jébus dirent à David: "Tu n'entreras pas ici." Mais David s'empara de la forteresse de Sion; c'est la Cité de David.

1 Chroniques 11, 6 Et David dit: "Quiconque frappera le premier un Jébuséen deviendra chef et prince." Joab, fils de Ceruya, monta le premier et devint chef.

1 Chroniques 11, 7 David s'établit dans la forteresse, aussi l'a-t-on appelée Cité de David.

1 Chroniques 11, 8 Puis il restaura le pourtour de la ville, aussi bien le Millo que le pourtour, et c'est Joab qui restaura le reste de la ville.

1 Chroniques 11, 9 David allait grandissant et Yahvé Sabaot était avec lui.

1 Chroniques 11, 10 Voici les chefs des preux de David, ceux qui devinrent puissants avec lui sous son règne et qui, avec tout Israël, l'avaient fait roi selon la parole de Yahvé sur Israël.

1 Chroniques 11, 11 Voici la liste des preux de David: Yashobéam, fils de Hakmoni, le chef des Trois: c'est lui qui brandit sa lance sur 300 victimes à la fois.

1 Chroniques 11, 12 Après lui Eléazar fils de Dodo, l'Ahohite. C'était l'un des trois preux.

1 Chroniques 11, 13 Il était avec David à Pas-Dammim quand les Philistins s'y rassemblèrent pour le combat. Il y avait un champ entièrement planté d'orge; l'armée prit la fuite devant les Philistins,

1 Chroniques 11, 14 mais il se postèrent au milieu du champ, le préservèrent et battirent les Philistins. Yahvé opéra là une grande victoire.

1 Chroniques 11, 15 Trois d'entre les Trente descendirent vers David, au rocher proche de la grotte d'Adullam, tandis qu'une compagnie de Philistins campait dans le val des Rephaïm.

1 Chroniques 11, 16 David était alors dans le repaire tandis qu'il y avait encore un préfet philistin à Bethléem.

1 Chroniques 11, 17 David exprima ce désir: "Qui me fera boire l'eau du puits qui est à la porte de Bethléem?"

1 Chroniques 11, 18 Les Trois, s'ouvrant un passage au travers du camp philistin, tirèrent de l'eau du puits qui est à la porte de Bethléem; ils l'emportèrent et l'offrirent à David, mais il ne voulut pas en boire et il la répandit en libation à Yahvé.

1 Chroniques 11, 19 Il dit: "Dieu me garde de faire cela! Boirais-je le sang de ces hommes au prix de leur vie? Car c'est en risquant leur vie qu'ils l'ont apportée!" Il ne voulut donc pas boire. Voilà ce qu'ont fait ces trois preux.

1 Chroniques 11, 20 Abishaï, frère de Joab, fut lui, le chef des Trente. C'est lui qui brandit sa lance sur 300 victimes et se fit un nom parmi les Trente.

1 Chroniques 11, 21 Il fut plus illustre que les Trente et devint leur capitaine, mais il ne fut pas compté parmi les Trois.

1 Chroniques 11, 22 Benaya, fils de Yehoyada, un brave prodigue en exploits, originaire de Qabçéel. C'est lui qui abattit les deux héros de Moab, et c'est lui qui descendit et tua le lion dans la citerne, un jour de neige.

1 Chroniques 11, 23 C'est lui aussi qui tua l'Egyptien, le colosse de cinq coudées qui avait en main une lance semblable à un liais de tisserand; il descendit contre lui avec un bâton, arracha la lance de la main de l'Egyptien et tua celui-ci avec sa propre lance.

1 Chroniques 11, 24 Voilà ce qu'accomplit Benaya fils de Yehoyada et il se fit un nom parmi les 30 preux.

1 Chroniques 11, 25 Il fut plus illustre que les Trente, mais ne fut pas compté parmi les Trois; David le mit à la tête de sa garde personnelle.

1 Chroniques 11, 26 Preux vaillants: Asahel, frère de Joab, Elhanân fils de Dodo, de Bethléem,

1 Chroniques 11, 27 Shammot le Harorite, Hèleç le Pelonite,

1 Chroniques 11, 28 Ira fils d'Iqqesh, de Teqoa, Abiézer d'Anatot,

1 Chroniques 11, 29 Sibbekaï de Husha, Ilaï d'Ahoh,

1 Chroniques 11, 30 Mahraï de Netopha, Héled fils de Baana, de Netopha,

1 Chroniques 11, 31 Itaï fils de Ribaï, de Gibéa des fils de Benjamin, Benaya de Piréatôn,

1 Chroniques 11, 32 Huraï, des Torrents de Gaash, Abiel de Bet-ha-Araba,

1 Chroniques 11, 33 Azmavèt de Bahurim, Elyahba de Shaalbôn,

1 Chroniques 11, 34 Bené-Hashem de Gizôn, Yonatân fils de Shagé, de Harar,

1 Chroniques 11, 35 Ahiam fils de Sakar, de Harar, Eliphélèt fils d'Ur,

1 Chroniques 11, 36 Hépher, de Mekéra, Ahiyya le Pelonite,

1 Chroniques 11, 37 Hèçro de Karmel, Naaraï fils d'Ezbaï,

1 Chroniques 11, 38 Yoël frère de Natân, Mibhar fils de Hagri,

1 Chroniques 11, 39 Céleq l'Ammonite, Nahraï de Béérot, écuyer de Joab fils de Ceruya,

1 Chroniques 11, 40 Ira de Yattir, Gareb de Yattir,

1 Chroniques 11, 41 Urie le Hittite, Zabad fils d'Ahlaï,

1 Chroniques 11, 42 Adina fils de Shiza le Rubénite, chef des Rubénites et responsable des Trente,

1 Chroniques 11, 43 Hanân fils de Maaka, Yoshaphat le Mitnite,

1 Chroniques 11, 44 Uziyya d'Ashtarot, Shama et Yéuel fils de Hotam d'Aroër,

1 Chroniques 11, 45 Yediael fils de Shimri et Yoha son frère le Tiçite,

1 Chroniques 11, 46 Eliel le Mahavite, Yeribaï et Yoshavya, fils d'Elnaam, Yitma le Moabite,

1 Chroniques 11, 47 Eliel, Obed et Yaasiel, de Coba.

1 Chroniques 12, 1 Voici ceux qui rejoignirent David à Ciqlag alors qu'il était encore retenu loin de Saül fils de Qish; c'étaient des preux, des combattants à la guerre,

1 Chroniques 12, 2 qui pouvaient tirer à l'arc de la main droite et de la gauche, en utilisant pierres et flèches. Des frères de Saül le Benjaminite:

1 Chroniques 12, 3 Ahiézer le chef, et Yoash, fils de Hashshemaa de Gibéa, Yeziel et Pélèt, fils d'Azmavèt, Beraka et Yéhu d'Anatot,

1 Chroniques 12, 4 Yishmaya de Gabaôn, un preux parmi les Trente et à la tête des Trente;

1 Chroniques 12, 5 Yirmeya, Yahaziel, Yohanân et Yozabad de Gedérot,

1 Chroniques 12, 6 Eléuzaï, Yerimot, Béalya, Shemaryahu, Shephatyahu de Hariph,

1 Chroniques 12, 7 Elqana, Yishiyyahu, Azaréel, Yoézer, Yashobéam, Coréites,

1 Chroniques 12, 8 Yoéla, Zebadya, fils de Yeroham de Gedor.

1 Chroniques 12, 9 Des Gadites firent sécession pour rejoindre David dans son refuge du désert. C'étaient des preux vaillants, des hommes de guerre prêts à combattre, sachant manier le bouclier et la lance. Ils faisaient figure de lions; par l'agilité, ils ressemblaient aux gazelles sur les montagnes.

1 Chroniques 12, 10 Ezer était le chef, Obadya le second, Eliab le troisième,

1 Chroniques 12, 11 Mashmanna le quatrième, Yirmeya le cinquième,

1 Chroniques 12, 12 Attaï le sixième, Eliel le septième,

1 Chroniques 12, 13 Yohanân le huitième, Elzabad le neuvième,

1 Chroniques 12, 14 Yirmeyahu le dixième, Makbannaï le onzième.

1 Chroniques 12, 15 Tels étaient les fils de Gad, chefs de corps; un commandait à cent s'il était petit, à mille s'il était grand.

1 Chroniques 12, 16 Ce sont eux qui passèrent le Jourdain, au premier mois, tandis qu'il coule partout à pleins bords, et qui mirent en fuite les riverains tant à l'orient qu'à l'occident.

1 Chroniques 12, 17 Quelques Benjaminites et Judéens s'en vinrent aussi trouver David en son refuge.

1 Chroniques 12, 18 David s'avança au-devant d'eux, prit la parole et leur dit: "Si c'est en amis que vous venez à moi pour me prêter main-forte, je suis disposé à m'unir à vous, mais si c'est pour me tromper au profit de mes ennemis alors que mes mains n'ont fait aucun tort, que le Dieu de nos pères le voie et fasse justice!"

1 Chroniques 12, 19 L'Esprit revêtit alors Amasaï, chef des Trente: "Va, David! La paix soit avec toi, fils de Jessé, paix à toi, paix à qui t'aide, car ton aide, c'est ton Dieu." David les accueillit et les mit parmi les chefs de troupe.

1 Chroniques 12, 20 Quelques Manassites se rendirent à David alors qu'il venait lutter avec les Philistins contre Saül. Mais ils ne leur prêtèrent pas main-forte car, s'étant consultés, les princes des Philistins renvoyèrent David en disant: "Il irait se rendre à son seigneur Saül au prix de nos têtes!"

1 Chroniques 12, 21 Il partait donc pour Ciqlag quand quelques Manassites se rendirent à lui: Adnah, Yozabad, Yediaël, Mikaël, Yozabad, Elihu, Cilletaï, chefs des milliers de Manassé.

1 Chroniques 12, 22 Ce fut un renfort pour David et sa troupe, car ils étaient tous de vaillants preux et devinrent officiers dans l'armée.

1 Chroniques 12, 23 Jour après jour, en effet, David recevait des renforts, si bien que son camp devint un camp gigantesque.

1 Chroniques 12, 24 Voici le nombre des guerriers équipés pour la guerre qui rejoignirent David à Hébron pour lui transférer la royauté de Saül selon l'ordre de Yahvé:

1 Chroniques 12, 25 Fils de Juda portant le bouclier et la lance: 6.800 guerriers équipés pour la guerre;

1 Chroniques 12, 26 des fils de Siméon, 7.100 preux vaillants à la guerre;

1 Chroniques 12, 27 des fils de Lévi, 4.600,

1 Chroniques 12, 28 ainsi que Yehoyada, commandant les Aaronides avec 3.700 de ces derniers,

1 Chroniques 12, 29 Sadoq, jeune preux vaillant, et 22 officiers de sa famille;

1 Chroniques 12, 30 des fils de Benjamin, 3.000 frères de Saül, la majorité d'entre eux demeurant jusqu'alors au service de la maison de Saül;

1 Chroniques 12, 31 des fils d'Ephraïm, 20.800 preux vaillants, hommes illustres de leur famille;

1 Chroniques 12, 32 de la demi-tribu de Manassé, 18.000 hommes nominativement désignés pour aller proclamer David roi;

1 Chroniques 12, 33 des fils d'Issachar, sachant discerner les moments où Israël devait agir et la manière de le faire, 200 chefs et tous leurs frères à leurs ordres;

1 Chroniques 12, 34 de Zabulon, 50.000 hommes aptes au service militaire, en ordre de combat, avec toutes sortes d'armes, et prêts à prêter main-forte d'un coeur résolu;

1 Chroniques 12, 35 de Nephtali, mille officiers et avec eux 37.000 hommes munis du bouclier et de la lance;

1 Chroniques 12, 36 des Danites, 28.600 hommes en ordre de combat;

1 Chroniques 12, 37 d'Asher, 40.000 hommes partant en guerre en ordre de combat;

1 Chroniques 12, 38 de Transjordanie, 120.000 hommes de Ruben, de Gad, de la demi-tribu de Manassé, avec toutes sortes d'armes de guerre.

1 Chroniques 12, 39 Tous ces hommes de guerre, venus en renfort en bon ordre, se rendirent à Hébron de plein coeur pour proclamer David roi sur tout Israël; tous les autres Israélites étaient d'ailleurs unanimes pour conférer la royauté à David.

1 Chroniques 12, 40 Trois jours durant, ils demeurèrent là à manger et à boire avec David. Leurs frères avaient tout apprêté pour eux;

1 Chroniques 12, 41 de plus, des environs et jusque d'Issachar, Zabulon et Nephtali, on leur faisait parvenir des vivres, par ânes, chameaux, mulets et boeufs: farine, figues et gâteaux de raisin, vin et huile, gros et petit bétail en masse, car c'était liesse en Israël.

1 Chroniques 13, 1 David tint conseil avec les officiers de milliers et de centaines et avec tous les commandants.

1 Chroniques 13, 2 Il dit à toute l'assemblée d'Israël: "Si cela vous convient et si Yahvé notre Dieu en décide ainsi, nous enverrons des messagers à nos autres frères de toutes les terres d'Israël, ainsi qu'aux prêtres et aux lévites dans leurs villes et champs attenants, afin qu'ils s'unissent à nous.

1 Chroniques 13, 3 Nous ramènerons alors auprès de nous l'arche de notre Dieu; nous ne nous en sommes pas souciés en effet au temps de Saül."

1 Chroniques 13, 4 Toute l'assemblée décida d'agir ainsi, car c'était chose juste aux yeux de tout le peuple.

1 Chroniques 13, 5 David rassembla tout Israël, depuis le Shihor d'Egypte jusqu'à l'Entrée de Hamat, pour ramener de Qiryat-Yéarim l'arche de Dieu.

1 Chroniques 13, 6 Puis David et tout Israël allèrent à Baala, vers Qiryat-Yéarim en Juda, afin de faire monter de là l'arche de Dieu qui porte le nom de Yahvé siégeant sur les chérubins.

1 Chroniques 13, 7 C'est à la maison d'Abinadab qu'on chargea l'arche de Dieu sur un chariot neuf. Uzza et Ahyo conduisaient le chariot.

1 Chroniques 13, 8 David et tout Israël dansaient devant Dieu de toutes leurs forces en chantant au son des cithares, des harpes, des tambourins, des cymbales et des trompettes.

1 Chroniques 13, 9 Comme on arrivait à l'aire du Javelot, Uzza étendit la main pour retenir l'arche, car les boeufs la faisaient verser.

1 Chroniques 13, 10 Alors la colère de Dieu s'enflamma contre Uzza et il le frappa pour avoir porté la main sur l'arche; Uzza mourut là, devant Dieu.

1 Chroniques 13, 11 David fut fâché de ce que Yahvé eût foncé sur Uzza et il donna à ce lieu le nom de Pérèç-Uzza, qu'il a gardé jusqu'à maintenant.

1 Chroniques 13, 12 Ce jour-là, David eut peur de Dieu et dit: "Comment ferais-je entrer chez moi l'arche de Dieu?"

1 Chroniques 13, 13 Et David ne mena pas l'arche chez lui, dans la Cité de David, mais il la fit conduire vers la maison d'Obed-Edom de Gat.

1 Chroniques 13, 14 L'arche de Dieu resta trois mois chez Obed-Edom, dans sa maison; Yahvé bénit la maison d'Obed-Edom et tout ce qui lui appartenait.

1 Chroniques 14, 1 Hiram, roi de Tyr, envoya une ambassade à David, avec du bois de cèdre, des maçons et des charpentiers, pour lui construire une maison.

1 Chroniques 14, 2 Alors David sut que Yahvé l'avait confirmé comme roi d'Israël et que sa royauté était hautement exaltée à cause d'Israël son peuple.

1 Chroniques 14, 3 A Jérusalem, David prit encore des femmes et il engendra encore des fils et des filles.

1 Chroniques 14, 4 Voici les noms des enfants qui lui naquirent à Jérusalem: Shammua, Shobab, Natân, Salomon,

1 Chroniques 14, 5 Yibhar, Elishua, Elpalèt,

1 Chroniques 14, 6 Nogah, Népheg, Yaphia,

1 Chroniques 14, 7 Elishama, Baalyada, Eliphélèt.

1 Chroniques 14, 8 Lorsque les Philistins eurent appris qu'on avait oint David comme roi de tout Israël, ils montèrent tous pour s'emparer de lui. A cette nouvelle, David partit au-devant d'eux.

1 Chroniques 14, 9 Les Philistins arrivèrent et se déployèrent dans le val des Rephaïm.

1 Chroniques 14, 10 Alors David consulta Dieu: "Dois-je attaquer les Philistins? Demanda-t-il, et les livreras-tu entre mes mains?" Yahvé lui répondit: "Attaque! et je les livrerai entre tes mains."

1 Chroniques 14, 11 Ils montèrent à Baal-Peraçim, et là, David les battit. Et David dit: "Par ma main Dieu a ouvert une brèche dans mes ennemis comme une brèche faite par les eaux." C'est pourquoi on appela cet endroit Baal-Peraçim.

1 Chroniques 14, 12 Ils avaient abandonné sur place leurs dieux: "Qu'ils brûlent au feu!" dit David.

1 Chroniques 14, 13 Les Philistins recommencèrent à se déployer dans le val.

1 Chroniques 14, 14 David consulta de nouveau Dieu et Dieu lui répondit: "Ne les attaque pas. Va derrière eux, à quelque distance, tourne-les, et aborde-les vis-à-vis des micocouliers.

1 Chroniques 14, 15 Et quand tu entendras un bruit de pas à la cime des micocouliers, alors tu engageras le combat: c'est que Dieu sort devant toi pour battre l'armée philistine."

1 Chroniques 14, 16 David fit comme Dieu lui avait ordonné: il défit l'armée philistine depuis Gabaôn jusqu'à Gézer.

1 Chroniques 14, 17 La renommée de David s'étendit dans toutes les régions et Yahvé le fit redouter de toutes les nations.

1 Chroniques 15, 1 Il se bâtit des édifices dans la Cité de David, il prépara un lieu pour l'arche de Dieu, il dressa pour elle une tente,

1 Chroniques 15, 2 puis il dit: "L'arche de Dieu ne peut pas être transportée, sinon par les lévites; car Yahvé les a choisis pour porter l'arche de Yahvé et en assurer à jamais le service."

1 Chroniques 15, 3 Alors David rassembla tout Israël à Jérusalem pour faire monter l'arche de Yahvé au lieu qu'il lui avait préparé.

1 Chroniques 15, 4 Il réunit les fils d'Aaron et les fils de Lévi:

1 Chroniques 15, 5 pour les fils de Qehat, Uriel l'officier et ses 120 frères,

1 Chroniques 15, 6 pour les fils de Merari, Asaya l'officier et ses 220 frères,

1 Chroniques 15, 7 pour les fils de Gershom, Yoël l'officier et ses 130 frères,

1 Chroniques 15, 8 pour les fils d'Eliçaphân, Shemaya l'officier et ses 200 frères,

1 Chroniques 15, 9 pour les fils d'Hébrôn, Eliel l'officier et ses 80 frères,

1 Chroniques 15, 10 pour les fils d'Uzziel, Amminadab l'officier et ses 112 frères.

1 Chroniques 15, 11 David convoqua les prêtres Sadoq et Ebyatar, les lévites Uriel, Asaya, Yoël, Shemaya, Eliel et Amminadab,

1 Chroniques 15, 12 il leur dit: "Vous êtes les chefs des familles lévitiques; sanctifiez-vous, vous et vos frères, et faites monter l'arche de Yahvé, le Dieu d'Israël, au lieu que je lui ai préparé.

1 Chroniques 15, 13 Parce que vous n'étiez pas là la première fois, Yahvé avait foncé sur nous: nous ne nous étions pas adressés à lui suivant la règle."

1 Chroniques 15, 14 Prêtres et lévites se sanctifièrent pour faire monter l'arche de Yahvé, le Dieu d'Israël,

1 Chroniques 15, 15 et les lévites transportèrent l'arche de Dieu, les barres sur leurs épaules, comme l'avait prescrit Moïse, selon la parole de Yahvé.

1 Chroniques 15, 16 David dit alors aux officiers des lévites de placer leurs frères les chantres, avec tous les instruments d'accompagnement, cithares, lyres et cymbales; on les entendait retentir d'une musique qui remplissait de liesse.

1 Chroniques 15, 17 Les lévites placèrent Hémân fils de Yoël, Asaph l'un de ses frères, fils de Bérékyahu, Etân fils de Qushayahu, l'un des Merarites leurs frères.

1 Chroniques 15, 18 Ils avaient avec eux leurs frères du second ordre: Zekaryahu, Uzziel, Shemiramot, Yehiel, Unni, Eliab, Benaya, Maaséyahu, Mattityahu, Eliphléhu, Miqnéyahu, Obed-Edom, Yeïel, les portiers;

1 Chroniques 15, 19 Hémân, Asaph et Etân, les chantres, jouaient avec éclat de la cymbale de bronze.

1 Chroniques 15, 20 Zekarya, Uzziel, Shemiramot, Yehiel, Unni, Eliab, Maaséyahu, Benaya jouaient de la lyre à noeuds.

1 Chroniques 15, 21 Mattityahu, Eliphléhu, Miqnéyahu, Obed-Edom, Yeïel et Azazyahu, donnant le rythme, jouaient de la cithare à l'octave.

1 Chroniques 15, 22 Kenanyahu, officier des lévites chargés du transport, commandait le transport, car il s'y entendait.

1 Chroniques 15, 23 Bérékya et Elqana faisaient fonction de portiers près de l'arche.

1 Chroniques 15, 24 Les prêtres Shebanyahu, Yoshaphat, Netanéel, Amasaï, Zekaryahu, Benayahu et Eliézer sonnaient de la trompette devant l'arche de Dieu. Obed-Edom et Yehiyya étaient portiers près de l'arche.

1 Chroniques 15, 25 David donc, les anciens d'Israël et les officiers de milliers faisaient en grande liesse monter l'arche de l'alliance de Yahvé depuis la maison d'Obed-Edom.

1 Chroniques 15, 26 Et tandis que Dieu assistait les lévites qui portaient l'arche de l'alliance de Yahvé, on immola sept taureaux et sept béliers.

1 Chroniques 15, 27 David, revêtu d'un manteau de byssus, dansait en tournoyant ainsi que tous les lévites porteurs de l'arche, les chantres et Kenanya l'officier chargé du transport. David était aussi couvert de l'éphod de lin.

1 Chroniques 15, 28 Tout Israël fit monter l'arche de l'alliance de Yahvé en poussant des acclamations, au son du cor, des trompettes et des cymbales, en faisant retentir lyres et cithares.

1 Chroniques 15, 29 Or, comme l'arche de l'alliance de Yahvé atteignait la Cité de David, la fille de Saül, Mikal, regarda par la fenêtre et vit le roi David danser et exulter; dans son coeur elle le méprisa.

1 Chroniques 16, 1 On introduisit l'arche de Dieu et on la déposa au centre de la tente que David avait fait dresser pour elle. On offrit devant Dieu des holocaustes et des sacrifices de communion.

1 Chroniques 16, 2 Lorsque David eut achevé d'offrir ces holocaustes et ces sacrifices de communion, il bénit le peuple au nom de Yahvé.

1 Chroniques 16, 3 Puis il fit une distribution à tous les Israélites, hommes et femmes; pour chacun, une couronne de pain, une masse de dattes et un gâteau de raisins secs.

1 Chroniques 16, 4 David mit des lévites en service devant l'arche de Yahvé pour célébrer, glorifier et louer Yahvé, le Dieu d'Israël,

1 Chroniques 16, 5 Asaph le premier, Zekarya en second, puis Uzziel, Shemiramot, Yehiel, Mattitya, Eliab, Benayahu, Obed-Edom et Yeïel. Ils jouaient de la lyre et de la cithare, tandis qu'Asaph faisait retentir les cymbales.

1 Chroniques 16, 6 Les prêtres Benayahu et Yahaziel ne cessaient pas de jouer de la trompette devant l'arche de l'alliance de Dieu.

1 Chroniques 16, 7 Ce jour-là David, louant le premier Yahvé, confia cette louange à Asaph et à ses frères:

1 Chroniques 16, 8 Rendez grâce à Yahvé, criez son nom, annoncez parmi les peuples ses hauts faits!

1 Chroniques 16, 9 Chantez-le, jouez pour lui, répétez toutes ses merveilles!

1 Chroniques 16, 10 Tirez gloire de son nom de sainteté, joie pour les coeurs qui cherchent Yahvé!

1 Chroniques 16, 11 Recherchez Yahvé et sa force, sans relâche poursuivez sa face!

1 Chroniques 16, 12 rappelez-vous quelles merveilles il a faites, ses miracles et les jugements de sa bouche!

1 Chroniques 16, 13 Lignée d'Israël son serviteur, enfants de Jacob, ses élus,

1 Chroniques 16, 14 c'est lui Yahvé notre Dieu; sur toute la terre ses jugements!

1 Chroniques 16, 15 Rappelez-vous à jamais son alliance, parole promulguée pour mille générations,

1 Chroniques 16, 16 pacte conclu avec Abraham, serment qu'il fit à Isaac.

1 Chroniques 16, 17 Il l'érigea en loi pour Jacob, pour Israël en alliance à jamais,

1 Chroniques 16, 18 disant: "Je te donne une terre, Canaan, votre part d'héritage,

1 Chroniques 16, 19 là où l'on a pu vous compter, peu nombreux, étrangers au pays."

1 Chroniques 16, 20 Ils allaient de nation en nation, d'un royaume à un peuple différent;

1 Chroniques 16, 21 il ne laissa personne les opprimer, à cause d'eux il châtia des rois:

1 Chroniques 16, 22 "Ne touchez pas à qui m'est consacré, à mes prophètes ne faites pas de mal!"

1 Chroniques 16, 23 Chantez à Yahvé, toute la terre! Proclamez jour après jour son salut,

1 Chroniques 16, 24 racontez aux nations sa gloire, à tous les peuples ses merveilles!

1 Chroniques 16, 25 Très grand Yahvé, et louable hautement, redoutable, lui, par-dessus tous les dieux.

1 Chroniques 16, 26 Néant, tous les dieux des nations. C'est Yahvé qui fit les cieux.

1 Chroniques 16, 27 Devant lui, splendeur et majesté, dans son sanctuaire puissance et allégresse.

1 Chroniques 16, 28 Rapportez à Yahvé, familles des peuples, rapportez à Yahvé gloire et puissance,

1 Chroniques 16, 29 rapportez à Yahvé la gloire de son nom. Présentez l'oblation, portez-la devant lui, adorez Yahvé dans son parvis de sainteté!

1 Chroniques 16, 30 Tremblez devant lui, toute la terre! Il fixa l'univers, inébranlable.

1 Chroniques 16, 31 Joie au ciel! exulte la terre! Dites chez les païens: "C'est Yahvé qui règne!"

1 Chroniques 16, 32 Que gronde la mer et sa plénitude! Que jubile la campagne, et tout son fruit!

1 Chroniques 16, 33 Que tous les arbres des forêts crient de joie! à la face de Yahvé, car il vient pour juger la terre.

1 Chroniques 16, 34 Rendez grâces à Yahvé, car il est bon, car éternel est son amour!

1 Chroniques 16, 35 Dites: Sauve-nous, Dieu de notre salut, rassemble-nous, retire-nous du milieu des païens, que nous rendions grâces à ton saint nom, et nous félicitions en ta louange.

1 Chroniques 16, 36 Béni soit Yahvé le Dieu d'Israël depuis toujours jusqu'à toujours! Et que tout le peuple dise Amen! Alleluia!

1 Chroniques 16, 37 David laissa là, devant l'arche de l'alliance de Yahvé, Asaph et ses frères, pour assurer un service permanent devant l'arche suivant le rituel quotidien,

1 Chroniques 16, 38 ainsi qu'Obed-Edom et ses 68 frères. Obed-Edom, fils de Yedutûn, et Hosa étaient portiers.

1 Chroniques 16, 39 Quant au prêtre Sadoq et aux prêtres ses frères, il les laissa devant la Demeure de Yahvé, sur le haut lieu de Gabaôn,

1 Chroniques 16, 40 pour offrir en permanence des holocaustes à Yahvé sur l'autel des holocaustes, matin et soir, et faire tout ce qui est écrit dans la Loi de Yahvé prescrite à Israël.

1 Chroniques 16, 41 Il y avait avec eux Hémân, Yedutûn, et le restant de l'élite que l'on avait nominativement désignée pour rendre grâce à Dieu, "car éternel est son amour."

1 Chroniques 16, 42 Ils avaient avec eux Hémân et Yedutûn, chargés de faire retentir les trompettes, les cymbales et les instruments accompagnant les cantiques divins. Les fils de Yedutûn étaient préposés à la porte.

1 Chroniques 16, 43 Tout le peuple s'en alla, chacun chez soi, et David s'en retourna bénir sa maisonnée.

1 Chroniques 17, 1 Quand David habita sa maison, il dit au prophète Natân: "Voici que j'habite une maison de cèdre, et l'arche de l'alliance de Yahvé est sous les tentures!"

1 Chroniques 17, 2 Natân répondit à David: "Tout ce qui te tient à coeur, fais-le, car Dieu est avec toi."

1 Chroniques 17, 3 Mais, cette même nuit, la parole de Dieu fut adressée à Natân en ces termes:

1 Chroniques 17, 4 "Va dire à David mon serviteur: Ainsi parle Yahvé. Ce n'est pas toi qui me bâtiras une maison pour que j'y habite.

1 Chroniques 17, 5 Oui, je n'ai jamais habité de maison depuis le jour où j'ai fait monter Israël jusqu'aujourd'hui, mais j'allais de tente en tente et d'abri en abri.

1 Chroniques 17, 6 Pendant tout le temps où j'ai voyagé avec tout Israël, ai-je dit à un seul des Juges d'Israël que j'avais institués comme pasteurs de mon peuple: Pourquoi ne me bâtissez-vous pas une maison de cèdre?

1 Chroniques 17, 7 Voici maintenant ce que tu diras à mon serviteur David: Ainsi parle Yahvé Sabaot. C'est moi qui t'ai pris au pâturage, derrière les brebis, pour être chef de mon peuple Israël.

1 Chroniques 17, 8 J'ai été avec toi partout où tu allais, j'ai supprimé devant toi tous tes ennemis. Je te donnerai un renom égal à celui des plus grands sur la terre.

1 Chroniques 17, 9 Je fixerai un lieu à mon peuple Israël, je l'y planterai et il demeurera en cette place, il ne sera plus ballotté et les méchants ne continueront pas à le ruiner comme auparavant,

1 Chroniques 17, 10 depuis le temps où j'instituais des Juges sur mon peuple Israël. Je soumettrai tous tes ennemis. Yahvé t'annonce qu'il te fera une maison,

1 Chroniques 17, 11 et quand il sera pleinement temps de rejoindre tes pères je maintiendrai après toi ton lignage; ce sera l'un de tes fils dont j'affermirai le règne.

1 Chroniques 17, 12 C'est lui qui me bâtira une maison et j'affermirai pour toujours son trône.

1 Chroniques 17, 13 Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils; je ne lui retirerai pas ma faveur comme je l'ai retirée à celui qui t'a précédé.

1 Chroniques 17, 14 Je le maintiendrai à jamais dans ma maison et dans mon royaume, et son trône sera à jamais affermi."

1 Chroniques 17, 15 Natân communiqua à David toutes ces paroles et toute cette révélation.

1 Chroniques 17, 16 Alors le roi David entra, s'assit devant Yahvé et dit: "Qui suis-je, Yahvé Dieu, et quelle est ma maison, pour que tu m'aies mené jusque-là?

1 Chroniques 17, 17 Mais cela est trop peu à tes yeux, ô Dieu, et tu étends tes promesses à la maison de ton serviteur pour un lointain avenir. Tu me fais voir comme un groupe d'hommes, celui qui l'élève c'est Yahvé Dieu.

1 Chroniques 17, 18 Qu'est-ce que David pourrait faire de plus pour toi, vu la gloire que tu as donnée à ton serviteur? Toi-même, tu as distingué ton serviteur.

1 Chroniques 17, 19 Yahvé, à cause de ton serviteur, et selon ton coeur, tu as eu cette magnificence de révéler toutes ces grandeurs.

1 Chroniques 17, 20 Yahvé, il n'y a personne comme toi et il n'y a pas d'autre Dieu que toi seul, comme l'ont appris nos oreilles.

1 Chroniques 17, 21 Y a-t-il, comme ton peuple Israël, un autre peuple sur la terre qu'un Dieu soit allé racheter pour en faire son peuple, pour le rendre fameux et opérer en sa faveur de grandes et terribles choses, en chassant des nations devant ton peuple que tu as racheté d'Egypte?

1 Chroniques 17, 22 Tu t'es donné à jamais pour peuple Israël ton peuple, et toi, Yahvé, tu es devenu son Dieu.

1 Chroniques 17, 23 Et maintenant, que subsiste à jamais, Yahvé, la promesse que tu as faite à ton serviteur et à sa maison, et agis comme tu l'as dit.

1 Chroniques 17, 24 Que cette promesse subsiste et que ton Nom soit exalté à jamais! Que l'on dise: Yahvé Sabaot est le Dieu d'Israël, il est Dieu pour Israël. La maison de David ton serviteur sera affermie devant toi,

1 Chroniques 17, 25 car c'est toi, mon Dieu, qui as fait cette révélation à ton serviteur: lui bâtir une maison. C'est pourquoi ton serviteur se trouve devant toi à te prier.

1 Chroniques 17, 26 Oui, Yahvé, c'est toi qui es Dieu, et tu as fait cette belle promesse à ton serviteur.

1 Chroniques 17, 27 Tu as alors consenti à bénir la maison de ton serviteur pour qu'elle demeure toujours en ta présence. Car c'est toi, Yahvé, qui as béni: elle est bénie à jamais."

1 Chroniques 18, 1 Il advint après cela que David battit les Philistins et les abaissa. Il prit des mains des Philistins Gat et ses dépendances.

1 Chroniques 18, 2 Puis il battit Moab, les Moabites furent asservis à David et payèrent tribut.

1 Chroniques 18, 3 David battit Hadadézer, roi de Coba, à Hamat, alors qu'il allait établir son pouvoir sur le fleuve de l'Euphrate.

1 Chroniques 18, 4 David lui prit mille chars, 7.000 charriers et 20.000 hommes de pied, et David coupa les jarrets de tous les attelages, il n'en garda que cent.

1 Chroniques 18, 5 Les Araméens de Damas vinrent au secours de Hadadézer, roi de Coba, mais David tua aux Araméens 22.000 hommes.

1 Chroniques 18, 6 Puis David établit des gouverneurs dans l'Aram de Damas, les Araméens furent asservis à David et payèrent tribut. Partout où allait David, Dieu lui donnait la victoire.

1 Chroniques 18, 7 David prit les rondaches d'or que portait la garde de Hadadézer et les emporta à Jérusalem.

1 Chroniques 18, 8 De Tibhat et de Kûn, villes de Hadadézer, David enleva une énorme quantité de bronze dont Salomon fit la Mer de bronze, les colonnes et les ustensiles de bronze.

1 Chroniques 18, 9 Lorsque Tôou, roi de Hamat, apprit que David avait défait toute l'armée de Hadadézer, roi de Coba,

1 Chroniques 18, 10 il dépêcha son fils Hadoram au roi David pour le saluer et le féliciter d'avoir fait la guerre à Hadadézer et de l'avoir vaincu, car Hadadézer était en guerre avec Tôou. Il envoya toutes sortes d'objets d'or, d'argent et de bronze;

1 Chroniques 18, 11 le roi David les consacra aussi à Yahvé, avec l'argent et l'or qu'il avait prélevés sur toutes les nations, Edom, Moab, Ammonites, Philistins, Amaleq.

1 Chroniques 18, 12 Abishaï, fils de Ceruya, battit les Edomites dans la vallée du Sel, au nombre de 18.000.

1 Chroniques 18, 13 Il établit des gouverneurs en Edom et tous les Edomites devinrent sujets de David. Partout où David allait, Dieu lui donna la victoire.

1 Chroniques 18, 14 David régna sur tout Israël, faisant droit et justice à tout son peuple.

1 Chroniques 18, 15 Joab, fils de Ceruya, commandait l'armée; Yehoshaphat, fils d'Ahilud, était héraut;

1 Chroniques 18, 16 Sadoq, fils d'Ahitub, et Ahimélek, fils d'Ebyatar, étaient prêtres; Shavsha était secrétaire;

1 Chroniques 18, 17 Benayahu, fils de Yehoyada, commandait les Kerétiens et les Pelétiens. Les fils de David étaient les premiers aux côtés du roi.

1 Chroniques 19, 1 Après cela, il advint que Nahash, roi des Ammonites, mourut et que son fils régna à sa place.

1 Chroniques 19, 2 David se dit: "J'agirai avec bonté envers Hanûn, fils de Nahash, parce que son père a agi avec bonté envers moi." Et David envoya des messagers lui présenter des condoléances au sujet de son père. Mais lorsque les serviteurs de David arrivèrent au pays des Ammonites, auprès de Hanûn, à l'occasion de ces condoléances,

1 Chroniques 19, 3 les princes des Ammonites dirent à Hanûn: "T'imagines-tu que David veuille honorer ton père parce qu'il t'a envoyé des porteurs de condoléances? N'est-ce pas plutôt pour explorer, renverser et espionner le pays que ses serviteurs sont venus à toi?"

1 Chroniques 19, 4 Alors Hanûn se saisit des serviteurs de David, il les rasa et coupa leurs vêtements à mi-hauteur jusqu'aux fesses, puis les congédia.

1 Chroniques 19, 5 On alla informer David de ce qui était arrivé à ces hommes: il envoya quelqu'un à leur rencontre, car ces gens étaient couverts de honte, et le roi leur fit dire: "Restez à Jéricho jusqu'à ce que votre barbe ait repoussé, puis vous reviendrez."

1 Chroniques 19, 6 Les Ammonites virent bien qu'ils s'étaient rendus odieux à David; Hanûn et les Ammonites envoyèrent mille talents d'argent pour prendre à leur solde des Araméens de Mésopotamie, des Araméens de Maaka et des gens de Coba, chars et charriers.

1 Chroniques 19, 7 Ils prirent à leur solde le roi de Maaka, ses troupes, et 32.000 chars; ils vinrent camper devant Médba tandis que les Ammonites, après avoir quitté leurs villes et s'être rassemblés, arrivaient pour la bataille.

1 Chroniques 19, 8 A cette nouvelle, David envoya Joab avec toute l'armée, les preux.

1 Chroniques 19, 9 Les Ammonites sortirent et se rangèrent en bataille à l'entrée de la ville, mais les rois qui étaient venus étaient à part en rase campagne.

1 Chroniques 19, 10 Voyant qu'il avait un front de combat à la fois devant et derrière lui, Joab fit choix de toute l'élite d'Israël et la mit en ligne face aux Araméens.

1 Chroniques 19, 11 Il confia à son frère Abishaï le reste de l'armée et le mit en ligne face aux Ammonites.

1 Chroniques 19, 12 Il dit: "Si les Araméens l'emportent sur moi, tu viendras à mon secours; si les Ammonites l'emportent sur toi, je te secourrai.

1 Chroniques 19, 13 Aie bon courage et montrons-nous forts pour notre peuple et pour les villes de notre Dieu! et que Yahvé fasse ce qui lui semblera bon!"

1 Chroniques 19, 14 Joab et la troupe qui était avec lui engagèrent le combat contre les Araméens, qui lâchèrent pied devant eux.

1 Chroniques 19, 15 Quand les Ammonites virent que les Araméens avaient fui, ils lâchèrent pied à leur tour devant Abishaï, le frère de Joab, et rentrèrent dans la ville. Alors Joab retourna à Jérusalem.

1 Chroniques 19, 16 Voyant qu'ils avaient été battus devant Israël, les Araméens envoyèrent des messagers et mobilisèrent les Araméens qui sont de l'autre côté du Fleuve; Shophak, général de Hadadézer, était à leur tête.

1 Chroniques 19, 17 Cela fut rapporté à David qui rassembla tout Israël, passa le Jourdain, les atteignit et prit position près d'eux. Puis David se rangea en ordre de combat en face des Araméens, qui lui livrèrent bataille.

1 Chroniques 19, 18 Mais les Araméens lâchèrent pied devant Israël et David leur tua 7.000 attelages et 40.000 hommes de pied; il fit aussi périr Shophak le général.

1 Chroniques 19, 19 Quand les vassaux de Hadadézer se virent battus devant Israël, ils firent la paix avec David et lui furent assujettis. Les Araméens ne voulurent plus porter secours aux Ammonites.

1 Chroniques 20, 1 Au retour de l'année, au temps où les rois se mettent en campagne, Joab emmena les troupes et ravagea le pays des Ammonites. Puis il vint mettre le siège devant Rabba, tandis que David restait à Jérusalem. Joab abattit Rabba et la démantela.

1 Chroniques 20, 2 David ôta de la tête de Milkom la couronne qui s'y trouvait. Il constata qu'elle pesait un talent d'or et qu'elle enchâssait une pierre précieuse. David la mit sur sa tête. Il emporta le butin de la ville en énorme quantité.

1 Chroniques 20, 3 Quant à sa population, il la fit sortir, la mit à manier la scie, les pics de fer ou les haches. Ainsi agit-il envers toutes les villes des Ammonites. Puis David et toute l'armée revinrent à Jérusalem.

1 Chroniques 20, 4 Après cela, la guerre se poursuivit avec les Philistins à Gézer. C'est alors que Sibbekaï de Husha tua Sippaï, un descendant des Rephaïm. Les Philistins furent abaissés.

1 Chroniques 20, 5 La bataille reprit encore avec les Philistins. Elhanân, fils de Yaïr, tua Lahmi, frère de Goliath de Gat; le bois de sa lance était comme un liais de tisserand.

1 Chroniques 20, 6 Il y eut encore un combat à Gat et il se trouva là un homme de grande taille qui avait 24 doigts, six à chaque extrémité. Il était, lui aussi, descendant du Rephaïte.

1 Chroniques 20, 7 Comme il défiait Israël, Yehonatân, fils de Shiméa frère de David, le tua.

1 Chroniques 20, 8 Ces hommes étaient issus de Rapha à Gat et ils succombèrent sous la main de David et de ses gardes.

1 Chroniques 21, 1 Satan se dressa contre Israël et il incita David à dénombrer les Israélites.

1 Chroniques 21, 2 David dit à Joab et aux chefs du peuple: "Allez compter Israël, de Bersabée à Dan, puis revenez m'en faire connaître le chiffre."

1 Chroniques 21, 3 Joab répondit: "Que Yahvé accroisse son peuple de cent fois autant! Monseigneur le roi, ne sont-ils pas tous les serviteurs de Monseigneur? Pourquoi Monseigneur fait-il cette enquête? Pourquoi Israël deviendrait-il coupable?"

1 Chroniques 21, 4 Cependant l'ordre du roi s'imposa à Joab. Joab partit, il parcourut tout Israël, puis rentra à Jérusalem.

1 Chroniques 21, 5 Joab fournit à David le chiffre obtenu pour le recensement du peuple; tout Israël comptait 1.100.000 hommes tirant l'épée, et Juda 470.000 hommes tirant l'épée.

1 Chroniques 21, 6 L'ordre du roi avait tant répugné à Joab qu'il n'avait recensé ni Lévi ni Benjamin.

1 Chroniques 21, 7 Dieu vit avec déplaisir cette affaire et il frappa Israël.

1 Chroniques 21, 8 David dit alors à Dieu: "C'est un grand péché que j'ai commis en cette affaire! Maintenant, veuille pardonner cette faute à ton serviteur, car j'ai commis une grande folie."

1 Chroniques 21, 9 Yahvé dit alors à Gad, le voyant de David:

1 Chroniques 21, 10 "Va dire à David: Ainsi parle Yahvé. Je te propose trois choses: choisis-en une et je l'exécuterai pour toi."

1 Chroniques 21, 11 Donc Gad se rendit chez David et lui dit: "Ainsi parle Yahvé. Il te faut accepter

1 Chroniques 21, 12 soit trois années de famine, soit un désastre de trois mois devant tes ennemis, l'épée de tes adversaires dans les reins, soit l'épée de Yahvé et trois jours de peste dans le pays, l'ange de Yahvé ravageant tout le territoire d'Israël! Vois maintenant ce que je dois répondre à celui qui m'envoie."

1 Chroniques 21, 13 David répondit à Gad: "Je suis dans une grande anxiété... Ah! que je tombe entre les mains de Yahvé, car sa miséricorde est immense, mais que je ne tombe pas entre les mains des hommes!"

1 Chroniques 21, 14 Yahvé envoya donc la peste en Israël et, parmi les Israélites, 70.000 hommes tombèrent.

1 Chroniques 21, 15 Puis Dieu envoya l'ange vers Jérusalem pour l'exterminer; mais au moment de l'exterminer, Yahvé regarda et se repentit de ce mal; et il dit à l'ange exterminateur: "Assez! Retire ta main." L'ange de Yahvé se tenait alors près de l'aire d'Ornân le Jébuséen.

1 Chroniques 21, 16 Levant les yeux, David vit l'ange de Yahvé qui se tenait entre terre et ciel, l'épée dégainée à la main, tendue vers Jérusalem. Revêtus de sacs, David et les anciens tombèrent alors face contre terre,

1 Chroniques 21, 17 et David dit à Dieu: "N'est-ce pas moi qui ai ordonné de recenser le peuple? N'est-ce pas moi qui ai péché et qui ai commis le mal? Mais ceux-là, c'est le troupeau, qu'ont-ils fait? Yahvé, mon Dieu, que ta main s'appesantisse donc sur moi et sur ma famille, mais que ton peuple échappe au fléau!"

1 Chroniques 21, 18 L'ange de Yahvé dit alors à Gad: "Que David monte et élève un autel à Yahvé sur l'aire d'Ornân le Jébuséen."

1 Chroniques 21, 19 David monta donc selon la parole que Gad lui avait dite au nom de Yahvé.

1 Chroniques 21, 20 Or, en se retournant, Ornân avait vu l'ange et il se cachait avec ses quatre fils. Ornân était en train de battre le froment

1 Chroniques 21, 21 lorsque David se rendit auprès de lui. Ornân regarda, vit David, sortit de l'aire, et se prosterna devant David, la face contre terre.

1 Chroniques 21, 22 David dit alors à Ornân: "Cède-moi l'emplacement de cette aire afin que j'y construise un autel pour Yahvé. Cède-le-moi pour sa pleine valeur en argent. Ainsi le fléau s'écartera du peuple."

1 Chroniques 21, 23 Ornân dit alors à David: "Prends, et que Monseigneur le roi fasse ce qui lui semble bon! Vois: je donne les boeufs pour les holocaustes, le traîneau pour le bois et le grain pour l'oblation. Je donne le tout."

1 Chroniques 21, 24 Le roi David répondit à Ornân: "Non pas! je veux l'acheter pour sa pleine valeur en argent; car je ne veux pas prendre pour Yahvé ce qui t'appartient et offrir ainsi des holocaustes qui ne me coûtent rien."

1 Chroniques 21, 25 David donna à Ornân pour ce lieu le poids de 600 sicles d'or.

1 Chroniques 21, 26 David construisit là un autel pour Yahvé, et il offrit des holocaustes et des sacrifices de communion. Il invoqua Yahvé; Yahvé lui répondit en faisant tomber du ciel le feu sur l'autel des holocaustes

1 Chroniques 21, 27 et il ordonna à l'ange de remettre l'épée au fourreau.

1 Chroniques 21, 28 A cette époque, voyant que Yahvé lui avait répondu sur l'aire d'Ornân le Jébuséen, David y fit un sacrifice.

1 Chroniques 21, 29 La Demeure que Moïse avait faite dans le désert et l'autel des holocaustes se trouvaient à cette époque sur le haut lieu de Gabaôn,

1 Chroniques 21, 30 mais David n'avait pu y aller devant Dieu pour s'adresser à lui, tant l'épée de l'ange de Yahvé lui avait fait peur.

1 Chroniques 22, 1 Puis David dit: "C'est ici la maison de Yahvé Dieu et ce sera l'autel pour les holocaustes d'Israël."

1 Chroniques 22, 2 David ordonna de rassembler les étrangers qui se trouvaient dans le pays d'Israël, puis il préposa des carriers à la taille des pierres pour la construction de la maison de Dieu.

1 Chroniques 22, 3 David d'autre part entreposa beaucoup de fer pour les clous des battants de porte et pour les crampons, ainsi que du bronze en quantité impossible à peser,

1 Chroniques 22, 4 et des troncs de cèdre en nombre incalculable, car Sidoniens et Tyriens avaient apporté à David des troncs de cèdre en abondance.

1 Chroniques 22, 5 Puis David dit: "Mon fils Salomon est jeune et faible; et cette maison qu'il doit bâtir pour Yahvé doit être magnifique, elle doit avoir renom et gloire dans tous les pays. J'en ferai pour lui les préparatifs." Aussi David, avant de mourir, fit-il de grands préparatifs;

1 Chroniques 22, 6 puis il appela son fils Salomon et lui ordonna de bâtir une maison pour Yahvé, le Dieu d'Israël.

1 Chroniques 22, 7 David dit à Salomon: "Mon fils, j'ai désiré bâtir une maison pour le nom de Yahvé mon Dieu.

1 Chroniques 22, 8 Mais la parole de Yahvé me fut adressée: Tu as versé beaucoup de sang et livré de grandes batailles, tu ne bâtiras pas de maison à mon nom car en ma présence tu as répandu beaucoup de sang à terre.

1 Chroniques 22, 9 Voici qu'un fils t'est né; lui sera un homme de paix et je le mettrai en paix avec tous ses ennemis alentour, car Salomon sera son nom, et c'est en ses jours que je donnerai à Israël paix et tranquillité.

1 Chroniques 22, 10 Il bâtira une maison à mon nom, il sera pour moi un fils et je serai pour lui un père, j'affermirai le trône de sa royauté sur Israël pour toujours.

1 Chroniques 22, 11 Que Yahvé, ô mon fils, soit maintenant avec toi, et te fasse achever avec succès la construction de la maison de Yahvé ton Dieu, comme il l'a dit de toi.

1 Chroniques 22, 12 Qu'il te donne cependant perspicacité et discernement, qu'il te donne ses ordres sur Israël pour que tu observes la Loi de Yahvé ton Dieu!

1 Chroniques 22, 13 Tu ne réussiras que si tu observes et mets en pratique les lois et les coutumes que Yahvé a prescrites à Moïse pour Israël. Sois fort et tiens bon! Ne crains pas, ne tremble pas!

1 Chroniques 22, 14 Voici que jusque dans ma pauvreté j'ai pu mettre de côté pour la maison de Yahvé 100.000 talents d'or, 1.000.000 de talents d'argent, tant de bronze et de fer qu'on ne peut les peser. J'ai aussi entreposé du bois et des pierres et tu en ajouteras d'autres.

1 Chroniques 22, 15 Il y aura avec toi maints artisans, carriers, sculpteurs et charpentiers, toutes sortes d'experts en tous arts.

1 Chroniques 22, 16 Quant à l'or, à l'argent, au bronze et au fer, on ne saurait les compter. Va! agis, et que Yahvé soit avec toi."

1 Chroniques 22, 17 David ordonna alors à tous les officiers d'Israël de prêter main-forte à Salomon, son fils:

1 Chroniques 22, 18 "Yahvé, votre Dieu, n'est-il pas avec vous? Car il vous a donné partout le repos, puisqu'il a livré entre mes mains les habitants du pays et que le pays a été soumis à Yahvé et à son peuple.

1 Chroniques 22, 19 Donnez maintenant votre coeur et votre âme à la recherche de Yahvé, votre Dieu. Allez, bâtissez le sanctuaire de Yahvé votre Dieu, pour amener à cette maison construite au nom de Yahvé l'arche de l'alliance de Yahvé et les objets sacrés de Dieu.

1 Chroniques 23, 1 Devenu vieux et rassasié de jours, David donna à son fils Salomon la royauté sur Israël.

1 Chroniques 23, 2 Il réunit tous les officiers d'Israël, les prêtres et les lévites.

1 Chroniques 23, 3 On recensa les lévites de 30 ans et plus. En les comptant tête par tête, on trouva 38.000 hommes;

1 Chroniques 23, 4 24.000 d'entre eux présidaient aux offices de la maison de Yahvé, 6.000 étaient scribes et juges,

1 Chroniques 23, 5 4.000 portiers, et 4.000 louaient Yahvé, avec les instruments que David avait faits à cette intention.

1 Chroniques 23, 6 Puis David répartit les lévites en classes: Gershôn, Qehat et Merari.

1 Chroniques 23, 7 Pour les Gershonites: Ladân et Shiméï.

1 Chroniques 23, 8 Fils de Ladân: Yehiel, le premier, Zétam, Yoël, trois en tout.

1 Chroniques 23, 9 Fils de Shiméï: Shelomit, Haziel, Harân, trois en tout. Ce sont les chefs de famille de Ladân.

1 Chroniques 23, 10 Fils de Shiméï: Yahat, Zina, Yéush, Béria; ce furent là les fils de Shiméï, quatre en tout.

1 Chroniques 23, 11 Yahat était l'aîné, Ziza le second, puis Yéush et Béria qui n'eurent pas beaucoup d'enfants et furent enregistrés en une seule famille.

1 Chroniques 23, 12 Fils de Qehat: Amram, Yiçhar, Hébrôn, Uzziel, quatre en tout.

1 Chroniques 23, 13 Fils de Amram: Aaron et Moïse. Aaron fut mis à part pour consacrer les choses très saintes, lui et ses fils à jamais, faire fumer l'encens devant Yahvé, le servir et bénir en son nom à jamais.

1 Chroniques 23, 14 Moïse fut un homme de Dieu dont les fils reçurent le nom de la tribu de Lévi.

1 Chroniques 23, 15 Fils de Moïse: Gershom et Eliézer.

1 Chroniques 23, 16 Fils de Gershom: Shebuel, le premier.

1 Chroniques 23, 17 Il y eut des fils d'Eliézer: Rehabya, le premier. Eliézer n'eut pas d'autres fils, mais les fils de Rehabya furent extrêmement nombreux.

1 Chroniques 23, 18 Fils de Yiçhar: Shelomit le premier.

1 Chroniques 23, 19 Fils de Hébrôn: Yeriyyahu le premier, Amarya le second, Yahaziel le troisième, Yeqaméam le quatrième.

1 Chroniques 23, 20 Fils d'Uzziel: Mika le premier, Yishshiyya le second.

1 Chroniques 23, 21 Fils de Merari: Mahli et Mushi. Fils de Mahli: Eléazar et Qish.

1 Chroniques 23, 22 Eléazar mourut sans avoir de fils, mais des filles qu'enlevèrent les fils de Qish leurs frères.

1 Chroniques 23, 23 Fils de Mushi: Mahli, Eder, Yerémot, trois en tout.

1 Chroniques 23, 24 Tels étaient les fils de Lévi par familles, les chefs de maison et ceux qu'on recensait nominativement, tête par tête; quiconque était âgé de vingt ans et plus était affecté au service de la maison de Yahvé.

1 Chroniques 23, 25 Car David avait dit: "Yahvé, Dieu d'Israël, a donné le repos à son peuple et il demeure pour toujours à Jérusalem.

1 Chroniques 23, 26 Les lévites n'auront plus à transporter la Demeure et les objets destinés à son service."

1 Chroniques 23, 27 En effet, selon les dernières paroles de David, les lévites qui furent comptés étaient âgés de vingt ans et plus.

1 Chroniques 23, 28 Ils sont chargés de se tenir sous les ordres des fils d'Aaron pour le service du Temple de Yahvé dans les parvis et les salles, pour la purification de chaque chose consacrée; ils font le service du Temple de Dieu.

1 Chroniques 23, 29 Ils sont aussi chargés du pain à disposer en rangées, de la fleur de farine destinée à l'oblation, des galettes sans levain, de celles qui étaient préparées à la plaque ou sous forme de mélange, et de toutes les mesures de capacité et de longueur.

1 Chroniques 23, 30 Ils ont à s'y tenir chaque matin pour célébrer et pour louer Yahvé, et de même le soir,

1 Chroniques 23, 31 ainsi que pour toute offrande d'holocaustes à Yahvé lors des sabbats, des néoménies et des solennités, selon le nombre fixé par la règle. Cette charge leur incombe en permanence devant Yahvé.

1 Chroniques 23, 32 Ils observent, au service du Temple de Yahvé, le rituel de la Tente du Rendez-vous, le rituel du sanctuaire et le rituel des fils d'Aaron, leurs frères.

1 Chroniques 24, 1 Classes des fils d'Aaron: fils d'Aaron: Nadab, Abihu, Eléazar et Itamar.

1 Chroniques 24, 2 Nadab et Abihu moururent en présence de leur père sans laisser de fils, et c'est Eléazar et Itamar qui devinrent prêtres.

1 Chroniques 24, 3 David les répartit en classes, ainsi que Sadoq, l'un des fils d'Eléazar, et Ahimélek, l'un des fils d'Itamar, et les recensa selon leurs services.

1 Chroniques 24, 4 Les fils d'Eléazar se trouvèrent avoir plus de chefs de preux que les fils d'Itamar; on forma seize classes avec les chefs de famille des fils d'Eléazar et huit avec les chefs de famille des fils d'Itamar.

1 Chroniques 24, 5 On les répartit au sort, les uns comme les autres; il y eut des officiers consacrés, des officiers de Dieu, parmi les fils d'Eléazar comme parmi les fils d'Itamar.

1 Chroniques 24, 6 L'un des lévites, le scribe Shemaya, fils de Netanéel, les inscrivit en présence du roi, des officiers, du prêtre Sadoq, d'Ahimélek fils d'Ebyatar, des chefs de familles sacerdotales et lévitiques; on tirait une fois au sort pour chaque famille des fils d'Eléazar, toutes les deux fois pour les fils d'Itamar.

1 Chroniques 24, 7 Yehoyarib fut le premier sur qui tomba le sort, Yedaya le second,

1 Chroniques 24, 8 Harim le troisième, Séorim le quatrième,

1 Chroniques 24, 9 Malkiyya le cinquième, Miyyamîn le sixième,

1 Chroniques 24, 10 Haqqoç le septième, Abiyya le huitième,

1 Chroniques 24, 11 Yéshua le neuvième, Shekanyahu le dixième,

1 Chroniques 24, 12 Elyashib le onzième, Yaqim le douzième,

1 Chroniques 24, 13 Huppa le treizième, Ishbaal le quatorzième,

1 Chroniques 24, 14 Bilga le quinzième, Immer le seizième,

1 Chroniques 24, 15 Hézir le dix-septième, Happiçèç le dix-huitième,

1 Chroniques 24, 16 Petahya le dix-neuvième, Yehèzqel le vingtième,

1 Chroniques 24, 17 Yakîn le vingt et unième, Gamul le vingt-deuxième,

1 Chroniques 24, 18 Delayahu le vingt-troisième, Maazyahu le vingt-quatrième.

1 Chroniques 24, 19 Tels sont ceux qui furent recensés selon leur service, pour entrer dans le Temple de Yahvé, conformément à leur règle, règle transmise par Aaron, leur père, comme le lui avait prescrit Yahvé, Dieu d'Israël.

1 Chroniques 24, 20 Quant aux autres fils de Lévi: Pour les fils de Amram: Shubaël. Pour les fils de Shubaël, Yèhdeyahu.

1 Chroniques 24, 21 Pour Rehabyahu, pour les fils de Rehabyahu, l'aîné Yishshiyya.

1 Chroniques 24, 22 Pour les Yiçharites, Shelomot; pour les fils de Shelomot, Yahat.

1 Chroniques 24, 23 Fils de Hébrôn: Yeriyya le premier, Amaryahu le second, Yahaziel le troisième, Yeqaméam le quatrième.

1 Chroniques 24, 24 Fils de Uzziel: Mika; pour les fils de Mika, Shamir;

1 Chroniques 24, 25 frère de Mika, Yishshiyya; pour les fils de Yishshiyya, Zekaryahu.

1 Chroniques 24, 26 Fils de Merari: Mahli et Mushi. Fils de Yaaziyyahu, son fils;

1 Chroniques 24, 27 fils de Merari: pour Yaaziyyahu son fils: Shoham, Zakkur et Ibri;

1 Chroniques 24, 28 pour Mahli, Eléazar qui n'eut pas de fils;

1 Chroniques 24, 29 pour Qish: fils de Qish, Yerahméel.

1 Chroniques 24, 30 Fils de Mushi: Mahli, Eder, Yerimot. Tels furent les fils de Lévi, répartis par familles.

1 Chroniques 24, 31 Comme les fils d'Aaron, leurs frères, ils tirèrent au sort en présence du roi David, de Sadoq, d'Ahimélek, et des chefs de familles sacerdotales et lévitiques, les premières familles comme les plus petites.

1 Chroniques 25, 1 Pour le service, David et les officiers mirent à part les fils d'Asaph, de Hémân et de Yedutûn, les prophètes qui s'accompagnaient de lyres, de cithares et de cymbales, et l'on compta les hommes affectés à ce service.

1 Chroniques 25, 2 Pour les fils d'Asaph: Zakkur, Yoseph, Netanya, Asarééla; les fils d'Asaph dépendaient de leur père qui prophétisait sous la direction du roi.

1 Chroniques 25, 3 Pour Yedutûn: fils de Yedutûn: Gedalyahu, Ceri, Yeshayahu, Hashabyahu, Mattityahu; ils étaient six sous la direction de leur père Yedutûn qui prophétisait au son des lyres en l'honneur et à la louange de Yahvé.

1 Chroniques 25, 4 Pour Hémân: fils de Hémân: Buqqiyyahu, Mattanyahu, Uzziel, Shebuel, Yerimot, Hananya, Hanani, Eliata, Giddalti, Româmti-Ezer, Yoshbeqasha, Malloti, Hotir, Mahaziot.

1 Chroniques 25, 5 Tous ceux-là étaient fils de Hémân, le voyant du roi; aux paroles de Dieu, ils sonnaient de la trompe. Dieu donna à Hémân quatorze fils et trois filles;

1 Chroniques 25, 6 ils chantaient tous sous la direction de leur père dans le Temple de Yahvé, au son des cymbales, des cithares et des lyres, au service du Temple de Dieu, sous les ordres du roi. Asaph, Yedutûn, Hémân,

1 Chroniques 25, 7 ceux qui avaient appris à chanter pour Yahvé, furent comptés avec leurs frères; ils étaient en tout 288 à s'y entendre.

1 Chroniques 25, 8 Ils tirèrent au sort l'ordre à observer, pour le petit comme pour le grand, pour le maître comme pour l'élève.

1 Chroniques 25, 9 Le premier sur qui tomba le sort fut l'Asaphite Yoseph. Le second fut Gedalyahu; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 10 Le troisième fut Zakkur; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 11 Le quatrième fut Yiçri; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 12 Le cinquième fut Netanyahu; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 13 Le sixième fut Buqqiyyahu; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 14 Le septième fut Yesarééla; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 15 Le huitième fut Yeshayahu; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 16 Le neuvième fut Mattanyahu; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 17 Le dixième fut Shiméï; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 18 Le onzième fut Azaréel; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 19 Le douzième fut Hashabyahu; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 20 Le treizième fut Shubaël; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 21 Le quatorzième fut Mattityahu; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 22 Le quinzième fut Yerémot; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 23 Le seizième fut Hananyahu; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 24 Le dix-septième fut Yoshbeqasha; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 25 Le dix-huitième fut Hanani; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 26 Le dix-neuvième fut Malloti; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 27 Le vingtième fut Elyata; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 28 Le vingt et unième fut Hotir; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 29 Le vingt-deuxième fut Giddalti; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 30 Le vingt-troisième fut Mahaziot; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 25, 31 Le vingt-quatrième fut Româmti-Ezer; avec ses fils et ses frères ils étaient douze.

1 Chroniques 26, 1 Quant aux classes de portiers: Pour les Coréites: Meshélémyahu, fils de Qoré, l'un des fils d'Ebyasaph.

1 Chroniques 26, 2 Meshélémyahu eut des fils: Zekaryahu le premier, Yediael le second, Zebadyahu le troisième, Yatniel le quatrième,

1 Chroniques 26, 3 Elam le cinquième, Yehohanân le sixième, Elyehoénaï le septième.

1 Chroniques 26, 4 Obed-Edom eut des fils: Shemaya l'aîné, Yehozabad le second, Yoah le troisième, Sakar le quatrième, Netanéel le cinquième,

1 Chroniques 26, 5 Ammiel le sixième, Issachar le septième, Péulletaï le huitième; Dieu en effet l'avait béni.

1 Chroniques 26, 6 A son fils Shemaya naquirent des fils qui eurent autorité sur leurs familles, car ce furent des preux valeureux.

1 Chroniques 26, 7 Fils de Shemaya: Otni, Rephaël, Obed, Elzabad, et ses frères les vaillants Elihu et Semakyahu.

1 Chroniques 26, 8 Tous ceux-là étaient fils d'Obed-Edom. Eux, leurs fils et leurs frères eurent dans leur service une haute valeur. Pour Obed-Edom, 62.

1 Chroniques 26, 9 Meshélémyahu eut des fils et des frères: dix-huit hommes vaillants.

1 Chroniques 26, 10 Hosa, l'un des fils de Merari, eut des fils. Shimri était le premier, car, sans qu'il fût l'aîné, son père l'avait mis en tête.

1 Chroniques 26, 11 Hilqiyya était le second, Tebalyahu le troisième, Zekaryahu le quatrième. Treize en tout, fils et frères de Hosa.

1 Chroniques 26, 12 Ceux-ci eurent leurs classes de portiers. Les chefs de ces preux avaient des charges correspondant à celles de leurs frères au service du Temple de Yahvé.

1 Chroniques 26, 13 Pour chaque porte, on tira au sort par famille, qu'elle soit petite ou grande.

1 Chroniques 26, 14 Pour l'est, le sort tomba sur Shélèmyahu, dont le fils Zekaryahu donnait des conseils avisés. On tira les sorts et le nord échut à ce dernier.

1 Chroniques 26, 15 Obed-Edom eut le sud et ses fils les magasins.

1 Chroniques 26, 16 Shuppim et Hosa eurent l'ouest avec la porte du Tronc abattu sur la chaussée supérieure. Règles correspondant aux charges:

1 Chroniques 26, 17 six par jour à l'est, quatre par jour au nord, quatre par jour au sud, deux par deux aux magasins;

1 Chroniques 26, 18 pour le Parbar à l'ouest: quatre pour la chaussée, deux pour le Parbar.

1 Chroniques 26, 19 Telles étaient les classes de portiers chez les Coréites et les Merarites.

1 Chroniques 26, 20 Les lévites, leurs frères, étaient responsables des trésors du Temple de Dieu, et affectés aux trésors des offrandes consacrées.

1 Chroniques 26, 21 Les fils de Ladân, fils de Gershôn par Ladân, avaient les Yéhiélites pour chefs des familles de Ladân le Gershonite.

1 Chroniques 26, 22 Les Yéhiélites, Zétam et Yoël son frère, furent responsables des trésors du Temple de Yahvé.

1 Chroniques 26, 23 Quant aux Amramites, Yiçharites, Hébronites et Uzziélites:

1 Chroniques 26, 24 Shebuel, fils de Gershom, fils de Moïse, était chef responsable des trésors.

1 Chroniques 26, 25 Ses frères par Eliézer: Rehabyahu son fils, Yeshayahu son fils, Yoram son fils, Zikri son fils et Shelomit son fils.

1 Chroniques 26, 26 Ce Shelomit et ses frères furent responsables de tous les trésors des offrandes consacrées par le roi David et par les chefs de familles, à titre d'officiers de milliers, de centaines et de corps

1 Chroniques 26, 27 (ils les avaient consacrées sur le butin de guerre pour enrichir le Temple de Yahvé),

1 Chroniques 26, 28 ainsi que de tout ce qu'avait consacré Samuel le voyant, Saül fils de Qish, Abner fils de Ner et Joab fils de Ceruya. Tout ce que l'on consacrait fut sous la responsabilité de Shelomit et de ses frères.

1 Chroniques 26, 29 Pour les Yiçharites: Kenanyahu et ses fils, affectés aux affaires profanes en Israël à titre de scribes et de juges.

1 Chroniques 26, 30 Pour les Hébronites: Hashabyahu et ses frères, 1.700 guerriers responsables de la surveillance d'Israël à l'ouest du Jourdain, pour toutes les affaires de Yahvé et le service du roi.

1 Chroniques 26, 31 Pour les Hébronites: Yeriyya le chef. En l'an 40 du règne de David, on fit des recherches sur les parentés des familles Hébronites, et l'on trouva parmi eux de vaillants preux à Yazèr, en Galaad.

1 Chroniques 26, 32 Quant aux frères de Yeriyya, 1.700 guerriers chefs de familles, le roi David les nomma inspecteurs des Rubénites, des Gadites et de la demi-tribu de Manassé, en toute affaire divine et royale.

1 Chroniques 27, 1 Les Israélites d'après leur nombre: Chefs de familles, officiers de milliers et de centaines et leurs scribes au service du roi, pour tout ce qui concernait les classes en activité pour un mois, tous les mois de l'année. Chaque classe était de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 2 Le responsable de la première classe, affecté au premier mois, était Yashobéam, fils de Zabdiel. Il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 3 C'était l'un des fils de Pérèç, chef de tous les officiers du corps affecté au premier mois.

1 Chroniques 27, 4 Le responsable de la classe du second mois était Dodaï l'Ahohite; il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 5 L'officier du troisième corps affecté au troisième mois était Benayahu, fils de Yehoyada, le prêtre en chef. Il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 6 C'est ce Benayahu qui fut le héros des Trente, et eut la responsabilité des Trente et de sa classe. Il eut pour fils Ammizabad.

1 Chroniques 27, 7 Le quatrième, affecté au quatrième mois, était Asahel, frère de Joab; son fils Zebadya lui succéda. Il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 8 Le cinquième, affecté au cinquième mois, était l'officier Shamehut, le Zarhite. Il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 9 Le sixième, affecté au sixième mois, était Ira, fils d'Iqqesh, de Teqoa; il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 10 Le septième, affecté au septième mois, était Héleç, le Pelonite, l'un des fils d'Ephraïm; il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 11 Le huitième, affecté au huitième mois, était Sibbekaï, de Husha, un Zarhite; il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 12 Le neuvième, affecté au neuvième mois, était Abiézer d'Anatot, un Benjaminite; il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 13 Le dixième, affecté au dixième mois, était Mahraï de Netopha, un Zarhite; il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 14 Le onzième, affecté au onzième mois, était Benaya, de Piréatôn, un fils d'Ephraïm; il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 15 Le douzième, affecté au douzième mois, était Heldaï, de Netopha, d'Otniel; il était responsable d'une classe de 24.000 hommes.

1 Chroniques 27, 16 Responsables des tribus d'Israël: Eliézer, fils de Zikri, commandait les Rubénites, Shephatyahu fils de Maaka les Siméonites,

1 Chroniques 27, 17 Hashabya fils de Qemuel les lévites, Sadoq les Aaronides,

1 Chroniques 27, 18 Elihu, l'un des frères de David, les Judéens, Omri fils de Mikaël les Issacharites,

1 Chroniques 27, 19 Yishmayahu fils d'Obadyahu les Zabulonites, Yerimot fils d'Azriel les Nephtalites,

1 Chroniques 27, 20 Hoshéa fils d'Azazyahu les Ephraïmites, Yoël fils de Pedayahu la demi-tribu de Manassé,

1 Chroniques 27, 21 Yiddo fils de Zekaryahu la demi-tribu de Manassé en Galaad, Yaasiel fils d'Abner les Benjaminites,

1 Chroniques 27, 22 Azaréel fils de Yeroham les Danites. Tels furent les officiers des tribus d'Israël.

1 Chroniques 27, 23 David ne fit pas le dénombrement de ceux qui avaient vingt ans et au-dessous, parce que Dieu avait dit qu'il multiplierait les Israélites comme les étoiles des cieux.

1 Chroniques 27, 24 Joab, fils de Ceruya, commença à faire le compte, mais ne l'acheva pas. C'est pourquoi la Colère éclata contre Israël, et le chiffre n'atteignit pas celui qu'on trouve dans les Annales du roi David.

1 Chroniques 27, 25 Responsable des provisions du roi: Azmavèt, fils d'Adiel. Responsable des provisions dans les villes, bourgs et forteresses de la province: Yehonatân, fils de Uzziyyahu.

1 Chroniques 27, 26 Responsable des ouvriers agricoles employés à la culture du sol: Ezri, fils de Kelub.

1 Chroniques 27, 27 Responsable des vignobles: Shiméï, de Rama. Responsable de ceux qui, dans les vignobles, étaient affectés aux réserves de vin: Zabdi, de Shepham.

1 Chroniques 27, 28 Responsable des oliviers et des sycomores dans le Bas-Pays: Baal-Hanân, de Géder. Responsable des réserves d'huile: Yoash.

1 Chroniques 27, 29 Responsable du gros bétail pâturant en Sarôn: Shitraï, de Sarôn. Responsable du gros bétail dans les vallées: Shaphat, fils de Adlaï.

1 Chroniques 27, 30 Responsable des chameaux: Obil, l'Ismaélite. Responsable des ânesses: Yèhdeyahu, de Méronot.

1 Chroniques 27, 31 Responsable du petit bétail: Yaziz, le Hagrite. Tous ceux-là furent les responsables des biens appartenant au roi David.

1 Chroniques 27, 32 Yehonatân, oncle de David, conseiller, homme avisé, et scribe, s'occupait des enfants du roi avec Yehiel, fils d'Hakmoni.

1 Chroniques 27, 33 Ahitophel était conseiller du roi. Hushaï l'Arkite était ami du roi.

1 Chroniques 27, 34 Yehoyada, fils de Benayahu, et Ebyatar succédèrent à Ahitophel. Joab était le général des armées du roi.

1 Chroniques 28, 1 David réunit à Jérusalem tous les officiers d'Israël, officiers des tribus et officiers des classes au service du roi, officiers de milliers et de centaines, officiers chargés de tous les biens et des troupeaux du roi et de ses fils, ainsi que les eunuques et les preux, tous les preux vaillants.

1 Chroniques 28, 2 Le roi David se leva et, debout, déclara: "Ecoutez-moi, mes frères et mon peuple. J'ai désiré, moi, édifier une demeure stable pour l'arche de l'alliance de Yahvé, pour le piédestal de notre Dieu. J'ai fait les préparatifs de construction

1 Chroniques 28, 3 mais Dieu m'a dit: Ne bâtis pas de maison à mon nom, car tu as été un homme de guerre et tu as versé le sang.

1 Chroniques 28, 4 De toute la maison de mon père, c'est moi que Yahvé, le Dieu d'Israël, a choisi pour être à jamais roi sur Israël. C'est en effet Juda qu'il a choisi pour guide, c'est ma famille qu'il a choisie dans la maison de Juda, et parmi les fils de mon père, c'est en moi qu'il s'est complu à donner un roi à tout Israël.

1 Chroniques 28, 5 De tous mes fils -- car Yahvé m'en a donné beaucoup -- c'est mon fils Salomon qu'il a choisi pour siéger sur le trône de la royauté de Yahvé sur Israël:

1 Chroniques 28, 6 C'est ton fils Salomon, m'a-t-il dit, qui bâtira ma Maison et mes parvis, car c'est lui que j'ai choisi pour fils et je serai pour lui un père.

1 Chroniques 28, 7 Je lui ai préparé une royauté éternelle s'il pratique avec courage, comme aujourd'hui, mes commandements et mes lois."

1 Chroniques 28, 8 Et maintenant, devant tout Israël qui nous voit, devant l'assemblée de Yahvé, devant notre Dieu qui nous entend, gardez, scrutez les commandements de Yahvé votre Dieu, afin de posséder ce bon pays et de le transmettre après vous pour toujours en héritage à vos fils.

1 Chroniques 28, 9 Toi, Salomon mon fils, connais le Dieu de ton père, sers-le d'un coeur sans partage, d'une âme bien disposée, car Yahvé sonde tous les coeurs et pénètre tous les desseins qu'ils forgent. Si tu le recherches, il se fera trouver de toi, si tu le délaisses, il te rejettera pour toujours.

1 Chroniques 28, 10 Considère maintenant que Yahvé t'a choisi pour lui bâtir une maison pour sanctuaire. Sois ferme et agis!"

1 Chroniques 28, 11 David donna à son fils Salomon le modèle du vestibule, des bâtiments, des magasins, des chambres hautes, des pièces de fond à l'intérieur, de la salle du propitiatoire;

1 Chroniques 28, 12 il lui donna aussi la description de tout ce qu'il concevait concernant les parvis du Temple de Yahvé, les pièces du pourtour, les trésors du Temple de Dieu et les saintes réserves,

1 Chroniques 28, 13 les classes de prêtres et de lévites, toutes les charges du service du Temple de Yahvé, tout le mobilier pour le service du Temple de Yahvé,

1 Chroniques 28, 14 l'or en lingots, l'or destiné à chacun des objets de tel ou tel service, l'argent en lingots destiné à tous les objets d'argent, pour chacun des objets de tel ou tel service,

1 Chroniques 28, 15 les lingots destinés aux chandeliers d'or et à leurs lampes, l'or en lingots destiné à chaque chandelier et à ses lampes, les lingots destinés aux chandeliers d'argent, pour le chandelier et ses lampes suivant l'usage de chaque chandelier,

1 Chroniques 28, 16 l'or en lingots destiné aux tables des rangées de pain, pour chacune des tables, l'argent destiné aux tables d'argent,

1 Chroniques 28, 17 les fourchettes, les coupes d'aspersion, les aiguières en or pur, les lingots d'or pour les coupes, pour chacune des coupes, les lingots d'argent pour les coupes, pour chacune des coupes,

1 Chroniques 28, 18 les lingots d'or épuré destinés à l'autel des parfums. Il lui donna le modèle du char divin, des chérubins d'or aux ailes déployées couvrant l'arche de l'alliance de Yahvé,

1 Chroniques 28, 19 l'ensemble selon ce que Yahvé avait écrit de sa main pour faire comprendre tout le travail dont il donnait le modèle.

1 Chroniques 28, 20 David dit alors à son fils Salomon: "Sois ferme et courageux, agis sans crainte ni tremblement, car Yahvé Dieu, mon Dieu, est avec toi. Il ne te laissera pas sans force et sans soutien avant que tu n'aies achevé tout le travail à accomplir pour la Maison de Yahvé.

1 Chroniques 28, 21 Voici les classes des prêtres et des lévites pour tout le service de la maison de Dieu, chaque volontaire habile en n'importe quel travail te secondera dans toute cette oeuvre; les officiers et tout le peuple sont à tes ordres."

1 Chroniques 29, 1 Le roi David dit alors à toute l'assemblée: "Mon fils Salomon, celui qu'a choisi Dieu, est jeune et faible alors que l'oeuvre est grande, car ce palais n'est pas destiné à un homme mais à Yahvé Dieu.

1 Chroniques 29, 2 De toutes mes forces, j'ai préparé la Maison de mon Dieu: l'or pour ce qui doit être en or, l'argent pour ce qui doit être en argent, le bronze pour ce qui doit être en bronze, le fer pour ce qui doit être en fer, le bois pour ce qui doit être en bois, des cornalines, des pierreries à enchâsser, des escarboucles et des pierres multicolores, toutes sortes de pierres précieuses et quantité d'albâtre.

1 Chroniques 29, 3 Plus encore, ce que je possède personnellement en or et en argent, je le donne à la Maison de mon Dieu, par amour pour la Maison de mon Dieu en plus de ce que j'ai préparé pour le Temple saint:

1 Chroniques 29, 4 3.000 talents d'or, en or d'Ophir, 7.000 talents d'argent épuré pour en plaquer les parois des salles.

1 Chroniques 29, 5 Qu'il s'agisse d'or pour ce qui doit être en or, d'argent pour ce qui doit être en argent, ou d'oeuvre de main d'orfèvre, qui d'entre vous aujourd'hui est volontaire pour le consacrer à Yahvé?"

1 Chroniques 29, 6 Les officiers chefs de familles, les officiers des tribus d'Israël, les officiers de milliers et de centaines et les officiers chargés des travaux royaux furent volontaires.

1 Chroniques 29, 7 Ils donnèrent pour le service de la Maison de Dieu 5.000 talents d'or, 10.000 dariques, 10.000 talents d'argent, 18.000 talents de bronze et 100.000 talents de fer.

1 Chroniques 29, 8 Y ajoutant ce qui se trouva comme pierres, ils remirent tout cela au trésor de la Maison de Yahvé, à la disposition de Yehiel le Gershonite.

1 Chroniques 29, 9 Le peuple se réjouit de ce qu'ils avaient fait, car c'était d'un coeur sans partage qu'ils avaient ainsi fait des offrandes volontaires pour Yahvé; le roi David lui-même en conçut une grande joie.

1 Chroniques 29, 10 Il bénit alors Yahvé sous les yeux de toute l'assemblée. David dit: "Béni sois-tu, Yahvé, Dieu d'Israël notre père, depuis toujours et à jamais!

1 Chroniques 29, 11 A toi, Yahvé, la grandeur, la force, la splendeur, la durée et la gloire, car tout ce qui est au ciel et sur la terre est à toi. A toi, Yahvé, la royauté: tu es souverainement élevé au-dessus de tout.

1 Chroniques 29, 12 La richesse et la gloire te précèdent, tu es maître de tout, dans ta main sont la force et la puissance; à ta main d'élever et d'affermir qui que ce soit.

1 Chroniques 29, 13 A cette heure, ô notre Dieu, nous te célébrons, nous louons ton éclatant renom;

1 Chroniques 29, 14 car qui suis-je et qu'est-ce que mon peuple pour être en mesure de faire de telles offrandes volontaires? Car tout vient de toi et c'est de ta main même que nous t'avons donné.

1 Chroniques 29, 15 Car nous ne sommes devant toi que des étrangers et des hôtes comme tous nos pères; nos jours sur terre passent comme l'ombre et il n'est point d'espoir.

1 Chroniques 29, 16 Yahvé, notre Dieu, tout ce que nous avons amoncelé pour la construction d'une Maison à ton saint nom provient de ta main, et tout est à toi.

1 Chroniques 29, 17 Je sais, ô mon Dieu, que tu sondes les coeurs et que tu te plais à la droiture, c'est d'un coeur droit que je t'ai fait toutes ces offrandes et, à cette heure, j'ai vu avec joie ton peuple, ici présent, te faire ces offrandes volontaires.

1 Chroniques 29, 18 Yahvé, Dieu d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, nos pères, garde à jamais cela, formes-en les dispositions de coeur de ton peuple, et fixe en toi leurs coeurs.

1 Chroniques 29, 19 A mon fils Salomon donne un coeur intègre pour qu'il garde tes commandements, tes témoignages et tes lois, qu'il les mette tous en pratique et bâtisse ce palais que je t'ai préparé."

1 Chroniques 29, 20 Puis David dit à toute l'assemblée: "Bénissez donc Yahvé votre Dieu!" Et toute l'assemblée bénit Yahvé, Dieu de ses pères, et s'agenouilla pour se prosterner devant Dieu et devant le roi.

1 Chroniques 29, 21 Puis les Israélites, le lendemain de ce jour, offrirent des sacrifices et des holocaustes à Yahvé: mille taureaux, mille béliers, mille agneaux avec les libations conjointes, ainsi que de multiples sacrifices pour tout Israël.

1 Chroniques 29, 22 Ils mangèrent et burent en ce jour devant Yahvé, dans une grande liesse. Puis, ayant fait Salomon, fils de David, roi pour la seconde fois, ils l'oignirent au nom de Yahvé comme chef, et oignirent Sadoq comme prêtre.

1 Chroniques 29, 23 Salomon s'assit sur le trône de Yahvé pour régner à la place de David son père. Il prospéra et tout Israël lui obéit.

1 Chroniques 29, 24 Tous les officiers, tous les preux et même tous les fils du roi David se soumirent au roi Salomon.

1 Chroniques 29, 25 Sous les yeux de tout Israël, Yahvé porta à son faîte la grandeur de Salomon et lui donna un règne d'une splendeur que n'avait jamais connue aucun de ceux qui avaient régné avant lui sur Israël.

1 Chroniques 29, 26 David, fils de Jessé, avait régné sur tout Israël.

1 Chroniques 29, 27 Son règne sur Israël avait duré 40 ans; à Hébron il avait régné sept ans et à Jérusalem il avait régné 33 ans.

1 Chroniques 29, 28 Il mourut dans une heureuse vieillesse, rassasié de jours, de richesses et d'honneur. Puis Salomon son fils régna à sa place.

1 Chroniques 29, 29 L'histoire du roi David, du début à la fin, n'est-ce pas écrit dans l'histoire de Samuel le voyant, l'histoire de Natân le prophète, l'histoire de Gad le voyant,

1 Chroniques 29, 30 avec son règne entier, ses prouesses, et les heurs et malheurs qu'il dut traverser ainsi qu'Israël et tous les royaumes des pays.

 

 

 

 

 

II Chroniques

 

 

 1, 1 Salomon, fils de David, s'affermit sur son trône. Yahvé son Dieu était avec lui et porta au faîte sa grandeur.

2 Chroniques 1, 2 Salomon parla alors à tout Israël, aux officiers de milliers et de centaines, aux juges et à tous les princes de tout Israël, chefs de famille.

2 Chroniques 1, 3 Puis, avec toute l'assemblée, Salomon se rendit au haut lieu de Gabaôn où se trouvait en effet la Tente du Rendez-vous de Dieu, faite dans le désert par Moïse, serviteur de Yahvé;

2 Chroniques 1, 4 mais David avait fait monter l'arche de Dieu de Qiryat-Yéarim jusqu'à l'endroit qu'il avait préparé pour elle: il lui avait en effet dressé une tente à Jérusalem.

2 Chroniques 1, 5 L'autel de bronze qu'avait fait Beçaléel, fils de Uri, fils de Hur, était là devant la Demeure de Yahvé où Salomon et l'assemblée venaient le consulter.

2 Chroniques 1, 6 C'est là que Salomon, en présence de Dieu, monta à l'autel de bronze qui était attenant à la Tente du Rendez-vous et il y offrit mille holocaustes.

2 Chroniques 1, 7 La nuit même, Dieu se montra à Salomon et lui dit: "Demande ce que je dois te donner."

2 Chroniques 1, 8 Salomon répondit à Dieu: "Tu as témoigné une grande bienveillance à David mon père et tu m'as établi roi à sa place.

2 Chroniques 1, 9 Yahvé Dieu, la promesse que tu as faite à mon père David s'accomplit maintenant puisque tu m'as établi roi sur un peuple aussi nombreux que la poussière de la terre.

2 Chroniques 1, 10 Donne-moi donc à présent sagesse et savoir pour agir en chef à la tête de ce peuple, car qui pourrait gouverner un peuple aussi grand que le tien?"

2 Chroniques 1, 11 Dieu dit à Salomon: "Puisque tel est ton désir, puisque tu n'as demandé ni richesse, ni trésors, ni gloire, ni la vie de tes ennemis, puisque tu n'as pas même demandé de longs jours, mais sagesse et savoir pour gouverner mon peuple dont je t'ai établi roi,

2 Chroniques 1, 12 la sagesse et le savoir te sont donnés. Je te donne aussi richesse, trésors et gloire comme n'en eut aucun des rois qui t'ont précédé et comme n'en auront point ceux qui viendront après toi."

2 Chroniques 1, 13 Salomon quitta le haut lieu de Gabaôn pour Jérusalem, loin de la Tente du Rendez-vous; il régna sur Israël.

2 Chroniques 1, 14 Il rassembla des chars et des chevaux; il eut 1.400 chars et 1.200 chevaux, et il les cantonna dans les villes des chars et près du roi à Jérusalem.

2 Chroniques 1, 15 Le roi fit que l'argent et l'or étaient aussi communs à Jérusalem que les cailloux, et les cèdres aussi nombreux que les sycomores du Bas-Pays.

2 Chroniques 1, 16 Les chevaux de Salomon étaient importés de Muçur et de Cilicie; les courtiers du roi en prenaient livraison en Cilicie à prix d'argent.

2 Chroniques 1, 17 Ils s'en allaient aussi importer d'Egypte des chars à 600 sicles l'unité; un cheval en valait 150; il en était de même pour tous les rois des Hittites et les rois d'Aram qui les importaient par leur entremise.

2 Chroniques 1, 18 Salomon ordonna de bâtir une maison au nom de Yahvé et une autre pour y régner lui-même.

2 Chroniques 2, 1 Il enrôla 70.000 hommes pour le transport, 80.000 pour extraire les pierres de la montagne et 3.600 contremaîtres.

2 Chroniques 2, 2 Puis Salomon envoya ce message à Huram, roi de Tyr: "Agis comme tu l'as fait envers mon père David en lui envoyant des cèdres pour se bâtir une maison où il résiderait.

2 Chroniques 2, 3 Or voici que je bâtis une maison au nom de Yahvé mon Dieu pour reconnaître sa sainteté, brûler devant lui de l'encens parfumé, avoir en permanence des pains rangés, offrir des holocaustes le matin, le soir, aux sabbats, aux néoménies et aux solennités de Yahvé notre Dieu; et cela pour toujours en Israël.

2 Chroniques 2, 4 La maison que je bâtis sera grande, car notre Dieu est plus grand que tous les dieux.

2 Chroniques 2, 5 Qui serait en mesure de lui bâtir une maison quand les cieux et les cieux des cieux ne le peuvent contenir? Et moi, qui suis-je pour lui bâtir une maison, si ce n'est pour que les fumées montent devant lui?

2 Chroniques 2, 6 Envoie-moi maintenant un homme habile à travailler l'or, l'argent, le bronze, le fer, l'écarlate, le cramoisi et la pourpre violette, et connaissant l'art de la gravure; il travaillera avec les artisans qui sont près de moi dans Juda et à Jérusalem, eux que mon père David a mis à ma disposition.

2 Chroniques 2, 7 Envoie-moi du Liban des troncs de cèdre, de genévrier et d'algummim, car je sais que tes serviteurs savent abattre les arbres du Liban. Mes serviteurs travailleront avec les tiens.

2 Chroniques 2, 8 Ils me prépareront du bois en quantité, car la maison que je veux bâtir sera d'une grandeur étonnante.

2 Chroniques 2, 9 Je livre pour les bûcherons qui abattront les arbres 20.000 muids de froment, 20.000 muids d'orge, 20.000 mesures de vin et 20.000 mesures d'huile, ceci pour l'entretien de tes serviteurs."

2 Chroniques 2, 10 Huram, roi de Tyr, répondit par une lettre qu'il envoya à Salomon: "C'est parce qu'il aime son peuple que Yahvé t'en a fait le roi."

2 Chroniques 2, 11 Puis il ajouta: "Béni soit Yahvé le Dieu d'Israël! Il a fait les cieux et la terre, il a donné au roi David un fils sage, sensé et intelligent, qui va bâtir une maison pour Yahvé et une autre pour y régner lui-même.

2 Chroniques 2, 12 J'envoie aussitôt un homme habile et intelligent, Huram-Abi,

2 Chroniques 2, 13 fils d'une Danite, et de père tyrien. Il sait travailler l'or, l'argent, le bronze, le fer, la pierre, le bois, l'écarlate, la pourpre violette, le byssus, le cramoisi, graver n'importe quoi et concevoir des projets. C'est lui qu'on fera travailler avec tes artisans et ceux de Monseigneur David, ton père.

2 Chroniques 2, 14 Que soient alors envoyés à ses serviteurs le froment, l'orge, l'huile et le vin dont a parlé Monseigneur.

2 Chroniques 2, 15 Quant à nous, nous abattrons au Liban tout le bois dont tu auras besoin, nous l'amènerons à Joppé en radeaux par mer, et c'est toi qui le feras monter à Jérusalem."

2 Chroniques 2, 16 Salomon fit le compte de tous les étrangers en résidence en terre d'Israël, d'après le recensement qu'en avait fait David son père, et on en trouva 153.600.

2 Chroniques 2, 17 Il en affecta 70.000 aux transports, 80.000 aux carrières de la montagne, 3.600 à la direction du travail de ces gens.

2 Chroniques 3, 1 Salomon commença alors la construction de la maison de Yahvé. C'était à Jérusalem, sur le mont Moriyya, là où son père David avait eu une vision. C'était le lieu préparé par David, l'aire d'Ornân le Jébuséen.

2 Chroniques 3, 2 Salomon commença les constructions au second mois de la quatrième année de son règne.

2 Chroniques 3, 3 Voici que l'édifice de la maison de Dieu, fondée par Salomon, eut une longueur de 60 coudées -- coudée d'ancienne mesure -- et une largeur de vingt.

2 Chroniques 3, 4 Le vestibule qui se trouvait par devant avait une longueur de vingt coudées couvrant la largeur de la maison et une hauteur de 120 coudées. Salomon en revêtit d'or pur l'intérieur.

2 Chroniques 3, 5 Quant à la grande salle, il la plaqua en bois de genévrier qu'il recouvrit d'un bel or et y dressa des palmes et des guirlandes.

2 Chroniques 3, 6 Il sertit alors la salle de pierres précieuses, éclatantes; l'or était de l'or de Parvayim,

2 Chroniques 3, 7 il en recouvrit la salle, les poutres, les seuils, les parois et les portes, et grava ensuite des chérubins sur les parois.

2 Chroniques 3, 8 Puis il bâtit la salle du Saint des Saints dont la longueur de vingt coudées couvrait la largeur de la grande salle, et dont la largeur était de vingt coudées. Il la plaqua pour 600 talents d'un bel or;

2 Chroniques 3, 9 les clous d'or pesaient 50 sicles. Il plaqua d'or les chambres hautes.

2 Chroniques 3, 10 Dans la salle du Saint des Saints il fit deux chérubins, ouvrage en métal forgé qu'il plaqua d'or.

2 Chroniques 3, 11 Les ailes des chérubins avaient vingt coudées de long, chacune d'elles ayant cinq coudées et touchant l'une à la paroi de la salle, l'autre à celle de l'autre chérubin.

2 Chroniques 3, 12 L'une des ailes de cinq coudées d'un chérubin touchait à la paroi de la salle; la seconde, de cinq coudées, touchait à l'aile de l'autre chérubin.

2 Chroniques 3, 13 Déployées, les ailes de ces chérubins mesuraient vingt coudées. Eux-mêmes se tenaient debout, face à la Salle.

2 Chroniques 3, 14 Il fit le Rideau de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de byssus; il y appliqua des chérubins.

2 Chroniques 3, 15 Devant la salle, il fit deux colonnes longues de 35 coudées que surmontait un chapiteau de cinq coudées.

2 Chroniques 3, 16 Dans le Debir, il fit des guirlandes qu'il disposa au haut des colonnes et fit cent grenades qu'il mit dans les guirlandes.

2 Chroniques 3, 17 Il dressa les colonnes devant le Hékal, l'une à droite et l'autre à gauche, et il appela Yakîn celle de droite, Boaz celle de gauche.

2 Chroniques 4, 1 Il fit un autel de bronze, long de vingt coudées, large de vingt et haut de dix.

2 Chroniques 4, 2 Puis il coula la Mer en métal fondu, de dix coudées de bord à bord, à pourtour circulaire, de cinq coudées de hauteur; un fil de 30 coudées en mesurait le tour.

2 Chroniques 4, 3 Il y avait, sous le pourtour, des animaux ressemblant à des boeufs, l'encerclant tout autour. Incurvées sur dix coudées du pourtour de la Mer, deux rangées de boeufs avaient été coulées avec la masse.

2 Chroniques 4, 4 La Mer reposait sur douze boeufs, trois regardaient vers le nord, trois regardaient vers l'ouest, trois regardaient vers le sud, trois regardaient vers l'est: la Mer s'élevait au-dessus d'eux et tous leurs arrière-trains étaient tournés vers l'intérieur.

2 Chroniques 4, 5 Son épaisseur était d'un palme et son bord avait la même forme que le bord d'une coupe, comme une fleur. Elle contenait 3.000 mesures.

2 Chroniques 4, 6 Il fit dix bassins et en plaça cinq à droite et cinq à gauche pour y laver la victime de l'holocauste que l'on y purifiait, mais c'est dans la Mer que les prêtres se lavaient.

2 Chroniques 4, 7 Il fit les dix chandeliers d'or du modèle prescrit et les mit dans le Hékal, cinq à droite et cinq à gauche.

2 Chroniques 4, 8 Il fit dix tables qu'il installa dans le Hékal, cinq à droite et cinq à gauche. Il fit cent coupes d'aspersion en or.

2 Chroniques 4, 9 Il fit le parvis des prêtres, la grande cour et ses portes qu'il revêtit de bronze.

2 Chroniques 4, 10 Quant à la Mer, il l'avait placée à distance du côté droit, au sud-est.

2 Chroniques 4, 11 Huram fit les vases à cendres, les pelles, les bols à aspersion. Il acheva tout l'ouvrage dont l'avait chargé le roi Salomon pour le Temple de Dieu:

2 Chroniques 4, 12 Deux colonnes; les tores des chapiteaux qui étaient au sommet des colonnes; les deux treillis pour couvrir les deux tores des chapiteaux qui étaient au sommet des colonnes;

2 Chroniques 4, 13 les quatre grenades pour les deux treillis: les grenades pour chaque treillis étaient en deux rangées;

2 Chroniques 4, 14 les dix bases et les dix bassins sur les bases;

2 Chroniques 4, 15 la Mer unique et les douze boeufs sous la Mer;

2 Chroniques 4, 16 les vases à cendres, les pelles, les fourchettes, et tous leurs accessoires que fit en bronze poli Huram-Abi pour le roi Salomon, pour le Temple de Yahvé.

2 Chroniques 4, 17 C'est dans le district du Jourdain que le roi les coula en pleine terre, entre Sukkot et Ceréda.

2 Chroniques 4, 18 Salomon fit tous ces objets en grand nombre, car on ne calculait pas le poids du bronze.

2 Chroniques 4, 19 Salomon fit tous les objets destinés au Temple de Dieu: l'autel d'or et les tables sur lesquelles étaient les pains d'oblation;

2 Chroniques 4, 20 les chandeliers et leurs lampes qui devaient, selon la règle, briller devant le Debir, en or fin;

2 Chroniques 4, 21 les fleurons, les lampes et les mouchettes, en or (et c'était de l'or pur);

2 Chroniques 4, 22 les couteaux, les coupes d'aspersion, les coupes et les encensoirs, en or fin; l'entrée du Temple, les portes intérieures (pour le Saint des Saints) et les portes du Temple (pour le Hékal), en or.

2 Chroniques 5, 1 Alors fut achevé tout le travail que fit Salomon pour le Temple de Yahvé; et Salomon apporta ce que son père David avait consacré, l'argent, l'or et tous les vases, qu'il mit dans le trésor du Temple de Dieu.

2 Chroniques 5, 2 Alors Salomon convoqua à Jérusalem les anciens d'Israël, tous les chefs des tribus et les princes des familles israélites, pour faire monter de la Cité de David, qui est Sion, l'arche de l'alliance de Yahvé.

2 Chroniques 5, 3 Tous les hommes d'Israël se rassemblèrent auprès du roi, au septième mois, pendant la fête.

2 Chroniques 5, 4 Tous les anciens d'Israël vinrent, et ce furent les lévites, qui portèrent l'arche.

2 Chroniques 5, 5 Ils portèrent l'arche et la Tente du Rendez-vous avec tous les objets sacrés qui y étaient; ce sont les prêtres lévites qui les transportèrent.

2 Chroniques 5, 6 Puis le roi Salomon et toute la communauté d'Israël, réunie près de lui devant l'arche, sacrifièrent moutons et boeufs en quantité innombrable et incalculable.

2 Chroniques 5, 7 Les prêtres apportèrent l'arche de l'alliance de Yahvé à sa place, au Debir du Temple, c'est-à-dire au Saint des Saints, sous les ailes des chérubins.

2 Chroniques 5, 8 Les chérubins étendaient leurs ailes au-dessus de l'emplacement de l'arche et abritaient l'arche et ses barres.

2 Chroniques 5, 9 Celles-ci étaient assez longues pour qu'on vît leur extrémité depuis le Saint, devant le Debir, mais pas en dehors de là; elles y sont restées jusqu'à ce jour.

2 Chroniques 5, 10 Il n'y avait rien dans l'arche, sauf les deux tables que Moïse y déposa à l'Horeb, lorsque Yahvé avait conclu une alliance avec les Israélites à leur sortie d'Egypte.

2 Chroniques 5, 11 Or, quand les prêtres sortirent du sanctuaire, -- en effet, tous les prêtres qui se trouvaient là s'étaient sanctifiés sans garder l'ordre des classes;

2 Chroniques 5, 12 les chantres lévites au complet: Asaph, Hémân et Yedutûn avec leurs fils et leurs frères s'étaient revêtus de byssus et jouaient des cymbales, de la lyre et de la cithare en se tenant à l'orient de l'autel, et 120 prêtres les accompagnaient en sonnant des trompettes.

2 Chroniques 5, 13 Chacun de ceux qui jouaient de la trompette ou qui chantaient, louaient et célébraient Yahvé d'une seule voix; élevant la voix au son des trompettes, des cymbales et des instruments d'accompagnement, ils louaient Yahvé "car il est bon, car éternel est son amour" -- le sanctuaire fut rempli par la nuée de la gloire de Yahvé.

2 Chroniques 5, 14 Les prêtres ne purent pas continuer leur fonction à cause de la nuée, car la gloire de Yahvé remplissait le Temple de Dieu.6, 1 Alors Salomon dit: "Yahvé a décidé d'habiter la nuée obscure.

2 Chroniques 6, 2 Moi, je t'ai construit une demeure princière, une résidence où tu habites à jamais."

2 Chroniques 6, 3 Puis le roi se retourna et bénit toute l'assemblée d'Israël. Toute l'assemblée d'Israël se tenait debout;

2 Chroniques 6, 4 il dit: "Béni soit Yahvé, Dieu d'Israël, qui a accompli de sa main ce qu'il avait promis de sa bouche à mon père David en ces termes:

2 Chroniques 6, 5 Depuis le jour où j'ai fait sortir mon peuple du pays d'Egypte, je n'ai pas choisi de ville, dans toutes les tribus d'Israël, pour qu'on y bâtît une maison où serait mon Nom, ni choisi d'homme pour qu'il fût chef de mon peuple Israël.

2 Chroniques 6, 6 Mais j'ai choisi Jérusalem pour qu'y fût mon Nom et j'ai choisi David pour qu'il commandât à mon peuple Israël.

2 Chroniques 6, 7 Mon père David eut dans l'esprit de bâtir une maison pour le Nom de Yahvé, Dieu d'Israël,

2 Chroniques 6, 8 mais Yahvé dit à mon père David: Tu as eu dans l'esprit de bâtir une maison pour mon Nom, et tu as bien fait.

2 Chroniques 6, 9 Seulement, ce n'est pas toi qui bâtiras cette maison, c'est ton fils, issu de tes reins, qui bâtira la maison pour mon Nom.

2 Chroniques 6, 10 Yahvé a réalisé la parole qu'il avait dite: j'ai succédé à mon père David et je me suis assis sur le trône d'Israël comme avait dit Yahvé, j'ai construit la maison pour le Nom de Yahvé, Dieu d'Israël,

2 Chroniques 6, 11 et j'y ai placé l'arche où est l'alliance que Yahvé a conclue avec les enfants d'Israël."

2 Chroniques 6, 12 Puis il se tint devant l'autel de Yahvé, en présence de toute l'assemblée d'Israël et il étendit les mains.

2 Chroniques 6, 13 Or Salomon avait fait un socle de bronze qu'il avait mis au milieu de la cour; il avait cinq coudées de long, cinq de large et trois de haut. Salomon y monta, s'y tint et s'y agenouilla en présence de toute l'assemblée d'Israël. Il étendit les mains vers le ciel

2 Chroniques 6, 14 et dit: "Yahvé, Dieu d'Israël! Il n'y a aucun Dieu pareil à toi dans les cieux ni sur la terre, toi qui es fidèle à l'alliance et gardes la bienveillance à l'égard de tes serviteurs, quand ils marchent de tout leur coeur devant toi.

2 Chroniques 6, 15 Tu as tenu à ton serviteur David, mon père, la promesse que tu lui avais faite, et ce que tu avais dit de ta bouche, tu l'as accompli aujourd'hui de ta main.

2 Chroniques 6, 16 Et maintenant, Yahvé, Dieu d'Israël, tiens à ton serviteur David, mon père, la promesse que tu lui as faite, quand tu as dit: Tu ne seras jamais dépourvu d'un descendant qui soit devant moi, assis sur le trône d'Israël, à condition que tes fils veillent à leur conduite et suivent ma loi comme toi-même tu as marché devant moi.

2 Chroniques 6, 17 Maintenant donc, Yahvé, Dieu d'Israël, que se vérifie la parole que tu as dite à ton serviteur David!

2 Chroniques 6, 18 Mais Dieu habiterait-il vraiment avec les hommes sur la terre? Voici que les cieux et les cieux des cieux ne le peuvent contenir, moins encore cette maison que j'ai construite!

2 Chroniques 6, 19 Sois attentif à la prière et à la supplication de ton serviteur, Yahvé, mon Dieu, écoute l'appel et la prière que ton serviteur fait devant toi!

2 Chroniques 6, 20 Que tes yeux soient ouverts jour et nuit sur cette maison, sur ce lieu où tu as dit mettre ton Nom. Ecoute la prière que ton serviteur fera en ce lieu.

2 Chroniques 6, 21 "Ecoute les supplications de ton serviteur et de ton peuple Israël, lorsqu'ils prieront en ce lieu. Toi, écoute du lieu où tu résides, du ciel, écoute et pardonne.

2 Chroniques 6, 22 Si un homme pèche contre son prochain, et que celui-ci prononce sur lui un serment imprécatoire et le fasse jurer devant ton autel dans ce Temple,

2 Chroniques 6, 23 toi, écoute du ciel et agis; juge entre tes serviteurs: rends au méchant son dû en faisant retomber sa conduite sur sa tête, et justifie l'innocent en lui rendant selon sa justice.

2 Chroniques 6, 24 Si ton peuple Israël est battu devant l'ennemi parce qu'il aura péché contre toi, s'il se convertit, loue ton Nom, prie et supplie devant toi dans ce Temple,

2 Chroniques 6, 25 toi, écoute du ciel, pardonne le péché de ton peuple Israël, et ramène-le dans le pays que tu lui as donné comme à ses pères.

2 Chroniques 6, 26 Quand le ciel sera fermé et qu'il n'y aura pas de pluie parce qu'ils auront péché contre toi, s'ils prient en ce lieu, louent ton Nom, se repentent de leur péché, parce que tu les auras humiliés,

2 Chroniques 6, 27 toi, écoute du ciel, pardonne le péché de tes serviteurs et de ton peuple Israël -- tu leur indiqueras la bonne voie qu'ils doivent suivre --, et arrose de pluie ta terre, que tu as donnée en héritage à ton peuple.

2 Chroniques 6, 28 Quand le pays subira la famine, la peste, la rouille ou la nielle, quand surviendront les sauterelles ou les criquets, quand l'ennemi de ce peuple assiégera l'une de ses portes, quand il y aura n'importe quel fléau ou quelle épidémie,

2 Chroniques 6, 29 quelle que soit la prière ou la supplication, qu'elle soit d'un homme quelconque ou de tout Israël ton peuple, si l'on éprouve peine ou douleur et si l'on tend les mains vers ce Temple,

2 Chroniques 6, 30 toi, écoute du ciel où tu résides, pardonne et rends à chaque homme selon sa conduite, puisque tu connais son coeur -- tu es le seul à connaître le coeur des hommes --,

2 Chroniques 6, 31 en sorte qu'ils te craindront et suivront tes voies tous les jours qu'ils vivront sur la terre que tu as donnée à nos pères.

2 Chroniques 6, 32 Même l'étranger qui n'est pas d'Israël ton peuple, s'il vient d'un pays lointain à cause de la grandeur de ton Nom, de ta main forte et de ton bras étendu, s'il vient et prie dans ce Temple,

2 Chroniques 6, 33 toi, écoute du ciel où tu résides, exauce toutes les demandes de l'étranger afin que tous les peuples de la terre reconnaissent ton Nom et te craignent comme le fait ton peuple Israël, et qu'ils sachent que ce Temple que j'ai bâti porte ton Nom.

2 Chroniques 6, 34 Si ton peuple part en guerre contre ses ennemis par le chemin où tu l'auras envoyé, s'il te prie, tourné vers la ville que tu as choisie et vers le Temple que j'ai construit pour ton Nom,

2 Chroniques 6, 35 écoute du ciel sa prière et sa supplication et fais-lui justice.

2 Chroniques 6, 36 Quand ils pécheront contre toi -- car il n'y a aucun homme qui ne pèche --, quand tu seras irrité contre eux, quand tu les livreras à l'ennemi et que leurs conquérants les emmèneront captifs dans un pays lointain ou proche,

2 Chroniques 6, 37 s'ils rentrent en eux-mêmes, dans le pays où ils auront été déportés, s'ils se repentent et te supplient dans le pays de leur captivité en disant: Nous avons péché, nous avons mal agi, nous nous sommes pervertis,

2 Chroniques 6, 38 s'ils reviennent à toi de tout leur coeur et de toute leur âme dans le pays de leur captivité où ils ont été déportés et s'ils prient tournés vers le pays que tu as donné à leurs pères, vers la ville que tu as choisie et le Temple que j'ai bâti pour ton Nom,

2 Chroniques 6, 39 écoute du ciel où tu résides, écoute leur prière et leur supplication, fais-leur justice et pardonne à ton peuple les péchés commis envers toi.

2 Chroniques 6, 40 "Maintenant, ô mon Dieu, que tes yeux soient ouverts et tes oreilles attentives aux prières faites en ce lieu!

2 Chroniques 6, 41 Et maintenant Dresse-toi, Yahvé Dieu, fixe-toi, toi et l'arche de ta force! Que tes prêtres, Yahvé Dieu, se revêtent de salut et que tes fidèles jubilent dans le bonheur!

2 Chroniques 6, 42 Yahvé Dieu, n'écarte pas la face de ton oint, souviens-toi des grâces faites à David ton serviteur!"

2 Chroniques 7, 1 Quand Salomon eut fini de prier, le feu descendit du ciel, consuma l'holocauste et les sacrifices, et la gloire de Yahvé remplit le Temple.

2 Chroniques 7, 2 Les prêtres ne purent entrer dans la maison de Yahvé, car la gloire de Yahvé remplissait la maison de Yahvé.

2 Chroniques 7, 3 Tous les Israélites, voyant le feu descendre et la gloire de Yahvé reposer sur le Temple, se prosternèrent face contre terre sur le pavé; ils adorèrent et célébrèrent Yahvé "car il est bon, car éternel est son amour."

2 Chroniques 7, 4 Le roi et tout le peuple sacrifièrent devant Yahvé.

2 Chroniques 7, 5 Le roi Salomon immola en sacrifice 22.000 boeufs et 120.000 moutons, et le roi et tout le peuple dédièrent le Temple de Dieu.

2 Chroniques 7, 6 Les prêtres se tenaient à leur poste et les lévites célébraient Yahvé avec les instruments qu'avait faits le roi David pour accompagner les cantiques de Yahvé "car éternel est son amour." C'étaient eux qui exécutaient les louanges composées par David. A leurs côtés, les prêtres sonnaient de la trompette et tout Israël se tenait debout.

2 Chroniques 7, 7 Salomon consacra le milieu de la cour qui était devant le Temple de Yahvé, car c'est là qu'il offrit les holocaustes et les graisses des sacrifices de communion. L'autel de bronze qu'avait fait Salomon ne pouvait en effet contenir l'holocauste, l'oblation et les graisses.

2 Chroniques 7, 8 En ce temps-là, Salomon célébra la fête pendant sept jours et tous les Israélites avec lui, un très grand rassemblement depuis l'Entrée de Hamat jusqu'au Torrent d'Egypte.

2 Chroniques 7, 9 Le huitième jour eut lieu une réunion solennelle, car on avait célébré la dédicace de l'autel pendant sept jours et célébré la fête pendant sept jours.

2 Chroniques 7, 10 Le vingt-troisième jour du septième mois, Salomon renvoya le peuple chacun chez soi, joyeux et le coeur content du bien que Yahvé avait fait à David, à Salomon et à son peuple Israël.

2 Chroniques 7, 11 Salomon acheva le Temple de Yahvé et le palais royal et il mena à bien tout ce qu'il désirait faire dans la maison de Yahvé et la sienne.

2 Chroniques 7, 12 Yahvé apparut alors de nuit à Salomon et lui dit: "J'ai entendu ta prière et je me suis choisi ce lieu pour qu'il soit la maison des sacrifices.

2 Chroniques 7, 13 Quand je fermerai le ciel et que la pluie fera défaut, quand j'ordonnerai aux sauterelles de dévorer le pays, quand j'enverrai la peste sur mon peuple,

2 Chroniques 7, 14 si mon peuple sur qui est invoqué mon Nom s'humilie, prie, recherche ma présence et se repent de sa mauvaise conduite, moi, du ciel, j'écouterai, je pardonnerai ses péchés et je restaurerai son pays.

2 Chroniques 7, 15 Désormais mes yeux sont ouverts, et mes oreilles attentives à la prière faite en ce lieu.

2 Chroniques 7, 16 J'ai désormais choisi et consacré cette maison afin que mon Nom y soit à jamais; mes yeux et mon coeur y seront toujours.

2 Chroniques 7, 17 Pour toi, si tu marches devant moi comme a fait ton père David, si tu agis selon tout ce que je te commande et si tu observes mes lois et mes ordonnances,

2 Chroniques 7, 18 je maintiendrai ton trône royal comme je m'y suis engagé envers ton père David quand j'ai dit: Il ne te manquera jamais un descendant qui règne en Israël.

2 Chroniques 7, 19 Mais si vous m'abandonnez, si vous délaissez les lois et les commandements que je vous ai proposés, si vous allez servir d'autres dieux et leur rendez hommage,

2 Chroniques 7, 20 j'arracherai les Israélites de ma terre que je leur avais donnée; ce Temple que j'ai consacré à mon Nom, je le rejetterai de ma présence et j'en ferai la fable et la risée de tous les peuples.

2 Chroniques 7, 21 Ce Temple qui aura été sublime, tous ceux qui le longeront seront stupéfaits et diront: Pourquoi Yahvé a-t-il fait cela à ce pays et à ce Temple?

2 Chroniques 7, 22 Et l'on répondra: Parce qu'ils ont abandonné Yahvé, le Dieu de leurs pères, qui les avait fait sortir du pays d'Egypte, qu'ils se sont attachés à d'autres dieux et qu'ils leur ont rendu hommage et culte, voilà pourquoi il leur a envoyé tous ces maux."

2 Chroniques 8, 1 Au bout des vingt années pendant lesquelles Salomon construisit le Temple de Yahvé et son propre palais,

2 Chroniques 8, 2 il restaura les villes que lui avait données Huram et y établit les Israélites:

2 Chroniques 8, 3 Puis il alla à Hamat de Coba, dont il se rendit maître;

2 Chroniques 8, 4 il restaura Tadmor dans le désert et toutes les villes-entrepôts qu'il avait édifiées dans le pays de Hamat.

2 Chroniques 8, 5 Il restaura Bet-Horôn-le-Haut et Bet-Horôn-le-Bas, villes fortifiées, munies de murs, de portes et de barres,

2 Chroniques 8, 6 ainsi que Baalat, toutes les villes-entrepôts qu'avait Salomon, toutes les villes de chars et les villes de chevaux, et ce qu'il plut à Salomon de construire à Jérusalem, au Liban et dans tous les pays qui lui étaient soumis.

2 Chroniques 8, 7 Tout ce qui restait des Hittites, des Amorites, des Perizzites, des Hivvites et des Jébuséens, qui n'étaient pas des Israélites

2 Chroniques 8, 8 et dont les descendants étaient restés après eux dans le pays sans être exterminés par les Israélites, Salomon les leva comme hommes de corvée; ils le sont encore.

2 Chroniques 8, 9 Mais Salomon ne fit point des Israélites des esclaves travaillant pour lui, car ils servaient comme soldats: ils étaient les officiers de ses écuyers, les officiers de sa charrerie et de sa cavalerie.

2 Chroniques 8, 10 Voici les officiers des préfets dont disposait le roi Salomon: 250 qui commandaient au peuple.

2 Chroniques 8, 11 Salomon fit monter de la Cité de David la fille de Pharaon jusqu'à la maison qu'il lui avait construite. Il disait en effet: "Une femme ne saurait demeurer à cause de moi dans le palais de David, roi d'Israël; ce sont des lieux sacrés où vint l'arche de Yahvé."

2 Chroniques 8, 12 Salomon offrit alors des holocaustes à Yahvé sur l'autel de Yahvé qu'il avait bâti devant le Vestibule.

2 Chroniques 8, 13 Selon le rituel quotidien des holocaustes, conformément à l'ordre de Moïse sur les sabbats, les néoménies et les trois solennités annuelles: la fête des Azymes, la fête des Semaines et la fête des Tentes,

2 Chroniques 8, 14 il établit, selon la règle de David son père, les classes des prêtres dans leur service, les lévites dans leur fonction pour louer et officier près des prêtres selon le rituel quotidien, et les portiers, selon leur classe respective, à chaque porte, car tels avaient été les ordres de David, homme de Dieu.

2 Chroniques 8, 15 Sur aucun autre point, même au sujet des réserves, ils ne s'écartèrent des ordres du roi relatifs aux prêtres et aux lévites.

2 Chroniques 8, 16 Et toute l'oeuvre de Salomon, qui n'avait été que préparée jusqu'au jour de la fondation du Temple de Yahvé, fut parfaite lorsqu'il eut achevé le Temple de Yahvé.

2 Chroniques 8, 17 Alors Salomon gagna Eçyôn-Géber et Elat, au bord de la mer, au pays d'Edom.

2 Chroniques 8, 18 Huram lui envoya des navires montés par ses serviteurs ainsi que des serviteurs qui connaissaient la mer. Avec les serviteurs de Salomon ils allèrent à Ophir et en rapportèrent 540 talents d'or qu'ils remirent au roi Salomon.

2 Chroniques 9, 1 La reine de Saba apprit la renommée de Salomon et vint à Jérusalem éprouver Salomon par des énigmes. Elle arriva avec de très grandes richesses, des chameaux chargés d'aromates, quantité d'or et de pierres précieuses. Quand elle se fut rendue auprès de Salomon, elle s'entretint avec lui de tout ce qu'elle avait médité.

2 Chroniques 9, 2 Salomon l'éclaira sur toutes ses questions et aucune ne fut pour lui un secret qu'il ne pût élucider.

2 Chroniques 9, 3 Lorsque la reine de Saba vit la sagesse de Salomon, le palais qu'il s'était construit,

2 Chroniques 9, 4 le menu de sa table, le placement de ses officiers, le service de ses gens et leur livrée, ses échansons et leur livrée, les holocaustes qu'il offrait au Temple de Yahvé, le coeur lui manqua

2 Chroniques 9, 5 et elle dit au roi: "Ce que j'ai entendu dire dans mon pays sur toi et sur ta sagesse était donc vrai!

2 Chroniques 9, 6 Je n'ai pas voulu croire ce qu'on disait avant de venir et de voir de mes yeux, mais vraiment on ne m'avait pas appris la moitié de l'étendue de ta sagesse: tu surpasses la renommée dont j'avais eu l'écho.

2 Chroniques 9, 7 Bienheureux tes gens, bienheureux tes serviteurs que voici, qui se tiennent continuellement devant toi et qui entendent ta sagesse!

2 Chroniques 9, 8 Béni soit Yahvé, ton Dieu, qui t'a montré sa faveur en te plaçant sur son trône comme roi au nom de Yahvé ton Dieu; c'est parce que ton Dieu aime Israël et veut le maintenir à jamais qu'il t'en a donné la royauté pour exercer le droit et la justice."

2 Chroniques 9, 9 Elle donna au roi 120 talents d'or, une grande quantité d'aromates et des pierres précieuses. Les aromates que la reine de Saba apporta au roi Salomon étaient incomparables.

2 Chroniques 9, 10 De même les serviteurs de Huram et les serviteurs de Salomon qui rapportèrent l'or d'Ophir, rapportèrent du bois d'algummim et des pierres précieuses.

2 Chroniques 9, 11 Le roi fit avec le bois d'algummim des planchers pour le Temple de Yahvé et pour le palais royal, des lyres et des harpes pour les musiciens; on n'avait encore jamais rien vu de pareil dans le pays de Juda.

2 Chroniques 9, 12 Quant au roi Salomon, il offrit à la reine de Saba tout ce dont elle manifesta l'envie, sans compter ce qu'elle avait apporté au roi. Puis elle s'en retourna et alla dans son pays, elle et ses serviteurs.

2 Chroniques 9, 13 Le poids de l'or qui arriva à Salomon en une année fut de 666 talents d'or,

2 Chroniques 9, 14 sans compter ce qui venait des redevances des marchands et des courtiers importateurs; tous les rois d'Arabie, tous les gouverneurs du pays apportaient également de l'or et de l'argent à Salomon.

2 Chroniques 9, 15 Le roi Salomon fit 200 grands boucliers d'or battu, sur chacun desquels il appliqua 600 sicles d'or battu,

2 Chroniques 9, 16 et 300 petits boucliers d'or battu, sur chacun desquels il appliqua 300 sicles d'or, et il les déposa dans la Galerie de la Forêt du Liban.

2 Chroniques 9, 17 Le roi fit aussi un grand trône d'ivoire et le plaqua d'or raffiné.

2 Chroniques 9, 18 Ce trône avait six degrés et un marchepied d'or qui lui étaient attachés, des bras de part et d'autre du siège et deux lions debout près des bras.

2 Chroniques 9, 19 Douze lions se tenaient de part et d'autre des six degrés. On n'a rien fait de semblable dans aucun royaume.

2 Chroniques 9, 20 Tous les vases à boire du roi Salomon étaient en or et tout le mobilier de la Galerie de la Forêt du Liban était en or fin; car on faisait fi de l'argent au temps du roi Salomon.

2 Chroniques 9, 21 En effet le roi avait des navires allant à Tarsis avec les serviteurs de Huram et tous les trois ans les navires revenaient de Tarsis chargés d'or, d'argent, d'ivoire, de singes et de guenons.

2 Chroniques 9, 22 Le roi Salomon surpassa en richesse et en sagesse tous les rois de la terre.

2 Chroniques 9, 23 Tous les rois de la terre voulaient être reçus par Salomon pour profiter de la sagesse que Dieu lui avait mise au coeur

2 Chroniques 9, 24 et chacun apportait son présent: vases d'argent et vases d'or, vêtements, armes et aromates, chevaux et mulets, et ainsi d'année en année.

2 Chroniques 9, 25 Salomon eut 4.000 stalles pour ses chevaux et ses chars, et 12.000 chevaux qu'il cantonna dans les villes de chars et près du roi à Jérusalem.

2 Chroniques 9, 26 Il étendit son pouvoir sur tous les rois depuis le Fleuve jusqu'au pays des Philistins et jusqu'à la frontière d'Egypte.

2 Chroniques 9, 27 Il rendit l'argent aussi commun à Jérusalem que les cailloux, et les cèdres aussi nombreux que les sycomores du Bas-Pays.

2 Chroniques 9, 28 On importait pour Salomon des chevaux de Muçur et de tous les pays.

2 Chroniques 9, 29 Le reste de l'histoire de Salomon, du début à la fin, n'est-ce pas écrit dans l'histoire de Natân le prophète, dans la prophétie d'Ahiyya de Silo, et dans la vision de Yéddo le voyant concernant Jéroboam fils de Nebat?

2 Chroniques 9, 30 Salomon régna 40 ans à Jérusalem sur tout Israël.

2 Chroniques 9, 31 Puis il se coucha avec ses pères et on l'enterra dans la Cité de David, son père, et son fils Roboam régna à sa place.

2 Chroniques 10, 1 Roboam se rendit à Sichem, car c'est à Sichem que tout Israël était venu pour le proclamer roi.

2 Chroniques 10, 2 Dès que Jéroboam fils de Nebat en fut informé -- il était en Egypte, où il avait fui le roi Salomon -- il revint d'Egypte.

2 Chroniques 10, 3 On le fit appeler et il vint avec tout Israël. Ils parlèrent ainsi à Roboam:

2 Chroniques 10, 4 "Ton père a rendu pénible notre joug, allège maintenant le dur servage de ton père, la lourdeur du joug qu'il nous imposa, et nous te servirons."

2 Chroniques 10, 5 Il leur répondit: "Attendez trois jours, puis revenez vers moi." Et le peuple s'en alla.

2 Chroniques 10, 6 Le roi Roboam prit conseil des anciens, qui avaient servi son père Salomon de son vivant, et demanda: "Que conseillez-vous de répondre à ce peuple?"

2 Chroniques 10, 7 Ils lui répondirent: "Si tu te montres bon envers ces gens, si tu leur es bienveillant et leur donnes de bonnes paroles, alors ils resteront toujours tes serviteurs."

2 Chroniques 10, 8 Mais il repoussa le conseil que les anciens lui avaient donné et consulta des jeunes gens qui l'assistaient, ses compagnons d'enfance.

2 Chroniques 10, 9 Il leur demanda: "Que conseillez-vous que nous répondions à ce peuple, qui m'a parlé ainsi: Allège le joug que ton père nous a imposé?"

2 Chroniques 10, 10 Les jeunes gens, ses compagnons d'enfance, lui répondirent: "Voici ce que tu diras au peuple qui t'a dit: Ton père a rendu pesant notre joug, mais toi allège notre charge, voici ce que tu leur répondras: Mon petit doigt est plus gros que les reins de mon père!

2 Chroniques 10, 11 Ainsi mon père vous a fait porter un joug pesant, moi, j'ajouterai encore à votre joug; mon père vous a châtiés avec des lanières, je le ferai, moi, avec des fouets à pointes de fer!"

2 Chroniques 10, 12 Jéroboam, avec tout le peuple, vint à Roboam le troisième jour, selon cet ordre qu'il avait donné: "Revenez vers moi le troisième jour."

2 Chroniques 10, 13 Le roi leur répondit durement. Le roi Roboam rejeta le conseil des anciens

2 Chroniques 10, 14 et, suivant le conseil des jeunes, il leur parla ainsi: "Mon père a rendu pesant votre joug, moi j'y ajouterai encore; mon père vous a châtiés avec des lanières, je le ferai, moi, avec des fouets à pointes de fer."

2 Chroniques 10, 15 Le roi n'écouta donc pas le peuple: c'était une intervention de Dieu, pour accomplir la parole que Yahvé avait dite à Jéroboam, fils de Nebat, par le ministère d'Ahiyya de Silo,

2 Chroniques 10, 16 et à tous les Israélites, à savoir: que le roi ne les écouterait pas. Ils répliquèrent alors au roi: "Quelle part avons-nous sur David? Nous n'avons pas d'héritage sur le fils de Jessé. Chacun à ses tentes, Israël! Et maintenant, pourvois à ta maison, David."

2 Chroniques 10, 17 Quant aux Israélites qui habitaient les villes de Juda, Roboam régna sur eux.

2 Chroniques 10, 18 Le roi Roboam dépêcha Adoram, le chef de la corvée, mais les Israélites le lapidèrent et il mourut; alors le roi Roboam se vit contraint de monter sur son char pour fuir à Jérusalem. Et Israël fut séparé de la maison de David, jusqu'à ce jour.

2 Chroniques 11, 1 Roboam se rendit à Jérusalem; il convoqua la maison de Juda et de Benjamin, soit 180.000 guerriers d'élite, pour combattre Israël et rendre le royaume à Roboam.

2 Chroniques 11, 2 Mais la parole de Yahvé fut adressée à Shemaya, l'homme de Dieu, en ces termes:

2 Chroniques 11, 3 "Dis ceci à Roboam, fils de Salomon, roi de Juda, et à tous les Israélites qui sont en Juda et en Benjamin:

2 Chroniques 11, 4 Ainsi parle Yahvé. N'allez pas vous battre contre vos frères; que chacun retourne chez soi, car cet événement vient de moi." Ils écoutèrent les paroles de Yahvé et firent demi-tour au lieu de marcher contre Jéroboam.

2 Chroniques 11, 5 Roboam habita Jérusalem et construisit des villes fortifiées en Juda.

2 Chroniques 11, 6 Il restaura Bethléem, Etam et Teqoa,

2 Chroniques 11, 7 Bet-Cur, Soko, Adullam,

2 Chroniques 11, 8 Gat, Maresha, Ziph,

2 Chroniques 11, 9 Adorayim, Lakish, Azéqa,

2 Chroniques 11, 10 Coréa, Ayyalôn, Hébron; c'étaient des villes fortifiées en Juda et en Benjamin.

2 Chroniques 11, 11 Il les fortifia puissamment et y mit des commandants, ainsi que des réserves de vivres, huile et de vin.

2 Chroniques 11, 12 Dans chacune de ces villes il y avait des boucliers et des lances. Il les rendit extrêmement fortes et fut maître de Juda et de Benjamin.

2 Chroniques 11, 13 Les prêtres et les lévites qui se trouvaient dans tout Israël quittèrent leur territoire pour s'établir près de lui.

2 Chroniques 11, 14 Les lévites, en effet, abandonnèrent leurs pâturages et leurs patrimoines et vinrent en Juda et à Jérusalem, Jéroboam et ses fils les ayant exclus du sacerdoce de Yahvé.

2 Chroniques 11, 15 Jéroboam avait établi des prêtres pour les hauts lieux, pour les satyres et pour les veaux qu'il avait fabriqués.

2 Chroniques 11, 16 Des membres de toutes les tribus d'Israël qui avaient à coeur de rechercher Yahvé, Dieu d'Israël, les suivirent et vinrent à Jérusalem afin de sacrifier à Yahvé, Dieu de leurs pères.

2 Chroniques 11, 17 Ils renforcèrent le royaume de Juda et, pendant trois ans, soutinrent Roboam, fils de Salomon, car c'est pendant trois ans qu'il suivit la voie de David et de Salomon.

2 Chroniques 11, 18 Roboam prit pour femme Mahalat, fille de Yerimot, fils de David, et d'Abihayil, fille d'Eliab, fils de Jessé.

2 Chroniques 11, 19 Elle lui donna des fils: Yéush, Shemarya et Zaham.

2 Chroniques 11, 20 Il épousa après elle Maaka, fille d'Absalom, qui lui enfanta Abiyya, Attaï, Ziza et Shelomit.

2 Chroniques 11, 21 Roboam aima Maaka, fille d'Absalom, plus que toutes ses autres femmes et concubines. Il avait en effet pris dix-huit femmes et 60 concubines, et engendré 28 fils et 60 filles.

2 Chroniques 11, 22 Roboam fit d'Abiyya, fils de Maaka, le chef de famille, prince parmi ses frères, afin de le faire roi.

2 Chroniques 11, 23 Roboam fut avisé et il répartit certains de ses fils dans toutes les régions de Juda et de Benjamin et dans toutes les villes fortifiées; il les pourvut de vivres en abondance et leur trouva des femmes.

2 Chroniques 12, 1 Alors que sa royauté s'était établie et affermie, Roboam abandonna la Loi de Yahvé, et tout Israël avec lui.

2 Chroniques 12, 2 La cinquième année du règne de Roboam, le roi d'Egypte, Sheshonq, marcha contre Jérusalem, car elle avait été infidèle à Yahvé.

2 Chroniques 12, 3 Avec 1.200 chars, 60.000 chevaux et une innombrable armée de Libyens, de Sukkiens et de Kushites, qui vint avec lui d'Egypte,

2 Chroniques 12, 4 il prit les villes fortifiées de Juda et atteignit Jérusalem.

2 Chroniques 12, 5 Shemaya, le prophète, vint trouver Roboam et les officiers judéens qui, devant Sheshonq, s'étaient regroupés près de Jérusalem, et il leur dit: "Ainsi parle Yahvé. Vous m'avez abandonné, aussi vous ai-je abandonnés moi-même aux mains de Sheshonq."

2 Chroniques 12, 6 Alors les officiers israélites et le roi s'humilièrent et dirent: "Yahvé est juste."

2 Chroniques 12, 7 Quant Yahvé vit qu'ils s'humiliaient, la parole de Yahvé fut adressée à Shemaya en ces termes: "Ils se sont humiliés, je ne les exterminerai pas; sous peu je leur permettrai d'échapper et ce n'est pas par les mains de Sheshonq que ma colère s'abattra sur Jérusalem.

2 Chroniques 12, 8 Mais ils deviendront ses esclaves et ils apprécieront ce que c'est que de me servir et de servir les royaumes des pays!"

2 Chroniques 12, 9 Le roi d'Egypte Sheshonq marcha contre Jérusalem. Il se fit livrer les trésors du Temple de Yahvé et ceux du palais royal, absolument tout, jusqu'aux boucliers d'or qu'avait faits Salomon;

2 Chroniques 12, 10 à leur place le roi Roboam fit des boucliers de bronze et les confia aux chefs des gardes qui veillaient à la porte du palais royal:

2 Chroniques 12, 11 chaque fois que le roi allait au Temple de Yahvé, les gardes venaient les prendre, puis ils les rapportaient à la salle des gardes.

2 Chroniques 12, 12 Mais parce qu'il s'était humilié, la colère de Yahvé se détourna de lui et ne l'anéantit pas complètement. Qui plus est, d'heureux événements survinrent en Juda,

2 Chroniques 12, 13 le roi Roboam put s'affermir dans Jérusalem et régner. Il avait en effet 41 ans à son avènement et il régna dix-sept ans à Jérusalem, la ville que Yahvé avait choisie entre toutes les tribus d'Israël pour y placer son Nom. Sa mère s'appelait Naama, l'Ammonite.

2 Chroniques 12, 14 Il fit le mal, parce qu'il n'avait pas disposé son coeur à rechercher Yahvé.

2 Chroniques 12, 15 L'histoire de Roboam, du début à la fin, cela n'est-il pas écrit dans l'histoire du prophète Shemaya et du voyant Iddo? Il y eut tout le temps des combats entre Roboam et Jéroboam.

2 Chroniques 12, 16 Roboam se coucha avec ses pères et fut enterré dans la Cité de David; son fils Abiyya régna à sa place.

2 Chroniques 13, 1 La dix-huitième année du règne de Jéroboam, Abiyya devint roi de Juda

2 Chroniques 13, 2 et régna trois ans à Jérusalem. Sa mère s'appelait Mikayahu, fille d'Uriel, de Gibéa. Il y eut guerre entre Abiyya et Jéroboam.

2 Chroniques 13, 3 Abiyya engagea le combat avec une armée de guerriers vaillants -- 400.000 hommes d'élite -- et Jéroboam se rangea en bataille contre lui avec 800.000 homme d'élite, preux vaillants.

2 Chroniques 13, 4 Abiyya se posta sur le mont Cemarayim, situé dans la montagne d'Ephraïm, et s'écria: "Jéroboam et vous tous, Israélites, écoutez-moi!

2 Chroniques 13, 5 Ne savez-vous pas que Yahvé, le Dieu d'Israël, a donné pour toujours à David la royauté sur Israël? C'est une alliance infrangible pour lui et pour ses fils.

2 Chroniques 13, 6 Jéroboam, fils de Nebat, serviteur de Salomon, fils de David, s'est dressé et révolté contre son seigneur;

2 Chroniques 13, 7 des gens de rien, des vauriens, se sont unis à lui et se sont imposés à Roboam, fils de Salomon; Roboam n'était encore qu'un jeune homme, timide de caractère, et n'a pas pu leur résister.

2 Chroniques 13, 8 Or vous parlez maintenant de tenir tête à la royauté de Yahvé qu'exercent les fils de David, et vous voilà en foule immense, accompagnés des veaux d'or que vous a faits pour dieux Jéroboam!

2 Chroniques 13, 9 N'avez-vous pas expulsé les prêtres de Yahvé, fils d'Aaron, et les lévites, pour vous faire des prêtres comme s'en font les peuples des pays: quiconque vient avec un taureau et sept béliers pour se faire donner l'investiture, peut devenir prêtre de ce qui n'est point Dieu!

2 Chroniques 13, 10 Notre Dieu à nous, c'est Yahvé, et nous ne l'avons pas abandonné: les fils d'Aaron sont prêtres au service de Yahvé et les lévites officient.

2 Chroniques 13, 11 Chaque matin et chaque soir nous faisons fumer les holocaustes pour Yahvé, nous avons l'encens aromatique, les pains rangés sur la table pure, le candélabre d'or avec ses lampes qui brûlent chaque soir. Car nous gardons les ordonnances de Yahvé notre Dieu que vous, vous avez abandonnées.

2 Chroniques 13, 12 Voici que Dieu est en tête avec nous, voici ses prêtres et les trompettes dont ils vont sonner pour que l'on pousse le cri de guerre contre vous! Israélites, ne luttez pas avec Yahvé, le Dieu de vos pères, car vous n'aboutirez à rien."

2 Chroniques 13, 13 Jéroboam fit faire un mouvement tournant à l'embuscade qui atteignit leurs arrières; l'armée était face à Juda, et l'embuscade par-derrière.

2 Chroniques 13, 14 Faisant volte-face, les Judéens se virent combattus de front et de dos. Ils firent appel à Yahvé, les prêtres sonnèrent de la trompette,

2 Chroniques 13, 15 les hommes de Juda poussèrent le cri de guerre, et, tandis qu'ils poussaient ce cri, Dieu frappa Jéroboam et tout Israël devant Abiyya et Juda.

2 Chroniques 13, 16 Les Israélites s'enfuirent devant Juda et Dieu les livra aux mains des Judéens.

2 Chroniques 13, 17 Abiyya et son armée leur infligèrent une cuisante défaite: 500.000 hommes d'élite tombèrent morts parmi les Israélites.

2 Chroniques 13, 18 En ce temps-là, les Israélites furent humiliés, les enfants de Juda raffermis pour s'être appuyés sur Yahvé, Dieu de leurs pères.

2 Chroniques 13, 19 Abiyya poursuivit Jéroboam et lui conquit des villes: Béthel et ses dépendances, Yeshana et ses dépendances, Ephrôn et ses dépendances.

2 Chroniques 13, 20 Jéroboam perdit alors sa puissance durant la vie d'Abiyyahu; Yahvé le frappa et il mourut.

2 Chroniques 13, 21 Abiyyahu s'affermit; il épousa quatorze femmes et engendra 22 fils et seize filles.

2 Chroniques 13, 22 Le reste de l'histoire d'Abiyya, sa conduite et ses actions sont écrits dans le Midrash du prophète Iddo.

2 Chroniques 13, 23 Puis Abiyya se coucha avec ses pères et on l'enterra dans la Cité de David; son fils Asa régna à sa place. Le pays, de son temps, fut tranquille pendant dix ans.

2 Chroniques 14, 1 Asa fit ce qui est bien et juste aux yeux de Yahvé, son Dieu.

2 Chroniques 14, 2 Il supprima les autels de l'étranger et les hauts lieux, il brisa les stèles, mit en pièces les ashéras

2 Chroniques 14, 3 et dit aux Judéens de rechercher Yahvé, le Dieu de leurs pères, et de pratiquer loi et commandement.

2 Chroniques 14, 4 Il supprima de toutes les villes de Juda les hauts lieux et les autels à encens. Aussi le royaume fut-il calme sous son règne;

2 Chroniques 14, 5 il restaura les villes fortifiées de Juda, car le pays était calme et ne participa à aucune guerre en ces années-là, Yahvé lui ayant donné la tranquillité.

2 Chroniques 14, 6 "Restaurons ces villes, dit-il à Juda, entourons-les d'un mur, de tours, de portes et de barres; le pays est encore à notre disposition car nous avons cherché Yahvé, notre Dieu; aussi nous a-t-il recherchés et nous a-t-il donné la tranquillité sur toutes nos frontières." Ils restaurèrent et prospérèrent.

2 Chroniques 14, 7 Asa disposa d'une armée de 300.000 Judéens, portant le bouclier et la lance, et de 280.000 Benjaminites portant la rondache et tirant de l'arc, tous preux valeureux.

2 Chroniques 14, 8 Zérah le Kushite fit une incursion avec une armée de mille milliers et de 300 chars, et il atteignit Maresha.

2 Chroniques 14, 9 Asa sortit à sa rencontre et se rangea en bataille dans la vallée de Cephata, à Maresha.

2 Chroniques 14, 10 Asa invoqua Yahvé son Dieu et dit: "Il n'en est point comme toi, Yahvé, pour secourir le puissant aussi bien que celui qui est sans force. Porte-nous secours, Yahvé notre Dieu! C'est sur toi que nous nous appuyons et c'est en ton nom que nous nous heurtons à cette foule. Yahvé, tu es notre Dieu. Que le mortel ne te résiste pas!"

2 Chroniques 14, 11 Yahvé battit les Kushites devant Asa et les Judéens: les Kushites s'enfuirent

2 Chroniques 14, 12 et Asa les poursuivit avec son armée jusqu'à Gérar. Il tomba tant de Kushites qu'ils ne purent subsister, car ils s'étaient brisés devant Yahvé et son camp. On ramassa une grande quantité de butin,

2 Chroniques 14, 13 on conquit toutes les villes aux alentours de Gérar, car la Terreur de Yahvé s'était appesantie sur elles, et on les pilla toutes, car il s'y trouvait beaucoup de butin.

2 Chroniques 14, 14 On s'en prit même aux tentes des troupeaux et l'on razzia nombre de moutons et de chameaux, puis l'on revint à Jérusalem.

2 Chroniques 15, 1 L'esprit de Dieu vint sur Azaryahu, fils d'Oded,

2 Chroniques 15, 2 qui sortit au-devant d'Asa. Il lui dit: "Asa, et vous tous, de Juda et de Benjamin, écoutez-moi! Yahvé est avec vous quand vous êtes avec lui. Quand vous le recherchez il se laisse trouver par vous, quand vous l'abandonnez il vous abandonne.

2 Chroniques 15, 3 Israël passera bien des jours sans Dieu fidèle, sans prêtre pour l'enseigner, et sans loi;

2 Chroniques 15, 4 mais dans sa détresse il reviendra à Yahvé, Dieu d'Israël, il le recherchera et Yahvé se laissera trouver par lui.

2 Chroniques 15, 5 En ce temps-là, aucun adulte ne connaîtra la paix, mais des tribulations multiples pèseront sur tous les habitants du pays.

2 Chroniques 15, 6 Les nations s'écraseront l'une contre l'autre, les villes l'une contre l'autre, car Dieu les frappera par toutes sortes de détresses.

2 Chroniques 15, 7 Mais vous, soyez fermes et que vos mains ne faiblissent point, car vos actions auront leur récompense."

2 Chroniques 15, 8 Quand Asa entendit ces paroles et cette prophétie, il se décida à faire disparaître les horribles idoles de tout le pays de Juda et de Benjamin et des villes qu'il avait conquises dans la montagne d'Ephraïm, puis il remit en état l'autel de Yahvé qui se trouvait devant le Vestibule de Yahvé.

2 Chroniques 15, 9 Il réunit tout Juda et Benjamin, ainsi que les Ephraïmites, les Manassites et les Siméonites qui séjournaient avec eux, car beaucoup d'Israélites s'étaient ralliés à Asa en voyant que Yahvé, son Dieu, était avec lui.

2 Chroniques 15, 10 Le troisième mois de la quinzième année du règne d'Asa, ils se réunirent à Jérusalem.

2 Chroniques 15, 11 Ils offrirent en sacrifice à Yahvé, ce jour-là, une part du butin qu'ils rapportaient, 700 boeufs et 7.000 moutons.

2 Chroniques 15, 12 Ils s'engagèrent par une alliance à chercher Yahvé, le Dieu de leurs pères, de tout leur coeur et de toute leur âme;

2 Chroniques 15, 13 quiconque ne chercherait pas Yahvé, Dieu d'Israël, serait mis à mort, grand ou petit, homme ou femme.

2 Chroniques 15, 14 Ils prêtèrent serment à Yahvé à voix haute et par acclamation, au son des trompettes et des cors;

2 Chroniques 15, 15 tous les Judéens furent joyeux de ce serment qu'ils avaient prêté de tout leur coeur. C'est de plein gré qu'ils cherchèrent Yahvé. Aussi se laissa-t-il trouver par eux et leur donna-t-il la tranquillité sur toutes leurs frontières.

2 Chroniques 15, 16 Même Maaka, grand-mère du roi Asa, se vit retirer par lui la dignité de Grande Dame, parce qu'elle avait fait une horreur pour Ashéra; Asa abattit son horreur, la réduisit en poudre et la brûla dans la vallée du Cédron.

2 Chroniques 15, 17 Les hauts lieux ne disparurent pas d'Israël; pourtant le coeur d'Asa resta intègre toute sa vie.

2 Chroniques 15, 18 Il déposa dans le Temple de Dieu les saintes offrandes de son père et ses propres offrandes, de l'argent, de l'or et du mobilier.

2 Chroniques 15, 19 Il n'y eut point de guerre jusqu'à la trente-cinquième année du règne d'Asa.

2 Chroniques 16, 1 La trente-sixième année du règne d'Asa, Basha, roi d'Israël, marcha contre Juda; il fortifia Rama pour bloquer les communications d'Asa, roi de Juda.

2 Chroniques 16, 2 Alors Asa puisa de l'or et de l'argent dans les trésors du Temple de Yahvé et du palais royal pour en faire l'envoi à Ben-Hadad, le roi d'Aram, qui résidait à Damas, avec ce message:

2 Chroniques 16, 3 "Alliance entre moi et toi, entre mon père et ton père! Je t'envoie de l'argent et de l'or; va, romps ton alliance avec Basha, roi d'Israël, pour qu'il s'éloigne de moi!"

2 Chroniques 16, 4 Ben-Hadad exauça le roi Asa et envoya ses chefs d'armée contre les villes d'Israël; il conquit Iyyôn, Dan, Abel-Mayim et tous les entrepôts des villes de Nephtali.

2 Chroniques 16, 5 Quand Basha l'apprit, il arrêta les travaux de Rama et fit cesser l'ouvrage.

2 Chroniques 16, 6 Alors le roi Asa amena tout Juda; on enleva les pierres et le bois avec lesquels Basha fortifiait Rama, et on s'en servit pour fortifier Géba et Miçpa.

2 Chroniques 16, 7 C'est alors que Hanani le voyant vint trouver Asa, roi de Juda. Il lui dit: "Parce que tu t'es appuyé sur le roi d'Aram et non sur Yahvé ton Dieu, les forces du roi d'Aram échapperont à tes mains.

2 Chroniques 16, 8 Kushites et Libyens ne formaient-ils pas une armée nombreuse avec une grande multitude de chars et de chevaux? Or n'ont-ils pas été livrés entre tes mains parce que tu t'étais appuyé sur Yahvé?

2 Chroniques 16, 9 Puisque Yahvé parcourt des yeux toute la terre pour affermir ceux dont le coeur est tout entier tourné vers lui, tu as cette fois-ci agi en insensé et tu auras désormais la guerre."

2 Chroniques 16, 10 S'emportant contre le voyant, Asa le mit aux ceps en prison, car cela l'avait irrité; il prit en ce temps-là de dures mesures contre une partie du peuple.

2 Chroniques 16, 11 L'histoire d'Asa, du début à la fin, est écrite au livre des Rois de Juda et d'Israël.

2 Chroniques 16, 12 Asa eut les pieds malades, d'une maladie très grave dans la trente-neuvième année de son règne; même alors, il n'eut pas recours dans sa maladie à Yahvé mais aux médecins.

2 Chroniques 16, 13 Asa se coucha avec ses pères et mourut dans la quarante et unième année de son règne.

2 Chroniques 16, 14 On l'enterra dans le tombeau qu'il s'était fait creuser dans la Cité de David. On l'étendit sur un lit tout rempli d'aromates, d'essences et d'onguents préparés; l'on fit pour lui un feu tout à fait grandiose.

2 Chroniques 17, 1 Son fils Josaphat régna à sa place et affermit son pouvoir sur Israël.

2 Chroniques 17, 2 Il mit des troupes dans toutes les villes fortifiées de Juda et établit des préfets dans le pays de Juda et dans les villes d'Ephraïm qu'avait conquises Asa, son père.

2 Chroniques 17, 3 Yahvé fut avec Josaphat, car sa conduite fut celle qu'avait d'abord suivie son père et il ne rechercha pas les Baals.

2 Chroniques 17, 4 C'est bien le Dieu de son père qu'il rechercha, et il marcha selon ses commandements sans imiter les actions d'Israël.

2 Chroniques 17, 5 Yahvé maintint le royaume entre ses mains; tous les Judéens payaient tribut à Josaphat, si bien qu'il eut beaucoup de richesses et d'honneur.

2 Chroniques 17, 6 Son coeur progressa dans les voies de Yahvé et il supprima de nouveau en Juda les hauts lieux et les ashéras.

2 Chroniques 17, 7 La troisième année de son règne, il envoya ses officiers: Ben-Hayil, Obadya, Zekarya, Netanéel, Mikayahu, instruire les cités judéennes.

2 Chroniques 17, 8 Des lévites les accompagnaient: Shemayahu, Netanyahu, Zebadyahu, Asahel, Shemiramot, Yehonatân, Adoniyyahu, Tobiyyahu, lévites, ainsi que les prêtres Elishama et Yehoram.

2 Chroniques 17, 9 Ils se mirent à enseigner en Juda, munis du livre de la Loi de Yahvé, et firent le tour des cités judéennes, en instruisant le peuple.

2 Chroniques 17, 10 La Terreur de Yahvé s'étendit sur tous les royaumes des pays qui entouraient Juda; ils ne firent pas la guerre à Josaphat.

2 Chroniques 17, 11 Des Philistins lui apportèrent en tribut des présents et de l'argent; les Arabes eux-mêmes lui amenèrent du petit bétail: 7.700 béliers et 7.700 boucs.

2 Chroniques 17, 12 Josaphat grandissant allait au plus haut; il édifia en Juda des citadelles et des villes-entrepôts.

2 Chroniques 17, 13 Il eut d'importants services dans les cités judéennes et des guerriers, des vaillants preux, à Jérusalem.

2 Chroniques 17, 14 En voici la répartition par familles: Pour Juda: officiers de milliers: Adna l'officier, avec 300 milliers de vaillants preux;

2 Chroniques 17, 15 à ses ordres, Yehohanân l'officier, avec 280 milliers;

2 Chroniques 17, 16 à ses ordres, Amasya, fils de Zikri, engagé volontaire au service de Yahvé, avec 200 milliers de vaillants preux.

2 Chroniques 17, 17 De Benjamin: le vaillant preux Elyada avec 200 milliers armés de l'arc et de la rondache;

2 Chroniques 17, 18 à ses ordres, Yehozabad, avec 180 milliers équipés pour la guerre.

2 Chroniques 17, 19 Tels étaient ceux qui servaient le roi, sans compter les hommes qu'il avait mis dans les places fortes de tout Juda.

2 Chroniques 18, 1 Josaphat eut donc beaucoup de richesses et d'honneur et il s'allia par mariage avec Achab.

2 Chroniques 18, 2 Au bout de quelques années, il vint visiter Achab à Samarie. Achab immola quantité de moutons et de boeufs pour lui et sa suite afin de l'inciter à attaquer Ramot de Galaad.

2 Chroniques 18, 3 Achab, roi d'Israël, dit à Josaphat, roi de Juda: "Viendras-tu avec moi à Ramot de Galaad?" Il lui répondit: "Il en sera de la bataille pour moi comme pour toi, pour mes gens comme pour tes gens."

2 Chroniques 18, 4 Cependant Josaphat dit au roi d'Israël: "Je te prie, consulte d'abord la parole de Yahvé."

2 Chroniques 18, 5 Le roi d'Israël rassembla les prophètes, au nombre de 400, et leur demanda: "Devons-nous aller attaquer Ramot de Galaad, ou dois-je y renoncer?" Ils répondirent: "Monte, Dieu la livrera aux mains du roi."

2 Chroniques 18, 6 Mais Josaphat dit: "N'y a-t-il donc ici aucun prophète de Yahvé, par qui nous puissions le consulter?"

2 Chroniques 18, 7 Le roi d'Israël répondit à Josaphat: "Il y a encore un homme par qui on peut consulter Yahvé, mais je le hais, car il ne prophétise jamais le bien à mon sujet, mais toujours du mal: c'est Michée, fils de Yimla." Josaphat dit: "Que le roi ne parle pas ainsi!"

2 Chroniques 18, 8 Le roi d'Israël appela un eunuque et dit: "Fais vite venir Michée, fils de Yimla."

2 Chroniques 18, 9 Le roi d'Israël et Josaphat, roi de Juda, étaient assis, chacun sur son trône, en grand costume; ils siégeaient sur l'aire devant la porte de Samarie et tous les prophètes se livraient à leurs transports devant eux.

2 Chroniques 18, 10 Sédécias, fils de Kenaana, se fit des cornes de fer et dit: "Ainsi parle Yahvé. Avec cela tu encorneras les Araméens jusqu'au dernier."

2 Chroniques 18, 11 Et tous les prophètes faisaient la même prédiction, disant: "Monte à Ramot de Galaad! Tu réussiras, Yahvé la livrera aux mains du roi."

2 Chroniques 18, 12 Le messager qui était allé chercher Michée lui dit: "Voici que les prophètes n'ont qu'une seule bouche pour parler en faveur du roi. Tâche de parler comme l'un d'eux et prédis le succès."

2 Chroniques 18, 13 Mais Michée répondit: "Par Yahvé vivant! Ce que mon Dieu dira, c'est cela que j'énoncerai."

2 Chroniques 18, 14 Il arriva près du roi, et le roi lui demanda: "Michée, devons-nous aller combattre à Ramot de Galaad, ou dois-je y renoncer?" Il répondit: "Montez! Vous réussirez, ses habitants seront livrés entre vos mains."

2 Chroniques 18, 15 Mais le roi lui dit: "Combien de fois me faudra-t-il t'adjurer de ne me dire que la vérité au nom de Yahvé?"

2 Chroniques 18, 16 Alors il prononça: "J'ai vu tout Israël dispersé sur les montagnes comme un troupeau sans pasteur. Et Yahvé a dit: ils n'ont plus de maître, que chacun retourne en paix chez soi!"

2 Chroniques 18, 17 Le roi d'Israël dit alors à Josaphat: "Ne t'avais-je pas dit qu'il prophétisait pour moi non le bien mais le mal?"

2 Chroniques 18, 18 Michée reprit: "Ecoutez plutôt la parole de Yahvé: j'ai vu Yahvé assis sur son trône; toute l'armée du ciel se tenait à sa droite et à sa gauche.

2 Chroniques 18, 19 Yahvé demanda: Qui trompera Achab, le roi d'Israël, pour qu'il marche contre Ramot de Galaad et qu'il y succombe? Ils répondirent celui-ci d'une manière et celui-là d'une autre.

2 Chroniques 18, 20 Alors l'Esprit s'avança et se tint devant Yahvé: C'est moi, dit-il, qui le tromperai. Yahvé lui demanda: Comment?

2 Chroniques 18, 21 Il répondit: J'irai et je me ferai esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. Yahvé dit: Tu le tromperas, tu réussiras. Va et fais ainsi.

2 Chroniques 18, 22 Voici donc que Yahvé a mis un esprit de mensonge dans la bouche de tes prophètes qui sont là, mais Yahvé a prononcé contre toi le malheur."

2 Chroniques 18, 23 Alors Sédécias, fils de Kenaana, s'approcha et frappa Michée à la mâchoire, en disant: "Par quelle voie l'esprit de Yahvé m'a-t-il quitté pour te parler?"

2 Chroniques 18, 24 Michée repartit: "C'est ce que tu verras le jour où tu fuiras dans une chambre retirée pour te cacher."

2 Chroniques 18, 25 Le roi d'Israël ordonna: "Saisissez Michée, et remettez-le à Amon, gouverneur de la ville, et au fils du roi, Yoash.

2 Chroniques 18, 26 Vous leur direz: Ainsi parle le roi. Mettez cet homme en prison et nourrissez-le strictement de pain et d'eau jusqu'à ce que je revienne sain et sauf."

2 Chroniques 18, 27 Michée dit: "Si tu reviens sain et sauf, c'est que Yahvé n'a pas parlé par ma bouche."

2 Chroniques 18, 28 Le roi d'Israël et Josaphat, roi de Juda, marchèrent contre Ramot de Galaad.

2 Chroniques 18, 29 Le roi d'Israël dit à Josaphat: "Je me déguiserai pour marcher au combat, mais toi, revêts ton costume!" Le roi d'Israël se déguisa et ils marchèrent au combat.

2 Chroniques 18, 30 Le roi d'Aram avait donné cet ordre à ses commandants de chars: "Vous n'attaquerez ni petit ni grand, mais seulement le roi d'Israël."

2 Chroniques 18, 31 Lorsque les commandants de chars virent Josaphat, ils dirent: "C'est le roi d'Israël", et ils concentrèrent sur lui le combat; mais Josaphat poussa son cri de guerre, Yahvé lui vint en aide et Dieu les entraîna loin de lui.

2 Chroniques 18, 32 Lorsque les commandants de chars virent que ce n'était pas le roi d'Israël, ils s'éloignèrent de lui.

2 Chroniques 18, 33 Or un homme banda son arc sans savoir qui il visait et atteignit le roi d'Israël entre le corselet et les appliques de la cuirasse. Celui-ci dit au charrier: "Tourne bride et fais-moi sortir de la mêlée, car je me sens mal."

2 Chroniques 18, 34 Mais le combat se fit plus violent ce jour-là; le roi d'Israël, jusqu'au soir, resta debout sur son char en face des Araméens et, au coucher du soleil, il mourut.

2 Chroniques 19, 1 Josaphat retourna sain et sauf chez lui, à Jérusalem.

2 Chroniques 19, 2 Jéhu, fils de Hanani le voyant, sortit à sa rencontre et dit au roi Josaphat: "Porte-t-on secours au méchant? Aimerais-tu ceux qui haïssent Yahvé, pour attirer ainsi sur toi sa colère?

2 Chroniques 19, 3 Néanmoins, on a trouvé en toi quelque chose de bon, car tu as extirpé du pays les ashéras et tu as disposé ton coeur à la recherche de Dieu."

2 Chroniques 19, 4 Josaphat, roi de Juda, après un séjour à Jérusalem, repartit à travers son peuple depuis Bersabée jusqu'à la montagne d'Ephraïm, afin de le ramener à Yahvé, le Dieu de ses pères.

2 Chroniques 19, 5 Il établit des juges dans le pays pour toutes les villes fortifiées de Juda, dans chaque ville.

2 Chroniques 19, 6 Il dit à ces juges: "Soyez attentifs à ce que vous faites, car vous ne jugez pas au nom des hommes mais de Yahvé, lui qui est avec vous quand vous prononcez une sentence.

2 Chroniques 19, 7 Que la crainte de Yahvé pèse maintenant sur vous! Prenez garde à ce que vous faites, car Yahvé notre Dieu ne consent ni aux fraudes, ni aux privilèges, ni aux cadeaux acceptés."

2 Chroniques 19, 8 En outre, Josaphat établit à Jérusalem des prêtres, des lévites et des chefs de famille israélites, pour promulguer les sentences de Yahvé et juger les procès. Ils habitaient Jérusalem

2 Chroniques 19, 9 et Josaphat leur donna ainsi ses prescriptions: "Vous remplirez de telles fonctions dans la crainte de Yahvé, dans la fidélité et l'intégrité du coeur.

2 Chroniques 19, 10 Quel que soit le procès qu'introduiront devant vous vos frères établis dans leurs villes: affaire de meurtre, de contestation sur la Loi, sur un commandement, sur des décrets ou des coutumes, vous les éclairerez pour qu'ils ne se rendent point coupables devant Yahvé et que sa colère n'éclate pas contre vous et vos frères; en agissant ainsi vous ne serez point coupables.

2 Chroniques 19, 11 Voici qu'Amaryahu, le premier prêtre, vous contrôlera pour toute affaire de Yahvé et Zebadyahu, fils de Yishmaël, chef de la maison de Juda, pour toute affaire royale. Les lévites vous serviront de scribes. Soyez fermes, mettez cela en pratique, et Yahvé sera là avec le bonheur."

2 Chroniques 20, 1 Après cela les Moabites et les Ammonites, accompagnés de Méûnites, s'en vinrent combattre Josaphat.

2 Chroniques 20, 2 On vint en informer Josaphat en ces termes: "Une foule immense s'avance contre toi d'au-delà de la mer, d'Edom; la voici à Haçaçôn-Tamar, c'est-à-dire En-Gaddi."

2 Chroniques 20, 3 Josaphat prit peur et se tourna vers Yahvé. Il s'adressa à lui et proclama un jeûne pour tout Juda.

2 Chroniques 20, 4 Les Judéens se rassemblèrent pour chercher secours auprès de Yahvé; ce sont même toutes les cités judéennes qui vinrent chercher secours auprès de Yahvé.

2 Chroniques 20, 5 Lors de cette Assemblée des Judéens et des Hiérosolymites dans le Temple de Yahvé, Josaphat se tint debout devant le nouveau parvis

2 Chroniques 20, 6 et s'écria: "Yahvé, Dieu de nos pères, n'est-ce pas toi le Dieu qui est dans les cieux? N'est-ce pas toi qui domines sur tous les royaumes des nations? Dans ta main sont la force et la puissance, et nul ne peut tenir contre toi.

2 Chroniques 20, 7 N'est-ce pas toi qui es notre Dieu, toi qui, devant Israël ton peuple, as dépossédé les habitants de ce pays? Ne l'as-tu pas donné à la race d'Abraham que tu aimeras éternellement?

2 Chroniques 20, 8 Ils s'y sont établis et y ont construit un sanctuaire à ton Nom en disant:

2 Chroniques 20, 9 Si le malheur s'abat sur nous, guerre, punition, peste, ou famine, nous nous tiendrons devant ce Temple et devant toi, car ton Nom est dans ce Temple. Du fond de notre détresse nous crierons vers toi, tu nous entendras et tu nous sauveras.

2 Chroniques 20, 10 Vois à cette heure les Ammonites, Moab et les montagnards de Séïr; tu n'as pas laissé Israël les envahir lorsqu'il venait du pays d'Egypte, il s'est au contraire écarté d'eux sans les détruire;

2 Chroniques 20, 11 Or voici qu'ils nous récompensent en venant nous chasser des possessions que tu nous as léguées.

2 Chroniques 20, 12 O notre Dieu, n'en feras-tu pas justice, car nous sommes sans force devant cette foule immense qui nous attaque. Nous, nous ne savons que faire, aussi est-ce sur toi que se portent nos regards."

2 Chroniques 20, 13 Tous les Judéens se tenaient debout en présence de Yahvé, et même leurs familles, leurs femmes et leurs fils.

2 Chroniques 20, 14 Au milieu de l'Assemblée, l'Esprit de Yahvé fut sur Yahaziel, fils de Zekaryahu, fils de Benaya, fils de Yeïel, fils de Mattanya le lévite, l'un des fils d'Asaph.

2 Chroniques 20, 15 Il s'écria: "Prêtez l'oreille, vous tous Judéens et habitants de Jérusalem, et toi, roi Josaphat! Ainsi vous parle Yahvé: Ne craignez pas, ne vous effrayez pas devant cette foule immense; ce combat n'est pas le vôtre mais celui de Dieu.

2 Chroniques 20, 16 Descendez demain contre eux: voici qu'ils empruntent la montée de Ciç et vous les rencontrerez à l'extrémité de la vallée, près du désert de Yeruel.

2 Chroniques 20, 17 Vous n'aurez pas à y combattre. Tenez-vous là, prenez position, vous verrez le salut que Yahvé vous réserve. Juda et Jérusalem, ne craignez pas, ne vous effrayez pas, partez demain à leur rencontre et Yahvé sera avec vous."

2 Chroniques 20, 18 Josaphat s'inclina, la face contre terre, tous les Judéens et les habitants de Jérusalem se prosternèrent devant Yahvé pour l'adorer.

2 Chroniques 20, 19 Les lévites -- des Qehatites et des Coréites -- se mirent alors à louer Yahvé, Dieu d'Israël, à pleine voix.

2 Chroniques 20, 20 De grand matin, ils se levèrent et partirent pour le désert de Teqoa. A leur départ, Josaphat, debout, s'écria: "Ecoutez-moi, Judéens et habitants de Jérusalem! Croyez en Yahvé votre Dieu et vous vous maintiendrez, croyez en ses prophètes et vous réussirez."

2 Chroniques 20, 21 Puis, après avoir tenu conseil avec le peuple, il plaça au départ, devant les guerriers, les chantres de Yahvé qui le louaient, vêtus d'ornements sacrés, en disant: "Louez Yahvé, car éternel est son amour."

2 Chroniques 20, 22 Au moment où ils entonnaient l'exaltation et la louange, Yahvé tendit une embuscade contre les Ammonites, Moab et les montagnards de Séïr qui attaquaient Juda, et qui se virent alors battus.

2 Chroniques 20, 23 Les Ammonites et les Moabites se dressèrent contre les habitants de la montagne de Séïr pour les vouer à l'anathème et les anéantir, mais en exterminant les habitants de Séïr ils ne s'entraidaient que pour leur propre perte.

2 Chroniques 20, 24 Les Judéens atteignaient le point d'où l'on a vue sur le désert et allaient faire face à la foule, quand il n'y avait déjà plus que cadavres à terre et aucun rescapé.

2 Chroniques 20, 25 Josaphat vint avec son armée razzier du butin; l'on y trouva en abondance du bétail, des biens, des vêtements et des objets précieux; ils en ramassèrent plus qu'ils n'en pouvaient porter et ils passèrent trois jours à razzier ce butin tant il était abondant.

2 Chroniques 20, 26 Le quatrième jour, ils se rassemblèrent dans la vallée de Beraka; ils y bénirent en effet Yahvé, d'où le nom de vallée de Beraka donné à ce lieu jusqu'à nos jours.

2 Chroniques 20, 27 Puis tous les hommes de Juda et de Jérusalem revinrent tout joyeux à Jérusalem, avec Josaphat à leur tête, car Yahvé les avait réjouis aux dépens de leurs ennemis.

2 Chroniques 20, 28 Ils entrèrent à Jérusalem, dans le Temple de Yahvé, au son des lyres, des cithares et des trompettes,

2 Chroniques 20, 29 et la terreur de Dieu s'abattit sur tous les royaumes des pays quand ils apprirent que Yahvé avait combattu les ennemis d'Israël.

2 Chroniques 20, 30 Le règne de Josaphat fut calme et Dieu lui donna la tranquillité sur toutes ses frontières.

2 Chroniques 20, 31 Josaphat régna sur Juda; il avait 35 ans à son avènement et il régna 25 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Azuba, fille de Shilhi.

2 Chroniques 20, 32 Il suivit la conduite de son père Asa sans dévier, faisant ce qui est juste au regard de Yahvé.

2 Chroniques 20, 33 Cependant les hauts lieux ne disparurent pas et le peuple continua à ne pas fixer son coeur dans le Dieu de ses pères.

2 Chroniques 20, 34 Le reste de l'histoire de Josaphat, du début à la fin, se trouve écrit dans les Actes de Jéhu, fils de Hanani, qui ont été portés sur le livre des Rois d'Israël.

2 Chroniques 20, 35 Après quoi, Josaphat, roi de Juda, se lia à Ochozias, roi d'Israël. C'est celui-ci qui le poussa à mal faire.

2 Chroniques 20, 36 Il s'associa avec lui pour construire des navires à destination de Tarsis; c'est à Eçyôn-Géber qu'ils les construisirent.20, 1 Après cela les Moabites et les Ammonites, accompagnés de Méûnites, s'en vinrent combattre Josaphat.

2 Chroniques 20, 2 On vint en informer Josaphat en ces termes: "Une foule immense s'avance contre toi d'au-delà de la mer, d'Edom; la voici à Haçaçôn-Tamar, c'est-à-dire En-Gaddi."

2 Chroniques 20, 3 Josaphat prit peur et se tourna vers Yahvé. Il s'adressa à lui et proclama un jeûne pour tout Juda.

2 Chroniques 20, 4 Les Judéens se rassemblèrent pour chercher secours auprès de Yahvé; ce sont même toutes les cités judéennes qui vinrent chercher secours auprès de Yahvé.

2 Chroniques 20, 5 Lors de cette Assemblée des Judéens et des Hiérosolymites dans le Temple de Yahvé, Josaphat se tint debout devant le nouveau parvis

2 Chroniques 20, 6 et s'écria: "Yahvé, Dieu de nos pères, n'est-ce pas toi le Dieu qui est dans les cieux? N'est-ce pas toi qui domines sur tous les royaumes des nations? Dans ta main sont la force et la puissance, et nul ne peut tenir contre toi.

2 Chroniques 20, 7 N'est-ce pas toi qui es notre Dieu, toi qui, devant Israël ton peuple, as dépossédé les habitants de ce pays? Ne l'as-tu pas donné à la race d'Abraham que tu aimeras éternellement?

2 Chroniques 20, 8 Ils s'y sont établis et y ont construit un sanctuaire à ton Nom en disant:

2 Chroniques 20, 9 Si le malheur s'abat sur nous, guerre, punition, peste, ou famine, nous nous tiendrons devant ce Temple et devant toi, car ton Nom est dans ce Temple. Du fond de notre détresse nous crierons vers toi, tu nous entendras et tu nous sauveras.

2 Chroniques 20, 10 Vois à cette heure les Ammonites, Moab et les montagnards de Séïr; tu n'as pas laissé Israël les envahir lorsqu'il venait du pays d'Egypte, il s'est au contraire écarté d'eux sans les détruire;

2 Chroniques 20, 11 Or voici qu'ils nous récompensent en venant nous chasser des possessions que tu nous as léguées.

2 Chroniques 20, 12 O notre Dieu, n'en feras-tu pas justice, car nous sommes sans force devant cette foule immense qui nous attaque. Nous, nous ne savons que faire, aussi est-ce sur toi que se portent nos regards."

2 Chroniques 20, 13 Tous les Judéens se tenaient debout en présence de Yahvé, et même leurs familles, leurs femmes et leurs fils.

2 Chroniques 20, 14 Au milieu de l'Assemblée, l'Esprit de Yahvé fut sur Yahaziel, fils de Zekaryahu, fils de Benaya, fils de Yeïel, fils de Mattanya le lévite, l'un des fils d'Asaph.

2 Chroniques 20, 15 Il s'écria: "Prêtez l'oreille, vous tous Judéens et habitants de Jérusalem, et toi, roi Josaphat! Ainsi vous parle Yahvé: Ne craignez pas, ne vous effrayez pas devant cette foule immense; ce combat n'est pas le vôtre mais celui de Dieu.

2 Chroniques 20, 16 Descendez demain contre eux: voici qu'ils empruntent la montée de Ciç et vous les rencontrerez à l'extrémité de la vallée, près du désert de Yeruel.

2 Chroniques 20, 17 Vous n'aurez pas à y combattre. Tenez-vous là, prenez position, vous verrez le salut que Yahvé vous réserve. Juda et Jérusalem, ne craignez pas, ne vous effrayez pas, partez demain à leur rencontre et Yahvé sera avec vous."

2 Chroniques 20, 18 Josaphat s'inclina, la face contre terre, tous les Judéens et les habitants de Jérusalem se prosternèrent devant Yahvé pour l'adorer.

2 Chroniques 20, 19 Les lévites -- des Qehatites et des Coréites -- se mirent alors à louer Yahvé, Dieu d'Israël, à pleine voix.

2 Chroniques 20, 20 De grand matin, ils se levèrent et partirent pour le désert de Teqoa. A leur départ, Josaphat, debout, s'écria: "Ecoutez-moi, Judéens et habitants de Jérusalem! Croyez en Yahvé votre Dieu et vous vous maintiendrez, croyez en ses prophètes et vous réussirez."

2 Chroniques 20, 21 Puis, après avoir tenu conseil avec le peuple, il plaça au départ, devant les guerriers, les chantres de Yahvé qui le louaient, vêtus d'ornements sacrés, en disant: "Louez Yahvé, car éternel est son amour."

2 Chroniques 20, 22 Au moment où ils entonnaient l'exaltation et la louange, Yahvé tendit une embuscade contre les Ammonites, Moab et les montagnards de Séïr qui attaquaient Juda, et qui se virent alors battus.

2 Chroniques 20, 23 Les Ammonites et les Moabites se dressèrent contre les habitants de la montagne de Séïr pour les vouer à l'anathème et les anéantir, mais en exterminant les habitants de Séïr ils ne s'entraidaient que pour leur propre perte.

2 Chroniques 20, 24 Les Judéens atteignaient le point d'où l'on a vue sur le désert et allaient faire face à la foule, quand il n'y avait déjà plus que cadavres à terre et aucun rescapé.

2 Chroniques 20, 25 Josaphat vint avec son armée razzier du butin; l'on y trouva en abondance du bétail, des biens, des vêtements et des objets précieux; ils en ramassèrent plus qu'ils n'en pouvaient porter et ils passèrent trois jours à razzier ce butin tant il était abondant.

2 Chroniques 20, 26 Le quatrième jour, ils se rassemblèrent dans la vallée de Beraka; ils y bénirent en effet Yahvé, d'où le nom de vallée de Beraka donné à ce lieu jusqu'à nos jours.

2 Chroniques 20, 27 Puis tous les hommes de Juda et de Jérusalem revinrent tout joyeux à Jérusalem, avec Josaphat à leur tête, car Yahvé les avait réjouis aux dépens de leurs ennemis.

2 Chroniques 20, 28 Ils entrèrent à Jérusalem, dans le Temple de Yahvé, au son des lyres, des cithares et des trompettes,

2 Chroniques 20, 29 et la terreur de Dieu s'abattit sur tous les royaumes des pays quand ils apprirent que Yahvé avait combattu les ennemis d'Israël.

2 Chroniques 20, 30 Le règne de Josaphat fut calme et Dieu lui donna la tranquillité sur toutes ses frontières.

2 Chroniques 20, 31 Josaphat régna sur Juda; il avait 35 ans à son avènement et il régna 25 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Azuba, fille de Shilhi.

2 Chroniques 20, 32 Il suivit la conduite de son père Asa sans dévier, faisant ce qui est juste au regard de Yahvé.

2 Chroniques 20, 33 Cependant les hauts lieux ne disparurent pas et le peuple continua à ne pas fixer son coeur dans le Dieu de ses pères.

2 Chroniques 20, 34 Le reste de l'histoire de Josaphat, du début à la fin, se trouve écrit dans les Actes de Jéhu, fils de Hanani, qui ont été portés sur le livre des Rois d'Israël.

2 Chroniques 20, 35 Après quoi, Josaphat, roi de Juda, se lia à Ochozias, roi d'Israël. C'est celui-ci qui le poussa à mal faire.

2 Chroniques 20, 36 Il s'associa avec lui pour construire des navires à destination de Tarsis; c'est à Eçyôn-Géber qu'ils les construisirent.

2 Chroniques 20, 37 Eliézer, fils de Dodavahu de Maresha, prophétisa alors contre Josaphat: "Parce que tu t'es associé à Ochozias, dit-il, Yahvé a fait une brèche dans tes oeuvres." Les navires se brisèrent et ne furent pas en mesure de partir pour Tarsis.

2 Chroniques 21, 1 Josaphat se coucha avec ses pères et on l'enterra avec eux dans la Cité de David; son fils Joram régna à sa place.

2 Chroniques 21, 2 Joram avait des frères, fils de Josaphat: Azarya, Yehiel, Zekaryahu, Azaryahu, Mikaël et Shephatyahu; ce sont là tous les fils de Josaphat, roi d'Israël.

2 Chroniques 21, 3 Leur père leur avait fait de multiples dons en argent, en or, en joyaux et en villes fortifiées de Juda, mais il avait laissé la royauté à Joram, car c'était l'aîné.

2 Chroniques 21, 4 Joram put s'établir à la tête du royaume de son père, puis, s'étant affermi, il fit passer au fil de l'épée tous ses frères, plus quelques officiers d'Israël.

2 Chroniques 21, 5 Joram avait 32 ans à son avènement et il régna huit ans à Jérusalem.

2 Chroniques 21, 6 Il imita la conduite des rois d'Israël, comme avait fait la maison d'Achab, car il avait épousé une fille d'Achab; et il fit ce qui déplaît à Yahvé.

2 Chroniques 21, 7 Cependant Yahvé ne voulut pas détruire la maison de David à cause de l'alliance qu'il avait conclue avec lui et selon la promesse qu'il lui avait faite de lui laisser toujours une lampe ainsi qu'à ses fils.

2 Chroniques 21, 8 De son temps, Edom s'affranchit de la domination de Juda et se donna un roi.

2 Chroniques 21, 9 Joram passa la frontière, et avec lui ses officiers et tous ses chars. Il se leva de nuit, et força la ligne des Edomites qui l'encerclaient, et les commandants de chars avec lui.

2 Chroniques 21, 10 Ainsi Edom s'affranchit de la domination de Juda, jusqu'à ce jour. C'est aussi l'époque où Libna s'affranchit de sa domination. Il avait en effet abandonné Yahvé, le Dieu de ses pères.

2 Chroniques 21, 11 C'est aussi lui qui institua des hauts lieux sur les montagnes de Juda, qui fit se prostituer les habitants de Jérusalem et s'égarer les Judéens.

2 Chroniques 21, 12 Un écrit du prophète Elie lui parvint alors, qui disait: "Ainsi parle Yahvé, le Dieu de ton père David. Parce que tu n'as pas suivi la conduite de Josaphat ton père, ni celle d'Asa, roi de Juda,

2 Chroniques 21, 13 mais parce que tu as suivi la conduite des rois d'Israël et que tu es cause de la prostitution des Judéens et des habitants de Jérusalem, comme l'a été la maison d'Achab, et parce que tu as en outre assassiné tes frères, ta famille, qui étaient meilleurs que toi,

2 Chroniques 21, 14 Yahvé va frapper d'un grand désastre ton peuple et tes fils, tes femmes et tous tes biens.

2 Chroniques 21, 15 Toi-même tu seras frappé de graves maladies, d'un mal d'entrailles tel que par cette maladie, jour après jour, tu te videras de tes entrailles."

2 Chroniques 21, 16 Yahvé excita contre Joram l'animosité des Philistins et des Arabes voisins des Kushites.

2 Chroniques 21, 17 Ils attaquèrent Juda, y pénétrèrent, et razzièrent tous les biens qui se trouvaient appartenir à la maison du roi, et même ses fils et ses femmes, et il ne lui resta plus d'autre fils qu'Ochozias, le plus petit d'entre eux.

2 Chroniques 21, 18 Après tout cela, Yahvé le frappa d'une maladie d'entrailles incurable;

2 Chroniques 21, 19 cela arriva jour après jour, et vers la fin de la deuxième année, il se vida de ses entrailles et mourut dans de cruelles souffrances. Le peuple ne lui fit pas de feux comme il en avait fait pour ses pères.

2 Chroniques 21, 20 Il avait 32 ans à son avènement et régna huit ans à Jérusalem. Il s'en alla sans laisser de regrets et on l'enterra dans la Cité de David, mais non dans les sépultures royales.

2 Chroniques 22, 1 Les habitants de Jérusalem firent roi à sa place Ochozias, son plus jeune fils, car la troupe qui, avec les Arabes, avait fait incursion dans le camp, avait assassiné les aînés. Ainsi Ochozias, fils de Joram, devint roi de Juda.

2 Chroniques 22, 2 Il avait 42 ans à son avènement et il régna un an à Jérusalem. Le nom de sa mère était Athalie, fille de Omri.

2 Chroniques 22, 3 Lui aussi imita la conduite de la maison d'Achab, car sa mère lui donnait de mauvais conseils.

2 Chroniques 22, 4 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, comme la famille d'Achab, car ce sont ces gens qui, pour sa perte, devinrent ses conseillers après la mort de son père.

2 Chroniques 22, 5 Il suivit en outre leur politique et alla avec Joram, fils d'Achab, roi d'Israël, pour combattre Hazaël, roi d'Aram, à Ramot de Galaad. Mais les Araméens blessèrent Joram;

2 Chroniques 22, 6 il revint à Yizréel pour faire soigner les blessures reçues à Ramot en combattant Hazaël, roi d'Aram. Ochozias, fils de Joram, roi de Juda, descendit à Yizréel, pour visiter Joram, fils d'Achab, parce qu'il était souffrant.

2 Chroniques 22, 7 Dieu fit de cette visite à Joram la perte d'Ochozias. A son arrivée, il sortit avec Joram à la rencontre de Jéhu, fils de Nimshi, oint par Yahvé pour en finir avec la maison d'Achab.

2 Chroniques 22, 8 Alors qu'il s'employait à faire justice de la maison d'Achab, Jéhu rencontra les officiers de Juda et les neveux d'Ochozias, ses serviteurs; il les tua,

2 Chroniques 22, 9 puis se mit à la recherche d'Ochozias. On se saisit de lui tandis qu'il essayait de se cacher dans Samarie et on l'amena à Jéhu, qui l'exécuta. Mais on l'ensevelit parce qu'on disait: "C'est le fils de Josaphat qui recherchait Yahvé de tout son coeur." Il n'y avait personne dans la maison d'Ochozias qui fût en mesure de régner.

2 Chroniques 22, 10 Lorsque la mère d'Ochozias, Athalie, eut appris que son fils était mort, elle entreprit d'exterminer toute la descendance royale de la maison de Juda.

2 Chroniques 22, 11 Mais Yehoshéba, fille du roi, retira furtivement Joas, fils d'Ochozias, du groupe des fils du roi qu'on massacrait et elle le mit, avec sa nourrice, dans la chambre des lits. Ainsi Yehoshéba, fille du roi Joram et femme du prêtre Yehoyada (et elle était soeur d'Ochozias), put le soustraire à Athalie et éviter qu'elle ne le tuât.

2 Chroniques 22, 12 Il resta six ans avec eux, caché dans le Temple de Dieu, pendant qu'Athalie régnait sur le pays.

2 Chroniques 23, 1 La septième année, Yehoyada se décida. Il envoya chercher les officiers de centaines, Azarya fils de Yeroham, Yishmaël fils de Yehohanân, Azaryahu fils d'Obed, Maaséyahu fils d'Adayahu, Elishaphat fils de Zikri, qui étaient liés à lui par un pacte.

2 Chroniques 23, 2 Ils parcoururent Juda, rassemblèrent les lévites de toutes les cités judéennes et les chefs de famille israélites. Ils vinrent à Jérusalem

2 Chroniques 23, 3 et toute cette Assemblée conclut un pacte avec le roi dans le Temple de Dieu. "Voici le fils du roi, leur dit Yehoyada. Qu'il règne, comme l'a déclaré Yahvé des fils de David!

2 Chroniques 23, 4 Voici ce que vous allez faire: tandis que le tiers d'entre vous, prêtres, lévites et portiers des seuils, entrera pour le sabbat,

2 Chroniques 23, 5 un tiers se trouvera au palais royal, un tiers à la porte du Fondement et tout le peuple dans les parvis du Temple de Yahvé.

2 Chroniques 23, 6 Que personne n'entre dans le Temple de Yahvé, sinon les prêtres et les lévites de service, car ils sont consacrés. Tout le peuple observera les ordonnances de Yahvé.

2 Chroniques 23, 7 Les lévites feront cercle autour du roi, chacun ses armes à la main, et ils accompagneront le roi partout où il ira; mais quiconque entrera dans le Temple sera mis à mort."

2 Chroniques 23, 8 Les lévites et tous les Judéens exécutèrent tout ce que leur avait ordonné le prêtre Yehoyada. Ils prirent chacun leurs hommes, ceux qui commençaient la semaine et ceux qui la terminaient, le prêtre Yehoyada n'ayant exempté aucune des classes.

2 Chroniques 23, 9 Puis le prêtre donna aux centeniers les lances, les rondaches et les boucliers du roi David, qui étaient dans le Temple de Dieu.

2 Chroniques 23, 10 Il rangea tout le peuple, chacun son arme à la main, depuis l'angle sud jusqu'à l'angle nord du Temple, entourant l'autel et le Temple pour faire cercle autour du roi.

2 Chroniques 23, 11 On fit alors sortir le fils du roi, on lui imposa le diadème et on lui donna le document d'alliance. Puis Yehoyada et ses fils lui donnèrent l'onction royale et s'écrièrent: "Vive le roi!"

2 Chroniques 23, 12 Entendant les cris du peuple qui se précipitait vers le roi et l'acclamait, Athalie se rendit auprès du peuple au Temple de Yahvé.

2 Chroniques 23, 13 Quand elle vit le roi debout sur l'estrade, à l'entrée, les chefs et les trompettes auprès du roi, tout le peuple du pays exultant de joie et sonnant de la trompette, les chantres avec les instruments de musique dirigeant le chant des hymnes, Athalie déchira ses vêtements et s'écria: "Trahison! Trahison!"

2 Chroniques 23, 14 Mais Yehoyada fit sortir les officiers de centaines, qui commandaient la troupe, et leur dit: "Faites-la sortir entre les rangs, et si quelqu'un la suit, qu'on le passe au fil de l'épée"; car le prêtre avait dit: "Ne la tuez pas dans le Temple de Yahvé."

2 Chroniques 23, 15 Ils mirent la main sur elle et, quand elle arriva au palais royal, à l'entrée de la porte des Chevaux, là ils la mirent à mort.

2 Chroniques 23, 16 Yehoyada conclut entre tout le peuple et le roi une alliance par laquelle le peuple s'obligeait à être le peuple de Yahvé.

2 Chroniques 23, 17 Tout le peuple se rendit ensuite au temple de Baal et le démolit; on brisa ses autels et ses images et on tua Mattân, prêtre de Baal, devant les autels.

2 Chroniques 23, 18 Yehoyada établit des postes de surveillance du Temple de Yahvé, confiés aux prêtres lévites. C'est à eux que David avait donné pour part le Temple de Yahvé afin d'offrir les holocaustes de Yahvé comme il est écrit dans la Loi de Moïse, dans la joie et avec des chants, selon les ordres de David.

2 Chroniques 23, 19 Il installa des portiers aux entrées du Temple de Yahvé pour qu'en aucun cas un homme impur n'y pénétrât.

2 Chroniques 23, 20 Puis il prit les centeniers, les notables, ceux qui avaient une autorité publique et tout le peuple du pays; et il fit descendre le roi du Temple de Yahvé. Ils entrèrent au palais royal par la voûte centrale de la Porte Supérieure, et ils firent asseoir le roi sur le trône royal.

2 Chroniques 23, 21 Tout le peuple du pays était en joie, mais la ville ne bougea pas. Quant à Athalie, on la fit périr par l'épée.

2 Chroniques 24, 1 Joas avait sept ans à son avènement et il régna 40 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Cibya, elle était de Bersabée.

2 Chroniques 24, 2 Joas fit ce qui est agréable à Yahvé tout le temps que vécut le prêtre Yehoyada,

2 Chroniques 24, 3 qui lui avait fait épouser deux femmes dont il eut des fils et des filles.

2 Chroniques 24, 4 Après quoi Joas désira restaurer le Temple de Yahvé.

2 Chroniques 24, 5 Il réunit les prêtres et les lévites et leur dit: "Partez dans les cités judéennes et recueillez auprès de tous les Israélites de l'argent pour réparer le Temple de votre Dieu, autant qu'il en faudra chaque année. Hâtez cette affaire." Mais les lévites ne se pressèrent pas.

2 Chroniques 24, 6 Alors le roi appela Yehoyada, le premier d'entre eux, et lui dit: "Pourquoi n'as-tu pas exigé des lévites qu'ils fassent rentrer de Juda et de Jérusalem le tribut de Moïse, serviteur de Yahvé et de l'assemblée d'Israël, pour la Tente du Témoignage?

2 Chroniques 24, 7 Athalie et ses fils qu'elle a pervertis ont endommagé le Temple de Dieu et ont même attribué aux Baals tous les revenus sacrés du Temple de Yahvé."

2 Chroniques 24, 8 Et le roi ordonna de faire un coffre, qu'ils mirent devant la porte du Temple de Yahvé.

2 Chroniques 24, 9 On proclama en Juda et à Jérusalem qu'il fallait apporter à Yahvé le tribut que Moïse, le serviteur de Dieu, avait imposé à Israël dans le désert.

2 Chroniques 24, 10 Tous les officiers et tout le peuple vinrent avec joie jeter leur dû dans le coffre jusqu'à paiement complet.

2 Chroniques 24, 11 Or, au moment d'apporter le coffre à l'administration royale qui était aux mains des lévites, ceux-ci virent qu'il y avait beaucoup d'argent; le secrétaire royal vint avec le préposé du premier prêtre; ils soulevèrent le coffre, l'emportèrent, puis le remirent en place. Ils firent ainsi chaque jour et recueillirent beaucoup d'argent.

2 Chroniques 24, 12 Le roi et Yehoyada le donnèrent au maître d'oeuvre attaché au service du Temple de Yahvé. Les salariés, maçons et charpentiers, se mirent à restaurer le Temple de Yahvé; des forgerons et des bronziers travaillèrent aussi à le réparer.

2 Chroniques 24, 13 Les maîtres d'oeuvre s'étant donc mis au travail, les réparations progressèrent entre leurs mains, ils réédifièrent le Temple de Dieu dans ses dimensions propres et le consolidèrent.

2 Chroniques 24, 14 Quand ils eurent terminé, ils apportèrent au roi et à Yehoyada le reste de l'argent; on en fabriqua du mobilier pour le Temple de Yahvé, vases pour le service et les holocaustes, coupes et objets d'or et d'argent. On put ainsi offrir l'holocauste perpétuel dans le Temple de Yahvé tout le temps que vécut Yehoyada.

2 Chroniques 24, 15 Puis Yehoyada vieillit et mourut rassasié de jours. Il avait 130 ans à sa mort

2 Chroniques 24, 16 et on l'ensevelit avec les rois dans la Cité de David, car il avait bien agi en Israël envers Dieu et son Temple.

2 Chroniques 24, 17 Après la mort de Yehoyada, les officiers de Juda vinrent se prosterner devant le roi, et cette fois le roi les écouta.

2 Chroniques 24, 18 Les Judéens abandonnèrent le Temple de Yahvé, Dieu de leurs pères, pour rendre un culte aux pieux sacrés et aux idoles. A cause de cette faute, la colère de Dieu s'abattit sur Juda et sur Jérusalem.

2 Chroniques 24, 19 Des prophètes leur furent envoyés pour les ramener à Yahvé; mais ils témoignèrent contre eux sans qu'ils prêtent l'oreille.

2 Chroniques 24, 20 L'Esprit de Dieu revêtit Zacharie, le fils du prêtre Yehoyada, qui se tint debout devant le peuple et lui dit: "Ainsi parle Dieu. Pourquoi transgressez-vous les commandements de Yahvé sans aboutir à rien? Parce que vous avez abandonné Yahvé, il vous abandonne."

2 Chroniques 24, 21 Ils se liguèrent alors contre lui et sur l'ordre du roi le lapidèrent sur le parvis du Temple de Yahvé.

2 Chroniques 24, 22 Le roi Joas, oubliant la générosité que lui avait témoignée Yehoyada, père de Zacharie, tua Zacharie son fils, qui en mourant s'écria: "Yahvé verra et demandera compte!"

2 Chroniques 24, 23 Or, au retour de l'année, l'armée araméenne partit en guerre contre Joas. Elle atteignit Juda et Jérusalem, extermina parmi la population tous les officiers et envoya toutes leurs dépouilles au roi de Damas.

2 Chroniques 24, 24 Certes, l'armée araméenne n'était venue qu'avec peu d'hommes, mais c'est une armée considérable que Yahvé livra entre ses mains pour l'avoir abandonné, lui, le Dieu de leurs pères. Les Araméens firent justice de Joas,

2 Chroniques 24, 25 et quand ils le quittèrent, le laissant gravement malade, ses serviteurs se conjurèrent contre lui pour venger le fils du prêtre Yehoyada et le tuèrent sur son lit. Il mourut et on l'ensevelit dans la Cité de David, mais non pas dans les sépultures royales.

2 Chroniques 24, 26 Voici les conjurés: Zabad fils de Shiméat l'Ammonite, Yehozabad fils de Shimrit la Moabite.

2 Chroniques 24, 27 Quant à ses fils, l'importance du tribut qui lui fut imposé et la restauration du Temple de Dieu, on trouvera cela consigné dans le Midrash du livre des Rois. Amasias, son fils, régna à sa place.

2 Chroniques 25, 1 Amasias devint roi à l'âge de 25 ans et régna 29 ans à Jérusalem. Sa mère s'appelait Yehoaddân, et était de Jérusalem.

2 Chroniques 25, 2 Il fit ce qui est agréable à Yahvé, non pas pourtant d'un coeur sans défaillance.

2 Chroniques 25, 3 Lorsque le royaume se fut affermi sous son gouvernement, il mit à mort ceux de ses officiers qui avaient tué le roi son père.

2 Chroniques 25, 4 Mais il ne fit pas mourir leurs fils, car il est écrit dans la Loi, dans le livre de Moïse, que Yahvé a prescrit: Les pères ne seront pas mis à mort pour les fils et les fils ne seront pas mis à mort pour les pères, mais chacun sera mis à mort pour son propre crime.

2 Chroniques 25, 5 Amasias réunit les Judéens et les constitua en familles avec officiers de milliers et de centaines pour tout Juda et Benjamin. Il recensa ceux qui avaient vingt ans et plus et il en trouva 300.000, hommes d'élite aptes à faire campagne, la lance et le bouclier au poing.

2 Chroniques 25, 6 Il enrôla ensuite comme mercenaires, pour cent talents d'argent, 100.000 preux vaillants d'Israël.

2 Chroniques 25, 7 Un homme de Dieu vint alors le trouver et lui dit: "O Roi, il ne faut pas que les troupes d'Israël viennent se joindre à toi, car Yahvé n'est ni avec Israël ni avec aucun des Ephraïmites.

2 Chroniques 25, 8 Car s'ils viennent, tu auras beau agir et combattre vaillamment, Dieu ne t'en fera pas moins trébucher devant tes ennemis, car c'est en Dieu qu'est le pouvoir de soutenir et d'abattre."

2 Chroniques 25, 9 Amasias répondit à l'homme de Dieu: "Quoi! Et les cent talents que j'ai donnés à la troupe d'Israélites" -- "Yahvé a de quoi te donner beaucoup plus que cela", dit l'homme de Dieu.

2 Chroniques 25, 10 Amasias détacha alors de la sienne la troupe qui lui était venue d'Ephraïm et la renvoya chez elle; ces gens furent très excités contre Juda et retournèrent chez eux fort en colère.

2 Chroniques 25, 11 Amasias se décida à partir à la tête de ses troupes, il gagna la vallée du Sel et battit 10.000 fils de Séïr.

2 Chroniques 25, 12 Les Judéens emmenèrent vivants 10.000 captifs qu'ils conduisirent au sommet de la Roche, d'où ils les précipitèrent; tous s'écrasèrent.

2 Chroniques 25, 13 Quant à la troupe qu'avait congédiée Amasias au lieu de l'emmener combattre avec lui, elle envahit les villes de Juda, de Samarie à Bet-Horôn, battit une troupe de trois milliers et fit un grand pillage.

2 Chroniques 25, 14 Une fois rentré de sa campagne victorieuse contre les Edomites, Amasias introduisit les dieux des fils de Séïr, en fit ses dieux, se prosterna devant eux et les encensa.

2 Chroniques 25, 15 La colère de Yahvé s'enflamma contre Amasias, il lui envoya un prophète qui lui dit: "Pourquoi recherches-tu les dieux de ce peuple, qui n'ont pu le sauver de ta main?"

2 Chroniques 25, 16 Il lui parlait encore qu'Amasias l'interrompit: "T'avons-nous nommé conseiller du roi? Arrête-toi, si tu ne veux pas qu'on te frappe." Le prophète s'arrêta, puis il dit: "Je sais que Dieu a tenu conseil pour ta perte, puisque tu as agi ainsi et que tu n'as pas écouté mon conseil."

2 Chroniques 25, 17 Après avoir tenu conseil, Amasias, roi de Juda, envoya dire à Joas, fils de Joachaz, fils de Jéhu, roi d'Israël: "Viens et mesurons-nous!"

2 Chroniques 25, 18 Joas, roi d'Israël, retourna ce message à Amasias, roi de Juda: "Le chardon du Liban manda ceci au cèdre du Liban: Donne ta fille pour femme à mon fils, mais les bêtes sauvages du Liban passèrent et foulèrent le chardon.

2 Chroniques 25, 19 Me voici vainqueur d'Edom, as-tu dit, et tu te montes la tête! Sois glorieux et reste maintenant chez toi. Pourquoi provoquer le malheur et amener ta chute et celle de Juda avec toi?"

2 Chroniques 25, 20 Mais Amasias n'écouta pas; c'était le fait de Dieu qui voulait livrer ces gens-là pour avoir recherché les dieux d'Edom.

2 Chroniques 25, 21 Joas, roi d'Israël, se mit en campagne. Ils se mesurèrent, lui et Amasias, roi de Juda, à Bet-Shémesh qui appartient à Juda.

2 Chroniques 25, 22 Juda fut battu devant Israël et chacun s'enfuit à sa tente.

2 Chroniques 25, 23 Quant au roi de Juda, Amasias, fils de Joas, fils d'Ochozias, le roi d'Israël Joas le fit prisonnier à Bet-Shémesh et l'emmena à Jérusalem. Il fit une brèche au rempart de Jérusalem, depuis la porte d'Ephraïm jusqu'à la porte de l'Angle, sur 400 coudées.

2 Chroniques 25, 24 Il prit tout l'or et l'argent, tout le mobilier qui se trouvait dans le Temple de Dieu chez Obed-Edom, les trésors du palais royal, des otages, et retourna à Samarie.

2 Chroniques 25, 25 Amasias, fils de Joas, roi de Juda, vécut encore quinze ans après la mort de Joas, fils de Joachaz, roi d'Israël.

2 Chroniques 25, 26 Le reste de l'histoire d'Amasias, du début à la fin, n'est-il pas écrit au livre des Rois de Juda et d'Israël?

2 Chroniques 25, 27 Après l'époque où Amasias se détourna de Yahvé, on trama contre lui un complot à Jérusalem; il s'enfuit vers Lakish, mais on le fit poursuivre à Lakish et mettre à mort là-bas.

2 Chroniques 25, 28 On le transporta avec des chevaux et on l'enterra auprès de ses pères dans la Cité de David.

2 Chroniques 26, 1 Tout le peuple de Juda choisit Ozias, qui avait seize ans, et le fit roi à la place de son père Amasias.

2 Chroniques 26, 2 C'est lui qui rebâtit Elat et la rendit à Juda, après que le roi se fut couché avec ses pères.

2 Chroniques 26, 3 Ozias avait seize ans à son avènement et il régna 52 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Yekolyahu et était de Jérusalem.

2 Chroniques 26, 4 Il fit ce qui est agréable à Yahvé, comme tout ce qu'avait fait son père Amasias;

2 Chroniques 26, 5 il s'appliqua à rechercher Dieu tant que vécut Zekaryahu, celui qui l'instruisait dans la crainte de Dieu. Tant qu'il chercha Yahvé, celui-ci le fit réussir.

2 Chroniques 26, 6 Il partit combattre les Philistins, démantela les murailles de Gat, celles de Yabné et d'Ashdod, puis restaura des villes dans la région d'Ashdod et chez les Philistins.

2 Chroniques 26, 7 Dieu l'aida contre les Philistins, les Arabes, les habitants de Gur-Baal et les Méûnites.

2 Chroniques 26, 8 Les Ammonites payèrent tribut à Ozias. Sa renommée s'étendit jusqu'au seuil de l'Egypte, car il était devenu extrêmement puissant.

2 Chroniques 26, 9 Ozias construisit des tours à Jérusalem, à la porte de l'Angle, à la porte de la Vallée, à l'Encoignure, et il les fortifia.

2 Chroniques 26, 10 Il construisit aussi des tours dans le désert et creusa de nombreuses citernes, car il disposait d'un cheptel abondant dans le Bas-Pays et sur le Plateau, de laboureurs et de vignerons dans les montagnes et les vergers; il avait en effet le goût de l'agriculture.

2 Chroniques 26, 11 Ozias eut une armée entraînée, prête à entrer en campagne, répartie en groupes recensés sous la surveillance du scribe Yeïel et du greffier Maaséyahu; elle était sous les ordres de Hananyahu, l'un des officiers royaux.

2 Chroniques 26, 12 Le nombre total des chefs de famille de ces preux vaillants était de 2.600.

2 Chroniques 26, 13 Ils avaient sous leurs ordres l'armée de campagne, soit 307.500 guerriers, d'une grande valeur militaire pour prêter main-forte au roi contre l'ennemi.

2 Chroniques 26, 14 A chaque campagne Ozias leur distribuait boucliers, lances, casques, cuirasses, arcs et pierres de fronde.

2 Chroniques 26, 15 Il fit faire à Jérusalem des engins inventés par les ingénieurs, à placer sur les tours et les saillants pour lancer des flèches et de grosses pierres. Son renom s'étendit au loin, et il dut sa puissance à un secours vraiment miraculeux.

2 Chroniques 26, 16 Quand il fut devenu puissant, son coeur s'enorgueillit jusqu'à le perdre: il prévariqua envers Yahvé son Dieu. Il vint dans la grande salle du Temple de Yahvé pour faire l'encensement sur l'autel des parfums.

2 Chroniques 26, 17 Le prêtre Azaryahu, ainsi que 80 vertueux prêtres de Yahvé, vinrent

2 Chroniques 26, 18 s'opposer au roi Ozias et lui dirent: "Ce n'est pas à toi, Ozias, d'encenser Yahvé, mais aux prêtres descendants d'Aaron consacrés à cet effet. Quitte le sanctuaire, car tu as prévariqué et tu n'as plus droit à la gloire qui vient de Yahvé Dieu."

2 Chroniques 26, 19 Ozias, tenant dans ses mains l'encensoir à parfum, s'emporta. Mais alors qu'il s'emportait contre les prêtres, la lèpre bourgeonna sur son front, en présence des prêtres, dans le Temple de Yahvé, près de l'autel des parfums!

2 Chroniques 26, 20 Azaryahu, premier prêtre, et tous les prêtres se tournèrent vers lui et lui virent la lèpre au front. Ils l'expulsèrent en hâte et il se hâta lui-même de sortir, car Yahvé l'avait frappé.

2 Chroniques 26, 21 Le roi Ozias fut affligé de la lèpre jusqu'au jour de sa mort. Il demeura confiné à la chambre, lépreux, vraiment exclu du Temple de Yahvé. Son fils Yotam était maître du palais et administrait le peuple du pays.

2 Chroniques 26, 22 Le reste de l'histoire d'Ozias, du début à la fin, a été écrit par le prophète Isaïe, fils d'Amoç.

2 Chroniques 26, 23 Puis Ozias se coucha avec ses pères et on l'enterra avec eux dans le terrain des sépultures royales, car on disait: "C'est un lépreux." Son fils Yotam devint roi à sa place.

2 Chroniques 27, 1 Yotam avait 25 ans à son avènement et il régna seize ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Yerusha, fille de Sadoq.

2 Chroniques 27, 2 Il fit ce qui est agréable à Yahvé, imitant en tout la conduite de son père Ozias. Seulement il n'entra pas dans le sanctuaire de Yahvé. Mais le peuple continua à se perdre.

2 Chroniques 27, 3 C'est lui qui construisit la Porte Supérieure du Temple de Yahvé, et fit de nombreux travaux au mur de l'Ophel.

2 Chroniques 27, 4 Il construisit des villes dans la montagne de Juda ainsi que des citadelles et des tours dans les terres labourables.

2 Chroniques 27, 5 Il combattit le roi des Ammonites. Il l'emporta sur eux et les Ammonites lui livrèrent cette année-là cent talents d'argent, 10.000 muids de froment et 10.000 d'orge. C'est cela que les Ammonites durent lui rendre; il en fut de même la seconde et la troisième année.

2 Chroniques 27, 6 Yotam devint puissant, car il se conduisait avec fermeté en présence de Yahvé son Dieu.

2 Chroniques 27, 7 Le reste de l'histoire de Yotam, toutes ses guerres et sa politique, est écrit dans le livre des rois d'Israël et de Juda.

2 Chroniques 27, 8 Il avait 25 ans à son avènement et il régna seize ans à Jérusalem.

2 Chroniques 27, 9 Puis Yotam se coucha avec ses pères, on l'enterra dans la Cité de David, et son fils Achaz devint roi à sa place.

2 Chroniques 28, 1 Achaz avait vingt ans à son avènement et il régna seize ans à Jérusalem. Il ne fit pas ce qui est agréable à Yahvé comme avait fait David son ancêtre.

2 Chroniques 28, 2 Il imita la conduite des rois d'Israël et même il fit fondre des idoles pour les Baals,

2 Chroniques 28, 3 il fit fumer des offrandes dans le val des fils de Hinnom et fit passer ses fils par le feu, selon les coutumes abominables des nations que Yahvé avait chassées devant les Israélites.

2 Chroniques 28, 4 Il offrit des sacrifices et de l'encens sur les hauts lieux, sur les collines et sous tout arbre verdoyant.

2 Chroniques 28, 5 Yahvé son Dieu le livra aux mains du roi des Araméens. Ceux-ci le battirent et lui enlevèrent de nombreux captifs qu'ils emmenèrent à Damas. Il fut livré aussi aux mains du roi d'Israël, qui lui infligea une lourde défaite.

2 Chroniques 28, 6 Péqah, fils de Remalyahu, tua en un seul jour 120.000 hommes en Juda, tous vaillants, pour avoir abandonné Yahvé, le Dieu de leurs pères.

2 Chroniques 28, 7 Zikri, héros éphraïmite, tua Maaséyahu, fils du roi, Azriqam, chef du palais, et Elqana, le lieutenant du roi.

2 Chroniques 28, 8 Les Israélites firent à leurs frères 200.000 prisonniers, femmes, fils et filles; ils razzièrent de plus un important butin et emmenèrent le tout à Samarie.

2 Chroniques 28, 9 Il y avait là un prophète de Yahvé nommé Oded. Il sortit au-devant des troupes qui arrivaient à Samarie et leur dit: "Voici que Yahvé, le Dieu de vos pères, a livré les Judéens entre vos mains parce qu'il était irrité contre eux, mais vous les avez massacrés avec une telle fureur que le ciel en est atteint.

2 Chroniques 28, 10 Et vous parlez maintenant de réduire les enfants de Juda et de Jérusalem à devenir vos serviteurs et vos servantes! Mais vous-mêmes, n'êtes-vous pas coupables envers Yahvé votre Dieu?

2 Chroniques 28, 11 Ecoutez-moi maintenant, rendez les prisonniers faits à vos frères, car l'ardente colère de Yahvé vous menace."

2 Chroniques 28, 12 Certains des chefs éphraïmites, Azaryahu fils de Yehohanân, Bérékyahu fils de Meshillemot, Yehizqiyyahu fils de Shallum, Amasa fils de Hadlaï, s'élevèrent alors contre ceux qui revenaient de l'expédition.

2 Chroniques 28, 13 Ils leur dirent: "Vous ne ferez pas entrer ici ces prisonniers, car c'est de nous rendre coupables envers Yahvé que vous parlez, c'est d'ajouter à nos péchés et à nos fautes, alors que notre culpabilité est énorme et qu'une ardente colère menace Israël."

2 Chroniques 28, 14 L'armée abandonna alors les prisonniers et le butin en présence des officiers et de toute l'assemblée.

2 Chroniques 28, 15 Des hommes, qui avaient été nominativement désignés, se mirent à réconforter les prisonniers. Prélevant sur le butin, ils habillèrent tous ceux qui étaient nus; ils les vêtirent, les chaussèrent, les nourrirent, les désaltérèrent et les abritèrent. Puis il les reconduisirent, les éclopés montés sur des ânes, et les amenèrent auprès de leurs frères à Jéricho, la ville des palmiers. Puis ils rentrèrent à Samarie.

2 Chroniques 28, 16 C'est alors que le roi Achaz envoya demander au roi d'Assyrie de lui porter secours.

2 Chroniques 28, 17 Les Edomites envahirent de nouveau Juda, le battirent et emmenèrent des prisonniers.

2 Chroniques 28, 18 Les Philistins se répandirent dans les villes du Bas-Pays et du Négeb de Juda. Ils prirent Bet-Shémesh, Ayyalôn, Gedérot, Soko et ses dépendances, Timna et ses dépendances, Gimzo et ses dépendances, et s'y établirent.

2 Chroniques 28, 19 Yahvé abaissa en effet Juda à cause d'Achaz, roi d'Israël, qui laissait aller Juda et était infidèle à Yahvé.

2 Chroniques 28, 20 Téglat-Phalasar, roi d'Assyrie, l'attaqua et l'assiégea sans pouvoir l'emporter;

2 Chroniques 28, 21 mais Achaz dut prélever une part des biens du Temple de Yahvé et des maisons royale et princières, pour les envoyer au roi d'Assyrie, sans recevoir secours de lui.

2 Chroniques 28, 22 Tandis qu'il était assiégé, il accrut son infidélité envers Yahvé, lui, le roi Achaz,

2 Chroniques 28, 23 en offrant des sacrifices aux dieux de Damas dont il était la victime: "Puisque les dieux des rois d'Aram leur prêtent main-forte, disait-il, je leur sacrifierai pour qu'ils m'aident." Mais ce furent eux qui causèrent sa chute, et celle de tout Israël.

2 Chroniques 28, 24 Achaz rassembla le mobilier du Temple de Dieu, il le mit en pièces, ferma les portes du Temple de Yahvé et se fit des autels à tous les coins de rue de Jérusalem;

2 Chroniques 28, 25 il institua des hauts lieux dans toutes les cités judéennes pour y encenser d'autres dieux, et provoqua l'irritation de Yahvé, le Dieu de ses pères.

2 Chroniques 28, 26 Le reste de son histoire et de toute sa politique, du début à la fin, est écrit dans le livre des Rois de Juda et d'Israël.

2 Chroniques 28, 27 Achaz se coucha avec ses pères, on l'enterra dans la Cité, à Jérusalem, sans le transporter dans les tombeaux des rois d'Israël. Son fils Ezéchias régna à sa place.

2 Chroniques 29, 1 Ezéchias devint roi à l'âge de 25 ans et il régna 29 ans à Jérusalem; sa mère s'appelait Abiyya, fille de Zekaryahu.

2 Chroniques 29, 2 Il fit ce qui est agréable à Yahvé, imitant tout ce qu'avait fait David son ancêtre.

2 Chroniques 29, 3 C'est lui qui ouvrit les portes du Temple de Yahvé, le premier mois de la première année de son règne, et qui les restaura.

2 Chroniques 29, 4 Puis il fit venir les prêtres et les lévites, les réunit sur la place orientale

2 Chroniques 29, 5 et leur dit: "Ecoutez-moi, lévites! Sanctifiez-vous maintenant, consacrez le Temple de Yahvé, Dieu de nos pères, et éliminez du sanctuaire la souillure.

2 Chroniques 29, 6 Nos pères ont prévarique et fait ce qui déplaît à Yahvé notre Dieu. Ils l'ont abandonné; ils ont détourné leurs faces de la Demeure de Yahvé, et lui ont tourné le dos.

2 Chroniques 29, 7 Ils ont même fermé les portes du Vestibule, ils ont éteint les lampes et n'ont plus fait fumer d'encens, ils n'ont plus offert d'holocaustes au Dieu d'Israël dans le sanctuaire.

2 Chroniques 29, 8 La colère de Yahvé s'est appesantie sur Juda et sur Jérusalem; il en a fait un objet d'épouvante, de stupeur et de dérision, comme vous le voyez de vos propres yeux.

2 Chroniques 29, 9 Aussi nos pères sont-ils tombés sous l'épée, nos fils, nos filles et nos femmes sont-ils partis prisonniers.

2 Chroniques 29, 10 Je veux maintenant conclure une alliance avec Yahvé, Dieu d'Israël, pour qu'il détourne de nous l'ardeur de sa colère.

2 Chroniques 29, 11 O mes fils, ne soyez plus négligents, car c'est vous que Yahvé a choisis pour vous tenir en sa présence, pour le servir, pour vaquer à son culte et à ses encensements."

2 Chroniques 29, 12 Les lévites se levèrent: Mahat fils de Amasaï; Yoël fils de Azaryahu, des fils de Qehat; des Merarites: Qish fils d'Abdi et Azaryahu fils de Yehalléléel; des Gershonites: Yoah fils de Zimma et Eden fils de Yoah;

2 Chroniques 29, 13 des fils d'Eliçaphân: Shimri et Yeïel; des fils d'Asaph: Zekaryahu et Mattanyahu;

2 Chroniques 29, 14 des fils de Hémân: Yehiel et Shiméï; des fils de Yedutûn: Shemaya et Uzziel.

2 Chroniques 29, 15 Ils réunirent leurs frères, se sanctifièrent et, conformément à l'ordre du roi, selon les paroles de Yahvé, vinrent purifier le Temple de Yahvé.

2 Chroniques 29, 16 Les prêtres entrèrent dans le Temple de Yahvé pour le purifier. Ils emportèrent sur le parvis du Temple de Yahvé toutes les choses impures qu'ils trouvèrent dans le sanctuaire de Yahvé, et les lévites en firent des tas qu'ils allèrent déposer à l'extérieur, dans la vallée du Cédron.

2 Chroniques 29, 17 Ayant commencé cette consécration le premier jour du premier mois, ils purent entrer dans le Vestibule de Yahvé le huit du mois; ils mirent huit jours à consacrer le Temple de Yahvé et terminèrent le seizième jour du premier mois.

2 Chroniques 29, 18 Ils se rendirent alors dans les appartements du roi Ezéchias et lui dirent: "Nous avons entièrement purifié le Temple de Yahvé, l'autel des holocaustes et tous ses accessoires, la table des rangées de pains et tous ses accessoires.

2 Chroniques 29, 19 Tous les objets qu'avait rejetés le roi Achaz durant son règne impie, nous les avons réinstallés et consacrés; les voici devant l'autel de Yahvé."

2 Chroniques 29, 20 Le roi Ezéchias se leva aussitôt, il réunit les officiers de la ville et monta au Temple de Yahvé.

2 Chroniques 29, 21 On fit venir sept taureaux, sept béliers et sept agneaux, plus sept boucs en vue du sacrifice pour le péché, à l'intention de la monarchie, du sanctuaire et de Juda. Le roi dit alors aux prêtres, fils d'Aaron, d'offrir les holocaustes sur l'autel de Yahvé.

2 Chroniques 29, 22 Ils immolèrent les taureaux; les prêtres recueillirent le sang qu'ils versèrent sur l'autel. Puis ils immolèrent les béliers, dont ils versèrent le sang sur l'autel, et les agneaux, dont ils versèrent le sang sur l'autel.

2 Chroniques 29, 23 Ils firent alors approcher les boucs, destinés au sacrifice pour le péché, devant le roi et l'Assemblée qui leur imposèrent les mains.

2 Chroniques 29, 24 Les prêtres les immolèrent et de leur sang versé sur l'autel firent un sacrifice pour le péché afin d'accomplir le rite d'expiation sur tout Israël; c'était en effet pour tout Israël que le roi avait ordonné les holocaustes et le sacrifice pour le péché.

2 Chroniques 29, 25 Il plaça ensuite les lévites dans le Temple de Yahvé avec des cymbales, des lyres et des cithares selon les prescriptions de David, de Gad le voyant du roi, et de Natân le prophète; l'ordre venait en effet de Dieu par l'intermédiaire de ses prophètes.

2 Chroniques 29, 26 Quand on eut placé les lévites avec les instruments de David et les prêtres avec les trompettes,

2 Chroniques 29, 27 Ezéchias ordonna d'offrir les holocaustes sur l'autel; l'holocauste commençait quand on entonna les chants de Yahvé et quand les trompettes sonnèrent, accompagnées des instruments de David, roi d'Israël.

2 Chroniques 29, 28 Toute l'Assemblée se prosterna, chacun chantant les hymnes ou faisant retentir les trompettes jusqu'à l'achèvement de l'holocauste.

2 Chroniques 29, 29 Quand l'holocauste fut terminé, le roi et tous ceux qui l'accompagnaient à ce moment fléchirent le genou et se prosternèrent.

2 Chroniques 29, 30 Puis le roi Ezéchias et les officiers dirent aux lévites de louer Yahvé avec les paroles de David et d'Asaph le voyant; ils le firent jusqu'à exaltation, puis tombèrent et se prosternèrent.

2 Chroniques 29, 31 Ezéchias prit alors la parole et dit: "Vous voici maintenant consacrés à Yahvé. Approchez-vous, apportez dans le Temple de Yahvé les victimes et les sacrifices de louange." L'Assemblée apporta les victimes et les sacrifices de louange et toutes sortes d'holocaustes en dons votifs.

2 Chroniques 29, 32 Le nombre des victimes de ces holocaustes fut de 70 boeufs, cent béliers, 200 agneaux, tous en holocaustes pour Yahvé;

2 Chroniques 29, 33 six boeufs et 3.000 moutons furent consacrés.

2 Chroniques 29, 34 Les prêtres furent toutefois trop peu nombreux pour pouvoir dépecer tous ces holocaustes, et leurs frères les lévites leur prêtèrent main-forte jusqu'à ce que cette opération fût terminée et les prêtres sanctifiés; les lévites avaient été en effet mieux disposés que les prêtres à se sanctifier.

2 Chroniques 29, 35 Il y eut de plus un abondant holocauste des graisses des sacrifices de communion, et des libations conjointes à l'holocauste. Ainsi fut rétabli le culte dans le Temple de Yahvé.

2 Chroniques 29, 36 Ezéchias et tout le peuple se réjouirent de ce que Dieu eût disposé le peuple à agir sur-le-champ.

2 Chroniques 30, 1 Ezéchias envoya des messagers à tout Israël et Juda, et écrivit même des lettres à Ephraïm et à Manassé, pour que l'on vienne au Temple de Yahvé à Jérusalem célébrer une Pâque pour Yahvé, le Dieu d'Israël.

2 Chroniques 30, 2 Le roi, ses officiers et toute l'Assemblée de Jérusalem furent d'avis de la célébrer le second mois

2 Chroniques 30, 3 puisqu'on ne pouvait plus la faire au moment même, les prêtres ne s'étant pas sanctifiés en nombre suffisant et le peuple ne s'étant pas rassemblé à Jérusalem.

2 Chroniques 30, 4 La chose parut juste au roi et à toute l'Assemblée.

2 Chroniques 30, 5 On décida de faire passer à travers tout Israël, de Bersabée à Dan, un appel à venir célébrer à Jérusalem une Pâque pour Yahvé, Dieu d'Israël; peu, en effet s'étaient conformés à l'Ecriture.

2 Chroniques 30, 6 Des courriers partirent, avec des lettres de la main du roi et des officiers, dans tout Israël et Juda. Ils devaient dire, selon l'ordre du roi: "Israélites, revenez à Yahvé, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, et il reviendra à ceux d'entre vous qui restent après avoir échappé à la poigne des rois d'Assyrie.

2 Chroniques 30, 7 Ne soyez pas comme vos pères et vos frères qui ont prévariqué envers Yahvé, le Dieu de leurs pères, et ont été livrés par lui à la ruine comme vous le voyez.

2 Chroniques 30, 8 Ne raidissez plus vos nuques comme l'ont fait vos pères. Soumettez-vous à Yahvé, venez à son sanctuaire qu'il a consacré pour toujours, servez Yahvé votre Dieu et il détournera de vous son ardente colère.

2 Chroniques 30, 9 Si vous revenez vraiment à Yahvé, vos frères et vos fils trouveront grâce devant leurs conquérants, ils reviendront en ce pays, car Yahvé votre Dieu est plein de pitié et de tendresse. Si vous revenez à lui, il ne détournera pas de vous sa face."

2 Chroniques 30, 10 Les courriers parcoururent, de ville en ville, le pays d'Ephraïm et de Manassé, et même de Zabulon, mais on se moqua d'eux et on les tourna en dérision.

2 Chroniques 30, 11 Toutefois, quelques hommes d'Asher, de Manassé et de Zabulon s'humilièrent et vinrent à Jérusalem.

2 Chroniques 30, 12 C'est plutôt en Juda que la main de Dieu agit pour donner à tous un seul coeur, afin d'exécuter les prescriptions du roi et des officiers contenues dans la Parole de Yahvé.

2 Chroniques 30, 13 Un peuple nombreux se rassembla à Jérusalem pour célébrer au deuxième mois la fête des Azymes. Une assemblée extrêmement nombreuse

2 Chroniques 30, 14 se mit à enlever les autels qui étaient dans Jérusalem et tous les brûle-parfums, pour les jeter dans la vallée du Cédron.

2 Chroniques 30, 15 On immola la Pâque le quatorze du second mois. Pleins de confusion, les prêtres et les lévites se sanctifièrent et purent porter les holocaustes au Temple de Yahvé.

2 Chroniques 30, 16 Puis ils se tinrent à leur poste, conformément à leurs statuts selon la loi de Moïse, homme de Dieu. Les prêtres versaient le sang qu'ils prenaient de la main des lévites,

2 Chroniques 30, 17 car il y avait beaucoup de gens dans l'Assemblée qui ne s'étaient pas sanctifiés et les lévites étaient chargés d'immoler les victimes pascales au profit de ceux qui n'avaient pas la pureté requise pour les consacrer à Yahvé.

2 Chroniques 30, 18 En effet, la majorité du peuple, beaucoup d'Ephraïmites, de Manassites, de fils d'Issachar et de Zabulon ne s'étaient pas purifiés; ils avaient mangé la Pâque sans se conformer à l'Ecriture. Mais Ezéchias pria pour eux; il dit: "Que Yahvé dans sa bonté couvre la faute de

2 Chroniques 30, 19 quiconque s'est disposé de coeur à chercher Dieu, Yahvé le Dieu de leurs pères, même s'il n'a pas la pureté requise pour les choses saintes!"

2 Chroniques 30, 20 Yahvé exauça Ezéchias et laissa le peuple sain et sauf.

2 Chroniques 30, 21 Les Israélites qui se trouvaient à Jérusalem célébrèrent pendant sept jours, et en grande joie, la fête des Azymes, tandis que les lévites et les prêtres louaient chaque jour Yahvé de toutes leurs forces.

2 Chroniques 30, 22 Ezéchias encouragea les lévites qui avaient tous l'intelligence des choses de Yahvé, et pendant sept jours ils prirent part au festin de la solennité, célébrant les sacrifices de communion et louant Yahvé, le Dieu de leurs pères.

2 Chroniques 30, 23 Puis toute l'Assemblée fut d'avis de célébrer sept autres jours de fête et ils en firent sept jours de joie.

2 Chroniques 30, 24 Car Ezéchias, roi de Juda, avait fait un prélèvement de mille taureaux et de 7.000 moutons pour l'Assemblée, et les officiers un autre de mille taureaux et de 10.000 moutons. Les prêtres se sanctifièrent en masse,

2 Chroniques 30, 25 et toute l'Assemblée des Judéens se réjouit, ainsi que les prêtres, les lévites, toute l'Assemblée venue d'Israël; les réfugiés venus du pays d'Israël aussi bien que ceux qui habitaient en Juda.

2 Chroniques 30, 26 Il y eut grande joie à Jérusalem, car depuis les jours de Salomon, fils de David, roi d'Israël, rien de semblable ne s'était produit à Jérusalem.

2 Chroniques 30, 27 Les prêtres lévites se mirent à bénir le peuple. Leur voix fut entendue et leur prière reçue en Sa demeure sainte des cieux.

2 Chroniques 31, 1 Quand tout cela fut terminé, tous les Israélites qui se trouvaient là allèrent dans les villes de Juda briser les stèles, couper les pieux sacrés, saccager les hauts lieux et les autels pour en débarrasser entièrement tout Juda, Benjamin, Ephraïm et Manassé. Puis tous les Israélites retournèrent dans leurs villes, chacun dans son patrimoine.

2 Chroniques 31, 2 Ezéchias rétablit les classes sacerdotales et lévitiques, chacun dans sa classe, selon son service, qu'il fût prêtre ou lévite, qu'il s'agît d'holocaustes, de sacrifices de communion, de service liturgique, d'action de grâces ou d'hymne, -- dans les portes du camp de Yahvé.

2 Chroniques 31, 3 Le roi prit une part sur ses biens pour les holocaustes, holocaustes du matin et du soir, holocaustes des sabbats, des néoménies et des solennités, comme il est écrit dans la Loi de Yahvé.

2 Chroniques 31, 4 Puis il dit au peuple, aux habitants de Jérusalem, de livrer la part des prêtres et des lévites afin qu'ils puissent observer la Loi de Yahvé.

2 Chroniques 31, 5 Dès qu'on eut répandu cette parole, les Israélites accumulèrent les prémices du froment, du vin, de l'huile, du miel et de tous les produits agricoles, et ils apportèrent une large dîme de tout.

2 Chroniques 31, 6 Les Israélites et les Judéens, qui habitaient les cités judéennes, apportèrent eux aussi la dîme du gros et du petit bétail et la dîme des choses saintes consacrées à Yahvé; ils les apportèrent, tas après tas.

2 Chroniques 31, 7 C'est au troisième mois qu'ils commencèrent à faire ces tas et ils les achevèrent le septième.

2 Chroniques 31, 8 Ezéchias et les officiers vinrent voir les tas et bénirent Yahvé et Israël, son peuple.

2 Chroniques 31, 9 Ezéchias interrogea à ce sujet les prêtres et les lévites.

2 Chroniques 31, 10 C'est Azaryahu, de la maison de Sadoq, et premier prêtre, qui lui répondit: "Dès les premiers prélèvements apportés au Temple de Yahvé, dit-il, on a pu manger, se rassasier, et avoir même de larges excédents, car Yahvé a béni son peuple; ce qui reste, c'est cette masse-ci."

2 Chroniques 31, 11 Ezéchias ordonna de mettre en état des pièces dans le Temple de Yahvé. On le fit

2 Chroniques 31, 12 et l'on apporta fidèlement les prélèvements, les dîmes et les choses consacrées. Le lévite Konanyahu en fut le chef responsable avec son frère Shiméï pour second.

2 Chroniques 31, 13 Yehiel, Azazyahu, Nahat, Asahel, Yerimot, Yozabad, Eliel, Yismakyahu, Mahat et Benayahu en étaient les surveillants sous les ordres de Konanyahu et de son frère Shiméï, sous le gouvernement du roi Ezéchias et d'Azaryahu, chef du Temple de Dieu.

2 Chroniques 31, 14 Qoré, fils de Yimna le lévite, gardien de la porte orientale, avait la charge des offrandes volontaires faites à Dieu; il fournissait le prélèvement de Yahvé et les choses très saintes.

2 Chroniques 31, 15 Eden, Minyamîn, Yéshua, Shemayahu, Amaryahu et Shekanyahu l'assistaient fidèlement dans les villes sacerdotales pour faire les distributions à leurs frères répartis en classes, autant au grand qu'au petit,

2 Chroniques 31, 16 et, sans tenir compte de leur enregistrement, aux hommes âgés de 30 ans et plus, à tous ceux qui allaient au Temple de Yahvé, selon le rituel quotidien, assurer le service de leurs fonctions, selon leurs classes.

2 Chroniques 31, 17 Les prêtres furent enregistrés par familles et les lévites, âgés de vingt ans et plus, selon leurs fonctions et leurs classes.

2 Chroniques 31, 18 Ils furent enregistrés avec toutes les personnes à leur charge, femmes, fils et filles, toute l'Assemblée, car ils devaient se sanctifier avec fidélité.

2 Chroniques 31, 19 Pour les prêtres, fils d'Aaron, qui se trouvaient dans les terrains de pâturage de leurs villes et dans chaque ville, il y eut des hommes inscrits nominativement pour faire les répartitions à tout mâle parmi les prêtres et à tous ceux qui étaient enregistrés parmi les lévites.

2 Chroniques 31, 20 C'est ainsi qu'agit Ezéchias en tout Juda. Il fit ce qui était bon, juste et loyal devant Yahvé, son Dieu.

2 Chroniques 31, 21 Tout ce qu'il entreprit au service du Temple de Dieu, au sujet de la Loi et des commandements, il le fit en cherchant Dieu de tout son coeur, et il réussit.

2 Chroniques 32, 1 Après ces actes de loyauté eut lieu l'invasion de Sennachérib, roi d'Assyrie. Il envahit Juda, campa devant les villes fortes et ordonna de lui en forcer les murs.

2 Chroniques 32, 2 Ezéchias, observant que Sennachérib, en arrivant, se proposait d'attaquer Jérusalem,

2 Chroniques 32, 3 décida avec ses officiers et ses preux d'obstruer les eaux des sources qui se trouvaient à l'extérieur de la ville. Ceux-ci lui prêtèrent leur concours

2 Chroniques 32, 4 et beaucoup de gens se groupèrent pour obstruer toutes les sources ainsi que le cours d'eau qui coulait dans les terres: "Pourquoi, disaient-ils, les rois d'Assyrie trouveraient-ils à leur arrivée des eaux abondantes?"

2 Chroniques 32, 5 Ezéchias se fortifia: il fit maçonner toutes les brèches de la muraille qu'il surmonta de tours et pourvut d'un second mur à l'extérieur, répara le Millo de la Cité de David, et fabriqua quantité d'armes de jet et de boucliers.

2 Chroniques 32, 6 Puis il mit des généraux à la tête du peuple, les réunit près de lui sur la place de la porte de la cité et les encouragea en ces termes:

2 Chroniques 32, 7 "Soyez fermes et tenez bon; ne craignez pas, ne tremblez pas devant le roi d'Assur et devant toute la foule qui l'accompagne, car Ce qui est avec nous est plus puissant que ce qui est avec lui.

2 Chroniques 32, 8 Avec lui il n'y a qu'un bras de chair, mais avec nous il y a Yahvé, notre Dieu, qui nous secourt et combat nos combats." Le peuple fut réconforté par les paroles d'Ezéchias, roi de Juda.

2 Chroniques 32, 9 Après cela Sennachérib, roi d'Assyrie, tandis qu'il se trouvait lui-même devant Lakish avec toutes ses forces, envoya ses serviteurs à Jérusalem, à Ezéchias, roi de Juda, et à tous les Judéens qui se trouvaient à Jérusalem. Ils dirent:

2 Chroniques 32, 10 "Ainsi parle Sennachérib, roi d'Assyrie: Sur quoi repose votre confiance pour demeurer ainsi dans Jérusalem assiégée?

2 Chroniques 32, 11 Ezéchias ne vous abuse-t-il pas, ne vous livre-t-il pas à la mort, par la faim et par la soif, quand il dit: Yahvé notre Dieu nous délivrera de la main du roi d'Assyrie?

2 Chroniques 32, 12 N'est-ce pas cet Ezéchias qui a supprimé ses hauts lieux et ses autels et qui a déclaré à Juda et à Jérusalem: C'est devant un seul autel que vous vous prosternerez et sur lui que vous ferez monter l'encens?

2 Chroniques 32, 13 Ne savez-vous pas ce que moi-même et mes pères nous avons fait à tous les peuples des pays? Les dieux des nations de ces pays ont-ils pu les délivrer de ma main?

2 Chroniques 32, 14 Parmi tous les dieux des nations que mes pères ont vouées à l'anathème, quel est celui qui a pu délivrer son peuple de ma main? Votre dieu pourrait-il alors vous délivrer de ma main?

2 Chroniques 32, 15 Et maintenant, qu'Ezéchias ne vous leurre pas! Qu'il ne vous abuse pas ainsi! Ne le croyez pas, car aucun dieu d'aucune nation ni d'aucun royaume ne peut délivrer son peuple de ma main pas plus que de celle de mes pères; votre dieu ne vous délivrera pas davantage de ma main."

2 Chroniques 32, 16 Ses serviteurs parlaient encore contre Yahvé Dieu et son serviteur Ezéchias,

2 Chroniques 32, 17 quand Sennachérib écrivit une lettre pour insulter Yahvé, Dieu d'Israël; il en parlait ainsi: "Pas plus que les dieux des nations des pays n'ont délivré leurs peuples de ma main, le dieu d'Ezéchias n'en délivrera son peuple."

2 Chroniques 32, 18 Ils s'adressaient en criant, en judéen, au peuple de Jérusalem qui se trouvait sur les murs, pour l'effrayer et le bouleverser et par suite capturer la ville;

2 Chroniques 32, 19 ils parlaient du Dieu de Jérusalem comme de l'un des dieux des peuples de la terre, oeuvre de mains humaines.

2 Chroniques 32, 20 Dans cette situation, le roi Ezéchias et le prophète Isaïe, fils d'Amoç, prièrent et implorèrent le ciel.

2 Chroniques 32, 21 Yahvé envoya un ange qui extermina tous les vaillants preux, les capitaines et les officiers, dans le camp du roi d'Assyrie; celui-ci s'en retourna, le visage couvert de honte, dans son pays; puis il entra dans le temple de son dieu où quelques-uns de ses enfants le frappèrent de l'épée.

2 Chroniques 32, 22 Ainsi Yahvé sauva Ezéchias et les habitants de Jérusalem de la main de Sennachérib, roi d'Assyrie, et de la main de tous les autres. Il leur donna la tranquillité sur toutes leurs frontières.

2 Chroniques 32, 23 Beaucoup apportèrent à Jérusalem une oblation à Yahvé et des présents à Ezéchias roi de Juda qui, à la suite de ces événements, acquit du prestige aux yeux de toutes les nations.

2 Chroniques 32, 24 En ces jours-là, Ezéchias tomba malade et fut sur le point de mourir. Il pria Dieu qui l'exauça et lui accorda un miracle.

2 Chroniques 32, 25 Mais Ezéchias ne répondit pas au bienfait reçu, son coeur s'enorgueillit et la Colère s'appesantit sur lui, sur Juda et sur Jérusalem.

2 Chroniques 32, 26 Toutefois Ezéchias s'humilia de l'orgueil de son coeur, ainsi que les habitants de Jérusalem: la colère de Yahvé cessa de s'appesantir sur eux du vivant d'Ezéchias.

2 Chroniques 32, 27 Ezéchias eut pléthore de richesses et de gloire. Il se constitua des trésors en or, argent, pierres précieuses, onguents, joyaux et toutes sortes d'objets précieux.

2 Chroniques 32, 28 Il eut des entrepôts pour ses rentrées de blé, de vin et d'huile, des étables pour les différentes espèces de son bétail, et des parcs pour ses troupeaux.

2 Chroniques 32, 29 Il se procura des ânes et un cheptel abondant en gros et en petit bétail. Dieu lui avait vraiment donné pléthore de biens.

2 Chroniques 32, 30 C'est Ezéchias qui obstrua l'issue supérieure des eaux du Gihôn et les dirigea vers le bas de la Cité de David, à l'ouest. Ezéchias réussit dans toutes ses entreprises.

2 Chroniques 32, 31 Et même avec les interprètes des officiers babyloniens envoyés près de lui pour enquêter sur le miracle qui avait eu lieu dans le pays, c'est pour l'éprouver que Dieu l'abandonna, et pour connaître le fond de son coeur.

2 Chroniques 32, 32 Le reste de l'histoire d'Ezéchias, les témoignages de sa piété et de ses travaux, se trouvent écrits dans la vision du prophète Isaïe, fils d'Amoç, au livre des rois de Juda et d'Israël.

2 Chroniques 32, 33 Ezéchias se coucha avec ses pères et on l'enterra sur la montée des tombeaux des fils de David. A sa mort, tous les Judéens et les habitants de Jérusalem lui rendirent honneur. Son fils Manassé régna à sa place.

2 Chroniques 33, 1 Manassé avait douze ans à son avènement et il régna 55 ans à Jérusalem.

2 Chroniques 33, 2 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, imitant les abominations des nations que Yahvé avait chassées devant les Israélites.

2 Chroniques 33, 3 Il rebâtit les hauts lieux qu'avaient détruits Ezéchias son père, il éleva des autels aux Baals et fabriqua des pieux sacrés, il se prosterna devant toute l'armée du ciel et lui rendit un culte.

2 Chroniques 33, 4 Il construisit des autels dans le Temple de Yahvé, dont Yahvé avait dit: "C'est à Jérusalem que mon Nom sera à jamais."

2 Chroniques 33, 5 Il construisit des autels à toute l'armée du ciel dans les deux cours du Temple de Yahvé.

2 Chroniques 33, 6 C'est lui qui fit passer ses enfants par le feu dans la vallée des fils de Hinnom. Il pratiqua les incantations, la divination et la magie, installa des nécromants et des devins, et multiplia les actions que Yahvé regarde comme mauvaises, provoquant ainsi sa colère.

2 Chroniques 33, 7 Il plaça l'idole, qu'il avait fait sculpter, dans le Temple de Dieu, dont Dieu avait dit à David et à son fils Salomon: "Dans ce Temple et dans Jérusalem, la ville que j'ai choisie entre toutes les tribus d'Israël, je placerai mon Nom à jamais.

2 Chroniques 33, 8 Je ne détournerai plus les pas des Israélites de la terre où j'ai établi vos pères, pourvu qu'ils veillent à pratiquer tout ce que je leur ai commandé selon toute la Loi, les prescriptions et les coutumes transmises par Moïse."

2 Chroniques 33, 9 Mais Manassé égara les Judéens et les habitants de Jérusalem, au point qu'ils agirent encore plus mal que les nations que Yahvé avait exterminées devant les Israélites.

2 Chroniques 33, 10 Yahvé parla à Manassé et à son peuple, mais ils ne prêtèrent pas l'oreille.

2 Chroniques 33, 11 Alors Yahvé fit venir contre eux les généraux du roi d'Assyrie qui capturèrent Manassé avec des crocs, le mirent aux fers et l'emmenèrent à Babylone.

2 Chroniques 33, 12 A l'occasion de cette épreuve, il chercha à apaiser Yahvé, son Dieu, il s'humilia profondément devant le Dieu de ses pères;

2 Chroniques 33, 13 il le pria et lui se laissa fléchir. Il entendit sa supplication et le réintégra dans sa royauté, à Jérusalem. Manassé reconnut que c'est Yahvé qui est Dieu.

2 Chroniques 33, 14 Après quoi, il restaura la muraille extérieure de la Cité de David, à l'ouest du Gihôn situé dans le ravin, jusqu'à la porte des Poissons; elle entoura l'Ophel et il la suréleva beaucoup. Il mit des généraux dans toutes les villes fortifiées de Juda.

2 Chroniques 33, 15 Il écarta alors du Temple de Yahvé les dieux de l'étranger et la statue, ainsi que tous les autels qu'il avait construits sur la montagne du Temple et dans Jérusalem; il les jeta hors de la ville.

2 Chroniques 33, 16 Il rétablit l'autel de Yahvé, y offrit des sacrifices de communion et de louange et ordonna aux Judéens de servir Yahvé, Dieu d'Israël;

2 Chroniques 33, 17 mais le peuple continuait de sacrifier sur les hauts lieux, bien qu'à Yahvé son Dieu.

2 Chroniques 33, 18 Le reste de l'histoire de Manassé, la prière qu'il fit à son Dieu et les paroles des voyants qui s'adressèrent à lui au nom de Yahvé, Dieu d'Israël, se trouvent dans les Actes des rois d'Israël.

2 Chroniques 33, 19 Sa prière et son exaucement, tous ses péchés et son impiété, les endroits où il avait construit des hauts lieux et dressé des pieux sacrés et des idoles avant de s'être humilié, sont consignés dans l'histoire de Hozaï.

2 Chroniques 33, 20 Manassé se coucha avec ses pères et on l'enterra dans le jardin de son palais. Son fils Amon régna à sa place.

2 Chroniques 33, 21 Amon avait 22 ans à son avènement et il régna deux ans à Jérusalem.

2 Chroniques 33, 22 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, comme avait fait son père Manassé. Amon sacrifia et rendit un culte à toutes les idoles qu'avait faites son père Manassé.

2 Chroniques 33, 23 Il ne s'humilia pas devant Yahvé comme s'était humilié son père Manassé; au contraire, lui, Amon, se rendit gravement coupable.

2 Chroniques 33, 24 Ses serviteurs complotèrent contre lui et il le tuèrent dans son palais;

2 Chroniques 33, 25 mais le peuple du pays frappa tous ceux qui avaient conspiré contre Amon et proclama roi à sa place son fils Josias.

2 Chroniques 34, 1 Josias avait huit ans à son avènement et il régna 31 ans à Jérusalem.

2 Chroniques 34, 2 Il fit ce qui est agréable à Yahvé et suivit la conduite de son ancêtre David sans en dévier ni à droite ni à gauche.

2 Chroniques 34, 3 La huitième année de son règne, n'étant encore qu'un jeune homme, il commença à rechercher le Dieu de David son ancêtre. La douzième année de son règne, il commença à purifier Juda et Jérusalem des hauts lieux, des pieux sacrés, des idoles sculptées et fondues.

2 Chroniques 34, 4 On démolit devant lui les autels des Baals, il arracha les autels à encens qui étaient placés sur eux, il brisa les pieux sacrés, les idoles sculptées et fondues, et les réduisit en une poussière qu'il répandit sur les tombeaux de ceux qui leur avaient offert des sacrifices.

2 Chroniques 34, 5 Il brûla les ossements des prêtres sur leurs autels et purifia ainsi Juda et Jérusalem.

2 Chroniques 34, 6 Dans les villes de Manassé, d'Ephraïm, de Siméon, et même de Nephtali, et dans les territoires saccagés qui les entouraient,

2 Chroniques 34, 7 il démolit les autels, les pieux sacrés, brisa et pulvérisa les idoles, il abattit les autels à encens dans tout le pays d'Israël, puis il revint à Jérusalem.

2 Chroniques 34, 8 La dix-huitième année de son règne, dans le but de purifier le pays et le Temple, il envoya Shaphân, fils d'Açalyahu, Maaséyahu, gouverneur de la ville, et Yoah, fils de Yoahaz le héraut, pour réparer le Temple de Yahvé son Dieu.

2 Chroniques 34, 9 Ils allèrent remettre à Hilqiyyahu, le grand prêtre, l'argent qui avait été apporté au Temple de Dieu et que les lévites gardiens du seuil avaient recueilli: l'argent provenait de Manassé, d'Ephraïm, de tout le reste d'Israël, ainsi que de tous les Judéens et Benjaminites qui habitaient Jérusalem.

2 Chroniques 34, 10 Ils le remirent aux maîtres d'oeuvre attachés au Temple de Yahvé et ceux-ci l'utilisèrent pour les travaux de restauration et de réparation du Temple.

2 Chroniques 34, 11 Ils le donnèrent aux charpentiers et aux ouvriers du bâtiment pour acheter les pierres de taille et le bois nécessaire au chaînage et aux charpentes des bâtiments qu'avaient endommagés les rois de Juda.

2 Chroniques 34, 12 Ces hommes travaillèrent avec fidélité à cette oeuvre; ils étaient sous la surveillance de Yahat et de Obadyahu, lévites des fils de Merari, de Zekarya et de Meshullam, Qehatites contremaîtres, des lévites experts dans les instruments d'accompagnement du chant,

2 Chroniques 34, 13 de ceux qui étaient à la tête des transporteurs et de ceux qui dirigeaient tous les maîtres d'oeuvre de chaque service, et enfin de quelques lévites, scribes, greffiers et portiers.

2 Chroniques 34, 14 Quand on retira l'argent déposé au Temple de Yahvé, le prêtre Hilqiyyahu trouva le livre de la Loi de Yahvé transmise par Moïse.

2 Chroniques 34, 15 Hilqiyyahu prit la parole et dit au secrétaire Shaphân: "J'ai trouvé le livre de la Loi dans le Temple de Yahvé." Et Hilqiyyahu donna le livre à Shaphân.

2 Chroniques 34, 16 Shaphân remit le livre au roi et lui rapporta encore ceci: "Tout ce qui a été confié à tes serviteurs, ils l'exécutent,

2 Chroniques 34, 17 ils ont fondu l'argent qui se trouvait dans le Temple de Yahvé et l'ont remis aux mains des subordonnés et des maîtres d'oeuvre."

2 Chroniques 34, 18 Puis le secrétaire Shaphân annonça au roi: "Le prêtre Hilqiyyahu m'a donné un livre"; et Shaphân y fit une lecture devant le roi.

2 Chroniques 34, 19 En entendant les paroles de la Loi, le roi déchira ses vêtements.

2 Chroniques 34, 20 Il donna cet ordre à Hilqiyyahu, à Ahiqam fils de Shaphân, à Abdôn fils de Mika, au secrétaire Shaphân et à Asaya, ministre du roi:

2 Chroniques 34, 21 "Allez consulter Yahvé pour moi et pour ce qui reste d'Israël et de Juda, à propos des paroles du livre qui vient d'être trouvé. Grande doit être la colère de Yahvé qui s'est répandue sur nous parce que nos pères n'ont pas observé la parole de Yahvé en pratiquant tout ce qui est écrit dans ce livre."

2 Chroniques 34, 22 Hilqiyyahu et les gens du roi se rendirent auprès de la prophétesse Hulda, femme de Shallum, fils de Toqhat, fils de Hasra, le gardien des vêtements; elle habitait à Jérusalem dans la ville neuve. Ils lui parlèrent en ce sens

2 Chroniques 34, 23 et elle répondit: "Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël. Dites à l'homme qui vous a envoyés vers moi:

2 Chroniques 34, 24 Ainsi parle Yahvé. Je vais amener le malheur sur ce lieu et sur ses habitants, toutes les malédictions écrites dans le livre qu'on a lu devant le roi de Juda,

2 Chroniques 34, 25 parce qu'ils m'ont abandonné et qu'ils ont sacrifié à d'autres dieux pour m'irriter par toutes leurs actions. Ma colère s'est enflammée contre ce lieu, elle ne s'éteindra pas.

2 Chroniques 34, 26 Et vous direz au roi de Juda qui vous a envoyés pour consulter Yahvé: Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël: les paroles que tu as entendues...

2 Chroniques 34, 27 Mais parce que ton coeur a été touché et que tu t'es humilié devant Dieu en entendant les paroles qu'il a prononcées contre ce lieu et ses habitants, parce que tu t'es humilié, que tu as déchiré tes vêtements et que tu as pleuré devant moi, moi aussi je t'ai entendu, oracle de Yahvé.

2 Chroniques 34, 28 Voici que je te réunirai à tes pères, tu seras recueilli en paix dans ton sépulcre, tes yeux ne verront pas tous les malheurs que je fais venir sur ce lieu et sur ses habitants." Ils portèrent la réponse au roi.

2 Chroniques 34, 29 Alors le roi fit convoquer tous les anciens de Juda et de Jérusalem,

2 Chroniques 34, 30 et le roi monta au Temple de Yahvé avec tous les hommes de Juda, les habitants de Jérusalem, les prêtres, les lévites et tout le peuple, du plus grand au plus petit. Il lut devant eux tout le contenu du livre de l'alliance trouvé dans le Temple de Yahvé.

2 Chroniques 34, 31 Le roi était debout sur l'estrade, et il conclut devant Yahvé l'alliance qui l'obligeait à suivre Yahvé, à garder ses commandements, ses instructions et ses lois, de tout son coeur et de toute son âme, et à mettre en pratique les clauses de l'alliance écrites dans ce livre.

2 Chroniques 34, 32 Il y fit adhérer quiconque se trouvait à Jérusalem ou dans Benjamin, et les habitants de Jérusalem se conformèrent à l'alliance de Dieu, le Dieu de leurs pères.

2 Chroniques 34, 33 Josias enleva toute chose abominable de tous les territoires appartenant aux Israélites. Pendant toute sa vie, il mit au service de Yahvé leur Dieu quiconque se trouvait en Israël. Ils ne s'écartèrent pas de Yahvé, le Dieu de leurs pères.

2 Chroniques 35, 1 Josias célébra alors à Jérusalem une Pâque pour Yahvé et on immola la Pâque le quatorzième jour du premier mois.

2 Chroniques 35, 2 Josias rétablit les prêtres dans leurs offices et les mit en mesure de vaquer au service du Temple de Yahvé.

2 Chroniques 35, 3 Puis il dit aux lévites, eux qui avaient l'intelligence pour tout Israël et qui étaient consacrés à Yahvé: "Déposez l'arche sainte dans le Temple qu'a bâti Salomon, fils de David, roi d'Israël. Ce n'est plus un fardeau pour vos épaules. Servez maintenant Yahvé votre Dieu et Israël son peuple.

2 Chroniques 35, 4 Disposez-vous par familles selon vos classes, comme l'a fixé par écrit David, roi d'Israël, et libellé son fils Salomon.

2 Chroniques 35, 5 Tenez-vous dans le sanctuaire, à la disposition des fractions des familles, à la disposition de vos frères laïcs; les lévites auront une part dans la famille.

2 Chroniques 35, 6 Immolez la Pâque, sanctifiez-vous, et soyez à la disposition de vos frères en agissant selon la parole de Yahvé transmise par Moïse."

2 Chroniques 35, 7 Josias préleva alors pour les laïcs du petit bétail, des agneaux et des chevreaux, au nombre de 30.000, toutes victimes pascales pour tous ceux qui se trouvaient là, plus 3.000 boeufs. Ce bétail était pris sur les biens du roi.

2 Chroniques 35, 8 Ses officiers firent aussi un prélèvement en offrande volontaire pour le peuple, pour les prêtres et les lévites. Hilqiyyahu, Zekaryahu et Yehiel, chefs du Temple de Dieu, donnèrent aux prêtres, en victimes pascales, 2.600 têtes de petit bétail et 300 boeufs.

2 Chroniques 35, 9 Les officiers des lévites Konanyahu, Shemayahu et Netanéel son frère, Hashabyahu, Yeïel et Yozabad prélevèrent pour les lévites, comme victimes pascales, 5.000 têtes de petit bétail et 500 boeufs.

2 Chroniques 35, 10 L'ordre de la liturgie fut fixé, les prêtres à leur place et les lévites selon leurs classes, conformément aux prescriptions royales.

2 Chroniques 35, 11 Ils immolèrent la Pâque; les prêtres répandirent le sang qu'ils recevaient des mains des lévites, et les lévites dépecèrent les victimes.

2 Chroniques 35, 12 Ils mirent à part l'holocauste pour le donner aux fractions des familles du peuple qui devaient faire une offrande à Yahvé, comme il est écrit dans le livre de Moïse; il en fut de même pour le gros bétail.

2 Chroniques 35, 13 Ils cuirent au feu la Pâque selon la règle, et cuirent les mets sacrés dans des terrines, des marmites et des plats creux qu'ils portèrent en hâte à tout le peuple.

2 Chroniques 35, 14 Après quoi ils préparèrent la Pâque pour eux-mêmes et pour les prêtres -- les prêtres, fils d'Aaron, ayant été occupés jusqu'à la nuit à offrir l'holocauste et les graisses; c'est pourquoi les lévites préparèrent la Pâque pour eux-mêmes et pour les prêtres, fils d'Aaron.

2 Chroniques 35, 15 Les chantres, fils d'Asaph, étaient à leur poste, selon les prescriptions de David; ni Asaph, ni Hémân, ni Yedutûn le voyant du roi, ni les portiers à chaque porte, n'eurent à quitter leur service, car leurs frères lévites leur préparèrent tout.

2 Chroniques 35, 16 C'est ainsi que toute la liturgie de Yahvé fut, ce jour-là, organisée de manière à célébrer la Pâque et à offrir des holocaustes sur l'autel de Yahvé selon les prescriptions du roi Josias.

2 Chroniques 35, 17 C'est à ce moment que les Israélites présents célébrèrent la Pâque et pendant sept jours la fête des Azymes.

2 Chroniques 35, 18 On n'avait pas célébré une Pâque comme celle-là en Israël depuis l'époque de Samuel le prophète; aucun roi d'Israël n'avait célébré une Pâque semblable à celle que célébra Josias avec les prêtres, les lévites, tous les Judéens et Israélites présents, et les habitants de Jérusalem.

2 Chroniques 35, 19 C'est la dix-huitième année du règne de Josias que cette Pâque fut célébrée.

2 Chroniques 35, 20 Après tout ce que fit Josias pour remettre en ordre le Temple, Neko, roi d'Egypte, monta combattre à Karkémish sur l'Euphrate. Josias s'étant porté à sa rencontre,

2 Chroniques 35, 21 il lui envoya des messagers pour lui dire: "Qu'ai-je à faire avec toi, roi de Juda? Ce n'est pas toi que je viens attaquer aujourd'hui, mais c'est une autre maison que j'ai à combattre, et Dieu m'a dit de me hâter. Laisse donc faire Dieu qui est avec moi, de peur qu'il ne cause ta perte."

2 Chroniques 35, 22 Mais Josias ne renonça pas à l'affronter, car il était fermement décidé à le combattre et n'écouta pas ce que lui disait Neko au nom de Dieu. Il livra bataille dans la trouée de Megiddo;

2 Chroniques 35, 23 les archers tirèrent sur le roi Josias et le roi dit à ses serviteurs: "Emportez-moi, car je me sens très mal."

2 Chroniques 35, 24 Ses serviteurs le tirèrent hors de son char, le firent monter sur un autre de ses chars et le ramenèrent à Jérusalem où il mourut. On l'enterra dans les sépultures de ses pères. Tout Juda et Jérusalem firent un deuil pour Josias;

2 Chroniques 35, 25 Jérémie composa une lamentation sur Josias, que tous les chanteurs et chanteuses récitent encore aujourd'hui dans leurs lamentations sur Josias; on en fait une règle en Israël, et on trouve ces chants consignés dans les Lamentations.

2 Chroniques 35, 26 Le reste de l'histoire de Josias, les témoignages de sa piété, conformes à tout ce qui est écrit dans la loi de Yahvé,

2 Chroniques 35, 27 son histoire, du début à la fin, tout cela est écrit dans le livre des Rois d'Israël et de Juda.

2 Chroniques 36, 1 Le peuple du pays prit Joachaz, fils de Josias, et on le fit roi à la place de son père à Jérusalem.

2 Chroniques 36, 2 Joachaz avait 23 ans à son avènement et il régna trois mois à Jérusalem.

2 Chroniques 36, 3 Le roi d'Egypte l'enleva de Jérusalem et imposa au pays une contribution de cent talents d'argent et d'un talent d'or.

2 Chroniques 36, 4 Puis le roi d'Egypte établit son frère Elyaqim comme roi sur Juda et Jérusalem, et il changea son nom en celui de Joiaqim. Quant à Joachaz, son frère, Neko le prit et l'emmena en Egypte.

2 Chroniques 36, 5 Joiaqim avait 25 ans à son avènement et il régna onze ans à Jérusalem; il fit ce qui déplaît à Yahvé, son Dieu.

2 Chroniques 36, 6 Nabuchodonosor, roi de Babylone, fit campagne contre lui et le mit aux fers pour l'emmener à Babylone.

2 Chroniques 36, 7 Nabuchodonosor emporta aussi à Babylone une partie du mobilier du Temple de Yahvé et le déposa dans son palais de Babylone.

2 Chroniques 36, 8 Le reste de l'histoire de Joiaqim, les abominations qu'il commit et ce qui a été relevé contre lui, cela est écrit dans le livre des Rois d'Israël et de Juda. Joiakîn son fils régna à sa place.

2 Chroniques 36, 9 Joiakîn avait dix-huit ans à son avènement et il régna trois mois et dix jours à Jérusalem; il fit ce qui déplaît à Yahvé.

2 Chroniques 36, 10 Au retour de l'année, le roi Nabuchodonosor l'envoya chercher et le fit conduire à Babylone avec le mobilier précieux du Temple de Yahvé, et il établit Sédécias son frère comme roi sur Juda et Jérusalem.

2 Chroniques 36, 11 Sédécias avait 21 ans à son avènement et il régna onze ans à Jérusalem.

2 Chroniques 36, 12 Il fit ce qui déplaît à Yahvé, son Dieu. Il ne s'humilia pas devant le prophète Jérémie venu sur l'ordre de Yahvé.

2 Chroniques 36, 13 Il se révolta en outre contre le roi Nabuchodonosor auquel il avait prêté serment par Dieu. Il raidit sa nuque et endurcit son coeur au lieu de revenir à Yahvé, le Dieu d'Israël.

2 Chroniques 36, 14 De plus, tous les chefs des prêtres et le peuple multiplièrent les infidélités, imitant toutes les abominations des nations, et souillèrent le Temple que Yahvé s'était consacré à Jérusalem.

2 Chroniques 36, 15 Yahvé, le Dieu de leurs pères, leur envoya sans se lasser des messagers, car il voulait épargner son peuple et sa Demeure.

2 Chroniques 36, 16 Mais ils tournaient en dérision les envoyés de Dieu, ils méprisaient ses paroles, ils se moquaient de ses prophètes, tant qu'enfin la colère de Yahvé contre son peuple fut telle qu'il n'y eut plus de remède.

2 Chroniques 36, 17 Il fit monter contre eux le roi des Chaldéens qui passa au fil de l'épée leurs jeunes guerriers dans leur sanctuaire et n'épargna ni le jeune homme, ni la jeune fille, ni le vieillard, ni l'homme à la tête chenue. Dieu les livra tous entre ses mains.

2 Chroniques 36, 18 Tous les objets du Temple de Dieu, grands et petits, les trésors du Temple de Yahvé, les trésors du roi et de ses officiers, il emporta le tout à Babylone.

2 Chroniques 36, 19 On brûla le Temple de Dieu, on abattit les murailles de Jérusalem, on incendia tous ses palais et l'on détruisit tous ses objets précieux.

2 Chroniques 36, 20 Puis Nabuchodonosor déporta à Babylone le reste échappé à l'épée; ils durent le servir ainsi que ses fils jusqu'à l'établissement du royaume perse,

2 Chroniques 36, 21 accomplissant ainsi ce que Yahvé avait dit par la bouche de Jérémie: "Jusqu'à ce que le pays ait acquitté ses sabbats, il chômera durant tous les jours de la désolation, jusqu'à ce que 70 ans soient révolus."

2 Chroniques 36, 22 Et la première année de Cyrus, roi de Perse, pour accomplir la parole de Yahvé prononcée par Jérémie, Yahvé éveilla l'esprit de Cyrus, roi de Perse, qui fit proclamer -- et même afficher -- dans tout son royaume:

2 Chroniques 36, 23 "Ainsi parle Cyrus, roi de Perse: Yahvé, le Dieu du ciel, m'a remis tous les royaumes de la terre; c'est lui qui m'a chargé de lui bâtir un Temple à Jérusalem, en Juda. Quiconque, parmi vous, fait partie de tout son peuple, que son Dieu soit avec lui et qu'il monte!"

 

 

 

 

Esdras

 

 

 1, 1 Or la première année de Cyrus, roi de Perse, pour accomplir la parole de Yahvé prononcée par Jérémie, Yahvé éveilla l'esprit de Cyrus, roi de Perse, qui fit proclamer -- et même afficher -- dans tout son royaume:

Esdras 1, 2 "Ainsi parle Cyrus, roi de Perse: Yahvé, le Dieu du ciel, m'a remis tous les royaumes de la terre, c'est lui qui m'a chargé de lui bâtir un Temple à Jérusalem, en Juda.

Esdras 1, 3 Quiconque, parmi vous, fait partie de tout son peuple, que son Dieu soit avec lui! Qu'il monte à Jérusalem, en Juda, et bâtisse le Temple de Yahvé, le Dieu d'Israël -- c'est le Dieu qui est à Jérusalem.

Esdras 1, 4 Qu'à tous les rescapés, partout, la population des lieux où ils résident apporte une aide en argent, en or, en équipement et en montures, en même temps que des offrandes de dévotion pour le Temple de Dieu qui est à Jérusalem."

Esdras 1, 5 Alors les chefs de famille de Juda et de Benjamin, les prêtres et les lévites, bref tous ceux dont Dieu avait éveillé l'esprit, se levèrent pour aller bâtir le Temple de Yahvé, à Jérusalem;

Esdras 1, 6 et tous leurs voisins leur apportèrent toute sorte d'aide: argent, or, équipement, montures et cadeaux précieux,, sans compter toutes les offrandes de dévotion.

Esdras 1, 7 Le roi Cyrus fit prendre les ustensiles du Temple de Yahvé que Nabuchodonosor avait apportés de Jérusalem et offerts au temple de son dieu.

Esdras 1, 8 Cyrus, roi de Perse, les remit aux mains de Mithridate, le trésorier, qui les dénombra pour Sheshbaççar, le prince de Juda.

Esdras 1, 9 Voici leur inventaire: bassins d'or: 30; bassins d'argent: mille, réparés: 29;

Esdras 1, 10 coupes d'or: 30; coupes d'argent: mille, abîmées: 410; autres ustensiles: mille.

Esdras 1, 11 Total des ustensiles d'or et d'argent: 5.400. Tout cela, Sheshbaççar le rapporta, quand on fit remonter les exilés de Babylone à Jérusalem.

Esdras 2, 1 Voici les gens de la province qui revinrent de la captivité et de l'exil, ceux que Nabuchodonosor, roi de Babylone, avait déportés à Babylone; ils retournèrent à Jérusalem et en Juda, chacun dans sa ville.

Esdras 2, 2 Ils arrivèrent avec Zorobabel, Josué, Néhémie, Seraya, Réélaya, Nahamani, Mordokaï, Bilshân, Mispar, Bigvaï, Rehum, Baana. Liste des hommes du peuple d'Israël:

Esdras 2, 3 les fils de Paréosh: 2.172;

Esdras 2, 4 les fils de Shephatya: 372;

Esdras 2, 5 les fils d'Arah: 775;

Esdras 2, 6 les fils de Pahat-Moab, c'est-à-dire les fils de Josué et de Yoab: 2.812;

Esdras 2, 7 les fils de Elam: 1.254;

Esdras 2, 8 les fils de Zattu: 945;

Esdras 2, 9 les fils de Zakkaï: 760;

Esdras 2, 10 les fils de Bani: 642;

Esdras 2, 11 les fils de Bébaï: 623;

Esdras 2, 12 les fils de Azgad: 1.222;

Esdras 2, 13 les fils d'Adoniqam: 666;

Esdras 2, 14 les fils de Bigvaï: 2.056;

Esdras 2, 15 les fils de Adîn: 454;

Esdras 2, 16 les fils d'Ater, c'est-à-dire de Yehizqiyya: 98;

Esdras 2, 17 les fils de Béçaï: 323;

Esdras 2, 18 les fils de Yora: 112;

Esdras 2, 19 les fils de Hashum: 223;

Esdras 2, 20 les fils de Gibbar: 95;

Esdras 2, 21 les fils de Bethléem: 123;

Esdras 2, 22 les hommes de Netopha: 56;

Esdras 2, 23 les hommes d'Anatot: 128;

Esdras 2, 24 les fils de Azmavèt: 42;

Esdras 2, 25 les fils de Qiryat-Yéarim, Kephira et Béérot: 743;

Esdras 2, 26 les fils de Rama et Géba: 621;

Esdras 2, 27 les hommes de Mikmas: 122;

Esdras 2, 28 les hommes de Béthel et de Aï: 223;

Esdras 2, 29 les fils de Nebo: 52;

Esdras 2, 30 les fils de Magbish: 156;

Esdras 2, 31 les fils d'un autre Elam: 1.254;

Esdras 2, 32 les fils de Harim: 320;

Esdras 2, 33 les fils de Lod, Hadid et Ono: 725;

Esdras 2, 34 les fils de Jéricho: 345;

Esdras 2, 35 les fils de Senaa: 3.630.

Esdras 2, 36 Les prêtres: les fils de Yedaya, c'est-à-dire la maison de Josué: 973;

Esdras 2, 37 les fils d'Immer: 1.052;

Esdras 2, 38 les fils de Pashehur: 1.247;

Esdras 2, 39 les fils de Harim: 1.017.

Esdras 2, 40 Les lévites: les fils de Josué, et Qadmiel, des fils de Hodavya: 74.

Esdras 2, 41 Les chantres: les fils d'Asaph: 128.

Esdras 2, 42 Les fils des portiers: les fils de Shallum, les fils d'Ater, les fils de Talmôn, les fils de Aqqub, les fils de Hatita, les fils de Shobaï: en tout 139.

Esdras 2, 43 Les "donnés": les fils de Ciha, les fils de Hasupha, les fils de Tabbaot,

Esdras 2, 44 les fils de Qéros, les fils de Sia, les fils de Padôn,

Esdras 2, 45 les fils de Lebana, les fils de Hagaba, les fils de Aqqub,

Esdras 2, 46 les fils de Hagab, les fils de Shamlaï, les fils de Hanân,

Esdras 2, 47 les fils de Giddel, les fils de Gahar, les fils de Reaya,

Esdras 2, 48 les fils de Reçîn, les fils de Neqoda, les fils de Gazzam,

Esdras 2, 49 les fils de Uzza, les fils de Paséah, les fils de Bésaï,

Esdras 2, 50 les fils d'Asna, les fils des Méûnites, les fils des Nephusites,

Esdras 2, 51 les fils de Baqbuq, les fils de Haqupha, les fils de Harhur,

Esdras 2, 52 les fils de Baçlut, les fils de Mehida, les fils de Harsha,

Esdras 2, 53 les fils de Barqos, les fils de Sisra, les fils de Témah,

Esdras 2, 54 les fils de Neçiah, les fils de Hatipha.

Esdras 2, 55 Les fils des esclaves de Salomon: les fils de Sotaï, les fils de Has-Sophérèt, les fils de Peruda,

Esdras 2, 56 les fils de Yaala, les fils de Darqôn, les fils de Giddel,

Esdras 2, 57 les fils de Shephatya, les fils de Hattil, les fils de Pokérèt-ha-Cebayim, les fils de Ami.

Esdras 2, 58 Total des "donnés" et des fils des esclaves de Salomon: 392.

Esdras 2, 59 Quant aux suivants, qui venaient de Tel-Mélah, Tel-Harsha, Kerub, Addân et Immer, ils ne purent faire connaître si leur famille et leur race étaient d'origine israélite:

Esdras 2, 60 les fils de Delaya, les fils de Tobiyya, les fils de Neqoda: 652.

Esdras 2, 61 Et parmi les fils des prêtres: les fils de Hobayya, les fils d'Haqqoç, les fils de Barzillaï -- celui-ci avait pris pour femme l'une des filles de Barzillaï, le Galaadite, dont il adopta le nom.

Esdras 2, 62 Ceux-là recherchèrent leurs registres généalogiques mais ne les trouvèrent pas: on les écarta donc du sacerdoce comme impurs

Esdras 2, 63 et Son Excellence leur interdit de manger des aliments sacrés jusqu'à ce qu'un prêtre se levât pour l'Urim et le Tummim.

Esdras 2, 64 L'assemblée tout entière se montait à 42.360 individus,

Esdras 2, 65 sans compter leurs esclaves et leurs servantes au nombre de 7.337. Ils avaient aussi 200 chanteurs et chanteuses.

Esdras 2, 66 Leurs chevaux étaient au nombre de 736, leurs mulets au nombre de 245,

Esdras 2, 67 leurs chameaux au nombre de 435 et leurs ânes au nombre de 6.720.

Esdras 2, 68 Un certain nombre de chefs de famille, en arrivant au Temple de Yahvé qui est à Jérusalem, firent des offrandes de dévotion pour le Temple de Dieu, afin qu'on le rétablît en son site.

Esdras 2, 69 Selon leurs possibilités, ils versèrent au trésor du culte 61.000 drachmes d'or, 5.000 mines d'argent et cent tuniques sacerdotales.

Esdras 2, 70 Prêtres, lévites et une partie du peuple s'installèrent à Jérusalem; chantres, portiers et "donnés" dans leurs villes, et tous les autres Israélites dans leurs villes.

Esdras 3, 1 Quand arriva le septième mois -- les Israélites étant ainsi dans leurs villes -- tout le peuple se rassembla comme un seul homme à Jérusalem.

Esdras 3, 2 Josué, fils de Yoçadaq, avec ses frères les prêtres, et Zorobabel, fils de Shéaltiel, avec ses frères, se mirent à rebâtir l'autel du Dieu d'Israël, pour y offrir des holocaustes, comme il est écrit dans la Loi de Moïse, l'homme de Dieu.

Esdras 3, 3 On rétablit l'autel en son site -- malgré la crainte où l'on était des peuples des pays -- et l'on y offrit des holocaustes à Yahvé, holocaustes du matin et du soir;

Esdras 3, 4 on célébra la fête des Tentes, comme il est écrit, avec autant d'holocaustes quotidiens qu'il est fixé pour chaque jour;

Esdras 3, 5 puis, outre l'holocauste perpétuel, on offrit ceux prévus pour les sabbats, néoménies et toutes solennités consacrées à Yahvé, plus ceux que chacun voulait offrir par dévotion à Yahvé.

Esdras 3, 6 Dès le premier jour du septième mois, on commença à offrir des holocaustes à Yahvé, bien que les fondations du sanctuaire de Yahvé ne fussent pas encore posées.

Esdras 3, 7 Puis on donna de l'argent aux tailleurs de pierre et aux charpentiers; aux Sidoniens et aux Tyriens on remit vivres, boissons et huile, pour qu'ils acheminent par mer jusqu'à Jaffa du bois de cèdre en provenance du Liban, selon l'autorisation accordée par Cyrus, roi de Perse.

Esdras 3, 8 C'est la seconde année de leur arrivée au Temple de Dieu à Jérusalem, le deuxième mois, que Zorobabel, fils de Shéaltiel, et Josué, fils de Yoçadaq, avec le reste de leurs frères, les prêtres, les lévites et tous les gens rentrés de captivité à Jérusalem, commencèrent l'ouvrage, et ils confièrent aux lévites de vingt ans et au-dessus la direction des travaux du Temple de Yahvé.

Esdras 3, 9 Josué, ses fils et ses frères, Qadmiel et ses fils, les fils de Hodavya, se mirent donc d'un seul coeur à diriger les travailleurs du chantier, au Temple de Dieu.

Esdras 3, 10 Quand les bâtisseurs eurent posé les fondations du sanctuaire de Yahvé, les prêtres en costume, avec des trompettes, ainsi que les lévites, fils d'Asaph, avec des cymbales, se présentèrent pour louer Yahvé, selon les prescriptions de David, roi d'Israël;

Esdras 3, 11 ils chantèrent à Yahvé louange et action de grâces: "Car il est bon, car éternel est son amour" pour Israël. Et le peuple tout entier poussait de grandes clameurs en louant Yahvé, parce que le Temple de Yahvé avait ses fondations.

Esdras 3, 12 Cependant, maints prêtres, maints lévites et chefs de famille, déjà âgés et qui avaient vu le premier Temple, pleuraient très fort tandis qu'on posait les fondations sous leurs yeux, mais beaucoup d'autres élevaient la voix en joyeuses clameurs.

Esdras 3, 13 Et nul ne pouvait distinguer le bruit des clameurs joyeuses du bruit des lamentations du peuple; car le peuple poussait d'immenses clameurs dont l'éclat se faisait entendre très loin.

Esdras 4, 1 Mais lorsque les ennemis de Juda et de Benjamin apprirent que les exilés construisaient un sanctuaire à Yahvé, le Dieu d'Israël,

Esdras 4, 2 ils s'en vinrent trouver Zorobabel, Josué et les chefs de famille et leur dirent: "Nous voulons bâtir avec vous, car, comme vous, nous cherchons votre Dieu et lui sacrifions depuis le temps d'Asarhaddon, roi d'Assur, qui nous amena ici."

Esdras 4, 3 Zorobabel, Josué et les autres chefs de familles israélites leur répondirent: "Il ne convient point que nous bâtissions, vous et nous, un Temple à notre Dieu: C'est à nous seuls de bâtir pour Yahvé le Dieu d'Israël, comme nous l'a prescrit Cyrus, roi de Perse."

Esdras 4, 4 Alors le peuple du pays se mit à décourager les gens de Juda et à les effrayer pour qu'ils ne bâtissent plus;

Esdras 4, 5 on soudoya contre eux des conseillers pour faire échouer leur plan, pendant tout le temps de Cyrus, roi de Perse, jusqu'au règne de Darius, roi de Perse.

Esdras 4, 6 Sous le règne de Xerxès, au début de son règne, ils rédigèrent une plainte contre les habitants de Juda et de Jérusalem.

Esdras 4, 7 Au temps d'Artaxerxès, Mithridate, Tabéel et leurs autres collègues écrivirent contre Jérusalem à Artaxerxès, roi de Perse. Le texte du document était d'écriture araméenne et de langue araméenne.

Esdras 4, 8 Puis Rehum, gouverneur, et Shimshaï, secrétaire, écrivirent au roi Artaxerxès, contre Jérusalem, la lettre qui suit --

Esdras 4, 9 Rehum, le gouverneur, Shimshaï, le secrétaire et leurs autres collègues; les juges et les légats, fonctionnaires perses; les gens d'Uruk, de Babylone et de Suse -- c'est-à-dire les Elamites --

Esdras 4, 10 et les autres peuples que le grand et illustre Assurbanipal a déportés et établis dans les villes de Samarie et dans le reste de la Transeuphratène.

Esdras 4, 11 Voici la copie de la lettre qu'ils lui envoyèrent: "Au roi Artaxerxès, tes serviteurs, les gens de Transeuphratène: Maintenant donc

Esdras 4, 12 le roi doit être informé que les Juifs, montés de chez toi vers nous, et venus à Jérusalem, sont en train de rebâtir la ville rebelle et perverse; ils commencent à restaurer les remparts et ils creusent les fondations.

Esdras 4, 13 Maintenant le roi doit être informé que si cette ville est rebâtie et les remparts restaurés, on ne paiera plus impôts, contributions ni droits de passage, et qu'en fin de compte mon roi sera lésé.

Esdras 4, 14 Maintenant, mangeant le sel du palais, il ne nous paraît pas décent de voir cet affront fait au roi; aussi envoyons-nous au roi ces informations

Esdras 4, 15 pour qu'on fasse des recherches dans les Mémoriaux de tes pères: dans ces Mémoriaux, tu trouveras et constateras que cette ville est une ville rebelle, néfaste aux rois et aux provinces, et qu'on y a fomenté des séditions depuis les temps anciens. C'est pourquoi cette ville fut détruite.

Esdras 4, 16 Nous informons le roi que si cette ville est rebâtie et ses remparts relevés, tu n'auras bientôt plus de territoires en Transeuphratène!"

Esdras 4, 17 Le roi envoya cette réponse: "A Rehum, gouverneur, à Shimshaï, secrétaire, et à leurs autres collègues, résidant à Samarie et ailleurs, en Transeuphratène, paix! Maintenant donc

Esdras 4, 18 le document que vous nous avez envoyé a été, devant moi, lu dans sa traduction.

Esdras 4, 19 Sur mon ordre, on a fait des recherches et l'on a trouvé que cette ville s'est soulevée contre les rois depuis les temps anciens et que des révoltes et des séditions s'y produisirent.

Esdras 4, 20 Des rois puissants ont régné à Jérusalem, qui dominèrent toute la Transeuphratène: on leur payait impôt, contributions et droits de passage.

Esdras 4, 21 Donnez donc l'ordre qu'on interrompe l'entreprise de ces hommes: cette ville ne doit pas être rebâtie tant que je n'aurai rien décidé.

Esdras 4, 22 Gardez-vous d'agir avec négligence en cette affaire, de peur que le mal n'empire au préjudice des rois."

Esdras 4, 23 Dès que la copie du document du roi Artaxerxès eut été lue devant Rehum, le gouverneur, Shimshaï, le secrétaire, et leurs collègues, ils partirent en toute hâte pour Jérusalem chez les Juifs et, par la force des armes, arrêtèrent leurs travaux.

Esdras 4, 24 C'est ainsi qu'avaient été arrêtés les travaux pour le Temple de Dieu à Jérusalem: ils demeurèrent interrompus jusqu'à la deuxième année du règne de Darius, roi de Perse.

Esdras 5, 1 Alors les prophètes Aggée et Zacharie, fils d'Iddo, se mirent à prophétiser pour les Juifs de Juda et de Jérusalem, au nom du Dieu d'Israël qui était sur eux.

Esdras 5, 2 Sur ce, Zorobabel, fils de Shéaltiel, et Josué, fils de Yoçadaq, se levèrent et commencèrent à bâtir le Temple de Dieu à Jérusalem: les prophètes de Dieu étaient avec eux, leur donnant de l'aide.

Esdras 5, 3 En ce temps-là, Tattenaï, gouverneur de Transeuphratène, Shetar-Boznaï et leurs collègues vinrent les trouver et leur demandèrent: "Qui vous a donné un permis pour rebâtir ce Temple et restaurer cette charpente?

Esdras 5, 4 Comment s'appellent les hommes qui construisent cet édifice?"

Esdras 5, 5 Mais les yeux de leur Dieu étaient sur les anciens des Juifs: on ne les força pas à s'arrêter en attendant qu'un rapport parvînt à Darius et que fît retour un acte officiel à propos de cette affaire.

Esdras 5, 6 Copie de la lettre que Tattenaï, gouverneur de Transeuphratène, Shetar-Boznaï et ses collègues, les autorités en Transeuphratène, expédièrent au roi Darius.

Esdras 5, 7 Ils lui adressèrent un rapport dont voici la teneur: "Au roi Darius, paix entière!

Esdras 5, 8 Le roi doit être informé que nous nous sommes rendus dans le district de Juda, au Temple du grand Dieu: il se rebâtit en blocs de pierre et des poutres sont mises dans les murs; le travail est activement exécuté et progresse entre leurs mains.

Esdras 5, 9 Interrogeant alors ces anciens, nous leur avons dit: Qui vous a donné un permis pour rebâtir ce Temple et restaurer cette charpente?

Esdras 5, 10 Nous leur avons encore demandé leurs noms pour t'en informer; nous avons ainsi pu transcrire le nom des hommes qui commandent à ces gens.

Esdras 5, 11 Or ils nous firent cette réponse: Nous sommes les serviteurs du Dieu du ciel et de la terre; nous rebâtissons un Temple qui resta debout, jadis, durant bien des années, et qu'un grand roi d'Israël construisit et acheva.

Esdras 5, 12 Mais nos pères ayant irrité le Dieu du ciel, il les livra aux mains de Nabuchodonosor le Chaldéen, roi de Babylone, qui détruisit ce Temple et déporta le peuple à Babylone.

Esdras 5, 13 Cependant, la première année de Cyrus, roi de Babylone, le roi Cyrus donna l'ordre de rebâtir ce Temple de Dieu;

Esdras 5, 14 en outre, les ustensiles d'or et d'argent du Temple de Dieu, dont Nabuchodonosor avait dépouillé le sanctuaire de Jérusalem et qu'il avait transférés en celui de Babylone, le roi Cyrus les fit enlever du sanctuaire de Babylone et remettre à un nommé Sheshbaççar, qu'il institua gouverneur;

Esdras 5, 15 il lui dit: Prends ces ustensiles, va les rapporter au sanctuaire de Jérusalem, et que le Temple de Dieu soit rebâti sur son ancien site;

Esdras 5, 16 ce Sheshbaççar vint donc, posa les fondations du Temple de Dieu à Jérusalem; et depuis lors jusqu'à présent, on le construit, sans qu'il soit encore terminé.

Esdras 5, 17 Maintenant donc, s'il plaît au roi, qu'on recherche dans les trésors du roi, à Babylone, s'il est vrai qu'ordre a été donné par le roi Cyrus de reconstruire ce Temple de Dieu à Jérusalem. Et la décision du roi sur cette affaire, qu'on nous l'envoie!"

Esdras 6, 1 Alors, sur l'ordre du roi Darius, on fit des recherches dans les trésors où étaient déposées les archives à Babylone,

Esdras 6, 2 et l'on trouva à Ecbatane, la forteresse sise dans la province des Mèdes, un rouleau dont voici la teneur: "Mémorandum.

Esdras 6, 3 La première année du roi Cyrus, le roi Cyrus a ordonné: Temple de Dieu à Jérusalem. Le Temple sera rebâti comme lieu où l'on offre des sacrifices et ses fondations seront préservées. Sa hauteur sera de 60 coudées, sa largeur de 60 coudées.

Esdras 6, 4 Il y aura trois assises de blocs de pierres et une assise de bois. La dépense sera couverte par la maison du roi.

Esdras 6, 5 En sus, les ustensiles d'or et d'argent du Temple de Dieu que Nabuchodonosor enleva au sanctuaire de Jérusalem et emporta à Babylone, on les restituera, pour que tout reprenne sa place au sanctuaire de Jérusalem et soit déposé dans le Temple de Dieu."

Esdras 6, 6 "Maintenant donc, Tattenaï, gouverneur de Transeuphratène, Shetar-Boznaï, et vous leurs collègues, les autorités en Transeuphratène, écartez-vous de là;

Esdras 6, 7 laissez travailler à ce Temple de Dieu le gouverneur de Juda et les anciens des Juifs: ils peuvent rebâtir ce Temple de Dieu sur son emplacement.

Esdras 6, 8 Voici mes ordres concernant votre ligne de conduite vis-à-vis de ces anciens des Juifs pour la reconstruction de ce Temple de Dieu: c'est sur les fonds royaux -- c'est-à-dire sur l'impôt de Transeuphratène -- que les dépenses de ces gens leur seront exactement, et sans interruption, remboursées.

Esdras 6, 9 Ce qu'il leur faut pour les holocaustes du Dieu du ciel: jeunes taureaux, béliers et agneaux, et aussi blé, sel, vin et huile, leur sera, sans négligence, quotidiennement fourni suivant les indications des prêtres de Jérusalem,

Esdras 6, 10 pour qu'on offre au Dieu du ciel des sacrifices d'agréable odeur et qu'on prie pour la vie du roi et de ses fils.

Esdras 6, 11 J'ordonne encore ceci: quiconque transgressera cet édit, on arrachera de sa maison une poutre: elle sera dressée et il y sera empalé; quant à sa maison, on en fera, pour ce forfait, un bourbier.

Esdras 6, 12 Que le Dieu qui fait résider là son Nom renverse tout roi ou peuple qui entreprendraient de passer outre en détruisant ce Temple de Dieu à Jérusalem! Moi Darius, j'ai donné cet ordre. Qu'il soit ponctuellement exécuté!"

Esdras 6, 13 Alors Tattenaï, gouverneur de Transeuphratène, Shetar-Boznaï et leurs collègues exécutèrent ponctuellement les instructions envoyées par le roi Darius.

Esdras 6, 14 Quant aux anciens des Juifs, ils continuèrent à bâtir, avec succès, sous l'inspiration d'Aggée le prophète et de Zacharie, fils d'Iddo. Ils achevèrent la construction conformément à l'ordre du Dieu d'Israël et à l'ordre de Cyrus et de Darius.

Esdras 6, 15 Ce Temple fut terminé le vingt-troisième jour du mois d'Adar: c'était la sixième année du règne du roi Darius.

Esdras 6, 16 Les Israélites -- les prêtres, les lévites et le reste des exilés -- firent avec joie la dédicace de ce Temple de Dieu;

Esdras 6, 17 ils offrirent, pour la dédicace de ce Temple de Dieu, cent taureaux, 200 béliers, 400 agneaux et, en sacrifice pour le péché de tout Israël, douze boucs suivant le nombre des tribus d'Israël.

Esdras 6, 18 Puis ils installèrent les prêtres selon leurs catégories et les lévites selon leurs classes au service du Temple de Dieu, à Jérusalem, comme il est écrit dans le livre de Moïse.

Esdras 6, 19 Les exilés célébrèrent la Pâque le quatorze du premier mois.

Esdras 6, 20 Les lévites, comme un seul homme, s'étaient purifiés: tous étaient purs; ils immolèrent donc la pâque; pour tous les exilés, pour leurs frères les prêtres et pour eux-mêmes.

Esdras 6, 21 Mangèrent la pâque: les Israélites qui étaient revenus d'exil et tous ceux qui, ayant rompu avec l'impureté des nations du pays, s'étaient joints à eux pour chercher Yahvé, le Dieu d'Israël.

Esdras 6, 22 Ils célébrèrent avec joie pendant sept jours la fête des Azymes, car Yahvé les avait remplis de joie, ayant incliné vers eux le coeur du roi d'Assur, pour qu'il fortifiât leurs mains dans les travaux du Temple de Dieu, le Dieu d'Israël.

Esdras 7, 1 Après ces événements, sous le règne d'Artaxerxès, roi de Perse, Esdras, fils de Seraya, fils de Azarya, fils de Hilqiyya,

Esdras 7, 2 fils de Shallum, fils de Sadoq, fils d'Ahitub,

Esdras 7, 3 fils d'Amarya, fils de Azarya, fils de Merayot,

Esdras 7, 4 fils de Zerahya, fils de Uzzi, fils de Buqqi,

Esdras 7, 5 fils d'Abishua, fils de Pinhas, fils d'Eléazar, fils du grand prêtre Aaron,

Esdras 7, 6 cet Esdras monta de Babylone. C'était un scribe versé dans la Loi de Moïse, qu'avait donnée Yahvé, le Dieu d'Israël. Comme la main de Yahvé, son Dieu, était sur lui, le roi lui accorda tout ce qu'il demandait.

Esdras 7, 7 Un certain nombre d'Israélites, de prêtres, de lévites, de chantres, de portiers et de "donnés" montèrent à Jérusalem la septième année du roi Artaxerxès.

Esdras 7, 8 Il arriva à Jérusalem le cinquième mois: c'était la septième année du roi.

Esdras 7, 9 Il avait en effet fixé au premier jour du premier mois son départ de Babylone et c'est le premier jour du cinquième mois qu'il parvint à Jérusalem: la main bienveillante de son Dieu était sur lui!

Esdras 7, 10 Car Esdras avait appliqué son coeur à scruter la Loi de Yahvé, à la pratiquer et à enseigner, en Israël, les lois et les coutumes.

Esdras 7, 11 Voici la copie du document que le roi Artaxerxès remit à Esdras, le prêtre-scribe, savant interprète des commandements de Yahvé et de ses lois concernant Israël.

Esdras 7, 12 "Artaxerxès, le roi des rois, au prêtre Esdras, Secrétaire de la Loi du Dieu du ciel, paix parfaite. Maintenant donc,

Esdras 7, 13 j'ai donné l'ordre que quiconque en mon royaume fait partie du peuple d'Israël, de ses prêtres ou de ses lévites et est volontaire pour aller à Jérusalem, peut partir avec toi,

Esdras 7, 14 puisque tu es envoyé par le roi et ses sept conseillers pour inspecter Juda et Jérusalem d'après la Loi de ton Dieu, que tu as en mains,

Esdras 7, 15 et pour porter l'argent et l'or que le roi et ses conseillers ont offerts par dévotion au Dieu d'Israël qui réside à Jérusalem,

Esdras 7, 16 ainsi que tout l'argent et l'or que tu auras reçus dans toute la province de Babylone, avec les offrandes de dévotion que le peuple et les prêtres auront faites pour le Temple de leur Dieu à Jérusalem.

Esdras 7, 17 Donc, avec cet argent tu auras soin d'acheter taureaux, béliers, agneaux, ainsi que les oblations et libations qui les accompagnent: tu en feras offrande sur l'autel du Temple de votre Dieu à Jérusalem;

Esdras 7, 18 quant à l'argent et l'or qui resteront, vous les emploierez comme il vous semblera bon, à toi et à tes frères, en vous conformant à la volonté de votre Dieu.

Esdras 7, 19 Les ustensiles qu'on t'a remis pour le service du Temple de ton Dieu, dépose-les devant ton Dieu, à Jérusalem.

Esdras 7, 20 Ce qui serait encore nécessaire au Temple de ton Dieu et qu'il t'incomberait de lui procurer, tu le procureras du trésor royal.

Esdras 7, 21 C'est moi-même, le roi Artaxerxès, qui donne cet ordre à tous les trésoriers de Transeuphratène: Tout ce que vous demandera le prêtre Esdras, Secrétaire de la Loi du Dieu du ciel, qu'on y fasse ponctuellement droit

Esdras 7, 22 jusqu'à concurrence de cent talents d'argent, cent muids de blé, cent mesures de vin, cent mesures d'huile; le sel sera fourni à volonté.

Esdras 7, 23 Tout ce qu'ordonne le Dieu du ciel doit être exécuté avec zèle pour le Temple du Dieu du ciel, de peur que la Colère ne se lève sur le royaume du roi et de ses fils.

Esdras 7, 24 On vous informe encore qu'il est interdit de percevoir impôt, contribution, ou droit de passage sur tous les prêtres, lévites, chantres, portiers, "donnés", bref sur les servants de cette maison de Dieu.

Esdras 7, 25 Quant à toi, Esdras, en vertu de la sagesse de ton Dieu, que tu as en mains, établis des scribes et des juges qui exercent la justice pour tout le peuple de Transeuphratène, c'est-à-dire tous ceux qui connaissent la Loi de ton Dieu. Qui ne la connaît pas, vous devrez l'en instruire.

Esdras 7, 26 Quiconque n'observerait pas la Loi de ton Dieu -- qui est la Loi du roi --, qu'une rigoureuse justice lui soit appliquée: mort, bannissement, amende ou emprisonnement.

Esdras 7, 27 Béni soit Yahvé, le Dieu de nos pères, qui inspira ainsi au coeur du roi de glorifier le Temple de Yahvé à Jérusalem,

Esdras 7, 28 et qui tourna vers moi la faveur du roi, de ses conseillers et de tous les fonctionnaires royaux les plus puissants. Quant à moi, je pris courage, car la main de Yahvé mon Dieu était sur moi, et je rassemblai des chefs d'Israël, pour qu'ils partent avec moi.

Esdras 8, 1 Voici, avec leur généalogie, les chefs de famille qui partirent avec moi de Babylone sous le règne du roi Artaxerxès.

Esdras 8, 2 Des fils de Pinhas: Gershom; des fils d'Itamar: Daniyyel; des fils de David: Hattush,

Esdras 8, 3 fils de Shekanya; des fils de Paréosh: Zekarya, avec qui furent enregistrés 150 mâles;

Esdras 8, 4 des fils de Pahat-Moab: Elyehoénaï, fils de Zerahya, et avec lui 200 mâles;

Esdras 8, 5 des fils de Zattu: Shekanya, fils de Yahaziel, et avec lui 300 mâles;

Esdras 8, 6 des fils de Adîn: Ebed, fils de Yonatân, et avec lui 50 mâles;

Esdras 8, 7 des fils de Elam: Yeshaya, fils d'Atalya, et avec lui 70 mâles;

Esdras 8, 8 des fils de Shephatya: Zebadya, fils de Mikaël, et avec lui 80 mâles;

Esdras 8, 9 des fils de Yoab: Obadya, fils de Yehiel, et avec lui 218 mâles;

Esdras 8, 10 des fils de Bani: Shelomit, fils de Yosiphya, et avec lui 160 mâles;

Esdras 8, 11 des fils de Bébaï: Zekarya, fils de Bébaï, et avec lui 28 mâles;

Esdras 8, 12 des fils de Azgad: Yohanân, fils de Haqqatân, et avec lui 110 mâles;

Esdras 8, 13 des fils d'Adoniqam: les cadets dont voici les noms: Eliphélèt, Yeïel et Shemaya, et avec eux 60 mâles;

Esdras 8, 14 et des fils de Bigvaï: Utaï, fils de Zabud, et avec lui 70 mâles.

Esdras 8, 15 Je les rassemblai près de la rivière qui coule vers Ahava. Nous campâmes là trois jours. J'y remarquai des laïcs et des prêtres, mais n'y trouvai aucun lévite.

Esdras 8, 16 Alors je dépêchai Eliézer, Ariel, Shemaya, Elnatân, Yarib, Elnatân, Natân, Zekarya et Meshullam, hommes judicieux,

Esdras 8, 17 et les mandatai auprès d'Iddo, chef en la localité de Kasiphya; je mis en leur bouche les paroles qu'ils devaient adresser à Iddo et à ses frères, fixés dans la localité de Kasiphya: nous fournir des servants pour le Temple de notre Dieu.

Esdras 8, 18 Or, grâce à la main bienveillante de notre Dieu, qui était sur nous, ils nous fournirent un homme avisé, des fils de Mahli, fils de Lévi, fils d'Israël, Shérébya, avec ses fils et frères: dix-huit hommes;

Esdras 8, 19 plus Hashabya et avec lui son frère Yeshaya, des fils de Merari, ainsi que leurs fils: vingt hommes.

Esdras 8, 20 Et parmi les "donnés" que David et les chefs avaient procurés aux lévites pour les servir: 220 "donnés." Tous furent enregistrés nommément.

Esdras 8, 21 Je proclamai là, près de la rivière d'Ahava, un jeûne: il s'agissait de nous humilier devant notre Dieu et de lui demander un heureux voyage pour nous, les personnes à notre charge et tous nos biens.

Esdras 8, 22 Car j'aurais eu honte de réclamer au roi une troupe et des cavaliers pour nous protéger de l'ennemi pendant la route; nous avions au contraire déclaré au roi: "La main de notre Dieu s'étend favorablement sur tous ceux qui le cherchent; mais sa puissance et sa colère sont sur tous ceux qui l'abandonnent."

Esdras 8, 23 Nous jeûnâmes donc, invoquant notre Dieu à cette intention, et il nous exauça.

Esdras 8, 24 Je choisis douze des chefs des prêtres, en plus de Shérébya et Hashabya et avec eux dix de leurs frères;

Esdras 8, 25 je leur pesai l'argent, l'or et les ustensiles, les offrandes que le roi, ses conseillers, ses grands et tous les Israélites se trouvant là avaient faites pour le Temple de notre Dieu.

Esdras 8, 26 Je pesai donc et remis en leurs mains 650 talents d'argent, cent ustensiles d'argent de deux talents, cent talents d'or,

Esdras 8, 27 vingt coupes d'or de mille dariques et deux vases d'un beau cuivre brillant, qui étaient précieux comme de l'or.

Esdras 8, 28 Je leur déclarai: "Vous êtes consacrés à Yahvé; ces ustensiles sont sacrés; cet argent et cet or sont voués à Yahvé, le Dieu de vos pères.

Esdras 8, 29 Veillez-y et gardez-les jusqu'à ce que vous puissiez les peser devant les chefs des prêtres et des lévites et les chefs de familles d'Israël, à Jérusalem, dans les salles du Temple de Yahvé."

Esdras 8, 30 Prêtres et lévites prirent alors en charge l'argent, l'or et les ustensiles ainsi pesés pour les transporter à Jérusalem, au Temple de notre Dieu.

Esdras 8, 31 Le douze du premier mois, nous quittâmes la rivière d'Ahava pour aller à Jérusalem: la main de notre Dieu était sur nous, et, sur la route, il nous protégea des attaques des ennemis et des pillards.

Esdras 8, 32 Nous arrivâmes à Jérusalem et y restâmes trois jours au repos.

Esdras 8, 33 Le quatrième jour, l'argent, l'or et les ustensiles furent pesés dans le Temple de notre Dieu et remis entre les mains du prêtre Merémot, fils d'Uriyya, avec qui était Eléazar, fils de Pinhas; auprès d'eux se tenaient les lévites Yozabad, fils de Josué, et Noadya, fils de Binnuï.

Esdras 8, 34 Nombre et poids, tout y était. On enregistra le poids total. En ce temps-là,

Esdras 8, 35 ceux qui revenaient de captivité, les exilés, offrirent des holocaustes au Dieu d'Israël: douze taureaux pour tout Israël, 96 béliers, 72 agneaux, douze boucs pour le péché: le tout en holocauste à Yahvé.

Esdras 8, 36 Et l'on remit les ordonnances du roi aux satrapes royaux et aux gouverneurs de Transeuphratène, lesquels vinrent en aide au peuple et au Temple de Dieu.

Esdras 9, 1 Cela réglé, les chefs m'abordèrent en disant: "Le peuple d'Israël, les prêtres et les lévites n'ont point rompu avec les peuples des pays plongés dans leurs abominations -- Cananéens, Hittites, Perizzites, Jébuséens, Ammonites, Moabites, Egyptiens et Amorites! --

Esdras 9, 2 mais, pour eux et pour leurs fils, ils ont pris femmes parmi leurs filles: la race sainte s'est mêlée aux peuples des pays: chefs et magistrats, les premiers, ont participé à cette infidélité!"

Esdras 9, 3 A cette nouvelle, je déchirai mon vêtement et mon manteau, m'arrachai les cheveux et les poils de barbe et m'assis accablé.

Esdras 9, 4 Tous ceux qui tremblaient aux paroles du Dieu d'Israël se rassemblèrent autour de moi, devant cette infidélité des exilés. Quant à moi, je restai assis, accablé, jusqu'à l'oblation du soir.

Esdras 9, 5 A l'oblation du soir, je sortis de ma prostration; vêtement et manteau déchirés, je tombai à genoux, étendis les mains vers Yahvé, mon Dieu,

Esdras 9, 6 et dis: "Mon Dieu, j'ai honte et je rougis de lever mon visage vers toi, mon Dieu. Car nos iniquités se sont multipliées jusqu'à dépasser nos têtes, et nos fautes se sont amoncelées jusqu'au ciel.

Esdras 9, 7 Depuis les jours de nos pères jusqu'à ce jour, nous sommes grandement coupables: pour nos iniquités nous fûmes livrés, nous, nos rois et nos prêtres, aux mains des rois des pays, à l'épée, à la captivité, au pillage et à la honte, comme c'est le cas aujourd'hui.

Esdras 9, 8 Mais à présent, pour un bref moment, Yahvé notre Dieu nous a fait une grâce en nous conservant des rescapés et en nous accordant de nous fixer dans son lieu saint: ainsi notre Dieu a-t-il illuminé nos yeux et nous a-t-il donné quelque répit en notre servitude.

Esdras 9, 9 Car nous sommes esclaves; mais dans notre servitude notre Dieu ne nous a point abandonnés: il nous a concilié la faveur des rois de Perse, nous accordant un répit pour que nous puissions relever le Temple de notre Dieu et restaurer ses ruines, et nous procurant un abri sûr en Juda et à Jérusalem.

Esdras 9, 10 Mais maintenant, notre Dieu, que pourrons-nous dire, après cela? Car nous avons abandonné tes commandements,

Esdras 9, 11 que, par tes serviteurs les prophètes, tu avais prescrits en ces termes: Le pays où vous entrez pour en prendre possession est un pays souillé par la souillure des peuples des pays, par les abominations dont ils l'ont infesté d'un bout à l'autre avec leurs impuretés.

Esdras 9, 12 Eh bien! ne donnez pas vos filles à leurs fils et ne prenez pas leurs filles pour vos fils; ne vous souciez jamais de leur paix ni de leur bonheur, afin que vous deveniez forts, que vous mangiez les meilleurs fruits du pays et le laissiez en patrimoine à vos fils pour toujours.

Esdras 9, 13 Or après tout ce qui nous est advenu par nos actions mauvaises et notre grande faute -- bien que, ô notre Dieu, tu aies réduit le poids de nos iniquités et nous aies laissé les rescapés que voici! --

Esdras 9, 14 pourrions-nous encore violer tes commandements et nous allier à ces gens abominables? Ne t'irriterais-tu pas jusqu'à nous détruire, sans que subsiste un reste et des rescapés?

Esdras 9, 15 Yahvé, Dieu d'Israël, tu es juste car nous sommes restés un groupe de rescapés, comme c'est le cas aujourd'hui. Nous voici devant toi avec notre faute! Oui, il est impossible à cause de cela de subsister en ta présence!"

Esdras 10, 1 Comme Esdras, pleurant et prosterné devant le Temple de Dieu, faisait cette prière et cette confession, une immense assemblée d'Israël, hommes, femmes et enfants, s'était réunie autour de lui, et le peuple pleurait abondamment.

Esdras 10, 2 Alors Shekanya, fils de Yehiel, l'un des fils d'Elam, prenant la parole, dit à Esdras: "Nous avons trahi notre Dieu en épousant des femmes étrangères, prises parmi les peuples du pays. Eh bien! malgré cela, il y a encore un espoir pour Israël.

Esdras 10, 3 Nous allons prendre devant notre Dieu l'engagement solennel de renvoyer toutes nos femmes étrangères et les enfants qui en sont nés, nous conformant au conseil de Monseigneur et de ceux qui tremblent au commandement de notre Dieu. Que l'on agisse selon la Loi!

Esdras 10, 4 Lève-toi! cette affaire te regarde, mais nous serons à tes côtés. Courage et à l'oeuvre!"

Esdras 10, 5 Alors Esdras se leva et fit jurer aux chefs des prêtres et des lévites et à tout Israël qu'ils agiraient comme il avait été dit. On jura.

Esdras 10, 6 Esdras quitta le devant du Temple de Dieu et se rendit à la salle de Yohanân, fils d'Elyashib, où il passa la nuit sans manger de pain ni boire d'eau, car il était dans le deuil à cause de l'infidélité des exilés.

Esdras 10, 7 On fit publier en Juda et à Jérusalem, à l'adresse de tous les exilés, qu'ils eussent à se réunir à Jérusalem:

Esdras 10, 8 quiconque n'y viendrait pas dans les trois jours -- tel fut l'avis des chefs et des anciens -- verrait tout son bien voué à l'anathème et serait lui-même exclu de la communauté des exilés.

Esdras 10, 9 Tous les hommes de Juda et de Benjamin s'assemblèrent donc à Jérusalem dans les trois jours: ce fut le neuvième mois, au vingtième jour du mois; tout le peuple s'installa sur la place du Temple de Dieu, tremblant à cause de cette affaire et parce qu'il pleuvait à verse.

Esdras 10, 10 Alors le prêtre Esdras se leva et leur déclara: "Vous avez commis une infidélité en épousant des femmes étrangères: ainsi avez-vous ajouté à la faute d'Israël!

Esdras 10, 11 Mais à présent rendez grâce à Yahvé, le Dieu de vos pères, et accomplissez sa volonté en vous séparant des peuples du pays et des femmes étrangères."

Esdras 10, 12 Toute l'assemblée répondit à forte voix: "Oui, notre devoir est d'agir suivant tes consignes!

Esdras 10, 13 Mais le peuple est nombreux et c'est la saison des pluies: il n'y a pas moyen de rester dehors; de plus ce n'est pas une entreprise d'un jour ou deux, car nous sommes nombreux à avoir été rebelles en cette matière.

Esdras 10, 14 Que nos chefs représentent l'assemblée entière: tous ceux qui dans nos villes ont épousé des femmes étrangères viendront aux dates assignées, accompagnés des anciens et des juges de chaque ville, jusqu'à ce que nous ayons détourné la fureur de notre Dieu, motivée par cette affaire."

Esdras 10, 15 Seuls Yonatân, fils d'Asahel, et Yahzeya, fils de Tiqva, firent opposition à cette procédure, soutenus par Meshullam et le lévite Shabtaï.

Esdras 10, 16 Les exilés agirent comme on l'avait proposé. Le prêtre Esdras se choisit des chefs de famille, selon leurs maisons, tous nommément désignés. Ils commencèrent à siéger le premier jour du dixième mois pour examiner les cas.

Esdras 10, 17 Et le premier jour du premier mois, ils en eurent fini avec tous les hommes qui avaient épousé des femmes étrangères.

Esdras 10, 18 Parmi les prêtres, voici ceux que l'on trouva avoir épousé des femmes étrangères: parmi les fils de Josué, fils de Yoçadaq, et parmi ses frères: Maaséya, Eliézer, Yarib et Gedalya;

Esdras 10, 19 ils s'engagèrent par serment à renvoyer leurs femmes et, pour leur faute, ils offrirent un bélier en sacrifice de réparation.

Esdras 10, 20 Parmi les fils d'Immer: Hanani et Zebadya;

Esdras 10, 21 parmi les fils de Harim: Maaséya, Eliyya, Shemaya, Yehiel et Uziyya;

Esdras 10, 22 parmi les fils de Pashehur: Elyoénaï, Maaséya, Yishmaël, Netanéel, Yozabad et Eléasa.

Esdras 10, 23 Parmi les lévites: Yozabad, Shiméï, Qélaya -- le même que Qelita --, Petahya, Yehuda et Eliézer.

Esdras 10, 24 Parmi les chantres: Elyashib et Zakkur. Parmi les portiers: Shallum, Télem et Uri.

Esdras 10, 25 Et parmi les Israélites: des fils de Paréosh: Ramya, Yizziyya, Malkiyya, Miyyamîn, Eléazar, Malkiyya et Benaya;

Esdras 10, 26 des fils d'Elam: Mattanya, Zekarya, Yehiel, Abdi, Yerémot et Eliyya;

Esdras 10, 27 des fils de Zattu: Elyoénaï, Elyashib, Mattanya, Yerémot, Zabad et Aziza;

Esdras 10, 28 des fils de Bébaï: Yohanân, Hananya Zabbaï, Atlaï;

Esdras 10, 29 des fils de Bigvaï: Meshullam, Malluk, Yedaya, Yashub, Yishal, Yerémot;

Esdras 10, 30 des fils de Pahat-Moab: Adna, Kelal, Benaya, Maaséya, Mattanya, Beçaléel, Binnuï et Menassé;

Esdras 10, 31 des fils de Harim: Eliézer, Yishshiyya, Malkiyya, Shemaya, Shiméôn,

Esdras 10, 32 Binyamîn, Malluk, Shemarya;

Esdras 10, 33 des fils de Hashum: Mattenaï, Mattatta, Zabad, Eliphélèt, Yerémaï, Menassé, Shiméï;

Esdras 10, 34 des fils de Bani: Maadaï, Amram, Yoël,

Esdras 10, 35 Benaya, Bédya, Kelaya,

Esdras 10, 36 Vanya, Merémot, Elyashib,

Esdras 10, 37 Mattanya, Mattenaï et Yaasaï;

Esdras 10, 38 des fils de Binnuï: Shiméï,

Esdras 10, 39 Shélémya, Natân et Adaya;

Esdras 10, 40 des fils de Zakkaï: Shashaï, Sharaï,

Esdras 10, 41 Azaréel, Shélémya, Shemarya,

Esdras 10, 42 Shallum, Amarya, Yoseph;

Esdras 10, 43 des fils de Nebo: Yeïel, Mattitya, Zabad, Zebina, Yaddaï, Yoël, Benaya.

Esdras 10, 44 Ceux-là avaient tous pris des femmes étrangères: ils les renvoyèrent, femmes et enfants.

 

 

 

 

Néhémie

 

 

 1, 1 Paroles de Néhémie, fils de Hakalya. Au mois de Kisleu, la vingtième année, comme je me trouvais dans la citadelle de Suse,

Néhémie 1, 2 Hanani, l'un de mes frères, arriva avec des gens de Juda. Je les interrogeai sur les Juifs - les rescapés restés de la captivité - et sur Jérusalem.

Néhémie 1, 3 Ils me répondirent: "Ceux qui sont restés de la captivité, là-bas dans la province, sont en grande détresse et dans la confusion, il y a des brèches dans le rempart de Jérusalem et ses portes ont été incendiées."

Néhémie 1, 4 A ces mots, je m'assis et pleurai; je fus plusieurs jours dans le deuil, jeûnant et priant devant le Dieu du ciel.

Néhémie 1, 5 Et je dis: "Ah! Yahvé, Dieu du ciel, toi, le Dieu grand et redoutable qui garde l'alliance et la grâce à ceux qui t'aiment et observent ses commandements,

Néhémie 1, 6 que ton oreille soit attentive, et tes yeux ouverts, pour écouter la prière de ton serviteur. Je te l'adresse maintenant, jour et nuit, pour les Israélites, tes serviteurs, et je confesse les péchés des Israélites que nous avons commis contre toi: moi-même et la maison de mon père, nous avons péché!

Néhémie 1, 7 Nous avons très mal agi envers toi, n'observant pas les commandements, lois et coutumes que tu avais prescrits à Moïse, ton serviteur.

Néhémie 1, 8 Souviens-toi cependant de la parole que tu prescrivis à Moïse ton serviteur: Si vous êtes infidèles, je vous disperserai parmi les peuples;

Néhémie 1, 9 mais si, revenant à moi, vous observez mes commandements et les pratiquez, vos bannis seraient-ils à l'extrémité des cieux, je les en rassemblerais et les ramènerais au Lieu que j'ai choisi pour y faire habiter mon Nom.

Néhémie 1, 10 Ils sont tes serviteurs et ton peuple que tu as rachetés par ta grande puissance et à la force de ton bras!

Néhémie 1, 11 Ah! Seigneur, que ton oreille soit attentive à la prière de ton serviteur, à la prière de tes serviteurs, qui se plaisent à craindre ton Nom. Je t'en supplie, accorde maintenant le succès à ton serviteur et obtiens-lui bon accueil devant cet homme." J'étais alors échanson du roi.

Néhémie 2, 1 Au mois de Nisan, la vingtième année du roi Artaxerxès, comme j'étais chargé du vin, je pris le vin et l'offris au roi. Je n'avais, auparavant, jamais été triste.

Néhémie 2, 2 Aussi le roi me dit-il: "Pourquoi ce triste visage? Tu n'es pourtant pas malade? Non, c'est assurément une affliction du coeur!" Je fus pris d'une vive appréhension

Néhémie 2, 3 et dis au roi: "Que le roi vive à jamais! Comment mon visage ne serait-il pas triste quand la ville où sont les tombeaux de mes pères est en ruines et ses portes dévorées par le feu?"

Néhémie 2, 4 Et le roi de me dire: "Quelle est donc ta requête?" J'invoquai le Dieu du ciel

Néhémie 2, 5 et répondis au roi: "S'il plaît au roi et que tu sois satisfait de ton serviteur, laisse-moi aller en Juda, dans la ville des tombeaux de mes pères, que je la reconstruise."

Néhémie 2, 6 Le roi me demanda - la reine était alors assise à ses côtés -: "Jusques à quand durera ton voyage? Quand reviendras-tu?" Je lui fixai une date, qui convint au roi, et il m'autorisa à partir.

Néhémie 2, 7 Je dis encore au roi: "S'il plaît au roi, qu'on me donne des lettres pour les gouverneurs de Transeuphratène, afin qu'ils me laissent passer jusqu'à ce que j'arrive en Juda;

Néhémie 2, 8 et aussi une lettre pour Asaph, l'inspecteur du parc royal, afin qu'il me fournisse du bois de construction pour les portes de la citadelle du Temple, le rempart de la ville et la maison où j'habiterai." Le roi me l'accorda, car la main bienveillante de mon Dieu était sur moi.

Néhémie 2, 9 Je me rendis donc chez les gouverneurs de Transeuphratène et leur remis les lettres du roi. Le roi m'avait fait escorter par des officiers de l'armée et des cavaliers.

Néhémie 2, 10 Quand Sânballat, le Horonite, et Tobiyya, le fonctionnaire ammonite, furent informés, ils se montrèrent fort contrariés qu'un homme fût venu travailler au bien des Israélites.

Néhémie 2, 11 Arrivé à Jérusalem, j'y restai trois jours.

Néhémie 2, 12 Puis je me levai, de nuit, accompagné de quelques hommes, sans avoir confié à personne ce que mon Dieu m'avait inspiré d'accomplir pour Jérusalem, et sans avoir avec moi d'autre animal que ma propre monture.

Néhémie 2, 13 La nuit donc, sortant par la porte de la Vallée, je me rendis devant la fontaine du Dragon, puis à la porte du Fumier: je fis l'inspection du rempart de Jérusalem, où il y avait des brèches et dont les portes avaient été incendiées.

Néhémie 2, 14 Je poursuivis mon chemin vers la porte de la Fontaine et l'étang du Roi, et ne trouvai plus de passage pour la bête que je chevauchais.

Néhémie 2, 15 Je remontai donc de nuit par le ravin, inspectant toujours le rempart, et rentrai par la porte de la Vallée. Je m'en revins ainsi,

Néhémie 2, 16 sans que les conseillers sachent où j'étais allé ni ce que je faisais. Jusqu'ici je n'avais rien communiqué aux Juifs: ni aux prêtres, ni aux grands, ni aux magistrats, ni aux autres responsables;

Néhémie 2, 17 je leur dis alors: "Vous voyez la détresse où nous sommes: Jérusalem est en ruines, ses portes sont incendiées. Venez! reconstruisons le rempart de Jérusalem, et nous ne serons plus insultés!"

Néhémie 2, 18 Et je leur exposai comment la main bienveillante de mon Dieu avait été sur moi, leur rapportant aussi les paroles que le roi m'avait dites. "Levons-nous! s'écrièrent-ils, et construisons!" et ils affermirent leurs mains pour ce bel ouvrage.

Néhémie 2, 19 A ces nouvelles, Sânballat, le Horonite, Tobiyya, le fonctionnaire ammonite, et Géshem, l'Arabe, se moquèrent de nous et nous regardèrent avec mépris en disant: "Que faites-vous là? Allez-vous vous révolter contre le roi?"

Néhémie 2, 20 Mais je leur répliquai en ces termes: "C'est le Dieu du ciel qui nous fera réussir. Nous, ses serviteurs, nous allons nous mettre à construire. Quant à vous, vous n'avez ni part, ni droit, ni souvenir dans Jérusalem."

Néhémie 3, 1 Elyashib, le grand prêtre, et ses frères les prêtres se levèrent et construisirent la porte des Brebis; ils en firent la charpente, fixèrent ses battants, verrous et barres, et continuèrent jusqu'à la tour des Cent et jusqu'à la tour de Hananéel.

Néhémie 3, 2 A leur suite, construisirent les gens de Jéricho; à leur suite, construisit Zakkur, fils d'Imri.

Néhémie 3, 3 Les fils de Ha-Senaa construisirent la porte des Poissons; ils en firent la charpente, fixèrent ses battants, verrous et barres.

Néhémie 3, 4 A leur suite répara Merémot, fils d'Uriyya, fils d'Haqqoç; à sa suite répara Meshullam, fils de Bérékya, fils de Meshèzabéel; à sa suite répara Sadoq, fils de Baana.

Néhémie 3, 5 A sa suite réparèrent les gens de Teqoa, mais leurs notables refusèrent de mettre leur nuque au service de leurs seigneurs.

Néhémie 3, 6 Quant à la porte du Quartier neuf, Yoyada, fils de Paséah, et Meshullam, fils de Besodya, la réparèrent; ils en firent la charpente, fixèrent ses battants, verrous et barres.

Néhémie 3, 7 A leur suite, réparèrent Melatya de Gabaôn et Yadôn de Méronot, ainsi que les gens de Gabaôn et de Miçpa, pour le compte du gouverneur de Transeuphratène.

Néhémie 3, 8 A leur suite répara Uzziel, membre de la corporation des orfèvres, et à sa suite répara Hananya, de la corporation des parfumeurs: ils renforcèrent Jérusalem jusqu'à la muraille large.

Néhémie 3, 9 A leur suite répara Rephaya, fils de Hur, chef de la moitié du district de Jérusalem.

Néhémie 3, 10 A leur suite répara Yedaya, fils de Harumaph, devant sa maison; à sa suite répara Hattush, fils de Hashabnéya.

Néhémie 3, 11 Malkiyya, fils de Harim, et Hashshub, fils de Pahat-Moab, réparèrent le secteur suivant jusqu'à la tour des Fours.

Néhémie 3, 12 A leur suite répara Shallum, fils de Hallohesh, chef de la moitié du district de Jérusalem, lui et ses fils.

Néhémie 3, 13 Quant à la porte de la Vallée, Hanûn et les habitants de Zanoah la réparèrent: ils la construisirent, fixèrent ses battants, verrous et barres et firent mille coudées de mur, jusqu'à la porte du Fumier.

Néhémie 3, 14 Quant à la porte du Fumier, Malkiyya, fils de Rékab, chef du district de Bet-ha-Kérem, la répara, lui et ses fils: il fixa ses battants, verrous et barres.

Néhémie 3, 15 Quant à la porte de la Fontaine, Shallum, fils de Kol-Hozé, chef du district de Miçpa, la répara: il la construisit, la couvrit, fixa ses battants, verrous et barres. Il refit aussi le mur de la citerne de Siloé, jouxtant le jardin du roi, jusqu'aux escaliers qui descendent de la Cité de David.

Néhémie 3, 16 Après lui Néhèmya, fils d'Azbuq, chef de la moitié du district de Bet-Cur, répara jusqu'en face des tombeaux de David, jusqu'à la citerne construite et jusqu'à la Maison des Preux.

Néhémie 3, 17 Après lui, les lévites réparèrent: Rehum, fils de Bani; à sa suite répara Hashabya, chef de la moitié du district de Qéïla, pour son district;

Néhémie 3, 18 à sa suite réparèrent leurs frères: Binnuï, fils de Hénadad, chef de la moitié du district de Qéïla;

Néhémie 3, 19 à sa suite Ezer, fils de Yéshua, chef de Miçpa, répara un autre secteur, en face de la montée de l'Arsenal, à l'Encoignure.

Néhémie 3, 20 Après lui Baruk, fils de Zabbaï, répara un autre secteur, depuis l'Encoignure jusqu'à la porte de la maison d'Elyashib, le grand prêtre.

Néhémie 3, 21 Après lui Merémot, fils d'Uriyya, fils d'Haqqoç, répara un autre secteur, depuis l'entrée de la maison d'Elyashib jusqu'à son extrémité.

Néhémie 3, 22 Après lui les prêtres qui habitaient le district travaillèrent aux réparations.

Néhémie 3, 23 Après eux Binyamîn et Hashshub réparèrent en face de leurs maisons. Après eux Azarya, fils de Maaséya, fils d'Ananya, répara à côté de sa maison.

Néhémie 3, 24 Après lui Binnuï, fils de Hénadad, répara un autre secteur, depuis la maison d'Azarya jusqu'à l'Encoignure et à l'Angle.

Néhémie 3, 25 Après lui Palal, fils d'Uzaï, répara vis-à-vis de l'Encoignure et de la tour qui fait saillie sur le Palais royal supérieur et est située dans la cour de la prison. Après lui Pedaya, fils de Paréosh, répara

Néhémie 3, 26 jusque devant la porte des Eaux, vers l'orient et jusqu'à la tour saillante.

Néhémie 3, 27 Après lui les gens de Teqoa réparèrent un autre secteur, vis-à-vis de la grande tour en saillie jusqu'au mur de l'Ophel.

Néhémie 3, 28 A partir de la porte des Chevaux, les prêtres travaillèrent aux réparations, chacun en face de sa maison.

Néhémie 3, 29 Après eux Sadoq, fils d'Immer, répara en face de sa maison. Après lui répara Shemaya, fils de Shekanya, gardien de la porte de l'Orient.

Néhémie 3, 30 Après lui Hananya, fils de Shélémya, et Hanûn, sixième fils de Calaph, réparèrent un autre secteur. Après lui Meshullam, fils de Bérékya, répara vis-à-vis de son habitation.

Néhémie 3, 31 Après lui Malkiyya, de la corporation des orfèvres, répara jusqu'à la demeure des "donnés" et des commerçants, en face de la porte de la Surveillance, jusqu'à la salle haute de l'Angle.

Néhémie 3, 32 Et entre la salle haute de l'Angle et la porte des Brebis, les orfèvres et les commerçants réparèrent.

Néhémie 3, 33 Lorsque Sânballat apprit que nous reconstruisions le rempart, il se mit en colère et se montra fort irrité. Il se moqua des Juifs,

Néhémie 3, 34 et s'écria devant ses frères et devant l'aristocratie de Samarie: "Qu'entreprennent là ces misérables Juifs?... Vont-ils y renoncer? Ou sacrifier? Ou en finir en un jour? Feront-ils revivre ces pierres, tirées de monceaux de décombres et même calcinées?"

Néhémie 3, 35 Tobiyya l'Ammonite se tenait à ses côtés; il dit: "Pour ce qu'ils construisent, si un chacal y montait, il démolirait leur muraille de pierres!"

Néhémie 3, 36 Ecoute, ô notre Dieu, comme nous voilà méprisés! Fais retomber leurs insultes sur leur tête. Livre-les au mépris en un pays de captivité!

Néhémie 3, 37 Ne pardonne point leur iniquité et que leur péché ne soit pas effacé devant toi: car ils ont offensé les bâtisseurs!

Néhémie 3, 38 Or nous rebâtissions le rempart qui fut réparé tout entier jusqu'à mi-hauteur. Le peuple avait le coeur à l'ouvrage.

Néhémie 4, 1 Lorsque Sânballat, Tobiyya, les Arabes, les Ammonites et les Ashdodites apprirent que les réparations du rempart de Jérusalem avançaient - que les brèches commençaient à être comblées -, ils se mirent fort en colère;

Néhémie 4, 2 ils se jurèrent tous mutuellement de venir attaquer Jérusalem et de me confondre.

Néhémie 4, 3 Nous invoquâmes alors notre Dieu et, pour protéger la ville, nous établîmes contre eux une garde de jour et de nuit.

Néhémie 4, 4 Juda disait néanmoins: "Les forces des porteurs fléchissent, il y a trop de décombres: nous n'arriverons jamais à relever le rempart!"

Néhémie 4, 5 Et nos ennemis déclaraient "Avant qu'ils ne sachent et ne voient rien, nous surgirons au milieu d'eux: alors nous les massacrerons et mettrons fin à l'entreprise!"

Néhémie 4, 6 Or il arrivait des Juifs qui habitaient près d'eux et qui dix fois nous avertirent: "Ils montent contre nous de toutes les localités qu'ils habitent!"

Néhémie 4, 7 On se posta donc en contrebas, dans l'espace derrière le rempart, aux endroits découverts; je disposai le peuple par familles, avec ses épées, ses lances et ses arcs.

Néhémie 4, 8 Voyant leur peur, je me levai et fis aux grands, aux magistrats et au reste du peuple cette déclaration: "Ne craignez pas ces gens! Pensez au Seigneur, grand et redoutable, et combattez pour vos frères, vos fils, vos filles, vos femmes et vos maisons!

Néhémie 4, 9 Quand nos ennemis apprirent que nous étions renseignés et que Dieu avait déjoué plan, ils se retirèrent et nous retournâmes tous au rempart, chacun à son travail.

Néhémie 4, 10 Mais, à partir de ce jour, la moitié seulement de mes hommes participaient au travail, les autres, munis de lances, de boucliers, d'arcs et de cuirasses, se tenaient derrière toute la maison de Juda

Néhémie 4, 11 qui bâtissait le rempart. Les porteurs aussi étaient armés: d'une main chacun assurait son travail, l'autre main serrant un javelot.

Néhémie 4, 12 Chacun des bâtisseurs, tandis qu'il travaillait, portait son épée attachée aux reins. Un sonneur de cor se tenait à mon côté.

Néhémie 4, 13 Je dis aux grands, aux magistrats et au reste du peuple: "Le chantier est important et étendu et nous sommes dispersés sur le rempart, loin les uns des autres:

Néhémie 4, 14 rassemblez-vous autour de nous à l'endroit d'où vous entendrez le son du cor, et notre Dieu combattra pour nous."

Néhémie 4, 15 Ainsi menions-nous le travail depuis le lever de l'aurore jusqu'à l'apparition des étoiles.

Néhémie 4, 16 En ce temps-là, je dis encore au peuple: "Chacun, avec son serviteur, devra passer la nuit à Jérusalem: de la sorte, nous utiliserons la nuit pour la surveillance et le jour pour le travail."

Néhémie 4, 17 Mais ni moi, ni mes frères, ni mes gens, ni les hommes de garde qui me suivaient ne quittions nos vêtements; chacun gardait son javelot à sa droite.

Néhémie 5, 1 Une grande plainte s'éleva parmi les gens du peuple et leurs femmes contre leurs frères juifs.

Néhémie 5, 2 Les uns disaient: "Nous devons donner en gage nos fils et nos filles pour recevoir du blé, manger et vivre."

Néhémie 5, 3 D'autres disaient: "Nous devons engager nos champs, nos vignes et nos maisons pour recevoir du blé pendant la famine."

Néhémie 5, 4 D'autres encore disaient: "Pour acquitter l'impôt roi, nous avons dû emprunter de l'argent sur nos champs et nos vignes;

Néhémie 5, 5 et alors que nous avons la même chair que nos frères, que nos enfants valent les leurs, nous devons livrer en esclavage nos fils et nos filles; il en est, parmi nos filles, qui sont asservies! Nous n'y pouvons rien, puisque nos champs et nos vignes sont déjà à d'autres."

Néhémie 5, 6 Je me mis fort en colère quand j'entendis leur plainte et ces paroles.

Néhémie 5, 7 Ayant délibéré en moi-même, je tançai les grands et les magistrats en ces termes: "Quel fardeau chacun de vous impose à son frère!" Et convoquant contre eux une grande assemblée,

Néhémie 5, 8 je leur dis: "Nous avons, dans la mesure de nos moyens, racheté nos frères juifs qui s'étaient vendus aux nations. Et c'est vous maintenant qui vendez vos frères pour que nous les rachetions!" Ils gardèrent le silence et ne trouvèrent rien à répliquer.

Néhémie 5, 9 Je poursuivis: "Ce que vous faites là n'est pas bien. Ne voulez-vous pas marcher dans la crainte de notre Dieu, pour éviter les insultes des nations, nos ennemies?

Néhémie 5, 10 Moi aussi, mes frères et mes gens, nous leur avons prêté de l'argent et du blé. Eh bien! faisons abandon de cette dette.

Néhémie 5, 11 Restituez-leur sans délai leurs champs, leurs vignes, leurs oliviers et leurs maisons, et remettez-leur la dette de l'argent, du blé, du vin et de l'huile que vous leur avez prêtés."

Néhémie 5, 12 Ils répondirent: "Nous restituerons; nous n'exigerons plus rien d'eux; nous agirons comme tu l'as dit."

Néhémie 5, 13 Puis je secouai le pli de mon vêtement en disant: "Que Dieu secoue de la sorte, hors de sa maison et de son bien, tout homme qui ne tiendra pas cette parole: qu'il soit ainsi secoué et vidé!" Et toute l'assemblée répondit: "Amen!" et loua Yahvé. Et le peuple agit suivant cet engagement.

Néhémie 5, 14 Bien plus, depuis le jour où le roi m'institua gouverneur au pays de Juda, de la vingtième à la trente-deuxième année du roi Artaxerxès, pendant douze ans, moi et mes frères n'avons jamais mangé la provende du gouverneur.

Néhémie 5, 15 Or les anciens gouverneurs, qui m'ont précédé, pressuraient le peuple: ils lui prenaient chaque jour, pour la provende, 40 sicles d'argent; leurs serviteurs aussi opprimaient le peuple. Moi au contraire je n'ai jamais agi de la sorte, par crainte de Dieu.

Néhémie 5, 16 Je me suis également appliqué au travail de ce rempart, bien que je ne fusse propriétaire d'aucun champ! Tous mes gens étaient là, réunis à la tâche.

Néhémie 5, 17 A ma table mangeaient les grands et les magistrats, au nombre de 150, sans compter ceux qui nous venaient des nations environnantes.

Néhémie 5, 18 Quotidiennement on apprêtait à mes frais un boeuf, six moutons de choix et des volailles; tous les dix jours, on apportait quantité d'outres de vin. Malgré cela, je n'ai jamais réclamé la provende du gouverneur, car sur ce peuple pesait un lourd service.

Néhémie 5, 19 Souviens-toi, mon Dieu, en ma faveur, de tout ce que j'ai fait pour ce peuple!

Néhémie 6, 1 Quand Sânballat, Tobiyya, Géshem l'Arabe et nos autres ennemis eurent appris que j'avais reconstruit le rempart et qu'il n'y restait plus une brèche - à cette date toutefois je n'avais pas encore fixé les battants aux portes -,

Néhémie 6, 2 Sânballat et Géshem m'expédièrent ce message: "Viens, rencontrons-nous à Ha-Kephirim, dans la vallée d'Ono." Mais ils méditaient de me faire du mal.

Néhémie 6, 3 Je leur envoyai donc des messagers avec cette réponse: "Je suis occupé à un grand travail et ne puis descendre: pourquoi le travail s'arrêterait-il, quand je le quitterais pour descendre vers vous?"

Néhémie 6, 4 Quatre fois ils m'adressèrent la même invitation et je leur retournai la même réponse.

Néhémie 6, 5 Alors, une cinquième fois, Sânballat m'envoya son serviteur, porteur d'une lettre ouverte

Néhémie 6, 6 où il était écrit: "On entend dire parmi les nations - et Gashmu confirme - que toi et les Juifs songeriez à un soulèvement; c'est pourquoi tu construirais le rempart; et c'est toi qui deviendrais leur roi;

Néhémie 6, 7 tu aurais même mis en place des prophètes pour proclamer à ton profit dans Jérusalem: Il y a un roi en Juda! Maintenant ces bruits-là vont parvenir aux oreilles du roi: aussi, viens, que nous tenions conseil ensemble."

Néhémie 6, 8 Mais je lui fis répondre: "Rien n'est arrivé de semblable à ce que tu affirmes et ce n'est qu'une invention de ton coeur!"

Néhémie 6, 9 Car ils voulaient tous nous effrayer, se disant: "Leurs mains se lasseront de l'entreprise et elle ne sera jamais exécutée." Or, au contraire je fortifiais mes mains!

Néhémie 6, 10 Un jour j'étais allé chez Shemaya, fils de Delaya, fils de Mehétabéel, qui se trouvait empêché. Il prononça: "Rendons-nous au Temple de Dieu, à l'intérieur du sanctuaire: fermons bien les portes du sanctuaire, car on va venir pour te tuer, oui, cette nuit, on viendra te tuer!"

Néhémie 6, 11 Mais je répondis: "Un homme comme moi, prendre la fuite? Et quel est l'homme de mon état qui pénétrerait dans le sanctuaire pour sauver sa vie? Non, je n'irai pas!"

Néhémie 6, 12 Je reconnus que ce n'était pas Dieu qui l'avait envoyé, mais il avait prononcé sur moi cet oracle parce que Tobiyya l'avait acheté,

Néhémie 6, 13 pour que, pris de frayeur, j'agisse de la sorte et en vienne à pécher; cela leur servirait à me faire une mauvaise réputation et ils pourraient m'outrager!

Néhémie 6, 14 Souviens-toi, mon Dieu, de Tobiyya, pour ce qu'il a commis; et aussi de Noadya, la prophétesse, et des autres prophètes qui voulurent m'effrayer.

Néhémie 6, 15 Le rempart fut achevé le 25 Elul, en 52 jours.

Néhémie 6, 16 Quand tous nos ennemis l'apprirent et que toutes les nations autour de nous l'eurent vu, ce fut une grande merveille à leurs yeux et ils reconnurent que ce travail avait été accompli grâce à notre Dieu.

Néhémie 6, 17 A cette même époque, les grands de Juda multipliaient leurs lettres à l'adresse de Tobiyya et celles de Tobiyya leur parvenaient;

Néhémie 6, 18 car il avait en Juda beaucoup d'alliés, étant le gendre de Shekanya, fils d'Ara, et son fils Yohanân ayant pris pour femme la fille de Meshullam, fils de Bérékya.

Néhémie 6, 19 Ils vantaient même, en ma présence, ses bonnes actions et lui rapportaient mes paroles. Et Tobiyya envoyait des lettres pour m'effrayer.

Néhémie 7, 1 Quand le rempart fut reconstruit et que j'eus fixé les battants, les portiers (les chantres et les lévites) furent installés.

Néhémie 7, 2 Je confiai l'administration de Jérusalem à Hanani, mon frère, et à Hananya, commandant de la citadelle, car c'était un homme de confiance et qui craignait Dieu plus que beaucoup d'autres;

Néhémie 7, 3 je leur dis: "Les portes de Jérusalem ne seront ouvertes que lorsque le soleil commencera à chauffer; et il sera encore haut quand on devra clore et verrouiller les battants; on établira des piquets de garde pris parmi les habitants de Jérusalem, chacun à son poste, et chacun devant sa maison."

Néhémie 7, 4 La ville était spacieuse et grande, mais ne comptait qu'une faible population et il n'y avait pas de familles constituées.

Néhémie 7, 5 Aussi mon Dieu m'inspira-t-il de rassembler les grands, les magistrats et le peuple pour en faire le recensement généalogique. Je mis la main sur le registre généalogique de ceux qui étaient revenus au début, et j'y trouvai consigné:

Néhémie 7, 6 Voici les gens de la province qui revinrent de la captivité et de l'exil. Après avoir été déportés par Nabuchodonosor, roi de Babylone, ils retournèrent à Jérusalem et en Juda, chacun dans sa ville.

Néhémie 7, 7 Ils arrivèrent avec Zorobabel, Josué, Néhémie, Azarya, Raamya, Nahamani, Mordokaï, Bilshân, Mispérèt, Bigvaï, Nehum, Baana. Nombre des hommes du peuple d'Israël:

Néhémie 7, 8 les fils de Paréosh: 2.172;

Néhémie 7, 9 les fils de Shephatya: 372;

Néhémie 7, 10 les fils d'Arah: 652;

Néhémie 7, 11 les fils de Pahat-Moab, c'est-à-dire les fils de Josué et de Yoab: 2.818;

Néhémie 7, 12 les fils de Elam: 1.254;

Néhémie 7, 13 les fils de Zattu: 845;

Néhémie 7, 14 les fils de Zakkaï: 760;

Néhémie 7, 15 les fils de Binnuï: 648;

Néhémie 7, 16 les fils de Bébaï: 628;

Néhémie 7, 17 les fils de Azgad: 2.322;

Néhémie 7, 18 les fils d'Adoniqam: 667;

Néhémie 7, 19 les fils de Bigvaï: 2.067;

Néhémie 7, 20 les fils de Adîn: 655;

Néhémie 7, 21 les fils d'Ater, c'est-à-dire de Hizqiyya: 98;

Néhémie 7, 22 les fils de Hashum: 328;

Néhémie 7, 23 les fils de Béçaï: 324;

Néhémie 7, 24 les fils de Hariph: 112;

Néhémie 7, 25 les fils de Gabaôn: 95;

Néhémie 7, 26 les hommes de Bethléem et de Netopha: 188;

Néhémie 7, 27 les hommes d'Anatot: 128;

Néhémie 7, 28 les hommes de Bet-Azmavèt: 42;

Néhémie 7, 29 les hommes de Qiryat-Yéarim, Kephira et Béérot: 743;

Néhémie 7, 30 les hommes de Rama et Géba: 621;

Néhémie 7, 31 les hommes de Mikmas: 122;

Néhémie 7, 32 les hommes de Béthel et de Aï: 123;

Néhémie 7, 33 les hommes de l'autre Nebo: 52;

Néhémie 7, 34 les fils de l'autre Elam: 1.254;

Néhémie 7, 35 les fils de Harim: 320;

Néhémie 7, 36 les fils de Jéricho: 345;

Néhémie 7, 37 les fils de Lod, Hadid et Ono: 721;

Néhémie 7, 38 les fils de Senaa: 3.930.

Néhémie 7, 39 Les prêtres: les fils de Yedaya, c'est-à-dire la maison de Josué: 973;

Néhémie 7, 40 les fils d'Immer: 1.052;

Néhémie 7, 41 les fils de Pashehur: 1.247;

Néhémie 7, 42 les fils de Harim: 1.017.

Néhémie 7, 43 Les lévites: les fils de Josué, c'est-à-dire Qadmiel, les fils de Hodva: 74.

Néhémie 7, 44 Les chantres: les fils d'Asaph: 148.

Néhémie 7, 45 Les portiers: les fils de Shallum, les fils d'Ater, les fils de Talmôn, les fils de Aqqub, les fils de Hatita, les fils de Shobaï: 138.

Néhémie 7, 46 Les "donnés": les fils de Ciha, les fils de Hasupha, les fils de Tabbaot,

Néhémie 7, 47 les fils de Qéros, les fils de Sia, les fils de Padôn,

Néhémie 7, 48 les fils de Lebana, les fils de Hagaba, les fils de Shalmaï,

Néhémie 7, 49 les fils de Hanân, les fils de Giddel, les fils de Gahar,

Néhémie 7, 50 les fils de Reaya, les fils de Reçîn, les fils de Neqoda,

Néhémie 7, 51 les fils de Gazzam, les fils d'Uzza, les fils de Paséah,

Néhémie 7, 52 les fils de Bésaï, les fils des Méûnites, les fils des Nephusites,

Néhémie 7, 53 les fils de Baqbuq, les fils de Haqupha, les fils de Harhur,

Néhémie 7, 54 les fils de Baçlit, les fils de Mehida, les fils de Harsha,

Néhémie 7, 55 les fils de Barqos, les fils de Sisra, les fils de Témah,

Néhémie 7, 56 les fils de Neçiah, les fils de Hatipha.

Néhémie 7, 57 Les fils des esclaves de Salomon: les fils de Sotaï, les fils de Sophérèt, les fils de Perida,

Néhémie 7, 58 les fils de Yaala, les fils de Darqôn, les fils de Giddel,

Néhémie 7, 59 les fils de Shephatya, les fils de Hattil, les fils de Pokérèt-ha-Cebayim, les fils d'Amôn.

Néhémie 7, 60 Total des "donnés" et des fils des esclaves de Salomon: 392.

Néhémie 7, 61 Les gens suivants, qui venaient de Tel-Mélah, Tel-Harsha, Kerub, Addôn et Immer, ne purent faire connaître si leur famille et leur race étaient d'origine israélite:

Néhémie 7, 62 les fils de Delaya, les fils de Tobiyya, les fils de Neqoda: 642.

Néhémie 7, 63 Et parmi les prêtres, les fils de Hobayya, les fils d'Haqqoç, les fils de Barzillaï - celui-ci avait pris pour femme l'une des filles de Barzillaï, le Galaadite, dont il adopta le nom.

Néhémie 7, 64 Ceux-là recherchèrent leur registre généalogique mais on ne le trouva pas: on les écarta donc du sacerdoce comme impurs,

Néhémie 7, 65 et Son Excellence leur interdit de manger des aliments sacrés jusqu'à ce qu'un prêtre se levât pour l'Urim et le Tummim.

Néhémie 7, 66 L'assemblée tout entière se montait à 42.360 individus,

Néhémie 7, 67 sans compter leurs esclaves et servantes au nombre de 7.337. Ils avaient aussi 245 chanteurs et chanteuses.

Néhémie 7, 68 On comptait 435 chameaux et 6.720 ânes.

Néhémie 7, 69 Un certain nombre de chefs de famille firent des dons pour les travaux. Son Excellence versa au trésor mille drachmes d'or, 50 coupes et 30 tuniques sacerdotales.

Néhémie 7, 70 Des chefs de famille versèrent au trésor des travaux 20.000 drachmes d'or et 2.200 mines d'argent.

Néhémie 7, 71 Quant aux dons faits par le reste du peuple, ils se montèrent à 20.000 drachmes d'or, 2.000 mines d'argent et 67 tuniques sacerdotales.

Néhémie 7, 72 Prêtres, lévites et une partie du peuple s'installèrent à Jérusalem; portiers, chantres, "donnés" dans leurs villes, et tous les autres Israélites dans leurs villes. Or quand arriva le septième mois - les enfants d'Israël étant ainsi dans leurs villes.

Néhémie 8, 1 Tout le peuple se rassembla comme un seul homme sur la place située devant la porte des Eaux. Ils dirent au scribe Esdras d'apporter le livre de la Loi de Moïse, que Yahvé avait prescrite à Israël.

Néhémie 8, 2 Alors le prêtre Esdras apporta la Loi devant l'assemblée, qui se composait des hommes, des femmes et de tous ceux qui avaient l'âge de raison. C'était le premier jour du septième mois.

Néhémie 8, 3 Sur la place située devant la porte des Eaux, il lut dans le livre, depuis l'aube jusqu'à midi, en présence des hommes, des femmes et de ceux qui avaient l'âge de raison: tout le peuple tendait l'oreille au livre de la Loi.

Néhémie 8, 4 Le scribe Esdras se tenait sur une estrade de bois, construite pour la circonstance; près de lui se tenaient: à sa droite, Mattitya, Shéma, Anaya, Uriyya, Hilqiyya et Maaséya, et, à sa gauche, Pedaya, Mishaël, Malkiyya, Hashum, Hashbaddana, Zekarya et Meshullam.

Néhémie 8, 5 Esdras ouvrit le livre au regard de tout le peuple - car il dominait tout le peuple - et, quand il l'ouvrit, tout le peuple se mit debout.

Néhémie 8, 6 Alors Esdras bénit Yahvé, le grand Dieu; tout le peuple, mains levées, répondit: "Amen! Amen", puis ils s'inclinèrent et se prosternèrent devant Yahvé, le visage contre terre.

Néhémie 8, 7 (Josué, Bani, Shérébya, Yamîn, Aqqub, Shabtaï, Hodiyya, Maaséya, Qelita, Azarya, Yozabad, Hanân, Pelaya, qui étaient lévites, expliquaient la Loi au peuple, pendant que le peuple demeurait debout.)

Néhémie 8, 8 Et Esdras lut dans le livre de la Loi de Dieu, traduisant et donnant le sens: ainsi l'on comprenait la lecture.

Néhémie 8, 9 Alors (Son Excellence Néhémie et) Esdras, le prêtre-scribe (et les lévites qui instruisaient le peuple) dit à tout le peuple: "Ce jour est saint pour Yahvé, votre Dieu! Ne soyez pas tristes, ne pleurez pas!" Car tout le peuple pleurait en entendant les paroles de la Loi.

Néhémie 8, 10 Il leur dit encore: "Allez, mangez des viandes grasses, buvez des boissons douces et faites porter sa part à qui n'a rien de prêt. Car ce jour est saint pour notre Seigneur! Ne vous affligez point: la joie de Yahvé est votre forteresse!"

Néhémie 8, 11 Et les lévites calmaient tout le peuple en disant: "Taisez-vous: ce jour est saint. Ne vous affligez point!"

Néhémie 8, 12 Et tout le peuple s'en fut manger, boire, distribuer des parts et se livrer à grande liesse: car ils avaient compris les paroles qu'on leur avait communiquées.

Néhémie 8, 13 Le deuxième jour, les chefs de famille de tout le peuple, les prêtres et les lévites se réunirent autour du scribe Esdras, pour scruter les paroles de la Loi.

Néhémie 8, 14 Ils trouvèrent écrit, dans la Loi que Yahvé avait prescrite par le ministère de Moïse, que les Israélites habiteront sous des huttes durant la fête du septième mois

Néhémie 8, 15 et qu'ils annonceront et feront publier dans toutes leurs villes et à Jérusalem: "Allez dans la montagne et rapportez des rameaux d'olivier, de pin, de myrte de palmier et d'autres arbres feuillus, pour faire des huttes, comme il est écrit."

Néhémie 8, 16 Le peuple partit: ils rapportèrent des rameaux et se firent des huttes, chacun sur son toit, dans leurs cours, dans les parvis du Temple de Dieu, sur la place de la porte des Eaux et sur celle de la porte d'Ephraïm.

Néhémie 8, 17 Toute l'assemblée, ceux qui étaient revenus de la captivité, construisit ainsi des huttes et y habita - les Israélites n'avaient rien fait de tel depuis les jours de Josué, fils de Nûn, jusqu'à ce jour. Et il y eut très grande liesse.

Néhémie 8, 18 Esdras lut dans le livre de la Loi de Dieu chaque jour, du premier au dernier. Sept jours durant, on célébra la fête; le huitième, il y eut, comme prescrit, une réunion solennelle.

Néhémie 9, 1 Le vingt-quatrième jour de ce mois, les Israélites, revêtus de sacs et la tête couverte de poussière, se rassemblèrent pour un jeûne.

Néhémie 9, 2 La race d'Israël se sépara de tous les gens de souche étrangère: debout, ils confessèrent leurs péchés et les iniquités de leurs pères.

Néhémie 9, 3 Debout, et chacun à sa place, ils lurent dans le livre de la Loi de Yahvé leur Dieu, durant un quart de la journée; pendant un autre quart, ils confessaient leurs péchés et se prosternaient devant Yahvé leur Dieu.

Néhémie 9, 4 Prenant place sur l'estrade des lévites, Josué, Binnuï, Qadmiel, Shebanya, Bunni, Shérébya, Bani, Kenani crièrent à voix forte vers Yahvé leur Dieu,

Néhémie 9, 5 et les lévites Josué, Qadmiel, Bani, Hashabnéya, Shérébya, Hodiyya, Shebanya, Petahya dirent: "Levez-vous, bénissez Yahvé votre Dieu!" Bénis sois-tu, Yahvé notre Dieu, d'éternité en éternité! Et qu'on bénisse ton Nom de gloire qui surpasse toute bénédiction et louange!

Néhémie 9, 6 C'est toi, Yahvé, qui es l'Unique! Tu fis les cieux, les cieux des cieux et toute leur armée, la terre et tout ce qu'elle porte, les mers et tout ce qu'elles renferment. Tout cela, c'est toi qui l'animes et l'armée des cieux devant toi se prosterne.

Néhémie 9, 7 Tu es Yahvé, Dieu, qui fis choix d'Abram, le tiras d'Ur des Chaldéens et lui donnas le nom d'Abraham.

Néhémie 9, 8 Trouvant son coeur fidèle devant toi, tu fis alliance avec lui, pour lui donner le pays du Cananéen, du Hittite et de l'Amorite, du Perizzite, du Jébuséen et du Girgashite, à lui et à sa postérité. Et tu as tenu tes promesses, car tu es juste.

Néhémie 9, 9 Tu vis la détresse de nos pères en Egypte, tu entendis leur cri près la mer des Roseaux.

Néhémie 9, 10 Tu opéras signes et prodiges contre Pharaon, tous ses valets et tout le peuple de son pays; car tu savais quelle fut envers eux leur arrogance. Tu t'acquis un renom qui dure encore.

Néhémie 9, 11 La mer, tu l'ouvris devant eux: ils passèrent au milieu de la mer à pied sec. Dans les abîmes tu précipitas leurs poursuivants, telle une pierre dans des eaux impétueuses.

Néhémie 9, 12 Par une colonne de nuée, tu les guidas le jour, la nuit, par une colonne de feu, pour illuminer devant eux la voie où ils chemineraient.

Néhémie 9, 13 Tu es descendu sur le mont Sinaï, et du ciel leur as parlé; et tu leur as donné des ordonnances justes, des lois sûres, des préceptes et des commandements excellents;

Néhémie 9, 14 tu leur fis connaître ton saint sabbat; tu leur prescrivis commandements, préceptes et Loi par le ministère de Moïse, ton serviteur.

Néhémie 9, 15 Du ciel tu leur fournis le pain pour leur faim, du roc tu fis jaillir l'eau pour leur soif. Tu leur commandas d'aller prendre possession du pays que tu avais fait serment de leur donner.

Néhémie 9, 16 Mais nos pères s'enorgueillirent, ils raidirent la nuque, ils n'obéirent point à tes ordres.

Néhémie 9, 17 Ils refusèrent d'obéir, oublieux des merveilles que tu avais accomplies pour eux; ils raidirent la nuque, ils se mirent en tête de retourner en Egypte, à leur esclavage. Mais tu es le Dieu des pardons, plein de pitié et de tendresse, lent à la colère et riche en bonté: tu ne les as pas abandonnés!

Néhémie 9, 18 Même quand ils se fabriquèrent un veau de métal fondu, déclarèrent: "C'est là ton Dieu qui t'a fait monter d'Egypte!" et commirent de grands blasphèmes,

Néhémie 9, 19 toi, dans ton immense tendresse, tu ne les as pas abandonnés au désert: la colonne de nuée ne s'écarta point d'eux pour les guider de jour sur la route, ni la colonne de feu la nuit, pour illuminer devant eux la route où ils chemineraient.

Néhémie 9, 20 Tu leur as donné ton bon esprit pour les rendre sages, tu n'as pas retenu ta manne loin de leur bouche et tu leur as fourni l'eau pour leur soif.

Néhémie 9, 21 40 ans tu en pris soin au désert: ils ne manquèrent de rien, ni leurs habits ne s'usèrent, ni leurs pieds n'enflèrent.

Néhémie 9, 22 Et tu leur livras des royaumes et des peuples et les leur attribuas en cantons frontaliers: ils ont pris possession du pays de Sihôn, roi de Heshbôn, et du pays d'Og, roi du Bashân.

Néhémie 9, 23 Et tu multiplias leurs fils comme étoiles du ciel et tu les introduisis dans le pays où tu avais dit à leurs pères d'entrer pour en prendre possession.

Néhémie 9, 24 Les fils envahirent et conquirent ce pays et tu abaissas devant eux les habitants du pays, les Cananéens, que tu livras entre leurs mains, leurs rois et les peuples du pays pour les traiter à leur gré;

Néhémie 9, 25 ils s'emparèrent de villes fortifiées et d'une terre grasse; ils héritèrent de maisons regorgeant de tous biens, de citernes déjà creusées, de vignes, d'oliviers, d'arbres fruitiers à profusion: ils mangèrent, ils se rassasièrent, ils engraissèrent, ils firent leurs délices de tes immenses biens.

Néhémie 9, 26 Mais voici qu'indociles, révoltés contre toi, ils jetèrent ta Loi derrière leur dos, ils tuèrent les prophètes qui les avertissaient pour te les ramener et commirent de grands blasphèmes.

Néhémie 9, 27 Tu les livras alors aux mains de leurs oppresseurs, qui les opprimèrent. Au temps de leur oppression, ils criaient vers toi, et toi, du ciel, tu les entendais et dans ton immense tendresse tu leur accordais des sauveurs qui les délivraient des mains de leurs oppresseurs.

Néhémie 9, 28 Mais, sitôt en paix, voilà qu'ils refaisaient le mal devant toi, et tu les abandonnais aux mains de leurs ennemis, qui les tyrannisaient. Eux, de nouveau, criaient vers toi, et toi, du ciel, tu les entendais: que de fois dans ta tendresse ne les délivras-tu pas!

Néhémie 9, 29 Tu les avertis pour les ramener à ta Loi: mais ils s'enorgueillirent, ils n'obéirent pas à tes commandements, ils péchèrent contre tes ordonnances, celles-là mêmes où trouve vie l'homme qui les observe, ils présentèrent une épaule rebelle, raidirent leur nuque et n'obéirent point.

Néhémie 9, 30 Tu fus patient avec eux bien des années; tu les avertis par ton Esprit, par le ministère de tes prophètes; mais ils n'écoutèrent pas. Alors tu les livras aux mains des peuples des pays.

Néhémie 9, 31 Dans ton immense tendresse, tu ne les as pas exterminés, tu ne les as pas abandonnés, car tu es un Dieu plein de pitié et de tendresse.

Néhémie 9, 32 Et maintenant, ô notre Dieu, toi le Dieu grand, puissant et redoutable, qui maintiens l'alliance et la bonté, ne compte pas pour rien tout cet accablement qui est tombé sur nous, sur nos rois, nos chefs, nos prêtres, nos prophètes et tout ton peuple, depuis le temps des rois d'Assur jusqu'à ce jour.

Néhémie 9, 33 Tu as été juste en tout ce qui nous est advenu, car tu as montré ta fidélité, alors que nous agissions mal.

Néhémie 9, 34 Oui, nos rois, nos chefs, nos prêtres et nos pères n'ont pas suivi ta Loi, inattentifs à tes commandements et aux obligations que tu leur imposais.

Néhémie 9, 35 Tant qu'ils furent en leur royaume, parmi les grands biens que tu leur accordais, et dans le vaste et fertile pays que tu avais mis devant eux, ils ne t'ont point servi et ne se sont pas détournés de leurs actions mauvaises.

Néhémie 9, 36 Voici que nous sommes aujourd'hui asservis, et le pays que tu avais donné à nos pères pour jouir de ses fruits et de ses biens, voici que nous y sommes en servitude.

Néhémie 9, 37 Ses produits profitent aux rois, que tu nous imposas, pour nos péchés, et qui disposent à leur gré de nos personnes et de notre bétail. Nous sommes en grande détresse.

Néhémie 10, 1 A cause de tout cela, nous prenons un ferme engagement, et par écrit. Sur le document scellé figurent nos chefs, nos lévites et nos prêtres...

Néhémie 10, 2 Sur le document scellé figuraient: Néhémie fils de Hakalya et Cidqiyya,

Néhémie 10, 3 Seraya, Azarya, Yirmeya,

Néhémie 10, 4 Pashehur, Amarya, Malkiyya,

Néhémie 10, 5 Hattush, Shebanya, Malluk,

Néhémie 10, 6 Harim, Merémot, Obadya,

Néhémie 10, 7 Daniyyel, Ginnetôn, Baruk,

Néhémie 10, 8 Meshullam, Abiyya, Miyyamîn,

Néhémie 10, 9 Maazya, Bilgaï, Shemaya: ce sont les prêtres.

Néhémie 10, 10 Puis les lévites: Josué, fils d'Azanya, Binnuï, des fils de Hénadad, Qadmiel,

Néhémie 10, 11 et leurs frères Shekanya, Hodavya, Qelita, Pelaya, Hanân,

Néhémie 10, 12 Mika, Rehob, Hashabya,

Néhémie 10, 13 Zakkur, Shérébya, Shebanya,

Néhémie 10, 14 Hodiyya, Bani, Kenani.

Néhémie 10, 15 Les chefs du peuple: Paréosh, Pahat-Moab, Elam, Zattu, Bani,

Néhémie 10, 16 Bunni, Azgad, Bébaï,

Néhémie 10, 17 Adoniyya, Bigvaï, Adîn,

Néhémie 10, 18 Ater, Hizqiyya, Azzur,

Néhémie 10, 19 Hodiyya, Hashum, Béçaï,

Néhémie 10, 20 Hariph, Anatot, Nobaï,

Néhémie 10, 21 Magpiash, Meshullam, Hézir,

Néhémie 10, 22 Meshézabéel, Sadoq, Yaddua,

Néhémie 10, 23 Pelatya, Hanân, Anaya,

Néhémie 10, 24 Hoshéa, Hananya, Hashshub,

Néhémie 10, 25 Hallohesh, Pilha, Shobèq,

Néhémie 10, 26 Rehum, Hashabna, Maaséya,

Néhémie 10, 27 Ahiyya, Hanân, Anân,

Néhémie 10, 28 Malluk, Harim, Baana...

Néhémie 10, 29 et le reste du peuple, les prêtres, les lévites, les portiers, les chantres, les "donnés", bref, tous ceux qui se sont séparés des peuples des pays pour adhérer à la Loi de Dieu, et aussi leurs femmes, leurs fils et filles, tous ceux qui ont l'âge de raison,

Néhémie 10, 30 se joignent à leurs frères et chefs et s'engagent, par imprécation et serment, à marcher selon la Loi de Dieu, donnée par le ministère de Moïse, le serviteur de Dieu, à garder et observer tous les commandements de Yahvé notre Dieu, ses coutumes et ses lois.

Néhémie 10, 31 En particulier: nous ne donnerons plus nos filles aux peuples du pays et ne prendrons plus leurs filles pour nos fils.

Néhémie 10, 32 Si les peuples du pays apportent pour les vendre, le jour du sabbat, des marchandises ou quelque denrée que ce soit, nous ne leur achèterons rien un jour de sabbat ni un jour sacré. Nous ferons abandon des produits du sol, la septième année, et de toute créance.

Néhémie 10, 33 Nous nous sommes imposé comme obligations: de donner un tiers de sicle par an pour le culte du Temple de notre Dieu:

Néhémie 10, 34 pour le pain d'oblation, pour l'oblation perpétuelle et l'holocauste perpétuel, pour les sacrifices des sabbats, des néoménies, des solennités, et pour les mets sacrés, pour les sacrifices pour le péché qui assurent l'expiation en faveur d'Israël, bref pour tout le service du Temple de notre Dieu;

Néhémie 10, 35 Nous avons aussi réglé par le sort, prêtres, lévites et peuple, la question des livraisons de bois qu'on doit faire au Temple de notre Dieu, chaque famille à son tour, à dates fixes, chaque année, pour le brûler sur l'autel de Yahvé notre Dieu, comme il est écrit dans la Loi.

Néhémie 10, 36 Et d'apporter chaque année au Temple de Yahvé les prémices de notre sol et les prémices de tous les fruits de tous les arbres,

Néhémie 10, 37 ainsi que les premiers-nés de nos fils et de notre bétail, comme il est écrit dans la Loi - les premiers-nés de notre gros et menu bétail, apportés au Temple de notre Dieu, étant destinés aux prêtres en fonction dans le Temple de notre Dieu.

Néhémie 10, 38 De plus, la meilleure part de nos moutures, des fruits de tout arbre, du vin nouveau et de l'huile, nous l'apporterons aux prêtres, dans les salles du Temple de notre Dieu; et la dîme de notre sol, aux lévites - ce sont les lévites eux-mêmes qui lèveront la dîme dans toutes les villes de notre culte;

Néhémie 10, 39 un prêtre, fils d'Aaron, accompagnera les lévites quand ils lèveront la dîme; les lévites achemineront la dîme de la dîme vers le Temple de notre Dieu, vers les salles du Trésor;

Néhémie 10, 40 car c'est dans ces salles que les Israélites et les lévites apportent les redevances de blé, de vin et d'huile; là se trouve aussi le matériel du sanctuaire, des prêtres en service, des portiers et des chantres. Nous ne négligerons plus le Temple de notre Dieu.

Néhémie 11, 1 Alors les chefs du peuple s'établirent à Jérusalem. Le reste du peuple tira au sort pour qu'un homme sur dix vînt résider à Jérusalem, la Ville sainte, tandis que les neuf autres resteraient dans les villes.

Néhémie 11, 2 Et le peuple bénit tous les hommes qui furent volontaires pour résider à Jérusalem.

Néhémie 11, 3 Voici les chefs de la province qui étaient établis à Jérusalem et dans les villes de Juda. Israélites, prêtres, lévites, "donnés" et fils des esclaves de Salomon demeuraient dans leurs villes, chacun en sa propriété.

Néhémie 11, 4 A Jérusalem demeuraient des fils de Juda et des fils de Benjamin: Parmi les fils de Juda: Ataya, fils de Uzziyya, fils de Zekarya, fils d'Amarya, fils de Shephatya, fils de Mahalaléel, des descendants de Pérèç;

Néhémie 11, 5 Maaséya, fils de Baruk, fils de Kol-Hozé, fils de Hazaya, fils de Adaya, fils de Yoyarib, fils de Zekarya, descendant de Shéla.

Néhémie 11, 6 Le total des descendants de Pérèç fixés à Jérusalem était de 468, hommes de condition.

Néhémie 11, 7 Voici les fils de Benjamin: Sallu, fils de Meshullam, fils de Yoëd, fils de Pedaya, fils de Qolaya, fils de Maaséya, fils d'Itiel, fils de Yeshaya,

Néhémie 11, 8 et ses frères, Gabbaï, Sallaï: 928.

Néhémie 11, 9 Yoël, fils de Zikri, les commandait, et Yehuda, fils de Hassenua, commandait en second la ville.

Néhémie 11, 10 Parmi les prêtres: Yedaya, fils de Yoyaqim, fils de

Néhémie 11, 11 Seraya, fils d'Hilqiyya, fils de Meshullam, fils de Sadoq, fils de Merayot, fils d'Ahitub, chef du Temple de Dieu,

Néhémie 11, 12 et ses frères qui vaquaient au service du Temple: 822; Adaya, fils de Yeroham, fils de Pelalya, fils d'Amçi, fils de Zekarya, fils de Pashehur, fils de Malkiyya,

Néhémie 11, 13 et ses frères, chefs de famille: 242; et Amasaï, fils d'Azaréel, fils d'Ahzaï, fils de Meshillémot, fils d'Immer,

Néhémie 11, 14 et ses frères, hommes de condition: 128. Zabdiel, fils de Haggadol, les commandait.

Néhémie 11, 15 Parmi les lévites: Shemaya, fils de Hashshub, fils d'Azriqam, fils de Hashabya, fils de Bunni;

Néhémie 11, 16 Shabtaï et Yozabad, ceux des chefs lévitiques responsables des affaires extérieures du Temple de Dieu;

Néhémie 11, 17 Mattanya, fils de Mika, fils de Zabdi, fils d'Asaph, qui dirigeait les hymnes, entonnait l'action de grâces pour la prière; Baqbuqya, le second parmi ses frères; Obadya, fils de Shammua, fils de Galal, fils de Yedutûn.

Néhémie 11, 18 Total des lévites dans la Ville sainte: 284.

Néhémie 11, 19 Les portiers: Aqqub, Talmôn et leurs frères, qui montaient la garde aux portes: 172.

Néhémie 11, 20 Quant au reste des Israélites, des prêtres, et des lévites, ils demeuraient dans toutes les villes de Juda, chacun dans son domaine,

Néhémie 11, 21 Les "donnés" habitaient l'Ophel; Ciha et Gishpa étaient à la tête des "donnés" -

Néhémie 11, 22 Le chef des lévites de Jérusalem était Uzzi, fils de Bani, fils de Hashabya, fils de Mattanya, fils de Mika; il faisait partie des fils d'Asaph, les chantres chargés du service du Temple de Dieu;

Néhémie 11, 23 car ils faisaient l'objet d'une instruction royale et un règlement fixait aux chantres leur rôle jour par jour. -

Néhémie 11, 24 Petahya, fils de Meshézabéel, qui appartenait aux fils de Zérah, fils de Juda, était à la disposition du roi pour toutes les affaires du peuple.

Néhémie 11, 25 Et dans les villages situés dans leurs champs. Des fils de Juda demeuraient à Qiryat-ha-Arba et dans ses dépendances, à Dibôn et dans ses dépendances, à Yeqqabçéel et dans les villages de son ressort,

Néhémie 11, 26 à Yéshua, à Molada, à Bet-Pélèt,

Néhémie 11, 27 à Haçar-Shual, à Bersabée et dans ses dépendances,

Néhémie 11, 28 à Ciqlag, à Mekona et dans ses dépendances,

Néhémie 11, 29 à En-Rimmôn, à Coréa, à Yarmut,

Néhémie 11, 30 Zanoah, Adullam et les villages de leur ressort, Lakish et sa campagne, Azéqa et ses dépendances: ils s'établirent donc de Bersabée jusqu'au val d'Hinnom.

Néhémie 11, 31 Des fils de Benjamin habitaient Géba, Mikmas, Ayya et Béthel ainsi que ses dépendances,

Néhémie 11, 32 Anatot, Nob, Ananya,

Néhémie 11, 33 Haçor, Rama, Gittayim,

Néhémie 11, 34 Hadid, Ceboyim, Neballat,

Néhémie 11, 35 Lod et Ono, et le val des Artisans.

Néhémie 11, 36 Des groupes de lévites se trouvaient tant en Juda qu'en Benjamin.

Néhémie 12, 1 Voici les prêtres et les lévites qui revinrent avec Zorobabel, fils de Shéaltiel, et Josué: Seraya, Yirmeya, Esdras,

Néhémie 12, 2 Amarya, Malluk, Hattush,

Néhémie 12, 3 Shekanya, Rehum, Merémot,

Néhémie 12, 4 Iddo, Ginnetôn, Abiyya,

Néhémie 12, 5 Miyyamîn, Maadya, Bilga,

Néhémie 12, 6 Shemaya; plus: Yoyarib, Yedaya,

Néhémie 12, 7 Sallu, Amoq, Hilqiyya, Yedaya. Tels étaient les chefs des prêtres, et leurs frères, au temps de Josué,

Néhémie 12, 8 c'est-à-dire les lévites, étaient: Josué, Binnuï, Qadmiel, Shérébya, Yehuda, Mattanya - ce dernier, avec ses frères, dirigeait les hymnes d'action de grâces,

Néhémie 12, 9 tandis que Baqbuqya, Unni et leurs frères leur faisaient vis-à-vis, selon leurs classes respectives.

Néhémie 12, 10 Josué engendra Yoyaqim; Yoyaqim engendra Elyashib; Elyashib Yoyada;

Néhémie 12, 11 Yoyada engendra Yohanân; et Yohanân engendra Yaddua.

Néhémie 12, 12 Au temps de Yoyaqim, les familles sacerdotales avaient pour chefs: famille de Seraya: Meraya; famille de Yirmeya: Hananya;

Néhémie 12, 13 famille d'Esdras: Meshullam; famille d'Amarya: Yehohanân;

Néhémie 12, 14 famille de Malluk: Yonatân; famille de Shebanya: Yoseph;

Néhémie 12, 15 famille de Harim: Adna; famille de Merayot: Helqaï;

Néhémie 12, 16 famille d'Iddo: Zekarya; famille de Ginnetôn: Meshullam;

Néhémie 12, 17 famille d'Abiyya: Zikri; famille de Minyamîn; famille de Moadya: Piltaï;

Néhémie 12, 18 famille de Bilga: Shammua; famille de Shemaya: Yehonatân;

Néhémie 12, 19 plus: famille de Yoyarib: Mattenaï; famille de Yedaya: Uzzi;

Néhémie 12, 20 famille de Sallaï: Qallaï; famille d'Amoq: Eber;

Néhémie 12, 21 famille de Hilqiyya: Hashabya; famille de Yedaya: Netanéel.

Néhémie 12, 22 Au temps d'Elyashib, de Yoyada, de Yohanân et de Yaddua, les chefs des familles des prêtres furent enregistrés sur le livre des Chroniques jusqu'au règne de Darius le Perse.

Néhémie 12, 23 Les fils de Lévi. Les chefs des familles furent enregistrés sur le livre des Chroniques, mais seulement jusqu'au temps de Yohanân, petit-fils d'Elyashib.

Néhémie 12, 24 Les chefs des lévites étaient: Hashabya, Shérébya, Josué, Binnuï, Qadmiel; et leurs frères, qui leur faisaient face pour exécuter les hymnes de louange et d'action de grâces selon les instructions de David, homme de Dieu, une classe correspondante à l'autre,

Néhémie 12, 25 étaient: Mattanya, Baqbuqya et Obadya. Quant à Meshullam, Talmôn et Aqqub, portiers, ils montaient la garde aux magasins près des portes.

Néhémie 12, 26 Ceux-ci vivaient au temps de Yoyaqim, fils de Josué, fils de Yoçadaq, et au temps de Néhémie le gouverneur et d'Esdras le prêtre-scribe.

Néhémie 12, 27 Lors de la dédicace du rempart de Jérusalem, on alla chercher les lévites partout où ils résidaient pour les amener à Jérusalem: il s'agissait de célébrer la dédicace dans la liesse avec chants d'action de grâces et musique de cymbales, de luths et de cithares.

Néhémie 12, 28 Les chantres, fils de Lévi, se rassemblèrent donc, du district qui entoure Jérusalem, des villages des Netophatites,

Néhémie 12, 29 de Bet-ha-Gilgal, des champs de Géba et d'Azmavèt: car les chantres s'étaient construit des villages tout autour de Jérusalem.

Néhémie 12, 30 Prêtres et lévites se purifièrent eux-mêmes, puis ils purifièrent le peuple, les portes et le rempart.

Néhémie 12, 31 Je fis alors monter les chefs de Juda sur le rempart et organisai deux grands choeurs. Le premier chemina par la crête du rempart, vers la droite, en direction de la porte du Fumier;

Néhémie 12, 32 derrière lui marchaient Hoshaya et une moitié des chefs de Juda -

Néhémie 12, 33 ainsi qu'Azarya, Esdras, Meshullam,

Néhémie 12, 34 Yehuda, Benjamin, Shemaya et Yirmeya,

Néhémie 12, 35 choisis parmi les prêtres et munis de trompettes; puis Zekarya, fils de Yonatân, fils de Shemaya, fils de Mattanya, fils de Mika, fils de Zakkur, fils d'Asaph,

Néhémie 12, 36 avec ses frères Shemaya, Azaréel, Milalaï, Gilalaï, Maaï, Netanéel, Yehuda, Hanani, munis des instruments de musique de David, l'homme de Dieu. Et Esdras, le scribe, marchait à leur tête. -

Néhémie 12, 37 A la porte de la Fontaine, ils montèrent droit devant eux, près des escaliers de la Cité de David, par la crête du rempart, et par la montée du Palais de David, jusqu'à la porte des Eaux, à l'orient.

Néhémie 12, 38 Quant au second choeur, il chemina vers la gauche: je le suivis, avec la moitié des chefs du peuple, par la crête du rempart, par-dessus la tour des Fours et jusqu'à la muraille large,

Néhémie 12, 39 puis par-dessus la porte d'Ephraïm, la porte des Poissons, la tour de Hananéel et la tour des Cent, jusqu'à la porte des Brebis; on fit halte à la porte de la Garde.

Néhémie 12, 40 Les deux choeurs prirent ensuite place dans le Temple de Dieu. - J'avais avec moi une moitié des magistrats

Néhémie 12, 41 ainsi que les prêtres Elyaqim, Maaséya, Minyamîn, Mika, Elyoénaï, Zekarya, Hananya, munis de trompettes,

Néhémie 12, 42 plus Maaséya, Shemaya, Eléazar, Uzzi, Yehohanân, Malkiyya, Elam et Ezer. - Les chantres se firent entendre sous la direction de Yizrahya.

Néhémie 12, 43 On offrit ce jour-là d'importants sacrifices et les gens se livrèrent à la joie: c'est que Dieu leur avait accordé grand sujet de joie; les femmes aussi et les enfants se réjouirent. Et la joie de Jérusalem s'entendit de loin.

Néhémie 12, 44 En ce temps-là, on préposa aux salles prévues pour les provisions, prélèvements, prémices et dîmes, des hommes qui y rassembleraient, du territoire des villes, les parts que la Loi alloue aux prêtres et aux lévites. Car Juda mettait sa joie dans les prêtres et les lévites en fonction.

Néhémie 12, 45 Ce sont eux qui assuraient le service de leur Dieu et le service des purifications - ainsi que les chantres et les portiers -, suivant les prescriptions de David et de Salomon son fils.

Néhémie 12, 46 Car dès les jours de David et d'Asaph, depuis bien longtemps, il existait un chef des chantres et des cantiques de louange et d'action de grâces à Dieu.

Néhémie 12, 47 Donc tout Israël, au temps de Zorobabel et au temps de Néhémie, versait aux chantres et aux portiers les parts qui leur revenaient, d'après leurs besoins quotidiens. On remettait aux lévites les redevances sacrées et les lévites les remettaient aux fils d'Aaron.

Néhémie 13, 1 En ce temps-là, on lut au peuple dans le livre de Moïse et l'on y trouva écrit: "L'Ammonite et le Moabite ne seront pas admis à l'assemblée de Dieu, et cela pour toujours,

Néhémie 13, 2 car ils ne sont pas venus à la rencontre des Israélites avec le pain et l'eau. Ils soudoyèrent contre eux Balaam, pour les maudire, mais notre Dieu changea la malédiction en bénédiction."

Néhémie 13, 3 Dès qu'on eut entendu la Loi, on exclut d'Israël tout élément étranger.

Néhémie 13, 4 Mais auparavant, le prêtre Elyashib avait été préposé aux salles du Temple de notre Dieu. Lié à Tobiyya,

Néhémie 13, 5 il lui avait aménagé une salle spacieuse, où l'on plaçait précédemment les offrandes, l'encens, les ustensiles, la dîme du blé, du vin et de l'huile, c'est-à-dire les parts des lévites, des chantres et des portiers et ce qu'on prélevait pour les prêtres.

Néhémie 13, 6 J'étais, durant tout cela, absent de Jérusalem, car dans la trente-deuxième année d'Artaxerxès, roi de Babylone, j'étais parti auprès du roi; mais, au bout d'un certain temps, je demandai au roi un congé

Néhémie 13, 7 et revins à Jérusalem. J'appris alors la mauvaise action qu'avait faite Elyashib en faveur de Tobiyya, en lui aménageant une salle dans le parvis du Temple de Dieu.

Néhémie 13, 8 Cela me déplut fort: je jetai donc à la rue, hors de la salle, tout le mobilier de Tobiyya,

Néhémie 13, 9 et j'ordonnai qu'on purifiât les salles; puis j'y fis réintégrer les ustensiles du Temple de Dieu, les offrandes et l'encens.

Néhémie 13, 10 J'appris également que les parts des lévites ne rentraient plus et que les lévites et les chantres chargés du service s'étaient enfuis chacun vers son champ.

Néhémie 13, 11 Aussi tançai-je les magistrats en ces termes: "Pourquoi le Temple de Dieu est-il à l'abandon?" Je les rassemblai donc et les rétablis dans leur fonction.

Néhémie 13, 12 Alors tout Juda apporta aux magasins la dîme du blé, du vin et de l'huile.

Néhémie 13, 13 Je préposai aux magasins le prêtre Shélémya, le scribe Sadoq, Pedaya, l'un des lévites, et, pour les assister, Hanân, fils de Zakkur, fils de Mattanya, car ils passaient pour intègres; leur office fut de faire les distributions à leurs frères.

Néhémie 13, 14 Pour cela, souviens-toi de moi, mon Dieu: n'efface pas les actes de piété que j'ai accomplis pour le Temple de mon Dieu et ses observances.

Néhémie 13, 15 En ces jours-là, je vis en Juda des gens qui foulaient au pressoir, le jour du sabbat; d'autres apportaient des gerbes de blé, les chargeaient sur des ânes, avec du vin, des raisins, des figues et toutes sortes de fardeaux, qu'ils voulaient introduire à Jérusalem le jour du sabbat: je les avertis de ne point vendre de denrées.

Néhémie 13, 16 A Jérusalem même, des Tyriens, qui habitaient là, apportaient du poisson et des marchandises de tout genre pour les vendre aux Judéens le jour du sabbat.

Néhémie 13, 17 Aussi tançai-je les grands de Juda, leur déclarant: "Quelle chose exécrable vous faites là, en profanant le jour du sabbat!

Néhémie 13, 18 N'est-ce pas ainsi qu'ont agi vos pères? Alors notre Dieu fit venir tout ce malheur sur nous et sur cette ville. Et vous, vous accroissez la Colère contre Israël en profanant le sabbat."

Néhémie 13, 19 Aussi, dès que l'ombre eut gagné les portes de Jérusalem, juste avant le sabbat, j'ordonnai la fermeture des battants et je dis qu'on ne les rouvre qu'après le sabbat. Je postai quelques-uns de mes gens aux portes pour qu'aucun fardeau n'entrât le jour du sabbat.

Néhémie 13, 20 Une fois ou deux, des marchands, des trafiquants en tous genres de marchandises passèrent la nuit hors de Jérusalem,

Néhémie 13, 21 mais je les avertis, leur déclarant: "Pourquoi passer la nuit aux abords du mur? Si vous recommencez, je mettrai la main sur vous!" Depuis ce moment, ils ne sont plus venus le jour du sabbat.

Néhémie 13, 22 J'ordonnai aux lévites de se purifier et de venir surveiller les portes, pour qu'on observât saintement le jour du sabbat. Pour cela aussi souviens-toi de moi, mon Dieu, et prends-moi en pitié, selon ta grande miséricorde!

Néhémie 13, 23 En ces jours-là encore, je vis des Juifs qui avaient épousé des femmes Ashdodites, ammonites ou moabites.

Néhémie 13, 24 Quant à leurs enfants, la moitié parlait l'Ashdodien ou la langue de tel ou tel peuple, mais ne savait plus parler le juif.

Néhémie 13, 25 Je les tançai et les maudis, en frappai plusieurs, leur arrachai les cheveux et les adjurai de par Dieu: "Vous ne devez pas donner vos filles à leurs fils, ni prendre pour femmes aucune de leurs filles, pour vos fils ou pour vous-mêmes!

Néhémie 13, 26 N'est-ce pas en cela qu'a péché Salomon, roi d'Israël? Parmi tant de nations, aucun roi ne lui fut semblable; il était aimé de son Dieu; Dieu l'avait fait roi sur tout Israël. Même lui, les femmes étrangères l'entraînèrent à pécher!

Néhémie 13, 27 Faudra-t-il entendre dire que vous commettez aussi ce grand crime: trahir notre Dieu en vous mariant avec des femmes étrangères?"

Néhémie 13, 28 L'un des fils de Yoyada, fils d'Elyashib, le grand prêtre, était le gendre de Sânballat, le Horonite. Je le chassai loin de moi.

Néhémie 13, 29 Souviens-toi de ces gens, mon Dieu, pour l'avilissement causé au sacerdoce et à l'alliance des prêtres et lévites.

Néhémie 13, 30 Je les purifiai donc de tout élément étranger. J'établis, pour les prêtres et les lévites, les règlements qui délimitaient à chacun sa tâche.

Néhémie 13, 31 J'en établis également pour les livraisons du bois à dates fixées, et pour les prémices. Souviens-toi de moi, mon Dieu, pour mon bonheur!

 

 

 

 

Tobie

 

 

1, 1 Histoire de Tobit, fils de Tobiel, fils de Ananiel, fils d'Adouel, fils de Gabaël, de la lignée d'Asiel, de la tribu de Nephtali.

Tobie 1, 2 Aux jours de Salmanasar, roi d'Assyrie, il fut déporté de Tibé, qui se trouve au sud de Kédès-Nephtali, en Haute-Galilée, au-dessus de Hasor, à l'ouest, au soleil couchant, et au nord de Shephat.

Tobie 1, 3 Moi, Tobit, j'ai marché sur des chemins de vérité et dans les bonnes oeuvres tous les jours de ma vie. J'ai fait beaucoup d'aumônes à mes frères et à mes compatriotes déportés avec moi à Ninive, au pays d'Assyrie.

Tobie 1, 4 Dans ma jeunesse, quand j'étais encore dans mon pays, la terre d'Israël, toute la tribu de Nephtali mon ancêtre se détacha de la maison de David et de Jérusalem. C'était pourtant la ville choisie parmi toutes les tribus d'Israël pour leurs sacrifices; c'était là que le Temple où Dieu réside avait été bâti et dédié pour toutes les générations à venir.

Tobie 1, 5 Tous mes frères, et la maison de Nephtali, eux, sacrifiaient au veau qu'avait fait Jéroboam, roi d'Israël, à Dan, sur tous les monts de Galilée.

Tobie 1, 6 Bien des fois, j'étais absolument seul à venir en pèlerinage à Jérusalem, pour satisfaire à la loi qui oblige tout Israël à perpétuité. Je courais à Jérusalem, avec les prémices des fruits et des animaux, la dîme du bétail, et la première tonte des brebis.

Tobie 1, 7 Je les donnais aux prêtres, fils d'Aaron, pour l'autel. Aux lévites, alors en fonction à Jérusalem, je donnais la dîme du vin et du blé, des olives, des grenades et des autres fruits. Je prélevais en espèces la seconde dîme, six ans de suite, et j'allais la dépenser à Jérusalem chaque année.

Tobie 1, 8 Je donnais la troisième aux orphelins, aux veuves et aux étrangers qui vivent avec les Israélites; je la leur apportais en présent tous les trois ans. Nous la mangions, fidèles à la fois aux prescriptions de la Loi mosaïque et aux recommandations de Debbora, mère de Ananiel, notre père; parce que mon père était mort, en me laissant orphelin.

Tobie 1, 9 A l'âge d'homme, je pris une femme de notre parenté, qui s'appelait Anna; elle me donna un fils que je nommai Tobie.

Tobie 1, 10 Lors de la déportation en Assyrie, quand je fus emmené, je vins à Ninive. Tous mes frères, et ceux de ma race, mangeaient les mets des païens;

Tobie 1, 11 pour moi, je me gardai de manger les mets des païens.

Tobie 1, 12 Comme j'avais été fidèle à mon Dieu de tout mon coeur,

Tobie 1, 13 le Très-Haut me donna la faveur de Salmanasar, dont je devins l'homme d'affaires.

Tobie 1, 14 Je voyageais en Médie, où je passai des marchés pour lui, jusqu'à sa mort; et je déposai chez Gabaël, frère de Gabri, à Rhagès de Médie, des sacs d'argent pour dix talents.

Tobie 1, 15 A la mort de Salmanasar, Sennachérib, son fils, lui succéda; les routes de Médie se fermèrent, et je ne pus continuer à m'y rendre.

Tobie 1, 16 Aux jours de Salmanasar, j'avais fait souvent l'aumône à mes frères de race,

Tobie 1, 17 je donnais mon pain aux affamés, et des habits à ceux qui étaient nus; et j'enterrais, quand j'en voyais, les cadavres de mes compatriotes, jetés par-dessus les remparts de Ninive.

Tobie 1, 18 J'enterrai de même ceux que tua Sennachérib. -- Quand il revint en fuyard de Judée, après le châtiment du Roi du Ciel sur le blasphémateur, Sennachérib, dans sa colère, tua un grand nombre d'Israélites. -- Alors, je dérobais leurs corps pour les ensevelir; Sennachérib les cherchait et ne les trouvait plus.

Tobie 1, 19 Un Ninivite vint informer le roi que j'étais le fossoyeur clandestin. Quand je sus le roi renseigné sur mon compte, que je me vis recherché pour être mis à mort, j'eus peur, et je pris la fuite.

Tobie 1, 20 Tous mes biens furent saisis; tout fut confisqué pour le trésor; rien ne me resta, que ma femme Anna, et que mon fils Tobie.

Tobie 1, 21 Moins de 40 jours après, le roi fut assassiné par ses deux fils, qui s'enfuirent dans les monts Ararat. Asarhaddon, son fils, lui succéda. Ahikar, fils de mon frère Anaël, fut chargé des comptes du royaume, et il avait la direction générale des affaires.

Tobie 1, 22 Alors Ahikar intercéda pour moi, et je pus redescendre à Ninive. C'est que Ahikar, sous Sennachérib, roi d'Assyrie, avait été grand échanson, garde du sceau, administrateur et maître des comptes; et Asarhaddon l'avait maintenu en fonctions. Il était de ma parenté, c'était mon neveu.

Tobie 2, 1 Sous le règne d'Asarhaddon, je revins donc chez moi, et ma femme Anna me fut rendue avec mon fils Tobie. A notre fête de la Pentecôte (la fête des Semaines), il y eut un bon dîner. Je pris ma place au repas,

Tobie 2, 2 on m'apporta la table et on m'apporta plusieurs plats. Alors je dis à mon fils Tobie: "Va chercher, mon enfant, parmi nos frères déportés à Ninive, un pauvre qui soit de coeur fidèle, et amène-le pour partager mon repas. J'attends que tu reviennes, mon enfant."

Tobie 2, 3 Tobie sortit donc en quête d'un pauvre parmi nos frères, mais il revint et dit: "Père!" Je répondis: "Eh bien, mon enfant?" Il reprit: "Père, il y a quelqu'un de notre peuple qui vient d'être assassiné, il a été étranglé, puis jeté sur la place du marché, et il y est encore."

Tobie 2, 4 Je ne fis qu'un bond, laissai mon repas intact, enlevai l'homme de la place, et le déposai dans une chambre, en attendant le coucher du soleil pour l'enterrer.

Tobie 2, 5 Je rentrai me laver, et je mangeai mon pain dans le chagrin,

Tobie 2, 6 avec le souvenir des paroles du prophète Amos sur Béthel: Vos fêtes seront changées en deuil et tous vos cantiques en lamentations.

Tobie 2, 7 Et je pleurai. Puis, quand le soleil fut couché, j'allai, je creusai une fosse et je l'ensevelis.

Tobie 2, 8 Mes voisins disaient en riant: "Tiens! Il n'a plus peur." (Il faut se rappeler que ma tête avait déjà été mise à prix pour ce motif-là.) "La première fois, il s'est enfui; et le voilà qui se remet à enterrer les morts!"

Tobie 2, 9 Ce soir-là, je pris un bain, et j'allai dans la cour, je m'étendis le long du mur de la cour. Comme il faisait chaud, j'avais le visage découvert,

Tobie 2, 10 je ne savais pas qu'il y avait, au-dessus de moi, des moineaux dans le mur. De la fiente me tomba dans les yeux, toute chaude; elle provoqua des taches blanches que je dus aller faire soigner par les médecins. Plus ils m'appliquaient d'onguents, plus les taches m'aveuglaient, et finalement la cécité fut complète. Je restai quatre ans privé de la vue, tous mes frères en furent désolés; et Ahikar pourvut à mon entretien pendant deux années, avant son départ en Elymaïde.

Tobie 2, 11 A ce moment-là, ma femme Anna prit du travail d'ouvrière, elle filait de la laine et recevait de la toile à tisser,

Tobie 2, 12 elle livrait sur commande et on lui payait le prix. Or, le sept du mois de Dystros, elle termina une pièce et elle la livra aux clients. Ils lui donnèrent tout son dû, et de plus ils lui firent cadeau d'un chevreau pour un repas.

Tobie 2, 13 En rentrant chez moi, le chevreau se mit à bêler, j'appelai ma femme et lui dis: "D'où sort ce cabri? Et s'il avait été volé? Rends-le donc à ses maîtres, nous n'avons pas le droit de manger le produit d'un vol."

Tobie 2, 14 Elle me dit: "Mais c'est un cadeau qu'on m'a donné par-dessus le marché!" Je ne la crus pas, et je lui dis de le rendre à ses propriétaires (j'en rougissais devant elle). Alors elle répliqua: "Où sont donc tes aumônes? Où sont donc tes bonnes oeuvres? Tout le monde sait ce que cela t'a rapporté."

Tobie 3, 1 L'âme désolée, je soupirai, je pleurai, et je commençai cette prière de lamentation:

Tobie 3, 2 Tu es juste, Seigneur, et toutes tes oeuvres sont justes. Toutes tes voies sont grâce et vérité, et tu es le Juge du monde.

Tobie 3, 3 Et maintenant, toi, Seigneur, souviens-toi de moi, regarde-moi. Ne me punis pas pour mes péchés, ni pour mes ignorances, ni pour celles de mes pères. Car nous avons péché devant toi

Tobie 3, 4 et violé tes commandements; et tu nous as livrés au pillage, à la captivité et à la mort, à la fable, à la risée et au blâme de tous les peuples où tu nous as dispersés.

Tobie 3, 5 Et maintenant, tous tes décrets sont vrais, quand tu me traites selon mes fautes et celles de mes pères. Car nous n'avons pas obéi à tes ordres, ni marché en vérité devant toi.

Tobie 3, 6 Et maintenant, traite-moi comme il te plaira, daigne me retirer la vie: je veux être délivré de la terre et redevenir terre. Car la mort vaut mieux pour moi que la vie. J'ai subi des outrages sans raison, et j'ai une immense douleur! Seigneur, j'attends que ta décision me délivre de cette épreuve. Laisse-moi partir au séjour éternel, ne détourne pas ta face de moi, Seigneur. Car mieux vaut mourir que passer ma vie en face d'un mal inexorable, et je ne veux plus m'entendre outrager.

Tobie 3, 7 Le même jour, il advint que Sarra, fille de Ragouël, habitant d'Ecbatane en Médie, entendit aussi les insultes d'une servante de son père.

Tobie 3, 8 Il faut savoir qu'elle avait été donnée sept fois en mariage, et qu'Asmodée, le pire des démons, avait tué ses maris l'un après l'autre, avant qu'ils se soient unis à elle comme de bons époux. Et la servante de dire: "Oui, c'est toi qui tues tes maris! En voilà déjà sept à qui tu as été donnée, et tu n'as pas eu de chance une seule fois!

Tobie 3, 9 Si tes maris sont morts, ce n'est pas une raison pour nous châtier! Va donc les rejoindre, qu'on ne voie jamais de toi ni garçon ni fille!"

Tobie 3, 10 Ce jour-là, elle eut du chagrin, elle sanglota, elle monta dans la chambre de son père, avec le dessein de se pendre. Puis, à la réflexion, elle pensa: "Et si l'on blâmait mon père? On lui dira: Tu n'avais qu'une fille chérie, et, de malheur, elle s'est pendue! Je ne veux pas affliger la vieillesse de mon père jusqu'au séjour des morts. Je ferais mieux de ne pas me pendre, et de supplier le Seigneur de me faire mourir, afin que je n'entende plus d'insultes pendant ma vie."

Tobie 3, 11 A l'instant, elle étendit les bras du côté de la fenêtre, elle pria ainsi: Tu es béni, Dieu de miséricorde! Que ton Nom soit béni dans les siècles, et que toutes tes oeuvres te bénissent dans l'éternité!

Tobie 3, 12 Et maintenant, je lève mon visage et je tourne les yeux vers toi.

Tobie 3, 13 Que ta parole me délivre de la terre, je ne veux plus m'entendre outrager!

Tobie 3, 14 Tu le sais, toi, Seigneur, je suis restée pure, aucun homme ne m'a touchée,

Tobie 3, 15 je n'ai pas déshonoré mon nom, ni celui de mon père, sur ma terre d'exil. Je suis la fille unique de mon père, il n'a pas d'autre enfant pour héritier, il n'a pas de frère auprès de lui, il ne lui reste aucun parent, à qui je doive me réserver. J'ai perdu déjà sept maris, pourquoi devrai-je vivre encore? S'il te déplaît de me faire mourir, regarde-moi avec pitié, je ne veux plus m'entendre outrager!

Tobie 3, 16 Cette fois-ci, leur prière, à l'un et à l'autre, fut agréée devant la Gloire de Dieu,

Tobie 3, 17 et Raphaël fut envoyé pour les guérir tous les deux. Il devait enlever les taches blanches des yeux de Tobit, pour qu'il voie de ses yeux la lumière de Dieu; et il devait donner Sarra, fille de Ragouël, en épouse à Tobie, fils de Tobit, et la dégager d'Asmodée, le pire des démons. Car c'est à Tobie qu'elle revenait de droit, avant tous les autres prétendants. A ce moment-là, Tobit rentrait de la cour dans la maison; et Sarra, fille de Ragouël, de son côté, était en train de descendre de la chambre.

Tobie 4, 1 Ce jour-là, Tobit pensa à l'argent qu'il avait déposé chez Gabaël, à Rhagès de Médie,

Tobie 4, 2 et il se dit: "J'en suis venu à demander la mort, je ferais bien d'appeler mon fils Tobie, pour lui parler de cette somme, avant de mourir."

Tobie 4, 3 Il fit venir son fils Tobie auprès de lui, et parla ainsi: "Quand je mourrai, fais-moi un enterrement convenable. Honore ta mère, et ne la délaisse en aucun jour de ta vie. Fais ce qui lui plaît, et ne lui fournis aucun sujet de tristesse.

Tobie 4, 4 Souviens-toi, mon enfant, de tant de dangers qu'elle a courus pour toi, quand tu étais dans son sein. Et quand elle mourra, enterre-la auprès de moi, dans la même tombe.

Tobie 4, 5 Mon enfant, sois tous les jours fidèle au Seigneur. N'aie pas la volonté de pécher, ni de transgresser ses lois. Fais de bonnes oeuvres tous les jours de ta vie, et ne suis pas les sentiers de l'injustice.

Tobie 4, 6 Car, si tu agis dans la vérité, tu réussiras dans toutes tes actions, comme tous ceux qui pratiquent la justice.

Tobie 4, 7 Prends sur tes biens pour faire l'aumône. Ne détourne jamais ton visage d'un pauvre, et Dieu ne détournera pas le sien de toi.

Tobie 4, 8 Mesure ton aumône à ton abondance: si tu as beaucoup, donne davantage; si tu as peu, donne moins, mais n'hésite pas à faire l'aumône.

Tobie 4, 9 C'est te constituer un beau trésor pour le jour du besoin.

Tobie 4, 10 Car l'aumône délivre de la mort, et elle empêche d'aller dans les ténèbres.

Tobie 4, 11 L'aumône est une offrande de valeur, pour tous ceux qui la font en présence du Très-Haut.

Tobie 4, 12 Garde-toi, mon enfant, de toute inconduite. Choisis une femme du sang de tes pères. Ne prends pas une femme étrangère à la tribu de ton père, parce que nous sommes les fils des prophètes. Souviens-toi de Noé, d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, nos pères dès le commencement. Ils ont tous prix une femme dans leur parenté, et ils ont été bénis dans leurs enfants, et leur race aura la terre en héritage.

Tobie 4, 13 Toi aussi, mon enfant, préfère tes frères, n'aie pas le coeur de mépriser tes frères, les fils et les filles de ton peuple, et prends ta femme parmi eux. Parce que l'orgueil entraîne la ruine, et beaucoup d'inquiétude; l'oisiveté amène la pauvreté et la pénurie, car la mère de la famine, c'est l'oisiveté.

Tobie 4, 14 Ne fais pas attendre au lendemain le salaire de ceux qui travaillent pour toi, mais paie-le tout de suite. Si tu sers Dieu, tu seras récompensé. Sois vigilant, mon fils, dans toutes tes oeuvres, et bien élevé dans toute ta conduite.

Tobie 4, 15 Ne fais à personne ce que tu n'aimerais pas subir. Ne bois pas de vin jusqu'à l'ivresse, et n'aie pas la débauche pour compagne de ta route.

Tobie 4, 16 Donne de ton pain à ceux qui ont faim, et de tes habits à ceux qui sont nus. De tout ce que tu as en abondance, prends pour faire l'aumône; et quand tu fais l'aumône, n'aie pas de regrets dans les yeux.

Tobie 4, 17 Sois prodigue de pain et de vin sur le tombeau des justes, mais non pour le pécheur.

Tobie 4, 18 Prends l'avis de toute personne sage, et ne méprise pas un conseil profitable.

Tobie 4, 19 En toute circonstance, bénis le Seigneur Dieu, demande-lui de diriger tes voies, et de faire aboutir tes sentiers et tes projets. Car la sagesse n'est pas le propre de toute nation, c'est le Seigneur qui leur donne de vouloir le bien. A son gré, il élève, ou il abaisse jusqu'au fond du séjour des morts. Et maintenant, mon enfant, rappelle-toi ces commandements, et ne les laisse pas s'effacer de ton coeur.

Tobie 4, 20 Maintenant, mon enfant, je t'informe que j'ai déposé dix talents d'argent chez Gabaël, fils de Gabri, à Rhagès de Médie.

Tobie 4, 21 N'aie pas peur, mon enfant, si nous sommes devenus pauvres. Tu as une grande richesse, si tu crains Dieu, si tu évites toute espèce de péché, et si tu fais ce qui plaît au Seigneur ton Dieu."

Tobie 5, 1 Alors Tobie répondit à son père Tobit: "Je ferai, père, tout ce que tu m'as commandé.

Tobie 5, 2 Seulement, comment faire pour lui reprendre ce dépôt? Lui ne me connaît pas, et moi, je ne le connais pas non plus. Quel signe de reconnaissance vais-je lui donner, pour qu'il me croie et qu'il me remette l'argent? De plus, je ne sais pas les routes à prendre pour ce voyage en Médie."

Tobie 5, 3 Alors Tobit répondit à son fils Tobie: "Nous avons échangé nos signatures sur un billet, et je l'ai coupé en deux pour que nous en ayons chacun la moitié. J'ai pris l'une, et j'ai mis l'autre avec l'argent. Dire que cela fait vingt ans que j'ai mis cet argent en dépôt! Maintenant, mon enfant, cherche-toi quelqu'un de sérieux pour compagnon de voyage, il sera à nos frais jusqu'à ton retour; et puis va toucher cet argent chez Gabaël."

Tobie 5, 4 Tobie sortit, en quête d'un bon guide capable de venir avec lui en Médie. Dehors, il trouva Raphaël, l'ange, debout face à lui, sans se douter que c'était un ange de Dieu.

Tobie 5, 5 Il lui dit: "D'où es-tu, mon ami?" L'ange répondit: "Je suis l'un des Israélites tes frères, je suis venu chercher du travail par là." Tobie lui dit: "Sais-tu la route pour aller en Médie?"

Tobie 5, 6 L'autre répondit: "Bien sûr! J'y ai été plusieurs fois, je connais tous les chemins par coeur. Je suis allé fréquemment en Médie, j'ai été reçu chez Gabaël, l'un de nos frères qui habites à Rhagès de Médie. Il faut bien deux jours de marche normale, d'Ecbatane à Rhagès; Rhagès est situé dans la montagne, et Ecbatane est au milieu de la plaine."

Tobie 5, 7 Tobie lui dit: "Attends-moi, mon ami, que j'aille prévenir mon père: j'ai besoin que tu viennes avec moi, je te paierai tes journées."

Tobie 5, 8 L'autre répondit: "Bien, j'attends. Seulement ne sois pas long."

Tobie 5, 9 Tobie alla prévenir son père qu'il avait trouvé quelqu'un de leurs frères israélites. Et le père dit: "Présente-le moi, que je m'informe de sa famille et de sa tribu. Il faut voir si l'on peut compter sur lui pour t'accompagner, mon enfant." Tobie sortit donc l'appeler: "Mon ami, dit-il, mon père te demande."

Tobie 5, 10 L'ange entra dans la maison. Tobit salua le premier, et l'autre lui répondit par des souhaits de bonheur. Tobit reprit: "Puis-je encore avoir du bonheur? Je suis un aveugle, je ne vois plus l'éclat du ciel, je suis plongé dans l'obscurité, comme les morts qui ne contemplent plus la lumière. Je suis un enterré vivant, j'entends la voix des gens sans les voir." L'ange lui dit: "Aie confiance, Dieu ne tardera pas à te guérir. Aie confiance!" Tobit lui dit: "Mon fils Tobie désire aller en Médie. Veux-tu te joindre à lui comme guide? Frère, je te paierai." Il répondit: "Je veux bien l'accompagner, je sais tous les chemins, je suis souvent allé en Médie, j'en ai traversé toutes les plaines et les montagnes, et j'en connais toutes les pistes."

Tobie 5, 11 Tobit dit: "Frère, de quelle famille et de quelle tribu es-tu? Veux-tu me l'indiquer, frère" --

Tobie 5, 12 "Que peut te faire ma tribu" -- "Je veux savoir pour de bon de qui tu es fils et quel est ton nom" --

Tobie 5, 13 "Je suis Azarias, fils d'Ananias le grand, l'un de tes frères" --

Tobie 5, 14 "Sois le bienvenu, salut, frère! Ne te froisse pas si j'ai désiré connaître ta vraie famille: il se trouve que tu es mon parent, de belle et bonne lignée. Je connais Ananias et Nathân, les deux fils de Séméias le grand. Ils venaient avec moi à Jérusalem, nous y avons adoré ensemble, et ils n'ont pas quitté la bonne route. Tes frères sont des hommes de bien, tu es de bonne souche: sois le bienvenu!"

Tobie 5, 15 Il poursuivit: "Je t'engage pour une drachme par jour, avec ton entretien, comme pour mon fils. Voyage donc avec mon fils,

Tobie 5, 16 et je dépasserai le prix convenu." L'ange répondit: "Je ferai le voyage avec lui. Ne crains rien. Notre départ se passera bien, et notre retour aussi, parce que la route est sûre."

Tobie 5, 17 Tobit lui dit: "Sois béni, frère!" Puis il s'adressa à son fils: "Mon enfant, dit-il, prépare ce qu'il te faut pour le voyage, et pars avec ton frère. Que le Dieu qui est dans les cieux vous protège là-bas, et qu'il vous ramène sains et saufs auprès de moi! Que son ange vous accompagne de sa protection, mon enfant!" Tobie sortit pour se mettre en route, et il embrassa son père et sa mère. Tobit lui dit: "Bon voyage!"

Tobie 5, 18 Sa mère pleura, et elle dit à Tobit: "Pourquoi as-tu décidé le départ de mon enfant? N'est-ce pas lui le bâton de notre main, lui qui va et vient devant nous?

Tobie 5, 19 J'espère que l'argent ne passe pas avant tout, mais qu'il ne compte pas à côté de notre enfant.

Tobie 5, 20 Le mode de vie que Dieu nous avait donné nous suffisait bien."

Tobie 5, 21 Il lui dit: "Ne te fais pas des idées! Notre enfant ira bien en partant, il ira encore bien en rentrant à la maison. Le jour où il te reviendra, tes yeux verront qu'il va toujours très bien. Ne te fais pas des idées, n'aie pas d'inquiétude pour eux, ma soeur.

Tobie 5, 22 Un bon ange l'accompagnera, il fera bon voyage, et il reviendra en bien bonne santé!"

Tobie 6, 1 Et elle cessa de pleurer.

Tobie 6, 2 L'enfant partit avec l'ange, et le chien suivit derrière. Ils marchèrent tous les deux, et quand vint le premier soir, ils campèrent le long du Tigre.

Tobie 6, 3 L'enfant descendit au fleuve se laver les pieds, quand un gros poisson sauta de l'eau, et faillit lui avaler le pied. Le garçon cria,

Tobie 6, 4 et l'ange lui dit: "Attrape le poisson, et ne lâche pas!" Le garçon vint à bout du poisson, et le tira sur la rive.

Tobie 6, 5 L'ange lui dit: "Ouvre-le, enlève le fiel, le coeur et le foie; mets-les à part, et jette les entrailles, parce que le fiel, le coeur et le foie font des remèdes utiles."

Tobie 6, 6 Le jeune homme ouvrit le poisson, préleva le fiel, le coeur et le foie. Il fit frire un peu de poisson pour son repas, et il en garda pour le saler. Ils marchèrent ensuite tous deux ensemble jusqu'auprès de la Médie.

Tobie 6, 7 Alors le garçon posa à l'ange cette question: "Frère Azarias, quel remède y a-t-il donc dans le coeur, le foie et le fiel de poisson?"

Tobie 6, 8 Il répondit: "On brûle le coeur et le foie de poisson, et leur fumée s'emploie dans le cas d'un homme, ou d'une femme, que tourmente un démon ou un esprit malin: toute espèce de malaise disparaît définitivement sans laisser aucune trace.

Tobie 6, 9 Quant au fiel, il sert d'onguent pour les yeux, quand on a des taches blanches sur l'oeil: il n'y a plus qu'à souffler sur les taches pour les guérir."

Tobie 6, 10 Ils pénétrèrent en Médie, ils étaient déjà rendus près d'Ecbatane,

Tobie 6, 11 quand Raphaël dit au jeune homme: "Frère Tobie!" Il répondit: "Eh bien?" L'ange reprit: "Ce soir nous devons loger chez Ragouël, c'est un parent à toi. Il a une fille du nom de Sarra,

Tobie 6, 12 mais, à part Sarra, il n'a ni garçon ni fille. Or c'est toi son plus proche parent, elle te revient par priorité, et tu peux prétendre à l'héritage de son père. C'est une enfant sérieuse, courageuse, très gentille, et son père l'aime bien.

Tobie 6, 13 Tu as le droit de la prendre. Ecoute-moi, frère, je parlerai de la jeune fille à son père, dès ce soir, pour te la retenir comme fiancée; et quand nous reviendrons de Rhagès, nous ferons le mariage. Je certifie que Ragouël n'a absolument pas le droit de te la refuser, ou de la fiancer à un autre. Ce serait encourir la mort, d'après les termes du livre de Moïse, du moment qu'il saurait que la parenté te donne avant tout autre le droit de prendre sa fille. Alors, écoute-moi, frère. Dès ce soir, nous parlons de la jeune fille, et nous faisons la demande en mariage. A notre retour de Rhagès, nous la prendrons, pour l'emmener avec nous chez toi."

Tobie 6, 14 Tobie répondit à Raphaël: "Frère Azarias, je me suis laissé dire qu'elle a déjà été donnée sept fois en mariage, et que, chaque fois, son mari est mort dans la chambre des noces. Il mourait le soir où il entrait dans sa chambre, et j'ai entendu des gens dire que c'était un démon qui les tuait,

Tobie 6, 15 si bien que j'ai un peu peur. Elle, il ne lui fait rien, parce qu'il l'aime; mais dès que quelqu'un veut s'en approcher, il le tue. Je suis le seul fils de mon père, et je ne tiens pas à mourir, je ne veux pas que mon père et ma mère s'affligent toute leur vie sur moi jusqu'au tombeau: ils n'ont pas d'autre fils pour les enterrer."

Tobie 6, 16 Il lui dit: "Oublieras-tu les avis de ton père? Il t'a pourtant recommandé de prendre une femme de la maison de ton père. Alors, écoute-moi, frère. Ne tiens pas compte de ce démon, et prends-la. Je te garantis que, dès ce soir, elle te sera donnée pour femme.

Tobie 6, 17 Seulement quand tu seras entré dans la chambre, prends le foie et le coeur du poisson, mets-en un peu sur les braises de l'encens. L'odeur se répandra,

Tobie 6, 18 le démon la respirera, il s'enfuira, et il n'y a pas de danger qu'on le reprenne autour de la jeune fille. Puis, au moment de vous unir, levez-vous d'abord tous les deux pour prier. Demandez au Seigneur du Ciel de vous accorder sa grâce et sa protection. N'aie pas peur, elle t'a été destinée dès l'origine, c'est à toi de la sauver. Elle te suivra, et je gage qu'elle te donnera des enfants qui te seront comme des frères. N'hésite pas." Et quand Tobie entendit parler Raphaël, qu'il sut que Sarra était sa soeur, parente de la famille de son père, il l'aima, au point de ne plus pouvoir en détacher son coeur.

Tobie 7, 1 A l'entrée d'Ecbatane, Tobie dit: "Frère Azarias, mène-moi tout droit chez notre frère Ragouël." Il le conduisit à la maison de Ragouël, qu'ils trouvèrent assis à la porte de la cour. Ils le saluèrent les premiers, et il répondit: Je vous salue bien, frères, vous êtes les bienvenus!" Et il les fit entrer dans sa maison.

Tobie 7, 2 Il dit à sa femme Edna: "Que ce jeune homme ressemble donc à mon frère Tobit!"

Tobie 7, 3 Edna leur demanda d'où ils étaient, et ils lui dirent: "Nous sommes des fils de Nephtali déportés à Ninive" --

Tobie 7, 4 "Connaissez-vous notre frère Tobit" -- "Oui" -- "Comment va-t-il" --

Tobie 7, 5 "Il est toujours en vie, et il se porte bien." Et Tobie ajouta: "C'est mon père."

Tobie 7, 6 D'un bond, Ragouël fut debout, il l'embrassa et il pleura.

Tobie 7, 7 Puis il parla et lui dit: "Béni sois-tu, mon enfant! Tu es le fils d'un père excellent. Quel malheur qu'un homme si juste et si bienfaisant soit devenu aveugle!" Il tomba au cou de son frère Tobie, et il pleura.

Tobie 7, 8 Et sa femme pleura sur lui, et puis leur fille Sarra aussi.

Tobie 7, 9 Et il tua un mouton du troupeau, et on leur fit une réception chaleureuse. On se lava, on se baigna, on se mit à table. Alors Tobie dit à Raphaël: "Frère Azarias, si tu demandais à Ragouël de me donner ma soeur Sarra?"

Tobie 7, 10 Ragouël surprit ces paroles, et dit au jeune homme: "Mange et bois, ne gâte pas ta soirée, parce que personne n'a le droit de prendre ma fille Sarra, si ce n'est toi, mon frère. Aussi bien ne suis-je pas libre, moi non plus, de la donner à un autre, puisque tu es son plus proche parent. Maintenant, mon petit, je vais te parler franchement.

Tobie 7, 11 J'ai tenté sept fois de lui trouver un mari parmi nos frères, et tous sont morts, le premier soir, quand ils entraient dans sa chambre. Pour le moment, mon enfant, mange et bois, le Seigneur vous accordera sa grâce et sa paix." Et Tobie de déclarer: "Je ne veux pas entendre parler de boire et de manger, tant que tu n'as pas pris de décision vis-à-vis de moi." Ragouël répondit: "Soit! Puisque, aux termes de la Loi de Moïse, elle t'est donnée, c'est le Ciel qui décrète qu'on te la donne. Je te confie donc ta soeur. Désormais tu es son frère, et elle est ta soeur. Elle t'est donnée à partir d'aujourd'hui pour toujours. Le Seigneur du Ciel vous sera favorable ce soir, mon enfant, et vous accordera sa grâce et sa paix."

Tobie 7, 12 Ragouël fit venir sa fille Sarra, il lui prit la main, et la remit à Tobie avec ces paroles: "Je te la confie, c'est la loi et la décision écrite dans le livre de Moïse qui te l'attribuent pour femme. Prends-la, emmène-la chez ton père, en bonne conscience. Que le Dieu du Ciel vous donne de faire en paix un bon voyage!"

Tobie 7, 13 Puis il s'adressa à la mère, et lui dit d'aller chercher une feuille pour écrire. Il rédigea le contrat de mariage, comme quoi il donnait à Tobie sa fille pour épouse, en application de l'article de la Loi de Moïse.

Tobie 7, 14 Après quoi, on se mit à manger et à boire.

Tobie 7, 15 Ragouël appela sa femme Edna et lui dit: "Ma soeur, prépare la seconde chambre, où tu la conduiras."

Tobie 7, 16 Elle alla faire le lit de la chambre comme il lui avait dit, et elle y mena sa fille. Elle pleura sur elle, puis elle essuya ses larmes et dit:

Tobie 7, 17 "Aie confiance, ma fille! Que le Seigneur du Ciel change ton chagrin en joie! Aie confiance, ma fille!" Et elle sortit.

Tobie 8, 1 Quand on eut fini de boire et de manger, on parla d'aller se coucher, et l'on conduisit le jeune homme depuis la salle du repas jusque dans la chambre.

Tobie 8, 2 Tobie se souvint des conseils de Raphaël, il prit son sac, il en tira le coeur et le foie du poisson, et il en mit sur les braises de l'encens.

Tobie 8, 3 L'odeur du poisson incommoda le démon, qui s'enfuit par les airs jusqu'en Egypte. Raphaël l'y poursuivit, l'entrava et le garrotta sur-le-champ.

Tobie 8, 4 Cependant les parents étaient sortis en refermant la porte. Tobie se leva du lit, et dit à Sarra: "Debout, ma soeur! Il faut prier tous deux, et recourir à notre Seigneur, pour obtenir sa grâce et sa protection."

Tobie 8, 5 Elle se leva et ils se mirent à prier pour obtenir d'être protégés, et il commença ainsi: Tu es béni, Dieu de nos pères, et ton Nom est béni dans tous les siècles des siècles! Que te bénissent les cieux, et toutes tes créatures dans tous les siècles!

Tobie 8, 6 C'est toi qui as créé Adam, c'est toi qui as créé Eve sa femme, pour être son secours et son appui, et la race humaine est née de ces deux-là. C'est toi qui as dit: Il ne faut pas que l'homme reste seul, faisons-lui une aide semblable à lui.

Tobie 8, 7 Et maintenant, ce n'est pas le plaisir que je cherche en prenant ma soeur, mais je le fais d'un coeur sincère. Daigne avoir pitié d'elle et de moi et nous mener ensemble à la vieillesse!

Tobie 8, 8 Et ils dirent de concert: "Amen, amen!"

Tobie 8, 9 Et ils se couchèrent pour la nuit. Or Ragouël se leva, il appela les serviteurs, et ils vinrent l'aider à creuser une tombe.

Tobie 8, 10 Il avait pensé: "Pourvu qu'il ne meure pas! Nous serions couverts de ridicule et de honte."

Tobie 8, 11 Une fois la fosse achevée, Ragouël revint à la maison, il appela sa femme

Tobie 8, 12 et lui dit: "Si tu envoyais une servante dans la chambre voir si Tobie est en vie? Parce que, s'il est mort, on l'enterrerait sans que personne en sache rien."

Tobie 8, 13 On avertit la servante, on alluma la lampe, on ouvrit la porte, et la servante entra. Elle les trouva dormant tous deux d'un profond sommeil;

Tobie 8, 14 elle ressortit, et leur dit tout bas: "Il n'est pas mort, tout va bien."

Tobie 8, 15 Ragouël bénit le Dieu du Ciel par ces paroles: Tu es béni, mon Dieu, par toute bénédiction pure! Qu'on te bénisse dans tous les siècles!

Tobie 8, 16 Tu es béni de m'avoir réjoui, ce que je redoutais n'est pas arrivé, mais tu nous as traités avec ton immense bienveillance.

Tobie 8, 17 Tu es béni d'avoir eu pitié de ce fils unique et de cette fille unique. Donne-leur, Maître, ta grâce et ta protection, fais-les poursuivre leur vie, dans la joie et dans la grâce!

Tobie 8, 18 Et il fit combler la tombe par les serviteurs, avant le petit jour.

Tobie 8, 19 Il fit faire par sa femme une fournée de pains, il alla au troupeau, prit deux boeufs et quatre moutons, il les recommanda à la cuisine, et l'on commença les préparatifs.

Tobie 8, 20 Il fit venir Tobie et lui déclara: "Pendant quatorze jours, il n'est pas question que tu bouges d'ici. Tu resteras là où tu es, à manger et à boire, chez moi. Tu rendras la joie à ma fille après tous ses chagrins.

Tobie 8, 21 Après, emporte d'ici la moitié de tout ce que j'ai, et retourne sans encombre auprès de ton père. Quand nous serons morts, ma femme et moi, vous aurez l'autre moitié. Aie confiance, mon garçon! Je suis ton père, et Edna est ta mère. Nous sommes tes parents, comme ceux de ta soeur, désormais. Aie confiance, mon enfant!"

Tobie 9, 1 Alors Tobie s'adressa à Raphaël:

Tobie 9, 2 "Frère Azarias, dit-il, emmène quatre serviteurs et deux chameaux, et pars pour Rhagès.

Tobie 9, 3 Tu iras chez Gabaël, tu lui donneras le reçu, et tu t'occuperas de l'argent; enfin tu l'inviteras à venir à mes noces avec toi.

Tobie 9, 4 Tu sais que mon père doit compter les jours, et que je ne puis en perdre un seul sans le contrarier.

Tobie 9, 5 Tu vois bien à quoi Ragouël s'est engagé: je suis tenu par son serment." Raphaël partit donc pour Rhagès de Médie, avec les quatre serviteurs et les deux chameaux. Ils descendirent chez Gabaël, à qui il présenta le reçu. Il lui fit part du mariage de Tobie, fils de Tobit, et de son invitation aux noces. Gabaël se mit à lui compter les sacs avec leurs sceaux intacts, et ils les chargèrent sur les chameaux.

Tobie 9, 6 Ils partirent ensemble de bonne heure pour la noce, et ils arrivèrent chez Ragouël, où ils trouvèrent Tobie en train de dîner. Il se leva et le salua, Gabaël pleura, et le bénit avec ces paroles: "Excellent fils d'un père parfait, juste et bienfaisant! Que le Seigneur te donne la bénédiction du Ciel, à toi, et à ta femme, au père et à la mère de ta femme! Béni soit Dieu de m'avoir fait voir le portrait vivant de mon cousin Tobit!"

Tobie 10, 1 Cependant, de jour en jour, Tobit comptait les journées que demandait le voyage, à l'aller et au retour. Le nombre fut atteint, sans que le fils eût paru.

Tobie 10, 2 Alors il pensa: "Pourvu qu'il ne soit pas retenu là-bas! Pourvu que Gabaël ne soit pas mort! Il n'y a peut-être eu personne pour lui donner l'argent!"

Tobie 10, 3 Et il commença à être contrarié.

Tobie 10, 4 Sa femme Anna disait: "Mon enfant est mort! Il n'est plus au nombre des vivants!" Et elle se mettait à pleurer et à se lamenter sur son fils. Elle disait:

Tobie 10, 5 "Quel malheur! Mon enfant, je t'ai laissé partir, toi, la lumière de mes yeux!"

Tobie 10, 6 Et Tobit répondait: "Du calme, ma soeur! Ne te fais pas des idées! Il va bien! Ils auront eu là-bas un contretemps. Son compagnon est quelqu'un de sérieux, et l'un de nos frères. Ne te désole pas, ma soeur. Il va arriver d'un moment à l'autre."

Tobie 10, 7 Mais elle répliquait: "Laisse-moi, n'essaie pas de me tromper. Mon enfant est mort." Et, tous les jours, elle sortait soudain, pour surveiller la route par où son fils était parti. Elle ne croyait plus personne. Quand le soleil était couché, elle rentrait, pour pleurer et gémir à longueur de nuits sans pouvoir dormir. A la fin des quatorze jours de noces, que Ragouël avait juré de faire en l'honneur de sa fille, Tobie vint lui dire: "Laisse-moi partir, parce que mon père et ma mère ne doivent plus penser me revoir. Aussi, je t'en prie, père, laisse-moi rentrer chez mon père, je t'ai expliqué dans quel état je l'ai laissé."

Tobie 10, 8 Ragouël dit à Tobie: "Reste, mon fils, reste avec moi. J'enverrai des messagers à ton père Tobit donner de tes nouvelles."

Tobie 10, 9 Tobie insista: "Non, je te demande la liberté de retourner chez mon père."

Tobie 10, 10 sur-le-champ, Ragouël lui remit son épouse Sarra. Il donnait à Tobie la moitié de ses biens, en serviteurs et servantes, en boeufs et brebis, ânes et chameaux, et en habits, argent et ustensiles.

Tobie 10, 11 Il les laissait ainsi partir contents. Pour Tobie, il eut ces paroles d'adieu: "Bonne santé, mon enfant, et bon voyage! Que le Seigneur du Ciel soit favorable, à toi et à ta femme Sarra! J'espère bien voir vos enfants avant de mourir."

Tobie 10, 12 A sa fille Sarra, il dit: "Va chez ton beau-père, puisque désormais ils sont tes parents, comme ceux qui t'ont donné la vie. Va en paix, ma fille. Je compte n'entendre dire que du bien de toi, tant que je vivrai." Il leur fit ses adieux, et il leur donna congé. A son tour, Edna dit à Tobie: "Fils et frère très cher, qu'il plaise au Seigneur de te ramener! Je souhaite vivre assez pour voir vos enfants, à toi et à ma fille Sarra, avant de mourir. En présence du Seigneur je confie ma fille à ta garde. Ne lui fais jamais de la peine durant ta vie. Va en paix, mon fils. Désormais je suis ta mère, et Sarra est ta soeur. Puissions-nous tous vivre heureux pareillement, tous les jours de notre vie!" Et elle les embrassa tous les deux, et elle les laissa partir bien contents.

Tobie 10, 13 Tobie partit satisfait de chez Ragouël. Tout joyeux, il bénissait le Seigneur du Ciel et de la Terre et Roi de l'univers, de l'heureux succès de son voyage. Il bénit ainsi Ragouël et sa femme Edna: "Puissé-je avoir le bonheur de vous honorer tous les jours de ma vie!"

Tobie 11, 1 Ils approchaient de Kasérîn, en face de Ninive.

Tobie 11, 2 Raphaël dit: "Tu sais dans quel état nous avons laissé ton père,

Tobie 11, 3 prenons de l'avance sur ta femme, pour aller préparer la maison, pendant qu'elle arrive avec les autres."

Tobie 11, 4 Ils marchèrent tous deux ensemble (il lui avait bien recommandé d'emporter le fiel), et le chien les suivait.

Tobie 11, 5 Anna était assise, à surveiller la route par où viendrait son fils.

Tobie 11, 6 Elle pressentit que c'était lui, et elle dit au père: "Voici ton fils qui arrive avec son compagnon!"

Tobie 11, 7 Raphaël dit à Tobie, avant qu'il eût rejoint son père: "Je te garantis que les yeux de ton père vont s'ouvrir.

Tobie 11, 8 Tu lui appliqueras sur l'oeil le fiel de poisson: la drogue mordra, et lui tirera des yeux une petite peau blanche. Et ton père cessera d'être aveugle et verra la lumière."

Tobie 11, 9 La mère courut se jeter au cou de son fils: "Maintenant, disait-elle, je puis mourir, je t'ai revu!" Et elle pleura.

Tobie 11, 10 Tobit se leva, il trébuchait, mais il réussit à franchir la porte de la cour. Tobie se dirigea à sa rencontre

Tobie 11, 11 (il portait dans sa main le fiel de poisson). Il lui souffla dans les yeux, et lui dit, en le tenant bien: "Aie confiance, père!" Puis il appliqua la drogue, et la laissa quelque temps,

Tobie 11, 12 et enfin, de chaque main, il lui ôta une petite peau du coin des yeux.

Tobie 11, 13 Alors son père tomba à son cou

Tobie 11, 14 et il pleura. Il s'écria: "Je te vois, mon fils, lumière de mes yeux!" Et il dit: Béni soit Dieu Béni son grand Nom! Bénis tous ses saints anges! Béni son grand Nom dans tous les siècles!

Tobie 11, 15 Parce qu'il m'avait frappé, et qu'il a eu pitié de moi, et que je vois mon fils Tobie! Tobie entra dans la maison, de joie il bénissait Dieu à haute voix. Puis il mit son père au courant: son voyage a bien marché, il rapporte l'argent; il a épousé Sarra, fille de Ragouël; elle le suit de peu, elle n'est pas loin des portes de Ninive.

Tobie 11, 16 Tobit partit à la rencontre de sa belle-fille, vers les portes de Ninive, en louant Dieu dans sa joie. Quand les gens de Ninive le virent marcher en se passant de guide, et avancer avec sa vigueur d'autrefois, ils furent émerveillés.

Tobie 11, 17 Tobit proclama devant eux que Dieu avait eu pitié de lui, et lui avait ouvert les yeux. Enfin Tobit approcha de Sarra, l'épouse de son fils Tobie, et il la bénit en ces termes: "Sois la bienvenue, ma fille! Béni soit ton Dieu de t'avoir fait venir chez nous, ma fille! Béni soit ton père, béni soit mon fils Tobie, et bénie sois-tu, ma fille! Sois la bienvenue chez toi, dans la joie et la bénédiction! Entre, ma fille." Ce jour-là fut une fête pour tous les Juifs de Ninive,

Tobie 11, 18 et ses cousins Ahikar et Nadab vinrent partager la joie de Tobit.

Tobie 12, 1 A la fin des noces, Tobit appela son fils Tobie, et lui dit: "Mon enfant, pense à régler ce qui est dû à ton compagnon, tu dépasseras le prix convenu."

Tobie 12, 2 Il demanda: "Père, combien vais-je lui donner pour ses services? Même en lui laissant la moitié des biens qu'il a rapportés avec moi, je n'y perds pas.

Tobie 12, 3 Il me ramène sain et sauf, il a soigné ma femme, il rapporte avec moi l'argent, et enfin il t'a guéri! Combien lui donner encore pour cela?"

Tobie 12, 4 Tobit lui dit: "Il a bien mérité la moitié de ce qu'il a rapporté."

Tobie 12, 5 Tobie fit donc venir son compagnon, et lui dit: "Prends la moitié de ce que tu as ramené, pour prix de tes services, et va en paix."

Tobie 12, 6 Alors Raphaël les prit tous les deux à l'écart, et il leur dit: "Bénissez Dieu, célébrez-le devant tous les vivants, pour le bien qu'il vous a fait. Bénissez et chantez son Nom. Faites connaître à tous les hommes les actions de Dieu comme elles le méritent, et ne vous lassez pas de le remercier.

Tobie 12, 7 Il convient de garder le secret du roi, tandis qu'il convient de révéler et de publier les oeuvres de Dieu. Remerciez-le dignement. Faites ce qui est bien, et le malheur ne vous atteindra pas.

Tobie 12, 8 Mieux vaut la prière avec le jeûne, et l'aumône avec la justice, que la richesse avec l'iniquité. Mieux vaut pratiquer l'aumône, que thésauriser de l'or.

Tobie 12, 9 L'aumône sauve de la mort et elle purifie de tout péché. Ceux qui font l'aumône sont rassasiés de jours;

Tobie 12, 10 ceux qui font le péché et le mal se font du tort à eux-mêmes.

Tobie 12, 11 Je vais vous dire toute la vérité, sans rien vous cacher: je vous ai déjà enseigné qu'il convient de garder le secret du roi, tandis qu'il convient de révéler dignement les oeuvres de Dieu.

Tobie 12, 12 Vous saurez donc que, lorsque vous étiez en prière, toi et Sarra, c'était moi qui présentais vos suppliques devant la Gloire du Seigneur et qui les lisais; et de même lorsque tu enterrais les morts.

Tobie 12, 13 Quand tu n'as pas hésité à te lever, et à quitter la table, pour aller ensevelir un mort, j'ai été envoyé pour éprouver ta foi,

Tobie 12, 14 et Dieu m'envoya en même temps pour te guérir, ainsi que ta belle-fille Sarra.

Tobie 12, 15 Je suis Raphaël, un des sept Anges qui se tiennent toujours prêts à pénétrer auprès de la Gloire du Seigneur."

Tobie 12, 16 Ils furent remplis d'effroi tous les deux; ils se prosternèrent, et ils eurent grand-peur.

Tobie 12, 17 Mais il leur dit: "Ne craignez point, la paix soit avec vous. Bénissez Dieu à jamais.

Tobie 12, 18 Pour moi, quand j'étais avec vous, ce n'est pas à moi que vous deviez ma présence, mais à la volonté de Dieu: c'est lui qu'il faut bénir au long des jours, lui qu'il faut chanter.

Tobie 12, 19 Vous avez cru me voir manger, ce n'était qu'une apparence.

Tobie 12, 20 Alors, bénissez le Seigneur sur la terre, et rendez grâce à Dieu. Je vais remonter à Celui qui m'a envoyé. Ecrivez tout ce qui est arrivé." Et il s'éleva.

Tobie 12, 21 Quand ils se redressèrent, il n'était plus visible. Ils louèrent Dieu par des hymnes; ils le remercièrent d'avoir opéré de telles merveilles: un ange de Dieu ne leur était-il pas apparu!

Tobie 13, 1 Et il dit: Béni soit Dieu qui vit à jamais, car son règne dure dans tous les siècles!

Tobie 13, 2 Car tour à tour il châtie et il pardonne, il fait descendre aux profondeurs des enfers et il retire de la grande Perdition: personne n'échappe à sa main.

Tobie 13, 3 Célébrez-le en face des nations, vous, enfants d'Israël! Car s'il vous a dispersés parmi elles,

Tobie 13, 4 c'est là qu'il vous a montré sa grandeur. Exaltez-le en face de tous les vivants, c'est lui notre Seigneur et c'est lui notre Dieu et c'est lui notre Père et il est Dieu dans tous les siècles!

Tobie 13, 5 S'il vous châtie pour vos iniquités, il aura pitié de vous tous, il vous rassemblera de toutes les nations où vous aurez été dispersés.

Tobie 13, 6 Si vous revenez à lui, du fond du coeur et de toute votre âme, pour agir dans la vérité devant lui, alors il reviendra vers vous, et ne vous cachera plus sa face. Regardez donc comme il vous a traités, rendez-lui grâce à haute voix. Bénissez le Seigneur de justice, et exaltez le Roi des siècles.

Tobie 13, 7 Pour moi, je le célèbre sur ma terre d'exil, je fais connaître sa force et sa grandeur au peuple des pécheurs. Pécheurs, revenez à lui, pratiquez la justice devant lui; peut-être vous sera-t-il favorable et vous fera-t-il miséricorde!

Tobie 13, 8 Pour moi, j'exalte Dieu et mon âme se réjouit dans le Roi du Ciel. Que sa grandeur soit sur toutes les lèvres, et qu'on le célèbre à Jérusalem!

Tobie 13, 9 Jérusalem, cité sainte, Dieu te frappa pour les oeuvres de tes mains et il aura encore pitié des fils des justes.

Tobie 13, 10 Remercie dignement le Seigneur et bénis le Roi des siècles, pour qu'en toi son Temple soit rebâti dans la joie et qu'en toi il réjouisse tous les exilés, et qu'en toi il aime tous les malheureux, pour toutes les générations à venir.

Tobie 13, 11 Une vive lumière illuminera toutes les contrées de la terre; des peuples nombreux viendront de loin, de toutes les extrémités de la terre, séjourner près du saint Nom du Seigneur Dieu, les mains portant des présents au Roi du Ciel. En toi des générations de générations manifesteront leur allégresse, et le nom de l'Elue durera dans les générations à venir.

Tobie 13, 12 Maudit soit qui t'insultera, maudit soit qui te détruira, qui renversera tes murs, qui abattra tes tours, qui brûlera tes maisons! Et béni éternellement qui te bâtira!

Tobie 13, 13 Alors tu exulteras et tu te réjouiras sur les fils des justes, car ils seront tous rassemblés et ils béniront le Seigneur des siècles.

Tobie 13, 14 Bienheureux ceux qui t'aiment! heureux ceux qui se réjouiront de ta paix! heureux ceux qui se seront lamentés sur tous tes châtiments! Car ils vont se réjouir en toi, et ils verront tout ton bonheur à l'avenir.

Tobie 13, 15 Mon âme bénit le Seigneur, le grand Roi,

Tobie 13, 16 parce que Jérusalem sera rebâtie, et sa Maison pour tous les siècles! Quel bonheur, s'il reste quelqu'un de ma race, pour voir ta gloire et louer le Roi du Ciel! Les portes de Jérusalem seront bâties de saphir et d'émeraude, et tous tes murs de pierre précieuse; les tours de Jérusalem seront bâties en or, et leurs remparts en or pur.

Tobie 13, 17 Les rues de Jérusalem seront pavées de rubis et de pierres d'Ophir; les portes de Jérusalem retentiront de cantiques d'allégresse; et toutes ses maisons diront: Alleluia! Béni soit le Dieu d'Israël! En toi l'on bénira le saint Nom, dans les siècles des siècles!

Tobie 14, 1 Fin des hymnes de Tobit. Tobit mourut en paix à l'âge de 112 ans, et il fut enterré à Ninive avec honneur.

Tobie 14, 2 Il avait 62 ans quand il devint aveugle; et, depuis sa guérison, il vécut dans l'abondance, il pratiqua l'aumône, et il continua toujours à bénir Dieu et à célébrer sa grandeur.

Tobie 14, 3 Sur le point de mourir, il fit venir son fils Tobie, et lui donna ses instructions: "Mon fils, emmène tes enfants,

Tobie 14, 4 cours en Médie, parce que je crois à la parole de Dieu que Nahum a dite sur Ninive. Tout s'accomplira, tout se réalisera, de ce que les prophètes d'Israël, que Dieu a envoyés, ont annoncé contre l'Assyrie et contre Ninive; rien ne sera retranché de leurs paroles. Tout arrivera en son temps. On sera plus à l'abri en Médie qu'en Assyrie et qu'en Babylonie. Parce que je sais et je crois, moi, que tout ce que Dieu a dit s'accomplira, cela sera, et il ne tombera pas un mot des prophéties. Nos frères qui habitent le pays d'Israël seront tous recensés et déportés loin de leur belle patrie. Tout le sol d'Israël sera un désert. Et Samarie et Jérusalem seront un désert. Et la Maison de Dieu sera, pour un temps, désolée et brûlée.

Tobie 14, 5 Puis de nouveau, Dieu en aura pitié, et il les ramènera au pays d'Israël. Ils rebâtiront sa Maison, moins belle que la première, en attendant que les temps soient révolus. Mais alors, tous revenus de leur captivité, ils rebâtiront Jérusalem dans sa magnificence, et en elle la Maison de Dieu sera rebâtie, comme l'ont annoncé les prophètes d'Israël.

Tobie 14, 6 Et tous les peuples de la terre entière se convertiront, et ils craindront Dieu en vérité. Tous, ils répudieront leurs faux dieux, qui les ont fait s'égarer dans l'erreur.

Tobie 14, 7 Et ils béniront le Dieu des siècles dans la justice. Tous les Israélites, épargnés en ces jours-là, se souviendront de Dieu avec sincérité. Ils viendront se rassembler à Jérusalem, et désormais ils habiteront la terre d'Abraham en sécurité, et elle sera leur propriété. Et ceux-là se réjouiront, qui aiment Dieu en vérité. Et ceux-là disparaîtront de la terre, qui accomplissent le péché et l'injustice.

Tobie 14, 8 Et maintenant, mes enfants, je vous en fais un devoir, servez Dieu en vérité, et faites ce qui lui plaît. Imposez à vos enfants l'obligation de faire la justice et l'aumône, de se souvenir de Dieu, de bénir son Nom en tout temps, en vérité, et de toutes leurs forces.

Tobie 14, 9 Alors, toi, mon fils, quitte Ninive, ne reste pas ici.

Tobie 14, 10 Dès que tu auras enterré ta mère auprès de moi, pars le jour même, quel qu'il soit, et ne demeure plus dans ce pays, où je vois triompher sans vergogne la perfidie et l'iniquité. Regarde, mon enfant, tout ce qu'a fait Nadab à son père nourricier, Ahikar. Ne fut-il pas réduit à descendre vivant sous la terre? Mais Dieu a fait payer son infamie au criminel, à la face de sa victime, parce que Ahikar revint à la lumière, tandis que Nadab entra dans les ténèbres éternelles, en châtiment de son dessein contre la vie d'Ahikar. A cause de ses bonnes oeuvres, Ahikar échappa au filet mortel que lui avait tendu Nadab, et Nadab y tomba pour sa perte.

Tobie 14, 11 Ainsi, mes enfants, voyez où mène l'aumône, et où conduit l'iniquité, c'est-à-dire à la mort. Mais le souffle me manque." Ils l'étendirent sur le lit, il mourut, et il fut enterré avec honneur.

Tobie 14, 12 Quand sa mère mourut, Tobie l'enterra auprès de son père. Puis il partit pour la Médie, avec sa femme et ses enfants. Il habita Ecbatane, chez Ragouël son beau-père.

Tobie 14, 13 Il entoura la vieillesse de ses beaux-parents de respect et d'attention, puis il les enterra à Ecbatane de Médie. Tobie héritait du patrimoine de Ragouël, comme de celui de son père Tobit.

Tobie 14, 14 Il vécut honoré jusqu'à l'âge de 117 ans.

Tobie 14, 15 Il fut témoin de la ruine de Ninive avant de mourir. Il vit les Ninivites prisonniers et déportés en Médie par Cyaxare, roi de Médie. Il bénit Dieu de tout ce qu'il infligea aux Ninivites et aux Assyriens. Avant sa mort, il put se réjouir du sort de Ninive, et bénir le Seigneur Dieu dans les siècles des siècles. Amen.

 

 

 

Judith

 

 

1, 1 C'était en la douzième année de Nabuchodonosor, qui régna sur les Assyriens à Ninive la grande ville. Arphaxad régnait alors sur les Mèdes à Ecbatane.

Judith 1, 2 Il entoura cette ville d'un mur d'enceinte en pierres de taille larges de trois coudées et longues de six, donnant au rempart une hauteur de 70 coudées et une largeur de 50.

Judith 1, 3 Aux portes il dressa des tours de cent coudées de haut sur 60 de large à leurs fondations,

Judith 1, 4 les portes elles-mêmes s'élevant à 70 coudées avec une largeur de 40, ce qui permettait la sortie du gros de ses forces et le défilé de ses fantassins.

Judith 1, 5 Or, vers cette époque, le roi Nabuchodonosor livra bataille au roi Arphaxad dans la grande plaine située sur le territoire de Ragau.

Judith 1, 6 A ses côtés s'étaient rangés tous les peuples des montagnes, tous ceux de l'Euphrate, du Tigre, de l'Hydaspe, et ceux des plaines soumises au roi des Elyméens Arioch. Ainsi de nombreux peuples se rassemblèrent pour prendre part à la bataille des fils de Chéléoud.

Judith 1, 7 Nabuchodonosor, roi des Assyriens, envoya un message à tous les habitants de la Perse, à tous ceux de la région occidentale, de la Cilicie, de Damas, du Liban, de l'Anti-Liban, à tous ceux de la côte,

Judith 1, 8 aux peuplades du Carmel, de Galaad, de la Haute-Galilée, de la grande plaine d'Esdrelon,

Judith 1, 9 aux gens de Samarie et des villes de sa dépendance, à ceux d'au-delà du Jourdain, jusqu'à Jérusalem, Batanée, Chélous, Cadès, le fleuve d'Egypte, Taphnès, Ramsès, tout le territoire de Goshèn,

Judith 1, 10 au-delà de Tanis et de Memphis, et à tous les habitants de l'Egypte jusqu'aux confins de l'Ethiopie.

Judith 1, 11 Mais les habitants de ces contrées ne firent pas cas de l'appel de Nabuchodonosor, roi des Assyriens, et ne se joignirent pas à lui pour faire campagne. Ils ne le craignaient pas car, à leurs yeux, il paraissait un isolé. Ils renvoyèrent donc ses messagers les mains vides et déshonorés.

Judith 1, 12 Nabuchodonosor en éprouva une violente colère contre tous ces pays. Il jura par son trône et son royaume de se venger et de dévaster par l'épée tous les territoires de Cilicie, de Damascène, de Syrie, ainsi que ceux de Moab, ceux des Ammonites, de Judée et d'Egypte, jusqu'aux frontières des deux mers.

Judith 1, 13 Avec ses propres forces, il livra bataille au roi Arphaxad en la dix-septième année et, dans ce combat, le vainquit. Il culbuta toute son armée, sa cavalerie, ses chars,

Judith 1, 14 se soumit ses villes et parvint jusqu'à Ecbatane. Là il s'empara des tours, ravagea les places, faisant un objet de honte de tout ce qui constituait sa parure.

Judith 1, 15 Puis il prit Arphaxad dans les montagnes de Ragau, le perça de ses javelots et l'extermina définitivement.

Judith 1, 16 Il s'en retourna ensuite avec ses troupes et l'immense foule qui s'était jointe à eux, incommensurable cohue d'hommes armés. Alors, dans l'insouciance, ils s'adonnèrent à la bonne chère, lui et son armée, 120 jours durant.

Judith 2, 1 La dix-huitième année, le vingt-deuxième jour du premier mois, le bruit courut au palais que Nabuchodonosor, roi des Assyriens, allait tirer vengeance de toute la terre, comme il l'avait dit.

Judith 2, 2 Tous ses aides de camp et notables convoqués, il tint avec eux un conseil secret, et décida de sa propre bouche la destruction totale de toute la contrée.

Judith 2, 3 Alors on décréta de faire périr quiconque n'avait pas répondu à l'appel du roi.

Judith 2, 4 Le conseil terminé, Nabuchodonosor, roi des Assyriens, fit appeler Holopherne, général en chef de ses armées et son second. Il lui dit:

Judith 2, 5 "Ainsi parle le grand roi, maître de toute la terre: Pars, prends avec toi des gens d'une valeur éprouvée, à peu près 20.000 fantassins et un fort contingent de chevaux avec 12.000 cavaliers,

Judith 2, 6 puis marche contre toute la région occidentale, puisque ces gens ont résisté à mon appel.

Judith 2, 7 Mande-leur de préparer la terre et l'eau, car, dans ma fureur, je vais marcher contre eux. Des pieds de mes soldats je couvrirai toute la surface du pays et je le livrerai au pillage.

Judith 2, 8 Leurs blessés rempliront les ravins et, comblés de leurs cadavres, torrents et fleuves déborderont.

Judith 2, 9 Je les emmènerai en captivité jusqu'au bout du monde.

Judith 2, 10 Va donc! Commence par me conquérir toute cette région. S'ils se livrent à toi, tu me les réserveras pour le jour de leur châtiment.

Judith 2, 11 Quant aux insoumis, que ton oeil n'en épargne aucun. Voue-les à la tuerie et au pillage dans tout le territoire qui t'est confié.

Judith 2, 12 Car je suis vivant, moi, et vivante est la puissance de ma royauté! J'ai dit. Tout cela, je l'accomplirai de ma main!

Judith 2, 13 Et toi, ne néglige rien des ordres de ton maître, mais agis strictement selon ce que je t'ai prescrit, sans plus tarder!"

Judith 2, 14 Sorti de chez son souverain, Holopherne convoqua tous les princes, les généraux, les officiers de l'armée d'Assur,

Judith 2, 15 puis dénombra des guerriers d'élite, conformément aux ordres de son maître: environ 120.000 hommes plus 12.000 archers montés.

Judith 2, 16 Il les disposa en formation normale de combat.

Judith 2, 17 Il prit ensuite des chameaux, des ânes, des mulets en immense quantité pour porter les bagages, des brebis, des boeufs, des chèvres sans nombre pour le ravitaillement.

Judith 2, 18 Chaque homme reçut d'amples provisions ainsi que beaucoup d'or et d'argent comptés par la maison du roi.

Judith 2, 19 Puis, avec toute son armée, il partit en expédition devant le roi Nabuchodonosor afin de submerger toute la contrée occidentale de ses chars, de ses cavaliers, de ses fantassins d'élite.

Judith 2, 20 Une foule composite marchait à sa suite, aussi nombreuse que les sauterelles, que les grains de sable de la terre. Aucun chiffre n'en pourrait évaluer la multitude.

Judith 2, 21 Ils quittèrent donc Ninive et marchèrent trois jours durant dans la direction de la plaine de Bektileth. De Bektileth ils s'en vinrent camper près des montagnes situées à gauche de la Haute-Cilicie.

Judith 2, 22 De là, avec toute son armée, fantassins, cavaliers et chars, Holopherne s'engagea dans la région montagneuse.

Judith 2, 23 Il pourfendit Put et Lud, rançonna tous les fils de Rassis et ceux d'Ismaël cantonnés à l'orée du désert au sud de Chéléôn,

Judith 2, 24 longea l'Euphrate, traversa la Mésopotamie, détruisit de fond en comble toutes les villes fortifiées qui dominent le torrent d'Abrona et parvint jusqu'à la mer.

Judith 2, 25 Puis il s'empara des territoires de la Cilicie, taillant en pièces quiconque lui résistait, arriva jusqu'aux limites méridionales de Japhet, en face de l'Arabie,

Judith 2, 26 encercla tous les Madianites, brûla leurs campements et pilla leurs bergeries,

Judith 2, 27 descendit ensuite dans la plaine de Damas à l'époque de la moisson des blés, mit le feu aux champs, fit disparaître menu et gros bétail, pilla les villes, dévasta les campagnes et passa au fil de l'épée tous les jeunes gens.

Judith 2, 28 Crainte et tremblement s'emparèrent de tous les habitants de la côte: ceux de Sidon et de Tyr, ceux de Sour, d'Okina et de Jamnia. La terreur régnait parmi les populations d'Azot et d'Ascalon.

Judith 3, 1 Des envoyés, porteurs de messages de paix, furent alors dépêchés vers lui.

Judith 3, 2 "Nous sommes, dirent-ils, les serviteurs du grand roi Nabuchodonosor et nous nous prosternons devant toi. Fais de nous ce qu'il te plaira.

Judith 3, 3 Nos parcs à bestiaux, notre territoire tout entier, tous nos champs de blé, notre menu et gros bétail, tous les enclos de nos campements sont à ta disposition. Uses-en comme bon te semblera.

Judith 3, 4 Nos villes mêmes et leurs habitants sont à ton service. Viens, avance-toi vers elles selon ton bon plaisir."

Judith 3, 5 Ces hommes se présentèrent donc devant Holopherne et lui transmirent en ces termes leur message.

Judith 3, 6 Avec son armée il descendit ensuite vers la côte, établit des garnisons dans toutes les villes fortifiées et y préleva des hommes d'élite comme troupes auxiliaires.

Judith 3, 7 Les habitants de ces cités et de toutes celles d'alentour l'accueillirent parés de couronnes et dansant au son des tambourins.

Judith 3, 8 Mais il n'en dévasta pas moins leurs sanctuaires et coupa leurs arbres sacrés, conformément à la mission reçue d'exterminer tous les dieux indigènes pour obliger les peuples à ne plus adorer que le seul Nabuchodonosor et forcer toute langue et toute race à l'invoquer comme dieu.

Judith 3, 9 Il arriva ainsi en face d'Esdrelon, près de Dôtaia, bourgade sise en avant de la grande chaîne de Judée,

Judith 3, 10 campa entre Géba et Scythopolis et y demeura tout un mois pour réapprovisionner ses forces.

Judith 4, 1 Les Israélites établis en Judée, apprenant ce qu'Holopherne, général en chef de Nabuchodonosor roi des Assyriens, avait fait aux différents peuples et comment, après avoir dépouillé leurs temples, il les avait livrés à la destruction,

Judith 4, 2 furent saisis d'une extrême frayeur à son approche et tremblèrent pour Jérusalem et le Temple du Seigneur leur Dieu.

Judith 4, 3 A peine venaient-ils de remonter de captivité, et le regroupement du peuple en Judée, la purification du mobilier sacré, de l'autel et du Temple profanés étaient choses récentes.

Judith 4, 4 Ils alertèrent donc toute la Samarie, Kona, Bethorôn, Belmaïn, Jéricho, Choba, Esora et la vallée de Salem.

Judith 4, 5 Les sommets des plus hautes montagnes furent occupés, les bourgs qui s'y trouvaient, fortifiés. On prépara des approvisionnements en vue de la guerre, car les champs venaient d'être moissonnés.

Judith 4, 6 Le grand prêtre Ioakim, alors en résidence à Jérusalem, écrivit aux habitants de Béthulie et de Bétomestaïm, villes situées en face d'Esdrelon et vers la plaine de Dotaïn,

Judith 4, 7 pour leur dire d'occuper les hautes passes de la montagne, seule voie d'accès vers la Judée. Il leur serait d'ailleurs aisé d'arrêter les assaillants, l'étroitesse du passage ne permettant d'y avancer que deux de front.

Judith 4, 8 Les Israélites exécutèrent les ordres du grand prêtre Ioakim et du Conseil des anciens du peuple d'Israël siégeant à Jérusalem.

Judith 4, 9 Avec une ardeur soutenue, tous les hommes d'Israël crièrent vers Dieu et s'humilièrent devant lui.

Judith 4, 10 Eux, leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux, tous ceux qui vivaient avec eux, mercenaires ou esclaves, ceignirent leurs reins de sacs.

Judith 4, 11 Tous les Israélites de Jérusalem, femmes et enfants compris, se prosternèrent devant le sanctuaire et, la tête couverte de cendres, étendirent les mains devant le Seigneur

Judith 4, 12 Ils entourèrent d'un sac l'autel lui-même. A grands cris ils suppliaient unanimement et avec ardeur le Dieu d'Israël de ne pas livrer leurs enfants au pillage, leurs femmes au rapt, les villes de leur héritage à la destruction, le Temple à la profanation et à l'ironie outrageante des païens.

Judith 4, 13 Attentif à leur voix, le Seigneur prit en considération leur détresse. Dans toute la Judée et à Jérusalem devant le sanctuaire du Seigneur Tout-Puissant le peuple jeûnait de longs jours.

Judith 4, 14 Le grand prêtre Ioakim et tous ceux qui se tenaient devant le Seigneur, prêtres et ministres du Seigneur, le sac sur les reins, offraient l'holocauste perpétuel, les oblations votives et les dons volontaires du peuple,

Judith 4, 15 et, le turban couvert de cendres, ils suppliaient intensément le Seigneur de visiter la maison d'Israël.

Judith 5, 1 On annonça à Holopherne, général en chef de l'armée assyrienne, que les Israélites se préparaient au combat: ils avaient, disait-on, fermé les passes de la montagne, fortifié les hautes cimes et, dans les plaines, disposés des obstacles.

Judith 5, 2 Il entra alors dans une très violente colère, convoqua tous les princes de Moab, tous les généraux d'Ammon tous les satrapes du littoral.

Judith 5, 3 Hommes de Canaan, leur dit-il, renseignez-moi: quel est ce peuple qui demeure dans la région montagneuse? Quelles sont les villes qu'il habite? Quelle est l'importance de son armée? En quoi résident sa puissance et sa force? Quel est le roi qui est à sa tête et dirige son armée?

Judith 5, 4 Pourquoi a-t-il dédaigné de venir au-devant de moi, contrairement à ce qu'ont fait tous les habitants de la région occidentale?"

Judith 5, 5 Achior, chef de tous les Ammonites, lui répondit: "Que Monseigneur écoute, je t'en prie, les paroles prononcées par ton serviteur. Je vais te dire la vérité sur ce peuple de montagnards qui demeure tout près de toi. De la bouche de ton serviteur aucun mensonge ne sortira.

Judith 5, 6 Les gens de ce peuple sont des descendants des Chaldéens.

Judith 5, 7 Anciennement ils vinrent habiter en Mésopotamie parce qu'ils n'avaient pas voulu suivre les dieux de leurs pères établis en Chaldée.

Judith 5, 8 Ils s'écartèrent donc de la voie de leurs ancêtres et adorèrent le Dieu du ciel, Dieu qu'ils avaient reconnu. Bannis alors de la face de leurs dieux, ils s'enfuirent en Mésopotamie où ils habitèrent longtemps.

Judith 5, 9 Leur Dieu leur ayant signifié de sortir de leur résidence et de s'en aller au pays de Canaan, ils s'y installèrent et y furent surabondamment comblés d'or, d'argent et de nombreux troupeaux.

Judith 5, 10 Ils descendirent ensuite en Egypte, car une famine s'était abattue sur la terre de Canaan, et ils y demeurèrent tant qu'ils y trouvèrent de la nourriture. Là ils devinrent une grande multitude et une race innombrable.

Judith 5, 11 Mais le roi d'Egypte se dressa contre eux et se joua d'eux en les astreignant au travail des briques. On les humilia, on les assujettit à l'esclavage.

Judith 5, 12 Ils crièrent vers leur Dieu, qui frappa la terre d'Egypte tout entière de plaies sans remède. Les Egyptiens les chassèrent alors loin d'eux.

Judith 5, 13 Devant eux Dieu dessécha la mer Rouge

Judith 5, 14 et les conduisit par le chemin du Sinaï et de Cadès-Barné. Après avoir repoussé tous les habitants du désert,

Judith 5, 15 ils s'établirent dans le pays des Amorites et, vigoureusement, exterminèrent tous les habitants de Heshbôn. Puis, traversant le Jourdain, ils prirent possession de toute la montagne,

Judith 5, 16 expulsant devant eux les Cananéens, les Perizzites, les Jébuséens, les Sichémites ainsi que tous les Girgashites, et ils y habitèrent de longs jours.

Judith 5, 17 Tant qu'ils ne péchèrent pas en présence de leur Dieu, la prospérité fut avec eux, car ils ont un Dieu qui hait l'iniquité.

Judith 5, 18 Quand au contraire ils s'écartèrent de la voie qu'il leur avait assignée, une partie fut complètement détruite en de multiples guerres, l'autre fut conduite en captivité dans une terre étrangère. Le Temple de leur Dieu fut rasé et leurs villes tombèrent au pouvoir de leurs adversaires.

Judith 5, 19 Alors ils se retournèrent de nouveau vers leur Dieu, remontèrent de leur dispersion, des lieux où ils avaient été disséminés, reprirent possession de Jérusalem où se trouve leur Temple et repeuplèrent la montagne demeurée déserte.

Judith 5, 20 Et maintenant, maître et seigneur, s'il y a dans ce peuple quelque égarement, s'ils ont péché contre leur Dieu, alors assurons-nous qu'il y a bien en eux cette cause de chute. Puis montons, attaquons-les.

Judith 5, 21 Mais s'il n'y a pas d'injustice dans leur nation, que Monseigneur s'abstienne, de peur que leur Seigneur et Dieu ne les protège. Nous serions alors la risée de toute la terre!"

Judith 5, 22 Quand Achior eut cessé de parler, toute la foule massée autour de la tente se prit à murmurer. Les notables d'Holopherne, tous les habitants de la côte comme ceux de Moab parlaient de le mettre en pièces.

Judith 5, 23 "Qu'avons-nous donc à craindre des Israélites? C'est un peuple sans force ni puissance, incapable de tenir dans un combat un peu rude.

Judith 5, 24 Allons donc! Montons et ton armée n'en fera qu'une bouchée, ô notre maître, Holopherne!"

Judith 6, 1 Quand se fut apaisé le tumulte des gens attroupés autour du Conseil, Holopherne, général en chef de l'armée d'Assur, invectiva Achior devant toute la foule des étrangers et les Ammonites:

Judith 6, 2 "Qui es-tu donc, Achior, toi avec les mercenaires d'Ephraïm, pour vaticiner chez nous comme tu le fais aujourd'hui et pour nous dissuader de partir en guerre contre la race d'Israël? Tu prétends que leur Dieu les protégera? Qui donc est dieu hormis Nabuchodonosor? C'est lui qui va envoyer sa puissance et les faire disparaître de la face de la terre, et ce n'est pas leur Dieu qui les sauvera!

Judith 6, 3 Mais nous, ses serviteurs, nous les broierons comme un seul homme! Ils ne pourront contenir la puissance de nos chevaux.

Judith 6, 4 Nous les brûlerons pêle-mêle. Leurs monts s'enivreront de leur sang et leurs plaines seront remplies de leurs cadavres. Loin de pouvoir tenir pied devant nous, ils périront du premier au dernier, dit le roi Nabuchodonosor, le maître de toute la terre. Car il a parlé et ses paroles ne seront pas vaines.

Judith 6, 5 Toi donc, Achior, mercenaire ammonite, toi qui as proféré ce discours en un moment d'emportement, à partir d'aujourd'hui tu ne verras plus mon visage jusqu'au jour où je me serai vengé de cette engeance évadée d'Egypte.

Judith 6, 6 Alors l'épée de mes soldats et la lance de mes serviteurs te transperceront le flanc. Tu tomberas parmi les blessés quand je me tournerai contre Israël.

Judith 6, 7 Mes serviteurs vont maintenant te mener dans la montagne et te laisser près d'une des villes situées dans les défilés.

Judith 6, 8 Tu ne périras pas sans partager leur ruine.

Judith 6, 9 Ne prends pas cet air abattu si tu nourris le secret espoir qu'elles ne seront pas capturées! J'ai dit; aucune de mes paroles ne restera sans effet."

Judith 6, 10 Holopherne ordonna aux gens de service dans sa tente de saisir Achior, de le mener à Béthulie et de le remettre aux mains des Israélites.

Judith 6, 11 Les serviteurs le prirent donc, le conduisirent hors du camp à travers la plaine et de là, prenant la direction de la montagne, ils parvinrent aux sources situées en contrebas de Béthulie.

Judith 6, 12 Quand les hommes de la ville les virent, ils prirent leurs armes, sortirent de la cité et gagnèrent la crête de la montagne, tandis que, pour les empêcher de monter, les frondeurs les criblaient de pierres.

Judith 6, 13 Aussi purent-ils tout juste se glisser au bas des pentes, ligoter Achior et le laisser étendu au pied de la montagne avant de s'en retourner vers leur maître.

Judith 6, 14 Les Israélites descendirent alors de leur ville, s'arrêtèrent près de lui, le délièrent, le conduisirent à Béthulie et le présentèrent aux chefs de la cité,

Judith 6, 15 qui étaient alors Ozias, fils de Michée, de la tribu de Siméon, Chabris, fils de Gothoniel, et Charmis, fils de Melchiel.

Judith 6, 16 Ceux-ci convoquèrent les anciens de la ville. Les jeunes gens et les femmes accoururent aussi à l'assemblée. Ozias interrogea Achior, debout au milieu du peuple, sur ce qui était arrivé.

Judith 6, 17 Prenant la parole, il leur fit connaître les délibérations du conseil d'Holopherne, tout ce qu'il avait lui-même dit parmi les chefs assyriens, ainsi que les rodomontades d'Holopherne à l'adresse de la maison d'Israël.

Judith 6, 18 Alors le peuple se prosterna, adora Dieu et cria:

Judith 6, 19 "Seigneur, Dieu du ciel, considère leur orgueil démesuré et prends en pitié l'humiliation de notre race. En ce jour tourne un visage favorable vers ceux qui te sont consacrés."

Judith 6, 20 Puis on rassura Achior, vivement félicité.

Judith 6, 21 Au sortir de la réunion, Ozias le prit chez lui et offrit un banquet aux anciens. Durant toute cette nuit-là on implora le secours du Dieu d'Israël.

Judith 7, 1 Le lendemain, Holopherne fit donner ordre à toute son armée, et à toute la foule des auxiliaires qui s'étaient rangés à ses côtés, de lever le camp pour se porter sur Béthulie, d'occuper les hautes passes de la montagne et d'engager ainsi la guerre contre les Israélites.

Judith 7, 2 En ce même jour tous les hommes d'armes levèrent donc le camp. Leur armée sur pied de guerre comprenait 120.000 fantassins et 12.000 cavaliers, sans compter les bagages et la multitude considérable des gens de pied mêlés à eux.

Judith 7, 3 Ils s'engagèrent dans le vallon proche de Béthulie en direction de la source et se déployèrent en profondeur, de Dotaïn jusqu'à Belbaïn, et en longueur, de Béthulie jusqu'à Cyamôn, située en face d'Esdrelon.

Judith 7, 4 Quand les Israélites aperçurent cette multitude, tout tremblants ils se dirent entre eux: "Et maintenant ils vont tondre tout le pays! Ni les cimes les plus élevées, ni les gorges, ni les collines ne pourront tenir sous leur masse!"

Judith 7, 5 Chacun prit ses armes, sur les tours des feux furent allumés et l'on passa cette nuit-là à veiller.

Judith 7, 6 Le deuxième jour Holopherne déploya toute sa cavalerie sous les yeux des Israélites qui étaient à Béthulie.

Judith 7, 7 Il explora les montées qui conduisaient à leur ville, reconnut les sources d'eau, les occupa, y plaça des postes de soldats et revint lui-même à son armée.

Judith 7, 8 Puis, les princes des fils d'Esaü, les chefs du peuple des Moabites et les généraux du district côtier s'approchèrent de lui et lui dirent:

Judith 7, 9 "Que notre maître veuille bien nous écouter et son armée n'aura pas une seule blessure.

Judith 7, 10 Ce peuple des Israélites ne compte pas tant sur ses lances que sur la hauteur des monts où il habite. Il n'est certes pas facile d'escalader les cimes de ses montagnes!

Judith 7, 11 Alors, maître, ne combats pas contre eux en bataille rangée, et pas un homme de ton peuple ne tombera.

Judith 7, 12 Reste dans ton camp et gardes-y tous les hommes de ton armée, mais que tes serviteurs s'emparent de la source qui jaillit au pied de la montagne.

Judith 7, 13 C'est là en effet que se ravitaillent en eau les habitants de Béthulie. La soif les poussera donc à te livrer leur ville. Pendant ce temps nous et nos gens nous monterons sur les crêtes des monts les plus proches et nous y camperons en avant-postes: ainsi pas un seul homme ne sortira de la ville.

Judith 7, 14 La faim les consumera, eux, leurs femmes et leurs enfants, et, avant même que l'épée ne les atteigne, ils seront déjà étendus dans les rues devant leurs demeures.

Judith 7, 15 Et tu leur feras payer fort cher leur révolte et leur refus de venir pacifiquement à ta rencontre."

Judith 7, 16 Leurs propos plurent à Holopherne ainsi qu'à tous ses officiers et il décida d'agir selon leurs suggestions.

Judith 7, 17 Une troupe de Moabites partit donc et avec eux 5.000 Assyriens. Ils se glissèrent dans le vallon et s'emparèrent des points d'eau et des sources des Israélites.

Judith 7, 18 Les Edomites et les Ammonites montèrent de leur côté, prirent position dans la montagne en face de Dotaïn, et envoyèrent de leurs hommes au sud et à l'est en face d'Egrebel qui est près de Chous, sur le torrent de Mochmour. Le reste de l'armée assyrienne prit position dans la plaine et couvrit toute la région. Tentes et bagages formaient un campement d'une masse énorme car leur multitude était considérable.

Judith 7, 19 Les Israélites crièrent vers le Seigneur leur Dieu. Ils perdaient courage, car les ennemis les avaient entourés et leur coupaient toute retraite.

Judith 7, 20 Durant 34 jours l'armée assyrienne, fantassins, chars et cavaliers, les tint encerclés. Les habitants de Béthulie virent se vider toutes les jarres d'eau

Judith 7, 21 et les citernes s'épuiser. On ne pouvait plus boire à sa soif un seul jour, car l'eau était rationnée.

Judith 7, 22 Les enfants s'affolaient, les femmes et les adolescents défaillaient de soif. Ils tombaient dans les rues et aux issues des portes de la ville, sans force aucune.

Judith 7, 23 Tout le peuple, adolescents, femmes et enfants, se rassembla autour d'Ozias et des chefs de la ville, poussant de grands cris et disant en présence de tous les anciens:

Judith 7, 24 "Que Dieu soit juge entre vous et nous, car vous nous avez causé un immense préjudice en ne traitant pas amicalement avec les Assyriens.

Judith 7, 25 Maintenant, il n'y a plus personne qui puisse nous secourir. Dieu nous a livrés entre leurs mains pour être terrassés par la soif en face d'eux et périr totalement.

Judith 7, 26 Appelez-les donc tout de suite. Livrez entièrement la ville au pillage des gens d'Holopherne et de toute son armée.

Judith 7, 27 Après tout, il vaut bien mieux pour nous devenir leur proie. Ainsi nous serons esclaves sans doute, mais nous vivrons et nous ne verrons pas de nos yeux la mort de nos petits, ni le trépas de nos femmes et de nos enfants.

Judith 7, 28 Nous vous adjurons par le ciel et la terre ainsi que par notre Dieu, le Seigneur de nos pères, qui nous punit à cause de nos fautes et pour les transgressions de nos pères, d'agir de cette façon aujourd'hui même."

Judith 7, 29 L'assemblée tout entière se livra à une immense lamentation et tous crièrent à haute voix vers le Seigneur Dieu.

Judith 7, 30 Ozias leur dit: "Courage, frères, tenons encore cinq jours. D'ici là le Seigneur notre Dieu aura pitié de nous, car il ne nous abandonnera pas jusqu'au bout!

Judith 7, 31 Si, ce délai écoulé, aucun secours ne nous est parvenu, alors je suivrai votre avis."

Judith 7, 32 Puis il congédia le peuple, chacun dans ses quartiers. Les hommes s'en allèrent sur les remparts et les tours de la cité, renvoyant femmes et enfants à la maison. La ville était plongée dans une profonde consternation.

Judith 8, 1 En ces mêmes jours, Judith fut informée de ces faits. Elle était fille de Merari, fils d'Ox, fils de Joseph, fils d'Oziel, fils d'Elkia, fils d'Ananias, fils de Gédéon, fils de Raphen, fils d'Achitob, fils d'Elias, fils d'Helkias, fils d'Eliab, fils de Nathanaël, fils de Salamiel, fils de Sarasadé, fils d'Israël.

Judith 8, 2 Son mari, Manassé, de même tribu et de même famille, était mort à l'époque de la moisson des orges.

Judith 8, 3 Il surveillait les lieurs de gerbes dans les champs quand, frappé d'insolation, il dut s'aliter et mourut dans sa ville, à Béthulie, où on l'ensevelit avec ses pères dans le champ situé entre Dotaïn et Balamôn.

Judith 8, 4 Devenue veuve, Judith vécut en sa maison durant trois ans et quatre mois.

Judith 8, 5 Sur la terrasse elle s'était aménagé une chambre haute. Elle portait un sac sur les reins, se vêtait d'habits de deuil

Judith 8, 6 et jeûnait tous les jours de son veuvage, hormis les veilles de sabbat, les sabbats, les veilles de néoménies, les néoménies, ainsi que les jours de fête et de liesse de la maison d'Israël.

Judith 8, 7 Or elle était très belle et d'aspect charmant. Son mari Manassé lui avait laissé de l'or, de l'argent, des serviteurs, des servantes, des troupeaux et des champs, et elle habitait au milieu de tous ses biens

Judith 8, 8 sans que personne eût rien à lui reprocher, car elle craignait Dieu grandement.

Judith 8, 9 Elle apprit donc que le peuple, découragé par la pénurie d'eau, avait murmuré contre le chef de la cité. Elle sut aussi tout ce qu'Ozias leur avait dit et comment il leur avait juré de livrer la ville aux Assyriens au bout de cinq jours.

Judith 8, 10 Alors elle envoya la servante préposée à tous ses biens appeler Chabris et Charmis, anciens de la ville.

Judith 8, 11 Quand ils furent chez elle, elle leur dit: "Ecoutez-moi, chefs des habitants de Béthulie. Vraiment vous avez eu tort de parler aujourd'hui comme vous l'avez fait devant le peuple et de vous engager contre Dieu, en faisant serment de livrer la ville à nos ennemis si le Seigneur ne vous portait secours dans le délai fixé!

Judith 8, 12 Allons! Qui donc êtes-vous pour tenter Dieu en ce jour et pour vous dresser au-dessus de lui parmi les enfants des hommes?

Judith 8, 13 Et maintenant vous mettez le Seigneur Tout-Puissant à l'épreuve! Vous ne comprendrez donc rien au grand jamais!

Judith 8, 14 Si vous êtes incapables de scruter les profondeurs du coeur de l'homme et de démêler les raisonnements de son esprit, comment donc pourrez-vous pénétrer le Dieu qui a fait toutes ces choses, scruter sa pensée et comprendre ses desseins? Non, frères, gardez-vous d'irriter le Seigneur notre Dieu!

Judith 8, 15 S'il n'est pas dans ses intentions de nous sauver avant cette échéance de cinq jours, il peut nous protéger dans le délai qu'il voudra, comme il peut nous détruire à la face de nos ennemis.

Judith 8, 16 Mais vous, n'exigez pas de garanties envers les desseins du Seigneur notre Dieu. Car on ne met pas Dieu au pied du mur comme un homme, on ne lui fait pas de sommations comme à un fils d'homme.

Judith 8, 17 Dans l'attente patiente de son salut, appelons-le plutôt à notre secours. Il écoutera notre voix si tel est son bon plaisir.

Judith 8, 18 A vrai dire, il ne s'est trouvé, naguère pas plus qu'aujourd'hui, ni une de nos tribus, ni une de nos familles, ni un de nos bourgs, ni une de nos cités qui se soit prosterné devant des dieux faits de main d'homme, comme cela s'est produit jadis,

Judith 8, 19 ce qui fut cause que nos pères furent livrés à l'épée et au pillage et succombèrent misérablement devant leurs ennemis.

Judith 8, 20 Mais nous, nous ne connaissons pas d'autre Dieu que Lui. Aussi pouvons-nous espérer qu'il ne nous regardera pas avec dédain et ne se détournera pas de notre race.

Judith 8, 21 Si en effet on s'empare de nous, comme vous l'envisagez, toute la Judée aussi sera prise et nos lieux saints pillés. Notre sang devra alors répondre de leur profanation.

Judith 8, 22 Le meurtre de nos frères, la déportation du pays, le dépeuplement de notre héritage retomberont sur nos têtes parmi les nations dont nous serons devenus les esclaves et nous serons alors pour nos nouveaux maîtres un scandale et une honte,

Judith 8, 23 car notre servitude n'aboutira pas à un retour en grâce, mais le Seigneur notre Dieu en fera une punition infamante.

Judith 8, 24 Et maintenant, frères, mettons-nous en avant pour nos frères, car leur vie dépend de nous, et le sanctuaire, le Temple et l'autel reposent sur nous.

Judith 8, 25 Pour toutes ces raisons, rendons plutôt grâces au Seigneur notre Dieu qui nous met à l'épreuve, tout comme nos pères.

Judith 8, 26 Rappelez-vous tout ce qu'il a fait à Abraham, toutes les épreuves d'Isaac, tout ce qui arriva à Jacob en Mésopotamie de Syrie alors qu'il gardait les brebis de Laban, son oncle maternel.

Judith 8, 27 Comme il les éprouva pour scruter leur coeur, de même ce n'est pas une vengeance que Dieu tire de nous, mais c'est plutôt un avertissement dont le Seigneur frappe ceux qui le touchent de près."

Judith 8, 28 Ozias lui répondit: "Tout ce que tu viens de dire, tu l'as dit dans un excellent esprit et personne n'y contredira.

Judith 8, 29 Bien sûr, ce n'est pas d'aujourd'hui que se manifeste ta sagesse. Dès ta prime jeunesse le peuple tout entier a reconnu ton intelligence tout comme l'excellence foncière de ton coeur.

Judith 8, 30 Mais les gens avaient tellement soif! Ils nous ont contraints de faire ce que nous leur avions promis et de nous y engager par un serment irrévocable.

Judith 8, 31 Et maintenant, puisque tu es une femme pieuse, prie le Seigneur de nous envoyer une averse qui remplisse nos citernes afin que nous ne soyons plus épuisés" --

Judith 8, 32 "Ecoutez-moi bien, leur répondit Judith. Je vais accomplir une action dont le souvenir se transmettra aux enfants de notre race d'âge en âge.

Judith 8, 33 Vous, trouvez-vous cette nuit à la porte de la ville. Moi, je sortirai avec ma servante et, avant la date où vous aviez pensé livrer la ville à nos ennemis, par mon entremise le Seigneur visitera Israël.

Judith 8, 34 Quant à vous, ne cherchez pas à connaître ce que je vais faire. Je ne vous le dirai pas avant de l'avoir exécuté" --

Judith 8, 35 "Va en paix! lui dirent Ozias et les chefs. Que le Seigneur Dieu te conduise pour tirer vengeance de nos ennemis!"

Judith 8, 36 Et, quittant la chambre haute, ils rejoignirent leurs postes.

Judith 9, 1 Judith tomba le visage contre terre, répandit de la cendre sur sa tête, se dépouilla jusqu'au sac dont elle était revêtue et, à haute voix, cria vers le Seigneur. C'était l'heure où, à Jérusalem, au Temple de Dieu, on offrait l'encens du soir. Elle dit:

Judith 9, 2 "Seigneur, Dieu de mon père Siméon, tu l'armas d'un glaive vengeur contre les étrangers qui défirent la ceinture d'une vierge, à sa honte, mirent son flanc à nu, à sa confusion, et profanèrent son sein, à son déshonneur; car tu as dit: "Cela ne sera pas", et ils le firent.

Judith 9, 3 C'est pourquoi tu as livré leurs chefs au meurtre, et leur couche, avilie par leur duperie, fut dupée jusqu'au sang. Tu as frappé les esclaves avec les princes et les princes avec leurs serviteurs.

Judith 9, 4 Tu as livré leurs femmes au rapt et leurs filles à la captivité, et toutes leurs dépouilles au partage, au profit de tes fils préférés qui avaient brûlé de zèle pour toi, avaient eu horreur de la souillure infligée à leur sang et t'avaient appelé à leur secours. O Dieu, ô mon Dieu, exauce la pauvre veuve que je suis,

Judith 9, 5 puisque c'est toi qui as fait le passé et ce qui arrive maintenant et ce qui arrivera plus tard. Le présent et l'avenir, tu les as conçus, et ce qui est arrivé, c'est ce que tu avais dans l'esprit.

Judith 9, 6 Tes desseins se présentèrent et dirent: "Nous sommes là!" Car toutes tes voies sont préparées et tes jugements portés avec prévoyance.

Judith 9, 7 Voici les Assyriens: ils se prévalent de leur armée, se glorifient de leurs chevaux et de leurs cavaliers, se targuent de la valeur de leurs fantassins. Ils ont compté sur la lance et le bouclier, sur l'arc et sur la fronde; et ils n'ont pas reconnu en toi le Seigneur briseur de guerres.

Judith 9, 8 A toi le nom de Seigneur! Et toi, brise leur violence par ta puissance, fracasse leur force dans ta colère! Car ils ont projeté de profaner tes lieux saints, de souiller la tente où siège ton Nom glorieux et de renverser par le fer la corne de ton autel.

Judith 9, 9 Regarde leur outrecuidance, envoie ta colère sur leurs têtes, donne à ma main de veuve la vaillance escomptée.

Judith 9, 10 Par la ruse de mes lèvres, frappe l'esclave avec le chef et le chef avec son serviteur. Brise leur arrogance par une main de femme.

Judith 9, 11 Ta force ne réside pas dans le nombre, ni ton autorité dans les violents, mais tu es le Dieu des humbles, le secours des opprimés, le soutien des faibles, l'abri des délaissés, le sauveur des désespérés.

Judith 9, 12 Oui, oui, Dieu de mon père, Dieu de l'héritage d'Israël, Maître du ciel et de la terre, Créateur des eaux, Roi de tout ce que tu as créé, toi, exauce ma prière.

Judith 9, 13 Donne-moi un langage séducteur, pour blesser et pour meurtrir ceux qui ont formé de si noirs desseins contre ton alliance et ta sainte demeure et la montagne de Sion et la maison qui appartient à tes fils.

Judith 9, 14 Et fais connaître à tout peuple et à toute tribu que tu es le Seigneur, Dieu de toute puissance et de toute force, et que le peuple d'Israël n'a d'autre protecteur que toi."

Judith 10, 1 Ainsi criait Judith vers le Dieu d'Israël. Au terme de sa prière,

Judith 10, 2 elle se releva de sa prostration, appela sa servante, descendit dans l'appartement où elle se tenait aux jours de sabbat et de fête.

Judith 10, 3 Là, ôtant le sac qui l'enveloppait et quittant ses habits de deuil, elle se baigna, s'oignit d'un généreux parfum, peigna sa chevelure, ceignit un turban et revêtit le costume de joie qu'elle mettait du vivant de son mari Manassé.

Judith 10, 4 Elle chaussa ses sandales, mit ses colliers, ses anneaux, ses bagues, ses pendants d'oreilles, tous ses bijoux, elle se fit aussi belle que possible pour séduire les regards de tous les hommes qui la verraient.

Judith 10, 5 Puis elle donna à sa servante une outre de vin et une cruche d'huile, remplit une besace de galettes de farine d'orge, de gâteaux de fruits secs et de pains purs, et lui remit toutes ces provisions empaquetées.

Judith 10, 6 Elles sortirent alors dans la direction de la porte de Béthulie. Elles y trouvèrent posté Ozias, avec deux anciens de la ville, Chabris et Charmis.

Judith 10, 7 Quand ils virent Judith le visage transformé et les vêtements changés, sa beauté les jeta dans la plus grande stupéfaction. Alors ils lui dirent:

Judith 10, 8 "Que le Dieu de nos pères te tienne en sa bienveillance! Qu'il donne accomplissement à tes desseins pour la glorification des enfants d'Israël et pour l'exaltation de Jérusalem!"

Judith 10, 9 Judith adora Dieu et leur dit: "Faites-moi ouvrir la porte de la ville, que je puisse sortir et réaliser tous les souhaits que vous venez de m'exprimer." Ils ordonnèrent donc aux jeunes gardes de lui ouvrir comme elle l'avait demandé.

Judith 10, 10 Ils obéirent et Judith sortit avec sa servante, suivie du regard par les gens de la ville pendant toute la descente de la montagne jusqu'à la traversée du vallon. Puis ils ne la virent plus.

Judith 10, 11 Comme elles marchaient droit devant elles dans le vallon, un poste avancé d'Assyriens se porta à leur rencontre

Judith 10, 12 et, se saisissant de Judith, ils l'interrogèrent. "De quel parti es-tu? D'où viens-tu? Où vas-tu" -- "Je suis, répondit-elle, une fille des Hébreux et je m'enfuis de chez eux, car ils ne seront pas longs à vous servir de pâture.

Judith 10, 13 Et je viens voir Holopherne, le général de votre armée, pour lui donner des renseignements sûrs. Je lui montrerai le chemin par où passer pour se rendre maître de toute la montagne sans perdre un homme ni un vie."

Judith 10, 14 En l'entendant parler les hommes la regardaient et n'en revenaient pas de la trouver si belle:

Judith 10, 15 "C'aura été ton salut, lui dirent-ils, que d'avoir pris les devants et d'être descendue voir notre maître! Va donc le trouver dans sa tente, voici des nôtres pour t'accompagner et te remettre entre ses mains.

Judith 10, 16 Une fois devant lui, ne crains rien. Répète-lui ce que tu viens de nous dire, et il te traitera bien."

Judith 10, 17 Ils détachèrent alors cent de leurs hommes qui se joignirent à elle et à sa servante et les conduisirent auprès de la tente d'Holopherne.

Judith 10, 18 La nouvelle de son arrivée s'étant répandue parmi les tentes, il en résulta dans le camp une agitation générale. Elle était encore à l'extérieur de la tente d'Holopherne, attendant d'être annoncée, que déjà autour d'elle on faisait cercle.

Judith 10, 19 On ne se lassait pas d'admirer son étonnante beauté, et d'admirer par contrecoup les Israélites. "Qui donc pourrait encore mépriser un peuple qui a des femmes pareilles? Se disait-on à l'envi. Ce ne serait pas bien avisé d'en laisser debout un seul homme! Les survivants seraient capables de séduire la terre entière!"

Judith 10, 20 Les gardes du corps d'Holopherne et ses aides de camp sortirent et introduisirent Judith dans la tente.

Judith 10, 21 Holopherne reposait sur un lit placé sous une draperie de pourpre et d'or, rehaussée d'émeraudes et de pierres précieuses.

Judith 10, 22 On la lui annonça et il sortit sous l'auvent de la tente, précédé de porteurs de flambeaux d'argent.

Judith 10, 23 Quand Judith se trouva en présence du général et de ses aides de camp, la beauté de son visage les stupéfia tous. Elle se prosterna devant lui, la face contre terre. Mais les serviteurs la relevèrent.

Judith 11, 1 "Confiance, femme, lui dit Holopherne. Ne crains rien. Je n'ai jamais fait de mal à personne qui ait choisi de servir Nabuchodonosor, roi de toute la terre.

Judith 11, 2 Maintenant même, si ton peuple de montagnards ne m'avait pas méprisé, je n'aurais pas levé la lance contre lui. Ce sont eux qui l'ont voulu.

Judith 11, 3 Mais, dis-moi, pourquoi t'es-tu enfuie de chez eux pour venir chez nous?... En tout cas ç'aura été ton salut! Courage! Cette nuit-ci te verra encore en vie, et les autres aussi!

Judith 11, 4 Personne ne te fera de mal, va! mais on te traitera bien, comme cela se pratique avec les serviteurs de mon seigneur le roi Nabuchodonosor."

Judith 11, 5 Et Judith: "Daigne accueillir favorablement les paroles de ton esclave et que ta servante puisse parler devant toi. Cette nuit je ne proférerai aucun mensonge devant Monseigneur.

Judith 11, 6 Suis seulement les avis de ta servante, et Dieu mènera ton affaire à bonne fin, mon Seigneur n'échouera pas dans ses entreprises.

Judith 11, 7 Vive Nabuchodonosor, roi de toute la terre, lui qui t'a envoyé remettre toute âme vivante dans le droit chemin, et vive sa puissance! car, grâce à toi, ce ne sont pas seulement les hommes qui le servent, mais par l'effet de ta force, les bêtes sauvages elles-mêmes, les troupeaux et les oiseaux du ciel vivront pour Nabuchodonosor et pour toute sa maison!

Judith 11, 8 Nous avons, en effet, entendu parler de ton talent et des ressources de ton esprit. C'est chose connue de toute la terre que, dans tout l'empire, tu es singulièrement capable, riche en expérience, étonnant dans la conduite de la guerre.

Judith 11, 9 Et puis, nous connaissons le discours prononcé par Achior dans ton conseil. Les gens de Béthulie l'ayant épargné, il leur a communiqué tout ce qu'il t'avait dit.

Judith 11, 10 Eh bien, maître et seigneur, ne néglige pas ses paroles, mais garde-les présentes à ton esprit, car elles sont vraies. Certes, notre race ne sera pas châtiée, l'épée ne pourra rien contre ses fils à moins qu'ils ne pèchent contre leur Dieu.

Judith 11, 11 Or, juste maintenant, afin que Monseigneur ne connaisse ni rebut ni échec, la mort va fondre sur leurs têtes. Car le péché s'est emparé d'eux, ce péché par lequel ils excitent la colère de leur Dieu chaque fois qu'ils se livrent au désordre.

Judith 11, 12 Depuis que les vivres leur manquent et que l'eau se fait rare, ils ont résolu de se battre sur leurs troupeaux et décidé de prendre pour eux tout ce que, par ses lois, Dieu leur a défendu de manger.

Judith 11, 13 Il n'est pas jusqu'aux prémices du blé, aux dîmes du vin et de l'huile -- choses pourtant consacrées et réservées par eux aux prêtres qui, à Jérusalem, se tiennent devant la face de notre Dieu -- qu'ils n'aient décidé de consommer. Pourtant personne du peuple n'a le droit d'y toucher, même de la main.

Judith 11, 14 Bien plus, ils ont envoyé à Jérusalem, où tout le monde en fait autant, des gens chargés de leur apporter du Conseil des anciens la permission nécessaire.

Judith 11, 15 Voici donc ce qui va leur arriver: sitôt la permission parvenue et dès qu'ils en auront usé, ce jour-là même ils te seront livrés pour leur ruine.

Judith 11, 16 Lorsque moi, ta servante, j'eus appris tout cela, je m'enfuis de chez eux. Dieu m'a envoyée pour réaliser avec toi des entreprises dont la terre entière sera stupéfaite quand on les apprendra.

Judith 11, 17 Car ta servante est une femme pieuse. Nuit et jour elle honore le Dieu du ciel. Alors moi, je me propose de rester près de toi, Monseigneur. Moi, ta servante, je sortirai de nuit dans le ravin et j'y prierai Dieu afin qu'il me fasse savoir quand ils auront consommé leur faute.

Judith 11, 18 Je reviendrai alors t'en informer pour que tu sortes avec toute ton armée, et nul d'entre eux ne pourra te résister.

Judith 11, 19 Je te conduirai à travers toute la Judée jusqu'à ce que tu parviennes devant Jérusalem. Je te ferai siéger au beau milieu de la cité. Alors tu les mèneras comme des brebis sans pasteur et il ne se trouvera même pas un chien pour gronder devant toi. De tout cela j'ai eu le pressentiment, cela m'a été annoncé et j'ai été envoyée pour te le révéler."

Judith 11, 20 Les paroles de cette femme plurent à Holopherne et à tous ses aides de camp. Etonnés de sa sagesse, ils s'écrièrent:

Judith 11, 21 "D'un bout du monde à l'autre il n'y a pas de femme pareille, à la fois si belle et si bien-disante!"

Judith 11, 22 Et Holopherne lui dit: "Dieu a bien fait de t'envoyer en avant du peuple! Entre nos mains sera la puissance, et chez ceux qui ont méprisé mon seigneur, la ruine.

Judith 11, 23 Quant à toi, tu es aussi jolie qu'habile en tes discours. Si tu fais comme tu l'as dit, ton Dieu sera mon Dieu, et toi tu résideras dans le palais du roi Nabuchodonosor et tu seras célèbre par toute la terre!"

Judith 12, 1 Il la fit ensuite introduire là où était disposée sa vaisselle d'argent, lui fit servir de ses mets et lui donna à boire de son vin.

Judith 12, 2 Mais Judith: "Je me garderai bien d'en manger de peur que, pour moi, il n'y ait là une occasion de faute. Ce que j'ai apporté avec moi me suffira" --

Judith 12, 3 "Et si tes provisions viennent à manquer, comment pourrons-nous t'en procurer de semblables? Reprit Holopherne. Parmi nous il n'y a personne de ta race" --

Judith 12, 4 "Vis en paix, Monseigneur! Moi, ta servante, je n'aurai pas consommé toutes mes provisions que le Seigneur n'ait accompli par moi ses desseins!"

Judith 12, 5 Les aides de camp d'Holopherne la conduisirent alors à sa tente où elle dormit jusqu'au milieu de la nuit. Quand approcha la veille de l'aurore, elle se leva.

Judith 12, 6 Elle avait fait dire à Holopherne: "Que Monseigneur veuille bien ordonner de laisser sortir sa servante pour la prière",

Judith 12, 7 de sorte qu'Holopherne avait prescrit à ses gardes de ne pas l'en empêcher. Elle demeura trois jours dans le camp. Elle sortait de nuit vers le ravin de Béthulie et se lavait à la source où se trouvait le poste de garde.

Judith 12, 8 En remontant elle priait le Seigneur Dieu d'Israël de diriger son entreprise en vue du relèvement des fils de son peuple.

Judith 12, 9 Une fois purifiée, elle revenait et se tenait dans sa tente jusqu'au moment où, le soir, on lui apportait sa nourriture.

Judith 12, 10 Le quatrième jour, Holopherne donna un banquet auquel il invita seulement ses officiers, non compris ceux des services.

Judith 12, 11 Il dit à Bagoas, l'eunuque préposé à ses affaires: "Va donc persuader cette fille des Hébreux qui est chez toi de venir avec nous pour manger et boire en notre compagnie.

Judith 12, 12 Ce serait une honte pour nous de laisser partir une telle femme sans avoir eu commerce avec elle. Si nous ne réussissons pas à la décider, on rira bien de nous."

Judith 12, 13 Bagoas sortit donc de chez Holopherne et entra chez Judith. "Cette jeune beauté daignerait-elle venir sans tarder en présence de mon maître? Dit-il. Elle sera à la place d'honneur en face de lui, boira avec nous un vin joyeux, et deviendra aujourd'hui même comme l'une des filles des Assyriens qui se tiennent dans le palais de Nabuchodonosor" --

Judith 12, 14 "Qui suis-je donc, répondit Judith, pour m'opposer à Monseigneur? Tout ce qui sera agréable à ses yeux je le ferai avec empressement, et ce sera pour moi un sujet de joie jusqu'au jour de ma mort!"

Judith 12, 15 Elle se leva, se para de ses vêtements et de tous ses atours féminins. Sa servante la précéda et étendit par terre vis-à-vis d'Holopherne la toison que Bagoas avait donnée à Judith pour son usage journalier, afin qu'elle pût s'y étendre pour manger.

Judith 12, 16 Judith entra et s'installa. Le coeur d'Holopherne en fut tout ravi et son esprit troublé. Il était saisi d'un désir intense de s'unir à elle, car depuis le jour où il l'avait vue il guettait un moment favorable pour la séduire.

Judith 12, 17 Il lui dit: "Bois donc! Partage notre joie" --

Judith 12, 18 "Je bois volontiers, seigneur, car depuis ma naissance je n'ai jamais tant apprécié la vie qu'aujourd'hui!"

Judith 12, 19 Elle prit ce que lui avait préparé sa servante, puis mangea et but en face de lui.

Judith 12, 20 Holopherne était sous son charme, aussi but-il une telle quantité de vin qu'en aucun jour de sa vie il n'en avait tant absorbé.

Judith 13, 1 Quand il se fit tard, ses officiers se hâtèrent de partir. Bagoas ferma la tente de l'extérieur, après avoir éconduit d'auprès de son maître ceux qui s'y trouvaient encore. Ils allèrent se coucher, fatigués par l'excès de boisson,

Judith 13, 2 et Judith fut laissée seule dans la tente avec Holopherne effondré sur son lit, noyé dans le vin.

Judith 13, 3 Judith dit alors à sa servante de se tenir dehors, près de la chambre à coucher, et d'attendre sa sortie comme elle le faisait chaque jour. Elle avait d'ailleurs eu soin de dire qu'elle sortirait pour sa prière et avait parlé dans le même sens à Bagoas.

Judith 13, 4 Tous s'en étaient allés de chez Holopherne et nul, petit ou grand, n'avait été laissé dans la chambre à coucher. Debout près du lit Judith dit en elle-même: "Seigneur, Dieu de toute force, en cette heure, favorise l'oeuvre de mes mains pour l'exaltation de Jérusalem.

Judith 13, 5 C'est maintenant le moment de ressaisir ton héritage et de réaliser mes plans pour écraser les ennemis levés contre nous."

Judith 13, 6 Elle s'avança alors vers la traverse du lit proche de la tête d'Holopherne, en détacha son cimeterre,

Judith 13, 7 puis s'approchant de la couche elle saisit la chevelure de l'homme et dit: "Rends-moi forte en ce jour, Seigneur, Dieu d'Israël!"

Judith 13, 8 Par deux fois elle le frappa au cou, de toute sa force, et détacha sa tête.

Judith 13, 9 Elle fit ensuite rouler le corps loin du lit et enleva la draperie des colonnes. Peu après elle sortit et donna la tête d'Holopherne à sa servante,

Judith 13, 10 qui la mit dans la besace à vivres, et toutes deux sortirent du camp comme elles avaient coutume de le faire pour aller prier. Une fois le camp traversé elles contournèrent le ravin, gravirent la pente de Béthulie et parvinrent aux portes.

Judith 13, 11 De loin Judith cria aux gardiens des portes: "Ouvrez, ouvrez la porte! Car le Seigneur notre Dieu est encore avec nous pour accomplir des prouesses en Israël et déployer sa force contre nos ennemis comme il l'a fait aujourd'hui!"

Judith 13, 12 Quand les hommes de la ville eurent entendu sa voix, ils se hâtèrent de descendre à la porte de leur cité et appelèrent les anciens.

Judith 13, 13 Du plus petit jusqu'au plus grand tout le monde accourut, car on ne s'attendait pas à son arrivée. Les gens ouvrirent la porte, accueillirent les deux femmes, firent du feu pour y voir et les entourèrent.

Judith 13, 14 D'une voix forte Judith leur dit: "Louez Dieu! Louez-le! Louez le Dieu qui n'a pas détourné sa miséricorde de la maison d'Israël, mais qui, cette nuit, a par ma main brisé nos ennemis."

Judith 13, 15 Elle tire alors la tête de sa besace et la leur montre: "Voici la tête d'Holopherne, le général en chef de l'armée d'Assur, et voici la draperie sous laquelle il gisait dans son ivresse! Le Seigneur l'a frappé par la main d'une femme!

Judith 13, 16 Vive le Seigneur qui m'a gardée dans mon entreprise! Car mon visage n'a séduit cet homme que pour sa perte. Il n'a pas péché avec moi pour ma honte et mon déshonneur."

Judith 13, 17 En proie à une grande émotion tout le peuple se prosterna pour adorer Dieu et cria d'une seule voix: "Béni sois-tu, ô notre Dieu, toi qui, en ce jour, as anéanti les ennemis de ton peuple!"

Judith 13, 18 Ozias, à son tour, dit à Judith: "Sois bénie, ma fille, par le Dieu Très-Haut, plus que toutes les femmes de la terre; et béni soit le Seigneur Dieu, Créateur du ciel et de la terre, lui qui t'a conduite pour trancher la tête du chef de nos ennemis!

Judith 13, 19 Jamais la confiance dont tu as fait preuve ne s'effacera de l'esprit des hommes; mais ils se souviendront éternellement de la puissance de Dieu.

Judith 13, 20 Fasse Dieu que tu sois éternellement exaltée et récompensée de mille biens, puisque tu n'as pas ménagé ta vie quand notre race était humiliée, mais que tu as conjuré notre ruine en marchant droit devant notre Dieu." Tout le peuple répondit: "Amen! Amen!"

Judith 14, 1 Judith leur dit: "Ecoutez-moi, frères. Prenez cette tête, suspendez-la au faîte de vos remparts.

Judith 14, 2 Puis, quand l'aube aura paru et que le soleil sera levé sur la terre, prenez chacun vos armes et que tout homme valide sorte de la ville. Sur cette troupe établissez un chef, tout comme si vous vouliez descendre dans la plaine vers le poste avancé des Assyriens. Mais ne descendez pas.

Judith 14, 3 Les Assyriens prendront leur équipement, gagneront leur camp et éveilleront les chefs de leur armée. On se précipitera alors vers la tente d'Holopherne et on ne le trouvera pas. La frayeur s'emparera d'eux et ils fuiront devant vous.

Judith 14, 4 Vous, et tous ceux qui habitent dans le territoire d'Israël, vous n'aurez plus qu'à les poursuivre et à les abattre dans leur retraite.

Judith 14, 5 "Mais avant d'agir ainsi, appelez-moi Achior l'Ammonite, pour qu'il voie et reconnaisse le contempteur de la maison d'Israël, celui qui l'avait envoyé parmi nous comme un homme voué d'avance à la mort."

Judith 14, 6 On fit donc venir Achior de chez Ozias. Sitôt arrivé, à la vue de la tête d'Holopherne que tenait un des hommes de l'assemblée du peuple, il tomba la face contre terre et s'évanouit.

Judith 14, 7 On le releva. Il se jeta alors aux pieds de Judith et, se prosternant devant elle, s'écria: "Bénie sois-tu dans toutes les tentes de Juda et parmi tous les peuples; ceux qui entendront prononcer ton nom seront saisis d'effroi!

Judith 14, 8 Et maintenant dis-moi ce que tu as fait durant ces jours." Et Judith lui raconta, au milieu de tout le peuple, tout ce qu'elle avait fait depuis le jour de sa sortie de Béthulie jusqu'au moment où elle parlait.

Judith 14, 9 Quand elle se fut tue, le peuple poussa de puissantes acclamations et emplit la ville de cris d'allégresse.

Judith 14, 10 Achior, voyant tout ce qu'avait fait le Dieu d'Israël, crut fermement en lui, se fit circoncire et fut admis définitivement dans la maison d'Israël.

Judith 14, 11 Quand l'aube parut, les gens de Béthulie pendirent la tête d'Holopherne au rempart. Chacun prit ses armes et tous sortirent par bandes sur les pentes de la montagne.

Judith 14, 12 Ce que voyant, les Assyriens dépêchèrent des messagers vers leurs chefs qui, à leur tour, se rendirent chez les stratèges, les chiliarques et tous leurs officiers.

Judith 14, 13 On parvint ainsi jusqu'à la tente d'Holopherne. "Eveille notre maître, dit-on à son intendant. Ces esclaves ont osé descendre vers nous et nous attaquer pour se faire complètement massacrer."

Judith 14, 14 Bagoas entra donc. Il frappa des mains devant le rideau de la tente, pensant qu'Holopherne dormait avec Judith.

Judith 14, 15 Mais comme personne ne semblait rien entendre, il ouvrit et pénétra dans la chambre à coucher et le trouva jeté sur le seuil, mort, la tête coupée.

Judith 14, 16 Il poussa alors un grand cri, pleura, sanglota, hurla et déchira ses vêtements,

Judith 14, 17 puis pénétra dans la tente où logeait Judith et ne la trouva pas. Alors, s'élançant dans la foule, il cria:

Judith 14, 18 "Ah! les esclaves se sont rebellés! Une femme des Hébreux a couvert de honte la maison de Nabuchodonosor. Holopherne gît à terre, décapité!"

Judith 14, 19 A ces mots les chefs de l'armée d'Assur, l'esprit complètement bouleversé, déchirèrent leurs tuniques et firent retentir le camp de leurs cris et de leurs clameurs.

Judith 15, 1 Lorsque ceux qui étaient encore dans leurs tentes apprirent la nouvelle, ils en furent frappés de stupeur.

Judith 15, 2 Pris de crainte et de tremblement ils ne purent rester deux ensemble: ce fut la débandade. Chacun s'enfuit par les sentiers de la plaine ou de la montagne.

Judith 15, 3 Ceux qui étaient campés dans la région montagneuse autour de Béthulie se mirent à fuir eux aussi. Alors les hommes de guerre d'Israël foncèrent sur eux.

Judith 15, 4 Ozias dépêcha des messagers à Bétomestaïm, à Bèbé, à Chobé, à Kola, dans le territoire d'Israël tout entier, afin d'y faire connaître tout ce qui venait de se passer et d'inviter toutes les populations à se jeter sur les ennemis et à les anéantir.

Judith 15, 5 A peine les Israélites furent-ils avertis que d'un seul élan ils tombèrent tous sur eux et les frappèrent jusqu'à Choba. Ceux de Jérusalem et de toute la montagne se joignirent également à eux, car ils avaient aussi été mis au courant de ce qui s'était passé dans le camp ennemi. Puis ce furent les gens de Galaad et de Galilée qui les prirent de flanc et les frappèrent durement jusqu'à proximité de Damas et de sa région.

Judith 15, 6 Quant aux autres, demeurés à Béthulie, ils se jetèrent sur le camp d'Assur, le pillèrent et s'enrichirent extrêmement.

Judith 15, 7 Les Israélites, de retour du carnage, se rendirent maîtres du reste. Les gens des bourgs et des villages de la montagne et de la plaine s'emparèrent aussi d'un immense butin, car il y en avait en quantité.

Judith 15, 8 Le grand prêtre Ioakim et tout le Conseil des anciens d'Israël qui étaient à Jérusalem vinrent contempler les bienfaits dont le Seigneur avait comblé Israël, pour voir Judith et la saluer.

Judith 15, 9 En entrant chez elle, tous la bénirent ainsi d'une seule voix: "Tu es la gloire de Jérusalem! Tu es le suprême orgueil d'Israël! Tu es le grand honneur de notre race!

Judith 15, 10 En accomplissant tout cela de ta main, tu as bien mérité d'Israël, et Dieu a ratifié ce que tu as fait. Bénie sois-tu par le Seigneur Tout-Puissant dans la suite des temps!" Et tout le peuple reprit: "Amen!"

Judith 15, 11 La population pilla le camp 30 jours durant. On donna à Judith la tente d'Holopherne, toute son argenterie, sa literie, ses bassins et tout son mobilier. Elle le prit, en chargea sa mule, attela ses chariots et y amoncela le tout.

Judith 15, 12 Toutes les femmes d'Israël, accourues pour la voir, s'organisèrent en choeur de danse pour la fêter. Judith prit en main des thyrses et en donna aux femmes qui l'accompagnaient.

Judith 15, 13 Judith et ses compagnes se couronnèrent d'olivier. Puis elle se mit en tête du peuple et conduisit le choeur des femmes. Tous les hommes d'Israël, en armes et couronnés, l'accompagnaient au chant des hymnes.

Judith 15, 14 Au milieu de tout Israël, Judith entonna ce chant d'action de grâces et tout le peuple clama l'hymne:

Judith 16, 1 Entonnez un chant à mon Dieu sur les tambourins, chantez le Seigneur avec les cymbales, mêlez pour lui le psaume au cantique, exaltez et invoquez son nom!

Judith 16, 2 Car le Seigneur est un Dieu briseur de guerres; il a établi son camp au milieu de son peuple, pour m'arracher de la main de mes adversaires.

Judith 16, 3 Assur descendit des montagnes du septentrion, il vint avec les myriades de son armée. Leur multitude obstruait les torrents, leurs chevaux couvraient les collines.

Judith 16, 4 Ils parlaient d'embraser mon pays, de passer mes adolescents au fil de l'épée, de jeter à terre mes nourrissons, de livrer au butin mes enfants et mes jeunes filles au rapt.

Judith 16, 5 Mais le Seigneur Tout-Puissant le leur interdit par la main d'une femme.

Judith 16, 6 Car leur héros n'est pas tombé devant des jeunes gens, ce ne sont pas des fils de titans qui l'ont frappé, ni de fiers géants qui l'ont attaqué, mais c'est Judith, fille de Merari, qui l'a désarmé par la beauté de son visage.

Judith 16, 7 Elle avait déposé son vêtement de deuil pour le réconfort des affligés d'Israël, elle avait oint son visage de parfums,

Judith 16, 8 elle avait emprisonné sa chevelure sous un turban, elle avait mis une robe de lin pour le séduire.

Judith 16, 9 Sa sandale ravit son regard, sa beauté captiva son âme... et le cimeterre lui trancha le cou!

Judith 16, 10 Les Perses frémirent de son audace et les Mèdes furent confondus de sa hardiesse.

Judith 16, 11 Alors mes humbles crièrent, et eux prirent peur, mes faibles hurlèrent, et eux furent saisis d'effroi; ils enflèrent leur voix, et eux reculèrent.

Judith 16, 12 Des enfants de femmelettes les tuèrent, ils les transpercèrent comme des fils de déserteurs. Ils périrent dans la bataille de mon Seigneur!

Judith 16, 13 Je veux chanter à mon Dieu un cantique nouveau. Seigneur, tu es grand, tu es glorieux, admirable dans ta force, invincible.

Judith 16, 14 Que toute ta création te serve! Car tu as dit et les êtres furent, tu envoyas ton souffle et ils furent construits, et personne ne peut résister à ta voix.

Judith 16, 15 Les montagnes crouleraient-elles pour se mêler aux flots, les rochers fondraient-ils comme la cire devant ta face, qu'à ceux qui te craignent tu serais encore propice.

Judith 16, 16 Certes, c'est peu de chose qu'un sacrifice d'agréable odeur, et moins encore la graisse qui t'est brûlée en holocauste; mais qui craint le Seigneur est grand toujours.

Judith 16, 17 Malheur aux nations qui se dressent contre ma race! Le Seigneur Tout-Puissant les châtiera au jour du jugement. Il enverra le feu et les vers dans leurs chairs et ils pleureront de douleur éternellement.

Judith 16, 18 Quand ils furent arrivés à Jérusalem, tous se prosternèrent devant Dieu et, une fois le peuple purifié, ils offrirent leurs holocaustes, leurs oblations volontaires et leurs dons.

Judith 16, 19 Judith voua à Dieu, en anathème, tout le mobilier d'Holopherne donné par le peuple et la draperie qu'elle avait elle-même enlevée de son lit.

Judith 16, 20 La population se livra à l'allégresse devant le Temple, à Jérusalem, trois mois durant, et Judith resta avec eux.

Judith 16, 21 Ce temps écoulé, chacun revint chez soi. Judith regagna Béthulie et y demeura dans son domaine. De son vivant elle devint célèbre dans tout le pays.

Judith 16, 22 Beaucoup la demandèrent en mariage, mais elle ne connut point d'homme tous les jours de sa vie depuis que son mari Manassé était mort et avait été réuni à son peuple.

Judith 16, 23 Son renom croissait de plus en plus tandis qu'elle avançait en âge dans la maison de son mari. Elle atteignit 105 ans. Elle affranchit sa servante, puis mourut à Béthulie et fut ensevelie dans la caverne où reposait son mari Manassé.

Judith 16, 24 La maison d'Israël célébra son deuil durant sept jours. Avant de mourir elle avait réparti ses biens dans la parenté de son mari Manassé et dans la sienne propre.

Judith 16, 25 Plus personne n'inquiéta les Israélites du temps de Judith ni longtemps encore après sa mort.

 

 

 

 

Esther

 

 

1, 1-a La deuxième année du règne du grand roi Assuérus, le premier jour de Nisan, un songe vint à Mardochée, fils de Yaïr, fils de Shiméï, fils de Qish, de la tribu de Benjamin,

Esther 1, 1-b Juif établi à Suse et personnage considérable comme attaché à la cour.

Esther 1, 1-c Il était du nombre des déportés que, de Jérusalem, le roi de Babylone, Nabuchodonosor, avait emmenés en captivité avec le roi de Juda, Jékonias.

Esther 1, 1-d Or, voici quel fut ce songe. Cris et fracas, le tonnerre gronde, le sol tremble, bouleversement sur toute la terre.

Esther 1, 1-e Deux énormes dragons s'avancent, l'un et l'autre prêts au combat. Ils poussent un hurlement;

Esther 1, 1-f il n'a pas plus tôt retenti que toutes les nations se préparent à la guerre contre le peuple des justes.

Esther 1, 1-g Jour de ténèbres et d'obscurité! Tribulation, détresse, angoisse, épouvante fondent sur la terre.

Esther 1, 1-h Bouleversé de terreur devant les maux qui l'attendent, le peuple juste tout entier se prépare à périr et crie vers Dieu.

Esther 1, 1-i Or, à son cri, comme d'une petite source, naît un grand fleuve, des eaux débordantes.

Esther 1, 1-k La lumière se lève avec le soleil. Les humbles sont exaltés et dévorent les puissants.

Esther 1, 1-l A son réveil, Mardochée, devant ce songe et la pensée des desseins de Dieu, y porta toute son attention et, jusqu'à la nuit, s'efforça de multiples façons d'en pénétrer le sens.

Esther 1, 1-m Mardochée logeait à la cour avec Bigtân et Téresh, deux eunuques du roi, gardes du palais.

Esther 1, 1-n Ayant eu vent de ce qu'ils machinaient et ayant pénétré leurs desseins, il découvrit qu'ils s'apprêtaient à porter la main sur le roi Assuérus, et le mit au courant.

Esther 1, 1-o Le roi fit donner la question aux deux eunuques, et, sur leurs aveux, les envoya au supplice.

Esther 1, 1-p Il fit ensuite consigner l'histoire dans ses Mémoires cependant que Mardochée, de son côté, la couchait aussi par écrit.

Esther 1, 1-q Puis le roi lui confia une fonction au palais et, pour le récompenser, le gratifia de présents.

Esther 1, 1-r Mais Aman, fils de Hamdata, l'Agagite, avait la faveur du roi, et, pour cette affaire des deux eunuques royaux, il médita de nuire à Mardochée. C'était au temps d'Assuérus, cet Assuérus dont l'empire s'étendait de l'Inde à l'Ethiopie, soit sur 127 provinces.

Esther 1, 2 En ce temps-là, comme il siégeait sur son trône royal, à la citadelle de Suse,

Esther 1, 3 la troisième année de son règne, il donna un banquet, présidé par lui, à tous ses grands officiers et serviteurs chefs de l'armée des Perses et des Mèdes, nobles et gouverneurs de provinces.

Esther 1, 4 Il voulait étaler à leurs yeux la richesse et la magnificence de son royaume ainsi que l'éclat splendide de sa grandeur, pendant une longue suite de jours, exactement 180.

Esther 1, 5 Ce temps écoulé, ce fut alors toute la population de la citadelle de Suse, du plus grand au plus petit, qui se vit offrir par le roi un banquet de sept jours, sur l'esplanade du jardin du palais royal.

Esther 1, 6 Ce n'étaient que tentures de toile blanche et de pourpre violette attachées par des cordons de byssus et de pourpre rouge, eux-mêmes suspendus à des anneaux d'argent fixés sur des colonnes de marbre blanc, lits d'or et d'argent posés sur un dallage de pierres rares, de marbre blanc, de nacre et de mosaïques!

Esther 1, 7 Pour boire, des coupes d'or, toutes différentes, et abondance de vin offert par le roi avec une libéralité royale.

Esther 1, 8 Le décret royal toutefois ne contraignait pas à boire, le roi ayant prescrit à tous les officiers de sa maison que chacun fût traité comme il l'entendait.

Esther 1, 9 La reine Vasthi, de son côté, avait offert aux femmes un festin dans le palais royal d'Assuérus.

Esther 1, 10 Le septième jour, mis en gaîté par le vin, le roi ordonna à Mehumân, à Bizzeta, à Harbona, à Bigta, à Abgata, à Zétar et à Karkas, les sept eunuques attachés au service personnel du roi Assuérus,

Esther 1, 11 de lui amener la reine Vasthi coiffée du diadème royal, en vue de faire montre de sa beauté au peuple et aux grands officiers. Le fait est qu'elle était très belle.

Esther 1, 12 Mais la reine Vasthi refusa de venir selon l'ordre du roi que les eunuques lui avaient transmis. L'irritation du roi fut extrême et sa colère s'enflamma.

Esther 1, 13 Il s'adressa aux sages versés dans la science des lois -- car c'est ainsi que les affaires du roi étaient traitées, en présence de tous ceux qui étaient versés dans la science de la loi et du droit.

Esther 1, 14 Il fit venir près de lui Karshena, Shétar, Admata, Tarshish, Mérès, Marsena et Memukân, sept grands officiers perses et mèdes admis à voir la face du roi et siégeant aux premières places du royaume.

Esther 1, 15 "Selon la loi, dit-il, que faut-il faire à la reine Vasthi pour n'avoir pas obtempéré à l'ordre du roi Assuérus que les eunuques lui transmettaient?"

Esther 1, 16 Et en présence du roi et des grands officiers Memukân répondit: "Ce n'est pas seulement contre le roi que la reine Vasthi a mal agi, c'est aussi contre tous les grands officiers et contre toutes les populations répandues à travers les provinces du roi Assuérus.

Esther 1, 17 La façon d'agir de la reine ne manquera pas de venir à la connaissance de toutes les femmes, qui regarderont leur mari avec mépris. Le roi Assuérus lui-même, pourront-elles dire, avait donné l'ordre de lui amener la reine Vasthi, et elle n'est pas venue!

Esther 1, 18 Aujourd'hui même les femmes des grands officiers perses et mèdes vont parler à tous les grands officiers du roi de ce qu'elles ont appris de la façon d'agir de la reine, et ce sera grand mépris et grande colère.

Esther 1, 19 Si tel est le bon plaisir du roi, qu'un édit émané de lui s'inscrive, irrévocable, parmi les lois des Perses et des Mèdes, pour interdire à Vasthi de paraître en présence du roi Assuérus, et que le roi confère sa qualité de reine à une autre qui vaille mieux qu'elle.

Esther 1, 20 Puis l'ordonnance portée par le roi sera promulguée dans tout son royaume, qui est grand, et lors les femmes rendront honneur à leur mari, du plus grand jusqu'au plus humble."

Esther 1, 21 Ce discours plut au roi et aux grands officiers, et le roi suivit l'avis de Memukân.

Esther 1, 22 Il envoya des lettres à toutes les provinces de l'empire, à chaque province selon son écriture et à chaque peuple selon sa langue, afin que tout mari fût maître chez lui.

Esther 2, 1 Quelque temps après, sa fureur calmée, le roi Assuérus se souvint de Vasthi, il se rappela la conduite qu'elle avait eue, les décisions prises à son sujet.

Esther 2, 2 Les courtisans de service auprès du roi lui dirent: "Que l'on recherche pour le roi des jeunes filles, vierges et belles.

Esther 2, 3 Que le roi constitue des commissaires dans toutes les provinces de son royaume afin de rassembler tout ce qu'il y a de jeunes filles vierges et belles à la citadelle de Suse, dans le harem, sous l'autorité de Hégé, eunuque du roi, gardien des femmes. Celui-ci leur donnera tout ce qu'il faut pour leurs soins de beauté

Esther 2, 4 et la jeune fille qui aura plu au roi succédera comme reine à Vasthi." L'avis convint au roi, et c'est ce qu'il fit.

Esther 2, 5 Or, à la citadelle de Suse vivait un Juif nommé Mardochée, fils de Yaïr, fils de Shiméï, fils de Qish, de la tribu de Benjamin,

Esther 2, 6 qui avait été exilé de Jérusalem parmi les déportés emmenés avec le roi de Juda, Jékonias, par le roi de Babylone, Nabuchodonosor,

Esther 2, 7 et élevait alors une certaine Hadassa, autrement dit Esther, fille de son oncle, car orpheline de père et de mère. Elle avait belle prestance et agréable aspect, et, à la mort de ses parents, Mardochée l'avait prise avec lui comme si elle eût été sa fille.

Esther 2, 8 L'ordre royal et le décret proclamés, une foule de jeunes filles furent donc rassemblées à la citadelle de Suse et confiées à Hégé. Esther fut prise et amenée au palais royal. Or, confiée comme les autres à l'autorité de Hégé, gardien des femmes,

Esther 2, 9 la jeune fille lui plut et gagna sa faveur. Il prit à coeur de lui donner au plus vite ce qui lui revenait pour sa parure et pour sa subsistance et, de plus, lui attribua sept suivantes choisies de la maison du roi, puis la transféra, avec ses suivantes, dans un meilleur appartement du harem.

Esther 2, 10 Esther n'avait révélé ni son peuple ni sa parenté, car Mardochée le lui avait défendu.

Esther 2, 11 Chaque jour celui-ci se promenait devant le vestibule du harem pour avoir des nouvelles de la santé d'Esther et de tout ce qui lui advenait.

Esther 2, 12 Chaque jeune fille devait se présenter à son tour au roi Assuérus au terme du délai fixé par le statut des femmes, soit douze mois. L'emploi de ce temps de préparation était tel: pendant six mois les jeunes filles usaient de l'huile de myrrhe, et pendant six autres mois du baume et des onguents employés pour les soins de beauté féminine.

Esther 2, 13 Quand elle se présentait au roi, chaque jeune fille obtenait tout ce qu'elle demandait pour le prendre avec elle en passant du harem au palais royal.

Esther 2, 14 Elle s'y rendait au soir et, le lendemain matin, regagnait un autre harem, confié à Shaashgaz, l'eunuque royal préposé à la garde des concubines. Elle ne retournait pas vers le roi à moins que le roi ne s'en fût épris et la rappelât nommément.

Esther 2, 15 Mais Esther, fille d'Abihayil, lui-même oncle de Mardochée qui l'avait adoptée pour fille, son tour venu de se rendre chez le roi, ne demanda rien d'autre que ce qui lui fut indiqué par l'eunuque royal Hégé, commis à la garde des femmes. Et voici qu'Esther trouva grâce devant tous ceux qui la virent.

Esther 2, 16 Elle fut conduite au roi Assuérus, au palais royal, le dixième mois, qui est Tébèt, en la septième année de son règne,

Esther 2, 17 et le roi la préféra à toutes les autres femmes, elle trouva devant lui faveur et grâce plus qu'aucune autre jeune fille. Il posa donc le diadème royal sur sa tête et la choisit pour reine à la place de Vasthi.

Esther 2, 18 Après cela le roi donna un grand festin, le festin d'Esther, à tous les grands officiers et serviteurs, accorda un jour de repos à toutes les provinces et prodigua des présents avec une libéralité royale.

Esther 2, 19 En passant, comme les jeunes filles, dans le second harem,

Esther 2, 20 Esther n'avait révélé ni sa parenté ni son peuple, ainsi que le lui avait prescrit Mardochée dont elle continuait à observer les instructions comme au temps où elle était sous sa tutelle.

Esther 2, 21 Mardochée était alors attaché à la Royale Porte. Mécontents, deux eunuques royaux, Bigtân et Téresh, du corps des gardes du seuil, complotèrent de porter la main sur le roi Assuérus.

Esther 2, 22 Mardochée en eut vent, informa la reine Esther et celle-ci, à son tour, en parla au roi au nom de Mardochée.

Esther 2, 23 Après enquête, le fait se révéla exact. Ces deux-là furent envoyés au gibet et, en présence du roi, une relation de l'histoire fut consignée dans le livre des Chroniques.

Esther 3, 1 Quelque temps après, le roi Assuérus distingua Aman, fils de Hamdata, du pays d'Agag. Il l'éleva en dignité, lui accorda prééminence sur tous les grands officiers, ses collègues,

Esther 3, 2 et tous les serviteurs du roi, préposés au service de sa Porte, s'agenouillaient et se prosternaient devant lui, car tel était l'ordre du roi. Mardochée refusa de fléchir le genou et de se prosterner.

Esther 3, 3 "Pourquoi transgresses-tu l'ordre royal?" Dirent à Mardochée les serviteurs du roi préposés à la Royale Porte.

Esther 3, 4 Mais ils avaient beau le lui répéter tous les jours, il ne les écoutait pas. Ils dénoncèrent alors le fait à Aman, pour voir si Mardochée persisterait dans son attitude (car il leur avait dit qu'il était Juif).

Esther 3, 5 Aman put en effet constater que Mardochée ne fléchissait pas le genou devant lui ni ne se prosternait: il en prit un accès de fureur.

Esther 3, 6 Comme on l'avait instruit du peuple de Mardochée, il lui parut que ce serait peu de ne frapper que lui et il prémédita de faire disparaître, avec Mardochée, tous les Juifs établis dans tout le royaume d'Assuérus.

Esther 3, 7 L'an douze d'Assuérus, le premier mois, qui est Nisan, on tira, sous les yeux d'Aman, le "Pûr" (c'est-à-dire les sorts), par jour et par mois. Le sort étant tombé sur le douzième mois, qui est Adar,

Esther 3, 8 Aman dit au roi Assuérus: "Au milieu des populations, dans toutes les provinces de ton royaume, est dispersé un peuple à part. Ses lois ne ressemblent à celles d'aucun autre et les lois royales sont pour lui lettre morte. Les intérêts du roi ne permettent pas de le laisser tranquille.

Esther 3, 9 Que sa perte soit donc signée, si le roi le trouve bon, et je verserai à ses fonctionnaires, au compte du Trésor royal, 10.000 talents d'argent."

Esther 3, 10 Le roi ôta alors son anneau de sa main et le donna à Aman, fils de Hamdata, l'Agagite le persécuteur des Juifs.

Esther 3, 11 "Garde ton argent, lui répondit-il. Quant à ce peuple, je te le livre, fais-en ce que tu voudras!"

Esther 3, 12 Une convocation fut donc adressée aux scribes royaux pour le treize du premier mois et l'on mit par écrit tout ce qu'Aman avait ordonné aux satrapes du roi, aux gouverneurs de chaque province et aux grands officiers de chaque peuple, selon l'écriture de chaque province et la langue de chaque peuple. Le rescrit fut signé du nom d'Assuérus, scellé de son anneau,

Esther 3, 13 et des courriers transmirent à toutes les provinces du royaume des lettres mandant de détruire, tuer et exterminer tous les Juifs, depuis les adolescents jusqu'aux vieillards, enfants et femmes compris, le même jour, à savoir le treize du douzième mois, qui est Adar, et de mettre à sac leurs biens.

Esther 3, 13-a Voici le texte de cette lettre: "Le Grand Roi Assuérus aux gouverneurs des 127 provinces qui vont de l'Inde à l'Ethiopie, et aux chefs de district, leurs subordonnés:

Esther 3, 13-b Placé à la tête de peuples sans nombre et maître de toute la terre, je me suis proposé de ne point me laisser enivrer par l'orgueil du pouvoir et de toujours gouverner dans un grand esprit de modération et avec bienveillance afin d'octroyer à mes sujets la perpétuelle jouissance d'une existence sans orages, et, mon royaume offrant les bienfaits de la civilisation et la libre circulation d'une de ses frontières à l'autre, d'y instaurer cet objet de l'universel désir qu'est la paix.

Esther 3, 13-c Or, mon conseil entendu sur les moyens de parvenir à cette fin, l'un de mes conseillers, de qui la sagesse parmi nous éminente, l'indéfectible dévouement, l'inébranlable fidélité ont fait leurs preuves, et dont les prérogatives viennent immédiatement après les nôtres, Aman,

Esther 3, 13-d nous a dénoncé, mêlé à toutes les tribus du monde, un peuple mal intentionné, en opposition par ses lois avec toutes les nations, et faisant constamment fi des ordonnances royales, au point d'être un obstacle au gouvernement que nous assurons à la satisfaction générale.

Esther 3, 13-e Considérant donc que ledit peuple, unique en son genre, se trouve sur tous les points en conflit avec l'humanité entière, qu'il en diffère par un régime de lois étranges, qu'il est hostile à nos intérêts, qu'il commet les pires méfaits jusqu'à menacer la stabilité de notre royaume.

Esther 3, 13-f Pour ces motifs, nous ordonnons que toutes les personnes à vous signalées dans les lettres d'Aman, commis au soin de nos intérêts et pour nous un second père, soient radicalement exterminées, femmes et enfants inclus, par l'épée de leurs ennemis, sans pitié ni ménagement aucun, le quatorzième jour du douzième mois, soit Adar, de la présente année,

Esther 3, 13-g afin que, ces opposants d'aujourd'hui comme d'hier étant précipités de force dans l'Hadès en un jour, stabilité et tranquillité plénières soient désormais assurées à l'Etat."

Esther 3, 14 La copie de cet édit, destiné à être promulgué comme loi dans chaque province, fut publiée parmi toutes les populations afin que chacun se tînt prêt au jour dit.

Esther 3, 15 Sur l'ordre du roi, les courriers partirent dans les plus brefs délais. L'édit fut promulgué d'abord à la citadelle de Suse. Et tandis que le roi et Aman se prodiguaient en festins et beuveries, dans la ville de Suse régnait la consternation.

Esther 4, 1 Sitôt instruit de ce qui venait d'arriver, Mardochée déchira ses vêtements et prit le sac et la cendre. Puis il parcourut toute la ville en l'emplissant de ses cris de douleur,

Esther 4, 2 et il alla jusqu'en face de la Porte Royale que nul ne pouvait franchir revêtu d'un sac.

Esther 4, 3 Dans les provinces, partout où parvinrent l'ordre et le décret royal, ce ne fut plus, parmi les Juifs, que deuil, jeûne, larmes et lamentations. Le sac et la cendre devinrent la couche de beaucoup.

Esther 4, 4 Les servantes et eunuques d'Esther vinrent l'avertir. La reine fut saisie d'angoisse. Elle fit envoyer des vêtements à Mardochée pour qu'il les mît et abandonnât son sac. Mais il les refusa.

Esther 4, 5 Mandant alors Hataq, l'un des eunuques mis par le roi à son service, Esther le dépêcha à Mardochée avec mission de s'enquérir de ce qui se passait et de lui demander les motifs de sa conduite.

Esther 4, 6 Hataq sortit et s'en vint vers Mardochée, sur la place, devant la Porte Royale.

Esther 4, 7 Mardochée le mit au courant des événements et, notamment, de la somme qu'Aman avait offert de verser au Trésor du roi pour l'extermination des Juifs.

Esther 4, 8 Il lui remit aussi une copie de l'édit d'extermination publié à Suse: il devait la montrer à Esther pour qu'elle soit renseignée. Et il enjoignait à la reine d'aller chez le roi implorer sa clémence et plaider la cause du peuple auquel elle appartenait.

Esther 4, 8-a "Souviens-toi, lui fit-il dire, des jours de ton abaissement où je te nourrissais de ma main. Car Aman, le second personnage du royaume, a demandé au roi notre mort.

Esther 4, 8-b Prie le Seigneur, parle pour nous au roi, arrache-nous à la mort!"

Esther 4, 9 Hataq revint et rapporta ce message à Esther.

Esther 4, 10 Celle-ci répondit, avec ordre de répéter ses paroles à Mardochée:

Esther 4, 11 "Serviteurs du roi et habitants des provinces, tous savent que pour quiconque, homme ou femme, pénètre sans convocation chez le roi jusque dans le vestibule intérieur, il n'y a qu'une loi: il doit mourir, à moins qu'en lui tendant son sceptre d'or le roi ne lui fasse grâce de la vie. Et il y a 30 jours que je n'ai pas été invitée à approcher le roi!"

Esther 4, 12 Ces paroles d'Esther furent transmises à Mardochée,

Esther 4, 13 qui répondit à son tour: "Ne va pas t'imaginer que, parce que tu es dans le palais, seule d'entre les Juifs tu pourras être sauvée.

Esther 4, 14 Ce sera tout le contraire. Si tu t'obstines à te taire quand les choses en sont là, salut et délivrance viendront aux Juifs d'un autre lieu, et toi et la maison de ton père vous périrez. Qui sait? Peut-être est-ce en prévision d'une circonstance comme celle-ci que tu as accédé à la royauté?"

Esther 4, 15 Esther lui fit dire:

Esther 4, 16 "Va rassembler tous les Juifs de Suse. Jeûnez à mon intention. Ne mangez ni ne buvez de trois jours et de trois nuits. De mon côté, avec mes servantes, j'observerai le même jeûne. Ainsi préparée, j'entrerai chez le roi malgré la loi et, s'il faut périr, je périrai."

Esther 4, 17 Mardochée se retira et exécuta les instructions d'Esther.

Esther 4, 17-a Priant alors le Seigneur au souvenir de toutes ses grandes oeuvres il s'exprima en ces termes:

Esther 4, 17-b "Seigneur, Seigneur, Roi tout-puissant, tout est soumis à ton pouvoir et il n'y a personne qui puisse te tenir tête dans ta volonté de sauver Israël;

Esther 4, 17-c Oui, c'est toi qui as fait le ciel et la terre et toutes les merveilles qui sont sous le firmament. Tu es le Maître de l'univers et il n'y a personne qui puisse te résister, Seigneur.

Esther 4, 17-d Toi, tu connais tout! Tu le sais, toi, Seigneur, ni suffisance, ni orgueil, ni gloriole ne m'ont fait faire ce que j'ai fait: refuser de me prosterner devant l'orgueilleux Aman. Volontiers je lui baiserais la plante des pieds pour le salut d'Israël.

Esther 4, 17-e Mais ce que j'ai fait, c'était pour ne pas mettre la gloire d'un homme plus haut que la gloire de Dieu; et je ne me prosternerai devant personne si ce n'est devant toi, Seigneur, et ce que je ferai là ne sera pas orgueil.

Esther 4, 17-f Et maintenant, Seigneur Dieu, Roi, Dieu d'Abraham, épargne ton peuple! car on machine notre ruine, on projette de détruire ton antique héritage.

Esther 4, 17-g Ne délaisse pas cette part qui est ta part, que tu t'es rachetée de la terre d'Egypte!

Esther 4, 17-h Exauce ma prière, sois propice à ta part d'héritage et tourne notre deuil en joie, afin que nous vivions pour chanter ton nom, Seigneur. Et ne laisse pas disparaître la bouche de ceux qui te louent."

Esther 4, 17-i Et tout Israël criait de toutes ses forces, car la mort était devant ses yeux.

Esther 4, 17-k La reine Esther cherchait aussi refuge près du Seigneur dans le péril de mort qui avait fondu sur elle. Elle avait quitté ses vêtements somptueux pour prendre des habits de détresse et de deuil. Au lieu de fastueux parfums elle avait couvert sa tête de cendres et d'ordures. Elle humiliait durement son corps, et les tresses de sa chevelure défaite remplissaient tous les lieux témoins ordinaires de ses joyeuses parures. Et elle suppliait le Seigneur Dieu d'Israël en ces termes:

Esther 4, 17-l "O mon Seigneur, notre Roi, tu es l'Unique! Viens à mon secours, car je suis seule et n'ai d'autre recours que toi, et je vais jouer ma vie.

Esther 4, 17-m J'ai appris, dès le berceau, au sein de ma famille, que c'est toi, Seigneur, qui as choisi Israël entre tous les peuples et nos pères parmi tous leurs ancêtres, pour être ton héritage à jamais; et tu les as traités comme tu l'avais dit.

Esther 4, 17-n Et puis nous avons péché contre toi, et tu nous as livrés aux mains de nos ennemis pour les honneurs rendus à leurs dieux. Tu es juste, Seigneur!

Esther 4, 17-o Mais ils ne se sont pas contentés de l'amertume de notre servitude; ils ont mis leurs mains dans celles de leurs idoles en vue d'abolir l'arrêt sorti de tes lèvres, de faire disparaître ton héritage, de clore les bouches qui te louent, d'éteindre ton autel et la gloire de ta maison;

Esther 4, 17-p Et d'ouvrir à la place la bouche des nations pour la louange des idoles de néant, et pour s'extasier à jamais devant un roi de chair.

Esther 4, 17-q N'abandonne pas ton sceptre, Seigneur, à ceux qui ne sont pas. Point de sarcasmes sur notre ruine! Retourne ces projets contre leurs auteurs, et du premier de nos assaillants, fais un exemple!

Esther 4, 17-r Souviens-toi, Seigneur, manifeste-toi au jour de notre tribulation! Et moi, donne-moi du courage, Roi des dieux et dominateur de toute autorité.

Esther 4, 17-s Mets sur mes lèvres un langage charmeur lorsque je serai en face du lion, et tourne son coeur à la haine de notre ennemi, pour que celui-ci y trouve sa perte avec tous ses pareils.

Esther 4, 17-t Et nous, sauve-nous par ta main et viens à mon secours, car je suis seule et n'ai rien à part toi, Seigneur!

Esther 4, 17-u De toute chose tu as connaissance et tu sais que je hais la gloire des impies, que j'abhorre la couche des incirconcis et celle de tout étranger.

Esther 4, 17-w Tu sais la nécessité qui me tient, que j'ai horreur de l'insigne de ma grandeur, qui ceint mon front dans mes jours de représentation, la même horreur que d'un linge souillé, et ne le porte pas dans mes jours de tranquillité.

Esther 4, 17-x Ta servante n'a pas mangé à la table d'Aman, ni prisé les festins royaux, ni bu le vin des libations.

Esther 4, 17-y Ta servante ne s'est pas réjouie depuis le jour de son changement jusqu'à présent, si ce n'est en toi, Seigneur, Dieu d'Abraham.

Esther 4, 17-z O Dieu, dont la force l'emporte sur tous, écoute la voix des désespérés, tire-nous de la main des méchants et libère-moi de ma peur!"

Esther 5, 1 Le troisième jour, lorsqu'elle eut cessé de prier, elle quitta ses vêtements de suppliante et se revêtit de toute sa splendeur.

Esther 5, 1-a Ainsi devenue éclatante de beauté, elle invoqua le Dieu qui veille sur tous et les sauve. Puis elle prit avec elle deux servantes. Sur l'une elle s'appuyait mollement. L'autre l'accompagnait et soulevait son vêtement.

Esther 5, 1-b A l'apogée de sa beauté, elle rougissait et son visage joyeux était comme épanoui d'amour. Mais la crainte faisait gémir son coeur.

Esther 5, 1-c Franchissant toutes les portes, elle se trouva devant le roi. Il était assis sur son trône royal, revêtu de tous les ornements de ses solennelles apparitions, tout rutilant d'or et de pierreries, redoutable au possible.

Esther 5, 1-d Il leva son visage empourpré de splendeur et, au comble de la colère, regarda. La reine s'effondra. Dans son évanouissement son teint blêmit et elle appuya la tête sur la servante qui l'accompagnait.

Esther 5, 1-e Dieu changea le coeur du roi et l'inclina à la douceur. Anxieux, il s'élança de son trône et la prit dans ses bras jusqu'à ce qu'elle se remît, la réconfortant par des paroles apaisantes.

Esther 5, 1-f "Qu'y a-t-il, Esther? Je suis ton frère! Rassure-toi! Tu ne mourras pas. Notre ordonnance ne vaut que pour le commun des gens. Approche-toi."

Esther 5, 2 Levant son sceptre d'or il le posa sur le cou d'Esther, l'embrassa et lui dit: "Parle-moi" --

Esther 5, 2-a "Seigneur, lui dit-elle, je t'ai vu pareil à un ange de Dieu. Mon coeur s'est alors troublé et j'ai eu peur de ta splendeur. Car tu es admirable, Seigneur, et ton visage est plein de charmes."

Esther 5, 2-b Tandis qu'elle parlait, elle défaillit. Le roi se troubla et tout son entourage cherchait à la ranimer.

Esther 5, 3 "Qu'y a-t-il, reine Esther? Lui dit le roi. Dis-moi ce que tu désires, et, serait-ce la moitié du royaume, c'est accordé d'avance" --

Esther 5, 4 "Plairait-il au roi, répondit Esther, de venir aujourd'hui avec Aman au banquet que je lui ai préparé" --

Esther 5, 5 "Qu'on prévienne aussitôt Aman pour combler le souhait d'Esther", dit alors le roi. Le roi et Aman vinrent ainsi au banquet préparé par Esther

Esther 5, 6 et, pendant le banquet, le roi redit à Esther: "Dis-moi ce que tu demandes, c'est accordé d'avance! Dis-moi ce que tu désires, serait-ce la moitié du royaume, c'est chose faite" --

Esther 5, 7 "Ce que je demande, ce que je désire? Répondit Esther.

Esther 5, 8 Si vraiment j'ai trouvé grâce aux yeux du roi, s'il lui plaît d'exaucer ma demande et de combler mon désir, que demain encore le roi vienne avec Aman au banquet que je leur donnerai et j'y exécuterai l'ordre du roi."

Esther 5, 9 Ce jour-là Aman sortit joyeux et le coeur en fête, mais quand, à la Porte Royale, il vit Mardochée ne point se lever devant lui ni bouger de sa place, il fut prit de colère contre lui.

Esther 5, 10 Néanmoins il se contint. Revenu chez lui, il convoqua ses amis et sa femme Zéresh

Esther 5, 11 et, longuement, devant eux, parla de son éblouissante richesse, du nombre de ses enfants, de tout ce dont le roi l'avait comblé pour l'élever et l'exalter au-dessus de tous ses grands officiers et serviteurs.

Esther 5, 12 "Ce n'est pas tout, ajouta-t-il, la reine Esther vient de m'inviter avec le roi, et moi seul, à un banquet qu'elle lui offrait, et bien plus, je suis encore invité par elle avec le roi demain.

Esther 5, 13 Mais que me fait tout cela aussi longtemps que je verrai Mardochée, le Juif, siéger à la Porte Royale" --

Esther 5, 14 "Fais seulement dresser une potence de 50 coudées, lui répondirent sa femme, Zéresh, et ses amis; demain matin tu demanderas au roi qu'on y pende Mardochée! Tu pourras alors, tout joyeux, aller rejoindre le roi au banquet!" Ravi du conseil, Aman fit préparer la potence.

Esther 6, 1 Or, cette nuit-là, comme le sommeil le fuyait, le roi réclama le livre des Mémoires ou Chroniques pour s'en faire donner lecture.

Esther 6, 2 Il s'y trouvait la dénonciation par Mardochée de Bigtân et Téresh, les deux eunuques gardes du seuil, coupables d'avoir projeté d'attenter à la vie d'Assuérus.

Esther 6, 3 "Et quelle distinction, quelle dignité, s'enquit le roi, furent pour cela conférées à ce Mardochée" -- "Rien n'a été fait pour lui", répondirent les courtisans de service.

Esther 6, 4 Le roi leur demanda alors: "Qui est dans le vestibule?" C'était juste le moment où Aman arrivait dans le vestibule extérieur du palais royal pour demander au roi de faire pendre Mardochée à la potence dressée pour lui par ses soins,

Esther 6, 5 si bien que les courtisans répondirent: "C'est Aman qui se tient dans le vestibule" -- "Qu'il entre!" ordonna le roi,

Esther 6, 6 et, sitôt entré: "Comment faut-il traiter un homme que le roi veut honorer" -- "Quel autre que moi le roi voudrait-il honorer", se dit Aman.

Esther 6, 7 "Le roi veut honorer quelqu'un? Répondit-il donc,

Esther 6, 8 qu'on prenne des vêtements princiers, de ceux que porte le roi; qu'on amène un cheval, de ceux que monte le roi et sur la tête duquel on aura mis un diadème royal.

Esther 6, 9 Puis vêtements et cheval seront confiés à l'un des plus nobles des grands officiers royaux. Celui-ci revêtira alors de ce costume l'homme que le roi veut honorer et le conduira à cheval sur la grand-place en criant devant lui: Voyez comment l'on traite l'homme que le roi veut honorer" --

Esther 6, 10 "Ne perds pas un instant, répondit le roi à Aman, prends vêtements et cheval, et tout ce que tu viens de dire, fais-le à Mardochée, le Juif, l'attaché de la Royale Porte. Surtout, n'omets rien de ce que tu as dit!"

Esther 6, 11 Prenant donc vêtements et cheval, Aman habilla Mardochée, puis le promena à cheval sur la grand-place en criant devant lui: "Voyez comment l'on traite l'homme que le roi veut honorer!"

Esther 6, 12 Après quoi Mardochée s'en revint à la Porte Royale tandis qu'Aman, de son côté, rentrait précipitamment chez lui, consterné et le visage voilé.

Esther 6, 13 Il raconta à sa femme Zéresh et à tous ses amis ce qui venait d'arriver. Sa femme Zéresh et ses amis lui dirent: "Tu viens de commencer à déchoir devant Mardochée: s'il est de la race des Juifs, tu ne pourras plus reprendre le dessus. Au contraire tu tomberas sans cesse plus bas devant lui."

Esther 6, 14 La conversation n'était pas achevée qu'arrivèrent les eunuques du roi, venus chercher Aman pour le conduire en hâte au banquet offert par Esther.

Esther 7, 1 Le roi et Aman allèrent banqueter chez la reine Esther,

Esther 7, 2 et ce deuxième jour, pendant le banquet, le roi dit encore à Esther: "Dis-moi ce que tu demandes, reine Esther, c'est accordé d'avance! Dis-moi ce que tu désires; serait-ce la moitié du royaume, c'est chose faite" --

Esther 7, 3 "Si vraiment j'ai trouvé grâce à tes yeux, ô roi, lui répondit la reine Esther, et si tel est ton bon plaisir, accorde-moi la vie, voilà ma demande, et la vie de mon peuple, voilà mon désir.

Esther 7, 4 Car nous sommes livrés, mon peuple et moi, à l'extermination, à la tuerie et à l'anéantissement. Si encore nous avions seulement été livrés comme esclaves ou servantes, je me serais tue. Mais en l'occurrence le persécuteur sera hors d'état de compenser le dommage qui va en résulter pour le roi."

Esther 7, 5 Mais Assuérus prit la parole et dit à la reine Esther: "Qui est-ce? Où est l'homme qui a pensé agir ainsi?"

Esther 7, 6 Alors Esther: "Le persécuteur, l'ennemi, c'est Aman, c'est ce misérable!" A la vue du roi et de la reine, Aman fut glacé de terreur.

Esther 7, 7 Furieux, le roi se leva et quitta le banquet pour gagner le jardin du palais, cependant qu'Aman demeurait près de la reine Esther pour implorer la grâce de la vie, sentant trop bien que le roi avait décidé sa perte.

Esther 7, 8 Quand le roi revint du jardin dans la salle du banquet, il trouva Aman effondré sur le divan où Esther était étendue. "Va-t-il après cela faire violence à la reine chez moi, dans le palais?" S'écria-t-il. A peine le mot était-il sorti de sa bouche qu'un voile fut jeté sur la face d'Aman.

Esther 7, 9 Harbona, un des eunuques, dit en présence du roi: "Justement il y a une potence de 50 coudées qu'Aman a fait préparer pour ce Mardochée qui a parlé pour le bien du roi; elle est toute dressée dans sa maison" -- "Qu'on l'y pende", ordonna le roi.

Esther 7, 10 Aman fut donc pendu à la potence dressée par lui pour Mardochée et la colère du roi s'apaisa.

Esther 8, 1 Ce jour même le roi Assuérus donna à la reine Esther la maison d'Aman, le persécuteur des Juifs, et Mardochée fut présenté au roi, à qui Esther avait révélé ce qu'il était pour elle.

Esther 8, 2 Le roi avait repris son anneau à Aman; il l'ôta de son doigt pour le donner à Mardochée, à qui, de son côté, Esther confia la gestion de la maison d'Aman.

Esther 8, 3 Esther alla une seconde fois parler au roi. Elle se jeta à ses pieds, elle pleura, elle se le rendit favorable en vue de faire échouer la méchanceté d'Aman l'Agagite et le dessein qu'il avait conçu contre les Juifs.

Esther 8, 4 Le roi lui tendit son sceptre d'or. Esther se releva donc et se tint debout en face de lui.

Esther 8, 5 "Si tel est le bon plaisir du roi, lui dit-elle, et si vraiment j'ai trouvé grâce devant lui, si ma demande lui paraît juste et si je suis moi-même agréable à ses yeux, qu'il veuille révoquer expressément les lettres qu'Aman, fils de Hamdata, l'Agagite, a fait écrire pour perdre les Juifs de toutes les provinces royales.

Esther 8, 6 Comment pourrais-je voir mon peuple dans le malheur qui va l'atteindre? Comment pourrais-je être témoin de l'extermination de ma parenté?"

Esther 8, 7 Le roi Assuérus répondit à la reine Esther et au Juif Mardochée: "En ce qui me concerne, j'ai donné à Esther la maison d'Aman après l'avoir fait pendre pour avoir voulu perdre les Juifs.

Esther 8, 8 Pour vous, écrivez au sujet des Juifs ce que vous jugerez bon, au nom du roi. Scellez ensuite de l'anneau royal. Car tout édit rédigé au nom du roi et scellé de son sceau est irrévocable."

Esther 8, 9 Les scribes royaux furent convoqués aussitôt -- c'était le troisième mois, qui est Sivân, le vingt-troisième jour -- et, sur l'ordre de Mardochée, ils écrivirent aux Juifs, aux satrapes, aux gouverneurs, aux grands officiers des provinces échelonnées de l'Inde à l'Ethiopie, soit 127 provinces, à chaque province selon son écriture, à chaque peuple selon sa langue et aux Juifs selon leur écriture et leur langue.

Esther 8, 10 Ces lettres, rédigées au nom du roi Assuérus et scellées de son sceau, furent portées par des courriers montés sur des chevaux des haras du roi.

Esther 8, 11 Le roi y octroyait aux Juifs, en quelque ville qu'ils fussent, le droit de se rassembler pour mettre leur vie en sûreté, avec permission d'exterminer, égorger et détruire tous gens armés des peuples ou des provinces qui voudraient les attaquer, avec leurs femmes et leurs enfants, comme aussi de piller leurs biens.

Esther 8, 12 Cela se ferait le même jour dans toutes les provinces du roi Assuérus, le treizième jour du douzième mois, qui est Adar.

Esther 8, 12-a Voici le texte de cette lettre:

Esther 8, 12-b "Le grand roi Assuérus aux satrapes des 127 provinces qui s'étendent de l'Inde à l'Ethiopie, aux gouverneurs de province et à tous ses loyaux sujets, salut!

Esther 8, 12-c Bien des gens, lorsque sur leur tête l'extrême bonté de leurs bienfaiteurs accumule les honneurs, n'en conçoivent que de l'orgueil. Il ne leur suffit pas de chercher à nuire à nos sujets, mais leur satiété même leur devenant un fardeau insupportable, ils montent leurs machinations contre leurs propres bienfaiteurs;

Esther 8, 12-d et, non contents de bannir la reconnaissance du coeur des hommes, enivrés plutôt par les applaudissements de qui ignore le bien, alors que tout est à jamais sous le regard de Dieu, ils se flattent d'échapper à sa justice qui hait les méchants.

Esther 8, 12-e Ainsi maintes et maintes fois est-il arrivé aux autorités constituées, pour avoir confié à des amis l'administration des affaires et s'en être laissé influencer, de porter avec eux le poids du sang innocent au prix d'irrémédiables malheurs,

Esther 8, 12-f les sophismes menteurs d'une nature perverse ayant égaré l'irréprochable droiture d'intentions du pouvoir.

Esther 8, 12-g Il n'est que d'ouvrir les yeux: sans même aller jusqu'aux récits d'autrefois que nous venons de rappeler, regardez seulement sous vos pas, que d'impiétés perpétrées par cette peste des gouvernants indignes!

Esther 8, 12-h Aussi bien nos efforts vont-ils tendre à assurer à tous, dans l'avenir, la tranquillité et la paix du royaume,

Esther 8, 12-i en procédant aux changements opportuns et en jugeant toujours les affaires qui nous seront soumises dans un esprit de bienveillant accueil.

Esther 8, 12-k C'est ainsi qu'Aman, fils de Hamdata, un Macédonien, en toute vérité étranger au sang perse et très éloigné de notre bonté, avait été reçu chez nous comme hôte

Esther 8, 12-l Et avait rencontré de notre part les sentiments d'amitié que nous portons à tous les peuples, jusqu'au point de se voir proclamer notre père et de se voir révérer par tous de la prostration, comme placé immédiatement après le trône royal.

Esther 8, 12-m Or, incapable de tenir son rang élevé, il s'appliqua à nous ôter le pouvoir et la vie.

Esther 8, 12-n Nous avons un sauveur, un homme qui toujours a été notre bienfaiteur, Mardochée, une irréprochable compagne de notre royauté, Esther; Aman, par les manoeuvres de ses tortueux sophismes, nous en a demandé la mort, avec celle de tout leur peuple,

Esther 8, 12-o pensant, par ces premières mesures, nous réduire à l'isolement et remplacer la domination perse par celle des Macédoniens.

Esther 8, 12-p Mais nous, loin de trouver en ces Juifs, voués à la disparition par ce triple scélérat, des criminels, nous les voyons régis par les plus justes des lois.

Esther 8, 12-q Ils sont les fils du Très-Haut, du grand Dieu vivant, à qui nous et nos ancêtres devons le maintien du royaume dans l'état le plus florissant.

Esther 8, 12-r Vous ferez donc bien de ne pas tenir compte des lettres envoyées par Aman, fils de Hamdata, leur auteur ayant été pendu aux portes de Suse avec toute sa maison, digne châtiment que Dieu, Maître de l'univers, lui a incontinent infligé.

Esther 8, 12-s Affichez une copie de la présente lettre en tout lieu, laissez les Juifs suivre ouvertement les lois qui leur sont propres et portez-leur assistance contre qui les attaquerait au propre jour fixé pour les écraser, soit le treizième jour du douzième mois, qui est Adar.

Esther 8, 12-t Car ce jour qui devait être un jour de ruine, la suprême souveraineté de Dieu vient de le changer en un jour d'allégresse en faveur de la race choisie.

Esther 8, 12-u Quant à vous, parmi vos fêtes solennelles, célébrez ce jour mémorable par force banquets, afin qu'il soit dès maintenant et demeure à l'avenir, pour vous et pour les Perses de bonne volonté, le souvenir de votre salut, et pour vos ennemis le mémorial de leur ruine.

Esther 8, 12-x Toute ville, et, plus généralement, toute contrée qui ne suivra pas ces instructions sera impitoyablement dévastée par le fer et le feu, rendue impraticable aux hommes et pour toujours odieuse aux bêtes sauvages et aux oiseaux eux-mêmes."

Esther 8, 13 La copie de cet édit, destiné à être promulgué comme loi dans chaque province, fut publiée parmi toutes les populations afin que les Juifs se tinssent prêts au jour dit à tirer vengeance de leurs ennemis.

Esther 8, 14 Les coursiers, montant des chevaux royaux, partirent en grande hâte et diligence sur l'ordre du roi. Le décret fut aussi publié dans la citadelle de Suse.

Esther 8, 15 Mardochée sortit de chez le roi revêtu d'un habit princier de pourpre violette et de lin blanc, couronné d'un grand diadème d'or et portant un manteau de byssus et de pourpre rouge. La ville de Suse tout entière retentit d'allégresse.

Esther 8, 16 Ce fut, pour les Juifs, un jour de lumière, de liesse, d'exultation et de triomphe.

Esther 8, 17 Dans toutes les provinces, dans toutes les villes, partout enfin où parvinrent les ordres du décret royal, ce ne fut pour les Juifs, qu'allégresse, liesse, banquets et fêtes. Parmi la population du pays bien des gens se firent Juifs, car la crainte des Juifs s'appesantit sur eux.

Esther 9, 1 Les ordres du décret royal entrant en vigueur le douzième mois, Adar, au treizième jour, ce jour où les ennemis des Juifs s'étaient flattés de les écraser vit la situation retournée: ce furent les Juifs qui écrasèrent leurs ennemis.

Esther 9, 2 Dans toutes les provinces du roi Assuérus ils se rassemblèrent dans les villes qu'ils habitaient afin de frapper ceux qui avaient comploté leur perte. Personne ne leur résista, car la peur des Juifs pesait sur toutes les populations.

Esther 9, 3 Grands officiers des provinces, satrapes, gouverneurs, fonctionnaires royaux, tous soutinrent les Juifs par crainte de Mardochée.

Esther 9, 4 Mardochée était en effet un personnage éminent au palais, sa renommée se répandait dans toutes les provinces: Mardochée était en train de devenir un grand homme.

Esther 9, 5 Les Juifs frappèrent donc tous leurs ennemis à coups d'épée. Ce fut un massacre, une extermination, et ils firent ce qu'ils voulurent de leurs adversaires.

Esther 9, 6 A la seule citadelle de Suse les Juifs mirent à mort et exterminèrent 500 hommes,

Esther 9, 7 notamment Parshândata, Dalphôn, Aspata,

Esther 9, 8 Porata, Adalya, Aridata,

Esther 9, 9 Parmashta, Arisaï, Aridaï et Yezata

Esther 9, 10 les dix fils d'Aman, fils de Hamdata, le persécuteur des Juifs. Mais ils ne se livrèrent pas au pillage.

Esther 9, 11 Le dénombrement des victimes égorgées à la citadelle de Suse parvint au roi le jour même.

Esther 9, 12 Le roi dit à la reine Esther: "Dans la seule citadelle de Suse, les Juifs ont mis à mort et exterminé 500 hommes, ainsi que les dix fils d'Aman. Que n'auront-ils pas fait dans le reste des provinces royales! Et maintenant, dis-moi ce que tu as à demander, c'est accordé d'avance! Dis-moi ce que tu désires de plus, c'est chose faite" --

Esther 9, 13 "Si tel est le bon plaisir du roi, répondit Esther, les Juifs de Suse ne pourraient-ils pas appliquer encore demain le décret porté pour aujourd'hui? Quant aux dix fils d'Aman, qu'on suspende leurs cadavres au gibet!"

Esther 9, 14 Sur quoi, le roi en ayant donné l'ordre, le décret fut proclamé à Suse et les dix fils d'Aman pendus.

Esther 9, 15 Ainsi, les Juifs de Suse se réunirent aussi le quatorzième jour d'Adar et ils égorgèrent 300 hommes dans Suse, mais ils ne se livrèrent pas au pillage.

Esther 9, 16 De leur côté, les Juifs des provinces royales se réunirent aussi pour mettre leur vie en sûreté. Ils se débarrassèrent de leurs ennemis en égorgeant 75.000 de leurs adversaires, sans se livrer au pillage.

Esther 9, 17 C'était le treizième jour du mois d'Adar. Le quatorzième ils se reposèrent et de ce jour ils firent un jour de festins et de liesse.

Esther 9, 18 Pour les Juifs de Suse qui s'étaient réunis le treizième et le quatorzième jour, c'est le quinzième qu'ils se reposèrent, faisant pareillement de ce jour un jour de festins et de liesse.

Esther 9, 19 Ce qui explique que ce soit le quatorzième jour d'Adar que les Juifs de la campagne, ceux qui habitent des villages non fortifiés, célèbrent dans l'allégresse et les banquets, par des festivités et l'échange mutuel de portions,

Esther 9, 19-a tandis que pour ceux des villes, le jour heureux qu'ils passent dans la joie en envoyant des portions à leurs voisins est le quinzième jour d'Adar.

Esther 9, 20 Mardochée consigna par écrit ces événements. Puis il envoya des lettres à tous les Juifs qui se trouvaient dans les provinces du roi Assuérus, proches ou lointaines.

Esther 9, 21 Il les y engageait à célébrer chaque année le quatorzième et le quinzième jour d'Adar,

Esther 9, 22 parce que ces jours sont ceux où les Juifs se sont débarrassés de leurs ennemis, et ce mois celui où, pour eux, l'affliction fit place à l'allégresse et le deuil aux festivités. Il les conviait donc à faire de ces journées des jours de festins et de liesse, à y échanger mutuellement des portions et à y faire des largesses aux pauvres.

Esther 9, 23 Les Juifs adoptèrent ces pratiques qu'ils avaient commencé d'observer et au sujet desquelles Mardochée leur avait écrit:

Esther 9, 24 Aman, fils de Hamdata, l'Agagite, le persécuteur de tous les Juifs, avait machiné leur perte et il avait tiré le "Pûr", c'est-à-dire les sorts, pour leur confusion et leur ruine.

Esther 9, 25 Mais quand il fut rentré chez le roi pour lui demander de faire pendre Mardochée, le mauvais dessein qu'il avait conçu contre les Juifs se retourna contre lui, et il fut pendu, ainsi que ses fils, à la potence.

Esther 9, 26 C'est la raison pour laquelle ces jours furent appelés les Purim, du mot "Pûr." C'est aussi pourquoi, d'après les termes de cette lettre de Mardochée, d'après ce qu'ils avaient eux-mêmes constaté ou d'après ce qui était parvenu jusqu'à eux,

Esther 9, 27 les Juifs s'engagèrent de plein gré, eux, leur postérité, et tous ceux qui s'adjoindraient à eux, à célébrer sans faute ces deux jours-là, d'après ce texte et à cette date, d'année en année.

Esther 9, 28 Ainsi commémorés et célébrés de génération en génération, dans chaque famille, dans chaque province, chaque ville, ces jours des Purim ne disparaîtront pas de chez les Juifs, leur souvenir ne périra pas au sein de leur race.

Esther 9, 29 La reine Esther, fille d'Abihayil, écrivit avec toute autorité pour donner force de loi à cette seconde lettre,

Esther 9, 30 et fit envoyer des lettres à tous les Juifs des 127 provinces du royaume d'Assuérus, comme paroles de paix et consignes de fidélité,

Esther 9, 31 pour leur enjoindre d'observer ces jours des Purim à leur date, comme le leur avait commandé le Juif Mardochée et de la façon dont on les y avait obligés, eux-mêmes et leur race, en y joignant des ordonnances de jeûne et de lamentations.

Esther 9, 32 Ainsi l'ordonnance d'Esther fixa la loi des Purim et elle fut écrite dans un livre.

Esther 10, 1 Le roi Assuérus leva tribut sur le continent et sur les îles de la mer.

Esther 10, 2 Tous les exploits de sa vigueur et de sa vaillance, ainsi que la relation de l'élévation de Mardochée qu'il avait exalté, tout cela est écrit dans le livre des Chroniques des rois des Mèdes et des Perses.

Esther 10, 3 Car le Juif Mardochée était le premier après le roi Assuérus. C'était un homme considéré par les Juifs, aimé par la multitude de ses frères, recherchant le bien de son peuple et se préoccupant du bonheur de sa race.

Esther 10, 3-a Et Mardochée dit: "C'est de Dieu qu'est venu tout cela!

Esther 10, 3-b Si je me remémore le songe que j'eus à ce sujet, rien n'a été omis:

Esther 10, 3-c ni la petite source qui devient un fleuve, ni la lumière qui brille, ni le soleil, ni l'abondance d'eaux. Esther est ce fleuve, elle qu'épousa le roi et qu'il fit reine.

Esther 10, 3-d Les deux dragons, c'est Aman et moi.

Esther 10, 3-e Les peuples, ce sont ceux qui se coalisèrent pour détruire le nom des Juifs.

Esther 10, 3-f Mon peuple, c'est Israël, ceux qui crièrent vers Dieu et furent sauvés. Oui, le Seigneur a sauvé son peuple, le Seigneur nous a arrachés à tous ces maux, Dieu a accompli des prodiges et des merveilles comme il n'y en eut jamais parmi les nations.

Esther 10, 3-g De fait, il a établi deux destinées, l'une en faveur de son peuple, l'autre pour les nations.

Esther 10, 3-h Et ces destinées se sont accomplies à l'heure, au temps et au jour arrêtés selon son dessein et chez tous les peuples.

Esther 10, 3-i Dieu, alors, s'est souvenu de son peuple, il a fait justice à son héritage,

Esther 10, 3-k pour qui ces jours, les quatorzième et quinzième du mois d'Adar, seront désormais des jours d'assemblée, de liesse et de joie devant Dieu, pour toutes les générations et à perpétuité, dans Israël, son peuple."

Esther 10, 3-l La quatrième année du règne de Ptolémée et de Cléopâtre, Dosithée qui se disait prêtre et lévite, ainsi que son fils Ptolémée, apportèrent la présente lettre concernant les Purim. Ils la donnaient comme authentique et traduite par Lysimaque, fils de Ptolémée, de la communauté de Jérusalem.

 

 

 

I Maccabées

 

1, 1 Après qu'Alexandre, fils de Philippe, Macédonien sorti du pays de Chettiim, eut battu Darius, roi des Perses et des Mèdes, et fut devenu roi à sa place en commençant par l'Hellade,

1 Macchabées 1, 2 il entreprit de nombreuses guerres, s'empara de mainte place forte et mit à mort les rois de la contrée.

1 Macchabées 1, 3 Il poussa jusqu'aux extrémités du monde en amassant les dépouilles d'une quantité de nations, et la terre se tut devant lui. Son coeur s'exalta et s'enfla d'orgueil;

1 Macchabées 1, 4 il rassembla une armée très puissante, soumit provinces, nations, dynastes et en fit ses tributaires.

1 Macchabées 1, 5 Après cela, il dut s'aliter et connut qu'il allait mourir.

1 Macchabées 1, 6 Il fit venir ses officiers, les nobles qui avaient été élevés avec lui depuis le jeune âge, et partagea entre eux son royaume pendant qu'il était encore en vie.

1 Macchabées 1, 7 Alexandre avait régné douze ans quand il mourut.

1 Macchabées 1, 8 Ses officiers prirent le pouvoir chacun dans son gouvernement.

1 Macchabées 1, 9 Tous ceignirent le diadème après sa mort, et leurs fils après eux durant de longues années: sur la terre, ils firent foisonner le malheur.

1 Macchabées 1, 10 Il sortit d'eux un rejeton impie, Antiochus Epiphane, fils du roi Antiochus, qui, d'abord otage à Rome, devint roi l'an 137 de la royauté des Grecs.

1 Macchabées 1, 11 En ces jours-là surgit d'Israël une génération de vauriens qui séduisirent beaucoup de personnes en disant: "Allons, faisons alliance avec les nations qui nous entourent, car depuis que nous nous sommes séparés d'elles, bien des maux nous sont advenus."

1 Macchabées 1, 12 Ce discours leur parut bon.

1 Macchabées 1, 13 Plusieurs parmi le peuple s'empressèrent d'aller trouver le roi, qui leur donna l'autorisation d'observer les coutumes païennes.

1 Macchabées 1, 14 Ils construisirent donc un gymnase à Jérusalem, selon les usages des nations,

1 Macchabées 1, 15 se refirent des prépuces et renièrent l'alliance sainte pour s'associer aux nations. Ils se vendirent pour faire le mal.

1 Macchabées 1, 16 Quand il vit son règne affermi, Antiochus voulut devenir roi du pays d'Egypte, afin de régner sur les deux royaumes.

1 Macchabées 1, 17 Entré en Egypte avec une armée imposante, des chars, des éléphants (et des cavaliers) et une grande flotte,

1 Macchabées 1, 18 il attaqua le roi d'Egypte, Ptolémée, qui recula devant lui et s'enfuit; beaucoup d'hommes restèrent sur le terrain.

1 Macchabées 1, 19 Les villes fortes égyptiennes furent prises et Antiochus s'empara des dépouilles du pays.

1 Macchabées 1, 20 Ayant ainsi vaincu l'Egypte et pris le chemin du retour en l'année 143, il marcha contre Israël et sur Jérusalem avec une armée imposante.

1 Macchabées 1, 21 Entré dans le sanctuaire avec arrogance, Antiochus enleva l'autel d'or, le candélabre de lumière avec tous ses accessoires,

1 Macchabées 1, 22 la table d'oblation, les vases à libation, les coupes, les cassolettes d'or, le voile, les couronnes, la décoration d'or sur la façade du Temple, dont il détacha tout le placage.

1 Macchabées 1, 23 Il prit l'argent et l'or ainsi que les ustensiles précieux et fit main basse sur les trésors cachés qu'il trouva.

1 Macchabées 1, 24 Emportant le tout, il s'en alla dans son pays; il versa beaucoup de sang et proféra des paroles d'une extrême insolence.

1 Macchabées 1, 25 Israël fut l'objet d'un grand deuil dans tout le pays:

1 Macchabées 1, 26 Chefs et anciens gémirent, jeunes filles et jeunes gens dépérirent, et la beauté des femmes s'altéra.

1 Macchabées 1, 27 Le nouveau marié entonna un thrène; assise dans la chambre, l'épouse fut en deuil.

1 Macchabées 1, 28 La terre trembla à cause de ses habitants et la honte couvrit toute la maison de Jacob.

1 Macchabées 1, 29 Deux ans après, le roi envoya dans les villes de Juda le Mysarque, qui vint à Jérusalem avec une armée imposante.

1 Macchabées 1, 30 Il tint aux habitants des discours faussement pacifiques et gagna leur confiance, puis il tomba sur la ville à l'improviste, lui assénant un coup terrible, et fit périr beaucoup de gens d'Israël.

1 Macchabées 1, 31 Il pilla la ville, y mit le feu, détruisit ses maisons et son mur d'enceinte.

1 Macchabées 1, 32 Ses gens réduisirent en captivité les femmes et les enfants et s'approprièrent le bétail.

1 Macchabées 1, 33 Alors ils rebâtirent la Cité de David, avec un grand mur très fort, muni de tours puissantes et ils s'en firent une citadelle.

1 Macchabées 1, 34 Ils y installèrent une race de pécheurs, des vauriens, et ils s'y fortifièrent;

1 Macchabées 1, 35 ils y emmagasinèrent armes et provisions, y déposèrent les dépouilles de Jérusalem qu'ils avaient rassemblées, et cela devint un piège redoutable.

1 Macchabées 1, 36 Ce fut une embuscade pour le lieu saint, un adversaire maléfique en tout temps pour Israël.

1 Macchabées 1, 37 Ils répandirent le sang innocent autour du sanctuaire et souillèrent le lieu saint.

1 Macchabées 1, 38 A cause d'eux s'enfuirent les habitants de Jérusalem et celle-ci devint une colonie d'étrangers; elle fut étrangère à sa progéniture et ses propres enfants l'abandonnèrent.

1 Macchabées 1, 39 Son sanctuaire désolé devint comme un désert, ses fêtes se changèrent en deuil, ses sabbats en dérision et son honneur en mépris.

1 Macchabées 1, 40 A sa gloire se mesura son avilissement et sa grandeur fit place au deuil.

1 Macchabées 1, 41 Le roi publia ensuite dans tout son royaume l'ordre de n'avoir à former tous qu'un seul peuple

1 Macchabées 1, 42 et de renoncer chacun à ses coutumes: toutes les nations se conformèrent aux prescriptions royales.

1 Macchabées 1, 43 Beaucoup d'Israélites firent bon accueil à son culte, sacrifiant aux idoles et profanant le sabbat.

1 Macchabées 1, 44 Le roi envoya aussi, par messagers, à Jérusalem et aux villes de Juda, des édits leur enjoignant de suivre des coutumes étrangères à leur pays,

1 Macchabées 1, 45 de bannir du sanctuaire holocaustes, sacrifice et libation, de profaner sabbats et fêtes,

1 Macchabées 1, 46 de souiller le sanctuaire et tout ce qui est saint,

1 Macchabées 1, 47 d'élever autels, lieux de culte et temples d'idoles, d'immoler des porcs et des animaux impurs,

1 Macchabées 1, 48 de laisser leurs fils incirconcis, de se rendre abominables par toute sorte d'impuretés et de profanations,

1 Macchabées 1, 49 oubliant ainsi la Loi et altérant toutes les observances.

1 Macchabées 1, 50 Quiconque n'agirait pas selon l'ordre du roi serait puni de mort.

1 Macchabées 1, 51 Conformément à toutes ces prescriptions, le roi écrivit à tout son royaume, créa des inspecteurs pour tout le peuple et enjoignit aux villes de Juda de sacrifier dans chaque ville.

1 Macchabées 1, 52 Beaucoup de gens du peuple se rallièrent à eux, quiconque en somme abandonnait la Loi. Ils firent du mal dans le pays.

1 Macchabées 1, 53 Ils réduisirent Israël à se cacher dans tous ses lieux de refuge.

1 Macchabées 1, 54 Le quinzième jour de Kisleu en l'an 145, le roi construisit l'Abomination de la désolation sur l'autel des holocaustes et, dans les villes de Juda circonvoisines, on éleva des autels.

1 Macchabées 1, 55 Aux portes des maisons et sur les places, on brûlait de l'encens.

1 Macchabées 1, 56 Quant aux livres de la Loi, ceux qu'on trouvait étaient jetés au feu après avoir été lacérés.

1 Macchabées 1, 57 Découvrait-on chez quelqu'un un exemplaire de l'Alliance, ou quelque autre se conformait-il à la Loi, la décision du roi le mettait à mort.

1 Macchabées 1, 58 Ils sévissaient chaque mois dans les villes contre les Israélites pris en contravention;

1 Macchabées 1, 59 le 25 de chaque mois, on sacrifiait sur l'autel dressé sur l'autel des holocaustes.

1 Macchabées 1, 60 Les femmes qui avaient fait circoncire leurs enfants, ils les mettaient à mort, suivant l'édit,

1 Macchabées 1, 61 avec leurs nourrissons pendus à leur cou, exécutant aussi leurs proches et ceux qui avaient opéré la circoncision.

1 Macchabées 1, 62 Cependant plusieurs en Israël se montrèrent fermes et furent assez forts pour ne pas manger de mets impurs.

1 Macchabées 1, 63 Ils acceptèrent de mourir plutôt que de se contaminer par la nourriture et de profaner la sainte alliance et, en effet, ils moururent.

1 Macchabées 1, 64 Une grande colère plana sur Israël.

1 Macchabées 2, 1 En ces jours-là, Mattathias, fils de Jean, fils de Syméon, prêtre de la lignée de Ioarib, quitta Jérusalem pour s'établir à Modîn.

1 Macchabées 2, 2 Il avait cinq fils: Jean surnommé Gaddi,

1 Macchabées 2, 3 Simon appelé Thassi,

1 Macchabées 2, 4 Judas appelé Maccabée,

1 Macchabées 2, 5 Eléazar appelé Auârân, Jonathès appelé Apphous.

1 Macchabées 2, 6 A la vue des impiétés qui se perpétraient en Juda et à Jérusalem,

1 Macchabées 2, 7 il s'écria: "Malheur à moi! Suis-je né pour voir la ruine de mon peuple et la ruine de la ville sainte, et pour rester là assis tandis que la ville est livrée aux mains des ennemis et le sanctuaire au pouvoir des étrangers?

1 Macchabées 2, 8 Son Temple est devenu comme un homme vil,

1 Macchabées 2, 9 les objets qui faisaient sa gloire ont été emmenés captifs, ses petits enfants périrent égorgés sur ses places et ses adolescents par l'épée de l'ennemi.

1 Macchabées 2, 10 Quelle nation n'a pas hérité de ses droits royaux et ne s'est emparée de ses dépouilles?

1 Macchabées 2, 11 Toute sa parure lui a été ravie. De libre qu'elle était, elle est devenue esclave.

1 Macchabées 2, 12 Voici que le lieu saint, notre beauté et notre gloire, est réduit en désert, voici que les nations l'ont profané.

1 Macchabées 2, 13 A quoi bon vivre encore?"

1 Macchabées 2, 14 Mattathias et ses fils déchirèrent leurs vêtements, revêtirent des sacs et menèrent grand deuil.

1 Macchabées 2, 15 Les officiers du roi chargés d'imposer l'apostasie vinrent à la ville de Modîn pour les sacrifices.

1 Macchabées 2, 16 Beaucoup d'Israélites vinrent à eux, mais Mattathias et ses fils se tinrent ensemble à part

1 Macchabées 2, 17 Prenant la parole, les officiers du roi s'adressèrent à Mattathias en ces termes: "Tu es chef célèbre et puissant dans cette ville, appuyé par des fils et des frères.

1 Macchabées 2, 18 Avance donc le premier pour exécuter l'ordre du roi, comme l'ont fait toutes les nations, les chefs de Juda et ceux qu'on a laissés à Jérusalem. Tu seras, toi et tes fils, parmi les amis du roi, toi et tes fils serez honorés de dons en argent et en or ainsi que d'une quantité de cadeaux."

1 Macchabées 2, 19 Mattathias répliqua d'une voix forte: "Quand toutes les nations établies dans l'empire du roi lui obéiraient, chacune désertant le culte de ses pères, et se conformeraient à ses ordonnances,

1 Macchabées 2, 20 moi, mes fils et mes frères, nous suivrons l'alliance de nos pères.

1 Macchabées 2, 21 Dieu nous garde d'abandonner Loi et observances!

1 Macchabées 2, 22 Nous n'écouterons pas les ordres du roi. Nous ne dévierons pas de notre religion ni à droite ni à gauche."

1 Macchabées 2, 23 Dès qu'il eut achevé ce discours, un Juif s'avança, à la vue de tous, pour sacrifier sur l'autel de Modîn, selon le décret du roi.

1 Macchabées 2, 24 A cette vue, le zèle de Mattathias s'enflamma et ses reins frémirent. Pris d'une juste colère, il courut et l'égorgea sur l'autel.

1 Macchabées 2, 25 Quant à l'homme du roi qui obligeait à sacrifier, il le tua dans le même temps, puis il renversa l'autel.

1 Macchabées 2, 26 Son zèle pour la Loi fut semblable à celui que Pinhas exerça contre Zimri, fils de Salu.

1 Macchabées 2, 27 Mattathias se mit à crier d'une voix forte à travers la ville: "Quiconque a le zèle de la Loi et maintient l'alliance, qu'il me suive!"

1 Macchabées 2, 28 Lui-même et ses fils s'enfuirent dans les montagnes, laissant dans la ville tout ce qu'ils possédaient.

1 Macchabées 2, 29 Nombre de gens soucieux de justice et de Loi descendirent au désert pour s'y fixer,

1 Macchabées 2, 30 eux, leurs enfants, leurs femmes et leur bétail, parce que le malheur s'était appesanti sur eux.

1 Macchabées 2, 31 On annonça aux officiers royaux et aux forces en résidence à Jérusalem, dans la Cité de David, que des gens qui avaient rejeté l'ordonnance du roi étaient descendus vers les retraites cachées du désert.

1 Macchabées 2, 32 Une forte troupe se mit à leur poursuite et les atteignit. Ayant dressé son camp en face d'eux, elle se disposa à les attaquer le jour du sabbat

1 Macchabées 2, 33 et leur dit: "En voilà assez! Sortez, obéissez à l'ordre du roi et vous aurez la vie sauve" --

1 Macchabées 2, 34 "Nous ne sortirons pas, dirent les autres, et nous n'observerons pas l'ordre donné par le roi de violer le jour du sabbat."

1 Macchabées 2, 35 Assaillis sans retard,

1 Macchabées 2, 36 ils s'abstinrent de riposter, de lancer des pierres, de barricader leurs cachettes.

1 Macchabées 2, 37 "Mourons tous dans notre droiture, déclaraient-ils; le ciel et la terre sont pour nous témoins que vous nous faites périr injustement."

1 Macchabées 2, 38 La troupe leur donna l'assaut en plein sabbat et ils succombèrent, eux, leurs femmes, leurs enfants et leur bétail, au nombre d'un millier de personnes.

1 Macchabées 2, 39 Lorsqu'ils l'apprirent, Mattathias et ses amis les pleurèrent amèrement

1 Macchabées 2, 40 et se dirent les uns aux autres: "Si nous faisons tous comme ont fait nos frères, si nous ne luttons pas contre les nations pour notre vie et nos observances, ils nous auront vite exterminés de la terre."

1 Macchabées 2, 41 Ce jour-là même, ils prirent cette décision: "Tout homme qui viendrait nous attaquer le jour du sabbat, combattons-le en face, et ainsi nous ne mourrons pas tous comme nos frères sont morts dans les cachettes."

1 Macchabées 2, 42 Alors s'adjoignit à eux la congrégation des Assidéens, hommes valeureux d'entre Israël et tout ce qu'il y avait de dévoué à la Loi.

1 Macchabées 2, 43 Tous ceux qui fuyaient les mauvais traitements vinrent grossir leur nombre et leur fournir un appui.

1 Macchabées 2, 44 Ils se composèrent une forte armée, frappèrent les pécheurs dans leur colère et les mécréants dans leur fureur; le reste s'enfuit chez les nations pour y trouver sauvegarde.

1 Macchabées 2, 45 Mattathias et ses amis firent une tournée pour détruire les autels

1 Macchabées 2, 46 et circoncire de force tous les enfants incirconcis qu'ils trouvèrent sur le territoire d'Israël.

1 Macchabées 2, 47 Ils chassèrent les insolents et l'entreprise prospéra entre leurs mains.

1 Macchabées 2, 48 Ils arrachèrent la Loi de la main des nations et des rois et réduisirent le pécheur à l'impuissance.

1 Macchabées 2, 49 Cependant les jours de Mattathias approchaient de leur fin. Il dit alors à ses fils: "Voici maintenant le règne de l'arrogance et de l'outrage, le temps du bouleversement et l'explosion de la colère.

1 Macchabées 2, 50 A vous maintenant, mes enfants, d'avoir le zèle de la Loi, et de donner vos vies pour l'alliance de nos pères.

1 Macchabées 2, 51 "Souvenez-vous des oeuvres accomplies par nos pères en leur temps, vous gagnerez une grande gloire et un nom immortel.

1 Macchabées 2, 52 Abraham n'a-t-il pas été trouvé fidèle dans l'épreuve et cela ne lui a-t-il pas été compté comme justice?

1 Macchabées 2, 53 Joseph, au temps de sa détresse, observa la Loi, aussi est-il devenu Seigneur de l'Egypte.

1 Macchabées 2, 54 Pinhas, notre père, pour avoir brûlé d'un beau zèle, a reçu l'alliance d'un sacerdoce éternel.

1 Macchabées 2, 55 Josué, pour avoir rempli son mandat, est devenu juge en Israël.

1 Macchabées 2, 56 Caleb, pour avoir attesté le vrai dans l'assemblée, a reçu un héritage dans le pays.

1 Macchabées 2, 57 David, pour sa piété, hérita d'un trône royal pour les siècles.

1 Macchabées 2, 58 Elie, pour avoir brûlé du zèle de la Loi, a été enlevé jusqu'au ciel.

1 Macchabées 2, 59 Ananias, Azarias, Misaël, pour avoir eu confiance, furent sauvés de la flamme.

1 Macchabées 2, 60 Daniel, pour sa droiture, a été sauvé de la gueule des lions.

1 Macchabées 2, 61 Et comprenez ainsi que de génération en génération ceux qui espèrent en Lui ne faibliront pas.

1 Macchabées 2, 62 Ne redoutez point les menaces de l'homme pécheur, car sa gloire s'en va au fumier et aux vers;

1 Macchabées 2, 63 aujourd'hui il est exalté et demain on ne le trouve plus, car il retourne à la poussière d'où il est venu et ses calculs sont anéantis.

1 Macchabées 2, 64 Mes enfants, soyez forts et tenez fermement à la Loi, parce que c'est elle qui vous comblera de gloire.

1 Macchabées 2, 65 "Voici Syméon, votre frère, je sais qu'il est homme de bon conseil: écoutez-le toujours, il vous tiendra lieu de père.

1 Macchabées 2, 66 Quant à Judas Maccabée, vaillant dès son jeune âge, il sera lui-même le chef de votre armée, il conduira la guerre contre les peuples.

1 Macchabées 2, 67 Vous autres, adjoignez-vous tous les observateurs de la Loi et assurez la vengeance de votre peuple.

1 Macchabées 2, 68 Rendez aux nations le mal qu'elles vous ont fait et attachez-vous aux préceptes de la Loi."

1 Macchabées 2, 69 Après cela il les bénit et fut réuni à ses pères.

1 Macchabées 2, 70 Il mourut en l'année 146 et fut enseveli dans le caveau de ses pères à Modîn, et tout Israël mena sur lui un grand deuil.

1 Macchabées 3, 1 Judas, appelé Maccabée, son fils, se leva à sa place;

1 Macchabées 3, 2 tous ses frères et tous les partisans de son père lui prêtèrent leur concours. Ils menèrent le combat d'Israël avec entrain.

1 Macchabées 3, 3 Il étendit le renom de son peuple, revêtit la cuirasse comme un géant et ceignit ses armes de guerre. Il engagea mainte bataille, protégeant le camp par son épée,

1 Macchabées 3, 4 rival du lion dans ses hauts faits, pareil au lionceau rugissant sur sa proie.

1 Macchabées 3, 5 Il fit la chasse aux mécréants qu'il dépistait et livra au feu les perturbateurs de son peuple.

1 Macchabées 3, 6 Les mécréants furent abattus par la terreur qu'il inspirait, tous les ouvriers d'iniquité furent bouleversés, et la libération dans sa main fut menée à bon terme.

1 Macchabées 3, 7 Il causa d'amers déboires à plus d'un roi, réjouit Jacob par ses actions, et sa mémoire sera en bénédiction à jamais.

1 Macchabées 3, 8 Il parcourut les villes de Juda pour en exterminer les impies, et détourna d'Israël la Colère.

1 Macchabées 3, 9 Son nom retentit jusqu'aux extrémités de la terre car il a rassemblé ceux qui étaient perdus.

1 Macchabées 3, 10 Apollonius rassembla des païens et un fort contingent de Samarie pour faire la guerre à Israël.

1 Macchabées 3, 11 Judas le sut et sortit à sa rencontre; il le défit et le tua. Beaucoup tombèrent blessés à mort et le reste s'enfuit.

1 Macchabées 3, 12 On ramassa les dépouilles; Judas s'attribua l'épée d'Apollonius et s'en servit au combat tous les jours de sa vie.

1 Macchabées 3, 13 A la nouvelle que Judas avait rassemblé autour de lui un assemblage de croyants et de gens de guerre, Séron, général de l'armée de Syrie,

1 Macchabées 3, 14 se dit à lui-même: "Je me ferai un nom et me couvrirai de gloire dans le royaume. Je combattrai Judas et ses hommes, qui méprisent les ordres du roi."

1 Macchabées 3, 15 Il partit donc à son tour et avec lui monta une puissante armée d'impies pour l'aider à tirer vengeance des Israélites.

1 Macchabées 3, 16 Comme il approchait de la montée de Bethorôn, Judas sortit à sa rencontre avec une poignée d'hommes.

1 Macchabées 3, 17 A la vue de l'armée qui s'avançait contre eux, ceux-ci dirent à Judas: "Comment pourrons-nous, en si petit nombre, lutter contre une si forte multitude? Nous sommes exténués, n'ayant rien mangé aujourd'hui."

1 Macchabées 3, 18 Judas répondit: "Qu'une multitude tombe aux mains d'un petit nombre est chose facile, et il est indifférent au Ciel d'opérer le salut au moyen de beaucoup ou de peu d'hommes,

1 Macchabées 3, 19 car la victoire à la guerre ne tient pas à l'importance de la troupe: c'est du Ciel que vient la force.

1 Macchabées 3, 20 Ceux-ci viennent contre nous, débordant d'insolence et d'iniquité, pour nous exterminer, nous, nos femmes et nos enfants, et nous dépouiller.

1 Macchabées 3, 21 Mais nous, nous combattons pour nos vies et pour nos lois,

1 Macchabées 3, 22 et lui les brisera devant nous, ne craignez rien de leur part."

1 Macchabées 3, 23 Lorsqu'il eut cessé de parler, il bondit sur eux à l'improviste. Séron et son armée furent écrasés.

1 Macchabées 3, 24 Ils les poursuivirent à la descente de Bethorôn jusqu'à la plaine. 800 hommes environ succombèrent et le reste s'enfuit au pays des Philistins.

1 Macchabées 3, 25 Judas et ses frères commencèrent à être redoutés et l'effroi fondit sur les nations d'alentour.

1 Macchabées 3, 26 Son nom parvint jusqu'au roi et toutes les nations commentaient les batailles de Judas.

1 Macchabées 3, 27 Lorsqu'il entendit ces récits, Antiochus entra dans une grande fureur; il envoya rassembler toutes les forces de son royaume, une armée très puissante.

1 Macchabées 3, 28 Il ouvrit son trésor, distribua la solde aux troupes pour un an et leur enjoignit d'être prêtes à toute éventualité.

1 Macchabées 3, 29 Il s'aperçut alors que l'argent manquait dans ses coffres et que les tributs de la province avaient diminué, par suite des dissensions et du fléau qu'il avait déchaînés dans le pays en supprimant les lois qui existaient de toute antiquité.

1 Macchabées 3, 30 Il craignit de ne pas avoir, comme il était arrivé plus d'une fois, de quoi fournir aux dépenses et aux largesses qu'il faisait auparavant d'une main prodigue, surpassant en cela les rois ses prédécesseurs.

1 Macchabées 3, 31 L'anxiété s'emparait de son âme, il décida de gagner la Perse pour lever les tributs des provinces et ramasser beaucoup d'argent.

1 Macchabées 3, 32 Il laissa Lysias, homme de la noblesse et de la famille royale, à la tête de ses affaires depuis l'Euphrate jusqu'à la frontière de l'Egypte,

1 Macchabées 3, 33 et le chargea de la tutelle d'Antiochus, son fils, jusqu'à son retour.

1 Macchabées 3, 34 Il lui confia la moitié de ses troupes, avec les éléphants, et lui dicta toutes ses volontés, en particulier au sujet des habitants de la Judée et de Jérusalem:

1 Macchabées 3, 35 il devait envoyer contre eux une armée pour extirper et faire disparaître la force d'Israël et le petit reste de Jérusalem, effacer leur souvenir de ce lieu,

1 Macchabées 3, 36 établir des fils d'étrangers sur tout leur territoire et distribuer leur pays en lots.

1 Macchabées 3, 37 Le roi prit avec lui la moitié restante des troupes et partit d'Antioche, capitale de son royaume, l'an 147; il traversa l'Euphrate et poursuivit sa marche à travers les provinces d'en haut.

1 Macchabées 3, 38 Lysias se choisit Ptolémée fils de Dorymène, Nikanor et Gorgias, personnages puissants d'entre les amis du roi.

1 Macchabées 3, 39 Il envoya avec eux 40.000 hommes de pied et 7.000 cavaliers pour envahir le pays de Juda et le dévaster suivant l'ordre du roi.

1 Macchabées 3, 40 S'étant mis en marche avec toute leur armée, ils arrivèrent près d'Emmaüs dans le Bas-Pays et y dressèrent leur camp.

1 Macchabées 3, 41 Les trafiquants de la province l'apprirent par la renommée; ils prirent avec eux de l'or et de l'argent en grande quantité ainsi que des entraves et s'en vinrent au camp pour acheter comme esclaves les Israélites. Un contingent d'Idumée et du pays des Philistins se joignit à eux.

1 Macchabées 3, 42 Judas et ses frères virent que le malheur s'aggravait et que des armées campaient sur leur territoire. Ils connurent aussi la consigne donnée par le roi de livrer leur peuple à une destruction radicale.

1 Macchabées 3, 43 Ils se dirent alors les uns aux autres: "Relevons notre peuple de sa ruine et luttons pour notre peuple et notre saint lieu."

1 Macchabées 3, 44 On convoqua l'assemblée pour se préparer à la guerre, se livrer à la prière et implorer pitié et miséricorde.

1 Macchabées 3, 45 Or Jérusalem était dépeuplée comme un désert, de ses enfants nul n'y entrait, nul n'en sortait. Le sanctuaire était foulé aux pieds et les fils d'étrangers logeaient dans la Citadelle, devenue un caravansérail pour les nations. La joie avait disparu de Jacob et l'on n'entendait plus ni flûte ni lyre.

1 Macchabées 3, 46 Ils se rassemblèrent donc et vinrent à Maspha en face de Jérusalem, car il y avait eu jadis à Maspha un lieu de prière pour Israël

1 Macchabées 3, 47 Ils jeûnèrent ce jour-là, revêtirent des sacs, répandirent de la cendre sur leur tête et déchirèrent leurs vêtements.

1 Macchabées 3, 48 Ils déployèrent le livre de la Loi pour y découvrir ce que les païens demandaient aux représentations de leurs faux dieux.

1 Macchabées 3, 49 Ils apportèrent les ornements sacerdotaux, les prémices et les dîmes, ils firent paraître les Naziréens qui avaient accompli la période de leur voeu.

1 Macchabées 3, 50 Ils disaient en élevant la voix vers le Ciel: "Que faire de ces gens-là et où les emmener?

1 Macchabées 3, 51 Ton lieu saint, on l'a foulé aux pieds et profané, tes prêtres sont dans le deuil et l'humiliation,

1 Macchabées 3, 52 et voici que les nations se sont liguées contre nous afin de nous faire disparaître. Tu connais leurs desseins à notre égard.

1 Macchabées 3, 53 Comment pourrons-nous résister en face d'elles si tu ne viens pas à notre secours?"

1 Macchabées 3, 54 Ils firent ensuite sonner les trompettes et poussèrent de grands cris.

1 Macchabées 3, 55 Après cela, Judas institua des chefs du peuple, chefs de milliers, de centaines, de cinquantaines et de dizaines.

1 Macchabées 3, 56 A ceux qui étaient en train de bâtir une maison, ou qui venaient de se fiancer, de planter une vigne, ou qui avaient peur, il dit de s'en retourner chacun à sa demeure comme le permettait la Loi.

1 Macchabées 3, 57 La colonne se mit alors en marche et vint camper au sud d'Emmaüs.

1 Macchabées 3, 58 "Equipez-vous, dit Judas, soyez des braves, tenez-vous prêts à combattre demain ces nations qui sont massées contre nous pour notre ruine et celle de notre sanctuaire,

1 Macchabées 3, 59 car il vaut mieux pour nous mourir dans la bataille qu'être spectateurs des malheurs de notre nation et de notre lieu saint.

1 Macchabées 3, 60 Ce que le Ciel aura voulu, il l'accomplira."

1 Macchabées 4, 1 Gorgias prit avec lui 5.000 hommes de pied et mille cavaliers d'élite, détachement qui partit de nuit

1 Macchabées 4, 2 en vue de faire irruption dans le camp des Juifs et de les frapper à l'improviste. Les gens de la Citadelle lui servaient de guides.

1 Macchabées 4, 3 Ce qu'ayant Entendu, Judas lui-même se mit en marche avec ses braves pour battre l'armée royale qui était à Emmaüs,

1 Macchabées 4, 4 pendant que ses effectifs se trouvaient encore dispersés en dehors du camp.

1 Macchabées 4, 5 Gorgias, de son côté, étant arrivé de nuit au camp de Judas, n'y trouva personne et se mit à chercher les Juifs dans les montagnes car, disait-il: "Ils fuient devant nous."

1 Macchabées 4, 6 Au petit jour, Judas parut dans la plaine avec 3.000 hommes. Seulement, ceux-ci n'avaient pas les armures ni les épées qu'ils auraient voulues.

1 Macchabées 4, 7 Ils apercevaient le camp des païens, puissant et fortifié, une cavalerie qui l'environnait, bref, des gens qui avaient l'expérience de la guerre.

1 Macchabées 4, 8 Judas dit à ses hommes: "Ne craignez pas cette multitude et ne redoutez pas leur attaque.

1 Macchabées 4, 9 Rappelez-vous que nos pères furent sauvés à la mer Rouge quand Pharaon les poursuivait avec une armée,

1 Macchabées 4, 10 et maintenant crions vers le Ciel: s'il veut de nous, il se souviendra de son alliance avec nos pères et il écrasera aujourd'hui cette armée que voici devant nous.

1 Macchabées 4, 11 Alors toutes les nations reconnaîtront qu'il y a quelqu'un qui rachète et sauve Israël."

1 Macchabées 4, 12 Les étrangers levèrent leurs regards et, voyant les Juifs marcher contre eux,

1 Macchabées 4, 13 ils sortirent du camp pour livrer bataille. Les soldats de Judas sonnèrent de la trompette

1 Macchabées 4, 14 et engagèrent le combat. Les nations furent écrasées, elles s'enfuirent vers la plaine,

1 Macchabées 4, 15 mais tous les ennemis qui se trouvaient à l'arrière tombèrent sous l'épée. La poursuite atteignit Gazara et les plaines de l'Idumée, d'Azôtos et de Iamnia: 3.000 hommes environ y succombèrent.

1 Macchabées 4, 16 Revenu de la chasse qu'il venait de donner à la tête de sa troupe,

1 Macchabées 4, 17 Judas dit au peuple: "Ne soyez pas avides de butin, car un autre combat nous menace

1 Macchabées 4, 18 Gorgias et son détachement sont dans la montagne tout près de nous. Tenez tête maintenant à nos ennemis et combattez-les; après cela vous ramasserez le butin en toute sécurité."

1 Macchabées 4, 19 Judas achevait à peine sa phrase qu'une section se fit voir épiant du haut de la montagne.

1 Macchabées 4, 20 Elle constata que les leurs avaient dû fuir et que le camp avait été la proie des flammes: la fumée que l'on apercevait le manifestait encore.

1 Macchabées 4, 21 Un tel spectacle les remplit de panique. Voyant en outre dans la plaine l'armée de Judas prête au combat,

1 Macchabées 4, 22 ils s'enfuirent tous au pays des Philistins.

1 Macchabées 4, 23 Judas revint alors pour le pillage du camp. On emporta beaucoup d'or et d'argent monnayés, des étoffes teintes de pourpre violette et de pourpre marine et autres grandes richesses.

1 Macchabées 4, 24 Les Juifs, à leur retour, louaient et bénissaient le Ciel en disant: "Il est bon et son amour est éternel!"

1 Macchabées 4, 25 Une insigne délivrance s'est opérée ce jour-là en Israël.

1 Macchabées 4, 26 Ceux des étrangers qui avaient échappé vinrent annoncer à Lysias tout ce qui était arrivé.

1 Macchabées 4, 27 Cette nouvelle le bouleversa et lui fit perdre courage, car les affaires avec Israël n'avaient pas été comme il aurait voulu et le résultat était le contraire de ce qu'avait ordonné le roi.

1 Macchabées 4, 28 L'année suivante, pourtant, Lysias rassembla 60.000 hommes d'élite et 5.000 cavaliers afin de venir à bout des Juifs.

1 Macchabées 4, 29 Ils vinrent en Idumée et campèrent à Bethsour. Judas se porta à leur rencontre avec 10.000 hommes.

1 Macchabées 4, 30 Quand il vit cette armée puissante, il pria en ces termes: "Tu es béni, sauveur d'Israël, toi qui as brisé l'attaque du puissant guerrier par la main de ton serviteur David et qui as livré le camp des Philistins aux mains de Jonathan, fils de Saül, et de son écuyer.

1 Macchabées 4, 31 Enferme de la même façon cette armée entre les mains d'Israël, ton peuple; qu'ils ne retirent que honte de leurs forces et de leur cavalerie.

1 Macchabées 4, 32 Sème la panique dans leurs rangs, fais fondre l'assurance qu'ils mettent dans leur force et qu'ils soient ébranlés par leur défaite.

1 Macchabées 4, 33 Renverse-les sous l'épée de ceux qui t'aiment, et que te louent dans les hymnes tous ceux qui connaissent ton nom!"

1 Macchabées 4, 34 On en vint aux mains et il tomba de l'armée de Lysias jusqu'à 5.000 hommes, et cela dans le corps à corps.

1 Macchabées 4, 35 Voyant la déroute de son armée et l'intrépidité des soldats de Judas qui étaient prêts à vivre ou à mourir courageusement, Lysias reprit le chemin d'Antioche où il recruta des étrangers pour revenir en Judée avec plus de troupes qu'auparavant.

1 Macchabées 4, 36 Alors Judas et ses frères dirent: "Voici nos ennemis écrasés, allons purifier le sanctuaire et faire la dédicace."

1 Macchabées 4, 37 Toute l'armée s'assembla et ils montèrent au mont Sion.

1 Macchabées 4, 38 Ils virent là le lieu saint désolé, l'autel profané, les portes brûlées, des arbrisseaux poussés dans les parvis comme dans un bois ou sur une montagne, et les chambres détruites.

1 Macchabées 4, 39 Ils déchirèrent alors leurs vêtements, menèrent un grand deuil et répandirent de la cendre sur leur tête.

1 Macchabées 4, 40 Ils tombaient ensuite la face contre terre et, au signal donné par les trompettes, ils poussaient des cris vers le Ciel.

1 Macchabées 4, 41 Judas donna l'ordre à des hommes de combattre ceux qui étaient dans la Citadelle jusqu'à ce qu'il eût nettoyé le sanctuaire.

1 Macchabées 4, 42 Puis il choisit des prêtres sans tache et zélés pour la Loi,

1 Macchabées 4, 43 qui purifièrent le sanctuaire et reléguèrent en un lieu impur les pierres de la souillure.

1 Macchabées 4, 44 On délibéra sur ce qu'on devait faire de l'autel des holocaustes, qui avait été profané,

1 Macchabées 4, 45 et il leur vint l'heureuse idée de le supprimer de peur qu'il ne leur devînt un sujet d'opprobre, du fait que les païens l'avaient souillé. Ils le démolirent

1 Macchabées 4, 46 et en déposèrent les pierres sur la montagne de la Demeure en un endroit convenable, en attendant la venue d'un prophète qui se prononcerait à leur sujet.

1 Macchabées 4, 47 Ils prirent des pierres brutes, selon la Loi, et en bâtirent un autel nouveau sur le modèle du précédent.

1 Macchabées 4, 48 Ils réparèrent le sanctuaire et l'intérieur de la Demeure et sanctifièrent les parvis.

1 Macchabées 4, 49 Ayant fait de nouveaux ustensiles sacrés, ils introduisirent dans le Temple le candélabre, l'autel des parfums et la table.

1 Macchabées 4, 50 Ils firent fumer l'encens sur l'autel et allumèrent les lampes du candélabre qui brillèrent à l'intérieur du Temple.

1 Macchabées 4, 51 Ils déposèrent les pains sur la table, suspendirent les rideaux et achevèrent tout ce qu'ils avaient entrepris.

1 Macchabées 4, 52 Le 25 du neuvième mois -- nommé Kisleu -- en l'an 148, ils se levèrent au point du jour

1 Macchabées 4, 53 et offrirent un sacrifice légal sur le nouvel autel des holocaustes qu'ils avaient construit.

1 Macchabées 4, 54 L'autel fut inauguré au son des hymnes, des cithares, des lyres et des cymbales, à la même époque et le même jour que les païens l'avaient profané.

1 Macchabées 4, 55 Le peuple entier se prosterna pour adorer, puis il fit monter la louange vers le Ciel qui l'avait conduit au succès.

1 Macchabées 4, 56 Huit jours durant, ils célébrèrent la dédicace de l'autel, offrant des holocaustes avec allégresse et le sacrifice de communion et d'action de grâces.

1 Macchabées 4, 57 Ils ornèrent la façade du Temple de couronnes d'or et d'écussons, remirent à neuf les entrées ainsi que les chambres qu'ils pourvurent de portes.

1 Macchabées 4, 58 Une grande joie régna parmi le peuple et l'opprobre infligé par les païens fut effacé.

1 Macchabées 4, 59 Judas décida avec ses frères et toute l'assemblée d'Israël que les jours de la dédicace de l'autel seraient célébrés en leur temps chaque année pendant huit jours, à partir du 25 du mois de Kisleu, avec joie et allégresse.

1 Macchabées 4, 60 Ils bâtirent en ce temps-là tout autour du mont Sion des murs élevés et de fortes tours, de peur que les nations ne vinssent comme auparavant fouler ces lieux.

1 Macchabées 4, 61 Judas y plaça une garnison pour le garder. Il fortifia Bethsour pour que le peuple eût une forteresse face à l'Idumée.

1 Macchabées 5, 1 Lorsque les nations d'alentour eurent appris que l'autel avait été reconstruit et le sanctuaire rétabli comme il était auparavant, elles en furent très irritées

1 Macchabées 5, 2 et décidèrent d'exterminer les descendants de Jacob qui vivaient au milieu d'elles; elles se mirent à opérer des meurtres et des expulsions parmi le peuple.

1 Macchabées 5, 3 Judas fit la guerre aux fils d'Esaü en Idumée, au pays d'Akrabattène, parce qu'ils tenaient assiégés les Israélites. Il leur porta un grand coup, les refoula et s'empara de leurs dépouilles.

1 Macchabées 5, 4 Il se souvint aussi de la méchanceté des fils de Baïân qui étaient pour le peuple un piège et un traquenard par les embûches qu'ils lui dressaient sur les chemins.

1 Macchabées 5, 5 Les ayant bloqués dans leurs tours, il les assiégea et les voua à l'anathème; il mit le feu à ces tours et les brûla avec tous ceux qui s'y trouvaient.

1 Macchabées 5, 6 Puis il passa chez les Ammonites, chez qui il trouva une forte troupe et un peuple nombreux que commandait Timothée.

1 Macchabées 5, 7 Il leur livra de nombreux combats; ils furent écrasés devant lui et il les tailla en pièces.

1 Macchabées 5, 8 Il prit Iazèr et les villages de son ressort, et revint en Judée.

1 Macchabées 5, 9 Les nations en Galaad se coalisèrent contre les Israélites qui habitaient sur leur territoire afin de les exterminer, et ceux-ci se réfugièrent dans la forteresse de Dathéma.

1 Macchabées 5, 10 Ils envoyèrent à Judas et à ses frères des lettres ainsi conçues: "Les nations qui nous entourent sont coalisées contre nous pour nous exterminer.

1 Macchabées 5, 11 Elles se disposent à venir prendre la forteresse où nous avons trouvé un refuge et c'est Timothée qui commande leur armée.

1 Macchabées 5, 12 Viens donc maintenant nous arracher de leurs mains, car déjà nombre d'entre nous ont succombé.

1 Macchabées 5, 13 Tous nos frères établis au pays de Tobie ont été mis à mort, on a emmené en captivité leurs femmes et leurs enfants, pris leurs biens et fait périr en ces lieux environ un millier d'hommes."

1 Macchabées 5, 14 On était encore à lire ces lettres, quand arrivèrent de la Galilée d'autres messagers, les vêtements déchirés, porteurs des mêmes nouvelles:

1 Macchabées 5, 15 "De Ptolémaïs, disaient-ils, de Tyr et de Sidon, on s'est coalisé contre nous avec toute la Galilée des Nations pour nous exterminer."

1 Macchabées 5, 16 Lorsque Judas et le peuple eurent entendu ces discours, ils tinrent une grande assemblée pour délibérer sur ce qu'ils devaient faire en faveur de leurs frères en butte à la tribulation et aux attaques des ennemis.

1 Macchabées 5, 17 Judas dit à son frère Simon: "Choisis-toi des hommes et va délivrer tes frères qui sont en Galilée; moi et Jonathan, mon frère, nous irons en Galaaditide."

1 Macchabées 5, 18 Il laissa en Judée Joseph, fils de Zacharie, et Azarias, chef du peuple, avec le reste de l'armée pour faire la garde.

1 Macchabées 5, 19 Il leur donna cet ordre: "Gouvernez ce peuple et n'engagez pas de combat avec les nations jusqu'à notre retour."

1 Macchabées 5, 20 A Simon furent assignés 3.000 hommes pour aller en Galilée, à Judas 8.000 hommes pour la Galaaditide.

1 Macchabées 5, 21 Etant donc allé dans la Galilée, Simon livra plusieurs combats aux païens, qui furent balayés devant lui;

1 Macchabées 5, 22 il les poursuivit jusqu'à la porte de Ptolémaïs. Ils avaient laissé sur le terrain environ 3.000 hommes dont il recueillit les dépouilles.

1 Macchabées 5, 23 Il prit avec lui les Juifs de Galilée et d'Arbatta avec leurs femmes, leurs enfants et tout leur avoir, et les emmena en Judée au milieu d'une joie débordante.

1 Macchabées 5, 24 Cependant Judas Maccabée et Jonathan, son frère, passaient le Jourdain et marchaient trois jours dans le désert.

1 Macchabées 5, 25 Ils rencontrèrent les Nabatéens qui les accueillirent avec des sentiments pacifiques et leur racontèrent tout ce qui était arrivé à leurs frères en Galaaditide

1 Macchabées 5, 26 et comment nombre d'entre eux se trouvaient enfermés à Bosora, à Bosor, en Aléma, à Chaspho, à Maked et à Karnaïn, qui sont toutes de fortes et grandes villes.

1 Macchabées 5, 27 Il y en a aussi, (ajoutaient-ils), d'enfermés dans les autres villes de Galaaditide et leurs ennemis ont résolu pour demain d'attaquer ces places fortes, de s'en emparer et d'y exterminer en un seul jour tous ceux qui s'y trouvent.

1 Macchabées 5, 28 Brusquement, Judas fit prendre à son armée le chemin de Bosora à travers le désert. Il prit la ville et, après avoir passé tous les mâles au fil de l'épée et ramassé tout le butin, il la livra aux flammes.

1 Macchabées 5, 29 Il en repartit nuitamment et l'on marcha jusqu'aux abords de la forteresse.

1 Macchabées 5, 30 Au point du jour, en levant les yeux ils aperçurent une foule innombrable dressant des échelles et des machines pour s'emparer de la place; déjà on attaquait.

1 Macchabées 5, 31 Voyant que l'attaque était commencée et qu'une clameur immense mêlée au son des trompettes montait de la ville vers le ciel,

1 Macchabées 5, 32 Judas dit aux hommes de son armée: "Combattez aujourd'hui pour vos frères!"

1 Macchabées 5, 33 Il les fit avancer en trois corps sur les arrières de l'ennemi. Les trompettes sonnèrent et les invocations retentirent.

1 Macchabées 5, 34 Les troupes de Timothée, reconnaissant que c'était Maccabée, prirent la fuite à son approche. Celui-ci leur infligea une grande défaite, car ils laissèrent ce jour-là près de 8.000 hommes sur le terrain.

1 Macchabées 5, 35 S'étant ensuite retourné sur Aléma, il l'attaqua, la prit, et, après avoir tué tous les mâles et ramassé le butin, il la livra aux flammes.

1 Macchabées 5, 36 De là il alla s'emparer de Chaspho, de Maked, de Bosor et des autres villes de Galaaditide.

1 Macchabées 5, 37 Après ces événements Timothée rassembla une autre armée et vint camper en face de Raphôn, de l'autre côté du torrent.

1 Macchabées 5, 38 Judas envoya reconnaître le camp et on lui fit ce rapport: "Auprès de ce chef se sont groupés tous les païens qui nous entourent, formant une armée extrêmement nombreuse

1 Macchabées 5, 39 où des Arabes ont été enrôlés comme auxiliaires; ils sont campés au-delà du torrent, prêts à venir t'attaquer." Judas alla à leur rencontre.

1 Macchabées 5, 40 Mais Timothée dit aux commandants de son armée, au moment où Judas et sa troupe approchaient du cours d'eau: "S'il passe vers nous le premier, nous ne pourrons lui résister, parce qu'il aura un grand avantage sur nous;

1 Macchabées 5, 41 mais s'il a peur et campe de l'autre côté du fleuve, nous traverserons en face de lui et nous le vaincrons."

1 Macchabées 5, 42 Lorsqu'il arriva près du cours d'eau, Judas posta le long du torrent les scribes du peuple et leur donna cette consigne: "Ne laissez personne dresser sa tente, mais que tous marchent au combat!"

1 Macchabées 5, 43 Il traversa le premier et marcha sur l'ennemi; tout le peuple le suivit. Il écrasa devant lui tous les païens, qui jetèrent leurs armes et coururent chercher refuge dans le sanctuaire de Karnaïn.

1 Macchabées 5, 44 Les Juifs s'emparèrent d'abord de la ville, puis brûlèrent le temple avec tous ceux qui étaient dedans. Karnaïn fut renversée et désormais on ne put résister à Judas.

1 Macchabées 5, 45 Judas rassembla tous les Israélites qui étaient en Galaaditide, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, avec leurs femmes, leurs enfants et leurs bagages, une troupe immense en route vers le pays de Juda.

1 Macchabées 5, 46 Ils arrivèrent à Ephrôn, ville importante et très forte située sur le chemin. Comme on ne pouvait la tourner ni sur la droite ni sur la gauche, il ne restait qu'à la traverser.

1 Macchabées 5, 47 Les habitants leur refusèrent le passage et bloquèrent les portes avec des pierres.

1 Macchabées 5, 48 Judas leur envoya un message conçu en ces termes pacifiques: "Nous allons traverser votre pays pour aller dans le nôtre; nul ne vous fera de mal, nous ne ferons que passer en piétons." Mais ils refusèrent de lui ouvrir.

1 Macchabées 5, 49 Judas fit alors publier dans les rangs que chacun gardât la position où il était.

1 Macchabées 5, 50 Les braves de l'armée prirent position. Judas fit donner l'assaut tout le jour et toute la nuit et la ville tomba en son pouvoir.

1 Macchabées 5, 51 Il fit passer tous les mâles au fil de l'épée, détruisit la ville jusqu'aux fondements, en ravit les dépouilles et traversa la place sur le corps des tués.

1 Macchabées 5, 52 Ils franchirent le Jourdain pour entrer dans la Grande Plaine en face de Bethsân.

1 Macchabées 5, 53 Judas s'employait à rallier les traînards et à encourager le peuple tout le long de la route jusqu'à son arrivée au pays de Judas.

1 Macchabées 5, 54 Ils gravirent le mont Sion avec joie et allégresse et offrirent des holocaustes parce qu'ils étaient revenus en paix sans perdre aucun des leurs.

1 Macchabées 5, 55 Pendant que Judas et Jonathan étaient au pays de Galaad, et Simon, son frère, en Galilée devant Ptolémaïs,

1 Macchabées 5, 56 Joseph, fils de Zacharie, et Azarias, chefs de l'armée, apprirent leurs gestes de bravoure et les combats qu'ils avaient livrés,

1 Macchabées 5, 57 et ils se dirent: "Faisons-nous un nom, nous aussi, et allons combattre les nations qui sont autour de nous."

1 Macchabées 5, 58 Ils donnèrent des ordres aux forces qu'ils commandaient et marchèrent sur Iamnia.

1 Macchabées 5, 59 Gorgias et ses hommes sortirent de la ville à leur rencontre pour leur livrer combat.

1 Macchabées 5, 60 Joseph et Azarias furent mis en fuite et poursuivis jusqu'aux frontières de la Judée. Il périt ce jour-là environ 2.000 hommes du peuple d'Israël.

1 Macchabées 5, 61 Ce fut une grande déroute parmi le peuple, parce qu'ils n'avaient pas écouté Judas ni ses frères, s'imaginant qu'ils se signaleraient par leur bravoure.

1 Macchabées 5, 62 Mais ils n'étaient pas de la race de ces hommes à qui il était donné de sauver Israël.

1 Macchabées 5, 63 Le noble Judas et ses frères furent en grand honneur devant tout Israël et toutes les nations où l'on entendait prononcer leur nom,

1 Macchabées 5, 64 les foules se pressaient autour d'eux pour les acclamer.

1 Macchabées 5, 65 Judas avec ses frères partit en guerre contre les fils d'Esaü dans la région du midi; il prit de force Hébron et les villages de son ressort, abattit ses fortifications et livra au feu les tours de son enceinte.

1 Macchabées 5, 66 Ayant levé son camp, il partit pour gagner le pays des Philistins et traversa Marisa.

1 Macchabées 5, 67 Ce jour-là périrent dans le combat des prêtres qui voulaient y signaler leur bravoure en prenant part imprudemment à la lutte.

1 Macchabées 5, 68 Judas se dirigea ensuite sur Azôtos, district des Philistins, renversa leurs autels, livra au feu les images taillées de leurs dieux, y soumit les villes à un pillage en règle et revint au pays de Juda.

1 Macchabées 6, 1 Cependant le roi Antiochus parcourait les provinces d'en haut. Il apprit qu'il y avait en Perse une ville du nom d'Elymaïs, fameuse par ses richesses, son argent et son or,

1 Macchabées 6, 2 avec un temple très riche renfermant des pièces d'armure en or, des cuirasses et des armes qu'y avait laissées Alexandre, fils de Philippe, roi de Macédoine, qui régna le premier sur les Grecs.

1 Macchabées 6, 3 Il vint donc tenter de prendre cette ville pour la piller, mais il n'y réussit pas, les gens de la ville ayant eu connaissance de la chose.

1 Macchabées 6, 4 Ils s'opposèrent à lui les armes à la main. Il fut mis en fuite et quitta les lieux avec beaucoup de tristesse pour regagner Babylone.

1 Macchabées 6, 5 Il était encore en Perse quand on vint lui annoncer la déroute des armées qui étaient entrées dans le pays de Juda.

1 Macchabées 6, 6 Lysias, en particulier, s'étant avancé avec une forte armée, avait dû fuir devant les Juifs devenus plus redoutables grâce aux armes, aux ressources et à la quantité de dépouilles enlevées aux armées vaincues;

1 Macchabées 6, 7 ceux-ci avaient renversé l'Abomination construite par lui sur l'autel à Jérusalem et entouré leur lieu saint de hautes murailles comme auparavant, ainsi que Bethsour, une de ses villes.

1 Macchabées 6, 8 A ces nouvelles, le roi, frappé de stupeur, fut en proie à une violente agitation: il se jeta sur sa couche et tomba malade de chagrin parce que les choses ne s'étaient pas passées selon ses désirs.

1 Macchabées 6, 9 Il demeura là plusieurs jours, retombant sans cesse dans une profonde mélancolie. Lorsqu'il se vit sur le point de mourir,

1 Macchabées 6, 10 il convoqua tous ses amis et leur dit: "Le sommeil s'est retiré de mes yeux et mon coeur est abattu par l'inquiétude.

1 Macchabées 6, 11 Je me suis dit à moi-même: A quelle affliction suis-je réduit et en quel flot de tristesse suis-je maintenant plongé? Moi qui étais bon et aimé au temps de ma puissance!

1 Macchabées 6, 12 Mais à cette heure je me souviens des maux dont j'ai été l'auteur à Jérusalem, quand je pris tous les objets d'argent et d'or qui s'y trouvaient et que j'envoyai exterminer sans motif les habitants de Juda.

1 Macchabées 6, 13 Je reconnais donc que c'est à cause de cela que ces malheurs m'ont atteint et que je meurs d'une profonde affliction sur une terre étrangère!"

1 Macchabées 6, 14 Il fit appeler Philippe, un de ses amis, et l'établit sur tout le royaume.

1 Macchabées 6, 15 Il lui donna son diadème, sa robe et son sceau, pour qu'il prît soin de l'éducation et de l'entretien d'Antiochus, son fils, en vue du trône.

1 Macchabées 6, 16 Le roi Antiochus mourut en ce lieu, l'année 149.

1 Macchabées 6, 17 Lysias, à la nouvelle de sa mort, lui donna pour successeur son fils Antiochus qu'il avait élevé depuis son enfance et qu'il surnomma Eupator.

1 Macchabées 6, 18 Les gens de la Citadelle bloquaient Israël autour du sanctuaire et s'ingéniaient à lui faire du mal en toute occasion, et à soutenir les païens.

1 Macchabées 6, 19 Résolu à les exterminer, Judas convoqua tout le peuple pour les assiéger.

1 Macchabées 6, 20 On se rassembla et l'on mit le siège devant la Citadelle en l'an 150; on construisit des batteries et des machines.

1 Macchabées 6, 21 Mais des assiégés rompirent le blocus, et avec eux des Israélites impies,

1 Macchabées 6, 22 qui allèrent chez le roi et lui dirent: "Jusqu'à quand tarderas-tu à nous rendre justice et à venger nos frères?

1 Macchabées 6, 23 Nous avons consenti volontiers à servir ton père, à nous conduire selon ses ordres et à observer ses édits;

1 Macchabées 6, 24 à cause de cela nos concitoyens nous ont pris en aversion. Bien plus, ils ont tué tous ceux d'entre nous qui sont tombés entre leurs mains et ont pillé nos héritages.

1 Macchabées 6, 25 Ils ont porté la main non seulement sur nous mais encore sur tous tes territoires.

1 Macchabées 6, 26 Voici qu'ils investissent aujourd'hui la Citadelle de Jérusalem pour s'en rendre maîtres et qu'ils ont fortifié le sanctuaire et Bethsour.

1 Macchabées 6, 27 Si tu ne te hâtes pas de les prévenir, ils en feront encore davantage et tu ne pourras plus les arrêter."

1 Macchabées 6, 28 A ces mots, le roi se mit en colère et réunit tous ses amis, les chefs de son armée et les maréchaux.

1 Macchabées 6, 29 Des autres royaumes et des îles de la mer il lui vint aussi des troupes mercenaires.

1 Macchabées 6, 30 Le nombre de ses forces s'éleva à 100.000 fantassins, 20.000 cavaliers et 32 éléphants dressés au combat.

1 Macchabées 6, 31 Ils vinrent par l'Idumée et assiégèrent Bethsour qu'ils combattirent longtemps à l'aide de machines. Mais les autres, opérant des sorties, y mettaient le feu et luttaient vaillamment.

1 Macchabées 6, 32 Alors Judas partit de la Citadelle et vint camper à Bethzacharia en face du camp royal.

1 Macchabées 6, 33 Le roi, debout de grand matin, enleva sa troupe d'un bond sur le chemin de Bethzacharia où les armées prirent leur position de combat et sonnèrent de la trompette.

1 Macchabées 6, 34 On exposa à la vue des éléphants du jus de raisin et de mûre pour les disposer à l'attaque.

1 Macchabées 6, 35 Les bêtes furent réparties parmi les phalanges. Près de chaque éléphant on rangea mille hommes cuirassés de cottes de mailles et coiffés de casques de bronze, sans compter 500 cavaliers d'élite affectés à chaque bête.

1 Macchabées 6, 36 Ceux-ci prévenaient tous les mouvements de la bête et l'accompagnaient partout sans jamais s'en éloigner.

1 Macchabées 6, 37 Sur chaque éléphant, comme appareil défensif, une solide tour de bois était assujettie par des sangles, et dans chacune se trouvaient les trois guerriers combattant sur les bêtes, en plus de leur cornac.

1 Macchabées 6, 38 Quant au reste de la cavalerie, le roi la répartit sur les deux flancs de l'armée pour harceler l'ennemi et couvrir les phalanges.

1 Macchabées 6, 39 Lorsque le soleil frappa de ses rayons les boucliers d'or et d'airain, les montagnes en furent illuminées et brillèrent comme des flambeaux allumés.

1 Macchabées 6, 40 Une partie de l'armée royale se déploya sur les hauts de la montagne et une autre en contrebas; ils avançaient en formation solide et ordonnée.

1 Macchabées 6, 41 Tous étaient troublés en entendant les clameurs de cette multitude, le bruit de sa marche et le fracas de ses armes, armée immense et forte s'il en fut.

1 Macchabées 6, 42 Judas et sa troupe s'avancèrent pour engager le combat, et 600 hommes de l'armée du roi succombèrent.

1 Macchabées 6, 43 Eléazar surnommé Auârân aperçut alors une des bêtes caparaçonnée d'un harnais royal et surpassant toutes les autres par la taille. S'imaginant que le roi était dessus,

1 Macchabées 6, 44 il se sacrifia pour sauver son peuple et acquérir un nom immortel.

1 Macchabées 6, 45 Il eut la hardiesse de courir sur la bête au milieu de la phalange, tuant à droite et à gauche, si bien que, devant lui, les ennemis s'écartèrent de part et d'autre.

1 Macchabées 6, 46 S'étant glissé sous l'éléphant, il le frappa par en dessous et le tua. La bête s'écroula à terre sur Eléazar qui mourut sur place.

1 Macchabées 6, 47 Les Juifs, voyant les forces du royaume et l'impétuosité des troupes, se retirèrent devant elles.

1 Macchabées 6, 48 L'armée royale monta au-devant des Juifs à Jérusalem, et le roi mit en état de siège la Judée et le mont Sion,

1 Macchabées 6, 49 tandis qu'il faisait la paix avec ceux de Bethsour qui évacuèrent la ville: ils n'avaient pas de vivres pour soutenir un siège, car c'était l'année sabbatique accordée à la terre.

1 Macchabées 6, 50 Le roi prit Bethsour et y plaça une garnison pour la garder.

1 Macchabées 6, 51 Il assiégea assez longtemps le sanctuaire, dressant contre lui batteries et machines, lance-flammes et balistes, scorpions pour flèches et frondes.

1 Macchabées 6, 52 Les assiégés aussi dressèrent des machines contre celles des assiégeants et l'on combattit longtemps.

1 Macchabées 6, 53 Mais il n'y avait pas de vivres dans les dépôts parce que c'était la septième année et que les Israélites ramenés en Judée du milieu des nations avaient consommé les dernières réserves.

1 Macchabées 6, 54 On laissa peu d'hommes dans le saint lieu parce qu'on était en proie à la famine; les autres se dispersèrent chacun chez soi.

1 Macchabées 6, 55 Philippe, que le roi Antiochus avait de son vivant choisi pour élever Antiochus, son fils, en vue du trône,

1 Macchabées 6, 56 était revenu de Perse et de Médie avec les troupes qui avaient accompagné le roi, et cherchait à s'emparer de la direction des affaires.

1 Macchabées 6, 57 Lysias n'eut rien de plus pressé que de signifier le départ. Il dit au roi, aux généraux de l'armée et aux hommes: "Nous dépérissons chaque jour, notre ration se fait maigre et le lieu que nous assiégeons est bien fortifié. Du reste, les affaires du royaume nous attendent.

1 Macchabées 6, 58 Donnons donc la main droite à ces hommes, faisons la paix avec eux et avec toute leur nation.

1 Macchabées 6, 59 Accordons-leur de vivre suivant leurs coutumes comme auparavant, car c'est à cause des coutumes que nous avons abolies qu'ils se sont irrités et ont fait tout cela."

1 Macchabées 6, 60 Le roi et les chefs approuvant ce motif, il envoya traiter de la paix avec les Juifs, qui acceptèrent.

1 Macchabées 6, 61 Le roi et les chefs confirmèrent l'accord par serment et là-dessus les assiégés sortirent de la forteresse.

1 Macchabées 6, 62 Alors le roi entra au mont Sion et, voyant la force de ce lieu, il viola le serment qu'il avait prêté et donna l'ordre de démanteler toute l'enceinte.

1 Macchabées 6, 63 Puis il partit en toute hâte et retourna à Antioche où il trouva Philippe maître de la ville. Il lui livra bataille et s'empara de la ville par la force.

1 Macchabées 7, 1 L'année 151, Démétrius fils de Séleucus quitta Rome, et aborda avec un petit nombre d'hommes dans une ville maritime où il inaugura son règne.

1 Macchabées 7, 2 Il arriva, comme il gagnait la résidence royale de ses pères, que l'armée se saisit d'Antiochus et de Lysias pour les lui amener.

1 Macchabées 7, 3 Lorsqu'il eut connaissance de la chose, il dit: "Ne me faites point voir leur visage."

1 Macchabées 7, 4 L'armée les tua et Démétrius s'assit sur son trône.

1 Macchabées 7, 5 Alors tous les hommes d'Israël sans loi ni piété vinrent le trouver, conduits par Alkime, qui voulait exercer la charge de grand prêtre.

1 Macchabées 7, 6 Ils accusèrent le peuple devant le roi en disant: "Judas et ses frères ont fait périr tous tes amis et il nous a expulsés de notre pays.

1 Macchabées 7, 7 Envoie donc maintenant un homme en qui tu aies confiance: qu'il aille voir tous les ravages que Judas a exercés parmi nous et dans les domaines du roi, pour qu'il punisse ces gens-là et tous ceux qui leur viennent en aide."

1 Macchabées 7, 8 Le souverain choisit Bacchidès, un des amis du roi, gouverneur de la Transeuphratène, grand du royaume et fidèle au roi.

1 Macchabées 7, 9 Il l'envoya avec l'impie Alkime, à qui il confirma le sacerdoce, et lui enjoignit de tirer vengeance des Israélites.

1 Macchabées 7, 10 S'étant mis en route, ils vinrent avec une nombreuse armée au pays de Juda. Ils envoyèrent à Judas et à ses frères des messagers porteurs de propositions pacifiques mais trompeuses.

1 Macchabées 7, 11 Mais eux n'accordèrent aucun crédit à leurs discours, voyant qu'ils étaient venus avec une forte armée.

1 Macchabées 7, 12 Cependant une commission de scribes se réunit chez Alkime et Bacchidès pour chercher une solution équitable.

1 Macchabées 7, 13 Les Assidéens étaient les premiers d'entre les Israélites à leur demander la paix;

1 Macchabées 7, 14 ils disaient: "C'est un prêtre de la race d'Aaron qui est venu avec les troupes: il ne nous fera pas de mal."

1 Macchabées 7, 15 Il leur tint des discours pacifiques et leur assura sous serment: "Nous ne chercherons à vous faire aucun mal, pas plus qu'à vos amis."

1 Macchabées 7, 16 Ils le crurent, et cependant il fit arrêter 60 d'entre eux, qu'il exécuta le même jour, suivant la parole de l'Ecriture:

1 Macchabées 7, 17 Ils ont dispersé la chair de tes saints et répandu leur sang autour de Jérusalem, et il n'y avait personne qui les ensevelît.

1 Macchabées 7, 18 Alors la crainte et la terreur s'emparèrent de tout le peuple: "Il n'y a chez eux, disait-on, ni vérité ni justice, car ils ont violé leur engagement et le serment qu'ils avaient fait."

1 Macchabées 7, 19 Bacchidès partit de Jérusalem et vint camper à Bethzeth, d'où il envoya arrêter nombre de personnages qui avaient passé de son côté avec quelques-uns du peuple; il les égorgea et les jeta dans le grand puits.

1 Macchabées 7, 20 Il remit ensuite la province à Alkime, laissant avec lui une armée pour le soutenir. Bacchidès s'en revint chez le roi.

1 Macchabées 7, 21 Alkime soutint la lutte pour la dignité de grand prêtre.

1 Macchabées 7, 22 Tous ceux qui troublaient le peuple se groupèrent autour de lui, se rendirent maîtres du pays de Juda et firent beaucoup de mal en Israël.

1 Macchabées 7, 23 Voyant que toute la malfaisance d'Alkime et de ses partisans contre les Israélites surpassait celle des nations,

1 Macchabées 7, 24 Judas parcourut à la ronde tout le territoire de la Judée pour tirer vengeance des transfuges et les empêcher de circuler à travers la contrée.

1 Macchabées 7, 25 Lorsqu'il vit que Judas et ses partisans étaient devenus plus forts et qu'il se reconnut impuissant à leur résister, Alkime retourna chez le roi et les accusa des pires méfaits.

1 Macchabées 7, 26 Le roi envoya Nikanor, un de ses généraux du rang des illustres, haineux et hostile à l'égard d'Israël, avec mission d'exterminer le peuple.

1 Macchabées 7, 27 Arrivé à Jérusalem avec une armée nombreuse, Nikanor fit adresser à Judas et à ses frères des propositions pacifiques insidieuses ainsi conçues:

1 Macchabées 7, 28 "Qu'il n'y ait pas de guerre entre vous et moi; je viendrai avec une faible escorte pour vous rencontrer en paix."

1 Macchabées 7, 29 Il arriva chez Judas et ils se saluèrent l'un l'autre pacifiquement, mais les ennemis étaient prêts à enlever Judas.

1 Macchabées 7, 30 S'apercevant qu'il était venu chez lui avec des intentions perfides, Judas eut peur de lui et ne voulut plus le voir.

1 Macchabées 7, 31 Nikanor reconnut alors que son dessein était découvert, et marcha contre Judas pour le combattre près de Chapharsalama.

1 Macchabées 7, 32 Du côté de Nikanor, 500 hommes environ succombèrent et les autres s'enfuirent dans la Cité de David.

1 Macchabées 7, 33 Après ces événements, Nikanor monta au mont Sion. Des prêtres sortirent du lieu saint avec des anciens du peuple pour le saluer pacifiquement et lui montrer l'holocauste qui s'offrait pour le roi.

1 Macchabées 7, 34 Mais lui se moqua d'eux, les tourna en dérision, les souilla et se répandit en paroles insolentes.

1 Macchabées 7, 35 Dans un accès de colère, il proféra ce serment: "Si Judas n'est pas cette fois livré entre mes mains avec son armée, dès que je serai revenu, la paix rétablie, je brûlerai cet édifice!" Il sortit furieux.

1 Macchabées 7, 36 Les prêtres rentrèrent et, s'arrêtant devant l'autel et le Temple, ils dirent avec larmes:

1 Macchabées 7, 37 C'est toi qui as choisi cette Maison pour qu'elle porte ton nom afin qu'elle fût pour ton peuple une demeure de prière et de supplication;

1 Macchabées 7, 38 exerce ta vengeance sur cet homme et sur son armée, qu'ils tombent sous l'épée! Souviens-toi de leurs blasphèmes et ne leur accorde pas de relâche!"

1 Macchabées 7, 39 Nikanor quittant Jérusalem alla camper à Bethorôn où vint le rejoindre une armée de Syrie.

1 Macchabées 7, 40 Judas, de son côté, campa en Adasa avec 3.000 hommes. Il fit alors cette prière:

1 Macchabées 7, 41 "Lorsque les messagers du roi eurent blasphémé, ton ange sortit et frappa 185.000 des siens.

1 Macchabées 7, 42 Ecrase de même aujourd'hui en notre présence cette armée, afin que tous les autres sachent qu'il a tenu un langage impie contre ton sanctuaire, et juge-le selon sa méchanceté!"

1 Macchabées 7, 43 Les armées se livrèrent bataille le treize du mois de Adar, celle de Nikanor fut écrasée et lui-même tué le premier dans le combat.

1 Macchabées 7, 44 Quand ils le virent tomber, les soldats de Nikanor jetèrent leurs armes et prirent la fuite.

1 Macchabées 7, 45 Les Juifs les poursuivirent une journée de chemin, depuis Adasa jusqu'aux abords de Gazara, sonnant derrière eux les trompettes en fanfare.

1 Macchabées 7, 46 De tous les villages judéens à la ronde on sortait pour encercler les fuyards qui se retournaient les uns sur les autres. Tous tombèrent par l'épée et pas un seul n'en réchappa.

1 Macchabées 7, 47 Les dépouilles et le butin ramassés, on coupa la tête de Nikanor et la main droite qu'il avait insolemment dressée; elles furent apportées et dressées en vue de Jérusalem.

1 Macchabées 7, 48 Le peuple fut rempli de joie et fêta ce jour-là comme une grande journée d'allégresse.

1 Macchabées 7, 49 On décréta que ce jour serait célébré chaque année le treize Adar.

1 Macchabées 7, 50 Le pays de Juda fut en repos pendant un peu de temps.

1 Macchabées 8, 1 Or Judas entendit parler des Romains. Ils étaient, disait-on, puissants, bienveillants aussi envers tous ceux qui s'attachaient à leur cause, accordant leur amitié à quiconque s'adressait à eux.

1 Macchabées 8, 2 (Leur puissance en effet était fort grande.) On lui raconta leurs guerres et les exploits qu'ils avaient accomplis chez les Gaulois, comment ils s'étaient rendus maîtres de ce peuple et l'avaient soumis au tribut,

1 Macchabées 8, 3 tout ce qu'ils avaient fait dans le pays d'Espagne pour s'emparer des mines d'argent et d'or qui s'y trouvaient,

1 Macchabées 8, 4 comment ils avaient eu raison de tout ce pays grâce à leur esprit averti et à leur persévérance (car l'endroit était fort éloigné de chez eux); il en avait été de même des rois venus pour les attaquer des extrémités de la terre, ils les avaient écrasés, leur infligeant un grand désastre, tandis que les autres leur apportaient un tribut annuel;

1 Macchabées 8, 5 enfin ils avaient abattu par les armes Philippe, Persée, roi des Kitiens, et les autres qui s'étaient levés contre eux, et ils les avaient soumis.

1 Macchabées 8, 6 Antiochus le Grand, roi de l'Asie, qui s'était avancé pour les combattre avec 120 éléphants, de la cavalerie, des chars et une armée considérable, avait été entièrement défait par eux

1 Macchabées 8, 7 et capturé vivant. A lui et à ses successeurs sur le trône étaient imposés, à termes fixés, le paiement d'un lourd tribut et la livraison d'otages.

1 Macchabées 8, 8 On lui enlevait le pays indien, la Médie, la Lydie et quelques-unes de ses plus belles provinces au profit du roi Eumène.

1 Macchabées 8, 9 Ceux de la Grèce ayant formé le dessein d'aller les exterminer,

1 Macchabées 8, 10 les Romains, l'ayant su, avaient envoyé contre eux un seul général; ils leur firent une guerre où tombèrent un grand nombre de victimes, ils emmenèrent en captivité femmes et enfants, ils pillèrent leurs biens, assujettirent leurs pays, détruisirent leurs forteresses et réduisirent leurs personnes en servitude comme elles le sont encore aujourd'hui.

1 Macchabées 8, 11 Quant aux autres royaumes et aux îles qui leur avaient résisté, les Romains les avaient détruits et asservis.

1 Macchabées 8, 12 Mais à leurs amis et à ceux qui se reposent sur eux, ils ont gardé leur amitié. Ils ont assujetti les rois voisins et les rois éloignés, tous ceux qui entendent leur nom les redoutent.

1 Macchabées 8, 13 Tous ceux à qui ils veulent prêter secours et conférer la royauté, règnent; ils déposent au contraire qui il leur plaît: ils ont atteint une puissance considérable.

1 Macchabées 8, 14 Malgré tout cela aucun d'entre eux n'a ceint le diadème ni revêtu la pourpre pour en tirer gloire.

1 Macchabées 8, 15 Ils se sont créé un conseil où chaque jour délibèrent 320 membres continuellement occupés du peuple pour le maintenir en bon ordre.

1 Macchabées 8, 16 Ils confient chaque année à un seul homme le pouvoir et la domination sur tout leur empire: tous obéissent à ce seul homme sans qu'il y ait d'envie ou de jalousie parmi eux.

1 Macchabées 8, 17 Ayant choisi Eupolème, fils de Jean, de la maison d'Akkôs, et Jason, fils d'Eléazar, Judas les envoya à Rome conclure avec les Romains amitié et alliance,

1 Macchabées 8, 18 et obtenir d'être délivrés du joug, car ils voyaient que la royauté des Grecs réduisait Israël en servitude.

1 Macchabées 8, 19 Ils arrivèrent à Rome au bout d'un très long voyage et, entrés au Sénat, ils prirent la parole en ces termes:

1 Macchabées 8, 20 "Judas, dit Maccabée, et ses frères avec le peuple juif nous ont envoyés vers vous pour conclure avec vous un traité d'alliance et de paix et pour être inscrits au nombre de vos alliés et de vos amis."

1 Macchabées 8, 21 La requête plut aux sénateurs.

1 Macchabées 8, 22 Voici la copie de la lettre qu'ils gravèrent sur des tables de bronze et envoyèrent à Jérusalem pour y être chez les Juifs un document de paix et d'alliance:

1 Macchabées 8, 23 "Prospérité aux Romains et à la nation des Juifs sur mer et sur terre à jamais! Loin d'eux le glaive et l'ennemi!

1 Macchabées 8, 24 S'il arrive une guerre, à Rome d'abord, ou à quelqu'un de ses alliés sur toute l'étendue de sa domination,

1 Macchabées 8, 25 la nation des Juifs combattra avec elle, suivant ce que lui dicteront les circonstances, de tout coeur;

1 Macchabées 8, 26 ils ne donneront aux adversaires et ne leur fourniront ni blé, ni armes, ni argent, ni vaisseaux: ainsi en a décidé Rome, et ils garderont leurs engagements sans recevoir de garantie.

1 Macchabées 8, 27 De même, s'il arrive d'abord une guerre à la nation des Juifs, les Romains combattront avec elle de toute leur âme, suivant ce que leur dicteront les circonstances.

1 Macchabées 8, 28 Il ne sera donné aux assaillants ni blé, ni armes, ni argent, ni vaisseaux: ainsi en a décidé Rome, et ils garderont leurs engagements sans dol.

1 Macchabées 8, 29 C'est en ces termes que les Romains ont conclu leur convention avec le peuple des Juifs.

1 Macchabées 8, 30 Que si, dans la suite, les uns et les autres décident d'y ajouter ou en retrancher quelque chose, ils le feront à leur gré et ce qu'ils auront ajouté ou retranché sera obligatoire.

1 Macchabées 8, 31 Au sujet des maux que le roi Démétrius leur a causés, nous lui avons écrit en ces termes: Pourquoi fais-tu peser ton joug sur les Juifs, nos amis alliés?

1 Macchabées 8, 32 Si donc ils t'accusent encore, nous soutiendrons leurs droits et nous te combattrons sur mer et sur terre."

1 Macchabées 9, 1 Cependant Démétrius, ayant appris que Nikanor avait succombé avec son armée dans le combat, envoya de nouveau au pays de Juda Bacchidès et Alkime, à la tête de l'aile droite.

1 Macchabées 9, 2 Ceux-ci prirent le chemin de la Galilée et assiégèrent Mésaloth au territoire d'Arbèles et, s'en étant emparés, ils y tuèrent un grand nombre d'habitants.

1 Macchabées 9, 3 Le premier mois de l'année 152, ils dressèrent leur camp devant Jérusalem,

1 Macchabées 9, 4 puis ils partirent et allèrent à Béerzeth avec 20.000 fantassins et 2.000 cavaliers.

1 Macchabées 9, 5 Judas avait établi son camp à Eléasa, ayant avec lui 3.000 guerriers d'élite.

1 Macchabées 9, 6 A la vue du grand nombre des ennemis, ils furent pris de frayeur et beaucoup s'échappèrent du camp, où il ne resta plus que 800 hommes.

1 Macchabées 9, 7 Judas vit que son armée s'était dérobée alors que le combat le pressait; son coeur en fut brisé parce qu'il n'avait plus le temps de rassembler les siens.

1 Macchabées 9, 8 Dans son désarroi, il dit cependant à ceux qui étaient restés: "Debout! marchons contre nos adversaires si par hasard nous pouvons les combattre."

1 Macchabées 9, 9 Eux l'en dissuadaient: "Nous ne pouvons, disaient-ils, rien d'autre pour le moment que sauver notre vie, quitte à revenir avec nos frères pour reprendre la lutte. Nous sommes vraiment trop peu."

1 Macchabées 9, 10 Judas répliqua: "Loin de moi d'agir ainsi et de fuir devant eux. Si notre heure est arrivée, mourons bravement pour nos frères et ne laissons rien à reprendre à notre gloire."

1 Macchabées 9, 11 L'armée sortit du camp et s'arrêta face à l'ennemi. La cavalerie fut partagée en deux escadrons, les frondeurs et les archers marchaient sur le front de l'armée ainsi que les troupes de choc, tous les vaillants.

1 Macchabées 9, 12 Bacchidès se tenait à l'aile droite, la phalange s'avança des deux côtés au son de la trompette. Ceux du côté de Judas sonnèrent aussi la trompette

1 Macchabées 9, 13 et la terre fut ébranlée par la clameur des armées. Le combat s'engagea le matin et dura jusqu'au soir.

1 Macchabées 9, 14 Judas s'aperçut que Bacchidès et le fort de son armée se trouvaient à droite: autour de lui se groupèrent tous les hommes de coeur,

1 Macchabées 9, 15 l'aile droite fut écrasée par eux et ils la poursuivirent jusqu'aux monts Azâra.

1 Macchabées 9, 16 Cependant, voyant que l'aile droite était enfoncée, les Syriens de l'aile gauche se rabattirent sur les talons de Judas et de ses compagnons, les prenant à revers.

1 Macchabées 9, 17 La lutte devint acharnée et, de part et d'autre, un grand nombre tombèrent frappés.

1 Macchabées 9, 18 Judas succomba lui aussi, et le reste prit la fuite.

1 Macchabées 9, 19 Jonathan et Simon enlevèrent leur frère Judas et l'ensevelirent au tombeau de ses pères à Modîn.

1 Macchabées 9, 20 Tout Israël le pleura et mena sur lui un grand deuil, redisant plusieurs jours cette lamentation:

1 Macchabées 9, 21 "Comment est-il tombé, le héros qui sauvait Israël?"

1 Macchabées 9, 22 Le reste des actions de Judas, de ses guerres, des exploits qu'il accomplit et de ses titres de gloire n'a pas été écrit; il y en avait trop.

1 Macchabées 9, 23 Après la mort de Judas, les sans-loi se montrèrent sur tout le territoire d'Israël et tous les artisans d'iniquité reparurent.

1 Macchabées 9, 24 Comme en ces jours-là sévissait une très grande disette, le pays passa de leur côté.

1 Macchabées 9, 25 Bacchidès choisit à dessein les hommes impies pour administrer le pays.

1 Macchabées 9, 26 Ceux-ci exerçaient sur les amis de Judas perquisitions et enquêtes, puis les faisaient comparaître devant Bacchidès qui les punissait et les tournait en dérision.

1 Macchabées 9, 27 Il sévit alors en Israël une oppression telle qu'il ne s'en était pas produite de pareille depuis le jour où l'on n'y avait plus vu de prophète.

1 Macchabées 9, 28 Alors tous les amis de Judas se rassemblèrent et dirent à Jonathan:

1 Macchabées 9, 29 "Depuis que ton frère Judas est mort, il ne se trouve plus d'homme semblable à lui pour s'opposer à nos ennemis, les Bacchidès et quiconque hait notre nation.

1 Macchabées 9, 30 Nous te choisissons donc aujourd'hui même pour être à sa place notre chef et notre guide dans la lutte que nous avons entreprise."

1 Macchabées 9, 31 C'est à ce moment-là que Jonathan prit le commandement et la succession de son frère Judas.

1 Macchabées 9, 32 Bacchidès, l'ayant appris, cherchait à faire périr Jonathan.

1 Macchabées 9, 33 Celui-ci, en ayant eu connaissance, ainsi que son frère Simon et tous ceux qui l'accompagnaient s'enfuirent au désert de Thékoé et campèrent près de l'eau de la citerne Asphar.

1 Macchabées 9, 34 (Bacchidès le sut le jour du sabbat et vint lui aussi avec toute son armée au-delà du Jourdain.)

1 Macchabées 9, 35 Jonathan envoya son frère qui commandait à la troupe demander à ses amis les Nabatéens de mettre en dépôt chez eux ses bagages qui étaient considérables.

1 Macchabées 9, 36 Mais les fils de Amraï, ceux de Médaba, sortirent, s'emparèrent de Jean et de tout ce qu'il avait et partirent avec leur butin.

1 Macchabées 9, 37 Après ces événements, on annonça à Jonathan et à Simon, son frère, que les fils de Amraï célébraient une grande noce et amenaient en grande pompe depuis Nabatha la fiancée, fille d'un des grands personnages de Canaan.

1 Macchabées 9, 38 Ils se souvinrent alors de la fin sanglante de leur frère Jean, et montèrent se cacher sous l'abri de la montagne.

1 Macchabées 9, 39 En levant les yeux ils virent paraître, au milieu d'un bruit confus, un nombreux équipage, puis le fiancé, ses amis et ses frères s'avançant au-devant du cortège avec des tambourins, des musiques et un riche équipement guerrier.

1 Macchabées 9, 40 De leur embuscade les Juifs se jetèrent sur eux et les massacrèrent, faisant de nombreuses victimes, tandis que les survivants fuyaient vers la montagne, et que toutes leurs dépouilles étaient emportées.

1 Macchabées 9, 41 Ainsi les noces se changèrent en deuil et les accents musicaux en lamentations.

1 Macchabées 9, 42 Ayant vengé de la sorte le sang de leur frère, ils revinrent aux rives fangeuses du Jourdain.

1 Macchabées 9, 43 Bacchidès, l'ayant appris, vint le jour du sabbat jusqu'aux berges du Jourdain avec une nombreuse armée.

1 Macchabées 9, 44 Alors Jonathan dit à ses gens: "Debout! Luttons pour nos vies, car aujourd'hui ce n'est pas comme hier et avant-hier.

1 Macchabées 9, 45 Voici que nous avons le combat en face de nous et derrière nous, ici l'eau du Jourdain, là le marais et le fourré, il n'y a pas où battre en retraite.

1 Macchabées 9, 46 Maintenant donc, criez vers le Ciel afin d'échapper au pouvoir de vos ennemis."

1 Macchabées 9, 47 Le combat s'engagea et Jonathan étendit la main pour frapper Bacchidès, mais ce dernier lui échappa en se rejetant en arrière.

1 Macchabées 9, 48 Alors Jonathan et ses compagnons sautèrent dans le Jourdain et atteignirent l'autre bord à la nage, mais les adversaires ne franchirent pas le fleuve à leur suite.

1 Macchabées 9, 49 En cette journée, environ mille hommes restèrent sur le terrain du côté de Bacchidès.

1 Macchabées 9, 50 De retour à Jérusalem, Bacchidès se mit à construire des villes fortes en Judée: la forteresse qui est à Jéricho, Emmaüs, Bethorôn, Béthel, Tamnatha, Pharathôn et Tephôn, avec de hautes murailles, des portes et des verrous,

1 Macchabées 9, 51 laissant en chacune d'elles une garnison pour sévir contre Israël.

1 Macchabées 9, 52 Il fortifia la ville de Bethsour, Gazara et la Citadelle; il y plaça des hommes armés et des dépôts de vivres.

1 Macchabées 9, 53 Il prit comme otages les fils des chefs du pays et les fit mettre sous garde dans la Citadelle de Jérusalem.

1 Macchabées 9, 54 Et en l'année 153, au deuxième mois, Alkime ordonna d'abattre le mur de la cour intérieure du sanctuaire; il détruisit les travaux des prophètes, il commença à démolir.

1 Macchabées 9, 55 En ce temps-là, Alkime eut une attaque et ses entreprises se trouvèrent empêchées. Sa bouche s'obstrua et fut paralysée de sorte qu'il lui fut désormais impossible de prononcer une seule parole et de donner des ordres concernant sa maison.

1 Macchabées 9, 56 Alkime mourut à cette époque au milieu de vives souffrances.

1 Macchabées 9, 57 Voyant qu'Alkime était mort, Bacchidès revint chez le roi et le pays de Juda fut en repos durant deux ans.

1 Macchabées 9, 58 Tous les sans-loi tinrent conseil: "Voici, disaient-ils, que Jonathan et les siens vivent tranquilles en toute confiance; nous ferons donc venir maintenant Bacchidès et il les arrêtera tous en une seule nuit.

1 Macchabées 9, 59 Etant allés le trouver, ils en délibérèrent avec lui.

1 Macchabées 9, 60 Bacchidès se mit en route avec une forte armée et écrivit en secret à tous ses alliés de Judée pour leur demander de se saisir de Jonathan et de ses compagnons, mais ils ne le purent, leur dessein ayant été éventé.

1 Macchabées 9, 61 Ceux-là, par contre, appréhendèrent parmi les hommes du pays, auteurs de cette scélératesse, une cinquantaine d'individus, et les massacrèrent.

1 Macchabées 9, 62 Jonathan et Simon se retirèrent ensuite avec leurs partisans à Bethbassi dans le désert, ils relevèrent ce qui était ruiné de cette place et la consolidèrent...

1 Macchabées 9, 63 Bacchidès, en ayant eu connaissance, rassembla tous ses gens et fit appel à ses partisans de Judée.

1 Macchabées 9, 64 Il vint camper près de Bethbassi, l'attaqua durant de nombreux jours et fit construire des machines.

1 Macchabées 9, 65 Laissant son frère Simon dans la ville, Jonathan sortit dans la campagne et marcha avec une poignée de gens.

1 Macchabées 9, 66 Il battit Odoméra et ses frères ainsi que les fils de Phasirôn dans leur campement, ces gens se mirent à combattre eux aussi et à monter avec les troupes.

1 Macchabées 9, 67 Simon et ses hommes firent une sortie et incendièrent les machines.

1 Macchabées 9, 68 Ils combattirent Bacchidès qui, écrasé par eux, tomba dans un accablement profond parce que son plan et son attaque n'avaient pas réussi.

1 Macchabées 9, 69 Il entra en fureur contre les mécréants qui lui avaient conseillé de venir dans le pays, il en tua beaucoup et, avec ses gens, il décida de retourner chez lui.

1 Macchabées 9, 70 A cette nouvelle, Jonathan lui envoya des députés pour conclure avec lui la paix et la reddition des prisonniers.

1 Macchabées 9, 71 Il accepta et fut fidèle à ses engagements: il lui jura de ne pas chercher à lui faire du mal durant tous les jours de sa vie.

1 Macchabées 9, 72 Après avoir rendu les prisonniers qu'il avait faits auparavant au pays de Juda, Bacchidès s'en retourna chez lui et ne revint plus sur le territoire des Juifs.

1 Macchabées 9, 73 L'épée se reposa en Israël et Jonathan s'installa à Machmas où il se mit à juger le peuple, et il fit disparaître les impies du milieu d'Israël.

1 Macchabées 10, 1 L'an 160, Alexandre, fils d'Antiochus Epiphane, se mit en marche et vint occuper Ptolémaïs. Il fut reçu et c'est là qu'il inaugura son règne.

1 Macchabées 10, 2 A cette nouvelle, le roi Démétrius rassembla une très forte armée et marcha contre lui pour le combattre.

1 Macchabées 10, 3 Démétrius envoyait d'autre part à Jonathan une lettre des plus pacifiques lui promettant de l'élever en dignité.

1 Macchabées 10, 4 Il se disait en effet: "Hâtons-nous de faire la paix avec ces gens-là avant qu'ils ne la fassent avec Alexandre contre nous,

1 Macchabées 10, 5 car Jonathan se souviendra de tous les maux que nous avons causés à sa personne, à ses frères et à sa nation."

1 Macchabées 10, 6 Il lui donna même l'autorisation de lever des troupes, de fabriquer des armes, de se dire son allié, et prescrivit de lui rendre les otages qui étaient dans la Citadelle.

1 Macchabées 10, 7 Jonathan s'en vint à Jérusalem et lut le message en présence de tout le peuple et des gens de la Citadelle.

1 Macchabées 10, 8 Une grande crainte les saisit lorsqu'ils entendirent que le roi lui avait accordé la faculté de lever des troupes.

1 Macchabées 10, 9 Les gens de la Citadelle rendirent les otages à Jonathan qui les remit à leurs parents.

1 Macchabées 10, 10 Jonathan habita Jérusalem et se mit à rebâtir et à restaurer la ville.

1 Macchabées 10, 11 Il ordonna en particulier aux entrepreneurs des travaux de reconstruire le rempart et d'entourer le mont Sion de pierres de taille pour le fortifier, ce qui fut exécuté.

1 Macchabées 10, 12 Les étrangers qui étaient dans les forteresses que Bacchidès avait bâties prirent la fuite:

1 Macchabées 10, 13 chacun d'eux abandonna son poste pour retourner en son pays.

1 Macchabées 10, 14 A Bethsour seulement on laissa quelques-uns de ceux qui avaient abandonné la Loi et les préceptes, car c'était leur refuge.

1 Macchabées 10, 15 Le roi Alexandre apprit les promesses que Démétrius avait mandées à Jonathan. On lui raconta aussi les guerres et les exploits dans lesquels lui et ses frères s'étaient signalés et les peines qu'ils avaient endurées.

1 Macchabées 10, 16 "Trouverons-nous jamais, s'écria-t-il, un homme pareil? Faisons-nous donc de lui un ami et un allié!"

1 Macchabées 10, 17 Il lui écrivit une lettre et la lui envoya libellée en ces termes:

1 Macchabées 10, 18 "Le roi Alexandre à son frère Jonathan, salut.

1 Macchabées 10, 19 Nous avons appris à ton sujet que tu es un homme puissant et que tu mérites d'être notre ami.

1 Macchabées 10, 20 Aussi, nous t'établissons aujourd'hui grand prêtre de ta nation et te donnons le titre d'ami du roi -- et il lui envoyait en même temps une chlamyde de pourpre et une couronne d'or -- afin que tu embrasses notre parti et que tu nous gardes ton amitié"

1 Macchabées 10, 21 Et Jonathan revêtit les ornements sacrés le septième mois de l'an 160 en la fête des Tentes; il rassembla des troupes et fabriqua beaucoup d'armes.

1 Macchabées 10, 22 Instruit de ces faits, Démétrius en fut contrarié et dit:

1 Macchabées 10, 23 "Qu'avons-nous fait pour qu'Alexandre ait capté avant nous l'amitié des Juifs pour affermir sa position?

1 Macchabées 10, 24 Je leur écrirai moi aussi en termes persuasifs avec des offres de situation élevée et de richesses, afin qu'ils soient une aide pour moi."

1 Macchabées 10, 25 Et il leur écrivit en ces termes: "Le roi Démétrius à la nation des Juifs, salut.

1 Macchabées 10, 26 Vous avez gardé les conventions passées avec nous et persévéré dans notre amitié, vous n'êtes pas passés du côté de nos ennemis, nous l'avons appris et nous nous en sommes réjouis.

1 Macchabées 10, 27 Continuez donc encore à nous conserver votre fidélité et nous récompenserons par des bienfaits ce que vous faites pour nous.

1 Macchabées 10, 28 Nous vous accorderons beaucoup de remises et nous vous ferons des faveurs.

1 Macchabées 10, 29 Dès à présent je vous libère et je décharge tous les Juifs des contributions, des droits sur le sel et des couronnes.

1 Macchabées 10, 30 Et du tiers des produits du sol et de la moitié du fruit des arbres qui me revient, je fais dès aujourd'hui et pour toujours la remise au pays de Juda et aux trois nomes qui lui sont annexés de la Samarie-Galilée... à partir de ce jour pour tout le temps.

1 Macchabées 10, 31 Que Jérusalem soit sainte et exempte ainsi que son territoire, ses dîmes et ses droits.

1 Macchabées 10, 32 Je renonce à la possession de la Citadelle qui est à Jérusalem et je la cède au grand prêtre pour qu'il y établisse des hommes qu'il choisira lui-même pour la garder.

1 Macchabées 10, 33 Toute personne juive emmenée captive hors du pays de Juda dans toute l'étendue de mon royaume, je lui rends la liberté sans rançon. Je veux que tous soient exempts d'impôts, même pour leurs bêtes.

1 Macchabées 10, 34 Que toutes les solennités, les sabbats, les néoménies, les jours prescrits et les trois jours qui précèdent et qui suivent soient des jours de rémission et de franchises pour tous les Juifs qui sont dans mon royaume,

1 Macchabées 10, 35 et personne n'aura la faculté d'exiger un paiement ni d'inquiéter quelqu'un d'entre eux pour n'importe quelle affaire.

1 Macchabées 10, 36 On enrôlera des Juifs dans les armées du roi jusqu'au nombre de 30.000 soldats et il leur sera donné la solde qui revient à toutes les troupes du roi.

1 Macchabées 10, 37 Il en sera aussi placé dans les forteresses royales les plus importantes et il en sera établi dans les emplois de confiance du royaume; que leurs préposés et leurs chefs sortent de leurs rangs et vivent selon leurs lois, comme le roi l'a ordonné pour le pays de Juda.

1 Macchabées 10, 38 Quant aux trois nomes ajoutés à la Judée aux dépens de la province de Samarie, qu'ils soient annexés à la Judée et considérés comme relevant d'un seul homme, n'obéissant à nulle autre autorité qu'à celle du grand prêtre.

1 Macchabées 10, 39 Je donne en présent Ptolémaïs et le territoire qui s'y rattache au sanctuaire de Jérusalem pour couvrir les dépenses exigées par le culte.

1 Macchabées 10, 40 Pour moi, je donne chaque année 15.000 sicles d'argent à prendre sur la liste royale dans les localités convenables.

1 Macchabées 10, 41 Et tout le surplus, que les fonctionnaires n'ont pas versé comme dans les années antérieures, ils le donneront dorénavant pour les travaux du Temple.

1 Macchabées 10, 42 En outre, les 5.000 sicles d'argent, somme qu'on prélevait sur les profits du sanctuaire dans le compte de chaque année, même cela est abandonné comme revenant aux prêtres qui font le service liturgique.

1 Macchabées 10, 43 Quiconque se sera réfugié dans le Temple de Jérusalem et dans toutes ses limites, redevable des impôts royaux et de toute autre dette, sera libre avec tous les biens qu'il possède dans mon royaume.

1 Macchabées 10, 44 Pour les travaux de construction et de restauration du sanctuaire, les dépenses seront aussi prélevées sur le compte du roi.

1 Macchabées 10, 45 Pour reconstruire les murs de Jérusalem et fortifier son enceinte, les dépenses seront encore prélevées sur le compte du roi, ainsi que pour relever les murs des villes en Judée."

1 Macchabées 10, 46 Lorsque Jonathan et le peuple eurent entendu ces paroles, ils n'y crurent pas et refusèrent de les admettre, parce qu'ils se souvenaient des grands maux que Démétrius avait causés à Israël, et de l'oppression qu'il avait fait peser sur eux.

1 Macchabées 10, 47 Ils se décidèrent en faveur d'Alexandre parce qu'il l'emportait à leurs yeux en gratifications, et ils furent ses constants alliés.

1 Macchabées 10, 48 Alors le roi Alexandre rassembla de grandes forces et s'avança contre Démétrius.

1 Macchabées 10, 49 Les deux rois ayant engagé le combat, l'armée d'Alexandre prit la fuite. Démétrius se mit à sa poursuite et l'emporta sur ses soldats.

1 Macchabées 10, 50 Il mena fortement le combat jusqu'au coucher du soleil. Mais ce jour-là même Démétrius succomba.

1 Macchabées 10, 51 Alexandre envoya à Ptolémée, roi d'Egypte, des ambassadeurs, avec ce message:

1 Macchabées 10, 52 "Puisque je suis revenu dans mon royaume, que je me suis assis sur le trône de mes pères, que je me suis emparé du pouvoir, puisque j'ai écrasé Démétrius, que j'ai pris possession de notre pays,

1 Macchabées 10, 53 puisque je lui ai livré bataille et qu'il a été écrasé par nous, lui et son armée, et que nous sommes monté sur son siège royal,

1 Macchabées 10, 54 faisons donc amitié l'un avec l'autre et donne-moi donc ta fille pour épouse, je serai ton gendre et je te donnerai, ainsi qu'à elle, des présents dignes de toi."

1 Macchabées 10, 55 Le roi Ptolémée répondit en ces termes: "Heureux le jour où tu es rentré dans le pays de tes pères et où tu as occupé leur siège royal!

1 Macchabées 10, 56 Maintenant je ferai pour toi ce que tu as écrit, mais viens à ma rencontre à Ptolémaïs afin que nous nous voyions l'un l'autre, et je serai ton beau-père comme tu l'as dit."

1 Macchabées 10, 57 Ptolémée partit d'Egypte, lui et Cléopâtre, sa fille, et vint à Ptolémaïs en l'an 162.

1 Macchabées 10, 58 Le roi Alexandre vint au-devant de Ptolémée; celui-ci lui donna sa fille Cléopâtre et célébra son mariage à Ptolémaïs avec grande magnificence, comme il sied à des rois.

1 Macchabées 10, 59 Le roi Alexandre écrivit à Jonathan de venir le trouver.

1 Macchabées 10, 60 Ce dernier se rendit à Ptolémaïs avec apparat et rencontra les deux rois; il leur donna de l'argent et de l'or ainsi qu'à leurs amis, il fit de nombreux présents et trouva grâce à leurs yeux.

1 Macchabées 10, 61 Alors s'unirent contre lui des vauriens, la peste d'Israël, pour se plaindre de lui, mais le roi ne leur prêta aucune attention;

1 Macchabées 10, 62 il ordonna même d'ôter à Jonathan ses habits et de le revêtir de la pourpre, ce qui fut exécuté.

1 Macchabées 10, 63 Le roi le fit asseoir auprès de lui et dit à ses dignitaires: "Sortez avec lui au milieu de la ville et publiez que personne n'élève de plainte contre lui sur n'importe quelle affaire et que nul ne l'inquiète pour quelque raison que ce soit."

1 Macchabées 10, 64 Quand ils virent les honneurs qu'on lui rendait, à la voix du héraut, et la pourpre sur ses épaules, tous ses accusateurs prirent la fuite.

1 Macchabées 10, 65 Le roi lui fit l'honneur de l'inscrire au rang des premiers amis et de l'instituer stratège et méridarque.

1 Macchabées 10, 66 Aussi Jonathan revint-il à Jérusalem dans la paix et la joie.

1 Macchabées 10, 67 En l'an 165, Démétrius, fils de Démétrius, vint de Crète dans le pays de ses pères.

1 Macchabées 10, 68 Le roi Alexandre, l'ayant appris, en fut très contrarié et revint à Antioche.

1 Macchabées 10, 69 Démétrius confirma Apollonius qui était gouverneur de la Coelé-Syrie, lequel rassembla une grande armée et, étant venu camper à Iamnia, envoya dire à Jonathan le grand prêtre:

1 Macchabées 10, 70 "Tu es absolument seul à t'élever contre nous, et moi je suis devenu un objet de dérision et d'injure à cause de toi. Pourquoi exerces-tu ton autorité contre nous dans les montagnes?

1 Macchabées 10, 71 Si donc tu as confiance dans tes forces, descends maintenant vers nous dans la plaine et là mesurons-nous l'un avec l'autre, car avec moi se trouve la force des villes.

1 Macchabées 10, 72 Informe-toi et apprends qui je suis et quels sont les autres qui nous prêtent leur concours. Ils disent que vous ne pourrez pas nous résister puisque deux fois tes pères ont été mis en fuite dans leur pays.

1 Macchabées 10, 73 Et maintenant tu ne pourras pas résister à la cavalerie ni à une grande armée dans cette plaine où il n'y a ni rocher, ni caillasse, ni endroit pour fuir."

1 Macchabées 10, 74 Lorsque Jonathan eut entendu les paroles d'Apollonius, son esprit fut tout remué; il fit choix de 10.000 hommes et partit de Jérusalem, et Simon son frère le rejoignit avec une troupe de secours.

1 Macchabées 10, 75 Il dressa son camp contre Joppé; les gens de la ville lui avaient fermé ses portes parce qu'il y avait une garnison d'Apollonius dans Joppé, et l'attaque commença.

1 Macchabées 10, 76 Pris de peur, les habitants ouvrirent les portes et Jonathan fut maître de Joppé.

1 Macchabées 10, 77 Mis au courant, Apollonius rangea en ordre de bataille 3.000 cavaliers et une nombreuse infanterie, et se dirigea sur Azôtos comme pour traverser le pays, tandis qu'en même temps il s'enfonçait dans la plaine, parce qu'il avait un grand nombre de cavaliers en qui il avait confiance.

1 Macchabées 10, 78 Jonathan se mit à le poursuivre du côté d'Azôtos, et les deux armées en vinrent aux mains.

1 Macchabées 10, 79 Or Apollonius avait laissé mille cavaliers cachés derrière eux.

1 Macchabées 10, 80 Jonathan sut qu'il y avait une embuscade derrière lui. Les cavaliers entourèrent son armée et lancèrent leurs traits sur la troupe depuis le matin jusqu'au soir.

1 Macchabées 10, 81 La troupe tint bon, comme l'avait ordonné Jonathan, tandis que leurs chevaux se fatiguèrent.

1 Macchabées 10, 82 Simon entraîna ses forces et attaqua la phalange une fois la cavalerie épuisée, et les ennemis furent écrasés par lui et prirent la fuite.

1 Macchabées 10, 83 La cavalerie se débanda à travers la plaine et les fuyards gagnèrent Azôtos et entrèrent dans Beth-Dagôn, le temple de leur idole, afin d'y trouver le salut.

1 Macchabées 10, 84 Mais Jonathan mit le feu à Azôtos et aux villes des alentours, il prit leurs dépouilles et livra aux flammes le sanctuaire de Dagôn et ceux qui s'y étaient réfugiés.

1 Macchabées 10, 85 Ceux qui tombèrent sous l'épée, avec ceux qui furent brûlés, se trouvèrent au nombre de 8.000.

1 Macchabées 10, 86 Jonathan partit de là pour aller camper près d'Ascalon; les habitants de cette ville sortirent à sa rencontre en grand apparat.

1 Macchabées 10, 87 Jonathan revint ensuite à Jérusalem avec les siens, chargés d'un grand butin.

1 Macchabées 10, 88 Lorsque le roi Alexandre apprit ces événements, il accorda de nombreux honneurs à Jonathan.

1 Macchabées 10, 89 Il lui envoya une agrafe d'or comme il est d'usage de l'accorder aux parents des rois, et lui donna en propriété Akkarôn et tout son territoire.

1 Macchabées 11, 1 Le roi d'Egypte rassembla des forces nombreuses comme le sable qui est sur le bord de la mer, ainsi que beaucoup de vaisseaux, et il chercha à s'emparer par ruse du royaume d'Alexandre pour l'ajouter à son propre royaume.

1 Macchabées 11, 2 Il s'en vint en Syrie avec des paroles de paix, les gens des villes lui ouvraient leurs portes et venaient à sa rencontre parce que l'ordre du roi Alexandre était de le recevoir, car il était son beau-père.

1 Macchabées 11, 3 Mais dès qu'il entrait dans les villes, Ptolémée casernait des troupes en garnison dans chaque ville.

1 Macchabées 11, 4 Lorsqu'il approcha d'Azôtos, on lui montra le sanctuaire de Dagôn incendié, Azôtos et ses environs ravagés, les cadavres épars, et les restes calcinés de ceux que Jonathan avait brûlés dans la guerre, car ils en avaient fait des tas sur le parcours du roi.

1 Macchabées 11, 5 Et ils racontèrent au roi ce qu'avait fait Jonathan pour qu'il le blâmât, mais le roi garda le silence.

1 Macchabées 11, 6 Et Jonathan vint à la rencontre du roi à Joppé avec apparat, ils échangèrent des salutations et couchèrent en ce lieu.

1 Macchabées 11, 7 Jonathan accompagna le roi jusqu'au fleuve appelé Eleuthère, puis revint à Jérusalem.

1 Macchabées 11, 8 Quant au roi Ptolémée, il se rendit maître des villes de la côte jusqu'à Séleucie-sur-Mer; il méditait de mauvais desseins contre Alexandre.

1 Macchabées 11, 9 Il envoya des ambassadeurs au roi Démétrius pour lui dire: "Viens, concluons ensemble un traité: je te donnerai ma fille que possède Alexandre et tu régneras sur le royaume de ton père.

1 Macchabées 11, 10 Je me repens de lui avoir donné ma fille, car il a cherché à me tuer."

1 Macchabées 11, 11 Il lui reprochait cela parce qu'il convoitait son royaume.

1 Macchabées 11, 12 Ayant enlevé sa fille, il la donna à Démétrius; il changea d'attitude avec Alexandre et leur inimitié devint manifeste.

1 Macchabées 11, 13 Ptolémée fit son entrée à Antioche et ceignit le diadème de l'Asie, de sorte qu'il mit à son front deux diadèmes, celui d'Egypte et celui d'Asie.

1 Macchabées 11, 14 Le roi Alexandre se trouvait en Cilicie en ce temps-là, parce que les gens de cette contrée s'étaient révoltés.

1 Macchabées 11, 15 Alexandre, instruit de tout cela, s'avança contre lui pour livrer bataille; Ptolémée de son côté se mit en mouvement, marcha à sa rencontre avec une forte armée et le mit en fuite.

1 Macchabées 11, 16 Alexandre s'enfuit en Arabie pour y trouver un refuge, et le roi Ptolémée triompha.

1 Macchabées 11, 17 L'Arabe Zabdiel trancha la tête d'Alexandre et l'envoya à Ptolémée.

1 Macchabées 11, 18 Le roi Ptolémée mourut le surlendemain et les Egyptiens qui étaient dans ses places fortes furent tués par les habitants de celles-ci.

1 Macchabées 11, 19 Démétrius devint roi en l'année 167.

1 Macchabées 11, 20 En ces jours-là, Jonathan réunit ceux de la Judée pour attaquer la Citadelle qui est à Jérusalem et ils dressèrent contre elle de nombreuses machines.

1 Macchabées 11, 21 Alors des gens haïssant leur nation, des vauriens, s'en allèrent trouver le roi pour lui annoncer que Jonathan faisait le siège de la Citadelle.

1 Macchabées 11, 22 A cette nouvelle, le roi fut irrité et, aussitôt averti, il partit sans retard et vint à Ptolémaïs. Il écrivit à Jonathan de cesser le siège et de venir le trouver pour conférer avec lui à Ptolémaïs le plus vite possible.

1 Macchabées 11, 23 Dès qu'il eut reçu cet avis, Jonathan ordonna de poursuivre le siège, choisit pour compagnons des anciens d'Israël et des prêtres, et se livra lui-même au danger.

1 Macchabées 11, 24 Prenant avec lui de l'argent, de l'or, des vêtements et autres cadeaux en quantité, il se rendit auprès du roi à Ptolémaïs et trouva grâce à ses yeux.

1 Macchabées 11, 25 Certains mécréants de la nation portaient contre lui des accusations,

1 Macchabées 11, 26 mais le roi agit avec lui comme avaient agi ses prédécesseurs et il l'exalta en présence de tous ses amis.

1 Macchabées 11, 27 Il lui confirma la grand-prêtrise et toutes les autres distinctions qu'il avait auparavant, et il le fit compter parmi les premiers amis.

1 Macchabées 11, 28 Jonathan demanda au roi d'exempter d'impôts la Judée, ainsi que les trois toparchies de la Samaritide, lui promettant en retour 300 talents.

1 Macchabées 11, 29 Le roi consentit et écrivit à Jonathan sur tout ceci une lettre tournée de cette manière:

1 Macchabées 11, 30 "Le roi Démétrius à Jonathan, son frère, et à la nation des Juifs, salut.

1 Macchabées 11, 31 La copie de la lettre que nous avons écrite à votre sujet à Lasthène notre parent, nous vous l'adressons aussi afin que vous en preniez connaissance:

1 Macchabées 11, 32 Le roi Démétrius à Lasthène, son père, salut.

1 Macchabées 11, 33 A la nation des Juifs qui sont nos amis et observent ce qui est juste envers nous, nous sommes décidés à faire du bien à cause des bons sentiments qu'ils ont à notre égard.

1 Macchabées 11, 34 Nous leur confirmons et le territoire de la Judée et les trois nomes d'Aphéréma, de Lydda et de Ramathaïm. Ils ont été ajoutés de la Samarie à la Judée, ainsi que toutes leurs dépendances, en faveur de tous ceux qui sacrifient à Jérusalem, en échange des redevances régaliennes que le roi y percevait auparavant chaque année sur les produits de la terre et les fruits des arbres.

1 Macchabées 11, 35 Quant aux autres droits que nous avons sur les dîmes et les impôts qui nous reviennent, sur les marais salants et les couronnes qui nous étaient dues, à dater de ce jour nous leur en faisons remise totale.

1 Macchabées 11, 36 Il ne sera dérogé en rien à toutes ces faveurs, désormais et en aucun pays.

1 Macchabées 11, 37 Ayez donc soin d'en faire une copie qui soit donnée à Jonathan et placée sur la montagne sainte en un lieu apparent."

1 Macchabées 11, 38 Le roi Démétrius, voyant que le pays était en repos sous sa direction et que rien ne lui offrait de résistance, renvoya toute son armée, chacun dans son foyer, sauf les forces étrangères qu'il avait recrutées dans les îles des nations. Aussi toutes les troupes qu'il tenait de ses pères se mirent à le haïr.

1 Macchabées 11, 39 Or Tryphon, ancien partisan d'Alexandre, s'apercevant que toutes les troupes murmuraient contre Démétrius, se rendit chez Iamlikou l'Arabe qui élevait Antiochus, le jeune fils d'Alexandre.

1 Macchabées 11, 40 Il lui demandait avec insistance de lui livrer l'enfant pour qu'il régnât à la place de son père. Il le mit au courant de tout ce qu'avait ordonné Démétrius et de la haine que lui portaient ses armées. Il resta là de longs jours.

1 Macchabées 11, 41 Cependant Jonathan envoyait demander au roi Démétrius de faire sortir de la Citadelle de Jérusalem et des autres forteresses leurs garnisons toujours en guerre avec Israël.

1 Macchabées 11, 42 Démétrius envoya dire à Jonathan: "Non seulement je ferai cela pour toi et pour ta nation, mais je te comblerai d'honneurs ainsi que ta nation dès que j'en trouverai l'occasion favorable.

1 Macchabées 11, 43 Pour le moment tu ferais bien d'expédier des hommes à mon secours, car toutes mes armées ont fait défection."

1 Macchabées 11, 44 Jonathan lui envoya à Antioche 3.000 hommes aguerris; quand ils arrivèrent chez le roi, celui-ci se réjouit de leur venue.

1 Macchabées 11, 45 Les gens de la ville se massèrent au centre de la ville au nombre de près de 120.000 dans l'intention de faire périr le roi.

1 Macchabées 11, 46 Celui-ci se réfugia dans le palais tandis que les citadins occupaient les rues de la ville et commençaient l'attaque.

1 Macchabées 11, 47 Aussi le roi appela-t-il à son aide les Juifs, qui se rassemblèrent tous auprès de lui, pour se répandre à travers la ville et y tuer ce jour-là jusqu'à 100.000 habitants.

1 Macchabées 11, 48 Ils incendièrent la ville, faisant en même temps un butin considérable: c'est ainsi qu'ils sauvèrent le roi.

1 Macchabées 11, 49 Lorsque les gens de la ville virent que les Juifs s'étaient rendus maîtres de la ville comme ils voulaient, ils perdirent courage et firent entendre au roi des cris suppliants.

1 Macchabées 11, 50 "Donne-nous la main droite et que les Juifs cessent de combattre contre nous et contre la ville!"

1 Macchabées 11, 51 Ils jetèrent leurs armes et firent la paix. Les Juifs furent couverts de gloire en présence du roi et devant tous ceux qui font partie de son royaume. S'étant fait un nom dans ses états, ils revinrent à Jérusalem chargés d'un riche butin.

1 Macchabées 11, 52 Le roi Démétrius s'affermit sur le trône royal et le pays fut en repos sous sa direction.

1 Macchabées 11, 53 Mais il manqua à toutes les paroles données, devint tout autre à l'égard de Jonathan, ne reconnut plus les services que celui-ci lui avait rendus et lui infligea mille vexations.

1 Macchabées 11, 54 Après cela Tryphon revint et avec lui Antiochus, tout jeune enfant, qui commença à régner et ceignit le diadème.

1 Macchabées 11, 55 Et toutes les troupes dont Démétrius s'était débarrassé se groupèrent autour de lui et firent la guerre à Démétrius, qui fut mis en fuite et en déroute.

1 Macchabées 11, 56 Tryphon prit les éléphants et s'empara d'Antioche.

1 Macchabées 11, 57 Le jeune Antiochus écrivit à Jonathan en ces termes: "Je te confirme dans le souverain sacerdoce et je t'établis sur les quatre nomes et veux que tu sois parmi les amis du roi."

1 Macchabées 11, 58 Il lui envoyait en même temps des vases d'or et un service de table, lui donnait l'autorisation de boire dans des coupes d'or, de porter la pourpre et l'agrafe d'or.

1 Macchabées 11, 59 Il institua Simon, son frère, stratège depuis l'Echelle de Tyr jusqu'aux frontières d'Egypte.

1 Macchabées 11, 60 Jonathan partit et se mit à parcourir la Transeuphratène et les cités. Toutes les troupes de Syrie se rangèrent auprès de lui pour combattre avec lui; arrivé à Ascalon, les habitants de la ville vinrent le recevoir magnifiquement.

1 Macchabées 11, 61 Il se rendit de là à Gaza. Gaza ferma ses portes, aussi en fit-il le siège, livrant sa banlieue au feu et au pillage.

1 Macchabées 11, 62 Les gens de Gaza implorèrent Jonathan, qui leur accorda la paix mais prit comme otages les fils de leurs chefs qu'il envoya à Jérusalem. Il parcourut ensuite la contrée jusqu'à Damas.

1 Macchabées 11, 63 Jonathan apprit que les généraux de Démétrius étaient arrivés à Kédès de Galilée avec une nombreuse armée, pour l'écarter de sa charge,

1 Macchabées 11, 64 et il s'en alla à leur rencontre, tout en laissant son frère Simon dans le pays.

1 Macchabées 11, 65 Simon assiégea Bethsour, la combattit durant de longs jours et en bloqua les habitants

1 Macchabées 11, 66 qui lui demandèrent de faire la paix, ce qu'il leur accorda. Leur ayant fait évacuer la place, il prit possession de la ville et y plaça une garnison.

1 Macchabées 11, 67 De son côté, Jonathan avec son armée était venu camper près des eaux du Gennèsar et de grand matin il atteignit la plaine d'Asor.

1 Macchabées 11, 68 L'armée des étrangers s'avança à sa rencontre dans la plaine, après avoir détaché une embuscade contre Jonathan dans les montagnes. Tandis que cette armée marchait directement sur les Juifs,

1 Macchabées 11, 69 les hommes de l'embuscade surgirent de leur cachette et engagèrent le combat.

1 Macchabées 11, 70 Tous les soldats de Jonathan prirent la fuite, personne ne resta, à l'exception de Mattathias, fils d'Absalom, et de Judas, fils de Chalfi, généraux de ses troupes.

1 Macchabées 11, 71 Alors Jonathan déchira ses vêtements, répandit de la poussière sur sa tête et pria.

1 Macchabées 11, 72 Revenu au combat il mit en déroute l'ennemi qui prit la fuite.

1 Macchabées 11, 73 A cette vue, ceux des siens qui fuyaient retournèrent vers lui et ils poursuivirent ensemble l'ennemi jusqu'à Kédès où était son camp, et eux-mêmes campèrent en ce lieu.

1 Macchabées 11, 74 Il périt en cette journée-là 3.000 hommes des troupes étrangères et Jonathan retourna à Jérusalem.

1 Macchabées 12, 1 Jonathan, voyant que les circonstances lui étaient favorables, choisit des hommes qu'il envoya à Rome pour confirmer et renouveler l'amitié avec les Romains.

1 Macchabées 12, 2 Aux Spartiates et en d'autres lieux il envoya des lettres dans le même sens.

1 Macchabées 12, 3 Ils se rendirent donc à Rome, entrèrent au Sénat et dirent: "Jonathan le grand prêtre et la nation des Juifs nous ont envoyés renouveler l'amitié et l'alliance avec eux telles qu'elles étaient auparavant."

1 Macchabées 12, 4 Le Sénat leur donna des lettres pour les autorités de chaque pays, recommandant de les acheminer en paix jusqu'au pays de Juda.

1 Macchabées 12, 5 Voici la copie de la lettre que Jonathan écrivit aux Spartiates:

1 Macchabées 12, 6 "Jonathan, grand prêtre, le sénat de la nation, les prêtres et le reste du peuple des Juifs aux Spartiates leurs frères, salut!

1 Macchabées 12, 7 Déjà au temps passé, une lettre fut envoyée au grand prêtre Onias de la part d'Areios qui régnait parmi vous, attestant que vous êtes nos frères, comme le montre la copie ci-dessous.

1 Macchabées 12, 8 Onias reçut avec honneur l'homme qui était envoyé et prit la lettre, qui traitait clairement d'alliance et d'amitié.

1 Macchabées 12, 9 Pour nous, quoique nous n'en ayons pas besoin, ayant pour consolation les saints livres qui sont en nos mains,

1 Macchabées 12, 10 nous avons essayé d'envoyer renouveler la fraternité et l'amitié qui nous lient à vous afin que nous ne devenions pas des étrangers pour vous, car bien des années se sont écoulées depuis que vous nous avez envoyé une missive.

1 Macchabées 12, 11 Quant à nous, nous ne cessons pas, en toute occasion, de faire mémoire de vous aux fêtes et aux autres jours fériés, dans les sacrifices que nous offrons et dans nos prières, comme il est juste et convenable de se souvenir de ses frères.

1 Macchabées 12, 12 Nous nous réjouissons de votre gloire.

1 Macchabées 12, 13 Mais pour nous, tribulations et guerres se sont multipliées et les rois nos voisins nous ont combattus.

1 Macchabées 12, 14 Nous n'avons pas voulu vous être à charge à propos de ces guerres, ni à nos autres alliés et amis,

1 Macchabées 12, 15 car du Ciel nous vient un secours qui nous sauve. Aussi avons-nous été arrachés à nos ennemis, et ceux-ci ont été humiliés.

1 Macchabées 12, 16 Nous avons donc choisi Nouménios, fils d'Antiochos, et Antipater, fils de Jason, et nous les avons envoyés aux Romains pour renouveler l'amitié et l'alliance qui nous unissaient à eux auparavant.

1 Macchabées 12, 17 Nous leur avons mandé d'aller aussi chez vous, de vous saluer et de vous remettre notre lettre concernant le renouvellement de notre fraternité.

1 Macchabées 12, 18 Et maintenant vous ferez bien de nous répondre à ce sujet."

1 Macchabées 12, 19 Voici la copie de la lettre qu'on avait envoyée à Onias:

1 Macchabées 12, 20 "Areios, roi des Spartiates, à Onias, grand prêtre, salut.

1 Macchabées 12, 21 Il a été trouvé dans un récit au sujet des Spartiates et des Juifs qu'ils sont frères et qu'ils sont de la race d'Abraham.

1 Macchabées 12, 22 Maintenant que nous savons cela, vous ferez bien de nous écrire au sujet de votre prospérité.

1 Macchabées 12, 23 Quant à nous, nous vous écrivons: Vos troupeaux et vos biens sont à nous et les nôtres sont à vous. En conséquence nous ordonnons qu'on vous apporte un message en ce sens."

1 Macchabées 12, 24 Jonathan apprit que les généraux de Démétrius étaient revenus avec une armée plus nombreuse qu'auparavant pour lui faire la guerre.

1 Macchabées 12, 25 Il partit de Jérusalem et se porta à leur rencontre dans le pays de Hamath, car il ne leur donna pas le loisir d'entrer dans son territoire.

1 Macchabées 12, 26 Il envoya des espions dans leur camp; ceux-ci revinrent et lui annoncèrent qu'ils étaient disposés à tomber, la nuit, sur les Juifs.

1 Macchabées 12, 27 Au coucher du soleil, Jonathan ordonna aux siens de veiller et d'avoir les armes sous la main pour être prêts au combat toute la nuit, et disposa des avant-postes tout autour du camp.

1 Macchabées 12, 28 A la nouvelle que Jonathan et les siens étaient prêts au combat, les ennemis eurent peur et, le coeur pénétré d'épouvante, allumèrent des feux dans leur camp et s'esquivèrent.

1 Macchabées 12, 29 Mais Jonathan et sa troupe ne s'aperçurent de leur départ qu'au matin, car ils voyaient briller les feux.

1 Macchabées 12, 30 Jonathan se mit à leur poursuite mais ne les atteignit pas, parce qu'ils avaient franchi le fleuve Eleuthère.

1 Macchabées 12, 31 Jonathan se tourna contre les Arabes appelés Zabadéens, les battit et s'empara de leurs dépouilles,

1 Macchabées 12, 32 puis, ayant levé le camp, il vint à Damas et parcourut toute la province.

1 Macchabées 12, 33 Quant à Simon, il était parti et avait marché jusqu'à Ascalon et aux places voisines. Il se détourna sur Joppé et l'occupa.

1 Macchabées 12, 34 Il avait appris en effet que les habitants voulaient livrer cette place forte aux partisans de Démétrius; il y plaça une garnison pour la garder.

1 Macchabées 12, 35 Une fois revenu, Jonathan réunit l'assemblée des anciens du peuple et décida avec eux d'édifier des forteresses en Judée,

1 Macchabées 12, 36 de surélever les murs de Jérusalem, de dresser une haute barrière entre la Citadelle et la ville pour séparer celle-là de la ville et pour qu'elle fût isolée, afin que ses gens ne pussent ni acheter ni vendre.

1 Macchabées 12, 37 Ils se réunirent pour rebâtir la ville: il était tombé une partie du mur du torrent qui est au levant; il remit à neuf le quartier appelé Chaphénatha.

1 Macchabées 12, 38 Quant à Simon, il rebâtit Adida dans le Bas-Pays, la fortifia et y déposa des portes munies de verrous.

1 Macchabées 12, 39 Tryphon songeait à régner sur l'Asie, à ceindre le diadème et à mettre la main sur le roi Antiochus.

1 Macchabées 12, 40 Redoutant que Jonathan ne le laissât pas faire et qu'il ne lui fît au besoin la guerre, il cherchait un biais pour l'appréhender et le faire périr; s'étant mis en mouvement, il vint à Bethsân.

1 Macchabées 12, 41 Jonathan sortit à sa rencontre avec 40.000 hommes choisis pour la bataille rangée, et vint à Bethsân.

1 Macchabées 12, 42 Tryphon, voyant qu'il était venu avec une armée nombreuse, se garda de mettre la main sur lui.

1 Macchabées 12, 43 Il le reçut même avec honneur, le recommanda à tous ses amis, lui fit des cadeaux et ordonna à ses amis et à ses troupes de lui obéir comme à lui-même.

1 Macchabées 12, 44 Il dit à Jonathan: "Pourquoi as-tu fatigué tout ce peuple alors qu'il n'y a pas entre nous menace de guerre?

1 Macchabées 12, 45 Renvoie-les donc chez eux, choisis-toi quelques hommes pour t'accompagner et viens avec moi à Ptolémaïs. Je te livrerai cette ville ainsi que les autres forteresses, le reste des troupes et tous les fonctionnaires, puis, prenant le chemin du retour, je m'en irai, car c'est dans ce but que je suis venu ici."

1 Macchabées 12, 46 Lui faisant confiance, Jonathan agit suivant ses dires: il renvoya ses troupes, qui regagnèrent le pays de Juda.

1 Macchabées 12, 47 Il garda avec lui 3.000 hommes dont il détacha 2.000 en Galilée, et mille allèrent avec lui.

1 Macchabées 12, 48 Lorsque Jonathan fut entré à Ptolémaïs, les Ptolémaïtes fermèrent les portes, se saisirent de sa personne et passèrent tous ceux qui étaient entrés avec lui au fil de l'épée.

1 Macchabées 12, 49 Tryphon envoya des troupes et de la cavalerie en Galilée et dans la Grande Plaine pour exterminer tous les partisans de Jonathan.

1 Macchabées 12, 50 Ceux-ci comprirent qu'il avait été pris et qu'il était perdu comme ceux qui se trouvaient avec lui; ils s'encouragèrent les uns les autres et marchèrent en rangs serrés, prêts au combat.

1 Macchabées 12, 51 Ceux qui les poursuivaient, voyant qu'ils luttaient pour leur vie, s'en retournèrent.

1 Macchabées 12, 52 Ils arrivèrent tous sains et saufs au pays de Juda, pleurèrent Jonathan et ses compagnons et furent en proie à une grande frayeur; tout Israël mena un grand deuil.

1 Macchabées 12, 53 Toutes les nations d'alentour cherchèrent à les exterminer: "Ils n'ont pas de chef, disaient-ils, ni d'aide, il est temps de les attraper et nous effacerons leur souvenir du milieu des hommes."

1 Macchabées 13, 1 Simon apprit que Tryphon avait réuni une grande armée pour aller ravager le pays de Juda.

1 Macchabées 13, 2 Voyant que le peuple tremblait d'épouvante, il monta à Jérusalem, rassembla le peuple

1 Macchabées 13, 3 qu'il exhorta en ces termes: "Vous n'êtes pas sans savoir tout ce que moi, mes frères et la maison de mon père avons fait pour les lois et le saint lieu, ainsi que les guerres et les tribulations que nous avons vues.

1 Macchabées 13, 4 C'est bien pour cela que tous mes frères ont péri, oui, pour la cause d'Israël, et que moi je suis resté tout seul.

1 Macchabées 13, 5 Maintenant, loin de moi d'épargner ma vie en aucun temps d'oppression! car je ne suis pas meilleur que mes frères.

1 Macchabées 13, 6 Mais plutôt je vengerai ma nation, le lieu saint, vos femmes et vos enfants, parce que toutes les nations se sont coalisées pour nous anéantir, poussées par la haine."

1 Macchabées 13, 7 A ces paroles, l'esprit du peuple se ralluma;

1 Macchabées 13, 8 ils répondirent d'une voix forte: "Tu es notre guide à la place de Judas et de Jonathan, ton frère;

1 Macchabées 13, 9 prends la direction de notre guerre et tout ce que tu nous diras, nous le ferons."

1 Macchabées 13, 10 Il rassembla tous les hommes aptes au combat, se hâta d'achever les murs de Jérusalem et la fortifia.

1 Macchabées 13, 11 Il envoya à Joppé Jonathan, fils d'Absalom, avec une troupe importante; celui-ci en chassa les habitants et s'y établit.

1 Macchabées 13, 12 Tryphon partit de Ptolémaïs avec une nombreuse armée pour entrer dans le pays de Juda, ayant avec lui Jonathan prisonnier.

1 Macchabées 13, 13 Simon vint alors camper à Adida, en face de la plaine.

1 Macchabées 13, 14 Tryphon, ayant appris que Simon avait remplacé son frère Jonathan et qu'il était sur le point d'engager la lutte avec lui-même, lui dépêcha des messagers pour lui dire:

1 Macchabées 13, 15 "C'est au sujet de l'argent que ton frère Jonathan doit au trésor royal, à raison des fonctions qu'il remplissait, que nous le tenons captif.

1 Macchabées 13, 16 Envoie donc maintenant cent talents d'argent et deux de ses fils en otages, de peur qu'une fois relâché il ne se rebelle contre nous; alors nous le laisserons aller."

1 Macchabées 13, 17 Simon, bien qu'il connût la fausseté des paroles que lui adressaient les messagers, envoya prendre l'argent et les enfants, de peur de s'attirer une grande inimitié de la part du peuple qui aurait dit:

1 Macchabées 13, 18 "C'est parce que je n'ai pas envoyé l'argent et les enfants que Jonathan a péri."

1 Macchabées 13, 19 Il envoya donc les enfants et les cent talents, mais Tryphon le trompa en ne renvoyant pas Jonathan.

1 Macchabées 13, 20 Après cela, Tryphon se mit en marche pour envahir le pays et le ravager; il fit un détour par le chemin d'Adôra: Simon et son armée lui faisaient obstacle partout où il passait.

1 Macchabées 13, 21 Cependant ceux de la Citadelle dépêchaient à Tryphon des messagers le pressant de venir chez eux par le désert et de leur faire parvenir des vivres.

1 Macchabées 13, 22 Tryphon disposa alors toute sa cavalerie pour y aller, mais dans cette nuit-là il tomba une neige si abondante qu'il ne put s'y rendre. Il partit de là et se rendit en Galaaditide.

1 Macchabées 13, 23 Aux approches de Baskama, il tua Jonathan, qui fut enseveli en ce lieu.

1 Macchabées 13, 24 Tryphon, s'en retournant, regagna son pays.

1 Macchabées 13, 25 Simon envoya recueillir les ossements de Jonathan, son frère, et il l'ensevelit à Modîn, ville de ses pères.

1 Macchabées 13, 26 Tout Israël mena sur lui un grand deuil et se lamenta durant de longs jours.

1 Macchabées 13, 27 Simon bâtit sur la sépulture de son père et de ses frères un monument de pierres polies tant par derrière qu'en façade, assez haut pour être vu.

1 Macchabées 13, 28 Il érigea sept pyramides, l'une en face de l'autre, à son père, à sa mère et à ses quatre frères.

1 Macchabées 13, 29 Il les entoura d'un ouvrage consistant en hautes colonnes surmontées de panoplies, pour un souvenir éternel, et, à côté des panoplies, de vaisseaux sculptés pour être vus par tous ceux qui naviguent sur la mer.

1 Macchabées 13, 30 Tel est le mausolée qu'il fit à Modîn, et qui existe encore aujourd'hui.

1 Macchabées 13, 31 Or Tryphon, usant de perfidie avec le jeune roi Antiochus, le mit à mort.

1 Macchabées 13, 32 Il régna à sa place, ceignit le diadème de l'Asie et fit beaucoup de mal dans le pays.

1 Macchabées 13, 33 Quant à Simon, il rebâtit les forteresses de Judée, les entoura de hautes tours et de murs élevés munis de portes et de verrous et, dans ces forteresses, il entreposa des vivres.

1 Macchabées 13, 34 En outre, Simon désigna des hommes qu'il envoya au roi Démétrius pour que celui-ci accordât rémission à la province, parce que tous les actes de Tryphon n'étaient que rapines.

1 Macchabées 13, 35 Le roi Démétrius envoya une réponse à sa demande dans une lettre libellée comme suit:

1 Macchabées 13, 36 "Le roi Démétrius à Simon, grand prêtre, ami des rois, aux anciens et à la nation des Juifs, salut.

1 Macchabées 13, 37 Nous avons agréé la couronne d'or et la palme que vous nous avez envoyées et nous sommes disposés à faire avec vous une paix complète et à écrire aux fonctionnaires de vous accorder des remises.

1 Macchabées 13, 38 Tout ce que nous avons statué à votre égard reste stable, et les forteresses que vous avez construites sont à vous.

1 Macchabées 13, 39 Nous vous remettons les erreurs et les manquements commis jusqu'à ce jour ainsi que la couronne que vous devez, et si quelque autre droit était perçu à Jérusalem, qu'il ne soit plus exigé.

1 Macchabées 13, 40 Si quelques-uns d'entre vous étaient aptes à s'enrôler dans notre garde du corps, qu'ils se fassent inscrire et que la paix soit faite entre nous."

1 Macchabées 13, 41 L'an 170 le joug des nations fut ôté d'Israël,

1 Macchabées 13, 42 et le peuple commença à écrire sur les actes et les contrats: "En la première année sous Simon, grand prêtre éminent, stratège et higoumène des Juifs."

1 Macchabées 13, 43 En ces jours-là, Simon vint mettre le siège devant Gazara et l'investir avec ses troupes. Il construisit une tour roulante, la fit donner contre la ville, ouvrit une brèche dans l'un des bastions et s'en empara.

1 Macchabées 13, 44 Ceux qui étaient dans la tour sautèrent dans la place, ce qui y produisit une agitation considérable.

1 Macchabées 13, 45 Les habitants de la ville avec leurs femmes et leurs enfants montèrent sur le rempart et, déchirant leurs vêtements, ils demandèrent à grands cris à Simon de faire la paix avec eux:

1 Macchabées 13, 46 "Ne nous traite pas, dirent-ils, selon notre méchanceté, mais selon ta miséricorde."

1 Macchabées 13, 47 Simon fit un arrangement avec eux et ne les combattit pas. Seulement, il les chassa de la ville, purifia les maisons dans lesquelles il y avait des idoles, et alors il y entra au chant des hymnes et des bénédictions.

1 Macchabées 13, 48 Il en bannit toute impureté, y établit des hommes qui pratiquaient la Loi et, l'ayant fortifiée, il s'y bâtit pour lui-même une résidence.

1 Macchabées 13, 49 Quant à ceux de la Citadelle à Jérusalem, ils étaient empêchés de sortir et de se rendre à la campagne, d'acheter et de vendre: ils eurent terriblement faim et nombre d'entre eux furent emportés par la famine.

1 Macchabées 13, 50 Ils demandèrent avec cris à Simon de faire la paix avec eux, ce qu'il leur accorda. Il les chassa de là et purifia la Citadelle de toute souillure.

1 Macchabées 13, 51 Les Juifs y firent leur entrée le 23 du deuxième mois de l'an 171, avec des acclamations et des palmes, au son des lyres, des cymbales et des harpes, au chant des hymnes et des cantiques, parce qu'un grand ennemi avait été brisé et jeté hors d'Israël.

1 Macchabées 13, 52 Simon ordonna de célébrer chaque année ce jour-là avec jubilation. Il fortifia la montagne du sanctuaire du côté de la Citadelle et y habita lui et les siens.

1 Macchabées 13, 53 Simon vit que Jean, son fils, était vraiment un homme; aussi l'établit-il chef de toutes les forces; il résidait à Gazara.

1 Macchabées 14, 1 En l'année 172, le roi Démétrius réunit son armée et s'en alla en Médie se procurer des secours afin de combattre Tryphon.

1 Macchabées 14, 2 Arsace, roi de Perse et de Médie, ayant appris que Démétrius était rentré sur son territoire, envoya un de ses généraux le capturer vivant.

1 Macchabées 14, 3 Celui-ci partit et défit l'armée de Démétrius, dont il se saisit; il l'amena à Arsace, qui le mit en prison.

1 Macchabées 14, 4 Le pays de Juda fut en repos durant tous les jours du règne de Simon. Il chercha le bien de sa nation et son autorité fut agréée des siens, comme sa magnificence, durant toute sa vie.

1 Macchabées 14, 5 En plus de ses titres de gloire, il prit Joppé, en fit son port, et s'ouvrit un accès aux îles de la mer.

1 Macchabées 14, 6 Il recula les frontières de sa nation, tout en gardant le pays en main,

1 Macchabées 14, 7 et regroupa la foule des captifs. Il maîtrisa Gazara, Bethsour et la Citadelle, il en extirpa les impuretés et nul ne se trouva pour lui résister.

1 Macchabées 14, 8 Les gens cultivaient leur terre en paix, la terre donnait ses produits et les arbres de la plaine leurs fruits.

1 Macchabées 14, 9 Les vieillards sur les places étaient assis, tous s'entretenaient de la prospérité, les jeunes revêtaient de magnifiques armures.

1 Macchabées 14, 10 Aux villes il fournit des vivres, il les munit de fortifications, si bien que sa gloire parvint au bout du monde.

1 Macchabées 14, 11 Il fit la paix dans le pays et Israël éprouva une grande allégresse.

1 Macchabées 14, 12 Chacun s'assit sous sa vigne et son figuier et il n'y avait personne pour l'inquiéter.

1 Macchabées 14, 13 Quiconque le combattait dans le pays disparut et, en ces jours-là, les rois furent écrasés.

1 Macchabées 14, 14 Il affermit tous les humbles de son peuple et supprima tout impie et tout méchant. Il observa la Loi,

1 Macchabées 14, 15 couvrit de gloire le sanctuaire et l'enrichit de vases nombreux.

1 Macchabées 14, 16 Lorsqu'on apprit à Rome, et jusqu'à Sparte, que Jonathan était mort, on en fut profondément affligé.

1 Macchabées 14, 17 Mais lorsqu'on entendit que Simon, son frère, lui avait succédé comme grand prêtre et qu'il était maître du pays et des villes qui s'y trouvaient,

1 Macchabées 14, 18 ils lui écrivirent sur des tablettes de bronze pour renouveler avec lui l'amitié et l'alliance qu'ils avaient conclues avec Judas et Jonathan ses frères.

1 Macchabées 14, 19 Lecture en fut donnée devant l'assemblée à Jérusalem.

1 Macchabées 14, 20 Voici la copie des lettres qu'envoyèrent les Spartiates: "Les magistrats et la ville des Spartiates à Simon, grand prêtre, aux anciens, aux prêtres et au reste du peuple des Juifs, salut.

1 Macchabées 14, 21 Les ambassadeurs que vous avez envoyés à notre peuple nous ont informés de votre gloire et de votre bonheur, nous avons été enchantés de leur venue.

1 Macchabées 14, 22 Nous avons enregistré leurs déclarations parmi les décisions populaires en ces termes: Nouménios, fils d'Antiochos, et Antipater, fils de Jason, ambassadeurs des Juifs, sont venus chez nous pour renouer amitié avec nous.

1 Macchabées 14, 23 Et il a plu au peuple de recevoir ces personnages avec honneur et de déposer la copie de leurs discours aux archives publiques, pour que le peuple de Sparte en garde le souvenir. Il en a été exécuté par ailleurs une copie pour Simon le grand prêtre."

1 Macchabées 14, 24 Après cela, Simon envoya Nouménios à Rome avec un grand bouclier d'or du poids de mille mines, pour confirmer l'alliance avec eux.

1 Macchabées 14, 25 En apprenant ces faits, on dit parmi le peuple: "Quel témoignage de reconnaissance donnerons-nous à Simon et à ses fils?

1 Macchabées 14, 26 Car il s'est montré ferme, lui aussi bien que ses frères et la maison de son père; il a, en les combattant, repoussé les ennemis d'Israël loin de lui, et établi sa liberté." Aussi gravèrent-ils un texte sur des tables de bronze et le placèrent-ils sur des stèles au mont Sion.

1 Macchabées 14, 27 Voici la copie de ce texte: "Le dix-huit Elul de l'an 172 qui est la troisième année de Simon, grand prêtre éminent, en Asaramel,

1 Macchabées 14, 28 en la grande assemblée des prêtres, du peuple, des princes de la nation et des anciens du pays, on nous a notifié ceci:

1 Macchabées 14, 29 Lorsque des combats incessants eurent lieu dans la contrée, Simon, fils de Mattathias, descendant des fils de Ioarib, et ses frères se sont exposés au danger et ont tenu tête aux ennemis de leur nation, afin que leur sanctuaire demeurât debout ainsi que la Loi, et ils ont acquis à leur nation une grande gloire.

1 Macchabées 14, 30 Jonathan rassembla sa nation et devint son grand prêtre, puis il alla rejoindre son peuple.

1 Macchabées 14, 31 Les ennemis des Juifs voulurent envahir leur pays pour ravager leur territoire et porter la main sur leur sanctuaire.

1 Macchabées 14, 32 Alors Simon se leva et combattit pour sa nation. Il dépensa beaucoup de ses propres richesses, fournit des armes aux hommes vaillants de sa nation et leur donna une solde;

1 Macchabées 14, 33 il fortifia les villes de Judée ainsi que Bethsour, sur les limites de la Judée, où se trouvaient auparavant les armes des ennemis, et il y mit une garnison de guerriers juifs.

1 Macchabées 14, 34 Il fortifia Joppé sur la mer et Gazara sur les limites d'Azôtos, habitée naguère par des ennemis, où il plaça des colons juifs et entreposa tout ce qui convenait à leur entretien.

1 Macchabées 14, 35 Le peuple vit la fidélité de Simon et la gloire qu'il se proposait de donner à sa nation; ils le constituèrent leur higoumène et leur grand prêtre à cause de tous les services qu'il avait rendus, à cause de la justice et de la fidélité qu'il garda envers sa nation et parce qu'il avait travaillé de toutes manières à l'élévation de son peuple.

1 Macchabées 14, 36 En ces jours, il lui fut donné d'extirper de son pays les nations et ceux qui étaient dans la Cité de David à Jérusalem, dont ils s'étaient fait une citadelle d'où ils opéraient des sorties, souillant les alentours du sanctuaire et portant une atteinte grave à sa sainteté.

1 Macchabées 14, 37 Il y établit des guerriers juifs et la fortifia pour la sécurité du pays et de la ville, et il exhaussa les murailles de Jérusalem.

1 Macchabées 14, 38 Le roi Démétrius lui confirma en conséquence la souveraine sacrificature,

1 Macchabées 14, 39 il l'éleva au rang des amis et l'entoura d'un éclat considérable.

1 Macchabées 14, 40 Le roi en effet avait appris que les Romains appelaient les Juifs amis, alliés et frères, qu'ils avaient reçu avec honneur les ambassadeurs de Simon,

1 Macchabées 14, 41 et que les Juifs et les prêtres avaient jugé bon que Simon fût higoumène et grand prêtre pour toujours jusqu'à ce que paraisse un prophète accrédité;

1 Macchabées 14, 42 et aussi qu'il fût leur stratège et prît soin de désigner les responsables de la fabrique du sanctuaire, de l'administration du pays, des armements et des places fortes;

1 Macchabées 14, 43 (qu'il prît soin du sanctuaire, qu'il fût obéi de tous, que tous les actes dans le pays fussent rédigés en son nom, qu'il fût revêtu de la pourpre et portât des ornements d'or.

1 Macchabées 14, 44 Il ne sera permis à personne du peuple et d'entre les prêtres de rejeter un de ces points, ni de contredire les ordres qu'il donnera, ni de tenir un conciliabule dans le pays à son insu, ni de revêtir la pourpre ou de porter l'agrafe d'or.

1 Macchabées 14, 45 Quiconque agira contrairement à ces décisions ou en rejettera un point, sera passible d'une peine.

1 Macchabées 14, 46 Le peuple trouva bon d'accorder à Simon le droit d'agir suivant ces dispositions.

1 Macchabées 14, 47 Simon accepta et il consentit à exercer le souverain sacerdoce, à être stratège et ethnarque des Juifs et des prêtres, à être à la tête de tous.

1 Macchabées 14, 48 Ils décrétèrent que cet écrit serait gravé sur des tables de bronze qui devraient être placées dans l'enceinte du sanctuaire en un lieu apparent,

1 Macchabées 14, 49 et que des copies en seraient déposées dans le Trésor pour être à la disposition de Simon et de ses fils."

1 Macchabées 15, 1 Antiochus, fils du roi Démétrius, envoya, des îles de la mer, à Simon, prêtre et ethnarque des Juifs, et à toute la nation,

1 Macchabées 15, 2 une lettre ainsi conçue: "Le roi Antiochus à Simon, grand prêtre et ethnarque, et à la nation des Juifs, salut.

1 Macchabées 15, 3 Puisque des malfaiteurs se sont emparés du royaume de nos pères, que je prétends revendiquer la possession du royaume afin de le rétablir dans sa situation antérieure, et que j'ai levé quantité de troupes et équipé des vaisseaux de guerre

1 Macchabées 15, 4 avec l'intention de débarquer dans le pays et de poursuivre ceux qui l'ont ruiné et qui ont dévasté beaucoup de villes de mon royaume,

1 Macchabées 15, 5 je te confirme donc maintenant toutes les remises que t'ont concédées les rois, mes prédécesseurs, et la dispense de tous les autres présents qu'ils t'ont accordée.

1 Macchabées 15, 6 Je te permets de battre monnaie à ton empreinte, avec cours légal dans ton pays.

1 Macchabées 15, 7 Que Jérusalem et le sanctuaire soient libres; que toutes les armes que tu as fabriquées et les forteresses que tu as bâties et que tu occupes te demeurent.

1 Macchabées 15, 8 Que tout ce que tu dois au trésor royal et ce que tu lui devras dans l'avenir te soit remis dès maintenant et pour toujours.

1 Macchabées 15, 9 Lorsque nous aurons conquis notre royaume, nous te gratifierons, toi, ta nation et le sanctuaire, de tels honneurs que votre gloire deviendra éclatante sur toute la terre."

1 Macchabées 15, 10 L'année 174, Antiochus se mit en marche vers le pays de ses pères, et toutes les troupes s'en vinrent à lui, de sorte qu'il resta peu de monde avec Tryphon.

1 Macchabées 15, 11 Antiochus se mit à sa poursuite et Tryphon s'enfuit à Dôra sur la mer,

1 Macchabées 15, 12 car il savait que les malheurs s'amassaient sur lui et que ses troupes l'avaient abandonné.

1 Macchabées 15, 13 Antiochus vint camper devant Dôra, avec 120.000 combattants et 8.000 cavaliers.

1 Macchabées 15, 14 Il investit la ville, et les vaisseaux s'approchèrent du côté de la mer, de sorte qu'il pressait la ville par terre et par mer et ne laissait personne entrer ni sortir.

1 Macchabées 15, 15 Cependant, Nouménios et ses compagnons arrivèrent de Rome avec des lettres adressées aux rois et aux pays; en voici la teneur:

1 Macchabées 15, 16 "Lucius, consul des Romains, au roi Ptolémée, salut.

1 Macchabées 15, 17 Les ambassadeurs des Juifs sont venus chez nous en amis et en alliés pour renouveler l'amitié et l'alliance de jadis, envoyés par le grand prêtre Simon et le peuple des Juifs.

1 Macchabées 15, 18 Ils ont apporté un bouclier d'or de mille mines.

1 Macchabées 15, 19 Il nous a plu, en conséquence, d'écrire aux rois et aux pays de ne pas leur chercher noise, de ne pas leur faire la guerre, ni à leurs villes, ni à leur pays, et de ne pas s'allier à ceux qui les attaqueraient.

1 Macchabées 15, 20 Nous avons décrété de recevoir le bouclier de leur part.

1 Macchabées 15, 21 Si donc des gens pernicieux se sont enfuis de leur pays pour se réfugier chez vous, livrez-les au grand prêtre Simon pour qu'il les punisse suivant leurs lois."

1 Macchabées 15, 22 La même lettre fut adressée au roi Démétrius, à Attale, à Ariarathe, à Arsace

1 Macchabées 15, 23 et à tous les pays, à Sampsamé, aux Spartiates, à Délos, à Myndos, à Sicyone, à la Carie, à Samos, à la Pamphylie, à la Lycie, à Halicarnasse, à Rhodes, à Phasélis, à Cos, à Sidè, à Arados, à Gortyne, à Cnide, à Chypre et à Cyrène.

1 Macchabées 15, 24 Ils rédigèrent une copie de ces lettres pour le grand prêtre Simon.

1 Macchabées 15, 25 Le roi Antiochus campait devant Dôra, dans le faubourg, faisant avancer continuellement les détachements contre la ville et construisant des machines. Il bloquait Tryphon de sorte qu'on ne pouvait ni sortir ni entrer.

1 Macchabées 15, 26 Simon lui envoya 2.000 hommes d'élite pour prendre part au combat, avec de l'argent, de l'or et un matériel considérable.

1 Macchabées 15, 27 Il ne voulut pas les recevoir; bien plus, il révoqua tout ce dont il avait convenu avec Simon auparavant et il devint tout autre à son égard.

1 Macchabées 15, 28 Il lui envoya Athénobius, un de ses amis, pour conférer avec lui et lui dire: "Vous occupez Joppé, Gazara et la Citadelle qui est à Jérusalem, villes de mon royaume.

1 Macchabées 15, 29 Vous avez dévasté leurs territoires, vous avez fait beaucoup de mal au pays et vous vous êtes rendu maîtres de nombreuses localités de mon royaume.

1 Macchabées 15, 30 Rendez donc maintenant les villes que vous avez prises et les impôts des cantons dont vous vous êtes emparés en dehors des limites de la Judée.

1 Macchabées 15, 31 Ou bien donnez à leur place 500 talents d'argent et, pour les dévastations que vous avez commises et pour les impôts des villes, 500 autres talents; sinon, nous viendrons vous faire la guerre."

1 Macchabées 15, 32 Athénobius, ami du roi, vint à Jérusalem et vit la magnificence de Simon, son buffet garni de vases d'or et d'argent et tout l'apparat dont il s'entourait. Il en fut stupéfait et lui fit connaître les paroles du roi.

1 Macchabées 15, 33 Simon lui répondit en ces termes: "Ce n'est point une terre étrangère que nous avons prise ni des biens d'autrui que nous avons conquis, mais c'est l'héritage de nos pères: c'est injustement que nos ennemis l'ont possédé un certain temps.

1 Macchabées 15, 34 Mais nous, trouvant l'occasion favorable, nous récupérons l'héritage de nos pères.

1 Macchabées 15, 35 Quant à Joppé et à Gazara que tu réclames, ces villes faisaient beaucoup de mal au peuple et désolaient notre pays, pour elles nous donnerons cent talents." L'envoyé ne lui répondit mot.

1 Macchabées 15, 36 Il s'en revint furieux chez le roi et lui fit connaître la réponse et la magnificence de Simon, bref, tout ce qu'il avait vu, ce qui mit le roi dans une grande colère.

1 Macchabées 15, 37 Or Tryphon, étant monté sur un bateau, s'enfuit à Orthosia.

1 Macchabées 15, 38 Le roi institua Kendébée épistratège de la Zone Maritime et lui confia une armée de fantassins et de cavaliers.

1 Macchabées 15, 39 Il lui donna l'ordre de camper en face de la Judée et lui enjoignit de construire Kédrôn, de consolider ses portes et de guerroyer contre le peuple; quant au roi il se mit à la poursuite de Tryphon.

1 Macchabées 15, 40 Kendébée se rendit à Iamnia et ne tarda pas à provoquer le peuple, à envahir la Judée, à faire des prisonniers et à massacrer.

1 Macchabées 15, 41 Il rebâtit Kédrôn et y cantonna des cavaliers et des fantassins pour opérer des sorties et patrouiller sur les chemins de Judée, comme le roi le lui avait ordonné.

1 Macchabées 16, 1 Jean monta de Gazara et avertit Simon son père de ce que Kendébée était en train d'accomplir.

1 Macchabées 16, 2 Simon appela alors ses deux fils les plus âgés, Judas et Jean, et leur dit: "Mes frères et moi, et la maison de mon père, nous avons combattu les ennemis d'Israël depuis notre jeunesse jusqu'à ce jour, et nos mains ont réussi à sauver Israël maintes fois.

1 Macchabées 16, 3 Maintenant je suis vieux, tandis que vous, par la miséricorde du ciel, vous êtes d'un âge suffisant: prenez ma place et celle de mon frère et partez combattre pour notre nation, et que le secours du Ciel soit avec vous."

1 Macchabées 16, 4 Puis il choisit dans le pays 20.000 combattants et des cavaliers qui marchèrent sur Kendébée et passèrent la nuit à Modîn.

1 Macchabées 16, 5 S'étant levés le matin, ils s'avancèrent vers la plaine. Et voici qu'une armée nombreuse venait à leur rencontre, fantassins et cavaliers, mais il y avait un torrent entre eux.

1 Macchabées 16, 6 Jean prit position en face des ennemis, lui et sa troupe, et, voyant que la troupe craignait de traverser le torrent, il passa le premier. A cette vue, ses hommes à leur tour passèrent après lui.

1 Macchabées 16, 7 Il divisa la troupe (en deux corps) avec les cavaliers au milieu des fantassins, car la cavalerie des adversaires était fort nombreuse.

1 Macchabées 16, 8 Les trompettes retentirent et Kendébée fut mis en fuite avec son armée; beaucoup tombèrent frappés à mort; ceux qui échappèrent s'enfuirent vers la forteresse.

1 Macchabées 16, 9 C'est alors que fut blessé Judas, le frère de Jean. Quant à Jean, il les poursuivit jusqu'à ce que Kendébée arrivât à Kédrôn qu'il avait rebâtie.

1 Macchabées 16, 10 Ils s'enfuirent jusqu'aux tours qui sont dans les champs d'Azôtos, que Jean incendia. 2.000 d'entre eux succombèrent et il retourna en paix dans la Judée.

1 Macchabées 16, 11 Ptolémée fils d'Aboubos avait été établi stratège de la plaine de Jéricho, il possédait beaucoup d'or et d'argent,

1 Macchabées 16, 12 car il était le gendre du grand prêtre.

1 Macchabées 16, 13 Son coeur s'enorgueillit; il aspira à se rendre maître du pays et formait des desseins perfides contre Simon et ses fils pour les supprimer.

1 Macchabées 16, 14 Or Simon faisait une tournée d'inspection dans les villes du pays, soucieux de ce qui regardait leur administration. Il descendit à Jéricho, lui et ses fils Mattathias et Judas, l'année 177, au onzième mois qui est le mois de Shebat.

1 Macchabées 16, 15 Le fils d'Aboubos les reçut par ruse dans une petite forteresse, nommée Dôk, qu'il avait bâtie. Il leur servit un grand banquet et cacha des hommes (dans le fortin).

1 Macchabées 16, 16 Lorsque Simon fut ivre ainsi que ses fils, Ptolémée se leva avec ses hommes et, prenant leurs armes, ils se précipitèrent sur Simon dans la salle du festin et le tuèrent avec ses deux fils et quelques-uns de ses serviteurs.

1 Macchabées 16, 17 Il commit ainsi une grande perfidie et rendit le mal pour le bien.

1 Macchabées 16, 18 Ptolémée en écrivit un rapport qu'il adressa au roi, afin de se faire envoyer des troupes de secours et de lui livrer les villes et la province.

1 Macchabées 16, 19 Il envoya d'autres émissaires à Gazara pour supprimer Jean, et manda par lettre aux chiliarques de venir auprès de lui pour qu'il leur donnât de l'argent, de l'or et des présents.

1 Macchabées 16, 20 Il en dépêcha d'autres pour prendre possession de Jérusalem et de la montagne du sanctuaire.

1 Macchabées 16, 21 Mais quelqu'un, ayant pris les devants, avait annoncé à Jean, à Gazara, que son père et ses frères avaient péri, et il dit: "Il a envoyé quelqu'un pour te tuer toi aussi."

1 Macchabées 16, 22 A cette nouvelle, Jean fut tout bouleversé; il arrêta les hommes venus pour le tuer et les mit à mort, car il savait qu'ils cherchaient à le perdre.

1 Macchabées 16, 23 Quant au reste des actions de Jean, ses combats et les exploits qu'il accomplit, les remparts qu'il construisit et ses autres entreprises,

1 Macchabées 16, 24 cela est écrit dans le livre des Annales de son pontificat depuis le jour où il devint grand prêtre après son père.

 

 

 

 

II Maccabées

 

1, 1 A leurs frères, aux Juifs qui sont en Egypte, salut; les Juifs, leurs frères, qui sont à Jérusalem et ceux du pays de Judée leur souhaitent une paix excellente.

2 Maccabées 1, 2 Que Dieu vous comble de ses bienfaits, qu'il se souvienne de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob, ses fidèles serviteurs.

2 Maccabées 1, 3 Qu'il vous donne à tous un coeur pour l'adorer et accomplir ses volontés généreusement et de bon gré.

2 Maccabées 1, 4 Qu'il ouvre votre coeur à sa Loi et à ses préceptes et qu'il instaure la paix.

2 Maccabées 1, 5 Qu'il exauce vos prières et se réconcilie avec vous, qu'il ne vous abandonne pas au temps du malheur.

2 Maccabées 1, 6 En ce moment, ici même, nous sommes en prière pour vous.

2 Maccabées 1, 7 Sous le règne de Démétrius, l'an 169, nous, les Juifs, nous vous avons écrit ceci: "Au cours de la détresse et de la crise qui fondirent sur nous en ces années, depuis que Jason et ses partisans avaient trahi la Terre sainte et le royaume,

2 Maccabées 1, 8 ils incendièrent la grande porte (du Temple) et répandirent le sang innocent. Alors nous avons prié le Seigneur et nous avons été exaucés; nous avons offert un sacrifice et de la fleur de farine; nous avons allumé les lampes et exposé les pains."

2 Maccabées 1, 9 Et maintenant nous vous écrivons pour que vous célébriez la fête des Tentes du mois de Kisleu.

2 Maccabées 1, 10 En l'année 188.Ceux qui sont à Jérusalem et ceux qui sont en Judée, le sénat et Judas, à Aristobule, conseiller du roi Ptolémée et issu de la race des prêtres consacrés, aux Juifs qui sont en Egypte, salut et bonne santé.

2 Maccabées 1, 11 Sauvés par Dieu de graves périls, nous le remercions grandement de ce qu'il est notre champion contre le roi,

2 Maccabées 1, 12 car c'est lui qui a emporté ceux qui ont marché en armes contre la ville sainte.

2 Maccabées 1, 13 Leur chef, en effet, étant allé en Perse, fut taillé en pièces, avec son armée qui paraissait irrésistible, dans le temple de Nanaia, grâce à un expédient dont usèrent les prêtres de la déesse.

2 Maccabées 1, 14 Sous prétexte d'épouser Nanaia, Antiochus se rendit en ce lieu avec ses amis dans le but d'en recevoir les très grandes richesses à titre de dot.

2 Maccabées 1, 15 Les prêtres du Nanaion les avaient exposées, et lui s'était présenté avec quelques personnes dans l'enceinte du sanctuaire. Dès qu'Antiochus fut entré dans le temple, ils le fermèrent et,

2 Maccabées 1, 16 ayant ouvert la porte secrète dans les lambris du plafond, ils foudroyèrent le chef en lançant des pierres. Ils le coupèrent en morceaux et jetèrent la tête à ceux qui se trouvaient dehors.

2 Maccabées 1, 17 Qu'en toute chose notre Dieu soit béni, lui qui a livré (à la mort) les sacrilèges!

2 Maccabées 1, 18 Comme nous allons célébrer, le 25 Kisleu, la purification du Temple, nous avons jugé bon de vous en informer, afin que vous aussi vous la célébriez à la manière de la fête des Tentes et du feu qui se manifesta quand Néhémie, ayant construit le sanctuaire et l'autel, offrit des sacrifices.

2 Maccabées 1, 19 Lorsque nos pères, en effet, furent emmenés en Perse, les prêtres pieux d'alors prirent du feu de l'autel et le cachèrent secrètement dans une cavité semblable à un puits desséché. Ils l'y mirent en sûreté de telle sorte que l'endroit demeurât ignoré de tous.

2 Maccabées 1, 20 Nombre d'années s'étant écoulées, lorsque tel fut le bon plaisir de Dieu, Néhémie, envoyé par le roi de Perse, fit rechercher le feu par les descendants des prêtres qui l'avaient caché. Comme ils expliquaient qu'en fait ils n'avaient pas trouvé de feu, mais une eau épaisse, il leur ordonna d'en puiser et de la rapporter.

2 Maccabées 1, 21 Quand on l'eut apportée, Néhémie commanda aux prêtres de répandre cette eau sur ce qui était nécessaire aux sacrifices, le bois et ce qu'on avait placé dessus.

2 Maccabées 1, 22 Cet ordre une fois exécuté, et le moment venu où le soleil, d'abord obscurci par les nuages, se remit à briller, un grand brasier s'alluma, ce qui suscita l'admiration de tout le monde.

2 Maccabées 1, 23 Tandis que le sacrifice se consumait, les prêtres faisaient la prière: tous les prêtres avec Jonathan qui entonnait, les autres reprenant comme Néhémie.

2 Maccabées 1, 24 Cette prière était ainsi conçue: "Seigneur, Seigneur Dieu, créateur de toutes choses, redoutable, fort, juste, miséricordieux, le seul roi, le seul bon,

2 Maccabées 1, 25 le seul libéral, le seul juste, tout-puissant et éternel, qui sauves Israël de tout mal, qui as fait de nos pères tes élus et les as sanctifiés,

2 Maccabées 1, 26 reçois ce sacrifice pour tout ton peuple d'Israël; garde ton héritage et sanctifie-le.

2 Maccabées 1, 27 Rassemble ceux d'entre nous qui sont dispersés, délivre ceux qui sont en esclavage parmi les nations, regarde favorablement ceux qui sont objets de mépris et d'abomination, afin que les nations reconnaissent que tu es notre Dieu.

2 Maccabées 1, 28 Châtie ceux qui nous tyrannisent et nous outragent insolemment,

2 Maccabées 1, 29 implante ton peuple dans ton lieu saint, comme l'a dit Moïse."

2 Maccabées 1, 30 Les prêtres exécutaient les hymnes sur la harpe.

2 Maccabées 1, 31 Quand le sacrifice fut consumé, Néhémie ordonna de verser le reste de l'eau sur de grandes pierres.

2 Maccabées 1, 32 Cela fait, une flamme s'alluma, qui fut absorbée par l'éclat concurrent du feu de l'autel.

2 Maccabées 1, 33 Lorsque le fait eut été divulgué et qu'on eut raconté au roi des Perses que, dans le lieu où les prêtres déportés avaient caché le feu, une eau avait paru avec laquelle Néhémie et ses compagnons avaient purifié les offrandes du sacrifice,

2 Maccabées 1, 34 le roi, ayant vérifié l'événement, entoura le lieu et fit un sanctuaire.

2 Maccabées 1, 35 A ceux à qui le roi le concédait, il faisait part des grands revenus qu'il en retirait.

2 Maccabées 1, 36 Néhémie et ses gens nommèrent ce liquide "nephtar", ce qui s'interprète par purification, mais on l'appelle généralement naphte.

2 Maccabées 2, 1 On trouve dans les documents que le prophète Jérémie donna aux déportés l'ordre de prendre du feu, comme on l'a indiqué,

2 Maccabées 2, 2 et comment, leur ayant donné la Loi, le prophète recommanda à ceux qu'on emmenait de ne pas oublier les préceptes du Seigneur et de ne pas s'égarer dans leurs pensées en voyant des statues d'or et d'argent et les ornements dont elles étaient revêtues.

2 Maccabées 2, 3 Entre autres conseils analogues, il leur adressa celui de ne pas laisser la Loi s'éloigner de leur coeur.

2 Maccabées 2, 4 Il y avait dans cet écrit qu'averti par un oracle, le prophète se fit accompagner par la tente et l'arche, lorsqu'il se rendit à la montagne où Moïse, étant monté, contempla l'héritage de Dieu.

2 Maccabées 2, 5 Arrivé là, Jérémie trouva une habitation en forme de grotte et il y introduisit la tente, l'arche, l'autel des parfums, puis il en obstrua l'entrée.

2 Maccabées 2, 6 Quelques-uns de ses compagnons, étant venus ensuite pour marquer le chemin par des signes, ne purent le retrouver.

2 Maccabées 2, 7 Ce qu'apprenant, Jérémie leur fit des reproches: "Ce lieu sera inconnu, dit-il, jusqu'à ce que Dieu ait opéré le rassemblement de son peuple et lui ait fait miséricorde.

2 Maccabées 2, 8 Alors le Seigneur manifestera de nouveau ces objets, la gloire du Seigneur apparaîtra ainsi que la Nuée, comme elle se montra au temps de Moïse et quand Salomon pria pour que le saint lieu fût glorieusement consacré."

2 Maccabées 2, 9 On racontait en outre comment, doué du don de sagesse, celui-ci offrit le sacrifice de la dédicace et de l'achèvement du sanctuaire.

2 Maccabées 2, 10 De même que Moïse avait prié le Seigneur et fait descendre le feu du ciel qui consuma le sacrifice, ainsi Salomon pria et le feu venu d'en haut dévora les holocaustes.

2 Maccabées 2, 11 Moïse avait dit: "Parce qu'il n'a pas été mangé, le sacrifice pour le péché a été consumé."

2 Maccabées 2, 12 Salomon célébra pareillement les huit jours de fête.

2 Maccabées 2, 13 Outre ces mêmes faits, il était encore raconté dans ces écrits et dans les Mémoires de Néhémie comment ce dernier, fondant une bibliothèque, y réunit les livres qui concernaient les rois, les écrits des prophètes et de David, et les lettres des rois au sujet des offrandes.

2 Maccabées 2, 14 Judas pareillement a rassemblé tous les livres dispersés à cause de la guerre qu'on nous a faite, et ils sont entre nos mains.

2 Maccabées 2, 15 Si donc vous en avez besoin, envoyez-nous des gens qui vous en rapporteront.

2 Maccabées 2, 16 Puisque nous sommes sur le point de célébrer la purification, nous vous en écrivons. Vous ferez bien par conséquent d'en célébrer les jours.

2 Maccabées 2, 17 Le Dieu qui a sauvé tout son peuple et qui a conféré à tous l'héritage, la royauté, le sacerdoce et la sanctification,

2 Maccabées 2, 18 comme il l'avait promis par la Loi, ce Dieu, certes, nous l'espérons, aura bientôt pitié de nous et, des régions qui sont sous le ciel, il nous rassemblera dans le saint lieu, car il nous a arrachés à de grands maux et il l'a purifié.

2 Maccabées 2, 19 L'histoire de Judas Maccabée et de ses frères, la purification du très grand sanctuaire, la dédicace de l'autel,

2 Maccabées 2, 20 les guerres contre Antiochus Epiphane et son fils Eupator,

2 Maccabées 2, 21 et les manifestations célestes produites en faveur des braves qui luttèrent généreusement pour le Judaïsme, de telle sorte que malgré leur petit nombre ils pillèrent toute la contrée et mirent en fuite les hordes barbares,

2 Maccabées 2, 22 recouvrèrent le sanctuaire fameux dans tout l'univers, délivrèrent la ville, rétablirent les lois menacées d'abolition, le Seigneur leur ayant été propice avec toute sa mansuétude,

2 Maccabées 2, 23 tout cela ayant été exposé en cinq livres par Jason de Cyrène, nous essaierons de le résumer en un seul ouvrage.

2 Maccabées 2, 24 Considérant le flot des chiffres et la difficulté qu'éprouvent ceux qui veulent entrer dans les détours des récits de l'histoire, à cause de l'abondance de la matière,

2 Maccabées 2, 25 nous avons eu le souci d'offrir de l'agrément à ceux qui se contentent d'une simple lecture, de la commodité à ceux qui aiment à confier les faits à leur mémoire, de l'avantage à tous indistinctement.

2 Maccabées 2, 26 Pour nous qui avons assumé le pénible labeur de ce résumé, c'est là non une tâche aisée, mais une affaire de sueurs et de veilles,

2 Maccabées 2, 27 non moins difficile que celle de l'ordonnateur d'un festin qui cherche à procurer la satisfaction des autres. De la même façon, pour rendre service à nombre de gens, nous supporterons agréablement ce pénible labeur,

2 Maccabées 2, 28 laissant à l'écrivain le soin d'être complet sur chaque événement pour nous efforcer de suivre les contours d'un simple précis.

2 Maccabées 2, 29 De même en effet que l'architecte d'une maison neuve doit s'occuper de toute la structure, tandis que celui qui se charge de la décorer de peintures à l'encaustique doit rechercher ce qui est approprié à l'ornementation, ainsi, pensé-je, en est-il pour nous.

2 Maccabées 2, 30 Pénétrer dans les questions et en faire le tour pour en examiner avec curiosité tout le détail appartient à celui qui compose l'histoire,

2 Maccabées 2, 31 mais, à celui qui fait une adaptation, il faut concéder qu'il recherche la concision de l'exposé et renonce à une histoire exhaustive.

2 Maccabées 2, 32 Commençons donc ici notre relation sans rien ajouter à ce qui a été dit, car il serait sot d'être diffus avant d'entamer l'histoire et concis dans l'histoire elle-même.

2 Maccabées 3, 1 Tandis que la ville sainte était habitée dans une paix complète et qu'on y observait les lois le plus exactement possible, à cause de la piété du grand prêtre Onias et de sa haine pour le mal,

2 Maccabées 3, 2 il arrivait que les rois eux-mêmes honoraient le saint lieu et rehaussaient la gloire du Temple par les dons les plus magnifiques,

2 Maccabées 3, 3 si bien que Séleucus, roi d'Asie, couvrait de ses revenus personnels toutes les dépenses nécessaires au service des sacrifices.

2 Maccabées 3, 4 Mais un certain Simon, de la tribu de Bilga, institué prévôt du Temple, se trouva en désaccord avec le grand prêtre sur la police des marchés de la ville.

2 Maccabées 3, 5 Comme il ne pouvait l'emporter sur Onias, il alla trouver Apollonius, fils de Thraséos, qui était à cette époque le stratège de Coelé-Syrie et de Phénicie.

2 Maccabées 3, 6 Il rapporta que le trésor de Jérusalem regorgeait de richesses indicibles au point que la quantité des sommes en était incalculable et nullement en rapport avec le compte exigé par les sacrifices: il était possible de les faire tomber en la possession du roi.

2 Maccabées 3, 7 Au cours d'une entrevue avec le roi, Apollonius mit celui-ci au courant des richesses qu'on lui avait dénoncées. Arrêtant son choix sur Héliodore, qui était à la tête des affaires, le roi l'envoya avec ordre de procéder à l'enlèvement des susdites richesses.

2 Maccabées 3, 8 Aussitôt Héliodore se mettait en route, en apparence pour inspecter les villes de Coelé-Syrie et de Phénicie, en fait pour accomplir les intentions du roi.

2 Maccabées 3, 9 Arrivé à Jérusalem, et reçu avec bienveillance par le grand prêtre et par la ville, il fit part de ce qu'on avait dévoilé et manifesta le but de sa présence, demandant ensuite si véritablement il en était ainsi.

2 Maccabées 3, 10 Le grand prêtre lui représenta que le trésor contenait les dépôts des veuves et des orphelins

2 Maccabées 3, 11 et une somme appartenant à Hyrcan, fils de Tobie, personnage occupant une très haute situation, et qu'à l'encontre de ce que colportait faussement l'impie Simon, il y avait en tout 400 talents d'argent et 200 talents d'or;

2 Maccabées 3, 12 qu'au reste il était absolument impossible de faire tort à ceux qui s'étaient confiés à la sainteté de ce lieu, à la majesté et à l'inviolabilité d'un Temple vénéré dans le monde entier.

2 Maccabées 3, 13 Mais Héliodore, en vertu des ordres qu'il avait reçus du roi, soutenait absolument que ces richesses devaient être confisquées au profit du trésor royal.

2 Maccabées 3, 14 Au jour fixé par lui, il entrait pour dresser un inventaire de ces richesses. Une grande anxiété régna dans toute la ville.

2 Maccabées 3, 15 Revêtus de leurs habits sacerdotaux, les prêtres, prosternés devant l'autel, invoquaient le ciel, auteur de la loi sur les dépôts, le priant de conserver ces biens intacts à ceux qui les avaient déposés.

2 Maccabées 3, 16 A voir l'aspect du grand prêtre, on ne pouvait manquer de sentir une blessure jusqu'au fond du coeur, tant son air et l'altération de son teint trahissaient l'angoisse de son âme.

2 Maccabées 3, 17 En proie à la frayeur et au tremblement dans tout son corps, cet homme manifestait à ceux qui le regardaient la souffrance installée dans son coeur.

2 Maccabées 3, 18 Des gens se précipitaient par groupes hors des maisons pour prier tous ensemble parce que le saint lieu était menacé d'opprobre.

2 Maccabées 3, 19 Les femmes, ceintes de sacs au-dessous des seins, remplissaient les rues; les jeunes filles qui étaient tenues à la maison couraient, les unes aux portes, les autres sur les murs, certaines se penchaient aux fenêtres:

2 Maccabées 3, 20 toutes, les mains tendues vers le ciel, proféraient leur supplication.

2 Maccabées 3, 21 C'était pitié de voir la prostration confuse de la multitude et l'appréhension du grand prêtre en proie à une grande inquiétude.

2 Maccabées 3, 22 Pendant que d'un côté on demandait au Seigneur tout-puissant de garder intacts, en toute sûreté, les dépôts à ceux qui les avaient confiés,

2 Maccabées 3, 23 Héliodore, d'autre part, exécutait ce qui avait été décidé.

2 Maccabées 3, 24 Il était déjà là avec ses satellites, près du Trésor, lorsque le Souverain des Esprits et de toute Puissance se manifesta, avec un tel éclat que tous ceux qui avaient osé entrer là, frappés par la force de Dieu, se trouvèrent sans vigueur ni courage.

2 Maccabées 3, 25 A leurs yeux apparut un cheval monté par un redoutable cavalier et richement caparaçonné; bondissant avec impétuosité, il agitait contre Héliodore ses sabots de devant. L'homme qui le montait paraissait avoir une armure d'or.

2 Maccabées 3, 26 Deux autres jeunes hommes lui apparurent en même temps, d'une force remarquable, éclatants de beauté, couverts d'habits magnifiques; s'étant placés l'un d'un côté, l'autre de l'autre, ils le flagellaient sans relâche, lui portant une grêle de coups.

2 Maccabées 3, 27 Héliodore, soudain tombé à terre, fut environné d'épaisses ténèbres. On le ramassa pour le mettre dans une litière,

2 Maccabées 3, 28 et cet homme, qui venait d'entrer dans la chambre dudit Trésor avec un nombreux entourage et tous ses gardes du corps, fut emporté, incapable de s'aider lui-même, par des gens qui reconnaissaient ouvertement la souveraineté de Dieu.

2 Maccabées 3, 29 Pendant que cet homme, sous le coup de la puissance divine, gisait sans voix, privé de tout espoir et de tout secours,

2 Maccabées 3, 30 les autres bénissaient le Seigneur qui avait miraculeusement glorifié son saint lieu. Et le sanctuaire, qui un instant auparavant était plein de frayeur et de trouble, fut, par la manifestation du Seigneur tout-puissant, débordant de joie et d'allégresse.

2 Maccabées 3, 31 Certains des compagnons d'Héliodore s'empressèrent de demander à Onias de prier le Très-Haut et d'accorder la vie à celui qui gisait n'ayant plus qu'un souffle.

2 Maccabées 3, 32 Dans la crainte que le roi ne soupçonnât par hasard les Juifs d'avoir joué un mauvais tour à Héliodore, le grand prêtre offrit un sacrifice pour le retour de cet homme à la vie.

2 Maccabées 3, 33 Alors que le grand prêtre offrait le sacrifice d'expiation, les mêmes jeunes hommes apparurent à Héliodore revêtus des mêmes habits, et, se tenant debout, lui dirent: "Rends mille actions de grâces au grand prêtre Onias, car c'est en considération de lui que le Seigneur t'accorde la vie sauve.

2 Maccabées 3, 34 Quant à toi, ainsi fustigé du Ciel, annonce à tous la grandeur de la force de Dieu." Ayant dit ces paroles, ils disparurent.

2 Maccabées 3, 35 Héliodore, ayant offert un sacrifice au Seigneur et fait les plus grands voeux à celui qui lui avait conservé la vie, prit amicalement congé d'Onias et revint avec son armée auprès du roi.

2 Maccabées 3, 36 Il rendait témoignage à tous des oeuvres du Dieu très grand qu'il avait contemplées de ses yeux.

2 Maccabées 3, 37 Au roi lui demandant quel homme lui paraissait propre à être envoyé une fois encore à Jérusalem, Héliodore répondit:

2 Maccabées 3, 38 "Si tu as quelque ennemi ou quelque conspirateur contre l'Etat, envoie-le là-bas et il te reviendra déchiré par les fouets, si toutefois il en réchappe, car il y a vraiment pour le lieu saint une puissance toute particulière de Dieu.

2 Maccabées 3, 39 Celui qui a sa demeure dans le ciel veille sur ce lieu et le protège; ceux qui y viennent avec de mauvais desseins, il les frappe et les fait périr."

2 Maccabées 3, 40 C'est ainsi que se passèrent les choses relatives à Héliodore et à la sauvegarde du trésor sacré.

2 Maccabées 4, 1 Le susdit Simon, passé dénonciateur du trésor et de la patrie, calomniait Onias comme si ce dernier avait fait assaillir Héliodore et avait été l'artisan de ce malheur.

2 Maccabées 4, 2 Le bienfaiteur de la cité, le protecteur de ses frères de race, le zélé observateur des lois, il osait en faire un ennemi de la chose publique.

2 Maccabées 4, 3 Cette haine grandit au point que des meurtres furent commis par des affidés de Simon.

2 Maccabées 4, 4 Considérant combien une telle rivalité était fâcheuse, et qu'Apollonius, fils de Ménesthée, stratège de Coelé-Syrie et Phénicie, ne faisait qu'accroître la méchanceté de Simon,

2 Maccabées 4, 5 Onias se transporta chez le roi, non pour être l'accusateur de ses concitoyens, mais ayant en vue l'intérêt général et particulier de tout le peuple.

2 Maccabées 4, 6 Il voyait bien en effet que, sans une intervention royale, il était impossible d'obtenir désormais la paix publique, et que Simon ne mettrait pas un terme à sa folie.

2 Maccabées 4, 7 Séleucus ayant quitté cette vie et Antiochus, surnommé Epiphane, lui ayant succédé, Jason, frère d'Onias, usurpa le pontificat:

2 Maccabées 4, 8 il promit au roi, au cours d'une entrevue, 360 talents d'argent et 80 talents à prélever sur quelque autre revenu.

2 Maccabées 4, 9 Il s'engageait en outre à payer 150 autres talents si le roi lui donnait pouvoir d'établir un gymnase et une éphébie et de dresser la liste des Antiochéens de Jérusalem.

2 Maccabées 4, 10 Le roi ayant consenti, Jason, dès qu'il eut saisi le pouvoir, amena ses frères de race à la pratique de la vie grecque.

2 Maccabées 4, 11 Il supprima les franchises que les rois, par philanthropie, avaient accordées aux Juifs grâce à l'entremise de Jean, père de cet Eupolème qui sera envoyé en ambassade pour conclure un traité d'amitié et d'alliance avec les Romains; détruisant les institutions légitimes, Jason inaugura des usages contraires à la Loi.

2 Maccabées 4, 12 Il se fit en effet un plaisir de fonder un gymnase au pied même de l'acropole, et il conduisit les meilleurs des éphèbes sous le pétase.

2 Maccabées 4, 13 L'hellénisme atteignit une telle vigueur et la mode étrangère un tel degré, par suite de l'excessive perversité de Jason impie et pas du tout pontife,

2 Maccabées 4, 14 que les prêtres ne montraient plus aucun zèle pour le service de l'autel, mais que, méprisant le Temple et négligeant les sacrifices, ils se hâtaient de prendre part, dès l'appel du gong, à la distribution, prohibée par la Loi, de l'huile dans la palestre;

2 Maccabées 4, 15 ne faisant aucun cas des honneurs de leur patrie, ils estimaient au plus haut point les gloires helléniques.

2 Maccabées 4, 16 C'est bien pour ces raisons qu'ils se trouvèrent ensuite dans des situations pénibles, et qu'en ceux-là mêmes dont ils cherchaient à copier les façons de vivre et auxquels ils voulaient ressembler en tout, ils rencontrèrent des ennemis et des bourreaux.

2 Maccabées 4, 17 On ne viole pas impunément les lois divines, c'est ce que démontrera la période suivante.

2 Maccabées 4, 18 Comme on célébrait à Tyr les jeux quadriennaux en présence du roi,

2 Maccabées 4, 19 l'abject Jason envoya des ambassadeurs, à titre d'Antiochéens de Jérusalem, portant avec eux 300 drachmes d'argent pour le sacrifice à Héraclès. Mais ceux-là mêmes qui les portaient jugèrent qu'il ne convenait pas de les affecter au sacrifice et qu'elles seraient réservées à une autre dépense.

2 Maccabées 4, 20 Ainsi, l'argent destiné au sacrifice d'Héraclès par celui qui l'envoyait fut affecté, à cause de ceux qui l'apportaient, à la construction des trirèmes.

2 Maccabées 4, 21 Apollonius, fils de Ménesthée, avait été envoyé en Egypte pour assister aux noces du roi Philométor. Antiochus apprit que ce dernier était devenu hostile à ses affaires et se préoccupa de sa propre sécurité: c'est ce qui l'amena à Joppé, d'où il se rendit à Jérusalem.

2 Maccabées 4, 22 Grandement reçu par Jason et par la ville, il fut introduit à la lumière des flambeaux et au milieu des acclamations. A la suite de quoi, il emmena l'armée camper en Phénicie.

2 Maccabées 4, 23 Au bout de trois ans, Jason envoya Ménélas, frère du Simon signalé plus haut, porter l'argent au roi et mener à bien les négociations des affaires urgentes.

2 Maccabées 4, 24 Ménélas, s'étant fait recommander au roi et l'ayant abordé avec les manières d'un personnage de marque, se fit attribuer le pontificat à lui-même, offrant 300 talents d'argent de plus que n'avait offert Jason.

2 Maccabées 4, 25 Muni des lettres royales d'investiture, il s'en revint, n'ayant rien qui fût digne de la grand-prêtrise mais n'apportant que les fureurs d'un tyran cruel et les rages d'une bête sauvage.

2 Maccabées 4, 26 Ainsi Jason qui avait supplanté son propre frère, supplanté à son tour par un autre, dut gagner en fugitif l'Ammanitide.

2 Maccabées 4, 27 Quant à Ménélas, il possédait sans doute le pouvoir, mais il ne versait rien au roi des sommes qu'il lui avait promises.

2 Maccabées 4, 28 Sostrate cependant, préfet de l'acropole, lui présentait des réclamations, car c'est à lui que revenait la perception des impôts. Aussi bien tous les deux furent-ils convoqués par le roi.

2 Maccabées 4, 29 Tandis que Ménélas laissait pour le remplacer comme grand prêtre son propre frère Lysimaque, Sostrate laissait Kratès, le chef des Chypriotes.

2 Maccabées 4, 30 Sur ces entrefaites, il arriva que les habitants de Tarse et de Mallos se révoltèrent parce que leurs villes avaient été données en présent à Antiochis, la concubine du roi.

2 Maccabées 4, 31 Le roi alla donc en hâte régler cette affaire, laissant pour le remplacer Andronique, l'un des grands dignitaires.

2 Maccabées 4, 32 Convaincu de saisir une occasion favorable, Ménélas déroba quelques vases d'or du sanctuaire, il en fit cadeau à Andronique et réussit à en vendre d'autres à Tyr et aux villes voisines.

2 Maccabées 4, 33 Devant l'évidence du fait, Onias lui adressa des reproches, après s'être retiré dans le lieu inviolable de Daphné voisine d'Antioche.

2 Maccabées 4, 34 En conséquence Ménélas, prenant à part Andronique le pressait de supprimer Onias. Andronique vint donc trouver Onias: se fiant à la ruse et lui tendant la main droite avec serment, il le décida, sans toutefois dissiper tout soupçon, à sortir de son asile, et le mit à mort sur-le-champ sans tenir compte de la justice.

2 Maccabées 4, 35 Pour ce motif, non seulement les Juifs, mais aussi beaucoup de gens parmi les autres peuples furent indignés et trouvèrent intolérable le meurtre injuste de cet homme.

2 Maccabées 4, 36 Lorsque le roi fut rentré des régions ciliciennes, les Juifs de la capitale et les Grecs qui partageaient leur haine de la violence vinrent le trouver au sujet du meurtre injustifié d'Onias.

2 Maccabées 4, 37 Antiochus, contristé jusqu'au fond de l'âme et touché de compassion, versa des larmes au souvenir de la prudence et de la modération du défunt.

2 Maccabées 4, 38 Enflammé d'indignation, il dépouilla immédiatement Andronique de la pourpre et déchira ses vêtements, puis l'ayant fait mener par toute la ville, il envoya hors de ce monde le meurtrier, à l'endroit même où il avait exercé son impiété sur Onias, le Seigneur le frappant ainsi d'un juste châtiment.

2 Maccabées 4, 39 Or, un grand nombre de vols sacrilèges ayant été commis dans la ville par Lysimaque d'accord avec Ménélas, et le bruit s'en étant répandu au-dehors, le peuple s'ameuta contre Lysimaque, alors que beaucoup d'objets d'or avaient déjà été dispersés.

2 Maccabées 4, 40 Comme la multitude s'était soulevée, débordante de colère, Lysimaque arma près de 3.000 hommes et prit l'initiative des violences; marchait en tête un certain Auranos, homme avancé en âge, et non moins en folie.

2 Maccabées 4, 41 Prenant conscience de l'attaque de Lysimaque, les uns s'armaient de pierres, les autres de gourdins, certains prenaient à pleines mains la cendre qui se trouvait là, et tous assaillirent pêle-mêle les gens de Lysimaque.

2 Maccabées 4, 42 Aussi bien leur firent-ils beaucoup de blessés et quelques morts; ils mirent le reste en fuite et, quant au voleur sacrilège, ils le massacrèrent près du Trésor.

2 Maccabées 4, 43 Sur ces faits un procès fut intenté à Ménélas.

2 Maccabées 4, 44 Lorsque le roi vint à Tyr, les trois hommes envoyés par le sénat soutinrent devant lui la justice de leur cause.

2 Maccabées 4, 45 Voyant déjà la partie perdue, Ménélas promit des sommes importantes à Ptolémée, fils de Dorymène, pour qu'il gagnât le roi à sa cause.

2 Maccabées 4, 46 Aussi Ptolémée, ayant emmené le roi sous un portique comme pour prendre le frais, le fit changer d'avis,

2 Maccabées 4, 47 si bien qu'il renvoya Ménélas, l'auteur de tout ce mal, absous des accusations portées contre lui, et qu'il condamna à mort des malheureux qui, s'ils avaient plaidé leur cause même devant des Scythes, eussent été renvoyés innocents.

2 Maccabées 4, 48 Ceux donc qui avaient pris la défense de la ville, des bourgs et des vases sacrés subirent sans délai cette peine injuste.

2 Maccabées 4, 49 Aussi vit-on même des Tyriens, outrés d'une telle méchanceté, pourvoir magnifiquement à leur sépulture.

2 Maccabées 4, 50 Quant à Ménélas, grâce à la cupidité des puissants, il se maintint au pouvoir, grandissant en malice et se posant en principal adversaire de ses concitoyens.

2 Maccabées 5, 1 Vers ce temps-là Antiochus préparait sa seconde attaque contre l'Egypte.

2 Maccabées 5, 2 Il arriva que dans toute la ville, pendant près de 40 jours, apparurent, courant dans les airs, des cavaliers, vêtus de robes brodées d'or, des troupes armées disposées en cohortes,

2 Maccabées 5, 3 des escadrons de cavalerie rangés en ordre de bataille, des attaques et des charges conduites de part et d'autre, des boucliers agités, des forêts de piques, des épées tirées hors du fourreau, des traits volants, un éclat fulgurant d'armures d'or et des cuirasses de tout modèle.

2 Maccabées 5, 4 Aussi tous priaient pour que cette apparition fût de bon augure.

2 Maccabées 5, 5 Or, sur un faux bruit de la mort d'Antiochus, Jason, ne prenant avec lui pas moins d'un millier d'hommes, dirigea à l'improviste une attaque contre la ville. La muraille forcée et la ville finalement prise, Ménélas se réfugia dans l'acropole.

2 Maccabées 5, 6 Jason se livra sans pitié au massacre de ses propres concitoyens, sans penser qu'un succès remporté sur ses frères de race était le plus grand des insuccès, croyant remporter des trophées sur des ennemis et non sur des compatriotes.

2 Maccabées 5, 7 D'un côté, il ne réussit pas à s'emparer du pouvoir et, de l'autre, ses machinations ayant tourné à sa honte, il s'en alla chercher de nouveau un refuge en Ammanitide.

2 Maccabées 5, 8 Sa conduite perverse trouva donc un terme: enfermé chez Arétas, tyran des Arabes, puis s'enfuyant de sa ville, poursuivi par tous, détesté parce qu'il reniait les lois, exécré comme le bourreau de sa patrie et de ses concitoyens, il échoua en Egypte.

2 Maccabées 5, 9 Lui qui avait banni un grand nombre de personnes de leur patrie, il périt sur la terre étrangère, étant parti pour Lacédémone dans l'espoir d'y trouver un refuge en considération d'une commune origine.

2 Maccabées 5, 10 Lui qui avait jeté tant d'hommes sur le sol sans sépulture, nul ne le pleura et ne lui rendit les derniers devoirs; il n'eut aucune place dans le tombeau de ses pères.

2 Maccabées 5, 11 Lorsque ces faits furent arrivés à la connaissance du roi, celui-ci en conclut que la Judée faisait défection. Il quitta donc l'Egypte, furieux comme une bête sauvage, et prit la ville à main armée.

2 Maccabées 5, 12 Il ordonna ensuite aux soldats d'abattre sans pitié ceux qu'ils rencontreraient et d'égorger ceux qui monteraient dans leurs maisons.

2 Maccabées 5, 13 On extermina jeunes et vieux, on supprima femmes et enfants, on égorgea jeunes filles et nourrissons.

2 Maccabées 5, 14 Il y eut 80.000 victimes en ces trois jours, dont 40.000 tombèrent sous les coups et autant furent vendus comme esclaves.

2 Maccabées 5, 15 Non content de cela, il osa pénétrer dans le sanctuaire le plus saint de toute la terre, avec pour guide Ménélas, qui en était venu à trahir les lois et la patrie.

2 Maccabées 5, 16 Il prit de ses mains impures les vases sacrés et rafla de ses mains profanes les offrandes que les autres rois y avaient déposées pour l'accroissement, la gloire et la dignité du saint lieu.

2 Maccabées 5, 17 Antiochus s'exaltait en pensée, ne voyant pas que le Seigneur était irrité pour peu de temps à cause des péchés des habitants de la ville -- d'où venait cette indifférence envers le lieu saint.

2 Maccabées 5, 18 En tout cas, s'ils n'avaient pas été plongés dans une multitude de péchés, lui aussi, à l'instar d'Héliodore envoyé par le roi Séleucus pour inspecter le trésor, il aurait été, dès son arrivée, flagellé et détourné de sa témérité.

2 Maccabées 5, 19 Mais le Seigneur a choisi non pas le peuple à cause du lieu saint, mais le lieu à cause du peuple.

2 Maccabées 5, 20 C'est pourquoi le lieu lui-même, après avoir participé aux malheurs du peuple, a eu part ensuite aux bienfaits; délaissé au moment de la colère du Tout-Puissant, il a été de nouveau, en vertu de sa réconciliation avec le grand Souverain, restauré dans toute sa gloire.

2 Maccabées 5, 21 Antiochus, après avoir enlevé au Temple 1.800 talents, se hâta de retourner à Antioche, croyant, dans sa superbe, à cause de l'exaltation de son coeur, rendre navigable la terre ferme et rendre la mer praticable à la marche.

2 Maccabées 5, 22 Mais il laissa des préposés pour faire du mal à la nation; à Jérusalem, Philippe, Phrygien de race, de caractère plus barbare encore que celui qui l'avait institué;

2 Maccabées 5, 23 sur le mont Garizim, Andronique; et en plus de ceux-ci, Ménélas qui plus méchamment que les autres dominait sur ses concitoyens. Nourrissant à l'égard des Juifs une hostilité foncière,

2 Maccabées 5, 24 le roi envoya le mysarque Apollonius à la tête d'une armée, soit 22.000 hommes, avec ordre d'égorger tous ceux qui étaient dans la force de l'âge et de vendre les femmes et les enfants.

2 Maccabées 5, 25 Arrivé en conséquence à Jérusalem, et jouant le personnage pacifique, il attendit jusqu'au saint jour du sabbat où, profitant du repos des Juifs, il commanda à ses subordonnés une prise d'armes.

2 Maccabées 5, 26 Tous ceux qui étaient sortis pour assister au spectacle, il les fit massacrer et, envahissant la ville avec ses soldats en armes, il mit à mort une multitude de gens.

2 Maccabées 5, 27 Or Judas, appelé aussi Maccabée, se trouvant avec une dizaine d'autres, se retira dans le désert, vivant à la manière des bêtes sauvages sur les montagnes avec ses compagnons, ne mangeant jamais que des herbes pour ne pas contracter de souillures.

2 Maccabées 6, 1 Peu de temps après, le roi envoya Géronte l'Athénien pour forcer les Juifs à enfreindre les lois de leurs pères et à ne plus régler leur vie sur les lois de Dieu,

2 Maccabées 6, 2 pour profaner le Temple de Jérusalem et le dédier à Zeus Olympien, et celui du mont Garizim à Zeus Hospitalier, comme le demandaient les habitants du lieu.

2 Maccabées 6, 3 L'invasion de ces maux était, même pour la masse, pénible et difficile à supporter.

2 Maccabées 6, 4 Le sanctuaire était rempli de débauches et d'orgies par des païens qui s'amusaient avec des prostituées et avaient commerce avec des femmes dans les parvis sacrés, et qui encore y apportaient des choses défendues.

2 Maccabées 6, 5 L'autel était couvert de victimes illicites, réprouvées par les lois.

2 Maccabées 6, 6 Il n'était même pas permis de célébrer le sabbat, ni de garder les fêtes de nos pères, ni simplement de confesser que l'on était Juif.

2 Maccabées 6, 7 On était conduit par une amère nécessité à participer chaque mois au repas rituel, le jour de la naissance du roi et, lorsqu'arrivaient les fêtes dionysiaques, on devait, couronné de lierre, accompagner le cortège de Dionysos.

2 Maccabées 6, 8 Un décret fut rendu, à l'instigation des gens de Ptolémaïs, pour que, dans les villes grecques du voisinage, l'on tînt la même conduite à l'égard des Juifs, et que ceux-ci prissent part au repas rituel,

2 Maccabées 6, 9 avec ordre d'égorger ceux qui ne se décideraient pas à adopter les coutumes grecques. Tout cela faisait prévoir l'imminence de la calamité.

2 Maccabées 6, 10 Ainsi deux femmes furent déférées en justice pour avoir circoncis leurs enfants. On les produisit en public à travers la ville, leurs enfants suspendus à leurs mamelles, avant de les précipiter ainsi du haut des remparts.

2 Maccabées 6, 11 D'autres s'étaient rendus ensemble dans des cavernes voisines pour y célébrer en cachette le septième jour. Dénoncés à Philippe, ils furent brûlés ensemble, se gardant bien de se défendre eux-mêmes par respect pour la sainteté du jour.

2 Maccabées 6, 12 Je recommande à ceux qui auront ce livre entre les mains de ne pas se laisser déconcerter à cause de ces calamités, et de croire que ces persécutions ont eu lieu non pour la ruine mais pour la correction de notre race.

2 Maccabées 6, 13 Quand les pécheurs ne sont pas laissés longtemps à eux-mêmes, mais que les châtiments ne tardent pas à les atteindre, c'est une marque de grande bonté.

2 Maccabées 6, 14 A l'égard des autres nations, le Maître attend avec longanimité, pour les châtier, qu'elles arrivent à combler la mesure de leurs iniquités; ce n'est pas ainsi qu'il a jugé à propos d'agir avec nous,

2 Maccabées 6, 15 afin qu'il n'ait pas à nous punir plus tard lorsque nos péchés auraient atteint leur pleine mesure.

2 Maccabées 6, 16 Aussi bien ne retire-t-il jamais de nous sa miséricorde: en le châtiant par l'adversité, il n'abandonne pas son peuple.

2 Maccabées 6, 17 Qu'il nous suffise d'avoir rappelé cette vérité; après ces quelques mots, il nous faut revenir à notre récit.

2 Maccabées 6, 18 Eléazar, un des premiers docteurs de la Loi, homme déjà avancé en âge et du plus noble extérieur, était contraint, tandis qu'on lui ouvrait la bouche de force, de manger de la chair de porc.

2 Maccabées 6, 19 Mais lui, préférant une mort glorieuse à une existence infâme, marchait volontairement au supplice de la roue,

2 Maccabées 6, 20 non sans avoir craché sa bouchée, comme le doivent faire ceux qui ont le courage de rejeter ce à quoi il n'est pas permis de goûter par amour de la vie.

2 Maccabées 6, 21 Ceux qui présidaient à ce repas rituel interdit par la loi le prirent à part, car cet homme était pour eux une vieille connaissance; ils l'engagèrent à faire apporter des viandes dont il était permis de faire usage, et qu'il aurait lui-même préparées; il n'avait qu'à feindre de manger des chairs de la victime, comme le roi l'avait ordonné,

2 Maccabées 6, 22 afin qu'en agissant de la sorte, il fût préservé de la mort et profitât de cette humanité due à la vieille amitié qui les liait.

2 Maccabées 6, 23 Mais lui, prenant une noble résolution, digne de son âge, de l'autorité de sa vieillesse et de ses vénérables cheveux blanchis dans le labeur, digne d'une conduite parfaite depuis l'enfance et surtout de la sainte législation établie par Dieu même, il fit une réponse en conséquence, disant qu'on l'envoyât sans tarder au séjour des morts.

2 Maccabées 6, 24 "A notre âge, ajouta-t-il, il ne convient pas de feindre, de peur que nombre de jeunes, persuadés qu'Eléazar aurait embrassé à 90 ans les moeurs des étrangers,

2 Maccabées 6, 25 ne s'égarent eux aussi, à cause de moi et de ma dissimulation, et cela pour un tout petit reste de vie. J'attirerais ainsi sur ma vieillesse souillure et déshonneur,

2 Maccabées 6, 26 et quand j'échapperais pour le présent au châtiment des hommes, je n'éviterai pas, vivant ou mort, les mains du Tout-Puissant.

2 Maccabées 6, 27 C'est pourquoi, si je quitte maintenant la vie avec courage, je me montrerai digne de ma vieillesse,

2 Maccabées 6, 28 ayant laissé aux jeunes le noble exemple d'une belle mort, volontaire et généreuse, pour les vénérables et saintes lois." Ayant ainsi parlé, il alla tout droit au supplice de la roue,

2 Maccabées 6, 29 mais ceux qui l'y conduisaient changèrent en malveillance la bienveillance qu'ils avaient eue pour lui un peu auparavant, à cause du discours qu'il venait de tenir et qui à leur point de vue était de la folie.

2 Maccabées 6, 30 Lui, de son côté, étant sur le point de mourir sous les coups, dit en soupirant: "Au Seigneur qui a la science sainte, il est manifeste que, pouvant échapper à la mort, j'endure sous les fouets des douleurs cruelles dans mon corps, mais qu'en mon âme je les souffre avec joie à cause de la crainte qu'il m'inspire."

2 Maccabées 6, 31 Il quitta donc la vie de cette manière (laissant dans sa mort, non seulement à la jeunesse, mais à la grande majorité de la nation, un exemple de courage et un mémorial de vertu).

2 Maccabées 7, 1 Il arriva aussi que sept frères ayant été arrêtés avec leur mère, le roi voulut les contraindre, en leur infligeant les fouets et les nerfs de boeuf, à toucher à la viande de porc (interdite par la loi).

2 Maccabées 7, 2 L'un d'eux se faisant leur porte-parole: "Que vas-tu, dit-il, demander et apprendre de nous? Nous sommes prêts à mourir plutôt que d'enfreindre les lois de nos pères."

2 Maccabées 7, 3 Le roi, hors de lui, fit mettre sur le feu des poêles et des chaudrons.

2 Maccabées 7, 4 Sitôt qu'ils furent brûlants, il ordonna de couper la langue à celui qui avait été leur porte-parole, de lui enlever la peau de la tête et de lui trancher les extrémités, sous les yeux de ses autres frères et de sa mère.

2 Maccabées 7, 5 Lorsqu'il fut complètement impotent, il commanda de l'approcher du feu, respirant encore, et de le faire passer à la poêle. Tandis que la vapeur de la poêle se répandait au loin, les autres s'exhortaient mutuellement avec leur mère à mourir avec vaillance:

2 Maccabées 7, 6 "Le Seigneur Dieu voit, disaient-ils, et il a en vérité cette compassion de nous selon que Moïse l'a annoncé par le cantique qui proteste ouvertement en ces termes: Et il aura pitié de ses serviteurs."

2 Maccabées 7, 7 Lorsque le premier eut quitté la vie de cette manière, on amena le second pour le supplice. Après lui avoir arraché la peau de la tête avec les cheveux, on lui demandait: "Veux-tu manger du porc, avant que ton corps soit torturé membre par membre?"

2 Maccabées 7, 8 Il répondit dans la langue de ses pères: "Non!" C'est pourquoi lui aussi fut à son tour soumis aux tourments.

2 Maccabées 7, 9 Au moment de rendre le dernier soupir: "Scélérat que tu es, dit-il, tu nous exclus de cette vie présente, mais le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle, nous qui mourons pour ses lois."

2 Maccabées 7, 10 Après lui on châtia le troisième. Il présenta aussitôt sa langue comme on le lui demandait et tendit ses mains avec intrépidité;

2 Maccabées 7, 11 il déclara courageusement: "C'est du Ciel que je tiens ces membres, mais à cause de ses lois je les méprise et c'est de lui que j'espère les recouvrer de nouveau.)"

2 Maccabées 7, 12 Le roi lui-même et son escorte furent frappés du courage de ce jeune homme qui comptait les souffrances pour rien.

2 Maccabées 7, 13 Ce dernier une fois mort, on soumit le quatrième aux mêmes tourments et tortures.

2 Maccabées 7, 14 Sur le point d'expirer il s'exprima de la sorte: "Mieux vaut mourir de la main des hommes en tenant de Dieu l'espoir d'être ressuscité par lui, car pour toi il n'y aura pas de résurrection à la vie."

2 Maccabées 7, 15 On amena ensuite le cinquième et on le tortura.

2 Maccabées 7, 16 Mais lui, fixant les yeux sur le roi, lui disait: "Tu as, quoique corruptible, autorité sur les hommes, tu fais ce que tu veux. Ne pense pas cependant que notre race soit abandonnée de Dieu.

2 Maccabées 7, 17 Pour toi, prends patience et tu verras sa grande puissance, comme il te tourmentera toi et ta race."

2 Maccabées 7, 18 Après celui-là ils amenèrent le sixième, qui dit, sur le point de mourir: "Ne te fais pas de vaine illusion, c'est à cause de nous-mêmes que nous souffrons cela, ayant péché envers notre propre Dieu (aussi nous est-il arrivé des choses étonnantes).

2 Maccabées 7, 19 Mais toi, ne t'imagine pas que tu seras impuni après avoir entrepris de faire la guerre à Dieu."

2 Maccabées 7, 20 Eminemment admirable et digne d'une illustre mémoire fut la mère qui, voyant mourir ses sept fils dans l'espace d'un seul jour, le supporta courageusement en vertu des espérances qu'elle plaçait dans le Seigneur.

2 Maccabées 7, 21 Elle exhortait chacun d'eux, dans la langue de ses pères, et, remplie de nobles sentiments, elle animait d'un mâle courage son raisonnement de femme. Elle leur disait:

2 Maccabées 7, 22 "Je ne sais comment vous avez apparu dans mes entrailles; ce n'est pas moi qui vous ai gratifiés de l'esprit et de la vie; ce n'est pas moi qui ai organisé les éléments qui composent chacun de vous.

2 Maccabées 7, 23 Aussi bien le Créateur du monde, qui a formé le genre humain et qui est à l'origine de toute chose, vous rendra-t-il, dans sa miséricorde, et l'esprit et la vie, parce que vous vous méprisez maintenant vous-mêmes pour l'amour de ses lois."

2 Maccabées 7, 24 Antiochus se crut vilipendé et soupçonna un outrage dans ces paroles. Comme le plus jeune était encore en vie, non seulement il l'exhortait par des paroles, mais il lui donnait par des serments l'assurance de le rendre à la fois riche et très heureux, s'il abandonnait les traditions ancestrales, d'en faire son ami et de lui confier de hauts emplois.

2 Maccabées 7, 25 Le jeune homme ne prêtant à cela aucune attention, le roi fit approcher la mère et l'engagea à donner à l'adolescent des conseils pour sauver sa vie.

2 Maccabées 7, 26 Lorsqu'il l'eut longuement exhortée, elle consentit à persuader son fils.

2 Maccabées 7, 27 Elle se pencha donc vers lui et, mystifiant le tyran cruel, elle s'exprima de la sorte dans la langue de ses pères: "Mon fils, aie pitié de moi qui t'ai porté neuf mois dans mon sein, qui t'ai allaité trois ans, qui t'ai nourri et élevé jusqu'à l'âge où tu es (et pourvu à ton entretien).

2 Maccabées 7, 28 Je t'en conjure, mon enfant, regarde le ciel et la terre et vois tout ce qui est en eux, et sache que Dieu les a faits de rien et que la race des hommes est faite de la même manière.

2 Maccabées 7, 29 Ne crains pas ce bourreau, mais, te montrant digne de tes frères, accepte la mort, afin que je te retrouve avec eux dans la miséricorde."

2 Maccabées 7, 30 A peine achevait-elle de parler que le jeune homme dit: "Qu'attendez-vous? Je n'obéis pas aux ordres du roi, j'obéis aux ordres de la Loi qui a été donnée à nos pères par Moïse.

2 Maccabées 7, 31 Et toi, qui t'es fait l'inventeur de toute la calamité qui fond sur les Hébreux, tu n'échapperas pas aux mains de Dieu.

2 Maccabées 7, 32 (Nous autres, nous souffrons à cause de nos propres péchés.)

2 Maccabées 7, 33 Si, pour notre châtiment et notre correction, notre Seigneur qui est vivant s'est courroucé un moment contre nous, il se réconciliera de nouveau avec ses serviteurs.

2 Maccabées 7, 34 Mais toi, ô impie et le plus infect de tous les hommes, ne t'élève pas sans raison, te berçant de vains espoirs et levant la main contre ses serviteurs,

2 Maccabées 7, 35 car tu n'as pas encore échappé au jugement de Dieu qui peut tout et qui voit tout.

2 Maccabées 7, 36 Quant à nos frères, après avoir supporté une douleur passagère, en vue d'une vie intarissable, ils sont tombés pour l'alliance de Dieu, tandis que toi, par le jugement de Dieu, tu porteras le juste châtiment de ton orgueil.

2 Maccabées 7, 37 Pour moi, je livre comme mes frères mon corps et ma vie pour les lois de mes pères, suppliant Dieu d'être bientôt favorable à notre nation et de t'amener par les épreuves et les fléaux à confesser qu'il est le seul Dieu.

2 Maccabées 7, 38 Puisse enfin s'arrêter sur moi et sur mes frères la colère du Tout-Puissant justement déchaînée sur toute notre race!"

2 Maccabées 7, 39 Le roi, hors de lui, sévit contre ce dernier encore plus cruellement que contre les autres, le sarcasme lui étant particulièrement amer.

2 Maccabées 7, 40 Ainsi trépassa le jeune homme, sans s'être souillé, et avec une parfaite confiance dans le Seigneur.

2 Maccabées 7, 41 Enfin la mère mourut la dernière, après ses fils.

2 Maccabées 7, 42 Mais en voilà assez sur la question des repas rituels et des tortures monstrueuses.

2 Maccabées 8, 1 Or Judas appelé aussi Maccabée et ses compagnons, s'introduisant secrètement dans les villages, appelaient à eux leurs frères de race, et, s'adjoignant ceux qui demeuraient fermes dans le Judaïsme, ils en rassemblèrent jusqu'à 6.000.

2 Maccabées 8, 2 Ils suppliaient le Seigneur d'avoir les yeux sur le peuple que tout le monde accablait, d'avoir pitié du Temple profané par les hommes impies,

2 Maccabées 8, 3 d'avoir compassion de la ville en train d'être détruite et réduite au niveau du sol, d'écouter le sang qui criait jusqu'à lui,

2 Maccabées 8, 4 de se souvenir aussi du massacre criminel des enfants innocents et de se venger des blasphèmes lancés contre son nom.

2 Maccabées 8, 5 Une fois à la tête d'un corps de troupe, le Maccabée devint désormais invincible aux nations, la colère du Seigneur s'étant changée en miséricorde.

2 Maccabées 8, 6 Tombant à l'improviste sur des villes et des villages, il les brûlait; occupant les positions favorables, il infligeait à l'ennemi de très lourdes pertes.

2 Maccabées 8, 7 Pour de telles opérations, il choisissait surtout la complicité de la nuit, et la renommée de sa vaillance se répandait partout.

2 Maccabées 8, 8 Voyant cet homme s'affirmer peu à peu et remporter des succès de plus en plus fréquents, Philippe écrivit à Ptolémée, stratège de Coelé-Syrie et Phénicie, de venir au secours des affaires du roi.

2 Maccabées 8, 9 Ayant fait choix de Nikanor, fils de Patrocle, du rang des premiers amis, le roi l'envoya sans retard, à la tête d'au moins 20.000 hommes de diverses nations, pour qu'il exterminât la race entière des Juifs. Il lui adjoignit Gorgias, général de métier rompu aux choses de la guerre.

2 Maccabées 8, 10 Nikanor comptait, à part lui, acquitter au moyen de la vente des Juifs qu'on ferait prisonniers, le tribut de 2.000 talents dû par le roi aux Romains.

2 Maccabées 8, 11 Il s'empressa d'envoyer aux villes maritimes une invitation à venir acheter des esclaves juifs, promettant de leur en livrer 90 pour un talent; il ne s'attendait pas à la sanction qui devait s'ensuivre pour lui de la main du Tout-Puissant.

2 Maccabées 8, 12 La nouvelle de l'avance de Nikanor parvint à Judas. Quand celui-ci eut averti les siens de l'approche de l'armée ennemie,

2 Maccabées 8, 13 les lâches et ceux qui manquaient de foi en la justice de Dieu prirent la fuite et gagnèrent d'autres lieux.

2 Maccabées 8, 14 Les autres vendaient tout ce qui leur restait et priaient le Seigneur de les délivrer de l'impie Nikanor qui les avait vendus avant même que la rencontre eût lieu:

2 Maccabées 8, 15 sinon à cause d'eux, du moins en considération des alliances conclues avec leurs pères et parce qu'ils portaient eux-mêmes son nom auguste et plein de majesté.

2 Maccabées 8, 16 Maccabée, ayant donc réuni ses hommes au nombre de 6.000, les exhorte à ne pas être frappés de crainte devant les ennemis et à n'avoir cure de la multitude des païens qui les attaquent injustement, mais à combattre avec vaillance,

2 Maccabées 8, 17 ayant devant les yeux l'outrage qu'ils ont commis contre le lieu saint et le traitement indigne infligé à la ville bafouée, enfin la ruine des usages traditionnels.

2 Maccabées 8, 18 "Eux, ajouta-t-il, se fient aux armes et aux actes audacieux, tandis que nous autres, nous avons placé notre confiance en Dieu, le Tout-Puissant, capable de renverser en un clin d'oeil ceux qui marchent contre nous, et avec eux le monde entier."

2 Maccabées 8, 19 Il leur énuméra les cas de protection dont leurs aïeux furent favorisés, celui qui eut lieu sous Sennachérib, comment avaient péri 180.000 hommes;

2 Maccabées 8, 20 celui qui arriva en Babylonie dans une bataille livrée aux Galates, comment ceux qui prenaient part à l'action, en tout 8.000 avec 4.000 Macédoniens, ceux-ci étant aux abois, les 8.000 avaient détruit 120.000 ennemis, grâce au secours qui leur était venu du Ciel, et avaient fait un grand butin.

2 Maccabées 8, 21 Après les avoir remplis de confiance par ces paroles, et les avoir disposés à mourir pour leurs lois et leur patrie, il divisa son armée en quatre corps.

2 Maccabées 8, 22 A la tête de chaque corps il mit ses frères Simon, Joseph et Jonathas, donnant à chacun d'eux 1.500 hommes.

2 Maccabées 8, 23 En outre, il ordonna à Esdrias de lire le Livre saint, puis, ayant donné pour mot d'ordre: "Secours de Dieu!" il prit la tête du premier corps et attaqua Nikanor.

2 Maccabées 8, 24 Le Tout-Puissant s'étant fait leur allié, ils égorgèrent plus de 9.000 ennemis, blessèrent et mutilèrent la plus grande partie des soldats de Nikanor et les mirent tous en fuite.

2 Maccabées 8, 25 L'argent de ceux qui étaient venus les acheter tomba entre leurs mains. S'étant attardés assez longtemps à les poursuivre, ils revinrent sur leurs pas, pressés par l'heure,

2 Maccabées 8, 26 car c'était la veille du sabbat, et, pour ce motif, ils ne s'attardèrent pas à leur poursuite.

2 Maccabées 8, 27 Quand ils eurent ramassé les armes des ennemis et enlevé leurs dépouilles, ils se livrèrent à la célébration du sabbat, multipliant les bénédictions et louant le Seigneur qui les avait sauvés et avait fixé à ce jour la première manifestation de sa miséricorde.

2 Maccabées 8, 28 Après le sabbat, ils distribuèrent une part du butin à ceux qu'avait lésés la persécution, aux veuves et aux orphelins; eux-mêmes et leurs enfants se partagèrent le reste.

2 Maccabées 8, 29 Cela fait, ils organisèrent une supplication commune, priant le Seigneur miséricordieux de se réconcilier entièrement avec ses serviteurs.

2 Maccabées 8, 30 Se mesurant avec les soldats de Timothée et de Bacchidès, ils en tuèrent plus de 20.000 et emportèrent de bien hautes forteresses. Ils divisèrent leur immense butin en deux parts égales, l'une pour eux-mêmes, l'autre pour les victimes de la persécution, les orphelins et les veuves, sans oublier les vieillards.

2 Maccabées 8, 31 Ils apportèrent un grand soin à recueillir les armes ennemies et les entreposèrent en des lieux convenables. Quant au reste des dépouilles, ils le portèrent à Jérusalem.

2 Maccabées 8, 32 Ils tuèrent le phylarque qui se trouvait dans l'entourage de Timothée, homme fort impie qui avait causé beaucoup de mal aux Juifs.

2 Maccabées 8, 33 Pendant qu'ils célébraient les fêtes de la victoire dans leur patrie, ils brûlèrent ceux qui avaient mis le feu aux portes saintes et s'étaient avec Callisthène réfugiés dans une même petite maison, et qui reçurent ainsi le digne salaire de leur profanation.

2 Maccabées 8, 34 Le triple scélérat Nikanor, qui avait amené les mille marchands pour la vente des Juifs,

2 Maccabées 8, 35 humilié, avec l'aide du Seigneur, par des gens qui, pensait-il à part lui, étaient ce qu'il y avait de plus bas, Nikanor, dépouillant son habit d'apparat, s'isolant même de tous les autres, fuyant à travers champs à la manière d'un esclave échappé, parvint à Antioche, ayant une chance extraordinaire alors que son armée avait été détruite.

2 Maccabées 8, 36 Et celui qui avait promis aux Romains de réaliser un tribut avec le prix des captifs de Jérusalem proclama que les Juifs avaient un défenseur, que les Juifs étaient invulnérables par cela même qu'ils suivaient les lois que lui-même avait dictées.

2 Maccabées 9, 1 Vers ce temps-là, Antiochus était piteusement revenu des régions de la Perse.

2 Maccabées 9, 2 En effet, une fois entré dans la ville qu'on appelle Persépolis, il s'était mis en devoir d'en piller le temple et d'opprimer la ville. Aussi la foule, se soulevant, recourut-elle aux armes, et il arriva qu'Antiochus, mis en fuite par les habitants du pays, dut opérer une retraite humiliante.

2 Maccabées 9, 3 Comme il se trouvait vers Ecbatane, il apprit ce qui était arrivé à Nikanor et aux gens de Timothée.

2 Maccabées 9, 4 Transporté de fureur, il pensait faire payer aux Juifs l'injure de ceux qui l'avaient mis en fuite et, pour ce motif, il ordonna au conducteur de pousser son char sans s'arrêter jusqu'au terme du voyage. Mais déjà il était accompagné par la sentence du Ciel. Il avait dit en effet, dans son orgueil: "Arrivé à Jérusalem, je ferai de cette ville la fosse commune des Juifs."

2 Maccabées 9, 5 Mais le Seigneur qui voit tout, le Dieu d'Israël, le frappa d'une plaie incurable et invincible. A peine avait-il achevé sa phrase qu'une douleur d'entrailles sans remède le saisit et que des souffrances aiguës le torturaient au-dedans,

2 Maccabées 9, 6 ce qui était pleine justice, puisqu'il avait infligé aux entrailles des autres des tourments nombreux et étranges.

2 Maccabées 9, 7 Il ne rabattait pourtant rien de son arrogance; toujours rempli d'orgueil, il exhalait contre les Juifs le feu de sa colère et commandait d'accélérer la marche, quand il tomba soudain du char qui roulait avec fracas, le corps entraîné dans une chute malheureuse, et tous les membres tordus.

2 Maccabées 9, 8 Lui qui tout à l'heure croyait, dans sa jactance surhumaine, commander aux flots de la mer, lui qui s'imaginait peser dans la balance la hauteur des montagnes, se voyait gisant à terre, puis transporté dans une litière, faisant éclater aux yeux de tous la puissance de Dieu,

2 Maccabées 9, 9 à telle enseigne que les yeux de l'impie fourmillaient de vers et que, lui vivant, ses chairs se détachaient par lambeaux avec d'atroces douleurs, enfin que la puanteur de cette pourriture soulevait le coeur de toute l'armée.

2 Maccabées 9, 10 Celui qui naguère semblait toucher aux astres du ciel, personne maintenant ne pouvait l'escorter à cause de l'incommodité intolérable de cette odeur.

2 Maccabées 9, 11 Là donc, il commença, tout brisé, à dépouiller cet excès d'orgueil et à prendre conscience des réalités sous le fouet divin, torturé par des crises douloureuses.

2 Maccabées 9, 12 Comme lui-même ne pouvait supporter son infection, il avoua: "Il est juste de se soumettre à Dieu, et, simple mortel, de ne pas penser à s'égaler à la divinité."

2 Maccabées 9, 13 Mais les prières de cet être abject allaient vers un Maître qui ne devait plus avoir pitié de lui:

2 Maccabées 9, 14 il promettait de déclarer libre la ville sainte que naguère il gagnait en toute hâte pour la raser et la transformer en fosse commune,

2 Maccabées 9, 15 de faire de tous les Juifs les égaux des Athéniens, eux qu'il jugeait indignes de la sépulture et bons à servir de pâture aux oiseaux de proie ou à être jetés aux bêtes avec leurs enfants,

2 Maccabées 9, 16 d'orner des plus belles offrandes le saint Temple qu'il avait jadis dépouillé, de lui rendre au double tous les vases sacrés et de subvenir de ses propres revenus aux frais des sacrifices,

2 Maccabées 9, 17 et finalement de devenir lui-même Juif et de parcourir tous les lieux habités pour y proclamer la toute-puissance de Dieu.

2 Maccabées 9, 18 Comme ses souffrances ne se calmaient d'aucune façon, car le jugement équitable de Dieu pesait sur lui, et qu'il voyait son état désespéré, il écrivit aux Juifs la lettre transcrite ci-dessous, sous forme de supplique. Elle était ainsi libellée:

2 Maccabées 9, 19 "Aux excellents Juifs, aux citoyens, Antiochus roi et stratège: salut, santé et bonheur parfaits!

2 Maccabées 9, 20 Si vous vous portez bien ainsi que vos enfants, et que vos affaires aillent suivant vos désirs, nous en rendons de très grandes actions de grâces.

2 Maccabées 9, 21 Pour moi, je suis étendu sans force sur un lit et je garde un affectueux souvenir de vous. A mon retour des régions de la Perse, atteint d'un mal fâcheux, j'estimai nécessaire de veiller à la sûreté de tous.

2 Maccabées 9, 22 Ce n'est pas que je désespère de mon état, ayant au contraire le ferme espoir d'échapper à cette maladie.

2 Maccabées 9, 23 Mais, considérant que mon père, chaque fois qu'il portait les armes dans les pays d'en haut, désignait son futur successeur,

2 Maccabées 9, 24 afin que, en cas d'un événement inattendu ou d'un bruit fâcheux, ceux qui étaient dans les provinces n'en pussent être troublés, sachant à qui il avait laissé la direction des affaires,

2 Maccabées 9, 25 après avoir songé en outre que les souverains proches de nous et les voisins de notre royaume épient les circonstances et attendent les éventualités, j'ai désigné comme roi mon fils Antiochus, que plus d'une fois, lorsque je parcourais les satrapies d'en haut, j'ai confié et recommandé à la plupart d'entre vous. Je lui ai écrit d'ailleurs la lettre transcrite ci-dessous.

2 Maccabées 9, 26 Je vous prie donc et vous conjure, vous souvenant des bienfaits que vous avez reçus de moi en public et en particulier, de conserver chacun, pour mon fils également, les dispositions favorables que vous éprouvez pour moi.

2 Maccabées 9, 27 Je suis en effet persuadé que, plein de douceur et d'humanité, il suivra scrupuleusement mes intentions et s'entendra bien avec vous."

2 Maccabées 9, 28 Ainsi ce meurtrier, ce blasphémateur, en proie aux pires souffrances, semblables à celles qu'il avait fait endurer aux autres, eut le sort lamentable de perdre la vie loin de son pays, en pleine montagne.

2 Maccabées 9, 29 Philippe, son familier, ramena son corps, mais, craignant le fils d'Antiochus, il se retira en Egypte auprès de Ptolémée Philométor.

2 Maccabées 10, 1 Maccabée, avec ses compagnons, recouvra sous la conduite du Seigneur le sanctuaire et la ville

2 Maccabées 10, 2 et détruisit les autels élevés par les étrangers sur la place publique ainsi que les lieux du culte.

2 Maccabées 10, 3 Une fois le Temple purifié, ils bâtirent un autre autel, puis, ayant tiré des étincelles de pierres à feu, ils prirent de ce feu et, après deux ans d'interruption, ils offrirent un sacrifice, firent fumer l'encens, allumèrent les lampes et exposèrent les pains de proposition.

2 Maccabées 10, 4 Cela fait, prosternés sur le ventre, ils prièrent le Seigneur de ne plus les laisser tomber dans de tels maux, mais de les corriger avec mesure, s'il leur arrivait jamais de pécher, et de ne pas les livrer aux nations blasphématrices et barbares.

2 Maccabées 10, 5 Ce fut le jour même où le Temple avait été profané par les étrangers que tomba le jour de la purification du Temple, c'est-à-dire le 25 du même mois qui est Kisleu.

2 Maccabées 10, 6 Ils célébrèrent avec allégresse huit jours de fête à la manière des Tentes, se souvenant comment naguère, aux jours de la fête des Tentes, ils gîtaient dans les montagnes et dans les grottes à la façon des bêtes sauvages.

2 Maccabées 10, 7 C'est pourquoi, portant des thyrses, de beaux rameaux et des palmes, ils firent monter des hymnes vers Celui qui avait mené à bien la purification de son lieu saint.

2 Maccabées 10, 8 Ils décrétèrent par un édit public confirmé par un vote que toute la nation des Juifs solenniserait chaque année ces jours-là.

2 Maccabées 10, 9 Telles furent donc les circonstances de la mort d'Antiochus surnommé Epiphane.

2 Maccabées 10, 10 Nous allons maintenant exposer les faits qui concernent Antiochus Eupator, fils de cet impie, en résumant les maux causés par les guerres.

2 Maccabées 10, 11 Ayant hérité du royaume, ce prince promut à la tête des affaires un certain Lysias, stratège en chef de Coelé-Syrie et Phénicie.

2 Maccabées 10, 12 Quant à Ptolémée, surnommé Makrôn, le premier à observer la justice envers les Juifs, à cause des torts qu'on leur infligeait, il s'était efforcé de les administrer pacifiquement.

2 Maccabées 10, 13 Accusé en conséquence par les amis du roi auprès d'Eupator, il s'entendait, en toute occasion, appeler traître, pour avoir abandonné Chypre que lui avait confié Philométor, avoir passé du côté d'Antiochus Epiphane et n'avoir pas fait honneur à la dignité de sa charge: il quitta l'existence en s'empoisonnant.

2 Maccabées 10, 14 Gorgias, devenu stratège de la région, entretenait des troupes mercenaires et saisissait toutes les occasions pour faire la guerre aux Juifs.

2 Maccabées 10, 15 En même temps, les Iduméens, maîtres de forteresses bien situées, harcelaient les Juifs, et, accueillant les proscrits de Jérusalem, tentaient de fomenter la guerre.

2 Maccabées 10, 16 Maccabée et ses compagnons, après avoir fait des prières publiques et demandé à Dieu de se faire leur allié, se mirent en mouvement contre les forteresses des Iduméens.

2 Maccabées 10, 17 Les ayant attaquées avec vigueur, ils se rendirent maîtres de ces positions et repoussèrent tous ceux qui combattaient sur le rempart; ils égorgeaient quiconque tombait entre leurs mains, ils n'en tuèrent pas moins de 20.000.

2 Maccabées 10, 18 9.000 hommes au moins s'étant réfugiés dans deux tours remarquablement fortes, ayant avec eux tout ce qu'il faut pour soutenir un siège,

2 Maccabées 10, 19 Maccabée laissa pour les assiéger Simon et Joseph avec Zacchée et les siens en nombre suffisant, et partit en personne pour des endroits où il y avait urgence.

2 Maccabées 10, 20 Mais les gens de Simon, avides de richesses, se laissèrent gagner à prix d'argent par quelques-uns de ceux qui gardaient les tours et, pour une somme de 70.000 drachmes, ils en laissèrent s'échapper un certain nombre.

2 Maccabées 10, 21 Quand on eut annoncé à Maccabée ce qui était arrivé, il réunit les chefs du peuple, il accusa les coupables d'avoir vendu leurs frères à prix d'argent en relâchant contre eux leurs ennemis.

2 Maccabées 10, 22 Il les fit donc exécuter comme traîtres et aussitôt après il s'empara des deux tours.

2 Maccabées 10, 23 Menant tout à bonne fin par la valeur de ses armes, il tua dans ces deux forteresses plus de 20.000 hommes.

2 Maccabées 10, 24 Timothée, qui avait été battu précédemment par les Juifs, ayant levé des forces étrangères en grand nombre et réuni quantité de chevaux venus d'Asie, parut bientôt en Judée, s'imaginant qu'il allait s'en rendre maître par les armes.

2 Maccabées 10, 25 A son approche, Maccabée et ses hommes se répandirent en supplications devant Dieu, la tête saupoudrée de terre et les reins ceints d'un cilice.

2 Maccabées 10, 26 Prosternés contre le soubassement antérieur de l'autel, ils demandaient à Dieu de leur être favorable, de se déclarer l'ennemi de leurs ennemis, l'adversaire de leurs adversaires, suivant les claires expressions de la Loi.

2 Maccabées 10, 27 Ayant pris les armes au sortir de cette prière, ils s'avancèrent hors de la ville, jusqu'à une sérieuse distance, et, quand ils furent près de l'ennemi, ils s'arrêtèrent.

2 Maccabées 10, 28 Au moment même où se diffusait la clarté du soleil levant, ils en vinrent aux mains de part et d'autre, les uns ayant pour gage du succès et de la victoire, outre leur vaillance, le recours au Seigneur, les autres prenant leur emportement pour guide des batailles.

2 Maccabées 10, 29 Au fort du combat, apparurent du ciel aux ennemis, sur des chevaux aux freins d'or, cinq hommes magnifiques qui se mirent à la tête des Juifs

2 Maccabées 10, 30 et, prenant en même temps Maccabée au milieu d'eux et le couvrant de leurs armures, le gardaient invulnérable. Ils lançaient aussi des traits et la foudre sur les adversaires qui, bouleversés par l'éblouissement, se dispersaient dans le plus grand désordre.

2 Maccabées 10, 31 20.500 fantassins et 600 cavaliers furent alors égorgés.

2 Maccabées 10, 32 Quant à Timothée, il s'enfuit en personne dans une place très forte appelée Gazara, où Chéréas était stratège.

2 Maccabées 10, 33 Pendant quatre jours, Maccabée et les siens l'assiégèrent avec une ardeur joyeuse.

2 Maccabées 10, 34 Confiants dans la force de la place, ceux qui se trouvaient à l'intérieur proféraient d'énormes blasphèmes et lançaient des paroles impies.

2 Maccabées 10, 35 Le cinquième jour commençant à poindre, vingt jeunes gens de la troupe de Maccabée, que les blasphèmes avaient enflammés de colère, s'élancèrent contre la muraille, animés d'un mâle courage et d'une ardeur farouche, et ils massacrèrent quiconque se présentait devant eux.

2 Maccabées 10, 36 D'autres montaient pareillement contre les assiégés en les prenant à revers, mettaient le feu aux tours et, ayant allumé des bûchers, brûlèrent vifs les blasphémateurs. Cependant, brisant les portes, les premiers accueillirent le reste de l'armée et à leur tête s'emparèrent de la ville.

2 Maccabées 10, 37 Ils égorgèrent Timothée, qui s'était caché dans une citerne, et avec lui son frère Chéréas et Apollophane.

2 Maccabées 10, 38 Après avoir accompli ces exploits, ils bénirent avec des hymnes et des louanges le Seigneur qui accordait de si grands bienfaits à Israël et qui lui donnait la victoire.

2 Maccabées 11, 1 Très peu de temps après, Lysias, tuteur et parent du roi, à la tête des affaires du royaume, très affecté par les derniers événements,

2 Maccabées 11, 2 assembla environ 80.000 hommes de pied, avec toute sa cavalerie, et se mit en marche contre les Juifs, comptant bien faire de la Ville sainte une résidence pour les Grecs,

2 Maccabées 11, 3 soumettre le sanctuaire à un impôt comme les autres lieux de culte des nations et vendre tous les ans la dignité de grand prêtre,

2 Maccabées 11, 4 ne tenant aucun compte de la puissance de Dieu, mais pleinement confiant dans ses myriades de fantassins, dans ses milliers de cavaliers et ses 80 éléphants.

2 Maccabées 11, 5 Ayant donc pénétré en Judée, il s'approcha de Bethsour, qui est une place forte distante de Jérusalem d'environ cinq schoenes, et la pressa vivement.

2 Maccabées 11, 6 Lorsque Maccabée et les siens apprirent que Lysias assiégeait les forteresses, ils prièrent le Seigneur avec gémissements et larmes, de concert avec la foule, d'envoyer un bon ange à Israël pour le sauver.

2 Maccabées 11, 7 Maccabée lui-même, prenant les armes le premier, exhorta les autres à s'exposer avec lui au danger pour secourir leurs frères. Ceux-là donc s'élancèrent ensemble, remplis d'ardeur;

2 Maccabées 11, 8 ils se trouvaient encore près de Jérusalem lorsqu'un cavalier vêtu de blanc apparut à leur tête, agitant des armes d'or.

2 Maccabées 11, 9 Alors tous à la fois bénirent le Dieu miséricordieux et se sentirent animés d'une telle ardeur qu'ils étaient prêts à transpercer, non seulement des hommes, mais encore les bêtes les plus sauvages et des murailles de fer.

2 Maccabées 11, 10 Ils s'avancèrent en ordre de bataille, aidés par un allié venu du ciel, le Seigneur ayant eu pitié d'eux.

2 Maccabées 11, 11 Ils foncèrent donc à la façon des lions sur les ennemis, couchèrent sur le sol 11.000 fantassins et 1.600 cavaliers, et contraignirent tous les autres à fuir.

2 Maccabées 11, 12 La plupart n'en réchappèrent que blessés et sans armes. Lysias lui-même sauva sa vie par une fuite honteuse.

2 Maccabées 11, 13 Mais Lysias, qui ne manquait pas de sens, réfléchit sur le revers qu'il venait d'essuyer; comprenant que les Hébreux étaient invincibles puisque le Dieu puissant combattait avec eux, il leur envoya une députation

2 Maccabées 11, 14 pour les amener à un arrangement sous toutes conditions équitables, et leur promettait de contraindre le roi à devenir leur ami.

2 Maccabées 11, 15 Maccabée consentit à tout ce que proposait Lysias, n'ayant souci que du bien public. Tout ce que Maccabée transmit par écrit à Lysias au sujet des Juifs, le roi l'accorda.

2 Maccabées 11, 16 La lettre écrite aux Juifs par Lysias était ainsi libellée: "Lysias au peuple juif, salut.

2 Maccabées 11, 17 Jean et Absalom, vos émissaires, m'ayant remis l'acte transcrit ci-dessous, m'ont prié de ratifier les choses qu'il contenait.

2 Maccabées 11, 18 J'ai donc exposé au roi ce qui devait lui être soumis. Quant à ce qui était possible, je l'ai accordé.

2 Maccabées 11, 19 Si donc vous conservez vos dispositions favorables envers les intérêts de l'Etat, je m'efforcerai à l'avenir de travailler à votre bien.

2 Maccabées 11, 20 Quant aux matières de détail, j'ai donné des ordres à vos envoyés et à mes gens pour en conférer avec vous.

2 Maccabées 11, 21 Portez-vous bien. L'an 148, le 24 de Dioscore."

2 Maccabées 11, 22 La lettre du roi contenait ce qui suit: "Le roi Antiochus à son frère Lysias, salut.

2 Maccabées 11, 23 Notre père ayant émigré vers les dieux, et nous-même désirant que ceux de notre royaume soient à l'abri des troubles pour s'appliquer au soin de leurs propres affaires,

2 Maccabées 11, 24 ayant appris d'autre part que les Juifs ne consentent pas à l'adoption des moeurs grecques voulue par notre père, mais que, préférant leur manière de vivre particulière, ils demandent qu'on leur permette l'observation de leurs lois,

2 Maccabées 11, 25 désirant donc que ce peuple aussi reste tranquille, nous décidons que le Temple leur soit rendu et qu'ils puissent vivre selon les coutumes de leurs ancêtres.

2 Maccabées 11, 26 Tu feras donc bien d'envoyer quelqu'un vers eux pour leur tendre la main afin que, au fait du parti adopté par nous, ils aient confiance et vaquent joyeusement à leurs propres affaires."

2 Maccabées 11, 27 La lettre du roi à la nation des Juifs était ainsi conçue: "Le roi Antiochus au Sénat des Juifs et aux autres Juifs, salut.

2 Maccabées 11, 28 Si vous allez bien, cela est conforme à nos voeux, et nous-même nous sommes en bonne santé.

2 Maccabées 11, 29 Ménélas nous a fait connaître le désir que vous avez de retourner à vos propres demeures.

2 Maccabées 11, 30 Tous ceux qui, jusqu'au 30 Xanthique, retourneront chez eux, obtiendront l'assurance de l'impunité.

2 Maccabées 11, 31 Les Juifs auront l'usage de leurs aliments spéciaux et de leurs lois comme auparavant. Que nul d'entre eux ne soit molesté d'aucune façon pour des fautes commises par ignorance.

2 Maccabées 11, 32 J'envoie pareillement Ménélas pour vous tranquilliser.

2 Maccabées 11, 33 Portez-vous bien. L'an 148, le quinze Xanthique."

2 Maccabées 11, 34 Les Romains adressèrent aussi aux Juifs une lettre de cette teneur: "Quintus Memmius, Titus Manilius, Manius Sergius, légats romains, au peuple des Juifs, salut.

2 Maccabées 11, 35 Les choses que Lysias, parent du roi, vous a accordées, nous vous les concédons aussi.

2 Maccabées 11, 36 Quant à celles qu'il a jugé devoir soumettre au roi, envoyez-nous quelqu'un sans délai, après les avoir bien examinées, afin que nous les exposions au roi d'une façon qui vous soit avantageuse, car nous nous rendons à Antioche.

2 Maccabées 11, 37 Aussi bien, hâtez-vous de nous expédier des gens afin que nous sachions, nous aussi, quelles sont vos intentions.

2 Maccabées 11, 38 Portez-vous bien. L'an 148, le quinze de Dioscore."

2 Maccabées 12, 1 Ces traités conclus, Lysias revint chez le roi, tandis que les Juifs se remettaient aux travaux des champs.

2 Maccabées 12, 2 Parmi les stratèges en place, Timothée et Apollonius, fils de Gennéos, et aussi Hiéronyme et Démophon, à qui s'ajoutait Nikanor le Cypriarque, ne laissaient goûter aux Juifs ni repos, ni tranquillité.

2 Maccabées 12, 3 Les habitants de Joppé commirent un acte particulièrement impie. Ils invitèrent les Juifs domiciliés chez eux à monter avec leurs femmes et leurs enfants sur des barques qu'ils avaient préparées eux-mêmes, comme si nulle inimitié n'existait à leur égard.

2 Maccabées 12, 4 Sur l'assurance d'un décret rendu par le peuple de la ville, les Juifs acceptèrent comme des gens désireux de la paix et sans défiance, mais quand ils furent au large, on les coula à fond au nombre d'au moins 200.

2 Maccabées 12, 5 Dès que Judas eut appris la cruauté commise contre les gens de sa nation, il fit savoir ses ordres à ceux qui étaient avec lui,

2 Maccabées 12, 6 et, après avoir invoqué Dieu, le juge équitable, il marcha contre les meurtriers de ses frères. De nuit, il incendia le port, brûla les vaisseaux et passa au fil de l'épée ceux qui y avaient cherché un refuge.

2 Maccabées 12, 7 Mais la place ayant été fermée, il partit dans le dessein d'y revenir pour extirper toute la cité des Joppites.

2 Maccabées 12, 8 Averti que ceux de Iamnia voulaient jouer le même tour aux Juifs qui habitaient parmi eux,

2 Maccabées 12, 9 il attaqua de nuit les Iamnites, incendia le port avec la flotte, de telle sorte que les lueurs des flammes furent aperçues jusqu'à Jérusalem quoique distante de 240 stades.

2 Maccabées 12, 10 Il s'était éloigné de là de neuf stades dans une marche contre Timothée, lorsque tombèrent sur lui des Arabes au nombre d'au moins 5.000 hommes de pied et 500 cavaliers.

2 Maccabées 12, 11 Un violent combat s'étant engagé, et les soldats de Judas l'ayant emporté avec l'aide de Dieu, les nomades vaincus demandèrent à Judas de leur donner la main droite, promettant de lui livrer du bétail et de lui être utiles en tout le reste.

2 Maccabées 12, 12 Comprenant qu'en réalité ils pourraient lui rendre beaucoup de services, Judas consentit à faire la paix avec eux et, après qu'on se fut donné la main, ils se retirèrent sous la tente.

2 Maccabées 12, 13 Judas attaqua aussi une certaine ville forte, entourée de remparts, habitée par un mélange de nations et dont le nom était Kaspîn.

2 Maccabées 12, 14 Confiants dans la puissance de leurs murs et leurs dépôts de vivres, les assiégés se montraient grossiers à l'excès envers Judas et les siens, joignant aux insultes les blasphèmes et des propos impies.

2 Maccabées 12, 15 Judas et ses compagnons, ayant invoqué le grand Souverain du monde qui sans béliers ni machines de guerre renversa Jéricho au temps de Josué, assaillirent le mur avec férocité.

2 Maccabées 12, 16 Devenus maîtres de la ville par la volonté de Dieu, ils firent un carnage indescriptible, au point que l'étang voisin, large de deux stades, paraissait rempli par le sang qui y avait coulé.

2 Maccabées 12, 17 Comme ils s'étaient éloignés à 750 stades de là, ils atteignirent le Charax, chez les Juifs appelés Toubiens.

2 Maccabées 12, 18 Quant à Timothée, ils ne le trouvèrent point dans ces parages, car il avait quitté les lieux sans avoir rien fait, mais non sans avoir laissé sur un certain point une très forte garnison.

2 Maccabées 12, 19 Dosithée et Sosipater, généraux du Maccabée, s'y rendirent et tuèrent les hommes laissés par Timothée dans la forteresse au nombre de plus de 10.000.

2 Maccabées 12, 20 Maccabée, de son côté, ayant distribué ses troupes en cohortes, nomma ceux qui seraient à leur tête et s'élança contre Timothée, qui avait autour de lui 120.000 fantassins et 2.500 cavaliers.

2 Maccabées 12, 21 Informé de l'approche de Judas, Timothée envoya tout d'abord les femmes, les enfants et le reste des bagages au lieu dit le Karnion, car la place était inexpugnable et difficile d'accès à cause des passes étroites de toute la contrée.

2 Maccabées 12, 22 La cohorte de Judas parut la première: l'épouvante s'étant emparée de l'ennemi, ainsi que la crainte que leur inspirait la manifestation de Celui qui voit tout, ils prirent la fuite en tous sens, de telle sorte que souvent ils se blessaient entre eux et se transperçaient de leurs propres épées.

2 Maccabées 12, 23 Judas les poursuivit avec une vigueur extrême, embrochant ces criminels dont il fit périr jusqu'à 30.000 hommes.

2 Maccabées 12, 24 Timothée, étant tombé lui-même aux mains des gens de Dosithée et de Sosipater, les conjura avec beaucoup d'artifice de le laisser aller sain et sauf, affirmant qu'il avait en son pouvoir des parents et même des frères de beaucoup d'entre eux, à qui il pourrait arriver d'être supprimés.

2 Maccabées 12, 25 Quand il les eut persuadés par de longs discours qu'il leur restituerait ces hommes sains et saufs en vertu de l'engagement qu'il prenait, ils le relâchèrent pour sauver leurs frères.

2 Maccabées 12, 26 S'étant rendu au Karnion et à l'Atargatéion, Judas égorgea 25.000 hommes.

2 Maccabées 12, 27 Après leur désastre (et leur perte), il conduisit son armée contre Ephrôn, ville forte où habitait Lysanias. De robustes jeunes gens, rangés devant les murailles, combattaient avec vigueur, et, à l'intérieur, il y avait des quantités de machines et de projectiles en réserve.

2 Maccabées 12, 28 Mais, ayant invoqué le Souverain qui brise par sa puissance les forces des ennemis, les Juifs se rendirent maîtres de la ville et couchèrent sur le sol, parmi ceux qui s'y trouvaient, environ 25.000 hommes.

2 Maccabées 12, 29 Partis de là, ils foncèrent sur Scythopolis, à 600 stades de Jérusalem.

2 Maccabées 12, 30 Mais les Juifs qui s'y étaient fixés, ayant attesté que les Scythopolites avaient eu pour eux de la bienveillance et leur avaient réservé un accueil humain au temps du malheur,

2 Maccabées 12, 31 Judas et les siens remercièrent ces derniers et les engagèrent à se montrer encore à l'avenir bien disposés pour leur race. Ils arrivèrent à Jérusalem très peu avant la fête des Semaines.

2 Maccabées 12, 32 Après la fête appelée Pentecôte, ils foncèrent contre Gorgias, stratège de l'Idumée.

2 Maccabées 12, 33 Celui-ci sortit à la tête de 3.000 fantassins et 400 cavaliers,

2 Maccabées 12, 34 qui engagèrent une bataille rangée où il arriva qu'un certain nombre de Juifs succombèrent.

2 Maccabées 12, 35 Le dénommé Dosithée, cavalier du corps des Toubiens, homme vaillant, se rendit maître de la personne de Gorgias et, l'ayant saisi par la chlamyde, il l'entraînait de force en vue de capturer vivant ce maudit, mais un cavalier thrace, se jetant sur Dosithée, lui trancha l'épaule, et Gorgias s'enfuit à Marisa.

2 Maccabées 12, 36 Cependant ceux qui se trouvaient avec Esdrias combattaient depuis longtemps et tombaient d'épuisement. Judas supplia le Seigneur de se montrer leur allié et leur guide dans le combat.

2 Maccabées 12, 37 Entonnant ensuite à pleine voix dans la langue des pères le cri de guerre avec des hymnes, il mit en déroute les gens de Gorgias.

2 Maccabées 12, 38 Judas, ayant ensuite rallié son armée, se rendit à la ville d'Odollam et, le septième jour de la semaine survenant, ils se purifièrent selon la coutume et célébrèrent le sabbat en ce lieu.

2 Maccabées 12, 39 Le jour suivant, on vint trouver Judas (au temps où la nécessité s'en imposait) pour relever les corps de ceux qui avaient succombé et les inhumer avec leurs proches dans le tombeau de leurs pères.

2 Maccabées 12, 40 Or ils trouvèrent sous la tunique de chacun des morts des objets consacrés aux idoles de Iamnia et que la Loi interdit aux Juifs. Il fut donc évident pour tous que cela avait été la cause de leur mort.

2 Maccabées 12, 41 Tous donc, ayant béni la conduite du Seigneur, juge équitable qui rend manifestes les choses cachées,

2 Maccabées 12, 42 se mirent en prière pour demander que le péché commis fût entièrement pardonné, puis le valeureux Judas exhorta la troupe à se garder pure de tout péché, ayant sous les yeux ce qui était arrivé à cause de la faute de ceux qui étaient tombés.

2 Maccabées 12, 43 Puis, ayant fait une collecte d'environ 2.000 drachmes, il l'envoya à Jérusalem afin qu'on offrît un sacrifice pour le péché, agissant fort bien et noblement d'après le concept de la résurrection.

2 Maccabées 12, 44 Car, s'il n'avait pas espéré que les soldats tombés dussent ressusciter, il était superflu et sot de prier pour les morts,

2 Maccabées 12, 45 et s'il envisageait qu'une très belle récompense est réservée à ceux qui s'endorment dans la piété, c'était là une pensée sainte et pieuse. Voilà pourquoi il fit faire ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu'ils fussent délivrés de leur péché.

2 Maccabées 13, 1 L'an 149, la nouvelle parvint à Judas qu'Antiochus Eupator marchait sur la Judée avec une troupe nombreuse

2 Maccabées 13, 2 et accompagné de son tuteur Lysias, qui était à la tête des affaires; il avait une armée grecque de 110.000 fantassins, 5.300 cavaliers, 22 éléphants et 300 chars armés de faux.

2 Maccabées 13, 3 Ménélas se joignit à eux et se mit à circonvenir Antiochus avec beaucoup d'astuce, non pour le salut de sa patrie, mais avec l'espoir d'être rétabli dans sa dignité.

2 Maccabées 13, 4 Mais le Roi des rois éveilla contre ce scélérat la colère d'Antiochus et, Lysias ayant démontré au roi que Ménélas était la cause de tous les maux, Antiochus ordonna de le conduire à Bérée et de l'y faire périr suivant la coutume du lieu.

2 Maccabées 13, 5 Il y a en ce lieu une tour de 50 coudées, pleine de cendre, munie d'un dispositif circulaire qui, de tout autour, faisait tomber dans la cendre.

2 Maccabées 13, 6 C'est là qu'on fait monter l'homme coupable de pillage sacrilège ou de quelques autres forfaits énormes et qu'on le précipite pour le faire périr.

2 Maccabées 13, 7 Tel fut le supplice dont mourut le prévaricateur, et Ménélas ne fut même pas enterré,

2 Maccabées 13, 8 et cela en toute justice, car il avait commis beaucoup de péchés contre l'autel dont le feu et la cendre étaient purs, et c'est dans la cendre qu'il trouva la mort.

2 Maccabées 13, 9 Le roi s'avançait donc, l'esprit hanté de desseins barbares, pour faire voir aux Juifs des choses pires que celles qui leur étaient advenues sous son père.

2 Maccabées 13, 10 Judas, l'ayant appris, prescrivit au peuple d'invoquer le Seigneur jour et nuit pour que, cette fois encore, il vînt au secours

2 Maccabées 13, 11 de ceux qui allaient être privés de la Loi, de la patrie et du sanctuaire sacré, et qu'il ne laissât pas ce peuple, qui commençait seulement à reprendre haleine, tomber au pouvoir des nations de triste renom.

2 Maccabées 13, 12 Lorsqu'ils eurent tous exécuté cet ordre avec ensemble et imploré le Seigneur miséricordieux avec des larmes et des jeûnes, prosternés pendant trois jours continus, Judas les encouragea et leur enjoignit de se tenir prêts.

2 Maccabées 13, 13 Après un entretien particulier avec les Anciens, il résolut de ne pas attendre que l'armée royale envahît la Judée et devînt maîtresse de la ville, mais de se mettre en marche et de décider de toute l'affaire avec l'assistance du Seigneur.

2 Maccabées 13, 14 Ayant donc remis la décision au Créateur du monde, exhorté ensuite ses compagnons à combattre généreusement jusqu'à la mort pour les lois, pour le sanctuaire, la ville, la patrie et les institutions, il fit camper son armée aux environs de Modîn.

2 Maccabées 13, 15 Quand il eut donné aux siens comme mot d'ordre: "Victoire de Dieu", il attaqua avec une élite de jeunes braves la tente du roi pendant la nuit. Parmi les hommes campés, il en tua environ 2.000 et ses gens transpercèrent le plus grand des éléphants avec son cornac;

2 Maccabées 13, 16 ils remplirent finalement le camp d'épouvante et de confusion et se retirèrent avec un plein succès,

2 Maccabées 13, 17 alors que déjà le jour commençait à poindre. Et cela se fit grâce à la protection dont le Seigneur couvrait Judas.

2 Maccabées 13, 18 Le roi, ayant tâté de la hardiesse des Juifs, essaya d'attaquer les places au moyen d'artifices.

2 Maccabées 13, 19 Il s'approcha de Bethsour, forteresse puissante des Juifs, mais il était repoussé, mis en échec, vaincu.

2 Maccabées 13, 20 Judas fit passer aux assiégés ce qui leur était nécessaire,

2 Maccabées 13, 21 mais Rodokos, de l'armée juive, dévoilait les secrets aux ennemis: il fut recherché, arrêté et exécuté.

2 Maccabées 13, 22 Pour la seconde fois, le roi parlementa avec ceux de Bethsour; il leur tendit la main, prit la leur, se retira,

2 Maccabées 13, 23 attaqua Judas et ses hommes et eut le dessous. Il apprit que Philippe, laissé à la tête des affaires, avait fait un coup de tête à Antioche. Bouleversé, il donna aux Juifs de bonnes paroles, vint à composition, jura de garder avec eux toutes les conditions justes. Après cette réconciliation, il offrit un sacrifice, honora le Temple et fut généreux envers le lieu saint.

2 Maccabées 13, 24 Il fit bon accueil à Maccabée et laissa Hégémonide stratège depuis Ptolémaïs jusqu'au pays des Gerréniens.

2 Maccabées 13, 25 Il se rendit à Ptolémaïs, mais les habitants de cette ville, n'agréant pas ce traité, s'en indignaient fort et voulurent en violer les conventions.

2 Maccabées 13, 26 Alors Lysias monta à la tribune, défendit de son mieux ces conventions, persuada les esprits, les calma, les amena à la bienveillance et partit pour Antioche. Il en alla ainsi de l'offensive et de la retraite du roi.

2 Maccabées 14, 1 Après un intervalle de trois ans, Judas et ses compagnons apprirent que Démétrius, fils de Séleucus, ayant abordé au port de Tripoli avec une forte armée et une flotte,

2 Maccabées 14, 2 s'était emparé du pays et avait fait périr Antiochus et son tuteur Lysias.

2 Maccabées 14, 3 Un certain Alkime, précédemment devenu grand prêtre, mais qui s'était volontairement souillé au temps de la révolte, comprenant qu'il n'y avait pour lui de salut en aucune façon, ni désormais d'accès possible au saint autel,

2 Maccabées 14, 4 vint trouver le roi Démétrius vers l'an un, et lui offrit une couronne d'or avec une palme et, de plus, des rameaux d'olivier dus selon l'usage par le Temple; et, ce jour-là, il ne fit rien de plus.

2 Maccabées 14, 5 Mais il trouva une occasion complice de sa démence quand, l'ayant appelé dans son conseil, Démétrius l'interrogea sur les dispositions et les desseins des Juifs. Il répondit:

2 Maccabées 14, 6 "Ceux des Juifs qu'on appelle Assidéens, dont Judas Maccabée a pris la direction, fomentent la guerre et les séditions, ne laissant pas le royaume jouir du calme.

2 Maccabées 14, 7 C'est pourquoi, ayant été dépouillé de ma dignité héréditaire, je veux dire du souverain pontificat, je suis venu ici,

2 Maccabées 14, 8 d'abord avec le souci sincère des intérêts du roi, ensuite en considération de nos concitoyens, car la déraison de ceux que j'ai nommés plonge toute notre race dans une grande infortune.

2 Maccabées 14, 9 Toi donc, ô roi, quand tu auras pris connaissance de chacun de ces griefs, daigne pourvoir au salut de notre pays et de notre nation menacée de toutes parts, suivant cette bienfaisance affable que tu témoignes à tout le monde,

2 Maccabées 14, 10 car tant que Judas sera en vie, il sera impossible à l'Etat de goûter la paix."

2 Maccabées 14, 11 Dès qu'il eut parlé de la sorte, les autres amis du roi, hostiles à l'action de Judas, s'empressèrent d'enflammer Démétrius.

2 Maccabées 14, 12 Ayant aussitôt fixé son choix sur Nikanor, qui était devenu éléphantarque, il le promut stratège de Judée et le fit partir

2 Maccabées 14, 13 avec l'ordre de faire périr Judas, de disperser ceux qui étaient avec lui et d'introniser Alkime grand prêtre du plus grand des sanctuaires.

2 Maccabées 14, 14 Quant aux païens de Judée qui avaient fui devant Judas, ils se rassemblèrent par troupes autour de Nikanor, pensant bien que l'infortune et le malheur des Juifs tourneraient à leur propre avantage.

2 Maccabées 14, 15 Informés de l'arrivée de Nikanor et de l'agression des païens, les Juifs répandirent sur eux de la poussière et implorèrent Celui qui avait constitué son peuple pour l'éternité et qui ne manquait jamais de secourir son propre héritage avec des signes manifestes.

2 Maccabées 14, 16 Sur l'ordre de leur chef, ils partirent aussitôt du lieu où ils se trouvaient et en vinrent aux mains avec eux au bourg de Dessau.

2 Maccabées 14, 17 Simon, frère de Judas, avait engagé le combat avec Nikanor, mais à cause de l'arrivée subite des adversaires, il avait subi un léger échec.

2 Maccabées 14, 18 Toutefois, apprenant quelle était la valeur de Judas et de ses compagnons, leur assurance dans les combats livrés pour la patrie, Nikanor craignit de s'en remettre au jugement par le sang.

2 Maccabées 14, 19 Aussi envoya-t-il Posidonius, Théodote et Mattathias pour tendre la main aux Juifs et recevoir la leur.

2 Maccabées 14, 20 Après un examen approfondi des propositions, le chef les communiqua aux troupes, et, les avis ayant été unanimes, elles manifestèrent leur assentiment au traité.

2 Maccabées 14, 21 On fixa un jour où les chefs s'aboucheraient en particulier. De part et d'autre s'avança un véhicule; on plaça des sièges d'honneur.

2 Maccabées 14, 22 Judas avait aposté aux endroits favorables des gens en armes, prêts à intervenir en cas de perfidie soudaine de la part des ennemis. Dans leur entretien ils se mirent d'accord.

2 Maccabées 14, 23 Nikanor séjourna à Jérusalem sans y rien faire de déplacé. Au contraire, il renvoya ces foules qui, par bandes, s'étaient groupées autour de lui.

2 Maccabées 14, 24 Il avait sans cesse Judas devant les yeux, éprouvant pour cet homme une inclination de coeur.

2 Maccabées 14, 25 Il l'engagea à se marier et à avoir des enfants. Judas se maria, goûta la tranquillité, jouit de la vie.

2 Maccabées 14, 26 Alkime, voyant leur bonne entente, et s'étant procuré une copie du traité conclu, s'en vint chez Démétrius et lui dit que Nikanor avait des idées contraires aux intérêts de l'Etat, car l'adversaire même de son royaume, Judas, il l'avait promu diadoque.

2 Maccabées 14, 27 Le roi entra en fureur et, excité par les calomnies de ce misérable, il écrivit à Nikanor, lui déclarant qu'il éprouvait un grand déplaisir de ces conventions et lui donnant l'ordre d'envoyer sans retard à Antioche le Maccabée chargé de chaînes.

2 Maccabées 14, 28 Au reçu de ces lignes, Nikanor fut bouleversé, car il lui en coûtait de violer les conventions avec un homme qui n'avait commis aucune injustice.

2 Maccabées 14, 29 Mais comme il n'était pas facile de s'opposer au roi, il épiait une occasion favorable pour accomplir cet ordre au moyen d'un stratagème.

2 Maccabées 14, 30 De son côté, Maccabée, remarquant que Nikanor se comportait plus sèchement à son égard et que son abord ordinaire se faisait plus rude, pensa qu'une telle sévérité ne présageait rien de très bon. Il rassembla donc un grand nombre de ses partisans et se déroba à Nikanor.

2 Maccabées 14, 31 Quand l'autre reconnut qu'il avait été joué de belle manière par cet homme, il se rendit au Sanctuaire très grand et saint pendant que les prêtres offraient les sacrifices accoutumés, et commanda de lui livrer cet homme.

2 Maccabées 14, 32 Comme ils assuraient avec serment qu'ils ne savaient où était l'homme qu'il cherchait,

2 Maccabées 14, 33 Nikanor leva la main droite vers le Temple et affirma avec serment: "Si vous ne me livrez pas Judas enchaîné, je raserai cette demeure de Dieu, je détruirai l'autel, et, au même endroit, j'élèverai à Dionysos un sanctuaire splendide."

2 Maccabées 14, 34 Sur de telles paroles, il se retira. Mais les prêtres tendirent de leur côté les mains vers le ciel, implorant en ces termes Celui qui a toujours combattu pour notre nation:

2 Maccabées 14, 35 "O toi Seigneur, qui n'as besoin de rien, il t'a plu que le Temple où tu habites se trouve au milieu de nous.

2 Maccabées 14, 36 Maintenant donc, Seigneur saint de toute sainteté, préserve pour jamais de toute profanation cette Maison qui vient d'être purifiée."

2 Maccabées 14, 37 On dénonça alors à Nikanor un des anciens de Jérusalem nommé Razis, homme zélé pour ses concitoyens, jouissant d'un excellent renom et qu'on appelait Père des Juifs à cause de son affection pour eux.

2 Maccabées 14, 38 Inculpé de Judaïsme dans les premiers temps de la révolte, il avait exposé avec toute la constance possible son corps et sa vie pour le Judaïsme.

2 Maccabées 14, 39 En vue de montrer la malveillance qu'il nourrissait à l'égard des Juifs, Nikanor envoya plus de 500 soldats pour l'arrêter,

2 Maccabées 14, 40 car il ne doutait pas que faire disparaître cet homme ne fût un grand coup porté aux Juifs.

2 Maccabées 14, 41 Comme ces troupes étaient sur le point de s'emparer de la tour et forçaient le porche, l'ordre étant donné de mettre le feu et de brûler les portes, Razis, cerné de toutes parts, dirigea son épée contre lui-même;

2 Maccabées 14, 42 il choisit noblement de mourir plutôt que de tomber entre des mains criminelles et de subir des outrages indignes de sa noblesse.

2 Maccabées 14, 43 Son coup ayant manqué le bon endroit, dans la hâte du combat, et les troupes se ruant à l'intérieur des portes, il courut allègrement en haut de la muraille et se précipita avec intrépidité sur la foule.

2 Maccabées 14, 44 Tous s'étant reculés aussitôt, il s'en vint choir au milieu de l'espace vide.

2 Maccabées 14, 45 Respirant encore, et enflammé d'ardeur, il se releva tout ruisselant de sang et, malgré de très douloureuses blessures, il traversa la foule en courant. Enfin, debout sur une roche escarpée,

2 Maccabées 14, 46 et déjà tout à fait exsangue, il s'arracha les entrailles et, les prenant à deux mains, il les projeta sur la foule, priant le maître de la vie et de l'esprit de les lui rendre un jour. Ce fut ainsi qu'il mourut.

2 Maccabées 15, 1 Apprenant que Judas et les siens étaient dans les parages de Samarie, Nikanor prit le parti de les attaquer sans risque, le jour du repos.

2 Maccabées 15, 2 Les Juifs qui le suivaient par contrainte lui dirent: "Ne va pas les faire périr d'une façon si sauvage et si barbare, mais rends gloire au jour que Celui qui veille sur toutes choses a sanctifié de préférence."

2 Maccabées 15, 3 Alors ce triple scélérat demanda s'il y avait au ciel un souverain qui eût prescrit de célébrer le jour du sabbat.

2 Maccabées 15, 4 Comme ceux-ci lui répliquaient: "C'est le Seigneur vivant lui-même, souverain au ciel, qui a ordonné d'observer le septième jour",

2 Maccabées 15, 5 l'autre reprit: "Et moi aussi je suis souverain sur terre: je commande qu'on prenne les armes et qu'on fasse le service du roi." Toutefois, il ne fut pas maître de réaliser son funeste dessein.

2 Maccabées 15, 6 Tandis que Nikanor, se redressant avec une extrême jactance, décidait d'ériger un trophée commun avec les dépouilles de Judas et de ses compagnons,

2 Maccabées 15, 7 Maccabée, de son côté, gardant une confiance inaltérable, avait plein espoir d'obtenir du secours de la part du Seigneur.

2 Maccabées 15, 8 Il engageait ceux qui se trouvaient avec lui à ne pas redouter l'attaque des païens, mais, au souvenir des secours qui étaient déjà venus du Ciel, à compter qu'en ce moment aussi, du Tout-Puissant leur viendrait la victoire.

2 Maccabées 15, 9 En les encourageant à l'aide de la Loi et des Prophètes, en évoquant à leur esprit les combats qu'ils avaient déjà soutenus, il les remplit d'une nouvelle ardeur.

2 Maccabées 15, 10 Ayant ainsi réveillé leurs ardeurs, il acheva de les exhorter en leur montrant la déloyauté des païens et la violation de leurs serments.

2 Maccabées 15, 11 Ayant armé chacun d'eux moins de la sécurité que donnent les boucliers et les lances que de l'assurance fondée sur les bonnes paroles, il leur raconta un songe digne de foi, une sorte de vision, qui les réjouit tous.

2 Maccabées 15, 12 Voici le spectacle qui lui avait été offert: l'ex-grand prêtre Onias, cet homme de bien, d'un abord modeste et de moeurs douces, distingué dans son langage et adonné dès l'enfance à toutes les pratiques de la vertu, Onias étendait les mains et priait pour toute la communauté des Juifs.

2 Maccabées 15, 13 Ensuite avait apparu à Judas, de la même manière, un homme remarquable par ses cheveux blancs et par sa dignité, revêtu d'une prodigieuse et souveraine majesté.

2 Maccabées 15, 14 Prenant la parole, Onias disait: "Celui-ci est l'ami de ses frères, qui prie beaucoup pour le peuple et pour la ville sainte tout entière, Jérémie, le prophète de Dieu."

2 Maccabées 15, 15 Puis Jérémie, avançant la main droite, donnait à Judas une épée d'or et prononçait ces paroles en la lui remettant:

2 Maccabées 15, 16 "Prends ce glaive saint, il est un don de Dieu, avec lui tu briseras les ennemis."

2 Maccabées 15, 17 Excités par les excellentes paroles de Judas, capables d'inspirer de la vaillance et de donner aux jeunes des âmes d'hommes faits, les Juifs décidèrent de ne pas se retrancher dans un camp, mais de prendre bravement l'offensive et, dans un corps à corps, de remettre la décision à la fortune des armes, puisque la ville, la religion et le Sanctuaire étaient en péril,

2 Maccabées 15, 18 car, dans cette lutte, l'inquiétude au sujet des femmes, des enfants, des frères et des proches se réduisait à peu de chose, tandis que la plus grande et la première des craintes était pour le Temple consacré.

2 Maccabées 15, 19 L'angoisse de ceux qui avaient été laissés dans la ville n'était pas moindre, inquiets qu'ils étaient au sujet de l'action qui allait se livrer en rase campagne.

2 Maccabées 15, 20 Pendant que tous attendaient le prochain dénouement et que déjà les ennemis, ayant opéré leur concentration, se rangeaient en ordre de bataille, les éléphants étant ramenés sur une position favorable et la cavalerie rangée sur les ailes,

2 Maccabées 15, 21 Maccabée observait ces masses imposantes, l'appareil varié de leurs armements et l'aspect farouche des éléphants. Il leva les mains vers le ciel et invoqua le Seigneur qui opère les prodiges, sachant bien que ce n'est pas à l'aide des armes, mais selon ce qu'il juge, qu'il accorde la victoire à ceux qui en sont dignes.

2 Maccabées 15, 22 Il prononça en ces termes l'invocation suivante: "O toi, Maître, tu as envoyé ton ange sous Ezéchias, roi de la Judée, et il a exterminé 185.000 hommes de l'armée de Sennachérib;

2 Maccabées 15, 23 maintenant encore, ô Souverain des cieux, envoie un bon ange devant nous pour semer la crainte et l'effroi.

2 Maccabées 15, 24 Que par la grandeur de ton bras soient frappés ceux qui sont venus, le blasphème à la bouche, attaquer ton peuple saint!" Et il termina sur ces mots.

2 Maccabées 15, 25 Or, tandis que les gens de Nikanor s'avançaient au son des trompettes et au chant du péan,

2 Maccabées 15, 26 les hommes de Judas en vinrent aux mains avec l'ennemi en faisant des invocations et des prières.

2 Maccabées 15, 27 Combattant de leurs mains et priant Dieu de leur coeur, ils couchèrent sur le sol au moins 35.000 hommes, et se réjouirent grandement de cette manifestation de Dieu.

2 Maccabées 15, 28 La besogne une fois terminée, et comme ils s'en retournaient avec joie, ils reconnurent que Nikanor était tombé revêtu de son armure.

2 Maccabées 15, 29 Alors, au milieu des clameurs et de la confusion, ils bénissaient le souverain Maître dans la langue de leurs pères.

2 Maccabées 15, 30 Celui qui au premier rang s'était consacré, corps et âme, à ses concitoyens, qui avait conservé pour ses compatriotes l'affection du jeune âge, ordonna de couper la tête de Nikanor et son bras jusqu'à l'épaule, et de les porter à Jérusalem.

2 Maccabées 15, 31 Il s'y rendit lui-même et, après avoir convoqué ses compatriotes et placé les prêtres devant l'autel, il envoya chercher les gens de la Citadelle:

2 Maccabées 15, 32 il leur montra la tête de l'abominable Nikanor et la main que cet infâme avait étendue avec tant d'insolence contre la sainte Maison du Tout-Puissant.

2 Maccabées 15, 33 Puis, ayant coupé la langue de l'impie Nikanor, il dit qu'on la donnât par morceaux aux oiseaux et qu'on suspendît en face du Temple le salaire de sa folie.

2 Maccabées 15, 34 Tous alors firent monter vers le ciel des bénédictions au Seigneur glorieux, en ces termes: "Béni soit Celui qui a gardé son saint lieu exempt de souillure!"

2 Maccabées 15, 35 Judas attacha la tête de Nikanor à la Citadelle, comme un signe manifeste et visible à tous du secours du Seigneur.

2 Maccabées 15, 36 Ils décrétèrent tous par un vote public de ne pas laisser passer ce jour inaperçu, mais de célébrer le treizième jour du douzième mois, appelé Adar en araméen, la veille du jour dit de Mardochée.

2 Maccabées 15, 37 Ainsi se passèrent les choses concernant Nikanor, et, comme depuis ce temps-là la ville demeura en la possession des Hébreux, je finirai également mon ouvrage ici même.

2 Maccabées 15, 38 Si la composition en est bonne et réussie, c'est aussi ce que j'ai voulu. A-t-elle peu de valeur et ne dépasse-t-elle pas la médiocrité? C'est tout ce que j'ai pu faire...

2 Maccabées 15, 39 Comme il est nuisible de boire seulement du vin ou seulement de l'eau, tandis que le vin mêlé à l'eau est agréable et produit une délicieuse jouissance, de même c'est l'art de disposer le récit qui charme l'entendement de ceux qui lisent le livre. C'est donc ici que j'y mettrai fin.

 

 

 

 

Job

 

 

 

1, 1 Il y avait jadis, au pays de Uç, un homme appelé Job: un homme intègre et droit qui craignait Dieu et se gardait du mal.

Job 1, 2 Sept fils et trois filles lui étaient nés.

Job 1, 3 Il possédait aussi 7.000 brebis, 3.000 chameaux, 500 paires de boeufs et 500 ânesses, avec de très nombreux serviteurs. Cet homme était le plus fortuné de tous les fils de l'Orient.

Job 1, 4 Ses fils avaient coutume d'aller festoyer chez l'un d'entre eux, à tour de rôle, et d'envoyer chercher leurs trois soeurs pour manger et boire avec eux.

Job 1, 5 Or, une fois terminé le cycle de ces festins, Job les faisait venir pour les purifier et, le lendemain, à l'aube, il offrait un holocauste pour chacun d'eux. Car il se disait: "Peut-être mes fils ont-ils péché et maudit Dieu dans leur coeur!" Ainsi faisait Job, chaque fois.

Job 1, 6 Le jour où les Fils de Dieu venaient se présenter devant Yahvé, le Satan aussi s'avançait parmi eux.

Job 1, 7 Yahvé dit alors au Satan: "D'où viens-tu" -- "De rôder sur la terre, répondit-il, et d'y flâner."

Job 1, 8 Et Yahvé reprit: "As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n'a point son pareil sur la terre: un homme intègre et droit, qui craint Dieu et se garde du mal!"

Job 1, 9 Et le Satan de répliquer: "Est-ce pour rien que Job craint Dieu?

Job 1, 10 Ne l'as-tu pas entouré d'une haie, ainsi que sa maison et son domaine alentour? Tu as béni toutes ses entreprises, ses troupeaux pullulent dans le pays.

Job 1, 11 Mais étends la main et touche à ses biens; je te jure qu'il te maudira en face" --

Job 1, 12 "Soit! dit Yahvé au Satan, tous ses biens sont en ton pouvoir. Evite seulement de porter la main sur lui." Et le Satan sortit de l'audience de Yahvé.

Job 1, 13 Le jour où les fils et les filles de Job étaient en train de manger et de boire chez leur frère aîné,

Job 1, 14 un messager vint dire à Job: "Tes boeufs labouraient et les ânesses paissaient à leurs côtés

Job 1, 15 quand les Sabéens ont fondu sur eux et les ont enlevés, après avoir passé les serviteurs au fil de l'épée. Moi, le seul rescapé, je me suis sauvé pour te l'annoncer."

Job 1, 16 Il parlait encore quand un autre survint et dit: "Le feu de Dieu est tombé du ciel; il a brûlé les brebis et les pâtres jusqu'à les consumer. Moi, le seul rescapé, je me suis sauvé pour te l'annoncer."

Job 1, 17 Il parlait encore quand un autre survint et dit: "Les Chaldéens, divisés en trois bandes, ont fait un raid contre les chameaux et ils les ont enlevés, après avoir passé les serviteurs au fil de l'épée. Moi, le seul rescapé, je me suis sauvé pour te l'annoncer."

Job 1, 18 Il parlait encore quand un autre survint et dit: "Tes fils et tes filles étaient en train de manger et de boire du vin dans la maison de leur frère aîné.

Job 1, 19 Et voilà qu'un vent violent a soufflé du désert. Il a heurté les quatre coins de la maison et celle-ci est tombée sur les jeunes gens, qui ont péri. Moi, le seul rescapé, je me suis sauvé pour te l'annoncer."

Job 1, 20 Alors Job se leva, déchira son vêtement, se rasa la tête. Puis, tombant sur le sol, il se prosterna

Job 1, 21 et dit: "Nu, je suis sorti du sein maternel, nu, j'y retournerai. Yahvé avait donné, Yahvé a repris: que le nom de Yahvé soit béni!"

Job 1, 22 En toute cette infortune, Job ne pécha point et il n'adressa pas à Dieu de sots reproches.

Job 2, 1 Un autre jour où les Fils de Dieu venaient se présenter devant Yahvé, le Satan aussi s'avançait parmi eux.

Job 2, 2 Yahvé dit alors au Satan: "D'où viens-tu" -- "De rôder sur la terre, répondit-il, et d'y flâner."

Job 2, 3 Et Yahvé reprit: "As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n'a point son pareil sur la terre: un homme intègre et droit, qui craint Dieu et se garde du mal! Il persévère dans son intégrité et c'est en vain que tu m'as excité contre lui pour le perdre."

Job 2, 4 Et le Satan de répliquer: "Peau après peau. Tout ce que l'homme possède, il l'abandonne pour sauver sa vie!

Job 2, 5 Mais étends la main, touche à ses os et à sa chair; je te jure qu'il te maudira en face" --

Job 2, 6 "Soit! dit Yahvé au Satan, dispose de lui, mais respecte pourtant sa vie."

Job 2, 7 Et le Satan sortit de l'audience de Yahvé. Il affligea Job d'un ulcère malin, depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête.

Job 2, 8 Job prit un tesson pour se gratter et il s'installa parmi les cendres.

Job 2, 9 Alors sa femme lui dit: "Pourquoi persévérer dans ton intégrité? Maudis donc Dieu et meurs!"

Job 2, 10 Job lui répondit: "Tu parles comme une folle. Si nous accueillons le bonheur comme un don de Dieu, comment ne pas accepter de même le malheur!" En toute cette infortune, Job ne pécha point en paroles.

Job 2, 11 La nouvelle de tous les maux qui avaient frappé Job parvint à ses trois amis. Ils partirent chacun de son pays, Eliphaz de Témân, Bildad de Shuah, Cophar de Naamat. Ensemble, ils décidèrent d'aller le plaindre et le consoler.

Job 2, 12 De loin, fixant les yeux sur lui, ils ne le reconnurent pas. Alors ils éclatèrent en sanglots. Chacun déchira son vêtement et jeta de la poussière sur sa tête.

Job 2, 13 Puis, s'asseyant à terre près de lui, ils restèrent ainsi durant sept jours et sept nuits. Aucun ne lui adressa la parole, au spectacle d'une si grande douleur.

Job 3, 1 Enfin Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance.

Job 3, 2 Il prit la parole et dit:

Job 3, 3 Périsse le jour qui me vit naître et la nuit qui annonça: "Un garçon vient d'être conçu."

Job 3, 4 Ce jour-là, qu'il soit ténèbres, que Dieu, de là-haut, ne le réclame pas, que la lumière ne brille pas sur lui!

Job 3, 5 Que le revendiquent ténèbre et ombre épaisse, qu'une nuée s'installe sur lui, qu'une éclipse en fasse sa proie!

Job 3, 6 Oui, que l'obscurité le possède, qu'il ne s'ajoute pas aux jours de l'année, n'entre point dans le compte des mois!

Job 3, 7 Cette nuit-là, qu'elle soit stérile, qu'elle ignore les cris de joie!

Job 3, 8 Que la maudissent ceux qui maudissent les jours et sont prêts à réveiller Léviathan!

Job 3, 9 Que se voilent les étoiles de son aube, qu'elle attende en vain la lumière et ne voie point s'ouvrir les paupières de l'aurore!

Job 3, 10 Car elle n'a pas fermé sur moi la porte du ventre, pour cacher à mes yeux la souffrance.

Job 3, 11 Pourquoi ne suis-je pas mort au sortir du sein, n'ai-je péri aussitôt enfanté?

Job 3, 12 Pourquoi s'est-il trouvé deux genoux pour m'accueillir, deux mamelles pour m'allaiter?

Job 3, 13 Maintenant je serais couché en paix, je dormirais d'un sommeil reposant,

Job 3, 14 avec les rois et les grands ministres de la terre, qui ont bâti leurs demeures dans des lieux désolés,

Job 3, 15 ou avec les princes qui ont de l'or en abondance et de l'argent plein leurs tombes.

Job 3, 16 Ou bien, tel l'avorton caché, je n'aurais pas existé, comme les petits qui ne voient pas le jour.

Job 3, 17 Là prend fin l'agitation des méchants, là se reposent les épuisés.

Job 3, 18 Les captifs de même sont laissés tranquilles et n'entendent plus les cris du surveillant.

Job 3, 19 Là petits et grands se confondent et l'esclave recouvre sa liberté.

Job 3, 20 Pourquoi donner à un malheureux la lumière, la vie à ceux qui ont l'amertume au coeur,

Job 3, 21 qui aspirent après la mort sans qu'elle vienne, fouillent à sa recherche plus que pour un trésor?

Job 3, 22 Ils se réjouiraient en face du tertre funèbre, exulteraient s'ils atteignaient la tombe.

Job 3, 23 Pourquoi ce don à l'homme qui ne voit plus sa route et que Dieu enclôt sur lui-même?

Job 3, 24 Pour nourriture, j'ai mes soupirs, comme l'eau s'épanchent mes rugissements.

Job 3, 25 Toutes mes craintes se réalisent et ce que je redoute m'arrive.

Job 3, 26 Ni tranquillité ni paix pour moi, et mes tourments chassent le repos.

Job 4, 1 Eliphaz de Témân prit la parole et dit:

Job 4, 2 Si on t'adresse la parole, le supporteras-tu? Mais qui pourrait garder le silence!

Job 4, 3 Vois, tu faisais la leçon à beaucoup d'autres, tu rendais vigueur aux mains débiles;

Job 4, 4 tes propos redressaient l'homme qui chancelle, fortifiaient les genoux qui ploient.

Job 4, 5 Et maintenant, ton tour venu, tu perds patience, atteint toi-même, te voilà tout bouleversé!

Job 4, 6 Ta piété ne t'inspire-t-elle pas confiance, ta vie intègre n'est-elle pas ton assurance?

Job 4, 7 Souviens-toi: quel est l'innocent qui a péri? Où donc a-t-on vu des justes exterminés?

Job 4, 8 Je parle d'expérience: ceux qui labourent l'iniquité et sèment le malheur, les moissonnent.

Job 4, 9 Sous l'haleine de Dieu ils périssent, au souffle de sa colère ils sont anéantis.

Job 4, 10 Les rugissements du lion, les cris du fauve, comme les crocs des lionceaux sont brisés.

Job 4, 11 Le lion périt faute de proie, et les petits de la lionne se dispersent.

Job 4, 12 J'ai eu aussi une révélation furtive, mon oreille en a perçu le murmure.

Job 4, 13 A l'heure où les rêves agitent confusément l'esprit, quand une torpeur envahit les humains,

Job 4, 14 un frisson d'épouvante me saisit et remplit tous mes os d'effroi.

Job 4, 15 Un souffle glissa sur ma face, hérissa le poil de ma chair.

Job 4, 16 Quelqu'un se dressa... je ne reconnus pas son visage, mais l'image restait devant mes yeux. Un silence... puis une voix se fit entendre:

Job 4, 17 "Un mortel est-il juste devant Dieu, en face de son Auteur, un homme serait-il pur?

Job 4, 18 A ses serviteurs mêmes, Dieu ne fait pas confiance, et il convainc ses anges d'égarement.

Job 4, 19 Que dire des hôtes de ces maisons d'argile, posées elles-mêmes sur la poussière? On les écrase comme une mite;

Job 4, 20 un jour suffit à les pulvériser. A jamais ils disparaissent, car nul ne les ramène,

Job 4, 21 Leur piquet de tente est arraché, et ils meurent dénués de sagesse."

Job 5, 1 Appelle maintenant! Est-ce qu'on te répondra? Auquel des saints t'adresseras-tu?

Job 5, 2 En vérité, le dépit tue l'insensé et l'emportement fait mourir le sot.

Job 5, 3 J'ai vu ceci, moi: l'un d'eux prenait racine, quand sa demeure fut soudain maudite.

Job 5, 4 Ses fils sont privés de tout appui, accablés à la Porte sans défenseur;

Job 5, 5 leur moisson nourrit des affamés, car Dieu la leur ôte de la bouche, et des hommes altérés convoitent leurs biens.

Job 5, 6 Non, la misère ne sourd pas de terre, la peine ne germe pas du sol.

Job 5, 7 C'est l'homme qui engendre la peine comme le vol des aigles recherche l'altitude.

Job 5, 8 Pour moi, j'aurais recours à Dieu, à lui j'exposerais ma cause.

Job 5, 9 Il est l'auteur d'oeuvres grandioses et insondables, de merveilles qu'on ne peut compter.

Job 5, 10 Il répand la pluie sur la terre, envoie les eaux sur les campagnes.

Job 5, 11 S'il veut relever les humiliés, pousser les affligés au comble du bonheur,

Job 5, 12 il déjoue les desseins des astucieux, incapables de mener à bien leurs intrigues.

Job 5, 13 Il prend les sages au piège de leurs astuces, rend stupides les conseillers retors.

Job 5, 14 En plein jour ils se heurtent aux ténèbres, ils tâtonnent à midi comme dans la nuit.

Job 5, 15 Il arrache de leur gueule l'homme ruiné et le pauvre des mains du puissant.

Job 5, 16 Alors le faible renaît à l'espoir et l'injustice doit fermer la bouche.

Job 5, 17 Oui, heureux l'homme que Dieu corrige! Aussi, ne méprise pas la leçon de Shaddaï.

Job 5, 18 Lui, qui blesse, puis panse la plaie, qui meurtrit, puis guérit de sa main,

Job 5, 19 six fois de l'angoisse il te délivrera, et une septième le mal t'épargnera.

Job 5, 20 Dans une famine, il te sauvera de la mort; à la guerre, des atteintes de l'épée.

Job 5, 21 Tu seras à l'abri du fouet de la langue, sans crainte à l'approche du pillard.

Job 5, 22 Tu riras de la sécheresse et du gel et tu ne craindras pas les bêtes de la terre.

Job 5, 23 Tu auras un pacte avec les pierres des champs, les bêtes sauvages seront en paix avec toi.

Job 5, 24 Tu trouveras ta tente prospère, ton bercail au complet quand tu le visiteras.

Job 5, 25 Tu verras ta postérité s'accroître, tes rejetons pousser comme l'herbe des champs.

Job 5, 26 Tu entreras dans la tombe bien mûr, comme on entasse la meule en son temps.

Job 5, 27 Tout cela, nous l'avons observé: c'est la vérité! A toi d'écouter et d'en faire ton profit.

Job 6, 1 Job prit la parole et dit:

Job 6, 2 Oh! Si l'on pouvait peser mon affliction, mettre sur une balance tous mes maux ensemble!

Job 6, 3 Mais c'est plus lourd que le sable des mers: aussi mes propos sont-ils irréfléchis.

Job 6, 4 Les flèches de Shaddaï en moi sont plantées, mon humeur boit leur venin et les terreurs de Dieu sont en ligne contre moi.

Job 6, 5 Voit-on braire l'onagre auprès de l'herbe tendre, le boeuf mugir à portée du fourrage?

Job 6, 6 Un aliment fade se mange-t-il sans sel, le blanc de l'oeuf a-t-il quelque saveur?

Job 6, 7 Or ce que mon appétit se refuse à toucher, c'est là ma nourriture de malade.

Job 6, 8 Oh! que se réalise donc ma prière, que Dieu réponde à mon attente!

Job 6, 9 Que Lui consente à m'écraser, qu'il dégage sa main et me supprime!

Job 6, 10 J'aurai du moins cette consolation, ce sursaut de joie en de cruelles souffrances, de n'avoir pas renié les décrets du Saint.

Job 6, 11 Ai-je donc assez de force pour attendre? Voué à une telle fin, à quoi bon patienter?

Job 6, 12 Ma force est-elle celle du roc, ma chair est-elle de bronze?

Job 6, 13 Aurai-je pour appui le néant et tout secours n'a-t-il pas fui loin de moi?

Job 6, 14 Refuser la pitié à son prochain, c'est rejeter la crainte de Shaddaï.

Job 6, 15 Mes frères ont été décevants comme un torrent, comme le cours des torrents passagers.

Job 6, 16 La glace assombrit leurs eaux, au-dessus d'eux fond la neige,

Job 6, 17 mais, dès la saison brûlante, ils tarissent, ils s'évanouissent sous l'ardeur du soleil.

Job 6, 18 Pour eux, les caravanes quittent les pistes, s'enfoncent dans le désert et s'y perdent.

Job 6, 19 Les caravanes de Téma les fixent des yeux, en eux espèrent les convois de Saba.

Job 6, 20 Leur confiance se voit déçue; arrivés près d'eux, ils restent confondus.

Job 6, 21 Tels vous êtes pour moi à cette heure: à ma vue, saisis d'effroi, vous prenez peur.

Job 6, 22 Vous ai-je donc dit: "Faites-moi tel don, offrez tel présent pour moi sur vos biens;

Job 6, 23 arrachez-moi à l'étreinte d'un oppresseur, délivrez-moi des mains d'un violent?"

Job 6, 24 Instruisez-moi, alors je me tairai; montrez-moi en quoi j'ai pu errer.

Job 6, 25 On supporte sans peine des discours équitables, mais vos critiques, que visent-elles?

Job 6, 26 Prétendez-vous censurer des paroles, propos de désespoir qu'emporte le vent?

Job 6, 27 Vous iriez jusqu'à tirer au sort un orphelin, à faire bon marché de votre ami!

Job 6, 28 Allons, je vous en prie, regardez-moi! En face, je ne mentirai point.

Job 6, 29 Revenez, pas d'injustice; revenez, car je reste dans mon droit.

Job 6, 30 Y a-t-il du mal sur mes lèvres? Mon palais ne sait-il plus discerner l'infortune?

Job 7, 1 N'est-ce pas un temps de service qu'accomplit l'homme sur terre, n'y mène-t-il pas la vie d'un mercenaire?

Job 7, 2 Tel l'esclave soupirant après l'ombre ou l'ouvrier tendu vers son salaire,

Job 7, 3 j'ai en partage des mois de déception, à mon compte des nuits de souffrance.

Job 7, 4 Etendu sur ma couche, je me dis: "A quand le jour?" Sitôt levé: "Quand serai-je au soir?" Et des pensées folles m'obsèdent jusqu'au crépuscule.

Job 7, 5 Vermine et croûtes terreuses couvrent ma chair, ma peau gerce et suppure.

Job 7, 6 Mes jours ont couru plus vite que la navette et disparu sans espoir.

Job 7, 7 Souviens-toi que ma vie n'est qu'un souffle, que mes yeux ne reverront plus le bonheur!

Job 7, 8 Désormais je serai invisible à tout regard, tes yeux seront sur moi et j'aurai disparu.

Job 7, 9 Comme la nuée se dissipe et passe, qui descend au shéol n'en remonte pas.

Job 7, 10 Il ne revient pas habiter sa maison et sa demeure ne le connaît plus.

Job 7, 11 Et c'est pourquoi je ne puis me taire, je parlerai dans l'angoisse de mon esprit, je me plaindrai dans l'amertume de mon âme.

Job 7, 12 Suis-je la Mer, moi, ou le monstre marin, pour poster une garde contre moi?

Job 7, 13 Si je dis: "Mon lit me soulagera, ma couche atténuera ma plainte",

Job 7, 14 alors tu m'effraies par des songes, tu m'épouvantes par des visions.

Job 7, 15 Ah! je voudrais être étranglé: la mort plutôt que mes douleurs.

Job 7, 16 Je me consume, je ne vivrai pas toujours; aussi, laisse-moi, mes jours ne sont qu'un souffle!

Job 7, 17 Qu'est-ce donc que l'homme pour en faire si grand cas, pour fixer sur lui ton attention,

Job 7, 18 pour l'inspecter chaque matin, pour le scruter à tout instant?

Job 7, 19 Cesseras-tu enfin de me regarder, pour me laisser le temps d'avaler ma salive?

Job 7, 20 Si j'ai péché, que t'ai-je fait, à toi, l'observateur attentif de l'homme? Pourquoi m'as-tu pris pour cible, pourquoi te suis-je à charge?

Job 7, 21 Ne peux-tu tolérer mon offense, passer sur ma faute? Car bientôt je serai couché dans la poussière, tu me chercheras, et je ne serai plus.

Job 8, 1 Bildad de Shuah prit la parole et dit:

Job 8, 2 Jusqu'à quand parleras-tu de la sorte et tiendras-tu des propos semblables à un grand vent?

Job 8, 3 Dieu peut-il fléchir le droit, Shaddaï fausser la justice?

Job 8, 4 Si tes fils ont péché contre lui, il les a punis pour leurs fautes.

Job 8, 5 Recherche Dieu, implore Shaddaï.

Job 8, 6 Pour toi, si tu es irréprochable et droit, Dès maintenant, sa lumière brillera sur toi et il restaurera la maison d'un juste.

Job 8, 7 Ta condition ancienne te paraîtra comme rien, si grand sera ton avenir.

Job 8, 8 Interroge la génération passée, médite sur l'expérience acquise par ses pères.

Job 8, 9 Nous, nés d'hier, nous ne savons rien, notre vie sur terre passe comme une ombre.

Job 8, 10 Mais eux, ils t'instruiront, te parleront, et leur pensée livrera ces sentences:

Job 8, 11 "Le papyrus pousse-t-il hors des marais? Privé d'eau, le jonc peut-il croître?

Job 8, 12 Quand il est encore dans sa fraîcheur et non cueilli, avant toute autre herbe il se dessèche.

Job 8, 13 Tel est le sort de ceux qui oublient Dieu, ainsi périt l'espoir de l'impie.

Job 8, 14 Sa confiance n'est que filandre, sa sécurité, une maison d'araignée.

Job 8, 15 S'appuie-t-il sur sa demeure, elle cède; s'y cramponne-t-il, elle s'écroule.

Job 8, 16 Plein de sève au soleil, au-dessus du jardin il lançait ses jeunes pousses.

Job 8, 17 Ses racines entrelacées sur un tertre pierreux, il puisait sa vie au milieu des rochers.

Job 8, 18 On l'arrache de son lieu; son lieu le renie: Je ne t'ai jamais vu!

Job 8, 19 Et le voilà pourrissant sur le chemin, tandis que du sol, d'autres germent.

Job 8, 20 Non, Dieu ne rejette pas l'homme intègre, il ne prête pas main-forte aux méchants.

Job 8, 21 Le rire peut de nouveau remplir ta bouche, la joie éclater sur tes lèvres.

Job 8, 22 Tes ennemis seront couverts de honte, et la tente des méchants disparaîtra."

Job 9, 1 Job prit la parole et dit:

Job 9, 2 En vérité, je sais bien qu'il en est ainsi: l'homme pourrait-il se justifier devant Dieu?

Job 9, 3 A celui qui se plaît à discuter avec lui, il ne répond même pas une fois sur mille.

Job 9, 4 Parmi les plus sages et les plus robustes qui donc lui tiendrait tête impunément?

Job 9, 5 Il déplace les montagnes à leur insu et les renverse dans sa colère.

Job 9, 6 Il ébranle la terre de son site et fait vaciller ses colonnes.

Job 9, 7 A sa défense, le soleil ne se lève pas, il met un sceau sur les étoiles.

Job 9, 8 Lui seul a déployé les Cieux et foulé le dos de la Mer.

Job 9, 9 Il a fait l'Ourse et Orion, les Pléiades et les Chambres du Sud.

Job 9, 10 Il est l'auteur d'oeuvres grandioses et insondables, de merveilles qu'on ne peut compter.

Job 9, 11 S'il passe sur moi, je ne le vois pas et il glisse imperceptible.

Job 9, 12 S'il ravit une proie, qui l'en empêchera et qui osera lui dire: "Que fais-tu?"

Job 9, 13 Dieu ne renonce pas à sa colère: sous lui restent prostrés les satellites de Rahab.

Job 9, 14 Et moi, je voudrais me défendre, je choisirais mes arguments contre lui?

Job 9, 15 Même si je suis dans mon droit, à quoi bon lui répondre? C'est mon juge qu'il faudrait supplier.

Job 9, 16 Et si, sur mon appel, il daignait comparaître, je ne puis croire qu'il écouterait ma voix,

Job 9, 17 lui, qui m'écrase pour un cheveu, qui multiplie sans raison mes blessures

Job 9, 18 et ne me laisse même pas reprendre mon souffle, tant il me rassasie d'amertume!

Job 9, 19 Recourir à la force? Il l'emporte en vigueur! Au tribunal? Mais qui donc l'assignera?

Job 9, 20 Si je me justifie, sa bouche peut me condamner; si je m'estime parfait, me déclarer pervers.

Job 9, 21 Mais suis-je parfait? Je ne le sais plus moi-même, et je fais fi de l'existence!

Job 9, 22 Car c'est tout un, et j'ose dire: il fait périr de même l'homme intègre et le méchant.

Job 9, 23 Quand un fléau mortel s'abat soudain, il se rit de la détresse des innocents.

Job 9, 24 Dans un pays livré au pouvoir d'un méchant, il met un voile sur la face des juges. Si ce n'est pas lui, qui donc alors?

Job 9, 25 Mes jours passent, plus rapides qu'un coureur, ils s'enfuient sans voir le bonheur.

Job 9, 26 Ils glissent comme des nacelles de jonc, comme un aigle fond sur sa proie.

Job 9, 27 Si je décide de refouler ma plainte, de changer de mine pour faire gai visage,

Job 9, 28 l'effroi me saisit en face de tous mes maux, car, je le sais, tu ne me tiens pas pour innocent.

Job 9, 29 Et si j'ai commis le mal, à quoi bon me fatiguer en vain?

Job 9, 30 Que je me lave avec de la saponaire, que je purifie mes mains à la soude?

Job 9, 31 Tu me plonges alors dans l'ordure, et mes vêtements mêmes me prennent en horreur!

Job 9, 32 Car lui n'est pas, comme moi, un homme: impossible de lui répondre, de comparaître ensemble en justice.

Job 9, 33 Pas d'arbitre entre nous pour poser la main sur nous deux,

Job 9, 34 pour écarter de moi ses rigueurs, chasser l'épouvante de sa terreur!

Job 9, 35 Je parlerai pourtant, sans le craindre, car je ne suis pas tel à mes yeux!

Job 10, 1 Puisque la vie m'est en dégoût, je veux donner libre cours à ma plainte, épancher l'amertume de mon âme.

Job 10, 2 Je dirai à Dieu: Ne me condamne pas, indique-moi pourquoi tu me prends à partie.

Job 10, 3 Est-ce bien, pour toi, de me faire violence, d'avilir l'oeuvre de tes mains et de favoriser les desseins des méchants?

Job 10, 4 Aurais-tu des yeux de chair et ta manière de voir serait-elle celle des hommes?

Job 10, 5 Ton existence est-elle celle des mortels, tes années passent-elles comme les jours de l'homme?

Job 10, 6 Toi, qui recherches ma faute et fais une enquête sur mon péché,

Job 10, 7 tu sais bien que je suis innocent et que nul ne peut me soustraire à tes mains!

Job 10, 8 Tes mains m'ont façonné, créé; puis, te ravisant, tu voudrais me détruire!

Job 10, 9 Souviens-toi: tu m'as fait comme on pétrit l'argile et tu me renverras à la poussière.

Job 10, 10 Ne m'as-tu pas coulé comme du lait et fait cailler comme du laitage,

Job 10, 11 vêtu de peau et de chair, tissé en os et en nerfs?

Job 10, 12 Puis tu m'as gratifié de la vie, et tu veillais avec sollicitude sur mon souffle.

Job 10, 13 Mais tu gardais une arrière-pensée; je sais que tu te réservais

Job 10, 14 de me surveiller si je pèche et de ne pas m'innocenter de mes fautes.

Job 10, 15 Suis-je coupable, malheur à moi! suis-je dans mon droit, je n'ose lever la tête, moi, saturé d'outrages, ivre de peines!

Job 10, 16 Fier comme un lion, tu me prends en chasse, tu multiplies tes exploits à mon propos,

Job 10, 17 tu renouvelles tes attaques, ta fureur sur moi redouble, tes troupes fraîches se succèdent contre moi.

Job 10, 18 Oh! Pourquoi m'as-tu fait sortir du sein? J'aurais péri alors: nul oeil ne m'aurait vu,

Job 10, 19 je serais comme n'ayant pas été, du ventre on m'aurait porté à la tombe.

Job 10, 20 Et ils durent si peu, les jours de mon existence! Cesse donc de me fixer, pour me permettre un peu de joie,

Job 10, 21 avant que je m'en aille sans retour au pays des ténèbres et de l'ombre épaisse,

Job 10, 22 où règnent l'obscurité et le désordre, où la clarté même ressemble à la nuit sombre.

Job 11, 1 Cophar de Naamat prit la parole et dit:

Job 11, 2 Le bavard restera-t-il sans réponse? Suffit-il d'être loquace pour avoir raison?

Job 11, 3 Ton verbiage rendra-t-il muets les autres, te moqueras-tu sans qu'on te confonde?

Job 11, 4 Tu as dit: "Ma conduite est pure, je suis irréprochable à tes yeux."

Job 11, 5 Mais si Dieu voulait parler, ouvrir les lèvres pour te répondre,

Job 11, 6 s'il te dévoilait les secrets de la Sagesse, qui déconcertent toute sagacité, tu saurais que Dieu te demande compte de ta faute.

Job 11, 7 Prétends-tu sonder la profondeur de Dieu, atteindre la limite de Shaddaï?

Job 11, 8 Elle est plus haute que les cieux: que feras-tu? Plus profonde que le shéol: que sauras-tu?

Job 11, 9 Elle serait plus longue que la terre à mesurer et plus large que la mer.

Job 11, 10 S'il intervient pour enfermer et convoquer l'assemblée, qui l'en empêchera?

Job 11, 11 Car lui connaît la fausseté chez l'homme; il voit le crime et y prête attention.

Job 11, 12 Aussi l'écervelé doit-il s'assagir, et l'homme aux moeurs d'onagre se laisser domestiquer.

Job 11, 13 Allons, redresse tes pensées, tends tes paumes vers lui!

Job 11, 14 Si tu répudies le mal dont tu serais responsable et ne laisses pas l'injustice habiter sous tes tentes,

Job 11, 15 tu lèveras un front pur, tu seras ferme et sans crainte.

Job 11, 16 Ton malheur, tu n'y songeras plus, il laissera le souvenir des eaux qui passent.

Job 11, 17 Alors débutera une existence plus radieuse que le midi et l'obscurité même sera comme le matin.

Job 11, 18 Confiant car il y a de l'espoir, même après la confusion, tu te coucheras en sécurité.

Job 11, 19 Lorsque tu reposeras, nul ne te troublera, et bien des gens rechercheront ta faveur.

Job 11, 20 Les méchants, eux, tournent des yeux éteints, tout refuge leur fait défaut; leur espoir, c'est le dernier soupir.

Job 12, 1 Job prit la parole et dit:

Job 12, 2 Vraiment, vous êtes la voix du peuple, avec vous mourra la Sagesse.

Job 12, 3 Moi aussi, j'ai de l'intelligence, tout comme vous, je ne vous cède en rien, et qui donc ne sait tout cela?

Job 12, 4 Mais un homme devient la risée de son ami, quand il crie vers Dieu pour avoir une réponse. On se moque du juste intègre.

Job 12, 5 "A l'infortune, le mépris! opinent les gens heureux, un coup de plus à qui chancelle!"

Job 12, 6 Cependant, les tentes des pillards sont en paix: pleine sécurité pour ceux qui provoquent Dieu et pour celui qui met Dieu dans son poing!

Job 12, 7 Interroge pourtant le bétail pour t'instruire, les oiseaux du ciel pour t'informer.

Job 12, 8 Les reptiles du sol te donneront des leçons, ils te renseigneront, les poissons des mers.

Job 12, 9 Car lequel ignore, parmi eux tous, que la main de Dieu a fait tout cela!

Job 12, 10 Il tient en son pouvoir l'âme de tout vivant et le souffle de toute chair d'homme.

Job 12, 11 L'oreille n'apprécie-t-elle pas les discours, comme le palais goûte les mets?

Job 12, 12 La sagesse est l'affaire des vieillards, le discernement le fait du grand âge.

Job 12, 13 Mais en Lui résident sagesse et puissance, à lui le conseil et le discernement.

Job 12, 14 S'il détruit, nul ne peut rebâtir, s'il emprisonne quelqu'un, nul n'ouvrira.

Job 12, 15 S'il retient les eaux, c'est la sécheresse; s'il les relâche, elles bouleversent la terre.

Job 12, 16 En lui vigueur et sagacité, à lui appartiennent l'égaré et celui qui l'égare.

Job 12, 17 Il rend stupides les conseillers du pays et frappe les juges de démence.

Job 12, 18 Il délie la ceinture des rois et passe une corde à leurs reins.

Job 12, 19 Il fait marcher nu-pieds les prêtres et renverse les puissances établies.

Job 12, 20 Il ôte la parole aux plus assurés, ravit le discernement aux vieillards.

Job 12, 21 Il déverse le mépris sur les nobles, dénoue le ceinturon des forts.

Job 12, 22 Il dévoile les profondeurs des ténèbres, amène à la lumière l'ombre épaisse.

Job 12, 23 Il agrandit des nations, puis les ruine: il fait s'étendre des peuples, puis les supprime.

Job 12, 24 Il ôte l'esprit aux chefs d'un pays, les fait errer dans un désert sans routes,

Job 12, 25 tâtonner dans les ténèbres, sans lumière, et tituber comme sous l'ivresse.

Job 13, 1 Tout cela, je l'ai vu de mes yeux, entendu de mes oreilles, et compris.

Job 13, 2 J'en sais, moi, autant que vous, je ne vous cède en rien.

Job 13, 3 Mais j'ai à parler à Shaddaï, je veux faire à Dieu des remontrances.

Job 13, 4 Vous, vous n'êtes que des charlatans, des médecins de fantaisie!

Job 13, 5 Qui donc vous apprendra le silence, la seule sagesse qui vous convienne!

Job 13, 6 Ecoutez, je vous prie, mes griefs, soyez attentifs au plaidoyer de mes lèvres.

Job 13, 7 Pensez-vous défendre Dieu par un langage inique et par des propos mensongers?

Job 13, 8 Prendre ainsi son parti, vous faire ses avocats?

Job 13, 9 Serait-il bon qu'il vous scrutât? Se moque-t-on de lui comme on se joue d'un homme?

Job 13, 10 Il vous infligerait une sévère réprimande pour votre partialité secrète.

Job 13, 11 Est-ce que sa majesté ne vous effraie pas? Sa terreur ne fond-elle pas sur vous?

Job 13, 12 Vos leçons apprises sont des sentences de cendre, vos défenses, des défenses d'argile.

Job 13, 13 Faites silence! C'est moi qui vais parler, quoi qu'il m'advienne.

Job 13, 14 Je prends ma chair entre mes dents, je place ma vie dans mes mains,

Job 13, 15 il peut me tuer: je n'ai d'autre espoir que de défendre devant lui ma conduite.

Job 13, 16 Et cela même me sauvera, car un impie n'oserait comparaître en sa présence.

Job 13, 17 Ecoutez, écoutez mes paroles, prêtez l'oreille à mes déclarations.

Job 13, 18 Voici: je vais procéder en justice, conscient d'être dans mon droit.

Job 13, 19 Qui veut plaider contre moi? D'avance, j'accepte d'être réduit au silence et de périr!

Job 13, 20 Fais-moi seulement deux concessions, alors je ne me cacherai pas loin de ta face:

Job 13, 21 Ecarte ta main qui pèse sur moi et ne m'épouvante plus par ta terreur.

Job 13, 22 Puis engage le débat et je répondrai; ou plutôt je parlerai et tu me répliqueras.

Job 13, 23 Combien de fautes et de péchés ai-je commis? Dis-moi quelle a été ma transgression, mon péché?

Job 13, 24 Pourquoi caches-tu ta face et me considères-tu comme ton ennemi?

Job 13, 25 Veux-tu effrayer une feuille chassée par le vent, poursuivre une paille sèche?

Job 13, 26 Toi qui rédiges contre moi d'amères sentences et m'imputes mes fautes de jeunesse,

Job 13, 27 qui as mis mes pieds dans les ceps, observes tous mes sentiers et prends l'empreinte de mes pas!

Job 13, 28 Et lui s'effrite comme un bois vermoulu, ou comme un vêtement dévoré par la teigne,

Job 14, 1 l'homme, né de la femme, qui a la vie courte, mais des tourments à satiété.

Job 14, 2 Pareil à la fleur, il éclôt puis se fane, il fuit comme l'ombre sans arrêt.

Job 14, 3 Et sur cet être tu gardes les yeux ouverts, tu l'amènes en jugement devant toi!

Job 14, 4 Mais qui donc extraira le pur de l'impur? Personne!

Job 14, 5 Puisque ses jours sont comptés, que le nombre de ses mois dépend de toi, que tu lui fixes un terme infranchissable,

Job 14, 6 détourne de lui tes yeux et laisse-le, tel un mercenaire, finir sa journée.

Job 14, 7 L'arbre conserve un espoir, une fois coupé, il peut renaître encore et ses rejetons continuent de pousser.

Job 14, 8 Même avec des racines qui ont vieilli en terre et une souche qui périt dans le sol,

Job 14, 9 dès qu'il flaire l'eau, il bourgeonne et se fait une ramure comme un jeune plant.

Job 14, 10 Mais l'homme, s'il meurt, reste inerte; quand un humain expire, où donc est-il?

Job 14, 11 Les eaux de la mer pourront disparaître, les fleuves tarir et se dessécher:

Job 14, 12 l'homme une fois couché ne se relèvera pas, les cieux s'useront avant qu'il ne s'éveille, ou ne soit réveillé de son sommeil.

Job 14, 13 Oh! Si tu m'abritais dans le shéol, si tu m'y cachais, tant que dure ta colère, si tu me fixais un délai, pour te souvenir ensuite de moi:

Job 14, 14 car, une fois mort, peut-on revivre? -- tous les jours de mon service j'attendrais, jusqu'à ce que vienne ma relève.

Job 14, 15 Tu appellerais et je te répondrais; tu voudrais revoir l'oeuvre de tes mains.

Job 14, 16 Tandis que maintenant tu comptes tous mes pas, tu n'épierais plus mon péché,

Job 14, 17 tu scellerais ma transgression dans un sachet et tu couvrirais ma faute.

Job 14, 18 Hélas! Comme une montagne finit par s'écrouler, le rocher par changer de place,

Job 14, 19 l'eau par user les pierres, l'averse par emporter les terres, ainsi, l'espoir de l'homme, tu l'anéantis.

Job 14, 20 Tu le terrasses pour toujours et il s'en va; tu le défigures, puis tu le congédies.

Job 14, 21 Ses fils sont-ils honorés, il n'en sait rien; sont-ils méprisés, il ne s'en rend pas compte.

Job 14, 22 Il n'a de souffrance que pour son corps, il ne se lamente que sur lui-même.

Job 15, 1 Eliphaz de Témân prit la parole et dit:

Job 15, 2 Un sage répond-il par des raisons en l'air et se repaît-il d'un vent d'est?

Job 15, 3 Se défend-il avec des mots inutiles et des discours sans profit?

Job 15, 4 Tu fais plus: tu supprimes la crainte, tu discrédites les pieux entretiens devant Dieu.

Job 15, 5 Ta faute te dicte de telles paroles et tu adoptes le langage des astucieux.

Job 15, 6 Ta propre bouche te condamne, et non pas moi, tes lèvres mêmes témoignent contre toi.

Job 15, 7 Es-tu né le premier des hommes? Est-ce qu'on t'enfanta avant les collines?

Job 15, 8 As-tu écouté au conseil de Dieu et accaparé la sagesse?

Job 15, 9 Que sais-tu que nous ne sachions, que comprends-tu qui nous dépasse?

Job 15, 10 Il y a même parmi nous une tête chenue, un vieillard, chargé d'ans plus que ton père.

Job 15, 11 Fais-tu peu de cas de ces consolations divines et du ton modéré de nos paroles?

Job 15, 12 Comme la passion t'emporte! Et quels yeux tu roules,

Job 15, 13 quand tu tournes contre Dieu ta colère en proférant tes discours!

Job 15, 14 Comment l'homme serait-il pur, resterait-il juste, l'enfant de la femme?

Job 15, 15 A ses saints mêmes Dieu ne fait pas confiance, et les Cieux ne sont pas purs à ses yeux.

Job 15, 16 Combien moins cet être abominable et corrompu, l'homme, qui boit l'iniquité comme l'eau!

Job 15, 17 Je veux t'instruire, écoute-moi, te faire part de mon expérience

Job 15, 18 et de la tradition des Sages, restés fidèles à leurs Pères,

Job 15, 19 à qui seuls fut donné le pays, sans qu'aucun étranger se fût mêlé à eux.

Job 15, 20 "La vie du méchant est un tourment continuel, les années réservées au tyran sont comptées.

Job 15, 21 Le cri d'alarme résonne à ses oreilles, en pleine paix le dévastateur fond sur lui.

Job 15, 22 Il ne compte plus échapper aux ténèbres et se voit désigné pour l'épée,

Job 15, 23 assigné en pâture au vautour. Il sait que sa ruine est imminente. L'heure des ténèbres

Job 15, 24 l'épouvante, la détresse et l'angoisse l'envahissent, comme lorsqu'un roi décide l'assaut.

Job 15, 25 Il levait la main contre Dieu, il osait braver Shaddaï!

Job 15, 26 Il fonçait sur lui la tête baissée, avec un bouclier aux bosses massives.

Job 15, 27 Son visage s'était couvert de graisse, le lard s'était accumulé sur ses reins.

Job 15, 28 Il avait occupé des villes détruites, des maisons inhabitées et prêtes à tomber en ruines;

Job 15, 29 mais il ne s'enrichira pas, sa fortune ne tiendra pas, il ne couvrira plus le pays de son ombre, (il n'échappera pas aux ténèbres),

Job 15, 30 la flamme desséchera ses jeunes pousses, sa fleur sera emportée par le vent.

Job 15, 31 Qu'il ne se fie pas à sa taille élevée, car il se ferait illusion.

Job 15, 32 Avant le temps se flétriront ses palmes et ses rameaux ne reverdiront plus.

Job 15, 33 Comme une vigne il secouera ses fruits verts, il rejettera, tel l'olivier, sa floraison.

Job 15, 34 Oui, l'engeance de l'impie est stérile, un feu dévore la tente de l'homme vénal.

Job 15, 35 Qui conçoit la peine engendre le malheur et porte en soi un fruit de déception."

Job 16, 1 Job prit la parole et dit:

Job 16, 2 Que de fois ai-je entendu de tels propos, et quels pénibles consolateurs vous faites!

Job 16, 3 "Y aura-t-il une fin à ces paroles en l'air?" Ou encore: "Quel mal te pousse à te défendre?"

Job 16, 4 Oh! moi aussi, je saurais parler comme vous, si vous étiez à ma place; je pourrais vous accabler de discours en hochant la tête sur vous,

Job 16, 5 vous réconforter en paroles, puis cesser d'agiter les lèvres.

Job 16, 6 Mais quand je parle, ma souffrance ne cesse pas, si je me tais, en quoi disparaît-elle?

Job 16, 7 Et maintenant elle me pousse à bout; tu as frappé d'horreur tout mon entourage

Job 16, 8 et il me presse, mon calomniateur s'est fait mon témoin, il se dresse contre moi, il m'accuse en face;

Job 16, 9 sa colère déchire et me poursuit, en montrant des dents grinçantes. Mes adversaires aiguisent sur moi leurs regards,

Job 16, 10 ouvrent une bouche menaçante. Leurs railleries m'atteignent comme des soufflets; ensemble ils s'ameutent contre moi.

Job 16, 11 Oui, Dieu m'a livré à des injustes, entre les mains des méchants, il m'a jeté.

Job 16, 12 Je vivais tranquille quand il m'a fait chanceler, saisi par la nuque pour me briser. Il a fait de moi sa cible:

Job 16, 13 il me cerne de ses traits, transperce mes reins sans pitié et répand à terre mon fiel.

Job 16, 14 Il ouvre en moi brèche sur brèche, fonce sur moi tel un guerrier.

Job 16, 15 J'ai cousu un sac sur ma peau, jeté mon front dans la poussière.

Job 16, 16 Mon visage est rougi par les larmes et l'ombre couvre mes paupières.

Job 16, 17 Pourtant, point de violence dans mes mains, et ma prière est pure.

Job 16, 18 O terre, ne couvre point mon sang, et que mon cri monte sans arrêt.

Job 16, 19 Dès maintenant, j'ai dans les cieux un témoin, là-haut se tient mon défenseur.

Job 16, 20 Interprète de mes pensées auprès de Dieu, devant qui coulent mes larmes,

Job 16, 21 qu'il plaide la cause d'un homme aux prises avec Dieu, comme un mortel défend son semblable.

Job 16, 22 Car mes années de vie sont comptées, et je m'en vais par le chemin sans retour.

Job 17, 1 Mon souffle en moi s'épuise et les fossoyeurs pour moi s'assemblent.

Job 17, 2 Je n'ai pour compagnons que des railleurs, dont la dureté obsède mes veilles.

Job 17, 3 Place donc toi-même ma caution près de toi, car lequel voudrait toper dans ma main?

Job 17, 4 Tu as fermé leur coeur à la raison, aussi aucune main ne se lève.

Job 17, 5 Tel celui qui invite des amis à un partage, quand les yeux de ses fils languissent,

Job 17, 6 je suis devenu la fable des gens, quelqu'un à qui l'on crache au visage.

Job 17, 7 Mes yeux s'éteignent de chagrin, mes membres s'évanouissent comme l'ombre.

Job 17, 8 A cette vue, les hommes droits restent stupéfaits, l'innocent s'indigne contre l'impie;

Job 17, 9 le juste s'affermit dans ses voies, l'homme aux mains pures redouble d'énergie.

Job 17, 10 Allons, vous tous, revenez à la charge, et je ne trouverai pas un sage parmi vous!

Job 17, 11 Mes jours ont fui, avec mes projets, et les fibres de mon coeur sont rompues.

Job 17, 12 On veut faire de la nuit le jour; elle serait proche la lumière qui chasse les ténèbres.

Job 17, 13 Or mon espoir, c'est d'habiter le shéol, d'étendre ma couche dans les ténèbres.

Job 17, 14 Je crie au sépulcre: "Tu es mon père!" à la vermine: "C'est toi ma mère et ma soeur!"

Job 17, 15 Où donc est-elle, mon espérance? Et mon bonheur, qui l'aperçoit?

Job 17, 16 Vont-ils descendre à mes côtés au shéol, sombrer de même dans la poussière?

Job 18, 1 Bildad de Shuah prit la parole et dit:

Job 18, 2 Jusqu'à quand mettrez-vous des entraves aux discours? Réfléchissez, puis nous parlerons.

Job 18, 3 Pourquoi nous considères-tu comme des bêtes, passons-nous pour des brutes à tes yeux?

Job 18, 4 O toi qui te déchires dans ta fureur, la terre à cause de toi sera-t-elle abandonnée et les rochers quitteront-ils leur place?

Job 18, 5 La lumière du méchant doit s'éteindre, sa flamme ardente ne plus briller.

Job 18, 6 La lumière s'assombrit sous sa tente, la lampe qui l'éclairait s'éteint.

Job 18, 7 Ses pas vigoureux se rétrécissent, il trébuche dans ses propres desseins.

Job 18, 8 Car ses pieds le jettent dans un filet et il avance parmi les rets.

Job 18, 9 Un lacet le saisit au talon et le piège se referme sur lui.

Job 18, 10 Le noeud pour le prendre est caché en terre, une trappe l'attend sur le sentier.

Job 18, 11 De toutes parts des terreurs l'épouvantent et elles le suivent pas à pas.

Job 18, 12 La faim devient sa compagne, le malheur se tient à ses côtés.

Job 18, 13 Le mal dévore sa peau, le Premier-né de la Mort ronge ses membres.

Job 18, 14 On l'arrache à l'abri de sa tente, et tu le traîneras vers le Roi des frayeurs.

Job 18, 15 Tu peux habiter la tente qui n'est plus la sienne, et l'on répand du soufre sur son bercail.

Job 18, 16 En bas ses racines se dessèchent, en haut se flétrit sa ramure.

Job 18, 17 Son souvenir disparaît du pays, son nom s'efface dans la contrée.

Job 18, 18 Poussé de la lumière aux ténèbres, il se voit banni de la terre.

Job 18, 19 Il n'a ni lignée ni postérité parmi son peuple, aucun survivant en ses lieux de séjour.

Job 18, 20 Sa fin frappe de stupeur l'Occident et l'Orient est saisi d'effroi.

Job 18, 21 Point d'autre sort pour les demeures de l'injustice. Voilà ce que devient le lieu de quiconque méconnaît Dieu.

Job 19, 1 Job prit la parole et dit:

Job 19, 2 Jusqu'à quand allez-vous me tourmenter et m'écraser par vos discours?

Job 19, 3 Voilà dix fois que vous m'insultez et me malmenez sans vergogne.

Job 19, 4 Même si je m'étais égaré, mon égarement resterait en moi seul.

Job 19, 5 Mais, en vérité, quand vous pensez triompher de moi et m'imputer mon opprobre,

Job 19, 6 sachez que Dieu lui-même m'a fait du tort et enveloppé de son filet.

Job 19, 7 Si je crie à la violence, pas de réponse; si j'en appelle, point de jugement.

Job 19, 8 Il a dressé sur ma route un mur infranchissable, mis des ténèbres sur mes sentiers.

Job 19, 9 Il m'a dépouillé de ma gloire, ôté la couronne de ma tête.

Job 19, 10 Il me sape de toutes parts pour me faire disparaître; il déracine comme un arbre mon espérance.

Job 19, 11 Enflammé de colère contre moi, il me considère comme son adversaire.

Job 19, 12 Ensemble ses troupes sont arrivées; elles ont frayé vers moi leur chemin d'approche, campé autour de ma tente.

Job 19, 13 Mes frères, il les a écartés de moi, mes relations s'appliquent à m'éviter.

Job 19, 14 Mes proches et mes familiers ont disparu, les hôtes de ma maison m'ont oublié.

Job 19, 15 Mes servantes me tiennent pour un intrus, je suis un étranger à leurs yeux.

Job 19, 16 Si j'appelle mon serviteur, il ne répond pas, et je dois moi-même le supplier.

Job 19, 17 Mon haleine répugne à ma femme, ma puanteur à mes propres frères.

Job 19, 18 Même les gamins me témoignent du mépris: si je me lève, ils se mettent à dauber sur moi.

Job 19, 19 Tous mes intimes m'ont en horreur, mes préférés se sont retournés contre moi.

Job 19, 20 Sous ma peau, ma chair tombe en pourriture et mes os se dénudent comme des dents.

Job 19, 21 Pitié, pitié pour moi, ô vous mes amis! car c'est la main de Dieu qui m'a frappé.

Job 19, 22 Pourquoi vous acharner sur moi comme Dieu lui-même, sans vous rassasier de ma chair?

Job 19, 23 Oh! je voudrais qu'on écrive mes paroles, qu'elles soient gravées en une inscription,

Job 19, 24 avec le ciseau de fer et le stylet, sculptées dans le roc pour toujours!

Job 19, 25 Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la poussière.

Job 19, 26 Après mon éveil, il me dressera près de lui et, de ma chair, je verrai Dieu.

Job 19, 27 Celui que je verrai sera pour moi, celui que mes yeux regarderont ne sera pas un étranger. Et mes reins en moi se consument.

Job 19, 28 Lorsque vous dites: "Comment l'accabler, quel prétexte trouverons-nous en lui?"

Job 19, 29 Craignez pour vous-mêmes l'épée, car la colère s'enflammera contre les fautes, et vous saurez qu'il y a un jugement.

Job 20, 1 Cophar de Naamat prit la parole et dit:

Job 20, 2 Aussi mes pensées s'agitent pour répondre, de là cette impatience qui me possède.

Job 20, 3 J'ai subi une leçon qui m'outrage, mais mon esprit me souffle la réponse.

Job 20, 4 Ne sais-tu pas que, de tout temps, depuis que l'homme fut mis sur terre,

Job 20, 5 l'allégresse du méchant est brève et la joie de l'impie ne dure qu'un instant.

Job 20, 6 Même si sa taille s'élevait jusqu'aux cieux, si sa tête touchait la nue,

Job 20, 7 comme un fantôme il disparaît à jamais, et ceux qui le voyaient disent: "Où est-il?"

Job 20, 8 Il s'envole comme un songe insaisissable, il s'enfuit comme une vision nocturne.

Job 20, 9 L'oeil habitué à sa vue ne l'aperçoit plus, à sa demeure il devient invisible.

Job 20, 10 Ses fils devront indemniser les pauvres, ses enfants restituer ses richesses.

Job 20, 11 Ses os étaient pleins d'une vigueur juvénile: la voilà étendue avec lui dans la poussière.

Job 20, 12 Le mal était doux à sa bouche: il l'abritait sous sa langue,

Job 20, 13 il le gardait soigneusement, le retenait au milieu du palais.

Job 20, 14 Cet aliment dans ses entrailles se corrompt, devient au-dedans du fiel d'aspic.

Job 20, 15 Il doit vomir les richesses englouties, et Dieu lui fait rendre gorge.

Job 20, 16 Il suçait du venin d'aspic: la langue de la vipère le tue.

Job 20, 17 Il ne connaîtra plus les ruisseaux d'huile, les torrents de miel et de laitage.

Job 20, 18 Il perdra sa mine réjouie en restituant ses gains, cet air satisfait du temps où les affaires prospéraient.

Job 20, 19 Parce qu'il a détruit les cabanes des pauvres, volé des maisons au lieu d'en bâtir,

Job 20, 20 parce que son appétit s'est montré insatiable, ses trésors ne le sauveront pas,

Job 20, 21 parce que nul n'échappait à sa voracité, sa prospérité ne durera pas.

Job 20, 22 En pleine abondance, l'angoisse le saisira, la misère, de toute sa force, fondra sur lui,

Job 20, 23 Dieu lâche sur lui l'ardeur de sa colère, lance contre sa chair une pluie de traits.

Job 20, 24 S'il fuit devant l'arme de fer, l'arc de bronze le transperce.

Job 20, 25 Une flèche sort de son dos, une pointe étincelante de son foie. Les terreurs s'avancent contre lui,

Job 20, 26 toutes les ténèbres cachées sont là pour l'enlever. Un feu qu'on n'allume pas le dévore et consume ce qui reste sous sa tente.

Job 20, 27 Les cieux dévoilent son iniquité, et la terre se dresse contre lui.

Job 20, 28 Le revenu de sa maison s'écoule, comme des torrents, au jour de la colère.

Job 20, 29 Tel est le sort que Dieu réserve au méchant, l'héritage qu'il assigne au maudit.

Job 21, 1 Job prit la parole et dit:

Job 21, 2 Ecoutez, écoutez mes paroles, accordez-moi cette consolation.

Job 21, 3 Souffrez que je parle à mon tour; quand j'aurai fini, libre à vous de railler.

Job 21, 4 Est-ce que moi je m'en prends à un homme? Est-ce sans raison que je perds patience?

Job 21, 5 Prêtez-moi attention: vous serez stupéfaits, et vous mettrez la main sur votre bouche.

Job 21, 6 Moi-même, quand j'y songe, je suis épouvanté, ma chair est saisie d'un frisson.

Job 21, 7 Pourquoi les méchants restent-ils en vie, vieillissent-ils et accroissent-ils leur puissance?

Job 21, 8 Leur postérité devant eux s'affermit et leurs rejetons sous leurs yeux subsistent.

Job 21, 9 La paix de leurs maisons n'a rien à craindre, les rigueurs de Dieu les épargnent.

Job 21, 10 Leur taureau féconde à coup sûr, leur vache met bas sans avorter.

Job 21, 11 Ils laissent courir leurs gamins comme des brebis, leurs enfants bondir comme des cerfs.

Job 21, 12 Ils chantent avec tambourins et cithares, se réjouissent au son de la flûte.

Job 21, 13 Leur vie s'achève dans le bonheur, ils descendent en paix au shéol.

Job 21, 14 Eux, pourtant, disent à Dieu: "Ecarte-toi de nous, connaître tes voies ne nous plaît pas!

Job 21, 15 Qu'est-ce que Shaddaï pour que nous le servions, quel profit pour nous à l'invoquer?"

Job 21, 16 Ne tiennent-ils pas leur bonheur en main, et Dieu n'est-il pas écarté du conseil des méchants?

Job 21, 17 Voit-on souvent la lampe du méchant s'éteindre, le malheur fondre sur lui, la colère divine détruire ses biens,

Job 21, 18 le vent le chasser comme une paille, un tourbillon l'emporter comme la bale?

Job 21, 19 Dieu se réserverait de le punir dans ses enfants? Mais qu'il soit donc châtié lui-même et qu'il le sache!

Job 21, 20 Que, de ses yeux, il assiste à sa ruine, qu'il s'abreuve à la fureur de Shaddaï!

Job 21, 21 Que peut lui faire, après lui, le sort de sa maison, quand la série de ses mois sera tranchée?

Job 21, 22 Mais enseigne-t-on à Dieu la science, à Celui qui juge les êtres d'en haut?

Job 21, 23 Tel encore meurt en pleine vigueur, au comble du bonheur et de la paix,

Job 21, 24 les flancs chargés de graisse et la moelle de ses os tout humide.

Job 21, 25 Et tel autre périt l'amertume dans l'âme, sans avoir goûté au bonheur.

Job 21, 26 Ensemble, dans la poussière, ils se couchent, et la vermine les recouvre.

Job 21, 27 Oh! je sais bien quelles sont vos pensées, vos réflexions méchantes sur mon compte.

Job 21, 28 "Qu'est devenue, dites-vous, la maison du grand seigneur, où est la tente qu'habitaient des méchants?"

Job 21, 29 N'interrogez-vous pas les voyageurs, méconnaissez-vous leurs témoignages?

Job 21, 30 Au jour du désastre, le méchant est épargné, au jour de la fureur, il est mis à l'abri.

Job 21, 31 Et qui donc lui reproche en face sa conduite, et lui rend ce qu'il a fait?

Job 21, 32 Il est emporté au cimetière, où il veille sur son tertre.

Job 21, 33 Les mottes du ravin lui sont douces, et, derrière lui, toute la population défile.

Job 21, 34 Que signifient donc vos vaines consolations? Et quelle tromperie que vos réponses!

Job 22, 1 Eliphaz de Témân prit la parole et dit:

Job 22, 2 Un homme peut-il être utile à Dieu, quand un être sensé n'est utile qu'à soi?

Job 22, 3 Shaddaï est-il intéressé par ta justice, tire-t-il profit de ta conduite intègre?

Job 22, 4 Serait-ce à cause de ta piété qu'il te corrige et qu'il entre en jugement avec toi?

Job 22, 5 N'est-ce pas plutôt pour ta grande méchanceté, pour tes fautes illimitées?

Job 22, 6 Tu as exigé de tes frères des gages injustifiés, dépouillé de leurs vêtements ceux qui sont nus;

Job 22, 7 omis de désaltérer l'homme assoiffé et refusé le pain à l'affamé;

Job 22, 8 livré la terre à un homme de main, pour que s'y installe le favori;

Job 22, 9 renvoyé les veuves les mains vides et broyé le bras des orphelins.

Job 22, 10 Voilà pourquoi des filets t'enveloppent et des frayeurs soudaines t'épouvantent.

Job 22, 11 La lumière s'est assombrie, tu n'y vois plus et la masse des eaux te submerge.

Job 22, 12 Dieu n'est-il pas au plus haut des cieux, ne voit-il pas la tête des étoiles?

Job 22, 13 Et parce qu'il est là-haut tu as dit: "Que connaît Dieu? Peut-il juger à travers la nuée sombre?

Job 22, 14 Les nuages sont pour lui un voile opaque et il circule au pourtour des cieux."[4476]

Job 22, 15 Veux-tu donc suivre la route antique que foulèrent les hommes pervers?

Job 22, 16 Ils furent enlevés avant le temps et un fleuve noya leurs fondations.

Job 22, 17 Car ils disaient à Dieu: "Eloigne-toi de nous! Que peut nous faire Shaddaï?"

Job 22, 18 Et lui comblait de biens leurs maisons, tout en étant tenu à l'écart du conseil des méchants!

Job 22, 19 A ce spectacle, les justes se sont réjouis et l'homme intègre s'est moqué d'eux:

Job 22, 20 "Comme ils ont été supprimés, nos adversaires! et quel feu a dévoré leur abondance!"

Job 22, 21 Allons! Réconcilie-toi avec lui et fais la paix: ainsi ton bonheur te sera rendu.

Job 22, 22 Recueille de sa bouche la doctrine et place ses paroles dans ton coeur.

Job 22, 23 Si tu reviens à Shaddaï en humilié, si tu éloignes de ta tente l'injustice,

Job 22, 24 si tu déposes ton or sur la poussière, l'Ophir parmi les cailloux du torrent,

Job 22, 25 Shaddaï sera pour toi des lingots d'or et de l'argent en monceaux.

Job 22, 26 Alors tu feras de Shaddaï tes délices et tu lèveras vers Dieu ta face.

Job 22, 27 Tes prières, il les exaucera et tu pourras acquitter tes voeux.

Job 22, 28 Toutes tes entreprises réussiront et sur ta route brillera la lumière.

Job 22, 29 Car il abaisse l'orgueil des superbes, mais il sauve l'homme aux yeux baissés.

Job 22, 30 Il délivre l'homme innocent; aie les mains pures, et tu seras sauvé.

Job 23, 1 Job prit la parole et dit:

Job 23, 2 C'est toujours une révolte que ma plainte; sa main reste pesante, malgré mon gémissement.

Job 23, 3 Oh! Si je savais comment l'atteindre, parvenir jusqu'à sa demeure,

Job 23, 4 j'ouvrirais un procès devant lui, ma bouche serait pleine de griefs.

Job 23, 5 Je connaîtrais les termes de sa réponse, attentif à ce qu'il me dirait.

Job 23, 6 Jetterait-il toute sa force dans ce débat avec moi? Non, il lui suffirait de me prêter attention.

Job 23, 7 Il reconnaîtrait dans son adversaire un homme droit, et je ferais triompher ma cause à jamais.

Job 23, 8 Si je vais vers l'orient, il est absent; vers l'occident, je ne l'aperçois pas.

Job 23, 9 Quand je le cherche au nord, il n'est pas discernable, il reste invisible, si je me tourne au midi.

Job 23, 10 Et pourtant, toutes mes démarches, il les connaît! Qu'il me passe au creuset: or pur j'en sortirai!

Job 23, 11 Mon pied s'est attaché à ses pas, j'ai suivi sa route sans dévier;

Job 23, 12 je n'ai pas négligé le commandement de ses lèvres, j'ai abrité dans mon sein les paroles de sa bouche.

Job 23, 13 Mais lui décide, qui le fera changer? Ce qu'il a projeté, il l'accomplit.

Job 23, 14 Il exécutera donc ma sentence, comme tant d'autres de ses décrets!

Job 23, 15 C'est pourquoi, devant lui, je suis terrifié; plus j'y songe, plus il me fait peur.

Job 23, 16 Dieu a brisé mon courage, Shaddaï me remplit d'effroi.

Job 23, 17 Car je n'ai pas été anéanti devant les ténèbres, mais il a recouvert ma face d'obscurité.

Job 24, 1 Pourquoi Shaddaï n'a-t-il pas des temps en réserve, et ses fidèles ne voient-ils pas ses jours?

Job 24, 2 Les méchants déplacent les bornes, ils enlèvent troupeau et berger.

Job 24, 3 On emmène l'âne des orphelins, on prend en gage le boeuf de la veuve.

Job 24, 4 Les indigents s'écartent du chemin, les pauvres du pays se cachent tous de même.

Job 24, 5 Tels les onagres du désert, ils sortent à leur travail, cherchant dès l'aube une proie, et le soir, du pain pour leurs petits.

Job 24, 6 Ils moissonnent dans le champ d'un vaurien, ils pillent la vigne d'un méchant.

Job 24, 7 Ils passent la nuit nus, sans vêtements, sans couverture contre le froid.

Job 24, 8 L'averse des montagnes les transperce; faute d'abri, ils étreignent le rocher.

Job 24, 9 On arrache l'orphelin à la mamelle, on prend en gage le nourrisson du pauvre.

Job 24, 10 Ils s'en vont nus, sans vêtements; affamés, ils portent les gerbes.

Job 24, 11 En plein midi ils restent entre deux murettes, altérés, ils foulent les cuves.

Job 24, 12 De la ville on entend gémir les mourants, les blessés, dans un souffle, crier à l'aide. Et Dieu reste sourd à la prière!

Job 24, 13 D'autres sont de ceux qui repoussent la lumière: ils en méconnaissent les chemins, n'en fréquentent pas les sentiers.

Job 24, 14 Il fait noir quand l'assassin se lève, pour tuer le pauvre et l'indigent. Durant la nuit rôde le voleur,

Job 24, 15 L'oeil de l'adultère épie le crépuscule: "Personne ne me verra", dit-il, et il met un voile sur son visage.

Job 24, 16 Dans les ténèbres, il perfore les maisons. Pendant le jour, ils se cachent, ceux qui ne veulent pas connaître la lumière.

Job 24, 17 Pour eux tous, le matin devient ténèbres, car ils en éprouvent alors les terreurs.

Job 24, 18 Ce n'est plus qu'un fétu à la surface des eaux, son domaine est maudit dans le pays, nul ne prend le chemin de sa vigne.

Job 24, 19 Comme une chaleur sèche fait disparaître la neige. Ainsi le shéol celui qui a péché.

Job 24, 20 Le sein qui l'a formé l'oublie et son nom n'est plus mentionné. Ainsi est foudroyée comme un arbre l'iniquité.

Job 24, 21 Il a maltraité la femme stérile, privée d'enfants, il s'est montré dur pour la veuve.

Job 24, 22 Mais Celui qui se saisit des tyrans avec force surgit et lui ôte l'assurance de la vie.

Job 24, 23 Il le laissait s'appuyer sur une sécurité trompeuse, mais, des yeux, il surveillait ses démarches.

Job 24, 24 Elevé pour un temps, il disparaît, il s'affaisse comme l'arroche qu'on cueille, il se fane comme la tête des épis.

Job 24, 25 N'en est-il pas ainsi? Qui me convaincra de mensonge et réduira mes paroles à néant?

Job 25, 1 Bildad de Shuah prit la parole et dit:

Job 25, 2 C'est un souverain redoutable, Celui qui fait régner la paix dans ses hauteurs.

Job 25, 3 Peut-on dénombrer ses troupes? Contre qui ne surgit pas son éclair?

Job 25, 4 Et l'homme se croirait juste devant Dieu, il serait pur, l'enfant de la femme?

Job 25, 5 La lune même est sans éclat, les étoiles se sont pas pures à ses yeux.

Job 25, 6 Combien moins l'homme, cette vermine, un fils d'homme, ce vermisseau?

Job 26, 1 Job prit la parole et dit:

Job 26, 2 Comme tu sais bien soutenir le faible, secourir le bras sans vigueur!

Job 26, 3 Quels bons conseils tu donnes à l'ignorant, comme ton savoir est fertile en ressources!

Job 26, 4 Mais ces discours, à qui s'adressent-ils, et d'où provient l'esprit qui sort de toi?

Job 26, 5 Les Ombres tremblent sous terre, les eaux et leurs habitants sont dans l'effroi.

Job 26, 6 Devant lui, le Shéol est à nu, la Perdition à découvert.

Job 26, 7 C'est lui qui a étendu le Septentrion sur le vide, suspendu la terre sans appui.

Job 26, 8 Il enferme les eaux dans ses nuages. Sans que la nuée crève sous leur poids.

Job 26, 9 Il couvre la face de la pleine lune et déploie sur elle sa nuée.

Job 26, 10 Il a tracé un cercle à la surface des eaux, aux confins de la lumière et des ténèbres.

Job 26, 11 Les colonnes des cieux sont ébranlées, frappées de stupeur quand il menace.

Job 26, 12 Par sa force, il a brassé la Mer, par son habileté, écrasé Rahab.

Job 26, 13 Son souffle a clarifié les Cieux, sa main transpercé le Serpent Fuyard.

Job 26, 14 Tout cela, c'est l'extérieur de ses oeuvres, et nous n'en saisissons qu'un faible écho. Mais le tonnerre de sa puissance, qui le comprendra?

Job 27, 1 Et Job continua de s'exprimer en sentences et dit:

Job 27, 2 Par le Dieu vivant qui me refuse justice, par Shaddaï qui m'emplit d'amertume,

Job 27, 3 tant qu'un reste de vie m'animera, que le souffle de Dieu passera dans mes narines,

Job 27, 4 mes lèvres ne diront rien de mal, ma langue n'exprimera aucun mensonge.

Job 27, 5 Bien loin de vous donner raison, jusqu'à mon dernier souffle, je maintiendrai mon innocence.

Job 27, 6 Je tiens à ma justice et ne lâche pas; en conscience, je n'ai pas à rougir de mes jours.

Job 27, 7 Que mon ennemi ait le sort du méchant, mon adversaire celui de l'injuste!

Job 27, 8 Quel espoir, en effet, reste à l'impie quand il supplie et qu'il élève vers Dieu son âme?

Job 27, 9 Est-ce que Dieu entend ses cris, quand fond sur lui la détresse?

Job 27, 10 Faisait-il ses délices de Shaddaï, invoquait-il Dieu à tout instant?

Job 27, 11 Mais je vous instruis sur la maîtrise de Dieu, sans rien vous cacher des pensées de Shaddaï.

Job 27, 12 Et si vous tous aviez su l'observer, à quoi bon vos vains discours dans le vide?

Job 27, 13 Voici le lot que Dieu assigne au méchant, l'héritage que le violent reçoit de Shaddaï.

Job 27, 14 Si ses fils se multiplient, c'est pour l'épée, et ses descendants n'apaiseront pas leur faim.

Job 27, 15 Les survivants seront ensevelis par la Peste, sans que ses veuves puissent les pleurer.

Job 27, 16 S'il accumule l'argent comme la poussière, s'il entasse des vêtements comme de la glaise,

Job 27, 17 qu'il les entasse! un juste les revêtira, un innocent recevra l'argent en partage.

Job 27, 18 Il s'est bâti une maison d'araignée, il s'est construit une hutte de gardien:

Job 27, 19 riche il se couche, mais c'est la dernière fois; quand il ouvre les yeux, plus rien.

Job 27, 20 Les terreurs l'assaillent en plein jour, la nuit, un tourbillon l'enlève.

Job 27, 21 Un vent d'est le soulève et l'entraîne, l'arrache à son lieu de séjour.

Job 27, 22 Sans pitié, on le prend pour cible, il doit fuir des mains menaçantes.

Job 27, 23 On applaudit à sa ruine, on le siffle partout où il va.

Job 28, 1 Il existe, pour l'argent, des mines, pour l'or, un lieu où on l'épure.

Job 28, 2 Le fer est tiré du sol, la pierre fondue livre du cuivre.

Job 28, 3 On met fin aux ténèbres, on fouille jusqu'à l'extrême limite la pierre obscure et sombre.

Job 28, 4 Des étrangers percent les ravins en des lieux non fréquentés, et ils oscillent, suspendus, loin des humains.

Job 28, 5 La terre d'où sort le pain est ravagée en dessous par le feu.

Job 28, 6 Là, les pierres sont le gisement du saphir, et aussi des parcelles d'or.

Job 28, 7 L'oiseau de proie en ignore le sentier, l'oeil du vautour ne l'aperçoit pas.

Job 28, 8 Il n'est point foulé par les fauves altiers, le lion ne l'a jamais frayé.

Job 28, 9 L'homme s'attaque au silex, il bouleverse les montagnes dans leurs racines.

Job 28, 10 Dans les roches il perce des canaux, l'oeil ouvert sur tout objet précieux.

Job 28, 11 Il explore les sources des fleuves, amène au jour ce qui restait caché.

Job 28, 12 Mais la Sagesse, d'où provient-elle? Où se trouve-t-elle, l'Intelligence?

Job 28, 13 L'homme en ignore le chemin, on ne la découvre pas sur la terre des vivants.

Job 28, 14 L'Abîme déclare: "Je ne la contiens pas!" et la Mer: "Elle n'est point chez moi!"

Job 28, 15 On ne peut l'acquérir avec l'or massif, la payer au poids de l'argent,

Job 28, 16 l'évaluer avec l'or d'Ophir, l'agate précieuse ou le saphir.

Job 28, 17 On ne lui compare pas l'or ou le verre, on ne l'échange point contre un vase d'or fin.

Job 28, 18 Coraux et cristal ne méritent pas mention, mieux vaudrait pêcher la Sagesse que les perles.

Job 28, 19 Auprès d'elle, la topaze de Kush est sans valeur et l'or pur perd son poids d'échange.

Job 28, 20 Mais la Sagesse, d'où provient-elle? Où se trouve-t-elle, l'Intelligence?

Job 28, 21 Elle se dérobe aux yeux de tout vivant, elle se cache aux oiseaux du ciel.

Job 28, 22 La Perdition et la Mort déclarent: "La rumeur de sa renommée est parvenue à nos oreilles."

Job 28, 23 Dieu seul en a discerné le chemin et connu, lui, où elle se trouve.

Job 28, 24 (Car il voit jusqu'aux extrémités de la terre, il aperçoit tout ce qui est sous les cieux.)

Job 28, 25 Lorsqu'il voulut donner du poids au vent, jauger les eaux avec une mesure;

Job 28, 26 quand il imposa une loi à la pluie, une route aux roulements du tonnerre,

Job 28, 27 alors il la vit et l'évalua, il la pénétra et même la scruta.

Job 28, 28 Puis il dit à l'homme: "La crainte du Seigneur, voilà la sagesse; fuir le mal, voilà l'intelligence."

Job 29, 1 Job continua de s'exprimer en sentences et dit:

Job 29, 2 Qui me fera revivre les mois d'antan, ces jours où Dieu veillait sur moi,

Job 29, 3 où sa lampe brillait sur ma tête et sa lumière me guidait dans les ténèbres!

Job 29, 4 Puissé-je revoir les jours de mon automne, quand Dieu protégeait ma tente,

Job 29, 5 que Shaddaï demeurait avec moi et que mes garçons m'entouraient;

Job 29, 6 quand mes pieds baignaient dans le laitage, et du rocher coulaient des ruisseaux d'huile!

Job 29, 7 Si je sortais vers la porte de la ville, si j'installais mon siège sur la place,

Job 29, 8 à ma vue, les jeunes gens se retiraient, les vieillards se mettaient debout.

Job 29, 9 Les notables arrêtaient leurs discours et mettaient la main sur leur bouche.

Job 29, 10 La voix des chefs s'étouffait et leur langue se collait au palais.

Job 29, 11 A m'entendre, on me félicitait, à me voir, on me rendait témoignage.

Job 29, 12 Car je délivrais le pauvre en détresse et l'orphelin privé d'appui.

Job 29, 13 La bénédiction du mourant se posait sur moi et je rendais la joie au coeur de la veuve.

Job 29, 14 J'avais revêtu la justice comme un vêtement, j'avais le droit pour manteau et turban.

Job 29, 15 J'étais les yeux de l'aveugle, les pieds du boiteux.

Job 29, 16 C'était moi le père des pauvres; la cause d'un inconnu, je l'examinais.

Job 29, 17 Je brisais les crocs de l'homme inique, d'entre ses dents j'arrachais sa proie.

Job 29, 18 Et je disais: "Je mourrai dans ma fierté, après des jours nombreux comme le sable.

Job 29, 19 Mes racines ont accès à l'eau, la rosée se dépose la nuit sur mon feuillage.

Job 29, 20 Ma gloire sera toujours nouvelle et dans ma main mon arc reprendra force.

Job 29, 21 Ils m'écoutaient, dans l'attente, silencieux pour entendre mon avis.

Job 29, 22 Quand j'avais parlé, nul ne répliquait, et sur eux, goutte à goutte, tombaient mes paroles.

Job 29, 23 Ils m'attendaient comme la pluie, leur bouche s'ouvrait comme pour l'ondée tardive.

Job 29, 24 Si je leur souriais, ils n'osaient y croire, ils recueillaient sur mon visage tout signe de faveur.

Job 29, 25 Je leur indiquais la route en siégeant à leur tête, tel un roi installé parmi ses troupes, et je les menais partout à mon gré.

Job 30, 1 Et" maintenant, je suis la risée de gens qui sont plus jeunes que moi, et dont les pères étaient trop vils à mes yeux pour les mêler aux chiens de mon troupeau.

Job 30, 2 Aussi bien, la force de leurs mains m'eût été inutile: ils avaient perdu toute vigueur,

Job 30, 3 épuisée par la disette et la famine, car ils rongeaient les racines de la steppe, ce sombre lieu de ruine et de désolation;

Job 30, 4 ils cueillaient l'arroche sur le buisson faisaient leur pain des racines de genêt.

Job 30, 5 Bannis de la société des hommes, qui les hue comme des voleurs,

Job 30, 6 ils logent au flanc des ravins, dans les grottes ou les crevasses du rocher.

Job 30, 7 Des buissons, on les entend braire, ils s'entassent sous les chardons.

Job 30, 8 Fils de vauriens, bien plus, d'hommes sans nom, ils sont rejetés par le pays.

Job 30, 9 Et maintenant, voilà qu'ils me chansonnent. Qu'ils font de moi leur fable!

Job 30, 10 Saisis d'horreur, ils se tiennent à distance, devant moi, ils crachent sans retenue.

Job 30, 11 Et parce qu'il a détendu mon arc et m'a terrassé, ils rejettent la bride en ma présence.

Job 30, 12 Leur engeance surgit à ma droite, épie si je suis tranquille et fraie vers moi ses chemins sinistres.

Job 30, 13 Ils me ferment toute issue, en profitent pour me perdre et nul ne les arrête,

Job 30, 14 ils pénètrent comme par une large brèche et je suis roulé sous les décombres.

Job 30, 15 Les terreurs se tournent contre moi, mon assurance est chassée comme par le vent, mon espoir de salut disparaît comme un nuage.

Job 30, 16 Et maintenant, la vie en moi s'écoule, les jours de peine m'ont saisi.

Job 30, 17 La nuit, le mal perce mes os et mes rongeurs ne dorment pas.

Job 30, 18 Avec violence il m'a pris par le vêtement, serré au col de ma tunique.

Job 30, 19 Il m'a jeté dans la boue, je suis comme poussière et cendre.

Job 30, 20 Je crie vers Toi et tu ne réponds pas; je me présente sans que tu me remarques.

Job 30, 21 Tu es devenu cruel à mon égard, ta main vigoureuse sur moi s'acharne.

Job 30, 22 Tu m'emportes à cheval sur le vent et tu me dissous dans une tempête.

Job 30, 23 Oui, je sais que tu me fais retourner vers la mort, vers le rendez-vous de tout vivant.

Job 30, 24 Pourtant, ai-je porté la main sur le pauvre, quand, dans sa détresse, il réclamait justice?

Job 30, 25 N'ai-je pas pleuré sur celui dont la vie est pénible, éprouvé de la pitié pour l'indigent?

Job 30, 26 J'espérais le bonheur, et le malheur est venu; j'attendais la lumière: voici l'obscurité.

Job 30, 27 Mes entrailles bouillonnent sans relâche, les jours de souffrance m'ont atteint.

Job 30, 28 Si je m'avance l'air sombre, nul ne me console, si je me dresse dans l'assemblée, c'est pour crier.

Job 30, 29 Je suis devenu le frère des chacals et le compagnon des autruches.

Job 30, 30 Ma peau sur moi s'est noircie, mes os sont brûlés par la fièvre.

Job 30, 31 Ma harpe est accordée aux chants de deuil, ma flûte à la voix des pleureurs.

Job 31, 1 J'avais fait un pacte avec mes yeux, au point de ne fixer aucune vierge.

Job 31, 2 Or, quel partage Dieu fait-il donc de là-haut, quel lot Shaddaï assigne-t-il de son ciel?

Job 31, 3 N'est-ce pas le malheur qu'il réserve à l'injuste et l'adversité aux hommes malfaisants?

Job 31, 4 Ne voit-il pas ma conduite, ne compte-t-il point tous mes pas?

Job 31, 5 Ai-je fait route avec le mensonge, pressé le pas vers la fausseté?

Job 31, 6 Qu'il me pèse sur une balance exacte: lui, Dieu, reconnaîtra mon intégrité!

Job 31, 7 Si mes pas ont dévié du droit chemin, si mon coeur fut entraîné par mes yeux et si une souillure adhère à mes mains,

Job 31, 8 qu'un autre mange ce que j'ai semé et que soient arrachées mes jeunes pousses!

Job 31, 9 Si mon coeur fut séduit par une femme, si j'ai épié à la porte de mon prochain,

Job 31, 10 que ma femme se mette à moudre pour autrui, que d'autres aient commerce avec elle!

Job 31, 11 J'aurais commis là une impudicité, un crime passible de justice,

Job 31, 12 ce serait un feu qui dévore jusqu'à la Perdition et consumerait tout mon revenu.

Job 31, 13 Si j'ai méconnu les droits de mon serviteur, de ma servante, dans leurs litiges avec moi,

Job 31, 14 que ferai-je quand Dieu surgira? Lorsqu'il fera l'enquête, que répondrai-je?

Job 31, 15 Ne les a-t-il pas créés comme moi dans le ventre? Un même Dieu nous forma dans le sein.

Job 31, 16 Ai-je été insensible aux besoins des faibles, laissé languir les yeux de la veuve?

Job 31, 17 Ai-je mangé seul mon morceau de pain, sans le partager avec l'orphelin?

Job 31, 18 Alors que Dieu, dès mon enfance, m'a élevé comme un père, guidé depuis le sein maternel!

Job 31, 19 Ai-je vu un miséreux sans vêtements, un pauvre sans couverture,

Job 31, 20 sans que leurs reins m'aient béni, que la toison de mes agneaux les ait réchauffés?

Job 31, 21 Ai-je agité la main contre un orphelin, me sachant soutenu à la Porte?

Job 31, 22 Qu'alors mon épaule se détache de ma nuque et que mon bras se rompe au coude!

Job 31, 23 Car la terreur de Dieu fondrait sur moi, je ne tiendrais pas devant sa majesté.

Job 31, 24 Ai-je placé dans l'or ma confiance et dit à l'or fin: "O ma sécurité?"

Job 31, 25 Me suis-je réjoui de mes biens nombreux, des richesses acquises par mes mains?

Job 31, 26 A la vue du soleil dans son éclat, de la lune radieuse dans sa course,

Job 31, 27 mon coeur, en secret, s'est-il laissé séduire, pour leur envoyer de la main un baiser?

Job 31, 28 Ce serait encore une faute criminelle, car j'aurais renié le Dieu suprême.

Job 31, 29 Me suis-je réjoui de l'infortune de mon ennemi, ai-je exulté quand le malheur l'atteignait,

Job 31, 30 moi, qui ne permettais pas à ma langue de pécher, de réclamer sa vie dans une malédiction?

Job 31, 31 Et ne disaient-ils pas, les gens de ma tente: "Trouve-t-on quelqu'un qu'il n'ait pas rassasié de viande?"

Job 31, 32 Jamais étranger ne coucha dehors, au voyageur ma porte restait ouverte.

Job 31, 33 Ai-je dissimulé aux hommes mes transgressions, caché ma faute dans mon sein?

Job 31, 34 Ai-je eu peur de la rumeur publique, ai-je redouté le mépris des familles, et me suis-je tenu coi, n'osant franchir ma porte?

Job 31, 35 Ah! qui fera donc que l'on m'écoute? J'ai dit mon dernier mot: à Shaddaï de me répondre! Le libelle qu'aura rédigé mon adversaire,

Job 31, 36 je veux le porter sur mon épaule, le ceindre comme un diadème.

Job 31, 37 Je lui rendrai compte de tous mes pas et je m'avancerai vers lui comme un prince.

Job 31, 38 Si ma terre crie vengeance contre moi et que ses sillons pleurent avec elle,

Job 31, 39 si j'ai mangé de ses produits sans payer, fait expirer ses propriétaires,

Job 31, 40 qu'au lieu de froment y poussent les ronces, à la place de l'orge, l'herbe fétide. Fin des paroles de Job.

Job 32, 1 Ces trois hommes cessèrent de répondre à Job parce qu'il s'estimait juste.

Job 32, 2 Mais voici que se mit en colère Elihu, fils de Barakéel le Buzite, du clan de Ram. Sa colère s'enflamma contre Job parce qu'il prétendait avoir raison contre Dieu;

Job 32, 3 elle s'enflamma également contre ses trois amis, qui n'avaient plus rien trouvé à répliquer et ainsi avaient laissé les torts à Dieu.

Job 32, 4 Tandis qu'ils parlaient avec Job, Elihu avait attendu, car ils étaient ses anciens;

Job 32, 5 mais quand il vit que ces trois hommes n'avaient plus de réponse à la bouche, sa colère éclata.

Job 32, 6 Et il prit la parole, lui, Elihu, fils de Barakéel le Buzite, et il dit: Je suis tout jeune encore, et vous êtes des anciens; aussi je craignais, intimidé, de vous manifester mon savoir.

Job 32, 7 Je me disais: "L'âge parlera, les années nombreuses feront connaître la sagesse."

Job 32, 8 A la vérité, c'est un esprit dans l'homme, c'est le souffle de Shaddaï qui rend intelligent.

Job 32, 9 Le grand âge ne donne pas la sagesse, ni la vieillesse le sens du juste.

Job 32, 10 Aussi, je vous invite à m'écouter, car je vais manifester, à mon tour, mon savoir.

Job 32, 11 Jusqu'ici, j'attendais vos paroles, j'ouvrais l'oreille à vos raisonnements, tandis que chacun cherchait ses mots.

Job 32, 12 Sur vous se fixait mon attention. Et je vois qu'aucun n'a confondu Job, nul d'entre vous n'a réfuté ses dires.

Job 32, 13 Ne dites donc pas: "Nous avons trouvé la sagesse; notre doctrine est divine, non humaine."

Job 32, 14 Ce n'est pas ainsi que je discuterai, je répliquerai à Job en d'autres termes.

Job 32, 15 Ils sont restés interdits, sans réponse; les mots leur ont manqué.

Job 32, 16 Et j'attendais! Puisqu'ils ne parlent plus, qu'ils ont cessé de se répondre,

Job 32, 17 je prendrai la parole à mon tour, je montrerai moi aussi mon savoir.

Job 32, 18 Car je suis plein de mots, oppressé par un souffle intérieur.

Job 32, 19 En mon sein, c'est comme un vin nouveau cherchant issue et qui fait éclater des outres neuves.

Job 32, 20 Parler me soulagera, j'ouvrirai les lèvres et je répondrai.

Job 32, 21 Je ne prendrai le parti de personne, à aucun je ne dirai des mots flatteurs.

Job 32, 22 Je ne sais point flatter, car mon Créateur me supprimerait sous peu.

Job 33, 1 Mais veuille, Job, écouter mes dires, tends l'oreille à toutes mes paroles.

Job 33, 2 Voici que j'ouvre la bouche et ma langue articule des mots sur mon palais.

Job 33, 3 Mon coeur délivrera des paroles de science, mes lèvres s'exprimeront avec sincérité.

Job 33, 4 C'est l'esprit de Dieu qui m'a fait, le souffle de Shaddaï qui m'anima.

Job 33, 5 Si tu le peux, réponds-moi! Tiens-toi prêt devant moi, prend position!

Job 33, 6 Vois, je suis ton égal, non un dieu, comme toi, d'argile je suis pétri.

Job 33, 7 Aussi ma terreur ne t'effraiera point, ma main ne pèsera pas sur toi.

Job 33, 8 Comment as-tu pu dire à mes oreilles car -- j'ai entendu le son de tes paroles:

Job 33, 9 "Je suis pur, sans transgression; je suis intact, sans faute.

Job 33, 10 Mais il invente des prétextes contre moi et il me considère comme son ennemi.

Job 33, 11 Il met mes pieds dans les ceps et surveille tous mes sentiers?"

Job 33, 12 Or, en cela, je t'en réponds, tu as eu tort, car Dieu dépasse l'homme.

Job 33, 13 Pourquoi lui chercher querelle parce qu'il ne te répond pas mot pour mot?

Job 33, 14 Dieu parle d'une façon et puis d'une autre, sans qu'on prête attention.

Job 33, 15 Par des songes, par des visions nocturnes, quand une torpeur s'abat sur les humains et qu'ils sont endormis sur leur couche,

Job 33, 16 alors il parle à leurs oreilles, il les épouvante par des apparitions,

Job 33, 17 pour détourner l'homme de ses oeuvres et mettre fin à son orgueil.

Job 33, 18 Il préserve ainsi son âme de la fosse, sa vie du passage par le Canal.

Job 33, 19 Il le corrige aussi sur son grabat par la souffrance, quand ses os tremblent sans arrêt,

Job 33, 20 quand sa vie prend en dégoût la nourriture et son appétit les friandises;

Job 33, 21 quand sa chair se consume à vue d'oeil et que se dénudent les os qui étaient cachés;

Job 33, 22 quand son âme approche de la fosse et sa vie du séjour des morts.

Job 33, 23 Alors s'il se trouve près de lui un Ange, un Médiateur pris entre mille, qui rappelle à l'homme son devoir,

Job 33, 24 le prenne en pitié et déclare: "Exempte-le de descendre dans la fosse: j'ai trouvé la rançon pour sa vie",

Job 33, 25 sa chair retrouve une fraîcheur juvénile, il revient aux jours de son adolescence.

Job 33, 26 Il prie Dieu qui lui rend sa faveur, il vient le voir dans l'allégresse. Il annonce à autrui sa justification

Job 33, 27 et fait entendre devant les hommes ce cantique: "J'avais péché et perverti le droit: Dieu ne m'a pas traité selon ma faute.

Job 33, 28 Il a exempté mon âme de passer par la fosse et fait jouir ma vie de la lumière."

Job 33, 29 Voilà tout ce que fait Dieu, deux fois, trois fois pour l'homme,

Job 33, 30 afin d'arracher son âme à la fosse et de faire briller sur lui la lumière des vivants.

Job 33, 31 Sois attentif, Job, écoute-moi bien: tais-toi, j'ai encore à parler.

Job 33, 32 Si tu as quelque chose à dire, réplique-moi, parle, car je veux te donner raison.

Job 33, 33 Sinon, écoute-moi: fais silence, et je t'enseignerai la sagesse.

Job 34, 1 Elihu reprit son discours et dit:

Job 34, 2 Et vous, les sages, écoutez mes paroles, vous, les savants, prêtez-moi l'oreille.

Job 34, 3 Car l'oreille apprécie les discours comme le palais goûte les mets.

Job 34, 4 Examinons ensemble ce qui est juste, voyons entre nous ce qui est bien.

Job 34, 5 Job a dit: "Je suis juste et Dieu écarte mon droit.

Job 34, 6 Mon juge envers moi se montre cruel; ma plaie est incurable sans crime de ma part."

Job 34, 7 Où trouver un homme tel que Job, qui boive le sarcasme comme l'eau,

Job 34, 8 fasse route avec les malfaiteurs, marche du même pas que les méchants?

Job 34, 9 N'a-t-il pas dit: "L'homme ne tire aucun profit à se plaire dans la société de Dieu?"

Job 34, 10 Aussi écoutez-moi, en hommes de sens. Qu'on écarte de Dieu le mal, de Shaddaï, l'injustice!

Job 34, 11 Car il rend à l'homme selon ses oeuvres, traite chacun d'après sa conduite.

Job 34, 12 En vérité, Dieu n'agit jamais mal, Shaddaï ne pervertit pas le droit.

Job 34, 13 Autrement qui donc aurait confié la terre à ses soins, l'aurait chargé de l'univers entier?

Job 34, 14 S'il ramenait à lui son esprit, s'il concentrait en lui son souffle,

Job 34, 15 toute chair expirerait à la fois et l'homme retournerait à la poussière.

Job 34, 16 Si tu sais comprendre, écoute ceci, prête l'oreille au son de mes paroles.

Job 34, 17 Un ennemi du droit saurait-il gouverner? Oserais-tu condamner le Juste tout-puissant?

Job 34, 18 Lui, qui dit à un roi: "Vaurien!" traite les nobles de méchants,

Job 34, 19 n'a pas égard aux princes et ne distingue pas du faible l'homme important. Car tous sont l'oeuvre de ses mains.

Job 34, 20 Ils meurent soudain en pleine nuit, les grands périssent et disparaissent, et il écarte un tyran sans effort.

Job 34, 21 Car ses yeux surveillent les voies de l'homme et il observe tous ses pas.

Job 34, 22 Pas de ténèbres ou d'ombre épaisse où puissent se cacher les malfaiteurs.

Job 34, 23 Il n'envoie pas d'assignation à l'homme, pour qu'il se présente devant Dieu en justice.

Job 34, 24 Il brise les grands sans enquête et en met d'autres à leur place.

Job 34, 25 C'est qu'il connaît leurs oeuvres! Il les renverse de nuit et on les piétine.

Job 34, 26 Comme des criminels, il les soufflette, en public il les enchaîné,

Job 34, 27 car ils se sont détournés de lui, n'ont rien compris à ses voies,

Job 34, 28 jusqu'à faire monter vers lui le cri du faible, lui faire entendre l'appel des humbles.

Job 34, 29 Mais s'il reste immobile sans que nul ne l'ébranle, s'il voile sa face sans se laisser apercevoir, c'est qu'il prend en pitié nations et individus,

Job 34, 30 délivre un impie des filets de l'affliction,

Job 34, 31 quand celui-ci dit à Dieu: "Je fus séduit, je ne ferai plus le mal;

Job 34, 32 si j'ai péché, instruis-moi, si j'ai commis l'injustice, je ne recommencerai plus."

Job 34, 33 Est-ce que, d'après toi, il devrait punir, puisque tu rejettes ses décisions? Comme c'est toi qui choisis et non pas moi, fais-nous part de ta science.

Job 34, 34 Mais les gens sensés me diront, ainsi que tout sage qui m'écoute:

Job 34, 35 "Job ne parle pas avec science, ses propos manquent d'intelligence.

Job 34, 36 Veuille donc l'examiner à fond, pour ses réponses dignes de celles des méchants.

Job 34, 37 Car il ajoute à son péché la rébellion, met fin au droit parmi nous et multiplie contre Dieu ses paroles."

Job 35, 1 Elihu reprit son discours et dit:

Job 35, 2 Crois-tu assurer ton droit, affirmer ta justice devant Dieu,

Job 35, 3 d'oser lui dire: "Que t'importe à toi, ou quel avantage pour moi, si j'ai péché ou non?"

Job 35, 4 Eh bien! moi, je te répondrai, et à tes amis en même temps.

Job 35, 5 Considère les cieux et regarde, vois comme les nuages sont plus élevés que toi!

Job 35, 6 Si tu pèches, en quoi l'atteins-tu? Si tu multiplies tes offenses, lui fais-tu quelque mal?

Job 35, 7 Si tu es juste, que lui donnes-tu, ou que reçoit-il de ta main?

Job 35, 8 Ce sont tes semblables qu'affecte ta méchanceté, des mortels que concerne ta justice.

Job 35, 9 Ils gémissent sous le poids de l'oppression, ils crient au secours sous la tyrannie des grands,

Job 35, 10 mais nul ne pense à dire: "Où est Dieu, mon auteur, lui qui fait éclater dans la nuit les chants d'allégresse,

Job 35, 11 qui nous rend plus avisés que les bêtes sauvages, plus sages que les oiseaux du ciel?"

Job 35, 12 Alors on crie, sans qu'il réponde, sous le coup de l'orgueil des méchants.

Job 35, 13 Assurément Dieu n'écoute pas la vanité, Shaddaï n'y prête pas attention.

Job 35, 14 Et encore moins quand tu dis: "Je ne le vois pas, mon procès est ouvert devant lui et je l'attends."

Job 35, 15 Ou bien: "Sa colère ne châtie pas, et il semble ignorer la révolte de l'homme."

Job 35, 16 Job, alors, ouvre la bouche pour parler dans le vide, par ignorance, il multiplie les mots.

Job 36, 1 Elihu continua et dit:

Job 36, 2 Patiente un peu et laisse-moi t'instruire, car je n'ai pas tout dit en faveur de Dieu.

Job 36, 3 Je veux tirer mon savoir de très loin, pour justifier mon Créateur.

Job 36, 4 En vérité, mes paroles ignorent le mensonge, et un homme d'une science accomplie est près de toi.

Job 36, 5 Dieu ne rejette pas l'homme au coeur pur,

Job 36, 6 il ne laisse pas vivre le méchant en pleine force. Il rend justice aux pauvres,

Job 36, 7 fait prévaloir les droits du juste. Lorsqu'il élève des rois au trône et que s'exaltent ceux qui siègent pour toujours,

Job 36, 8 alors il les lie avec des chaînes, ils sont pris dans les liens de l'affliction.

Job 36, 9 Il les éclaire sur leurs actes, sur les fautes d'orgueil qu'ils ont commises.

Job 36, 10 A leurs oreilles il fait entendre un avertissement, leur ordonne de se détourner du mal.

Job 36, 11 S'ils écoutent et se montrent dociles, leurs jours s'achèvent dans le bonheur et leurs années dans les délices.

Job 36, 12 Sinon, ils passent par le Canal et ils périssent en insensés.

Job 36, 13 Oui, les endurcis, qui gardent leur colère et ne crient pas à l'aide quand il les enchaîne,

Job 36, 14 meurent en pleine jeunesse et leur vie est méprisée.

Job 36, 15 Mais il sauve le pauvre par sa pauvreté, il l'avertit dans sa misère.

Job 36, 16 Toi aussi, il veut t'arracher à l'angoisse. Tandis que tu jouissais d'une abondance sans restriction et que la graisse débordait sur ta table,

Job 36, 17 tu n'instruisais pas le procès des méchants, et ne faisais pas droit à l'orphelin.

Job 36, 18 Prends garde d'être séduit par l'abondance, corrompu par de riches présents.

Job 36, 19 Fais comparaître le grand comme l'homme sans or, l'homme au bras puissant comme le faible.

Job 36, 20 N'écrase pas ceux qui te sont étrangers pour mettre à leur place ta parenté.

Job 36, 21 Garde-toi de te porter vers l'injustice, car c'est pour cela que l'affliction t'éprouve.

Job 36, 22 Vois, Dieu est sublime par sa force et quel maître lui comparer?

Job 36, 23 Qui lui a indiqué la voie à suivre, qui oserait lui dire: "Tu as commis l'injustice?"

Job 36, 24 Songe plutôt à magnifier son oeuvre, que l'homme a célébrée par des cantiques.

Job 36, 25 C'est un spectacle offert à tous, à distance l'homme la regarde.

Job 36, 26 Oui, Dieu est si grand qu'il dépasse notre science, et le nombre de ses ans reste incalculable.

Job 36, 27 C'est lui qui réduit les gouttes d'eau, pulvérise la pluie en brouillard.

Job 36, 28 Et les nuages déversent celle-ci, la font ruisseler sur la foule humaine.

Job 36, 29 Qui comprendra encore les déploiements de sa nuée, le grondement menaçant de sa tente?

Job 36, 30 Il répand un brouillard devant lui, couvre les sommets des montagnes.

Job 36, 31 Par eux il sustente les peuples, leur donne la nourriture en abondance.

Job 36, 32 A pleines mains, il soulève l'éclair et lui fixe le but à atteindre.

Job 36, 33 Son fracas en annonce la venue, la colère s'enflamme contre l'iniquité.

Job 37, 1 Mon coeur lui-même en tremble et bondit hors de sa place.

Job 37, 2 Ecoutez, écoutez le fracas de sa voix, le grondement qui sort de sa bouche!

Job 37, 3 Son éclair est lâché sous l'étendue des cieux, il atteint les extrémités de la terre.

Job 37, 4 Derrière lui mugit une voix, car Dieu tonne de sa voix superbe. Et il ne retient pas ses foudres tant que sa voix retentit.

Job 37, 5 Oui, Dieu nous fait voir des merveilles, il accomplit des oeuvres grandioses qui nous dépassent.

Job 37, 6 Quand il dit à la neige: "Tombe sur la terre!" aux averses: "Pleuvez dru!"

Job 37, 7 alors il suspend l'activité des hommes, pour que chacun reconnaisse là son oeuvre.

Job 37, 8 Les animaux regagnent leurs repaires et s'abritent dans leurs tanières.

Job 37, 9 De la Chambre australe sort l'ouragan et les vents du nord amènent le froid.

Job 37, 10 Au souffle de Dieu se forme la glace et la surface des eaux se durcit.

Job 37, 11 Il charge d'humidité les nuages et les nuées d'orage diffusent son éclair.

Job 37, 12 Et lui les fait circuler et préside à leur alternance. Ils exécutent en tout ses ordres, sur la face de son monde terrestre.

Job 37, 13 Soit pour châtier les peuples de la terre, soit pour une oeuvre de bonté, il les envoie.

Job 37, 14 Ecoute ceci, Job, sans broncher, et réfléchis aux merveilles de Dieu.

Job 37, 15 Sais-tu comment Dieu leur commande, et comment sa nuée fait luire l'éclair?

Job 37, 16 Sais-tu comment il suspend les nuages en équilibre, prodige d'une science consommée?

Job 37, 17 Toi, quand tes vêtements sont brûlants et que la terre se tient immobile sous le vent du sud,

Job 37, 18 peux-tu étendre comme lui la nue, durcie comme un miroir de métal fondu?

Job 37, 19 Apprends-moi ce qu'il faut lui dire: mieux vaut ne plus discuter à cause de nos ténèbres.

Job 37, 20 Mes paroles comptent-elles pour lui, est-il informé des ordres d'un homme?

Job 37, 21 Un temps la lumière devient invisible, lorsque les nuages l'obscurcissent; puis le vent passe et les balaie,

Job 37, 22 et du nord arrive la clarté. Dieu s'entoure d'une splendeur redoutable;

Job 37, 23 lui, Shaddaï, nous ne pouvons l'atteindre. Suprême par la force et l'équité, maître en justice sans opprimer,

Job 37, 24 il s'impose à la crainte des hommes; à lui la vénération de tous les esprits sensés!

Job 38, 1 Yahvé répondit à Job du sein de la tempête et dit:

Job 38, 2 Quel est celui-là qui obscurcit mes plans par des propos dénués de sens?

Job 38, 3 Ceins tes reins comme un brave: je vais t'interroger et tu m'instruiras.

Job 38, 4 Où étais-tu quand je fondai la terre? Parle, si ton savoir est éclairé.

Job 38, 5 Qui en fixa les mesures, le saurais-tu, ou qui tendit sur elle le cordeau?

Job 38, 6 Sur quel appui s'enfoncent ses socles? Qui posa sa pierre angulaire,

Job 38, 7 parmi le concert joyeux des étoiles du matin et les acclamations unanimes des Fils de Dieu?

Job 38, 8 Qui enferma la mer à deux battants, quand elle sortit du sein, bondissante;

Job 38, 9 quand je mis sur elle une nuée pour vêtement et fis des nuages sombres ses langes;

Job 38, 10 quand je découpai pour elle sa limite et plaçai portes et verrou?

Job 38, 11 "Tu n'iras pas plus loin, lui dis-je, ici se brisera l'orgueil de tes flots!"

Job 38, 12 As-tu, une fois dans ta vie, commandé au matin? Assigné l'aurore à son poste,

Job 38, 13 pour qu'elle saisisse la terre par les bords et en secoue les méchants?

Job 38, 14 Alors elle la change en argile de sceau et la teint comme un vêtement;

Job 38, 15 elle ôte aux méchants leur lumière, brise le bras qui se levait.

Job 38, 16 As-tu pénétré jusqu'aux sources marines, circulé au fond de l'Abîme?

Job 38, 17 Les portes de la Mort te furent-elles montrées, as-tu vu les portiers du pays de l'Ombre?

Job 38, 18 As-tu quelque idée des étendues terrestres? Raconte, si tu sais tout cela.

Job 38, 19 De quel côté habite la lumière, et les ténèbres, où résident-elles,

Job 38, 20 pour que tu puisses les conduire dans leur domaine, les acheminer vers leur demeure?

Job 38, 21 Si tu le sais, c'est qu'alors tu étais né, et tu comptes des jours bien nombreux!

Job 38, 22 Es-tu parvenu jusqu'aux dépôts de neige? As-tu vu les réserves de grêle,

Job 38, 23 que je ménage pour les temps de détresse, pour les jours de bataille et de guerre?

Job 38, 24 De quel côté se divise l'éclair, où se répand sur terre le vent d'est?

Job 38, 25 Qui perce un canal pour l'averse, fraie la route aux roulements du tonnerre,

Job 38, 26 pour faire pleuvoir sur une terre sans hommes, sur un désert que nul n'habite,

Job 38, 27 pour abreuver les solitudes désolées, faire germer l'herbe sur la steppe?

Job 38, 28 La pluie a-t-elle un père, ou qui engendre les gouttes de rosée?

Job 38, 29 De quel ventre sort la glace, et le givre des cieux, qui l'enfante,

Job 38, 30 quand les eaux se durcissent comme pierre et que devient compacte la surface de l'abîme?

Job 38, 31 Peux-tu nouer les liens des Pléiades, desserrer les cordes d'Orion,

Job 38, 32 amener la Couronne en son temps, conduire l'Ourse avec ses petits?

Job 38, 33 Connais-tu les lois des Cieux, appliques-tu leur charte sur terre?

Job 38, 34 Ta voix s'élève-t-elle jusqu'aux nuées et la masse des eaux t'obéit-elle?

Job 38, 35 Sur ton ordre, les éclairs partent-ils, en te disant: "Nous voici?"

Job 38, 36 Qui a mis dans l'ibis la sagesse, donné au coq l'intelligence?

Job 38, 37 Qui dénombre les nuages avec compétence et incline les outres des cieux,

Job 38, 38 tandis que la poussière s'agglomère et que collent ensemble les glèbes?

Job 38, 39 Chasses-tu pour la lionne une proie, apaises-tu l'appétit des lionceaux,

Job 38, 40 quand ils sont tapis dans leurs tanières, aux aguets dans le fourré?

Job 38, 41 Qui prépare au corbeau sa provende, lorsque ses petits crient vers Dieu et se dressent sans nourriture?

Job 39, 1 Sais-tu quand les bouquetins font leurs petits? As-tu observé des biches en travail?

Job 39, 2 Combien de mois dure leur gestation, quelle est l'époque de leur délivrance?

Job 39, 3 Alors elles s'accroupissent pour mettre bas, elles se débarrassent de leurs portées.

Job 39, 4 Et quand leurs petits ont pris des forces et grandi, ils partent dans le désert et ne reviennent plus près d'elles.

Job 39, 5 Qui a lâché l'onagre en liberté, délié la corde de l'âne sauvage?

Job 39, 6 A lui, j'ai donné la steppe pour demeure, la plaine salée pour habitat.

Job 39, 7 Il se rit du tumulte des villes et n'entend pas l'ânier vociférer.

Job 39, 8 Il explore les montagnes, son pâturage, à la recherche de toute verdure.

Job 39, 9 Le boeuf sauvage voudra-t-il te servir, passer la nuit chez toi devant la crèche?

Job 39, 10 Attacheras-tu une corde à son cou, hersera-t-il les sillons derrière toi?

Job 39, 11 Peux-tu compter sur sa force très grande et lui laisser la peine de tes travaux?

Job 39, 12 Seras-tu assuré de son retour, pour amasser ton grain sur ton aire?

Job 39, 13 L'aile de l'autruche peut-elle se comparer au pennage de la cigogne et du faucon?

Job 39, 14 Elle abandonne à terre ses oeufs, les confie à la chaleur du sol.

Job 39, 15 Elle oublie qu'un pied peut les fouler, une bête sauvage les écraser.

Job 39, 16 Dure pour ses petits comme pour des étrangers, d'une peine inutile elle ne s'inquiète pas.

Job 39, 17 C'est que Dieu l'a privée de sagesse, ne lui a point départi l'intelligence.

Job 39, 18 Mais sitôt qu'elle se dresse et se soulève, elle défie le cheval et son cavalier.

Job 39, 19 Donnes-tu au cheval la bravoure, revêts-tu son cou d'une crinière?

Job 39, 20 Le fais-tu bondir comme la sauterelle? Son hennissement altier répand la terreur.

Job 39, 21 Il piaffe de joie dans le vallon, avec vigueur il s'élance au-devant des armes.

Job 39, 22 Il se moque de la peur et ne craint rien, il ne recule pas devant l'épée.

Job 39, 23 Sur lui résonnent le carquois, la lance étincelante et le javelot.

Job 39, 24 Frémissant d'impatience, il dévore l'espace; il ne se tient plus quand sonne la trompette:

Job 39, 25 à chaque coup de trompette, il crie: Héah! Il flaire de loin la bataille, la voix tonnante des chefs et les cris.

Job 39, 26 Est-ce avec ton discernement que le faucon prend son vol, qu'il déploie ses ailes vers le sud?

Job 39, 27 Sur ton ordre que l'aigle s'élève et place son nid dans les hauteurs?

Job 39, 28 Il fait du rocher son habitat nocturne, d'un pic rocheux sa forteresse.

Job 39, 29 Il guette de là sa proie et ses yeux de loin l'aperçoivent.

Job 39, 30 Ses petits lapent le sang, où il y a des tués, il est là.

Job 40, 1 Alors Yahvé s'adressant à Job lui dit:

Job 40, 2 L'adversaire de Shaddaï cédera-t-il? Le censeur de Dieu va-t-il répondre?

Job 40, 3 Et Job répondit à Yahvé:

Job 40, 4 J'ai parlé à la légère: que te répliquerai-je? Je mettrai plutôt ma main sur ma bouche.

Job 40, 5 J'ai parlé une fois, je ne répéterai pas; deux fois, je n'ajouterai rien.

Job 40, 6 Yahvé répondit à Job du sein de la tempête et dit:

Job 40, 7 Ceins tes reins comme un brave: je vais t'interroger et tu m'instruiras.

Job 40, 8 Veux-tu vraiment casser mon jugement, me condamner pour assurer ton droit?

Job 40, 9 Ton bras a-t-il une vigueur divine, ta voix peut-elle tonner pareillement?

Job 40, 10 Allons, pare-toi de majesté et de grandeur, revêts-toi de splendeur et de gloire.

Job 40, 11 Fais éclater les fureurs de ta colère, d'un regard, courbe l'arrogant.

Job 40, 12 D'un regard, ravale l'homme superbe, écrase sur place les méchants.

Job 40, 13 Enfouis-les ensemble dans le sol, emprisonne-les chacun dans le cachot.

Job 40, 14 Et moi-même je te rendrai hommage, car tu peux assurer ton salut par ta droite.

Job 40, 15 Mais regarde donc Béhémoth, ma créature, tout comme toi! Il se nourrit d'herbe, comme le boeuf.

Job 40, 16 Vois, sa force réside dans ses reins, sa vigueur dans les muscles de son ventre.

Job 40, 17 Il raidit sa queue comme un cèdre, les nerfs de ses cuisses s'entrelacent.

Job 40, 18 Ses os sont des tubes d'airain, sa carcasse, comme du fer forgé.

Job 40, 19 C'est lui la première des oeuvres de Dieu. Son Auteur le menaça de l'épée,

Job 40, 20 lui interdit la région des montagnes et toutes les bêtes sauvages qui s'y ébattent.

Job 40, 21 Sous les lotus, il est couché, il se cache dans les roseaux des marécages.

Job 40, 22 Le couvert des lotus lui sert d'ombrage et les saules du torrent le protègent.

Job 40, 23 Si le fleuve déborde il ne s'émeut pas; un Jourdain lui jaillirait jusqu'à la gueule sans qu'il bronche.

Job 40, 24 Qui donc le saisira par les yeux, lui percera le nez avec des pieux?

Job 40, 25 Et Léviathan, le pêches-tu à l'hameçon, avec une corde comprimes-tu sa langue?

Job 40, 26 Fais-tu passer un jonc dans ses naseaux, avec un croc perces-tu sa mâchoire?

Job 40, 27 Est-ce lui qui te suppliera longuement, te parlera d'un ton timide?

Job 40, 28 S'engagera-t-il par contrat envers toi, pour devenir ton serviteur à vie?

Job 40, 29 T'amusera-t-il comme un passereau, l'attacheras-tu pour la joie de tes filles?

Job 40, 30 Sera-t-il mis en vente par des associés, puis débité entre marchands?

Job 40, 31 Cribleras-tu sa peau de dards, le harponneras-tu à la tête comme un poisson?

Job 40, 32 Pose seulement la main sur lui: au souvenir de la lutte, tu ne recommenceras plus!

Job 41, 1 Ton espérance serait illusoire, car sa vue seule suffit à terrasser.

Job 41, 2 Il devient féroce quand on l'éveille, qui peut lui résister en face?

Job 41, 3 Qui donc l'a affronté sans en pâtir? Personne sous tous les cieux!

Job 41, 4 Je parlerai aussi de ses membres, je dirai sa force incomparable.

Job 41, 5 Qui a découvert par devant sa tunique, pénétré dans sa double cuirasse?

Job 41, 6 Qui a ouvert les battants de sa gueule? La terreur règne autour de ses dents!

Job 41, 7 Son dos, ce sont des rangées de boucliers, que ferme un sceau de pierre.

Job 41, 8 Ils se touchent de si près qu'un souffle ne peut s'y infiltrer.

Job 41, 9 Ils adhèrent l'un à l'autre et font un bloc sans fissure.

Job 41, 10 Son éternuement projette de la lumière, ses yeux ressemblent aux paupières de l'aurore.

Job 41, 11 De sa gueule jaillissent des torches, il s'en échappe des étincelles de feu.

Job 41, 12 Ses naseaux crachent de la fumée, comme un chaudron qui bout sur le feu.

Job 41, 13 Son souffle allumerait des charbons, une flamme sort de sa gueule.

Job 41, 14 Sur son cou est campée la force, et devant lui bondit la violence.

Job 41, 15 Les fanons de sa chair sont soudés ensemble: ils adhèrent à elle, inébranlables.

Job 41, 16 Son coeur est dur comme le roc, résistant comme la meule de dessous.

Job 41, 17 Quand il se dresse, les flots prennent peur et les vagues de la mer se retirent.

Job 41, 18 L'épée l'atteint sans se fixer, de même lance, javeline ou dard.

Job 41, 19 Pour lui, le fer n'est que paille, et l'airain, du bois pourri.

Job 41, 20 Les traits de l'arc ne le font pas fuir: il reçoit comme un fétu les pierres de fronde.

Job 41, 21 La massue lui semble un fétu, il se rit du javelot qui vibre.

Job 41, 22 Il a sous lui des tessons aigus, comme une herse il passe sur la vase.

Job 41, 23 Il fait bouillonner le gouffre comme une chaudière, il change la mer en brûle-parfums.

Job 41, 24 Il laisse derrière lui un sillage lumineux, l'abîme semble couvert d'une toison blanche.

Job 41, 25 Sur terre, il n'a point son pareil, il a été fait intrépide.

Job 41, 26 Il regarde en face les plus hautains, il est roi sur tous les fils de l'orgueil.

Job 42, 1 Et Job fit cette réponse à Yahvé:

Job 42, 2 Je sais que tu es tout-puissant: ce que tu conçois, tu peux le réaliser.

Job 42, 3 J'étais celui qui voile tes plans, par des propos dénués de sens. Aussi as-tu raconté des oeuvres grandioses que je ne comprends pas, des merveilles qui me dépassent et que j'ignore.

Job 42, 4 (Ecoute, laisse-moi parler: je vais t'interroger et tu m'instruiras.)

Job 42, 5 Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t'ont vu.

Job 42, 6 Aussi je me rétracte et m'afflige sur la poussière et sur la cendre.

Job 42, 7 Après qu'il eut ainsi parlé à Job, Yahvé s'adressa à Eliphaz de Témân: "Ma colère s'est enflammée contre toi et tes deux amis, car vous n'avez pas parlé de moi avec droiture comme l'a fait mon serviteur Job.

Job 42, 8 Et maintenant, procurez-vous sept taureaux et sept béliers, puis allez vers mon serviteur Job. Vous offrirez pour vous un holocauste, tandis que mon serviteur Job priera pour vous. J'aurai égard à lui et ne vous infligerai pas ma disgrâce pour n'avoir pas, comme mon serviteur Job, parlé avec droiture de moi."

Job 42, 9 Eliphaz de Témân, Bildad de Shuah, Cophar de Naamat s'en furent exécuter l'ordre de Yahvé. Et Yahvé eut égard à Job.

Job 42, 10 Et Yahvé restaura la situation de Job, tandis qu'il intercédait pour ses amis; et même Yahvé accrut au double tous les biens de Job.

Job 42, 11 Celui-ci vit venir vers lui tous ses frères et toutes ses soeurs ainsi que tous ceux qui le fréquentaient autrefois. Partageant le pain avec lui dans sa maison, ils s'apitoyaient sur lui et le consolaient de tous les maux que Yahvé lui avait infligés. Chacun lui fit cadeau d'une pièce d'argent, chacun lui laissa un anneau d'or.

Job 42, 12 Yahvé bénit la condition dernière de Job plus encore que l'ancienne. Il posséda 14.000 brebis, 6.000 chameaux, mille paires de boeufs et mille ânesses.

Job 42, 13 Il eut sept fils et trois filles.

Job 42, 14 La première, il la nomma "Tourterelle", la seconde "Cinnamome" et la troisième "Corne à fard."

Job 42, 15 Dans tout le pays on ne trouvait pas d'aussi belles femmes que les filles de Job. Et leur père leur donna une part d'héritage en compagnie de leurs frères.

Job 42, 16 Après cela Job vécut encore 140 ans, et il vit ses fils et les fils de ses fils jusqu'à la quatrième génération.

Job 42, 17 Puis Job mourut chargé d'ans et rassasié de jours.

 

 

 

 

 

Psaumes

 

 

 

 

 

Psaume 1, 1 Heureux l'homme qui ne suit pas le conseil des impies, ni dans la voie des égarés ne s'arrête, ni au siège des rieurs ne s'assied,

Psaume 1, 2 mais se plaît dans la loi de Yahvé, mais murmure sa loi jour et nuit!

Psaume 1, 3 Il est comme un arbre planté auprès des cours d'eau; celui-là portera fruit en son temps et jamais son feuillage ne sèche; tout ce qu'il fait réussit:

Psaume 1, 4 rien de tel pour les impies, rien de tel! Mais ils sont comme la bale qu'emporte le vent.

Psaume 1, 5 Ainsi, les impies ne tiendront pas au Jugement, ni les égarés, à l'assemblée des justes.

Psaume 1, 6 Car Yahvé connaît la voie des justes, mais la voie des impies se perd.

Psaume 2, 1 Pourquoi ces nations qui remuent, ces peuples qui murmurent en vain?

Psaume 2, 2 Des rois de la terre s'insurgent, des princes conspirent contre Yahvé et contre son Messie:

Psaume 2, 3 "Faisons sauter leurs entraves, débarrassons-nous de leurs liens! "

Psaume 2, 4 Celui qui siège dans les cieux s'en amuse, Yahvé les tourne en dérision.

Psaume 2, 5 Puis dans sa colère il leur parle, dans sa fureur il les épouvante:

Psaume 2, 6 "C'est moi qui ai sacré mon roi sur Sion, ma montagne sainte."

Psaume 2, 7 J'énoncerai le décret de Yahvé: Il m'a dit: "Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré.

Psaume 2, 8 Demande, et je te donne les nations pour héritage, pour domaine les extrémités de la terre;

Psaume 2, 9 tu les briseras avec un sceptre de fer, comme vases de potier tu les casseras."

Psaume 2, 10 Et maintenant, rois, comprenez, corrigez-vous, juges de la terre!

Psaume 2, 11 Servez Yahvé avec crainte,

Psaume 2, 12 baisez ses pieds avec tremblement; qu'il se fâche, vous vous perdez en chemin: d'un coup flambe sa colère. Heureux qui s'abrite en lui!

Psaume 3, 1 Psaume de David. Quand il fuyait devant son fils Absalom.

Psaume 3, 2 Yahvé, qu'ils sont nombreux mes oppresseurs, nombreux ceux qui se lèvent contre moi,

Psaume 3, 3 nombreux ceux qui disent de mon âme: "Point de salut pour elle en son Dieu! "

Psaume 3, 4 Mais toi, Yahvé, bouclier qui m'entoures, ma gloire! tu me redresses la tête.

Psaume 3, 5 A pleine voix je crie vers Yahvé, il me répond de sa montagne sainte.

Psaume 3, 6 Et moi, je me couche et m'endors, je m'éveille: Yahvé est mon soutien.

Psaume 3, 7 Je ne crains pas ces gens par milliers qui forment un cercle contre moi.

Psaume 3, 8 Lève-toi, Yahvé! Sauve-moi, mon Dieu! Tu frappes à la joue tous mes adversaires, les dents des impies, tu les brises.

Psaume 3, 9 De Yahvé, le salut! Sur ton peuple, ta bénédiction!

 

 

Psaume 4, 1 Du maître de chant. Avec instruments à cordes. Psaume de David.

Psaume 4, 2 Quand je crie, réponds-moi, Dieu de ma justice, dans l'angoisse tu m'as mis au large: pitié pour moi, écoute ma prière!

Psaume 4, 3 Fils d'homme, jusqu'où s'alourdiront vos coeurs, pourquoi ce goût du rien, cette course à l'illusion?

Psaume 4, 4 Sachez-le, pour son ami Yahvé fait merveille, Yahvé écoute quand je crie vers lui.

Psaume 4, 5 Frémissez et ne péchez plus, parlez en votre coeur, sur votre couche faites silence.

Psaume 4, 6 Offrez des sacrifices de justice et soyez sûrs de Yahvé.

Psaume 4, 7 Beaucoup disent: "Qui nous fera voir le bonheur?" Fais lever sur nous la lumière de ta face. Yahvé,

Psaume 4, 8 tu as mis en mon coeur plus de joie qu'aux jours ou leur froment, leur vin nouveau débordent.

Psaume 4, 9 En paix, tout aussitôt, je me couche et je dors: c'est toi, Yahvé, qui m'établis à part, en sûreté.

 

 

Psaume 5, 1 Du maître de chant. Sur les flûtes. Psaume de David.

Psaume 5, 2 Ma parole, entends-la, Yahvé, discerne ma plainte,

Psaume 5, 3 attentif à la voix de mon appel, ô mon Roi et mon Dieu! C'est toi que je prie,

Psaume 5, 4 Yahvé! Au matin tu écoutes ma voix; au matin je fais pour toi les apprêts et je reste aux aguets.

Psaume 5, 5 Tu n'es pas un Dieu agréant l'impiété, le méchant n'est pas ton hôte;

Psaume 5, 6 non, les arrogants ne tiennent pas devant ton regard. Tu hais tous les malfaisants,

Psaume 5, 7 tu fais périr les imposteurs; l'homme de sang et de fraude, Yahvé le hait.

Psaume 5, 8 Et moi, par la grandeur de ton amour, j'accède à ta maison; vers ton Temple sacré je me prosterne, pénétré de ta crainte.

Psaume 5, 9 Yahvé, guide-moi dans ta justice à cause de ceux qui me guettent, redresse devant moi ton chemin.

Psaume 5, 10 Non, rien n'est sûr dans leur bouche, et leur fond n'est que ruine, leur gosier est un sépulcre béant, mielleuse se fait leur langue.

Psaume 5, 11 Traite-les en coupables, ô Dieu, qu'ils échouent dans leurs intrigues; pour leurs crimes sans nombre, repousse-les, pour leur révolte contre toi.

Psaume 5, 12 Joie pour tous ceux que tu abrites, réjouissance à jamais; tu les protèges, en toi exultent les amants de ton nom.

Psaume 5, 13 Toi, tu bénis le juste, Yahvé, comme un bouclier, ta faveur le couronne.

 

 

Psaume 6, 1 Du maître de chant. Sur les instruments à cordes. Sur l'octacorde. Psaume de David.

Psaume 6, 2 Yahvé, ne me châtie point dans ta colère, ne me reprends point dans ta fureur.

Psaume 6, 3 Pitié pour moi, Yahvé, je suis à bout de force, guéris-moi, Yahvé, mes os sont bouleversés,

Psaume 6, 4 mon âme est toute bouleversée. Mais toi, Yahvé, jusques à quand?

Psaume 6, 5 Reviens, Yahvé, délivre mon âme, sauve-moi, en raison de ton amour.

Psaume 6, 6 Car, dans la mort, nul souvenir de toi: dans le shéol, qui te louerait?

Psaume 6, 7 Je me suis épuisé en gémissements, chaque nuit, je baigne ma couche; de mes larmes j'arrose mon lit,

Psaume 6, 8 mon oeil est rongé de pleurs. Insolence chez tous mes oppresseurs;

Psaume 6, 9 loin de moi, tous les malfaisants! Car Yahvé entend la voix de mes sanglots;

Psaume 6, 10 Yahvé entend ma supplication, Yahvé accueillera ma prière.

Psaume 6, 11 Tous mes ennemis, confondus, bouleversés, qu'ils reculent, soudain confondus!

 

 

Psaume 7, 1 Lamentation. De David. Qu'il chanta à Yahvé à propos de Kush le Benjaminite.

Psaume 7, 2 Yahvé mon Dieu, en toi j'ai mon abri, sauve-moi de tous mes poursuivants, délivre-moi;

Psaume 7, 3 qu'il n'emporte comme un lion mon âme, lui qui déchire, et personne qui délivre!

Psaume 7, 4 Yahvé mon Dieu, si j'ai fait cela, laissé la fraude sur mes mains,

Psaume 7, 5 si j'ai rendu le mal à mon bienfaiteur, épargné un injuste oppresseur,

Psaume 7, 6 que l'ennemi poursuive mon âme et l'atteigne! Qu'il écrase ma vie contre terre et relègue mes entrailles dans la poussière!

Psaume 7, 7 Lève-toi, Yahvé, dans ta colère, dresse-toi contre les excès de mes oppresseurs, réveille-toi, mon Dieu. Tu ordonnes le jugement.

Psaume 7, 8 Que l'assemblée des nations t'environne, reviens au-dessus d'elle.

Psaume 7, 9 (Yahvé est l'arbitre des peuples.) Juge-moi, Yahvé, selon ma justice et selon mon intégrité.

Psaume 7, 10 Mets fin à la malice des impies, confirme le juste, toi qui sondes les coeurs et les reins, ô Dieu le juste!

Psaume 7, 11 Le bouclier qui me couvre, c'est Dieu, le sauveur des coeurs droits,

Psaume 7, 12 Dieu le juste juge, lent à la colère, mais Dieu en tout temps menaçant

Psaume 7, 13 pour qui ne revient. Que l'ennemi affûte son épée, qu'il bande son arc et l'apprête,

Psaume 7, 14 c'est pour lui qu'il apprête les engins de mort et fait de ses flèches des brandons;

Psaume 7, 15 le voici en travail de malice, il a conçu la peine, il enfante le mécompte.

Psaume 7, 16 Il ouvre une fosse et la creuse, il tombera dans le trou qu'il a fait;

Psaume 7, 17 sa peine reviendra sur sa tête, sa violence lui retombera sur le crâne.

Psaume 7, 18 Je rends grâce à Yahvé pour sa justice, je joue pour le Nom du Très-Haut.

 

 

Psaume 8, 1 Du maître de chant. Sur la... de Gat. Psaume de David.

Psaume 8, 2 Yahvé, notre Seigneur, qu'il est puissant ton nom par toute la terre! Lui qui redit ta majesté plus haute que les cieux

Psaume 8, 3 par la bouche des enfants, des tout petits, tu l'établis, lieu fort, à cause de tes adversaires pour réduire l'ennemi et le rebelle.

Psaume 8, 4 A voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles, que tu fixas,

Psaume 8, 5 qu'est donc le mortel, que tu t'en souviennes, le fils d'Adam, que tu le veuilles visiter?

Psaume 8, 6 A peine le fis-tu moindre qu'un dieu; tu le couronnes de gloire et de beauté,

Psaume 8, 7 pour qu'il domine sur l'oeuvre de tes mains; tout fut mis par toi sous ses pieds,

Psaume 8, 8 brebis et boeufs, tous ensemble, et même les bêtes des champs,

Psaume 8, 9 l'oiseau du ciel et les poissons de la mer, quand il va par les sentiers des mers.

Psaume 8, 10 Yahvé, notre Seigneur, qu'il est puissant ton nom par toute la terre!

 

 

Psaume 9, 1 Du maître de chant. Sur hautbois et harpe. Psaume de David.

Psaume 9, 2 Je te rends grâce, Yahvé, de tout mon coeur, j'énonce toutes tes merveilles,

Psaume 9, 3 j'exulte et me réjouis en toi, je joue pour ton nom, Très-Haut.

Psaume 9, 4 Mes ennemis retournent en arrière, ils fléchissent, ils périssent devant ta face,

Psaume 9, 5 quand tu m'as rendu sentence et jugement, siégeant sur le trône en juste juge.

Psaume 9, 6 Tu as maté les païens, fait périr l'impie, effacé leur nom pour toujours et à jamais;

Psaume 9, 7 l'ennemi est achevé, ruines sans fin, tu as renversé des villes, et leur souvenir a péri. Voici,

Psaume 9, 8 Yahvé siège pour toujours, il affermit pour le jugement son trône;

Psaume 9, 9 lui, il jugera le monde avec justice, prononcera sur les nations avec droiture.

Psaume 9, 10 Que Yahvé soit un lieu fort pour l'opprimé, un lieu fort aux temps de détresse!

Psaume 9, 11 En toi se confient ceux qui connaissent ton nom, tu n'abandonnes point ceux qui te cherchent, Yahvé.

Psaume 9, 12 Jouez pour Yahvé, l'habitant de Sion, racontez parmi les peuples ses hauts faits!

Psaume 9, 13 Lui qui s'enquiert du sang se souvient d'eux, il n'oublie pas le cri des malheureux.

Psaume 9, 14 Pitié pour moi, Yahvé, vois mon malheur, tu me fais remonter des portes de la mort,

Psaume 9, 15 que j'énonce toute ta louange aux portes de la fille de Sion, joyeux de ton salut.

Psaume 9, 16 Les païens ont croulé dans la fosse qu'ils ont faite, au filet qu'ils ont tendu, leur pied s'est pris.

Psaume 9, 17 Yahvé s'est fait connaître, il a rendu le jugement, il a lié l'impie dans l'ouvrage de ses mains.

Psaume 9, 18 Que les impies retournent au shéol, tous ces païens qui oublient Dieu!

Psaume 9, 19 Car le pauvre n'est pas oublié jusqu'à la fin, l'espoir des malheureux ne périt pas à jamais.

Psaume 9, 20 Dresse-toi, Yahvé, que l'homme ne triomphe, qu'ils soient jugés, les païens, devant ta face!

Psaume 9, 21 Jette, Yahvé, sur eux l'épouvante, qu'ils connaissent, les païens, qu'ils sont hommes!

 

 

Psaume 10, 1 Pourquoi, Yahvé, restes-tu loin, te caches-tu aux temps de détresse?

Psaume 10, 2 Sous l'orgueil de l'impie le malheureux est pourchassé, il est pris aux ruses que l'autre a combinées.

Psaume 10, 3 L'impie se loue des désirs de son âme, l'homme avide qui bénit méprise Yahvé,

Psaume 10, 4 l'impie, arrogant, ne cherche point: "Pas de Dieu! " voilà toute sa pensée.

Psaume 10, 5 A chaque instant ses démarches aboutissent, tes jugements sont trop hauts pour lui, tous ses rivaux, il souffle sur eux.

Psaume 10, 6 Il dit en son coeur: "Je tiendrai bon d'âge en âge." Lui qui n'est pas dans le malheur,

Psaume 10, 7 il maudit. Fraude et violence lui emplissent la bouche, sous sa langue peine et méfait;

Psaume 10, 8 il est assis à l'affût dans les roseaux, sous les couverts il massacre l'innocent. Des yeux il épie le misérable,

Psaume 10, 9 à l'affût, bien couvert, comme un lion dans son fourré, à l'affût pour ravir le malheureux, il ravit le malheureux en le traînant dans son filet.

Psaume 10, 10 Il épie, s'accroupit, se tapit, le misérable tombe en son pouvoir;

Psaume 10, 11 il dit en son coeur: "Dieu oublie, il se couvre la face pour ne pas voir jusqu'à la fin."

Psaume 10, 12 Dresse-toi, Yahvé! O Dieu, lève ta main, n'oublie pas les malheureux!

Psaume 10, 13 Pourquoi l'impie blasphème-t-il Dieu, dit-il en son coeur: "Tu ne chercheras point?"

Psaume 10, 14 Tu as vu, toi, la peine et les pleurs, tu regardes pour les prendre en ta main: à toi le misérable s'abandonne, l'orphelin, toi, tu le secours.

Psaume 10, 15 Brise le bras de l'impie, du méchant, tu chercheras son impiété, tu ne la trouveras plus.

Psaume 10, 16 Yahvé est roi pour toujours et à jamais, les païens ont disparu de sa terre.

Psaume 10, 17 Le désir des humbles, tu l'écoutes, Yahvé, tu affermis leur coeur, tu tends l'oreille,

Psaume 10, 18 pour juger l'orphelin et l'opprimé: qu'il cesse de faire peur, l'homme né de la terre!

 

 

Psaume 11, 1 Du maître de chant. De David. En Yahvé j'ai mon abri. Comment dites-vous à mon âme: "Fuis à ta montagne, passereau.

Psaume 11, 2 "Vois les impies bander leur arc, ils ajustent leur flèche à la corde pour viser dans l'ombre les coeurs droits;

Psaume 11, 3 si les fondations sont ruinées, que peut le juste?"

Psaume 11, 4 Yahvé dans son palais de sainteté, Yahvé, dans les cieux est son trône; ses yeux contemplent le monde, ses paupières éprouvent les fils d'Adam.

Psaume 11, 5 Yahvé éprouve le juste et l'impie. Qui aime la violence, son âme le hait.

Psaume 11, 6 Il fera pleuvoir sur les impies charbons de feu et soufre et dans leur coupe un vent de flamme pour leur part.

Psaume 11, 7 Yahvé est juste, il aime la justice, les coeurs droits contempleront sa face.

 

 

Psaume 12, 1 Du maître de chant. Sur l'octacorde. Psaume de David.

Psaume 12, 2 Sauve, Yahvé! c'en est fait de tes amis, les fidèles ont disparu d'entre les fils d'Adam.

Psaume 12, 3 On ne fait que mentir, chacun à son prochain, lèvres trompeuses, langage d'un coeur double.

Psaume 12, 4 Que Yahvé retranche toute lèvre trompeuse, la langue qui fait de grandes phrases,

Psaume 12, 5 ceux qui disent: "La langue est notre fort, nos lèvres sont pour nous, qui serait notre maître?"

Psaume 12, 6 A cause du malheureux qu'on dépouille, du pauvre qui gémit, maintenant je me lève, déclare Yahvé: j'assurerai le salut à ceux qui en ont soif.

Psaume 12, 7 Les paroles de Yahvé sont des paroles sincères, argent natif qui sort de terre, sept fois épuré;

Psaume 12, 8 toi, Yahvé, tu y veilleras. Tu le protégeras d'une telle engeance à jamais;

Psaume 12, 9 de toutes parts les impies s'en iront, comble d'abjection chez les fils d'Adam.

 

 

Psaume 13, 1 Du maître de chant. Psaume de David.

Psaume 13, 2 Jusques à quand, Yahvé, m'oublieras-tu? Jusqu'à la fin? Jusques à quand me vas-tu cacher ta face?

Psaume 13, 3 Jusques à quand mettrai-je en mon âme la révolte, en mon coeur le chagrin, de jour et de nuit? Jusques à quand mon adversaire aura-t-il le dessus?

Psaume 13, 4 Regarde, réponds-moi, Yahvé mon Dieu! Illumine mes yeux, que dans la mort je ne m'endorme.

Psaume 13, 5 Que l'adversaire ne dise: "Je l'emporte sur lui", que mes oppresseurs n'exultent à me voir chanceler!

Psaume 13, 6 Pour moi, en ton amour je me confie; que mon coeur exulte, admis en ton salut, que je chante à Yahvé pour le bien qu'il m'a fait, que je joue pour le nom de Yahvé le Très-Haut!

 

 

Psaume 14, 1 Du maître de chant. De David. L'insensé a dit en son coeur: "Non, plus de Dieu! " Corrompues, abominables leurs actions; non, plus d'honnête homme.

Psaume 14, 2 Des cieux Yahvé se penche vers les fils d'Adam, pour voir s'il en est un de sensé, un qui cherche Dieu.

Psaume 14, 3 Tous ils sont dévoyés, ensemble pervertis. Non, il n'est plus d'honnête homme, non, plus un seul.

Psaume 14, 4 Ne savent-ils, tous les malfaisants? Ils mangent mon peuple, voilà le pain qu'ils mangent, ils n'invoquent pas Yahvé.

Psaume 14, 5 Là, ils seront frappés d'effroi sans cause d'effroi, car Dieu est pour la race du juste:

Psaume 14, 6 vous bafouez la révolte du pauvre, mais Yahvé est son abri.

Psaume 14, 7 Qui donnera de Sion le salut d'Israël? Lorsque Yahvé ramènera son peuple, allégresse à Jacob et joie pour Israël!

 

 

Psaume 15, 1 Psaume de David. Yahvé, qui logera sous ta tente, habitera sur ta sainte montagne?

Psaume 15, 2 Celui qui marche en parfait, celui qui agit en juste et dit la vérité de son coeur,

Psaume 15, 3 sans laisser courir sa langue; qui ne lèse en rien son frère, ne jette pas d'opprobre à son prochain,

Psaume 15, 4 méprise du regard le réprouvé, mais honore les craignants de Yahvé; qui jure à ses dépens sans se dédire,

Psaume 15, 5 ne prête pas son argent à intérêt, n'accepte rien pour nuire à l'innocent. Qui fait ainsi jamais ne bronchera.

 

 

Psaume 16, 1 A mi-voix. De David. Garde-moi, ô Dieu, mon refuge est en toi.

Psaume 16, 2 J'ai dit à Yahvé: C'est toi mon Seigneur, mon bonheur n'est en aucun

Psaume 16, 3 de ces démons de la terre. Ceux-là en imposent à tous ceux qui les aiment,

Psaume 16, 4 leurs idoles foisonnent, on court à leur suite. Verser leurs libations de sang? Jamais! Faire monter leurs noms sur mes lèvres? Jamais!

Psaume 16, 5 Yahvé, ma part d'héritage et ma coupe, c'est toi qui garantis mon lot;

Psaume 16, 6 le cordeau me marque un enclos de délices, et l'héritage est pour moi magnifique.

Psaume 16, 7 Je bénis Yahvé qui s'est fait mon conseil, et même la nuit, mon coeur m'instruit.

Psaume 16, 8 J'ai mis Yahvé devant moi sans relâche; puisqu'il est à ma droite, je ne bronche pas.

Psaume 16, 9 Aussi, mon coeur exulte, mes entrailles jubilent, et ma chair reposera en sûreté;

Psaume 16, 10 car tu ne peux abandonner mon âme au shéol, tu ne peux laisser ton ami voir la fosse.

Psaume 16, 11 Tu m'apprendras le chemin de vie, devant ta face, plénitude de joie, en ta droite, délices éternelles.

 

 

Psaume 17, 1 Prière. De David. Ecoute, Yahvé, la justice, sois attentif à mes cris; prête l'oreille à ma prière, point de fraude sur mes lèvres.

Psaume 17, 2 De ta face sortira mon jugement, tes yeux regardent la droiture.

Psaume 17, 3 Tu sondes mon coeur, tu me visites la nuit, tu m'éprouves sans rien trouver, aucun murmure en moi: ma bouche n'a point péché

Psaume 17, 4 à la façon des hommes. La parole de tes lèvres, moi je l'ai gardée, aux sentiers prescrits

Psaume 17, 5 attachant mes pas, à tes traces, que mes pieds ne trébuchent.

Psaume 17, 6 Je suis là, je t'appelle, car tu réponds, ô Dieu! Tends l'oreille vers moi, écoute mes paroles,

Psaume 17, 7 signale tes grâces, toi qui sauves ceux qui recourent à ta droite contre les assaillants.

Psaume 17, 8 Garde-moi comme la prunelle de l'oeil, à l'ombre de tes ailes cache-moi

Psaume 17, 9 aux regards de ces impies qui me ravagent; ennemis au fond de l'âme, ils me cernent.

Psaume 17, 10 Ils sont enfermés dans leur graisse, ils parlent, l'arrogance à la bouche.

Psaume 17, 11 Ils marchent contre moi, maintenant ils m'encerclent, ils ont l'oeil sur moi pour me terrasser.

Psaume 17, 12 Leur apparence est d'un lion impatient d'arracher et d'un lionceau tapi dans sa cachette.

Psaume 17, 13 Lève-toi, Yahvé, affronte-le, renverse-le, par ton épée délivre mon âme de l'impie,

Psaume 17, 14 des mortels, par ta main, Yahvé, des mortels qui, dans la vie, ont leur part de ce monde! Avec tes réserves tu leur rempliras le ventre, leurs fils seront rassasiés et ils laisseront le surplus à leurs enfants.

Psaume 17, 15 Moi, dans la justice, je contemplerai ta face, au réveil je me rassasierai de ton image.

 

 

Psaume 18, 1 Du maître de chant. Du serviteur de Yahvé, David, qui adressa à Yahvé les paroles de ce cantique, quand Yahvé l'eut délivré de tous ses ennemis et de la main de Saül. Il dit:

Psaume 18, 2 Je t'aime, Yahvé, ma force (mon sauveur, tu m'as sauvé de la violence).

Psaume 18, 3 Yahvé est mon roc et ma forteresse, mon libérateur, c'est mon Dieu. Je m'abrite en lui, mon rocher, mon bouclier et ma force de salut, ma citadelle et mon refuge.

Psaume 18, 4 J'invoque Yahvé, digne de louange et je suis sauvé de mes ennemis.

Psaume 18, 5 Les flots de la Mort m'enveloppaient, les torrents de Bélial m'épouvantaient;

Psaume 18, 6 les filets du Shéol me cernaient, les pièges de la Mort m'attendaient.

Psaume 18, 7 Dans mon angoisse j'invoquai Yahvé, vers mon Dieu je lançai mon cri; il entendit de son temple ma voix et mon cri parvint à ses oreilles.

Psaume 18, 8 Et la terre s'ébranla et chancela, les assises des montagnes frémirent, (sous sa colère elles furent ébranlées);

Psaume 18, 9 une fumée monta à ses narines et de sa bouche un feu dévorait (des braises s'y enflammèrent).

Psaume 18, 10 Il inclina les cieux et descendit, une sombre nuée sous ses pieds;

Psaume 18, 11 il chevaucha un chérubin et vola, il plana sur les ailes du vent.

Psaume 18, 12 Il fit des ténèbres son voile, sa tente, ténèbre d'eau, nuée sur nuée;

Psaume 18, 13 un éclat devant lui enflammait grêle et braises de feu.

Psaume 18, 14 Yahvé tonna des cieux, le Très-Haut donna de la voix;

Psaume 18, 15 il décocha ses flèches et les dispersa, il lança les éclairs et les chassa.

Psaume 18, 16 Et le lit de la mer apparut, les assises du monde se découvrirent, au grondement de ta menace, Yahvé, au vent du souffle de tes narines.

Psaume 18, 17 Il envoie d'en haut et me prend, il me retire des grandes eaux,

Psaume 18, 18 il me délivre d'un puissant ennemi, d'adversaires plus forts que moi.

Psaume 18, 19 Ils m'attendaient au jour de mon malheur, mais Yahvé fut pour moi un appui;

Psaume 18, 20 il m'a dégagé, mis au large, il m'a sauvé, car il m'aime.

Psaume 18, 21 Yahvé me rend selon ma justice, selon la pureté de mes mains me rétribue,

Psaume 18, 22 car j'ai gardé les voies de Yahvé sans faillir loin de mon Dieu.

Psaume 18, 23 Ses jugements sont tous devant moi, ses décrets, je ne les ai pas écartés,

Psaume 18, 24 mais je suis irréprochable avec lui, je me garde contre le péché.

Psaume 18, 25 Et Yahvé me rétribue selon ma justice, ma pureté qu'il voit de ses yeux.

Psaume 18, 26 Tu es fidèle avec le fidèle, sans reproche avec l'irréprochable,

Psaume 18, 27 pur avec qui est pur mais rusant avec le fourbe,

Psaume 18, 28 toi qui sauves le peuple des humbles, et rabaisses les yeux hautains.

Psaume 18, 29 C'est toi, Yahvé, ma lampe, mon Dieu éclaire ma ténèbre;

Psaume 18, 30 avec toi je force l'enceinte, avec mon Dieu je saute la muraille.

Psaume 18, 31 Dieu, sa voie est sans reproche et la parole de Yahvé sans alliage. Il est, lui, le bouclier de quiconque s'abrite en lui.

Psaume 18, 32 Qui donc est Dieu, hors Yahvé? Qui est Rocher, sinon notre Dieu?

Psaume 18, 33 Ce Dieu qui me ceint de force et rend ma voie irréprochable,

Psaume 18, 34 qui égale mes pieds à ceux des biches et me tient debout sur les hauteurs,

Psaume 18, 35 qui instruit mes mains au combat, mes bras à bander l'arc d'airain.

Psaume 18, 36 Tu me donnes ton bouclier de salut (ta droite me soutient), tu ne cesses de m'exaucer,

Psaume 18, 37 tu élargis mes pas sous moi et mes chevilles n'ont point fléchi.

Psaume 18, 38 Je poursuis mes ennemis et les atteins, je ne reviens pas qu'ils ne soient achevés;

Psaume 18, 39 je les frappe, ils ne peuvent se relever, ils tombent, ils sont sous mes pieds.

Psaume 18, 40 Tu m'as ceint de force pour le combat, tu fais ployer sous moi mes agresseurs;

Psaume 18, 41 mes ennemis, tu me fais voir leur dos, ceux qui me haïssent, je les extermine.

Psaume 18, 42 Ils crient, et pas de sauveur, vers Yahvé, mais pas de réponse;

Psaume 18, 43 je les broie comme poussière au vent, je les foule comme la boue des ruelles.

Psaume 18, 44 Tu me délivres des querelles de mon peuple, tu me mets à la tête des nations; le peuple que j'ignorais m'est asservi,

Psaume 18, 45 les fils d'étrangers me font leur cour, ils sont tout oreille et m'obéissent;

Psaume 18, 46 les fils d'étrangers faiblissent, ils quittent en tremblant leurs réduits.

Psaume 18, 47 Vive Yahvé, et béni soit mon rocher, exalté, le Dieu de mon salut,

Psaume 18, 48 le Dieu qui me donne les vengeances et prosterne les peuples sous moi!

Psaume 18, 49 Me délivrant d'ennemis furieux, tu m'exaltes par-dessus mes agresseurs, tu me libères de l'homme de violence.

Psaume 18, 50 Aussi je te louerai, Yahvé, chez les païens, et je veux jouer pour ton nom:

Psaume 18, 51 "Il multiplie pour son roi les délivrances et montre de l'amour pour son oint, pour David et sa descendance à jamais."

 

 

Psaume 19, 1 Du maître de chant. Psaume de David.

Psaume 19, 2 Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l'oeuvre de ses mains, le firmament l'annonce;

Psaume 19, 3 le jour au jour en publie le récit et la nuit à la nuit transmet la connaissance.

Psaume 19, 4 Non point récit, non point langage, nulle voix qu'on puisse entendre,

Psaume 19, 5 mais pour toute la terre en ressortent les lignes et les mots jusqu'aux limites du monde. Là-haut, pour le soleil il dressa une tente,

Psaume 19, 6 et lui, comme un époux qui sort de son pavillon, se réjouit, vaillant, de courir sa carrière.

Psaume 19, 7 A la limite des cieux il a son lever et sa course atteint à l'autre limite, à sa chaleur rien n'est caché.

Psaume 19, 8 La loi de Yahvé est parfaite, réconfort pour l'âme; le témoignage de Yahvé est véridique, sagesse du simple.

Psaume 19, 9 Les préceptes de Yahvé sont droits, joie pour le coeur; le commandement de Yahvé est limpide, lumière des yeux.

Psaume 19, 10 La crainte de Yahvé est pure, immuable à jamais; les jugements de Yahvé sont vérité, équitables toujours,

Psaume 19, 11 désirables plus que l'or, que l'or le plus fin; ses paroles sont douces plus que le miel, que le suc des rayons.

Psaume 19, 12 Aussi ton serviteur s'en pénètre, les observer est grand profit.

Psaume 19, 13 Mais qui s'avise de ses faux pas? Purifie-moi du mal caché.

Psaume 19, 14 Préserve aussi ton serviteur de l'orgueil, qu'il n'ait sur moi nul empire! Alors je serai irréprochable et pur du grand péché.

Psaume 19, 15 Agrée les paroles de ma bouche et le murmure de mon coeur, sans trêve devant toi, Yahvé, mon rocher, mon rédempteur!

 

 

Psaume 20, 1 Du maître de chant. Psaume de David.

Psaume 20, 2 Qu'il te réponde, Yahvé, au jour d'angoisse, qu'il te protège, le nom du Dieu de Jacob!

Psaume 20, 3 Qu'il t'envoie du sanctuaire un secours et de Sion qu'il te soutienne!

Psaume 20, 4 Qu'il se rappelle toutes tes offrandes, ton holocauste, qu'il le trouve savoureux!

Psaume 20, 5 Qu'il te donne selon ton coeur et tous tes desseins, qu'il les seconde!

Psaume 20, 6 Que nous criions de joie en ton salut, qu'au nom de notre Dieu nous pavoisions! Que Yahvé accomplisse toutes tes requêtes!

Psaume 20, 7 Maintenant je connais que Yahvé donne le salut à son messie, des cieux de sainteté il lui répondra par les gestes sauveurs de sa droite.

Psaume 20, 8 Aux uns les chars, aux autres les chevaux, à nous d'invoquer le nom de Yahvé notre Dieu.

Psaume 20, 9 Eux, ils plient, ils tombent, nous, debout, nous tenons.

Psaume 20, 10 Yahvé, sauve le roi, réponds-nous au jour de notre appel.

 

 

Psaume 21, 1 Du maître de chant. Psaume de David.

Psaume 21, 2 En ta force, Yahvé, le roi se réjouit; combien ton salut le comble d'allégresse!

Psaume 21, 3 Tu lui as accordé le désir de son coeur, tu n'as point refusé le souhait de ses lèvres.

Psaume 21, 4 Car tu l'as prévenu de bénédictions de choix, tu as mis sur sa tête une couronne d'or fin;

Psaume 21, 5 tu lui as accordé la vie qu'il demandait, longueur de jours, encore et à jamais.

Psaume 21, 6 Grande gloire lui fait ton salut, tu as mis sur lui le faste et l'éclat;

Psaume 21, 7 oui, tu l'établis en bénédiction pour toujours, tu le réjouis de bonheur près de ta face;

Psaume 21, 8 oui, le roi se confie en Yahvé, la grâce du Très-Haut le garde du faux pas.

Psaume 21, 9 Ta main trouvera tous tes adversaires, ta droite trouvera tes ennemis;

Psaume 21, 10 tu feras d'eux une fournaise au jour de ta face, Yahvé les engloutira dans sa colère, le feu les avalera;

Psaume 21, 11 leur fruit, tu l'ôteras de la terre, leur semence, d'entre les fils d'Adam.

Psaume 21, 12 Ils ont poussé sur toi le malheur, mûri un plan: ils ne pourront rien.

Psaume 21, 13 Oui, tu leur feras tourner le dos, sur eux tu ajusteras ton arc.

Psaume 21, 14 Lève-toi, Yahvé, dans ta force! Nous chanterons, nous jouerons pour ta vaillance.

 

 

Psaume 22, 1 Du maître de chant. Sur "la biche de l'aurore." Psaume de David.

Psaume 22, 2 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? Loin de me sauver, les paroles que je rugis!

Psaume 22, 3 Mon Dieu, le jour j'appelle et tu ne réponds pas, la nuit, point de silence pour moi.

Psaume 22, 4 Et toi, le Saint, qui habites les louanges d'Israël!

Psaume 22, 5 en toi nos pères avaient confiance, confiance, et tu les délivrais,

Psaume 22, 6 vers toi ils criaient, et ils échappaient, en toi leur confiance, et ils n'avaient pas honte.

Psaume 22, 7 Et moi, ver et non pas homme, risée des gens, mépris du peuple,

Psaume 22, 8 tous ceux qui me voient me bafouent, leur bouche ricane, ils hochent la tête:

Psaume 22, 9 "Il s'est remis à Yahvé, qu'il le délivre! qu'il le libère, puisqu'il est son ami! "

Psaume 22, 10 C'est toi qui m'as tiré du ventre, ma confiance près des mamelles de ma mère;

Psaume 22, 11 sur toi je fus jeté au sortir des entrailles; dès le ventre de ma mère, mon Dieu c'est toi.

Psaume 22, 12 Ne sois pas loin: proche est l'angoisse, point de secours!

Psaume 22, 13 Des taureaux nombreux me cernent, de fortes bêtes de Bashân m'encerclent;

Psaume 22, 14 contre moi bâille leur gueule, lions lacérant et rugissant.

Psaume 22, 15 Comme l'eau je m'écoule et tous mes os se disloquent; mon coeur est pareil à la cire, il fond au milieu de mes viscères;

Psaume 22, 16 mon palais est sec comme un tesson, et ma langue collée à ma mâchoire. Tu me couches dans la poussière de la mort.

Psaume 22, 17 Des chiens nombreux me cernent, une bande de vauriens m'entoure; comme pour déchiqueter mes mains et mes pieds.

Psaume 22, 18 Je peux compter tous mes os, les gens me voient, ils me regardent;

Psaume 22, 19 ils partagent entre eux mes habits et tirent au sort mon vêtement.

Psaume 22, 20 Mais toi, Yahvé, ne sois pas loin, ô ma force, vite à mon aide;

Psaume 22, 21 délivre de l'épée mon âme, de la patte du chien, mon unique;

Psaume 22, 22 sauve-moi de la gueule du lion, de la corne du taureau, ma pauvre âme.

Psaume 22, 23 J'annoncerai ton nom à mes frères, en pleine assemblée je te louerai:

Psaume 22, 24 "Vous qui craignez Yahvé, louez-le, toute la race de Jacob, glorifiez-le, redoutez-le, toute la race d'Israël."

Psaume 22, 25 Car il n'a point méprisé, ni dédaigné la pauvreté du pauvre, ni caché de lui sa face, mais, invoqué par lui, il écouta.

Psaume 22, 26 De toi vient ma louange dans la grande assemblée, j'accomplirai mes voeux devant ceux qui le craignent.

Psaume 22, 27 Les pauvres mangeront et seront rassasiés. Ils loueront Yahvé, ceux qui le cherchent: "que vive votre coeur à jamais! "

Psaume 22, 28 Tous les lointains de la terre se souviendront et reviendront vers Yahvé; toutes les familles des nations se prosterneront devant lui.

Psaume 22, 29 A Yahvé la royauté, au maître des nations!

Psaume 22, 30 Oui, devant lui seul se prosterneront tous les puissants de la terre, devant lui se courberont tous ceux qui descendent à la poussière: et pour celui qui ne vit plus,

Psaume 22, 31 sa lignée le servira, elle annoncera le Seigneur aux âges

Psaume 22, 32 à venir, elle racontera aux peuples à naître sa justice: il l'a faite!

 

 

Psaume 23, 1 Psaume de David. Yahvé est mon berger, rien ne me manque.

Psaume 23, 2 Sur des prés d'herbe fraîche il me parque. Vers les eaux du repos il me mène,

Psaume 23, 3 il y refait mon âme; il me guide aux sentiers de justice à cause de son nom.

Psaume 23, 4 Passerais-je un ravin de ténèbre, je ne crains aucun mal car tu es près de moi; ton bâton, ta houlette sont là qui me consolent.

Psaume 23, 5 Devant moi tu apprêtes une table face à mes adversaires; d'une onction tu me parfumes la tête, ma coupe déborde.

Psaume 23, 6 Oui, grâce et bonheur me pressent tous les jours de ma vie; ma demeure est la maison de Yahvé en la longueur des jours.

 

 

Psaume 24, 1 Psaume de David. A Yahvé la terre et sa plénitude, le monde et tout son peuplement;

Psaume 24, 2 c'est lui qui l'a fondée sur les mers, et sur les fleuves l'a fixée.

Psaume 24, 3 Qui montera sur la montagne de Yahvé? Et qui se tiendra dans son lieu saint?

Psaume 24, 4 L'homme aux mains nettes, au coeur pur: son âme ne se porte pas vers des riens, il ne jure pas pour tromper.

Psaume 24, 5 Il emportera la bénédiction de Yahvé et la justice du Dieu de son salut.

Psaume 24, 6 C'est la race de ceux qui Le cherchent, qui recherchent ta face, Dieu de Jacob.

Psaume 24, 7 Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portails antiques, qu'il entre, le roi de gloire!

Psaume 24, 8 Qui est-il, ce roi de gloire? C'est Yahvé, le fort, le vaillant, Yahvé, le vaillant des combats.

Psaume 24, 9 Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portails antiques, qu'il entre, le roi de gloire!

Psaume 24, 10 Qui est-il, ce roi de gloire? Yahvé Sabaot, c'est lui, le roi de gloire.

 

 

Psaume 25, 1 De David. Vers toi, Yahvé, j'élève mon âme,

Psaume 25, 2 ô mon Dieu. En toi je me confie, que je n'aie point honte, que mes ennemis ne se rient de moi!

Psaume 25, 3 Pour qui espère en toi, point de honte, mais honte à qui trahit sans raison.

Psaume 25, 4 Fais-moi connaître, Yahvé, tes voies, enseigne-moi tes sentiers.

Psaume 25, 5 Dirige-moi dans ta vérité, enseigne-moi, c'est toi le Dieu de mon salut. En toi tout le jour j'espère à cause de ta bonté, Yahvé.

Psaume 25, 6 Souviens-toi de ta tendresse, Yahvé, de ton amour, car ils sont de toujours.

Psaume 25, 7 Ne te souviens pas des égarements de ma jeunesse, mais de moi, selon ton amour souviens-toi!

Psaume 25, 8 Droiture et bonté que Yahvé, lui qui remet dans la voie les égarés,

Psaume 25, 9 qui dirige les humbles dans la justice, qui enseigne aux malheureux sa voie.

Psaume 25, 10 Tous les sentiers de Yahvé sont amour et vérité pour qui garde son alliance et ses préceptes.

Psaume 25, 11 A cause de ton nom, Yahvé, pardonne mes torts, car ils sont grands.

Psaume 25, 12 Est-il un homme qui craigne Yahvé, il le remet dans la voie qu'il faut prendre;

Psaume 25, 13 son âme habitera le bonheur, sa lignée possédera la terre.

Psaume 25, 14 Le secret de Yahvé est pour ceux qui le craignent, son alliance, pour qu'ils aient la connaissance.

Psaume 25, 15 Mes yeux sont fixés sur Yahvé, car il tire mes pieds du filet.

Psaume 25, 16 Tourne-toi vers moi, pitié pour moi, solitaire et malheureux que je suis.

Psaume 25, 17 Desserre l'angoisse de mon coeur, hors de mes tourments tire-moi.

Psaume 25, 18 Vois mon malheur et ma peine, efface tous mes égarements.

Psaume 25, 19 Vois mes ennemis qui foisonnent, de quelle haine violente ils me haïssent.

Psaume 25, 20 Garde mon âme, délivre-moi, point de honte pour moi: tu es mon abri.

Psaume 25, 21 Qu'intégrité et droiture me protègent, j'espère en toi, Yahvé.

Psaume 25, 22 Rachète Israël, ô Dieu, de toutes ses angoisses.

 

 

Psaume 26, 1 De David. Justice pour moi, Yahvé, moi j'ai marché en mon intégrité, je m'appuie sur Yahvé et ne dévie pas.

Psaume 26, 2 Scrute-moi, Yahvé, éprouve-moi, passe au feu mes reins et mon coeur:

Psaume 26, 3 j'ai devant les yeux ton amour et je marche en ta vérité.

Psaume 26, 4 Je n'ai pas été m'asseoir avec le fourbe, chez l'hypocrite je ne veux entrer;

Psaume 26, 5 j'ai détesté le parti des méchants, avec l'impie je ne veux m'asseoir.

Psaume 26, 6 Je lave mes mains en l'innocence et tourne autour de ton autel, Yahvé,

Psaume 26, 7 faisant retentir l'action de grâces, énonçant toutes tes merveilles;

Psaume 26, 8 Yahvé, j'aime la beauté de ta maison et le lieu du séjour de ta gloire.

Psaume 26, 9 Ne joins pas mon âme aux égarés ni ma vie aux hommes de sang;

Psaume 26, 10 ils ont dans les mains l'infamie, leur droite est pleine de profits.

Psaume 26, 11 Pour moi je veux marcher en mon intégrité, rachète-moi, pitié pour moi;

Psaume 26, 12 mon pied se tient en droit chemin, je te bénis, Yahvé, dans les assemblées.

 

 

Psaume 27, 1 De David. Yahvé est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte? Yahvé est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je?

Psaume 27, 2 Quand s'avancent contre moi les méchants pour dévorer ma chair, ce sont eux, mes ennemis, mes adversaires, qui chancellent et succombent.

Psaume 27, 3 Qu'une armée vienne camper contre moi, mon coeur est sans crainte; qu'une guerre éclate contre moi, j'ai là ma confiance.

Psaume 27, 4 Une chose qu'à Yahvé je demande, la chose que je cherche, c'est d'habiter la maison de Yahvé tous les jours de ma vie, de savourer la douceur de Yahvé, de rechercher son palais.

Psaume 27, 5 Car il me réserve en sa hutte un abri au jour de malheur; il me cache au secret de sa tente, il m'élève sur le roc.

Psaume 27, 6 Maintenant ma tête s'élève sur mes rivaux qui m'entourent, et je viens sacrifier en sa tente des sacrifices d'acclamation. Je veux chanter, je veux jouer pour Yahvé.

Psaume 27, 7 Ecoute, Yahvé, mon cri d'appel, pitié, réponds-moi!

Psaume 27, 8 De toi mon coeur a dit: "Cherche sa face." C'est ta face, Yahvé, que je cherche,

Psaume 27, 9 ne me cache point ta face. N'écarte pas ton serviteur avec colère; c'est toi mon secours. Ne me laisse pas, ne m'abandonne pas, Dieu de mon salut.

Psaume 27, 10 Si mon père et ma mère m'abandonnent, Yahvé m'accueillera.

Psaume 27, 11 Enseigne-moi, Yahvé, ta voie, conduis-moi sur un chemin de droiture à cause de ceux qui me guettent;

Psaume 27, 12 ne me livre pas à l'appétit de mes adversaires: contre moi se sont levés de faux témoins qui soufflent la violence.

Psaume 27, 13 Je le crois, je verrai la bonté de Yahvé sur la terre des vivants.

Psaume 27, 14 Espère en Yahvé, prends coeur et prends courage, espère en Yahvé.

 

 

Psaume 28, 1 De David. Vers toi, Yahvé, j'appelle, mon rocher, ne sois pas sourd! que je ne sois, devant ton silence, comme ceux qui descendent à la fosse!

Psaume 28, 2 Ecoute la voix de ma prière quand je crie vers toi, quand j'élève les mains, Yahvé, vers ton Saint des Saints.

Psaume 28, 3 Ne me traîne pas avec les impies, avec les malfaisants, qui parlent de paix à leur prochain, et le mal est dans leur coeur.

Psaume 28, 4 Donne-leur, Yahvé, selon leurs oeuvres et la malice de leurs actes, selon l'ouvrage de leurs mains donne-leur, paie-les de leur salaire.

Psaume 28, 5 Ils méconnaissent les oeuvres de Yahvé, l'ouvrage de tes mains: qu'il les abatte et ne les rebâtisse!

Psaume 28, 6 Béni soit Yahvé, car il écoute la voix de ma prière!

Psaume 28, 7 Yahvé ma force et mon bouclier, en lui mon coeur a foi; j'ai reçu aide, ma chair a refleuri, de tout coeur je rends grâce.

Psaume 28, 8 Yahvé, force pour son peuple, forteresse de salut pour son messie.

Psaume 28, 9 Sauve ton peuple, bénis ton héritage, conduis-les, porte-les à jamais!

 

 

Psaume 29, 1 Psaume de David. Rapportez à Yahvé, fils de Dieu, rapportez à Yahvé gloire et puissance,

Psaume 29, 2 rapportez à Yahvé la gloire de son nom, adorez Yahvé dans son éclat de sainteté.

Psaume 29, 3 Voix de Yahvé sur les eaux le Dieu de gloire tonne; Yahvé sur les eaux innombrables,

Psaume 29, 4 voix de Yahvé dans la force, voix de Yahvé dans l'éclat;

Psaume 29, 5 voix de Yahvé, elle fracasse les cèdres, Yahvé fracasse les cèdres du Liban,

Psaume 29, 6 il fait bondir comme un veau le Liban, et le Siryôn comme un bouvillon.

Psaume 29, 7 Voix de Yahvé, elle taille des éclairs de feu;

Psaume 29, 8 voix de Yahvé, elle secoue le désert, Yahvé secoue le désert de Cadès.

Psaume 29, 9 Voix de Yahvé, elle secoue les térébinthes, elle dépouille les futaies. Dans son palais tout crie: Gloire!

Psaume 29, 10 Yahvé a siégé pour le déluge, il a siégé, Yahvé, en roi éternel.

Psaume 29, 11 Yahvé donne la puissance à son peuple, Yahvé bénit son peuple dans la paix.

 

 

Psaume 30, 1 Psaume. Cantique pour la dédicace de la Maison de David.

Psaume 30, 2 Je t'exalte, Yahvé, qui m'as relevé, tu n'as pas fait rire de moi mes ennemis.

Psaume 30, 3 Yahvé mon Dieu, vers toi j'ai crié, tu m'as guéri.

Psaume 30, 4 Yahvé, tu as tiré mon âme du shéol, me ranimant d'entre ceux qui descendent à la fosse.

Psaume 30, 5 Jouez pour Yahvé, ceux qui l'aiment, louez sa mémoire de sainteté.

Psaume 30, 6 Sa colère est d'un instant, sa faveur pour la vie; au soir la visite des larmes, au matin les cris de joie.

Psaume 30, 7 Moi, j'ai dit dans mon bonheur: "Rien à jamais ne m'ébranlera! "

Psaume 30, 8 Yahvé, ta faveur m'a fixé sur de fortes montagnes; tu caches ta face, je suis bouleversé.

Psaume 30, 9 Vers toi, Yahvé, j'appelle, à mon Dieu je demande pitié:

Psaume 30, 10 Que gagnes-tu à mon sang, à ma descente en la tombe? Te loue-t-elle, la poussière, annonce-t-elle ta vérité?

Psaume 30, 11 Ecoute, Yahvé, pitié pour moi! Yahvé, sois mon secours!

Psaume 30, 12 Pour moi tu as changé le deuil en une danse, tu dénouas mon sac et me ceignis d'allégresse;

Psaume 30, 13 aussi mon coeur te chantera sans plus se taire, Yahvé mon Dieu, je te louerai à jamais.

 

 

Psaume 31, 1 Du maître de chant. Psaume de David.

Psaume 31, 2 En toi, Yahvé, j'ai mon abri, Sur moi pas de honte à jamais! En ta justice affranchis-moi, délivre-moi,

Psaume 31, 3 tends l'oreille vers moi, hâte-toi! Sois pour moi un roc de force, une maison fortifiée qui me sauve;

Psaume 31, 4 car mon rocher, mon rempart, c'est toi, pour ton nom, guide-moi, conduis-moi!

Psaume 31, 5 Tire-moi du filet qu'on m'a tendu, car c'est toi ma force;

Psaume 31, 6 en tes mains je remets mon esprit, c'est toi qui me rachètes, Yahvé. Dieu de vérité,

Psaume 31, 7 tu détestes les servants de vaines idoles; pour moi, je suis sûr de Yahvé:

Psaume 31, 8 que j'exulte et jubile en ton amour! Toi qui as vu ma misère, connu l'oppression de mon âme,

Psaume 31, 9 tu ne m'as point livré aux mains de l'ennemi, tu as mis au large mes pas.

Psaume 31, 10 Pitié pour moi, Yahvé, l'oppression est sur moi! Les pleurs me rongent les yeux, la gorge et les entrailles.

Psaume 31, 11 Car ma vie se consume en affliction et mes années en soupirs; ma vigueur succombe à la misère et mes os se rongent.

Psaume 31, 12 Tout ce que j'ai d'oppresseurs fait de moi un scandale; pour mes voisins je ne suis que dégoût, un effroi pour mes amis. Ceux qui me voient dans la rue s'enfuient loin de moi,

Psaume 31, 13 comme un mort oublié des coeurs, comme un objet de rebut.

Psaume 31, 14 J'entends les calomnies des gens, terreur de tous côtés! ils se groupent à l'envi contre moi, complotant de m'ôter la vie.

Psaume 31, 15 Et moi, je m'assure en toi, Yahvé, je dis: C'est toi mon Dieu!

Psaume 31, 16 Mes temps sont dans ta main, délivre-moi, des mains hostiles qui s'acharnent;

Psaume 31, 17 fais luire ta face sur ton serviteur, sauve-moi par ton amour.

Psaume 31, 18 Yahvé, pas de honte sur moi qui t'invoque, mais honte sur les impies! Qu'ils aillent muets au shéol;

Psaume 31, 19 silence aux lèvres de mensonge qui parlent du juste insolemment avec superbe et mépris!

Psaume 31, 20 Qu'elle est grande, Yahvé, ta bonté! Tu la réserves pour qui te craint, tu la dispenses à qui te prend pour abri face aux fils d'Adam.

Psaume 31, 21 Tu les caches au secret de ta face, loin des intrigues des hommes; tu les mets à couvert sous la tente, loin de la guerre des langues.

Psaume 31, 22 Béni Yahvé qui fit pour moi des merveilles d'amour (en une ville de rempart)!

Psaume 31, 23 Et moi je disais en mon trouble: "Je suis ôté loin de tes yeux! " Et pourtant tu écoutas la voix de ma prière quand je criai vers toi.

Psaume 31, 24 Aimez Yahvé, tous les siens: il garde les fidèles, mais Yahvé rétribue avec usure celui qui fait l'orgueilleux.

Psaume 31, 25 Courage, reprenez coeur, vous tous qui espérez Yahvé!

 

 

Psaume 32, 1 De David. Poème. Heureux qui est absous de son péché, acquitté de sa faute!

Psaume 32, 2 Heureux l'homme à qui Yahvé ne compte pas son tort, et dont l'esprit est sans fraude!

Psaume 32, 3 Je me taisais, et mes os se consumaient à rugir tout le jour;

Psaume 32, 4 la nuit, le jour, ta main pesait sur moi; mon coeur était changé en un chaume au plein feu de l'été.

Psaume 32, 5 Ma faute, je te l'ai fait connaître, je n'ai point caché mon tort; j'ai dit: J'irai à Yahvé. Confesser mon péché. Et toi, tu as absous mon tort, pardonné ma faute.

Psaume 32, 6 Aussi chacun des tiens te prie à l'heure de l'angoisse. Que viennent à déborder les grandes eaux, elles ne peuvent l'atteindre.

Psaume 32, 7 Tu es pour moi un refuge, de l'angoisse tu me gardes, de chants de délivrance tu m'entoures.

Psaume 32, 8 Je t'instruirai, je t'apprendrai la route à suivre, les yeux sur toi, je serai ton conseil.

Psaume 32, 9 Ne sois pas comme le cheval ou le mulet qui ne comprend ni la rêne ni le frein: qu'on s'avance pour le dompter, rien à faire pour qu'il s'approche de toi!

Psaume 32, 10 Nombreux sont les tourments pour l'impie; qui se fie en Yahvé, la grâce l'entoure.

Psaume 32, 11 Réjouissez-vous en Yahvé, exultez, les justes, jubilez, tous les coeurs droits.

 

 

Psaume 33, 1 Criez de joie, les justes, pour Yahvé, aux coeurs droits convient la louange.

Psaume 33, 2 Rendez grâce à Yahvé sur la harpe, jouez-lui sur la lyre à dix cordes;

Psaume 33, 3 chantez-lui un cantique nouveau, de tout votre art accompagnez l'acclamation!

Psaume 33, 4 Droite est la parole de Yahvé, et toute son oeuvre est vérité;

Psaume 33, 5 il chérit la justice et le droit, de l'amour de Yahvé la terre est pleine.

Psaume 33, 6 Par la parole de Yahvé les cieux ont été faits, par le souffle de sa bouche, toute leur armée;

Psaume 33, 7 il rassemble l'eau des mers comme une digue, il met en réserve les abîmes.

Psaume 33, 8 Qu'elle tremble devant Yahvé, toute la terre, qu'il soit craint de tous les habitants du monde!

Psaume 33, 9 Il parle et cela est, il commande et cela existe.

Psaume 33, 10 Yahvé déjoue le plan des nations, il empêche les pensées des peuples;

Psaume 33, 11 mais le plan de Yahvé subsiste à jamais, les pensées de son coeur, d'âge en âge.

Psaume 33, 12 Heureux le peuple dont Yahvé est le Dieu, la nation qu'il s'est choisie en héritage!

Psaume 33, 13 Du haut des cieux Yahvé regarde, il voit tous les fils d'Adam;

Psaume 33, 14 du lieu de sa demeure il observe tous les habitants de la terre;

Psaume 33, 15 lui seul forme le coeur, il discerne tous leurs actes.

Psaume 33, 16 Le roi n'est pas sauvé par une grande force, le brave préservé par sa grande vigueur.

Psaume 33, 17 Mensonge qu'un cheval pour sauver, avec sa grande force, pas d'issue.

Psaume 33, 18 Voici, l'oeil de Yahvé est sur ceux qui le craignent, sur ceux qui espèrent son amour,

Psaume 33, 19 pour préserver leur âme de la mort et les faire vivre au temps de la famine.

Psaume 33, 20 Notre âme attend Yahvé, notre secours et bouclier, c'est lui;

Psaume 33, 21 en lui, la joie de notre coeur, en son nom de sainteté notre foi.

Psaume 33, 22 Sur nous soit ton amour, Yahvé, comme notre espoir est en toi.

 

 

Psaume 34, 1 De David. Quand, déguisant sa raison devant Abimélek, il se fit chasser par lui et s'en alla.

Psaume 34, 2 Je bénirai Yahvé en tout temps, sa louange sans cesse en ma bouche;

Psaume 34, 3 en Yahvé mon âme se loue, qu'ils écoutent, les humbles, qu'ils jubilent!

Psaume 34, 4 Magnifiez avec moi Yahvé, exaltons ensemble son nom.

Psaume 34, 5 Je cherche Yahvé, il me répond et de toutes mes frayeurs me délivre.

Psaume 34, 6 Qui regarde vers lui resplendira et sur son visage point de honte.

Psaume 34, 7 Un pauvre a crié, Yahvé écoute, et de toutes ses angoisses il le sauve.

Psaume 34, 8 Il campe, l'ange de Yahvé, autour de ses fidèles, et il les dégage.

Psaume 34, 9 Goûtez et voyez comme Yahvé est bon; heureux qui s'abrite en lui!

Psaume 34, 10 Craignez Yahvé, vous les saints: qui le craint ne manque de rien.

Psaume 34, 11 Les jeunes fauves sont dénués, affamés; qui cherche Yahvé ne manque d'aucun bien.

Psaume 34, 12 Venez, fils, écoutez-moi, la crainte de Yahvé, je vous l'enseigne.

Psaume 34, 13 Où est l'homme qui désire la vie, épris de jours où voir le bonheur?

Psaume 34, 14 Garde ta langue du mal, tes lèvres des paroles trompeuses;

Psaume 34, 15 Evite le mal, fais le bien, recherche la paix et poursuis-la.

Psaume 34, 16 Pour les justes, les yeux de Yahvé, et pour leurs clameurs, ses oreilles;

Psaume 34, 17 contre les malfaisants, la face de Yahvé, pour ôter de la terre leur mémoire.

Psaume 34, 18 Ils crient, Yahvé écoute, de toutes leurs angoisses il les délivre;

Psaume 34, 19 proche est Yahvé des coeurs brisés, il sauve les esprits abattus.

Psaume 34, 20 Malheur sur malheur pour le juste, mais de tous Yahvé le délivre;

Psaume 34, 21 Yahvé garde tous ses os, pas un ne sera brisé.

Psaume 34, 22 Le mal tuera l'impie, qui déteste le juste expiera.

Psaume 34, 23 Yahvé rachète l'âme de ses serviteurs, qui s'abrite en lui n'expiera point.

 

 

Psaume 35, 1 De David. Accuse, Yahvé, mes accusateurs, assaille mes assaillants;

Psaume 35, 2 prends armure et bouclier et te lève à mon aide;

Psaume 35, 3 brandis la lance et la pique contre mes poursuivants. Dis à mon âme: "C'est moi ton salut."

Psaume 35, 4 Honte et déshonneur sur ceux-là qui cherchent mon âme! Arrière! qu'ils reculent confondus, ceux qui ruminent mon malheur!

Psaume 35, 5 Qu'ils soient de la bale au vent, l'ange de Yahvé les poussant,

Psaume 35, 6 que leur chemin soit ténèbre et glissade, l'ange de Yahvé les poursuivant!

Psaume 35, 7 Sans raison ils m'ont tendu leur filet, creusé pour moi une fosse,

Psaume 35, 8 la ruine vient sur eux sans qu'ils le sachent; le filet qu'ils ont tendu les prendra, dans la fosse ils tomberont.

Psaume 35, 9 Et mon âme exultera en Yahvé, jubilera en son salut.

Psaume 35, 10 Tous mes os diront: Yahvé, qui est comme toi pour délivrer le petit du plus fort, le pauvre du spoliateur?

Psaume 35, 11 Des témoins de mensonge se lèvent, que je ne connais pas. On me questionne,

Psaume 35, 12 on me rend le mal pour le bien, ma vie devient stérile.

Psaume 35, 13 Et moi, pendant leurs maladies, vêtu d'un sac, je m'humiliais par le jeûne, ma prière revenant dans mon sein,

Psaume 35, 14 comme pour un ami, pour un frère, j'allais çà et là; comme en deuil d'une mère, assombri je me courbais.

Psaume 35, 15 Ils se rient de ma chute, ils s'attroupent, ils s'attroupent contre moi; des étrangers, sans que je le sache, déchirent sans répit;

Psaume 35, 16 si je tombe, ils m'encerclent, ils grincent des dents contre moi.

Psaume 35, 17 Seigneur, combien de temps verras-tu cela? Soustrais mon âme à leurs ravages, aux lionceaux mon unique.

Psaume 35, 18 Je rendrai grâce dans la grande assemblée, dans un peuple nombreux je te louerai.

Psaume 35, 19 Que ne puissent rire de moi ceux qui m'en veulent à tort, ni se faire des clins d'oeil ceux qui me haïssent sans cause!

Psaume 35, 20 Ce n'est point de la paix qu'ils parlent aux paisibles de la terre; ils ruminent de perfides paroles,

Psaume 35, 21 la bouche large ouverte contre moi; ils disent: Ha! ha! notre oeil a vu!

Psaume 35, 22 Tu as vu, Yahvé, ne te tais plus, Seigneur, ne sois pas loin de moi;

Psaume 35, 23 éveille-toi, lève-toi, pour mon droit, Seigneur mon Dieu, pour ma cause;

Psaume 35, 24 juge-moi selon ta justice, Yahvé mon Dieu, qu'ils ne se rient de moi!

Psaume 35, 25 Qu'ils ne disent en leur coeur: Ha! ma foi! qu'ils ne disent: Nous l'avons englouti!

Psaume 35, 26 Honte et déshonneur ensemble sur ceux qui rient de mon malheur; que honte et confusion les couvrent, ceux qui se grandissent à mes dépens!

Psaume 35, 27 Rires et cris de joie pour ceux-là que réjouit ma justice, ceux-là, qu'ils disent constamment: "Grand est Yahvé que réjouit la paix de son serviteur! "

Psaume 35, 28 Et ma langue redira ta justice, tout le jour, ta louange.

Psaume 36, 1 Du maître de chant. Du serviteur de Yahvé. De David.

Psaume 36, 2 C'est un oracle pour l'impie que le péché au fond de son coeur; point de crainte de Dieu devant ses yeux.

Psaume 36, 3 Il se voit d'un oeil trop flatteur pour découvrir et détester son tort;

Psaume 36, 4 les paroles de sa bouche: fraude et méfait! c'est fini d'être un sage. En fait de bien

Psaume 36, 5 il rumine le méfait jusque sur sa couche; ils s'obstine dans la voie qui n'est pas bonne, la mauvaise, il n'en démord pas.

Psaume 36, 6 Yahvé, dans les cieux ton amour, jusqu'aux nues, ta vérité;

Psaume 36, 7 ta justice, comme les montagnes de Dieu, tes jugements, le grand abîme. L'homme et le bétail, tu les secours, Yahvé,

Psaume 36, 8 qu'il est précieux, ton amour, ô Dieu! Ainsi, les fils d'Adam: à l'ombre de tes ailes ils ont abri.

Psaume 36, 9 Ils s'enivrent de la graisse de ta maison, au torrent de tes délices tu les abreuves;

Psaume 36, 10 en toi est la source de vie, par ta lumière nous voyons la lumière.

Psaume 36, 11 Garde ton amour à ceux qui te connaissent, et ta justice aux coeurs droits.

Psaume 36, 12 Que le pied des superbes ne m'atteigne, que la main des impies ne me chasse!

Psaume 36, 13 Les voilà tombés, les malfaisants, abattus sans pouvoir se relever.

Psaume 37, 1 De David. Ne t'échauffe pas contre les méchants, ne jalouse pas les artisans de fausseté:

Psaume 37, 2 vite comme l'herbe ils sont fanés, flétris comme le vert des prés.

Psaume 37, 3 Compte sur Yahvé et agis bien, habite la terre et vis tranquille,

Psaume 37, 4 mets en Yahvé ta réjouissance: il t'accordera plus que les désirs de ton coeur.

Psaume 37, 5 Remets ton sort à Yahvé, compte sur lui, il agira;

Psaume 37, 6 il produira ta justice comme le jour, comme le midi ton droit.

Psaume 37, 7 Sois calme devant Yahvé et attends-le, ne t'échauffe pas contre le parvenu, l'homme qui use d'intrigues.

Psaume 37, 8 Trêve à la colère, renonce au courroux, ne t'échauffe pas, ce n'est que mal;

Psaume 37, 9 car les méchants seront extirpés, qui espère Yahvé possédera la terre.

Psaume 37, 10 Encore un peu, et plus d'impie, tu t'enquiers de sa place, il n'est plus;

Psaume 37, 11 mais les humbles posséderont la terre, réjouis d'une grande paix.

Psaume 37, 12 L'impie complote contre le juste et grince des dents contre lui;

Psaume 37, 13 le Seigneur se moque de lui, car il voit venir son jour.

Psaume 37, 14 Les impies tirent l'épée, ils tendent l'arc, pour égorger l'homme droit, pour renverser le pauvre et le petit;

Psaume 37, 15 l'épée leur entrera au coeur et leurs arcs seront brisés.

Psaume 37, 16 Mieux vaut un peu pour le juste que tant de fortune pour l'impie;

Psaume 37, 17 car les bras de l'impie seront brisés, mais Yahvé soutient les justes.

Psaume 37, 18 Yahvé connaît les jours des parfaits, éternel sera leur héritage;

Psaume 37, 19 pas de honte pour eux aux mauvais jours, dans la famine ils seront rassasiés.

Psaume 37, 20 Cependant les impies périront, eux, les ennemis de Yahvé; ils s'en iront comme la parure des prés, en fumée ils s'en iront.

Psaume 37, 21 L'impie emprunte et ne rend pas, le juste a pitié, il donne;

Psaume 37, 22 ceux qu'il bénit posséderont la terre, ceux qu'il maudit seront extirpés.

Psaume 37, 23 Yahvé mène les pas de l'homme, ils sont fermes et sa marche lui plaît;

Psaume 37, 24 quand il tombe, il ne reste pas terrassé, car Yahvé le soutient par la main.

Psaume 37, 25 J'étais jeune, et puis j'ai vieilli, je n'ai pas vu le juste abandonné, ni sa lignée cherchant du pain.

Psaume 37, 26 Tout le jour il a pitié, il prête, sa lignée sera en bénédiction!

Psaume 37, 27 Evite le mal, agis bien, tu auras une habitation pour toujours;

Psaume 37, 28 car Yahvé aime le droit, il n'abandonne pas ses amis. Les malfaisants seront détruits à jamais et la lignée des impies extirpée;

Psaume 37, 29 les justes posséderont la terre, là ils habiteront pour toujours.

Psaume 37, 30 La bouche du juste murmure la sagesse et sa langue dit le droit;

Psaume 37, 31 la loi de son Dieu dans son coeur, ses pas ne chancellent point.

Psaume 37, 32 L'impie guette le juste et cherche à le faire mourir;

Psaume 37, 33 à sa main Yahvé ne l'abandonne, ne le laisse en justice condamner.

Psaume 37, 34 Espère Yahvé et observe sa voie, il t'exaltera pour que tu possèdes la terre: tu verras les impies extirpés.

Psaume 37, 35 J'ai vu l'impie forcené s'élever comme un cèdre du Liban;

Psaume 37, 36 je suis passé, voici qu'il n'était plus, je l'ai cherché, on ne l'a pas trouvé.

Psaume 37, 37 Regarde le parfait, vois l'homme droit: il y a pour le pacifique une postérité;

Psaume 37, 38 mais les pécheurs seront tous anéantis, la postérité des impies extirpée.

Psaume 37, 39 Le salut des justes vient de Yahvé, leur lieu fort au temps de l'angoisse;

Psaume 37, 40 Yahvé les aide et les délivre, il les délivrera des impies, il les sauvera quand ils s'abritent en lui.

Psaume 38, 1 Psaume de David. Pour commémorer.

Psaume 38, 2 Yahvé, ne me châtie pas dans ton courroux, ne me reprends pas dans ta fureur.

Psaume 38, 3 En moi tes flèches ont pénétré, sur moi ta main s'est abattue,

Psaume 38, 4 rien d'intact en ma chair sous ta colère, rien de sain dans mes os après ma faute.

Psaume 38, 5 Mes offenses me dépassent la tête, comme un poids trop pesant pour moi;

Psaume 38, 6 mes plaies sont puanteur et pourriture à cause de ma folie;

Psaume 38, 7 ravagé, prostré, à bout, tout le jour, en deuil, je m'agite.

Psaume 38, 8 Mes reins sont pleins de fièvre, plus rien d'intact en ma chair;

Psaume 38, 9 brisé, écrasé, à bout, je rugis, tant gronde mon coeur.

Psaume 38, 10 Seigneur, tout mon désir est devant toi, pour toi mon soupir n'est point caché;

Psaume 38, 11 le coeur me bat, ma force m'abandonne, et la lumière même de mes yeux.

Psaume 38, 12 Amis et compagnons s'écartent de ma plaie, mes plus proches se tiennent à distance;

Psaume 38, 13 ils posent des pièges, ceux qui traquent mon âme, ils parlent de crime, ceux qui cherchent mon malheur, tout le jour ils ruminent des trahisons.

Psaume 38, 14 Et moi, comme un sourd, je n'entends pas, comme un muet qui n'ouvre pas la bouche,

Psaume 38, 15 comme un homme qui n'a rien entendu et n'a pas de réplique à la bouche.

Psaume 38, 16 C'est toi, Yahvé, que j'espère, c'est toi qui répondras, Seigneur mon Dieu.

Psaume 38, 17 J'ai dit: "Qu'ils ne se gaussent de moi, qu'ils ne gagnent sur moi quand mon pied chancelle! "

Psaume 38, 18 Or, je suis voué à la chute, mon tourment est devant moi sans relâche.

Psaume 38, 19 Mon offense, oui, je la confesse, je suis anxieux de ma faute.

Psaume 38, 20 Ceux qui m'en veulent sans cause foisonnent, ils sont légion à me haïr à tort,

Psaume 38, 21 à me rendre le mal pour le bien, à m'accuser quand je cherche le bien.

Psaume 38, 22 Ne m'abandonne pas, Yahvé, mon Dieu, ne sois pas loin de moi;

Psaume 38, 23 vite, viens à mon aide, Seigneur, mon salut!

Psaume 39, 1 Du maître de chant. De Yedutûn. Psaume de David.

Psaume 39, 2 J'ai dit: "Je garderai ma route, sans laisser ma langue s'égarer, je garderai à la bouche un bâillon, tant que devant moi sera l'impie."

Psaume 39, 3 Je me suis tu, silence et calme; à voir sa chance, mon tourment s'exaspéra.

Psaume 39, 4 Mon coeur brûlait en moi, à force d'y songer le feu flamba et ma langue vint à parler:

Psaume 39, 5 "Fais-moi savoir, Yahvé, ma fin et quelle est la mesure de mes jours, que je sache combien je suis fragile.

Psaume 39, 6 Vois, d'un empan tu fis mes jours, ma durée est comme rien devant toi; rien qu'un souffle, tout homme qui se dresse,

Psaume 39, 7 rien qu'une ombre, l'humain qui va; rien qu'un souffle, les richesses qu'il entasse, et il ne sait qui les ramassera."

Psaume 39, 8 Et maintenant, que puis-je attendre, Seigneur? Mon espérance, elle est en toi.

Psaume 39, 9 De tous mes péchés délivre-moi, ne me fais point la risée de l'insensé.

Psaume 39, 10 Je me tais, je n'ouvre pas la bouche, car c'est toi qui es à l'oeuvre.

Psaume 39, 11 Eloigne de moi tes coups, sous les assauts de ta main je me consume.

Psaume 39, 12 Reprenant les torts, tu corriges l'homme, comme la teigne, tu ronges ses désirs. Rien qu'un souffle, tous les humains.

Psaume 39, 13 Ecoute ma prière, Yahvé, prête l'oreille à mon cri, ne reste pas sourd à mes pleurs. Car je suis l'étranger chez toi, un passant comme tous mes pères.

Psaume 39, 14 Détourne ton regard, que je respire, avant que je m'en aille et ne sois plus.

Psaume 40, 1 Du maître de chant. De David.

Psaume.

Psaume 40, 2 J'espérais Yahvé d'un grand espoir, il s'est penché vers moi, il écouta mon cri.

Psaume 40, 3 Il me tira du gouffre tumultueux, de la vase du bourbier; il dressa mes pieds sur le roc, affermissant mes pas.

Psaume 40, 4 En ma bouche il mit un chant nouveau, louange à notre Dieu; beaucoup verront et craindront, ils auront foi en Yahvé.

Psaume 40, 5 Heureux est l'homme, celui-là qui met en Yahvé sa foi, ne tourne pas du côté des rebelles égarés dans le mensonge!

Psaume 40, 6 Que de choses tu as faites, toi, Yahvé mon Dieu, tes merveilles, tes projets pour nous: rien ne se mesure à toi! Je veux le publier, le redire: il en est trop pour les dénombrer.

Psaume 40, 7 Tu ne voulais sacrifice ni oblation, tu m'as ouvert l'oreille, tu n'exigeais holocauste ni victime,

Psaume 40, 8 alors j'ai dit: Voici, je viens. Au rouleau du livre il m'est prescrit

Psaume 40, 9 de faire tes volontés; mon Dieu, j'ai voulu ta loi au profond de mes entrailles.

Psaume 40, 10 J'ai annoncé la justice de Yahvé dans la grande assemblée; vois, je ne ferme pas mes lèvres, toi, tu le sais.

Psaume 40, 11 Je n'ai pas celé ta justice au profond de mon coeur, j'ai dit ta fidélité, ton salut, je n'ai pas caché ton amour et ta vérité à la grande assemblée.

Psaume 40, 12 Toi, Yahvé, tu ne fermes pas pour moi tes tendresses! ton amour et ta vérité sans cesse me garderont.

Psaume 40, 13 Car les malheurs m'assiègent, à ne pouvoir les dénombrer; mes torts retombent sur moi, je n'y peux plus voir; ils foisonnent plus que les cheveux de ma tête et le coeur me manque.

Psaume 40, 14 Daigne, Yahvé, me secourir! Yahvé, vite à mon aide!

Psaume 40, 15 Honte et déshonneur sur tous ceux-là qui cherchent mon âme pour la perdre! Arrière! honnis soient-ils, ceux que flatte mon malheur!

Psaume 40, 16 qu'ils soient stupéfiés de honte, ceux qui me disent: Ha! ha!

Psaume 40, 17 Joie en toi et réjouissance à tous ceux qui te cherchent! qu'ils redisent toujours: "Dieu est grand! " ceux qui aiment ton salut!

Psaume 40, 18 Et moi, pauvre et malheureux, le Seigneur pense à moi. Toi, mon secours et sauveur, mon Dieu, ne tarde pas.

Psaume 41, 1 Du maître de chant. Psaume de David.

Psaume 41, 2 Heureux qui pense au pauvre et au faible: au jour de malheur, Yahvé le délivre;

Psaume 41, 3 Yahvé le garde, il lui rend vie et bonheur sur terre: oh! ne le livre pas à l'appétit de ses ennemis!

Psaume 41, 4 Yahvé le soutient sur son lit de douleur; tu refais tout entière la couche où il languit.

Psaume 41, 5 Moi, j'ai dit: "Pitié pour moi, Yahvé! guéris mon âme, car j'ai péché contre toi! "

Psaume 41, 6 Parlant de moi, mes ennemis me malmènent: "Quand va-t-il mourir et son nom périr?"

Psaume 41, 7 Vient-on me voir, on dit des paroles en l'air, le coeur plein de malice, on déblatère au-dehors.

Psaume 41, 8 Tous à l'envi, mes haïsseurs chuchotent contre moi, ils supputent contre moi le malheur qui est sur moi:

Psaume 41, 9 "C'est une plaie d'enfer qui gagne en lui, maintenant qu'il s'est couché, il n'aura plus de lever."

Psaume 41, 10 Même le confident sur qui je faisais fond et qui mangeait mon pain, se hausse à mes dépens.

Psaume 41, 11 Mais toi, Yahvé, pitié pour moi, fais-moi lever, je les paierai de leur dû, ces gens:

Psaume 41, 12 par là, je connaîtrai que tu es mon ami, si l'ennemi ne lance plus contre moi son cri;

Psaume 41, 13 et moi, que tu soutiens, je resterai indemne, tu m'auras à jamais établi devant ta face.

Psaume 41, 14 Béni soit Yahvé, le Dieu d'Israël, depuis toujours jusqu'à toujours. Amen! Amen!

Psaume 42, 1 Du maître de chant. Poème. Des fils de Coré.

Psaume 42, 2 Comme languit une biche après les eaux vives, ainsi languit mon âme vers toi, mon Dieu.

Psaume 42, 3 Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant; quand irai-je et verrai-je la face de Dieu?

Psaume 42, 4 Mes larmes, c'est là mon pain, le jour, la nuit, moi qui tout le jour entends dire: Où est-il, ton Dieu?

Psaume 42, 5 Oui, je me souviens, et mon âme sur moi s'épanche, je m'avançais sous le toit du Très-Grand, vers la maison de Dieu, parmi les cris de joie, l'action de grâces, la rumeur de la fête.

Psaume 42, 6 Qu'as-tu, mon âme, à défaillir et à gémir sur moi? Espère en Dieu: à nouveau je lui rendrai grâce, le salut de ma face

Psaume 42, 7 et mon Dieu! Mon âme est sur moi défaillante, alors je me souviens de toi: depuis la terre du Jourdain et des Hermons, de toi, humble montagne.

Psaume 42, 8 L'abîme appelant l'abîme au bruit de tes écluses, la masse de tes flots et de tes vagues a passé sur moi.

Psaume 42, 9 Le jour, Yahvé mande sa grâce et même pendant la nuit le chant qu'elle m'inspire est une prière à mon Dieu vivant.

Psaume 42, 10 Je dirai à Dieu mon Rocher: pourquoi m'oublies-tu? Pourquoi m'en aller en deuil, accablé par l'ennemi?

Psaume 42, 11 Touché à mort dans mes os, mes adversaires m'insultent en me redisant tout le jour: Où est-il, ton Dieu?

Psaume 42, 12 Qu'as-tu, mon âme, à défaillir et à gémir sur moi? Espère en Dieu: à nouveau je lui rendrai grâce, le salut de ma face et mon Dieu!

Psaume 43, 1 Juge-moi, Dieu, défends ma cause contre des gens sans amour; de l'homme perfide et pervers, délivre-moi.

Psaume 43, 2 C'est toi le Dieu de ma force: pourquoi me rejeter? Pourquoi m'en aller en deuil, accablé par l'ennemi?

Psaume 43, 3 Envoie ta lumière et ta vérité: elles me guideront, me mèneront à ta montagne sainte, jusqu'en tes Demeures.

Psaume 43, 4 Et j'irai vers l'autel de Dieu, jusqu'au Dieu de ma joie. J'exulterai, je te rendrai grâce sur la harpe, Dieu, mon Dieu.

Psaume 43, 5 Qu'as-tu, mon âme, à défaillir et à gémir sur moi? Espère en Dieu: à nouveau je lui rendrai grâce, le salut de ma face et mon Dieu!

Psaume 44, 1 Du maître de chant. Des fils de Coré. Poème.

Psaume 44, 2 O Dieu, nous avons ouï de nos oreilles, nos pères nous ont raconté l'oeuvre que tu fis de leurs jours, aux jours d'autrefois,

Psaume 44, 3 et par ta main. Pour les planter, tu expulsas des nations, pour les étendre, tu malmenas des peuples;

Psaume 44, 4 ni leur épée ne conquit le pays, ni leur bras n'en fit des vainqueurs, mais ce furent ta droite et ton bras et la lumière de ta face, car tu les aimais.

Psaume 44, 5 C'est toi, mon Roi, mon Dieu, qui décidais les victoires de Jacob;

Psaume 44, 6 par toi, nous enfoncions nos adversaires, par ton nom, nous piétinions nos agresseurs.

Psaume 44, 7 Ni dans mon arc n'était ma confiance, ni mon épée ne me fit vainqueur;

Psaume 44, 8 par toi nous vainquions nos adversaires, tu couvrais nos ennemis de honte;

Psaume 44, 9 en Dieu nous jubilions tout le jour, célébrant sans cesse ton nom.

Psaume 44, 10 Et pourtant, tu nous as rejetés et bafoués, tu ne sors plus avec nos armées;

Psaume 44, 11 tu nous fais reculer devant l'adversaire, nos ennemis ont pillé à coeur joie.

Psaume 44, 12 Comme animaux de boucherie tu nous livres et parmi les nations tu nous as dispersés;

Psaume 44, 13 tu vends ton peuple à vil prix sans t'enrichir à ce marché.

Psaume 44, 14 Tu fais de nous l'insulte de nos voisins, fable et risée de notre entourage;

Psaume 44, 15 tu fais de nous le proverbe des nations, hochement de tête parmi les peuples.

Psaume 44, 16 Tout le jour, mon déshonneur est devant moi et la honte couvre mon visage,

Psaume 44, 17 sous les clameurs d'insulte et de blasphème, au spectacle de la haine et de la vengeance.

Psaume 44, 18 Tout cela nous advint sans t'avoir oublié, sans avoir trahi ton alliance,

Psaume 44, 19 sans que nos coeurs soient revenus en arrière, sans que nos pas aient quitté ton sentier:

Psaume 44, 20 tu nous broyas au séjour des chacals, nous couvrant de l'ombre de la mort.

Psaume 44, 21 Si nous avions oublié le nom de notre Dieu, tendu les mains vers un dieu étranger,

Psaume 44, 22 est-ce que Dieu ne l'eût pas aperçu, lui qui sait les secrets du coeur?

Psaume 44, 23 C'est pour toi qu'on nous massacre tout le jour, qu'on nous traite en moutons d'abattoir.

Psaume 44, 24 Lève-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur? Réveille-toi, ne rejette pas jusqu'à la fin!

Psaume 44, 25 Pourquoi caches-tu ta face, oublies-tu notre oppression, notre misère?

Psaume 44, 26 Car notre âme est effondrée en la poussière, notre ventre est collé à la terre.

Psaume 44, 27 Debout, viens à notre aide, rachète-nous en raison de ton amour!

Psaume 45, 1 Du maître de chant. Sur l'air: Des lys... Des fils de Coré. Poème. Chant d'amour.

Psaume 45, 2 Mon coeur a frémi de paroles belles: je dis mon oeuvre pour un roi, ma langue est le roseau d'un scribe agile.

Psaume 45, 3 Tu es beau, le plus beau des enfants des hommes, la grâce est répandue sur tes lèvres. Aussi tu es béni de Dieu à jamais.

Psaume 45, 4 Ceins ton épée sur ta cuisse, vaillant, dans le faste et l'éclat

Psaume 45, 5 va, chevauche, pour la cause de la vérité, de la piété, de la justice. Tends la corde sur l'arc, il rend terrible ta droite!

Psaume 45, 6 Tes flèches sont aiguës, voici les peuples sous toi, ils perdent coeur, les ennemis du roi.

Psaume 45, 7 Ton trône est de Dieu pour toujours et à jamais! Sceptre de droiture, le sceptre de ton règne!

Psaume 45, 8 Tu aimes la justice, tu hais l'impiété. C'est pourquoi Dieu, ton Dieu, t'a donné l'onction d'une huile d'allégresse comme à nul de tes rivaux;

Psaume 45, 9 ton vêtement n'est plus que myrrhe et aloès. Des palais d'ivoire, les harpes te ravissent.

Psaume 45, 10 Parmi tes bien-aimées sont des filles de roi; à ta droite une dame, sous les ors d'Ophir.

Psaume 45, 11 Ecoute, ma fille, regarde et tends l'oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père,

Psaume 45, 12 alors le roi désirera ta beauté: il est ton Seigneur, prosterne-toi devant lui!

Psaume 45, 13 La fille de Tyr, par des présents, déridera ton visage, et les peuples les plus riches,

Psaume 45, 14 par maint joyau serti d'or. Vêtue

Psaume 45, 15 de brocarts, la fille de roi est amenée au-dedans vers le roi, des vierges à sa suite. On amène les compagnes qui lui sont destinées;

Psaume 45, 16 parmi joie et liesse, elles entrent au palais.

Psaume 45, 17 A la place de tes pères te viendront des fils; tu en feras des princes par toute la terre.

Psaume 45, 18 Que je fasse durer ton nom d'âge en âge, que les peuples te louent dans les siècles des siècles.

Psaume 46, 1 Du maître de chant. Des fils de Coré. Sur le hautbois. Cantique.

Psaume 46, 2 Dieu est pour nous refuge et force, secours dans l'angoisse toujours offert.

Psaume 46, 3 Aussi ne craindrons-nous si la terre est changée, si les montagnes chancellent au coeur des mers,

Psaume 46, 4 lorsque mugissent et bouillonnent leurs eaux et que tremblent les monts à leur soulèvement. (Avec nous, Yahvé Sabaot, citadelle pour nous, le Dieu de Jacob! )

Psaume 46, 5 Un fleuve! Ses bras réjouissent la cité de Dieu, il sanctifie les demeures du Très-Haut.

Psaume 46, 6 Dieu est en elle; elle ne peut chanceler, Dieu la secourt au tournant du matin;

Psaume 46, 7 des peuples mugissaient, des royaumes chancelaient, il a élevé la voix, la terre se dissout.

Psaume 46, 8 Avec nous, Yahvé Sabaot, citadelle pour nous, le Dieu de Jacob!

Psaume 46, 9 Allez, contemplez les hauts faits de Yahvé, lui qui remplit la terre de stupeurs.

Psaume 46, 10 Il met fin aux guerres jusqu'au bout de la terre; l'arc, il l'a rompu, la lance, il l'a brisée, il a brûlé les boucliers au feu.

Psaume 46, 11 "Arrêtez, connaissez que moi je suis Dieu, exalté sur les peuples, exalté sur la terre! "

Psaume 46, 12 Avec nous, Yahvé Sabaot, citadelle pour nous, le Dieu de Jacob!

Psaume 47, 1 Du maître de chant. Des fils de Coré.

Psaume.

Psaume 47, 2 Tous les peuples, battez des mains, acclamez Dieu en éclats de joie!

Psaume 47, 3 C'est Yahvé, le Très-Haut, le redoutable, le grand Roi sur toute la terre.

Psaume 47, 4 Il tient des peuples sous notre joug et des nations sous nos pieds.

Psaume 47, 5 Il a choisi pour nous notre héritage, l'orgueil de Jacob, qu'il aime.

Psaume 47, 6 Dieu monte parmi l'acclamation, Yahvé, aux éclats du cor.

Psaume 47, 7 Sonnez pour notre Dieu, sonnez, sonnez pour notre Roi, sonnez!

Psaume 47, 8 C'est le roi de toute la terre: sonnez pour Dieu, qu'on l'apprenne!

Psaume 47, 9 Dieu, il règne sur les païens, Dieu siège sur son trône de sainteté.

Psaume 47, 10 Les princes des peuples s'unissent: c'est le peuple du Dieu d'Abraham. A Dieu sont les pavois de la terre, au plus haut il est monté.

Psaume 48, 1 Cantique.

Psaume. Des fils de Coré.

Psaume 48, 2 Grand, Yahvé, et louable hautement dans la ville de notre Dieu, le mont sacré,

Psaume 48, 3 superbe d'élan, joie de toute la terre; le mont Sion, coeur de l'Aquilon, cité du grand roi:

Psaume 48, 4 Dieu, du milieu de ses palais, s'est révélé citadelle.

Psaume 48, 5 Voici, des rois s'étaient ligués, avançant à la fois;

Psaume 48, 6 ils virent, et du coup stupéfaits, pris de panique, ils décampèrent.

Psaume 48, 7 Là, un tremblement les saisit, un frisson d'accouchée,

Psaume 48, 8 ce fut le vent d'est qui brise les vaisseaux de Tarsis.

Psaume 48, 9 Comme on nous l'avait dit, nous l'avons vu dans la ville de notre Dieu, dans la ville de Yahvé Sabaot; Dieu l'affermit à jamais.

Psaume 48, 10 Nous méditons, Dieu, ton amour au milieu de ton Temple!

Psaume 48, 11 Comme ton nom, Dieu, ta louange, jusqu'au bout de la terre! Ta droite est remplie de justice,

Psaume 48, 12 le mont Sion jubile; les filles de Juda exultent devant tes jugements.

Psaume 48, 13 Longez Sion, parcourez-la, dénombrez ses tours;

Psaume 48, 14 que vos coeurs s'attachent à ses murs, détaillez ses palais; pour raconter aux âges futurs

Psaume 48, 15 que lui est Dieu, notre Dieu aux siècles des siècles, lui, il nous conduit!

Psaume 49, 1 Du maître de chant. Des fils de Coré.

Psaume.

Psaume 49, 2 Ecoutez ceci, tous les peuples, prêtez l'oreille, tous les habitants du monde,

Psaume 49, 3 gens du commun et gens de condition, riches et pauvres ensemble!

Psaume 49, 4 Ma bouche énonce la sagesse, et le murmure de mon coeur, l'intelligence;

Psaume 49, 5 je tends l'oreille à quelque proverbe, je résous sur la lyre mon énigme.

Psaume 49, 6 Pourquoi craindre aux jours de malheur? La malice me talonne et me cerne:

Psaume 49, 7 eux se fient à leur fortune, se prévalent du surcroît de leur richesse.

Psaume 49, 8 Mais l'homme ne peut acheter son rachat ni payer à Dieu sa rançon:

Psaume 49, 9 il est coûteux, le rachat de son âme, et il manquera toujours

Psaume 49, 10 pour que l'homme survive et jamais ne voie la fosse.

Psaume 49, 11 Or, il verra mourir les sages, périr aussi le fou et l'insensé, qui laissent à d'autres leur fortune.

Psaume 49, 12 Leurs tombeaux sont à jamais leurs maisons, et leurs demeures d'âge en âge; et ils avaient mis leur nom sur leurs terres!

Psaume 49, 13 L'homme dans son luxe ne comprend pas, il ressemble au bétail muet.

Psaume 49, 14 Ainsi vont-ils, sûrs d'eux-mêmes, et finissent-ils, contents de leur sort.

Psaume 49, 15 Troupeau que l'on parque au shéol, la Mort les mène paître, les hommes droits domineront sur eux. Au matin s'évanouit leur image, le shéol, voilà leur résidence!

Psaume 49, 16 Mais Dieu rachètera mon âme des griffes du shéol, et me prendra.

Psaume 49, 17 Ne crains pas quand l'homme s'enrichit, quand s'accroît la gloire de sa maison.

Psaume 49, 18 A sa mort, il n'en peut rien emporter, avec lui ne descends pas sa gloire.

Psaume 49, 19 Son âme qu'en sa vie il bénissait -- et l'on te loue d'avoir pris soin de toi --

Psaume 49, 20 ira rejoindre la lignée de ses pères qui plus jamais ne verront la lumière.

Psaume 49, 21 L'homme dans son luxe ne comprend pas, il ressemble au bétail muet.

Psaume 50, 1

Psaume. D'Asaph. Le Dieu des dieux, Yahvé, accuse, il appelle la terre du levant au couchant.

Psaume 50, 2 Depuis Sion, beauté parfaite, Dieu resplendit;

Psaume 50, 3 il vient, notre Dieu, il ne se taira point. Devant lui, un feu dévore, autour de lui, bourrasque violente;

Psaume 50, 4 il appelle les cieux d'en haut et la terre pour juger son peuple.

Psaume 50, 5 "Assemblez devant moi les miens, qui scellèrent mon alliance en sacrifiant."

Psaume 50, 6 Les cieux annoncent sa justice: "Dieu, c'est lui le juge! "

Psaume 50, 7 "Ecoute, mon peuple, j'accuse, Israël, et je t'adjure, moi, Dieu, ton Dieu.

Psaume 50, 8 Ce n'est pas tes sacrifices que j'accuse, tes holocaustes constamment devant moi;

Psaume 50, 9 je ne prendrai pas de ta maison un taureau, ni de tes bergeries des boucs.

Psaume 50, 10 Car tout fauve des forêts est à moi, des animaux sur les montagnes par milliers;

Psaume 50, 11 je connais tous les oiseaux des cieux, toute bête des champs est pour moi.

Psaume 50, 12 Si j'ai faim, je n'irai pas te le dire, car le monde est à moi et son contenu.

Psaume 50, 13 Vais-je manger la chair des taureaux, le sang des boucs, vais-je le boire?

Psaume 50, 14 Offre à Dieu un sacrifice d'action de grâces, accomplis tes voeux pour le Très-Haut;

Psaume 50, 15 appelle-moi au jour de l'angoisse, je t'affranchirai et tu me rendras gloire."

Psaume 50, 16 Mais l'impie, Dieu lui déclare: "Que viens-tu réciter mes commandements, qu'as-tu mon alliance à la bouche,

Psaume 50, 17 toi qui détestes la règle et rejettes mes paroles derrière toi?

Psaume 50, 18 Si tu vois un voleur, tu fraternises, tu es chez toi parmi les adultères;

Psaume 50, 19 tu livres ta bouche au mal et ta langue trame la tromperie.

Psaume 50, 20 Tu t'assieds, tu accuses ton frère, tu déshonores le fils de ta mère.

Psaume 50, 21 Voilà ce que tu fais, et je me tairais? Penses-tu que je suis comme toi? Je te dénonce et m'explique devant toi.

Psaume 50, 22 Prenez bien garde, vous qui oubliez Dieu, que je n'emporte, et personne pour délivrer!

Psaume 50, 23 Qui offre l'action de grâces me rend gloire, à l'homme droit, je ferai voir le salut de Dieu."

Psaume 51, 1 Du maître de chant. Psaume de David.

Psaume 51, 2 Quand Natân le prophète vint à lui parce qu'il était allé vers Bethsabée.

Psaume 51, 3 Pitié pour moi, Dieu, en ta bonté, en ta grande tendresse efface mon péché,

Psaume 51, 4 lave-moi tout entier de mon mal et de ma faute purifie-moi.

Psaume 51, 5 Car mon péché, moi, je le connais, ma faute est devant moi sans relâche;

Psaume 51, 6 contre toi, toi seul, j'ai péché, ce qui est coupable à tes yeux, je l'ai fait. Pour que tu montres ta justice quand tu parles et que paraisse ta victoire quand tu juges.

Psaume 51, 7 Vois: mauvais je suis né, pécheur ma mère m'a conçu.

Psaume 51, 8 Mais tu aimes la vérité au fond de l'être, dans le secret tu m'enseignes la sagesse.

Psaume 51, 9 Ote mes taches avec l'hysope, je serai pur; lave-moi, je serai blanc plus que neige.

Psaume 51, 10 Rends-moi le son de la joie et de la fête: qu'ils dansent, les os que tu broyas!

Psaume 51, 11 Détourne ta face de mes fautes, et tout mon mal, efface-le.

Psaume 51, 12 Dieu, crée pour moi un coeur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme;

Psaume 51, 13 ne me repousse pas loin de ta face, ne m'enlève pas ton esprit de sainteté.

Psaume 51, 14 Rends-moi la joie de ton salut, assure en moi un esprit magnanime.

Psaume 51, 15 Aux pécheurs j'enseignerai tes voies, à toi se rendront les égarés.

Psaume 51, 16 Affranchis-moi du sang, Dieu, Dieu de mon salut, et ma langue acclamera ta justice;

Psaume 51, 17 Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange.

Psaume 51, 18 Car tu ne prends aucun plaisir au sacrifice; un holocauste, tu n'en veux pas.

Psaume 51, 19 manque!

Psaume 52, 1 Du maître de chant. Poème. De David.

Psaume 52, 2 Quand Doëg l'Edomite vint avertir Saül en lui disant: "David est entré dans la maison d'Ahimélek."

Psaume 52, 3 Pourquoi te prévaloir du mal, héros d'infamie, tout le jour

Psaume 52, 4 ruminer le crime? Ta langue est un rasoir effilé, artisan d'imposture.

Psaume 52, 5 Tu aimes mieux le mal que le bien, le mensonge que la justice;

Psaume 52, 6 tu aimes toute parole qui dévore, langue d'imposture.

Psaume 52, 7 C'est pourquoi Dieu t'écrasera, te détruira jusqu'à la fin, t'arrachera de la tente, t'extirpera de la terre des vivants.

Psaume 52, 8 Ils verront, les justes, ils craindront, ils se riront de lui:

Psaume 52, 9 "Le voilà, l'homme qui n'a pas mis en Dieu sa forteresse, mais se fiait au nombre de ses biens, se faisait fort de son crime! "

Psaume 52, 10 Et moi, comme un olivier verdoyant dans la maison de Dieu, je compte sur l'amour de Dieu toujours et à jamais.

Psaume 52, 11 Je veux te rendre grâce à jamais, car tu as agi, et j'espère ton nom, car il est bon, devant ceux qui t'aiment.

Psaume 53, 1 Du maître de chant. Pour la maladie. Poème. De David.

Psaume 53, 2 L'insensé a dit en son coeur: "Non, plus de Dieu! " Ils sont faux, corrompus, abominables; non, il n'est plus d'honnête homme.

Psaume 53, 3 Des cieux Dieu se penche vers les fils d'Adam, pour voir s'il en est un de sensé, un qui cherche Dieu?

Psaume 53, 4 Tous ils ont dévié, ensemble pervertis. Non, il n'est plus d'honnête homme, non, plus un seul.

Psaume 53, 5 Le savent-ils, les malfaisants? Ils mangent mon peuple, voilà le pain qu'ils mangent, ils n'invoquent pas Dieu.

Psaume 53, 6 Là ils seront frappés d'effroi sans cause d'effroi. Car Dieu disperse les ossements de ton assiégeant, on les bafoue, car Dieu les rejette.

Psaume 53, 7 Qui donnera de Sion le salut d'Israël? Lorsque Dieu ramènera son peuple, allégresse à Jacob et joie pour Israël!

Psaume 54, 1 Du maître de chant. Sur les instruments à cordes. Poème. De David.

Psaume 54, 2 Lorsque les Ziphéens vinrent dire à Saül: "David n'est-il pas caché parmi nous?"

Psaume 54, 3 O Dieu, par ton nom sauve-moi, par ton pouvoir fais-moi raison;

Psaume 54, 4 ô Dieu, entends ma prière, écoute les paroles de ma bouche!

Psaume 54, 5 Contre moi ont surgi des orgueilleux, des forcenés pourchassent mon âme, point de place pour Dieu devant eux.

Psaume 54, 6 Mais voici Dieu qui vient à mon secours, le Seigneur avec ceux qui soutiennent mon âme.

Psaume 54, 7 Que retombe le mal sur ceux qui me guettent, Yahvé, par ta vérité détruis-les!

Psaume 54, 8 De grand coeur je t'offrirai le sacrifice, je rendrai grâce à ton nom, car il est bon,

Psaume 54, 9 car il m'a délivré de toute angoisse, mes ennemis me sont donnés en spectacle.

Psaume 55, 1 Du maître de chant. Sur les instruments à cordes. Poème. De David.

Psaume 55, 2 Entends, ô Dieu, ma prière, ne te dérobe pas à ma supplique,

Psaume 55, 3 donne-moi audience, réponds-moi, je divague en ma plainte. Je frémis

Psaume 55, 4 sous les cris de l'ennemi, sous les huées de l'impie; ils me chargent de crimes, avec rage ils m'accusent.

Psaume 55, 5 Mon coeur se tord en moi, les affres de la mort tombent sur moi;

Psaume 55, 6 crainte et tremblement me pénètrent, un frisson m'étreint.

Psaume 55, 7 Et je dis: Qui me donnera des ailes comme à la colombe, que je m'envole et me pose?

Psaume 55, 8 Voici, je m'enfuirais au loin, je gîterais au désert.

Psaume 55, 9 J'aurais bientôt un asile contre le vent de calomnie, et l'ouragan

Psaume 55, 10 qui dévore, Seigneur, et le flux de leur langue. Je vois en effet la violence et la discorde en la ville;

Psaume 55, 11 de jour et de nuit elles tournent en haut de ses remparts. Crime et peine sont au-dedans

Psaume 55, 12 la ruine est au-dedans; jamais de sa grand-place ne s'éloignent fraude et tyrannie.

Psaume 55, 13 Si encore un ennemi m'insultait, je pourrais le supporter; si contre moi s'élevait mon rival, je pourrais me dérober.

Psaume 55, 14 Mais toi, un homme de mon rang, mon ami, mon intime,

Psaume 55, 15 à qui m'unissait une douce intimité dans la maison de Dieu! Qu'ils s'en aillent dans le tumulte,

Psaume 55, 16 que sur eux fonde la Mort, qu'ils descendent vivants au shéol, car le mal est chez eux, dans leur logis.

Psaume 55, 17 Pour moi, vers Dieu j'appelle et Yahvé me sauve;

Psaume 55, 18 le soir et le matin et à midi je me plains et frémis. Il entend mon cri,

Psaume 55, 19 il rachète dans la paix mon âme de la guerre qu'on me fait: ils sont en procès avec moi.

Psaume 55, 20 Or Dieu entendra, il les humiliera, lui qui trône dès l'origine; pour eux, point d'amendement: ils ne craignent pas Dieu.

Psaume 55, 21 Il étend les mains contre ses alliés, il a violé son pacte;

Psaume 55, 22 plus onctueuse que la crème est sa bouche et son coeur fait la guerre; ses discours sont plus doux que l'huile et ce sont des épées nues.

Psaume 55, 23 Décharge sur Yahvé ton fardeau et lui te subviendra, il ne peut laisser à jamais chanceler le juste.

Psaume 55, 24 Et toi, ô Dieu, tu les pousses dans le puits du gouffre, les hommes de sang et de fraude, avant la moitié de leurs jours. Et moi je compte sur toi.

Psaume 56, 1 Du maître de chant. Sur "l'oppression des princes lointains." De David. A mi-voix. Quand les Philistins s'emparèrent de lui à Gat.

Psaume 56, 2 Pitié pour moi, ô Dieu, on me harcèle, tout le jour des assaillants me pressent.

Psaume 56, 3 Ceux qui me guettent me harcèlent tout le jour: ils sont nombreux ceux qui m'assaillent là-haut.

Psaume 56, 4 Le jour où je crains, moi je compte sur toi.

Psaume 56, 5 Sur Dieu dont je loue la parole, sur Dieu je compte et ne crains plus, que me fait à moi la chair?

Psaume 56, 6 Tout le jour ils s'en prennent à mes paroles, contre moi tous leurs pensers vont à mal;

Psaume 56, 7 ils s'ameutent, se cachent, épient mes traces, comme pour surprendre mon âme.

Psaume 56, 8 A cause du forfait, rejette-les, dans ta colère, ô Dieu, abats les peuples!

Psaume 56, 9 Tu as compté, toi, mes déboires, recueille mes larmes dans ton outre!

Psaume 56, 10 Alors mes ennemis reculeront le jour où j'appelle. Je le sais, Dieu est pour moi.

Psaume 56, 11 Sur Dieu dont je loue la parole, sur Yahvé dont je loue la parole,

Psaume 56, 12 sur Dieu je compte et ne crains plus, que me fait à moi un homme?

Psaume 56, 13 A ma charge, ô Dieu, les voeux que je t'ai faits, j'acquitte envers toi les actions de grâces;

Psaume 56, 14 car tu sauvas mon âme de la mort pour que je marche à la face de Dieu dans la lumière des vivants.

Psaume 57, 1 Du maître de chant. "Ne détruis pas." De David. A mi-voix. Quand il s'enfuit de devant Saül dans la caverne.

Psaume 57, 2 Pitié pour moi, ô Dieu, pitié pour moi, en toi s'abrite mon âme, à l'ombre de tes ailes je m'abrite, tant que soit passé le fléau.

Psaume 57, 3 J'appelle vers Dieu le Très-Haut, le Dieu qui a tout fait pour moi;

Psaume 57, 4 que des cieux il envoie et me sauve, qu'il confonde celui qui me harcèle,

Psaume 57, 5 Mon âme est couchée parmi les lions, qui dévorent les fils d'Adam; leurs dents, une lance et des flèches, leur langue, une épée acérée.

Psaume 57, 6 O Dieu, élève-toi sur les cieux! Sur toute la terre, ta gloire!

Psaume 57, 7 Ils tendaient un filet sous mes pas, mon âme était courbée; ils creusaient devant moi une trappe, ils sont tombés dedans.

Psaume 57, 8 Mon coeur est prêt, ô Dieu, mon coeur est prêt; je veux chanter, je veux jouer pour toi!

Psaume 57, 9 éveille-toi, ma gloire; éveille-toi, harpe, cithare, que j'éveille l'aurore!

Psaume 57, 10 Je veux te louer chez les peuples, Seigneur, jouer pour toi dans les pays;

Psaume 57, 11 grand jusqu'aux cieux ton amour, jusqu'aux nues, ta vérité.

Psaume 57, 12 O Dieu, élève-toi sur les cieux. Sur toute la terre, ta gloire!

Psaume 58, 1 Du maître de chant. "Ne détruis pas." De David. A mi-voix.

Psaume 58, 2 Est-il vrai, êtres divins, que vous disiez la justice, que vous jugiez selon le droit les fils d'Adam?

Psaume 58, 3 Mais non! de coeur vous fabriquez le faux, de vos mains, sur terre, vous pesez l'arbitraire.

Psaume 58, 4 Ils sont dévoyés dès le sein, les impies, égarés dès le ventre, ceux qui disent l'erreur;

Psaume 58, 5 ils ont du venin comme un venin de serpent, sourds comme l'aspic qui se bouche l'oreille

Psaume 58, 6 de peur d'entendre la voix des enchanteurs, du charmeur expert en charmes.

Psaume 58, 7 O Dieu, brise en leur bouche leurs dents, arrache les crocs des lionceaux, Yahvé.

Psaume 58, 8 Qu'ils s'écoulent comme les eaux qui s'en vont, comme l'herbe qu'on piétine, qu'ils se fanent!

Psaume 58, 9 Comme la limace qui s'en va fondant ou l'avorton de la femme qui ne voit pas le soleil!

Psaume 58, 10 Avant qu'ils ne poussent en épines comme la ronce: verte ou brûlée, que la Colère en tempête l'emporte!

Psaume 58, 11 Joie pour le juste de voir la vengeance: il lavera ses pieds dans le sang de l'impie.

Psaume 58, 12 Et l'on dira: oui, il est un fruit pour le juste; oui, il est un Dieu qui juge sur terre.

Psaume 59, 1 Du maître de chant. "Ne détruis pas." De David. A mi-voix. Quand Saül envoya surveiller sa maison pour le mettre à mort.

Psaume 59, 2 Délivre-moi de mes ennemis, mon Dieu, contre mes agresseurs protège-moi,

Psaume 59, 3 délivre-moi des ouvriers de mal, des hommes de sang sauve-moi.

Psaume 59, 4 Voici qu'ils guettent mon âme, des puissants s'en prennent à moi; sans péché ni faute en moi, Yahvé,

Psaume 59, 5 sans aucun tort, ils accourent et se préparent. Réveille-toi, sois devant moi et regarde,

Psaume 59, 6 et toi, Yahvé, Dieu Sabaot, Dieu d'Israël, lève-toi pour visiter tous ces païens, sans pitié pour tous ces traîtres malfaisants!

Psaume 59, 7 Ils reviennent au soir, ils grognent comme un chien, ils rôdent par la ville.

Psaume 59, 8 Voici qu'ils déblatèrent à pleine bouche, sur leurs lèvres sont des épées: "Y a-t-il quelqu'un qui entende?"

Psaume 59, 9 Toi, Yahvé, tu t'en amuses, tu te ris de tous les païens;

Psaume 59, 10 ô ma force, vers toi je regarde. Oui, c'est Dieu ma citadelle,

Psaume 59, 11 le Dieu de mon amour vient à moi, Dieu me fera voir ceux qui me guettent.

Psaume 59, 12 Ne les massacre pas, que mon peuple n'oublie, fais-en par ta puissance des errants, des pourchassés, ô notre bouclier, Seigneur!

Psaume 59, 13 Péché sur leur bouche, la parole de leurs lèvres: qu'ils soient donc pris à leur orgueil, pour le blasphème, pour le mensonge qu'ils débitent.

Psaume 59, 14 Détruis en ta colère, détruis, qu'ils ne soient plus! Et qu'on sache que c'est Dieu le Maître en Jacob, jusqu'aux bouts de la terre!

Psaume 59, 15 Ils reviennent au soir, ils grognent comme un chien, ils rôdent par la ville;

Psaume 59, 16 les voici en chasse pour manger, tant qu'ils n'ont pas leur soûl, ils grondent.

Psaume 59, 17 Et moi, je chanterai ta force, j'acclamerai ton amour au matin; tu as été pour moi une citadelle, un refuge au jour de mon angoisse.

Psaume 59, 18 O ma force, pour toi je jouerai; oui, c'est Dieu ma citadelle, le Dieu de mon amour.

Psaume 60, 1 Du maître de chant. Sur "Un lys est le précepte." A mi-voix. De David. Pour apprendre.

Psaume 60, 2 Quand il lutta avec Aram Naharayim et Aram de Coba, et que Joab revint pour battre Edom dans la vallée du Sel, 12.000 hommes.

Psaume 60, 3 Dieu, tu nous as rejetés, rompus, tu étais irrité, reviens à nous!

Psaume 60, 4 Tu as fait trembler la terre, tu l'as fendue; guéris ses brèches, car elle chancelle!

Psaume 60, 5 Tu en fis voir de dures à ton peuple, tu nous fis boire du vin de vertige;

Psaume 60, 6 tu donnas à tes fidèles le signal de leur débâcle sous le tir de l'arc.

Psaume 60, 7 Pour que soient délivrés tes bien-aimés, sauve par ta droite, et réponds-nous.

Psaume 60, 8 Dieu a parlé dans son sanctuaire: "J'exulte, je partage Sichem, j'arpente la vallée de Sukkot.

Psaume 60, 9 "A moi Galaad, à moi Manassé, Ephraïm, l'armure de ma tête, Juda, mon bâton de commandement,

Psaume 60, 10 "Moab, le bassin où je me lave! sur Edom, je jette ma sandale. Crie donc victoire contre moi, Philistie! "

Psaume 60, 11 Qui me mènera dans une ville forte, qui me conduira jusqu'en Edom,

Psaume 60, 12 sinon toi, Dieu, qui nous as rejetés, Dieu qui ne sors plus avec nos armées?

Psaume 60, 13 Porte-nous secours dans l'oppression: néant, le salut de l'homme!

Psaume 60, 14 Avec Dieu, nous ferons des prouesses, et lui piétinera nos oppresseurs.

Psaume 61, 1 Du maître de chant. Sur les instruments à cordes. De David.

Psaume 61, 2 Ecoute, ô Dieu, mes cris, sois attentif à ma prière.

Psaume 61, 3 Du bout de la terre vers toi j'appelle, le coeur me manque. Au rocher qui s'élève loin de moi, conduis-moi.

Psaume 61, 4 Car tu es pour moi un abri, une tour forte devant l'ennemi.

Psaume 61, 5 Qu'à jamais je loge sous ta tente et m'abrite au couvert de tes ailes!

Psaume 61, 6 Car toi, ô Dieu, tu écoutes mes voeux: tu accordes le domaine de ceux qui craignent ton nom.

Psaume 61, 7 Aux jours du roi ajoute les jours; ses années: génération sur génération.

Psaume 61, 8 Qu'il trône à jamais devant la face de Dieu! Assigne Amour et Fidélité pour le garder.

Psaume 61, 9 Alors je jouerai sans fin pour ton nom, accomplissant mes voeux jour après jour.

Psaume 62, 1 Du maître de chant... Yedutûn. Psaume de David.

Psaume 62, 2 En Dieu seul le repos pour mon âme, de lui mon salut;

Psaume 62, 3 lui seul mon rocher, mon salut, ma citadelle, je ne bronche pas.

Psaume 62, 4 Jusques à quand vous ruer sur un homme et l'abattre, vous tous, comme une muraille qui penche, une clôture qui croule?

Psaume 62, 5 Duperie seulement, leurs projets, leur plaisir est de séduire; le mensonge à la bouche, ils bénissent, au-dedans ils maudissent.

Psaume 62, 6 En Dieu seul repose-toi, mon âme, de lui vient mon espoir;

Psaume 62, 7 lui seul mon rocher, mon salut, ma citadelle, je ne bronche pas;

Psaume 62, 8 en Dieu mon salut et ma gloire, le rocher de ma force. En Dieu mon abri,

Psaume 62, 9 fiez-vous à lui, peuple, en tout temps, devant lui épanchez votre coeur, Dieu nous est un abri!

Psaume 62, 10 Un souffle seulement, les fils d'Adam, un mensonge, les fils d'homme; sur la balance s'ils montaient ensemble, ils seraient moins qu'un souffle.

Psaume 62, 11 N'allez pas vous fier à la violence, vous essoufflant en rapines; aux richesses quand elles s'accroissent n'attachez pas votre coeur!

Psaume 62, 12 Une fois Dieu a parlé, deux fois, j'ai entendu. Ceci: que la force est à Dieu,

Psaume 62, 13 à toi, Seigneur, l'amour; et cela: toi, tu paies l'homme selon ses oeuvres.

Psaume 63, 1 Psaume de David. Quand il était dans le désert de Juda.

Psaume 63, 2 Dieu, c'est toi mon Dieu, je te cherche, mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre sèche, altérée, sans eau.

Psaume 63, 3 Oui, au sanctuaire je t'ai contemplé, voyant ta puissance et ta gloire.

Psaume 63, 4 Meilleur que la vie, ton amour; mes lèvres diront ton éloge.

Psaume 63, 5 Oui, je veux te bénir en ma vie, à ton nom, élever les mains;

Psaume 63, 6 comme de graisse et de moelle se rassasie mon âme, lèvres jubilantes, louange en ma bouche.

Psaume 63, 7 Quand je songe à toi sur ma couche, au long des veilles je médite sur toi,

Psaume 63, 8 toi qui fus mon secours, et je jubile à l'ombre de tes ailes;

Psaume 63, 9 mon âme se presse contre toi, ta droite me sert de soutien.

Psaume 63, 10 Mais ceux qui poussent mon âme à sa perte, qu'ils descendent au profond de la terre!

Psaume 63, 11 Qu'on les livre au tranchant de l'épée, qu'ils deviennent la part des chacals!

Psaume 63, 12 Et le roi se réjouira en Dieu; qui jure par lui en tirera louange quand les menteurs auront la bouche fermée.

Psaume 64, 1 Du maître de chant. Psaume de David.

Psaume 64, 2 Ecoute, ô Dieu, la voix de ma plainte, contre la peur de l'ennemi garde ma vie;

Psaume 64, 3 à la bande des méchants cache-moi, à la meute des ouvriers de mal!

Psaume 64, 4 Eux qui aiguisent leur langue comme une épée, ils ajustent leur flèche, parole amère,

Psaume 64, 5 pour tirer en cachette sur l'innocent, ils tirent soudain et ne craignent rien.

Psaume 64, 6 Ils s'encouragent dans leur méchante besogne, ils calculent pour tendre des pièges, ils disent: "Qui les verra

Psaume 64, 7 et scrutera nos secrets?" Il les scrute, celui qui scrute le fond de l'homme et le coeur profond.

Psaume 64, 8 Dieu a tiré une flèche, soudaines ont été leurs blessures;

Psaume 64, 9 il les fit choir à cause de leur langue, tous ceux qui les voient hochent la tête.

Psaume 64, 10 Tout homme alors craindra, il publiera l'oeuvre de Dieu, et son action, il la comprendra.

Psaume 64, 11 Le juste aura sa joie en Yahvé et son refuge en lui; ils s'en loueront, tous les coeurs droits.

Psaume 65, 1 Du maître de chant. Psaume de David. Cantique.

Psaume 65, 2 A toi la louange est due, ô Dieu, dans Sion; que pour toi le voeu soit acquitté:

Psaume 65, 3 tu écoutes la prière. Jusqu'à toi vient toute chair

Psaume 65, 4 avec ses oeuvres de péché; nos fautes sont plus fortes que nous, mais toi, tu les effaces.

Psaume 65, 5 Heureux ton élu, ton familier, il demeure en tes parvis. Rassasions-nous des biens de ta maison, des choses saintes de ton Temple.

Psaume 65, 6 Tu nous réponds en prodiges de justice, Dieu de notre salut, espoir des extrémités de la terre et des îles lointaines;

Psaume 65, 7 toi qui maintiens les montagnes par ta force, qui te ceins de puissance,

Psaume 65, 8 qui apaises le fracas des mers, le fracas de leurs flots. Les peuples sont en rumeur,

Psaume 65, 9 pris d'effroi, les habitants des bouts du monde; tes signes font jubiler les portes du matin et du soir.

Psaume 65, 10 Tu visites la terre et la fais regorger, tu la combles de richesses. Le ruisseau de Dieu est rempli d'eau, tu prépares les épis. Ainsi tu la prépares:

Psaume 65, 11 arrosant ses sillons, aplanissant ses mottes, tu la détrempes d'averses, tu bénis son germe.

Psaume 65, 12 Tu couronnes l'année de tes bontés, sur tes ornières la graisse ruisselle;

Psaume 65, 13 ils ruissellent, les pacages du désert, les collines sont bordées d'allégresse;

Psaume 65, 14 les prairies se revêtent de troupeaux, les vallées se drapent de froment, les cris de joie, ô les chansons!

Psaume 66, 1 Du maître de chant. Cantique.

Psaume. Acclamez Dieu, toute la terre,

Psaume 66, 2 chantez à la gloire de son nom, rendez-lui sa louange de gloire,

Psaume 66, 3 dites à Dieu: Que tu es redoutable! A la mesure de ta force, tes oeuvres. Tes ennemis se font tes flatteurs;

Psaume 66, 4 toute la terre se prosterne devant toi, elle te chante, elle chante pour ton nom.

Psaume 66, 5 Venez, voyez les gestes de Dieu, redoutable en hauts faits pour les fils d'Adam:

Psaume 66, 6 il changea la mer en terre ferme, on passa le fleuve à pied sec. Là, notre joie en lui,

Psaume 66, 7 souverain de puissance éternelle! Les yeux sur les nations, il veille, sur les rebelles pour qu'ils ne se relèvent.

Psaume 66, 8 Peuples, bénissez notre Dieu, donnez une voix à sa louange,

Psaume 66, 9 lui qui rend notre âme à la vie, et préserve nos pieds du faux pas.

Psaume 66, 10 Tu nous as éprouvés, ô Dieu, épurés comme on épure l'argent;

Psaume 66, 11 tu nous as fait tomber dans le filet, tu as mis sur nos reins une étreinte;

Psaume 66, 12 tu fis chevaucher à notre tête un mortel; nous passions par le feu et par l'eau, puis tu nous as fait reprendre haleine.

Psaume 66, 13 Je viens en ta maison avec des holocaustes, j'acquitte envers toi mes voeux,

Psaume 66, 14 ceux qui m'ouvrirent les lèvres, que prononçait ma bouche en mon angoisse.

Psaume 66, 15 Je t'offrirai de gras holocaustes avec la fumée des béliers, je le ferai avec des taureaux et des boucs.

Psaume 66, 16 Venez, écoutez, que je raconte, vous tous les craignant-dieu, ce qu'il a fait pour mon âme.

Psaume 66, 17 Vers lui ma bouche a crié, l'éloge déjà sur ma langue.

Psaume 66, 18 Si j'avais vu de la malice en mon coeur, le Seigneur ne m'eût point écouté.

Psaume 66, 19 Et pourtant Dieu m'a écouté, attentif à la voix de ma prière.

Psaume 66, 20 Béni soit Dieu qui n'a pas écarté ma prière ni son amour loin de moi.

Psaume 67, 1 Du maître de chant. Sur les instruments à cordes.

Psaume. Cantique.

Psaume 67, 2 Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse, faisant luire sur nous sa face!

Psaume 67, 3 Sur la terre on connaîtra tes voies, parmi toutes les nations, ton salut.

Psaume 67, 4 Que les peuples te rendent grâce, ô Dieu, que les peuples te rendent grâce tous!

Psaume 67, 5 Que les nations jubilent et chantent, car tu juges le monde avec justice, tu juges les peuples en droiture, sur la terre tu gouvernes les nations.

Psaume 67, 6 Que les peuples te rendent grâce, ô Dieu, que les peuples te rendent grâce tous!

Psaume 67, 7 La terre a donné son produit, Dieu, notre Dieu, nous bénit.

Psaume 67, 8 Que Dieu nous bénisse et qu'il soit craint de tous les lointains de la terre!

Psaume 68, 1 Du maître de chant. De David.

Psaume. Cantique.

Psaume 68, 2 Que Dieu se lève, et ses ennemis se dispersent, et ses adversaires fuient devant sa face.

Psaume 68, 3 Comme se dissipe la fumée, tu les dissipes; comme fond la cire en face du feu, ils périssent, les impies, en face de Dieu.

Psaume 68, 4 Mais les justes jubilent devant la face de Dieu, ils exultent et dansent de joie.

Psaume 68, 5 Chantez à Dieu, jouez pour son nom, frayez la route au Chevaucheur des nuées, jubilez en Yahvé, dansez devant sa face.

Psaume 68, 6 Père des orphelins, justicier des veuves, c'est Dieu dans son lieu de sainteté;

Psaume 68, 7 Dieu donne à l'isolé le séjour d'une maison, il ouvre aux captifs la porte du bonheur, mais les rebelles demeurent sur un sol aride.

Psaume 68, 8 O Dieu, quand tu sortis à la face de ton peuple, quand tu foulas le désert,

Psaume 68, 9 la terre trembla, les cieux mêmes fondirent en face de Dieu, en face de Dieu, le Dieu d'Israël.

Psaume 68, 10 Tu répandis, ô Dieu, une pluie de largesses, ton héritage exténué, toi, tu l'affermis;

Psaume 68, 11 ta famille trouva un séjour, celui-là qu'en ta bonté, ô Dieu, tu préparais au pauvre.

Psaume 68, 12 Le Seigneur a donné un ordre, c'est l'annonce d'une armée innombrable.

Psaume 68, 13 Et les chefs d'armée détalaient, détalaient, la belle du foyer partage le butin.

Psaume 68, 14 Alors que vous reposez entre les deux murets, les ailes de la Colombe se couvrent d'argent, et ses plumes d'un reflet d'or vert;

Psaume 68, 15 quand Shaddaï disperse les rois, c'est par elle qu'il neige sur le Mont-sombre.

Psaume 68, 16 Montagne de Dieu, la montagne de Bashân! Montagne sourcilleuse, la montagne de Bashân!

Psaume 68, 17 Pourquoi jalouser, montagnes sourcilleuses, la montagne que Dieu a désirée pour séjour? Oui, Yahvé y demeurera jusqu'à la fin.

Psaume 68, 18 Les équipages de Dieu sont des milliers de myriades; le Seigneur est venu du Sinaï au sanctuaire.

Psaume 68, 19 Tu as gravi la hauteur, capturé des captifs, reçu des hommes en tribut, même les rebelles, pour que Yahvé Dieu ait une demeure.

Psaume 68, 20 Béni soit le Seigneur de jour en jour! Il prend charge de nous, le Dieu de notre salut.

Psaume 68, 21 Le Dieu que nous avons est un Dieu de délivrances, au Seigneur Yahvé sont les issues de la mort;

Psaume 68, 22 mais Dieu défonce la tête de ses ennemis, le crâne chevelu du criminel qui rôde.

Psaume 68, 23 Le Seigneur a dit: "De Bashân je fais revenir, je fais revenir des abîmes de la mer,

Psaume 68, 24 afin que tu enfonces ton pied dans le sang, que la langue de tes chiens ait sa part d'ennemis."

Psaume 68, 25 On a vu tes processions, ô Dieu, les processions de mon Dieu, de mon roi, au sanctuaire:

Psaume 68, 26 les chantres marchaient devant, les musiciens derrière, les jeunes filles au milieu, battant du tambourin.

Psaume 68, 27 En choeurs, ils bénissaient Dieu: c'est Yahvé, dès l'origine d'Israël.

Psaume 68, 28 Benjamin était là, le cadet ouvrant la marche; les princes de Juda en robes multicolores, les princes de Zabulon, les princes de Nephtali.

Psaume 68, 29 Commande, ô mon Dieu, selon ta puissance, la puissance, ô Dieu, que tu as mise en oeuvre pour nous,

Psaume 68, 30 depuis ton Temple au-dessus de Jérusalem. Vers toi viendront les rois, apportant des présents.

Psaume 68, 31 Menace la bête des roseaux, la bande de taureaux avec les peuples de veaux, qui s'humilie, avec des lingots d'argent! Disperse les peuples qui aiment la guerre.

Psaume 68, 32 Depuis l'Egypte, des grands viendront, l'Ethiopie tendra les mains vers Dieu.

Psaume 68, 33 Royaumes de la terre, chantez à Dieu, jouez pour

Psaume 68, 34 le Chevaucheur des cieux, des cieux antiques.

Psaume 68, 35 Reconnaissez la puissance de Dieu. Sur Israël sa splendeur, dans les nues sa puissance:

Psaume 68, 36 redoutable est Dieu depuis son sanctuaire. C'est lui, le Dieu d'Israël, qui donne au peuple force et puissance. Béni soit Dieu!

Psaume 69, 1 Du maître de chant. Sur l'air: Des lys... De David.

Psaume 69, 2 Sauve-moi, ô Dieu, car les eaux me sont entrées jusqu'à l'âme.

Psaume 69, 3 J'enfonce dans la bourbe du gouffre, et rien qui tienne; je suis entré dans l'abîme des eaux et le flot me submerge.

Psaume 69, 4 Je m'épuise à crier, ma gorge brûle, mes yeux sont consumés d'attendre mon Dieu.

Psaume 69, 5 Plus nombreux que les cheveux de la tête, ceux qui me haïssent sans cause; ils sont puissants ceux qui me détruisent, ceux qui m'en veulent à tort. (Ce que je n'ai pas pris, devrai-je le rendre?)

Psaume 69, 6 O Dieu, tu sais ma folie, mes offenses sont à nu devant toi.

Psaume 69, 7 Qu'ils ne rougissent pas de moi, ceux qui t'espèrent, Yahvé Sabaot! Qu'ils n'aient pas honte de moi, ceux qui te cherchent, Dieu d'Israël!

Psaume 69, 8 C'est pour toi que je souffre l'insulte, que la honte me couvre le visage,

Psaume 69, 9 que je suis un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère;

Psaume 69, 10 car le zèle de ta maison me dévore, l'insulte de tes insulteurs tombe sur moi.

Psaume 69, 11 Que j'afflige mon âme par le jeûne et l'on m'en fait un sujet d'insulte;

Psaume 69, 12 que je prenne un sac pour vêtement et pour eux je deviens une fable,

Psaume 69, 13 le conte des gens assis à la porte et la chanson des buveurs de boissons fortes.

Psaume 69, 14 Et moi, t'adressant ma prière, Yahvé, au temps favorable, en ton grand amour, Dieu, réponds-moi en la vérité de ton salut.

Psaume 69, 15 Tire-moi du bourbier, que je n'enfonce, que j'échappe à mes adversaires, à l'abîme des eaux!

Psaume 69, 16 Que le flux des eaux ne me submerge, que le gouffre ne me dévore, que la bouche de la fosse ne me happe!

Psaume 69, 17 Réponds-moi, Yahvé: car ton amour est bonté; en ta grande tendresse regarde vers moi;

Psaume 69, 18 à ton serviteur ne cache point ta face, l'oppression est sur moi, vite, réponds-moi;

Psaume 69, 19 approche de mon âme, venge-la, à cause de mes ennemis, rachète-moi.

Psaume 69, 20 Toi, tu connais mon insulte, ma honte et mon affront. Devant toi tous mes oppresseurs.

Psaume 69, 21 L'insulte m'a brisé le coeur, jusqu'à défaillir. J'espérais la compassion, mais en vain, des consolateurs, et je n'en ai pas trouvé.

Psaume 69, 22 Pour nourriture ils m'ont donné du poison, dans ma soif ils m'abreuvaient de vinaigre.

Psaume 69, 23 Que devant eux leur table soit un piège et leur abondance un traquenard;

Psaume 69, 24 que leurs yeux s'enténèbrent pour ne plus voir, fais qu'à tout instant les reins leur manquent!

Psaume 69, 25 Déverse sur eux ton courroux, que le feu de ta colère les atteigne;

Psaume 69, 26 que leur enclos devienne un désert, que leurs tentes soient sans habitants:

Psaume 69, 27 ils s'acharnent sur celui que tu frappes, ils rajoutent aux blessures de ta victime.

Psaume 69, 28 Charge-les, tort sur tort, qu'ils n'aient plus d'accès à ta justice;

Psaume 69, 29 qu'ils soient rayés du livre de vie, retranchés du compte des justes.

Psaume 69, 30 Et moi, courbé, blessé, que ton salut, Dieu, me redresse!

Psaume 69, 31 Je louerai le nom de Dieu par un cantique, je le magnifierai par l'action de grâces;

Psaume 69, 32 cela plaît à Yahvé plus qu'un taureau, une forte bête avec corne et sabot.

Psaume 69, 33 Ils ont vu, les humbles, ils jubilent; chercheurs de Dieu, que vive votre coeur!

Psaume 69, 34 Car Yahvé exauce les pauvres, il n'a pas méprisé ses captifs.

Psaume 69, 35 Que l'acclament le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s'y remue!

Psaume 69, 36 Car Dieu sauvera Sion, il rebâtira les villes de Juda, là, on habitera, on possédera;

Psaume 69, 37 la lignée de ses serviteurs en hérite et les amants de son nom y demeurent.

Psaume 70, 1 Du maître de chant. De David. Pour commémorer.

Psaume 70, 2 O Dieu, vite à mon secours, Yahvé, à mon aide!

Psaume 70, 3 Honte et déshonneur sur ceux-là qui cherchent mon âme! Arrière! honnis soient-ils, ceux que flatte mon malheur;

Psaume 70, 4 qu'ils reculent couverts de honte, ceux qui disent: Ha! Ha!

Psaume 70, 5 Joie en toi et réjouissance à tous ceux qui te cherchent: qu'ils redisent toujours: "Dieu est grand! " ceux qui aiment ton salut!

Psaume 70, 6 Et moi, pauvre et malheureux! ô Dieu, viens vite! Toi, mon secours et mon sauveur, Yahvé, ne tarde pas!

Psaume 71, 1 En toi, Yahvé, j'ai mon abri, sur moi pas de honte à jamais!

Psaume 71, 2 En ta justice défends-moi, délivre-moi, tends vers moi l'oreille et sauve-moi.

Psaume 71, 3 Sois pour moi un roc hospitalier, toujours accessible; tu as décidé de me sauver, car mon rocher, mon rempart, c'est toi.

Psaume 71, 4 Mon Dieu, délivre-moi de la main de l'impie, de la poigne du fourbe et du violent.

Psaume 71, 5 Car c'est toi mon espoir, Seigneur, Yahvé, ma foi dès ma jeunesse.

Psaume 71, 6 Sur toi j'ai mon appui dès le sein, toi ma part dès les entrailles de ma mère, en toi ma louange sans relâche.

Psaume 71, 7 Pour beaucoup je tenais du prodige, mais toi, tu es mon sûr abri.

Psaume 71, 8 Ma bouche est remplie de ta louange, tout le jour, de ta splendeur.

Psaume 71, 9 Ne me rejette pas au temps de ma vieillesse, quand décline ma vigueur, ne m'abandonne pas.

Psaume 71, 10 Car mes ennemis parlent de moi, ceux qui guettent mon âme se concertent:

Psaume 71, 11 "Dieu l'a abandonné, pourchassez-le, empoignez-le, il n'a personne pour le défendre."

Psaume 71, 12 Dieu, ne sois pas loin de moi, mon Dieu, vite à mon aide.

Psaume 71, 13 Honte et ruine sur ceux-là qui attaquent mon âme; que l'insulte et l'infamie les couvrent, ceux qui cherchent mon malheur!

Psaume 71, 14 Et moi, sans relâche espérant, j'ajouterai à ta louange;

Psaume 71, 15 ma bouche racontera ta justice, tout le jour, ton salut.

Psaume 71, 16 Je viendrai dans la puissance de Yahvé, pour rappeler ta justice, la seule.

Psaume 71, 17 O Dieu, tu m'as instruit dès ma jeunesse, et jusqu'ici j'annonce tes merveilles.

Psaume 71, 18 Or, vieilli, chargé d'années, ô Dieu, ne m'abandonne pas, que j'annonce ton bras aux âges à venir, ta puissance

Psaume 71, 19 et ta justice, ô Dieu, jusqu'aux nues! Toi qui as fait de grandes choses, ô Dieu, qui est comme toi?

Psaume 71, 20 Toi qui m'as fait tant voir de maux et de détresses, tu reviendras me faire vivre. Tu reviendras me tirer des abîmes de la terre,

Psaume 71, 21 tu nourriras mon grand âge, tu viendras me consoler.

Psaume 71, 22 Or moi, je te rendrai grâce sur la lyre, en ta vérité, mon Dieu, je jouerai pour toi sur la harpe, Saint d'Israël.

Psaume 71, 23 Que jubilent mes lèvres, quand je jouerai pour toi, et mon âme que tu as rachetée!

Psaume 71, 24 Or ma langue tout le jour murmure ta justice: honte et déshonneur sur ceux-là qui cherchent mon malheur!

Psaume 72, 1 De Salomon. O Dieu, donne au roi ton jugement, au fils de roi ta justice,

Psaume 72, 2 qu'il rende à ton peuple sentence juste et jugement à tes petits.

Psaume 72, 3 Montagnes, apportez, et vous collines, la paix au peuple. Avec justice

Psaume 72, 4 il jugera le petit peuple, il sauvera les fils de pauvres, il écrasera leurs bourreaux.

Psaume 72, 5 Il durera sous le soleil et la lune siècle après siècle;

Psaume 72, 6 il descendra comme la pluie sur le regain, comme la bruine mouillant la terre.

Psaume 72, 7 En ses jours justice fleurira et grande paix jusqu'à la fin des lunes;

Psaume 72, 8 il dominera de la mer à la mer, du Fleuve jusqu'aux bouts de la terre.

Psaume 72, 9 Devant lui se courbera la Bête, ses ennemis lécheront la poussière;

Psaume 72, 10 les rois de Tarsis et des îles rendront tribut. Les rois de Saba et de Seba feront offrande;

Psaume 72, 11 tous les rois se prosterneront devant lui, tous les païens le serviront.

Psaume 72, 12 Car il délivre le pauvre qui appelle et le petit qui est sans aide;

Psaume 72, 13 compatissant au faible et au pauvre, il sauve l'âme des pauvres.

Psaume 72, 14 De l'oppression, de la violence, il rachète leur âme, leur sang est précieux à ses yeux.

Psaume 72, 15 (Qu'il vive et que lui soit donné l'or de Saba! ) On priera pour lui sans relâche, tout le jour, on le bénira.

Psaume 72, 16 Foisonne le froment sur la terre, qu'il ondule au sommet des montagnes, comme le Liban quand il éveille ses fruits et ses fleurs, comme l'herbe de la terre!

Psaume 72, 17 Soit béni son nom à jamais, qu'il dure sous le soleil! Bénies seront en lui toutes les races de la terre, que tous les païens le disent bienheureux!

Psaume 72, 18 Béni soit Yahvé, le Dieu d'Israël, qui seul a fait des merveilles;

Psaume 72, 19 béni soit à jamais son nom de gloire, toute la terre soit remplie de sa gloire! Amen! Amen!

Psaume 72, 20 Fin des prières de David, fils de Jessé.

Psaume 73, 1

Psaume. D'Asaph. Mais enfin, Dieu est bon pour Israël, le Seigneur pour les hommes au coeur pur.

Psaume 73, 2 Un peu plus, mon pied bronchait, un rien, et mes pas glissaient,

Psaume 73, 3 envieux que j'étais des arrogants en voyant le bien-être des impies.

Psaume 73, 4 Pour eux, point de tourments, rien n'entame leur riche prestance;

Psaume 73, 5 de la peine des hommes ils sont absents, avec Adam ils ne sont point frappés.

Psaume 73, 6 C'est pourquoi l'orgueil est leur collier, la violence, le vêtement qui les couvre;

Psaume 73, 7 la malice leur sort de la graisse, l'artifice leur déborde du coeur.

Psaume 73, 8 Ils ricanent, ils prônent le mal, hautement ils prônent la force;

Psaume 73, 9 leur bouche s'arroge le ciel et leur langue va bon train sur la terre.

Psaume 73, 10 C'est pourquoi mon peuple va vers eux: des eaux d'abondance leur adviennent.

Psaume 73, 11 Ils disent: "Comment Dieu saurait-il? Chez le Très-Haut y a-t-il connaissance?"

Psaume 73, 12 Voyez-le: ce sont des impies, et, tranquilles toujours, ils entassent!

Psaume 73, 13 Mais enfin pourquoi aurais-je gardé un coeur pur, lavant mes mains en l'innocence?

Psaume 73, 14 Quand j'étais frappé tout le jour, et j'avais mon châtiment chaque matin,

Psaume 73, 15 si j'avais dit: "Je vais parler comme eux", j'aurais trahi la race de tes fils.

Psaume 73, 16 Alors j'ai réfléchi pour comprendre: quelle peine c'était à mes yeux!

Psaume 73, 17 jusqu'au jour où j'entrai aux sanctuaires divins, où je pénétrai leur destin.

Psaume 73, 18 Mais enfin, tu en as fait des choses trompeuses, tu les fais tomber dans le chaos.

Psaume 73, 19 Ah! que soudain ils font horreur, disparus, achevés par l'épouvante!

Psaume 73, 20 Comme un songe au réveil, Seigneur, en t'éveillant, tu méprises leur image.

Psaume 73, 21 Alors que s'aigrissait mon coeur et que j'avais les reins percés,

Psaume 73, 22 moi, stupide, je ne comprenais pas, j'étais une brute près de toi.

Psaume 73, 23 Et moi, qui restais près de toi, tu m'as saisi par ma main droite;

Psaume 73, 24 par ton conseil tu me conduiras, et derrière la gloire tu m'attireras.

Psaume 73, 25 Qui donc aurais-je dans le ciel? Avec toi, je suis sans désir sur la terre.

Psaume 73, 26 Et ma chair et mon coeur sont consumés: roc de mon coeur, ma part, Dieu à jamais!

Psaume 73, 27 Voici: qui s'éloigne de toi périra, tu extirpes ceux qui te sont adultères.

Psaume 73, 28 Pour moi, approcher Dieu est mon bien, j'ai placé dans le Seigneur mon refuge, afin de raconter toutes tes oeuvres.

Psaume 74, 1 Poème. D'Asaph. Pourquoi, ô Dieu, rejeter jusqu'à la fin, fumer de colère contre le troupeau de ton bercail?

Psaume 74, 2 Rappelle-toi ton assemblée que tu as acquise dès l'origine, que tu rachetas, tribu de ton héritage, et ce mont Sion où tu fis ta demeure.

Psaume 74, 3 Elève tes pas vers ce chaos sans fin: il a tout saccagé, l'ennemi, au sanctuaire;

Psaume 74, 4 dans le lieu de tes assemblées ont rugi tes adversaires, ils ont mis leurs insignes au fronton de l'entrée, des insignes

Psaume 74, 5 qu'on ne connaissait pas. Leurs cognées en plein bois,

Psaume 74, 6 abattant les vantaux, et par la hache et par la masse ils martelaient;

Psaume 74, 7 ils ont livré au feu ton sanctuaire, profané jusqu'à terre la demeure de ton nom.

Psaume 74, 8 Ils ont dit en leur coeur: "Ecrasons-les d'un coup! " Ils ont brûlé dans le pays tout lieu d'assemblée sainte.

Psaume 74, 9 Nos signes ont cessé, il n'est plus de prophètes, et nul parmi nous ne sait jusques à quand.

Psaume 74, 10 Jusques à quand, ô Dieu, blasphémera l'oppresseur? L'ennemi va-t-il outrager ton nom jusqu'à la fin?

Psaume 74, 11 Pourquoi retires-tu ta main, tiens-tu ta droite cachée en ton sein?

Psaume 74, 12 Pourtant, ô Dieu, mon roi dès l'origine, l'auteur des délivrances au milieu du pays,

Psaume 74, 13 toi qui fendis la mer par ta puissance, qui brisas les têtes des monstres sur les eaux;

Psaume 74, 14 toi qui fracassas les têtes de Léviathan pour en faire la pâture des bêtes sauvages,

Psaume 74, 15 toi qui ouvris la source et le torrent, toi qui desséchas des fleuves intarissables;

Psaume 74, 16 à toi le jour, et à toi la nuit, toi qui agenças la lumière et le soleil,

Psaume 74, 17 toi qui posas toutes les limites de la terre, l'été et l'hiver, c'est toi qui les formas.

Psaume 74, 18 Rappelle-toi, Yahvé, l'ennemi blasphème, un peuple insensé outrage ton nom.

Psaume 74, 19 Ne livre pas à la bête l'âme de ta tourterelle, la vie de tes malheureux, ne l'oublie pas jusqu'à la fin.

Psaume 74, 20 Regarde vers l'alliance. Ils sont pleins, les antres du pays, repaires de violence.

Psaume 74, 21 Que l'opprimé ne rentre pas couvert de honte, que le pauvre et le malheureux louent ton nom!

Psaume 74, 22 Lève-toi, ô Dieu, plaide ta cause, rappelle-toi l'insensé qui te blasphème tout le jour!

Psaume 74, 23 N'oublie pas le vacarme de tes adversaires, la clameur de tes ennemis, qui va toujours montant!

Psaume 75, 1 Du maître de chant. "Ne détruis pas."

Psaume. D'Asaph. Cantique.

Psaume 75, 2 A toi nous rendons grâce, ô Dieu, nous rendons grâce, en invoquant ton nom, en racontant tes merveilles.

Psaume 75, 3 "Au moment que j'aurai décidé, je ferai, moi, droite justice;

Psaume 75, 4 la terre s'effondre et tous ses habitants; j'ai fixé, moi, ses colonnes.

Psaume 75, 5 "J'ai dit aux arrogants: Pas d'arrogance! aux impies: Ne levez pas le front,

Psaume 75, 6 ne levez pas si haut votre front, ne parlez pas en raidissant l'échine."

Psaume 75, 7 Car ce n'est plus du levant au couchant, ce n'est plus au désert des montagnes

Psaume 75, 8 qu'en vérité, Dieu le juge, abaisse l'un ou élève l'autre:

Psaume 75, 9 Yahvé a en main une coupe, et c'est de vin fermenté qu'est rempli le breuvage; il en versera, ils en suceront la lie, ils boiront, tous les impies de la terre.

Psaume 75, 10 Et moi, j'annoncerai à jamais, je jouerai pour le Dieu de Jacob;

Psaume 75, 11 je briserai la vigueur des impies; et la vigueur du juste se dressera.

Psaume 76, 1 Du maître de chant. Sur les instruments à cordes.

Psaume. D'Asaph. Cantique.

Psaume 76, 2 En Juda Dieu est connu, en Israël grand est son nom;

Psaume 76, 3 sa tente s'est fixée en Salem et sa demeure en Sion;

Psaume 76, 4 là, il a brisé les éclairs de l'arc, le bouclier, l'épée et la guerre.

Psaume 76, 5 Lumineux que tu es, et célèbre pour les monceaux de butin

Psaume 76, 6 qu'on leur a pris; les braves ont dormi leur sommeil, tous ces guerriers, les bras leur ont manqué;

Psaume 76, 7 sous ta menace, Dieu de Jacob, char et cheval se sont figés.

Psaume 76, 8 Toi, toi le terrible! Qui tiendra devant ta face, sous le coup de ta fureur?

Psaume 76, 9 Des cieux tu fais entendre la sentence, la terre a peur et se tait

Psaume 76, 10 quand Dieu se lève pour le jugement, pour sauver tous les humbles de la terre.

Psaume 76, 11 La colère de l'homme te rend gloire, des réchappés de la Colère, tu te ceindras;

Psaume 76, 12 faites des voeux, acquittez-les à Yahvé votre Dieu, ceux qui l'entourent, faites offrande au Terrible;

Psaume 76, 13 il coupe le souffle des princes, terrible aux rois de la terre.

Psaume 77, 1 Du maître de chant... Yedutûn. D'Asaph.

Psaume.

Psaume 77, 2 Vers Dieu ma voix: je crie, vers Dieu ma voix: il m'entend.

Psaume 77, 3 Au jour d'angoisse j'ai cherché le Seigneur; la nuit, j'ai tendu la main sans relâche, mon âme a refusé d'être consolée.

Psaume 77, 4 Je me souviens de Dieu et je gémis, je médite et le souffle me manque.

Psaume 77, 5 Tu as retenu les paupières de mes yeux, je suis troublé, je ne puis parler;

Psaume 77, 6 j'ai pensé aux jours d'autrefois, d'années séculaires

Psaume 77, 7 je me souviens; je murmure dans la nuit en mon coeur, je médite et mon esprit interroge:

Psaume 77, 8 Est-ce pour les siècles que le Seigneur rejette, qu'il cesse de se montrer favorable?

Psaume 77, 9 Son amour est-il épuisé jusqu'à la fin, achevée pour les âges des âges la Parole?

Psaume 77, 10 Est-ce que Dieu oublie d'avoir pitié, ou de colère ferme-t-il ses entrailles?

Psaume 77, 11 Et je dis: "Voilà ce qui me blesse: elle est changée, la droite du Très-Haut."

Psaume 77, 12 Je me souviens des hauts faits de Yahvé, oui, je me souviens d'autrefois, de tes merveilles,

Psaume 77, 13 je me murmure toute ton oeuvre, et sur tes hauts faits je médite:

Psaume 77, 14 O Dieu, saintes sont tes voies! quel dieu est grand comme Dieu?

Psaume 77, 15 Toi, le Dieu qui fait merveille, tu fis savoir parmi les peuples ta force;

Psaume 77, 16 par ton bras tu rachetas ton peuple, les enfants de Jacob et de Joseph.

Psaume 77, 17 Les eaux te virent, ô Dieu, les eaux te virent et furent bouleversées, les abîmes aussi s'agitaient.

Psaume 77, 18 Les nuées déversèrent les eaux, les nuages donnèrent de la voix, tes flèches aussi filaient.

Psaume 77, 19 Voix de ton tonnerre en son roulement. Tes éclairs illuminaient le monde, la terre s'agitait et tremblait.

Psaume 77, 20 Sur la mer fut ton chemin, ton sentier sur les eaux innombrables. Et tes traces, nul ne les connut.

Psaume 77, 21 Tu guidas comme un troupeau ton peuple par la main de Moïse et d'Aaron.

Psaume 78, 1 Poème. D'Asaph. Ecoute, ô mon peuple, ma loi; tends l'oreille aux paroles de ma bouche;

Psaume 78, 2 j'ouvre la bouche en paraboles, j'évoque du passé les mystères.

Psaume 78, 3 Nous l'avons entendu et connu, nos pères nous l'ont raconté;

Psaume 78, 4 nous ne le tairons pas à leurs enfants, nous le raconterons à la génération qui vient: les titres de Yahvé et sa puissance, ses merveilles telles qu'il les fit;

Psaume 78, 5 il établit un témoignage en Jacob, il mit une loi en Israël; il avait commandé à nos pères de le faire connaître à leurs enfants,

Psaume 78, 6 que la génération qui vient le connaisse, les enfants qui viendront à naître. Qu'ils se lèvent, qu'ils racontent à leurs enfants,

Psaume 78, 7 qu'ils mettent en Dieu leur espoir, qu'ils n'oublient pas les hauts faits de Dieu, et ses commandements, qu'ils les observent;

Psaume 78, 8 qu'ils ne soient pas, à l'exemple de leurs pères, une génération de révolte et de bravade, génération qui n'a point le coeur sûr et dont l'esprit n'est point fidèle à Dieu.

Psaume 78, 9 Les fils d'Ephraïm, tireurs d'arc, se retournèrent, le jour du combat;

Psaume 78, 10 ils ne gardaient pas l'alliance de Dieu, ils refusaient de marcher dans sa loi;

Psaume 78, 11 ils avaient oublié ses hauts faits, ses merveilles qu'il leur donna de voir:

Psaume 78, 12 devant leurs pères il fit merveille en terre d'Egypte, aux champs de Tanis.

Psaume 78, 13 Il fendit la mer et les transporta, il dressa les eaux comme une digue;

Psaume 78, 14 il les guida de jour par la nuée, par la lueur d'un feu toute la nuit;

Psaume 78, 15 il fendit les rochers au désert, il les abreuva à la mesure du grand abîme;

Psaume 78, 16 du roc il fit sortir des ruisseaux et descendre les eaux en torrents.

Psaume 78, 17 Mais de plus belle ils péchaient contre lui et bravaient le Très-Haut dans le lieu sec;

Psaume 78, 18 ils tentèrent Dieu dans leur coeur, demandant à manger à leur faim.

Psaume 78, 19 Or ils parlèrent contre Dieu; ils dirent: "Est-il capable, Dieu, de dresser une table au désert?

Psaume 78, 20 "Voici qu'il frappe le rocher, les eaux coulent, les torrents s'échappent: mais du pain, est-il capable d'en donner, ou de fournir de la viande à son peuple?"

Psaume 78, 21 Alors Yahvé entendit, il s'emporta; un feu flamba contre Jacob, et puis la Colère monta contre Israël,

Psaume 78, 22 car ils étaient sans foi en Dieu, ils étaient sans confiance en son salut.

Psaume 78, 23 Aux nuées d'en haut il commanda, il ouvrit les battants des cieux;

Psaume 78, 24 pour les nourrir il fit pleuvoir la manne, il leur donna le froment des cieux;

Psaume 78, 25 du pain des Forts l'homme se nourrit, il leur envoya des vivres à satiété.

Psaume 78, 26 Il fit lever dans les cieux le vent d'est, il fit venir par sa puissance le vent du sud,

Psaume 78, 27 il fit pleuvoir sur eux la viande comme poussière, la volaille comme sable des mers,

Psaume 78, 28 il en fit tomber au milieu de son camp, tout autour de sa demeure.

Psaume 78, 29 Ils mangèrent et furent bien rassasiés, il leur servit ce qu'ils désiraient;

Psaume 78, 30 eux n'étaient pas revenus de leur désir, leur manger encore en la bouche,

Psaume 78, 31 que la colère de Dieu monta contre eux: il massacrait parmi les robustes, abattait les cadets d'Israël.

Psaume 78, 32 Malgré tout, ils péchèrent encore, ils n'eurent pas foi en ses merveilles.

Psaume 78, 33 Il consuma en un souffle leurs jours, leurs années en une panique.

Psaume 78, 34 Quand il les massacrait, ils le cherchaient, ils revenaient, s'empressaient près de lui.

Psaume 78, 35 Ils se souvenaient: Dieu leur rocher, Dieu le Très-Haut, leur rédempteur!

Psaume 78, 36 Mais ils le flattaient de leur bouche, mais de leur langue ils lui mentaient,

Psaume 78, 37 leur coeur n'était pas sûr envers lui, ils étaient sans foi en son alliance.

Psaume 78, 38 Lui alors, dans sa tendresse, effaçait les torts au lieu de dévaster; sans se lasser, il revenait de sa colère au lieu de réveiller tout son courroux.

Psaume 78, 39 Il se souvenait: eux, cette chair, souffle qui s'en va et ne revient pas.

Psaume 78, 40 Que de fois ils le bravèrent au désert, l'offensèrent parmi les solitudes!

Psaume 78, 41 Ils revenaient tenter Dieu, affliger le Saint d'Israël,

Psaume 78, 42 sans nul souvenir de sa main, ni du jour qu'il les sauva de l'adversaire.

Psaume 78, 43 Lui qui en Egypte mit ses signes, ses miracles aux champs de Tanis,

Psaume 78, 44 fit tourner en sang leurs fleuves, leurs ruisseaux pour les priver de boire.

Psaume 78, 45 Il leur envoya des taons qui dévoraient, des grenouilles qui les infestaient;

Psaume 78, 46 il livra au criquet leurs récoltes et leur labeur à la sauterelle;

Psaume 78, 47 il massacra par la grêle leur vigne et leurs sycomores par la gelée;

Psaume 78, 48 il remit à la grêle leur bétail et leurs troupeaux aux éclairs.

Psaume 78, 49 Il lâcha sur eux le feu de sa colère, emportement et fureur et détresse, un envoi d'anges de malheur;

Psaume 78, 50 il fraya un sentier à sa colère. Il n'exempta pas leur âme de la mort, à la peste il remit leur vie;

Psaume 78, 51 il frappa tout premier-né en Egypte, la fleur de la race aux tentes de Cham.

Psaume 78, 52 Il poussa comme des brebis son peuple, les mena comme un troupeau dans le désert;

Psaume 78, 53 il les guida sûrement, ils furent sans crainte, leurs ennemis, la mer les recouvrit.

Psaume 78, 54 Il les amena vers son saint territoire, la montagne que sa droite a conquise;

Psaume 78, 55 il chassa devant eux les païens, il leur marqua au cordeau un héritage; il installa sous leurs tentes les tribus d'Israël.

Psaume 78, 56 Ils tentaient, ils bravaient Dieu le Très-Haut, se refusaient à garder ses témoignages;

Psaume 78, 57 ils déviaient, ils trahissaient comme leurs pères, se retournaient comme un arc infidèle;

Psaume 78, 58 ils l'indignaient avec leurs hauts lieux, par leurs idoles ils le rendaient jaloux.

Psaume 78, 59 Dieu entendit et s'emporta, il rejeta tout à fait Israël;

Psaume 78, 60 il délaissa la demeure de Silo, la tente où il demeurait chez les hommes.

Psaume 78, 61 Il livra sa force à la captivité, aux mains de l'ennemi sa splendeur;

Psaume 78, 62 il remit son peuple à l'épée, contre son héritage il s'emporta.

Psaume 78, 63 Ses cadets, le feu les dévora, ses vierges n'eurent pas de chant de noces;

Psaume 78, 64 ses prêtres tombèrent sous l'épée, ses veuves ne firent pas de lamentations.

Psaume 78, 65 Il s'éveilla comme un dormeur, le Seigneur, comme un vaillant terrassé par le vin,

Psaume 78, 66 il frappa ses ennemis au dos, les livra pour toujours à la honte.

Psaume 78, 67 Il rejeta la tente de Joseph, il n'élut pas la tribu d'Ephraïm;

Psaume 78, 68 il élut la tribu de Juda, la montagne de Sion qu'il aime.

Psaume 78, 69 Il bâtit comme les hauteurs son sanctuaire, comme la terre qu'il fonda pour toujours.

Psaume 78, 70 Il élut David son serviteur, il le tira des parcs à moutons,

Psaume 78, 71 de derrière les brebis mères il l'appela pour paître Jacob son peuple et Israël son héritage;

Psaume 78, 72 il les paissait d'un coeur parfait, et d'une main sage les guidait.

Psaume 79, 1

Psaume. D'Asaph. Dieu, ils sont venus, les païens, dans ton héritage, ils ont souillé ton Temple sacré; ils ont fait de Jérusalem un tas de ruines,

Psaume 79, 2 ils ont livré le cadavre de tes serviteurs en pâture à l'oiseau des cieux, la chair des tiens aux bêtes de la terre.

Psaume 79, 3 Ils ont versé le sang comme de l'eau alentour de Jérusalem, et pas un fossoyeur.

Psaume 79, 4 Nous voici l'insulte de nos voisins, fable et risée de notre entourage.

Psaume 79, 5 Jusques à quand, Yahvé, ta colère? Jusqu'à la fin? Ta jalousie brûlera-t-elle comme un feu?

Psaume 79, 6 Déverse ta fureur sur les païens, eux qui ne te connaissent pas, et sur les royaumes, ceux-là qui n'invoquent pas ton nom.

Psaume 79, 7 Car ils ont dévoré Jacob et dévasté sa demeure.

Psaume 79, 8 Ne retiens pas contre nous les fautes des ancêtres, hâte-toi, préviens-nous par ta tendresse, nous sommes à bout de force;

Psaume 79, 9 aide-nous, Dieu de notre salut, par égard pour la gloire de ton nom; efface, Yahvé, nos péchés, délivre-nous, à cause de ton nom.

Psaume 79, 10 Pourquoi les païens diraient-ils: "Où est leur Dieu?" Que sous nos yeux les païens connaissent la vengeance du sang de tes serviteurs, qui fut versé!

Psaume 79, 11 Que vienne devant toi la plainte du captif, par ton bras puissant, épargne les clients de la mort!

Psaume 79, 12 Fais retomber sept fois sur nos voisins, à pleine mesure, leur insulte, l'insulte qu'ils t'ont faite, Seigneur.

Psaume 79, 13 Et nous, ton peuple, le troupeau de ton bercail, nous te rendrons grâce à jamais et d'âge en âge publierons ta louange.

Psaume 80, 1 Du maître de chant. Sur l'air: Des lys sont les préceptes. D'Asaph.

Psaume.

Psaume 80, 2 Pasteur d'Israël, écoute, toi qui mènes Joseph comme un troupeau; toi qui sièges sur les Chérubins, resplendis

Psaume 80, 3 devant Ephraïm, Benjamin et Manassé, réveille ta vaillance et viens à notre secours.

Psaume 80, 4 Dieu, fais-nous revenir, fais luire ta face et nous serons sauvés.

Psaume 80, 5 Jusques à quand, Yahvé Dieu Sabaot, prendras-tu feu contre la prière de ton peuple?

Psaume 80, 6 Tu l'as nourri d'un pain de larmes, abreuvé de larmes à triple mesure;

Psaume 80, 7 tu fais de nous une question pour nos voisins et nos ennemis se moquent de nous.

Psaume 80, 8 Dieu Sabaot, fais-nous revenir, fais luire ta face et nous serons sauvés.

Psaume 80, 9 Il était une vigne: tu l'arraches d'Egypte, tu chasses des nations pour la planter;

Psaume 80, 10 devant elle tu fais place nette, elle prend racine et remplit le pays.

Psaume 80, 11 Les montagnes étaient couvertes de son ombre, et de ses pampres les cèdres de Dieu;

Psaume 80, 12 elle étendait ses sarments jusqu'à la mer et du côté du Fleuve ses rejetons.

Psaume 80, 13 Pourquoi as-tu rompu ses clôtures, et tout passant du chemin la grappille,

Psaume 80, 14 le sanglier des forêts la ravage et la bête des champs la dévore?

Psaume 80, 15 Dieu Sabaot, reviens enfin, observe des cieux et vois, visite cette vigne:

Psaume 80, 16 protège-la, celle que ta droite a plantée.

Psaume 80, 17 Ils l'ont brûlée par le feu comme une ordure, au reproche de ta face ils périront.

Psaume 80, 18 Ta main soit sur l'homme de ta droite, le fils d'Adam que tu as confirmé!

Psaume 80, 19 Jamais plus nous n'irons loin de toi; rends-nous la vie, qu'on invoque ton nom.

Psaume 80, 20 Yahvé Dieu Sabaot, fais-nous revenir, fais luire ta face et nous serons sauvés.

Psaume 81, 1 Du maître de chant. Sur la... de Gat. D'Asaph.

Psaume 81, 2 Criez de joie pour Dieu notre force, acclamez le Dieu de Jacob.

Psaume 81, 3 Ouvrez le concert, frappez le tambourin, la douce harpe ainsi que la lyre;

Psaume 81, 4 sonnez du cor au mois nouveau, à la pleine lune, au jour de notre fête.

Psaume 81, 5 Car Israël a une loi, un jugement du Dieu de Jacob,

Psaume 81, 6 un témoignage qu'il mit en Joseph quand il sortit contre la terre d'Egypte. Un langage inconnu se fait entendre:

Psaume 81, 7 "Du fardeau j'ai déchargé son épaule, ses mains ont lâché le couffin;

Psaume 81, 8 dans la détresse tu as crié, je t'ai sauvé. Je te répondis caché dans l'orage, je t'éprouvai aux eaux de Meriba.

Psaume 81, 9 Ecoute, mon peuple, je t'adjure, ô Israël, si tu pouvais m'écouter!

Psaume 81, 10 Qu'il n'y ait point chez toi un dieu d'emprunt, n'adore pas un dieu étranger;

Psaume 81, 11 c'est moi, Yahvé, ton Dieu, qui t'ai fait monter de la terre d'Egypte, ouvre large ta bouche, et je l'emplirai.

Psaume 81, 12 Mon peuple n'a pas écouté ma voix, Israël ne s'est pas rendu à moi;

Psaume 81, 13 je les laissai à leur coeur endurci, ils marchaient ne suivant que leur conseil.

Psaume 81, 14 Ah! si mon peuple m'écoutait, si dans mes voies marchait Israël,

Psaume 81, 15 en un instant j'abattrais ses adversaires et contre ses oppresseurs tournerais ma main.

Psaume 81, 16 Les ennemis de Yahvé l'aduleraient, et leur temps serait à jamais révolu.

Psaume 81, 17 Je l'aurais nourri de la fleur du froment, je t'aurais rassasié avec le miel du rocher."

Psaume 82, 1

Psaume. D'Asaph. Dieu se dresse au conseil divin, au milieu des dieux il juge:

Psaume 82, 2 "Jusques à quand jugerez-vous faussement, soutiendrez-vous les prestiges des impies?

Psaume 82, 3 Jugez pour le faible et l'orphelin, au malheureux, à l'indigent rendez justice;

Psaume 82, 4 libérez le faible et le pauvre, de la main des impies délivrez-les.

Psaume 82, 5 Sans savoir, sans comprendre, ils vont par la ténèbre, toute l'assise de la terre s'ébranle.

Psaume 82, 6 Moi, j'ai dit: Vous, des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous?

Psaume 82, 7 Mais non! comme l'homme vous mourrez, comme un seul, ô princes, vous tomberez."

Psaume 82, 8 Lève-toi, ô Dieu, juge la terre, car tu domines sur toutes les nations.

Psaume 83, 1

Psaume. Cantique. D'Asaph.

Psaume 83, 2 O Dieu, ne reste pas muet, plus de repos, plus de silence, ô Dieu!

Psaume 83, 3 Voici, tes adversaires grondent, tes ennemis lèvent la tête.

Psaume 83, 4 Contre ton peuple ils trament un complot, conspirent contre tes protégés

Psaume 83, 5 et disent: "Venez, retranchons-les des nations, qu'on n'ait plus souvenir du nom d'Israël! "

Psaume 83, 6 Ils conspirent tous d'un seul coeur, contre toi ils scellent une alliance:

Psaume 83, 7 les tentes d'Edom et les Ismaélites, Moab et les Hagrites,

Psaume 83, 8 Gébal, Ammon, Amaleq, la Philistie avec les gens de Tyr;

Psaume 83, 9 même Assur s'est joint à eux, il prête main-forte aux fils de Lot.

Psaume 83, 10 Fais d'eux comme de Madiân et de Sisera, comme de Yabîn au torrent de Qishôn;

Psaume 83, 11 ils furent détruits à En-Dor, ils ont servi de fumier à la glèbe.

Psaume 83, 12 Traite leurs princes comme Oreb et Zéeb, comme Zébah et Calmunna, tous leurs chefs,

Psaume 83, 13 eux qui disaient: A nous l'empire sur les demeures de Dieu!

Psaume 83, 14 Mon Dieu, traite-les comme une roue d'acanthe, comme un fétu en proie au vent.

Psaume 83, 15 Comme un feu dévore une forêt, comme la flamme embrase les montagnes,

Psaume 83, 16 ainsi poursuis-les de ta bourrasque, par ton ouragan remplis-les d'épouvante.

Psaume 83, 17 Couvre leur face de honte, qu'ils cherchent ton nom, Yahvé!

Psaume 83, 18 Sur eux la honte et l'épouvante pour toujours, la confusion et la perdition,

Psaume 83, 19 et qu'ils le sachent: toi seul as nom Yahvé, Très-Haut sur toute la terre.

Psaume 84, 1 Du maître de choeur. Sur la... de Gat. Des fils de Coré.

Psaume.

Psaume 84, 2 Que tes demeures sont désirables, Yahvé Sabaot!

Psaume 84, 3 Mon âme soupire et languit après les parvis de Yahvé, mon coeur et ma chair crient de joie vers le Dieu vivant.

Psaume 84, 4 Le passereau même a trouvé une maison, et l'hirondelle un nid pour elle, où elle pose ses petits: tes autels, Yahvé Sabaot, mon Roi et mon Dieu.

Psaume 84, 5 Heureux les habitants de ta maison, ils te louent sans cesse.

Psaume 84, 6 Heureux les hommes dont la force est en toi, qui gardent au coeur les montées.

Psaume 84, 7 Quand ils passent au val du Baumier, où l'on ménage une fontaine, surcroît de bénédiction, la pluie d'automne les enveloppe.

Psaume 84, 8 Ils marchent de hauteur en hauteur, Dieu leur apparaît dans Sion.

Psaume 84, 9 Yahvé Dieu Sabaot, écoute ma prière, prête l'oreille, Dieu de Jacob;

Psaume 84, 10 ô Dieu notre bouclier, vois, regarde la face de ton messie.

Psaume 84, 11 Mieux vaut un jour en tes parvis que mille à ma guise, rester au seuil dans la maison de mon Dieu qu'habiter la tente de l'impie.

Psaume 84, 12 Car Yahvé Dieu est rempart et bouclier, il donne grâce et gloire; Yahvé ne refuse pas le bonheur à ceux qui marchent en parfaits.

Psaume 84, 13 Yahvé Sabaot, heureux qui se fie en toi!

Psaume 85, 1 Du maître de chant. Des fils de Coré.

Psaume.

Psaume 85, 2 Ta complaisance, Yahvé, est pour ta terre, tu fais revenir les captifs de Jacob;

Psaume 85, 3 tu lèves les torts de ton peuple, tu couvres toute sa faute;

Psaume 85, 4 tu retires tout ton emportement, tu reviens de l'ardeur de ta colère.

Psaume 85, 5 Fais-nous revenir, Dieu de notre salut, apaise ton ressentiment contre nous!

Psaume 85, 6 Seras-tu pour toujours irrité contre nous, garderas-tu ta colère d'âge en âge?

Psaume 85, 7 Ne reviendras-tu pas nous vivifier, et ton peuple en toi se réjouira?

Psaume 85, 8 Fais-nous voir, Yahvé, ton amour, que nous soit donné ton salut!

Psaume 85, 9 J'écoute. Que dit Dieu? Ce que dit Yahvé, c'est la paix pour son peuple et ses amis, pourvu qu'ils ne reviennent à leur folie.

Psaume 85, 10 Proche est son salut pour qui le craint, et la Gloire habitera notre terre.

Psaume 85, 11 Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s'embrassent;

Psaume 85, 12 Vérité germera de la terre, et des cieux se penchera la Justice;

Psaume 85, 13 Yahvé lui-même donnera le bonheur et notre terre donnera son fruit;

Psaume 85, 14 Justice marchera devant lui et de ses pas tracera un chemin.

Psaume 86, 1 Prière. De David. Tends l'oreille, Yahvé, réponds-moi, pauvre et malheureux que je suis;

Psaume 86, 2 garde mon âme, car je suis ton ami, sauve ton serviteur qui se fie en toi. Tu es mon Dieu,

Psaume 86, 3 pitié pour moi, Seigneur, c'est toi que j'appelle tout le jour;

Psaume 86, 4 réjouis l'âme de ton serviteur, quand j'élève mon âme vers toi, Seigneur.

Psaume 86, 5 Seigneur, tu es pardon et bonté, plein d'amour pour tous ceux qui t'appellent;

Psaume 86, 6 Yahvé, entends ma prière, attentif à la voix de ma plainte.

Psaume 86, 7 Au jour de l'angoisse, je t'appelle, car tu me réponds, Seigneur;

Psaume 86, 8 entre les dieux, pas un comme toi, rien qui ressemble à tes oeuvres.

Psaume 86, 9 Tous les païens viendront t'adorer, Seigneur, et rendre gloire à ton nom;

Psaume 86, 10 car tu es grand et tu fais des merveilles, toi, Dieu, et toi seul.

Psaume 86, 11 Enseigne-moi, Yahvé, tes voies, afin que je marche en ta vérité, rassemble mon coeur pour craindre ton nom.

Psaume 86, 12 Je te rends grâce de tout mon coeur, Seigneur mon Dieu, à jamais je rendrai gloire à ton nom,

Psaume 86, 13 car ton amour est grand envers moi, tu as tiré mon âme du tréfonds du shéol.

Psaume 86, 14 O Dieu, des orgueilleux ont surgi contre moi, une bande de forcenés pourchasse mon âme, point de place pour toi devant eux.

Psaume 86, 15 Mais toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d'amour et de vérité,

Psaume 86, 16 tourne-toi vers moi, pitié pour moi! Donne à ton serviteur ta force et ton salut au fils de ta servante,

Psaume 86, 17 fais pour moi un signe de bonté. Ils verront, mes ennemis, et rougiront, car toi, Yahvé, tu m'aides et me consoles.

Psaume 87, 1 Des fils de Coré.

Psaume. Cantique. Sa fondation sur les montagnes saintes,

Psaume 87, 2 Yahvé la chérit, préférant les portes de Sion à toute demeure de Jacob.

Psaume 87, 3 Il parle de toi pour ta gloire, cité de Dieu:

Psaume 87, 4 "Je compte Rahab et Babylone parmi ceux qui me connaissent, voyez Tyr, la Philistie ou l'Ethiopie, un tel y est né."

Psaume 87, 5 Mais de Sion l'on dira: "Tout homme y est né" et celui qui l'affermit, c'est le Très-Haut.

Psaume 87, 6 Yahvé inscrit au registre les peuples: "Un tel y est né",

Psaume 87, 7 et les princes, comme les enfants. Tous font en toi leur demeure.

Psaume 88, 1 Cantique.

Psaume. Des fils de Coré. Du maître de chant. Pour la maladie. Pour l'affliction. Poème. De Hémân l'indigène.

Psaume 88, 2 Yahvé, Dieu de mon salut, lorsque je crie la nuit devant toi,

Psaume 88, 3 que jusqu'à toi vienne ma prière, prête l'oreille à mes sanglots.

Psaume 88, 4 Car mon âme est rassasiée de maux et ma vie est au bord du shéol;

Psaume 88, 5 déjà compté comme descendu dans la fosse, je suis un homme fini:

Psaume 88, 6 congédié chez les morts, pareil aux tués qui gisent dans la tombe, eux dont tu n'as plus souvenir et qui sont retranchés de ta main.

Psaume 88, 7 Tu m'as mis au tréfonds de la fosse, dans les ténèbres, dans les abîmes;

Psaume 88, 8 sur moi pèse ta colère, tu déverses toutes tes vagues.

Psaume 88, 9 Tu as éloigné de moi mes compagnons, tu as fait de moi une horreur pour eux; je suis enfermé et ne puis sortir,

Psaume 88, 10 mon oeil est usé par le malheur. Je t'appelle, Yahvé, tout le jour, je tends les mains vers toi:

Psaume 88, 11 "Pour les morts fais-tu des merveilles, les ombres se lèvent-elles pour te louer?

Psaume 88, 12 Parle-t-on de ton amour dans la tombe, de ta vérité au lieu de perdition?

Psaume 88, 13 Connaît-on dans la ténèbre tes merveilles et ta justice au pays de l'oubli...?"

Psaume 88, 14 Et moi, je crie vers toi, Yahvé, le matin, ma prière te prévient;

Psaume 88, 15 pourquoi, Yahvé, repousses-tu mon âme, caches-tu loin de moi ta face?

Psaume 88, 16 Malheureux et mourant dès mon enfance, j'ai enduré tes effrois, je suis à bout;

Psaume 88, 17 sur moi ont passé tes colères, tes épouvantes m'ont réduit à rien.

Psaume 88, 18 Elles me cernent comme l'eau tout le jour, se referment sur moi toutes ensemble.

Psaume 88, 19 Tu éloignes de moi amis et proches; ma compagnie, c'est la ténèbre.

Psaume 89, 1 Poème. D'Etân l'indigène.

Psaume 89, 2 L'amour de Yahvé à jamais je le chante, d'âge en âge ma parole annonce ta vérité.

Psaume 89, 3 Car tu as dit: l'amour est bâti à jamais, les cieux, tu fondes en eux ta vérité.

Psaume 89, 4 "J'ai fait une alliance avec mon élu, j'ai juré à David mon serviteur:

Psaume 89, 5 A tout jamais j'ai fondé ta lignée, je te bâtis d'âge en âge un trône."

Psaume 89, 6 Les cieux rendent grâce pour ta merveille, Yahvé, pour ta vérité, dans l'assemblée des saints.

Psaume 89, 7 Qui donc en les nues se compare à Yahvé, s'égale à Yahvé parmi les fils des dieux?

Psaume 89, 8 Dieu redoutable au conseil des saints, grand et terrible à tout son entourage,

Psaume 89, 9 Yahvé, Dieu Sabaot, qui est comme toi? Yahvé puissant, que ta vérité entoure!

Psaume 89, 10 C'est toi qui maîtrises l'orgueil de la mer, quand ses flots se soulèvent, c'est toi qui les apaises;

Psaume 89, 11 c'est toi qui fendis Rahab comme un cadavre, dispersas tes adversaires par ton bras de puissance.

Psaume 89, 12 A toi le ciel, à toi aussi la terre, le monde et son contenu, c'est toi qui les fondas;

Psaume 89, 13 le nord et le midi, c'est toi qui les créas, le Tabor et l'Hermon à ton nom crient de joie.

Psaume 89, 14 A toi ce bras et sa prouesse, puissante est ta main, sublime est ta droite;

Psaume 89, 15 Justice et Droit sont l'appui de ton trône, Amour et Vérité marchent devant ta face.

Psaume 89, 16 Heureux le peuple qui sait l'acclamation! Yahvé, à la clarté de ta face ils iront;

Psaume 89, 17 en ton nom ils jubilent tout le jour, en ta justice ils s'exaltent.

Psaume 89, 18 L'éclat de leur puissance, c'est toi, dans ta faveur tu exaltes notre vigueur;

Psaume 89, 19 car à Yahvé est notre bouclier; à lui, Saint d'Israël, est notre roi.

Psaume 89, 20 Jadis, en vision, tu as parlé et tu as dit à tes amis: "J'ai prêté assistance à un preux, j'ai exalté un cadet de mon peuple.

Psaume 89, 21 J'ai trouvé David mon serviteur, je l'ai oint de mon huile sainte;

Psaume 89, 22 pour lui ma main sera ferme, mon bras aussi le rendra fort.

Psaume 89, 23 L'adversaire ne pourra le tromper, le pervers ne pourra l'accabler;

Psaume 89, 24 j'écraserai devant lui ses agresseurs, ses ennemis, je les frapperai.

Psaume 89, 25 Ma vérité et mon amour avec lui, par mon nom s'exaltera sa vigueur;

Psaume 89, 26 j'établirai sa main sur la mer et sur les fleuves sa droite.

Psaume 89, 27 Il m'appellera: Toi, mon père, mon Dieu et le rocher de mon salut!

Psaume 89, 28 si bien que j'en ferai l'aîné, le très-haut sur les rois de la terre.

Psaume 89, 29 A jamais je lui garde mon amour, mon alliance est pour lui véridique;

Psaume 89, 30 j'ai pour toujours établi sa lignée, et son trône comme les jours des cieux.

Psaume 89, 31 Si ses fils abandonnent ma loi, ne marchent pas selon mes jugements,

Psaume 89, 32 s'ils profanent mes préceptes et ne gardent pas mes commandements,

Psaume 89, 33 je visiterai avec des verges leur péché, avec des coups leur méfait,

Psaume 89, 34 mais sans retirer de lui mon amour, sans faillir dans ma vérité.

Psaume 89, 35 Point ne profanerai mon alliance, ne dédirai le souffle de mes lèvres;

Psaume 89, 36 une fois j'ai juré par ma sainteté: mentir à David, jamais!

Psaume 89, 37 Sa lignée à jamais sera, et son trône comme le soleil devant moi,

Psaume 89, 38 comme est fondée la lune à jamais, témoin véridique dans la nue."

Psaume 89, 39 Mais toi, tu as rejeté et répudié, tu t'es emporté contre ton oint;

Psaume 89, 40 tu as renié l'alliance de ton serviteur, tu as profané jusqu'à terre son diadème.

Psaume 89, 41 Tu as fait brèche à toutes ses clôtures, tu as mis en ruines ses lieux forts;

Psaume 89, 42 tous les passants du chemin l'ont pillé, ses voisins en ont fait une insulte.

Psaume 89, 43 Tu as donné la haute main à ses agresseurs, tu as mis en joie tous ses adversaires;

Psaume 89, 44 tu as brisé son épée contre le roc, tu ne l'as pas épaulé dans le combat.

Psaume 89, 45 Tu as ôté son sceptre de splendeur, renversé son trône jusqu'à terre;

Psaume 89, 46 tu as écourté les jours de sa jeunesse, étalé sur lui la honte.

Psaume 89, 47 Jusques à quand, Yahvé, seras-tu caché? Jusqu'à la fin? Brûlera-t-elle comme un feu, ta colère?

Psaume 89, 48 Souviens-toi de moi: quelle est ma durée? Pour quel néant as-tu créé les fils d'Adam?

Psaume 89, 49 Qui donc vivra sans voir la mort, soustraira son âme à la griffe du shéol?

Psaume 89, 50 Où sont les prémices de ton amour, Seigneur? Tu as juré à David sur ta vérité.

Psaume 89, 51 Souviens-toi, Seigneur, de l'insulte à ton serviteur: je reçois en mon sein tous les traits des peuples;

Psaume 89, 52 ainsi tes adversaires, Yahvé, ont insulté, ainsi insulté les traces de ton oint!

Psaume 89, 53 Béni soit Yahvé à jamais! Amen! Amen!

Psaume 90, 1 Prière. De Moïse, homme de Dieu. Seigneur, tu as été pour nous un refuge d'âge en âge.

Psaume 90, 2 Avant que les montagnes fussent nées, enfantés la terre et le monde, de toujours à toujours tu es Dieu.

Psaume 90, 3 Tu fais revenir le mortel à la poussière en disant: "Revenez, fils d'Adam! "

Psaume 90, 4 Car mille ans sont à tes yeux comme le jour d'hier qui passe, comme une veille dans la nuit.

Psaume 90, 5 Tu les submerges de sommeil, ils seront le matin comme l'herbe qui pousse;

Psaume 90, 6 le matin, elle fleurit et pousse, le soir, elle se flétrit et sèche.

Psaume 90, 7 Par ta colère, nous sommes consumés, par ta fureur, épouvantés.

Psaume 90, 8 Tu as mis nos torts devant toi, nos secrets sous l'éclat de ta face.

Psaume 90, 9 Sous ton courroux tous nos jours déclinent, nous consommons nos années comme un soupir.

Psaume 90, 10 Le temps de nos années, quelque 70 ans,

Psaume 80, si la vigueur y est; mais leur grand nombre n'est que peine et mécompte, car elles passent vite, et nous nous envolons.

Psaume 90, 11 Qui sait la force de ta colère et, te craignant, connaît ton courroux?

Psaume 90, 12 Fais-nous savoir comment compter nos jours, que nous venions de coeur à la sagesse!

Psaume 90, 13 Reviens, Yahvé! Jusques à quand? Prends en pitié tes serviteurs.

Psaume 90, 14 Rassasie-nous de ton amour au matin, nous serons dans la joie et le chant tous les jours.

Psaume 90, 15 Rends-nous en joies tes jours de châtiment et les années où nous connûmes le malheur.

Psaume 90, 16 Paraisse ton oeuvre pour tes serviteurs, ta splendeur soit sur leurs enfants!

Psaume 90, 17 La douceur du Seigneur soit sur nous! Confirme l'ouvrage de nos mains!

Psaume 91, 1 Qui habite le secret d'Elyôn passe la nuit à l'ombre de Shaddaï,

Psaume 91, 2 disant à Yahvé: Mon abri, ma forteresse, mon Dieu sur qui je compte!

Psaume 91, 3 C'est lui qui t'arrache au filet de l'oiseleur qui s'affaire à détruire;

Psaume 91, 4 il te couvre de ses ailes, tu as sous son pennage un abri. Armure et bouclier, sa vérité.

Psaume 91, 5 Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole de jour,

Psaume 91, 6 ni la peste qui marche en la ténèbre, ni le fléau qui dévaste à midi.

Psaume 91, 7 Qu'il en tombe mille à tes côtés et 10.000 à ta droite, toi, tu restes hors d'atteinte.

Psaume 91, 8 Il suffit que tes yeux regardent, tu verras le salaire des impies,

Psaume 91, 9 toi qui dis: Yahvé mon abri! et qui fais d'Elyôn ton refuge.

Psaume 91, 10 Le malheur ne peut fondre sur toi, ni la plaie approcher de ta tente:

Psaume 91, 11 il a pour toi donné ordre à ses anges de te garder en toutes tes voies.

Psaume 91, 12 Sur leurs mains ils te porteront pour qu'à la pierre ton pied ne heurte;

Psaume 91, 13 sur le fauve et la vipère tu marcheras, tu fouleras le lionceau et le dragon.

Psaume 91, 14 Puisqu'il s'attache à moi, je l'affranchis, je l'exalte puisqu'il connaît mon nom.

Psaume 91, 15 Il m'appelle et je lui réponds: "Je suis près de lui dans la détresse, je le délivre et je le glorifie,

Psaume 91, 16 de longs jours je veux le rassasier et je ferai qu'il voie mon salut.

Psaume 92, 1

Psaume. Cantique. Pour le jour du sabbat.

Psaume 92, 2 Il est bon de rendre grâce à Yahvé, de jouer pour ton nom, Très-Haut,

Psaume 92, 3 de publier au matin ton amour, ta fidélité au long des nuits,

Psaume 92, 4 sur la lyre à dix cordes et la cithare, avec un murmure de harpe.

Psaume 92, 5 Tu m'as réjoui, Yahvé, par tes oeuvres, devant l'ouvrage de tes mains je m'écrie:

Psaume 92, 6 "Que tes oeuvres sont grandes, Yahvé, combien profonds tes pensers! "

Psaume 92, 7 L'homme stupide ne sait pas, cela, l'insensé n'y comprends rien.

Psaume 92, 8 S'ils poussent comme l'herbe, les impies, s'ils fleurissent, tous les malfaisants, c'est pour être abattus à jamais,

Psaume 92, 9 mais toi, tu es élevé pour toujours, Yahvé.

Psaume 92, 10 Voici: tes ennemis périssent, tous les malfaisants se dispersent;

Psaume 92, 11 tu me donnes la vigueur du taureau, tu répands sur moi l'huile fraîche;

Psaume 92, 12 mon oeil a vu ceux qui m'épiaient, mes oreilles ont entendu les méchants.

Psaume 92, 13 Le juste poussera comme un palmier, il grandira comme un cèdre du Liban.

Psaume 92, 14 Plantés dans la maison de Yahvé, ils pousseront dans les parvis de notre Dieu.

Psaume 92, 15 Dans la vieillesse encore ils portent fruit, ils restent frais et florissants,

Psaume 92, 16 pour publier que Yahvé est droit: mon Rocher, en lui rien de faux.

Psaume 93, 1 Yahvé règne, il est vêtu de majesté, il est vêtu, enveloppé de puissance. Oui, le monde est stable; point ne bronchera.

Psaume 93, 2 Ton trône est établi dès l'origine, depuis toujours, tu es.

Psaume 93, 3 Les fleuves déchaînent, ô Yahvé, les fleuves déchaînent leur voix, les fleuves déchaînent leur fracas;

Psaume 93, 4 plus que la voix des eaux innombrables, plus superbe que le ressac de la mer; superbe est Yahvé dans les hauteurs.

Psaume 93, 5 Ton témoignage est véridique entièrement; la sainteté est l'ornement de ta maison, Yahvé, en la longueur des jours.

Psaume 94, 1 Dieu des vengeances, Yahvé, Dieu des vengeances, parais!

Psaume 94, 2 Lève-toi, juge de la terre, retourne aux orgueilleux leur salaire!

Psaume 94, 3 Jusques à quand les impies, Yahvé, jusques à quand les impies triomphant?

Psaume 94, 4 Ils déblatèrent, ils ont le verbe haut, ils se rengorgent, tous les malfaisants.

Psaume 94, 5 Et ton peuple, Yahvé, qu'ils écrasent, et ton héritage qu'ils oppriment,

Psaume 94, 6 la veuve et l'étranger, ils les égorgent, et l'orphelin, ils l'assassinent!

Psaume 94, 7 Et ils disent: "Yahvé ne voit pas, le Dieu de Jacob ne prend pas garde."

Psaume 94, 8 Prenez garde, stupides entre tous! insensés, quand aurez-vous l'intelligence?

Psaume 94, 9 Lui qui planta l'oreille n'entendrait pas? S'il a façonné l'oeil, il ne verrait pas?

Psaume 94, 10 Lui qui reprend les peuples ne punirait pas? Lui qui enseigne à l'homme le savoir,

Psaume 94, 11 Yahvé sait les pensées de l'homme et qu'elles sont du vent.

Psaume 94, 12 Heureux l'homme que tu reprends, Yahvé, et que tu enseignes par ta loi,

Psaume 94, 13 pour lui donner le repos aux mauvais jours, tant que se creuse une fosse pour l'impie.

Psaume 94, 14 Car Yahvé ne délaisse point son peuple, son héritage, point ne l'abandonne;

Psaume 94, 15 le jugement revient vers la justice, tous les coeurs droits lui font cortège.

Psaume 94, 16 Qui se lève pour moi contre les méchants, qui siège pour moi contre les malfaisants?

Psaume 94, 17 Si Yahvé ne me venait en aide, bientôt mon âme habiterait le silence.

Psaume 94, 18 Quand je dis: "Mon pied chancelle", ton amour, Yahvé, me soutient;

Psaume 94, 19 dans l'excès des soucis qui m'envahissent, tes consolations délectent mon âme.

Psaume 94, 20 Es-tu l'allié d'un tribunal de perdition, érigeant en loi le désordre?

Psaume 94, 21 On s'attaque à la vie du juste, et le sang innocent, on le condamne.

Psaume 94, 22 Mais Yahvé est pour moi une citadelle, et mon Dieu, le rocher de mon refuge;

Psaume 94, 23 il retourne contre eux leur méfait et pour leur malice il les fait taire, il les fait taire, Yahvé notre Dieu!

Psaume 95, 1 Venez, crions de joie pour Yahvé, acclamons le Rocher de notre salut;

Psaume 95, 2 approchons de sa face en rendant grâce, au son des musiques acclamons-le.

Psaume 95, 3 Car c'est un Dieu grand que Yahvé, un Roi grand par-dessus tous les dieux;

Psaume 95, 4 en sa main sont les creux de la terre et les hauts des montagnes sont à lui;

Psaume 95, 5 à lui la mer, c'est lui qui l'a faite, la terre ferme, ses mains l'ont façonnée.

Psaume 95, 6 Entrez, courbons-nous, prosternons-nous; à genoux devant Yahvé qui nous a faits!

Psaume 95, 7 Car c'est lui notre Dieu, et nous le peuple de son bercail, le troupeau de sa main. Aujourd'hui si vous écoutiez sa voix!

Psaume 95, 8 "N'endurcissez pas vos coeurs comme à Meriba, comme au jour de Massa dans le désert,

Psaume 95, 9 où vos pères m'éprouvaient, me tentaient, alors qu'ils me voyaient agir!

Psaume 95, 10 40 ans cette génération m'a dégoûté et je dis: Toujours ces coeurs errants, ces gens-là n'ont pas connu mes voies.

Psaume 95, 11 Alors j'ai juré en ma colère: jamais ils ne parviendront à mon repos."

Psaume 96, 1 Chantez à Yahvé un chant nouveau! Chantez à Yahvé, toute la terre!

Psaume 96, 2 Chantez à Yahvé, bénissez son nom! Proclamez jour après jour son salut,

Psaume 96, 3 racontez aux païens sa gloire, à tous les peuples ses merveilles!

Psaume 96, 4 Grand, Yahvé, et louable hautement, redoutable, lui, par-dessus tous les dieux!

Psaume 96, 5 Néant, tous les dieux des nations. C'est Yahvé qui fit les cieux;

Psaume 96, 6 devant lui, splendeur et majesté, dans son sanctuaire, puissance et beauté.

Psaume 96, 7 Rapportez à Yahvé, familles des peuples, rapportez à Yahvé gloire et puissance,

Psaume 96, 8 rapportez à Yahvé la gloire de son nom. Présentez l'oblation, entrez en ses parvis,

Psaume 96, 9 adorez Yahvé dans son éclat de sainteté. Tremblez devant lui, toute la terre.

Psaume 96, 10 Dites chez les païens: "Yahvé règne." Le monde est stable, point ne bronchera. Sur les peuples il prononce avec droiture.

Psaume 96, 11 Joie au ciel! exulte la terre! Que gronde la mer, et sa plénitude!

Psaume 96, 12 Que jubile la campagne, et tout son fruit, que tous les arbres des forêts crient de joie,

Psaume 96, 13 à la face de Yahvé, car il vient, car il vient pour juger la terre; il jugera le monde en justice et les peuples en sa vérité.

Psaume 97, 1 Yahvé règne! Exulte la terre, que jubilent les îles nombreuses!

Psaume 97, 2 Ténèbre et Nuée l'entourent, Justice et Droit sont l'appui de son trône.

Psaume 97, 3 Un feu devant lui s'avance et dévore à l'entour ses rivaux;

Psaume 97, 4 ses éclairs illuminent le monde, la terre voit et chavire.

Psaume 97, 5 Les montagnes fondent comme la cire devant le Maître de toute la terre;

Psaume 97, 6 les cieux proclament sa justice et tous les peuples voient sa gloire.

Psaume 97, 7 Honte aux servants des idoles, eux qui se vantent de vanités; prosternez-vous devant lui, tous les dieux.

Psaume 97, 8 Sion entend et jubile, les filles de Juda exultent à cause de tes jugements, Yahvé.

Psaume 97, 9 Car toi, tu es Yahvé, Très-Haut sur toute la terre, surpassant de beaucoup tous les dieux.

Psaume 97, 10 Yahvé aime qui déteste le mal, il garde les âmes des siens et de la main des impies les délivre.

Psaume 97, 11 La lumière se lève pour le juste, et pour l'homme au coeur droit, la joie.

Psaume 97, 12 Justes, jubilez en Yahvé, louez sa mémoire de sainteté.

Psaume 98, 1

Psaume. Chantez à Yahvé un chant nouveau, car il a fait des merveilles; le salut lui vint de sa droite, de son bras de sainteté.

Psaume 98, 2 Yahvé a fait connaître son salut, aux yeux des païens révélé sa justice,

Psaume 98, 3 se rappelant son amour et sa fidélité pour la maison d'Israël. Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu.

Psaume 98, 4 Acclamez Yahvé, toute la terre, éclatez en cris de joie!

Psaume 98, 5 Jouez pour Yahvé sur la harpe, au son des instruments;

Psaume 98, 6 au son de la trompette et du cor acclamez à la face du roi Yahvé.

Psaume 98, 7 Gronde la mer et sa plénitude, le monde et son peuplement;

Psaume 98, 8 que tous les fleuves battent des mains et les montagnes crient de joie,

Psaume 98, 9 à la face de Yahvé, car il vient pour juger la terre, il jugera le monde en justice et les peuples en droiture.

Psaume 99, 1 Yahvé règne, les peuples tremblent; il siège sur les Chérubins, la terre chancelle;

Psaume 99, 2 dans Sion Yahvé est grand. Il s'exalte, lui, par-dessus tous les peuples;

Psaume 99, 3 qu'ils célèbrent ton nom grand et redoutable: il est saint, lui,

Psaume 99, 4 et puissant. Le roi qui aime le jugement, c'est toi; tu as fondé droiture, jugement et justice, en Jacob c'est toi qui agis.

Psaume 99, 5 Exaltez Yahvé notre Dieu, prosternez-vous vers son marchepied: lui, il est saint.

Psaume 99, 6 Moïse, Aaron parmi ses prêtres, et Samuel, appelant son nom, en appelaient à Yahvé: et lui, il leur répondait.

Psaume 99, 7 Dans la colonne de nuée, il parlait avec eux; eux gardaient ses témoignages, la Loi qu'il leur donna.

Psaume 99, 8 Yahvé notre Dieu, toi, tu leur répondais, Dieu de pardon que tu étais pour eux, mais te vengeant de leurs méfaits.

Psaume 99, 9 Exaltez Yahvé notre Dieu, prosternez-vous vers sa sainte montagne: saint est Yahvé notre Dieu.

Psaume 100, 1

Psaume. Pour l'action de grâces. Acclamez Yahvé, toute la terre,

Psaume 100, 2 servez Yahvé dans l'allégresse, venez à lui avec des chants de joie!

Psaume 100, 3 Sachez-le, c'est Yahvé qui est Dieu, il nous a faits et nous sommes à lui, son peuple et le troupeau de son bercail.

Psaume 100, 4 Venez à ses portiques en rendant grâce, à ses parvis en chantant louange, rendez-lui grâce, bénissez son nom!

Psaume 100, 5 Il est bon, Yahvé, éternel est son amour, et d'âge en âge, sa vérité.

Psaume 101, 1 De David.

Psaume. Je chanterai amour et jugement, pour toi, Yahvé, je jouerai;

Psaume 101, 2 j'avancerai dans la voie des parfaits: quand viendras-tu vers moi? Je suivrai la perfection de mon coeur dans ma maison;

Psaume 101, 3 point de place devant mes yeux pour rien de vil. Je hais les façons des dévoyés, elles n'ont sur moi nulle prise;

Psaume 101, 4 loin de moi le coeur tortueux, le méchant, je l'ignore.

Psaume 101, 5 Qui dénigre en secret son prochain, celui-là, je le fais taire; l'oeil hautain, le coeur enflé, je ne puis les souffrir.

Psaume 101, 6 J'ai les yeux sur les fidèles du pays, qu'ils demeurent avec moi; celui qui marche dans la voie des parfaits sera mon servant.

Psaume 101, 7 Point de demeure en ma maison pour le faiseur de tromperie; le diseur de mensonges ne tient pas devant mes yeux.

Psaume 101, 8 Au matin, je les fais taire, tous les impies du pays, pour retrancher de la ville de Yahvé tous les malfaisants.

Psaume 102, 1 Prière pour un malheureux qui dans son accablement répand sa plainte devant Yahvé.

Psaume 102, 2 Yahvé, entends ma prière, que mon cri vienne jusqu'à toi;

Psaume 102, 3 ne cache pas loin de moi ta face au jour où l'angoisse me tient; incline vers moi ton oreille, au jour où je t'appelle, vite, réponds-moi!

Psaume 102, 4 Car mes jours s'en vont en fumée, mes os brûlent comme un brasier;

Psaume 102, 5 battu comme l'herbe, mon coeur sèche et j'oublie de manger mon pain;

Psaume 102, 6 à force de crier ma plainte, ma peau s'est collée à mes os.

Psaume 102, 7 Je ressemble au hibou du désert, je suis pareil à la hulotte des ruines;

Psaume 102, 8 je veille et je gémis, comme l'oiseau solitaire sur le toit;

Psaume 102, 9 tout le jour mes ennemis m'outragent, ceux qui me louaient maudissent par moi.

Psaume 102, 10 La cendre est le pain que je mange, je mêle à ma boisson mes larmes,

Psaume 102, 11 devant ta colère et ta fureur, car tu m'as soulevé puis rejeté;

Psaume 102, 12 mes jours sont comme l'ombre qui décline, et moi comme l'herbe je sèche.

Psaume 102, 13 Mais toi, Yahvé, tu trônes à jamais; d'âge en âge, mémoire de toi!

Psaume 102, 14 Toi, tu te lèveras, attendri pour Sion, car il est temps de la prendre en pitié, car l'heure est venue;

Psaume 102, 15 car tes serviteurs en chérissent les pierres, pris de pitié pour sa poussière.

Psaume 102, 16 Et les païens craindront le nom de Yahvé, et tous les rois de la terre, ta gloire;

Psaume 102, 17 quand Yahvé rebâtira Sion, il sera vu dans sa gloire;

Psaume 102, 18 il se tournera vers la prière du spolié, il n'aura pas méprisé sa prière.

Psaume 102, 19 On écrira ceci pour l'âge à venir et un peuple nouveau louera Dieu:

Psaume 102, 20 il s'est penché du haut de son sanctuaire, Yahvé, et des cieux a regardé sur terre,

Psaume 102, 21 afin d'écouter le soupir du captif, de libérer les clients de la mort,

Psaume 102, 22 pour répandre dans Sion le nom de Yahvé, sa louange dans Jérusalem,

Psaume 102, 23 quand se joindront peuples et royaumes pour rendre un culte à Yahvé.

Psaume 102, 24 En chemin ma force a fléchi; le petit nombre de mes jours,

Psaume 102, 25 fais-le-moi savoir, ne me prends pas à la moitié de mes jours, d'âge en âge vont tes années.

Psaume 102, 26 Depuis longtemps tu as fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains;

Psaume 102, 27 eux périssent, toi tu restes, tous comme un vêtement ils s'usent, comme un habit qu'on change, tu les changes;

Psaume 102, 28 mais toi, le même, sans fin sont tes années.

Psaume 102, 29 Les fils de tes serviteurs auront une demeure et leur lignée subsistera devant toi.

Psaume 104, 1 Bénis Yahvé, mon âme. Yahvé, mon Dieu, tu es si grand! Vêtu de faste et d'éclat,

Psaume 104, 2 drapé de lumière comme d'un manteau, tu déploies les cieux comme une tente,

Psaume 104, 3 tu bâtis sur les eaux tes chambres hautes; faisant des nuées ton char, tu t'avances sur les ailes du vent;

Psaume 104, 4 tu prends les vents pour messagers, pour serviteurs un feu de flammes.

Psaume 104, 5 Tu poses la terre sur ses bases, inébranlable pour les siècles des siècles.

Psaume 104, 6 De l'abîme tu la couvres comme d'un vêtement, sur les montagnes se tenaient les eaux.

Psaume 104, 7 A ta menace, elles prennent la fuite, à la voix de ton tonnerre, elles s'échappent;

Psaume 104, 8 elles sautent les montagnes, elles descendent les vallées vers le lieu que tu leur as assigné;

Psaume 104, 9 tu mets une limite à ne pas franchir, qu'elles ne reviennent couvrir la terre.

Psaume 104, 10 Dans les ravins tu fais jaillir les sources, elles cheminent au milieu des montagnes;

Psaume 104, 11 elles abreuvent toutes les bêtes des champs, les onagres y calment leur soif;

Psaume 104, 12 l'oiseau des cieux séjourne près d'elles, sous la feuillée il élève la voix.

Psaume 104, 13 De tes chambres hautes, tu abreuves les montagnes; la terre se rassasie du fruit de tes oeuvres;

Psaume 104, 14 tu fais croître l'herbe pour le bétail et les plantes à l'usage des humains, pour qu'ils tirent le pain de la terre

Psaume 104, 15 et le vin qui réjouit le coeur de l'homme, pour que l'huile fasse luire les visages et que le pain fortifie le coeur de l'homme.

Psaume 104, 16 Les arbres de Yahvé se rassasient, les cèdres du Liban qu'il a plantés;

Psaume 104, 17 c'est là que nichent les passereaux, sur leur cime la cigogne a son gîte;

Psaume 104, 18 aux chamois, les hautes montagnes, aux damans, l'abri des rochers.

Psaume 104, 19 Il fit la lune pour marquer les temps, le soleil connaît son coucher.

Psaume 104, 20 Tu poses la ténèbre, c'est la nuit, toutes les bêtes des forêts s'y remuent.

Psaume 104, 21 Les lionceaux rugissent après la proie et réclament à Dieu leur manger.

Psaume 104, 22 Quand se lève le soleil, ils se retirent et vont à leurs repaires se coucher;

Psaume 104, 23 l'homme sort pour son ouvrage, faire son travail jusqu'au soir.

Psaume 104, 24 Que tes oeuvres sont nombreuses, Yahvé! toutes avec sagesse tu les fis, la terre est remplie de ta richesse.

Psaume 104, 25 Voici la grande mer aux vastes bras, et là le remuement sans nombre des animaux petits et grands,

Psaume 104, 26 là des navires se promènent et Léviathan que tu formas pour t'en rire.

Psaume 104, 27 Tous ils espèrent de toi que tu donnes en son temps leur manger;

Psaume 104, 28 tu leur donnes, eux, ils ramassent, tu ouvres la main, ils se rassasient.

Psaume 104, 29 Tu caches ta face, ils s'épouvantent, tu retires leur souffle, ils expirent, à leur poussière ils retournent.

Psaume 104, 30 Tu envoies ton souffle, ils sont créés, tu renouvelles la face de la terre.

Psaume 104, 31 A jamais soit la gloire de Yahvé, que Yahvé se réjouisse en ses oeuvres!

Psaume 104, 32 Il regarde la terre, elle tremble, il touche les montagnes, elles fument!

Psaume 104, 33 Je veux chanter à Yahvé tant que je vis, je veux jouer pour mon Dieu tant que je dure.

Psaume 104, 34 Puisse mon langage lui plaire, moi, j'ai ma joie en Yahvé!

Psaume 104, 35 Que les pécheurs disparaissent de la terre, les impies, qu'il n'en soit jamais plus! Bénis Yahvé, mon âme.

Psaume 105, 1 Alleluia! Rendez grâce à Yahvé, criez son nom, annoncez parmi les peuples ses hauts faits;

Psaume 105, 2 chantez-le, jouez pour lui, récitez toutes ses merveilles;

Psaume 105, 3 tirez gloire de son nom de sainteté, joie pour les coeurs qui cherchent Yahvé!

Psaume 105, 4 Recherchez Yahvé et sa force, sans relâche poursuivez sa face;

Psaume 105, 5 rappelez-vous quelles merveilles il a faites, ses miracles et les jugements de sa bouche.

Psaume 105, 6 Lignée d'Abraham son serviteur, enfants de Jacob son élu,

Psaume 105, 7 c'est lui Yahvé notre Dieu: sur toute la terre ses jugements.

Psaume 105, 8 Il se rappelle à jamais son alliance, parole promulguée pour mille générations,

Psaume 105, 9 pacte conclu avec Abraham, serment qu'il fit à Isaac.

Psaume 105, 10 Il l'érigea en loi pour Jacob, pour Israël en alliance à jamais,

Psaume 105, 11 disant: "Je te donne une terre, Canaan, votre part d'héritage."

Psaume 105, 12 Tant qu'on put les compter, peu nombreux, étrangers au pays,

Psaume 105, 13 tant qu'ils allaient de nation en nation, d'un royaume à un peuple différent,

Psaume 105, 14 il ne laissa personne les opprimer, à cause d'eux il châtia des rois:

Psaume 105, 15 "Ne touchez pas à qui m'est consacré; à mes prophètes ne faites pas de mal."

Psaume 105, 16 Il appela sur le pays la famine, il brisa leur bâton, le pain;

Psaume 105, 17 il envoya devant eux un homme, Joseph vendu comme esclave.

Psaume 105, 18 On affligea ses pieds d'entraves, on lui passa les fers au cou;

Psaume 105, 19 le temps passa, son oracle s'accomplit, la parole de Yahvé le justifia.

Psaume 105, 20 Le roi envoya l'élargir, le maître des peuples, lui ouvrir;

Psaume 105, 21 il l'établit seigneur sur sa maison, maître de toute sa richesse,

Psaume 105, 22 pour instruire à son gré ses princes; de ses anciens il fit des sages.

Psaume 105, 23 Israël passa en Egypte, Jacob séjourna au pays de Cham.

Psaume 105, 24 Il fit croître son peuple abondamment, le fortifia plus que ses adversaires;

Psaume 105, 25 changeant leur coeur, il les fit haïr son peuple et ruser avec ses serviteurs.

Psaume 105, 26 Il envoya son serviteur Moïse, Aaron qu'il s'était choisi;

Psaume 105, 27 ils firent chez eux les signes qu'il avait dits, des miracles au pays de Cham.

Psaume 105, 28 Il envoya la ténèbre et enténébra, mais ils bravèrent ses ordres.

Psaume 105, 29 Il changea leurs eaux en sang et fit périr leurs poissons.

Psaume 105, 30 Leur pays grouilla de grenouilles jusque dans les chambres des rois;

Psaume 105, 31 il dit, et les insectes passèrent, les moustiques sur toute la contrée.

Psaume 105, 32 Il leur donna pour pluie la grêle, flammes de feu sur leur pays;

Psaume 105, 33 il frappa leur vigne et leur figuier, il brisa les arbres de leur contrée.

Psaume 105, 34 Il dit, et les sauterelles passèrent, les criquets, et ils étaient sans nombre,

Psaume 105, 35 et ils mangèrent toute herbe en leur pays et ils mangèrent le fruit de leur terroir.

Psaume 105, 36 Il frappa tout premier-né dans leur pays, toute la fleur de leur race;

Psaume 105, 37 il les fit sortir avec or et argent, et pas un dans leurs tribus ne trébuchait.

Psaume 105, 38 L'Egypte se réjouit de leur sortie, elle en était saisie de terreur;

Psaume 105, 39 il déploya une nuée pour les couvrir, un feu pour éclairer de nuit.

Psaume 105, 40 Ils demandèrent, il fit passer les cailles, du pain des cieux il les rassasia;

Psaume 105, 41 il ouvrit le rocher, les eaux jaillirent, dans le lieu sec elles coulaient comme un fleuve.

Psaume 105, 42 Se rappelant sa parole sacrée envers Abraham son serviteur,

Psaume 105, 43 il fit sortir son peuple dans l'allégresse, parmi les cris de joie, ses élus.

Psaume 105, 44 Il leur donna les terres des païens, du labeur des nations ils héritèrent,

Psaume 105, 45 en sorte qu'ils gardent ses décrets et qu'ils observent ses lois.

Psaume 106, 1 Alleluia! Rendez grâce à Yahvé, car il est bon, car éternel est son amour!

Psaume 106, 2 Qui dira les prouesses de Yahvé, fera retentir toute sa louange?

Psaume 106, 3 Heureux qui observe le droit, qui pratique en tout temps la justice!

Psaume 106, 4 Souviens-toi de moi, Yahvé, par amour de ton peuple, visite-moi par ton salut,

Psaume 106, 5 que je voie le bonheur de tes élus, joyeux de la joie de ton peuple, glorieux avec ton héritage!

Psaume 106, 6 Nous avons failli avec nos pères, nous avons dévié, renié;

Psaume 106, 7 nos pères en Egypte n'ont pas compris tes merveilles. Ils n'eurent pas souvenir de ton grand amour, ils bravèrent le Très-Haut à la mer des Joncs.

Psaume 106, 8 Il les sauva à cause de son nom, pour faire connaître sa prouesse.

Psaume 106, 9 Il menaça la mer des Joncs, elle sécha, il les mena sur l'abîme comme au désert,

Psaume 106, 10 les sauva de la main de l'ennemi, les racheta de la main de l'adversaire.

Psaume 106, 11 Et les eaux recouvrirent leurs oppresseurs, pas un d'entre eux n'échappa.

Psaume 106, 12 Alors ils eurent foi en ses paroles, ils chantèrent sa louange.

Psaume 106, 13 Ils coururent oublier ses actions, ils n'attendirent pas même son projet;

Psaume 106, 14 ils brûlaient de désir dans le désert, ils tentaient Dieu parmi les solitudes.

Psaume 106, 15 Il leur accorda leur demande: il envoya la fièvre dans leur âme;

Psaume 106, 16 ils jalousèrent Moïse dans le camp, Aaron le saint de Yahvé.

Psaume 106, 17 La terre s'ouvre, elle avale Datân et recouvre la bande d'Abiram;

Psaume 106, 18 un feu s'allume contre leur bande, une flamme embrase les renégats.

Psaume 106, 19 Ils fabriquèrent un veau en Horeb, se prosternèrent devant une fonte;

Psaume 106, 20 ils échangèrent leur gloire pour l'image du boeuf mangeur d'herbe.

Psaume 106, 21 Ils oubliaient Dieu qui les sauvait, l'auteur de grandes choses en Egypte,

Psaume 106, 22 de merveilles en terre de Cham, d'épouvantes sur la mer des Joncs.

Psaume 106, 23 Il parlait de les supprimer, si ce n'est que Moïse son élu se tint sur la brèche devant lui pour détourner son courroux de détruire.

Psaume 106, 24 Ils refusèrent une terre de délices, ils n'eurent pas foi en sa parole;

Psaume 106, 25 ils murmurèrent sous leurs tentes, ils n'écoutèrent pas la voix de Yahvé.

Psaume 106, 26 Il leva la main sur eux, pour les abattre au désert,

Psaume 106, 27 pour abattre leur lignée chez les païens, pour les parsemer dans les pays.

Psaume 106, 28 Ils se mirent au joug de Baal-Péor et mangèrent les sacrifices des morts.

Psaume 106, 29 Ils l'indignèrent par leurs pratiques, un fléau éclata contre eux.

Psaume 106, 30 Alors se lève Pinhas, il tranche, alors s'arrête le fléau;

Psaume 106, 31 justice lui en est rendue d'âge en âge et pour toujours.

Psaume 106, 32 Ils le fâchèrent aux eaux de Meriba; mal en prit à Moïse par leur faute,

Psaume 106, 33 car ils aigrirent son esprit et ses lèvres parlèrent trop vite.

Psaume 106, 34 Ils ne supprimèrent pas les peuples, ceux que Yahvé leur avait dits,

Psaume 106, 35 et ils se mêlaient aux païens, ils apprenaient leurs manières d'agir.

Psaume 106, 36 Ils en servaient les idoles, elles devenaient pour eux un piège!

Psaume 106, 37 Ils avaient sacrifié leurs fils et leurs filles aux démons.

Psaume 106, 38 Ils versaient le sang innocent, le sang de leurs fils et de leurs filles qu'ils sacrifiaient aux idoles de Canaan, et le pays fut profané de sang.

Psaume 106, 39 Ils se souillaient par leurs actions, ils se prostituaient par leurs pratiques;

Psaume 106, 40 Yahvé prit feu contre son peuple, il eut en horreur son héritage.

Psaume 106, 41 Il les livra aux mains des païens, leurs ennemis devinrent leurs maîtres;

Psaume 106, 42 leurs adversaires furent leurs tyrans, ils furent courbés sous leur main.

Psaume 106, 43 Mainte et mainte fois il les délivra, mais eux par bravade se révoltaient et s'enfonçaient dans leur tort;

Psaume 106, 44 il eut un regard pour leur détresse alors qu'il entendait leur cri.

Psaume 106, 45 Il se souvint pour eux de son alliance, il s'émut selon son grand amour;

Psaume 106, 46 il leur donna d'apitoyer tous ceux qui les tenaient captifs.

Psaume 106, 47 Sauve-nous, Yahvé notre Dieu, rassemble-nous du milieu des païens afin de rendre grâce à ton saint nom, de nous féliciter en ta louange.

Psaume 106, 48 Béni soit Yahvé le Dieu d'Israël depuis toujours jusqu'à toujours! Et tout le peuple dira: Amen!

Psaume 107, 1 Alleluia Rendez grâce à Yahvé, car il est bon, car éternel est son amour!

Psaume 107, 2 Ils le diront, les rachetés de Yahvé, qu'il racheta de la main de l'oppresseur,

Psaume 107, 3 qu'il rassembla du milieu des pays, orient et occident, nord et midi.

Psaume 107, 4 Ils erraient au désert, dans les solitudes, sans trouver le chemin d'une ville habitée;

Psaume 107, 5 ils avaient faim, surtout ils avaient soif, leur âme en eux défaillait.

Psaume 107, 6 Et ils criaient vers Yahvé dans la détresse, de leur angoisse il les a délivrés,

Psaume 107, 7 acheminés par un droit chemin pour aller vers la ville habitée.

Psaume 107, 8 Qu'ils rendent grâce à Yahvé de son amour, de ses merveilles pour les fils d'Adam!

Psaume 107, 9 Il rassasia l'âme avide, l'âme affamée, il la combla de biens.

Psaume 107, 10 Habitants d'ombre et de ténèbre, captifs de la misère et des fers,

Psaume 107, 11 pour avoir bravé l'ordre de Dieu et méprisé le projet du Très-Haut,

Psaume 107, 12 il ploya leur coeur sous la peine, ils succombaient, et pas un pour les aider.

Psaume 107, 13 Et ils criaient vers Yahvé dans la détresse, de leur angoisse il les a délivrés,

Psaume 107, 14 il les tira de l'ombre et la ténèbre et il rompit leurs entraves.

Psaume 107, 15 Qu'ils rendent grâce à Yahvé de son amour, de ses merveilles pour les fils d'Adam!

Psaume 107, 16 Car il brisa les portes d'airain, les barres de fer, il les fracassa.

Psaume 107, 17 Insensés, sur les chemins du péché, misérables à cause de leurs fautes,

Psaume 107, 18 tout aliment les dégoûtait, ils touchaient aux portes de la mort.

Psaume 107, 19 Et ils criaient vers Yahvé dans la détresse, de leur angoisse il les a délivrés.

Psaume 107, 20 Il envoya sa parole, il les guérit, à la fosse il arracha leur vie.

Psaume 107, 21 Qu'ils rendent grâce à Yahvé de son amour, de ses merveilles pour les fils d'Adam!

Psaume 107, 22 Qu'ils sacrifient des sacrifices d'action de grâces, qu'ils répètent ses oeuvres en chants de joie!

Psaume 107, 23 Descendus en mer sur des navires, ils faisaient négoce parmi les grandes eaux;

Psaume 107, 24 ceux-là ont vu les oeuvres de Yahvé, ses merveilles parmi les abîmes.

Psaume 107, 25 Il dit et fit lever un vent de bourrasque qui souleva les flots;

Psaume 107, 26 montant aux cieux, descendant aux gouffres, sous le mal leur âme fondait;

Psaume 107, 27 tournoyant, titubant comme un ivrogne, leur sagesse était toute engloutie.

Psaume 107, 28 Et ils criaient vers Yahvé dans la détresse, de leur angoisse il les a délivrés.

Psaume 107, 29 Il ramena la bourrasque au silence et les flots se turent.

Psaume 107, 30 Ils se réjouirent de les voir s'apaiser, il les mena jusqu'au port de leur désir.

Psaume 107, 31 Qu'ils rendent grâce à Yahvé de son amour, de ses merveilles pour les fils d'Adam!

Psaume 107, 32 Qu'ils l'exaltent dans l'assemblée du peuple, au conseil des anciens qu'ils le louent!

Psaume 107, 33 Il changeait les fleuves en désert, et les sources d'eau en soif,

Psaume 107, 34 un pays de fruits en saline, à cause de la malice des habitants.

Psaume 107, 35 Mais il changea le désert en nappe d'eau, une terre sèche en source d'eau;

Psaume 107, 36 là il fit habiter les affamés, et ils fondèrent une ville habitée.

Psaume 107, 37 Ils ensemencent des champs, plantent des vignes, et font du fruit à récolter.

Psaume 107, 38 Il les bénit et ils croissent beaucoup, il ne laisse pas diminuer leur bétail.

Psaume 107, 39 Ils étaient diminués, défaillants, sous l'étreinte des maux et des peines;

Psaume 107, 40 déversant le mépris sur les princes, il les perdait en un chaos sans chemin.

Psaume 107, 41 Mais il relève le pauvre de sa misère, il multiplie comme un troupeau les familles;

Psaume 107, 42 les coeurs droits voient et se réjouissent, tout ce qui ment a la bouche fermée.

Psaume 107, 43 Est-il un sage? Qu'il observe ces choses et comprenne l'amour de Yahvé!

Psaume 108, 1 Cantique. Psaume de David.

Psaume 108, 2 Mon coeur est prêt, ô Dieu, -- je veux chanter, je veux jouer! -- allons, ma gloire,

Psaume 108, 3 éveille-toi, harpe, cithare, que j'éveille l'aurore!

Psaume 108, 4 Je veux te louer chez les peuples, Yahvé, jouer pour toi dans les pays;

Psaume 108, 5 grand par-dessus les cieux ton amour, jusqu'aux nues, ta vérité.

Psaume 108, 6 O Dieu, élève-toi sur les cieux. Sur toute la terre, ta gloire!

Psaume 108, 7 Pour que soient délivrés tes bien-aimés, sauve par ta droite et réponds-nous.

Psaume 108, 8 Dieu a parlé en son sanctuaire: "J'exulte, je partage Sichem, j'arpente la vallée du Sukkot.

Psaume 108, 9 "A moi Galaad, à moi Manassé, Ephraïm, l'armure de ma tête, Juda, mon bâton de commandement,

Psaume 108, 10 "Moab, le bassin où je me lave! sur Edom, je jette ma sandale, contre la Philistie je crie victoire."

Psaume 108, 11 Qui me mènera dans une ville forte, qui me conduira jusqu'en Edom,

Psaume 108, 12 sinon Dieu, toi qui nous as rejetés, Dieu qui ne sors plus avec nos armées.

Psaume 108, 13 Porte-nous secours dans l'oppression: néant, le salut de l'homme!

Psaume 108, 14 Avec Dieu nous ferons des prouesses, et lui piétinera nos oppresseurs.

Psaume 109, 1 Du maître de chant. De David.

Psaume. Dieu de ma louange, ne te tais plus!

Psaume 109, 2 Bouche méchante et bouche d'imposture s'ouvrent contre moi. On me parle une langue de mensonge,

Psaume 109, 3 de paroles de haine on m'entoure, on m'attaque sans raison.

Psaume 109, 4 Pour prix de mon amitié, on m'accuse, et je ne suis que prière;

Psaume 109, 5 on amène sur moi le malheur pour prix du bienfait, la haine pour prix de mon amitié.

Psaume 109, 6 "Suscite contre lui le méchant, que se dresse à sa droite l'accusateur;

Psaume 109, 7 du jugement qu'il sorte coupable, que sa prière soit tenue pour péché!

Psaume 109, 8 Que les jours lui soient écourtés, qu'un autre prenne sa charge;

Psaume 109, 9 que ses enfants deviennent orphelins et sa femme, une veuve!

Psaume 109, 10 Ses fils, qu'ils errent et qu'ils errent, qu'ils mendient et qu'on les chasse de leurs ruines;

Psaume 109, 11 que l'usurier rafle tout son bien, que l'étranger pille son revenu!

Psaume 109, 12 Que pas un ne lui reste charitable, que pas un n'ait pitié de ses orphelins,

Psaume 109, 13 que soit retranchée sa descendance, qu'en une génération soit effacé leur nom!

Psaume 109, 14 Que Yahvé se souvienne du tort de ses pères, que le péché de sa mère ne soit pas effacé;

Psaume 109, 15 qu'ils soient devant Yahvé constamment, pour qu'il retranche de la terre leur souvenir! "

Psaume 109, 16 Lui ne s'est pas souvenu d'être charitable: il pourchassait le pauvre et le malheureux, jusqu'à la mort, l'homme au coeur brisé.

Psaume 109, 17 Il aimait la malédiction: elle vient à lui! Il ne goûtait pas la bénédiction: elle le quitte!

Psaume 109, 18 Il revêtait la malédiction comme un manteau: elle entre au fond de lui comme de l'eau, et comme de l'huile dans ses os.

Psaume 109, 19 Qu'elle lui soit un vêtement qui l'enveloppe, une ceinture qui l'enserre constamment!

Psaume 109, 20 Tel soit, de par Yahvé, le salaire de mes accusateurs qui profèrent le mal sur mon âme!

Psaume 109, 21 Mais toi, Yahvé, agis pour moi selon ton nom, délivre-moi, car ton amour est bonté.

Psaume 109, 22 Pauvre et malheureux que je suis, mon coeur est blessé au fond de moi;

Psaume 109, 23 comme l'ombre qui décline je m'en vais, on m'a secoué comme la sauterelle.

Psaume 109, 24 A tant jeûner mes genoux fléchissent, ma chair est amaigrie faute d'huile;

Psaume 109, 25 on a fait de moi une insulte, ceux qui me voient hochent la tête.

Psaume 109, 26 Aide-moi, Yahvé mon Dieu, sauve-moi selon ton amour:

Psaume 109, 27 qu'ils le sachent, c'est là ta main, toi, Yahvé, voilà ton oeuvre!

Psaume 109, 28 Eux maudissent, et toi tu béniras, ils attaquent, honte sur eux, et joie pour ton serviteur!

Psaume 109, 29 Qu'ils soient vêtus d'infamie, ceux qui m'accusent, enveloppés de leur honte comme d'un manteau!

Psaume 109, 30 Grandes grâces à Yahvé sur mes lèvres, louange à lui parmi la multitude;

Psaume 109, 31 car il se tient à la droite du pauvre pour sauver de ses juges son âme.

Psaume 110, 1 De David.

Psaume. Oracle de Yahvé à mon Seigneur: "Siège à ma droite, tant que j'aie fait de tes ennemis l'escabeau de tes pieds."

Psaume 110, 2 Ton sceptre de puissance, Yahvé l'étendra: depuis Sion, domine jusqu'au coeur de l'ennemi.

Psaume 110, 3 A toi le principat au jour de ta naissance, les honneurs sacrés dès le sein, dès l'aurore de ta jeunesse.

Psaume 110, 4 Yahvé l'a juré, il ne s'en dédira point: "Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisédech."

Psaume 110, 5 A ta droite, Seigneur, il abat les rois au jour de sa colère;

Psaume 110, 6 il fait justice des nations, entassant des cadavres, il abat les têtes sur l'immensité de la terre.

Psaume 110, 7 Au torrent il s'abreuve en chemin, c'est pourquoi il redresse la tête.

Psaume 111, 1 Alleluia! Je rends grâce à Yahvé de tout coeur dans le cercle des justes et l'assemblée.

Psaume 111, 2 Grandes sont les oeuvres de Yahvé, dignes d'étude pour qui les aime.

Psaume 111, 3 Faste et splendeur, son ouvrage; sa justice demeure à jamais.

Psaume 111, 4 Il laisse un mémorial de ses merveilles. Yahvé est tendresse et pitié.

Psaume 111, 5 Il donne à qui le craint la nourriture, il se souvient de son alliance pour toujours.

Psaume 111, 6 Il fait voir à son peuple la vertu de ses oeuvres, en lui donnant l'héritage des nations.

Psaume 111, 7 Justice et vérité, les oeuvres de ses mains, fidélité, toutes ses lois,

Psaume 111, 8 établies pour toujours et à jamais, accomplies avec droiture et vérité.

Psaume 111, 9 Il envoie la délivrance à son peuple, il déclare pour toujours son alliance; saint et redoutable est son nom.

Psaume 111, 10 Principe du savoir: la crainte de Yahvé; bien avisés tous ceux qui s'y tiennent. Sa louange demeure à jamais.

Psaume 112, 1 Alleluia! Heureux l'homme qui craint Yahvé, et se plaît fort à ses préceptes!

Psaume 112, 2 Sa lignée sera puissante sur la terre, et bénie la race des hommes droits.

Psaume 112, 3 Opulence et bien-être en sa maison; sa justice demeure à jamais.

Psaume 112, 4 Il se lève en la ténèbre, lumière des coeurs droits, pitié, tendresse et justice.

Psaume 112, 5 Bienheureux l'homme qui prend pitié et prête, qui règle ses affaires avec droiture.

Psaume 112, 6 Non, jamais il ne chancelle, en mémoire éternelle sera le juste.

Psaume 112, 7 Il ne craint pas d'annonces de malheur, ferme est son coeur, confiant en Yahvé;

Psaume 112, 8 son coeur est assuré, il ne craint pas: à la fin il toisera ses oppresseurs.

Psaume 112, 9 Il fait largesse, il donne aux pauvres; sa justice demeure à jamais, sa vigueur rehausse son prestige.

Psaume 112, 10 L'impie le voit et s'irrite, il grince des dents et dépérit. Le désir des impies va se perdre.

Psaume 113, 1 Alleluia! Louez, serviteurs de Yahvé, louez le nom de Yahvé!

Psaume 113, 2 Béni soit le nom de Yahvé, dès maintenant et à jamais!

Psaume 113, 3 Du lever du soleil à son coucher, loué soit le nom de Yahvé!

Psaume 113, 4 Plus haut que tous les peuples, Yahvé! plus haut que tous les cieux, sa gloire!

Psaume 113, 5 Qui est comme Yahvé notre Dieu, lui qui s'élève pour siéger

Psaume 113, 6 et s'abaisse pour voir cieux et terre?

Psaume 113, 7 De la poussière il relève le faible, du fumier il retire le pauvre,

Psaume 113, 8 pour l'asseoir au rang des princes, au rang des princes de son peuple.

Psaume 113, 9 Il assied la stérile en sa maison, mère en ses fils heureuse.

Psaume 114, 1 Alleluia! Quand Israël sortit d'Egypte, la maison de Jacob, de chez un peuple barbare,

Psaume 114, 2 Juda lui devint un sanctuaire, et Israël, son domaine.

Psaume 114, 3 La mer voit et s'enfuit, le Jourdain retourne en arrière;

Psaume 114, 4 les montagnes sautent comme des béliers et les collines comme des agneaux.

Psaume 114, 5 Qu'as-tu, mer, à t'enfuir, Jourdain, à retourner en arrière,

Psaume 114, 6 et vous, montagnes, à sauter comme des béliers, collines, comme des agneaux?

Psaume 114, 7 Tremble, terre, devant la face du Maître, devant la face du Dieu de Jacob,

Psaume 114, 8 qui change le rocher en étang et le caillou en source.

Psaume 115, 1 Non pas à nous, Yahvé, non pas à nous, mais à ton nom rapporte la gloire, pour ton amour et pour ta vérité!

Psaume 115, 2 Que les païens ne disent: "Où est leur Dieu?"

Psaume 115, 3 Notre Dieu, il est dans les cieux, tout ce qui lui plaît, il le fait.

Psaume 115, 4 Leurs idoles, or et argent, une oeuvre de main d'homme!

Psaume 115, 5 Elles ont une bouche et ne parlent pas, elles ont des yeux et ne voient pas,

Psaume 115, 6 elles ont des oreilles et n'entendent pas, elles ont un nez et ne sentent pas.

Psaume 115, 7 Leurs mains, mais elles ne touchent point, leurs pieds, mais ils ne marchent point, de leur gosier, pas un murmure!

Psaume 115, 8 Comme elles, seront ceux qui les firent, quiconque met en elles sa foi.

Psaume 115, 9 Maison d'Israël, mets ta foi en Yahvé, lui, leur secours et bouclier!

Psaume 115, 10 Maison d'Aaron, mets ta foi en Yahvé, lui, leur secours et bouclier!

Psaume 115, 11 Ceux qui craignent Yahvé, ayez foi en Yahvé, lui, leur secours et bouclier!

Psaume 115, 12 Yahvé se souvient de nous, il bénira, il bénira la maison d'Israël, il bénira la maison d'Aaron,

Psaume 115, 13 il bénira ceux qui craignent Yahvé, les petits avec les grands.

Psaume 115, 14 Que Yahvé vous fasse croître, vous et vos enfants!

Psaume 115, 15 Bénis soyez-vous de Yahvé qui a fait le ciel et la terre!

Psaume 115, 16 Le ciel, c'est le ciel de Yahvé, la terre, il l'a donnée aux fils d'Adam.

Psaume 115, 17 Non, les morts ne louent point Yahvé, ni tous ceux qui descendent au Silence;

Psaume 115, 18 mais nous, les vivants, nous bénissons Yahvé dès maintenant et à jamais.

Psaume 116, 1 Alleluia! J'aime, lorsque Yahvé entend le cri de ma prière,

Psaume 116, 2 lorsqu'il tend l'oreille vers moi, le jour où j'appelle.

Psaume 116, 3 Les lacets de la mort m'enserraient, les filets du shéol; l'angoisse et l'affliction me tenaient,

Psaume 116, 4 j'appelai le nom de Yahvé. De grâce, Yahvé, délivre mon âme!

Psaume 116, 5 Yahvé a pitié, il est juste, notre Dieu est tendresse;

Psaume 116, 6 Yahvé protège les simples, je faiblissais, il m'a sauvé.

Psaume 116, 7 Retourne, mon âme, à ton repos, car Yahvé t'a fait du bien.

Psaume 116, 8 Il a gardé mon âme de la mort, mes yeux des larmes et mes pieds du faux pas:

Psaume 116, 9 je marcherai à la face de Yahvé sur la terre des vivants.

Psaume 116, 10 Je crois lors même que je dis: "Je suis trop malheureux",

Psaume 116, 11 moi qui ai dit dans mon trouble: "Tout homme n'est que mensonge."

Psaume 116, 12 Comment rendrai-je à Yahvé tout le bien qu'il m'a fait?

Psaume 116, 13 J'élèverai la coupe du salut, j'appellerai le nom de Yahvé.

Psaume 116, 14 J'accomplirai mes voeux envers Yahvé, oui, devant tout son peuple!

Psaume 116, 15 Elle coûte aux yeux de Yahvé, la mort de ses amis.

Psaume 116, 16 De grâce, Yahvé, je suis ton serviteur, je suis ton serviteur fils de ta servante, tu as défait mes liens.

Psaume 116, 17 Je t'offrirai le sacrifice d'action de grâces, j'appellerai le nom de Yahvé.

Psaume 116, 18 J'accomplirai mes voeux envers Yahvé, oui, devant tout son peuple,

Psaume 116, 19 dans les parvis de la maison de Yahvé, au milieu de toi, Jérusalem!

Psaume 117, 1 Alleluia! Louez Yahvé, tous les peuples, fêtez-le, tous les pays!

Psaume 117, 2 Fort est son amour pour nous, pour toujours sa vérité.

Psaume 118, 1 Alleluia! Rendez grâce à Yahvé, car il est bon, car éternel est son amour!

Psaume 118, 2 Qu'elle le dise, la maison d'Israël: éternel est son amour!

Psaume 118, 3 Qu'elle le dise, la maison d'Aaron: éternel est son amour!

Psaume 118, 4 Qu'ils le disent, ceux qui craignent Yahvé: éternel est son amour!

Psaume 118, 5 De mon angoisse, j'ai crié vers Yahvé, il m'exauça, me mit au large.

Psaume 118, 6 Yahvé est pour moi, plus de crainte, que me fait l'homme, à moi?

Psaume 118, 7 Yahvé est pour moi, mon aide entre tous, j'ai toisé mes ennemis.

Psaume 118, 8 Mieux vaut s'abriter en Yahvé que se fier en l'homme;

Psaume 118, 9 mieux vaut s'abriter en Yahvé que se fier aux puissants.

Psaume 118, 10 Les païens m'ont tous entouré, au nom de Yahvé je les sabre;

Psaume 118, 11 ils m'ont entouré, enserré, au nom de Yahvé je les sabre;

Psaume 118, 12 ils m'ont entouré comme des guêpes, ils ont flambé comme feu de ronces, au nom de Yahvé je les sabre.

Psaume 118, 13 On m'a poussé, poussé pour m'abattre, mais Yahvé me vient en aide;

Psaume 118, 14 ma force et mon chant, c'est Yahvé, il fut pour moi le salut.

Psaume 118, 15 Clameurs de joie et de salut sous les tentes des justes: "La droite de Yahvé a fait prouesse,

Psaume 118, 16 la droite de Yahvé a le dessus, la droite de Yahvé a fait prouesse! "

Psaume 118, 17 Non, je ne mourrai pas, je vivrai et publierai les oeuvres de Yahvé;

Psaume 118, 18 il m'a châtié et châtié, Yahvé, à la mort il ne m'a pas livré.

Psaume 118, 19 Ouvrez-moi les portes de justice, j'entrerai, je rendrai grâce à Yahvé!

Psaume 118, 20 C'est ici la porte de Yahvé, les justes entreront.

Psaume 118, 21 Je te rends grâce, car tu m'as exaucé, tu fus pour moi le salut.

Psaume 118, 22 La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête de l'angle;

Psaume 118, 23 c'est là l'oeuvre de Yahvé, ce fut merveille à nos yeux.

Psaume 118, 24 Voici le jour que fit Yahvé, pour nous allégresse et joie.

Psaume 118, 25 De grâce, Yahvé, donne le salut! De grâce, Yahvé, donne la victoire!

Psaume 118, 26 Béni soit au nom de Yahvé celui qui vient! Nous vous bénissons de la maison de Yahvé.

Psaume 118, 27 Yahvé est Dieu, il nous illumine. Serrez vos cortèges, rameaux en main, jusqu'aux cornes de l'autel.

Psaume 118, 28 C'est toi mon Dieu, je te rends grâce, mon Dieu, je t'exalte; je te rends grâce, car tu m'as exaucé, tu fus pour moi le salut.

Psaume 118, 29 Rendez grâce à Yahvé, car il est bon, car éternel est son amour!

Psaume 120, 1 Cantique des montées. Vers Yahvé, quand l'angoisse me prend, je crie, il me répond.

Psaume 120, 2 Yahvé, délivre-moi des lèvres fausses, de la langue perfide!

Psaume 120, 3 Que va-t-il te donner, et quoi encore, langue perfide?

Psaume 120, 4 Les flèches du batailleur, qu'on aiguise à la braise des genêts.

Psaume 120, 5 Malheur à moi de vivre en Méshek, d'habiter les tentes de Qédar!

Psaume 120, 6 Mon âme a trop vécu parmi des gens qui haïssent la paix.

Psaume 120, 7 Moi, si je parle de paix, eux sont pour la guerre.

Psaume 121, 1 Cantique pour les montées. Je lève les yeux vers les monts: d'où viendra mon secours?

Psaume 121, 2 Le secours me vient de Yahvé qui a fait le ciel et la terre.

Psaume 121, 3 Qu'il ne laisse broncher ton pied! qu'il ne dorme, ton gardien!

Psaume 121, 4 Vois, il ne dort ni ne sommeille, le gardien d'Israël.

Psaume 121, 5 Yahvé est ton gardien, ton ombrage, Yahvé, à ta droite.

Psaume 121, 6 De jour, le soleil ne te frappe, ni la lune en la nuit.

Psaume 121, 7 Yahvé te garde de tout mal, il garde ton âme.

Psaume 121, 8 Yahvé te garde au départ, au retour, dès lors et à jamais.

Psaume 122, 1 Cantique des montées. De David. J'étais joyeux que l'on me dise: Allons à la maison de Yahvé!

Psaume 122, 2 Enfin nos pieds s'arrêtent dans tes portes, Jérusalem!

Psaume 122, 3 Jérusalem, bâtie comme une ville où tout ensemble fait corps,

Psaume 122, 4 Là où montent les tribus, les tribus de Yahvé, est pour Israël une raison de rendre grâce au nom de Yahvé.

Psaume 122, 5 Car ils sont là, les sièges du jugement, les sièges de la maison de David.

Psaume 122, 6 Appelez la paix sur Jérusalem: que reposent tes tentes!

Psaume 122, 7 Advienne la paix dans tes murs: repos en tes palais!

Psaume 122, 8 Pour l'amour de mes frères, de mes amis, laisse-moi dire: paix sur toi!

Psaume 122, 9 Pour l'amour de la maison de Yahvé notre Dieu, je prie pour ton bonheur!

Psaume 123, 1 Cantique des montées. Vers toi j'ai les yeux levés, qui te tiens au ciel;

Psaume 123, 2 les voici comme les yeux des serviteurs vers la main de leur maître. Comme les yeux de la servante vers la main de sa maîtresse, ainsi nos yeux vers Yahvé notre Dieu, tant qu'il nous prenne en pitié.

Psaume 123, 3 Pitié pour nous, Yahvé, pitié pour nous, trop de mépris nous rassasie;

Psaume 123, 4 notre âme est par trop rassasiée des sarcasmes des satisfaits! (Le mépris est pour les orgueilleux! )

Psaume 119, 1 Heureux, impeccables en leur voie, ceux qui marchent dans la loi de Yahvé!

Psaume 119, 2 Heureux, gardant son témoignage, ceux qui le cherchent de tout coeur,

Psaume 119, 3 et qui sans commettre de mal, marchent dans ses voies!

Psaume 119, 4 Toi, tu promulgues tes préceptes, à observer entièrement.

Psaume 119, 5 Puissent mes voies se fixer à observer tes volontés.

Psaume 119, 6 Alors je n'aurai nulle honte en revoyant tous tes commandements.

Psaume 119, 7 Je te rendrai grâce en droiture de coeur, instruit de tes justes jugements.

Psaume 119, 8 Tes volontés, je les veux observer, ne me délaisse pas entièrement.

Psaume 119, 9 Comment, jeune, garder pur son chemin? A observer ta parole.

Psaume 119, 10 De tout mon coeur c'est toi que je cherche, ne m'écarte pas de tes commandements.

Psaume 119, 11 Dans mon coeur j'ai conservé tes promesses pour ne point faillir envers toi.

Psaume 119, 12 Béni que tu es Yahvé, apprends-moi tes volontés!

Psaume 119, 13 De mes lèvres je les ai tous énumérés, les jugements de ta bouche.

Psaume 119, 14 Dans la voie de ton témoignage j'ai ma joie plus qu'en toute richesse.

Psaume 119, 15 Sur tes préceptes je veux méditer et regarder à tes chemins.

Psaume 119, 16 Je trouve en tes volontés mes délices, je n'oublie pas ta parole.

Psaume 119, 17 Sois bon pour ton serviteur et je vivrai, j'observerai ta parole.

Psaume 119, 18 Ouvre mes yeux: je regarderai aux merveilles de ta loi.

Psaume 119, 19 Etranger que je suis sur la terre, ne me cache pas tes commandements.

Psaume 119, 20 Mon âme se consume à désirer en tout temps tes jugements.

Psaume 119, 21 Tu t'en prends aux superbes, aux maudits, qui sortent de tes commandements.

Psaume 119, 22 Décharge-moi de l'insulte et du mépris, car je garde ton témoignage.

Psaume 119, 23 Que des princes tiennent séance et parlent contre moi, ton serviteur médite tes volontés.

Psaume 119, 24 Ton témoignage, voilà mes délices, tes volontés, mes conseillers.

Psaume 119, 25 Mon âme est collée à la poussière, vivifie-moi selon ta parole.

Psaume 119, 26 J'énumère mes voies, tu me réponds, apprends-moi tes volontés.

Psaume 119, 27 Fais-moi comprendre la voie de tes préceptes, je méditerai sur tes merveilles.

Psaume 119, 28 Mon âme se fond de chagrin, relève-moi selon ta parole.

Psaume 119, 29 Détourne-moi de la voie de mensonge, fais-moi la grâce de ta loi.

Psaume 119, 30 J'ai choisi la voie de vérité, je me conforme à tes jugements.

Psaume 119, 31 J'adhère à ton témoignage, Yahvé, ne me déçois pas.

Psaume 119, 32 Je cours sur la voie de tes commandements, car tu as mis mon coeur au large.

Psaume 119, 33 Enseigne-moi, Yahvé, la voie de tes volontés, je la veux garder en récompense.

Psaume 119, 34 Fais-moi comprendre et que je garde ta loi, que je l'observe de tout coeur.

Psaume 119, 35 Guide-moi au chemin de tes commandements, car j'ai là mon plaisir.

Psaume 119, 36 Infléchis mon coeur vers ton témoignage, et non point vers le gain.

Psaume 119, 37 Libère mes yeux des images de rien, vivifie-moi par ta parole.

Psaume 119, 38 Tiens ta promesse à ton serviteur, afin qu'on te craigne.

Psaume 119, 39 Libère-moi de l'insulte qui m'épouvante, tes jugements sont les bienvenus.

Psaume 119, 40 Voici, j'ai désiré tes préceptes, vivifie-moi par ta justice.

Psaume 119, 41 Que me vienne ton amour, Yahvé, ton salut selon ta promesse!

Psaume 119, 42 Que je riposte à l'insulte par la parole, car je compte sur ta parole.

Psaume 119, 43 N'ôte pas de ma bouche la parole de vérité, car j'espère en tes jugements.

Psaume 119, 44 J'observerai ta loi sans relâche pour toujours et à jamais.

Psaume 119, 45 Je serai au large en ma démarche, car je cherche tes préceptes.

Psaume 119, 46 Devant les rois je parlerai de ton témoignage, et n'aurai nulle honte.

Psaume 119, 47 Tes commandements ont fait mes délices, je les ai beaucoup aimés.

Psaume 119, 48 Je tends les mains vers tes commandements que j'aime, tes volontés, je les médite.

Psaume 119, 49 Rappelle-toi ta parole à ton serviteur, dont tu fis mon espoir.

Psaume 119, 50 Voici ma consolation dans ma misère: ta promesse me vivifie.

Psaume 119, 51 Les superbes m'ont bafoué à plaisir, sur ta loi je n'ai pas fléchi.

Psaume 119, 52 Je me rappelle tes jugements d'autrefois, Yahvé, et je me console.

Psaume 119, 53 La fureur me prend devant les impies, qui délaissent ta loi.

Psaume 119, 54 Cantiques pour moi, que tes volontés, en ma demeure d'étranger.

Psaume 119, 55 Je me rappelle dans la nuit ton nom, Yahvé, et j'observe ta loi.

Psaume 119, 56 Voici qui est pour moi: garder tes préceptes.

Psaume 119, 57 Ma part, ai-je dit, Yahvé, c'est d'observer tes paroles.

Psaume 119, 58 De tout coeur, je veux attendrir ta face, pitié pour moi selon ta promesse!

Psaume 119, 59 Je fais réflexion sur mes voies et je reviens à ton témoignage.

Psaume 119, 60 Je me hâte et je ne retarde d'observer tes commandements.

Psaume 119, 61 Les filets des impies m'environnent, je n'oublie pas ta loi.

Psaume 119, 62 Je me lève à minuit, te rendant grâce pour tes justes jugements,

Psaume 119, 63 allié que je suis de tous ceux qui te craignent et observent tes préceptes.

Psaume 119, 64 De ton amour, Yahvé, la terre est pleine, apprends-moi tes volontés.

Psaume 119, 65 Tu as fait du bien à ton serviteur, Yahvé, selon ta parole.

Psaume 119, 66 Apprends-moi le bon sens et le savoir, car j'ai foi dans tes commandements.

Psaume 119, 67 Avant d'être affligé je m'égarais, maintenant j'observe ta promesse.

Psaume 119, 68 Toi, le bon, le bienfaisant, apprends-moi tes volontés.

Psaume 119, 69 Les superbes m'engluent de mensonge, moi de tout coeur je garde tes préceptes.

Psaume 119, 70 Leur coeur est épais comme la graisse, moi, ta loi fait mes délices.

Psaume 119, 71 Un bien pour moi, que d'être affligé afin d'apprendre tes volontés.

Psaume 119, 72 Un bien pour moi, que la loi de ta bouche, plus que millions d'or et d'argent.

Psaume 119, 73 Tes mains m'ont fait et fixé, fais-moi comprendre, j'apprendrai tes commandements.

Psaume 119, 74 Qui te craint me voit avec joie, car j'espère en ta parole.

Psaume 119, 75 Je sais, Yahvé, qu'ils sont justes, tes jugements, que tu m'affliges avec vérité.

Psaume 119, 76 Que ton amour me soit consolation, selon ta promesse à ton serviteur!

Psaume 119, 77 Que m'advienne ta tendresse et je vivrai, car ta loi fait mes délices.

Psaume 119, 78 Honte aux superbes qui m'accablent de mensonge! moi, je médite tes préceptes.

Psaume 119, 79 Que se tournent vers moi ceux qui te craignent et qui savent ton témoignage!

Psaume 119, 80 Que mon coeur soit impeccable en tes volontés: pas de honte alors pour moi.

Psaume 119, 81 Jusqu'au bout mon âme ira pour ton salut, j'espère en ta parole.

Psaume 119, 82 Jusqu'au bout mes yeux pour ta promesse, quand m'auras-tu consolé?

Psaume 119, 83 Rendu pareil à une outre qu'on enfume, je n'oublie pas tes volontés.

Psaume 119, 84 Combien seront les jours de ton serviteur, quand jugeras-tu mes persécuteurs?

Psaume 119, 85 Des superbes me creusent des fosses à l'encontre de ta loi.

Psaume 119, 86 Vérité, tous tes commandements: aide-moi, quand le mensonge me persécute.

Psaume 119, 87 On viendrait à bout de moi sur terre, sans que je laisse tes préceptes.

Psaume 119, 88 Selon ton amour vivifie-moi, je garderai le témoignage de ta bouche.

Psaume 119, 89 A jamais, Yahvé, ta parole, immuable aux cieux;

Psaume 119, 90 d'âge en âge, ta vérité; tu fixas la terre, elle subsiste;

Psaume 119, 91 par tes jugements tout subsiste à ce jour, car toute chose est ta servante.

Psaume 119, 92 Si ta loi n'eût fait mes délices, je périssais dans la misère.

Psaume 119, 93 Jamais je n'oublierai tes préceptes, par eux tu me vivifies.

Psaume 119, 94 Je suis tien, sauve-moi, je cherche tes préceptes.

Psaume 119, 95 Que les impies me guettent pour ma perte, je comprends ton témoignage.

Psaume 119, 96 De toute perfection j'ai vu le bout: combien large, ton commandement!

Psaume 119, 97 Que j'aime ta loi! tout le jour, je la médite.

Psaume 119, 98 Plus que mes ennemis tu me rends sage par ton commandement, toujours mien.

Psaume 119, 99 Plus que tous mes maîtres j'ai la finesse, ton témoignage, je le médite.

Psaume 119, 100 Plus que les anciens j'ai l'intelligence, tous tes préceptes, je les garde.

Psaume 119, 101 A tout chemin de mal je soustrais mes pas, pour observer ta parole.

Psaume 119, 102 De tes jugements je ne me détourne point, car c'est toi qui m'enseignes.

Psaume 119, 103 Qu'elle est douce à mon palais ta promesse, plus que le miel à ma bouche!

Psaume 119, 104 Par tes préceptes j'ai l'intelligence et je hais tout chemin de mensonge.

Psaume 119, 105 Une lampe sur mes pas, ta parole, une lumière sur ma route.

Psaume 119, 106 J'ai juré d'observer, et je tiendrai, tes justes jugements.

Psaume 119, 107 Je suis au fond de la misère, Yahvé, vivifie-moi selon ta parole.

Psaume 119, 108 Agrée l'offrande de ma bouche, Yahvé, apprends-moi tes jugements.

Psaume 119, 109 Mon âme à tout moment entre mes mains, je n'oublie pas ta loi.

Psaume 119, 110 Que les impies me tendent un piège, je ne dévie pas de tes préceptes.

Psaume 119, 111 Ton témoignage est à jamais mon héritage, il est la joie de mon coeur.

Psaume 119, 112 J'infléchis mon coeur à faire tes volontés, récompense pour toujours.

Psaume 119, 113 Je hais les coeurs partagés et j'aime ta loi.

Psaume 119, 114 Toi mon abri, mon bouclier, j'espère en ta parole.

Psaume 119, 115 Détournez-vous de moi, méchants, je veux garder les commandements de mon Dieu.

Psaume 119, 116 Sois mon soutien selon ta promesse et je vivrai, ne fais pas honte à mon attente.

Psaume 119, 117 Sois mon appui et je serai sauvé, mes yeux sur tes volontés sans relâche.

Psaume 119, 118 Tu renverses tous ceux qui sortent de tes volontés, mensonge est leur calcul.

Psaume 119, 119 Tu considères comme une rouille tous les impies de la terre, aussi j'aime ton témoignage.

Psaume 119, 120 De ton effroi tremble ma chair, sous tes jugements je crains.

Psaume 119, 121 Mon action fut jugement et justice, ne me livre pas à mes bourreaux.

Psaume 119, 122 A ton serviteur sois allié pour le bien, que les superbes ne me torturent.

Psaume 119, 123 Jusqu'au bout vont mes yeux pour ton salut, pour ta promesse de justice.

Psaume 119, 124 Agis avec ton serviteur selon ton amour, apprends-moi tes volontés.

Psaume 119, 125 Je suis ton serviteur, fais-moi comprendre, et je saurai ton témoignage.

Psaume 119, 126 Il est temps d'agir, Yahvé: on a violé ta loi.

Psaume 119, 127 Aussi j'aime tes commandements, plus que l'or et que l'or fin.

Psaume 119, 128 Aussi je me règle sur tous tes préceptes et je hais tout chemin de mensonge.

Psaume 119, 129 Merveille que ton témoignage; aussi mon âme le garde.

Psaume 119, 130 Ta parole en se découvrant illumine, et les simples comprennent.

Psaume 119, 131 J'ouvre large ma bouche et j'aspire, avide de tes commandements.

Psaume 119, 132 Regarde vers moi, pitié pour moi, c'est justice pour les amants de ton nom.

Psaume 119, 133 Fixe mes pas dans ta promesse, que ne triomphe de moi le mal.

Psaume 119, 134 Rachète-moi de la torture de l'homme, j'observerai tes préceptes.

Psaume 119, 135 Pour ton serviteur illumine ta face, apprends-moi tes volontés.

Psaume 119, 136 Mes yeux ruissellent de larmes, car on n'observe pas ta loi.

Psaume 119, 137 O juste que tu es, Yahvé! Droiture que tes jugements.

Psaume 119, 138 Tu imposes comme justice ton témoignage, comme entière vérité.

Psaume 119, 139 Mon zèle me consume, car mes oppresseurs oublient ta parole.

Psaume 119, 140 Ta promesse est éprouvée entièrement, ton serviteur la chérit.

Psaume 119, 141 Chétif que je suis et méprisé, je n'oublie pas tes préceptes.

Psaume 119, 142 Justice éternelle que ta justice, vérité que ta loi.

Psaume 119, 143 Angoisse, oppression m'ont saisi, tes commandements font mes délices.

Psaume 119, 144 Justice éternelle que ton témoignage, fais-moi comprendre et je vivrai.

Psaume 119, 145 J'appelle de tout coeur, réponds-moi, Yahvé, je garderai tes volontés.

Psaume 119, 146 Je t'appelle, sauve-moi, j'observerai ton témoignage.

Psaume 119, 147 Je devance l'aurore et j'implore, j'espère en ta parole.

Psaume 119, 148 Mes yeux devancent les veilles pour méditer sur ta promesse.

Psaume 119, 149 En ton amour écoute ma voix, Yahvé, en tes jugements vivifie-moi.

Psaume 119, 150 Ils s'approchent de l'infamie, mes persécuteurs, ils s'éloignent de ta loi.

Psaume 119, 151 Tu es proche, toi, Yahvé, vérité que tous tes commandements.

Psaume 119, 152 Dès longtemps, j'ai su de ton témoignage qu'à jamais tu l'as fondé.

Psaume 119, 153 Vois ma misère, délivre-moi, car je n'oublie pas ta loi.

Psaume 119, 154 Plaide ma cause, défends-moi, en ta promesse vivifie-moi.

Psaume 119, 155 Il est loin des impies, le salut, ils ne recherchent pas tes volontés.

Psaume 119, 156 Nombreuses tes tendresses, Yahvé, en tes jugements vivifie-moi.

Psaume 119, 157 Nombreux mes persécuteurs, mes oppresseurs, je n'ai pas fléchi sur ton témoignage.

Psaume 119, 158 J'ai vu les renégats, ils m'écoeurent, ils n'observent pas ta promesse.

Psaume 119, 159 Vois si j'aime tes préceptes, Yahvé, en ton amour vivifie-moi.

Psaume 119, 160 Vérité, le principe de ta parole! pour l'éternité, tes justes jugements.

Psaume 119, 161 Des princes me persécutent sans raison, mon coeur redoute ta parole.

Psaume 119, 162 Joie pour moi dans ta promesse, comme à trouver grand butin.

Psaume 119, 163 Le mensonge, je le hais, je l'exècre, ta loi, je l'aime.

Psaume 119, 164 Sept fois le jour, je te loue pour tes justes jugements.

Psaume 119, 165 Grande paix pour les amants de ta loi, pour eux rien n'est scandale.

Psaume 119, 166 J'attends ton salut, Yahvé, tes commandements, je les suis.

Psaume 119, 167 Mon âme observe ton témoignage, je l'aime entièrement.

Psaume 119, 168 J'observe tes préceptes, ton témoignage, toutes mes voies sont devant toi.

Psaume 119, 169 Que mon cri soit proche de ta face, Yahvé, par ta parole fais-moi comprendre.

Psaume 119, 170 Que ma prière arrive devant ta face, par ta promesse délivre-moi.

Psaume 119, 171 Que mes lèvres publient ta louange, car tu m'apprends tes volontés.

Psaume 119, 172 Que ma langue redise ta promesse, car tous tes commandements sont justice.

Psaume 119, 173 Que ta main me soit en aide, car j'ai choisi tes préceptes.

Psaume 119, 174 J'ai désir de ton salut, Yahvé, ta loi fait mes délices.

Psaume 119, 175 Que vive mon âme à te louer, tes jugements me soient en aide!

Psaume 119, 176 Je m'égare, brebis perdue: viens chercher ton serviteur. Non, je n'ai pas oublié tes commandements.

Psaume 124, 1 Cantique des montées. De David. Sans Yahvé qui était pour nous -- à Israël de le dire --

Psaume 124, 2 sans Yahvé qui était pour nous quand on sauta sur nous,

Psaume 124, 3 alors ils nous avalaient tout vifs dans le feu de leur colère.

Psaume 124, 4 Alors les eaux nous submergeaient, le torrent passait sur nous,

Psaume 124, 5 alors il passait sur notre âme en eaux écumantes.

Psaume 124, 6 Béni Yahvé qui n'a point fait de nous la proie de leurs dents!

Psaume 124, 7 Notre âme comme un oiseau s'est échappée du filet de l'oiseleur. Le filet s'est rompu et nous avons échappé;

Psaume 124, 8 notre secours est dans le nom de Yahvé qui a fait le ciel et la terre.

Psaume 125, 1 Cantique des montées. Qui s'appuie sur Yahvé ressemble au mont Sion: rien ne l'ébranle, il est stable pour toujours.

Psaume 125, 2 Jérusalem! les montagnes l'entourent, ainsi Yahvé entoure son peuple dès maintenant et pour toujours.

Psaume 125, 3 Jamais un sceptre impie ne tombera sur la part des justes, de peur que ne tende au crime la main des justes.

Psaume 125, 4 Fais du bien, Yahvé, aux gens de bien, qui ont au coeur la droiture.

Psaume 125, 5 Mais les tortueux, les dévoyés, qu'il les repousse, Yahvé, avec les malfaisants! Paix sur Israël!

Psaume 126, 1 Cantique des montées. Quand Yahvé ramena les captifs de Sion, nous étions comme en rêve;

Psaume 126, 2 alors notre bouche s'emplit de rire et nos lèvres de chansons. Alors on disait chez les païens: Merveilles que fit pour eux Yahvé!

Psaume 126, 3 Merveilles que fit pour nous Yahvé, nous étions dans la joie.

Psaume 126, 4 Ramène, Yahvé, nos captifs comme torrents au Négeb!

Psaume 126, 5 Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent en chantant.

Psaume 126, 6 Il s'en va, il s'en va en pleurant, il porte la semence; il s'en vient, il s'en vient en chantant, il rapporte ses gerbes.

Psaume 127, 1 Cantique des montées. De Salomon. Si Yahvé ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs; si Yahvé ne garde la ville, en vain la garde veille.

Psaume 127, 2 Vanité de vous lever matin, de retarder votre coucher, mangeant le pain des douleurs, quand Lui comble son bien-aimé qui dort.

Psaume 127, 3 C'est l'héritage de Yahvé que des fils, récompense, que le fruit des entrailles;

Psaume 127, 4 comme flèches en la main du héros, ainsi les fils de la jeunesse.

Psaume 127, 5 Heureux l'homme, celui-là qui en a rempli son carquois; point de honte pour eux, quand ils débattent à la porte, avec leurs ennemis.

Psaume 128, 1 Cantique des montées. Heureux tous ceux qui craignent Yahvé et marchent dans ses voies!

Psaume 128, 2 Du labeur de tes mains tu te nourriras, heur et bonheur pour toi!

Psaume 128, 3 Ton épouse: une vigne fructueuse au fort de ta maison. Tes fils: des plants d'olivier à l'entour de la table.

Psaume 128, 4 Voilà de quels biens sera béni l'homme qui craint Yahvé.

Psaume 128, 5 Que Yahvé te bénisse de Sion! Puisses-tu voir Jérusalem dans le bonheur tous les jours de ta vie,

Psaume 128, 6 et voir les fils de tes fils! Paix sur Israël!

Psaume 129, 1 Cantique des montées. Tant ils m'ont traqué dès ma jeunesse, -- à Israël de le dire --

Psaume 129, 2 tant ils m'ont traqué dès ma jeunesse, ils n'ont pas eu le dessus.

Psaume 129, 3 Sur mon dos ont labouré les laboureurs, allongeant leurs sillons;

Psaume 129, 4 Yahvé le juste a brisé les liens des impies.

Psaume 129, 5 Qu'ils soient tous confondus, repoussés, les ennemis de Sion;

Psaume 129, 6 qu'ils soient comme l'herbe des toits qui sèche avant qu'on l'arrache!

Psaume 129, 7 Le moissonneur n'en remplit pas sa main, ni le lieur, son giron;

Psaume 129, 8 et point ne diront les passants: Bénédiction de Yahvé sur vous! Nous vous bénissons au nom de Yahvé.

Psaume 130, 1 Cantique des montées. Des profondeurs je crie vers toi, Yahvé:

Psaume 130, 2 Seigneur, écoute mon appel. Que ton oreille se fasse attentive à l'appel de ma prière!

Psaume 130, 3 Si tu retiens les fautes, Yahvé, Seigneur, qui subsistera?

Psaume 130, 4 Mais le pardon est près de toi, pour que demeure ta crainte.

Psaume 130, 5 J'espère, Yahvé, elle espère, mon âme, en ta parole;

Psaume 130, 6 mon âme attend le Seigneur plus que les veilleurs l'aurore; plus que les veilleurs l'aurore,

Psaume 130, 7 qu'Israël attende Yahvé! Car près de Yahvé est la grâce, près de lui, l'abondance du rachat;

Psaume 130, 8 c'est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes.

Psaume 131, 1 Cantique des montées. De David. Yahvé, je n'ai pas le coeur fier, ni le regard hautain. Je n'ai pas pris un chemin de grandeurs ni de prodiges qui me dépassent.

Psaume 131, 2 Non, je tiens mon âme en paix et silence; comme un petit enfant contre sa mère, comme un petit enfant, telle est mon âme en moi.

Psaume 131, 3 Mets ton espoir, Israël, en Yahvé, dès maintenant et à jamais!

Psaume 132, 1 Cantique des montées. Garde mémoire à David, Yahvé, de tout son labeur,

Psaume 132, 2 du serment qu'il fit à Yahvé, de son voeu au Puissant de Jacob:

Psaume 132, 3 "Point n'entrerai sous la tente, ma maison, point ne monterai sur le lit de mon repos,

Psaume 132, 4 point ne donnerai de sommeil à mes yeux et point de répit à mes paupières,

Psaume 132, 5 que je ne trouve un lieu pour Yahvé, un séjour au Puissant de Jacob! "

Psaume 132, 6 Voici: on parle d'Elle en Ephrata, nous l'avons découverte aux Champs-du-Bois!

Psaume 132, 7 Entrons au lieu où Il séjourne, prosternons-nous devant son marchepied.

Psaume 132, 8 Lève-toi, Yahvé, vers ton repos, toi et l'arche de ta force.

Psaume 132, 9 Tes prêtres se vêtent de justice, tes fidèles crient de joie.

Psaume 132, 10 A cause de David ton serviteur, n'écarte pas la face de ton messie.

Psaume 132, 11 Yahvé l'a juré à David, vérité dont jamais il ne s'écarte: "C'est le fruit sorti de tes entrailles que je mettrai sur le trône fait pour toi.

Psaume 132, 12 Si tes fils gardent mon alliance, mon témoignage que je leur ai enseigné, leurs fils eux-mêmes à tout jamais siégeront sur le trône fait pour toi."

Psaume 132, 13 Car Yahvé a fait choix de Sion, il a désiré ce siège pour lui:

Psaume 132, 14 "C'est ici mon repos à tout jamais, là je siégerai, car je l'ai désiré.

Psaume 132, 15 Sa nourriture, je la bénirai de bénédiction ses pauvres, je les rassasierai de pain,

Psaume 132, 16 ses prêtres, je les vêtirai de salut et ses fidèles jubileront de joie.

Psaume 132, 17 Là, je susciterai une lignée à David, j'apprêterai une lampe pour mon messie;

Psaume 132, 18 ses ennemis, je les vêtirai de honte, mais sur lui fleurira son diadème."

Psaume 133, 1 Cantique des montées. De David. Voyez! Qu'il est bon, qu'il est doux d'habiter en frères tous ensemble!

Psaume 133, 2 C'est une huile excellente sur la tête, qui descend sur la barbe, qui descend sur la barbe d'Aaron, sur le col de ses tuniques.

Psaume 133, 3 C'est la rosée de l'Hermon, qui descend sur les hauteurs de Sion; là, Yahvé a voulu la bénédiction, la vie à jamais.

Psaume 134, 1 Cantique des montées. Allons! bénissez Yahvé, tous les serviteurs de Yahvé, officiant dans la maison de Yahvé, dans les parvis de la maison de notre Dieu. Dans les nuits

Psaume 134, 2 levez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez Yahvé.

Psaume 134, 3 Que Yahvé te bénisse de Sion, lui qui fit le ciel et la terre!

Psaume 135, 1 Alleluia! Louez le nom de Yahvé, louez, serviteurs de Yahvé,

Psaume 135, 2 officiant dans la maison de Yahvé, dans les parvis de la maison de notre Dieu.

Psaume 135, 3 Louez Yahvé, car il est bon, Yahvé, jouez pour son nom, car il est doux.

Psaume 135, 4 C'est Jacob que Yahvé s'est choisi, Israël dont il fit son apanage.

Psaume 135, 5 Moi je sais qu'il est grand, Yahvé, que notre Seigneur surpasse tous les dieux.

Psaume 135, 6 Tout ce qui plaît à Yahvé, il le fait, au ciel et sur terre, dans les mers et tous les abîmes.

Psaume 135, 7 Faisant monter les nuages du bout de la terre, il produit avec les éclairs la pluie, il tire le vent de ses trésors.

Psaume 135, 8 Il frappa les premiers-nés d'Egypte depuis l'homme jusqu'au bétail;

Psaume 135, 9 il envoya signes et prodiges au milieu de toi, Egypte, sur Pharaon et tous ses serviteurs.

Psaume 135, 10 Il frappa des païens en grand nombre, fit périr des rois valeureux,

Psaume 135, 11 Sihôn, roi des Amorites, et Og, roi du Bashân, et tous les royaumes de Canaan;

Psaume 135, 12 et il donna leur terre en héritage, en héritage à Israël son peuple.

Psaume 135, 13 Yahvé, ton nom à jamais! Yahvé, ton souvenir d'âge en âge!

Psaume 135, 14 Car Yahvé prononce pour son peuple, il s'émeut pour ses serviteurs.

Psaume 135, 15 Les idoles des païens, or et argent, une oeuvre de main d'homme!

Psaume 135, 16 elles ont une bouche et ne parlent pas, elles ont des yeux et ne voient pas.

Psaume 135, 17 Elles ont des oreilles et n'entendent pas, pas le moindre souffle en leur bouche.

Psaume 135, 18 Comme elles, seront ceux qui les firent, quiconque met en elles sa foi.

Psaume 135, 19 Maison d'Israël, bénissez Yahvé, maison d'Aaron, bénissez Yahvé,

Psaume 135, 20 maison de Lévi, bénissez Yahvé, ceux qui craignent Yahvé, bénissez Yahvé.

Psaume 135, 21 Béni soit Yahvé depuis Sion, lui qui habite Jérusalem!

Psaume 136, 1 Alleluia! Rendez grâce à Yahvé, car il est bon, car éternel est son amour!

Psaume 136, 2 Rendez grâce au Dieu des dieux, car éternel est son amour!

Psaume 136, 3 Rendez grâce au Seigneur des seigneurs, car éternel est son amour!

Psaume 136, 4 Lui seul a fait des merveilles, car éternel est son amour!

Psaume 136, 5 Il fit les cieux avec sagesse car éternel est son amour!

Psaume 136, 6 Il affermit la terre sur les eaux, car éternel est son amour!

Psaume 136, 7 Il a fait les grands luminaires, car éternel est son amour!

Psaume 136, 8 Le soleil pour gouverner sur le jour, car éternel est son amour!

Psaume 136, 9 La lune et les étoiles pour gouverner sur la nuit, car éternel est son amour!

Psaume 136, 10 Il frappa l'Egypte en ses premiers-nés, car éternel est son amour!

Psaume 136, 11 Et de là fit sortir Israël, car éternel est son amour!

Psaume 136, 12 A main forte et à bras étendu, car éternel est son amour!

Psaume 136, 13 Il sépara en deux parts la mer des Joncs, car éternel est son amour!

Psaume 136, 14 Et fit passer Israël en son milieu, car éternel est son amour!

Psaume 136, 15 Y culbutant Pharaon et son armée, car éternel est son amour!

Psaume 136, 16 Il mena son peuple au désert, car éternel est son amour!

Psaume 136, 17 Il frappa des rois puissants, car éternel est son amour!

Psaume 136, 18 Fit périr des rois redoutables, car éternel est son amour!

Psaume 136, 19 Sihôn, roi des Amorites, car éternel est son amour!

Psaume 136, 20 Et Og, roi du Bashân, car éternel est son amour!

Psaume 136, 21 Il donna leur terre en héritage, car éternel est son amour!

Psaume 136, 22 En héritage à Israël son serviteur, car éternel est son amour!

Psaume 136, 23 Il se souvint de nous dans notre abaissement, car éternel est son amour!

Psaume 136, 24 Il nous sauva de la main des oppresseurs, car éternel est son amour!

Psaume 136, 25 A toute chair il donne le pain, car éternel est son amour!

Psaume 136, 26 Rendez grâce au Dieu du ciel, car éternel est son amour!

Psaume 137, 1 Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion;

Psaume 137, 2 aux peupliers d'alentour nous avions pendu nos harpes.

Psaume 137, 3 Et c'est là qu'ils nous demandèrent, nos geôliers, des cantiques, nos ravisseurs, de la joie: "Chantez-nous, disaient-ils, un cantique de Sion."

Psaume 137, 4 Comment chanterions-nous un cantique de Yahvé sur une terre étrangère?

Psaume 137, 5 Si je t'oublie, Jérusalem, que ma droite se dessèche!

Psaume 137, 6 Que ma langue s'attache à mon palais si je perds ton souvenir, si je ne mets Jérusalem au plus haut de ma joie!

Psaume 137, 7 Souviens-toi, Yahvé, contre les fils d'Edom, du Jour de Jérusalem, quand ils disaient: "A bas! Rasez jusqu'aux assises! "

Psaume 137, 8 Fille de Babel, qui dois périr, heureux qui te revaudra les maux que tu nous valus,

Psaume 137, 9 heureux qui saisira et brisera tes petits contre le roc!

Psaume 138, 1 De David. Je te rends grâce, Yahvé, de tout mon coeur, tu as entendu les paroles de ma bouche. Je te chante en présence des anges,

Psaume 138, 2 je me prosterne vers ton temple sacré. Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité; ta promesse a même surpassé ton renom.

Psaume 138, 3 Le jour où j'ai crié, tu m'exauças, tu as accru la force en mon âme.

Psaume 138, 4 Tous les rois de la terre te rendent grâce, Yahvé, car ils entendent les promesses de ta bouche;

Psaume 138, 5 ils célèbrent les voies de Yahvé: "Grande est la gloire de Yahvé!

Psaume 138, 6 Sublime, Yahvé! et il voit les humbles et de loin connaît les superbes."

Psaume 138, 7 Si je marche au milieu des angoisses, tu me fais vivre, à la fureur de mes ennemis; tu étends la main et ta droite me sauve.

Psaume 138, 8 Yahvé aura tout fait pour moi; Yahvé, éternel est ton amour, ne délaisse pas l'oeuvre de tes mains.

Psaume 139, 1 Du maître de chant. De David.

Psaume. Yahvé, tu me sondes et me connais;

Psaume 139, 2 que je me lève ou m'assoie, tu le sais, tu perces de loin mes pensées;

Psaume 139, 3 que je marche ou me couche, tu le sens, mes chemins te sont tous familiers.

Psaume 139, 4 La parole n'est pas encore sur ma langue, et voici, Yahvé, tu la sais tout entière;

Psaume 139, 5 derrière et devant tu m'enserres, tu as mis sur moi ta main.

Psaume 139, 6 Merveille de science qui me dépasse, hauteur où je ne puis atteindre.

Psaume 139, 7 Où irai-je loin de ton esprit, où fuirai-je loin de ta face?

Psaume 139, 8 Si j'escalade les cieux, tu es là, qu'au shéol je me couche, te voici.

Psaume 139, 9 Je prends les ailes de l'aurore, je me loge au plus loin de la mer,

Psaume 139, 10 même là, ta main me conduit, ta droite me saisit.

Psaume 139, 11 Je dirai: "Que me presse la ténèbre, que la nuit soit pour moi une ceinture";

Psaume 139, 12 même la ténèbre n'est point ténèbre devant toi et la nuit comme le jour illumine.

Psaume 139, 13 C'est toi qui m'as formé les reins, qui m'as tissé au ventre de ma mère;

Psaume 139, 14 je te rends grâce pour tant de prodiges: merveille que je suis, merveille que tes oeuvres. Mon âme, tu la connaissais bien,

Psaume 139, 15 mes os n'étaient point cachés de toi, quand je fus façonné dans le secret, brodé au profond de la terre.

Psaume 139, 16 Mon embryon, tes yeux le voyaient; sur ton livre, ils sont tous inscrits les jours qui ont été fixés, et chacun d'eux y figure.

Psaume 139, 17 Mais pour moi, que tes pensées sont difficiles, ô Dieu, que la somme en est imposante!

Psaume 139, 18 Je les compte, il en est plus que sable; ai-je fini, je suis encore avec toi.

Psaume 139, 19 Si tu voulais, ô Dieu, tuer l'impie! Hommes de sang, allez-vous-en de moi!

Psaume 139, 20 Eux qui parlent de toi sournoisement, qui tiennent pour rien tes pensées.

Psaume 139, 21 Yahvé, n'ai-je pas en haine qui te hait, en dégoût, ceux qui se dressent contre toi?

Psaume 139, 22 Je les hais d'une haine parfaite, ce sont pour moi des ennemis.

Psaume 139, 23 Sonde-moi, ô Dieu, connais mon coeur, scrute-moi, connais mon souci;

Psaume 139, 24 vois que mon chemin ne soit fatal, conduis-moi sur le chemin d'éternité.

Psaume 140, 1 Du maître de chant. Psaume de David.

Psaume 140, 2 Délivre-moi, Yahvé, des mauvaises gens, contre l'homme de violence défends-moi,

Psaume 140, 3 ceux dont le coeur médite le mal, qui tout le jour hébergent la guerre,

Psaume 140, 4 qui aiguisent leur langue ainsi qu'un serpent, un venin de vipère sous la lèvre.

Psaume 140, 5 Garde-moi, Yahvé, des mains de l'impie, contre l'homme de violence défends-moi, ceux qui méditent de me faire trébucher,

Psaume 140, 6 qui tendent un filet sous mes pieds, insolents qui m'ont caché une trappe et des lacets, m'ont posé des pièges au passage.

Psaume 140, 7 J'ai dit à Yahvé: C'est toi mon Dieu, entends, Yahvé, le cri de ma prière.

Psaume 140, 8 Yahvé mon Seigneur, force de mon salut, tu me couvres la tête au jour du combat.

Psaume 140, 9 Ne consens pas, Yahvé, aux désirs des impies, ne fais pas réussir leurs complots. Que sur moi les assiégeants ne dressent

Psaume 140, 10 leur tête, que la malice de leurs lèvres les accable;

Psaume 140, 11 qu'il pleuve sur eux des charbons de feu, que jetés à l'abîme ils ne se lèvent plus:

Psaume 140, 12 que le calomniateur ne tienne plus sur la terre, que le mal pourchasse à mort le violent!

Psaume 140, 13 Je sais que Yahvé fera droit aux malheureux, fera justice aux pauvres.

Psaume 140, 14 Oui, les justes rendront grâce à ton nom, les saints vivront avec ta face.

Psaume 141, 1 Psaume de David. Yahvé, je t'appelle, accours vers moi, écoute ma voix qui t'appelle;

Psaume 141, 2 que monte ma prière, en encens devant ta face, les mains que j'élève, en offrande du soir!

Psaume 141, 3 Etablis, Yahvé, une garde à ma bouche, veille sur la porte de mes lèvres.

Psaume 141, 4 Retiens mon coeur de parler mal, de commettre l'impiété en compagnie des malfaisants. Non, je ne goûterai pas à leurs plaisirs!

Psaume 141, 5 Que le juste me frappe en ami et me corrige, que l'huile de l'impie jamais n'orne ma tête, car je me compromettrais encore dans leurs méfaits.

Psaume 141, 6 Ils sont livrés à l'empire du Rocher, leur juge, eux qui avaient pris plaisir à m'entendre dire:

Psaume 141, 7 "Comme une meule éclatée par terre, nos os sont dispersés à la bouche du shéol."

Psaume 141, 8 Vers toi, Yahvé, mes yeux, en toi je m'abrite, ne répands pas mon âme;

Psaume 141, 9 garde-moi d'être pris au piège qu'on me tend, au traquenard des malfaisants.

Psaume 141, 10 Qu'ils tombent, les impies, chacun dans son filet, tandis que moi, je passe.

Psaume 142, 1 Poème. De David. Quand il était dans la caverne. Prière.

Psaume 142, 2 A Yahvé mon cri! J'implore. A Yahvé mon cri! Je supplie.

Psaume 142, 3 Je déverse devant lui ma plainte, ma détresse, je la mets devant lui,

Psaume 142, 4 alors que le souffle me manque; mais toi, tu connais mon sentier. Sur le chemin où je vais ils m'ont caché un piège.

Psaume 142, 5 Regarde à droite et vois, pas un qui me reconnaisse. Le refuge se dérobe à moi, pas un qui ait soin de mon âme.

Psaume 142, 6 Je m'écrie vers toi, Yahvé, je dis: Toi, mon abri, ma part dans la terre des vivants!

Psaume 142, 7 Sois attentif à ma clameur, je suis à bout de force. Délivre-moi de mes persécuteurs, eux sont plus forts que moi!

Psaume 142, 8 Fais sortir de prison mon âme, que je rende grâce à ton nom! Autour de moi les justes feront cercle, à cause du bien que tu m'as fait.

Psaume 143, 1 Psaume de David. Yahvé, écoute ma prière, prête l'oreille à mes supplications, en ta fidélité réponds-moi, en ta justice;

Psaume 143, 2 n'entre pas en jugement avec ton serviteur, nul vivant n'est justifié devant toi.

Psaume 143, 3 L'ennemi pourchasse mon âme, contre terre il écrase ma vie; il me fait habiter dans les ténèbres comme ceux qui sont morts à jamais;

Psaume 143, 4 le souffle en moi s'éteint, mon coeur au fond de moi s'épouvante.

Psaume 143, 5 Je me souviens des jours d'autrefois, je me redis toutes tes oeuvres, sur l'ouvrage de tes mains je médite;

Psaume 143, 6 je tends les mains vers toi, mon âme est une terre assoiffée de toi.

Psaume 143, 7 Viens vite, réponds-moi, Yahvé, je suis à bout de souffle; ne cache pas loin de moi ta face, je serais de ceux qui descendent à la fosse.

Psaume 143, 8 Fais que j'entende au matin ton amour, car je compte sur toi; fais que je sache la route à suivre, car vers toi j'élève mon âme.

Psaume 143, 9 Délivre-moi de mes ennemis, Yahvé, près de toi je suis à couvert,

Psaume 143, 10 enseigne-moi à faire tes volontés, car c'est toi mon Dieu; que ton souffle bon me conduise par une terre unie.

Psaume 143, 11 A cause de ton nom, Yahvé, fais que je vive en ta justice; tire mon âme de l'angoisse,

Psaume 143, 12 en ton amour anéantis mes ennemis; détruis tous les oppresseurs de mon âme, car moi je suis ton serviteur.

Psaume 144, 1 De David. Béni soit Yahvé mon rocher, qui instruit mes mains au combat et mes doigts pour la bataille,

Psaume 144, 2 mon amour et ma forteresse, ma citadelle et mon libérateur, mon bouclier, en lui je m'abrite, il range les peuples sous moi.

Psaume 144, 3 Yahvé, qu'est donc l'homme, que tu le connaisses, l'être humain, que tu penses à lui?

Psaume 144, 4 L'homme est semblable à un souffle, ses jours sont comme l'ombre qui passe.

Psaume 144, 5 Yahvé, incline tes cieux et descends, touche les montagnes et qu'elles fument;

Psaume 144, 6 fais éclater l'éclair, et les disloque, décoche tes flèches, et les ébranle.

Psaume 144, 7 D'en haut tends la main, sauve-moi, tire-moi des grandes eaux, de la main des fils d'étrangers

Psaume 144, 8 dont la bouche parle de riens, et la droite est une droite de parjure.

Psaume 144, 9 O Dieu, je te chante un chant nouveau, sur la lyre à dix cordes je joue pour toi,

Psaume 144, 10 toi qui donnes aux rois la victoire, qui sauves David ton serviteur. De l'épée de malheur

Psaume 144, 11 sauve-moi, tire-moi de la main des étrangers dont la bouche parle de riens, et la droite est une droite de parjure.

Psaume 144, 12 Voici nos fils comme des plants grandis dès le jeune âge, nos filles, des figures d'angle, image de palais.

Psaume 144, 13 Nos greniers remplis, débordants, de fruits de toute espèce, nos brebis, des milliers, des myriades, parmi nos campagnes,

Psaume 144, 14 nos bestiaux bien pesants, point de brèche ni de fuite, et point de gémissement sur nos places.

Psaume 144, 15 Heureux le peuple où c'est ainsi, heureux le peuple dont Yahvé est le Dieu!

Psaume 145, 1 Louange. De David. Je t'exalte, ô Roi mon Dieu, je bénis ton nom toujours et à jamais;

Psaume 145, 2 je veux te bénir chaque jour, je louerai ton nom toujours et à jamais;

Psaume 145, 3 grand est Yahvé et louable hautement, à sa grandeur point de mesure.

Psaume 145, 4 Un âge à l'autre vantera tes oeuvres, fera connaître tes prouesses.

Psaume 145, 5 Splendeur de gloire, ton renom! Je me répète le récit de tes merveilles.

Psaume 145, 6 On dira ta puissance de terreurs, et moi je raconterai ta grandeur;

Psaume 145, 7 on fera mémoire de ton immense bonté, on acclamera ta justice.

Psaume 145, 8 Yahvé est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour;

Psaume 145, 9 il est bon, Yahvé, envers tous, et ses tendresses pour toutes ses oeuvres.

Psaume 145, 10 Que toutes tes oeuvres te rendent grâce, Yahvé, que tes amis te bénissent;

Psaume 145, 11 qu'ils disent la gloire de ton règne, qu'ils parlent de ta prouesse,

Psaume 145, 12 pour faire savoir aux fils d'Adam tes prouesses, la splendeur de gloire de ton règne!

Psaume 145, 13 Ton règne, un règne pour tous les siècles, ton empire, pour les âges des âges! Yahvé est vérité en toutes ses paroles, amour en toutes ses oeuvres;

Psaume 145, 14 Yahvé retient tous ceux qui tombent, redresse tous ceux qui sont courbés.

Psaume 145, 15 Tous ont les yeux sur toi, ils espèrent; tu leur donnes la nourriture en son temps;

Psaume 145, 16 toi, tu ouvres la main et rassasies tout vivant à plaisir.

Psaume 145, 17 Yahvé est justice en toutes ses voies, amour en toutes ses oeuvres;

Psaume 145, 18 proche est Yahvé de ceux qui l'invoquent, de tous ceux qui l'invoquent en vérité.

Psaume 145, 19 Le désir de ceux qui le craignent, il le fait, il entend leur cri et les sauve;

Psaume 145, 20 Yahvé garde tous ceux qui l'aiment, tous les impies, il les détruira.

Psaume 145, 21 Que ma bouche dise la louange de Yahvé, que toute chair bénisse son saint nom, toujours et à jamais!

Psaume 146, 1 Alleluia! Loue Yahvé, mon âme!

Psaume 146, 2 Je veux louer Yahvé tant que je vis, je veux jouer pour mon Dieu tant que je dure.

Psaume 146, 3 Ne mettez point votre foi dans les princes, dans un fils de la glaise, il ne peut sauver!

Psaume 146, 4 Il rend le souffle, il retourne à sa glaise, en ce jour-là périssent ses pensées.

Psaume 146, 5 Heureux qui a l'appui du Dieu de Jacob et son espoir en Yahvé son Dieu,

Psaume 146, 6 lui qui a fait le ciel et la terre, la mer, et tout ce qu'ils renferment! Il garde à jamais la vérité,

Psaume 146, 7 il rend justice aux opprimés, il donne aux affamés du pain, Yahvé délie les enchaînés.

Psaume 146, 8 Yahvé rend la vue aux aveugles, Yahvé redresse les courbés, Yahvé aime les justes,

Psaume 146, 9 Yahvé protège l'étranger, il soutient l'orphelin et la veuve. Mais détourne la voie des impies,

Psaume 146, 10 Yahvé règne pour les siècles, ton Dieu, ô Sion, d'âge en âge.

Psaume 147, 1 Alleluia! Louez Yahvé -- il est bon de chanter, notre Dieu -- douce est la louange.

Psaume 147, 2 Bâtisseur de Jérusalem, Yahvé! il rassemble les déportés d'Israël,

Psaume 147, 3 lui qui guérit les coeurs brisés et qui bande leurs blessures;

Psaume 147, 4 qui compte le nombre des étoiles, et il appelle chacune par son nom.

Psaume 147, 5 Il est grand, notre Seigneur, tout-puissant, à son intelligence point de mesure.

Psaume 147, 6 Yahvé soutient les humbles, jusqu'à terre il abaisse les impies.

Psaume 147, 7 Entonnez pour Yahvé l'action de grâces, jouez pour notre Dieu sur la harpe:

Psaume 147, 8 lui qui drape les cieux de nuées, qui prépare la pluie à la terre, qui fait germer l'herbe sur les monts et les plantes au service de l'homme,

Psaume 147, 9 qui dispense au bétail sa pâture, aux petits du corbeau qui crient.

Psaume 147, 10 Ni la vigueur du cheval ne lui agrée, ni le jarret de l'homme ne lui plaît;

Psaume 147, 11 Yahvé se plaît en ceux qui le craignent, en ceux qui espèrent son amour.

Psaume 147, 12 Fête Yahvé, Jérusalem, loue ton Dieu, ô Sion!

Psaume 147, 13 Il renforça les barres de tes portes, il a chez toi béni tes enfants;

Psaume 147, 14 il assure ton sol dans la paix, de la graisse du froment te rassasie.

Psaume 147, 15 Il envoie son verbe sur terre, rapide court sa parole;

Psaume 147, 16 il dispense la neige comme laine, répand le givre comme cendre.

Psaume 147, 17 Il jette sa glace par morceaux: à sa froidure, qui peut tenir?

Psaume 147, 18 Il envoie sa parole et fait fondre, il souffle son vent, les eaux coulent.

Psaume 147, 19 Il révèle à Jacob sa parole, ses lois et jugements à Israël;

Psaume 147, 20 pas un peuple qu'il ait ainsi traité, pas un qui ait connu ses jugements.

Psaume 148, 1 Alleluia! Louez Yahvé depuis les cieux, louez-le dans les hauteurs,

Psaume 148, 2 louez-le, tous ses anges, louez-le, toutes ses armées!

Psaume 148, 3 Louez-le, soleil et lune, louez-le, tous les astres de lumière,

Psaume 148, 4 louez-le, cieux des cieux, et les eaux de dessus les cieux!

Psaume 148, 5 Qu'ils louent le nom de Yahvé: lui commanda, eux furent créés;

Psaume 148, 6 il les posa pour toujours et à jamais, sous une loi qui jamais ne passera.

Psaume 148, 7 Louez Yahvé depuis la terre, monstres marins, tous les abîmes,

Psaume 148, 8 feu et grêle, neige et brume, vent d'ouragan, l'ouvrier de sa parole,

Psaume 148, 9 montagnes, toutes les collines, arbre à fruit, tous les cèdres,

Psaume 148, 10 bête sauvage, tout le bétail, reptile, et l'oiseau qui vole,

Psaume 148, 11 rois de la terre, tous les peuples, princes, tous les juges de la terre,

Psaume 148, 12 jeunes hommes, aussi les vierges, les vieillards avec les enfants!

Psaume 148, 13 Qu'ils louent le nom de Yahvé: sublime est son nom, lui seul, sa majesté par-dessus terre et ciel!

Psaume 148, 14 Il rehausse la vigueur de son peuple, fierté pour tous ses amis, pour les enfants d'Israël, le peuple de ses proches.

Psaume 149, 1 Alleluia! Chantez à Yahvé un chant nouveau: sa louange dans l'assemblée des siens!

Psaume 149, 2 Joie pour Israël en son auteur, pour les fils de Sion, allégresse en leur roi,

Psaume 149, 3 louange à son nom par la danse, pour lui, jeu de harpe et de tambour!

Psaume 149, 4 Car Yahvé se complaît en son peuple, de salut il pare les humbles,

Psaume 149, 5 les siens jubilent de gloire, ils acclament depuis leur place:

Psaume 149, 6 les éloges de Dieu à pleine gorge, à pleines mains l'épée à deux tranchants;

Psaume 149, 7 pour exercer sur les peuples vengeance, sur les nations le châtiment,

Psaume 149, 8 pour lier de chaînes leurs rois, d'entraves de fer leurs notables,

Psaume 149, 9 pour leur appliquer la sentence écrite: gloire en soit à tous les siens!

Psaume 150, 1 Alleluia! Louez Dieu en son sanctuaire, louez-le au firmament de sa puissance,

Psaume 150, 2 louez-le en ses oeuvres de vaillance, louez-le en toute sa grandeur!

Psaume 150, 3 Louez-le par l'éclat du cor, louez-le par la harpe et la cithare,

Psaume 150, 4 louez-le par la danse et le tambour, louez-le par les cordes et les flûtes,

Psaume 150, 5 louez-le par les cymbales sonores, louez-le par les cymbales triomphantes!

Psaume 150, 6 Que tout ce qui respire loue Yahvé!

 

 

 

Proverbes

 

1, 1 Proverbes de Salomon, fils de David, roi d'Israël:

Proverbes 1, 2 pour connaître sagesse et discipline, pour pénétrer les discours profonds,

Proverbes 1, 3 pour acquérir une discipline avisée -- justice, équité, droiture --

Proverbes 1, 4 pour procurer aux simples le savoir-faire, au jeune homme le savoir et la réflexion,

Proverbes 1, 5 que le sage écoute, il augmentera son acquis, et l'homme entendu acquerra l'art de diriger.

Proverbes 1, 6 Pour pénétrer proverbes et sentences obscures, les dits des sages et leurs énigmes.

Proverbes 1, 7 La crainte de Yahvé, principe de savoir: les fous dédaignent sagesse et discipline.

Proverbes 1, 8 Ecoute, mon fils, l'instruction de ton père, ne méprise pas l'enseignement de ta mère:

Proverbes 1, 9 c'est une couronne de grâce pour ta tête, des colliers pour ton cou.

Proverbes 1, 10 Mon fils, si des pécheurs veulent te séduire, n'y va pas!

Proverbes 1, 11 S'ils disent: "Viens avec nous, embusquons-nous pour répandre le sang, sans raison, prenons l'affût contre l'innocent;

Proverbes 1, 12 comme le shéol, avalons-les tout vifs, tout entiers, tels ceux qui descendent dans la fosse!

Proverbes 1, 13 Nous trouverons mainte chose précieuse, nous emplirons de butin nos maisons;

Proverbes 1, 14 avec nous tu tireras ta part au sort, nous ferons tous bourse commune!"

Proverbes 1, 15 Mon fils, ne les suis pas dans leur voie, éloigne tes pas de leur sentier,

Proverbes 1, 16 car leurs pieds courent au mal ils ont hâte de répandre le sang;

Proverbes 1, 17 car c'est en vain qu'on étend le filet sous les yeux de tout volatile.

Proverbes 1, 18 C'est pour répandre leur propre sang qu'ils s'embusquent, contre eux-mêmes, ils sont à l'affût!

Proverbes 1, 19 Tels sont les sentiers de tout homme avide de rapine: elle ôte la vie à ceux qu'elle habite.

Proverbes 1, 20 La Sagesse crie par les rues, sur les places elle élève la voix;

Proverbes 1, 21 à l'angle des carrefours, elle appelle, près des portes, dans la ville, elle prononce son discours:

Proverbes 1, 22 "Jusques à quand, ô niais, aimerez-vous la niaiserie? Et les railleurs se plairont-ils à la raillerie? Et les sots haïront-ils le savoir?

Proverbes 1, 23 Convertissez-vous à mon exhortation, pour vous je vais épancher mon coeur et vous faire connaître mes paroles.

Proverbes 1, 24 Puisque j'ai appelé et que vous avez refusé, puisque j'ai étendu la main sans que nul y prenne garde,

Proverbes 1, 25 puisque vous avez négligé tous mes conseils et que vous n'avez pas voulu de mon exhortation,

Proverbes 1, 26 à mon tour, je me rirai de votre détresse, je me moquerai quand viendra sur vous l'épouvante,

Proverbes 1, 27 quand l'épouvante viendra sur vous comme l'orage, quand votre détresse arrivera comme un tourbillon, quand l'épreuve et l'angoisse fondront sur vous.

Proverbes 1, 28 Alors ils m'appelleront, mais je ne répondrai pas; ils me chercheront et ne me trouveront pas.

Proverbes 1, 29 Ils ont détesté le savoir, ils n'ont pas choisi la crainte de Yahvé,

Proverbes 1, 30 ils n'ont pas voulu de mon conseil, ils ont méprisé toutes mes exhortations:

Proverbes 1, 31 ils mangeront donc du fruit de leurs errements, ils se rassasieront de leurs propres conseils!

Proverbes 1, 32 Car l'égarement des niais les tue, l'insouciance des sots les mène à leur perte;

Proverbes 1, 33 mais qui m'écoute demeure en sécurité, il sera tranquille, sans craindre le malheur."

Proverbes 2, 1 Mon fils, si tu accueilles mes paroles, si tu conserves à part toi mes préceptes,

Proverbes 2, 2 rendant tes oreilles attentives à la sagesse, inclinant ton coeur vers l'intelligence,

Proverbes 2, 3 oui, si tu fais appel à l'entendement, si tu réclames l'intelligence,

Proverbes 2, 4 si tu la recherches comme l'argent, si tu la creuses comme un chercheur de trésor,

Proverbes 2, 5 alors tu comprendras la crainte de Yahvé, tu trouveras la connaissance de Dieu.

Proverbes 2, 6 Car c'est Yahvé qui donne la sagesse, de sa bouche sortent le savoir et l'intelligence.

Proverbes 2, 7 Il réserve aux hommes droits son conseil, il est le bouclier de ceux qui pratiquent l'honnêteté;

Proverbes 2, 8 il monte la garde aux chemins de l'équité, il veille sur la voie de ses fidèles.

Proverbes 2, 9 Alors tu comprendras justice, équité et droiture, toutes les pistes du bonheur.

Proverbes 2, 10 Quand la sagesse entrera dans ton coeur, que le savoir fera les délices de ton âme,

Proverbes 2, 11 la prudence veillera sur toi, l'intelligence te gardera

Proverbes 2, 12 pour t'éloigner de la voie mauvaise, de l'homme aux propos pervers,

Proverbes 2, 13 de ceux qui délaissent les droits sentiers et vont courir par des voies ténébreuses;

Proverbes 2, 14 ils trouvent leur joie à faire le mal, ils se complaisent dans la perversité;

Proverbes 2, 15 leurs sentiers sont tortueux, leurs pistes sont obliques.

Proverbes 2, 16 Pour te garder aussi de la femme étrangère, de l'inconnue aux paroles enjôleuses;

Proverbes 2, 17 elle a abandonné l'ami de sa jeunesse, elle a oublié l'alliance de son Dieu;

Proverbes 2, 18 sa maison penche vers la mort, ses pistes conduisent vers les ombres.

Proverbes 2, 19 De ceux qui vont à elle, pas un ne revient, ils ne rejoignent plus les sentiers de la vie.

Proverbes 2, 20 Ainsi chemineras-tu dans la voie des gens de bien, garderas-tu le sentier des justes.

Proverbes 2, 21 Car les hommes droits habiteront le pays, les gens honnêtes y demeureront,

Proverbes 2, 22 mais les méchants seront retranchés du pays, les traîtres en seront arrachés.

Proverbes 3, 1 Mon fils, n'oublie pas mon enseignement, et que ton coeur garde mes préceptes,

Proverbes 3, 2 car ils augmenteront la durée de tes jours, tes années de vie et ton bien-être.

Proverbes 3, 3 Que piété et fidélité ne te quittent! Fixe-les à ton cou, inscris-les sur la tablette de ton coeur.

Proverbes 3, 4 Tu trouveras ainsi faveur et réussite aux regards de Dieu et des hommes.

Proverbes 3, 5 Repose-toi sur Yahvé de tout ton coeur, ne t'appuie pas sur ton propre entendement;

Proverbes 3, 6 en toutes tes démarches, reconnais-le et il aplanira tes sentiers.

Proverbes 3, 7 Ne te figure pas être sage, crains Yahvé et te détourne du mal:

Proverbes 3, 8 cela sera salutaire à ton corps et rafraîchissant pour tes os.

Proverbes 3, 9 Honore Yahvé de tes biens et des prémices de tout ton revenu;

Proverbes 3, 10 alors tes greniers regorgeront de blé et tes cuves déborderont de vin nouveau.

Proverbes 3, 11 Ne méprise pas, mon fils, la correction de Yahvé, et ne prends pas mal sa réprimande,

Proverbes 3, 12 car Yahvé reprend celui qu'il aime, comme un père le fils qu'il chérit.

Proverbes 3, 13 Heureux l'homme qui a trouvé la sagesse, l'homme qui acquiert l'intelligence!

Proverbes 3, 14 Car mieux vaut la gagner que gagner de l'argent, son revenu vaut mieux que de l'or.

Proverbes 3, 15 Elle est précieuse plus que les perles, rien de ce que tu désires ne l'égale.

Proverbes 3, 16 Dans sa droite: longueur des jours! Dans sa gauche: richesse et honneur!

Proverbes 3, 17 Ses chemins sont chemins de délices, tous ses sentiers, de bonheur.

Proverbes 3, 18 C'est un arbre de vie pour qui la saisit, et qui la tient devient heureux.

Proverbes 3, 19 Yahvé, par la sagesse, a fondé la terre, il a établi les cieux par l'intelligence.

Proverbes 3, 20 Par sa science furent creusés les abîmes, et les nues distillent la rosée.

Proverbes 3, 21 Mon fils, sans les quitter des yeux, observe le conseil et la prudence;

Proverbes 3, 22 ils seront vie pour ton âme et grâce pour ton cou.

Proverbes 3, 23 Tu iras ton chemin en sécurité, ton pied n'achoppera pas.

Proverbes 3, 24 Si tu te couches, tu seras sans frayeur, une fois couché, ton sommeil sera doux.

Proverbes 3, 25 Ne redoute ni terreur soudaine ni attaque qui vienne des méchants,

Proverbes 3, 26 car Yahvé sera ton assurance, il préservera tes pas du piège.

Proverbes 3, 27 Ne refuse pas un bienfait à qui y a droit quand il est en ton pouvoir de le faire.

Proverbes 3, 28 Ne dis pas à ton prochain: "Va-t'en! repasse! demain je te donnerai!" quand la chose est en ton pouvoir.

Proverbes 3, 29 Ne machine pas le mal contre ton prochain, alors qu'il demeure en confiance avec toi.

Proverbes 3, 30 Ne te querelle pas sans motif avec un homme, s'il ne t'a fait aucun mal.

Proverbes 3, 31 N'envie pas l'homme violent, ne choisis jamais ses chemins,

Proverbes 3, 32 car les pervers sont l'abomination de Yahvé, lui qui fait des hommes droits ses familiers.

Proverbes 3, 33 Malédiction de Yahvé sur la maison du méchant! mais il bénit la demeure des justes.

Proverbes 3, 34 Il raille les railleurs, mais aux pauvres il donne sa faveur.

Proverbes 3, 35 La gloire est la part des sages, mais les sots héritent le mépris.

Proverbes 4, 1 Ecoutez, mes fils, l'instruction d'un père, soyez attentifs à connaître l'intelligence.

Proverbes 4, 2 Car c'est une bonne doctrine que je vous livre: n'abandonnez pas mon enseignement.

Proverbes 4, 3 Je fus un fils pour mon père, tendre et unique aux yeux de ma mère.

Proverbes 4, 4 Or il m'enseignait en ces termes: "Que ton coeur retienne mes paroles, observe mes préceptes et tu vivras;

Proverbes 4, 5 acquiers la sagesse, acquiers l'intelligence, ne l'oublie pas et ne t'écarte pas des paroles de ma bouche.

Proverbes 4, 6 Ne l'abandonne pas, elle te gardera, aime-la, elle veillera sur toi.

Proverbes 4, 7 Commencement de la sagesse: acquiers la sagesse; au prix de tout ce que tu possèdes, acquiers l'intelligence!

Proverbes 4, 8 Etreins-la et elle t'élèvera, elle feras ta gloire si tu l'embrasses;

Proverbes 4, 9 sur ta tête elle posera un diadème de grâce, elle t'offrira une couronne d'honneur."

Proverbes 4, 10 Ecoute, mon fils, accueille mes paroles, et les années de ta vie se multiplieront.

Proverbes 4, 11 Dans la voie de la sagesse je t'ai enseigné, je t'ai fait cheminer sur la piste de la droiture.

Proverbes 4, 12 Dans ta marche tes pas seront sans contrainte, si tu cours, tu ne trébucheras pas.

Proverbes 4, 13 Saisis la discipline, ne la lâche pas, garde-la, c'est ta vie.

Proverbes 4, 14 Ne suis pas le sentier des méchants, ne t'avance pas sur le chemin des mauvais.

Proverbes 4, 15 Evite-le, n'y passe pas, détourne-toi, passe outre.

Proverbes 4, 16 Car ils ne s'endorment pas, qu'ils n'aient fait le mal, le sommeil leur manque s'ils n'ont fait trébucher quelqu'un;

Proverbes 4, 17 car ils mangent un pain de méchanceté et boivent le vin des violents.

Proverbes 4, 18 La route des justes est comme la lumière de l'aube, dont l'éclat grandit jusqu'au plein jour;

Proverbes 4, 19 le chemin des méchants est comme l'obscurité: ils ne savent sur quoi ils trébuchent.

Proverbes 4, 20 Mon fils, sois attentif à mes paroles, à mes discours prête l'oreille!

Proverbes 4, 21 Qu'ils n'échappent pas à tes regards, au fond du coeur garde-les!

Proverbes 4, 22 Car pour qui les trouve ils sont vie et santé pour toute chair.

Proverbes 4, 23 Plus que sur toute chose, veille sur ton coeur, c'est de lui que jaillit la vie.

Proverbes 4, 24 Ecarte loin de toi la bouche perverse, et les lèvres trompeuses, éloigne-les.

Proverbes 4, 25 Que tes yeux regardent en face, que tes regards se dirigent droit devant toi.

Proverbes 4, 26 Aplanis la piste sous tes pas et que tous tes chemins soient bien affermis.

Proverbes 4, 27 Ne dévie ni à droite ni à gauche, écarte ton pied du mal.

Proverbes 5, 1 Mon fils, sois attentif à ma sagesse, prête l'oreille à mon intelligence,

Proverbes 5, 2 pour suivre la prudence et que tes lèvres gardent le savoir. Ne prête pas attention à la femme perverse,

Proverbes 5, 3 car les lèvres de l'étrangère distillent le miel et plus onctueux que l'huile est son palais;

Proverbes 5, 4 mais à la fin elle est amère comme l'absinthe, aiguisée comme une épée à deux tranchants.

Proverbes 5, 5 Ses pieds descendent à la mort, ses démarches gagnent le shéol;

Proverbes 5, 6 loin de prendre les sentiers de la vie, sa marche est incertaine et elle ne le sait pas.

Proverbes 5, 7 Et maintenant, fils, écoutez-moi, ne vous écartez pas des paroles de ma bouche:

Proverbes 5, 8 loin d'elle, passe ton chemin, n'approche pas de l'entrée de sa maison,

Proverbes 5, 9 de peur qu'elle ne livre ton honneur à autrui, tes années à un homme impitoyable,

Proverbes 5, 10 que ton bien n'engraisse des étrangers, que le fruit de ton labeur n'aille à des inconnus,

Proverbes 5, 11 et que sur ta fin, ton corps et ta chair consumés, tu ne rugisses

Proverbes 5, 12 et ne t'écries: "Hélas, j'ai haï la discipline, mon coeur a dédaigné la remontrance;

Proverbes 5, 13 je n'ai pas écouté la voix de mes maîtres, je n'ai pas prêté l'oreille à ceux qui m'instruisaient!

Proverbes 5, 14 Peu s'en faut que je sois au comble du malheur, au milieu de l'assemblée et de la communauté!"

Proverbes 5, 15 Bois l'eau de ta propre citerne, l'eau jaillissante de ton puits!

Proverbes 5, 16 Tes fontaines s'écouleraient au-dehors, tes ruisseaux sur les places publiques:

Proverbes 5, 17 qu'ils restent pour toi seul, et non pour des étrangers avec toi!

Proverbes 5, 18 Bénie soit ta source! Trouve la joie dans la femme de ta jeunesse:

Proverbes 5, 19 biche aimable, gracieuse gazelle! En tout temps que ses seins t'enivrent, sois toujours épris de son amour!

Proverbes 5, 20 Pourquoi, mon fils, te laisser égarer par une étrangère et embrasser le sein d'une inconnue?

Proverbes 5, 21 Car les yeux de Yahvé observent les chemins de l'homme et surveillent tous ses sentiers.

Proverbes 5, 22 Le méchant est pris à ses propres méfaits, dans les liens de son péché il est capturé.

Proverbes 5, 23 Il mourra faute de discipline, par l'excès de sa folie il s'égarera.

Proverbes 6, 1 Mon fils, si tu t'es porté garant envers ton prochain, si tu as topé dans la main en faveur d'un étranger,

Proverbes 6, 2 si tu t'es lié par les paroles de ta bouche, si tu es pris aux paroles de ta bouche,

Proverbes 6, 3 fais donc ceci, mon fils, pour te tirer d'affaire, puisque tu es tombé aux mains de ton prochain: va, prosterne-toi, importune ton prochain,

Proverbes 6, 4 n'accorde ni sommeil à tes yeux ni repos à tes paupières,

Proverbes 6, 5 dégage-toi, comme du filet la gazelle, ou comme l'oiseau de la main de l'oiseleur.

Proverbes 6, 6 Va voir la fourmi, paresseux! Observe ses moeurs et deviens sage:

Proverbes 6, 7 elle qui n'a ni magistrat, ni surveillant ni chef,

Proverbes 6, 8 durant l'été elle assure sa provende et amasse, au temps de la moisson, sa nourriture.

Proverbes 6, 9 Jusques à quand, paresseux, resteras-tu couché? Quand te lèveras-tu de ton sommeil?

Proverbes 6, 10 Un peu dormir, un peu s'assoupir, un peu croiser les bras en s'allongeant,

Proverbes 6, 11 et, tel un rôdeur, viendra l'indigence, et la disette comme un mendiant.

Proverbes 6, 12 Un vaurien, un homme inique, il va, la bouche torse,

Proverbes 6, 13 clignant de l'oeil, traînant les pieds, faisant signe des doigts.

Proverbes 6, 14 La fourberie au coeur, méditant le mal en toute saison, il suscite des querelles.

Proverbes 6, 15 Aussi, soudain viendra sa ruine, à l'instant il sera brisé, sans remède.

Proverbes 6, 16 Il y a six choses que hait Yahvé, sept qui lui sont en abomination:

Proverbes 6, 17 des yeux hautains, une langue menteuse, des mains qui répandent le sang innocent,

Proverbes 6, 18 un coeur qui médite des projets coupables, des pieds empressés à courir au mal,

Proverbes 6, 19 un faux témoin qui profère des mensonges, le semeur de querelles entre frères.

Proverbes 6, 20 Garde, mon fils, le précepte de ton père, ne rejette pas l'enseignement de ta mère.

Proverbes 6, 21 Fixe-les constamment dans ton coeur, noue-les à ton cou.

Proverbes 6, 22 Dans tes démarches ils te guideront, dans ton repos ils te garderont, à ton réveil ils s'entretiendront avec toi.

Proverbes 6, 23 Car le précepte est une lampe, l'enseignement une lumière; les exhortations de la discipline sont le chemin de la vie,

Proverbes 6, 24 pour te préserver de la femme mauvaise, de la langue doucereuse d'une étrangère.

Proverbes 6, 25 Ne convoite pas dans ton coeur sa beauté, ne te laisse pas prendre à ses oeillades,

Proverbes 6, 26 car à la prostituée suffit un quignon de pain, mais la femme mariée en veut à une vie précieuse.

Proverbes 6, 27 Peut-on porter du feu dans son sein sans enflammer ses vêtements?

Proverbes 6, 28 Peut-on marcher sur des charbons ardents sans se brûler les pieds?

Proverbes 6, 29 Ainsi celui qui court après la femme de son prochain: qui s'y essaie ne s'en tirera pas indemne.

Proverbes 6, 30 On ne méprise pas le voleur qui vole pour s'emplir l'estomac quand il a faim;

Proverbes 6, 31 pourtant, s'il est pris, il rendra au septuple, il donnera toutes les ressources de sa maison.

Proverbes 6, 32 Mais l'adultère est privé de sens, qui veut sa propre perte agit ainsi!

Proverbes 6, 33 Il récolte coups et mépris, jamais ne s'effacera son opprobre.

Proverbes 6, 34 Car la jalousie excite la rage du mari, au jour de la vengeance il sera sans pitié,

Proverbes 6, 35 il n'aura égard à aucune compensation, il ne consentira à rien, même si tu multiplies les présents.

Proverbes 7, 1 Mon fils, garde mes paroles, conserve chez toi mes préceptes.

Proverbes 7, 2 Garde mes préceptes et tu vivras, que mon enseignement soit comme la pupille de tes yeux.

Proverbes 7, 3 Fixe-les à tes doigts, inscris-les sur la tablette de ton coeur.

Proverbes 7, 4 Dis à la sagesse: "Tu es ma soeur!" Donne le nom de parente à l'intelligence,

Proverbes 7, 5 pour te garder de la femme étrangère, de l'inconnue aux paroles doucereuses.

Proverbes 7, 6 Comme j'étais à la fenêtre de ma demeure, j'ai regardé par le treillis

Proverbes 7, 7 et j'ai vu, parmi de jeunes niais, j'ai remarqué parmi des enfants un garçon privé de sens.

Proverbes 7, 8 Passant par la venelle, près du coin où elle est, il gagne le chemin de sa maison,

Proverbes 7, 9 à la brune, au tomber du jour, au coeur de la nuit et de l'ombre.

Proverbes 7, 10 Et voici qu'une femme vient à sa rencontre, vêtue comme une prostituée, la fausseté au coeur.

Proverbes 7, 11 Elle est hardie et insolente; ses pieds ne peuvent tenir à la maison.

Proverbes 7, 12 Tantôt dans la rue, tantôt sur les places, à tous les coins elle se tient aux aguets.

Proverbes 7, 13 Elle le saisit et l'embrasse et d'un air effronté lui dit:

Proverbes 7, 14 "J'avais à offrir un sacrifice de communion, j'ai accompli mes voeux aujourd'hui,

Proverbes 7, 15 voilà pourquoi je suis sortie à ta rencontre pour te chercher, et je t'ai trouvé.

Proverbes 7, 16 J'ai recouvert mon divan de couvertures, de tissus brodés, d'étoffe d'Egypte,

Proverbes 7, 17 j'ai aspergé ma couche de myrrhe, d'aloès et de cinnamome.

Proverbes 7, 18 Viens! Enivrons-nous d'amour jusqu'au matin! Jouissons dans la volupté!

Proverbes 7, 19 Car il n'y a point de mari à la maison: il est parti pour un lointain voyage,

Proverbes 7, 20 il a emporté le sac aux écus, à la pleine lune il reviendra chez lui.

Proverbes 7, 21 A force de persuasion elle le séduit, par le charme doucereux de ses lèvres elle l'entraîne.

Proverbes 7, 22 Aussitôt il la suit, tel un boeuf qui va à l'abattoir, tel un fou marchant au supplice des entraves,

Proverbes 7, 23 jusqu'à ce qu'un trait lui perce le foie, tel l'oiseau qui se précipite dans le filet sans savoir qu'il y va de sa vie.

Proverbes 7, 24 A présent, fils, écoutez-moi, prêtez attention aux paroles de ma bouche:

Proverbes 7, 25 que ton coeur ne dévie pas vers ses chemins, ne t'égare pas dans ses sentiers,

Proverbes 7, 26 car nombreux sont ceux qu'elle a frappés à mort et les plus robustes furent tous ses victimes.

Proverbes 7, 27 Sa demeure est le chemin du shéol, la pente vers le parvis des morts.

Proverbes 8, 1 La Sagesse n'appelle-t-elle pas? L'Intelligence n'élève-t-elle pas la voix?

Proverbes 8, 2 Au sommet des hauteurs qui dominent la route, au croisement des chemins, elle se poste;

Proverbes 8, 3 près des portes, à l'entrée de la cité, sur les voies d'accès, elle s'écrie:

Proverbes 8, 4 "Humains! C'est vous que j'appelle, ma voix s'adresse aux enfants des hommes.

Proverbes 8, 5 Simples! apprenez le savoir-faire, sots, devenez raisonnables.

Proverbes 8, 6 Ecoutez, j'ai à vous dire des choses importantes, j'ouvre mes lèvres pour dire des paroles droites.

Proverbes 8, 7 C'est la vérité que mon palais proclame, car le mal est abominable à mes lèvres.

Proverbes 8, 8 Toutes les paroles de ma bouche sont justes, en elles rien de faux ni de tortueux.

Proverbes 8, 9 Toutes sont franches pour qui les comprend, droites pour qui a trouvé le savoir.

Proverbes 8, 10 Prenez ma discipline et non de l'argent, le savoir plutôt que l'or pur.

Proverbes 8, 11 Car la sagesse vaut mieux que les perles, et rien de ce que l'on désire ne l'égale."

Proverbes 8, 12 "Moi, la Sagesse, j'habite avec le savoir-faire, je possède la science de la réflexion.

Proverbes 8, 13 (La crainte de Yahvé est la haine du mal). Je hais l'orgueil et l'arrogance, la mauvaise conduite et la bouche torse.

Proverbes 8, 14 A moi appartiennent le conseil et la prudence, je suis l'entendement, à moi la puissance!

Proverbes 8, 15 Par moi règnent les rois et les nobles décrètent le droit;

Proverbes 8, 16 par moi gouvernent les princes et les grands, les juges légitimes.

Proverbes 8, 17 J'aime ceux qui m'aiment, qui me cherche avec empressement me trouve.

Proverbes 8, 18 Chez moi sont la richesse et la gloire, les biens stables et la justice.

Proverbes 8, 19 Mon fruit est meilleur que l'or, que l'or fin, mes produits meilleurs que le pur argent.

Proverbes 8, 20 Je marche dans le chemin de la justice, dans le sentier du droit,

Proverbes 8, 21 pour procurer des biens à ceux qui m'aiment, et remplir leurs trésors.

Proverbes 8, 22 Yahvé m'a créée, prémices de son oeuvre, avant ses oeuvres les plus anciennes.

Proverbes 8, 23 Dès l'éternité je fus établie, dès le principe, avant l'origine de la terre.

Proverbes 8, 24 Quand les abîmes n'étaient pas, je fus enfantée, quand n'étaient pas les sources aux eaux abondantes.

Proverbes 8, 25 Avant que fussent implantées les montagnes, avant les collines, je fus enfantée;

Proverbes 8, 26 avant qu'il eût fait la terre et la campagne et les premiers éléments du monde.

Proverbes 8, 27 Quand il affermit les cieux, j'étais là, quand il traça un cercle à la surface de l'abîme,

Proverbes 8, 28 quand il condensa les nuées d'en haut, quand se gonflèrent les sources de l'abîme,

Proverbes 8, 29 quand il assigna son terme à la mer, -- et les eaux n'en franchiront pas le bord -- quand il traça les fondements de la terre,

Proverbes 8, 30 j'étais à ses côtés comme le maître d'oeuvre, je faisais ses délices, jour après jour, m'ébattant tout le temps en sa présence,

Proverbes 8, 31 m'ébattant sur la surface de sa terre et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes.

Proverbes 8, 32 "Et maintenant, mes fils, écoutez-moi: heureux ceux qui gardent mes voies!

Proverbes 8, 33 Ecoutez l'instruction et devenez sages, ne la méprisez pas.

Proverbes 8, 34 Heureux l'homme qui m'écoute, qui veille jour après jour à mes portes pour en garder les montants!

Proverbes 8, 35 Car qui me trouve trouve la vie, il obtient la faveur de Yahvé;

Proverbes 8, 36 mais qui pèche contre moi blesse son âme, quiconque me hait chérit la mort."

Proverbes 9, 1 La Sagesse a bâti sa maison, elle a taillé ses sept colonnes,

Proverbes 9, 2 elle a abattu ses bêtes, préparé son vin, elle a aussi dressé sa table.

Proverbes 9, 3 Elle a dépêché ses servantes et proclamé sur les buttes, en haut de la cité:

Proverbes 9, 4 "Qui est simple? Qu'il passe par ici!" A l'homme insensé elle dit:

Proverbes 9, 5 "Venez, mangez de mon pain, buvez du vin que j'ai préparé!

Proverbes 9, 6 Quittez la niaiserie et vous vivrez, marchez droit dans la voie de l'intelligence."

Proverbes 9, 7 Qui corrige un railleur s'attire le mépris, qui reprend un méchant, le déshonneur.

Proverbes 9, 8 Ne reprends pas le railleur, il te haïrait, reprends le sage, il t'aimera.

Proverbes 9, 9 Donne au sage: il deviendra plus sage encore; instruis le juste, il accroîtra son acquis.

Proverbes 9, 10 Principe de la sagesse: la crainte de Yahvé! la science des saints, voilà l'intelligence.

Proverbes 9, 11 Car par moi tes jours se multiplient et pour toi s'accroissent les années de vie.

Proverbes 9, 12 Si tu es sage, tu l'es pour toi-même, si tu es railleur, toi seul en porteras la peine.

Proverbes 9, 13 Dame Folie est impulsive, niaise et ne connaissant rien!

Proverbes 9, 14 Elle s'assied à la porte de sa maison, sur un trône, en haut de la cité,

Proverbes 9, 15 pour appeler les passants, ceux qui vont droit leur chemin.

Proverbes 9, 16 "Qui est simple? Qu'il fasse un détour par ici!" A l'homme insensé elle dit:

Proverbes 9, 17 "Les eaux dérobées sont douces, et savoureux le pain du mystère!"

Proverbes 9, 18 Or il ignore qu'il y a là des Ombres et que ses invités sont aux vallées du shéol.

Proverbes 10, 1 Proverbes de Salomon. Le fils sage réjouit son père, le fils sot chagrine sa mère.

Proverbes 10, 2 Trésors mal acquis ne profitent pas, mais la justice délivre de la mort.

Proverbes 10, 3 Yahvé ne laisse pas le juste affamé, mais il réprime la convoitise des méchants.

Proverbes 10, 4 Main nonchalante appauvrit, la main des diligents enrichit.

Proverbes 10, 5 Amasser en été est d'un homme avisé, dormir à la moisson est d'un homme indigne.

Proverbes 10, 6 Bénédictions sur la tête du juste, mais la bouche des impies recouvre la violence.

Proverbes 10, 7 La mémoire du juste est en bénédiction, le nom des méchants tombe en pourriture.

Proverbes 10, 8 L'homme au coeur sage accepte les ordres, l'homme aux lèvres folles court à sa perte.

Proverbes 10, 9 Qui va honnêtement va en sécurité, qui suit une voie tortueuse est démasqué.

Proverbes 10, 10 Qui cligne de l'oeil donne du tourment, qui réprimande en face procure l'apaisement.

Proverbes 10, 11 Source de vie: la bouche du juste, mais la bouche des impies recouvre la violence.

Proverbes 10, 12 La haine allume des querelles, l'amour couvre toutes les offenses.

Proverbes 10, 13 Sur les lèvres de l'homme intelligent se trouve la sagesse, sur le dos de l'insensé, le bâton.

Proverbes 10, 14 Les sages thésaurisent le savoir, mais la bouche du fou est un danger menaçant.

Proverbes 10, 15 La fortune du riche, voilà sa place forte; le mal des faibles, c'est leur indigence.

Proverbes 10, 16 Le salaire du juste procure la vie, le revenu du méchant, le péché.

Proverbes 10, 17 Il marche vers la vie, celui qui garde la discipline; qui délaisse la réprimande se fourvoie.

Proverbes 10, 18 Les lèvres du menteur couvrent la haine; qui profère une calomnie est un sot.

Proverbes 10, 19 Abondance de paroles ne va pas sans offense; qui retient ses lèvres est avisé.

Proverbes 10, 20 La langue du juste est pur argent, le coeur des méchants est de peu de prix.

Proverbes 10, 21 Les lèvres du juste repaissent une multitude, mais les fous meurent faute de sens.

Proverbes 10, 22 C'est la bénédiction de Yahvé qui enrichit, sans que l'effort y ajoute rien.

Proverbes 10, 23 C'est un jeu pour le sot de s'adonner au crime, et pour l'homme intelligent de cultiver la sagesse.

Proverbes 10, 24 Ce que redoute le méchant lui échoit, ce que souhaite le juste lui est donné.

Proverbes 10, 25 Quand la tourmente a passé, plus de méchant! mais à jamais, le juste est établi.

Proverbes 10, 26 Vinaigre aux dents, fumée aux yeux, tel est le paresseux pour qui l'envoie.

Proverbes 10, 27 La crainte de Yahvé prolonge les jours, les années du méchant seront abrégées.

Proverbes 10, 28 L'espoir des justes est joie, l'espérance des méchants périra.

Proverbes 10, 29 La voie de Yahvé est un rempart pour l'homme honnête, pour les malfaisants, une ruine.

Proverbes 10, 30 Jamais le juste ne sera ébranlé, mais les méchants n'habiteront pas le pays.

Proverbes 10, 31 La bouche du juste exprime la sagesse, la langue perverse sera coupée.

Proverbes 10, 32 Les lèvres du juste connaissent la bienveillance, la bouche des méchants la perversité.

Proverbes 11, 1 La balance fausse est une abomination pour Yahvé, mais le poids juste a sa faveur.

Proverbes 11, 2 Vienne l'insolence, viendra le mépris, mais chez les humbles se trouve la sagesse.

Proverbes 11, 3 Leur honnêteté conduit les hommes droits, leur perversité mène les traîtres à la ruine.

Proverbes 11, 4 Au jour de la fureur, la richesse sera inutile, mais la justice délivre de la mort.

Proverbes 11, 5 La justice de l'homme honnête rend droit son chemin, le méchant succombe dans sa méchanceté.

Proverbes 11, 6 Leur justice sauve les hommes droits, dans leur convoitise les traîtres sont pris.

Proverbes 11, 7 L'espérance du méchant périt à sa mort, l'espoir mis dans les richesses est anéanti.

Proverbes 11, 8 Le juste échappe à l'angoisse, le méchant y vient à sa place.

Proverbes 11, 9 Par sa bouche l'impie ruine son prochain, par le savoir les justes se tirent d'affaire.

Proverbes 11, 10 Au bonheur des justes, la cité exulte, à la perte des méchants, c'est un cri de joie.

Proverbes 11, 11 Par la bénédiction des hommes droits s'élève une ville, par la bouche des méchants, elle est démolie.

Proverbes 11, 12 Qui méprise son prochain est privé de sens; l'homme intelligent se tait.

Proverbes 11, 13 C'est un colporteur de médisance, celui qui révèle les secrets, c'est un esprit sûr, celui qui cache l'affaire.

Proverbes 11, 14 Faute de direction un peuple succombe, le succès tient au grand nombre de conseillers.

Proverbes 11, 15 Celui qui cautionne l'étranger se fait du tort, qui répugne à toper est en sécurité.

Proverbes 11, 16 Une femme gracieuse acquiert de l'honneur, les violents acquièrent la richesse.

Proverbes 11, 17 L'homme miséricordieux fait du bien à soi-même, mais un homme intraitable afflige sa propre chair.

Proverbes 11, 18 Le méchant accomplit un travail décevant, à qui sème la justice, la récompense est assurée.

Proverbes 11, 19 Qui établit la justice va à la vie, qui poursuit le mal, à la mort.

Proverbes 11, 20 Abomination pour Yahvé: les coeurs tortueux; il aime ceux dont la conduite est honnête.

Proverbes 11, 21 A coup sûr, le méchant ne restera pas impuni, mais la race des justes sera sauve.

Proverbes 11, 22 Un anneau d'or au groin d'un pourceau: une femme belle mais dépourvue de sens.

Proverbes 11, 23 Le souhait des justes, ce n'est que le bien, l'espoir des méchants, c'est la colère.

Proverbes 11, 24 Tel est prodigue et sa richesse s'accroît, tel amasse sans mesure et ne fait que s'appauvrir.

Proverbes 11, 25 L'âme qui bénit prospérera, et qui abreuve sera abreuvé.

Proverbes 11, 26 Le peuple maudit l'accapareur de blé, bénédiction sur la tête de celui qui le vend.

Proverbes 11, 27 Qui vise le bien obtient la faveur, qui poursuit le mal, celui-ci l'atteindra.

Proverbes 11, 28 Qui se fie en la richesse tombera, mais les justes pousseront comme le feuillage.

Proverbes 11, 29 Qui laisse sa maison en désordre hérite le vent, et le fou devient esclave du sage.

Proverbes 11, 30 Le fruit du juste est un arbre de vie; le sage captive les âmes.

Proverbes 11, 31 Si le juste ici-bas reçoit son salaire, combien plus le méchant et le pécheur.

Proverbes 12, 1 Qui aime la discipline aime le savoir, qui hait la réprimande est stupide.

Proverbes 12, 2 L'homme de bien attire la faveur de Yahvé, mais l'homme malintentionné, celui-ci le condamne.

Proverbes 12, 3 On ne s'affermit pas par la méchanceté, mais rien n'ébranle la racine des justes.

Proverbes 12, 4 Une maîtresse femme est la couronne de son mari, mais une femme indigne est comme une carie dans ses os.

Proverbes 12, 5 Les desseins du juste sont équité, les machinations du méchant, tromperie.

Proverbes 12, 6 Les paroles des méchants sont des pièges de sang, mais la bouche des hommes droits les délivre.

Proverbes 12, 7 Jetés bas, les méchants ne sont plus, la maison des justes subsiste.

Proverbes 12, 8 On fait l'éloge d'un homme selon son bon sens, le coeur tortueux est en butte aux affronts.

Proverbes 12, 9 Mieux vaut un homme du commun qui a un serviteur qu'un homme qui se glorifie et manque de pain.

Proverbes 12, 10 Le juste connaît les besoins de ses bêtes, mais les entrailles du méchant sont cruelles.

Proverbes 12, 11 Qui cultive sa terre sera rassasié de pain, qui poursuit des chimères est dépourvu de sens.

Proverbes 12, 12 L'impie se plaît au filet des méchants, mais la racine des justes rapporte.

Proverbes 12, 13 Dans le forfait des lèvres, il y a un piège funeste, mais le juste se tire de la détresse.

Proverbes 12, 14 Par le fruit de sa bouche l'homme se rassasie de ce qui est bon, on reçoit la récompense de ses oeuvres.

Proverbes 12, 15 Le chemin du fou est droit à ses propres yeux, mais le sage écoute le conseil.

Proverbes 12, 16 Le fou manifeste son dépit sur l'heure, mais l'homme habile dissimule le mépris.

Proverbes 12, 17 Celui qui révèle la vérité proclame la justice, le faux témoin n'est que tromperie.

Proverbes 12, 18 Tel qui parle étourdiment blesse comme une épée, la langue des sages guérit.

Proverbes 12, 19 La lèvre sincère est affermie pour jamais, mais pour un instant la langue trompeuse.

Proverbes 12, 20 Au coeur qui médite le mal: la fraude; aux conseillers pacifiques: la joie.

Proverbes 12, 21 Au juste n'échoit nul mécompte, mais les méchants sont comblés de malheur.

Proverbes 12, 22 Abomination pour Yahvé: des lèvres menteuses; il aime ceux qui pratiquent la vérité.

Proverbes 12, 23 L'homme avisé cèle son savoir, le coeur des sots publie sa folie.

Proverbes 12, 24 A la main diligente le commandement, la main nonchalante aura la corvée.

Proverbes 12, 25 Une peine au coeur de l'homme le déprime, mais une bonne parole le réjouit.

Proverbes 12, 26 Un juste montre la voie à son compagnon, la voie des méchants les égare.

Proverbes 12, 27 L'indolence ne rôtit pas son gibier, mais la diligence est une précieuse ressource de l'homme.

Proverbes 12, 28 Sur le sentier de la justice: la vie; le chemin des pervers mène à la mort.

Proverbes 13, 1 Le fils sage écoute la discipline de son père, le railleur n'entend pas le reproche.

Proverbes 13, 2 Par le fruit de sa bouche l'homme se nourrit de ce qui est bon, mais l'âme des traîtres se repaît de violence.

Proverbes 13, 3 Qui veille sur sa bouche garde sa vie, qui ouvre grand ses lèvres se perd.

Proverbes 13, 4 Le paresseux attend, mais rien pour sa faim; la faim des diligents est apaisée.

Proverbes 13, 5 Le juste hait la parole mensongère, mais le méchant déshonore et diffame.

Proverbes 13, 6 La justice garde celui dont la voie est honnête, le péché cause la ruine du méchant.

Proverbes 13, 7 Tel joue au riche qui n'a rien, tel fait le pauvre qui a de grands biens.

Proverbes 13, 8 Rançon d'une vie d'homme: sa richesse; mais le pauvre n'entend pas le reproche.

Proverbes 13, 9 La lumière des justes est joyeuse, la lampe des méchants s'éteint.

Proverbes 13, 10 Insolence n'engendre que chicane; chez qui accepte les conseils se trouve la sagesse.

Proverbes 13, 11 Fortune hâtive va diminuant, qui amasse peu à peu s'enrichit.

Proverbes 13, 12 Espoir différé rend le coeur malade; c'est un arbre de vie que le désir satisfait.

Proverbes 13, 13 Qui méprise la parole se perdra, qui respecte le commandement sera sauf.

Proverbes 13, 14 L'enseignement du sage est source de vie pour éviter les pièges de la mort.

Proverbes 13, 15 Un grand bon sens procure la faveur, la voie des traîtres est dure.

Proverbes 13, 16 Tout homme avisé agit à bon escient, le sot étale sa folie.

Proverbes 13, 17 Messager malfaisant tombe dans le malheur, messager fidèle apporte la guérison.

Proverbes 13, 18 Misère et mépris à qui abandonne la discipline, honneur à qui observe la réprimande.

Proverbes 13, 19 Désir satisfait, douceur pour l'âme. Abomination pour les sots: se détourner du mal.

Proverbes 13, 20 Qui chemine avec les sages devient sage, qui hante les sots devient mauvais.

Proverbes 13, 21 Aux trousses du pécheur, le malheur; le bonheur récompense les justes.

Proverbes 13, 22 Aux enfants de ses enfants l'homme de bien laisse un héritage, au juste est réservée la fortune des pécheurs.

Proverbes 13, 23 Riche en nourriture, la culture des pauvres; il en est qui périssent faute d'équité.

Proverbes 13, 24 Qui épargne la baguette hait son fils, qui l'aime prodigue la correction.

Proverbes 13, 25 Le juste mange et se rassasie, le ventre des méchants crie famine.

Proverbes 14, 1 La Sagesse bâtit sa maison, de sa main, la Folie la renverse.

Proverbes 14, 2 Qui marche dans sa droiture craint Yahvé, qui dévie de ses chemins le méprise.

Proverbes 14, 3 Dans la bouche du fou il y a un surgeon d'orgueil, les lèvres des sages les gardent.

Proverbes 14, 4 Point de boeufs, mangeoire vide; taureau vigoureux, revenus abondants.

Proverbes 14, 5 Le témoin véridique ne ment pas, mais le faux témoin exhale le mensonge.

Proverbes 14, 6 Le railleur poursuit la sagesse, mais en vain, à l'homme intelligent le savoir est chose aisée.

Proverbes 14, 7 Ecarte-toi du sot, tu ignorerais les lèvres savantes.

Proverbes 14, 8 Pour l'homme avisé, la sagesse est de surveiller sa conduite, mais la folie des sots n'est que tromperie.

Proverbes 14, 9 Les fous raillent le sacrifice pour le péché, mais parmi les hommes droits se trouve la faveur.

Proverbes 14, 10 Le coeur connaît son propre chagrin et nul étranger ne partage sa joie.

Proverbes 14, 11 La maison des méchants sera détruite, la tente des hommes droits prospérera.

Proverbes 14, 12 Tel chemin paraît droit à quelqu'un, mais en fin de compte c'est le chemin de la mort.

Proverbes 14, 13 Dans le rire même, le coeur trouve la peine, et la joie s'achève en chagrin.

Proverbes 14, 14 Le coeur dévoyé se rassasie de ses démarches, et l'homme de bien de ses oeuvres.

Proverbes 14, 15 Le niais croit tout ce qu'on dit, l'homme avisé surveille ses pas.

Proverbes 14, 16 Le sage craint le mal et se détourne, le sot est insolent et sûr de lui.

Proverbes 14, 17 L'homme prompt à la colère fait des sottises, l'homme malintentionné est odieux.

Proverbes 14, 18 La part des niais, c'est la folie, les gens avisés se font du savoir une couronne.

Proverbes 14, 19 Devant les bons, les méchants se prosternent, et aux portes des justes, les impies.

Proverbes 14, 20 Même à son voisin, le pauvre est odieux, mais nombreux sont ceux qui aiment le riche.

Proverbes 14, 21 Il pèche, celui qui méprise son prochain; heureux qui a pitié des pauvres.

Proverbes 14, 22 N'est-ce pas s'égarer que machiner le mal? Miséricorde et fidélité pour qui s'applique au bien.

Proverbes 14, 23 Tout labeur donne du profit, le bavardage ne produit que disette.

Proverbes 14, 24 Couronne des sages: leur richesse; la folie des sots est folie.

Proverbes 14, 25 Un témoin véridique sauve des vies, qui profère des mensonges est un imposteur.

Proverbes 14, 26 Dans la crainte de Yahvé, puissante sécurité; pour ses enfants il est un refuge.

Proverbes 14, 27 La crainte de Yahvé est source de vie pour éviter les pièges de la mort.

Proverbes 14, 28 Peuple nombreux, gloire du roi; baisse de population, ruine du prince.

Proverbes 14, 29 L'homme lent à la colère est plein d'intelligence, qui a l'humeur prompte exalte la folie.

Proverbes 14, 30 Vie du corps: un coeur paisible; mais l'envie est carie des os.

Proverbes 14, 31 Opprimer le faible, c'est outrager son Créateur; c'est l'honorer que d'être bon pour les malheureux.

Proverbes 14, 32 Par sa propre malice le méchant est terrassé, le juste trouve un refuge dans son intégrité.

Proverbes 14, 33 En un coeur intelligent demeure la sagesse; on ne la reconnaît pas au coeur des sots.

Proverbes 14, 34 La justice grandit une nation, le péché est la honte des peuples.

Proverbes 14, 35 La faveur du roi va au serviteur intelligent et sa colère à celui qui fait honte.

Proverbes 15, 1 Une aimable réponse apaise la fureur, une parole blessante fait monter la colère.

Proverbes 15, 2 La langue des sages rend le savoir agréable, la bouche des sots éructe la folie.

Proverbes 15, 3 En tout lieu sont les yeux de Yahvé, ils observent méchants et bons.

Proverbes 15, 4 Langue apaisante est un arbre de vie, langue perverse brise le coeur.

Proverbes 15, 5 Le fou méprise la correction paternelle, qui observe la réprimande est avisé.

Proverbes 15, 6 Biens abondants dans la maison du juste, mais les revenus du méchant sont source d'inquiétude.

Proverbes 15, 7 Les lèvres des sages répandent le savoir, mais non le coeur des sots.

Proverbes 15, 8 Le sacrifice des méchants est une abomination pour Yahvé, mais la prière des hommes droits fait ses délices.

Proverbes 15, 9 Abomination pour Yahvé: la mauvaise conduite; mais il chérit qui poursuit la justice.

Proverbes 15, 10 Sévère correction pour qui s'écarte du sentier; qui hait la réprimande mourra.

Proverbes 15, 11 Shéol et Perdition sont devant Yahvé: combien plus le coeur des enfants des hommes!

Proverbes 15, 12 Le railleur n'aime pas qu'on le reprenne, avec les sages il ne va guère.

Proverbes 15, 13 Coeur joyeux fait bon visage, coeur chagrin a l'esprit abattu.

Proverbes 15, 14 Coeur intelligent recherche le savoir, la bouche des sots se repaît de folie.

Proverbes 15, 15 Pour le pauvre tous les jours sont mauvais, pour le coeur joyeux, c'est un banquet perpétuel.

Proverbes 15, 16 Mieux vaut peu avec la crainte de Yahvé qu'un riche trésor avec l'inquiétude.

Proverbes 15, 17 Mieux vaut une portion de légumes avec l'affection qu'un boeuf gras avec la haine.

Proverbes 15, 18 L'homme emporté engage la querelle, l'homme lent à la colère apaise la dispute.

Proverbes 15, 19 Le chemin du paresseux est comme une haie d'épines, le sentier des hommes droits est une grand-route.

Proverbes 15, 20 Le fils sage réjouit son père, l'homme sot méprise sa mère.

Proverbes 15, 21 La folie fait la joie de l'homme privé de sens, l'homme intelligent va droit son chemin.

Proverbes 15, 22 Faute de réflexion les projets échouent, grâce à de nombreux conseillers, ils prennent corps.

Proverbes 15, 23 Joie pour l'homme qu'une réplique de sa bouche, que c'est bon, une réponse opportune!

Proverbes 15, 24 A l'homme de bon sens, le sentier de la vie, qui mène en haut, afin d'éviter le shéol, en bas.

Proverbes 15, 25 Yahvé renverse la maison des superbes, mais il relève la borne de la veuve.

Proverbes 15, 26 Abomination pour Yahvé: les mauvais desseins; mais les paroles bienveillantes sont pures.

Proverbes 15, 27 Qui est avide de rapines trouble sa maison, qui hait les présents vivra.

Proverbes 15, 28 Le coeur du juste médite pour répondre, la bouche des méchants éructe la méchanceté.

Proverbes 15, 29 Yahvé s'éloigne des méchants, mais il entend la prière des justes.

Proverbes 15, 30 Un regard bienveillant réjouit le coeur, une bonne nouvelle ranime les forces.

Proverbes 15, 31 L'oreille attentive à la réprimande salutaire a sa demeure parmi les sages.

Proverbes 15, 32 Qui rejette la correction se méprise lui-même, qui écoute la réprimande acquiert du sens.

Proverbes 15, 33 La crainte de Yahvé est discipline de sagesse, avant la gloire, il y a l'humilité.

Proverbes 16, 1 A l'homme les projets du coeur, de Yahvé vient la réponse.

Proverbes 16, 2 Toutes les voies de l'homme sont pures à ses yeux, mais Yahvé pèse les esprits.

Proverbes 16, 3 Recommande à Yahvé tes oeuvres, et tes projets se réaliseront.

Proverbes 16, 4 Yahvé fit toute chose en vue d'une fin, et même le méchant pour le jour du malheur.

Proverbes 16, 5 Abomination pour Yahvé: tout coeur altier; à coup sûr, il ne restera pas impuni.

Proverbes 16, 6 Par la piété et la fidélité on expie la faute, par la crainte de Yahvé on s'écarte du mal.

Proverbes 16, 7 Que Yahvé se plaise à la conduite d'un homme, il lui réconcilie même ses ennemis.

Proverbes 16, 8 Mieux vaut peu avec la justice que d'abondants revenus sans le bon droit.

Proverbes 16, 9 Le coeur de l'homme délibère sur sa voie, mais c'est Yahvé qui affermit ses pas.

Proverbes 16, 10 L'oracle est sur les lèvres du roi, dans un jugement, sa bouche est sans défaillance.

Proverbes 16, 11 La balance et les plateaux justes sont à Yahvé, tous les poids du sac sont son oeuvre.

Proverbes 16, 12 Abomination pour les rois: commettre le mal, car sur la justice le trône est établi.

Proverbes 16, 13 Les lèvres justes gagnent la faveur du roi, il aime qui parle avec droiture.

Proverbes 16, 14 La fureur du roi est messagère de mort, mais l'homme sage l'apaise.

Proverbes 16, 15 Dans la lumière du visage royal est la vie; telle une pluie printanière est sa bienveillance.

Proverbes 16, 16 Combien il vaut mieux acquérir la sagesse que l'or! L'acquisition de l'intelligence est préférable à l'argent.

Proverbes 16, 17 Le chemin des gens droits, c'est d'éviter le mal; il garde sa vie, celui qui veille sur ses démarches.

Proverbes 16, 18 L'arrogance précède la ruine et l'esprit altier la chute.

Proverbes 16, 19 Mieux vaut être humble avec les pauvres qu'avec les superbes partager le butin.

Proverbes 16, 20 Qui est attentif à la parole trouve le bonheur, qui se fie en Yahvé est bienheureux.

Proverbes 16, 21 Un coeur sage est proclamé intelligent, la douceur des lèvres augmente le savoir.

Proverbes 16, 22 Le bon sens est source de vie pour qui le possède, la folie des fous est leur châtiment.

Proverbes 16, 23 Le coeur du sage rend sa bouche avisée et ses lèvres riches de savoir.

Proverbes 16, 24 Les paroles aimables sont un rayon de miel: doux au palais, salutaire au corps.

Proverbes 16, 25 Tel chemin paraît droit à quelqu'un, mais en fin de compte, c'est le chemin de la mort.

Proverbes 16, 26 L'appétit du travailleur travaille pour lui, car sa bouche le presse.

Proverbes 16, 27 L'homme de rien produit le malheur, c'est comme un feu brûlant sur ses lèvres.

Proverbes 16, 28 L'homme fourbe sème la querelle, le diffamateur divise les intimes.

Proverbes 16, 29 L'homme violent séduit son prochain et le mène dans une voie qui n'est pas bonne.

Proverbes 16, 30 Qui ferme les yeux pour méditer des fourberies, qui pince les lèvres a commis le mal.

Proverbes 16, 31 C'est une couronne d'honneur que des cheveux blancs, sur les chemins de la justice on la trouve.

Proverbes 16, 32 Mieux vaut un homme lent à la colère qu'un héros, un homme maître de soi qu'un preneur de villes.

Proverbes 16, 33 Dans le pli du vêtement on jette le sort, de Yahvé dépend le jugement.

Proverbes 17, 1 Mieux vaut une bouchée de pain sec et la tranquillité qu'une maison pleine de sacrifices de discorde.

Proverbes 17, 2 Un serviteur avisé l'emporte sur le fils indigne, avec les frères il aura sa part d'héritage.

Proverbes 17, 3 La fournaise pour l'argent, le fourneau pour l'or, pour éprouver les coeurs: Yahvé.

Proverbes 17, 4 Le méchant est attentif aux lèvres pernicieuses, le menteur prête l'oreille à la langue perverse.

Proverbes 17, 5 Qui nargue le pauvre outrage son Créateur, qui rit d'un malheureux ne restera pas impuni.

Proverbes 17, 6 Couronne des vieillards: les enfants de leurs enfants; fierté des enfants: leur père.

Proverbes 17, 7 Une langue distinguée ne sied pas à l'insensé, moins encore, au prince, une langue menteuse.

Proverbes 17, 8 Un présent est un talisman pour qui en dispose: de quelque côté qu'il se tourne, il réussit.

Proverbes 17, 9 Qui jette le voile sur une offense cultive l'amitié, qui répète la chose divise les intimes.

Proverbes 17, 10 Un reproche fait plus d'impression sur l'homme intelligent que cent coups sur le sot.

Proverbes 17, 11 Le méchant ne cherche que rébellion, mais un messager cruel sera envoyé contre lui.

Proverbes 17, 12 Plutôt rencontrer une ourse privée de ses petits qu'un insensé en son délire.

Proverbes 17, 13 Qui rend le mal pour le bien, le malheur ne s'éloignera pas de sa maison.

Proverbes 17, 14 C'est libérer les eaux qu'entamer une querelle; avant que n'éclate le procès, désiste-toi.

Proverbes 17, 15 Acquitter le coupable et condamner le juste: deux choses également en horreur à Yahvé.

Proverbes 17, 16 A quoi bon de l'argent dans la main d'un sot? A acheter la sagesse? Il n'y a pas le coeur!

Proverbes 17, 17 Un ami aime en tout temps, un frère est engendré en vue de l'adversité.

Proverbes 17, 18 Est court de sens qui tope dans la main et pour son prochain se porte garant.

Proverbes 17, 19 C'est aimer l'offense qu'aimer la chicane, qui se montre orgueilleux cultive la ruine.

Proverbes 17, 20 Qui a le coeur tortueux ne trouve pas le bonheur, qui a la langue perverse tombe dans le malheur.

Proverbes 17, 21 Qui engendre un sot, c'est pour son chagrin; il n'a guère de joie, le père de l'insensé!

Proverbes 17, 22 Coeur joyeux améliore la santé, esprit déprimé dessèche les os.

Proverbes 17, 23 Le méchant accepte un présent sous le manteau, pour faire une entorse au droit.

Proverbes 17, 24 L'homme intelligent a devant lui la sagesse, mais les regards du sot se portent au bout du monde.

Proverbes 17, 25 Chagrin pour son père qu'un fils insensé, et amertume pour celle qui l'a enfanté.

Proverbes 17, 26 Il n'est pas bon de mettre le juste à l'amende; frapper les nobles est contraire au droit.

Proverbes 17, 27 Qui retient ses paroles connaît le savoir, un esprit froid est un homme d'intelligence.

Proverbes 17, 28 Même le fou, s'il se tait, passe pour sage, pour intelligent, celui qui clôt ses lèvres.

Proverbes 18, 1 Qui vit à l'écart suit son bon plaisir, contre tout conseil il s'emporte.

Proverbes 18, 2 Le sot ne prend pas plaisir à être intelligent, mais à étaler son sentiment.

Proverbes 18, 3 Quand vient la méchanceté, vient aussi l'affront, avec le mépris, l'opprobre.

Proverbes 18, 4 Des eaux profondes, voilà les paroles de l'homme: un torrent débordant, une source de sagesse.

Proverbes 18, 5 Il n'est pas bon de favoriser le méchant, pour débouter le juste dans un jugement.

Proverbes 18, 6 Les lèvres du sot vont au procès et sa bouche appelle les coups.

Proverbes 18, 7 La bouche du sot est sa ruine et ses lèvres un piège pour sa vie.

Proverbes 18, 8 Les dires du calomniateur sont de friands morceaux qui descendent jusqu'au fond des entrailles.

Proverbes 18, 9 Quiconque est paresseux à l'ouvrage, celui-là est frère du destructeur.

Proverbes 18, 10 Une tour forte: le nom de Yahvé! le juste y accourt et il est hors d'atteinte.

Proverbes 18, 11 La fortune du riche, voilà sa place forte: c'est une haute muraille, pense-t-il.

Proverbes 18, 12 Avant la ruine, le coeur humain s'élève, avant la gloire, il y a l'humilité.

Proverbes 18, 13 Qui riposte avant d'écouter, c'est pour lui folie et confusion.

Proverbes 18, 14 L'esprit de l'homme peut endurer la maladie, mais l'esprit abattu, qui le relèvera?

Proverbes 18, 15 Coeur intelligent acquiert la science, l'oreille des sages recherche le savoir.

Proverbes 18, 16 Le don que fait un homme lui ouvre la voie et le met en présence des grands.

Proverbes 18, 17 On donne raison au premier qui plaide, que survienne un adversaire, il le démasque.

Proverbes 18, 18 Le sort met fin aux querelles et décide entre les puissants.

Proverbes 18, 19 Un frère offensé est pire qu'une ville fortifiée et les querelles sont comme les verrous d'un donjon.

Proverbes 18, 20 Du fruit de sa bouche l'homme rassasie son estomac, du produit de ses lèvres il se rassasie.

Proverbes 18, 21 Mort et vie sont au pouvoir de la langue, ceux qui la chérissent mangeront de son fruit.

Proverbes 18, 22 Trouver une femme, c'est trouver le bonheur, c'est obtenir une faveur de Yahvé.

Proverbes 18, 23 Le pauvre parle en suppliant, le riche répond durement.

Proverbes 18, 24 Il y a des amis qui mènent à la ruine, il y en a qui sont plus chers qu'un frère.

Proverbes 19, 1 Mieux vaut le pauvre qui se conduit honnêtement que l'homme aux lèvres tortueuses et qui n'est qu'un sot.

Proverbes 19, 2 Où manque le savoir, le zèle n'est pas bon, qui presse le pas se fourvoie.

Proverbes 19, 3 La folie de l'homme pervertit sa conduite et c'est contre Yahvé que son coeur s'emporte.

Proverbes 19, 4 La richesse multiplie les amis, mais de son ami le pauvre est privé.

Proverbes 19, 5 Le faux témoin ne restera pas impuni, qui profère des mensonges n'échappera point.

Proverbes 19, 6 Beaucoup flattent en face l'homme généreux, tout le monde est ami de celui qui donne.

Proverbes 19, 7 Tous les frères du pauvre le haïssent, à plus forte raison, ses amis s'éloignent-ils de lui. Il se met en quête de paroles, mais point!

Proverbes 19, 8 Qui acquiert du sens se chérit lui-même, qui garde l'intelligence trouve le bonheur.

Proverbes 19, 9 Le faux témoin ne restera pas impuni, qui profère des mensonges périra.

Proverbes 19, 10 Il ne sied pas au sot de vivre dans le luxe, moins encore à l'esclave de dominer les princes.

Proverbes 19, 11 Le bon sens rend l'homme lent à la colère, sa fierté, c'est de passer sur une offense.

Proverbes 19, 12 Comme le rugissement du lion, la fureur du roi, mais comme la rosée sur l'herbe, sa faveur.

Proverbes 19, 13 C'est une calamité pour son père qu'un fils insensé, une gargouille qui ne cesse de couler que les querelles d'une femme.

Proverbes 19, 14 Une maison et du bien sont l'héritage paternel, mais c'est Yahvé qui donne une femme de sens.

Proverbes 19, 15 La paresse fait choir dans la torpeur, l'âme nonchalante aura faim.

Proverbes 19, 16 A garder le commandement on se garde soi-même, mais qui méprise ses voies mourra.

Proverbes 19, 17 Qui fait la charité au pauvre prête à Yahvé qui paiera le bienfait de retour.

Proverbes 19, 18 Tant qu'il y a de l'espoir, châtie ton fils, mais ne t'emporte pas jusqu'à le faire mourir.

Proverbes 19, 19 L'homme violent s'expose à l'amende; si tu l'épargnes, tu augmentes son mal.

Proverbes 19, 20 Entends le conseil, accepte la discipline, pour être sage à la fin.

Proverbes 19, 21 Nombreux sont les projets au coeur de l'homme, mais le dessein de Yahvé, lui, reste ferme.

Proverbes 19, 22 Ce qu'on souhaite, chez l'homme, c'est la miséricorde; on aime mieux un pauvre qu'un menteur.

Proverbes 19, 23 La crainte de Yahvé mène à la vie, on a vivre et couvert sans craindre le malheur.

Proverbes 19, 24 Le paresseux plonge la main dans le plat, mais ne peut même pas la ramener à sa bouche.

Proverbes 19, 25 Frappe le railleur, et le niais deviendra avisé; reprends un homme intelligent, il comprendra le savoir.

Proverbes 19, 26 Qui maltraite son père et chasse sa mère est un fils indigne et infâme.

Proverbes 19, 27 Cesse, mon fils, d'écouter l'instruction pour t'écarter des paroles de science!

Proverbes 19, 28 Un témoin indigne se moque du droit; la bouche des méchants avale l'iniquité.

Proverbes 19, 29 Les châtiments sont faits pour les railleurs, les coups pour l'échine des sots.

Proverbes 20, 1 Raillerie dans le vin! Insolence dans la boisson! Qui s'y égare n'est pas sage.

Proverbes 20, 2 Tel le rugissement du lion, la colère du roi! Qui l'excite pèche contre lui-même.

Proverbes 20, 3 C'est un honneur pour l'homme d'éviter les procès, mais quiconque est fou se déchaîne.

Proverbes 20, 4 A l'automne, le paresseux ne laboure pas, à la moisson il cherche, et rien!

Proverbes 20, 5 C'est une eau profonde que le conseil au coeur de l'homme, l'homme intelligent n'a qu'à puiser.

Proverbes 20, 6 Beaucoup de gens se proclament hommes de bien, mais un homme fidèle, qui le trouvera?

Proverbes 20, 7 Le juste qui se conduit honnêtement, heureux ses enfants après lui!

Proverbes 20, 8 Un roi siégeant au tribunal dissipe tout mal par son regard.

Proverbes 20, 9 Qui peut dire: "J'ai purifié mon coeur, de mon péché je suis net?"

Proverbes 20, 10 Poids et poids, mesure et mesure: deux choses en horreur à Yahvé.

Proverbes 20, 11 Même par ses actes un jeune homme se fait connaître, si son action est pure et si elle est droite.

Proverbes 20, 12 L'oreille qui entend, l'oeil qui voit, l'un et l'autre, Yahvé les a faits.

Proverbes 20, 13 N'aime pas à somnoler, tu deviendrais pauvre; tiens les yeux ouverts, tu auras ton content de pain!

Proverbes 20, 14 "Mauvais! mauvais!" dit l'acheteur, mais en partant il se félicite.

Proverbes 20, 15 Il y a l'or et toutes sortes de perles, mais la chose la plus précieuse, ce sont les lèvres instruites.

Proverbes 20, 16 Prends-lui son vêtement, car il a cautionné un étranger, au profit d'inconnus, prends-lui un gage!

Proverbes 20, 17 Doux est à l'homme le pain de la fraude, mais ensuite la bouche est remplie de gravier.

Proverbes 20, 18 Dans le conseil s'affermissent les projets: par de sages calculs conduis la guerre.

Proverbes 20, 19 Il révèle les secrets, le colporteur de médisance; avec qui a toujours la bouche ouverte, ne te lie pas!

Proverbes 20, 20 Qui maudit son père et sa mère verra s'éteindre sa lampe au coeur des ténèbres.

Proverbes 20, 21 Le bien vite acquis au début ne sera pas béni à la fin.

Proverbes 20, 22 Ne dis point: "Je rendrai le mal!" fie-toi à Yahvé qui te sauvera.

Proverbes 20, 23 Abomination pour Yahvé: poids et poids; une balance fausse, ce n'est pas bien.

Proverbes 20, 24 Yahvé dirige les pas de l'homme: comment l'homme comprendrait-il son chemin?

Proverbes 20, 25 C'est un piège pour l'homme de crier: "Ceci est sacré!" et, après les voeux, de réfléchir.

Proverbes 20, 26 Un roi sage vanne les méchants et fait passer sur eux la roue.

Proverbes 20, 27 La lampe de Yahvé, c'est l'esprit de l'homme qui pénètre jusqu'au tréfonds de son être.

Proverbes 20, 28 Piété et fidélité montent la garde près du roi; sur la piété est fondé le trône.

Proverbes 20, 29 La fierté des jeunes gens, c'est leur vigueur, la parure des vieillards, c'est leur tête chenue.

Proverbes 20, 30 Les blessures sanglantes sont un remède à la méchanceté, les coups vont jusqu'au fond de l'être.

Proverbes 21, 1 Comme l'eau courante, le coeur du roi est aux mains de Yahvé qui l'incline partout à son gré.

Proverbes 21, 2 Toutes les voies de l'homme sont droites à ses yeux, mais Yahvé pèse les coeurs.

Proverbes 21, 3 Pratiquer la justice et le droit vaut, pour Yahvé, mieux que le sacrifice.

Proverbes 21, 4 Regards altiers, coeur dilaté, flambeau des méchants, ce n'est que péché.

Proverbes 21, 5 Les projets de l'homme diligent ne sont que profit; pour qui se presse, rien que la disette!

Proverbes 21, 6 Amasser des trésors par une langue menteuse: vanité fugitive de qui cherche la mort.

Proverbes 21, 7 La violence des méchants les emporte, car ils refusent de pratiquer le droit.

Proverbes 21, 8 Tortueuse est la voie de l'homme criminel, mais de l'innocent l'action est droite.

Proverbes 21, 9 Mieux vaut habiter à l'angle d'un toit que faire maison commune avec une femme querelleuse.

Proverbes 21, 10 L'âme du méchant souhaite le mal, à ses yeux le prochain ne trouve pas grâce.

Proverbes 21, 11 Quand on châtie le railleur, le niais s'assagit; quand on instruit le sage, il accueille le savoir.

Proverbes 21, 12 Le Juste considère la maison du méchant: il précipite les méchants dans le malheur.

Proverbes 21, 13 Qui ferme l'oreille à l'appel du faible criera, lui aussi, sans qu'on lui réponde.

Proverbes 21, 14 Un don secret apaise la colère, un présent sous le manteau, la fureur violente.

Proverbes 21, 15 C'est une joie pour le juste de pratiquer le droit, mais c'est l'épouvante pour les malfaisants.

Proverbes 21, 16 Qui s'égare loin du chemin de la prudence dans l'assemblée des Ombres reposera.

Proverbes 21, 17 Restera indigent qui aime le plaisir, point ne s'enrichira qui aime vin et bonne chère.

Proverbes 21, 18 Le méchant est la rançon du juste; à la place des hommes droits: le traître.

Proverbes 21, 19 Mieux vaut habiter en un pays désert qu'avec une femme querelleuse et chagrine.

Proverbes 21, 20 Il y a un trésor précieux et de l'huile dans la demeure du sage, mais le sot les engloutit.

Proverbes 21, 21 Qui poursuit la justice et la miséricorde trouvera vie, justice et honneur.

Proverbes 21, 22 Le sage escalade la ville des guerriers, il abat le rempart dans lequel elle se confiait.

Proverbes 21, 23 A garder sa bouche et sa langue, on se garde soi-même de l'angoisse.

Proverbes 21, 24 Insolent, hautain, son nom est "railleur!" il agit dans l'excès de son insolence.

Proverbes 21, 25 Le désir du paresseux cause sa mort, car ses mains refusent le travail.

Proverbes 21, 26 Tout le jour l'impie est en proie au désir, le juste donne sans jamais refuser.

Proverbes 21, 27 Le sacrifice des méchants est une abomination, surtout s'ils l'offrent avec malice.

Proverbes 21, 28 Le faux témoin périra, mais qui sait écouter parlera à jamais.

Proverbes 21, 29 Le méchant se donne un air assuré, l'homme droit affermit sa propre conduite.

Proverbes 21, 30 Il n'y a ni sagesse, ni intelligence, ni conseil devant Yahvé.

Proverbes 21, 31 On équipe le cheval pour le jour du combat, mais c'est à Yahvé qu'appartient la victoire.

Proverbes 22, 1 Le renom l'emporte sur de grandes richesses, la faveur, sur l'or et l'argent.

Proverbes 22, 2 Riche et pauvre se rencontrent, Yahvé les a faits tous les deux.

Proverbes 22, 3 L'homme avisé voit le malheur et se cache, les niais passent outre, à leurs dépens.

Proverbes 22, 4 Le fruit de l'humilité, c'est la crainte de Yahvé, la richesse, l'honneur et la vie.

Proverbes 22, 5 Epines et pièges sur le chemin du pervers, qui tient à la vie s'en éloigne.

Proverbes 22, 6 Instruis le jeune homme selon ses dispositions, devenu vieux, il ne s'en détournera pas.

Proverbes 22, 7 Le riche domine les pauvres, du créancier l'emprunteur est esclave.

Proverbes 22, 8 Qui sème l'injustice récolte le malheur et le bâton de sa colère disparaîtra.

Proverbes 22, 9 L'homme bienveillant sera béni, car il donne de son pain au pauvre.

Proverbes 22, 10 Chasse le railleur et la querelle cessera, procès et mépris s'apaiseront.

Proverbes 22, 11 Celui qui aime les coeurs purs, qui a la grâce sur les lèvres, a le roi pour ami.

Proverbes 22, 12 Les yeux de Yahvé protègent le savoir, mais il confond les discours du traître.

Proverbes 22, 13 Le paresseux dit: "Il y a un lion dehors! dans la rue je vais être tué!"

Proverbes 22, 14 Fosse profonde, la bouche des étrangères: celui que Yahvé réprouve y tombe.

Proverbes 22, 15 La folie est ancrée au coeur du jeune homme, le fouet de l'instruction l'en délivre.

Proverbes 22, 16 Opprimer un pauvre, c'est l'enrichir, donner au riche, c'est l'appauvrir.

Proverbes 22, 17 Prête l'oreille, entends les paroles des sages, à mon savoir applique ton coeur,

Proverbes 22, 18 car il y aura plaisir à les garder au-dedans de toi, à les avoir toutes assurées sur tes lèvres.

Proverbes 22, 19 Pour qu'en Yahvé soit ta confiance, je veux t'instruire aujourd'hui, toi aussi.

Proverbes 22, 20 N'ai-je pas écrit pour toi 30 chapitres de conseils et de science,

Proverbes 22, 21 pour te faire connaître la certitude des paroles vraies et que tu rapportes des paroles sûres à qui t'enverra?

Proverbes 22, 22 Ne dépouille pas le faible, car il est faible, et n'opprime pas à la porte le pauvre,

Proverbes 22, 23 car Yahvé épouse leur querelle et ravit à leurs ravisseurs la vie.

Proverbes 22, 24 Ne te lie pas avec un homme emporté, ne va pas avec un homme irascible,

Proverbes 22, 25 de peur que tu n'apprennes ses manières et n'y trouves un piège pour ta vie.

Proverbes 22, 26 Ne sois pas de ceux qui topent dans la main, qui se portent garants pour dettes;

Proverbes 22, 27 si tu n'as pas de quoi t'acquitter, on prendra ton lit de dessous toi.

Proverbes 22, 28 Ne déplace pas la borne antique que posèrent tes pères.

Proverbes 22, 29 Vois-tu un homme preste à sa besogne? Au service des rois il se tiendra, il ne se tiendra pas au service des gens obscurs.

Proverbes 23, 1 Si tu t'assieds à la table d'un grand, prends bien garde à ce qui est devant toi;

Proverbes 23, 2 mets un couteau sur ta gorge si tu es gourmand.

Proverbes 23, 3 Ne convoite pas ses mets, car c'est une nourriture décevante.

Proverbes 23, 4 Ne te fatigue pas à acquérir la richesse, cesse d'y appliquer ton intelligence.

Proverbes 23, 5 Lèves-tu les yeux vers elle, elle n'est plus là, car elle sait se faire des ailes comme l'aigle qui vole vers le ciel.

Proverbes 23, 6 Ne mange pas le pain de l'homme aux regards envieux, ne convoite pas ses mets.

Proverbes 23, 7 Car le calcul qu'il fait en lui-même, c'est lui: "Mange et bois!" te dit-il, mais son coeur n'est pas avec toi.

Proverbes 23, 8 La bouchée à peine avalée, tu la vomiras et tu en seras pour tes paroles flatteuses.

Proverbes 23, 9 Aux oreilles du sot ne parle pas, il mépriserait la finesse de tes propos.

Proverbes 23, 10 Ne déplace pas la borne antique, dans le champ des orphelins n'entre pas,

Proverbes 23, 11 car leur vengeur est puissant, c'est lui qui épousera, contre toi, leur querelle.

Proverbes 23, 12 Applique ton coeur à la discipline, tes oreilles aux paroles de science.

Proverbes 23, 13 Ne ménage pas à l'enfant la correction, si tu le frappes de la baguette, il n'en mourra pas!

Proverbes 23, 14 Si tu le frappes de la baguette, c'est son âme que tu délivreras du shéol.

Proverbes 23, 15 Mon fils, si ton coeur est sage, mon coeur, à moi, se réjouira,

Proverbes 23, 16 et mes reins exulteront quand tes lèvres exprimeront des choses justes.

Proverbes 23, 17 Que ton coeur n'envie pas les pécheurs, mais dans la crainte de Yahvé qu'il reste tout le jour,

Proverbes 23, 18 car il existe un avenir et ton espérance ne sera pas anéantie.

Proverbes 23, 19 Ecoute, mon fils, deviens sage, et dirige ton coeur dans le chemin.

Proverbes 23, 20 Ne sois pas de ceux qui s'enivrent de vin, ni de ceux qui se gavent de viande,

Proverbes 23, 21 car buveur et glouton s'appauvrissent, et la torpeur fait porter des haillons.

Proverbes 23, 22 Ecoute ton père qui t'a engendré, ne méprise pas ta mère devenue vieille.

Proverbes 23, 23 Acquiers la vérité, ne la vends pas: sagesse, discipline et intelligence.

Proverbes 23, 24 Il est au comble de l'allégresse, le père du juste; celui qui a donné le jour au sage s'en réjouit.

Proverbes 23, 25 Ton père et ta mère seront dans la joie, et dans l'allégresse, celle qui t'a enfanté.

Proverbes 23, 26 Mon fils, prête-moi attention, que tes yeux se complaisent dans ma voie:

Proverbes 23, 27 c'est une fosse profonde que la prostituée, un puits étroit que l'étrangère.

Proverbes 23, 28 Elle aussi, comme un brigand, est en embuscade, parmi les hommes elle multiplie les traîtres.

Proverbes 23, 29 Pour qui les "Malheur?" Pour qui les "Hélas?" Pour qui les querelles? Pour qui les plaintes? Pour qui les coups à tort et à travers? Pour qui les yeux troubles?

Proverbes 23, 30 Pour ceux qui s'attardent au vin, qui vont en quête de boissons mêlées.

Proverbes 23, 31 Ne regarde pas le vin, comme il est vermeil! comme il brille dans la coupe! comme il coule tout droit!

Proverbes 23, 32 Il finit par mordre comme un serpent, par piquer comme une vipère.

Proverbes 23, 33 Tes yeux verront d'étranges choses, ton coeur s'exprimera de travers.

Proverbes 23, 34 Tu seras comme un homme couché en haute mer, ou couché à la pointe d'un mât.

Proverbes 23, 35 "On m'a battu, je n'ai point de mal! On m'a rossé, je n'ai rien senti! Quand m'éveillerai-je? J'en demanderai encore!"

Proverbes 24, 1 Ne porte pas envie aux méchants, ne souhaite pas leur compagnie,

Proverbes 24, 2 car leur coeur ne songe qu'à la violence, leurs lèvres n'expriment que malheur.

Proverbes 24, 3 C'est par la sagesse qu'on bâtit une maison, par l'intelligence qu'on l'affermit;

Proverbes 24, 4 par le savoir on emplit ses greniers de tous les biens précieux et désirables.

Proverbes 24, 5 Un homme sage est plein de force, l'homme de science affermit sa vigueur;

Proverbes 24, 6 car c'est par des calculs que tu feras la guerre, et le succès tient au grand nombre des conseillers.

Proverbes 24, 7 Pour le fou, la sagesse est une forteresse inaccessible: à la porte de la ville, il n'ouvre pas la bouche.

Proverbes 24, 8 Qui songe à mal faire, on l'appelle un maître en astuce.

Proverbes 24, 9 La folie ne rêve que péché, le railleur est honni des hommes.

Proverbes 24, 10 Si tu te laisses abattre au jour mauvais, ta vigueur est peu de chose.

Proverbes 24, 11 Délivre ceux qu'on envoie à la mort, ceux qu'on traîne au supplice, puisses-tu les sauver!

Proverbes 24, 12 Diras-tu: "Voilà! nous ne savions pas?" Celui qui pèse les coeurs ne comprend-il pas? Alors qu'il sait, lui qui a façonné ton âme; c'est lui qui rendra à l'homme selon son oeuvre.

Proverbes 24, 13 Mange du miel, mon fils, car c'est bon, un rayon de miel est doux à ton palais.

Proverbes 24, 14 Ainsi sera, sache-le, la sagesse pour ton âme. Si tu la trouves, il y aura un avenir et ton espérance ne sera pas anéantie.

Proverbes 24, 15 Ne t'embusque pas, méchant, près de la demeure du juste, ne dévaste pas son habitation.

Proverbes 24, 16 Car le juste tombe sept fois et se relève, mais les méchants trébuchent dans l'adversité.

Proverbes 24, 17 Si ton ennemi tombe, ne te réjouis pas, que ton coeur n'exulte pas de ce qu'il trébuche,

Proverbes 24, 18 de peur que, voyant cela, Yahvé ne soit mécontent et qu'il ne détourne de lui sa colère.

Proverbes 24, 19 Ne t'échauffe pas au sujet des méchants, ne jalouse pas les impies.

Proverbes 24, 20 Car pour le méchant, il n'est pas d'avenir: la lampe des impies s'éteint.

Proverbes 24, 21 Crains Yahvé, mon fils, et le roi; ne te lie pas avec les novateurs:

Proverbes 24, 22 car tout soudain surgira leur malheur, et la ruine de l'un et de l'autre, qui la connaît?

Proverbes 24, 23 Ceci est encore des sages: avoir égard aux personnes dans les jugements n'est pas bien.

Proverbes 24, 24 Quiconque dit au méchant: "Tu es juste", les peuples le maudissent, les nations le honnissent;

Proverbes 24, 25 mais ceux qui punissent s'en trouvent bien, sur eux viendra une heureuse bénédiction.

Proverbes 24, 26 Il met un baiser sur les lèvres, celui qui répond franchement.

Proverbes 24, 27 Organise au-dehors ta besogne et prépare-la aux champs; ensuite, tu bâtiras ta maison.

Proverbes 24, 28 Ne témoigne pas à la légère contre ton prochain, ne trompe pas par tes lèvres.

Proverbes 24, 29 Ne dis pas: "Comme il m'a fait, je lui ferai! à chacun je rendrai selon son oeuvre!"

Proverbes 24, 30 Près du champ du paresseux j'ai passé, près de la vigne de l'homme court de sens.

Proverbes 24, 31 Or voici: tout était monté en orties, le chardon en couvrait la surface, le mur de pierres était écroulé.

Proverbes 24, 32 Ayant vu, je réfléchis, ayant regardé, je tirai cette leçon:

Proverbes 24, 33 "Un peu dormir, un peu s'assoupir, un peu croiser les bras en s'allongeant,

Proverbes 24, 34 et, tel un rôdeur, viendra l'indigence et la disette, comme un mendiant!"

Proverbes 25, 1 Voici encore des proverbes de Salomon, que transcrivirent les gens d'Ezéchias, roi de Juda.

Proverbes 25, 2 C'est la gloire de Dieu de celer une chose, c'est la gloire des rois de la scruter.

Proverbes 25, 3 Les cieux, par leur hauteur, la terre, par sa profondeur, et le coeur des rois sont insondables.

Proverbes 25, 4 Ote de l'argent les scories, il en sortira totalement purifié;

Proverbes 25, 5 ôte le méchant de la présence du roi, et sur la justice s'affermira son trône.

Proverbes 25, 6 En face du roi, ne prends pas de grands airs, ne te mets à la place des grands;

Proverbes 25, 7 car mieux vaut qu'on te dise: "Monte ici!" que d'être abaissé en présence du prince. Ce que tes yeux ont vu,

Proverbes 25, 8 ne le produis pas trop vite au procès, car que feras-tu à la fin si ton prochain te confond?

Proverbes 25, 9 Avec ton prochain vide ta querelle, mais sans révéler le secret d'autrui,

Proverbes 25, 10 de crainte que celui qui entend ne te bafoue et que ta diffamation soit sans retour.

Proverbes 25, 11 Des pommes d'or avec des ciselures d'argent, telle est une parole dite à propos.

Proverbes 25, 12 Un anneau d'or, un joyau d'or fin, telle une sage réprimande à l'oreille attentive.

Proverbes 25, 13 La fraîcheur de la neige au jour de la moisson, tel est un messager fidèle: il réconforte l'âme de son maître.

Proverbes 25, 14 Nuages et vent, mais point de pluie! tel est l'homme qui promet royalement, mais ne tient pas.

Proverbes 25, 15 Par la patience un juge se laisse fléchir, la langue douce broie les os.

Proverbes 25, 16 As-tu trouvé du miel? Manges-en à ta faim; garde-toi de t'en gorger, tu le vomirais.

Proverbes 25, 17 Dans la maison du prochain, fais-toi rare, de crainte que, fatigué de toi, il ne te prenne en grippe.

Proverbes 25, 18 Une massue, une épée, une flèche aiguë: tel est l'homme qui porte un faux témoignage contre son prochain.

Proverbes 25, 19 Dent gâtée, pied boiteux: le traître en qui l'on se confie au jour du malheur,

Proverbes 25, 20 autant ôter son manteau par un temps glacial. C'est mettre du vinaigre sur du nitre que de chanter des chansons à un coeur affligé.

Proverbes 25, 21 Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s'il a soif, donne-lui à boire,

Proverbes 25, 22 c'est amasser des charbons sur sa tête et Yahvé te le revaudra.

Proverbes 25, 23 L'aquilon engendre la pluie, la langue dissimulatrice un visage irrité.

Proverbes 25, 24 Mieux vaut habiter à l'angle d'un toit que faire maison commune avec une femme querelleuse.

Proverbes 25, 25 De l'eau fraîche pour une gorge altérée: telle est une bonne nouvelle venant d'un pays lointain.

Proverbes 25, 26 Fontaine piétinée, source souillée: tel est un juste tremblant devant un méchant.

Proverbes 25, 27 Il n'est pas bon de manger trop de miel, ni de rechercher gloire sur gloire.

Proverbes 25, 28 Ville ouverte, sans remparts: tel un homme qui ne se possède pas.

Proverbes 26, 1 Pas plus que la neige à l'été ou la pluie à la moisson, les honneurs ne conviennent au sot.

Proverbes 26, 2 Le passereau s'échappe, l'hirondelle s'envole, ainsi la malédiction gratuite n'atteint pas son but.

Proverbes 26, 3 Le fouet pour le cheval, la bride pour l'âne, pour l'échine des sots, le bâton.

Proverbes 26, 4 Ne répond pas à l'insensé selon sa folie, de peur de lui devenir semblable, toi aussi.

Proverbes 26, 5 Réponds à l'insensé selon sa folie, de peur qu'il ne soit sage à ses propres yeux.

Proverbes 26, 6 Il se mutile, il s'abreuve de violence, celui qui envoie un message par l'entremise d'un sot.

Proverbes 26, 7 Mal assurées, les jambes du boiteux; ainsi un proverbe dans la bouche des sots.

Proverbes 26, 8 C'est attacher la pierre à la fronde que de rendre honneur à un sot.

Proverbes 26, 9 Une ronce pousse dans la main d'un ivrogne comme un proverbe dans la bouche d'un sot.

Proverbes 26, 10 Un archer blessant tout le monde: tel est celui qui embauche le sot et l'ivrogne qui passent.

Proverbes 26, 11 Comme le chien revient à son vomissement, le sot retourne à sa folie.

Proverbes 26, 12 Tu vois un homme sage à ses propres yeux? Il y a plus à espérer d'un insensé.

Proverbes 26, 13 Le paresseux dit: "Un fauve sur le chemin! un lion par les rues!"

Proverbes 26, 14 La porte tourne sur ses gonds, et sur son lit le paresseux.

Proverbes 26, 15 Le paresseux plonge la main dans le plat: la ramener à sa bouche le fatigue!

Proverbes 26, 16 Le paresseux est plus sage à ses propres yeux que sept personnes répondant avec tact.

Proverbes 26, 17 Il prend par les oreilles un chien qui passe, celui qui s'immisce dans une querelle étrangère.

Proverbes 26, 18 Un homme pris de folie qui lance des traits enflammés, des flèches et la mort:

Proverbes 26, 19 tel est l'homme qui ment à son compagnon, puis dit: "N'était-ce pas pour plaisanter?"

Proverbes 26, 20 Faute de bois, le feu s'éteint, faute de calomniateur, la querelle s'apaise.

Proverbes 26, 21 Du charbon sur les braises, du bois sur le feu, tel est l'homme querelleur pour attiser les disputes.

Proverbes 26, 22 Les dires du calomniateur sont de friands morceaux qui descendent jusqu'au fond des entrailles.

Proverbes 26, 23 De l'argent non purifié appliqué sur de l'argile: tels sont lèvres brûlantes et coeur mauvais.

Proverbes 26, 24 Celui qui hait donne le change par ses propos, mais en son sein gît la tromperie;

Proverbes 26, 25 s'il prend un ton cauteleux, ne t'y fie pas, car en son coeur il y a sept abominations.

Proverbes 26, 26 La haine peut s'envelopper de ruse, elle révélera sa méchanceté dans l'assemblée.

Proverbes 26, 27 Qui creuse une fosse y tombe, qui roule une roche, elle revient sur lui.

Proverbes 26, 28 La langue menteuse hait ses victimes, la bouche enjôleuse provoque la chute.

Proverbes 27, 1 Ne te félicite pas du lendemain, car tu ignores ce qu'aujourd'hui enfantera.

Proverbes 27, 2 Qu'autrui fasse ton éloge, mais non ta propre bouche, un étranger, mais non tes lèvres!

Proverbes 27, 3 Lourde est la pierre, pesant le sable, mais plus lourd qu'eux, le dépit du fou.

Proverbes 27, 4 Cruelle est la fureur, impétueuse la colère, mais contre la jalousie, qui tiendra?

Proverbes 27, 5 Mieux vaut réprimande ouverte qu'amour dissimulé.

Proverbes 27, 6 Fidèles sont les coups d'un ami, mensongers les baisers d'un ennemi.

Proverbes 27, 7 Gorge rassasiée méprise le miel, gorge affamée trouve douce toute amertume.

Proverbes 27, 8 Comme l'oiseau qui erre loin de son nid, ainsi l'homme qui erre loin de son pays.

Proverbes 27, 9 L'huile et le parfum mettent le coeur en joie, et la douceur de l'amitié, plus que la complaisance en soi-même.

Proverbes 27, 10 N'abandonne pas ton ami ni l'ami de ton père; à la maison de ton frère, ne va pas au jour de ton affliction. Mieux vaut un voisin proche qu'un frère éloigné.

Proverbes 27, 11 Deviens sage, mon fils, et réjouis mon coeur, que je puisse répondre à qui m'outrage.

Proverbes 27, 12 L'homme avisé voit le malheur et se cache, les niais passent outre, à leurs dépens.

Proverbes 27, 13 Prends-lui son vêtement, car il a cautionné un étranger, à cause d'inconnus, prends-lui un gage.

Proverbes 27, 14 Si quelqu'un bénit son prochain à haute voix dès l'aube, cela lui est compté pour une malédiction.

Proverbes 27, 15 Gargouille qui ne cesse de couler un jour de pluie et femme querelleuse sont pareilles!

Proverbes 27, 16 Qui veut la saisir, saisit le vent et sa droite rencontre de l'huile.

Proverbes 27, 17 Le fer s'aiguise par le fer, l'homme s'affine en face de son prochain.

Proverbes 27, 18 Le gardien du figuier mange de son fruit, qui veille sur son maître sera honoré.

Proverbes 27, 19 Comme l'eau donne le reflet du visage, ainsi le coeur de l'homme pour l'homme.

Proverbes 27, 20 Insatiables sont le Shéol et la Perdition, ainsi les yeux de l'homme sont-ils insatiables.

Proverbes 27, 21 Il y a la fournaise pour l'argent, le fourneau pour l'or: l'homme vaut ce que vaut sa réputation.

Proverbes 27, 22 Quand tu pilerais le fou au mortier (parmi les grains, avec un pilon), sa folie ne se séparerait pas de lui.

Proverbes 27, 23 Connais bien l'état de ton bétail, à ton troupeau donne tes soins;

Proverbes 27, 24 car la richesse n'est pas éternelle, et une couronne ne se transmet pas d'âge en âge.

Proverbes 27, 25 Une fois l'herbe enlevée, le regain apparu, ramassé le foin des montagnes,

Proverbes 27, 26 aie des agneaux pour te vêtir, des boucs pour acheter un champ,

Proverbes 27, 27 le lait des chèvres en abondance pour te sustenter, pour nourrir ta maison et faire vivre tes servantes.

Proverbes 28, 1 Le méchant s'enfuit quand nul ne le poursuit, d'un lionceau les justes ont l'assurance.

Proverbes 28, 2 Quand un pays se révolte, nombreux sont les princes, avec l'homme intelligent et instruit, c'est la stabilité.

Proverbes 28, 3 Un homme méchant qui opprime des faibles, c'est une pluie dévastatrice et plus de pain.

Proverbes 28, 4 Ceux qui délaissent la loi font l'éloge du méchant, ceux qui observent la loi s'irritent contre eux.

Proverbes 28, 5 Les méchants ne comprennent pas le droit, ceux qui cherchent Yahvé comprennent tout.

Proverbes 28, 6 Mieux vaut le pauvre qui se conduit honnêtement que l'homme aux voies tortueuses, fût-il riche.

Proverbes 28, 7 Qui garde la loi est un fils intelligent, qui hante les débauchés est la honte de son père.

Proverbes 28, 8 Qui accroît son bien par usure et par intérêt, c'est pour qui en gratifiera les pauvres qu'il amasse.

Proverbes 28, 9 Qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la loi, sa prière même est une abomination.

Proverbes 28, 10 Qui fourvoie les gens droits dans le mauvais chemin, en sa propre fosse tombera. Les hommes honnêtes posséderont le bonheur.

Proverbes 28, 11 Le riche est sage à ses propres yeux, mais un pauvre intelligent le démasque.

Proverbes 28, 12 Quand les justes exultent, c'est une grande fierté, quand se lèvent les méchants, on se dérobe.

Proverbes 28, 13 Qui masque ses forfaits point ne réussira; qui les avoue et y renonce obtiendra merci.

Proverbes 28, 14 Heureux l'homme toujours en alarme; qui s'endurcit le coeur tombera dans le malheur.

Proverbes 28, 15 Un lion rugissant, un ours qui bondit, tel est le chef méchant sur un peuple faible.

Proverbes 28, 16 Un prince sans intelligence est riche en extorsions, qui hait la cupidité prolongera ses jours.

Proverbes 28, 17 Un homme coupable de meurtre fuira jusqu'à la tombe: qu'on ne l'arrête pas!

Proverbes 28, 18 Qui se conduit honnêtement sera sauf; qui, tortueux, suit deux voies, tombera dans l'une d'elles.

Proverbes 28, 19 Qui cultive sa terre sera rassasié de pain, qui poursuit des chimères sera rassasié d'indigence.

Proverbes 28, 20 L'homme loyal sera comblé de bénédictions, qui se hâte de faire fortune ne restera pas impuni.

Proverbes 28, 21 C'est mal de faire acception de personnes, mais pour une bouchée de pain, l'homme commet un forfait.

Proverbes 28, 22 Il court après la fortune, l'homme au regard cupide, ignorant que c'est la disette qui lui adviendra.

Proverbes 28, 23 Qui reprend autrui aura faveur à la fin, plus que le flatteur.

Proverbes 28, 24 Qui dérobe à son père et à sa mère en disant: "Point d'offense!" du brigand est l'associé.

Proverbes 28, 25 L'homme envieux engage la querelle, qui se confie en Yahvé prospérera.

Proverbes 28, 26 Qui se fie à son propre sens est un sot, qui chemine avec sagesse sera sauf.

Proverbes 28, 27 Pour qui donne aux pauvres, pas de disette, mais pour qui ferme les yeux, abondante malédiction.

Proverbes 28, 28 Quand se lèvent les méchants, chacun se cache; qu'ils viennent à périr, les justes se multiplient.

Proverbes 29, 1 Celui qui, sous les reproches, raidit la nuque sera brisé soudain et sans remède.

Proverbes 29, 2 Quand les justes se multiplient, le peuple est en liesse; quand les méchants dominent, le peuple gémit.

Proverbes 29, 3 Qui aime la sagesse réjouit son père, qui hante les prostituées dissipe son bien.

Proverbes 29, 4 Par l'équité, un roi fait prospérer le pays, mais l'exacteur le mène à la ruine.

Proverbes 29, 5 L'homme qui flatte son prochain tend un filet sous ses pas.

Proverbes 29, 6 Dans l'offense du méchant il y a un piège, mais le juste exulte et se réjouit.

Proverbes 29, 7 Le juste connaît la cause des faibles, le méchant n'a pas l'intelligence de la connaître.

Proverbes 29, 8 Les railleurs mettent la cité en effervescence, mais les sages apaisent la colère.

Proverbes 29, 9 Un sage est-il en procès avec un sot, qu'il se fâche ou plaisante, il n'aura pas de repos.

Proverbes 29, 10 Les hommes sanguinaires haïssent l'homme honnête, mais les hommes droits recherchent sa personne.

Proverbes 29, 11 Le sot donne libre cours à tous ses emportements, mais le sage, en les réprimant, les calme.

Proverbes 29, 12 Quand un chef accueille des rapports mensongers, tous ses serviteurs sont mauvais.

Proverbes 29, 13 Le pauvre et l'oppresseur se rencontrent: tous deux reçoivent de Yahvé la lumière.

Proverbes 29, 14 Le roi qui juge les faibles avec équité voit son trône affermi pour toujours.

Proverbes 29, 15 Baguette et réprimande procurent la sagesse, le jeune homme laissé à lui-même est la honte de sa mère.

Proverbes 29, 16 Quand se multiplient les méchants, le forfait se multiplie, mais les justes seront témoins de leur chute.

Proverbes 29, 17 Corrige ton fils, il te laissera en repos et fera les délices de ton âme.

Proverbes 29, 18 Faute de vision, le peuple vit sans frein; heureux qui observe la loi.

Proverbes 29, 19 On ne corrige pas un esclave avec des mots: même s'il comprend, il n'obéit pas.

Proverbes 29, 20 Tu vois un homme prompt au discours? Il y a plus à espérer d'un sot.

Proverbes 29, 21 Si dès l'enfance on gâte son esclave, il deviendra finalement ingrat.

Proverbes 29, 22 L'homme coléreux engage la querelle, l'homme emporté multiplie les offenses.

Proverbes 29, 23 L'orgueil de l'homme l'humiliera, qui est humble d'esprit obtiendra de l'honneur.

Proverbes 29, 24 C'est partager avec le voleur et se haïr soi-même, que d'entendre l'adjuration sans dénoncer.

Proverbes 29, 25 Trembler devant les hommes est un piège, qui se confie en Yahvé est en sûreté.

Proverbes 29, 26 Beaucoup recherchent la faveur du chef, mais de Yahvé vient le droit de chacun.

Proverbes 29, 27 Abomination pour les justes: l'homme inique; abomination pour le méchant: celui dont la voie est droite.

Proverbes 30, 1 Paroles d'Agur, fils de Yaqé, de Massa. Oracle de cet homme pour Itéel, pour Itéel et pour Ukal.

Proverbes 30, 2 Oui, je suis le plus stupide des hommes, sans aucune intelligence humaine,

Proverbes 30, 3 je n'ai pas appris la sagesse et j'ignore la science des saints.

Proverbes 30, 4 Qui est monté au ciel et puis en est descendu? Qui dans ses poings a recueilli le vent? Qui dans son manteau a serré les eaux? Qui a affermi toutes les extrémités de la terre? Quel est son nom? Quel est le nom de son fils, si tu le sais?

Proverbes 30, 5 Toute parole de Dieu est éprouvée, il est un bouclier pour qui s'abrite en lui.

Proverbes 30, 6 A ses discours n'ajoute rien, de crainte qu'il ne te reprenne et ne te tienne pour un menteur.

Proverbes 30, 7 J'implore de toi deux choses, ne les refuse pas avant que je meure:

Proverbes 30, 8 éloigne de moi fausseté et paroles mensongères, ne me donne ni pauvreté ni richesse, laisse-moi goûter ma part de pain,

Proverbes 30, 9 de crainte que, comblé, je ne me détourne et ne dise: "Qui est Yahvé?" Ou encore, qu'indigent, je ne vole et ne profane le nom de mon Dieu.

Proverbes 30, 10 Ne dénigre pas un esclave près de son maître, de crainte qu'il ne te maudisse et que tu n'en portes la peine.

Proverbes 30, 11 Engeance qui maudit son père et ne bénit pas sa mère,

Proverbes 30, 12 engeance pure à ses propres yeux, mais dont la souillure n'est pas effacée,

Proverbes 30, 13 engeance aux regards altiers et aux paupières hautaines,

Proverbes 30, 14 engeance dont les dents sont des épées, les mâchoires, des couteaux, pour dévorer les pauvres et les retrancher du pays, et les malheureux, d'entre les hommes.

Proverbes 30, 15 La sangsue a deux filles: "Apporte! Apporte!" Il y a trois choses insatiables et quatre qui jamais ne disent: "Assez!:"

Proverbes 30, 16 le shéol, le sein stérile, la terre que l'eau ne peut rassasier, le feu qui jamais ne dit: "Assez!"

Proverbes 30, 17 L'oeil qui nargue un père et méprise l'obéissance due à une mère, les corbeaux du torrent le crèveront, les aigles le dévoreront.

Proverbes 30, 18 Il est trois choses qui me dépassent et quatre que je ne connais pas:

Proverbes 30, 19 le chemin de l'aigle dans les cieux, le chemin du serpent sur le rocher, le chemin du vaisseau en haute mer, le chemin de l'homme chez la jeune femme.

Proverbes 30, 20 Telle est la conduite de la femme adultère: elle mange, puis s'essuie la bouche en disant: "Je n'ai rien fait de mal!"

Proverbes 30, 21 Sous trois choses tremble la terre et il en est quatre qu'elle ne peut porter:

Proverbes 30, 22 un esclave qui devient roi, une brute gorgée de nourriture,

Proverbes 30, 23 une fille odieuse qui vient à se marier, une servante qui hérite de sa maîtresse.

Proverbes 30, 24 Il est quatre êtres minuscules sur la terre, mais sages entre les sages:

Proverbes 30, 25 les fourmis, peuple chétif, mais qui, en été, assure sa provende;

Proverbes 30, 26 les damans, peuple sans vigueur, mais qui gîtent dans les rochers;

Proverbes 30, 27 chez les sauterelles, point de roi! mais elles marchent toutes en bon ordre;

Proverbes 30, 28 le lézard que l'on capture à la main, mais qui hante les palais du roi.

Proverbes 30, 29 Trois choses ont une belle allure et quatre une belle démarche:

Proverbes 30, 30 le lion, le plus brave des animaux, qui ne recule devant rien;

Proverbes 30, 31 le coq bien râblé, ou le bouc, et le roi, quand il harangue le peuple.

Proverbes 30, 32 Si tu fus assez sot pour t'emporter et si tu as réfléchi, mets la main sur ta bouche!

Proverbes 30, 33 Car en pressant le lait, on obtient le beurre, en pressant le nez, on obtient le sang, en pressant la colère, on obtient la querelle.

Proverbes 31, 1 Paroles de Lemuel, roi de Massa, que sa mère lui apprit.

Proverbes 31, 2 Quoi, mon fils! quoi, fils de mes entrailles! quoi, fils de mes voeux!

Proverbes 31, 3 Ne livre pas ta vigueur aux femmes, ni tes voies à celles qui perdent les rois.

Proverbes 31, 4 Il ne convient pas aux rois, Lemuel, il ne convient pas aux rois de boire du vin, ni aux princes d'aimer la boisson,

Proverbes 31, 5 de crainte qu'en buvant ils n'oublient ce qui est décrété et qu'ils ne faussent la cause de tous les pauvres.

Proverbes 31, 6 Procure des boissons fortes à qui va mourir, du vin à qui est rempli d'amertume:

Proverbes 31, 7 qu'il boive, qu'il oublie sa misère, qu'il ne se souvienne plus de son malheur!

Proverbes 31, 8 Ouvre la bouche en faveur du muet, pour la cause de tous les abandonnés;

Proverbes 31, 9 ouvre la bouche, juge avec justice, défends la cause du pauvre et du malheureux.

Proverbes 31, 10 Une maîtresse femme, qui la trouvera? Elle a bien plus de prix que les perles!

Proverbes 31, 11 En elle se confie le coeur de son mari, il ne manque pas d'en tirer profit.

Proverbes 31, 12 Elle fait son bonheur et non son malheur, tous les jours de sa vie.

Proverbes 31, 13 Elle cherche laine et lin et travaille d'une main allègre.

Proverbes 31, 14 Elle est pareille à des vaisseaux marchands: de loin, elle amène ses vivres.

Proverbes 31, 15 Il fait encore nuit qu'elle se lève, distribuant à sa maisonnée la pitance, et des ordres à ses servantes.

Proverbes 31, 16 A-t-elle en vue un champ, elle l'acquiert; du produit de ses mains, elle plante une vigne.

Proverbes 31, 17 Elle ceint vigoureusement ses reins et déploie la force de ses bras.

Proverbes 31, 18 Elle sait que ses affaires vont bien, de la nuit, sa lampe ne s'éteint.

Proverbes 31, 19 Elle met la main à la quenouille, ses doigts prennent le fuseau.

Proverbes 31, 20 Elle étend les mains vers le pauvre, elle tend les bras aux malheureux.

Proverbes 31, 21 Elle ne redoute pas la neige pour sa maison, car toute sa maisonnée porte double vêtement.

Proverbes 31, 22 Elle se fait des couvertures, de lin et de pourpre est son vêtement.

Proverbes 31, 23 Aux portes de la ville, son mari est connu, il siège parmi les anciens du pays.

Proverbes 31, 24 Elle tisse des étoffes et les vend, au marchand elle livre une ceinture.

Proverbes 31, 25 Force et dignité forment son vêtement, elle rit au jour à venir.

Proverbes 31, 26 Avec sagesse elle ouvre la bouche, sur sa langue: une doctrine de piété.

Proverbes 31, 27 De sa maisonnée, elle surveille le va-et-vient, elle ne mange pas le pain de l'oisiveté.

Proverbes 31, 28 Ses fils se lèvent pour la proclamer bienheureuse, son mari, pour faire son éloge:

Proverbes 31, 29 "Nombre de femmes ont accompli des exploits, mais toi, tu les surpasses toutes!"

Proverbes 31, 30 Tromperie que la grâce! Vanité, la beauté! La femme qui craint Yahvé, voilà celle qu'il faut féliciter!

Proverbes 31, 31 Accordez-lui une part du produit de ses mains, et qu'aux portes ses oeuvres fassent son éloge!

 

 

Ecclésiaste

 

Ecclésiaste 1, 1 Paroles de Qohélet, fils de David, roi à Jérusalem.

Ecclésiaste 1, 2 Vanité des vanités, dit Qohélet; vanité des vanités, tout est vanité.

Ecclésiaste 1, 3 Quel profit trouve l'homme à toute la peine qu'il prend sous le soleil?

Ecclésiaste 1, 4 Un âge va, un âge vient, mais la terre tient toujours.

Ecclésiaste 1, 5 Le soleil se lève, le soleil se couche, il se hâte vers son lieu et c'est là qu'il se lève.

Ecclésiaste 1, 6 Le vent part au midi, tourne au nord, il tourne, tourne et va, et sur son parcours retourne le vent.

Ecclésiaste 1, 7 Tous les fleuves coulent vers la mer et la mer n'est pas remplie. Vers l'endroit où coulent les fleuves, c'est par là qu'ils continueront de couler.

Ecclésiaste 1, 8 Toute parole est lassante! Personne ne peut dire que l'oeil n'est pas rassasié de voir, et l'oreille saturée par ce qu'elle a entendu.

Ecclésiaste 1, 9 Ce qui fut, cela sera, ce qui s'est fait se refera, et il n'y a rien de nouveau sous le soleil!

Ecclésiaste 1, 10 Qu'il y ait quelque chose dont on dise: "Tiens, voilà du nouveau", cela fut dans les siècles qui nous ont précédés.

Ecclésiaste 1, 11 Il n'y a pas de souvenir d'autrefois, et même pour ceux des temps futurs: il n'y aura d'eux aucun souvenir auprès de ceux qui les suivront.

Ecclésiaste 1, 12 Moi, Qohélet, j'ai été roi d'Israël à Jérusalem.

Ecclésiaste 1, 13 J'ai mis tout mon coeur à rechercher et à explorer par la sagesse tout ce qui se fait sous le ciel. C'est une mauvaise besogne que Dieu a donnée aux enfants des hommes pour qu'ils s'y emploient.

Ecclésiaste 1, 14 J'ai regardé toutes les oeuvres qui se font sous le soleil: Eh bien, tout est vanité et poursuite de vent!

Ecclésiaste 1, 15 Ce qui est courbé ne peut être redressé, ce qui manque ne peut être compté.

Ecclésiaste 1, 16 Je me suis dit à moi-même: Voici que j'ai amassé et accumulé la sagesse plus que quiconque avant moi à Jérusalem, et, en moi-même, j'ai pénétré toute sorte de sagesse et de savoir.

Ecclésiaste 1, 17 J'ai mis tout mon coeur à comprendre la sagesse et le savoir, la sottise et la folie, et j'ai compris que tout cela aussi est recherche de vent.

Ecclésiaste 1, 18 Beaucoup de sagesse, beaucoup de chagrin; plus de savoir, plus de douleur.

Ecclésiaste 2, 1 Je me suis dit en moi-même: Viens donc que je te fasse éprouver la joie, fais connaissance du bonheur! Eh bien, cela aussi est vanité.

Ecclésiaste 2, 2 Du rire j'ai dit: "sottise", et de la joie: "à quoi sert-elle?"

Ecclésiaste 2, 3 J'ai décidé en moi-même de livrer mon corps à la boisson tout en menant mon coeur dans la sagesse, de m'attacher à la folie pour voir ce qu'il convient aux hommes de faire sous le ciel, tous les jours de leur vie.

Ecclésiaste 2, 4 J'ai fait grand. Je me suis bâti des palais, je me suis planté des vignes,

Ecclésiaste 2, 5 je me suis fait des jardins et des vergers et j'y ai planté tous les arbres fruitiers.

Ecclésiaste 2, 6 Je me suis fait des citernes pour arroser de leur eau les jeunes arbres de mes plantations.

Ecclésiaste 2, 7 J'ai acquis des esclaves et des servantes, j'ai eu des domestiques et des troupeaux, du gros et du petit bétail en abondance, plus que quiconque avant moi à Jérusalem.

Ecclésiaste 2, 8 Je me suis amassé aussi de l'argent et de l'or, le trésor des rois et des provinces. Je me suis procuré chanteurs et chanteuses et tout le luxe des enfants des hommes, coffret par coffret.

Ecclésiaste 2, 9 Je me suis élevé et j'ai surpassé quiconque était avant moi à Jérusalem, et ma sagesse m'est restée.

Ecclésiaste 2, 10 Je n'ai rien refusé à mes yeux de ce qu'ils désiraient, je n'ai privé mon coeur d'aucune joie, car je me réjouissais de tout mon travail et cela fut mon sort dans tout mon travail.

Ecclésiaste 2, 11 Alors je réfléchis à toutes les oeuvres de mes mains et à toute la peine que j'y avais prise: eh bien, tout est vanité et poursuite de vent, il n'y a pas de profit sous le soleil!

Ecclésiaste 2, 12 Puis je me mis à réfléchir sur la sagesse, la sottise et la folie: Voyons, que fera le successeur du roi? Ce qu'on a déjà fait.

Ecclésiaste 2, 13 J'ai vu qu'il y avait avantage de la sagesse sur la folie comme du jour sur l'obscurité.

Ecclésiaste 2, 14 Le sage a les yeux ouverts, mais l'insensé marche dans les ténèbres. Et je sais, moi aussi, qu'ils auront tous deux le même sort.

Ecclésiaste 2, 15 Alors je me dis en moi-même: "Le sort de l'insensé sera aussi le mien, pourquoi donc avoir été sage?" Je me dis que cela aussi est vanité.

Ecclésiaste 2, 16 Il n'y a pas de souvenir durable du sage ni de l'insensé, et dans les jours suivants, tous deux sont oubliés: le sage meurt bel et bien avec l'insensé.

Ecclésiaste 2, 17 Je déteste la vie, car ce qui se fait sous le soleil me déplaît: tout est vanité et poursuite de vent.

Ecclésiaste 2, 18 Je déteste le travail pour lequel j'ai pris de la peine sous le soleil, et que je laisse à mon successeur:

Ecclésiaste 2, 19 qui sait s'il sera sage ou fou? Pourtant il sera maître de tout mon travail pour lequel j'ai pris de la peine et me suis comporté avec sagesse sous le soleil; cela aussi est vanité.

Ecclésiaste 2, 20 Mon coeur en est venu à se décourager pour toute la peine que j'ai prise sous le soleil.

Ecclésiaste 2, 21 Car voici un homme qui a travaillé avec sagesse, savoir et succès, et il donne sa part à celui qui n'a pas travaillé: cela aussi est vanité, et c'est un tort grave.

Ecclésiaste 2, 22 Car que reste-t-il à l'homme de toute sa peine et de tout l'effort pour lequel son coeur a peiné sous le soleil?

Ecclésiaste 2, 23 Oui, tous ses jours sont douloureux et sa tâche est pénible; même la nuit il ne peut se reposer, cela aussi est vanité!

Ecclésiaste 2, 24 Il n'y a de bonheur pour l'homme que dans le manger et le boire et dans le bonheur qu'il trouve dans son travail, et je vois que cela aussi vient de la main de Dieu,

Ecclésiaste 2, 25 car qui mangera et qui boira si cela ne vient de lui?

Ecclésiaste 2, 26 A qui lui plaît, il donne sagesse, savoir et joie, et au pécheur il donne comme tâche de recueillir et d'amasser pour celui qui plaît à Dieu. Cela aussi est vanité et poursuite de vent.

Ecclésiaste 3, 1 Il y a un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel.

Ecclésiaste 3, 2 Un temps pour enfanter, et un temps pour mourir; un temps pour planter, et un temps pour arracher le plant.

Ecclésiaste 3, 3 Un temps pour tuer, et un temps pour guérir; un temps pour détruire, et un temps pour bâtir.

Ecclésiaste 3, 4 Un temps pour pleurer, et un temps pour rire; un temps pour gémir, et un temps pour danser.

Ecclésiaste 3, 5 Un temps pour lancer des pierres, et un temps pour en ramasser; un temps pour embrasser, et un temps pour s'abstenir d'embrassements.

Ecclésiaste 3, 6 Un temps pour chercher, et un temps pour perdre; un temps pour garder, et un temps pour jeter.

Ecclésiaste 3, 7 Un temps pour déchirer, et un temps pour coudre; un temps pour se taire, et un temps pour parler.

Ecclésiaste 3, 8 Un temps pour aimer, et un temps pour haïr; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix.

Ecclésiaste 3, 9 Quel profit celui qui travaille trouve-t-il à la peine qu'il prend?

Ecclésiaste 3, 10 Je regarde la tâche que Dieu donne aux enfants des hommes:

Ecclésiaste 3, 11 tout ce qu'il fait convient en son temps. Il a mis dans leur coeur l'ensemble du temps, mais sans que l'homme puisse saisir ce que Dieu fait, du commencement à la fin.

Ecclésiaste 3, 12 Et je sais qu'il n'y a pas de bonheur pour l'homme, sinon dans le plaisir et le bien-être durant sa vie.

Ecclésiaste 3, 13 Et si un homme mange, boit et trouve le bonheur dans son travail, cela est un don de Dieu.

Ecclésiaste 3, 14 Je sais que tout ce que Dieu fait sera pour toujours. A cela il n'y a rien à ajouter, de cela il n'y a rien à retrancher, et Dieu fait en sorte qu'on le craigne.

Ecclésiaste 3, 15 Ce qui est fut déjà; ce qui sera est déjà. Or Dieu recherche le persécuté.

Ecclésiaste 3, 16 Je regarde encore sous le soleil: à la place du droit, là se trouve le crime, à la place du juste se trouve le criminel;

Ecclésiaste 3, 17 et je me dis en moi-même: le juste et le criminel, Dieu les jugera, car il y a un temps pour toutes choses et pour toute action ici.

Ecclésiaste 3, 18 Je me dis en moi-même, en ce qui concerne les enfants des hommes: c'est pour que Dieu les éprouve et leur montre qu'ils sont des bêtes.

Ecclésiaste 3, 19 Car le sort de l'homme et le sort de la bête sont un sort identique: comme meurt l'un, ainsi meurt l'autre, et c'est un même souffle qu'ils ont tous les deux. La supériorité de l'homme sur la bête est nulle, car tout est vanité.

Ecclésiaste 3, 20 Tout s'en va vers un même lieu: tout vient de la poussière, tout s'en retourne à la poussière.

Ecclésiaste 3, 21 Qui sait si le souffle de l'homme monte vers le haut et si le souffle de la bête descend en bas, vers la terre?

Ecclésiaste 3, 22 Je vois qu'il n'y a de bonheur pour l'homme qu'à se réjouir de ses oeuvres, car c'est là sa part. Qui donc l'emmènera voir ce qui sera après lui?

Ecclésiaste 4, 1 Je regarde encore toute l'oppression qui se commet sous le soleil: Voici les larmes des opprimés, et ils n'ont pas de consolateur; et la force du côté des oppresseurs, et ils n'ont pas de consolateur.

Ecclésiaste 4, 2 Alors je félicite les morts qui sont déjà morts plutôt que les vivants qui sont encore vivants.

Ecclésiaste 4, 3 Et plus heureux que tous les deux est celui qui ne vit pas encore et ne voit pas l'iniquité qui se commet sous le soleil.

Ecclésiaste 4, 4 Et je vois que tout travail et toute réussite n'est que jalousie de l'un pour l'autre: cela est vanité et poursuite de vent!

Ecclésiaste 4, 5 L'insensé se croise les bras et se dévore lui-même.

Ecclésiaste 4, 6 Mieux vaut une poignée de repos que deux poignées de travail à poursuivre le vent.

Ecclésiaste 4, 7 Je vois encore une autre vanité sous le soleil:

Ecclésiaste 4, 8 soit quelqu'un de seul qui n'a pas de second, pas de fils ni de frère; il n'y a pas de limite à toute sa besogne, et ses yeux ne sont pas rassasiés de richesses: "Pour qui donc est-ce que je travaille et me prive de bonheur?" Cela aussi est vanité, et c'est une mauvaise besogne.

Ecclésiaste 4, 9 Mieux vaut être deux que seul, car ainsi le travail donne bon profit.

Ecclésiaste 4, 10 En cas de chute, l'un relève l'autre; mais qu'en est-il de celui qui tombe sans personne pour le relever?

Ecclésiaste 4, 11 Et si l'on couche à deux, on se réchauffe, mais seul, comment avoir chaud?

Ecclésiaste 4, 12 Là où un homme seul est renversé, deux résistent, et le fil triple ne rompt pas facilement.

Ecclésiaste 4, 13 Mieux vaut un enfant pauvre et sage qu'un roi vieux et insensé qui ne sait plus prendre conseil.

Ecclésiaste 4, 14 Même s'il est sorti de prison pour régner, et même s'il est né mendiant dans le royaume,

Ecclésiaste 4, 15 je vois tous les vivants qui vont sous le soleil être avec l'enfant, le second, l'usurpateur,

Ecclésiaste 4, 16 et c'est d'une foule sans fin qu'il se trouve à la tête. Mais ceux qui viennent après ne s'en réjouiront pas, car cela aussi est vanité et recherche de vent.

Ecclésiaste 4, 17 Prends garde à tes pas quand tu vas à la Maison de Dieu: approcher pour écouter vaut mieux que le sacrifice offert par les insensés, mais ils ne savent pas qu'ils font le mal.

Ecclésiaste 5, 1 Ne hâte pas tes lèvres, que ton coeur ne se presse pas de proférer une parole devant Dieu, car Dieu est au ciel et toi sur la terre; aussi, que tes paroles soient peu nombreuses.

Ecclésiaste 5, 2 Car du nombre des tracas vient le songe, du nombre des paroles, le ton de l'insensé.

Ecclésiaste 5, 3 Si tu fais un voeu à Dieu, ne tarde pas à l'accomplir, car Dieu n'aime pas les insensés. Ton voeu, accomplis-le.

Ecclésiaste 5, 4 Et mieux vaut ne pas faire de voeu que d'en faire un sans l'accomplir.

Ecclésiaste 5, 5 Ne laisse pas ta bouche faire de toi un pécheur. Et ne va pas dire au Messager que c'était par inadvertance: pourquoi donner à Dieu l'occasion de s'irriter contre toi et de ruiner l'oeuvre de tes mains?

Ecclésiaste 5, 6 Car du nombre des songes viennent les vanités et les paroles multipliées. Ainsi crains Dieu.

Ecclésiaste 5, 7 Si tu vois dans une province le pauvre opprimé, la justice et le droit bafoués, n'en sois pas surpris; car au-dessus d'une autorité veille une plus haute autorité, et de plus hautes au-dessus d'elles.

Ecclésiaste 5, 8 Mais le profit qu'on tire d'une terre est à tous, un roi est servi par les champs.

Ecclésiaste 5, 9 Qui aime l'argent ne se rassasie pas d'argent, qui aime l'abondance n'a pas de revenu, cela aussi est vanité.

Ecclésiaste 5, 10 Où abonde le bien, abondent ceux qui le mangent, quel avantage pour le propriétaire, sinon un spectacle pour les yeux?

Ecclésiaste 5, 11 Le sommeil du travailleur est doux, qu'il ait mangé peu ou beaucoup; mais la satiété du riche ne le laisse pas dormir.

Ecclésiaste 5, 12 Il est un tort criant que je vois sous le soleil: la richesse gardée par son possesseur à son propre détriment.

Ecclésiaste 5, 13 Il perd cette richesse dans une mauvaise affaire, il met au monde un fils, il n'a plus rien en main.

Ecclésiaste 5, 14 Comme il était sorti du sein de sa mère, tout nu, il s'en retournera, comme il était venu. De son travail il n'a rien retiré qui lui reste en main.

Ecclésiaste 5, 15 Cela aussi est un tort criant qu'il s'en aille comme il était venu: Quel profit retire-t-il d'avoir travaillé pour le vent?

Ecclésiaste 5, 16 Et puis tous ses jours se passent dans l'obscurité, le deuil, les chagrins nombreux, la maladie et l'irritation.

Ecclésiaste 5, 17 Voici ce que j'ai vu: le bonheur qui convient à l'homme, c'est de manger et de boire, et de trouver le bonheur dans tout le travail qu'il accomplit sous le soleil, tout au long des jours de la vie que Dieu lui donne, car c'est là sa part.

Ecclésiaste 5, 18 Et tout homme à qui Dieu donne richesses et ressources, qu'il laisse maître de s'en nourrir, d'en recevoir sa part et de jouir de son travail, cela est un don de Dieu.

Ecclésiaste 5, 19 Car il ne se souvient guère des jours de sa vie tant que Dieu occupe son coeur à la joie.

Ecclésiaste 6, 1 Il y a un autre mal que je vois sous le soleil et qui est grand pour l'homme:

Ecclésiaste 6, 2 soit un homme à qui Dieu donne richesses, ressources et gloire, et à qui rien ne manque de tout ce qu'il peut désirer; mais Dieu ne le laisse pas maître de s'en nourrir et c'est un étranger qui s'en nourrit: cela est vanité et cruelle souffrance.

Ecclésiaste 6, 3 Soit un homme qui a eu cent enfants et a vécu de nombreuses années, et alors que ses années ont été nombreuses, il ne s'est pas rassasié de bonheur et il n'a même pas de tombeau: je vois que l'avorton est plus heureux que lui.

Ecclésiaste 6, 4 Il est venu dans la vanité, il s'en va dans les ténèbres, et dans les ténèbres son nom est enseveli.

Ecclésiaste 6, 5 Il n'a même pas vu le soleil et ne l'a pas connu: il y a plus de repos pour lui que pour l'autre.

Ecclésiaste 6, 6 Et même s'il avait vécu deux fois mille ans, il n'aurait pas vu le bonheur; n'est-ce pas vers un même lieu que tous s'en vont?

Ecclésiaste 6, 7 Toute la peine que prend l'homme est pour sa bouche, et pourtant son appétit n'est jamais satisfait.

Ecclésiaste 6, 8 Quel avantage a le sage sur l'insensé? Et qu'en est-il de l'indigent qui sait se conduire devant les vivants?

Ecclésiaste 6, 9 Mieux vaut ce que voient les yeux que le mouvement du désir, cela aussi est vanité et poursuite de vent!

Ecclésiaste 6, 10 Ce qui fut a déjà été nommé et l'on sait ce qu'est un homme: il ne peut faire procès à celui qui est plus fort que lui.

Ecclésiaste 6, 11 Plus il y a de paroles, plus il y a de vanité, quel avantage pour l'homme?

Ecclésiaste 6, 12 Et qui sait ce qui convient à l'homme pendant sa vie, tout au long des jours de la vie de vanité qu'il passe comme une ombre? Qui annoncera à l'homme ce qui doit venir après lui sous le soleil?

Ecclésiaste 7, 1 Mieux vaut un nom que l'huile fine, et le jour de la mort que le jour de la naissance.

Ecclésiaste 7, 2 Mieux vaut aller à la maison du deuil qu'à la maison du banquet, puisque c'est la fin de tout homme; ainsi le vivant y réfléchira.

Ecclésiaste 7, 3 Mieux vaut le chagrin que le rire, car avec un triste visage on peut avoir le coeur joyeux.

Ecclésiaste 7, 4 Le coeur du sage est dans la maison du deuil, le coeur des insensés, dans la maison de la joie.

Ecclésiaste 7, 5 Mieux vaut écouter la semonce du sage qu'écouter le chant de l'insensé;

Ecclésiaste 7, 6 car tel le bruit des épines sous le chaudron, tel est le rire de l'insensé, et cela aussi est vanité.

Ecclésiaste 7, 7 Mais l'oppression rend fou le sage et un présent perd le coeur.

Ecclésiaste 7, 8 Mieux vaut la fin d'une chose que son début, mieux vaut la patience que la prétention.

Ecclésiaste 7, 9 Ne te hâte pas de t'irriter, car l'irritation habite au coeur des insensés.

Ecclésiaste 7, 10 Ne dis pas: "Comment se fait-il que le passé fut meilleur que le présent?" Car ce n'est pas la sagesse qui te fait poser cette question.

Ecclésiaste 7, 11 La sagesse est bonne comme un héritage, elle profite à ceux qui voient le soleil.

Ecclésiaste 7, 12 Car l'abri de la sagesse vaut l'abri de l'argent, et l'avantage du savoir, c'est que la sagesse fait vivre ceux qui la possèdent.

Ecclésiaste 7, 13 Regarde l'oeuvre de Dieu: qui pourra donc redresser ce qu'il a courbé?

Ecclésiaste 7, 14 Au jour du bonheur, sois heureux, et au jour du malheur, regarde: Dieu a bel et bien fait l'un et l'autre, afin que l'homme ne trouve rien derrière soi.

Ecclésiaste 7, 15 J'ai tout vu, en ma vie de vanité: le juste périr dans sa justice et l'impie survivre dans son impiété.

Ecclésiaste 7, 16 Ne sois pas juste à l'excès et ne te fais pas trop sage, pourquoi te détruirais-tu?

Ecclésiaste 7, 17 Ne te fais pas méchant à l'excès et ne sois pas insensé, pourquoi mourir avant ton temps?

Ecclésiaste 7, 18 Il est bon de tenir à ceci sans laisser ta main lâcher cela, puisque celui qui craint Dieu trouvera l'un et l'autre.

Ecclésiaste 7, 19 La sagesse rend le sage plus fort que dix gouverneurs dans une ville.

Ecclésiaste 7, 20 Il n'est pas d'homme assez juste sur la terre pour faire le bien sans jamais pécher.

Ecclésiaste 7, 21 D'ailleurs ne prête pas attention à toutes les paroles qu'on prononce, ainsi tu n'entendras pas ton serviteur te maudire.

Ecclésiaste 7, 22 Car bien des fois ton coeur a su que toi aussi avais maudit les autres.

Ecclésiaste 7, 23 Tout cela, j'en ai fait l'épreuve par la sagesse; j'ai dit: "Je serai sage", mais c'est hors de ma portée!

Ecclésiaste 7, 24 Hors de portée ce qui fut; profond! profond! Qui le découvrira?

Ecclésiaste 7, 25 J'en suis venu, en mon coeur, à connaître, à explorer et à m'enquérir de la sagesse et de la réflexion, à reconnaître le mal pour une chose insensée et la folie pour une sottise.

Ecclésiaste 7, 26 Et je trouve plus amère que la mort, la femme, car elle est un piège, son coeur un filet, et ses bras des chaînes. Qui plaît à Dieu lui échappe, mais le pécheur s'y fait prendre.

Ecclésiaste 7, 27 Voici ce que je trouve, dit Qohélet, en regardant une chose après l'autre pour en tirer une réflexion

Ecclésiaste 7, 28 que je cherche encore sans la trouver: un homme sur mille, je le trouve, mais une femme sur toutes, je ne la trouve pas.

Ecclésiaste 7, 29 Seulement voici ce que je trouve: Dieu a fait l'homme tout droit, et lui, cherche bien des calculs.

Ecclésiaste 8, 1 Qui est comme le sage? Qui sait expliquer quelque chose? La sagesse de l'homme fait luire son visage et son air austère est changé.

Ecclésiaste 8, 2 Ecoute l'ordre du roi, et à cause du serment divin,

Ecclésiaste 8, 3 ne te presse pas de t'en écarter; ne t'entête pas dans un mauvais cas, parce qu'il fait ce qui lui plaît.

Ecclésiaste 8, 4 Parce que la parole du roi est souveraine, qui lui dira: "Que fais-tu?"

Ecclésiaste 8, 5 Celui qui garde le commandement ne connaît aucun malheur; le coeur du sage connaît le temps et le jugement,

Ecclésiaste 8, 6 car il y a un temps et un jugement pour toute chose. Mais le malheur de l'homme est grave pour lui,

Ecclésiaste 8, 7 car il ne sait pas ce qui arrivera: qui pourrait lui annoncer comment ce sera?

Ecclésiaste 8, 8 Aucun homme n'est maître du vent pour retenir le vent, personne n'est maître du jour de la mort. Il n'y a pas de sursis à la guerre, et la méchanceté ne sauve pas celui qui la commet.

Ecclésiaste 8, 9 Tout cela je l'ai vu, en mettant tout mon coeur à tout ce qui se fait sous le soleil, au temps où l'homme est maître de l'homme, pour son malheur.

Ecclésiaste 8, 10 Et ainsi j'ai vu des méchants emmenés à leur tombeau, et l'on s'en va du lieu saint, et l'on oublie dans la ville comment ils ont agi, cela aussi est vanité!

Ecclésiaste 8, 11 Parce que la sentence contre celui qui fait le mal n'est pas vite exécutée, le coeur des enfants des hommes est plein de l'envie de mal faire.

Ecclésiaste 8, 12 Que le pécheur fasse cent fois le mal, il survit. Mais moi je sais aussi qu'il arrive du bien à ceux qui craignent Dieu parce qu'ils le craignent,

Ecclésiaste 8, 13 mais qu'il n'arrive pas de bien au méchant et que, comme l'ombre, il ne prolongera pas ses jours, parce qu'il ne craint pas Dieu.

Ecclésiaste 8, 14 Il y a une vanité qui se fait sur la terre: il y a des justes qui sont traités selon la conduite des méchants et des méchants qui sont traités selon la conduite des justes. Je dis que cela aussi est vanité.

Ecclésiaste 8, 15 Et je fais l'éloge de la joie, car il n'y a de bonheur pour l'homme que dans le manger, le boire et le plaisir qu'il prend; c'est cela qui accompagne son travail aux jours de la vie que Dieu lui donne sous le soleil.

Ecclésiaste 8, 16 Après avoir mis tout mon coeur à connaître la sagesse et à observer la tâche qu'on exerce sur la terre -- car ni jour ni nuit on ne voit de ses yeux le repos --

Ecclésiaste 8, 17 j'ai observé toute l'oeuvre de Dieu: l'homme ne peut découvrir toute l'oeuvre qui se fait sous le soleil; quoique l'homme se fatigue à chercher, il ne trouve pas. Et même si un sage dit qu'il sait, il ne peut trouver.

Ecclésiaste 9, 1 Oui! A tout cela j'ai mis tout mon coeur et j'ai éprouvé tout cela: à savoir que les justes et les sages avec leurs oeuvres sont dans la main de Dieu. L'homme ne connaît ni l'amour ni la haine, tous deux sont devant lui

Ecclésiaste 9, 2 vanité. Ainsi, tous ont un même sort, le juste et le méchant, Le bon et le mauvais, le pur et l'impur, celui qui sacrifie et celui qui ne sacrifie pas; le bon est comme le pécheur, celui qui prête serment comme celui qui craint de prêter serment.

Ecclésiaste 9, 3 C'est un mal, parmi tout ce qui se fait sous le soleil, qu'il y ait un même sort pour tous. Et le coeur des hommes est plein de méchanceté, la sottise est dans leur coeur durant leur vie et leur fin est chez les morts.

Ecclésiaste 9, 4 Mais il y a de l'espoir pour celui qui est lié à tous les vivants, et un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort.

Ecclésiaste 9, 5 Les vivants savent au moins qu'ils mourront, mais les morts ne savent rien du tout. Il n'y a plus pour eux de salaire, puisque leur souvenir est oublié.

Ecclésiaste 9, 6 Leur amour, leur haine, leur jalousie ont déjà péri, et ils n'auront plus jamais part à tout ce qui se fait sous le soleil.

Ecclésiaste 9, 7 Va, mange avec joie ton pain et bois de bon coeur ton vin, car Dieu a déjà apprécié tes oeuvres.

Ecclésiaste 9, 8 En tout temps porte des habits blancs et que le parfum ne manque pas sur ta tête.

Ecclésiaste 9, 9 Prends la vie avec la femme que tu aimes, tous les jours de la vie de vanité que Dieu te donne sous le soleil, tous tes jours de vanité, car c'est ton lot dans la vie et dans la peine que tu prends sous le soleil.

Ecclésiaste 9, 10 Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le tant que tu en as la force, car il n'y a ni oeuvre, ni réflexion, ni savoir, ni sagesse dans le Shéol où tu t'en vas.

Ecclésiaste 9, 11 J'ai vu encore sous le soleil que la course ne revient pas aux plus rapides, ni le combat aux héros, qu'il n'y a pas de pain pour les sages, pas de richesse pour les intelligents, pas de faveur pour les savants: temps et contretemps leur arrivent à tous.

Ecclésiaste 9, 12 Mais l'homme ne connaît pas son heure. Comme les poissons pris au filet perfide, comme les oiseaux pris au piège, ainsi sont surpris les enfants des hommes au temps du malheur, quand il fond sur eux à l'improviste.

Ecclésiaste 9, 13 Voici encore quelle sorte de sagesse j'ai vue sous le soleil, et elle me paraît importante:

Ecclésiaste 9, 14 Il y avait une ville, petite, avec peu d'habitants. Un grand roi vint contre elle; il l'assiégea et bâtit contre elle de grands ouvrages.

Ecclésiaste 9, 15 Mais il trouva devant lui un homme pauvre et sage qui sauva la ville par sa sagesse. Or personne n'a gardé le souvenir de cet homme pauvre.

Ecclésiaste 9, 16 Alors je dis: La sagesse vaut mieux que la force, mais la sagesse du pauvre est méconnue et ses paroles, personne ne les écoute.

Ecclésiaste 9, 17 On écoute les paroles calmes des sages plus que les cris de celui qui commande aux insensés.

Ecclésiaste 9, 18 Mieux vaut la sagesse que les armes, mais un seul péché annule beaucoup de bien.

Ecclésiaste 10, 1 Une mouche morte gâte l'huile du parfumeur, un peu de sottise compte plus que sagesse et gloire.

Ecclésiaste 10, 2 Le sage se dirige bien, l'insensé va de travers.

Ecclésiaste 10, 3 Qu'il avance sur la route, celui qui est insensé, l'esprit lui manque, et tous disent: "C'est un insensé!"

Ecclésiaste 10, 4 Si l'humeur de celui qui commande se monte contre toi, ne quitte pas ta place, car le calme évite de grands péchés.

Ecclésiaste 10, 5 Il y a un mal que je vois sous le soleil, c'est comme une méprise de la part du souverain:

Ecclésiaste 10, 6 la folie placée au plus haut et des riches qui restent dans l'abaissement.

Ecclésiaste 10, 7 Je vois des esclaves aller à cheval et des princes à pied comme des esclaves.

Ecclésiaste 10, 8 Qui creuse une fosse tombe dedans, qui sape un mur, un serpent le mord;

Ecclésiaste 10, 9 qui extrait des pierres se blesse avec, qui fend du bois prend un risque.

Ecclésiaste 10, 10 Si le fer est émoussé et qu'on n'en aiguise pas la lame, il faut redoubler de forces; mais il y a profit à faire aboutir la sagesse.

Ecclésiaste 10, 11 Si, faute d'être charmé, le serpent mord, il n'y a pas de profit pour le charmeur.

Ecclésiaste 10, 12 Les paroles du sage plaisent, les lèvres de l'insensé le perdront:

Ecclésiaste 10, 13 le début de ses paroles est folie et la fin de son propos perfide sottise.

Ecclésiaste 10, 14 Le fou multiplie les paroles, mais l'homme ne sait pas ce qui sera: ce qui arrivera après lui, qui le lui annoncera?

Ecclésiaste 10, 15 Le travail de l'insensé le fatigue, lui qui ne sait même pas aller à la ville.

Ecclésiaste 10, 16 Malheur à toi, pays dont le roi est un gamin, et dont les princes mangent dès le matin!

Ecclésiaste 10, 17 Heureux le pays dont le roi est né noble, dont les princes mangent au temps voulu pour prendre des forces et non pour banqueter!

Ecclésiaste 10, 18 Pour des mains paresseuses, la poutre cède, pour des mains négligentes, il pleut dans la maison.

Ecclésiaste 10, 19 Pour se divertir on fait un repas, le vin réjouit les vivants et l'argent a réponse à tout.

Ecclésiaste 10, 20 Ne maudis pas le roi, fût-ce en pensée, ne maudis pas le riche, fût-ce dans ta chambre, car un oiseau du ciel emporterait le bruit, celui qui a des ailes redirait ta parole.

Ecclésiaste 11, 1 Lance ton pain sur l'eau, à la longue tu le retrouveras.

Ecclésiaste 11, 2 Donne une part à sept ou à huit, car tu ne sais pas quel malheur peut venir sur la terre.

Ecclésiaste 11, 3 Si les nuages sont pleins de pluie, ils la déversent sur la terre; et si un arbre tombe, au sud ou bien au nord, l'arbre reste où il est tombé.

Ecclésiaste 11, 4 Qui observe le vent ne sème pas, qui regarde les nuages ne moissonne pas.

Ecclésiaste 11, 5 De même que tu ne connais pas le chemin que suit le vent, ou celui de l'embryon dans le sein de la femme, de même tu ne connais pas l'oeuvre de Dieu qui fait tout.

Ecclésiaste 11, 6 Le matin, sème ton grain, et le soir ne laisse pas ta main inactive, car de deux choses tu ne sais pas celle qui réussira, ou si elles sont aussi bonnes l'une que l'autre.

Ecclésiaste 11, 7 Douce est la lumière et il plaît aux yeux de voir le soleil;

Ecclésiaste 11, 8 si l'homme vit de longues années, qu'il profite de toutes, mais qu'il se rappelle que les jours de ténèbres seront nombreux: tout ce qui vient est vanité.

Ecclésiaste 11, 9 Réjouis-toi, jeune homme, dans ta jeunesse, sois heureux aux jours de ton adolescence, suis les voies de ton coeur et les désirs de tes yeux, mais sache que sur tout cela Dieu te fera venir en jugement.

Ecclésiaste 11, 10 Eloigne de ton coeur le chagrin, écarte de ta chair la souffrance, mais la jeunesse et l'âge des cheveux noirs sont vanité.

Ecclésiaste 12, 1 Et souviens-toi de ton Créateur aux jours de ton adolescence, avant que viennent les jours mauvais et qu'arrivent les années dont tu diras: "je ne les aime pas";

Ecclésiaste 12, 2 avant que s'obscurcissent le soleil et la lumière, la lune et les étoiles, et que reviennent les nuages après la pluie;

Ecclésiaste 12, 3 au jour où tremblent les gardiens de la maison, où se courbent les hommes vigoureux, où les femmes, l'une après l'autre, cessent de moudre, où l'obscurité gagne celles qui regardent par la fenêtre.

Ecclésiaste 12, 4 Quand la porte est fermée sur la rue, quand tombe la voix du moulin, quand on se lève à la voix de l'oiseau, quand se taisent toutes les chansons.

Ecclésiaste 12, 5 Quand on redoute la montée et qu'on a des frayeurs en chemin. Et l'amandier est en fleur, et la sauterelle est pesante, et le câpre perd son goût. Tandis que l'homme s'en va vers sa maison d'éternité et les pleureurs tournent déjà dans la rue.

Ecclésiaste 12, 6 Avant que lâche le fil d'argent, que la coupe d'or se brise, que la jarre se casse à la fontaine, que la poulie se rompe au puits

Ecclésiaste 12, 7 et que la poussière retourne à la terre comme elle en est venue, et le souffle à Dieu qui l'a donné.

Ecclésiaste 12, 8 Vanité des vanités, dit Qohélet, tout est vanité.

Ecclésiaste 12, 9 Sans compter que Qohélet fut un sage, il a encore enseigné au peuple le savoir; il a pesé, examiné et corrigé beaucoup de proverbes;

Ecclésiaste 12, 10 Qohélet s'est efforcé de trouver beaucoup de paroles plaisantes et d'écrire des paroles de vérité.

Ecclésiaste 12, 11 Les paroles du sage sont comme des aiguillons et comme des piquets plantés par les maîtres de troupeaux; ils sont mis par le même pasteur.

Ecclésiaste 12, 12 En plus de cela, mon fils, sois averti que faire des livres est un travail sans fin et que beaucoup d'étude fatigue le corps.

Ecclésiaste 12, 13 Fin du discours. Tout est entendu. Crains Dieu et observe ses commandements, car c'est là le devoir de tout homme.

Ecclésiaste 12, 14 Car Dieu amènera en jugement toutes les actions de l'homme, tout ce qui est caché, que ce soit bien ou mal.

 

 

Cantique

 

1, 1 Cantique des Cantiques, de Salomon.

Cantique 1, 2 Qu'il me baise des baisers de sa bouche. Tes amours sont plus délicieuses que le vin;

Cantique 1, 3 l'arôme de tes parfums est exquis; ton nom est une huile qui s'épanche, c'est pourquoi les jeunes filles t'aiment.

Cantique 1, 4 Entraîne-moi sur tes pas, courons! Le roi m'a introduite en ses appartements; tu seras notre joie et notre allégresse. Nous célébrerons tes amours plus que le vin; comme on a raison de t'aimer!

Cantique 1, 5 Je suis noire et pourtant belle, filles de Jérusalem, comme les tentes de Qédar, comme les pavillons de Salma.

Cantique 1, 6 Ne prenez pas garde à mon teint basané: c'est le soleil qui m'a brûlée. Les fils de ma mère se sont emportés contre moi, ils m'ont mise à garder les vignes. Ma vigne à moi, je ne l'avais pas gardée!

Cantique 1, 7 Dis-moi donc, toi que mon coeur aime: Où mèneras-tu paître le troupeau, où le mettras-tu au repos, à l'heure de midi? Pour que je n'erre plus en vagabonde, près des troupeaux de tes compagnons.

Cantique 1, 8 Si tu l'ignores, ô la plus belle des femmes, suis les traces du troupeau, et mène paître tes chevreaux près de la demeure des bergers.

Cantique 1, 9 A ma cavale, attelée au char de Pharaon, je te compare, ma bien-aimée.

Cantique 1, 10 Tes joues restent belles, entre les pendeloques, et ton cou dans les colliers.

Cantique 1, 11 Nous te ferons des pendants d'or et des globules d'argent. --

Cantique 1, 12 Tandis que le roi est en son enclos, mon nard donne son parfum.

Cantique 1, 13 Mon bien-aimé est un sachet de myrrhe, qui repose entre mes seins.

Cantique 1, 14 Mon bien-aimé est une grappe de cypre, dans les vignes d'En-Gaddi. --

Cantique 1, 15 Que tu es belle, ma bien-aimée, que tu es belle! Tes yeux sont des colombes. --

Cantique 1, 16 Que tu es beau, mon bien-aimé, combien délicieux! Notre lit n'est que verdure. --

Cantique 1, 17 Les poutres de notre maison sont de cèdre, nos lambris de cyprès. --

Cantique 2, 1 Je suis le narcisse de Saron, le lis des vallées. --

Cantique 2, 2 Comme le lis entre les chardons, telle ma bien-aimée entre les jeunes femmes. --

Cantique 2, 3 Comme le pommier parmi les arbres d'un verger, ainsi mon bien-aimé parmi les jeunes hommes. A son ombre désirée je me suis assise, et son fruit est doux à mon palais.

Cantique 2, 4 Il m'a menée au cellier, et la bannière qu'il dresse sur moi, c'est l'amour.

Cantique 2, 5 Soutenez-moi avec des gâteaux de raisin, ranimez-moi avec des pommes, car je suis malade d'amour.

Cantique 2, 6 Son bras gauche est sous ma tête et sa droite m'étreint. --

Cantique 2, 7 Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles, par les biches des champs, n'éveillez pas, ne réveillez pas mon amour, avant l'heure de son bon plaisir.

Cantique 2, 8 J'entends mon bien-aimé. Voici qu'il arrive, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines.

Cantique 2, 9 Mon bien-aimé est semblable à une gazelle, à un jeune faon. Voilà qu'il se tient derrière notre mur. Il guette par la fenêtre, il épie par le treillis.

Cantique 2, 10 Mon bien-aimé élève la voix, il me dit: "Lève-toi, ma bien-aimée, ma belle, viens.

Cantique 2, 11 Car voilà l'hiver passé, c'en est fini des pluies, elles ont disparu.

Cantique 2, 12 Sur notre terre les fleurs se montrent. La saison vient des gais refrains, le roucoulement de la tourterelle se fait entendre sur notre terre.

Cantique 2, 13 Le figuier forme ses premiers fruits et les vignes en fleur exhalent leur parfum. Lève-toi, ma bien-aimée, ma belle, viens!

Cantique 2, 14 Ma colombe, cachée au creux des rochers, en des retraites escarpées, montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix; car ta voix est douce et charmant ton visage."

Cantique 2, 15 Attrapez-nous les renards, les petits renards ravageurs de vignes, car nos vignes sont en fleur.

Cantique 2, 16 Mon bien-aimé est à moi, et moi à lui. Il paît son troupeau parmi les lis.

Cantique 2, 17 Avant que souffle la brise du jour et que s'enfuient les ombres, reviens! Sois semblable, mon bien-aimé, à une gazelle, à un jeune faon, sur les montagnes de Bétèr.

Cantique 3, 1 Sur ma couche, la nuit, j'ai cherché celui que mon coeur aime. Je l'ai cherché, mais ne l'ai point trouvé!

Cantique 3, 2 Je me lèverai donc, et parcourrai la ville. Dans les rues et sur les places, je chercherai celui que mon coeur aime. Je l'ai cherché, mais ne l'ai point trouvé!

Cantique 3, 3 Les gardes m'ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville: "Avez-vous vu celui que mon coeur aime?"

Cantique 3, 4 A peine les avais-je dépassés, j'ai trouvé celui que mon coeur aime. Je l'ai saisi et ne le lâcherai point que je ne l'aie fait entrer dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m'a conçue.

Cantique 3, 5 Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles, par les biches des champs, n'éveillez pas, ne réveillez pas mon amour, avant l'heure de son bon plaisir.

Cantique 3, 6 Qu'est-ce là qui monte du désert, comme une colonne de fumée, vapeur de myrrhe et d'encens et de tous parfums exotiques?

Cantique 3, 7 Voici la litière de Salomon. 60 preux l'entourent, élite des preux d'Israël:

Cantique 3, 8 tous experts à manier l'épée, vétérans des combats. Chacun a la glaive au côté, craignant les surprises de la nuit.

Cantique 3, 9 Le roi Salomon s'est fait un palanquin en bois du Liban.

Cantique 3, 10 Il en a fait les colonnes d'argent, le baldaquin d'or, le siège de pourpre. Le fond est une marqueterie d'ébène.

Cantique 3, 11 Venez contempler, filles de Sion, le roi Salomon, avec le diadème dont sa mère l'a couronné au jour de ses épousailles, au jour de la joie de son coeur.

Cantique 4, 1 Que tu es belle, ma bien-aimée, que tu es belle! Tes yeux sont des colombes, derrière ton voile, tes cheveux comme un troupeau de chèvres, ondulant sur les pentes du mont Galaad.

Cantique 4, 2 Tes dents, un troupeau de brebis à tondre qui remontent du bain. Chacune a sa jumelle et nulle n'en est privée.

Cantique 4, 3 Tes lèvres, un fil d'écarlate, et tes discours sont ravissants. Tes joues, des moitiés de grenades, derrière ton voile.

Cantique 4, 4 Ton cou, la tour de David, bâtie par assises. Mille rondaches y sont suspendues, tous les boucliers des preux.

Cantique 4, 5 Tes deux seins, deux faons, jumeaux d'une gazelle, qui paissent parmi les lis.

Cantique 4, 6 Avant que souffle la brise du jour et que s'enfuient les ombres, j'irai à la montagne de la myrrhe, à la colline de l'encens.

Cantique 4, 7 Tu es toute belle, ma bien-aimée, et sans tache aucune!

Cantique 4, 8 Viens du Liban, ô fiancée, viens du Liban, fais ton entrée. Abaisse tes regards, des cimes de l'Amana, des cimes du Sanir et de l'Hermon, repaire des lions, montagnes des léopards.

Cantique 4, 9 Tu me fais perdre le sens, ma soeur, ô fiancée, tu me fais perdre le sens par un seul de tes regards, par un anneau de ton collier!

Cantique 4, 10 Que ton amour a de charmes, ma soeur, ô fiancée. Que ton amour est délicieux, plus que le vin! Et l'arôme de tes parfums, plus que tous les baumes!

Cantique 4, 11 Tes lèvres, ô fiancée, distillent le miel vierge. Le miel et le lait sont sous ta langue; et le parfum de tes vêtements est comme le parfum du Liban.

Cantique 4, 12 Elle est un jardin bien clos, ma soeur, ô fiancée; un jardin bien clos, une source scellée.

Cantique 4, 13 Tes jets font un verger de grenadiers, avec les fruits les plus exquis:

Cantique 4, 14 le nard et le safran, le roseau odorant et le cinnamome, avec tous les arbres à encens; la myrrhe et l'aloès, avec les plus fins arômes.

Cantique 4, 15 Source des jardins, puits d'eaux vives, ruissellement du Liban!

Cantique 4, 16 Lève-toi, aquilon, accours, autan! Soufflez sur mon jardin, qu'il distille ses aromates! Que mon bien-aimé entre dans son jardin, et qu'il en goûte les fruits délicieux!

Cantique 5, 1 J'entre dans mon jardin, ma soeur, ô fiancée, je récolte ma myrrhe et mon baume, je mange mon miel et mon rayon, je bois mon vin et mon lait. Mangez, amis, buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés!

Cantique 5, 2 Je dors, mais mon coeur veille. J'entends mon bien-aimé qui frappe. "Ouvre-moi, ma soeur, mon amie, ma colombe, ma parfaite! Car ma tête est couverte de rosée, mes boucles, des gouttes de la nuit" --

Cantique 5, 3 "J'ai ôté ma tunique, comment la remettrais-je? J'ai lavé mes pieds, comment les salirais-je?"

Cantique 5, 4 Mon bien-aimé a passé la main par la fente, et pour lui mes entrailles ont frémi.

Cantique 5, 5 Je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé, et de mes mains a dégoutté la myrrhe, de mes doigts la myrrhe vierge, sur la poignée du verrou.

Cantique 5, 6 J'ai ouvert à mon bien-aimé, mais tournant le dos, il avait disparu! Sa fuite m'a fait rendre l'âme. Je l'ai cherché, mais ne l'ai point trouvé, je l'ai appelé, mais il n'a pas répondu!

Cantique 5, 7 Les gardes m'ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville. Ils m'ont frappée, ils m'ont blessée, ils m'ont enlevé mon manteau, ceux qui gardent les remparts.

Cantique 5, 8 Je vous en conjure, filles de Jérusalem, si vous trouvez mon bien-aimé, que lui déclarerez-vous? Que je suis malade d'amour.

Cantique 5, 9 Qu'a donc ton bien-aimé de plus que les autres, ô la plus belle des femmes? Qu'a donc ton bien-aimé de plus que les autres, pour que tu nous conjures de la sorte?

Cantique 5, 10 Mon bien-aimé est frais et vermeil. Il se reconnaît entre 10.000.

Cantique 5, 11 Sa tête est d'or, et d'un or pur; ses boucles sont des palmes, noires comme le corbeau.

Cantique 5, 12 Ses yeux sont des colombes, au bord des cours d'eau se baignant dans le lait, posées au bord d'une vasque.

Cantique 5, 13 Ses joues sont comme des parterres d'aromates, des massifs parfumés. Ses lèvres sont des lis; elles distillent la myrrhe vierge.

Cantique 5, 14 Ses mains sont des globes d'or, garnis de pierres de Tarsis. Son ventre est une masse d'ivoire, couverte de saphirs.

Cantique 5, 15 Ses jambes sont des colonnes d'albâtre, posées sur des bases d'or pur. Son aspect est celui du Liban, sans rival comme les cèdres.

Cantique 5, 16 Ses discours sont la suavité même, et tout en lui n'est que charme. Tel est mon bien-aimé, tel est mon époux, filles de Jérusalem.

Cantique 6, 1 Où est parti ton bien-aimé, ô la plus belle des femmes? Où s'est tourné ton bien-aimé, que nous le cherchions avec toi?

Cantique 6, 2 Mon bien-aimé est descendu à son jardin, aux parterres embaumés, pour paître son troupeau dans les jardins, et pour cueillir des lis.

Cantique 6, 3 Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi! Il paît son troupeau parmi les lis.

Cantique 6, 4 Tu es belle, mon amie, comme Tirça, charmante comme Jérusalem, redoutable comme des bataillons.

Cantique 6, 5 Détourne de moi tes regards, car ils m'assaillent! Tes cheveux sont un troupeau de chèvres, ondulant sur les pentes du Galaad.

Cantique 6, 6 Tes dents sont un troupeau de brebis, qui remontent du bain. Chacune a sa jumelle et nulle n'en est privée.

Cantique 6, 7 Tes joues sont des moitiés de grenade derrière ton voile.

Cantique 6, 8 Il y a 60 reines et 80 concubines! (et des jeunes filles sans nombre.)

Cantique 6, 9 Unique est ma colombe, ma parfaite. Elle est l'unique de sa mère, la préférée de celle qui l'enfanta. Les jeunes femmes l'ont vue et glorifiée, reines et concubines l'ont célébrée:

Cantique 6, 10 "Qui est celle-ci qui surgit comme l'aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, redoutable comme des bataillons?"

Cantique 6, 11 Au jardin des noyers je suis descendu, pour voir les jeunes pousses de la vallée, pour voir si la vigne bourgeonne, si les grenadiers fleurissent.

Cantique 6, 12 Je ne sais, mais mon désir m'a jeté sur les chars d'Amminadîb!

Cantique 7, 1 Reviens, reviens, Sulamite; reviens, reviens, que nous te regardions! Pourquoi regardez-vous la Sulamite, dansant comme en un double choeur?

Cantique 7, 2 Que tes pieds sont beaux dans tes sandales, fille de prince! La courbe de tes flancs est comme un collier, oeuvre des mains d'un artiste.

Cantique 7, 3 Ton nombril forme une coupe, que les vins n'y manquent pas! Ton ventre, un monceau de froment, de lis environné.

Cantique 7, 4 Tes deux seins ressemblent à deux faons, jumeaux d'une gazelle.

Cantique 7, 5 Ton cou, une tour d'ivoire. Tes yeux, les piscines de Heshbôn, près de la porte de Bat-Rabbim. Ton nez, la tour du Liban, sentinelle tournée vers Damas.

Cantique 7, 6 Ton chef se dresse, semblable au Carmel, et ses nattes sont comme la pourpre; un roi est pris à tes boucles.

Cantique 7, 7 Que tu es belle, que tu es charmante, ô amour, ô délices!

Cantique 7, 8 Dans ton élan tu ressembles au palmier, tes seins en sont les grappes.

Cantique 7, 9 J'ai dit: Je monterai au palmier, j'en saisirai les régimes. Tes seins, qu'ils soient des grappes de raisin, le parfum de ton souffle, celui des pommes;

Cantique 7, 10 tes discours, un vin exquis! Il va droit à mon bien-aimé, comme il coule sur les lèvres de ceux qui sommeillent.

Cantique 7, 11 Je suis à mon bien-aimé, et vers moi se porte son désir.

Cantique 7, 12 Viens, mon bien-aimé, allons aux champs! Nous passerons la nuit dans les villages,

Cantique 7, 13 dès le matin nous irons aux vignobles. Nous verrons si la vigne bourgeonne, si ses pampres fleurissent, si les grenadiers sont en fleur. Alors je te ferai le don de mes amours.

Cantique 7, 14 Les mandragores exhalent leur parfum, à nos portes sont tous les meilleurs fruits. Les nouveaux comme les anciens, je les ai réservés pour toi, mon bien-aimé.

Cantique 8, 1 Ah! que ne m'es-tu un frère, allaité au sein de ma mère! Te rencontrant dehors, je pourrais t'embrasser, sans que les gens me méprisent.

Cantique 8, 2 Je te conduirais, je t'introduirais dans la maison de ma mère, tu m'enseignerais! Je te ferais boire un vin parfumé, ma liqueur de grenades.

Cantique 8, 3 Son bras gauche est sous ma tête, et sa droite m'étreint.

Cantique 8, 4 Je vous en conjure, filles de Jérusalem, n'éveillez pas, ne réveillez pas mon amour, avant l'heure de son bon plaisir.

Cantique 8, 5 Qui est celle-ci qui monte du désert, appuyée sur son bien-aimé? Sous le pommier je t'ai réveillée, là même où ta mère te conçut, là où conçut celle qui t'a enfantée.

Cantique 8, 6 Pose-moi comme un sceau sur ton coeur, comme un sceau sur ton bras. Car l'amour est fort comme la Mort, la passion inflexible comme le Shéol. Ses traits sont des traits de feu, une flamme de Yahvé.

Cantique 8, 7 Les grandes eaux ne pourront éteindre l'amour, ni les fleuves le submerger. Qui offrirait toutes les richesses de ma maison pour acheter l'amour, ne recueillerait que mépris.

Cantique 8, 8 Notre soeur est petite: elle n'a pas encore les seins formés. Que ferons-nous à notre soeur, le jour où il sera question d'elle? --

Cantique 8, 9 Si elle est un rempart, nous élèverons au faîte un couronnement d'argent; si elle est une porte, nous dresserons contre elle des ais de cèdre. --

Cantique 8, 10 Je suis un mur, et mes seins en figurent les tours. Aussi ai-je à leurs yeux trouvé la paix.

Cantique 8, 11 Salomon avait une vigne à Baal-Hamôn. Il la confia à des gardiens, et chacun devait lui remettre le prix de son fruit: mille sicles d'argent.

Cantique 8, 12 Ma vigne à moi, je l'ai sous mes yeux: à toi Salomon les mille sicles, et 200 aux gardiens de son fruit.

Cantique 8, 13 Toi qui habites les jardins, mes compagnons prêtent l'oreille à ta voix: daigne me la faire entendre!

Cantique 8, 14 Fuis, mon bien-aimé, Sois semblable à une gazelle, à un jeune faon, sur les montagnes embaumées!

 

 

Sagesse

 

1, 1 Aimez la justice, vous qui jugez la terre, ayez sur le Seigneur de droites pensées et cherchez-le en simplicité de coeur,

Sagesse 1, 2 parce qu'il se laisse trouver par ceux qui ne le tentent pas, il se révèle à ceux qui ne lui refusent pas leur foi.

Sagesse 1, 3 Car les pensées tortueuses éloignent de Dieu, et, mise à l'épreuve, la Puissance confond les insensés.

Sagesse 1, 4 Non, la Sagesse n'entre pas dans une âme malfaisante, elle n'habite pas dans un corps tributaire du péché.

Sagesse 1, 5 Car l'esprit saint, l'éducateur, fuit la fourberie, il se retire devant des pensées sans intelligence, il s'offusque quand survient l'injustice.

Sagesse 1, 6 La Sagesse est un esprit ami des hommes, mais elle ne laisse pas impuni le blasphémateur pour ses propos; car Dieu est le témoin de ses reins, le surveillant véridique de son coeur, et ce que dit sa langue, il l'entend.

Sagesse 1, 7 L'esprit du Seigneur en effet remplit le monde, et lui, qui tient unies toutes choses, a connaissance de chaque mot.

Sagesse 1, 8 Nul ne saurait donc se dérober, qui profère des méchancetés, la Justice vengeresse ne le laissera pas échapper.

Sagesse 1, 9 Sur les desseins de l'impie il sera fait enquête, le bruit de ses paroles ira jusqu'au Seigneur, pour que soient châtiés ses forfaits.

Sagesse 1, 10 Une oreille jalouse écoute tout, la rumeur même des murmures ne lui échappe pas.

Sagesse 1, 11 Gardez-vous donc des vains murmures, épargnez à votre langue les mauvais propos; car un mot furtif ne demeure pas sans effet, une bouche mensongère donne la mort à l'âme.

Sagesse 1, 12 Ne recherchez pas la mort par les égarements de votre vie et n'attirez pas sur vous la ruine par les oeuvres de vos mains.

Sagesse 1, 13 Car Dieu n'a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants.

Sagesse 1, 14 Il a tout créé pour l'être; les créatures du monde sont salutaires, en elles il n'est aucun poison de mort, et l'Hadès ne règne pas sur la terre;

Sagesse 1, 15 car la justice est immortelle.

Sagesse 1, 16 Mais les impies appellent la mort du geste et de la voix; la tenant pour amie, pour elle ils se consument, avec elle ils font un pacte, dignes qu'ils sont de lui appartenir.

Sagesse 2, 1 Car ils disent entre eux, dans leurs faux calculs: "Courte et triste est notre vie; il n'y a pas de remède lors de la fin de l'homme et on ne connaît personne qui soit revenu de l'Hadès.

Sagesse 2, 2 Nous sommes nés du hasard, après quoi nous serons comme si nous n'avions pas existé. C'est une fumée que le souffle de nos narines, et la pensée, une étincelle qui jaillit au battement de notre coeur;

Sagesse 2, 3 qu'elle s'éteigne, le corps s'en ira en cendre et l'esprit se dispersera comme l'air inconsistant.

Sagesse 2, 4 Avec le temps, notre nom tombera dans l'oubli, nul ne se souviendra de nos oeuvres; notre vie passera comme les traces d'un nuage, elle se dissipera comme un brouillard que chassent les rayons du soleil et qu'abat sa chaleur.

Sagesse 2, 5 Oui, nos jours sont le passage d'une ombre, notre fin est sans retour, le sceau est apposé et nul ne revient.

Sagesse 2, 6 Venez donc et jouissons des biens présents, usons des créatures avec l'ardeur de la jeunesse.

Sagesse 2, 7 Enivrons-nous de vins de prix et de parfums, ne laissons point passer la fleur du printemps,

Sagesse 2, 8 couronnons-nous de boutons de roses, avant qu'ils ne se fanent,

Sagesse 2, 9 qu'aucune prairie ne soit exclue de notre orgie, laissons partout des signes de notre liesse, car telle est notre part, tel est notre lot!

Sagesse 2, 10 Opprimons le juste qui est pauvre, n'épargnons pas la veuve, soyons sans égards pour les cheveux blancs chargés d'années du vieillards.

Sagesse 2, 11 Que notre force soit la loi de la justice, car ce qui est faible s'avère inutile.

Sagesse 2, 12 Tendons des pièges au juste, puisqu'il nous gêne et qu'il s'oppose à notre conduite, nous reproche nos fautes contre la Loi et nous accuse de fautes contre notre éducation.

Sagesse 2, 13 Il se flatte d'avoir la connaissance de Dieu et se nomme enfant du Seigneur.

Sagesse 2, 14 Il est devenu un blâme pour nos pensées, sa vue même nous est à charge;

Sagesse 2, 15 car son genre de vie ne ressemble pas aux autres, et ses sentiers sont tout différents.

Sagesse 2, 16 Il nous tient pour chose frelatée et s'écarte de nos chemins comme d'impuretés. Il proclame heureux le sort final des justes et il se vante d'avoir Dieu pour père.

Sagesse 2, 17 Voyons si ses dires sont vrais, expérimentons ce qu'il en sera de sa fin.

Sagesse 2, 18 Car si le juste est fils de Dieu, Il l'assistera et le délivrera des mains de ses adversaires.

Sagesse 2, 19 Eprouvons-le par l'outrage et la torture afin de connaître sa douceur et de mettre à l'épreuve sa résignation.

Sagesse 2, 20 Condamnons-le à une mort honteuse, puisque, d'après ses dires, il sera visité."

Sagesse 2, 21 Ainsi raisonnent-ils, mais ils s'égarent, car leur malice les aveugle.

Sagesse 2, 22 Ils ignorent les secrets de Dieu, ils n'espèrent pas de rémunération pour la sainteté, ils ne croient pas à la récompense des âmes pures.

Sagesse 2, 23 Oui, Dieu a créé l'homme pour l'incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature;

Sagesse 2, 24 c'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde: ils en font l'expérience, ceux qui lui appartiennent!

Sagesse 3, 1 Les âmes des justes sont dans la main de Dieu. Et nul tourment ne les atteindra.

Sagesse 3, 2 Aux yeux des insensés ils ont paru mourir, leur départ a été tenu pour un malheur

Sagesse 3, 3 et leur voyage loin de nous pour un anéantissement, mais eux sont en paix.

Sagesse 3, 4 S'ils ont, aux yeux des hommes, subi des châtiments, leur espérance était pleine d'immortalité;

Sagesse 3, 5 pour une légère correction ils recevront de grands bienfaits. Dieu en effet les a mis à l'épreuve et il les a trouvés dignes de lui;

Sagesse 3, 6 comme l'or au creuset, il les a éprouvés, comme un parfait holocauste, il les a agréés.

Sagesse 3, 7 Au temps de leur visite, ils resplendiront, et comme des étincelles à travers le chaume ils courront.

Sagesse 3, 8 Ils jugeront les nations et domineront sur les peuples, et le Seigneur régnera sur eux à jamais.

Sagesse 3, 9 Ceux qui mettent en lui leur confiance comprendront la vérité et ceux qui sont fidèles demeureront auprès de lui dans l'amour, car la grâce et la miséricorde sont pour ses saints et sa visite est pour ses élus.

Sagesse 3, 10 Mais les impies auront un châtiment conforme à leurs pensées, eux qui ont négligé le juste et se sont écartés du Seigneur.

Sagesse 3, 11 Car malheur à qui méprise sagesse et discipline: vaine est leur espérance, sans utilité leurs fatigues, sans profit leurs oeuvres;

Sagesse 3, 12 leurs femmes sont insensées, pervers leurs enfants, maudite leur postérité!

Sagesse 3, 13 Heureuse la femme stérile qui est sans tache, celle qui n'a pas connu d'union coupable; car elle aura du fruit à la visite des âmes.

Sagesse 3, 14 Heureux encore l'eunuque dont la main ne commet pas de forfait et qui ne nourrit pas de pensées perverses contre le Seigneur: il lui sera donné pour sa fidélité une grâce de choix, un lot très délicieux dans le Temple du Seigneur.

Sagesse 3, 15 Car le fruit de labeurs honnêtes est plein de gloire, impérissable est la racine de l'intelligence.

Sagesse 3, 16 Mais les enfants d'adultères n'atteindront pas leur maturité, la postérité issue d'une union illégitime disparaîtra.

Sagesse 3, 17 Même si leur vie se prolonge, ils seront comptés pour rien et, à la fin, leur vieillesse sera sans honneur,

Sagesse 3, 18 s'ils meurent tôt, ils n'auront pas d'espérance ni de consolation au jour de la Décision,

Sagesse 3, 19 car la fin d'une race injuste est cruelle!

Sagesse 4, 1 Mieux vaut ne pas avoir d'enfants et posséder la vertu, car l'immortalité s'attache à sa mémoire, elle est en effet connue de Dieu et des hommes.

Sagesse 4, 2 Présente, on l'imite, absente, on la regrette; dans l'éternité, ceinte de la couronne, elle triomphe, pour avoir vaincu dans une lutte dont les prix sont sans tache.

Sagesse 4, 3 Mais la nombreuse postérité des impies ne profitera pas; issue de rejetons bâtards, elle ne poussera pas de racines profondes, elle n'établira pas de base solide.

Sagesse 4, 4 Même si pour un temps elle monte en branches, mal affermie, elle sera ébranlée par le vent, déracinée par la violence des vents;

Sagesse 4, 5 ses rameaux seront brisés avant d'être formés, leur fruit sera sans profit, n'étant pas mûr pour être mangé, impropre à tout usage.

Sagesse 4, 6 Car les enfants nés de sommeils coupables témoignent, lors de leur examen, de la perversité des parents.

Sagesse 4, 7 Le juste, même s'il meurt avant l'âge, trouve le repos.

Sagesse 4, 8 La vieillesse honorable n'est pas celle que donnent de longs jours, elle ne se mesure pas au nombre des années;

Sagesse 4, 9 c'est cheveux blancs pour les hommes que l'intelligence, c'est un âge avancé qu'une vie sans tache.

Sagesse 4, 10 Devenu agréable à Dieu, il a été aimé, et, comme il vivait parmi des pécheurs, il a été transféré.

Sagesse 4, 11 Il a été enlevé, de peur que la malice n'altère son jugement ou que la fourberie ne séduise son âme;

Sagesse 4, 12 car la fascination du mal obscurcit le bien et le tourbillon de la convoitise gâte un esprit sans malice.

Sagesse 4, 13 Devenu parfait en peu de temps, il a fourni une longue carrière.

Sagesse 4, 14 Son âme était agréable au Seigneur, aussi est-il sorti en hâte du milieu de la perversité. Les foules voient cela sans comprendre, et il ne leur vient pas à la pensée

Sagesse 4, 15 que la grâce et la miséricorde sont pour ses élus et sa visite pour ses saints.

Sagesse 4, 16 Le juste qui meurt condamne les impies qui vivent, et la jeunesse vite consommée, la longue vieillesse de l'injuste.

Sagesse 4, 17 Ils voient la fin du sage, sans comprendre les desseins du Seigneur sur lui, ni pourquoi il l'a mis en sûreté;

Sagesse 4, 18 ils voient et méprisent, mais le Seigneur se rira d'eux.

Sagesse 4, 19 Après cela ils deviendront un cadavre méprisé, un objet d'outrage parmi les morts à jamais. Car il les brisera, précipités, muets, la tête la première. Il les ébranlera de leurs fondements, ils seront complètement dévastés, en proie à la douleur, et leur mémoire périra.

Sagesse 4, 20 Et quand s'établira le compte de leurs péchés, ils viendront pleins d'effroi; et leurs forfaits les accuseront en face.

Sagesse 5, 1 Alors le juste se tiendra debout, plein d'assurance, en présence de ceux qui l'opprimèrent, et qui, pour ses labeurs, n'avaient que mépris.

Sagesse 5, 2 A sa vue, ils seront troublés par une peur terrible, stupéfaits de le voir sauvé contre toute attente.

Sagesse 5, 3 Ils se diront entre eux, saisis de regrets et gémissant, le souffle oppressé:

Sagesse 5, 4 "Le voilà, celui que nous avons jadis tourné en dérision et dont nous avons fait un objet d'outrage, nous, insensés! Nous avons tenu sa vie pour folie, et sa fin pour infâme.

Sagesse 5, 5 Comment donc a-t-il été compté parmi les fils de Dieu? Comment a-t-il son lot parmi les saints?

Sagesse 5, 6 Oui, nous avons erré hors du chemin de la vérité; la lumière de la justice n'a pas brillé pour nous, le soleil ne s'est pas levé pour nous.

Sagesse 5, 7 Nous nous sommes rassasiés dans les sentiers de l'iniquité et de la perdition, nous avons traversé des déserts sans chemins, et la voie du Seigneur, nous ne l'avons pas connue!

Sagesse 5, 8 A quoi nous a servi l'orgueil? Que nous ont valu richesse et jactance?

Sagesse 5, 9 Tout cela a passé comme une ombre, comme une nouvelle fugitive.

Sagesse 5, 10 Tel un navire qui parcourt l'onde agitée, sans qu'on puisse découvrir la trace de son passage ni le sillage de sa carène dans les flots;

Sagesse 5, 11 tel encore un oiseau qui vole à travers les airs, sans que de son trajet on découvre un vestige; il frappe l'air léger, le fouette de ses plumes, il le fend en un violent sifflement, s'y fraie une route en remuant les ailes, et puis, de son passage on ne trouve aucun signe;

Sagesse 5, 12 telle encore une flèche lancée vers le but; l'air déchiré revient aussitôt sur lui-même, si bien qu'on ignore le chemin qu'elle a pris.

Sagesse 5, 13 Ainsi de nous: à peine nés, nous avons disparu, et nous n'avons à montrer aucune trace de vertu; dans notre malice nous nous sommes consumés!"

Sagesse 5, 14 Oui, l'espoir de l'impie est comme la bale emportée par le vent, comme l'écume légère chassée par la tempête; il se dissipe comme fumée au vent, il passe comme le souvenir de l'hôte d'un jour.

Sagesse 5, 15 Mais les justes vivent à jamais, leur récompense est auprès du Seigneur, et le Très-Haut a souci d'eux.

Sagesse 5, 16 Aussi recevront-ils la couronne royale magnifique et le diadème de beauté, de la main du Seigneur; car de sa droite il les protégera, et de son bras, comme d'un bouclier, il les couvrira.

Sagesse 5, 17 Pour armure, il prendra son ardeur jalouse, il armera la création pour repousser ses ennemis;

Sagesse 5, 18 pour cuirasse il revêtira la justice, il mettra pour casque un jugement sans feinte,

Sagesse 5, 19 il prendra pour bouclier la sainteté invincible;

Sagesse 5, 20 de sa colère inexorable il fera une épée tranchante, et l'univers ira au combat avec lui contre les insensés.

Sagesse 5, 21 Traits bien dirigés, les éclairs jailliront, et des nuages, comme d'un arc bien bandé, voleront vers le but;

Sagesse 5, 22 une baliste lancera des grêlons chargés de courroux, les flots de la mer contre eux feront rage, les fleuves les submergeront sans merci,

Sagesse 5, 23 un souffle puissant se lèvera contre eux et les vannera comme un ouragan. Ainsi l'iniquité dévastera la terre entière et la malfaisance renversera des trônes de puissants.

Sagesse 6, 1 Ecoutez donc, rois, et comprenez! Instruisez-vous, juges des confins de la terre!

Sagesse 6, 2 Prêtez l'oreille, vous qui dominez sur la multitude, qui vous enorgueillissez de foules de nations!

Sagesse 6, 3 Car c'est le Seigneur qui vous a donné la domination et le Très-Haut le pouvoir, c'est lui qui examinera vos oeuvres et scrutera vos desseins.

Sagesse 6, 4 Si donc, étant serviteurs de son royaume, vous n'avez pas jugé droitement, ni observé la loi, ni suivi la volonté de Dieu,

Sagesse 6, 5 il fondra sur vous d'une manière terrifiante et rapide. Un jugement inexorable s'exerce en effet sur les gens haut placés;

Sagesse 6, 6 au petit, par pitié, on pardonne, mais les puissants seront examinés puissamment.

Sagesse 6, 7 Car le Maître de tous ne recule devant personne, la grandeur ne lui en impose pas; petits et grands, c'est lui qui les a faits et de tous il prend un soin pareil,

Sagesse 6, 8 mais une enquête sévère attend les forts.

Sagesse 6, 9 C'est donc à vous, souverains, que s'adressent mes paroles, pour que vous appreniez la sagesse et évitiez les fautes;

Sagesse 6, 10 car ceux qui observent saintement les choses saintes seront reconnus saints, et ceux qui s'en laissent instruire y trouveront leur défense.

Sagesse 6, 11 Désirez donc mes paroles, aspirez à elles et vous serez instruits.

Sagesse 6, 12 La Sagesse est brillante, elle ne se flétrit pas. Elle se laisse facilement contempler par ceux qui l'aiment, elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent.

Sagesse 6, 13 Elle prévient ceux qui la désirent en se faisant connaître la première.

Sagesse 6, 14 Qui se lève tôt pour la chercher n'aura pas à peiner: il la trouvera assise à sa porte.

Sagesse 6, 15 Méditer sur elle est en effet la perfection de l'intelligence, et qui veille à cause d'elle sera vite exempt de soucis.

Sagesse 6, 16 Car ceux qui sont dignes d'elle, elle-même va partout les chercher et sur les sentiers elle leur apparaît avec bienveillance, à chaque pensée elle va au-devant d'eux.

Sagesse 6, 17 Car son commencement, c'est le désir très vrai de l'instruction, le souci de l'instruction, c'est l'amour,

Sagesse 6, 18 l'amour, c'est l'observation de ses lois, l'attention aux lois, c'est la garantie de l'incorruptibilité,

Sagesse 6, 19 et l'incorruptibilité fait qu'on est près de Dieu;

Sagesse 6, 20 ainsi le désir de la Sagesse conduit à la royauté.

Sagesse 6, 21 Si donc trônes et sceptres vous plaisent, souverains des peuples, honorez la Sagesse, afin de régner à jamais.

Sagesse 6, 22 Ce qu'est la Sagesse et comment elle est née, je vais l'exposer; je ne vous cacherai pas les mystères, mais je suivrai ses traces depuis le début de son origine, je mettrai sa connaissance en pleine lumière, sans m'écarter de la vérité.

Sagesse 6, 23 Oh! je ne ferai pas route avec l'envie desséchante: elle n'a rien de commun avec la Sagesse.

Sagesse 6, 24 Une multitude de sages est le salut du monde, un roi sensé fait la stabilité du peuple.

Sagesse 6, 25 Laissez-vous donc instruire par mes paroles: vous y trouverez profit.

Sagesse 7, 1 Je suis, moi aussi, un homme mortel, pareil à tous, un descendant du premier être formé de la terre. J'ai été modelé en chair dans le ventre d'une mère,

Sagesse 7, 2 où, pendant dix mois, dans le sang j'ai pris consistance, à partir d'une semence d'homme et du plaisir, compagnon du sommeil.

Sagesse 7, 3 A ma naissance, moi aussi j'ai aspiré l'air commun, je suis tombé sur la terre qui nous reçoit tous pareillement, et des pleurs, comme pour tous, furent mon premier cri.

Sagesse 7, 4 J'ai été élevé dans les langes et parmi les soucis.

Sagesse 7, 5 Aucun roi ne connut d'autre début d'existence:

Sagesse 7, 6 même façon pour tous d'entrer dans la vie et pareille façon d'en sortir.

Sagesse 7, 7 C'est pourquoi j'ai prié, et l'intelligence m'a été donnée, j'ai invoqué, et l'esprit de Sagesse m'est venu.

Sagesse 7, 8 Je l'ai préférée aux sceptres et aux trônes et j'ai tenu pour rien la richesse en comparaison d'elle.

Sagesse 7, 9 Je ne lui ai pas égalé la pierre la plus précieuse; car tout l'or, au regard d'elle, n'est qu'un peu de sable, à côté d'elle, l'argent compte pour de la boue.

Sagesse 7, 10 Plus que santé et beauté je l'ai aimée et j'ai préféré l'avoir plutôt que la lumière, car son éclat ne connaît point de repos.

Sagesse 7, 11 Mais avec elle me sont venus tous les biens et, par ses mains, une incalculable richesse.

Sagesse 7, 12 De tous ces biens je me suis réjoui, parce que c'est la Sagesse qui les amène; j'ignorais pourtant qu'elle en fût la mère.

Sagesse 7, 13 Ce que j'ai appris sans faute, je le communiquerai sans envie, je ne cacherai pas sa richesse.

Sagesse 7, 14 Car elle est pour les hommes un trésor inépuisable, ceux qui l'acquièrent s'attirent l'amitié de Dieu, recommandés par les dons qui viennent de l'instruction.

Sagesse 7, 15 Que Dieu me donne d'en parler à son gré et de concevoir des pensées dignes des dons reçus, parce qu'il est lui-même et le guide de la Sagesse et le directeur des sages;

Sagesse 7, 16 nous sommes en effet dans sa main, et nous et nos paroles, et toute intelligence et tout savoir pratique.

Sagesse 7, 17 C'est lui qui m'a donné une connaissance infaillible des êtres, pour connaître la structure du monde et l'activité des éléments,

Sagesse 7, 18 le commencement, la fin et le milieu des temps, les alternances des solstices et les changements des saisons,

Sagesse 7, 19 les cycles de l'année et les positions des astres,

Sagesse 7, 20 la nature des animaux et les instincts des bêtes sauvages, le pouvoir des esprits et les pensées des hommes, les variétés de plantes et les vertus des racines.

Sagesse 7, 21 Tout ce qui est caché et visible, je l'ai connu; car c'est l'ouvrière de toutes choses qui m'a instruit, la Sagesse!

Sagesse 7, 22 En elle est, en effet, un esprit intelligent, saint, unique, multiple, subtil, mobile, pénétrant, sans souillure, clair, impassible, ami du bien, prompt,

Sagesse 7, 23 irrésistible, bienfaisant, ami des hommes, ferme, sûr, sans souci, qui peut tout, surveille tout, pénètre à travers tous les esprits, les intelligents, les purs, les plus subtils.

Sagesse 7, 24 Car plus que tout mouvement la Sagesse est mobile; elle traverse et pénètre tout à cause de sa pureté.

Sagesse 7, 25 Elle est en effet un effluve de la puissance de Dieu, une émanation toute pure de la gloire du Tout-Puissant; aussi rien de souillé ne s'introduit en elle.

Sagesse 7, 26 Car elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tache de l'activité de Dieu, une image de sa bonté.

Sagesse 7, 27 Bien qu'étant seule, elle peut tout, demeurant en elle-même, elle renouvelle l'univers et, d'âge en âge passant en des âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes;

Sagesse 7, 28 car Dieu n'aime que celui qui habite avec la Sagesse.

Sagesse 7, 29 Elle est, en effet, plus belle que le soleil, elle surpasse toutes les constellations, comparée à la lumière, elle l'emporte;

Sagesse 7, 30 car celle-ci fait place à la nuit, mais contre la Sagesse le mal ne prévaut pas.

Sagesse 8, 1 Elle s'étend avec force d'un bout du monde à l'autre et elle gouverne l'univers pour son bien[4477].

Sagesse 8, 2 C'est elle que j'ai chérie et recherchée dès ma jeunesse; j'ai cherché à la prendre pour épouse et je suis devenu amoureux de sa beauté.

Sagesse 8, 3 Elle fait éclater sa noble origine en vivant avec Dieu, car le maître de tout l'a aimée.

Sagesse 8, 4 Elle est, de fait, initiée à la science de Dieu et c'est elle qui choisit ses oeuvres.

Sagesse 8, 5 Si, dans la vie, la richesse est un bien désirable, quoi de plus riche que la Sagesse, qui opère tout?

Sagesse 8, 6 Et si c'est l'intelligence qui opère, qui est plus qu'elle l'ouvrière de ce qui est?

Sagesse 8, 7 Aime-t-on la justice? Ses labeurs, ce sont les vertus, elle enseigne, en effet, tempérance et prudence, justice et force; ce qu'il y a de plus utile pour les hommes dans la vie.

Sagesse 8, 8 Désire-t-on encore un savoir étendu? Elle connaît le passé et conjecture l'avenir, elle sait l'art de tourner les maximes et de résoudre les énigmes, les signes et les prodiges, elle les sait d'avance, ainsi que la succession des époques et des temps.

Sagesse 8, 9 Je décidai donc de la prendre pour compagne de ma vie, sachant qu'elle me serait une conseillère pour le bien, et un encouragement dans les soucis et la tristesse:

Sagesse 8, 10 "J'aurai à cause d'elle gloire parmi les foules et, bien que jeune, honneur auprès des vieillards.

Sagesse 8, 11 On me trouvera pénétrant dans le jugement et en présence des grands je serai admiré.

Sagesse 8, 12 Si je me tais, ils m'attendront, si je parle, ils seront attentifs, si je prolonge mon discours, ils mettront la main sur leur bouche.

Sagesse 8, 13 J'aurai à cause d'elle l'immortalité et je laisserai un souvenir éternel à ceux qui viendront après moi.

Sagesse 8, 14 Je gouvernerai des peuples, et des nations me seront soumises.

Sagesse 8, 15 En entendant parler de moi, des souverains terribles auront peur; je me montrerai bon avec la multitude et vaillant à la guerre.

Sagesse 8, 16 Rentré dans ma maison, je me reposerai auprès d'elle; car sa société ne cause pas d'amertume, ni son commerce de peine, mais du plaisir et de la joie."

Sagesse 8, 17 Ayant médité cela en moi-même, et considéré en mon coeur que l'immortalité se trouve dans la parenté avec la Sagesse,

Sagesse 8, 18 dans son amitié une noble jouissance, dans les travaux de ses mains une richesse inépuisable, dans sa fréquentation assidue l'intelligence, et la renommée à s'entretenir avec elle, j'allais de tous côtés, cherchant comment l'obtenir pour moi.

Sagesse 8, 19 J'étais un enfant d'un heureux naturel, et j'avais reçu en partage une âme bonne,

Sagesse 8, 20 ou plutôt, étant bon, j'étais venu dans un corps sans souillure;

Sagesse 8, 21 mais, comprenant que je ne pourrais devenir possesseur de la Sagesse que si Dieu me la donnait, -- et c'était déjà de l'intelligence que de savoir de qui vient cette faveur -- je m'adressai au Seigneur et le priai, et je dis de tout mon coeur:

Sagesse 9, 1 "Dieu des Pères et Seigneur de miséricorde, toi qui, par ta parole, as fait l'univers,

Sagesse 9, 2 toi qui, par ta Sagesse, as formé l'homme pour dominer sur les créatures que tu as faites,

Sagesse 9, 3 pour régir le monde en sainteté et justice et exercer le jugement en droiture d'âme,

Sagesse 9, 4 donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse, et ne me rejette pas du nombre de tes enfants.

Sagesse 9, 5 Car je suis ton serviteur et le fils de ta servante, un homme faible et de vie éphémère, peu apte à comprendre la justice et les lois.

Sagesse 9, 6 Quelqu'un, en effet, serait-il parfait parmi les fils des hommes, s'il lui manque la sagesse qui vient de toi, on le comptera pour rien.

Sagesse 9, 7 C'est toi qui m'as choisi pour roi de ton peuple et pour juge de tes fils et de tes filles.

Sagesse 9, 8 Tu m'as ordonné de bâtir un Temple sur ta montagne sainte, et un autel dans la ville où tu as fixé ta tente, imitation de la Tente sainte que tu as préparée dès l'origine.

Sagesse 9, 9 Avec toi est la Sagesse, qui connaît tes oeuvres et qui était présente quand tu faisais le monde; elle sait ce qui est agréable à tes yeux et ce qui est conforme à tes commandements.

Sagesse 9, 10 Mande-la des cieux saints, de ton trône de gloire envoie-la, pour qu'elle me seconde et peine avec moi, et que je sache ce qui te plaît;

Sagesse 9, 11 car elle sait et comprend tout. Elle me guidera prudemment dans mes actions et me protégera par sa gloire.

Sagesse 9, 12 Alors mes oeuvres seront agréées, je jugerai ton peuple avec justice et je serai digne du trône de mon père.

Sagesse 9, 13 Quel homme en effet peut connaître le dessein de Dieu, et qui peut concevoir ce que veut le Seigneur?

Sagesse 9, 14 Car les pensées des mortels sont timides, et instables nos réflexions;

Sagesse 9, 15 un corps corruptible, en effet, appesantit l'âme, et cette tente d'argile alourdit l'esprit aux multiples soucis.

Sagesse 9, 16 Nous avons peine à conjecturer ce qui est sur la terre, et ce qui est à notre portée nous ne le trouvons qu'avec effort, mais ce qui est dans les cieux, qui l'a découvert?

Sagesse 9, 17 Et ta volonté, qui l'a connue, sans que tu aies donné la Sagesse et envoyé d'en haut ton esprit saint?

Sagesse 9, 18 Ainsi ont été rendus droits les sentiers de ceux qui sont sur la terre, ainsi les hommes ont été instruits de ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés."

Sagesse 10, 1 C'est elle qui protégea le premier modelé, père du monde, qui avait été créé seul, c'est elle qui le tira de sa propre chute

Sagesse 10, 2 et lui donna la force de devenir maître de tout.

Sagesse 10, 3 Mais quand dans sa colère, un injuste se fut écarté d'elle, il périt par ses fureurs fratricides.

Sagesse 10, 4 Lorsqu'à cause de lui la terre fut submergée, c'est la Sagesse encore qui la sauva, en pilotant le juste à l'aide d'un bois sans valeur.

Sagesse 10, 5 Et lorsque, unanimes en leur perversité, les nations eurent été confondues, c'est elle qui reconnut le juste, le conserva sans reproche devant Dieu, et le garda fort contre sa tendresse pour son enfant.

Sagesse 10, 6 C'est elle qui, lors de la destruction des impies, délivra le juste qui fuyait le feu descendant sur la Pentapole.

Sagesse 10, 7 En témoignage de sa perversité, une terre désolée continue de fumer; les arbustes y donnent des fruits qui ne mûrissent pas en leur temps et, mémorial d'une âme incrédule, se dresse une colonne de sel.

Sagesse 10, 8 Car, pour s'être écartés du chemin de la Sagesse, non seulement ils ont subi le dommage de ne pas connaître le bien, mais ils ont encore laissé aux vivants un monument de leur folie, afin que leurs fautes mêmes, ils ne puissent les cacher.

Sagesse 10, 9 Mais la Sagesse a délivré ses fidèles de leurs peines.

Sagesse 10, 10 Ainsi le juste qui fuyait la colère de son frère, elle guida par de droits sentiers; elle lui montra le royaume de Dieu et lui donna la connaissance des choses saintes, elle le fit réussir dans ses durs travaux et fit fructifier ses peines;

Sagesse 10, 11 elle l'assista contre la cupidité de ceux qui l'opprimaient, et elle le rendit riche;

Sagesse 10, 12 elle le garda de ses ennemis et le protégea de ceux qui lui dressaient des embûches; elle lui donna la palme en un rude combat, pour qu'il sût que la piété est plus puissante que tout.

Sagesse 10, 13 C'est elle qui n'abandonna pas le juste vendu, mais elle l'arracha au péché;

Sagesse 10, 14 elle descendit avec lui dans la citerne, elle ne le délaissa pas dans les fers, jusqu'à ce qu'elle lui eût apporté le sceptre royal et l'autorité sur ceux qui le tyrannisaient, jusqu'à ce qu'elle eût convaincu de mensonge ceux qui l'avaient diffamé et qu'elle lui eût donné une gloire éternelle.

Sagesse 10, 15 C'est elle qui délivra un peuple saint et une race irréprochable d'une nation d'oppresseurs.

Sagesse 10, 16 Elle entra dans l'âme d'un serviteur du Seigneur et tint tête à des rois redoutables par des prodiges et des signes.

Sagesse 10, 17 Aux saints elle remit le salaire de leurs peines, elle les guida par un chemin merveilleux, elle devint pour eux un abri pendant le jour, et une lumière d'astres pendant la nuit.

Sagesse 10, 18 Elle leur fit traverser la mer Rouge et les conduisit à travers l'onde immense,

Sagesse 10, 19 tandis qu'elle submergea leurs ennemis, puis les rejeta des profondeurs de l'abîme.

Sagesse 10, 20 Aussi les justes dépouillèrent-ils les impies; ils célébrèrent, Seigneur, ton saint Nom et, d'un coeur unanime, chantèrent ta main secourable;

Sagesse 10, 21 car la Sagesse ouvrit la bouche des muets et elle rendit claire la langue des tout-petits.

Sagesse 11, 1 Elle fit prospérer leurs entreprises par la main d'un saint prophète.

Sagesse 11, 2 Ils traversèrent un désert inhabité et plantèrent leurs tentes en des lieux inaccessibles.

Sagesse 11, 3 Ils tinrent tête à leurs ennemis et repoussèrent leurs adversaires.

Sagesse 11, 4 Dans leur soif, ils t'invoquèrent: de l'eau leur fut donnée d'un rocher escarpé et, d'une pierre dure, un remède à leur soif.

Sagesse 11, 5 Ainsi ce par quoi avaient été châtiés leurs ennemis devint un bienfait pour eux dans leurs difficultés.

Sagesse 11, 6 Tandis que les premiers n'avaient que la source intarissable d'un fleuve que troublait un sang mêlé de boue,

Sagesse 11, 7 en punition d'un décret infanticide. Tu donnas aux tiens, contre tout espoir, une eau abondante,

Sagesse 11, 8 montrant par la soif qu'alors ils ressentirent comment tu avais châtié leurs adversaires.

Sagesse 11, 9 Par leurs épreuves, qui n'étaient pourtant qu'une correction de miséricorde, ils comprirent comment un jugement de colère torturait les impies;

Sagesse 11, 10 car eux, tu les avais éprouvés en père qui avertit, mais ceux-là, tu les avais punis en roi inexorable qui condamne,

Sagesse 11, 11 et de loin comme de près, ils se consumaient pareillement.

Sagesse 11, 12 Car une double tristesse les saisit, et un gémissement, au souvenir du passé;

Sagesse 11, 13 lorsqu'ils apprirent, en effet, que cela même qui les châtiait était un bienfait pour les autres, ils reconnurent le Seigneur,

Sagesse 11, 14 car celui que jadis ils avaient fait exposer, puis repoussé avec dérision, ils l'admirèrent au terme des événements, ayant souffert d'une soif bien différente de celle des justes.

Sagesse 11, 15 Pour leurs sottes et coupables pensées, qui les égaraient en leur faisant rendre un culte à des reptiles sans raison et à de misérables bestioles, tu leur envoyas en punition une multitude d'animaux sans raison;

Sagesse 11, 16 afin qu'ils sachent qu'on est châtié par où l'on pèche.

Sagesse 11, 17 Ta main toute puissante, certes, n'était pas embarrassée, -- elle qui a créé le monde d'une matière informe -- pour envoyer contre eux une multitude d'ours ou de lions intrépides,

Sagesse 11, 18 ou bien des bêtes féroces inconnues, nouvellement créées, pleines de fureur, exhalant un souffle enflammé, émettant une fumée infecte, ou faisant jaillir de leurs yeux de terribles étincelles,

Sagesse 11, 19 des bêtes capables, non seulement de les anéantir par leur malfaisance, mais encore de les faire périr par leur aspect terrifiant.

Sagesse 11, 20 Sans cela même, d'un seul souffle ils pouvaient tomber, poursuivis par la Justice, balayés par le souffle de ta puissance. Mais tu as tout réglé avec mesure, nombre et poids.

Sagesse 11, 21 Car ta grande puissance est toujours à ton service, et qui peut résister à la force de ton bras?

Sagesse 11, 22 Le monde entier est devant toi comme ce qui fait pencher la balance, comme la goutte de rosée matinale qui descend sur la terre.

Sagesse 11, 23 Mais tu as pitié de tous, parce que tu peux tout, tu fermes les yeux sur les péchés des hommes, pour qu'ils se repentent.

Sagesse 11, 24 Tu aimes en effet tout ce qui existe, et tu n'as de dégoût pour rien de ce que tu as fait; car si tu avais haï quelque chose, tu ne l'aurais pas formé.

Sagesse 11, 25 Et comment une chose aurait-elle subsisté, si tu ne l'avais voulue? Ou comment ce que tu n'aurais pas appelé aurait-il été conservé?

Sagesse 11, 26 Mais tu épargnes tout, parce que tout est à toi, Maître ami de la vie!

Sagesse 12, 1 Car ton esprit incorruptible est en toutes choses!

Sagesse 12, 2 Aussi est-ce peu à peu que tu reprends ceux qui tombent; tu les avertis, leur rappelant en quoi ils pèchent, pour que, débarrassés du mal, ils croient en toi, Seigneur.

Sagesse 12, 3 Les anciens habitants de ta terre sainte,

Sagesse 12, 4 tu les avais pris en haine pour leurs détestables pratiques, actes de sorcellerie, rites impies.

Sagesse 12, 5 Ces impitoyables tueurs d'enfants, ces mangeurs d'entrailles en des banquets de chairs humaines et de sang, ces initiés membres de confrérie,

Sagesse 12, 6 ces parents meurtriers d'êtres sans défense, tu avais voulu les faire périr par les mains de nos pères,

Sagesse 12, 7 pour que cette terre, qui de toutes t'est la plus chère, reçût une digne colonie d'enfants de Dieu.

Sagesse 12, 8 Eh bien! même ceux-là, parce que c'étaient des hommes, tu les as ménagés, et tu as envoyé des frelons comme avant-coureurs de ton armée, pour les exterminer petit à petit.

Sagesse 12, 9 Non qu'il te fût impossible de livrer des impies aux mains de justes en une bataille rangée, ou de les anéantir d'un seul coup au moyen de bêtes cruelles ou d'une parole inexorable;

Sagesse 12, 10 mais en exerçant tes jugements peu à peu, tu laissais place au repentir. Tu n'ignorais pourtant pas que leur nature était perverse, leur malice innée, et que leur mentalité ne changerait jamais;

Sagesse 12, 11 car c'était une race maudite dès l'origine. Et ce n'est pas non plus par crainte de personne que tu accordais l'impunité à leurs fautes.

Sagesse 12, 12 Car qui dira: Qu'as-tu fait? Ou qui s'opposera à ta sentence? Et qui te citera en justice pour avoir fait périr des nations que tu as créées? Ou qui se portera contre toi le vengeur d'hommes injustes?

Sagesse 12, 13 Car il n'y a pas, en dehors de toi, de Dieu qui ait soin de tous, pour que tu doives lui montrer que tes jugements n'ont pas été injustes.

Sagesse 12, 14 Il n'y a pas non plus de roi ou de souverain qui puisse te regarder en face au sujet de ceux que tu as châtiés.

Sagesse 12, 15 Mais, étant juste, tu régis l'univers avec justice, et tu estimes que condamner celui qui ne doit pas être châtié, serait incompatible avec ta puissance.

Sagesse 12, 16 Car ta force est le principe de ta justice, et de dominer sur tout te fait ménager tout.

Sagesse 12, 17 Tu montres ta force, si l'on ne croit pas à la plénitude de ta puissance, et tu confonds l'audace de ceux qui la connaissent;

Sagesse 12, 18 mais toi, dominant ta force, tu juges avec modération, et tu nous gouvernes avec de grands ménagements, car tu n'as qu'à vouloir, et ta puissance est là.

Sagesse 12, 19 En agissant ainsi, tu as appris à ton peuple que le juste doit être ami des hommes, et tu as donné le bel espoir à tes fils qu'après les péchés tu donnes le repentir.

Sagesse 12, 20 Car, si ceux qui étaient les ennemis de tes enfants et promis à la mort, tu les as punis avec tant d'attention et d'indulgence, leur donnant temps et lieu pour se défaire de leur malice,

Sagesse 12, 21 avec quelle précaution n'as-tu pas jugé tes fils, toi qui, par serments et alliances, as fait à leurs pères de si belles promesses?

Sagesse 12, 22 Ainsi, tu nous instruis, quand tu châties nos ennemis avec mesure, pour que nous songions à ta bonté quand nous jugeons, et, quand nous sommes jugés, nous comptions sur la miséricorde.

Sagesse 12, 23 Voilà pourquoi aussi ceux qui avaient mené dans l'injustice une vie insensée, tu les as torturés par leurs propres abominations;

Sagesse 12, 24 car ils avaient erré trop loin sur les chemins de l'erreur, en prenant pour des dieux les plus vils et les plus méprisés des animaux, trompés comme de tout petits enfants sans intelligence.

Sagesse 12, 25 Aussi, comme à des enfants sans raison, leur as-tu envoyé un jugement de dérision.

Sagesse 12, 26 Mais ceux qui ne s'étaient pas laissé avertir par une réprimande dérisoire allaient subir un jugement digne de Dieu.

Sagesse 12, 27 Sur ces êtres qui les faisaient souffrir et contre lesquels ils s'indignaient, ces êtres qu'ils tenaient pour dieux et par lesquels ils étaient châtiés, ils virent clair, et celui que jadis ils refusaient de connaître, ils le reconnurent pour vrai Dieu. Et c'est pourquoi l'ultime condamnation s'abattit sur eux.

Sagesse 13, 1 Oui, vains par nature tous les hommes en qui se trouvait l'ignorance de Dieu, qui, en partant des biens visibles, n'ont pas été capables de connaître Celui-qui-est, et qui, en considérant les oeuvres, n'ont pas reconnu l'Artisan.

Sagesse 13, 2 Mais c'est le feu, ou le vent, ou l'air rapide, ou la voûte étoilée, ou l'eau impétueuse, ou les luminaires du ciel, qu'ils ont considérés comme des dieux, gouverneurs du monde!

Sagesse 13, 3 Que si, charmés de leur beauté, ils les ont pris pour des dieux, qu'ils sachent combien leur Maître est supérieur, car c'est la source même de la beauté qui les a créés.

Sagesse 13, 4 Et si c'est leur puissance et leur activité qui les ont frappés, qu'ils en déduisent combien plus puissant est Celui qui les a formés,

Sagesse 13, 5 car la grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leur Auteur.

Sagesse 13, 6 Ceux-ci toutefois ne méritent qu'un blâme léger; peut-être en effet ne s'égarent-ils qu'en cherchant Dieu et en voulant le trouver:

Sagesse 13, 7 versés dans ses oeuvres, ils les explorent et se laissent prendre aux apparences, tant ce qu'on voit est beauté!

Sagesse 13, 8 Et pourtant eux non plus ne sont point pardonnables:

Sagesse 13, 9 s'ils ont été capables d'acquérir assez de science pour pouvoir scruter le monde, comment n'en ont-ils pas plus tôt découvert le Maître!

Sagesse 13, 10 Mais malheureux sont-ils, avec leurs espoirs mis en des choses mortes, ceux qui ont appelé dieux des ouvrages de mains d'hommes, or, argent, traités avec art, figures d'animaux, ou pierre inutile, ouvrage d'une main antique.

Sagesse 13, 11 Et voici encore un bûcheron: il scie un arbre facile à manier, il en racle soigneusement toute l'écorce, il le travaille avec adresse, il en forme un objet propre aux usages de la vie.

Sagesse 13, 12 Quant aux déchets de son travail, il les emploie à préparer sa nourriture et il se rassasie.

Sagesse 13, 13 Et le déchet qui en reste et qui n'est bon à rien, un bois tordu et poussé tout en noeuds: il le prend et le sculpte avec l'application des heures de loisir, il le façonne, avec le savoir-faire des instants de détente; il lui donne une figure humaine,

Sagesse 13, 14 ou bien il le fait semblable à quelque vil animal, le recouvre de vermillon, en rougit la surface à la sanguine, recouvre d'un enduit toutes ses taches.

Sagesse 13, 15 Puis il lui fait une habitation convenable, le place dans un mur et l'assure avec du fer.

Sagesse 13, 16 Ainsi veille-t-il à ce qu'il ne tombe pas, sachant bien qu'il est incapable de s'aider lui-même, car ce n'est qu'une image, et il a besoin d'aide!

Sagesse 13, 17 Pourtant, s'il veut prier pour ses biens, son mariage, ses enfants, il ne rougit pas d'adresser la parole à cet objet sans vie; pour la santé, il invoque ce qui est faible,

Sagesse 13, 18 pour la vie, il implore ce qui est mort, pour un secours, il supplie ce qui a le moins d'expérience, pour un voyage, ce qui ne peut même pas se servir de ses pieds,

Sagesse 13, 19 pour un gain, une entreprise, le succès du travail de ses mains, il demande de la vigueur à ce qui n'a pas la moindre vigueur dans les mains!

Sagesse 14, 1 Tel autre qui prend la mer pour traverser les flots farouches invoque à grands cris un bois plus fragile que le bateau qui le porte.

Sagesse 14, 2 Car ce bateau, c'est la soif du gain qui l'a conçu, c'est la sagesse artisane qui l'a construit;

Sagesse 14, 3 mais c'est ta Providence, ô Père, qui le pilote, car tu as mis un chemin jusque dans la mer, et dans les flots un sentier assuré,

Sagesse 14, 4 montrant que tu peux sauver de tout, en sorte que, même sans expérience, on puisse embarquer.

Sagesse 14, 5 Tu ne veux pas que les oeuvres de ta Sagesse soient stériles; c'est pourquoi les hommes confient leur vie même à un bois minuscule, traversent les vagues sur un radeau et demeurent sains et saufs.

Sagesse 14, 6 Et de fait, aux origines, tandis que périssaient les géants orgueilleux, l'espoir du monde se réfugia sur un radeau et, piloté par ta main, laissa aux siècles futurs le germe d'une génération nouvelle.

Sagesse 14, 7 Car il est béni, le bois par lequel advient la justice,

Sagesse 14, 8 mais maudite l'idole fabriquée, elle et celui qui l'a faite, lui, pour y avoir travaillé, et elle parce que, corruptible, elle a été appelée dieu.

Sagesse 14, 9 Car Dieu déteste également l'impie et son impiété,

Sagesse 14, 10 et l'oeuvre sera châtiée avec l'ouvrier.

Sagesse 14, 11 Aussi y aura-t-il une visite même pour les idoles des nations, parce que, dans la création de Dieu, elles sont devenues une abomination, un scandale pour les âmes des hommes, un piège pour les pieds des insensés.

Sagesse 14, 12 L'idée de faire des idoles a été l'origine de la fornication, leur découverte a corrompu la vie.

Sagesse 14, 13 Car elles n'existaient pas à l'origine, et elles n'existeront pas toujours;

Sagesse 14, 14 c'est par la vanité des hommes qu'elles ont fait leur entrée dans le monde, aussi bien une prompte fin leur a-t-elle été réservée.

Sagesse 14, 15 Un père que consumait un deuil prématuré a fait faire une image de son enfant si tôt ravi, et celui qui hier encore n'était qu'un homme mort, il l'honore maintenant comme un dieu et il transmet aux siens des mystères et des rites,

Sagesse 14, 16 puis avec le temps la coutume se fortifie et on l'observe comme loi. C'est encore sur l'ordre des souverains que les images sculptées recevaient un culte:

Sagesse 14, 17 des hommes qui ne pouvaient les honorer en personne, parce qu'ils habitaient à distance, représentèrent leur lointaine figure et firent une image visible du roi qu'ils honoraient; ainsi, grâce à ce zèle, on flatterait l'absent comme s'il était présent.

Sagesse 14, 18 Ceux-là mêmes qui ne le connaissaient pas furent amenés par l'ambition de l'artiste à étendre son culte;

Sagesse 14, 19 car, désireux sans doute de plaire au maître, il força son art à faire plus beau que nature,

Sagesse 14, 20 et la foule, attirée par le charme de l'oeuvre, considéra désormais comme un objet d'adoration celui que naguère on honorait comme un homme.

Sagesse 14, 21 Et voilà qui devint un piège pour la vie: que des hommes, asservis au malheur ou au pouvoir, eussent conféré à des pierres et à des morceaux de bois le Nom incommunicable.

Sagesse 14, 22 En outre il ne leur a pas suffi d'errer au sujet de la connaissance de Dieu; mais alors que l'ignorance les fait vivre dans une grande guerre, ils donnent à de tels maux le nom de paix!

Sagesse 14, 23 Avec leurs rites infanticides, leurs mystères occultes, ou leurs orgies furieuses aux coutumes extravagantes,

Sagesse 14, 24 ils ne gardent plus aucune pureté ni dans la vie ni dans le mariage, l'un supprime l'autre insidieusement ou l'afflige par l'adultère.

Sagesse 14, 25 Partout, pêle-mêle, sang et meurtre, vol et fourberie, corruption, déloyauté, trouble, parjure,

Sagesse 14, 26 confusion des gens de bien, oubli des bienfaits, souillure des âmes, crimes contre nature, désordres dans le mariage, adultère et débauche.

Sagesse 14, 27 Car le culte des idoles sans nom est le commencement, la cause et le terme de tout mal.

Sagesse 14, 28 Ou bien en effet ils poussent leurs réjouissances jusqu'au délire, ou bien ils prophétisent le mensonge, ou ils vivent dans l'injustice, ou ils ont tôt fait de se parjurer:

Sagesse 14, 29 comme ils mettent leur confiance en des idoles sans vie, ils n'attendent aucun préjudice de leurs faux serments.

Sagesse 14, 30 Mais de justes arrêts les frapperont pour ce double crime: parce qu'ils ont mal pensé de Dieu en s'attachant à des idoles, parce qu'ils ont juré frauduleusement contre la justice, au mépris de la sainteté.

Sagesse 14, 31 Car ce n'est pas la puissance de ceux par qui l'on jure, mais le châtiment réservé aux pécheurs qui poursuit toujours la transgression des injustes.

Sagesse 15, 1 Mais toi, notre Dieu, tu es bon et vrai, lent à la colère et gouvernant l'univers avec miséricorde.

Sagesse 15, 2 Si nous péchons, nous sommes à toi, car nous connaissons ton pouvoir, mais nous ne pécherons pas, sachant que nous sommes comptés pour tiens.

Sagesse 15, 3 Te connaître, en effet, est la justice intégrale, et savoir quel est ton pouvoir est la racine de l'immortalité.

Sagesse 15, 4 Non, les inventions humaines d'un art pervers ne nous ont pas égarés, ni le travail stérile des peintres, ces figures barbouillées de couleurs disparates,

Sagesse 15, 5 dont la vue éveille la passion chez les insensés et leur fait désirer la forme inanimée d'une image morte.

Sagesse 15, 6 Amants du mal et dignes de tels espoirs, et ceux qui les font, et ceux qui les désirent, et ceux qui les adorent!

Sagesse 15, 7 Voici donc un potier qui laborieusement pétrit une terre molle et modèle chaque objet pour notre usage. De la même argile il a modelé les vases destinés à de nobles emplois et ceux qui auront un sort contraire, tous pareillement; mais dans chacun des deux groupes, quel sera l'usage de chacun, c'est celui qui travaille l'argile qui en est juge.

Sagesse 15, 8 Puis -- peine bien mal employée! -- de la même argile il modèle une divinité vaine, lui qui, depuis peu né de la terre, retournera sous peu à la terre dont il fut pris, quand on lui redemandera l'âme qui lui a été prêtée.

Sagesse 15, 9 Cependant il ne se soucie pas de ce qu'il doit mourir et qu'il a une vie brève, mais il rivalise avec les orfèvres et les fondeurs d'argent, il imite ceux qui coulent le bronze, il met sa gloire à modeler du faux.

Sagesse 15, 10 Cendres, que son coeur! plus vil que la terre, son espoir! plus misérable que l'argile, sa vie!

Sagesse 15, 11 Car il a méconnu Celui qui l'a modelé, qui lui a insufflé une âme agissante et inspiré un souffle vital;

Sagesse 15, 12 Mais il a estimé que notre vie est un jeu d'enfant, et notre existence une foire à profits: "Il faut gagner, dit-il, par tous les moyens, même mauvais."

Sagesse 15, 13 Oui, plus que tout autre, celui-là sait qu'il pèche, lui qui, d'une matière terreuse, fabrique des vases fragiles et des statues d'idoles.

Sagesse 15, 14 Mais ils sont tous très insensés et plus infortunés que l'âme d'un petit enfant, ces ennemis de ton peuple qui l'ont opprimé;

Sagesse 15, 15 en effet, ils ont tenu aussi pour dieux toutes les idoles des nations, qui n'ont ni l'usage des yeux pour voir, ni de narines pour aspirer l'air, ni d'oreilles pour entendre, ni de doigts aux mains pour palper, et dont les pieds ne servent à rien pour marcher.

Sagesse 15, 16 Car c'est un homme qui les a faites, un être au souffle d'emprunt qui les a modelées; nul homme, en effet, n'est capable de modeler un dieu qui lui soit semblable;

Sagesse 15, 17 mortel, c'est une chose morte qu'il produit de ses mains impies. Il vaut mieux, certes, que les objets qu'il adore: lui du moins aura vécu, eux jamais!

Sagesse 15, 18 Et ils adorent même les bêtes les plus odieuses; car en fait de stupidité, elles sont pires que les autres.

Sagesse 15, 19 Et pour autant qu'on puisse éprouver du désir à la vue d'animaux, rien de beau ne s'y trouve, ils échappent à l'éloge de Dieu et à sa bénédiction.

Sagesse 16, 1 Voilà pourquoi ils ont été châtiés justement par des êtres semblables, et torturés par une multitude de bestioles.

Sagesse 16, 2 Au lieu de ce châtiment, tu as accordé un bienfait à ton peuple pour satisfaire son ardent appétit, c'est un aliment merveilleux -- des cailles! -- que tu lui as préparé pour nourriture;

Sagesse 16, 3 si bien que, malgré leur désir de manger, ceux-là, devant l'aspect repoussant des bêtes envoyées contre eux, perdirent jusqu'à leur appétit naturel, tandis que ceux-ci, après avoir un peu de temps connu la disette, eurent en partage un aliment merveilleux.

Sagesse 16, 4 Car il fallait que sur ceux-là, les oppresseurs, s'abattît une irrémédiable disette; il suffisait à ceux-ci qu'on leur montrât comment leurs ennemis étaient torturés.

Sagesse 16, 5 Et même lorsque s'abattit sur eux la fureur terrible de bêtes féroces, et qu'ils périssaient sous les morsures de serpents tortueux, ta colère ne dura pas jusqu'au bout;

Sagesse 16, 6 mais c'est par manière d'avertissement et pour peu de temps qu'ils furent inquiétés, et ils avaient un signe de salut pour leur rappeler le commandement de ta Loi,

Sagesse 16, 7 car celui qui se tournait vers lui était sauvé, non par ce qu'il avait sous les yeux, mais par toi, le Sauveur de tous.

Sagesse 16, 8 Et par là tu prouvas à nos ennemis que c'est toi qui délivres de tout mal;

Sagesse 16, 9 eux, en effet, les morsures de sauterelles et de mouches les tuèrent, sans qu'on trouvât de remède pour leur sauver la vie, car ils méritaient d'être châtiés par de telles bêtes,

Sagesse 16, 10 tandis que tes fils, même les dents de serpents venimeux n'en eurent pas raison; car ta miséricorde leur vint en aide et les guérit.

Sagesse 16, 11 Ainsi tes oracles leur étaient rappelés par des coups d'aiguillon, bien vite guéris, de peur que, tombés dans un profond oubli, ils ne fussent exclus de ta bienfaisance.

Sagesse 16, 12 Et de fait, ce n'est ni herbe ni émollient qui leur rendit la santé, mais ta parole, Seigneur, elle qui guérit tout!

Sagesse 16, 13 Oui, c'est toi qui as pouvoir sur la vie et sur la mort, qui fais descendre aux portes de l'Hadès et en fais remonter.

Sagesse 16, 14 L'homme, dans sa malice, peut bien tuer, mais il ne ramène pas le souffle une fois parti, et ne libère pas l'âme que l'Hadès a reçue.

Sagesse 16, 15 Il est impossible d'échapper à ta main.

Sagesse 16, 16 Les impies qui refusaient de te connaître furent fustigés par la force de ton bras; pluies insolites, grêle, averses inexorables les assaillirent, et le feu les consuma.

Sagesse 16, 17 Car voici le plus étrange: dans l'eau, qui éteint tout, le feu n'avait que plus d'ardeur; l'univers en effet combat pour les justes.

Sagesse 16, 18 Tantôt en effet la flamme s'apaisait, de peur de brûler complètement les animaux envoyés contre les impies, et pour leur faire comprendre, à cette vue, qu'ils étaient poursuivis par un jugement de Dieu;

Sagesse 16, 19 tantôt, au sein même de l'eau, elle brûlait avec plus de force que le feu, pour détruire les produits d'une terre inique.

Sagesse 16, 20 Au contraire, c'est une nourriture d'anges que tu as donnée à ton peuple, et c'est un pain tout préparé que, du ciel, tu leur as fourni inlassablement, un pain capable de procurer toutes les délices et de satisfaire tous les goûts;

Sagesse 16, 21 Et la substance que tu donnais manifestait ta douceur envers tes enfants, et, s'accommodant au goût de celui qui la prenait, elle se changeait en ce que chacun voulait.

Sagesse 16, 22 Neige et glace supportaient le feu sans fondre: on saurait ainsi que c'était pour détruire les récoltes des ennemis, que le feu brûlait au milieu de la grêle et flamboyait sous la pluie,

Sagesse 16, 23 tandis qu'au contraire, pour respecter la nourriture des justes, il oubliait jusqu'à sa propre vertu.

Sagesse 16, 24 Car la création qui est à ton service, à toi, son Créateur, se tend à fond pour le châtiment des injustes et se détend pour faire du bien à ceux qui se confient en toi,

Sagesse 16, 25 C'est pourquoi, alors aussi, en se changeant en tout, elle se mettait au service de ta libéralité, nourricière universelle, selon le désir de ceux qui étaient dans le besoin;

Sagesse 16, 26 ainsi tes fils que tu as aimés, Seigneur, l'apprendraient: ce ne sont pas les diverses espèces de fruits qui nourrissent l'homme, mais c'est ta parole qui conserve ceux qui croient en toi.

Sagesse 16, 27 Car ce qui n'était pas détruit par le feu fondait à la simple chaleur d'un bref rayon de soleil,

Sagesse 16, 28 afin que l'on sache qu'il faut devancer le soleil pour te rendre grâce, et te rencontrer dès le lever du jour;

Sagesse 16, 29 l'espoir de l'ingrat fond, en effet, comme le givre hivernal, comme une eau inutile, il s'écoule.

Sagesse 17, 1 Oui, tes jugements sont grands et inexplicables, c'est pourquoi des âmes sans instruction se sont égarées.

Sagesse 17, 2 Alors que des impies s'imaginaient tenir en leur pouvoir une nation sainte, devenus prisonniers des ténèbres, dans les entraves d'une longue nuit, ils gisaient enfermés sous leurs toits, bannis de la providence éternelle.

Sagesse 17, 3 Alors qu'ils pensaient demeurer cachés avec leurs péchés secrets, sous le sombre voile de l'oubli, ils furent dispersés, en proie à de terribles frayeurs, épouvantés par des fantômes.

Sagesse 17, 4 Car le réduit qui les abritait ne les préservait pas de la peur; des bruits effrayants retentissaient autour d'eux, et des spectres lugubres, au visage morne, leur apparaissaient.

Sagesse 17, 5 Aucun feu n'avait assez de force pour les éclairer, et l'éclat étincelant des étoiles ne parvenait pas à illuminer cette horrible nuit.

Sagesse 17, 6 Seule brillait pour eux une masse de feu qui s'allumait d'elle-même, semant la peur, et, terrifiés, une fois disparue cette vision, ils tenaient pour pire ce qu'ils venaient de voir.

Sagesse 17, 7 Les artifices de l'art magique demeuraient impuissants, et sa prétention à l'intelligence était honteusement confondue;

Sagesse 17, 8 car ceux qui promettaient de bannir de l'âme malade les terreurs et les troubles étaient eux-mêmes malades d'une peur ridicule.

Sagesse 17, 9 Même si rien d'effrayant ne leur faisait peur, les passages de bestioles et les sifflements de reptiles les frappaient de panique,

Sagesse 17, 10 ils périssaient, tremblants de frayeur, et refusant même de regarder cet air, que d'aucune manière on ne peut fuir.

Sagesse 17, 11 Car la perversité s'avère singulièrement lâche et se condamne elle-même; pressée par la conscience, toujours elle grossit les difficultés.

Sagesse 17, 12 La peur en effet n'est rien d'autre que la défaillance des secours de la réflexion;

Sagesse 17, 13 moins on compte intérieurement sur eux, plus on trouve grave d'ignorer la cause qui provoque le tourment.

Sagesse 17, 14 Pour eux, durant cette nuit vraiment impuissante, sortie des profondeurs de l'Hadès impuissant, endormis d'un même sommeil,

Sagesse 17, 15 ils étaient tantôt poursuivis par des spectres monstrueux, tantôt paralysés par la défaillance de leur âme; car une peur subite et inattendue les avait envahis.

Sagesse 17, 16 Ainsi encore, celui qui tombait là, quel qu'il fût, se trouvait emprisonné, enfermé dans cette geôle sans verrous.

Sagesse 17, 17 Qu'on fût laboureur ou berger, ou qu'on fût occupé à des travaux dans le désert, surpris, on subissait l'inéluctable nécessité;

Sagesse 17, 18 car tous avaient été liés par une même chaîne de ténèbres. Le vent qui siffle, le chant mélodieux des oiseaux dans les rameaux touffus, le bruit cadencé d'une eau coulant avec violence,

Sagesse 17, 19 le rude fracas des pierres dégringolant, la course invisible d'animaux bondissants, le rugissement des bêtes les plus sauvages, l'écho se répercutant au creux des montagnes, tout les terrorisait et les paralysait.

Sagesse 17, 20 Car le monde entier était éclairé par une lumière étincelante et vaquait librement à ses travaux;

Sagesse 17, 21 sur eux seuls s'étendait une pesante nuit, image des ténèbres qui devaient les recevoir. Mais ils étaient à eux-mêmes plus pesants que les ténèbres.

Sagesse 18, 1 Cependant pour tes saints il y avait une très grande lumière. Les autres, qui entendaient leur voix sans voir leur figure, les proclamaient heureux de n'avoir pas eux-mêmes souffert,

Sagesse 18, 2 ils leur rendaient grâce de ne pas sévir, après avoir été maltraités, et leur demandaient pardon pour leur attitude hostile.

Sagesse 18, 3 Au lieu de ces ténèbres, tu donnas aux tiens une colonne flamboyante, pour leur servir de guide en un voyage inconnu, de soleil inoffensif en leur glorieuse migration.

Sagesse 18, 4 Mais ceux-là méritaient bien d'être privés de lumière et d'être prisonniers des ténèbres, qui avaient gardé enfermés tes fils, par qui devait être donnée au monde l'incorruptible lumière de la Loi.

Sagesse 18, 5 Comme ils avaient résolu de tuer les petits enfants des saints, et que, des enfants exposés, un seul avait été sauvé, tu leur enlevas, pour les châtier, la multitude de leurs enfants et tu les fis périr tous ensemble dans l'eau impétueuse.

Sagesse 18, 6 Cette nuit-là fut à l'avance connue de nos pères, pour que, sachant d'une manière sûre à quels serments ils avaient cru, ils aient bon courage.

Sagesse 18, 7 Ton peuple attendit et le salut des justes et la perte des ennemis;

Sagesse 18, 8 car, par la vengeance même que tu tiras de nos adversaires, tu nous glorifias en nous appelant à toi.

Sagesse 18, 9 Aussi les saints enfants des bons sacrifiaient-ils en secret et ils établirent d'un commun accord cette loi divine, que les saints partageraient également biens et périls; et ils entonnaient déjà les cantiques des Pères.

Sagesse 18, 10 La clameur discordante de leurs ennemis faisait écho, et les accents plaintifs de ceux qui se lamentaient sur leurs enfants se répandaient au loin.

Sagesse 18, 11 Un même châtiment frappait esclave et maître, l'homme du peuple endurait les mêmes souffrances que le roi.

Sagesse 18, 12 Tous donc pareillement, frappés du même trépas, eurent des morts innombrables. Les vivants ne suffisaient plus aux funérailles, car, en un instant, leur plus précieuse descendance avait été détruite.

Sagesse 18, 13 Ainsi, ceux que des sortilèges avaient rendus absolument incrédules confessèrent, devant la perte de leurs premiers-nés, que ce peuple était fils de Dieu.

Sagesse 18, 14 Alors qu'un silence paisible enveloppait toutes choses et que la nuit parvenait au milieu de sa course rapide,

Sagesse 18, 15 du haut des cieux, ta Parole toute-puissante s'élança du trône royal, guerrier inexorable, au milieu d'une terre vouée à l'extermination. Portant pour glaive aigu ton irrévocable décret,

Sagesse 18, 16 elle s'arrêta et remplit de mort l'univers; elle touchait au ciel et se tenait sur la terre.

Sagesse 18, 17 Alors brusquement des apparitions en des songes terribles les épouvantèrent, des peurs inattendues les assaillirent.

Sagesse 18, 18 Jetés à demi morts, l'un d'un côté, l'autre de l'autre, ils faisaient savoir pour quelle raison ils mouraient,

Sagesse 18, 19 car les songes qui les avaient troublés les en avaient avertis d'avance, afin qu'ils ne périssent pas sans savoir pourquoi ils subissaient le mal.

Sagesse 18, 20 Cependant l'épreuve de la mort atteignit aussi les justes et une multitude fut frappée au désert. Mais la colère ne dura pas longtemps,

Sagesse 18, 21 car un homme irréprochable se hâta de les défendre. Prenant les armes de son ministère, prière et encens expiatoire, il affronta le Courroux et mit un terme au fléau, montrant qu'il était ton serviteur.

Sagesse 18, 22 Il vainquit l'Animosité, non par la vigueur du corps, non par la puissance des armes; c'est par la parole qu'il eut raison de celui qui châtiait, en rappelant les serments faits aux Pères et les alliances.

Sagesse 18, 23 Alors que déjà les morts s'entassaient par monceaux, il s'interposa, arrêta la Colère, et lui barra le chemin des vivants.

Sagesse 18, 24 Car sur sa robe talaire était le monde entier, les noms glorieux des Pères étaient gravés sur les quatre rangées de pierres, et sur le diadème de sa tête il y avait ta Majesté.

Sagesse 18, 25 Devant cela l'Exterminateur recula, il en eut peur; la seule expérience de la Colère suffisait.

Sagesse 19, 1 Mais sur les impies s'abattit jusqu'au bout un impitoyable courroux, car Il savait à l'avance ce qu'ils allaient faire,

Sagesse 19, 2 et qu'après avoir permis aux siens de s'en aller et pressé leur départ, ils changeraient d'avis et les poursuivraient.

Sagesse 19, 3 De fait, ils étaient encore occupés à leurs deuils et ils se lamentaient auprès des tombes de leurs morts, quand ils imaginèrent un autre dessein de folie et se mirent à poursuivre comme des fugitifs ceux qu'avec des supplications ils avaient expulsés.

Sagesse 19, 4 Un juste destin les poussait à cette extrémité et il leur inspira l'oubli du passé: ils ajouteraient ainsi le châtiment qui manquait à leurs tortures

Sagesse 19, 5 et, tandis que ton peuple ferait l'expérience d'un voyage merveilleux, eux-mêmes trouveraient une mort insolite.

Sagesse 19, 6 Car la création entière, en sa propre nature, était encore de nouveau façonnée, se soumettant à tes ordres, pour que tes enfants fussent gardés indemnes.

Sagesse 19, 7 On vit la nuée couvrir le camp de son ombre, la terre sèche émerger de ce qui était l'eau, la mer Rouge devenir un libre passage, les flots impétueux une plaine verdoyante,

Sagesse 19, 8 par où ceux que protégeait ta main passèrent comme un seul peuple, en contemplant d'admirables prodiges.

Sagesse 19, 9 Comme des chevaux, ils étaient à la pâture, comme des agneaux, ils bondissaient, en te célébrant, Seigneur, toi leur libérateur.

Sagesse 19, 10 Ils se souvenaient encore des événements de leur exil, comment la terre, et non des animaux, avait produit des moustiques, et comment le Fleuve, et non des êtres aquatiques, avait vomi une multitude de grenouilles.

Sagesse 19, 11 Plus tard, ils virent encore un nouveau mode de naissance pour les oiseaux, quand, poussés par la convoitise, ils réclamèrent des mets délicats:

Sagesse 19, 12 pour les satisfaire, des cailles montèrent pour eux de la mer.

Sagesse 19, 13 Mais les châtiments s'abattirent sur les pécheurs, non sans avoir été signalés à l'avance par de violents coups de tonnerre, et c'est en toute justice qu'ils souffraient pour leurs propres crimes; car ils avaient montré une haine de l'étranger par trop cruelle.

Sagesse 19, 14 D'aucuns, en effet, n'avaient pas accueilli les inconnus qui leur arrivaient, mais eux réduisaient en servitude des hôtes bienfaisants.

Sagesse 19, 15 Bien plus, et certes il y aura pour ceux-là un châtiment, puisqu'ils ont reçu les étrangers d'une manière hostile,...

Sagesse 19, 16 mais ceux-ci, après avoir reçu avec des fêtes ceux qui déjà partageaient les mêmes droits qu'eux, les ont ensuite accablés de terribles travaux.

Sagesse 19, 17 Aussi furent-ils frappés de cécité, comme ceux-là aux portes du juste, lorsque, enveloppés de ténèbres béantes, ils cherchaient chacun l'accès de sa porte.

Sagesse 19, 18 Ainsi les éléments étaient différemment accordés entre eux, comme, sur la harpe, les notes modifient la nature du rythme tout en conservant le même son; ce qu'on peut se représenter exactement en regardant ce qui est arrivé:

Sagesse 19, 19 des animaux terrestres devenaient aquatiques, ceux qui nagent se déplaçaient sur la terre;

Sagesse 19, 20 le feu renforçait dans l'eau sa propre vertu, et l'eau oubliait son pouvoir d'éteindre;

Sagesse 19, 21 en revanche, les flammes ne consumaient pas les chairs d'animaux fragiles qui s'y aventuraient; et elles ne faisaient pas fondre l'aliment divin, semblable à de la glace et si facile à fondre!

Sagesse 19, 22 Oui, de toutes manières, Seigneur, tu as magnifié ton peuple et tu l'as glorifié; tu n'as pas négligé, en tout temps et en tout lieu, de l'assister!

 

 

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Ecclésiastique Prologue du traducteur

Ecclésiastique 0, 1 Puisque la Loi, les Prophètes 0, 2 et les autres écrivains qui leur ont succédé nous ont transmis tant de grandes leçons 0, 3 grâce auxquelles on ne saurait trop féliciter Israël de sa science et de sa sagesse; 0, 4 comme, en outre, c'est un devoir, non seulement d'acquérir la science par la lecture, 0, 5 mais encore, une fois instruit, de se mettre au service de ceux du dehors, 0, 6 par ses paroles et ses écrits: 0, 7 mon aïeul Jésus, après s'être appliqué avec persévérance à la lecture 0, 8 de la Loi, 0, 9 des Prophètes et 0, 10 des autres livres des ancêtres 0, 11 et y avoir acquis une grande maîtrise, 0, 12 en est venu, lui aussi, à écrire quelque chose sur des sujets d'enseignement et de sagesse 0, 13 afin que les hommes soucieux d'instruction, se soumettant aussi à ces disciplines, 0, 14 apprissent d'autant mieux à vivre selon la Loi. 0, 15 Vous êtes donc invités 0, 16 à en faire la lecture 0, 17 avec une bienveillante attention 0, 18 et à vous montrer indulgents 0, 19 là où, en dépit de nos efforts d'interprétation, nous pourrions sembler 0, 20 avoir échoué à rendre quelque expression; 0, 21 c'est qu'en effet il n'y a pas d'équivalence 0, 22 entre des choses exprimées originairement en hébreu et leur traduction dans une autre langue; 0, 23 bien plus, 0, 24 si l'on considère la Loi elle-même, les Prophètes 0, 25 et les autres livres, 0, 26 leur traduction diffère considérablement de ce qu'exprime le texte original. 0, 27 C'est en l'an 38 du feu roi Evergète 0, 28 qu'étant venu en Egypte et y ayant séjourné, 0, 29 j'y découvris une vie conforme à une haute sagesse 0, 30 et je me fis un devoir impérieux d'appliquer, moi aussi, mon zèle et mes efforts à traduire le présent livre; 0, 31 j'y ai consacré beaucoup de veilles et de science 0, 32 pendant cette période, 0, 33 afin de mener à bien l'entreprise et de publier le livre 0, 34 à l'usage de ceux-là aussi qui, à l'étranger, désirent s'instruire, 0, 35 réformer leurs moeurs, et vivre conformément à la Loi.

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Ecclésiastique

Ecclésiastique Ecclésiastique 1, 1 Toute sagesse vient du Seigneur, elle est près de lui à jamais.

Ecclésiastique 1, 2 Le sable de la mer, les gouttes de la pluie, les jours de l'éternité, qui peut les dénombrer?

Ecclésiastique 1, 3 La hauteur du ciel, l'étendue de la terre, la profondeur de l'abîme, qui peut les explorer?

Ecclésiastique 1, 4 Mais avant toutes choses fut créée la sagesse, l'intelligence prudente vient des temps les plus lointains.

Ecclésiastique 1, 6 La racine de la sagesse, à qui fut-elle révélée? Ses ressources, qui les connaît?

Ecclésiastique 1, 8 Il n'y a qu'un être sage, très redoutable quand il siège sur son trône:

Ecclésiastique 1, 9 c'est le Seigneur. C'est lui qui l'a créée, vue et dénombrée, qui l'a répandue sur toutes ses oeuvres,

Ecclésiastique 1, 10 en toute chair selon sa largesse, et qui l'a distribuée à ceux qui l'aiment.

Ecclésiastique 1, 11 La crainte du Seigneur est gloire et fierté, gaîté et couronne d'allégresse.

Ecclésiastique 1, 12 La crainte du Seigneur réjouit le coeur, donne gaîté, joie et longue vie.

Ecclésiastique 1, 13 Pour qui craint le Seigneur, tout finira bien, au jour de sa mort il sera béni.

Ecclésiastique 1, 14 Le principe de la sagesse, c'est de craindre le Seigneur; en même temps que les fidèles, elle est créée dès le sein maternel.

Ecclésiastique 1, 15 Parmi les hommes, elle s'est fait un nid, fondation éternelle, et à leur race elle s'attachera fidèlement.

Ecclésiastique 1, 16 La plénitude de la sagesse, c'est de craindre le Seigneur, elle les enivre de ses fruits;

Ecclésiastique 1, 17 elle remplit toute leur maison de trésors et de ses produits leurs greniers.

Ecclésiastique 1, 18 Le couronnement de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur, elle fait fleurir bien-être et santé.

Ecclésiastique 1, 19 Le Seigneur l'a vue et dénombrée, il a fait pleuvoir la science et l'intelligence, il a exalté la gloire de ceux qui la possèdent.

Ecclésiastique 1, 20 La racine de la sagesse, c'est de craindre le Seigneur, et sa frondaison, c'est une longue vie.

Ecclésiastique 1, 22 La passion du méchant ne saurait le justifier, car le poids de sa passion est sa ruine.

Ecclésiastique 1, 23 L'homme patient tient bon jusqu'à son heure, mais à la fin, sa joie éclate.

Ecclésiastique 1, 24 Jusqu'à son heure, il dissimule ses paroles, et tout le monde proclame son intelligence.

Ecclésiastique 1, 25 Dans les trésors de la sagesse sont les maximes de la science, mais le pécheur a la piété en horreur.

Ecclésiastique 1, 26 Convoites-tu la sagesse? Garde les commandements, le Seigneur te la prodiguera.

Ecclésiastique 1, 27 Car la crainte du Seigneur est sagesse et instruction, ce qu'il aime, c'est la fidélité et la douceur.

Ecclésiastique 1, 28 Ne sois pas indocile à la crainte du Seigneur, et ne la pratique pas avec un coeur double.

Ecclésiastique 1, 29 Ne sois pas hypocrite devant le monde, et veille sur tes lèvres.

Ecclésiastique 1, 30 Ne t'élève pas, de peur de tomber et de te couvrir de honte, car le Seigneur révélerait tes secrets et, au milieu de l'assemblée, il te renverserait, parce que tu n'as pas pratiqué la crainte du Seigneur et que ton coeur est plein de fraude.

Ecclésiastique 2, 1 Mon fils, si tu prétends servir le Seigneur, prépare-toi à l'épreuve.

Ecclésiastique 2, 2 Fais-toi un coeur droit, arme-toi de courage, ne te laisse pas entraîner, au temps de l'adversité.

Ecclésiastique 2, 3 Attache-toi à lui, ne t'éloigne pas, afin d'être exalté à ton dernier jour.

Ecclésiastique 2, 4 Tout ce qui t'advient, accepte-le et, dans les vicissitudes de ta pauvre condition, montre-toi patient,

Ecclésiastique 2, 5 car l'or est éprouvé dans le feu, et les élus dans la fournaise de l'humiliation.

Ecclésiastique 2, 6 Mets en Dieu ta confiance et il te viendra en aide, suis droit ton chemin et espère en lui.

Ecclésiastique 2, 7 Vous qui craignez le Seigneur, comptez sur sa miséricorde, ne vous écartez pas, de peur de tomber.

Ecclésiastique 2, 8 Vous qui craignez le Seigneur, ayez confiance en lui, et votre récompense ne saurait faillir.

Ecclésiastique 2, 9 Vous qui craignez le Seigneur, espérez ses bienfaits, la joie éternelle et la miséricorde.

Ecclésiastique 2, 10 Considérez les générations passées et voyez: qui donc, confiant dans le Seigneur, a été confondu? Ou qui, persévérant dans sa crainte, a été abandonné? Ou qui l'a imploré sans avoir été écouté?

Ecclésiastique 2, 11 Car le Seigneur est compatissant et miséricordieux, il remet les péchés et sauve au jour de la détresse.

Ecclésiastique 2, 12 Malheur aux coeurs lâches et aux mains nonchalantes, et au pécheur dont la conduite est double.

Ecclésiastique 2, 13 Malheur au coeur nonchalant faute de foi, car il ne sera pas protégé.

Ecclésiastique 2, 14 Malheur à vous qui avez perdu l'endurance, que ferez-vous lorsque le Seigneur vous visitera?

Ecclésiastique 2, 15 Ceux qui craignent le Seigneur ne transgressent pas ses paroles, ceux qui l'aiment observent ses voies.

Ecclésiastique 2, 16 Ceux qui craignent le Seigneur cherchent à lui plaire, ceux qui l'aiment se rassasient de la loi.

Ecclésiastique 2, 17 Ceux qui craignent le Seigneur ont un coeur toujours prêt et savent s'humilier devant lui.

Ecclésiastique 2, 18 Jetons-nous dans les bras du Seigneur, et non dans ceux des hommes, car telle est sa majesté, telle aussi sa miséricorde.

Ecclésiastique 3, 1 Enfants, écoutez-moi, je suis votre père, faites ce que je vous dis, afin d'être sauvés.

Ecclésiastique 3, 2 Car le Seigneur glorifie le père dans ses enfants, il fortifie le droit de la mère sur ses fils.

Ecclésiastique 3, 3 Celui qui honore son père expie ses fautes,

Ecclésiastique 3, 4 celui qui glorifie sa mère est comme quelqu'un qui amasse un trésor.

Ecclésiastique 3, 5 Celui qui honore son père trouvera de la joie dans ses enfants, au jour de sa prière il sera exaucé.

Ecclésiastique 3, 6 Celui qui glorifie son père verra de longs jours, celui qui obéit au Seigneur donne satisfaction à sa mère.

Ecclésiastique 3, 7 Il sert ses parents comme son Seigneur.

Ecclésiastique 3, 8 En actes comme en paroles honore ton père afin que la bénédiction te vienne de lui.

Ecclésiastique 3, 9 Car la bénédiction d'un père affermit la maison de ses enfants, mais la malédiction d'une mère en détruit les fondations.

Ecclésiastique 3, 10 Ne te glorifie pas du déshonneur de ton père: il n'y a pour toi aucune gloire au déshonneur de ton père.

Ecclésiastique 3, 11 Car c'est la gloire d'un homme que l'honneur de son père et c'est une honte pour les enfants qu'une mère méprisée.

Ecclésiastique 3, 12 Mon fils, viens en aide à ton père dans sa vieillesse, ne lui fais pas de peine pendant sa vie.

Ecclésiastique 3, 13 Même si son esprit faiblit, sois indulgent, ne le méprise pas, toi qui es en pleine force.

Ecclésiastique 3, 14 Car une charité faite à un père ne sera pas oubliée, et, pour tes péchés, elle te vaudra réparation.

Ecclésiastique 3, 15 Au jour de ton épreuve Dieu se souviendra de toi, comme glace au soleil, s'évanouiront tes péchés.

Ecclésiastique 3, 16 Tel un blasphémateur, celui qui délaisse son père, un maudit du Seigneur, celui qui fait de la peine à sa mère.

Ecclésiastique 3, 17 Mon fils, conduis tes affaires avec douceur, et tu seras plus aimé qu'un homme munificent.

Ecclésiastique 3, 18 Plus tu es grand, plus il faut t'abaisser pour trouver grâce devant le Seigneur,

Ecclésiastique 3, 20 car grande est la puissance du Seigneur, mais il est honoré par les humbles.

Ecclésiastique 3, 21 Ne cherche pas ce qui est trop difficile pour toi, ne scrute pas ce qui est au-dessus de tes forces.

Ecclésiastique 3, 22 Sur ce qui t'a été assigné exerce ton esprit, tu n'as pas à t'occuper de choses mystérieuses.

Ecclésiastique 3, 23 Ne te tracasse pas de ce qui te dépasse, l'enseignement que tu as reçu est déjà trop vaste pour l'esprit humain.

Ecclésiastique 3, 24 Car beaucoup se sont fourvoyés dans leurs conception, une prétention coupable a égaré leurs pensées.

Ecclésiastique 3, 26 Un coeur obstiné finira dans le malheur et qui aime le danger y tombera.

Ecclésiastique 3, 27 Un coeur obstiné se charge de peines, le pécheur accumule péché sur péché.

Ecclésiastique 3, 28 Au mal de l'orgueilleux il n'est pas de guérison, car la méchanceté est enracinée en lui.

Ecclésiastique 3, 29 L'homme prudent médite en son coeur les paraboles, une oreille qui l'écoute, c'est le rêve du sage.

Ecclésiastique 3, 30 L'eau éteint les flammes, l'aumône remet les péchés.

Ecclésiastique 3, 31 Qui répond par des bienfaits prépare l'avenir, au jour de sa chute il trouvera un soutien.

Ecclésiastique 4, 1 Mon fils, ne refuse pas au pauvre sa subsistance et ne fais pas languir le miséreux.

Ecclésiastique 4, 2 Ne fais pas souffrir celui qui a faim, n'exaspère pas l'indigent.

Ecclésiastique 4, 3 Ne t'acharne pas sur un coeur exaspéré, ne fais pas languir après ton aumône le nécessiteux.

Ecclésiastique 4, 4 Ne repousse pas le suppliant durement éprouvé, ne détourne pas du pauvre ton regard.

Ecclésiastique 4, 5 Ne détourne pas tes yeux du nécessiteux, ne donne à personne l'occasion de te maudire.

Ecclésiastique 4, 6 Si quelqu'un te maudit dans sa détresse, son Créateur exaucera son imprécation.

Ecclésiastique 4, 7 Fais-toi aimer de la communauté, devant un grand baisse la tête.

Ecclésiastique 4, 8 Prête l'oreille au pauvre et rends-lui son salut avec douceur.

Ecclésiastique 4, 9 Délivre l'opprimé des mains de l'oppresseur et ne sois pas lâche en rendant la justice.

Ecclésiastique 4, 10 Sois pour les orphelins un père et comme un mari pour leurs mères. Et tu seras comme un fils du Très-Haut qui t'aimera plus que ne fait ta mère.

Ecclésiastique 4, 11 La Sagesse élève ses enfants et prend soin de ceux qui la cherchent.

Ecclésiastique 4, 12 Celui qui l'aime aime la vie, ceux qui la cherchent dès le matin seront remplis de joie.

Ecclésiastique 4, 13 Celui qui la possède héritera la gloire; où il porte ses pas le Seigneur le bénit.

Ecclésiastique 4, 14 Ceux qui la servent rendent un culte au Saint et ceux qui l'aiment sont aimés du Seigneur.

Ecclésiastique 4, 15 Celui qui l'écoute juge les nations, celui qui s'y applique habite en sécurité.

Ecclésiastique 4, 16 S'il se confie en elle il l'aura en partage, et sa postérité en conservera la jouissance.

Ecclésiastique 4, 17 Car elle peut le conduire d'abord par un chemin sinueux, faisant venir sur lui crainte et tremblement, le tourmenter par sa discipline jusqu'à ce qu'elle puisse lui faire confiance, l'éprouver par ses exigences,

Ecclésiastique 4, 18 puis elle revient vers lui sur le droit chemin et le réjouit, et lui découvre ses secrets.

Ecclésiastique 4, 19 S'il s'égare, elle l'abandonne et le laisse aller à sa perte.

Ecclésiastique 4, 20 Tiens compte des circonstances et garde-toi du mal, et n'aie pas à rougir de toi-même.

Ecclésiastique 4, 21 Car il y a une honte qui conduit au péché et il y a une honte qui est gloire et grâce.

Ecclésiastique 4, 22 Ne sois pas trop sévère pour toi-même et ne rougis pas pour ta perte.

Ecclésiastique 4, 23 Ne tais pas une parole lorsqu'elle peut sauver et ne cache pas ta sagesse.

Ecclésiastique 4, 24 Car c'est au discours qu'on connaît la sagesse et dans la parole que paraît l'instruction.

Ecclésiastique 4, 25 Ne parle pas contre la vérité, mais rougis de ton ignorance.

Ecclésiastique 4, 26 N'aie pas honte de confesser tes péchés, ne t'oppose pas au courant du fleuve.

Ecclésiastique 4, 27 Ne t'aplatis pas devant un sot, ne sois pas partial en faveur du puissant.

Ecclésiastique 4, 28 Jusqu'à la mort lutte pour la vérité, le Seigneur Dieu combattra pour toi.

Ecclésiastique 4, 29 Ne sois pas hardi en paroles, paresseux et lâche dans tes actes.

Ecclésiastique 4, 30 Ne sois pas comme un lion à la maison et un poltron avec tes serviteurs.

Ecclésiastique 4, 31 Que ta main ne soit pas tendue pour recevoir et fermée quand il s'agit de rendre.

Ecclésiastique 5, 1 Ne te confie pas en tes richesses et ne dis pas: "Cela me suffit."

Ecclésiastique 5, 2 Ne laisse pas ton désir et ta force t'entraîner à suivre les passions de ton coeur.

Ecclésiastique 5, 3 Ne dis pas: "Qui a pouvoir sur moi?" Car le Seigneur ne manquera pas de te punir.

Ecclésiastique 5, 4 Ne dis pas: "J'ai péché! que m'est-il arrivé?" Car le Seigneur sait attendre.

Ecclésiastique 5, 5 Ne sois pas si assuré du pardon que tu entasses péché sur péché.

Ecclésiastique 5, 6 Ne dis pas: "Sa miséricorde est grande, il me pardonnera la multitude de mes péchés!" car il y a chez lui pitié et colère et son courroux s'abat sur les pécheurs.

Ecclésiastique 5, 7 Ne tarde pas à revenir au Seigneur et ne remets pas jour après jour, car soudain éclate la colère du Seigneur et au jour du châtiment tu serais anéanti.

Ecclésiastique 5, 8 Ne te fie pas aux richesses mal acquises, elles te seront inutiles au jour du malheur.

Ecclésiastique 5, 9 Ne vanne pas à tout vent, ne t'engage pas dans tout sentier (ainsi fait le pécheur à la parole double).

Ecclésiastique 5, 10 Sache être ferme dans ton sentiment et n'avoir qu'une parole.

Ecclésiastique 5, 11 Sois prompt à écouter et lent à donner ta réponse.

Ecclésiastique 5, 12 Si tu sais quelque chose, réponds à ton prochain, sinon mets la main sur ta bouche.

Ecclésiastique 5, 13 Honneur et confusion sont dans la parole et la langue de l'homme fait son malheur.

Ecclésiastique 5, 14 Ne te fais pas traiter de médisant et ne sois pas un rusé discoureur; car si la honte est pour le voleur, une dure condamnation atteint le fourbe.

Ecclésiastique 5, 15 Dans les grandes comme dans les petites choses évite les fautes et d'ami ne deviens pas ennemi.

Ecclésiastique 6, 1 Car une mauvaise réputation produit confusion et infamie; ainsi en est-il du pécheur à la parole double.

Ecclésiastique 6, 2 Ne t'exalte pas dans l'excès de ta passion, de peur que ta force ne soit déchirée (comme un taureau),

Ecclésiastique 6, 3 que tu ne dévores ton feuillage et que tu ne perdes tes fruits, que tu ne te retrouves comme du bois sec.

Ecclésiastique 6, 4 Une âme passionnée est la perte d'un homme, elle fait de lui la risée de ses ennemis.

Ecclésiastique 6, 5 Une parole agréable multiplie les amis, une langue affable attire maintes réponses aimables.

Ecclésiastique 6, 6 Que soient nombreuses tes relations, mais pour les conseillers prends-en un entre mille.

Ecclésiastique 6, 7 Si tu veux te faire un ami, commence par l'éprouver et ne te hâte pas de te confier à lui.

Ecclésiastique 6, 8 Car tel lie amitié lorsque ça lui chante, qui ne restera pas fidèle au jour de ton épreuve.

Ecclésiastique 6, 9 Tel est ami qui se change en ennemi et qui va dévoiler votre querelle pour ta confusion.

Ecclésiastique 6, 10 Tel est ami et s'assied à ta table, qui ne restera pas fidèle au jour de l'épreuve.

Ecclésiastique 6, 11 Dans ta prospérité il sera un autre toi-même, parlant librement à tes serviteurs,

Ecclésiastique 6, 12 mais dans ton abaissement il se tournera contre toi et évitera ton regard.

Ecclésiastique 6, 13 Eloigne-toi de tes ennemis et garde-toi de tes amis.

Ecclésiastique 6, 14 Un ami fidèle est un puissant soutien: qui l'a trouvé a trouvé un trésor.

Ecclésiastique 6, 15 Un ami fidèle n'a pas de prix, on ne saurait en estimer la valeur.

Ecclésiastique 6, 16 Un ami fidèle est un baume de vie, le trouveront ceux qui craignent le Seigneur.

Ecclésiastique 6, 17 Qui craint le Seigneur se fait de vrais amis, car tel on est, tel est l'ami qu'on a.

Ecclésiastique 6, 18 Mon fils! dès ta jeunesse choisis l'instruction et jusqu'à tes cheveux blancs tu trouveras la sagesse.

Ecclésiastique 6, 19 Comme le laboureur et le semeur, cultive-la et compte sur ses fruits excellents, car quelque temps tu peineras à la cultiver, mais bientôt tu mangeras de ses produits.

Ecclésiastique 6, 20 Elle est fort rude aux ignorants et l'homme court de sens ne s'y attache pas.

Ecclésiastique 6, 21 Elle pèsera lourd sur lui comme une pierre de touche et il ne tardera pas à la rejeter.

Ecclésiastique 6, 22 Car la sagesse mérite bien son nom, elle n'est pas accessible au grand nombre.

Ecclésiastique 6, 23 Ecoute, mon fils, accueille ma pensée, ne rejette pas mon conseil:

Ecclésiastique 6, 24 Engage tes pieds dans ses entraves et ton cou dans son collier.

Ecclésiastique 6, 25 Présente ton épaule à son fardeau, ne sois pas impatient de ses liens.

Ecclésiastique 6, 26 De toute ton âme approche-toi d'elle, de toutes tes forces suis ses voies.

Ecclésiastique 6, 27 Mets-toi sur sa trace et cherche-la: elle se fera connaître; si tu la tiens ne la lâche pas.

Ecclésiastique 6, 28 Car à la fin tu trouveras en elle le repos et pour toi elle se changera en joie.

Ecclésiastique 6, 29 Ses entraves te deviendront une puissante protection, ses colliers une parure précieuse.

Ecclésiastique 6, 30 Son joug sera un ornement d'or, ses liens des rubans de pourpre.

Ecclésiastique 6, 31 Comme un vêtement d'apparat tu la revêtiras, tu la ceindras comme un diadème de joie.

Ecclésiastique 6, 32 Si tu le veux, mon fils, tu t'instruiras et ta docilité te vaudra l'intelligence.

Ecclésiastique 6, 33 Si tu aimes à écouter, tu apprendras et si tu prêtes l'oreille, tu seras sage.

Ecclésiastique 6, 34 Tiens-toi dans l'assemblée des vieillards et si tu vois un sage, attache-toi à lui.

Ecclésiastique 6, 35 Ecoute volontiers toute parole qui vient de Dieu, que les proverbes subtils ne t'échappent pas.

Ecclésiastique 6, 36 Si tu vois un homme de sens, va vers lui dès le matin, et que tes pas usent le seuil de sa porte.

Ecclésiastique 6, 37 Médite sur les commandements du Seigneur, occupe-toi sans cesse de ses préceptes. C'est lui qui fortifiera ton coeur et la sagesse que tu désires te sera accordée.

Ecclésiastique 7, 1 Ne fais pas le mal, et le mal ne sera pas ton maître;

Ecclésiastique 7, 2 éloigne-toi de l'injustice et elle s'écartera de toi.

Ecclésiastique 7, 3 Mon fils, ne sème pas dans les sillons d'injustice de crainte de récolter sept fois plus.

Ecclésiastique 7, 4 Ne demande pas au Seigneur la première place, ni au roi un siège glorieux.

Ecclésiastique 7, 5 Ne joue pas au juste devant le Seigneur, ni au sage devant le roi.

Ecclésiastique 7, 6 Ne brigue pas la place de juge si tu n'es pas capable d'extirper l'injustice, de peur de te laisser influencer par un grand, au risque de perdre ta droiture.

Ecclésiastique 7, 7 Ne te rends pas coupable envers l'assemblée de la ville et ne déchois pas devant le peuple.

Ecclésiastique 7, 8 Ne te laisse pas entraîner deux fois à pécher, car pour une seule fois tu n'échapperas pas.

Ecclésiastique 7, 9 Ne dis pas: "Dieu considérera la multitude de mes offrandes, quand je les présenterai au Dieu Très-Haut il les recevra."

Ecclésiastique 7, 10 Ne sois pas hésitant dans la prière et ne néglige pas de faire l'aumône.

Ecclésiastique 7, 11 Ne te gausse pas d'un homme qui est dans la peine, car celui qui l'humilie peut le relever.

Ecclésiastique 7, 12 Ne forge pas le mensonge contre ton frère, pas davantage envers un ami.

Ecclésiastique 7, 13 Garde-toi de proférer aucun mensonge, car il ne peut en sortir rien de bon.

Ecclésiastique 7, 14 Ne pérore pas dans l'assemblée des vieillards et ne répète pas tes paroles dans la prière.

Ecclésiastique 7, 15 Ne répugne pas aux besognes pénibles, ni au travail des champs créé par le Très-Haut.

Ecclésiastique 7, 16 Ne te range pas au nombre des pécheurs, souviens-toi que la Colère ne saurait tarder.

Ecclésiastique 7, 17 Humilie-toi profondément, car le feu et les vers sont le châtiment de l'impie.

Ecclésiastique 7, 18 N'échange pas un ami contre de l'argent, ni un vrai frère pour l'or d'Ophir.

Ecclésiastique 7, 19 Ne prends pas en grippe une épouse sage et bonne, car sa grâce vaut plus que l'or.

Ecclésiastique 7, 20 Ne maltraite pas l'esclave qui travaille honnêtement, ni le serviteur qui se dévoue.

Ecclésiastique 7, 21 Aime dans ton coeur l'esclave intelligent, ne lui refuse pas la liberté.

Ecclésiastique 7, 22 As-tu des troupeaux? Prends-en soin; si tu en tires profit, garde-les.

Ecclésiastique 7, 23 As-tu des enfants? Fais leur éducation et dès l'enfance fais-leur plier l'échine.

Ecclésiastique 7, 24 As-tu des filles? Veille sur leur corps, mais montre-leur un visage sévère.

Ecclésiastique 7, 25 Marie ta fille, tu auras accompli une grande chose, mais donne-la à un homme sensé.

Ecclésiastique 7, 26 As-tu une femme selon ton coeur? Ne la répudie pas, mais si tu ne l'aimes pas, ne te fie pas à elle.

Ecclésiastique 7, 27 De tout ton coeur honore ton père et n'oublie jamais ce qu'a souffert ta mère.

Ecclésiastique 7, 28 Souviens-toi qu'ils t'ont donné le jour: que leur offriras-tu en échange de ce qu'ils ont fait pour toi?

Ecclésiastique 7, 29 De toute ton âme crains le Seigneur et révère ses prêtres.

Ecclésiastique 7, 30 De toutes tes forces aime celui qui t'a créé et ne délaisse pas ses ministres.

Ecclésiastique 7, 31 Crains le Seigneur et honore le prêtre et donne-lui sa part comme il t'est prescrit: prémices, sacrifice de réparation, offrande des épaules, sacrifice de sanctification et prémices des choses saintes.

Ecclésiastique 7, 32 Au pauvre également fais des largesses, pour que ta bénédiction soit parfaite.

Ecclésiastique 7, 33 Que ta générosité touche tous les vivants, même aux morts ne refuse pas ta piété.

Ecclésiastique 7, 34 Ne te détourne pas de ceux qui pleurent, afflige-toi avec les affligés.

Ecclésiastique 7, 35 Ne crains pas de t'occuper des malades, par de tels actes tu te gagneras l'affection.

Ecclésiastique 7, 36 Dans tout ce que tu fais souviens-toi de ta fin et tu ne pécheras jamais.

Ecclésiastique 8, 1 Ne lutte pas avec un grand, de peur de tomber entre ses mains.

Ecclésiastique 8, 2 Ne te querelle pas avec un riche, de peur qu'il n'ait plus de poids que toi; car l'or a perdu bien des gens et a fait fléchir le coeur des rois.

Ecclésiastique 8, 3 Ne dispute pas avec un beau parleur, ne mets pas de bois sur le feu.

Ecclésiastique 8, 4 Ne plaisante pas avec un homme mal élevé, de peur de voir insulter tes ancêtres.

Ecclésiastique 8, 5 Ne fais pas de reproches au pécheur repentant, souviens-toi que nous sommes tous coupables.

Ecclésiastique 8, 6 Ne méprise pas un homme avancé en âge, car peut-être nous aussi deviendrons vieux.

Ecclésiastique 8, 7 Ne te réjouis pas de la mort d'un homme, souviens-toi que tous nous devons mourir.

Ecclésiastique 8, 8 Ne méprise pas le discours des sages et reviens souvent à leurs maximes; car c'est d'eux que tu apprendras la doctrine et l'art de servir les grands.

Ecclésiastique 8, 9 Ne fais pas fi du discours des vieillards, car eux-mêmes ont été à l'école de leurs parents; c'est d'eux que tu apprendras la prudence et l'art de répondre à point nommé.

Ecclésiastique 8, 10 Ne mets pas le feu aux charbons du pécheur de crainte de te brûler à sa flamme.

Ecclésiastique 8, 11 Ne te laisse pas pousser à bout par l'homme coléreux, ce serait un piège tendu devant tes lèvres.

Ecclésiastique 8, 12 Ne prête pas à un homme plus fort que toi: si tu prêtes, tiens la chose pour perdue.

Ecclésiastique 8, 13 Ne te porte pas caution au-delà de tes moyens: si tu t'es porté caution, sois prêt à payer.

Ecclésiastique 8, 14 N'aie pas de procès avec un juge, car la sentence sera rendue en sa faveur.

Ecclésiastique 8, 15 Ne te mets pas en route avec un aventurier, de peur qu'il ne s'impose à toi: car il n'en fait qu'à sa tête et sa folie te perdra avec lui.

Ecclésiastique 8, 16 Ne te dispute pas avec un homme coléreux, ne t'engage pas avec lui dans un lieu désert, car le sang ne compte pas à ses yeux et là où il n'y a pas de secours il se jettera sur toi.

Ecclésiastique 8, 17 Ne prends pas un sot pour confident, car il ne saurait garder ton secret.

Ecclésiastique 8, 18 Devant un étranger, ne fais rien qui doive rester secret, car tu ne sais pas ce qu'il peut inventer.

Ecclésiastique 8, 19 N'ouvre pas ton coeur à n'importe qui et ne prétends pas obtenir ses bonnes grâces.

Ecclésiastique 9, 1 Ne sois pas jaloux de ton épouse bien-aimée et ne lui donne pas l'idée de te faire du mal.

Ecclésiastique 9, 2 Ne te livre pas entre les mains d'une femme, de peur qu'elle ne prenne de l'ascendant sur toi.

Ecclésiastique 9, 3 Ne va pas au-devant d'une prostituée: tu pourrais tomber dans ses pièges.

Ecclésiastique 9, 4 Ne fréquente pas une chanteuse: tu te ferais prendre à ses artifices.

Ecclésiastique 9, 5 N'arrête pas ton regard sur une jeune fille, de crainte d'être puni avec elle.

Ecclésiastique 9, 6 Ne te livre pas aux mains des prostituées: tu y perdrais ton patrimoine.

Ecclésiastique 9, 7 Ne promène pas ton regard dans les rues de la ville et ne rôde pas dans les coins déserts.

Ecclésiastique 9, 8 Détourne ton regard d'une jolie femme et ne l'arrête pas sur une beauté étrangère. Beaucoup ont été égarés par la beauté d'une femme et l'amour s'y enflamme comme un feu.

Ecclésiastique 9, 9 Près d'une femme mariée garde-toi bien de t'asseoir et de t'attabler pour des beuveries, de crainte que ton coeur ne succombe à ses charmes et que dans ta passion tu ne glisses à ta perte.

Ecclésiastique 9, 10 N'abandonne pas un vieil ami, le nouveau venu ne le vaudra pas. Vin nouveau, ami nouveau, laisse-le vieillir, tu le boiras avec délices.

Ecclésiastique 9, 11 N'envie pas le succès du pécheur, tu ne sais comment cela finira.

Ecclésiastique 9, 12 Ne te félicite pas de la réussite des impies, souviens-toi qu'ici-bas ils ne resteront pas impunis.

Ecclésiastique 9, 13 Tiens-toi éloigné de l'homme qui est capable de tuer et tu n'auras aucune crainte de la mort. Si tu l'approches surveille-le bien, il pourrait t'ôter la vie. Sache bien que tu es entouré de pièges et que tu marches sur les remparts.

Ecclésiastique 9, 14 Autant que tu le peux fréquente ton prochain et prends conseil des sages.

Ecclésiastique 9, 15 Pour ta conversation recherche les hommes intelligents et que tous tes entretiens portent sur la loi du Très-Haut.

Ecclésiastique 9, 16 Que les justes soient tes commensaux et que ta fierté soit dans la crainte du Seigneur.

Ecclésiastique 9, 17 Un ouvrage fait de main d'ouvrier mérite louange, mais le chef du peuple, lui, doit être habile dans le discours.

Ecclésiastique 9, 18 Le beau parleur est redouté dans la ville et le bavard est détesté.

Ecclésiastique 10, 1 Le sage gouvernant tient son peuple dans la discipline et l'autorité d'un homme sensé est bien établie.

Ecclésiastique 10, 2 Tel le gouvernant et tels ses subordonnés, tel celui qui régit la ville et tels les habitants.

Ecclésiastique 10, 3 Un roi sans instruction est la ruine de son peuple, une ville doit sa prospérité à l'intelligence des chefs.

Ecclésiastique 10, 4 Aux mains du Seigneur est le gouvernement du monde; il suscite au bon moment le chef qui convient.

Ecclésiastique 10, 5 Le succès d'un homme est dans la main du Seigneur; c'est lui qui donne au scribe sa gloire.

Ecclésiastique 10, 6 Ne garde jamais rancune au prochain, quels que soient ses torts, et ne fais rien dans un mouvement de passion.

Ecclésiastique 10, 7 L'orgueil déplaît à Dieu comme à l'homme et tous deux ont l'injustice en horreur.

Ecclésiastique 10, 8 La souveraineté passe d'une nation à une autre par l'injustice, la violence et l'argent.

Ecclésiastique 10, 9 Pourquoi tant d'orgueil pour qui est terre et cendre, un être qui, vivant, a déjà les tripes dégoûtantes?

Ecclésiastique 10, 10 Une longue maladie se moque du médecin, qui est roi aujourd'hui demain mourra.

Ecclésiastique 10, 11 Quand un homme meurt, il reçoit en partage les insectes, les fauves et les vers.

Ecclésiastique 10, 12 Le principe de l'orgueil, c'est d'abandonner le Seigneur et de tenir son coeur éloigné du Créateur.

Ecclésiastique 10, 13 Car le principe de l'orgueil c'est le péché, celui qui s'y adonne répand l'abomination. C'est pourquoi le Seigneur lui a infligé d'étranges châtiments et l'a réduit à néant.

Ecclésiastique 10, 14 Le Seigneur a renversé le trône des puissants et fait asseoir à leur place les doux.

Ecclésiastique 10, 15 Le Seigneur a déraciné les orgueilleux et planté à leur place les humbles.

Ecclésiastique 10, 16 Le Seigneur a bouleversé le territoire des nations et les a anéanties jusqu'aux fondements de la terre.

Ecclésiastique 10, 17 Il les a quelquefois enlevées et détruites et a effacé du monde leur souvenir.

Ecclésiastique 10, 18 L'orgueil n'est pas fait pour l'homme ni la violente colère pour la race de la femme.

Ecclésiastique 10, 19 Quelle race est digne d'honneur? La race de l'homme. Quelle race est digne d'honneur? Ceux qui craignent le Seigneur. Quelle race est digne de mépris? La race de l'homme. Quelle race est digne de mépris? Ceux qui violent la loi.

Ecclésiastique 10, 20 Le chef est honoré parmi ses frères, ceux qui craignent le Seigneur sont honorés de lui.

Ecclésiastique 10, 22 Riche, chargé d'honneurs ou pauvre, qu'il mette sa fierté dans la crainte du Seigneur.

Ecclésiastique 10, 23 Ce n'est pas bien de mépriser un pauvre intelligent, il ne convient pas d'honorer un pécheur.

Ecclésiastique 10, 24 Grand, magistrat, puissant sont dignes d'honneur, mais nul n'est plus grand que celui qui craint le Seigneur.

Ecclésiastique 10, 25 L'esclave sage a les hommes libres comme serviteurs et l'homme instruit ne se plaint pas.

Ecclésiastique 10, 26 Ne fais pas le malin quand tu accomplis ta besogne, ne fais pas le glorieux quand tu es dans la gêne.

Ecclésiastique 10, 27 Mieux vaut l'homme qui travaille et vit dans l'abondance que celui qui va se glorifiant et n'a pas de quoi vivre.

Ecclésiastique 10, 28 Mon fils, glorifie-toi modestement et apprécie-toi à ta juste valeur.

Ecclésiastique 10, 29 Qui oserait justifier celui qui se fait tort à soi-même et estimer celui qui se méprise?

Ecclésiastique 10, 30 On honore le pauvre pour son savoir et le riche pour ses richesses.

Ecclésiastique 10, 31 Honoré dans la pauvreté, que serait-ce dans la richesse! méprisé dans la richesse, que serait-ce dans la pauvreté!

Ecclésiastique 11, 1 Le pauvre, s'il est sage, tient la tête haute et s'assied parmi les grands.

Ecclésiastique 11, 2 Ne félicite pas un homme pour sa prestance et ne prend personne en grippe d'après son apparence.

Ecclésiastique 11, 3 L'abeille est petite parmi les êtres ailés, mais ce qu'elle produit est d'une douceur exquise.

Ecclésiastique 11, 4 Ne t'enorgueillis pas lorsqu'on t'honore: car les oeuvres du Seigneur sont admirables, mais elles sont cachées aux hommes.

Ecclésiastique 11, 5 Souvent des souverains ont été assis sur le pavé et un inconnu a reçu le diadème.

Ecclésiastique 11, 6 Souvent des puissants ont été durement humiliés et des hommes illustres sont tombés au pouvoir d'autrui.

Ecclésiastique 11, 7 Ne blâme pas avant d'avoir examiné, réfléchis d'abord, puis exprime tes reproches.

Ecclésiastique 11, 8 Ne réponds pas avant d'avoir écouté, n'interviens pas au milieu du discours.

Ecclésiastique 11, 9 Ne t'échauffe pas pour une affaire qui ne te regarde pas et ne te mêle pas des querelles des pécheurs.

Ecclésiastique 11, 10 Mon fils n'entreprends pas beaucoup d'affaires; si tu les multiplies, tu ne t'en tireras pas indemne; même en courant, tu n'arriveras pas et tu ne pourras échapper par la fuite.

Ecclésiastique 11, 11 Il en est qui peinent, se fatiguent et se hâtent pour n'en être que mieux distancés.

Ecclésiastique 11, 12 Il y a des faibles qui réclament de l'aide, pauvres de biens et riches de dénuement; le Seigneur les regarde avec faveur, il les relève de leur misère.

Ecclésiastique 11, 13 Il leur fait relever la tête et beaucoup s'en étonnent.

Ecclésiastique 11, 14 Bien et mal, vie et mort, pauvreté et richesse, tout vient du Seigneur.

Ecclésiastique 11, 17 Le don du Seigneur reste fidèle aux hommes pieux et sa bienveillance les conduira à jamais.

Ecclésiastique 11, 18 Il y a des gens qui s'enrichissent à force d'avarice, voici quelle sera leur récompense:

Ecclésiastique 11, 19 Le jour où ils se disent: "J'ai trouvé le repos, maintenant je peux vivre sur mes biens", ils ne savent pas combien de temps cela durera: il leur faudra laisser cela à d'autres et mourir.

Ecclésiastique 11, 20 Sois attaché à ta besogne, occupe-t'en bien et vieillis dans ton travail.

Ecclésiastique 11, 21 N'admire pas les oeuvres du pécheur, confie-toi dans le Seigneur et tiens-toi à ta besogne. Car c'est chose facile aux yeux du Seigneur, rapidement, en un instant, d'enrichir un pauvre.

Ecclésiastique 11, 22 La bénédiction du Seigneur est la récompense de l'homme pieux, en un instant Dieu fait fleurir sa bénédiction.

Ecclésiastique 11, 23 Ne dis pas: "De quoi ai-je besoin? Désormais quel sera mon avoir?"

Ecclésiastique 11, 24 Ne dis pas: "J'ai suffisamment, quelle malchance pourrait m'atteindre?"

Ecclésiastique 11, 25 Au jour du bonheur on ne se souvient pas des maux et au jour du malheur on oublie le bonheur.

Ecclésiastique 11, 26 C'est qu'il est aisé au Seigneur, au jour de la mort, de rendre à chacun selon ses actes.

Ecclésiastique 11, 27 Une heure d'épreuve fait oublier le bien-être et c'est à sa dernière heure que les oeuvres d'un homme sont dévoilées.

Ecclésiastique 11, 28 Ne vante le bonheur de personne avant la fin, car c'est dans sa fin qu'on se fait connaître.

Ecclésiastique 11, 29 N'introduis pas chez toi n'importe qui, car nombreuses sont les ruses de l'intrigant.

Ecclésiastique 11, 30 Comme une perdrix captive dans sa cage, ainsi le coeur de l'orgueilleux, comme l'espion il attend ta ruine.

Ecclésiastique 11, 31 Changeant le bien en mal, il est à l'affût, aux meilleures qualités il trouve des tares.

Ecclésiastique 11, 32 Une étincelle allume un grand brasier, le pécheur est à l'affût pour faire couler le sang.

Ecclésiastique 11, 33 Prends garde au méchant car il complote le mal, crains qu'il ne t'inflige une flétrissure éternelle.

Ecclésiastique 11, 34 Introduis l'étranger, il mettra le trouble chez toi et il t'aliénera ta maisonnée.

Ecclésiastique 12, 1 Si tu fais le bien, sache à qui tu le fais et tes bienfaits ne seront pas perdus.

Ecclésiastique 12, 2 Fais le bien à un homme pieux, il te le rendra, sinon par lui-même, du moins par le Très-Haut.

Ecclésiastique 12, 3 Pas de bienfaits à qui persévère dans le mal et se refuse à faire la charité.

Ecclésiastique 12, 4 Donne à l'homme pieux et ne viens pas en aide au pécheur.

Ecclésiastique 12, 5 Fais le bien à qui est humble et ne donne pas à l'impie. Refuse-lui son pain, ne le lui donne pas, il en deviendrait plus fort que toi. Car tu serais payé au double en méchanceté pour tous les bienfaits dont tu l'aurais gratifié.

Ecclésiastique 12, 6 Car le Très-Haut lui-même a les pécheurs en horreur et aux impies il infligera une punition.

Ecclésiastique 12, 7 Donne à l'homme bon, mais ne viens pas en aide au pécheur.

Ecclésiastique 12, 8 Dans la prospérité on ne peut reconnaître le véritable ami, et dans l'adversité l'ennemi ne peut se cacher.

Ecclésiastique 12, 9 Quand un homme est heureux, ses ennemis ont du chagrin; quand il est malheureux, même son ami l'abandonne.

Ecclésiastique 12, 10 Ne te fie jamais à ton ennemi; de même que l'airain se rouille, ainsi fait sa méchanceté.

Ecclésiastique 12, 11 Même s'il se fait humble et s'avance en courbant l'échine, veille sur toi-même et méfie-toi de lui. Agis envers lui comme si tu polissais un miroir, sache que sa rouille ne tiendra pas jusqu'à la fin.

Ecclésiastique 12, 12 Ne le mets pas près de toi, il pourrait te renverser et prendre ta place. Ne le fais pas asseoir à ta droite, il chercherait à te ravir ton siège, et finalement tu comprendrais mes paroles, tu te repentirais en songeant à mon discours.

Ecclésiastique 12, 13 Qui aurait pitié du charmeur que mord le serpent et de tous ceux qui affrontent les bêtes féroces?

Ecclésiastique 12, 14 Il en va de même de celui qui fait du pécheur son compagnon et qui prend part à ses péchés.

Ecclésiastique 12, 15 Il reste quelque temps avec toi, mais, si tu chancelles, il ne se contient plus.

Ecclésiastique 12, 16 L'ennemi n'a que douceur sur les lèvres, mais dans son coeur il médite de te jeter dans la fosse. L'ennemi a des larmes dans les yeux, et s'il trouve l'occasion il ne se rassasiera pas de sang.

Ecclésiastique 12, 17 Si le sort t'est contraire, tu le trouveras là avant toi, et sous prétexte de t'aider il te saisira le talon.

Ecclésiastique 12, 18 Il hochera la tête et battra des mains, il ne fera que murmurer et changer de visage.

Ecclésiastique 13, 1 Qui touche à la poix s'englue, qui fréquente l'orgueilleux en vient à lui ressembler.

Ecclésiastique 13, 2 Ne te charge pas d'un lourd fardeau, ne te lie pas à plus fort et plus riche que toi. Pourquoi mettre le pot de terre avec le pot de fer? S'il le heurte il se brisera.

Ecclésiastique 13, 3 Le riche commet une injustice, il prend de grands airs; le pauvre est lésé, il se fait suppliant.

Ecclésiastique 13, 4 Si tu lui es utile il se sert de toi, si tu fais défaut, il s'écartera de toi.

Ecclésiastique 13, 5 As-tu quelque bien? Il vivra avec toi, il te dépouillera sans aucun remords.

Ecclésiastique 13, 6 A-t-il besoin de toi? Il t'enjôlera, te fera des sourires et te donnera de l'espoir, il t'adressera de bonnes paroles et dira: "De quoi as-tu besoin?"

Ecclésiastique 13, 7 Il t'humiliera au cours de ses festins, jusqu'à te dépouiller par deux et trois fois, et pour finir il se moquera de toi. Puis s'il t'aperçoit il s'écartera de toi en hochant la tête à ton sujet.

Ecclésiastique 13, 8 Prends garde de ne pas te laisser séduire, pour ne pas être humilié dans ta sottise.

Ecclésiastique 13, 9 Quand un grand t'appelle, dérobe-toi, il t'appellera de plus belle.

Ecclésiastique 13, 10 Ne te précipite pas, de peur d'être repoussé; ne te tiens pas trop loin, de peur d'être oublié.

Ecclésiastique 13, 11 Ne t'avise pas d'être familier avec lui, ne te fie pas à sa faconde. Par son verbiage il te met à l'épreuve, comme en se jouant il s'informe.

Ecclésiastique 13, 12 Impitoyable est celui qui colporte les propos; il ne t'épargne ni les coups ni les chaînes.

Ecclésiastique 13, 13 Prends garde et fais bien attention, car tu chemines en compagnie de ta propre ruine.

Ecclésiastique 13, 15 Tout être vivant aime son semblable et tout homme son prochain.

Ecclésiastique 13, 16 Toute bête s'accouple selon son espèce et l'homme s'associe à son semblable.

Ecclésiastique 13, 17 Comment pourraient s'entendre le loup et l'agneau? Ainsi en est-il du pécheur et de l'homme pieux.

Ecclésiastique 13, 18 Quelle paix peut-il y avoir entre l'hyène et le chien? Et quelle paix entre le riche et le pauvre?

Ecclésiastique 13, 19 Les onagres au désert sont le gibier des lions, ainsi les pauvres sont la proie des riches.

Ecclésiastique 13, 20 Pour l'orgueilleux l'humilité est une abjection: ainsi le riche a le pauvre en horreur.

Ecclésiastique 13, 21 Quand le riche fait un faux pas, ses amis le soutiennent; quand le malheureux fait une chute, ses amis le rejettent.

Ecclésiastique 13, 22 Quand le riche trébuche, beaucoup le reçoivent dans leurs bras, s'il dit des sottises, on le félicite. Quand le malheureux trébuche, on lui fait des reproches, s'il dit des choses sensées, il n'y a pas de place pour lui.

Ecclésiastique 13, 23 Quand le riche parle, tous se taisent et l'on porte aux nues son discours. Quand le pauvre parle, on dit: "Qui est-ce?" Et s'il achoppe on le jette par terre.

Ecclésiastique 13, 24 La richesse est bonne quand elle est sans péché, la pauvreté est mauvaise aux dires de l'impie.

Ecclésiastique 13, 25 Le coeur de l'homme modèle son visage soit en bien soit en mal.

Ecclésiastique 13, 26 A coeur en fête, gai visage; l'invention des proverbes est un travail pénible.

Ecclésiastique 14, 1 Heureux l'homme qui n'a pas péché en paroles et qui n'est pas tourmenté par le regret de ses fautes.

Ecclésiastique 14, 2 Heureux l'homme qui ne se fait pas à lui-même de reproches et qui ne sombre pas dans le désespoir.

Ecclésiastique 14, 3 A l'homme mesquin ne sied pas la richesse, et pour l'homme cupide à quoi bon de grands biens?

Ecclésiastique 14, 4 Qui amasse en se privant amasse pour autrui, de ses biens d'autres se repaîtront.

Ecclésiastique 14, 5 Celui qui est dur pour soi-même, pour qui serait-il bon? Il ne jouit même pas de ses propres biens.

Ecclésiastique 14, 6 Il n'y a pas homme plus cruel que celui qui se torture soi-même, c'est là le salaire de sa méchanceté.

Ecclésiastique 14, 7 S'il fait du bien, c'est par mégarde, finalement il laisse voir sa méchanceté.

Ecclésiastique 14, 8 C'est un méchant, l'homme aux regards cupides, qui détourne les yeux et méprise la vie d'autrui.

Ecclésiastique 14, 9 L'homme jaloux n'est pas content de ce qu'il a, la cupidité dessèche l'âme.

Ecclésiastique 14, 10 L'avare est chiche de pain et la disette est sur sa table.

Ecclésiastique 14, 11 Mon fils, si tu as de quoi, traite-toi bien, et présente au Seigneur les offrandes qu'il demande.

Ecclésiastique 14, 12 N'oublie pas que la mort ne tardera pas et que le pacte du shéol ne t'a pas été révélé.

Ecclésiastique 14, 13 Avant de mourir fais du bien à tes amis et selon tes moyens sois libéral.

Ecclésiastique 14, 14 Ne te refuse pas le bonheur présent, ne laisse rien échapper d'un légitime désir.

Ecclésiastique 14, 15 Ne laisseras-tu pas à d'autres ta fortune? Et tes biens ne seront-ils pas partagés par le sort?

Ecclésiastique 14, 16 Offre et reçois, trompe tes soucis, ce n'est pas au shéol qu'on peut chercher la joie.

Ecclésiastique 14, 17 Toute chair s'use comme un vêtement, la loi éternelle c'est qu'il faut mourir.

Ecclésiastique 14, 18 Comme le feuillage sur un arbre touffu tantôt tombe et tantôt repousse, ainsi les générations de chair et de sang: les uns meurent et les autres naissent.

Ecclésiastique 14, 19 Toute oeuvre corruptible périt et son auteur s'en va avec elle.

Ecclésiastique 14, 20 Heureux l'homme qui médite sur la sagesse et qui raisonne avec intelligence,

Ecclésiastique 14, 21 qui réfléchit dans son coeur sur les voies de la sagesse et qui s'applique à ses secrets.

Ecclésiastique 14, 22 Il la poursuit comme le chasseur, il est aux aguets sur sa piste;

Ecclésiastique 14, 23 il se penche à ses fenêtres et écoute à ses portes;

Ecclésiastique 14, 24 il se poste tout près de sa demeure et fixe un pieu dans ses murailles;

Ecclésiastique 14, 25 il dresse sa tente à proximité et s'établit dans une retraite de bonheur;

Ecclésiastique 14, 26 il place ses enfants sous sa protection et sous ses rameaux il trouve un abri;

Ecclésiastique 14, 27 sous son ombre il est protégé de la chaleur et il s'établit dans sa gloire.

Ecclésiastique 15, 1 Ainsi fait celui qui craint le Seigneur; celui qui se saisit de la loi reçoit la sagesse.

Ecclésiastique 15, 2 Elle vient au-devant de lui comme une mère, comme une épouse vierge elle l'accueille;

Ecclésiastique 15, 3 elle le nourrit du pain de la prudence, elle lui donne à boire l'eau de la sagesse;

Ecclésiastique 15, 4 il s'appuie sur elle et ne chancelle pas, il s'attache à elle et n'est pas confondu.

Ecclésiastique 15, 5 Elle l'élève au-dessus de ses compagnons, au milieu de l'assemblée elle lui ouvre la bouche.

Ecclésiastique 15, 6 Il trouve le bonheur et une couronne de joie, il reçoit en partage une renommée éternelle.

Ecclésiastique 15, 7 Jamais les insensés ne la posséderont, et les pécheurs jamais ne la verront.

Ecclésiastique 15, 8 Elle se tient à distance de l'orgueil et les menteurs ne songent pas à elle.

Ecclésiastique 15, 9 La louange ne sied pas à la bouche du pécheur puisqu'elle ne lui est pas accordée par le Seigneur.

Ecclésiastique 15, 10 Car c'est en sagesse que s'exprime la louange, et c'est le Seigneur qui la guide.

Ecclésiastique 15, 11 Ne dis pas: "C'est le Seigneur qui m'a fait pécher", car il ne fait pas ce qu'il a en horreur.

Ecclésiastique 15, 12 Ne dis pas: "C'est lui qui m'a égaré", car il n'a que faire d'un pécheur.

Ecclésiastique 15, 13 Le Seigneur hait toute espèce d'abomination et aucune n'est aimée de ceux qui le craignent.

Ecclésiastique 15, 14 C'est lui qui au commencement a fait l'homme et il l'a laissé à son conseil.

Ecclésiastique 15, 15 Si tu le veux, tu garderas les commandements pour rester fidèle à son bon plaisir.

Ecclésiastique 15, 16 Devant toi il a mis le feu et l'eau, selon ton désir étends la main.

Ecclésiastique 15, 17 Devant les hommes sont la vie et la mort, à leur gré l'une ou l'autre leur est donnée.

Ecclésiastique 15, 18 Car grande est la sagesse du Seigneur, il est tout-puissant et voit tout.

Ecclésiastique 15, 19 Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît lui-même toutes les oeuvres des hommes.

Ecclésiastique 15, 20 Il n'a commandé à personne d'être impie, il n'a donné à personne licence de pécher.

Ecclésiastique 16, 1 Ne désire pas une nombreuse descendance de propres à rien et ne mets pas ta joie dans des fils impies.

Ecclésiastique 16, 2 Quel que soit leur nombre ne te réjouis pas s'ils ne possèdent pas la crainte de Dieu.

Ecclésiastique 16, 3 Ne compte pas pour eux sur une longue vie et n'aie pas confiance dans leur destin, car mieux vaut un seul que mille et mourir sans enfants qu'avoir des fils impies.

Ecclésiastique 16, 4 Par un seul homme intelligent une ville se peuple, mais la race des pervers sera détruite.

Ecclésiastique 16, 5 J'ai vu de mes yeux beaucoup de choses semblables et de mes oreilles j'en ai entendu de plus fortes.

Ecclésiastique 16, 6 Dans l'assemblée des pécheurs s'allume le feu, dans la race rebelle s'est enflammée la Colère.

Ecclésiastique 16, 7 Dieu n'a point pardonné aux géants d'autrefois qui s'étaient révoltés, fiers de leur puissance.

Ecclésiastique 16, 8 Il n'a pas épargné la ville où habitait Lot: leur orgueil lui faisait horreur.

Ecclésiastique 16, 9 Il n'a pas eu pitié de la race de perdition: ceux qui se prévalaient de leurs péchés.

Ecclésiastique 16, 10 Il traita de même 600.000 hommes de pied, qui s'étaient ligués dans la dureté de leur coeur.

Ecclésiastique 16, 11 N'y eût-il qu'un seul homme au cou raide, il serait inouï qu'il restât impuni, car pitié et colère appartiennent au Seigneur puissant dans le pardon, répandant la colère.

Ecclésiastique 16, 12 Autant que sa miséricorde, autant est grande sa sévérité, il juge les hommes selon leurs oeuvres.

Ecclésiastique 16, 13 Il ne laisse pas impuni le pécheur avec ses larcins, il ne frustre pas la patience de l'homme pieux.

Ecclésiastique 16, 14 Il tient compte de tout acte de charité et chacun est traité selon ses oeuvres.

Ecclésiastique 16, 17 Ne dis pas: "Je me cacherai pour échapper au Seigneur; là-haut qui se souviendra de moi? Au milieu de la foule je ne serai pas reconnu, que suis-je dans la création immense?"

Ecclésiastique 16, 18 Voici: le ciel, le plus haut des cieux, l'abîme et la terre sont ébranlés lors de sa visite.

Ecclésiastique 16, 19 En même temps les montagnes et les fondements de la terre tremblent sous son regard.

Ecclésiastique 16, 20 Mais à tout cela on ne réfléchit pas; qui donc s'intéresse à ses voies?

Ecclésiastique 16, 21 La tempête aussi reste invisible, la plupart de ses oeuvres sont dans le secret.

Ecclésiastique 16, 22 "Les oeuvres de la justice, qui les annoncera? Qui les attendra? Car l'alliance est loin."

Ecclésiastique 16, 23 Ainsi pense l'homme court de sens; l'insensé, égaré, ne rêve que folies.

Ecclésiastique 16, 24 Ecoute-moi, mon fils, et acquiers la connaissance, applique ton coeur à mes paroles.

Ecclésiastique 16, 25 Avec mesure je te révélerai la discipline, avec soin je proclamerai la connaissance.

Ecclésiastique 16, 26 Lorsqu'au commencement Dieu créa ses oeuvres, sitôt faites, il leur attribua une place.

Ecclésiastique 16, 27 Il ordonna ses oeuvres pour l'éternité, depuis leurs origines jusqu'à leurs générations lointaines. Elles ne souffrent la faim ni la fatigue et n'abandonnent jamais leur tâche.

Ecclésiastique 16, 28 Aucune n'a jamais heurté l'autre et jamais elles ne désobéissent à sa parole.

Ecclésiastique 16, 29 Ensuite le Seigneur jeta les yeux sur la terre et la remplit de ses biens.

Ecclésiastique 16, 30 De toute espèce d'animaux il en couvrit la face et ils retourneront à la terre.

Ecclésiastique 17, 1 Le Seigneur a tiré l'homme de la terre pour l'y renvoyer ensuite.

Ecclésiastique 17, 2 Il a assigné aux hommes un nombre précis de jours et un temps déterminé, il a remis en leur pouvoir ce qui est sur terre.

Ecclésiastique 17, 3 Il les a revêtus de force, comme lui-même, à son image il les a créés.

Ecclésiastique 17, 4 A toute chair il a inspiré la terreur de l'homme, pour qu'il domine bêtes sauvages et oiseaux.

Ecclésiastique 17, 6 Il leur forma une langue, des yeux, des oreilles, il leur donna un coeur pour penser.

Ecclésiastique 17, 7 Il les remplit de science et d'intelligence et leur fit connaître le bien et le mal.

Ecclésiastique 17, 8 Il mit sa lumière dans leur coeur pour leur montrer la grandeur de ses oeuvres.

Ecclésiastique 17, 10 Ils loueront son saint nom, racontant la grandeur de ses oeuvres.

Ecclésiastique 17, 11 Il leur accorda encore la connaissance, il les gratifia de la loi de la vie:

Ecclésiastique 17, 12 il a conclu avec eux une alliance éternelle et leur a fait connaître ses jugements;

Ecclésiastique 17, 13 leurs yeux contemplèrent la grandeur de sa majesté, leurs oreilles entendirent la magnificence de sa voix.

Ecclésiastique 17, 14 Il leur dit: "Gardez-vous de tout mal", il leur donna des commandements chacun à l'égard de son prochain.

Ecclésiastique 17, 15 Leur conduite est toujours devant lui, jamais cachée à ses regards.

Ecclésiastique 17, 17 A chaque peuple il a préposé un prince, mais Israël est la portion du Seigneur.

Ecclésiastique 17, 19 Toutes leurs actions sont devant lui comme le soleil, ses regards sont assidus à observer leur conduite.

Ecclésiastique 17, 20 Leurs injustices ne lui sont point cachées, tous leurs péchés sont devant le Seigneur.

Ecclésiastique 17, 22 L'aumône d'un homme est pour lui comme un sceau, il conserve un bienfait comme la pupille de l'oeil.

Ecclésiastique 17, 23 Un jour il se lèvera et les récompensera, sur leur tête il fera venir leur récompense.

Ecclésiastique 17, 24 Mais à ceux qui se repentent il accorde un retour, il réconforte ceux qui ont perdu l'espérance.

Ecclésiastique 17, 25 Convertis-toi au Seigneur et renonce à tes péchés, implore-le bien en face, cesse de l'offenser.

Ecclésiastique 17, 26 Reviens vers le Très-Haut, détourne-toi de l'injustice et hais vigoureusement l'iniquité.

Ecclésiastique 17, 27 Car qui louera le Très-Haut dans le shéol, si les vivants ne lui rendent gloire?

Ecclésiastique 17, 28 La louange est inconnue des morts comme de ceux qui ne sont pas, celui qui a vie et santé glorifie le Seigneur.

Ecclésiastique 17, 29 Qu'elle est grande la miséricorde du Seigneur, son indulgence pour ceux qui se tournent vers lui!

Ecclésiastique 17, 30 Car l'homme ne peut tout avoir, puisque le fils d'homme n'est pas immortel.

Ecclésiastique 17, 31 Quoi de plus lumineux que le soleil? Pourtant il disparaît. La chair et le sang ne peuvent nourrir que malice.

Ecclésiastique 17, 32 C'est lui qui surveille les puissances en haut des cieux, et tous les hommes ne sont que terre et cendre.

Ecclésiastique 18, 1 Celui qui vit éternellement a créé tout ensemble.

Ecclésiastique 18, 2 Le Seigneur seul sera proclamé juste.

Ecclésiastique 18, 4 A personne il n'a donné le pouvoir d'annoncer ses oeuvres et qui découvrira ses merveilles?

Ecclésiastique 18, 5 Qui pourra mesurer la puissance de sa majesté et qui pourra en outre raconter ses miséricordes?

Ecclésiastique 18, 6 On n'y peut rien retrancher et rien ajouter, et l'on ne peut découvrir les merveilles du Seigneur.

Ecclésiastique 18, 7 Quand un homme a fini, c'est alors qu'il commence, et quand il s'arrête il est tout déconcerté.

Ecclésiastique 18, 8 Qu'est-ce que l'homme? A quoi sert-il? Quel est son bien et quel est son mal?

Ecclésiastique 18, 9 La durée de sa vie: cent ans tout au plus.

Ecclésiastique 18, 10 Une goutte d'eau tirée de la mer, un grain de sable, telles sont ces quelques années auprès de l'éternité.

Ecclésiastique 18, 11 C'est pourquoi le Seigneur use avec eux de patience et répand sur eux sa miséricorde.

Ecclésiastique 18, 12 Il voit, il sait combien leur fin est misérable, c'est pourquoi il a multiplié son pardon.

Ecclésiastique 18, 13 La pitié de l'homme est pour son prochain, mais la pitié du Seigneur est pour toute chair: il reprend, il corrige, il enseigne, il ramène, tel le berger, son troupeau.

Ecclésiastique 18, 14 Il a pitié de ceux qui trouvent la discipline et qui cherchent avec zèle ses jugements.

Ecclésiastique 18, 15 Mon fils, n'assaisonne pas de blâme tes bienfaits, ni tous tes cadeaux de paroles chagrines.

Ecclésiastique 18, 16 La rosée ne calme-t-elle pas la chaleur? Ainsi la parole vaut mieux que le cadeau.

Ecclésiastique 18, 17 Certes, une parole ne vaut-elle pas mieux qu'un riche présent? Mais l'homme charitable unit les deux.

Ecclésiastique 18, 18 L'insensé ne donne rien et fait affront, et le don de l'envieux brûle les yeux.

Ecclésiastique 18, 19 Avant de parler, instruis-toi, avant d'être malade, soigne-toi.

Ecclésiastique 18, 20 Avant le jugement éprouve-toi, au jour de la visite tu seras acquitté.

Ecclésiastique 18, 21 Humilie-toi avant de tomber malade, quand tu as péché montre ton repentir.

Ecclésiastique 18, 22 Que rien ne t'empêche d'accomplir un voeu en temps voulu, n'attends pas la mort pour te mettre en règle.

Ecclésiastique 18, 23 Avant de faire un voeu, prépare-toi et ne sois pas comme un homme qui tente le Seigneur.

Ecclésiastique 18, 24 Pense à la colère des derniers jours, à l'heure de la vengeance, quand Dieu détourne sa face.

Ecclésiastique 18, 25 Quand tu es dans l'abondance songe à la disette, à la pauvreté et à la misère quand tu es riche.

Ecclésiastique 18, 26 Entre matin et soir le temps s'écoule, tout passe vite devant le Seigneur.

Ecclésiastique 18, 27 En toutes choses le sage est sur ses gardes, aux jours de péché il évite l'offense.

Ecclésiastique 18, 28 Tout homme sensé reconnaît la sagesse; à qui l'a trouvée il fait son compliment.

Ecclésiastique 18, 29 Des hommes intelligents et diserts ont cultivé, eux aussi, la sagesse et se sont épanchés en maximes excellentes.

Ecclésiastique 18, 30 Ne te laisse pas entraîner par tes passions et refrène tes désirs.

Ecclésiastique 18, 31 Si tu t'accordes la satisfaction de tes appétits, tu fais la risée de tes ennemis.

Ecclésiastique 18, 32 Ne te complais pas dans une existence voluptueuse, ne te lie pas à une telle société.

Ecclésiastique 18, 33 Ne t'appauvris pas en festoyant avec de l'argent emprunté, quand tu n'as pas un sou en poche.

Ecclésiastique 19, 1 Un ouvrier buveur ne sera jamais riche, qui méprise les riens peu à peu s'appauvrit.

Ecclésiastique 19, 2 Le vin et les femmes pervertissent les hommes sensés, qui fréquente les prostituées perd toute pudeur.

Ecclésiastique 19, 3 Des larves et des vers il sera la proie et l'homme téméraire y perdra la vie.

Ecclésiastique 19, 4 Celui qui a la confiance facile montre sa légèreté, celui qui pèche se fait tort à soi-même.

Ecclésiastique 19, 5 Celui qui prend plaisir au mal sera condamné,

Ecclésiastique 19, 6 celui qui hait le bavardage échappe au mal.

Ecclésiastique 19, 7 Ne rapporte jamais ce qu'on t'a dit et jamais on ne te nuira;

Ecclésiastique 19, 8 à ton ami comme à ton ennemi ne raconte rien, à moins qu'il n'y ait faute pour toi, ne le révèle pas;

Ecclésiastique 19, 9 on t'écouterait, on se méfierait de toi et à l'occasion on te haïrait.

Ecclésiastique 19, 10 As-tu entendu quelque chose? Sois un tombeau. Courage! tu n'en éclateras pas!

Ecclésiastique 19, 11 Une parole entendue, et voilà le sot en travail comme la femme en mal d'enfant.

Ecclésiastique 19, 12 Une flèche plantée dans la cuisse, telle est une parole dans le ventre du sot.

Ecclésiastique 19, 13 Va trouver ton ami: peut-être n'a-t-il rien fait, et s'il a fait quelque chose il ne recommencera pas.

Ecclésiastique 19, 14 Va trouver ton voisin: peut-être n'a-t-il rien dit, et s'il a dit quelque chose il ne le redira pas.

Ecclésiastique 19, 15 Va trouver ton ami, car on calomnie souvent, ne crois pas tout ce qu'on te dit.

Ecclésiastique 19, 16 Souvent on glisse sans mauvaise intention; qui n'a jamais péché en parole?

Ecclésiastique 19, 17 Va trouver ton voisin avant d'en venir aux menaces, obéis à la loi du Très-Haut.

Ecclésiastique 19, 20 Toute sagesse est crainte du Seigneur et en toute sagesse il y a l'accomplissement de la loi.

Ecclésiastique 19, 22 Mais connaître le mal n'est pas la sagesse et le conseil des pécheurs n'est pas la prudence.

Ecclésiastique 19, 23 Il y a un savoir-faire qui est abominable; est insensé celui à qui manque la sagesse.

Ecclésiastique 19, 24 Mieux vaut être pauvre d'intelligence avec la crainte que surabonder de prudence et violer la loi.

Ecclésiastique 19, 25 Il y a un habile savoir-faire au service de l'injustice et tel pour établir son droit use de fourberie.

Ecclésiastique 19, 26 Tel marche courbé sous le chagrin mais au fond de lui ce n'est que ruse:

Ecclésiastique 19, 27 baissant la tête et faisant le sourd, s'il n'est pas démasqué il prend l'avantage sur toi.

Ecclésiastique 19, 28 Tel se sent trop faible pour pécher, qui fera le mal à la première occasion.

Ecclésiastique 19, 29 A son air on connaît un homme, à son visage on connaît l'homme de sens.

Ecclésiastique 19, 30 L'habit d'un homme, son rire, sa démarche révèlent ce qu'il est.

Ecclésiastique 20, 1 Il y a des reproches intempestifs, il y a un silence qui dénote l'homme sensé.

Ecclésiastique 20, 2 Mieux vaut faire des reproches que garder sa colère.

Ecclésiastique 20, 3 Celui qui s'accuse d'une faute évite la peine.

Ecclésiastique 20, 4 Tel l'eunuque qui voudrait déflorer une jeune fille, tel celui qui prétend rendre la justice par la violence.

Ecclésiastique 20, 5 Tel se tait et passe pour sage, tel autre se fait détester pour son bavardage.

Ecclésiastique 20, 6 Tel se tait parce qu'il ne sait que répondre, tel autre se tait qui attend son heure.

Ecclésiastique 20, 7 Le sage sait se taire jusqu'au bon moment, mais le bavard et l'insensé manquent l'occasion.

Ecclésiastique 20, 8 Celui qui parle trop se fait détester et celui qui prétend s'imposer suscite la haine.

Ecclésiastique 20, 9 Tel trouve son salut dans le malheur et parfois une aubaine provoque un dommage.

Ecclésiastique 20, 10 Il y a des générosités qui ne te profitent pas et il y a des générosités qui rapportent le double.

Ecclésiastique 20, 11 Parfois la gloire apporte l'humiliation et certains dans l'abaissement lèvent la tête.

Ecclésiastique 20, 12 Tel achète beaucoup de choses avec peu d'argent, et cependant les paie sept fois trop cher.

Ecclésiastique 20, 13 Par des paroles le sage se fait aimer, mais les générosités des sots vont en pure perte.

Ecclésiastique 20, 14 Le cadeau de l'insensé ne te sert à rien car ses yeux sont avides de recevoir le septuple;

Ecclésiastique 20, 15 il donne peu et reproche beaucoup, il ouvre la bouche comme un crieur public; il prête aujourd'hui, demain il redemande: c'est un homme détestable.

Ecclésiastique 20, 16 L'insensé dit: "Je n'ai pas un ami, de mes bienfaits nul ne me sait gré;

Ecclésiastique 20, 17 ceux qui mangent mon pain ont mauvaise langue." Tant de gens, si souvent, se gaussent de lui!

Ecclésiastique 20, 18 Mieux vaut un faux pas sur le pavé qu'une incartade de langage; c'est ainsi que trébuchent soudainement les méchants.

Ecclésiastique 20, 19 Un homme grossier est comme une gaudriole ressassée par des imbéciles.

Ecclésiastique 20, 20 De la bouche du sot on n'accepte pas un proverbe, car il ne le dit pas à propos.

Ecclésiastique 20, 21 Tel est préservé du péché par son indigence, à ses heures de loisir il n'a pas de remords.

Ecclésiastique 20, 22 Tel se perd par respect humain, il se perd par égard pour un insensé.

Ecclésiastique 20, 23 Tel par timidité fait des promesses à son ami et s'en fait un ennemi sans motif.

Ecclésiastique 20, 24 C'est une grave souillure pour un homme que le mensonge, il est ressassé par les ignorants.

Ecclésiastique 20, 25 Mieux vaut un voleur qu'un maître menteur, mais l'un et l'autre vont à leur perte.

Ecclésiastique 20, 26 L'habitude du mensonge est une abomination, la honte du menteur est sans cesse sur lui.

Ecclésiastique 20, 27 Par ses discours le sage se fait estimer et l'homme avisé plaît aux grands.

Ecclésiastique 20, 28 Celui qui cultive la terre obtient une bonne récolte, celui qui plaît aux grands se fait pardonner l'injustice.

Ecclésiastique 20, 29 Présents et cadeaux aveuglent les yeux des sages, comme un bâillon sur la bouche ils étouffent les reproches.

Ecclésiastique 20, 30 Sagesse cachée et trésor invisible, à quoi servent-ils l'un et l'autre?

Ecclésiastique 20, 31 Mieux vaut un homme qui cache sa folie qu'un homme qui cache sa sagesse.

Ecclésiastique 21, 1 Mon fils! tu as péché? Ne recommence plus et implore le pardon de tes fautes passées.

Ecclésiastique 21, 2 Comme tu fuirais le serpent, fuis la faute: si tu l'approches elle te mordra; ses dents sont des dents de lion qui ôtent la vie aux hommes.

Ecclésiastique 21, 3 Toute transgression est une épée à deux tranchants dont la blessure est incurable.

Ecclésiastique 21, 4 La terreur et la violence dévastent la richesse, ainsi la maison de l'orgueilleux sera détruite.

Ecclésiastique 21, 5 La prière du pauvre frappe les oreilles de Dieu, dont le jugement ne saurait tarder.

Ecclésiastique 21, 6 Qui hait la réprimande emprunte le sentier du pécheur, celui qui craint le Seigneur se convertit en son coeur.

Ecclésiastique 21, 7 Le beau parleur est connu partout mais l'homme réfléchi en connaît les faiblesses.

Ecclésiastique 21, 8 Bâtir sa maison avec l'argent d'autrui, c'est amasser des pierres pour sa tombe.

Ecclésiastique 21, 9 L'assemblée des pécheurs est un tas d'étoupe qui finira dans la flamme et le feu.

Ecclésiastique 21, 10 Le chemin des pécheurs est bien pavé, mais il aboutit au gouffre du shéol.

Ecclésiastique 21, 11 Celui qui garde la loi contrôle ses instincts, la perfection de la crainte du Seigneur c'est la sagesse.

Ecclésiastique 21, 12 Tel ne peut rien apprendre faute de dons naturels, mais il est des dons qui engendrent l'amertume.

Ecclésiastique 21, 13 La science du sage est riche comme l'abîme et son conseil est comme une source vive.

Ecclésiastique 21, 14 Le coeur du sot est comme un vase brisé qui ne retient aucune connaissance.

Ecclésiastique 21, 15 Si un homme instruit entend une parole sage, il l'apprécie et y ajoute du sien; qu'un débauché l'entende, elle lui déplaît, il la rejette derrière lui.

Ecclésiastique 21, 16 Le discours du sot pèse comme un fardeau en voyage, mais sur les lèvres du sage on trouve la grâce.

Ecclésiastique 21, 17 La parole de l'homme sensé est recherchée dans l'assemblée, ce qu'il dit, chacun le médite dans son coeur.

Ecclésiastique 21, 18 Une maison en ruines, telle est la sagesse du sot, et la science de l'insensé, ce sont des discours incohérents.

Ecclésiastique 21, 19 La discipline pour l'insensé, ce sont des entraves à ses pieds et des menottes à sa main droite.

Ecclésiastique 21, 20 Le sot éclate de rire bruyamment, le rire de l'homme de sens est rare et discret.

Ecclésiastique 21, 21 Pour l'homme sensé la discipline est un bijou d'or, un bracelet à son bras droit.

Ecclésiastique 21, 22 Le sot se hâte de faire son entrée, l'homme expérimenté prend une attitude modeste;

Ecclésiastique 21, 23 de la porte l'insensé regarde à l'intérieur, l'homme bien élevé reste dehors.

Ecclésiastique 21, 24 C'est le fait d'un mal élevé que d'écouter aux portes, un homme sensé en sent le déshonneur.

Ecclésiastique 21, 25 Les lèvres des bavards répètent les paroles d'autrui, les paroles des sages sont soigneusement pesées.

Ecclésiastique 21, 26 Le coeur des sots est dans leur bouche, mais la bouche des sages c'est leur coeur.

Ecclésiastique 21, 27 Quand l'impie maudit le Satan, il se maudit soi-même.

Ecclésiastique 21, 28 Le médisant se fait tort à soi-même et se fait détester de son entourage.

Ecclésiastique 22, 1 Le paresseux est semblable à une pierre crottée, tout le monde le persifle.

Ecclésiastique 22, 2 Le paresseux est semblable à une poignée d'ordures, quiconque le touche secoue la main.

Ecclésiastique 22, 3 C'est la honte d'un père que d'avoir donné le jour à un fils mal élevé, mais une fille naît pour sa confusion.

Ecclésiastique 22, 4 Une fille sensée trouvera un mari, mais la fille indigne est le chagrin de celui qui l'a engendrée.

Ecclésiastique 22, 5 Une fille éhontée déshonore son père et son mari, l'un et l'autre la renient.

Ecclésiastique 22, 6 Remontrances inopportunes: musique en un jour de deuil; coups de fouet et correction, voilà en tout temps la sagesse.

Ecclésiastique 22, 9 C'est recoller des tessons que d'enseigner un sot, c'est réveiller un homme abruti de sommeil.

Ecclésiastique 22, 10 Raisonner un sot c'est raisonner un homme assoupi, à la fin il dira: "De quoi s'agit-il?"

Ecclésiastique 22, 11 Pleure un mort: il a perdu la lumière, pleure un insensé: il a perdu l'esprit; pleure plus doucement le mort, car il a trouvé le repos, pour l'insensé la vie est plus triste que la mort.

Ecclésiastique 22, 12 Pour un mort le deuil dure sept jours, pour l'insensé et l'impie, tous les jours de leur vie.

Ecclésiastique 22, 13 N'adresse pas de longs discours à l'insensé, ne va pas au-devant du sot, garde-toi de lui pour n'avoir pas d'ennuis, pour ne pas te souiller à son contact. Ecarte-toi de lui, tu trouveras le repos, ses divagations ne t'ennuieront pas.

Ecclésiastique 22, 14 Qu'y-a-t-il de plus lourd que le plomb? Comment cela s'appelle-t-il? L'insensé.

Ecclésiastique 22, 15 Le sable, le sel, la masse de fer sont plus faciles à porter que l'insensé.

Ecclésiastique 22, 16 Une charpente de bois assemblée dans une construction ne se laisse pas disjoindre par un tremblement de terre; un coeur résolu, après mûre réflexion, ne se laisse pas émouvoir à l'heure du danger.

Ecclésiastique 22, 17 Un coeur appuyé sur une sage réflexion est comme un ornement de stuc sur un mur poli.

Ecclésiastique 22, 18 De petits cailloux au sommet d'un mur ne résistent pas au vent: le coeur du sot effrayé par ses imaginations ne peut résister à la peur.

Ecclésiastique 22, 19 En frappant l'oeil on fait couler des larmes, en frappant le coeur on fait apparaître les sentiments.

Ecclésiastique 22, 20 Qui lance une pierre sur des oiseaux les fait envoler, qui fait un reproche à son ami tue l'amitié.

Ecclésiastique 22, 21 Si tu as tiré l'épée contre ton ami, ne te désespère pas: il peut revenir;

Ecclésiastique 22, 22 si tu as ouvert la bouche contre ton ami, ne crains pas: une réconciliation est possible, sauf le cas d'outrage, mépris, trahison d'un secret, coup perfide, car alors ton ami s'en ira.

Ecclésiastique 22, 23 Gagne la confiance de ton prochain dans sa pauvreté afin que, dans sa prospérité, tu jouisses avec lui de ses biens; aux jours d'épreuve demeure-lui fidèle afin de recevoir, s'il vient à hériter, ta part de l'héritage.

Ecclésiastique 22, 24 Précédant les flammes on voit la vapeur du brasier et la fumée; ainsi, précédant le sang, les injures.

Ecclésiastique 22, 25 Je n'aurai pas honte de protéger un ami et de lui je ne me cacherai pas;

Ecclésiastique 22, 26 et s'il m'arrive du mal par lui, tous ceux qui l'apprendront se garderont de lui.

Ecclésiastique 22, 27 Qui mettra une garde à ma bouche et sur mes lèvres le sceau du discernement, afin que je ne trébuche pas par leur fait, que ma langue ne cause pas ma perte?

Ecclésiastique 23, 1 Seigneur, père et maître de ma vie, ne m'abandonne pas à leur caprice, ne me laisse pas trébucher par leur fait.

Ecclésiastique 23, 2 Qui appliquera le fouet à mes pensées et à mon coeur la discipline de la sagesse, afin qu'on n'épargne pas mes erreurs et que mes péchés n'échappent pas?

Ecclésiastique 23, 3 De peur que mes erreurs ne se multiplient et que mes péchés ne surabondent, que je ne tombe aux mains de mes adversaires et que mon ennemi ne se moque de moi.

Ecclésiastique 23, 4 Seigneur, père et Dieu de ma vie, fais que mes regards ne soient pas altiers,

Ecclésiastique 23, 5 détourne de moi l'envie,

Ecclésiastique 23, 6 que la sensualité et la luxure ne s'emparent pas de moi, ne me livre pas au désir impudent.

Ecclésiastique 23, 7 Enfants, écoutez mon enseignement, celui qui le garde ne sera pas confondu.

Ecclésiastique 23, 8 Le pécheur est pris par ses propres lèvres, elles font choir le médisant et l'orgueilleux.

Ecclésiastique 23, 9 N'accoutume pas ta bouche à faire des serments, ne prends pas l'habitude de prononcer le nom du Saint.

Ecclésiastique 23, 10 Car de même qu'un domestique toujours surveillé n'échappera pas aux coups, ainsi celui qui jure et invoque le Nom à tort et à travers ne sera pas exempt de faute.

Ecclésiastique 23, 11 Un homme prodigue de serments est rempli d'impiété et le fléau ne s'éloignera pas de sa maison. S'il pèche, sa faute sera sur lui; s'il a agi à la légère, il a péché doublement; s'il a fait un faux serment, il ne sera pas justifié, car sa maison sera pleine de calamités.

Ecclésiastique 23, 12 Il y a une manière de parler qui ressemble à la mort, qu'elle ne soit pas en usage dans l'héritage de Jacob, car les hommes pieux repoussent tout cela, ils ne se vautrent pas dans le péché.

Ecclésiastique 23, 13 N'habitue pas ta bouche à l'impureté grossière où se trouve la parole du péché.

Ecclésiastique 23, 14 Souviens-toi de ton père et de ta mère quand tu sièges au milieu des grands, de crainte que tu ne t'oublies en leur présence, que tu ne te conduises comme un sot, et que tu n'en arrives à souhaiter de n'être pas né et à maudire le jour de ta naissance.

Ecclésiastique 23, 15 Un homme accoutumé aux paroles répréhensibles ne se corrigera de sa vie.

Ecclésiastique 23, 16 Deux sortes d'êtres multiplient les péchés et la troisième attire la colère:

Ecclésiastique 23, 17 la passion brûlante comme un brasier: elle ne s'éteindra pas qu'elle ne soit assouvie; l'homme qui convoite sa propre chair: il n'aura de cesse que le feu ne le consume; à l'homme impudique toute nourriture est douce, il ne se calmera qu'à sa mort.

Ecclésiastique 23, 18 L'homme qui pèche sur sa propre couche et dit en son coeur: "Qui me voit? L'ombre m'environne, les murs me protègent, personne ne me voit, que craindrais-je? Le Très-Haut ne se souviendra pas de mes fautes."

Ecclésiastique 23, 19 Ce qu'il craint ce sont les yeux des hommes, il ne sait pas que les yeux du Seigneur sont 10.000 fois plus lumineux que le soleil, qu'ils observent toutes les actions des hommes et pénètrent dans les recoins les plus secrets.

Ecclésiastique 23, 20 Avant qu'il créât, toutes choses lui étaient connues, elles le sont encore après leur achèvement.

Ecclésiastique 23, 21 En pleine ville cet homme sera puni, quand il s'y attend le moins il sera pris.

Ecclésiastique 23, 22 Il en est de même de la femme infidèle à son mari qui lui apporte un héritier conçu d'un étranger.

Ecclésiastique 23, 23 Tout d'abord elle a désobéi à la loi du Très-Haut, ensuite elle est coupable envers son mari; en troisième lieu elle s'est souillée par l'adultère et a conçu des enfants d'un étranger.

Ecclésiastique 23, 24 Elle sera traduite devant l'assemblée et on examinera ses enfants.

Ecclésiastique 23, 25 Ses enfants n'auront pas de racines, ses branches ne porteront pas de fruit.

Ecclésiastique 23, 26 Elle laissera un souvenir de malédiction et sa honte ne sera jamais effacée.

Ecclésiastique 23, 27 Et ceux qui viennent après elle sauront que rien ne vaut la crainte du Seigneur et que rien n'est plus doux que de s'attacher aux commandements du Seigneur.

Ecclésiastique 24, 1 La Sagesse fait son propre éloge, au milieu de son peuple elle montre sa fierté.

Ecclésiastique 24, 2 Dans l'assemblée du Très-Haut elle ouvre la bouche, devant la Puissance elle montre sa fierté.

Ecclésiastique 24, 3 "Je suis issue de la bouche du Très-Haut et comme une vapeur j'ai couvert la terre.

Ecclésiastique 24, 4 J'ai habité dans les cieux et mon trône était une colonne de nuée.

Ecclésiastique 24, 5 Seule j'ai fait le tour du cercle des cieux, j'ai parcouru la profondeur des abîmes.

Ecclésiastique 24, 6 Dans les flots de la mer, sur toute la terre, chez tous les peuples et toutes les nations, j'ai régné.

Ecclésiastique 24, 7 Parmi eux tous j'ai cherché le repos, j'ai cherché en quel patrimoine m'installer.

Ecclésiastique 24, 8 Alors le créateur de l'univers m'a donné un ordre, celui qui m'a créée m'a fait dresser ma tente, Il m'a dit: Installe-toi en Jacob, entre dans l'héritage d'Israël.

Ecclésiastique 24, 9 Avant les siècles, dès le commencement il m'a créée, éternellement je subsisterai.

Ecclésiastique 24, 10 Dans la Tente sainte, en sa présence, j'ai officié; c'est ainsi qu'en Sion je me suis établie,

Ecclésiastique 24, 11 et que dans la cité bien-aimée j'ai trouvé mon repos, qu'en Jérusalem j'exerce mon pouvoir.

Ecclésiastique 24, 12 Je me suis enracinée chez un peuple plein de gloire, dans le domaine du Seigneur, en son patrimoine.

Ecclésiastique 24, 13 J'y ai grandi comme le cèdre du Liban, comme le cyprès sur le mont Hermon.

Ecclésiastique 24, 14 J'ai grandi comme le palmier d'Engaddi, comme les plants de roses de Jéricho, comme un olivier magnifique dans la plaine, j'ai grandi comme un platane.

Ecclésiastique 24, 15 Comme le cinnamome et l'acanthe j'ai donné du parfum, comme une myrrhe de choix j'ai embaumé, comme le galbanum, l'onyx, le labdanum, comme la vapeur d'encens dans la Tente.

Ecclésiastique 24, 16 J'ai étendu mes rameaux comme le térébinthe, ce sont des rameaux de gloire et de grâce.

Ecclésiastique 24, 17 Je suis comme une vigne aux pampres gracieux, et mes fleurs sont des produits de gloire et de richesse.

Ecclésiastique 24, 19 Venez à moi, vous qui me désirez; et rassasiez-vous de mes produits.

Ecclésiastique 24, 20 Car mon souvenir est plus doux que le miel, mon héritage plus doux qu'un rayon de miel.

Ecclésiastique 24, 21 Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif.

Ecclésiastique 24, 22 Celui qui m'obéit n'aura pas à en rougir et ceux qui font mes oeuvres ne pécheront pas."

Ecclésiastique 24, 23 Tout cela n'est autre que le livre de l'alliance du Dieu Très-Haut, la Loi promulguée par Moïse, laissée en héritage aux assemblées de Jacob.

Ecclésiastique 24, 25 C'est elle qui fait abonder la sagesse comme les eaux du Phisôn, comme le Tigre à la saison des fruits;

Ecclésiastique 24, 26 qui fait déborder l'intelligence comme l'Euphrate, comme le Jourdain au temps de la moisson;

Ecclésiastique 24, 27 qui fait couler la discipline comme le Nil, comme le Gihôn aux jours des vendanges.

Ecclésiastique 24, 28 Le premier n'a pas fini de la découvrir, et de même le dernier ne l'a pas trouvée.

Ecclésiastique 24, 29 Car ses pensées sont plus vastes que la mer, ses desseins plus grands que l'abîme.

Ecclésiastique 24, 30 Et moi, je suis comme un canal issu d'un fleuve, comme un cours d'eau conduisant au paradis.

Ecclésiastique 24, 31 J'ai dit: "Je vais arroser mon jardin, je vais irriguer mes parterres." Et voici que mon canal est devenu fleuve et le fleuve est devenu mer.

Ecclésiastique 24, 32 Je ferai luire la discipline dès le matin, je porterai au loin sa lumière.

Ecclésiastique 24, 33 Je répandrai l'instruction comme une prophétie et je la transmettrai aux générations futures.

Ecclésiastique 24, 34 Voyez: ce n'est pas pour moi que je travaille, mais pour tous ceux qui la cherchent.

Ecclésiastique 25, 1 Il est trois choses que mon âme désire, qui sont agréables à Dieu et aux hommes: l'accord entre frères, l'amitié entre voisins, un mari et une femme qui s'entendent bien.

Ecclésiastique 25, 2 Il est trois sortes de gens que hait mon âme, et dont l'existence me met hors de moi: un pauvre gonflé d'orgueil, un riche menteur, un vieillard adultère et dénué de sens.

Ecclésiastique 25, 3 Si tu n'as rien amassé dans ta jeunesse, comment dans ta vieillesse aurais-tu quelque chose?

Ecclésiastique 25, 4 Quelle belle chose que le jugement joint aux cheveux blancs et, pour les anciens, de connaître le conseil!

Ecclésiastique 25, 5 Quelle belle chose que la sagesse chez les vieillards et chez les grands du monde une pensée réfléchie!

Ecclésiastique 25, 6 La couronne des vieillards, c'est une riche expérience, leur fierté, c'est la crainte du Seigneur.

Ecclésiastique 25, 7 Il y a neuf choses qui me viennent à l'esprit et que j'estime heureuses et une dixième que je vais vous dire: un homme qui trouve sa joie dans ses enfants, celui qui voit, de son vivant, la chute de ses ennemis;

Ecclésiastique 25, 8 heureux celui qui vit avec une femme de sens, celui qui ne laboure pas avec un boeuf et un âne, celui qui n'a jamais péché par la parole, celui qui ne sert pas un maître indigne de lui;

Ecclésiastique 25, 9 heureux celui qui a trouvé la prudence et qui peut s'adresser à un auditoire attentif;

Ecclésiastique 25, 10 comme il est grand celui qui a trouvé la sagesse, mais personne ne surpasse celui qui craint le Seigneur.

Ecclésiastique 25, 11 Car la crainte du Seigneur l'emporte sur tout: celui qui la possède, à quoi le comparer?

Ecclésiastique 25, 13 Toute blessure, sauf une blessure du coeur! toute méchanceté, sauf une méchanceté de femme!

Ecclésiastique 25, 14 tout malheur, sauf un malheur qui vient de l'adversaire! toute injustice, sauf une injustice qui vient de l'ennemi!

Ecclésiastique 25, 15 Il n'y a pire venin que le venin du serpent, il n'y a pire haine que la haine d'un ennemi.

Ecclésiastique 25, 16 J'aimerais mieux habiter avec un lion ou un dragon qu'habiter avec une femme méchante.

Ecclésiastique 25, 17 La méchanceté d'une femme change son visage, elle fait grise mine, on dirait un ours.

Ecclésiastique 25, 18 Son mari s'attable parmi ses voisins et, malgré lui, il gémit amèrement.

Ecclésiastique 25, 19 Toute malice n'est rien près d'une malice de femme: que le sort des pécheurs lui advienne!

Ecclésiastique 25, 20 Une montée sablonneuse sous les pas d'un vieillard, telle est une femme bavarde pour un homme tranquille.

Ecclésiastique 25, 21 Ne te laisse pas prendre à la beauté d'une femme, ne t'éprends jamais d'une femme.

Ecclésiastique 25, 22 C'est un objet de colère, de reproche et de honte qu'une femme qui entretient son mari.

Ecclésiastique 25, 23 Coeur abattu, visage triste, blessure secrète, voilà l'oeuvre d'une femme méchante. Mains inertes et genoux sans force, telle est la femme qui fait le malheur de son mari.

Ecclésiastique 25, 24 C'est par la femme que le péché a commencé et c'est à cause d'elle que tous nous mourons.

Ecclésiastique 25, 25 Ne donne pas à l'eau un passage, ni à la femme méchante la liberté de parler.

Ecclésiastique 25, 26 Si elle n'obéit pas au doigt et à l'oeil, sépare-toi d'elle.

Ecclésiastique 26, 1 Heureux l'époux dont la femme est excellente, le nombre de ses jours sera doublé.

Ecclésiastique 26, 2 Une femme parfaite est la joie de son mari, il passera dans la paix toutes les années de sa vie.

Ecclésiastique 26, 3 Une femme excellente est une part de choix, attribuée à ceux qui craignent le Seigneur:

Ecclésiastique 26, 4 riches ou pauvres, leur coeur est en liesse, ils montrent toujours un visage joyeux.

Ecclésiastique 26, 5 Trois choses me font peur et une quatrième m'épouvante: une calomnie qui court la ville, une émeute populaire, une fausse accusation: tout cela est pire que la mort;

Ecclésiastique 26, 6 mais c'est crève-coeur et douleur qu'une femme jalouse d'une autre, et tout cela, c'est le fléau de la langue.

Ecclésiastique 26, 7 Une femme méchante, c'est un joug à boeufs mal attaché; prétendre la maîtriser, c'est saisir un scorpion.

Ecclésiastique 26, 8 Une femme qui boit, c'est un sujet de grande colère, elle ne peut cacher son déshonneur.

Ecclésiastique 26, 9 L'inconduite d'une femme se lit dans la vivacité de son regard et se reconnaît à ses oeillades.

Ecclésiastique 26, 10 Méfie-toi bien d'une fille hardie de peur que, se sentant les coudées franches, elle n'en profite.

Ecclésiastique 26, 11 Garde-toi bien des regards effrontés et ne t'étonne pas s'ils t'entraînent au mal.

Ecclésiastique 26, 12 Comme un voyageur altéré elle ouvre la bouche, elle boit de toutes les eaux qu'elle rencontre, elle va au-devant de toute fornication et offre son corps à l'impureté.

Ecclésiastique 26, 13 La grâce d'une épouse fait la joie de son mari et sa science est pour lui une force.

Ecclésiastique 26, 14 Une femme silencieuse est un don du Seigneur, celle qui est bien élevée est sans prix.

Ecclésiastique 26, 15 Une femme pudique est une double grâce, celle qui est chaste est d'une valeur inestimable.

Ecclésiastique 26, 16 Comme le soleil levant sur les montagnes du Seigneur, ainsi le charme d'une jolie femme dans une maison bien tenue.

Ecclésiastique 26, 17 Une lumière brillant sur un lampadaire sacré, ainsi la beauté d'un visage sur un corps bien planté.

Ecclésiastique 26, 18 Des colonnes d'or sur une base d'argent, ainsi de belles jambes sur des talons solides.

Ecclésiastique 26, 28 Il y a deux choses qui me font de la peine et la troisième m'excite la bile: un guerrier qui vieillit dans la misère, des hommes de sens qui souffrent le mépris, celui qui passe de la justice au péché; le Seigneur le destine à périr par l'épée.

Ecclésiastique 26, 29 Un marchand résiste difficilement à la tentation et le trafiquant ne saurait être sans péché.

Ecclésiastique 27, 1 Beaucoup ont péché par amour du gain, celui qui veut s'enrichir se montre impitoyable.

Ecclésiastique 27, 2 Un piquet s'enfonce entre deux pierres jointes, entre vente et achat une faute s'introduit.

Ecclésiastique 27, 3 Qui ne s'attache pas fermement à la crainte du Seigneur, sa maison sera bientôt détruite.

Ecclésiastique 27, 4 Dans le crible qu'on secoue il reste des saletés, de même les défauts de l'homme dans ses discours.

Ecclésiastique 27, 5 Le four éprouve les vases du potier, l'épreuve de l'homme est dans sa conversation.

Ecclésiastique 27, 6 Le verger où croît l'arbre est jugé à ses fruits, ainsi la parole d'un homme fait connaître ses sentiments.

Ecclésiastique 27, 7 Ne loue personne avant qu'il n'ait parlé, car c'est là qu'est la pierre de touche.

Ecclésiastique 27, 8 Si tu poursuis la justice, tu l'atteindras, tu t'en revêtiras comme d'une robe d'apparat.

Ecclésiastique 27, 9 Les oiseaux cherchent la compagnie de leurs semblables, la vérité revient à ceux qui la pratiquent.

Ecclésiastique 27, 10 Le lion guette sa proie, ainsi le péché guette ceux qui commettent l'injustice.

Ecclésiastique 27, 11 Le discours de l'homme pieux est toujours sagesse, mais l'insensé est changeant comme la lune.

Ecclésiastique 27, 12 Pour aller chez les insensés, attends l'occasion, avec les gens réfléchis attarde-toi sans crainte.

Ecclésiastique 27, 13 Le discours des sots est une horreur, leur rire éclate dans les délices du péché.

Ecclésiastique 27, 14 Le langage de l'homme prodigue de serments fait dresser les cheveux, quand il se querelle on se bouche les oreilles.

Ecclésiastique 27, 15 La querelle des orgueilleux fait couler le sang et leurs injures sont pénibles à entendre.

Ecclésiastique 27, 16 Qui révèle les secrets perd son crédit et ne trouve plus d'ami selon son coeur.

Ecclésiastique 27, 17 Envers ton ami sois affectueux et confiant, mais si tu as révélé ses secrets ne cours plus après lui;

Ecclésiastique 27, 18 car, comme on supprime un homme en le tuant, tu as tué l'amitié de ton prochain.

Ecclésiastique 27, 19 Comme on ouvre la main et l'oiseau s'envole, tu as perdu ton ami, tu ne le rattraperas pas.

Ecclésiastique 27, 20 Ne le poursuis pas: il est loin, il s'est enfui comme la gazelle échappée au filet.

Ecclésiastique 27, 21 Car on panse une blessure, on pardonne une injure, mais pour qui a révélé un secret, plus d'espoir.

Ecclésiastique 27, 22 Qui cligne de l'oeil machine le mal, nul ne peut l'en détourner.

Ecclésiastique 27, 23 En ta présence il est tout miel, il s'extasie devant tes propos; mais par derrière il change de langage et de tes paroles fait une pierre d'achoppement.

Ecclésiastique 27, 24 Je hais bien des choses, mais rien tant que cet homme, et le Seigneur le hait aussi.

Ecclésiastique 27, 25 Qui jette une pierre en l'air se la jette sur la tête, qui frappe en traître en subit le contrecoup.

Ecclésiastique 27, 26 Qui creuse une fosse y tombera, qui tend un piège s'y fera prendre.

Ecclésiastique 27, 27 Qui fait le mal, le mal retombera sur lui, sans même qu'il sache d'où il lui vient.

Ecclésiastique 27, 28 Sarcasme et injure sont le fait de l'orgueilleux, mais la vengeance le guette comme un lion.

Ecclésiastique 27, 29 Ils seront pris au piège ceux que réjouit la chute des hommes pieux, la douleur les consumera avant leur mort.

Ecclésiastique 27, 30 Rancune et colère, voilà encore des choses abominables qui sont le fait du pécheur.

Ecclésiastique 28, 1 Celui qui se venge éprouvera la vengeance du Seigneur qui tient un compte rigoureux des péchés.

Ecclésiastique 28, 2 Pardonne à ton prochain ses torts, alors, à ta prière, tes péchés te seront remis.

Ecclésiastique 28, 3 Si un homme nourrit de la colère contre un autre, comment peut-il demander à Dieu la guérison?

Ecclésiastique 28, 4 Pour un homme, son semblable, il est sans compassion, et il prierait pour ses propres fautes!

Ecclésiastique 28, 5 Lui qui n'est que chair garde rancune, qui lui pardonnera ses péchés?

Ecclésiastique 28, 6 Souviens-toi de la fin et cesse de haïr, de la corruption et de la mort, et sois fidèle aux commandements.

Ecclésiastique 28, 7 Souviens-toi des commandements et ne garde pas rancune au prochain, de l'alliance du Très-Haut, et passe par-dessus l'offense.

Ecclésiastique 28, 8 Reste à l'écart des querelles et tu éviteras le péché; l'homme passionné attise les querelles;

Ecclésiastique 28, 9 le pécheur sème le trouble parmi les amis, parmi les gens qui vivent en paix il jette la brouille.

Ecclésiastique 28, 10 Le feu brûle suivant son combustible, la querelle se propage d'après sa violence; la fureur d'un homme dépend de sa force, sa colère monte selon sa richesse.

Ecclésiastique 28, 11 Une querelle soudaine allume le feu, une dispute irréfléchie fait verser le sang.

Ecclésiastique 28, 12 Souffle sur une flammèche, elle s'enflamme, crache dessus, elle s'éteint: telle est la puissance de ta bouche.

Ecclésiastique 28, 13 Fi du bavard et du fourbe: ils ont perdu beaucoup de gens qui vivaient en paix.

Ecclésiastique 28, 14 La troisième langue a ébranlé bien des gens, les a dispersés d'une nation à l'autre; elle a détruit de puissantes cités et renversé des maisons de grands.

Ecclésiastique 28, 15 La troisième langue a fait répudier des femmes parfaites, les dépouillant du fruit de leurs travaux.

Ecclésiastique 28, 16 Qui lui prête l'oreille ne trouve plus le repos, ne peut plus demeurer dans la paix.

Ecclésiastique 28, 17 Un coup de fouet laisse une marque, mais un coup de langue brise les os.

Ecclésiastique 28, 18 Bien des gens sont tombés par l'épée, mais beaucoup plus ont péri par la langue.

Ecclésiastique 28, 19 Heureux qui est à l'abri de ses atteintes, qui n'est pas exposé à sa fureur, qui n'a pas porté son joug, qui n'a pas été lié de ses chaînes.

Ecclésiastique 28, 20 Car son joug est un joug de fer et ses chaînes des chaînes d'airain.

Ecclésiastique 28, 21 Une mort terrible, la mort qu'elle inflige, et le shéol lui est préférable.

Ecclésiastique 28, 22 Elle n'a pas d'emprise sur les hommes pieux, ils ne sont pas brûlés à sa flamme.

Ecclésiastique 28, 23 Ceux qui abandonnent le Seigneur sont ses victimes, en eux elle brûlera sans s'éteindre, elle sera lancée contre eux comme un lion, elle les déchirera comme une panthère.

Ecclésiastique 28, 24 Vois, entoure d'épines ta propriété, serre ton argent et ton or.

Ecclésiastique 28, 25 Dans ton langage use de balances et de poids, à ta bouche mets porte et verrou.

Ecclésiastique 28, 26 Garde-toi de faire par elle des faux pas, tu tomberais au pouvoir de celui qui te guette.

Ecclésiastique 29, 1 Prêter à son prochain, c'est pratiquer la miséricorde, lui venir en aide, c'est observer les commandements.

Ecclésiastique 29, 2 Sache prêter à ton prochain lorsqu'il est dans le besoin; à ton tour, restitue au temps convenu.

Ecclésiastique 29, 3 Tiens bien ta parole et sois loyal avec autrui, et dans tous tes besoins tu trouveras ce qu'il te faut.

Ecclésiastique 29, 4 Beaucoup traitent un prêt comme une aubaine et mettent dans la gêne ceux qui les ont aidés.

Ecclésiastique 29, 5 Avant de recevoir, on baise les mains du prêteur, on parle humblement de ses richesses. Au jour de l'échéance, on tire en longueur, on s'acquitte en récrimination, on s'en prend aux circonstances.

Ecclésiastique 29, 6 Peut-on s'acquitter? Le prêteur recevra à peine la moitié de son argent et il pourra s'estimer heureux. Dans le cas contraire on l'aura frustré de son argent et il aura, sans l'avoir mérité, un ennemi de plus qui s'acquitte en malédictions et en injures et qui rend des outrages en guise de révérence.

Ecclésiastique 29, 7 Bien des gens, sans malice, se refusent à prêter, ils ne se soucient pas d'être dépouillés malgré eux.

Ecclésiastique 29, 8 Pourtant, sois indulgent pour les malheureux, ne leur fais pas attendre tes aumônes.

Ecclésiastique 29, 9 Pour obéir au précepte, viens en aide au pauvre; il est dans le besoin: ne le renvoie pas les mains vides.

Ecclésiastique 29, 10 Sacrifie ton argent pour un frère et un ami, qu'il ne rouille pas en pure perte, sous une pierre.

Ecclésiastique 29, 11 Use de tes richesse selon les préceptes du Très-Haut, cela te sera plus utile que l'or.

Ecclésiastique 29, 12 Serre tes aumônes dans tes greniers, elles te délivreront de tout malheur.

Ecclésiastique 29, 13 Mieux qu'un fort bouclier, mieux qu'une lourde lance, devant l'ennemi, elles combattront pour toi.

Ecclésiastique 29, 14 L'homme de bien se porte caution pour son prochain; c'est avoir perdu toute honte que de l'abandonner.

Ecclésiastique 29, 15 N'oublie pas les services de ton garant: il a donné sa vie pour toi.

Ecclésiastique 29, 16 Des bontés de son garant le pécheur n'a cure, l'ingrat oublie celui qui l'a sauvé.

Ecclésiastique 29, 17 Une caution a ruiné bien des gens heureux et les a ballottés comme les vagues de la mer.

Ecclésiastique 29, 18 Elle a exilé des hommes puissants qui ont erré parmi des nations étrangères.

Ecclésiastique 29, 19 Le méchant qui se précipite pour cautionner en quête d'un profit se précipite vers la condamnation.

Ecclésiastique 29, 20 Viens en aide au prochain selon ton pouvoir et prends garde de ne pas tomber toi-même.

Ecclésiastique 29, 21 La première chose pour vivre, c'est l'eau, le pain et le vêtement, et une maison pour s'abriter.

Ecclésiastique 29, 22 Mieux vaut une vie de pauvre dans un abri de planches que des mets fastueux dans une maison étrangère.

Ecclésiastique 29, 23 Que tu aies peu ou beaucoup, montre-toi content, tu n'entendras pas le reproche de ton entourage.

Ecclésiastique 29, 24 Triste vie que d'aller de maison en maison, là où tu t'arrêtes, tu n'oses ouvrir la bouche;

Ecclésiastique 29, 25 tu es un étranger, tu sers à boire à un ingrat, et par-dessus le marché tu en entends de dures:

Ecclésiastique 29, 26 "Viens ici, étranger, mets la table, si tu as quelque chose, donne-moi à manger."

Ecclésiastique 29, 27 "Va-t'en, étranger, cède à un plus digne, mon frère vient me voir, j'ai besoin de la maison."

Ecclésiastique 29, 28 C'est dur pour un homme sensé de s'entendre reprocher l'hospitalité, et d'être traité comme un débiteur.

Ecclésiastique 30, 1 Qui aime son fils lui prodigue le fouet, plus tard ce fils sera sa consolation.

Ecclésiastique 30, 2 Qui élève bien son fils en tirera satisfaction et parmi ses connaissances il s'en montrera fier.

Ecclésiastique 30, 3 Celui qui instruit son fils rend jaloux son ennemi et se montre joyeux devant ses amis.

Ecclésiastique 30, 4 Qu'un père vienne à mourir, c'est comme s'il n'était pas mort, car il laisse après lui un fils qui lui ressemble.

Ecclésiastique 30, 5 Vivant, il a trouvé la joie dans sa présence, devant la mort il n'a pas eu de peine.

Ecclésiastique 30, 6 Contre ses ennemis il laisse un vengeur et pour ses amis quelqu'un qui leur rende leurs bienfaits.

Ecclésiastique 30, 7 Celui qui gâte son fils pansera ses blessures, à chacun de ses cris ses entrailles tressailliront.

Ecclésiastique 30, 8 Un cheval mal dressé devient rétif, un enfant laissé à lui-même devient mal élevé.

Ecclésiastique 30, 9 Cajole ton enfant, il te terrorisera, joue avec lui, il te fera pleurer.

Ecclésiastique 30, 10 Ne ris pas avec lui, si tu ne veux pas pleurer avec lui, tu finirais par grincer des dents.

Ecclésiastique 30, 11 Ne lui laisse pas de liberté pendant sa jeunesse et ne ferme pas les yeux sur ses sottises.

Ecclésiastique 30, 12 Fais-lui courber l'échine pendant sa jeunesse, meurtris-lui les côtes tant qu'il est enfant, de crainte que, révolté, il ne te désobéisse et que tu n'en éprouves de la peine.

Ecclésiastique 30, 13 Elève ton fils et forme-le bien, pour ne pas avoir à endurer son insolence.

Ecclésiastique 30, 14 Mieux vaut un pauvre sain et vigoureux qu'un riche éprouvé dans son corps.

Ecclésiastique 30, 15 Santé et vigueur valent mieux que tout l'or du monde, un corps vigoureux mieux qu'une immense fortune.

Ecclésiastique 30, 16 Il n'y a richesse préférable à la santé ni bien-être supérieur à la joie du coeur.

Ecclésiastique 30, 17 Plutôt la mort qu'une vie chagrine, l'éternel repos qu'une maladie persistante.

Ecclésiastique 30, 18 Des mets à profusion devant une bouche fermée, telles sont les offrandes déposées sur une tombe.

Ecclésiastique 30, 19 Que sert l'offrande à une idole qui ne mange ni ne sent! Tel est celui que le Seigneur persécute:

Ecclésiastique 30, 20 il regarde et soupire, il est comme un eunuque qui étreint une vierge et soupire.

Ecclésiastique 30, 21 Ne te laisse pas aller à la tristesse et ne t'abandonne pas aux idées noires.

Ecclésiastique 30, 22 La joie du coeur, voilà la vie de l'homme, la gaîté, voilà qui prolonge ses jours.

Ecclésiastique 30, 23 Trompe tes soucis, console ton coeur, chasse la tristesse: car la tristesse en a perdu beaucoup, elle ne saurait apporter de profit.

Ecclésiastique 30, 24 Passion et colère abrègent les jours, les soucis font vieillir avant l'heure.

Ecclésiastique 30, 25 A coeur généreux, bon appétit: il se soucie de ce qu'il mange.

Ecclésiastique 31, 1 Les insomnies que cause la richesse sont épuisantes, les soucis qu'elle apporte ôtent le sommeil.

Ecclésiastique 31, 2 Les soucis de la journée empêchent de dormir, une grave maladie éloigne le sommeil.

Ecclésiastique 31, 3 Le riche travaille à amasser des biens et lorsqu'il s'arrête, c'est pour se rassasier de plaisirs;

Ecclésiastique 31, 4 le pauvre travaille n'ayant pas de quoi vivre et dès qu'il s'arrête il tombe dans la misère.

Ecclésiastique 31, 5 Celui qui aime l'argent n'échappe guère au péché, celui qui poursuit le gain en sera la dupe.

Ecclésiastique 31, 6 Beaucoup ont été victimes de l'or, leur ruine était inévitable.

Ecclésiastique 31, 7 Car c'est un piège pour ceux qui lui sacrifient et tous les insensés s'y laissent prendre.

Ecclésiastique 31, 8 Bienheureux le riche qui se garde sans tache et qui ne court pas après l'or.

Ecclésiastique 31, 9 Qui est-il, que nous le félicitions? Car il fait des miracles dans son peuple.

Ecclésiastique 31, 10 Qui a subi cette épreuve et s'est révélé parfait? Ce lui sera un sujet de gloire. Qui a pu pécher et n'a pas péché, faire le mal et ne l'a pas fait?

Ecclésiastique 31, 11 Ses biens seront consolidés et l'assemblée publiera ses bienfaits.

Ecclésiastique 31, 12 As-tu pris place à une table somptueuse? N'ouvre pas la bouche pour la vanter, ne dis pas: "Quelle abondance!"

Ecclésiastique 31, 13 Souviens-toi que c'est mal d'avoir un oeil avide: y a-t-il pire créature que l'oeil? Aussi pleure-t-il à tout propos.

Ecclésiastique 31, 14 Là où ton hôte regarde, n'étends pas la main, ne te jette pas sur le plat en même temps que lui.

Ecclésiastique 31, 15 Juge le prochain d'après toi-même et en toute chose sois réfléchi.

Ecclésiastique 31, 16 Mange en homme bien élevé ce qui t'est présenté, ne joue pas des mâchoires, ne te rends pas odieux.

Ecclésiastique 31, 17 Arrête-toi le premier par bonne éducation, ne sois pas glouton, de crainte d'un affront.

Ecclésiastique 31, 18 Si tu es à table en nombreuse compagnie, ne te sers pas avant les autres.

Ecclésiastique 31, 19 Qu'il suffit de peu à un homme bien élevé! aussi, une fois couché, il respire librement.

Ecclésiastique 31, 20 A régime sobre, bon sommeil, on se lève tôt, on a l'esprit libre. L'insomnie, les vomissements, les coliques, voilà pour l'homme intempérant.

Ecclésiastique 31, 21 Si tu as été forcé de trop manger, lève-toi, va vomir et tu seras soulagé.

Ecclésiastique 31, 22 Ecoute-moi, mon fils, sans me mépriser: plus tard tu comprendras mes paroles. Dans tout ce que tu fais sois modéré et jamais la maladie ne t'atteindra.

Ecclésiastique 31, 23 On vante hautement un hôte fastueux et l'éloge de sa munificence est durable.

Ecclésiastique 31, 24 Mais un hôte mesquin est décrié dans la ville et l'on cite les traits de son avarice.

Ecclésiastique 31, 25 Avec le vin ne fais pas le brave, car le vin a perdu bien des gens.

Ecclésiastique 31, 26 La fournaise éprouve la trempe de l'acier, ainsi le vin éprouve les coeurs dans un tournoi de fanfarons.

Ecclésiastique 31, 27 Le vin c'est la vie pour l'homme, quand on en boit modérément. Quelle vie mène-t-on privé de vin? Il a été créé pour la joie des hommes.

Ecclésiastique 31, 28 Gaîté du coeur et joie de l'âme, voilà le vin qu'on boit quand il faut et à sa suffisance.

Ecclésiastique 31, 29 Amertume de l'âme, voilà le vin qu'on boit avec excès, par passion et par défi.

Ecclésiastique 31, 30 L'ivresse excite la fureur de l'insensé pour sa perte, elle diminue sa force et provoque les coups.

Ecclésiastique 31, 31 Au cours d'un banquet ne provoque pas ton voisin et ne te moque pas de lui s'il est gai, ne lui adresse pas de reproche, ne l'agace pas en lui réclamant de l'argent.

Ecclésiastique 32, 1 On t'a fait président? Ne le prends pas de haut, sois avec les convives comme l'un d'eux, prends soin d'eux et ensuite assieds-toi.

Ecclésiastique 32, 2 Ayant rempli tous tes devoirs, prends place pour te réjouir avec eux et recevoir la couronne, prix de ta réussite.

Ecclésiastique 32, 3 Parle, vieillard, car cela te sied, mais avec discrétion: n'empêche pas la musique.

Ecclésiastique 32, 4 Au cours d'une audition ne prodigue pas les discours, ne sermonne pas à contretemps.

Ecclésiastique 32, 5 Un sceau d'escarboucle sur un bijou, tel est un concert musical au cours d'un banquet.

Ecclésiastique 32, 6 Un sceau d'émeraude sur une monture d'or, telle est une mélodie avec un vin de choix.

Ecclésiastique 32, 7 Parle, jeune homme, quand c'est nécessaire, deux fois au plus, si l'on t'interroge.

Ecclésiastique 32, 8 Résume ton discours, dis beaucoup en peu de mots, sache te montrer ensemble entendu et silencieux.

Ecclésiastique 32, 9 Ne traite pas avec les grands d'égal à égal, si un autre parle, sois sobre de paroles.

Ecclésiastique 32, 10 L'éclair précède le tonnerre, la grâce s'avance devant l'homme modeste.

Ecclésiastique 32, 11 L'heure venue, va-t'en, ne traîne pas, cours à la maison, ne flâne pas.

Ecclésiastique 32, 12 Là, divertis-toi, fais ce qui te plaît, mais ne pèche pas en parlant avec insolence.

Ecclésiastique 32, 13 Et pour cela bénis le Créateur, celui qui te comble de ses bienfaits.

Ecclésiastique 32, 14 Celui qui craint le Seigneur entend ses leçons, ceux qui le cherchent trouvent sa faveur.

Ecclésiastique 32, 15 Celui qui scrute la loi en est rassasié, mais pour l'hypocrite elle est un scandale.

Ecclésiastique 32, 16 Ceux qui craignent le Seigneur sont justifiés, ils font briller leurs bonnes actions comme une lumière.

Ecclésiastique 32, 17 Le pécheur n'accepte pas la réprimande, pour suivre sa volonté il trouve des excuses.

Ecclésiastique 32, 18 L'homme sensé ne méprise pas les avis, l'étranger et l'orgueilleux ne connaissent pas la crainte.

Ecclésiastique 32, 19 Ne fais rien sans réflexion, tu ne te repentiras pas de tes actes.

Ecclésiastique 32, 20 Ne suis pas un chemin raboteux, de crainte de buter sur les pierres.

Ecclésiastique 32, 21 Ne te fie pas au chemin uni

Ecclésiastique 32, 22 et méfie-toi de tes enfants.

Ecclésiastique 32, 23 En toutes choses veille sur toi-même, cela aussi, c'est observer les commandements.

Ecclésiastique 32, 24 Celui qui a confiance dans la loi observe ses préceptes, celui qui met sa confiance dans le Seigneur ne souffre aucun dommage.

Ecclésiastique 33, 1 Celui qui craint le Seigneur, le mal ne le frappe pas, et même dans l'épreuve, il sera délivré.

Ecclésiastique 33, 2 Celui qui hait la loi n'est pas sage, mais le faux observant est comme un vaisseau dans la tempête.

Ecclésiastique 33, 3 L'homme sensé met sa confiance dans la loi, la loi est pour lui digne de foi comme un oracle.

Ecclésiastique 33, 4 Prépare tes discours et tu te feras écouter, rassemble ton savoir avant de répondre.

Ecclésiastique 33, 5 Les sentiments du sot sont comme une roue de chariot, son raisonnement comme un essieu qui tourne.

Ecclésiastique 33, 6 Un cheval en rut est comme un ami moqueur, dès qu'on veut le monter il hennit.

Ecclésiastique 33, 7 Pourquoi un jour est-il plus grand que l'autre, puisque, toute l'année, la lumière vient du soleil?

Ecclésiastique 33, 8 C'est qu'ils ont été distingués dans la pensée du Seigneur, qui a diversifié les saisons et les fêtes.

Ecclésiastique 33, 9 Il a exalté et consacré les uns et fait des autres des jours ordinaires.

Ecclésiastique 33, 10 Tous les hommes viennent du limon, c'est de la terre qu'Adam a été formé.

Ecclésiastique 33, 11 Dans sa grande sagesse le Seigneur les a distingués, il a diversifié leurs conditions.

Ecclésiastique 33, 12 Il en a bénit quelques-uns, il en a consacré et les a mis près de lui. Il en a maudit et humilié et les a rejetés de leur place.

Ecclésiastique 33, 13 Comme l'argile dans la main du potier, qui la façonne selon son bon plaisir, ainsi les hommes dans la main de leur Créateur qui les rétribue selon sa justice.

Ecclésiastique 33, 14 Vis-à-vis du mal il y a le bien, vis-à-vis de la mort, la vie. Ainsi, vis-à-vis de l'homme pieux, le pécheur.

Ecclésiastique 33, 15 Contemple donc toutes les oeuvres du Très-Haut, toutes vont par paires, en vis-à-vis.

Ecclésiastique 33, 16 Pour moi, dernier venu, j'ai veillé comme un grappilleur après les vendangeurs.

Ecclésiastique 33, 17 Par la bénédiction du Seigneur j'arrive le premier et comme le vendangeur j'ai rempli le pressoir.

Ecclésiastique 33, 18 Reconnaissez que je n'ai pas travaillé pour moi seul, mais pour tous ceux qui cherchent l'instruction.

Ecclésiastique 33, 19 Ecoutez-moi donc, grands du peuple, présidents de l'assemblée, prêtez l'oreille.

Ecclésiastique 33, 20 A ton fils, à ta femme, à ton frère, à ton ami, ne donne pas pouvoir sur toi pendant ta vie. Ne donne pas à un autre tes biens, tu pourrais le regretter et devrais les redemander.

Ecclésiastique 33, 21 Tant que tu vis et qu'il te reste un souffle, ne te livre pas au pouvoir de qui que ce soit.

Ecclésiastique 33, 22 Car il vaut mieux que tes enfants te supplient, plutôt que de tourner vers eux des regards suppliants.

Ecclésiastique 33, 23 En tout ce que tu fais, reste le maître, ne fais pas une tache à ta réputation.

Ecclésiastique 33, 24 Quand seront consommés les jours de ta vie, à l'heure de la mort, distribue ton héritage.

Ecclésiastique 33, 25 A l'âne le fourrage, le bâton, les fardeaux, au serviteur le pain, le châtiment, le travail.

Ecclésiastique 33, 26 Fais travailler ton esclave, tu trouveras le repos; laisse-lui les mains libres, il cherchera la liberté.

Ecclésiastique 33, 27 Le joug et la bride font plier la nuque, au mauvais serviteur la torture et la question.

Ecclésiastique 33, 28 Mets-le au travail pour qu'il ne reste pas oisif, car l'oisiveté enseigne tous les mauvais tours.

Ecclésiastique 33, 29 Mets-le à l'ouvrage comme il lui convient et s'il n'obéit pas mets-le aux fers.

Ecclésiastique 33, 30 Mais ne sois trop exigeant envers personne, ne fais rien de contraire à la justice.

Ecclésiastique 33, 31 Tu n'as qu'un esclave? Qu'il soit comme toi-même, puisque tu l'as acquis dans le sang.

Ecclésiastique 33, 32 Tu n'as qu'un esclave? Traite-le comme un frère, car tu en as besoin comme de toi-même.

Ecclésiastique 33, 33 Si tu le maltraites et qu'il prenne la fuite, sur quel chemin iras-tu le chercher?

Ecclésiastique 34, 1 Les espérances vaines et trompeuses sont pour l'insensé et les songes donnent des ailes aux sots.

Ecclésiastique 34, 2 C'est saisir une ombre et poursuivre le vent que de s'arrêter à des songes.

Ecclésiastique 34, 3 Miroir et songes sont choses semblables: en face d'un visage paraît son image.

Ecclésiastique 34, 4 De l'impur que peut-on tirer de pur? Du mensonge que peut-on tirer de vrai?

Ecclésiastique 34, 5 Divination, augures, songes, autant de vanités, ce sont là rêveries de femme enceinte.

Ecclésiastique 34, 6 A moins qu'ils ne soient envoyés en visiteurs du Très-Haut, n'y applique pas ton coeur.

Ecclésiastique 34, 7 Les songes ont égaré beaucoup de gens, ceux qui comptaient dessus ont échoué.

Ecclésiastique 34, 8 C'est sans mensonge que s'accomplit la Loi et la sagesse est parfaite dans la sincérité.

Ecclésiastique 34, 9 On a beaucoup appris quand on a beaucoup voyagé et un homme d'expérience parle avec intelligence.

Ecclésiastique 34, 10 Celui qui n'a pas été à l'épreuve connaît peu de choses, mais celui qui a voyagé déborde de savoir-faire.

Ecclésiastique 34, 11 J'ai beaucoup vu au cours de mes voyages et j'en ai compris plus que je ne saurais dire.

Ecclésiastique 34, 12 Bien des fois j'ai été en danger de mort, et j'ai été sauvé, voici de quelle manière:

Ecclésiastique 34, 13 Ceux qui craignent le Seigneur, leur esprit vivra, car leur espérance s'appuie sur qui peut les sauver.

Ecclésiastique 34, 14 Celui qui craint le Seigneur n'a peur de rien, il ne tremble pas, car Dieu est son espérance.

Ecclésiastique 34, 15 Heureuse l'âme de qui craint le Seigneur: sur qui s'appuie-t-il et qui est son soutien?

Ecclésiastique 34, 16 Les regards du Seigneur sont fixés sur ceux qui l'aiment, puissante protection, soutien plein de force, abri contre le vent du désert, ombrage contre l'ardeur du midi, protection contre les obstacles, assurance contre les chutes.

Ecclésiastique 34, 17 Il élève l'âme, il illumine les yeux, il donne santé, vie et bénédiction.

Ecclésiastique 34, 18 Sacrifier un bien mal acquis, c'est se moquer, les dons des méchants ne sont pas agréables.

Ecclésiastique 34, 19 Le Très-Haut n'agrée pas les offrandes des impies, ce n'est pas pour l'abondance des victimes qu'il pardonne les péchés.

Ecclésiastique 34, 20 C'est immoler le fils en présence de son père que d'offrir un sacrifice avec les biens des pauvres.

Ecclésiastique 34, 21 Une maigre nourriture, c'est la vie des pauvres, les en priver, c'est commettre un meurtre.

Ecclésiastique 34, 22 C'est tuer son prochain que de lui ôter la subsistance, c'est répandre le sang que de priver le salarié de son dû.

Ecclésiastique 34, 23 L'un bâtit, l'autre démolit; qu'en retirent-ils sinon de la peine?

Ecclésiastique 34, 24 L'un bénit, l'autre maudit: de qui le Maître écoutera-t-il la voix?

Ecclésiastique 34, 25 Qui se purifie du contact d'un mort et de nouveau le touche, que lui sert son ablution?

Ecclésiastique 34, 26 Ainsi l'homme qui jeûne pour ses péchés, puis s'en va et les commet encore; qui exaucera sa prière? Que lui sert de s'humilier?

Ecclésiastique 35, 1 Observer la loi c'est multiplier les offrandes, s'attacher aux préceptes c'est offrir des sacrifices de communion.

Ecclésiastique 35, 2 Se montrer charitable c'est faire une oblation de fleur de farine, faire l'aumône c'est offrir un sacrifice de louange.

Ecclésiastique 35, 3 Ce qui plaît au Seigneur c'est qu'on se détourne du mal, c'est offrir un sacrifice expiatoire que de fuir l'injustice.

Ecclésiastique 35, 4 Ne parais pas devant le Seigneur les mains vides, car tout cela est dû selon les préceptes.

Ecclésiastique 35, 5 L'offrande du juste réjouit l'autel, son parfum s'élève devant le Très-Haut.

Ecclésiastique 35, 6 Le sacrifice du juste est agréable, son mémorial ne sera pas oublié.

Ecclésiastique 35, 7 Glorifie le Seigneur avec générosité et ne sois pas avare des prémices que tu offres.

Ecclésiastique 35, 8 Chaque fois que tu fais une offrande montre un visage joyeux et consacre la dîme avec joie.

Ecclésiastique 35, 9 Donne au Très-Haut comme il t'a donné, avec générosité, selon tes moyens.

Ecclésiastique 35, 10 Car le Seigneur paie de retour, il te rendra au septuple.

Ecclésiastique 35, 11 N'essaie pas de le corrompre par des présents, il les refuse, ne t'appuie pas sur un sacrifice injuste.

Ecclésiastique 35, 12 Car le Seigneur est un juge qui ne fait pas acception de personnes.

Ecclésiastique 35, 13 Il ne considère pas les personnes pour faire tort au pauvre, il écoute l'appel de l'opprimé.

Ecclésiastique 35, 14 Il ne néglige pas la supplication de l'orphelin, ni de la veuve qui épanche ses plaintes.

Ecclésiastique 35, 15 Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas sur ses joues et son cri n'accable-t-il pas celui qui les provoque?

Ecclésiastique 35, 16 Celui qui sert Dieu de tout son coeur est agréé et son appel parvient jusqu'aux nuées.

Ecclésiastique 35, 17 La prière de l'humble pénètre les nuées; tant qu'elle n'est pas arrivée il ne se console pas.

Ecclésiastique 35, 18 Il n'a de cesse que le Très-Haut n'ait jeté les yeux sur lui, qu'il n'ait fait droit aux justes et rétabli l'équité.

Ecclésiastique 35, 19 Et le Seigneur ne tardera pas, il n'aura pas de patience à leur égard,

Ecclésiastique 35, 20 tant qu'il n'aura brisé les reins des violents et tiré vengeance des nations,

Ecclésiastique 35, 21 exterminé la multitude des orgueilleux et brisé le sceptre des injustes,

Ecclésiastique 35, 22 tant qu'il n'aura rendu à chacun selon ses oeuvres et jugé les actions humaines selon les coeurs,

Ecclésiastique 35, 23 tant qu'il n'aura rendu justice à son peuple et ne l'aura comblé de joie dans sa miséricorde.

Ecclésiastique 35, 24 La miséricorde est bonne au temps de la tribulation, comme les nuages de pluie au temps de la sécheresse.

Ecclésiastique 36, 1 Aie pitié de nous, maître, Dieu de l'univers, et regarde, répands ta crainte sur toutes les nations.

Ecclésiastique 36, 2 Lève la main contre les nations étrangères, et qu'elles voient ta puissance.

Ecclésiastique 36, 3 Comme, à leurs yeux, tu t'es montré saint envers nous, de même, à nos yeux, montre-toi grand envers elles.

Ecclésiastique 36, 4 Qu'elles te connaissent, tout comme nous avons connu qu'il n'y a pas d'autre Dieu que toi, Seigneur.

Ecclésiastique 36, 5 Renouvelle les prodiges et fais d'autres miracles, glorifie ta main et ton bras droit.

Ecclésiastique 36, 6 Réveille ta fureur, déverse ta colère, détruis l'adversaire, anéantis l'ennemi.

Ecclésiastique 36, 7 Hâte le temps, souviens-toi du serment, que l'on célèbre tes hauts faits.

Ecclésiastique 36, 8 Qu'un feu vengeur dévore les survivants, que les oppresseurs de ton peuple soient voués à la ruine.

Ecclésiastique 36, 9 Brise la tête des chefs étrangers qui disent: "Il n'y a que nous."

Ecclésiastique 36, 10 Rassemble toutes les tribus de Jacob, rends-leur leur héritage comme au commencement.

Ecclésiastique 36, 11 Aie pitié, Seigneur, du peuple appelé de ton nom, d'Israël dont tu as fait un premier-né.

Ecclésiastique 36, 12 Aie compassion de ta ville sainte, de Jérusalem le lieu de ton repos.

Ecclésiastique 36, 13 Remplis Sion de ta louange et ton sanctuaire de ta gloire.

Ecclésiastique 36, 14 Rends témoignage à tes premières créatures, accomplis les prophéties faites en ton nom.

Ecclésiastique 36, 15 Donne satisfaction à ceux qui espèrent en toi, que tes prophètes soient véridiques.

Ecclésiastique 36, 16 Exauce, Seigneur, la prière de tes serviteurs selon la bénédiction d'Aaron sur ton peuple.

Ecclésiastique 36, 17 Et que tous, sur la terre, reconnaissent que tu es le Seigneur, le Dieu éternel!

Ecclésiastique 36, 18 L'estomac accueille toute sorte de nourriture, mais tel aliment est meilleur qu'un autre.

Ecclésiastique 36, 19 Le palais reconnaît à son goût le gibier, de même le coeur avisé discerne les paroles mensongères.

Ecclésiastique 36, 20 Un coeur pervers donne du chagrin, l'homme d'expérience le paie de retour.

Ecclésiastique 36, 21 Une femme accepte n'importe quel mari, mais il y a des filles meilleures que d'autres.

Ecclésiastique 36, 22 La beauté d'une femme réjouit le regard, c'est le plus grand de tous les désirs de l'homme.

Ecclésiastique 36, 23 Si la bonté et la douceur sont sur ses lèvres, son mari est le plus heureux des hommes.

Ecclésiastique 36, 24 Celui qui acquiert une femme a le principe de la fortune, une aide semblable à lui, une colonne d'appui.

Ecclésiastique 36, 25 Faute de clôture le domaine est livré au pillage, sans une femme l'homme gémit et va à la dérive.

Ecclésiastique 36, 26 Comment se fier à un voleur de grand chemin qui court de ville en ville?

Ecclésiastique 36, 27 De même à l'homme qui n'a pas de nid, qui s'arrête là où la nuit le surprend.

Ecclésiastique 37, 1 Tout ami dit: "Moi aussi je suis ton ami", mais tel n'est ami que de nom.

Ecclésiastique 37, 2 N'est-ce pas pour un homme un chagrin mortel qu'un camarade ou un ami qui devient ennemi?

Ecclésiastique 37, 3 O mauvais penchant, pourquoi as-tu été créé, pour couvrir la terre de malice?

Ecclésiastique 37, 4 Le camarade félicite un ami dans le bonheur et au moment de l'adversité se tourne contre lui.

Ecclésiastique 37, 5 Le camarade compatit avec son ami par intérêt et au moment du combat prend les armes.

Ecclésiastique 37, 6 N'oublie pas ton ami dans ton coeur, ne perds pas son souvenir au milieu des richesses.

Ecclésiastique 37, 7 Tout conseiller donne des conseils, mais il en est qui cherchent leur intérêt.

Ecclésiastique 37, 8 Méfie-toi du donneur de conseils, demande-toi d'abord de quoi il a besoin -- car il donne ses conseils dans son propre intérêt -- de crainte qu'il ne jette son dévolu sur toi,

Ecclésiastique 37, 9 qu'il ne te dise: "Tu es sur la bonne voie", et ne reste à distance pour voir ce qui t'arrivera.

Ecclésiastique 37, 10 Ne consulte pas quelqu'un qui te regarde en dessous et à ceux qui t'envient, cache tes desseins.

Ecclésiastique 37, 11 Ne consulte pas non plus une femme sur sa rivale, ni un poltron sur la guerre, ni un négociant sur le commerce, ni un acheteur sur une vente, ni un envieux sur la reconnaissance, ni un égoïste sur la bienfaisance, ni un paresseux sur un travail quelconque, ni un mercenaire saisonnier sur l'achèvement d'une tâche, ni un domestique nonchalant sur un grand travail; ne t'appuie sur ces gens pour aucun conseil.

Ecclésiastique 37, 12 Mais adresse-toi toujours à un homme pieux, que tu connais pour observer les commandements, dont l'âme est comme la tienne, et qui, si tu échoues, sera compatissant.

Ecclésiastique 37, 13 Ensuite, tiens-toi au conseil de ton coeur, car nul ne peut t'être plus fidèle.

Ecclésiastique 37, 14 Car l'âme de l'homme l'avertit souvent mieux que sept veilleurs en faction sur une hauteur.

Ecclésiastique 37, 15 Et par-dessus tout cela, supplie le Très-Haut, qu'il dirige tes pas dans la vérité.

Ecclésiastique 37, 16 Le principe de toute oeuvre c'est la raison, avant toute entreprise il faut la réflexion.

Ecclésiastique 37, 17 La racine des pensées, c'est le coeur, il donne naissance à quatre rameaux:

Ecclésiastique 37, 18 le bien et le mal, la vie et la mort, et ce qui les domine toujours, c'est la langue.

Ecclésiastique 37, 19 Tel homme est habile pour enseigner les autres qui, pour lui-même, n'est bon à rien;

Ecclésiastique 37, 20 tel homme, beau parleur, est détesté, il finira par mourir de faim,

Ecclésiastique 37, 21 car le Seigneur ne lui accorde pas sa faveur: il est dépourvu de toute sagesse.

Ecclésiastique 37, 22 Tel est sage à ses propres yeux et les fruits de son intelligence sont, à l'entendre, assurés.

Ecclésiastique 37, 23 Le vrai sage enseigne son peuple et les fruits de son intelligence sont assurés.

Ecclésiastique 37, 24 Le sage est comblé de bénédiction, tous ceux qui le voient le proclament heureux.

Ecclésiastique 37, 25 Le temps de la vie humaine est compté, mais les jours d'Israël sont infinis.

Ecclésiastique 37, 26 Le sage, au milieu du peuple, s'acquiert la confiance: son nom vivra éternellement.

Ecclésiastique 37, 27 Mon fils, pendant ta vie éprouve ton tempérament, vois ce qui t'est contraire et ne te l'accorde pas.

Ecclésiastique 37, 28 Car tout ne convient pas à tous et tout le monde ne se trouve pas bien de tout.

Ecclésiastique 37, 29 Ne sois pas gourmand de toute friandise et ne te jette pas sur la nourriture,

Ecclésiastique 37, 30 car trop manger est malsain et l'intempérance provoque les coliques.

Ecclésiastique 37, 31 Beaucoup sont morts pour avoir trop mangé, celui qui se surveille prolonge sa vie.

Ecclésiastique 38, 1 Au médecin rends les honneurs qui lui sont dus, en considération de ses services, car lui aussi, c'est le Seigneur qui l'a créé.

Ecclésiastique 38, 2 C'est en effet du Très-Haut que vient la guérison, comme un cadeau qu'on reçoit du roi.

Ecclésiastique 38, 3 La science du médecin lui fait porter la tête haute, il fait l'admiration des grands.

Ecclésiastique 38, 4 Le Seigneur fait sortir de terre les simples, l'homme sensé ne les méprise pas.

Ecclésiastique 38, 5 N'est-ce pas une baguette de bois qui rendit l'eau douce, manifestant ainsi sa vertu?

Ecclésiastique 38, 6 C'est lui aussi qui donne aux hommes la science pour qu'ils se glorifient de ses oeuvres puissantes.

Ecclésiastique 38, 7 Il en fait usage pour soigner et soulager; le pharmacien en fait des mixtures.

Ecclésiastique 38, 8 Et ainsi ses oeuvres n'ont pas de fin et par lui le bien-être se répand sur la terre.

Ecclésiastique 38, 9 Mon fils, quand tu es malade ne te révolte pas, mais prie le Seigneur et il te guérira.

Ecclésiastique 38, 10 Renonce à tes fautes, garde tes mains nettes, de tout péché purifie ton coeur.

Ecclésiastique 38, 11 Offre de l'encens et un mémorial de fleur de farine et fais de riches offrandes selon tes moyens.

Ecclésiastique 38, 12 Puis aie recours au médecin, car le Seigneur l'a créé, lui aussi, ne l'écarte pas, car tu as besoin de lui.

Ecclésiastique 38, 13 Il y a des cas où la santé est entre leurs mains.

Ecclésiastique 38, 14 A leur tour en effet ils prieront le Seigneur qu'il leur accorde la faveur d'un soulagement et la guérison pour te sauver la vie.

Ecclésiastique 38, 15 Celui qui pèche aux yeux de son Créateur, qu'il tombe au pouvoir du médecin.

Ecclésiastique 38, 16 Mon fils, répands tes larmes pour un mort, pousse des lamentations pour montrer ton chagrin, puis enterre le cadavre selon le cérémonial et ne manque pas d'honorer sa tombe.

Ecclésiastique 38, 17 Pleure amèrement, frappe-toi la poitrine, observe le deuil comme le mort le mérite un ou deux jours durant, de peur de faire jaser, puis console-toi de ton chagrin.

Ecclésiastique 38, 18 Car le chagrin mène à la mort, un coeur abattu perd toute vigueur.

Ecclésiastique 38, 19 Avec le malheur persiste la peine, une vie de chagrin est insupportable.

Ecclésiastique 38, 20 N'abandonne pas ton coeur au chagrin, repousse-le. Songe à ta propre fin.

Ecclésiastique 38, 21 Ne l'oublie pas: il n'y a pas de retour, tu ne servirais de rien au mort et tu te ferais du mal.

Ecclésiastique 38, 22 "Souviens-toi de ma sentence qui sera aussi la tienne: moi hier, toi aujourd'hui!"

Ecclésiastique 38, 23 Dès qu'un mort repose, laisse reposer sa mémoire, console-toi de lui dès que son esprit est parti.

Ecclésiastique 38, 24 La sagesse du scribe s'acquiert aux heures de loisir et celui qui est libre d'affaires devient sage.

Ecclésiastique 38, 25 Comment deviendrait-il sage, celui qui tient la charrue, dont toute la gloire est de brandir l'aiguillon, qui mène des boeufs et ne les quitte pas au travail, et qui ne parle que de bétail?

Ecclésiastique 38, 26 Son coeur est occupé des sillons qu'il trace et ses veilles se passent à engraisser des génisses.

Ecclésiastique 38, 27 Pareillement tous les ouvriers et gens de métier qui travaillent jour et nuit, ceux qui font profession de graver des sceaux et qui s'efforcent d'en varier le dessin; ils ont à coeur de bien reproduire le modèle et veillent pour achever leur ouvrage.

Ecclésiastique 38, 28 Pareillement le forgeron assis près de l'enclume: il considère le fer brut; la vapeur du feu lui ronge la chair, dans la chaleur du four il se démène; le bruit du marteau l'assourdit, il a les yeux rivés sur son modèle; il met tout son coeur à bien faire son travail et il passe ses veilles à le parfaire.

Ecclésiastique 38, 29 Pareillement le potier, assis à son travail, de ses pieds faisant aller son tour, sans cesse préoccupé de son ouvrage, tous ses gestes sont comptés;

Ecclésiastique 38, 30 de son bras il pétrit l'argile, de ses pieds il la contraint; il met son coeur à bien appliquer le vernis et pendant ses veilles il nettoie le foyer.

Ecclésiastique 38, 31 Tous ces gens ont mis leur confiance en leurs mains et chacun est habile dans son métier.

Ecclésiastique 38, 32 Sans eux nulle cité ne pourrait se construire, on ne pourrait ni s'installer ni voyager.

Ecclésiastique 38, 33 Mais on ne les rencontre pas au conseil du peuple et à l'assemblée ils n'ont pas un rang élevé. Ils n'occupent pas le siège du juge et ne méditent pas sur la loi.

Ecclésiastique 38, 34 Ils ne brillent ni par leur culture ni par leur jugement, on ne les rencontre pas parmi les faiseurs de maximes. Mais ils assurent une création éternelle, et leur prière a pour objet les affaires de leur métier.

Ecclésiastique 39, 1 Il en va autrement de celui qui applique son âme et sa méditation à la loi du Très-Haut. Il scrute la sagesse de tous les anciens, il consacre ses loisirs aux prophéties.

Ecclésiastique 39, 2 Il conserve les récits des hommes célèbres, il pénètre dans les détours des paraboles.

Ecclésiastique 39, 3 Il cherche le sens caché des proverbes, il se complaît aux secrets des paraboles.

Ecclésiastique 39, 4 Il prend son service parmi les grands, on le remarque en présence des chefs. Il voyage dans les pays étrangers, il a fait l'expérience du bien et du mal parmi les hommes.

Ecclésiastique 39, 5 Dès le matin, de tout son coeur, il se tourne vers le Seigneur, son créateur; il supplie en présence du Très-Haut, il ouvre la bouche pour la prière, il supplie pour ses propres péchés.

Ecclésiastique 39, 6 Si telle est la volonté du Seigneur grand, il sera rempli de l'esprit d'intelligence. Lui-même répandra ses paroles de sagesse, dans sa prière il rendra grâce au Seigneur.

Ecclésiastique 39, 7 Il acquerra la droiture du jugement et de la connaissance, il méditera ses mystères cachés.

Ecclésiastique 39, 8 Il fera paraître l'instruction qu'il a reçue et mettra sa fierté dans la loi de l'alliance du Seigneur.

Ecclésiastique 39, 9 Beaucoup vanteront son intelligence et jamais on ne l'oubliera. Son souvenir ne s'effacera pas, son nom vivra de génération en génération.

Ecclésiastique 39, 10 Des nations proclameront sa sagesse et l'assemblée célébrera ses louanges.

Ecclésiastique 39, 11 S'il vit longtemps son nom sera plus glorieux que mille autres, et s'il meurt cela lui suffit.

Ecclésiastique 39, 12 Je veux encore faire part de mes réflexions, dont je suis rempli comme la lune en son plein.

Ecclésiastique 39, 13 Ecoutez-moi, mes pieux enfants, et grandissez comme la rose plantée au bord d'un cours d'eau.

Ecclésiastique 39, 14 Comme l'encens répandez une bonne odeur, fleurissez comme le lis, donnez votre parfum, chantez un cantique, bénissez le Seigneur pour toutes ses oeuvres.

Ecclésiastique 39, 15 Magnifiez son nom, publiez ses louanges, par vos chants, sur vos cithares, et vous direz à sa louange:

Ecclésiastique 39, 16 Qu'elles sont magnifiques, toutes les oeuvres du Seigneur! tous ses ordres sont exécutés ponctuellement. Il ne faut pas dire: Qu'est-ce que cela? Pourquoi cela? Tout doit être étudié en son temps.

Ecclésiastique 39, 17 A sa parole l'eau s'arrête et s'amasse, à sa voix se forment les réservoirs des eaux,

Ecclésiastique 39, 18 sur son ordre tout ce qu'il désire s'accomplit, il n'est personne qui arrête son geste de salut.

Ecclésiastique 39, 19 Toutes les oeuvres des hommes sont devant lui, il n'est pas possible d'échapper à son regard;

Ecclésiastique 39, 20 son regard s'étend de l'éternité à l'éternité, rien n'est extraordinaire à ses yeux.

Ecclésiastique 39, 21 Il ne faut pas dire: Qu'est-ce que cela? Pourquoi cela? Car tout a été créé pour une fin.

Ecclésiastique 39, 22 De même que sa bénédiction a tout recouvert comme un fleuve et abreuvé la terre comme un déluge,

Ecclésiastique 39, 23 de même aux nations il donne sa colère en partage, ainsi a-t-il changé les eaux en sel.

Ecclésiastique 39, 24 Si ses voies sont unies pour les hommes pieux, elles sont pour les méchants pleines d'obstacles.

Ecclésiastique 39, 25 Les biens ont été créés pour les bons dès le commencement, et de même, pour les méchants, les maux.

Ecclésiastique 39, 26 Ce qui est de première nécessité pour la vie de l'homme, c'est l'eau, le feu, le fer et le sel, la farine de froment, le lait et le miel, le jus de la grappe, l'huile et le vêtement.

Ecclésiastique 39, 27 Tout cela est un bien pour les bons, mais pour les pécheurs cela devient un mal.

Ecclésiastique 39, 28 Il y a des vents créés pour le châtiment et dans sa fureur il en a fait des fléaux, à l'heure de la consommation ils déchaînent leur violence et assouvissent la fureur de leur Créateur.

Ecclésiastique 39, 29 Le feu, la grêle, la famine et la mort, tout cela a été créé pour le châtiment.

Ecclésiastique 39, 30 Les dents des fauves, les scorpions et les vipères, l'épée vengeresse pour la perte des impies,

Ecclésiastique 39, 31 tous se font une joie d'exécuter ses ordres, ils sont sur la terre prêts pour le cas de besoin, le moment venu ils n'enfreindront pas sa parole.

Ecclésiastique 39, 32 C'est pourquoi dès le début j'étais décidé, j'ai réfléchi et j'ai écrit:

Ecclésiastique 39, 33 "Les oeuvres du Seigneur sont toutes bonnes, il donne sa faveur à qui en a besoin, à l'heure propice.

Ecclésiastique 39, 34 Il ne faut pas dire: "Ceci est moins bon que cela!" car tout en son temps sera reconnu bon.

Ecclésiastique 39, 35 Et maintenant de tout coeur, à pleine bouche, chantez, et bénissez le nom du Seigneur!"

Ecclésiastique 40, 1 Un sort pénible a été fait à tous les hommes, un joug pesant accable les fils d'Adam, depuis le jour qu'ils sortent du sein maternel jusqu'au jour de leur retour à la mère universelle.

Ecclésiastique 40, 2 L'objet de leurs réflexions, la crainte de leur coeur, c'est l'attente anxieuse du jour de leur mort.

Ecclésiastique 40, 3 Depuis celui qui siège sur un trône, dans la gloire, jusqu'au miséreux assis sur la terre et la cendre,

Ecclésiastique 40, 4 depuis celui qui porte la pourpre et la couronne jusqu'à celui qui est vêtu d'étoffe grossière, ce n'est que fureur, envie, trouble, inquiétude, crainte de la mort, rivalités et querelles.

Ecclésiastique 40, 5 Et à l'heure où, couché, l'on repose, le sommeil de la nuit ne fait que varier les soucis:

Ecclésiastique 40, 6 à peine a-t-on trouvé le repos qu'aussitôt, dormant, comme en plein jour, on est agité de cauchemars, comme un fuyard échappé du combat.

Ecclésiastique 40, 7 Au moment de la délivrance on s'éveille, tout surpris que sa peur soit vaine.

Ecclésiastique 40, 8 Pour toute créature, de l'homme à la bête, mais pour les pécheurs, au septuple,

Ecclésiastique 40, 9 la mort, le sang, la querelle et l'épée, malheurs, famine, tribulation, calamité!

Ecclésiastique 40, 10 Tout cela a été créé pour les pécheurs, et c'est à cause d'eux que vint le déluge.

Ecclésiastique 40, 11 Tout ce qui vient de la terre retourne à la terre, et ce qui vient de l'eau fait retour à la mer.

Ecclésiastique 40, 12 Les pots-de-vin et les injustices disparaîtront, mais la bonne foi tiendra éternellement.

Ecclésiastique 40, 13 Les richesses mal acquises s'évanouiront comme un torrent, comme le coup de tonnerre qui éclate pendant l'averse.

Ecclésiastique 40, 14 Quand il ouvre les mains il se réjouit, ainsi les pécheurs iront à la ruine.

Ecclésiastique 40, 15 Les rejetons des impies sont pauvres de rameaux, les racines impures ne trouvent qu'âpre rocher.

Ecclésiastique 40, 16 Le roseau qui abonde sur toutes les eaux et sur les bords du fleuve sera arraché le premier.

Ecclésiastique 40, 17 La charité est comme un paradis de bénédiction et l'aumône demeure à jamais.

Ecclésiastique 40, 18 L'homme indépendant et le travailleur ont la vie douce; mieux loti encore celui qui trouve un trésor.

Ecclésiastique 40, 19 Des enfants et une ville fondée perpétuent un nom; mieux encore apprécie-t-on une femme parfaite.

Ecclésiastique 40, 20 Le vin et les arts mettent la joie au coeur; mieux encore l'amour de la sagesse.

Ecclésiastique 40, 21 La flûte et la cithare agrémentent le chant; mieux encore une voix mélodieuse.

Ecclésiastique 40, 22 Beauté et grâce font la joie de l'oeil; mieux encore la verdure des champs.

Ecclésiastique 40, 23 Ami et camarade se rencontrent au bon moment; mieux encore la femme et l'homme.

Ecclésiastique 40, 24 Frères et protecteurs sont utiles aux mauvais jours; mieux encore l'aumône tire d'affaire.

Ecclésiastique 40, 25 L'or et l'argent rendent la démarche ferme; mieux encore estime-t-on le conseil.

Ecclésiastique 40, 26 La richesse et la force donnent un coeur assuré; mieux encore la crainte du Seigneur. Avec la crainte du Seigneur rien ne manque; avec elle on n'a pas à chercher d'appui.

Ecclésiastique 40, 27 La crainte du Seigneur est un paradis de bénédiction; mieux que toute gloire elle protège.

Ecclésiastique 40, 28 Mon fils, ne vis pas de mendicité, mieux vaut mourir que mendier.

Ecclésiastique 40, 29 L'homme qui louche vers la table d'autrui, sa vie ne saurait passer pour une vie. Il se souille la gorge de nourritures étrangères, un homme instruit et bien élevé s'en gardera.

Ecclésiastique 40, 30 A la bouche de l'impudent la mendicité est douce, mais à ses entrailles, c'est un feu brûlant.

Ecclésiastique 41, 1 O mort, quelle amertume que ta pensée pour l'homme qui vit heureux et au milieu de ses biens, pour l'homme arrivé à qui tout réussit et qui peut encore goûter la nourriture.

Ecclésiastique 41, 2 O mort, ta sentence est la bienvenue pour l'homme misérable et privé de ses forces, pour le vieillard usé, agité de soucis, révolté et à bout de patience.

Ecclésiastique 41, 3 Ne redoute pas l'arrêt de la mort, souviens-toi de ceux d'avant toi et de ceux d'après toi.

Ecclésiastique 41, 4 C'est la loi que le Seigneur a portée sur toute chair; pourquoi se révolter contre le bon plaisir du Très-Haut? Que tu vives dix ans, cent ans, mille ans, au shéol on ne te reprochera pas ta vie.

Ecclésiastique 41, 5 De méchants garnements, tels sont les fils des pécheurs, ceux qui hantent les maisons des impies.

Ecclésiastique 41, 6 L'héritage des fils des pécheurs va à la ruine, leur postérité est l'objet d'un continuel reproche.

Ecclésiastique 41, 7 Un père impie est insulté par ses enfants, car c'est de lui qu'ils tiennent le déshonneur.

Ecclésiastique 41, 8 Malheur à vous, impies, qui avez délaissé la loi du Dieu Très-Haut.

Ecclésiastique 41, 9 A votre naissance vous ne naissez que pour la malédiction; à votre mort la malédiction sera pour vous.

Ecclésiastique 41, 10 Tout ce qui vient de la terre retourne à la terre, ainsi vont les impies de la malédiction à la ruine.

Ecclésiastique 41, 11 Le deuil des hommes s'adresse à leurs dépouilles mais le nom maudit des pécheurs s'efface.

Ecclésiastique 41, 12 Aie souci de ton nom, car il te restera bien mieux que mille fortunes en or.

Ecclésiastique 41, 13 Une vie heureuse dure un certain nombre de jours, mais un nom honoré demeure à jamais.

Ecclésiastique 41, 14 Mes enfants, gardez en paix mes instructions. Sagesse cachée et trésor invisible, à quoi cela peut-il servir?

Ecclésiastique 41, 15 Mieux vaut un homme qui cache sa folie qu'un homme qui cache sa sagesse.

Ecclésiastique 41, 16 Ainsi donc éprouvez la honte selon ce que je vais dire, car il n'est pas bon de se plier à toute espèce de honte et tout n'est pas exactement apprécié de tous.

Ecclésiastique 41, 17 Ayez honte de la débauche devant un père et une mère et du mensonge devant un chef et un puissant;

Ecclésiastique 41, 18 du délit devant un juge et un magistrat et de l'impiété devant l'assemblée du peuple;

Ecclésiastique 41, 19 de la perfidie devant un compagnon ou un ami et du vol devant ton village;

Ecclésiastique 41, 20 devant la vérité de Dieu et l'alliance, aie honte de plier les coudes à table,

Ecclésiastique 41, 21 de l'affront en recevant ou en donnant, de rester sans réponse devant ceux qui te saluent,

Ecclésiastique 41, 22 d'arrêter ton regard sur une prostituée, de repousser ton compatriote,

Ecclésiastique 41, 23 de t'approprier la part d'un autre ou le cadeau qui lui est fait, de regarder une femme en puissance de mari,

Ecclésiastique 41, 24 d'avoir des privautés avec une servante, -- ne t'approche pas de son lit! --

Ecclésiastique 41, 25 d'avoir des paroles blessantes devant tes amis, -- après avoir donné ne fais pas de reproches! --

Ecclésiastique 41, 26 de répéter ce que tu entends dire et de révéler les secrets.

Ecclésiastique 41, 27 Alors tu connaîtras la véritable honte et tu trouveras grâce devant tous les hommes.

Ecclésiastique 42, 1 Mais de ce qui suit n'aie pas honte et ne pèche pas en tenant compte des personnes:

Ecclésiastique 42, 2 n'aie pas honte de la loi du Très-Haut ni de l'alliance, du jugement qui rend justice aux impies,

Ecclésiastique 42, 3 de compter avec un compagnon de voyage, de distribuer ton héritage à tes amis,

Ecclésiastique 42, 4 d'examiner les balances et les poids, d'obtenir de petits et de grands profits,

Ecclésiastique 42, 5 de faire du bénéfice en matière commerciale, de corriger sévèrement tes enfants, de meurtrir les flancs de l'esclave vicieux.

Ecclésiastique 42, 6 Avec une femme curieuse il est bon d'utiliser le sceau, là où il y a beaucoup de mains, mets les choses sous clef!

Ecclésiastique 42, 7 Pour les dépôts, comptes et poids sont de rigueur, et que tout, doit et avoir, soit mis par écrit.

Ecclésiastique 42, 8 N'aie pas honte de corriger l'insensé et le sot, et le vieillard décrépit qui discute avec des jeunes. Ainsi tu te montreras vraiment instruit et tu seras approuvé de tout le monde.

Ecclésiastique 42, 9 Sans le savoir une fille cause à son père bien du souci; le tracas qu'elle lui donne l'empêche de dormir: jeune, c'est la crainte qu'elle ne tarde à se marier, et, mariée, qu'elle ne soit prise en grippe.

Ecclésiastique 42, 10 Vierge, si elle se laissait séduire et devenait enceinte dans la maison paternelle! En puissance de mari, si elle faisait une faute, établie, si elle demeurait stérile!

Ecclésiastique 42, 11 Ta fille est indocile? Surveille-la bien, qu'elle n'aille pas faire de toi la risée de tes ennemis, la fable de la ville, l'objet des commérages, et te déshonorer aux yeux de tous.

Ecclésiastique 42, 12 Devant qui que ce soit ne t'arrête pas à la beauté et ne t'assieds pas avec les femmes.

Ecclésiastique 42, 13 Car du vêtement sort la teigne et de la femme une malice de femme.

Ecclésiastique 42, 14 Mieux vaut la malice d'un homme que la bonté d'une femme: une femme cause la honte et les reproches.

Ecclésiastique 42, 15 Maintenant je vais rappeler les oeuvres du Seigneur, ce que j'ai vu, je vais le raconter. Par ses paroles le Seigneur a fait ses oeuvres et la création obéit à sa volonté.

Ecclésiastique 42, 16 Le soleil qui brille regarde toutes choses et l'oeuvre du Seigneur est pleine de sa gloire.

Ecclésiastique 42, 17 Le Seigneur n'a pas donné pouvoir aux Saints de raconter toutes ses merveilles, ce que le Seigneur, maître de tout, a fermement établi pour que l'univers subsiste dans sa gloire.

Ecclésiastique 42, 18 Il a sondé les profondeurs de l'abîme et du coeur humain et il a découvert leurs calculs. Car le Très-Haut possède toute science, il a regardé les signes des temps.

Ecclésiastique 42, 19 Il annonce le passé et l'avenir et dévoile les choses cachées.

Ecclésiastique 42, 20 Aucune pensée ne lui échappe, aucune parole ne lui est cachée.

Ecclésiastique 42, 21 Il a disposé dans l'ordre les merveilles de sa sagesse, car il est depuis l'éternité jusqu'à l'éternité sans que rien lui soit ajouté ni ôté, et il n'a besoin du conseil de personne.

Ecclésiastique 42, 22 Que toutes ses oeuvres sont aimables, comme une étincelle qu'on pourrait contempler.

Ecclésiastique 42, 23 Tout cela vit et demeure éternellement et en toutes circonstances tout obéit.

Ecclésiastique 42, 24 Toutes les choses vont par deux, en vis-à-vis, et il n'a rien fait de déficient.

Ecclésiastique 42, 25 Une chose souligne l'excellence de l'autre, qui pourrait se lasser de contempler sa gloire?

Ecclésiastique 43, 1 Orgueil des hauteurs, firmament de clarté, tel apparaît le ciel dans son spectacle de gloire.

Ecclésiastique 43, 2 Le soleil, en se montrant, proclame dès son lever: "Quelle merveille que l'oeuvre du Très-Haut!"

Ecclésiastique 43, 3 A son midi il dessèche la terre, qui peut résister à son ardeur?

Ecclésiastique 43, 4 On attise la fournaise pour produire la chaleur, le soleil brûle trois fois plus les montagnes; exhalant des vapeurs brûlantes, dardant ses rayons, il éblouit les yeux.

Ecclésiastique 43, 5 Il est grand, le Seigneur qui l'a créé et dont la parole dirige sa course rapide.

Ecclésiastique 43, 6 La lune aussi, toujours exacte à marquer les temps, signe éternel.

Ecclésiastique 43, 7 C'est la lune qui marque les fêtes, cet astre qui décroît, après son plein.

Ecclésiastique 43, 8 C'est d'elle que le mois tire son nom; elle croît étonnamment en sa révolution, enseigne des armées célestes, brillant au firmament du ciel.

Ecclésiastique 43, 9 La gloire des astres fait la beauté du ciel; ils ornent brillamment les hauteurs du Seigneur.

Ecclésiastique 43, 10 Sur la parole du Saint ils se tiennent selon son ordre et ne relâchent pas leur faction.

Ecclésiastique 43, 11 Vois l'arc-en-ciel et bénis son auteur, il est magnifique dans sa splendeur.

Ecclésiastique 43, 12 Il forme dans le ciel un cercle de gloire, les mains du Très-Haut l'ont tendu.

Ecclésiastique 43, 13 Par son ordre il fait tomber la neige, il lance les éclairs selon ses décrets.

Ecclésiastique 43, 14 C'est ainsi que s'ouvrent ses réserves et que s'envolent les nuages comme des oiseaux.

Ecclésiastique 43, 15 Sa puissance épaissit les nuages, qui se pulvérisent en grêlons;

Ecclésiastique 43, 16 à sa vue les montagnes sont ébranlées; à sa volonté souffle le vent du sud,

Ecclésiastique 43, 17 à la voix de son tonnerre la terre entre en travail; comme l'ouragan du nord et les cyclones.

Ecclésiastique 43, 18 Comme des oiseaux qui se posent il fait descendre la neige, elle s'abat comme des sauterelles. L'oeil s'émerveille devant l'éclat de sa blancheur et l'esprit s'étonne de la voir tomber.

Ecclésiastique 43, 19 Il déverse encore sur la terre, comme du sel, le givre que le gel change en pointes d'épines.

Ecclésiastique 43, 20 Le vent froid du nord souffle, la glace se forme sur l'eau; elle se pose sur toute eau dormante, la revêt comme une cuirasse.

Ecclésiastique 43, 21 Il dévore les montagnes et brûle le désert, il consume la verdure comme un feu.

Ecclésiastique 43, 22 Le nuage est un prompt remède, la rosée, après la canicule, rend la joie.

Ecclésiastique 43, 23 Selon un plan il a dompté l'abîme et il y a planté les îles.

Ecclésiastique 43, 24 Ceux qui parcourent la mer en content les dangers; leurs récits nous remplissent d'étonnement:

Ecclésiastique 43, 25 ce ne sont qu'aventures étranges et merveilleuses, animaux de toutes sortes et monstres marins.

Ecclésiastique 43, 26 Grâce à Dieu son messager arrive à bon port, et tout s'arrange selon sa parole.

Ecclésiastique 43, 27 Nous pourrions nous étendre sans épuiser le sujet; en un mot: "Il est toutes choses."

Ecclésiastique 43, 28 Où trouver la force de le glorifier? Car il est le Grand, au-dessus de toutes ses oeuvres,

Ecclésiastique 43, 29 Seigneur redoutable et souverainement grand, dont la puissance est admirable.

Ecclésiastique 43, 30 Que vos louanges exaltent le Seigneur, selon votre pouvoir, car il vous dépasse. Pour l'exalter déployez vos forces, ne vous lassez pas, car vous n'en finirez pas.

Ecclésiastique 43, 31 Qui l'a vu et pourrait en rendre compte? Qui peut le glorifier comme il le mérite?

Ecclésiastique 43, 32 Il reste beaucoup de mystères plus grands que ceux-là, car nous n'avons vu qu'un petit nombre de ses oeuvres.

Ecclésiastique 43, 33 Car c'est le Seigneur qui a tout créé, et aux hommes pieux il a donné la sagesse.

Ecclésiastique 44, 1 Faisons l'éloge des hommes illustres, de nos ancêtres dans leur ordre de succession.

Ecclésiastique 44, 2 Le Seigneur a créé à profusion la gloire, et montré sa grandeur depuis les temps anciens.

Ecclésiastique 44, 3 Des hommes exercèrent l'autorité royale et furent renommés pour leurs exploits; d'autres furent avisés dans les conseils et s'exprimèrent en oracles prophétiques.

Ecclésiastique 44, 4 D'autres régirent le peuple par leurs conseils, leur intelligence de la sagesse populaire et les sages discours de leur enseignement;

Ecclésiastique 44, 5 d'autres cultivèrent la musique et écrivirent des récits poétiques;

Ecclésiastique 44, 6 d'autres furent riches et doués de puissance, vivant en paix dans leur demeure.

Ecclésiastique 44, 7 Tous ils furent honorés de leurs contemporains et glorifiés, leurs jours durant.

Ecclésiastique 44, 8 Certains d'entre eux laissèrent un nom qu'on cite encore avec éloges.

Ecclésiastique 44, 9 D'autres n'ont laissé aucun souvenir et ont disparu comme s'ils n'avaient pas existé. Ils sont comme n'ayant jamais été, et de même leurs enfants après eux.

Ecclésiastique 44, 10 Mais voici des hommes de bien dont les bienfaits n'ont pas été oubliés.

Ecclésiastique 44, 11 Dans leur descendance ils trouvent un riche héritage, leur postérité.

Ecclésiastique 44, 12 Leur descendance reste fidèle aux commandements et aussi, grâce à eux, leurs enfants.

Ecclésiastique 44, 13 Leur descendance demeurera à jamais, leur gloire ne ternira point.

Ecclésiastique 44, 14 Leurs corps ont été ensevelis dans la paix et leur nom est vivant pour des générations.

Ecclésiastique 44, 15 Les peuples proclameront leur sagesse, l'assemblée célébrera leurs louanges.

Ecclésiastique 44, 16 Hénok plut au Seigneur et fut enlevé, exemple pour la conversion des générations.

Ecclésiastique 44, 17 Noé fut trouvé parfaitement juste, au temps de la colère il fut le surgeon: grâce à lui un reste demeura à la terre lorsque se produisit le déluge.

Ecclésiastique 44, 18 Des alliances éternelles furent établies en lui, afin qu'aucune chair ne fût plus anéantie par le déluge.

Ecclésiastique 44, 19 Abraham, ancêtre célèbre d'une multitude de nations, nul ne lui fut égal en gloire.

Ecclésiastique 44, 20 Il observa la loi du Très-Haut et fit une alliance avec lui. Dans sa chair il établit cette alliance et au jour de l'épreuve il fut trouvé fidèle.

Ecclésiastique 44, 21 C'est pourquoi Dieu lui promit par serment de bénir toutes les nations en sa descendance, de la multiplier comme la poussière de la terre et d'exalter sa postérité comme les étoiles, de leur donner le pays en héritage, d'une mer à l'autre, depuis le Fleuve jusqu'aux extrémités de la terre.

Ecclésiastique 44, 22 A Isaac, à cause d'Abraham son père, il renouvela

Ecclésiastique 44, 23 la bénédiction de tous les hommes; il fit reposer l'alliance sur la tête de Jacob. Il le confirma dans ses bénédictions et lui donna le pays en héritage; il le divisa en lots et le partagea entre les douze tribus.

Ecclésiastique 45, 1 Il fit sortir de lui un homme de bien qui trouva faveur aux yeux de tout le monde, bien-aimé de Dieu et des hommes, Moïse, dont la mémoire est en bénédiction.

Ecclésiastique 45, 2 Il lui accorda une gloire égale à celle des saints et le rendit puissant pour la terreur des ennemis.

Ecclésiastique 45, 3 Par la parole de Moïse il fit cesser les prodiges, et il le glorifia en présence des rois; il lui donna des commandements pour son peuple et lui fit voir quelque chose de sa gloire.

Ecclésiastique 45, 4 Dans la fidélité et la douceur il le sanctifia, il le choisit parmi tous les vivants;

Ecclésiastique 45, 5 il lui fit entendre sa voix et l'introduisit dans les ténèbres; il lui donna face à face les commandements, une loi de vie et d'intelligence, pour enseigner à Jacob ses prescriptions et ses décrets à Israël.

Ecclésiastique 45, 6 Il éleva Aaron, un saint semblable à Moïse, son frère, de la tribu de Lévi.

Ecclésiastique 45, 7 Il conclut avec lui une alliance éternelle et lui concéda le sacerdoce du peuple. Il le fit heureux dans son apparat, il le couvrit d'un vêtement glorieux.

Ecclésiastique 45, 8 Il le revêtit d'une gloire parfaite et le para de riches ornements, caleçons, manteau et éphod.

Ecclésiastique 45, 9 Il lui donna, pour entourer son vêtement, des grenades et des clochettes d'or, nombreuses, tout autour, qui tintaient à chacun de ses pas, se faisant entendre dans le Temple comme un mémorial pour les enfants de son peuple;

Ecclésiastique 45, 10 et un vêtement sacré d'or, de pourpre violette et d'écarlate, ouvrage d'un damasseur; le pectoral du jugement, l'Urim et le Tummim, de cramoisi retors, ouvrage d'artisan;

Ecclésiastique 45, 11 des pierres précieuses gravées en forme de sceau, dans une monture d'or, ouvrage de joaillier, pour faire un mémorial, une inscription gravée, selon le nombre des tribus d'Israël;

Ecclésiastique 45, 12 et un diadème d'or par-dessus le turban, portant, gravée, l'inscription de consécration, décoration superbe, travail magnifique, délices pour les yeux que ces ornements.

Ecclésiastique 45, 13 On n'avait jamais vu avant lui pareilles choses, et jamais un étranger ne les a revêtues, mais seulement ses enfants et ses descendants pour toujours.

Ecclésiastique 45, 14 Ses sacrifices se consumaient entièrement, deux fois par jour à perpétuité.

Ecclésiastique 45, 15 C'est Moïse qui le consacra et l'oignit de l'huile sainte. Et ce fut pour lui une alliance éternelle ainsi que pour sa race tant que dureront les cieux, pour qu'il préside au culte, exerce le sacerdoce et bénisse le peuple au nom du Seigneur.

Ecclésiastique 45, 16 Il le choisit parmi tous les vivants pour offrir le sacrifice du Seigneur, l'encens et le parfum en mémorial, pour faire l'expiation pour le peuple.

Ecclésiastique 45, 17 Il lui a confié ses commandements, il lui a commis les prescriptions de la loi, pour qu'il enseigne à Jacob ses témoignages et qu'il éclaire Israël sur sa loi.

Ecclésiastique 45, 18 Des étrangers se liguèrent contre lui, ils le jalousèrent au désert, les gens de Datân et ceux d'Abiram, et la bande de Coré, haineuse et violente.

Ecclésiastique 45, 19 Le Seigneur les vit et s'irrita, ils furent exterminés dans l'ardeur de sa colère. Pour eux il fit des prodiges, les consumant par son feu de flammes.

Ecclésiastique 45, 20 Et il ajouta à la gloire d'Aaron, il lui donna un patrimoine, il lui attribua les offrandes des prémices, en premier lieu du pain à satiété.

Ecclésiastique 45, 21 Aussi se nourrissent-ils des sacrifices du Seigneur qu'il lui a attribués ainsi qu'à sa postérité.

Ecclésiastique 45, 22 Mais dans le pays il n'a pas de patrimoine, il n'a pas de part parmi le peuple, "Car je suis moi-même ta part d'héritage."

Ecclésiastique 45, 23 Quant à Pinhas, fils d'Eléazar, il est le troisième en gloire, pour sa jalousie dans la crainte du Seigneur, pour avoir tenu ferme devant le peuple révolté avec un noble courage; c'est ainsi qu'il obtint le pardon d'Israël.

Ecclésiastique 45, 24 Aussi une alliance de paix fut-elle scellée avec lui, qui le faisait chef du sanctuaire et du peuple, en sorte qu'à lui et à sa descendance appartienne la dignité de grand prêtre pour des siècles.

Ecclésiastique 45, 25 Il y eut une alliance avec David, fils de Jessé, de la tribu de Juda, succession royale, du père à un seul de ses fils. Mais celle d'Aaron passe à tous ses descendants.

Ecclésiastique 45, 26 Dieu vous mette au coeur la sagesse pour juger son peuple avec justice, afin que les vertus des ancêtres ne dépérissent point et que leur gloire passe à leurs descendants.

Ecclésiastique 46, 1 Vaillant à la guerre, tel fut Josué fils de Nûn, successeur de Moïse dans l'office prophétique, lui qui, méritant bien son nom, se montra grand pour sauver les élus, pour châtier les ennemis révoltés et installer Israël dans son territoire.

Ecclésiastique 46, 2 Qu'il était glorieux lorsque, les bras levés, il brandissait l'épée contre les villes!

Ecclésiastique 46, 3 Quel homme avant lui avait eu sa fermeté? Il a mené lui-même les combats du Seigneur.

Ecclésiastique 46, 4 N'est-ce pas sur son ordre que le soleil s'arrêta et qu'un seul jour en devint deux?

Ecclésiastique 46, 5 Il invoqua le Très-Haut, le Puissant, alors qu'il pressait les ennemis de toutes parts, et le Seigneur grand l'exauça en lançant des grêlons d'une puissance inouïe.

Ecclésiastique 46, 6 Il fondit sur la nation ennemie et dans la descente il anéantit les assaillants: pour faire connaître aux nations la force de ses armes et qu'il menait la guerre devant le Seigneur.

Ecclésiastique 46, 7 Car il s'attacha au Tout-Puissant, au temps de Moïse il manifesta sa piété, ainsi que Caleb, fils de Yephunné, en s'opposant à la multitude, en empêchant le peuple de pécher, en faisant taire les murmures mauvais.

Ecclésiastique 46, 8 Eux deux furent seuls épargnés sur 600.000 hommes de pied, pour être introduits dans l'héritage, dans la terre où coulent le lait et le miel.

Ecclésiastique 46, 9 Et le Seigneur accorda à Caleb la force qui lui resta jusqu'à sa vieillesse, il lui fit gravir les hauteurs du pays que sa descendance garda en héritage,

Ecclésiastique 46, 10 afin que tout Israël voie qu'il est bon de suivre le Seigneur.

Ecclésiastique 46, 11 Les Juges, chacun selon son appel, tous hommes dont le coeur ne fut pas infidèle et qui ne se détournèrent pas du Seigneur, que leur souvenir soit en bénédiction!

Ecclésiastique 46, 12 Que leurs ossements refleurissent dans la tombe, que leurs noms, portés de nouveau, conviennent aux fils de ces hommes illustres.

Ecclésiastique 46, 13 Samuel fut le bien-aimé de son Seigneur; prophète du Seigneur, il établit la royauté et donna l'onction aux chefs établis sur son peuple.

Ecclésiastique 46, 14 Dans la loi du Seigneur il jugea l'assemblée et le Seigneur visita Jacob.

Ecclésiastique 46, 15 Par sa fidélité il fut reconnu prophète, par ses discours il se montra un voyant véridique.

Ecclésiastique 46, 16 Il invoqua le Seigneur tout-puissant, quand les ennemis le pressaient de toutes parts, en offrant un agneau de lait.

Ecclésiastique 46, 17 Et du ciel le Seigneur fit retentir son tonnerre, à grand fracas il fit entendre sa voix;

Ecclésiastique 46, 18 il anéantit les chefs de l'ennemi et tous les princes des Philistins.

Ecclésiastique 46, 19 Avant l'heure de son éternel repos, il rendit témoignage devant le Seigneur et son oint: "De ses biens, pas même de ses sandales, je n'ai dépouillé personne." Et personne ne l'accusa.

Ecclésiastique 46, 20 Après s'être endormi il prophétisa encore et annonça au roi sa fin; du sein de la terre il éleva la voix pour prophétiser, pour effacer l'iniquité du peuple.

Ecclésiastique 47, 1 Après lui se leva Natân pour prophétiser au temps de David.

Ecclésiastique 47, 2 Comme on prélève la graisse pour le sacrifice de communion, ainsi David fut choisi parmi les Israélites.

Ecclésiastique 47, 3 Il se joua du lion comme du chevreau, de l'ours comme de l'agneau.

Ecclésiastique 47, 4 Jeune encore, n'a-t-il pas tué le géant et lavé la honte du peuple, en lançant avec la fronde la pierre qui abattit l'arrogance de Goliath?

Ecclésiastique 47, 5 Car il invoqua le Seigneur Très-Haut, qui accorda à sa droite la force pour mettre à mort un puissant guerrier et relever la vigueur de son peuple.

Ecclésiastique 47, 6 Aussi lui a-t-on fait gloire de 10.000 et l'a-t-on loué dans les bénédictions du Seigneur, en lui offrant une couronne de gloire.

Ecclésiastique 47, 7 Car il détruisit les ennemis alentour, il anéantit les Philistins ses adversaires, pour toujours il brisa leur vigueur.

Ecclésiastique 47, 8 Dans toutes ses oeuvres il rendit hommage au Saint Très-Haut dans des paroles de gloire; de tout son coeur il chanta, montrant son amour pour son Créateur.

Ecclésiastique 47, 9 Il établit devant l'autel des chantres, pour émettre les chants les plus doux;

Ecclésiastique 47, 10 il donna aux fêtes la splendeur, un éclat parfait aux solennités, faisant louer le saint nom du Seigneur, faisant retentir le sanctuaire dès le matin.

Ecclésiastique 47, 11 Le Seigneur a effacé ses fautes, il a fait grandir sa vigueur pour toujours, il lui a accordé une alliance royale, un trône glorieux en Israël.

Ecclésiastique 47, 12 Un fils savant lui succéda qui, grâce à lui, vécut heureux.

Ecclésiastique 47, 13 Salomon régna dans un temps de paix et Dieu lui accorda la tranquillité alentour, afin qu'il élevât une maison pour son nom et préparât un sanctuaire éternel.

Ecclésiastique 47, 14 Comme tu étais sage dans ta jeunesse, rempli d'intelligence ainsi qu'un fleuve!

Ecclésiastique 47, 15 Ton esprit a couvert la terre, tu l'as remplie de sentences obscures.

Ecclésiastique 47, 16 Ta renommée est parvenue jusqu'aux îles lointaines et tu fus aimé dans ta paix.

Ecclésiastique 47, 17 Tes chants, tes proverbes, tes sentences et tes réponses ont fait l'admiration du monde.

Ecclésiastique 47, 18 Au nom du Seigneur Dieu, de celui qu'on appelle le Dieu d'Israël, tu as amassé l'or comme de l'étain et comme le plomb tu as multiplié l'argent.

Ecclésiastique 47, 19 Tu as livré ton corps aux femmes, tu as été l'esclave de tes sens.

Ecclésiastique 47, 20 Tu as fait une tache à ta gloire, tu as profané ta race, au point de faire venir la colère contre tes enfants et l'affliction pour ta folie:

Ecclésiastique 47, 21 il se dressa un double pouvoir, il surgit d'Ephraïm un royaume révolté.

Ecclésiastique 47, 22 Mais le Seigneur ne renonce jamais à sa miséricorde et n'efface aucune de ses paroles, il ne refuse pas à son élu une postérité et n'extirpe point la race de celui qui l'a aimé. Aussi a-t-il donné à Jacob un reste et à David une racine issue de lui.

Ecclésiastique 47, 23 Et Salomon se reposa avec ses pères, laissant après lui quelqu'un de sa race, le plus fou du peuple, dénué d'intelligence: Roboam, qui poussa le peuple à la révolte.

Ecclésiastique 47, 24 Quant à Jéroboam, fils de Nebat, c'est lui qui fit pécher Israël et enseigna à Ephraïm la voie du mal. Dès lors leurs fautes se multiplièrent tant qu'elles les firent exiler loin de leur pays.

Ecclésiastique 47, 25 Car ils cherchaient toute sorte de mal, jusqu'à encourir le châtiment.

Ecclésiastique 48, 1 Alors le prophète Elie se leva comme un feu, sa parole brûlait comme une torche.

Ecclésiastique 48, 2 C'est lui qui fit venir sur eux la famine et qui, dans son zèle, les décima.

Ecclésiastique 48, 3 Par la parole du Seigneur il ferma le ciel, il fit aussi trois fois descendre le feu.

Ecclésiastique 48, 4 Comme tu étais glorieux, Elie, dans tes prodiges! qui peut dans son orgueil se faire ton égal?

Ecclésiastique 48, 5 Toi qui as arraché un homme à la mort et au shéol, par la parole du Très-Haut.

Ecclésiastique 48, 6 Toi qui as mené des rois à la ruine, précipité des hommes glorieux de leur couche,

Ecclésiastique 48, 7 qui entendis au Sinaï un reproche, à l'Horeb des décrets de vengeance,

Ecclésiastique 48, 8 qui oignis des rois comme vengeurs, des prophètes pour te succéder,

Ecclésiastique 48, 9 qui fus emporté dans un tourbillon de feu, par un char aux chevaux de feu,

Ecclésiastique 48, 10 toi qui fus désigné dans des menaces futures pour apaiser la colère avant qu'elle n'éclate, pour ramener le coeur des pères vers les fils et rétablir les tribus de Jacob.

Ecclésiastique 48, 11 Bienheureux ceux qui te verront et ceux qui se sont endormis dans l'amour, car nous aussi nous posséderons la vie.

Ecclésiastique 48, 12 Tel fut Elie qui fut enveloppé dans un tourbillon. Elisée fut rempli de son esprit; pendant sa vie aucun chef ne put l'ébranler, personne ne put le subjuguer.

Ecclésiastique 48, 13 Rien n'était trop grand pour lui et jusque dans la mort son corps prophétisa.

Ecclésiastique 48, 14 Pendant sa vie il fit des prodiges et dans sa mort ses oeuvres furent merveilleuses.

Ecclésiastique 48, 15 Malgré tout, le peuple ne se convertit pas, ne renonça pas à ses péchés, jusqu'à ce qu'il fût déporté loin de son pays et dispersé sur toute la terre;

Ecclésiastique 48, 16 il ne resta que le peuple le moins nombreux et un chef de la maison de David. Quelques-uns d'entre eux firent le bien, d'autres multiplièrent les fautes.

Ecclésiastique 48, 17 Ezéchias fortifia sa ville et fit venir l'eau dans ses murs, avec le fer il fora le rocher et construisit des citernes.

Ecclésiastique 48, 18 De son temps Sennachérib se mit en campagne et envoya Rabsakès, il leva la main contre Sion, dans l'insolence de son orgueil.

Ecclésiastique 48, 19 Alors leur coeur et leurs mains tremblèrent, ils souffrirent les douleurs de femmes en travail,

Ecclésiastique 48, 20 ils firent appel au Seigneur miséricordieux, tendant les mains vers lui. Du ciel, le Saint se hâta de les écouter et les délivra par la main d'Isaïe,

Ecclésiastique 48, 21 il frappa le camp des Assyriens et son Ange les extermina.

Ecclésiastique 48, 22 Car Ezéchias fit ce qui plaît au Seigneur et se montra fort en suivant David son père, comme le lui ordonna le prophète Isaïe, le grand, le fidèle dans ses visions.

Ecclésiastique 48, 23 De son temps le soleil recula; il prolongea la vie du roi.

Ecclésiastique 48, 24 Dans la puissance de l'esprit il vit la fin des temps, il consola les affligés de Sion,

Ecclésiastique 48, 25 il révéla l'avenir jusqu'à l'éternité et les choses cachées avant qu'elles n'advinssent.

Ecclésiastique 49, 1 Le souvenir de Josias est une mixture d'encens préparée par les soins du parfumeur; il est comme le miel doux à toutes les bouches, comme une musique au milieu d'un banquet.

Ecclésiastique 49, 2 Lui-même prit la bonne voie, celle de convertir le peuple, il extirpa l'impiété abominable;

Ecclésiastique 49, 3 il dirigea son coeur vers le Seigneur, en des temps impies il fit prévaloir la piété.

Ecclésiastique 49, 4 Hormis David, Ezéchias et Josias, tous multiplièrent les transgressions, ils abandonnèrent la loi du Très-Haut: les rois de Juda disparurent.

Ecclésiastique 49, 5 Car ils livrèrent leur vigueur à d'autres, leur gloire à une nation étrangère.

Ecclésiastique 49, 6 Les ennemis brûlèrent la ville sainte élue, rendirent désertes ses rues,

Ecclésiastique 49, 7 selon la parole de Jérémie. Car ils l'avaient maltraité, lui, consacré prophète dès le sein de sa mère pour déraciner, détruire et ruiner, mais aussi pour construire et pour planter.

Ecclésiastique 49, 8 C'est Ezéchiel qui vit une vision de gloire que Dieu lui montra sur le char des chérubins,

Ecclésiastique 49, 9 car il fit mention des ennemis dans l'averse pour favoriser ceux qui suivent la voie droite.

Ecclésiastique 49, 10 Quant aux douze prophètes, que leurs os refleurissent dans la tombe, car ils ont consolé Jacob, ils l'ont racheté dans la foi et l'espérance.

Ecclésiastique 49, 11 Comment faire l'éloge de Zorobabel? Il est comme un sceau dans la main droite;

Ecclésiastique 49, 12 et de même Josué fils de Iosédek, eux qui, de leur temps, construisirent le Temple et firent monter vers le Seigneur un peuple saint, destiné à une gloire éternelle.

Ecclésiastique 49, 13 De Néhémie le souvenir est grand, lui qui releva pour nous les murs en ruine, établit portes et verrous et releva nos habitations.

Ecclésiastique 49, 14 Personne sur terre ne fut créé l'égal d'Hénok, c'est lui qui fut enlevé de terre.

Ecclésiastique 49, 15 On ne vit jamais non plus naître un homme comme Joseph, chef de ses frères, soutien de son peuple; ses os furent visités.

Ecclésiastique 49, 16 Sem et Seth furent glorieux parmi les hommes, mais au-dessus de toute créature vivante est Adam.

Ecclésiastique 50, 1 C'est Simon fils d'Onias, le grand prêtre, qui pendant sa vie répara le Temple et durant ses jours fortifia le sanctuaire.

Ecclésiastique 50, 2 C'est par lui que fut fondée la hauteur double, le haut contrefort de l'enceinte du Temple.

Ecclésiastique 50, 3 De son temps fut creusé le réservoir des eaux, un bassin grand comme la mer.

Ecclésiastique 50, 4 Soucieux d'éviter à son peuple la ruine, il fortifia la ville pour le cas de siège.

Ecclésiastique 50, 5 Qu'il était magnifique, entouré de son peuple, quand il sortait de derrière le voile,

Ecclésiastique 50, 6 comme l'étoile du matin au milieu des nuages, comme la lune en son plein,

Ecclésiastique 50, 7 comme le soleil rayonnant sur le Temple du Très-Haut, comme l'arc-en-ciel brillant dans les nuages de gloire,

Ecclésiastique 50, 8 comme la rose au printemps, comme un lis près d'une source, comme un rameau de l'arbre à encens en été,

Ecclésiastique 50, 9 comme le feu et l'encens dans l'encensoir, comme un vase d'or massif, orné de toutes sortes de pierres précieuses,

Ecclésiastique 50, 10 comme un olivier chargé de fruits, comme un cyprès s'élevant jusqu'aux nuages;

Ecclésiastique 50, 11 quand il prenait sa robe d'apparat et se revêtait de ses superbes ornements, quand il gravissait l'autel sacré et remplissait de gloire l'enceinte du sanctuaire;

Ecclésiastique 50, 12 quand il recevait des mains des prêtres les portions du sacrifice, lui-même debout près du foyer de l'autel, entouré d'une couronne de frères, comme de leur frondaison, les cèdres du Liban, comme entouré de troncs de palmiers,

Ecclésiastique 50, 13 quand tous les fils d'Aaron dans leur splendeur, ayant dans les mains les offrandes du Seigneur, se tenaient devant toute l'assemblée d'Israël

Ecclésiastique 50, 14 tandis qu'il accomplissait le culte des autels, présentant avec noblesse l'offrande au Très-Haut tout-puissant.

Ecclésiastique 50, 15 Il étendait la main sur la coupe, faisait couler un peu du jus de la grappe et le répandait au pied de l'autel, parfum agréable au Très-Haut, roi du monde.

Ecclésiastique 50, 16 Alors les fils d'Aaron poussaient des cris, sonnaient de leurs trompettes de métal massif et faisaient entendre un son puissant, comme un mémorial devant le Très-Haut.

Ecclésiastique 50, 17 Alors, soudain, avec ensemble, le peuple tombait la face contre terre: ils adoraient leur Seigneur, le Tout-Puissant, le Dieu Très-Haut.

Ecclésiastique 50, 18 Les chantres aussi faisaient entendre leurs louanges, et tout ce bruit formait une douce mélodie.

Ecclésiastique 50, 19 Et le peuple suppliait le Seigneur Très-Haut, adressait des prières au Miséricordieux, jusqu'à ce que fût terminé le service du Seigneur, achevée la cérémonie.

Ecclésiastique 50, 20 Alors il descendait et élevait les mains vers toute l'assemblée des enfants d'Israël, pour donner à haute voix la bénédiction du Seigneur et avoir l'honneur de prononcer son nom.

Ecclésiastique 50, 21 Alors, pour la deuxième fois, le peuple se prosternait pour recevoir la bénédiction du Très-Haut.

Ecclésiastique 50, 22 Et maintenant bénissez le Dieu de l'univers qui partout fait de grandes choses, qui a exalté nos jours dès le sein maternel, qui a agi envers nous selon sa miséricorde.

Ecclésiastique 50, 23 Qu'il nous donne un coeur joyeux, qu'il accorde la paix à notre époque, en Israël, dans les siècles des siècles.

Ecclésiastique 50, 24 Que ses grâces restent fidèlement avec nous et qu'à notre époque il nous rachète.

Ecclésiastique 50, 25 Il y a deux nations que mon âme déteste, la troisième n'est pas une nation:

Ecclésiastique 50, 26 les habitants de la montagne de Séïr, les Philistins, et le peuple stupide qui demeure à Sichem.

Ecclésiastique 50, 27 Une instruction de sagesse et de science, voilà ce qu'a gravé dans ce livre Jésus, fils de Sira, Eléazar, de Jérusalem, qui a répandu comme une pluie la sagesse de son coeur.

Ecclésiastique 50, 28 Heureux qui y consacre son temps et acquiert la sagesse en la plaçant sur son coeur.

Ecclésiastique 50, 29 S'il agit ainsi, il sera fort en toute circonstance car la lumière du Seigneur est son sentier.

Ecclésiastique 51, 1 Je vais te rendre grâce, Seigneur, Roi, et te louer, Dieu mon sauveur. Je rends grâce à ton nom.

Ecclésiastique 51, 2 Car tu as été pour moi un protecteur et un soutien et tu as délivré mon corps de la ruine, du piège de la langue mauvaise et des lèvres qui fabriquent le mensonge; en présence de ceux qui m'entourent, tu as été mon soutien, et tu m'as délivré,

Ecclésiastique 51, 3 selon l'abondance de ta miséricorde et la gloire de ton nom, des morsures de ceux qui sont prêts à me dévorer, de la main de ceux qui en veulent à ma vie, des innombrables épreuves que j'ai subies,

Ecclésiastique 51, 4 de la suffocation du feu qui m'entourait, du milieu d'un feu que je n'avais pas allumé,

Ecclésiastique 51, 5 des profondeurs des entrailles du shéol, de la langue impure, de la parole menteuse, --

Ecclésiastique 51, 6 calomnie d'une langue injuste auprès du roi. Mon âme a été tout près de la mort, ma vie était descendue aux portes du shéol.

Ecclésiastique 51, 7 On m'entourait de partout et nul ne me soutenait; je cherchais du regard un homme secourable, et rien.

Ecclésiastique 51, 8 Alors je me souvins de ta miséricorde, Seigneur, et de tes oeuvres, de toute éternité, sachant que tu délivres ceux qui espèrent en toi, que tu les sauves des mains de leurs ennemis.

Ecclésiastique 51, 9 Et je fis monter de la terre ma prière, je suppliai d'être délivré de la mort.

Ecclésiastique 51, 10 J'invoquai le Seigneur, père de mon Seigneur: "Ne m'abandonne pas au jour de l'épreuve, au temps des orgueilleux et de l'abandon. Je louerai ton nom continuellement, je le chanterai dans la reconnaissance."

Ecclésiastique 51, 11 Et ma prière fut exaucée, tu me sauvas de la ruine, tu me délivras de l'époque du mal.

Ecclésiastique 51, 12 C'est pourquoi je te rendrai grâce et je te louerai, et je bénirai le nom du Seigneur.

Ecclésiastique 51, 13 Dans ma jeunesse, avant mes voyages, je cherchai ouvertement la sagesse dans la prière;

Ecclésiastique 51, 14 à la porte du sanctuaire, je l'appréciais, et jusqu'à mon dernier jour je la poursuivrai.

Ecclésiastique 51, 15 Dans sa fleur, comme un raisin qui mûrit, mon coeur mettait sa joie en elle. Mon pied s'est avancé dans le droit chemin et dès ma jeunesse je l'ai recherchée.

Ecclésiastique 51, 16 Si peu que j'aie tendu l'oreille, je l'ai reçue, et j'ai trouvé beaucoup d'instruction.

Ecclésiastique 51, 17 Grâce à elle j'ai progressé, je glorifierai celui qui m'a donné la sagesse.

Ecclésiastique 51, 18 Car j'ai décidé de la mettre en pratique, j'ai cherché ardemment le bien, je ne serai pas confondu.

Ecclésiastique 51, 19 Mon âme a combattu pour la posséder, j'ai été attentif à observer la loi, j'ai tendu les mains vers le ciel et j'ai déploré mes ignorances.

Ecclésiastique 51, 20 J'ai dirigé mon âme vers elle et dans la pureté je l'ai trouvée; j'y ai appliqué mon coeur dès le commencement, aussi ne serai-je pas abandonné.

Ecclésiastique 51, 21 Mes entrailles se sont émues pour la chercher, aussi ai-je fait une bonne acquisition.

Ecclésiastique 51, 22 Le Seigneur m'a donné, en récompense, une langue avec laquelle je le glorifierai.

Ecclésiastique 51, 23 Approchez-vous de moi, ignorants, mettez-vous à l'école.

Ecclésiastique 51, 24 Pourquoi vous prétendre si dépourvus, quand votre gorge en est si assoiffée?

Ecclésiastique 51, 25 J'ai ouvert la bouche pour parler: achetez-la sans argent,

Ecclésiastique 51, 26 mettez votre cou sous le joug, que vos âmes reçoivent l'instruction, elle est tout près, à votre portée.

Ecclésiastique 51, 27 Voyez de vos yeux: comme j'ai eu peu de mal pour me procurer beaucoup de repos.

Ecclésiastique 51, 28 Achetez l'instruction au prix de beaucoup d'argent, grâce à elle vous acquerrez beaucoup d'or.

Ecclésiastique 51, 29 Que votre âme trouve sa joie dans la miséricorde du Seigneur, ne rougissez pas de le louer.

Ecclésiastique 51, 30 Faites votre oeuvre avant le temps fixé, et au jour fixé il vous donnera votre récompense. Sagesse de Jésus, fils de Sira.

 

 

Isaïe

 

Isaïe 1, 1 Vision d'Isaïe, fils d'Amoç, qu'il reçut au sujet de Juda et de Jérusalem, au temps d'Ozias, de Yotam, d'Achaz et d'Ezéchias, rois de Juda.

Isaïe 1, 2 Cieux écoutez, terre, prête l'oreille, car Yahvé parle. J'ai élevé des enfants, je les ai fait grandir, mais ils se sont révoltés contre moi.

Isaïe 1, 3 Le boeuf connaît son possesseur, et l'âne la crèche de son maître, Israël ne connaît pas, mon peuple ne comprend pas.

Isaïe 1, 4 Malheur! nation pécheresse! peuple coupable! race de malfaiteurs, fils pervertis! Ils ont abandonné Yahvé, ils ont méprisé le Saint d'Israël, ils se sont détournés de lui.

Isaïe 1, 5 Où frapper encore, si vous persévérez dans la trahison? Toute la tête est mal-en-point, tout le coeur est malade,

Isaïe 1, 6 de la plante des pieds à la tête, il ne reste rien de sain. Ce n'est que blessures, contusions, plaies ouvertes, qui ne sont pas pansées ni bandées, ni soignées avec de l'huile.

Isaïe 1, 7 Votre pays est une désolation, vos villes sont la proie du feu, votre sol, sous vos yeux des étrangers le ravagent, c'est la désolation comme une dévastation d'étrangers.

Isaïe 1, 8 Elle est restée, la fille de Sion, comme une hutte dans une vigne, comme un abri dans un champ de concombres, comme une ville assiégée.

Isaïe 1, 9 Si Yahvé Sabaot ne nous avait laissé quelques rares survivants, nous serions comme Sodome, nous ressemblerions à Gomorrhe.

Isaïe 1, 10 Ecoutez la parole de Yahvé, chefs de Sodome, prêtez l'oreille à l'enseignement de notre Dieu, peuple de Gomorrhe!

Isaïe 1, 11 Que m'importent vos innombrables sacrifices, dit Yahvé. Je suis rassasié des holocaustes de béliers et de la graisse des veaux; au sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je ne prends pas plaisir.

Isaïe 1, 12 Quand vous venez vous présenter devant moi, qui vous a demandé de fouler mes parvis?

Isaïe 1, 13 N'apportez plus d'oblation vaine: c'est pour moi une fumée insupportable! Néoménie, sabbat, assemblée, je ne supporte pas fausseté et solennité.

Isaïe 1, 14 Vos néoménies, vos réunions, mon âme les hait; elles me sont un fardeau que je suis las de porter.

Isaïe 1, 15 Quand vous étendez les mains, je détourne les yeux; vous avez beau multiplier les prières, moi je n'écoute pas. Vos mains sont pleines de sang:

Isaïe 1, 16 lavez-vous, purifiez-vous! Otez de ma vue vos actions perverses! Cessez de faire le mal,

Isaïe 1, 17 apprenez à faire le bien! Recherchez le droit, redressez le violent! Faites droit à l'orphelin, plaidez pour la veuve!

Isaïe 1, 18 Allons! Discutons! dit Yahvé. Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, comme neige ils blanchiront; quand ils seraient rouges comme la pourpre, comme laine ils deviendront.

Isaïe 1, 19 Si vous voulez bien obéir, vous mangerez les produits du terroir.

Isaïe 1, 20 Mais si vous refusez et vous rebellez, c'est l'épée qui vous mangera! Car la bouche de Yahvé a parlé.

Isaïe 1, 21 Comment est-elle devenue une prostituée, la cité fidèle? Sion, pleine de droiture, où la justice habitait, et maintenant des assassins!

Isaïe 1, 22 Ton argent est changé en scories, ta boisson est coupée d'eau.

Isaïe 1, 23 Tes princes sont des rebelles, complices de brigands, tous avides de présents, courant après les pots-de-vin. Ils ne font pas droit à l'orphelin, la cause de la veuve ne leur parvient pas.

Isaïe 1, 24 C'est pourquoi, oracle du Seigneur Yahvé Sabaot, le Puissant d'Israël: Malheur! j'aurai raison de mes adversaires, je me vengerai de mes ennemis.

Isaïe 1, 25 Je tournerai la main contre toi, j'épurerai comme à la potasse tes scories, j'ôterai tous tes déchets.

Isaïe 1, 26 Je rendrai tes juges tels que jadis, tes conseillers tels qu'autrefois. Après quoi on t'appellera Ville-de-Justice, Cité fidèle.

Isaïe 1, 27 Sion sera rachetée par la droiture, et ceux qui reviendront, par la justice.

Isaïe 1, 28 C'est la destruction des criminels et des pécheurs, tous ensemble! Ceux qui abandonnent Yahvé périront.

Isaïe 1, 29 Oui, on aura honte des térébinthes qui font vos délices, vous rougirez des jardins que vous avez choisis.

Isaïe 1, 30 Car vous serez comme un térébinthe au feuillage flétri, et comme un jardin qui n'a plus d'eau.

Isaïe 1, 31 Le colosse deviendra comme de l'étoupe, et son oeuvre sera l'étincelle: ils flamberont tous deux ensemble, et personne pour éteindre.

Isaïe 2, 1 Vision d'Isaïe, fils d'Amoç, au sujet de Juda et de Jérusalem.

Isaïe 2, 2 Il arrivera dans la suite des temps que la montagne de la maison de Yahvé sera établie en tête des montagnes et s'élèvera au-dessus des collines. Alors toutes les nations afflueront vers elle,

Isaïe 2, 3 alors viendront des peuples nombreux qui diront: "Venez, montons à la montagne de Yahvé, à la maison du Dieu de Jacob, qu'il nous enseigne ses voies et que nous suivions ses sentiers." Car de Sion vient la Loi et de Jérusalem la parole de Yahvé.

Isaïe 2, 4 Il jugera entre les nations, il sera l'arbitre de peuples nombreux. Ils briseront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, on n'apprendra plus à faire la guerre.

Isaïe 2, 5 Maison de Jacob, allons, marchons à la lumière de Yahvé.

Isaïe 2, 6 Oui, tu as rejeté ton peuple, la maison de Jacob, car il regorge depuis longtemps de magiciens, comme les Philistins, il surabonde d'enfants d'étrangers.

Isaïe 2, 7 Le pays s'est rempli d'argent et d'or, ses trésors sont sans limites; le pays s'est rempli de chevaux, ses chars sont sans nombre;

Isaïe 2, 8 le pays s'est rempli de faux dieux, eux se prosternent devant l'oeuvre de leurs mains, devant ce qu'ont fabriqué leurs doigts.

Isaïe 2, 9 Le mortel s'est humilié, l'homme s'est abaissé: ne les relève pas!

Isaïe 2, 10 Va dans le rocher, terre-toi dans la poussière devant la Terreur de Yahvé, devant l'éclat de sa majesté, quand il se lèvera pour faire trembler la terre.

Isaïe 2, 11 L'orgueil humain baissera les yeux, l'arrogance des hommes sera humiliée, Yahvé sera exalté, lui seul, en ce jour-là.

Isaïe 2, 12 Oui, ce sera un jour de Yahvé Sabaot sur tout ce qui est orgueilleux et hautain, sur tout ce qui est élevé, pour qu'il soit abaissé;

Isaïe 2, 13 sur tous les cèdres du Liban, hautains et élevés, et sur tous les chênes de Bashân;

Isaïe 2, 14 sur toutes les montagnes hautaines et sur toutes les collines élevées;

Isaïe 2, 15 sur toute tour altière et sur tout rempart escarpé;

Isaïe 2, 16 sur tous les vaisseaux de Tarsis et sur tout ce qui paraît précieux.

Isaïe 2, 17 L'orgueil humain sera humilié, l'arrogance de l'homme sera abaissée, et Yahvé sera exalté, lui seul, en ce jour-là.

Isaïe 2, 18 Les faux dieux, en masse, disparaîtront.

Isaïe 2, 19 Pour eux, ils iront dans les cavernes des rochers et dans les fissures du sol, devant la Terreur de Yahvé, devant l'éclat de sa majesté, quand il se lèvera pour faire trembler la terre.

Isaïe 2, 20 En ce jour-là, l'homme jettera aux taupes et aux chauves-souris ses faux dieux d'argent et ses faux dieux d'or, ceux qu'on lui a fabriqués pour qu'il les adore,

Isaïe 2, 21 il s'en ira dans les crevasses des rochers et dans les fentes des falaises, devant la Terreur de Yahvé, devant l'éclat de sa majesté, quand il se lèvera pour faire trembler la terre.

Isaïe 2, 22 Tenez-vous à l'écart de l'homme, qui n'a qu'un souffle dans les narines! A combien l'estimer?

Isaïe 3, 1 Oui, voici que le Seigneur Yahvé Sabaot va ôter de Jérusalem et de Juda ressource et provision -- toute réserve de pain et toute réserve d'eau --,

Isaïe 3, 2 héros et homme de guerre, juge et prophète, devin et vieillard,

Isaïe 3, 3 capitaine et dignitaire, conseiller, architecte et enchanteur.

Isaïe 3, 4 Je leur donnerai comme princes des adolescents, et des gamins feront la loi chez eux.

Isaïe 3, 5 Les gens se molesteront l'un l'autre, et entre voisins; le jeune garçon s'en prendra au vieillard, l'homme de peu au notable.

Isaïe 3, 6 Oui, un homme saisira son frère dans la maison paternelle: "Tu as un manteau, tu seras notre chef, et cette chose branlante, qu'elle te soit confiée!"

Isaïe 3, 7 Et l'autre, en ce jour-là, s'écriera: "Je ne suis pas un guérisseur; chez moi, il n'y a ni pain ni manteau, ne me faites pas chef du peuple!"

Isaïe 3, 8 Car Jérusalem a trébuché et Juda est tombé, oui, leurs paroles et leurs actes s'adressent à Yahvé, pour insulter ses regards glorieux.

Isaïe 3, 9 Leur complaisance témoigne contre eux, ils étalent leur péché comme Sodome. Ils n'ont pas dissimulé, malheur à eux! car ils ont préparé leur propre ruine.

Isaïe 3, 10 Dites: le juste, qu'il est heureux! car il se nourrira du fruit de ses actes.

Isaïe 3, 11 Malheur au méchant, malfaisant! car il sera traité selon ses oeuvres.

Isaïe 3, 12 O mon peuple, ses oppresseurs le mettent au pillage, et des exacteurs font la loi chez lui. O mon peuple, tes guides t'égarent, ils ont effacé les chemins que tu suis.

Isaïe 3, 13 Yahvé s'est levé pour accuser, il est debout pour juger les peuples.

Isaïe 3, 14 Yahvé entre en jugement, avec les anciens et les princes de son peuple: "C'est vous qui avez dévasté la vigne, la dépouille du malheureux est dans vos maisons.

Isaïe 3, 15 De quel droit écraser mon peuple et broyer le visage des malheureux?" Oracle du Seigneur Yahvé Sabaot.

Isaïe 3, 16 Yahvé dit: Parce qu'elles font les fières, les filles de Sion, qu'elles vont le cou tendu et les yeux provocants, qu'elles vont à pas menus, en faisant sonner les anneaux de leurs pieds,

Isaïe 3, 17 le Seigneur rendra galeux le crâne des filles de Sion, Yahvé dénudera leur front.

Isaïe 3, 18 Ce jour-là le Seigneur ôtera l'ornement de chaînettes, les médaillons et les croissants,

Isaïe 3, 19 les pendentifs, les bracelets, les breloques,

Isaïe 3, 20 les diadèmes et les chaînettes de chevilles, les parures, les boîtes à parfums et les amulettes,

Isaïe 3, 21 les bagues et les anneaux de narines,

Isaïe 3, 22 les vêtements de fête et les manteaux, les écharpes et les bourses,

Isaïe 3, 23 les miroirs, les linges fins, les turbans et les mantilles.

Isaïe 3, 24 Alors, au lieu de baume, ce sera la pourriture, au lieu de ceinture, une corde, au lieu de coiffure, la tête rase, au lieu d'une robe d'apparat, un pagne de grosse toile, et la marque au fer rouge au lieu de beauté.

Isaïe 3, 25 Tes hommes tomberont sous l'épée, et tes braves dans le combat.

Isaïe 3, 26 Ses portes gémiront et seront dans le deuil; désertée, elle s'assiéra par terre.

Isaïe 4, 1 Et sept femmes s'arracheront un homme, en ce jour-là, en disant: "Nous mangerons notre pain, nous mettrons notre propre manteau, laisse-nous seulement porter ton nom. Ote notre déshonneur."

Isaïe 4, 2 Ce jour-là, le germe de Yahvé deviendra parure et gloire, le fruit de la terre deviendra fierté et ornement pour les survivants d'Israël.

Isaïe 4, 3 Le reste laissé à Sion, ce qui survit à Jérusalem, sera appelé saint, tout ce qui est inscrit pour la vie à Jérusalem.

Isaïe 4, 4 Lorsque le Seigneur aura lavé la saleté des filles de Sion et purifié Jérusalem du sang répandu, au souffle du jugement et au souffle de l'incendie,

Isaïe 4, 5 Yahvé créera partout sur la montagne de Sion et sur ceux qui s'y assemblent une nuée le jour, et une fumée avec l'éclat d'un feu flamboyant, la nuit. Car sur toute gloire il y aura un dais

Isaïe 4, 6 et une hutte pour faire ombre le jour contre la chaleur, et servir de refuge et d'abri contre l'averse et la pluie.

Isaïe 5, 1 Que je chante à mon bien-aimé le chant de mon ami pour sa vigne. Mon bien-aimé avait une vigne, sur un coteau fertile.

Isaïe 5, 2 Il la bêcha, il l'épierra, il y planta du raisin vermeil. Au milieu il bâtit une tour, il y creusa même un pressoir. Il attendait de beaux raisins: elle donna des raisins sauvages.

Isaïe 5, 3 Et maintenant, habitants de Jérusalem et gens de Juda, soyez juges entre moi et ma vigne.

Isaïe 5, 4 Que pouvais-je encore faire pour ma vigne que je n'aie fait? Pourquoi espérais-je avoir de beaux raisins, et a-t-elle donné des raisins sauvages?

Isaïe 5, 5 Et maintenant, que je vous apprenne ce que je vais faire à ma vigne! en ôter la haie pour qu'on vienne la brouter, en briser la clôture pour qu'on la piétine;

Isaïe 5, 6 j'en ferai un maquis: elle ne sera ni taillée ni sarclée, ronces et épines y croîtront, j'interdirai aux nuages d'y faire tomber la pluie.

Isaïe 5, 7 Eh bien! la vigne de Yahvé Sabaot, c'est la maison d'Israël, et l'homme de Juda, c'est son plant de choix. Il attendait le droit et voici l'iniquité, la justice et voici les cris.

Isaïe 5, 8 Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison, qui joignent champ à champ jusqu'à ne plus laisser de place et rester seuls habitants au milieu du pays.

Isaïe 5, 9 A mes oreilles, Yahvé Sabaot l'a juré: Oui, nombre de maisons seront réduites en ruine, grandes et belles, elles seront inhabitées.

Isaïe 5, 10 Car dix arpents de vigne ne donneront qu'un tonnelet, et un muid de semence ne produira qu'une mesure.

Isaïe 5, 11 Malheur à ceux qui se lèvent tôt le matin pour courir à la boisson, qui s'attardent le soir, ivres de vin.

Isaïe 5, 12 Ce ne sont que harpes et cithares, tambourins et flûtes, et du vin pour leurs beuveries. Mais pour l'oeuvre de Yahvé, pas un regard, l'action de ses mains, ils ne la voient pas.

Isaïe 5, 13 C'est pourquoi mon peuple est exilé, faute de connaissance; sa noblesse: des gens affamés! ses foules séchant de soif!

Isaïe 5, 14 C'est pourquoi le shéol dilate sa gorge et bée d'une gueule démesurée. Ils y descendent, ses nobles, ses foules et ses criards, et ils y exultent.

Isaïe 5, 15 Le mortel a été humilié, l'homme a été abaissé et les yeux des orgueilleux sont baissés.

Isaïe 5, 16 Yahvé Sabaot fut exalté dans son jugement et le Dieu saint a révélé sa sainteté dans la justice.

Isaïe 5, 17 Les agneaux paîtront comme dans leurs pâtures, les pacages dévastés des bêtes grasses seront la nourriture des chevreaux.

Isaïe 5, 18 Malheur à qui tire la faute avec les liens de la tromperie, et le péché comme avec un trait de chariot;

Isaïe 5, 19 à ceux qui disent: "Qu'il fasse vite, qu'il hâte son oeuvre, pour que nous la voyions; que s'approche et se réalise le projet du Saint d'Israël, que nous le reconnaissions."

Isaïe 5, 20 Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal, qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres, qui font de l'amer le doux et du doux l'amer.

Isaïe 5, 21 Malheur à ceux qui sont sages à leurs propres yeux et s'estiment intelligents.

Isaïe 5, 22 Malheur à ceux qui sont des héros pour boire du vin et des champions pour mélanger la boisson,

Isaïe 5, 23 qui acquittent le coupable pour un pot-de-vin, et refusent au juste la justice.

Isaïe 5, 24 Oui, comme la flamme dévore la paille, comme le foin s'enflamme et disparaît, leur racine ressemblera à de la pourriture, leur bourgeon sera emporté comme la poussière. Car ils ont rejeté la loi de Yahvé Sabaot, ils ont méprisé la parole du Saint d'Israël.

Isaïe 5, 25 C'est pourquoi la colère de Yahvé s'est enflammée contre son peuple; il a levé la main contre lui pour le frapper, les montagnes ont tremblé, et les cadavres sont comme des ordures au milieu des rues. Avec tout cela la colère de Yahvé ne s'est pas calmée, sa main reste levée.

Isaïe 5, 26 Il dresse un signal pour le peuple lointain, il le siffle des extrémités de la terre, et voici qu'aussitôt il accourt, léger.

Isaïe 5, 27 Chez lui nul n'est fatigué, nul ne trébuche, nul ne dort ni ne sommeille, nul ne dénoue la ceinture de ses reins, nul n'a la courroie de ses sandales rompue.

Isaïe 5, 28 Ses flèches sont aiguisées et tous ses arcs tendus, les sabots de ses chevaux, on dirait du rocher, et ses roues, un tourbillon.

Isaïe 5, 29 Son rugissement est celui d'une lionne, il rugit comme les lionceaux, il gronde et saisit sa proie, il l'emporte et nul ne le fait lâcher;

Isaïe 5, 30 il gronde contre lui, en ce jour-là, comme gronde la mer. Il regarde le pays: et voici les ténèbres, l'angoisse, et la lumière est obscurcie par les nuages.

Isaïe 6, 1 L'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire.

Isaïe 6, 2 Des séraphins se tenaient au-dessus de lui, ayant chacun six ailes, deux pour se couvrir la face, deux pour se couvrir les pieds, deux pour voler.

Isaïe 6, 3 Ils se criaient l'un à l'autre ces paroles: "Saint, saint, saint est Yahvé Sabaot, sa gloire emplit toute la terre."

Isaïe 6, 4 Les montants des portes vibrèrent au bruit de ces cris et le Temple était plein de fumée.

Isaïe 6, 5 Alors je dis: "Malheur à moi, je suis perdu! car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au sein d'un peuple aux lèvres impures, et mes yeux ont vu le Roi, Yahvé Sabaot."

Isaïe 6, 6 L'un des séraphins vola vers moi, tenant dans sa main une braise qu'il avait prise avec des pinces sur l'autel.

Isaïe 6, 7 Il m'en toucha la bouche et dit: "Voici, ceci a touché tes lèvres, ta faute est effacée, ton péché est pardonné."

Isaïe 6, 8 Alors j'entendis la voix du Seigneur qui disait: "Qui enverrai-je? Qui ira pour nous?" Et je dis: "Me voici, envoie-moi."

Isaïe 6, 9 Il me dit: "Va, et tu diras à ce peuple: Ecoutez, écoutez, et ne comprenez pas; regardez, regardez, et ne discernez pas.

Isaïe 6, 10 Appesantis le coeur de ce peuple, rends-le dur d'oreille, englue-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n'entendent, que son coeur ne comprenne, qu'il ne se convertisse et ne soit guéri."

Isaïe 6, 11 Et je dis: "Jusques à quand, Seigneur?" Il me répondit: "Jusqu'à ce que les villes soient détruites et dépeuplées, les maisons inhabitées; que le sol soit dévasté, désolé;

Isaïe 6, 12 que Yahvé en chasse les gens, et qu'une grande détresse règne au milieu du pays.

Isaïe 6, 13 Et s'il en reste un dixième, de nouveau il sera dépouillé, comme le térébinthe et comme le chêne qui une fois émondés n'ont plus qu'un tronc; leur tronc est une semence sainte."

Isaïe 7, 1 Au temps d'Achaz, fils de Yotam, fils d'Ozias, roi de Juda, Raçôn, roi d'Aram, monta avec Péqah, fils de Remalyahu, roi d'Israël, vers Jérusalem pour porter l'attaque contre elle, mais il ne put l'attaquer.

Isaïe 7, 2 On annonça à la maison de David: "Aram a fait halte sur le territoire d'Ephraïm." Alors son coeur et le coeur de son peuple se mirent à chanceler comme chancellent les arbres de la forêt sous le vent.

Isaïe 7, 3 Et Yahvé dit à Isaïe: Sors au-devant d'Achaz, toi et Shéar-Yashub ton fils, vers l'extrémité du canal de la piscine supérieure, vers le chemin du champ du Foulon.

Isaïe 7, 4 Tu lui diras: Prends garde et calme-toi. Ne crains pas et que ton coeur ne défaille pas devant ces deux bouts de tisons fumants, à cause de l'ardente colère de Raçôn, d'Aram et du fils de Remalyahu,

Isaïe 7, 5 parce qu'Aram, Ephraïm et le fils de Remalyahu ont tramé contre toi un mauvais coup en disant:

Isaïe 7, 6 "Montons contre Juda, détruisons-le, brisons-le pour le ramener vers nous, et nous y établirons comme roi le fils de Tabeel."

Isaïe 7, 7 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Cela ne tiendra pas, cela ne sera pas;

Isaïe 7, 8 car la tête d'Aram c'est Damas, et la tête de Damas c'est Raçôn; encore 65 ans, et Ephraïm cessera d'être un peuple.

Isaïe 7, 9 La tête d'Ephraïm c'est Samarie, et la tête de Samarie c'est le fils de Remalyahu. Si vous ne croyez pas, vous ne vous maintiendrez pas.

Isaïe 7, 10 Yahvé parla encore à Achaz en disant:

Isaïe 7, 11 Demande un signe à Yahvé ton Dieu, au fond, dans le shéol, ou vers les hauteurs, au-dessus.

Isaïe 7, 12 Et Achaz dit: Je ne demanderai rien, je ne tenterai pas Yahvé.

Isaïe 7, 13 Il dit alors: Ecoutez donc, maison de David! est-ce trop peu pour vous de lasser les hommes, que vous lassiez aussi mon Dieu?

Isaïe 7, 14 C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe: Voici, la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel.

Isaïe 7, 15 Il mangera du lait caillé et du miel jusqu'à ce qu'il sache rejeter le mal et choisir le bien.

Isaïe 7, 16 Car avant que l'enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, elle sera abandonnée, la terre dont les deux rois te jettent dans l'épouvante.

Isaïe 7, 17 Yahvé fera venir sur toi, sur ton peuple et sur la maison de ton père des jours tels qu'il n'en est pas venu depuis la séparation d'Ephraïm et de Juda (le roi d'Assur).

Isaïe 7, 18 Il arrivera, en ce jour-là, que Yahvé sifflera les mouches qui sont à l'extrémité des fleuves d'Egypte et les abeilles qui sont au pays d'Assur.

Isaïe 7, 19 Elles viendront et se poseront toutes dans les torrents des ravins et dans les fentes des rochers, sur tous les buissons et à tous les points d'eau.

Isaïe 7, 20 En ce jour-là, le Seigneur rasera avec un rasoir loué au-delà du fleuve, (avec le roi d'Assur) la tête et le poil des jambes, et même la barbe, il l'enlèvera.

Isaïe 7, 21 Il arrivera, en ce jour-là, que chacun élèvera une génisse et deux têtes de petit bétail.

Isaïe 7, 22 Et il arrivera qu'en raison de l'abondante production du lait, (il mangera du lait caillé) tout survivant au milieu du pays mangera du lait caillé et du miel.

Isaïe 7, 23 Il arrivera, en ce jour-là, que tout lieu où il y a mille pieds de vigne valant mille pièces d'argent deviendra ronces et épines.

Isaïe 7, 24 Avec flèches et arc on y pénétrera, car tout le pays sera ronces et épines.

Isaïe 7, 25 Sur toutes les montagnes qui sont cultivées à la houe, tu n'iras plus par crainte des ronces et des épines, et ce sera pacage de boeufs et terre piétinée par les moutons.

Isaïe 8, 1 Yahvé me dit: Prends une grande tablette et écris dessus avec un stylet ordinaire: Maher-Shalal-Hash-Baz.

Isaïe 8, 2 Et prends des témoins dignes de foi, le prêtre Uriyya et Zekaryahu fils de Yebèrèkyahu.

Isaïe 8, 3 Puis je m'approchai de la prophétesse, elle conçut et enfanta un fils. Et Yahvé me dit: Donne-lui le nom de Maher-Shalal-Hash-Baz,

Isaïe 8, 4 car avant que le garçon ne sache dire "papa" et "maman", on enlèvera la richesse de Damas et le butin de Samarie, en présence du roi d'Assur.

Isaïe 8, 5 Yahvé me parla encore en disant:

Isaïe 8, 6 Puisque ce peuple a méprisé les eaux de Siloé qui coulent doucement, et a tremblé devant Raçôn et le fils de Remalyahu,

Isaïe 8, 7 eh bien! voici que le Seigneur fait monter contre lui les eaux du Fleuve, puissantes et abondantes (le roi d'Assur et toute sa gloire); il grossira dans toutes ses vallées et franchira toutes ses rives;

Isaïe 8, 8 il passera en Juda, inondera et traversera; il atteindra jusqu'au cou, et le déploiement de ses ailes couvrira toute l'étendue de ton pays, Emmanuel.

Isaïe 8, 9 Sachez, peuples, et soyez épouvantés; prêtez l'oreille, tous les pays lointains. Ceignez-vous et soyez épouvantés. Ceignez-vous et soyez épouvantés.

Isaïe 8, 10 Faites un projet: il sera anéanti, prononcez une parole: elle ne tiendra pas, car "Dieu est avec nous."

Isaïe 8, 11 Oui, ainsi m'a parlé Yahvé lorsque sa main m'a saisi et qu'il m'a appris à ne pas suivre le chemin de ce peuple, en disant:

Isaïe 8, 12 "Vous n'appellerez pas complot tout ce que ce peuple appelle complot, vous ne partagerez pas ses craintes et vous n'en serez pas terrifiés.

Isaïe 8, 13 C'est Yahvé Sabaot que vous proclamerez saint, c'est lui qui sera l'objet de votre crainte et de votre terreur.

Isaïe 8, 14 Il sera un sanctuaire, un rocher qui fait tomber, une pierre d'achoppement pour les deux maisons d'Israël, un filet et un piège pour les habitants de Jérusalem.

Isaïe 8, 15 Beaucoup y achopperont, tomberont et se briseront, ils seront pris au piège et capturés.

Isaïe 8, 16 Enferme un témoignage, scelle une instruction au coeur de mes disciples."

Isaïe 8, 17 J'espère en Yahvé qui cache sa face à la maison de Jacob, et je mets mon attente en lui.

Isaïe 8, 18 Voici que moi et les enfants que Yahvé m'a donnés nous devenons signes et présages en Israël, de la part de Yahvé Sabaot qui habite sur la montagne de Sion.

Isaïe 8, 19 Et si on vous dit: "Allez consulter les spectres et les devins qui murmurent et qui marmonnent", n'est-il pas vrai qu'un peuple consulte ses dieux, et les morts pour les vivants?

Isaïe 8, 20 Pour l'instruction et le témoignage, sûrement on s'exprimera selon cette parole d'après laquelle il n'y a pas d'aurore.

Isaïe 8, 21 Et il passera dans le pays, opprimé et affamé; il arrivera que lorsqu'il sera affamé, il s'irritera, il maudira son roi et son Dieu, et se tournera vers le ciel.

Isaïe 8, 22 Puis il regardera vers la terre; et voici: angoisse, obscurité, nuit de détresse, ténèbres dissolvantes.

Isaïe 8, 23 Car n'est-ce pas la nuit pour le pays qui est dans la détresse? Comme le passé a humilié le pays de Zabulon et le pays de Nephtali, l'avenir glorifiera le chemin de la mer, au-delà du Jourdain, le district des nations.

Isaïe 9, 1 Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, sur les habitants du sombre pays, une lumière a resplendi.

Isaïe 9, 2 Tu as multiplié la nation, tu as fait croître sa joie; ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit à la moisson, comme on exulte au partage du butin.

Isaïe 9, 3 Car le joug qui pesait sur elle, la barre posée sur ses épaules, le bâton de son oppresseur, tu les as brisés comme au jour de Madiân.

Isaïe 9, 4 Car toute chaussure qui résonne sur le sol, tout manteau roulé dans le sang, seront mis à brûler, dévorés par le feu.

Isaïe 9, 5 Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom: Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince-de-paix,

Isaïe 9, 6 pour que s'étende le pouvoir dans une paix sans fin sur le trône de David et sur son royaume, pour l'établir et pour l'affermir dans le droit et la justice. Dès maintenant et à jamais, l'amour jaloux de Yahvé Sabaot fera cela.

Isaïe 9, 7 Le Seigneur a jeté une parole en Jacob, elle est tombée en Israël.

Isaïe 9, 8 Tout le peuple l'a su, Ephraïm et l'habitant de Samarie qui disent dans l'orgueil de leur coeur altier:

Isaïe 9, 9 "Les briques sont tombées, nous construirons en pierre de taille, les sycomores ont été abattus, nous les remplacerons par des cèdres."

Isaïe 9, 10 Mais Yahvé a soutenu contre ce peuple son adversaire Raçôn, il a excité ses ennemis,

Isaïe 9, 11 Aram à l'orient, les Philistins à l'occident: ils ont dévoré Israël à belles dents. Avec tout cela sa colère ne s'est pas détournée, sa main reste levée.

Isaïe 9, 12 Mais le peuple n'est pas revenu à celui qui le frappait, il n'a pas cherché Yahvé Sabaot.

Isaïe 9, 13 Aussi Yahvé a retranché d'Israël tête et queue, palme et jonc, en un jour.

Isaïe 9, 14 (L'ancien et le dignitaire, c'est la tête, le prophète qui enseigne le mensonge, c'est la queue.)

Isaïe 9, 15 Les guides de ce peuple l'ont égaré, et ceux qu'ils guident se sont fourvoyés.

Isaïe 9, 16 C'est pourquoi en ses jeunes gens le Seigneur ne trouvera plus sa joie, de ses orphelins et de ses veuves il n'aura plus pitié, car tous sont impies et malfaisants, toute bouche profère l'insanité. Avec tout cela sa colère ne s'est pas détournée, sa main reste levée.

Isaïe 9, 17 Oui, la méchanceté a brûlé comme le feu, elle dévore ronces et épines, elle a incendié les halliers de la forêt, ils se sont élevés en tourbillons de fumée.

Isaïe 9, 18 Par l'emportement de Yahvé Sabaot la terre a été brûlée et le peuple est comme la proie du feu. Nul n'a pitié de son frère,

Isaïe 9, 19 on a coupé à droite et on a eu faim, on a mangé à gauche et on n'a pas été rassasié. Chacun dévore la chair de son bras,

Isaïe 9, 20 Manassé dévore Ephraïm, et Ephraïm Manassé, ensemble ils s'attaquent à Juda. Avec tout cela sa colère ne s'est pas détournée, sa main reste levée.

Isaïe 10, 1 Malheur à ceux qui décrètent des décrets d'iniquité, qui écrivent des rescrits d'oppression

Isaïe 10, 2 pour priver les faibles de justice et frustrer de leur droit les humbles de mon peuple, pour faire des veuves leur butin et dépouiller les orphelins.

Isaïe 10, 3 Que ferez-vous au jour du châtiment, quand le malheur viendra de loin? Vers qui fuirez-vous pour demander secours et où laisserez-vous vos richesses,

Isaïe 10, 4 pour ne pas ramper parmi les prisonniers, tomber parmi les tués? Avec tout cela sa colère ne s'est pas détournée, sa main reste levée.

Isaïe 10, 5 Malheur à Assur, férule de ma colère; c'est un bâton dans leurs mains que ma fureur.

Isaïe 10, 6 Contre une nation impie je l'envoyais, contre le peuple objet de mon emportement je le mandais, pour se livrer au pillage et rafler le butin, pour les piétiner comme la boue des rues.

Isaïe 10, 7 Mais lui ne jugeait pas ainsi, et son coeur n'avait pas cette pensée, car il rêvait d'exterminer, d'extirper des nations sans nombre.

Isaïe 10, 8 Car il disait: "N'est-ce pas que tous mes chefs sont des rois?

Isaïe 10, 9 N'est-ce pas que Kalno vaut bien Karkémish, que Hamat vaut bien Arpad, et Samarie Damas?

Isaïe 10, 10 Comme ma main a atteint les royaumes des faux dieux, où il y a plus d'idoles qu'à Jérusalem et à Samarie,

Isaïe 10, 11 comme j'ai agi envers Samarie et ses faux dieux, ne puis-je pas agir aussi envers Jérusalem et ses statues?"

Isaïe 10, 12 Mais lorsque le Seigneur achèvera toute son oeuvre sur la montagne de Sion et à Jérusalem, il châtiera le fruit du coeur orgueilleux du roi d'Assur et la morgue de ses regards arrogants.

Isaïe 10, 13 Car il a dit: "C'est par ma main puissante que j'ai fait cela, par ma sagesse, car j'ai agi avec intelligence. Je supprimais les frontières des peuples; j'ai saccagé leurs trésors; comme un puissant je soumettais les habitants.

Isaïe 10, 14 Ma main a cueilli, comme au nid, les richesses des peuples, et comme on ramasse des oeufs abandonnés, j'ai ramassé toute la terre; pas un n'a battu des ailes, ni ouvert le bec pour pépier."

Isaïe 10, 15 Fanfaronne-t-elle, la hache, contre celui qui la brandit? Se glorifie-t-elle, la scie, aux dépens de celui qui la manie? Comme si le bâton faisait mouvoir ceux qui le lèvent, comme si le gourdin levait ce qui n'est pas de bois!

Isaïe 10, 16 C'est pourquoi le Seigneur Yahvé Sabaot enverra contre ses hommes gras la maigreur, et sous sa gloire un brasier s'embrasera, comme s'embrase le feu.

Isaïe 10, 17 La lumière d'Israël deviendra un feu et son Saint une flamme, elle brûlera et consumera ses épines et ses ronces en un jour.

Isaïe 10, 18 La luxuriance de sa forêt et de son verger, il l'anéantira corps et âme, et ce sera comme un malade qui s'éteint.

Isaïe 10, 19 Le reste des arbres de sa forêt sera un petit nombre, un enfant l'écrirait.

Isaïe 10, 20 Ce jour-là, le reste d'Israël et les survivants de la maison de Jacob cesseront de s'appuyer sur qui les frappe; ils s'appuieront en vérité sur Yahvé, le Saint d'Israël.

Isaïe 10, 21 Un reste reviendra, le reste de Jacob, vers le Dieu fort.

Isaïe 10, 22 Mais ton peuple serait-il comme le sable de la mer, ô Israël, ce n'est qu'un reste qui en reviendra: destruction décidée, débordement de justice!

Isaïe 10, 23 Car c'est une destruction bien décidée que le Seigneur Yahvé Sabaot exécute au milieu de tout le pays.

Isaïe 10, 24 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé Sabaot: O mon peuple qui habites en Sion, n'aie pas peur d'Assur! Il te frappe du bâton, il lève le gourdin contre toi (sur le chemin d'Egypte);

Isaïe 10, 25 mais encore quelques instants et la fureur prendra fin, et ma colère causera leur perte.

Isaïe 10, 26 Yahvé Sabaot va brandir contre lui un fouet, comme il frappa Madiân au Rocher d'Oreb; il va brandir son bâton contre la mer, comme il l'a levé sur le chemin d'Egypte.

Isaïe 10, 27 Ce jour-là, son fardeau glissera de ton épaule et son joug de ta nuque, et le joug sera détruit.

Isaïe 10, 28 Il est arrivé sur Ayyat, il a passé à Migrôn, à Mikmas il a laissé ses bagages.

Isaïe 10, 29 Ils ont passé par le défilé, Géba est pour nous une étape, Rama a frémi, Gibéa de Saül a fui.

Isaïe 10, 30 Fais retentir ta voix, Bat-Gallim, sois attentive, Laïsha! Réponds-lui, Anatot!

Isaïe 10, 31 Madména s'est enfuie; les habitants de Gébîm se sont mis à l'abri.

Isaïe 10, 32 Aujourd'hui même, à Nob, lors d'une halte, il agitera la main vers la montagne de la fille de Sion, la colline de Jérusalem.

Isaïe 10, 33 Voici que le Seigneur Yahvé Sabaot émonde la frondaison avec violence, les plus hautes cimes sont coupées, les plus fières sont abaissées.

Isaïe 10, 34 Ils seront coupés par le fer, les halliers de la forêt et sous les coups d'un Puissant, le Liban tombera.

Isaïe 11, 1 Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines.

Isaïe 11, 2 Sur lui reposera l'Esprit de Yahvé, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte de Yahvé:

Isaïe 11, 3 son inspiration est dans la crainte de Yahvé. Il jugera mais non sur l'apparence. Il se prononcera mais non sur le ouï-dire.

Isaïe 11, 4 Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays. Il frappera le pays de la férule de sa bouche, et du souffle de ses lèvres fera mourir le méchant.

Isaïe 11, 5 La justice sera la ceinture de ses reins, et la fidélité la ceinture de ses hanches.

Isaïe 11, 6 Le loup habitera avec l'agneau, la panthère se couchera avec le chevreau. Le veau, le lionceau et la bête grasse iront ensemble, conduits par un petit garçon.

Isaïe 11, 7 La vache et l'ourse paîtront, ensemble se coucheront leurs petits. Le lion comme le boeuf mangera de la paille.

Isaïe 11, 8 Le nourrisson jouera sur le repaire de l'aspic, sur le trou de la vipère le jeune enfant mettra la main.

Isaïe 11, 9 On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance de Yahvé, comme les eaux couvrent le fond de la mer.

Isaïe 11, 10 Ce jour-là, la racine de Jessé, qui se dresse comme un signal pour les peuples, sera recherchée par les nations, et sa demeure sera glorieuse.

Isaïe 11, 11 Ce jour-là, le Seigneur étendra la main une seconde fois, pour racheter le reste de son peuple, ce qui restera à Assur et en Egypte, à Patros, à Kush et en Elam, à Shinéar, à Hamat et dans les îles de la mer.

Isaïe 11, 12 Il dressera un signal pour les nations et rassemblera les bannis d'Israël. Il regroupera les dispersés de Juda des quatre coins de la terre.

Isaïe 11, 13 Alors cessera la jalousie d'Ephraïm, et les ennemis de Juda seront retranchés. Ephraïm ne jalousera plus Juda et Juda ne sera plus hostile à Ephraïm.

Isaïe 11, 14 Ils fondront sur le dos des Philistins à l'Occident, ensemble ils pilleront les fils de l'Orient. Edom et Moab seront soumis à leur main et les fils d'Ammon leur obéiront.

Isaïe 11, 15 Yahvé asséchera la baie de la mer d'Egypte, il agitera la main contre le Fleuve, dans la violence de son souffle. Il le frappera pour en faire sept bras, on y marchera en sandales.

Isaïe 11, 16 Et il y aura un chemin pour le reste de son peuple, ce qui restera d'Assur, comme il y en eut pour Israël, quand il monta du pays d'Egypte.

Isaïe 12, 1 Et tu diras, en ce jour-là: Je te loue, Yahvé, car tu as été en colère contre moi. Puisse ta colère se détourner, puisses-tu me consoler.

Isaïe 12, 2 Voici le Dieu de mon salut: j'aurai confiance et je ne tremblerai plus, car ma force et mon chant c'est Yahvé, il a été mon salut.

Isaïe 12, 3 Dans l'allégresse vous puiserez de l'eau aux sources du salut.

Isaïe 12, 4 Et vous direz, en ce jour-là: Louez Yahvé, invoquez son nom, annoncez aux peuples ses hauts faits, rappelez que son nom est sublime.

Isaïe 12, 5 Chantez Yahvé car il a fait de grandes choses, qu'on le proclame sur toute la terre.

Isaïe 12, 6 Pousse des cris de joie, des clameurs, habitante de Sion, car il est grand, au milieu de toi, le Saint d'Israël.

Isaïe 13, 1 Oracle sur Babylone, vu par Isaïe, fils d'Amoç.

Isaïe 13, 2 Sur un mont chauve, levez un signal, forcez la voix pour eux, agitez la main pour qu'ils viennent aux portes des Nobles.

Isaïe 13, 3 Moi, j'ai donné des ordres à mes saints guerriers, j'ai même appelé mes héros pour servir ma colère, mes fiers triomphateurs.

Isaïe 13, 4 Bruit de foule sur les montagnes, comme un peuple immense, bruit d'un vacarme de royaumes, de nations rassemblées: c'est Yahvé Sabaot qui passe en revue l'armée pour le combat.

Isaïe 13, 5 Ils viennent d'un pays lointain, des extrémités du ciel, Yahvé et les instruments de sa colère, pour ravager tout le pays.

Isaïe 13, 6 Hurlez car il est proche, le jour de Yahvé, il arrive comme une dévastation de Shaddaï.

Isaïe 13, 7 C'est pourquoi toutes les mains sont débiles, tous les hommes perdent coeur;

Isaïe 13, 8 ils sont bouleversés, pris de convulsions et de douleurs; ils se tordent comme la femme qui accouche, ils se regardent avec stupeur, le visage en feu.

Isaïe 13, 9 Voici que vient le jour de Yahvé, implacable, l'emportement et l'ardente colère, pour réduire le pays en ruines, et en exterminer les pécheurs.

Isaïe 13, 10 Car au ciel, les étoiles et Orion ne diffuseront plus leur lumière. Le soleil s'est obscurci dès son lever, la lune ne fait plus rayonner sa lumière.

Isaïe 13, 11 Je vais châtier l'univers de sa méchanceté et les méchants de leur faute; mettre fin à l'arrogance des superbes, humilier l'orgueil des tyrans.

Isaïe 13, 12 Je rendrai les hommes plus rares que l'or fin, les mortels plus rares que l'or d'Ophir.

Isaïe 13, 13 C'est pourquoi je ferai frémir les cieux, et la terre tremblera sur ses bases, sous l'emportement de Yahvé Sabaot, le jour où s'allumera sa colère.

Isaïe 13, 14 Alors comme une gazelle pourchassée, comme des moutons que personne ne rassemble, chacun s'en retournera vers son peuple, chacun s'enfuira dans son pays.

Isaïe 13, 15 Tous ceux qu'on trouvera seront transpercés, tous ceux qu'on prendra tomberont par l'épée.

Isaïe 13, 16 Leurs jeunes enfants seront écrasés sous leurs yeux, leurs maisons saccagées, leurs femmes violées.

Isaïe 13, 17 Voici que je suscite contre eux les Mèdes qui ne font point cas de l'argent, et qui n'apprécient pas l'or.

Isaïe 13, 18 Les arcs anéantiront leurs jeunes gens, on n'aura pas pitié du fruit de leur sein, leur oeil sera sans compassion pour les enfants.

Isaïe 13, 19 Et Babylone, la perle des royaumes, le superbe joyau des Chaldéens, sera comme Sodome et Gomorrhe, dévastées par Dieu.

Isaïe 13, 20 Elle ne sera plus jamais habitée ni peuplée, de génération en génération. L'Arabe n'y campera plus, et les bergers n'y parqueront plus les troupeaux.

Isaïe 13, 21 Ce sera le repaire des bêtes du désert, les hiboux empliront leurs maisons, les autruches y habiteront, les boucs y danseront.

Isaïe 13, 22 Les hyènes hurleront dans ses tours, les chacals dans ses palais d'agrément, car son temps est proche et ses jours ne tarderont pas.

Isaïe 14, 1 Oui, Yahvé aura pitié de Jacob, il choisira de nouveau Israël. Il les réinstallera sur leur sol. L'étranger se joindra à eux pour s'associer à la maison de Jacob.

Isaïe 14, 2 Des peuples les prendront et les ramèneront chez eux. La maison d'Israël les assujettira sur le sol de Yahvé, pour en faire des esclaves et des servantes. Ils asserviront ceux qui les avaient asservis, ils maîtriseront leurs oppresseurs.

Isaïe 14, 3 Et il arrivera qu'au jour où Yahvé te soulagera de ta souffrance, de tes tourments et de la dure servitude à laquelle tu étais asservi,

Isaïe 14, 4 tu entonneras cette satire sur le roi de Babylone, et tu diras: Comment a fini le tyran, a fini son arrogance?

Isaïe 14, 5 Yahvé a brisé le bâton des méchants, le sceptre des souverains,

Isaïe 14, 6 lui qui rouait de coups les peuples, avec emportement et sans relâche, qui maîtrisait avec colère les nations, les pourchassant sans répit.

Isaïe 14, 7 Toute la terre repose dans le calme, on pousse des cris de joie.

Isaïe 14, 8 Les cyprès même se réjouissent à ton sujet, et les cèdres du Liban: "Depuis que tu t'es couché, on ne monte plus pour nous abattre!"

Isaïe 14, 9 En bas, le shéol a tressailli à ton sujet pour venir à ta rencontre, il a réveillé pour toi les ombres, tous les potentats de la terre, il a fait lever de leur trône tous les rois des nations.

Isaïe 14, 10 Tous prennent la parole pour te dire: "Toi aussi, tu es déchu comme nous, devenu semblable à nous.

Isaïe 14, 11 Ton faste a été précipité au shéol, avec la musique de tes cithares. Sous toi s'est formé un matelas de vermine, les larves te recouvrent.

Isaïe 14, 12 Comment es-tu tombé du ciel, étoile du matin, fils de l'aurore? As-tu été jeté à terre, vainqueur des nations?

Isaïe 14, 13 Toi qui avais dit dans ton coeur: J'escaladerai les cieux, au-dessus des étoiles de Dieu j'élèverai mon trône, je siégerai sur la montagne de l'Assemblée, aux confins du septentrion.

Isaïe 14, 14 Je monterai au sommet des nuages, je m'égalerai au Très-Haut.

Isaïe 14, 15 Mais tu as été précipité au shéol, dans les profondeurs de l'abîme."

Isaïe 14, 16 Ceux qui t'aperçoivent te considèrent, ils fixent leur regard sur toi. "Est-ce bien l'homme qui faisait trembler la terre, qui ébranlait les royaumes?

Isaïe 14, 17 Il a réduit le monde en désert, rasé les villes, il ne renvoyait pas chez eux les prisonniers.

Isaïe 14, 18 Tous les rois des nations, tous, reposent avec honneur, chacun chez soi.

Isaïe 14, 19 Toi, on t'a jeté hors de ton sépulcre, comme un rameau dégoûtant, au milieu de gens massacrés, transpercés par l'épée, jetés sur les pierres de la fosse, comme une charogne foulée aux pieds.

Isaïe 14, 20 Tu ne leur seras pas uni dans la tombe, car tu as ruiné ton pays, fait périr ton peuple. Plus jamais on ne prononcera le nom de la race des méchants.

Isaïe 14, 21 Préparez le massacre de ses fils pour la faute de leur père. Qu'ils ne se lèvent plus pour conquérir la terre et couvrir de villes la face du monde."

Isaïe 14, 22 Je me lèverai contre eux, oracle de Yahvé Sabaot, et je retrancherai de Babylone le nom et le reste, descendance et postérité, oracle de Yahvé.

Isaïe 14, 23 J'en ferai un repaire de hérissons, un marécage. Je la balaierai avec le balai de la destruction. Oracle de Yahvé Sabaot.

Isaïe 14, 24 Yahvé Sabaot l'a juré: Oui! Comme j'ai projeté, cela se fera, comme j'ai décidé, cela se réalisera:

Isaïe 14, 25 Je briserai Assur dans mon pays, je le piétinerai sur mes montagnes. Et son joug glissera de sur eux, son fardeau glissera de son épaule.

Isaïe 14, 26 Telle est la décision prise contre toute la terre, telle est la main étendue sur toutes les nations.

Isaïe 14, 27 Quand Yahvé Sabaot a décidé, qui l'arrêtera, et sa main levée, qui la fera revenir?

Isaïe 14, 28 L'année de la mort d'Achaz, cet oracle fut prononcé:

Isaïe 14, 29 Ne te réjouis pas, Philistie tout entière, de ce qu'est brisé le bâton qui te frappait. Car de la souche du serpent sortira une vipère, et son fruit sera un dragon volant.

Isaïe 14, 30 Car les premiers-nés des pauvres auront leur pâture, et les malheureux reposeront en sécurité, tandis que je ferai mourir de faim ta souche, et que je tuerai ce qui reste de toi.

Isaïe 14, 31 Hurle, porte! Crie, ville! Chancelle, Philistie tout entière! Car du nord vient une fumée, et personne ne déserte ses bataillons.

Isaïe 14, 32 Que répondra-t-on aux messagers de cette nation? Que Yahvé a fondé Sion, et que là se réfugieront les pauvres de son peuple.

Isaïe 15, 1 Oracle sur Moab. Parce qu'une nuit elle a été dévastée, Ar-Moab s'est tue; parce qu'une nuit elle a été dévastée, Qir-Moab s'est tue.

Isaïe 15, 2 Elle est montée, la fille de Dibôn, sur les hauts lieux pour pleurer. Sur le Nebo et à Médba, Moab se lamente, toutes les têtes sont rasées, toute barbe coupée.

Isaïe 15, 3 Dans ses rues on ceint le sac; sur ses toits et sur ses places, tout le monde se lamente et fond en larmes.

Isaïe 15, 4 Heshbôn et Eléalé ont crié, jusqu'à Yahaç leur voix s'est fait entendre. C'est pourquoi les guerriers de Moab frémissent, son âme frémit en l'entendant.

Isaïe 15, 5 Son coeur crie en faveur de Moab: car ses fuyards sont déjà à Coar, vers Eglat-Shelishiyya. Sur la montée de Luhit, on monte en pleurant, sur le chemin d'Horonayim, on pousse des cris déchirants.

Isaïe 15, 6 Les eaux de Nimrim sont un lieu désolé: l'herbe est desséchée, le gazon a péri, plus de verdure.

Isaïe 15, 7 C'est pourquoi, ce qu'ils ont pu sauver et leurs réserves, ils les portent au-delà du torrent des Saules.

Isaïe 15, 8 Car ce cri a fait le tour du territoire de Moab, jusqu'à Eglaïm on entend son hurlement, jusqu'à Beer-Elim on entend son hurlement.

Isaïe 15, 9 Car les eaux de Dimôn sont pleines de sang, et j'ajouterai sur Dimôn un surcroît de malheur: un lion pour les survivants de Moab, pour ceux qui restent sur son sol.

Isaïe 16, 1 Envoyez l'agneau du maître du pays, de Séla, située vers le désert, à la montagne de la fille de Sion.

Isaïe 16, 2 Elles seront semblables à l'oiseau qui s'enfuit, à une nichée dispersée, les filles de Moab, aux gués de l'Arnon.

Isaïe 16, 3 "Tenez un conseil, prenez une décision. En plein midi, étends ton ombre comme celle de la nuit, cache les dispersés, ne trahis pas le fugitif;

Isaïe 16, 4 qu'ils demeurent chez toi, les dispersés de Moab, sois pour eux un asile contre le dévastateur. Quand l'oppression aura cessé, que la dévastation aura pris fin, que seront partis ceux qui foulent le pays,

Isaïe 16, 5 le trône sera affermi dans la piété, et sur ce trône, dans la fidélité, sous la tente de David, siégera un juge, soucieux du droit et zélé pour la justice."

Isaïe 16, 6 Nous avons entendu parler de l'orgueil de Moab, le très orgueilleux, de son arrogance, de son orgueil et de sa rage, de ses bavardages ineptes.

Isaïe 16, 7 C'est pourquoi Moab se lamente sur Moab, tout entier il se lamente. Au sujet des gâteaux de raisin de Qir-Harésèt, vous gémissez, tout consternés.

Isaïe 16, 8 Car les vignobles de Heshbôn dépérissent, la vigne de Sibma, dont les raisins vermeils terrassaient les maîtres des nations. Elle atteignait jusqu'à Yazèr et s'infiltrait au désert, ses rejetons se multipliaient, ils franchissaient la mer.

Isaïe 16, 9 Aussi je pleure, comme pleure Yazèr, la vigne de Sibma; je t'arrose de mes larmes, Heshbôn et toi, Eléalé, parce que sur ta récolte et sur ta moisson le cri s'est éteint.

Isaïe 16, 10 La joie et l'allégresse ont disparu des vergers, dans les vignes, plus de liesse ni de cri joyeux; le fouleur ne foule plus le vin dans les pressoirs, le cri a cessé.

Isaïe 16, 11 C'est pourquoi mes entrailles, pour Moab, frémissent comme une cithare, et mon coeur pour Qir-Hérès.

Isaïe 16, 12 On verra Moab se fatiguer sur le haut lieu et entrer dans son sanctuaire pour supplier, mais il ne pourra rien.

Isaïe 16, 13 Telle est la parole qu'a adressée Yahvé à Moab jadis.

Isaïe 16, 14 Et maintenant Yahvé a parlé en ces termes: Dans trois ans, comme des années de mercenaire, la gloire de Moab sera humiliée, malgré sa grande multitude. Elle sera réduite à rien, un reste insignifiant.

Isaïe 17, 1 Oracle sur Damas. Voici Damas qui cesse d'être une ville, elle va devenir un tas de décombres;

Isaïe 17, 2 abandonnées pour toujours, ses villes appartiendront aux troupeaux, ils s'y coucheront sans qu'on les effraie.

Isaïe 17, 3 Plus de place forte en Ephraïm, plus de royauté à Damas, et le reste d'Aram sera traité comme la gloire des enfants d'Israël. Oracle de Yahvé Sabaot.

Isaïe 17, 4 Il arrivera, ce jour-là, que la gloire de Jacob faiblira, et que son embonpoint deviendra maigreur;

Isaïe 17, 5 ce sera comme lorsque le moissonneur récolte le blé, que son bras moissonne les épis; ce sera comme lorsqu'on glane les épis au val des Rephaïm;

Isaïe 17, 6 il ne restera que des grappillons, comme au gaulage de l'olivier: deux, trois baies en haut de la cime, quatre, cinq aux branches de l'arbre. Oracle de Yahvé, Dieu d'Israël.

Isaïe 17, 7 Ce jour-là, l'homme regardera vers son créateur, et ses yeux se tourneront vers le Saint d'Israël.

Isaïe 17, 8 Il ne regardera plus vers les autels, oeuvres de ses mains, et ce qu'ont fait ses doigts, il ne le verra plus, ni les pieux sacrés ni les brûle-parfums.

Isaïe 17, 9 Ce jour-là, ses villes de refuge seront abandonnées, comme le furent les bois et les maquis devant les enfants d'Israël, et ce sera la désolation.

Isaïe 17, 10 Tu as oublié le Dieu de ton salut, tu ne t'es pas souvenu du Rocher, ton refuge, c'est pourquoi tu plantes des plantations d'agréments, tu sèmes des semences étrangères;

Isaïe 17, 11 le jour où tu les plantes, tu les vois pousser, et dès le matin, tes semences fleurissent; mais la récolte échappe au jour de la maladie, du mal incurable.

Isaïe 17, 12 Malheur! Rumeur de peuples immenses, rumeur comme la rumeur des mers! grondement de peuples, qui grondent comme grondent les eaux puissantes!

Isaïe 17, 13 (Des peuples qui grondent comme grondent les grandes eaux.) Il les menace, et elles s'enfuient au loin, chassées comme la bale des montagnes par le vent, comme un tourbillon par l'ouragan.

Isaïe 17, 14 Quand vient le soir c'est l'effroi, au matin tout a disparu. Tel est le partage de ceux qui nous pillent, le sort de nos dévastateurs.

Isaïe 18, 1 Malheur! pays du grillon ailé, au-delà des fleuves de Kush,

Isaïe 18, 2 toi qui envoies par mer des messagers, dans des nacelles de jonc, sur les eaux. Allez, messagers rapides, vers une nation élancée et bronzée, vers un peuple redouté ici comme au loin, une nation puissante et dominatrice, au pays sillonné de fleuves.

Isaïe 18, 3 Vous tous, habitants du monde, vous qui peuplez la terre, quand on lèvera un signal sur les montagnes, vous verrez, quand on sonnera du cor, vous entendrez.

Isaïe 18, 4 Car ainsi m'a parlé Yahvé: Je veux rester ici impassible et regarder, comme la chaleur brûlante en pleine lumière, comme un nuage de rosée au plus chaud de la moisson.

Isaïe 18, 5 Car avant la moisson, quand prend fin la floraison, quand la fleur devient grappe mûrissante, on taille les pampres à la serpe, on ôte les sarments, on élague.

Isaïe 18, 6 Tout est abandonné aux rapaces des montagnes et aux bêtes du pays; les rapaces s'y vautreront pendant l'été, toutes les bêtes du pays pendant l'automne.

Isaïe 18, 7 Alors, on apportera une offrande à Yahvé Sabaot de la part d'un peuple élancé et bronzé, de la part d'un peuple redouté ici comme au loin, d'une nation puissante et dominatrice, d'un pays sillonné de fleuves; on l'apportera au lieu où réside le nom de Yahvé, au mont Sion.

Isaïe 19, 1 Oracle sur l'Egypte. Voici que Yahvé, monté sur un nuage léger, vient en Egypte. Les faux dieux d'Egypte chancellent devant lui et le coeur de l'Egypte défaille en elle.

Isaïe 19, 2 J'exciterai l'Egypte contre l'Egypte, ils se battront, chacun contre son frère, chacun contre son prochain, ville contre ville, royaume contre royaume.

Isaïe 19, 3 L'esprit de l'Egypte s'évanouira en elle, et je confondrai son conseil. On consultera les faux dieux et les enchanteurs, les spectres et les devins.

Isaïe 19, 4 Je livrerai l'Egypte aux mains d'un maître impitoyable, un roi cruel les dominera. Oracle du Seigneur Yahvé Sabaot.

Isaïe 19, 5 Les eaux disparaîtront de la mer, le fleuve tarira et se desséchera;

Isaïe 19, 6 les rivières deviendront infectes, les fleuves d'Egypte baisseront et tariront, le roseau et le jonc noirciront.

Isaïe 19, 7 Les herbes du Nil sur les bords du Nil, toute la verdure du Nil, sera desséchée, dispersée, anéantie.

Isaïe 19, 8 Les pêcheurs gémiront, ce sera le deuil pour tous ceux qui lancent l'hameçon dans le Nil, ceux qui jettent le filet sur les eaux seront désolés.

Isaïe 19, 9 Ils seront déçus, ceux qui travaillent le lin cardé et ceux qui tissent des étoffes blanches;

Isaïe 19, 10 ses tisserands seront consternés, tous les salariés seront attristés.

Isaïe 19, 11 Oui, insensés sont les princes de Coân, les plus sages conseillers du Pharaon forment un conseil stupide. Comment osez-vous dire à Pharaon: "Je suis fils des sages, fils des rois de jadis?"

Isaïe 19, 12 Où sont-ils donc, tes sages? Qu'ils t'annoncent et que l'on sache ce qu'a décidé Yahvé Sabaot contre l'Egypte!

Isaïe 19, 13 Ils déraisonnent, les princes de Coân, ils s'abusent, les princes de Noph, et l'élite de ses nomes a fait divaguer l'Egypte.

Isaïe 19, 14 Yahvé a répandu au milieu d'eux un esprit de vertige; ils ont fait divaguer l'Egypte dans toutes ses entreprises, comme divague un ivrogne en vomissant.

Isaïe 19, 15 On ne fait plus rien pour l'Egypte de ce que faisaient tête et queue, palme et jonc.

Isaïe 19, 16 Ce jour-là, l'Egypte sera comme les femmes, tremblante et terrorisée devant la menace de la main de Yahvé Sabaot, lorsqu'il la lèvera contre elle.

Isaïe 19, 17 Le territoire de Juda deviendra la honte de l'Egypte: chaque fois qu'on le lui rappellera, elle sera terrorisée à cause du dessein que Yahvé Sabaot a formé contre elle.

Isaïe 19, 18 Ce jour-là, il y aura cinq villes au pays d'Egypte qui parleront la langue de Canaan et prêteront serment à Yahvé Sabaot; l'une d'elles sera dite "ville du soleil."

Isaïe 19, 19 Ce jour-là, il y aura un autel dédié à Yahvé au milieu du pays d'Egypte, et près de la frontière une stèle dédiée à Yahvé.

Isaïe 19, 20 Ce sera un signe et un témoin de Yahvé Sabaot au pays d'Egypte. Quand ils crieront vers Yahvé par crainte des oppresseurs, il leur enverra un sauveur et un défenseur qui les délivrera.

Isaïe 19, 21 Yahvé se fera connaître des Egyptiens, et les Egyptiens connaîtront Yahvé, en ce jour-là. Ils offriront sacrifices et oblations, ils feront des voeux à Yahvé et les accompliront.

Isaïe 19, 22 Et si Yahvé frappe les Egyptiens, il frappera et guérira, ils se convertiront à Yahvé qui accueillera leurs demandes et les guérira.

Isaïe 19, 23 Ce jour-là, il y aura un chemin allant d'Egypte à Assur. Assur viendra en Egypte et l'Egypte en Assur. L'Egypte servira avec Assur.

Isaïe 19, 24 Ce jour-là, Israël viendra en troisième avec l'Egypte et Assur, bénédiction au milieu de la terre,

Isaïe 19, 25 bénédiction que prononcera Yahvé Sabaot: "Béni mon peuple l'Egypte, et Assur l'oeuvre de mes mains, et Israël mon héritage."

Isaïe 20, 1 L'année où le général en chef envoyé par Sargon, roi d'Assur, vint à Ashdod pour l'attaquer et s'en emparer,

Isaïe 20, 2 en ce temps-là, Yahvé parla par le ministère d'Isaïe fils d'Amoç; il dit: "Va, dénoue le sac que tu as sur les reins, et ôte les sandales de tes pieds." Et il fit ainsi, allant nu et déchaussé.

Isaïe 20, 3 Et Yahvé dit: "De même que mon serviteur Isaïe a marché nu et déchaussé pendant trois ans, pour être un signe et un présage contre l'Egypte et contre Kush,

Isaïe 20, 4 de même le roi d'Assur emmènera les captifs d'Egypte et les déportés de Kush, les jeunes et les vieux, nus, déchaussés et fesses découvertes, à la honte de l'Egypte.

Isaïe 20, 5 Ils seront pris d'épouvante et de honte à cause de Kush leur espérance et de l'Egypte leur fierté.

Isaïe 20, 6 Et l'habitant de ce rivage dira en ce jour-là: "Voici ce qu'est devenue notre espérance, ceux vers qui nous avons fui pour chercher un secours, pour échapper au roi d'Assur. Et nous, comment nous sauverons-nous?"

Isaïe 21, 1 Oracle sur le désert de la mer. Comme des ouragans qui passent dans le Négeb, il vient du désert, d'un pays redoutable.

Isaïe 21, 2 Une vision sinistre m'a été révélée: "Le traître trahit et le dévastateur dévaste. Monte, Elam, assiège, Mède!" J'ai fait cesser tous les gémissements.

Isaïe 21, 3 C'est pourquoi mes reins sont remplis d'angoisse, des convulsions m'ont saisi comme les convulsions de la femme qui enfante; je suis trop bouleversé pour entendre, trop troublé pour voir.

Isaïe 21, 4 Mon coeur s'égare, un frisson me terrifie; le crépuscule auquel j'aspirais devient ma terreur.

Isaïe 21, 5 On dresse la table, on met la nappe; on mange, on boit. Debout, chefs! Graissez le bouclier!

Isaïe 21, 6 Car ainsi m'a parlé le Seigneur: "Va, place un guetteur! Qu'il annonce ce qu'il voit!

Isaïe 21, 7 Il verra de la cavalerie, des cavaliers deux par deux, des hommes montés sur des ânes, des hommes montés sur des chameaux; qu'il observe avec attention, avec grande attention."

Isaïe 21, 8 Et le guetteur a crié: "Sur la tour de guet, Seigneur, je me tiens tout le long du jour, à mon poste de garde, je suis debout toute la nuit.

Isaïe 21, 9 Et voici que vient la cavalerie, des cavaliers deux par deux." Il a repris la parole et dit: "Elle est tombée, Babylone, elle est tombée, et toutes les images de ses dieux, il les a brisées à terre."

Isaïe 21, 10 Toi que j'ai foulé, grain de mon aire, ce que j'ai appris de Yahvé Sabaot, Dieu d'Israël, je te l'annonce.

Isaïe 21, 11 Oracle sur Duma. Vers moi on crie depuis Séïr: "Veilleur, où en est la nuit? Veilleur, où en est la nuit?"

Isaïe 21, 12 Le veilleur répond: "Le matin vient, puis encore la nuit. Si vous voulez interroger, interrogez! Revenez! Venez!"

Isaïe 21, 13 Oracle dans la steppe. Dans les taillis, dans la steppe, vous passez la nuit, caravanes de Dédanites.

Isaïe 21, 14 A la rencontre de l'assoiffé, apportez de l'eau! Les habitants du pays de Téma sont allés avec du pain au-devant du fugitif.

Isaïe 21, 15 Car ils ont fui devant des épées, devant l'épée nue et devant l'arc tendu, devant l'acharnement du combat.

Isaïe 21, 16 Car ainsi m'a parlé le Seigneur: Encore une année comme des années de mercenaire, et c'en est fait de toute la gloire de Qédar.

Isaïe 21, 17 Et du nombre des vaillants archers, des fils de Qédar, il ne restera presque rien, car Yahvé, Dieu d'Israël, a parlé.

Isaïe 22, 1 Oracle sur la vallée de la Vision. Qu'as-tu donc à monter tout entière aux terrasses,

Isaïe 22, 2 pleine de tumulte, ville bruyante, cité joyeuse? Tes tués ne sont pas victimes de l'épée, ni morts à la guerre.

Isaïe 22, 3 Tous tes chefs ensemble ont pris la fuite, sans arc, ils ont été capturés, tous ceux qu'on a trouvés ont été capturés ensemble, ils s'étaient enfuis au loin.

Isaïe 22, 4 C'est pourquoi j'ai dit: "Détournez-vous de moi, que je pleure amèrement; n'essayez pas de me consoler de la ruine de la fille de mon peuple."

Isaïe 22, 5 Car c'est un jour de déroute, de panique et de confusion, oeuvre du Seigneur Yahvé Sabaot, dans la vallée de la Vision. On sape la muraille, on lance des appels vers la montagne.

Isaïe 22, 6 Elam a pris le carquois, avec chars montés et cavaliers, et Qir a sorti son bouclier.

Isaïe 22, 7 Dès lors, tes plus belles vallées sont remplies de chars, et les cavaliers ont pris position aux portes:

Isaïe 22, 8 c'est ainsi qu'est tombée la protection de Juda. Tu as tourné les yeux, ce jour-là, vers les armes de la Maison de la Forêt;

Isaïe 22, 9 et les brèches de la cité de David, vous avez vu comme elles sont nombreuses! Vous avez collecté les eaux de la piscine inférieure;

Isaïe 22, 10 vous avez compté les maisons de Jérusalem, vous avez démoli les maisons pour fortifier le rempart.

Isaïe 22, 11 Vous avez fait un réservoir entre les deux murs, pour les eaux de l'ancienne piscine. Mais vous n'avez pas eu un regard pour l'auteur de ces choses, celui qui en fit le dessein depuis longtemps, vous ne l'avez pas vu.

Isaïe 22, 12 Et le Seigneur Yahvé Sabaot vous a appelés, en ce jour-là, à pleurer et à vous lamenter, à vous tondre et à ceindre le sac.

Isaïe 22, 13 Mais voici la joie et l'allégresse, on tue les boeufs et on égorge les moutons, on mange de la viande et on boit du vin: "Mangeons et buvons, car demain nous mourrons!"

Isaïe 22, 14 Alors Yahvé Sabaot s'est révélé à mes oreilles: "Jamais cette faute ne sera pardonnée, jusqu'à votre mort", dit le Seigneur Yahvé Sabaot.

Isaïe 22, 15 Ainsi parle le Seigneur Yahvé Sabaot: Va trouver cet intendant, Shebna, le maître du palais:

Isaïe 22, 16 "Que possèdes-tu ici, de qui te réclames-tu pour t'y tailler un sépulcre?" Il se taille un sépulcre surélevé, il se creuse une chambre dans le roc.

Isaïe 22, 17 Voici que Yahvé va te rejeter, homme! t'empoigner avec poigne.

Isaïe 22, 18 Il te roulera comme une boule, une balle vers un vaste espace. C'est là que tu mourras, avec tes chars splendides, déshonneur de la maison de ton maître.

Isaïe 22, 19 Je vais te chasser de ton poste, je vais t'arracher de ta place.

Isaïe 22, 20 Et le même jour, j'appellerai mon serviteur Elyaqim fils d'Hilqiyyahu.

Isaïe 22, 21 Je le revêtirai de ta tunique, je le ceindrai de ton écharpe, je lui remettrai tes pouvoirs, il sera un père pour l'habitant de Jérusalem et pour la maison de Juda.

Isaïe 22, 22 Je mettrai la clé de la maison de David sur son épaule, s'il ouvre, personne ne fermera, s'il ferme, personne n'ouvrira.

Isaïe 22, 23 Et je l'enfoncerai comme un clou en un lieu solide; il deviendra un trône de gloire pour la maison de son père.

Isaïe 22, 24 On y suspendra toute la gloire de la maison paternelle, les descendants et les rejetons, et tous les objets de petite taille, depuis les coupes jusqu'aux jarres.

Isaïe 22, 25 Ce jour-là, oracle de Yahvé Sabaot, il cédera, le clou enfoncé dans un lieu solide, il s'arrachera et tombera; alors se détachera la charge qui pesait sur lui. Car Yahvé a parlé.

Isaïe 23, 1 Oracle sur Tyr. Hurlez, vaisseaux de Tarsis, car tout a été détruit: plus de maison et plus d'entrée. Du pays de Kittim, la nouvelle leur est parvenue.

Isaïe 23, 2 Soyez stupéfaits, habitants de la côte, marchands de Sidon, toi dont les messagers passent les mers,

Isaïe 23, 3 aux eaux immenses. Le grain du Canal, la moisson du Nil, était sa richesse. Elle était le marché des nations.

Isaïe 23, 4 Rougis de honte, Sidon (la citadelle des mers), car la mer a parlé en ces termes: "Je n'ai pas souffert et je n'ai pas enfanté, ni élevé de garçons, ni fait grandir de filles."

Isaïe 23, 5 Quand la nouvelle parviendra en Egypte, on tremblera en apprenant le sort de Tyr.

Isaïe 23, 6 Passez à Tarsis et hurlez, habitants de la côte.

Isaïe 23, 7 Est-ce là votre fière cité dont l'origine remontait au lointain passé, elle que ses pas conduisaient au loin pour s'y établir?

Isaïe 23, 8 Qui a décidé cela contre Tyr qui distribuait des couronnes, dont les marchands étaient des princes, et les trafiquants des grands de la terre?

Isaïe 23, 9 C'est Yahvé Sabaot qui l'a décidé, pour flétrir l'orgueil de toute beauté, pour abaisser tous les grands de la terre.

Isaïe 23, 10 Cultive ton pays comme le Nil, fille de Tarsis, car il n'y a plus de chantier maritime.

Isaïe 23, 11 Il a tendu la main contre la mer, il a fait trembler les royaumes; Yahvé a décrété pour Canaan de ruiner ses forteresses.

Isaïe 23, 12 Il a dit: Cesse de faire la fière, toi, la maltraitée, vierge fille de Sidon! Lève-toi, passe à Kittim, là non plus, pas de repos pour toi.

Isaïe 23, 13 Voici le pays des Chaldéens, ce peuple qui n'existait pas; Assur l'a constitué pour les bêtes du désert; ils y ont dressé leurs tours, ils ont démoli ses bastions, ils l'ont réduit en ruine.

Isaïe 23, 14 Hurlez, navires de Tarsis, car votre forteresse est détruite.

Isaïe 23, 15 Et il arrivera, en ce jour-là, que Tyr sera oubliée, 70 ans, le temps de vie d'un roi. Mais au bout de 70 ans, il en sera de Tyr comme dans la chanson de la prostituée:

Isaïe 23, 16 "Prends une cithare, parcours la ville, prostituée délaissée! Joue de ton mieux, répète ta chanson, qu'on se souvienne de toi!"

Isaïe 23, 17 Et il arrivera, au bout de 70 ans, que Yahvé visitera Tyr. Elle recevra de nouveau son salaire, et se prostituera avec tous les royaumes du monde, sur la face de la terre.

Isaïe 23, 18 Mais son gain et son salaire seront consacrés à Yahvé. Ils ne seront ni amassés ni thésaurisés; mais c'est à ceux qui habitent devant Yahvé qu'ira son gain, pour qu'ils aient nourriture à satiété et vêtement magnifique.

Isaïe 24, 1 Voici que Yahvé dévaste la terre et la ravage, il en bouleverse la face et en disperse les habitants.

Isaïe 24, 2 Il en sera du prêtre comme du peuple, du maître comme de l'esclave, de la maîtresse comme de la servante, du vendeur comme de l'acheteur, du prêteur comme de l'emprunteur, du débiteur comme du créancier.

Isaïe 24, 3 Dévastée, dévastée sera la terre, elle sera pillée, pillée, car Yahvé a prononcé cette parole.

Isaïe 24, 4 La terre est en deuil, elle dépérit, le monde s'étiole, il dépérit, l'élite du peuple de la terre s'étiole.

Isaïe 24, 5 La terre est profanée sous les pieds de ses habitants, car ils ont transgressé les lois, violé le décret, rompu l'alliance éternelle.

Isaïe 24, 6 C'est pourquoi la malédiction a dévoré la terre, et ses habitants en subissent la peine; c'est pourquoi les habitants de la terre ont été consumés, il ne reste que peu d'hommes.

Isaïe 24, 7 Le vin nouveau est en deuil, la vigne s'étiole, ils gémissent, ceux qui avaient le coeur en fête.

Isaïe 24, 8 Le son allègre des tambourins s'est tu, les fêtes bruyantes ont pris fin, le son allègre du kinnor s'est tu.

Isaïe 24, 9 On ne boit plus de vin en chantant, la boisson est amère à ceux qui la boivent.

Isaïe 24, 10 Elle est en ruines, la cité du néant, toute maison est fermée, on ne peut entrer.

Isaïe 24, 11 On crie dans les rues pour avoir du vin, toute joie a disparu: l'allégresse du pays a été bannie.

Isaïe 24, 12 Dans la ville, ce n'est que décombres, la porte s'est effondrée en ruines.

Isaïe 24, 13 Car il en est au milieu de la terre, parmi les peuples, comme au gaulage de l'olivier, comme pour les grappillons quand est finie la vendange.

Isaïe 24, 14 Mais ceux-ci élèvent la voix, ils crient de joie, en l'honneur de Yahvé ils clament depuis l'occident.

Isaïe 24, 15 "Oui, à l'orient, glorifiez Yahvé, dans les îles de la mer, le nom de Yahvé, le Dieu d'Israël."

Isaïe 24, 16 Des confins de la terre nous avons entendu des

Isaïe Psaumes, "gloire au Juste." Mais j'ai dit: "Quelle épreuve pour moi! quelle épreuve pour moi! malheur à moi!" Les traîtres ont trahi, les traîtres ont tramé la trahison!

Isaïe 24, 17 Frayeur, fosse, filet pour toi, habitant de la terre.

Isaïe 24, 18 Et celui qui fuira devant le cri de frayeur tombera dans la fosse, et celui qui remontera de la fosse sera pris dans le filet. Oui, les vannes d'en haut se sont ouvertes, les fondements de la terre ont tremblé.

Isaïe 24, 19 Un brisement, la terre s'est brisée, un sursaut, la terre a sursauté, un vacillement, la terre a vacillé.

Isaïe 24, 20 La terre va chanceler, chanceler comme l'ivrogne, elle sera ébranlée comme une hutte, son crime pèsera sur elle, elle tombera et ne se relèvera plus.

Isaïe 24, 21 Et il arrivera, en ce jour-là, que Yahvé visitera l'armée d'en haut, en haut, et les rois de la terre, sur la terre.

Isaïe 24, 22 Ils seront rassemblés, troupe de prisonniers conduits à la fosse, ils seront enfermés dans la prison; après de nombreux jours, ils seront visités.

Isaïe 24, 23 La lune sera confuse, le soleil aura honte, car Yahvé Sabaot est roi sur la montagne de Sion et à Jérusalem, et la Gloire resplendit devant les anciens.

Isaïe 25, 1 Yahvé, tu es mon Dieu, je t'exalterai, je louerai ton nom, car tu as accompli des merveilles, les desseins de jadis, fidèlement, fermement.

Isaïe 25, 2 Car tu as fait de la ville un tas de pierres, la cité fortifiée est une ruine, la citadelle des étrangers n'est plus une ville, jamais elle ne sera reconstruite.

Isaïe 25, 3 C'est pourquoi un peuple fort te glorifie, la cité des nations redoutables te craint.

Isaïe 25, 4 Car tu as été un refuge pour le faible, un refuge pour le malheureux plongé dans la détresse, un abri contre la pluie, un ombrage contre la chaleur, car le souffle des violents est comme la pluie d'hiver.

Isaïe 25, 5 Comme la chaleur sur une terre aride, tu apaises le tumulte des étrangers: la chaleur tiédit à l'ombre d'un nuage, le chant des violents se tait.

Isaïe 25, 6 Yahvé Sabaot prépare pour tous les peuples, sur cette montagne, un festin de viandes grasses, un festin de bons vins, de viandes moelleuses, de vins dépouillés.

Isaïe 25, 7 Il a détruit sur cette montagne le voile qui voilait tous les peuples et le tissu tendu sur toutes les nations;

Isaïe 25, 8 il a fait disparaître la mort à jamais. Le Seigneur Yahvé a essuyé les pleurs sur tous les visages, il ôtera l'opprobre de son peuple sur toute la terre, car Yahvé a parlé.

Isaïe 25, 9 Et on dira, en ce jour-là: Voyez, c'est notre Dieu, en lui nous espérions pour qu'il nous sauve; c'est Yahvé, nous espérions en lui. Exultons, réjouissons-nous du salut qu'il nous a donné.

Isaïe 25, 10 Car la main de Yahvé reposera sur cette montagne et Moab sera foulé sur place, comme on foule la paille dans la fosse à fumier.

Isaïe 25, 11 Il étend les mains, au milieu de la montagne, comme le nageur les étend pour nager. Mais il rabaissera son orgueil, malgré les efforts de ses mains.

Isaïe 25, 12 Et la place forte inaccessible de tes remparts, il l'a abattue, abaissée, renversée à terre, dans la poussière.

Isaïe 26, 1 En ce jour-là, on chantera ce chant au pays de Juda: Nous avons une ville forte; pour nous protéger, il a mis mur et avant-mur.

Isaïe 26, 2 Ouvrez les portes! Qu'elle entre, la nation juste qui observe la fidélité.

Isaïe 26, 3 C'est un dessein arrêté: tu assureras la paix, la paix qui t'est confiée.

Isaïe 26, 4 Confiez-vous en Yahvé à jamais! Car Yahvé est un rocher, éternellement.

Isaïe 26, 5 C'est lui qui a précipité les habitants des hauteurs, la cité élevée; il l'abaisse, il l'abaisse jusqu'à terre, il lui fait mordre la poussière.

Isaïe 26, 6 Elle sera foulée aux pieds, par les pieds du malheureux, par les pas du faible.

Isaïe 26, 7 Le sentier du juste, c'est la droiture, tu aplanis la droite trace du juste.

Isaïe 26, 8 Oui, dans le sentier de tes jugements, nous t'attendions, Yahvé, à ton nom et à ta mémoire va le désir de l'âme.

Isaïe 26, 9 Mon âme t'a désiré pendant la nuit, oui, au plus profond de moi, mon esprit te cherche, car lorsque tu rends tes jugements pour la terre, les habitants du monde apprennent la justice.

Isaïe 26, 10 Si l'on fait grâce au méchant sans qu'il apprenne la justice, au pays de la droiture il fait le mal, sans voir la majesté de Yahvé.

Isaïe 26, 11 Yahvé, ta main est levée et ils ne voient pas! Ils verront, pleins de confusion, ton amour jaloux pour ce peuple, oui, le feu préparé pour tes ennemis les dévorera.

Isaïe 26, 12 Yahvé, tu nous assures la paix, et même toutes nos oeuvres, tu les accomplis pour nous.

Isaïe 26, 13 Yahvé notre Dieu, d'autres maîtres que toi ont dominé sur nous, mais, attachés à toi seul, nous invoquons ton nom.

Isaïe 26, 14 Les morts ne revivront pas, les ombres ne se relèveront pas, car tu les as visités, exterminés, tu as détruit jusqu'à leur souvenir.

Isaïe 26, 15 Tu as fait de nous une nation, Yahvé, tu as fait de nous une nation et tu as été glorifié. Tu as fait reculer les limites du pays.

Isaïe 26, 16 Yahvé, dans la détresse ils t'ont cherché, ils se répandirent en prière car ton châtiment était sur eux.

Isaïe 26, 17 Comme la femme enceinte à l'heure de l'enfantement souffre et crie dans ses douleurs, ainsi étions-nous devant ta face, Yahvé.

Isaïe 26, 18 Nous avons conçu, nous avons souffert, mais c'était pour enfanter du vent: nous n'avons pas donné le salut à la terre, il ne naît pas d'habitants au monde.

Isaïe 26, 19 Tes morts revivront, tes cadavres ressusciteront. Réveillez-vous et chantez, vous qui habitez la poussière, car ta rosée est une rosée lumineuse, et le pays va enfanter des ombres.

Isaïe 26, 20 Va, mon peuple, entre dans tes chambres, ferme tes portes sur toi; cache-toi un tout petit instant, jusqu'à ce qu'ait passé la fureur.

Isaïe 26, 21 Car voici Yahvé qui sort de sa demeure pour châtier la faute des habitants de la terre; et la terre dévoilera son sang, elle cessera de recouvrir ses cadavres.

Isaïe 27, 1 Ce jour-là, Yahvé châtiera avec son épée dure, grande et forte, Léviathan, le serpent fuyard, Léviathan, le serpent tortueux; il tuera le dragon qui habite la mer.

Isaïe 27, 2 Ce jour-là, la vigne magnifique chantez-la!

Isaïe 27, 3 Moi, Yahvé, j'en suis le gardien, de temps en temps, je l'irrigue; pour qu'on ne lui fasse pas de mal, nuit et jour je la garde. --

Isaïe 27, 4 Je n'ai plus de muraille. Qui va me réduire en ronces et en épines? -- Dans la guerre, je la foulerai, je la brûlerai en même temps.

Isaïe 27, 5 Ou bien que l'on fasse appel à ma protection, que l'on fasse la paix avec moi, la paix, qu'on la fasse avec moi.

Isaïe 27, 6 A l'avenir Jacob s'enracinera, Israël bourgeonnera et fleurira, la face du monde se couvrira de récolte.

Isaïe 27, 7 L'a-t-il frappé comme avaient frappé ceux qui le frappaient? A-t-il assassiné comme avaient assassiné ses assassins?

Isaïe 27, 8 En la chassant, en l'excluant, tu as exercé un jugement, il l'a chassée de son souffle violent, tel le vent d'orient.

Isaïe 27, 9 Car ainsi sera pardonnée la faute de Jacob, tel sera le fruit qu'il recueillera en renonçant à son péché quand toutes les pierres de l'autel seront mises en pièces comme des pierres à chaux, quand les Ashéras et les brûle-parfums ne seront plus debout.

Isaïe 27, 10 Car la ville fortifiée est devenue une solitude, abandonnée, délaissée comme un désert, où les veaux paissent, où ils se couchent en détruisant les branchages.

Isaïe 27, 11 Quand sèchent les branches on les brise, des femmes viennent et y mettent le feu. Or ce peuple n'est pas intelligent, aussi son créateur n'aura pas pitié de lui, celui qui l'a modelé ne lui fera pas grâce.

Isaïe 27, 12 Et il arrivera qu'en ce jour-là, Yahvé fera le battage, depuis le cours du Fleuve jusqu'au torrent d'Egypte, et vous, vous serez glanés un à un, enfants d'Israël.

Isaïe 27, 13 Et il arrivera qu'en ce jour-là, on sonnera du grand cor, alors viendront ceux qui se meurent au pays d'Assur, et ceux qui sont bannis au pays d'Egypte, ils adoreront Yahvé sur la montagne sainte, à Jérusalem.

Isaïe 28, 1 Malheur à l'orgueilleuse couronne des ivrognes d'Ephraïm, à la fleur fanée de sa superbe splendeur sise au sommet de la grasse vallée, à ceux que terrasse le vin.

Isaïe 28, 2 Voici un homme fort et puissant au service du Seigneur, comme une tornade de grêle, une tempête dévastatrice, comme d'énormes trombes d'eau qui se déversent, de sa main il les jette à terre.

Isaïe 28, 3 Elles seront foulées aux pieds, l'orgueilleuse couronne des ivrognes d'Ephraïm

Isaïe 28, 4 et la fleur fanée de sa superbe splendeur sise au sommet de la grasse vallée. C'est comme une figue mûre avant l'été: qui l'aperçoit aussitôt la saisit et l'avale.

Isaïe 28, 5 Ce jour-là, c'est Yahvé Sabaot qui deviendra une couronne de splendeur et un superbe diadème pour le reste de son peuple,

Isaïe 28, 6 un esprit de justice pour qui doit rendre la justice, et la force de ceux qui repoussent l'assaut aux portes.

Isaïe 28, 7 Eux aussi, ils ont été troublés par le vin, ils ont divagué sous l'effet de la boisson. Prêtre et prophète, ils ont été troublés par la boisson, ils ont été pris de vin, ils ont divagué sous l'effet de la boisson, ils ont été troublés dans leurs visions, ils ont divagué dans leurs sentences.

Isaïe 28, 8 Oui, toutes les tables sont couvertes de vomissements abjects, pas une place nette!

Isaïe 28, 9 A qui enseigne-t-il la leçon? A qui explique-t-il la doctrine? A des enfants à peine sevrés, à peine éloignés de la mamelle,

Isaïe 28, 10 quand il dit: çav laçav, çav laçav; qav laqav, qav laqav ze'êr sham, ze'êr sham.

Isaïe 28, 11 Oui, c'est par des lèvres bégayantes et dans une langue étrangère qu'il parlera à ce peuple.

Isaïe 28, 12 Il leur avait dit: "Voici le repos! Donnez le repos à l'accablé: ceci est un endroit tranquille." Mais ils n'ont pas voulu écouter.

Isaïe 28, 13 Aussi Yahvé va leur parler ainsi: çav laçav, çav laçav; qav laqav, qav laqav; ze'êr sham, ze'êr sham afin qu'en marchant ils tombent à la renverse, qu'ils soient brisés, pris au piège, emprisonnés.

Isaïe 28, 14 C'est pourquoi, écoutez la parole de Yahvé, hommes insolents, gouverneurs de ce peuple qui est à Jérusalem.

Isaïe 28, 15 Vous avez dit: "Nous avons conclu une alliance avec la mort, avec le shéol nous avons fait un pacte. Quant au fléau menaçant, il passera sans nous atteindre, car nous avons fait du mensonge notre refuge, et dans la fausseté nous nous sommes cachés."

Isaïe 28, 16 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé: Voici que je vais poser en Sion une pierre, une pierre de granit, pierre angulaire, précieuse, pierre de fondation bien assise: celui qui s'y fie ne sera pas ébranlé.

Isaïe 28, 17 Et je prendrai le droit comme mesure et la justice comme niveau. Mais la grêle balaiera le refuge de mensonge et les eaux inonderont la cachette;

Isaïe 28, 18 votre alliance avec la mort sera rompue, votre pacte avec le shéol ne tiendra pas. Quant au fléau destructeur, lorsqu'il passera, vous serez piétinés par lui.

Isaïe 28, 19 Chaque fois qu'il passera, il vous saisira, car chaque matin il passera, et le jour et la nuit, et seule la terreur fera comprendre la révélation.

Isaïe 28, 20 Car la couche sera trop courte pour s'y étendre, et la couverture trop étroite pour s'en envelopper.

Isaïe 28, 21 Oui, comme au mont de Peraçim, Yahvé se lèvera, comme au val de Gabaôn, il frémira, pour opérer son oeuvre, son oeuvre étrange, pour accomplir sa tâche, sa tâche mystérieuse.

Isaïe 28, 22 Et maintenant, cessez de vous moquer, de peur que ne se resserrent vos liens, car je l'ai entendu: c'est irrévocablement décidé par le Seigneur Yahvé Sabaot, contre tout le pays.

Isaïe 28, 23 Prêtez l'oreille et entendez ma voix; soyez attentifs, entendez ma parole.

Isaïe 28, 24 Le laboureur passe-t-il tout son temps à labourer pour semer, à défoncer et herser son coin de terre?

Isaïe 28, 25 Après avoir aplani la surface, ne jette-t-il pas la nigelle, ne répand-il pas le cumin? Puis il met le blé, le millet, l'orge... et l'épeautre en bordure.

Isaïe 28, 26 Son Dieu lui a enseigné cette règle et l'a instruit.

Isaïe 28, 27 On n'écrase pas la nigelle avec le traîneau, on ne fait pas passer sur le cumin les roues du chariot. C'est avec un bâton qu'on bat la nigelle, et le cumin se bat au fléau.

Isaïe 28, 28 Lorsqu'on foule le froment, on ne s'attarde pas à l'écraser; on met en marche la roue du chariot et son attelage, on ne le broie pas.

Isaïe 28, 29 Tout cela est un don de Yahvé Sabaot, merveilleux conseil qui fait de grandes choses.

Isaïe 29, 1 Malheur, Ariel, Ariel, cité où campa David! ajoutez année sur année, que les fêtes accomplissent leur cycle,

Isaïe 29, 2 j'opprimerai Ariel; ce sera gémissements et sanglots, et elle sera pour moi comme Ariel.

Isaïe 29, 3 Je camperai en cercle contre toi, j'entreprendrai contre toi un siège et je dresserai contre toi des retranchements.

Isaïe 29, 4 Tu seras abaissée, ta voix s'élèvera de la terre, de la poussière elle s'élèvera comme un murmure; ta voix comme celle d'un esprit viendra de la terre, comme venant de la poussière elle murmurera.

Isaïe 29, 5 La horde de tes ennemis sera comme des grains de poussière, la horde des guerriers, comme la bale qui s'envole. Et soudain, en un instant,

Isaïe 29, 6 tu seras visitée de Yahvé Sabaot dans le fracas, le tremblement, le vacarme, ouragan et tempête, flamme de feu dévorant.

Isaïe 29, 7 Ce sera comme un rêve, une vision nocturne: la horde de toutes les nations en guerre contre Ariel, tous ceux qui le combattent, l'assiègent et l'oppriment.

Isaïe 29, 8 Et ce sera comme le rêve de l'affamé: le voici qui mange, puis il s'éveille, l'estomac creux; ou comme le rêve de l'assoiffé: le voici qui boit, puis il s'éveille épuisé, la gorge sèche. Ainsi en sera-t-il de la horde de toutes les nations en guerre contre la montagne de Sion.

Isaïe 29, 9 Soyez stupides et stupéfaits, devenez aveugles et sans vue; soyez ivres, mais non de vin, titubants, mais non de boisson,

Isaïe 29, 10 car Yahvé a répandu sur vous un esprit de torpeur, il a fermé vos yeux (les prophètes), il a voilé vos têtes (les voyants).

Isaïe 29, 11 Et toutes les visions sont devenues pour vous comme les mots d'un livre scellé que l'on remet à quelqu'un qui sait lire en disant: "Lis donc cela." Mais il répond: "Je ne puis, car il est scellé."

Isaïe 29, 12 Et on remet le livre à quelqu'un qui ne sait pas lire en disant: "Lis donc cela." Mais il répond: "Je ne sais pas lire."

Isaïe 29, 13 Le Seigneur a dit: Parce que ce peuple est près de moi en paroles et me glorifie de ses lèvres, mais que son coeur est loin de moi et que sa crainte n'est qu'un commandement humain, une leçon apprise,

Isaïe 29, 14 eh bien! voici que je vais continuer à étonner ce peuple par des prodiges et des merveilles; la sagesse des sages se perdra et l'intelligence des intelligents s'envolera.

Isaïe 29, 15 Malheur à ceux qui se terrent pour dissimuler à Yahvé leurs desseins, qui trament dans les ténèbres leurs actions et disent: "Qui nous voit? Qui nous connaît?"

Isaïe 29, 16 Quelle perversité! Le potier ressemble-t-il à l'argile pour qu'une oeuvre ose dire à celui qui l'a faite: "Il ne m'a pas faite", et un pot à son potier: "Il ne sait pas travailler?"

Isaïe 29, 17 N'est-il pas vrai que dans peu de temps le Liban redeviendra un verger, et le verger fera penser à une forêt?

Isaïe 29, 18 En ce jour-là, les sourds entendront les paroles du livre et, délivrés de l'ombre et des ténèbres, les yeux des aveugles verront.

Isaïe 29, 19 Les malheureux trouveront toujours plus de joie en Yahvé, les plus pauvres des hommes exulteront à cause du Saint d'Israël.

Isaïe 29, 20 Car le tyran ne sera plus, le moqueur aura disparu, tous les veilleurs infâmes auront été retranchés:

Isaïe 29, 21 ceux dont la parole porte condamnation, ceux qui tendent un piège à celui qui juge à la porte, et sans raison font débouter le juste.

Isaïe 29, 22 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé, Dieu de la maison de Jacob, lui qui a racheté Abraham: Désormais Jacob ne sera plus déçu, désormais son visage ne blêmira plus,

Isaïe 29, 23 car lorsqu'il verra ses enfants, l'oeuvre de mes mains, chez lui, il sanctifiera mon nom, il sanctifiera le Saint de Jacob, il redoutera le Dieu d'Israël.

Isaïe 29, 24 Les esprits égarés apprendront l'intelligence, et ceux qui murmurent recevront l'instruction.

Isaïe 30, 1 Malheur aux fils rebelles! oracle de Yahvé. Ils font des projets qui ne viennent pas de moi, ils trament des alliances que mon esprit n'inspire pas, accumulant péché sur péché.

Isaïe 30, 2 Ils partent pour descendre en Egypte, sans m'avoir consulté, pour se mettre sous la protection du Pharaon et s'abriter à l'ombre de l'Egypte.

Isaïe 30, 3 Mais la protection du Pharaon tournera à votre honte, l'abri de l'ombre de l'Egypte à votre confusion.

Isaïe 30, 4 Car ses princes ont été à Coân et ses messagers ont atteint Hanès.

Isaïe 30, 5 Tout le monde est déçu par un peuple qui ne peut secourir, qui n'apporte ni aide ni profit, mais déception et confusion.

Isaïe 30, 6 Oracle sur les bêtes du Négeb. Au pays d'angoisse et de détresse, de la lionne et du lion rugissant, de la vipère et du dragon volant, ils apportent sur l'échine des ânes leurs richesses, sur la bosse des chameaux leurs trésors, vers un peuple qui ne peut secourir:

Isaïe 30, 7 l'Egypte dont l'aide est vanité et néant; c'est pourquoi je lui ai donné ce nom: Rahab la déchue.

Isaïe 30, 8 Maintenant va, écris-le sur une tablette, grave-le sur un document, que ce soit pour un jour à venir, pour toujours et à jamais.

Isaïe 30, 9 Car c'est un peuple révolté, des fils menteurs, des fils qui refusent d'écouter la Loi de Yahvé,

Isaïe 30, 10 qui ont dit aux voyants: "Vous ne verrez pas", et aux prophètes: "Vous ne percevrez pour nous rien de clair. Dites-nous des choses flatteuses, ayez des visions trompeuses.

Isaïe 30, 11 Eloignez-vous du chemin, écartez-vous du sentier, ôtez de devant nous le Saint d'Israël."

Isaïe 30, 12 C'est pourquoi, ainsi parle le Saint d'Israël: Parce que vous avez rejeté cette parole et que vous vous êtes fiés à la fraude et à la déloyauté pour vous y appuyer,

Isaïe 30, 13 à cause de cela, cette faute sera pour vous comme une brèche qui se produit, une saillie en haut d'un rempart qui soudain, d'un seul coup, vient à s'écrouler.

Isaïe 30, 14 Il va le briser comme on brise une jarre de potier, mise en pièces sans pitié, et l'on ne trouvera pas dans ses débris un tesson pour racler le feu du foyer ou pour puiser l'eau d'un bassin.

Isaïe 30, 15 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé, le Saint d'Israël: Dans la conversion et le calme était votre salut, dans la sérénité et la confiance était votre force, mais vous n'avez pas voulu!

Isaïe 30, 16 Vous avez dit: "Non, car nous fuirons à cheval!" Eh bien! oui, vous fuirez. Et encore: "Nous aurons des montures rapides!" Eh bien! vos poursuivants seront rapides.

Isaïe 30, 17 Mille trembleront devant la menace d'un seul, devant la menace de cinq vous vous enfuirez, jusqu'à ce qu'il reste de vous comme un mât en haut de la montagne, comme un signal sur la colline.

Isaïe 30, 18 C'est pourquoi Yahvé attend l'heure de vous faire grâce, c'est pourquoi il se lèvera pour vous prendre en pitié, car Yahvé est un Dieu de justice; bienheureux tous ceux qui espèrent en lui.

Isaïe 30, 19 Oui, peuple de Sion, qui habites Jérusalem, tu n'auras plus à pleurer, car il va te faire grâce à cause du cri que tu pousses, dès qu'il l'entendra il te répondra.

Isaïe 30, 20 Le Seigneur vous donnera le pain de l'angoisse et l'eau rationnée, celui qui t'instruit ne se cachera plus, et tes yeux verront celui qui t'instruit.

Isaïe 30, 21 Tes oreilles entendront une parole prononcée derrière toi: "Telle est la voie, suivez-la, que vous alliez à droite ou à gauche."

Isaïe 30, 22 Tu jugeras impur le placage de tes idoles d'argent et le revêtement de tes statues d'or; tu les rejetteras comme un objet immonde: "Hors d'ici!" diras-tu.

Isaïe 30, 23 Et il donnera la pluie pour la semence que tu sèmeras en terre, et le pain, produit du sol, sera riche et nourrissant. Ton bétail paîtra, ce jour-là, sur de vastes pâtures.

Isaïe 30, 24 Les boeufs et les ânes, qui travaillent le sol, mangeront comme fourrage de l'oseille sauvage que l'on étend à la pelle et à la fourche.

Isaïe 30, 25 Sur toute haute montagne et sur toute colline élevée, il y aura des ruisseaux et des cours d'eau au jour du grand carnage, quand s'écrouleront les forteresses.

Isaïe 30, 26 Alors la lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus forte, comme la lumière de sept jours, au jour où Yahvé pansera la blessure de son peuple et guérira la trace des coups reçus.

Isaïe 30, 27 Voici que le nom de Yahvé vient de loin, ardente est sa colère, pesante sa menace. Ses lèvres débordent de fureur, sa langue est comme un feu dévorant.

Isaïe 30, 28 Son souffle est comme un torrent débordant qui monte jusqu'au cou, pour secouer les nations d'une secousse fatale, mettre un mors d'égarement aux mâchoires des peuples.

Isaïe 30, 29 Le chant sera sur vos lèvres comme en une nuit de fête, et la joie sera dans vos coeurs comme lorsqu'on marche au son de la flûte pour aller à la montagne de Yahvé, le rocher d'Israël.

Isaïe 30, 30 Yahvé fera entendre la majesté de sa voix, il fera sentir le poids de son bras, dans l'ardeur de sa colère accompagnée d'un feu dévorant, de la foudre, d'averses et de grêlons.

Isaïe 30, 31 Car à la voix de Yahvé, Assur sera terrorisé, il le frappera de sa baguette;

Isaïe 30, 32 chaque fois qu'il passera, ce sera la férule du châtiment que Yahvé lui infligera, au son des tambourins et des kinnors, et dans les combats qu'il livrera, la main levée, contre lui.

Isaïe 30, 33 Car depuis longtemps est préparé Tophèt, -- il sera aussi pour le roi -- profond et large son bûcher, feu et bois y abondent; le souffle de Yahvé, comme un torrent de soufre, va y mettre le feu.

Isaïe 31, 1 Malheur à ceux qui descendent en Egypte pour y chercher du secours. Ils comptent sur les chevaux, ils mettent leur confiance dans les chars, car ils sont nombreux, et dans les cavaliers, car ils sont très forts. Ils ne se sont pas tournés vers le Saint d'Israël, ils n'ont pas consulté Yahvé.

Isaïe 31, 2 Pourtant il est sage, lui aussi, et peut faire venir le malheur, il n'a jamais manqué à sa parole. Il se lèvera contre l'engeance des méchants, contre la protection des malfaisants.

Isaïe 31, 3 L'Egyptien est un homme et non un dieu, ses chevaux sont chair et non esprit; Yahvé étendra la main: le protecteur trébuchera, le protégé tombera, tous ensemble ils périront.

Isaïe 31, 4 Car ainsi m'a parlé Yahvé: Comme gronde le lion, le lionceau après sa proie, quand on fait appel contre lui à l'ensemble des bergers, sans qu'il se laisse terroriser par leurs cris ni troubler par leur fracas, ainsi descendra Yahvé Sabaot pour guerroyer sur le mont Sion, sur sa colline.

Isaïe 31, 5 Comme des oiseaux qui volent, ainsi Yahvé Sabaot protégera Jérusalem; par sa protection il la sauvera, par son soutien il la délivrera.

Isaïe 31, 6 Revenez à celui qu'ont si profondément trahi les enfants d'Israël.

Isaïe 31, 7 Car en ce jour-là, chacun rejettera ses faux dieux d'argent et ses faux dieux d'or, qu'ont fabriqué pour vous vos mains pécheresses.

Isaïe 31, 8 Assur tombera par l'épée, non celle d'un homme, il sera dévoré par l'épée, non celle d'un mortel. Il s'enfuira devant l'épée, et ses jeunes gens seront asservis.

Isaïe 31, 9 Dans sa terreur il abandonnera son rocher, et ses chefs apeurés déserteront l'étendard. Oracle de Yahvé dont le feu est à Sion et la fournaise à Jérusalem.

Isaïe 32, 1 Voici qu'un roi régnera avec justice et des princes gouverneront selon le droit.

Isaïe 32, 2 Chacun sera comme un abri contre le vent, un refuge contre l'averse, comme des ruisseaux sur une terre aride, comme l'ombre d'une roche solide dans un pays désolé.

Isaïe 32, 3 Les yeux des voyants ne seront plus englués, les oreilles des auditeurs seront attentives.

Isaïe 32, 4 Le coeur des inconstants s'appliquera à comprendre, et la langue des bègues dira sans hésiter des paroles claires.

Isaïe 32, 5 On ne donnera plus à l'insensé le titre de noble, ni au fourbe celui de grand.

Isaïe 32, 6 Car l'insensé dit des insanités et son coeur s'adonne au mal, en pratiquant l'impiété, en tenant sur Yahvé des propos aberrants, en laissant l'affamé sans nourriture; il refuse la boisson à celui qui a soif.

Isaïe 32, 7 Quant au fourbe, ses fourberies sont perverses, il a ourdi des machinations pour perdre le pauvre par des paroles mensongères, alors que le malheureux a le droit pour lui.

Isaïe 32, 8 Le noble, lui, n'a eu que de nobles desseins, il se lève pour agir avec noblesse.

Isaïe 32, 9 Femmes altières, levez-vous, écoutez ma voix, filles pleines de superbe, prêtez l'oreille à ma parole.

Isaïe 32, 10 Dans un an et quelques jours, vous tremblerez, présomptueuses, car c'en est fait de la vendange, il n'y a plus de récolte.

Isaïe 32, 11 Frémissez, vous qui êtes altières, tremblez, vous qui êtes pleines de superbe; dépouillez-vous, dénudez-vous, ceignez-vous les reins.

Isaïe 32, 12 Frappez-vous les seins sur le sort des campagnes riantes, des vignes chargées de fruits;

Isaïe 32, 13 sur le terroir de mon peuple croîtra le buisson de ronces, comme sur toute maison joyeuse de la cité délirante.

Isaïe 32, 14 Car la citadelle est abandonnée, la ville tapageuse est désertée, Ophel et Donjon seront dénudés à jamais, délices des ânes sauvages, pacage de troupeaux.

Isaïe 32, 15 Jusqu'à ce que se répande sur nous l'Esprit d'en haut, et que le désert devienne un verger, un verger qui fait penser à une forêt.

Isaïe 32, 16 Dans le désert s'établira le droit et la justice habitera le verger.

Isaïe 32, 17 Le fruit de la justice sera la paix, et l'effet de la justice repos et sécurité à jamais.

Isaïe 32, 18 Mon peuple habitera dans un séjour de paix, des demeures superbes, des résidences altières.

Isaïe 32, 19 Et si la forêt est totalement détruite, si la ville est gravement humiliée,

Isaïe 32, 20 heureux serez-vous de semer partout où il y a de l'eau, de laisser en liberté le boeuf et l'âne.

Isaïe 33, 1 Malheur à toi qui détruis et n'es pas détruit, qui es traître alors qu'on ne te trahit pas; quand tu auras fini de détruire, tu seras détruit, quand tu auras terminé tes trahisons, on te trahira.

Isaïe 33, 2 Yahvé, fais-nous grâce, en toi nous espérons. Sois notre bras chaque matin, et aussi notre salut au temps de la détresse.

Isaïe 33, 3 Au bruit du tumulte les peuples s'enfuient, lorsque tu te lèves les nations se dispersent.

Isaïe 33, 4 On amasse chez vous le butin comme amasse le criquet, on se rue sur lui comme une ruée de sauterelles.

Isaïe 33, 5 Yahvé est exalté car il trône là-haut, il comble Sion de droit et de justice.

Isaïe 33, 6 Et ce sera la sécurité pour tes jours: sagesse et connaissance sont les richesses qui sauvent, la crainte de Yahvé, tel est son trésor.

Isaïe 33, 7 Voici qu'Ariel pousse des cris dans les rues, les messagers de paix pleurent amèrement.

Isaïe 33, 8 Les routes sont désolées, plus de passants sur les chemins, on a rompu l'alliance, méprisé les témoins, on n'a tenu compte de personne.

Isaïe 33, 9 Endeuillée, la terre languit. Couvert de honte, le Liban se dessèche, Saron est devenue comme la steppe, Bashân et le Carmel frémissent.

Isaïe 33, 10 Maintenant je me lève, dit Yahvé, maintenant je me dresse, maintenant je m'élève.

Isaïe 33, 11 Vous concevez du foin, vous enfantez de la paille, mon souffle, comme un feu, vous dévorera.

Isaïe 33, 12 Les peuples seront consumés comme par la chaux, épines coupées, ils seront brûlés au feu.

Isaïe 33, 13 Ecoutez, vous qui êtes loin, ce que j'ai fait, sachez, vous qui êtes proches, quelle est ma puissance.

Isaïe 33, 14 Les pécheurs ont été terrifiés à Sion, un tremblement a saisi les impies. Qui de nous tiendra devant un feu dévorant? Qui de nous tiendra devant des brasiers éternels?

Isaïe 33, 15 Celui qui se conduit avec justice et parle loyalement, qui refuse un gain extorqué et repousse de la main le pot-de-vin, qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre les propos sanguinaires, et ferme les yeux pour ne pas voir le mal,

Isaïe 33, 16 celui-là habitera dans les hauteurs, les roches escarpées seront son refuge, on lui donnera du pain, l'eau ne lui manquera pas.

Isaïe 33, 17 Tes yeux contempleront le roi dans sa beauté, ils verront un pays qui s'étend au loin.

Isaïe 33, 18 Ton coeur méditera ses frayeurs: "Où est celui qui comptait? Où est celui qui pesait? Où est celui qui comptait les tours?"

Isaïe 33, 19 Tu ne verras plus le peuple insolent, le peuple au langage incompréhensible, à la langue barbare et dénuée de sens.

Isaïe 33, 20 Contemple Sion, cité de nos fêtes, que tes yeux voient Jérusalem, résidence sûre, tente qu'on ne déplacera pas, dont on n'arrachera jamais les piquets, dont les cordes ne seront jamais rompues.

Isaïe 33, 21 Mais c'est là que Yahvé nous montre sa puissance, comme un lieu de fleuves et de canaux très larges où ne vogueront pas les bateaux à rame, que ne traverseront pas les grands vaisseaux.

Isaïe 33, 22 (Car Yahvé nous juge et Yahvé nous régente, Yahvé est notre roi, c'est lui notre sauveur.)

Isaïe 33, 23 Tes cordages ont lâché, ils ne maintiennent plus le mât, ils ne hissent plus le signal. Alors on s'est partagé un énorme butin, les boiteux se sont livrés au pillage.

Isaïe 33, 24 Aucun habitant ne dira plus: "Je suis malade", le peuple qui y demeure verra sa faute remise.

Isaïe 34, 1 Approchez, nations, pour écouter, peuples, soyez attentifs, que la terre écoute, et ce qui l'emplit, le monde et tout son peuplement.

Isaïe 34, 2 Car c'est une colère de Yahvé contre toutes les nations, une fureur contre toute leur armée. Il les a vouées à l'anathème, livrées au carnage.

Isaïe 34, 3 Leurs victimes sont jetées dehors, la puanteur de leurs cadavres se répand, les montagnes ruissellent de sang,

Isaïe 34, 4 toute l'armée des cieux se disloque. Les cieux s'enroulent comme un livre, toute leur armée se flétrit, comme se flétrissent les feuilles qui tombent de la vigne, comme se flétrissent celles qui tombent du figuier.

Isaïe 34, 5 Car mon épée s'est abreuvée dans les cieux: Voici qu'elle s'abat sur Edom, sur le peuple voué à l'anathème, pour le punir.

Isaïe 34, 6 L'épée de Yahvé est pleine de sang, gluante de graisse, du sang des agneaux et des boucs, de la graisse des rognons de béliers; car il y a pour Yahvé un sacrifice à Boçra, un grand carnage au pays d'Edom.

Isaïe 34, 7 Les buffles tombent avec eux, les veaux avec les boeufs gras, leur terre est abreuvée de sang, leur poussière engluée de graisse.

Isaïe 34, 8 Car c'est un jour de vengeance pour Yahvé, l'année de la rétribution, dans le procès de Sion.

Isaïe 34, 9 Ses torrents se changent en poix, sa poussière en soufre, son pays devient de la poix brûlante.

Isaïe 34, 10 Nuit et jour il ne s'éteint pas, éternellement s'élève sa fumée, d'âge en âge il sera desséché, toujours et à jamais, personne n'y passera.

Isaïe 34, 11 Ce sera le domaine du pélican et du hérisson, la chouette et le corbeau l'habiteront; Yahvé y tendra le cordeau du chaos et le niveau du vide.

Isaïe 34, 12 De nobles, il n'y en a plus pour proclamer la royauté, c'en est fini de tous ses princes.

Isaïe 34, 13 Dans ses bastions croîtront les ronces, dans ses forteresses, l'ortie et l'épine; ce sera une tanière de chacals, un enclos pour les autruches.

Isaïe 34, 14 Les chats sauvages rencontreront les hyènes, le satyre appellera le satyre, là encore se tapira Lilith, elle trouvera le repos.

Isaïe 34, 15 Là nichera le serpent, il pondra, fera éclore ses oeufs, groupera ses petits à l'ombre. Là encore se rassembleront les vautours, les uns vers les autres.

Isaïe 34, 16 Cherchez dans le livre de Yahvé et lisez: il n'en manque pas un, pas un n'est privé de son compagnon. C'est ainsi que sa bouche l'a ordonné, son esprit, lui, les rassemble.

Isaïe 34, 17 Et c'est lui qui pour eux a jeté le sort, sa main a fixé leur part au cordeau, pour toujours ils la posséderont, d'âge en âge ils y habiteront.

Isaïe 35, 1 Que soient pleins d'allégresse désert et terre aride, que la steppe exulte et fleurisse; comme l'asphodèle

Isaïe 35, 2 qu'elle se couvre de fleurs, qu'elle exulte de joie et pousse des cris, la gloire du Liban lui a été donnée, la splendeur du Carmel et de Saron. C'est eux qui verront la gloire de Yahvé, la splendeur de notre Dieu.

Isaïe 35, 3 Fortifiez les mains affaiblies, affermissez les genoux qui chancellent.

Isaïe 35, 4 Dites aux coeurs défaillants: "Soyez forts, ne craignez pas; voici votre Dieu. C'est la vengeance qui vient, la rétribution divine. C'est lui qui vient vous sauver."

Isaïe 35, 5 Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et les oreilles des sourds s'ouvriront.

Isaïe 35, 6 Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la langue du muet criera sa joie. Parce qu'auront jailli les eaux dans le désert et les torrents dans la steppe.

Isaïe 35, 7 La terre brûlée deviendra un marécage, et le pays de la soif, des eaux jaillissantes; dans les repaires où gîtaient les chacals on verra des enclos de roseaux et de papyrus.

Isaïe 35, 8 Il y aura là une chaussée et un chemin, on l'appellera la voie sacrée; l'impur n'y passera pas; c'est Lui qui pour eux ira par ce chemin, et les insensés ne s'y égareront pas.

Isaïe 35, 9 Il n'y aura pas de lion et la plus féroce des bêtes n'y montera pas, on ne l'y rencontrera pas, mais les rachetés y marcheront.

Isaïe 35, 10 Ceux qu'a libérés Yahvé reviendront, ils arriveront à Sion criant de joie, portant avec eux une joie éternelle. La joie et l'allégresse les accompagneront, la douleur et les plaintes cesseront.

Isaïe 36, 1 Il arriva qu'en la quatorzième année du roi Ezéchias, Sennachérib, roi d'Assyrie, monta contre toutes les villes fortes de Juda et s'en empara.

Isaïe 36, 2 De Lakish, le roi d'Assyrie envoya vers le roi Ezéchias, à Jérusalem, le grand échanson avec un important corps de troupes. Le grand échanson se posta près du canal de la piscine supérieure, sur le chemin du champ du Foulon.

Isaïe 36, 3 Le maître du palais Elyaqim, fils de Hilqiyyahu, le secrétaire Shebna et le héraut Yoah, fils d'Asaph, sortirent à sa rencontre.

Isaïe 36, 4 Le grand échanson leur dit: "Dites à Ezéchias: Ainsi parle le grand roi, le roi d'Assyrie: Quelle est cette confiance sur laquelle tu te reposes?

Isaïe 36, 5 Tu t'imagines que paroles en l'air valent conseil et vaillance pour faire la guerre. En quoi donc mets-tu ta confiance pour t'être révolté contre moi?

Isaïe 36, 6 Voici que tu te fies au soutien de ce roseau brisé, l'Egypte, qui pénètre et perce la main de qui s'appuie sur lui. Tel est Pharaon, roi d'Egypte, pour tous ceux qui se fient à lui.

Isaïe 36, 7 Vous me direz peut-être: c'est en Yahvé notre Dieu que nous avons confiance, mais n'est-ce pas lui dont Ezéchias a supprimé les hauts lieux et les autels en disant aux gens de Juda et de Jérusalem: C'est devant cet autel que vous vous prosternerez?

Isaïe 36, 8 Eh bien! fais un pari avec Monseigneur le roi d'Assyrie: je te donnerai 2.000 chevaux si tu peux trouver des cavaliers pour les monter.

Isaïe 36, 9 Comment ferais-tu reculer un seul des moindres serviteurs de mon maître? Mais tu t'es fié à l'Egypte pour avoir chars et cavaliers!

Isaïe 36, 10 Et puis, est-ce sans la volonté de Yahvé que je suis monté contre ce pays pour le dévaster? C'est Yahvé qui m'a dit: Monte contre ce pays et dévaste-le!"

Isaïe 36, 11 Elyaqim, Shebna et Yoah dirent au grand échanson: "Je t'en prie, parle à tes serviteurs en araméen, car nous l'entendons, ne nous parle pas en judéen à portée des oreilles du peuple qui est sur les remparts."

Isaïe 36, 12 Mais le grand échanson dit: "Est-ce à toi ou à ton maître que Monseigneur m'a envoyé dire ces choses? N'est-ce pas plutôt aux gens assis sur le rempart et condamnés à manger leurs excréments et à boire leur urine avec vous?"

Isaïe 36, 13 Alors le grand échanson se tint debout, il cria d'une voix forte, en langue judéenne, et dit: "Ecoutez les paroles du grand roi, le roi d'Assyrie!

Isaïe 36, 14 Ainsi parle le roi: Qu'Ezéchias ne vous abuse pas! Il ne pourra vous délivrer.

Isaïe 36, 15 Qu'Ezéchias n'entretienne pas votre confiance en Yahvé en disant: Sûrement Yahvé nous délivrera, cette ville ne tombera pas entre les mains du roi d'Assyrie.

Isaïe 36, 16 N'écoutez pas Ezéchias, car ainsi parle le roi d'Assyrie: Faites la paix avec moi, rendez-vous à moi, et chacun de vous mangera le fruit de sa vigne et de son figuier, chacun boira l'eau de sa citerne,

Isaïe 36, 17 jusqu'à ce que je vienne et que je vous emmène vers un pays comme le vôtre, un pays de froment et de moût, un pays de pain et de vignobles.

Isaïe 36, 18 Qu'Ezéchias ne vous abuse pas en vous disant: Yahvé nous délivrera. Les dieux des nations ont-ils vraiment délivré chacun son pays des mains du roi d'Assyrie?

Isaïe 36, 19 Où sont les dieux de Hamat et d'Arpad, où sont les dieux de Sepharvayim, où sont les dieux du pays de Samarie? Ont-ils délivré Samarie de ma main?

Isaïe 36, 20 Parmi tous les dieux de ces pays, lesquels ont délivré leur pays de ma main, pour que Yahvé délivre Jérusalem?"

Isaïe 36, 21 Ils gardèrent le silence et ne lui répondirent pas un mot, car tel était l'ordre du roi: "Vous ne lui répondrez pas."

Isaïe 36, 22 Le maître du palais Elyaqim, fils de Hilqiyyahu, le secrétaire Shebna et le héraut Yoah, fils d'Asaph, vinrent auprès d'Ezéchias, les vêtements déchirés, et ils lui rapportèrent les paroles du grand échanson.

Isaïe 37, 1 A ce récit, le roi Ezéchias déchira ses vêtements, se couvrit d'un sac et se rendit au Temple de Yahvé.

Isaïe 37, 2 Il envoya le maître du palais Elyaqim, le secrétaire Shebna et les anciens des prêtres, couverts de sacs, auprès du prophète Isaïe, fils d'Amoç.

Isaïe 37, 3 Ceux-ci lui dirent: "Ainsi parle Ezéchias: Ce jour-ci est un jour d'angoisse, de châtiment et d'opprobre. Les enfants sont à terme et la force manque pour les enfanter.

Isaïe 37, 4 Puisse Yahvé ton Dieu entendre les paroles du grand échanson que le roi d'Assyrie, son maître, a envoyé insulter le Dieu vivant, et puisse Yahvé ton Dieu punir les paroles qu'il a entendues! Adresse une prière en faveur du reste qui subsiste encore."

Isaïe 37, 5 Lorsque les ministres du roi Ezéchias furent arrivés auprès d'Isaïe,

Isaïe 37, 6 celui-ci leur dit: "Vous direz à votre maître: Ainsi parle Yahvé. N'aie pas peur des paroles que tu as entendues, des blasphèmes que les valets du roi d'Assyrie ont lancés contre moi.

Isaïe 37, 7 Voici que je vais mettre en lui un esprit et, sur une nouvelle qu'il entendra, il retournera dans son pays et, dans son pays, je le ferai tomber sous l'épée."

Isaïe 37, 8 Le grand échanson s'en retourna et retrouva le roi d'Assyrie en train de combattre contre Libna. Le grand échanson avait appris en effet que le roi avait décampé de Lakish,

Isaïe 37, 9 car il avait reçu cette nouvelle au sujet de Tirhaqa, roi de Kush: "Il est parti en guerre contre toi." De nouveau Sennachérib envoya des messagers à Ezéchias pour lui dire:

Isaïe 37, 10 "Vous parlerez ainsi à Ezéchias roi de Juda: Que ton Dieu en qui tu te confies ne t'abuse pas en disant: Jérusalem ne sera pas livrée aux mains du roi d'Assyrie.

Isaïe 37, 11 Tu as appris ce que les rois d'Assyrie ont fait à tous les pays, les vouant à l'anathème, et toi, tu serais délivré!

Isaïe 37, 12 Les ont-ils délivrées, les dieux des nations que mes pères ont dévastées, Gozân, Harân, Réçeph, et les Edénites qui étaient à Tell Basar?

Isaïe 37, 13 Où sont le roi de Hamat, le roi d'Arpad, le roi de Laïr, de Sepharvayim, de Héna, de Ivva?"

Isaïe 37, 14 Ezéchias prit la lettre de la main des messagers et la lut. Puis il monta au Temple de Yahvé et la déplia devant Yahvé.

Isaïe 37, 15 Et Ezéchias fit cette prière en présence de Yahvé:

Isaïe 37, 16 "Yahvé Sabaot, Dieu d'Israël, qui sièges sur les chérubins, c'est toi qui es seul Dieu de tous les royaumes de la terre, c'est toi qui as fait le ciel et la terre.

Isaïe 37, 17 Prête l'oreille, Yahvé, et entends, ouvre les yeux, Yahvé, et vois. Entends les paroles de Sennachérib qui a envoyé dire des insultes au Dieu vivant.

Isaïe 37, 18 Il est vrai, Yahvé, les rois d'Assyrie ont exterminé toutes les nations (et leur pays).

Isaïe 37, 19 Ils ont jeté au feu leurs dieux, car ce n'étaient pas des dieux mais l'ouvrage de mains d'hommes, du bois et de la pierre, alors ils les ont anéantis.

Isaïe 37, 20 Mais maintenant, Yahvé notre Dieu, sauve-nous de sa main, je t'en supplie, et que tous les royaumes de la terre sachent que toi seul es Dieu, Yahvé."

Isaïe 37, 21 Alors Isaïe fils d'Amoç envoya dire à Ezéchias: "Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël, à propos de la prière que tu m'as adressée au sujet de Sennachérib, roi d'Assyrie.

Isaïe 37, 22 Voici l'oracle que Yahvé a prononcé contre lui: Elle te méprise, elle te raille, la vierge, fille de Sion; elle hoche la tête après toi, la fille de Jérusalem.

Isaïe 37, 23 Qui donc as-tu insulté, blasphémé? Contre qui as-tu parlé haut et levé ton regard altier? Vers le Saint d'Israël!

Isaïe 37, 24 Par tes valets tu as insulté le Seigneur, tu as dit: Avec mes nombreux chars j'ai gravi les sommets des monts, les dernières cimes du Liban. J'ai coupé sa haute futaie de cèdres et ses plus beaux cyprès. J'ai atteint son ultime sommet, son parc forestier.

Isaïe 37, 25 Moi, j'ai creusé et j'ai bu des eaux étrangères; j'ai asséché sous la plante de mes pieds tous les fleuves de l'Egypte.

Isaïe 37, 26 Entends-tu bien? De longue date j'ai préparé cela, aux jours anciens j'en fis le dessein, maintenant je le réalise. Ton destin fut de réduire en tas de ruines des villes fortifiées.

Isaïe 37, 27 Leurs habitants, les mains débiles, épouvantés et confondus, furent comme plantes des champs, verdure de gazon, herbe des toits et guérets, sous le vent d'orient.

Isaïe 37, 28 Quand tu te lèves et quand tu t'assieds, quand tu sors ou tu entres, je le sais (et que tu t'emportes contre moi).

Isaïe 37, 29 Parce que tu t'es emporté contre moi, que ton insolence est montée à mes oreilles, je passerai mon anneau à ta narine et mon mors à tes lèvres, je te ramènerai sur le chemin par lequel tu es venu.

Isaïe 37, 30 Ceci te servira de signe: On mangera cette année du grain tombé et l'an prochain du grain de jachère, mais, le troisième an, semez et moissonnez, plantez des vignes et mangez de leur fruit.

Isaïe 37, 31 Le reste survivant de la maison de Juda produira de nouvelles racines en bas et des fruits en haut.

Isaïe 37, 32 Car de Jérusalem sortira un reste et des survivants du mont Sion. L'amour jaloux de Yahvé Sabaot fera cela.

Isaïe 37, 33 Voici donc ce que dit Yahvé sur le roi d'Assyrie: Il n'entrera pas dans cette ville, il n'y lancera pas une flèche, il ne tendra pas de bouclier contre elle, il n'y entassera pas de remblai.

Isaïe 37, 34 Par la route qui l'amena, il s'en retournera, il n'entrera pas dans cette ville, oracle de Yahvé.

Isaïe 37, 35 Je protégerai cette ville et la sauverai à cause de moi et de mon serviteur David."

Isaïe 37, 36 Cette même nuit, l'Ange de Yahvé sortit et frappa dans le camp assyrien 185.000 hommes. Le matin, au réveil, ce n'étaient plus que des cadavres.

Isaïe 37, 37 Sennachérib leva le camp et partit. Il s'en retourna et resta à Ninive.

Isaïe 37, 38 Un jour qu'il était prosterné dans le temple de Nisrok, son dieu, ses fils Adrammélek et Saréçer le frappèrent de l'épée et se sauvèrent au pays d'Ararat. Asarhaddon, son fils, devint roi à sa place.

Isaïe 38, 1 En ces jours-là, Ezéchias fut atteint d'une maladie mortelle. Le prophète Isaïe, fils d'Amoç, vint lui dire: "Ainsi parle Yahvé. Mets ordre à ta maison, car tu vas mourir, tu ne vivras pas."[4478]

Isaïe 38, 2 Ezéchias se tourna vers le mur et fit cette prière à Yahvé:

Isaïe 38, 3 "Ah! Yahvé, souviens-toi, de grâce, que je me suis conduit fidèlement et en toute probité de coeur devant toi, et que j'ai fait ce qui était bien à tes yeux." Et Ezéchias versa d'abondantes larmes.

Isaïe 38, 4 Alors la parole de Yahvé se fit entendre à Isaïe:

Isaïe 38, 5 "Va dire à Ezéchias: Ainsi parle Yahvé, Dieu de ton ancêtre David. J'ai entendu ta prière, j'ai vu tes larmes. Je vais te guérir; dans trois jours, tu monteras au Temple de Yahvé. J'ajouterai quinze années à ta vie.

Isaïe 38, 6 Je te délivrerai, toi et cette ville, de la main du roi d'Assyrie, et je protégerai cette ville."

Isaïe 38, 7 Isaïe répondit: "Voici, de la part de Yahvé, le signe qu'il fera ce qu'il a dit.

Isaïe 38, 8 Voici que je vais faire reculer l'ombre des degrés que le soleil a descendus sur les degrés de la chambre haute d'Achaz -- dix degrés en arrière." Et le soleil recula de dix degrés, sur les degrés qu'il avait descendus.

Isaïe 38, 9 Cantique d'Ezéchias, roi de Juda, lors de la maladie dont il fut guéri:

Isaïe 38, 10 Je disais: Au midi de mes jours, je m'en vais, aux portes du shéol je serai gardé pour le reste de mes ans.

Isaïe 38, 11 Je disais: Je ne verrai pas Yahvé sur la terre des vivants, je n'aurai plus un regard pour personne parmi les habitants du monde.

Isaïe 38, 12 Ma demeure est arrachée, jetée loin de moi, comme une tente de bergers; comme un tisserand j'ai enroulé ma vie, il m'a séparé de la chaîne. Du point du jour jusqu'à la nuit tu m'as achevé;

Isaïe 38, 13 j'ai crié jusqu'au matin; comme un lion, c'est ainsi qu'il broie tous mes os, du point du jour jusqu'à la nuit tu m'as achevé.

Isaïe 38, 14 Comme l'hirondelle, je pépie, je gémis comme la colombe, mes yeux faiblissent à regarder en haut. Seigneur je suis accablé, viens à mon aide.

Isaïe 38, 15 Comment parlerai-je et que lui dirai-je? Car c'est lui qui agit. Je m'avancerai toutes mes années durant dans l'amertume de mon âme.

Isaïe 38, 16 Le Seigneur est sur eux, ils vivent et tout ce qui est en eux est vie de son esprit. Tu me guériras, fais-moi vivre.

Isaïe 38, 17 Voici que mon amertume se change en bien-être. C'est toi qui as préservé mon âme de la fosse du néant, tu as jeté derrière toi tous mes péchés.

Isaïe 38, 18 Ce n'est pas le shéol qui te loue, ni la mort qui te célèbre. Ils n'espèrent plus en ta fidélité, ceux qui descendent dans la fosse.

Isaïe 38, 19 Le vivant, le vivant lui seul te loue, comme moi aujourd'hui. Le père à ses fils fait connaître ta fidélité.

Isaïe 38, 20 Yahvé, viens à mon aide, et nous ferons résonner nos harpes tous les jours de notre vie dans le Temple de Yahvé.

Isaïe 38, 21 Isaïe dit: "Qu'on apporte un pain de figues, qu'on l'applique sur l'ulcère, et il vivra."

Isaïe 38, 22 Ezéchias dit: "A quel signe connaîtrai-je que je monterai au Temple de Yahvé?"

Isaïe 39, 1 En ce temps-là, Mérodak-Baladan, fils de Baladan, roi de Babylone, envoya des lettres et un présent à Ezéchias, car il avait appris sa maladie et son rétablissement.

Isaïe 39, 2 Ezéchias s'en réjouit et il montra aux messagers sa chambre du trésor, l'argent, l'or, les aromates, l'huile précieuse ainsi que son arsenal et tout ce qui se trouvait dans ses magasins. Il n'y eut rien qu'Ezéchias ne leur montrât dans son palais et dans tout son domaine.

Isaïe 39, 3 Alors le prophète Isaïe vint trouver le roi Ezéchias et lui demanda: "Qu'ont dit ces gens-là, et d'où sont-ils venus chez toi?" Ezéchias répondit: "Ils sont venus d'un pays lointain, de Babylone."

Isaïe 39, 4 Isaïe reprit: "Qu'ont-ils vu dans ton palais?" Ezéchias répondit: "Ils ont vu tout ce qu'il y a dans mon palais: il n'y a dans mes magasins rien que je ne leur aie montré."

Isaïe 39, 5 Alors Isaïe dit à Ezéchias: "Ecoute la parole de Yahvé Sabaot!

Isaïe 39, 6 Des jours viennent où tout ce qui est dans ton palais, tout ce qu'ont amassé tes pères jusqu'à ce jour, sera emporté à Babylone. Rien ne sera laissé, dit Yahvé.

Isaïe 39, 7 Parmi les fils issus de toi, ceux que tu as engendrés, on en prendra pour être eunuques dans le palais du roi de Babylone."

Isaïe 39, 8 Ezéchias dit à Isaïe: "C'est une parole favorable de Yahvé que tu annonces." Il pensait en effet: "Il y aura paix et sûreté ma vie durant."

Isaïe 40, 1 "Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu,

Isaïe 40, 2 parlez au coeur de Jérusalem et criez-lui que son service est accompli, que sa faute est expiée, qu'elle a reçu de la main de Yahvé double punition pour tous ses péchés."

Isaïe 40, 3 Une voix crie: "Dans le désert, frayez le chemin de Yahvé; dans la steppe, aplanissez une route pour notre Dieu.

Isaïe 40, 4 Que toute vallée soit comblée, toute montagne et toute colline abaissées, que les lieux accidentés se changent en plaine et les escarpements en large vallée;

Isaïe 40, 5 alors la gloire de Yahvé se révélera et toute chair, d'un coup, la verra, car la bouche de Yahvé a parlé."

Isaïe 40, 6 Une voix dit: "Crie", et je dis: "Que crierai-je" -- "Toute chair est de l'herbe et toute sa grâce est comme la fleur des champs.

Isaïe 40, 7 L'herbe se dessèche, la fleur se fane, quand le souffle de Yahvé passe sur elles; (oui, le peuple, c'est de l'herbe)

Isaïe 40, 8 l'herbe se dessèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsiste à jamais."

Isaïe 40, 9 Monte sur une haute montagne, messagère de Sion; élève et force la voix, messagère de Jérusalem; élève la voix, ne crains pas, dis aux villes de Juda: "Voici votre Dieu!"

Isaïe 40, 10 Voici le Seigneur Yahvé qui vient avec puissance, son bras assure son autorité; voici qu'il porte avec lui sa récompense, et son salaire devant lui.

Isaïe 40, 11 Tel un berger il fait paître son troupeau, de son bras il rassemble les agneaux, il les porte sur son sein, il conduit doucement les brebis mères.

Isaïe 40, 12 Qui a mesuré dans le creux de sa main l'eau de la mer, évalué à l'empan les dimensions du ciel, jaugé au boisseau la poussière de la terre, pesé les montagnes à la balance et les collines sur des plateaux?

Isaïe 40, 13 Qui a dirigé l'esprit de Yahvé, et, homme de conseil, a su l'instruire?

Isaïe 40, 14 Qui a-t-il consulté qui lui fasse comprendre, qui l'instruise dans les sentiers du jugement, qui lui enseigne la connaissance et lui fasse connaître la voie de l'intelligence?

Isaïe 40, 15 Voici! les nations sont comme une goutte d'eau au bord d'un seau, on en tient compte comme d'une miette sur une balance. Voici! les îles pèsent comme un grain de poussière.

Isaïe 40, 16 Le Liban ne suffirait pas à entretenir le feu, et sa faune ne suffirait pas pour l'holocauste.

Isaïe 40, 17 Toutes les nations sont comme rien devant lui, il les tient pour néant et vide.

Isaïe 40, 18 A qui comparer Dieu, et quelle image pourriez-vous en fournir?

Isaïe 40, 19 Un artisan coule l'idole, un orfèvre la recouvre d'or, il fond des chaînes d'argent.

Isaïe 40, 20 Celui qui fait une offrande de pauvre choisit un bois qui ne pourrit pas, se met en quête d'un habile artisan pour ériger une idole qui ne vacille pas.

Isaïe 40, 21 Ne le saviez-vous pas? Ne l'entendiez-vous pas dire? Ne vous l'avait-on pas annoncé dès l'origine? N'avez-vous pas compris la fondation de la terre?

Isaïe 40, 22 Il trône au-dessus du cercle de la terre dont les habitants sont comme des sauterelles, il tend les cieux comme une toile, les déploie comme une tente où l'on habite.

Isaïe 40, 23 Il réduit à rien les princes, il fait les juges de la terre semblables au néant.

Isaïe 40, 24 A peine ont-ils été plantés, à peine semés, à peine leur tige s'est-elle enracinée en terre, qu'il souffle sur eux, et ils se dessèchent, la tempête les emporte comme la bale.

Isaïe 40, 25 A qui me comparerez-vous, dont je sois l'égal? Dit le Saint.

Isaïe 40, 26 Levez les yeux là-haut et voyez: Qui a créé ces astres? Il déploie leur armée en bon ordre, il les appelle tous par leur nom. Sa vigueur est si grande et telle est sa force que pas un ne manque.

Isaïe 40, 27 Pourquoi dis-tu, Jacob, et répètes-tu, Israël: "Ma voie est cachée à Yahvé, et mon droit échappe à mon Dieu?"

Isaïe 40, 28 Ne le sais-tu pas? Ne l'as-tu pas entendu dire? Yahvé est un Dieu éternel, créateur des extrémités de la terre. Il ne se fatigue ni ne se lasse, insondable est son intelligence.

Isaïe 40, 29 Il donne la force à celui qui est fatigué, à celui qui est sans vigueur il prodigue le réconfort.

Isaïe 40, 30 Les adolescents se fatiguent et s'épuisent, les jeunes ne font que chanceler,

Isaïe 40, 31 mais ceux qui espèrent en Yahvé renouvellent leur force, ils déploient leurs ailes comme des aigles, ils courent sans s'épuiser, ils marchent sans se fatiguer.

Isaïe 41, 1 Iles, faites silence pour m'écouter, que les peuples renouvellent leurs forces, qu'ils s'avancent et qu'ils parlent, ensemble comparaissons au jugement.

Isaïe 41, 2 Qui a suscité de l'Orient celui que la justice appelle à sa suite, auquel Il livre les nations, et assujettit les rois? Son épée les réduit en poussière et son arc en fait une paille qui s'envole.

Isaïe 41, 3 Il les chasse et passe en sécurité par un chemin que ses pieds ne font qu'effleurer.

Isaïe 41, 4 Qui a agi et accompli? Celui qui dès le commencement appelle les générations; moi, Yahvé, je suis le premier, et avec les derniers je serai encore.

Isaïe 41, 5 Les îles ont vu et prennent peur, les extrémités de la terre frémissent, ils sont tout près, ils arrivent.

Isaïe 41, 6 Chacun aide son compagnon, il dit à l'autre: "Courage!"

Isaïe 41, 7 L'artisan donne courage à l'orfèvre, et celui qui polit au marteau à celui qui bat l'enclume: il dit de la soudure: "Elle est bonne", il la renforce avec des clous pour qu'elle ne vacille pas.

Isaïe 41, 8 Et toi, Israël, mon serviteur, Jacob, que j'ai choisi, race d'Abraham, mon ami,

Isaïe 41, 9 toi que j'ai saisi aux extrémités de la terre, que j'ai appelé des contrées lointaines, je t'ai dit: "Tu es mon serviteur, je t'ai choisi, je ne t'ai pas rejeté."

Isaïe 41, 10 Ne crains pas car je suis avec toi, ne te laisse pas émouvoir car je suis ton Dieu; je t'ai fortifié et je t'ai aidé, je t'ai soutenu de ma droite justicière.

Isaïe 41, 11 Voici qu'ils seront honteux et humiliés, tous ceux qui s'enflammaient contre toi. Ils seront réduits à rien et périront, ceux qui te cherchaient querelle.

Isaïe 41, 12 Tu les chercheras et tu ne les trouveras pas, ceux qui te combattaient; ils seront réduits à rien, anéantis, ceux qui te faisaient la guerre.

Isaïe 41, 13 Car moi, Yahvé, ton Dieu, je te saisis la main droite, je te dis: "Ne crains pas, c'est moi qui te viens en aide."

Isaïe 41, 14 Ne crains pas, vermisseau de Jacob, et vous, pauvres gens d'Israël. C'est moi qui te viens en aide, oracle de Yahvé, celui qui te rachète, c'est le Saint d'Israël.

Isaïe 41, 15 Voici que j'ai fait de toi un traîneau à battre, tout neuf, à doubles dents. Tu écraseras les montagnes, tu les pulvériseras, les collines, tu en feras de la paille.

Isaïe 41, 16 Tu les vanneras, le vent les emportera et l'ouragan les dispersera; pour toi, tu te réjouiras en Yahvé, tu te glorifieras dans le Saint d'Israël.

Isaïe 41, 17 Les miséreux et les pauvres cherchent de l'eau, et rien! Leur langue est desséchée par la soif. Moi, Yahvé, je les exaucerai, Dieu d'Israël, je ne les abandonnerai pas.

Isaïe 41, 18 Sur les monts chauves je ferai jaillir des fleuves, et des sources au milieu des vallées. Je ferai du désert un marécage et de la terre aride des eaux jaillissantes.

Isaïe 41, 19 Je mettrai dans le désert le cèdre, l'acacia, le myrte et l'olivier, je placerai dans la steppe pêle-mêle le cyprès, le platane et le buis,

Isaïe 41, 20 afin que l'on voie et que l'on sache, que l'on fasse attention et que l'on comprenne que la main de Yahvé a fait cela, que le Saint d'Israël l'a créé.

Isaïe 41, 21 Présentez votre querelle, dit Yahvé, produisez vos arguments, dit le roi de Jacob.

Isaïe 41, 22 Qu'ils produisent et qu'ils nous montrent les choses qui doivent arriver. Les choses passées, que furent-elles? Montrez-le, que nous y réfléchissions et que nous en connaissions la suite. Ou bien faites-nous entendre les choses à venir,

Isaïe 41, 23 annoncez ce qui doit venir ensuite, et nous saurons que vous êtes des dieux. Au moins, faites bien ou faites mal, que nous éprouvions de l'émoi et de la crainte.

Isaïe 41, 24 Voici, vous êtes moins que rien, et votre oeuvre, c'est moins que néant, vous choisir est abominable.

Isaïe 41, 25 Je l'ai suscité du Nord et il est venu, depuis le Levant il est appelé par son nom. Il piétine les gouverneurs comme de la boue, comme le potier pétrit l'argile.

Isaïe 41, 26 Qui l'a annoncé dès le principe, pour que nous sachions, et dans le passé, pour que nous disions: C'est juste? Mais nul n'a annoncé, nul n'a fait entendre, nul n'a entendu vos paroles.

Isaïe 41, 27 Prémices de Sion, voici, les voici, à Jérusalem j'envoie un messager,

Isaïe 41, 28 et je regarde: personne! Parmi eux, pas un qui donne un avis, que je puisse interroger et qui réponde!

Isaïe 41, 29 Voici, tous ensemble ils ne sont rien, néant que leurs oeuvres, du vent et du vide leurs statues!

Isaïe 42, 1 Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complaît. J'ai mis sur lui mon esprit, il présentera aux nations le droit.

Isaïe 42, 2 Il ne crie pas, il n'élève pas le ton, il ne fait pas entendre sa voix dans la rue;

Isaïe 42, 3 il ne brise pas le roseau froissé, il n'éteint pas la mèche qui faiblit, fidèlement, il présente le droit;

Isaïe 42, 4 il ne faiblira ni ne cédera jusqu'à ce qu'il établisse le droit sur la terre, et les îles attendent son enseignement.

Isaïe 42, 5 Ainsi parle Dieu, Yahvé, qui a créé les cieux et les a déployés, qui a affermi la terre et ce qu'elle produit, qui a donné le souffle au peuple qui l'habite, et l'esprit à ceux qui la parcourent.

Isaïe 42, 6 "Moi, Yahvé, je t'ai appelé dans la justice, je t'ai saisi par la main, et je t'ai modelé, j'ai fait de toi l'alliance du peuple, la lumière des nations,

Isaïe 42, 7 pour ouvrir les yeux des aveugles, pour extraire du cachot le prisonnier, et de la prison ceux qui habitent les ténèbres."

Isaïe 42, 8 Je suis Yahvé, tel est mon nom! Ma gloire, je ne la donnerai pas à un autre, ni mon honneur aux idoles.

Isaïe 42, 9 Les premières choses, voici qu'elles sont arrivées, et je vous en annonce de nouvelles, avant qu'elles ne paraissent, je vais vous les faire connaître.

Isaïe 42, 10 Chantez à Yahvé un chant nouveau, que chantent sa louange, des extrémités de la terre, ceux qui vont sur la mer, et tout ce qui la peuple, les îles et ceux qui les habitent.

Isaïe 42, 11 Que se fassent entendre le désert et ses villes, les campements où habite Qédar, qu'ils crient de joie les habitants de la Roche, au sommet des montagnes, qu'ils poussent des clameurs.

Isaïe 42, 12 Qu'on rende gloire à Yahvé, qu'on proclame sa louange dans les îles.

Isaïe 42, 13 Yahvé, comme un héros, s'avance, comme un guerrier, il éveille son ardeur, il pousse le cri de guerre, il vocifère, contre ses ennemis il agit en héros.

Isaïe 42, 14 "Longtemps j'ai gardé le silence, je me taisais, je me contenais. Comme la femme qui enfante, je gémissais, je soupirais tout en haletant.

Isaïe 42, 15 Je vais ravager montagnes et collines, en flétrir toute la verdure; je vais changer les torrents en terre ferme et dessécher les marécages.

Isaïe 42, 16 Je conduirai les aveugles par un chemin qu'ils ne connaissent pas, par des sentiers qu'ils ne connaissent pas je les ferai cheminer, devant eux je changerai l'obscurité en lumière et les fondrières en surface unie. Cela, je le ferai, je n'y manquerai pas.

Isaïe 42, 17 Ils reculeront, ils rougiront de honte, ceux qui se fient aux idoles, qui disent à des statues: Vous êtes nos dieux."

Isaïe 42, 18 Sourds, entendez! Aveugles, regardez et voyez!

Isaïe 42, 19 Qui est aveugle si ce n'est mon serviteur? Qui est sourd comme le messager que j'envoie? (Qui est aveugle comme celui dont j'avais fait mon ami et sourd comme le serviteur de Yahvé?)

Isaïe 42, 20 Tu as vu bien des choses, sans y faire attention. Ouvrant les oreilles, tu n'entendais pas.

Isaïe 42, 21 Yahvé a voulu, à cause de sa justice, rendre la Loi grande et magnifique,

Isaïe 42, 22 et voici un peuple pillé et dépouillé, on les a tous enfermés dans des basses-fosses, emprisonnés dans des cachots. On les a mis au pillage, et personne pour les secourir, on les a dépouillés, et personne pour demander réparation.

Isaïe 42, 23 Qui, parmi vous, prête l'oreille à cela? Qui fait attention et désormais écoute?

Isaïe 42, 24 Qui donc a livré Jacob au spoliateur et Israël aux pillards? N'est-ce pas Yahvé contre qui nous avions péché, dont on n'avait pas voulu suivre les voies, ni écouter la Loi?

Isaïe 42, 25 Il a répandu sur lui l'ardeur de sa colère et la fureur guerrière; tout autour elle porta l'incendie, et lui n'a pas compris, elle l'a brûlé, et il n'y a pas pris garde.

Isaïe 43, 1 Et maintenant, ainsi parle Yahvé, celui qui t'a créé, Jacob, qui t'a modelé, Israël. Ne crains pas, car je t'ai racheté, je t'ai appelé par ton nom: tu es à moi.

Isaïe 43, 2 Si tu traverses les eaux je serai avec toi, et les rivières, elles ne te submergeront pas. Si tu passes par le feu, tu ne souffriras pas, et la flamme ne te brûlera pas.

Isaïe 43, 3 Car je suis Yahvé, ton Dieu, le Saint d'Israël, ton sauveur. Pour ta rançon, j'ai donné l'Egypte, Kush et Séba à ta place.

Isaïe 43, 4 Car tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t'aime. Aussi je livre des hommes à ta place et des peuples en rançon de ta vie.

Isaïe 43, 5 Ne crains pas, car je suis avec toi, du levant je vais faire revenir ta race, et du couchant je te rassemblerai.

Isaïe 43, 6 Je dirai au Nord: Donne! et au Midi: Ne retiens pas! Ramène mes fils de loin et mes filles du bout de la terre,

Isaïe 43, 7 quiconque se réclame de mon nom, ceux que j'ai créés pour ma gloire, que j'ai formés et que j'ai faits.

Isaïe 43, 8 Fais sortir un peuple aveugle qui a des yeux, et des sourds qui ont des oreilles.

Isaïe 43, 9 Que toutes les nations se rassemblent, que tous les peuples s'unissent! Qui parmi eux a proclamé cela et nous a fait connaître les choses anciennes? Qu'ils produisent leurs témoins et qu'ils se justifient, qu'on les entende et qu'on dise: C'est la vérité!

Isaïe 43, 10 C'est vous qui êtes mes témoins, oracle de Yahvé, vous êtes le serviteur que je me suis choisi, afin que vous le sachiez, que vous croyiez en moi et que vous compreniez que c'est moi: avant moi aucun dieu n'a été formé et après moi il n'y en aura pas.

Isaïe 43, 11 Moi, c'est moi Yahvé, et en dehors de moi il n'y a pas de sauveur.

Isaïe 43, 12 C'est moi qui ai révélé, sauvé et fait entendre, ce n'est pas un étranger qui est parmi vous, vous, vous êtes mes témoins, oracle de Yahvé, et moi, je suis Dieu,

Isaïe 43, 13 de toute éternité je le suis; nul ne peut délivrer de ma main, si j'agis, qui pourrait me faire renoncer?

Isaïe 43, 14 Ainsi parle Yahvé, votre rédempteur, le Saint d'Israël. A cause de vous, j'ai envoyé quelqu'un à Babylone, je vais faire tomber tous les verrous, et les Chaldéens changeront leurs cris en lamentations.

Isaïe 43, 15 Je suis Yahvé, votre Saint, le créateur d'Israël, votre roi.

Isaïe 43, 16 Ainsi parle Yahvé, celui qui traça dans la mer un chemin, un sentier dans les eaux déchaînées,

Isaïe 43, 17 qui fit sortir char et cheval, armée et troupe d'élite ensemble; ils se sont couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, comme une mèche ils se sont consumés.

Isaïe 43, 18 Ne vous souvenez plus des événements anciens, ne pensez plus aux choses passées,

Isaïe 43, 19 voici que je vais faire une chose nouvelle, déjà elle pointe, ne la reconnaissez-vous pas? Oui, je vais mettre dans le désert un chemin, et dans la steppe, des fleuves.

Isaïe 43, 20 Les bêtes sauvages m'honoreront, les chacals et les autruches, car j'ai mis dans le désert de l'eau et des fleuves dans la steppe, pour abreuver mon peuple, mon élu.

Isaïe 43, 21 Le peuple que je me suis formé publiera mes louanges.

Isaïe 43, 22 Tu ne m'as pas invoqué, Jacob, oui, tu t'es lassé de moi, Israël.

Isaïe 43, 23 Tu ne m'as pas apporté d'agneaux en holocauste, et tu ne m'as pas honoré par tes sacrifices. Je ne t'ai pas asservi à des oblations, je ne t'ai pas lassé en exigeant de l'encens.

Isaïe 43, 24 Pour moi, tu n'as pas acquis de roseau à prix d'argent, et tu ne m'as pas rassasié de la graisse de tes sacrifices. Mais par tes péchés, tu as fait de moi un esclave, tu m'as lassé par tes fautes.

Isaïe 43, 25 C'est moi, moi, qui efface tes crimes par égard pour moi, et je ne me souviendrai plus de tes fautes.

Isaïe 43, 26 Fais-moi me souvenir, et nous jugerons ensemble, fais toi-même le compte afin d'être justifié.

Isaïe 43, 27 Ton premier père a péché, tes interprètes se sont révoltés contre moi.

Isaïe 43, 28 Alors j'ai destitué les chefs du sanctuaire, j'ai livré Jacob à l'anathème et Israël aux outrages.

Isaïe 44, 1 Et maintenant, écoute, Jacob mon serviteur, Israël que j'ai choisi.

Isaïe 44, 2 Ainsi parle Yahvé, qui t'a fait, qui t'a modelé dès le sein maternel, qui te soutient. Sois sans crainte, Jacob mon serviteur, Yeshurûn que j'ai choisi.

Isaïe 44, 3 Car je vais répandre de l'eau sur le sol assoiffé et des ruisseaux sur la terre desséchée; je répandrai mon esprit sur ta race et ma bénédiction sur tes descendants.

Isaïe 44, 4 Ils germeront comme parmi les herbages, comme les saules au bord de l'eau.

Isaïe 44, 5 Celui-ci dira: Je suis à Yahvé, et cet autre se réclamera du nom de Jacob. Celui-là écrira sur sa main: "à Yahvé", et on lui donnera le nom d'Israël.

Isaïe 44, 6 Ainsi parle Yahvé, roi d'Israël, Yahvé Sabaot, son rédempteur: Je suis le premier et je suis le dernier, à part moi, il n'y a pas de dieu.

Isaïe 44, 7 Qui est comme moi? Qu'il crie, qu'il le proclame et me l'expose; depuis que j'ai constitué un peuple éternel, ce qui se passe, qu'il le dise, et ce qui doit arriver, qu'il le leur annonce.

Isaïe 44, 8 Ne vous effrayez pas, soyez sans crainte, dès longtemps ne vous l'ai-je pas annoncé et révélé? Vous êtes mes témoins. Y aurait-il un dieu à part moi? Il n'y a pas de Rocher, je n'en connais pas!

Isaïe 44, 9 Néant, tous ceux qui modèlent des idoles, leurs meilleures oeuvres ne servent à rien! Elles sont leurs témoins, qui ne voient ni ne savent rien, en sorte qu'ils seront couverts de honte.

Isaïe 44, 10 Qui a façonné un dieu et fondu une idole qui ne peuvent servir à rien?

Isaïe 44, 11 Voici que tous ses fidèles seront couverts de honte, ainsi que ses artisans qui ne sont que des hommes. Qu'ils se rassemblent tous, qu'ils comparaissent; qu'ils soient remplis à la fois d'épouvante et de honte!

Isaïe 44, 12 Le forgeron fabrique une hache sur des braises, il la façonne au marteau, il la travaille à la force de son bras. Et puis il a faim et perd sa force, n'ayant pas bu d'eau il est épuisé.

Isaïe 44, 13 Le sculpteur sur bois tend le cordeau, trace l'image à la craie, l'exécute au ciseau et la dessine au compas, il l'exécute à l'image de l'homme, selon la beauté humaine, pour qu'elle habite une maison.

Isaïe 44, 14 Il a coupé des cèdres, il a choisi un chêne et un térébinthe qu'il a laissés croître pour lui parmi les arbres de la forêt. Il a planté un pin que la pluie a fait grandir.

Isaïe 44, 15 Les hommes le destinent au feu: il en a pris pour se chauffer, il l'a allumé et a cuit du pain. Mais aussi il a fait un dieu pour l'adorer, il a fabriqué une idole pour se prosterner devant elle.

Isaïe 44, 16 Il en avait brûlé la moitié au feu, sur cette moitié il fait rôtir de la viande, la mange et se rassasie; en même temps il se chauffe et dit: "Ah! je me suis bien chauffé et j'ai vu la flamme."

Isaïe 44, 17 Avec le reste il fait un dieu, son idole, et il se prosterne devant lui, l'adore et le prie et dit: "Sauve-moi, car tu es mon dieu."

Isaïe 44, 18 Ils ne savent pas, ils ne comprennent pas, car leurs yeux sont incapables de voir, et leur coeur de réfléchir.

Isaïe 44, 19 Pas un ne rentre en lui-même, pas un n'a la connaissance et l'intelligence de se dire: "J'en ai brûlé la moitié au feu et j'ai cuit du pain sur ses braises, je rôtis de la viande et je la mange; avec le reste je ferais une chose abominable, me prosterner devant un bout de bois!"

Isaïe 44, 20 Il est attaché à de la cendre, son coeur abusé l'a égaré, il ne sauvera pas sa vie, il ne dira pas: "Ce que j'ai dans la main, n'est-ce pas un leurre?"

Isaïe 44, 21 Souviens-toi de cela, Jacob, et toi Israël, car tu es mon serviteur. Je t'ai modelé, tu es pour moi un serviteur, Israël, je ne t'oublierai pas.

Isaïe 44, 22 J'ai dissipé tes crimes comme un nuage et tes péchés comme une nuée; reviens à moi, car je t'ai racheté.

Isaïe 44, 23 Criez de joie, cieux, car Yahvé a agi, hurlez, profondeurs de la terre, poussez, montagnes, des cris de joie, forêt, et tous les arbres qu'elle contient! car Yahvé a racheté Jacob, il s'est glorifié en Israël.

Isaïe 44, 24 Ainsi parle Yahvé, ton rédempteur, celui qui t'a modelé dès le sein maternel, c'est moi, Yahvé, qui ai fait toutes choses, qui seul ai déployé les cieux, affermi la terre, sans personne avec moi;

Isaïe 44, 25 qui réduis à néant les signes des augures et fais délirer les devins, qui fais reculer les sages et tourne leur science en folie;

Isaïe 44, 26 qui confirme la parole de mon serviteur et fais réussir les desseins de mes envoyés; qui dis à Jérusalem: "Tu seras habitée", et aux villes de Juda: "Vous serez rebâties et je relèverai les ruines de Jérusalem";

Isaïe 44, 27 qui dis à l'abîme: "Dessèche-toi, je vais tarir tes fleuves";

Isaïe 44, 28 qui dis à Cyrus: "Mon berger." Il accomplira toute ma volonté, en disant à Jérusalem: "Tu seras reconstruite", et au Temple: "Tu seras rétabli."

Isaïe 45, 1 Ainsi parle Yahvé à son oint, à Cyrus dont j'ai saisi la main droite, pour faire plier devant lui les nations et désarmer les rois, pour ouvrir devant lui les vantaux, pour que les portes ne soient plus fermées.

Isaïe 45, 2 C'est moi qui vais marcher devant toi, j'aplanirai les hauteurs, je briserai les vantaux de bronze, je ferai céder les verrous de fer

Isaïe 45, 3 et je te donnerai des trésors secrets, des richesses cachées, afin que tu saches que je suis Yahvé, celui qui t'appelle par ton nom, le Dieu d'Israël.

Isaïe 45, 4 C'est à cause de mon serviteur Jacob et d'Israël mon élu que je t'ai appelé par ton nom, je te donne un titre, sans que tu me connaisses.

Isaïe 45, 5 Je suis Yahvé, il n'y en a pas d'autre, moi excepté, il n'y a pas de Dieu. Je te ceins, sans que tu me connaisses,

Isaïe 45, 6 afin que l'on sache du levant au couchant qu'il n'y a personne sauf moi: je suis Yahvé, il n'y en a pas d'autre.

Isaïe 45, 7 Je façonne la lumière et je crée les ténèbres, je fais le bonheur et je crée le malheur, c'est moi, Yahvé, qui fais tout cela.

Isaïe 45, 8 Cieux, épanchez-vous là-haut, et que les nuages déversent la justice, que la terre s'ouvre et produise le salut, qu'elle fasse germer en même temps la justice. C'est moi, Yahvé, qui ai créé cela.

Isaïe 45, 9 Malheur à qui discute avec celui qui l'a modelé, vase parmi les vases de terre! L'argile dit-elle à son potier: "Que fais-tu? Ton oeuvre n'a pas de mains!"

Isaïe 45, 10 Malheur à qui dit à un père: "Pourquoi engendres-tu?" Et à une femme: "Pourquoi mets-tu au monde?"

Isaïe 45, 11 Ainsi parle Yahvé, le Saint d'Israël, son créateur: On me demande des signes au sujet de mes enfants, au sujet de l'oeuvre de mes mains, on me donne des ordres.

Isaïe 45, 12 C'est moi qui ai fait la terre et créé l'homme qui l'habite, c'est moi qui de mes mains ai déployé les cieux, et qui ai donné des ordres à toute leur armée.

Isaïe 45, 13 C'est moi qui l'ai suscité dans la justice, et qui vais aplanir toutes ses voies. C'est lui qui reconstruira ma ville, qui rapatriera mes déportés, sans rançon ni indemnité, dit Yahvé Sabaot.

Isaïe 45, 14 Ainsi parle Yahvé: Les productions de l'Egypte, le commerce de Kush et les Sébaïtes, ces gens de haute taille, passeront chez toi et t'appartiendront. Ils marcheront derrière toi, ils iront chargés de chaînes, ils se prosterneront devant toi, ils te prieront: "Il n'y a de Dieu que chez toi! il n'y en a pas d'autres, pas d'autre dieu."

Isaïe 45, 15 En vérité tu es un dieu qui se cache, Dieu d'Israël, sauveur.

Isaïe 45, 16 Ils sont honteux et humiliés, tous ensemble, ils marchent dans l'humiliation, les fabricants d'idoles...

Isaïe 45, 17 Israël sera sauvé par Yahvé, sauvé pour toujours, vous ne serez ni honteux ni humiliés, pour toujours et à jamais.

Isaïe 45, 18 Car ainsi parle Yahvé, le créateur des cieux: C'est lui qui est Dieu, qui a modelé la terre et l'a faite, c'est lui qui l'a fondée; il ne l'a pas créée vide, il l'a modelée pour être habitée. Je suis Yahvé, il n'y en a pas d'autre.

Isaïe 45, 19 Je n'ai pas parlé en secret, en quelque coin d'un obscur pays, je n'ai pas dit à la race de Jacob: Cherchez-moi dans le chaos! je suis Yahvé qui proclame la justice, qui annonce des choses vraies.

Isaïe 45, 20 Rassemblez-vous et venez! Approchez tous ensemble, survivants des nations! Ils sont inconscients ceux qui transportent leurs idoles de bois, qui prient un dieu qui ne sauve pas.

Isaïe 45, 21 Annoncez, produisez vos preuves, que même ils se concertent! Qui avait proclamé cela dans le passé, qui l'avait annoncé jadis, n'est-ce pas moi, Yahvé? Il n'y a pas d'autre dieu que moi. Un dieu juste et sauveur, il n'y en a pas excepté moi.

Isaïe 45, 22 Tournez-vous vers moi et vous serez sauvés, tous les confins de la terre, car je suis Dieu, il n'y en a pas d'autre.

Isaïe 45, 23 Je le jure par moi-même, ce qui sort de ma bouche est la vérité, c'est une parole irrévocable: Oui, devant moi tout genou fléchira, par moi jurera toute langue

Isaïe 45, 24 en disant: En Yahvé seul sont la justice et la force. Jusqu'à lui viendront, couverts de honte, tous ceux qui s'enflammaient contre lui.

Isaïe 45, 25 C'est en Yahvé qu'elle obtiendra le triomphe et la gloire, toute la race d'Israël.

Isaïe 46, 1 Bel s'est courbé, Nebo s'effondre. Leurs idoles sont confiées aux animaux et aux bêtes de somme, ces charges que vous souleviez, c'est un fardeau pour la bête fourbue.

Isaïe 46, 2 Elles se sont effondrées, courbées toutes ensemble, on ne peut sauver ce fardeau, elles sont allées elles-mêmes en captivité.

Isaïe 46, 3 Ecoutez-moi, maison de Jacob, tout ce qui reste de la maison d'Israël, vous que j'ai portés dès votre naissance, soulevés depuis le berceau.

Isaïe 46, 4 Jusqu'à la vieillesse je reste le même, jusqu'aux cheveux blancs je vous porterai: moi, je l'ai déjà fait, moi je vous soulèverai, moi, je vous porterai et je vous sauverai.

Isaïe 46, 5 A qui voulez-vous m'assimiler et m'identifier, à qui me comparer, à qui suis-je semblable?

Isaïe 46, 6 Certains déversent l'or de leur bourse, et pèsent l'argent à la balance, ils embauchent un orfèvre pour faire un dieu, ils s'inclinent et ils adorent.

Isaïe 46, 7 Ils le mettent sur l'épaule et l'emportent, ils le déposent à sa place pour qu'il s'y tienne, pour qu'il n'en bouge pas. On a beau l'invoquer, il ne répond pas, de la détresse il ne sauve pas.

Isaïe 46, 8 Souvenez-vous-en et soyez des hommes, révoltés, rentrez en vous-mêmes.

Isaïe 46, 9 Souvenez-vous des choses passées depuis longtemps, car je suis Dieu, il n'y en a pas d'autre, Dieu, et personne n'est semblable à moi.

Isaïe 46, 10 J'annonce dès l'origine ce qui doit arriver, d'avance, ce qui n'est pas encore accompli, je dis: Mon projet se réalisera, j'accomplirai ce qui me plaît;

Isaïe 46, 11 j'appelle depuis l'Orient un rapace, d'un pays lointain l'homme que j'ai prédestiné. Ce que j'ai dit, je l'exécute, mon dessein, je l'accomplis.

Isaïe 46, 12 Ecoutez-moi, hommes au coeur dur, vous qui êtes loin de la justice,

Isaïe 46, 13 j'ai fait venir ma justice, elle n'est pas loin, mon salut ne tardera pas. Je mettrai en Sion le salut, je donnerai à Israël ma gloire.

Isaïe 47, 1 Descends, assieds-toi dans la poussière, Vierge, fille de Babylone, assieds-toi à terre, sans trône, fille des Chaldéens, car jamais plus on ne t'appellera douce et exquise.

Isaïe 47, 2 Prends la meule et broie la farine; dénoue ton voile, relève ta robe, découvre tes jambes, traverse les rivières.

Isaïe 47, 3 Que paraisse ta nudité et que ta honte soit visible; j'exécute ma vengeance et personne ne s'y opposera.

Isaïe 47, 4 Notre rédempteur, Yahvé Sabaot est son nom, le Saint d'Israël, a dit:

Isaïe 47, 5 Assieds-toi en silence, enfonce-toi dans l'ombre, fille des Chaldéens, car jamais plus on ne t'appellera souveraine des royaumes.

Isaïe 47, 6 J'étais irrité contre mon peuple, j'avais rejeté mon héritage, je l'avais livré entre tes mains. Tu les as traités sans pitié, sur le vieillard tu as fait durement peser ton joug.

Isaïe 47, 7 Tu as dit: "A jamais je serai souveraine éternelle", tu n'as pas réfléchi à cela dans ton coeur, tu n'as pas songé à l'avenir.

Isaïe 47, 8 Maintenant écoute ceci, voluptueuse! toi qui es assise en sécurité et qui dis dans ton coeur: "Moi, sans égale, je ne resterai pas veuve, je ne connaîtrai pas la privation d'enfants!"

Isaïe 47, 9 Eh bien, ces deux malheurs fondront sur toi, soudainement, en un jour, privation d'enfants et veuvage, tout à coup ils fondront sur toi, en dépit de tous tes sortilèges, de la puissance de tes incantations.

Isaïe 47, 10 Tu as eu confiance dans ta méchanceté, tu as dit: "Personne ne me voit." C'est ta sagesse et ta science qui t'ont pervertie, et tu as dit dans ton coeur: "Moi, sans égale."

Isaïe 47, 11 Un malheur fondra sur toi, tu ne sauras comment le conjurer; un désastre fondra sur toi, tu ne pourras t'en préserver; soudain fondra sur toi une calamité que tu ne connaîtras pas.

Isaïe 47, 12 Reste donc avec tes incantations et tous tes sortilèges dans lesquels tu t'es fatiguée depuis ta jeunesse. Peut-être pourras-tu en tirer profit, peut-être sauras-tu faire trembler.

Isaïe 47, 13 Tu t'es épuisée à force de consultations, qu'ils se présentent donc et te sauvent ceux qui détaillent le ciel, qui observent les étoiles, qui annoncent chaque mois ce qui va fondre sur toi.

Isaïe 47, 14 Voici qu'ils sont comme fétus de paille, le feu les brûlera, ils ne sauveront pas leur vie de l'étreinte de la flamme; et ce ne sera pas une braise pour se chauffer, un foyer pour s'y asseoir!

Isaïe 47, 15 Ainsi auront été pour toi tes devins, pour lesquels tu t'es fatiguée depuis ta jeunesse: ils ont erré, chacun devant soi, et pas un ne t'a sauvée.

Isaïe 48, 1 Ecoutez ceci, maison de Jacob, vous que l'on appelle du nom d'Israël, vous qui êtes issus des eaux de Juda, qui jurez par le nom de Yahvé et qui invoquez le Dieu d'Israël, sans loyauté ni justice.

Isaïe 48, 2 Car ils tirent leur nom de la ville sainte, ils s'appuient sur le Dieu d'Israël, Yahvé Sabaot est son nom.

Isaïe 48, 3 Les choses anciennes, depuis longtemps je les avais annoncées, elles étaient sorties de ma bouche, je les avais proclamées; et soudain j'ai agi, elles sont arrivées.

Isaïe 48, 4 Car je savais que tu es obstiné, de fer est le muscle de ton cou, et ton front est d'airain.

Isaïe 48, 5 Aussi te l'ai-je annoncé depuis longtemps, avant que cela n'arrive je l'avais proclamé, de peur que tu ne dises: "Mon image a tout fait, mon idole et ma statue ont tout ordonné."

Isaïe 48, 6 Tu as entendu et vu tout cela, et vous, ne l'annoncerez-vous pas? Je t'ai fait entendre dès maintenant des choses nouvelles, secrètes et inconnues de toi.

Isaïe 48, 7 C'est maintenant qu'elles sont créées, et non depuis longtemps, et jusqu'à ce jour tu n'en avais pas entendu parler, de peur que tu ne dises: "Oui, je les connaissais."

Isaïe 48, 8 Eh bien non, tu n'entendais rien, tu ne savais rien, depuis longtemps ton oreille n'était pas attentive, car je savais combien tu es perfide, et que dès le berceau on t'appelle révolté.

Isaïe 48, 9 A cause de mon nom, je vais différer ma colère, pour mon honneur, je vais patienter avec toi, pour ne pas t'exterminer.

Isaïe 48, 10 Voici que je t'ai acheté mais non pour de l'argent, je t'ai choisi au creuset du malheur.

Isaïe 48, 11 C'est à cause de moi, de moi seul que je vais agir, comment mon nom serait-il profané? Je ne donnerai pas ma gloire à un autre.

Isaïe 48, 12 Ecoute-moi, Jacob, Israël que j'ai appelé, c'est moi, moi qui suis le premier et c'est moi aussi le dernier.

Isaïe 48, 13 Ma main a fondé la terre, ma droite a tendu les cieux, moi, je les appelle et tous ensemble ils se présentent.

Isaïe 48, 14 Assemblez-vous, vous tous, et écoutez, qui parmi eux a annoncé cela? Yahvé l'aime; il accomplira son bon plaisir sur Babylone et la race des Chaldéens:

Isaïe 48, 15 c'est moi, c'est moi qui ai parlé et qui l'ai appelé, je l'ai fait venir et son entreprise réussira.

Isaïe 48, 16 Approchez-vous de moi et écoutez ceci: dès le début je n'ai pas parlé en cachette, lorsque c'est arrivé, j'étais là, et maintenant le Seigneur Yahvé m'a envoyé avec son esprit.

Isaïe 48, 17 Ainsi parle Yahvé ton rédempteur, le Saint d'Israël: Je suis Yahvé ton Dieu, je t'instruis pour ton bien, je te conduis par le chemin où tu marches.

Isaïe 48, 18 Si seulement tu avais été attentif à mes commandements! Ton bonheur serait comme un fleuve et ta justice comme les flots de la mer.

Isaïe 48, 19 Ta race serait comme le sable, et comme le grain, ceux qui sont issus de toi! Ton nom ne serait pas retranché ni effacé devant moi.

Isaïe 48, 20 Sortez de Babylone, fuyez de chez les Chaldéens, avec des cris de joie, annoncez, proclamez ceci, répandez-le jusqu'aux extrémités de la terre, dites: Yahvé a racheté son serviteur Jacob.

Isaïe 48, 21 Ils n'ont pas eu soif quand il les menait dans les déserts, il a fait couler pour eux l'eau du rocher, il a fendu le rocher et l'eau a jailli.

Isaïe 48, 22 Point de bonheur, dit Yahvé, pour les méchants.

Isaïe 49, 1 Iles, écoutez-moi, soyez attentifs, peuples lointains! Yahvé m'a appelé dès le sein maternel, dès les entrailles de ma mère il a prononcé mon nom.

Isaïe 49, 2 Il a fait de ma bouche une épée tranchante, il m'a abrité à l'ombre de sa main; il a fait de moi une flèche acérée, il m'a caché dans son carquois.

Isaïe 49, 3 Il m'a dit: "Tu es mon serviteur, Israël, toi en qui je me glorifierai."

Isaïe 49, 4 Et moi, j'ai dit: "C'est en vain que j'ai peiné, pour rien, pour du vent j'ai usé mes forces." Et pourtant mon droit était avec Yahvé et mon salaire avec mon Dieu.

Isaïe 49, 5 Et maintenant Yahvé a parlé, lui qui m'a modelé dès le sein de ma mère pour être son serviteur, pour ramener vers lui Jacob, et qu'Israël lui soit réuni; -- je serai glorifié aux yeux de Yahvé, et mon Dieu a été ma force; --

Isaïe 49, 6 il a dit: C'est trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d'Israël. Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre.

Isaïe 49, 7 Ainsi parle Yahvé, le rédempteur, le Saint d'Israël, à celui dont l'âme est méprisée, honnie de la nation, à l'esclave des tyrans: des rois verront et se lèveront, des princes verront et se prosterneront, à cause de Yahvé qui est fidèle, du Saint d'Israël qui t'a élu.

Isaïe 49, 8 Ainsi parle Yahvé: Au temps de la faveur je t'ai exaucé, au jour du salut je t'ai secouru. Je t'ai façonné et j'ai fait de toi l'alliance d'un peuple pour relever le pays, pour restituer les héritages dévastés,

Isaïe 49, 9 pour dire aux captifs: "Sortez", à ceux qui sont dans les ténèbres: "Montrez-vous." Ils paîtront le long des chemins, sur tous les monts chauves ils auront un pâturage.

Isaïe 49, 10 Ils n'auront plus faim ni soif, ils ne souffriront pas du vent brûlant ni du soleil, car celui qui les prend en pitié les conduira, il les mènera vers les eaux jaillissantes.

Isaïe 49, 11 De toutes mes montagnes je ferai un chemin et mes routes seront relevées.

Isaïe 49, 12 Les voici, ils viennent de loin, ceux-ci du Nord et de l'Occident, et ceux-là du pays de Sînîm.

Isaïe 49, 13 Cieux, criez de joie, terre exulte, que les montagnes poussent des cris, car Yahvé a consolé son peuple, il prend en pitié ses affligés.

Isaïe 49, 14 Sion avait dit: "Yahvé m'a abandonnée; le Seigneur m'a oubliée."

Isaïe 49, 15 Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t'oublierai pas.

Isaïe 49, 16 Vois, je t'ai gravée sur les paumes de mes mains, tes remparts sont devant moi sans cesse.

Isaïe 49, 17 Tes bâtisseurs se hâtent, ceux qui te détruisent et te ravagent vont s'en aller.

Isaïe 49, 18 Lève les yeux aux alentours et regarde: tous sont rassemblés, ils viennent à toi. Par ma vie, oracle de Yahvé, ils sont tous comme une parure dont tu te couvriras, comme fait une fiancée, tu te les attacheras.

Isaïe 49, 19 Car tes ruines, tes décombres, ton pays désolé sont désormais trop étroits pour tes habitants, et ceux qui te dévoraient s'éloigneront.

Isaïe 49, 20 Ils diront de nouveau à tes oreilles, les fils dont tu étais privée: "L'endroit est trop étroit pour moi, fais-moi une place pour que je m'installe."

Isaïe 49, 21 Et tu diras dans ton coeur: "Qui m'a enfanté ceux-ci? J'étais privée d'enfants et stérile, exilée et rejetée, et ceux-ci, qui les a élevés? Pendant que moi j'étais laissée seule, ceux-ci, où étaient-ils?"

Isaïe 49, 22 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Voici que je lève la main vers les nations, que je dresse un signal pour les peuples: ils t'amèneront tes fils dans leurs bras, et tes filles seront portées sur l'épaule.

Isaïe 49, 23 Des rois seront tes pères adoptifs, et leurs princesses, tes nourrices. Face contre terre, ils se prosterneront devant toi, ils lécheront la poussière de tes pieds. Et tu sauras que je suis Yahvé, ceux qui espèrent en moi ne seront pas déçus.

Isaïe 49, 24 Au guerrier arrache-t-on sa prise? Le prisonnier d'un tyran sera-t-il libéré?

Isaïe 49, 25 Mais ainsi parle Yahvé: Eh bien, le prisonnier du guerrier lui sera arraché, et la prise du tyran sera libérée. Je vais moi-même chercher querelle à qui te cherche querelle, tes enfants, c'est moi qui les sauverai.

Isaïe 49, 26 A tes oppresseurs je ferai manger leur propre chair, comme de vin nouveau ils s'enivreront de leur sang. Et toute chair saura que moi, Yahvé, je suis ton sauveur, que ton rédempteur, c'est le Puissant de Jacob.

Isaïe 50, 1 Ainsi parle Yahvé: Où est la lettre de divorce de votre mère par laquelle je l'ai répudiée? Ou encore: Auquel de mes créanciers vous ai-je vendus? Oui, c'est pour vos fautes que vous avez été vendus, c'est pour vos crimes que j'ai répudié votre mère.

Isaïe 50, 2 Pourquoi suis-je venu sans qu'il y ait personne? Pourquoi ai-je appelé sans que nul ne réponde? Serait-ce que ma main est trop courte pour racheter, que je n'ai pas la force de délivrer? Voici: par ma menace je dessèche la mer, je change les fleuves en désert. Les poissons s'y corrompent faute d'eau, ils meurent de soif.

Isaïe 50, 3 Je revêts les cieux de noirceur, je leur mets un sac comme vêtement.

Isaïe 50, 4 Le Seigneur Yahvé m'a donné une langue de disciple pour que je sache apporter à l'épuisé une parole de réconfort. Il éveille chaque matin, il éveille mon oreille pour que j'écoute comme un disciple.

Isaïe 50, 5 Le Seigneur Yahvé m'a ouvert l'oreille, et moi je n'ai pas résisté, je ne me suis pas dérobé.

Isaïe 50, 6 J'ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, et les joues à ceux qui m'arrachaient la barbe; je n'ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats.

Isaïe 50, 7 Le Seigneur Yahvé va me venir en aide, c'est pourquoi je ne me suis pas laissé abattre, c'est pourquoi j'ai rendu mon visage dur comme la pierre, et je sais que je ne serai pas confondu.

Isaïe 50, 8 Il est proche, celui qui me justifie. Qui va plaider contre moi? Comparaissons ensemble! Qui est mon adversaire? Qu'il s'approche de moi!

Isaïe 50, 9 Voici que le Seigneur Yahvé va me venir en aide, quel est celui qui me condamnerait? Les voici tous qui s'effritent comme un vêtement, rongés par la teigne.

Isaïe 50, 10 Quiconque parmi vous craint Yahvé et écoute la voix de son serviteur, quiconque a marché dans les ténèbres sans voir aucune lueur, qu'il se confie dans le nom de Yahvé, qu'il s'appuie sur son Dieu.

Isaïe 50, 11 Mais vous tous qui allumez un feu, qui vous armez de flèches incendiaires, allez aux flammes de votre feu, aux flèches que vous enflammez. C'est ma main qui vous a fait cela: Vous vous coucherez dans les tourments.

Isaïe 51, 1 Ecoutez-moi, vous qui êtes en quête de justice, vous qui cherchez Yahvé. Regardez le rocher d'où l'on vous a taillés et la fosse d'où l'on vous a tirés.

Isaïe 51, 2 Regardez Abraham votre père et Sara qui vous a enfantés. Il était seul quand je l'ai appelé, mais je l'ai béni et multiplié.

Isaïe 51, 3 Oui, Yahvé a pitié de Sion, il a pitié de toutes ses ruines; il va faire de son désert un Eden et de sa steppe un jardin de Yahvé; on y trouvera la joie et l'allégresse, l'action de grâces et le son de la musique.

Isaïe 51, 4 Ecoute-moi bien, mon peuple, ô ma nation, tends l'oreille vers moi. Car une loi va sortir de moi, et je ferai de mon droit la lumière des peuples.

Isaïe 51, 5 Soudain ma justice approche, mon salut paraît, mon bras va punir les peuples. Les îles mettront en moi leur espoir et compteront sur mon bras.

Isaïe 51, 6 Levez les yeux vers le ciel, regardez en bas vers la terre; oui, les cieux se dissiperont comme la fumée, la terre s'usera comme un vêtement et ses habitants mourront comme de la vermine. Mais mon salut sera éternel et ma justice demeurera intacte.

Isaïe 51, 7 Ecoutez-moi, vous qui connaissez la justice, peuple qui mets ma loi dans ton coeur. Ne craignez pas les injures des hommes, ne vous laissez pas effrayer par leurs outrages.

Isaïe 51, 8 Car la teigne les rongera comme un vêtement, et les mites les dévoreront comme de la laine. Mais ma justice subsistera éternellement et mon salut de génération en génération.

Isaïe 51, 9 Eveille-toi, éveille-toi! revêts-toi de force, bras de Yahvé. Eveille-toi comme aux jours d'autrefois, des générations de jadis. N'est-ce pas toi qui as fendu Rahab, transpercé le Dragon?

Isaïe 51, 10 N'est-ce pas toi qui as desséché la mer, les eaux du Grand Abîme? Qui as fait du fond de la mer un chemin, pour que passent les rachetés?

Isaïe 51, 11 Ceux que Yahvé a libérés reviendront, ils arriveront à Sion criant de joie, portant avec eux une joie éternelle; la joie et l'allégresse les accompagneront, la douleur et les plaintes cesseront.

Isaïe 51, 12 C'est moi, je suis celui qui vous console; qui es-tu pour craindre l'homme mortel, le fils d'homme voué au sort de l'herbe?

Isaïe 51, 13 Tu oublies Yahvé, ton créateur, qui a tendu les cieux et fondé la terre, et tu ne cesses de trembler tout le jour devant la fureur de l'oppresseur, lorsqu'il se met à détruire. Où donc est la fureur de l'oppresseur?

Isaïe 51, 14 Le désespéré va bientôt être libéré, il ne mourra pas dans la basse-fosse, il ne manquera plus de pain.

Isaïe 51, 15 Je suis Yahvé ton Dieu, qui brasse la mer pour faire mugir ses flots, dont le nom est Yahvé Sabaot.

Isaïe 51, 16 J'ai mis mes paroles en ta bouche, à l'ombre de ma main je t'ai caché, pour tendre les cieux et pour fonder la terre, pour dire à Sion: "Tu es mon peuple."

Isaïe 51, 17 Réveille-toi, réveille-toi, debout! Jérusalem. Toi qui as bu de la main de Yahvé la coupe de sa colère. C'est un calice, une coupe de vertige que tu as bue, que tu as vidée.

Isaïe 51, 18 Personne ne la guide, aucun des fils qu'elle a enfantés; personne ne lui prend la main, aucun des fils qu'elle a élevés.

Isaïe 51, 19 Ce double malheur qui t'est arrivé, qui t'en plaindra? Le pillage et la ruine, la famine et l'épée, qui t'en consolera?

Isaïe 51, 20 Tes fils gisent sans force au coin de toutes les rues, comme l'antilope prise au filet, ivres de la fureur de Yahvé, de la menace de ton Dieu.

Isaïe 51, 21 C'est pourquoi, écoute ceci, malheureuse, ivre, mais non de vin:

Isaïe 51, 22 Ainsi parle ton Seigneur Yahvé, ton Dieu, défenseur de ton peuple: Voici que je te retire de la main la coupe de vertige, le calice, la coupe de ma fureur. Tu n'y boiras plus jamais.

Isaïe 51, 23 Je la mettrai dans la main de tes tortionnaires, de ceux qui te disaient: A terre! que nous passions! et tu faisais de ton dos un passage, un chemin pour qu'ils y passent.

Isaïe 52, 1 Eveille-toi, éveille-toi, revêts ta force, Sion! revêts tes habits les plus magnifiques, Jérusalem, ville sainte, car ils ne viendront plus jamais chez toi, l'incirconcis et l'impur.

Isaïe 52, 2 Secoue ta poussière, lève-toi, Jérusalem captive! les chaînes sont tombées de ton cou, fille de Sion captive!

Isaïe 52, 3 Car ainsi parle Yahvé: Vous avez été vendus pour rien, vous serez rachetés sans argent.

Isaïe 52, 4 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé: C'est en Egypte qu'autrefois mon peuple est descendu pour y séjourner, c'est Assur qui à la fin l'a opprimé.

Isaïe 52, 5 Mais maintenant, qu'ai-je à faire ici? -- oracle de Yahvé -- car mon peuple a été enlevé pour rien, ses maîtres poussent des cris de triomphe -- oracle de Yahvé -- sans cesse, tout le jour, mon nom est bafoué.

Isaïe 52, 6 C'est pourquoi mon peuple connaîtra mon nom, c'est pourquoi il saura, en ce jour-là, que c'est moi qui dis: "Me voici."

Isaïe 52, 7 Qu'ils sont beaux, sur les montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix, du messager de bonnes nouvelles qui annonce le salut, qui dit à Sion: "Ton Dieu règne."

Isaïe 52, 8 C'est la voix de tes guetteurs: ils élèvent la voix, ensemble ils poussent des cris de joie, car ils ont vu de leurs propres yeux Yahvé qui revient à Sion.

Isaïe 52, 9 Ensemble poussez des cris, des cris de joie, ruines de Jérusalem! car Yahvé a consolé son peuple, il a racheté Jérusalem.

Isaïe 52, 10 Yahvé a découvert son bras de sainteté aux yeux de toutes les nations, et tous les confins de la terre ont vu le salut de notre Dieu.

Isaïe 52, 11 Allez-vous-en, allez-vous-en, sortez d'ici, ne touchez à rien d'impur, sortez du milieu d'elle, purifiez-vous, vous qui portez les objets de Yahvé.

Isaïe 52, 12 Car vous ne sortirez pas à la hâte, vous ne vous en irez pas en fuyards, c'est Yahvé, en effet, qui marche à votre tête, et votre arrière-garde, c'est le Dieu d'Israël.

Isaïe 52, 13 Voici que mon serviteur prospérera, il grandira, s'élèvera, sera placé très haut.

Isaïe 52, 14 De même que des multitudes avaient été saisies d'épouvante à sa vue, -- car il n'avait plus figure humaine, et son apparence n'était plus celle d'un homme --

Isaïe 52, 15 de même des multitudes de nations seront dans la stupéfaction, devant lui des rois resteront bouche close, pour avoir vu ce qui ne leur avait pas été raconté, pour avoir appris ce qu'ils n'avaient pas entendu dire.

Isaïe 53, 1 Qui a cru ce que nous entendions dire, et le bras de Yahvé, à qui s'est-il révélé?

Isaïe 53, 2 Comme un surgeon il a grandi devant lui, comme une racine en terre aride; sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, et sans apparence qui nous eût séduits;

Isaïe 53, 3 objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance, comme quelqu'un devant qui on se voile la face, méprisé, nous n'en faisions aucun cas.

Isaïe 53, 4 Or ce sont nos souffrances qu'il portait et nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous le considérions comme puni, frappé par Dieu et humilié.

Isaïe 53, 5 Mais lui, il a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes. Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison.

Isaïe 53, 6 Tous, comme des moutons, nous étions errants, chacun suivant son propre chemin, et Yahvé a fait retomber sur lui nos fautes à tous.

Isaïe 53, 7 Maltraité, il s'humiliait, il n'ouvrait pas la bouche, comme l'agneau qui se laisse mener à l'abattoir, comme devant les tondeurs une brebis muette, il n'ouvrait pas la bouche.

Isaïe 53, 8 Par contrainte et jugement il a été saisi. Parmi ses contemporains, qui s'est inquiété qu'il ait été retranché de la terre des vivants, qu'il ait été frappé pour le crime de son peuple?

Isaïe 53, 9 On lui a donné un sépulcre avec les impies et sa tombe est avec le riche, bien qu'il n'ait pas commis de violence et qu'il n'y ait pas eu de tromperie dans sa bouche.

Isaïe 53, 10 Yahvé a voulu l'écraser par la souffrance; s'il offre sa vie en sacrifice expiatoire, il verra une postérité, il prolongera ses jours, et par lui la volonté de Yahvé s'accomplira.

Isaïe 53, 11 A la suite de l'épreuve endurée par son âme, il verra la lumière et sera comblé. Par sa connaissance, le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes en s'accablant lui-même de leurs fautes.

Isaïe 53, 12 C'est pourquoi il aura sa part parmi les multitudes, et avec les puissants il partagera le butin, parce qu'il s'est livré lui-même à la mort et qu'il a été compté parmi les criminels, alors qu'il portait le péché des multitudes et qu'il intercédait pour les criminels.

Isaïe 54, 1 Crie de joie, stérile, toi qui n'as pas enfanté; pousse des cris de joie, des clameurs, toi qui n'as pas mis au monde, car plus nombreux sont les fils de la délaissée que les fils de l'épouse, dit Yahvé.

Isaïe 54, 2 Elargis l'espace de ta tente, déploie sans lésiner les toiles qui t'abritent, allonge tes cordages, renforce tes piquets,

Isaïe 54, 3 car à droite et à gauche tu vas éclater, ta race va déposséder des nations et repeupler les villes abandonnées.

Isaïe 54, 4 N'aie pas peur, tu n'éprouveras plus de honte, ne sois pas confondue, tu n'auras plus à rougir; car tu vas oublier la honte de ta jeunesse, tu ne te souviendras plus de l'infamie de ton veuvage.

Isaïe 54, 5 Ton créateur est ton époux, Yahvé Sabaot est son nom, le Saint d'Israël est ton rédempteur, on l'appelle le Dieu de toute la terre.

Isaïe 54, 6 Oui, comme une femme délaissée et accablée, Yahvé t'a appelée, comme la femme de sa jeunesse qui aurait été répudiée, dit ton Dieu.

Isaïe 54, 7 Un court instant je t'avais délaissée, ému d'une immense pitié, je vais t'unir à moi.

Isaïe 54, 8 Débordant de fureur, un instant, je t'avais caché ma face. Dans un amour éternel, j'ai eu pitié de toi, dit Yahvé, ton rédempteur.

Isaïe 54, 9 Ce sera pour moi comme au temps de Noé, quand j'ai juré que les eaux de Noé ne se répandraient plus sur la terre. Je jure de même de ne plus m'irriter contre toi, de ne plus te menacer.

Isaïe 54, 10 Car les montagnes peuvent s'écarter et les collines chanceler, mon amour ne s'écartera pas de toi, mon alliance de paix ne chancellera pas, dit Yahvé qui te console.

Isaïe 54, 11 Malheureuse, battue par les vents, inconsolée, voici que je vais poser tes pierres sur des escarboucles, et tes fondations sur des saphirs;

Isaïe 54, 12 je ferai tes créneaux de rubis, tes portes d'escarboucle et toute ton enceinte de pierres précieuses.

Isaïe 54, 13 Tous tes enfants seront disciples de Yahvé, et grand sera le bonheur de tes enfants.

Isaïe 54, 14 Tu seras fondée dans la justice, libre de l'oppression: tu n'auras rien à craindre, libre de la frayeur: elle n'aura plus prise sur toi.

Isaïe 54, 15 Voici: s'il se produit une attaque, ce ne sera pas de mon fait; quiconque t'aura attaquée tombera à cause de toi.

Isaïe 54, 16 Voici: c'est moi qui ai créé le forgeron qui souffle sur les braises et tire un outil à son usage; c'est moi aussi qui ai créé le destructeur pour anéantir.

Isaïe 54, 17 Aucune arme forgée contre toi ne saurait être efficace. Toute langue qui t'accuserait en justice, tu la confondras. Tel est le lot des serviteurs de Yahvé, la victoire que je leur assure. Oracle de Yahvé.

Isaïe 55, 1 Ah! vous tous qui avez soif, venez vers l'eau, même si vous n'avez pas d'argent, venez, achetez et mangez; venez, achetez sans argent, sans payer, du vin et du lait.

Isaïe 55, 2 Pourquoi dépenser de l'argent pour autre chose que du pain, et ce que vous avez gagné, pour ce qui ne rassasie pas? Ecoutez, écoutez-moi et mangez ce qui est bon; vous vous délecterez de mets succulents.

Isaïe 55, 3 Prêtez l'oreille et venez vers moi, écoutez et vous vivrez. Je conclurai avec vous une alliance éternelle, réalisant les faveurs promises à David.

Isaïe 55, 4 Voici que j'ai fait de lui un témoin pour des peuples, un chef et un législateur de peuples.

Isaïe 55, 5 Voici que tu appelleras une nation que tu ne connais pas, une nation qui ne te connaît pas viendra vers toi, à cause de Yahvé, ton Dieu, et pour le Saint d'Israël, car il t'a glorifié.

Isaïe 55, 6 Cherchez Yahvé pendant qu'il se laisse trouver, invoquez-le pendant qu'il est proche.

Isaïe 55, 7 Que le méchant abandonne sa voie et l'homme criminel ses pensées, qu'il revienne à Yahvé qui aura pitié de lui, à notre Dieu car il est riche en pardon.

Isaïe 55, 8 Car vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes voies ne sont pas vos voies, oracle de Yahvé.

Isaïe 55, 9 Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont élevées mes voies au-dessus de vos voies, et mes pensées au-dessus de vos pensées.

Isaïe 55, 10 De même que la pluie et la neige descendent des cieux et n'y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l'avoir fécondée et l'avoir fait germer pour fournir la semence au semeur et le pain à manger,

Isaïe 55, 11 ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche, elle ne revient pas vers moi sans effet, sans avoir accompli ce que j'ai voulu et réalisé l'objet de sa mission.

Isaïe 55, 12 Oui, vous partirez dans la joie et vous serez ramenés dans la paix. Les montagnes et les collines pousseront devant vous des cris de joie, et tous les arbres de la campagne battront des mains.

Isaïe 55, 13 Au lieu de l'épine croîtra le cyprès, au lieu de l'ortie croîtra le myrte, ce sera pour Yahvé un renom, un signe éternel qui ne périra pas.

Isaïe 56, 1 Ainsi parle Yahvé: Observez le droit, pratiquez la justice, car mon salut est près d'arriver et ma justice de se révéler.

Isaïe 56, 2 Heureux l'homme qui agit ainsi, le fils d'homme qui s'y tient fermement, qui observe le sabbat sans le profaner et s'abstient de toute action mauvaise.

Isaïe 56, 3 Que le fils de l'étranger, qui s'est attaché à Yahvé, ne dise pas: "Sûrement Yahvé va m'exclure de son peuple." Que l'eunuque ne dise pas: "Voici, je suis un arbre sec."

Isaïe 56, 4 Car ainsi parle Yahvé aux eunuques qui observent mes sabbats et choisissent de faire ce qui m'est agréable, fermement attachés à mon alliance:

Isaïe 56, 5 Je leur donnerai dans ma maison et dans mes remparts un monument et un nom meilleurs que des fils et des filles; je leur donnerai un nom éternel qui jamais ne sera effacé.

Isaïe 56, 6 Quant aux fils d'étrangers, attachés à Yahvé pour le servir, pour aimer le nom de Yahvé, devenir ses serviteurs, tous ceux qui observent le sabbat sans le profaner, fermement attachés à mon alliance,

Isaïe 56, 7 je les mènerai à ma sainte montagne, je les comblerai de joie dans ma maison de prière. Leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel, car ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples.

Isaïe 56, 8 Oracle du Seigneur Yahvé qui rassemble les déportés d'Israël: J'en rassemblerai encore d'autres avec ceux qui sont déjà rassemblés.

Isaïe 56, 9 Bêtes des champs, venez toutes vous repaître, ainsi que vous, toutes les bêtes de la forêt.

Isaïe 56, 10 Ses guetteurs sont tous des aveugles, ils ne savent rien; ce sont tous des chiens muets, incapables d'aboyer. Ils rêvent, restent couchés, aiment dormir.

Isaïe 56, 11 Les chiens sont voraces, insatiables, ce sont eux, les bergers incapables de comprendre. Ils suivent tous leur propre chemin, chacun, jusqu'au dernier, cherchant son intérêt:

Isaïe 56, 12 "Venez, je vais chercher du vin, enivrons-nous de boisson, demain sera comme aujourd'hui, un grand, un très grand jour!"

Isaïe 57, 1 Le juste périt et personne ne s'en inquiète, les hommes pieux sont moissonnés et nul n'y prend garde; oui, à cause de la perversité le juste a été moissonné;

Isaïe 57, 2 il entrera dans la paix, et ceux qui suivent le droit chemin trouveront le repos sur leur couche.

Isaïe 57, 3 Quant à vous, approchez ici, fils de la magicienne, race adultère qui t'es prostituée.

Isaïe 57, 4 De qui vous moquez-vous? A qui faites-vous des grimaces et tirez-vous la langue? N'êtes-vous pas une engeance de révolte, une race de mensonge?

Isaïe 57, 5 Vous qui vous excitez près des térébinthes, sous tout arbre verdoyant, qui immolez des enfants dans les torrents, sous les fissures des rochers.

Isaïe 57, 6 Les pierres polies du torrent, voilà ton partage, ce sont elles, elles qui sont ton lot. C'est pour elles que tu as répandu des libations, que tu as présenté ton offrande. Puis-je y trouver l'apaisement?

Isaïe 57, 7 Sur une grande et haute montagne tu as installé ta couche. C'est là aussi que tu es montée pour offrir le sacrifice.

Isaïe 57, 8 Derrière la porte et le montant tu as fixé ton mémorial. Oui, loin de moi tu t'es découverte, tu es montée sur ta couche, tu en as profité largement. Tu as pactisé à ton profit avec ceux dont tu aimes la couche, tout en contemplant le monument.

Isaïe 57, 9 Tu t'es approchée de Mèlek avec des présents d'huile, tu as prodigué les parfums; tu as envoyé au loin tes messagers, tu les as fait descendre jusqu'au shéol.

Isaïe 57, 10 A faire tant de chemin tu t'es fatiguée, mais tu n'as pas dit: "C'est décourageant!" Tu as retrouvé la vigueur de ta main, c'est pourquoi tu n'as pas faibli.

Isaïe 57, 11 Qui as-tu craint et redouté, pour mentir et ne plus te souvenir de moi, pour ne plus te soucier de moi? N'étais-je pas silencieux et depuis longtemps? Aussi tu ne me craignais pas.

Isaïe 57, 12 Mais je vais annoncer ta justice et tes oeuvres, dont tu ne tirais aucun profit.

Isaïe 57, 13 Tu vas crier, qu'ils te délivrent, ceux qui se serrent autour de toi! Eux tous, le vent va les enlever, un souffle les emporter, mais quiconque se confie en moi héritera du pays, il possédera ma montagne sainte.

Isaïe 57, 14 Et l'on dira: Nivelez, nivelez, frayez un chemin, ôtez l'obstacle du chemin de mon peuple,

Isaïe 57, 15 car ainsi parle celui qui est haut et élevé, dont la demeure est éternelle et dont le nom est saint. "Je suis haut et saint dans ma demeure, mais je suis avec l'homme contrit et humilié, pour ranimer les esprits humiliés, pour ranimer les coeurs contrits.

Isaïe 57, 16 Car je ne veux pas accuser sans cesse ni toujours me montrer irrité, car devant moi faiblirait l'esprit et ces âmes que j'ai créées.

Isaïe 57, 17 Contre sa criminelle cupidité j'ai été irrité, en me cachant je l'ai frappé, dans mon irritation; et il s'en est allé, rebelle, selon sa fantaisie.

Isaïe 57, 18 J'ai vu sa conduite, mais je le guérirai, je le conduirai, je lui prodiguerai le réconfort, à lui et à ceux qui sont dans le deuil,

Isaïe 57, 19 faisant naître la louange sur leurs lèvres: "Paix! paix à qui est loin et à qui est proche, dit Yahvé, et je le guérirai."

Isaïe 57, 20 Mais les méchants sont comme la mer agitée qui ne peut se calmer, dont les eaux soulèvent la boue et la fange.

Isaïe 57, 21 "Point de paix, dit Yahvé, pour les méchants."

Isaïe 58, 1 Crie à pleine gorge, ne te retiens pas, comme le cor, élève la voix, annonce à mon peuple ses crimes, à la maison de Jacob ses péchés.

Isaïe 58, 2 C'est moi qu'ils recherchent jour après jour, ils désirent connaître mes voies, comme une nation qui a pratiqué la justice, qui n'a pas négligé le droit de son Dieu. Ils s'informent près de moi des lois justes, ils désirent être proches de Dieu.

Isaïe 58, 3 "Pourquoi avons-nous jeûné sans que tu le voies, nous sommes-nous mortifiés sans que tu le saches?" C'est qu'au jour où vous jeûnez, vous traitez des affaires, et vous opprimez tous vos ouvriers.

Isaïe 58, 4 C'est que vous jeûnez pour vous livrer aux querelles et aux disputes, pour frapper du poing méchamment. Vous ne jeûnerez pas comme aujourd'hui, si vous voulez faire entendre votre voix là-haut!

Isaïe 58, 5 Est-ce là le jeûne qui me plaît, le jour où l'homme se mortifie? Courber la tête comme un jonc, se faire une couche de sac et de cendre, est-ce là ce que tu appelles un jeûne, un jour agréable à Yahvé?

Isaïe 58, 6 N'est-ce pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère: défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs?

Isaïe 58, 7 N'est-ce pas partager ton pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair?

Isaïe 58, 8 Alors ta lumière éclatera comme l'aurore, ta blessure se guérira rapidement, ta justice marchera devant toi et la gloire de Yahvé te suivra.

Isaïe 58, 9 Alors tu crieras et Yahvé répondra, tu appelleras, il dira: Me voici! Si tu bannis de chez toi le joug, le geste menaçant et les paroles méchantes,

Isaïe 58, 10 si tu te prives pour l'affamé et si tu rassasies l'opprimé, ta lumière se lèvera dans les ténèbres, et l'obscurité sera pour toi comme le milieu du jour.

Isaïe 58, 11 Yahvé sans cesse te conduira, il te rassasiera dans les lieux arides, il donnera la vigueur à tes os, et tu seras comme un jardin arrosé, comme une source jaillissante dont les eaux ne tarissent pas.

Isaïe 58, 12 On reconstruira, chez toi, les ruines antiques, tu relèveras les fondations des générations passées, on t'appellera Réparateur de brèches, Restaurateur des chemins, pour qu'on puisse habiter.

Isaïe 58, 13 Et si tu t'abstiens de violer le sabbat, de vaquer à tes affaires en mon jour saint, si tu appelles le sabbat "délices" et "vénérable" le jour saint de Yahvé, si tu l'honores en t'abstenant de voyager, de traiter tes affaires et de tenir des discours,

Isaïe 58, 14 alors tu trouveras tes délices en Yahvé, je te conduirai en triomphe sur les hauteurs du pays; je te nourrirai de l'héritage de ton père Jacob, car la bouche de Yahvé a parlé.

Isaïe 59, 1 Non, la main de Yahvé n'est pas trop courte pour sauver, ni son oreille trop dure pour entendre.

Isaïe 59, 2 Mais ce sont vos fautes qui ont creusé un abîme entre vous et votre Dieu. Vos péchés ont fait qu'il vous cache sa face et refuse de vous entendre.

Isaïe 59, 3 Car vos mains sont souillées par le sang et vos doigts par le crime, vos lèvres ont proféré le mensonge, votre langue médite le mal.

Isaïe 59, 4 Nul n'accuse à juste titre, nul ne plaide de bonne foi. On se confie au néant, on profère la fausseté, on conçoit la peine, on enfante le mal.

Isaïe 59, 5 Ils ont fait éclore des oeufs de vipère, ils tissent des toiles d'araignée. Qui mange de leurs oeufs en meurt; écrasés, il en sort un serpent.

Isaïe 59, 6 Leurs toiles ne feront pas un vêtement, ils ne pourront se vêtir de leurs oeuvres; leurs oeuvres sont des oeuvres mauvaises, les actes de violence sont dans leurs mains.

Isaïe 59, 7 Leurs pieds courent au mal; ils ont hâte de verser le sang innocent. Leurs pensées sont des pensées mauvaises, ravage et destruction sont sur leur chemin.

Isaïe 59, 8 Ils n'ont pas connu la voie de la paix, le droit ne suit pas leurs traces, ils se font des sentiers tortueux, quiconque les suit ignore la paix.

Isaïe 59, 9 Aussi le droit reste loin de nous, la justice ne nous atteint pas. Nous attendions la lumière et voici les ténèbres, la clarté, et nous marchons dans l'obscurité.

Isaïe 59, 10 Nous tâtonnons comme des aveugles cherchant un mur, comme privés d'yeux nous tâtonnons. Nous trébuchons en plein midi comme au crépuscule, parmi les bien-portants nous sommes comme des morts.

Isaïe 59, 11 Nous grognons tous comme des ours, comme des colombes nous ne faisons que gémir; nous attendons le jugement, et rien! le salut, et il demeure loin de nous.

Isaïe 59, 12 Car nombreux sont nos crimes contre toi, nos péchés témoignent contre nous. Oui, nos crimes nous sont présents et nous reconnaissons nos fautes:

Isaïe 59, 13 nous révolter, renier Yahvé, cesser de suivre notre Dieu; proférer violence et révolte, concevoir et méditer le mensonge.

Isaïe 59, 14 On repousse le jugement, on tient éloignée la justice, car la vérité a trébuché sur la place publique, et la droiture ne trouve point d'accès.

Isaïe 59, 15 La vérité a disparu; ceux qui s'abstiennent du mal sont dépouillés. Yahvé l'a vu, il a jugé mauvais qu'il n'y ait plus de jugement.

Isaïe 59, 16 Il a vu qu'il n'y avait personne, il s'est étonné que nul n'intervînt, alors son bras devint son secours, et sa justice, son appui.

Isaïe 59, 17 Il a revêtu comme cuirasse la justice, sur sa tête le casque du salut, il a revêtu comme tunique des habits de vengeance, il s'est drapé de la jalousie comme d'un manteau.

Isaïe 59, 18 Selon les oeuvres il rétribue, fureur pour les adversaires, châtiment pour les ennemis, aux îles il paiera leur salaire.

Isaïe 59, 19 Et l'on craindra, depuis l'Occident, le nom de Yahvé, et depuis le Levant sa gloire, car il viendra comme un torrent resserré, chassé par le souffle de Yahvé.

Isaïe 59, 20 Alors un rédempteur viendra à Sion, pour ceux qui se détournent de leur crime, en Jacob. Oracle de Yahvé.

Isaïe 59, 21 Et moi, voici mon alliance avec eux, dit Yahvé: mon esprit qui est sur toi et mes paroles que j'ai mises dans ta bouche ne s'éloigneront pas de ta bouche, ni de la bouche de ta descendance, ni de la bouche de la descendance de ta descendance, dit Yahvé, dès maintenant et à jamais.

Isaïe 60, 1 Debout! Resplendis! car voici ta lumière, et sur toi se lève la gloire de Yahvé.

Isaïe 60, 2 Tandis que les ténèbres s'étendent sur la terre et l'obscurité sur les peuples, sur toi se lève Yahvé, et sa gloire sur toi paraît.

Isaïe 60, 3 Les nations marcheront à ta lumière et les rois à ta clarté naissante.

Isaïe 60, 4 Lève les yeux aux alentours et regarde: tous sont rassemblés, ils viennent à toi. Tes fils viennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche.

Isaïe 60, 5 Alors, tu verras et seras radieuse, ton coeur tressaillira et se dilatera, car les richesses de la mer afflueront vers toi, et les trésors des nations viendront chez toi.

Isaïe 60, 6 Des multitudes de chameaux te couvriront, des jeunes bêtes de Madiân et d'Epha; tous viendront de Saba, apportant l'or et l'encens et proclamant les louanges de Yahvé.

Isaïe 60, 7 Tous les troupeaux de Qédar se rassembleront chez toi, les béliers de Nebayot seront à ton service, ils monteront à mon autel en sacrifice agréable, et je glorifierai ma maison de splendeur.

Isaïe 60, 8 Qu'est-ce que cela qui vole comme un nuage, comme des colombes vers leurs colombiers?

Isaïe 60, 9 C'est en moi que les îles espèrent: les bateaux de Tarsis ont pris la tête pour ramener de loin tes fils, avec leur argent et leur or, à cause du nom de Yahvé ton Dieu, du Saint d'Israël qui t'a glorifiée.

Isaïe 60, 10 Les fils de l'étranger rebâtiront tes remparts, et leurs rois te serviront. Car dans ma colère je t'avais frappée, mais dans ma bienveillance j'ai eu pitié de toi.

Isaïe 60, 11 Tes portes seront toujours ouvertes, ni le jour ni la nuit on ne les fermera, pour qu'on apporte chez toi les richesses des nations et qu'on introduise leurs rois.

Isaïe 60, 12 Car la nation et le royaume qui ne te servent pas périront, et les nations seront exterminées.

Isaïe 60, 13 La gloire du Liban viendra chez toi, le cyprès, le platane et le buis tous ensemble, pour glorifier le lieu de ton sanctuaire, pour que j'honore le lieu où je me tiens.

Isaïe 60, 14 Ils s'approcheront de toi, humblement, les fils de tes oppresseurs, ils se prosterneront à tes pieds, tous ceux qui te méprisaient, et ils t'appelleront: "Ville de Yahvé", "Sion du Saint d'Israël."

Isaïe 60, 15 Au lieu que tu sois délaissée et haïe, sans personne qui passe, je ferai de toi un objet d'éternelle fierté, une source de joie, d'âge en âge.

Isaïe 60, 16 Tu suceras le lait des nations, tu suceras les richesses des rois. Et tu sauras que c'est moi, Yahvé, qui te sauve, que ton rédempteur, c'est le Puissant de Jacob.

Isaïe 60, 17 Au lieu de bronze, je ferai venir de l'or, au lieu de fer, je ferai venir de l'argent, au lieu de bois, du bronze, au lieu de pierre, du fer; comme magistrature j'instituerai la Paix et comme gouvernants, la Justice.

Isaïe 60, 18 On n'entendra plus parler de violence dans ton pays, de ravages ni de ruines dans tes frontières. Tu appelleras tes remparts "Salut" et tes portes "Louange."

Isaïe 60, 19 Tu n'auras plus le soleil comme lumière, le jour, la clarté de la lune ne t'illuminera plus: Yahvé sera pour toi une lumière éternelle, et ton Dieu sera ta splendeur.

Isaïe 60, 20 Ton soleil ne se couchera plus, et ta lune ne disparaîtra plus, car Yahvé sera pour toi une lumière éternelle, et les jours de ton deuil seront accomplis.

Isaïe 60, 21 Ton peuple, rien que des justes, possédera le pays à jamais, rejeton de mes plantations, oeuvre de mes mains, pour me glorifier.

Isaïe 60, 22 Le plus petit deviendra un millier, le plus chétif une nation puissante. Moi, Yahvé, en temps voulu j'agirai vite.

Isaïe 61, 1 L'esprit du Seigneur Yahvé est sur moi, car Yahvé m'a donné l'onction; il m'a envoyé porter la nouvelle aux pauvres, panser les coeurs meurtris, annoncer aux captifs la libération et aux prisonniers la délivrance,

Isaïe 61, 2 proclamer une année de grâce de la part de Yahvé et un jour de vengeance pour notre Dieu, pour consoler tous les affligés,

Isaïe 61, 3 (pour mettre aux affligés de Sion) pour leur donner un diadème au lieu de cendre, de l'huile de joie au lieu d'un vêtement de deuil, un manteau de fête au lieu d'un esprit abattu; et on les appellera térébinthes de justice, plantation de Yahvé pour se glorifier.

Isaïe 61, 4 Ils rebâtiront les ruines antiques, ils relèveront les restes désolés d'autrefois; ils restaureront les villes en ruines, les restes désolés des générations passées.

Isaïe 61, 5 Des étrangers se présenteront pour paître vos troupeaux, des immigrants seront vos laboureurs et vos vignerons.

Isaïe 61, 6 Mais vous, vous serez appelés prêtres de Yahvé, on vous nommera ministres de notre Dieu. Vous vous nourrirez des richesses des nations, vous leur succéderez dans leur gloire.

Isaïe 61, 7 Au lieu de votre honte, vous aurez double part, au lieu de l'humiliation, les cris de joie seront leur part; aussi recevront-ils double héritage dans leur pays et auront-ils une joie éternelle.

Isaïe 61, 8 Car moi, Yahvé, qui aime le droit, qui hais le vol et l'injustice, je leur donnerai fidèlement leur récompense et je conclurai avec eux une alliance éternelle.

Isaïe 61, 9 Leur race sera célèbre parmi les nations, et leur descendance au milieu des peuples; tous ceux qui les verront les reconnaîtront comme une race que Yahvé a bénie.

Isaïe 61, 10 Je suis plein d'allégresse en Yahvé, mon âme exulte en mon Dieu, car il m'a revêtu de vêtements de salut, il m'a drapé dans un manteau de justice, comme l'époux qui se coiffe d'un diadème, comme la fiancée qui se pare de ses bijoux.

Isaïe 61, 11 Car de même que la terre fait éclore ses germes et qu'un jardin fait germer sa semence, ainsi le Seigneur Yahvé fait germer la justice et la louange devant toutes les nations.

Isaïe 62, 1 A cause de Sion je ne me tairai pas, à cause de Jérusalem je ne me tiendrai pas en repos, jusqu'à ce que sa justice jaillisse comme une clarté, et son salut comme une torche allumée.

Isaïe 62, 2 Alors les nations verront ta justice, et tous les rois ta gloire. Alors on t'appellera d'un nom nouveau que la bouche de Yahvé désignera.

Isaïe 62, 3 Tu seras une couronne de splendeur dans la main de Yahvé, un turban royal dans la main de ton Dieu.

Isaïe 62, 4 On ne te dira plus: "Délaissée" et de ta terre on ne dira plus: "Désolation." Mais on t'appellera: "Mon plaisir est en elle" et ta terre: "Epousée." Car Yahvé trouvera en toi son plaisir, et ta terre sera épousée.

Isaïe 62, 5 Comme un jeune homme épouse une vierge, ton bâtisseur t'épousera. Et c'est la joie de l'époux au sujet de l'épouse que ton Dieu éprouvera à ton sujet.

Isaïe 62, 6 Sur tes remparts, Jérusalem, j'ai posté des veilleurs, de jour et de nuit, jamais ils ne se tairont. Vous qui vous rappelez au souvenir de Yahvé, pas de repos pour vous.

Isaïe 62, 7 Ne lui accordez pas de repos qu'il n'ait établi Jérusalem et fait d'elle une louange au milieu du pays.

Isaïe 62, 8 Yahvé l'a juré par sa droite et par son bras puissant: "Je ne donnerai plus ton blé en nourriture à tes ennemis, les étrangers ne boiront plus ton vin, le fruit de ton labeur,

Isaïe 62, 9 mais les moissonneurs mangeront le blé et loueront Yahvé, les vendangeurs boiront le vin, dans mes parvis sacrés."

Isaïe 62, 10 Passez, passez par les portes, frayez le chemin de mon peuple, nivelez, nivelez la route, ôtez-en les pierres. Elevez un signal pour les peuples.

Isaïe 62, 11 Voici que Yahvé se fait entendre jusqu'à l'extrémité de la terre: Dites à la fille de Sion: Voici que vient ton salut, voici avec lui sa récompense, et devant lui son salaire.

Isaïe 62, 12 On les appellera: "Le peuple saint", "les rachetés de Yahvé." Quant à toi on t'appellera: "Recherchée", "Ville non délaissée."

Isaïe 63, 1 Quel est donc celui-ci qui vient d'Edom, de Boçra en habits éclatants, magnifiquement drapé dans son manteau, s'avançant dans la plénitude de sa force? "C'est moi qui parle avec justice, qui suis puissant pour sauver" --

Isaïe 63, 2 Pourquoi ce rouge à ton manteau, pourquoi es-tu vêtu comme celui qui foule au pressoir? --

Isaïe 63, 3 A la cuve j'ai foulé solitaire, et des gens de mon peuple pas un n'était avec moi. Alors je les ai foulés dans ma colère, je les ai piétinés dans ma fureur, leur sang a giclé sur mes habits, et j'ai taché tous mes vêtements.

Isaïe 63, 4 Car j'ai au coeur un jour de vengeance, c'est l'année de ma rétribution qui vient.

Isaïe 63, 5 Je regarde: personne pour m'aider! Je montre mon angoisse: personne pour me soutenir! Alors mon bras est venu à mon secours, c'est ma fureur qui m'a soutenu.

Isaïe 63, 6 J'ai écrasé les peuples dans ma colère, je les ai brisés dans ma fureur, et j'ai fait ruisseler à terre leur sang."

Isaïe 63, 7 Je vais célébrer les grâces de Yahvé, les louanges de Yahvé, pour tout ce que Yahvé a accompli pour nous, pour sa grande bonté envers la maison d'Israël, pour tout ce qu'il a accompli dans sa miséricorde, pour l'abondance de ses grâces.

Isaïe 63, 8 Car il dit: "Certes, c'est mon peuple, des enfants qui ne vont pas me tromper"; et il fut pour eux un sauveur.

Isaïe 63, 9 Dans toutes leurs angoisses, ce n'est pas un messager ou un ange, c'est sa face qui les a sauvés. Dans son amour et sa pitié, c'est lui qui les a rachetés, il s'est chargé d'eux et les a portés, tous les jours du passé.

Isaïe 63, 10 Mais eux, ils se sont révoltés et ils ont irrité son Esprit saint. C'est alors qu'il les a pris en aversion et qu'il les a lui-même combattus.

Isaïe 63, 11 Mais il s'est souvenu des jours d'autrefois, de Moïse, son serviteur. Où est-il, celui qui les sauva de la mer, le pasteur de son troupeau? Où est celui qui mettait au milieu d'eux son Esprit saint?

Isaïe 63, 12 Celui qui accompagna la droite de Moïse de son bras glorieux, qui fendit les eaux devant eux pour se faire un renom éternel;

Isaïe 63, 13 qui les fit passer par les abîmes, comme un cheval passe dans le désert; ils ne trébuchèrent pas plus

Isaïe 63, 14 qu'une bête qui descend dans la vallée; l'Esprit de Yahvé les menait au repos. Ainsi as-tu conduit ton peuple pour te faire un nom glorieux.

Isaïe 63, 15 Regarde du ciel et vois, depuis ta demeure sainte et glorieuse. Où sont ta jalousie et ta puissance? Le frémissement de tes entrailles et ta piété pour moi se sont-ils contenus?

Isaïe 63, 16 Pourtant tu es notre père. Si Abraham ne nous a pas reconnus, si Israël ne se souvient plus de nous, toi, Yahvé, tu es notre père, notre rédempteur, tel est ton nom depuis toujours.

Isaïe 63, 17 Pourquoi, Yahvé, nous laisser errer loin de tes voies et endurcir nos coeurs en refusant ta crainte? Reviens, à cause de tes serviteurs et des tribus de ton héritage.

Isaïe 63, 18 Pour bien peu de temps ton peuple saint a joui de son héritage; nos ennemis ont piétiné ton sanctuaire.

Isaïe 63, 19 Nous sommes, depuis longtemps, des gens sur qui tu ne règnes plus et qui ne portent plus ton nom. Ah! si tu déchirais les cieux et descendais -- devant ta face les montagnes seraient ébranlées;

Isaïe 64, 1 comme le feu enflamme des bindilles, comme le feu fait bouillir l'eau -- pour faire connaître ton nom à tes adversaires, devant ta face les nations trembleraient

Isaïe 64, 2 quand tu ferais des prodiges inattendus. (Tu es descendu: devant ta face les montagnes ont été ébranlées.)

Isaïe 64, 3 Jamais on n'avait ouï dire, on n'avait pas entendu, et l'oeil n'avait pas vu un Dieu, toi excepté, agir ainsi en faveur de qui a confiance en lui.

Isaïe 64, 4 Tu as rencontré celui qui, plein d'allégresse, pratique la justice; en suivant tes voies, ils se souviendront de toi. Voici que toi, tu t'es irrité, et nous avons péché. Nous sommes à jamais dans tes voies et nous serons sauvés.

Isaïe 64, 5 Tous, nous étions comme des êtres impurs, et nos bonnes actions comme du linge souillé. Tous, nous nous flétrissons comme des feuilles mortes, et nos fautes nous emportent comme le vent.

Isaïe 64, 6 Plus personne pour invoquer ton nom, pour se réveiller en s'attachant à toi, car tu nous as caché ta face et tu nous as livrés au pouvoir de nos fautes.

Isaïe 64, 7 Et pourtant, Yahvé, tu es notre père, nous sommes l'argile, tu es notre potier, nous sommes tous l'oeuvre de tes mains.

Isaïe 64, 8 Yahvé, ne t'irrite pas à l'excès, ne garde pas à jamais le souvenir de la faute. Vois donc, nous sommes tous ton peuple.

Isaïe 64, 9 Tes villes saintes sont devenues un désert, Sion est devenue un désert, Jérusalem, un lieu désolé.

Isaïe 64, 10 Notre Temple saint et magnifique, où nos ancêtres te louaient, est devenu la proie du feu. Tout ce que nous aimions est devenu ruine.

Isaïe 64, 11 Peux-tu rester insensible à tout cela, Yahvé? Te taire serait nous humilier à l'excès.

Isaïe 65, 1 Je me suis laissé approcher par qui ne me questionnait pas, je me suis laissé trouver par qui ne me cherchait pas. J'ai dit: "Me voici! me voici!" à une nation qui n'invoquait pas mon nom.

Isaïe 65, 2 J'ai tendu les mains, chaque jour, vers un peuple rebelle, des gens qui suivent une voie mauvaise, au gré de leur fantaisie.

Isaïe 65, 3 Un peuple qui me provoque sans cesse en face, qui sacrifie dans les jardins, qui brûle de l'encens sur des briques,

Isaïe 65, 4 qui habite dans les tombeaux, passe la nuit dans les recoins, mange de la viande de porc et met dans ses plats des morceaux impurs.

Isaïe 65, 5 Ils disent: "Retire-toi, ne me touche pas, je te sanctifierai." Ces mots sont comme une fumée qui m'étouffe, un feu toujours brûlant.

Isaïe 65, 6 Voici, c'est écrit devant moi: je ne me tairai pas que je n'aie réglé leur compte, réglé à pleine mesure,

Isaïe 65, 7 puni vos fautes et les fautes de vos pères, toutes ensemble, dit Yahvé, eux qui ont brûlé des parfums sur les montagnes et m'ont outragé sur les collines; je mesurerai à pleine mesure leurs oeuvres anciennes.

Isaïe 65, 8 Ainsi parle Yahvé: Quand on trouve du jus dans une grappe, on dit: Ne la détruisez pas, car elle contient une bénédiction; ainsi ferai-je en faveur de mes serviteurs, je ne détruirai pas tout.

Isaïe 65, 9 Je ferai sortir de Jacob une race, je ferai de Juda l'héritier de mes montagnes, mes élus les posséderont, mes serviteurs y habiteront.

Isaïe 65, 10 Le pays de Saron deviendra un pâturage de brebis, la vallée d'Akor un pacage de boeufs, pour mon peuple qui m'aura cherché.

Isaïe 65, 11 Quant à vous tous qui abandonnez Yahvé, qui oubliez ma montagne sainte, qui dressez à Gad une table, qui versez à pleine coupe des mixtures pour Meni,

Isaïe 65, 12 je vous destinerai à l'épée, tous, vous courberez l'échine pour être massacrés, car j'ai appelé et vous n'avez pas répondu, j'ai parlé et vous n'avez pas écouté; vous avez fait ce qui est mal à mes yeux, vous avez choisi ce qui me déplaît.

Isaïe 65, 13 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé: Voici: mes serviteurs mangeront, mais vous, vous aurez faim; voici: mes serviteurs boiront, mais vous, vous aurez soif; voici: mes serviteurs seront dans la joie, et vous, dans la honte;

Isaïe 65, 14 voici: mes serviteurs crieront, dans la joie de leur coeur, et vous, vous pousserez des cris, dans la douleur de votre coeur, vous hurlerez dans l'accablement de votre esprit.

Isaïe 65, 15 Et vous laisserez votre nom comme imprécation pour mes élus: "Que le Seigneur Yahvé te fasse mourir!" mais à ses serviteurs il donnera un autre nom.

Isaïe 65, 16 Ceux qui se béniront sur terre se béniront par le Dieu de vérité, et ceux qui jureront sur terre jureront par le Dieu de vérité; on oubliera les angoisses anciennes, elles auront disparu de mes yeux.

Isaïe 65, 17 Car voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle, on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à l'esprit.

Isaïe 65, 18 Mais soyez pleins d'allégresse et exultez éternellement de ce que moi, je vais créer: car voici que je vais faire de Jérusalem une exultation et de mon peuple une allégresse.

Isaïe 65, 19 J'exulterai en Jérusalem, en mon peuple je serai plein d'allégresse, et l'on n'y entendra plus retentir les pleurs et les cris.

Isaïe 65, 20 Là, plus de nouveau-né qui ne vive que quelques jours, ni de vieillard qui n'accomplisse son temps; car le plus jeune mourra à l'âge de cent ans, c'est à cent ans que le pécheur sera maudit.

Isaïe 65, 21 Ils bâtiront des maisons et les habiteront, ils planteront des vignes et en mangeront les fruits.

Isaïe 65, 22 Ils ne bâtiront plus pour qu'un autre habite, ils ne planteront plus pour qu'un autre mange. Car les jours de mon peuple égaleront les jours des arbres, et mes élus useront ce que leurs mains auront fabriqué.

Isaïe 65, 23 Ils ne peineront pas en vain, ils n'enfanteront plus pour la terreur, mais ils seront une race de bénis de Yahvé, et leur descendance avec eux.

Isaïe 65, 24 Ainsi, avant qu'ils n'appellent, moi je répondrai, ils parleront encore que j'aurai déjà entendu.

Isaïe 65, 25 Le loup et l'agnelet paîtront ensemble, le lion comme le boeuf mangera de la paille, et le serpent se nourrira de poussière. On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, dit Yahvé.

Isaïe 66, 1 Ainsi parle Yahvé: Le ciel est mon trône, et la terre l'escabeau de mes pieds. Quelle maison pourriez-vous me bâtir, et quel pourrait être le lieu de mon repos,

Isaïe 66, 2 quand tout cela, c'est ma main qui l'a fait, quand tout cela est à moi, oracle de Yahvé! Mais celui sur qui je porte les yeux, c'est le pauvre et l'humilié, celui qui tremble à ma parole.

Isaïe 66, 3 On sacrifie le boeuf, on abat un homme; on immole l'agneau, on assomme un chien; on présente une offrande, c'est du sang de porc; on fait un mémorial d'encens, une bénédiction abominable; tous ces gens ont choisi leurs voies, et leur âme se complaît dans leurs horreurs.

Isaïe 66, 4 Moi aussi, j'ai plaisir à me moquer d'eux, j'amènerai sur eux ce qu'ils redoutent, parce que j'ai appelé et nul n'a répondu, j'ai parlé et nul n'a entendu; ils ont fait ce qui est mal à mes yeux, ils ont pris plaisir à ce qui me déplaît.

Isaïe 66, 5 Ecoutez la parole de Yahvé, vous qui tremblez à sa parole. Ils ont dit, vos frères qui vous haïssent et vous rejettent à cause de mon nom: "Que Yahvé manifeste sa gloire, et que nous soyons témoins de votre joie", mais c'est eux qui seront confondus!

Isaïe 66, 6 Une voix, une rumeur qui vient de la ville, une voix qui vient du sanctuaire, la voix de Yahvé qui paie leur salaire à ses ennemis.

Isaïe 66, 7 Avant d'être en travail elle a enfanté, avant que viennent les douleurs elle a accouché d'un garçon.

Isaïe 66, 8 Qui a jamais entendu rien de tel? Qui a jamais vu chose pareille? Peut-on mettre au monde un pays en un jour? Enfante-t-on une nation en une fois? A peine était-elle en travail que Sion a enfanté ses fils.

Isaïe 66, 9 Ouvrirais-je le sein pour ne pas faire naître? Dit Yahvé. Si c'est moi qui fais naître, fermerai-je le sein? Dit ton Dieu.

Isaïe 66, 10 Réjouissez-vous avec Jérusalem, exultez en elle, vous tous qui l'aimez, soyez avec elle dans l'allégresse, vous tous qui avez pris le deuil sur elle,

Isaïe 66, 11 afin que vous soyez allaités et rassasiés par son sein consolateur, afin que vous suciez avec délices sa mamelle plantureuse.

Isaïe 66, 12 Car ainsi parle Yahvé: Voici que je fais couler vers elle la paix comme un fleuve, et comme un torrent débordant, la gloire des nations. Vous serez allaités, on vous portera sur la hanche, on vous caressera en vous tenant les genoux.

Isaïe 66, 13 Comme celui que sa mère console, moi aussi, je vous consolerai, à Jérusalem vous serez consolés.

Isaïe 66, 14 A cette vue votre coeur sera dans la joie, et vos membres reprendront vigueur comme l'herbe; la main de Yahvé se fera connaître à ses serviteurs et sa colère à ses ennemis.

Isaïe 66, 15 Car voici que Yahvé arrive dans le feu, et ses chars sont comme l'ouragan, pour assouvir avec ardeur sa colère et sa menace par des flammes de feu.

Isaïe 66, 16 Car par le feu, Yahvé se fait juge, par son épée, sur toute chair; nombreuses seront les victimes de Yahvé.

Isaïe 66, 17 Ceux qui se sanctifient et se purifient pour entrer dans les jardins, derrière quelqu'un qui se tient au centre, qui mangent de la chair de porc, des choses abominables et du rat, d'un même coup finiront, oracle de Yahvé, leurs actions et leurs pensées.

Isaïe 66, 18 Mais moi je viendrai rassembler toutes les nations et toutes les langues, et elles viendront voir ma gloire.

Isaïe 66, 19 Je mettrai chez elles un signe et j'enverrai de leurs survivants vers les nations: vers Tarsis, Put, Lud, Méshek, Tubal et Yavân, vers les îles éloignées qui n'ont pas entendu parler de moi, et qui n'ont pas vu ma gloire. Ils feront connaître ma gloire aux nations,

Isaïe 66, 20 et de toutes les nations ils ramèneront tous vos frères en offrande à Yahvé, sur des chevaux, en char, en litière, sur des mulets et des chameaux, à ma montagne sainte, Jérusalem, dit Yahvé, comme les enfants d'Israël apportent les offrandes à la Maison de Yahvé dans des vases purs.

Isaïe 66, 21 Et de certains d'entre eux je me ferai des prêtres, des lévites, dit Yahvé.

Isaïe 66, 22 Car, de même que les cieux nouveaux et la terre nouvelle que je fais subsistent devant moi, oracle de Yahvé, ainsi subsistera votre race et votre nom.

Isaïe 66, 23 De nouvelle lune en nouvelle lune, et de sabbat en sabbat, toute chair viendra se prosterner devant ma face, dit Yahvé.

Isaïe 66, 24 Et on sortira pour voir les cadavres des hommes révoltés contre moi, car leur ver ne mourra pas et leur feu ne s'éteindra pas, ils seront en horreur à toute chair.

 

 

 

Jérémie

 

 

1, 1 Paroles de Jérémie, fils de Hilqiyyahu, l'un des prêtres résidant à Anatot, en territoire de Benjamin.

Jérémie 1, 2 A lui fut adressée la parole de Yahvé, aux jours de Josias, fils d'Amon, roi de Juda, la treizième année de son règne;

Jérémie 1, 3 puis aux jours de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda, jusqu'à la fin de la onzième année de Sédécias, fils de Josias, roi de Juda, jusqu'à la déportation de Jérusalem, au cinquième mois.

Jérémie 1, 4 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Jérémie 1, 5 Avant même de te former au ventre maternel, je t'ai connu; avant même que tu sois sorti du sein, je t'ai consacré; comme prophète des nations, je t'ai établi.

Jérémie 1, 6 Et je dis: "Ah! Seigneur Yahvé, vraiment, je ne sais pas parler, car je suis un enfant!"

Jérémie 1, 7 Mais Yahvé répondit: Ne dis pas: "Je suis un enfant!" car vers tous ceux à qui je t'enverrai, tu iras, et tout ce que je t'ordonnerai, tu le diras.

Jérémie 1, 8 N'aie aucune crainte en leur présence car je suis avec toi pour te délivrer, oracle de Yahvé.

Jérémie 1, 9 Alors Yahvé étendit la main et me toucha la bouche; et Yahvé me dit: Voici que j'ai placé mes paroles en ta bouche.

Jérémie 1, 10 Vois! Aujourd'hui même je t'établis sur les nations et sur les royaumes, pour arracher et renverser, pour exterminer et démolir, pour bâtir et planter.

Jérémie 1, 11 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes: "Que vois-tu, Jérémie?" Je répondis: "Je vois une branche de veilleur."

Jérémie 1, 12 Alors Yahvé me dit: "Tu as bien vu, car je veille sur ma parole pour l'accomplir."

Jérémie 1, 13 Une seconde fois, la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes: "Que vois-tu?" Je répondis: "Je vois une marmite qui bouillonne: sa gueule regarde depuis le Nord."

Jérémie 1, 14 Alors Yahvé me dit: C'est du Nord que va déborder le malheur sur tous les habitants du pays;

Jérémie 1, 15 car voici que j'appelle toutes les familles des royaumes du Nord, oracle de Yahvé. Ils viendront et chacun placera son trône à l'entrée des portes de Jérusalem, contre ses remparts, tout autour, et contre toutes les villes de Juda.

Jérémie 1, 16 Je prononcerai contre eux mes jugements à cause de toute leur méchanceté, car ils m'ont abandonné, ils ont encensé d'autres dieux, ils se sont prosternés devant l'oeuvre de leurs mains.

Jérémie 1, 17 Quant à toi, tu te ceindras les reins, tu te lèveras, tu leur diras tout ce que je t'ordonnerai, moi. Ne tremble point devant eux, sinon je te ferai trembler devant eux.

Jérémie 1, 18 Voici que moi, aujourd'hui même, je t'ai établi comme ville fortifiée, colonne de fer et rempart de bronze devant tout le pays: les rois de Juda, ses princes, ses prêtres et le peuple du pays.

Jérémie 1, 19 Ils lutteront contre toi, mais ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi - oracle de Yahvé - pour te délivrer.

Jérémie 2, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Jérémie 2, 2 Va crier ceci aux oreilles de Jérusalem. Ainsi parle Yahvé: Je me rappelle l'affection de ta jeunesse, l'amour de tes fiançailles, alors que tu marchais derrière moi au désert, dans une terre qui n'est pas ensemencée.

Jérémie 2, 3 Israël était une part sainte pour Yahvé, les prémices de sa récolte; tous ceux qui en mangeaient étaient coupables, le malheur fondait sur eux, oracle de Yahvé.

Jérémie 2, 4 Ecoutez la parole de Yahvé, maison de Jacob et toutes les familles de la maison d'Israël.

Jérémie 2, 5 Ainsi parle Yahvé: En quoi vos pères m'ont-ils trouvé injuste pour s'être éloignés de moi, pour marcher derrière la Vanité et devenir eux-mêmes vanité?

Jérémie 2, 6 Ils n'ont pas dit: "Où est Yahvé qui nous fit monter du pays d'Egypte et nous fit marcher dans le désert, dans une terre aride et ravinée, dans une terre desséchée et obscure, terre que personne ne parcourt, où nul homme ne se fixe?"

Jérémie 2, 7 Pourtant je vous ai conduits au pays du verger pour vous rassasier de ses fruits et de ses biens; vous êtes entrés et vous avez souillé mon pays, mon héritage, vous l'avez changé en abomination.

Jérémie 2, 8 Les prêtres n'ont pas dit: "Où est Yahvé?" Les dépositaires de la Loi ne m'ont pas connu; les pasteurs se sont révoltés contre moi; les prophètes ont prophétisé par Baal, ils ont suivi des Impuissants.

Jérémie 2, 9 Aussi vais-je encore plaider contre vous - oracle de Yahvé - et plaider contre les fils de vos fils:

Jérémie 2, 10 Passez donc aux îles des Kittim et voyez, envoyez enquêter à Qédar et examinez bien, voyez si chose semblable s'est produite!

Jérémie 2, 11 Une nation change-t-elle de dieux? Or ce ne sont pas même des dieux! Et mon peuple a échangé sa Gloire contre l'Impuissance!

Jérémie 2, 12 Cieux, soyez-en étonnés, horrifiés, saisis d'une grande épouvante, oracle de Yahvé.

Jérémie 2, 13 Car mon peuple a commis deux crimes: Ils m'ont abandonné, moi la source d'eau vive, pour se creuser des citernes, citernes lézardées qui ne tiennent pas l'eau.

Jérémie 2, 14 Israël est-il un esclave? Est-il un domestique pour qu'on en fasse un butin?

Jérémie 2, 15 Contre lui des lions ont rugi, poussé leur hurlement. Ils ont réduit sa terre en solitude, ses villes incendiées n'ont plus d'habitants.

Jérémie 2, 16 Même ceux de Noph et de Tahpanhès t'ont rasé le crâne!

Jérémie 2, 17 N'as-tu pas provoqué cela pour avoir abandonné Yahvé ton Dieu, alors qu'il te guidait sur ta route?

Jérémie 2, 18 Et maintenant, à quoi bon partir en Egypte pour boire l'eau du Nil? A quoi bon partir en Assyrie pour boire l'eau du Fleuve?

Jérémie 2, 19 Que ta méchanceté te châtie et que tes infidélités te punissent! Comprends et vois comme il est mauvais et amer d'abandonner Yahvé ton Dieu et de ne plus trembler devant moi, oracle du Seigneur Yahvé Sabaot.

Jérémie 2, 20 Oui, depuis longtemps tu as brisé ton joug, rompu tes liens, tu as dit: je ne servirai pas. Et pourtant, sur toute colline élevée et sous tout arbre vert, tu t'es couchée comme une prostituée.

Jérémie 2, 21 Moi, cependant, je t'avais plantée comme un cep de choix, tout entier d'excellente semence. Comment t'es-tu changée pour moi en sauvageons d'une vigne étrangère?

Jérémie 2, 22 Quand tu te lessiverais à la potasse, en y mettant beaucoup de savon, ton iniquité resterait marquée devant moi, oracle du Seigneur Yahvé.

Jérémie 2, 23 Comment oses-tu dire: "Je ne suis pas souillée, après les Baals je n'ai pas couru?" Regarde tes traces dans la Vallée, reconnais ce que tu as fait. Chamelle écervelée, courant en tout sens,

Jérémie 2, 24 ânesse sauvage, habituée au désert, dans l'ardeur de son désir, elle aspire le vent; son rut, qui le freinera? Quiconque veut la chercher n'a aucune peine: il la trouve en son mois.

Jérémie 2, 25 Prends garde! Ton pied va se déchausser et ta gorge se dessécher. Mais tu dis: "Non! Inutile! car j'aime les Etrangers et je veux courir après eux."

Jérémie 2, 26 Tel un voleur honteux d'être pris, ainsi seront honteux les gens de la maison d'Israël: eux, leurs rois, leurs princes, leurs prêtres et leurs prophètes,

Jérémie 2, 27 qui disent au bois: "Tu es mon père!" et à la pierre: "Toi, tu m'as enfanté!" Car ils tournent vers moi leur dos et non leur face; mais au temps de leur malheur ils crient: "Lève-toi! Sauve-nous!"

Jérémie 2, 28 Où sont-ils, les dieux que tu t'es fabriqués? Qu'ils se lèvent s'ils peuvent te sauver au temps de ton malheur! Car aussi nombreux que tes villes sont tes dieux, ô Juda!

Jérémie 2, 29 Pourquoi me faites-vous un procès? Vous m'avez tous été infidèles, oracle de Yahvé.

Jérémie 2, 30 En vain j'ai frappé vos fils: ils n'ont pas accueilli la leçon; votre épée à dévoré vos prophètes, comme un lion destructeur.

Jérémie 2, 31 Et vous, de cette génération, voyez la parole de Yahvé: Ai-je été un désert pour Israël, ou une terre ténébreuse? Pourquoi mon peuple dit-il: "Nous vagabondons, nous n'irons plus à toi?"

Jérémie 2, 32 Une vierge oublie-t-elle ses parures, une fiancée sa ceinture? Mais mon peuple m'a oublié depuis des jours sans nombre.

Jérémie 2, 33 Ah! comme tu t'es tracé un bon chemin pour quêter l'amour! Aussi, même avec le crime tu as familiarisé tes voies.

Jérémie 2, 34 Jusque sur les pans de ta robe on trouve le sang des pauvres, des innocents que tu n'as pas surpris à forcer des portes! Et malgré tout cela,

Jérémie 2, 35 tu dis: "Je suis innocente, que sa colère se détourne de moi!" Me voici pour te juger puisque tu dis: "Je n'ai pas péché."

Jérémie 2, 36 Que tu mets de légèreté à changer de voie! Pourtant tu auras honte de l'Egypte comme tu as eu honte de l'Assyrie.

Jérémie 2, 37 De là aussi tu devras sortir les mains sur la tête, car Yahvé a rejeté ceux auxquels tu te fies, tu n'auras pas de chance avec eux!

Jérémie 3, 1 Si un homme répudie sa femme, et que celle-ci le quitte et appartient à un autre, a-t-il encore le droit de revenir à elle? N'est-elle pas totalement profanée, cette terre-là? Et toi qui t'es prostituée à de nombreux amants, tu prétends revenir à moi! Oracle de Yahvé.

Jérémie 3, 2 Lève les yeux vers les monts chauves et regarde. Où ne t'es-tu pas livrée? Tu étais là, pour eux, le long des chemins, comme l'Arabe au désert. Tu as profané le pays par tes prostitutions et tes forfaits;

Jérémie 3, 3 aussi les pluies furent-elle retenues et l'ondée tardive ne vint plus. Mais tu conservais un front de prostituée, refusant de rougir.

Jérémie 3, 4 Dès maintenant, ne me cries-tu pas: "Mon père! L'ami de ma jeunesse, c'est toi!

Jérémie 3, 5 Gardera-t-il toujours sa rancune, va-t-il éterniser son courroux?" Tu parles ainsi en commettant tes crimes, obstinée que tu es.

Jérémie 3, 6 Yahvé me dit au temps du roi Josias: As-tu vu ce qu'a fait Israël la rebelle? Elle se rendait sur toute montagne élevée, sous tout arbre vert, et s'y prostituait.

Jérémie 3, 7 Je me disais: "Après avoir fait tout cela, elle reviendra à moi"; mais elle ne revint pas. Juda, sa soeur perfide, a vu cela.

Jérémie 3, 8 Elle a vu aussi que j'ai répudié la rebelle Israël pour tous ses adultères et lui ai donné son acte de divorce. Or la perfide Juda, sa soeur, n'a pas eu de crainte; elle est allée, elle aussi, se prostituer.

Jérémie 3, 9 Et avec sa prostitution éhontée, elle a profané le pays; elle a commis l'adultère avec la pierre et le bois.

Jérémie 3, 10 En plus de tout cela, Juda, sa soeur perfide, n'est pas revenue à moi de tout son coeur, mais avec imposture, oracle de Yahvé.

Jérémie 3, 11 Et Yahvé me dit: Israël la rebelle est juste, comparée à Juda la perfide.

Jérémie 3, 12 Va donc crier ces paroles du côté du Nord; tu diras: Reviens, rebelle Israël, oracle de Yahvé. Je n'aurai plus pour vous un visage sévère, car je suis miséricordieux - oracle de Yahvé - je ne garde pas toujours ma rancune.

Jérémie 3, 13 Reconnais seulement ta faute: tu t'es révoltée contre Yahvé ton Dieu, tu as couru en tous sens vers les Etrangers, sous tout arbre vert, et vous n'avez pas écouté ma voix, oracle de Yahvé.

Jérémie 3, 14 Revenez, fils rebelles - oracle de Yahvé - car c'est moi votre Maître. Je vous prendrai, un d'une ville, deux d'une famille, pour vous amener à Sion.

Jérémie 3, 15 Je vous donnerai des pasteurs selon mon coeur, qui vous paîtront avec intelligence et prudence.

Jérémie 3, 16 Et quand vous vous serez multipliés et que vous aurez fructifié dans le pays, en ces jours-là - oracle de Yahvé - on ne dira plus: "Arche de l'alliance de Yahvé"; on n'y pensera plus, on ne s'en souviendra plus, on ne s'en préoccupera plus, on n'en construira plus d'autre.

Jérémie 3, 17 En ce temps-là, on appellera Jérusalem: "Trône de Yahvé"; toutes les nations convergeront vers elle, vers le nom de Yahvé, à Jérusalem, et elles ne suivront plus l'obstination de leur coeur mauvais.

Jérémie 3, 18 En ces jours-là, la maison de Juda ira vers la maison d'Israël; ensemble elles viendront du pays du Nord, vers le pays que j'ai donné en héritage à vos pères.

Jérémie 3, 19 Et moi qui m'étais dit: Comment te placerai-je au rang des fils? Je te donnerai une terre de délices, l'héritage le plus précieux d'entre les nations. Je me disais: Vous m'appellerez "Mon Père" et vous ne vous séparerez pas de moi.

Jérémie 3, 20 Mais comme une femme qui trahit son compagnon, ainsi m'avez-vous trahi, maison d'Israël, oracle de Yahvé.

Jérémie 3, 21 Sur les monts chauves, un cri s'est fait entendre: pleurs et supplications des enfants d'Israël; car ils ont gauchi leur voie, oublié Yahvé leur Dieu. -

Jérémie 3, 22 Revenez, fils rebelles, je veux guérir vos rébellions! - Nous voici, nous venons à toi, car tu es Yahvé notre Dieu.

Jérémie 3, 23 En vérité, les collines ne sont que duperie, ainsi que le tumulte des montagnes. En vérité, c'est en Yahvé notre Dieu qu'est le salut d'Israël.

Jérémie 3, 24 La Honte a dévoré le travail de nos pères depuis notre jeunesse, leur petit et leur gros bétail, leurs fils et leurs filles.

Jérémie 3, 25 Couchons-nous dans notre honte, que nous couvre notre confusion! Car contre Yahvé notre Dieu, nous avons péché, nous et nos pères, depuis notre jeunesse jusqu'à ce jour même, et nous n'avons pas écouté la voix de Yahvé notre Dieu. -

Jérémie 4, 1 Si tu reviens, Israël, oracle de Yahvé, si tu reviens à moi, si tu ôtes de devant moi tes Horreurs, si tu ne vagabondes plus,

Jérémie 4, 2 si tu jures par Yahvé vivant, en vérité, droiture et justice, alors les nations se béniront en lui, en lui elles se glorifieront.

Jérémie 4, 3 Car ainsi parle Yahvé aux gens de Juda et à Jérusalem: Défrichez pour vous ce qui est en friche, ne semez rien parmi les épines.

Jérémie 4, 4 Circoncisez-vous pour Yahvé, ôtez le prépuce de votre coeur, gens de Juda et habitants de Jérusalem, sinon ma colère jaillira comme un feu, elle brûlera sans personne pour éteindre, à cause de la méchanceté de vos actions.

Jérémie 4, 5 Publiez-le dans Juda, annoncez-le dans Jérusalem, dites-le! Sonnez du cor dans le pays, criez à pleine voix et dites: Rassemblement! Gagnons les villes fortifiées!

Jérémie 4, 6 Dressez un signal à Sion! Fuyez! Pas d'arrêt! Car c'est un malheur que j'amène du Nord, un immense désastre.

Jérémie 4, 7 Le lion est monté de son fourré, le destructeur des nations s'est mis en marche, il est sorti de sa demeure pour transformer ton pays en solitude; tes villes seront détruites et dépeuplées.

Jérémie 4, 8 Aussi, revêtez-vous de sacs, lamentez-vous, poussez des hurlements, car elle ne s'est pas écartée de nous, l'ardente colère de Yahvé.

Jérémie 4, 9 En ce jour-là - oracle de Yahvé - le coeur manquera au roi, il manquera aux chefs; les prêtres seront frappés de stupeur et les prophètes d'effroi.

Jérémie 4, 10 Et je dis: "Ah! Seigneur Yahvé, tu as vraiment trompé ce peuple et Jérusalem quand tu disais: Vous aurez la paix alors que l'épée nous a frappés à mort!"

Jérémie 4, 11 En ce temps-là on dira à ce peuple et à Jérusalem: le vent brûlant des hauteurs, au désert, arrive sur la fille de mon peuple. - Ce n'est ni pour vanner ni pour épurer! -

Jérémie 4, 12 Un vent impétueux me vient de là-bas. Maintenant c'est moi qui vais prononcer sur eux le jugement!

Jérémie 4, 13 Voici qu'il s'avance comme les nuées, ses chars sont comme l'ouragan, ses chevaux vont plus vite que des aigles. Malheur à nous! Nous sommes perdus!

Jérémie 4, 14 Purifie ton coeur du mal, Jérusalem, afin d'être sauvée. Jusques à quand abriteras-tu en ton sein tes coupables pensées?

Jérémie 4, 15 Car une voix crie la nouvelle depuis Dan, depuis la montagne d'Ephraïm elle annonce la calamité.

Jérémie 4, 16 Faites savoir ceci aux nations, proclamez-le contre Jérusalem: les ennemis arrivent d'un lointain pays et poussent leur cri contre les villes de Juda;

Jérémie 4, 17 comme les gardiens d'un champ, ils l'entourent, car elle s'est révoltée contre moi, oracle de Yahvé.

Jérémie 4, 18 Ta conduite et tes actions t'ont valu cela: Voilà ton malheur, comme il est amer! comme il te frappe au coeur!

Jérémie 4, 19 Mes entrailles! Mes entrailles! Que je souffre! Parois de mon coeur! Mon coeur s'agite en moi! Je ne puis me taire car j'ai entendu l'appel du cor, le cri de guerre.

Jérémie 4, 20 On annonce désastre sur désastre: tout le pays est dévasté, d'un coup mes tentes sont détruites, mes abris, en un clin d'oeil.

Jérémie 4, 21 Jusques à quand verrai-je le signal, entendrai-je l'appel du cor? -

Jérémie 4, 22 C'est que mon peuple est stupide, ils ne me connaissent pas, ce sont des enfants sans réflexion, ils n'ont pas d'intelligence; ils sont sages pour faire le mal, mais ne savent pas faire le bien.

Jérémie 4, 23 J'ai regardé la terre: un chaos; les cieux: leur lumière a disparu.

Jérémie 4, 24 J'ai regardé les montagnes: elles tremblent, toutes les collines sont secouées.

Jérémie 4, 25 J'ai regardé: plus d'hommes; tous les oiseaux du ciel ont fui.

Jérémie 4, 26 J'ai regardé: le verger est un désert, toutes ses villes sont détruites devant Yahvé, devant l'ardeur de sa colère.

Jérémie 4, 27 Oui, ainsi parle Yahvé: Tout le pays sera désolé, mais je ne l'exterminerai pas totalement.

Jérémie 4, 28 A cause de cela, la terre sera en deuil et le ciel, là-haut, s'assombrira! Car j'ai parlé, j'ai décidé, je ne m'en repentirai ni n'en reviendrai.

Jérémie 4, 29 Devant la clameur du cavalier et de l'archer, toute la ville est en fuite: on s'enfonce dans les taillis, on escalade les rochers; toute ville est abandonnée, plus personne n'y habite.

Jérémie 4, 30 Et toi, la dévastée, que vas-tu faire? Même si tu t'habilles de pourpre, te pares de joyaux d'or et t'agrandis les yeux à force de fard, c'est en vain que tu te fais belle! Ceux qui étaient épris de toi te dédaignent, ils en veulent à ta vie.

Jérémie 4, 31 Oui, j'entends les cris comme d'une femme en travail, c'est comme l'angoisse de celle qui accouche; ce sont les cris de la fille de Sion qui s'essouffle et qui tend les mains: "Malheur à moi, je succombe sous les coups des meurtriers!"

Jérémie 5, 1 Parcourez les rues de Jérusalem, regardez donc, renseignez-vous, cherchez sur ses places si vous découvrez un homme, un qui pratique le droit, qui recherche la vérité: alors je pardonnerai à cette ville, dit Yahvé.

Jérémie 5, 2 Mais s'ils disent: "Par Yahvé vivant", c'est pour un mensonge qu'ils jurent.

Jérémie 5, 3 N'est-ce pas la vérité que tes yeux veulent voir, Yahvé? Tu les as frappés: ils n'ont rien senti. Tu les as exterminés: ils ont refusé la leçon. Ils ont rendu leur visage plus dur que le roc, ils ont refusé de se convertir.

Jérémie 5, 4 Je me disais: "Ce ne sont que de pauvres gens, ils agissent follement parce qu'ils ne connaissent pas la voie de Yahvé ni le droit de leur Dieu.

Jérémie 5, 5 J'irai donc vers les grands et je leur parlerai, car ils connaissent, eux, la voie de Yahvé et le droit de leur Dieu!" Or eux aussi ont brisé le joug, rompu les liens!

Jérémie 5, 6 Voilà pourquoi le lion de la forêt les attaque, le loup des steppes les dévaste, la panthère est aux aguets devant leurs villes: quiconque en sort est mis en pièces. C'est que leurs crimes sont nombreux, multiples leurs rébellions.

Jérémie 5, 7 Pourquoi te pardonnerais-je? Tes fils m'ont abandonné, jurant par des dieux qui n'en sont pas. Je les rassasiais et ils devenaient adultères; ils se précipitaient à la maison de la prostituée.

Jérémie 5, 8 Ce sont des chevaux repus et vagabonds, chacun hennit après la femme du voisin.

Jérémie 5, 9 Et je ne châtierais pas ces actions, - oracle de Yahvé - d'une nation comme celle-là je ne tirerais pas vengeance?

Jérémie 5, 10 Escaladez ses terrasses! Détruisez! Mais ne l'exterminez pas complètement! Arrachez ses sarments, car ils n'appartiennent pas à Yahvé!

Jérémie 5, 11 Oui, elles m'ont vraiment trahi, la maison d'Israël et la maison de Juda, oracle de Yahvé.

Jérémie 5, 12 Ils ont renié Yahvé, ils ont dits: "Il n'est pas! Aucun malheur ne nous atteindra, nous ne verrons ni épée ni famine!

Jérémie 5, 13 Quant aux prophètes, ils ne sont que du vent et la parole n'est pas en eux; que leur arrive tout cela!"

Jérémie 5, 14 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé, le Dieu Sabaot: Puisque vous avez parlé ainsi, moi je ferai de mes paroles un feu dans ta bouche, et de ce peuple du bois que ce feu dévorera.

Jérémie 5, 15 Moi, j'amènerai sur vous de très loin une nation, maison d'Israël - oracle de Yahvé. C'est une nation durable, c'est une nation très ancienne, une nation dont tu ne sais pas la langue et ne comprends pas ce qu'elle dit.

Jérémie 5, 16 Son carquois est un sépulcre béant; c'est une nation de héros.

Jérémie 5, 17 Elle dévorera ta moisson et ton pain, elle dévorera tes fils et tes filles, elle dévorera ton petit et ton gros bétail, elle dévorera ta vigne et ton figuier; par l'épée, elle viendra à bout de ces villes fortes en lesquelles tu mets ta confiance.

Jérémie 5, 18 Pourtant, même en ces jours-là - oracle de Yahvé - je ne vous exterminerai pas complètement.

Jérémie 5, 19 Et quand vous demanderez: "Pourquoi Yahvé, notre Dieu, nous a-t-il fait tout cela?" Tu leur répondras: "De même que vous m'avez abandonné pour servir en votre pays des dieux étrangers, de même vous servirez des étrangers en un pays qui n'est pas le vôtre."

Jérémie 5, 20 Faites cette annonce dans la maison de Jacob, proclamez-la dans Juda en ces termes:

Jérémie 5, 21 Ecoutez donc ceci, peuple stupide et sans cervelle! Avec leurs yeux ils ne voient rien, avec leurs oreilles ils n'entendent rien.

Jérémie 5, 22 Moi, ne me craindrez-vous pas? Oracle - de Yahvé - ne tremblerez-vous pas devant moi qui ai posé le sable pour limite à la mer, barrière éternelle qu'elle ne franchira point: ses flots s'agitent, mais sont impuissants, ils mugissent, mais ne la franchissent pas.

Jérémie 5, 23 Mais ce peuple possède un coeur dévoyé et rebelle; ils se sont dévoyés et ils s'en sont allés!

Jérémie 5, 24 Ils n'ont pas dit en leur coeur: "Craignons donc Yahvé notre Dieu, qui donne la pluie, celle de l'automne et celle du printemps, selon son temps, et qui nous réserve des semaines fixes pour la moisson."

Jérémie 5, 25 Vos fautes ont dérangé cet ordre, vos péchés ont écarté de vous ces biens.

Jérémie 5, 26 Oui, il se trouve en mon peuple des malfaisants, ils guettent comme des oiseleurs à l'affût; ils posent des pièges et ils attrapent des hommes.

Jérémie 5, 27 Telle une cage pleine d'oiseaux, ainsi leurs maisons sont-elles pleines de rapines; de la sorte ils sont devenus importants et riches,

Jérémie 5, 28 ils sont gras, ils sont reluisants, ils ont même passé la mesure du mal: ils ne respectent pas le droit, le droit des orphelins, pourtant ils réussissent! Ils n'ont pas rendu justice aux indigents,

Jérémie 5, 29 et je ne châtierais pas ces actions - oracle de Yahvé - ou d'une nation comme celle-là je ne tirerais pas vengeance?

Jérémie 5, 30 Des choses horribles, abominables, se passent dans ce pays:

Jérémie 5, 31 Les prophètes prophétisent le mensonge, les prêtres font du profit. Et mon peuple aime cela! Mais que ferez-vous quand viendra la fin?

Jérémie 6, 1 Fuyez, gens de Benjamin, du milieu de Jérusalem! A Teqoa sonnez du cor! Sur Bet-ha-Kérem dressez un signal! Car du Nord survient un malheur, un grand désastre.

Jérémie 6, 2 La belle, la délicate, je la détruis, la fille de Sion!

Jérémie 6, 3 Vers elle arrivent des pasteurs avec leurs troupeaux! Tout autour d'elle ils ont dressé des tentes, chacun broute sa part.

Jérémie 6, 4 Préparez contre elle le saint combat! Debout! Montons à l'assaut en plein midi! Malheur à nous! déjà le jour décline, les ombres du soir s'allongent.

Jérémie 6, 5 Debout! Montons de nuit à l'assaut, que nous détruisions ses palais!

Jérémie 6, 6 Car ainsi parle Yahvé Sabaot: Abattez des arbres, devant Jérusalem, construisez une levée: c'est la ville qui va recevoir ma visite, elle en qui il n'y a qu'oppression.

Jérémie 6, 7 Comme un puits qui fait sourdre son eau, ainsi fait-elle sourdre sa méchanceté. Violence et dévastation, voilà ce qu'on y entend; devant moi, constamment, maladies et blessures.

Jérémie 6, 8 Corrige-toi, Jérusalem, sinon mon âme se détournera de toi, sinon je te réduirai en solitude, en pays inhabité.

Jérémie 6, 9 Ainsi parle Yahvé Sabaot: On va grappiller, grappiller comme sur une vigne, ce qui reste d'Israël; repasse la main, comme le vendangeur sur les pampres! -

Jérémie 6, 10 A qui dois-je parler, devant qui témoigner pour qu'ils écoutent? Voici: leur oreille est incirconcise, ils ne peuvent pas être attentifs. Voici: la parole de Yahvé leur est un objet de raillerie, ils n'y ont plus goût.

Jérémie 6, 11 Je suis rempli de la colère de Yahvé, je suis las de la contenir! - Déverse-la donc sur l'enfant dans la rue, et aussi sur les réunions des jeunes gens. Ils seront pris, le mari comme la femme et le vieillard, l'homme plein de jours.

Jérémie 6, 12 Leurs maisons passeront à d'autres, leurs champs et leurs femmes ensemble. Oui, j'étendrai la main sur les habitants de ce pays - oracle de Yahvé!

Jérémie 6, 13 Car du plus petit au plus grand, tous sont avides de rapine; prophète comme prêtre, tous ils pratiquent le mensonge.

Jérémie 6, 14 Ils pansent à la légère la blessure de mon peuple en disant: "Paix! Paix!" alors qu'il n'y a point de paix.

Jérémie 6, 15 Les voilà dans la honte pour leurs actes abominables, mais déjà ils ne sentent plus la honte, ils ne savent même plus rougir. Aussi tomberont-ils parmi ceux qui tombent, ils trébucheront quand je les visiterai, dit Yahvé.

Jérémie 6, 16 Ainsi parle Yahvé: Arrêtez-vous sur les routes et voyez, renseignez-vous sur les chemins de jadis: quelle était la voie du bien? Suivez-la et vous trouverez le repos pour vos âmes. Mais ils ont dit: "Nous ne la suivrons pas!"

Jérémie 6, 17 Je vous ai installé des guetteurs: "Attention au signal du cor!" Mais ils ont dit: "Nous n'y prêterons pas attention!"

Jérémie 6, 18 Alors, nations, écoutez, assemblée, connais ce qui va leur arriver!

Jérémie 6, 19 Terre, écoute! Voici que j'amène un malheur sur ce peuple-là: c'est le fruit de leurs pensées, car ils n'ont pas fait attention à mes paroles et ils ont méprisé ma loi.

Jérémie 6, 20 Que m'importe l'encens importé de Sheba, le roseau odorant qui vient d'un lointain pays? Vos holocaustes ne me plaisent pas, vos sacrifices ne m'agréent pas.

Jérémie 6, 21 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé: Voici, je vais dresser devant ce peuple des obstacles où ils trébucheront. Père et fils, tous ensemble, voisin et ami, ils périront.

Jérémie 6, 22 Ainsi parle Yahvé: Voici qu'un peuple arrive du Nord, une grande nation se lève des confins de la terre;

Jérémie 6, 23 ils tiennent fermement l'arc et le javelot, ils sont barbares et impitoyables; leur bruit est comme le mugissement de la mer; ils montent des chevaux, ils sont prêts à combattre comme un seul homme contre toi, fille de Sion.

Jérémie 6, 24 Nous avons appris la nouvelle, nos mains ont défailli, l'angoisse nous a pris, une douleur comme pour celle qui enfante.

Jérémie 6, 25 Ne sortez pas dans la campagne, ne vous risquez pas sur les routes, car l'ennemi porte l'épée: terreur de tous côtés!

Jérémie 6, 26 Fille de mon peuple, revêts le sac, roule-toi dans la cendre, fais un deuil comme pour un fils unique, une lamentation amère, car soudain il arrive sur nous, le dévastateur.

Jérémie 6, 27 Je t'ai établi comme celui qui éprouve mon peuple, pour que tu connaisses et éprouves leur conduite.

Jérémie 6, 28 Tous, ils sont totalement rebelles, semeurs de calomnies, durs comme bronze et fer, ce sont tous des destructeurs.

Jérémie 6, 29 Le soufflet est haletant, pour que le plomb soit dévoré par le feu. Vainement le fondeur s'emploie à fondre, les scories ne se détachent point.

Jérémie 6, 30 "Argent de rebut", voilà comme on les nomme! Oui, Yahvé les a mis au rebut!

Jérémie 7, 1 Parole qui fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé en ces termes:

Jérémie 7, 2 Tiens-toi à la porte du Temple de Yahvé, proclames-y cette parole et dis: Ecoutez la parole de Yahvé, vous tous les Judéens qui entrez par ces portes pour vous prosterner devant Yahvé.

Jérémie 7, 3 Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: Améliorez vos voies et vos oeuvres et je vous ferai demeurer en ce lieu.

Jérémie 7, 4 Ne vous fiez pas aux paroles mensongères: "C'est le sanctuaire de Yahvé, le sanctuaire de Yahvé, le sanctuaire de Yahvé!"

Jérémie 7, 5 Mais si vous améliorez réellement vos voies et vos oeuvres, si vous avez un vrai souci du droit, chacun avec son prochain,

Jérémie 7, 6 si vous n'opprimez pas l'étranger, l'orphelin et la veuve, si vous ne répandez pas le sang innocent en ce lieu et si vous n'allez pas, pour votre malheur, à la suite d'autres dieux,

Jérémie 7, 7 alors je vous ferai demeurer en ce lieu, dans le pays que j'ai donné à vos pères depuis toujours et pour toujours.

Jérémie 7, 8 Mais voici que vous vous fiez à des paroles mensongères, à ce qui est vain.

Jérémie 7, 9 Quoi! Voler, tuer, commettre l'adultère, se parjurer, encenser Baal, suivre des dieux étrangers que vous ne connaissez pas,

Jérémie 7, 10 puis venir se présenter devant moi en ce Temple qui porte mon nom, et dire: "Nous voilà en sûreté!" pour continuer toutes ces abominations!

Jérémie 7, 11 A vos yeux, est-ce un repaire de brigands, ce Temple qui porte mon nom? Moi, en tout cas, je vois clair, oracle de Yahvé!

Jérémie 7, 12 Allez donc au lieu qui fut le mien, à Silo: autrefois j'y fis habiter mon Nom; regardez ce que j'en ai fait, à cause de la perversité de mon peuple Israël.

Jérémie 7, 13 Et maintenant, puisque vous avez commis tous ces actes - oracle de Yahvé - puisque vous n'avez pas écouté quand je vous parlais instamment et sans me lasser, et que vous n'avez pas répondu à mes appels,

Jérémie 7, 14 je vais traiter ce Temple qui porte mon nom, et dans lequel vous placez votre confiance, ce lieu que j'ai donné à vous et à vos pères, comme j'ai traité Silo.

Jérémie 7, 15 Je vous rejetterai de devant moi comme j'ai rejeté tous vos frères, toute la race d'Ephraïm.

Jérémie 7, 16 Et toi, n'intercède pas pour ce peuple-là, n'élève en leur faveur ni plainte ni prière, n'insiste pas auprès de moi, car je ne veux pas t'écouter.

Jérémie 7, 17 Tu ne vois donc pas ce qu'ils font dans les villes de Juda et dans les rues de Jérusalem?

Jérémie 7, 18 Les fils ramassent le bois, les pères allument le feu, les femmes pétrissent la pâte pour faire des gâteaux à la Reine du Ciel; et puis on verse des libations à des dieux étrangers pour me blesser.

Jérémie 7, 19 Est-ce bien moi qu'ils blessent - oracle de Yahvé - n'est-ce pas plutôt eux-mêmes pour leur propre honte?

Jérémie 7, 20 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé: Voici, ma colère, ma fureur va se déverser sur ce lieu, sur les hommes et le bétail, sur les arbres de la campagne et les fruits du sol; elle va brûler sans s'éteindre.

Jérémie 7, 21 Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: Ajoutez vos holocaustes à vos sacrifices et mangez-en la chair!

Jérémie 7, 22 Car je n'ai rien dit ni prescrit à vos pères, quand je les fis sortir du pays d'Egypte, concernant l'holocauste et le sacrifice.

Jérémie 7, 23 Mais voici ce que je leur ai ordonné: Ecoutez ma voix, alors je serai votre Dieu et vous serez mon peuple. Suivez en tout la voie que je vous prescris pour votre bonheur.

Jérémie 7, 24 Mais ils n'ont pas écouté ni prêté l'oreille; ils ont marché selon leurs desseins, dans l'obstination de leur coeur mauvais, tournés vers l'arrière et non vers l'avant.

Jérémie 7, 25 Depuis le jour où vos pères sont sortis du pays d'Egypte jusqu'à aujourd'hui, je vous ai envoyé tous mes serviteurs, les prophètes; chaque jour je les ai envoyés, sans me lasser.

Jérémie 7, 26 Mais ils ne m'ont pas écouté, ils n'ont pas prêté l'oreille, ils ont raidi leur nuque, ils ont été pires que leurs pères.

Jérémie 7, 27 Tu leur diras toutes ces paroles: ils ne t'écouteront pas. Tu les appelleras: ils ne te répondront pas.

Jérémie 7, 28 Tu leur diras: Voilà la nation qui n'écoute pas la voix de Yahvé son Dieu et ne se laisse pas instruire. La fidélité n'est plus: elle a disparu de leur bouche.

Jérémie 7, 29 Coupe tes longs cheveux, jette-les. Entonne sur les monts chauves une complainte. Car Yahvé a dédaigné et repoussé la génération qui le met en fureur!

Jérémie 7, 30 Oui, les fils de Juda ont fait ce qui me déplaît - oracle de Yahvé. Ils ont installé leurs Horreurs dans le Temple qui porte mon nom, pour le souiller;

Jérémie 7, 31 ils ont construit les hauts lieux de Tophèt dans la vallée de Ben-Hinnom, pour brûler leurs fils et leurs filles, ce que je n'avais point ordonné, à quoi je n'avais jamais songé.

Jérémie 7, 32 Aussi voici venir des jours - oracle de Yahvé - où l'on ne dira plus Tophèt ni vallée de Ben-Hinnom, mais vallée du Carnage. On enterrera alors à Tophèt, faute de place;

Jérémie 7, 33 les cadavres de ce peuple serviront de pâture aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre, que nul ne chassera.

Jérémie 7, 34 Je ferai cesser dans les villes de Juda et dans les rues de Jérusalem les cris de joie et les cris d'allégresse, les appels du fiancé et de la fiancée, car le pays ne sera plus qu'une ruine.

Jérémie 8, 1 En ce temps-là - oracle de Yahvé - on tirera de leurs tombes les ossements des rois de Juda, les ossements de ses princes, les ossements des prêtres, les ossements des prophètes et les ossements des habitants de Jérusalem.

Jérémie 8, 2 On les étalera devant le soleil, la lune et toute l'armée du ciel, qu'ils ont aimés et servis, suivis et consultés, devant lesquels ils se sont prosternés. Ils ne seront ni recueillis ni enterrés; ils resteront sur le sol en guise de fumier.

Jérémie 8, 3 Et la mort vaudra mieux que la vie pour tous ceux qui resteront de cette race perverse, en tous lieux où je les aurai chassés, oracle de Yahvé Sabaot.

Jérémie 8, 4 Tu leur diras: Ainsi parle Yahvé. Fait-on une chute sans se relever? Se détourne-t-on sans retour?

Jérémie 8, 5 Pourquoi ce peuple-là est-il rebelle, pourquoi Jérusalem est-elle continuellement rebelle? Ils tiennent fermement à la tromperie, ils refusent de se convertir.

Jérémie 8, 6 J'ai écouté attentivement: ils ne parlent pas dans ce sens-là. Nul ne déplore sa méchanceté en disant: "Qu'ai-je fait?" Tous retournent à leur course, tel un cheval qui fonce au combat.

Jérémie 8, 7 Même la cigogne dans le ciel connaît sa saison, la tourterelle, l'hirondelle et la grue observent le temps de leur migration. Mais mon peuple ne connaît pas le droit de Yahvé!

Jérémie 8, 8 Comment pouvez-vous dire: "Nous sommes sages et la Loi de Yahvé est avec nous!" Vraiment c'est en mensonge que l'a changée le calame mensonger des scribes!

Jérémie 8, 9 Les sages seront honteux, consternés et pris au piège. Voilà qu'ils ont méprisé la parole de Yahvé! Qu'est donc la sagesse pour eux?

Jérémie 8, 10 Aussi donnerai-je leurs femmes à d'autres, leurs champs à de nouveaux maîtres. Car du plus petit au plus grand, tous sont avides de rapines; prophète comme prêtre, tous ils pratiquent le mensonge.

Jérémie 8, 11 Ils pansent à la légère la blessure de la fille de mon peuple, en disant: "Paix! Paix!" alors qu'il n'y a point de paix.

Jérémie 8, 12 Les voilà dans la honte par leurs actes abominables, mais déjà ils ne sentent plus la honte, ils ne savent plus rougir. Aussi tomberont-ils parmi ceux qui tombent, ils trébucheront quand je les visiterai, dit Yahvé.

Jérémie 8, 13 Je vais les supprimer - oracle de Yahvé - plus de raisins à la vigne, plus de figues au figuier, même le feuillage se flétrit: je leur ai fourni des gens qui les piétinent! -

Jérémie 8, 14 "Pourquoi restons-nous tranquilles? Rassemblement! Gagnons nos villes fortifiées pour y être réduits au silence, puisque Yahvé notre Dieu nous réduit au silence et nous abreuve d'eau empoisonnée, parce que nous avons péché contre lui.

Jérémie 8, 15 Nous espérions la paix: rien de bon! le temps de la guérison: voici l'épouvante!

Jérémie 8, 16 Depuis Dan on perçoit le hennissement de ses chevaux; au cri retentissant de ses étalons toute la terre est ébranlée: ils viennent dévorer le pays et ses biens, la ville et ses habitants" -

Jérémie 8, 17 Oui, voici que j'envoie contre vous des serpents venimeux, contre lesquels il n'existe pas de charme, et ils vous mordront, oracle de Yahvé.

Jérémie 8, 18 Sans remède, la peine m'envahit, le coeur me manque.

Jérémie 8, 19 Voici l'appel au secours de la fille de mon peuple, depuis une terre aux vastes étendues. "Yahvé n'est donc plus en Sion? Son Roi n'y est-il plus? (Pourquoi m'ont-ils irrité par leurs idoles, par ces vanités venues de l'étranger?)

Jérémie 8, 20 La moisson est passée, l'été est fini, et nous ne sommes pas sauvés!"

Jérémie 8, 21 De la blessure de la fille de mon peuple je suis blessé, je reste accablé, l'épouvante me tient.

Jérémie 8, 22 N'y a-t-il plus de baume en Galaad? N'y a-t-il là aucun médecin? Oui, pourquoi ne fait-elle aucun progrès, la guérison de la fille de mon peuple?

Jérémie 8, 23 Qui changera ma tête en fontaine et mes yeux en source de larmes, que je pleure jour et nuit les tués de la fille de mon peuple!

Jérémie 9, 1 Qui me fournira au désert un gîte de voyageurs, que je puisse quitter mon peuple et loin d'eux m'en aller? Car tous ils sont des adultères, un ramassis de traîtres.

Jérémie 9, 2 Ils bandent leur langue comme un arc; c'est le mensonge et non la vérité qui prévaut en ce pays. Oui, ils vont de crime en crime, mais moi, ils ne me connaissent pas, oracle de Yahvé!

Jérémie 9, 3 Que chacun soit en garde contre son ami, méfiez-vous de tout frère; car tout frère ne pense qu'à supplanter, tout ami répand la calomnie.

Jérémie 9, 4 Chacun dupe son ami, ils ne disent pas la vérité, ils ont habitué leur langue à mentir, ils se fatiguent à mal agir.

Jérémie 9, 5 Tu habites au milieu de la mauvaise foi! C'est par mauvaise foi qu'ils refusent de me connaître, oracle de Yahvé!

Jérémie 9, 6 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé Sabaot: Voici, je vais les épurer et les éprouver, rien d'autre à faire pour la fille de mon peuple!

Jérémie 9, 7 Leur langue est une flèche meurtrière, leurs paroles sont de mauvaise foi; de bouche, on souhaite à son prochain la paix, mais de coeur on lui prépare un piège.

Jérémie 9, 8 Et pour ces actions je ne les châtierais pas? - oracle de Yahvé - D'une pareille nation je ne tirerais pas vengeance?

Jérémie 9, 9 Sur les montagnes, j'élève plaintes et lamentations, sur les pacages du désert, une complainte. Car ils sont incendiés, nul n'y passe, on n'y entend plus les cris des troupeaux. Depuis les oiseaux du ciel jusqu'au bétail, tout a fui, tout a disparu. -

Jérémie 9, 10 Je vais faire de Jérusalem un tas de pierres, un repaire de chacals; des villes de Juda une solitude où nul n'habite.

Jérémie 9, 11 Quel est le sage qui comprendra ces événements? A qui la bouche de Yahvé a-t-elle parlé pour qu'il l'annonce? Pourquoi le pays est-il perdu, incendié comme le désert où nul ne passe?

Jérémie 9, 12 Yahvé dit: C'est qu'ils ont abandonné ma Loi, que je leur avais donnée; ils n'ont pas écouté ma voix, ils ne l'ont pas suivie;

Jérémie 9, 13 mais ils ont suivi l'obstination de leur coeur, ils ont suivi les Baals que leur pères leur avaient fait connaître.

Jérémie 9, 14 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: Voici, je vais lui donner, à ce peuple, de l'absinthe à manger et de l'eau empoisonnée à boire.

Jérémie 9, 15 Je les disperserai parmi les nations inconnues d'eux comme de leurs pères; et j'enverrai l'épée à leur poursuite, jusqu'à ce que je les aie exterminés.

Jérémie 9, 16 Ainsi parle Yahvé Sabaot: Pensez à appeler les pleureuses, qu'elles viennent! Envoyez chercher les plus habiles, qu'elles arrivent!

Jérémie 9, 17 Vite, qu'elles entonnent sur nous une lamentation! Que nos yeux versent des larmes, que nos paupières laissent ruisseler de l'eau!

Jérémie 9, 18 Oui, une lamentation se fait entendre de Sion: "Ah! Nous sommes ruinés, couverts de honte! car il nous faut quitter le pays, on a démoli nos demeures."

Jérémie 9, 19 Femmes, écoutez donc la parole de Yahvé, que votre oreille reçoive sa parole; apprenez à vos filles cette lamentation, enseignez-vous l'une à l'autre cette complainte:

Jérémie 9, 20 "La mort a grimpé par nos fenêtres, elle est entrée dans nos palais, elle a fauché l'enfant dans la rue, les jeunes gens sur les places.

Jérémie 9, 21 Parle! Tel est l'oracle de Yahvé: Les cadavres des hommes gisent comme du fumier en plein champ, comme une gerbe derrière le moissonneur, et personne pour la ramasser!"

Jérémie 9, 22 Ainsi parle Yahvé: Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, que le vaillant ne se glorifie pas de sa vaillance, que le riche ne se glorifie pas de sa richesse!

Jérémie 9, 23 Mais qui veut se glorifier, qu'il trouve sa gloire en ceci: avoir de l'intelligence et me connaître, car je suis Yahvé qui exerce la bonté, le droit et la justice sur la terre. Oui, c'est en cela que je me complais, oracle de Yahvé!

Jérémie 9, 24 Voici venir des jours - oracle de Yahvé - où je visiterai tout circoncis qui ne l'est que dans sa chair:

Jérémie 9, 25 l'Egypte, Juda, Edom, les fils d'Ammon, Moab et tous les hommes aux tempes rasées qui habitent dans le désert. Car toutes ces nations-là, et aussi toute la maison d'Israël, ont le coeur incirconcis!

Jérémie 10, 1 Ecoutez la parole que Yahvé vous adresse, maison d'Israël!

Jérémie 10, 2 Ainsi parle Yahvé: N'apprenez pas la voie des nations, ne soyez pas terrifiés par les signes du ciel, même si les nations en éprouvent de la terreur.

Jérémie 10, 3 Oui, les coutumes des peuples ne sont que vanité; ce n'est que du bois coupé dans une forêt, travaillé par le sculpteur, ciseau en main,

Jérémie 10, 4 puis enjolivé d'argent et d'or. Avec des clous, à coups de marteau, on le fixe, pour qu'il ne bouge pas.

Jérémie 10, 5 Comme un épouvantail dans un champ de concombres, ils ne parlent pas; il faut les porter, car ils ne marchent pas! N'en ayez pas peur: ils ne peuvent faire de mal, et de bien, pas davantage.

Jérémie 10, 6 Nul n'est comme toi, Yahvé, tu es grand, ton Nom est grand dans sa puissance.

Jérémie 10, 7 Qui ne te craindrait, roi des nations? C'est bien cela qui te convient! Car parmi tous les sages des nations et dans tous leurs royaumes, nul n'est comme toi.

Jérémie 10, 8 Tous tant qu'ils sont, ils sont bêtes, stupides: l'instruction que donnent les Vanités, c'est du bois!

Jérémie 10, 9 c'est de l'argent en feuilles, importé de Tarsis, c'est de l'or d'Ophir, une oeuvre de sculpteur ou d'orfèvre; on les revêt de pourpre violette et écarlate, ce sont tous oeuvre d'artisan.

Jérémie 10, 10 Mais Yahvé est le Dieu véritable, il est le Dieu vivant et le Roi éternel. Quand il s'irrite, la terre tremble, les nations ne peuvent soutenir sa colère.

Jérémie 10, 11 (Voici ce que vous direz d'eux: "Les dieux qui n'ont pas fait le ciel et la terre seront exterminés de la terre et de dessous le ciel.)"

Jérémie 10, 12 Il a fait la terre par sa puissance, établi le monde par sa sagesse et par son intelligence étendu les cieux.

Jérémie 10, 13 Quand il donne de la voix, c'est un mugissement d'eaux dans le ciel; il fait monter les nuages du bout de la terre, il produit les éclairs pour l'averse et tire le vent de ses réservoirs.

Jérémie 10, 14 Alors tout homme se tient stupide, sans comprendre, chaque orfèvre rougit de ses idoles; ce qu'il a coulé n'est que mensonge, en elles, pas de souffle!

Jérémie 10, 15 Elles sont vanité, oeuvre ridicule; au temps de leur châtiment, elles disparaîtront.

Jérémie 10, 16 La Part de Jacob n'est pas comme elles, car il a façonné l'univers et Israël est la tribu de son héritage. Son nom est Yahvé Sabaot.

Jérémie 10, 17 Ramasse à terre ton bagage, toi l'assiégée!

Jérémie 10, 18 Car ainsi parle Yahvé: Voici, je vais lancer au loin les habitants du pays, cette fois-ci, et les mettre dans l'angoisse pour qu'ils me trouvent. -

Jérémie 10, 19 "Malheur à moi! Quelle blessure! ma plaie est inguérissable. Et moi qui disais: ce n'est que cela ma souffrance? Je la supporterai!

Jérémie 10, 20 Or ma tente est détruite, toutes mes cordes sont coupées. Mes fils m'ont quitté: ils ne sont plus; plus personne pour remonter ma tente, pour tendre mes toiles" -

Jérémie 10, 21 C'est que les pasteurs furent stupides: ils n'ont pas cherché Yahvé. Aussi n'ont-ils point réussi et tout le troupeau a été dispersé.

Jérémie 10, 22 Un bruit se fait entendre! Le voici! Un grand vacarme vient du pays du Nord pour réduire les villes de Juda en solitude, en repaire de chacals.

Jérémie 10, 23 Je le sais, Yahvé, la voie des humains n'est pas en leur pouvoir, et il n'est pas donné à l'homme qui marche de diriger ses pas!

Jérémie 10, 24 Corrige-moi, Yahvé, mais dans une juste mesure, sans t'irriter, pour ne pas trop me réduire.

Jérémie 10, 25 Déverse ta fureur sur les nations qui ne te connaissent pas, et sur les familles qui n'invoquent pas ton nom. Car elles ont dévoré Jacob, elles l'ont dévoré et achevé, elles ont dévasté son domaine.

Jérémie 11, 1 Parole qui fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé:

Jérémie 11, 2 Ecoutez les paroles de cette alliance; vous les direz aux hommes de Juda et aux habitants de Jérusalem.

Jérémie 11, 3 Tu leur diras: Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël. Maudit soit l'homme qui n'écoute pas les paroles de cette alliance

Jérémie 11, 4 que j'ai prescrite à vos pères le jour où je les tirai du pays d'Egypte, de cette fournaise pour le fer. Je leur dis: Ecoutez ma voix et conformez-vous à tout ce que je vous ordonne; alors vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu,

Jérémie 11, 5 pour accomplir le serment que j'ai fait à vos pères, de leur donner une terre qui ruisselle de lait et de miel, comme c'est le cas aujourd'hui même. Et je répondis: Amen, Yahvé!

Jérémie 11, 6 Et Yahvé me dit: Dans les villes de Juda et les rues de Jérusalem, proclame toutes ces paroles en disant: Ecoutez les paroles de cette alliance et observez-les.

Jérémie 11, 7 Car j'ai instamment averti vos pères, quand je les fis monter du pays d'Egypte, et jusqu'aujourd'hui même, sans me lasser je les ai avertis en disant: Ecoutez ma voix!

Jérémie 11, 8 Or on n'a pas écouté ni prêté l'oreille; chacun a suivi l'obstination de son coeur mauvais. Alors j'ai accompli contre eux toutes les paroles de cette alliance, que je leur avais ordonné d'observer et qu'ils n'ont pas observées.

Jérémie 11, 9 Yahvé me dit: On s'est vraiment donné le mot chez les gens de Juda et chez les habitants de Jérusalem!

Jérémie 11, 10 Ils sont retournés aux fautes de leurs pères qui refusèrent d'écouter mes paroles: les voilà, eux aussi, à la suite d'autres dieux pour les servir. La maison d'Israël et la maison de Juda ont rompu mon alliance que j'avais conclue avec leurs pères.

Jérémie 11, 11 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé: Voici, je vais leur amener un malheur auquel ils ne pourront échapper; ils crieront vers moi et je ne les écouterai pas.

Jérémie 11, 12 Alors les villes de Juda et les habitants de Jérusalem iront crier vers les dieux qu'ils encensent, mais ces dieux ne pourront absolument pas les sauver au temps de leur malheur!

Jérémie 11, 13 Car aussi nombreux que tes villes, sont tes dieux, ô Juda! Et autant Jérusalem a de rues, autant vous avez érigé d'autels pour la Honte, des autels qui fument pour Baal!

Jérémie 11, 14 Quant à toi, n'intercède pas pour ce peuple-là, n'élève en leur faveur ni plainte ni prière. Car je ne veux pas écouter, quand ils crieront vers moi à cause de leur malheur!

Jérémie 11, 15 Que vient faire en ma Maison ma bien-aimée? Elle a accompli ses mauvais desseins. Est-ce que les voeux et la viande sacrée te débarrasseront de ton mal, pour que tu puisses exulter?

Jérémie 11, 16 "Olivier verdoyant orné de fruits superbes", ainsi Yahvé t'avait nommée. Avec un bruit fracassant il y a mis le feu, ses rameaux sont atteints.

Jérémie 11, 17 Et Yahvé Sabaot qui t'avait plantée a décrété contre toi le malheur à cause du mal que se sont fait la maison d'Israël et la maison de Juda en m'irritant, en encensant Baal.

Jérémie 11, 18 Yahvé me l'a fait savoir et je l'ai su; tu m'as alors montré leurs agissements.

Jérémie 11, 19 Et moi, comme un agneau confiant qu'on mène à l'abattoir, j'ignorais qu'ils tramaient contre moi des machinations: "Détruisons l'arbre dans sa vigueur, arrachons-le de la terre des vivants, qu'on ne se souvienne plus de son nom!"

Jérémie 11, 20 Yahvé Sabaot, qui juges avec justice, qui scrutes les reins et les coeurs, je verrai ta vengeance contre eux, car c'est à toi que j'ai exposé ma cause.

Jérémie 11, 21 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé Sabaot contre les gens d'Anatot qui en veulent à ma vie et qui me disent: "Tu ne prophétiseras pas au nom de Yahvé, sinon tu mourras de notre main" -

Jérémie 11, 22 c'est pourquoi, ainsi parle Yahvé: Voici que je vais les visiter. Leurs jeunes gens mourront par l'épée, leurs fils et leurs filles par la famine.

Jérémie 11, 23 Il n'en restera aucun quand j'amènerai le malheur sur les gens d'Anatot, l'année de leur châtiment.

Jérémie 12, 1 Tu es trop juste, Yahvé, pour que j'entre en contestation avec toi. Cependant je parlerai avec toi de questions de droit: Pourquoi la voie des méchants est-elle prospère? Pourquoi tous les traîtres sont-ils en paix?

Jérémie 12, 2 Tu les plantes, ils s'enracinent, ils vont bien, ils portent du fruit. Tu es près de leur bouche, mais loin de leurs reins.

Jérémie 12, 3 Mais toi, Yahvé, tu me connais, tu me vois, tu éprouves mon coeur qui est avec toi. Enlève-les comme des brebis pour l'abattoir, consacre-les pour le jour du massacre.

Jérémie 12, 4 (Jusques à quand le pays sera-t-il en deuil et l'herbe de toute la campagne desséchée? C'est par la perversité de ses habitants que périssent bêtes et oiseaux.) Car ils disent: Dieu ne voit pas notre destinée. -

Jérémie 12, 5 Si la course avec des piétons t'épuise, comment lutteras-tu avec des chevaux? Dans un pays en paix tu te sens en sécurité, mais que feras-tu dans les halliers du Jourdain?

Jérémie 12, 6 Car même tes frères et la maison de ton père, même eux te trahiront! Même eux crieront après toi à pleine voix. N'aie pas confiance en eux quand ils te diront de bonnes paroles!

Jérémie 12, 7 J'ai abandonné ma maison, quitté mon héritage; ce que je chérissais, je l'ai livré aux mains de ses ennemis.

Jérémie 12, 8 Mon héritage s'est comporté envers moi comme un lion de la brousse, il a poussé contre moi ses rugissements, aussi l'ai-je pris en aversion.

Jérémie 12, 9 Mon héritage serait-il un rapace bigarré, que les rapaces l'encerclent de toutes parts? Allez! Rassemblez toutes les bêtes sauvages, faites-les venir à la curée!

Jérémie 12, 10 Des pasteurs en grand nombre ont saccagé ma vigne, piétiné mon domaine, réduit mon domaine préféré en solitude désertique.

Jérémie 12, 11 Ils en ont fait une région désolée, en deuil, désolée devant moi. Tout le pays est désolé et personne ne prend cela à coeur!

Jérémie 12, 12 Sur tous les monts chauves du désert sont arrivés des dévastateurs (car Yahvé tient une épée dévorante): d'un bout du pays jusqu'à l'autre il n'y a de paix pour aucune chair.

Jérémie 12, 13 Ils ont semé du blé, ils moissonnent des épines: ils se sont épuisés sans profit. Ils ont honte de leurs récoltes, à cause de l'ardente colère de Yahvé.

Jérémie 12, 14 Ainsi parle Yahvé: C'est au sujet de tous mes mauvais voisins, qui ont touché à l'héritage que j'avais donné à mon peuple Israël; voici, je vais les arracher de leur sol. (Mais la maison de Juda, je l'arracherai du milieu d'eux.)

Jérémie 12, 15 Mais, après les avoir arrachés, à nouveau j'en aurai pitié et je les ramènerai chacun en son héritage, chacun en son pays.

Jérémie 12, 16 Et s'ils apprennent avec soin les voies de mon peuple, de façon à jurer par mon nom: "Par Yahvé Vivant", comme ils ont appris à mon peuple à jurer par Baal, alors ils seront établis au milieu de mon peuple.

Jérémie 12, 17 Mais s'ils ne veulent pas écouter, j'arracherai une telle nation et je l'exterminerai, oracle de Yahvé.

Jérémie 13, 1 Ainsi me parla Yahvé: "Va t'acheter une ceinture de lin et mets-la sur tes reins. Mais ne la trempe pas dans l'eau."

Jérémie 13, 2 J'achetai une ceinture, selon l'ordre de Yahvé, et je la mis sur mes reins.

Jérémie 13, 3 Une deuxième fois, la parole de Yahvé me fut adressée:

Jérémie 13, 4 "Prends la ceinture que tu as achetée et que tu portes sur les reins. Lève-toi, va à l'Euphrate et cache-la dans la fente d'un rocher."

Jérémie 13, 5 J'allai donc la cacher vers l'Euphrate comme Yahvé me l'avait ordonné.

Jérémie 13, 6 Bien des jours s'étaient écoulés, quand Yahvé me dit: "Lève-toi, va à l'Euphrate et reprends-y la ceinture que je t'avais ordonné d'y cacher."

Jérémie 13, 7 J'allai à l'Euphrate, je cherchai et je retirai la ceinture du lieu où je l'avais cachée. Et voici qu'elle était détruite, inutilisable.

Jérémie 13, 8 Alors la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Jérémie 13, 9 "Ainsi parle Yahvé. C'est ainsi que je détruirai l'orgueil de Juda, l'immense orgueil de Jérusalem.

Jérémie 13, 10 Ce peuple mauvais, ces gens qui refusent d'écouter mes paroles, qui suivent l'obstination de leur coeur et courent après d'autres dieux pour les servir et se prosterner devant eux - ce peuple deviendra comme cette ceinture, inutilisable.

Jérémie 13, 11 Car, de même qu'une ceinture s'attache aux reins d'un homme, ainsi m'étais-je attaché toute la maison d'Israël, toute la maison de Juda - oracle de Yahvé - pour qu'elles soient mon peuple, mon renom, mon honneur et ma splendeur. Mais elles n'ont pas écouté."

Jérémie 13, 12 Tu leur diras aussi cette parole: Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël. "Toute cruche peut se remplir de vin!" Et s'ils te répondent: "Ne savons-nous pas que toute cruche peut se remplir de vin?"

Jérémie 13, 13 Tu leur diras: "Ainsi parle Yahvé. Voici que je vais remplir d'ivresse tous les habitants de ce pays, les rois qui occupent le trône de David, les prêtres et les prophètes, et tous les habitants de Jérusalem.

Jérémie 13, 14 Puis je les casserai l'un contre l'autre, pères et fils pêle-mêle - oracle de Yahvé. Sans pitié, sans merci, sans m'attendrir, je les détruirai."

Jérémie 13, 15 Ecoutez, tendez l'oreille, plus d'orgueil: c'est Yahvé qui parle!

Jérémie 13, 16 Rendez gloire à Yahvé votre Dieu, avant que ne viennent les ténèbres, avant que vos pieds ne se heurtent aux montagnes de la nuit. Vous comptez sur la lumière, mais il la réduira en obscurité, il la changera en ombre épaisse.

Jérémie 13, 17 Si vous n'écoutez pas cet avertissement, je pleurerai en secret pour votre orgueil; mes yeux laisseront couler des larmes, ils verseront des larmes, car le troupeau de Yahvé part en captivité.

Jérémie 13, 18 Dis au roi et à la reine-mère: Asseyez-vous bien bas, car elle est tombée de votre tête, votre couronne de splendeur.

Jérémie 13, 19 Les villes du Négeb sont bloquées: personne n'y donne accès! Tout Juda est déporté, déporté tout entier.

Jérémie 13, 20 Lève les yeux et regarde ceux qui arrivent du Nord. Où est-il le troupeau qui te fut confié, les brebis qui faisaient ta splendeur?

Jérémie 13, 21 Que diras-tu quand ils viendront te châtier, toi qui les avais formés? Contre toi, en tête, viendront les familiers; alors les douleurs ne vont-elles pas te saisir comme une femme en travail?

Jérémie 13, 22 Et si tu dis en ton coeur: Pourquoi de tels malheurs m'arrivent-ils? C'est pour l'immensité de ta faute qu'on t'a relevé les robes, qu'on t'a violentée.

Jérémie 13, 23 Un Ethiopien peut-il changer de peau? Une panthère de pelage? Et vous, pouvez-vous bien agir, vous les habitués du mal?

Jérémie 13, 24 Je vous disperserai donc comme paille légère au souffle du désert.

Jérémie 13, 25 Tel est ton lot, la part qui t'est allouée. Cela vient de moi - oracle de Yahvé - puisque c'est moi que tu as oublié en te confiant au Mensonge.

Jérémie 13, 26 Moi-même je remonte tes robes jusqu'à ton visage, pour qu'on voie ton ignominie.

Jérémie 13, 27 Oh! Tes adultères et tes cris de plaisir, ta honteuse prostitution! Sur les collines et dans la campagne j'ai vu tes Horreurs. Malheur à toi, Jérusalem, qui restes impure! Combien de temps encore?

Jérémie 14, 1 Parole de Yahvé qui fut adressée à Jérémie à l'occasion de la sécheresse.

Jérémie 14, 2 Juda est dans le deuil et ses villes languissent: elles s'abîment vers la terre, le cri de Jérusalem s'élève.

Jérémie 14, 3 Les riches envoient les petites gens chercher de l'eau: Ils arrivent aux citernes, ils ne trouvent point d'eau, ils reviennent avec leurs cruches vides. Ils sont honteux et humiliés et se voilent la tête.

Jérémie 14, 4 Parce que le sol est tout crevassé, car la pluie manque au pays, les laboureurs, honteux, se voilent la tête.

Jérémie 14, 5 Même la biche, dans la campagne, a mis bas et abandonné son petit, tant l'herbe fait défaut;

Jérémie 14, 6 les onagres, dressés sur les hauteurs, hument l'air comme des chacals: leurs yeux s'obscurcissent faute de verdure.

Jérémie 14, 7 Si nos fautes parlent contre nous, agis, Yahvé, pour l'honneur de ton Nom! Oui, nombreuses furent nos rébellions, nous avons péché contre toi.

Jérémie 14, 8 Espoir d'Israël, Yahvé, son Sauveur en temps de détresse, pourquoi es-tu comme un étranger en ce pays, comme un voyageur qui fait un détour pour la nuit?

Jérémie 14, 9 Pourquoi ressembles-tu à un homme hébété, à un guerrier incapable de sauver? Pourtant tu es au milieu de nous, Yahvé, et nous sommes appelés par ton nom. Ne nous délaisse pas!

Jérémie 14, 10 Ainsi parle Yahvé au sujet de ce peuple: Ils aiment courir en tous sens, ils n'épargnent point leurs jambes! Mais Yahvé ne les agrée pas; maintenant il va se souvenir de leur faute et châtier leur péché.

Jérémie 14, 11 Et Yahvé me dit: "N'intercède pas en faveur de ce peuple, pour son bonheur.

Jérémie 14, 12 Même s'ils jeûnent, je n'écouterai pas leur supplication; même s'ils présentent holocaustes et oblations, je ne les agréerai pas, mais par l'épée, la famine et la peste je veux les exterminer."

Jérémie 14, 13 Et je répondis: "Ah! Seigneur Yahvé! Voici que les prophètes leur disent: vous ne verrez pas l'épée, la famine ne vous atteindra pas; mais je vous octroierai une paix véritable en ce lieu."

Jérémie 14, 14 Alors Yahvé me dit: "C'est le mensonge que ces prophètes prophétisent en mon nom; je ne les ai pas envoyés, je ne leur ai rien ordonné, je ne leur ai point parlé. Visions de mensonge, divinations creuses, rêveries de leur coeur, voilà ce qu'ils vous prophétisent.

Jérémie 14, 15 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé: Ces prophètes qui prophétisent en mon nom, alors que je ne les ai pas envoyés, et qui racontent qu'il n'y aura en ce pays ni épée ni famine, eh bien! c'est par épée et famine qu'ils disparaîtront, ces prophètes-là!

Jérémie 14, 16 Quant aux gens à qui ils prophétisent, ils seront jetés dans les rues de Jérusalem, victimes de la famine et de l'épée; il n'y aura personne pour les enterrer, ni eux, ni leurs femmes, ni leurs fils, ni leurs filles. Je verserai sur eux leur méchanceté!"

Jérémie 14, 17 Tu leur diras cette parole: Que mes yeux versent des larmes, jour et nuit sans tarir, car d'une grande blessure est blessée la vierge fille de mon peuple, d'une plaie très grave.

Jérémie 14, 18 Si je sors dans la campagne, voici des victimes de l'épée; si je rentre dans la ville, voici des torturés par la faim; tant le prophète que le prêtre sillonnent le pays: ils ne comprennent plus! -

Jérémie 14, 19 As-tu pour de bon rejeté Juda? Ou es-tu dégoûté de Sion? Pourquoi nous avoir frappés sans aucune guérison? Nous attendions la paix: rien de bon! Le temps de la guérison: voici l'épouvante!

Jérémie 14, 20 Nous connaissons, Yahvé, notre impiété, la faute de nos pères: oui, nous avons péché contre toi.

Jérémie 14, 21 Pour l'honneur de ton Nom, cesse de rejeter. Ne déshonore point le trône de ta gloire. Souviens-toi, ne romps pas ton alliance avec nous.

Jérémie 14, 22 Parmi les Vanités des païens, en est-il qui fassent pleuvoir? Est-ce le ciel qui donne l'ondée? N'est-ce pas toi, Yahvé, notre Dieu? En toi nous espérons, car c'est toi qui fais tout cela.

Jérémie 15, 1 Yahvé me dit: Même si Moïse et Samuel se tenaient devant moi, je n'aurais pas pitié de ce peuple-là! Chasse-les loin de moi: qu'ils s'en aillent!

Jérémie 15, 2 Et s'ils te disent: Où aller? Tu leur répondras: Ainsi parle Yahvé: Qui est pour la peste, à la peste! qui est pour l'épée, à l'épée! qui est pour la famine, à la famine! qui est pour la captivité, à la captivité!

Jérémie 15, 3 Je vais préposer sur eux quatre sortes de choses - oracle de Yahvé -: l'épée pour tuer; les chiens pour traîner; les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre pour dévorer et détruire.

Jérémie 15, 4 Je ferai d'eux un objet d'épouvante pour tous les royaumes de la terre, à cause de Manassé, fils d'Ezéchias et roi de Juda, pour ce qu'il a fait à Jérusalem.

Jérémie 15, 5 Qui donc a compassion de toi, Jérusalem? Qui donc te plaint? Qui donc fait un détour pour demander comment tu vas?

Jérémie 15, 6 Toi-même m'as repoussé - oracle de Yahvé - tu m'as tourné le dos. Alors, j'ai étendu la main contre toi et t'ai détruite: Je suis fatigué de consoler!

Jérémie 15, 7 Avec un van je les ai vannés, aux portes du pays. J'ai dépeuplé, j'ai anéanti mon peuple; de leurs voies, ils ne se détournent pas.

Jérémie 15, 8 Leurs veuves sont devenues plus nombreuses que le sable de la mer. Sur la mère du jeune guerrier, j'amène le dévastateur en plein midi, je fais tomber sur elle, soudain, terreur et épouvante.

Jérémie 15, 9 Elle languit, la mère de sept fils, elle défaille. Son soleil s'est couché avant la fin du jour: la voilà honteuse et consternée; et ce qui reste d'eux, je le livrerai à l'épée, face à leurs ennemis, oracle de Yahvé.

Jérémie 15, 10 Malheur à moi, ma mère, car tu m'as enfanté homme de querelle et de discorde pour tout le pays! Jamais je ne prête ni n'emprunte, pourtant tout le monde me maudit.

Jérémie 15, 11 En vérité, Yahvé, ne t'ai-je pas servi de mon mieux? Ne t'ai-je pas supplié au temps du malheur et de la détresse?

Jérémie 15, 12 Le fer brisera-t-il le fer du Nord et le bronze?

Jérémie 15, 13 Ta richesse et tes trésors, je vais les livrer au pillage, sans contrepartie, à cause de tous les péchés, sur tout ton territoire.

Jérémie 15, 14 Je te rendrai esclave de tes ennemis dans un pays que tu ne connais pas, car ma fureur a allumé un feu qui va brûler sur vous.

Jérémie 15, 15 Toi, tu le sais, Yahvé! Souviens-toi de moi, visite-moi et venge-moi de mes persécuteurs. Dans la lenteur de ta colère ne m'entraîne pas. Reconnais que je subis l'opprobre pour ta cause.

Jérémie 15, 16 Quand tes paroles se présentaient, je les dévorais: ta parole était mon ravissement et l'allégresse de mon coeur. Car c'est ton Nom que je portais, Yahvé, Dieu Sabaot.

Jérémie 15, 17 Jamais je ne m'asseyais dans une réunion de railleurs pour m'y divertir. Sous l'emprise de ta main, je me suis tenu seul, car tu m'avais empli de colère.

Jérémie 15, 18 Pourquoi ma souffrance est-elle continue, ma blessure incurable, rebelle aux soins? Vraiment tu es pour moi comme un ruisseau trompeur aux eaux décevantes!

Jérémie 15, 19 Alors Yahvé répondit: Si tu reviens, et que je te fais revenir, tu te tiendras devant moi. Si de ce qui est vil tu tires ce qui est noble, tu seras comme ma bouche. Eux reviendront vers toi, mais toi, tu n'as pas à revenir vers eux!

Jérémie 15, 20 Je ferai de toi, pour ce peuple-là, un rempart de bronze fortifié. Ils lutteront contre toi mais ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi pour te sauver et te délivrer, oracle de Yahvé.

Jérémie 15, 21 Je veux te délivrer de la main des méchants et te racheter de la poigne des violents.

Jérémie 16, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Jérémie 16, 2 Ne prends pas femme; tu n'auras en ce lieu ni fils ni fille!

Jérémie 16, 3 Car ainsi parle Yahvé à propos des fils et des filles qui vont naître en ce lieu, des mères qui les enfanteront et des pères qui les engendreront en ce pays:

Jérémie 16, 4 Ils mourront de maladies mortelles, sans être pleurés ni enterrés; ils serviront de fumier sur le sol; ils finiront par l'épée et la famine, et leurs cadavres seront la pâture des oiseaux du ciel et des bêtes sauvages.

Jérémie 16, 5 Oui, ainsi parle Yahvé: N'entre pas dans une maison où l'on fait le deuil, ne vas pas pleurer ni plaindre les gens, car j'ai retiré ma paix de ce peuple - oracle de Yahvé - ainsi que la pitié et la miséricorde.

Jérémie 16, 6 Grands et petits mourront en ce pays sans être enterrés ni pleurés; pour eux, on ne se fera ni incisions ni tonsure.

Jérémie 16, 7 On ne rompra pas le pain pour qui est dans le deuil, pour le consoler au sujet d'un mort; on ne lui offrira pas la coupe de consolation pour son père ou sa mère.

Jérémie 16, 8 N'entre pas non plus dans une maison où l'on festoie, pour t'asseoir avec eux à manger et à boire.

Jérémie 16, 9 Car ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: Voici, je vais faire taire ici, sous vos yeux et de vos jours, les cris de joie et d'allégresse, les chants du fiancé et de la fiancée.

Jérémie 16, 10 Quand tu auras annoncé à ce peuple toutes ces paroles et qu'on te demandera: "Pourquoi Yahvé a-t-il proclamé contre nous tout cet immense malheur? Quelle est notre faute? Quel péché avons-nous commis contre Yahvé notre Dieu?"

Jérémie 16, 11 Alors tu leur répondras: "C'est que vos pères m'ont abandonné - oracle de Yahvé - ils ont suivi d'autres dieux, les servant et se prosternant devant eux. Et moi, ils m'ont abandonné, ils n'ont pas gardé ma Loi!

Jérémie 16, 12 Et vous, vous avez agi plus mal que vos pères. Voici, chacun de vous se conduit selon l'obstination de son coeur mauvais, sans m'écouter.

Jérémie 16, 13 Je vous jetterai donc hors de ce pays, dans un pays inconnu de vous et de vos pères; là vous servirez d'autres dieux, jour et nuit, car je ne vous ferai plus grâce."

Jérémie 16, 14 Aussi, voici venir des jours - oracle de Yahvé - où l'on ne dira plus: "Yahvé est vivant, qui a fait monter les Israélites du pays d'Egypte",

Jérémie 16, 15 mais: "Yahvé est vivant, qui a fait monter les Israélites du pays du Nord et de tous les pays où il les avait dispersés!" Je les ramènerai sur la terre que j'avais donnée à leurs pères!

Jérémie 16, 16 Voici: Je vais envoyer quantité de pêcheurs - oracle de Yahvé - qui les pêcheront; puis j'enverrai quantité de chasseurs qui les chasseront de toute montagne, de toute colline et des creux des rochers.

Jérémie 16, 17 Car mes yeux surveillent toutes leurs voies: elles ne m'échappent pas et leur faute ne se dérobe pas à mes regards.

Jérémie 16, 18 Je paierai au double leur faute et leur péché, parce qu'ils ont profané mon pays par le cadavre de leurs Horreurs et rempli mon héritage de leurs Abominations.

Jérémie 16, 19 Yahvé, ma force et ma forteresse, mon refuge au jour de détresse! A toi viendront les nations des extrémités de la terre. Elles diront: Nos pères n'ont eu en héritage que Mensonge, Vanité qui ne sert à rien.

Jérémie 16, 20 Un homme pourrait-il se fabriquer des dieux? Mais ce ne sont pas des dieux!

Jérémie 16, 21 Voici donc, je vais leur faire connaître, cette fois-ci, je leur ferai connaître ma main et ma puissance, et ils sauront que mon Nom est Yahvé.

Jérémie 17, 1 Le péché de Juda est écrit avec un stylet de fer, avec une pointe de diamant il est gravé sur la tablette de leur coeur et aux cornes de leurs autels,

Jérémie 17, 2 car leurs fils se souviennent de leurs autels et de leurs pieux sacrés, près des arbres verts, sur les collines élevées.

Jérémie 17, 3 O ma montagne dans la plaine, ta richesse et tous tes trésors, je vais les livrer au pillage à cause du péché de tes hauts lieux sur tout ton territoire.

Jérémie 17, 4 Tu devras te dessaisir de ton héritage que je t'avais donné; je te rendrai esclave de tes ennemis dans un pays que tu ne connais pas. Car le feu de ma colère que vous avez allumé brûlera pour toujours.

Jérémie 17, 5 Ainsi parle Yahvé: Maudit l'homme qui se confie en l'homme, qui fait de la chair son appui et dont le coeur s'écarte de Yahvé!

Jérémie 17, 6 Il est comme un chardon dans la steppe: il ne ressent rien quand arrive le bonheur, il se fixe aux lieux brûlés du désert, terre salée où nul n'habite.

Jérémie 17, 7 Béni l'homme qui se confie en Yahvé et dont Yahvé est la foi.

Jérémie 17, 8 Il ressemble à un arbre planté au bord des eaux, qui tend ses racines vers le courant: il ne redoute rien quand arrive la chaleur, son feuillage reste vert; dans une année de sécheresse il est sans inquiétude et ne cesse pas de porter du fruit.

Jérémie 17, 9 Le coeur est rusé plus que tout, et pervers, qui peut le pénétrer?

Jérémie 17, 10 Moi, Yahvé, je scrute le coeur, je sonde les reins, pour rendre à chacun d'après sa conduite, selon le fruit de ses oeuvres.

Jérémie 17, 11 Une perdrix couve ce qu'elle n'a pas pondu. Ainsi celui qui se fait des richesses injustes: au milieu de ses jours elles l'abandonnent et en fin de compte il n'est qu'un insensé.

Jérémie 17, 12 Un trône glorieux, sublime dès l'origine, tel est notre lieu saint.

Jérémie 17, 13 Espoir d'Israël, Yahvé, tous ceux qui t'abandonnent seront honteux, ceux qui se détournent de toi seront inscrits dans la terre, car ils ont abandonné la source d'eaux vives, Yahvé.

Jérémie 17, 14 Guéris-moi, Yahvé, et je serai guéri, sauve-moi et je serai sauvé, car tu es ma louange!

Jérémie 17, 15 Les voici qui me disent: Où est-elle, la parole de Yahvé? Qu'elle s'accomplisse donc!

Jérémie 17, 16 Pourtant je ne t'ai pas poussé au pire, je n'ai pas désiré le jour fatal, toi, tu le sais; ce qui sort de mes lèvres est à découvert devant toi.

Jérémie 17, 17 Ne sois pas pour moi une cause d'effroi, toi, mon refuge au jour du malheur.

Jérémie 17, 18 Qu'ils soient honteux, mes persécuteurs, et que je ne sois pas honteux, moi! Qu'ils soient effrayés, eux, et que je ne sois pas effrayé, moi! Fais venir sur eux le jour du malheur, brise-les, brise-les deux fois!

Jérémie 17, 19 Ainsi m'a parlé Yahvé: Va te poster à la porte des Enfants du peuple, par où entrent et sortent les rois de Juda, et à toutes les portes de Jérusalem.

Jérémie 17, 20 Tu diras: Ecoutez la parole de Yahvé, vous, rois de Juda, et vous tous, Judéens et habitants de Jérusalem qui passez par ces portes.

Jérémie 17, 21 Ainsi parle Yahvé: Soyez bien sur vos gardes et ne transportez pas de fardeau le jour du sabbat; n'en faites pas entrer par les portes de Jérusalem.

Jérémie 17, 22 Ne faites sortir aucun fardeau de vos maisons le jour du sabbat et ne faites aucun travail. Sanctifiez le jour du sabbat comme je l'ai ordonné à vos pères.

Jérémie 17, 23 Eux n'ont pas écouté, ils n'ont pas prêté l'oreille; ils ont raidi leur nuque pour ne pas entendre et ne pas accueillir l'instruction.

Jérémie 17, 24 Si vous m'écoutez bien - oracle de Yahvé - ne faites entrer, le jour du sabbat, aucun fardeau par les portes de cette ville; si vous sanctifiez le jour du sabbat en n'y faisant aucun travail,

Jérémie 17, 25 alors, par les portes de cette ville, des rois et des princes, siégeant sur le trône de David, feront leur entrée en équipage de chars et de chevaux, eux et leurs princes, les gens de Juda et les habitants de Jérusalem. Et cette ville restera habitée pour toujours.

Jérémie 17, 26 On viendra des villes de Juda et des environs de Jérusalem, du pays de Benjamin et du Bas-Pays, de la Montagne et du Négeb, offrir holocaustes, sacrifices, oblations et encens, offrir des actions de grâces dans le Temple de Yahvé.

Jérémie 17, 27 Mais si vous ne m'écoutez pas pour sanctifier le jour du sabbat, pour ne porter aucun fardeau et ne pas entrer par les portes de Jérusalem le jour du sabbat, alors je mettrai le feu à ses portes: il dévorera les palais de Jérusalem et ne s'éteindra plus.

Jérémie 18, 1 Parole qui fut adressée à Jérémie par Yahvé en ces termes:

Jérémie 18, 2 "Debout! Descend chez le potier et là, je te ferai entendre mes paroles."

Jérémie 18, 3 Je descendis chez le potier et voici qu'il travaillait au tour.

Jérémie 18, 4 Mais le vase qu'il fabriquait fut manqué, comme cela arrive à l'argile dans la main du potier. Il recommença et fit un autre vase, ainsi qu'il paraissait bon au potier.

Jérémie 18, 5 Alors la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Jérémie 18, 6 Ne suis-je pas capable d'agir envers vous comme ce potier, maison d'Israël? - oracle de Yahvé. Oui, comme l'argile dans la main du potier, ainsi êtes-vous dans ma main, maison d'Israël!

Jérémie 18, 7 Tantôt je parle, à propos d'une nation ou d'un royaume, d'arracher, de renverser et d'exterminer;

Jérémie 18, 8 mais si cette nation, contre laquelle j'ai parlé, se convertit de sa méchanceté, alors je me repens du mal que j'avais résolu de lui infliger.

Jérémie 18, 9 Tantôt je parle, à propos d'une nation ou d'un royaume, de bâtir et de planter,

Jérémie 18, 10 mais si cette nation fait ce qui est mal à mes yeux en refusant d'écouter ma voix, alors je me repens du bien que j'entendais lui faire.

Jérémie 18, 11 Maintenant, parle donc ainsi aux hommes de Juda et aux habitants de Jérusalem: "Ainsi parle Yahvé. Voyez, je prépare contre vous un malheur, contre vous je médite un plan. Détournez-vous donc chacun de votre voie mauvaise, améliorez vos voies et vos oeuvres."

Jérémie 18, 12 Mais ils vont dire: "Inutile! Nous suivrons nos propres plans; chacun agira selon l'obstination de son coeur mauvais."

Jérémie 18, 13 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé: Enquêtez donc chez les nations, qui entendit rien de pareil? Elle a commis trop d'horreurs, la Vierge d'Israël.

Jérémie 18, 14 La neige du Liban abandonne-t-elle le rocher de la campagne? Tarissent-elles, les eaux des pays étrangers, les eaux fraîches et courantes?

Jérémie 18, 15 Or mon peuple m'a oublié! Au Néant ils offrent l'encens; on les fait trébucher dans leurs voies, dans les sentiers de jadis, pour prendre des chemins, une route non tracée;

Jérémie 18, 16 pour faire de leurs pays un objet de stupeur, une dérision perpétuelle. Quiconque y passe est stupéfait et hoche la tête.

Jérémie 18, 17 Tel le vent d'Orient, je les disperserai face à l'ennemi. C'est mon dos et non ma face que je montrerai au jour de leur ruine.

Jérémie 18, 18 Ils ont dit: "Venez! Machinons un attentat contre Jérémie, car la Loi ne périra pas faute de prêtre, ni le conseil faute de sage, ni la parole faute de prophète. Venez! Dénigrons-le et ne prêtons attention à aucune de ses paroles."

Jérémie 18, 19 Prête-moi attention, Yahvé, et entends ce que disent mes adversaires.

Jérémie 18, 20 Rend-on le mal pour le bien? Or ils creusent une fosse à mon intention. Rappelle-toi comme je me suis tenu devant toi pour te dire du bien d'eux, pour détourner loin d'eux ta fureur.

Jérémie 18, 21 Abandonne donc leurs fils à la famine, livre-les à la merci de l'épée! Que leurs femmes deviennent stériles et veuves! Que leurs maris meurent de la peste! Que leurs jeunes soient frappés de l'épée, au combat!

Jérémie 18, 22 Qu'on entende des cris sortir de leurs maisons, quand, soudain, tu amèneras contre eux des bandes armées. Car ils ont creusé une fosse pour me prendre et sous mes pas camouflé des pièges.

Jérémie 18, 23 Mais toi, Yahvé, tu connais tout leur dessein meurtrier contre moi. Ne pardonne pas leur faute, n'efface pas leur péché de devant toi. Qu'ils s'effondrent devant toi, au temps de ta colère, agis contre eux!

Jérémie 19, 1 Alors Yahvé dit à Jérémie: Va t'acheter une cruche de potier. Prends avec toi des anciens du peuple et des anciens des prêtres.

Jérémie 19, 2 Sors en direction de la vallée de Ben-Hinnom qui est à l'entrée de la porte des Tessons. Là, tu proclameras les paroles que je te dirai.

Jérémie 19, 3 Tu diras: Ecoutez la parole de Yahvé, rois de Juda et habitants de Jérusalem. Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: Voici que j'amène un malheur sur ce lieu. Les oreilles en tinteront à quiconque l'apprendra!

Jérémie 19, 4 Car ils m'ont abandonné, ils ont rendu ce lieu méconnaissable, ils y ont offert l'encens à des dieux étrangers que n'avaient connus ni eux, ni leurs pères, ni les rois de Juda. Ils ont rempli ce lieu du sang des innocents.

Jérémie 19, 5 Car ils ont construit des hauts lieux de Baal, pour consumer au feu leurs fils, en holocauste à Baal; cela je ne l'avais jamais ordonné, je n'en avais jamais parlé, je n'y avais jamais songé!

Jérémie 19, 6 Aussi voici venir des jours - oracle de Yahvé - où l'on n'appellera plus ce lieu Tophèt ni vallée de Ben-Hinnom, mais bien vallée du Carnage.

Jérémie 19, 7 Je viderai de bon sens Juda et Jérusalem, à cause de ce lieu; je les ferai tomber sous l'épée devant leurs ennemis, par la main de ceux qui en veulent à leur vie; je donnerai leurs cadavres en pâture aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre.

Jérémie 19, 8 Je ferai de cette ville un objet de stupeur et de dérision, tout passant en restera stupéfait et sifflera devant tant de blessures.

Jérémie 19, 9 Je leur ferai manger la chair de leurs fils et celle de leurs filles: ils s'entre-dévoreront dans l'angoisse et la détresse où les réduiront leurs ennemis et ceux qui en veulent à leur vie.

Jérémie 19, 10 Tu briseras cette cruche sous les yeux des gens qui t'auront accompagné

Jérémie 19, 11 et tu leur diras: Ainsi parle Yahvé Sabaot: Je vais briser ce peuple et cette ville comme on brise le vase du potier, qui ne peut plus être réparé. On enterrera à Tophèt faute de place pour enterrer.

Jérémie 19, 12 Ainsi ferai-je pour ce lieu - oracle de Yahvé - et pour ses habitants, en rendant cette ville semblable à Tophèt.

Jérémie 19, 13 Les maisons de Jérusalem et celles des rois de Juda seront impures, tel ce lieu de Tophèt: toutes ces maisons sur le toit desquelles ils ont offert de l'encens à toute l'armée du ciel et versé des libations aux dieux étrangers!

Jérémie 19, 14 Jérémie revint de Tophèt où Yahvé l'avait envoyé prophétiser, il se posta dans le parvis du Temple de Yahvé et dit à tout le peuple:

Jérémie 19, 15 "Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: Voici, je vais amener sur cette ville, et toutes ses voisines, tous les malheurs dont je l'ai menacée, car ils ont raidi leur nuque pour ne pas écouter mes paroles."

Jérémie 20, 1 Or le prêtre Pashehur, fils d'Immer, qui était le chef de la police dans le Temple de Yahvé, entendit Jérémie qui proférait cet oracle.

Jérémie 20, 2 Pashehur frappa le prophète Jérémie, puis le mit au carcan, à la porte haute de Benjamin, celle qui donne dans le Temple de Yahvé.

Jérémie 20, 3 Le lendemain, Pashehur fit tirer Jérémie du carcan. Alors Jérémie lui dit: "Ce n'est plus Pashehur que Yahvé t'appelle, mais Terreur-de-tous-côtés.

Jérémie 20, 4 Car ainsi parle Yahvé: Voici que je vais te livrer à la terreur, toi et tous tes amis; ils tomberont sous l'épée de leurs ennemis: tes yeux verront cela! De même Juda tout entier, je le livrerai aux mains du roi de Babylone qui déportera les gens à Babylone et les frappera de l'épée.

Jérémie 20, 5 Je livrerai encore toutes les richesses de cette ville, toutes ses réserves, tout ce qu'elle a de précieux, tous les trésors des rois de Juda, je les livrerai aux mains de leurs ennemis qui les pilleront, les enlèveront et les emporteront à Babylone.

Jérémie 20, 6 Et toi, Pashehur, ainsi que tous les hôtes de ta maison, vous partirez en captivité; à Babylone tu iras, là tu mourras, là tu seras enterré, toi et tous tes amis à qui tu as prophétisé le mensonge."

Jérémie 20, 7 Tu m'as séduit, Yahvé, et je me suis laissé séduire; tu m'as maîtrisé, tu as été le plus fort. Je suis prétexte continuel à la moquerie, la fable de tout le monde.

Jérémie 20, 8 Chaque fois que j'ai à parler, je dois crier et proclamer: "Violence et dévastation!" La parole de Yahvé a été pour moi source d'opprobre et de moquerie tout le jour.

Jérémie 20, 9 Je me disais: Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son Nom; mais c'était en mon coeur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m'épuisais à le contenir, mais je n'ai pas pu.

Jérémie 20, 10 J'entendais les calomnies de beaucoup: "Terreur de tous côtés! Dénoncez! Dénonçons-le!" Tous ceux qui étaient en paix avec moi guettaient ma chute: "Peut-être se laissera-t-il séduire? Nous serons plus forts que lui et tirerons vengeance de lui!"

Jérémie 20, 11 Mais Yahvé est avec moi comme un héros puissant; mes adversaires vont trébucher, vaincus: les voilà tout confus de leur échec; honte éternelle, inoubliable.

Jérémie 20, 12 Yahvé Sabaot, qui scrutes le juste et vois les reins et le coeur, je verrai la vengeance que tu tireras d'eux, car c'est à toi que j'ai exposé ma cause.

Jérémie 20, 13 Chantez Yahvé, louez Yahvé, car il a délivré l'âme du malheureux de la main des malfaisants.

Jérémie 20, 14 Maudit soit le jour où je suis né! Le jour où ma mère m'enfanta, qu'il ne soit pas béni!

Jérémie 20, 15 Maudit soit l'homme qui annonça à mon père cette nouvelle: "Un fils, un garçon t'est né!" et le combla de joie.

Jérémie 20, 16 Que cet homme soit pareil aux villes que Yahvé a renversées sans pitié; qu'il entende le cri d'alarme au matin et le cri de guerre en plein midi,

Jérémie 20, 17 car il ne m'a pas fait mourir dès le sein, pour que ma mère soit un tombeau et que ses entrailles me portent à jamais.

Jérémie 20, 18 Pourquoi donc suis-je sorti du sein? Pour voir tourment et peine et finir mes jours dans la honte.

Jérémie 21, 1 Parole qui fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé, quand le roi Sédécias lui envoya Pashehur, fils de Malkiyya, et le prêtre Cephanya, fils de Maaséya, pour lui dire:

Jérémie 21, 2 "Consulte donc Yahvé pour nous, car Nabuchodonosor, roi de Babylone, nous fait la guerre; peut-être Yahvé opérera-t-il en notre faveur tous ses miracles, si bien que l'ennemi devra s'éloigner de nous."

Jérémie 21, 3 Jérémie leur dit: "Vous porterez à Sédécias cette réponse:

Jérémie 21, 4 Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël. Voici, je vais faire revenir les armes de guerre que vous tenez et avec lesquelles vous combattez le roi de Babylone et les Chaldéens, vos assaillants: de l'extérieur des murs, je vais les rassembler en plein milieu de cette ville.

Jérémie 21, 5 Et je combattrai moi-même contre vous, à main étendue et à bras puissant, avec colère, fureur et grande indignation;

Jérémie 21, 6 je frapperai les habitants de cette ville, hommes et bêtes; d'une affreuse peste ils mourront.

Jérémie 21, 7 Après quoi - oracle de Yahvé - je livrerai Sédécias, roi de Juda, ses serviteurs, le peuple et ceux qui, de cette ville, seront rescapés de la peste, de l'épée et de la famine, aux mains de Nabuchodonosor, roi de Babylone, aux mains de leurs ennemis et aux mains de ceux qui en veulent à leur vie; il les passera au fil de l'épée, sans pitié pour eux, ni ménagement, ni compassion."

Jérémie 21, 8 Et à ce peuple tu diras: "Ainsi parle Yahvé. Voici, je place devant vous le chemin de la vie et le chemin de la mort.

Jérémie 21, 9 Qui restera dans cette ville mourra par l'épée, la famine et la peste; mais qui en sortira et se rendra aux Chaldéens, vos assaillants, vivra, il aura sa vie comme butin.

Jérémie 21, 10 Car je vais me tourner contre cette ville, pour son malheur, non pour son bonheur - oracle de Yahvé. Elle sera livrée au roi de Babylone et il l'incendiera."

Jérémie 21, 11 A la Maison royale de Juda. Ecoutez la parole de Yahvé,

Jérémie 21, 12 maison de David! Ainsi parle Yahvé: Rendez chaque matin droite justice et tirez l'exploité des mains de l'oppresseur. Sinon ma fureur va jaillir comme un feu et brûler, sans personne pour l'éteindre, à cause de la méchanceté de vos actions.

Jérémie 21, 13 C'est à toi que j'en ai, toi qui habites la vallée, Roc-dans-la-plaine, - oracle de Yahvé - ô vous qui dites: "Qui oserait fondre sur nous et pénétrer en nos repaires?

Jérémie 21, 14 Je vous châtierai comme le méritent vos actions - oracle de Yahvé. Je mettrai le feu à sa forêt et il dévorera tous ses alentours!

Jérémie 22, 1 Ainsi parla Yahvé: Descends au palais du roi de Juda; là, tu prononceras cette parole:

Jérémie 22, 2 Ecoute la parole de Yahvé, ô roi de Juda qui sièges sur le trône de David, toi, ainsi que tes serviteurs et tes gens qui entrent par ces portes.

Jérémie 22, 3 Ainsi parle Yahvé: Pratiquez le droit et la justice; tirez l'exploité des mains de l'oppresseur; l'étranger, l'orphelin et la veuve, ne les maltraitez pas, ne les outragez pas; le sang innocent, ne le versez pas en ce lieu.

Jérémie 22, 4 Car si vous vous appliquez à observer cette parole, alors, par les portes de ce palais, des rois siégeant sur le trône de David feront leur entrée, montés sur des chars et des chevaux, eux, leurs serviteurs et leurs gens.

Jérémie 22, 5 Mais si vous n'écoutez pas ces paroles, je le jure par moi-même - oracle de Yahvé - ce palais deviendra une ruine.

Jérémie 22, 6 Oui, ainsi parle Yahvé au sujet du palais du roi de Juda: Tu es pour moi Galaad et la cime du Liban. Pourtant je vais te réduire en désert, en villes inhabitées.

Jérémie 22, 7 Je voue contre toi des destructeurs, chacun avec ses armes; ils abattront les plus beaux de tes cèdres et les jetteront au feu.

Jérémie 22, 8 Et quand des nations nombreuses passeront près de cette ville, les gens se diront entre eux: "Pourquoi Yahvé a-t-il traité de la sorte cette grande cité?"

Jérémie 22, 9 On répondra: "C'est qu'ils ont abandonné l'alliance de Yahvé leur Dieu, pour se prosterner devant d'autres dieux et les servir."

Jérémie 22, 10 Ne pleurez pas celui qui est mort, ne le plaignez pas. Pleurez plutôt celui qui est parti, car il ne reviendra plus, il ne verra plus son pays natal.

Jérémie 22, 11 Car ainsi a parlé Yahvé au sujet de Shallum, fils de Josias, roi de Juda, qui régna à la place de son père Josias et dut quitter ce lieu: il n'y reviendra plus,

Jérémie 22, 12 mais dans le lieu où on l'emmena prisonnier, il mourra; et ce pays-ci, jamais il ne le reverra.

Jérémie 22, 13 Malheur à qui bâtit sa maison sans la justice et ses chambres hautes sans le droit, qui fait travailler son prochain pour rien et ne lui verse pas de salaire,

Jérémie 22, 14 qui se dit: "Je vais me bâtir un palais spacieux avec de vastes chambres hautes", qui y perce des ouvertures, le recouvre de cèdre et le peint en rouge.

Jérémie 22, 15 Règnes-tu parce que tu as la passion du cèdre? Ton père ne mangeait-il et ne buvait-il pas? Mais il pratiquait le droit et la justice! Alors, pour lui tout allait bien.

Jérémie 22, 16 Il jugeait la cause du pauvre et du malheureux. Alors, tout allait bien. Me connaître, n'est-ce pas cela? - oracle de Yahvé -

Jérémie 22, 17 Mais rien ne captive tes yeux et ton coeur sinon ton intérêt propre, le sang innocent à répandre, oppression et violence à perpétrer.

Jérémie 22, 18 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé au sujet de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda. Pour lui, point de lamentation: "Hélas! mon frère! Hélas! ô soeur!" Pour lui, point de lamentation: "Hélas! Seigneur! Hélas! sa Majesté!"

Jérémie 22, 19 Il sera enterré comme on enterre un âne! Il sera traîné et jeté loin des portes de Jérusalem!

Jérémie 22, 20 Monte sur le Liban pour crier, sur le Bashân donne de la voix, crie du haut des Abarim, car tous tes amants sont écrasés!

Jérémie 22, 21 Je t'ai parlé au temps de ta sécurité; tu as dit: "Je n'écouterai pas!" Ce fut ton comportement depuis ta jeunesse de ne pas écouter ma voix.

Jérémie 22, 22 Tous tes pasteurs, le vent les enverra paître et tes amants partiront en exil. Oui, tu seras alors honteuse et rougissante de toute ta perversité.

Jérémie 22, 23 Toi qui as établi ta demeure sur le Liban, ton nid parmi les cèdres, comme tu vas gémir quand des douleurs te viendront, des affres, comme à celle qui accouche!

Jérémie 22, 24 Par ma vie - oracle de Yahvé - même si Konias, fils de Joiaqim, roi de Juda, était un anneau à ma main droite, je t'arracherais de là!

Jérémie 22, 25 Je vais te livrer aux mains de ceux qui en veulent à ta vie, aux mains de ceux qui te font trembler, aux mains de Nabuchodonosor, roi de Babylone, et aux mains des Chaldéens.

Jérémie 22, 26 Je te jetterai, toi et ta mère qui t'as enfanté, dans un autre pays: vous n'y êtes pas nés mais vous y mourrez.

Jérémie 22, 27 Et ce pays où ils désirent ardemment revenir, ils n'y reviendront pas!

Jérémie 22, 28 Est-ce un ustensile vil et cassé cet homme, ce Konias, est-ce un objet dont personne ne veut? Pourquoi sont-ils chassés, lui et sa race, jetés dans un pays qu'ils ne connaissaient point?

Jérémie 22, 29 Terre! terre! terre! écoute la parole de Yahvé.

Jérémie 22, 30 Ainsi parle Yahvé: Inscrivez cet homme: "Sans enfants, quelqu'un qui n'a pas réussi en son temps." Car nul de sa race ne réussira à siéger sur le trône de David et à dominer en Juda.

Jérémie 23, 1 Malheur aux pasteurs qui perdent et dispersent les brebis de mon pâturage - oracle de Yahvé!

Jérémie 23, 2 C'est pourquoi ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël, contre les pasteurs qui ont à paître mon peuple: vous avez dispersé mes brebis, vous les avez chassées et ne vous en êtes pas occupés. Eh bien! moi, je vais m'occuper de vous pour vos méfaits, oracle de Yahvé!

Jérémie 23, 3 Je rassemblerai moi-même le reste de mes brebis de tous les pays où je les aurai dispersées, et je les ramènerai dans leur prairie: elles seront fécondes et se multiplieront.

Jérémie 23, 4 Je susciterai pour elles des pasteurs qui les feront paître; elles n'auront plus crainte ni terreur; aucune ne se perdra, oracle de Yahvé!

Jérémie 23, 5 Voici venir des jours - oracle de Yahvé - où je susciterai à David un germe juste; un roi régnera et sera intelligent, exerçant dans le pays droit et justice.

Jérémie 23, 6 En ses jours, Juda sera sauvé et Israël habitera en sécurité. Voici le nom dont on l'appellera: "Yahvé-notre-Justice."

Jérémie 23, 7 Aussi voici venir des jours - oracle de Yahvé - où l'on ne dira plus: "Yahvé est vivant, qui a fait monter les Israélites du pays d'Egypte",

Jérémie 23, 8 mais: "Yahvé est vivant, qui a fait monter et rentrer la race de la maison d'Israël du pays du Nord et de tous les pays où il les avait dispersés, pour qu'ils demeurent sur leur propre sol."

Jérémie 23, 9 Sur les prophètes. Mon coeur en moi est brisé, je tremble de tous mes membres. Je suis comme un homme ivre, comme quelqu'un que le vin a dompté, à cause de Yahvé et de ses paroles saintes.

Jérémie 23, 10 Car le pays est rempli d'adultères; oui, à cause d'une malédiction, le pays est en deuil et les pacages du désert sont desséchés; les hommes courent au mal, ils dépensent leur force pour l'injustice.

Jérémie 23, 11 Oui, même le prophète et le prêtre sont des impies, jusqu'en ma Maison j'ai trouvé leur iniquité, oracle de Yahvé.

Jérémie 23, 12 Aussi leur voie va se changer pour eux en fondrière; engagés là, dans les ténèbres, ils y culbuteront. Car je vais amener sur eux un malheur, l'année de leur châtiment, oracle de Yahvé.

Jérémie 23, 13 Chez les prophètes de Samarie, j'ai vu l'insanité; ils prophétisaient au nom de Baal et égaraient mon peuple Israël.

Jérémie 23, 14 Mais chez les prophètes de Jérusalem, j'ai vu l'horreur: l'adultère, l'obstination dans le mensonge, le soutien donné aux méchants pour que nul ne revienne de sa méchanceté. Ils sont tous pour moi comme Sodome et ses habitants comme Gomorrhe!

Jérémie 23, 15 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé Sabaot contre les prophètes: Voici, je vais leur faire manger de l'absinthe et leur faire boire de l'eau empoisonnée, car, venant des prophètes de Jérusalem, l'impiété s'est répandue dans tout le pays.

Jérémie 23, 16 Ainsi parle Yahvé Sabaot: N'écoutez pas les paroles de ces prophètes qui vous prophétisent; ils vous dupent, ils débitent les visions de leur coeur, rien qui vienne de la bouche de Yahvé;

Jérémie 23, 17 ils osent dire à ceux qui me méprisent: "Yahvé a parlé; vous aurez la paix!" et à tous ceux qui suivent l'obstination de leur coeur: "Aucun mal ne vous arrivera!"

Jérémie 23, 18 Mais qui donc a assisté au conseil de Yahvé pour voir et entendre sa parole? Qui a fait attention à sa parole et l'a entendue?

Jérémie 23, 19 Voici un ouragan de Yahvé, sa fureur qui éclate, un ouragan se déchaîne, sur la tête des impies, il fait irruption;

Jérémie 23, 20 la colère de Yahvé ne se détournera pas qu'il n'ait accompli et réalisé les desseins de son coeur: A la fin des jours, vous comprendrez cela clairement!

Jérémie 23, 21 Je n'ai pas envoyé ces prophètes, et ils courent! Je ne leur ai rien dit, et ils prophétisent!

Jérémie 23, 22 S'ils avaient assisté à mon conseil, ils auraient fait entendre mes paroles à mon peuple, ils les auraient fait revenir de leur voie mauvaise et de la perversité de leurs actions!

Jérémie 23, 23 Ne serais-je un Dieu que de près - oracle de Yahvé - de loin ne serais-je plus un Dieu?

Jérémie 23, 24 Un homme peut-il se terrer dans des lieux cachés sans que je le voie? - oracle de Yahvé - Est-ce que le ciel et la terre je ne les remplis pas? Oracle de Yahvé.

Jérémie 23, 25 J'ai entendu comment parlent les prophètes qui prophétisent en mon nom le mensonge en disant: "J'ai eu un songe! J'ai eu un songe!"

Jérémie 23, 26 Jusqu'à quand y aura-t-il au sein des prophètes des gens qui prophétisent le mensonge et annoncent l'imposture de leur coeur?

Jérémie 23, 27 Avec les songes qu'ils se racontent l'un à l'autre, ils s'ingénient à faire oublier mon Nom à mon peuple; ainsi leurs pères ont-ils oublié mon Nom au profit de Baal!

Jérémie 23, 28 Le prophète qui a eu un songe, qu'il raconte un songe! Et celui qui tient de moi une parole, qu'il délivre fidèlement ma parole! Qu'ont de commun la paille et le froment? - oracle de Yahvé -

Jérémie 23, 29 Ma parole n'est-elle pas comme un feu? - oracle de Yahvé - N'est-elle pas comme un marteau qui fracasse le roc?

Jérémie 23, 30 Aussi vais-je m'en prendre aux prophètes - oracle de Yahvé - qui se dérobent mutuellement mes paroles.

Jérémie 23, 31 Je vais m'en prendre aux prophètes - oracle de Yahvé - qui agitent la langue pour émettre des oracles.

Jérémie 23, 32 Je vais m'en prendre à ceux qui prophétisent des songes mensongers - oracle de Yahvé - qui les racontent et égarent mon peuple par leurs mensonges et leur vantardise. Moi, je ne les ai pas envoyés, je ne leur ai pas donné d'ordres, et ils ne sont d'aucune utilité à ce peuple, oracle de Yahvé.

Jérémie 23, 33 Et quand ce peuple, ou un prophète, ou un prêtre, te demandera: "Quel est le fardeau de Yahvé?" Tu leur répondras: "C'est vous le fardeau, vous dont je vais me délester, oracle de Yahvé!"

Jérémie 23, 34 Et le prophète, le prêtre ou celui du peuple qui dira: "Fardeau de Yahvé", je le visiterai cet homme-là, ainsi que sa maison.

Jérémie 23, 35 Ainsi parlerez-vous entre vous, entre frères: "Qu'a répondu Yahvé?" Ou: "Qu'a dit Yahvé?"

Jérémie 23, 36 Mais vous ne mentionnerez plus le "Fardeau de Yahvé", car le fardeau est pour chacun sa propre parole. Et vous pervertissez les paroles du Dieu vivant, Yahvé Sabaot, notre Dieu!

Jérémie 23, 37 Tu parleras ainsi au prophète: "Que t'a répondu Yahvé?" Ou: "Qu'a dit Yahvé?"

Jérémie 23, 38 Mais si vous dites "Fardeau de Yahvé", alors, ainsi parle Yahvé: Puisque vous employez cette expression "Fardeau de Yahvé" alors que je vous ai fait avertir de ne plus dire "Fardeau de Yahvé",

Jérémie 23, 39 à cause de cela je vous soulèverai et je vous jetterai loin de ma face, vous et la Ville que j'avais donnée à vous et à vos pères.

Jérémie 23, 40 Et je mettrai sur vous un opprobre éternel, une confusion éternelle et inoubliable!

Jérémie 24, 1 Voilà que Yahvé me fit voir deux corbeilles de figues disposées devant le sanctuaire de Yahvé. C'était après que Nabuchodonosor, roi de Babylone, eut emmené captifs, loin de Jérusalem, Jékonias, fils de Joiaqim, roi de Juda, ainsi que les princes de Juda, les forgerons et les serruriers, et qu'il les eut amenés à Babylone.

Jérémie 24, 2 Une corbeille contenait d'excellentes figues, comme sont les figues précoces; l'autre contenait des figues gâtées, si gâtées qu'elles en étaient immangeables.

Jérémie 24, 3 Et Yahvé me dit: "Que vois-tu, Jérémie?" Et je répondis: "Des figues. Les bonnes sont excellentes. Les mauvaises sont gâtées, si gâtées qu'on ne peut les manger."

Jérémie 24, 4 Alors la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Jérémie 24, 5 Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël. Comme à ces bonnes figues, ainsi je veux m'intéresser pour leur bien aux exilés de Juda, que j'ai envoyés de ce lieu au pays des Chaldéens.

Jérémie 24, 6 Je veux fixer les yeux sur eux pour leur bien, les faire revenir en ce pays, les reconstruire au lieu de les démolir, les planter au lieu de les arracher.

Jérémie 24, 7 Je leur donnerai un coeur pour connaître que je suis Yahvé. Ils seront mon peuple et moi je serai leur Dieu, car ils reviendront à moi de tout leur coeur.

Jérémie 24, 8 Mais comme on traite les mauvaises figues, si gâtées qu'elles en sont immangeables - oui, ainsi parle Yahvé - ainsi traiterai-je Sédécias, roi de Juda, ses princes et le reste de Jérusalem: ceux qui sont restés dans ce pays comme ceux qui habitent au pays d'Egypte.

Jérémie 24, 9 J'en ferai un objet d'horreur, une calamité pour tous les royaumes de la terre; un opprobre, une fable, une risée, une malédiction en tous lieux où je les chasserai.

Jérémie 24, 10 Et j'enverrai contre eux l'épée, la famine et la peste jusqu'à ce qu'ils aient disparu du sol que j'avais donné à eux et à leurs pères.

Jérémie 25, 1 Parole concernant tout le peuple de Juda, qui fut adressée à Jérémie la quatrième année de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda (c'est-à-dire la première année de Nabuchodonosor, roi de Babylone).

Jérémie 25, 2 Le prophète Jérémie la prononça devant tout le peuple de Juda et tous les habitants de Jérusalem.

Jérémie 25, 3 Depuis la treizième année de Josias, fils d'Amon, roi de Juda, jusqu'à aujourd'hui, voici 23 ans que la parole de Yahvé m'est adressée et que, sans me lasser, je vous parle (mais vous n'avez pas écouté.

Jérémie 25, 4 De plus Yahvé, sans se lasser, vous a envoyé tous ses serviteurs les prophètes, mais vous n'avez pas écouté ni prêté l'oreille pour entendre).

Jérémie 25, 5 Cette parole était: Revenez donc chacun de votre voie mauvaise et de la perversité de vos actions; alors vous habiterez sur le sol que Yahvé vous a donné, à vous et à vos pères, depuis toujours jusqu'à toujours.

Jérémie 25, 6 (Et n'allez pas suivre d'autres dieux pour les servir et vous prosterner devant eux; ne m'irritez pas par les oeuvres de vos mains, et alors je ne vous ferai aucun mal.)

Jérémie 25, 7 Mais vous ne m'avez pas écouté (oracle de Yahvé! en sorte que vous m'avez irrité par les oeuvres de vos mains pour votre malheur).

Jérémie 25, 8 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé Sabaot: Puisque vous n'avez pas écouté mes paroles,

Jérémie 25, 9 voici que j'envoie chercher toutes les familles du Nord (oracle de Yahvé! autour de Nabuchodonosor roi de Babylone, mon serviteur) et je les amènerai contre ce pays et ses habitants (et contre toutes ces nations d'alentour); je les frapperai d'anathème et en ferai un objet de stupeur, une risée, des ruines pour toujours.

Jérémie 25, 10 Je ferai disparaître chez eux les cris de joie et d'allégresse, les appels du fiancé et de la fiancée, le bruit des deux meules et la lumière de la lampe.

Jérémie 25, 11 Tout ce pays sera réduit en ruine et en désolation, et ces nations seront asservies au roi de Babylone pendant 70 ans.

Jérémie 25, 12 (Mais quand seront accomplis les 70 ans, je visiterai le roi de Babylone et cette nation - oracle de Yahvé - à cause de leur crime, ainsi que le pays des Chaldéens, pour en faire une désolation éternelle.)

Jérémie 25, 13 Je ferai s'accomplir contre ce pays toutes les paroles que j'ai prononcées contre lui, tout ce qui est écrit dans ce livre. Ce qu'a prophétisé Jérémie contre toutes les nations.

Jérémie 25, 14 (Car elles aussi seront asservies à des nations puissantes et à de grands rois, et je leur rendrai selon leurs actes et selon l'oeuvre de leurs mains.)

Jérémie 25, 15 Car Yahvé, Dieu d'Israël, me parla ainsi: Prends de ma main cette coupe de vin de colère et fais-la boire à toutes les nations vers lesquelles je vais t'envoyer;

Jérémie 25, 16 elles boiront, chancelleront et deviendront folles, à cause de l'épée que je vais envoyer au milieu d'elles.

Jérémie 25, 17 Je pris la coupe de la main de Yahvé et la fis boire à toutes les nations vers lesquelles Yahvé m'avait envoyé:

Jérémie 25, 18 (Jérusalem et les villes de Juda, ses rois et ses princes, pour en faire une ruine, un objet de stupeur, une risée et une malédiction, comme aujourd'hui même.

Jérémie 25, 19 Pharaon, roi d'Egypte, avec ses serviteurs, ses princes et tout son peuple,

Jérémie 25, 20 ainsi que tout le ramassis des étrangers (tous les rois du pays de Uç); tous les rois du pays des Philistins, Ashqelôn, Gaza, Eqrôn et ce qui reste encore d'Ashdod;

Jérémie 25, 21 Edom, Moab et les fils d'Ammon;

Jérémie 25, 22 (tous) les rois de Tyr, (tous) les rois de Sidon, les rois de l'île qui est au-delà de la mer;

Jérémie 25, 23 Dedân, Téma, Buz, tous les hommes aux tempes rasées,

Jérémie 25, 24 tous les rois de l'Arabie (et tous les rois du ramassis des étrangers) qui habitent le désert.

Jérémie 25, 25 (Tous les rois de Zimri), tous les rois d'Elam et tous les rois de Médie;

Jérémie 25, 26 tous les rois du Nord, proches ou lointains, l'un après l'autre, et tous les royaumes qui sont sur la terre. (Quant au roi de Shéshak, il boira après eux.)

Jérémie 25, 27 Tu leur diras: Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: Buvez! Enivrez-vous! Vomissez! Tombez sans pouvoir vous relever, devant l'épée que je vais envoyer au milieu de vous.

Jérémie 25, 28 Si jamais ils refusent d'accepter de ta main la coupe à boire, tu leur diras: Ainsi parle Yahvé Sabaot. Vous boirez!

Jérémie 25, 29 Car voici: c'est par la ville qui porte mon nom que j'inaugure le malheur, et vous seriez épargnés? Non! vous ne serez pas épargnés, car j'appelle moi-même l'épée contre tous les habitants de la terre, oracle de Yahvé Sabaot.

Jérémie 25, 30 Et toi, tu leur annonceras toutes ces paroles, tu leur diras: Yahvé rugit d'en haut, de sa demeure sainte il élève la voix, il rugit avec vigueur contre son pacage, il pousse le cri des fouleurs à la cuve contre tous les habitants de la terre.

Jérémie 25, 31 Le tumulte en parvient jusqu'au bout de la terre. Car Yahvé ouvre le procès des nations, il institue le jugement de toute chair; les impies, il les livre à l'épée, oracle de Yahvé.

Jérémie 25, 32 Ainsi parle Yahvé Sabaot. Voici: le malheur s'étend de nation en nation, un grand ouragan s'élève des extrémités de la terre.

Jérémie 25, 33 Il y aura des victimes de Yahvé en ce jour-là, d'un bout de la terre à l'autre; on ne les pleurera pas, on ne les ramassera pas, on ne les enterrera pas. Ils resteront sur le sol en guise de fumier.

Jérémie 25, 34 Hurlez, pasteurs, criez, roulez-vous à terre, chefs du troupeau, car vos jours sont à point pour le massacre et pour votre dispersion, vous tomberez comme un vase de choix.

Jérémie 25, 35 Plus de refuge pour les pasteurs, ni d'évasion pour les chefs du troupeau.

Jérémie 25, 36 Clameur des pasteurs, hurlement des chefs du troupeau! Car Yahvé a dévasté leur pacage,

Jérémie 25, 37 les paisibles pâturages sont réduits au silence à cause de l'ardente colère de Yahvé!

Jérémie 25, 38 Le lion a quitté son repaire et leur pays est devenu un objet de stupeur, à cause de l'ardeur dévastatrice, à cause de l'ardeur de sa colère.

Jérémie 26, 1 Au début du règne de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda, cette parole fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé:

Jérémie 26, 2 Ainsi parle Yahvé. Tiens-toi dans la cour du Temple de Yahvé. Contre tous ceux des villes qui viennent se prosterner dans le Temple de Yahvé tu diras toutes les paroles que je t'ai ordonné de leur dire; ne retranche pas un mot.

Jérémie 26, 3 Peut-être écouteront-ils et se détourneront-ils chacun de sa voie perverse: alors je me repentirai du malheur que je suis en train de méditer contre eux pour la perversité de leurs actes.

Jérémie 26, 4 Tu leur diras: Ainsi parle Yahvé. Si vous ne m'écoutez pas pour suivre ma Loi que j'ai placée devant vous,

Jérémie 26, 5 pour être attentifs aux paroles de mes serviteurs les prophètes, que je vous envoie sans me lasser mais que vous n'avez pas écoutés,

Jérémie 26, 6 je traiterai ce Temple comme Silo et je ferai de cette ville une malédiction pour toutes les nations de la terre.

Jérémie 26, 7 Prêtres, prophètes et peuple entier entendirent Jérémie prononcer ces paroles dans le Temple de Yahvé.

Jérémie 26, 8 Et quand Jérémie eut fini de prononcer tout ce que Yahvé lui avait ordonné de dire à tout le peuple, prêtres, prophètes et peuple entier se saisirent de lui en disant: "Tu vas mourir!

Jérémie 26, 9 Pourquoi as-tu fait au nom de Yahvé cette prophétie: Ce Temple deviendra comme Silo et cette ville sera une ruine, inhabitée?" Et tout le peuple s'attroupa autour de Jérémie au Temple de Yahvé.

Jérémie 26, 10 Apprenant ces événements, les princes de Juda montèrent du palais royal au Temple de Yahvé et siégèrent à l'entrée de la porte Neuve du Temple de Yahvé.

Jérémie 26, 11 Alors prêtres et prophètes dirent aux princes et à tout le peuple: "C'est la mort que mérite cet homme, car il a prophétisé contre cette ville, ainsi que vous l'avez entendu de vos oreilles!"

Jérémie 26, 12 Mais Jérémie répondit à tous les princes et à "tout le peuple: C'est Yahvé qui m'a envoyé prophétiser contre le Temple et contre cette ville en prononçant toutes les paroles que vous avez entendues.

Jérémie 26, 13 Maintenant donc, améliorez vos voies et vos oeuvres, soyez attentifs à l'appel de Yahvé votre Dieu; alors ils se repentira du malheur qu'il a prononcé contre vous.

Jérémie 26, 14 Pour moi, me voici entre vos mains. Faites de moi ce qui vous semble bon et juste.

Jérémie 26, 15 Mais sachez bien que si vous me faites mourir, c'est du sang innocent que vous mettrez sur vous, sur cette ville et sur ses habitants. Car Yahvé m'a bel et bien envoyé vers vous, pour prononcer à vos oreilles toutes ces paroles."

Jérémie 26, 16 Alors les princes et le peuple entier dirent aux prêtres et aux prophètes: "Cet homme ne mérite pas la mort puisqu'il nous a parlé au nom de Yahvé notre Dieu."

Jérémie 26, 17 Et quelques-uns des anciens du pays se levèrent pour dire à tout le peuple assemblé:

Jérémie 26, 18 "Michée de Moréshèt, qui prophétisait aux jours d'Ezéchias, roi de Juda, a bien dit à tout le peuple de Juda: Ainsi parle Yahvé Sabaot: Sion sera une terre de labour, Jérusalem un amoncellement de pierres et la montagne du Temple une hauteur boisée!

Jérémie 26, 19 Est-ce que pour cela Ezéchias, roi de Juda, et tout Juda l'ont fait mourir? N'ont-ils pas plutôt ressenti la crainte de Yahvé et ne l'ont-ils pas imploré, de telle sorte que Yahvé se repentit du malheur qu'il avait prononcé contre eux? Et nous, nous nous chargerions d'un si grand crime!"

Jérémie 26, 20 Il y eut encore un homme qui prophétisait au nom de Yahvé; c'était Uriyyahu, fils de Shemayahu, originaire de Qiryat-Yéarim. Il prophétisa contre cette ville et ce pays dans les mêmes termes que Jérémie.

Jérémie 26, 21 Alors le roi Joiaqim, avec tous ses officiers et ses princes, ayant entendu ses paroles, chercha à le faire mourir. A cette nouvelle Uriyyahu eut peur, il prit la fuite et parvint en Egypte.

Jérémie 26, 22 Mais le roi Joiaqim envoya en Egypte Elnatân fils de Akbor, accompagné de quelques gens.

Jérémie 26, 23 Ils firent sortir Uriyyahu d'Egypte et le conduisirent au roi Joiaqim qui le fit frapper de l'épée et fit jeter son cadavre parmi les sépultures des gens du peuple.

Jérémie 26, 24 Jérémie, lui, fut protégé par Ahiqam, fils de Shaphân, si bien qu'il ne tomba pas aux mains du peuple pour être mis à mort.

Jérémie 27, 1 (Au début du règne de Sédécias, fils de Josias, roi de Juda, cette parole fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé.)

Jérémie 27, 2 Yahvé me parla ainsi: Fais-toi des cordes et un joug et mets-les sur ta nuque.

Jérémie 27, 3 Puis envoie-les au roi d'Edom, au roi de Moab, au roi des Ammonites, au roi de Tyr et au roi de Sidon, par l'entremise de leurs envoyés qui sont venus à Jérusalem auprès de Sédécias, roi de Juda.

Jérémie 27, 4 Charge-les pour leurs maîtres de cette commission: "Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Parlez donc ainsi à vos maîtres:

Jérémie 27, 5 C'est moi qui ai fait, par ma grande puissance et mon bras étendu, la terre, l'homme et les bêtes qui sont sur la terre; et je les donne à qui bon me semble.

Jérémie 27, 6 Or présentement, j'ai remis tous ces pays aux mains de Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur; j'ai mis à son service même les bêtes des champs.

Jérémie 27, 7 (Toutes les nations le serviront ainsi que son fils et son petit-fils jusqu'à ce que vienne aussi le temps marqué pour son pays; alors de puissantes nations et de grands rois l'asserviront.)

Jérémie 27, 8 La nation ou le royaume qui ne servira pas Nabuchodonosor, roi de Babylone, et n'offrira pas sa nuque au joug du roi de Babylone, c'est par l'épée, la famine et la peste que je visiterai cette nation - oracle de Yahvé - jusqu'à ce que je l'aie achevée par sa main.

Jérémie 27, 9 Et vous, n'écoutez pas vos prophètes, devins, songe-creux, enchanteurs et magiciens qui vous disent: Vous ne serez pas asservis au roi de Babylone!

Jérémie 27, 10 C'est le mensonge qu'ils vous prophétisent; le résultat, c'est qu'ils vous feront bannir de votre sol, que je vous chasserai et que vous périrez.

Jérémie 27, 11 Mais la nation qui offrira sa nuque au joug du roi de Babylone et se mettra à son service, je lui accorderai du repos sur son sol - oracle de Yahvé - elle le cultivera et y restera."

Jérémie 27, 12 Et à Sédécias, roi de Juda, je parlai exactement de la même manière; je lui dis: "Offrez vos nuques au joug du roi de Babylone; servez-le ainsi que son peuple, et vous vivrez.

Jérémie 27, 13 (Pourquoi tenez-vous à mourir, toi et ton peuple, par l'épée, la famine et la peste, comme Yahvé en a menacé la nation qui ne servira pas le roi de Babylone?)

Jérémie 27, 14 Et n'écoutez pas les paroles que vous disent les prophètes: Vous ne serez pas asservis au roi de Babylone. C'est le mensonge qu'ils vous prophétisent.

Jérémie 27, 15 Car je ne les ai point envoyés - oracle de Yahvé - c'est le mensonge qu'ils vous prophétisent en mon nom. Le résultat c'est que je vous chasserai et que vous périrez, vous et les prophètes qui vous prophétisent."

Jérémie 27, 16 Et aux prêtres et à tout ce peuple, je parlai en ces termes: "Ainsi parle Yahvé. N'écoutez pas les paroles de vos prophètes qui vous prophétisent ainsi: Voici, les ustensiles du Temple de Yahvé vont être ramenés bientôt et rapidement de Babylone; c'est le mensonge qu'ils vous prophétisent.

Jérémie 27, 17 (Ne les écoutez pas. Servez le roi de Babylone et vous vivrez. Pourquoi cette ville deviendrait-elle une ruine?)

Jérémie 27, 18 S'ils sont prophètes, s'ils ont avec eux la parole de Yahvé, qu'ils intercèdent auprès de Yahvé Sabaot pour que ne s'en aille pas à Babylone ce qui reste d'ustensiles dans le Temple de Yahvé, dans le palais royal de Juda et à Jérusalem!

Jérémie 27, 19 Car ainsi parle Yahvé au sujet (des colonnes, de la Mer, des bases et) des autres ustensiles restés dans cette ville,

Jérémie 27, 20 ceux que n'a pas enlevés Nabuchodonosor, roi de Babylone, quand il emmena en captivité de Jérusalem à Babylone Jékonias, fils de Joiaqim, roi de Juda (avec tous les notables de Juda et de Jérusalem).

Jérémie 27, 21 Oui, ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël, au sujet des ustensiles qui restent dans le Temple de Yahvé, dans le palais royal de Juda et à Jérusalem:

Jérémie 27, 22 ils seront emportés à Babylone (où ils resteront jusqu'au jour où je les visiterai), oracle de Yahvé. (Alors je les ferai remonter et revenir en ce lieu!)"

Jérémie 28, 1 Cette même année, au début du règne de Sédécias, roi de Juda, la quatrième année, au cinquième mois, le prophète Hananya, fils de Azzur, originaire de Gabaôn, parla ainsi à Jérémie dans le Temple de Yahvé, en présence des prêtres et de tout le peuple:

Jérémie 28, 2 "Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. J'ai brisé le joug du roi de Babylone!

Jérémie 28, 3 Encore juste deux ans, et je ferai revenir en ce lieu tous les ustensiles du Temple de Yahvé que Nabuchodonosor, roi de Babylone, a enlevés d'ici pour les emporter à Babylone.

Jérémie 28, 4 De même Jékonias, fils de Joiaqim, roi de Juda, avec tous les déportés de Juda qui sont allés à Babylone, je les ferai revenir ici - oracle de Yahvé - car je vais briser le joug du roi de Babylone!"

Jérémie 28, 5 Alors le prophète Jérémie répondit au prophète Hananya, devant les prêtres et tout le peuple présents dans le Temple de Yahvé.

Jérémie 28, 6 Le prophète Jérémie dit: "Amen! Qu'ainsi fasse Yahvé! Qu'il accomplisse les paroles que tu viens de prophétiser et fasse revenir de Babylone tous les ustensiles du Temple de Yahvé ainsi que tous les déportés.

Jérémie 28, 7 Cependant, écoute bien la parole que je vais prononcer à tes oreilles et à celles de tout le peuple:

Jérémie 28, 8 Les prophètes qui nous ont précédés, toi et moi, depuis bien longtemps, ont prophétisé, pour beaucoup de pays et pour des royaumes considérables, la guerre, le malheur et la peste;

Jérémie 28, 9 le prophète qui prophétise la paix, c'est quand s'accomplit sa parole qu'on le reconnaît pour un authentique envoyé de Yahvé!"

Jérémie 28, 10 Alors le prophète Hananya enleva le joug de la nuque du prophète Jérémie et le brisa.

Jérémie 28, 11 Et Hananya dit, devant tout le peuple: "Ainsi parle Yahvé. C'est de cette façon que dans juste deux ans je briserai le joug de Nabuchodonosor, roi de Babylone, l'enlevant de la nuque de toutes les nations." Et le prophète Jérémie s'en alla.

Jérémie 28, 12 Or après que le prophète Hananya eût brisé le joug qu'il avait enlevé de la nuque du prophète Jérémie, la parole de Yahvé fut adressée à Jérémie:

Jérémie 28, 13 "Va dire à Hananya: Ainsi parle Yahvé. Tu brises les jougs de bois? Eh bien! Tu va les remplacer par des jougs de fer!

Jérémie 28, 14 Car ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: C'est un joug de fer que je mets sur la nuque de toutes ces nations, pour les asservir à Nabuchodonosor, roi de Babylone. (Elles lui seront asservies et je lui ai livré même les bêtes des champs.)"

Jérémie 28, 15 Et le prophète Jérémie dit au prophète Hananya: "Ecoute bien, Hananya: Yahvé ne t'a point envoyé et tu as fait que ce peuple se confie au mensonge.

Jérémie 28, 16 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé. Voici que je te renvoie de la face de la terre: cette année tu mourras (car tu as prêché la révolte contre Yahvé").

Jérémie 28, 17 Et le prophète Hananya mourut cette année même, au septième mois.

Jérémie 29, 1 Voici le texte de la lettre que le prophète Jérémie expédia de Jérusalem à ceux qui restaient des anciens en déportation, aux prêtres, aux prophètes et à tout le peuple, que Nabuchodonosor avait déportés de Jérusalem à Babylone.

Jérémie 29, 2 C'était après que le roi Jékonias eut quitté Jérusalem avec la reine-mère, les eunuques, les princes de Juda et de Jérusalem, les forgerons et les serruriers.

Jérémie 29, 3 Elle fut portée par Eléasa, fils de Shaphân, et Gemarya, fils de Hilqiyya, que Sédécias, roi de Juda, avait envoyés à Babylone, auprès de Nabuchodonosor, roi de Babylone. La lettre disait:

Jérémie 29, 4 "Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël, à tous les exilés, déportés de Jérusalem à Babylone:

Jérémie 29, 5 Bâtissez des maisons et installez-vous; plantez des jardins et mangez leurs fruits;

Jérémie 29, 6 prenez femme et engendrez des fils et des filles; choisissez des femmes pour vos fils; donnez vos filles en mariage et qu'elles enfantent des fils et des filles; multipliez-vous là-bas, ne diminuez pas!

Jérémie 29, 7 Recherchez la paix pour la ville où je vous ai déportés; priez Yahvé en sa faveur, car de sa paix dépend la vôtre.

Jérémie 29, 8 Car ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: ne vous laissez pas égarer par les prophètes qui sont parmi vous, ni par vos devins, n'écoutez pas les songes que vous faites,

Jérémie 29, 9 car c'est pour le mensonge qu'ils vous prophétisent en mon Nom. Je ne les ai point envoyés - oracle de Yahvé.

Jérémie 29, 10 Car ainsi parle Yahvé: Quand seront accomplis les 70 ans à Babylone, je vous visiterai et je réaliserai pour vous ma promesse de bonheur en vous ramenant ici.

Jérémie 29, 11 Car je sais, moi, les desseins que je forme pour vous - oracle de Yahvé - desseins de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance.

Jérémie 29, 12 Vous m'invoquerez et vous viendrez, vous me prierez et je vous écouterai.

Jérémie 29, 13 Vous me chercherez et vous me trouverez, car vous me rechercherez de tout votre coeur;

Jérémie 29, 14 je me laisserai trouver par vous( - oracle de Yahvé. Je ramènerai vos captifs et vous rassemblerai de toutes les nations et de tous les lieux où je vous ai chassés, oracle de Yahvé. Je vous ramènerai en ce lieu d'où je vous ai exilés).

Jérémie 29, 15 Puisque vous dites: Yahvé nous a suscité des prophètes à Babylone -

Jérémie 29, 16 Ainsi parle Yahvé au sujet du roi qui trône sur le siège de David et de tout le peuple habitant cette ville, vos frères qui ne vous accompagnèrent pas en déportation.

Jérémie 29, 17 Ainsi parle Yahvé Sabaot: Voici que je vais leur envoyer l'épée, la famine et la peste; je les rendrai pareils à des figues pourries, si gâtées qu'on ne peut les manger.

Jérémie 29, 18 Je les poursuivrai par l'épée, la famine et la peste. J'en ferai un objet d'épouvante pour tous les royaumes de la terre, une exécration, un objet de stupeur, de dérision et de raillerie pour toutes les nations où je les aurai chassés.

Jérémie 29, 19 C'est qu'ils n'ont point écouté mes paroles - oracle de Yahvé - bien que je leur aie envoyé sans me lasser mes serviteurs les prophètes, mais ils ne les ont pas écoutés - oracle de Yahvé.

Jérémie 29, 20 Quant à vous, les déportés, que j'ai envoyés de Jérusalem à Babylone, écoutez tous la parole de Yahvé! -

Jérémie 29, 21 Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël, au sujet d'Ahab, fils de Qolaya, et de Cidqiyyahu, fils de Maaséya, qui vous prophétisent en mon nom des mensonges: Voici, je vais les livrer entre les mains de Nabuchodonosor, roi de Babylone, qui les frappera sous vos yeux.

Jérémie 29, 22 Et l'on pourra tirer de leur sort cette malédiction qui aura cours chez tous les déportés judéens présents à Babylone: Que Yahvé te traite comme Cidqiyyahu et Ahab, rôtis au feu par le roi de Babylone!

Jérémie 29, 23 C'est qu'ils ont accompli une infamie en Israël, ils ont commis l'adultère avec les femmes de leur prochain, ils ont prononcé en mon nom des paroles de mensonge sans que j'en aie donné l'ordre. Mais moi, je sais et je témoigne, oracle de Yahvé."

Jérémie 29, 24 Et à Shemayahu de Nahlam, tu parleras ainsi:

Jérémie 29, 25 Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Puisque toi, tu as envoyé de ton propre chef à tout le peuple de Jérusalem et au prêtre Cephanya, fils de Maaséya (et à tous les prêtres) une lettre disant:

Jérémie 29, 26 "Yahvé t'a établi prêtre à la place du prêtre Yehoyada, pour exercer la surveillance dans le Temple de Yahvé, sur tout exalté qui joue au prophète; tu dois le mettre au carcan et aux fers.

Jérémie 29, 27 Pourquoi alors n'avoir pas corrigé Jérémie d'Anatot qui fait le prophète parmi vous?

Jérémie 29, 28 C'est ainsi qu'il a pu nous adresser à Babylone cette recommandation: Ce sera long! Bâtissez des maisons et installez-vous; plantez des jardins et mangez leurs fruits."

Jérémie 29, 29 (Or le prêtre Cephanya avait lu la lettre au prophète Jérémie.)

Jérémie 29, 30 La parole de Yahvé fut donc adressée à Jérémie en ces termes:

Jérémie 29, 31 Envoie ce message à tous les déportés: "Ainsi parle Yahvé au sujet de Shemayahu de Nahlam. Puisque Shemayahu vous a prophétisé, alors que je ne l'avais pas envoyé, et qu'il vous a fait vous confier au mensonge,

Jérémie 29, 32 eh bien! ainsi parle Yahvé: Je vais châtier Shemayahu de Nahlam ainsi que sa descendance. Aucun des siens n'habitera au milieu de ce peuple pour jouir du bonheur que je veux accorder à mon peuple( - oracle de Yahvé - car il a prêché la révolte contre Yahvé").

Jérémie 30, 1 Parole qui fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé en ces termes:

Jérémie 30, 2 Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël. Ecris pour toi dans un livre toutes les paroles que je t'ai adressées.

Jérémie 30, 3 Car voici venir des jours - oracle de Yahvé - où je ramènerai les captifs de mon peuple Israël (et Juda), dit Yahvé, je les ferai revenir au pays que j'ai donné à leurs pères et ils en prendront possession.

Jérémie 30, 4 Voici les paroles qu'a prononcées Yahvé à l'adresse d'Israël (et de Juda):

Jérémie 30, 5 Ainsi parle Yahvé: Nous avons perçu un cri d'effroi, c'est la terreur, non la paix.

Jérémie 30, 6 Interrogez donc et regardez. Est-ce qu'un mâle enfante? Pourquoi vois-je tout homme les mains sur les reins comme celle qui enfante? Pourquoi tous les visages sont-ils devenus livides?

Jérémie 30, 7 Malheur! C'est le grand jour! Il n'a pas son pareil! Temps de détresse pour Jacob, mais dont il sera sauvé.

Jérémie 30, 8 (Ce jour-là - oracle de Yahvé Sabaot - je briserai le joug qui pèse sur ta nuque et je romprai tes chaînes. Alors les étrangers ne t'asserviront plus,

Jérémie 30, 9 mais Israël et Juda serviront Yahvé leur Dieu et David leur roi que je vais leur susciter.)

Jérémie 30, 10 Toi donc, ne crains pas, mon serviteur Jacob - oracle de Yahvé - ne sois pas terrifié, Israël. Car voici que je vais te sauver des terres lointaines et tes descendants du pays de leur captivité. Jacob reviendra et sera paisible, tranquille, sans personne qui l'inquiète.

Jérémie 30, 11 Car je suis avec toi pour te sauver - oracle de Yahvé - je vais en finir avec toutes les nations où je t'ai dispersé; avec toi je ne veux pas en finir, mais te châtier selon le droit, ne te laissant pas impuni.

Jérémie 30, 12 Oui, ainsi parle Yahvé. Incurable est ta blessure, inguérissable ta plaie.

Jérémie 30, 13 Personne pour plaider ta cause; pour un ulcère, il y a des remèdes, pour toi, pas de guérison.

Jérémie 30, 14 Tous tes amants t'ont oubliée, ils ne te recherchent plus! Oui, je t'ai frappée comme frappe un ennemi, d'un rude châtiment (pour ta faute si grande, tes péchés si nombreux).

Jérémie 30, 15 Pourquoi crier à cause de ta blessure? Incurable est ton mal! C'est pour ta faute si grande, pour tes péchés si nombreux, que je t'ai ainsi traitée!

Jérémie 30, 16 Mais tous ceux qui te dévoraient seront dévorés, tous tes adversaires, absolument tous, iront en captivité, ceux qui te dépouillaient seront dépouillés, et tous ceux qui te pillaient seront livrés au pillage.

Jérémie 30, 17 Car je vais te porter remède, guérir tes plaies - oracle de Yahvé - toi qu'on appelait: "la Répudiée", "Sion dont nul ne prend soin."

Jérémie 30, 18 Ainsi parle Yahvé: Voici que je vais rétablir les tentes de Jacob, je prendrai en pitié ses habitations; la ville sera rebâtie sur son tell, la maison forte restaurée à sa vraie place.

Jérémie 30, 19 Il en sortira l'action de grâces et les cris de joie. Je les multiplierai: ils ne diminueront plus. Je les glorifierai: ils ne seront plus abaissés.

Jérémie 30, 20 Ses fils seront comme jadis, son assemblée devant moi sera stable, je châtierai tous ses oppresseurs.

Jérémie 30, 21 Son chef sera issu de lui, son souverain sortira de ses rangs. Je lui donnerai audience et il s'approchera de moi; qui donc en effet aurait l'audace de s'approcher de moi? Oracle de Yahvé.

Jérémie 30, 22 Vous serez mon peuple et moi, je serai votre Dieu.

Jérémie 30, 23 Voici l'ouragan de Yahvé, sa fureur qui éclate, c'est un ouragan qui gronde, sur la tête des impies il fait irruption.

Jérémie 30, 24 L'ardente colère de Yahvé ne se détournera pas qu'il n'ait accompli et réalisé les desseins de son coeur. A la fin des jours, vous comprendrez cela.

Jérémie 31, 1 En ce temps-là - oracle de Yahvé - je serai le Dieu de toutes les familles d'Israël, et elles seront mon peuple.

Jérémie 31, 2 Ainsi parle Yahvé: Il a trouvé grâce au désert, le peuple échappé à l'épée. Israël marche vers son repos.

Jérémie 31, 3 De loin Yahvé m'est apparu: D'un amour éternel je t'ai aimée, aussi t'ai-je maintenu ma faveur.

Jérémie 31, 4 De nouveau je te bâtirai et tu seras rebâtie, vierge d'Israël. De nouveau tu te feras belle, avec tes tambourins, tu sortiras au milieu des danses joyeuses.

Jérémie 31, 5 De nouveau tu seras plantée de vignes sur les montagnes de Samarie (ils planteront, les planteurs, et ils cueilleront).

Jérémie 31, 6 Oui, ce sera le jour où les veilleurs crieront sur la montagne d'Ephraïm: "Debout! Montons à Sion, vers Yahvé notre Dieu!"

Jérémie 31, 7 Car ainsi parle Yahvé: Criez de joie pour Jacob, acclamez la première des nations! Faites-vous entendre! louez! Proclamez: "Yahvé a sauvé son peuple, le reste d'Israël!"

Jérémie 31, 8 Voici que moi je les ramène du pays du Nord, je les rassemble des extrémités du monde. Parmi eux l'aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la femme qui enfante, tous ensemble: c'est une grande assemblée qui revient ici!

Jérémie 31, 9 En larmes ils reviennent, dans les supplications je les ramène. Je vais les conduire aux cours d'eau, par un chemin tout droit où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israël et Ephraïm est mon premier-né.

Jérémie 31, 10 Nations, écoutez la parole de Yahvé! Annoncez-la dans les îles lointaines; dites: "Celui qui dispersa Israël le rassemble, il le garde comme un pasteur son troupeau."

Jérémie 31, 11 Car Yahvé a racheté Jacob, il l'a délivré de la main d'un plus fort.

Jérémie 31, 12 Ils viendront, criant de joie, sur la hauteur de Sion, ils afflueront vers les biens de Yahvé: le blé, le vin et l'huile, les brebis et les boeufs; ils seront comme un jardin bien arrosé, ils ne languiront plus.

Jérémie 31, 13 Alors la vierge prendra joie à la danse, et, ensemble, les jeunes et les vieux; je changerai leur deuil en allégresse, je les consolerai, je les réjouirai après leurs peines.

Jérémie 31, 14 Je fournirai aux prêtres abondance de graisse et mon peuple sera rassasié de mes biens, oracle de Yahvé.

Jérémie 31, 15 Ainsi parle Yahvé: A Rama, une voix se fait entendre, une plainte amère; c'est Rachel qui pleure ses fils. Elle ne veut pas être consolée pour ses fils, car ils ne sont plus.

Jérémie 31, 16 Ainsi parle Yahvé: Cesse ta plainte, sèche tes yeux! Car il est une compensation pour ta peine - oracle de Yahvé - ils vont revenir du pays ennemi.

Jérémie 31, 17 Il y a donc espoir pour ton avenir - oracle de Yahvé - ils vont revenir, tes fils, sur leur territoire.

Jérémie 31, 18 J'ai bien entendu le gémissement d'Ephraïm: "Tu m'as corrigé, j'ai subi la correction, comme un jeune taureau non dressé. Fais-moi revenir, que je revienne, car tu es Yahvé, mon Dieu!

Jérémie 31, 19 Car après m'être détourné je me suis repenti, j'ai compris et je me suis frappé la poitrine. J'étais plein de honte et je rougissais; Oui, je portais sur moi l'opprobre de ma jeunesse" -

Jérémie 31, 20 Ephraïm est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, que chaque fois que j'en parle je veuille encore me souvenir de lui? C'est pour cela que mes entrailles s'émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse, oracle de Yahvé.

Jérémie 31, 21 Dresse-toi des jalons, mets en place des bornes; remarque bien la route, la voie où tu as marché. Reviens, vierge d'Israël, reviens vers ces villes qui sont tiennes!

Jérémie 31, 22 Jusques à quand tourneras-tu de-ci, de-là, fille rebelle? Car Yahvé crée du nouveau sur la terre: la Femme recherche son Mari.

Jérémie 31, 23 Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. On dira encore cette parole au pays de Juda et dans ses villes quand je ramènerai leurs captifs: Que Yahvé te bénisse, toi, demeure de justice, toi, sainte montagne!

Jérémie 31, 24 Dans ce pays s'installeront Juda et toutes ses villes ensemble, les laboureurs et ceux qui conduisent le troupeau.

Jérémie 31, 25 Car je donnerai l'abondance à celui qui était épuisé et je rassasierai tout être qui languit.

Jérémie 31, 26 Sur ce, je me suis éveillé et je vis que mon sommeil avait été agréable.

Jérémie 31, 27 Voici venir des jours - oracle de Yahvé - où j'ensemencerai la maison d'Israël et la maison de Juda d'une semence d'hommes et d'une semence de bétail.

Jérémie 31, 28 Et de même que j'ai veillé sur eux pour arracher, pour renverser, pour démolir, pour exterminer et pour affliger, de même je veillerai sur eux pour bâtir et pour planter, oracle de Yahvé.

Jérémie 31, 29 En ces jours-là on ne dira plus: Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des fils sont agacées.

Jérémie 31, 30 Mais chacun mourra pour sa propre faute. Tout homme qui aura mangé des raisins verts, ses propres dents seront agacées.

Jérémie 31, 31 Voici venir des jours - oracle de Yahvé - où je conclurai avec la maison d'Israël (et la maison de Juda) une alliance nouvelle.

Jérémie 31, 32 Non pas comme l'alliance que j'ai conclue avec leurs pères, le jour où je les pris par la main pour les faire sortir du pays d'Egypte - mon alliance qu'eux-mêmes ont rompue bien que je fusse leur Maître, oracle de Yahvé!

Jérémie 31, 33 Mais voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël après ces jours-là, oracle de Yahvé. Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l'écrirai sur leur coeur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple.

Jérémie 31, 34 Ils n'auront plus à instruire chacun son prochain, chacun son frère, en disant: "Ayez la connaissance de Yahvé!" Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu'aux plus grands - oracle de Yahvé - parce que je vais pardonner leur crime et ne plus me souvenir de leur péché.

Jérémie 31, 35 Ainsi parle Yahvé, lui qui établit le soleil pour éclairer le jour, commande à la lune et aux étoiles pour éclairer la nuit, qui brasse la mer et fait mugir ses flots, lui dont le nom est Yahvé Sabaot:

Jérémie 31, 36 Si jamais cet ordre venait à faillir devant moi - oracle de Yahvé - alors la race d'Israël cesserait aussi d'être une nation devant moi pour toujours!

Jérémie 31, 37 Ainsi parle Yahvé: Qu'on parvienne à mesurer le ciel là-haut et à sonder en bas les fondations de la terre, alors moi aussi je rejetterai toute la race d'Israël pour tout ce qu'ils ont fait, oracle de Yahvé.

Jérémie 31, 38 Voici venir des jours - oracle de Yahvé - où la Ville sera reconstruite pour Yahvé, depuis la tour de Hananéel jusqu'à la porte de l'Angle.

Jérémie 31, 39 Puis le cordeau à mesurer sera encore tendu tout droit sur la hauteur de Gareb, pour tourner vers Goa.

Jérémie 31, 40 Et toute la vallée, avec ses cadavres et sa cendre, et tous les terrains attenant au ravin du Cédron jusqu'à l'angle de la porte des Chevaux, vers l'est, seront consacrés à Yahvé. Il n'y aura plus jamais de destruction ni de démolition.

Jérémie 32, 1 Parole qui fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé, dans la dixième année de Sédécias, roi de Juda, c'est-à-dire la dix-huitième année de Nabuchodonosor.

Jérémie 32, 2 L'armée du roi de Babylone assiégeait alors Jérusalem, et le prophète Jérémie se trouvait enfermé dans la cour de garde, au palais du roi de Juda,

Jérémie 32, 3 où Sédécias, roi de Juda, l'avait fait enfermer en lui disant: "Pourquoi prophétises-tu en ces termes: Ainsi parle Yahvé. Voici, je vais livrer cette ville aux mains du roi de Babylone pour qu'il la prenne;

Jérémie 32, 4 Sédécias, roi de Juda, n'échappera pas au pouvoir des Chaldéens, mais sûrement il sera livré aux mains du roi de Babylone et pourra l'entretenir face à face et le regarder les yeux dans les yeux;

Jérémie 32, 5 à Babylone il emmènera Sédécias qui y restera (jusqu'à ce que je le visite, oracle de Yahvé. Si vous combattez les Chaldéens, vous ne réussirez pas").

Jérémie 32, 6 Or Jérémie dit: La parole de Yahvé m'a été adressée en ces termes:

Jérémie 32, 7 Voici, Hanaméel, fils de ton oncle Shallum, va venir te trouver pour te dire: "Achète mon champ d'Anatot car tu as droit de rachat pour l'acquérir."

Jérémie 32, 8 Mon cousin Hanaméel vint me trouver selon la parole de Yahvé, dans la cour de garde, et il me dit: "Achète donc mon champ d'Anatot, au pays de Benjamin, car tu as droit d'héritage et droit de rachat, achète-le." Je reconnus alors que c'était un ordre de Yahvé.

Jérémie 32, 9 J'achetai donc ce champ à mon cousin Hanaméel d'Anatot et lui pesai l'argent: dix-sept sicles d'argent.

Jérémie 32, 10 Je rédigeai l'acte et le scellai, je pris des témoins et je pesai l'argent avec une balance.

Jérémie 32, 11 Puis je pris l'acte d'acquisition, son exemplaire scellé (avec les stipulations et les clauses) et son exemplaire ouvert,

Jérémie 32, 12 et je remis l'acte d'acquisition à Baruch, fils de Nériyya, fils de Mahséya, en présence de mon cousin Hanaméel et des témoins signataires de l'acte d'acquisition, et en présence de tous les Judéens qui se trouvaient dans la cour de garde.

Jérémie 32, 13 Devant eux, je donnai cet ordre à Baruch:

Jérémie 32, 14 "Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Prends ces documents, cet acte d'acquisition, l'exemplaire scellé comme la copie ouverte, et mets-les dans un vase de terre de façon qu'ils se conservent longtemps.

Jérémie 32, 15 Car ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: On achètera encore des maisons, des champs et des vignes en ce pays."

Jérémie 32, 16 Après avoir confié l'acte d'acquisition à Baruch, fils de Nériyya, j'adressai cette prière à Yahvé:

Jérémie 32, 17 "Ah! Seigneur Yahvé, voici que tu as fait le ciel et la terre par ta grande puissance et ton bras étendu. A toi rien n'est impossible!

Jérémie 32, 18 Tu fais grâce à des milliers, mais punis la faute des pères, à pleine mesure, sur leurs fils après eux. O Dieu grand et fort dont le nom est Yahvé Sabaot,

Jérémie 32, 19 grand dans tes desseins, puissant dans tes hauts faits, toi dont les yeux sont ouverts sur toutes les voies des humains pour rendre à chacun selon sa conduite et d'après le fruit de ses actes!

Jérémie 32, 20 Toi qui produisis signes et prodiges au pays d'Egypte, et jusqu'aujourd'hui en Israël et parmi les hommes. Tu t'es fait un nom, comme on le voit aujourd'hui.

Jérémie 32, 21 Tu fis sortir ton peuple Israël du pays d'Egypte par signes et prodiges, à main forte et à bras étendu, et par une grande terreur.

Jérémie 32, 22 Puis tu leur donnas ce pays que tu avais promis par serment à leurs pères, pays qui ruisselle de lait et de miel.

Jérémie 32, 23 Ils vinrent dont et en prirent possession, mais ils n'écoutèrent pas ta voix et ne marchèrent pas selon ta Loi: ils ne pratiquèrent rien de ce que tu leur avais ordonné, alors tu fis venir sur eux tout ce malheur.

Jérémie 32, 24 Voici que les terrassements pour l'assaut atteignent la ville; par l'épée, la famine et la peste, elle est livrée aux mains des Chaldéens qui l'attaquent. Ce que tu as dit arrive, et tu le vois.

Jérémie 32, 25 Et c'est toi, Seigneur Yahvé qui me dis: Achète ce champ à prix d'argent et prends des témoins, alors que la ville est livrée aux mains des Chaldéens!"

Jérémie 32, 26 Or la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Jérémie 32, 27 Voici, je suis Yahvé, le Dieu de toute chair; y a-t-il pour moi quelque chose d'impossible?

Jérémie 32, 28 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé: Je vais livrer cette ville aux mains des Chaldéens et aux mains de Nabuchodonosor, roi de Babylone, qui la prendra;

Jérémie 32, 29 les Chaldéens qui attaquent cette ville entreront et y mettront le feu; ils brûleront les maisons sur le toit desquelles on a allumé l'encens pour Baal et répandu des libations en l'honneur de dieux étrangers pour m'irriter.

Jérémie 32, 30 Car les enfants d'Israël et ceux de Juda n'ont fait, depuis leur jeunesse, que ce qui est mal à mes yeux (les enfants d'Israël, en effet, n'ont fait que m'irriter par l'oeuvre de leurs mains - oracle de Yahvé).

Jérémie 32, 31 Oui, cette ville a été pour moi un sujet de colère et de fureur, depuis le jour où on l'a bâtie jusqu'aujourd'hui; j'en viendrai à l'ôter de devant ma face,

Jérémie 32, 32 à cause de tout le mal que les enfants d'Israël et les enfants de Juda ont commis pour m'irriter, eux, leurs rois, leurs princes, leurs prêtres, leurs prophètes, les hommes de Juda et les habitants de Jérusalem.

Jérémie 32, 33 Ils ont tourné vers moi le dos, non la face, et quand je les instruisais avec constance et sans me lasser, aucun ne m'écoutait pour accueillir la leçon.

Jérémie 32, 34 Ils ont installé leurs Horreurs dans le Temple qui porte mon nom pour le souiller.

Jérémie 32, 35 Ils ont construit les hauts lieux de Baal dans la vallée de Ben-Hinnom pour faire passer par le feu leurs fils et leurs filles en l'honneur de Molek - ce que je n'avais point ordonné, ce à quoi je n'avais jamais songé: commettre une telle abomination pour faire pécher Juda!

Jérémie 32, 36 C'est pourquoi, maintenant, ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël, à propos de cette ville dont tu viens de dire: "Par l'épée, la famine et la peste, elle est livrée au roi de Babylone."

Jérémie 32, 37 Moi, je vais les rassembler de tous les pays où je les ai chassés dans ma colère, ma fureur et ma grande indignation; en ce lieu je les ramènerai et les ferai demeurer en sécurité.

Jérémie 32, 38 Alors ils seront mon peuple et moi, je serai leur Dieu.

Jérémie 32, 39 Je leur donnerai un seul coeur et une seule manière d'agir, de façon qu'ils me craignent toujours, pour leur bien et celui de leurs enfants après eux.

Jérémie 32, 40 Je conclurai avec eux une alliance éternelle: je ne cesserai pas de les suivre pour leur faire du bien et je mettrai ma crainte en leur coeur pour qu'ils ne s'écartent plus de moi.

Jérémie 32, 41 Je trouverai ma joie à leur faire du bien et je les planterai solidement en ce pays, de tout mon coeur et de toute mon âme.

Jérémie 32, 42 Car ainsi parle Yahvé. De même que j'ai amené sur ce peuple tout cet immense malheur, de même je leur amènerai tout le bien que je leur promets.

Jérémie 32, 43 On achètera des champs en ce pays dont tu dis: "C'est une solitude, sans hommes ni bêtes, il est livré aux mains des Chaldéens."

Jérémie 32, 44 On achètera des champs à prix d'argent, on rédigera un acte, on le scellera et on prendra des témoins au pays de Benjamin, aux alentours de Jérusalem, dans les villes de Juda, dans celles de la Montagne, du Bas-Pays et du Négeb. Car je ramènerai leurs captifs, oracle de Yahvé.

Jérémie 33, 1 Pendant que Jérémie était encore enfermé dans la cour de garde, la parole de Yahvé lui fut adressée une seconde fois en ces termes:

Jérémie 33, 2 Ainsi parle Yahvé qui a fait la terre, lui donnant forme et stabilité - son nom est Yahvé! -

Jérémie 33, 3 Invoque-moi et je te répondrai; je t'annoncerai des choses grandes et cachées dont tu ne sais rien.

Jérémie 33, 4 Car ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël, au sujet des maisons de cette ville et des maisons des rois de Juda, qui vont être détruites grâce aux terrassements et à l'épée;

Jérémie 33, 5 au sujet de ceux qui combattent contre les Chaldéens pour remplir la ville de cadavres, eux que j'ai frappés dans ma colère et dans ma fureur, eux dont la méchanceté m'a fait me détourner de cette ville.

Jérémie 33, 6 Voici que moi, je leur porte remède et guérison; je vais les guérir et leur révéler une ordonnance de paix et de fidélité.

Jérémie 33, 7 Je ramènerai les captifs de Juda et les captifs d'Israël, et je les rétablirai comme avant.

Jérémie 33, 8 Je les purifierai de toute faute par laquelle ils m'ont offensé, je pardonnerai toutes les fautes par lesquelles ils m'ont offensé et se sont révoltés contre moi.

Jérémie 33, 9 Jérusalem deviendra pour moi un nom plein d'allégresse, un honneur, une splendeur devant toutes les nations du monde: quand elles apprendront tout le bien que je vais faire, elles seront prises de crainte et de tremblement, à cause de tout le bonheur et de toute la paix que je vais lui accorder.

Jérémie 33, 10 Ainsi parle Yahvé. En ce lieu dont vous dites: "C'est une ruine, sans hommes ni bêtes", dans les villes de Juda et les rues désolées de Jérusalem où il n'y a ni hommes ni bêtes, on entendra de nouveau

Jérémie 33, 11 les cris de joie et d'allégresse, les appels du fiancé et de la fiancée, le chant de ceux qui diront, en apportant au Temple de Yahvé les sacrifices d'actions de grâces: "Rendez grâces à Yahvé Sabaot car Yahvé est bon, car éternel est son amour!" Car je ramènerai les captifs du pays comme avant, dit Yahvé.

Jérémie 33, 12 Ainsi parle Yahvé Sabaot. Il y aura encore dans ce lieu en ruines, privé d'hommes et de bêtes, et dans toutes ses villes, des pâturages où les bergers feront reposer leurs brebis.

Jérémie 33, 13 Dans les villes de la Montagne, du Bas-Pays et du Négeb, au pays de Benjamin, aux alentours de Jérusalem et dans les villes de Juda, les brebis passeront sous la main de celui qui les compte, dit Yahvé.

Jérémie 33, 14 Voici venir des jours -- oracle de Yahvé -- où j'accomplirai la promesse de bonheur que j'ai prononcée sur la maison d'Israël et sur la maison de Juda.

Jérémie 33, 15 En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un germe de justice qui exercera droit et justice dans le pays.

Jérémie 33, 16 En ces jours-là, Juda sera sauvé et Jérusalem habitera en sécurité. Voici le nom dont on appellera la Ville: "Yahvé-notre-Justice.

Jérémie 33, 17 Car ainsi parle Yahvé: Jamais David ne manquera d'un descendant qui prenne place sur le trône de la maison d'Israël.

Jérémie 33, 18 Et jamais les prêtres lévites ne manqueront de descendants qui se tiennent devant moi pour offrir l'holocauste, faire fumer l'oblation et offrir tous les jours le sacrifice.

Jérémie 33, 19 Puis la parole de Yahvé fut adressée à Jérémie en ces termes:

Jérémie 33, 20 Ainsi parle Yahvé. Si vous pouvez rompre mon alliance avec le jour et mon alliance avec la nuit, de sorte que le jour et la nuit n'arrivent plus au temps fixé,

Jérémie 33, 21 mon alliance sera aussi rompue avec David mon serviteur, de sorte qu'il n'aura plus de fils régnant sur son trône, ainsi qu'avec les lévites, les prêtres qui assurent mon service.

Jérémie 33, 22 Comme l'armée des cieux qui ne peut être dénombrée, comme le sable de la mer qui ne peut être compté, ainsi multiplierai-je la postérité de David mon serviteur, et les lévites qui assurent mon service.

Jérémie 33, 23 La parole de Yahvé fut adressée à Jérémie en ces termes:

Jérémie 33, 24 N'as-tu pas remarqué ce que disent ces gens: "Les deux familles qu'avait élues Yahvé, il les a rejetées!" Aussi méprisent-ils mon peuple qui ne leur apparaît plus comme une nation.

Jérémie 33, 25 Ainsi parle Yahvé: Si je n'ai pas créé le jour et la nuit et établi les lois du ciel et de la terre,

Jérémie 33, 26 alors je rejetterai la descendance de Jacob et de David mon serviteur et cesserai de prendre parmi ses descendants ceux qui gouverneront la postérité d'Abraham, d'Isaac et de Jacob! Car je vais ramener leurs captifs et les prendre en pitié.

Jérémie 34, 1 Parole qui fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé, à l'époque où Nabuchodonosor, roi de Babylone, et toute son armée, tous les royaumes de la terre soumis à sa domination et tous les peuples étaient en lutte contre Jérusalem et contre toutes ses villes.

Jérémie 34, 2 Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël: Va! Tu parleras à Sédécias, roi de Juda, et tu lui diras: Ainsi parle Yahvé. Voici que moi, je vais livrer cette ville aux mains du roi de Babylone et il l'incendiera.

Jérémie 34, 3 Et toi, tu n'échapperas pas à sa main, mais tu seras bel et bien capturé et remis entre ses mains. Tu pourras regarder le roi de Babylone les yeux dans les yeux et lui pourra te parler face à face. Puis tu iras à Babylone.

Jérémie 34, 4 Toutefois, écoute la parole de Yahvé, Sédécias, roi de Juda! Ainsi parle Yahvé à ton sujet: tu ne mourras pas par l'épée,

Jérémie 34, 5 c'est en paix que tu mourras. Et comme il y eut des parfums pour tes ancêtres, les rois de jadis qui furent avant toi, de même on en brûlera en ton honneur, et pour toi on récitera la lamentation: "Hélas! Seigneur!" C'est moi qui le déclare, oracle de Yahvé.

Jérémie 34, 6 Le prophète Jérémie rapporta toutes ces paroles à Sédécias, roi de Juda, à Jérusalem;

Jérémie 34, 7 l'armée du roi de Babylone menait alors le combat contre Jérusalem et contre toutes les villes de Juda qui tenaient encore, à savoir Lakish et Azéqa, car parmi les villes de Juda, celles-ci restaient des places fortes.

Jérémie 34, 8 Parole qui fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé, après que le roi Sédécias eut conclu avec tout le peuple de Jérusalem une alliance pour proclamer un affranchissement:

Jérémie 34, 9 chacun devait renvoyer libres ses esclaves hébreux, hommes et femmes, personne ne devait plus tenir en servitude un Judéen, son frère.

Jérémie 34, 10 Tous les princes et tout le peuple qui avaient participé à cette alliance avaient accepté de renvoyer libres chacun ses esclaves, hommes et femmes, et de ne plus les tenir en servitude; ils avaient accepté et les avaient renvoyés.

Jérémie 34, 11 Mais après cela, changeant d'avis, ils avaient repris les esclaves, hommes et femmes, qu'ils avaient libérés, et les avaient de nouveau réduits en servitude.

Jérémie 34, 12 Alors la parole de Yahvé fut adressée à Jérémie en ces termes:

Jérémie 34, 13 Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël. J'ai conclu avec vos pères, quand je les tirai du pays d'Egypte, de la maison de servitude, une alliance en disant:

Jérémie 34, 14 "Au bout de sept années, chacun de vous libérera son frère hébreu qui se sera vendu à toi; six ans il sera ton esclave, puis tu le renverras libre de chez toi." Mais vos pères ne m'ont pas écouté et n'ont pas prêté l'oreille.

Jérémie 34, 15 Or aujourd'hui vous vous étiez convertis, vous aviez fait ce qui est juste à mes yeux en proclamant l'affranchissement de votre prochain; vous aviez conclu une alliance devant moi, dans le Temple qui porte mon nom.

Jérémie 34, 16 Puis vous avez changé d'avis et, profanant mon nom, vous avez repris chacun votre esclave, homme ou femme, que vous aviez renvoyés libres de leur personne, et les avez forcés à redevenir vos esclaves.

Jérémie 34, 17 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé. Vous ne m'avez pas obéi en rendant la liberté chacun à son frère, chacun à son prochain. Eh bien, moi, je vais rendre la liberté contre vous -- oracle de Yahvé -- à l'épée, à la peste et à la famine, et faire de vous un objet d'épouvante pour tous les royaumes de la terre.

Jérémie 34, 18 Et ces hommes qui ont trahi mon alliance, qui n'ont pas observé les termes de l'alliance conclue par eux en ma présence, je vais les rendre pareils au veau qu'ils ont coupé en deux pour passer entre ses morceaux.

Jérémie 34, 19 Les princes de Juda et ceux de Jérusalem, les eunuques, les prêtres et tout le peuple du pays, qui sont passés entre les morceaux du veau,

Jérémie 34, 20 je les livrerai aux mains de leurs ennemis et aux mains de ceux qui en veulent à leur vie: leurs cadavres serviront de nourriture aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre.

Jérémie 34, 21 Je livrerai aussi Sédécias, roi de Juda, et ses princes aux mains de leurs ennemis, aux mains de ceux qui en veulent à leur vie et aux mains de l'armée du roi de Babylone qui vient de se replier loin de vous.

Jérémie 34, 22 Voici, je vais donner un ordre -- oracle de Yahvé -- et les ramener vers cette ville pour qu'ils l'attaquent, la prennent et l'incendient. Et je ferai des villes de Juda une solitude où personne n'habite.

Jérémie 35, 1 Parole qui fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé, au temps de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda:

Jérémie 35, 2 "Va trouver le groupe des Rékabites, parle avec eux et amène-les au Temple de Yahvé, dans l'une des salles, pour leur offrir du vin à boire."

Jérémie 35, 3 Je pris donc Yaazanya, fils de Yirmeyahu, fils de Habaççinya, ainsi que ses frères et tous ses fils, tout le groupe des Rékabites;

Jérémie 35, 4 je les amenai au Temple de Yahvé, dans la salle de Ben-Yohanân, fils de Yigdalyahu, homme de Dieu, celle qui est contiguë à la salle des princes, au-dessus de celle de Maaséya, fils de Shallum, gardien du seuil;

Jérémie 35, 5 devant les membres du groupe rékabite, je mis des amphores pleines de vin ainsi que des coupes et je leur dis: "Buvez du vin!"

Jérémie 35, 6 Mais ils répondirent: "Nous ne buvons pas de vin, car notre ancêtre Yonadab, fils de Rékab, nous a donné cet ordre: Vous ne boirez jamais de vin, ni vous, ni vos fils;

Jérémie 35, 7 de même vous ne devez pas bâtir de maison, ni faire de semailles, ni planter de vigne, ni posséder rien de tout cela; mais c'est sous des tentes que vous habiterez toute votre vie, afin de vivre de longs jours sur le sol où vous séjournez.

Jérémie 35, 8 Nous avons obéi à tout ce que nous a ordonné notre ancêtre Yonadab, fils de Rékab, ne buvant jamais de vin, nous, nos femmes, nos fils et nos filles,

Jérémie 35, 9 ne bâtissant pas de maisons d'habitation, ne possédant ni vigne, ni champ, ni semailles,

Jérémie 35, 10 habitant sous la tente. Nous avons obéi et fait tout ce que nous a ordonné notre ancêtre Yonadab.

Jérémie 35, 11 Mais quand Nabuchodonosor, roi de Babylone, est monté contre ce pays, nous nous sommes dit: Venez! Entrons à Jérusalem pour échapper à l'armée des Chaldéens et à celle d'Aram! Et nous avons demeuré dans Jérusalem."

Jérémie 35, 12 Alors la parole de Yahvé fut adressée à Jérémie en ces termes:

Jérémie 35, 13 Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Va dire aux hommes de Juda et aux habitants de Jérusalem: Ne saisirez-vous pas la leçon, qui est d'obéir à mes paroles? -- oracle de Yahvé.

Jérémie 35, 14 On a observé les paroles de Yonadab, fils de Rékab; il a défendu à ses fils de boire du vin et jusqu'aujourd'hui ils n'en ont pas bu, obéissant à l'ordre de leur ancêtre. Et moi qui vous ai parlé sans me lasser et avec insistance, vous ne m'avez pas écouté.

Jérémie 35, 15 Je vous ai envoyé sans me lasser et à bien des reprises tous mes serviteurs les prophètes pour vous dire: Revenez chacun de votre voie mauvaise, améliorez vos actions, ne suivez pas d'autres dieux pour les servir, et vous demeurerez sur le sol que j'ai donné à vous et à vos pères. Mais vous n'avez pas prêté l'oreille, vous ne m'avez pas écouté.

Jérémie 35, 16 Ainsi les descendants de Yonadab, fils de Rékab, ont observé l'ordre donné par leur ancêtre, tandis que ce peuple ne m'a pas écouté!

Jérémie 35, 17 C'est pourquoi ainsi parle Yahvé, le Dieu Sabaot, le Dieu d'Israël. Voici, je vais amener sur Juda et sur tous les habitants de Jérusalem tout le malheur dont je les ai menacés: c'est que je leur ai parlé sans qu'ils m'écoutent et les ai appelés sans qu'ils répondent.

Jérémie 35, 18 Alors Jérémie dit au groupe rékabite: "Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Puisque vous avez obéi à l'ordre de votre ancêtre Yonadab, que vous avez observé tous ses ordres et pratiqué tout ce qu'il vous a ordonné,

Jérémie 35, 19 eh bien! ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: Yonadab, fils de Rékab, ne manquera jamais de quelqu'un qui se tienne en ma présence, pour toujours."

Jérémie 36, 1 La quatrième année de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda, la parole que voici fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé:

Jérémie 36, 2 Prends un rouleau et écris dessus toutes les paroles que je t'ai adressées touchant Israël, Juda et toutes les nations, depuis le jour où je commençai à te parler -- au temps de Josias -- jusqu'aujourd'hui.

Jérémie 36, 3 Peut-être qu'en entendant tout le mal que j'ai dessein de leur faire, ceux de la maison de Juda reviendront chacun de sa voie mauvaise; alors je pourrai pardonner leur iniquité et leur péché.

Jérémie 36, 4 Jérémie appela Baruch, fils de Nériyya, qui sous sa dictée écrivit sur un rouleau toutes les paroles que Yahvé avait adressées au prophète.

Jérémie 36, 5 Alors Jérémie donna cet ordre à Baruch: "Je suis empêché, je ne peux plus entrer au Temple de Yahvé.

Jérémie 36, 6 Mais tu iras, toi, lire au peuple, dans le rouleau que tu as écrit sous ma dictée, toutes les paroles de Yahvé, en son Temple, le jour du jeûne. De même tu les liras à tous les Judéens venus de leurs villes.

Jérémie 36, 7 Peut-être leur supplication touchera-t-elle Yahvé et se convertiront-ils chacun de sa voie mauvaise; car grande sont la colère et la fureur dont Yahvé a menacé ce peuple."

Jérémie 36, 8 Baruch, fils de Nériyya, observa ponctuellement l'ordre que lui avait donné le prophète Jérémie, de lire dans le livre les paroles de Yahvé, en son Temple.

Jérémie 36, 9 La cinquième année de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda, au neuvième mois, on convoqua pour un jeûne devant Yahvé tout le peuple de Jérusalem et tout le peuple qui pourrait y venir de toutes les villes de Juda.

Jérémie 36, 10 Alors Baruch lut dans le livre les paroles de Jérémie; on était au Temple de Yahvé, dans la salle de Gemaryahu, le fils du scribe Shaphân, dans la cour d'en haut, à l'entrée de la porte Neuve du Temple de Yahvé: tout le peuple pouvait entendre.

Jérémie 36, 11 Or Mikayehu, fils de Gemaryahu, fils de Shaphân, ayant écouté les paroles de Yahvé tirées du livre,

Jérémie 36, 12 descendit au palais royal, à la salle du scribe. Là, tous les princes tenaient séance: Elishama, le scribe; Delayahu, fils de Shemayahu; Elnatân, fils de Akbor; Gemaryahu, fils de Shaphân; Cidqiyyahu, fils de Hananyahu, et tous les autres princes.

Jérémie 36, 13 Mikayehu leur rapporta toutes les paroles qu'il avait entendues quand Baruch en faisait lecture aux oreilles du peuple.

Jérémie 36, 14 Alors, à l'unanimité, les princes envoyèrent à Baruch Yehudi, fils de Netanyahu, et Shélémyahu, fils de Kushi, pour lui dire: "Ce rouleau dont tu as fait lecture au peuple, prends-le et viens!" Baruch, fils de Nériyya, prit donc le rouleau et arriva près d'eux.

Jérémie 36, 15 Ils lui dirent: "Assieds-toi et donne-nous en lecture." Et Baruch leur en donna lecture.

Jérémie 36, 16 Après avoir entendu toutes les paroles, ils se tournèrent effrayés l'un vers l'autre et dirent à Baruch: "Il nous faut absolument informer le roi de tout cela."

Jérémie 36, 17 Et ils interrogèrent Baruch: "Apprends-nous comment tu as écrit toutes ces paroles."

Jérémie 36, 18 Baruch leur répondit: "Jérémie me les dictait toutes, et moi je les écrivais avec de l'encre sur ce livre."

Jérémie 36, 19 Les princes dirent alors à Baruch: "Va-t-en, cache-toi, ainsi que Jérémie: que nul ne sache où vous êtes."

Jérémie 36, 20 Puis ils se rendirent chez le roi, à la cour du palais, laissant le rouleau en dépôt dans la salle du scribe Elishama. Et ils informèrent le roi de toute cette affaire.

Jérémie 36, 21 Le roi envoya Yehudi chercher le rouleau; celui-ci l'apporta de la salle du scribe Elishama et en fit lecture devant le roi et devant tous les princes, debout autour du roi.

Jérémie 36, 22 Le roi était assis dans ses appartements d'hiver -- on était au neuvième mois -- et le feu d'un brasero brûlait devant lui.

Jérémie 36, 23 Chaque fois que Yehudi avait lu trois ou quatre colonnes, le roi les lacérait avec le canif du scribe et les jetait au feu sur le brasero, jusqu'à ce que le rouleau entier fût consumé dans le feu du brasero.

Jérémie 36, 24 Mais ni le roi ni aucun de ses serviteurs, à entendre toutes ces paroles, ne furent effrayés ni ne déchirèrent leurs vêtements;

Jérémie 36, 25 et pourtant Elnatân, Delayahu et Gemaryahu avaient insisté auprès du roi pour qu'il ne brûlât pas le rouleau; mais il ne les écouta pas.

Jérémie 36, 26 Et il ordonna à Yerahméel, fils du roi, à Serayahu, fils de Azriel, et à Shélémyahu, fils de Abdéel, de saisir Baruch, le scribe, et Jérémie, le prophète. Mais Yahvé les avait cachés.

Jérémie 36, 27 Alors la parole de Yahvé fut adressée à Jérémie, après que le roi eut brûlé le rouleau avec les paroles qu'avait écrites Baruch sous la dictée de Jérémie:

Jérémie 36, 28 "Prends un autre rouleau; écris dessus toutes les paroles qui figuraient déjà dans le premier rouleau brûlé par Joiaqim, roi de Juda.

Jérémie 36, 29 Et contre Joiaqim, roi de Juda, tu diras: Ainsi parle Yahvé. Toi, tu as brûlé ce rouleau en disant: Pourquoi y avoir écrit: Il est certain que le roi de Babylone viendra, saccagera ce pays et en fera disparaître hommes et bêtes?

Jérémie 36, 30 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé contre Joiaqim, roi de Juda. Il n'aura plus personne pour siéger sur le trône de David, et son cadavre sera exposé à la chaleur du jour et au froid de la nuit.

Jérémie 36, 31 Lui, sa descendance et ses serviteurs, je les châtierai de leurs fautes; j'amènerai sur eux, sur les habitants de Jérusalem et sur les gens de Juda tout le malheur dont je les ai menacés sans qu'ils m'écoutent."

Jérémie 36, 32 Jérémie prit un autre rouleau et le remit au scribe Baruch, fils de Nériyya, qui y écrivit, sous la dictée de Jérémie, toutes les paroles du livre qu'avait brûlé Joiaqim, roi de Juda. De plus, beaucoup de paroles du même genre y furent ajoutées.

Jérémie 37, 1 Le roi Sédécias, fils de Josias, devint roi à la place de Konias, fils de Joiaqim: Nabuchodonosor, roi de Babylone, l'avait établi roi au pays de Juda.

Jérémie 37, 2 Mais ni lui, ni ses serviteurs, ni le peuple du pays n'écoutèrent les paroles que Yahvé prononça par le ministère du prophète Jérémie.

Jérémie 37, 3 Le roi Sédécias envoya Yukal, fils de Shélémya, et le prêtre Cephanyahu, fils de Maaséya, vers le prophète Jérémie avec ce message: "Adresse donc une prière pour nous à Yahvé notre Dieu!"

Jérémie 37, 4 Or Jérémie allait et venait parmi le peuple: on ne l'avait pas encore mis en prison.

Jérémie 37, 5 Cependant l'armée de Pharaon était sortie d'Egypte; à cette nouvelle, les Chaldéens qui assiégeaient Jérusalem avaient dû lever le siège.

Jérémie 37, 6 Alors la parole de Yahvé fut adressée au prophète Jérémie en ces termes:

Jérémie 37, 7 Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël. Au roi de Juda qui vous a envoyés vers moi pour me consulter, vous donnerez cette réponse: L'armée de Pharaon est sortie à votre secours? Elle va s'en retourner en son pays d'Egypte!

Jérémie 37, 8 Les Chaldéens reviendront attaquer cette ville, la conquérir et y mettre le feu.

Jérémie 37, 9 Ainsi parle Yahvé. Ne vous abusez pas vous-mêmes en disant: "Les Chaldéens s'en iront pour de bon de chez nous", car ils ne s'en iront pas!

Jérémie 37, 10 Quand vous auriez taillé en pièces toute l'armée des Chaldéens en guerre contre vous et qu'il n'en restât que des blessés, ils se dresseraient chacun sous sa tente pour mettre le feu à cette ville.

Jérémie 37, 11 A l'époque où l'armée des Chaldéens dut lever le siège de Jérusalem à cause de l'armée de Pharaon,

Jérémie 37, 12 Jérémie sortit de Jérusalem pour aller au pays de Benjamin y toucher sa part au milieu de la population.

Jérémie 37, 13 Comme il était à la porte de Benjamin, un nommé Yiréiyyaï, fils de Shélémya, fils de Hananya, chef du poste de garde, se trouvait là; il arrêta le prophète Jérémie en disant: "Tu passes aux Chaldéens!"

Jérémie 37, 14 Jérémie répondit: "C'est faux! Je ne passe pas aux Chaldéens!" Mais sans écouter Jérémie, Yiréiyyaï l'arrêta et le conduisit aux princes.

Jérémie 37, 15 Ceux-ci, furieux contre Jérémie, le frappèrent et le mirent au cachot, au domicile du scribe Yehonatân, qu'on avait transformé en prison.

Jérémie 37, 16 Ainsi Jérémie fut mis dans un souterrain voûté et il y resta longtemps.

Jérémie 37, 17 Le roi Sédécias l'envoya chercher. Et secrètement, dans son palais, le roi lui demanda: "Y a-t-il une parole de Yahvé?" Jérémie répondit: "Oui!" Et il ajouta: "Entre les mains du roi de Babylone, tu seras livré!"

Jérémie 37, 18 Puis Jérémie dit au roi Sédécias: "En quoi ai-je péché contre toi, contre tes serviteurs ou contre ce peuple, que vous m'ayez mis en prison?

Jérémie 37, 19 Où donc sont vos prophètes qui vous annonçaient: Il ne viendra pas contre vous, le roi de Babylone, ni contre ce pays?

Jérémie 37, 20 Maintenant, Monseigneur le roi, daigne écouter, que ma supplication puisse te toucher: Ne me fais pas reconduire chez le scribe Yehonatân de peur que je n'y trouve la mort."

Jérémie 37, 21 Alors le roi Sédécias donna un ordre: on enferma Jérémie dans la cour de garde et on lui remit chaque jour une galette de pain, venant de la rue des boulangers, jusqu'à ce qu'il n'y eût plus de pain dans la ville. Ainsi Jérémie resta dans la cour de garde.

Jérémie 38, 1 Mais Shephatya, fils de Mattân, Gedalyahu, fils de Pashehur, Yukal, fils de Shélémyahu, et Pashehur, fils de Malkiyya, entendirent les paroles que Jérémie adressait à tout le peuple:

Jérémie 38, 2 "Ainsi parle Yahvé. Qui restera dans cette ville mourra par l'épée, la famine et la peste; mais qui sortira et se rendra aux Chaldéens vivra, il aura sa vie comme butin: il vivra!

Jérémie 38, 3 Ainsi parle Yahvé: Pour sûr, cette ville sera livrée aux mains de l'armée du roi de Babylone qui s'en emparera!"

Jérémie 38, 4 Alors les princes dirent au roi: "Que cet individu soit mis à mort! En vérité, il décourage les combattants, qui sont restés dans cette ville, et tout le peuple, en leur tenant semblables propos. Oui, cet individu ne cherche nullement la paix pour ce peuple, mais son malheur."

Jérémie 38, 5 Le roi Sédécias répondit: "Voici, il est entre vos mains, car le roi n'a aucun pouvoir en face de vous!"

Jérémie 38, 6 Ils se saisirent donc de Jérémie et le jetèrent dans la citerne de Malkiyyahu, fils du roi, dans la cour de garde; ils le descendirent à l'aide de cordes. Dans cette citerne il n'y avait point d'eau, mais de la vase, et Jérémie s'enfonça dans la vase.

Jérémie 38, 7 Or le Kushite Ebed-Mélek, un eunuque attaché au palais royal, apprit qu'on avait mis Jérémie dans la citerne. Comme le roi s'était arrêté à la porte de Benjamin,

Jérémie 38, 8 Ebed-Mélek sortit du palais royal et s'adressa au roi:

Jérémie 38, 9 "Monseigneur le roi, ils ont mal agi ces gens-là, en traitant de la sorte le prophète Jérémie; ils l'ont jeté dans la citerne: il va mourir de faim sur place car il n'y a plus de pain dans la ville."

Jérémie 38, 10 Alors le roi donna cet ordre au Kushite Ebed-Mélek: "Prends ici 30 hommes avec toi, et remonte de la citerne le prophète Jérémie avant qu'il ne meure."

Jérémie 38, 11 Ebed-Mélek prit ces hommes avec lui, entra au palais royal, au vestiaire du Trésor; il s'y procura des bouts de tissus déchirés et des bouts de tissus usés qu'il fit passer à Jérémie, dans la citerne, au moyen de cordes.

Jérémie 38, 12 Ebed-Mélek le Kushite dit à Jérémie: "Mets donc ces bouts de tissus déchirés et usés sous tes aisselles par-dessous les cordes." Ce que fit Jérémie.

Jérémie 38, 13 Alors ils soulevèrent Jérémie au moyen des cordes et le remontèrent de la citerne. Et Jérémie resta dans la cour de garde.

Jérémie 38, 14 Le roi Sédécias envoya chercher le prophète Jérémie à la troisième entrée du Temple de Yahvé. Le roi dit à Jérémie: "Je veux te réclamer une parole; ne me la cèle pas!"

Jérémie 38, 15 Jérémie répondit à Sédécias: "Si je te la proclame, tu me feras mourir, n'est ce pas? Et si je te conseille, tu ne m'écouteras pas!"

Jérémie 38, 16 Alors le roi Sédécias fit en secret ce serment à Jérémie: "Par Yahvé vivant, qui nous a donné cette vie, je ne te ferai pas mourir et ne te livrerai pas aux mains de ces gens qui en veulent à ta vie."

Jérémie 38, 17 Alors Jérémie dit à Sédécias: "Ainsi parle Yahvé, le Dieu Sabaot, le Dieu d'Israël. Si tu sors pour te rendre aux officiers du roi de Babylone, tu sauveras ta vie et cette ville ne sera pas incendiée; vous survivrez, toi et ta famille.

Jérémie 38, 18 Mais si tu ne sors pas pour te rendre aux officiers du roi de Babylone, cette ville sera livrée aux mains des Chaldéens qui l'incendieront; quand à toi, tu n'échapperas pas à leurs mains."

Jérémie 38, 19 Alors le roi Sédécias dit à Jérémie: "J'ai peur des Judéens qui sont passés aux Chaldéens; ceux-ci pourraient me livrer entre leurs mains et ils me maltraiteraient."

Jérémie 38, 20 Jérémie répondit: "On ne te livrera pas. Ecoute donc la voix de Yahvé, selon laquelle je t'ai parlé, alors tu t'en trouveras bien et tu auras la vie sauve.

Jérémie 38, 21 Mais si tu refuses de sortir, vois ce que Yahvé m'a montré.

Jérémie 38, 22 Voici: toutes les femmes qui demeurent encore au palais du roi de Juda seront menées aux officiers du roi de Babylone; et elles diront: Ils t'ont séduit, ils t'ont dupé, tes bons amis! Tes pieds pataugent dans le bourbier, eux sont partis!

Jérémie 38, 23 Oui, toutes tes femmes et tes enfants, on les mènera aux Chaldéens. Et toi, tu n'échapperas pas à leurs mains, mais tu seras prisonnier, dans la poigne du roi de Babylone. Quant à cette ville, elle sera incendiée."

Jérémie 38, 24 Sédécias dit à Jérémie: "Que nul n'ait connaissance de ces paroles, sinon tu mourrais.

Jérémie 38, 25 Si les princes apprennent mon entretien avec toi et viennent te dire: Fais-nous connaître ce que tu as dit au roi et ce que t'a dit le roi, ne nous cache rien, sinon nous te ferons mourir,

Jérémie 38, 26 tu leur répondras: Je présentais cette requête devant le roi: qu'il ne me renvoie pas chez Yehonatân pour y mourir."

Jérémie 38, 27 Tous les princes vinrent en effet trouver Jérémie et l'interroger. Il les renseigna exactement comme le roi avait ordonné. Ils le laissèrent donc tranquille, car l'entretien n'avait pas été entendu.

Jérémie 38, 28 Et Jérémie resta dans la cour de garde, jusqu'à ce que Jérusalem fut prise. Et il y était quand Jérusalem fut prise.

Jérémie 39, 1 La neuvième année de Sédécias, roi de Juda, le dixième mois, Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint attaquer Jérusalem avec toute son armée et ils en firent le siège.

Jérémie 39, 2 La onzième année de Sédécias, au quatrième mois, le neuf du mois, une brèche fut pratiquée dans la ville.

Jérémie 39, 3 Tous les officiers du roi de Babylone, ayant fait leur entrée, établirent leurs quartiers à la porte du Milieu: Nergalsaréser, Samgar-Nébo, Sar-Sekim, haut dignitaire, Nergalsaréser, grand mage, et tous les autres officiers du roi de Babylone --

Jérémie 39, 4 Dès qu'ils les virent, Sédécias, roi de Juda, et tous ses guerriers s'enfuirent et sortirent de la ville, de nuit, vers le jardin du roi, par la porte entre les deux murs; ils prirent le chemin de la Araba.

Jérémie 39, 5 Mais les troupes chaldéennes les poursuivirent et atteignirent Sédécias dans les plaines de Jéricho. L'ayant fait prisonnier, on l'emmena à Ribla, au pays de Hamat, auprès de Nabuchodonosor, roi de Babylone, qui le fit passer en jugement.

Jérémie 39, 6 Le roi de Babylone fit égorger à Ribla les fils de Sédécias sous ses yeux. De même, le roi de Babylone fit égorger tous les notables de Juda.

Jérémie 39, 7 Puis il creva les yeux de Sédécias et le mit aux fers pour l'emmener à Babylone.

Jérémie 39, 8 Les Chaldéens incendièrent le palais royal et les maisons des particuliers; ils abattirent les remparts de Jérusalem.

Jérémie 39, 9 Nebuzaradân, commandant de la garde, déporta à Babylone le reste de la population laissée dans la ville, les transfuges qui s'étaient rendus à lui et le reste des artisans.

Jérémie 39, 10 Au contraire, Nebuzaradân, commandant de la garde, laissa au pays de Juda ceux du peuple qui étaient pauvres et ne possédaient rien; en même temps, il leur distribua des vignes et des champs.

Jérémie 39, 11 Au sujet de Jérémie, Nabuchodonosor, roi de Babylone, avait donné cet ordre à Nebuzaradân, commandant de la garde:

Jérémie 39, 12 "Prends-le, aie l'oeil sur lui, ne lui fais aucun mal, mais traite-le comme il te le demandera."

Jérémie 39, 13 Il avait confié cette mission à (Nebuzaradân, commandant de la garde, ) Nebushazbân, haut dignitaire, Nergalsaréser, grand mage, et tous les officiers du roi de Babylone. --

Jérémie 39, 14 Ils envoyèrent des gens pour tirer Jérémie de la cour de garde et le confièrent à Godolias, fils d'Ahiqam, fils de Shaphân, pour le conduire à la maison, et il demeura au milieu du peuple.

Jérémie 39, 15 Tandis que Jérémie était enfermé dans la cour de garde, la parole de Yahvé lui avait été adressée en ces termes:

Jérémie 39, 16 Va-t'en dire au Kushite Ebed-Mélek: Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Voici, je vais accomplir contre cette ville mes paroles chargées de malheur et non de bonheur. Ce jour-là, elles se réaliseront sous tes yeux.

Jérémie 39, 17 Mais je te délivrerai ce jour-là -- oracle de Yahvé -- et tu ne seras pas livré aux mains des gens qui te font trembler.

Jérémie 39, 18 Oui, assurément je te ferai échapper: tu ne tomberas pas sous l'épée, tu auras ta vie comme butin, car en moi tu as mis ta confiance, oracle de Yahvé.

Jérémie 40, 1 Parole qui fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé, après que Nebuzaradân, commandant de la garde, l'eut renvoyé de Rama, l'ayant pris alors qu'il se trouvait enchaîné au milieu de tous les captifs de Jérusalem et de Juda qu'on déportait à Babylone.

Jérémie 40, 2 Le commandant de la garde prit donc Jérémie et lui dit: "Yahvé, ton Dieu, avait prédit ce malheur pour ce pays

Jérémie 40, 3 et il l'a amené. Yahvé a agi selon ses menaces. C'est que vous avez péché contre Yahvé sans écouter sa voix: alors ce malheur vous est arrivé.

Jérémie 40, 4 Maintenant, vois, je te délivre aujourd'hui même des chaînes que tu as aux mains. S'il te plaît de m'accompagner à Babylone, viens, j'aurai les yeux sur toi. S'il te déplaît de m'y accompagner, abstiens-toi. Vois, tout le pays est devant toi; tu peux aller où cela te semble bon et juste d'aller."

Jérémie 40, 5 Et comme Jérémie ne s'en retournait pas encore, il ajouta: "Tu peux te tourner vers Godolias, fils d'Ahiqam, fils de Shaphân, que le roi de Babylone a nommé gouverneur des villes de Juda, et rester avec lui au milieu du peuple, ou bien aller partout où cela te semble bon." Puis le commandant de la garde, lui ayant remis des vivres et un présent, le congédia.

Jérémie 40, 6 Et Jérémie se rendit à Miçpa, auprès de Godolias, fils d'Ahiqam, et demeura avec lui, parmi ceux du peuple qui étaient restés dans le pays.

Jérémie 40, 7 Tous les officiers de l'armée qui, avec leurs hommes, étaient dans la campagne, apprirent que le roi de Babylone avait institué Godolias, fils d'Ahiqam, comme gouverneur du pays et lui avait confié hommes, femmes et enfants, et ceux du petit peuple qui n'avaient pas été déportés à Babylone.

Jérémie 40, 8 Ils vinrent auprès de Godolias à Miçpa: Yishmaël, fils de Netanyahu, Yohanân et Yonatân, fils de Qaréah, Seraya, fils de Tanhumèt, les fils de Ephaï le Netophatite, Yizanyahu, fils du Maakatite, eux et leurs hommes.

Jérémie 40, 9 Godolias, fils d'Ahiqam, fils de Shaphân, leur fit un serment, à eux et à leurs hommes: "Ne craignez pas de servir les Chaldéens, restez au pays, servez le roi de Babylone et vous vous en trouverez bien.

Jérémie 40, 10 Pour moi, voici, je m'établis à Miçpa comme responsable en face des Chaldéens qui viennent chez nous. Mais vous, faites la récolte du vin, des fruits et de l'huile, remplissez vos jarres et demeurez en vos villes, que vous occupez."

Jérémie 40, 11 Pareillement, tous les Judéens qui se trouvaient en Moab, chez les Ammonites, en Edom et en tout autre pays, avaient appris que le roi de Babylone avait laissé un reste à Juda et avait préposé sur lui Godolias, fils d'Ahiqam, fils de Shaphân.

Jérémie 40, 12 Tous ces Judéens revinrent donc de tous les lieux où ils s'étaient dispersés; rentrés au pays de Juda, près de Godolias, à Miçpa, ils firent une récolte très abondante de vin et de fruits.

Jérémie 40, 13 Yohanân, fils de Qaréah, et tous les officiers de l'armée qui étaient dans la campagne vinrent trouver Godolias à Miçpa

Jérémie 40, 14 et lui dirent: "Sais-tu que Baalis, roi des Ammonites, a donné mission à Yishmaël, fils de Netanya, d'attenter à ta vie?" Mais Godolias, fils d'Ahiqam, ne les crut pas.

Jérémie 40, 15 Yohanân, fils de Qaréah, dit même en secret à Godolias, à Miçpa: "J'irai tuer Yishmaël, fils de Netanya, sans que personne le sache. Pourquoi attenterait-il à ta vie, et pourquoi tous les Judéens rassemblés autour de toi seraient-ils dispersés? Pourquoi le reste de Juda périrait-il?"

Jérémie 40, 16 Mais Godolias, fils d'Ahiqam, répondit à Yohanân, fils de Qaréah: "Ne fais pas cela, car ce que tu dis sur Yishmaël est faux!"

Jérémie 41, 1 Or au septième mois, Yishmaël, fils de Netanya, fils d'Elishama, qui était de souche royale, vint avec des grands du roi et dix hommes trouver Godolias, fils d'Ahiqam, à Miçpa. Et tandis qu'ils prenaient ensemble leur repas, là, à Miçpa,

Jérémie 41, 2 Yishmaël, fils de Netanya, se leva avec ses dix hommes et ils frappèrent de l'épée Godolias, fils d'Ahiqam, fils de Shaphân. Ainsi firent-ils mourir celui que le roi de Babylone avait préposé au pays.

Jérémie 41, 3 De même, tous les Judéens qui étaient avec lui, Godolias, à Miçpa, et les Chaldéens qui se trouvaient là -- c'étaient des hommes de guerre -- Yishmaël les tua.

Jérémie 41, 4 Le deuxième jour après le meurtre de Godolias, alors que personne encore n'était au courant,

Jérémie 41, 5 arrivèrent des hommes de Sichem, Silo et Samarie, au nombre de 80, avec la barbe rasée, les vêtements déchirés, et le corps marqué d'incisions; ils portaient des oblations et de l'encens qu'ils voulaient présenter au Temple de Yahvé.

Jérémie 41, 6 Yishmaël, fils de Netanya, sortit de Miçpa à leur rencontre, et il avançait en pleurant. Les ayant rejoints, il leur dit: "Venez chez Godolias, fils d'Ahiqam."

Jérémie 41, 7 Mais quand ils eurent pénétré en pleine ville, Yishmaël, fils de Netanya, les égorgea, aidé de ses hommes, et les fit jeter au fond d'une citerne.

Jérémie 41, 8 Toutefois, parmi ces gens, il s'en trouva dix qui dirent à Yishmaël: "Laisse-nous en vie, car nous avons dans les champs des provisions cachées, froment, orge, huile et miel." Alors, les épargnant, il ne les fit pas mourir avec leurs frères.

Jérémie 41, 9 La citerne où Yishmaël avait jeté tous les cadavres des gens qu'il avait tués était une grande citerne, celle que le roi Asa avait aménagée contre Basha, roi d'Israël. C'est elle qu'Yishmaël, fils de Netanya, emplit d'hommes assassinés.

Jérémie 41, 10 Puis Yishmaël fit prisonniers tout le reste du peuple qui était à Miçpa, les filles du roi et tout le peuple resté à Miçpa que Nebuzaradân, commandant de la garde, avait confiés à Godolias, fils d'Ahiqam; Yishmaël, fils de Netanya, les emmena prisonniers et se mit en marche pour passer chez les Ammonites.

Jérémie 41, 11 Quand Yohanân, fils de Qaréah, et tous les officiers qui se trouvaient avec lui apprirent tous les crimes de Yishmaël, fils de Netanya,

Jérémie 41, 12 ils rassemblèrent tous leurs hommes et partirent attaquer Yishmaël, fils de Netanya. Ils l'atteignirent au grand étang de Gabaôn.

Jérémie 41, 13 A la vue de Yohanân, fils de Qaréah, et de tous les officiers qui l'accompagnaient, tout le peuple autour de Yishmaël éclata de joie.

Jérémie 41, 14 Tous ces gens que Yishmaël avait emmenés de Miçpa firent volte-face, ils se retournèrent et s'en allèrent auprès de Yohanân, fils de Qaréah.

Jérémie 41, 15 Quant à Yishmaël, fils de Netanya, il échappa à Yohanân, avec huit hommes, et s'en fut chez les Ammonites.

Jérémie 41, 16 Alors Yohanân, fils de Qaréah, et tous les officiers qui l'accompagnaient rassemblèrent tout le reste du peuple que Yishmaël, fils de Netanya, avait emmené de Miçpa comme prisonniers, après qu'il eut tué Godolias, fils d'Ahiqam: hommes -- gens de guerre --, femmes et enfants, ainsi que les eunuques, ramenés par eux de Gabaôn.

Jérémie 41, 17 Ils se mirent en marche et firent étape au Khan de Kimham, près de Bethléem, pour gagner ensuite l'Egypte,

Jérémie 41, 18 loin des Chaldéens qu'on redoutait, car Yishmaël, fils de Netanya, avait tué Godolias, fils de Ahiqam, que le roi de Babylone avait préposé au pays.

Jérémie 42, 1 Alors tous les officiers, notamment Yohanân, fils de Qaréah, et Azarya, fils de Hoshaya, ainsi que tout le peuple, petits et grands, vinrent

Jérémie 42, 2 dire au prophète Jérémie: "Que notre supplication puisse te toucher! Intercède auprès de Yahvé ton Dieu en notre faveur et en faveur de tout ce reste -- car nous sommes restés bien peu du nombre que nous étions, comme tu le vois de tes propres yeux --

Jérémie 42, 3 pour que Yahvé ton Dieu nous indique quelle voie nous devons suivre et ce que nous devons faire."

Jérémie 42, 4 Le prophète Jérémie leur répondit: "J'entends. Je vais intercéder auprès de Yahvé votre Dieu selon votre demande; et toute parole que Yahvé vous répondra, je vous la ferai savoir, sans vous en rien cacher."

Jérémie 42, 5 De leur côté, ils dirent à Jérémie: "Que Yahvé soit témoin contre nous, véridique et fidèle, si nous n'agissons pas exactement selon la parole que Yahvé ton Dieu t'aura envoyée pour nous.

Jérémie 42, 6 Que ce soit agréable ou désagréable, nous obéirons à la voix de Yahvé notre Dieu, auprès de qui nous te députons: ainsi serons-nous heureux pour avoir obéi à la voix de Yahvé notre Dieu."

Jérémie 42, 7 Au bout de dix jours, la parole de Yahvé fut adressée à Jérémie.

Jérémie 42, 8 Alors il convoqua Yohanân, fils de Qaréah, et tous les officiers qui étaient auprès de lui, ainsi que tout le peuple, petits et grands.

Jérémie 42, 9 Il leur dit: "Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël, auprès de qui vous m'avez député pour lui présenter votre supplication.

Jérémie 42, 10 Si vraiment vous restez dans ce pays, je vous bâtirai et ne vous démolirai plus, je vous planterai et ne vous arracherai plus. Car je me repentirai du mal que je vous ai fait.

Jérémie 42, 11 Ne craignez pas le roi de Babylone devant qui vous êtes tout craintifs. Ne le craignez pas -- oracle de Yahvé -- car je suis avec vous pour vous sauver et vous délivrer de sa main.

Jérémie 42, 12 Je vous ferai prendre en pitié, pour qu'il vous prenne en pitié et vous laisse revenir sur votre sol.

Jérémie 42, 13 Mais si vous dites: Nous ne resterons pas dans ce pays, désobéissant ainsi à la voix de Yahvé votre Dieu,

Jérémie 42, 14 si vous dites: Non! C'est au pays d'Egypte que nous irons; là nous ne verrons plus la guerre, nous n'entendrons plus l'appel du cor et ne manquerons plus de pain; c'est là que nous voulons demeurer,

Jérémie 42, 15 eh bien! en ce cas, reste de Juda, écoutez la parole de Yahvé: Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Si vous êtes résolus à aller en Egypte et que vous y entriez pour y séjourner,

Jérémie 42, 16 l'épée que vous redoutez, elle vous atteindra là, en terre d'Egypte; et la famine qui vous inquiète, elle s'attachera à vos pas, là en Egypte: c'est là que vous mourrez!

Jérémie 42, 17 Et tous les hommes résolus à aller en Egypte pour y séjourner y mourront par l'épée, la famine et la peste: pas un seul survivant ni rescapé n'échappera au malheur que je vais leur amener.

Jérémie 42, 18 Oui, ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Comme se sont déversées ma colère et ma fureur sur les habitants de Jérusalem, ainsi ma fureur se déversera sur vous, si vous vous rendez en Egypte. Vous serez objet d'exécration, de stupéfaction, de malédiction et de raillerie, et vous ne reverrez plus ces lieux.

Jérémie 42, 19 Reste de Juda, Yahvé vous a déclaré: N'allez pas en Egypte! Sachez bien qu'aujourd'hui, je vous ai avertis solennellement.

Jérémie 42, 20 Vous vous êtes égarés vous-mêmes quand vous m'avez député auprès de Yahvé votre Dieu en disant: Intercède pour nous auprès de Yahvé notre Dieu, et tout ce qu'aura ordonné Yahvé notre Dieu, annonce-le nous pour que nous l'exécutions.

Jérémie 42, 21 Et aujourd'hui, je vous l'annonce mais vous n'obéissez à la voix de Yahvé votre Dieu en rien de ce qu'il m'envoie vous dire.

Jérémie 42, 22 Sachez donc bien que vous mourrez par l'épée, la famine et la peste au lieu où vous avez désiré vous rendre pour y séjourner."

Jérémie 43, 1 Lorsque Jérémie eut achevé de dire à tout le peuple toutes les paroles de Yahvé leur Dieu, dont Yahvé leur Dieu l'avait chargé pour eux -- toutes les paroles rapportées --

Jérémie 43, 2 Azarya, fils de Hoshaya, Yohanân, fils de Qaréah, et tous ces hommes insolents répondirent à Jérémie: "C'est un mensonge que tu débites. Yahvé notre Dieu ne t'a pas chargé de dire: N'allez pas en Egypte pour y séjourner.

Jérémie 43, 3 Mais c'est Baruch, fils de Nériyya, qui t'excite contre nous, pour nous livrer aux mains des Chaldéens qui nous mettront à mort ou nous déporteront à Babylone.

Jérémie 43, 4 Aussi, ni Yohanân, fils de Qaréah, ni aucun des officiers, ni personne du peuple n'obéit à la voix de Yahvé en demeurant au pays de Juda.

Jérémie 43, 5 Yohanân, fils de Qaréah, et tous les chefs de l'armée emmenèrent tout le reste de Juda, ceux qui étaient revenus de chez tous les peuples où ils étaient dispersés, pour habiter au pays de Juda,

Jérémie 43, 6 hommes, femmes et enfants, ainsi que les filles du roi et toutes les personnes que Nebuzaradân, commandant de la garde, avait laissées avec Godolias, fils d'Ahiqam, fils de Shaphân, notamment le prophète Jérémie et Baruch, fils de Nériyya.

Jérémie 43, 7 Ils se rendirent donc en Egypte, puisqu'ils n'obéirent pas à la voix de Yahvé, et parvinrent à Tahpanhès.

Jérémie 43, 8 Or la parole de Yahvé fut adressée à Jérémie, à Tahpanhès, en ces termes:

Jérémie 43, 9 Prends de grandes pierres et, en présence des Judéens, enfouis-les dans du ciment sur la terrasse qui se trouve à l'entrée du palais de Pharaon, à Tahpanhès.

Jérémie 43, 10 Puis dis à ces gens: "Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Voici, je vais envoyer chercher Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur; il installera son trône sur ces pierres que j'ai enfouies, et il déploiera sur elles son dais.

Jérémie 43, 11 Il viendra et frappera le pays d'Egypte: Qui est pour la peste, à la peste! Qui est pour la captivité, en captivité! Qui est pour l'épée, à l'épée!

Jérémie 43, 12 Il mettra le feu aux temples des dieux de l'Egypte, il brûlera ces dieux ou les déportera, il s'enveloppera du pays d'Egypte comme le berger s'enveloppe de son manteau, puis il en sortira en paix.

Jérémie 43, 13 Il brisera les obélisques du temple du Soleil, qui se trouve en Egypte, et incendiera les temples des dieux de l'Egypte.

Jérémie 44, 1 Parole qui fut adressée à Jérémie pour tous les Judéens installés au pays d'Egypte, en résidence à Migdol, Tahpanhès, Noph, et au pays de Patros.

Jérémie 44, 2 Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Vous avez vu tout le malheur que j'ai amené sur Jérusalem et sur toutes les villes de Juda: les voilà en ruines aujourd'hui, et sans habitants.

Jérémie 44, 3 C'est à cause des méfaits qu'ils ont commis pour m'irriter, en allant encenser et servir des dieux étrangers que n'avaient connus ni eux, ni vous, ni vos pères.

Jérémie 44, 4 Je vous ai envoyé sans me lasser tous mes serviteurs les prophètes, je les ai envoyés dire: "Ne faites pas cette abomination que je déteste!"

Jérémie 44, 5 Mais ils n'ont point écouté ni prêté l'oreille pour se convertir de leur méchanceté et ne plus encenser d'autres dieux.

Jérémie 44, 6 Alors ma fureur et ma colère se sont déversées, elles ont embrasé les villes de Juda et les rues de Jérusalem, qui furent réduites en ruines et en solitudes, comme c'est le cas aujourd'hui.

Jérémie 44, 7 Et maintenant, ainsi parle Yahvé, le Dieu Sabaot, le Dieu d'Israël: Pourquoi vous causer à vous-mêmes un si grand mal? Vous allez faire exterminer du milieu de Juda hommes et femmes, enfants et nourrissons, sans qu'il vous subsiste un reste,

Jérémie 44, 8 parce que vous m'aurez irrité par l'oeuvre de vos mains, encensant d'autres dieux sur cette terre d'Egypte où vous êtes venus séjourner, travaillant ainsi à votre extermination et devenant pour toutes les nations de la terre un objet de malédiction et de raillerie.

Jérémie 44, 9 Avez-vous oublié les méfaits de vos pères, ceux des rois de Juda et de vos princes, les vôtres et ceux de vos femmes, commis au pays de Juda et dans les rues de Jérusalem?

Jérémie 44, 10 Ils n'ont ressenti jusqu'à ce jour aucune contrition, aucune crainte, et n'ont point marché selon ma Loi et mes prescriptions, que j'avais placées devant vous et devant vos pères.

Jérémie 44, 11 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Voici, je vais me tourner contre vous pour votre malheur, pour exterminer tout Juda.

Jérémie 44, 12 J'enlèverai le reste de Juda qui s'est tourné vers le pays d'Egypte pour y entrer et y séjourner: ils périront tous en terre d'Egypte, ils tomberont sous l'épée, ils périront de famine, petits et grands; par l'épée et la famine ils mourront, et ils seront objet d'exécration, de stupéfaction, de malédiction et de raillerie.

Jérémie 44, 13 Je visiterai ceux qui sont installés au pays d'Egypte, comme j'ai visité Jérusalem: par l'épée, la famine et la peste.

Jérémie 44, 14 Dans ce reste de Juda venu séjourner au pays d'Egypte, pas un seul rescapé ni survivant n'échappera pour retourner au pays de Juda, où ils désirent ardemment revenir et demeurer. Car ils n'y reviendront pas, sauf quelques rescapés.

Jérémie 44, 15 Alors tous les hommes qui savaient que leurs femmes encensaient des dieux étrangers et toutes les femmes présentes -- une grande assemblée -- (et tout le peuple établi au pays d'Egypte et à Patros) firent cette réponse à Jérémie:

Jérémie 44, 16 "En ce qui concerne la parole que tu nous a adressée au nom de Yahvé, nous ne voulons pas t'écouter;

Jérémie 44, 17 mais nous continuerons à faire tout ce que nous avons promis: offrir de l'encens à la Reine du Ciel et lui verser des libations, comme nous le faisions, nous et nos pères, nos rois et nos princes, dans les villes de Juda et les rues de Jérusalem: alors nous avions du pain à satiété, nous étions heureux et nous ne voyions point de malheur.

Jérémie 44, 18 Mais depuis que nous avons cessé d'offrir de l'encens à la Reine du Ciel et de lui verser des libations, nous avons manqué de tout et avons péri par l'épée et la famine.

Jérémie 44, 19 D'ailleurs, quand nous offrons de l'encens à la Reine du Ciel et lui versons des libations, est-ce à l'insu de nos maris que nous lui faisons des gâteaux qui la représentent et lui versons des libations?"

Jérémie 44, 20 Mais Jérémie déclara à tout le peuple, aux hommes et aux femmes, à tous ceux qui lui avaient fait cette réponse:

Jérémie 44, 21 "Cet encens que vous avez offert dans les villes de Juda et dans les rues de Jérusalem, vous et vos pères, vos rois et vos princes, ainsi que le peuple du pays, n'est-ce pas cela dont Yahvé s'est souvenu et qui lui est remonté au coeur?

Jérémie 44, 22 Yahvé n'a pu se contenir davantage devant la méchanceté de vos actes, devant les choses abominables que vous avez faites: ainsi votre pays est devenu une ruine, une épouvante et une malédiction, sans habitants, comme c'est le cas aujourd'hui.

Jérémie 44, 23 C'est que vous avez offert de l'encens et péché contre Yahvé, n'écoutant pas la voix de Yahvé et ne marchant pas selon sa Loi, ses prescriptions et ses ordonnances; voilà pourquoi ce malheur vous a atteints, comme c'est le cas aujourd'hui."

Jérémie 44, 24 Puis Jérémie s'adressa à tout le peuple, notamment à toutes les femmes: "Ecoutez la parole de Yahvé, vous tous, Judéens qui êtes au pays d'Egypte:

Jérémie 44, 25 Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Vous et vos femmes, de votre bouche vous avez promis et de vos mains vous avez réalisé! Vous avez dit: Nous accomplirons exactement les voeux que nous avons faits: offrir de l'encens à la Reine du Ciel et lui verser des libations. Eh bien! Acquittez-vous de vos voeux, accomplissez exactement vos voeux!

Jérémie 44, 26 Toutefois, écoutez la parole de Yahvé, vous tous, les Judéens installés au pays d'Egypte: voici, je le jure par mon grand Nom, dit Yahvé. Dans tout le pays d'Egypte, mon Nom ne sera plus prononcé par la bouche d'aucun homme de Juda; aucun ne dira: Par la vie du Seigneur Yahvé!

Jérémie 44, 27 Voici, je vais veiller sur eux pour leur malheur, et non pour leur bonheur: tous les hommes de Juda qui se trouvent au pays d'Egypte périront par l'épée et la famine, jusqu'à extinction totale.

Jérémie 44, 28 Cependant des rescapés de l'épée -- en petit nombre -- reviendront du pays d'Egypte au pays de Juda. Alors tout le reste de Juda venu au pays d'Egypte pour y séjourner reconnaîtra quelle parole se réalise: la mienne ou la leur!

Jérémie 44, 29 "Et voici pour vous -- oracle de Yahvé -- le signe que je vous visiterai en ce lieu: alors vous reconnaîtrez que mes paroles de menace contre vous se réaliseront.

Jérémie 44, 30 Ainsi parle Yahvé. Voici, je vais livrer le Pharaon Hophra, roi d'Egypte, aux mains de ses ennemis et de ceux qui en veulent à sa vie, de la même façon que j'ai livré Sédécias, roi de Juda, aux mains de Nabuchodonosor, roi de Babylone, son ennemi qui en voulait à sa vie.

Jérémie 45, 1 Parole qu'adressa le prophète Jérémie à Baruch, fils de Nériyya, quand celui-ci écrivit ces paroles dans un livre sous la dictée de Jérémie, la quatrième année de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda.

Jérémie 45, 2 Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël, à ton sujet, Baruch.

Jérémie 45, 3 Tu as dit: "Malheur à moi, car Yahvé accumule pour moi peines sur douleurs! Je suis épuisé à force de gémir et ne trouve aucun répit!"

Jérémie 45, 4 Tu lui parleras en ces termes: Ainsi parle Yahvé. Ce que j'avais bâti, je le démolis, ce que j'avais planté, je l'arrache, et cela pour toute la terre!

Jérémie 45, 5 Et toi, tu réclames pour toi de grandes choses! Ne réclame pas, car voici que moi, j'amène le malheur sur toute chair, oracle de Yahvé. Mais toi, je t'accorde ta vie pour butin, partout où tu iras.

Jérémie 46, 1 Parole de Yahvé qui fut adressée au prophète Jérémie concernant les nations.

Jérémie 46, 2 Sur l'Egypte. Contre l'armée du Pharaon Neko, roi d'Egypte, qui se trouvait près du fleuve Euphrate, vers Karkémish, quand Nabuchodonosor, roi de Babylone, la battit; c'était la quatrième année de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda.

Jérémie 46, 3 Préparez petit et grand boucliers. En avant pour la bataille!

Jérémie 46, 4 Harnachez les chevaux, en selle, cavaliers! Alignez-vous, casque en tête, affûtez les lances, endossez vos cuirasses!

Jérémie 46, 5 Pourquoi donc les ai-je vus pris de panique, lâchant pied? Leurs braves, battus, s'enfuient éperdument sans se retourner. C'est la terreur de tous côtés, oracle de Yahvé.

Jérémie 46, 6 Que le plus rapide ne s'échappe pas, que le plus valeureux ne s'enfuie pas! Vers le Nord, aux rives de l'Euphrate, ils ont trébuché, ils sont tombés.

Jérémie 46, 7 Qui donc montait, pareil au Nil, et comme des torrents bouillonnaient ses eaux?

Jérémie 46, 8 C'est l'Egypte qui montait, pareille au Nil, et comme des torrents bouillonnaient ses eaux. Elle disait: "Je monterai submerger la terre, détruire les villes et leurs habitants!

Jérémie 46, 9 Chevaux, chargez! Chars, foncez! Que s'avancent les guerriers, gens de Kush et de Put, porteurs de boucliers, Ludiens qui bandez l'arc!"

Jérémie 46, 10 Or ce jour-là est pour le Seigneur Yahvé Sabaot un jour de vengeance, pour se venger de ses adversaires: l'épée dévore, elle se rassasie, elle s'enivre de leur sang. Car c'est un sacrifice pour le Seigneur Yahvé Sabaot, au pays du Nord, sur le fleuve Euphrate.

Jérémie 46, 11 Monte en Galaad et prends du baume, vierge, fille de l'Egypte! En vain tu multiplies les remèdes: point de guérison pour toi!

Jérémie 46, 12 Les nations ont appris ton déshonneur; de ta clameur la terre est remplie, car le guerrier a trébuché contre le guerrier, ils sont tombés tous les deux.

Jérémie 46, 13 Parole que Yahvé adressa au prophète Jérémie quand Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint pour frapper le pays d'Egypte.

Jérémie 46, 14 Publiez-le en Egypte, faites-le entendre à Migdol, faites-le entendre à Noph et à Tahpanhès! Dites: Dresse-toi, tiens-toi prête, car l'épée dévore autour de toi.

Jérémie 46, 15 Pourquoi Apis a-t-il fui? Pourquoi ton Puissant n'a-t-il pas tenu? Oui, Yahvé l'a culbuté,

Jérémie 46, 16 il en fait trébucher beaucoup! Chacun tombe sur son compagnon; ils disent: "Debout! Retournons à notre peuple et à notre terre natale, loin de l'épée dévastatrice."

Jérémie 46, 17 On a donné ce nom à Pharaon, le roi d'Egypte: du-"Bruit!-mais-il-manque-l'occasion!"

Jérémie 46, 18 Aussi vrai que je vis -- oracle du Roi dont le nom est Yahvé Sabaot -- il va venir, pareil au Tabor parmi les monts, au Carmel surplombant la mer.

Jérémie 46, 19 Prépare ton paquet d'exilée, habitante, fille de l'Egypte; Noph se changera en désolation, dévastée et vidée d'habitants.

Jérémie 46, 20 L'Egypte était une génisse magnifique: un taon venu du Nord s'est posé sur elle.

Jérémie 46, 21 Ses mercenaires aussi, chez elle, ressemblaient à des veaux à l'engrais: eux aussi tournent les talons, ils s'enfuient tous ensemble, ils ne peuvent tenir. Car il arrive sur eux, le Jour de leur ruine, le temps de leur châtiment.

Jérémie 46, 22 Sa voix est comme le bruit du serpent qui siffle car ils viennent en masse se jeter sur elle avec des haches, tels des bûcherons;

Jérémie 46, 23 ils abattent sa forêt, oracle de Yahvé, alors qu'elle était impénétrable, car ils sont plus nombreux que les sauterelles, ils sont innombrables.

Jérémie 46, 24 Elle est couverte de honte, la fille de l'Egypte, livrée aux mains d'un peuple du Nord.

Jérémie 46, 25 Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël, a dit: Voici que je vais visiter Amon de No, le Pharaon, l'Egypte, ses dieux et ses rois, Pharaon et ceux qui se fient à lui.

Jérémie 46, 26 Je les livrerai aux mains de ceux qui en veulent à leur vie, aux mains de Nabuchodonosor, roi de Babylone, et aux mains de ses serviteurs. Mais plus tard l'Egypte sera de nouveau habitée, comme aux jours d'autrefois, oracle de Yahvé.

Jérémie 46, 27 Mais toi, ne crains pas, mon serviteur Jacob, ne sois pas terrifié, Israël! Car me voici pour te sauver des terres lointaines, et tes descendants du pays de leur captivité. Jacob reviendra et sera paisible, il sera tranquille, sans personne qui l'inquiète.

Jérémie 46, 28 Toi, sois sans crainte, mon serviteur Jacob -- oracle de Yahvé -- car je suis avec toi: Je ferai l'extermination de toutes les nations où je t'ai dispersé; avec toi je ne ferai pas d'extermination, mais je te châtierai selon le droit, ne te laissant pas impuni.

Jérémie 47, 1 Parole de Yahvé qui fut adressée au prophète Jérémie sur les Philistins, avant que Pharaon ne frappe Gaza:

Jérémie 47, 2 Ainsi parle Yahvé. Voici les eaux qui montent du Nord, elles deviennent un fleuve débordant qui submerge le pays avec ce qu'il contient, les villes avec leurs habitants. Les hommes crient, ils gémissent tous les habitants du pays,

Jérémie 47, 3 au martèlement des sabots de ses chevaux, au vacarme de ses chars, au fracas de ses roues. Les pères ne regardent plus leurs enfants, leurs mains défaillent,

Jérémie 47, 4 à cause du Jour qui est arrivé où tous les Philistins seront anéantis, où Tyr et Sidon verront abattre jusqu'à leurs derniers alliés. Oui, Yahvé anéantit les Philistins, le reste de l'île de Kaphtor.

Jérémie 47, 5 La tonsure a été infligée à Gaza, Ashqelôn est réduite au silence. Toi qui restes de leur vallée, jusques à quand te feras-tu des incisions?

Jérémie 47, 6 Hélas, épée de Yahvé, jusques à quand seras-tu sans repos? Rentre en ton fourreau, arrête, calme-toi! --

Jérémie 47, 7 Comment se reposerait-elle quand Yahvé lui a donné des ordres? Ashqelôn et le rivage de la mer, voilà les buts fixés.

Jérémie 48, 1 Sur Moab. Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël. Malheur au Nebo, car il est saccagé, Qiryatayim a eu honte, elle est prise, honte et terreur sur la citadelle:

Jérémie 48, 2 elle n'est plus, la fierté de Moab! A Heshbôn on a machiné son malheur: "Allons! Supprimons-la d'entre les nations!" Toi aussi, Madmèn, tu seras réduite au silence, l'épée te serre de près.

Jérémie 48, 3 Des clameurs viennent de Horonayim: "Dévastation! Immense désastre!"

Jérémie 48, 4 Moab est terrassée, ses petits font entendre un cri.

Jérémie 48, 5 Oui, la montée de Luhit, on la monte en pleurant. Oui, à la descente de Horonayim, on entend une clameur de désastre:

Jérémie 48, 6 "Fuyez, sauvez votre vie, imitez l'onagre dans le désert!"

Jérémie 48, 7 Oui, puisque tu t'es fiée à tes oeuvres et à tes trésors, tu seras prise, toi aussi. Kemosh partira en captivité, avec ses prêtres et ses princes tous ensemble.

Jérémie 48, 8 Un dévastateur va venir contre toute ville, aucune ne réchappera: la Vallée sera ravagée, le Plateau saccagé, comme Yahvé l'a dit.

Jérémie 48, 9 Donnez des ailes à Moab, pour qu'elle puisse s'envoler! Ses villes se changeront en désolation, nul n'y habitant plus.

Jérémie 48, 10 (Maudit celui qui fait avec négligence le travail de Yahvé! Maudit qui prive de sang son épée!)

Jérémie 48, 11 Tranquille était Moab depuis sa jeunesse, il reposait sur sa lie, n'ayant jamais été transvasé, n'étant jamais parti en exil; aussi sa saveur lui était restée et son parfum ne s'était pas altéré.

Jérémie 48, 12 C'est pourquoi, voici venir des jours -- oracle de Yahvé -- où je lui enverrai des transvaseurs qui le transvaseront; ils videront ses cruches et briseront ses amphores.

Jérémie 48, 13 Alors Moab aura honte de Kemosh, comme la maison d'Israël a eu honte de Béthel en qui elle se confia.

Jérémie 48, 14 Comment pouvez-vous dire: "Nous sommes des héros, de vrais combattants?"

Jérémie 48, 15 Moab est ravagé; on a escaladé ses villes, l'élite de sa jeunesse descend à la boucherie, oracle du Roi qui a pour nom Yahvé Sabaot.

Jérémie 48, 16 La ruine de Moab est proche, son malheur se précipite.

Jérémie 48, 17 Plaignez-le, vous tous ses voisins, vous tous qui connaissiez son nom. Dites: "Quoi! Il est brisé, ce bâton puissant, ce sceptre magnifique!"

Jérémie 48, 18 Descends de ta gloire, assieds-toi sur un sol assoiffé, habitante, fille de Dibôn, car le dévastateur de Moab est monté contre toi, il a détruit tes forteresses.

Jérémie 48, 19 Poste-toi sur la route et guette, habitante d'Aroër, interroge fuyard et rescapé. Demande: "Qu'est-il arrivé" --

Jérémie 48, 20 "Moab est honteux de sa destruction; gémissez et criez! Publiez sur l'Arnon que Moab est dévasté!"

Jérémie 48, 21 Le jugement est venu contre le Plateau, contre Holôn, Yahça, Méphaat,

Jérémie 48, 22 Dibôn, Nebo, Bet-Diblatayim,

Jérémie 48, 23 Qiryatayim, Bet-Gamul, Bet-Meôn,

Jérémie 48, 24 Qeriyyot, Boçra et contre toutes les villes du pays de Moab, les lointaines comme les proches.

Jérémie 48, 25 "La force de Moab est abattue, son bras est brisé, oracle de Yahvé."

Jérémie 48, 26 Enivrez-le, car il s'est dressé contre Yahvé: que Moab se roule dans sa vomissure et devienne, lui aussi, une risée.

Jérémie 48, 27 Israël n'était-il pas pour toi une risée? A-t-il été surpris parmi les voleurs, que tu hoches la tête chaque fois que tu parles de lui?

Jérémie 48, 28 "Abandonnez les villes, installez-vous dans les rochers, habitants de Moab! Imitez le pigeon qui fait son nid aux parois d'une gorge béante!"

Jérémie 48, 29 Nous avons appris l'orgueil de Moab, son arrogance excessive: quelle superbe! quel orgueil! quelle arrogance! quel coeur altier! --

Jérémie 48, 30 Je connais bien sa présomption -- oracle de Yahvé -- son bavardage sans consistance, ses actes sans consistance! --

Jérémie 48, 31 Aussi je me lamente sur Moab, sur Moab tout entier, j'élève mon cri; on gémit sur les gens de Qir-Hérès.

Jérémie 48, 32 Plus que sur Yazèr, je pleure sur toi, vignoble de Sibma. Tes sarments s'étendaient au-delà de la mer, ils atteignaient jusqu'à Yazèr. Sur ta vendange et ta récolte est tombé le dévastateur.

Jérémie 48, 33 L'allégresse et la gaîté ont disparu des vergers et de la terre de Moab. J'ai tari le vin des cuves, le fouleur ne foule plus, le cri de joie ne résonne plus.

Jérémie 48, 34 Les cris de Heshbôn et de Eléalé vont jusqu'à Yahaç. On élève la voix de Coar jusqu'à Horonayim et à Eglat-Shelishiyya, car même les eaux de Nimrim deviennent un lieu désolé.

Jérémie 48, 35 Et je ferai disparaître en Moab -- oracle de Yahvé -- celui qui fait une offrande sur le haut lieu et celui qui encense ses dieux.

Jérémie 48, 36 Aussi mon coeur hulule sur Moab à la manière des flûtes; mon coeur hulule sur les gens de Qir-Hérès à la manière des flûtes; parce qu'il est perdu, le trésor amassé!

Jérémie 48, 37 Oui, toute tête est rasée, toute barbe coupée, à toutes les mains il y a des incisions, sur tous les reins un sac!

Jérémie 48, 38 Sur toutes les terrasses de Moab et sur toutes ses places, ce n'est qu'une lamentation, parce que j'ai brisé Moab comme un vase de rebut, oracle de Yahvé.

Jérémie 48, 39 Comme il a été détruit! Gémissez! Comme Moab, honteusement, a tourné le dos! Moab est devenu un objet de risée et d'épouvante pour tous ses voisins.

Jérémie 48, 40 Car ainsi parle Yahvé: (Voici comme un aigle qui plane et va déployer ses ailes sur Moab.)

Jérémie 48, 41 Les villes sont prises, les forteresses enlevées. (Et le coeur des guerriers de Moab, en ce jour-là, sera pareil au coeur d'une femme en travail.)

Jérémie 48, 42 Moab, exterminé, cesse d'être un peuple, pour s'être dressé contre Yahvé.

Jérémie 48, 43 Frayeur, fosse, filet, pour toi, habitant de Moab! Oracle de Yahvé.

Jérémie 48, 44 Qui fuira loin de la frayeur tombera dans la fosse, et qui remontera de la fosse sera pris dans le filet. Oui, je vais amener tout cela sur Moab, l'année de leur châtiment, oracle de Yahvé.

Jérémie 48, 45 A l'abri de Heshbôn ont fait halte les fuyards à bout de force. Mais un feu est sorti de Heshbôn, une flamme du palais de Sihôn, qui a dévoré les tempes de Moab et le crâne d'une engeance de tumulte.

Jérémie 48, 46 Malheur à toi, Moab! Il est perdu, le peuple de Kemosh! Car tes fils sont emmenés en exil et tes filles en captivité.

Jérémie 48, 47 Mais je ramènerai les captifs de Moab, à la fin des jours, oracle de Yahvé. Jusqu'ici le jugement de Moab.

Jérémie 49, 1 Aux fils d'Ammon. Ainsi parle Yahvé: Israël n'a-t-il pas de fils, n'a-t-il pas d'héritier? Pourquoi Milkom a-t-il hérité de Gad et son peuple en occupe-t-il les villes?

Jérémie 49, 2 Eh bien! Voici venir des jours -- oracle de Yahvé -- où je ferai résonner pour Rabba des Ammonites le cri de guerre. Elle deviendra une ruine désolée, ses filles seront incendiées. Alors Israël héritera de ses héritiers, dit Yahvé.

Jérémie 49, 3 Gémis, Heshbôn, parce qu'Ar a été dévastée. Hurlez, filles de Rabba! revêtez-vous de sacs, élevez la lamentation, errez dans les enclos! Car Milkom va partir en exil avec ses prêtres et ses princes tous ensemble.

Jérémie 49, 4 Comme tu te glorifiais de ta Vallée, fille rebelle, tu te fiais à tes réserves: "Qui osera venir contre moi?"

Jérémie 49, 5 Voici, je vais amener contre toi l'épouvante -- oracle du Seigneur Yahvé Sabaot -- de tous les alentours; vous serez chassés, chacun devant soi, et personne pour rassembler les fuyards.

Jérémie 49, 6 (Mais ensuite je ramènerai les captifs des fils d'Ammon, oracle de Yahvé.)

Jérémie 49, 7 A Edom. Ainsi parle Yahvé Sabaot. N'y a-t-il plus de sagesse dans Témân, le conseil a-t-il disparu chez les gens intelligents; leur sagesse s'est-elle évanouie?

Jérémie 49, 8 Fuyez! Détournez-vous! Cachez-vous bien, habitants de Dedân, car j'amène sur Esaü sa ruine, le temps de son châtiment.

Jérémie 49, 9 Si des vendangeurs viennent chez toi, ils ne laisseront rien à grappiller; si ce sont des voleurs nocturnes, ils saccageront tout leur content.

Jérémie 49, 10 Car c'est moi qui dénude Esaü, je mets à découvert ses cachettes: il ne peut plus se dissimuler. Sa race est anéantie, de même ses frères et ses voisins; il n'existe plus!

Jérémie 49, 11 Laisse tes orphelins, je les ferai vivre, et que tes veuves se confient en moi!

Jérémie 49, 12 Car ainsi parle Yahvé: Vois, ceux qui n'auraient pas dû boire la coupe la boiront sûrement, et toi, tu resterais impuni? Tu ne resteras pas impuni, mais tu la boiras pour de bon!

Jérémie 49, 13 Car j'en ai fait le serment par moi-même -- oracle de Yahvé -- Boçra deviendra un objet de stupeur et de raillerie, une ruine et une malédiction; toutes ses villes seront réduites en ruines perpétuelles.

Jérémie 49, 14 J'ai reçu de Yahvé un message, un héraut était dépêché parmi les nations: "Rassemblez-vous! Marchez contre ce peuple! Debout pour le combat!"

Jérémie 49, 15 Car, vois, je te rends petit parmi les nations, méprisé parmi les hommes.

Jérémie 49, 16 Cela t'a égaré de répandre l'effroi, de t'exalter en ton coeur, toi qui habites au creux de la Roche et t'accroches au sommet de la hauteur! Quand tu hausserais ton nid comme l'aigle, je t'en précipiterais, oracle de Yahvé.

Jérémie 49, 17 Edom deviendra un objet de stupeur; tous ceux qui passeront près d'elle, stupéfaits, siffleront devant toutes ses blessures.

Jérémie 49, 18 Comme au bouleversement de Sodome, de Gomorrhe et des cités voisines, dit Yahvé, personne n'y habitera plus, aucun humain n'y séjournera plus.

Jérémie 49, 19 Voici que, tel un lion, il monte des halliers du Jourdain vers le pâturage toujours vert. En un clin d'oeil, je les en ferai déguerpir, pour y établir celui que je choisirai. Qui en effet est mon égal? Qui pourrait m'assigner en justice? Quel est donc le pasteur qui tiendrait devant moi?

Jérémie 49, 20 Aussi apprenez le dessein que Yahvé a formé contre Edom, et le plan qu'il a résolu contre les habitants de Témân: Certainement on les traînera comme les plus petits du troupeau! Certainement on va saccager leur prairie devant eux!

Jérémie 49, 21 Au bruit de leur chute, la terre tremble, l'écho en retentit jusqu'à la mer des Roseaux.

Jérémie 49, 22 Voici comme un aigle qui monte et plane et va déployer ses ailes sur Boçra. Le coeur des guerriers d'Edom, en ce jour-là, sera pareil au coeur d'une femme en travail.

Jérémie 49, 23 A Damas. Hamat et Arpad sont honteuses car elles ont reçu une mauvaise nouvelle. Elles sont soulevées par l'inquiétude comme la mer qui ne peut se calmer.

Jérémie 49, 24 Damas est découragée et s'apprête à la fuite, un tremblement l'a saisie (angoisse et douleurs l'ont prise comme une femme en couches).

Jérémie 49, 25 Comment ne serait-elle pas abandonnée, la fière cité, la ville joyeuse?

Jérémie 49, 26 Aussi ses jeunes hommes tomberont sur ses places et tous ses hommes de guerre périront, en ce jour-là -- oracle de Yahvé Sabaot.

Jérémie 49, 27 J'allumerai le feu dans les remparts de Damas et il dévorera les palais de Ben-Hadad.

Jérémie 49, 28 A Qédar et aux royaumes de Haçor, que vainquit Nabuchodonosor, roi de Babylone. Ainsi parle Yahvé. Levez-vous, montez contre Qédar, anéantissez les fils de l'Orient!

Jérémie 49, 29 Leurs tentes et leurs moutons, qu'on les prenne, leurs étoffes et tous leurs ustensiles; qu'on s'empare de leurs chameaux et qu'on crie sur eux: "Terreur de tous côtés!"

Jérémie 49, 30 Fuyez, partez vite, cachez-vous bien, habitants de Haçor -- oracle de Yahvé -- car Nabuchodonosor, roi de Babylone, a médité contre vous un projet, formé contre vous un plan:

Jérémie 49, 31 "Debout! Montez contre une nation tranquille qui demeure en sécurité -- oracle de Yahvé -- qui n'a ni portes ni verrous, qui habite à l'écart.

Jérémie 49, 32 Leurs chameaux seront une proie, leurs moutons innombrables un butin!" Je vais les disperser à tout vent, ces Tempes-rasées, et de tous côtés je ferai venir leur ruine, oracle de Yahvé.

Jérémie 49, 33 Haçor deviendra un repaire de chacals, une solitude pour toujours. Personne n'y habitera plus, aucun humain n'y séjournera plus.

Jérémie 49, 34 Parole de Yahvé qui fut adressée au prophète Jérémie au sujet d'Elam, au commencement du règne de Sédécias, roi de Juda.

Jérémie 49, 35 Ainsi parle Yahvé Sabaot. Voici, je vais briser l'arc d'Elam, nerf de sa puissance.

Jérémie 49, 36 J'amènerai sur Elam quatre vents, des quatre extrémités du ciel, et je disperserai les Elamites à tous ces vents; il n'y aura pas de nation où n'arrivent des gens chassés d'Elam.

Jérémie 49, 37 Je ferai trembler les Elamites devant leurs ennemis, devant ceux qui en veulent à leur vie. J'amènerai sur eux le malheur, ma colère ardente -- oracle de Yahvé. J'enverrai l'épée à leur poursuite, jusqu'à ce que je les aie exterminés.

Jérémie 49, 38 J'établirai mon trône en Elam, j'en extirperai roi et princes, oracle de Yahvé.

Jérémie 49, 39 Mais à la fin des jours, je ramènerai les captifs d'Elam, oracle de Yahvé.

Jérémie 50, 1 Parole qu'a prononcée Yahvé contre Babylone, contre le pays des Chaldéens, par le ministère du prophète Jérémie.

Jérémie 50, 2 Annoncez-le parmi les nations, publiez-le, hissez un signal et publiez-le, ne cachez rien, proclamez: Babylone est prise, Bel honteux, Mérodak écroulé. (Ses idoles sont honteuses, ses Saletés écroulées.)

Jérémie 50, 3 Car du Nord monte contre elle une nation qui fera de son pays une désolation; nul n'y habitera plus, hommes et bêtes ont fui et disparu.

Jérémie 50, 4 En ces jours et en ce temps -- oracle de Yahvé -- les enfants d'Israël reviendront (eux et les enfants de Juda ensemble), ils feront route en pleurant et chercheront Yahvé leur Dieu.

Jérémie 50, 5 Ils réclameront Sion, vers elle, ils tourneront leur face: "Venez! Attachons-nous à Yahvé par une alliance éternelle que l'on n'oublie pas!"

Jérémie 50, 6 Les gens de mon peuple étaient des brebis perdues. Leurs bergers les égaraient, les montagnes les dévoyaient; de montagne en colline, ils allaient, oubliant leur bercail.

Jérémie 50, 7 Tous ceux qui les trouvaient les dévoraient, leurs ennemis disaient: "Nous ne sommes pas en faute puisqu'ils ont péché contre Yahvé, la demeure de justice, et contre l'espoir de leurs pères -- Yahvé!"

Jérémie 50, 8 Fuyez du milieu de Babylone et du pays des Chaldéens, sortez! Soyez comme des boucs en tête d'un troupeau.

Jérémie 50, 9 Car voici: je vais susciter et faire monter contre Babylone une coalition de grandes nations; arrivant du pays du Nord, elles se rangeront contre elle: c'est par là qu'on doit la prendre; les flèches sont celles d'un guerrier habile qui ne revient jamais les mains vides.

Jérémie 50, 10 La Chaldée sera mise au pillage, tous ses pilleurs seront rassasiés, oracle de Yahvé.

Jérémie 50, 11 Ah! Réjouissez-vous! Triomphez, vous, les ravageurs de mon héritage! Bondissez comme une génisse dans l'herbe! Hennissez comme des étalons!

Jérémie 50, 12 Votre mère est couverte de honte, celle qui vous enfanta rougit de confusion. Maintenant elle est la dernière des nations: désert, aridité et steppe.

Jérémie 50, 13 La colère de Yahvé fera qu'on n'y habite plus, elle deviendra une solitude totale. Quiconque passera près de Babylone en restera stupéfait et sifflera devant toute ses blessures.

Jérémie 50, 14 Rangez-vous contre Babylone, encerclez-la, vous tous qui bandez l'arc! Tirez sur elle, ne ménagez pas les flèches, car elle a péché contre Yahvé!

Jérémie 50, 15 Poussez contre elle le cri de guerre, de tous côtés! Elle tend la main, ses bastions croulent, ses remparts sont renversés. C'est la vengeance de Yahvé! Vengez-vous d'elle! Faites-lui ce qu'elle a fait!

Jérémie 50, 16 Retranchez de Babylone celui qui sème et celui qui tient la faucille au temps de la moisson. Loin de l'épée dévastatrice, que chacun retourne à son peuple, que chacun fuie vers son pays!

Jérémie 50, 17 Israël était une brebis égarée que pourchassaient des lions. Le premier qui le dévora fut le roi d'Assur et celui qui, le dernier, lui brisa les os, ce fut Nabuchodonosor, roi de Babylone.

Jérémie 50, 18 C'est pourquoi ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: Me voici pour visiter le roi de Babylone et son pays, comme j'ai visité le roi d'Assur.

Jérémie 50, 19 Et je vais ramener Israël à son pacage pour qu'il paisse au Carmel et en Bashân; sur la montagne d'Ephraïm et en Galaad, il sera rassasié.

Jérémie 50, 20 En ces jours et en ce temps -- oracle de Yahvé -- on cherchera l'iniquité d'Israël: elle ne sera plus; les péchés de Juda: on ne les trouvera plus; car je pardonnerai au reste que je laisse.

Jérémie 50, 21 "Monte au pays de Meratayim, monte contre lui et contre les habitants de Peqod: massacre-les, extermine-les jusqu'au dernier -- oracle de Yahvé. Exécute tous mes ordres!"

Jérémie 50, 22 Fracas de bataille dans le pays! Désastre immense!

Jérémie 50, 23 Comment a-t-il été brisé et mis en pièces, le marteau du monde entier? Comment est-elle devenue un objet d'épouvante, Babylone parmi les nations?

Jérémie 50, 24 Je t'ai tendu un piège et tu as été prise, Babylone, sans t'en apercevoir. Tu as été trouvée et maîtrisée, car tu t'en prenais à Yahvé!

Jérémie 50, 25 Yahvé a ouvert son arsenal et sorti les armes de sa colère. C'est qu'il y avait du travail pour le Seigneur Yahvé Sabaot au pays des Chaldéens! --

Jérémie 50, 26 "Venez-y de partout, ouvrez ses greniers, entassez-la comme gerbes, exterminez-la, que rien n'en reste!

Jérémie 50, 27 Massacrez tous ses taureaux, qu'ils descendent à l'abattoir! Malheur à eux, il est arrivé, leur Jour, le temps de leur châtiment."

Jérémie 50, 28 Ecoutez! Fuyards et rescapés du pays de Babylone viennent annoncer dans Sion la vengeance de Yahvé notre Dieu, la vengeance de son Temple!

Jérémie 50, 29 Convoquez les archers contre Babylone, tous ceux qui bandent l'arc! Campez contre elle tout autour, qu'on ne lui laisse pas d'issue. Payez-la selon ses oeuvres, tout ce qu'elle a fait, faites-le lui. Car elle fut insolente contre Yahvé, contre le Saint d'Israël.

Jérémie 50, 30 Aussi ses jeunes gens tomberont sur ses places et tous ses hommes de guerre périront, en ce jour-là, oracle de Yahvé!

Jérémie 50, 31 C'est contre toi que j'en ai, "Insolence" -- oracle du Seigneur Yahvé Sabaot -- ton Jour est arrivé, le temps où je te châtie.

Jérémie 50, 32 "Insolence" va être culbutée, elle tombera, nul ne la relèvera; je mettrai le feu à ses villes, il dévorera tous ses alentours.

Jérémie 50, 33 Ainsi parle Yahvé Sabaot: Les enfants d'Israël sont opprimés (et les enfants de Juda avec eux), tous ceux qui les ont faits captifs les tiennent, ils refusent de les lâcher.

Jérémie 50, 34 Mais leur Rédempteur est puissant, Yahvé Sabaot est son nom. Il va prendre en main leur cause afin de donner du repos au pays, mais de faire trembler les habitants de Babylone.

Jérémie 50, 35 Epée contre les Chaldéens -- oracle de Yahvé -- contre les habitants de Babylone, contre ses princes et ses sages!

Jérémie 50, 36 Epée contre ses devins: qu'ils déraisonnent! Epée contre ses héros: qu'ils soient pris de panique!

Jérémie 50, 37 Epée contre ses chevaux et ses chars, et contre le ramassis qu'elle recèle: qu'ils soient comme des femmes! Epée contre ses trésors: qu'on les pille!

Jérémie 50, 38 Sécheresse contre ses eaux: qu'elles tarissent! Car c'est un pays d'idoles, ils se passionnent pour leurs Epouvantails!

Jérémie 50, 39 Aussi des lynx y gîteront avec des chacals, des autruches y auront leur demeure. Elle ne sera plus habitée, à jamais, d'âge en âge elle ne sera plus peuplée.

Jérémie 50, 40 Comme lorsque Dieu renversa Sodome, Gomorrhe et les villes voisines -- oracle de Yahvé -- personne n'y habitera plus, aucun humain n'y séjournera plus.

Jérémie 50, 41 Voici qu'un peuple arrive du Nord, une grande nation et des rois nombreux se lèvent des confins de la terre.

Jérémie 50, 42 Ils tiennent fermement l'arc et le javelot, ils sont barbares et impitoyables; leur bruit est comme le mugissement de la mer; ils montent des chevaux, ils sont prêts à combattre comme un seul homme contre toi, fille de Babylone.

Jérémie 50, 43 Le roi de Babylone a appris la nouvelle, ses mains ont défailli, l'angoisse l'a pris, une douleur comme pour celle qui enfante.

Jérémie 50, 44 Voici que, tel un lion, il monte des halliers du Jourdain vers le pâturage toujours vert. En un clin d'oeil, je les ferai déguerpir de là, pour y établir celui que je choisirai. Qui en effet est mon égal? Qui pourrait m'assigner en justice? Quel est donc le pasteur qui tiendrait devant moi?

Jérémie 50, 45 Aussi apprenez le dessein que Yahvé a formé contre Babylone et le plan qu'il a résolu contre le pays des Chaldéens: certainement on les traînera comme les plus petits du troupeau! Certainement on va saccager leur prairie devant eux!

Jérémie 50, 46 Au bruit de la prise de Babylone, la terre tremble, un cri se fait entendre parmi les nations.

Jérémie 51, 1 Ainsi parle Yahvé: Je vais faire se lever contre Babylone et contre les habitants de Leb-Qamaï un vent destructeur.

Jérémie 51, 2 J'enverrai à Babylone des vanneurs pour la vanner et nettoyer son territoire, car on va l'assiéger de tous côtés au jour du malheur. --

Jérémie 51, 3 Qu'aucun archer ne bande son arc! Qu'on cesse de se pavaner dans sa cuirasse! -- Pas de quartier pour ses jeunes! Exterminez son armée entière!

Jérémie 51, 4 Des victimes tomberont au pays des Chaldéens, des transpercés dans les rues de Babylone.

Jérémie 51, 5 Car Israël et Juda ne sont pas veuves de leur Dieu, Yahvé Sabaot, bien que leur pays soit plein de péché contre le Saint d'Israël.

Jérémie 51, 6 Fuyez du milieu de Babylone (et sauvez chacun votre vie); ne périssez pas pour son crime car c'est le temps de la vengeance pour Yahvé: il va lui payer son dû!

Jérémie 51, 7 Babylone était une coupe d'or aux mains de Yahvé, elle enivrait la terre entière, les nations s'abreuvaient de son vin c'est pourquoi elles devenaient folles.

Jérémie 51, 8 Soudain Babylone est tombée, s'est brisée: hululez sur elle! Prenez du baume pour son mal: peut-être va-t-elle guérir! --

Jérémie 51, 9 "Nous voulions guérir Babylone, elle n'a pas guéri; Laissez-la! Allons-nous en, chacun dans son pays" -- Oui, le jugement qui la frappe atteint jusqu'au ciel, il s'élève jusqu'aux nues.

Jérémie 51, 10 Yahvé a fait éclater notre justice. Venez! Racontons dans Sion l'oeuvre de Yahvé notre Dieu.

Jérémie 51, 11 Affûtez les flèches, emplissez les carquois! Yahvé a excité l'esprit des rois des Mèdes, car il a formé contre Babylone le projet de la détruire: c'est la vengeance de Yahvé, la vengeance de son Temple.

Jérémie 51, 12 Contre les remparts de Babylone, levez l'étendard! Renforcez la garde! Postez des sentinelles! Dressez des embuscades! Car Yahvé a encore un projet, et il fait ce qu'il a dit contre les habitants de Babylone.

Jérémie 51, 13 Toi qui sièges au bord des grandes eaux, toi, riche en trésors, ta fin est arrivée, le terme de tes rapines.

Jérémie 51, 14 Yahvé Sabaot l'a juré par lui-même: Je te remplirai d'hommes comme de sauterelles, et contre toi, ils pousseront un cri de triomphe.

Jérémie 51, 15 Il a fait la terre par sa puissance, établi le monde par sa sagesse et par son intelligence étendu les cieux.

Jérémie 51, 16 Quand il donne de la voix, c'est un mugissement d'eaux dans le ciel, il fait monter les nuages du bout de la terre; il produit les éclairs pour l'averse et tire le vent de ses réservoirs.

Jérémie 51, 17 Alors tout homme se tient stupide, sans comprendre, chaque orfèvre rougit de ses idoles. Ce qu'il a coulé n'est que mensonge, en elles, pas de souffle!

Jérémie 51, 18 Elles sont vanité, oeuvre ridicule, au temps de leur châtiment, elles disparaîtront.

Jérémie 51, 19 La "Part de Jacob" n'est pas comme elles, car il a façonné l'univers et Israël est la tribu de son héritage. Son nom est Yahvé Sabaot.

Jérémie 51, 20 Tu fus un marteau à mon usage, une arme de guerre. Avec toi j'ai martelé des nations, avec toi j'ai détruit des royaumes,

Jérémie 51, 21 avec toi j'ai martelé cheval et cavalier, avec toi j'ai martelé char et charrier,

Jérémie 51, 22 avec toi j'ai martelé homme et femme, avec toi j'ai martelé vieillard et enfant, avec toi j'ai martelé adolescent et vierge,

Jérémie 51, 23 avec toi j'ai martelé berger et troupeau, avec toi j'ai martelé laboureur et attelage, avec toi j'ai martelé gouverneurs et magistrats,

Jérémie 51, 24 mais je ferai payer à Babylone et à tous les habitants de la Chaldée tout le mal qu'ils ont fait à Sion, sous vos yeux, oracle de Yahvé.

Jérémie 51, 25 C'est à toi que j'en ai, montagne de la destruction -- oracle de Yahvé -- la destructrice de l'univers! Je vais étendre contre toi ma main, te faire rouler du haut des rochers, te changer en montagne embrasée.

Jérémie 51, 26 On ne tirera plus de toi ni pierre d'angle ni pierre de fondation, car tu deviendras une désolation pour toujours, oracle de Yahvé.

Jérémie 51, 27 Levez l'étendard sur la terre, sonnez du cor parmi les nations! Vouez les nations contre elle, convoquez contre elle des royaumes, -- Ararat, Minni et Ashkenaz -- instituez contre elle l'officier d'enrôlement. Faites donner la cavalerie, horde de sauterelles hérissées.

Jérémie 51, 28 Vouez des nations contre elle: les rois de Médie, ses gouverneurs, tous ses magistrats et tout le pays en sa possession.

Jérémie 51, 29 La terre trembla et frémit. C'est que s'exécutait contre Babylone le plan de Yahvé: changer le territoire de Babylone en solitude sans habitants.

Jérémie 51, 30 Les vaillants de Babylone ont cessé le combat, ils se sont blottis dans les citadelles; leur vaillance est à bout, ils sont devenus des femmes. On a mis le feu à ses habitations, ses verrous sont en pièces.

Jérémie 51, 31 Le courrier court à la rencontre du courrier, le messager à la rencontre du messager, pour annoncer au roi de Babylone que sa ville est enlevée de tous côtés,

Jérémie 51, 32 les passages occupés, les redoutes incendiées et les hommes de guerre pris de panique.

Jérémie 51, 33 Car ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël: La fille de Babylone est pareille à une aire au temps où on la foule: encore un peu, et ce sera pour elle le temps de la moisson.

Jérémie 51, 34 Il m'a dévorée, consommée, Nabuchodonosor, le roi de Babylone, il m'a laissée comme un plat vide, il m'a engloutie tel le Dragon, il a empli son ventre de mes bons morceaux, il m'a chassée.

Jérémie 51, 35 "Sur Babylone la violence et les blessures que j'ai subies!" dit l'habitante de Sion. "Sur les habitants de Chaldée mon sang!" dit Jérusalem.

Jérémie 51, 36 C'est pourquoi ainsi parle Yahvé: Voici, je prends en main ta cause et j'assure ta vengeance. Je vais assécher son fleuve et tarir ses sources.

Jérémie 51, 37 Babylone deviendra un tas de pierres, un repaire de chacals, un objet d'épouvante et de dérision, sans plus d'habitants.

Jérémie 51, 38 Tels des lions, ils rugissent ensemble, ils grondent pareils à des lionceaux.

Jérémie 51, 39 Ils ont chaud? Je leur apprête un breuvage, je les ferai boire afin qu'ils soient en joie, qu'ils s'endorment d'un sommeil éternel et ne puissent plus s'éveiller -- oracle de Yahvé.

Jérémie 51, 40 Je les ferai descendre comme des agneaux à l'abattoir, comme des béliers et des boucs.

Jérémie 51, 41 Comment Shéshak a-t-elle été prise, comment a-t-elle été conquise, la fierté du monde entier? Comment est-elle devenue une épouvante, Babylone parmi les nations?

Jérémie 51, 42 Contre Babylone la mer est montée, ses flots tumultueux l'ont submergée.

Jérémie 51, 43 Ses villes sont changées en désolation, en terre aride et en steppe, terre où personne n'habite et où ne passe plus un homme.

Jérémie 51, 44 Je visiterai Bel dans Babylone et lui retirerai de la bouche ce qu'il a englouti. Vers lui n'afflueront plus les nations, désormais. Et même le rempart de Babylone tombera.

Jérémie 51, 45 Sors de son enceinte, mon peuple! Que chacun de vous sauve sa vie devant l'ardente colère de Yahvé!

Jérémie 51, 46 Mais que votre coeur ne défaille point! Ne vous effrayez pas de la nouvelle colportée dans le pays: une année, tel bruit se répand, et puis l'année d'après, tel autre; la violence triomphe sur la terre et un tyran succède au tyran.

Jérémie 51, 47 En effet, voici venir des jours où je visiterai les idoles de Babylone. Son territoire entier sera dans la honte et tous ses tués gisant dans son sein.

Jérémie 51, 48 Alors pousseront des cris contre Babylone le ciel et la terre et tout ce qu'ils renferment, car du Nord arrivent contre elle les dévastateurs, oracle de Yahvé!

Jérémie 51, 49 Babylone à son tour doit tomber, ô vous, tués d'Israël, de même que par Babylone tombèrent des tués de la terre entière.

Jérémie 51, 50 Vous qui avez échappé à l'épée, partez! Ne vous arrêtez pas! Au loin, souvenez-vous de Yahvé et que Jérusalem soit présente à votre coeur! --

Jérémie 51, 51 "Nous étions dans la honte, entendant l'insulte, nous étions couverts de confusion, car des étrangers étaient venus dans les sanctuaires du Temple de Yahvé" --

Jérémie 51, 52 Eh bien! Voici venir des jours -- oracle de Yahvé -- où je visiterai ses idoles, et dans tout son territoire gémiront ceux qu'on tue.

Jérémie 51, 53 Babylone escaladerait-elle le ciel, renforcerait-elle sa citadelle inaccessible, sur mon ordre lui viendront des dévastateurs -- oracle de Yahvé.

Jérémie 51, 54 Bruit d'une clameur qui sort de Babylone, d'un grand désastre, du pays des Chaldéens!

Jérémie 51, 55 Car Yahvé dévaste Babylone, il fait cesser son grand bruit, celui des flots qui grondaient comme les grandes eaux quand le tumulte de leur voix retentissait.

Jérémie 51, 56 Car un dévastateur est venu contre elle, contre Babylone, ses héros sont faits captifs, leurs arcs sont brisés. Oui, Yahvé est le Dieu des représailles: il paie sûrement!

Jérémie 51, 57 Je ferai boire ses princes et ses sages, ses gouverneurs, ses magistrats et ses héros; ils s'endormiront d'un sommeil éternel et ne s'éveilleront plus, oracle du Roi dont le nom est Yahvé Sabaot...!

Jérémie 51, 58 Ainsi parle Yahvé Sabaot: Les remparts de Babylone la grande seront vraiment démantelés et ses hautes portes brûlées. Ainsi les peuples ont-ils peiné pour le néant, les nations se sont épuisées pour du feu.

Jérémie 51, 59 Voici l'ordre que donna le prophète Jérémie à Seraya, fils de Nériyya, fils de Mahséya, quand celui-ci partit pour Babylone avec Sédécias, roi de Juda, en la quatrième année de son règne. Seraya était grand chambellan.

Jérémie 51, 60 Jérémie avait mis par écrit dans un seul livre tout le malheur qui devait survenir à Babylone, toutes ces paroles qui avaient été écrites contre Babylone.

Jérémie 51, 61 Jérémie dit donc à Seraya: "Quand tu arriveras à Babylone, tu auras soin de lire toutes ces paroles-là.

Jérémie 51, 62 Et tu diras: Yahvé, toi-même as déclaré à propos de ce lieu qu'il serait détruit, de sorte qu'il ne s'y trouve plus d'habitant, homme ou bête, mais qu'il soit une désolation perpétuelle.

Jérémie 51, 63 Une fois achevée la lecture de ce livre, tu y attacheras une pierre et le lancera au milieu de l'Euphrate

Jérémie 51, 64 en disant: Ainsi doit s'abîmer Babylone pour ne plus se relever du malheur que je fais venir sur elle." Jusqu'ici les paroles de Jérémie.

Jérémie 52, 1 Sédécias avait 21 ans à son avènement et il régna onze ans à Jérusalem. Sa mère s'appelait Hamital, fille de Yirmeyahu, et était de Libna.

Jérémie 52, 2 Il fit ce qui est mal aux yeux de Yahvé, tout comme avait fait Joiaqim.

Jérémie 52, 3 Cela arriva à Jérusalem et en Juda à cause de la colère de Yahvé, tant qu'enfin il les rejeta de devant sa face. Sédécias se révolta contre le roi de Babylone.

Jérémie 52, 4 En la neuvième année de son règne, au dixième mois le dix du mois, Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint attaquer Jérusalem avec toute son armée, il campa devant la ville et la cerna d'un retranchement.

Jérémie 52, 5 La ville fut investie jusqu'à la onzième année du roi Sédécias.

Jérémie 52, 6 Au quatrième mois, le neuf du mois, alors que la famine sévissait dans la ville et que la population n'avait plus rien à manger,

Jérémie 52, 7 une brèche fut faite au rempart de la ville. Alors le roi et tous les hommes de guerre s'enfuirent de nuit et s'échappèrent de la ville par la porte entre les deux murs, qui est près du jardin du roi -- les Chaldéens cernaient la ville -- et ils prirent le chemin de la Araba.

Jérémie 52, 8 Mais les troupes chaldéennes poursuivirent le roi et atteignirent Sédécias dans les plaines de Jéricho, où tous ses soldats, l'abandonnant, se débandèrent.

Jérémie 52, 9 On fit prisonnier le roi qu'on emmena à Ribla, au pays de Hamat, auprès du roi de Babylone qui le fit passer en jugement.

Jérémie 52, 10 Il égorgea les fils de Sédécias sous ses yeux; de même tous les princes de Juda, il les égorgea à Ribla.

Jérémie 52, 11 Puis il creva les yeux de Sédécias et le lia avec des chaînes de bronze. Alors, le roi de Babylone l'emmena à Babylone où il l'emprisonna jusqu'au jour de sa mort.

Jérémie 52, 12 Au cinquième mois, le dix du mois -- c'était en la dix-neuvième année du règne de Nabuchodonosor, roi de Babylone -- Nebuzaradân, commandant de la garde, un de l'entourage immédiat du roi de Babylone, fit son entrée à Jérusalem.

Jérémie 52, 13 Il incendia le Temple de Yahvé, le palais royal et toutes les maisons de Jérusalem.

Jérémie 52, 14 Les troupes chaldéennes qui étaient avec le commandant de la garde abattirent tous les remparts qui entouraient Jérusalem.

Jérémie 52, 15 Nebuzaradân, commandant de la garde, déporta une partie des pauvres du peuple et le reste de la population laissée dans la ville, les transfuges qui étaient passés au roi de Babylone et ce qui restait des artisans.

Jérémie 52, 16 Mais Nebuzaradân, commandant de la garde, laissa une partie des pauvres du pays, comme vignerons et laboureurs.

Jérémie 52, 17 Les Chaldéens brisèrent les colonnes de bronze du Temple de Yahvé, les bases roulantes et la Mer de bronze qui étaient dans le Temple de Yahvé; ils en emportèrent tout le bronze à Babylone.

Jérémie 52, 18 Ils prirent aussi les vases à cendres, les pelles, les couteaux, les coupes d'aspersion, les navettes et tous les ustensiles de bronze qui servaient au culte.

Jérémie 52, 19 Le commandant de la garde prit encore les coupes, les encensoirs, les coupes d'aspersion, les vases à cendres, les chandeliers, les bols et les patères, tout ce qui était en or et tout ce qui était en argent.

Jérémie 52, 20 Quant aux deux colonnes, à la Mer unique, aux douze boeufs de bronze qui étaient sous la Mer et aux bases roulantes, que le roi Salomon avait fabriqués pour le Temple de Yahvé, on ne pouvait évaluer ce que pesait le bronze de tous ces objets.

Jérémie 52, 21 Quant aux colonnes, l'une avait dix-huit coudées de haut; un fil de douze coudées en mesurait le tour; épaisse de quatre doigts, elle était creuse à l'intérieur;

Jérémie 52, 22 un chapiteau de bronze la surmontait, haut de cinq coudées, ayant tout autour un treillis et des grenades, le tout en bronze. De même pour la deuxième colonne.

Jérémie 52, 23 Il y avait 96 grenades sur les côtés. En tout, cela faisait cent grenades autour du treillis.

Jérémie 52, 24 Le commandant de la garde fit prisonniers Seraya, le prêtre en chef, Cephanya, le prêtre en second, et les trois gardiens du seuil.

Jérémie 52, 25 De la ville, il fit prisonniers un eunuque, préposé aux hommes de guerre, sept des familiers du roi qui furent trouvés dans la ville, le secrétaire du chef de l'armée, chargé de la conscription, ainsi que 60 hommes de condition qui furent trouvés dans la ville.

Jérémie 52, 26 Nebuzaradân, commandant de la garde, les prit et les mena auprès du roi de Babylone, à Ribla,

Jérémie 52, 27 et le roi de Babylone les fit mettre à mort à Ribla, au pays de Hamat. Ainsi Juda fut-il déporté loin de sa terre.

Jérémie 52, 28 Voici le nombre des gens déportés par Nabuchodonosor. La septième année: 3.023 Judéens;

Jérémie 52, 29 la dix-huitième année de Nabuchodonosor, furent emmenées de Jérusalem 832 personnes;

Jérémie 52, 30 la vingt-troisième année de Nabuchodonosor, Nebuzaradân, commandant de la garde, déporta 745 Judéens. En tout: 4.600 personnes.

Jérémie 52, 31 Mais la trente-septième année de la déportation de Joiakîn, roi de Juda, au douzième mois, le 25 du mois, Evil-Mérodak, roi de Babylone, en l'année de son avènement, fit grâce à Joiakîn, roi de Juda, et le tira de prison.

Jérémie 52, 32 Il lui parla avec bonté et lui accorda un siège supérieur à ceux des autres rois qui étaient avec lui à Babylone.

Jérémie 52, 33 Joiakîn quitta ses vêtements de captif et mangea toujours à la table du roi, sa vie durant.

Jérémie 52, 34 Son entretien fut assuré constamment par le roi de Babylone, jour après jour, jusqu'au jour de sa mort, sa vie durant.

 

 

 

Lamentations

 

Lamentations 1, 1

                Quoi! elle est assise à l'écart,

                                                la Ville populeuse!

                                Elle est devenue comme une veuve,

                                                la grande parmi les nations.

                                Princesse parmi les provinces,

                                                elle est réduite à la corvée.

Lamentations 1, 2

                Elle passe des nuits à pleurer

                                                et les larmes couvrent ses joues.

                                Pas un qui la console

                                                parmi tous ses amants.

                                Tous ses amis l'ont trahie,

                                                devenus ses ennemis!

Lamentations 1, 3

                Juda est exilée, soumise à l'oppression.

                                A une dure servitude.

                                Elle demeure chez les nations

                                                sans trouver de répit.

                                Tous ses poursuivants l'atteignent

                                                en des lieux sans issue.

Lamentations 1, 4

                Les chemins de Sion sont en deuil.

                                Nul ne vient plus à ses fêtes.

                                Toutes ses portes sont désertes,

                                                ses prêtres gémissent,

                                                ses vierges se désolent.

                                Elle est dans l'amertume!

Lamentations 1, 5

                Ses oppresseurs ont le dessus,

                                                ses ennemis sont heureux,

                                                car Yahvé l'a affligée

                                                pour ses nombreux crimes;

                                                ses petits enfants sont partis captifs

                                                devant l'oppresseur.

Lamentations 1, 6

                De la fille de Sion s'est retirée

                                                toute sa splendeur.

                                Ses princes étaient comme des cerfs

                                                qui ne trouvent point de pâture;

                                                ils cheminaient sans force

                                                devant qui les chassait.

Lamentations 1, 7

                Jérusalem se souvient

                                                de ses jours de misère et de détresse,

                                                quand son peuple succombait aux coups de l'adversaire

                                                sans que nul la secourût.

                                Ses adversaires la voyaient,

                                                ils riaient de sa ruine.

Lamentations 1, 8

                Jérusalem a péché gravement,

                                                aussi est-elle devenue chose impure.

                                Tous ceux qui l'honoraient la méprisent:

                                                ils ont vu sa nudité.

                                Elle, elle gémit

                                                et se détourne.

Lamentations 1, 9

                Sa souillure colle aux pans de sa robe.

                                Elle ne songeait pas à cette fin;

                                                elle est tombée si bas!

                                Personne pour la consoler.

                                                "Vois, Yahvé, ma misère:

                                                l'ennemi triomphe."

Lamentations 1, 10

                L'adversaire a étendu la main

                                                sur tous ses trésors:

                                                elle a vu les païens

                                                pénétrer dans son sanctuaire,

                                                auxquels tu avais interdit

                                                l'entrée de son assemblée.

Lamentations 1, 11

                Son peuple tout entier gémit.

                                En quête de pain;

                                                on donne ses bijoux pour de la nourriture,

                                                pour retrouver la vie.

                                                "Vois, Yahvé, et regarde

                                                combien je suis méprisée.

Lamentations 1, 12

                Vous tous qui passez par le chemin,

                                                regardez et voyez

                                                s'il est une douleur pareille

                                                à la douleur qui me tourmente,

                                                dont Yahvé m'a affligée

                                                au jour de sa brûlante colère.

Lamentations 1, 13

                D'en haut il a envoyé un feu

                                                qu'il a fait descendre dans mes os.

                                Il a tendu un filet sous mes pas,

                                                il m'a renversée,

                                                il m'a rendue désolée,

                                                malade tout le jour.

Lamentations 1, 14

                Il a guetté mes crimes:

                                                de sa main il m'enlace,

                                                son joug est sur mon cou,

                                                il fait fléchir ma force.

                                Le Seigneur m'a mise à leur merci,

                                                je ne puis plus tenir!

Lamentations 1, 15

                Tous mes braves, le Seigneur les a rejetés

                                                du milieu de moi.

                                Il a convoqué contre moi une assemblée

                                                pour anéantir mon élite.

                                Le Seigneur a foulé au pressoir

                                                la vierge, fille de Juda.

Lamentations 1, 16

                C'est pour cela que je pleure;

                                                mes yeux fondent en larmes,

                                                car il est loin de moi, le consolateur

                                                qui me rendrait la vie.

                                Mes fils sont bouleversés,

                                                car l'ennemi est trop fort."

Lamentations 1, 17

                Sion tend les mains,

                                                pas un qui la console.

                                Yahvé a mandé contre Jacob

                                                ses oppresseurs de toutes parts;

                                Jérusalem est devenue

                                                chose impure parmi eux.

Lamentations 1, 18

                "Yahvé, lui, est juste,

                                                car à ses ordres je fus rebelle.

                                Ecoutez donc, tous les peuples,

                                                et voyez ma douleur.

                                Mes vierges et mes jeunes gens

                                                sont partis en captivité.

Lamentations 1, 19

                J'ai fait appel à mes amants:

                                                ils m'ont trahie.

                                Mes prêtres et mes anciens

                                                expiaient dans la ville,

                                                cherchant une nourriture

                                                qui leur rendît la vie.

Lamentations 1, 20

                Vois, Yahvé, quelle est mon angoisse!

                                Mes entrailles frémissent;

                                                mon coeur en moi se retourne:

                                Ah! je n'ai fait qu'être rebelle!

                                Au-dehors l'épée me prive d'enfants,

                                                au-dedans, c'est comme la mort.

Lamentations 1, 21

                Entends-moi qui gémis:

                                                pas un qui me console!

                                Tous mes ennemis ont appris mon mal,

                                                ils se réjouissent de ce que tu as fait.

                                Fais venir le Jour que tu avais proclamé,

                                                pour qu'ils soient comme moi!

Lamentations 1, 22

                Que toute leur méchanceté te soit présente

                                                et traite-les

                                                comme tu m'as traitée

                                                pour tous mes crimes!

                                Car nombreux sont mes gémissements,

                                                et mon coeur est malade."

Lamentations 2, 1

                Quoi! Le Seigneur en sa colère a enténébré

                                                la fille de Sion!

                                                il a précipité du ciel sur la terre

                                                la gloire d'Israël!

                                                sans plus se souvenir de son marchepied,

                                                au jour de sa colère!

Lamentations 2, 2

                Sans pitié le Seigneur a détruit

                                                toutes les demeures de Jacob;

                                                il a renversé, en sa fureur,

                                                les forteresses de la fille de Juda;

                                                il a jeté à terre, il a maudit

                                                le royaume et ses princes.

Lamentations 2, 3

                Il a brisé dans l'ardeur de sa colère

                                                toute la vigueur d'Israël,

                                                retiré en arrière sa droite

                                                devant l'ennemi;

                                                il a allumé en Jacob un feu flamboyant

                                                qui dévore tout alentour.

Lamentations 2, 4

                Il a bandé son arc, comme un ennemi,

                                                il a assuré sa droite,

                                                il a égorgé, tel un adversaire

                                                tous ceux qui charmaient les yeux;

                                                sur la tente de la fille de Sion

                                                il a déversé sa fureur comme un feu.

Lamentations 2, 5

                Le Seigneur a été comme un ennemi;

                                                il a détruit Israël,

                                                il a détruit tous ses palais,

                                                abattu ses forteresses

                                                et multiplié pour la fille de Juda

                                                gémissements et gémissements.

Lamentations 2, 6

                Il a forcé comme un jardin son enclos,

                                                abattu son lieu de réunion.

                                Yahvé a fait oublier dans Sion

                                                fêtes et sabbats;

                                                il a rejeté, dans l'ardeur de sa colère,

                                                roi et prêtre.

Lamentations 2, 7

                Le Seigneur a pris en dégoût son autel,

                                                en horreur son sanctuaire;

                                                aux mains de l'ennemi il a livré

                                                les remparts de ses palais;

                                                clameurs dans le Temple de Yahvé

                                                comme en un jour de fête!

Lamentations 2, 8

                Yahvé a médité d'abattre

                                                le rempart de la fille de Sion.

                                Il a étendu le cordeau, ne retirant pas sa main

                                                que tout ne soit englouti.

                                Il a endeuillé mur et avant-mur:

                                                ensemble ils se désolent.

Lamentations 2, 9

                Ses portes sont enfouies sous terre,

                                                il en a détruit et brisé les barres;

                                                son roi et ses princes sont chez les païens;

                                                plus de Loi!

                                Ses prophètes même n'obtiennent plus

                                                de vision de Yahvé.

Lamentations 2, 10

                Ils sont assis à terre, en silence,

                                                les anciens de la fille de Sion;

                                                ils ont mis de la poussière sur leur tête,

                                                ils ont revêtu des sacs.

                                Elles penchent la tête vers la terre,

                                                les vierges de Jérusalem.

Lamentations 2, 11

                Mes yeux sont consumés de larmes,

                                                mes entrailles frémissent,

                                                mon foie s'épand à terre

                                                pour le brisement de la fille de mon peuple,

                                                tandis que défaillent enfants et nourrissons

                                                sur les places de la Cité.

Lamentations 2, 12

                Ils disent à leurs mères:

                                                "Où y-a-t-il du pain?"

                                Tandis qu'ils défaillent comme des blessés

                                                sur les places de la Ville,

                                                et qu'ils versent leur âme

                                                sur le sein de leur mère.

Lamentations 2, 13

                A quoi te comparer? A quoi te dire semblable,

                                                fille de Jérusalem?

                                Qui pourra te sauver et te consoler,

                                                vierge, fille de Sion?

                                Car il est grand comme la mer, ton brisement;

                                                qui donc va te guérir?

Lamentations 2, 14

                Tes prophètes ont eu pour toi des visions

                                                d'illusion et de clinquant.

                                Ils n'ont pas révélé ta faute

                                                pour changer ton sort.

                                Ils t'ont servi des oracles,

                                                d'illusion et de séduction.

Lamentations 2, 15

                Ils battent des mains à cause de toi,

                                                tous les passants sur le chemin;

                                                ils sifflotent et hochent la tête

                                                sur la fille de Jérusalem.

                                                "Est-ce là la ville qu'on appelait toute belle,

                                                la joie de toute la terre?"

Lamentations 2, 16

                Contre toi, ils ouvrent la bouche,

                                                tous tes ennemis;

                                                ils sifflotent, grincent des dents,

                                                disant: "Nous l'avons engloutie!

                                Voilà donc le Jour que nous espérions.

                                Nous le touchons, nous le voyons!"

Lamentations 2, 17

                Yahvé a accompli ce qu'il avait résolu,

                                                exécuté sa parole

                                                décrétée depuis les jours anciens;

                                                il a détruit sans pitié.

                                Il a réjoui l'ennemi à tes dépens,

                                                exalté la vigueur de tes adversaires.

Lamentations 2, 18

                Crie donc vers le Seigneur,

                                                rempart de la fille de Sion;

                                                laisse couler tes larmes comme un torrent

                                                jour et nuit;

                                                ne t'accorde pas de relâche,

                                                que tes yeux n'aient pas de repos!

Lamentations 2, 19

                Debout! Pousse un cri dans la nuit

                                                au commencement des veilles;

                                                répands ton coeur comme de l'eau

                                                devant la face de Yahvé,

                                                élève vers lui tes mains

                                                pour la vie de tes petits enfants!

                                                (qui défaillent de faim

                                                à l'entrée de toutes les rues).

Lamentations 2, 20

                "Vois, Yahvé, et regarde:

                                Qui as-tu jamais traité de la sorte?

                                Fallait-il que des femmes mangent leurs petits,

                                                les enfants qu'elles berçaient?

                                Fallait-il qu'au sanctuaire du Seigneur fussent égorgés

                                                prêtre et prophète?

Lamentations 2, 21

                Sur le sol gisent dans les rues

                                                enfants et vieillards,

                                                mes vierges et mes jeunes gens

                                                sont tombés sous l'épée;

                                                tu as égorgé au jour de ta colère,

                                                tu as immolé sans pitié.

Lamentations 2, 22 Tu as convoqué comme pour un jour de fête les terreurs de tous côtés; au jour de la colère de Yahvé, il n'y eut rescapé ni survivant. Ceux que j'avais bercés et élevés, mon ennemi les a exterminés."

Lamentations 3, 1 Je suis l'homme qui a connu la misère, sous la verge de sa fureur.

Lamentations 3, 2 C'est moi qu'il a conduit et fait marcher dans la ténèbre et sans lumière.

Lamentations 3, 3 Contre moi seul, il tourne et retourne             sa main tout le jour.

Lamentations 3, 4 Il a consumé ma chair et ma peau, rompu mes os.

Lamentations 3, 5 Il a élevé contre moi des constructions, cerné ma tête de tourment.

Lamentations 3, 6 Il m'a fait habiter dans les ténèbres, comme ceux qui sont morts à jamais.

Lamentations 3, 7 Il m'a emmuré et je ne puis sortir; il a rendu lourdes mes chaînes.

Lamentations 3, 8 Quand même je crie et j'appelle, il arrête ma prière.

Lamentations 3, 9 Il a barré mes chemins avec des pierres de taille, obstrué mes sentiers.

Lamentations 3, 10 Il est pour moi un ours aux aguets, un lion à l'affût.

Lamentations 3, 11 Faisant dévier mes chemins, il m'a déchiré, il a fait de moi une horreur.

Lamentations 3, 12 Il a bandé son arc et m'a visé comme une cible pour ses flèches.

Lamentations 3, 13 Il a planté en mes reins, les flèches de son carquois.

Lamentations 3, 14 Je suis devenu la risée de tout mon peuple, leur chanson tout le jour.

Lamentations 3, 15 Il m'a saturé d'amertume, il m'a enivré d'absinthe.

Lamentations 3, 16 Il a brisé mes dents avec du gravier, il m'a nourri de cendre.

Lamentations 3, 17 Mon âme est exclue de la paix, j'ai oublié le bonheur!

Lamentations 3, 18 J'ai dit: Mon existence est finie, mon espérance qui venait de Yahvé.

Lamentations 3, 19 Souviens-toi de ma misère et de mon angoisse: c'est absinthe et fiel!

Lamentations 3, 20 Elle s'en souvient, elle s'en souvient, mon âme, et elle s'effondre en moi.

Lamentations 3, 21 Voici ce qu'à mon coeur je rappellerai pour reprendre espoir:

Lamentations 3, 22 Les faveurs de Yahvé ne sont pas finies, ni ses compassions épuisées;

Lamentations 3, 23 elles se renouvellent chaque matin, grande est sa fidélité!

Lamentations 3, 24 "Ma part, c'est Yahvé! dit mon âme, c'est pourquoi j'espère en lui."

Lamentations 3, 25 Yahvé est bon pour qui se fie à lui, pour l'âme qui le cherche.

Lamentations 3, 26 Il est bon d'attendre en silence le salut de Yahvé.

Lamentations 3, 27 Il est bon pour l'homme de porter le joug dès sa jeunesse,

Lamentations 3, 28 que solitaire et silencieux il s'asseye quand le Seigneur l'impose sur lui,

Lamentations 3, 29 qu'il mette sa bouche dans la poussière: peut-être y a-t-il de l'espoir!

Lamentations 3, 30 qu'il tende la joue à qui le frappe, qu'il se rassasie d'opprobres!

Lamentations 3, 31 Car le Seigneur ne rejette pas les humains pour toujours:

Lamentations 3, 32

                s'il a affligé, il prend pitié

                                                selon sa grande bonté.

Lamentations 3, 33

                Car ce n'est pas de bon coeur qu'il humilie

                                                et afflige les fils d'homme!

Lamentations 3, 34

                Quand on écrase et piétine

                                                tous les prisonniers d'un pays,

Lamentations 3, 35

                quand on fausse le droit d'un homme

                                                devant la face du Très-Haut,

Lamentations 3, 36

                quand on fait tort à un homme dans un procès,

                                                le Seigneur ne le voit-il pas?

Lamentations 3, 37

                Qui donc n'a qu'à parler pour que les choses soient?

                                N'est-ce pas le Seigneur qui décide?

Lamentations 3, 38

                N'est-ce pas de la bouche du Très-Haut

                                                que sortent les maux et les biens?

Lamentations 3, 39

                Pourquoi l'homme murmurerait-il?

                                Qu'il soit plutôt brave contre ses péchés!

Lamentations 3, 40

                Examinons notre voie, scrutons-la

                                                et revenons à Yahvé.

Lamentations 3, 41

                Elevons notre coeur et nos mains

                                                vers le Dieu qui est au ciel.

Lamentations 3, 42

                Nous, nous avons péché; nous, nous sommes rebelles:

                                Toi, tu n'as pas pardonné!

Lamentations 3, 43

                Tu t'es enveloppé de colère et nous as pourchassés,

                                                massacrant sans pitié.

Lamentations 3, 44

                Tu t'es enveloppé d'un nuage

                                                pour que la prière ne passe pas.

Lamentations 3, 45

                Tu as fait de nous des balayures,

                                                un rebut parmi les peuples.

Lamentations 3, 46

                Ils ont ouvert la bouche contre nous,

                                                tous nos ennemis.

Lamentations 3, 47

                Frayeur et fosse furent notre lot,

                                                fracas et désastre.

Lamentations 3, 48

                Mes yeux se fondent en ruisseaux

                                                pour le désastre de la fille de mon peuple.

Lamentations 3, 49

                Mes yeux pleurent et ne s'arrêtent pas,

                                                il n'y a pas de répit,

Lamentations 3, 50

                jusqu'à ce que Yahvé regarde

                                                et voie du haut du ciel.

Lamentations 3, 51

                Mes yeux me font mal,

                                                pour toutes les filles de ma Cité.

Lamentations 3, 52

                Ils m'ont chassé, pourchassé comme un oiseau,

                                                ceux qui m'exècrent sans raison.

Lamentations 3, 53

                Dans une fosse, ils ont précipité ma vie,

                                                ils m'ont jeté des pierres.

Lamentations 3, 54

                Les eaux ont submergé ma tête;

                                                je disais: "Je suis perdu!"

Lamentations 3, 55

                J'ai invoqué ton Nom, Yahvé,

                                                de la fosse profonde.

Lamentations 3, 56

                Tu entendis mon cri, ne sois pas sourd

                                                à ma prière, à mon appel.

Lamentations 3, 57

                Tu te fis proche, au jour où je t'ai appelé.

                                Tu as dit: "Ne crains pas!"

Lamentations 3, 58

                Tu as défendu, Seigneur, la cause de mon âme,

                                                tu as racheté ma vie.

Lamentations 3, 59

                Tu as vu, Yahvé, le tort qui m'était fait:

                                                rends-moi justice.

Lamentations 3, 60

                Tu as vu toute leur rage,

                                                tous leurs complots contre moi,

Lamentations 3, 61

                Tu as entendu leurs outrages, Yahvé,

                                                tous leurs complots contre moi,

Lamentations 3, 62

                les propos que chuchotaient mes adversaires

                                                contre moi, tout le jour.

Lamentations 3, 63

                Qu'ils s'asseyent ou se lèvent, regarde:

                                                je leur sers de chanson.

Lamentations 3, 64

                Rétribue-les, Yahvé,

                                                selon l'oeuvre de leurs mains.

Lamentations 3, 65

                Mets en leur coeur l'endurcissement,

                                                ta malédiction sur eux.

Lamentations 3, 66

                Poursuis-les avec colère, extirpe-les

                                                de dessous tes cieux.

Lamentations 4, 1

                Quoi! il s'est terni, l'or, il s'est altéré,

                                                l'or si fin!

                                Les pierres sacrées ont été semées

                                                au coin de toutes les rues.

Lamentations 4, 2

                Les fils de Sion, précieux autant que l'or fin, quoi! ils sont

                comptés pour des vases d'argile, oeuvre des mains d'un potier!

Lamentations 4, 3

                Même les chacals tendent leurs mamelles et allaitent leurs

                petits; la fille de mon peuple est devenue cruelle comme les

                autruches au désert.

Lamentations 4, 4

                De soif, la langue du nourrisson

                                                s'attache à son palais;

                                                les petits enfants réclament du pain:

                                                personne ne leur en partage.

Lamentations 4, 5

                Ceux qui mangeaient des mets délicieux

                                                expirent dans les rues;

                                                ceux qui étaient élevés dans la pourpre

                                                étreignent le fumier.

Lamentations 4, 6

                La faute de la fille de mon peuple a surpassé

                                                les péchés de Sodome,

                                                qui fut renversée en un instant

                                                sans qu'on s'y fatiguât les mains.

Lamentations 4, 7

                Ses jeunes gens étaient plus éclatants que neige,

                                                plus blancs que lait;

                                                plus vermeil que le corail était leur corps,

                                                leur teint était de saphir.

Lamentations 4, 8

                Leur visage est plus sombre que la suie,

                                                on ne les reconnaît plus dans les rues.

                                Leur peau est collée à leurs os,

                                                sèche comme du bois.

Lamentations 4, 9

                Heureuses furent les victimes de l'épée

                                                plus que celles de la faim,

                                                qui succombent, épuisées,

                                                privées des fruits des champs.

Lamentations 4, 10

                De tendres femmes ont, de leurs mains,

                                                fait cuire leurs petits:

                                                ils leur ont servi d'aliment

                                                dans le désastre de la fille de mon peuple.

Lamentations 4, 11

                Yahvé a assouvi sa fureur,

                                                déversé l'ardeur de sa colère,

                                                il a allumé en Sion un feu

                                                qui a dévoré ses fondations.

Lamentations 4, 12

                Ils ne croyaient pas, les rois de la terre

                                                et tous les habitants du monde,

                                                que l'oppresseur et l'ennemi franchiraient

                                                les portes de Jérusalem.

Lamentations 4, 13

                C'est à cause des péchés de ses prophètes,

                                                des fautes de ses prêtres,

                                                qui en pleine ville avaient versé

                                                le sang des justes!

Lamentations 4, 14

                Ils erraient en aveugles dans les rues,

                                                souillés de sang;

                                                alors on ne pouvait toucher

                                                leurs vêtements.

Lamentations 4, 15

                "Arrière! Impur!" leur criait-on,

                                                "Arrière! Arrière! Pas de contact!"

                                S'ils partaient et fuyaient chez les nations,

                                                ils ne pouvaient y séjourner.

Lamentations 4, 16

                La Face de Yahvé les dispersa,

                                                il ne les regarda plus.

                                On ne marqua plus de respect aux prêtres,

                                                d'égard aux anciens.

Lamentations 4, 17

                Toujours nos yeux se consumaient,

                                                épiant un secours: illusion!

                                De nos tours nous guettions

                                                une nation qui ne peut sauver.

Lamentations 4, 18

                On observait nos pas,

                                                pour nous interdire nos places.

                                Notre fin était proche, nos jours accomplis,

                                                oui, notre fin était arrivée!

Lamentations 4, 19

                Nos pourchasseurs étaient rapides

                                                plus que les aigles du ciel;

                                                dans les montagnes ils nous traquaient,

                                                nous dressaient des embûches au désert.

Lamentations 4, 20

                Le souffle de nos narines, l'oint de Yahvé

                                                fut pris dans leurs fosses,

                                                lui dont nous disions: "A son ombre

                                                nous vivrons chez les nations."

Lamentations 4, 21

                Réjouis-toi, exulte, fille d'Edom,

                                                qui habites au pays de Uç!

                                A toi aussi passera la coupe:

                                                tu te soûleras et montreras ta nudité!

Lamentations 4, 22

                Ta faute est expiée, fille de Sion. Il ne te déportera plus!

                Il va châtier ta faute, fille d'Edom. Il va dévoiler tes

                péchés!

Lamentations 5, 1

                Souviens-toi, Yahvé, de ce qui nous est arrivé,

                                                regarde et vois notre opprobre!

Lamentations 5, 2

                Notre héritage a passé à des étrangers,

                                                nos maisons à des inconnus.

Lamentations 5, 3

                Nous sommes orphelins, sans père;

                                                nos mères sont comme des veuves.

Lamentations 5, 4

                A prix d'argent nous buvons notre eau,

                                                notre bois, il nous faut le payer.

Lamentations 5, 5

                Le joug est sur notre cou, nous sommes persécutés;

                                                nous sommes à bout, et pour nous pas de répit.

Lamentations 5, 6

                Nous tendons la main à l'Egypte,

                                                à Assur pour nous rassasier de pain.

Lamentations 5, 7

                Nos pères ont péché: ils ne sont plus;

                                                et nous, nous portons leurs fautes.

Lamentations 5, 8

                Des esclaves dominent sur nous,

                                                nul ne nous délivre de leur main.

Lamentations 5, 9

                Au péril de nos vies nous rapportons notre pain

                                                en affrontant l'épée du désert.

Lamentations 5, 10

                Notre peau comme un four est brûlante,

                                                à cause des ardeurs de la faim.

Lamentations 5, 11

                Ils ont violé des femmes dans Sion,

                                                des vierges dans les villes de Juda.

Lamentations 5, 12

                Des princes ont été pendus de leur main:

                                                la face des vieillards n'a pas été respectée.

Lamentations 5, 13

                Des adolescents ont porté la meule,

                                                des garçons ont trébuché sous le bois.

Lamentations 5, 14

                Les anciens ont déserté la porte;

                                                les jeunes gens ont cessé leur musique.

Lamentations 5, 15

                La joie a disparu de notre coeur,

                                                notre danse s'est changée en deuil.

Lamentations 5, 16

                La couronne de notre tête est tombée.

                                Malheur à nous, car nous avons péché!

Lamentations 5, 17

                Voilà pourquoi notre coeur est malade,

                                                voilà pourquoi s'obscurcissent nos yeux:

Lamentations 5, 18

                c'est que la montagne Sion est désolée,

                                                des chacals y rôdent!

Lamentations 5, 19

                Mais toi, Yahvé, tu demeures à jamais;

                                                ton trône subsiste d'âge en âge!

Lamentations 5, 20

                Pourquoi nous oublierais-tu pour toujours,

                                                nous abandonnerais-tu jusqu'à la fin des jours?

Lamentations 5, 21

                Fais-nous revenir à toi, Yahvé, et nous reviendrons.

                                Renouvelle nos jours comme autrefois,

Lamentations 5, 22

                si tu ne nous as tout à fait rejetés,

                                                irrité contre nous sans mesure.

 

 

Baruch

 

1, 1 Voici les paroles du livre qu'écrivit à Babylone Baruch, fils de Nérias, fils de Maasias, fils de Sédécias, fils d'Asadias, fils d'Helcias,

Baruch 1, 2 la cinquième année, le septième jour du mois, à l'époque où les Chaldéens s'étaient emparés de Jérusalem et l'avaient incendiée.

Baruch 1, 3 Or Baruch lut les paroles de ce livre devant Jékonias, fils de Joiaqim, roi de Juda, et devant tout le peuple venu pour cette lecture,

Baruch 1, 4 devant les dignitaires et les fils de roi, devant les anciens, bref devant le peuple entier, petits et grands, devant tous ceux qui habitaient à Babylone, aux bords de la rivière Soud.

Baruch 1, 5 On pleurait, on jeûnait et on priait en présence du Seigneur;

Baruch 1, 6 on collecta aussi de l'argent, selon les possibilités de chacun,

Baruch 1, 7 et on l'envoya à Jérusalem au prêtre Joaqim, fils d'Helcias, fils de Salom, ainsi qu'aux autres prêtres et à tout le peuple qui se trouvait avec lui à Jérusalem.

Baruch 1, 8 C'était déjà Baruch qui avait récupéré, le dixième jour de Sivân, les ustensiles de la maison du Seigneur, enlevés au Temple, pour les rapporter au pays de Juda, ustensiles d'argent qu'avait fait fabriquer Sédécias, fils de Josias, roi de Juda,

Baruch 1, 9 après que Nabuchodonosor, roi de Babylone, eut déporté de Jérusalem et mené à Babylone Jékonias, avec les princes, les serruriers, les notables et le commun peuple.

Baruch 1, 10 On écrivit: Voici, nous vous envoyons de l'argent; avec cet argent, achetez holocaustes, oblations pour le péché et encens; préparez des offrandes et portez-les sur l'autel du Seigneur notre Dieu.

Baruch 1, 11 Priez pour la vie de Nabuchodonosor, roi de Babylone, et pour la vie de Balthazar son fils, que leurs jours soient sur terre comme les jours du ciel;

Baruch 1, 12 que le Seigneur nous donne force et illumine nos yeux, pour que nous vivions à l'ombre de Nabuchodonosor, roi de Babylone, et à l'ombre de Balthazar son fils, les servions longtemps et trouvions grâce en leur présence.

Baruch 1, 13 Priez aussi pour nous le Seigneur notre Dieu, car nous l'avons offensé et jusqu'aujourd'hui la fureur et la colère du Seigneur ne se sont pas détournées de nous.

Baruch 1, 14 Lisez enfin ce livre que nous vous adressons pour que vous en fassiez la lecture publique, dans la maison du Seigneur, au jour de la Fête et aux jours qui conviennent.

Baruch 1, 15 Vous direz: Au Seigneur notre Dieu la justice, mais pour nous, la honte au visage, comme il en est aujourd'hui, pour l'homme de Juda et les habitants de Jérusalem,

Baruch 1, 16 pour nos rois et nos princes, pour nos prêtres et nos prophètes, pour nos pères,

Baruch 1, 17 parce que nous avons péché devant le Seigneur,

Baruch 1, 18 nous lui avons désobéi et n'avons point écouté la voix du Seigneur notre Dieu, pour marcher selon les ordres que le Seigneur avait mis devant nous.

Baruch 1, 19 Dès le jour où le Seigneur tira nos pères du pays d'Egypte jusqu'aujourd'hui, nous avons été indociles au Seigneur notre Dieu et nous nous sommes rebellés en n'écoutant pas sa voix.

Baruch 1, 20 Alors se sont attachés à nous les malheurs et la malédiction que le Seigneur dicta à son serviteur Moïse, le jour où il tira nos pères d'Egypte pour nous donner une terre qui ruisselle de lait et de miel, comme aujourd'hui encore.

Baruch 1, 21 Nous n'avons pas écouté la voix du Seigneur notre Dieu, selon toutes les paroles des prophètes qu'il nous envoya;

Baruch 1, 22 nous sommes allés, chacun suivant l'inclination de son coeur mauvais, servir d'autres dieux, faire ce qui déplaît au Seigneur notre Dieu.

Baruch 2, 1 Aussi le Seigneur a-t-il accompli la parole qu'il avait prononcée contre nous, contre nos juges qui gouvernèrent Israël, contre nos rois et nos chefs, contre les gens d'Israël et de Juda;

Baruch 2, 2 sous l'immensité du ciel ne se produisit jamais rien de semblable à ce qu'il fit à Jérusalem, selon ce qui était écrit dans la Loi de Moïse:

Baruch 2, 3 nous en arrivâmes à manger chacun la chair de son fils, chacun la chair de sa fille.

Baruch 2, 4 De plus, il les a mis au pouvoir de tous les royaumes qui nous entourent, pour être un opprobre et une exécration parmi tous les peuples d'alentour où le Seigneur les dispersa.

Baruch 2, 5 Ils furent assujettis au lieu d'être maîtres, parce que nous avions offensé le Seigneur notre Dieu, en n'écoutant point sa voix.

Baruch 2, 6 Au Seigneur notre Dieu la justice, mais pour nous et pour nos pères la honte au visage, comme il en est aujourd'hui.

Baruch 2, 7 Tous ces malheurs que le Seigneur avait énoncés contre nous sont venus sur nous.

Baruch 2, 8 Nous n'avons pas supplié la face du Seigneur, chacun de nous se détournant des pensées de son coeur mauvais:

Baruch 2, 9 alors le Seigneur a veillé sur ces malheurs et les a amenés sur nous; car le Seigneur est juste en toutes les oeuvres qu'il nous a commandées,

Baruch 2, 10 et nous n'avons pas écouté sa voix en marchant selon les ordres que le Seigneur avait mis devant nous.

Baruch 2, 11 Et maintenant, Seigneur, Dieu d'Israël, toi qui tiras ton peuple du pays d'Egypte à main forte, par signes et miracles, par grande puissance et bras étendu, te faisant de la sorte un nom comme il en est aujourd'hui,

Baruch 2, 12 nous avons péché, nous avons été impies, nous avons été injustes, Seigneur notre Dieu, pour tous tes préceptes.

Baruch 2, 13 Que ta colère se détourne de nous, puisque nous ne sommes plus qu'un petit reste parmi les nations où tu nous dispersas.

Baruch 2, 14 Ecoute, Seigneur, notre prière et notre supplication: délivre-nous à cause de toi-même, et fais-nous trouver grâce devant ceux qui nous ont déportés,

Baruch 2, 15 afin que la terre entière sache que tu es le Seigneur, notre Dieu, puisqu'Israël et sa race portent ton Nom.

Baruch 2, 16 Seigneur, regarde de ta demeure sainte, et pense à nous, tends l'oreille et écoute,

Baruch 2, 17 ouvre les yeux, Seigneur, et vois; ce ne sont pas les morts dans le shéol, ceux dont le souffle fut enlevé des entrailles, qui rendent gloire et justice au Seigneur;

Baruch 2, 18 mais l'âme comblée d'affliction, celui qui chemine courbé et sans force, les yeux défaillants et l'âme affamée, voilà ce qui te rend gloire et justice, Seigneur!

Baruch 2, 19 Nous ne nous appuyons pas sur les mérites de nos pères et de nos rois pour déposer notre supplication devant ta face, Seigneur notre Dieu.

Baruch 2, 20 Car tu as envoyé sur nous ta colère et ta fureur, comme tu l'avais proclamé par le ministère de tes serviteurs les prophètes, en ces termes:

Baruch 2, 21 "Ainsi parle le Seigneur: Inclinez votre nuque et servez le roi de Babylone; alors, vous resterez au pays que j'ai donné à vos pères.

Baruch 2, 22 Mais si vous n'écoutez pas l'invitation du Seigneur à servir le roi de Babylone,

Baruch 2, 23 je ferai cesser, aux villes de Juda et à Jérusalem, le chant de joie et le chant d'allégresse, le chant du fiancé et le chant de la fiancée, et tout le pays deviendra une désolation, sans habitants."

Baruch 2, 24 Mais nous n'avons pas écouté ton invitation à servir le roi de Babylone, alors tu as accompli les paroles que tu avais prononcées par le ministère de tes serviteurs les prophètes: que les os de nos rois et les os de nos pères seraient arrachés de leur lieu.

Baruch 2, 25 Voici qu'en effet ils furent jetés dehors à la chaleur du jour et au froid de la nuit. Et l'on mourut au milieu de terribles misères, par la famine, l'épée et la peste.

Baruch 2, 26 Et tu fis de cette maison, qui porte ton Nom, ce qu'elle est aujourd'hui, à cause de la méchanceté de la maison d'Israël et de la maison de Juda.

Baruch 2, 27 Pourtant, tu as agi envers nous, Seigneur notre Dieu, selon toute ton indulgence et ton immense tendresse,

Baruch 2, 28 comme tu l'avais déclaré par le ministère de ton serviteur Moïse, le jour où tu lui commandas d'écrire ta Loi en présence des Israélites, en ces termes:

Baruch 2, 29 "Si vous n'écoutez pas ma voix, cette immense et innombrable multitude elle-même sera réduite à un petit nombre parmi les nations où je les disperserai,

Baruch 2, 30 car je sais qu'ils ne m'écouteront point; c'est un peuple à la nuque raide. Mais dans le pays de leur exil, ils rentreront en eux-mêmes

Baruch 2, 31 et connaîtront que je suis le Seigneur leur Dieu. Je leur donnerai un coeur et des oreilles qui entendent.

Baruch 2, 32 Ils me loueront au pays de leur exil, ils se souviendront de mon nom;

Baruch 2, 33 ils n'auront plus la nuque raide et se détourneront de leurs mauvaises actions, se rappelant le destin de leurs pères qui ont péché devant le Seigneur.

Baruch 2, 34 Alors je les ramènerai au pays que j'ai promis par serment à leurs pères Abraham, Isaac et Jacob, et ils y seront maîtres. Je les multiplierai et ils ne seront plus diminués.

Baruch 2, 35 Pour eux, j'établirai une alliance éternelle; je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. Et je ne repousserai plus mon peuple Israël du pays que je leur ai donné."

Baruch 3, 1 Seigneur tout-puissant, Dieu d'Israël, c'est une âme angoissée, un esprit ébranlé, qui te crie:

Baruch 3, 2 Ecoute, Seigneur, aie pitié, car nous avons péché devant toi.

Baruch 3, 3 Toi, tu trônes éternellement; nous autres, nous périssons pour toujours.

Baruch 3, 4 Seigneur tout-puissant, Dieu d'Israël, écoute donc la supplication des morts d'Israël, des fils de ceux qui ont péché contre toi, qui n'ont pas écouté la voix du Seigneur leur Dieu de sorte que les malheurs se sont attachés à nous.

Baruch 3, 5 Ne te souviens pas des fautes de nos pères, mais en cette heure souviens-toi de ta main et de ton Nom.

Baruch 3, 6 Oui, tu es le Seigneur notre Dieu, et nous voulons te louer, Seigneur.

Baruch 3, 7 Car tu as mis en nos coeurs ta crainte pour que nous invoquions ton Nom. Nous voulons te louer en notre exil, puisque nous avons écarté de notre coeur toute la méchanceté de nos pères qui ont péché devant toi.

Baruch 3, 8 Nous voici, aujourd'hui encore, en cet exil où tu nous as dispersés pour être un opprobre, une malédiction, une condamnation, après toutes les fautes de nos pères, qui s'étaient éloignés du Seigneur notre Dieu.

Baruch 3, 9 Ecoute, Israël, les préceptes de vie, tends l'oreille pour connaître la science.

Baruch 3, 10 Pourquoi, Israël, pourquoi es-tu au pays de tes ennemis, vieillissant en terre étrangère,

Baruch 3, 11 te souillant avec les morts, compté parmi ceux qui vont au shéol?

Baruch 3, 12 C'est que tu abandonnas la Source de la Sagesse!

Baruch 3, 13 Si tu avais marché dans la voie de Dieu, tu habiterais dans la paix pour toujours.

Baruch 3, 14 Apprends où est la science, où est la force, où est l'intelligence, pour connaître aussi où est la longueur de jours et la vie, où est la lumière des yeux et la paix.

Baruch 3, 15 Mais qui a découvert son lieu, qui a pénétré en ses trésors?

Baruch 3, 16 Où sont-ils les chefs des nations et les dominateurs des bêtes de la terre,

Baruch 3, 17 ceux qui se jouent des oiseaux du ciel, ceux qui accumulent l'argent et l'or sur quoi les hommes s'appuient, et dont les possessions n'ont pas de fin,

Baruch 3, 18 ceux qui travaillent l'argent avec grand soin - mais leurs oeuvres ne laissent pas de traces?

Baruch 3, 19 Ils ont disparu, descendus au shéol! D'autres à leur place se sont levés,

Baruch 3, 20 de plus jeunes ont vu la lumière et ont habité sur la terre: mais la voie de la connaissance ils ne l'ont pas connue,

Baruch 3, 21 ils n'ont pas compris ses sentiers. Leurs fils non plus ne l'ont point saisie, ils sont restés loin de sa voie.

Baruch 3, 22 On n'a rien su d'elle en Canaan, on ne l'a pas aperçue à Témân;

Baruch 3, 23 les fils d'Agar en quête d'intelligence ici-bas, les marchands de Madiân et de Téma, les diseurs de paraboles et les chercheurs d'intelligence n'ont pas connu la voie de la sagesse, ne se sont pas rappelés ses sentiers.

Baruch 3, 24 Qu'elle est grande, Israël, la demeure de Dieu, qu'il est étendu le lieu de son domaine,

Baruch 3, 25 grand et sans borne, haut et immense!

Baruch 3, 26 Là naquirent les géants, fameux dès l'origine, hauts de stature, experts à la guerre;

Baruch 3, 27 de ceux-là Dieu ne fit pas choix, il ne leur montra pas la voie de la connaissance;

Baruch 3, 28 ils périrent, car ils n'avaient pas la science, ils périrent par leur folie.

Baruch 3, 29 Qui monta au ciel pour la saisir et la faire descendre des nuées?

Baruch 3, 30 Qui passa la mer pour la découvrir et la rapporter au prix d'un or très pur?

Baruch 3, 31 Nul ne connaît sa voie, nul ne comprend son sentier.

Baruch 3, 32 Mais Celui qui sait tout la connaît, il l'a scrutée par son intelligence, lui qui pour l'éternité a disposé la terre et l'a emplie de bétail,

Baruch 3, 33 lui qui envoie la lumière, et elle part, qui la rappelle, et elle obéit en tremblant;

Baruch 3, 34 les étoiles brillent à leur poste, joyeuses:

Baruch 3, 35 les appelle-t-il, elles répondent: Nous voici! elles brillent avec joie pour leur Créateur.

Baruch 3, 36 C'est lui qui est notre Dieu: aucun autre ne lui est comparable.

Baruch 3, 37 Il a creusé la voie entière de la connaissance et l'a montrée à Jacob, son serviteur, à Israël, son bien-aimé;

Baruch 3, 38 puis elle est apparue sur terre et elle a vécu parmi les hommes.

Baruch 4, 1 Elle est le Livre des préceptes de Dieu, la Loi qui subsiste éternellement: quiconque la garde vivra, quiconque l'abandonne mourra.

Baruch 4, 2 Reviens, Jacob, saisis-la, marche vers la splendeur, à sa lumière:

Baruch 4, 3 ne cède pas à autrui ta gloire, à un peuple étranger tes privilèges.

Baruch 4, 4 Heureux sommes-nous, Israël: ce qui plaît à Dieu nous fut révélé!

Baruch 4, 5 Courage, mon peuple, mémorial d'Israël!

Baruch 4, 6 Vous avez été vendus aux nations, mais non pour l'anéantissement. Ayant excité la colère de Dieu, vous avez été livrés à vos ennemis.

Baruch 4, 7 Car vous aviez irrité votre Créateur en sacrifiant à des démons et non à Dieu.

Baruch 4, 8 Vous aviez oublié le Dieu éternel, votre nourricier! Vous avez aussi attristé Jérusalem, votre nourricière;

Baruch 4, 9 elle a vu fondre sur vous la colère venue de Dieu et elle a dit: Ecoutez, voisines de Sion: Dieu m'a envoyé grande tristesse.

Baruch 4, 10 J'ai vu la captivité de mes fils et filles que l'Eternel leur amena.

Baruch 4, 11 Je les avais nourris avec joie; avec pleurs et tristesse je les vis partir.

Baruch 4, 12 Que nul ne se réjouisse sur moi, veuve et délaissée d'un grand nombre; je subis la solitude pour les péchés de mes enfants, car ils se sont détournés de la Loi de Dieu,

Baruch 4, 13 ils n'ont point connu ses préceptes, ni marché par les voies de ses préceptes, ni suivi les sentiers de discipline selon sa justice.

Baruch 4, 14 Qu'elles arrivent, les voisines de Sion! Rappelez-vous la captivité de mes fils et filles que l'Eternel leur amena!

Baruch 4, 15 Car il amena sur eux une nation lointaine, une nation effrontée, à la langue barbare, sans respect pour le vieillard, sans pitié pour le petit enfant;

Baruch 4, 16 on emmena les fils chéris de la veuve, on la laissa toute seule, privée de ses filles.

Baruch 4, 17 Moi, comment pourrais-je vous aider?

Baruch 4, 18 Celui qui vous amena ces malheurs, c'est lui qui vous arrachera aux mains de vos ennemis.

Baruch 4, 19 Allez, mes enfants, allez votre chemin! Moi, je reste délaissée, solitaire;

Baruch 4, 20 j'ai quitté la robe de paix et revêtu le sac de ma supplication; je veux crier vers l'Eternel tant que je vivrai.

Baruch 4, 21 Courage, mes enfants, criez vers Dieu: il vous arrachera à la violence et à la main de vos ennemis;

Baruch 4, 22 car j'attends de l'Eternel votre salut, une joie m'est venue du Saint, pour la miséricorde qui bientôt vous arrivera de l'Eternel, votre Sauveur.

Baruch 4, 23 Car avec tristesse et pleurs je vous ai vus partir, mais Dieu vous rendra à moi pour toujours dans la joie et la jubilation.

Baruch 4, 24 Comme les voisines de Sion voient maintenant votre captivité, ainsi verront-elles bientôt votre salut de par Dieu, qui vous surviendra avec grande gloire et éclat de l'Eternel.

Baruch 4, 25 Mes enfants, supportez la colère qui de Dieu vous est venue. Ton ennemi t'a persécuté, mais bientôt tu verras sa ruine et sur sa nuque tu poseras ton pied.

Baruch 4, 26 Mes enfants choyés ont marché par de rudes chemins, enlevés, tel un troupeau razzié par l'ennemi.

Baruch 4, 27 Courage, mes enfants, criez vers Dieu: Celui qui vous amena cela se souviendra de vous.

Baruch 4, 28 Comme votre pensée fut d'égarement loin de Dieu, revenus à lui, recherchez-le dix fois plus fort.

Baruch 4, 29 Car Celui qui vous amena ces malheurs vous ramènera, en vous sauvant, la joie éternelle.

Baruch 4, 30 Courage, Jérusalem: il te consolera, Celui qui t'a donné un nom.

Baruch 4, 31 Malheur à ceux qui t'ont maltraitée et se sont réjouis de ta chute!

Baruch 4, 32 Malheur aux cités dont furent esclaves tes enfants, malheur à celle qui reçut tes fils!

Baruch 4, 33 Car de même qu'elle se réjouit de ta chute et fut heureuse de ta ruine, ainsi sera-t-elle affligée pour sa propre dévastation.

Baruch 4, 34 Je lui ôterai son allégresse de ville bien peuplée, son insolence se changera en tristesse,

Baruch 4, 35 un feu lui surviendra de l'Eternel pour de longs jours, elle sera la demeure de démons pour longtemps.

Baruch 4, 36 Jérusalem, regarde vers l'Orient, vois la joie qui te vient de Dieu.

Baruch 4, 37 Voici: ils reviennent, les fils que tu vis partir, ils reviennent rassemblés du levant au couchant, sur l'ordre du Saint, jubilants de la gloire de Dieu.

Baruch 5, 1 Jérusalem quitte ta robe de tristesse et de misère, revêts pour toujours la beauté de la gloire de Dieu,

Baruch 5, 2 prends la tunique de la justice de Dieu, mets sur ta tête le diadème de gloire de l'Eternel;

Baruch 5, 3 car Dieu veut montrer ta splendeur partout sous le ciel,

Baruch 5, 4 et ton nom sera de par Dieu pour toujours: "Paix de la justice et gloire de la piété."

Baruch 5, 5 Jérusalem, lève-toi, tiens-toi sur la hauteur, et regarde vers l'Orient: vois tes enfants du couchant au levant rassemblés sur l'ordre du Saint, jubilants, car Dieu s'est souvenu.

Baruch 5, 6 Car ils t'avaient quittée à pied, sous escorte d'ennemis, mais Dieu te les ramène portés glorieusement, comme un trône royal.

Baruch 5, 7 Car Dieu a décidé que soient abaissées toute haute montagne et les collines éternelles, et comblées les vallées pour aplanir la terre, pour qu'Israël chemine en sécurité dans la gloire de Dieu.

Baruch 5, 8 Et les forêts, et tous arbres de senteur feront de l'ombre pour Israël, sur l'ordre de Dieu;

Baruch 5, 9 car Dieu guidera Israël dans la joie, à la lumière de sa gloire, avec la miséricorde et la justice qui viennent de lui.

Baruch 6, 0 Copie de la lettre qu'envoya Jérémie à ceux qui allaient être emmenés captifs à Babylone par le roi des Babyloniens, pour leur faire savoir ce qui lui avait été ordonné par Dieu.

Baruch 6, 1 Pour les péchés que vous avez commis devant Dieu, vous allez être emmenés captifs à Babylone par Nabuchodonosor, roi des Babyloniens.

Baruch 6, 2 Une fois arrivés à Babylone, vous y resterez bien des années et pour longtemps, jusqu'à sept générations; après quoi, je vous en ferai sortir en paix.

Baruch 6, 3 Or, vous allez voir à Babylone des dieux d'argent, d'or et de bois, qu'on porte sur les épaules et qui inspirent crainte aux païens.

Baruch 6, 4 Soyez sur vos gardes! Ne vous assimilez pas aux étrangers et que la crainte ne vous saisisse pas devant ces dieux,

Baruch 6, 5 quand vous verrez, devant et derrière eux, la foule qui les adore. Dites plutôt en votre coeur: "C'est toi qu'il faut adorer, Maître."

Baruch 6, 6 Car mon ange est avec vous: c'est lui qui prendra soin de vos vies.

Baruch 6, 7 Car leur langue fut poncée par un artisan, ils ont été dorés et argentés: ils ne sont que déception et ne peuvent parler.

Baruch 6, 8 Comme pour une vierge aimant la parure, on prend de l'or et l'on fabrique des couronnes pour les têtes de leurs dieux.

Baruch 6, 9 Parfois même les prêtres dérobent à leurs dieux or et argent pour leurs propres dépenses; ils en donnent même aux prostituées de la terrasse.

Baruch 6, 10 Ils parent de vêtements, comme des humains, ces dieux d'argent, d'or et de bois; mais eux ne se défendent ni de la rouille ni des vers;

Baruch 6, 11 quand on les a revêtus d'un habit de pourpre, on époussète leur figure, à cause de la poussière du temple qui s'épaissit sur eux.

Baruch 6, 12 Tel tient un sceptre comme un gouverneur de province, mais ne saurait tuer qui l'offense;

Baruch 6, 13 tel tient en sa droite épée et hache, mais ne saurait se défendre de la guerre et des voleurs.

Baruch 6, 14 Par là, il est clair que ce ne sont pas des dieux: ne les craignez pas!

Baruch 6, 15 Comme un vase dont un homme se sert devient sans usage une fois brisé, ainsi en est-il de leurs dieux qu'on installe dans les temples.

Baruch 6, 16 Leurs yeux sont pleins de la poussière soulevée par les pieds de ceux qui entrent.

Baruch 6, 17 De même que les portes sont closes de tous côtés sur un homme qui a offensé le roi et qui va être conduit à la mort, ainsi les prêtres renforcent les temples de ces dieux avec portes, verrous et barres, par crainte d'un pillage de voleurs.

Baruch 6, 18 Ils allument des lampes, et en plus grand nombre que pour eux-mêmes: ces dieux sont incapables d'en voir une seule.

Baruch 6, 19 Il en est d'eux comme d'une des poutres du temple dont on raconte que l'intérieur est rongé; les vers qui sortent de terre les dévorent, ainsi que leurs habits, et ils ne le sentent pas.

Baruch 6, 20 Leur figure est noircie par la fumée qui monte du temple.

Baruch 6, 21 Sur leur corps et sur leur tête volettent chauves-souris, hirondelles et autres volatiles; il y a là aussi des chats.

Baruch 6, 22 A cela vous reconnaîtrez que ce ne sont pas des dieux: ne les craignez pas!

Baruch 6, 23 L'or dont on les revêt doit les faire beaux; mais si quelqu'un n'en nettoie pas la ternissure, ce n'est pas eux qui le rendront brillant, car même quand on les fondait, ils ne sentaient rien.

Baruch 6, 24 A n'importe quel prix on acheta ces dieux, et il n'y a point en eux souffle de vie.

Baruch 6, 25 N'ayant pas de pieds, ils sont portés sur des épaules, exhibant aux hommes leur honte. Leurs serviteurs aussi sont confondus, car c'est par leur assistance que les dieux se relèvent s'ils tombent par terre.

Baruch 6, 26 Les met-on debout, ils ne peuvent d'eux-mêmes se mouvoir; penchent-ils, ils ne peuvent se redresser; mais c'est comme devant des morts qu'on leur présente des offrandes.

Baruch 6, 27 Ce qui leur est sacrifié, leurs prêtres le revendent et en tirent profit; pareillement, leurs femmes en salent une partie, sans rien distribuer au pauvre et à l'impotent. Ce qui est sacrifié à ces dieux, la femme en état d'impureté et la femme en couches osent le toucher.

Baruch 6, 28 Sachant donc par tout cela que ce ne sont pas des dieux, ne les craignez pas!

Baruch 6, 29 Comment en effet les appeler des dieux? Ce sont des femmes qui présentent des offrandes devant ces dieux d'argent, d'or et de bois.

Baruch 6, 30 En leurs temples, les prêtres se tiennent assis, tunique déchirée, tête et barbe rasées, chef découvert;

Baruch 6, 31 ils rugissent et vocifèrent devant leurs dieux, comme on fait aux festins funèbres.

Baruch 6, 32 Les prêtres prennent les vêtements des dieux pour en habiller leurs femmes et leurs enfants.

Baruch 6, 33 Quelqu'un leur fait-il du mal, ou du bien, ils sont incapables de le rendre; incapables aussi de faire ou de défaire un roi;

Baruch 6, 34 incapables encore de donner richesse ou argent. Quelqu'un fait-il un voeu qu'il ne tient pas, ils ne peuvent en demander compte.

Baruch 6, 35 Ils ne peuvent sauver un homme de la mort, ni arracher le faible au puissant,

Baruch 6, 36 ni restaurer la vue d'un aveugle, ni délivrer un homme en détresse,

Baruch 6, 37 ni avoir compassion d'une veuve, ni être bienfaisants à un orphelin.

Baruch 6, 38 Ils sont semblables aux pierres extraites des montagnes, ces morceaux de bois recouverts d'or et d'argent. Leurs serviteurs seront confondus!

Baruch 6, 39 Comment alors peut-on penser ou dire que ce sont des dieux!

Baruch 6, 40 Les Chaldéens eux-mêmes les déshonorent quand, voyant un muet qui ne peut parler, ils le présentent à Bel et réclament que cet homme parle, comme si le dieu pouvait entendre;

Baruch 6, 41 et ils sont incapables de réfléchir à cela et d'abandonner ces dieux, tant le bon sens leur manque!

Baruch 6, 42 Les femmes, ceintes de cordes, s'assoient sur les chemins pour brûler du son comme un encens;

Baruch 6, 43 quand l'une, racolée par quelque passant, a couché avec lui, elle reproche à sa voisine de n'avoir pas été jugée digne comme elle-même et de n'avoir pas eu sa corde brisée.

Baruch 6, 44 Tout ce qui se fait pour eux est mensonge; comment alors peut-on penser ou dire que ce sont des dieux?

Baruch 6, 45 Fabriqués par des menuisiers et des orfèvres, ils ne sont rien d'autre que ce que ces ouvriers veulent qu'ils soient.

Baruch 6, 46 Ces fabricants-là n'ont pas longtemps à vivre; comment leurs fabrications seraient-elles des dieux?

Baruch 6, 47 Car ils n'auront laissé que mensonge et déshonneur à leurs descendants.

Baruch 6, 48 Que leur surviennent une guerre ou des malheurs, les prêtres se consultent pour savoir où se cacher avec ces dieux;

Baruch 6, 49 comment ne pas saisir qu'ils ne sont pas des dieux, ceux qui ne se sauvent pas eux-mêmes de la guerre ou des malheurs?

Baruch 6, 50 Ces morceaux de bois dorés et argentés, on reconnaîtra plus tard qu'ils ne sont que mensonge: il sera évident pour tous, peuples et rois, qu'ils ne sont pas des dieux, mais ouvrages de mains humaines, et qu'il n'y a chez eux aucune opération divine.

Baruch 6, 51 Pour qui donc n'est-il pas clair que ce ne sont pas des dieux?

Baruch 6, 52 Car ils ne peuvent établir un roi dans un pays, ni donner la pluie aux hommes,

Baruch 6, 53 ni juger leurs propres affaires, ni délivrer un opprimé; ils sont impuissants comme les corneilles entre ciel et terre.

Baruch 6, 54 Que le feu tombe sur le temple de ces dieux de bois dorés et argentés, leurs prêtres vont fuir et échapper, mais eux, comme des poutres, resteront là à brûler.

Baruch 6, 55 Ils ne peuvent résister à un roi ni à des ennemis.

Baruch 6, 56 Comment alors admettre ou penser que ce sont des dieux?

Baruch 6, 57 Ils ne peuvent échapper aux voleurs et aux brigands, ces dieux de bois dorés et argentés, des plus puissants vont leur arracher or et argent et partir avec les habits qui les couvrent; eux sont incapables de se porter secours.

Baruch 6, 58 Aussi vaut-il mieux être un roi déployant son courage, ou dans une maison un vase utile, dont se serve son propriétaire, que d'être ces faux dieux; ou encore dans une maison une porte qui protège ce qui s'y trouve, que d'être ces faux dieux; ou un pilier de bois dans un palais, que d'être ces faux dieux.

Baruch 6, 59 Le soleil, la lune et les étoiles, qui brillent et sont commis à un office, sont obéissants;

Baruch 6, 60 pareillement, l'éclair qui éclate est beau à voir; de même en tout pays le vent souffle,

Baruch 6, 61 les nuages exécutent l'ordre que Dieu leur donne de parcourir toute la terre, et le feu, envoyé d'en haut pour consumer monts et forêts, fait ce qui est commandé.

Baruch 6, 62 Or, ni en beauté ni en puissance, ceux-là ne leur sont comparables.

Baruch 6, 63 Aussi ne peut-on penser ni dire que ce sont des dieux, puisqu'ils sont impuissants à rendre la justice et à faire du bien aux hommes.

Baruch 6, 64 Sachant donc que ce ne sont pas des dieux, ne les craignez pas!

Baruch 6, 65 Car ils ne peuvent ni maudire ni bénir les rois,

Baruch 6, 66 ni montrer parmi les peuples des signes dans le ciel; ils ne brillent pas comme le soleil et n'éclairent pas comme la lune.

Baruch 6, 67 Les bêtes valent mieux qu'eux, elles peuvent fuir dans un abri et se secourir elles-mêmes.

Baruch 6, 68 D'aucune manière il ne nous est manifeste que ce sont des dieux, aussi ne les craignez pas!

Baruch 6, 69 Comme un épouvantail dans un champ de concombres, qui ne protège rien, ainsi en est-il de leurs dieux de bois dorés et argentés.

Baruch 6, 70 Ou encore, leurs dieux de bois dorés et argentés ressemblent à un buisson d'épines dans un jardin, sur lequel se posent toutes sortes d'oiseaux, ou à un mort jeté dans le noir.

Baruch 6, 71 Par la pourpre et le lin qui pourrissent sur eux, vous reconnaîtrez qu'ils ne sont pas des dieux. Finalement, ils seront dévorés et deviendront un déshonneur dans le pays.

Baruch 6, 72 Mieux vaut l'homme juste, qui n'a pas d'idoles; c'est lui qui échappe à l'opprobre!

 

 

Ezéchiel

 

1, 1 La trentième année, au quatrième mois, le cinq du mois, alors que je me trouvais parmi les déportés au bord de fleuve Kebar, le ciel s'ouvrit et je fus témoin de visions divines.

Ezéchiel 1, 2 Le cinq du mois - c'était la cinquième année d'exil du roi Joiakîn -

Ezéchiel 1, 3 la parole de Yahvé fut adressée au prêtre Ezéchiel, fils de Buzi, au pays des Chaldéens, au bord du fleuve Kebar. C'est là que la main de Yahvé fut sur lui.

Ezéchiel 1, 4 Je regardai: c'était un vent de tempête soufflant du nord, un gros nuage, un feu jaillissant, avec une lueur autour, et au centre comme l'éclat du vermeil au milieu du feu.

Ezéchiel 1, 5 Au centre, je discernai quelque chose qui ressemblait à quatre animaux dont voici l'aspect: ils avaient une forme humaine.

Ezéchiel 1, 6 Ils avaient chacun quatre faces et chacun quatre ailes.

Ezéchiel 1, 7 Leurs jambes étaient droites et leurs sabots étaient comme des sabots de boeuf, étincelants comme l'éclat de l'airain poli.

Ezéchiel 1, 8 Sous leurs ailes, il y avait des mains humaines tournées vers les quatre directions, de même que leurs faces et leurs ailes à eux quatre.

Ezéchiel 1, 9 Leurs ailes étaient jointes l'une à l'autre; ils ne se tournaient pas en marchant: ils allaient chacun devant soi.

Ezéchiel 1, 10 Quant à la forme de leurs faces, ils avaient une face d'homme, et tous les quatre avaient une face de lion à droite, et tous les quatre avaient une face de taureau à gauche, et tous les quatre avaient une face d'aigle.

Ezéchiel 1, 11 Leurs ailes étaient déployées vers le haut; chacun avait deux ailes se joignant et deux ailes lui couvrant le corps;

Ezéchiel 1, 12 et ils allaient chacun devant soi; ils allaient là où l'esprit les poussait, ils ne se tournaient pas en marchant.

Ezéchiel 1, 13 Au milieu des animaux, il y avait quelque chose comme des charbons ardents ayant l'aspect de torches, allant et venant entre les animaux; le feu jetait une lueur, et du feu sortaient des éclairs.

Ezéchiel 1, 14 Les animaux allaient et venaient, semblables à l'éclair.

Ezéchiel 1, 15 Je regardai les animaux; et voici qu'il y avait une roue à terre, à côté des animaux aux quatre faces.

Ezéchiel 1, 16 L'aspect de ces roues et leur structure avait l'éclat de la chrysolithe. Toutes les quatre avaient même forme; quant à leur aspect et leur structure: c'était comme si une roue se trouvait au milieu de l'autre.

Ezéchiel 1, 17 Elles avançaient dans les quatre directions et ne se tournaient pas en marchant.

Ezéchiel 1, 18 Leur circonférence était de grande taille et effrayante, et leur circonférence, à toutes les quatre, était pleine de reflets tout autour.

Ezéchiel 1, 19 Lorsque les animaux avançaient, les roues avançaient à côté d'eux, et lorsque les animaux s'élevaient de terre, les roues s'élevaient.

Ezéchiel 1, 20 Là où l'esprit les poussait, les roues allaient, et elles s'élevaient également, car l'esprit de l'animal était dans les roues.

Ezéchiel 1, 21 Quand ils avançaient, elles avançaient, quand ils s'arrêtaient, elles s'arrêtaient, et quand ils s'élevaient de terre, les roues s'élevaient également, car l'esprit de l'animal était dans les roues.

Ezéchiel 1, 22 Il y avait sur les têtes de l'animal quelque chose qui ressemblait à une voûte, éclatante comme le cristal, tendue sur leurs têtes, au-dessus,

Ezéchiel 1, 23 et sous la voûte, leurs ailes étaient dressées l'une vers l'autre; chacun en avait deux lui couvrant le corps.

Ezéchiel 1, 24 Et j'entendis le bruit de leurs ailes, comme un bruit d'eaux abondantes, comme la voix de Shaddaï; lorsqu'ils marchaient, c'était un bruit de tempête, comme un bruit de camp; lorsqu'ils s'arrêtaient, ils repliaient leurs ailes.

Ezéchiel 1, 25 Et il se produisit un bruit.

Ezéchiel 1, 26 Au-dessus de la voûte qui était sur leurs têtes, il y avait quelque chose qui avait l'aspect d'une pierre de saphir en forme de trône, et sur cette forme de trône, dessus, tout en haut, un être ayant apparence humaine.

Ezéchiel 1, 27 Et je vis comme l'éclat du vermeil, quelque chose comme du feu près de lui, tout autour, depuis ce qui paraissait être ses reins et au-dessus; et depuis ce qui paraissait être ses reins et au-dessous, je vis quelque chose comme du feu et une lueur tout autour;

Ezéchiel 1, 28 l'aspect de cette lueur, tout autour, était comme l'aspect de l'arc qui apparaît dans les nuages, les jours de pluie. C'était quelque chose qui ressemblait à la gloire de Yahvé. Je regardai, et je tombai la face contre terre; et j'entendis la voix de quelqu'un qui me parlait.

Ezéchiel 2, 1 Il me dit: "Fils d'homme, tiens-toi debout, je vais te parler."

Ezéchiel 2, 2 L'esprit entra en moi comme il m'avait été dit, il me fit tenir debout et j'entendis celui qui me parlait.

Ezéchiel 2, 3 Il me dit: "Fils d'homme, je t'envoie vers les Israélites, vers les rebelles qui se sont rebellés contre moi. Eux et leurs pères se sont révoltés contre moi jusqu'à ce jour.

Ezéchiel 2, 4 Les fils ont la tête dure et le coeur obstiné, je t'envoie vers eux pour leur dire: Ainsi parle le Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 2, 5 Qu'ils écoutent ou qu'ils n'écoutent pas, c'est une engeance de rebelles, ils sauront qu'il y a un prophète parmi eux.

Ezéchiel 2, 6 Pour toi, fils d'homme, n'aie pas peur d'eux, n'aie pas peur de leurs paroles s'ils te contredisent et te méprisent et si tu es assis sur des scorpions. N'aie pas peur de leurs paroles, ne crains pas leurs regards, car c'est une engeance de rebelles.

Ezéchiel 2, 7 Tu leur porteras mes paroles, qu'ils écoutent ou qu'ils n'écoutent pas, car c'est une engeance de rebelles.

Ezéchiel 2, 8 Et toi, fils d'homme, écoute ce que je vais te dire, ne sois pas rebelle comme cette engeance de rebelles. Ouvre la bouche et mange ce que je vais te donner."

Ezéchiel 2, 9 Je regardai, et voici qu'une main était tendue vers moi, tenant un volume roulé.

Ezéchiel 2, 10 Il le déploya devant moi: il était écrit au recto et au verso; il y était écrit: "Lamentations, gémissements et plaintes."

Ezéchiel 3, 1 Il me dit: "Fils d'homme, ce qui t'est présenté, mange-le; mange ce volume et va parler à la maison d'Israël."

Ezéchiel 3, 2 J'ouvris la bouche et il me fit manger ce volume,

Ezéchiel 3, 3 puis il me dit: "Fils d'homme, nourris-toi et rassasie-toi de ce volume que je te donne." Je le mangeai et, dans ma bouche, il fut doux comme du miel.

Ezéchiel 3, 4 Alors il me dit: "Fils d'homme, va-t'en vers la maison d'Israël et tu leur porteras mes paroles.

Ezéchiel 3, 5 Ce n'est pas vers un peuple au parler obscur et à la langue difficile que tu es envoyé, c'est vers la maison d'Israël.

Ezéchiel 3, 6 Ce n'est pas vers des peuples nombreux, au parler obscur et à la langue difficile, dont tu n'entendrais pas les paroles - si je t'envoyais vers eux, ils t'écouteraient -

Ezéchiel 3, 7 mais la maison d'Israël ne veux pas t'écouter car elle ne veut pas m'écouter. Toute la maison d'Israël n'est que fronts endurcis et coeurs obstinés.

Ezéchiel 3, 8 Voici que je rends ton visage aussi dur que leur visage, et ton front aussi dur que leur front;

Ezéchiel 3, 9 je rends ton front dur comme le diamant, qui est plus dur que le roc. N'aie pas peur d'eux, sois sans crainte devant eux, car c'est une engeance de rebelles."

Ezéchiel 3, 10 Puis il me dit: "Fils d'homme, toutes les paroles que je te dirai, reçois-les dans ton coeur, écoute de toutes tes oreilles,

Ezéchiel 3, 11 et va-t'en vers les exilés, vers les fils de ton peuple pour leur parler. Tu leur diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé, qu'ils écoutent ou qu'ils n'écoutent pas."

Ezéchiel 3, 12 L'esprit m'enleva et j'entendis derrière moi le bruit d'un grand tremblement: "Bénie soit la gloire de Yahvé au lieu de son séjour!"

Ezéchiel 3, 13 C'était le bruit que faisaient les ailes des animaux, battant l'une contre l'autre, et le bruit des roues à côté d'eux, et le bruit d'un grand tremblement.

Ezéchiel 3, 14 Et l'esprit m'enleva et me prit; j'allai amer, l'esprit enfiévré, et la main de Yahvé pesait fortement sur moi.

Ezéchiel 3, 15 J'arrivai à Tell Abib, chez les exilés installés près du fleuve Kebar; c'est là qu'ils habitaient, et j'y restai sept jours, frappé de stupeur, au milieu d'eux.

Ezéchiel 3, 16 Or, au bout de sept jours, la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 3, 17 "Fils d'homme, je t'ai fait guetteur pour la maison d'Israël. Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part.

Ezéchiel 3, 18 Si je dis au méchant: Tu vas mourir, et que tu ne l'avertis pas, si tu ne parles pas pour avertir le méchant d'abandonner sa conduite mauvaise afin qu'il vive, le méchant, lui, mourra de sa faute, mais c'est à toi que je demanderai compte de son sang.

Ezéchiel 3, 19 Si au contraire tu as averti le méchant et qu'il ne s'est pas converti de sa méchanceté et de sa mauvaise conduite, il mourra, lui, de sa faute, mais toi, tu auras sauvé ta vie.

Ezéchiel 3, 20 Lorsque le juste se détournera de sa justice pour commettre le mal et que je mettrai un piège devant lui, c'est lui qui mourra; parce que tu ne l'auras pas averti, il mourra de son péché et on ne se souviendra plus de la justice qu'il a pratiquée, mais je te demanderai compte de son sang.

Ezéchiel 3, 21 Si au contraire tu as averti le juste de ne pas pécher et qu'il n'a pas péché, il vivra parce qu'il aura été averti, et toi, tu auras sauvé ta vie."

Ezéchiel 3, 22 C'est là que la main de Yahvé fut sur moi; il me dit: "Lève-toi, sors dans la vallée, et là, je vais te parler."

Ezéchiel 3, 23 Je me levai et je sortis dans la vallée, et voilà que la gloire de Yahvé y était arrêtée, semblable à la gloire que j'avais vue au bord du fleuve Kebar, et je tombai la face contre terre.

Ezéchiel 3, 24 Alors l'esprit entra en moi, il me fit tenir debout et me parla. Il me dit: "Va t'enfermer dans ta maison.

Ezéchiel 3, 25 Toi, fils d'homme, voici qu'on va te mettre des liens, on t'en ligotera et tu ne sortiras plus au milieu d'eux.

Ezéchiel 3, 26 Je ferai coller ta langue à ton palais, tu seras muet, et tu ne seras plus pour eux celui qui réprimande, car c'est une engeance de rebelles.

Ezéchiel 3, 27 Et lorsque je te parlerai, je t'ouvrirai la bouche et tu leur diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé; quiconque veut écouter, qu'il écoute, et quiconque ne le veut pas, qu'il n'écoute pas, car c'est une engeance de rebelles."

Ezéchiel 4, 1 Quant à toi, fils d'homme, prends une brique et mets-la devant toi: tu y graveras une ville, Jérusalem.

Ezéchiel 4, 2 Puis tu entreprendras contre elle un siège: tu construiras contre elle des retranchements, tu élèveras contre elle un remblai, tu établiras contre elle des camps et tu installeras contre elle des béliers, tout autour.

Ezéchiel 4, 3 Alors, prends une poêle de fer que tu installeras comme une muraille de fer entre toi et la ville. Puis tu fixeras sur elle ton regard et elle sera assiégée: tu vas en faire le siège. C'est un signe pour la maison d'Israël.

Ezéchiel 4, 4 Couche-toi sur le côté gauche et prends sur toi la faute de la maison d'Israël. Autant de jours que tu seras ainsi couché, tu porteras leur faute.

Ezéchiel 4, 5 C'est moi qui t'ai fixé les années de leur faute à une durée de 390 jours pendant lesquels tu porteras la faute de la maison d'Israël.

Ezéchiel 4, 6 Et quand tu les auras terminés, tu te coucheras de nouveau, sur le côté droit, et tu porteras la faute de la maison de Juda, 40 jours. Je t'en ai fixé la durée à un jour pour une année.

Ezéchiel 4, 7 Puis tu fixeras ton regard sur le siège de Jérusalem, tu lèveras ton bras nu et tu prophétiseras contre elle.

Ezéchiel 4, 8 Voici que j'ai mis sur toi des liens et tu ne te tourneras pas d'un côté sur l'autre jusqu'à ce que soient accomplis les jours de ta réclusion.

Ezéchiel 4, 9 Prends donc du froment, de l'orge, des fèves, des lentilles, du millet et de l'épeautre: mets-les dans un même vase et fais-t'en du pain. Tu en mangeras autant de jours que tu seras couché sur le côté - 390 jours.

Ezéchiel 4, 10 Et cette nourriture que tu mangeras, tu en pèseras vingt sicles par jour que tu mangeras d'un jour à l'autre.

Ezéchiel 4, 11 Tu boiras aussi de l'eau avec mesure, tu en boiras un sixième de setier d'un jour à l'autre.

Ezéchiel 4, 12 Tu mangeras cette nourriture sous la forme d'une galette d'orge qui aura été cuite sur des excréments humains, à leurs yeux.

Ezéchiel 4, 13 Et Yahvé dit: "C'est ainsi que les Israélites mangeront leur nourriture impure, au milieu des nations où je les chasserai."

Ezéchiel 4, 14 Alors je dis: "Ah! Seigneur Yahvé, mon âme n'est pas impure. Depuis mon enfance jusqu'à présent, jamais je n'ai mangé de bête crevée ou déchirée, et aucune viande avariée ne m'est entrée dans la bouche."

Ezéchiel 4, 15 Il me dit: "Eh bien! je t'accorde de la bouse de boeuf au lieu d'excréments humains; tu feras ton pain dessus."

Ezéchiel 4, 16 Puis il me dit: "Fils d'homme, voici que je vais détruire la réserve de pain à Jérusalem: on mangera dans l'angoisse du pain pesé, on boira avec effroi de l'eau mesurée,

Ezéchiel 4, 17 parce que le pain et l'eau manqueront; ils seront frappés de stupeur et dépériront à cause de leur faute."

Ezéchiel 5, 1 Fils d'homme, prends une lame tranchante, prends-la comme rasoir de barbier et fais-la passer sur ta tête et ta barbe. Puis tu prendras une balance et tu partageras les poils que tu auras coupés.

Ezéchiel 5, 2 A un tiers tu mettras le feu au milieu de la ville pendant que s'accompliront les jours du siège. Tu prendras l'autre tiers que tu frapperas de l'épée tout autour de la ville. Tu en répandras au vent le dernier tiers et je tirerai l'épée derrière eux.

Ezéchiel 5, 3 Puis tu en prendras une petite quantité que tu recueilleras dans le pan de ton manteau

Ezéchiel 5, 4 et de ceux-ci, tu en prendras encore, que tu jetteras au milieu du feu et que tu brûleras. C'est de là que sortira le feu vers toute la maison d'Israël.

Ezéchiel 5, 5 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: C'est Jérusalem que j'ai placée au milieu des nations, environnée de pays étrangers.

Ezéchiel 5, 6 Elle s'est rebellée avec perversité contre mes coutumes, plus que les nations, et contre mes lois plus que les pays qui l'entourent. Car ils rejettent mes coutumes, et mes lois, ils ne les pratiquent pas.

Ezéchiel 5, 7 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé: Parce que votre tumulte est pire que celui des nations qui vous entourent, parce que vous ne pratiquez pas mes lois et que vous n'observez pas mes coutumes, et que vous n'observez pas non plus les coutumes des nations qui vous entourent,

Ezéchiel 5, 8 eh bien! ainsi parle le Seigneur Yahvé: Moi aussi je me déclare contre toi, et aux yeux des nations, j'exécuterai mes jugements au milieu de toi.

Ezéchiel 5, 9 J'agirai chez toi comme jamais je n'ai agi et comme je n'agirai plus jamais, à cause de toutes tes abominations.

Ezéchiel 5, 10 C'est pourquoi des pères dévoreront leurs enfants, au milieu de toi, et des enfants dévoreront leurs pères. Je ferai justice de toi et je disperserai à tous les vents tout ce qui reste de toi.

Ezéchiel 5, 11 C'est pourquoi, par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, aussi vrai que tu as souillé mon sanctuaire par toutes tes horreurs et toutes tes abominations, moi aussi je rejetterai sans un regard de pitié, moi non plus je n'épargnerai pas.

Ezéchiel 5, 12 Un tiers de tes habitants mourra de la peste et périra par la famine au milieu de toi, un tiers tombera par l'épée autour de toi, et j'en disperserai un tiers à tous les vents, en tirant l'épée derrière eux.

Ezéchiel 5, 13 Ma colère sera satisfaite, j'assouvirai sur eux ma fureur et je me vengerai; alors ils sauront que moi, Yahvé, j'ai parlé dans ma jalousie, quand je satisferai ma colère sur eux.

Ezéchiel 5, 14 Je ferai de toi une ruine, un objet de raillerie parmi les nations qui t'entourent, aux yeux de tous les passants.

Ezéchiel 5, 15 Tu seras un objet de raillerie et d'outrages, un exemple, un objet de stupeur pour les nations qui t'entourent, lorsque de toi je ferai justice avec colère et fureur, avec des châtiments furieux. Moi, Yahvé, j'ai dit.

Ezéchiel 5, 16 En envoyant contre eux les flèches redoutables de la famine, qui seront votre perte - car je les enverrai pour vous perdre et j'ajouterai contre vous la famine - je détruirai votre réserve de pain.

Ezéchiel 5, 17 J'enverrai contre vous la famine et les bêtes féroces qui te priveront de tes enfants; la peste et le sang passeront chez toi, et je ferai venir l'épée contre toi. Moi, Yahvé, j'ai dit.

Ezéchiel 6, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 6, 2 Fils d'homme, tourne-toi vers les montagnes d'Israël et prophétise contre elles.

Ezéchiel 6, 3 Tu diras: Montagnes d'Israël, écoutez la parole du Seigneur Yahvé. Ainsi parle le Seigneur Yahvé aux montagnes, aux collines, aux ravins, aux vallées. Voici que je vais faire venir contre vous l'épée, et je vais détruire vos hauts lieux.

Ezéchiel 6, 4 Vos autels seront dévastés, vos brasiers à encens seront brisés, je ferai tomber vos habitants, percés de coups, devant vos ordures,

Ezéchiel 6, 5 je mettrai les cadavres des Israélites devant leurs ordures, et je disperserai leurs ossements tout autour de vos autels.

Ezéchiel 6, 6 Partout où vous habitez, les villes seront détruites et les hauts lieux dévastés, afin que vos autels soient détruits et qu'ils soient dévastés, que vos ordures soient brisées et qu'elles disparaissent, que vos brasiers à encens soient mis en pièces et vos oeuvres anéanties.

Ezéchiel 6, 7 On tombera percé de coups au milieu de vous, et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 6, 8 Mais j'en épargnerai qui seront pour vous des survivants de l'épée parmi les nations, quand vous serez dispersés parmi les nations;

Ezéchiel 6, 9 alors vos survivants se souviendront de moi, parmi les nations où ils seront captifs, eux dont j'aurai brisé le coeur prostitué qui m'a abandonné, et les yeux qui se prostituent après leurs ordures. Ils éprouveront du dégoût pour eux-mêmes à cause de tout le mal qu'ils ont fait par leurs abominations.

Ezéchiel 6, 10 Et ils sauront que je suis Yahvé: j'ai dit, et non pas en vain, que je leur infligerai ces maux.

Ezéchiel 6, 11 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Bats des mains, frappe du pied et dis: "Hélas!" sur toutes les abominations de la maison d'Israël qui va tomber par l'épée, par la famine et par la peste.

Ezéchiel 6, 12 Au loin, on mourra par la peste, auprès, on tombera par l'épée; ce qui aura été préservé et épargné mourra de faim, car j'assouvirai ma fureur contre eux.

Ezéchiel 6, 13 Vous saurez que je suis Yahvé quand, percés de coups, ils seront parmi leurs ordures, tout autour de leurs autels, sur toute colline élevée, au sommet de toutes les montagnes, sous tout arbre verdoyant, sous tout chêne touffu, là où ils offrent un parfum d'apaisement à toutes leurs idoles.

Ezéchiel 6, 14 J'étendrai la main contre eux et je ferai du pays une solitude désolée depuis le désert jusqu'à Ribla, partout où ils habitent, et ils sauront que je suis Yahvé.

Ezéchiel 7, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes.

Ezéchiel 7, 2 Fils d'homme, dis: Ainsi parle le Seigneur Yahvé à la terre d'Israël: Fini! La fin vient sur les quatre coins du pays.

Ezéchiel 7, 3 C'est maintenant la fin pour toi; je vais lâcher ma colère contre toi pour te juger selon ta conduite et te demander compte de toutes tes abominations.

Ezéchiel 7, 4 Je n'aurai pas pour toi un regard de pitié, je ne t'épargnerai pas, mais je ferai retomber sur toi ta conduite, tes abominations resteront au milieu de toi et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 7, 5 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Voici que vient un malheur, un seul malheur.

Ezéchiel 7, 6 La fin approche, la fin approche, elle s'éveille en ta direction, la voici qui vient.

Ezéchiel 7, 7 C'est ton tour, à toi qui habites le pays. Le temps vient, le jour est proche, c'est le trouble et non plus la joie pour les montagnes.

Ezéchiel 7, 8 Maintenant, je vais bientôt déverser ma fureur sur toi et assouvir ma colère contre toi; je vais te juger selon ta conduite et te demander compte de toutes tes abominations.

Ezéchiel 7, 9 Je n'aurai pas un regard de pitié et je n'épargnerai pas, mais je te traiterai selon ta conduite, tes abominations resteront au milieu de toi et vous saurez que je suis Yahvé, qui frappe.

Ezéchiel 7, 10 Voici le jour, voici que vient ton tour, il est venu, il est sorti, le sceptre a fleuri, l'orgueil s'est épanoui.

Ezéchiel 7, 11 La violence s'est levée pour devenir un fléau de méchanceté.

Ezéchiel 7, 12 Le temps vient, le jour est proche. Que l'acheteur ne se réjouisse pas, que le vendeur ne se désole pas, car la fureur est contre tout le monde.

Ezéchiel 7, 13 Le vendeur ne reviendra pas à ce qu'il a vendu, chacun vit dans son péché: ils ne seront pas fortifiés.

Ezéchiel 7, 14 On sonne de la trompette, tout est prêt et personne ne marche au combat, car ma fureur est contre tout le monde.

Ezéchiel 7, 15 C'est l'épée au-dehors, la peste et la famine au-dedans. Quiconque sera dans la campagne mourra par l'épée, et quiconque sera dans la ville, la famine et la peste le dévoreront.

Ezéchiel 7, 16 Ils auront des survivants qui iront vers les montagnes comme les colombes des vallées, et je les ferai tous mourir, chacun pour sa faute.

Ezéchiel 7, 17 Toutes les mains faibliront, tous les genoux s'en iront en eau.

Ezéchiel 7, 18 Ils se revêtiront de sacs, un frisson les enveloppera. Tous les visages seront honteux, toutes les têtes rasées.

Ezéchiel 7, 19 Ils jetteront leur argent dans les rues, et leur or leur sera une souillure; leur argent ni leur or ne pourront les sauver au jour de la fureur de Yahvé. Ils ne se rassasieront plus, ils ne rempliront plus leur ventre, car c'était là l'occasion de leurs fautes.

Ezéchiel 7, 20 Dans la beauté de leurs bijoux, ils mettaient leur orgueil: ils en ont fait leurs images abominables, leurs horreurs, c'est pourquoi j'en ferai pour eux une souillure.

Ezéchiel 7, 21 Je vais les livrer aux mains des étrangers en pillage, à la pègre du pays en butin. Ils le profaneront.

Ezéchiel 7, 22 Je détournerai d'eux ma face, on profanera mon trésor, des barbares y pénétreront et le profaneront.

Ezéchiel 7, 23 Fabrique une chaîne, car le pays est rempli d'exécutions sanglantes, la ville est pleine de violences.

Ezéchiel 7, 24 Je ferai venir les nations les plus cruelles qui s'empareront de leurs maisons. Je ferai cesser l'orgueil des puissants et leurs sanctuaires seront profanés.

Ezéchiel 7, 25 La terreur vient; ils chercheront la paix et il n'y en aura pas.

Ezéchiel 7, 26 Il arrivera désastre sur désastre, il y aura nouvelle sur nouvelle; on réclamera une vision au prophète, la loi fera défaut au prêtre, le conseil aux anciens.

Ezéchiel 7, 27 Le roi sera dans le deuil, le prince sera plongé dans la désolation, les mains des gens du pays trembleront. J'agirai selon leur conduite, je les jugerai selon leurs jugements, et ils sauront que je suis Yahvé.

Ezéchiel 8, 1 La sixième année, au sixième mois, le cinq du mois, j'étais assis chez moi et les anciens de Juda étaient assis devant moi; c'est là que la main du Seigneur Yahvé s'abattit sur moi.

Ezéchiel 8, 2 Je regardai: il y avait un être qui avait l'apparence d'un homme. Depuis ce qui paraissait être ses reins et au-dessous, c'était du feu, et depuis ses reins et au-dessus, c'était quelque chose comme une lueur, comme l'éclat du vermeil.

Ezéchiel 8, 3 Il étendit une forme de main et me prit par une mèche de cheveux; l'esprit m'enleva entre ciel et terre et m'emmena à Jérusalem, en des visions divines, à l'entrée du porche intérieur qui regarde le nord, là où se trouve le siège de l'idole de la jalousie, qui provoque la jalousie.

Ezéchiel 8, 4 Or voici que la gloire du Dieu d'Israël était-là; elle avait l'aspect de ce que j'avais vu dans la vallée.

Ezéchiel 8, 5 Il me dit: "Fils d'homme, lève les yeux vers le nord." Je levai les yeux vers le nord, et voici qu'au nord du porche de l'autel il y avait cette idole de la jalousie, à l'entrée.

Ezéchiel 8, 6 Il me dit: "Fils d'homme, vois-tu ce qu'ils font? Toutes les abominations affreuses que la maison d'Israël pratique ici pour m'éloigner de mon sanctuaire? Et tu verras encore d'autres abominations affreuses."

Ezéchiel 8, 7 Il me conduisit à l'entrée du parvis. Je regardai: il y avait un trou dans le mur.

Ezéchiel 8, 8 Il me dit: "Fils d'homme, fais un trou dans le mur." Je fis un trou dans le mur et il y eut une ouverture.

Ezéchiel 8, 9 Il me dit: "Entre et regarde les misérables abominations qu'ils pratiquent ici."

Ezéchiel 8, 10 J'entrai et je regardai: c'étaient toutes sortes d'images de reptiles et de bêtes répugnantes, et toutes les ordures de la maison d'Israël gravées sur le mur, tout autour.

Ezéchiel 8, 11 70 hommes, des anciens de la maison d'Israël, étaient debout devant les idoles - et Yaazanyahu fils de Shaphân était debout parmi eux - ayant chacun son encensoir à la main; et le parfum du nuage d'encens montait.

Ezéchiel 8, 12 Il me dit: "As-tu vu, fils d'homme, ce que font dans l'obscurité les anciens de la maison d'Israël, chacun dans sa chambre ornée de peintures? Ils disent: Yahvé ne nous voit pas, Yahvé a quitté le pays."

Ezéchiel 8, 13 Et il me dit: "Tu verras encore d'autres abominations affreuses qu'ils pratiquent."

Ezéchiel 8, 14 Il m'emmena à l'entrée du porche du Temple de Yahvé qui regarde vers le nord, et voici que les femmes y étaient assises, pleurant Tammuz.

Ezéchiel 8, 15 Il me dit: "As-tu vu, fils d'homme? Tu verras encore d'autres abominations plus affreuses que celles-ci."

Ezéchiel 8, 16 Il m'emmena vers le parvis intérieur du Temple de Yahvé. Et voici qu'à l'entrée du sanctuaire de Yahvé, entre le vestibule et l'autel, il y avait environ 25 hommes, tournant le dos au sanctuaire de Yahvé, regardant vers l'orient. Ils se prosternaient vers l'orient, devant le soleil.

Ezéchiel 8, 17 Et il me dit: "As-tu vu, fils d'homme? N'est-ce pas assez pour la maison de Juda de pratiquer les abominations auxquelles ils se livrent ici? Or ils emplissent le pays de violence, ils provoquent encore ma colère: les voici qui approchent le rameau de leur nez.

Ezéchiel 8, 18 Moi aussi, j'agirai avec fureur; je n'aurai pas un regard de pitié et je n'épargnerai pas. Ils auront beau crier d'une voix forte à mes oreilles, je ne les écouterai pas."

Ezéchiel 9, 1 C'est alors que d'une voix forte il cria à mes oreilles: "Ils approchent les fléaux de la ville, chacun son instrument de destruction à la main."

Ezéchiel 9, 2 Et voici que six hommes s'avancèrent, venant du porche supérieur qui regarde le nord, chacun son instrument pour frapper à la main. Au milieu d'eux, il y avait un homme vêtu de lin, qui portait à la ceinture une écritoire de scribe. Ils entrèrent et s'arrêtèrent devant l'autel de bronze.

Ezéchiel 9, 3 La gloire du Dieu d'Israël s'éleva de sur le chérubin sur lequel elle était, vers le seuil du Temple, et il appela l'homme vêtu de lin qui avait une écritoire de scribe à la ceinture;

Ezéchiel 9, 4 et Yahvé lui dit: "Parcours la ville, parcours Jérusalem et marque d'une croix au front les hommes qui gémissent et qui pleurent sur toutes les abominations qui se pratiquent au milieu d'elle."

Ezéchiel 9, 5 Je l'entendis dire aux autres: "Parcourez la ville à sa suite et frappez. N'ayez pas un regard de pitié, n'épargnez pas;

Ezéchiel 9, 6 vieillards, jeunes gens, vierges, enfants, femmes, tuez et exterminez tout le monde. Mais quiconque portera la croix au front, ne le touchez pas. Commencez à partir de mon sanctuaire." Ils commencèrent donc par les vieillards qui étaient dans le Temple.

Ezéchiel 9, 7 Et il leur dit: "Souillez le Temple, emplissez les parvis de victimes, sortez." Ils sortirent et frappèrent à travers la ville.

Ezéchiel 9, 8 Or pendant qu'ils frappaient, je fus laissé seul et je tombai face contre terre. Je criai: "Ah! Seigneur Yahvé, vas-tu exterminer tout ce qui reste d'Israël en déversant ta fureur contre Jérusalem?"

Ezéchiel 9, 9 Il me dit: "La faute de la maison d'Israël et de Juda est immense, le pays est plein de sang, la ville pleine de perversité. Car ils disent: Yahvé a quitté le pays, Yahvé ne voit pas.

Ezéchiel 9, 10 Eh bien! moi non plus je n'aurai pas un regard de pitié, je n'épargnerai pas. Je leur demande compte de leur conduite."

Ezéchiel 9, 11 C'est alors que l'homme vêtu de lin, portant une écritoire à la ceinture, vint rendre compte en ces termes: "J'ai exécuté ce que tu m'as ordonné."

Ezéchiel 10, 1 Je regardai: voici que sur la voûte qui était sur la tête des chérubins, au-dessus d'eux, apparut comme une pierre de saphir dont l'aspect était semblable à un trône.

Ezéchiel 10, 2 Et il dit à l'homme vêtu de lin: "Va au milieu du char, sous le chérubin, prends à pleines mains des charbons du milieu des chérubins et répands-les sur la ville. Et il y alla sous mes yeux.

Ezéchiel 10, 3 Les chérubins se tenaient à droite du Temple lorsque l'homme entra, et la nuée emplissait le parvis intérieur.

Ezéchiel 10, 4 La gloire de Yahvé s'éleva de dessus le chérubin vers le seuil du Temple, le Temple fut rempli de la nuée et le parvis fut rempli de la lueur de la gloire de Yahvé.

Ezéchiel 10, 5 Et le bruit des ailes des chérubins s'entendit jusqu'au parvis extérieur, comme la voix du Dieu tout-puissant lorsqu'il parle.

Ezéchiel 10, 6 Lorsqu'il donna cet ordre à l'homme vêtu de blanc: "Prends du feu au milieu du char, du milieu des chérubins", l'homme vint et se tint près de la roue.

Ezéchiel 10, 7 Le chérubin étendit la main d'entre les chérubins, vers le feu qui était au milieu des chérubins; il le prit et le mit dans la main de l'homme vêtu de lin. Celui-ci le saisit et sortit.

Ezéchiel 10, 8 Alors apparut une forme de main humaine sous les ailes des chérubins.

Ezéchiel 10, 9 Je regardai: il y avait quatre roues à côté des chérubins, chaque roue à côté de chaque chérubin, et l'aspect des roues était comme l'éclat de la chrysolithe.

Ezéchiel 10, 10 Elles semblaient avoir le même aspect toutes les quatre, comme si une roue était au milieu de l'autre.

Ezéchiel 10, 11 Elles avançaient vers les quatre directions et ne se tournaient pas en marchant, car elles avançaient du côté où était dirigée la tête et ne se tournaient pas en marchant.

Ezéchiel 10, 12 Et tout leur corps, leur dos, leurs mains et leurs ailes ainsi que les roues, étaient pleins de reflets tout autour (leurs roues à tous les quatre).

Ezéchiel 10, 13 A ces roues on donna - je l'entendis - le nom de "galgal."

Ezéchiel 10, 14 Chacun avait quatre faces: la première était la face du chérubin, la seconde une face humaine, la troisième une face de lion et la quatrième une face d'aigle.

Ezéchiel 10, 15 Les chérubins s'élevèrent: c'était l'animal que j'avais vu sur le fleuve Kebar.

Ezéchiel 10, 16 Lorsque les chérubins avançaient, les roues avançaient à côté d'eux; lorsque les chérubins levaient les ailes pour s'élever de terre, les roues ne se tournaient pas non plus à côté d'eux.

Ezéchiel 10, 17 Lorsqu'ils s'arrêtaient, elles s'arrêtaient, et lorsqu'ils s'élevaient, elles s'élevaient avec eux, car l'esprit de l'animal était en elles.

Ezéchiel 10, 18 La gloire de Yahvé sortit de sur le seuil du Temple et s'arrêta sur les chérubins.

Ezéchiel 10, 19 Les chérubins levèrent leurs ailes et s'élevèrent de terre à mes yeux, en sortant, les roues avec eux. Ils s'arrêtèrent à l'entrée du porche oriental du Temple de Yahvé, et la gloire du Dieu d'Israël était sur eux, au-dessus.

Ezéchiel 10, 20 C'était l'animal que j'avais vu sous le Dieu d'Israël au fleuve Kebar, et je sus que c'étaient des chérubins.

Ezéchiel 10, 21 Chacun avait quatre faces et chacun quatre ailes, avec des formes de mains humaines sous leurs ailes.

Ezéchiel 10, 22 Leurs faces étaient semblables aux faces que j'avais vues près du fleuve Kebar. Chacun allait droit devant soi.

Ezéchiel 11, 1 L'esprit m'enleva et m'emmena au porche oriental du Temple de Yahvé, celui qui regarde l'orient. Et voici qu'à l'entrée du porche, il y avait 25 hommes, parmi lesquels je vis Yaazanya fils de Azzur et Pelatyahu fils de Benayahu, chefs du peuple.

Ezéchiel 11, 2 Il me dit: Fils d'homme, ce sont les hommes qui méditent le mal, qui répandent de mauvais conseils dans cette ville.

Ezéchiel 11, 3 Ils disent: "On n'est pas près de bâtir des maisons! Voici la marmite et nous sommes la viande."

Ezéchiel 11, 4 C'est pourquoi, prophétise contre eux, prophétise, fils d'homme!

Ezéchiel 11, 5 L'esprit de Yahvé fondit sur moi et il me dit: Parle! Ainsi parle Yahvé: C'est ainsi que vous avez parlé, maison d'Israël et je connais votre insolence.

Ezéchiel 11, 6 Vous avez multiplié vos victimes dans cette ville; vous avez jonché ses rues de victimes.

Ezéchiel 11, 7 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Vos victimes, que vous avez mises au milieu d'elle, c'est la viande, et elle, c'est la marmite, mais je vous en ferai sortir.

Ezéchiel 11, 8 Vous craignez l'épée, j'amènerai l'épée contre vous, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 11, 9 Je vous en ferai sortir, je vous livrerai aux mains des étrangers, et de vous, je ferai justice.

Ezéchiel 11, 10 Vous tomberez par l'épée sur le territoire d'Israël, je vous jugerai et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 11, 11 Cette ville ne sera pas pour vous une marmite, vous ne serez pas la viande au milieu d'elle: c'est sur le territoire d'Israël que je vous jugerai,

Ezéchiel 11, 12 et vous saurez que je suis Yahvé dont vous n'avez pas suivi les lois ni observé les coutumes - mais vous avez agi selon la coutume des peuples qui vous entourent.

Ezéchiel 11, 13 Or, comme je prophétisais, Pelatyahu fils de Benayahu mourut. Je tombai la face contre terre et m'écriai d'une voix forte: "Ah! Seigneur Yahvé, vas-tu anéantir ce qui reste d'Israël?"

Ezéchiel 11, 14 Alors la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 11, 15 Fils d'homme, c'est à chacun de tes frères, à tes parents et à la maison d'Israël tout entière que les habitants de Jérusalem disent: "Restez loin de Yahvé, c'est à nous que le pays fut donné en patrimoine."

Ezéchiel 11, 16 C'est pourquoi, dis: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Oui, je les ai éloignés parmi les nations, je les ai dispersés dans les pays étrangers et j'ai été pour eux un sanctuaire, quelque temps, dans le pays où ils sont venus.

Ezéchiel 11, 17 C'est pourquoi, dis: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Je vous rassemblerai du milieu des peuples, je vous réunirai de tous les pays où vous avez été dispersés et je vous donnerai la terre d'Israël.

Ezéchiel 11, 18 Ils y viendront et en extirperont toutes les horreurs et les abominations.

Ezéchiel 11, 19 Je leur donnerai un seul coeur et je mettrai en eux un esprit nouveau: j'extirperai de leur chair le coeur de pierre et je leur donnerai un coeur de chair,

Ezéchiel 11, 20 afin qu'ils marchent selon mes lois, qu'ils observent mes coutumes et qu'ils les mettent en pratique. Alors ils seront mon peuple et moi je serai leur Dieu.

Ezéchiel 11, 21 Quant à ceux dont le coeur est attaché à leurs horreurs et à leurs abominations, je leur demanderai compte de leur conduite, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 11, 22 Alors les chérubins levèrent leurs ailes, et les roues allaient avec eux, tandis que la gloire du Dieu d'Israël était sur eux, au-dessus.

Ezéchiel 11, 23 La gloire de Yahvé s'éleva du milieu de la ville et s'arrêta sur la montagne qui se trouve à l'orient de la ville.

Ezéchiel 11, 24 L'esprit m'enleva et m'emmena chez les Chaldéens, vers les exilés, en vision, dans l'esprit de Dieu, et la vision dont j'avais été le témoin s'éloigna de moi.

Ezéchiel 11, 25 Je racontai aux exilés tout ce que Yahvé m'avait fait voir.

Ezéchiel 12, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 12, 2 Fils d'homme, tu habites au milieu d'une engeance de rebelles qui ont des yeux pour voir et ne voient point, des oreilles pour entendre et n'entendent point, car c'est une engeance de rebelles.

Ezéchiel 12, 3 Et toi, fils d'homme, fais-toi un bagage d'exilé et pars en exil sous leurs yeux. Tu partiras du lieu où tu te trouves vers un autre lieu, à leurs yeux. Peut-être reconnaîtront-ils qu'ils sont une engeance de rebelles.

Ezéchiel 12, 4 Tu arrangeras tes affaires comme un bagage d'exilé, de jour, à leurs yeux. Et toi, tu sortiras le soir, à leurs yeux, comme sortent les exilés.

Ezéchiel 12, 5 A leurs yeux, fais un trou dans le mur, par où tu sortiras.

Ezéchiel 12, 6 A leurs yeux, tu chargeras ton ballot sur l'épaule et tu sortiras dans l'obscurité; tu te couvriras le visage pour ne pas voir le pays, car j'ai fait de toi un présage pour la maison d'Israël.

Ezéchiel 12, 7 J'agis donc selon l'ordre que j'avais reçu: j'arrangeai mes affaires comme un bagage d'exilé, de jour, et le soir je fis un trou dans le mur avec la main; puis je sortis dans l'obscurité et je chargeai mon ballot sur l'épaule, à leurs yeux.

Ezéchiel 12, 8 Alors la parole de Yahvé me fut adressée, le matin, en ces termes:

Ezéchiel 12, 9 Fils d'homme, la maison d'Israël, cette engeance de rebelles, ne t'a-t-elle pas dit: "Que fais-tu là?"

Ezéchiel 12, 10 Dis-leur: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Cet oracle est prononcé à Jérusalem et dans toute la maison d'Israël où ils résident.

Ezéchiel 12, 11 Dis: Je suis votre présage; comme j'ai fait, il leur sera fait; ils iront en déportation, en exil.

Ezéchiel 12, 12 Le prince qui est parmi eux chargera son bagage sur ses épaules, dans l'obscurité, et sortira par le mur qu'on percera pour faire une sortie; il se couvrira le visage pour ne pas voir de ses yeux le pays.

Ezéchiel 12, 13 J'étendrai mon filet sur lui et il sera pris dans mon rets; je le mènerai à Babylone, au pays des Chaldéens, mais il ne le verra pas et il y mourra.

Ezéchiel 12, 14 Tout ce qui forme son entourage, sa garde et toutes ses troupes, je les disperserai à tous les vents et je tirerai l'épée derrière eux.

Ezéchiel 12, 15 Et ils sauront que je suis Yahvé lorsque je les disséminerai parmi les nations et que je les disperserai dans les pays étrangers.

Ezéchiel 12, 16 Mais je laisserai quelques-uns d'entre eux qui échapperont à l'épée, à la famine et à la peste pour raconter toutes leurs abominations parmi les nations où ils se rendront, afin qu'elles sachent que je suis Yahvé.

Ezéchiel 12, 17 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 12, 18 Fils d'homme, tu mangeras ton pain en tremblant et tu boiras ton eau dans l'inquiétude et l'angoisse:

Ezéchiel 12, 19 et tu diras au peuple du pays: Ainsi parle le Seigneur Yahvé aux habitants de Jérusalem dispersés sur le sol d'Israël: ils mangeront leur pain dans l'angoisse, ils boiront leur eau avec effroi, afin que le pays et ceux qui s'y trouvent soient débarrassés de la violence de tous ses habitants.

Ezéchiel 12, 20 Les villes peuplées seront détruites, le pays deviendra une désolation et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 12, 21 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 12, 22 Fils d'homme, que voulez-vous dire par ce proverbe prononcé sur la terre d'Israël: Les jours s'ajoutent aux jours et toute vision s'évanouit?

Ezéchiel 12, 23 Eh bien! dis-leur: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Je ferai taire ce proverbe, on ne le répétera plus en Israël. Mais dis-leur: Les jours approchent où toute vision s'accomplit,

Ezéchiel 12, 24 car il n'y aura plus ni vision vaine ni présage trompeur au milieu de la maison d'Israël,

Ezéchiel 12, 25 car c'est moi, Yahvé, qui parlerai. Ce que je dis est dit et s'accomplira sans délai; car c'est de votre temps, engeance de rebelles, que je prononcerai une parole et que je la réaliserai, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 12, 26 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 12, 27 Fils d'homme, voici que la maison d'Israël dit: "La vision que celui-là voit est pour une époque lointaine; il prophétise pour un avenir éloigné."

Ezéchiel 12, 28 Eh bien! Dis-leur: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Il n'y a plus de délai pour toutes mes paroles. Ce que je dis est dit et se réalisera, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 13, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 13, 2 Fils d'homme, prophétise contre les prophètes d'Israël; prophétise et dis à ceux qui prophétisent de leur propre chef: Ecoutez la parole de Yahvé.

Ezéchiel 13, 3 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Malheur aux prophètes insensés qui suivent leur propre esprit sans rien voir!

Ezéchiel 13, 4 Comme des chacals dans les ruines, tels furent tes prophètes, Israël.

Ezéchiel 13, 5 Vous n'êtes pas montés aux brèches, vous n'avez pas construit une enceinte pour la maison d'Israël, pour tenir ferme dans le combat, au jour de Yahvé.

Ezéchiel 13, 6 Ils ont des visions vaines, un présage mensonger, ceux qui disent: "Oracle de Yahvé" sans que Yahvé les ait envoyés; et ils attendent la confirmation de leur parole.

Ezéchiel 13, 7 N'est-il pas vrai que vous n'avez que visions vaines et n'annoncez que présages mensongers quand vous dites: "Oracle de Yahvé", alors que moi, je n'ai pas parlé?

Ezéchiel 13, 8 Eh bien! ainsi parle le Seigneur Yahvé: A cause de vos paroles vaines et de vos visions mensongères, oui, je me déclare contre vous, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 13, 9 J'étendrai la main sur les prophètes aux visions vaines et à la prédiction mensongère: ils ne seront pas admis au conseil de mon peuple, ils ne seront pas inscrits au livre de la maison d'Israël, ils ne pénétreront pas sur le sol d'Israël, et vous saurez que je suis le Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 13, 10 C'est qu'en effet, ils égarent mon peuple en disant: "Paix!" alors qu'il n'y a pas de paix. Tandis qu'il bâtit une muraille, les voici qui la couvrent de crépi.

Ezéchiel 13, 11 Dis à ceux qui la couvrent de crépi: Qu'il y ait une pluie torrentielle, qu'il tombe des grêlons, qu'un vent de tempête soit déchaîné,

Ezéchiel 13, 12 et voilà le mur abattu! Ne vous dira-t-on pas: "Où est le crépi dont vous l'avez recouvert?"

Ezéchiel 13, 13 Eh bien! ainsi parle le Seigneur Yahvé: Je vais déchaîner un vent de tempête dans ma fureur, il y aura une pluie torrentielle dans ma colère, des grêlons dans ma rage de destruction.

Ezéchiel 13, 14 J'abattrai le mur que vous aurez couvert de crépi, je le jetterai à terre et ses fondations seront mises à nu. Il tombera et vous périrez sous lui, et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 13, 15 Quand j'aurai assouvi ma fureur contre le mur et contre ceux qui le couvrent de crépi, je vous dirai: Le mur n'est plus, ni ceux qui le crépissaient,

Ezéchiel 13, 16 les prophètes d'Israël qui prophétisent sur Jérusalem et qui ont pour elle une vision de paix alors qu'il n'y a pas de paix, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 13, 17 Et toi, fils d'homme, tourne-toi vers les filles de ton peuple qui prophétisent de leur propre chef, et prophétise contre elles.

Ezéchiel 13, 18 Tu diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Malheur à celles qui cousent des rubans sur tous les poignets, qui fabriquent des voiles pour la tête de gens de toutes tailles, afin de prendre au piège les âmes! Vous prenez au piège les âmes des gens de mon peuple et vous épargneriez vos propres âmes?

Ezéchiel 13, 19 Vous me déshonorez devant mon peuple pour quelques poignées d'orge et quelques morceaux de pain, en faisant mourir des gens qui ne doivent pas mourir, en épargnant ceux qui ne doivent pas vivre, et en mentant à mon peuple qui écoute le mensonge.

Ezéchiel 13, 20 Eh bien! ainsi parle le Seigneur Yahvé: Voici que je vais m'en prendre à vos rubans, avec lesquels vous prenez au piège les âmes comme des oiseaux. Je les déchirerai sur vos bras et je libérerai les âmes que vous essayez de prendre au piège comme des oiseaux.

Ezéchiel 13, 21 Je déchirerai vos voiles et je délivrerai mon peuple de votre main, pour qu'il ne soit plus un gibier dans votre main. Et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 13, 22 Pour avoir intimidé le coeur du juste par des mensonges, alors que je ne l'avais pas affligé, et avoir fortifié les mains du méchant pour qu'il ne renonce pas à sa mauvaise conduite afin de retrouver la vie,

Ezéchiel 13, 23 eh bien! vous n'aurez plus de vaines visions et ne prononcerez plus de prédictions. Je délivrerai mon peuple de votre main, et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 14, 1 Quelques anciens d'Israël vinrent chez moi et s'assirent devant moi.

Ezéchiel 14, 2 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 14, 3 Fils d'homme, ces gens-là ont mis leurs ordures dans leur coeur, ils ont placé devant eux l'occasion de leur crimes, faut-il me laisser consulter par eux?

Ezéchiel 14, 4 Eh bien! parle-leur et dis-leur: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Tout homme de la maison d'Israël qui met ses ordures dans son coeur, ou qui place devant lui l'occasion de ses crimes, et qui vient trouver le prophète, c'est moi, Yahvé, qui lui répondrai moi-même à cause de la multitude de ses ordures,

Ezéchiel 14, 5 afin de ressaisir le coeur de la maison d'Israël, eux qui se sont éloignés de moi à cause de toutes leurs ordures.

Ezéchiel 14, 6 Eh bien! dis à la maison d'Israël: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Revenez, détournez-vous de vos ordures, détournez votre face de toutes vos abominations,

Ezéchiel 14, 7 car à tout homme de la maison d'Israël, à tout étranger établi en Israël, s'il s'éloigne de moi pour mettre ses ordures dans son coeur, s'il place devant lui l'occasion de ses crimes et s'il vient trouver le prophète pour me consulter par lui, c'est moi, Yahvé, qui répondrai moi-même.

Ezéchiel 14, 8 Je tournerai ma face contre cet homme, j'en ferai un exemple et une fable, je le retrancherai de mon peuple et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 14, 9 Et si le prophète se laisse séduire et prononce une parole, c'est que moi, Yahvé, j'aurai séduit ce prophète; j'étendrai la main contre lui et je le supprimerai du milieu de mon peuple Israël.

Ezéchiel 14, 10 Ils porteront le poids de leur faute. Telle la faute de celui qui consulte, telle sera la faute du prophète.

Ezéchiel 14, 11 Ainsi la maison d'Israël ne s'égarera plus loin de moi et ne se souillera plus de tous ses crimes. Ils seront mon peuple et je serai leur Dieu, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 14, 12 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 14, 13 Fils d'homme, si un pays péchait contre moi en m'étant infidèle et que j'étende la main contre lui, détruisant sa réserve de pain et lui envoyant la famine pour en retrancher bêtes et gens,

Ezéchiel 14, 14 et qu'il y ait dans ce pays ces trois hommes, Noé, Danel et Job, ces hommes sauveraient leur vie grâce à leur justice, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 14, 15 Si je lâchais les bêtes féroces dans ce pays pour le priver de ses enfants et en faire une solitude que nul ne peut franchir à cause des bêtes,

Ezéchiel 14, 16 et qu'il y ait ces trois hommes dans ce pays: par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, ils ne pourraient sauver ni fils ni filles, eux seuls seraient sauvés et le pays deviendrait une solitude.

Ezéchiel 14, 17 Si je faisais venir l'épée contre ce pays, si je disais: "Que l'épée passe dans ce pays et j'en frapperai bêtes et gens",

Ezéchiel 14, 18 et que ces trois hommes soient dans ce pays: par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, ils ne pourraient sauver ni fils ni filles, eux seuls seraient sauvés.

Ezéchiel 14, 19 Si j'envoyais la peste dans ce pays et que je déverse dans le sang ma colère contre eux, en retranchant bêtes et gens,

Ezéchiel 14, 20 et que Noé, Danel et Job soient dans ce pays: par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, ils ne sauveraient ni fils ni fille, mais ils sauveraient leur vie grâce à leur justice.

Ezéchiel 14, 21 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Bien que j'envoie mes quatre fléaux terribles, épée, famine, bêtes féroces et peste, vers Jérusalem pour en retrancher bêtes et gens,

Ezéchiel 14, 22 voici qu'il s'y trouve un reste de survivants que l'on a fait sortir, fils et filles; les voici qui sortent vers vous pour que vous voyiez leur conduite et leurs oeuvres, et que vous vous consoliez du mal que j'aurai fait venir contre Jérusalem, de tout ce que j'aurai fait venir contre elle.

Ezéchiel 14, 23 Ils vous consoleront quand vous verrez leur conduite et leurs oeuvres, et vous saurez que ce n'est pas en vain que j'ai fait tout ce que j'ai fait en elle, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 15, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 15, 2 Fils d'homme, pourquoi le bois de la vigne vaudrait-il mieux que le bois de toute branche sur les arbres de la forêt?

Ezéchiel 15, 3 En tire-t-on du bois pour en faire quelque chose? En tire-t-on une cheville pour y pendre un objet?

Ezéchiel 15, 4 Voilà qu'on le jette au feu pour le consumer. Le feu consume les deux bouts; le milieu est brûlé, est-il bon à quelque chose?

Ezéchiel 15, 5 Déjà, lorsqu'il était intact, on ne pouvait rien en faire; alors, quand le feu l'a consumé et brûlé, peut-on encore en faire quelque chose?

Ezéchiel 15, 6 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Tout comme le bois de la vigne parmi les arbres de la forêt, que j'ai jeté au feu pour le consumer, ainsi ai-je traité les habitants de Jérusalem.

Ezéchiel 15, 7 J'ai tourné ma face contre eux. Ils ont échappé au feu, mais le feu les dévorera, et vous saurez que je suis Yahvé, lorsque je me tournerai contre eux.

Ezéchiel 15, 8 Je ferai du pays une solitude, parce qu'ils ont été infidèles. Oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 16, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 16, 2 Fils d'homme, fais connaître à Jérusalem ses abominations.

Ezéchiel 16, 3 Tu diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé à Jérusalem. Par ton origine et par ta naissance, tu es du pays du Canaan. Ton père était amorite et ta mère hittite.

Ezéchiel 16, 4 A ta naissance, au jour où tu vins au monde, on ne te coupa pas le cordon, on ne te lava pas dans l'eau pour te nettoyer, on ne te frotta pas de sel, on ne t'enveloppa pas de langes.

Ezéchiel 16, 5 Nul n'a tourné vers toi un regard de pitié, pour te rendre un de ces devoirs par compassion pour toi. Tu fus jetée en pleine campagne, par dégoût de toi, au jour de ta naissance.

Ezéchiel 16, 6 Je passai près de toi et je te vis, te débattant dans ton sang. Je te dis, quand tu étais dans ton sang: "Vis!"

Ezéchiel 16, 7 et je te fis croître comme l'herbe des champs. Tu te développas, tu grandis et tu parvins à l'âge nubile. Tes seins s'affermirent, ta chevelure devint abondante; mais tu étais toute nue.

Ezéchiel 16, 8 Alors je passai près de toi et je te vis. C'était ton temps, le temps des amours. J'étendis sur toi le pan de mon manteau et je couvris ta nudité; je m'engageai par serment, je fis un pacte avec toi - oracle du Seigneur Yahvé - et tu fus à moi.

Ezéchiel 16, 9 Je te baignai dans l'eau, je lavai le sang qui te couvrait, je t'oignis d'huile;

Ezéchiel 16, 10 je te donnai des vêtements brodés, des chaussures de cuir fin, un bandeau de lin et un manteau de soie.

Ezéchiel 16, 11 Je te parai de bijoux, je mis des bracelets à tes poignets et un collier à ton cou.

Ezéchiel 16, 12 Je mis un anneau à ton nez, des boucles à tes oreilles, et sur ta tête un splendide diadème.

Ezéchiel 16, 13 Tu étais parée d'or et d'argent, vêtue de lin, de soie et de broderies. La fleur de farine, le miel et l'huile étaient ta nourriture. Tu devins de plus en plus belle et tu parvins à la royauté.

Ezéchiel 16, 14 Tu fus renommée parmi les nations pour ta beauté, car elle était parfaite grâce à la splendeur dont je t'avais revêtue, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 16, 15 Mais tu t'es infatuée de ta beauté, tu as profité de ta renommée pour te prostituer, tu as prodigué tes débauches à tout venant.

Ezéchiel 16, 16 Tu as pris de tes vêtements pour t'en faire des hauts lieux aux riches couleurs, et tu t'y es prostituée.

Ezéchiel 16, 17 Tu as pris tes parures d'or et d'argent que je t'avais données et tu t'es fait des images d'hommes pour servir à tes prostitutions.

Ezéchiel 16, 18 Tu as pris tes vêtements brodés et tu les en as couvertes, et c'est mon huile et mon encens que tu as offerts devant elles.

Ezéchiel 16, 19 C'est le pain que je t'avais donné, la fleur de farine, l'huile et le miel dont je te nourrissais que tu as offerts devant elles en parfum d'apaisement. Et il est arrivé - oracle du Seigneur Yahvé -

Ezéchiel 16, 20 que tu as pris tes fils et tes filles que tu m'avais enfantés, et que tu les leur as sacrifiés pour qu'elles s'en nourrissent. Etait-ce donc trop peu que ta prostitution?

Ezéchiel 16, 21 Tu as égorgé mes fils et tu les as livrés pour les faire passer par le feu en leur honneur.

Ezéchiel 16, 22 Et dans toutes tes abominations et tes prostitutions, tu ne t'es pas souvenue des jours de ta jeunesse, quand tu étais toute nue, te débattant dans ton sang.

Ezéchiel 16, 23 Et pour comble de méchanceté, - malheur, malheur à toi! oracle du Seigneur Yahvé -

Ezéchiel 16, 24 tu t'es bâti un tertre, tu t'es fait une hauteur sur toutes les places.

Ezéchiel 16, 25 A l'entrée de chaque chemin, tu t'es bâti une hauteur pour y souiller ta beauté et livrer ton corps à tout venant; tu as multiplié tes prostitutions.

Ezéchiel 16, 26 Tu t'es prostituée chez les Egyptiens, tes voisins au corps puissant, tu as multiplié tes prostitutions pour m'irriter.

Ezéchiel 16, 27 Et voici que j'ai levé la main contre toi; j'ai rationné ta nourriture, je t'ai livrée à la merci de tes ennemies, les filles des Philistins, rougissant de l'infamie de ta conduite.

Ezéchiel 16, 28 Faute d'être rassasiée, tu t'es prostituée chez les Assyriens. Tu t'es prostituée sans pourtant te rassasier.

Ezéchiel 16, 29 Tu as multiplié tes prostitutions au pays des marchands, chez les Chaldéens, et cette fois non plus, tu ne t'es pas rassasiée.

Ezéchiel 16, 30 Comme ton coeur était faible - oracle du Seigneur Yahvé - en commettant toutes ces actions dignes d'une véritable prostituée!

Ezéchiel 16, 31 Lorsque tu te bâtissais un tertre à l'entrée de chaque chemin, que tu te faisais une hauteur sur toutes les places, en méprisant le salaire, tu n'étais pas comme la prostituée.

Ezéchiel 16, 32 La femme adultère, au lieu de son mari, accueille les étrangers.

Ezéchiel 16, 33 A toutes les prostituées, on donne un cadeau. Mais c'est toi qui donnais des cadeaux à tous tes amants et qui leur as offert des présents, pour que, de tous côtés, ils viennent à toi dans tes prostitutions.

Ezéchiel 16, 34 Pour toi, ce fut le contraire des autres femmes dans tes prostitutions: nul ne courait après toi, c'est toi qui payais et l'on ne te payait pas; tu faisais le contraire.

Ezéchiel 16, 35 Eh bien, prostituée, écoute la parole de Yahvé!

Ezéchiel 16, 36 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Pour avoir dilapidé ton argent, découvert ta nudité au cours de tes prostitutions avec tes amants et avec tes ordures abominables, pour le sang de tes fils que tu leur a donnés,

Ezéchiel 16, 37 pour cela, je vais rassembler tous les amants à qui tu as plu, tous ceux que tu as aimés et tous ceux que tu as haïs, je vais les rassembler d'alentour contre toi, et je vais découvrir ta nudité devant eux, pour qu'ils voient toute ta nudité.

Ezéchiel 16, 38 Je vais t'infliger le châtiment des femmes adultères et sanguinaires: je te livrerai à la fureur et à la jalousie,

Ezéchiel 16, 39 je te livrerai entre leurs mains; ils nivelleront ton tertre et démoliront tes hauteurs, ils t'arracheront tes vêtements et te prendront tes parures, ils te laisseront toute nue.

Ezéchiel 16, 40 Puis ils exciteront la foule contre toi, ils te lapideront et te perceront à coup d'épée,

Ezéchiel 16, 41 ils mettront le feu à tes maisons et feront justice de toi, sous les yeux d'une multitude de femmes; je mettrai fin à tes prostitutions et tu ne donneras plus de salaire.

Ezéchiel 16, 42 J'assouvirai ma fureur contre toi, puis ma jalousie se retirera de toi, je m'apaiserai et ne me mettrai plus en colère.

Ezéchiel 16, 43 Puisque tu ne t'es pas souvenue des jours de ta jeunesse et qu'en tout cela tu m'as provoqué, voici qu'à mon tour je vais faire retomber ta conduite sur ta tête, oracle du Seigneur Yahvé. N'as-tu pas commis l'infamie avec toutes tes pratiques abominables?

Ezéchiel 16, 44 Voici que tous les faiseurs de proverbes en diront un à ton sujet: "Telle mère, telle fille."

Ezéchiel 16, 45 Tu es bien la fille de ta mère qui détestait son mari et ses enfants; tu es bien la soeur de tes soeurs qui ont détesté leur mari et leurs enfants. Votre mère était hittite et votre père amorite.

Ezéchiel 16, 46 Ta soeur aînée, c'est Samarie, qui habite à ta gauche avec ses filles. Ta soeur cadette, qui habite à ta droite, c'est Sodome, avec ses filles.

Ezéchiel 16, 47 Tu n'as pas manqué d'imiter leur conduite ni de commettre leurs abominations. Tu t'es montrée plus corrompue qu'elles dans toute ta conduite.

Ezéchiel 16, 48 Par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, Sodome, ta soeur, et ses filles n'ont pas agi comme vous avez agi, toi et tes filles.

Ezéchiel 16, 49 Voici quelle fut la faute de Sodome ta soeur: orgueil, voracité, insouciance tranquille, telles furent ses fautes et celles de ses filles; elles n'ont pas secouru le pauvre et le malheureux,

Ezéchiel 16, 50 elles se sont enorgueillies et ont commis l'abomination devant moi, aussi les ai-je fait disparaître, comme tu l'as vu.

Ezéchiel 16, 51 Quant à Samarie, elle n'a pas commis la moitié de tes péchés. Tu as multiplié bien plus qu'elle tes abominations. En commettant autant d'abominations, tu as justifié tes soeurs.

Ezéchiel 16, 52 Mais toi, porte le déshonneur dont tu as innocenté tes soeurs: à cause des péchés par lesquels tu t'es rendue bien plus odieuse qu'elles, elles sont plus justes que toi. Toi donc, sois dans la honte et porte ton déshonneur, tout en justifiant tes soeurs.

Ezéchiel 16, 53 Je les rétablirai. Je rétablirai Sodome et ses filles, je rétablirai Samarie et ses filles, puis je te rétablirai au milieu d'elles,

Ezéchiel 16, 54 afin que tu portes ton déshonneur et que tu rougisses de tout ce que tu as fait, pour leur consolation.

Ezéchiel 16, 55 Tes soeurs, Sodome et ses filles, seront rétablies en leur état ancien; Samarie et ses filles seront rétablies en leur état ancien. Toi et tes filles, vous serez rétablies en votre état ancien.

Ezéchiel 16, 56 De Sodome, ta soeur, n'as-tu pas fait des gorges chaudes, au jour de ton orgueil,

Ezéchiel 16, 57 avant que ne fût découverte ta nudité? Comme elle, tu es maintenant l'objet de la raillerie des filles d'Edom et de toutes celles d'alentour, des filles des Philistins, qui t'accablent de leur mépris, tout autour de toi.

Ezéchiel 16, 58 Ton infamie et tes abominations, c'est toi qui t'en es chargée, oracle de Yahvé.

Ezéchiel 16, 59 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé. J'agirai envers toi comme tu as agi, toi qui as méprisé le serment jusqu'à violer une alliance.

Ezéchiel 16, 60 Mais moi, je me souviendrai de mon alliance avec toi au temps de ta jeunesse et j'établirai en ta faveur une alliance éternelle.

Ezéchiel 16, 61 Et toi, tu te souviendras de ta conduite et tu en rougiras, quand tu accueilleras tes soeurs, les aînées avec les cadettes, et que je te les donnerai pour filles, sans que j'y sois tenu par mon alliance avec toi.

Ezéchiel 16, 62 Car c'est moi qui rétablirai mon alliance avec toi, et tu sauras que je suis Yahvé,

Ezéchiel 16, 63 afin que tu te souviennes et que tu sois saisie de honte et que, dans ta confusion, tu sois réduite au silence, quand je te pardonnerai tout ce que tu as fait, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 17, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 17, 2 Fils d'homme, propose une énigme et présente une parabole à la maison d'Israël.

Ezéchiel 17, 3 Tu diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Le grand aigle, aux grandes ailes, à l'envergure immense, couvert de plumes multicolores, vint au Liban et prit la cime du cèdre;

Ezéchiel 17, 4 il cueillit le plus haut de ses rameaux, l'emporta au pays des marchands et le déposa dans une ville de trafiquants.

Ezéchiel 17, 5 Puis il prit une des semences du pays et la mit dans un champ préparé; au bord d'un cours d'eau abondant, il la mit comme un saule.

Ezéchiel 17, 6 Elle poussa et devint une vigne féconde, de taille modeste, qui tourna ses branches vers l'aigle, alors que ses racines étaient sous elle. Elle devint une vigne, donna des tiges et poussa des sarments.

Ezéchiel 17, 7 Il y eut un autre grand aigle, aux grandes ailes, aux plumes abondantes. Et voici que cette vigne tendit ses racines vers lui et dirigea vers lui ses branches, pour qu'il l'arrosât, depuis le parterre où elle était plantée.

Ezéchiel 17, 8 Dans un champ fertile, au bord d'un cours d'eau abondant, elle était plantée, pour pousser des branchages et porter du fruit, pour devenir une vigne magnifique.

Ezéchiel 17, 9 Dis: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Réussira-t-elle? L'aigle ne va-t-il pas arracher ses racines, ôter ses fruits, en sorte que sèchent toutes les feuilles nouvelles qu'elle poussera sans qu'il soit besoin d'un bras puissant et d'un peuple nombreux pour l'enlever de ses racines?

Ezéchiel 17, 10 La voici plantée, réussira-t-elle? Au souffle du vent d'est, ne va-t-elle pas sécher? Sur les parterres où elle a poussé, elle séchera!

Ezéchiel 17, 11 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 17, 12 Parle à l'engeance de rebelles. Ne savez-vous pas ce que cela signifie? Dis: Voici que le roi de Babylone est venu à Jérusalem; il en a enlevé le roi et les princes et les a emmenés chez lui, à Babylone.

Ezéchiel 17, 13 Il a pris un rejeton royal et a conclu alliance avec lui, il lui a fait prêter serment, après avoir enlevé les grands du pays,

Ezéchiel 17, 14 pour que le royaume demeure modeste et sans ambition, et pour qu'il garde son alliance et la maintienne.

Ezéchiel 17, 15 Mais ce prince s'est révolté contre lui, en envoyant des messagers en Egypte pour se faire donner des chevaux et des gens en grand nombre. Réussira-t-il? S'en tirera-t-il, celui qui a fait cela? Il a rompu l'alliance et il s'en tirerait?

Ezéchiel 17, 16 Par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, je le jure: c'est dans le pays du roi qui l'a fait régner, lui dont il a méprisé le serment et rompu l'alliance, c'est en plein milieu de Babylone qu'il mourra.

Ezéchiel 17, 17 Avec sa grande armée et ses troupes nombreuses, le Pharaon ne le sauvera pas par la guerre, lorsqu'on élèvera un remblai et qu'on construira des retranchements, pour détruire tant de vies humaines.

Ezéchiel 17, 18 Il a méprisé le serment en rompant l'alliance, alors qu'il s'était engagé et avait fait tout cela: il ne s'en tirera pas.

Ezéchiel 17, 19 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Par ma vie, je le jure: mon serment qu'il a méprisé, mon alliance qu'il a rompue, je les ferai retomber sur sa tête.

Ezéchiel 17, 20 J'étendrai mon filet sur lui, il sera pris dans mon rets, je le mènerai à Babylone et je l'y punirai de l'infidélité qu'il a commise envers moi.

Ezéchiel 17, 21 Quant à toute son élite, parmi toutes ses troupes, elle tombera par l'épée, et les survivants seront éparpillés à tous les vents. Et vous saurez que moi, Yahvé, j'ai parlé.

Ezéchiel 17, 22 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Moi, je prendrai à la cime du grand cèdre, au plus haut de ses rameaux je cueillerai une jeune pousse et je la planterai moi-même sur une montagne élevée et altière.

Ezéchiel 17, 23 Sur la haute montagne d'Israël je le planterai. Il poussera des branchages, il produira du fruit et deviendra un cèdre magnifique. Toutes sortes d'oiseaux habiteront sous lui, toutes sortes de volatiles reposeront à l'ombre de ses branches.

Ezéchiel 17, 24 Et tous les arbres de la campagne sauront que c'est moi, Yahvé, qui abaisse l'arbre élevé et qui élève l'arbre abaissé, qui fait sécher l'arbre vert et fleurir l'arbre sec. Moi, Yahvé, j'ai dit et je fais.

Ezéchiel 18, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 18, 2 Qu'avez-vous à répéter ce proverbe au pays d'Israël: Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des fils ont été agacées?

Ezéchiel 18, 3 Par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, vous n'aurez plus à répéter ce proverbe en Israël.

Ezéchiel 18, 4 Voici: toutes les vies sont à moi, aussi bien la vie du père que celle du fils, elles sont à moi. Celui qui a péché, c'est lui qui mourra.

Ezéchiel 18, 5 Quiconque est juste, pratique le droit et la justice,

Ezéchiel 18, 6 ne mange pas sur les montagnes et ne lève pas les yeux vers les ordures de la maison d'Israël, ne souille pas la femme de son prochain, ne s'approche pas d'une femme en son impureté,

Ezéchiel 18, 7 n'opprime personne, rend le gage d'une dette, ne commet pas de rapines, donne son pain à qui a faim et couvre d'un vêtement celui qui est nu,

Ezéchiel 18, 8 ne prête pas avec usure, ne prend pas d'intérêts, détourne sa main du mal, rend un jugement véridique entre les hommes,

Ezéchiel 18, 9 se conduit selon mes lois et observe mes coutumes en agissant selon la vérité, un tel homme est juste, il vivra, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 18, 10 Mais s'il engendre un fils violent et sanguinaire qui commet une de ces fautes,

Ezéchiel 18, 11 alors que lui n'en a commis aucune, un fils qui va jusqu'à manger sur les montagnes et souiller la femme de son prochain,

Ezéchiel 18, 12 qui opprime le pauvre et le malheureux, commet des rapines, ne rend pas le gage, lève les yeux vers les ordures, commet l'abomination,

Ezéchiel 18, 13 prête avec usure et prend des intérêts, celui-ci ne vivra pas après avoir commis tous ces crimes abominables, il mourra et son sang sera sur lui.

Ezéchiel 18, 14 Mais si celui-ci engendre un fils qui voit tous les péchés qu'a commis son père, qui les voit sans les imiter,

Ezéchiel 18, 15 qui ne mange pas sur les montagnes, ne lève pas les yeux vers les ordures de la maison d'Israël, ne souille pas la femme de son prochain,

Ezéchiel 18, 16 n'opprime personne, ne prend pas de gages, ne commet pas de rapines, donne son pain à qui a faim, couvre d'un vêtement celui qui est nu,

Ezéchiel 18, 17 détourne sa main de l'injustice, ne pratique pas l'usure et ne prend pas d'intérêts, pratique mes coutumes et se conduit selon mes lois, celui-ci ne mourra pas à cause des fautes de son père, il vivra.

Ezéchiel 18, 18 Mais son père, puisqu'il a été violent, a commis des rapines et n'a pas bien agi au milieu de son peuple, voici qu'il mourra à cause de sa faute.

Ezéchiel 18, 19 Et vous dites: "Pourquoi le fils ne porte-t-il pas la faute de son père?" Mais le fils a pratiqué le droit et la justice, a observé mes lois et les a pratiquées, il doit vivre.

Ezéchiel 18, 20 Celui qui a péché, c'est lui qui mourra! Un fils ne portera pas la faute de son père ni un père la faute de son fils: au juste sera imputée sa justice et au méchant sa méchanceté.

Ezéchiel 18, 21 Quant au méchant, s'il renonce à tous les péchés qu'il a commis, observe toutes mes lois et pratique le droit et la justice, il vivra, il ne mourra pas.

Ezéchiel 18, 22 On ne se souviendra plus de tous les crimes qu'il a commis, il vivra à cause de la justice qu'il a pratiquée.

Ezéchiel 18, 23 Prendrais-je donc plaisir à la mort du méchant - oracle du Seigneur Yahvé - et non pas plutôt à le voir renoncer à sa conduite et vivre?

Ezéchiel 18, 24 Mais si le juste renonce à sa justice et commet le mal, imitant toutes les abominations que commet le méchant, vivra-t-il? On ne se souviendra plus de toute la justice qu'il a pratiquée, mais à cause de l'infidélité dont il s'est rendu coupable et du péché qu'il a commis, il mourra.

Ezéchiel 18, 25 Et vous dites: "La manière d'agir du Seigneur n'est pas juste." Ecoutez donc, maison d'Israël: est-ce ma manière d'agir qui n'est pas juste? N'est-ce pas votre manière d'agir qui n'est pas juste?

Ezéchiel 18, 26 Si le juste se détourne de sa justice pour commettre le mal et meurt, c'est à cause du mal qu'il a commis qu'il meurt.

Ezéchiel 18, 27 Et si le pécheur se détourne du péché qu'il a commis, pour pratiquer le droit et la justice, il assure sa vie.

Ezéchiel 18, 28 Il a choisi de se détourner de tous les crimes qu'il avait commis, il vivra, il ne mourra pas.

Ezéchiel 18, 29 Et pourtant la maison d'Israël dit: "La manière d'agir du Seigneur n'est pas juste."

Ezéchiel 18, 30 C'est pourquoi je vous jugerai chacun selon sa manière d'agir, maison d'Israël, oracle du Seigneur Yahvé. Convertissez-vous et détournez-vous de tous vos crimes, qu'il n'y ait plus pour vous d'occasion de mal.

Ezéchiel 18, 31 Débarrassez-vous de tous les crimes que vous avez commis et faites-vous un coeur nouveau et un esprit nouveau. Pourquoi mourir, maison d'Israël?

Ezéchiel 18, 32 Je ne prends pas plaisir à la mort de qui que ce soit, oracle du Seigneur Yahvé. Convertissez-vous et vivez!

Ezéchiel 19, 1 Et toi, prononce une complainte sur les princes d'Israël.

Ezéchiel 19, 2 Tu diras: Qu'était ta mère? Une lionne parmi des lions; couchée parmi les lionceaux, elle nourrissait ses petits.

Ezéchiel 19, 3 Elle éleva un de ses petits, il devint un jeune lion, il apprit à déchirer sa proie, il dévora des hommes.

Ezéchiel 19, 4 Les nations en entendirent parler, il fut pris dans leur fosse; on l'emmena avec des crocs au pays d'Egypte.

Ezéchiel 19, 5 Elle vit que son attente était déçue, déçue son espérance. Elle prit un autre de ses petits, en fit un jeune lion.

Ezéchiel 19, 6 Il rôda parmi les lions, il devint un jeune lion; il apprit à déchirer sa proie, il dévora des hommes.

Ezéchiel 19, 7 Il démolit leurs palais, il détruisit leurs villes; le pays et ses habitants furent consternés au bruit de son rugissement.

Ezéchiel 19, 8 On dressa contre lui les nations, les provinces environnantes; elles étendirent sur lui leur filet, il fut pris dans leur fosse.

Ezéchiel 19, 9 Avec des crocs ils le mirent en cage, ils le menèrent au roi de Babylone, ils le menèrent dans des lieux escarpés, pour qu'on n'entendît plus sa voix sur les montagnes d'Israël.

Ezéchiel 19, 10 Ta mère était semblable à une vigne, plantée au bord de l'eau. Elle était féconde et feuillue, grâce à l'abondance de l'eau.

Ezéchiel 19, 11 Elle eut des ceps puissants qui devinrent des sceptres royaux; sa taille s'éleva jusqu'au milieu des nuages; on l'admira pour sa hauteur et la quantité de ses branches.

Ezéchiel 19, 12 Mais elle a été arrachée avec fureur et jetée à terre; le vent d'est a desséché son fruit, elle a été brisée, son cep puissant a séché, le feu l'a dévoré.

Ezéchiel 19, 13 La voici plantée au désert, au pays sec et aride,

Ezéchiel 19, 14 et le feu est sorti de son cep, il a dévoré ses tiges et son fruit. Elle n'aura plus son sceptre puissant, son sceptre royal. C'est une complainte; elle servit de complainte.

Ezéchiel 20, 1 La septième année, au cinquième mois, le dix du mois, quelques-uns des anciens d'Israël vinrent consulter Yahvé et s'assirent devant moi.

Ezéchiel 20, 2 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 20, 3 Fils d'homme, parle aux anciens d'Israël. Tu leur diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Est-ce pour me consulter que vous venez? Par ma vie! Je ne me laisserai pas consulter par vous, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 20, 4 Vas-tu les juger? Vas-tu juger, fils d'homme? Fais-leur connaître les abominations de leurs pères.

Ezéchiel 20, 5 Tu leur diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Le jour où j'ai choisi Israël, où j'ai levé la main vers la race de la maison de Jacob, je me suis fait connaître à eux au pays d'Egypte, et j'ai levé la main vers eux en disant: "Je suis Yahvé votre Dieu."

Ezéchiel 20, 6 Ce jour-là, j'ai levé la main vers eux en jurant de les faire sortir du pays d'Egypte vers un pays que j'avais exploré pour eux et qui ruisselle de lait et de miel: c'est le plus beau de tous les pays.

Ezéchiel 20, 7 Et je leur ai dit: Rejetez chacun les horreurs qui attirent vos yeux, ne vous souillez pas avec les ordures de l'Egypte, je suis Yahvé votre Dieu.

Ezéchiel 20, 8 Mais ils se rebellèrent contre moi et ne voulurent pas m'écouter. Aucun ne rejeta les horreurs qui attiraient ses yeux; ils n'abandonnèrent pas les ordures de l'Egypte. J'eus la pensée de déverser ma fureur sur eux et d'assouvir sur eux ma colère, au milieu du pays d'Egypte.

Ezéchiel 20, 9 Mais j'eus égard à mon nom, et je fis en sorte qu'il ne fût pas profané devant les nations au milieu desquelles ils étaient, et aux yeux desquelles je me suis fait connaître à eux pour les faire sortir du pays d'Egypte.

Ezéchiel 20, 10 Aussi je les fis sortir du pays d'Egypte et je les menai au désert.

Ezéchiel 20, 11 Je leur donnai mes lois et je leur fis connaître mes coutumes, que l'homme doit pratiquer pour en vivre.

Ezéchiel 20, 12 Et j'allai jusqu'à leur donner mes sabbats comme signe entre moi et eux, afin qu'ils sachent que c'est moi, Yahvé, qui les sanctifie.

Ezéchiel 20, 13 Mais la maison d'Israël se rebella contre moi au désert; ils ne se conduisirent pas selon mes lois, ils rejetèrent mes coutumes, que l'homme doit pratiquer pour en vivre, et ils ne firent que profaner mes sabbats. Alors j'eus la pensée de déverser ma fureur sur eux au désert, pour les exterminer.

Ezéchiel 20, 14 Mais j'eus égard à mon nom et je fis en sorte qu'il ne fût pas profané devant les nations, aux yeux desquelles je les avais fait sortir.

Ezéchiel 20, 15 Encore une fois je levai la main vers eux, au désert, pour jurer que je ne les mènerais pas au pays que je leur avais donné, qui ruisselle de lait et de miel: c'est le plus beau de tous les pays.

Ezéchiel 20, 16 Car ils avaient rejeté mes coutumes, ne s'étaient pas conduits selon mes lois et avaient profané mes sabbats, car leur coeur suivait les ordures.

Ezéchiel 20, 17 Mais j'eus pour eux un regard de pitié, pour ne pas les exterminer, et je ne les anéantis pas.

Ezéchiel 20, 18 Et je dis à leurs enfants au désert: Ne vous conduisez pas selon les lois de vos pères, n'observez pas leurs coutumes, ne vous souillez pas avec leurs ordures.

Ezéchiel 20, 19 Je suis Yahvé, votre Dieu. Conduisez-vous selon mes lois, observez mes coutumes et pratiquez-les.

Ezéchiel 20, 20 Sanctifiez mes sabbats; qu'ils soient un signe entre moi et vous pour qu'on sache que je suis Yahvé votre Dieu.

Ezéchiel 20, 21 Mais les fils se rebellèrent contre moi, ne se conduisirent pas selon mes lois, n'observèrent pas et ne pratiquèrent pas mes coutumes, que l'homme doit pratiquer pour en vivre, et ils profanèrent mes sabbats. Alors j'eus la pensée de déverser ma fureur sur eux et d'assouvir contre eux ma colère, au désert.

Ezéchiel 20, 22 Mais je retirai ma main et j'eus égard à mon nom, et je fis en sorte qu'il ne fût pas profané devant les nations aux yeux desquelles je les avais fait sortir.

Ezéchiel 20, 23 Mais encore une fois, je levai la main vers eux, au désert, pour jurer de les disséminer parmi les nations et de les disperser dans les pays étrangers.

Ezéchiel 20, 24 Car ils n'avaient pas pratiqué mes coutumes, ils avaient rejeté mes lois, profané mes sabbats, et leurs regards s'étaient attachés aux ordures de leurs pères.

Ezéchiel 20, 25 Et j'allai jusqu'à leur donner des lois qui n'étaient pas bonnes et des coutumes dont ils ne pouvaient pas vivre,

Ezéchiel 20, 26 et je les souillai par leurs offrandes, en leur faisant sacrifier tout premier-né, pour les frapper d'horreur, afin qu'ils sachent que je suis Yahvé.

Ezéchiel 20, 27 C'est pourquoi, parle à la maison d'Israël, fils d'homme. Tu leur diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. En cela encore vos pères m'ont outragé en m'étant infidèles.

Ezéchiel 20, 28 Et pourtant je les ai menés au pays que j'avais juré solennellement de leur donner. Ils y ont vu toutes sortes de collines élevées, toutes sortes d'arbres touffus, et ils y ont offert leurs sacrifices et présenté leurs offrandes provocantes; ils y ont déposé leurs parfums d'apaisement et versé leurs libations.

Ezéchiel 20, 29 Et je leur ai dit: Qu'est-ce que le haut lieu où vous allez? Et ils l'ont appelé du nom de Bama jusqu'à ce jour.

Ezéchiel 20, 30 Eh bien! dis à la maison d'Israël: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Est-il vrai que vous vous souillez en vous conduisant comme vos pères, en vous prostituant en suivant leurs horreurs,

Ezéchiel 20, 31 en présentant vos offrandes et en faisant passer vos enfants par le feu? Que vous vous souillez avec toutes vos ordures jusqu'à ce jour? Et moi, je me laisserais consulter par vous, maison d'Israël? Par ma vie! oracle du Seigneur Yahvé, je ne me laisserai pas consulter par vous.

Ezéchiel 20, 32 Quant au rêve qui hante votre esprit, il ne se réalisera jamais; quand vous dites: "Nous serons comme les nations, comme les tribus des pays étrangers, en servant le bois et la pierre."

Ezéchiel 20, 33 Par ma vie! oracle du Seigneur Yahvé, je le jure: c'est moi qui régnerai sur vous, à main forte et à bras étendu, en déversant ma fureur.

Ezéchiel 20, 34 Je vous ferai sortir du milieu des peuples et je vous rassemblerai des pays étrangers où vous avez été dispersés, à main forte et à bras étendu, en déversant ma fureur;

Ezéchiel 20, 35 je vous mènerai au désert des peuples et je vous y jugerai face à face.

Ezéchiel 20, 36 Comme j'ai jugé vos pères au désert du pays d'Egypte, ainsi je vous jugerai, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 20, 37 Je vous ferai passer sous la houlette et je vous amènerai à respecter l'alliance;

Ezéchiel 20, 38 je séparerai de vous les rebelles, ceux qui se sont révoltés contre moi, je les ferai sortir du pays où ils séjournent, mais ils n'entreront pas au pays d'Israël, et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 20, 39 Et vous, maison d'Israël, ainsi parle le Seigneur Yahvé: Que chacun aille servir ses ordures, mais ensuite, on verra si vous ne m'écoutez pas! Et vous ne profanerez plus mon saint nom par vos offrandes et vos ordures.

Ezéchiel 20, 40 Car c'est sur ma montagne sainte, sur la haute montagne d'Israël - oracle du Seigneur Yahvé - que me servira toute la maison d'Israël, toute entière dans le pays. C'est là que j'accueillerai et que je rechercherai vos offrandes, le meilleur de vos dons et toutes vos choses saintes.

Ezéchiel 20, 41 Comme un parfum d'apaisement, je vous accueillerai, quand je vous ferai sortir du milieu des peuples; je vous rassemblerai des pays où vous êtes dispersés, je serai sanctifié par vous aux yeux des nations,

Ezéchiel 20, 42 et vous saurez que je suis Yahvé, lorsque je vous ramènerai sur le sol d'Israël, au pays que j'ai juré solennellement de donner à vos pères.

Ezéchiel 20, 43 C'est là que vous vous souviendrez de votre conduite et de toutes les actions par lesquelles vous vous êtes souillés, et vous éprouverez du dégoût pour vous-mêmes, à cause de tous les méfaits que vous avez commis.

Ezéchiel 20, 44 Et vous saurez que je suis Yahvé, quand j'agirai envers vous par égard pour mon nom, et non pas d'après votre mauvaise conduite et vos actions corrompues, maison d'Israël, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 21, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 21, 2 Fils d'homme, tourne-toi à droite, profère ta parole vers le sud, prophétise contre la forêt de la région du Négeb.

Ezéchiel 21, 3 Tu diras à la forêt du Négeb: Ecoute la parole de Yahvé. Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que je vais allumer en toi un feu pour y consumer tout arbre vert et tout arbre sec; c'est une flambée qui ne s'éteindra pas et tous les visages en seront brûlés, depuis le Négeb jusqu'au Nord.

Ezéchiel 21, 4 Toute chair verra que c'est moi, Yahvé, qui l'ai allumée, et elle ne s'éteindra pas. -

Ezéchiel 21, 5 Et je dis: Ah! Seigneur Yahvé, ils disent de moi: "Ne voilà-t-il pas qu'il débite des paraboles" -

Ezéchiel 21, 6 Alors la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 21, 7 Fils d'homme, tourne-toi vers Jérusalem, profère ta parole vers leur sanctuaire et prophétise contre le pays d'Israël.

Ezéchiel 21, 8 Tu diras au pays d'Israël: Ainsi parle Yahvé. Me voici contre toi; je vais tirer mon épée du fourreau et retrancher de chez toi le juste et l'impie.

Ezéchiel 21, 9 C'est pour retrancher le juste et l'impie que mon épée va sortir de son fourreau, contre toute chair, du Négeb jusqu'au Nord.

Ezéchiel 21, 10 Et toute chair saura que c'est moi, Yahvé, qui ai tiré mon épée du fourreau, et elle n'y rentrera plus.

Ezéchiel 21, 11 Quant à toi, fils d'homme, pousse des gémissements, le coeur brisé; rempli d'amertume, tu pousseras des gémissements, sous leurs yeux.

Ezéchiel 21, 12 Et s'ils te disent: "Pourquoi ces gémissements?" Tu diras: "A cause de la nouvelle qui va venir, tous les coeurs vont défaillir, les mains vont faiblir, les esprits seront abattus, les genoux s'en iront en eau. Voici qu'elle vient; c'est fait, oracle du Seigneur Yahvé."

Ezéchiel 21, 13 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 21, 14 Fils d'homme, prophétise. Tu diras: Ainsi parle le Seigneur! Dis: L'épée, l'épée! Elle est affûtée, elle est fourbie.

Ezéchiel 21, 15 Pour accomplir le massacre, elle est affûtée, pour jeter des éclairs, elle est fourbie...

Ezéchiel 21, 16 Il l'a donnée à fourbir pour la saisir à pleine main, elle est affûtée, l'épée, et fourbie, pour mettre dans la main du tueur.

Ezéchiel 21, 17 Crie, hurle, fils d'homme, car elle est destinée à mon peuple, à tous les princes d'Israël voués à l'épée avec mon peuple. Aussi, frappe-toi la poitrine,

Ezéchiel 21, 18 car c'est une épreuve... Oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 21, 19 Et toi, fils d'homme, prophétise et bats des mains. Que l'épée repasse trois fois, l'épée qui transperce des victimes, l'épée qui transperce une grande victime, celle qui les menace tout autour!

Ezéchiel 21, 20 Afin que le coeur défaille, que les occasions de chute soient nombreuses, à toutes les portes, j'ai placé le massacre par l'épée faite pour jeter des éclairs, fourbie pour le massacre.

Ezéchiel 21, 21 Sois affûtée à droite, place toi à gauche, là où ton tranchant est requis!

Ezéchiel 21, 22 Moi aussi, je vais battre des mains, je vais assouvir ma fureur. Moi, Yahvé, j'ai parlé!

Ezéchiel 21, 23 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 21, 24 Et toi, fils d'homme, trace deux chemins pour que vienne l'épée du roi de Babylone, partant tous les deux du même pays. Puis place un signe, place-le au départ du chemin de la ville.

Ezéchiel 21, 25 Trace le chemin pour que l'épée vienne vers Rabba des Ammonites et vers Juda, à la forteresse de Jérusalem.

Ezéchiel 21, 26 Car le roi de Babylone s'est arrêté au carrefour, au départ des deux chemins, pour interroger le sort. Il a secoué les flèches, interrogé les téraphim, observé le foie.

Ezéchiel 21, 27 Dans sa main droite, le sort est tombé sur Jérusalem: pour y placer des béliers, donner l'ordre de la tuerie, pousser le cri de guerre, placer des béliers contre les portes, élever un remblai et construire des retranchements.

Ezéchiel 21, 28 Ce n'est à leurs yeux que vain présage. On leur avait prêté serment, mais lui, il rappelle leur faute qui provoquera leur capture.

Ezéchiel 21, 29 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé: Parce que vous rappelez vos fautes en découvrant vos forfaits et en faisant apparaître vos péchés dans toutes vos actions, pour le souvenir qu'on a de vous, vous serez capturés.

Ezéchiel 21, 30 Quant à toi, vil criminel, prince d'Israël dont le jour approche avec le dernier des crimes,

Ezéchiel 21, 31 ainsi parle le Seigneur Yahvé: On ôtera la tiare, on enlèvera la couronne, tout sera transformé, ce qui est bas sera élevé, ce qui est élevé sera abaissé.

Ezéchiel 21, 32 Ruine, ruine, ruine, voilà ce que j'en ferai, comme il n'y en eut pas avant que vienne celui à qui appartient le jugement et à qui je le remettrai.

Ezéchiel 21, 33 Et toi, fils d'homme, prophétise. Tu diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Aux Ammonites et à leur raillerie, tu diras: L'épée, l'épée est tirée pour le massacre, fourbie pour dévorer, pour jeter des éclairs -

Ezéchiel 21, 34 pendant que tu as des visions vaines, que tu consultes des présages menteurs - pour égorger les vils criminels dont le jour approche avec le dernier de leurs crimes.

Ezéchiel 21, 35 Remets-la au fourreau. C'est au lieu où tu as été créé, au pays de ton origine que je te jugerai;

Ezéchiel 21, 36 je déverserai sur toi ma fureur, je soufflerai contre toi le feu de mon emportement, et je te livrerai entre les mains d'hommes barbares, artisans de destruction.

Ezéchiel 21, 37 Tu seras la pâture du feu, ton sang coulera au milieu du pays, tu ne laisseras aucun souvenir, car moi, Yahvé, j'ai parlé.

Ezéchiel 22, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 22, 2 Et toi, fils d'homme, jugeras-tu? Jugeras-tu la ville sanguinaire? Fais-lui connaître toutes ses abominations.

Ezéchiel 22, 3 Tu diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Ville qui répands le sang au milieu de toi pour faire venir ton heure, qui as fabriqué des ordures sur ton sol pour te souiller,

Ezéchiel 22, 4 par le sang que tu as répandu tu t'es rendue coupable, par les ordures que tu as fabriquées tu t'es souillée, tu as fait avancer ton heure, tu es arrivée au terme de tes années. C'est pourquoi j'ai fait de toi un objet de raillerie pour les nations et de moquerie pour tous les pays.

Ezéchiel 22, 5 Proches ou lointains, ils se moqueront de toi, ville au nom souillé, pleine de désordres.

Ezéchiel 22, 6 Voici, chez toi tous les princes d'Israël ont été occupés, chacun pour son compte, à répandre le sang.

Ezéchiel 22, 7 Chez toi on a méprisé son père et sa mère, on a maltraité l'étranger qui était chez toi; chez toi on a opprimé l'orphelin et la veuve.

Ezéchiel 22, 8 Tu as été sans respect pour mes sanctuaires, tu as profané mes sabbats.

Ezéchiel 22, 9 Il y avait chez toi des dénonciateurs pour faire verser le sang. Chez toi on a mangé sur les montagnes et on a commis l'infamie au milieu de toi.

Ezéchiel 22, 10 Chez toi on a découvert la nudité de son père, chez toi on a fait violence à la femme en état d'impureté.

Ezéchiel 22, 11 L'un a commis l'abomination avec la femme du prochain, l'autre s'est souillé de manière infâme avec sa belle-fille, un autre a fait violence à sa soeur, à la fille de son père, chez toi.

Ezéchiel 22, 12 On a reçu des présents, chez toi, pour répandre le sang; tu as pris usure et intérêts, tu as dépouillé ton prochain par la violence, et moi, tu m'as oublié, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 22, 13 Mais voici que je vais battre des mains à cause des brigandages que tu as commis et du sang qui coule au milieu de toi.

Ezéchiel 22, 14 Ton coeur pourra-t-il résister et tes mains rester fermes, le jour où je m'en prendrai à toi? Moi, Yahvé, j'ai dit et je fais.

Ezéchiel 22, 15 Je te disséminerai parmi les nations, je te disperserai dans les pays étrangers, j'effacerai l'impureté de chez toi;

Ezéchiel 22, 16 tu seras profanée par ta faute, aux yeux des nations, et tu sauras que je suis Yahvé.

Ezéchiel 22, 17 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 22, 18 Fils d'homme, la maison d'Israël est devenue pour moi un métal impur; ils sont tous du cuivre, de l'étain, du fer et du plomb dans une fournaise: c'est un métal impur.

Ezéchiel 22, 19 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé: Puisque vous êtes tous du métal impur, eh bien! je vais vous rassembler au milieu de Jérusalem.

Ezéchiel 22, 20 Comme on rassemble argent, cuivre, fer, plomb et étain dans une fournaise pour attiser le feu dessus et les faire fondre, ainsi je vous rassemblerai dans ma colère et ma fureur et je vous ferai fondre;

Ezéchiel 22, 21 je vous amasserai et j'attiserai contre vous le feu de mon emportement, et je vous ferai fondre au milieu de la ville.

Ezéchiel 22, 22 Comme on fond l'argent au milieu de la fournaise, ainsi serez-vous fondus au milieu d'elle, et vous saurez que c'est moi, Yahvé, qui ai déversé ma fureur sur vous.

Ezéchiel 22, 23 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 22, 24 Fils d'homme, dis-lui: Tu es une terre qui n'a reçu ni pluie ni averse au jour de la colère,

Ezéchiel 22, 25 les princes qui t'habitent sont comme un lion rugissant qui déchire sa proie. Ils ont dévoré les gens, pris les richesses et les bijoux, multiplié les veuves au milieu d'elle.

Ezéchiel 22, 26 Ses prêtres ont violé ma loi et profané mes sanctuaires; entre le saint et le profane, ils n'ont pas fait de différence et ils n'ont pas enseigné à distinguer l'impur et le pur. Ils ont détourné les yeux de mes sabbats et j'ai été déshonoré parmi eux.

Ezéchiel 22, 27 Ses chefs, au milieu d'elle, sont comme des loups qui déchirent leur proie et versent le sang, faisant périr les gens pour voler leurs biens.

Ezéchiel 22, 28 Ses prophètes ont masqué cela sous leurs visions vaines et leurs présages menteurs, disant: "Ainsi parle le Seigneur Yahvé", alors que Yahvé n'avait pas parlé.

Ezéchiel 22, 29 Le peuple du pays a multiplié violence et brigandage, il a opprimé le pauvre et le malheureux, et fait violence à l'étranger sans aucun droit.

Ezéchiel 22, 30 J'ai cherché parmi eux quelqu'un qui construise une enceinte et qui se tienne debout sur la brèche, devant moi, pour défendre le pays et m'empêcher de le détruire, et je n'ai trouvé personne.

Ezéchiel 22, 31 Alors j'ai déversé sur eux ma fureur; dans le feu de mon emportement, je les ai exterminés. J'ai fait retomber leur conduite sur leur tête, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 23, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 23, 2 Fils d'homme, il était une fois deux femmes, filles d'une même mère.

Ezéchiel 23, 3 Elles se prostituèrent en Egypte; dès leur jeunesse, elles se prostituèrent. C'est là qu'on a porté la main sur leur poitrine, là qu'on a caressé leur sein virginal.

Ezéchiel 23, 4 Voici leurs noms: Ohola l'aînée, Oholiba sa soeur. Elles furent à moi et elles enfantèrent des fils et des filles. Leurs noms: Ohola, c'est Samarie, Oholiba, c'est Jérusalem.

Ezéchiel 23, 5 Or Ohola se prostitua alors qu'elle m'appartenait. Elle s'éprit de ses amants, les Assyriens, ses voisins,

Ezéchiel 23, 6 vêtus de pourpre, gouverneurs et magistrats, tous jeunes et séduisants, habiles cavaliers.

Ezéchiel 23, 7 Elle leur accorda ses faveurs - c'était toute l'élite des Assyriens - et chez tous ceux dont elle s'éprit, elle se souilla au contact de toutes leurs ordures.

Ezéchiel 23, 8 Elle n'a pas renié ses prostitutions commencées en Egypte, quand ils avaient couché avec elle dès sa jeunesse, caressé son sein virginal en lui prodiguant leurs débauches.

Ezéchiel 23, 9 Aussi l'ai-je livrée aux mains de ses amants, aux mains des Assyriens dont elle s'était éprise:

Ezéchiel 23, 10 ce sont eux qui ont dévoilé sa nudité, qui ont pris ses fils et ses filles, et elle-même, ils l'ont fait périr par l'épée. Elle fut célèbre parmi les femmes, car on en avait fait justice.

Ezéchiel 23, 11 Sa soeur Oholiba en fut témoin, mais elle éprouva une passion plus scandaleuse encore, et ses prostitutions furent pires que les prostitutions de sa soeur.

Ezéchiel 23, 12 Elle s'éprit des Assyriens, gouverneurs et magistrats, ses voisins, vêtus magnifiquement, habiles cavaliers, tous jeunes et séduisants.

Ezéchiel 23, 13 Et je vis qu'elle s'était souillée, que toutes les deux avaient eu la même conduite.

Ezéchiel 23, 14 Elle ajouta à ses prostitutions: ayant vu des hommes gravés sur le mur, images de Chaldéens colorées au vermillon,

Ezéchiel 23, 15 portant des ceinturons autour des reins et de larges turbans sur la tête, ayant tous la prestance d'un écuyer, représentant les Babyloniens originaires de Chaldée,

Ezéchiel 23, 16 elle s'éprit d'eux au premier regard et leur envoya des messagers en Chaldée.

Ezéchiel 23, 17 Et les Babyloniens vinrent à elle pour partager le lit nuptial et la souiller de leurs prostitutions. Et quand elle eut été souillée par eux, elle se détourna d'eux.

Ezéchiel 23, 18 Mais elle s'afficha dans ses prostitutions, elle dévoila sa nudité; alors je me suis détourné d'elle comme je m'étais détourné de sa soeur.

Ezéchiel 23, 19 Elle a multiplié ses prostitutions en souvenir de sa jeunesse, lorsqu'elle se prostituait au pays d'Egypte,

Ezéchiel 23, 20 qu'elle s'y éprenait de ses débauchés dont la vigueur est comme celle des ânes et le rut comme celui des étalons.

Ezéchiel 23, 21 Tu recherchais l'inconduite de ta jeunesse, du temps où, en Egypte, on caressait ton sein en portant la main sur ta poitrine juvénile.

Ezéchiel 23, 22 Eh bien! Oholiba, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que je vais dresser contre toi tes amants dont tu t'es détournée; je vais les ramener contre toi de tous côtés,

Ezéchiel 23, 23 les Babyloniens et tous les Chaldéens, ceux de Peqod, de Shoa et de Qoa, et tous les Assyriens avec eux, jeunes et séduisants, tous gouverneurs et magistrats, tous écuyers renommés et habiles cavaliers.

Ezéchiel 23, 24 Du nord viendront contre toi chars et chariots, avec un rassemblement de peuples. De tous côtés, ils t'opposeront le bouclier, l'écu et le casque. Je les chargerai de ton jugement, et ils te jugeront selon leur droit.

Ezéchiel 23, 25 Je dirigerai ma jalousie contre toi, ils te traiteront avec fureur, ils t'arracheront le nez et les oreilles, et ce qui restera des tiens tombera par l'épée; ils prendront eux-mêmes tes fils et tes filles et ce qui restera de toi sera dévoré par le feu.

Ezéchiel 23, 26 Ils te dépouilleront de tes vêtements et s'empareront de tes ornements.

Ezéchiel 23, 27 Je mettrai fin à ton inconduite et à tes prostitutions commencées en Egypte; tu ne lèveras plus les yeux vers eux et tu ne te souviendras plus de l'Egypte.

Ezéchiel 23, 28 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que je te livre aux mains de ceux que tu détestes, aux mains de ceux dont tu t'es détournée.

Ezéchiel 23, 29 Ils te traiteront haineusement, ils s'empareront de tout le fruit de ton travail et te laisseront toute nue. Ainsi sera dévoilée la honte de tes prostitutions, de tes impudicités et de ton inconduite.

Ezéchiel 23, 30 Ils te feront cela parce que tu t'es prostituée avec les nations en te souillant avec leurs ordures.

Ezéchiel 23, 31 Tu as imité la conduite de ta soeur, je mettrai sa coupe dans ta main.

Ezéchiel 23, 32 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Tu boiras la coupe de ta soeur, coupe profonde et large, qui fera rire et se moquer tant sa contenance est grande.

Ezéchiel 23, 33 Tu seras remplie d'ivresse et de douleur. Coupe de désolation et de dévastation, la coupe de ta soeur Samarie!

Ezéchiel 23, 34 Tu la boiras, tu la videras, puis tu en mordras les morceaux et tu te déchireras le sein. Car moi j'ai parlé, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 23, 35 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Parce que tu m'as oublié et que tu m'as rejeté derrière toi, porte, toi aussi, le poids de ton infamie et de tes prostitutions.

Ezéchiel 23, 36 Et Yahvé me dit: Fils d'homme, veux-tu juger Ohola et Oholiba et leur reprocher leurs abominations?

Ezéchiel 23, 37 Elles ont été adultères, leurs mains sont ensanglantées, elles ont commis l'adultère avec leurs ordures. Quant aux enfants qu'elles m'avaient enfantés, elles les ont fait passer par le feu pour les consumer.

Ezéchiel 23, 38 Elles m'ont encore fait ceci: elles ont souillé mon sanctuaire en ce jour, et profané mes sabbats.

Ezéchiel 23, 39 Et tout en immolant leurs enfants à leurs ordures, elles sont allées, le même jour, à mon sanctuaire pour le profaner. Voilà ce qu'elles ont fait dans ma propre maison.

Ezéchiel 23, 40 Bien plus, elles ont fait appeler des hommes venant de loin, invités par un messager, et ils sont venus: Pour eux tu t'es baignée, tu t'es fardé les yeux, tu as mis tes bijoux,

Ezéchiel 23, 41 tu t'es assise sur un lit d'apparat, devant lequel une table était dressée où on avait mis mon encens et mon huile.

Ezéchiel 23, 42 On y entendait la voix d'une foule insouciante, à cause de la multitude d'hommes, de buveurs amenés du désert; ils ont mis des bracelets aux mains des femmes et une couronne splendide sur leur tête.

Ezéchiel 23, 43 Et je me disais: cette femme usée par les adultères, maintenant on use de ses prostitutions à elle aussi,

Ezéchiel 23, 44 et on vient chez elle comme chez une prostituée. C'est ainsi qu'on est venu chez Ohola et Oholiba, ces femmes dépravées.

Ezéchiel 23, 45 Mais il y a des hommes justes qui les jugeront comme on juge les adultères et comme on juge celles qui répandent le sang, car elles sont adultères et leurs mains sont ensanglantées.

Ezéchiel 23, 46 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Que l'on convoque contre elles une assemblée et qu'on les livre à la terreur et au pillage;

Ezéchiel 23, 47 l'assemblée les lapidera et les frappera de l'épée, on tuera leurs fils et leurs filles et on mettra le feu à leurs maisons.

Ezéchiel 23, 48 Je purgerai le pays de l'infamie; toutes les femmes seront ainsi averties et n'imiteront plus votre infamie.

Ezéchiel 23, 49 On fera retomber sur vous votre infamie, vous porterez le poids des péchés commis avec vos ordures et vous saurez que je suis le Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 24, 1 La neuvième année, au dixième mois, le dix du mois, la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 24, 2 Fils d'homme, mets par écrit la date d'aujourd'hui, d'aujourd'hui même, car le roi de Babylone s'est jeté sur Jérusalem aujourd'hui même.

Ezéchiel 24, 3 Prononce donc une parabole pour l'engeance de rebelles. Tu leur diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Mets au feu la marmite, mets-la, verses-y de l'eau.

Ezéchiel 24, 4 Rassembles-y des morceaux, tout ce qu'il y a de bons morceaux, gigot, épaule; remplis-la des meilleurs os,

Ezéchiel 24, 5 prends le meilleur du troupeau. Puis entasse du bois dessous, fais bouillir à gros bouillons, que soient cuits même les os qu'elle contient.

Ezéchiel 24, 6 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé. Malheur à la ville sanguinaire, marmite toute rouillée, dont la rouille ne peut être ôtée! Vide-la morceau par morceau, sans qu'on tire au sort.

Ezéchiel 24, 7 Car son sang est au milieu d'elle, elle l'a mis sur le roc nu, elle ne l'a pas répandu sur le sol pour le recouvrir de poussière.

Ezéchiel 24, 8 Pour faire monter la fureur, pour tirer vengeance, j'ai mis son sang sur le roc nu, sans le recouvrir.

Ezéchiel 24, 9 Eh bien! ainsi parle le Seigneur Yahvé: Malheur à la ville sanguinaire! Moi aussi, je vais faire un grand bûcher.

Ezéchiel 24, 10 Amoncelle du bois, allume le feu, cuis la viande, prépare les épices, que les os brûlent.

Ezéchiel 24, 11 Mets la marmite vide sur les charbons, afin qu'elle chauffe, que le bronze rougisse et que fonde la souillure qui s'y trouve, que soit consumée sa rouille.

Ezéchiel 24, 12 Mais la masse de rouille ne s'en va pas au feu.

Ezéchiel 24, 13 Ta souillure est une infamie, car j'ai voulu te purifier, mais tu ne t'es pas laissé purifier de ta souillure. Tu ne seras donc plus purifiée jusqu'à ce que j'aie assouvi ma colère contre toi.

Ezéchiel 24, 14 Moi, Yahvé, j'ai parlé et cela se réalise, j'agirai sans me reprendre, je n'aurai ni pitié ni compassion. C'est selon ta conduite et selon tes oeuvres qu'on te jugera, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 24, 15 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 24, 16 Fils d'homme, voici que je vais t'enlever subitement la joie de tes yeux. Mais tu ne te lamenteras pas, tu ne pleureras pas, tu ne laisseras pas couler de larmes.

Ezéchiel 24, 17 Gémis en silence, ne prends pas le deuil des morts, noue ton turban sur ta tête, mets tes sandales à tes pieds, ne te couvre pas la barbe, ne mange pas de pain ordinaire.

Ezéchiel 24, 18 Je parlai au peuple le matin, et ma femme mourut le soir, et je fis le lendemain matin comme j'en avais reçu l'ordre.

Ezéchiel 24, 19 Alors le peuple me dit: "Ne nous expliqueras-tu pas quel sens a pour nous ce que tu fais?"

Ezéchiel 24, 20 Je leur dis: "La parole de Yahvé m'a été adressée en ces termes:

Ezéchiel 24, 21 Dis à la maison d'Israël: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que je vais profaner mon sanctuaire, l'orgueil de votre force, la joie de vos yeux, la passion de vos âmes. Vos fils et vos filles, que vous avez abandonnés, tomberont par l'épée.

Ezéchiel 24, 22 Et vous ferez comme j'ai fait: vous ne vous couvrirez pas la barbe, vous ne mangerez pas de pain ordinaire,

Ezéchiel 24, 23 vous garderez vos turbans sur la tête et vos sandales aux pieds, vous ne vous lamenterez pas et vous ne pleurerez pas. Vous dépérirez à cause de vos crimes et vous gémirez les uns avec les autres.

Ezéchiel 24, 24 Ezéchiel sera pour vous un présage; vous ferez exactement ce qu'il a fait. Et, quand cela arrivera, vous saurez que je suis le Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 24, 25 Et toi, fils d'homme, n'est-il pas vrai que le jour où je leur aurai pris ce qui fait leur force, leur parure de liesse, la joie de leurs yeux, la passion de leur âme, leurs fils et leurs filles,

Ezéchiel 24, 26 ce jour-là, arrivera vers toi le survivant qui apportera la nouvelle.

Ezéchiel 24, 27 Ce jour-là, ta bouche s'ouvrira pour parler au survivant: tu parleras et tu ne seras plus muet; tu seras pour eux un présage et ils sauront que je suis Yahvé.

Ezéchiel 25, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 25, 2 Fils d'homme, tourne-toi vers les Ammonites et prophétise contre eux.

Ezéchiel 25, 3 Tu diras aux Ammonites: Ecoutez la parole du Seigneur Yahvé. Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Parce que tu as dit: "Ha! Ha!" sur mon sanctuaire lorsqu'il a été profané, sur la terre d'Israël lorsqu'elle a été dévastée et sur la maison de Juda lorsqu'elle est partie pour l'exil,

Ezéchiel 25, 4 eh bien! voici que je te livre en possession aux fils de l'Orient; ils établiront chez toi leurs campements, ils feront chez toi leur demeure. Ce sont eux qui mangeront tes fruits, ce sont eux qui boiront ton lait.

Ezéchiel 25, 5 Je ferai de Rabba un parc à chameaux et des villes d'Ammon un bercail de brebis. Et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 25, 6 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Parce que tu as battu des mains et frappé du pied, et que tu t'es réjoui, l'âme pleine de dédain, au sujet du pays d'Israël,

Ezéchiel 25, 7 eh bien! voici que j'étends la main contre toi; je vais te livrer au pillage des nations, te retrancher d'entre les peuples et t'exterminer d'entre les pays. Je t'anéantirai, et tu sauras que je suis Yahvé.

Ezéchiel 25, 8 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Parce que Moab et Séïr ont dit: "Voici que la maison de Juda est semblable à toutes les nations",

Ezéchiel 25, 9 eh bien! je vais ouvrir les hauteurs de Moab, ses villes ne seront plus des villes, sur toute son étendue - les joyaux du pays: Bet-ha-Yeshimot, Baal-Meôn et jusqu'à Qiryatayim.

Ezéchiel 25, 10 C'est aux fils de l'Orient que je les donne en possession, en plus des Ammonites, afin qu'on ne s'en souvienne plus parmi les nations.

Ezéchiel 25, 11 De Moab, je ferai justice, et on saura que je suis Yahvé.

Ezéchiel 25, 12 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Parce qu'Edom a exercé sa vengeance contre la maison de Juda, parce qu'il s'est rendu gravement coupable en se vengeant d'elle,

Ezéchiel 25, 13 eh bien! ainsi parle le Seigneur Yahvé: Je vais étendre la main contre Edom et je vais en retrancher bêtes et gens. J'en ferai une désolation, de Témân à Dedân on périra par l'épée.

Ezéchiel 25, 14 Je mettrai ma vengeance contre Edom dans la main de mon peuple Israël. Il traitera Edom selon ma colère et ma fureur et l'on connaîtra ma vengeance, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 25, 15 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Parce que les Philistins ont exercé leur vengeance et se sont vengés, l'âme pleine de dédain, en cherchant à détruire avec une haine éternelle,

Ezéchiel 25, 16 eh bien! ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que j'étends la main contre les Philistins, je vais retrancher les Kerétiens, détruire ce qui reste des habitants de la côte.

Ezéchiel 25, 17 J'exercerai contre eux de terribles vengeances, des châtiments furieux, et ils sauront que je suis Yahvé quand je leur imposerai ma vengeance.

Ezéchiel 26, 1 La onzième année, le premier du mois, la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 26, 2 Fils d'homme, parce que Tyr a dit contre Jérusalem: "Ha! Ha! la voilà brisée, la porte des peuples; elle s'est tournée vers moi, sa richesse est détruite",

Ezéchiel 26, 3 eh bien! ainsi parle le Seigneur Yahvé: Voici que je me déclare contre toi, Tyr. Je vais faire monter contre toi des nations nombreuses, comme la mer fait monter ses flots.

Ezéchiel 26, 4 Elles détruiront les remparts de Tyr, elles abattront ses tours, j'en balaierai la poussière et j'en ferai un rocher nu.

Ezéchiel 26, 5 Elle sera, au milieu de la mer, un séchoir pour les filets, car moi, j'ai parlé, oracle du Seigneur Yahvé. Elle sera la proie des nations,

Ezéchiel 26, 6 quant à ses filles qui sont dans la campagne, elles seront tuées par l'épée, et l'on saura que je suis Yahvé.

Ezéchiel 26, 7 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé: Voici que j'amène à Tyr, venant du Nord, Nabuchodonosor, roi de Babylone, roi des rois, avec chevaux, chars et cavaliers, une troupe et un peuple nombreux.

Ezéchiel 26, 8 Tes filles qui sont dans la campagne, il les tuera par l'épée. Il placera contre toi des retranchements, il élèvera contre toi un remblai, il dressera contre toi un bouclier,

Ezéchiel 26, 9 il dirigera les coups de son bélier contre tes remparts, il démolira tes tours avec ses machines.

Ezéchiel 26, 10 Si nombreux sont ses chevaux que leur poussière te couvrira. Au bruit de sa cavalerie, de ses chariots, de ses chars, les remparts trembleront, quand il franchira tes portes comme on pénètre dans une ville par une brèche.

Ezéchiel 26, 11 Des sabots de ses chevaux, il foulera toutes tes rues, il tuera ton peuple par l'épée, il jettera à terre tes stèles colossales.

Ezéchiel 26, 12 On prendra tes richesses comme butin, on pillera tes marchandises on abattra tes remparts, on démolira tes maisons luxueuses, on jettera à l'eau tes pierres, ton bois et ta poussière.

Ezéchiel 26, 13 Je ferai cesser la rumeur de tes chants, on n'entendra plus le son de tes cithares.

Ezéchiel 26, 14 Je ferai de toi un rocher nu, tu deviendras un séchoir à filets et tu ne seras plus rebâtie, car moi, Yahvé, j'ai parlé, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 26, 15 Ainsi parle le Seigneur Yahvé à Tyr: Au bruit de ta chute, quand gémiront les blessés, quand sévira le carnage dans tes murs, les îles ne trembleront-elles pas?

Ezéchiel 26, 16 Tous les princes de la mer descendront de leur trône, ils ôteront leurs manteaux, quitteront leurs vêtements brodés. Ils se revêtiront d'effroi, ils s'assiéront par terre, ils tressailliront à tout instant et seront frappés de stupeur à cause de toi.

Ezéchiel 26, 17 Ils prononceront une complainte et te diront: Quoi! la voilà détruite, disparue des mers, la ville célèbre qui fut puissante sur la mer, elle et ses habitants qui répandaient la terreur sur tout le continent.

Ezéchiel 26, 18 Maintenant les îles tressaillent au jour de ta chute, les îles de la mer sont épouvantées de ta fin.

Ezéchiel 26, 19 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé: Quand je ferai de toi une ville détruite comme les villes dépeuplées, quand je ferai monter contre toi l'abîme et que les eaux abondantes te recouvriront,

Ezéchiel 26, 20 je te précipiterai avec ceux qui descendent dans la fosse, vers le peuple d'autrefois, je te ferai habiter dans le pays souterrain, semblable aux ruines d'autrefois, avec ceux qui descendent dans la fosse, afin que tu ne reviennes pas pour être rétablie au pays des vivants.

Ezéchiel 26, 21 Je ferai de toi un objet d'effroi et tu ne seras plus. On te cherchera et on ne te trouvera plus jamais, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 27, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 27, 2 Et toi, fils d'homme, prononce sur Tyr une complainte.

Ezéchiel 27, 3 Tu diras à Tyr, la ville installée au débouché de la mer, le courtier des peuples vers des îles nombreuses: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Tyr, c'est toi qui disais: "Je suis un navire d'une parfaite beauté."

Ezéchiel 27, 4 En pleine mer s'étendaient tes frontières, tes constructeurs ont parfait ta beauté.

Ezéchiel 27, 5 En cyprès de Senir ils ont construit tous tes bordages. Ils ont pris un cèdre du Liban pour t'ériger un mât.

Ezéchiel 27, 6 De chênes du Bashân ils t'ont fait des rames. Ils t'ont fait un pont d'ivoire incrusté dans du cèdre des îles de Kittim.

Ezéchiel 27, 7 Le lin brodé d'Egypte fut ta voilure pour te servir de pavillon. La pourpre et l'écarlate des îles d'Elisha te recouvraient.

Ezéchiel 27, 8 Les habitants de Sidon et d'Arvad étaient tes rameurs. Et tes sages, ô Tyr, étaient à bord comme matelots.

Ezéchiel 27, 9 Les anciens de Gebal et ses artisans étaient là pour réparer tes avaries. Tous les navires de la mer et leurs marins étaient chez toi pour faire du commerce.

Ezéchiel 27, 10 Ceux de Perse, de Lud et de Put servaient dans ton armée comme gens de guerre; ils suspendaient chez toi le bouclier et le casque, ils faisaient ta splendeur.

Ezéchiel 27, 11 Les fils d'Arvad et leur armée garnissaient tes remparts, tout autour, et les Gammadiens tes bastions. Ils suspendaient leurs écus à tes remparts, tout autour, et contribuaient à parfaire ta beauté.

Ezéchiel 27, 12 Tarsis était ton client, grâce à l'abondance de toute sorte de biens. Contre de l'argent, du fer, de l'étain et du plomb, ils échangeaient tes marchandises.

Ezéchiel 27, 13 Yavân, Tubal et Méshek faisaient du commerce avec toi. Contre des hommes et des objets de bronze, ils échangeaient tes denrées.

Ezéchiel 27, 14 De Bet-Togarma, on te livrait comme marchandise des chevaux, des coursiers et des mulets.

Ezéchiel 27, 15 Les fils de Dedân faisaient du commerce avec toi; des îles nombreuses étaient tes clientes et t'apportaient en paiement les défenses d'ivoire et l'ébène.

Ezéchiel 27, 16 Edom était ton client, grâce à l'abondance de tes produits; il te donnait des escarboucles, de la pourpre, des broderies, du byssus, du corail et des rubis contre tes marchandises.

Ezéchiel 27, 17 Juda et le pays d'Israël eux-mêmes faisaient du commerce avec toi; ils t'apportaient en échange du grain de Minnit, du pannag, du miel, de l'huile et du baume.

Ezéchiel 27, 18 Damas était ton client, grâce à l'abondance de tes produits, à l'abondance de toute sorte de biens; il te fournissait du vin de Helbôn et de la laine de Cahar.

Ezéchiel 27, 19 Dan et Yavân, depuis Uzal, te livraient en échange de tes marchandises du fer forgé, de la casse et du roseau.

Ezéchiel 27, 20 Dedân faisait commerce avec toi de couvertures de cheval.

Ezéchiel 27, 21 L'Arabie et tous les princes de Qédar eux-mêmes étaient tes clients; ils payaient en agneaux, béliers et boucs.

Ezéchiel 27, 22 Les marchands de Sheba et de Rama faisaient du commerce avec toi; ils te livraient les plus fins aromates, toutes sortes de pierres précieuses et de l'or comme marchandises.

Ezéchiel 27, 23 Harân, Kanné et Eden, les marchands de Sheba, d'Assur et de Kilmad faisaient du commerce avec toi.

Ezéchiel 27, 24 Ils faisaient commerce de riches vêtements, de manteaux de pourpre et de broderies, d'étoffes bigarrées et de solides cordes tressées, sur tes marchés.

Ezéchiel 27, 25 Les bateaux de Tarsis naviguaient pour ton commerce. Tu étais comblée et alourdie au coeur des mers.

Ezéchiel 27, 26 En haute mer tu fus conduite par tes rameurs. Le vent d'Orient t'a brisée au coeur des mers.

Ezéchiel 27, 27 Tes richesses, tes marchandises et ton fret, tes marins et tes matelots, les radoubeurs, les courtiers de ton commerce et tous les hommes de guerre que tu portes, et tous les passagers qui sont à ton bord, vont couler au coeur des mers, au jour de ton naufrage.

Ezéchiel 27, 28 En entendant le cri de tes matelots, les rivages trembleront.

Ezéchiel 27, 29 Alors descendront de leurs bateaux tous les rameurs. Les marins, tous les gens de mer resteront à terre.

Ezéchiel 27, 30 Ils feront entendre leur voix à ton sujet, ils crieront amèrement. Ils se jetteront de la poussière sur la tête, ils se rouleront dans la cendre.

Ezéchiel 27, 31 Ils se raseront le crâne à cause de toi, ils se ceindront de sacs. Ils exhaleront sur toi, dans leur amertume, une plainte amère.

Ezéchiel 27, 32 Ils prononceront sur toi, dans leur lamentation, une complainte, ils se lamenteront sur toi: "Qui était comparable à Tyr au milieu de la mer?

Ezéchiel 27, 33 Lorsque tu débarquais tes marchandises pour rassasier tant de peuples, par l'abondance de tes richesses et de tes denrées tu as enrichi les rois de la terre.

Ezéchiel 27, 34 Maintenant te voilà brisée par les flots au plus profond des eaux. Ta cargaison et tous tes passagers ont coulé avec toi.

Ezéchiel 27, 35 Tous les habitants des îles ont été frappés de stupeur à cause de toi. Leurs rois ont frémi d'horreur, leur visage bouleversé.

Ezéchiel 27, 36 Les trafiquants des peuples ont sifflé sur toi, car tu es devenue un objet d'effroi, c'en est fait de toi à jamais!"

Ezéchiel 28, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 28, 2 Fils d'homme, dis au prince de Tyr: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Parce que ton coeur s'est enorgueilli, tu as dit: "Je suis un dieu, j'habite une demeure divine, au coeur de la mer." Alors que tu es un homme et non un dieu, tu te fais un coeur semblable au coeur de Dieu.

Ezéchiel 28, 3 Voilà que tu es plus sage que Danel; pas un sage n'est semblable à toi.

Ezéchiel 28, 4 Par ta sagesse et ton intelligence, tu t'es fait une fortune, tu as mis or et argent dans tes trésors.

Ezéchiel 28, 5 Si grande est ton habileté dans le commerce! tu as multiplié ta fortune, et ton coeur s'est enorgueilli de ta fortune.

Ezéchiel 28, 6 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Parce que tu t'es fait un coeur semblable au coeur de Dieu,

Ezéchiel 28, 7 eh bien! voici que je fais venir contre toi des étrangers, les plus barbares des nations. Ils tireront l'épée contre ta belle sagesse, ils profaneront ta splendeur.

Ezéchiel 28, 8 Ils te feront choir dans la fosse et tu mourras de mort violente au coeur des mers.

Ezéchiel 28, 9 Diras-tu encore: "Je suis un dieu", en face de tes meurtriers? Car tu es un homme et non un dieu, entre les mains de ceux qui te transpercent.

Ezéchiel 28, 10 Tu mourras de la mort des incirconcis, par la main des étrangers, car moi j'ai parlé, oracle de Yahvé.

Ezéchiel 28, 11 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 28, 12 Fils d'homme, prononce une complainte contre le roi de Tyr. Tu lui diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Tu étais un modèle de perfection, plein de sagesse, merveilleux de beauté,

Ezéchiel 28, 13 tu étais en Eden, au jardin de Dieu. Toutes sortes de pierres précieuses formaient ton manteau: sardoine, topaze, diamant, chrysolithe, onyx, jaspe, saphir, escarboucle, émeraude, d'or étaient travaillées tes pendeloques et tes paillettes; tout cela fut préparé au jour de ta création.

Ezéchiel 28, 14 Toi, j'avais fait de toi un chérubin protecteur aux ailes déployées, tu étais sur la sainte montagne de Dieu, tu marchais au milieu des charbons ardents.

Ezéchiel 28, 15 Ta conduite fut exemplaire depuis le jour de ta création jusqu'à ce que fût trouvée en toi l'injustice.

Ezéchiel 28, 16 Par l'activité de ton commerce, tu t'es rempli de violence et de péchés. Je t'ai précipité de la montagne de Dieu et je t'ai fait périr, chérubin protecteur, du milieu des charbons.

Ezéchiel 28, 17 Ton coeur s'est enorgueilli à cause de ta beauté. Tu as corrompu ta sagesse à cause de ton éclat. Je t'ai jeté à terre, je t'ai offert en spectacle aux rois.

Ezéchiel 28, 18 Par la multitude de tes fautes, par la malhonnêteté de ton commerce, tu as profané tes sanctuaires. J'ai fait sortir de toi un feu pour te dévorer; je t'ai réduit en cendres sur la terre, aux yeux de tous ceux qui te regardaient.

Ezéchiel 28, 19 Quiconque te connaît parmi les peuples est frappé de stupeur à ton sujet. Tu es devenu un objet d'effroi, c'en est fait de toi à jamais.

Ezéchiel 28, 20 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 28, 21 Fils d'homme, tourne-toi vers Sidon et prophétise contre elle.

Ezéchiel 28, 22 Tu diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Je me déclare contre toi, Sidon, je vais être glorifié au milieu de toi. On saura que je suis Yahvé lorsque d'elle, je ferai justice et que je manifesterai en elle ma sainteté.

Ezéchiel 28, 23 Je lui enverrai la peste, il y aura du sang dans ses rues, des morts tomberont au milieu d'elle sous les coups de l'épée levée contre elle de tous côtés, et l'on saura que je suis Yahvé.

Ezéchiel 28, 24 Il n'y aura plus, pour la maison d'Israël, ni épine qui blesse ni ronce qui déchire parmi tous ceux d'alentour qui la méprisent, et l'on saura que je suis Yahvé.

Ezéchiel 28, 25 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Lorsque je rassemblerai la maison d'Israël du milieu des peuples où elle est dispersée, je manifesterai en elle ma sainteté aux yeux des nations. Elle habitera sur le sol que j'ai donné à mon serviteur Jacob.

Ezéchiel 28, 26 Ils y habiteront en sécurité, ils bâtiront des maisons et planteront des vignes; ils habiteront en sécurité. Lorsque je ferai justice de tous ceux d'alentour qui les méprisent, on saura que je suis Yahvé leur Dieu.

Ezéchiel 29, 1 La dixième année, au dixième mois, le douze du mois, la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 29, 2 Fils d'homme, tourne-toi vers Pharaon, roi d'Egypte, et prophétise contre lui et contre l'Egypte toute entière.

Ezéchiel 29, 3 Parle et dis-lui: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Je me déclare contre toi, Pharaon, roi d'Egypte, grand crocodile étendu au milieu de ses Nils, qui as dit: "Mon Nil est à moi, c'est moi qui l'ai fait."

Ezéchiel 29, 4 Je vais mettre des crocs à tes mâchoires, coller à tes écailles les poissons de tes Nils et te tirer du milieu de tes Nils, avec tous les poissons de tes Nils collés à tes écailles.

Ezéchiel 29, 5 Je te jetterai dans le désert, avec tous les poissons de tes Nils. Tu retomberas en plein champ, tu ne seras ni ramassé ni enterré. Aux bêtes de la terre et aux oiseaux du ciel, je te donnerai en pâture,

Ezéchiel 29, 6 et tous les habitants de l'Egypte sauront que je suis Yahvé. Car ils ont été un appui de roseau pour la maison d'Israël.

Ezéchiel 29, 7 Quand ils te saisissaient, tu te rompais dans leur main, et tu leur déchirais toute la main. Quand ils s'appuyaient sur toi, tu te brisais, tu faisais chanceler tous les reins.

Ezéchiel 29, 8 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que j'envoie contre toi l'épée, pour retrancher de toi hommes et bêtes.

Ezéchiel 29, 9 Le pays d'Egypte deviendra désolation et ruine, et l'on saura que je suis Yahvé. Car il a dit: "Le Nil est à moi, c'est moi qui l'ai fait."

Ezéchiel 29, 10 Eh bien! je me déclare contre toi et contre tes Nils. Je ferai du pays d'Egypte une ruine et une désolation, de Migdol à Syène et jusqu'à la frontière d'Ethiopie.

Ezéchiel 29, 11 Le pied de l'homme n'y passera pas, le pied des animaux n'y passera pas, il restera inhabité 40 ans.

Ezéchiel 29, 12 Je ferai du pays d'Egypte une désolation au milieu de pays dévastés; ses villes seront une désolation au milieu de villes détruites, pendant 40 ans. Et je disséminerai les Egyptiens parmi les nations, je les disperserai parmi les pays.

Ezéchiel 29, 13 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé. Au bout de 40 ans, je rassemblerai les Egyptiens des nations où ils avaient été dispersés.

Ezéchiel 29, 14 Je ramènerai les captifs égyptiens et je les réinstallerai au pays de Patros, dans leur pays d'origine. Ils y formeront un modeste royaume.

Ezéchiel 29, 15 L'Egypte sera le plus modeste des royaumes et elle ne s'élèvera plus sur les nations; je la diminuerai pour qu'elle ne s'impose plus aux nations.

Ezéchiel 29, 16 Elle ne sera plus pour la maison d'Israël un sujet de confiance, car elle rappellera la faute qui consistait à se tourner vers elle. Et l'on saura que je suis le Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 29, 17 La vingt-septième année, au premier mois, le premier du mois, la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 29, 18 Fils d'homme, Nabuchodonosor, roi de Babylone, a engagé son armée dans une entreprise grandiose contre Tyr. Toutes les têtes sont pelées et toutes les épaules écorchées, mais, ni pour lui ni pour son armée, il n'a retiré aucun profit de l'entreprise qu'il avait engagée contre Tyr.

Ezéchiel 29, 19 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé: Voici que je livre à Nabuchodonosor, roi de Babylone, le pays d'Egypte. Il en emportera les richesses, il s'emparera de ses dépouilles, il la mettra au pillage, tel sera le salaire de son armée.

Ezéchiel 29, 20 Comme salaire pour la peine qu'il a prise, je lui livre le pays d'Egypte (car ils ont travaillé pour moi), oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 29, 21 Ce jour-là, je susciterai une lignée à la maison d'Israël, et je te permettrai d'ouvrir la bouche au milieu d'eux. Alors ils sauront que je suis Yahvé.

Ezéchiel 30, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 30, 2 Fils d'homme, prophétise et dis: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Poussez des cris: "Ah! Quel jour!"

Ezéchiel 30, 3 Car le jour est proche, il est proche le jour de Yahvé; ce sera un jour chargé de nuages, ce sera le temps des nations.

Ezéchiel 30, 4 L'épée viendra en Egypte, l'angoisse au pays de Kush, quand les morts tomberont en Egypte, quand on emportera ses richesses et que ses fondements seront renversés.

Ezéchiel 30, 5 Kush, Put et Lud, toute l'Arabie, Kub et les fils du pays de l'Alliance tomberont avec eux par l'épée.

Ezéchiel 30, 6 Ainsi parle Yahvé. Ils tomberont, les appuis de l'Egypte; il croulera l'orgueil de sa force: de Migdol à Syène, on y tombera par l'épée, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 30, 7 Ils seront dévastés au milieu de pays dévastés, ses villes seront au milieu de villes détruites.

Ezéchiel 30, 8 Et ils sauront que je suis Yahvé, quand je mettrai le feu à l'Egypte et que se briseront tous ses soutiens.

Ezéchiel 30, 9 Ce jour-là, les messagers que j'enverrai partiront sur des bateaux pour troubler Kush dans sa sécurité. L'angoisse se répandra chez ses habitants, au jour de l'Egypte - oui! la voici qui vient!

Ezéchiel 30, 10 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: J'anéantirai la multitude de l'Egypte, par la main de Nabuchodonosor, roi de Babylone.

Ezéchiel 30, 11 Lui et son peuple avec lui, la plus barbare des nations, seront amenés pour ravager le pays. Ils tireront l'épée contre l'Egypte et rempliront le pays de cadavres.

Ezéchiel 30, 12 Je mettrai les Nils à sec, je vendrai le pays à des méchants. Je dévasterai le pays et ce qu'il renferme par la main d'étrangers. Moi, Yahvé, j'ai parlé.

Ezéchiel 30, 13 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: J'anéantirai les ordures, j'ôterai de Noph les faux dieux. Il n'y aura plus de prince au pays d'Egypte. Je répandrai la crainte au pays d'Egypte.

Ezéchiel 30, 14 Je dévasterai Patros, je mettrai le feu à Coân, je ferai justice de No.

Ezéchiel 30, 15 Je déverserai ma fureur sur Sîn, la forteresse de l'Egypte; j'exterminerai la multitude de No.

Ezéchiel 30, 16 Je mettrai le feu à l'Egypte, Sîn sera pris de convulsions, à No, on ouvrira une brèche et les eaux se répandront.

Ezéchiel 30, 17 Les jeunes gens de On et de Pi-Bésèt tomberont par l'épée et les villes elles-mêmes iront en captivité.

Ezéchiel 30, 18 A Tahpanhès, le jour deviendra ténèbres quand j'y briserai les sceptres de l'Egypte et que l'orgueil de sa force prendra fin. Quant à elle, un nuage la couvrira et ses filles iront en captivité.

Ezéchiel 30, 19 C'est ainsi que je ferai justice de l'Egypte, et l'on saura que je suis Yahvé.

Ezéchiel 30, 20 La onzième année, au premier mois, le sept du mois, la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 30, 21 Fils d'homme, j'ai brisé le bras de Pharaon, roi d'Egypte, et voici que nul n'a pansé sa blessure en y appliquant des remèdes, en y mettant un bandage et en le pansant pour qu'il retrouve la force de manier l'épée.

Ezéchiel 30, 22 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que je me déclare contre Pharaon, roi d'Egypte; je lui briserai les bras, celui qui est valide et celui qui est brisé, et je ferai tomber l'épée de sa main.

Ezéchiel 30, 23 Je disséminerai l'Egypte parmi les nations, je la disperserai dans les pays.

Ezéchiel 30, 24 Je fortifierai les bras du roi de Babylone et je mettrai mon épée dans sa main. Je briserai les bras de Pharaon et celui-ci poussera devant son ennemi des gémissements de mourant.

Ezéchiel 30, 25 Je fortifierai les bras du roi de Babylone, mais les bras de Pharaon tomberont. Et l'on saura que je suis Yahvé, quand je mettrai mon épée dans les mains du roi de Babylone et qu'il la brandira contre le pays d'Egypte.

Ezéchiel 30, 26 Je disséminerai les Egyptiens parmi les nations, je les disperserai dans les pays, et l'on saura que je suis Yahvé.

Ezéchiel 31, 1 La onzième année, au troisième mois, le premier du mois, la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 31, 2 Fils d'homme, dis à Pharaon, roi d'Egypte, et à la multitude de ses sujets: A quoi te comparer dans ta grandeur?

Ezéchiel 31, 3 Voici: à un cèdre sur le Liban au branchage magnifique, au feuillage touffu, à la taille élevée. Parmi les nuages émerge sa cime.

Ezéchiel 31, 4 Les eaux l'ont fait croître, l'abîme l'a fait grandir, faisant couler ses fleuves autour de sa plantation, envoyant ses ruisseaux à tous les arbres de la campagne.

Ezéchiel 31, 5 C'est pourquoi sa taille était plus élevée que tous les arbres de la campagne, ses surgeons s'étaient multipliés, ses rameaux s'étendaient, à cause des eaux abondantes qui le faisaient croître.

Ezéchiel 31, 6 Dans ses branches nichaient tous les oiseaux du ciel, sous ses rameaux mettaient bas toutes les bêtes sauvages, à son ombre s'asseyaient un grand nombre de gens.

Ezéchiel 31, 7 Il était beau dans sa grandeur, dans le déploiement de ses branches, car ses racines se tendaient vers des eaux abondantes.

Ezéchiel 31, 8 Les cèdres ne l'égalaient pas au jardin de Dieu, les cyprès n'étaient pas comparables à ses branches, les platanes n'étaient pas semblables à ses rameaux, aucun arbre, au jardin de Dieu, ne l'égalait en beauté.

Ezéchiel 31, 9 Je l'avais embelli d'une riche ramure, il était envié de tous les arbres d'Eden, ceux du jardin de Dieu.

Ezéchiel 31, 10 Eh bien! ainsi parle le Seigneur Yahvé: Parce qu'il s'est dressé de toute sa taille, qu'il a porté sa cime jusqu'au milieu des nuages, que son coeur s'est enorgueilli de sa hauteur,

Ezéchiel 31, 11 je l'ai livré aux mains du prince des nations, pour qu'il le traite selon sa méchanceté; je l'ai rejeté.

Ezéchiel 31, 12 Des étrangers, les plus barbares des nations, l'ont coupé et abandonné. Sur les montagnes et dans toutes les vallées gisent ses branches; ses rameaux se sont brisés dans tous les ravins du pays; tous les gens du pays se sont enfuis de son ombre et l'ont abandonné.

Ezéchiel 31, 13 Sur ses débris se sont posés tous les oiseaux du ciel, vers ses rameaux sont venues toutes les bêtes sauvages.

Ezéchiel 31, 14 Ainsi, que jamais ne se dresse de toute sa taille aucun arbre situé près des eaux, qu'aucun ne porte sa cime jusqu'au milieu des nuages, qu'aucun arbre arrosé ne se dresse vers eux de toute sa hauteur! Car tous sont voués à la mort, aux pays souterrains, au milieu du commun des hommes, avec ceux qui descendent dans la fosse.

Ezéchiel 31, 15 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Le jour où il est descendu au shéol, j'ai fait observer un deuil, j'ai fermé sur lui l'abîme, j'ai arrêté ses fleuves et les eaux abondantes ont tari. J'ai assombri le Liban à cause de lui et tous les arbres de la campagne ont séché à cause de lui.

Ezéchiel 31, 16 Au bruit de sa chute, j'ai fait trembler les nations, quand je l'ai précipité au shéol avec ceux qui descendent dans la fosse. Dans les pays souterrains, ont été consolés tous les arbres d'Eden, le choix des plus beaux arbres du Liban, tous arrosés par les eaux.

Ezéchiel 31, 17 Et sa descendance qui habitait sous son ombre, parmi les nations, elle aussi est descendue au shéol, vers les victimes de l'épée.

Ezéchiel 31, 18 A qui donc comparer ta gloire et ta grandeur parmi les arbres d'Eden? Pourtant tu fus précipité avec les arbres d'Eden vers le pays souterrain, au milieu des incirconcis, et te voilà couché avec les victimes de l'épée. Tel est Pharaon et toute sa multitude, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 32, 1 La douzième année, au douzième mois, le premier du mois, la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 32, 2 Fils d'homme, prononce une complainte sur Pharaon, roi d'Egypte. Tu lui diras: Lionceau des nations, te voilà anéanti! Tu étais comme un crocodile dans les mers, tu bondissais dans tes fleuves, tu troublais l'eau avec tes pattes, tu en agitais les flots.

Ezéchiel 32, 3 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: J'étendrai sur toi mon filet au milieu d'un grand concours de peuples, et ils te tireront dans mon filet.

Ezéchiel 32, 4 Je t'abandonnerai sur la terre, je te jetterai à la surface des champs, je ferai reposer sur toi tous les oiseaux du ciel, je rassasierai de toi toutes les bêtes de la terre.

Ezéchiel 32, 5 Je placerai ta chair sur les montagnes, je remplirai les vallées de tes déchets;

Ezéchiel 32, 6 j'arroserai le pays de ce qui coulera de toi, de ton sang, sur les montagnes, et tu rempliras les ravins.

Ezéchiel 32, 7 Quand tu t'éteindras, je couvrirai les cieux et j'obscurcirai les étoiles; je couvrirai le soleil des nuages et la lune ne donnera plus sa clarté.

Ezéchiel 32, 8 J'obscurcirai tous les astres du ciel à cause de toi, je répandrai les ténèbres sur ton pays, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 32, 9 J'affligerai le coeur de beaucoup de peuples quand je provoquerai ta ruine parmi les nations, dans des pays que tu ne connais pas.

Ezéchiel 32, 10 Je frapperai de stupeur à ton sujet des peuples nombreux, et leurs rois frémiront d'horreur à cause de toi, quand je brandirai mon épée devant eux. Ils trembleront à tout instant, chacun pour sa vie, au jour de ta chute.

Ezéchiel 32, 11 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé: L'épée du roi de Babylone te poursuivra.

Ezéchiel 32, 12 Par l'épée des guerriers, je ferai tomber la multitude de tes sujets. Ce sont les plus barbares des nations; elles anéantiront l'orgueil de l'Egypte, et toute sa multitude sera détruite.

Ezéchiel 32, 13 Je ferai périr tout son bétail, au bord des eaux abondantes. Le pied de l'homme ne les troublera plus, le sabot du bétail ne les troublera plus.

Ezéchiel 32, 14 Alors je calmerai leurs eaux, je ferai couler leurs fleuves comme de l'huile, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 32, 15 Quand je ferai du pays d'Egypte une désolation, et que le pays sera dépouillé de ce qu'il contient, quand je frapperai tous ceux qui l'habitent, ils sauront que je suis Yahvé.

Ezéchiel 32, 16 Telle est la complainte que crieront les filles des nations. Elles la crieront sur l'Egypte et sur toute sa multitude. Elles crieront cette complainte, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 32, 17 La douzième année, au premier mois, le quinze du mois, la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 32, 18 Fils d'homme, lamente-toi sur la multitude de l'Egypte et fais-la descendre avec les filles des nations, majestueuses, vers le pays souterrain, avec ceux qui descendent dans la fosse.

Ezéchiel 32, 19 Qui surpasses-tu en beauté? Descends, couche-toi avec les incirconcis.

Ezéchiel 32, 20 Au milieu des victimes de l'épée, ils sont tombés (l'épée a été donnée, on l'a tirée), lui et toutes ses multitudes.

Ezéchiel 32, 21 Du milieu du shéol, les plus puissants héros, ses alliés, lui diront: "Ils sont descendus, ils se sont couchés, les incirconcis, victimes de l'épée!"

Ezéchiel 32, 22 Voilà Assur et toutes ses troupes, avec leurs tombeaux tout autour de lui; ils sont tous tombés victimes de l'épée,

Ezéchiel 32, 23 on a mis leurs tombeaux dans les profondeurs de la fosse et ses troupes entourent son tombeau; ils sont tous tombés victimes de l'épée, eux qui répandaient la terreur au pays des vivants.

Ezéchiel 32, 24 Voilà Elam et toute sa multitude autour de son tombeau, tous tombés victimes de l'épée; ils sont descendus, incirconcis, au pays souterrain, eux qui répandaient la terreur au pays des vivants. Ils ont porté leur déshonneur avec ceux qui descendent dans la fosse.

Ezéchiel 32, 25 On lui a fait une couche au milieu des victimes, parmi toute sa multitude, avec leurs tombeaux autour de lui; ils sont tous des incirconcis, victimes de l'épée pour avoir répandu la terreur au pays des vivants. Ils ont porté leur déshonneur avec ceux qui descendent dans la fosse; on les a placés au milieu de ces victimes.

Ezéchiel 32, 26 Voilà Méshek, Tubal et toute sa multitude, avec ses tombeaux autour de lui; ils sont tous incirconcis, victimes de l'épée pour avoir répandu la terreur au pays des vivants.

Ezéchiel 32, 27 Ils ne sont pas couchés avec les héros tombés autrefois, ceux qui descendirent au shéol les armes à la main, à qui on a mis leur épée sous la tête et leur bouclier sous leurs ossements, car la terreur des héros régnait au pays des vivants.

Ezéchiel 32, 28 Mais toi, c'est au milieu des incirconcis que tu seras brisé et que tu te coucheras, parmi les victimes de l'épée.

Ezéchiel 32, 29 Voilà Edom, ses rois et tous ses princes, qui ont été placés, malgré leur vaillance, parmi les victimes de l'épée. Ils sont couchés avec les incirconcis, avec ceux qui descendent dans la fosse.

Ezéchiel 32, 30 Voilà tous les princes du Nord, tous les Sidoniens, qui sont descendus avec les victimes, à cause de la terreur qu'inspirait leur force. Honteux, ils se sont couchés, incirconcis, parmi les victimes de l'épée, et ils ont porté leur déshonneur avec ceux qui descendent dans la fosse.

Ezéchiel 32, 31 Pharaon les verra et il se consolera à la vue de toute cette multitude victime de l'épée, - Pharaon et toute son armée - oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 32, 32 Parce qu'il avait répandu la terreur au pays des vivants, on l'étendra parmi les incirconcis, parmi les victimes de l'épée - Pharaon et toute son armée - oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 33, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 33, 2 Fils d'homme, parle aux fils de ton peuple. Tu leur diras: Quand je fais venir l'épée contre un pays, les gens de ce pays prennent parmi eux un homme et le placent comme guetteur;

Ezéchiel 33, 3 s'il voit l'épée venir contre le pays, il sonne du cor pour avertir le peuple.

Ezéchiel 33, 4 Si quelqu'un entend le son du cor mais n'en tient pas compte, et que l'épée survient et le fait périr, le sang de cet homme retombera sur sa propre tête.

Ezéchiel 33, 5 Il a entendu le son du cor sans en tenir compte: son sang retombera sur lui. Mais celui qui en a tenu compte, sa vie est sauve.

Ezéchiel 33, 6 Mais si le guetteur a vu venir l'épée et n'a pas sonné du cor, si bien que le peuple n'a pas été averti, et que l'épée survienne et fasse chez eux une victime, celle-ci périra victime de sa faute, mais je demanderai compte de son sang au guetteur.

Ezéchiel 33, 7 Toi aussi, fils d'homme, je t'ai fait guetteur pour la maison d'Israël. Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part.

Ezéchiel 33, 8 Si je dis au méchant: "Méchant, tu vas mourir", et que tu ne parles pas pour avertir le méchant d'abandonner sa conduite, lui, le méchant, mourra de sa faute, mais c'est à toi que je demanderai compte de son sang.

Ezéchiel 33, 9 Si au contraire tu as averti le méchant d'abandonner sa conduite pour se convertir et qu'il ne s'est pas converti, il mourra, lui, à cause de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie.

Ezéchiel 33, 10 Et toi, fils d'homme, dis à la maison d'Israël: Vous répétez ces paroles: "Nos crimes et nos péchés pèsent sur nous; c'est à cause d'eux que nous dépérissons. Comment pourrions-nous vivre?"

Ezéchiel 33, 11 Dis-leur: "Par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais à la conversion du méchant qui change de conduite pour avoir la vie. Convertissez-vous, revenez de votre voie mauvaise. Pourquoi mourir, maison d'Israël?"

Ezéchiel 33, 12 Et toi, fils d'homme, dis aux enfants de ton peuple: La justice du juste ne le sauvera pas au jour de son crime, et la méchanceté du méchant ne le fera pas succomber au jour où il reviendra de sa méchanceté. Le juste ne peut pas vivre en vertu de sa justice au jour de son péché.

Ezéchiel 33, 13 Si je dis au juste: "Tu vivras", mais que lui, se confiant dans sa justice, commette le mal, on ne se souviendra plus de toute sa justice, mais c'est de tout le mal qu'il a commis qu'il mourra.

Ezéchiel 33, 14 Mais si je dis au méchant: "Tu mourras", et qu'il revienne de ses péchés et pratique le droit et la justice,

Ezéchiel 33, 15 s'il rend le gage, restitue ce qu'il a volé, observe les lois qui donnent la vie sans plus faire le mal: il vivra, il ne mourra pas.

Ezéchiel 33, 16 On ne se souviendra plus de tous les péchés qu'il a commis: il a observé le droit et la justice, il vivra.

Ezéchiel 33, 17 Les fils de ton peuple disent: "La manière d'agir du Seigneur n'est pas juste." C'est votre manière d'agir qui n'est pas juste.

Ezéchiel 33, 18 Lorsque le juste se détourne de sa justice pour commettre le mal, il meurt pour cela.

Ezéchiel 33, 19 Et lorsque le méchant se détourne de sa méchanceté et pratique le droit et la justice, c'est à cause de cela qu'il vit.

Ezéchiel 33, 20 Et vous dites: "La manière d'agir du Seigneur n'est pas juste!" Je vous jugerai chacun selon votre conduite, maison d'Israël!

Ezéchiel 33, 21 La douzième année, le cinq du dixième mois de notre captivité, le rescapé arriva vers moi de Jérusalem et m'annonça: "La ville est prise."

Ezéchiel 33, 22 Or la main de Yahvé avait été sur moi, la veille au soir, avant que n'arrivât le rescapé, et il m'ouvrit la bouche quand celui-ci arriva vers moi, le matin; ma bouche s'ouvrit et je ne fus plus muet.

Ezéchiel 33, 23 Alors la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 33, 24 Fils d'homme, ceux qui habitent ces ruines, sur le sol d'Israël, parlent ainsi: "Abraham était seul lorsqu'il a été mis en possession de ce pays. Nous qui sommes nombreux, c'est à nous que le pays est donné en patrimoine."

Ezéchiel 33, 25 Eh bien! dis-leur: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Vous mangez le sang, vous levez les yeux vers vos ordures, vous répandez le sang, et vous posséderiez le pays?

Ezéchiel 33, 26 Vous vous appuyez sur vos épées, vous commettez l'abomination, chacun souille la femme de son prochain, et vous posséderiez le pays?

Ezéchiel 33, 27 Tu leur diras ceci: Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Par ma vie, je le jure, ceux qui sont dans les ruines tomberont par l'épée, celui qui est en rase campagne, je le livrerai aux bêtes pour en être dévoré, et ceux qui sont dans les lieux escarpés et dans les cavernes mourront de la peste.

Ezéchiel 33, 28 Je ferai du pays une solitude désolée, et l'orgueil de sa force prendra fin. Les montagnes d'Israël seront dévastées et nul n'y passera plus.

Ezéchiel 33, 29 Et l'on saura que je suis Yahvé, lorsque je ferai du pays une solitude désolée à cause de toutes les abominations qu'ils ont commises.

Ezéchiel 33, 30 Et toi, fils d'homme, les fils de ton peuple s'entretiennent de toi le long des murs et aux portes des maisons. Ils se disent l'un à l'autre, chacun à son voisin: "Venez donc écouter quelle parole arrive de la part de Yahvé."

Ezéchiel 33, 31 Et ils viennent vers toi en foule, mon peuple s'assied devant toi, écoute tes paroles, mais ne les met pas en pratique. Ce qu'ils mettent en pratique, c'est le mensonge qui est dans leur bouche, et leur coeur s'attache au gain malhonnête.

Ezéchiel 33, 32 Voici, tu es pour eux comme un chant d'amour, agréablement chanté, bien accompagné de musique. Ils écoutent tes paroles, mais nul ne les met en pratique.

Ezéchiel 33, 33 Lorsque cela arrivera - et voici que cela arrive - ils sauront qu'il y avait un prophète parmi eux.

Ezéchiel 34, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 34, 2 Fils d'homme, prophétise contre les pasteurs d'Israël, prophétise. Tu leur diras: Pasteurs, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Malheur aux pasteurs d'Israël qui se paissent eux-mêmes. Les pasteurs ne doivent-ils pas paître le troupeau?

Ezéchiel 34, 3 Vous vous êtes nourris de lait, vous vous êtes vêtus de laine, vous avez sacrifié les brebis les plus grasses, mais vous n'avez pas fait paître le troupeau.

Ezéchiel 34, 4 Vous n'avez pas fortifié les brebis chétives, soigné celle qui était malade, pansé celle qui était blessée. Vous n'avez pas ramené celle qui s'égarait, cherché celle qui était perdue. Mais vous les avez régies avec violence et dureté.

Ezéchiel 34, 5 Elles se sont dispersées, faute de pasteur, pour devenir la proie de toute bête sauvage; elles se sont dispersées.

Ezéchiel 34, 6 Mon troupeau erre sur toutes les montagnes et sur toutes les collines élevées, mon troupeau est dispersé sur toute la surface du pays, nul ne s'en occupe et nul ne se met à sa recherche.

Ezéchiel 34, 7 Eh bien! pasteurs, écoutez la parole de Yahvé.

Ezéchiel 34, 8 Par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, je le jure: parce que mon troupeau est mis au pillage et devient la proie de toutes les bêtes sauvages, faute de pasteur, parce que mes pasteurs ne s'occupent pas de mon troupeau, parce que mes pasteurs se paissent eux-mêmes sans paître mon troupeau,

Ezéchiel 34, 9 eh bien! pasteurs, écoutez la parole de Yahvé.

Ezéchiel 34, 10 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici, je me déclare contre les pasteurs. Je leur reprendrai mon troupeau et désormais, je les empêcherai de paître mon troupeau. Ainsi les pasteurs ne se paîtront plus eux-mêmes. J'arracherai mes brebis de leur bouche et elles ne seront plus pour eux une proie.

Ezéchiel 34, 11 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé: Voici que j'aurai soin moi-même de mon troupeau et je m'en occuperai.

Ezéchiel 34, 12 Comme un pasteur s'occupe de son troupeau, quand il est au milieu de ses brebis éparpillées, je m'occuperai de mes brebis. Je les retirerai de tous les lieux où elles furent dispersées, au jour de nuées et de ténèbres.

Ezéchiel 34, 13 Je leur ferai quitter les peuples où elles sont, je les rassemblerai des pays étrangers et je les ramènerai sur leur sol. Je les ferai paître sur les montagnes d'Israël, dans les ravins et dans tous les lieux habités du pays.

Ezéchiel 34, 14 Dans un bon pâturage je les ferai paître, et sur les plus hautes montagnes d'Israël sera leur pacage. C'est là qu'elles se reposeront dans un bon pacage; elles brouteront de gras pâturages sur les montagnes d'Israël.

Ezéchiel 34, 15 C'est moi qui ferai paître mes brebis et c'est moi qui les ferai reposer, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 34, 16 Je chercherai celle qui est perdue, je ramènerai celle qui est égarée, je fortifierai celle qui est malade. Celle qui est grasse et bien portante, je veillerai sur elle. Je les ferai paître avec justice.

Ezéchiel 34, 17 Quant à vous, mes brebis, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que je vais juger entre brebis et brebis, entre béliers et boucs.

Ezéchiel 34, 18 Non contents de paître dans de bons pâturages, vous foulez aux pieds le reste de votre pâturage; non contents de boire une eau limpide, vous troublez le reste avec vos pieds.

Ezéchiel 34, 19 Et mes brebis doivent brouter ce que vos pieds ont foulé et boire ce que vos pieds ont troublé.

Ezéchiel 34, 20 Eh bien! ainsi leur parle le Seigneur Yahvé: Me voici, je vais juger entre la brebis grasse et la brebis maigre.

Ezéchiel 34, 21 Parce que vous avez frappé des reins et de l'épaule et donné des coups de cornes à toutes les brebis souffreteuses jusqu'à les disperser au-dehors,

Ezéchiel 34, 22 je vais venir sauver mes brebis pour qu'elles ne soient plus au pillage, je vais juger entre brebis et brebis.

Ezéchiel 34, 23 Je susciterai pour le mettre à leur tête un pasteur qui les fera paître, mon serviteur David: c'est lui qui les fera paître et sera pour eux un pasteur.

Ezéchiel 34, 24 Moi, Yahvé, je serai pour eux un Dieu, et mon serviteur David sera prince au milieu d'eux. Moi, Yahvé, j'ai parlé.

Ezéchiel 34, 25 Je conclurai avec eux une alliance de paix, je ferai disparaître du pays les bêtes féroces. Ils habiteront en sécurité dans le désert, ils dormiront dans les bois.

Ezéchiel 34, 26 Je les mettrai aux alentours de ma colline, je ferai tomber la pluie en son temps et ce sera une pluie de bénédictions.

Ezéchiel 34, 27 L'arbre des champs donnera son fruit et la terre donnera ses produits; ils seront en sécurité sur leur sol. Et l'on saura que je suis Yahvé quand je briserai les barres de leur joug et que je les délivrerai de la main de ceux qui les asservissent.

Ezéchiel 34, 28 Ils ne seront plus un butin pour les nations, et les bêtes du pays ne les dévoreront plus. Ils habiteront en sécurité, sans qu'on les trouble.

Ezéchiel 34, 29 Je ferai pousser pour eux une plantation célèbre; il n'y aura plus de victimes de la famine dans le pays, et ils n'auront plus à subir l'insulte des nations.

Ezéchiel 34, 30 Alors on saura que c'est moi leur Dieu, qui suis avec eux, et qu'eux, la maison d'Israël, ils sont mon peuple, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 34, 31 Et vous, mes brebis, vous êtes le troupeau humain que je fais paître, et moi, je suis votre Dieu, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 35, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 35, 2 Fils d'homme, tourne-toi vers la montagne de Séïr et prophétise contre elle.

Ezéchiel 35, 3 Tu lui diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que je me déclare contre toi, montagne de Séïr, et j'étends la main contre toi; je te transformerai en solitude désolée;

Ezéchiel 35, 4 je réduirai tes villes en ruines. Tu deviendras une solitude et tu sauras que je suis Yahvé.

Ezéchiel 35, 5 Parce que tu nourrissais une haine éternelle et que tu as livré à l'épée les Israélites, au jour de leur détresse, au jour du crime final,

Ezéchiel 35, 6 eh bien! par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, je vais t'ensanglanter et le sang te poursuivra. Je le jure, tu t'es rendue coupable en versant le sang, le sang te poursuivra.

Ezéchiel 35, 7 Je ferai de la montagne de Séïr une solitude désolée, et j'en retrancherai quiconque parcourt le pays.

Ezéchiel 35, 8 J'emplirai ses montagnes de victimes; sur tes collines, dans tes vallées et dans tous tes ravins, ils tomberont victimes de l'épée.

Ezéchiel 35, 9 Je ferai de toi des solitudes éternelles, tes villes ne seront plus habitées, et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 35, 10 Parce que tu as dit: "Les deux nations et les deux pays seront à moi, nous allons en prendre possession", alors que Yahvé y était,

Ezéchiel 35, 11 eh bien! par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, j'agirai selon la colère et la jalousie avec lesquelles tu as agi dans ta haine contre eux. Je me ferai connaître, à cause d'eux, lorsque je te châtierai,

Ezéchiel 35, 12 et tu sauras que moi, Yahvé, j'ai entendu toutes les insolences que tu as prononcées contre les montagnes d'Israël en disant: "Elles sont dévastées, elles nous ont été données pour les dévorer."

Ezéchiel 35, 13 Grande fut votre insolence à mon égard, nombreux vos discours contre moi, et j'ai tout entendu.

Ezéchiel 35, 14 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: A la joie de tout le pays je ferai de toi une désolation.

Ezéchiel 35, 15 Comme tu as éprouvé de la joie parce que l'héritage de la maison d'Israël avait été dévasté, je te traiterai de la même manière. Tu seras changée en désolation, montagne de Séïr, ainsi qu'Edom tout entier, et on saura que je suis Yahvé.

Ezéchiel 36, 1 Et toi, fils d'homme, adresse une prophétie aux montagnes d'Israël. Tu diras: Montagnes d'Israël, écoutez la parole de Yahvé.

Ezéchiel 36, 2 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Parce que l'ennemi a prononcé contre vous ces paroles: "Ha! Ha! Ces hauteurs éternelles sont devenus notre patrimoine",

Ezéchiel 36, 3 eh bien! prophétise. Tu diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Parce qu'on vous a dévastées et prises de toute part, si bien que vous êtes devenues la propriété du reste des nations, prétexte au bavardage et au commérage des gens,

Ezéchiel 36, 4 eh bien! montagnes d'Israël, écoutez la parole du Seigneur Yahvé. Ainsi parle le Seigneur Yahvé aux montagnes, aux collines, aux ravins et aux vallées, aux ruines dévastées et aux villes abandonnées qui sont mises au pillage et deviennent la risée du reste des nations d'alentour.

Ezéchiel 36, 5 Eh bien! ainsi parle le Seigneur Yahvé. Je le jure dans l'ardeur de ma jalousie, je m'adresse au reste des nations, à Edom tout entier, qui, la joie au coeur et le mépris dans l'âme, se sont attribué mon pays en propriété pour mettre son pâturage au pillage.

Ezéchiel 36, 6 A cause de cela, prophétise au sujet de la terre d'Israël. Tu diras aux montagnes et aux collines, aux ravins et aux vallées: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que je parle dans ma jalousie et ma fureur: puisque vous subissez l'insulte des nations,

Ezéchiel 36, 7 eh bien! ainsi parle le Seigneur Yahvé: je lève la main, je le jure, les nations qui vous entourent subiront elles-mêmes leur insulte.

Ezéchiel 36, 8 Et vous, montagnes d'Israël, vous allez donner vos branches et porter vos fruits pour mon peuple Israël, car il est près de revenir.

Ezéchiel 36, 9 Me voici, je viens vers vous, je me tourne vers vous, vous allez être cultivées et ensemencées.

Ezéchiel 36, 10 Je vais multiplier sur vous les hommes, la maison d'Israël tout entière. Les villes seront habitées et les ruines rebâties.

Ezéchiel 36, 11 Je multiplierai sur vous hommes et bêtes, ils seront nombreux et féconds. Je ferai que vous serez habitées comme auparavant, je vous ferai plus de bien qu'autrefois et vous saurez que je suis Yahvé.

Ezéchiel 36, 12 Je ferai fouler votre sol par des hommes, mon peuple Israël; tu seras sa propriété et son héritage et tu ne les priveras plus de leurs enfants.

Ezéchiel 36, 13 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Parce qu'on a dit de toi: "Tu es une mangeuse d'hommes, tu as privé ta nation de ses enfants",

Ezéchiel 36, 14 eh bien! tu ne dévoreras plus d'hommes, tu ne priveras plus ta nation de ses enfants, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 36, 15 Je ne te ferai plus entendre l'insulte des nations, tu n'auras plus à subir la raillerie des peuples, tu ne priveras plus ta nation de ses enfants. Oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 36, 16 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 36, 17 Fils d'homme, les gens de la maison d'Israël habitaient sur leur territoire, et ils l'ont souillé par leur conduite et par leurs oeuvres; comme la souillure d'une femme impure, telle fut leur conduite devant moi.

Ezéchiel 36, 18 Alors j'ai déversé ma fureur sur eux, à cause du sang qu'ils ont versé dans le pays et des ordures dont ils l'ont souillé.

Ezéchiel 36, 19 Je les ai disséminés parmi les nations et ils ont été dispersés dans les pays étrangers. Je les ai jugés selon leur conduite et selon leurs oeuvres.

Ezéchiel 36, 20 Et parmi les nations où ils sont venus, ils ont profané mon saint nom, faisant dire à leur sujet: "C'est le peuple de Yahvé, ils sont sortis de son pays."

Ezéchiel 36, 21 Mais j'ai eu égard à mon saint nom que la maison d'Israël a profané parmi les nations où elle est venue.

Ezéchiel 36, 22 Eh bien! dis à la maison d'Israël: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Ce n'est pas à cause de vous que j'agis de la sorte, maison d'Israël, mais c'est pour mon saint nom, que vous avez profané parmi les nations où vous êtes venus.

Ezéchiel 36, 23 Je sanctifierai mon grand nom qui a été profané parmi les nations au milieu desquelles vous l'avez profané. Et les nations sauront que je suis Yahvé - oracle du Seigneur Yahvé - quand je ferai éclater ma sainteté, à votre sujet, sous leurs yeux.

Ezéchiel 36, 24 Alors je vous prendrai parmi les nations, je vous rassemblerai de tous les pays étrangers et je vous ramènerai vers votre sol.

Ezéchiel 36, 25 Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés; de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vous purifierai.

Ezéchiel 36, 26 Et je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j'ôterai de votre chair le coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair.

Ezéchiel 36, 27 Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes.

Ezéchiel 36, 28 Vous habiterez le pays que j'ai donné à vos pères. Vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu.

Ezéchiel 36, 29 Je vous sauverai de toutes vos souillures. J'appellerai le blé et le multiplierai, et je ne vous imposerai plus de famine.

Ezéchiel 36, 30 Je multiplierai les fruits des arbres et les produits des champs, afin que vous ne subissiez plus l'opprobre de la famine parmi les nations.

Ezéchiel 36, 31 Alors vous vous souviendrez de votre mauvaise conduite et de vos actions qui n'étaient pas bonnes. Vous vous prendrez vous-mêmes en dégoût à cause de vos fautes et de vos abominations.

Ezéchiel 36, 32 Ce n'est pas à cause de vous que j'agis - oracle du Seigneur Yahvé - sachez-le bien. Ayez honte et rougissez de votre conduite, maison d'Israël.

Ezéchiel 36, 33 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Au jour où je vous purifierai de toutes vos fautes, je ferai que les villes soient habitées et les ruines rebâties;

Ezéchiel 36, 34 la terre dévastée sera cultivée, après avoir été dévastée, aux yeux de tous les passants.

Ezéchiel 36, 35 Et l'on dira: "Cette terre, naguère dévastée, est comme un jardin d'Eden, et les villes en ruines, dévastées et démolies, on en a fait des forteresses habitées"

Ezéchiel 36, 36 Et les nations qui survivront autour de vous sauront que c'est moi, Yahvé, qui ai rebâti ce qui était démoli et qui ai replanté ce qui était dévasté. Moi, Yahvé, j'ai dit et je fais.

Ezéchiel 36, 37 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Pour leur accorder ceci encore, je me laisserai chercher par la maison d'Israël; je les multiplierai comme un troupeau humain,

Ezéchiel 36, 38 comme un troupeau de bêtes consacrées, comme le troupeau réuni à Jérusalem lors de ses assemblées. C'est ainsi que vos villes en ruines se rempliront d'un troupeau humain, et l'on saura que je suis Yahvé.

Ezéchiel 37, 1 La main de Yahvé fut sur moi, il m'emmena par l'esprit de Yahvé, et il me déposa au milieu de la vallée, une vallée pleine d'ossements.

Ezéchiel 37, 2 Il me la fit parcourir, parmi eux, en tous sens. Or les ossements étaient très nombreux sur le sol de la vallée, et ils étaient complètement desséchés.

Ezéchiel 37, 3 Il me dit: "Fils d'homme, ces ossements vivront-ils?" Je dis: "Seigneur Yahvé, c'est toi qui le sais."

Ezéchiel 37, 4 Il me dit: "Prophétise sur ces ossements. Tu leur diras: Ossements desséchés, écoutez la parole de Yahvé.

Ezéchiel 37, 5 Ainsi parle le Seigneur Yahvé à ces ossements. Voici que je vais faire entrer en vous l'esprit et vous vivrez.

Ezéchiel 37, 6 Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai pousser sur vous de la chair, je tendrai sur vous de la peau, je vous donnerai un esprit et vous vivrez, et vous saurez que je suis Yahvé."

Ezéchiel 37, 7 Je prophétisai, comme j'en avais reçu l'ordre. Or il se fit un bruit au moment où je prophétisais; il y eut un frémissement et les os se rapprochèrent les uns des autres.

Ezéchiel 37, 8 Je regardai: ils étaient recouverts de nerfs, la chair avait poussé et la peau s'était tendue par-dessus, mais il n'y avait pas d'esprit en eux.

Ezéchiel 37, 9 Il me dit: "Prophétise à l'esprit, prophétise, fils d'homme. Tu diras à l'esprit: ainsi parle le Seigneur Yahvé. Viens des quatre vents, esprit, souffle sur ces morts, et qu'ils vivent."

Ezéchiel 37, 10 Je prophétisai comme il m'en avait donné l'ordre, et l'esprit vint en eux, ils reprirent vie et se mirent debout sur leurs pieds: grande, immense armée.

Ezéchiel 37, 11 Alors il me dit: Fils d'homme, ces ossements, c'est toute la maison d'Israël. Les voilà qui disent: "Nos os sont desséchés, notre espérance est détruite, c'en est fait de nous."

Ezéchiel 37, 12 C'est pourquoi, prophétise. Tu leur diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que j'ouvre vos tombeaux; je vais vous faire remonter de vos tombeaux, mon peuple, et je vous ramènerai sur le sol d'Israël.

Ezéchiel 37, 13 Vous saurez que je suis Yahvé, lorsque j'ouvrirai vos tombeaux et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, mon peuple.

Ezéchiel 37, 14 Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez, et je vous installerai sur votre sol, et vous saurez que moi, Yahvé, j'ai parlé et je fais, oracle de Yahvé.

Ezéchiel 37, 15 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 37, 16 Et toi, fils d'homme, prends un morceau de bois et écris dessus: "Juda et les Israélites qui sont avec lui." Prends un morceau de bois et écris dessus: "Joseph (bois d'Ephraïm) et toute la maison d'Israël qui est avec lui."

Ezéchiel 37, 17 Rapproche-les l'un de l'autre pour faire un seul morceau de bois; qu'ils ne fassent qu'un dans ta main.

Ezéchiel 37, 18 Et lorsque les fils de ton peuple te diront: "Ne nous expliqueras-tu pas ce que tu veux dire?"

Ezéchiel 37, 19 Dis-leur: Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Voici que je vais prendre le bois de Joseph (qui est dans la main d'Ephraïm) et les tribus d'Israël qui sont avec lui, je vais les mettre contre le bois de Juda, j'en ferai un seul morceau de bois et ils ne seront qu'un dans ma main.

Ezéchiel 37, 20 Quand les morceaux de bois sur lesquels tu auras écrit seront dans ta main, à leurs yeux,

Ezéchiel 37, 21 dis-leur: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que je vais prendre les Israélites parmi les nations où ils sont allés. Je vais les rassembler de tous côtés et les ramener sur leur sol.

Ezéchiel 37, 22 J'en ferai une seule nation dans le pays, dans les montagnes d'Israël, et un seul roi sera leur roi à eux tous; ils ne formeront plus deux nations, ils ne seront plus divisés en deux royaumes.

Ezéchiel 37, 23 Ils ne se souilleront plus avec leurs ordures, leurs horreurs et tous leurs crimes. Je les sauverai des infidélités qu'ils ont commises et je les purifierai, ils seront mon peuple et je serai leur Dieu.

Ezéchiel 37, 24 Mon serviteur David régnera sur eux; il n'y aura qu'un seul pasteur pour eux tous; ils obéiront à mes coutumes, ils observeront mes lois et les mettront en pratique.

Ezéchiel 37, 25 Ils habiteront le pays que j'ai donné à mon serviteur Jacob, celui qu'ont habité vos pères. Ils l'habiteront, eux, leurs enfants et les enfants de leurs enfants, à jamais. David mon serviteur sera leur prince à jamais.

Ezéchiel 37, 26 Je conclurai avec eux une alliance de paix, ce sera avec eux une alliance éternelle. Je les établirai, je les multiplierai et j'établirai mon sanctuaire au milieu d'eux à jamais.

Ezéchiel 37, 27 Je ferai ma demeure au-dessus d'eux, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple.

Ezéchiel 37, 28 Et les nations sauront que je suis Yahvé qui sanctifie Israël, lorsque mon sanctuaire sera au milieu d'eux à jamais.

Ezéchiel 38, 1 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Ezéchiel 38, 2 Fils d'homme, tourne-toi vers Gog, au pays de Magog, prince, chef de Méshek et de Tubal, et prophétise contre lui.

Ezéchiel 38, 3 Tu diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Je me déclare contre toi, Gog, prince, chef de Méshek et de Tubal.

Ezéchiel 38, 4 Je te ferai faire demi-tour, je mettrai des crocs à tes mâchoires et je te ferai sortir avec toute ton armée, chevaux et cavaliers, tous parfaitement équipés, troupe nombreuse, tous portant écus et boucliers et sachant manier l'épée.

Ezéchiel 38, 5 La Perse, Kush et Put sont avec eux, tous avec le bouclier et le casque.

Ezéchiel 38, 6 Gomer et toutes ses troupes, Bet-Togarma, à l'extrême nord, et toutes ses troupes, des peuples innombrables sont avec toi.

Ezéchiel 38, 7 Sois prêt, prépare-toi bien, toi et toutes tes troupes ainsi que ceux qui se sont groupés autour de toi, et mets-toi à mon service.

Ezéchiel 38, 8 Après bien des jours, tu recevras des ordres. Après bien des années, tu viendras vers le pays dont les habitants ont échappé à l'épée et ont été rassemblés, parmi une multitude de peuples, sur les montagnes d'Israël qui furent longtemps une ruine. Depuis qu'ils ont été séparés des autres peuples, ils habitent tous en sécurité.

Ezéchiel 38, 9 Tu monteras, tu avanceras comme une tempête, tu seras comme une nuée qui couvrira le pays, toi, toutes tes troupes et des peuples nombreux avec toi.

Ezéchiel 38, 10 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Ce jour-là, des pensées naîtront dans ton coeur et tu formeras de mauvais desseins.

Ezéchiel 38, 11 Tu diras: "je vais monter contre un pays sans défense, marcher contre des hommes tranquilles, qui habitent en sécurité. Ils habitent tous des villes sans remparts, ils n'ont ni verrous ni portes."

Ezéchiel 38, 12 Tu iras piller et faire du butin, porter la main contre des ruines habitées et contre un peuple rassemblé d'entre les nations, adonné à l'élevage et au commerce, qui habite sur le nombril de la terre.

Ezéchiel 38, 13 Sheba, Dedân, les trafiquants de Tarsis et tous ses jeunes lions te diront: "Est-ce pour piller que tu es venu? Est-ce pour faire du butin que tu as réuni tes troupes? Est-ce pour enlever l'or et l'argent, pour saisir troupeaux et marchandises, pour emporter un immense butin?"

Ezéchiel 38, 14 C'est pourquoi, prophétise, fils d'homme. Tu diras à Gog: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. N'est-il pas vrai que ce jour-là, quand mon peuple Israël habitera en sécurité, tu te mettras en route?

Ezéchiel 38, 15 Tu quitteras ta résidence à l'extrême nord, toi et des peuples nombreux avec toi, tous montés sur des chevaux, troupe énorme, armée innombrable.

Ezéchiel 38, 16 Tu monteras contre Israël mon peuple, tu seras comme une nuée qui recouvre la terre. Ce sera à la fin des jours que je t'amènerai contre mon pays, pour que les nations me connaissent, quand je manifesterai ma sainteté à leurs yeux, par ton intermédiaire, Gog.

Ezéchiel 38, 17 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: C'est toi dont j'ai parlé au temps jadis, par mes serviteurs les prophètes d'Israël qui ont prophétisé en ce temps là, annonçant ta venue contre eux.

Ezéchiel 38, 18 En ce jour-là, au jour où Gog s'avancera contre le territoire d'Israël - oracle du Seigneur Yahvé - mon courroux montera. Dans ma colère,

Ezéchiel 38, 19 dans ma jalousie, dans l'ardeur de ma fureur, je le dis: ce jour-là, je le jure, il y aura un grand tumulte sur le territoire d'Israël.

Ezéchiel 38, 20 Alors trembleront devant moi les poissons de la mer et les oiseaux du ciel, les bêtes sauvages, tous les reptiles qui rampent sur le sol et tous les hommes qui sont sur la surface du sol. Les montagnes s'écrouleront, les parois des rochers trembleront, toutes les murailles tomberont par terre.

Ezéchiel 38, 21 J'appellerai contre lui toute sorte d'épée, oracle du Seigneur Yahvé, et ils tourneront l'épée l'un contre l'autre.

Ezéchiel 38, 22 Je le châtierai par la peste et le sang, je ferai tomber la pluie torrentielle, des grêlons, du feu et du soufre, sur lui, sur ses troupes et sur les peuples nombreux qui sont avec lui.

Ezéchiel 38, 23 Je manifesterai ma grandeur et ma sainteté, je me ferai connaître aux yeux des nations nombreuses, et ils sauront que je suis Yahvé.

Ezéchiel 39, 1 Et toi, fils d'homme, prophétise contre Gog. Tu diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Je me déclare contre toi, Gog, prince, chef de Méshek et de Tubal.

Ezéchiel 39, 2 Je te ferai faire demi-tour, je te conduirai, je te ferai monter de l'extrême nord et je t'amènerai contre les montagnes d'Israël.

Ezéchiel 39, 3 Je briserai ton arc dans ta main gauche et je ferai tomber tes flèches de ta main droite.

Ezéchiel 39, 4 Tu tomberas sur les montagnes d'Israël, toi, toutes tes troupes et les peuples qui sont avec toi. Je te donne en pâture aux oiseaux de proie de toute espèce et aux bêtes sauvages:

Ezéchiel 39, 5 Tu tomberas en plein champ, car moi, j'ai parlé, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 39, 6 J'enverrai le feu dans Magog et sur ceux qui habitent des îles, en sécurité, et ils sauront que je suis Yahvé.

Ezéchiel 39, 7 Je ferai connaître mon saint nom au milieu de mon peuple Israël, je ne laisserai plus profaner mon saint nom, et les nations sauront que je suis Yahvé, saint en Israël.

Ezéchiel 39, 8 Voici que cela vient, c'est fait - oracle du Seigneur Yahvé - c'est le jour que j'ai annoncé.

Ezéchiel 39, 9 Alors les habitants des villes d'Israël s'en iront brûler et livrer au feu les armes, écus et boucliers, arcs et flèches, javelots et lances. Ils en feront du feu pendant sept ans.

Ezéchiel 39, 10 On n'ira plus chercher de bois dans la campagne, on n'en coupera plus dans les forêts, car c'est avec les armes qu'on fera du feu. Ils pilleront ceux qui les pillaient, ils prendront du butin à ceux qui leur en prenaient, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 39, 11 Ce jour-là, je donnerai à Gog pour sa sépulture en Israël un lieu célèbre, la vallée des Oberim, à l'est de la mer, la vallée qui arrête les passants; on y enterrera Gog et toute sa multitude, et on l'appellera: Vallée de Hamôn-Gog.

Ezéchiel 39, 12 La maison d'Israël les enterrera afin de purifier le pays pendant sept mois.

Ezéchiel 39, 13 Tous les gens du pays travailleront à les enterrer, et cela leur vaudra la renommée au jour où je manifesterai ma gloire, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 39, 14 On mettra à part des hommes dont la fonction permanente sera de parcourir le pays et d'enterrer ceux qui sont restés sur le sol, pour le purifier. Ils entreprendront leur recherche au bout de sept mois.

Ezéchiel 39, 15 Quand ces gens-là parcourront le pays, si l'un d'eux voit des ossements humains, il dressera à côté une borne, jusqu'à ce que les fossoyeurs les enterrent dans la vallée de Hamôn-Gog

Ezéchiel 39, 16 (et Hamona est aussi le nom d'une ville), et qu'ils aient purifié le pays.

Ezéchiel 39, 17 Et toi, fils d'homme, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Dis aux oiseaux de toute espèce et à toutes les bêtes sauvages: Rassemblez-vous, venez, réunissez-vous de partout alentour pour le sacrifice que je vous offre, un grand sacrifice sur les montagnes d'Israël, et vous mangerez de la chair et vous boirez du sang.

Ezéchiel 39, 18 Vous mangerez la chair des héros, vous boirez le sang des princes de la terre. Ce sont tous des béliers, des agneaux, des boucs, des taureaux gras du Bashân.

Ezéchiel 39, 19 Vous mangerez de la graisse jusqu'à satiété et vous boirez du sang jusqu'à l'ivresse, en ce sacrifice que je vous offre.

Ezéchiel 39, 20 Vous vous rassasierez à ma table, de chevaux et de coursiers, de héros et de tout homme de guerre, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 39, 21 Je manifesterai ma gloire aux nations, et toutes les nations verront mon jugement quand je l'exécuterai, et ma main quand je l'abattrai sur elles.

Ezéchiel 39, 22 Et la maison d'Israël saura que je suis Yahvé son Dieu, à partir de ce jour et désormais.

Ezéchiel 39, 23 Les nations aussi le sauront: c'est pour sa faute envers moi que la maison d'Israël a été exilée, c'est parce qu'elle m'a été infidèle que je lui ai caché ma face, que je l'ai livrée aux mains de ses ennemis et que tous sont tombés par l'épée.

Ezéchiel 39, 24 Je les ai traités comme le méritaient leurs souillures et leurs transgressions, et je leur ai caché ma face.

Ezéchiel 39, 25 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé: Maintenant, je vais ramener les captifs de Jacob, je vais prendre en pitié toute la maison d'Israël, et je me montrerai jaloux de mon saint nom.

Ezéchiel 39, 26 Ils oublieront leur déshonneur et toutes les infidélités qu'ils ont commises envers moi, quand ils habitaient dans leur pays en sécurité, sans que personne les inquiète.

Ezéchiel 39, 27 Quand je les ramènerai d'entre les peuples et que je les rassemblerai des pays de leurs ennemis, quand je manifesterai ma sainteté en eux aux yeux des nations nombreuses,

Ezéchiel 39, 28 ils sauront que je suis Yahvé leur Dieu - quand je les aurai emmenés captifs parmi les nations et que je les réunirai sur leur sol, sans laisser aucun d'eux là-bas.

Ezéchiel 39, 29 Et je ne leur cacherai plus ma face, car je répandrai mon Esprit sur la maison d'Israël, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 40, 1 La 25 année de notre captivité, au commencement de l'année, le dix du mois, quatorze ans après que la ville eut été prise, en ce jour même, la main de Yahvé fut sur moi. Il m'emmena là-bas:

Ezéchiel 40, 2 par des visions divines, il m'emmena au pays d'Israël et me déposa sur une très haute montagne, sur laquelle semblait construite une ville, au midi.

Ezéchiel 40, 3 Il m'y amena, et voici qu'il y avait un homme dont l'aspect était comme celui de l'airain. Il avait dans la main un cordeau de lin et une canne à mesurer, et il se tenait dans le porche.

Ezéchiel 40, 4 L'homme me dit: "Fils d'homme, regarde bien, écoute de toutes tes oreilles et fais bien attention à tout ce que je vais te montrer, car c'est pour que je te le montre que tu as été amené ici. Fais connaître à la maison d'Israël tout ce que tu vas voir."

Ezéchiel 40, 5 Or voici que le Temple était entouré de tous côtés par un mur extérieur. L'homme tenait dans la main une canne à mesurer, de six coudées d'une coudée plus un palme. Il mesura l'épaisseur de la construction: une canne, et sa hauteur: une canne.

Ezéchiel 40, 6 Il vint vers le porche qui fait face à l'orient, il en gravit les marches et mesura le seuil du porche: une canne de profondeur.

Ezéchiel 40, 7 La loge: une canne de longueur sur une canne de largeur, le pilastre entre les loges: cinq coudées, et le seuil du porche, du côté du vestibule du porche, vers l'intérieur: une canne.

Ezéchiel 40, 9 Il mesura le vestibule du porche: huit coudées; son pilastre: deux coudées; le vestibule du porche était situé vers l'intérieur.

Ezéchiel 40, 10 Les loges du porche oriental étaient au nombre de trois de chaque côté, toutes trois de mêmes dimensions; les pilastres étaient de mêmes dimensions de chaque côté.

Ezéchiel 40, 11 Il mesura la largeur de l'entrée du porche: dix coudées, et la longueur du porche: treize coudées.

Ezéchiel 40, 12 Il y avait un parapet devant les loges, chaque parapet avait une coudée de part et d'autre et la loge avait six coudées de chaque côté.

Ezéchiel 40, 13 Il mesura le porche depuis le fond d'une loge jusqu'au fond de l'autre, largeur: 25 coudées, les ouvertures étant en face l'une de l'autre.

Ezéchiel 40, 14 Il mesura le vestibule: vingt coudées; le parvis entourait le porche de tous côtés.

Ezéchiel 40, 15 De la façade du porche, à l'entrée, jusqu'au fond du vestibule intérieur du porche: 50 coudées.

Ezéchiel 40, 16 Il y avait des fenêtres à treillis sur les loges et sur leurs pilastres, vers l'intérieur du porche, tout autour; et de même pour le vestibule, il y avait des fenêtres tout autour, et sur les pilastres, des palmiers.

Ezéchiel 40, 17 Il m'emmena vers le parvis extérieur, et voici qu'on avait aménagé des chambres et un dallage entourant le parvis; 30 chambres sur ce dallage.

Ezéchiel 40, 18 Le dallage se trouvait de chaque côté des porches, correspondant à la profondeur des porches: c'était le dallage inférieur.

Ezéchiel 40, 19 Il mesura la largeur du parvis, depuis la façade du porche inférieur jusqu'à la façade du parvis intérieur, en dehors: cent coudées (à l'orient et au nord).

Ezéchiel 40, 20 Quant au porche qui regarde vers le nord, sur le parvis extérieur, il en mesura la longueur et la largeur.

Ezéchiel 40, 21 Ses loges étaient au nombre de trois de chaque côté, ses pilastres et son vestibule étaient de mêmes dimensions que ceux du premier porche: 50 coudées de long et 25 de large.

Ezéchiel 40, 22 Ses fenêtres, son vestibule et ses palmiers avaient les mêmes dimensions que ceux du porche qui ouvre sur l'orient. On y montait par sept marches et son vestibule était situé vers l'intérieur.

Ezéchiel 40, 23 Il y avait un porche au parvis intérieur, face au porche septentrional, comme pour le porche oriental. Il mesura la distance d'un porche à l'autre: cent coudées.

Ezéchiel 40, 24 Il me conduisit du côté du midi: il y avait un porche vers le midi; il en mesura les loges, les pilastres et le vestibule: ils avaient les mêmes dimensions.

Ezéchiel 40, 25 Le porche avait, ainsi que son vestibule, des fenêtres tout autour, semblables aux autres fenêtres; il avait 50 coudées de long et 25 de large,

Ezéchiel 40, 26 et son escalier avait sept marches; son vestibule était situé vers l'intérieur, et il avait des palmiers, un de chaque côté, sur ses pilastres.

Ezéchiel 40, 27 Il y avait un porche au parvis intérieur, vers le midi; il mesura la distance d'un porche à l'autre, vers le midi: cent coudées.

Ezéchiel 40, 28 Puis il m'emmena au parvis intérieur, par le porche méridional; il mesura le porche méridional, qui avait les mêmes dimensions;

Ezéchiel 40, 29 ses loges, ses pilastres et son vestibule avaient les mêmes dimensions. Le porche avait, ainsi que son vestibule, des fenêtres tout autour; il avait 50 coudées de long et 25 de large.

Ezéchiel 40, 31 Son vestibule donnait sur le parvis extérieur. Il avait des palmiers à ses pilastres et son escalier avait huit marches.

Ezéchiel 40, 32 Il m'emmena, au parvis intérieur, vers l'orient et mesura le porche; il avait les mêmes dimensions;

Ezéchiel 40, 33 ses loges, ses pilastres et son vestibule avaient les mêmes dimensions. Le porche avait, ainsi que son vestibule, des fenêtres tout autour; il avait 50 coudées de long et 25 de large.

Ezéchiel 40, 34 Son vestibule donnait sur le parvis extérieur. Il y avait des palmiers à ses pilastres, de chaque côté, et son escalier avait huit marches.

Ezéchiel 40, 35 Puis il m'emmena vers le porche septentrional et le mesura; il avait les mêmes dimensions;

Ezéchiel 40, 36 ses loges, ses pilastres, son vestibule avaient les mêmes dimensions. Le porche avait des fenêtres tout autour; il avait 50 coudées de long et 25 de large.

Ezéchiel 40, 37 Son vestibule donnait sur le parvis extérieur. Il y avait des palmiers à ses pilastres, de chaque côté, et son escalier avait huit marches.

Ezéchiel 40, 38 Il y avait une chambre dont l'entrée était dans le vestibule du porche. C'est là qu'on lavait l'holocauste.

Ezéchiel 40, 39 Et dans le vestibule du porche, il y avait, de chaque côté, deux tables pour y égorger les holocaustes, les sacrifices pour le péché et les sacrifices de réparation.

Ezéchiel 40, 40 Du côté extérieur, pour qui montait à l'entrée du porche, vers le nord, il y avait deux tables, et de l'autre côté, vers le vestibule, deux tables.

Ezéchiel 40, 41 Il y avait quatre tables d'un côté et quatre tables de l'autre côté du porche, soit huit tables sur lesquelles on immolait.

Ezéchiel 40, 42 En outre, il y avait quatre tables en pierre de taille, pour les holocaustes, longues d'une coudée et demie, larges d'une coudée et demie et hautes d'une coudée, sur lesquelles on déposait les instruments avec lesquels on immolait l'holocauste et le sacrifice.

Ezéchiel 40, 43 Des rigoles, d'un palme de large, étaient aménagées à l'intérieur, tout autour. C'est sur ces tables qu'on mettait la viande des offrandes.

Ezéchiel 40, 44 Puis il m'emmena au parvis intérieur; il y avait deux chambres dans le parvis intérieur, l'une sur le côté du porche septentrional faisant face au midi, l'autre sur le côté du porche méridional faisant face au nord.

Ezéchiel 40, 45 Il me dit: "Cette chambre faisant face au midi est destinée aux prêtres qui assurent le service du Temple.

Ezéchiel 40, 46 Et la chambre qui fait face au nord est destinée aux prêtres qui assurent le service de l'autel. Ce sont les fils de Sadoq, ceux, parmi les fils de Lévi, qui s'approchent de Yahvé pour le servir."

Ezéchiel 40, 47 Il mesura le parvis, il avait cent coudées de long et cent coudées de large, il était donc carré, et l'autel était devant le Temple.

Ezéchiel 40, 48 Il m'emmena au Ulam du Temple et mesura les pilastres du Ulam: cinq coudées de chaque côté, et la largeur du porche était de trois coudées de chaque côté.

Ezéchiel 40, 49 La longueur du Ulam était de vingt coudées, et sa largeur de douze coudées. Il y avait dix marches pour y monter, et il y avait des colonnes près des pilastres, une de chaque côté.

Ezéchiel 41, 1 Il m'emmena vers le Hékal et en mesura les pilastres: six coudées de large d'un côté et six coudées de large de l'autre.

Ezéchiel 41, 2 La largeur de l'entrée était de dix coudées, et les épaulements de l'entrée étaient de cinq coudées d'un côté et de cinq coudées de l'autre. Il en mesura la longueur: 40 coudées, et la largeur, vingt coudées.

Ezéchiel 41, 3 Il pénétra à l'intérieur et mesura le pilastre de l'entrée: deux coudées; puis l'entrée: six coudées, et les épaulements de l'entrée: sept coudées.

Ezéchiel 41, 4 Il mesura sa longueur: vingt coudées, et sa largeur: vingt coudées du côté du Hékal; et il me dit: "C'est ici le Saint des Saints."

Ezéchiel 41, 5 Puis il mesura le mur du Temple: six coudées. La largeur du bâtiment latéral était de quatre coudées, tout autour du Temple.

Ezéchiel 41, 6 Les cellules étaient superposées, en trois étages de 30 cellules chacun. Les cellules s'enfonçaient dans le mur, celui du bâtiment des cellules, tout autour, formant des retraits; mais il n'y avait pas de retraits dans le mur du Temple.

Ezéchiel 41, 7 La largeur des cellules augmentait d'un étage à l'autre, selon l'augmentation prise sur le mur, d'un étage à l'autre, tout autour du Temple.

Ezéchiel 41, 8 Et je vis que le Temple avait, tout autour, un talus; c'était la base des cellules latérales, d'une canne entière de six coudées.

Ezéchiel 41, 9 L'épaisseur du mur extérieur des cellules latérales était de cinq coudées. Il y avait un passage entre les cellules du Temple

Ezéchiel 41, 10 et les chambres, d'une largeur de vingt coudées, tout autour du Temple.

Ezéchiel 41, 11 Comme entrée des cellules latérales sur le passage, il y avait une entrée vers le nord et une entrée vers le midi. La largeur du passage était de cinq coudées tout autour.

Ezéchiel 41, 12 L'édifice qui bordait la cour du côté de l'occident était d'une largeur de 70 coudées, le mur de l'édifice avait une épaisseur de cinq coudées, tout autour, et sa longueur était de 90 coudées.

Ezéchiel 41, 13 Il mesura le Temple, longueur: cent coudées. La cour plus l'édifice et ses murs, longueur: cent coudées.

Ezéchiel 41, 14 Largeur de la façade du Temple plus la cour vers l'orient: cent coudées.

Ezéchiel 41, 15 Il mesura la longueur de l'édifice, le long de la cour, par derrière, et sa galerie de chaque côté: cent coudées. L'intérieur du Hékal et les vestibules du parvis,

Ezéchiel 41, 16 les seuils, les fenêtres à treillis, les galeries sur trois côtés, face au seuil, étaient revêtus de bois tout autour, du sol jusqu'aux fenêtres, et les fenêtres étaient garnies d'un treillis.

Ezéchiel 41, 17 Depuis l'entrée jusqu'à l'intérieur du Temple, ainsi qu'au au-dehors, et sur le mur tout autour, à l'intérieur et à l'extérieur,

Ezéchiel 41, 18 étaient sculptés des chérubins et des palmiers, un palmier entre deux chérubins; chaque chérubin avait deux faces:

Ezéchiel 41, 19 une face d'homme vers le palmier d'un côté, et une face de lion vers le palmier de l'autre côté, sur tout le Temple, tout autour.

Ezéchiel 41, 20 Les chérubins et les palmiers étaient sculptés sur le mur depuis le sol jusqu'au-dessus de l'entrée.

Ezéchiel 41, 21 Les montants de porte du Hékal étaient carrés. Devant le sanctuaire, il y avait quelque chose comme

Ezéchiel 41, 22 un autel de bois de trois coudées de haut, dont la longueur était de deux coudées et la largeur de deux coudées. Il avait des angles, une base et des côtés de bois. Il me dit: "Ceci est la table qui est devant Yahvé."

Ezéchiel 41, 23 Le Hékal avait une double porte, et le sanctuaire

Ezéchiel 41, 24 une double porte. C'étaient des portes à deux vantaux mobiles: deux vantaux à une porte et deux vantaux à l'autre.

Ezéchiel 41, 25 On avait sculpté dessus (sur les portes du Hékal), des chérubins et des palmiers comme ceux qui étaient sculptés sur les murs. Il y avait un auvent de bois sur le devant du Ulam, à l'extérieur,

Ezéchiel 41, 26 et des fenêtres à treillis, avec des palmiers de part et d'autre, sur les côtés du Ulam, les cellules annexes du Temple et les auvents.

Ezéchiel 42, 1 Il me fit sortir vers le parvis extérieur, vers le nord, et m'emmena à la chambre située en face de la cour, c'est-à-dire en face de l'édifice, vers le nord.

Ezéchiel 42, 2 Sur la façade, elle avait une longueur de cent coudées vers le nord, et une largeur de 50 coudées.

Ezéchiel 42, 3 En face des porches du parvis intérieur et en face du dallage du parvis extérieur, il y avait une galerie devant la galerie triple

Ezéchiel 42, 4 et, devant les chambres, une allée, large de dix coudées vers l'intérieur, et longue de cent coudées, leurs portes donnaient au nord.

Ezéchiel 42, 5 Les chambres supérieures étaient étroites, car les galeries étaient prises dessus, plus étroites que celles du bas et du milieu de l'édifice;

Ezéchiel 42, 6 en effet, elles étaient divisées en trois étages, et n'avaient pas de colonnes comme le parvis. Aussi étaient-elles plus étroites que celles du bas et du milieu de l'édifice (à partir du sol).

Ezéchiel 42, 7 L'enceinte extérieure, parallèle aux chambres, vers le parvis extérieur, en face des chambres, était longue de 50 coudées.

Ezéchiel 42, 8 Car la longueur des chambres du parvis extérieur était de 50 coudées, et celles qui étaient devant la salle du Temple avaient cent coudées.

Ezéchiel 42, 9 En dessous des chambres, il y avait une entrée venant de l'orient, donnant accès depuis le parvis extérieur.

Ezéchiel 42, 10 Sur la largeur de l'enceinte du parvis, vers le midi, devant la cour et devant l'édifice, il y avait des chambres.

Ezéchiel 42, 11 Une allée passait devant elles, comme pour les chambres situées au nord; elles avaient même longueur et même largeur, mêmes issues, même ordonnance et mêmes entrées.

Ezéchiel 42, 12 En dessous des chambres du midi, il y avait une entrée, au départ de chaque allée, en face du mur correspondant, vers l'orient, à leur entrée.

Ezéchiel 42, 13 Il me dit: "Les chambres du nord et les chambres du midi qui sont devant la cour, ce sont les chambres du sanctuaire, là où les prêtres qui s'approchent de Yahvé mangeront les choses très saintes. C'est là qu'on déposera les choses très saintes, l'oblation, l'offrande pour le péché et l'offrande de réparation, car c'est un lieu saint.

Ezéchiel 42, 14 Et quand les prêtres viendront, ils ne sortiront pas du lieu saint vers le parvis extérieur, mais ils déposeront là leurs vêtements liturgiques, car ces vêtements sont saints, et ils revêtiront d'autres vêtements pour s'approcher des endroits destinés au peuple."

Ezéchiel 42, 15 Ayant achevé de mesurer le Temple à l'intérieur, il me fit sortir vers le porche qui regarde l'orient, et mesura le parvis tout autour.

Ezéchiel 42, 16 Il mesura le côté oriental avec sa canne à mesurer: cinq coudées, avec la canne à mesurer, tout autour.

Ezéchiel 42, 17 Puis il mesura le côté septentrional: cinq coudées, avec la canne à mesurer, tout autour.

Ezéchiel 42, 18 Ensuite il mesura le côté méridional: cinq coudées, avec la canne à mesurer

Ezéchiel 42, 19 tout autour. Et du côté occidental, il mesura 500 coudées avec la canne à mesurer.

Ezéchiel 42, 20 Sur les quatre côtés, il mesura le mur d'enceinte, tout autour: longueur, 500 et largeur, 500, pour séparer le sacré du profane.

Ezéchiel 43, 1 Il me conduisit vers le porche, le porche qui fait face à l'orient,

Ezéchiel 43, 2 et voici que la gloire du Dieu d'Israël arrivait du côté de l'orient. Un bruit l'accompagnait, semblable au bruit des eaux abondantes, et la terre resplendissait de sa gloire.

Ezéchiel 43, 3 Cette vision était semblable à la vision que j'avais eue lorsque j'étais venu pour la destruction de la ville, et aussi à la vision que j'avais eue sur le fleuve Kebar. Alors je tombai la face contre terre.

Ezéchiel 43, 4 La gloire de Yahvé arriva au Temple par le porche qui fait face à l'orient.

Ezéchiel 43, 5 L'esprit m'enleva et me fit entrer dans le parvis intérieur, et voici que la gloire de Yahvé emplissait le Temple.

Ezéchiel 43, 6 J'entendis quelqu'un me parler depuis le Temple, tandis que l'homme se tenait près de moi.

Ezéchiel 43, 7 On me dit: Fils d'homme, c'est ici le lieu de mon trône, le lieu où je pose la plante de mes pieds. J'y habiterai au milieu des Israélites, à jamais; et la maison d'Israël, eux et leurs rois ne souilleront plus mon saint nom par leurs prostitutions et par les cadavres de leurs rois,

Ezéchiel 43, 8 en mettant leur seuil près de mon seuil et leurs montants près de mes montants, en établissant un mur commun entre eux et moi. Ils souillaient mon saint nom par les abominations auxquelles ils se livraient, c'est pourquoi je les ai dévorés dans ma colère.

Ezéchiel 43, 9 Désormais ils éloigneront de moi leurs prostitutions et les cadavres de leurs rois, et j'habiterai au milieu d'eux, à jamais.

Ezéchiel 43, 10 Et toi, fils d'homme, décris ce Temple à la maison d'Israël, afin qu'ils rougissent de leurs abominations. (Qu'ils en mesurent le plan.)

Ezéchiel 43, 11 Et s'ils rougissent de toute leur conduite, enseigne-leur la forme du Temple et son plan, ses issues et ses entrées, sa forme et toutes ses dispositions, toute sa forme et toutes ses lois. Mets tout cela par écrit devant leurs yeux, afin qu'ils observent sa forme et toutes ses dispositions et qu'ils les réalisent.

Ezéchiel 43, 12 Voici la charte du Temple: au sommet de la montagne, tout le territoire qui l'entoure est un espace très saint. (Telle est la charte du Temple.)

Ezéchiel 43, 13 Voici les dimensions de l'autel en coudées d'une coudée plus un palme: la base, une coudée sur une coudée de large; l'espace près de la rigole, tout autour, un empan; c'est le bord de l'autel.

Ezéchiel 43, 14 Depuis la base reposant par terre jusqu'au socle inférieur, deux coudées sur une coudée de large; depuis le petit socle jusqu'au grand socle, quatre coudées sur une coudée de large.

Ezéchiel 43, 15 Le foyer avait quatre coudées, et au-dessus du foyer, il y avait quatre cornes.

Ezéchiel 43, 16 Le foyer mesurait douze coudées de long sur douze de large, il était carré sur les quatre côtés.

Ezéchiel 43, 17 Le socle: quatorze coudées de long sur quatorze coudées de large, il était carré. Le rebord tout autour: une demi-coudée, et la base: une coudée tout autour. Les marches étaient tournées vers l'est.

Ezéchiel 43, 18 Il me dit: Fils d'homme, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici les dispositions concernant l'autel, lorsqu'on l'aura dressé pour y sacrifier l'holocauste et pour y répandre le sang.

Ezéchiel 43, 19 Tu donneras aux prêtres lévites - ceux de la race de Sadoq qui s'approchent de moi pour me servir, oracle du Seigneur Yahvé - un jeune taureau, en sacrifice pour le péché.

Ezéchiel 43, 20 Tu prendras de son sang, tu en mettras sur les quatre cornes, sur les quatre angles du socle et sur le rebord tout autour. C'est ainsi que tu en ôteras le péché et feras sur lui l'expiation.

Ezéchiel 43, 21 Puis tu prendras le taureau du sacrifice pour le péché: on le brûlera dans l'endroit retiré du Temple, hors du sanctuaire.

Ezéchiel 43, 22 Le deuxième jour, tu offriras un bouc sans défaut en sacrifice pour le péché et on ôtera le péché de l'autel comme on avait fait avec le taureau.

Ezéchiel 43, 23 Après avoir achevé d'ôter le péché, tu offriras un jeune taureau sans défaut et un bélier du troupeau, sans défaut.

Ezéchiel 43, 24 Tu les présenteras devant Yahvé, et les prêtres jetteront sur eux du sel et les offriront en holocauste à Yahvé.

Ezéchiel 43, 25 Pendant sept jours, tu offriras en sacrifice un bouc, en sacrifice pour le péché, chaque jour, et on offrira un taureau et un bélier du troupeau, sans défaut,

Ezéchiel 43, 26 pendant sept jours. C'est ainsi qu'on fera l'expiation pour l'autel, qu'on le purifiera et qu'on l'inaugurera.

Ezéchiel 43, 27 Passé cette période, le huitième jour et les jours suivants, les prêtres offriront sur l'autel vos holocaustes et vos sacrifices de communion. Et je vous serai favorable, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 44, 1 Il me ramena vers le porche extérieur du sanctuaire, face à l'orient. Il était fermé.

Ezéchiel 44, 2 Yahvé me dit: Ce porche sera fermé. On ne l'ouvrira pas, on n'y passera pas, car Yahvé, le Dieu d'Israël, y est passé. Aussi sera-t-il fermé.

Ezéchiel 44, 3 Mais le prince, lui, s'y assiéra pour y prendre son repas en présence de Yahvé. C'est par le vestibule du porche qu'il entrera et c'est par là qu'il sortira.

Ezéchiel 44, 4 Il m'emmena par le porche septentrional, devant le Temple. Je regardai, et voici que la gloire de Yahvé emplissait le Temple de Yahvé, alors je tombai la face contre terre.

Ezéchiel 44, 5 Yahvé me dit: Fils d'homme, fais attention, regarde bien et écoute de toutes tes oreilles ce que je vais t'expliquer: ce sont toutes les dispositions du Temple de Yahvé et toutes ses lois. Tu feras bien attention à l'admission dans le Temple et à ceux qui sont exclus du sanctuaire.

Ezéchiel 44, 6 Et tu diras aux rebelles de la maison d'Israël: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. C'en est trop de toutes vos abominations, maison d'Israël,

Ezéchiel 44, 7 lorsque vous avez introduit des étrangers incirconcis de coeur et incirconcis de corps pour s'installer dans mon sanctuaire et pour profaner mon Temple, lorsque vous avez offert ma nourriture, la graisse et le sang, et que vous avez rompu mon alliance. Par toutes vos abominations!

Ezéchiel 44, 8 Au lieu d'assurer le service de mes choses saintes, vous avez chargé quelqu'un d'assurer le service dans mon sanctuaire à votre place.

Ezéchiel 44, 9 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Aucun étranger incirconcis de coeur et incirconcis de corps n'entrera dans mon sanctuaire, aucun des étrangers qui sont au milieu des Israélites.

Ezéchiel 44, 10 Quant aux lévites, qui se sont éloignés de moi au temps où Israël s'égarait loin de moi en suivant ses idoles, ils porteront le poids de leur faute.

Ezéchiel 44, 11 Ils seront dans mon sanctuaire des serviteurs chargés de la garde des portes du Temple et faisant le service du Temple. Ce sont eux qui égorgeront l'holocauste et le sacrifice pour le peuple, eux qui se tiendront devant le peuple pour le service.

Ezéchiel 44, 12 Parce qu'ils se sont mis à son service devant ses idoles et qu'ils ont été pour la maison d'Israël une occasion de faute, à cause de cela, je lève la main contre eux - oracle du Seigneur Yahvé - ils porteront le poids de leur faute.

Ezéchiel 44, 13 Ils ne s'approcheront plus de moi pour exercer devant moi le sacerdoce, ni toucher à mes choses saintes ni aux choses très saintes: ils porteront le déshonneur de leurs abominations.

Ezéchiel 44, 14 Je les chargerai d'assurer le service du Temple, je leur confierai tout son service et tout ce qui s'y fait.

Ezéchiel 44, 15 Quant aux prêtres lévites, fils de Sadoq, qui ont assuré le service de mon sanctuaire quand les Israélites s'égaraient loin de moi, ce sont eux qui s'approcheront de moi pour me servir, ils se tiendront devant moi pour m'offrir la graisse et le sang, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 44, 16 Ce sont eux qui entreront dans mon sanctuaire et qui s'approcheront de ma table pour me servir; ils assureront mon service.

Ezéchiel 44, 17 Lorsqu'ils franchiront les portes du parvis intérieur, ils revêtiront des habits de lin; ils ne porteront pas de laine quand ils serviront aux porches du parvis intérieur et au Temple.

Ezéchiel 44, 18 Ils auront des calottes de lin sur la tête et des caleçons de lin aux reins, ils ne se ceindront de rien qui fasse transpirer.

Ezéchiel 44, 19 Lorsqu'ils sortiront dans le parvis extérieur, du côté du peuple, ils ôteront les vêtements avec lesquels ils auront officié et les déposeront dans les chambres du Saint, et ils revêtiront d'autres vêtements pour ne pas consacrer le peuple avec leurs vêtements.

Ezéchiel 44, 20 Ils ne se raseront pas la tête, ni ne laisseront croître librement leur chevelure, mais ils se tailleront soigneusement les cheveux.

Ezéchiel 44, 21 Aucun prêtre ne boira de vin le jour où il entrera dans le parvis intérieur.

Ezéchiel 44, 22 Ils ne prendront pas pour femme une veuve, ni une femme répudiée, mais une vierge de la race d'Israël; toutefois ils pourront prendre une veuve si c'est la veuve d'un prêtre.

Ezéchiel 44, 23 Ils enseigneront à mon peuple la distinction entre le sacré et le profane et lui feront connaître la distinction entre le pur et l'impur.

Ezéchiel 44, 24 Dans les procès, ils seront juges; ils jugeront d'après mon droit. Ils observeront dans toutes mes fêtes mes lois et mes dispositions, et ils sanctifieront mes sabbats.

Ezéchiel 44, 25 Ils n'approcheront pas d'un mort, de peur de se rendre impurs, mais ils pourront se rendre impurs pour un père, une mère, une fille, un fils, un frère ou une soeur non mariée.

Ezéchiel 44, 26 Après que l'un d'eux se sera purifié, on comptera sept jours,

Ezéchiel 44, 27 puis, le jour où il entrera dans le Saint, dans le parvis intérieur pour servir dans le Saint, il offrira son sacrifice pour le péché, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 44, 28 Ils n'auront pas d'héritage, c'est moi qui serai leur héritage. Vous ne leur donnerez pas de patrimoine en Israël, c'est moi qui serai leur patrimoine.

Ezéchiel 44, 29 Ce sont eux qui se nourriront de l'oblation, du sacrifice pour le péché et du sacrifice de réparation. Tout ce qui est dévoué par anathème en Israël sera pour eux.

Ezéchiel 44, 30 Le meilleur de toutes vos prémices et de toutes les redevances, de tout ce que vous offrirez, reviendra aux prêtres; et le meilleur de votre pâte, vous le donnerez aux prêtres pour faire reposer la bénédiction sur votre maison.

Ezéchiel 44, 31 Les prêtres ne mangeront la chair d'aucune bête crevée ou déchirée, oiseau ou autre animal.

Ezéchiel 45, 1 Lorsque vous tirerez au sort pour faire échoir le pays en héritage, vous prélèverez pour Yahvé une part sacrée du pays, de 25.000 coudées de long sur 20.000 de large. Ce territoire sera sacré dans toute son étendue.

Ezéchiel 45, 2 Sur sa superficie, il y aura pour le sanctuaire un carré de 500 coudées sur 500, avec une marge de 50 coudées tout autour.

Ezéchiel 45, 3 Sur sa superficie, tu mesureras également une longueur de 25.000 coudées sur une largeur de 10.000, là où sera le sanctuaire, le Saint des Saints.

Ezéchiel 45, 4 Ce sera la portion sacrée du pays appartenant aux prêtres qui font le service du sanctuaire et qui s'approchent de Yahvé pour le servir. C'est là qu'ils pourront avoir leurs maisons et qu'ils auront un territoire consacré au sanctuaire.

Ezéchiel 45, 5 Une portion de 25.000 coudées de long sur 10.000 de large sera réservée aux lévites, serviteurs du Temple, en propriété, avec des villes pour y habiter.

Ezéchiel 45, 6 Vous donnerez en propriété à la ville un territoire de 5.000 coudées de large sur 25.000 de long, près de la part du sanctuaire, elle sera pour toute la maison d'Israël.

Ezéchiel 45, 7 Au prince reviendra un territoire de chaque côté de la part sacrée et de la propriété de la ville, le long de la part sacrée et le long de la propriété de la ville, du côté de l'occident vers l'occident, et du côté de l'orient vers l'orient, un territoire d'une longueur égale à l'une des parts, depuis la frontière occidentale jusqu'à la frontière orientale

Ezéchiel 45, 8 du pays. Ce sera sa propriété en Israël. Ainsi mes princes n'opprimeront plus mon peuple; ils laisseront le pays à la maison d'Israël, à ses tribus.

Ezéchiel 45, 9 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: C'en est trop, princes d'Israël! Cessez vos violences et vos rapines, pratiquez le droit et la justice, n'accablez plus mon peuple d'exactions, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 45, 10 Ayez des balances justes, un boisseau juste, une mesure juste.

Ezéchiel 45, 11 Que le boisseau et la mesure soient égaux, que la mesure contienne un dixième de muid, et le boisseau un dixième de muid. C'est à partir du muid que les mesures seront fixées.

Ezéchiel 45, 12 Le sicle sera de vingt géras. Vingt sicles, 25 sicles et quinze sicles feront une mine.

Ezéchiel 45, 13 Voici l'offrande que vous prélèverez: un sixième de boisseau par muid de froment et un sixième de boisseau par muid d'orge.

Ezéchiel 45, 14 La redevance d'huile: une mesure d'huile par dix mesures, c'est-à-dire par feuillette de dix mesures ou d'un muid, car dix mesures font un muid.

Ezéchiel 45, 15 On prélèvera une brebis sur un troupeau de 200 des prairies d'Israël, pour l'oblation, l'holocauste et le sacrifice de communion. Ce sera votre expiation, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 45, 16 Que tout le peuple du pays soit astreint à cette redevance pour le prince d'Israël.

Ezéchiel 45, 17 Le prince se chargera des holocaustes, de l'oblation et de la libation pendant les fêtes, les néoménies, les sabbats et toutes les assemblées de la maison d'Israël. C'est lui qui pourvoira au sacrifice pour le péché, à l'oblation, à l'holocauste et aux sacrifices de communion pour l'expiation de la maison d'Israël.

Ezéchiel 45, 18 Ainsi parle le Seigneur Yahvé: Au premier mois, le premier du mois, tu prendras un jeune taureau sans défaut, pour ôter le péché du sanctuaire.

Ezéchiel 45, 19 Le prêtre prendra du sang de la victime pour le péché et le mettra sur les montants de la porte du Temple, sur les quatre angles du socle de l'autel et sur les montants des porches du parvis intérieur.

Ezéchiel 45, 20 Ainsi feras-tu le sept du mois, en faveur de quiconque a péché par inadvertance ou irréflexion. C'est ainsi que vous ferez l'expiation pour le Temple.

Ezéchiel 45, 21 Au premier mois, le quatorzième jour du mois, ce sera pour vous la fête de la Pâque. Pendant sept jours on mangera des pains sans levain.

Ezéchiel 45, 22 Ce jour-là, le prince offrira pour lui-même et pour tout le peuple du pays un taureau en sacrifice pour le péché.

Ezéchiel 45, 23 Pendant les sept jours de la fête, il offrira en holocauste à Yahvé sept taureaux et sept béliers sans défaut, chacun des sept jours, et, en sacrifice pour le péché, un bouc chaque jour;

Ezéchiel 45, 24 et, en oblation, il offrira une mesure par taureau et une mesure par bélier, ainsi que de l'huile, un setier par mesure.

Ezéchiel 45, 25 Au septième mois, le quinze du mois, à l'occasion de la fête, il fera de même pendant sept jours, offrant le sacrifice pour le péché, l'holocauste, l'oblation et l'huile.

Ezéchiel 46, 1 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Le porche du parvis intérieur, qui fait face à l'orient, sera fermé les six jours ouvrables, mais le jour du sabbat, on l'ouvrira, ainsi que le jour de la néoménie,

Ezéchiel 46, 2 et le prince entrera par le vestibule du porche extérieur et se tiendra debout contre les montants du porche. Alors les prêtres offriront son holocauste et son sacrifice de communion. Il se prosternera sur le seuil du porche et il sortira, et on ne refermera pas le porche jusqu'au soir.

Ezéchiel 46, 3 Le peuple du pays se prosternera à l'entrée de ce porche, les sabbats et les jours de néoménie, en face de Yahvé.

Ezéchiel 46, 4 L'holocauste que le prince offrira à Yahvé au jour du sabbat, sera de six agneaux sans défaut et d'un bélier sans défaut,

Ezéchiel 46, 5 avec une oblation d'une mesure par bélier et, pour les agneaux, une offrande laissée à sa discrétion, ainsi que de l'huile, un setier par mesure.

Ezéchiel 46, 6 Au jour de la néoménie, ce sera un jeune taureau sans défaut, six agneaux et un bélier sans défaut.

Ezéchiel 46, 7 Il fera oblation d'une mesure pour le taureau et d'une mesure pour le bélier, et, pour les agneaux, ce qu'il voudra, ainsi que de l'huile, un setier par mesure.

Ezéchiel 46, 8 Lorsque le prince entrera, c'est par le vestibule du porche qu'il entrera, et c'est par là qu'il sortira.

Ezéchiel 46, 9 Lorsque le peuple du pays viendra devant Yahvé aux assemblées, ceux qui sont entrés par le porche septentrional, pour se prosterner, sortiront par le porche méridional, et ceux qui sont entrés par le porche méridional sortiront par le porche septentrional. Nul ne s'en retournera par le porche par lequel il est entré: il sortira en face.

Ezéchiel 46, 10 Le prince se tiendra au milieu d'eux; il entrera comme eux et sortira comme eux.

Ezéchiel 46, 11 Aux jours de fête et d'assemblée, l'oblation sera d'une mesure par taureau, d'une mesure par bélier, pour les agneaux, à sa discrétion, et de l'huile, un setier par mesure.

Ezéchiel 46, 12 Lorsque le prince offrira un holocauste volontaire ou un sacrifice de communion volontaire à Yahvé, on lui ouvrira le porche qui fait face à l'orient, et il offrira son holocauste et son sacrifice de communion comme il le fait au jour du sabbat, puis il sortira et on fermera le porche dès qu'il sera sorti.

Ezéchiel 46, 13 Il offrira chaque jour en holocauste à Yahvé un agneau d'un an, sans défaut: il l'offrira chaque matin.

Ezéchiel 46, 14 Il offrira aussi, chaque matin, en oblation, un sixième de mesure et de l'huile, un tiers de setier, pour pétrir la farine. C'est l'oblation à Yahvé, décret perpétuel, fixé pour toujours.

Ezéchiel 46, 15 On offrira l'agneau, l'oblation et l'huile, chaque matin, à perpétuité.

Ezéchiel 46, 16 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Si le prince fait à l'un de ses fils un don sur son héritage, ce don appartiendra à ses fils, ce sera leur propriété héréditaire.

Ezéchiel 46, 17 Mais s'il fait un don sur son héritage à l'un de ses serviteurs, il appartiendra à celui-ci jusqu'à l'année de son affranchissement, puis il reviendra au prince. C'est à ses fils seulement que restera son héritage.

Ezéchiel 46, 18 Le prince ne prendra rien sur l'héritage du peuple, le dépouillant de ce qui lui appartient; c'est avec ce qui lui appartient à lui qu'il constituera l'héritage de ses fils, afin que nul de mon peuple ne soit privé de ce qui lui appartient.

Ezéchiel 46, 19 Il m'emmena, par l'entrée qui est à côté du porche, aux chambres du Saint réservées aux prêtres, face au nord. Et voici qu'il y avait là un espace, au fond, vers l'occident.

Ezéchiel 46, 20 Il me dit: "Voici l'endroit où les prêtres feront cuire les victimes des sacrifices pour le péché et des sacrifices de réparation, où ils feront cuire l'oblation, sans qu'ils aient à les porter vers le parvis extérieur, au risque de sanctifier le peuple."

Ezéchiel 46, 21 Puis il m'emmena au parvis extérieur et me fit passer près des quatre angles du parvis; il y avait une cour à chaque angle du parvis,

Ezéchiel 46, 22 soit, aux quatre angles du parvis, quatre petites cours longues de 40 coudées, larges de 30, ayant toutes les quatre les mêmes dimensions.

Ezéchiel 46, 23 Un mur les entourait toutes les quatre, et des foyers étaient construits en bas du mur, tout autour.

Ezéchiel 46, 24 Il me dit: "Ce sont les fours où les serviteurs du Temple feront cuire les sacrifices du peuple."

Ezéchiel 47, 1 Il me ramena à l'entrée du Temple, et voici que de l'eau sortait de dessous le seuil du Temple, vers l'orient, car le Temple était tourné vers l'orient. L'eau descendait de dessous le côté droit du Temple, au sud de l'autel.

Ezéchiel 47, 2 Il me fit sortir par le porche septentrional et me fit faire le tour extérieur, jusqu'au porche extérieur qui regarde l'orient, et voici que l'eau coulait du côté droit.

Ezéchiel 47, 3 L'homme s'éloigna vers l'orient, avec le cordeau qu'il avait en main, et mesura mille coudées; alors il me fit traverser le cours d'eau: j'avais de l'eau jusqu'aux chevilles.

Ezéchiel 47, 4 Il en mesura encore mille et me fit traverser le cours d'eau: j'avais de l'eau jusqu'aux genoux. Il en mesura encore mille et me fit traverser le cours d'eau: j'avais de l'eau jusqu'aux reins.

Ezéchiel 47, 5 Il en mesura encore mille, et c'était un torrent que je ne pus traverser, car l'eau avait grossi pour devenir une eau profonde, un fleuve infranchissable.

Ezéchiel 47, 6 Alors il me dit: "As-tu vu, fils d'homme?" Il me conduisit puis me ramena au bord du torrent.

Ezéchiel 47, 7 Et lorsque je revins, voici qu'au bord du torrent il y avait une quantité d'arbres de chaque côté.

Ezéchiel 47, 8 Il me dit: "Cette eau s'en va vers le district oriental, elle descend dans la Araba et se dirige vers la mer; elle se déverse dans la mer en sorte que ses eaux deviennent saines.

Ezéchiel 47, 9 Partout où passera le torrent, tout être vivant qui y fourmille vivra. Le poisson sera très abondant, car là où cette eau pénètre, elle assainit, et la vie se développe partout où va le torrent.

Ezéchiel 47, 10 Sur le rivage, il y aura des pêcheurs. Depuis En-Gaddi jusqu'à En-Eglayim des filets seront tendus. Les poissons seront de même espèce que les poissons de la Grande mer, et très nombreux.

Ezéchiel 47, 11 Mais ses marais et ses lagunes ne seront pas assainis, ils seront abandonnés au sel.

Ezéchiel 47, 12 Au bord du torrent, sur chacune de ses rives, croîtront toutes sortes d'arbres fruitiers dont le feuillage ne se flétrira pas et dont les fruits ne cesseront pas: ils produiront chaque mois des fruits nouveaux, car cette eau vient du sanctuaire. Les fruits seront une nourriture et les feuilles un remède."

Ezéchiel 47, 13 Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici le territoire que vous partagerez entre les douze tribus d'Israël, en donnant à Joseph deux parts.

Ezéchiel 47, 14 Vous aurez tous équitablement votre part, car j'ai juré à vos pères de la leur donner et ce pays doit vous échoir en héritage.

Ezéchiel 47, 15 Voici la frontière du pays. Du côté du nord, depuis la Grande mer: la route de Hètlôn jusqu'à l'Entrée de Hamat, Cedad,

Ezéchiel 47, 16 Bérota, Sibrayim qui est entre le territoire de Damas et celui de Hamat, Haçer-ha-Tikôn vers le territoire du Haurân;

Ezéchiel 47, 17 la frontière s'étendra depuis la mer jusqu'à Haçar-Enân, ayant au nord le territoire de Damas et le territoire de Hamat. C'est la limite septentrionale.

Ezéchiel 47, 18 Du côté de l'est, entre le Haurân et Damas, entre Galaad et le pays d'Israël, le Jourdain servira de frontière jusqu'à la mer orientale vers Tamar. C'est la limite orientale.

Ezéchiel 47, 19 Du côté du midi, vers le sud, depuis Tamar jusqu'aux eaux de Meriba de Qadesh, vers le Torrent jusqu'à la Grande mer. C'est la limite méridionale.

Ezéchiel 47, 20 Et du côté de l'ouest: la Grande mer servira de frontière jusqu'en face de l'Entrée de Hamat. C'est la limite occidentale.

Ezéchiel 47, 21 Vous partagerez ce pays entre vous, entre les tribus d'Israël.

Ezéchiel 47, 22 Vous vous le partagerez en héritage, pour vous et pour les étrangers qui séjournent au milieu de vous et qui ont engendré des enfants parmi vous, car vous les traiterez comme le citoyen israélite. Avec vous ils tireront au sort l'héritage, au milieu des tribus d'Israël.

Ezéchiel 47, 23 Dans la tribu où il habite, c'est là que vous donnerez à l'étranger son héritage, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 48, 1 Voici les noms des tribus. A l'extrême nord, dans la direction de Hètlôn, vers l'Entrée de Hamat et Haçar-Enâ, le territoire de Damas étant au nord, le long de Hamat, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Dan, un lot.

Ezéchiel 48, 2 Sur la frontière de Dan, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Asher, un lot.

Ezéchiel 48, 3 Sur la frontière d'Asher, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Nephtali, un lot.

Ezéchiel 48, 4 Sur la frontière de Nephtali, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Manassé, un lot.

Ezéchiel 48, 5 Sur la frontière de Manassé, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Ephraïm, un lot.

Ezéchiel 48, 6 Sur la frontière d'Ephraïm, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Ruben, un lot.

Ezéchiel 48, 7 Sur la frontière de Ruben, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Juda, un lot.

Ezéchiel 48, 8 Sur la frontière de Juda, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale, il y aura la part que vous réserverez, large de 25.000 coudées et aussi longue que chacune des autres parts, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale. Le sanctuaire sera au milieu.

Ezéchiel 48, 9 La part que vous y prélèverez pour Yahvé sera longue de 25.000 coudées et large de 10.000.

Ezéchiel 48, 10 C'est à ceux-ci, aux prêtres, qu'appartiendra la part sacrée: au nord, 25.000 coudées et à l'ouest une largeur de 10.000 coudées, à l'est une largeur de 10.000 coudées et au sud une longueur de 25.000 coudées; le sanctuaire de Yahvé sera au milieu.

Ezéchiel 48, 11 Cela sera pour les prêtres consacrés, pour ceux des fils de Sadoq qui ont assuré mon service, qui ne se sont pas égarés dans l'égarement des Israélites, comme se sont égarés les lévites.

Ezéchiel 48, 12 Ainsi leur appartiendra une part prise sur la part très sainte du pays, près du territoire des lévites.

Ezéchiel 48, 13 Quant aux lévites, leur territoire, tout comme le territoire des prêtres, aura 25.000 coudées de long et 10.000 de large - longueur totale 25.000 et largeur 10.000.

Ezéchiel 48, 14 Ils n'en pourront rien vendre ni échanger et le fonds de la terre ne pourra être aliéné, car il est consacré à Yahvé.

Ezéchiel 48, 15 Quant aux 5.000 coudées qui restent, en largeur, sur 25.000, on en fera un territoire banal pour la ville, pour les habitations et les pâturages. Au milieu, il y aura la ville.

Ezéchiel 48, 16 Voici ses dimensions: du côté du nord, 4.500 coudées; du côté du sud, 4.500 coudées; du côté de l'est, 4.500 coudées; du côté de l'ouest, 4.500 coudées.

Ezéchiel 48, 17 Le pâturage de la ville aura vers le nord 250 coudées, vers le sud 250, vers l'est 250 et vers l'ouest 250.

Ezéchiel 48, 18 Il restera, le long de la part consacrée, une longueur de 10.000 coudées vers l'orient et de 10.000 vers l'occident, le long de la part consacrée: cela formera un revenu pour nourrir les travailleurs de la ville.

Ezéchiel 48, 19 Et les travailleurs de la ville, pris dans toutes les tribus d'Israël, la cultiveront.

Ezéchiel 48, 20 Au total, la part aura 25.000 coudées sur 25.000. Vous prélèverez un carré sur la part sacrée pour constituer la ville.

Ezéchiel 48, 21 Et ce qui restera sera pour le prince, de part et d'autre de la part sacrée et de la propriété de la ville, le long des 25.000 coudées à l'est, jusqu'à la frontière orientale, et à l'ouest, le long des 25.000 coudées, jusqu'à la frontière occidentale - pour le prince, parallèlement aux autres parts. Et au milieu, il y aura la part sacrée et le sanctuaire du Temple.

Ezéchiel 48, 22 Ainsi, depuis la propriété des lévites et la propriété de la ville, qui sont au milieu de ce qui revient au prince, entre le territoire de Juda et le territoire de Benjamin, ce sera au prince.

Ezéchiel 48, 23 Et voici le reste des tribus. Depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Benjamin, un lot.

Ezéchiel 48, 24 Sur la frontière de Benjamin, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Siméon, un lot.

Ezéchiel 48, 25 Sur la frontière de Siméon, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Issachar, un lot.

Ezéchiel 48, 26 Sur la frontière d'Issachar, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Zabulon, un lot.

Ezéchiel 48, 27 Sur la frontière de Zabulon, depuis la limite orientale jusqu'à la limite occidentale: Gad, un lot.

Ezéchiel 48, 28 Et sur la frontière de Gad, du côté méridional, au midi, la frontière ira de Tamar aux eaux de Meriba de Qadesh, le torrent, jusqu'à la Grande mer.

Ezéchiel 48, 29 Tel est le pays que vous ferez échoir en héritage aux tribus d'Israël, telles seront leurs parts, oracle du Seigneur Yahvé.

Ezéchiel 48, 30 Et voici les sorties de la ville: du côté du nord, on mesurera 4.500 coudées.

Ezéchiel 48, 31 Les portes de la ville recevront les noms des tribus d'Israël. Trois portes au nord: la porte de Ruben, une; la porte de Juda, une; la porte de Lévi, une.

Ezéchiel 48, 32 Du côté de l'orient, il y aura 4.500 coudées et trois portes: la porte de Joseph, une; la porte de Benjamin, une; la porte de Dan, une.

Ezéchiel 48, 33 Du côté du midi, on mesurera 4.500 coudées et il y aura trois portes: la porte de Siméon, une; la porte d'Issachar, une; la porte de Zabulon, une.

Ezéchiel 48, 34 Du côté de l'occident, il y aura 4.500 coudées et trois portes: la porte de Gad, une; la porte d'Asher, une; la porte de Nephtali, une.

Ezéchiel 48, 35 Périmètre total: 18.000 coudées. Et le nom de la ville sera désormais: "Yahvé est là."

 

 

Daniel

 

 1, 1 En l'an trois du règne de Joiaqim, roi de Juda, Nabuchodonosor, roi de Babylone, s'en vint à Jérusalem et l'investit.

Daniel 1, 2 Le Seigneur livra entre ses mains Joiaqim, roi de Juda, ainsi qu'une partie des objets du Temple de Dieu. Il les emmena au pays de Shinéar et déposa les objets dans le trésor de ses dieux.

Daniel 1, 3 Le roi dit à Ashpenaz, chef de ses eunuques, de prendre d'entre les gens d'Israël quelques enfants de race royale ou de grande famille:

Daniel 1, 4 ils devaient être sans tare, de belle apparence, instruits en toute sagesse, savants en science et subtils en savoir, aptes à se tenir à la cour du roi; Ashpenaz leur enseignerait les lettres et la langue des Chaldéens.

Daniel 1, 5 Le roi leur assignait une portion journalière des mets du roi et du vin de sa table. Ils seraient éduqués pendant trois ans; après quoi, ils auraient à se tenir devant le roi.

Daniel 1, 6 Parmi eux se trouvaient Daniel, Ananias, Misaël et Azarias, qui étaient des Judéens.

Daniel 1, 7 Le chef des eunuques leur imposa des noms: Daniel s'appellerait Baltassar, Ananias Shadrak, Misaël Méshak, et Azarias Abed-Nego.

Daniel 1, 8 Daniel, ayant à coeur de ne pas se souiller en prenant part aux mets du roi et au vin de sa table, supplia le chef des eunuques de lui épargner cette souillure.

Daniel 1, 9 Dieu accorda à Daniel de trouver auprès du chef des eunuques grâce et miséricorde.

Daniel 1, 10 Mais le chef des eunuques dit à Daniel: "Je redoute Monseigneur le roi; il vous a assigné chère et boisson et, s'il vous voit le visage émacié plus que les enfants de votre âge, c'est moi qui, à cause de vous, serai coupable aux yeux du roi."

Daniel 1, 11 Daniel dit alors au garde que le chef des eunuques avait assigné à Daniel, Ananias, Misaël et Azarias:

Daniel 1, 12 "Je t'en prie, mets tes serviteurs à l'épreuve pendant dix jours: qu'on nous donne des légumes à manger et de l'eau à boire.

Daniel 1, 13 Tu verras notre mine et la mine des enfants qui mangent des mets du roi, et tu feras de tes serviteurs selon ce que tu auras vu."

Daniel 1, 14 Il consentit à ce qu'ils lui demandaient et les mit à l'épreuve pendant dix jours.

Daniel 1, 15 Au bout de dix jours, ils avaient bonne mine et ils avaient grossi plus que tous les enfants qui mangeaient des mets du roi.

Daniel 1, 16 Dès lors, le garde supprima leurs mets et la portion de vin qu'ils avaient à boire et leur donna des légumes.

Daniel 1, 17 A ces quatre enfants Dieu donna savoir et instruction en matière de lettres et en sagesse. Daniel, lui, possédait le discernement des visions et des songes.

Daniel 1, 18 Au terme fixé par le roi pour qu'on les lui amenât, le chef des eunuques les conduisit devant Nabuchodonosor.

Daniel 1, 19 Le roi s'entretint avec eux, et dans le nombre il ne s'en trouva pas tels que Daniel, Ananias, Misaël et Azarias. Ils se tinrent donc devant le roi

Daniel 1, 20 et, sur quelque point de sagesse ou de prudence qu'il les interrogeât, le roi les trouvait dix fois supérieurs à tous les magiciens et devins de son royaume tout entier.

Daniel 1, 21 Daniel demeura là jusqu'en l'an un du roi Cyrus.

Daniel 2, 1 En l'an deux du règne de Nabuchodonosor, Nabuchodonosor eut des songes, son esprit en fut troublé, le sommeil le quitta.

Daniel 2, 2 Le roi ordonna d'appeler magiciens et devins, enchanteurs et Chaldéens pour dire au roi quels avaient été ses songes. Ils vinrent donc et se tinrent devant le roi.

Daniel 2, 3 Le roi leur dit: "J'ai fait un songe et mon esprit s'est troublé du désir de comprendre ce rêve."

Daniel 2, 4 Les Chaldéens répondirent au roi: (Araméen) "O roi, vis à jamais! Raconte le songe à tes serviteurs et nous t'en découvrirons l'interprétation."

Daniel 2, 5 Le roi répondit et dit aux Chaldéens: "Que mon propos vous soit connu: si vous ne me faites pas connaître le songe et son interprétation, on vous mettra en pièces et vos maisons seront changées en bourbier.

Daniel 2, 6 Mais si vous me découvrez mon songe et son interprétation, vous recevrez de moi présents et cadeaux et grands honneurs. Ainsi donc découvrez-moi mon songe et son interprétation."

Daniel 2, 7 Ils reprirent: "Que le roi dise le songe à ses serviteurs et nous lui en découvrirons l'interprétation."

Daniel 2, 8 Mais le roi: "Je vois bien que vous voulez gagner du temps, sachant que mon propos est proclamé.

Daniel 2, 9 Si vous ne me faites pas connaître mon songe, une même sentence vous sera appliquée; vous vous êtes entendus pour forger des discours mensongers et pervers devant moi pendant que le temps passe. Aussi, rapportez-moi mon songe et je saurai que vous pouvez m'en découvrir le sens."

Daniel 2, 10 Les Chaldéens répondirent au roi: "Il n'est personne sur terre pour découvrir la chose du roi. Et aussi bien, il n'est roi, gouverneur ou chef pour poser pareille question à magicien, devin ou Chaldéen.

Daniel 2, 11 La question que pose le roi est difficile et nul ne peut la découvrir devant le roi, sinon les dieux dont la demeure n'est point parmi les êtres de chair."

Daniel 2, 12 Alors le roi s'emporta furieusement et ordonna de faire périr tous les sages de Babylone.

Daniel 2, 13 Quand le décret de tuer les sages fut promulgué, on chercha Daniel et ses compagnons pour les tuer.

Daniel 2, 14 Mais Daniel s'adressa en paroles prudentes et avisées à Aryok, chef des bourreaux du roi, en route pour tuer les sages de Babylone.

Daniel 2, 15 Il dit à Aryok, officier du roi: "Pourquoi le roi a-t-il rendu si pressant décret?" Aryok raconta la chose à Daniel,

Daniel 2, 16 et Daniel s'en alla demander au roi de lui accorder un délai pour lui permettre de découvrir au roi son interprétation.

Daniel 2, 17 Daniel rentra dans sa maison et fit part de la chose à Ananias, Misaël et Azarias, ses compagnons,

Daniel 2, 18 les engageant à implorer la miséricorde du Dieu du Ciel au sujet de ce mystère, pour qu'il soit épargné à Daniel et à ses compagnons de périr avec les autres sages de Babylone.

Daniel 2, 19 Alors le mystère fut révélé à Daniel dans une vision nocturne. Et Daniel fit bénédiction au Dieu du Ciel.

Daniel 2, 20 Daniel prit la parole et dit: "Que soit le Nom de Dieu béni de siècle en siècle, car à lui la sagesse et la force.

Daniel 2, 21 C'est lui qui fait alterner périodes et temps, qui fait tomber les rois, qui établit les rois, qui donne aux sages la sagesse et la science à ceux qui savent discerner.

Daniel 2, 22 Lui qui révèle profondeurs et secrets connaît ce qui est dans les ténèbres, et la lumière réside auprès de lui.

Daniel 2, 23 A toi, Dieu de mes pères, je rends grâces et je te loue de m'avoir accordé sagesse et force: voici que tu m'as fait connaître ce que nous t'avons demandé; les choses du roi, tu nous les as fait connaître."

Daniel 2, 24 Daniel s'en fut donc chez Aryok que le roi avait chargé de faire périr les sages de Babylone. Il entra et lui dit: "Ne fais pas périr les sages de Babylone. Fais-moi pénétrer devant le roi et je révélerai au roi l'interprétation."

Daniel 2, 25 Aryok s'empressa de faire paraître Daniel devant le roi et lui dit: "J'ai trouvé parmi les gens de la déportation de Juda un homme qui fera connaître au roi son interprétation."

Daniel 2, 26 Le roi dit à Daniel (surnommé Baltassar): "Es-tu capable de me faire connaître le songe que j'ai eu et son interprétation?"

Daniel 2, 27 Daniel répondit devant le roi: "Le mystère que poursuit le roi, sages, devins, magiciens et exorcistes n'ont pu le découvrir au roi;

Daniel 2, 28 mais il y a un Dieu dans le ciel, qui révèle les mystères et qui a fait connaître au roi Nabuchodonosor ce qui doit arriver à la fin des jours. Ton songe et les visions de ta tête sur ta couche, les voici:

Daniel 2, 29 "O roi, sur ta couche, tes pensées s'élevèrent concernant ce qui doit arriver plus tard, et le révélateur des mystères t'a fait connaître ce qui doit arriver.

Daniel 2, 30 A moi, sans que j'aie plus de sagesse que quiconque, ce mystère a été révélé, à seule fin de faire savoir au roi son sens, et pour que tu connaisses les pensées de ton coeur.

Daniel 2, 31 "Tu as eu, ô roi, une vision. Voici: une statue, une grande statue, extrêmement brillante, se dressait devant toi, terrible à voir.

Daniel 2, 32 Cette statue, sa tête était d'or fin, sa poitrine et ses bras étaient d'argent, son ventre et ses cuisses de bronze,

Daniel 2, 33 ses jambes de fer, ses pieds partie fer et partie argile.

Daniel 2, 34 Tu regardais: soudain une pierre se détacha, sans que main l'eût touchée, et vint frapper la statue, ses pieds de fer et d'argile, et les brisa.

Daniel 2, 35 Alors se brisèrent, tout à la fois, fer et argile, bronze, argent et or, devenus semblables à la bale sur l'aire en été; le vent les emporta sans laisser de traces. Et la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne qui remplit toute la terre.

Daniel 2, 36 Tel fut le songe; et son interprétation, nous la dirons devant le roi.

Daniel 2, 37 C'est toi, ô roi, roi des rois, à qui le Dieu du Ciel a donné royaume, pouvoir, puissance et honneur --

Daniel 2, 38 les enfants des hommes, les bêtes des champs, les oiseaux du ciel, en quelque lieu qu'ils demeurent, il les a remis entre tes mains et t'a fait souverain sur eux tous --, la tête d'or, c'est toi.

Daniel 2, 39 Et après toi se dressera un autre royaume, inférieur à toi, et un troisième royaume ensuite, de bronze, qui dominera la terre entière.

Daniel 2, 40 Et il y aura un quatrième royaume, dur comme le fer, comme le fer qui réduit tout en poudre et écrase tout; comme le fer qui brise, il réduira en poudre et brisera tous ceux-là.

Daniel 2, 41 Ces pieds que tu as vus, partie terre cuite et partie fer, c'est un royaume qui sera divisé; il aura part à la force du fer, selon que tu as vu le fer mêlé à l'argile de la terre cuite.

Daniel 2, 42 Les pieds, partie fer et partie argile de potier: le royaume sera partie fort et partie fragile.

Daniel 2, 43 Selon que tu as vu le fer mêlé à l'argile de la terre cuite, ils se mêleront en semence d'homme, mais ils ne tiendront pas ensemble, de même que le fer ne se mêle pas à l'argile.

Daniel 2, 44 Au temps de ces rois, le Dieu du Ciel dressera un royaume qui jamais ne sera détruit, et ce royaume ne passera pas à un autre peuple. Il écrasera et anéantira tous ces royaumes, et lui-même subsistera à jamais:

Daniel 2, 45 de même, tu as vu une pierre se détacher de la montagne, sans que main l'eût touchée, et réduire en poussière fer, bronze, terre cuite, argent et or. Le Grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit arriver. Tel est véritablement le songe, et sûre en est l'interprétation."

Daniel 2, 46 Alors le roi Nabuchodonosor tomba face contre terre et se prosterna devant Daniel. Il ordonna qu'on lui offrît oblation et sacrifice d'agréable odeur.

Daniel 2, 47 Et le roi dit à Daniel: "En vérité votre dieu est le Dieu des dieux et le maître des rois, le révélateur des mystères, puisque tu as pu révéler ce mystère."

Daniel 2, 48 Alors le roi conféra à Daniel un rang élevé et lui donna nombre de magnifiques présents. Il le fit gouverneur de toute la province de Babylone et supérieur de tous les sages de Babylone.

Daniel 2, 49 Daniel demanda au roi d'assigner aux affaires de la province de Babylone Shadrak, Méshak et Abed-Nego, Daniel lui-même demeurant à la cour du roi.

Daniel 3, 1 Le roi Nabuchodonosor fit une statue d'or, haute de 60 coudées et large de six, qu'il dressa dans la plaine de Dura, dans la province de Babylone.

Daniel 3, 2 Le roi Nabuchodonosor manda aux satrapes, magistrats, gouverneurs, conseillers, trésoriers, juges et juristes, et à toutes les autorités de la province, de s'assembler et de se rendre à la dédicace de la statue élevée par le roi Nabuchodonosor.

Daniel 3, 3 Lors s'assemblèrent satrapes, magistrats, gouverneurs, conseillers, trésoriers, juges et juristes et toutes les autorités de la province pour la dédicace de la statue qu'avait élevée le roi Nabuchodonosor, et ils se tinrent devant la statue qu'avait élevée le roi Nabuchodonosor.

Daniel 3, 4 Le héraut proclama avec force: "A vous, peuples, nations et langues, voici ce qui a été commandé:

Daniel 3, 5 à l'instant où vous entendrez sonner trompe, pipeau, cithare, sambuque, psaltérion, cornemuse et toute espèce de musique, vous vous prosternerez et ferez adoration à la statue d'or qu'a élevée le roi Nabuchodonosor.

Daniel 3, 6 Quant à celui qui ne se prosternera ni ne fera adoration, il sera incontinent jeté dans la fournaise de feu ardent."

Daniel 3, 7 Sur quoi, dès que tous les peuples eurent entendu sonner trompe, pipeau, cithare, sambuque, psaltérion, cornemuse et toute espèce de musique, se prosternèrent tous les peuples, nations et langues, faisant adoration à la statue d'or qu'avait élevée le roi Nabuchodonosor.

Daniel 3, 8 Cependant certains Chaldéens s'en vinrent dénoncer les Juifs.

Daniel 3, 9 Ils dirent au roi Nabuchodonosor: "O roi, vis à jamais!

Daniel 3, 10 O roi, tu as promulgué un décret prescrivant à tout homme qui entendrait sonner trompe, pipeau, cithare, sambuque, psaltérion, cornemuse et toute espèce de musique, de se prosterner et de faire adoration à la statue d'or,

Daniel 3, 11 et arrêtant que ceux qui ne se prosterneraient ni ne feraient adoration seraient jetés dans la fournaise de feu ardent.

Daniel 3, 12 Or voici des Juifs que tu as assignés aux affaires de la province de Babylone: Shadrak, Méshak et Abed-Nego; ces gens n'ont pas tenu compte de tes ordres, ô roi; ils ne servent pas ton dieu et ils n'ont pas fait adoration à la statue d'or que tu as élevée."

Daniel 3, 13 Alors, frémissant de colère, Nabuchodonosor manda Shadrak, Méshak et Abed-Nego. Aussitôt on amena ces gens devant le roi.

Daniel 3, 14 Et Nabuchodonosor leur dit: "Est-il vrai, Shadrak, Méshak et Abed-Nego, que vous ne serviez point mes dieux et ne fassiez pas adoration à la statue d'or que j'ai élevée?

Daniel 3, 15 Etes-vous disposés, quand vous entendrez sonner trompe, pipeau, cithare, sambuque, psaltérion, cornemuse et toute espèce de musique, à vous prosterner et à faire adoration à la statue que j'ai faite? Si vous ne lui faites pas adoration, vous serez incontinent jetés dans la fournaise de feu ardent; et quel est le dieu qui vous délivrerait de ma main?"

Daniel 3, 16 Shadrak, Méshak et Abed-Nego répondirent au roi Nabuchodonosor: "Point n'est besoin pour nous de te donner réponse à ce sujet:

Daniel 3, 17 si notre Dieu, celui que nous servons, est capable de nous délivrer de la fournaise de feu ardent, et de ta main, ô roi, il nous délivrera;

Daniel 3, 18 et s'il ne le fait pas, sache ô roi, que nous ne servirons pas ton dieu, ni n'adorerons la statue d'or que tu as élevée."

Daniel 3, 19 Alors le roi Nabuchodonosor fut rempli de colère et l'expression de son visage changea à l'égard de Shadrak, Méshak et Abed-Nego. Il donna ordre de chauffer la fournaise sept fois plus que d'ordinaire

Daniel 3, 20 et à des hommes forts de son armée de lier Shadrak, Méshak et Abed-Nego et de les jeter dans la fournaise de feu ardent.

Daniel 3, 21 Ceux-ci furent donc liés, avec leur manteau, leurs chausses, leur chapeau, tous leurs vêtements, et jetés dans la fournaise de feu ardent.

Daniel 3, 22 L'ordre du roi était péremptoire; la fournaise étant excessivement brûlante, les hommes qui y portèrent Shadrak, Méshak et Abed-Nego furent brûlés à mort par la flamme du feu.

Daniel 3, 23 Quant aux trois hommes Shadrak, Méshak et Abed-Nego, ils tombèrent tout liés dans la fournaise de feu ardent.

Daniel 3, 24 Et ils marchaient au milieu de la flamme, louant Dieu et bénissant le Seigneur.

Daniel 3, 25 Azarias, debout, priait ainsi, ouvrant la bouche, au milieu du feu, il dit:

Daniel 3, 26 Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères, et vénéré, et que ton nom soit glorifié éternellement.

Daniel 3, 27 Car tu es juste en toutes les choses que tu as faites pour nous toutes tes oeuvres sont vérité toutes tes voies droites, tous tes jugements vérité.

Daniel 3, 28 Tu as porté une sentence de vérité en toutes les choses que tu as fait venir sur nous et sur la ville sainte de nos pères, Jérusalem. Car c'est dans la vérité et dans le droit que tu nous as traités à cause de nos péchés.

Daniel 3, 29 Oui, nous avons péché et commis l'iniquité en te désertant, oui, nous avons grandement péché; tes commandements, nous ne les avons pas écoutés,

Daniel 3, 30 nous ne les avons pas observés, nous n'avons pas accompli ce qui nous était commandé pour notre bien.

Daniel 3, 31 Oui, tout ce que tu as fait venir sur nous, tout ce que tu nous as fait, en jugement de vérité tu l'as fait.

Daniel 3, 32 Tu nous as livrés aux mains de nos ennemis, gens sans loi, et les pires des impies, à un roi injuste, au plus mauvais qui soit sur toute la terre,

Daniel 3, 33 et aujourd'hui nous ne pouvons ouvrir la bouche, la honte et l'opprobre sont la part de ceux qui te servent et qui t'adorent.

Daniel 3, 34 Oh! ne nous abandonne pas pour toujours, à cause de ton nom, ne répudie pas ton alliance,

Daniel 3, 35 ne nous retire pas ta grâce, pour l'amour d'Abraham ton ami et d'Isaac ton serviteur et d'Israël ton saint,

Daniel 3, 36 à qui tu as promis une postérité nombreuse comme les étoiles du ciel et comme le sable sur le rivage de la mer.

Daniel 3, 37 Seigneur, nous voici plus petits que toutes les nations, nous voici humiliés par toute la terre, aujourd'hui, à cause de nos péchés.

Daniel 3, 38 Il n'est plus, en ce temps, chef, prophète ni prince, holocauste, sacrifice, oblation ni encens, lieu où te faire des offrandes

Daniel 3, 39 et trouver grâce auprès de toi. Mais qu'une âme brisée et un esprit humilié soient agréés de toi,

Daniel 3, 40 comme des holocaustes de béliers et de taureaux, comme des milliers d'agneaux gras; que tel soit notre sacrifice aujourd'hui devant toi, et qu'il te plaise que pleinement nous te suivions, car il n'est point de confusion pour ceux qui espèrent en toi.

Daniel 3, 41 Et maintenant nous mettons tout notre coeur à te suivre, à te craindre et à rechercher ta face.

Daniel 3, 42 Ne nous laisse pas dans la honte, mais agis avec nous selon ta mansuétude et selon la grandeur de ta grâce.

Daniel 3, 43 Délivre-nous selon tes oeuvres merveilleuses, fais qu'à ton nom, Seigneur, gloire soit rendue.

Daniel 3, 44 Qu'ils soient confondus, tous ceux qui font du mal à tes serviteurs: qu'ils soient couverts de honte, privés de toute leur puissance, et que leur force soit brisée.

Daniel 3, 45 Qu'ils sachent que tu es seul Dieu et Seigneur, en gloire sur toute la terre."

Daniel 3, 46 Les serviteurs du roi qui les avaient jetés dans la fournaise ne cessaient d'alimenter le feu de naphte, de poix, d'étoupe et de sarments,

Daniel 3, 47 si bien que la flamme s'élevait de 49 coudées au-dessus de la fournaise.

Daniel 3, 48 En s'étendant, elle brûla les Chaldéens qui se trouvaient autour de la fournaise.

Daniel 3, 49 Mais l'ange du Seigneur descendit dans la fournaise auprès d'Azarias et de ses compagnons; il repoussa au-dehors la flamme du feu

Daniel 3, 50 et il leur souffla, au milieu de la fournaise, comme une fraîcheur de brise et de rosée, si bien que le feu ne les toucha aucunement et ne leur causa douleur ni angoisse.

Daniel 3, 51 Alors tous trois, d'une seule voix, se mirent à chanter, glorifiant et bénissant Dieu dans la fournaise, et disant:

Daniel 3, 52 "Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères, loué sois-tu, exalté éternellement. Béni soit ton nom de gloire et de sainteté, loué soit-il, exalté éternellement.

Daniel 3, 53 Béni sois-tu dans le temple de ta sainte gloire, chanté, glorifié par-dessus tout éternellement.

Daniel 3, 54 Béni sois-tu sur le trône de ton royaume, chanté par-dessus tout, exalté éternellement.

Daniel 3, 55 Béni sois-tu, toi qui sondes les abîmes, qui sièges sur les chérubins, loué, chanté par-dessus tout éternellement.

Daniel 3, 56 Béni sois-tu dans le firmament du ciel, chanté, glorifié éternellement.

Daniel 3, 57 Vous toutes, oeuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 58 Anges du Seigneur, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement

Daniel 3, 59 O cieux, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 60 O vous, toutes les eaux au-dessus du ciel, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 61 O vous, toutes les puissances, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 62 O vous, soleil et lune, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 63 O vous, astres du ciel, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 64 O vous toutes, pluies et rosées, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 65 O vous tous, vents, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 66 O vous, feu et ardeur, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 67 O vous, froidure et ardeur, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 68 O vous, rosées et giboulées, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 69 O vous, gel et froidure, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 70 O vous, glaces et neiges, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 71 O vous, nuits et jours, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 72 O vous, lumière et ténèbre, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 73 O vous, éclairs et nuées, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 74 Que la terre bénisse le Seigneur: qu'elle le chante et l'exalte éternellement!

Daniel 3, 75 O vous, montagnes et collines, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 76 O vous, toutes choses germant sur la terre, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 77 O vous, sources, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 78 O vous, mers et rivières, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 79 O vous, baleines et tout ce qui se meut dans les eaux, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 80 O vous tous, oiseaux du ciel, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 81 O vous tous, bêtes et bestiaux, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 82 O vous, enfants des hommes, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 83 O Israël, bénis le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 84 O vous, prêtres, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 85 O vous, ses serviteurs, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 86 O vous, esprits et âmes des justes, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 87 O vous, saints et humbles de coeur, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement!

Daniel 3, 88 Ananias, Azarias, Misaël, bénissez le Seigneur: chantez-le, exaltez-le éternellement! Car il nous a délivrés des enfers, il nous a sauvés de la main de la mort, il nous a arrachés à la fournaise de flamme ardente, il nous a tirés du milieu de la flamme.

Daniel 3, 89 Rendez grâces au Seigneur, car il est bon, car son amour est éternel.

Daniel 3, 90 Vous tous qui le craignez, bénissez le Seigneur Dieu des dieux, chantez-le, rendez-lui grâces, car son amour est éternel."

Daniel 3, 91 Alors le roi Nabuchodonosor s'émut et se leva en toute hâte. Il interrogea ses intimes: "N'avons-nous pas jeté ces trois hommes tout liés dans le feu?" Ils répondirent: "Assurément, ô roi."

Daniel 3, 92 Il dit: "Mais je vois quatre hommes en liberté qui se promènent dans le feu sans qu'il leur arrive de mal, et le quatrième a l'aspect d'un fils des dieux."

Daniel 3, 93 Nabuchodonosor s'approcha de l'ouverture de la fournaise de feu ardent et dit: "Shadrak, Méshak et Abed-Nego, serviteurs du Dieu Très-Haut, sortez et venez ici." Alors du milieu du feu sortirent Shadrak, Méshak et Abed-Nego.

Daniel 3, 94 S'assemblèrent satrapes, magistrats, gouverneurs et intimes du roi pour voir ces hommes: le feu n'avait pas eu de pouvoir sur leur corps, les cheveux de leur tête n'avaient pas été consumés, leur manteau n'avait pas été altéré, nulle odeur de feu ne s'attachait à eux.

Daniel 3, 95 Nabuchodonosor dit: "Béni soit le Dieu de Shadrak, Méshak et Abed-Nego, qui a envoyé son ange et délivré ses serviteurs, eux qui, se confiant en lui, ont désobéi à l'ordre du roi et ont livré leur corps plutôt que de servir ou d'adorer tout autre dieu que leur Dieu.

Daniel 3, 96 Voici le décret que je porte: Peuples, nations et langues, que tous ceux d'entre vous qui parleraient légèrement du Dieu de Shadrak, Méshak et Abed-Nego soient mis en pièces, et que leurs maisons soient changées en bourbiers, car il n'est pas d'autre dieu qui puisse délivrer de la sorte."

Daniel 3, 97 Alors le roi fit prospérer Shadrak, Méshak et Abed-Nego dans la province de Babylone.

Daniel 3, 98 Nabuchodonosor, Roi, à tous les peuples, nations et langues qui habitent sur toute la terre: Abondance de paix sur vous!

Daniel 3, 99 Il m'a semblé bon de faire connaître les signes et merveilles qu'a faits pour moi le Dieu Très-Haut.

Daniel 3, 100 Si grands, ses signes! Si puissantes, ses merveilles! Son royaume est un royaume éternel! Son empire, de génération en génération!

Daniel 4, 1 Moi, Nabuchodonosor, je me tenais sans souci dans ma maison, et florissant dans mon palais.

Daniel 4, 2 J'ai eu un songe: il m'a épouvanté; des angoisses, sur ma couche, et les visions de ma tête m'ont tourmenté.

Daniel 4, 3 Je décrétai: qu'on m'amène tous les sages de Babylone pour qu'ils me fassent connaître l'interprétation du rêve.

Daniel 4, 4 Magiciens, devins, Chaldéens et exorcistes sont venus: je leur dis mon rêve, ils ne m'en donnèrent pas l'interprétation.

Daniel 4, 5 Puis se présenta devant moi Daniel, surnommé Baltassar, selon le nom de mon dieu, et en qui réside l'esprit des dieux saints. Je lui dis mon songe:

Daniel 4, 6 "Baltassar, chef des magiciens, je sais qu'en toi réside l'esprit des dieux saints et qu'aucun secret ne t'embarrasse: voici le songe que j'ai eu; donne-m'en l'interprétation.

Daniel 4, 7 "Sur ma couche, j'ai contemplé les visions de ma tête: "Voici: un arbre au centre de la terre, très grand de taille.

Daniel 4, 8 L'arbre grandit, devint puissant, sa hauteur atteignait le ciel, sa vue, les confins de toute la terre.

Daniel 4, 9 Son feuillage était beau, abondant son fruit; en lui chacun trouvait sa nourriture, il donnait l'ombre aux bêtes des champs, dans ses branches nichaient les oiseaux du ciel et toute chair se nourrissait de lui.

Daniel 4, 10 Je contemplai les visions de ma tête, sur ma couche. Voici: un Vigilant, un saint descend du ciel.

Daniel 4, 11 A pleine voix, il crie: Abattez l'arbre, brisez ses branches, arrachez son feuillage, jetez son fruit, que les bêtes fuient son abri et les oiseaux ses branches.

Daniel 4, 12 Mais que restent en terre souche et racines dans des liens de fer et de bronze, dans l'herbe des champs. Qu'il soit baigné de la rosée du ciel et que l'herbe de la terre soit sa part avec les bêtes des champs.

Daniel 4, 13 Son coeur se détournera des hommes, un coeur de bête lui sera donné et sept temps passeront sur lui!

Daniel 4, 14 C'est la sentence que prononcent les Vigilants, la question tranchée par les saints, afin que sache tout vivant que le Très-Haut a domaine sur le royaume des hommes: il le donne à qui lui plaît et élève le plus bas d'entre les hommes!

Daniel 4, 15 Tel est le songe que j'ai eu, moi Nabuchodonosor, roi. Toi, Baltassar, donne-m'en l'interprétation, car aucun des sages de mon royaume n'a pu m'en faire connaître l'interprétation; mais toi tu le peux, puisque en toi réside l'esprit des dieux saints."

Daniel 4, 16 Alors Daniel, surnommé Baltassar, fut un instant confondu et troublé dans ses pensées. Le roi dit: "Baltassar, ne sois pas troublé par ce songe et son interprétation." Baltassar répondit: "Monseigneur, ce songe soit pour ceux qui te haïssent, et son interprétation pour tes adversaires!

Daniel 4, 17 Cet arbre que tu as vu, grand et fort et élevé, atteignant au ciel et visible par toute la terre,

Daniel 4, 18 au beau feuillage, au fruit abondant, portant nourriture pour tous, sous lequel demeurent les bêtes des champs - et dans ses branches nichent les oiseaux du ciel --,

Daniel 4, 19 c'est toi, ô roi, qui es devenu grand et puissant, et ta grandeur a augmenté et a atteint jusqu'au ciel, et ton empire jusqu'aux confins de la terre.

Daniel 4, 20 "Quant à ce qu'a vu le roi: un Vigilant, un saint, descendu du ciel, qui disait: Abattez l'arbre, détruisez-le, mais la souche et ses racines, laissez-les en terre, dans des liens de fer et de bronze, dans l'herbe des champs, et qu'il soit baigné de la rosée du ciel et que sa part soit avec les bêtes des champs jusqu'à ce que sept temps soient passés sur lui --

Daniel 4, 21 voici quelle en est l'interprétation, ô roi, et la décision du Très-Haut qui est venue sur mon Seigneur le roi:

Daniel 4, 22 "Tu seras chassé d'entre les hommes et avec les bêtes des champs sera ta demeure, tu te nourriras d'herbe, comme les boeufs, tu seras baigné de la rosée du ciel, sept temps passeront sur toi, jusqu'à ce que tu aies appris que le Très-Haut a domaine sur le royaume des hommes et qu'il le donne à qui lui plaît.

Daniel 4, 23 "Et cette parole: Laissez la souche et les racines de l'arbre, c'est que ton royaume sera préservé pour toi jusqu'à ce que tu aies appris que les Cieux ont tout domaine.

Daniel 4, 24 C'est pourquoi, ô roi, agrée mon conseil: romps tes péchés par les oeuvres de justice, et tes iniquités en faisant miséricorde aux pauvres, afin d'avoir longue sécurité."

Daniel 4, 25 Tout cela advint au roi Nabuchodonosor.

Daniel 4, 26 Douze mois plus tard, se promenant sur la terrasse du palais royal de Babylone,

Daniel 4, 27 le roi disait: "N'est-ce pas là cette grande Babylone que j'ai bâtie, pour en faire ma résidence royale, par la force de ma puissance et pour la majesté de ma gloire?"

Daniel 4, 28 Ces paroles étaient encore dans sa bouche, quand une voix tomba du ciel: "C'est à toi qu'il est parlé, ô roi Nabuchodonosor! la royauté s'est retirée de toi,

Daniel 4, 29 d'entre les hommes tu seras chassé, avec les bêtes des champs sera ta demeure, d'herbe, comme les boeufs, tu te nourriras, et sept temps passeront sur toi, jusqu'à ce que tu aies appris que le Très-Haut a domaine sur le royaume des hommes et qu'il le donne à qui lui plaît."

Daniel 4, 30 Et aussitôt, la parole s'accomplit en Nabuchodonosor: il fut chassé d'entre les hommes; comme les boeufs, il mangea de l'herbe, son corps fut baigné de la rosée du ciel, et ses cheveux poussèrent comme des plumes d'aigle et ses ongles comme des griffes d'oiseau.

Daniel 4, 31 "Au temps fixé, moi, Nabuchodonosor, je levai les yeux vers le ciel: l'intelligence me revint; alors je bénis le Très-Haut, louant et glorifiant Celui qui vit à jamais: son empire est un empire éternel, son royaume, pour toutes les générations.

Daniel 4, 32 Tous les habitants de la terre, c'est comme s'ils ne comptaient pas, selon son bon plaisir, il agit avec l'armée du ciel et avec les habitants de la terre. Nul ne peut arrêter sa main ou lui dire: Qu'as-tu fait là?

Daniel 4, 33 A cet instant, l'intelligence me revint, et pour l'honneur de ma royauté me revinrent gloire et splendeur; mes conseillers et mes grands me réclamèrent, je fus rétabli dans ma royauté, et ma grandeur fut accrue.

Daniel 4, 34 A présent, moi, Nabuchodonosor, je loue, exalte et glorifie le Roi du Ciel, dont toutes les oeuvres sont vérité, toutes les voies justice, et qui sait abaisser ceux qui marchent dans l'orgueil."

Daniel 5, 1 Le roi Balthazar donna un grand festin pour ses seigneurs, qui étaient au nombre de mille, et devant ces mille il but du vin.

Daniel 5, 2 Ayant goûté le vin, Balthazar ordonna d'apporter les vases d'or et d'argent que son père Nabuchodonosor avait pris au sanctuaire de Jérusalem, pour y faire boire le roi, ses seigneurs, ses concubines et ses chanteuses.

Daniel 5, 3 On apporta donc les vases d'or et d'argent pris au sanctuaire du Temple de Dieu à Jérusalem, et y burent le roi et ses seigneurs, ses concubines et ses chanteuses.

Daniel 5, 4 Ils burent du vin et firent louange aux dieux d'or et d'argent, de bronze et de fer, de bois et de pierre.

Daniel 5, 5 Soudain apparurent des doigts de main humaine qui se mirent à écrire, derrière le lampadaire, sur le plâtre du mur du palais royal, et le roi vit la paume de la main qui écrivait.

Daniel 5, 6 Alors le roi changea de couleur, ses pensées se troublèrent, les jointures de ses hanches se relâchèrent et ses genoux se mirent à s'entrechoquer.

Daniel 5, 7 Il manda en criant devins, Chaldéens et exorcistes. Et le roi dit aux sages de Babylone: "Quiconque lira cette écriture et m'en découvrira l'interprétation, on le vêtira de pourpre, on lui mettra une chaîne d'or autour du cou et il gouvernera en troisième dans le royaume."

Daniel 5, 8 Alors, accoururent tous les sages du roi; mais ils ne purent ni lire l'écriture ni en faire connaître l'interprétation au roi.

Daniel 5, 9 Le roi Balthazar en fut très troublé, il changea de couleur et ses seigneurs demeurèrent perplexes.

Daniel 5, 10 S'en vint dans la salle du festin la reine, alertée par les paroles du roi et des seigneurs. Et la reine dit: "O roi, vis à jamais! Que tes pensées ne se troublent pas et que ton éclat ne se ternisse point.

Daniel 5, 11 Il est un homme dans ton royaume en qui réside l'esprit des dieux saints. Du temps de ton père, il se trouva en lui lumière, intelligence et sagesse pareille à la sagesse des dieux. Le roi Nabuchodonosor, ton père, le nomma chef des magiciens, devins, Chaldéens et exorcistes.

Daniel 5, 12 Et puisqu'il s'est trouvé en ce Daniel, que le roi avait surnommé Baltassar, un esprit extraordinaire, connaissance, intelligence, art d'interpréter les songes, de résoudre les énigmes et de défaire les noeuds, fais donc mander Daniel et il te fera connaître l'interprétation."

Daniel 5, 13 On fit venir Daniel devant le roi, et le roi dit à Daniel: "Est-ce toi qui es Daniel, des gens de la déportation de Juda, amenés de Juda par le roi mon père?

Daniel 5, 14 J'ai entendu dire que l'esprit des dieux réside en toi et qu'il se trouve en toi lumière, intelligence et sagesse extraordinaire.

Daniel 5, 15 On m'a amené les sages et les devins pour lire cette écriture et m'en faire connaître l'interprétation, mais ils sont incapables de m'en découvrir l'interprétation.

Daniel 5, 16 J'ai entendu dire que tu es capable de donner des interprétations et de défaire des noeuds. Si donc tu es capable de lire cette écriture et de m'en faire connaître l'interprétation, tu seras revêtu de pourpre et tu porteras une chaîne d'or autour du cou et tu seras en troisième dans le royaume."

Daniel 5, 17 Daniel prit la parole et dit devant le roi: "Que tes dons te soient retournés, et donne à d'autres tes cadeaux! Pour moi, je lirai au roi cette écriture et je lui en ferai connaître l'interprétation.

Daniel 5, 18 O roi, le Dieu Très-Haut a donné royaume, grandeur, majesté et gloire à Nabuchodonosor ton père.

Daniel 5, 19 La grandeur qu'il lui avait donnée faisait trembler de crainte devant lui peuples, nations et langues: il tuait qui il voulait, laissait vivre qui il voulait, élevait qui il voulait, abaissait qui il voulait.

Daniel 5, 20 Mais son coeur s'étant élevé et son esprit durci jusqu'à l'arrogance, il fut rejeté du trône de sa royauté et la gloire lui fut ôtée.

Daniel 5, 21 Il fut retranché d'entre les hommes, et par le coeur il devint semblable aux bêtes; sa demeure fut avec les onagres; comme les boeufs il se nourrit d'herbe; son corps fut baigné de la rosée du ciel, jusqu'à ce qu'il eût appris que le Dieu Très-Haut a domaine sur le royaume des hommes et met à sa tête qui lui plaît.

Daniel 5, 22 Mais toi, Balthazar, son fils, tu n'as pas humilié ton coeur, bien que tu aies su tout cela:

Daniel 5, 23 tu t'es exalté contre le Seigneur du Ciel, tu t'es fait apporter les vases de son Temple, et toi, tes seigneurs, tes concubines et tes chanteuses, vous y avez bu du vin, et avez fait louange aux dieux d'or et d'argent, de bronze et de fer, de bois et de pierre, qui ne voient, n'entendent, ni ne comprennent, et tu n'as pas glorifié le Dieu qui tient ton souffle entre ses mains et de qui relèvent toutes tes voies.

Daniel 5, 24 Il a donc envoyé cette main qui, toute seule, a tracé cette écriture.

Daniel 5, 25 L'écriture tracée, c'est: Mené, Mené, Teqel et Parsîn.

Daniel 5, 26 Voici l'interprétation de ces mots: Mené: Dieu a mesuré ton royaume et l'a livré;

Daniel 5, 27 Teqel: tu as été pesé dans la balance et ton poids se trouve en défaut;

Daniel 5, 28 Parsîn: ton royaume a été divisé et donné aux Mèdes et aux Perses."

Daniel 5, 29 Alors Balthazar ordonna de revêtir Daniel de pourpre, de lui mettre au cou une chaîne d'or et de proclamer qu'il gouvernerait en troisième dans le royaume.

Daniel 5, 30 Cette nuit-là, le roi chaldéen Balthazar fut assassiné

Daniel 6, 1 et Darius le Mède reçut le royaume, étant âgé déjà de 62 ans.

Daniel 6, 2 Il plut à Darius d'établir sur son royaume 120 satrapes pour tout le royaume,

Daniel 6, 3 sous la présidence de trois chefs - Daniel en était un - auxquels les satrapes auraient à rendre compte. Ceci afin d'empêcher qu'un tort fût fait au roi.

Daniel 6, 4 Ce même Daniel l'emportait si bien sur les chefs et les satrapes parce qu'il avait en lui un esprit extraordinaire, que le roi se proposait de le placer à la tête du royaume tout entier.

Daniel 6, 5 Alors les chefs et les satrapes se mirent en quête d'une affaire d'Etat qui pût faire du tort à Daniel; mais ils ne purent trouver d'affaire ou de manquement tant il était fidèle, et on ne trouvait à lui reprocher ni négligence ni manquement.

Daniel 6, 6 Ces hommes se dirent donc: "Faute d'affaire au préjudice de ce Daniel, trouvons-en une contre lui à propos de la religion de son Dieu."

Daniel 6, 7 Chefs et satrapes s'en vinrent donc en nombre auprès du roi et lui parlèrent ainsi: "O roi Darius, vis à jamais!

Daniel 6, 8 Chefs du royaume, magistrats, satrapes, ministres et gouverneurs, nous sommes tous d'avis que le roi devrait rendre un édit pour donner vigueur à l'interdit suivant: tout homme qui, au cours des 30 jours à venir, adressera une prière à quiconque, dieu ou homme, autre que toi, ô roi, sera jeté à la fosse aux lions.

Daniel 6, 9 O roi, donne à présent force de loi à cet interdit en signant cet acte, en sorte qu'on n'y change rien, selon la loi des Mèdes et des Perses, laquelle ne passe point."

Daniel 6, 10 En raison de quoi, le roi Darius signa l'acte d'interdit.

Daniel 6, 11 Apprenant que l'acte avait été signé, Daniel monta dans sa maison. Les fenêtres de sa chambre haute étaient orientées vers Jérusalem, et trois fois par jour il se mettait à genoux, priant et confessant Dieu; c'est ainsi qu'il avait toujours fait.

Daniel 6, 12 Ces hommes s'en vinrent en nombre et trouvèrent Daniel qui suppliait et implorait Dieu.

Daniel 6, 13 Alors ils s'introduisirent auprès du roi et lui rappelèrent l'interdit royal: "N'as-tu pas signé l'interdit selon lequel tout homme qui, dans les 30 jours, adresserait une prière à quiconque, dieu ou homme, autre que toi, ô roi, serait jeté dans la fosse aux lions?" Le roi répondit: "La chose est tranchée définitivement, selon la loi des Mèdes et des Perses, laquelle ne passe point."

Daniel 6, 14 Sur quoi, ils dirent au roi: "Daniel, cet homme d'entre les gens de la déportation de Juda, n'a cure de toi, ô roi, ni de l'interdit que tu as signé: trois fois par jour il s'acquitte de sa prière."

Daniel 6, 15 En entendant ces mots, le roi éprouva une grande douleur et résolut de sauver Daniel. Jusqu'au coucher du soleil, il s'ingénia à lui trouver une échappatoire.

Daniel 6, 16 Mais ces hommes s'empressèrent auprès du roi en disant: "Sache, ô roi, que selon la loi des Mèdes et des Perses aucun interdit ou édit porté par le roi ne peut être révoqué."

Daniel 6, 17 Alors, le roi donna ordre de faire venir Daniel et de le jeter dans la fosse aux lions. Le roi dit à Daniel: "Ton Dieu, que tu as servi avec persévérance, c'est lui qui te sauvera."

Daniel 6, 18 On apporta une pierre qu'on posa sur l'entrée de la fosse, et le roi y apposa son sceau et celui de ses seigneurs, en sorte que rien ne pût être modifié de ce qui concernait Daniel.

Daniel 6, 19 Le roi rentra dans son palais, passa la nuit à jeûner et ne se laissa pas amener de concubines. Le sommeil le fuit

Daniel 6, 20 et dès l'aube, au petit jour, le roi se leva et se rendit en hâte à la fosse aux lions.

Daniel 6, 21 S'approchant de la fosse, il cria à Daniel d'une voix angoissée: "Daniel, serviteur du Dieu vivant, ce Dieu que tu sers avec persévérance a-t-il pu te faire échapper aux lions?"

Daniel 6, 22 Daniel répondit au roi: "O roi, vis à jamais!

Daniel 6, 23 Mon Dieu a envoyé son ange, il a fermé la gueule des lions et ils ne m'ont pas fait de mal, parce que j'ai été trouvé innocent devant lui. Et devant toi aussi, ô roi, je suis sans faute."

Daniel 6, 24 Le roi éprouva une grande joie et ordonna de faire sortir Daniel de la fosse. On fit sortir Daniel de la fosse et on le trouva indemne, parce qu'il avait eu foi en son Dieu.

Daniel 6, 25 Le roi manda ces hommes qui avaient calomnié Daniel et les fit jeter dans la fosse aux lions, eux, leurs enfants et leurs femmes: et avant même qu'ils eussent atteint le fond de la fosse, les lions s'étaient emparés d'eux et leur avaient broyé les os.

Daniel 6, 26 Et le roi Darius écrivit à tous peuples, nations et langues qui habitent sur toute la terre: "Abondance de paix sur vous!

Daniel 6, 27 Voici le décret que je porte: dans tout le domaine de mon royaume, que les gens tremblent et frémissent devant le Dieu de Daniel: il est le Dieu vivant, il perdure à jamais, - son royaume ne sera point détruit et son empire n'aura point de fin --

Daniel 6, 28 il sauve et délivre, opère signes et merveilles aux cieux et sur la terre; il a sauvé Daniel du pouvoir des lions."

Daniel 6, 29 Ce même Daniel fleurit sous le règne de Darius et sous le règne de Cyrus le Perse.

Daniel 7, 1 En l'an un de Balthazar, roi de Babylone, Daniel vit un songe et des visions de sa tête, sur sa couche. Il rédigea le rêve par écrit. Début du récit:

Daniel 7, 2 Daniel dit: J'ai contemplé des visions dans la nuit. Voici: les quatre vents du ciel soulevaient la grande mer;

Daniel 7, 3 quatre bêtes énormes sortirent de la mer, toutes différentes entre elles.

Daniel 7, 4 La première était pareille à un lion avec des ailes d'aigle. Tandis que je la regardais, ses ailes lui furent arrachées, elle fut soulevée de terre et dressée sur ses pattes comme un homme, et un coeur d'homme lui fut donné.

Daniel 7, 5 Voici: une deuxième bête, tout autre, semblable à un ours, dressée d'un côté, trois côtes dans la gueule, entre les dents. Il lui fut dit: "Lève-toi, dévore quantité de chair."

Daniel 7, 6 Ensuite, je regardai et voici: une autre bête pareille à un léopard, portant sur les flancs quatre ailes d'oiseau; elle avait quatre têtes, et la domination lui fut donnée.

Daniel 7, 7 Ensuite je contemplai une vision dans les visions de la nuit. Voici: une quatrième bête, terrible, effrayante et forte extrêmement; elle avait des dents de fer énormes: elle mangeait, broyait, et foulait aux pieds ce qui restait. Elle était différente des premières bêtes et portait dix cornes.

Daniel 7, 8 Tandis que je considérais ses cornes, voici: parmi elles poussa une autre corne, petite; trois des premières cornes furent arrachées de devant elle, et voici qu'à cette corne, il y avait des yeux comme des yeux d'homme, et une bouche qui disait de grandes choses!

Daniel 7, 9 Tandis que je contemplais: Des trônes furent placés et un Ancien s'assit. Son vêtement, blanc comme la neige; les cheveux de sa tête, purs comme la laine. Son trône était flammes de feu, aux roues de feu ardent.

Daniel 7, 10 Un fleuve de feu coulait, issu de devant lui. Mille milliers le servaient, myriade de myriades, debout devant lui. Le tribunal était assis, les livres étaient ouverts.

Daniel 7, 11 Je regardais; alors, à cause du bruit des grandes choses que disait la corne, tandis que je regardais, la bête fut tuée, son corps détruit et livré à la flamme de feu.

Daniel 7, 12 Aux autres bêtes la domination fut ôtée, mais elles reçurent un délai de vie, pour un temps et une époque.

Daniel 7, 13 Je contemplais, dans les visions de la nuit: Voici, venant sur les nuées du ciel, comme un Fils d'homme. Il s'avança jusqu'à l'Ancien et fut conduit en sa présence.

Daniel 7, 14 A lui fut conféré empire, honneur et royaume, et tous peuples, nations et langues le servirent. Son empire est un empire éternel qui ne passera point, et son royaume ne sera point détruit.

Daniel 7, 15 Moi, Daniel, mon esprit en fut écrasé et les visions de ma tête me troublèrent.

Daniel 7, 16 Je m'approchai de l'un de ceux qui se tenaient là et lui demandai de me dire la vérité concernant tout cela. Il me répondit et me fit connaître l'interprétation de ces choses:

Daniel 7, 17 "Ces bêtes énormes au nombre de quatre sont quatre rois qui se lèveront de la terre.

Daniel 7, 18 Ceux qui recevront le royaume sont les saints du Très-Haut, et ils posséderont le royaume pour l'éternité, et d'éternité en éternité."

Daniel 7, 19 Puis je demandai à connaître la vérité concernant la quatrième bête, qui était différente de toutes les autres, terrible extrêmement, aux dents de fer et aux griffes de bronze, qui mangeait et broyait, et foulait aux pieds ce qui restait;

Daniel 7, 20 et concernant les dix cornes qui étaient sur sa tête - et l'autre corne poussa et les trois premières tombèrent, et cette corne avait des yeux et une bouche qui disait de grandes choses, et elle avait plus grand air que les autres cornes.

Daniel 7, 21 Je contemplais cette corne qui faisait la guerre aux saints et l'emportait sur eux,

Daniel 7, 22 jusqu'à la venue de l'Ancien qui rendit jugement en faveur des saints du Très-Haut, et le temps vint et les saints possédèrent le royaume.

Daniel 7, 23 Il dit: "La quatrième bête sera un quatrième royaume sur la terre, différent de tous les royaumes. Elle mangera toute la terre, la foulera aux pieds et l'écrasera.

Daniel 7, 24 Et les dix cornes: de ce royaume, dix rois se lèveront et un autre se lèvera après eux; il sera différent des premiers et abattra les trois rois;

Daniel 7, 25 il proférera des paroles contre le Très-Haut et mettra à l'épreuve les saints du Très-Haut. Il méditera de changer les temps et le droit, et les saints seront livrés entre ses mains pour un temps et des temps et un demi-temps.

Daniel 7, 26 Mais le tribunal siégera et la domination lui sera ôtée, détruite et réduite à néant jusqu'à la fin.

Daniel 7, 27 Et le royaume et l'empire et les grandeurs des royaumes sous tous les cieux seront donnés au peuple des saints du Très-Haut. Son empire est un empire éternel et tous les empires le serviront et lui obéiront."

Daniel 7, 28 Ici finit le récit. Moi, Daniel, je fus grandement troublé dans mes pensées, ma mine changea et je gardai ces choses dans mon coeur.

Daniel 8, 1 En l'an trois du règne du roi Balthazar, une vision m'apparut, à moi Daniel, après celle qui m'était apparue en premier.

Daniel 8, 2 Je contemplais la vision, et tandis que je contemplais, je me trouvais à Suse, la place forte qui est dans la province d'Elam; et, contemplant la vision, je me trouvais à la porte de l'Ulaï.

Daniel 8, 3 Je levai les yeux pour voir. Voici: un bélier se tenait devant la porte. Il avait deux cornes; les deux cornes étaient hautes, mais l'une plus que l'autre, et la plus haute qui se dressa fut la seconde.

Daniel 8, 4 Je vis le bélier donner de la corne vers l'ouest, vers le nord et vers le sud. Nulle bête ne pouvait lui résister, rien ne pouvait lui échapper. Il faisait ce qui lui plaisait et devint puissant.

Daniel 8, 5 Voici ce que je discernai: un bouc vint de l'occident, ayant parcouru la terre entière mais sans toucher le sol, et le bouc avait une corne "magnifique" entre les yeux.

Daniel 8, 6 Il s'approcha du bélier aux deux cornes que j'avais vu se tenir devant la porte, et courut vers lui dans l'ardeur de sa force.

Daniel 8, 7 Je le vis atteindre et affronter le bélier: il était en rage contre lui et frappa le bélier, lui brisant les deux cornes, sans que le bélier eût la force de lui résister; il le jeta à terre et le foula aux pieds; personne n'était là pour délivrer le bélier.

Daniel 8, 8 Le bouc devint très puissant, mais, en pleine force, la grande corne se brisa et à sa place se dressèrent quatre "magnifiques" à l'encontre des quatre vents du ciel.

Daniel 8, 9 De l'une d'elles, de la petite, sortit une corne, mais qui grandit beaucoup dans la direction du sud et de l'orient et du Pays de Splendeur.

Daniel 8, 10 Elle grandit jusqu'aux armées du ciel, précipita à terre des armées et des étoiles et les foula aux pieds.

Daniel 8, 11 Elle s'exalta même contre le Prince de l'armée, abolit le sacrifice perpétuel et renversa le fondement de son sanctuaire

Daniel 8, 12 et l'armée; sur le sacrifice elle posa l'iniquité et renversa à terre la vérité; elle agit et réussit.

Daniel 8, 13 J'entendis un saint qui parlait, et un autre saint dit à celui qui parlait: "Jusques à quand la vision: le sacrifice perpétuel, désolation de l'iniquité, sanctuaire et légion foulés aux pieds?"

Daniel 8, 14 Il lui dit: "Encore 2.300 soirs et matins, alors le sanctuaire sera revendiqué."

Daniel 8, 15 Moi, Daniel, contemplant cette vision, j'en cherchai l'intelligence. Voici, se tenant devant moi, quelqu'un qui avait l'aspect d'un homme.

Daniel 8, 16 J'entendis une voix d'homme, sur l'Ulaï, criant: "Gabriel, donne-lui l'intelligence de cette vision!"

Daniel 8, 17 Il s'avança vers le lieu où je me tenais, et, comme il approchait, je fus saisi de terreur et tombai face contre terre. Il me dit: "Fils d'homme, comprends: c'est le temps de la Fin que révèle la vision."

Daniel 8, 18 Il parlait encore que je m'évanouis, la face contre terre. Il me toucha et me releva.

Daniel 8, 19 Il dit: "Voici, je vais te faire connaître ce qui viendra à la fin de la Colère, pour la Fin assignée.

Daniel 8, 20 Le bélier que tu as vu, ses deux cornes, ce sont les rois des Mèdes et des Perses.

Daniel 8, 21 Le bouc velu est le roi de Yavân, la grande corne qui est entre ses yeux, c'est le premier roi.

Daniel 8, 22 La corne brisée et les quatre cornes qui ont poussé à sa place, sont quatre royaumes issus de sa nation mais qui n'auront pas sa force.

Daniel 8, 23 "Et au terme de leur règne, au temps de la plénitude de leurs péché, se lèvera un roi au visage fier, sachant pénétrer les énigmes.

Daniel 8, 24 Sa puissance croîtra en force, - mais non par sa propre puissance - il tramera des choses inouïes il prospérera dans ses entreprises, il détruira des puissants et le peuple des saints.

Daniel 8, 25 Et, par son intelligence, la trahison réussira entre ses mains. Il s'exaltera dans son coeur et détruira un grand nombre par surprise. Il s'opposera au Prince des Princes, mais - sans acte de main - il sera brisé.

Daniel 8, 26 Elle est vraie, la vision des soirs et des matins qui a été dite, mais, toi, garde silence sur la vision, car il doit s'écouler bien des jours."

Daniel 8, 27 Alors, moi Daniel, je défaillis et je fus malade plusieurs jours. Puis je me levai, pour accomplir mon office auprès du roi, gardant silence sur la vision, et demeurant sans la comprendre.

Daniel 9, 1 En l'an un de Darius, de la race des Mèdes, fils d'Artaxerxès, qui régna sur le royaume de Chaldée,

Daniel 9, 2 en l'an un de son règne, moi, Daniel, je scrutai les Ecritures, computant le nombre des années - tel qu'il fut révélé par Yahvé au prophète Jérémie - qui doivent s'accomplir pour les ruines de Jérusalem, à savoir 70 ans.

Daniel 9, 3 Je tournai ma face vers le Seigneur Dieu pour implorer un délai de prière et de supplications dans le jeûne, le sac et la poussière.

Daniel 9, 4 Je suppliai Yahvé mon Dieu, faisant confession: "Ah! mon Seigneur, Dieu grand et redoutable, qui gardes l'Alliance et la grâce pour ceux qui t'aiment et observent tes commandements.

Daniel 9, 5 Nous avons péché, nous avons commis l'iniquité, nous avons fait le mal, nous avons trahi et nous nous sommes détournés de tes commandements et décisions.

Daniel 9, 6 Nous n'avons pas écouté tes serviteurs, les prophètes qui parlaient en ton nom à nos rois, à nos princes, à nos pères, à tout le peuple du pays.

Daniel 9, 7 A toi, Seigneur, la justice, à nous la honte au visage, comme en ce jour, à nous, gens de Juda, habitants de Jérusalem, tout Israël, proches et lointains, dans tous les pays où tu nous as chassés à cause des infidélités commises à ton égard.

Daniel 9, 8 Yahvé, à nous la honte au visage, à nos rois, à nos princes, à nos pères, parce que nous avons péché contre toi.

Daniel 9, 9 Au Seigneur notre Dieu, les miséricordes et les pardons, car nous l'avons trahi,

Daniel 9, 10 et nous n'avons pas écouté la voix de Yahvé notre Dieu pour marcher selon les lois qu'il nous avait données par ses serviteurs les prophètes.

Daniel 9, 11 Tout Israël a transgressé ta loi, a déserté sans écouter ta voix, et se sont répandues sur nous la malédiction et l'imprécation inscrites dans la loi de Moïse, le serviteur de Dieu - car nous avons péché contre lui.

Daniel 9, 12 Et il a mis a exécution les paroles qu'il avait dites contre nous et contre les princes qui nous gouvernaient: il ferait venir à nous calamité si grande qu'il n'en sera pas sous le ciel de plus grande qu'à Jérusalem.

Daniel 9, 13 Ainsi qu'il est écrit dans la loi de Moïse, toute cette calamité est venue sur nous, mais nous n'avons pas rasséréné la face de Yahvé, notre Dieu, en revenant de nos iniquités, en apprenant à connaître ta vérité.

Daniel 9, 14 Yahvé a veillé à la calamité, il l'a fait venir sur nous. Car juste est Yahvé notre Dieu, dans toutes les oeuvres qu'il a faites, mais nous, nous n'avons pas écouté sa voix.

Daniel 9, 15 Et maintenant, Seigneur notre Dieu, qui par ta main puissante as fait sortir ton peuple du pays d'Egypte, - et ton renom en perdure jusqu'à ce jour --, nous avons péché, nous avons commis le mal.

Daniel 9, 16 Seigneur, par toutes tes justices, détourne ta colère et ta fureur de Jérusalem, ta ville, ta montagne sainte, car à cause de nos péchés et des fautes de nos pères, Jérusalem et ton peuple sont en opprobre à tous ceux qui nous environnent.

Daniel 9, 17 Et maintenant, écoute, ô notre Dieu, la prière de ton serviteur et ses supplications. Que ta face illumine ton sanctuaire désolé, par toi-même, Seigneur!

Daniel 9, 18 Prête l'oreille, mon Dieu, et écoute! Ouvre les yeux et vois nos désolations et la ville sur laquelle on invoque ton nom! Ce n'est pas en raison de nos oeuvres justes que nous répandons devant toi nos supplications, mais en raison de tes grandes miséricordes.

Daniel 9, 19 Seigneur, écoute! Seigneur, pardonne! Seigneur, veille et agis! Ne tarde point! - par toi-même, mon Dieu! car ton nom est invoqué sur ta ville et ton peuple."

Daniel 9, 20 Je parlais encore, proférant ma prière, confessant mes péchés et les péchés de mon peuple Israël, et répandant ma supplication devant Yahvé mon Dieu, pour la sainte montagne de mon Dieu;

Daniel 9, 21 je parlais encore en prière, quand Gabriel, l'être que j'avais vu en vision au début, fondit sur moi en plein vol, à l'heure de l'oblation du soir.

Daniel 9, 22 Il vint, me parla et me dit: "Daniel, me voici: je suis sorti pour venir t'instruire dans l'intelligence.

Daniel 9, 23 Dès le début de ta supplication une parole a été émise et je suis venu te l'annoncer. Tu es l'homme des prédilections. Pénètre la parole, comprends la vision:

Daniel 9, 24 "Sont assignées 70 semaines pour ton peuple et ta ville sainte pour mettre un terme à la transgression, pour apposer les scellés aux péchés, pour expier l'iniquité, pour introduire éternelle justice, pour sceller vision et prophétie, pour oindre le Saint des Saints.

Daniel 9, 25 Prends-en connaissance et intelligence: Depuis l'instant que sortit cette parole Qu'on revienne et qu'on rebâtisse Jérusalem jusqu'à un Prince Messie, sept semaines et 62 semaines, restaurés, rebâtis places et remparts, mais dans l'angoisse des temps.

Daniel 9, 26 Et après les 62 semaines, un messie supprimé, et il n'y a pas pour lui... la ville et le sanctuaire détruits par un prince qui viendra. Sa fin sera dans le cataclysme et, jusqu'à la fin, la guerre et les désastres décrétés.

Daniel 9, 27 Et il consolidera une alliance avec un grand nombre. Le temps d'une semaine; et le temps d'une demi- semaine il fera cesser le sacrifice et l'oblation, et sur l'aile du Temple sera l'abomination de la désolation jusqu'à la fin, jusqu'au terme assigné pour le désolateur."

Daniel 10, 1 En l'an trois de Cyrus, roi de Perse, une parole fut révélée à Daniel, surnommé Baltassar: parole sûre; haute lutte. Il pénétra la parole, l'intelligence lui en fut donnée en vision.

Daniel 10, 2 En ces temps-là, moi, Daniel, je faisais une pénitence de trois semaines:

Daniel 10, 3 je ne mangeais point de nourriture désirable; viande ni vin n'approchaient de ma bouche, et je ne m'oignais point, jusqu'au terme de ces trois semaines.

Daniel 10, 4 Le vingt-quatrième jour du premier mois, étant au bord du grand fleuve, le Tigre,

Daniel 10, 5 je levai les yeux pour regarder. Voici: Un homme vêtu de lin, les reins ceints d'or pur,

Daniel 10, 6 son corps avait l'apparence de la chrysolithe, son visage, l'aspect de l'éclair, ses yeux comme des lampes de feu, ses bras et ses jambes comme l'éclat du bronze poli, le son de ses paroles comme la rumeur d'une multitude.

Daniel 10, 7 Seul, moi Daniel, je contemplais cette apparition; les hommes qui étaient avec moi ne voyaient pas la vision, mais un grand tremblement s'abattit sur eux et ils s'enfuirent pour se cacher.

Daniel 10, 8 Je demeurai seul, contemplant cette grande vision; j'étais sans force, mon visage changea, défiguré, ma force m'abandonna.

Daniel 10, 9 J'entendis le son de ses paroles, et au son de ses paroles je défaillis et tombai face contre terre.

Daniel 10, 10 Voici: une main me toucha, faisant frémir mes genoux et les paumes de mes mains.

Daniel 10, 11 Il me dit: "Daniel, homme des prédilections, comprends les paroles que je vais te dire; lève-toi; me voici, envoyé à toi." Il dit ces mots et je me relevai en tremblant.

Daniel 10, 12 Il me dit: "Ne crains point, Daniel, car du premier jour où, pour comprendre, tu as résolu de te mortifier devant ton Dieu, tes paroles ont été entendues, et c'est à cause de tes paroles que je suis venu.

Daniel 10, 13 Le Prince du royaume de Perse m'a résisté pendant 21 jours, mais Michel, l'un des Premiers Princes, est venu à mon aide. Je l'ai laissé affrontant les rois de Perse,

Daniel 10, 14 et je suis venu te faire comprendre ce qui adviendra à ton peuple, à la fin des jours. Car voici pour ces jours une nouvelle vision."

Daniel 10, 15 Lorsqu'il m'eut dit ces choses, je me prosternai à terre sans rien dire;

Daniel 10, 16 et voici: une semblance de fils d'homme me toucha les lèvres. J'ouvris la bouche pour parler, et je dis à celui qui se tenait devant moi: "Mon Seigneur, à cette apparition, l'angoisse revient sur moi et je n'ai plus de forces.

Daniel 10, 17 Et comment le serviteur de mon Seigneur que voici, pourra-t-il parler avec mon Seigneur, alors que déjà il n'est plus de force en moi et que le souffle m'abandonne?"

Daniel 10, 18 De nouveau l'apparence humaine me toucha et me réconforta.

Daniel 10, 19 Il dit: "Ne crains point, homme des prédilections; paix à toi, prends force et courage!" Et tandis qu'il me parlait, je me sentais fortifié et je dis: "Que mon Seigneur parle, car tu m'as réconforté."

Daniel 10, 20 Alors il dit: "Sais-tu pourquoi je suis venu à toi? Je dois retourner combattre le Prince de Perse: quand j'en aurai fini, voici que viendra le Prince de Yavân.

Daniel 10, 21 Mais je vais t'annoncer ce qui est inscrit dans le Livre de Vérité. Nul ne me prête main-forte pour ces choses, sinon Michel, votre Prince,

Daniel 11, 1 mon appui pour me prêter main-forte et me soutenir.

Daniel 11, 2 A présent, je vais t'annoncer la vérité. "Voici: trois rois encore se lèveront pour la Perse; le quatrième aura plus de richesses qu'eux tous, et lorsque sa richesse l'aura rendu puissant, il se lèvera contre tous les royaumes de Yavân.

Daniel 11, 3 Un roi vaillant se lèvera et gouvernera un vaste empire et fera ce qu'il lui plaît.

Daniel 11, 4 Tandis qu'il s'élèvera, son royaume sera brisé et partagé aux quatre vents du ciel, mais non pas au profit de sa descendance; il ne sera pas gouverné comme il l'avait gouverné, car son royaume sera extirpé et livré à d'autres qu'elle.

Daniel 11, 5 Le roi du Midi deviendra fort; un de ses princes l'emportera sur lui et son empire sera plus grand que le sien.

Daniel 11, 6 Quelques années plus tard ils contracteront une alliance et la fille du roi du Midi s'en viendra auprès du roi du Nord pour exécuter les accords. Mais la force de son bras ne tiendra pas, ni sa descendance ne subsistera: elle sera livrée, elle et ceux qui l'ont amenée, et son enfant, et celui qui a eu pouvoir sur elle. En son temps,

Daniel 11, 7 un rejeton de ses racines se lèvera à sa place, qui s'en viendra vers les remparts et pénétrera dans la forteresse du roi du Nord, et il les traitera en vainqueur.

Daniel 11, 8 Leurs dieux mêmes, leurs statues et leurs vases précieux d'argent et d'or seront le butin qu'il emportera en Egypte. Pendant quelques années il se tiendra à distance du roi du Nord.

Daniel 11, 9 Il se rendra vers le royaume du roi du Midi puis s'en retournera dans son pays.

Daniel 11, 10 Ses fils se lèveront et réuniront une multitude de forces puissantes, et il s'avancera, déferlera, passera et se lèvera de nouveau jusqu'à sa forteresse.

Daniel 11, 11 Et le roi du Midi se mettra en fureur et partira en guerre contre le roi du Nord qui ralliera une grande multitude; mais la multitude sera livrée entre ses mains.

Daniel 11, 12 La multitude sera anéantie; son coeur s'exaltera, il abattra des myriades, mais il n'aura point de force.

Daniel 11, 13 Le roi du Nord reviendra, ayant levé des multitudes plus nombreuses que les premières, et après des années il s'avancera avec une grande armée et un abondant équipement.

Daniel 11, 14 En ces temps un grand nombre se dresseront contre le roi du Midi et les violents parmi ceux de ton peuple se lèveront pour accomplir la vision, mais ils trébucheront.

Daniel 11, 15 Viendra le roi du Nord qui construira des retranchements pour assiéger une ville fortifiée. Les bras du Midi ne résisteront pas; l'élite du peuple n'aura pas la force de résister.

Daniel 11, 16 Celui qui s'avance contre lui le traitera selon son bon plaisir, personne ne lui résistera: il se tiendra dans le Pays de Splendeur, la destruction entre les mains.

Daniel 11, 17 Il aura en tête de conquérir son royaume tout entier; puis il fera un pacte avec lui en lui donnant une fille des femmes afin de le détruire, mais cela ne tiendra pas et ne sera pas à lui.

Daniel 11, 18 Il se tournera vers les îles et en prendra un grand nombre; mais un magistrat fera cesser son outrage sans qu'il puisse lui revaloir son outrage.

Daniel 11, 19 Il tournera sa face vers les bastions de son pays, mais il trébuchera, tombera, on ne le trouvera plus.

Daniel 11, 20 A sa place en viendra un qui fera passer un exacteur portant atteinte à la splendeur royale: en quelques jours il sera brisé, mais non au vu de tous ou à la guerre.

Daniel 11, 21 "A sa place se lèvera un misérable: on ne lui donnera pas les honneurs de la royauté. Il s'en viendra à son aise et s'emparera du royaume par des intrigues.

Daniel 11, 22 Les forces seront en débâcle devant lui et seront brisées - même le Prince d'une alliance.

Daniel 11, 23 Par ses complicités il agira en traître et ira en se fortifiant, bien qu'avec peu de monde.

Daniel 11, 24 A son aise, il envahira les grasses provinces, agissant comme n'avaient agi ni ses pères ni les pères de ses pères, dispersant parmi eux butin, profits et richesses, tendant ses stratagèmes contre les forteresses, pour un temps.

Daniel 11, 25 Il excitera sa force et son coeur contre le roi du Midi, avec une grande armée. Le roi du Midi se lèvera pour la guerre avec une armée très grande et très puissante, mais il ne tiendra pas, car des stratagèmes seront tendus contre lui.

Daniel 11, 26 Et ceux qui mangeaient de ses mets le mettront en pièces; son armée sera débordée, et nombreux tomberont les morts.

Daniel 11, 27 Les deux rois, leur coeur tourné vers le mal, assis à la même table, diront des mensonges; mais ils n'aboutiront point, car le temps fixé est encore à venir.

Daniel 11, 28 Il rentrera dans son pays avec de grandes richesses, le coeur contre l'Alliance sainte; il agira, puis il rentrera dans son pays.

Daniel 11, 29 Le moment venu, il retournera vers le Midi, mais il n'en sera pas de la fin comme du commencement.

Daniel 11, 30 Les vaisseaux des Kittim viendront contre lui et il sera découragé. Il reviendra et sévira furieusement contre l'Alliance sainte, et de nouveau, il aura en considération ceux qui abandonnent l'Alliance sainte.

Daniel 11, 31 Des forces viendront de sa part profaner le sanctuaire-citadelle, ils aboliront le sacrifice perpétuel, et y mettront l'abomination de la désolation.

Daniel 11, 32 Ceux qui transgressent l'Alliance, il les pervertira par ses paroles douces, mais les gens qui connaissent leur Dieu s'affermiront et agiront.

Daniel 11, 33 Les doctes d'entre le peuple enseigneront la multitude; ils trébucheront par l'épée et la flamme, et la captivité et la spoliation - durant des jours.

Daniel 11, 34 Qu'ils trébuchent, peu de gens leur viendront en aide; nombreux seront ceux qui s'associeront à eux par des intrigues.

Daniel 11, 35 Parmi les doctes, certains trébucheront, en sorte que dans le nombre il y en ait qui soient purifiés, lavés et blanchis - jusqu'au temps de la Fin, car le temps fixé est encore à venir.

Daniel 11, 36 Le roi agira selon son bon plaisir, s'enorgueillissant et s'exaltant par-dessus tous les dieux, contre le Dieu des dieux il dira des choses inouïes et il prospérera jusqu'à ce que soit comble la colère - car ce qui est déterminé s'accomplira.

Daniel 11, 37 Sans égards pour les dieux de ses pères, sans égards pour le favori des femmes ou pour tout autre dieu, c'est lui-même qu'il exaltera au-dessus de tout.

Daniel 11, 38 A leur place il vénérera le dieu des forteresses, il vénérera un dieu que ses pères n'ont point connu, par l'or et l'argent, pierres précieuses et choses de prix.

Daniel 11, 39 Il prendra comme défenseurs des forteresses le peuple d'un dieu étranger, à ceux qu'il reconnaîtra, il fera grands honneurs en leur donnant autorité sur la multitude, et en partageant la terre pour un rendement.

Daniel 11, 40 "Au temps de la Fin, le roi du Midi s'affrontera avec lui; le roi du Nord déferlera sur lui avec ses chars, ses cavaliers et ses nombreux navires. Il viendra dans les pays, qu'il envahira et traversera.

Daniel 11, 41 Il viendra dans le Pays de Splendeur, et il en tombera un grand nombre, mais ceux-ci échapperont de ses mains: Edom et Moab et les restes des fils d'Ammon.

Daniel 11, 42 Il étendra sa main sur les pays: le pays d'Egypte n'y échappera point.

Daniel 11, 43 Il aura en son pouvoir les trésors d'or et d'argent et toutes les choses précieuses d'Egypte. Libyens et Kushites seront à ses pieds.

Daniel 11, 44 Mais des rumeurs viendront le troubler de l'Orient et du Nord; il s'en ira en grande fureur détruire et exterminer une multitude.

Daniel 11, 45 Il dressera les tentes de ses quartiers entre la mer et les monts de la Sainte Splendeur. Il s'en ira jusqu'à son terme: pour lui aucun secours.

Daniel 12, 1 "En ce temps se lèvera Michel, le grand Prince qui se tient auprès des enfants de ton peuple. Ce sera un temps d'angoisse tel qu'il n'y en aura pas eu jusqu'alors depuis que nation existe. En ce temps-là, ton peuple échappera: tous ceux qui se trouveront inscrits dans le Livre.

Daniel 12, 2 "Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s'éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l'opprobre, pour l'horreur éternelle.

Daniel 12, 3 Les doctes resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui ont enseigné la justice à un grand nombre, comme les étoiles, pour toute l'éternité.

Daniel 12, 4 Toi, Daniel, serre ces paroles et scelle le livre jusqu'au temps de la Fin. Beaucoup erreront de-ci de-là, et l'iniquité grandira."

Daniel 12, 5 Je regardai, moi Daniel, et voici: deux autres se tenaient debout, de part et d'autre du fleuve.

Daniel 12, 6 L'un dit à l'homme vêtu de lin, qui était en amont du fleuve: "Jusques à quand, le temps des choses inouïes?"

Daniel 12, 7 J'entendis l'homme vêtu de lin, qui se tenait en amont du fleuve: il leva la main droite et la main gauche vers le ciel et attesta par l'Eternel Vivant: "Pour un temps, des temps et un demi-temps, et toutes ces choses s'achèveront quand sera achevé l'écrasement de la force du Peuple saint."

Daniel 12, 8 J'écoutai sans comprendre. Puis je dis: "Mon Seigneur, quel sera cet achèvement?"

Daniel 12, 9 Il dit: "Va, Daniel; ces paroles sont closes et scellées jusqu'au temps de la Fin.

Daniel 12, 10 Beaucoup seront lavés, blanchis et purifiés; les méchants feront le mal, les méchants ne comprendront point; les doctes comprendront.

Daniel 12, 11 A compter du moment où sera aboli le sacrifice perpétuel et posée l'abomination de la désolation: 1.290 jours.

Daniel 12, 12 Heureux celui qui tiendra et qui atteindra 1.335 jours.

Daniel 12, 13 Pour toi, va, prends ton repos; et tu te lèveras pour ta part à la fin des jours."

Daniel 13, 1 A Babylone vivait un homme du nom de Ioakim.

Daniel 13, 2 Il avait épousé une femme du nom de Suzanne, fille d'Helcias; elle était d'une grande beauté et craignait Dieu,

Daniel 13, 3 car ses parents étaient des justes et avaient élevé leur fille dans la loi de Moïse.

Daniel 13, 4 Ioakim était fort riche, un jardin était proche de sa maison, et les Juifs se rendaient chez lui en grand nombre, car on l'estimait plus que tout autre.

Daniel 13, 5 Cette année-là, on avait choisi dans le peuple deux vieillards qu'on avait désignés comme juges. C'est eux que vise la parole du Seigneur: "L'iniquité est venue en Babylone des vieillards et des juges qui se donnaient pour guides du peuple."

Daniel 13, 6 Ces gens fréquentaient la maison de Ioakim et tous ceux qui avaient quelque procès s'adressaient à eux.

Daniel 13, 7 Lorsque tout le monde s'était retiré, vers midi, Suzanne venait se promener dans le jardin de son époux.

Daniel 13, 8 Les deux vieillards qui la voyaient tous les jours entrer pour sa promenade se mirent à la désirer.

Daniel 13, 9 Ils en perdirent le sens, négligeant de regarder vers le Ciel et oubliant ses justes jugements.

Daniel 13, 10 Tous deux blessés de cette passion, ils se cachaient l'un à l'autre leur tourment.

Daniel 13, 11 Honteux d'avouer le désir qui les pressait de coucher avec elle,

Daniel 13, 12 ils n'en rusaient pas moins chaque jour pour la voir.

Daniel 13, 13 Un jour, s'étant quittés sur ces mots: "Rentrons chez nous, c'est l'heure du déjeuner", et chacun s'en étant allé de son côté,

Daniel 13, 14 chacun aussi revint sur ses pas et ils se retrouvèrent face à face. Forcés alors de s'expliquer, ils s'avouèrent leur passion et convinrent de chercher le moment où ils pourraient surprendre Suzanne seule.

Daniel 13, 15 Ils attendaient donc l'occasion favorable. Un jour, Suzanne vint, comme les jours précédents, accompagnée seulement de deux petites servantes, et, comme il faisait chaud, elle voulut se baigner au jardin.

Daniel 13, 16 Il n'y avait personne: seuls les deux vieillards, cachés, étaient aux aguets.

Daniel 13, 17 Elle dit aux servantes: "Apportez-moi de l'huile et du baume, et fermez la porte du jardin, afin que je puisse me baigner."

Daniel 13, 18 Elles obéirent, fermèrent la porte du jardin, et rentrèrent dans la maison par une porte latérale pour y chercher ce que Suzanne avait demandé, sans rien savoir des vieillards qui se tenaient cachés.

Daniel 13, 19 A peine les servantes étaient-elles parties, qu'ils furent debout et lui dirent, en se jetant sur elle:

Daniel 13, 20 "La porte du jardin est close, personne ne nous voit. Nous te désirons, cède et couche avec nous!

 

 

 

Osée

 

 Osée 1, 1 Parole de Yahvé qui fut adressée à Osée, fils de Beéri, au temps d'Ozias, de Yotam, d'Achaz et d'Ezéchias, rois de Juda, et au temps de Jéroboam, fils de Joas, roi d'Israël.

Osée 1, 2 Commencement de ce que Yahvé a dit par Osée. Yahvé dit à Osée: "Va, prends une femme se livrant à la prostitution et des enfants de prostitution, car le pays ne fait que se prostituer en se détournant de Yahvé."

Osée 1, 3 Il alla donc prendre Gomer, fille de Diblayim, qui conçut et lui enfanta un fils.

Osée 1, 4 Yahvé lui dit: "Appelle-le du nom de Yizréel, car encore un peu de temps, et je châtierai la maison de Jéhu pour le sang versé à Yizréel, et je mettrai fin à la royauté de la maison d'Israël.

Osée 1, 5 Il adviendra, en ce jour-là, que je briserai l'arc d'Israël dans la vallée de Yizréel."

Osée 1, 6 Elle conçut encore et enfanta une fille. Yahvé lui dit: "Appelle-la du nom de Lo-Ruhamah, car désormais je n'aurai plus pitié de la maison d'Israël pour lui pardonner encore.

Osée 1, 7 Mais de la maison de Juda j'aurai pitié et je les sauverai par Yahvé leur Dieu. Je ne les sauverai ni par l'arc, ni par l'épée, ni par la guerre, ni par les chevaux, ni par les cavaliers."

Osée 1, 8 Elle sevra Lo-Ruhamah, conçut encore et enfanta un fils.

Osée 1, 9 Yahvé dit: "Appelle-le du nom de Lo-Ammi, car vous n'êtes pas mon peuple, et moi je n'existe pas pour vous."

Osée 2, 1 Le nombre des enfants d'Israël sera comme le sable de la mer, qu'on ne peut ni mesurer ni compter; au lieu même où on leur disait: "Vous n'êtes pas mon peuple", on leur dira: "Fils du Dieu vivant."

Osée 2, 2 Les enfants de Juda et les enfants d'Israël se réuniront, ils se donneront un chef unique et ils déborderont hors du pays; car il sera grand le jour de Yizréel.

Osée 2, 3 Dites à vos frères: "Mon Peuple", et à vos soeurs: "Celle dont on a pitié."

Osée 2, 4 Intentez procès à votre mère, intentez-lui procès! Car elle n'est pas ma femme, et moi je ne suis pas son mari. Qu'elle écarte de sa face ses prostitutions, et d'entre ses seins ses adultères.

Osée 2, 5 Sinon je la déshabillerai toute nue et la mettrai comme au jour de sa naissance; je la rendrai pareille au désert, je la réduirai en terre aride, je la ferai mourir de soif,

Osée 2, 6 et de ses enfants je n'aurai pas pitié, car ce sont des enfants de prostitution.

Osée 2, 7 Oui, leur mère s'est prostituée, celle qui les conçut s'est déshonorée; car elle a dit: je veux courir après mes amants, qui me donnent mon pain et mon eau, ma laine et mon lin, mon huile et ma boisson.

Osée 2, 8 C'est pourquoi je vais obstruer son chemin avec des ronces, je l'entourerai d'une barrière pour qu'elle ne trouve plus ses sentiers;

Osée 2, 9 elle poursuivra ses amants et ne les atteindra pas, elle les cherchera et ne les trouvera pas. Alors elle dira: je veux retourner vers mon premier mari, car j'étais plus heureuse alors que maintenant.

Osée 2, 10 Elle n'a pas reconnu que c'est moi qui lui donnais le froment, le vin nouveau et l'huile fraîche, qui lui prodiguais cet argent et cet or qu'ils ont employés pour Baal!

Osée 2, 11 C'est pourquoi je reprendrai mon froment en son temps et mon vin nouveau en sa saison; je retirerai ma laine et mon lin qui devaient couvrir sa nudité.

Osée 2, 12 Puis je dévoilerai son infamie aux yeux de ses amants et personne ne la délivrera de ma main.

Osée 2, 13 Je ferai cesser toutes ses réjouissances, ses fêtes, ses néoménies, ses sabbats et toutes ses solennités.

Osée 2, 14 Je dévasterai sa vigne et son figuier, dont elle disait: Ils sont le salaire que m'ont donné mes amants; j'en ferai un hallier et la bête sauvage les dévorera.

Osée 2, 15 Je la châtierai pour les jours des Baals auxquels elle brûlait de l'encens, quand elle se parait de son anneau et de son collier et qu'elle courait après ses amants; et moi, elle m'oubliait! - Oracle de Yahvé.

Osée 2, 16 C'est pourquoi je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son coeur.

Osée 2, 17 Là, je lui rendrai ses vignobles, et je ferai du val d'Akor une porte d'espérance. Là, elle répondra comme aux jours de sa jeunesse, comme au jour où elle montait du pays d'Egypte.

Osée 2, 18 Il adviendra en ce jour-là - oracle de Yahvé - que tu m'appelleras "Mon mari", et tu ne m'appelleras plus "Mon Baal."

Osée 2, 19 J'écarterai de sa bouche les noms des Baals, et ils ne seront plus mentionnés par leur nom.

Osée 2, 20 Je conclurai pour eux une alliance, en ce jour-là, avec les bêtes des champs, avec les oiseaux du ciel et les reptiles du sol; l'arc, l'épée, la guerre, je les briserai et les bannirai du pays, et eux, je les ferai reposer en sécurité.

Osée 2, 21 Je te fiancerai à moi pour toujours; je te fiancerai dans la justice et dans le droit, dans la tendresse et la miséricorde;

Osée 2, 22 je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaîtras Yahvé.

Osée 2, 23 Il adviendra, en ce jour-là, que je répondrai - oracle de Yahvé - je répondrai aux cieux et eux répondront à la terre;

Osée 2, 24 la terre répondra au froment, au vin nouveau et à l'huile fraîche, et eux répondront à Yizréel.

Osée 2, 25 Je la sèmerai dans le pays, j'aurai pitié de Lo-Ruhamah, je dirai à Lo-Ammi: "Tu es mon peuple" et lui dira: "Mon Dieu!"

Osée 3, 1 Yahvé me dit: "Va de nouveau, aime une femme qui en aime un autre et commet l'adultère, comme Yahvé aime les enfants d'Israël, alors qu'ils se tournent vers d'autres dieux et qu'ils aiment les gâteaux de raisin."

Osée 3, 2 Je l'achetai donc pour quinze sicles d'argent et un muid et demi d'orge,

Osée 3, 3 et je lui dis: "Pendant de longs jours tu me resteras là, sans te prostituer et sans appartenir à un homme, et j'agirai de même à ton égard."

Osée 3, 4 Car, pendant de longs jours les enfants d'Israël resteront sans roi et sans chef, sans sacrifice et sans stèle, sans éphod et sans téraphim.

Osée 3, 5 Ensuite les enfants d'Israël reviendront; ils chercheront Yahvé leur Dieu, et David leur roi; ils accourront en tremblant vers Yahvé et vers ses biens, dans la suite des jours.

Osée 4, 1 Ecoutez la parole de Yahvé, enfants d'Israël, car Yahvé est en procès avec les habitants du pays: il n'y a ni fidélité ni amour, ni connaissance de Dieu dans le pays,

Osée 4, 2 mais parjure et mensonge, assassinat et vol, adultère et violence, et le sang versé succède au sang versé.

Osée 4, 3 Voilà pourquoi le pays est en deuil et tous ses habitants dépérissent, jusqu'aux bêtes des champs et aux oiseaux du ciel, et même les poissons de la mer disparaîtront.

Osée 4, 4 Pourtant que nul n'intente procès, que nul ne réprimande! C'est avec toi, prêtre, que je suis en procès.

Osée 4, 5 Tu trébucheras en plein jour, le prophète aussi trébuchera, la nuit, avec toi, et je ferai périr ta mère.

Osée 4, 6 Mon peuple périt, faute de connaissance. Puisque toi, tu as rejeté la connaissance, je te rejetterai de mon sacerdoce; puisque tu as oublié l'enseignement de ton Dieu, à mon tour, j'oublierai tes fils.

Osée 4, 7 Tous tant qu'ils sont, ils ont péché contre moi, ils ont échangé leur Gloire contre l'Ignominie.

Osée 4, 8 Du péché de mon peuple, ils se nourrissent, de sa faute, ils sont avides.

Osée 4, 9 Mais il en sera du prêtre comme du peuple: je lui ferai expier sa conduite, je lui revaudrai ses oeuvres.

Osée 4, 10 Ils mangeront, mais sans se rassasier, ils se prostitueront, mais sans s'accroître, car ils ont abandonné Yahvé pour se livrer

Osée 4, 11 à la prostitution. Le vin et le moût font perdre le sens.

Osée 4, 12 Mon peuple consulte son morceau de bois, c'est son bâton qui le renseigne; car un esprit de prostitution les égare, et ils se prostituent, s'éloignant de leur Dieu.

Osée 4, 13 Sur le sommet des montagnes, ils sacrifient, sur les collines, ils brûlent de l'encens, sous le chêne, le peuplier et le térébinthe, car leur ombrage est bon. Voilà pourquoi, si vos filles se prostituent, si vos brus commettent l'adultère,

Osée 4, 14 je ne châtierai pas vos filles pour leurs prostitutions, ni vos brus pour leurs adultères; car eux-mêmes vont à l'écart avec les prostituées, ils sacrifient avec les hiérodules, et le peuple, sans discernement, va à sa perte!

Osée 4, 15 Si toi, tu te prostitues, Israël, Que Juda ne se rende pas coupable! N'allez pas à Gilgal, ne montez pas à Bet-Aven, et ne jurez pas "par la vie de Yahvé."

Osée 4, 16 Car tel une vache rétive, Israël a été rétif; et maintenant Yahvé le ferait paître comme un agneau dans un vaste pacage?

Osée 4, 17 Ephraïm est l'allié des idoles, laisse-le!

Osée 4, 18 Leur beuverie terminée, ils ne font que se prostituer; ils préfèrent l'Ignominie à leur Orgueil.

Osée 4, 19 Le vent les emportera de ses ailes, et ils auront honte de leurs sacrifices.

Osée 5, 1 Ecoutez ceci, prêtres, sois attentive, maison d'Israël, maison du roi, prête l'oreille! Car c'est vous que concerne le droit, mais vous avez été un piège à Miçpa, et un filet tendu sur le Tabor.

Osée 5, 2 Ils ont approfondi la fosse de Shittim, eh bien, moi, je vais les punir tous.

Osée 5, 3 Moi, je connais Ephraïm, Israël ne m'est point caché. Oui, tu t'es prostitué, Ephraïm, Israël s'est souillé.

Osée 5, 4 Leurs oeuvres ne leur permettent pas de revenir vers leur Dieu, car un esprit de prostitution est en leur sein et ils ne connaissent pas Yahvé.

Osée 5, 5 L'orgueil d'Israël témoigne contre lui; Israël et Ephraïm trébuchent à cause de leur faute, Juda aussi trébuche avec eux.

Osée 5, 6 Avec leurs brebis et leurs boeufs, ils iront chercher Yahvé, mais ils ne le trouveront pas: il s'est retiré d'eux!

Osée 5, 7 Ils ont trahi Yahvé, ils ont engendré des bâtards; maintenant la néoménie va les dévorer, eux et leurs champs.

Osée 5, 8 Sonnez du cor à Gibéa, de la trompette à Rama, donnez l'alarme à Bet-Aven, on te talonne, Benjamin.

Osée 5, 9 Ephraïm deviendra une désolation, au jour du châtiment, sur les tribus d'Israël, j'annonce une chose certaine.

Osée 5, 10 Les chefs de Juda sont comme des déplaceur de bornes; sur eux je répandrai ma fureur comme de l'eau.

Osée 5, 11 Ephraïm est opprimé, écrasé par le jugement, car il s'est plu à courir après le Mensonge.

Osée 5, 12 Eh bien, moi, je serai comme la teigne pour Ephraïm, comme la carie pour la maison de Juda.

Osée 5, 13 Ephraïm a vu sa maladie et Juda son ulcère; Ephraïm alors est allé vers Assur, il a envoyé des messagers au grand roi; mais lui ne pourra vous guérir ni porter remède à votre ulcère.

Osée 5, 14 Car moi, je suis comme un lion pour Ephraïm, comme un lionceau pour la maison de Juda; moi, moi, je déchirerai et je m'en irai, j'emporterai ma proie, et personne pour délivrer.

Osée 5, 15 Oui, je vais regagner ma demeure, jusqu'à ce qu'ils s'avouent coupables et cherchent ma face; dans leur détresse, ils me rechercheront.

Osée 6, 1 "Venez, retournons vers Yahvé. Il a déchiré, il nous guérira; il a frappé, il pansera nos plaies;

Osée 6, 2 après deux jours il nous fera revivre, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa présence.

Osée 6, 3 Connaissons, appliquons-nous à connaître Yahvé; sa venue est certaine comme l'aurore; il viendra pour nous comme l'ondée, comme la pluie de printemps qui arrose la terre" --

Osée 6, 4 Que te ferai-je, Ephraïm? Que te ferai-je, Juda? Car votre amour est comme la nuée du matin, comme la rosée qui tôt se dissipe.

Osée 6, 5 C'est pourquoi je les ai taillés en pièces par les prophètes, je les ai tués par les paroles de ma bouche; et mon jugement surgira comme la lumière.

Osée 6, 6 Car c'est l'amour qui me plaît et non les sacrifices, la connaissance de Dieu plutôt que les holocaustes.

Osée 6, 7 Mais eux, à Adam, ont transgressé l'alliance, là, ils m'ont trahi.

Osée 6, 8 Galaad est une cité de malfaiteurs qui porte des traces de sang.

Osée 6, 9 Comme des brigands en embuscade, une bande de prêtres assassine sur la route de Sichem; oui, ils commettent l'infamie!

Osée 6, 10 A Béthel j'ai vu une chose horrible; c'est là que se prostitue Ephraïm, que se souille Israël.

Osée 6, 11 A toi aussi, Juda, est destinée une moisson, quand je rétablirai mon peuple.

Osée 7, 1 Alors que je veux guérir Israël, se dévoilent la faute d'Ephraïm et les méchancetés de Samarie; car ils pratiquent le mensonge, le voleur entre dans la maison, une bande sévit au-dehors.

Osée 7, 2 Et ils ne disent pas en leur coeur que je me souviens de toute leur méchanceté! Maintenant leurs oeuvres les enserrent, elles sont devant ma face.

Osée 7, 3 Par leur méchanceté ils égaient le roi, et par leurs mensonges, les chefs.

Osée 7, 4 Tous sont adultères, ils sont comme un four brûlant que le boulanger cesse d'attiser depuis qu'il a pétri la pâte jusqu'à ce qu'elle ait levé.

Osée 7, 5 Au jour de notre roi, les chefs se rendent malades par la chaleur du vin, et lui tend la main aux moqueurs

Osée 7, 6 quand ils s'approchent. Dans leur complot, leur coeur est semblable à un four; toute la nuit leur colère sommeille, au matin elle brûle comme un feu flamboyant;

Osée 7, 7 tous sont échauffés comme un four, ils dévorent leurs juges. Tous leurs rois sont tombés. Pas un d'entre eux qui crie vers moi!

Osée 7, 8 Ephraïm se mêle aux peuples, Ephraïm est une galette qu'on n'a pas retournée.

Osée 7, 9 Des étrangers dévorent sa vigueur, et lui ne le sait pas! Même des cheveux blancs parsèment sa tête, et lui ne le sait pas!

Osée 7, 10 (L'orgueil d'Israël témoigne contre lui; et ils ne reviennent pas vers Yahvé leur Dieu, avec tout cela, ils ne le cherchent pas!)

Osée 7, 11 Ephraïm est une colombe naïve, sans cervelle; ils appellent l'Egypte, ils vont en Assur,

Osée 7, 12 où qu'ils aillent, je déploierai sur eux mon filet, comme l'oiseau du ciel je les ferai tomber je les punirai à cause de leur méchanceté.

Osée 7, 13 Malheur à eux, parce qu'ils ont fui loin de moi! Ruine sur eux, parce qu'ils m'ont été infidèles! Et moi, je devrais les libérer, quand eux profèrent contre moi des mensonges?

Osée 7, 14 Ils ne crient pas vers moi du fond du coeur quand ils se lamentent sur leurs couches; pour du blé et du vin nouveau, ils se lacèrent, mais ils se rebellent contre moi.

Osée 7, 15 Et moi, j'avais fortifié leur bras, mais contre moi ils méditent le mal.

Osée 7, 16 Ils se tournent vers ce qui n'est rien, ils sont comme un arc trompeur. Leurs chefs tomberont sous l'épée à cause de la fureur de leur langue, et l'on se moquera bien d'eux au pays d'Egypte...

Osée 8, 1 Embouche la trompette! Comme un aigle, le malheur fond sur la maison de Yahvé. Car ils ont transgressé mon alliance et ont été infidèles à ma Loi.

Osée 8, 2 Ils ont beau me crier: "Mon Dieu, nous te connaissons, nous Israël."

Osée 8, 3 Israël a rejeté le bien, l'ennemi le poursuivra.

Osée 8, 4 Ils ont fait des rois, mais sans mon aveu, ils ont fait des chefs, mais à mon insu. De leur argent et de leur or ils se sont fait des idoles, afin qu'elles soient supprimées.

Osée 8, 5 Ton veau, Samarie, je le repousse! - ma colère s'est enflammée contre eux: Jusques à quand ne pourront-ils recouvrer l'innocence?

Osée 8, 6 Car il vient d'Israël, c'est un artisan qui l'a fabriqué, lui, il n'est pas Dieu, lui. Oui, le veau de Samarie tombera en miettes.

Osée 8, 7 Puisqu'ils sèment le vent, ils moissonneront la tempête: tige qui n'a pas d'épi, qui ne donne pas de farine; et s'il en donne, des étrangers l'engloutiront.

Osée 8, 8 Israël est englouti. Maintenant ils sont parmi les nations comme un objet dont personne ne veut;

Osée 8, 9 car ils sont montés vers Assur, onagre qui vit à l'écart; Ephraïm s'est acheté des amants.

Osée 8, 10 Qu'il s'en achète parmi les nations, maintenant je vais les rassembler et ils souffriront bientôt sous le fardeau du roi des princes.

Osée 8, 11 Quand Ephraïm a multiplié les autels, ces autels ne lui ont servi qu'à pécher.

Osée 8, 12 Que pour lui j'écrive les mille préceptes de ma loi, on les tient pour une chose étrangère.

Osée 8, 13 Les sacrifices qu'ils m'offrent, ils les sacrifient, ils en mangent la viande, mais Yahvé ne les agrée pas. Maintenant, il va se souvenir de leur faute et châtier leurs péchés: ils retourneront, eux, en Egypte.

Osée 8, 14 Israël a oublié son auteur et il a bâti des palais; Juda a multiplié les villes fortes. Mais j'enverrai le feu dans ses villes, et il en dévorera les citadelles.

Osée 9, 1 Ne te réjouis pas, Israël; ne jubile pas comme les peuples; car tu as abandonné ton Dieu pour la prostitution, dont tu as aimé le salaire sur toutes les aires à blé.

Osée 9, 2 L'aire et la cuve ne les nourriront pas, le vin nouveau les décevra.

Osée 9, 3 Ils n'habiteront pas au pays de Yahvé, Ephraïm retournera en Egypte, et en Assur, ils mangeront des mets impurs.

Osée 9, 4 Ils ne feront pas à Yahvé de libations de vin et leurs sacrifices ne lui seront pas agréables: Ce sera pour eux comme un pain de deuil, tous ceux qui en mangeront deviendront impurs; car leur pain sera pour eux-mêmes, mais il n'entrera pas dans la Maison de Yahvé.

Osée 9, 5 Que ferez-vous au jour de solennité, au jour de la fête de Yahvé?

Osée 9, 6 Car voilà qu'ils sont partis devant la dévastation; l'Egypte les rassemblera, Memphis les ensevelira, leurs objets précieux, l'ortie en héritera, et l'épine envahira leurs tentes.

Osée 9, 7 Ils sont venus, les jours du châtiment, ils sont venus, les jours de la rétribution, qu'Israël le sache! - "Le prophète est fou, l'inspiré délire" - A cause de la grandeur de ta faute, grande sera l'hostilité.

Osée 9, 8 Le guetteur d'Ephraïm est avec mon Dieu - c'est le prophète, à qui on tend un piège sur tous les chemins et dans la maison de son Dieu, c'est l'hostilité.

Osée 9, 9 Ils se sont profondément corrompus, comme aux jours de Gibéa: il se souviendra de leur faute, il châtiera leurs péchés.

Osée 9, 10 Comme des raisins dans le désert, je trouvai Israël, comme un fruit sur un figuier en la prime saison, je vis vos pères; mais arrivés à Baal-Péor, ils se vouèrent à la Honte et devinrent des horreurs, comme l'objet de leur amour.

Osée 9, 11 Ephraïm, comme l'oiseau s'envolera sa gloire: plus d'enfantement, plus de grossesse, plus de conception.

Osée 9, 12 Même s'ils élèvent leurs fils, je les en priverai avant qu'ils soient hommes; oui, malheur à eux quand je m'éloignerai d'eux!

Osée 9, 13 Ephraïm, je le voyais comme Tyr, plantée dans une prairie, mais Ephraïm devra mener ses fils à l'égorgeur.

Osée 9, 14 Donne-leur, Yahvé... Que donneras-tu? Donne-leur des entrailles stériles et des seins desséchés.

Osée 9, 15 Toute leur méchanceté a paru à Gilgal, c'est là que je les ai pris en haine. A cause de la méchanceté de leurs actions, je les chasserai de ma maison, je ne les aimerai plus, tous leurs chefs sont des rebelles.

Osée 9, 16 Ephraïm est frappé, leur racine est desséchée, ils ne donneront pas de fruit. Même s'il leur naît des enfants, je ferai mourir les délices de leur sein.

Osée 9, 17 Mon Dieu les rejettera parce qu'ils ne l'ont pas écouté, et ils seront errants parmi les nations.

Osée 10, 1 Israël était une vigne luxuriante, qui donnait bien son fruit. Plus son fruit se multipliait, plus il a multiplié les autels; plus son pays devenait riche, plus riches il a fait les stèles.

Osée 10, 2 Leur coeur est double, maintenant ils vont expier; Lui-même renversera leurs autels, il dévastera leurs stèles.

Osée 10, 3 Alors ils diront: "Nous n'avons pas de roi, car nous n'avons pas craint Yahvé, mais le roi, que pourrait-il faire pour nous?"

Osée 10, 4 On tient des discours, on jure en vain, on conclut des alliances; et le droit prospère comme la plante vénéneuse sur le sillon des champs!

Osée 10, 5 Pour le veau de Bet-Aven les habitants de Samarie tremblent; oui, sur lui son peuple mène le deuil, ainsi que sa prêtraille: Qu'il exultent sur sa gloire maintenant qu'elle est déportée loin de nous!

Osée 10, 6 Lui-même, on le transportera en Assur comme tribut pour le grand roi. Ephraïm recueillera la honte, et Israël rougira de son dessein.

Osée 10, 7 C'en est fait de Samarie! Son roi est comme un fétu à la surface de l'eau.

Osée 10, 8 Ils seront détruits, les hauts lieux d'Aven, ce péché d'Israël; épines et chardons grimperont sur leurs autels. Ils diront alors aux montagnes: "Couvrez-nous!" et aux collines: "Tombez sur nous!"

Osée 10, 9 Depuis les jours de Gibéa, tu as péché, Israël! ils s'en sont tenus là, et la guerre n'atteindrait pas les criminels à Gibéa?

Osée 10, 10 Je vais venir les punir! Des peuples s'assembleront contre eux quand ils seront punis pour leurs deux fautes.

Osée 10, 11 Ephraïm est une génisse bien dressée, aimant à fouler l'aire; et moi j'ai fait passer le joug sur son cou superbe! j'attellerai Ephraïm, Juda labourera, Jacob traînera la herse.

Osée 10, 12 Faites-vous des semailles selon la justice, moissonnez à proportion de l'amour; défrichez-vous des terres en friche: il est temps de rechercher Yahvé, jusqu'à ce qu'il vienne faire pleuvoir sur vous la justice.

Osée 10, 13 Vous avez labouré la méchanceté, vous avez moissonné l'injustice, vous avez mangé le fruit du mensonge. Parce que tu t'es confié dans tes chars, dans la multitude de tes guerriers,

Osée 10, 14 un grondement s'élèvera parmi ton peuple et toutes tes forteresses seront dévastées, comme Shalmân dévasta Bet-Arbel, au jour du combat, quand la mère était écrasée sur ses enfants.

Osée 10, 15 Voilà ce que vous a fait Béthel, pour votre méchanceté sans nom; à l'aurore, oui, c'en sera fait du roi d'Israël!

Osée 11, 1 Quand Israël était jeune, je l'aimai, et d'Egypte j'appelai mon fils.

Osée 11, 2 Mais plus je les appelais, plus ils s'écartaient de moi; aux Baals ils sacrifiaient, aux idoles ils brûlaient de l'encens.

Osée 11, 3 Et moi j'avais appris à marcher à Ephraïm, je le prenais par les bras, et ils n'ont pas compris que je prenais soin d'eux!

Osée 11, 4 Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d'amour; j'étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m'inclinais vers lui et le faisais manger.

Osée 11, 5 Il ne reviendra pas au pays d'Egypte, mais Assur sera son roi. Puisqu'il a refusé de revenir à moi,

Osée 11, 6 l'épée sévira dans ses villes, elle anéantira ses verrous, elle dévorera à cause de leurs desseins.

Osée 11, 7 Mon peuple est cramponné à son infidélité. On les appelle en haut, pas un qui se relève!

Osée 11, 8 Comment t'abandonnerais-je, Ephraïm, te livrerais-je, Israël? Comment te traiterais-je comme Adma, te rendrais-je semblable à Ceboyim? Mon coeur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent.

Osée 11, 9 Je ne donnerai pas cours à l'ardeur de ma colère, je ne détruirai pas à nouveau Ephraïm car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis le Saint, et je ne viendrai pas avec fureur.

Osée 11, 10 Derrière Yahvé ils marcheront, comme un lion il rugira; et quand il rugira, les fils viendront, tremblants, de l'Occident;

Osée 11, 11 comme un passereau ils viendront en tremblant de l'Egypte, comme une colombe, du pays d'Assur, et je les ferai habiter dans leurs maisons, oracle de Yahvé.

Osée 12, 1 Ephraïm m'entoure de mensonge et la maison d'Israël de tromperie. (Mais Juda est encore auprès de Dieu, au Saint il reste fidèle.)

Osée 12, 2 Ephraïm se repaît de vent, tout le jour il poursuit le vent d'est; il multiplie mensonge et fausseté: on conclut alliance avec Assur, on porte de l'huile à l'Egypte.

Osée 12, 3 Yahvé est en procès avec Juda, il va sévir contre Jacob selon sa conduite, et lui rendre selon ses actions.

Osée 12, 4 Dès le sein maternel il supplanta son frère, dans sa vigueur il fut fort contre Dieu.

Osée 12, 5 Il fut fort contre l'Ange et l'emporta, il pleura et l'implora. A Béthel il le rencontra. C'est là qu'il parla avec nous.

Osée 12, 6 Oui, Yahvé, le Dieu Sabaot, Yahvé est son titre.

Osée 12, 7 Pour toi, grâce à ton Dieu, tu reviendras. Garde l'amour et le droit et espère en ton Dieu toujours.

Osée 12, 8 Canaan a en main des balances trompeuses, il aime à exploiter.

Osée 12, 9 Ephraïm a dit: "Oui, je me suis enrichi, je me suis acquis une fortune"; mais de tous ses gains, rien ne lui restera, à cause de la faute dont il s'est rendu coupable.

Osée 12, 10 Je suis Yahvé ton Dieu, depuis le pays d'Egypte. Je te ferai encore habiter sous les tentes comme aux jours du Rendez-vous.

Osée 12, 11 Je parlerai aux prophètes, moi, je multiplierai les visions et par le ministère des prophètes je parlerai en paraboles.

Osée 12, 12 Si Galaad n'est qu'iniquité, eux ne sont que fausseté; à Gilgal ils sacrifient aux taureaux, c'est pourquoi leurs autels seront comme des monceaux de pierres sur les sillons des champs.

Osée 12, 13 Jacob s'enfuit aux campagnes d'Aram, Israël servit pour une femme, pour une femme, il garda les troupeaux.

Osée 12, 14 Mais par un prophète, Yahvé fit monter Israël d'Egypte, et par un prophète il fut gardé.

Osée 12, 15 Ephraïm l'a offensé amèrement: Yahvé rejettera sur lui le sang versé, son Seigneur lui revaudra ses outrages.

Osée 13, 1 Quand Ephraïm parlait, c'était la terreur, il était grand en Israël, mais il se rendit coupable avec Baal et mourut.

Osée 13, 2 Et maintenant ils continuent à pécher, ils se font des images de métal fondu, avec leur argent, des idoles de leur invention; oeuvre d'artisan que tout cela! Ils disent: "Offrez-leur des sacrifices." A des veaux des hommes donnent des baisers!

Osée 13, 3 C'est pourquoi ils seront comme la nuée du matin, comme la rosée qui tôt se dissipe, comme la bale emportée loin de l'aire, comme la fumée qui s'échappe de la fenêtre.

Osée 13, 4 Pourtant moi je suis Yahvé, ton Dieu, depuis le pays d'Egypte, de Dieu, excepté moi, tu n'en connais pas, et de sauveur, il n'en est pas en dehors de moi.

Osée 13, 5 Moi, je t'ai connu au désert, au pays de l'aridité.

Osée 13, 6 Je les ai fait paître, ils se sont rassasiés; rassasiés, leur coeur s'est élevé; voilà pourquoi ils m'ont oublié.

Osée 13, 7 J'ai donc été pour eux comme un lion, comme un léopard, près du chemin, je me tenais aux aguets;

Osée 13, 8 j'ai fondu sur eux comme une ourse privée de ses petits, j'ai déchiré l'enveloppe de leur coeur; là, je les ai dévorés comme une lionne, la bête sauvage les a déchirés.

Osée 13, 9 Te voilà détruit, Israël, c'est en moi qu'est ton secours.

Osée 13, 10 Où donc est-il ton roi, pour qu'il te sauvé? Et dans toutes tes villes, tes juges? Ceux-là dont tu disais: "Donne-moi un roi et des chefs."

Osée 13, 11 Un roi, je te le donne dans ma colère, et je le reprends dans ma fureur.

Osée 13, 12 La faute d'Ephraïm est mise en réserve, son péché tenu en lieu sûr.

Osée 13, 13 Les douleurs de l'enfantement surviennent pour lui, mais c'est un enfant stupide; il est à terme et ne quitte pas le sein maternel!

Osée 13, 14 Et je les libérerais du pouvoir du Shéol? De la mort je les rachèterais? Où est ta peste, ô Mort? Où est ta contagion, ô Shéol? La compassion se dérobe à mes yeux.

Osée 13, 15 Ephraïm a beau fructifier parmi ses frères, le vent d'est viendra, le souffle de Yahvé montera du désert, et sa source sera tarie, sa fontaine desséchée. C'est lui qui pillera le trésor de tous les objets précieux.

Osée 14, 1 Samarie expiera, car elle s'est rebellée contre son Dieu. Ils tomberont sous l'épée, leurs petits enfants seront écrasés, leurs femmes enceintes éventrées.

Osée 14, 2 Reviens, Israël, à Yahvé ton Dieu, car c'est ta faute qui t'a fait trébucher.

Osée 14, 3 Munissez-vous de paroles et revenez à Yahvé. Dites-lui: "Enlève toute faute et prends ce qui est bon. Au lieu de taureaux nous te vouerons nos lèvres.

Osée 14, 4 Assur ne nous sauvera pas, nous ne monterons plus sur des chevaux, et nous ne dirons plus Notre Dieu! à l'oeuvre de nos mains, car c'est auprès de toi que l'orphelin trouve compassion" --

Osée 14, 5 Je les guérirai de leur infidélité, je les aimerai de bon coeur; puisque ma colère s'est détournée de lui,

Osée 14, 6 je serai comme la rosée pour Israël, il fleurira comme le lis, il enfoncera ses racines comme le chêne du Liban;

Osée 14, 7 ses rejetons s'étendront, il aura la splendeur de l'olivier et le parfum du Liban.

Osée 14, 8 Ils reviendront s'asseoir à mon ombre; ils feront revivre le froment, ils feront fleurir la vigne qui aura la renommée du vin du Liban.

Osée 14, 9 Ephraïm, qu'a-t-il encore à faire avec les idoles? Moi, je l'exauce et le regarde. Je suis comme un cyprès verdoyant, c'est de moi que vient ton fruit.

Osée 14, 10 Qui est sage pour comprendre ces choses, intelligent pour les connaître? Droites sont les voies de Yahvé, les justes y marcheront, mais les infidèles y trébucheront.

 

 

 

Joël

Joël 1, 1 Parole de Yahvé, qui fut adressée à Joël, fils de Petuel.

Joël 1, 2 Ecoutez ceci, les anciens, prêtez l'oreille, tous les habitants du pays! Est-il de votre temps survenu rien de tel, ou du temps de vos pères?

Joël 1, 3 Racontez-le à vos fils, et vos fils à leurs fils, et leurs fils à la génération qui suivra!

Joël 1, 4 Ce qu'a laissé le gazam, la sauterelle l'a dévoré! Ce qu'a laissé la sauterelle, le yèlèq l'a dévoré! Ce qu'a laissé le yèlèq, le hasil l'a dévoré!

Joël 1, 5 Réveillez-vous, ivrognes, et pleurez! Tous les buveurs de vin, lamentez-vous sur le vin nouveau: il vous est retiré de la bouche!

Joël 1, 6 Car un peuple est monté contre mon pays, puissant et innombrable; ses dents sont dents de lion, il a des crocs de lionne.

Joël 1, 7 Il a fait de ma vigne un désert, réduit en miettes mon figuier; il les a tout pelés, abattus, leurs rameaux sont devenus blancs!

Joël 1, 8 Gémis, comme sur le fiancé de sa jeunesse la vierge revêtue du sac!

Joël 1, 9 Oblation et libation ont disparu de la maison de Yahvé. Ils sont en deuil, les prêtres, serviteurs de Yahvé.

Joël 1, 10 La campagne est ravagée, la terre est en deuil. Car les blés sont ravagés, le vin fait défaut, l'huile fraîche tarit.

Joël 1, 11 Soyez consternés, laboureurs, lamentez-vous, vignerons, sur le froment et sur l'orge, car elle est perdue, la moisson des champs.

Joël 1, 12 La vigne est étiolée et le figuier flétri; grenadiers, palmiers et pommiers, tous les arbres des champs ont séché. Oui, la gaieté s'est tarie parmi les humains.

Joël 1, 13 Prêtres, revêtez-vous du sac! Poussez des cris de deuil! Lamentez-vous, serviteurs de l'autel! Venez, passez la nuit vêtus du sac, serviteurs de mon Dieu! Car la maison de votre Dieu est privée d'oblation et de libation.

Joël 1, 14 Prescrivez un jeûne, publiez une solennité, réunissez, anciens, tous les habitants du pays à la maison de Yahvé votre Dieu. Criez vers Yahvé:

Joël 1, 15 Ah! Quel jour! Car il est proche, le jour de Yahvé, il arrive comme une dévastation venant de Shaddaï.

Joël 1, 16 Les aliments n'ont-ils pas disparu sous nos yeux, la joie et l'allégresse de la maison de notre Dieu?

Joël 1, 17 Les grains se sont racornis sous leurs mottes; les granges sont dévastées, les greniers en ruines, car le blé fait défaut.

Joël 1, 18 Comme le bétail gémit! Les troupeaux de boeufs errent affolés, car ils n'ont plus de pâtures. Même les troupeaux de brebis subissent le châtiment.

Joël 1, 19 Yahvé, je crie vers toi! car le feu a dévoré les pacages des landes, la flamme a consumé tous les arbres des champs.

Joël 1, 20 Même les bêtes des champs languissent après toi, car les cours d'eau sont à sec, le feu a dévoré les pacages des landes.

Joël 2, 1 Sonnez du cor à Sion, donnez l'alarme sur ma montagne sainte! Que tous les habitants du pays tremblent, car il vient, le jour de Yahvé, car il est proche!

Joël 2, 2 Jour d'obscurité et de sombres nuages, jour de nuées et de ténèbres! Comme l'aurore, se déploie sur les montagnes un peuple nombreux et fort, tel que jamais il n'y en eut, tel qu'il n'en sera plus après lui, de génération en génération.

Joël 2, 3 Devant lui, le feu dévore, derrière lui, la flamme consume. Le pays est comme un jardin d'Eden devant lui, derrière lui, c'est une lande désolée! Aussi rien ne lui échappe.

Joël 2, 4 Son aspect est celui des chevaux; comme des coursiers, tels ils s'élancent.

Joël 2, 5 On dirait un fracas de chars bondissant sur les sommets des monts, le crépitement de la flamme ardente qui dévore le chaume, un peuple fort rangé en bataille.

Joël 2, 6 A sa vue, les peuples sont dans les transes, tous les visages perdent leur couleur.

Joël 2, 7 Ils s'élancent comme des braves, tels des guerriers, ils escaladent les murailles. Chacun va droit sa route, sans s'écarter de sa voie.

Joël 2, 8 Nul ne bouscule son voisin, chacun va son chemin; à travers les traits ils foncent sans rompre leurs rangs.

Joël 2, 9 Ils se ruent sur la ville, s'élancent sur les murailles, escaladent les maisons, pénètrent par les fenêtres comme des voleurs.

Joël 2, 10 Devant lui la terre frémit, les cieux tremblent! Le soleil et la lune s'assombrissent, les étoiles perdent leur éclat!

Joël 2, 11 Yahvé fait entendre sa voix à la tête de ses troupes! Car ses bataillons sont sans nombre, car il est puissant, l'exécuteur de ses ordres, car il est grand, le jour de Yahvé, très redoutable - et qui peut l'affronter?

Joël 2, 12 "Mais encore à présent - oracle de Yahvé - revenez à moi de tout votre coeur, dans le jeûne, les pleurs et les cris de deuil."

Joël 2, 13 Déchirez votre coeur, et non vos vêtements, revenez à Yahvé, votre Dieu, car il est tendresse et pitié, lent à la colère, riche en grâce, et il a regret du mal.

Joël 2, 14 Qui sait? S'il revenait? S'il regrettait? S'il laissait après lui une bénédiction, oblation et libation pour Yahvé, votre Dieu?

Joël 2, 15 Sonnez du cor à Sion! Prescrivez un jeûne, publiez une solennité,

Joël 2, 16 réunissez le peuple, convoquez la communauté, rassemblez les vieillards, réunissez les petits enfants, ceux qu'on allaite au sein! Que le jeune époux quitte sa chambre et l'épousée son alcôve!

Joël 2, 17 Qu'entre l'autel et le portique pleurent les prêtres, serviteurs de Yahvé! Qu'ils disent: "Pitié, Yahvé, pour ton peuple! Ne livre pas ton héritage à l'opprobre, au persiflage des nations! Pourquoi dirait-on parmi les peuples: Où est leur Dieu?"

Joël 2, 18 Or Yahvé s'émut de jalousie pour son pays, il épargna son peuple.

Joël 2, 19 Yahvé répondit et dit à son peuple: "Voici que je vous envoie le blé, le vin, l'huile fraîche. Vous en aurez à satiété. Et jamais plus je ne ferai de vous l'opprobre des nations.

Joël 2, 20 Celui qui vient du Nord, je l'éloignerai de chez vous, je le repousserai vers une terre aride et désolée, son avant-garde vers la mer orientale, son arrière-garde vers la mer occidentale. Il en montera une puanteur, il en montera une infection!" (Car il a fait grand!)

Joël 2, 21 Terre, ne crains plus, jubile et sois dans l'allégresse, car Yahvé a fait grand!

Joël 2, 22 Ne craignez plus, bêtes des champs! les pacages des landes ont reverdi, les arbres portent leurs fruits, la vigne et le figuier donnent leurs richesses.

Joël 2, 23 Fils de Sion, jubilez, réjouissez-vous en Yahvé votre Dieu! Car il vous a donné la pluie d'automne selon la justice, il a fait tomber pour vous l'ondée, celle d'automne et celle de printemps, comme jadis.

Joël 2, 24 Les aires se rempliront de froment, les cuves regorgeront de vin et d'huile fraîche.

Joël 2, 25 "Je vous revaudrai les années qu'ont dévorées la sauterelle et le yèlèq, le hasil et le gazam, ma grande armée que j'avais envoyée contre vous."

Joël 2, 26 Vous mangerez tout votre soûl, à satiété, et vous louerez le nom de Yahvé votre Dieu, qui aura accompli pour vous des merveilles. (Mon peuple ne connaîtra plus la honte, jamais!)

Joël 2, 27 "Et vous saurez que je suis au milieu d'Israël, moi, que je suis Yahvé, votre Dieu, et sans égal! Mon peuple ne connaîtra plus la honte, jamais!"

Joël 3, 1 "Après cela je répandrai mon Esprit sur toute chair. Nos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens, des visions.

Joël 3, 2 Même sur les esclaves, hommes et femmes, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit.

Joël 3, 3 Je produirai des signes dans le ciel et sur la terre, sang, feu, colonnes de fumée!"

Joël 3, 4 Le soleil se changera en ténèbres, la lune en sang, avant que ne vienne le jour de Yahvé, grand et redoutable!

Joël 3, 5 Tous ceux qui invoqueront le nom de Yahvé seront sauvés, car sur le mont Sion il y aura des rescapés, comme l'a dit Yahvé, et à Jérusalem des survivants que Yahvé appelle.

Joël 4, 1 "Car en ces jours-là, en ce temps-là, quand je rétablirai Juda et Jérusalem,

Joël 4, 2 je rassemblerai toutes les nations, je les ferai descendre à la Vallée de Josaphat; là j'entrerai en jugement avec elles au sujet d'Israël, mon peuple et mon héritage. Car ils l'ont dispersé parmi les nations et ils ont partagé mon pays.

Joël 4, 3 Ils ont tiré mon peuple au sort; ils ont troqué les garçons contre des prostituées, pour du vin ils ont vendu les filles, et ils ont bu!"

Joël 4, 4 "Et vous aussi, Tyr et Sidon, que me voulez-vous? Et vous tous, districts de Philistie? Vous vengeriez-vous sur moi? Mais si vous exerciez sur moi votre vengeance, bien vite je ferais retomber la vengeance sur vos têtes!

Joël 4, 5 Vous qui avez pris mon argent et mon or, qui avez emporté dans vos temples mes trésors précieux,

Joël 4, 6 vous qui avez vendu aux fils de Yavân les fils de Juda et de Jérusalem, pour les éloigner de leur territoire!

Joël 4, 7 Eh bien! Je vais les appeler du lieu où vous les avez vendus, et je ferai retomber vos actes sur vos têtes!

Joël 4, 8 Je vendrai vos fils et vos filles, je les livrerai aux fils de Juda; ils les vendront aux Sabéens, à une nation éloignée, car Yahvé a parlé!"

Joël 4, 9 Publiez ceci parmi les nations: Préparez la guerre! Appelez les braves! Qu'ils s'avancent, qu'ils montent, tous les hommes de guerre!

Joël 4, 10 De vos socs, forgez des épées, de vos serpes, des lances, que l'infirme dise: "Je suis un brave!"

Joël 4, 11 Hâtez-vous et venez, toutes les nations d'alentour, et rassemblez-vous là! (Yahvé, fais descendre tes braves.)

Joël 4, 12 "Que les nations s'ébranlent et qu'elles montent à la Vallée de Josaphat! Car là je siégerai pour juger toutes les nations à la ronde.

Joël 4, 13 Lancez la faucille: la moisson est mûre; venez, foulez: le pressoir est comble; les cuves débordent, tant leur méchanceté est grande!"

Joël 4, 14 Foules sur foules dans la Vallée de la Décision! Car il est proche le jour de Yahvé dans la Vallée de la Décision!

Joël 4, 15 Le soleil et la lune s'assombrissent, les étoiles perdent leur éclat.

Joël 4, 16 Yahvé rugit de Sion, de Jérusalem il fait entendre sa voix; les cieux et la terre tremblent! Mais Yahvé sera pour son peuple un refuge, une forteresse pour les enfants d'Israël!

Joël 4, 17 "Vous saurez alors que je suis Yahvé, votre Dieu, qui habite à Sion, ma montagne sainte! Jérusalem sera un lieu saint, les étrangers n'y passeront plus!"

Joël 4, 18 Ce jour-là, les montagnes dégoutteront de vin nouveau, les collines ruisselleront de lait, et dans tous les torrents de Juda les eaux ruisselleront. Une source jaillira de la maison de Yahvé et arrosera le ravin des Acacias.

Joël 4, 19 L'Egypte deviendra une désolation, Edom une lande désolée, à cause des violences exercées contre les fils de Juda dont ils ont versé le sang innocent dans leur pays.

Joël 4, 20 Mais Juda sera habité à jamais et Jérusalem d'âge en âge.

Joël 4, 21 "Je vengerai leur sang, je n'accorderai pas l'impunité", et Yahvé aura sa demeure à Sion.

Joël

Joël

Joël

Joël Amos

Joël

Joël 1, 1 Paroles d'Amos, qui fut l'un des bergers de Teqoa. Ce qu'il vit sur Israël au temps d'Ozias, roi de Juda, et au temps de Jéroboam, fils de Joas, roi d'Israël, deux ans avant le tremblement de terre.

Joël 1, 2 Il dit: De Sion, Yahvé rugit, et de Jérusalem, il donne de la voix; les pacages des bergers sont en deuil et le sommet du Carmel se dessèche.

Joël 1, 3 Ainsi parle Yahvé: Pour trois crimes de Damas et pour quatre, je l'ai décidé sans retour! Parce qu'ils ont foulé Galaad avec des traîneaux de fer,

Joël 1, 4 j'enverrai le feu dans la maison d'Hazaël et il dévorera les palais de Ben-Hadad;

Joël 1, 5 je briserai le verrou de Damas, de Biqeat-Aven je supprimerai l'habitant, de Bet-Eden, celui qui tient le sceptre, et le peuple d'Aram sera déporté à Qir, dit Yahvé.

Joël 1, 6 Ainsi parle Yahvé: Pour trois crimes de Gaza et pour quatre, je l'ai décidé sans retour! Parce qu'ils ont déporté des populations entières pour les livrer à Edom,

Joël 1, 7 j'enverrai le feu dans le rempart de Gaza et il dévorera ses palais;

Joël 1, 8 d'Ashdod je supprimerai l'habitant, et d'Ashqelôn, celui qui tient le sceptre; je tournerai ma main contre Eqrôn et ce qui reste des Philistins périra, dit le Seigneur Yahvé.

Joël 1, 9 Ainsi parle Yahvé: Pour trois crimes de Tyr et pour quatre, je l'ai décidé sans retour! Parce qu'ils ont livré à Edom des populations entières de captifs, sans se souvenir d'une alliance entre frères,

Joël 1, 10 j'enverrai le feu dans le rempart de Tyr et il dévorera ses palais.

Joël 1, 11 Ainsi parle Yahvé: Pour trois crimes d'Edom et pour quatre, je l'ai décidé sans retour! Parce qu'il a poursuivi son frère avec l'épée, étouffant toute pitié, parce qu'il garde à jamais sa colère et conserve sans fin sa fureur,

Joël 1, 12 j'enverrai le feu dans Témân et il dévorera les palais de Boçra.

Joël 1, 13 Ainsi parle Yahvé: Pour trois crimes des fils d'Ammon et pour quatre, je l'ai décidé sans retour! Parce qu'ils ont éventré les femmes enceintes du Galaad afin d'élargir leur territoire,

Joël 1, 14 je mettrai le feu au rempart de Rabba et il dévorera ses palais, dans la clameur, en un jour de bataille, dans la tempête, en un jour d'ouragan;

Joël 1, 15 et leur roi s'en ira en déportation, lui, et ses princes avec lui, dit Yahvé.

Joël 2, 1 Ainsi parle Yahvé: Pour trois crimes de Moab et pour quatre, je l'ai décidé sans retour! Parce qu'il a brûlé les os du roi d'Edom jusqu'à les calciner,

Joël 2, 2 j'enverrai le feu dans Moab, il dévorera les palais de Qeriyyot, et Moab mourra dans le tumulte, dans la clameur, au son du cor;

Joël 2, 3 je supprimerai le juge de chez lui, et tous ses princes, je les tuerai avec lui, dit Yahvé.

Joël 2, 4 Ainsi parle Yahvé: Pour trois crimes de Juda et pour quatre, je l'ai décidé sans retour! Parce qu'ils ont rejeté la loi de Yahvé et n'ont pas observé ses décrets, parce que leurs Mensonges les ont égarés, ceux que leurs pères avaient suivis,

Joël 2, 5 j'enverrai le feu dans Juda, et il dévorera les palais de Jérusalem.

Joël 2, 6 Ainsi parle Yahvé: Pour trois crimes d'Israël et pour quatre, je l'ai décidé sans retour! Parce qu'ils vendent le juste à prix d'argent et le pauvre pour une paire de sandales;

Joël 2, 7 parce qu'ils écrasent la tête des faibles sur la poussière de la terre et qu'ils font dévier la route des humbles; parce que fils et père vont à la même fille afin de profaner mon saint nom;

Joël 2, 8 parce qu'ils s'étendent sur des vêtements pris en gage, à côté de tous les autels, et qu'ils boivent dans la maison de leur dieu le vin de ceux qui sont frappés d'amende.

Joël 2, 9 Et moi, j'avais anéanti devant eux l'Amorite, lui dont la taille égalait celle des cèdres, lui qui était fort comme les chênes! J'avais anéanti son fruit, en haut, et ses racines, en bas!

Joël 2, 10 Et moi, je vous avais fait monter du pays d'Egypte, et pendant 40 ans, menés dans le désert, pour que vous possédiez le pays de l'Amorite!

Joël 2, 11 J'avais suscité parmi vos fils des prophètes, et parmi vos jeunes gens des nazirs! N'en est-il pas ainsi, enfants d'Israël? Oracle de Yahvé.

Joël 2, 12 Mais vous avez fait boire du vin aux nazirs, aux prophètes, vous avez donné cet ordre: "Ne prophétisez pas!"

Joël 2, 13 Eh bien! moi, je vais vous broyer sur place comme broie le chariot plein de gerbes;

Joël 2, 14 la fuite manquera à l'homme agile, l'homme fort ne déploiera pas sa vigueur et le brave ne sauvera pas sa vie;

Joël 2, 15 celui qui manie l'arc ne tiendra pas, l'homme aux pieds agiles n'échappera pas, celui qui monte à cheval ne sauvera pas sa vie,

Joël 2, 16 et le plus courageux d'entre les braves s'enfuira nu, en ce jour-là, oracle de Yahvé.

Joël 3, 1 Ecoutez cette parole que Yahvé prononce contre vous, enfants d'Israël, contre toute la famille que j'ai fait monter du pays d'Egypte:

Joël 3, 2 Je n'ai connu que vous de toutes les familles de la terre, c'est pourquoi je vous châtierai pour toutes vos fautes.

Joël 3, 3 Deux hommes vont-ils ensemble sans s'être concertés?

Joël 3, 4 Le lion rugit-il dans la forêt sans avoir une proie? Le lionceau donne-t-il de la voix, de sa tanière, sans qu'il ait rien pris?

Joël 3, 5 Le passereau tombe-t-il dans le filet, à terre, sans qu'il y ait de piège? Le filet se soulève-t-il du sol sans rien attraper?

Joël 3, 6 Sonne-t-on du cor dans une ville sans que le peuple soit effrayé? Arrive-t-il un malheur dans une ville sans que Yahvé en soit l'auteur?

Joël 3, 7 Mais le Seigneur Yahvé ne fait rien qu'il n'en ait révélé le secret à ses serviteurs les prophètes.

Joël 3, 8 Le lion a rugi: qui ne craindrait? Le Seigneur Yahvé a parlé: qui ne prophétiserait?

Joël 3, 9 Proclamez-le sur les palais d'Assur et sur les palais du pays d'Egypte; dites: rassemblez-vous sur les monts de Samarie, et voyez, que de désordres au milieu d'elle et que d'oppression en son sein!

Joël 3, 10 Ils ne savent pas agir avec droiture, - oracle de Yahvé - eux qui entassent violence et rapine en leurs palais.

Joël 3, 11 C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé: L'ennemi investira le pays, il abattra ta puissance et tes palais seront pillés.

Joël 3, 12 Ainsi parle Yahvé: Comme le berger sauve de la gueule du lion deux pattes ou un bout d'oreille, ainsi seront sauvés les enfants d'Israël qui sont assis dans Samarie, au coin d'un lit et sur un divan de Damas.

Joël 3, 13 Ecoutez et témoignez contre la maison de Jacob: - oracle du Seigneur Yahvé, Dieu Sabaot --

Joël 3, 14 le jour où je châtierai Israël pour ses crimes, je sévirai contre les autels de Béthel; les cornes de l'autel seront abattues et tomberont à terre.

Joël 3, 15 Je frapperai la maison d'hiver avec la maison d'été, les maisons d'ivoire seront détruites, bien des maisons disparaîtront, oracle de Yahvé.

Joël 4, 1 Ecoutez cette parole, vaches de Bashân qui êtes sur la montagne de Samarie, qui exploitez les faibles, qui maltraitez les pauvres, qui dites à vos maris: "Apporte et buvons!"

Joël 4, 2 Le Seigneur l'a juré par sa sainteté: voici que des jours viennent sur vous où l'on vous enlèvera avec des crocs, et jusqu'aux dernières, avec des harpons de pêche;

Joël 4, 3 vous sortirez par des brèches, chacune droit devant soi, et vous serez repoussées vers l'Hermon, oracle de Yahvé.

Joël 4, 4 Allez à Béthel et péchez! A Gilgal, péchez de plus belle! Apportez le matin vos sacrifices, tous les trois jours vos dîmes;

Joël 4, 5 faites brûler du levain en sacrifice de louange, criez vos offrandes volontaires, annoncez-les, puisque c'est cela que vous aimez, enfants d'Israël! Oracle du Seigneur Yahvé.

Joël 4, 6 Aussi, moi je vous ai fait les dents nettes en toutes vos villes, je vous ai privés de pain dans tous vos villages; et vous n'êtes pas revenus à moi! Oracle de Yahvé.

Joël 4, 7 Aussi, moi je vous ai refusé la pluie, juste trois mois avant la moisson; j'ai fait pleuvoir sur une ville et sur une autre ville je ne faisais pas pleuvoir; un champ recevait de la pluie, et un champ, faute de pluie, se desséchait;

Joël 4, 8 deux, trois villes allaient en titubant vers une autre pour boire de l'eau sans pouvoir se désaltérer; et vous n'êtes pas revenus à moi! Oracle de Yahvé.

Joël 4, 9 Je vous ai frappés par la rouille et la nielle, j'ai desséché vos jardins et vos vignes; vos figuiers et vos oliviers, la sauterelle les a dévorés; et vous n'êtes par revenus à moi! Oracle de Yahvé.

Joël 4, 10 J'ai envoyé parmi vous une peste, comme la peste d'Egypte; j'ai tué vos jeunes gens par l'épée, tandis que vos chevaux étaient capturés; j'ai fait monter à vos narines la puanteur de vos camps; et vous n'êtes pas revenus à moi! Oracle de Yahvé.

Joël 4, 11 Je vous ai bouleversés comme Dieu bouleversa Sodome et Gomorrhe, et vous avez été comme un tison sauvé de l'incendie; et vous n'êtes pas revenus à moi! Oracle de Yahvé.

Joël 4, 12 C'est pourquoi, voici comment je vais te traiter, Israël! Parce que je vais te traiter ainsi, prépare-toi à rencontrer ton Dieu, Israël!

Joël 4, 13 Car c'est lui qui forme les montagnes et qui crée le vent, qui révèle à l'homme ses pensées, qui change l'aurore en ténèbres, et qui marche sur les hauteurs de la terre: Yahvé, Dieu Sabaot, est son nom.

Joël 5, 1 Ecoutez cette parole que je profère contre vous, une lamentation, maison d'Israël:

Joël 5, 2 Elle est tombée, elle ne se relèvera plus, la vierge d'Israël! Elle est étendue sur son sol, personne pour la relever!

Joël 5, 3 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé: la ville qui mettait en campagne mille hommes n'en aura plus que cent, et celle qui en mettait cent n'en aura plus que dix, pour la maison d'Israël.

Joël 5, 4 Car ainsi parle Yahvé à la maison d'Israël: Cherchez-moi et vous vivrez!

Joël 5, 5 Mais ne cherchez pas Béthel, n'allez pas à Gilgal, ne passez pas à Bersabée; car Gilgal ira en déportation et Béthel deviendra néant.

Joël 5, 6 Cherchez Yahvé et vous vivrez, de peur qu'il ne fonde comme le feu sur la maison de Joseph, qu'il ne dévore, et personne à Béthel pour éteindre!

Joël 5, 7 Ils changent le droit en absinthe et jettent à terre la justice.

Joël 5, 8 C'est lui qui fait les Pléiades et Orion, qui change en matin les ténèbres épaisses et obscurcit le jour comme la nuit; lui qui appelle les eaux de la mer et les répand sur la face de la terre; Yahvé est son nom.

Joël 5, 9 Il déchaîne la dévastation sur celui qui est fort, et la dévastation arrive sur la citadelle.

Joël 5, 10 Ils haïssent quiconque réprimande à la Porte, ils abhorrent celui qui parle avec intégrité.

Joël 5, 11 Eh bien! puisque vous piétinez le faible et que vous prélevez sur lui un tribut de froment, ces maisons en pierres de taille que vous avez bâties, vous n'y habiterez pas; ces vignes délicieuses que vous avez plantées, vous n'en boirez pas le vin.

Joël 5, 12 Car je sais combien nombreux sont vos crimes, énormes vos péchés, oppresseurs du juste, extorqueurs de rançons, vous qui, à la Porte, déboutez les pauvres.

Joël 5, 13 Voilà pourquoi l'homme avisé se tait en ce temps-ci, car c'est un temps de malheur.

Joël 5, 14 Recherchez le bien et non le mal, afin que vous viviez, et qu'ainsi Yahvé, Dieu Sabaot, soit avec vous, comme vous le dites.

Joël 5, 15 Haïssez le mal, aimez le bien, et faites régner le droit à la Porte; peut-être Yahvé, Dieu Sabaot, prendra-t-il en pitié le reste de Joseph!

Joël 5, 16 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé, le Dieu Sabaot, le Seigneur: Sur toutes les places il y aura des lamentations, et dans toutes les rues, on dira "Hélas! Hélas!" On convoquera le laboureur au deuil et aux lamentations ceux qui savent gémir;

Joël 5, 17 dans toutes les vignes il y aura des lamentations, car je vais passer au milieu de toi, dit Yahvé.

Joël 5, 18 Malheur à ceux qui soupirent après le jour de Yahvé! Que sera-t-il pour vous, le jour de Yahvé? Il sera ténèbres, et non lumière.

Joël 5, 19 Tel l'homme qui fuit devant un lion et tombe sur un ours! Il entre à la maison, appuie sa main au mur, et un serpent le mord!

Joël 5, 20 N'est-il pas ténèbres, le jour de Yahvé, et non lumière? Il est obscur et sans clarté!

Joël 5, 21 Je hais, je méprise vos fêtes et je ne puis sentir vos réunions solennelles.

Joël 5, 22 Quand vous m'offrez des holocaustes... vos oblations, je ne les agrée pas, le sacrifice de vos bêtes grasses, je ne le regarde pas.

Joël 5, 23 Ecarte de moi le bruit de tes cantiques, que je n'entende pas la musique de tes harpes!

Joël 5, 24 Mais que le droit coule comme de l'eau, et la justice, comme un torrent qui ne tarit pas.

Joël 5, 25 Des sacrifices et des oblations, m'en avez-vous présentés au désert, pendant 40 ans, maison d'Israël?

Joël 5, 26 Vous emporterez Sakkut, votre roi, et l'étoile de votre dieu, Kevân, ces images que vous vous êtes fabriquées;

Joël 5, 27 et je vous déporterai par-delà Damas, dit Yahvé - Dieu Sabaot est son nom.

Joël 6, 1 Malheur à ceux qui sont tranquilles en Sion, à ceux qui sont confiants sur la montagne de Samarie, ces notables des prémices des nations, à qui va la maison d'Israël.

Joël 6, 2 Passez à Kalné et voyez, de là, allez à Hamat la grande, puis descendez à Gat des Philistins: valent-elles mieux que ces royaumes-ci? Leur territoire est-il plus grand que le vôtre?

Joël 6, 3 Vous pensez reculer le jour du malheur et vous hâtez le règne de la violence!

Joël 6, 4 Couchés sur des lits d'ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent les agneaux du troupeau et les veaux pris à l'étable.

Joël 6, 5 Ils braillent au son de la harpe, comme David, ils inventent des instruments de musique;

Joël 6, 6 ils boivent le vin dans de larges coupes, ils se frottent des meilleures huiles, mais ils ne s'affligent pas de la ruine de Joseph!

Joël 6, 7 C'est pourquoi ils seront maintenant déportés, en tête des déportés, c'en est fait de l'orgie des vautrés!

Joël 6, 8 Le Seigneur Yahvé l'a juré par lui-même: - oracle de Yahvé, Dieu Sabaot - J'abhorre l'orgueil de Jacob, je hais ses palais, et je livrerai la ville et tout ce qui la remplit.

Joël 6, 9 S'il reste dix hommes dans une seule maison, ils mourront.

Joël 6, 10 Il n'y aura qu'un petit nombre de rescapés pour sortir les ossements de la maison; et si l'on dit à celui qui est au fond de la maison: "En reste-t-il avec toi?" Il dira: "Plus personne" et il dira: "Silence! il ne faut pas prononcer le nom de Yahvé!"

Joël 6, 11 Car voici que Yahvé commande, sous ses coups la grande maison se crevasse et la petite se lézarde.

Joël 6, 12 Les chevaux courent-ils sur le roc, laboure-t-on la mer avec des boeufs, que vous changiez le droit en poison et le fruit de la justice en absinthe?

Joël 6, 13 Vous vous réjouissez à propos de Lo-Debar, vous dites: "N'est-ce point par notre force que nous avons pris Qarnayim?"

Joël 6, 14 Or voici que je suscite contre vous, maison d'Israël - oracle de Yahvé, Dieu Sabaot - une nation qui vous opprimera depuis l'entrée de Hamat jusqu'au torrent de la Araba.

Joël 7, 1 Voici ce que me fit voir le Seigneur Yahvé: C'était une éclosion de sauterelles, au temps où le regain commence à monter, de sauterelles adultes, après la coupe du roi.

Joël 7, 2 Et comme elles achevaient de dévorer l'herbe du pays, je dis: "Seigneur Yahvé, pardonne, je t'en prie! Comment Jacob tiendra-t-il? Il est si petit!"

Joël 7, 3 Yahvé en eut du repentir: "Cela ne sera pas", dit Yahvé.

Joël 7, 4 Voici ce que me fit voir le Seigneur Yahvé: Le Seigneur Yahvé appelait le feu pour châtier; celui-ci dévora le grand Abîme, puis il dévora la campagne.

Joël 7, 5 Je dis: "Seigneur Yahvé, cesse, je t'en prie! Comment Jacob tiendra-t-il? Il est si petit!"

Joël 7, 6 Yahvé en eut du repentir: "Cela non plus ne sera pas", dit le Seigneur Yahvé.

Joël 7, 7 Voici ce qu'il me fit voir: Le Seigneur se tenait près d'un mur, un fil à plomb dans la main.

Joël 7, 8 Yahvé me dit: "Que vois-tu, Amos?" Je dis: "Un fil à plomb." Le Seigneur dit: "Voici que je vais mettre un fil à plomb au milieu de mon peuple, Israël, désormais je ne lui pardonnerai plus.

Joël 7, 9 Les hauts lieux d'Isaac seront dévastés, les sanctuaires d'Israël détruits, et je me lèverai contre la maison de Jéroboam avec l'épée."

Joël 7, 10 Alors Amasias, le prêtre de Béthel, envoya dire à Jéroboam, roi d'Israël: "Amos conspire contre toi, au sein de la maison d'Israël; le pays ne peut tolérer ses discours.

Joël 7, 11 Car ainsi parle Amos: Jéroboam périra par l'épée et Israël sera déporté loin de sa terre."

Joël 7, 12 Et Amasias dit à Amos: "Voyant, va-t'en; fuis au pays de Juda; mange ton pain là-bas, et là-bas prophétise.

Joël 7, 13 Mais à Béthel, cesse désormais de prophétiser, car c'est un sanctuaire royal, un temple du royaume."

Joël 7, 14 Amos répondit et dit à Amasias: "Je ne suis pas prophète, je ne suis pas frère prophète; je suis bouvier et pinceur de sycomores.

Joël 7, 15 Mais Yahvé m'a pris de derrière le troupeau et Yahvé m'a dit: Va, prophétise à mon peuple Israël.

Joël 7, 16 Et maintenant, écoute la parole de Yahvé: Tu dis: Tu ne prophétiseras pas contre Israël, tu ne vaticineras pas contre la maison d'Isaac.

Joël 7, 17 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé: Ta femme se prostituera dans la ville, tes fils et tes filles tomberont sous l'épée, ta terre sera partagée au cordeau, et toi, tu mourras sur une terre impure, et Israël sera déporté loin de sa terre."

Joël 8, 1 Voici ce que me fit voir le Seigneur Yahvé: C'était une corbeille de fruits mûrs.

Joël 8, 2 Il dit: "Que vois-tu, Amos?" Je dis: "Une corbeille de fruits mûrs." Yahvé me dit: "Mon peuple Israël est mûr pour sa fin, désormais je ne lui pardonnerai plus.

Joël 8, 3 Les chants du palais seront des hurlements en ce jour-là - oracle du Seigneur Yahvé - Nombreux seront les cadavres, on les jettera en tous lieux. Silence!"

Joël 8, 4 Ecoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre et voudriez faire disparaître les humbles du pays,

Joël 8, 5 vous qui dites: "Quand donc sera passée la néoménie pour que nous vendions du grain, et le sabbat, que nous écoulions le froment? Nous diminuerons la mesure, nous augmenterons le sicle, nous fausserons les balances pour tromper.

Joël 8, 6 Nous achèterons les faibles à prix d'argent et le pauvre pour une paire de sandales; et nous vendrons les déchets du froment."

Joël 8, 7 Yahvé l'a juré par l'orgueil de Jacob; Jamais je n'oublierai aucune de leurs actions.

Joël 8, 8 A cause de cela la terre ne tremble-t-elle pas? Tous ceux qui l'habitent ne sont-ils pas en deuil? Elle monte, comme le Nil, tout entière, elle gonfle et puis retombe, comme le Nil d'Egypte.

Joël 8, 9 Il adviendra en ce jour-là - oracle du Seigneur Yahvé - que je ferai coucher le soleil en plein midi et que j'obscurcirai la terre en un jour de lumière.

Joël 8, 10 Je changerai vos fêtes en deuil et tous vos chants en lamentations; je mettrai le sac sur tous les reins et la tonsure sur toutes les têtes. J'en ferai comme un deuil de fils unique, sa fin sera comme un jour d'amertume.

Joël 8, 11 Voici venir des jours - oracle de Yahvé - où j'enverrai la faim dans le pays, non pas une faim de pain, non pas une soif d'eau, mais d'entendre la parole de Yahvé.

Joël 8, 12 On ira titubant d'une mer à l'autre mer, du nord au levant, on errera pour chercher la parole de Yahvé et on ne la trouvera pas!

Joël 8, 13 En ce jour-là s'étioleront de soif les belles jeunes filles et les jeunes gens.

Joël 8, 14 Ceux qui jurent par le péché de Samarie, ceux qui disent: "Vive ton dieu, Dan!" et: "Vive le chemin de Bersabée!" ceux-là tomberont pour ne plus se relever.

Joël 9, 1 Je vis le Seigneur debout près de l'autel, et il dit: "Frappe le chapiteau et que les seuils s'ébranlent; brise-les sur leur tête à tous, et ce qui restera d'eux, je les tuerai par l'épée; il ne s'enfuira point parmi eux de fuyard, il ne se sauvera point parmi eux de rescapé.

Joël 9, 2 S'ils forcent l'entrée du Shéol, de là ma main les prendra; et s'ils montent aux cieux, de là je les ferai descendre;

Joël 9, 3 s'ils se cachent au sommet du Carmel, là j'irai les chercher et les prendre; s'ils se dérobent à mes yeux au fond de la mer, là je commanderai au Serpent de les mordre;

Joël 9, 4 s'ils s'en vont captifs devant leurs ennemis, là je commanderai à l'épée de les tuer, je fixerai les yeux sur eux, pour leur malheur et non pour leur bonheur.

Joël 9, 5 Et le Seigneur Yahvé Sabaot... Il touche la terre et elle se dissout, et tous ses habitants sont en deuil; elle monte comme le Nil, tout entière, et puis retombe comme le Nil d'Egypte.

Joël 9, 6 Il bâtit dans le ciel ses chambres hautes, il a fondé sa voûte sur la terre; il appelle les eaux de la mer et les répand sur la face de la terre; Yahvé est son nom.

Joël 9, 7 N'êtes-vous pas pour moi comme des Kushites, enfants d'Israël? - oracle de Yahvé - N'ai-je pas fait monter Israël du pays d'Egypte, et les Philistins de Kaphtor et les Araméens de Qir?

Joël 9, 8 Voici, les yeux du Seigneur Yahvé sont sur le royaume pécheur. Je vais l'exterminer de la surface du sol, toutefois je n'exterminerai pas complètement la maison de Jacob - oracle de Yahvé --

Joël 9, 9 Car voici que je vais commander et je secouerai la maison d'Israël parmi toutes les nations, comme on secoue avec le crible, et pas un grain ne tombe à terre.

Joël 9, 10 Tous les pécheurs de mon peuple périront par l'épée, eux qui disent: "Le malheur n'avancera pas, il ne nous atteindra pas."

Joël 9, 11 En ces jours-là, je relèverai la hutte branlante de David, je réparerai ses brèches, je relèverai ses ruines, je la rebâtirai comme aux jours d'autrefois,

Joël 9, 12 afin qu'ils possèdent le reste d'Edom et toutes les nations qui furent appelées de mon nom, oracle de Yahvé qui a fait cela.

Joël 9, 13 Voici venir des jours - oracle de Yahvé - où se suivront de près laboureur et moissonneur, celui qui foule les raisins et celui qui répand la semence. Les montagnes suinteront de jus de raisin, toutes les collines deviendront liquides.

Joël 9, 14 Je rétablirai mon peuple Israël; ils rebâtiront les villes dévastées et les habiteront, ils planteront des vignes et en boiront le vin, ils cultiveront des jardins et en mangeront les fruits.

Joël 9, 15 Je les planterai sur leur terre et ils ne seront plus arrachés de dessus la terre que je leur ai donnée, dit Yahvé ton Dieu.

 

 

Abdias

 

 

Abdias 0, 1 Vision d'Abdias. Sur Edom. J'ai reçu de Yahvé un message, un héraut était dépêché parmi les nations: "Debout! Marchons contre ce peuple! Au combat!" Ainsi parle le Seigneur Yahvé:

Abdias 0, 2 Vois, je te rends petit parmi les peuples, tu es au plus bas du mépris!

Abdias 0, 3 L'arrogance de ton coeur t'a égaré, toi qui habites au creux du rocher, toi qui fais des hauteurs ta demeure, toi qui dis en ton coeur: "Qui me fera descendre à terre?"

Abdias 0, 4 Quand tu t'élèverais comme l'aigle, quand tu placerais ton nid parmi les étoiles, je t'en précipiterais! oracle de Yahvé.

Abdias 0, 5 Si des voleurs venaient chez toi (ou des pillards de nuit), ne déroberaient-ils pas ce qui leur suffit? Si des vendangeurs venaient chez toi, ne laisseraient-ils rien à grappiller? Comme tu as été ravagé!

Abdias 0, 6 Comme Esaü a été fouillé, ses trésors cachés, explorés!

Abdias 0, 7 Ils t'ont chassé jusqu'aux frontières, ils se sont joué de toi, tous tes alliés! Ils t'ont dupé, tes bons amis! Ceux qui mangeaient ton pain tendent des pièges sous tes pas: "Il n'a plus sa raison!"

Abdias 0, 8 Est-ce qu'en ce jour-là - oracle de Yahvé - je ne supprimerai pas d'Edom les sages et l'intelligence de la montagne d'Esaü!

Abdias 0, 9 Témân, tes guerriers seront figés de terreur, afin que soit retranché tout homme de la montagne d'Esaü. Pour le carnage,

Abdias 0, 10 pour la violence exercée contre Jacob ton frère, la honte te couvrira et tu disparaîtras à jamais!

Abdias 0, 11 Quand tu te tenais à l'écart, le jour où des étrangers emmenaient ses richesses, où des barbares franchissaient sa porte et jetaient le sort sur Jérusalem, toi tu étais comme l'un d'eux!

Abdias 0, 12 Ne te délecte pas à la vue de ton frère au jour de son malheur! Ne fais pas des enfants de Juda le sujet de ta joie au jour de leur ruine! Ne tiens pas des propos insolents au jour de l'angoisse!

Abdias 0, 13 Ne franchis pas la porte de mon peuple au jour de sa détresse! Ne te délecte pas, toi aussi, de la vue de ses maux au jour de sa détresse! Ne porte pas la main sur ses richesses au jour de sa détresse!

Abdias 0, 14 Ne te poste pas aux carrefours pour exterminer ses fuyards! Ne livre point ses survivants au jour de l'angoisse!

Abdias 0, 15 Car il est proche, le jour de Yahvé, contre tous les peuples! Comme tu as fait, il te sera fait: tes actes te retomberont sur la tête!

Abdias 0, 16 Oui, comme vous avez bu sur ma montagne sainte, tous les peuples boiront sans trêve; ils boiront et se gorgeront, et ils seront comme s'ils n'avaient jamais été!

Abdias 0, 17 Mais sur le mont Sion il y aura des rescapés - ce sera un lieu saint - et la maison de Jacob rentrera dans ses possessions!

Abdias 0, 18 La maison de Jacob sera du feu, la maison de Joseph, une flamme, la maison d'Esaü, du chaume! Elles l'embraseront et la dévoreront, et nul ne survivra de la maison d'Esaü: Yahvé a parlé!

Abdias 0, 19 Ceux du Négeb posséderont la montagne d'Esaü, ceux du Bas-Pays, la terre des Philistins, ils posséderont le territoire d'Ephraïm et le territoire de Samarie, et Benjamin possédera Galaad.

Abdias 0, 20 Les exilés de cette armée, les enfants d'Israël, posséderont la terre des Cananéens jusqu'à Sarepta, et les exilés de Jérusalem qui sont à Sepharad posséderont les villes du Négeb.

Abdias 0, 21 Ils graviront, victorieux, la montagne de Sion pour juger la montagne d'Esaü, et à Yahvé sera l'empire!

 

 

Jonas

 

1, 1 La parole de Yahvé fut adressée à Jonas, fils d'Amittaï:

Jonas 1, 2 "Lève-toi, lui dit-il, va à Ninive, la grande ville, et annonce-leur que leur méchanceté est montée jusqu'à moi."

Jonas 1, 3 Jonas se mit en route pour fuir à Tarsis, loin de Yahvé. Il descendit à Joppé et trouva un vaisseau à destination de Tarsis, il paya son passage et s'embarqua pour se rendre avec eux à Tarsis, loin de Yahvé.

Jonas 1, 4 Mais Yahvé lança sur la mer un vent violent, et il y eut grande tempête sur la mer, au point que le vaisseau menaçait de se briser.

Jonas 1, 5 Les matelots prirent peur; ils crièrent chacun vers son dieu, et pour s'alléger, jetèrent à la mer la cargaison. Jonas cependant était descendu au fond du bateau; il s'était couché et dormait profondément.

Jonas 1, 6 Le chef de l'équipage s'approcha de lui et lui dit: "Qu'as-tu à dormir? Lève-toi, crie vers ton Dieu! Peut-être Dieu songera-t-il à nous et nous ne périrons pas."

Jonas 1, 7 Puis ils se dirent les uns aux autres: "Tirons donc au sort, pour savoir de qui nous vient ce mal." Ils jetèrent les sorts et le sort tomba sur Jonas.

Jonas 1, 8 Ils lui dirent alors: "Dis-nous donc quelle est ton affaire, d'où tu viens, quel est ton pays et à quel peuple tu appartiens."

Jonas 1, 9 Il leur répondit: "Je suis Hébreu, et c'est Yahvé que j'adore, le Dieu du ciel qui a fait la mer et la terre."

Jonas 1, 10 Les hommes furent saisis d'une grande crainte et ils lui dirent: "Qu'as-tu fait là!" Ils savaient en effet qu'il fuyait loin de Yahvé, car il le leur avait raconté.

Jonas 1, 11 Ils lui dirent: "Que te ferons-nous pour que la mer s'apaise pour nous?" Car la mer se soulevait de plus en plus.

Jonas 1, 12 Il leur répondit: "Prenez-moi et jetez-moi à la mer, et la mer s'apaisera pour vous. Car, je le sais, c'est à cause de moi que cette violente tempête vous assaille."

Jonas 1, 13 Les hommes ramèrent pour gagner le rivage, mais en vain, car la mer se soulevait de plus en plus contre eux.

Jonas 1, 14 Alors ils implorèrent Yahvé et dirent: "Ah! Yahvé, puissions-nous ne pas périr à cause de la vie de cet homme, et puisses-tu ne pas nous charger d'un sang innocent, car c'est toi, Yahvé, qui as agi selon ton bon plaisir."

Jonas 1, 15 Et, s'emparant de Jonas, ils le jetèrent à la mer, et la mer apaisa sa fureur.

Jonas 1, 16 Les hommes furent saisis d'une grande crainte de Yahvé; ils offrirent un sacrifice à Yahvé et firent des voeux.

Jonas 2, 1 Yahvé fit qu'il y eut un grand poisson pour engloutir Jonas. Jonas demeura dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits.

Jonas 2, 2 Des entrailles du poisson, il pria Yahvé, son Dieu. Il dit:

Jonas 2, 3 De la détresse où j'étais, j'ai crié vers Yahvé, et il m'a répondu; du sein du shéol, j'ai appelé, tu as entendu ma voix.

Jonas 2, 4 Tu m'avais jeté dans les profondeurs, au coeur de la mer, et le flot m'environnait. Toutes tes vagues et tes lames ont passé sur moi.

Jonas 2, 5 Et moi je disais: Je suis rejeté de devant tes yeux. Comment contemplerai-je encore ton saint Temple?

Jonas 2, 6 Les eaux m'avaient environné jusqu'à la gorge, l'abîme me cernait. L'algue était enroulée autour de ma tête.

Jonas 2, 7 A la racine des montagnes j'étais descendu, en un pays dont les verrous étaient tirés sur moi pour toujours. Mais de la fosse tu as fait remonter ma vie, Yahvé, mon Dieu.

Jonas 2, 8 Tandis qu'en moi mon âme défaillait, je me suis souvenu de Yahvé, et ma prière est allée jusqu'à toi en ton saint Temple.

Jonas 2, 9 Ceux qui servent des vanités trompeuses, c'est leur grâce qu'ils abandonnent.

Jonas 2, 10 Moi, aux accents de la louange, je t'offrirai des sacrifices. Le voeu que j'ai fait, je l'accomplirai. De Yahvé vient le salut.

Jonas 2, 11 Yahvé commanda au poisson, qui vomit Jonas sur le rivage.

Jonas 3, 1 La parole de Yahvé fut adressée pour la seconde fois à Jonas:

Jonas 3, 2 "Lève-toi, lui dit-il, va à Ninive, la grande ville, et annonce-leur ce que je te dirai."

Jonas 3, 3 Jonas se leva et alla à Ninive selon la parole de Yahvé. Or Ninive était une ville divinement grande: il fallait trois jours pour la traverser.

Jonas 3, 4 Jonas pénétra dans la ville; il y fit une journée de marche. Il prêcha en ces termes: "Encore 40 jours, et Ninive sera détruite."

Jonas 3, 5 Les gens de Ninive crurent en Dieu; ils publièrent un jeûne et se revêtirent de sacs, depuis le plus grand jusqu'au plus petit.

Jonas 3, 6 La nouvelle parvint au roi de Ninive; il se leva de son trône, quitta son manteau, se couvrit d'un sac et s'assit sur la cendre.

Jonas 3, 7 Puis l'on cria dans Ninive, et l'on fit, par décret du roi et des grands, cette proclamation: "Hommes et bêtes, gros et petit bétail ne goûteront rien, ne mangeront pas et ne boiront pas d'eau.

Jonas 3, 8 On se couvrira de sacs, on criera vers Dieu avec force, et chacun se détournera de sa mauvaise conduite et de l'iniquité que commettent ses mains.

Jonas 3, 9 Qui sait si Dieu ne se ravisera pas et ne se repentira pas, s'il ne reviendra pas de l'ardeur de sa colère, en sorte que nous ne périssions point?"

Jonas 3, 10 Dieu vit ce qu'ils faisaient pour se détourner de leur conduite mauvaise. Aussi Dieu se repentit du mal dont il les avait menacés, il ne le réalisa pas.

Jonas 4, 1 Jonas en eut un grand dépit, et il se fâcha.

Jonas 4, 2 Il fit une prière à Yahvé: "Ah! Yahvé, dit-il, n'est-ce point là ce que je disais lorsque j'étais encore dans mon pays? C'est pourquoi je m'étais d'abord enfui à Tarsis; je savais en effet que tu es un Dieu de pitié et de tendresse, lent à la colère, riche en grâce et te repentant du mal.

Jonas 4, 3 Maintenant, Yahvé, prends donc ma vie, car mieux vaut pour moi mourir que vivre."

Jonas 4, 4 Yahvé répondit: "As-tu raison de te fâcher?"

Jonas 4, 5 Jonas sortit de la ville et s'assit à l'orient de la ville; il se fit là une hutte et s'assit dessous, à l'ombre, pour voir ce qui arriverait dans la ville.

Jonas 4, 6 Alors Yahvé Dieu fit qu'il y eut un ricin qui grandit au-dessus de Jonas, afin de donner de l'ombre à sa tête et de le délivrer ainsi de son mal. Jonas éprouva une grande joie à cause du ricin.

Jonas 4, 7 Mais, à la pointe de l'aube, le lendemain, Dieu fit qu'il y eut un ver qui piqua le ricin, celui-ci sécha.

Jonas 4, 8 Puis, quand le soleil se leva, Dieu fit qu'il y eut un vent d'est brûlant; le soleil darda ses rayons sur la tête de Jonas qui fut accablé. Il demanda la mort et dit: "Mieux vaut pour moi mourir que vivre."

Jonas 4, 9 Dieu dit à Jonas: "As-tu raison de te fâcher pour ce ricin?" Il répondit: "Oui, j'ai bien raison d'être fâché à mort."

Jonas 4, 10 Yahvé repartit: "Toi, tu as de la peine pour ce ricin, qui ne t'a coûté aucun travail et que tu n'as pas fait grandir, qui a poussé en une nuit et en une nuit à péri.

Jonas 4, 11 Et moi, je ne serais pas en peine pour Ninive, la grande ville, où il y a plus de 120.000 êtres humains qui ne distinguent pas leur droite de leur gauche, ainsi qu'une foule d'animaux!"

 

 

 

Michée

 

 1, 1 Parole de Yahvé qui fut adressée à Michée de Moréshèt, au temps de Yotam, d'Achaz et d'Ezéchias, rois de Juda. Ses visions sur Samarie et Jérusalem.

Michée 1, 2 Ecoutez, tous les peuples! Sois attentive, terre, et tout ce qui t'emplit! Yahvé va témoigner contre vous, le Seigneur, au sortir de son palais sacré!

Michée 1, 3 Car voici Yahvé qui sort de son lieu saint: il descend, il foule les sommets de la terre.

Michée 1, 4 Les montagnes fondent sous ses pas, les vallées s'effondrent, comme la cire devant le feu, comme l'eau répandue sur la pente.

Michée 1, 5 Tout cela, à cause du crime de Jacob, du péché de la maison d'Israël. Quel est le crime de Jacob? N'est-ce pas Samarie? Quel est le péché de la maison de Juda? N'est-ce pas Jérusalem?

Michée 1, 6 "Je vais faire de Samarie une ruine dans la campagne, une terre à vignes. Je ferai rouler ses pierres à la vallée, je mettrai à nu ses fondations.

Michée 1, 7 Toutes ses statues seront brisées, tous ses salaires dévorés par le feu, toutes ses idoles, je les livrerai à la solitude, car elles ont été amassées avec le salaire des prostituées et elles redeviendront salaire de prostituées."

Michée 1, 8 Pour cela, je vais gémir et me lamenter, je vais aller déchaussé et nu, je pousserai des gémissements comme les chacals, des plaintes comme les autruches.

Michée 1, 9 Car il n'y a pas de remède au coup de Yahvé; il atteint jusqu'à Juda, il frappe jusqu'à la porte de mon peuple, jusqu'à Jérusalem!

Michée 1, 10 A Gat, ne le publiez pas, à... ne versez pas vos pleurs! A Bet-Léaphra, roulez-vous dans la poussière!

Michée 1, 11 Sonne du cor, toi qui demeures à Shaphir! Elle n'est pas sortie de sa cité, celle qui demeure à Caanân! Bet-ha-Eçel est arrachée de ses fondations, de la base de son assise!

Michée 1, 12 Pourrait-elle donc espérer le bonheur, celle qui demeure à Marôt? Car le malheur est descendu de chez Yahvé à la porte de Jérusalem.

Michée 1, 13 Attelle au char le coursier, toi qui demeures à Lakish! (Ce fut le début du péché pour la fille de Sion, car c'est en toi que l'on trouve les forfaits d'Israël.)

Michée 1, 14 Aussi tu devras verser une dot pour Moréshèt-Gat. Bet-Akzib sera une déception pour les rois d'Israël.

Michée 1, 15 Le pillard te reviendra encore, toi qui demeures à Maresha! Jusqu'à Adullam s'en ira la gloire d'Israël.

Michée 1, 16 Arrache tes cheveux, rase-les, pour les fils qui faisaient ta joie! Rends-toi chauve comme le vautour, car ils sont exilés loin de toi!

Michée 2, 1 Malheur à ceux qui projettent le méfait et qui trament le mal sur leur couche! Dès que luit le matin, ils l'exécutent, car c'est au pouvoir de leurs mains.

Michée 2, 2 S'ils convoitent des champs, ils s'en emparent; des maisons, ils les prennent; ils saisissent le maître avec sa maison, l'homme avec son héritage.

Michée 2, 3 C'est pourquoi ainsi parle Yahvé: Voici que je projette contre cette engeance un malheur tel que vous n'en pourrez retirer votre cou; et vous ne pourrez marcher la tête haute, car ce sera un temps de malheur.

Michée 2, 4 Ce jour-là, on fera sur vous une satire! on chantera une complainte, et l'on dira: "Nous sommes dépouillés de tout; la part de mon peuple est mesurée au cordeau, personne ne la lui rend; nos champs sont attribués à celui qui nous pille."

Michée 2, 5 Aussi il n'y aura pour vous personne qui jette le cordeau sur un lot dans l'assemblée de Yahvé.

Michée 2, 6 Ne vaticinez pas, vaticinent-ils, qu'on ne vaticine pas ainsi! L'opprobre ne nous atteindra pas.

Michée 2, 7 La maison de Jacob serait-elle maudite? Yahvé a-t-il perdu patience? Est-ce là sa manière d'agir? Ses paroles ne sont-elles pas bienveillantes pour son peuple Israël?

Michée 2, 8 C'est vous qui vous dressez en ennemis contre mon peuple. A qui est sans reproche vous arrachez son manteau; à qui se croit en sécurité vous infligez les désastres de la guerre.

Michée 2, 9 Les femmes de mon peuple, vous les chassez des maisons qu'elles aimaient; à leurs enfants, vous enlevez pour toujours l'honneur que je leur ai donné:

Michée 2, 10 "Debout, en avant! ce n'est pas la pause!" Pour un rien vous extorquez un gage écrasant.

Michée 2, 11 S'il pouvait y avoir un inspiré qui forge ce mensonge: "Je te prophétise vin et boisson", il serait le prophète de ce peuple-là.

Michée 2, 12 Oui, je veux rassembler Jacob tout entier, je veux réunir le reste d'Israël! Je les regrouperai comme des moutons dans l'enclos; comme un troupeau au milieu de son pâturage, ils feront du bruit loin des hommes.

Michée 2, 13 Celui qui fait la brèche devant eux montera; ils feront la brèche, ils passeront la porte, ils sortiront par elle; leur roi passera devant eux et Yahvé à leur tête.

Michée 3, 1 Puis je dis: Ecoutez donc, chefs de la maison de Jacob et commandants de la maison d'Israël! N'est-ce pas à vous de connaître le droit,

Michée 3, 2 vous qui haïssez le bien et aimez le mal, (qui leur arrachez la peau, et la chair de sur leurs os)!

Michée 3, 3 Ceux qui ont dévoré la chair de mon peuple, et lui ont arraché la peau et brisé les os, qui l'ont déchiré comme chair dans la marmite et comme viande en plein chaudron,

Michée 3, 4 alors, ils crieront vers Yahvé, mais il ne leur répondra pas. Il leur cachera sa face en ce temps-là, à cause des crimes qu'ils ont commis.

Michée 3, 5 Ainsi parle Yahvé contre les prophètes qui égarent mon peuple: S'ils ont quelque chose entre les dents, ils proclament: "Paix!" Mais à qui ne leur met rien dans la bouche ils déclarent la guerre.

Michée 3, 6 C'est pourquoi la nuit pour vous sera sans vision, les ténèbres pour vous sans divination. Le soleil va se coucher pour les prophètes et le jour s'obscurcir pour eux.

Michée 3, 7 Alors les voyants seront couverts de honte et les devins de confusion; tous, ils se couvriront les lèvres, car il n'y aura pas de réponse de Dieu.

Michée 3, 8 Moi, au contraire, je suis plein de force (et du souffle de Yahvé), de justice et de courage, pour proclamer à Jacob son crime, à Israël son péché.

Michée 3, 9 Ecoutez donc ceci, chefs de la maison de Jacob et commandants de la maison d'Israël, vous qui exécrez la justice et qui tordez tout ce qui est droit,

Michée 3, 10 vous qui construisez Sion avec le sang et Jérusalem avec le crime!

Michée 3, 11 Ses chefs jugent pour des présents, ses prêtres décident pour un salaire, ses prophètes vaticinent à prix d'argent. Et c'est sur Yahvé qu'ils s'appuient! Ils disent: "Yahvé n'est-il pas au milieu de nous? Le malheur ne tombera pas sur nous."

Michée 3, 12 C'est pourquoi, par votre faute, Sion deviendra une terre de labour, Jérusalem un monceau de décombres, et la montagne du Temple une hauteur boisée.

Michée 4, 1 Or il adviendra dans la suite des temps que la montagne du Temple de Yahvé sera établie en tête des montagnes et s'élèvera au-dessus des collines. Alors des peuples afflueront vers elle,

Michée 4, 2 alors viendront des nations nombreuses qui diront: "Venez, montons à la montagne de Yahvé, au Temple du Dieu de Jacob, qu'il nous enseigne ses voies et que nous suivions ses sentiers. Car de Sion vient la Loi et de Jérusalem la parole de Yahvé."

Michée 4, 3 Il jugera entre des peuples nombreux et sera l'arbitre de nations puissantes. Ils briseront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, on n'apprendra plus à faire la guerre.

Michée 4, 4 Mais chacun restera assis sous sa vigne et sous son figuier, sans personne pour l'inquiéter. La bouche de Yahvé Sabaot a parlé.

Michée 4, 5 Car tous les peuples marchent chacun au nom de son dieu; mais nous, nous marcherons au nom de Yahvé notre Dieu, pour toujours et à jamais.

Michée 4, 6 En ce jour-là - oracle de Yahvé - je veux rassembler les éclopées, rallier les égarées et celles que j'ai maltraitées.

Michée 4, 7 Des éclopées je ferai un reste, des éloignées une nation puissante. Alors Yahvé régnera sur eux à la montagne de Sion, dès maintenant et à jamais.

Michée 4, 8 Et toi, Tour du Troupeau, Ophel de la fille de Sion, à toi va revenir la souveraineté d'antan, la royauté de la fille de Jérusalem.

Michée 4, 9 Maintenant pourquoi pousses-tu des clameurs? N'y a-t-il pas un roi chez toi? Tes conseillers sont-ils perdus, que la douleur t'ait saisie comme la femme qui enfante?

Michée 4, 10 Tords-toi de douleur et crie, fille de Sion, comme la femme qui enfante, car tu vas maintenant sortir de la cité et demeurer en rase campagne. Tu iras jusqu'à Babel, c'est là que tu seras délivrée; c'est là que Yahvé te rachètera de la main de tes ennemis.

Michée 4, 11 Maintenant, des nations nombreuses se sont assemblées contre toi. Elles disent: "Qu'on la profane et que nos yeux se repaissent de Sion!"

Michée 4, 12 C'est qu'elles ne connaissent pas les plans de Yahvé et qu'elles n'ont pas compris son dessein: il les a rassemblées comme les gerbes sur l'aire.

Michée 4, 13 Debout! foule le grain, fille de Sion! car je rendrai tes cornes de fer, de bronze tes sabots, et tu broieras des peuples nombreux. Tu voueras à Yahvé leurs rapines, et leurs richesses au Seigneur de toute la terre.

Michée 4, 14 Maintenant, fortifie-toi, Forteresse! Ils ont dressé un retranchement contre nous; à coups de verge ils frappent à la joue le juge d'Israël.

Michée 5, 1 Et toi, (Bethléem) Ephrata, le moindre des clans de Juda, c'est de toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël; ses origines remontent au temps jadis, aux jours antiques.

Michée 5, 2 C'est pourquoi il les abandonnera jusqu'au temps où aura enfanté celle qui doit enfanter. Alors le reste de ses frères reviendra aux enfants d'Israël.

Michée 5, 3 Il se dressera, il fera paître son troupeau par la puissance de Yahvé, par la majesté du nom de son Dieu. Ils s'établiront, car alors il sera grand jusqu'aux extrémités du pays.

Michée 5, 4 Celui-ci sera paix! Assur, s'il envahit notre pays, s'il foule notre sol, nous dresserons contre lui sept pasteurs, huit chefs d'hommes;

Michée 5, 5 ils feront paître le pays d'Assur avec l'épée, le pays de Nemrod avec le glaive. Il nous délivrera d'Assur s'il envahit notre pays, s'il foule notre territoire.

Michée 5, 6 Alors, le reste de Jacob sera, au milieu des peuples nombreux, comme une rosée venant de Yahvé, comme des gouttes de pluie sur l'herbe, qui n'espère point en l'homme ni n'attend rien des humains.

Michée 5, 7 Alors, le reste de Jacob sera, au milieu des peuples nombreux, comme un lion parmi les bêtes de la forêt, comme un lionceau parmi les troupeaux de moutons: chaque fois qu'il passe, il piétine, il déchire, et personne ne lui arrache sa proie.

Michée 5, 8 Que ta main se lève sur tes adversaires et tous tes ennemis seront retranchés!

Michée 5, 9 Voici ce qui arrivera ce jour-là, oracle de Yahvé! Je retrancherai de ton sein tes chevaux, je ferai disparaître tes chars;

Michée 5, 10 je retrancherai les cités de ton pays, je détruirai toutes tes villes fortes;

Michée 5, 11 je retrancherai de ta main les sortilèges, et tu n'auras plus de devins;

Michée 5, 12 je retrancherai de ton sein tes statues et tes stèles et tu ne pourras plus te prosterner désormais devant l'ouvrage de tes mains,

Michée 5, 13 j'arracherai de ton sein tes pieux sacrés, et j'anéantirai tes cités.

Michée 5, 14 Avec colère, avec fureur, je tirerai vengeance des nations qui n'ont pas obéi.

Michée 6, 1 Ecoutez donc ce que dit Yahvé: "Debout! Entre en procès devant les montagnes et que les collines entendent ta voix!"

Michée 6, 2 Ecoutez, montagnes, le procès de Yahvé, prêtez l'oreille, fondements de la terre, car Yahvé est en procès avec son peuple, il plaide contre Israël:

Michée 6, 3 "Mon peuple, que t'ai-je fait? En quoi t'ai-je fatigué? Réponds-moi.

Michée 6, 4 Car je t'ai fait monter du pays d'Egypte, je t'ai racheté de la maison de servitude; j'ai envoyé devant toi Moïse, Aaron et Miryam.

Michée 6, 5 Mon peuple, souviens-toi donc: quel était le projet de Balaq, roi de Moab? Que lui répondit Balaam, fils de Béor? De Shittim à Gilgal, pour que tu connaisses les justes oeuvres de Yahvé" --

Michée 6, 6 "Avec quoi me présenterai-je devant Yahvé, me prosternerai-je devant le Dieu de là-haut? Me présenterai-je avec des holocaustes, avec des veaux d'un an?

Michée 6, 7 Prendra-t-il plaisir à des milliers de béliers, à des libations d'huile par torrents? Faudra-t-il que j'offre mon aîné pour prix de mon crime, le fruit de mes entrailles pour mon propre péché" --

Michée 6, 8 "On t'a fait savoir, homme, ce qui est bien, ce que Yahvé réclame de toi: rien d'autre que d'accomplir la justice, d'aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu."

Michée 6, 9 C'est la voix de Yahvé! Il crie à la cité: Ecoutez, tribu et assemblée de la cité!

Michée 6, 10 Puis-je supporter une mesure fausse et un boisseau diminué, abominable?

Michée 6, 11 Puis-je tenir pour pur qui se sert de balances fausses, d'une bourse de poids truqués?

Michée 6, 12 Elle dont les riches sont pleins de violence et dont les habitants profèrent le mensonge!

Michée 6, 13 Aussi, moi-même, j'ai commencé à te frapper, à te dévaster pour tes péchés.

Michée 6, 14 Tu mangeras, mais tu ne pourras te rassasier; tu mettras de côté, mais tu ne pourras rien garder; et si tu peux garder quelque chose, je le livrerai à l'épée.

Michée 6, 15 Tu sèmeras, mais tu ne pourras faire la moisson; tu presseras l'olive mais tu ne pourras t'oindre d'huile, le moût, mais tu ne pourras boire de vin.

Michée 6, 16 Tu observes les lois d'Omri, toutes les pratiques de la maison d'Achab; tu te conduis selon leurs principes, pour que je fasse de toi un objet de stupeur, de tes habitants une dérision, et que vous portiez l'opprobre des peuples.

Michée 7, 1 Malheur à moi! je suis devenu comme un moissonneur en été, comme un grappilleur aux vendanges: plus une grappe à manger, plus une figue précoce que je désire!

Michée 7, 2 Les fidèles ont disparu du pays: pas un juste parmi les gens! Tous sont aux aguets pour verser le sang, ils traquent chacun son frère au filet.

Michée 7, 3 Pour faire le mal leurs mains sont habiles: le prince réclame, le juge juge pour un cadeau, le grand prononce suivant son bon plaisir.

Michée 7, 4 Parmi eux le meilleur est comme une ronce, le plus juste comme une haie d'épines. Aujourd'hui arrive du Nord leur épreuve; c'est l'instant de leur confusion.

Michée 7, 5 Ne vous fiez pas au prochain, n'ayez point confiance en l'ami; devant celle qui partage ta couche, garde-toi d'ouvrir la bouche.

Michée 7, 6 Car le fils insulte le père, la fille se dresse contre sa mère, la belle-fille contre sa belle-mère, chacun a pour ennemis les gens de sa maison.

Michée 7, 7 Mais moi, je regarde vers Yahvé, j'espère dans le Dieu qui me sauvera; mon Dieu m'entendra.

Michée 7, 8 Ne te réjouis pas à mon sujet, ô mon ennemie: si je suis tombée, je me relèverai; si je demeure dans les ténèbres, Yahvé est ma lumière.

Michée 7, 9 Je dois porter la colère de Yahvé, puisque j'ai péché contre lui, jusqu'à ce qu'il juge ma cause et me fasse justice; il me fera sortir à la lumière, et je contemplerai ses justes oeuvres.

Michée 7, 10 Quand mon ennemie le verra, elle sera couverte de honte, elle qui me disait: "Où est-il, Yahvé ton Dieu?" Mes yeux la contempleront, tandis qu'elle sera piétinée comme la boue des rues.

Michée 7, 11 Le jour de rebâtir tes remparts! Ce jour-là s'étendront tes frontières;

Michée 7, 12 ce jour-là, on viendra jusqu'à toi depuis l'Assyrie jusqu'à l'Egypte, depuis Tyr jusqu'au Fleuve, de la mer à la mer, de la montagne à la montagne.

Michée 7, 13 La terre deviendra une solitude à cause de ses habitants, pour prix de leur conduite.

Michée 7, 14 Fais paître ton peuple sous ta houlette, le troupeau de ton héritage, qui demeure isolé dans les broussailles, au milieu des vergers. Puisse-t-il paître en Bashân et en Galaad comme aux jours antiques!

Michée 7, 15 Comme aux jours où tu sortis du pays d'Egypte, fais-nous voir des merveilles!

Michée 7, 16 Les nations verront et seront confondues malgré toute leur puissance; elles se mettront la main sur la bouche, elles en auront les oreilles assourdies.

Michée 7, 17 Elles lécheront la poussière comme le serpent, comme les bêtes qui rampent sur la terre. Elles sortiront tremblantes de leurs repaires, terrifiées et craintives devant toi.

Michée 7, 18 Quel est le dieu comme toi, qui enlève la faute, qui pardonne le crime, qui n'exaspère pas pour toujours sa colère, mais qui prend plaisir à faire grâce?

Michée 7, 19 Une fois de plus, aie pitié de nous! foule aux pieds nos fautes, jette au fond de la mer tous nos péchés!

Michée 7, 20 Accorde à Jacob ta fidélité, à Abraham ta grâce, que tu as jurées à nos pères dès les jours d'antan.

 

 

 

 

Nahum

 

1, 1 Oracle sur Ninive. Livre de la vision de Nahum, d'Elqosh.

Nahum 1, 2 C'est un Dieu jaloux et vengeur que Yahvé! Il se venge, Yahvé, il est riche en colère! Il se venge, Yahvé, de ses adversaires, il garde rancune à ses ennemis.

Nahum 1, 3 Yahvé est lent à la colère, mais grand par sa puissance. L'impunité, jamais il ne l'accorde, Yahvé. Dans l'ouragan, dans la tempête il fait sa route, les nuées sont la poussière que soulèvent ses pas.

Nahum 1, 4 Il menace la mer, il la met à sec, il fait tarir tous les fleuves... flétris sont Bashân et le Carmel, flétrie la verdure du Liban!

Nahum 1, 5 Les montagnes tremblent à cause de lui, les collines chancellent, la terre s'effondre devant lui, le monde et tous ceux qui l'habitent.

Nahum 1, 6 Son courroux! qui pourrait le soutenir? Qui tiendrait devant son ardente colère? Sa fureur se déverse comme le feu et les rochers se brisent devant lui.

Nahum 1, 7 Yahvé est bon; il est une citadelle au jour de la détresse. Il connaît ceux qui se confient en lui,

Nahum 1, 8 même quand survient l'inondation. Il réduira à néant ceux qui se dressent contre lui, il poursuivra ses ennemis jusque dans les ténèbres.

Nahum 1, 9 Que méditez-vous sur Yahvé? C'est lui qui réduit à néant; l'oppression ne se lèvera pas deux fois.

Nahum 1, 10 Comme un fourré d'épines enchevêtrées ils seront dévorés, comme la paille sèche, entièrement.

Nahum 1, 11 C'est de toi qu'est sorti celui qui médite contre Yahvé, l'homme aux desseins de Bélial.

Nahum 1, 12 Ainsi parle Yahvé. Si intacts, si nombreux soient-ils, ils seront fauchés et ils passeront. Si je t'ai humiliée, je ne t'humilierai plus désormais.

Nahum 1, 13 Et maintenant, je vais briser son joug qui pèse sur toi, rompre tes chaînes.

Nahum 1, 14 Pour toi, voici l'ordre de Yahvé: Il n'y aura plus de race qui porte ton nom; du temple de tes dieux j'enlèverai images sculptées et coulées; je dévasterai ta tombe car tu es maudit.

Nahum 2, 1 Voici sur les montagnes les pas du messager; il annonce: "La Paix!" Célèbre tes fêtes, Juda, accomplis tes voeux, car Bélial désormais ne passera plus chez toi, il est entièrement anéanti.

Nahum 2, 2 Un destructeur s'avance contre toi. Monte la garde au rempart, surveille la route, ceins-toi les reins, rassemble toutes tes forces.

Nahum 2, 3 (Oui, Yahvé rétablit la vigne de Jacob et la vigne d'Israël. Les pillards les avaient pillées, ils en avaient brisé les sarments).

Nahum 2, 4 Le bouclier de ses preux rougeoie, ses braves sont vêtus d'écarlate; les chars flamboient de tous leurs aciers au jour de leur mise en ligne; les cavaliers s'agitent;

Nahum 2, 5 dans les rues les chars font rage, ils foncent à travers les places; à les voir on dirait des flammes; comme la foudre, ils courent çà et là.

Nahum 2, 6 On appelle les puissants; ils trébuchent dans leur marche; ils se hâtent vers le rempart. Et l'abri est en place.

Nahum 2, 7 Les portes qui donnent sur le Fleuve s'ouvrent et le palais s'agite en tous sens.

Nahum 2, 8 La Beauté est emmenée en exil, enlevée, ses servantes poussent des gémissements comme la plainte des colombes;

Nahum 2, 9 elles se frappent le coeur. Ninive est comme un bassin d'eau dont les eaux s'échappent. "Arrêtez, arrêtez!" Mais nul ne se retourne.

Nahum 2, 10 "Pillez l'argent! Pillez l'or!" Il n'y a pas de fin au trésor, une masse de tous objets précieux!

Nahum 2, 11 Pillage, saccage, ravage! Le coeur se fond, les genoux fléchissent, le frisson est dans tous les reins, tous les visages perdent leur couleur.

Nahum 2, 12 Où est la tanière des lions, la caverne des lionceaux? Lorsque partait le lion, la lionne y restait, et les petits du lion; nul ne les inquiétait.

Nahum 2, 13 Le lion déchirait pour ses petits, il étranglait pour ses lionnes; il remplissait ses antres de rapine, ses tanières de proie.

Nahum 2, 14 Me voici! A toi! oracle de Yahvé Sabaot. Je vais réduire en fumée tes chars; l'épée dévorera tes lionceaux. Je vais faire disparaître de la terre tes rapines et l'on n'entendra plus la voix de tes messagers.

Nahum 3, 1 Malheur à la ville sanguinaire, toute en mensonges, pleine de butin, où ne cesse pas la rapine!

Nahum 3, 2 Claquement des fouets, fracas des roues, chevaux au galop, chars qui bondissent,

Nahum 3, 3 cavaliers à la charge, flammes des épées éclairs des lances, foule des blessés, masse des morts, sans fin des cadavres, on bute sur leurs cadavres!

Nahum 3, 4 C'est à cause des prostitutions sans nombre de la prostituée, la beauté gracieuse, l'habile enchanteresse qui réduisait en esclavage les nations par ses débauches, les peuples par ses enchantements.

Nahum 3, 5 Me voici! A toi! oracle de Yahvé Sabaot. Je vais relever jusqu'à ton visage les pans de ta robe, montrer aux nations ta nudité, aux royaumes ton ignominie.

Nahum 3, 6 Je vais jeter sur toi des ordures, te déshonorer, t'exposer au pilori.

Nahum 3, 7 Alors, quiconque te verra se détournera de toi. Il dira: "Ninive! quelle désolation!" Qui la prendrait en pitié? Où pourrais-je te chercher des consolateurs?

Nahum 3, 8 Valais-tu mieux que No-Amon assise sur les Fleuves? (les eaux l'entouraient) Pour avant-mur, elle avait la mer, pour rempart, les eaux.

Nahum 3, 9 Sa puissance, c'était l'Ethiopie, et l'Egypte, sans fin. Put et les Libyens étaient ses auxiliaires.

Nahum 3, 10 Elle aussi est allée en exil, en captivité; ses petits enfants aussi ont été écrasés à tous les carrefours; ses nobles, on les a tirés au sort, tous ses grands ont été liés avec des chaînes.

Nahum 3, 11 Toi aussi, tu seras enivrée, tu seras celle qui se cache; toi aussi, tu devras chercher un refuge contre l'ennemi.

Nahum 3, 12 Tes places fortes sont toutes des figuiers aux figues précoces: on les secoue, elles tombent dans la bouche de qui les mange.

Nahum 3, 13 Regarde ton peuple: ce sont des femmes qu'il y a chez toi; les portes de ton pays s'ouvrent toutes grandes à l'ennemi; le feu a dévoré tes verrous.

Nahum 3, 14 Puise de l'eau pour le siège, consolide tes places fortes, marche dans la boue, foule l'argile, prends le moule à briques.

Nahum 3, 15 Alors le feu te dévorera et l'épée t'exterminera. Amoncelle-toi comme les criquets, amoncelle-toi comme les sauterelles;

Nahum 3, 16 multiplie tes courtiers plus que les étoiles du ciel, les criquets déploient leurs élytres, ils s'envolent,

Nahum 3, 17 tes garnisons comme les sauterelles, tes scribes comme un essaim d'insectes. Ils campent sur les murs au jour du froid. Le soleil paraît: ils sont partis, nul ne sait où. Malheur! Comment

Nahum 3, 18 se sont endormis tes bergers, roi d'Assur? Tes puissants sommeillent, ton peuple est dispersé sur les montagnes, nul ne pourra plus les rassembler.

Nahum 3, 19 A ta blessure, pas de remède! Ta plaie est incurable. Tous ceux qui entendent ce qu'on dit de toi battent des mains sur toi; sur qui donc n'est pas passée, sans trêve, ta méchanceté?

 

 

 

Habaquq

 

1, 1 L'oracle que reçut en vision Habaquq le prophète.

Habaquq 1, 2 Jusques à quand, Yahvé, appellerai-je au secours sans que tu écoutes, crierai-je vers toi: "A la violence!" sans que tu sauves?

Habaquq 1, 3 Pourquoi me fais-tu voir l'iniquité et regardes-tu l'oppression? Je ne vois que rapine et violence, c'est la dispute, et la discorde sévit!

Habaquq 1, 4 Aussi la loi se meurt, plus jamais le droit ne paraît! Oui, l'impie traque le juste, aussi ne paraît plus qu'un droit fléchi!

Habaquq 1, 5 Regardez parmi les peuples, voyez, soyez stupides et stupéfaits! Car j'accomplis de vos jours une oeuvre que vous ne croiriez pas si on la racontait.

Habaquq 1, 6 Oui! voici que je suscite les Chaldéens, ce peuple farouche et fougueux, celui qui parcourt de vastes étendues de pays pour s'emparer des demeures d'autrui.

Habaquq 1, 7 Il est terrible et redoutable, sa force fait son droit, sa grandeur!

Habaquq 1, 8 Ses chevaux sont plus rapides que panthères, plus mordants que loups du soir; ses cavaliers bondissent, ses cavaliers arrivent de loin, ils volent comme l'aigle qui fond pour dévorer.

Habaquq 1, 9 Tous arrivent pour le pillage, la face ardente comme un vent d'est; ils ramassent les captifs comme du sable!

Habaquq 1, 10 Ce peuple se moque des rois, il tourne les princes en dérision. Il se rit de toutes forteresses: il entasse de la terre et les prend!

Habaquq 1, 11 Puis le vent a tourné et s'en est allé... Criminel qui fait de sa force son Dieu!

Habaquq 1, 12 Dès les temps lointains n'es-tu pas Yahvé, mon Dieu, mon Saint, qui ne meurs pas? Tu l'avais établi, Yahvé, pour exercer le droit, tel un rocher, pour châtier, tu l'avais affermi!

Habaquq 1, 13 Tes yeux sont trop purs pour voir le mal, tu ne peux regarder l'oppression. Pourquoi regardes-tu les gens perfides, gardes-tu le silence quand l'impie engloutit un plus juste que lui?

Habaquq 1, 14 Tu traites les humains comme les poissons de la mer, comme la gent qui frétille, sans maître!

Habaquq 1, 15 Il les prend tous à l'hameçon, les tire avec son filet, il les ramasse avec son épervier, et le voilà dans la joie, dans l'allégresse!

Habaquq 1, 16 Aussi sacrifie-t-il à son filet, fait-il fumer des offrandes devant son épervier, car ils lui procurent de grasses portions et des mets plantureux.

Habaquq 1, 17 Videra-t-il donc sans trêve son filet, massacrant les peuples sans pitié?

Habaquq 2, 1 Je vais me tenir à mon poste de garde, je vais rester debout sur mon rempart; je guetterai pour voir ce qu'il me dira, ce qu'il va répondre à ma doléance.

Habaquq 2, 2 Alors Yahvé me répondit et dit: "Ecris la vision, grave-la sur les tablettes pour qu'on la lise facilement.

Habaquq 2, 3 Car c'est une vision qui n'est que pour son temps: elle aspire à son terme, sans décevoir; si elle tarde, attends-la: elle viendra sûrement, sans faillir!

Habaquq 2, 4 "Voici qu'il succombe, celui dont l'âme n'est pas droite, mais le juste vivra par sa fidélité."

Habaquq 2, 5 Assurément la richesse trahit! Il perd le sens et ne subsiste pas, celui qui dilate sa gorge comme le shéol, celui qui comme la mort est insatiable, qui rassemble pour lui toutes les nations et réunit pour lui tous les peuples!

Habaquq 2, 6 Tous alors n'entonneront-ils pas une satire contre lui? Ne tourneront-ils pas d'épigrammes à son adresse? Ils diront: Malheur à qui amasse le bien d'autrui (jusques à quand?) et qui se charge d'un fardeau de gages!

Habaquq 2, 7 Ne surgiront-ils pas soudain, tes créanciers, ne se réveilleront-ils pas, tes exacteurs? Tu vas être leur proie!

Habaquq 2, 8 Parce que tu as pillé de nombreuses nations, tout ce qui reste de peuples te pillera, car tu as versé le sang humain, violenté le pays, la cité et tous ceux qui l'habitent!

Habaquq 2, 9 Malheur à qui commet pour sa maison des rapines injustes, afin d'établir bien haut son repaire, afin d'esquiver l'étreinte du malheur!

Habaquq 2, 10 C'est la honte de ta maison que tu as résolue: en abattant de nombreux peuples tu as travaillé contre toi.

Habaquq 2, 11 Car des murailles mêmes la pierre crie, de la charpente la poutre lui répond.

Habaquq 2, 12 Malheur à qui bâtit une ville dans le sang et fonde une cité sur l'injustice!

Habaquq 2, 13 N'est-ce point la volonté de Yahvé Sabaot que les peuples peinent pour le feu, que les nations s'épuisent pour le néant?

Habaquq 2, 14 Car la terre sera remplie de la connaissance de la gloire de Yahvé comme les eaux couvrent le fond de la mer!

Habaquq 2, 15 Malheur à qui fait boire ses voisins, à qui verse son poison jusqu'à les enivrer, pour regarder leur nudité!

Habaquq 2, 16 Tu t'es saturé d'ignominie, non de gloire! Bois à ton tour et montre ton prépuce! Elle passe pour toi, la coupe de la droite de Yahvé, et l'infamie va recouvrir ta gloire!

Habaquq 2, 17 Car la violence faite au Liban te submergera, ainsi que le massacre d'animaux frappés d'épouvante, car tu as versé le sang humain, violenté le pays, la cité et tous ceux qui l'habitent!

Habaquq 2, 18 A quoi sert une sculpture pour que la sculpte son artiste? Une image de métal, un oracle menteur, pour qu'en eux se confie celui qui les façonne en vue de fabriquer des idoles muettes?

Habaquq 2, 19 Malheur à qui dit au morceau de bois: "Réveille-toi!" à la pierre silencieuse: "Sors de ton sommeil!" (C'est cela l'oracle!) Placage d'or et d'argent, certes, mais sans un souffle de vie qui l'anime!

Habaquq 2, 20 Mais Yahvé réside dans son temple saint: silence devant lui, terre entière!

Habaquq 3, 1 Prière. De Habaquq le prophète, sur le ton des lamentations.

Habaquq 3, 2 Yahvé, j'ai appris ton renom, Yahvé, j'ai redouté ton oeuvre! En notre temps, fais-la revivre! En notre temps, fais-la connaître! Dans la colère, souviens-toi d'avoir pitié!

Habaquq 3, 3 Eloah vient de Témân et le Saint du mont Parân.

Habaquq 3, 4 Son éclat est pareil au jour, des rayons jaillissent de ses mains, c'est là que se cache sa force.

Habaquq 3, 5 Devant lui s'avance la peste, la fièvre marche sur ses pas.

Habaquq 3, 6 Il se dresse et fait trembler la terre, il regarde et fait frémir les nations. Alors les monts éternels se disloquent, les collines antiques s'effondrent, ses routes de toujours.

Habaquq 3, 7 J'ai vu les tentes de Kushân frappées d'épouvante, les pavillons du pays de Madiân sont pris de tremblements.

Habaquq 3, 8 Est-ce contre les fleuves, Yahvé, que flambe ta colère, ou contre la mer ta fureur, pour que tu montes sur tes chevaux, sur tes chars de salut?

Habaquq 3, 9 Tu mets à nu ton arc, de flèches tu rassasies sa corde.

Habaquq 3, 10 Les montagnes te voient, elles sont dans les transes; une trombe d'eau passe, l'abîme fait entendre sa voix, en haut il tend les mains.

Habaquq 3, 11 Le soleil et la lune restent dans leur demeure; ils fuient devant l'éclat de tes flèches, sous la lueur des éclairs de ta lance.

Habaquq 3, 12 Avec rage tu arpentes la terre, avec colère tu écrases les nations.

Habaquq 3, 13 Tu t'es mis en campagne pour sauver ton peuple, pour sauver ton oint, tu as abattu la maison de l'impie, mis à nu le fondement jusqu'au rocher.

Habaquq 3, 14 Tu as percé de tes épieux le chef de ses guerriers qui se ruaient pour nous disperser, avec des cris de joie comme s'ils allaient, dans leur repaire, dévorer un malheureux.

Habaquq 3, 15 Tu as foulé la mer avec tes chevaux, le bouillonnement des grandes eaux!

Habaquq 3, 16 J'ai entendu! Mon sein frémit. A ce bruit mes lèvres tremblent, la carie pénètre mes os, sous moi chancellent mes pas. J'attends en paix ce jour d'angoisse qui se lève contre le peuple qui nous assaille!

Habaquq 3, 17 (Car le figuier ne bourgeonnera plus; plus rien à récolter dans les vignes. Le produit de l'olivier décevra, les champs ne donneront plus à manger, les brebis disparaîtront du bercail; plus de boeufs dans les étables.)

Habaquq 3, 18 Mais moi je me réjouirai en Yahvé, j'exulterai en Dieu mon Sauveur!

Habaquq 3, 19 Yahvé mon Seigneur est ma force, il rend mes pieds pareils à ceux des biches, sur les cimes il porte mes pas. Du maître de chant. Sur instruments à cordes.

 

 

 

 

Sophonie

 

 1, 1 Parole de Yahvé qui fut adressée à Sophonie, fils de Kushi, fils de Gedalya, fils d'Amarya, fils de Hizqiyya, au temps de Josias, fils d'Amon, roi de Juda.

Sophonie 1, 2 Oui, je vais tout supprimer de la face de la terre, oracle de Yahvé.

Sophonie 1, 3 Je supprimerai hommes et bêtes, je supprimerai oiseaux du ciel et poissons de la mer, je ferai trébucher les méchants, je retrancherai les hommes de la face de la terre, oracle de Yahvé.

Sophonie 1, 4 Je vais lever la main contre Juda et contre tous les habitants de Jérusalem, et je retrancherai de ce lieu le reste de Baal et le nom de ses desservants,

Sophonie 1, 5 ceux qui se prosternent sur les toits devant l'armée des cieux, ceux qui se prosternent devant Yahvé et qui jurent par Milkom,

Sophonie 1, 6 ceux qui se détournent de Yahvé, qui ne consultent pas Yahvé et ne le cherchent pas.

Sophonie 1, 7 Silence devant le Seigneur Yahvé, car le jour de Yahvé est proche! Oui, Yahvé a préparé un sacrifice, il a consacré ses invités.

Sophonie 1, 8 Il arrivera, au jour du sacrifice de Yahvé, que je visiterai les ministres, les princes royaux et tous ceux qui revêtent des vêtements étrangers.

Sophonie 1, 9 Je visiterai en ce jour tous ceux qui montent au Degré, eux qui remplissent le palais de leur seigneur de violence et de fraude.

Sophonie 1, 10 Ce jour-là - oracle de Yahvé - une clameur s'élèvera de la porte des Poissons, de la ville neuve, des hurlements, des hauteurs, un grand fracas!

Sophonie 1, 11 Hurlez, habitants du Mortier, car tout le peuple de Canaan est anéanti, tous les peseurs d'argent sont retranchés.

Sophonie 1, 12 En ce temps-là, je fouillerai Jérusalem aux flambeaux, je visiterai les hommes qui croupissent sur leur lie, ceux qui disent dans leur coeur: "Yahvé ne peut faire ni bien ni mal."

Sophonie 1, 13 Alors, leur richesse sera livrée au pillage, leurs maisons à la dévastation; ils ont bâti des maisons et ne les habiteront pas; ils ont planté des vignes et n'en boiront pas le vin.

Sophonie 1, 14 Il est proche, le jour de Yahvé, formidable! Il est proche, il vient en toute hâte! O clameur amère du jour de Yahvé: c'est maintenant un preux qui pousse le cri de guerre!

Sophonie 1, 15 Jour de fureur, ce jour-là! jour de détresse et de tribulation, jour de désolation et de dévastation, jour d'obscurité et de sombres nuages, jour de nuées et de ténèbres,

Sophonie 1, 16 jour de sonneries de cor et de cris de guerre contre les villes fortes et les hautes tours d'angle.

Sophonie 1, 17 Je livrerai les hommes à la détresse et ils iront comme des aveugles (parce qu'ils ont péché contre Yahvé); leur sang sera répandu comme de la poussière, leurs cadavres jetés comme des ordures.

Sophonie 1, 18 Ni leur argent, ni leur or ne pourront les sauver. Au jour de la colère de Yahvé, au feu de sa jalousie, toute la terre sera dévorée. Car il va détruire, oui, exterminer tous les habitants de la terre.

Sophonie 2, 1 Amoncelez-vous, amoncelez-vous, ô nation sans honte,

Sophonie 2, 2 avant que vous ne soyez chassés comme la bale qui disparaît en un jour, avant que ne vienne sur vous l'ardente colère de Yahvé (avant que ne vienne sur vous le jour de la colère de Yahvé).

Sophonie 2, 3 Cherchez Yahvé, vous tous les humbles de la terre, qui accomplissez ses ordonnances. Cherchez la justice, cherchez l'humilité: peut-être serez-vous à l'abri au jour de la colère de Yahvé.

Sophonie 2, 4 Oui, Gaza va être abandonnée, Ashqelôn sera une solitude. Ashdod, en plein midi on la chassera; Eqrôn sera déracinée.

Sophonie 2, 5 Malheur aux habitants de la ligue de la mer, à la nation des Kerétiens! Voici la parole de Yahvé contre vous: "Canaan, terre des Philistins, je vais te faire périr faute d'habitants!"

Sophonie 2, 6 La ligue de la mer sera réduite en pâtures, en pacages pour les bergers et en enclos pour les moutons.

Sophonie 2, 7 Et la ligue appartiendra au reste de la maison de Juda; ils y mèneront paître; le soir, ils se reposeront au milieu des maisons d'Ashqelôn; car Yahvé leur Dieu les visitera et il accomplira leur restauration.

Sophonie 2, 8 J'ai entendu l'insulte de Moab et les sarcasmes des fils d'Ammon, lorsqu'ils insultaient mon peuple et se glorifiaient de leur territoire.

Sophonie 2, 9 C'est pourquoi, par ma vie! - oracle de Yahvé Sabaot, Dieu d'Israël: "Moab deviendra comme Sodome et les fils d'Ammon comme Gomorrhe: un domaine de chardons, un monceau de sel, une solitude à jamais. Le reste de mon peuple les pillera, ce qui subsistera de ma nation en recevra l'héritage."

Sophonie 2, 10 Ce sera le prix de leur orgueil, puisqu'ils ont proféré des insultes et des paroles hautaines contre le peuple de Yahvé Sabaot.

Sophonie 2, 11 Terrible sera Yahvé pour eux. Quand il aura supprimé tous les dieux de la terre, elles se prosterneront devant lui, chacune sur son propre sol, toutes les îles des nations.

Sophonie 2, 12 Vous aussi, Ethiopiens: "Ils seront transpercés de mon épée."

Sophonie 2, 13 Il lèvera la main contre le Nord et réduira Assur en ruines; il fera de Ninive une solitude, terre aride comme le désert.

Sophonie 2, 14 Au milieu d'elle se reposeront les troupeaux; toutes sortes de bêtes: même le choucas, même le hérisson gîteront la nuit parmi ses sculptures; le hibou poussera son cri à la fenêtre et le corbeau sur le seuil, car le cèdre a été arraché.

Sophonie 2, 15 C'est la cité joyeuse qui trônait avec assurance, celle qui disait en son coeur: "Moi, sans égale!" Comment est-elle devenue un objet de stupeur, un repaire pour les bêtes? Quiconque passe auprès d'elle siffle et agite la main.

Sophonie 3, 1 Malheur à la rebelle, la souillée, à la ville tyrannique!

Sophonie 3, 2 Elle n'a pas écouté l'appel, elle n'a pas accepté la leçon; à Yahvé elle ne s'est pas confiée, de son Dieu elle ne s'est pas approchée.

Sophonie 3, 3 Ses princes au milieu d'elle sont des lions rugissants; ses juges, des loups de la steppe qui ne gardent rien pour le matin;

Sophonie 3, 4 ses prophètes sont des vantards, des imposteurs; ses prêtres profanent les choses saintes, ils violent la Loi.

Sophonie 3, 5 Au milieu d'elle, Yahvé est juste; il ne commet rien d'inique; matin après matin, il promulgue son droit, à l'aube il ne fait pas défaut. (Mais l'inique ne connaît pas la honte).

Sophonie 3, 6 J'ai retranché les nations, leurs tours d'angle ont été détruites; j'ai rendu leurs rues désertes: plus de passants! leurs cités ont été saccagées: plus d'hommes, plus d'habitants!

Sophonie 3, 7 Je disais: "Au moins tu me craindras, tu accepteras la leçon; à ses yeux ne peuvent s'effacer tant de venues dont je l'ai visitée." Mais non! ils se sont hâtés de pervertir toutes leurs actions!

Sophonie 3, 8 C'est pourquoi, attendez-moi - oracle de Yahvé - au jour où je me lèverai en accusateur; car j'ai décrété de réunir les nations, de rassembler les royaumes, pour déverser sur vous ma fureur, toute l'ardeur de ma colère. (Car du feu de ma jalousie toute la terre sera dévorée.)

Sophonie 3, 9 Oui, je ferai alors aux peuples des lèvres pures, pour qu'ils puissent tous invoquer le nom de Yahvé et le servir sous un même joug.

Sophonie 3, 10 De l'autre rive des fleuves d'Ethiopie, mes suppliants m'apporteront mon offrande.

Sophonie 3, 11 Ce jour-là tu n'auras plus honte de tous les méfaits que tu as commis contre moi, car j'écarterai de ton sein tes orgueilleux triomphants; et tu cesseras de te pavaner sur ma montagne sainte.

Sophonie 3, 12 Je ne laisserai subsister en ton sein qu'un peuple humble et modeste, et c'est dans le nom de Yahvé que cherchera refuge

Sophonie 3, 13 le reste d'Israël. Ils ne commettront plus d'iniquité, ils ne diront plus de mensonge; on ne trouvera plus dans leur bouche de langue trompeuse. Mais ils pourront paître et se reposer sans que personne les inquiète.

Sophonie 3, 14 Pousse des cris de joie, fille de Sion! une clameur d'allégresse, Israël! Réjouis-toi, triomphe de tout ton coeur, fille de Jérusalem!

Sophonie 3, 15 Yahvé a levé la sentence qui pesait sur toi; il a détourné ton ennemi. Yahvé est roi d'Israël au milieu de toi. Tu n'as plus de malheur à craindre.

Sophonie 3, 16 Ce jour-là, on dira à Jérusalem: Sois sans crainte, Sion! que tes mains ne défaillent pas!

Sophonie 3, 17 Yahvé ton Dieu est au milieu de toi, héros sauveur! Il exultera pour toi de joie, il te renouvellera par son amour; il dansera pour toi avec des cris de joie,

Sophonie 3, 18 comme aux jours de fête. J'ai écarté de toi le malheur, pour que tu ne portes plus l'opprobre.

Sophonie 3, 19 Me voici à l'oeuvre avec tous tes oppresseurs. En ce temps-là, je sauverai les éclopées, je rallierai les égarées, et je leur attirerai louange et renommée par toute la terre, quand j'accomplirai leur restauration.

Sophonie 3, 20 En ce temps-là, je vous guiderai, au temps où je vous rassemblerai; alors je vous donnerai louange et renommée parmi tous les peuples de la terre, quand j'accomplirai votre restauration sous vos yeux, dit Yahvé.

 

 

 

Aggée

 

1, 1 La deuxième année du roi Darius, le sixième mois, le premier jour du mois, la parole de Yahvé fut adressée par le ministère du prophète Aggée à Zorobabel, fils de Shéaltiel, gouverneur de Juda, et à Josué, fils de Yehoçadaq, le grand prêtre, en ces termes:

Aggée 1, 2 Ainsi parle Yahvé Sabaot. Ce peuple dit: "Il n'est pas encore arrivé, le moment de rebâtir le Temple de Yahvé!"

Aggée 1, 3 (Et la parole de Yahvé fut adressée par le ministère du prophète en ces termes:)

Aggée 1, 4 Est-ce donc pour vous le moment de rester dans vos maisons lambrissées, quand cette Maison-là est dévastée?

Aggée 1, 5 Maintenant donc, ainsi parle Yahvé Sabaot. Réfléchissez en votre coeur au chemin que vous avez pris!

Aggée 1, 6 Vous avez semé beaucoup mais peu engrangé; vous avez mangé, mais pas à votre faim; vous avez bu, mais pas votre saoul; vous vous êtes vêtus, mais non réchauffés. Le salarié a gagné son salaire pour le mettre dans une bourse percée!

Aggée 1, 7 Ainsi parle Yahvé Sabaot. Réfléchissez en votre coeur au chemin que vous avez pris!

Aggée 1, 8 Montez à la montagne, rapportez du bois et réédifiez la Maison; j'y mettrai ma complaisance et j'y manifesterai ma gloire - dit Yahvé.

Aggée 1, 9 Vous attendiez l'abondance et ce fut maigre. Quand vous avez engrangé, j'ai soufflé dessus. Pourquoi donc? Oracle de Yahvé Sabaot. A cause de ma Maison qui est détruite, tandis que vous vous empressez chacun pour votre maison.

Aggée 1, 10 C'est pourquoi les cieux ont retenu la pluie et la terre a retenu ses produits.

Aggée 1, 11 J'ai appelé la sécheresse sur la terre, sur les montagnes, sur le blé, sur le vin nouveau, sur l'huile fraîche et sur tout ce que produit le sol, sur les hommes et sur le bétail, et sur tout le labeur de vos mains.

Aggée 1, 12 Or Zorobabel, fils de Shéaltiel, Josué, fils de Yehoçadaq, le grand prêtre, et tout le reste du peuple écoutèrent la voix de Yahvé leur Dieu et les paroles du prophète Aggée, selon la mission dont Yahvé leur Dieu l'avait chargé. Et le peuple éprouva de la crainte devant Yahvé.

Aggée 1, 13 Aggée, le messager de Yahvé, parla en ces termes au peuple, selon le message de Yahvé: "Je suis avec vous, oracle de Yahvé."

Aggée 1, 14 Et Yahvé excita l'esprit de Zorobabel, fils de Shéaltiel, gouverneur de Juda, l'esprit de Josué, fils de Yehoçadaq, le grand prêtre, et l'esprit de tout le reste du peuple: ils vinrent et se mirent à l'ouvrage dans le Temple de Yahvé Sabaot leur Dieu.

Aggée 1, 15 C'était le vingt-quatrième jour du sixième mois. La deuxième année du roi Darius,

Aggée 2, 1 au septième mois, le vingt et unième jour du mois, la parole de Yahvé fut adressée par le ministère du prophète Aggée en ces termes:

Aggée 2, 2 Parle donc ainsi à Zorobabel, fils de Shéaltiel, gouverneur de Juda, à Josué, fils de Yehoçadaq, le grand prêtre, et au reste du peuple.

Aggée 2, 3 Quel est parmi vous le survivant qui a vu ce Temple dans sa gloire passée? Et comment le voyez-vous maintenant? A vos yeux, n'est-il pas pareil à un rien?

Aggée 2, 4 Mais à présent, courage, Zorobabel! oracle de Yahvé. Courage, Josué, fils de Yehoçadaq, grand prêtre! Courage, tout le peuple du pays! oracle de Yahvé. Au travail! Car je suis avec vous - oracle de Yahvé Sabaot --

Aggée 2, 5 et mon Esprit demeure au milieu de vous. Ne craignez pas!

Aggée 2, 6 Car ainsi parle Yahvé Sabaot. Encore un très court délai et j'ébranlerai le ciel et la terre, la mer et le sol ferme.

Aggée 2, 7 J'ébranlerai toutes les nations, alors afflueront les trésors de toutes les nations et j'emplirai de gloire ce Temple, dit Yahvé Sabaot.

Aggée 2, 8 A moi l'argent! à moi l'or! oracle de Yahvé Sabaot.

Aggée 2, 9 La gloire à venir de ce Temple dépassera l'ancienne, dit Yahvé Sabaot, et dans ce lieu je donnerai la paix, oracle de Yahvé Sabaot.

Aggée 2, 10 Le vingt-quatrième jour du neuvième mois, la deuxième année de Darius, la parole de Yahvé fut adressée au prophète Aggée en ces termes:

Aggée 2, 11 Ainsi parle Yahvé Sabaot. Demande donc aux prêtres une décision, en ces termes:

Aggée 2, 12 "Si quelqu'un porte de la viande sacrifiée dans le pan de son vêtement et touche avec son vêtement du pain, un mets, du vin, de l'huile et toute sorte d'aliment, cela deviendra-t-il saint?" Les prêtres répondirent et dirent: "Non!"

Aggée 2, 13 Et Aggée dit: "Si quelqu'un, rendu impur par un cadavre, touche à tout cela, cela deviendra-t-il impur?" Les prêtres répondirent et dirent: "Cela deviendra impur!"

Aggée 2, 14 Alors Aggée prit la parole en ces termes: "Ainsi en est-il de ce peuple! Ainsi de cette nation devant ma face! oracle de Yahvé. Ainsi en est-il de tout le travail de leurs mains, et ce qu'ils offrent ici est impur."

Aggée 2, 15 Et maintenant réfléchissez bien en votre coeur, à partir d'aujourd'hui et pour l'avenir. Avant qu'on plaçât pierre sur pierre dans le sanctuaire de Yahvé,

Aggée 2, 16 quelle était votre condition? On venait à un tas de vingt mesures, mais il n'y en avait que dix; on venait à une cuve puiser 50 mesures, mais il n'y en avait que vingt.

Aggée 2, 17 J'ai frappé par la rouille, la nielle et la grêle tout le travail de vos mains, et vous n'êtes pas revenus à moi, oracle de Yahvé!

Aggée 2, 18 Réfléchissez donc en votre coeur, à partir d'aujourd'hui et pour l'avenir, (depuis le vingt-quatrième jour du neuvième mois, depuis le jour où l'on posa la fondation du sanctuaire de Yahvé, considérez attentivement)

Aggée 2, 19 si le grain manque encore au grenier et si encore vigne, figuier, grenadier et olivier ne produisent pas de fruit! A partir d'aujourd'hui, je bénirai!

Aggée 2, 20 La parole de Yahvé fut adressée une deuxième fois à Aggée, le vingt-quatrième jour du mois, en ces termes:

Aggée 2, 21 Parle ainsi à Zorobabel, le gouverneur de Juda. Je vais ébranler cieux et terre.

Aggée 2, 22 Je vais renverser les trônes des royaumes et détruire la puissance des rois des nations. Je renverserai la charrerie et ses équipages; les chevaux et leurs cavaliers seront abattus, chacun sous l'épée de son frère.

Aggée 2, 23 En ce jour-là - oracle de Yahvé Sabaot - je te prendrai, Zorobabel, fils de Shéaltiel, mon serviteur - oracle de Yahvé - et je ferai de toi comme un anneau à cachet. Car c'est toi que j'ai choisi, oracle de Yahvé Sabaot.

 

 

 

Zacharie

 

1, 1 La deuxième année de Darius, au huitième mois, la parole de Yahvé fut adressée au prophète Zacharie, (fils de Bérékya), fils de Iddo, en ces termes:

Zacharie 1, 2 Yahvé s'est grandement irrité contre vos pères.

Zacharie 1, 3 Tu leur diras: ainsi parle Yahvé Sabaot. Revenez à moi - oracle de Yahvé Sabaot - et je reviendrai vers vous, dit Yahvé Sabaot.

Zacharie 1, 4 Ne soyez pas comme vos pères à qui les prophètes du passé lancèrent cet appel: Ainsi parle Yahvé Sabaot. Revenez donc de vos voies mauvaises et de vos actions mauvaises. Mais eux n'écoutèrent pas et ne me prêtèrent pas attention - oracle de Yahvé.

Zacharie 1, 5 Vos pères, où sont-ils? Et les prophètes, sont-ils toujours en vie?

Zacharie 1, 6 Mais mes ordres et mes décrets, ceux que j'avais donnés à mes serviteurs les prophètes, n'ont-ils pas atteint vos pères? Alors ils se sont convertis et ont dit: "Yahvé Sabaot nous a traités comme il avait résolu de le faire, selon nos voies et nos actions."

Zacharie 1, 7 Le vingt-quatrième jour du onzième mois (le mois de Shebat), la deuxième année de Darius, la parole de Yahvé fut adressée au prophète Zacharie, (fils de Bérékya), fils de Iddo, en ces termes.

Zacharie 1, 8 J'eus une vision pendant la nuit. Voici: Un homme montant un cheval roux se tenait parmi les myrtes qui ont leurs racines dans la profondeur; derrière lui, des chevaux roux, alezans, et blancs.

Zacharie 1, 9 Je dis: "Qui sont ceux-là, mon Seigneur?" Et l'ange qui me parlait me dit: "Je te ferai voir qui ils sont."

Zacharie 1, 10 L'homme qui se tenait parmi les myrtes répondit: "Ce sont ceux que Yahvé a envoyés parcourir la terre."

Zacharie 1, 11 Or ils s'adressèrent à l'ange de Yahvé qui se tenait parmi les myrtes, et ils dirent: "Nous venons de parcourir la terre, et voici que toute la terre est en repos et tranquillité."

Zacharie 1, 12 Alors l'ange de Yahvé prit la parole et dit: "Yahvé Sabaot, jusques à quand tarderas-tu à prendre en pitié Jérusalem et les villes de Juda auxquelles tu as fait sentir ta colère depuis 70 ans?"

Zacharie 1, 13 A l'ange qui me parlait, Yahvé répondit par des paroles de bonté, des paroles de consolation.

Zacharie 1, 14 Alors l'ange qui me parlait me dit: "Fais cette proclamation: Ainsi parle Yahvé Sabaot. J'éprouve un amour très jaloux pour Jérusalem et pour Sion,

Zacharie 1, 15 mais une très grande irritation contre les nations tranquilles; car moi, je n'étais que peu irrité, mais elles, elles ont concouru au mal.

Zacharie 1, 16 C'est pourquoi, ainsi parle Yahvé: Je me tourne de nouveau vers Jérusalem avec compassion; mon Temple y sera rebâti - oracle de Yahvé Sabaot - et le cordeau sera tendu sur Jérusalem.

Zacharie 1, 17 Fais encore cette proclamation: Ainsi parle Yahvé Sabaot. Mes villes abonderont encore de biens. Yahvé consolera encore Sion, il fera encore choix de Jérusalem."

Zacharie 2, 1 Puis je levai les yeux et j'eus une vision. Voici: il y avait quatre cornes.

Zacharie 2, 2 Je dis à l'ange qui me parlait: "Que sont ces cornes?" Il me dit: "Ce sont les cornes qui ont dispersé Juda (Israël) et Jérusalem."

Zacharie 2, 3 Puis Yahvé me fit voir quatre forgerons.

Zacharie 2, 4 Et je dis: "Que viennent faire ceux-ci?" Il me dit: (Celles-là sont les cornes qui ont dispersé Juda, au point que personne n'osait redresser la tête; mais) ceux-ci sont venus pour les effrayer, pour abattre les cornes des nations qui élevaient la corne contre le pays de Juda afin de le disperser."

Zacharie 2, 5 Puis je levai les yeux et j'eus une vision. Voici: il y avait un homme, et dans sa main, un cordeau pour mesurer.

Zacharie 2, 6 Je lui dis: "Où vas-tu?" Il me dit: "Mesurer Jérusalem, pour voir quelle est sa largeur et quelle est sa longueur."

Zacharie 2, 7 Et voici: l'ange qui me parlait s'avança et un autre ange s'avança au devant de lui.

Zacharie 2, 8 Il lui dit: "Cours, parle à ce jeune homme et dis-lui: Jérusalem doit rester ouverte, à cause de la quantité d'hommes et de bétail qui s'y trouve.

Zacharie 2, 9 Quand à moi, je serai pour elle - oracle de Yahvé - une muraille de feu tout autour, et je serai sa Gloire."

Zacharie 2, 10 Holà! Holà! Fuyez du pays du Nord - oracle de Yahvé - car aux quatre vents des cieux je vous ai dispersés, oracle de Yahvé!

Zacharie 2, 11 Holà! Sion, sauve-toi, toi qui habites chez la fille de Babylone.

Zacharie 2, 12 Car ainsi parle Yahvé Sabaot, après que la Gloire m'eût envoyé, à propos des nations qui vous dépouillèrent: "Qui vous touche, touche à la prunelle de mon oeil.

Zacharie 2, 13 Voici que je lève la main sur elles, pour qu'elles soient le butin de leurs esclaves." Alors vous saurez que Yahvé Sabaot m'a envoyé!

Zacharie 2, 14 Chante, réjouis-toi, fille de Sion, car voici que je viens pour demeurer au milieu de toi, oracle de Yahvé!

Zacharie 2, 15 Des nations nombreuses s'attacheront à Yahvé, en ce jour-là: elles seront pour lui un peuple. Elles habiteront au milieu de toi et tu sauras que Yahvé Sabaot m'a envoyé vers toi.

Zacharie 2, 16 Mais Yahvé possédera Juda comme sa part sur la Terre Sainte et choisira encore Jérusalem.

Zacharie 2, 17 Silence, toute chair, devant Yahvé, car il se réveille en sa sainte Demeure.

Zacharie 3, 1 Il me fit voir Josué, le grand prêtre, qui se tenait devant l'ange de Yahvé, tandis que le Satan était debout à sa droite pour l'accuser.

Zacharie 3, 2 L'ange de Yahvé dit au Satan: "Que Yahvé te réprime, Satan; que Yahvé te réprime, lui qui a fait choix de Jérusalem. Celui-ci n'est-il pas un tison tiré du feu?"

Zacharie 3, 3 Or Josué était vêtu d'habits sales lorsqu'il se tenait devant l'ange.

Zacharie 3, 4 Prenant la parole, celui-ci parla en ces termes à ceux qui se tenaient devant lui: "Enlevez-lui ses habits sales et revêtez-le d'habits somptueux; et lui dit: "Vois, j'ai enlevé de dessus toi ton iniquité."

Zacharie 3, 5 Mettez sur sa tête une tiare propre. On mit sur sa tête une tiare propre et on le revêtit d'habits propres. L'ange de Yahvé se tenait debout

Zacharie 3, 6 Puis l'ange de Yahvé fit cette déclaration à Josué:

Zacharie 3, 7 "Ainsi parle Yahvé Sabaot. Si tu marches dans mes voies et gardes mes observances, tu gouverneras ma maison, tu garderas mes parvis et je te donnerai accès parmi ceux qui se tiennent ici.

Zacharie 3, 8 Ecoute donc, Josué, grand prêtre, toi et tes compagnons qui siègent devant toi - car ils sont des hommes de présage --: Voici que je vais introduire mon serviteur "Germe",

Zacharie 3, 9 Car voici la pierre que je place devant Josué; sur cette unique pierre, il y a sept yeux; voici que je vais graver moi-même son inscription, oracle de Yahvé Sabaot." Et j'écarterai l'iniquité de ce pays, en un seul jour.

Zacharie 3, 10 Ce jour-là - oracle de Yahvé Sabaot - vous vous inviterez l'un l'autre sous la vigne et sous le figuier.

Zacharie 4, 1 L'ange qui me parlait revint et me réveilla comme un homme qui est tiré de son sommeil.

Zacharie 4, 2 Et il me dit: "Que vois-tu?" Je répondis: "Je regarde, et voici: il y a un lampadaire tout en or, avec un réservoir à son sommet; sept lampes sont sur le lampadaire ainsi que sept becs pour les lampes qui sont dessus.

Zacharie 4, 3 Près de lui sont deux oliviers, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche."

Zacharie 4, 4 Prenant la parole, je dis à l'ange qui me parlait: "Que signifient ces choses, mon Seigneur?"

Zacharie 4, 5 L'ange qui me parlait me répondit: "Ne sais-tu pas ce que signifient ces choses?" Je dis: "Non, mon Seigneur."

Zacharie 4, 6 Alors il me répondit en ces termes: Voici la parole de Yahvé touchant Zorobabel: Ce n'est pas par la puissance, ni par la force, mais par mon Esprit - dit Yahvé Sabaot.

Zacharie 4, 7 Qu'es-tu, grande montagne? Devant Zorobabel, deviens une plaine! Il arrachera la pierre de faîte, tandis qu'on criera: "Bravo, bravo pour elle!"

Zacharie 4, 8 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Zacharie 4, 9 Les mains de Zorobabel ont fondé ce Temple: ses mains l'achèveront. (Et vous saurez que Yahvé Sabaot m'a envoyé vers vous.)

Zacharie 4, 10 Car qui donc méprisait ce jour d'événements minimes? On se réjouira en voyant la pierre choisie en la main de Zorobabel. "Ces sept-là sont les yeux de Yahvé, ils vont par toute la terre."

Zacharie 4, 11 Je pris alors la parole et lui dis: "Que signifient ces deux oliviers, à droite du chandelier et à sa gauche?"

Zacharie 4, 12 (Je repris la parole et lui dis: "Que signifient les deux branches d'olivier qui, par les deux tuyaux d'or, dispensent l'huile"?)

Zacharie 4, 13 Il me répondit: "Ne sais-tu pas ce que signifient ces choses?" Je dis: "Non, mon Seigneur."

Zacharie 4, 14 Il dit: "Ce sont les deux Oints qui se tiennent devant le Seigneur de toute la terre."

Zacharie 5, 1 Je levai à nouveau les yeux et j'eus un vision. Voici: il y avait un livre qui volait.

Zacharie 5, 2 L'ange qui me parlait me dit: "Qu'est-ce que tu vois?" Je répondis: "Je vois un livre qui vole; sa longueur est de vingt coudées, sa largeur de dix."

Zacharie 5, 3 Alors il me dit: "Ceci est la Malédiction qui se répand sur la face de tout le pays. Car, d'après elle, tout voleur sera chassé d'ici, et d'après elle, tout homme qui jure faussement par mon nom sera chassé d'ici.

Zacharie 5, 4 Je la déchaînerai - oracle de Yahvé Sabaot pour - qu'elle entre chez le voleur et chez celui qui jure faussement par mon nom, qu'elle s'établisse au milieu de sa maison et la consume, avec ses poutres et ses pierres."

Zacharie 5, 5 L'ange qui me parlait s'avança et me dit: "Lève les yeux et regarde ce qu'est cette chose qui s'avance."

Zacharie 5, 6 Et je dis: "Qu'est-elle?" Il dit: "C'est un boisseau qui s'avance." Il ajouta: "C'est leur iniquité, dans tout le pays."

Zacharie 5, 7 Et voici qu'un disque de plomb se souleva: et il y avait une Femme installée à l'intérieur du boisseau.

Zacharie 5, 8 Il dit: "C'est la Malice." Et il la repoussa à l'intérieur du boisseau et jeta sur l'orifice la masse de plomb.

Zacharie 5, 9 Levant les yeux, j'eus une vision: Voici que deux femmes parurent. Le vent soufflait dans leurs ailes; elles avaient des ailes comme celles d'une cigogne; elles enlevèrent le boisseau entre terre et ciel.

Zacharie 5, 10 Je dis alors à l'ange qui me parlait: "Où celles-ci emportent-elles le boisseau?"

Zacharie 5, 11 Il me répondit: "Elles vont lui bâtir un temple dans la terre de Shinéar, et lui préparer un socle, où elles la placeront."

Zacharie 6, 1 Je levai à nouveau les yeux et j'eus une vision. Voici: quatre chars sortaient d'entre les deux montagnes; et les montagnes étaient des montagnes d'airain.

Zacharie 6, 2 Au premier char, il y avait des chevaux roux; au deuxième char, des chevaux noirs;

Zacharie 6, 3 au troisième char, des chevaux blancs et au quatrième char, des chevaux pie vigoureux.

Zacharie 6, 4 Prenant la parole, je dis à l'ange qui me parlait: "Que signifient ceux-ci, mon Seigneur?"

Zacharie 6, 5 L'ange me répondit: "Ces quatre vents du ciel s'avancent après s'être tenus devant le Seigneur de toute la terre.

Zacharie 6, 6 Là où sont les chevaux noirs, ils s'avancent vers le pays du nord; les blancs s'avancent derrière eux, et les pie s'avancent vers le pays du midi."

Zacharie 6, 7 Vigoureux, ils avançaient, impatients de parcourir la terre. Il leur dit: "Allez parcourir la terre." Et ils parcoururent la terre.

Zacharie 6, 8 Il m'appela et me dit: "Vois, ceux qui s'avancent vers le pays du nord vont faire descendre mon esprit dans le pays du nord."

Zacharie 6, 9 La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes:

Zacharie 6, 10 Fais une collecte auprès des exilés, de Heldaï, de Tobiyya et de Yedaya, puis (tu iras, toi, en ce jour-là) tu iras chez Yoshiyya, fils de Cephanya, qui est arrivé de Babylone.

Zacharie 6, 11 Tu prendras l'argent et l'or, tu feras une couronne et tu la mettras sur la tête de Josué, fils de Yehoçadaq, le grand prêtre.

Zacharie 6, 12 Puis tu lui parleras en ces termes: Ainsi parle Yahvé Sabaot. Voici un homme dont le nom est Germe; là où il est, quelque chose va germer (et il reconstruira le sanctuaire de Yahvé).

Zacharie 6, 13 C'est lui qui reconstruira le sanctuaire de Yahvé, c'est lui qui portera les insignes royaux. Il siégera sur son trône en dominateur, et il y aura un prêtre à sa droite. Une paix parfaite régnera entre eux deux.

Zacharie 6, 14 Quant à la couronne, elle sera pour Heldaï, Tobiyya, Yedaya et pour le fils de Cephanya, en mémorial de grâce dans le sanctuaire de Yahvé.

Zacharie 6, 15 Alors ceux qui sont au loin viendront reconstruire le sanctuaire de Yahvé, et vous saurez que Yahvé Sabaot m'a envoyé vers vous. Cela se produira si vous écoutez parfaitement la voix de Yahvé votre Dieu.

Zacharie 7, 1 La quatrième année du roi Darius, la parole de Yahvé fut adressée à Zacharie, le quatrième jour du neuvième mois, le mois de Kisleu.

Zacharie 7, 2 Béthel envoya Saréçer avec ses gens pour implorer la face de Yahvé

Zacharie 7, 3 et dire aux prêtres de Yahvé Sabaot ainsi qu'aux prophètes: "Dois-je pleurer au cinquième mois en faisant des abstinences comme j'ai fait déjà tant d'années?"

Zacharie 7, 4 Alors la parole de Yahvé Sabaot me fut adressée en ces termes:

Zacharie 7, 5 Dis à tout le peuple du pays et aux prêtres: "Quand vous avez jeûné et gémi aux cinquième et septième mois, depuis déjà 70 ans, est-ce pour l'amour de moi que vous avez multiplié vos jeûnes?

Zacharie 7, 6 Et quand vous mangiez et buviez, n'étaient-ce pas vous les mangeurs et les buveurs?

Zacharie 7, 7 Ne connaissez-vous pas les paroles que Yahvé proclamait par le ministère des prophètes du passé, quand Jérusalem était habitée et tranquille, avec ses villes alentour, et que le Négeb et le Bas-Pays étaient peuplés?

Zacharie 7, 8 (La parole de Yahvé fut adressée à Zacharie en ces termes:

Zacharie 7, 9 Ainsi parle Yahvé Sabaot.) Il disait: Rendez une justice vraie et pratiquez bonté et compassion chacun envers son frère.

Zacharie 7, 10 N'opprimez point la veuve et l'orphelin, l'étranger et le pauvre, et ne méditez pas en votre coeur du mal l'un envers l'autre.

Zacharie 7, 11 Mais ils ne voulurent pas être attentifs: ils me présentèrent une épaule rebelle; ils endurcirent leurs oreilles pour ne pas entendre;

Zacharie 7, 12 ils firent de leur coeur un diamant, de peur d'écouter l'instruction et les paroles que Yahvé Sabaot avait envoyées - par son esprit - par le ministère des prophètes du passé. Alors il y eut une grande colère de la part de Yahvé Sabaot.

Zacharie 7, 13 Et il se passa ceci: puisqu'il lançait des appels, et qu'eux n'entendaient pas, de même ils lanceront des appels et je n'entendrai pas, dit Yahvé Sabaot,

Zacharie 7, 14 je les ai dispersés chez toutes les nations qu'ils ne connaissaient pas; de la sorte, le pays fut dévasté derrière eux; plus personne n'allait et venait. D'une terre de délices, ils firent un désert!"

Zacharie 8, 1 La parole de Yahvé Sabaot arriva en ces termes:

Zacharie 8, 2 Ainsi parle Yahvé Sabaot. J'éprouve pour Sion une ardente jalousie et en sa faveur une grande colère.

Zacharie 8, 3 Ainsi parle Yahvé. Je reviens à Sion et veux habiter au milieu de Jérusalem. Jérusalem sera appelée Ville-de-Fidélité, et la montagne de Yahvé Sabaot, Montagne-sainte.

Zacharie 8, 4 Ainsi parle Yahvé Sabaot. Des vieux et des vieilles s'assiéront encore sur les places de Jérusalem: chacun aura son bâton à la main, à cause du nombre de ses jours.

Zacharie 8, 5 Et les places de la ville seront remplies de petits garçons et de petites filles qui joueront sur les places.

Zacharie 8, 6 Ainsi parle Yahvé Sabaot. Si c'est un miracle aux yeux du reste de ce peuple (en ces jours-là), en serait-ce un à mes yeux? Oracle de Yahvé Sabaot.

Zacharie 8, 7 Ainsi parle Yahvé Sabaot. Voici que je sauve mon peuple des pays d'orient et des pays du soleil couchant.

Zacharie 8, 8 Je les ramènerai pour qu'ils habitent au milieu de Jérusalem. Ils seront mon peuple et moi je serai leur Dieu, dans la fidélité et la justice.

Zacharie 8, 9 Ainsi parle Yahvé Sabaot. Que vos mains se fortifient, vous qui entendez en ces jours ces paroles de la bouche des prophètes, qui prophétisent depuis le jour où furent jetées les fondations du Temple de Yahvé Sabaot pour la reconstruction du Sanctuaire.

Zacharie 8, 10 Car, avant ces jours, le salaire des hommes n'était pas payé et le salaire des bêtes était nul; pour qui se livrait à ses occupations, aucune tranquillité, à cause de l'ennemi; j'avais lâché tous les hommes les uns contre les autres.

Zacharie 8, 11 Mais maintenant, à l'égard du reste de ce peuple, je ne suis pas comme aux jours passés, oracle de Yahvé Sabaot.

Zacharie 8, 12 Car sa semence sera en paix: la vigne donnera son fruit, la terre donnera ses produits et le ciel donnera sa rosée. J'accorderai tout cela au reste de ce peuple.

Zacharie 8, 13 De même que vous étiez une malédiction parmi les nations, maison de Juda et maison d'Israël, de même je vous sauverai pour que vous deveniez une bénédiction. Ne craignez point: que vos mains se fortifient!

Zacharie 8, 14 Car ainsi parle Yahvé Sabaot. De même que j'avais résolu de vous faire du mal, lorsque vos pères m'avaient irrité - dit Yahvé Sabaot - et que je n'ai pas fléchi,

Zacharie 8, 15 de même, me ravisant, je me propose, en ces jours, de faire du bien à Jérusalem et à la maison de Juda. Ne craignez point!

Zacharie 8, 16 Voici les choses que vous devez pratiquer: que chacun dise la vérité à son prochain; à vos portes rendez une justice qui engendre la paix;

Zacharie 8, 17 ne méditez pas en vos coeurs du mal l'un contre l'autre; n'aimez pas le faux serment. Car c'est tout cela que je hais, oracle de Yahvé.

Zacharie 8, 18 La parole de Yahvé Sabaot me fut adressée en ces termes:

Zacharie 8, 19 "Ainsi parle Yahvé Sabaot. Le jeûne du quatrième mois, le jeûne du cinquième, le jeûne du septième et le jeûne du dixième deviendront pour la maison de Juda allégresse, joie, gais jours de fête. Mais aimez la vérité et la paix!"

Zacharie 8, 20 Ainsi parle Yahvé Sabaot. Il viendra encore des peuples, et des habitants de grandes villes.

Zacharie 8, 21 Et les habitants d'une ville iront vers l'autre en disant: "Allons donc implorer la face de Yahvé et chercher Yahvé Sabaot; pour ma part, j'y vais."

Zacharie 8, 22 Et de nombreux peuples et des nations puissantes viendront chercher Yahvé Sabaot à Jérusalem et implorer la face de Yahvé.

Zacharie 8, 23 Ainsi parle Yahvé Sabaot. En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues des nations saisiront un Juif par le pan de son vêtement en disant: "Nous voulons aller avec vous, car nous avons appris que Dieu est avec vous."

Zacharie 9, 1 Proclamation La parole de Yahvé est au pays de Hadrak, à Damas elle fait halte. Car à Yahvé appartient la source d'Aram et toutes les tribus d'Israël.

Zacharie 9, 2 Hamat aussi, qui en est la frontière, (Tyr) et Sidon, dont la sagesse est grande.

Zacharie 9, 3 Tyr s'est construit une forteresse, amoncelant l'argent comme de la poussière et l'or comme la boue des rues.

Zacharie 9, 4 Voici que le Seigneur en prendra possession, en mer il défera sa puissance, elle-même sera dévorée par le feu.

Zacharie 9, 5 Ashqelôn verra et prendra peur, Gaza aussi, qui se tordra de douleur, et Eqrôn, car son esprit est confondu. Le roi disparaîtra de Gaza, dans Ashqelôn, plus d'habitants,

Zacharie 9, 6 et un bâtard habitera Ashdod. Je détruirai l'orgueil du Philistin,

Zacharie 9, 7 j'ôterai son sang de sa bouche, ses abominations d'entre ses dents. Lui aussi sera un reste pour notre Dieu, il sera comme un familier dans Juda, Eqrôn sera comme un Jébuséen.

Zacharie 9, 8 Je camperai pour ma maison en avant-poste contre ceux qui vont et qui viennent, plus d'oppresseur pour passer sur eux, car maintenant mes yeux sont ouverts.

Zacharie 9, 9 Exulte avec force, fille de Sion! Crie de joie, fille de Jérusalem! Voici que ton roi vient à toi: il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse.

Zacharie 9, 10 Il retranchera d'Ephraïm la charrerie et de Jérusalem les chevaux; l'arc de guerre sera retranché. Il annoncera la paix aux nations. Son empire ira de la mer à la mer et du Fleuve aux extrémités de la terre.

Zacharie 9, 11 Toi aussi, pour le sang de ton alliance, j'ai renvoyé tes captifs de la fosse où il n'y a pas d'eau.

Zacharie 9, 12 Revenez vers la place forte, captifs pleins d'espoir. Aujourd'hui même, je le déclare, c'est le double que je vais te rendre.

Zacharie 9, 13 Car j'ai tendu pour moi Juda, j'ai garni l'arc avec Ephraïm; je vais exciter tes fils, Sion, contre tes fils, Yavân, et je ferai de toi comme l'épée d'un vaillant.

Zacharie 9, 14 Alors Yahvé apparaîtra au-dessus d'eux et sa flèche jaillira comme l'éclair. (Le Seigneur) Yahvé sonnera de la trompe, il s'avancera dans les ouragans du sud.

Zacharie 9, 15 Yahvé Sabaot sera leur protection, ils dévoreront, ils piétineront les pierres de fronde, ils boiront le sang comme si c'était du vin, ils en seront gorgés comme un vase à aspersions, comme les angles de l'autel.

Zacharie 9, 16 Et il les sauvera, Yahvé leur Dieu, en ce jour-là, comme les brebis qui sont son peuple; oui, les pierres d'un diadème scintilleront sur sa terre.

Zacharie 9, 17 Qu'il sera beau! Qu'il sera splendide! Le blé fera s'épanouir les jeunes gens et le vin doux, les vierges.

Zacharie 10, 1 Demandez à Yahvé la pluie à la saison des ondées tardives. C'est Yahvé qui fait les nuées d'orages. Il leur donnera la pluie d'averse, à chacun, l'herbe dans son champ.

Zacharie 10, 2 Parce que les téraphim prédisent la fausseté, que les devins voient du mensonge, que les songes ont débité l'illusion, donné de vaines consolations, voilà pourquoi ils sont partis comme des brebis en piteux état, faute de pasteur.

Zacharie 10, 3 Contre les pasteurs a brûlé ma colère, contre les boucs je vais sévir. Quand Yahvé Sabaot visitera son troupeau, la maison de Juda, il en fera comme son cheval d'honneur dans le combat.

Zacharie 10, 4 De lui sortira l'angle, de lui le piquet; de lui l'arc de combat, de lui tout gouverneur. Ensemble

Zacharie 10, 5 ils seront comme des vaillants qui piétinent la boue des rues dans le combat. Ils combattront, car Yahvé est avec eux, et ceux qui montent des chevaux seront confondus.

Zacharie 10, 6 Je rendrai vaillante la maison de Juda et victorieuse la maison de Joseph. Je les ramènerai car ils me font pitié et ils seront comme si je ne les avais pas rejetés, car je suis Yahvé leur Dieu et je les exaucerai.

Zacharie 10, 7 Ephraïm sera comme un vaillant et leur coeur se réjouira comme sous l'effet du vin; leurs fils regarderont et se réjouiront, leur coeur exultera en Yahvé.

Zacharie 10, 8 Je vais siffler pour les rassembler car je les ai rachetés: ils seront nombreux comme ils l'étaient.

Zacharie 10, 9 Je les sèmerai parmi les peuples, mais au loin ils se souviendront de moi, ils instruiront leurs fils et ils reviendront.

Zacharie 10, 10 Je les ramènerai de la terre d'Egypte et d'Assur je les rassemblerai; dans la terre de Galaad et du Liban je les ferai entrer et cela ne leur suffira pas.

Zacharie 10, 11 Ils traverseront la mer d'Egypte (et il frappera les flots dans la mer), toutes les profondeurs du Nil seront asséchées, l'orgueil d'Assur sera abattu et enlevé le sceptre de l'Egypte.

Zacharie 10, 12 Je les rendrai vaillants en Yahvé, c'est en son nom qu'ils marcheront, oracle de Yahvé.

Zacharie 11, 1 Ouvre tes portes, Liban, et que le feu dévore tes cèdres!

Zacharie 11, 2 Gémis, genévrier, car le cèdre est tombé, car les majestueux sont ravagés. Gémissez, chênes de Bashân, car elle est abattue la forêt inaccessible.

Zacharie 11, 3 On entend le gémissement des pasteurs car leur majesté est ravagée. On entend les rugissements des lionceaux car l'orgueil du Jourdain est ravagé.

Zacharie 11, 4 Ainsi parle Yahvé mon Dieu: "Fais paître les brebis d'abattoir,

Zacharie 11, 5 celles que leurs acheteurs abattent sans être châtiés, dont leurs vendeurs disent: Béni soit Yahvé, me voilà riche, et que les pasteurs n'épargnent point.

Zacharie 11, 6 Car je n'épargnerai plus les habitants du pays - oracle de Yahvé! - Mais voici que moi, je vais livrer les hommes chacun aux mains de son prochain, aux mains de son roi. Ils écraseront le pays et je ne les délivrerai pas de leurs mains."

Zacharie 11, 7 Alors je fis paître les brebis d'abattoir qui appartiennent aux marchands de brebis. Je pris pour moi deux bâtons, j'appelai l'un Faveur et l'autre Liens et je fis paître les brebis.

Zacharie 11, 8 Je fis disparaître les trois pasteurs en un seul mois. Mais je perdis patience avec eux, et quant à eux, ils furent avares envers moi.

Zacharie 11, 9 Alors je dis: "Je ne vous ferai plus paître. Que celle qui doit mourir meure; que celle qui doit disparaître disparaisse, et que celles qui restent s'entre-dévorent.

Zacharie 11, 10 Puis" je pris mon bâton Faveur et le mis en morceaux pour rompre mon alliance, celle que j'avais conclue avec tous les peuples.

Zacharie 11, 11 Elle fut donc rompue en ce jour-là, et les marchands de brebis qui m'observaient surent que c'était là une parole de Yahvé.

Zacharie 11, 12 Je leur dis alors: "Si cela vous semble bon, donnez-moi mon salaire, sinon n'en faites rien." Ils pesèrent mon salaire: 30 sicles d'argent.

Zacharie 11, 13 Yahvé me dit: "Jette-le au fondeur, ce prix splendide auquel ils m'ont apprécié!" Je pris donc les 30 sicles d'argent et les jetai à la Maison de Yahvé, pour le fondeur.

Zacharie 11, 14 Puis je mis en morceaux mon deuxième bâton, pour rompre la fraternité entre Juda et Israël.

Zacharie 11, 15 Yahvé me dit alors: "Prends encore l'équipement d'un pasteur insensé,

Zacharie 11, 16 car voici que moi je vais susciter un pasteur dans le pays; celle qui a disparu, il n'en aura cure, celle qui chevrote, il ne la recherchera pas, celle qui est blessée, il ne la soignera pas, celle qui est enflée, il ne la soutiendra pas, mais il dévorera la chair des bêtes grasses et arrachera même leurs sabots.

Zacharie 11, 17 Malheur au pasteur inexistant qui délaisse son troupeau! Que l'épée s'attaque à son bras et à son oeil droit! Que son bras soit tout desséché, que son oeil droit soit aveuglé!"

Zacharie 12, 1 Proclamation. Parole de Yahvé sur Israël

Zacharie 12, 2 (et aussi sur Juda). Oracle de Yahvé qui a tendu les cieux et fondé la terre, qui a formé l'esprit de l'homme au-dedans de lui. Voici que moi je fais de Jérusalem une coupe de vertige pour tous les peuples alentour. (Cela sera lors du siège contre Jérusalem.)

Zacharie 12, 3 Il arrivera en ce jour-là que je ferai de Jérusalem une pierre à soulever pour tous les peuples, et tous ceux qui la soulèveront se blesseront grièvement. Et contre elle se rassembleront toutes les nations de la terre.

Zacharie 12, 4 En ce jour-là - oracle de Yahvé - je frapperai tous les chevaux de confusion, et leurs cavaliers de folie. Et je frapperai de cécité tous les peuples. (Mais sur la maison de Juda j'ouvrirai les yeux.)

Zacharie 12, 5 Alors les chefs de Juda diront en leur coeur: "La force pour les habitants de Jérusalem est en Yahvé Sabaot, leur Dieu."

Zacharie 12, 6 En ce jour-là, je ferai des chefs de Juda comme un brasier allumé dans un tas de bois, comme une torche allumée dans une gerbe. Ils dévoreront à droite et à gauche tous les peuples alentour. Et Jérusalem sera encore habitée en son lieu (à Jérusalem).

Zacharie 12, 7 Yahvé sauvera tout d'abord les tentes de Juda pour que la fierté de la maison de David et celle de l'habitant de Jérusalem ne s'exaltent aux dépens de Juda.

Zacharie 12, 8 En ce jour-là, Yahvé protégera l'habitant de Jérusalem; celui d'entre eux qui chancelle sera comme David en ce jour-là, et la maison de David sera comme Dieu, comme l'Ange de Yahvé devant eux.

Zacharie 12, 9 Il arrivera en ce jour-là que je chercherai à détruire toutes les nations qui viendront contre Jérusalem.

Zacharie 12, 10 Mais je répandrai sur la maison de David et sur l'habitant de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication, et ils regarderont vers moi. Celui qu'ils ont transpercé, ils se lamenteront sur lui comme on se lamente sur un fils unique; ils le pleureront comme on pleure un premier-né.

Zacharie 12, 11 En ce jour-là grandira la lamentation dans Jérusalem, comme la lamentation de Hadad Rimmôn, dans la plaine de Megiddôn.

Zacharie 12, 12 Et il se lamentera, le pays, clan par clan. Le clan de la maison de David à part, avec leurs femmes à part. Le clan de la maison de Natân à part, avec leurs femmes à part.

Zacharie 12, 13 Le clan de la maison de Lévi à part, avec leurs femmes à part. Le clan de la maison de Shiméï à part, avec leurs femmes à part.

Zacharie 12, 14 Et tous les clans, ceux qui restent, clan par clan à part, avec leurs femmes à part.

Zacharie 13, 1 En ce jour-là, il y aura une fontaine ouverte pour David et pour les habitants de Jérusalem, pour laver péché et souillure.

Zacharie 13, 2 Il arrivera en ce jour-là - oracle du Seigneur - que je retrancherai du pays les noms des idoles: on n'en fera plus mémoire. De même les prophètes et l'esprit d'impureté, je les chasserai du pays.

Zacharie 13, 3 Si quelqu'un veut encore prophétiser, son père et sa mère qui l'ont engendré lui diront: "Tu ne vivras pas, car ce sont des mensonges que tu prononces au nom de Yahvé", et pendant qu'il prophétisera, son père et sa mère qui l'ont engendré le transperceront.

Zacharie 13, 4 Il arrivera, en ce jour-là, que les prophètes rougiront de leur vision quand ils prophétiseront. Ils ne revêtiront plus le manteau de poil avec le dessein de mentir.

Zacharie 13, 5 Mais ils diront: "Je ne suis pas prophète, moi, je suis un homme qui travaille la terre, car la terre est mon bien depuis ma jeunesse."

Zacharie 13, 6 Et si on lui dit: "Que sont ces blessures sur ta poitrine?" Il dira: "Celles que j'ai reçues chez mes amis."

Zacharie 13, 7 Epée, éveille-toi contre mon pasteur et contre l'homme qui m'est proche, oracle de Yahvé Sabaot. Frappe le pasteur, que soient dispersées les brebis, et je tournerai la main contre les petits.

Zacharie 13, 8 Alors il arrivera, dans tout le pays, oracle de Yahvé - que deux tiers en seront retranchés (périront) et que l'autre tiers y sera laissé.

Zacharie 13, 9 Je ferai entrer ce tiers dans le feu; je les épurerai comme on épure l'argent, je les éprouverai comme on éprouve l'or. Lui, il invoquera mon nom, et moi je lui répondrai; je dirai: "Il est mon peuple" et lui dira "Yahvé est mon Dieu!"

Zacharie 14, 1 Voici qu'il vient le jour de Yahvé, quand on partagera tes dépouilles au milieu de toi.

Zacharie 14, 2 J'assemblerai toutes les nations vers Jérusalem pour le combat; la ville sera prise, les maisons pillées, les femmes violées; la moitié de la ville partira en exil, mais le reste du peuple ne sera pas retranché de la ville.

Zacharie 14, 3 Alors Yahvé sortira pour combattre les nations, comme lorsqu'il combat au jour de la guerre.

Zacharie 14, 4 En ce jour-là, ses pieds se poseront sur le mont des Oliviers qui fait face à Jérusalem vers l'orient. Et le mont de Oliviers se fendra par le milieu, d'est en ouest, en une immense vallée, une moitié du mont reculera vers le nord, et l'autre vers le sud.

Zacharie 14, 5 La vallée des Monts sera comblée, oui, elle sera obstruée jusqu'à Yasol, elle sera comblée comme elle le fut par suite de séisme, au temps d'Ozias roi de Juda. Et Yahvé mon Dieu viendra, tous les saints avec lui.

Zacharie 14, 6 Il arrivera, en ce jour-là, qu'il n'y aura plus de lumière mais du froid et du gel.

Zacharie 14, 7 Et il y aura un jour unique - Yahvé le connaît - plus de jour ni de nuit, mais au temps du soir, il y aura de la lumière.

Zacharie 14, 8 Il arrivera, en ce jour-là, que des eaux vives sortiront de Jérusalem, moitié vers la mer orientale, moitié vers la mer occidentale: il y en aura été comme hiver.

Zacharie 14, 9 Alors Yahvé sera roi sur toute la terre; en ce jour-là, Yahvé sera unique, et son nom unique.

Zacharie 14, 10 Tout le pays retournera en plaine, depuis Géba jusqu'à Rimmôn du Négeb. Jérusalem sera exhaussée et habitée en son lieu, depuis la porte de Benjamin jusqu'à l'emplacement de l'ancienne porte, jusqu'à la porte des Angles, et de la tour de Hananéel jusqu'aux pressoirs du roi.

Zacharie 14, 11 On y habitera, il n'y aura plus d'anathème et Jérusalem sera habitée en sécurité.

Zacharie 14, 12 Et voici la plaie dont Yahvé frappera tous les peuples qui auront combattu contre Jérusalem: il fera pourrir leur chair alors qu'ils se tiendront debout, leurs yeux pourriront dans leurs orbites et leur langue pourrira dans leur bouche.

Zacharie 14, 13 Il arrivera, en ce jour-là, qu'il y aura de par Yahvé une grande panique parmi eux. Chacun saisira la main de son compagnon et ils lèveront la main l'un contre l'autre.

Zacharie 14, 14 Juda lui aussi combattra à Jérusalem. Les richesses de toutes les nations alentour seront rassemblées, or, argent, vêtements, en énorme quantité.

Zacharie 14, 15 Pareille sera la plaie des chevaux, des mulets, des chameaux, des ânes et de toutes les bêtes qui se trouvent dans les camps: une plaie semblable à celle-là.

Zacharie 14, 16 Il arrivera que tous les survivants de toutes les nations qui auront marché contre Jérusalem monteront année après année se prosterner devant le roi Yahvé Sabaot et célébrer la fête des Tentes.

Zacharie 14, 17 Celle des familles de la terre qui ne montera pas se prosterner à Jérusalem, devant le roi Yahvé Sabaot, il n'y aura pas de pluie pour elle.

Zacharie 14, 18 Si la famille d'Egypte ne monte pas et ne vient pas, il y aura sur elle la plaie dont Yahvé frappe les nations qui ne monteront pas célébrer la fête des Tentes.

Zacharie 14, 19 Telle sera la punition de l'Egypte et la punition de toutes les nations qui ne monteront pas célébrer la fête des Tentes.

Zacharie 14, 20 En ce jour-là, il y aura sur les grelots des chevaux: "consacré à Yahvé", et les marmites de la maison de Yahvé seront comme des coupes à aspersion devant l'autel.

Zacharie 14, 21 Toute marmite, à Jérusalem et en Juda, sera consacrée à Yahvé Sabaot, tous ceux qui offrent un sacrifice viendront en prendre et cuisineront dedans, et il n'y aura plus de marchand dans la maison de Yahvé Sabaot, en ce jour-là.

 

 

Malachie

 

1, 1 Oracle. Parole de Yahvé à Israël, par le ministère de Malachie.

Malachie 1, 2 Je vous ai aimés! dit Yahvé. - Cependant vous dites: En quoi nous as-tu aimés? - Esaü n'était-il pas le frère de Jacob? Oracle de Yahvé; or j'ai aimé Jacob

Malachie 1, 3 mais j'ai haï Esaü. Je fis de ses montagnes une solitude et de son héritage des pâturages de désert.

Malachie 1, 4 Si Edom dit: "Nous avons été détruits, mais nous relèverons nos ruines", ainsi parle Yahvé Sabaot: Qu'ils bâtissent, moi je démolirai! On les surnommera "Territoire d'impiété" et "Le peuple contre qui Yahvé est courroucé à jamais."

Malachie 1, 5 Vos yeux le verront et vous direz: Yahvé est grand par-delà le territoire d'Israël!

Malachie 1, 6 Un fils honore son père; un serviteur craint son maître. Mais si je suis père, où donc est l'honneur qui m'est dû? Si je suis maître, où donc est ma crainte? Dit Yahvé Sabaot, à vous les prêtres, qui méprisez mon Nom. - Mais vous dites: En quoi avons-nous méprisé ton Nom? --

Malachie 1, 7 C'est que vous offrez sur mon autel des aliments souillés. - Mais vous dites: En quoi t'avons-nous souillé? - En disant: La table de Yahvé est méprisable.

Malachie 1, 8 Quand vous amenez des bêtes aveugles pour le sacrifice, n'est-ce pas mal? Et quand vous en amenez des boiteuses ou des malades, n'est-ce pas mal? Présente-les donc à ton gouverneur: en sera-t-il content? Te recevra-t-il bien? Dit Yahvé Sabaot.

Malachie 1, 9 Et maintenant implorez donc Dieu pour qu'il nous prenne en pitié (c'est de vos mains que cela vient): vous recevra-t-il? Dit Yahvé Sabaot.

Malachie 1, 10 Oh! qui d'entre vous fermera les portes pour que vous n'embrasiez pas inutilement mon autel? Je ne prends nul plaisir en vous, dit Yahvé Sabaot, et n'agrée point les offrandes de vos mains.

Malachie 1, 11 Mais, du levant au couchant, mon Nom est grand chez les nations, et en tout lieu un sacrifice d'encens est présenté à mon Nom ainsi qu'une offrande pure. Car grand est mon Nom chez les nations! dit Yahvé Sabaot.

Malachie 1, 12 Tandis que vous, vous le profanez, en disant: La table du Seigneur est souillée, et ses aliments méprisables.

Malachie 1, 13 Vous dites: Voyez, que de souci! et vous me dédaignez, dit Yahvé Sabaot. Vous amenez l'animal dérobé, le boiteux et le malade, et vous l'amenez en offrande. Puis-je l'agréer de votre main? Dit Yahvé Sabaot.

Malachie 1, 14 Maudit soit le tricheur qui possède dans son troupeau un mâle qu'il voue, et qui me sacrifie une bête tarée. Car je suis un Grand Roi, dit Yahvé Sabaot, et mon Nom est redoutable chez les nations.

Malachie 2, 1 Et maintenant, à vous ce commandement, prêtres!

Malachie 2, 2 Si vous n'écoutez pas, si vous ne prenez pas à coeur de donner gloire à mon Nom, dit Yahvé Sabaot, j'enverrai sur vous la malédiction et je maudirai votre bénédiction. En effet, je la maudirai, car il n'est personne parmi vous qui prenne cela à coeur.

Malachie 2, 3 Voici que je vais vous briser le bras et vous jeter des ordures à la figure - les ordures de vos solennités - et vous enlever avec elles.

Malachie 2, 4 Et vous saurez que c'est moi qui vous ai adressé ce commandement pour que subsiste mon alliance avec Lévi, dit Yahvé Sabaot.

Malachie 2, 5 Mon alliance était avec lui, c'était vie et paix et je les lui accordais, crainte et il me craignait, et devant mon Nom il avait révérence.

Malachie 2, 6 L'enseignement de vérité était dans sa bouche et l'iniquité ne se trouvait pas sur ses lèvres; dans l'intégrité et la droiture il marchait avec moi; il en faisait revenir beaucoup de l'iniquité.

Malachie 2, 7 Car c'est aux lèvres du prêtre de garder le savoir et c'est de sa bouche qu'on recherche l'enseignement: il est messager de Yahvé Sabaot.

Malachie 2, 8 Mais vous vous êtes écartés de la voie; vous en avez fait trébucher un grand nombre par l'enseignement; vous avez détruit l'alliance de Lévi! dit Yahvé Sabaot.

Malachie 2, 9 Et moi je vous ai rendus méprisables et vils pour tout le peuple, dans la mesure où vous n'avez pas gardé mes voies mais avez fait acception de personnes en votre enseignement.

Malachie 2, 10 N'avons-nous pas tous un Père unique? N'est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés? Pourquoi donc sommes-nous perfides l'un envers l'autre, en profanant l'alliance de nos pères?

Malachie 2, 11 Juda a agi en traître: une abomination a été perpétrée en Israël et à Jérusalem. Car Juda a profané le sanctuaire cher à Yahvé. Il a épousé la fille d'un dieu étranger.

Malachie 2, 12 Que Yahvé retranche, pour l'homme qui agit ainsi, le témoin et le défenseur, des tentes de Jacob et du groupe de ceux qui présentent l'offrande à Yahvé Sabaot!

Malachie 2, 13 Voici une seconde chose que vous faites: vous couvrez de larmes l'autel de Yahvé, avec lamentations et gémissements, parce qu'il se refuse à se pencher sur l'offrande et à l'agréer de vos mains.

Malachie 2, 14 Et vous dites: Pourquoi? - C'est que Yahvé est témoin entre toi et la femme de ta jeunesse que tu as trahie, bien qu'elle fût ta compagne et la femme de ton alliance.

Malachie 2, 15 N'a-t-il pas fait un seul être, qui a chair et souffle de vie? Et cet être unique, que cherche-t-il? Une postérité donnée par Dieu! Respect donc à votre vie, et la femme de ta jeunesse, ne la trahis point!

Malachie 2, 16 Car je hais la répudiation, dit Yahvé le Dieu d'Israël, et qu'on recouvre l'injustice de son vêtement, dit Yahvé Sabaot. Respect donc à votre vie, et ne commettez pas cette trahison!

Malachie 2, 17 Vous fatiguez Yahvé avec vos discours! - Vous dites: En quoi le fatiguons-nous? - C'est quand vous dites: Quiconque fait le mal est bon aux yeux de Yahvé, en ces gens-là il met sa complaisance; ou encore: Où donc est le Dieu de la justice?

Malachie 3, 1 Voici que je vais envoyer mon messager, pour qu'il fraye un chemin devant moi. Et soudain il entrera dans son sanctuaire, le Seigneur que vous cherchez; et l'Ange de l'alliance que vous désirez, le voici qui vient! dit Yahvé Sabaot.

Malachie 3, 2 Qui soutiendra le jour de son arrivée? Qui restera droit quand il apparaîtra? Car il est comme le feu du fondeur et comme la lessive des blanchisseurs.

Malachie 3, 3 Il siégera comme fondeur et nettoyeur. Il purifiera les fils de Lévi et les affinera comme or et argent, et ils deviendront pour Yahvé ceux qui présentent l'offrande selon la justice.

Malachie 3, 4 Alors l'offrande de Juda et de Jérusalem sera agréée de Yahvé, comme aux jours anciens, comme aux premières années.

Malachie 3, 5 Je m'approcherai de vous pour le jugement et je serai un témoin prompt contre les devins, les adultères et les parjures, contre ceux qui oppriment le salarié, la veuve et l'orphelin, et qui violent le droit de l'étranger, sans me craindre, dit Yahvé Sabaot.

Malachie 3, 6 Non, moi, Yahvé, je ne varie pas, et vous, les fils de Jacob, vous ne cessez pas!

Malachie 3, 7 Depuis les jours de vos pères, vous vous écartez de mes décrets et ne les gardez pas. Revenez à moi et je reviendrai à vous! dit Yahvé Sabaot. - Vous dites: Comment reviendrons-nous? --

Malachie 3, 8 Un homme peut-il tromper Dieu? Or vous me trompez! - Vous dites: En quoi t'avons-nous trompé? - Quant à la dîme et aux redevances.

Malachie 3, 9 La malédiction vous atteint: c'est que vous me trompez, vous la nation dans son entier.

Malachie 3, 10 Apportez intégralement la dîme au trésor, pour qu'il y ait de la nourriture chez moi. Et mettez-moi ainsi à l'épreuve, dit Yahvé Sabaot, pour voir si je n'ouvrirai pas en votre faveur la bénédiction en surabondance.

Malachie 3, 11 En votre faveur, je tancerai le criquet pour qu'il ne vous détruise pas les fruits du sol, et que pour vous la vigne ne soit pas stérile dans la campagne, dit Yahvé Sabaot.

Malachie 3, 12 Toutes les nations vous déclareront heureux, car vous serez une terre de délices, dit Yahvé Sabaot.

Malachie 3, 13 Vos paroles sont dures à mon égard, dit Yahvé. Pourtant vous dites: Que nous sommes-nous dit contre toi?

Malachie 3, 14 Vous dites: c'est vanité de servir Dieu, et que gagnons-nous à avoir gardé ses observances et marché dans le deuil devant Yahvé Sabaot?

Malachie 3, 15 Maintenant nous en sommes à déclarer heureux les arrogants: ils prospèrent, ceux qui font le mal; ils mettent Dieu à l'épreuve et ils s'en tirent!

Malachie 3, 16 Alors ceux qui craignent Yahvé se parlèrent l'un à l'autre. Yahvé prêta attention et entendit: un livre aide-mémoire fut écrit devant lui en faveur de ceux qui craignent Yahvé et qui pensent à son Nom.

Malachie 3, 17 Au jour que je prépare, ils seront mon bien propre, dit Yahvé Sabaot. J'aurai compassion d'eux comme un homme a compassion de son fils qui le sert.

Malachie 3, 18 Alors vous verrez la différence entre un juste et un méchant, entre qui sert Dieu et qui ne le sert pas.

Malachie 3, 19 Car voici: le Jour vient, brûlant comme un four. Ils seront de la paille, tous les arrogants et malfaisants; le Jour qui arrive les embrasera - dit Yahvé Sabaot - au point qu'il ne leur laissera ni racine ni rameau.

Malachie 3, 20 Mais pour vous qui craignez mon Nom, le soleil de justice brillera, avec la guérison dans ses rayons; vous sortirez en bondissant comme des veaux à l'engrais.

Malachie 3, 21 Vous piétinerez les méchants, car ils seront de la cendre sous la plante de vos pieds, au Jour que je prépare, dit Yahvé Sabaot.

Malachie 3, 22 Rappelez-vous la Loi de Moïse, mon serviteur à qui j'ai prescrit, à l'Horeb, pour tout Israël, des lois et des coutumes.

Malachie 3, 23 Voici que je vais vous envoyer Elie le prophète, avant que n'arrive le Jour de Yahvé, grand et redoutable.

Malachie 3, 24 Il ramènera le coeur des pères vers leurs fils et le coeur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d'anathème.

 

 

 

Evangile selon Matthieu

 

1, 1 Livre de la genèse de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham:

Matthieu 1, 2 Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères,

Matthieu 1, 3 Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar, Pharès engendra Esrom, Esrom engendra Aram,

Matthieu 1, 4 Aram engendra Aminadab, Aminadab engendra Naasson, Naasson engendra Salmon,

Matthieu 1, 5 Salmon engendra Booz, de Rahab, Booz engendra Jobed, de Ruth, Jobed engendra Jessé,

Matthieu 1, 6 Jessé engendra le roi David. David engendra Salomon, de la femme d'Urie,

Matthieu 1, 7 Salomon engendra Roboam, Roboam engendra Abia, Abia engendra Asa,

Matthieu 1, 8 Asa engendra Josaphat, Josaphat engendra Joram, Joram engendra Ozias,

Matthieu 1, 9 Ozias engendra Joatham, Joatham engendra Achaz, Achaz engendra Ezéchias,

Matthieu 1, 10 Ezéchias engendra Manassé, Manassé engendra Amon, Amon engendra Josias,

Matthieu 1, 11 Josias engendra Jéchonias et ses frères; ce fut alors la déportation à Babylone.

Matthieu 1, 12 Après la déportation à Babylone, Jéchonias engendra Salathiel, Salathiel engendra Zorobabel,

Matthieu 1, 13 Zorobabel engendra Abioud, Abioud engendra Eliakim, Eliakim engendra Azor,

Matthieu 1, 14 Azor engendra Sadok, Sadok engendra Akhim, Akhim engendra Elioud,

Matthieu 1, 15 Elioud engendra Eléazar, Eléazar engendra Matthan, Matthan engendra Jacob,

Matthieu 1, 16 Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle naquit Jésus, que l'on appelle Christ.

Matthieu 1, 17 Le total des générations est donc: d'Abraham à David, quatorze générations; de David à la déportation de Babylone, quatorze générations; de la déportation de Babylone au Christ, quatorze générations.

Matthieu 1, 18 Or telle fut la genèse de Jésus Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph: or, avant qu'ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint.

Matthieu 1, 19 Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit.

Matthieu 1, 20 Alors qu'il avait formé ce dessein, voici que l'Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme: car ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint;

Matthieu 1, 21 elle enfantera un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus: car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés."

Matthieu 1, 22 Or tout ceci advint pour que s'accomplît cet oracle prophétique du Seigneur:

Matthieu 1, 23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l'appellera du nom d'Emmanuel, ce qui se traduit: "Dieu avec nous."

Matthieu 1, 24 Une fois réveillé, Joseph fit comme l'Ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui sa femme;

Matthieu 1, 25 et il ne la connut pas jusqu'au jour où elle enfanta un fils, et il l'appela du nom de Jésus.

Matthieu 2, 1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem

Matthieu 2, 2 en disant: "Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu, en effet, son astre à son lever et sommes venus lui rendre hommage."

Matthieu 2, 3 L'ayant appris, le roi Hérode s'émut, et tout Jérusalem avec lui.

Matthieu 2, 4 Il assembla tous les grands prêtres avec les scribes du peuple, et il s'enquérait auprès d'eux du lieu où devait naître le Christ.

Matthieu 2, 5 "A Bethléem de Judée, lui dirent-ils; ainsi, en effet, est-il écrit par le prophète:

Matthieu 2, 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es nullement le moindre des clans de Juda; car de toi sortira un chef qui sera pasteur de mon peuple Israël."

Matthieu 2, 7 Alors Hérode manda secrètement les mages, se fit préciser par eux le temps de l'apparition de l'astre,

Matthieu 2, 8 et les envoya à Bethléem en disant: "Allez vous renseigner exactement sur l'enfant; et quand vous l'aurez trouvé, avisez-moi, afin que j'aille, moi aussi, lui rendre hommage."

Matthieu 2, 9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à son lever, les précédait jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant.

Matthieu 2, 10 A la vue de l'astre ils se réjouirent d'une très grande joie.

Matthieu 2, 11 Entrant alors dans le logis, ils virent l'enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; puis, ouvrant leurs cassettes, ils lui offrirent en présents de l'or, de l'encens et de la myrrhe.

Matthieu 2, 12 Après quoi, avertis en songe de ne point retourner chez Hérode, ils prirent une autre route pour rentrer dans leur pays.

Matthieu 2, 13 Après leur départ, voici que l'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit: "Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en Egypte; et restes-y jusqu'à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr."

Matthieu 2, 14 Il se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte;

Matthieu 2, 15 et il resta là jusqu'à la mort d'Hérode; pour que s'accomplît cet oracle prophétique du Seigneur: D'Egypte j'ai appelé mon fils.

Matthieu 2, 16 Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, fut pris d'une violente fureur et envoya mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans, d'après le temps qu'il s'était fait préciser par les mages.

Matthieu 2, 17 Alors s'accomplit l'oracle du prophète Jérémie:

Matthieu 2, 18 Une voix dans Rama s'est fait entendre, pleur et longue plainte: c'est Rachel pleurant ses enfants; et ne veut pas qu'on la console, car ils ne sont plus.

Matthieu 2, 19 Quand Hérode eut cessé de vivre, voici que l'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph, en Egypte,

Matthieu 2, 20 et lui dit: "Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et mets-toi en route pour la terre d'Israël; car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant."

Matthieu 2, 21 Il se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, et rentra dans la terre d'Israël.

Matthieu 2, 22 Mais, apprenant qu'Archélaüs régnait sur la Judée à la place d'Hérode son père, il craignit de s'y rendre; averti en songe, il se retira dans la région de Galilée

Matthieu 2, 23 et vint s'établir dans une ville appelée Nazareth; pour que s'accomplît l'oracle des prophètes: Il sera appelé Nazôréen.

Matthieu 3, 1 En ces jours-là arrive Jean le Baptiste, prêchant dans le désert de Judée

Matthieu 3, 2 et disant: "Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche."

Matthieu 3, 3 C'est bien lui dont a parlé Isaïe le prophète: Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.

Matthieu 3, 4 Ce Jean avait son vêtement fait de poils de chameau et un pagne de peau autour de ses reins; sa nourriture était de sauterelles et de miel sauvage.

Matthieu 3, 5 Alors s'en allaient vers lui Jérusalem, et toute la Judée, et toute la région du Jourdain,

Matthieu 3, 6 et ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en confessant leurs péchés.

Matthieu 3, 7 Comme il voyait beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir au baptême, il leur dit: "Engeance de vipères, qui vous a suggéré d'échapper à la Colère prochaine?

Matthieu 3, 8 Produisez donc un fruit digne du repentir

Matthieu 3, 9 et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes: Nous avons pour père Abraham. Car je vous le dis, Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham.

Matthieu 3, 10 Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.

Matthieu 3, 11 Pour moi, je vous baptise dans de l'eau en vue du repentir; mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne d'enlever les sandales; lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu.

Matthieu 3, 12 Il tient en sa main la pelle à vanner et va nettoyer son aire; il recueillera son blé dans le grenier; quant aux bales, il les consumera au feu qui ne s'éteint pas."

Matthieu 3, 13 Alors Jésus arrive de la Galilée au Jourdain, vers Jean, pour être baptisé par lui.

Matthieu 3, 14 Celui-ci l'en détournait, en disant: "C'est moi qui ai besoin d'être baptisé par toi, et toi, tu viens à moi!"

Matthieu 3, 15 Mais Jésus lui répondit: "Laisse faire pour l'instant: car c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir toute justice." Alors il le laisse faire.

Matthieu 3, 16 Ayant été baptisé, Jésus aussitôt remonta de l'eau; et voici que les cieux s'ouvrirent: il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.

Matthieu 3, 17 Et voici qu'une voix venue des cieux disait: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur.

Matthieu 4, 1 Alors Jésus fut emmené au désert par l'Esprit, pour être tenté par le diable.

Matthieu 4, 2 Il jeûna durant 40 jours et 40 nuits, après quoi il eut faim.

Matthieu 4, 3 Et, s'approchant, le tentateur lui dit: "Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains."

Matthieu 4, 4 Mais il répondit: "Il est écrit: Ce n'est pas de pain seul que vivra l'homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu"

Matthieu 4, 5 Alors le diable le prend avec lui dans la Ville Sainte, et il le plaça sur le pinacle du Temple

Matthieu 4, 6 et lui dit: "Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas; car il est écrit: Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre."

Matthieu 4, 7 Jésus lui dit: "Il est encore écrit: Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu."

Matthieu 4, 8 De nouveau le diable le prend avec lui sur une très haute montagne, lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire

Matthieu 4, 9 et lui dit: "Tout cela, je te le donnerai, si, te prosternant, tu me rends hommage."

Matthieu 4, 10 Alors Jésus lui dit: "Retire-toi, Satan! Car il est écrit: C'est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à Lui seul tu rendras un culte."

Matthieu 4, 11 Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s'approchèrent, et ils le servaient.

Matthieu 4, 12 Ayant appris que Jean avait été livré, il se retira en Galilée

Matthieu 4, 13 et, laissant Nazara, vint s'établir à Capharnaüm, au bord de la mer, sur les confins de Zabulon et de Nephtali,

Matthieu 4, 14 pour que s'accomplît l'oracle d'Isaïe le prophète:

Matthieu 4, 15 Terre de Zabulon et terre de Nephtali, Route de la mer, Pays de Transjordane, Galilée des nations!

Matthieu 4, 16 Le peuple qui demeurait dans les ténèbres a vu une grande lumière; sur ceux qui demeuraient dans la région sombre de la mort, une lumière s'est levée.

Matthieu 4, 17 Dès lors Jésus se mit à prêcher et à dire: "Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche."

Matthieu 4, 18 Comme il cheminait sur le bord de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André son frère, qui jetaient l'épervier dans la mer; car c'étaient des pêcheurs.

Matthieu 4, 19 Et il leur dit: "Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d'hommes."

Matthieu 4, 20 Eux, aussitôt, laissant les filets, le suivirent.

Matthieu 4, 21 Et avançant plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train d'arranger leurs filets; et il les appela.

Matthieu 4, 22 Eux, aussitôt, laissant la barque et leur père, le suivirent.

Matthieu 4, 23 Il parcourait toute la Galilée, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur parmi le peuple.

Matthieu 4, 24 Sa renommée gagna toute la Syrie, et on lui présenta tous les malades atteints de divers maux et tourments, des démoniaques, des lunatiques, des paralytiques, et il les guérit.

Matthieu 4, 25 Des foules nombreuses se mirent à le suivre, de la Galilée, de la Décapole, de Jérusalem, de la Judée et de la Transjordane.

Matthieu 5, 1 Voyant les foules, il gravit la montagne, et quand il fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui.

Matthieu 5, 2 Et prenant la parole, il les enseignait en disant:

Matthieu 5, 3 "Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le Royaume des Cieux est à eux.

Matthieu 5, 4 Heureux les doux, car ils posséderont la terre.

Matthieu 5, 5 Heureux les affligés, car ils seront consolés.

Matthieu 5, 6 Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés.

Matthieu 5, 7 Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.

Matthieu 5, 8 Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu.

Matthieu 5, 9 Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.

Matthieu 5, 10 Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des Cieux est à eux.

Matthieu 5, 11 Heureux êtes-vous quand on vous insultera, qu'on vous persécutera, et qu'on dira faussement contre vous toute sorte d'infamie à cause de moi.

Matthieu 5, 12 Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux: c'est bien ainsi qu'on a persécuté les prophètes, vos devanciers.

Matthieu 5, 13 "Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel vient à s'affadir, avec quoi le salera-t-on? Il n'est plus bon à rien qu'à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens.

Matthieu 5, 14 "Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne se peut cacher, qui est sise au sommet d'un mont.

Matthieu 5, 15 Et l'on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.

Matthieu 5, 16 Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux.

Matthieu 5, 17 "N'allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.

Matthieu 5, 18 Car je vous le dis, en vérité: avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l'i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé.

Matthieu 5, 19 Celui donc qui violera l'un de ces moindres préceptes, et enseignera aux autres à faire de même, sera tenu pour le moindre dans le Royaume des Cieux; au contraire, celui qui les exécutera et les enseignera, celui-là sera tenu pour grand dans le Royaume des Cieux.

Matthieu 5, 20 "Car je vous le dis: si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux.

Matthieu 5, 21 "Vous avez entendu qu'il a été dit aux ancêtres: Tu ne tueras point; et si quelqu'un tue, il en répondra au tribunal.

Matthieu 5, 22 Eh bien! moi je vous dis: Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal; mais s'il dit à son frère: Crétin! il en répondra au Sanhédrin; et s'il lui dit: Renégat!, il en répondra dans la géhenne de feu.

Matthieu 5, 23 Quand donc tu présentes ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,

Matthieu 5, 24 laisse là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande.

Matthieu 5, 25 Hâte-toi de t'accorder avec ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que l'adversaire ne te livre au juge, et le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison.

Matthieu 5, 26 En vérité, je te le dis: tu ne sortiras pas de là, que tu n'aies rendu jusqu'au dernier sou.

Matthieu 5, 27 "Vous avez entendu qu'il a été dit: Tu ne commettras pas l'adultère.

Matthieu 5, 28 Eh bien! moi je vous dis: Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son coeur, l'adultère avec elle.

Matthieu 5, 29 Que si ton oeil droit est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi: car mieux vaut pour toi que périsse un seul de tes membres et que tout ton corps ne soit pas jeté dans la géhenne.

Matthieu 5, 30 Et si ta main droite est pour toi une occasion de péché, coupe-la et jette-la loin de toi: car mieux vaut pour toi que périsse un seul de tes membres et que tout ton corps ne s'en aille pas dans la géhenne.

Matthieu 5, 31 "Il a été dit d'autre part: Quiconque répudiera sa femme, qu'il lui remette un acte de divorce.

Matthieu 5, 32 Eh bien! moi je vous dis: Tout homme qui répudie sa femme, hormis le cas de "prostitution", l'expose à l'adultère; et quiconque épouse une répudiée, commet un adultère.

Matthieu 5, 33 "Vous avez encore entendu qu'il a été dit aux ancêtres: Tu ne te parjureras pas, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de tes serments.

Matthieu 5, 34 Eh bien! moi je vous dis de ne pas jurer du tout: ni par le Ciel, car c'est le trône de Dieu;

Matthieu 5, 35 ni par la Terre, car c'est l'escabeau de ses pieds; ni par Jérusalem, car c'est la Ville du grand Roi.

Matthieu 5, 36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir.

Matthieu 5, 37 Que votre langage soit: Oui? Oui, Non? Non: ce qu'on dit de plus vient du Mauvais.

Matthieu 5, 38 "Vous avez entendu qu'il a été dit: oeil pour oeil et dent pour dent.

Matthieu 5, 39 Eh bien! moi je vous dis de ne pas tenir tête au méchant: au contraire, quelqu'un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui encore l'autre;

Matthieu 5, 40 veut-il te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui même ton manteau;

Matthieu 5, 41 te requiert-il pour une course d'un mille, fais-en deux avec lui.

Matthieu 5, 42 A qui te demande, donne; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos.

Matthieu 5, 43 "Vous avez entendu qu'il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.

Matthieu 5, 44 Eh bien! moi je vous dis: Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs,

Matthieu 5, 45 afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.

Matthieu 5, 46 Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous? Les publicains eux-mêmes n'en font-ils pas autant?

Matthieu 5, 47 Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d'extraordinaire? Les païens eux-mêmes n'en font-ils pas autant?

Matthieu 5, 48 Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Matthieu 6, 1 "Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour vous faire remarquer d'eux; sinon, vous n'aurez pas de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux.

Matthieu 6, 2 Quand donc tu fais l'aumône, ne va pas le claironner devant toi; ainsi font les hypocrites, dans les synagogues et les rues, afin d'être glorifiés par les hommes; en vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense.

Matthieu 6, 3 Pour toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite,

Matthieu 6, 4 afin que ton aumône soit secrète; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

Matthieu 6, 5 "Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites: ils aiment, pour faire leurs prières, à se camper dans les synagogues et les carrefours, afin qu'on les voie. En vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense.

Matthieu 6, 6 Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

Matthieu 6, 7 "Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens: ils s'imaginent qu'en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter.

Matthieu 6, 8 N'allez pas faire comme eux; car votre Père sait bien ce qu'il vous faut, avant que vous le lui demandiez.

Matthieu 6, 9 "Vous donc, priez ainsi: Notre Père qui es dans les cieux, que ton Nom soit sanctifié,

Matthieu 6, 10 que ton Règne vienne, que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel[4479].

Matthieu 6, 11 Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien.

Matthieu 6, 12 Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs.

Matthieu 6, 13 Et ne nous soumets pas à la tentation; mais délivre-nous du Mauvais.

Matthieu 6, 14 "Oui, si vous remettez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous remettra aussi;

Matthieu 6, 15 mais si vous ne remettez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous remettra pas vos manquements.

Matthieu 6, 16 "Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre comme font les hypocrites: ils prennent une mine défaite, pour que les hommes voient bien qu'ils jeûnent. En vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense.

Matthieu 6, 17 Pour toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage,

Matthieu 6, 18 pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

Matthieu 6, 19 "Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et cambriolent.

Matthieu 6, 20 Mais amassez-vous des trésors dans le ciel: là, point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et cambriolent.

Matthieu 6, 21 Car où est ton trésor, là sera aussi ton coeur.

Matthieu 6, 22 "La lampe du corps, c'est l'oeil. Si donc ton oeil est sain, ton corps tout entier sera lumineux.

Matthieu 6, 23 Mais si ton oeil est malade, ton corps tout entier sera ténébreux. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténèbres!

Matthieu 6, 24 "Nul ne peut servir deux maîtres: ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent.

Matthieu 6, 25 "Voilà pourquoi je vous dis: Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement?

Matthieu 6, 26 Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit! Ne valez-vous pas plus qu'eux?

Matthieu 6, 27 Qui d'entre vous d'ailleurs peut, en s'en inquiétant, ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie?

Matthieu 6, 28 Et du vêtement, pourquoi vous inquiéter? Observez les lis des champs, comme ils poussent: ils ne peinent ni ne filent.

Matthieu 6, 29 Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a pas été vêtu comme l'un d'eux.

Matthieu 6, 30 Que si Dieu habille de la sorte l'herbe des champs, qui est aujourd'hui et demain sera jetée au four, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi!

Matthieu 6, 31 Ne vous inquiétez donc pas en disant: Qu'allons-nous manger? Qu'allons-nous boire? De quoi allons-nous nous vêtir?

Matthieu 6, 32 Ce sont là toutes choses dont les païens sont en quête. Or votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela.

Matthieu 6, 33 Cherchez d'abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît.

Matthieu 6, 34 Ne vous inquiétez donc pas du lendemain: demain s'inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine.

Matthieu 7, 1 "Ne jugez pas, afin de n'être pas jugés;

Matthieu 7, 2 car, du jugement dont vous jugez on vous jugera, et de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous.

Matthieu 7, 3 Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'oeil de ton frère? Et la poutre qui est dans ton oeil à toi, tu ne la remarques pas!

Matthieu 7, 4 Ou bien comment vas-tu dire à ton frère: Laisse-moi ôter la paille de ton oeil, et voilà que la poutre est dans ton oeil!

Matthieu 7, 5 Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton oeil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l'oeil de ton frère.

Matthieu 7, 6 "Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré, ne jetez pas vos perles devant les porcs, de crainte qu'ils ne les piétinent, puis se retournent contre vous pour vous déchirer.

Matthieu 7, 7 "Demandez et l'on vous donnera; cherchez et vous trouverez; frappez et l'on vous ouvrira.

Matthieu 7, 8 Car quiconque demande reçoit; qui cherche trouve; et à qui frappe on ouvrira.

Matthieu 7, 9 Quel est d'entre vous l'homme auquel son fils demandera du pain, et qui lui remettra une pierre?

Matthieu 7, 10 Ou encore, s'il lui demande un poisson, lui remettra-t-il un serpent?

Matthieu 7, 11 Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l'en prient!

Matthieu 7, 12 "Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux: voilà la Loi et les Prophètes.

Matthieu 7, 13 "Entrez par la porte étroite. Large, en effet, et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui s'y engagent;

Matthieu 7, 14 mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie, et il en est peu qui le trouvent.

Matthieu 7, 15 "Méfiez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans sont des loups rapaces.

Matthieu 7, 16 C'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Cueille-t-on des raisins sur des épines? Ou des figues sur des chardons?

Matthieu 7, 17 Ainsi tout arbre bon produit de bons fruits, tandis que l'arbre gâté produit de mauvais fruits.

Matthieu 7, 18 Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un arbre gâté porter de bons fruits.

Matthieu 7, 19 Tout arbre qui ne donne pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu.

Matthieu 7, 20 Ainsi donc, c'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.

Matthieu 7, 21 "Ce n'est pas en me disant: Seigneur, Seigneur, qu'on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c'est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux.

Matthieu 7, 22 Beaucoup me diront en ce jour-là: Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé? En ton nom que nous avons chassé les démons? En ton nom que nous avons fait bien des miracles?

Matthieu 7, 23 Alors je leur dirai en face: Jamais je ne vous ai connus; écartez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité.

Matthieu 7, 24 "Ainsi, quiconque écoute ces paroles que je viens de dire et les met en pratique, peut se comparer à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc.

Matthieu 7, 25 La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n'a pas croulé: c'est qu'elle avait été fondée sur le roc.

Matthieu 7, 26 Et quiconque entend ces paroles que je viens de dire et ne les met pas en pratique, peut se comparer à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable.

Matthieu 7, 27 La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont rués sur cette maison, et elle s'est écroulée. Et grande a été sa ruine!"

Matthieu 7, 28 Et il advint, quand Jésus eut achevé ces discours, que les foules étaient frappées de son enseignement:

Matthieu 7, 29 car il les enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes.

Matthieu 8, 1 Quand il fut descendu de la montagne, des foules nombreuses se mirent à le suivre.

Matthieu 8, 2 Or voici qu'un lépreux s'approcha et se prosterna devant lui en disant: "Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier."

Matthieu 8, 3 Il étendit la main et le toucha, en disant: "Je le veux, sois purifié." Et aussitôt sa lèpre fut purifiée.

Matthieu 8, 4 Et Jésus lui dit: "Garde-toi d'en parler à personne, mais va te montrer au prêtre et offre le don qu'a prescrit Moïse: ce leur sera une attestation."

Matthieu 8, 5 Comme il était entré dans Capharnaüm, un centurion s'approcha de lui en le suppliant:

Matthieu 8, 6 "Seigneur, dit-il, mon enfant gît dans ma maison, atteint de paralysie et souffrant atrocement."

Matthieu 8, 7 Il lui dit: "Je vais aller le guérir" --

Matthieu 8, 8 "Seigneur, reprit le centurion, je ne mérite pas que tu entres sous mon toit; mais dis seulement un mot et mon enfant sera guéri.

Matthieu 8, 9 Car moi, qui ne suis qu'un subalterne, j'ai sous moi des soldats, et je dis à l'un: Va! et il va, et à un autre: Viens! et il vient, et à mon serviteur: Fais ceci! et il le fait."

Matthieu 8, 10 Entendant cela, Jésus fut dans l'admiration et dit à ceux qui le suivaient: "En vérité, je vous le dis, chez personne je n'ai trouvé une telle foi en Israël.

Matthieu 8, 11 Eh bien! je vous dis que beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux,

Matthieu 8, 12 tandis que les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures: là seront les pleurs et les grincements de dents."

Matthieu 8, 13 Puis il dit au centurion: "Va! Qu'il t'advienne selon ta foi!" Et l'enfant fut guéri sur l'heure.

Matthieu 8, 14 Etant venu dans la maison de Pierre, Jésus vit sa belle-mère alitée, avec la fièvre.

Matthieu 8, 15 Il lui toucha la main, la fièvre la quitta, elle se leva et elle le servait.

Matthieu 8, 16 Le soir venu, on lui présenta beaucoup de démoniaques; il chassa les esprits d'un mot, et il guérit tous les malades,

Matthieu 8, 17 afin que s'accomplît l'oracle d'Isaïe le prophète: Il a pris nos infirmités et s'est chargé de nos maladies.

Matthieu 8, 18 Se voyant entouré de foules nombreuses, Jésus donna l'ordre de s'en aller sur l'autre rive.

Matthieu 8, 19 Et un scribe s'approchant lui dit: "Maître, je te suivrai où que tu ailles."

Matthieu 8, 20 Jésus lui dit: "Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids; le Fils de l'homme, lui, n'a pas où reposer la tête."

Matthieu 8, 21 Un autre des disciples lui dit: "Seigneur, permets-moi de m'en aller d'abord enterrer mon père."

Matthieu 8, 22 Mais Jésus lui dit: "Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts."

Matthieu 8, 23 Puis il monta dans la barque, suivi de ses disciples.

Matthieu 8, 24 Et voici qu'une grande agitation se fit dans la mer, au point que la barque était couverte par les vagues. Lui cependant dormait.

Matthieu 8, 25 S'étant approchés, ils le réveillèrent en disant: "Au secours, Seigneur, nous périssons!"

Matthieu 8, 26 Il leur dit: "Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi?" Alors, s'étant levé, il menaça les vents et la mer, et il se fit un grand calme.

Matthieu 8, 27 Saisis d'étonnement, les hommes se dirent alors: "Quel est celui-ci, que même les vents et la mer lui obéissent?"

Matthieu 8, 28 Quand il fut arrivé sur l'autre rive, au pays des Gadaréniens, deux démoniaques, sortant des tombeaux, vinrent à sa rencontre, des êtres si sauvages que nul ne se sentait de force à passer par ce chemin.

Matthieu 8, 29 Les voilà qui se mirent à crier: "Que nous veux-tu, Fils de Dieu? Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps?"

Matthieu 8, 30 Or il y avait, à une certaine distance, un gros troupeau de porcs en train de paître.

Matthieu 8, 31 Et les démons suppliaient Jésus: "Si tu nous expulses, envoie-nous dans ce troupeau de porcs" --

Matthieu 8, 32 "Allez", leur dit-il. Sortant alors, ils s'en allèrent dans les porcs, et voilà que tout le troupeau se précipita du haut de l'escarpement dans la mer et périt dans les eaux.

Matthieu 8, 33 Les gardiens prirent la fuite et s'en furent à la ville tout rapporter, avec l'affaire des démoniaques.

Matthieu 8, 34 Et voilà que toute la ville sortit au-devant de Jésus; et, dès qu'ils le virent, ils le prièrent de quitter leur territoire.

Matthieu 9, 1 S'étant embarqué, il traversa et vint dans sa ville.

Matthieu 9, 2 Et voici qu'on lui apportait un paralytique étendu sur un lit. Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique: "Aie confiance, mon enfant, tes péchés sont remis."

Matthieu 9, 3 Et voici que quelques scribes se dirent par-devers eux: "Celui-là blasphème."

Matthieu 9, 4 Et Jésus, connaissant leurs sentiments, dit: "Pourquoi ces mauvais sentiments dans vos coeurs?

Matthieu 9, 5 Quel est donc le plus facile, de dire: Tes péchés sont remis, ou de dire: Lève-toi et marche?

Matthieu 9, 6 Eh bien! pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, lève-toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit et va-t-en chez toi."

Matthieu 9, 7 Et se levant, il s'en alla chez lui.

Matthieu 9, 8 A cette vue, les foules furent saisies de crainte et glorifièrent Dieu d'avoir donné un tel pouvoir aux hommes.

Matthieu 9, 9 Etant sorti, Jésus vit, en passant, un homme assis au bureau de la douane, appelé Matthieu, et il lui dit: "Suis-moi!" Et, se levant, il le suivit.

Matthieu 9, 10 Comme il était à table dans la maison, voici que beaucoup de publicains et de pécheurs vinrent se mettre à table avec Jésus et ses disciples.

Matthieu 9, 11 Ce qu'ayant vu, les Pharisiens disaient à ses disciples: "Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs?"

Matthieu 9, 12 Mais lui, qui avait entendu, dit: "Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades.

Matthieu 9, 13 Allez donc apprendre ce que signifie: C'est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs."

Matthieu 9, 14 Alors les disciples de Jean s'approchent de lui en disant: "Pourquoi nous et les Pharisiens jeûnons-nous, et tes disciples ne jeûnent pas?"

Matthieu 9, 15 Et Jésus leur dit: "Les compagnons de l'époux peuvent-ils mener le deuil tant que l'époux est avec eux? Mais viendront des jours où l'époux leur sera enlevé; et alors ils jeûneront.

Matthieu 9, 16 Personne ne rajoute une pièce de drap non foulé à un vieux vêtement; car le morceau rapporté tire sur le vêtement et la déchirure s'aggrave.

Matthieu 9, 17 On ne met pas non plus du vin nouveau dans des outres vieilles; autrement, les outres éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues. Mais on met du vin nouveau dans des outres neuves, et l'un et l'autre se conservent."

Matthieu 9, 18 Tandis qu'il leur parlait, voici qu'un chef s'approche, et il se prosternait devant lui en disant: "Ma fille est morte à l'instant; mais viens lui imposer ta main et elle vivra."

Matthieu 9, 19 Et, se levant, Jésus le suivait ainsi que ses disciples.

Matthieu 9, 20 Or voici qu'une femme, hémorroïsse depuis douze années, s'approcha par derrière et toucha la frange de son manteau.

Matthieu 9, 21 Car elle se disait en elle-même: "Si seulement je touche son manteau, je serai sauvée."

Matthieu 9, 22 Jésus se retournant la vit et lui dit: "Aie confiance, ma fille, ta foi t'a sauvée." Et de ce moment la femme fut sauvée.

Matthieu 9, 23 Arrivé à la maison du chef et voyant les joueurs de flûte et la foule en tumulte, Jésus dit:

Matthieu 9, 24 Retirez-vous; car elle n'est pas morte, la fillette, mais elle dort." Et ils se moquaient de lui.

Matthieu 9, 25 Mais, quand on eut mis la foule dehors, il entra, prit la main de la fillette et celle-ci se dressa.

Matthieu 9, 26 Le bruit s'en répandit dans toute cette contrée.

Matthieu 9, 27 Comme Jésus s'en allait de là, deux aveugles le suivirent, qui criaient et disaient: "Aie pitié de nous, Fils de David!"

Matthieu 9, 28 Etant arrivé à la maison, les aveugles s'approchèrent de lui et Jésus leur dit: "Croyez-vous que je puis faire cela" - "Oui, Seigneur", lui disent-ils.

Matthieu 9, 29 Alors il leur toucha les yeux en disant: "Qu'il vous advienne selon votre foi."

Matthieu 9, 30 Et leurs yeux s'ouvrirent. Jésus alors les rudoya: "Prenez garde! dit-il. Que personne ne le sache!"

Matthieu 9, 31 Mais eux, étant sortis, répandirent sa renommée dans toute cette contrée.

Matthieu 9, 32 Comme ils sortaient, voilà qu'on lui présenta un démoniaque muet.

Matthieu 9, 33 Le démon fut expulsé et le muet parla. Les foules émerveillées disaient: "Jamais pareille chose n'a paru en Israël!"

Matthieu 9, 34 Mais les Pharisiens disaient: "C'est par le Prince des démons qu'il expulse les démons."

Matthieu 9, 35 Jésus parcourait toutes les villes et les villages, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur.

Matthieu 9, 36 A la vue des foules il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis qui n'ont pas de berger.

Matthieu 9, 37 Alors il dit à ses disciples: "La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux;

Matthieu 9, 38 priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson."

Matthieu 10, 1 Ayant appelé à lui ses douze disciples, Jésus leur donna pouvoir sur les esprits impurs, de façon à les expulser et à guérir toute maladie et toute langueur.

Matthieu 10, 2 Les noms des douze apôtres sont les suivants: le premier, Simon appelé Pierre, et André son frère; puis Jacques, le fils de Zébédée, et Jean son frère;

Matthieu 10, 3 Philippe et Barthélemy; Thomas et Matthieu le publicain; Jacques, le fils d'Alphée, et Thaddée;

Matthieu 10, 4 Simon le Zélé et Judas l'Iscariote, celui-là même qui l'a livré.

Matthieu 10, 5 Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les prescriptions suivantes: "Ne prenez pas le chemin des païens et n'entrez pas dans une ville de Samaritains;

Matthieu 10, 6 allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël.

Matthieu 10, 7 Chemin faisant, proclamez que le Royaume des Cieux est tout proche.

Matthieu 10, 8 Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.

Matthieu 10, 9 Ne vous procurez ni or, ni argent, ni menue monnaie pour vos ceintures,

Matthieu 10, 10 ni besace pour la route, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton: car l'ouvrier mérite sa nourriture.

Matthieu 10, 11 "En quelque ville ou village que vous entriez, faites-vous indiquer quelqu'un d'honorable et demeurez-y jusqu'à ce que vous partiez.

Matthieu 10, 12 En entrant dans la maison, saluez-la:

Matthieu 10, 13 si cette maison en est digne, que votre paix vienne sur elle; si elle ne l'est pas, que votre paix vous soit retournée.

Matthieu 10, 14 Et si quelqu'un ne vous accueille pas et n'écoute pas vos paroles, sortez de cette maison ou de cette ville et secouez la poussière de vos pieds.

Matthieu 10, 15 En vérité je vous le dis: au Jour du Jugement, il y aura moins de rigueur pour le pays de Sodome et de Gomorrhe que pour cette ville-là.

Matthieu 10, 16 Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups; montrez-vous donc prudents comme les serpents et candides comme les colombes.

Matthieu 10, 17 "Méfiez-vous des hommes: ils vous livreront aux sanhédrins et vous flagelleront dans leurs synagogues;

Matthieu 10, 18 vous serez traduits devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi, pour rendre témoignage en face d'eux et des païens.

Matthieu 10, 19 Mais, lorsqu'on vous livrera, ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire: ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment,

Matthieu 10, 20 car ce n'est pas vous qui parlerez, mais l'Esprit de votre Père qui parlera en vous.

Matthieu 10, 21 "Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mourir.

Matthieu 10, 22 Et vous serez haïs de tous à cause de mon nom, mais celui qui aura tenu bon jusqu'au bout, celui-là sera sauvé.

Matthieu 10, 23 "Si l'on vous pourchasse dans telle ville, fuyez dans telle autre, et si l'on vous pourchasse dans celle-là, fuyez dans une troisième; en vérité je vous le dis, vous n'achèverez pas le tour des villes d'Israël avant que ne vienne le Fils de l'homme.

Matthieu 10, 24 "Le disciple n'est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son patron.

Matthieu 10, 25 Il suffit pour le disciple qu'il devienne comme son maître, et le serviteur comme son patron. Du moment qu'ils ont traité de Béelzéboul le maître de maison, que ne diront-ils pas de sa maisonnée!

Matthieu 10, 26 "N'allez donc pas les craindre! Rien, en effet, n'est voilé qui ne sera révélé, rien de caché qui ne sera connu.

Matthieu 10, 27 Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le au grand jour; et ce que vous entendez dans le creux de l'oreille, proclamez-le sur les toits.

Matthieu 10, 28 "Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme; craignez plutôt Celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l'âme et le corps.

Matthieu 10, 29 Ne vend-on pas deux passereaux pour un as? Et pas un d'entre eux ne tombera au sol à l'insu de votre Père!

Matthieu 10, 30 Et vous donc! vos cheveux même sont tous comptés!

Matthieu 10, 31 Soyez donc sans crainte; vous valez mieux, vous, qu'une multitude de passereaux.

Matthieu 10, 32 "Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est dans les cieux;

Matthieu 10, 33 mais celui qui m'aura renié devant les hommes, à mon tour je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux.

Matthieu 10, 34 "N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive.

Matthieu 10, 35 Car je suis venu opposer l'homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère:

Matthieu 10, 36 on aura pour ennemis les gens de sa famille.

Matthieu 10, 37 "Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi.

Matthieu 10, 38 Qui ne prend pas sa croix et ne suit pas derrière moi n'est pas digne de moi.

Matthieu 10, 39 Qui aura trouvé sa vie la perdra et qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera.

Matthieu 10, 40 "Qui vous accueille m'accueille, et qui m'accueille accueille Celui qui m'a envoyé.

Matthieu 10, 41 "Qui accueille un prophète en tant que prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en tant que juste recevra une récompense de juste.

Matthieu 10, 42 "Quiconque donnera à boire à l'un de ces petits rien qu'un verre d'eau fraîche, en tant qu'il est un disciple, en vérité je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense."

Matthieu 11, 1 Et il advint, quand Jésus eut achevé de donner ces consignes à ses douze disciples, qu'il partit de là pour enseigner et prêcher dans leurs villes.

Matthieu 11, 2 Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des oeuvres du Christ. Il lui envoya de ses disciples pour lui dire:

Matthieu 11, 3 "Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre?"

Matthieu 11, 4 Jésus leur répondit: "Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez:

Matthieu 11, 5 les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres;

Matthieu 11, 6 et heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi!"

Matthieu 11, 7 Tandis que ceux-là s'en allaient, Jésus se mit à dire aux foules au sujet de Jean: "Qu'êtes-vous allés contempler au désert? Un roseau agité par le vent?

Matthieu 11, 8 Alors qu'êtes-vous allés voir? Un homme vêtu de façon délicate? Mais ceux qui portent des habits délicats se trouvent dans les demeures des rois.

Matthieu 11, 9 Alors qu'êtes-vous allés faire? Voir un prophète? Oui, je vous le dis, et plus qu'un prophète.

Matthieu 11, 10 C'est celui dont il est écrit: Voici que moi j'envoie mon messager en avant de toi pour préparer ta route devant toi.

Matthieu 11, 11 "En vérité je vous le dis, parmi les enfants des femmes, il n'en a pas surgi de plus grand que Jean le Baptiste; et cependant le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui.

Matthieu 11, 12 Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu'à présent le Royaume des Cieux souffre violence, et des violents s'en emparent.

Matthieu 11, 13 Tous les prophètes en effet, ainsi que la Loi, ont mené leurs prophéties jusqu'à Jean.

Matthieu 11, 14 Et lui, si vous voulez m'en croire, il est cet Elie qui doit revenir.

Matthieu 11, 15 Que celui qui a des oreilles entende!

Matthieu 11, 16 "Mais à qui vais-je comparer cette génération? Elle ressemble à des gamins qui, assis sur les places, en interpellent d'autres,

Matthieu 11, 17 en disant: Nous vous avons joué de la flûte, et vous n'avez pas dansé! Nous avons entonné un chant funèbre, et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine!

Matthieu 11, 18 Jean vient en effet, ne mangeant ni ne buvant, et l'on dit: Il est possédé!

Matthieu 11, 19 Vient le Fils de l'homme, mangeant et buvant, et l'on dit: Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs! Et justice a été rendue à la Sagesse par ses oeuvres."

Matthieu 11, 20 Alors il se mit à invectiver contre les villes qui avaient vu ses plus nombreux miracles mais n'avaient pas fait pénitence.

Matthieu 11, 21 "Malheur à toi, Chorazeïn! Malheur à toi, Bethsaïde! Car si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que, sous le sac et dans la cendre, elles se seraient repenties.

Matthieu 11, 22 Aussi bien, je vous le dis, pour Tyr et Sidon, au Jour du Jugement, il y aura moins de rigueur que pour vous.

Matthieu 11, 23 Et toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jusqu'au ciel? Jusqu'à l'Hadès tu descendras. Car si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle subsisterait encore aujourd'hui.

Matthieu 11, 24 Aussi bien, je vous le dis, pour le pays de Sodome il y aura moins de rigueur, au Jour du Jugement, que pour toi."

Matthieu 11, 25 En ce temps-là Jésus prit la parole et dit: "Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits.

Matthieu 11, 26 Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir.

Matthieu 11, 27 Tout m'a été remis par mon Père, et nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler.

Matthieu 11, 28 "Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai.

Matthieu 11, 29 Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes.

Matthieu 11, 30 Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger."

Matthieu 12, 1 En ce temps-là Jésus vint à passer, un jour de sabbat, à travers les moissons. Ses disciples eurent faim et se mirent à arracher des épis et à les manger.

Matthieu 12, 2 Ce que voyant, les Pharisiens lui dirent: "Voilà tes disciples qui font ce qu'il n'est pas permis de faire pendant le sabbat!"

Matthieu 12, 3 Mais il leur dit: "N'avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu'il eut faim, lui et ses compagnons?

Matthieu 12, 4 Comment il entra dans la demeure de Dieu et comment ils mangèrent les pains d'oblation, qu'il ne lui était pas permis de manger, ni à ses compagnons, mais aux prêtres seuls?

Matthieu 12, 5 Ou n'avez-vous pas lu dans la Loi que, le jour du sabbat, les prêtres dans le Temple violent le sabbat sans être en faute?

Matthieu 12, 6 Or, je vous le dis, il y a ici plus grand que le Temple.

Matthieu 12, 7 Et si vous aviez compris ce que signifie: C'est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice, vous n'auriez pas condamné des gens qui sont sans faute.

Matthieu 12, 8 Car le Fils de l'homme est maître du sabbat."

Matthieu 12, 9 Parti de là, il vint dans leur synagogue.

Matthieu 12, 10 Et voici un homme qui avait une main sèche, et ils lui posèrent cette question: "Est-il permis de guérir, le jour du sabbat?" afin de l'accuser.

Matthieu 12, 11 Mais il leur dit: "Quel sera d'entre vous l'homme qui aura une seule brebis, et si elle tombe dans un trou, le jour du sabbat, n'ira la prendre et la relever?

Matthieu 12, 12 Or, combien un homme vaut plus qu'une brebis! Par conséquent il est permis de faire une bonne action le jour du sabbat."

Matthieu 12, 13 Alors il dit à l'homme: "Etends ta main." Il l'étendit et elle fut remise en état, saine comme l'autre.

Matthieu 12, 14 Etant sortis, les Pharisiens tinrent conseil contre lui, en vue de le perdre.

Matthieu 12, 15 L'ayant su, Jésus se retira de là. Beaucoup le suivirent et il les guérit tous

Matthieu 12, 16 et il leur enjoignit de ne pas le faire connaître,

Matthieu 12, 17 pour que s'accomplit l'oracle d'Isaïe le prophète:

Matthieu 12, 18 Voici mon serviteur que j'ai choisi, mon Bien-Aimé qui a toute ma faveur. Je placerai sur lui mon Esprit et il annoncera le Droit aux nations.

Matthieu 12, 19 Il ne fera point de querelles ni de cris et nul n'entendra sa voix sur les grands chemins.

Matthieu 12, 20 Le roseau froissé, il ne le brisera pas, et la mèche fumante, il ne l'éteindra pas, jusqu'à ce qu'il ait mené le Droit au triomphe:

Matthieu 12, 21 en son nom les nations mettront leur espérance.

Matthieu 12, 22 Alors on lui présenta un démoniaque aveugle et muet; et il le guérit, si bien que le muet pouvait parler et voir.

Matthieu 12, 23 Frappées de stupeur, toutes les foules disaient: "Celui-là n'est-il pas le Fils de David?"

Matthieu 12, 24 Mais les Pharisiens, entendant cela, dirent: "Celui-là n'expulse les démons que par Béelzéboul, le prince des démons."

Matthieu 12, 25 Connaissant leurs sentiments, il leur dit: "Tout royaume divisé contre lui-même court à la ruine; et nulle ville, nulle maison, divisée contre elle-même, ne saurait se maintenir.

Matthieu 12, 26 Or, si Satan expulse Satan, il s'est divisé contre lui-même: dès lors, comment son royaume se maintiendra-t-il?

Matthieu 12, 27 Et si moi, c'est par Béelzéboul que j'expulse les démons, par qui vos adeptes les expulsent-ils? Aussi seront-ils eux-mêmes vos juges.

Matthieu 12, 28 Mais si c'est par l'Esprit de Dieu que j'expulse les démons, c'est donc que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu'à vous.

Matthieu 12, 29 "Ou encore, comment quelqu'un peut-il pénétrer dans la maison d'un homme fort et s'emparer de ses affaires, s'il n'a d'abord ligoté cet homme fort? Et alors il pillera sa maison.

Matthieu 12, 30 "Qui n'est pas avec moi est contre moi, et qui n'amasse pas avec moi dissipe.

Matthieu 12, 31 Aussi je vous le dis, tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera pas remis.

Matthieu 12, 32 Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l'homme, cela lui sera remis; mais quiconque aura parlé contre l'Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni dans l'autre.

Matthieu 12, 33 "Prenez un arbre bon: son fruit sera bon; prenez un arbre gâté: son fruit sera gâté. Car c'est au fruit qu'on reconnaît l'arbre.

Matthieu 12, 34 Engeance de vipères, comment pourriez-vous tenir un bon langage, alors que vous êtes mauvais? Car c'est du trop-plein du coeur que la bouche parle.

Matthieu 12, 35 L'homme bon, de son bon trésor tire de bonnes choses; et l'homme mauvais, de son mauvais trésor en tire de mauvaises.

Matthieu 12, 36 Or je vous le dis: de toute parole sans fondement que les hommes auront proférée, ils rendront compte au Jour du Jugement.

Matthieu 12, 37 Car c'est d'après tes paroles que tu seras justifié et c'est d'après tes paroles que tu seras condamné."

Matthieu 12, 38 Alors quelques-uns des scribes et des Pharisiens prirent la parole et lui dirent: "Maître, nous désirons que tu nous fasses voir un signe."

Matthieu 12, 39 Il leur répondit: "Génération mauvaise et adultère! elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe du prophète Jonas.

Matthieu 12, 40 De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits.

Matthieu 12, 41 Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas!

Matthieu 12, 42 La reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec cette génération et elle la condamnera, car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon!

Matthieu 12, 43 Lorsque l'esprit impur est sorti de l'homme, il erre par des lieux arides en quête de repos, et il n'en trouve pas.

Matthieu 12, 44 Alors il dit: Je vais retourner dans ma demeure, d'où je suis sorti. Etant venu, il la trouve libre, balayée, bien en ordre.

Matthieu 12, 45 Alors il s'en va prendre avec lui sept autres esprits plus mauvais que lui; ils reviennent et y habitent. Et l'état final de cet homme devient pire que le premier. Ainsi en sera-t-il également de cette génération mauvaise."

Matthieu 12, 46 Comme il parlait encore aux foules, voici que sa mère et ses frères se tenaient dehors, cherchant à lui parler.

Matthieu 12, 48 A celui qui l'en informait Jésus répondit: "Qui est ma mère et qui sont mes frères?"

Matthieu 12, 49 Et tendant sa main vers ses disciples, il dit: "Voici ma mère et mes frères.

Matthieu 12, 50 Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m'est un frère et une soeur et une mère."

Matthieu 13, 1 En ce jour-là, Jésus sortit de la maison et s'assit au bord de la mer.

Matthieu 13, 2 Et des foules nombreuses s'assemblèrent auprès de lui, si bien qu'il monta dans une barque et s'assit; et toute la foule se tenait sur le rivage.

Matthieu 13, 3 Et il leur parla de beaucoup de choses en paraboles. Il disait: "Voici que le semeur est sorti pour semer.

Matthieu 13, 4 Et comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger.

Matthieu 13, 5 D'autres sont tombés sur les endroits rocheux où ils n'avaient pas beaucoup de terre, et aussitôt ils ont levé, parce qu'ils n'avaient pas de profondeur de terre;

Matthieu 13, 6 mais une fois le soleil levé, ils ont été brûlés et, faute de racine, se sont desséchés.

Matthieu 13, 7 D'autres sont tombés sur les épines, et les épines ont monté et les ont étouffés.

Matthieu 13, 8 D'autres sont tombés sur la bonne terre et ont donné du fruit, l'un cent, l'autre 60, l'autre 30.

Matthieu 13, 9 Entende qui a des oreilles!"

Matthieu 13, 10 Les disciples s'approchant lui dirent: "Pourquoi leur parles-tu en paraboles" --

Matthieu 13, 11 "C'est que, répondit-il, à vous il a été donné de connaître les mystères du Royaume des Cieux, tandis qu'à ces gens-là cela n'a pas été donné.

Matthieu 13, 12 Car celui qui a, on lui donnera et il aura du surplus, mais celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera enlevé.

Matthieu 13, 13 C'est pour cela que je leur parle en paraboles: parce qu'ils voient sans voir et entendent sans entendre ni comprendre.

Matthieu 13, 14 Ainsi s'accomplit pour eux la prophétie d'Isaïe qui disait: Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas; vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.

Matthieu 13, 15 C'est que l'esprit de ce peuple s'est épaissi: ils se sont bouché les oreilles, ils ont fermé les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n'entendent, que leur esprit ne comprenne, qu'ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse.

Matthieu 13, 16 "Quant à vous, heureux vos yeux parce qu'ils voient; heureuses vos oreilles parce qu'elles entendent.

Matthieu 13, 17 En vérité je vous le dis, beaucoup de prophètes et de justes ont souhaité voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu!

Matthieu 13, 18 "Ecoutez donc, vous, la parabole du semeur.

Matthieu 13, 19 Quelqu'un entend-il la Parole du Royaume sans la comprendre, arrive le Mauvais qui s'empare de ce qui a été semé dans le coeur de cet homme: tel est celui qui a été semé au bord du chemin.

Matthieu 13, 20 Celui qui a été semé sur les endroits rocheux, c'est l'homme qui, entendant la Parole, l'accueille aussitôt avec joie;

Matthieu 13, 21 mais il n'a pas de racine en lui-même, il est l'homme d'un moment: survienne une tribulation ou une persécution à cause de la Parole, aussitôt il succombe.

Matthieu 13, 22 Celui qui a été semé dans les épines, c'est celui qui entend la Parole, mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent cette Parole, qui demeure sans fruit.

Matthieu 13, 23 Et celui qui a été semé dans la bonne terre, c'est celui qui entend la Parole et la comprend: celui-là porte du fruit et produit tantôt cent, tantôt 60, tantôt 30."

Matthieu 13, 24 Il leur proposa une autre parabole: "Il en va du Royaume des Cieux comme d'un homme qui a semé du bon grain dans son champ.

Matthieu 13, 25 Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi est venu, il a semé à son tour de l'ivraie, au beau milieu du blé, et il s'en est allé.

Matthieu 13, 26 Quand le blé est monté en herbe, puis en épis, alors l'ivraie est apparue aussi.

Matthieu 13, 27 S'approchant, les serviteurs du propriétaire lui dirent: Maître, n'est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ? D'où vient donc qu'il s'y trouve de l'ivraie?

Matthieu 13, 28 Il leur dit: C'est quelque ennemi qui a fait cela. Les serviteurs lui disent: Veux-tu donc que nous allions la ramasser?

Matthieu 13, 29 Non, dit-il, vous risqueriez, en ramassant l'ivraie, d'arracher en même temps le blé.

Matthieu 13, 30 Laissez l'un et l'autre croître ensemble jusqu'à la moisson; et au moment de la moisson je dirai aux moissonneurs: Ramassez d'abord l'ivraie et liez-la en bottes que l'on fera brûler; quant au blé, recueillez-le dans mon grenier."

Matthieu 13, 31 Il leur proposa une autre parabole: "Le Royaume des Cieux est semblable à un grain de sénevé qu'un homme a pris et semé dans son champ.

Matthieu 13, 32 C'est bien la plus petite de toutes les graines, mais, quand il a poussé, c'est la plus grande des plantes potagères, qui devient même un arbre, au point que les oiseaux du ciel viennent s'abriter dans ses branches."

Matthieu 13, 33 Il leur dit une autre parabole: "Le Royaume des Cieux est semblable à du levain qu'une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine, jusqu'à ce que le tout ait levé."

Matthieu 13, 34 Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans parabole;

Matthieu 13, 35 pour que s'accomplît l'oracle du prophète: J'ouvrirai la bouche pour dire des paraboles, je clamerai des choses cachées depuis la fondation du monde.

Matthieu 13, 36 Alors, laissant les foules, il vint à la maison; et ses disciples s'approchant lui dirent: "Explique-nous la parabole de l'ivraie dans le champ."

Matthieu 13, 37 En réponse il leur dit: "Celui qui sème le bon grain, c'est le Fils de l'homme;

Matthieu 13, 38 le champ, c'est le monde; le bon grain, ce sont les sujets du Royaume; l'ivraie, ce sont les sujets du Mauvais;

Matthieu 13, 39 l'ennemi qui la sème, c'est le Diable; la moisson, c'est la fin du monde; et les moissonneurs, ce sont les anges.

Matthieu 13, 40 De même donc qu'on enlève l'ivraie et qu'on la consume au feu, de même en sera-t-il à la fin du monde:

Matthieu 13, 41 le Fils de l'homme enverra ses anges, qui ramasseront de son Royaume tous les scandales et tous les fauteurs d'iniquité,

Matthieu 13, 42 et les jetteront dans la fournaise ardente: là seront les pleurs et les grincements de dents.

Matthieu 13, 43 Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père. Entende, qui a des oreilles!

Matthieu 13, 44 "Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor qui était caché dans un champ et qu'un homme vient à trouver: il le recache, s'en va ravi de joie vendre tout ce qu'il possède, et achète ce champ.

Matthieu 13, 45 "Le Royaume des Cieux est encore semblable à un négociant en quête de perles fines:

Matthieu 13, 46 en ayant trouvé une de grand prix, il s'en est allé vendre tout ce qu'il possédait et il l'a achetée.

Matthieu 13, 47 "Le Royaume des Cieux est encore semblable à un filet qu'on jette en mer et qui ramène toutes sortes de choses.

Matthieu 13, 48 Quand il est plein, les pêcheurs le tirent sur le rivage, puis ils s'asseyent, recueillent dans des paniers ce qu'il y a de bon, et rejettent ce qui ne vaut rien.

Matthieu 13, 49 Ainsi en sera-t-il à la fin du monde: les anges se présenteront et sépareront les méchants d'entre les justes

Matthieu 13, 50 pour les jeter dans la fournaise ardente: là seront les pleurs et les grincements de dents.

Matthieu 13, 51 "Avez-vous compris tout cela" - "Oui", lui disent-ils.

Matthieu 13, 52 Et il leur dit: "Ainsi donc tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux."

Matthieu 13, 53 Et il advint, quand Jésus eut achevé ces paraboles, qu'il partit de là;

Matthieu 13, 54 et s'étant rendu dans sa patrie, il enseignait les gens dans leur synagogue, de telle façon qu'ils étaient frappés et disaient: "D'où lui viennent cette sagesse et ces miracles?

Matthieu 13, 55 Celui-là n'est-il pas le fils du charpentier? N'a-t-il pas pour mère la nommée Marie, et pour frères Jacques, Joseph, Simon et Jude?

Matthieu 13, 56 Et ses soeurs ne sont-elles pas toutes chez nous? D'où lui vient donc tout cela?"

Matthieu 13, 57 Et ils étaient choqués à son sujet. Mais Jésus leur dit: "Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie et dans sa maison."

Matthieu 13, 58 Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur manque de foi.

Matthieu 14, 1 En ce temps-là, la renommée de Jésus parvint aux oreilles d'Hérode le tétrarque,

Matthieu 14, 2 qui dit à ses serviteurs: "Celui-là est Jean le Baptiste! Le voilà ressuscité des morts: d'où les pouvoirs miraculeux qui se déploient en sa personne!"

Matthieu 14, 3 C'est qu'en effet Hérode avait fait arrêter, enchaîner et emprisonner Jean, à cause d'Hérodiade, la femme de Philippe son frère.

Matthieu 14, 4 Car Jean lui disait: "Il ne t'est pas permis de l'avoir."

Matthieu 14, 5 Il avait même voulu le tuer, mais avait craint la foule, parce qu'on le tenait pour un prophète.

Matthieu 14, 6 Or, comme Hérode célébrait son anniversaire de naissance, la fille d'Hérodiade dansa en public et plut à Hérode

Matthieu 14, 7 au point qu'il s'engagea par serment à lui donner ce qu'elle demanderait.

Matthieu 14, 8 Endoctrinée par sa mère, elle lui dit: "Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean le Baptiste."

Matthieu 14, 9 Le roi fut contristé, mais, à cause de ses serments et des convives, il commanda de la lui donner

Matthieu 14, 10 et envoya décapiter Jean dans la prison.

Matthieu 14, 11 Sa tête fut apportée sur un plat et donnée à la jeune fille, qui la porta à sa mère.

Matthieu 14, 12 Les disciples de Jean vinrent prendre le cadavre et l'enterrèrent; puis ils allèrent informer Jésus.

Matthieu 14, 13 L'ayant appris, Jésus se retira en barque dans un lieu désert, à l'écart; ce qu'apprenant, les foules partirent à sa suite, venant à pied des villes.

Matthieu 14, 14 En débarquant, il vit une foule nombreuse et il en eut pitié; et il guérit leurs infirmes.

Matthieu 14, 15 Le soir venu, les disciples s'approchèrent et lui dirent: "L'endroit est désert et l'heure est déjà passée; renvoie donc les foules afin qu'elles aillent dans les villages s'acheter de la nourriture."

Matthieu 14, 16 Mais Jésus leur dit: "Il n'est pas besoin qu'elles y aillent; donnez-leur vous-mêmes à manger" --

Matthieu 14, 17 "Mais, lui disent-ils, nous n'avons ici que cinq pains et deux poissons." Il dit:

Matthieu 14, 18 "Apportez-les moi ici."

Matthieu 14, 19 Et, ayant donné l'ordre de faire étendre les foules sur l'herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux au ciel, bénit, puis, rompant les pains, il les donna aux disciples, qui les donnèrent aux foules.

Matthieu 14, 20 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l'on emporta le reste des morceaux: douze pleins couffins!

Matthieu 14, 21 Or ceux qui mangèrent étaient environ 5.000 hommes, sans compter les femmes et les enfants.

Matthieu 14, 22 Et aussitôt il obligea les disciples à monter dans la barque et à le devancer sur l'autre rive, pendant qu'il renverrait les foules.

Matthieu 14, 23 Et quand il eut renvoyé les foules, il gravit la montagne, à l'écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul.

Matthieu 14, 24 La barque, elle, se trouvait déjà éloignée de la terre de plusieurs stades, harcelée par les vagues, car le vent était contraire.

Matthieu 14, 25 A la quatrième veille de la nuit, il vint vers eux en marchant sur la mer.

Matthieu 14, 26 Les disciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés: "C'est un fantôme", disaient-ils, et pris de peur ils se mirent à crier.

Matthieu 14, 27 Mais aussitôt Jésus leur parla en disant: "Ayez confiance, c'est moi, soyez sans crainte."

Matthieu 14, 28 Sur quoi, Pierre lui répondit: "Seigneur, si c'est bien toi, donne-moi l'ordre de venir à toi sur les eaux" --

Matthieu 14, 29 "Viens", dit Jésus. Et Pierre, descendant de la barque, se mit à marcher sur les eaux et vint vers Jésus.

Matthieu 14, 30 Mais, voyant le vent, il prit peur et, commençant à couler, il s'écria: "Seigneur, sauve-moi!"

Matthieu 14, 31 Aussitôt Jésus tendit la main et le saisit, en lui disant: "Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?"

Matthieu 14, 32 Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba.

Matthieu 14, 33 Ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, en disant: "Vraiment, tu es Fils de Dieu!"

Matthieu 14, 34 Ayant achevé la traversée, ils touchèrent terre à Gennésaret.

Matthieu 14, 35 Les gens de l'endroit, l'ayant reconnu, mandèrent la nouvelle à tout le voisinage, et on lui présenta tous les malades:

Matthieu 14, 36 on le priait de les laisser simplement toucher la frange de son manteau, et tous ceux qui touchèrent furent sauvés.

Matthieu 15, 1 Alors des Pharisiens et des scribes de Jérusalem s'approchent de Jésus et lui disent:

Matthieu 15, 2 "Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens? En effet, ils ne se lavent pas les mains au moment de prendre leur repas" --

Matthieu 15, 3 "Et vous, répliqua-t-il, pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu au nom de votre tradition?

Matthieu 15, 4 En effet, Dieu a dit: Honore ton père et ta mère, et Que celui qui maudit son père ou sa mère soit puni de mort.

Matthieu 15, 5 Mais vous, vous dites: Quiconque dira à son père ou à sa mère: "Les biens dont j'aurais pu t'assister, je les consacre",

Matthieu 15, 6 celui-là sera quitte de ses devoirs envers son père ou sa mère. Et vous avez annulé la parole de Dieu au nom de votre tradition.

Matthieu 15, 7 Hypocrites! Isaïe a bien prophétisé de vous, quand il a dit:

Matthieu 15, 8 Ce peuple m'honore des lèvres, mais leur coeur est loin de moi.

Matthieu 15, 9 Vain est le culte qu'ils me rendent: les doctrines qu'ils enseignent ne sont que préceptes humains."

Matthieu 15, 10 Et ayant appelé la foule près de lui, il leur dit: "Ecoutez et comprenez!

Matthieu 15, 11 Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme; mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui souille l'homme."

Matthieu 15, 12 Alors s'approchant les disciples lui disent: "Sais-tu que les Pharisiens se sont choqués de t'entendre parler ainsi?"

Matthieu 15, 13 Il répondit: "Tout plant que n'a point planté mon Père céleste sera arraché.

Matthieu 15, 14 Laissez-les: ce sont des aveugles qui guident des aveugles! Or si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou."

Matthieu 15, 15 Pierre, prenant la parole, lui dit: "Explique-nous la parabole."

Matthieu 15, 16 Il dit: "Vous aussi, maintenant encore, vous êtes sans intelligence?

Matthieu 15, 17 Ne comprenez-vous pas que tout ce qui pénètre dans la bouche passe dans le ventre, puis s'évacue aux lieux d'aisance,

Matthieu 15, 18 tandis que ce qui sort de la bouche procède du coeur, et c'est cela qui souille l'homme?

Matthieu 15, 19 Du coeur en effet procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations.

Matthieu 15, 20 Voilà les choses qui souillent l'homme; mais manger sans s'être lavé les mains, cela ne souille pas l'homme."

Matthieu 15, 21 En sortant de là, Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon.

Matthieu 15, 22 Et voici qu'une femme cananéenne, étant sortie de ce territoire, criait en disant: "Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David: ma fille est fort malmenée par un démon."

Matthieu 15, 23 Mais il ne lui répondit pas un mot. Ses disciples, s'approchant, le priaient: "Fais-lui grâce, car elle nous poursuit de ses cris."

Matthieu 15, 24 A quoi il répondit: "Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël."

Matthieu 15, 25 Mais la femme était arrivée et se tenait prosternée devant lui en disant: "Seigneur, viens à mon secours!"

Matthieu 15, 26 Il lui répondit: "Il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens" --

Matthieu 15, 27 "Oui, Seigneur! dit-elle, et justement les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres!"

Matthieu 15, 28 Alors Jésus lui répondit: "O femme, grande est ta foi! Qu'il t'advienne selon ton désir!" Et de ce moment sa fille fut guérie.

Matthieu 15, 29 Etant parti de là, Jésus vint au bord de la mer de Galilée. Il gravit la montagne, et là il s'assit.

Matthieu 15, 30 Et des foules nombreuses s'approchèrent de lui, ayant avec elles des boiteux, des estropiés, des aveugles, des muets et bien d'autres encore, qu'ils déposèrent à ses pieds; et il les guérit.

Matthieu 15, 31 Et les foules de s'émerveiller en voyant ces muets qui parlaient, ces estropiés qui redevenaient valides, ces boiteux qui marchaient et ces aveugles qui recouvraient la vue; et ils rendirent gloire au Dieu d'Israël.

Matthieu 15, 32 Jésus, cependant, appela à lui ses disciples et leur dit: "J'ai pitié de la foule, car voilà déjà trois jours qu'ils restent auprès de moi et ils n'ont pas de quoi manger. Les renvoyer à jeun, je ne le veux pas: ils pourraient défaillir en route."

Matthieu 15, 33 Les disciples lui disent: "Où prendrons-nous, dans un désert, assez de pains pour rassasier une telle foule?"

Matthieu 15, 34 Jésus leur dit: "Combien de pains avez-vous" - "Sept, dirent-ils, et quelques petits poissons."

Matthieu 15, 35 Alors il ordonna à la foule de s'étendre à terre;

Matthieu 15, 36 puis il prit les sept pains et les poissons, rendit grâces, les rompit et il les donnait à ses disciples, qui les donnaient à la foule.

Matthieu 15, 37 Tous mangèrent et furent rassasiés, et des morceaux qui restaient on ramassa sept pleines corbeilles!

Matthieu 15, 38 Or ceux qui mangèrent étaient 4.000 hommes, sans compter les femmes et les enfants.

Matthieu 15, 39 Après avoir renvoyé les foules, Jésus monta dans la barque et s'en vint dans le territoire de Magadan.

Matthieu 16, 1 Les Pharisiens et les Sadducéens s'approchèrent alors et lui demandèrent, pour le mettre à l'épreuve, de leur faire voir un signe venant du ciel.

Matthieu 16, 2 Il leur répondit: "Au crépuscule vous dites: Il va faire beau temps, car le ciel est rouge feu;

Matthieu 16, 3 et à l'aurore: Mauvais temps aujourd'hui, car le ciel est d'un rouge sombre. Ainsi, le visage du ciel vous savez l'interpréter, et pour les signes des temps vous n'en êtes pas capables!

Matthieu 16, 4 Génération mauvaise et adultère! elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe de Jonas." Et les laissant, il s'en alla.

Matthieu 16, 5 Comme ils passaient sur l'autre rive, les disciples avaient oublié de prendre des pains.

Matthieu 16, 6 Or Jésus leur dit: "Ouvrez l'oeil et méfiez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens!"

Matthieu 16, 7 Et eux de faire en eux-mêmes cette réflexion: "C'est que nous n'avons pas pris de pains."

Matthieu 16, 8 Le sachant, Jésus dit: "Gens de peu de foi, pourquoi faire en vous-mêmes cette réflexion, que vous n'avez pas de pains?

Matthieu 16, 9 Vous ne comprenez pas encore? Vous ne vous rappelez pas les cinq pains pour les 5.000 hommes, et le nombre de couffins que vous en avez retirés?

Matthieu 16, 10 Ni les sept pains pour les 4.000 hommes, et le nombre de corbeilles que vous en avez retirées?

Matthieu 16, 11 Comment ne comprenez-vous pas que ma parole ne visait pas des pains? Méfiez-vous, dis-je, du levain des Pharisiens et des Sadducéens!"

Matthieu 16, 12 Alors ils comprirent qu'il avait dit de se méfier, non du levain dont on fait le pain, mais de l'enseignement des Pharisiens et des Sadducéens.

Matthieu 16, 13 Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus posa à ses disciples cette question: "Au dire des gens, qu'est le Fils de l'homme?"

Matthieu 16, 14 Ils dirent: "Pour les uns, Jean le Baptiste; pour d'autres, Elie; pour d'autres encore, Jérémie ou quelqu'un des prophètes" --

Matthieu 16, 15 "Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je?"

Matthieu 16, 16 Simon-Pierre répondit: "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant."

Matthieu 16, 17 En réponse, Jésus lui dit: "Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux.

Matthieu 16, 18 Eh bien! moi je te dis: Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle.

Matthieu 16, 19 Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux: quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié."

Matthieu 16, 20 Alors il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu'il était le Christ.

Matthieu 16, 21 A dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter.

Matthieu 16, 22 Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner en disant: "Dieu t'en préserve, Seigneur! Non, cela ne t'arrivera point!"

Matthieu 16, 23 Mais lui, se retournant, dit à Pierre: "Passe derrière moi, Satan! tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes!"

Matthieu 16, 24 Alors Jésus dit à ses disciples: "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive.

Matthieu 16, 25 Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera.

Matthieu 16, 26 Que servira-t-il donc à l'homme de gagner le monde entier, s'il ruine sa propre vie? Ou que pourra donner l'homme en échange de sa propre vie?

Matthieu 16, 27 "C'est qu'en effet le Fils de l'homme doit venir dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon sa conduite.

Matthieu 16, 28 En vérité je vous le dis: il en est d'ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d'avoir vu le Fils de l'homme venant avec son Royaume.

Matthieu 17, 1 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques, et Jean son frère, et les emmène, à l'écart, sur une haute montagne.

Matthieu 17, 2 Et il fut transfiguré devant eux: son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière.

Matthieu 17, 3 Et voici que leur apparurent Moïse et Elie, qui s'entretenaient avec lui.

Matthieu 17, 4 Pierre alors, prenant la parole, dit à Jésus: "Seigneur, il est heureux que nous soyons ici; si tu le veux, je vais faire ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie."

Matthieu 17, 5 Comme il parlait encore, voici qu'une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et voici qu'une voix disait de la nuée: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le."

Matthieu 17, 6 A cette voix, les disciples tombèrent sur leurs faces, tout effrayés.

Matthieu 17, 7 Mais Jésus, s'approchant, les toucha et leur dit: "Relevez-vous, et n'ayez pas peur."

Matthieu 17, 8 Et eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul.

Matthieu 17, 9 Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre: "Ne parlez à personne de cette vision, avant que le Fils de l'homme ne ressuscite d'entre les morts."

Matthieu 17, 10 Et les disciples lui posèrent cette question: "Que disent donc les scribes, qu'Elie doit venir d'abord?"

Matthieu 17, 11 Il répondit: "Oui, Elie doit venir et tout remettre en ordre;

Matthieu 17, 12 or, je vous le dis, Elie est déjà venu, et ils ne l'ont pas reconnu, mais l'ont traité à leur guise. De même le Fils de l'homme aura lui aussi à souffrir d'eux."

Matthieu 17, 13 Alors les disciples comprirent que ses paroles visaient Jean le Baptiste.

Matthieu 17, 14 Comme ils rejoignaient la foule, un homme s'approcha de lui et, s'agenouillant, lui dit:

Matthieu 17, 15 "Seigneur, aie pitié de mon fils, qui est lunatique et va très mal: souvent il tombe dans le feu, et souvent dans l'eau.

Matthieu 17, 16 Je l'ai présenté à tes disciples, et ils n'ont pas pu le guérir" --

Matthieu 17, 17 "Engeance incrédule et pervertie, répondit Jésus, jusques à quand serai-je avec vous? Jusques à quand ai-je à vous supporter? Apportez-le-moi ici."

Matthieu 17, 18 Et Jésus le menaça, et le démon sortit de l'enfant qui, de ce moment, fut guéri.

Matthieu 17, 19 Alors les disciples, s'approchant de Jésus, dans le privé, lui demandèrent: "Pourquoi nous autres, n'avons-nous pu l'expulser"?

Matthieu 17, 20 "Parce que vous avez peu de foi leur dit-il. Car, je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne: Déplace-toi d'ici à là, et elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible."

Matthieu 17, 22 Comme ils se trouvaient réunis en Galilée, Jésus leur dit: "Le Fils de l'homme va être livré aux mains des hommes,

Matthieu 17, 23 et ils le tueront, et, le troisième jour, il ressuscitera." Et ils en furent tout consternés.

Matthieu 17, 24 Comme ils étaient venus à Capharnaüm, les collecteurs du didrachme s'approchèrent de Pierre et lui dirent: "Est-ce que votre maître ne paie pas le didrachme"?

Matthieu 17, 25 "Mais si", dit-il. Quand il fut arrivé à la maison, Jésus devança ses paroles en lui disant: "Qu'en penses-tu, Simon? Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils taxes ou impôts? De leurs fils ou des étrangers?"

Matthieu 17, 26 Et comme il répondait: "Des étrangers", Jésus lui dit: "Par conséquent, les fils sont exempts.

Matthieu 17, 27 Cependant, pour ne pas les scandaliser, va à la mer, jette l'hameçon, saisis le premier poisson qui montera, et ouvre-lui la bouche: tu y trouveras un statère; prends-le et donne-le leur, pour moi et pour toi."

Matthieu 18, 1 A ce moment les disciples s'approchèrent de Jésus et dirent: "Qui donc est le plus grand dans le Royaume des Cieux?"

Matthieu 18, 2 Il appela à lui un petit enfant, le plaça au milieu d'eux

Matthieu 18, 3 et dit: "En vérité je vous le dis, si vous ne retournez à l'état des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux.

Matthieu 18, 4 Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est le plus grand dans le Royaume des Cieux.

Matthieu 18, 5 "Quiconque accueille un petit enfant tel que lui à cause de mon nom, c'est moi qu'il accueille.

Matthieu 18, 6 Mais si quelqu'un doit scandaliser l'un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d'être englouti en pleine mer.

Matthieu 18, 7 Malheur au monde à cause des scandales! Il est fatal, certes, qu'il arrive des scandales, mais malheur à l'homme par qui le scandale arrive!

Matthieu 18, 8 "Si ta main ou ton pied sont pour toi une occasion de péché, coupe-les et jette-les loin de toi: mieux vaut pour toi entrer dans la Vie manchot ou estropié que d'être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel.

Matthieu 18, 9 Et si ton oeil est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi: mieux vaut pour toi entrer borgne dans la Vie que d'être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu.

Matthieu 18, 10 "Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits: car, je vous le dis, leurs anges aux cieux voient constamment la face de mon Père qui est aux cieux.

Matthieu 18, 12 "A votre avis, si un homme possède cent brebis et qu'une d'elles vienne à s'égarer, ne va-t-il pas laisser les 99 autres sur les montagnes pour s'en aller à la recherche de l'égarée?

Matthieu 18, 13 Et s'il parvient à la retrouver, en vérité je vous le dis, il tire plus de joie d'elle que des 99 qui ne se sont pas égarées.

Matthieu 18, 14 Ainsi on ne veut pas, chez votre Père qui est aux cieux, qu'un seul de ces petits se perde.

Matthieu 18, 15 "Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère.

Matthieu 18, 16 S'il n'écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins.

Matthieu 18, 17 Que s'il refuse de les écouter, dis-le à la communauté. Et s'il refuse d'écouter même la communauté, qu'il soit pour toi comme le païen et le publicain.

Matthieu 18, 18 "En vérité je vous le dis: tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié.

Matthieu 18, 19 "De même, je vous le dis en vérité, si deux d'entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux.

Matthieu 18, 20 Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux."

Matthieu 18, 21 Alors Pierre, s'avançant, lui dit: "Seigneur, combien de fois mon frère pourra-t-il pécher contre moi et devrai-je lui pardonner? Irai-je jusqu'à sept fois?"

Matthieu 18, 22 Jésus lui dit: "Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à 77 fois.

Matthieu 18, 23 "A ce propos, il en va du Royaume des Cieux comme d'un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.

Matthieu 18, 24 L'opération commencée, on lui en amena un qui devait 10.000 talents.

Matthieu 18, 25 Cet homme n'ayant pas de quoi rendre, le maître donna l'ordre de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, et d'éteindre ainsi la dette.

Matthieu 18, 26 Le serviteur alors se jeta à ses pieds et il s'y tenait prosterné en disant: Consens-moi un délai, et je te rendrai tout.

Matthieu 18, 27 Apitoyé, le maître de ce serviteur le relâcha et lui fit remise de sa dette.

Matthieu 18, 28 En sortant, ce serviteur rencontra un de ses compagnons, qui lui devait cent deniers; il le prit à la gorge et le serrait à l'étrangler, en lui disant: Rends tout ce que tu dois.

Matthieu 18, 29 Son compagnon alors se jeta à ses pieds et il le suppliait en disant: Consens-moi un délai, et je te rendrai.

Matthieu 18, 30 Mais l'autre n'y consentit pas; au contraire, il s'en alla le faire jeter en prison, en attendant qu'il eût remboursé son dû.

Matthieu 18, 31 Voyant ce qui s'était passé, ses compagnons en furent navrés, et ils allèrent raconter toute l'affaire à leur maître.

Matthieu 18, 32 Alors celui-ci le fit venir et lui dit: Serviteur méchant, toute cette somme que tu me devais, je t'en ai fait remise, parce que tu m'as supplié;

Matthieu 18, 33 ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon comme moi j'ai eu pitié de toi?

Matthieu 18, 34 Et dans son courroux son maître le livra aux tortionnaires, jusqu'à ce qu'il eût remboursé tout son dû.

Matthieu 18, 35 C'est ainsi que vous traitera aussi mon Père céleste, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du coeur."

Matthieu 19, 1 Et il advint, quand Jésus eut achevé ces discours, qu'il quitta la Galilée et vint dans le territoire de la Judée au-delà du Jourdain.

Matthieu 19, 2 Des foules nombreuses le suivirent, et là il les guérit.

Matthieu 19, 3 Des Pharisiens s'approchèrent de lui et lui dirent, pour le mettre à l'épreuve: "Est-il permis de répudier sa femme pour n'importe quel motif?"

Matthieu 19, 4 Il répondit: "N'avez-vous pas lu que le Créateur, dès l'origine, les fit homme et femme,

Matthieu 19, 5 et qu'il a dit: Ainsi donc l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair?

Matthieu 19, 6 Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien! ce que Dieu a uni, l'homme ne doit point le séparer" --

Matthieu 19, 7 "Pourquoi donc, lui disent-ils, Moïse a-t-il prescrit de donner un acte de divorce quand on répudie" --

Matthieu 19, 8 "C'est, leur dit-il, en raison de votre dureté de coeur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes; mais dès l'origine il n'en fut pas ainsi.

Matthieu 19, 9 Or je vous le dis: quiconque répudie sa femme - pas pour "prostitution" - et en épouse une autre, commet un adultère."

Matthieu 19, 10 Les disciples lui disent: "Si telle est la condition de l'homme envers la femme, il n'est pas expédient de se marier."

Matthieu 19, 11 Il leur dit: "Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là à qui c'est donné.

Matthieu 19, 12 Il y a, en effet, des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l'action des hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des Cieux. Qui peut comprendre, qu'il comprenne!"

Matthieu 19, 13 Alors des petits enfants lui furent présentés, pour qu'il leur imposât les mains en priant; mais les disciples les rabrouèrent.

Matthieu 19, 14 Jésus dit alors: "Laissez les petits enfants et ne les empêchez pas de venir à moi; car c'est à leurs pareils qu'appartient le Royaume des Cieux."

Matthieu 19, 15 Puis il leur imposa les mains et poursuivit sa route.

Matthieu 19, 16 Et voici qu'un homme s'approcha et lui dit: "Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle?"

Matthieu 19, 17 Il lui dit: "Qu'as-tu à m'interroger sur ce qui est bon? Un seul est le Bon. Que si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements" --

Matthieu 19, 18 "Lesquels?" Lui dit-il. Jésus reprit: "Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage,

Matthieu 19, 19 honore ton père et ta mère, et tu aimeras ton prochain comme toi-même" --

Matthieu 19, 20 "Tout cela, lui dit le jeune homme, je l'ai observé; que me manque-t-il encore?"

Matthieu 19, 21 Jésus lui déclara: "Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi."

Matthieu 19, 22 Entendant cette parole, le jeune homme s'en alla contristé, car il avait de grands biens.

Matthieu 19, 23 Jésus dit alors à ses disciples: "En vérité, je vous le dis, il sera difficile à un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux.

Matthieu 19, 24 Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux."

Matthieu 19, 25 Entendant cela, les disciples restèrent tout interdits: "Qui donc peut être sauvé?" Disaient-ils.

Matthieu 19, 26 Fixant son regard, Jésus leur dit: "Pour les hommes c'est impossible, mais pour Dieu tout est possible."

Matthieu 19, 27 Alors, prenant la parole, Pierre lui dit: "Voici que nous, nous avons tout laissé et nous t'avons suivi, quelle sera donc notre part?"

Matthieu 19, 28 Jésus leur dit: "En vérité je vous le dis, à vous qui m'avez suivi: dans la régénération, quand le Fils de l'homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël.

Matthieu 19, 29 Et quiconque aura laissé maisons, frères, soeurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle.

Matthieu 19, 30 "Beaucoup de premiers seront derniers, et de derniers seront premiers."

Matthieu 20, 1 "Car il en va du Royaume des Cieux comme d'un propriétaire qui sortit au point du jour afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne.

Matthieu 20, 2 Il convint avec les ouvriers d'un denier pour la journée et les envoya à sa vigne.

Matthieu 20, 3 Sorti vers la troisième heure, il en vit d'autres qui se tenaient, désoeuvrés, sur la place,

Matthieu 20, 4 et à ceux-là il dit: Allez, vous aussi, à la vigne, et je vous donnerai un salaire équitable.

Matthieu 20, 5 Et ils y allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième heure, puis vers la neuvième heure, il fit de même.

Matthieu 20, 6 Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva d'autres qui se tenaient là et leur dit: Pourquoi restez-vous ici tout le jour sans travailler? --

Matthieu 20, 7 C'est que, lui disent-ils, personne ne nous a embauchés; Il leur dit: Allez, vous aussi, à la vigne.

Matthieu 20, 8 Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant: Appelle les ouvriers et remets à chacun son salaire, en remontant des derniers aux premiers.

Matthieu 20, 9 Ceux de la onzième heure vinrent donc et touchèrent un denier chacun.

Matthieu 20, 10 Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu'ils allaient toucher davantage; mais c'est un denier chacun qu'ils touchèrent, eux aussi.

Matthieu 20, 11 Tout en le recevant, ils murmuraient contre le propriétaire:

Matthieu 20, 12 Ces derniers venus n'ont fait qu'une heure, et tu les as traités comme nous, qui avons porté le fardeau de la journée, avec sa chaleur.

Matthieu 20, 13 Alors il répliqua en disant à l'un d'eux: Mon ami, je ne te lèse en rien: n'est-ce pas d'un denier que nous sommes convenus?

Matthieu 20, 14 Prends ce qui te revient et va-t'en. Il me plaît de donner à ce dernier venu autant qu'à toi:

Matthieu 20, 15 n'ai-je pas le droit de disposer de mes biens comme il me plaît? Ou faut-il que tu sois jaloux parce que je suis bon?

Matthieu 20, 16 Voilà comment les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers."

Matthieu 20, 17 Devant monter à Jérusalem, Jésus prit avec lui les Douze en particulier et leur dit pendant la route:

Matthieu 20, 18 "Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes; ils le condamneront à mort

Matthieu 20, 19 et le livreront aux païens pour être bafoué, flagellé et mis en croix; et le troisième jour, il ressuscitera."

Matthieu 20, 20 Alors la mère des fils de Zébédée s'approcha de lui, avec ses fils, et se prosterna pour lui demander quelque chose.

Matthieu 20, 21 "Que veux-tu?" Lui dit-il. Elle lui dit: "Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l'un à ta droite et l'autre à ta gauche, dans ton Royaume."

Matthieu 20, 22 Jésus répondit: "Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire?" Ils lui disent: "Nous le pouvons" --

Matthieu 20, 23 "Soit, leur dit-il, vous boirez ma coupe; quant à siéger à ma droite et à ma gauche, il ne m'appartient pas d'accorder cela, mais c'est pour ceux à qui mon Père l'a destiné."

Matthieu 20, 24 Les dix autres, qui avaient entendu, s'indignèrent contre les deux frères.

Matthieu 20, 25 Les ayant appelés près de lui, Jésus dit: "Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir.

Matthieu 20, 26 Il n'en doit pas être ainsi parmi vous: au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur,

Matthieu 20, 27 et celui qui voudra être le premier d'entre vous, sera votre esclave.

Matthieu 20, 28 C'est ainsi que le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude."

Matthieu 20, 29 Comme ils sortaient de Jéricho, une foule nombreuse le suivit.

Matthieu 20, 30 Et voici que deux aveugles étaient assis au bord du chemin; quand ils apprirent que Jésus passait, ils s'écrièrent: "Seigneur! aie pitié de nous, fils de David!"

Matthieu 20, 31 La foule les rabroua pour leur imposer silence; mais ils redoublèrent leurs cris: "Seigneur! aie pitié de nous, fils de David!"

Matthieu 20, 32 Jésus, s'arrêtant, les appela et dit: "Que voulez-vous que je fasse pour vous?" Ils lui disent:

Matthieu 20, 33 "Seigneur, que nos yeux s'ouvrent!"

Matthieu 20, 34 Pris de pitié, Jésus leur toucha les yeux et aussitôt ils recouvrèrent la vue. Et ils se mirent à sa suite.

Matthieu 21, 1 Quand ils approchèrent de Jérusalem et arrivèrent en vue de Bethphagé, au mont des Oliviers, alors Jésus envoya deux disciples

Matthieu 21, 2 en leur disant: "Rendez-vous au village qui est en face de vous; et aussitôt vous trouverez, à l'attache, une ânesse avec son ânon près d'elle; détachez-la et amenez-les-moi.

Matthieu 21, 3 Et si quelqu'un vous dit quelque chose, vous direz: Le Seigneur en a besoin, mais aussitôt il les renverra."

Matthieu 21, 4 Ceci advint pour que s'accomplît l'oracle du prophète:

Matthieu 21, 5 Dites à la fille de Sion: Voici que ton Roi vient à toi; modeste, il monte une ânesse, et un ânon, petit d'une bête de somme.

Matthieu 21, 6 Les disciples allèrent donc et, faisant comme leur avait ordonné Jésus,

Matthieu 21, 7 ils amenèrent l'ânesse et l'ânon. Puis ils disposèrent sur eux leurs manteaux et Jésus s'assit dessus.

Matthieu 21, 8 Alors les gens, en très nombreuse foule, étendirent leurs manteaux sur le chemin; d'autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient le chemin.

Matthieu 21, 9 Les foules qui marchaient devant lui et celles qui suivaient criaient: "Hosanna au fils de David! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Hosanna au plus haut des cieux!"

Matthieu 21, 10 Quand il entra dans Jérusalem, toute la ville fut agitée. "Qui est-ce?" Disait-on,

Matthieu 21, 11 et les foules disaient: "C'est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée."

Matthieu 21, 12 Puis Jésus entra dans le Temple et chassa tous les vendeurs et acheteurs qui s'y trouvaient: il culbuta les tables des changeurs, ainsi que les sièges des marchands de colombes.

Matthieu 21, 13 Et il leur dit: "Il est écrit: Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites un repaire de brigands!"

Matthieu 21, 14 Il y eut aussi des aveugles et des boiteux qui s'approchèrent de lui dans le Temple, et il les guérit.

Matthieu 21, 15 Voyant les prodiges qu'il venait d'accomplir et ces enfants qui criaient dans le Temple: "Hosanna au fils de David", les grands prêtres et les scribes furent indignés

Matthieu 21, 16 et ils lui dirent: "Tu entends ce qu'ils disent, ceux-là" - "Parfaitement, leur dit Jésus; n'avez-vous jamais lu ce texte: De la bouche des tout-petits et des nourrissons, tu t'es ménagé une louange?"

Matthieu 21, 17 Et les laissant, il sortit de la ville pour aller à Béthanie, où il passa la nuit.

Matthieu 21, 18 Comme il rentrait en ville de bon matin, il eut faim.

Matthieu 21, 19 Voyant un figuier près du chemin, il s'en approcha, mais n'y trouva rien que des feuilles. Il lui dit alors: "Jamais plus tu ne porteras de fruit!" Et à l'instant même le figuier devint sec.

Matthieu 21, 20 A cette vue, les disciples dirent tout étonnés: "Comment, en un instant, le figuier est-il devenu sec?"

Matthieu 21, 21 Jésus leur répondit: "En vérité je vous le dis, si vous avez une foi qui n'hésite point, non seulement vous ferez ce que je viens de faire au figuier, mais même si vous dites à cette montagne: Soulève-toi et jette-toi dans la mer, cela se fera.

Matthieu 21, 22 Et tout ce que vous demanderez dans une prière pleine de foi, vous l'obtiendrez."

Matthieu 21, 23 Il était entré dans le Temple et il enseignait, quand les grands prêtres et les anciens du peuple s'approchèrent et lui dirent: "Par quelle autorité fais-tu cela? Et qui t'a donné cette autorité?"

Matthieu 21, 24 Jésus leur répondit: "De mon côté, je vais vous poser une question, une seule; si vous m'y répondez, moi aussi je vous dirai par quelle autorité je fais cela.

Matthieu 21, 25 Le baptême de Jean, d'où était-il? Du Ciel ou des hommes?" Mais ils se faisaient en eux-mêmes ce raisonnement: "Si nous disons: Du Ciel', il nous dira: Pourquoi donc n'avez-vous pas cru en lui?

Matthieu 21, 26 Et si nous disons: Des hommes, nous avons à craindre la foule, car tous tiennent Jean pour un prophète."

Matthieu 21, 27 Et ils firent à Jésus cette réponse: "Nous ne savons pas." De son côté il répliqua: "Moi non plus, je ne vous dis pas par quelle autorité je fais cela."

Matthieu 21, 28 "Mais dites-moi votre avis. Un homme avait deux enfants. S'adressant au premier, il dit: Mon enfant, va-t'en aujourd'hui travailler à la vigne. --

Matthieu 21, 29 Je ne veux pas, répondit-il; ensuite pris de remords, il y alla.

Matthieu 21, 30 S'adressant au second, il dit la même chose; l'autre répondit: Entendu, Seigneur, et il n'y alla point.

Matthieu 21, 31 Lequel des deux a fait la volonté du père" - "Le premier", disent-ils. Jésus leur dit: "En vérité je vous le dis, les publicains et les prostituées arrivent avant vous au Royaume de Dieu.

Matthieu 21, 32 En effet, Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n'avez pas cru en lui; les publicains, eux, et les prostituées ont cru en lui; et vous, devant cet exemple, vous n'avez même pas eu un remords tardif qui vous fît croire en lui."

Matthieu 21, 33 "Ecoutez une autre parabole. Un homme était propriétaire, et il planta une vigne; il l'entoura d'une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour; puis il la loua à des vignerons et partit en voyage.

Matthieu 21, 34 Quand approcha le moment des fruits, il envoya ses serviteurs aux vignerons pour en recevoir les fruits.

Matthieu 21, 35 Mais les vignerons se saisirent de ses serviteurs, battirent l'un, tuèrent l'autre, en lapidèrent un troisième.

Matthieu 21, 36 De nouveau il envoya d'autres serviteurs, plus nombreux que les premiers, et ils les traitèrent de même.

Matthieu 21, 37 Finalement il leur envoya son fils, en se disant: Ils respecteront mon fils.

Matthieu 21, 38 Mais les vignerons, en voyant le fils, se dirent par-devers eux: Celui-ci est l'héritier: venez! tuons-le, que nous ayons son héritage.

Matthieu 21, 39 Et, le saisissant, ils le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.

Matthieu 21, 40 Lors donc que viendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons-là?"

Matthieu 21, 41 Ils lui disent: "Il fera misérablement périr ces misérables, et il louera la vigne à d'autres vignerons, qui lui en livreront les fruits en leur temps."

Matthieu 21, 42 Jésus leur dit: "N'avez-vous jamais lu dans les Ecritures: La pierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs c'est elle qui est devenue pierre de faîte; c'est là l'oeuvre du Seigneur et elle est admirable à nos yeux?

Matthieu 21, 43 Aussi, je vous le dis: le Royaume de Dieu vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits."

Matthieu 21, 45 Les grands prêtres et les Pharisiens, en entendant ses paraboles, comprirent bien qu'il les visait.

Matthieu 21, 46 Mais, tout en cherchant à l'arrêter, ils eurent peur des foules, car elles le tenaient pour un prophète.

Matthieu 22, 1 Et Jésus se remit à leur parler en paraboles:

Matthieu 22, 2 "Il en va du Royaume des Cieux comme d'un roi qui fit un festin de noces pour son fils.

Matthieu 22, 3 Il envoya ses serviteurs convier les invités aux noces, mais eux ne voulaient pas venir.

Matthieu 22, 4 De nouveau il envoya d'autres serviteurs avec ces mots: "Dites aux invités: Voici, j'ai apprêté mon banquet, mes taureaux et mes bêtes grasses ont été égorgés, tout est prêt, venez aux noces.

Matthieu 22, 5 Mais eux, n'en ayant cure, s'en allèrent, qui à son champ, qui à son commerce;

Matthieu 22, 6 et les autres, s'emparant des serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.

Matthieu 22, 7 Le roi fut pris de colère et envoya ses troupes qui firent périr ces meurtriers et incendièrent leur ville.

Matthieu 22, 8 Alors il dit à ses serviteurs: La noce est prête, mais les invités n'en étaient pas dignes.

Matthieu 22, 9 Allez donc aux départs des chemins, et conviez aux noces tous ceux que vous pourrez trouver.

Matthieu 22, 10 Ces serviteurs s'en allèrent par les chemins, ramassèrent tous ceux qu'ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noces fut remplie de convives.

Matthieu 22, 11 "Le roi entra alors pour examiner les convives, et il aperçut là un homme qui ne portait pas la tenue de noces.

Matthieu 22, 12 Mon ami, lui dit-il, comment es-tu entré ici sans avoir une tenue de noces? L'autre resta muet.

Matthieu 22, 13 Alors le roi dit aux valets: Jetez-le, pieds et poings liés, dehors, dans les ténèbres: là seront les pleurs et les grincements de dents.

Matthieu 22, 14 Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus.

Matthieu 22, 15 Alors les Pharisiens allèrent se concerter en vue de le surprendre en parole;

Matthieu 22, 16 et ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des Hérodiens, pour lui dire: "Maître, nous savons que tu es véridique et que tu enseignes la voie de Dieu en vérité sans te préoccuper de qui que ce soit, car tu ne regardes pas au rang des personnes.

Matthieu 22, 17 Dis-nous donc ton avis: Est-il permis ou non de payer l'impôt à César?"

Matthieu 22, 18 Mais Jésus, connaissant leur perversité, riposta: "Hypocrites! pourquoi me tendez-vous un piège?

Matthieu 22, 19 Faites-moi voir l'argent de l'impôt." Ils lui présentèrent un denier

Matthieu 22, 20 et il leur dit: "De qui est l'effigie que voici? Et l'inscription?" Ils disent:

Matthieu 22, 21 "De César." Alors il leur dit: "Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu."

Matthieu 22, 22 A ces mots ils furent tout surpris et, le laissant, ils s'en allèrent.

Matthieu 22, 23 Ce jour-là, des Sadducéens, gens qui disent qu'il n'y a pas de résurrection, s'approchèrent de lui et l'interrogèrent en disant:

Matthieu 22, 24 "Maître, Moïse a dit: Si quelqu'un meurt sans avoir d'enfants, son frère épousera la femme, sa belle-soeur, et suscitera une postérité à son frère.

Matthieu 22, 25 Or il y avait chez nous sept frères. Le premier se maria, puis mourut sans postérité, laissant sa femme à son frère.

Matthieu 22, 26 Pareillement le deuxième, puis le troisième, jusqu'au septième.

Matthieu 22, 27 Finalement, après eux tous, la femme mourut.

Matthieu 22, 28 A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle donc la femme? Car tous l'auront eue."

Matthieu 22, 29 Jésus leur répondit: "Vous êtes dans l'erreur, en ne connaissant ni les Ecritures ni la puissance de Dieu.

Matthieu 22, 30 A la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel.

Matthieu 22, 31 Quant à ce qui est de la résurrection des morts, n'avez-vous pas lu l'oracle dans lequel Dieu vous dit:

Matthieu 22, 32 Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob? Ce n'est pas de morts mais de vivants qu'il est le Dieu!"

Matthieu 22, 33 Et les foules, qui avaient entendu, étaient frappées de son enseignement.

Matthieu 22, 34 Apprenant qu'il avait fermé la bouche aux Sadducéens, les Pharisiens se réunirent en groupe,

Matthieu 22, 35 et l'un d'eux lui demanda pour l'embarrasser:

Matthieu 22, 36 "Maître, quel est le plus grand commandement de la Loi?"

Matthieu 22, 37 Jésus lui dit: "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit:

Matthieu 22, 38 voilà le plus grand et le premier commandement.

Matthieu 22, 39 Le second lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Matthieu 22, 40 A ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes."

Matthieu 22, 41 Comme les Pharisiens se trouvaient réunis, Jésus leur posa cette question:

Matthieu 22, 42 "Quelle est votre opinion au sujet du Christ? De qui est-il fils?" Ils lui disent: "De David" --

Matthieu 22, 43 "Comment donc, dit-il, David parlant sous l'inspiration l'appelle-t-il Seigneur quand il dit:

Matthieu 22, 44 Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Siège à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis tes ennemis dessous tes pieds?

Matthieu 22, 45 Si donc David l'appelle Seigneur, comment est-il son fils?"

Matthieu 22, 46 Nul ne fut capable de lui répondre un mot. Et à partir de ce jour personne n'osa plus l'interroger.

Matthieu 23, 1 Alors Jésus s'adressa aux foules et à ses disciples en disant:

Matthieu 23, 2 "Sur la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les Pharisiens:

Matthieu 23, 3 faites donc et observez tout ce qu'ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes: car ils disent et ne font pas.

Matthieu 23, 4 Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt.

Matthieu 23, 5 En tout ils agissent pour se faire remarquer des hommes. C'est ainsi qu'ils font bien larges leurs phylactères et bien longues leurs franges.

Matthieu 23, 6 Ils aiment à occuper le premier divan dans les festins et les premiers sièges dans les synagogues,

Matthieu 23, 7 à recevoir les salutations sur les places publiques et à s'entendre appeler Rabbi par les gens.

Matthieu 23, 8 "Pour vous, ne vous faites pas appeler Rabbi: car vous n'avez qu'un Maître, et tous vous êtes des frères.

Matthieu 23, 9 N'appelez personne votre Père sur la terre: car vous n'en avez qu'un, le Père céleste.

Matthieu 23, 10 Ne vous faites pas non plus appeler Directeurs: car vous n'avez qu'un Directeur, le Christ.

Matthieu 23, 11 Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.

Matthieu 23, 12 Quiconque s'élèvera sera abaissé, et quiconque s'abaissera sera élevé.

Matthieu 23, 13 "Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui fermez aux hommes le Royaume des Cieux! Vous n'entrez certes pas vous-mêmes, et vous ne laissez même pas entrer ceux qui le voudraient.

Matthieu 23, 15 "Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui parcourez mers et continents pour gagner un prosélyte, et, quand vous l'avez gagné, vous le rendez digne de la géhenne deux fois plus que vous!

Matthieu 23, 16 "Malheur à vous, guides aveugles, qui dites: Si l'on jure par le sanctuaire, cela ne compte pas; mais si l'on jure par l'or du sanctuaire, on est tenu.

Matthieu 23, 17 Insensés et aveugles! quel est donc le plus digne, l'or ou le sanctuaire qui a rendu cet or sacré?

Matthieu 23, 18 Vous dites encore: Si l'on jure par l'autel, cela ne compte pas; mais si l'on jure par l'offrande qui est dessus, on est tenu.

Matthieu 23, 19 Aveugles! quel est donc le plus digne, l'offrande ou l'autel qui rend cette offrande sacrée?

Matthieu 23, 20 Aussi bien, jurer par l'autel, c'est jurer par lui et par tout ce qui est dessus;

Matthieu 23, 21 jurer par le sanctuaire, c'est jurer par lui et par Celui qui l'habite;

Matthieu 23, 22 jurer par le ciel, c'est jurer par le trône de Dieu et par Celui qui y siège.

Matthieu 23, 23 "Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la Loi, la justice, la miséricorde et la bonne foi; c'est ceci qu'il fallait pratiquer, sans négliger cela.

Matthieu 23, 24 Guides aveugles, qui arrêtez au filtre le moustique et engloutissez le chameau.

Matthieu 23, 25 "Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui purifiez l'extérieur de la coupe et de l'écuelle, quand l'intérieur en est rempli par rapine et intempérance!

Matthieu 23, 26 Pharisien aveugle! purifie d'abord l'intérieur de la coupe et de l'écuelle, afin que l'extérieur aussi devienne pur.

Matthieu 23, 27 "Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui ressemblez à des sépulcres blanchis: au-dehors ils ont belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d'ossements de morts et de toute pourriture;

Matthieu 23, 28 vous de même, au-dehors vous offrez aux yeux des hommes l'apparence de justes, mais au-dedans vous êtes pleins d'hypocrisie et d'iniquité.

Matthieu 23, 29 "Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui bâtissez les sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes,

Matthieu 23, 30 tout en disant: Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour verser le sang des prophètes.

Matthieu 23, 31 Ainsi, vous en témoignez contre vous-mêmes, vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes!

Matthieu 23, 32 Eh bien! vous, comblez la mesure de vos pères!

Matthieu 23, 33 "Serpents, engeance de vipères! comment pourrez-vous échapper à la condamnation de la géhenne?

Matthieu 23, 34 C'est pourquoi, voici que j'envoie vers vous des prophètes, des sages et des scribes: vous en tuerez et mettrez en croix, vous en flagellerez dans vos synagogues et pourchasserez de ville en ville,

Matthieu 23, 35 pour que retombe sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang de l'innocent Abel jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez assassiné entre le sanctuaire et l'autel!

Matthieu 23, 36 En vérité, je vous le dis, tout cela va retomber sur cette génération!

Matthieu 23, 37 "Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses poussins sous ses ailes... et vous n'avez pas voulu!

Matthieu 23, 38 Voici que votre maison va vous être laissée déserte.

Matthieu 23, 39 Je vous le dis, en effet, désormais vous ne me verrez plus, jusqu'à ce que vous disiez: Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!"

Matthieu 24, 1 Comme Jésus sortait du Temple et s'en allait, ses disciples s'approchèrent pour lui faire voir les constructions du Temple.

Matthieu 24, 2 Mais il leur répondit: "Vous voyez tout cela, n'est-ce pas? En vérité je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit jetée bas."

Matthieu 24, 3 Et, comme il était assis sur le mont des Oliviers, les disciples s'approchèrent de lui, en particulier, et demandèrent: "Dis-nous quand cela aura lieu, et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde."

Matthieu 24, 4 Et Jésus leur répondit: "Prenez garde qu'on ne vous abuse.

Matthieu 24, 5 Car il en viendra beaucoup sous mon nom, qui diront: C'est moi le Christ, et ils abuseront bien des gens.

Matthieu 24, 6 Vous aurez aussi à entendre parler de guerres et de rumeurs de guerres; voyez, ne vous alarmez pas: car il faut que cela arrive, mais ce n'est pas encore la fin.

Matthieu 24, 7 On se dressera, en effet, nation contre nation et royaume contre royaume. Il y aura par endroits des famines et des tremblements de terre.

Matthieu 24, 8 Et tout cela ne fera que commencer les douleurs de l'enfantement.

Matthieu 24, 9 "Alors on vous livrera aux tourments et on vous tuera; vous serez haïs de toutes les nations à cause de mon nom.

Matthieu 24, 10 Et alors beaucoup succomberont; ce seront des trahisons et des haines intestines.

Matthieu 24, 11 Des faux prophètes surgiront nombreux et abuseront bien des gens.

Matthieu 24, 12 Par suite de l'iniquité croissante, l'amour se refroidira chez le grand nombre.

Matthieu 24, 13 Mais celui qui aura tenu bon jusqu'au bout, celui-là sera sauvé.

Matthieu 24, 14 "Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier, en témoignage à la face de toutes les nations. Et alors viendra la fin.

Matthieu 24, 15 "Lors donc que vous verrez l'abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel, installée dans le saint lieu (que le lecteur comprenne!)

Matthieu 24, 16 alors que ceux qui seront en Judée s'enfuient dans les montagnes,

Matthieu 24, 17 que celui qui sera sur la terrasse ne descende pas dans sa maison pour prendre ses affaires,

Matthieu 24, 18 et que celui qui sera aux champs ne retourne pas en arrière pour prendre son manteau!

Matthieu 24, 19 Malheur à celles qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là!

Matthieu 24, 20 Priez pour que votre fuite ne tombe pas en hiver, ni un sabbat.

Matthieu 24, 21 Car il y aura alors une grande tribulation, telle qu'il n'y en a pas eu depuis le commencement du monde jusqu'à ce jour, et qu'il n'y en aura jamais plus.

Matthieu 24, 22 Et si ces jours-là n'avaient été abrégés, nul n'aurait eu la vie sauve; mais à cause des élus, ils seront abrégés, ces jours-là.

Matthieu 24, 23 "Alors si quelqu'un vous dit: Voici: le Christ est ici! ou bien: Il est là!, n'en croyez rien.

Matthieu 24, 24 Il surgira, en effet, des faux Christs et des faux prophètes, qui produiront de grands signes et des prodiges, au point d'abuser, s'il était possible, même les élus.

Matthieu 24, 25 Voici que je vous ai prévenus.

Matthieu 24, 26 "Si donc on vous dit: Le voici au désert, n'y allez pas; Le voici dans les retraites, n'en croyez rien.

Matthieu 24, 27 Comme l'éclair, en effet, part du levant et brille jusqu'au couchant, ainsi en sera-t-il de l'avènement du Fils de l'homme.

Matthieu 24, 28 Où que soit le cadavre, là se rassembleront les vautours.

Matthieu 24, 29 "Aussitôt après la tribulation de ces jours-là, le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées.

Matthieu 24, 30 Et alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l'homme; et alors toutes les races de la terre se frapperont la poitrine; et l'on verra le Fils de l'homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire.

Matthieu 24, 31 Et il enverra ses anges avec une trompette sonore, pour rassembler ses élus des quatre vents, des extrémités des cieux à leurs extrémités.

Matthieu 24, 32 "Du figuier apprenez cette parabole. Dès que sa ramure devient flexible et que ses feuilles poussent, vous comprenez que l'été est proche.

Matthieu 24, 33 Ainsi vous, lorsque vous verrez tout cela, comprenez qu'Il est proche, aux portes.

Matthieu 24, 34 En vérité je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé.

Matthieu 24, 35 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point.

Matthieu 24, 36 Quant à la date de ce jour, et à l'heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne que le Père, seul.

Matthieu 24, 37 "Comme les jours de Noé, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme.

Matthieu 24, 38 En ces jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche,

Matthieu 24, 39 et les gens ne se doutèrent de rien jusqu'à l'arrivée du déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme.

Matthieu 24, 40 Alors deux hommes seront aux champs: l'un est pris, l'autre laissé;

Matthieu 24, 41 deux femmes en train de moudre: l'une est prise, l'autre laissée.

Matthieu 24, 42 "Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir votre Maître.

Matthieu 24, 43 Comprenez-le bien: si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur devait venir, il aurait veillé et n'aurait pas permis qu'on perçât le mur de sa demeure.

Matthieu 24, 44 Ainsi donc, vous aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ne pensez pas que le Fils de l'homme va venir.

Matthieu 24, 45 "Quel est donc le serviteur fidèle et avisé que le maître a établi sur les gens de sa maison pour leur donner la nourriture en temps voulu?

Matthieu 24, 46 Heureux ce serviteur que son maître en arrivant trouvera occupé de la sorte!

Matthieu 24, 47 En vérité je vous le dis, il l'établira sur tous ses biens.

Matthieu 24, 48 Mais si ce mauvais serviteur dit en son coeur: Mon maître tarde.

Matthieu 24, 49 Et qu'il se mette à frapper ses compagnons, à manger et à boire en compagnie des ivrognes,

Matthieu 24, 50 le maître de ce serviteur arrivera au jour qu'il n'attend pas et à l'heure qu'il ne connaît pas;

Matthieu 24, 51 il le retranchera et lui assignera sa part parmi les hypocrites: là seront les pleurs et les grincements de dents.

Matthieu 25, 1 "Alors il en sera du Royaume des Cieux comme de dix vierges qui s'en allèrent, munies de leurs lampes, à la rencontre de l'époux.

Matthieu 25, 2 Or cinq d'entre elles étaient sottes et cinq étaient sensées.

Matthieu 25, 3 Les sottes, en effet, prirent leurs lampes, mais sans se munir d'huile;

Matthieu 25, 4 tandis que les sensées, en même temps que leurs lampes, prirent de l'huile dans les fioles.

Matthieu 25, 5 Comme l'époux se faisait attendre, elles s'assoupirent toutes et s'endormirent.

Matthieu 25, 6 Mais à minuit un cri retentit: Voici l'époux! sortez à sa rencontre!

Matthieu 25, 7 Alors toutes ces vierges se réveillèrent et apprêtèrent leurs lampes.

Matthieu 25, 8 Et les sottes de dire aux sensées: Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent.

Matthieu 25, 9 Mais celles-ci leur répondirent: Il n'y en aurait sans doute pas assez pour nous et pour vous; allez plutôt chez les marchands et achetez-en pour vous.

Matthieu 25, 10 Elles étaient parties en acheter quand arriva l'époux: celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte se referma.

Matthieu 25, 11 Finalement les autres vierges arrivèrent aussi et dirent: Seigneur, Seigneur, ouvre-nous!

Matthieu 25, 12 Mais il répondit: En vérité je vous le dis, je ne vous connais pas!

Matthieu 25, 13 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure.

Matthieu 25, 14 "C'est comme un homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur remit sa fortune.

Matthieu 25, 15 A l'un il donna cinq talents, deux à un autre, un seul à un troisième, à chacun selon ses capacités, et puis il partit. Aussitôt

Matthieu 25, 16 celui qui avait reçu les cinq talents alla les faire produire et en gagna cinq autres.

Matthieu 25, 17 De même celui qui en avait reçu deux en gagna deux autres.

Matthieu 25, 18 Mais celui qui n'en avait reçu qu'un s'en alla faire un trou en terre et enfouit l'argent de son maître.

Matthieu 25, 19 Après un long temps, le maître de ces serviteurs arrive et il règle ses comptes avec eux.

Matthieu 25, 20 Celui qui avait reçu les cinq talents s'avança et présenta cinq autres talents: Seigneur, dit-il, tu m'as remis cinq talents: voici cinq autres talents que j'ai gagnés. --

Matthieu 25, 21 C'est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai; entre dans la joie de ton seigneur.

Matthieu 25, 22 Vint ensuite celui qui avait reçu deux talents: Seigneur, dit-il, tu m'as remis deux talents: voici deux autres talents que j'ai gagnés. --

Matthieu 25, 23 C'est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai; entre dans la joie de ton seigneur.

Matthieu 25, 24 Vint enfin celui qui détenait un seul talent: Seigneur, dit-il, j'ai appris à te connaître pour un homme âpre au gain: tu moissonnes où tu n'as point semé, et tu ramasses où tu n'as rien répandu.

Matthieu 25, 25 Aussi, pris de peur, je suis allé enfouir ton talent dans la terre: le voici, tu as ton bien.

Matthieu 25, 26 Mais son maître lui répondit: Serviteur mauvais et paresseux! tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, et que je ramasse où je n'ai rien répandu?

Matthieu 25, 27 Eh bien! tu aurais dû placer mon argent chez les banquiers, et à mon retour j'aurais recouvré mon bien avec un intérêt.

Matthieu 25, 28 Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents.

Matthieu 25, 29 Car à tout homme qui a, l'on donnera et il aura du surplus; mais à celui qui n'a pas, on enlèvera ce qu'il a.

Matthieu 25, 30 Et ce propre-à-rien de serviteur, jetez-le dehors, dans les ténèbres: là seront les pleurs et les grincements de dents.

Matthieu 25, 31 "Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire.

Matthieu 25, 32 Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs.

Matthieu 25, 33 Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche.

Matthieu 25, 34 Alors le Roi dira à ceux de droite: Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde.

Matthieu 25, 35 Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli,

Matthieu 25, 36 nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir.

Matthieu 25, 37 Alors les justes lui répondront: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer,

Matthieu 25, 38 étranger et de t'accueillir, nu et de te vêtir,

Matthieu 25, 39 malade ou prisonnier et de venir te voir?

Matthieu 25, 40 Et le Roi leur fera cette réponse: En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.

Matthieu 25, 41 Alors il dira encore à ceux de gauche: Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges.

Matthieu 25, 42 Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger, j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire,

Matthieu 25, 43 j'étais un étranger et vous ne m'avez pas accueilli, nu et vous ne m'avez pas vêtu, malade et prisonnier et vous ne m'avez pas visité.

Matthieu 25, 44 Alors ceux-ci lui demanderont à leur tour: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou prisonnier, et de ne te point secourir?

Matthieu 25, 45 Alors il leur répondra: En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l'avez pas fait à l'un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait.

Matthieu 25, 46 Et ils s'en iront, ceux-ci à une peine éternelle, et les justes à une vie éternelle."

Matthieu 26, 1 Et il advint, quand Jésus eut achevé tous ces discours, qu'il dit à ses disciples:

Matthieu 26, 2 "La Pâque, vous le savez, tombe dans deux jours, et le Fils de l'homme va être livré pour être crucifié."

Matthieu 26, 3 Alors les grands prêtres et les anciens du peuple s'assemblèrent dans le palais du Grand Prêtre, qui s'appelait Caïphe,

Matthieu 26, 4 et se concertèrent en vue d'arrêter Jésus par ruse et de le tuer.

Matthieu 26, 5 Ils disaient toutefois: "Pas en pleine fête; il faut éviter un tumulte parmi le peuple."

Matthieu 26, 6 Comme Jésus se trouvait à Béthanie, chez Simon le lépreux,

Matthieu 26, 7 une femme s'approcha de lui, avec un flacon d'albâtre contenant un parfum très précieux, et elle le versa sur sa tête, tandis qu'il était à table.

Matthieu 26, 8 A cette vue les disciples furent indignés: "A quoi bon ce gaspillage? Dirent-ils;

Matthieu 26, 9 cela pouvait être vendu bien cher et donné à des pauvres."

Matthieu 26, 10 Jésus s'en aperçut et leur dit: "Pourquoi tracassez-vous cette femme? C'est vraiment une bonne oeuvre qu'elle a accomplie pour moi.

Matthieu 26, 11 Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m'aurez pas toujours.

Matthieu 26, 12 Si elle a répandu ce parfum sur mon corps, c'est pour m'ensevelir qu'elle l'a fait.

Matthieu 26, 13 En vérité je vous le dis, partout où sera proclamé cet Evangile, dans le monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu'elle vient de faire."

Matthieu 26, 14 Alors l'un des Douze, appelé Judas Iscariote, se rendit auprès des grands prêtres

Matthieu 26, 15 et leur dit: "Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai?" Ceux-ci lui versèrent 30 pièces d'argent.

Matthieu 26, 16 Et de ce moment il cherchait une occasion favorable pour le livrer.

Matthieu 26, 17 Le premier jour des Azymes, les disciples s'approchèrent de Jésus et lui dirent: "Où veux-tu que nous te préparions de quoi manger la Pâque?"

Matthieu 26, 18 Il dit: "Allez à la ville, chez un tel, et dites-lui: Le Maître te fait dire: Mon temps est proche, c'est chez toi que je vais faire la Pâque avec mes disciples."

Matthieu 26, 19 Les disciples firent comme Jésus leur avait ordonné et préparèrent la Pâque.

Matthieu 26, 20 Le soir venu, il était à table avec les Douze.

Matthieu 26, 21 Et tandis qu'ils mangeaient, il dit: "En vérité je vous le dis, l'un de vous me livrera."

Matthieu 26, 22 Fort attristés, ils se mirent chacun à lui dire: "Serait-ce moi, Seigneur?"

Matthieu 26, 23 Il répondit: "Quelqu'un qui a plongé avec moi la main dans le plat, voilà celui qui va me livrer!

Matthieu 26, 24 Le Fils de l'homme s'en va selon qu'il est écrit de lui; mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l'homme est livré! Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître!"

Matthieu 26, 25 A son tour, Judas, celui qui allait le livrer, lui demanda: "Serait-ce moi, Rabbi" - "Tu l'as dit", répond Jésus.

Matthieu 26, 26 Or, tandis qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples en disant: "Prenez, mangez, ceci est mon corps."

Matthieu 26, 27 Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna en disant: "Buvez-en tous;

Matthieu 26, 28 car ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés.

Matthieu 26, 29 Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu'au jour où je le boirai avec vous, nouveau, dans le Royaume de mon Père."

Matthieu 26, 30 Après le chant des

Matthieu Psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.

Matthieu 26, 31 Alors Jésus leur dit: "Vous tous, vous allez succomber à cause de moi, cette nuit même. Il est écrit en effet: Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées.

Matthieu 26, 32 Mais après ma résurrection je vous précéderai en Galilée."

Matthieu 26, 33 Prenant la parole, Pierre lui dit: "Si tous succombent à cause de toi, moi je ne succomberai jamais."

Matthieu 26, 34 Jésus lui répliqua: "En vérité je te le dis: cette nuit même, avant que le coq chante, tu m'auras renié trois fois."

Matthieu 26, 35 Pierre lui dit: "Dussé-je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas." Et tous les disciples en dirent autant.

Matthieu 26, 36 Alors Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani, et il dit aux disciples: "Restez ici, tandis que je m'en irai prier là-bas."

Matthieu 26, 37 Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse.

Matthieu 26, 38 Alors il leur dit: "Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi."

Matthieu 26, 39 Etant allé un peu plus loin, il tomba face contre terre en faisant cette prière: "Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux."

Matthieu 26, 40 Il vient vers les disciples et les trouve en train de dormir; et il dit à Pierre: "Ainsi, vous n'avez pas eu la force de veiller une heure avec moi!

Matthieu 26, 41 Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation: l'esprit est ardent, mais la chair est faible."

Matthieu 26, 42 A nouveau, pour la deuxième fois, il s'en alla prier: "Mon Père, dit-il, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite!"

Matthieu 26, 43 Puis il vint et les trouva à nouveau en train de dormir; car leurs yeux étaient appesantis.

Matthieu 26, 44 Il les laissa et s'en alla de nouveau prier une troisième fois, répétant les mêmes paroles.

Matthieu 26, 45 Alors il vient vers les disciples et leur dit: "Désormais vous pouvez dormir et vous reposer: voici toute proche l'heure où le Fils de l'homme va être livré aux mains des pécheurs.

Matthieu 26, 46 Levez-vous! Allons! Voici tout proche celui qui me livre."

Matthieu 26, 47 Comme il parlait encore, voici Judas, l'un des Douze, et avec lui une bande nombreuse armée de glaives et de bâtons, envoyée par les grands prêtres et les anciens du peuple.

Matthieu 26, 48 Or le traître leur avait donné ce signe: "Celui à qui je donnerai un baiser, c'est lui; arrêtez-le."

Matthieu 26, 49 Et aussitôt il s'approcha de Jésus en disant: "Salut, Rabbi", et il lui donna un baiser.

Matthieu 26, 50 Mais Jésus lui dit: "Ami, fais ta besogne." Alors, s'avançant, ils mirent la main sur Jésus et l'arrêtèrent.

Matthieu 26, 51 Et voilà qu'un des compagnons de Jésus, portant la main à son glaive, le dégaina, frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui enleva l'oreille.

Matthieu 26, 52 Alors Jésus lui dit: "Rengaine ton glaive; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive.

Matthieu 26, 53 Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d'anges?

Matthieu 26, 54 Comment alors s'accompliraient les Ecritures d'après lesquelles il doit en être ainsi?"

Matthieu 26, 55 A ce moment-là Jésus dit aux foules: "Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons pour me saisir? Chaque jour j'étais assis dans le Temple, à enseigner, et vous ne m'avez pas arrêté."

Matthieu 26, 56 Or tout ceci advint pour que s'accomplissent les Ecritures des prophètes. Alors les disciples l'abandonnèrent tous et prirent la fuite.

Matthieu 26, 57 Ceux qui avaient arrêté Jésus l'emmenèrent chez Caïphe le Grand Prêtre, où se réunirent les scribes et les anciens.

Matthieu 26, 58 Quant à Pierre, il le suivait de loin, jusqu'au palais du Grand Prêtre; il pénétra à l'intérieur et s'assit avec les valets, pour voir le dénouement.

Matthieu 26, 59 Or, les grands prêtres et le Sanhédrin tout entier cherchaient un faux témoignage contre Jésus, en vue de le faire mourir;

Matthieu 26, 60 et ils n'en trouvèrent pas, bien que des faux témoins se fussent présentés en grand nombre. Finalement il s'en présenta deux,

Matthieu 26, 61 qui déclarèrent: "Cet homme a dit: Je puis détruire le Sanctuaire de Dieu et le rebâtir en trois jours."

Matthieu 26, 62 Se levant alors, le Grand Prêtre lui dit: "Tu ne réponds rien? Qu'est-ce que ces gens attestent contre toi?"

Matthieu 26, 63 Mais Jésus se taisait. Le Grand Prêtre lui dit: "Je t'adjure par le Dieu Vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu" --

Matthieu 26, 64 "Tu l'as dit, lui dit Jésus. D'ailleurs je vous le déclare: dorénavant, vous verrez le Fils de l'homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel."

Matthieu 26, 65 Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements en disant: "Il a blasphémé! qu'avons-nous encore besoin de témoins? Là, vous venez d'entendre le blasphème!

Matthieu 26, 66 Qu'en pensez-vous?" Ils répondirent: "Il est passible de mort."

Matthieu 26, 67 Alors ils lui crachèrent au visage et le giflèrent; d'autres lui donnèrent des coups

Matthieu 26, 68 en disant: "Fais le prophète, Christ, dis-nous qui t'a frappé."

Matthieu 26, 69 Cependant Pierre était assis dehors, dans la cour. Une servante s'approcha de lui en disant: "Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen."

Matthieu 26, 70 Mais lui nia devant tout le monde en disant: "Je ne sais pas ce que tu dis."

Matthieu 26, 71 Comme il s'était retiré vers le porche, une autre le vit et dit à ceux qui étaient là: "Celui-là était avec Jésus le Nazôréen."

Matthieu 26, 72 Et de nouveau il nia avec serment: "Je ne connais pas cet homme."

Matthieu 26, 73 Peu après, ceux qui se tenaient là s'approchèrent et dirent à Pierre: "Sûrement, toi aussi, tu en es: et d'ailleurs ton langage te trahit."

Matthieu 26, 74 Alors il se mit à jurer avec force imprécations: "Je ne connais pas cet homme." Et aussitôt un coq chanta.

Matthieu 26, 75 Et Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite: "Avant que le coq chante, tu m'auras renié trois fois." Et, sortant dehors, il pleura amèrement.

Matthieu 27, 1 Le matin étant arrivé, tous les grands prêtres et les anciens du peuple tinrent un conseil contre Jésus, en sorte de le faire mourir.

Matthieu 27, 2 Et, après l'avoir ligoté, ils l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate le gouverneur.

Matthieu 27, 3 Alors Judas, qui l'avait livré, voyant qu'il avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les 30 pièces d'argent aux grands prêtres et aux anciens:

Matthieu 27, 4 "J'ai péché, dit-il, en livrant un sang innocent." Mais ils dirent: "Que nous importe? A toi de voir."

Matthieu 27, 5 Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s'en alla se pendre.

Matthieu 27, 6 Ayant ramassé l'argent, les grands prêtres dirent: "Il n'est pas permis de le verser au trésor, puisque c'est le prix du sang."

Matthieu 27, 7 Après délibération, ils achetèrent avec cet argent le "champ du potier" comme lieu de sépulture pour les étrangers.

Matthieu 27, 8 Voilà pourquoi ce champ-là s'est appelé jusqu'à ce jour le "Champ du Sang."

Matthieu 27, 9 Alors s'accomplit l'oracle de Jérémie le prophète: Et ils prirent les 30 pièces d'argent, le prix du Précieux qu'ont apprécié des fils d'Israël,

Matthieu 27, 10 et ils les donnèrent pour le champ du potier, ainsi que me l'a ordonné le Seigneur.

Matthieu 27, 11 Jésus fut amené en présence du gouverneur et le gouverneur l'interrogea en disant: "Tu es le Roi des Juifs?" Jésus répliqua: "Tu le dis."

Matthieu 27, 12 Puis, tandis qu'il était accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien.

Matthieu 27, 13 Alors Pilate lui dit: "N'entends-tu pas tout ce qu'ils attestent contre toi?"

Matthieu 27, 14 Et il ne lui répondit sur aucun point, si bien que le gouverneur était fort étonné.

Matthieu 27, 15 A chaque Fête, le gouverneur avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui qu'elle voulait.

Matthieu 27, 16 On avait alors un prisonnier fameux, nommé Barabbas.

Matthieu 27, 17 Pilate dit donc aux gens qui se trouvaient rassemblés: "Lequel voulez-vous que je vous relâche, Barabbas, ou Jésus que l'on appelle Christ?"

Matthieu 27, 18 Il savait bien que c'était par jalousie qu'on l'avait livré.

Matthieu 27, 19 Or, tandis qu'il siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire: "Ne te mêle point de l'affaire de ce juste; car aujourd'hui j'ai été très affectée dans un songe à cause de lui."

Matthieu 27, 20 Cependant, les grands prêtres et les anciens persuadèrent aux foules de réclamer Barabbas et de perdre Jésus.

Matthieu 27, 21 Prenant la parole, le gouverneur leur dit: "Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche?" Ils dirent: "Barabbas."

Matthieu 27, 22 Pilate leur dit: "Que ferai-je donc de Jésus que l'on appelle Christ?" Ils disent tous: "Qu'il soit crucifié!"

Matthieu 27, 23 Il reprit: "Quel mal a-t-il donc fait?" Mais ils criaient plus fort: "Qu'il soit crucifié!"

Matthieu 27, 24 Voyant alors qu'il n'aboutissait à rien, mais qu'il s'ensuivait plutôt du tumulte, Pilate prit de l'eau et se lava les mains en présence de la foule, en disant: "Je ne suis pas responsable de ce sang; à vous de voir!"

Matthieu 27, 25 Et tout le peuple répondit: "Que son sang soit sur nous et sur nos enfants!"

Matthieu 27, 26 Alors il leur relâcha Barabbas; quant à Jésus, après l'avoir fait flageller, il le livra pour être crucifié.

Matthieu 27, 27 Alors les soldats du gouverneur prirent avec eux Jésus dans le Prétoire et ameutèrent sur lui toute la cohorte.

Matthieu 27, 28 L'ayant dévêtu, ils lui mirent une chlamyde écarlate,

Matthieu 27, 29 puis, ayant tressé une couronne avec des épines, ils la placèrent sur sa tête, avec un roseau dans sa main droite. Et, s'agenouillant devant lui, ils se moquèrent de lui en disant: "Salut, roi des Juifs!"

Matthieu 27, 30 et, crachant sur lui, ils prenaient le roseau et en frappaient sa tête.

Matthieu 27, 31 Puis, quand ils se furent moqués de lui, ils lui ôtèrent la chlamyde, lui remirent ses vêtements et l'emmenèrent pour le crucifier.

Matthieu 27, 32 En sortant, ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, et le requirent pour porter sa croix.

Matthieu 27, 33 Arrivés à un lieu dit Golgotha, c'est-à-dire lieu dit du Crâne,

Matthieu 27, 34 ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel; il en goûta et n'en voulut point boire.

Matthieu 27, 35 Quand ils l'eurent crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort.

Matthieu 27, 36 Puis, s'étant assis, ils restaient là à le garder.

Matthieu 27, 37 Ils placèrent aussi au-dessus de sa tête le motif de sa condamnation ainsi libellé: "Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs."

Matthieu 27, 38 Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, l'un à droite et l'autre à gauche.

Matthieu 27, 39 Les passants l'injuriaient en hochant la tête

Matthieu 27, 40 et disant: "Toi qui détruis le Sanctuaire et en trois jours le rebâtis, sauve-toi toi-même, si tu es fils de Dieu, et descends de la croix!"

Matthieu 27, 41 Pareillement les grands prêtres se gaussaient et disaient avec les scribes et les anciens:

Matthieu 27, 42 "Il en a sauvé d'autres et il ne peut se sauver lui-même! Il est roi d'Israël: qu'il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui!

Matthieu 27, 43 Il a compté sur Dieu; que Dieu le délivre maintenant, s'il s'intéresse à lui! Il a bien dit: Je suis fils de Dieu!"

Matthieu 27, 44 Même les brigands crucifiés avec lui l'outrageaient de la sorte.

Matthieu 27, 45 A partir de la sixième heure, l'obscurité se fit sur toute la terre, jusqu'à la neuvième heure.

Matthieu 27, 46 Et vers la neuvième heure, Jésus clama en un grand cri: "Eli, Eli, lema sabachtani", c'est-à-dire: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?"

Matthieu 27, 47 Certains de ceux qui se tenaient là disaient en l'entendant: "Il appelle Elie, celui-ci!"

Matthieu 27, 48 Et aussitôt l'un d'eux courut prendre une éponge qu'il imbiba de vinaigre et, l'ayant mise au bout d'un roseau, il lui donnait à boire.

Matthieu 27, 49 Mais les autres lui dirent: "Laisse! que nous voyions si Elie va venir le sauver!"

Matthieu 27, 50 Or Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l'esprit.

Matthieu 27, 51 Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas; la terre trembla, les rochers se fendirent,

Matthieu 27, 52 les tombeaux s'ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent:

Matthieu 27, 53 ils sortirent des tombeaux après sa résurrection, entrèrent dans la Ville sainte et se firent voir à bien des gens.

Matthieu 27, 54 Quant au centurion et aux hommes qui avec lui gardaient Jésus, à la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis d'une grande frayeur et dirent: "Vraiment celui-ci était fils de Dieu!"

Matthieu 27, 55 Il y avait là de nombreuses femmes qui regardaient à distance, celles-là même qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée et le servaient,

Matthieu 27, 56 entre autres Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée.

Matthieu 27, 57 Le soir venu, il vint un homme riche d'Arimathie, du nom de Joseph, qui s'était fait, lui aussi, disciple de Jésus.

Matthieu 27, 58 Il alla trouver Pilate et réclama le corps de Jésus. Alors Pilate ordonna qu'on le lui remît.

Matthieu 27, 59 Joseph prit donc le corps, le roula dans un linceul propre

Matthieu 27, 60 et le mit dans le tombeau neuf qu'il s'était fait tailler dans le roc; puis il roula une grande pierre à l'entrée du tombeau et s'en alla.

Matthieu 27, 61 Or il y avait là Marie de Magdala et l'autre Marie, assises en face du sépulcre.

Matthieu 27, 62 Le lendemain, c'est-à-dire après la Préparation, les grands prêtres et les Pharisiens se rendirent en corps chez Pilate

Matthieu 27, 63 et lui dirent: "Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur a dit, de son vivant: Après trois jours je ressusciterai!

Matthieu 27, 64 Commande donc que le sépulcre soit tenu en sûreté jusqu'au troisième jour, pour éviter que ses disciples ne viennent le dérober et ne disent au peuple: Il est ressuscité des morts! Cette dernière imposture serait pire que la première."

Matthieu 27, 65 Pilate leur répondit: "Vous avez une garde; allez et prenez vos sûretés comme vous l'entendez."

Matthieu 27, 66 Ils allèrent donc et s'assurèrent du sépulcre, en scellant la pierre et en postant une garde.

Matthieu 28, 1 Après le jour du sabbat, comme le premier jour de la semaine commençait à poindre, Marie de Magdala et l'autre Marie vinrent visiter le sépulcre.

Matthieu 28, 2 Et voilà qu'il se fit un grand tremblement de terre: l'Ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre, sur laquelle il s'assit.

Matthieu 28, 3 Il avait l'aspect de l'éclair, et sa robe était blanche comme neige.

Matthieu 28, 4 A sa vue, les gardes tressaillirent d'effroi et devinrent comme morts.

Matthieu 28, 5 Mais l'ange prit la parole et dit aux femmes: "Ne craignez point, vous: je sais bien que vous cherchez Jésus, le Crucifié.

Matthieu 28, 6 Il n'est pas ici, car il est ressuscité comme il l'avait dit. Venez voir le lieu où il gisait,

Matthieu 28, 7 et vite allez dire à ses disciples: Il est ressuscité d'entre les morts, et voilà qu'il vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez. Voilà, je vous l'ai dit."

Matthieu 28, 8 Quittant vite le tombeau, tout émues et pleines de joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.

Matthieu 28, 9 Et voici que Jésus vint à leur rencontre: "Je vous salue", dit-il. Et elles de s'approcher et d'étreindre ses pieds en se prosternant devant lui.

Matthieu 28, 10 Alors Jésus leur dit: "Ne craignez point; allez annoncer à mes frères qu'ils doivent partir pour la Galilée, et là ils me verront."

Matthieu 28, 11 Tandis qu'elles s'en allaient, voici que quelques hommes de la garde vinrent en ville rapporter aux grands prêtres tout ce qui s'était passé.

Matthieu 28, 12 Ceux-ci tinrent une réunion avec les anciens et, après avoir délibéré, ils donnèrent aux soldats une forte somme d'argent,

Matthieu 28, 13 avec cette consigne: "Vous direz ceci: Ses disciples sont venus de nuit et l'ont dérobé tandis que nous dormions.

Matthieu 28, 14 Que si l'affaire vient aux oreilles du gouverneur, nous nous chargeons de l'amadouer et de vous épargner tout ennui."

Matthieu 28, 15 Les soldats, ayant pris l'argent, exécutèrent la consigne, et cette histoire s'est colportée parmi les Juifs jusqu'à ce jour.

Matthieu 28, 16 Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait donné rendez-vous.

Matthieu 28, 17 Et quand ils le virent, ils se prosternèrent; d'aucuns cependant doutèrent.

Matthieu 28, 18 S'avançant, Jésus leur dit ces paroles: "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre.

Matthieu 28, 19 Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,

Matthieu 28, 20 et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde."

 

Evangile selon Marc

 

1, 1 Commencement de l'Evangile de Jésus Christ, Fils de Dieu.

Marc 1, 2 Selon qu'il est écrit dans Isaïe le prophète: Voici que j'envoie mon messager en avant de toi pour préparer ta route.

Marc 1, 3 Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers,

Marc 1, 4 Jean le Baptiste fut dans le désert, proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés.

Marc 1, 5 Et s'en allaient vers lui tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem, et ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en confessant leurs péchés.

Marc 1, 6 Jean était vêtu d'une peau de chameau et mangeait des sauterelles et du miel sauvage.

Marc 1, 7 Et il proclamait: "Vient derrière moi celui qui est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la courroie de ses sandales.

Marc 1, 8 Moi, je vous ai baptisés avec de l'eau, mais lui vous baptisera avec l'Esprit Saint."

Marc 1, 9 Et il advint qu'en ces jours-là Jésus vint de Nazareth de Galilée, et il fut baptisé dans le Jourdain par Jean.

Marc 1, 10 Et aussitôt, remontant de l'eau, il vit les cieux se déchirer et l'Esprit comme une colombe descendre vers lui,

Marc 1, 11 et une voix vint des cieux: "Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur."

Marc 1, 12 Et aussitôt, l'Esprit le pousse au désert.

Marc 1, 13 Et il était dans le désert durant 40 jours, tenté par Satan. Et il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.

Marc 1, 14 Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée, proclamant l'Evangile de Dieu et disant:

Marc 1, 15 "Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche: repentez-vous et croyez à l'Evangile."

Marc 1, 16 Comme il passait sur le bord de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, qui jetaient l'épervier dans la mer; car c'étaient des pêcheurs.

Marc 1, 17 Et Jésus leur dit: "Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes."

Marc 1, 18 Et aussitôt, laissant les filets, ils le suivirent.

Marc 1, 19 Et avançant un peu, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, eux aussi dans leur barque en train d'arranger les filets;

Marc 1, 20 et aussitôt il les appela. Et laissant leur père Zébédée dans la barque avec ses employés, ils partirent à sa suite.

Marc 1, 21 Ils pénètrent à Capharnaüm. Et aussitôt, le jour du sabbat, étant entré dans la synagogue, il enseignait.

Marc 1, 22 Et ils étaient frappés de son enseignement, car il les enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes.

Marc 1, 23 Et aussitôt il y avait dans leur synagogue un homme possédé d'un esprit impur, qui cria

Marc 1, 24 en disant: "Que nous veux-tu, Jésus le Nazarénien? Es-tu venu pour nous perdre? Je sais qui tu es: le Saint de Dieu."

Marc 1, 25 Et Jésus le menaça en disant: "Tais-toi et sors de lui."

Marc 1, 26 Et le secouant violemment, l'esprit impur cria d'une voix forte et sortit de lui.

Marc 1, 27 Et ils furent tous effrayés, de sorte qu'ils se demandaient entre eux: "Qu'est cela? Un enseignement nouveau, donné d'autorité! Même aux esprits impurs, il commande et ils lui obéissent!"

Marc 1, 28 Et sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de Galilée.

Marc 1, 29 Et aussitôt, sortant de la synagogue, il vint dans la maison de Simon et d'André, avec Jacques et Jean.

Marc 1, 30 Or la belle-mère de Simon était au lit avec la fièvre, et aussitôt ils lui parlent à son sujet.

Marc 1, 31 S'approchant, il la fit se lever en la prenant par la main. Et la fièvre la quitta, et elle les servait.

Marc 1, 32 Le soir venu, quand fut couché le soleil, on lui apportait tous les malades et les démoniaques,

Marc 1, 33 et la ville entière était rassemblée devant la porte.

Marc 1, 34 Et il guérit beaucoup de malades atteints de divers maux, et il chassa beaucoup de démons. Et il ne laissait pas parler les démons, parce qu'ils savaient qui il était.

Marc 1, 35 Le matin, bien avant le jour, il se leva, sortit et s'en alla dans un lieu désert, et là il priait.

Marc 1, 36 Simon et ses compagnons le poursuivirent

Marc 1, 37 et, l'ayant trouvé, ils lui disent: "Tout le monde te cherche."

Marc 1, 38 Il leur dit: "Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, afin que j'y prêche aussi, car c'est pour cela que je suis sorti."

Marc 1, 39 Et il s'en alla à travers toute la Galilée, prêchant dans leurs synagogues et chassant les démons.

Marc 1, 40 Un lépreux vient à lui, le supplie et, s'agenouillant, lui dit: "Si tu le veux, tu peux me purifier."

Marc 1, 41 Emu de compassion, il étendit la main, le toucha et lui dit: "Je le veux, sois purifié."

Marc 1, 42 Et aussitôt la lèpre le quitta et il fut purifié.

Marc 1, 43 Et le rudoyant, il le chassa aussitôt,

Marc 1, 44 et lui dit: "Garde-toi de rien dire à personne; mais va te montrer au prêtre et offre pour ta purification ce qu'a prescrit Moïse: ce leur sera une attestation."

Marc 1, 45 Mais lui, une fois parti, se mit à proclamer hautement et à divulguer la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais il se tenait dehors, dans des lieux déserts; et l'on venait à lui de toutes parts.

Marc 2, 1 Comme il était entré de nouveau à Capharnaüm, après quelque temps on apprit qu'il était à la maison.

Marc 2, 2 Et beaucoup se rassemblèrent, en sorte qu'il n'y avait plus de place, même devant la porte, et il leur annonçait la Parole.

Marc 2, 3 On vient lui apporter un paralytique, soulevé par quatre hommes.

Marc 2, 4 Et comme ils ne pouvaient pas le lui présenter à cause de la foule, ils découvrirent la terrasse au-dessus de l'endroit où il se trouvait et, ayant creusé un trou, ils font descendre le grabat où gisait le paralytique.

Marc 2, 5 Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique: "Mon enfant, tes péchés sont remis."

Marc 2, 6 Or, il y avait là, dans l'assistance, quelques scribes qui pensaient dans leurs coeurs:

Marc 2, 7 "Comment celui-là parle-t-il ainsi? Il blasphème! Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul?"

Marc 2, 8 Et aussitôt, percevant par son esprit qu'ils pensaient ainsi en eux-mêmes, Jésus leur dit: "Pourquoi de telles pensées dans vos coeurs?

Marc 2, 9 Quel est le plus facile, de dire au paralytique: Tes péchés sont remis, ou de dire: Lève-toi, prends ton grabat et marche?

Marc 2, 10 Eh bien! pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre,

Marc 2, 11 je te l'ordonne, dit-il au paralytique, lève-toi, prends ton grabat et va-t'en chez toi."

Marc 2, 12 Il se leva et aussitôt, prenant son grabat, il sortit devant tout le monde, de sorte que tous étaient stupéfaits et glorifiaient Dieu en disant: "Jamais nous n'avons rien vu de pareil."

Marc 2, 13 Il sortit de nouveau au bord de la mer, et toute la foule venait à lui et il les enseignait.

Marc 2, 14 En passant, il vit Lévi, le fils d'Alphée, assis au bureau de la douane, et il lui dit: "Suis-moi." Et, se levant, il le suivit.

Marc 2, 15 Alors qu'il était à table dans sa maison, beaucoup de publicains et de pécheurs se trouvaient à table avec Jésus et ses disciples: car il y en avait beaucoup qui le suivaient.

Marc 2, 16 Les scribes des Pharisiens, le voyant manger avec les pécheurs et les publicains, disaient à ses disciples: "Quoi? Il mange avec les publicains et les pécheurs?"

Marc 2, 17 Jésus, qui avait entendu, leur dit: "Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs."

Marc 2, 18 Les disciples de Jean et les Pharisiens étaient en train de jeûner, et on vient lui dire: "Pourquoi les disciples de Jean et les disciples des Pharisiens jeûnent-ils, et tes disciples ne jeûnent-ils pas?"

Marc 2, 19 Jésus leur dit: "Les compagnons de l'époux peuvent-ils jeûner pendant que l'époux est avec eux? Tant qu'il ont l'époux avec eux, il ne peuvent pas jeûner.

Marc 2, 20 Mais viendront des jours où l'époux leur sera enlevé; et alors ils jeûneront en ce jour-là.

Marc 2, 21 Personne ne coud une pièce de drap non foulé à un vieux vêtement; autrement, la pièce neuve tire sur le vieux vêtement, et la déchirure s'aggrave.

Marc 2, 22 Personne non plus ne met du vin nouveau dans des outres vieilles; autrement, le vin fera éclater les outres, et le vin est perdu aussi bien que les outres. Mais du vin nouveau dans des outres neuves!"

Marc 2, 23 Et il advint qu'un jour de sabbat il passait à travers les moissons et ses disciples se mirent à se frayer un chemin en arrachant les épis.

Marc 2, 24 Et les Pharisiens lui disaient: "Vois! Pourquoi font-ils le jour du sabbat ce qui n'est pas permis?"

Marc 2, 25 Il leur dit: "N'avez-vous jamais lu ce que fit David, lorsqu'il fut dans le besoin et qu'il eut faim, lui et ses compagnons,

Marc 2, 26 comment il entra dans la demeure de Dieu, au temps du grand prêtre Abiathar, et mangea les pains d'oblation qu'il n'est permis de manger qu'aux prêtres, et en donna aussi à ses compagnons?"

Marc 2, 27 Et il leur disait: "Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat;

Marc 2, 28 en sorte que le Fils de l'homme est maître même du sabbat."

Marc 3, 1 Il entra de nouveau dans une synagogue, et il y avait là un homme qui avait la main desséchée.

Marc 3, 2 Et ils l'épiaient pour voir s'il allait le guérir, le jour du sabbat, afin de l'accuser.

Marc 3, 3 Il dit à l'homme qui avait la main sèche: "Lève-toi, là, au milieu."

Marc 3, 4 Et il leur dit: "Est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien plutôt que de faire du mal, de sauver une vie plutôt que de la tuer?" Mais eux se taisaient.

Marc 3, 5 Promenant alors sur eux un regard de colère, navré de l'endurcissement de leur coeur, il dit à l'homme: "Etends la main." Il l'étendit et sa main fut remise en état.

Marc 3, 6 Etant sortis, les Pharisiens tenaient aussitôt conseil avec les Hérodiens contre lui, en vue de le perdre.

Marc 3, 7 Jésus avec ses disciples se retira vers la mer et une grande multitude le suivit de la Galilée; et de la Judée,

Marc 3, 8 de Jérusalem, de l'Idumée, de la Transjordane, des environs de Tyr et de Sidon, une grande multitude, ayant entendu tout ce qu'il faisait, vint à lui.

Marc 3, 9 Et il dit à ses disciples qu'une petite barque fût tenue à sa disposition, à cause de la foule, pour qu'ils ne l'écrasent pas.

Marc 3, 10 Car il en guérit beaucoup, si bien que tous ceux qui avaient des infirmités se jetaient sur lui pour le toucher.

Marc 3, 11 Et les esprits impurs, lorsqu'ils le voyaient, se jetaient à ses pieds et criaient en disant: "Tu es le Fils de Dieu!"

Marc 3, 12 Et il leur enjoignait avec force de ne pas le faire connaître.

Marc 3, 13 Puis il gravit la montagne et il appelle à lui ceux qu'il voulait. Ils vinrent à lui,

Marc 3, 14 et il en institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher,

Marc 3, 15 avec pouvoir de chasser les démons.

Marc 3, 16 Il institua donc les Douze, et il donna à Simon le nom de Pierre,

Marc 3, 17 puis Jacques, le fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques, auxquels il donna le nom de Boanergès, c'est-à-dire fils du tonnerre,

Marc 3, 18 puis André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques, le fils d'Alphée, Thaddée, Simon le Zélé,

Marc 3, 19 et Judas Iscarioth, celui-là même qui le livra.

Marc 3, 20 Il vient à la maison et de nouveau la foule se rassemble, au point qu'ils ne pouvaient pas même manger de pain.

Marc 3, 21 Et les siens, l'ayant appris, partirent pour se saisir de lui, car ils disaient: "Il a perdu le sens."

Marc 3, 22 Et les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient: "Il est possédé de Béelzéboul", et encore: "C'est par le prince des démons qu'il expulse les démons."

Marc 3, 23 Les ayant appelés près de lui, il leur disait en paraboles: "Comment Satan peut-il expulser Satan?

Marc 3, 24 Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume-là ne peut subsister.

Marc 3, 25 Et si une maison est divisée contre elle-même, cette maison-là ne pourra se maintenir.

Marc 3, 26 Or, si Satan s'est dressé contre lui-même et s'est divisé, il ne peut pas tenir, il est fini.

Marc 3, 27 Mais nul ne peut pénétrer dans la maison d'un homme fort et piller ses affaires s'il n'a d'abord ligoté cet homme fort, et alors il pillera sa maison.

Marc 3, 28 "En vérité, je vous le dis, tout sera remis aux enfants des hommes, les péchés et les blasphèmes tant qu'il en auront proféré;

Marc 3, 29 mais quiconque aura blasphémé contre l'Esprit Saint n'aura jamais de rémission: il est coupable d'une faute éternelle."

Marc 3, 30 C'est qu'ils disaient: "Il est possédé d'un esprit impur."

Marc 3, 31 Sa mère et ses frères arrivent et, se tenant dehors, ils le firent appeler.

Marc 3, 32 Il y avait une foule assise autour de lui et on lui dit: "Voilà que ta mère et tes frères et tes soeurs sont là dehors qui te cherchent."

Marc 3, 33 Il leur répond: "Qui est ma mère? Et mes frères?"

Marc 3, 34 Et, promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui, il dit: "Voici ma mère et mes frères.

Marc 3, 35 Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m'est un frère et une soeur et une mère."

Marc 4, 1 Il se mit de nouveau à enseigner au bord de la mer et une foule très nombreuse s'assemble auprès de lui, si bien qu'il monte dans une barque et s'y assied, en mer; et toute la foule était à terre, près de la mer.

Marc 4, 2 Il leur enseignait beaucoup de choses en paraboles et il leur disait dans son enseignement:

Marc 4, 3 "Ecoutez! Voici que le semeur est sorti pour semer.

Marc 4, 4 Et il advint, comme il semait, qu'une partie du grain est tombée au bord du chemin, et les oiseaux sont venus et ont tout mangé.

Marc 4, 5 Une autre est tombée sur le terrain rocheux où elle n'avait pas beaucoup de terre, et aussitôt elle a levé, parce qu'elle n'avait pas de profondeur de terre;

Marc 4, 6 et lorsque le soleil s'est levé, elle a été brûlée et, faute de racine, s'est desséchée.

Marc 4, 7 Une autre est tombée dans les épines, et les épines ont monté et l'ont étouffée, et elle n'a pas donné de fruit.

Marc 4, 8 D'autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit en montant et en se développant, et ils ont produit l'un 30, l'autre 60, l'autre cent."

Marc 4, 9 Et il disait: "Entende, qui a des oreilles pour entendre!"

Marc 4, 10 Quand il fut à l'écart, ceux de son entourage avec les Douze l'interrogeaient sur les paraboles.

Marc 4, 11 Et il leur disait: "A vous le mystère du Royaume de Dieu a été donné; mais à ceux-là qui sont dehors tout arrive en paraboles,

Marc 4, 12 afin qu'ils aient beau regarder et ils ne voient pas, qu'ils aient beau entendre et ils ne comprennent pas, de peur qu'ils ne se convertissent et qu'il ne leur soit pardonné."

Marc 4, 13 Et il leur dit: "Vous ne saisissez pas cette parabole? Et comment comprendrez-vous toutes les paraboles?

Marc 4, 14 Le semeur, c'est la Parole qu'il sème.

Marc 4, 15 Ceux qui sont au bord du chemin où la Parole est semée, sont ceux qui ne l'ont pas plus tôt entendue que Satan arrive et enlève la Parole semée en eux.

Marc 4, 16 Et de même ceux qui sont semés sur les endroits rocheux, sont ceux qui, quand ils ont entendu la Parole, l'accueillent aussitôt avec joie,

Marc 4, 17 mais ils n'ont pas de racine en eux-mêmes et sont les hommes d'un moment: survienne ensuite une tribulation ou une persécution à cause de la Parole, aussitôt ils succombent.

Marc 4, 18 Et il y en a d'autres qui sont semés dans les épines: ce sont ceux qui ont entendu la Parole,

Marc 4, 19 mais les soucis du monde, la séduction de la richesse et les autres convoitises les pénètrent et étouffent la Parole, qui demeure sans fruit.

Marc 4, 20 Et il y a ceux qui ont été semés dans la bonne terre: ceux-là écoutent la Parole, l'accueillent et portent du fruit, l'un 30, l'autre 60, l'autre cent."

Marc 4, 21 Et il leur disait: "Est-ce que la lampe vient pour qu'on la mette sous le boisseau ou sous le lit? N'est-ce pas pour qu'on la mette sur le lampadaire?

Marc 4, 22 Car il n'y a rien de caché qui ne doive être manifesté et rien n'est demeuré secret que pour venir au grand jour.

Marc 4, 23 Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende!"

Marc 4, 24 Et il leur disait: "Prenez garde à ce que vous entendez! De la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous, et on vous donnera encore plus.

Marc 4, 25 Car celui qui a, on lui donnera, et celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera enlevé."

Marc 4, 26 Et il disait: "Il en est du Royaume de Dieu comme d'un homme qui aurait jeté du grain en terre:

Marc 4, 27 qu'il dorme et qu'il se lève, nuit et jour, la semence germe et pousse, il ne sait comment.

Marc 4, 28 D'elle-même, la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi, puis plein de blé dans l'épi.

Marc 4, 29 Et quand le fruit s'y prête, aussitôt il y met la faucille, parce que la moisson est à point."

Marc 4, 30 Et il disait: "Comment allons-nous comparer le Royaume de Dieu? Ou par quelle parabole allons-nous le figurer?

Marc 4, 31 C'est comme un grain de sénevé qui, lorsqu'on le sème sur la terre, est la plus petite de toutes les graines qui sont sur la terre;

Marc 4, 32 mais une fois semé, il monte et devient la plus grande de toutes les plantes potagères, et il pousse de grandes branches, au point que les oiseaux du ciel peuvent s'abriter sous son ombre."

Marc 4, 33 C'est par un grand nombre de paraboles de ce genre qu'il leur annonçait la Parole selon qu'ils pouvaient l'entendre;

Marc 4, 34 et il ne leur parlait pas sans parabole, mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples.

Marc 4, 35 Ce jour-là, le soir venu, il leur dit: "Passons sur l'autre rive."

Marc 4, 36 Et laissant la foule, ils l'emmènent, comme il était, dans la barque; et il y avait d'autres barques avec lui.

Marc 4, 37 Survient alors une forte bourrasque, et les vagues se jetaient dans la barque, de sorte que déjà elle se remplissait.

Marc 4, 38 Et lui était à la poupe, dormant sur le coussin. Ils le réveillent et lui disent: "Maître, tu ne te soucies pas de ce que nous périssons?"

Marc 4, 39 S'étant réveillé, il menaça le vent et dit à la mer: "Silence! Tais-toi!" Et le vent tomba et il se fit un grand calme.

Marc 4, 40 Puis il leur dit: "Pourquoi avez-vous peur ainsi? Comment n'avez-vous pas de foi?"

Marc 4, 41 Alors ils furent saisis d'une grande crainte et ils se disaient les uns aux autres: "Qui est-il donc celui-là, que même le vent et la mer lui obéissent?"

Marc 5, 1 Ils arrivèrent sur l'autre rive de la mer, au pays des Géraséniens.

Marc 5, 2 Et aussitôt que Jésus eut débarqué, vint à sa rencontre, des tombeaux, un homme possédé d'un esprit impur:

Marc 5, 3 il avait sa demeure dans les tombes et personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne,

Marc 5, 4 car souvent on l'avait lié avec des entraves et avec des chaînes, mais il avait rompu les chaînes et brisé les entraves, et personne ne parvenait à le dompter.

Marc 5, 5 Et sans cesse, nuit et jour, il était dans les tombes et dans les montagnes, poussant des cris et se tailladant avec des pierres.

Marc 5, 6 Voyant Jésus de loin, il accourut, se prosterna devant lui

Marc 5, 7 et cria d'une voix forte: "Que me veux-tu, Jésus, fils du Dieu Très-Haut? Je t'adjure par Dieu, ne me tourmente pas!"

Marc 5, 8 Il lui disait en effet: "Sors de cet homme, esprit impur!"

Marc 5, 9 Et il l'interrogeait: "Quel est ton nom?" Il dit: "Légion est mon nom, car nous sommes beaucoup."

Marc 5, 10 Et il le suppliait instamment de ne pas les expulser hors du pays.

Marc 5, 11 Or il y avait là, sur la montagne, un grand troupeau de porcs en train de paître.

Marc 5, 12 Et les esprits impurs supplièrent Jésus en disant: "Envoie-nous vers les porcs, que nous y entrions."

Marc 5, 13 Et il le leur permit. Sortant alors, les esprits impurs entrèrent dans les porcs et le troupeau se précipita du haut de l'escarpement dans la mer, au nombre d'environ 2.000, et ils se noyaient dans la mer.

Marc 5, 14 Leurs gardiens prirent la fuite et rapportèrent la nouvelle à la ville et dans les fermes; et les gens vinrent pour voir qu'est-ce qui s'était passé.

Marc 5, 15 Ils arrivent auprès de Jésus et ils voient le démoniaque assis, vêtu et dans son bon sens, lui qui avait eu la Légion, et ils furent pris de peur.

Marc 5, 16 Les témoins leur racontèrent comment cela s'était passé pour le possédé et ce qui était arrivé aux porcs.

Marc 5, 17 Alors ils se mirent à prier Jésus de s'éloigner de leur territoire.

Marc 5, 18 Comme il montait dans la barque, l'homme qui avait été possédé le priait pour rester en sa compagnie.

Marc 5, 19 Il ne le lui accorda pas, mais il lui dit: "Va chez toi, auprès des tiens, et rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde."

Marc 5, 20 Il s'en alla donc et se mit à proclamer dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui, et tout le monde était dans l'étonnement.

Marc 5, 21 Lorsque Jésus eut traversé à nouveau en barque vers l'autre rive, une foule nombreuse se rassembla autour de lui, et il se tenait au bord de la mer.

Marc 5, 22 Arrive alors un des chefs de synagogue, nommé Jaïre, qui, le voyant, tombe à ses pieds

Marc 5, 23 et le prie avec instance: "Ma petite fille est à toute extrémité, viens lui imposer les mains pour qu'elle soit sauvée et qu'elle vive."

Marc 5, 24 Il partit avec lui, et une foule nombreuse le suivait, qui le pressait de tous côtés.

Marc 5, 25 Or, une femme atteinte d'un flux de sang depuis douze années,

Marc 5, 26 qui avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins et avait dépensé tout son avoir sans aucun profit, mais allait plutôt de mal en pis,

Marc 5, 27 avait entendu parler de Jésus; venant par derrière dans la foule, elle toucha son manteau.

Marc 5, 28 Car elle se disait: "Si je touche au moins ses vêtements, je serai sauvée."

Marc 5, 29 Et aussitôt la source d'où elle perdait le sang fut tarie, et elle sentit dans son corps qu'elle était guérie de son infirmité.

Marc 5, 30 Et aussitôt Jésus eut conscience de la force qui était sortie de lui, et s'étant retourné dans la foule, il disait "Qui a touché mes vêtements?"

Marc 5, 31 Ses disciples lui disaient: "Tu vois la foule qui te presse de tous côtés, et tu dis: Qui m'a touché?"

Marc 5, 32 Et il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela.

Marc 5, 33 Alors la femme, craintive et tremblante, sachant bien ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité.

Marc 5, 34 Et il lui dit: "Ma fille, ta foi t'a sauvée; va en paix et sois guérie de ton infirmité."

Marc 5, 35 Tandis qu'il parlait encore, arrivent de chez le chef de synagogue des gens qui disent: "Ta fille est morte; pourquoi déranges-tu encore le Maître?"

Marc 5, 36 Mais Jésus, qui avait surpris la parole qu'on venait de prononcer, dit au chef de synagogue: "Sois sans crainte; aie seulement la foi."

Marc 5, 37 Et il ne laissa personne l'accompagner, si ce n'est Pierre, Jacques et Jean, le frère de Jacques.

Marc 5, 38 Ils arrivent à la maison du chef de synagogue et il aperçoit du tumulte, des gens qui pleuraient et poussaient de grandes clameurs.

Marc 5, 39 Etant entré, il leur dit: "Pourquoi ce tumulte et ces pleurs? L'enfant n'est pas morte, mais elle dort."

Marc 5, 40 Et ils se moquaient de lui. Mais les ayant tous mis dehors, il prend avec lui le père et la mère de l'enfant, ainsi que ceux qui l'accompagnaient, et il pénètre là ou était l'enfant.

Marc 5, 41 Et prenant la main de l'enfant, il lui dit: "Talitha koum", ce qui se traduit: "Fillette, je te le dis, lève-toi!"

Marc 5, 42 Aussitôt la fillette se leva et elle marchait, car elle avait douze ans. Et ils furent saisis aussitôt d'une grande stupeur.

Marc 5, 43 Et il leur recommanda vivement que personne ne le sût et il dit de lui donner à manger.

Marc 6, 1 Etant sorti de là, il se rend dans sa patrie, et ses disciples le suivent.

Marc 6, 2 Le sabbat venu, il se mit à enseigner dans la synagogue, et le grand nombre en l'entendant étaient frappés et disaient: "D'où cela lui vient-il? Et qu'est-ce que cette sagesse qui lui a été donnée et ces grands miracles qui se font par ses mains?

Marc 6, 3 Celui-là n'est-il pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joset, de Jude et de Simon? Et ses soeurs ne sont-elles pas ici chez nous?" Et il étaient choqués à son sujet.

Marc 6, 4 Et Jésus leur disait: "Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie, dans sa parenté et dans sa maison."

Marc 6, 5 Et il ne pouvait faire là aucun miracle, si ce n'est qu'il guérit quelques infirmes en leur imposant les mains.

Marc 6, 6 Et il s'étonna de leur manque de foi. Il parcourait les villages à la ronde en enseignant.

Marc 6, 7 Il appelle à lui les Douze et il se mit à les envoyer en mission deux à deux, en leur donnant pouvoir sur les esprits impurs.

Marc 6, 8 Et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route qu'un bâton seulement, ni pain, ni besace, ni menue monnaie pour la ceinture,

Marc 6, 9 mais: "Allez chaussés de sandales et ne mettez pas deux tuniques."

Marc 6, 10 Et il leur disait: "Où que vous entriez dans une maison, demeurez-y jusqu'à ce que vous partiez de là.

Marc 6, 11 Et si un endroit ne vous accueille pas et qu'on ne vous écoute pas, sortez de là et secouez la poussière qui est sous vos pieds, en témoignage contre eux."

Marc 6, 12 Etant partis, ils prêchèrent qu'on se repentît;

Marc 6, 13 et ils chassaient beaucoup de démons et faisaient des onctions d'huile à de nombreux infirmes et les guérissaient.

Marc 6, 14 Le roi Hérode entendit parler de lui, car son nom était devenu célèbre, et l'on disait: "Jean le Baptiste est ressuscité d'entre les morts; d'où les pouvoirs miraculeux qui se déploient en sa personne."

Marc 6, 15 D'autres disaient: "C'est Elie." Et d'autres disaient: "C'est un prophète comme les autres prophètes."

Marc 6, 16 Hérode donc, en ayant entendu parler, disait: "C'est Jean que j'ai fait décapiter, qui est ressuscité!"

Marc 6, 17 En effet, c'était lui, Hérode, qui avait envoyé arrêter Jean et l'enchaîner en prison, à cause d'Hérodiade, la femme de Philippe son frère qu'il avait épousée.

Marc 6, 18 Car Jean disait à Hérode: "Il ne t'est pas permis d'avoir la femme de ton frère."

Marc 6, 19 Quant à Hérodiade, elle était acharnée contre lui et voulait le tuer, mais elle ne le pouvait pas,

Marc 6, 20 parce que Hérode craignait Jean, sachant que c'était un homme juste et saint, et il le protégeait; quand il l'avait entendu, il était fort perplexe, et c'était avec plaisir qu'il l'écoutait.

Marc 6, 21 Or vint un jour propice, quand Hérode, à l'anniversaire de sa naissance, fit un banquet pour les grands de sa cour, les officiers et les principaux personnages de la Galilée:

Marc 6, 22 la fille de la dite Hérodiade entra et dansa, et elle plut à Hérode et aux convives. Alors le roi dit à la jeune fille: "Demande-moi ce que tu voudras, je te le donnerai."

Marc 6, 23 Et il lui fit un serment: "Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, jusqu'à la moitié de mon royaume!"

Marc 6, 24 Elle sortit et dit à sa mère: "Que vais-je demander" - "La tête de Jean le Baptiste", dit celle-ci.

Marc 6, 25 Rentrant aussitôt en hâte auprès du roi, elle lui fit cette demande: "Je veux que tout de suite tu me donnes sur un plat la tête de Jean le Baptiste."

Marc 6, 26 Le roi fut très contristé, mais à cause de ses serments et des convives, il ne voulut pas lui manquer de parole.

Marc 6, 27 Et aussitôt le roi envoya un garde en lui ordonnant d'apporter la tête de Jean.

Marc 6, 28 Le garde s'en alla et le décapita dans la prison; puis il apporta sa tête sur un plat et la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère.

Marc 6, 29 Les disciples de Jean, l'ayant appris, vinrent prendre son cadavre et le mirent dans un tombeau.

Marc 6, 30 Les apôtres se réunissent auprès de Jésus, et ils lui rapportèrent tout ce qu'ils avaient fait et tout ce qu'ils avaient enseigné.

Marc 6, 31 Et il leur dit: "Venez vous-mêmes à l'écart, dans un lieu désert, et reposez-vous un peu." De fait, les arrivants et les partants étaient si nombreux que les apôtres n'avaient pas même le temps de manger.

Marc 6, 32 Ils partirent donc dans la barque vers un lieu désert, à l'écart.

Marc 6, 33 Les voyant s'éloigner, beaucoup comprirent, et de toutes les villes on accourut là-bas, à pied, et on les devança.

Marc 6, 34 En débarquant, il vit une foule nombreuse et il en eut pitié, parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont pas de berger, et il se mit à les enseigner longuement.

Marc 6, 35 L'heure étant déjà très avancée, ses disciples s'approchèrent et lui dirent: "L'endroit est désert et l'heure est déjà très avancée;

Marc 6, 36 renvoie-les afin qu'ils aillent dans les fermes et les villages d'alentour s'acheter de quoi manger."

Marc 6, 37 Il leur répondit: "Donnez-leur vous-mêmes à manger." Ils lui disent: "Faudra-t-il que nous allions acheter des pains pour 200 deniers, afin de leur donner à manger?"

Marc 6, 38 Il leur dit: "Combien de pains avez-vous? Allez voir." S'en étant informés, ils disent: "Cinq, et deux poissons."

Marc 6, 39 Alors il leur ordonna de les faire tous s'étendre par groupes de convives sur l'herbe verte.

Marc 6, 40 Et ils s'allongèrent à terre par carrés de cent et de 50.

Marc 6, 41 Prenant alors les cinq pains et les deux poissons, il leva les yeux au ciel, il bénit et rompit les pains, et il les donnait à ses disciples pour les leur servir. Il partagea aussi les deux poissons entre tous.

Marc 6, 42 Tous mangèrent et furent rassasiés;

Marc 6, 43 et l'on emporta les morceaux, plein douze couffins avec les restes des poissons.

Marc 6, 44 Et ceux qui avaient mangé les pains étaient 5.000 hommes.

Marc 6, 45 Et aussitôt il obligea ses disciples à monter dans la barque et à prendre les devants vers Bethsaïde, pendant que lui-même renverrait la foule.

Marc 6, 46 Et quand il les eut congédiés, il s'en alla dans la montagne pour prier.

Marc 6, 47 Le soir venu, la barque était au milieu de la mer, et lui, seul, à terre.

Marc 6, 48 Les voyant s'épuiser à ramer, car le vent leur était contraire, vers la quatrième veille de la nuit il vient vers eux en marchant sur la mer, et il allait les dépasser.

Marc 6, 49 Ceux-ci, le voyant marcher sur la mer, crurent que c'était un fantôme et poussèrent des cris;

Marc 6, 50 car tous le virent et furent troublés. Mais lui aussitôt leur parla et leur dit: "Ayez confiance, c'est moi, soyez sans crainte."

Marc 6, 51 Puis il monta auprès d'eux dans la barque et le vent tomba. Et ils étaient intérieurement au comble de la stupeur,

Marc 6, 52 car ils n'avaient pas compris le miracle des pains, mais leur esprit était bouché.

Marc 6, 53 Ayant achevé la traversée, ils touchèrent terre à Gennésaret et accostèrent.

Marc 6, 54 Quand ils furent sortis de la barque, aussitôt des gens qui l'avaient reconnu

Marc 6, 55 parcoururent toute cette région et se mirent à transporter les malades sur leurs grabats, là où l'on apprenait qu'il était.

Marc 6, 56 Et en tout lieu où il pénétrait, villages, villes ou fermes, on mettait les malades sur les places et on le priait de les laisser toucher ne fût-ce que la frange de son manteau, et tous ceux qui le touchaient étaient sauvés.

Marc 7, 1 Les Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent auprès de lui,

Marc 7, 2 et voyant quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c'est-à-dire non lavées --

Marc 7, 3 les Pharisiens, en effet, et tous les Juifs ne mangent pas sans s'être lavé les bras jusqu'au coude, conformément à la tradition des anciens,

Marc 7, 4 et ils ne mangent pas au retour de la place publique avant de s'être aspergés d'eau, et il y a beaucoup d'autres pratiques qu'ils observent par tradition: lavages de coupes, de cruches et de plats d'airain --,

Marc 7, 5 donc les Pharisiens et les scribes l'interrogent: "Pourquoi tes disciples ne se comportent-ils pas suivant la tradition des anciens, mais prennent-ils leur repas avec des mains impures?"

Marc 7, 6 Il leur dit: "Isaïe a bien prophétisé de vous, hypocrites, ainsi qu'il est écrit: Ce peuple m'honore des lèvres; mais leur coeur est loin de moi.

Marc 7, 7 Vain est le culte qu'ils me rendent, les doctrines qu'ils enseignent ne sont que préceptes humains.

Marc 7, 8 Vous mettez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes."

Marc 7, 9 Et il leur disait: "Vous annulez bel et bien le commandement de Dieu pour observer votre tradition.

Marc 7, 10 En effet, Moïse a dit: Rends tes devoirs à ton père et à ta mère, et: Que celui qui maudit son père ou sa mère, soit puni de mort.

Marc 7, 11 Mais vous, vous dites: Si un homme dit à son père ou à sa mère: Je déclare korbân (c'est-à-dire offrande sacrée) les biens dont j'aurais pu t'assister,

Marc 7, 12 vous ne le laissez plus rien faire pour son père ou pour sa mère

Marc 7, 13 et vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous vous êtes transmise. Et vous faites bien d'autres choses du même genre."

Marc 7, 14 Et ayant appelé de nouveau la foule près de lui, il leur disait: "Ecoutez-moi tous et comprenez!

Marc 7, 15 Il n'est rien d'extérieur à l'homme qui, pénétrant en lui, puisse le souiller, mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui souille l'homme.

Marc 7, 16 Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende!"

Marc 7, 17 Quand il fut entré dans la maison, à l'écart de la foule, ses disciples l'interrogeaient sur la parabole.

Marc 7, 18 Et il leur dit: "Vous aussi, vous êtes à ce point sans intelligence? Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui pénètre du dehors dans l'homme ne peut le souiller,

Marc 7, 19 parce que cela ne pénètre pas dans le coeur, mais dans le ventre, puis s'en va aux lieux d'aisance" (ainsi il déclarait purs tous les aliments).

Marc 7, 20 Il disait: "Ce qui sort de l'homme, voilà ce qui souille l'homme.

Marc 7, 21 Car c'est du dedans, du coeur des hommes, que sortent les desseins pervers: débauches, vols, meurtres,

Marc 7, 22 adultères, cupidités, méchancetés, ruse, impudicité, envie, diffamation, orgueil, déraison.

Marc 7, 23 Toutes ces mauvaises choses sortent du dedans et souillent l'homme."

Marc 7, 24 Partant de là, il s'en alla dans le territoire de Tyr. Etant entré dans une maison, il ne voulait pas que personne le sût, mais il ne put rester ignoré.

Marc 7, 25 Car aussitôt une femme, dont la petite fille avait un esprit impur, entendit parler de lui et vint se jeter à ses pieds.

Marc 7, 26 Cette femme était grecque, syrophénicienne de naissance, et elle le priait d'expulser le démon hors de sa fille.

Marc 7, 27 Et il lui disait: "Laisse d'abord les enfants se rassasier, car il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens."

Marc 7, 28 Mais elle de répliquer et de lui dire: "Oui, Seigneur! et les petits chiens sous la table mangent les miettes des enfants!"

Marc 7, 29 Alors il lui dit: "A cause de cette parole, va, le démon est sorti de ta fille."

Marc 7, 30 Elle retourna dans sa maison et trouva l'enfant étendue sur son lit et le démon parti.

Marc 7, 31 S'en retournant du territoire de Tyr, il vint par Sidon vers la mer de Galilée, à travers le territoire de la Décapole.

Marc 7, 32 Et on lui amène un sourd, qui de plus parlait difficilement, et on le prie de lui imposer la main.

Marc 7, 33 Le prenant hors de la foule, à part, il lui mit ses doigts dans les oreilles et avec sa salive lui toucha la langue.

Marc 7, 34 Puis, levant les yeux au ciel, il poussa un gémissement et lui dit: "Ephphatha", c'est-à-dire: "Ouvre-toi!"

Marc 7, 35 Et ses oreilles s'ouvrirent et aussitôt le lien de sa langue se dénoua et il parlait correctement.

Marc 7, 36 Et Jésus leur recommanda de ne dire la chose à personne; mais plus il le leur recommandait, de plus belle ils la proclamaient.

Marc 7, 37 Ils étaient frappés au-delà de toute mesure et disaient: "Il a bien fait toutes choses: il fait entendre les sourds et parler les muets."

Marc 8, 1 En ces jours-là, comme il y avait de nouveau une foule nombreuse et qu'ils n'avaient pas de quoi manger, il appela à lui ses disciples et leur dit:

Marc 8, 2 "J'ai pitié de la foule, car voilà déjà trois jours qu'ils restent auprès de moi et ils n'ont pas de quoi manger.

Marc 8, 3 Si je les renvoie à jeun chez eux, ils vont défaillir en route, et il y en a parmi eux qui sont venus de loin."

Marc 8, 4 Ses disciples lui répondirent: "Où prendre de quoi rassasier de pains ces gens, ici, dans un désert?"

Marc 8, 5 Et il leur demandait: "Combien avez-vous de pains" - "Sept", dirent-ils.

Marc 8, 6 Et il ordonne à la foule de s'étendre à terre; et, prenant les sept pains, il rendit grâces, les rompit et il les donnait à ses disciples pour les servir, et ils les servirent à la foule.

Marc 8, 7 Ils avaient encore quelques petits poissons; après les avoir bénis, il dit de les servir aussi.

Marc 8, 8 Ils mangèrent et furent rassasiés, et l'on emporta les restes des morceaux: sept corbeilles!

Marc 8, 9 Or ils étaient environ 4.000. Et il les renvoya;

Marc 8, 10 et aussitôt, montant dans la barque avec ses disciples, il vint dans la région de Dalmanoutha.

Marc 8, 11 Les Pharisiens sortirent et se mirent à discuter avec lui; ils demandaient de lui un signe venant du ciel, pour le mettre à l'épreuve.

Marc 8, 12 Gémissant en son esprit, il dit: "Qu'a cette génération à demander un signe? En vérité, je vous le dis, il ne sera pas donné de signe à cette génération."

Marc 8, 13 Et les laissant là, il s'embarqua de nouveau et partit pour l'autre rive.

Marc 8, 14 Ils avaient oublié de prendre des pains et ils n'avaient qu'un pain avec eux dans la barque.

Marc 8, 15 Or il leur faisait cette recommandation: "Ouvrez l'oeil et gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain d'Hérode."

Marc 8, 16 Et eux de faire entre eux cette réflexion: qu'ils n'ont pas de pains.

Marc 8, 17 Le sachant, il leur dit: "Pourquoi faire cette réflexion, que vous n'avez pas de pains? Vous ne comprenez pas encore et vous ne saisissez pas? Avez-vous donc l'esprit bouché,

Marc 8, 18 des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre? Et ne vous rappelez-vous pas,

Marc 8, 19 quand j'ai rompu les cinq pains pour les 5.000 hommes, combien de couffins pleins de morceaux vous avez emportés?" Ils lui disent: "Douze" --

Marc 8, 20 "Et lors des sept pour les 4.000 hommes, combien de corbeilles pleines de morceaux avez-vous emportées?" Et ils disent: "Sept."

Marc 8, 21 Alors il leur dit: "Ne comprenez-vous pas encore?"

Marc 8, 22 Ils arrivent à Bethsaïde et on lui amène un aveugle, en le priant de le toucher.

Marc 8, 23 Prenant l'aveugle par la main, il le fit sortir hors du village. Après lui avoir mis de la salive sur les yeux et lui avoir imposé les mains, il lui demandait: "Aperçois-tu quelque chose?"

Marc 8, 24 Et l'autre, qui commençait à voir, de répondre: "J'aperçois les gens, c'est comme si c'était des arbres que je les vois marcher."

Marc 8, 25 Après cela, il mit de nouveau ses mains sur les yeux de l'aveugle, et celui-ci vit clair et fut rétabli, et il voyait tout nettement, de loin.

Marc 8, 26 Et Jésus le renvoya chez lui, en lui disant: "N'entre même pas dans le village."

Marc 8, 27 Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages de Césarée de Philippe, et en chemin il posait à ses disciples cette question: "Qui suis-je, au dire des gens?"

Marc 8, 28 Ils lui dirent: "Jean le Baptiste; pour d'autres, Elie; pour d'autres, un des prophètes" --

Marc 8, 29 "Mais pour vous, leur demandait-il, qui suis-je?" Pierre lui répond: "Tu es le Christ."

Marc 8, 30 Alors il leur enjoignit de ne parler de lui à personne.

Marc 8, 31 Et il commença de leur enseigner: "Le Fils de l'homme doit beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, après trois jours, ressusciter;

Marc 8, 32 et c'est ouvertement qu'il disait ces choses. Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner.

Marc 8, 33 Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, admonesta Pierre et dit: "Passe derrière moi, Satan! car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes!"

Marc 8, 34 Appelant à lui la foule en même temps que ses disciples, il leur dit: "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive.

Marc 8, 35 Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Evangile la sauvera.

Marc 8, 36 Que sert donc à l'homme de gagner le monde entier, s'il ruine sa propre vie?

Marc 8, 37 Et que peut donner l'homme en échange de sa propre vie?

Marc 8, 38 Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi rougira de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges."

Marc 9, 1 Et il leur disait: "En vérité je vous le dis, il en est d'ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d'avoir vu le Royaume de Dieu venu avec puissance."

Marc 9, 2 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène seuls, à l'écart, sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux

Marc 9, 3 et ses vêtements devinrent resplendissants, d'une telle blancheur qu'aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte.

Marc 9, 4 Elie leur apparut avec Moïse et ils s'entretenaient avec Jésus.

Marc 9, 5 Alors Pierre, prenant la parole, dit à Jésus: "Rabbi, il est heureux que nous soyons ici; faisons donc trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie."

Marc 9, 6 C'est qu'il ne savait que répondre, car ils étaient saisis de frayeur.

Marc 9, 7 Et une nuée survint qui les prit sous son ombre, et une voix partit de la nuée: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé; écoutez-le."

Marc 9, 8 Soudain, regardant autour d'eux, ils ne virent plus personne, que Jésus seul avec eux.

Marc 9, 9 Comme ils descendaient de la montagne, il leur ordonna de ne raconter à personne ce qu'ils avaient vu, si ce n'est quand le Fils de l'homme serait ressuscité d'entre les morts.

Marc 9, 10 Ils gardèrent la recommandation, tout en se demandant entre eux ce que signifiait "ressusciter d'entre les morts."

Marc 9, 11 Et ils lui posaient cette question: "Pourquoi les scribes disent-ils qu'Elie doit venir d'abord?"

Marc 9, 12 Il leur dit: "Oui, Elie doit venir d'abord et tout remettre en ordre. Et comment est-il écrit du Fils de l'homme qu'il doit beaucoup souffrir et être méprisé?

Marc 9, 13 Mais je vous le dis: Elie est bien déjà venu et ils l'ont traité à leur guise, comme il est écrit de lui."

Marc 9, 14 En rejoignant les disciples, ils virent une foule nombreuse qui les entourait et des scribes qui discutaient avec eux.

Marc 9, 15 Et aussitôt qu'elle l'aperçut, toute la foule fut très surprise et ils accoururent pour le saluer.

Marc 9, 16 Et il leur demanda: "De quoi disputez-vous avec eux?"

Marc 9, 17 Quelqu'un de la foule lui dit: "Maître, je t'ai apporté mon fils qui a un esprit muet.

Marc 9, 18 Quand il le saisit, il le jette à terre, et il écume, grince des dents et devient raide. Et j'ai dit à tes disciples de l'expulser et ils n'en ont pas été capables" --

Marc 9, 19 "Engeance incrédule, leur répond-il, jusques à quand serai-je auprès de vous? Jusques à quand vous supporterai-je? Apportez-le-moi."

Marc 9, 20 Et ils le lui apportèrent. Sitôt qu'il vit Jésus, l'esprit secoua violemment l'enfant qui tomba à terre et il s'y roulait en écumant.

Marc 9, 21 Et Jésus demanda au père: "Combien de temps y a-t-il que cela lui arrive" - "Depuis son enfance, dit-il;

Marc 9, 22 et souvent il l'a jeté soit dans le feu soit dans l'eau pour le faire périr. Mais si tu peux quelque chose, viens à notre aide, par pitié pour nous" --

Marc 9, 23 "Si tu peux!... reprit Jésus; tout est possible à celui qui croit."

Marc 9, 24 Aussitôt le père de l'enfant de s'écrier: "Je crois! Viens en aide à mon peu de foi!"

Marc 9, 25 Jésus, voyant qu'une foule affluait, menaça l'esprit impur en lui disant: "Esprit muet et sourd, je te l'ordonne, sors de lui et n'y rentre plus."

Marc 9, 26 Après avoir crié et l'avoir violemment secoué, il sortit, et l'enfant devint comme mort, si bien que la plupart disaient: "Il a trépassé!"

Marc 9, 27 Mais Jésus, le prenant par la main, le releva et il se tint debout.

Marc 9, 28 Quand il fut rentré à la maison, ses disciples lui demandaient dans le privé: "Pourquoi nous autres, n'avons-nous pu l'expulser?"

Marc 9, 29 Il leur dit: "Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière."

Marc 9, 30 Etant partis de là, ils faisaient route à travers la Galilée et il ne voulait pas qu'on le sût.

Marc 9, 31 Car il instruisait ses disciples et il leur disait: "Le Fils de l'homme est livré aux mains des hommes et ils le tueront, et quand il aura été tué, après trois jours il ressuscitera."

Marc 9, 32 Mais ils ne comprenaient pas cette parole et ils craignaient de l'interroger.

Marc 9, 33 Ils vinrent à Capharnaüm; et, une fois à la maison, il leur demandait: "De quoi discutiez-vous en chemin?"

Marc 9, 34 Eux se taisaient, car en chemin ils avaient discuté entre eux qui était le plus grand.

Marc 9, 35 Alors, s'étant assis, il appela les Douze et leur dit: "Si quelqu'un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous."

Marc 9, 36 Puis, prenant un petit enfant, il le plaça au milieu d'eux et, l'ayant embrassé, il leur dit:

Marc 9, 37 "Quiconque accueille un des petits enfants tels que lui à cause de mon nom, c'est moi qu'il accueille; et quiconque m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais Celui qui m'a envoyé."

Marc 9, 38 Jean lui dit: "Maître, nous avons vu quelqu'un expulser des démons en ton nom, quelqu'un qui ne nous suit pas, et nous voulions l'empêcher, parce qu'il ne nous suivait pas."

Marc 9, 39 Mais Jésus dit: "Ne l'en empêchez pas, car il n'est personne qui puisse faire un miracle en invoquant mon nom et sitôt après parler mal de moi.

Marc 9, 40 Qui n'est pas contre nous est pour nous.

Marc 9, 41 "Quiconque vous donnera à boire un verre d'eau pour ce motif que vous êtes au Christ, en vérité, je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense.

Marc 9, 42 "Mais si quelqu'un doit scandaliser l'un de ces petits qui croient, il serait mieux pour lui de se voir passer autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d'être jeté à la mer.

Marc 9, 43 Et si ta main est pour toi une occasion de péché, coupe-la: mieux vaut pour toi entrer manchot dans la Vie que de t'en aller avec tes deux mains dans la géhenne, dans le feu qui ne s'éteint pas.

Marc 9, 45 Et si ton pied est pour toi une occasion de péché, coupe-le: mieux vaut pour toi entrer estropié dans la Vie que d'être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne.

Marc 9, 47 Et si ton oeil est pour toi une occasion de péché, arrache-le: mieux vaut pour toi entrer borgne dans le Royaume de Dieu que d'être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne

Marc 9, 48 où leur ver ne meurt point et où le feu ne s'éteint point.

Marc 9, 49 Car tous seront salés par le feu.

Marc 9, 50 C'est une bonne chose que le sel; mais si le sel devient insipide, avec quoi l'assaisonnerez-vous? Ayez du sel en vous-mêmes et vivez en paix les uns avec les autres."

Marc 10, 1 Partant de là, il vient dans le territoire de la Judée et au-delà du Jourdain, et de nouveau les foules se rassemblent auprès de lui et, selon sa coutume, de nouveau il les enseignait.

Marc 10, 2 S'approchant, des Pharisiens lui demandaient: "Est-il permis à un mari de répudier sa femme?" C'était pour le mettre à l'épreuve.

Marc 10, 3 Il leur répondit: "Qu'est-ce que Moïse vous a prescrit" --

Marc 10, 4 "Moïse, dirent-ils, a permis de rédiger un acte de divorce et de répudier."

Marc 10, 5 Alors Jésus leur dit: "C'est en raison de votre dureté de coeur qu'il a écrit pour vous cette prescription.

Marc 10, 6 Mais dès l'origine de la création Il les fit homme et femme.

Marc 10, 7 Ainsi donc l'homme quittera son père et sa mère,

Marc 10, 8 et les deux ne feront qu'une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair.

Marc 10, 9 Eh bien! ce que Dieu a uni, l'homme ne doit point le séparer."

Marc 10, 10 Rentrés à la maison, les disciples l'interrogeaient de nouveau sur ce point.

Marc 10, 11 Et il leur dit: "Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère à son égard;

Marc 10, 12 et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle commet un adultère."

Marc 10, 13 On lui présentait des petits enfants pour qu'il les touchât, mais les disciples les rabrouèrent.

Marc 10, 14 Ce que voyant, Jésus se fâcha et leur dit: "Laissez les petits enfants venir à moi; ne les empêchez pas, car c'est à leurs pareils qu'appartient le Royaume de Dieu.

Marc 10, 15 En vérité je vous le dis: quiconque n'accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant, n'y entrera pas."

Marc 10, 16 Puis il les embrassa et les bénit en leur imposant les mains.

Marc 10, 17 Il se mettait en route quand un homme accourut et, s'agenouillant devant lui, il l'interrogeait: "Bon maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle?"

Marc 10, 18 Jésus lui dit: "Pourquoi m'appelles-tu bon? Nul n'est bon que Dieu seul.

Marc 10, 19 Tu connais les commandements: Ne tue pas, ne commets pas d'adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage, ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère."

Marc 10, 20 "Maître --, lui dit-il, tout cela, je l'ai observé dès ma jeunesse."

Marc 10, 21 Alors Jésus fixa sur lui son regard et l'aima. Et il lui dit: "Une seule chose te manque: va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis, viens, suis-moi."

Marc 10, 22 Mais lui, à ces mots, s'assombrit et il s'en alla contristé, car il avait de grands biens.

Marc 10, 23 Alors Jésus, regardant autour de lui, dit à ses disciples: "Comme il sera difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu!"

Marc 10, 24 Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Mais Jésus reprit et leur dit: "Mes enfants, comme il est difficile d'entrer dans le Royaume de Dieu!

Marc 10, 25 Il est plus facile à un chameau de passer par le trou de l'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu!"

Marc 10, 26 Ils restèrent interdits à l'excès et se disaient les uns aux autres: "Et qui peut être sauvé?"

Marc 10, 27 Fixant sur eux son regard, Jésus dit: "Pour les hommes, impossible, mais non pour Dieu: car tout est possible pour Dieu."

Marc 10, 28 Pierre se mit à lui dire: "Voici que nous, nous avons tout laissé et nous t'avons suivi."

Marc 10, 29 Jésus déclara: "En vérité, je vous le dis, nul n'aura laissé maison, frères, soeurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l'Evangile,

Marc 10, 30 qui ne reçoive le centuple dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, soeurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle.

Marc 10, 31 Beaucoup de premiers seront derniers et les derniers seront premiers."

Marc 10, 32 Ils étaient en route, montant à Jérusalem; et Jésus marchait devant eux, et ils étaient dans la stupeur, et ceux qui suivaient étaient effrayés. Prenant de nouveau les Douze avec lui, il se mit à leur dire ce qui allait lui arriver:

Marc 10, 33 "Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens,

Marc 10, 34 ils le bafoueront, cracheront sur lui, le flagelleront et le tueront, et après trois jours il ressuscitera."

Marc 10, 35 Jacques et Jean, les fils de Zébédée, avancent vers lui et lui disent: "Maître, nous voulons que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander."

Marc 10, 36 Il leur dit: "Que voulez-vous que je fasse pour vous" --

Marc 10, 37 "Accorde-nous, lui dirent-ils, de siéger, l'un à ta droite et l'autre à ta gauche, dans ta gloire."

Marc 10, 38 Jésus leur dit: "Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire et être baptisés du baptême dont je vais être baptisé?"

Marc 10, 39 Ils lui dirent: "Nous le pouvons." Jésus leur dit: "La coupe que je vais boire, vous la boirez, et le baptême dont je vais être baptisé, vous en serez baptisés;

Marc 10, 40 quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m'appartient pas de l'accorder, mais c'est pour ceux à qui cela a été destiné."

Marc 10, 41 Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s'indigner contre Jacques et Jean.

Marc 10, 42 Les ayant appelés près de lui, Jésus leur dit: "Vous savez que ceux qu'on regarde comme les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir.

Marc 10, 43 Il ne doit pas en être ainsi parmi vous: au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur,

Marc 10, 44 et celui qui voudra être le premier parmi vous, sera l'esclave de tous.

Marc 10, 45 Aussi bien, le Fils de l'homme lui-même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude."

Marc 10, 46 Ils arrivent à Jéricho. Et comme il sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule considérable, le fils de Timée (Bartimée), un mendiant aveugle, était assis au bord du chemin.

Marc 10, 47 Quand il apprit que c'était Jésus le Nazarénien, il se mit à crier: "Fils de David, Jésus, aie pitié de moi!"

Marc 10, 48 Et beaucoup le rabrouaient pour lui imposer silence, mais lui criait de plus belle: "Fils de David, aie pitié de moi!"

Marc 10, 49 Jésus s'arrêta et dit: "Appelez-le." On appelle l'aveugle en lui disant: "Aie confiance! lève-toi, il t'appelle."

Marc 10, 50 Et lui, rejetant son manteau, bondit et vint à Jésus.

Marc 10, 51 Alors Jésus lui adressa la parole: "Que veux-tu que je fasse pour toi?" L'aveugle lui répondit: "Rabbouni, que je recouvre la vue!"

Marc 10, 52 Jésus lui dit: "Va, ta foi t'a sauvé." Et aussitôt il recouvra la vue et il cheminait à sa suite.

Marc 11, 1 Quand ils approchent de Jérusalem, en vue de Bethphagé et de Béthanie, près du mont des Oliviers, il envoie deux de ses disciples,

Marc 11, 2 en leur disant: "Allez au village qui est en face de vous, et aussitôt, en y pénétrant, vous trouverez, à l'attache, un ânon que personne au monde n'a encore monté. Détachez-le et amenez-le.

Marc 11, 3 Et si quelqu'un vous dit: Que faites-vous là? Dites: Le Seigneur en a besoin et aussitôt il va le renvoyer ici."

Marc 11, 4 Ils partirent et trouvèrent un ânon à l'attache près d'une porte, dehors, sur la rue, et ils le détachent.

Marc 11, 5 Quelques-uns de ceux qui se tenaient là leur dirent: "Qu'avez-vous à détacher cet ânon?"

Marc 11, 6 Ils dirent comme Jésus leur avait dit, et on les laissa faire.

Marc 11, 7 Ils amènent l'ânon à Jésus et ils mettent sur lui leurs manteaux et il s'assit dessus.

Marc 11, 8 Et beaucoup de gens étendirent leurs manteaux sur le chemin; d'autres, des jonchées de verdure qu'ils coupaient dans les champs.

Marc 11, 9 Et ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient: "Hosanna! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!

Marc 11, 10 Béni soit le Royaume qui vient, de notre père David! Hosanna au plus haut des cieux!"

Marc 11, 11 Il entra à Jérusalem dans le Temple et, après avoir tout regardé autour de lui, comme il était déjà tard, il sortit pour aller à Béthanie avec les Douze.

Marc 11, 12 Le lendemain, comme ils étaient sortis de Béthanie, il eut faim.

Marc 11, 13 Voyant de loin un figuier qui avait des feuilles, il alla voir s'il y trouverait quelque fruit, mais s'en étant approché, il ne trouva rien que des feuilles: car ce n'était pas la saison des figues.

Marc 11, 14 S'adressant au figuier, il lui dit: "Que jamais plus personne ne mange de tes fruits!" Et ses disciples l'entendaient.

Marc 11, 15 Ils arrivent à Jérusalem. Etant entré dans le Temple, il se mit à chasser les vendeurs et les acheteurs qui s'y trouvaient: il culbuta les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes,

Marc 11, 16 et il ne laissait personne transporter d'objet à travers le Temple.

Marc 11, 17 Et il les enseignait et leur disait: "N'est-il pas écrit: Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations? Mais vous, vous en avez fait un repaire de brigands!"

Marc 11, 18 Cela vint aux oreilles des grands prêtres et des scribes et ils cherchaient comment le faire périr; car ils le craignaient, parce que tout le peuple était ravi de son enseignement.

Marc 11, 19 Le soir venu, il s'en allait hors de la ville.

Marc 11, 20 Passant au matin, ils virent le figuier desséché jusqu'aux racines.

Marc 11, 21 Et Pierre, se ressouvenant, lui dit: "Rabbi, regarde: le figuier que tu as maudit est desséché."

Marc 11, 22 En réponse, Jésus leur dit: "Ayez foi en Dieu.

Marc 11, 23 En vérité je vous le dis, si quelqu'un dit à cette montagne: Soulève-toi et jette-toi dans la mer, et s'il n'hésite pas dans son coeur, mais croit que ce qu'il dit va arriver, cela lui sera accordé.

Marc 11, 24 C'est pourquoi je vous dis: tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l'avez déjà reçu, et cela vous sera accordé.

Marc 11, 25 Et quand vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, remettez-lui, afin que votre Père qui est aux cieux vous remette aussi vos offenses.

Marc 11, 27 Ils viennent de nouveau à Jérusalem. Et tandis qu'il circule dans le Temple, les grands prêtres, les scribes et les anciens viennent à lui

Marc 11, 28 et ils lui disaient: "Par quelle autorité fais-tu cela? Ou qui t'a donné cette autorité pour le faire?"

Marc 11, 29 Jésus leur dit: "Je vous poserai une seule question. Répondez-moi et je vous dirai par quelle autorité je fais cela.

Marc 11, 30 Le baptême de Jean était-il du Ciel ou des hommes? Répondez-moi."

Marc 11, 31 Or ils se faisaient par-devers eux ce raisonnement: "Si nous disons: Du Ciel, il dira: Pourquoi donc n'avez-vous pas cru en lui?

Marc 11, 32 Mais allons-nous dire: Des hommes?" Ils craignaient la foule car tous tenaient que Jean avait été réellement un prophète.

Marc 11, 33 Et ils font à Jésus cette réponse: "Nous ne savons pas." Et Jésus leur dit: "Moi non plus, je ne vous dis pas par quelle autorité je fais cela."

Marc 12, 1 Il se mit à leur parler en paraboles: "Un homme planta une vigne, l'entoura d'une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour; puis il la loua à des vignerons et partit en voyage.

Marc 12, 2 Il envoya un serviteur aux vignerons, le moment venu, pour recevoir d'eux une part des fruits de la vigne.

Marc 12, 3 Mais ils se saisirent de lui, le battirent et le renvoyèrent les mains vides.

Marc 12, 4 De nouveau, il leur envoya un autre serviteur: celui-là aussi, ils le frappèrent à la tête et le couvrirent d'outrages.

Marc 12, 5 Et il en envoya un autre: celui-là, ils le tuèrent; puis beaucoup d'autres: ils battirent les uns, tuèrent les autres.

Marc 12, 6 Il lui restait encore quelqu'un, un fils bien-aimé; il le leur envoya le dernier, en se disant: Ils respecteront mon fils.

Marc 12, 7 Mais ces vignerons se dirent entre eux: Celui-ci est l'héritier; venez, tuons-le, et l'héritage sera à nous.

Marc 12, 8 Et le saisissant, ils le tuèrent et le jetèrent hors de la vigne.

Marc 12, 9 Que fera le maître de la vigne? Il viendra, fera périr les vignerons et donnera la vigne à d'autres.

Marc 12, 10 Et n'avez-vous pas lu cette Ecriture: La pierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs, c'est elle qui est devenue pierre de faîte;

Marc 12, 11 c'est là l'oeuvre du Seigneur et elle est admirable à nos yeux?"

Marc 12, 12 Ils cherchaient à l'arrêter, mais ils eurent peur de la foule. Ils avaient bien compris, en effet, que c'était pour eux qu'il avait dit la parabole. Et le laissant, ils s'en allèrent.

Marc 12, 13 Ils lui envoient alors quelques-uns des Pharisiens et des Hérodiens pour le prendre au piège dans sa parole.

Marc 12, 14 Ils viennent et lui disent: "Maître, nous savons que tu es véridique et que tu ne te préoccupes pas de qui que ce soit; car tu ne regardes pas au rang des personnes, mais tu enseignes en toute vérité la voie de Dieu. Est-il permis ou non de payer l'impôt à César? Devons-nous payer, oui ou non?"

Marc 12, 15 Mais lui, sachant leur hypocrisie, leur dit: "Pourquoi me tendez-vous un piège? Apportez-moi un denier, que je le voie."

Marc 12, 16 Ils en apportèrent un et il leur dit: "De qui est l'effigie que voici? Et l'inscription?" Ils lui dirent: "De César."

Marc 12, 17 Alors Jésus leur dit: "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu." Et ils étaient fort surpris à son sujet.

Marc 12, 18 Alors viennent à lui des Sadducéens - de ces gens qui disent qu'il n'y a pas de résurrection - et ils l'interrogeaient en disant:

Marc 12, 19 "Maître, Moïse a écrit pour nous: Si quelqu'un a un frère qui meurt en laissant une femme sans enfant, que ce frère prenne la femme et suscite une postérité à son frère.

Marc 12, 20 Il y avait sept frères. Le premier prit femme et mourut sans laisser de postérité.

Marc 12, 21 Le second prit la femme et mourut aussi sans laisser de postérité, et de même le troisième;

Marc 12, 22 et aucun des sept ne laissa de postérité. Après eux tous, la femme aussi mourut.

Marc 12, 23 A la résurrection, quand ils ressusciteront, duquel d'entre eux sera-t-elle la femme? Car les sept l'auront eue pour femme."

Marc 12, 24 Jésus leur dit: "N'êtes-vous pas dans l'erreur, en ne connaissant ni les Ecritures ni la puissance de Dieu?

Marc 12, 25 Car, lorsqu'on ressuscite d'entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux.

Marc 12, 26 Quant au fait que les morts ressuscitent, n'avez-vous pas lu dans le Livre de Moïse, au passage du Buisson, comment Dieu lui a dit: Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob?

Marc 12, 27 Il n'est pas un Dieu de morts, mais de vivants. Vous êtes grandement dans l'erreur!"

Marc 12, 28 Un scribe qui les avait entendus discuter, voyant qu'il leur avait bien répondu, s'avança et lui demanda: "Quel est le premier de tous les commandements?"

Marc 12, 29 Jésus répondit: "Le premier c'est: Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur,

Marc 12, 30 et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force.

Marc 12, 31 Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas de commandement plus grand que ceux-là."

Marc 12, 32 Le scribe lui dit: "Fort bien, Maître, tu as eu raison de dire qu'Il est unique et qu'il n'y en a pas d'autre que Lui;

Marc 12, 33 l'aimer de tout son coeur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer le prochain comme soi-même, vaut mieux que tous les holocaustes et tous les sacrifices."

Marc 12, 34 Jésus, voyant qu'il avait fait une remarque pleine de sens, lui dit: "Tu n'es pas loin du Royaume de Dieu." Et nul n'osait plus l'interroger.

Marc 12, 35 Prenant la parole, Jésus disait en enseignant dans le Temple: "Comment les scribes peuvent-ils dire que le Christ est fils de David?

Marc 12, 36 C'est David lui-même qui a dit par l'Esprit Saint: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Siège à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis tes ennemis dessous tes pieds.

Marc 12, 37 David en personne l'appelle Seigneur; comment alors peut-il être son fils?" Et la foule nombreuse l'écoutait avec plaisir.

Marc 12, 38 Il disait encore dans son enseignement: "Gardez-vous des scribes qui se plaisent à circuler en longues robes, à recevoir les salutations sur les places publiques,

Marc 12, 39 à occuper les premiers sièges dans les synagogues et les premiers divans dans les festins,

Marc 12, 40 qui dévorent les biens des veuves, et affectent de faire de longues prières. Ils subiront, ceux-là, une condamnation plus sévère."

Marc 12, 41 S'étant assis face au Trésor, il regardait la foule mettre de la petite monnaie dans le Trésor, et beaucoup de riches en mettaient abondamment.

Marc 12, 42 Survint une veuve pauvre qui y mit deux piécettes, soit un quart d'as.

Marc 12, 43 Alors il appela à lui ses disciples et leur dit: "En vérité, je vous le dis, cette veuve, qui est pauvre, a mis plus que tous ceux qui mettent dans le Trésor.

Marc 12, 44 Car tous ont mis de leur superflu, mais elle, de son indigence, a mis tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre."

Marc 13, 1 Comme il s'en allait hors du Temple, un de ses disciples lui dit: "Maître, regarde, quelles pierres! quelles constructions!"

Marc 13, 2 Et Jésus lui dit: "Tu vois ces grandes constructions? Il n'en restera pas pierre sur pierre qui ne soit jetée bas."

Marc 13, 3 Et comme il était assis sur le mont des Oliviers en face du Temple, Pierre, Jacques, Jean et André l'interrogeaient en particulier:

Marc 13, 4 "Dis-nous quand cela aura lieu et quel sera le signe que tout cela va finir?"

Marc 13, 5 Alors Jésus se mit à leur dire: "Prenez garde qu'on ne vous abuse.

Marc 13, 6 Il en viendra beaucoup sous mon nom, qui diront: C'est moi, et ils abuseront bien des gens.

Marc 13, 7 Lorsque vous entendrez parler de guerres et de rumeurs de guerres, ne vous alarmez pas: il faut que cela arrive, mais ce ne sera pas encore la fin.

Marc 13, 8 On se dressera, en effet, nation contre nation et royaume contre royaume. Il y aura par endroits des tremblements de terre, il y aura des famines. Ce sera le commencement des douleurs de l'enfantement.

Marc 13, 9 "Soyez sur vos gardes. On vous livrera aux sanhédrins, vous serez battus de verges dans les synagogues et vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi, pour rendre témoignage en face d'eux.

Marc 13, 10 Il faut d'abord que l'Evangile soit proclamé à toutes les nations.

Marc 13, 11 "Et quand on vous emmènera pour vous livrer, ne vous préoccupez pas de ce que vous direz, mais dites ce qui vous sera donné sur le moment: car ce n'est pas vous qui parlerez, mais l'Esprit Saint.

Marc 13, 12 Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mourir.

Marc 13, 13 Et vous serez haïs de tous à cause de mon nom, mais celui qui aura tenu bon jusqu'au bout, celui-là sera sauvé.

Marc 13, 14 "Lorsque vous verrez l'abomination de la désolation installée là où elle ne doit pas être (que le lecteur comprenne!) alors que ceux qui seront en Judée s'enfuient dans les montagnes,

Marc 13, 15 que celui qui sera sur la terrasse ne descende pas pour rentrer dans sa maison et prendre ses affaires;

Marc 13, 16 et que celui qui sera aux champs ne retourne pas en arrière pour prendre son manteau!

Marc 13, 17 Malheur à celles qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là!

Marc 13, 18 Priez pour que cela ne tombe pas en hiver.

Marc 13, 19 Car en ces jours-là il y aura une tribulation telle qu'il n'y en a pas eu de pareille depuis le commencement de la création qu'a créée Dieu jusqu'à ce jour, et qu'il n'y en aura jamais plus.

Marc 13, 20 Et si le Seigneur n'avait abrégé ces jours, nul n'aurait eu la vie sauve; mais à cause des élus qu'il a choisis, il a abrégé ces jours.

Marc 13, 21 Alors si quelqu'un vous dit: Voici: le Christ est ici!, Voici: il est là!, n'en croyez rien.

Marc 13, 22 Il surgira, en effet, des faux Christs et des faux prophètes qui opéreront des signes et des prodiges pour abuser, s'il était possible, les élus.

Marc 13, 23 Pour vous, soyez en garde: je vous ai prévenus de tout.

Marc 13, 24 Mais en ces jours-là, après cette tribulation, le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière,

Marc 13, 25 les étoiles se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées.

Marc 13, 26 Et alors on verra le Fils de l'homme venant dans des nuées avec grande puissance et gloire.

Marc 13, 27 Et alors il enverra les anges pour rassembler ses élus, des quatre vents, de l'extrémité de la terre à l'extrémité du ciel.

Marc 13, 28 "Du figuier apprenez cette parabole. Dès que sa ramure devient flexible et que ses feuilles poussent, vous comprenez que l'été est proche.

Marc 13, 29 Ainsi vous, lorsque vous verrez cela arriver, comprenez qu'Il est proche, aux portes.

Marc 13, 30 En vérité je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé.

Marc 13, 31 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point.

Marc 13, 32 "Quant à la date de ce jour, ou à l'heure, personne ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, personne que le Père.

Marc 13, 33 "Soyez sur vos gardes, veillez, car vous ne savez pas quand ce sera le moment.

Marc 13, 34 Il en sera comme d'un homme parti en voyage: il a quitté sa maison, donné pouvoir à ses serviteurs, à chacun sa tâche, et au portier il a recommandé de veiller.

Marc 13, 35 Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir, le soir, à minuit, au chant du coq ou le matin,

Marc 13, 36 de peur que, venant à l'improviste, il ne vous trouve endormis.

Marc 13, 37 Et ce que je vous dis à vous, je le dis à tous: veillez!"

Marc 14, 1 La Pâque et les Azymes allaient avoir lieu dans deux jours, et les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer.

Marc 14, 2 Car ils se disaient: "Pas en pleine fête, de peur qu'il n'y ait du tumulte parmi le peuple."

Marc 14, 3 Comme il se trouvait à Béthanie, chez Simon le lépreux, alors qu'il était à table, une femme vint, avec un flacon d'albâtre contenant un nard pur de grand prix. Brisant le flacon, elle le lui versa sur la tête.

Marc 14, 4 Or il y en eut qui s'indignèrent entre eux: "A quoi bon ce gaspillage de parfum?

Marc 14, 5 Ce parfum pouvait être vendu plus de 300 deniers et donné aux pauvres." Et ils la rudoyaient.

Marc 14, 6 Mais Jésus dit: "Laissez-la; pourquoi la tracassez-vous? C'est une bonne oeuvre qu'elle a accomplie sur moi.

Marc 14, 7 Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous et, quand vous le voudrez, vous pourrez leur faire du bien, mais moi, vous ne m'aurez pas toujours.

Marc 14, 8 Elle a fait ce qui était en son pouvoir: d'avance elle a parfumé mon corps pour l'ensevelissement.

Marc 14, 9 En vérité, je vous le dis, partout où sera proclamé l'Evangile, au monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu'elle vient de faire."

Marc 14, 10 Judas Iscarioth, l'un des Douze, s'en alla auprès des grands prêtres pour le leur livrer.

Marc 14, 11 A cette nouvelle ils se réjouirent et ils promirent de lui donner de l'argent. Et il cherchait une occasion favorable pour le livrer.

Marc 14, 12 Le premier jour des Azymes, où l'on immolait la Pâque, ses disciples lui disent: "Où veux-tu que nous nous en allions préparer pour que tu manges la Pâque?"

Marc 14, 13 Il envoie alors deux de ses disciples, en leur disant: "Allez à la ville; vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau. Suivez-le,

Marc 14, 14 et là où il entrera, dites au propriétaire: Le Maître te fait dire: Où est ma salle, où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples?

Marc 14, 15 Et il vous montrera, à l'étage, une grande pièce garnie de coussins, toute prête; faites-y pour nous les préparatifs."

Marc 14, 16 Les disciples partirent et vinrent à la ville, et ils trouvèrent comme il leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque.

Marc 14, 17 Le soir venu, il arrive avec les Douze.

Marc 14, 18 Et tandis qu'ils étaient à table et qu'ils mangeaient, Jésus dit: "En vérité, je vous le dis, l'un de vous me livrera, un qui mange avec moi."

Marc 14, 19 Ils devinrent tout tristes et se mirent à lui dire l'un après l'autre: "Serait-ce moi?"

Marc 14, 20 Il leur dit: "C'est l'un des Douze, qui plonge avec moi la main dans le même plat.

Marc 14, 21 Oui, le Fils de l'homme s'en va selon qu'il est écrit de lui; mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l'homme est livré! Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître!"

Marc 14, 22 Et tandis qu'ils mangeaient, il prit du pain, le bénit, le rompit et le leur donna en disant: "Prenez, ceci est mon corps."

Marc 14, 23 Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna, et ils en burent tous.

Marc 14, 24 Et il leur dit: "Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude.

Marc 14, 25 En vérité, je vous le dis, je ne boirai plus du produit de la vigne jusqu'au jour où je boirai le vin nouveau dans le Royaume de Dieu."

Marc 14, 26 Après le chant des

Marc Psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.

Marc 14, 27 Et Jésus leur dit: "Tous vous allez succomber, car il est écrit: Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées.

Marc 14, 28 Mais après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée."

Marc 14, 29 Pierre lui dit: "Même si tous succombent, du moins pas moi!"

Marc 14, 30 Jésus lui dit: "En vérité, je te le dis: toi, aujourd'hui, cette nuit même, avant que le coq chante deux fois, tu m'auras renié trois fois."

Marc 14, 31 Mais lui reprenait de plus belle: "Dussé-je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas." Et tous disaient de même.

Marc 14, 32 Ils parviennent à un domaine du nom de Gethsémani, et il dit à ses disciples: "Restez ici tandis que je prierai."

Marc 14, 33 Puis il prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il commença à ressentir effroi et angoisse.

Marc 14, 34 Et il leur dit: "Mon âme est triste à en mourir; demeurez ici et veillez."

Marc 14, 35 Etant allé un peu plus loin, il tombait à terre, et il priait pour que, s'il était possible, cette heure passât loin de lui.

Marc 14, 36 Et il disait: "Abba (Père)! tout t'est possible: éloigne de moi cette coupe; pourtant, pas ce que je veux, mais ce que tu veux!"

Marc 14, 37 Il vient et les trouve en train de dormir; et il dit à Pierre: "Simon, tu dors? Tu n'as pas eu la force de veiller une heure?

Marc 14, 38 Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation: l'esprit est ardent, mais la chair est faible."

Marc 14, 39 Puis il s'en alla de nouveau et pria, en disant les mêmes paroles.

Marc 14, 40 De nouveau il vint et les trouva endormis, car leurs yeux étaient alourdis; et ils ne savaient que lui répondre.

Marc 14, 41 Une troisième fois il vient et leur dit: "Désormais vous pouvez dormir et vous reposer. C'en est fait. L'heure est venue: voici que le Fils de l'homme va être livré aux mains des pécheurs.

Marc 14, 42 Levez-vous! Allons! Voici que celui qui me livre est tout proche."

Marc 14, 43 Et aussitôt, comme il parlait encore, survient Judas, l'un des Douze, et avec lui une bande armée de glaives et de bâtons, venant de la part des grands prêtres, des scribes et des anciens.

Marc 14, 44 Or, le traître leur avait donné ce signe convenu: "Celui à qui je donnerai un baiser, c'est lui; arrêtez-le et emmenez-le sous bonne garde."

Marc 14, 45 Et aussitôt arrivé, il s'approcha de lui en disant: "Rabbi", et il lui donna un baiser.

Marc 14, 46 Les autres mirent la main sur lui et l'arrêtèrent.

Marc 14, 47 Alors l'un des assistants, dégainant son glaive, frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui enleva l'oreille.

Marc 14, 48 S'adressant à eux, Jésus leur dit: "Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons pour me saisir!

Marc 14, 49 Chaque jour j'étais auprès de vous dans le Temple, à enseigner, et vous ne m'avez pas arrêté. Mais c'est pour que les Ecritures s'accomplissent."

Marc 14, 50 Et, l'abandonnant, ils prirent tous la fuite.

Marc 14, 51 Un jeune homme le suivait, n'ayant pour tout vêtement qu'un drap, et on le saisit;

Marc 14, 52 mais lui, lâchant le drap, s'enfuit tout nu.

Marc 14, 53 Ils emmenèrent Jésus chez le Grand Prêtre, et tous les grands prêtres, les anciens et les scribes se rassemblent.

Marc 14, 54 Pierre l'avait suivi de loin jusqu'à l'intérieur du palais du Grand Prêtre et, assis avec les valets, ils se chauffait à la flambée.

Marc 14, 55 Or, les grands prêtres et tout le Sanhédrin cherchaient un témoignage contre Jésus pour le faire mourir et ils n'en trouvaient pas.

Marc 14, 56 Car plusieurs déposaient faussement contre lui et leurs témoignages ne concordaient pas.

Marc 14, 57 Quelques-uns se levèrent pour porter contre lui ce faux témoignage:

Marc 14, 58 "Nous l'avons entendu qui disait: Je détruirai ce Sanctuaire fait de main d'homme et en trois jours j'en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d'homme."

Marc 14, 59 Et sur cela même leurs dépositions n'étaient pas d'accord.

Marc 14, 60 Se levant alors au milieu, le Grand Prêtre interrogea Jésus: "Tu ne réponds rien? Qu'est-ce que ces gens attestent contre toi?"

Marc 14, 61 Mais lui se taisait et ne répondit rien. De nouveau le Grand Prêtre l'interrogeait, et il lui dit: "Tu es le Christ, le Fils du Béni" --

Marc 14, 62 "Je le suis, dit Jésus, et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite de la Puissance et venant avec les nuées du ciel."

Marc 14, 63 Alors le Grand Prêtre déchira ses tuniques et dit: "Qu'avons-nous encore besoin de témoins?

Marc 14, 64 Vous avez entendu le blasphème; que vous en semble?" Tous prononcèrent qu'il était passible de mort.

Marc 14, 65 Et quelques-uns se mirent à lui cracher au visage, à le gifler et à lui dire: "Fais le prophète!" Et les valets le bourrèrent de coups.

Marc 14, 66 Comme Pierre était en bas dans la cour, arrive une des servantes du Grand Prêtre.

Marc 14, 67 Voyant Pierre qui se chauffait, elle le dévisagea et dit: "Toi aussi, tu étais avec le Nazarénien Jésus."

Marc 14, 68 Mais lui nia en disant: "Je ne sais pas, je ne comprends pas ce que tu dis." Puis il se retira dehors vers le vestibule et un coq chanta.

Marc 14, 69 La servante, l'ayant vu, recommença à dire aux assistants: "Celui-là en est!"

Marc 14, 70 Mais de nouveau il niait. Peu après, à leur tour, les assistants disaient à Pierre: "Vraiment tu en es; et d'ailleurs tu es Galiléen."

Marc 14, 71 Mais il se mit à jurer avec force imprécations: "Je ne connais pas cet homme dont vous parlez."

Marc 14, 72 Et aussitôt, pour la seconde fois, un coq chanta. Et Pierre se ressouvint de la parole que Jésus lui avait dite: "Avant que le coq chante deux fois, tu m'auras renié trois fois." Et il éclata en sanglots.

Marc 15, 1 Et aussitôt, le matin, les grands prêtres préparèrent un conseil avec les anciens, les scribes, et tout le Sanhédrin; puis, après avoir ligoté Jésus, ils l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate.

Marc 15, 2 Pilate l'interrogea: "Tu es le roi des Juifs?" Jésus lui répond: "Tu le dis."

Marc 15, 3 Et les grands prêtres multipliaient contre lui les accusations.

Marc 15, 4 Et Pilate de l'interroger à nouveau: "Tu ne réponds rien? Vois tout ce dont ils t'accusent!"

Marc 15, 5 Mais Jésus ne répondit plus rien, si bien que Pilate était étonné.

Marc 15, 6 A chaque Fête, il leur relâchait un prisonnier, celui qu'ils demandaient.

Marc 15, 7 Or, il y avait en prison le nommé Barabbas, arrêté avec les émeutiers qui avaient commis un meurtre dans la sédition.

Marc 15, 8 La foule étant montée se mit à demander la grâce accoutumée.

Marc 15, 9 Pilate leur répondit: "Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs?"

Marc 15, 10 Il se rendait bien compte que c'était par jalousie que les grands prêtres l'avaient livré.

Marc 15, 11 Cependant, les grands prêtres excitèrent la foule à demander qu'il leur relâchât plutôt Barabbas.

Marc 15, 12 Pilate, prenant de nouveau la parole, leur disait: "Que ferai-je donc de celui que vous appelez le roi des Juifs?"

Marc 15, 13 Mais eux crièrent de nouveau: "Crucifie-le!"

Marc 15, 14 Et Pilate de leur dire: "Qu'a-t-il donc fait de mal?" Mais ils n'en crièrent que plus fort: "Crucifie-le!"

Marc 15, 15 Pilate alors, voulant contenter la foule, leur relâcha Barabbas et, après avoir fait flageller Jésus, il le livra pour être crucifié.

Marc 15, 16 Les soldats l'emmenèrent à l'intérieur du palais, qui est le Prétoire, et ils convoquent toute la cohorte.

Marc 15, 17 Ils le revêtent de pourpre, puis, ayant tressé une couronne d'épines, ils la lui mettent.

Marc 15, 18 Et ils se mirent à le saluer: "Salut, roi des Juifs!"

Marc 15, 19 Et ils lui frappaient la tête avec un roseau et ils lui crachaient dessus, et ils ployaient le genou devant lui pour lui rendre hommage.

Marc 15, 20 Puis, quand ils se furent moqués de lui, ils lui ôtèrent la pourpre et lui remirent ses vêtements. Ils le mènent dehors afin de le crucifier.

Marc 15, 21 Et ils requièrent, pour porter sa croix, Simon de Cyrène, le père d'Alexandre et de Rufus, qui passait par là, revenant des champs.

Marc 15, 22 Et ils amènent Jésus au lieu dit Golgotha, ce qui se traduit lieu du Crâne.

Marc 15, 23 Et ils lui donnaient du vin parfumé de myrrhe, mais il n'en prit pas.

Marc 15, 24 Puis ils le crucifient et se partagent ses vêtements en tirant au sort ce qui reviendrait à chacun.

Marc 15, 25 C'était la troisième heure quand ils le crucifièrent.

Marc 15, 26 L'inscription qui indiquait le motif de sa condamnation était libellée: "Le roi des Juifs."

Marc 15, 27 Et avec lui ils crucifient deux brigands, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche.

Marc 15, 29 Les passants l'injuriaient en hochant la tête et disant: "Hé! toi qui détruis le Sanctuaire et le rebâtis en trois jours,

Marc 15, 30 sauve-toi toi-même en descendant de la croix!"

Marc 15, 31 Pareillement les grands prêtres se gaussaient entre eux avec les scribes et disaient: "Il en a sauvé d'autres et il ne peut se sauver lui-même!

Marc 15, 32 Que le Christ, le Roi d'Israël, descende maintenant de la croix, pour que nous voyions et que nous croyions!" Même ceux qui étaient crucifiés avec lui l'outrageaient.

Marc 15, 33 Quand il fut la sixième heure, l'obscurité se fit sur la terre entière jusqu'à la neuvième heure.

Marc 15, 34 Et à la neuvième heure Jésus clama en un grand cri: "Elôï, Elôï, lema sabachthani", ce qui se traduit: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?"

Marc 15, 35 Certains des assistants disaient en l'entendant: "Voilà qu'il appelle Elie!"

Marc 15, 36 Quelqu'un courut tremper une éponge dans du vinaigre et, l'ayant mise au bout d'un roseau, il lui donnait à boire en disant: "Laissez! que nous voyions si Elie va venir le descendre!"

Marc 15, 37 Or Jésus, jetant un grand cri, expira.

Marc 15, 38 Et le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas.

Marc 15, 39 Voyant qu'il avait ainsi expiré, le centurion, qui se tenait en face de lui, s'écria: "Vraiment cet homme était fils de Dieu!"

Marc 15, 40 Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, entre autres Marie de Magdala, Marie mère de Jacques le petit et de Joset, et Salomé,

Marc 15, 41 qui le suivaient et le servaient lorsqu'il était en Galilée; beaucoup d'autres encore qui étaient montées avec lui à Jérusalem.

Marc 15, 42 Déjà le soir était venu et comme c'était la Préparation, c'est-à-dire la veille du sabbat,

Marc 15, 43 Joseph d'Arimathie, membre notable du Conseil, qui attendait lui aussi le Royaume de Dieu, s'en vint hardiment trouver Pilate et réclama le corps de Jésus.

Marc 15, 44 Pilate s'étonna qu'il fût déjà mort et, ayant fait appeler le centurion, il lui demanda s'il était mort depuis longtemps.

Marc 15, 45 Informé par le centurion, il octroya le corps à Joseph.

Marc 15, 46 Celui-ci, ayant acheté un linceul, descendit Jésus, l'enveloppa dans le linceul et le déposa dans une tombe qui avait été taillée dans le roc; puis il roula une pierre à l'entrée du tombeau.

Marc 15, 47 Or, Marie de Magdala et Marie, mère de Joset, regardaient où on l'avait mis.

Marc 16, 1 Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller oindre le corps.

Marc 16, 2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil s'étant levé.

Marc 16, 3 Elles se disaient entre elles: "Qui nous roulera la pierre hors de la porte du tombeau?"

Marc 16, 4 Et ayant levé les yeux, elles virent que la pierre avait été roulée de côté: or elle était fort grande.

Marc 16, 5 Etant entrées dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de stupeur.

Marc 16, 6 Mais il leur dit: "Ne vous effrayez pas. C'est Jésus le Nazarénien que vous cherchez, le Crucifié: ils est ressuscité, il n'est pas ici. Voici le lieu où on l'avait mis.

Marc 16, 7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre, qu'il vous précède en Galilée: c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit."

Marc 16, 8 Elles sortirent et s'enfuirent du tombeau, parce qu'elles étaient toutes tremblantes et hors d'elles-mêmes. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur...

Marc 16, 9 Ressuscité le matin, le premier jour de la semaine, il apparut d'abord à Marie de Magdala dont il avait chassé sept démons.

Marc 16, 10 Celle-ci alla le rapporter à ceux qui avaient été ses compagnons et qui étaient dans le deuil et les larmes.

Marc 16, 11 Et ceux-là, l'entendant dire qu'il vivait et qu'elle l'avait vu, ne la crurent pas.

Marc 16, 12 Après cela, il se manifesta sous d'autres traits à deux d'entre eux qui étaient en chemin et s'en allaient à la campagne.

Marc 16, 13 Et ceux-là revinrent l'annoncer aux autres, mais on ne les crut pas non plus.

Marc 16, 14 Enfin il se manifesta aux Onze eux-mêmes pendant qu'ils étaient à table, et il leur reprocha leur incrédulité et leur obstination à ne pas ajouter foi à ceux qui l'avaient vu ressuscité.

Marc 16, 15 Et il leur dit: "Allez dans le monde entier, proclamez l'Evangile à toute la création.

Marc 16, 16 Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé; celui qui ne croira pas, sera condamné.

Marc 16, 17 Et voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru: en mon nom ils chasseront les démons, ils parleront en langues nouvelles,

Marc 16, 18 ils saisiront des serpents, et s'ils boivent quelque poison mortel, il ne leur fera pas de mal; ils imposeront les mains aux infirmes et ceux-ci seront guéris."

Marc 16, 19 Or le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et il s'assit à la droite de Dieu.

Marc 16, 20 Pour eux, ils s'en allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui l'accompagnaient.

 

 

Evangile selon Luc

 

 

1, 1 Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous,

Luc 1, 2 d'après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole,

Luc 1, 3 j'ai décidé, moi aussi, après m'être informé exactement de tout depuis les origines d'en écrire pour toi l'exposé suivi, excellent Théophile,

Luc 1, 4 pour que tu te rendes bien compte de la sûreté des enseignements que tu as reçus.

Luc 1, 5 Il y eut aux jours d'Hérode, roi de Judée, un prêtre du nom de Zacharie, de la classe d'Abia, et il avait pour femme une descendante d'Aaron, dont le nom était Elisabeth.

Luc 1, 6 Tous deux étaient justes devant Dieu, et ils suivaient, irréprochables, tous les commandements et observances du Seigneur.

Luc 1, 7 Mais ils n'avaient pas d'enfant, parce qu'Elisabeth était stérile et que tous deux étaient avancés en âge.

Luc 1, 8 Or il advint, comme il remplissait devant Dieu les fonctions sacerdotales au tour de sa classe,

Luc 1, 9 qu'il fut, suivant la coutume sacerdotale, désigné par le sort pour entrer dans le sanctuaire du Seigneur et y brûler l'encens.

Luc 1, 10 Et toute la multitude du peuple était en prière, dehors, à l'heure de l'encens.

Luc 1, 11 Alors lui apparut l'Ange du Seigneur, debout à droite de l'autel de l'encens.

Luc 1, 12 A cette vue, Zacharie fut troublé et la crainte fondit sur lui.

Luc 1, 13 Mais l'ange lui dit: "Sois sans crainte, Zacharie, car ta supplication a été exaucée; ta femme Elisabeth t'enfantera un fils, et tu l'appelleras du nom de Jean.

Luc 1, 14 Tu auras joie et allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance.

Luc 1, 15 Car il sera grand devant le Seigneur; il ne boira ni vin ni boisson forte; il sera rempli d'Esprit Saint dès le sein de sa mère

Luc 1, 16 et il ramènera de nombreux fils d'Israël au Seigneur, leur Dieu.

Luc 1, 17 Il marchera devant lui avec l'esprit et la puissance d'Elie, pour ramener le coeur des pères vers les enfants et les rebelles à la prudence des justes, préparant au Seigneur un peuple bien disposé."

Luc 1, 18 Zacharie dit à l'ange: "A quoi connaîtrai-je cela? Car moi je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge."

Luc 1, 19 Et l'ange lui répondit: "Moi je suis Gabriel, qui me tiens devant Dieu, et j'ai été envoyé pour te parler et t'annoncer cette bonne nouvelle.

Luc 1, 20 Et voici que tu vas être réduit au silence et sans pouvoir parler jusqu'au jour où ces choses arriveront, parce que tu n'as pas cru à mes paroles, lesquelles s'accompliront en leur temps."

Luc 1, 21 Le peuple cependant attendait Zacharie et s'étonnait qu'il s'attardât dans le sanctuaire.

Luc 1, 22 Mais quand il sortit, il ne pouvait leur parler, et ils comprirent qu'il avait eu une vision dans le sanctuaire. Pour lui, il leur faisait des signes et demeurait muet.

Luc 1, 23 Et il advint, quand ses jours de service furent accomplis, qu'il s'en retourna chez lui.

Luc 1, 24 Quelque temps après, sa femme Elisabeth conçut, et elle se tenait cachée cinq mois durant.

Luc 1, 25 "Voilà donc, disait-elle, ce qu'a fait pour moi le Seigneur, au temps où il lui a plu d'enlever mon opprobre parmi les hommes!"

Luc 1, 26 Le sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, du nom de Nazareth,

Luc 1, 27 à une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David; et le nom de la vierge était Marie.

Luc 1, 28 Il entra et lui dit: "Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi."

Luc 1, 29 A cette parole elle fut toute troublée, et elle se demandait ce que signifiait cette salutation.

Luc 1, 30 Et l'ange lui dit: "Sois sans crainte, Marie; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.

Luc 1, 31 Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus.

Luc 1, 32 Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père;

Luc 1, 33 il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n'aura pas de fin."

Luc 1, 34 Mais Marie dit à l'ange: "Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme?"

Luc 1, 35 L'ange lui répondit: "L'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre; c'est pourquoi l'être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu.

Luc 1, 36 Et voici qu'Elisabeth, ta parente, vient, elle aussi, de concevoir un fils dans sa vieillesse, et elle en est à son sixième mois, elle qu'on appelait la stérile;

Luc 1, 37 car rien n'est impossible à Dieu."

Luc 1, 38 Marie dit alors: "Je suis la servante du Seigneur; qu'il m'advienne selon ta parole!" Et l'ange la quitta.

Luc 1, 39 En ces jours-là, Marie partit et se rendit en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda.

Luc 1, 40 Elle entra chez Zacharie et salua Elisabeth.

Luc 1, 41 Et il advint, dès qu'Elisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l'enfant tressaillit dans son sein et Elisabeth fut remplie d'Esprit Saint.

Luc 1, 42 Alors elle poussa un grand cri et dit: "Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein!

Luc 1, 43 Et comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur?

Luc 1, 44 Car, vois-tu, dès l'instant où ta salutation a frappé mes oreilles, l'enfant a tressailli d'allégresse en mon sein.

Luc 1, 45 Oui, bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur!"

Luc 1, 46 Marie dit alors: "Mon âme exalte le Seigneur,

Luc 1, 47 et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon sauveur,

Luc 1, 48 parce qu'il a jeté les yeux sur l'abaissement de sa servante. Oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse,

Luc 1, 49 car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses. Saint est son nom,

Luc 1, 50 et sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent.

Luc 1, 51 Il a déployé la force de son bras, il a dispersé les hommes au coeur superbe.

Luc 1, 52 Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles,

Luc 1, 53 Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides.

Luc 1, 54 Il est venu en aide à Israël, son serviteur, se souvenant de sa miséricorde, --

Luc 1, 55 selon qu'il l'avait annoncé à nos pères - en faveur d'Abraham et de sa postérité à jamais!"

Luc 1, 56 Marie demeura avec elle environ trois mois, puis elle s'en retourna chez elle.

Luc 1, 57 Quant à Elisabeth, le temps fut accompli où elle devait enfanter, et elle mit au monde un fils.

Luc 1, 58 Ses voisins et ses proches apprirent que le Seigneur avait fait éclater sa miséricorde à son égard, et ils s'en réjouissaient avec elle.

Luc 1, 59 Et il advint, le huitième jour, qu'ils vinrent pour circoncire l'enfant. On voulait l'appeler Zacharie, du nom de son père;

Luc 1, 60 mais, prenant la parole, sa mère dit: "Non, il s'appellera Jean."

Luc 1, 61 Et on lui dit: "Il n'y a personne de ta parenté qui porte ce nom!"

Luc 1, 62 Et l'on demandait par signes au père comment il voulait qu'on l'appelât.

Luc 1, 63 Celui-ci demanda une tablette et écrivit: "Jean est son nom"; et ils en furent tous étonnés.

Luc 1, 64 A l'instant même, sa bouche s'ouvrit et sa langue se délia, et il parlait et bénissait Dieu.

Luc 1, 65 La crainte s'empara de tous leurs voisins, et dans la montagne de Judée tout entière on racontait toutes ces choses.

Luc 1, 66 Tous ceux qui en entendirent parler les mirent dans leur coeur, en disant: "Que sera donc cet enfant?" Et, de fait, la main du Seigneur était avec lui.

Luc 1, 67 Et Zacharie, son père, fut rempli d'Esprit Saint et se mit à prophétiser:

Luc 1, 68 "Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, de ce qu'il a visité et délivré son peuple,

Luc 1, 69 et nous a suscité une puissance de salut dans la maison de David, son serviteur,

Luc 1, 70 selon qu'il l'avait annoncé par la bouche de ses saints prophètes des temps anciens,

Luc 1, 71 pour nous sauver de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent.

Luc 1, 72 Ainsi fait-il miséricorde à nos pères, ainsi se souvient-il de son alliance sainte,

Luc 1, 73 du serment qu'il a juré à Abraham, notre père, de nous accorder

Luc 1, 74 que, sans crainte, délivrés de la main de nos ennemis, nous le servions

Luc 1, 75 en sainteté et justice devant lui, tout au long de nos jours.

Luc 1, 76 Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut; car tu marcheras devant le Seigneur, pour lui préparer les voies,

Luc 1, 77 pour donner à son peuple la connaissance du salut par la rémission de ses péchés;

Luc 1, 78 grâce aux sentiments de miséricorde de notre Dieu, dans lesquels nous a visités l'Astre d'en haut,

Luc 1, 79 pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l'ombre de la mort, afin de guider nos pas dans le chemin de la paix."

Luc 1, 80 Cependant l'enfant grandissait, et son esprit se fortifiait. Et il demeurait dans les déserts jusqu'au jour de sa manifestation à Israël.

Luc 2, 1 Or, il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité.

Luc 2, 2 Ce recensement, le premier, eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie.

Luc 2, 3 Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville.

Luc 2, 4 Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s'appelle Bethléem, - parce qu'il était de la maison et de la lignée de David --

Luc 2, 5 afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte.

Luc 2, 6 Or il advint, comme ils étaient là, que les jours furent accomplis où elle devait enfanter.

Luc 2, 7 Elle enfanta son fils premier-né, l'enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu'ils manquaient de place dans la salle.

Luc 2, 8 Il y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux champs et gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit.

Luc 2, 9 L'Ange du Seigneur se tint près d'eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté; et ils furent saisis d'une grande crainte.

Luc 2, 10 Mais l'ange leur dit: "Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple:

Luc 2, 11 aujourd'hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David.

Luc 2, 12 Et ceci vous servira de signe: vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche."

Luc 2, 13 Et soudain se joignit à l'ange une troupe nombreuse de l'armée céleste, qui louait Dieu, en disant:

Luc 2, 14 "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance!"

Luc 2, 15 Et il advint, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, que les bergers se dirent entre eux: "Allons jusqu'à Bethléem et voyons ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître."

Luc 2, 16 Ils vinrent donc en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la crèche.

Luc 2, 17 Ayant vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant;

Luc 2, 18 et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers.

Luc 2, 19 Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son coeur.

Luc 2, 20 Puis les bergers s'en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, suivant ce qui leur avait été annoncé.

Luc 2, 21 Et lorsque furent accomplis les huit jours pour sa circoncision, il fut appelé du nom de Jésus, nom indiqué par l'ange avant sa conception.

Luc 2, 22 Et lorsque furent accomplis les jours pour leur purification, selon la loi de Moïse, ils l'emmenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur,

Luc 2, 23 selon qu'il est écrit dans la Loi du Seigneur: Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur,

Luc 2, 24 et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la Loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes.

Luc 2, 25 Et voici qu'il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux; il attendait la consolation d'Israël et l'Esprit Saint reposait sur lui.

Luc 2, 26 Et il avait été divinement averti par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur.

Luc 2, 27 Il vint donc au Temple, poussé par l'Esprit, et quand les parents apportèrent le petit enfant Jésus pour accomplir les prescriptions de la Loi à son égard,

Luc 2, 28 il le reçut dans ses bras, bénit Dieu et dit:

Luc 2, 29 "Maintenant, Souverain Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s'en aller en paix;

Luc 2, 30 car mes yeux ont vu ton salut,

Luc 2, 31 que tu as préparé à la face de tous les peuples,

Luc 2, 32 lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël."

Luc 2, 33 Son père et sa mère étaient dans l'étonnement de ce qui se disait de lui.

Luc 2, 34 Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère: "Vois! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël; il doit être un signe en butte à la contradiction, --

Luc 2, 35 et toi-même, une épée te transpercera l'âme! - afin que se révèlent les pensées intimes de bien des coeurs."

Luc 2, 36 Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanouel, de la tribu d'Aser. Elle était fort avancée en âge. Après avoir, depuis sa virginité, vécu sept ans avec son mari,

Luc 2, 37 elle était restée veuve; parvenue à l'âge de 84 ans, elle ne quittait pas le Temple, servant Dieu nuit et jour dans le jeûne et la prière.

Luc 2, 38 Survenant à cette heure même, elle louait Dieu et parlait de l'enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.

Luc 2, 39 Et quand ils eurent accompli tout ce qui était conforme à la Loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, à Nazareth, leur ville.

Luc 2, 40 Cependant l'enfant grandissait, se fortifiait et se remplissait de sagesse. Et la grâce de Dieu était sur lui.

Luc 2, 41 Ses parents se rendaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque.

Luc 2, 42 Et lorsqu'il eut douze ans, ils y montèrent, comme c'était la coutume pour la fête.

Luc 2, 43 Une fois les jours écoulés, alors qu'ils s'en retournaient, l'enfant Jésus resta à Jérusalem à l'insu de ses parents.

Luc 2, 44 Le croyant dans la caravane, ils firent une journée de chemin, puis ils se mirent à le rechercher parmi leurs parents et connaissances.

Luc 2, 45 Ne l'ayant pas trouvé, ils revinrent, toujours à sa recherche, à Jérusalem.

Luc 2, 46 Et il advint, au bout de trois jours, qu'ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant;

Luc 2, 47 et tous ceux qui l'entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses.

Luc 2, 48 A sa vue, ils furent saisis d'émotion, et sa mère lui dit: "Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela? Vois! ton père et moi, nous te cherchons, angoissés."

Luc 2, 49 Et il leur dit: "Pourquoi donc me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père?"

Luc 2, 50 Mais eux ne comprirent pas la parole qu'il venait de leur dire.

Luc 2, 51 Il redescendit alors avec eux et revint à Nazareth; et il leur était soumis. Et sa mère gardait fidèlement toutes ces choses en son coeur.

Luc 2, 52 Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes.

Luc 3, 1 L'an quinze du principat de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d'Iturée et de Trachonitide, Lysanias tétrarque d'Abilène,

Luc 3, 2 sous le pontificat d'Anne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de Zacharie, dans le désert.

Luc 3, 3 Et il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés,

Luc 3, 4 comme il est écrit au livre des paroles d'Isaïe le prophète: Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers;

Luc 3, 5 tout ravin sera comblé, et toute montagne ou colline sera abaissée; les passages tortueux deviendront droits et les chemins raboteux seront nivelés.

Luc 3, 6 Et toute chair verra le salut de Dieu.

Luc 3, 7 Il disait donc aux foules qui s'en venaient se faire baptiser par lui: "Engeance de vipères, qui vous a suggéré d'échapper à la Colère prochaine?

Luc 3, 8 Produisez donc des fruits dignes du repentir, et n'allez pas dire en vous-mêmes: Nous avons pour père Abraham. Car je vous dis que Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham.

Luc 3, 9 Déjà même la cognée se trouve à la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu."

Luc 3, 10 Et les foules l'interrogeaient, en disant: "Que nous faut-il donc faire?"

Luc 3, 11 Il leur répondait: "Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n'en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même."

Luc 3, 12 Des publicains aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent: "Maître, que nous faut-il faire?"

Luc 3, 13 Il leur dit: "N'exigez rien au-delà de ce qui vous est prescrit."

Luc 3, 14 Des soldats aussi l'interrogeaient, en disant: "Et nous, que nous faut-il faire?" Il leur dit: "Ne molestez personne, n'extorquez rien, et contentez-vous de votre solde."

Luc 3, 15 Comme le peuple était dans l'attente et que tous se demandaient en leur coeur, au sujet de Jean, s'il n'était pas le Christ,

Luc 3, 16 Jean prit la parole et leur dit à tous: "Pour moi, je vous baptise avec de l'eau, mais vient le plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales; lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu.

Luc 3, 17 Il tient en sa main la pelle à vanner pour nettoyer son aire et recueillir le blé dans son grenier; quant aux bales, il les consumera au feu qui ne s'éteint pas."

Luc 3, 18 Et par bien d'autres exhortations encore il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.

Luc 3, 19 Cependant Hérode le tétrarque, qu'il reprenait au sujet d'Hérodiade, la femme de son frère, et pour tous les méfaits qu'il avait commis,

Luc 3, 20 ajouta encore celui-ci à tous les autres: il fit enfermer Jean en prison.

Luc 3, 21 Or il advint, une fois que tout le peuple eut été baptisé et au moment où Jésus, baptisé lui aussi, se trouvait en prière, que le ciel s'ouvrit,

Luc 3, 22 et l'Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix partit du ciel: "Tu es mon fils; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré."

Luc 3, 23 Et Jésus, lors de ses débuts, avait environ 30 ans, et il était, à ce qu'on croyait, fils de Joseph, fils d'Héli,

Luc 3, 24 fils de Matthat, fils de Lévi, fils de Melchi, fils de Jannaï, fils de Joseph,

Luc 3, 25 fils de Mattathias, fils d'Amos, fils de Naoum, fils d'Esli, fils de Naggaï,

Luc 3, 26 fils de Maath, fils de Mattathias, fils de Séméin, fils de Josech, fils de Joda,

Luc 3, 27 fils de Joanan, fils de Résa, fils de Zorobabel, fils de Salathiel, fils de Néri,

Luc 3, 28 fils de Melchi, fils d'Addi, fils de Kosam, fils d'Elmadam, fils d'Er,

Luc 3, 29 fils de Jésus, fils d'Eliézer, fils de Jorim, fils de Matthat, fils de Lévi,

Luc 3, 30 fils de Syméon, fils de Juda, fils de Joseph, fils de Jonam, fils d'Eliakim,

Luc 3, 31 fils de Méléa, fils de Menna, fils de Mattatha, fils de Nathan, fils de David,

Luc 3, 32 fils de Jessé, fils de Jobed, fils de Booz, fils de Sala, fils de Naasson,

Luc 3, 33 fils d'Aminadab, fils d'Admin, fils d'Arni, fils de Hesron, fils de Pharès, fils de Juda,

Luc 3, 34 fils de Jacob, fils d'Isaac, fils d'Abraham, fils de Thara, fils de Nachor,

Luc 3, 35 fils de Sérouch, fils de Ragau, fils de Phalec, fils d'Eber, fils de Sala,

Luc 3, 36 fils de Kaïnam, fils d'Arphaxad, fils de Sem, fils de Noé, fils de Lamech,

Luc 3, 37 fils de Mathousala, fils de Hénoch, fils de Jaret, fils de Maleléel, fils de Kaïnam,

Luc 3, 38 fils d'Enos, fils de Seth, fils d'Adam, fils de Dieu.

Luc 4, 1 Jésus, rempli d'Esprit Saint, revint du Jourdain et il était mené par l'Esprit à travers le désert

Luc 4, 2 durant 40 jours, tenté par le diable. Il ne mangea rien en ces jours-là et, quand ils furent écoulés, il eut faim.

Luc 4, 3 Le diable lui dit: "Si tu es Fils de Dieu, dis à cette pierre qu'elle devienne du pain."

Luc 4, 4 Et Jésus lui répondit: "Il est écrit: Ce n'est pas de pain seul que vivra l'homme."

Luc 4, 5 L'emmenant plus haut, le diable lui montra en un instant tous les royaumes de l'univers

Luc 4, 6 et lui dit: "Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car elle m'a été livrée, et je la donne à qui je veux.

Luc 4, 7 Toi donc, si tu te prosternes devant moi, elle t'appartiendra tout entière."

Luc 4, 8 Et Jésus lui dit: "Il est écrit: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et à lui seul tu rendras un culte."

Luc 4, 9 Puis il le mena à Jérusalem, le plaça sur le pinacle du Temple et lui dit: "Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d'ici en bas;

Luc 4, 10 car il est écrit: Il donnera pour toi des ordres à ses anges, afin qu'ils te gardent.

Luc 4, 11 Et encore: Sur leurs mains, ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre."

Luc 4, 12 Mais Jésus lui répondit: "Il est dit: Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu."

Luc 4, 13 Ayant ainsi épuisé toute tentation, le diable s'éloigna de lui jusqu'au moment favorable.

Luc 4, 14 Jésus retourna en Galilée, avec la puissance de l'Esprit, et une rumeur se répandit par toute la région à son sujet.

Luc 4, 15 Il enseignait dans leurs synagogues, glorifié par tous.

Luc 4, 16 Il vint à Nazara où il avait été élevé, entra, selon sa coutume le jour du sabbat, dans la synagogue, et se leva pour faire la lecture.

Luc 4, 17 On lui remit le livre du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage où il était écrit:

Luc 4, 18 L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés,

Luc 4, 19 proclamer une année de grâce du Seigneur.

Luc 4, 20 Il replia le livre, le rendit au servant et s'assit. Tous dans la synagogue tenaient les yeux fixés sur lui.

Luc 4, 21 Alors il se mit à leur dire: "Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Ecriture."

Luc 4, 22 Et tous lui rendaient témoignage et étaient en admiration devant les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche. Et ils disaient: "N'est-il pas le fils de Joseph, celui-là?"

Luc 4, 23 Et il leur dit: "A coup sûr, vous allez me citer ce dicton: Médecin, guéris-toi toi-même. Tout ce qu'on nous a dit être arrivé à Capharnaüm, fais-le de même ici dans ta patrie."

Luc 4, 24 Et il dit: "En vérité, je vous le dis, aucun prophète n'est bien reçu dans sa patrie.

Luc 4, 25 "Assurément, je vous le dis, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Elie, lorsque le ciel fut fermé pour trois ans et six mois, quand survint une grande famine sur tout le pays;

Luc 4, 26 et ce n'est à aucune d'elles que fut envoyé Elie, mais bien à une veuve de Sarepta, au pays de Sidon.

Luc 4, 27 Il y avait aussi beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée; et aucun d'eux ne fut purifié, mais bien Naaman, le Syrien."

Luc 4, 28 Entendant cela, tous dans la synagogue furent remplis de fureur.

Luc 4, 29 Et, se levant, ils le poussèrent hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline sur laquelle leur ville était bâtie, pour l'en précipiter.

Luc 4, 30 Mais lui, passant au milieu d'eux, allait son chemin...

Luc 4, 31 Il descendit à Capharnaüm, ville de Galilée, et il les enseignait le jour du sabbat.

Luc 4, 32 Et ils étaient frappés de son enseignement, car il parlait avec autorité.

Luc 4, 33 Dans la synagogue il y avait un homme ayant un esprit de démon impur, et il cria d'une voix forte:

Luc 4, 34 "Ah! que nous veux-tu, Jésus le Nazarénien? Es-tu venu pour nous perdre? Je sais qui tu es: le Saint de Dieu."

Luc 4, 35 Et Jésus le menaça en disant: "Tais-toi, et sors de lui." Et le précipitant au milieu, le démon sortit de lui sans lui faire aucun mal.

Luc 4, 36 La frayeur les saisit tous, et ils se disaient les uns aux autres: "Quelle est cette parole? Il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs et ils sortent!"

Luc 4, 37 Et un bruit se propageait à son sujet en tout lieu de la région."

Luc 4, 38 Partant de la synagogue, il entra dans la maison de Simon. La belle-mère de Simon était en proie à une forte fièvre, et ils le prièrent à son sujet.

Luc 4, 39 Se penchant sur elle, il menaça la fièvre, et elle la quitta; à l'instant même, se levant elle les servait.

Luc 4, 40 Au coucher du soleil, tous ceux qui avaient des malades atteints de maux divers les lui amenèrent, et lui, imposant les mains à chacun d'eux, il les guérissait.

Luc 4, 41 D'un grand nombre aussi sortaient des démons, qui vociféraient en disant: "Tu es le Fils de Dieu!" Mais, les menaçant, il ne leur permettait pas de parler, parce qu'ils savaient qu'il était le Christ.

Luc 4, 42 Le jour venu, il sortit et se rendit dans un lieu désert. Les foules le cherchaient et, l'ayant rejoint, elles voulaient le retenir et l'empêcher de les quitter.

Luc 4, 43 Mais il leur dit: "Aux autres villes aussi il me faut annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, car c'est pour cela que j'ai été envoyé."

Luc 4, 44 Et il prêchait dans les synagogues de la Judée.

Luc 5, 1 Or il advint, comme la foule le serrait de près et écoutait la parole de Dieu, tandis que lui se tenait sur le bord du lac de Gennésaret,

Luc 5, 2 qu'il vit deux petites barques arrêtées sur le bord du lac; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets.

Luc 5, 3 Il monta dans l'une des barques, qui était à Simon, et pria celui-ci de s'éloigner un peu de la terre; puis, s'étant assis, de la barque il enseignait les foules.

Luc 5, 4 Quand il eut cessé de parler, il dit à Simon: "Avance en eau profonde, et lâchez vos filets pour la pêche."

Luc 5, 5 Simon répondit: "Maître, nous avons peiné toute une nuit sans rien prendre, mais sur ta parole je vais lâcher les filets."

Luc 5, 6 Et l'ayant fait, ils capturèrent une grande multitude de poissons, et leurs filets se rompaient.

Luc 5, 7 Ils firent signe alors à leurs associés qui étaient dans l'autre barque de venir à leur aide. Ils vinrent, et l'on remplit les deux barques, au point qu'elles enfonçaient.

Luc 5, 8 A cette vue, Simon-Pierre se jeta aux genoux de Jésus, en disant: "Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur!"

Luc 5, 9 La frayeur en effet l'avait envahi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause du coup de filet qu'ils venaient de faire;

Luc 5, 10 pareillement Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons de Simon. Mais Jésus dit à Simon: "Sois sans crainte; désormais ce sont des hommes que tu prendras."

Luc 5, 11 Et ramenant les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent.

Luc 5, 12 Et il advint, comme il était dans une ville, qu'il y avait un homme plein de lèpre. A la vue de Jésus, il tomba sur la face et le pria en disant: "Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier."

Luc 5, 13 Il étendit la main et le toucha, en disant: "Je le veux, sois purifié." Et aussitôt la lèpre le quitta.

Luc 5, 14 Et il lui enjoignit de n'en parler à personne: "Mais va-t-en te montrer au prêtre, et offre pour ta purification selon ce qu'a prescrit Moïse: ce leur sera une attestation."

Luc 5, 15 Or, la nouvelle se répandait de plus en plus à son sujet, et des foules nombreuses s'assemblaient pour l'entendre et se faire guérir de leurs maladies.

Luc 5, 16 Mais lui se tenait retiré dans les déserts et priait.

Luc 5, 17 Et il advint, un jour qu'il était en train d'enseigner, qu'il y avait, assis, des Pharisiens et des docteurs de la Loi venus de tous les villages de Galilée, de Judée, et de Jérusalem; et la puissance du Seigneur lui faisait opérer des guérisons.

Luc 5, 18 Et voici des gens portant sur un lit un homme qui était paralysé, et ils cherchaient à l'introduire et à le placer devant lui.

Luc 5, 19 Et comme ils ne savaient par où l'introduire à cause de la foule, ils montèrent sur le toit et, à travers les tuiles, ils le descendirent avec sa civière, au milieu, devant Jésus.

Luc 5, 20 Voyant leur foi, il dit: "Homme, tes péchés te sont remis."

Luc 5, 21 Les scribes et les Pharisiens se mirent à penser: "Qui est-il celui-là, qui profère des blasphèmes? Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul?"

Luc 5, 22 Mais, percevant leurs pensées, Jésus prit la parole et leur dit: "Pourquoi ces pensées dans vos coeurs?

Luc 5, 23 Quel est le plus facile, de dire: Tes péchés te sont remis, ou de dire: Lève-toi et marche?

Luc 5, 24 Eh bien! pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, je te l'ordonne, dit-il au paralysé, lève-toi et, prenant ta civière, va chez toi."

Luc 5, 25 Et, à l'instant même, se levant devant eux, et prenant ce sur quoi il gisait, il s'en alla chez lui en glorifiant Dieu.

Luc 5, 26 Tous furent alors saisis de stupeur et ils glorifiaient Dieu. Ils furent remplis de crainte et ils disaient: "Nous avons vu d'étranges choses aujourd'hui!"

Luc 5, 27 Après cela il sortit, remarqua un publicain du nom de Lévi assis au bureau de la douane, et il lui dit: "Suis-moi."

Luc 5, 28 Et, quittant tout et se levant, il le suivait.

Luc 5, 29 Lévi lui fit un grand festin dans sa maison, et il y avait une foule nombreuse de publicains et d'autres gens qui se trouvaient à table avec eux.

Luc 5, 30 Les Pharisiens et leurs scribes murmuraient et disaient à ses disciples: "Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs?"

Luc 5, 31 Et, prenant la parole, Jésus leur dit: "Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades;

Luc 5, 32 je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir."

Luc 5, 33 Mais eux lui dirent: "Les disciples de Jean jeûnent fréquemment et font des prières, ceux des Pharisiens pareillement, et les tiens mangent et boivent!"

Luc 5, 34 Jésus leur dit: "Pouvez-vous faire jeûner les compagnons de l'époux pendant que l'époux est avec eux?

Luc 5, 35 Mais viendront des jours... et quand l'époux leur aura été enlevé, alors ils jeûneront en ces jours-là."

Luc 5, 36 Il leur disait encore une parabole: "Personne ne déchire une pièce d'un vêtement neuf pour la rajouter à un vieux vêtement; autrement, on aura déchiré le neuf, et la pièce prise au neuf jurera avec le vieux.

Luc 5, 37 "Personne non plus ne met du vin nouveau dans des outres vieilles; autrement, le vin nouveau fera éclater les outres, et il se répandra et les outres seront perdues.

Luc 5, 38 Mais du vin nouveau, il le faut mettre en des outres neuves.

Luc 5, 39 Et personne, après avoir bu du vin vieux, n'en veut du nouveau. On dit en effet: C'est le vieux qui est bon."

Luc 6, 1 Or il advint, un sabbat, qu'il traversait des moissons, et ses disciples arrachaient et mangeaient des épis en les froissant de leurs mains.

Luc 6, 2 Mais quelques Pharisiens dirent: "Pourquoi faites-vous ce qui n'est pas permis le jour du sabbat?"

Luc 6, 3 Jésus leur répondit: "Vous n'avez donc pas lu ce que fit David, lorsqu'il eut faim, lui et ses compagnons,

Luc 6, 4 comment il entra dans la demeure de Dieu, prit les pains d'oblation, en mangea et en donna à ses compagnons, ces pains qu'il n'est permis de manger qu'aux seuls prêtres?"

Luc 6, 5 Et il leur disait: "Le Fils de l'homme est maître du sabbat."

Luc 6, 6 Or il advint, un autre sabbat, qu'il entra dans la synagogue, et il enseignait. Il y avait là un homme dont la main droite était sèche.

Luc 6, 7 Les scribes et les Pharisiens l'épiaient pour voir s'il allait guérir, le sabbat, afin de trouver à l'accuser.

Luc 6, 8 Mais lui connaissait leurs pensées. Il dit donc à l'homme qui avait la main sèche: "Lève-toi et tiens-toi debout au milieu." Il se leva et se tint debout.

Luc 6, 9 Puis Jésus leur dit: "Je vous le demande: est-il permis, le sabbat, de faire le bien plutôt que de faire le mal, de sauver une vie plutôt que de la perdre?"

Luc 6, 10 Promenant alors son regard sur eux tous, il lui dit: "Etends ta main." L'autre le fit, et sa main fut remise en état.

Luc 6, 11 Mais eux furent remplis de rage, et ils se concertaient sur ce qu'ils pourraient bien faire à Jésus.

Luc 6, 12 Or il advint, en ces jours-là, qu'il s'en alla dans la montagne pour prier, et il passait toute la nuit à prier Dieu.

Luc 6, 13 Lorsqu'il fit jour, il appela ses disciples et il en choisit douze, qu'il nomma apôtres:

Luc 6, 14 Simon, qu'il nomma Pierre, André son frère, Jacques, Jean, Philippe, Barthélemy,

Luc 6, 15 Matthieu, Thomas, Jacques fils d'Alphée, Simon appelé le Zélote,

Luc 6, 16 Judas fils de Jacques, et Judas Iscarioth, qui devint un traître.

Luc 6, 17 Descendant alors avec eux, il se tint sur un plateau. Il y avait là une foule nombreuse de ses disciples et une grande multitude de gens qui, de toute la Judée et de Jérusalem et du littoral de Tyr et de Sidon,

Luc 6, 18 étaient venus pour l'entendre et se faire guérir de leurs maladies. Ceux que tourmentaient des esprits impurs étaient guéris,

Luc 6, 19 et toute la foule cherchait à le toucher, parce qu'une force sortait de lui et les guérissait tous.

Luc 6, 20 Et lui, levant les yeux sur ses disciples, disait: "Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous.

Luc 6, 21 Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez.

Luc 6, 22 Heureux êtes-vous, quand les hommes vous haïront, quand ils vous frapperont d'exclusion et qu'ils insulteront et proscriront votre nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme.

Luc 6, 23 Réjouissez-vous ce jour-là et tressaillez d'allégresse, car voici que votre récompense sera grande dans le ciel. C'est de cette manière, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes."

Luc 6, 24 "Mais malheur à vous, les riches! car vous avez votre consolation.

Luc 6, 25 Malheur à vous, qui êtes repus maintenant! car vous aurez faim. Malheur, vous qui riez maintenant! car vous connaîtrez le deuil et les larmes.

Luc 6, 26 Malheur, lorsque tous les hommes diront du bien de vous! C'est de cette manière, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes."

Luc 6, 27 "Mais je vous le dis, à vous qui m'écoutez: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent,

Luc 6, 28 bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous diffament.

Luc 6, 29 A qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre; à qui t'enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique.

Luc 6, 30 A quiconque te demande, donne, et à qui t'enlève ton bien ne le réclame pas.

Luc 6, 31 Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux pareillement.

Luc 6, 32 Que si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on? Car même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.

Luc 6, 33 Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel gré vous en saura-t-on? Même les pécheurs en font autant.

Luc 6, 34 Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on? Même des pécheurs prêtent à des pécheurs afin de recevoir l'équivalent.

Luc 6, 35 Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, Lui, pour les ingrats et les méchants.

Luc 6, 36 "Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant.

Luc 6, 37 Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés; remettez, et il vous sera remis.

Luc 6, 38 Donnez, et l'on vous donnera; c'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu'on versera dans votre sein; car de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour."

Luc 6, 39 Il leur dit encore une parabole: "Un aveugle peut-il guider un aveugle? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans un trou?

Luc 6, 40 Le disciple n'est pas au-dessus du maître; tout disciple accompli sera comme son maître.

Luc 6, 41 Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'oeil de ton frère? Et la poutre qui est dans ton oeil à toi, tu ne la remarques pas!

Luc 6, 42 Comment peux-tu dire à ton frère: Frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton oeil, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans ton oeil? Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton oeil; et alors tu verras clair pour ôter la paille qui est dans l'oeil de ton frère.

Luc 6, 43 "Il n'y a pas de bon arbre qui produise un fruit gâté, ni inversement d'arbre gâté qui produise un bon fruit.

Luc 6, 44 Chaque arbre en effet se reconnaît à son propre fruit; on ne cueille pas de figues sur des épines, on ne vendange pas non plus de raisin sur des ronces.

Luc 6, 45 L'homme bon, du bon trésor de son coeur, tire ce qui est bon, et celui qui est mauvais, de son mauvais fond, tire ce qui est mauvais; car c'est du trop-plein du coeur que parle sa bouche.

Luc 6, 46 "Pourquoi m'appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous pas ce que je dis?

Luc 6, 47 "Quiconque vient à moi, écoute mes paroles et les met en pratique, je vais vous montrer à qui il est comparable.

Luc 6, 48 Il est comparable à un homme qui, bâtissant une maison, a creusé, creusé profond et posé les fondations sur le roc. La crue survenant, le torrent s'est rué sur cette maison, mais il n'a pu l'ébranler, parce qu'elle était bien bâtie.

Luc 6, 49 Mais celui au contraire qui a écouté et n'a pas mis en pratique est comparable à un homme qui aurait bâti sa maison à même le sol, sans fondations. Le torrent s'est rué sur elle, et aussitôt elle s'est écroulée; et le désastre survenu à cette maison a été grand!"

Luc 7, 1 Après qu'il eut fini de faire entendre au peuple toutes ses paroles, il entra dans Capharnaüm.

Luc 7, 2 Or un centurion avait, malade et sur le point de mourir, un esclave qui lui était cher.

Luc 7, 3 Ayant entendu parler de Jésus, il envoya vers lui quelques-uns des anciens des Juifs, pour le prier de venir sauver son esclave.

Luc 7, 4 Arrivés auprès de Jésus, ils le suppliaient instamment: "Il est digne, disaient-ils, que tu lui accordes cela;

Luc 7, 5 il aime en effet notre nation, et c'est lui qui nous a bâti la synagogue."

Luc 7, 6 Jésus faisait route avec eux, et déjà il n'était plus loin de la maison, quand le centurion envoya des amis pour lui dire: "Seigneur, ne te dérange pas davantage, car je ne mérite pas que tu entres sous mon toit;

Luc 7, 7 aussi bien ne me suis-je pas jugé digne de venir te trouver. Mais dis un mot et que mon enfant soit guéri.

Luc 7, 8 Car moi, qui n'ai rang que de subalterne, j'ai sous moi des soldats, et je dis à l'un: Va! et il va, et à un autre: Viens! et il vient, et à mon esclave: Fais ceci! et il le fait."

Luc 7, 9 En entendant ces paroles, Jésus l'admira et, se retournant, il dit à la foule qui le suivait: "Je vous le dis: pas même en Israël je n'ai trouvé une telle foi."

Luc 7, 10 Et, de retour à la maison, les envoyés trouvèrent l'esclave en parfaite santé.

Luc 7, 11 Et il advint ensuite qu'il se rendit dans une ville appelée Naïn. Ses disciples et une foule nombreuse faisaient route avec lui.

Luc 7, 12 Quand il fut près de la porte de la ville, voilà qu'on portait en terre un mort, un fils unique dont la mère était veuve; et il y avait avec elle une foule considérable de la ville.

Luc 7, 13 En la voyant, le Seigneur eut pitié d'elle et lui dit: "Ne pleure pas."

Luc 7, 14 Puis, s'approchant, il toucha le cercueil, et les porteurs s'arrêtèrent. Et il dit: "Jeune homme, je te le dis, lève-toi."

Luc 7, 15 Et le mort se dressa sur son séant et se mit à parler. Et il le remit à sa mère.

Luc 7, 16 Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu en disant: "Un grand prophète s'est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple."

Luc 7, 17 Et ce propos se répandit à son sujet dans la Judée entière et tout le pays d'alentour.

Luc 7, 18 Les disciples de Jean l'informèrent de tout cela. Appelant à lui deux de ses disciples, Jean

Luc 7, 19 les envoya dire au Seigneur: "Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre?"

Luc 7, 20 Arrivés auprès de lui, ces hommes dirent: "Jean le Baptiste nous envoie te dire: Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre?"

Luc 7, 21 A cette heure-là, il guérit beaucoup de gens affligés de maladies, d'infirmités, d'esprits mauvais, et rendit la vue à beaucoup d'aveugles.

Luc 7, 22 Puis il répondit aux envoyés: "Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres;

Luc 7, 23 et heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi!"

Luc 7, 24 Quand les envoyés de Jean furent partis, il se mit à dire aux foules au sujet de Jean: "Qu'êtes-vous allés contempler au désert? Un roseau agité par le vent?

Luc 7, 25 Alors qu'êtes-vous allés voir? Un homme vêtu d'habits délicats? Mais ceux qui ont des habits magnifiques et vivent dans les délices sont dans les palais royaux.

Luc 7, 26 Alors qu'êtes-vous allés voir? Un prophète? Oui, je vous le dis, et plus qu'un prophète.

Luc 7, 27 C'est celui dont il est écrit: Voici que j'envoie mon messager en avant de toi pour préparer ta route devant toi.

Luc 7, 28 "Je vous le dis: de plus grand que Jean parmi les enfants des femmes, il n'y en a pas; et cependant le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que lui.

Luc 7, 29 Tout le peuple qui a écouté, et même les publicains, ont justifié Dieu en se faisant baptiser du baptême de Jean;

Luc 7, 30 mais les Pharisiens et les légistes ont annulé pour eux le dessein de Dieu en ne se faisant pas baptiser par lui.

Luc 7, 31 "A qui donc vais-je comparer les hommes de cette génération? A qui ressemblent-ils?

Luc 7, 32 Ils ressemblent à ces gamins qui sont assis sur une place et s'interpellent les uns les autres, en disant: Nous vous avons joué de la flûte, et vous n'avez pas dansé! Nous avons entonné un chant funèbre, et vous n'avez pas pleuré!

Luc 7, 33 "Jean le Baptiste est venu en effet, ne mangeant pas de pain ni ne buvant de vin, et vous dites: Il est possédé!

Luc 7, 34 Le Fils de l'homme est venu, mangeant et buvant, et vous dites: Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs!

Luc 7, 35 Et la Sagesse a été justifiée par tous ses enfants."

Luc 7, 36 Un Pharisien l'invita à manger avec lui; il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table.

Luc 7, 37 Et voici une femme, qui dans la ville était une pécheresse. Ayant appris qu'il était à table dans la maison du Pharisien, elle avait apporté un vase de parfum.

Luc 7, 38 Et se plaçant par derrière, à ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à lui arroser les pieds de ses larmes; et elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers, les oignait de parfum.

Luc 7, 39 A cette vue, le Pharisien qui l'avait convié se dit en lui-même: "Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu'elle est: une pécheresse!"

Luc 7, 40 Mais, prenant la parole, Jésus lui dit: "Simon, j'ai quelque chose à te dire" - "Parle, maître", répond-il. --

Luc 7, 41 "Un créancier avait deux débiteurs; l'un devait 500 deniers, l'autre 50.

Luc 7, 42 Comme ils n'avaient pas de quoi rembourser, il fit grâce à tous deux. Lequel des deux l'en aimera le plus?"

Luc 7, 43 Simon répondit: "Celui-là, je pense, auquel il a fait grâce de plus." Il lui dit: "Tu as bien jugé."

Luc 7, 44 Et, se tournant vers la femme: "Tu vois cette femme? Dit-il à Simon. Je suis entré dans ta maison, et tu ne m'as pas versé d'eau sur les pieds; elle, au contraire, m'a arrosé les pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux.

Luc 7, 45 Tu ne m'as pas donné de baiser; elle, au contraire, depuis que je suis entré, n'a cessé de me couvrir les pieds de baisers.

Luc 7, 46 Tu n'as pas répandu d'huile sur ma tête; elle, au contraire, a répandu du parfum sur mes pieds.

Luc 7, 47 A cause de cela, je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés, lui sont remis parce qu'elle a montré beaucoup d'amour. Mais celui à qui on remet peu montre peu d'amour."[4480]

Luc 7, 48 Puis il dit à la femme: "Tes péchés sont remis."

Luc 7, 49 Et ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes: "Qui est-il celui-là qui va jusqu'à remettre les péchés?"

Luc 7, 50 Mais il dit à la femme: "Ta foi t'a sauvée; va en paix."

Luc 8, 1 Et il advint ensuite qu'il cheminait à travers villes et villages, prêchant et annonçant la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu. Les Douze étaient avec lui,

Luc 8, 2 ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d'esprits mauvais et de maladies: Marie, appelée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons,

Luc 8, 3 Jeanne, femme de Chouza, intendant d'Hérode, Suzanne et plusieurs autres, qui les assistaient de leurs biens.

Luc 8, 4 Comme une foule nombreuse se rassemblait et que de toutes les villes on s'acheminait vers lui, il dit par parabole:

Luc 8, 5 "Le semeur est sorti pour semer sa semence. Et comme il semait, une partie du grain est tombée au bord du chemin; elle a été foulée aux pieds et les oiseaux du ciel ont tout mangé.

Luc 8, 6 Une autre est tombée sur le roc et, après avoir poussé, elle s'est desséchée faute d'humidité.

Luc 8, 7 Une autre est tombée au milieu des épines et, poussant avec elle, les épines l'ont étouffée.

Luc 8, 8 Une autre est tombée dans la bonne terre, a poussé et produit du fruit au centuple." Et, ce disant, il s'écriait: "Entende, qui a des oreilles pour entendre!"

Luc 8, 9 Ses disciples lui demandaient ce que pouvait bien signifier cette parabole.

Luc 8, 10 Il dit: "A vous il a été donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu; mais pour les autres, c'est en paraboles, afin qu'ils voient sans voir et entendent sans comprendre.

Luc 8, 11 "Voici donc ce que signifie la parabole: La semence, c'est la parole de Dieu.

Luc 8, 12 Ceux qui sont au bord du chemin sont ceux qui ont entendu, puis vient le diable qui enlève la Parole de leur coeur, de peur qu'ils ne croient et soient sauvés.

Luc 8, 13 Ceux qui sont sur le roc sont ceux qui accueillent la Parole avec joie quand ils l'ont entendue, mais ceux-là n'ont pas de racine, ils ne croient que pour un moment, et au moment de l'épreuve ils font défection.

Luc 8, 14 Ce qui est tombé dans les épines, ce sont ceux qui ont entendu, mais en cours de route les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie les étouffent, et ils n'arrivent pas à maturité.

Luc 8, 15 Et ce qui est dans la bonne terre, ce sont ceux qui, ayant entendu la Parole avec un coeur noble et généreux, la retiennent et portent du fruit par leur constance.

Luc 8, 16 "Personne, après avoir allumé une lampe, ne la recouvre d'un vase ou ne la met sous un lit; on la met au contraire sur un lampadaire, pour que ceux qui pénètrent voient la lumière.

Luc 8, 17 Car rien n'est caché qui ne deviendra manifeste, rien non plus n'est secret qui ne doive être connu et venir au grand jour.

Luc 8, 18 Prenez donc garde à la manière dont vous écoutez! Car celui qui a, on lui donnera, et celui qui n'a pas, même ce qu'il croit avoir lui sera enlevé."

Luc 8, 19 Sa mère et ses frères vinrent alors le trouver, mais ils ne pouvaient l'aborder à cause de la foule.

Luc 8, 20 On l'en informa: "Ta mère et tes frères se tiennent dehors et veulent te voir."

Luc 8, 21 Mais il leur répondit: "Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique."

Luc 8, 22 Or il advint, un jour, qu'il monta en barque ainsi que ses disciples, et il leur dit: "Passons sur l'autre rive du lac." Et ils gagnèrent le large.

Luc 8, 23 Tandis qu'ils naviguaient, il s'endormit. Et une bourrasque s'abattit sur le lac; ils faisaient eau et se trouvaient en danger.

Luc 8, 24 S'étant donc approchés, ils le réveillèrent en disant: "Maître, maître, nous périssons!" Et lui, s'étant réveillé, menaça le vent et le tumulte des flots. Ils s'apaisèrent et le calme se fit.

Luc 8, 25 Puis il leur dit: "Où est votre foi?" Ils furent saisis de crainte et d'étonnement, et ils se disaient les uns aux autres: "Qui est-il donc celui-là, qu'il commande même aux vents et aux flots, et ils lui obéissent?"

Luc 8, 26 Ils abordèrent au pays des Géraséniens, lequel fait face à la Galilée.

Luc 8, 27 Comme il mettait pied à terre, vint à sa rencontre un homme de la ville, possédé de démons. Depuis un temps considérable il n'avait pas mis de vêtement; et il ne demeurait pas dans une maison, mais dans les tombes.

Luc 8, 28 Voyant Jésus, il poussa des cris, se jeta à ses pieds et, d'une voix forte, il dit: "Que me veux-tu, Jésus, fils du Dieu Très-Haut? Je t'en prie, ne me tourmente pas."

Luc 8, 29 Il prescrivait en effet à l'esprit impur de sortir de cet homme. Car, à maintes reprises, l'esprit s'était emparé de lui; on le liait alors, pour le garder, avec des chaînes et des entraves, mais il brisait ses liens et le démon l'entraînait vers les déserts.

Luc 8, 30 Jésus l'interrogea: "Quel est ton nom?" Il dit: "Légion", car beaucoup de démons étaient entrés en lui.

Luc 8, 31 Et ils le suppliaient de ne pas leur commander de s'en aller dans l'abîme.

Luc 8, 32 Or il y avait là un troupeau considérable de porcs en train de paître dans la montagne. Les démons supplièrent Jésus de leur permettre d'entrer dans les porcs. Et il le leur permit.

Luc 8, 33 Sortant alors de l'homme, les démons entrèrent dans les porcs et le troupeau se précipita du haut de l'escarpement dans le lac et se noya.

Luc 8, 34 Voyant ce qui s'était passé, les gardiens prirent la fuite et rapportèrent la nouvelle à la ville et dans les fermes.

Luc 8, 35 Les gens sortirent donc pour voir ce qui s'était passé. Ils arrivèrent auprès de Jésus et trouvèrent l'homme dont étaient sortis les démons, assis, vêtu et dans son bon sens, aux pieds de Jésus; et ils furent pris de peur.

Luc 8, 36 Les témoins leur rapportèrent comment avait été sauvé celui qui était démoniaque.

Luc 8, 37 Et toute la population de la région des Géraséniens pria Jésus de s'éloigner d'eux, car ils étaient en proie à une grande peur. Et lui, étant monté en barque, s'en retourna.

Luc 8, 38 L'homme dont les démons étaient sortis le priait de le garder avec lui, mais il le renvoya, en disant:

Luc 8, 39 "Retourne chez toi, et raconte tout ce que Dieu a fait pour toi." Il s'en alla donc, proclamant par la ville entière tout ce que Jésus avait fait pour lui.

Luc 8, 40 A son retour, Jésus fut accueilli par la foule, car tous étaient à l'attendre.

Luc 8, 41 Et voici qu'arriva un homme du nom de Jaïre, qui était chef de la synagogue. Tombant aux pieds de Jésus, il le priait de venir chez lui,

Luc 8, 42 parce qu'il avait une fille unique, âgée d'environ douze ans, qui se mourait. Et comme il s'y rendait, les foules le serraient à l'étouffer.

Luc 8, 43 Or une femme, atteinte d'un flux de sang depuis douze années, et que nul n'avait pu guérir,

Luc 8, 44 s'approcha par derrière et toucha la frange de son manteau; et à l'instant même son flux de sang s'arrêta.

Luc 8, 45 Mais Jésus dit: "Qui est-ce qui m'a touché?" Comme tous s'en défendaient, Pierre dit: "Maître, ce sont les foules qui te serrent et te pressent."

Luc 8, 46 Mais Jésus dit: "Quelqu'un m'a touché; car j'ai senti qu'une force était sortie de moi."

Luc 8, 47 Se voyant alors découverte, la femme vint toute tremblante et, se jetant à ses pieds, raconta devant tout le peuple pour quel motif elle l'avait touché, et comment elle avait été guérie à l'instant même.

Luc 8, 48 Et il lui dit: "Ma fille, ta foi t'a sauvée; va en paix."

Luc 8, 49 Tandis qu'il parlait encore, arrive de chez le chef de synagogue quelqu'un qui dit: "Ta fille est morte à présent; ne dérange plus le Maître."

Luc 8, 50 Mais Jésus, qui avait entendu, lui répondit: "Sois sans crainte, crois seulement, et elle sera sauvée."

Luc 8, 51 Arrivé à la maison, il ne laissa personne entrer avec lui, si ce n'est Pierre, Jean et Jacques, ainsi que le père et la mère de l'enfant.

Luc 8, 52 Tous pleuraient et se frappaient la poitrine à cause d'elle. Mais il dit: "Ne pleurez pas, elle n'est pas morte, mais elle dort."

Luc 8, 53 Et ils se moquaient de lui, sachant bien qu'elle était morte.

Luc 8, 54 Mais lui, prenant sa main, l'appela en disant: "Enfant, lève-toi."

Luc 8, 55 Son esprit revint, et elle se leva à l'instant même. Et il ordonna de lui donner à manger.

Luc 8, 56 Ses parents furent saisis de stupeur, mais il leur prescrivit de ne dire à personne ce qui s'était passé.

Luc 9, 1 Ayant convoqué les Douze, il leur donna puissance et pouvoir sur tous les démons, et sur les maladies pour les guérir.

Luc 9, 2 Et il les envoya proclamer le Royaume de Dieu et faire des guérisons.

Luc 9, 3 Il leur dit: "Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni besace, ni pain, ni argent; n'ayez pas non plus chacun deux tuniques.

Luc 9, 4 En quelque maison que vous entriez, demeurez-y, et partez de là.

Luc 9, 5 Quant à ceux qui ne vous accueilleront pas, sortez de cette ville et secouez la poussière de vos pieds, en témoignage contre eux."

Luc 9, 6 Etant partis, ils passaient de village en village, annonçant la Bonne Nouvelle et faisant partout des guérisons.

Luc 9, 7 Hérode, le tétrarque, apprit tout ce qui se passait, et il était fort perplexe, car certains disaient: "C'est Jean qui est ressuscité d'entre les morts";

Luc 9, 8 certains: "C'est Elie qui est reparu"; d'autres: "C'est un des anciens prophètes qui est ressuscité."

Luc 9, 9 Mais Hérode dit: "Jean! moi je l'ai fait décapiter. Quel est-il donc, celui dont j'entends dire de telles choses?" Et il cherchait à le voir.

Luc 9, 10 A leur retour, les apôtres lui racontèrent tout ce qu'ils avaient fait. Les prenant alors avec lui, il se retira à l'écart, vers une ville appelée Bethsaïde.

Luc 9, 11 Mais les foules, ayant compris, partirent à sa suite. Il leur fit bon accueil, leur parla du Royaume de Dieu et rendit la santé à ceux qui avaient besoin de guérison.

Luc 9, 12 Le jour commença à baisser. S'approchant, les Douze lui dirent: "Renvoie la foule, afin qu'ils aillent dans les villages et fermes d'alentour pour y trouver logis et provisions, car nous sommes ici dans un endroit désert."

Luc 9, 13 Mais il leur dit: "Donnez-leur vous-mêmes à manger." Ils dirent: "Nous n'avons pas plus de cinq pains et de deux poissons. A moins peut-être d'aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple."

Luc 9, 14 Car il y avait bien 5.000 hommes. Mais il dit à ses disciples: "Faites-les s'étendre par groupes d'une cinquantaine."

Luc 9, 15 Ils agirent ainsi et les firent tous s'étendre.

Luc 9, 16 Prenant alors les cinq pains et les deux poissons, il leva les yeux au ciel, les bénit, les rompit et il les donnait aux disciples pour les servir à la foule.

Luc 9, 17 Ils mangèrent et furent tous rassasiés, et ce qu'ils avaient eu de reste fut emporté: douze couffins de morceaux!

Luc 9, 18 Et il advint, comme il était à prier, seul, n'ayant avec lui que les disciples, qu'il les interrogea en disant: "Qui suis-je, au dire des foules?"

Luc 9, 19 Ils répondirent: "Jean le Baptiste; pour d'autres, Elie; pour d'autres, un des anciens prophètes est ressuscité" --

Luc 9, 20 "Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je?" Pierre répondit: "Le Christ de Dieu."

Luc 9, 21 Mais lui leur enjoignit et prescrivit de ne le dire à personne.

Luc 9, 22 "Le Fils de l'homme, dit-il, doit souffrir beaucoup, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter."

Luc 9, 23 Et il disait à tous: "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive.

Luc 9, 24 Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera.

Luc 9, 25 Que sert donc à l'homme de gagner le monde entier, s'il se perd ou se ruine lui-même?

Luc 9, 26 Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, de celui-là le Fils de l'homme rougira, lorsqu'il viendra dans sa gloire et dans celle du Père et des saints anges.

Luc 9, 27 "Je vous le dis vraiment, il en est de présents ici même qui ne goûteront pas la mort, avant d'avoir vu le Royaume de Dieu."

Luc 9, 28 Or il advint, environ huit jours après ces paroles, que, prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques, il gravit la montagne pour prier.

Luc 9, 29 Et il advint, comme il priait, que l'aspect de son visage devint autre, et son vêtement, d'une blancheur fulgurante.

Luc 9, 30 Et voici que deux hommes s'entretenaient avec lui: c'étaient Moïse et Elie

Luc 9, 31 qui, apparus en gloire, parlaient de son départ, qu'il allait accomplir à Jérusalem.

Luc 9, 32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil. S'étant bien réveillés, ils virent sa gloire et les deux hommes qui se tenaient avec lui.

Luc 9, 33 Et il advint, comme ceux-ci se séparaient de lui, que Pierre dit à Jésus: "Maître, il est heureux que nous soyons ici; faisons donc trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie": il ne savait ce qu'il disait.

Luc 9, 34 Et pendant qu'il disait cela, survint une nuée qui les prenait sous son ombre et ils furent saisis de peur en entrant dans la nuée.

Luc 9, 35 Et une voix partit de la nuée, qui disait: "Celui-ci est mon Fils, l'Elu, écoutez-le."

Luc 9, 36 Et quand la voix eut retenti, Jésus se trouva seul. Pour eux, ils gardèrent le silence et ne rapportèrent rien à personne, en ces jours-là, de ce qu'ils avaient vu.

Luc 9, 37 Or il advint, le jour suivant, à leur descente de la montagne, qu'une foule nombreuse vint au-devant de lui.

Luc 9, 38 Et voici qu'un homme de la foule s'écria: "Maître, je te prie de jeter les yeux sur mon fils, car c'est mon unique enfant.

Luc 9, 39 Et voilà qu'un esprit s'en empare, et soudain il crie, le secoue avec violence et le fait écumer; et ce n'est qu'à grand-peine qu'il s'en éloigne, le laissant tout brisé.

Luc 9, 40 J'ai prié tes disciples de l'expulser, mais ils ne l'ont pu" --

Luc 9, 41 "Engeance incrédule et pervertie, répondit Jésus, jusques à quand serai-je auprès de vous et vous supporterai-je? Amène ici ton fils."

Luc 9, 42 Celui-ci ne faisait qu'approcher, quand le démon le jeta à terre et le secoua violemment. Mais Jésus menaça l'esprit impur, guérit l'enfant et le remit à son père.

Luc 9, 43 Et tous étaient frappés de la grandeur de Dieu. Comme tous étaient étonnés de tout ce qu'il faisait, il dit à ses disciples:

Luc 9, 44 "Vous, mettez-vous bien dans les oreilles les paroles que voici: le Fils de l'homme va être livré aux mains des hommes."

Luc 9, 45 Mais ils ne comprenaient pas cette parole; elle leur demeurait voilée pour qu'ils n'en saisissent pas le sens, et ils craignaient de l'interroger sur cette parole.

Luc 9, 46 Une pensée leur vint à l'esprit: qui pouvait bien être le plus grand d'entre eux?

Luc 9, 47 Mais Jésus, sachant ce qui se discutait dans leur coeur, prit un petit enfant, le plaça près de lui,

Luc 9, 48 et leur dit: "Quiconque accueille ce petit enfant à cause de mon nom, c'est moi qu'il accueille, et quiconque m'accueille accueille Celui qui m'a envoyé; car celui qui est le plus petit parmi vous tous, c'est celui-là qui est grand."

Luc 9, 49 Jean prit la parole et dit: "Maître, nous avons vu quelqu'un expulser des démons en ton nom, et nous voulions l'empêcher, parce qu'il ne suit pas avec nous."

Luc 9, 50 Mais Jésus lui dit: "Ne l'en empêchez pas; car qui n'est pas contre vous est pour vous."

Luc 9, 51 Or il advint, comme s'accomplissait le temps où il devait être enlevé, qu'il prit résolument le chemin de Jérusalem

Luc 9, 52 et envoya des messagers en avant de lui. S'étant mis en route, ils entrèrent dans un village samaritain pour tout lui préparer.

Luc 9, 53 Mais on ne le reçut pas, parce qu'il faisait route vers Jérusalem.

Luc 9, 54 Ce que voyant, les disciples Jacques et Jean dirent: "Seigneur, veux-tu que nous ordonnions au feu de descendre du ciel et de les consumer?"

Luc 9, 55 Mais, se retournant, il les réprimanda?

Luc 9, 56 Et ils se mirent en route pour un autre village.

Luc 9, 57 Et tandis qu'ils faisaient route, quelqu'un lui dit en chemin: "Je te suivrai où que tu ailles."

Luc 9, 58 Jésus lui dit: "Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids; le Fils de l'homme, lui, n'a pas où reposer la tête."

Luc 9, 59 Il dit à un autre: "Suis-moi." Celui-ci dit: "Permets-moi de m'en aller d'abord enterrer mon père."

Luc 9, 60 Mais il lui dit: "Laisse les morts enterrer leurs morts; pour toi, va-t-en annoncer le Royaume de Dieu."

Luc 9, 61 Un autre encore dit: "Je te suivrai, Seigneur, mais d'abord permets-moi de prendre congé des miens."

Luc 9, 62 Mais Jésus lui dit: "Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu."

Luc 10, 1 Après cela, le Seigneur désigna 72 autres et les envoya deux par deux en avant de lui dans toute ville et tout endroit où lui-même devait aller.

Luc 10, 2 Et il leur disait: "La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux; priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson.

Luc 10, 3 Allez! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu de loups.

Luc 10, 4 N'emportez pas de bourse, pas de besace, pas de sandales, et ne saluez personne en chemin.

Luc 10, 5 En quelque maison que vous entriez, dites d'abord: Paix à cette maison!

Luc 10, 6 Et s'il y a là un fils de paix, votre paix ira reposer sur lui; sinon, elle vous reviendra.

Luc 10, 7 Demeurez dans cette maison-là, mangeant et buvant ce qu'il y aura chez eux; car l'ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.

Luc 10, 8 Et en toute ville où vous entrez et où l'on vous accueille, mangez ce qu'on vous sert;

Luc 10, 9 guérissez ses malades et dites aux gens: Le Royaume de Dieu est tout proche de vous.

Luc 10, 10 Mais en quelque ville que vous entriez, si l'on ne vous accueille pas, sortez sur ses places et dites:

Luc 10, 11 Même la poussière de votre ville qui s'est collée à nos pieds, nous l'essuyons pour vous la laisser. Pourtant, sachez-le, le Royaume de Dieu est tout proche.

Luc 10, 12 Je vous dis que pour Sodome, en ce Jour-là, il y aura moins de rigueur que pour cette ville-là.

Luc 10, 13 "Malheur à toi, Chorazeïn! Malheur à toi, Bethsaïde! Car, si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que, sous le sac et assises dans la cendre, elles se seraient repenties.

Luc 10, 14 Aussi bien, pour Tyr et Sidon il y aura moins de rigueur, lors du Jugement, que pour vous.

Luc 10, 15 Et toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jusqu'au ciel? Jusqu'à l'Hadès tu descendras!

Luc 10, 16 "Qui vous écoute m'écoute, qui vous rejette me rejette, et qui me rejette rejette Celui qui m'a envoyé."

Luc 10, 17 Les 72 revinrent tout joyeux, disant: "Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom!"

Luc 10, 18 Il leur dit: "Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair!

Luc 10, 19 Voici que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents, scorpions, et toute la puissance de l'Ennemi, et rien ne pourra vous nuire.

Luc 10, 20 Cependant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis; mais réjouissez-vous de ce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux."

Luc 10, 21 A cette heure même, il tressaillit de joie sous l'action de l'Esprit Saint et il dit: "Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir.

Luc 10, 22 Tout m'a été remis par mon Père, et nul ne sait qui est le Fils si ce n'est le Père, ni qui est le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler."

Luc 10, 23 Puis, se tournant vers ses disciples, il leur dit en particulier: "Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez!

Luc 10, 24 Car je vous dis que beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu!"

Luc 10, 25 Et voici qu'un légiste se leva, et lui dit pour l'éprouver: Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle?"

Luc 10, 26 Il lui dit: "Dans la Loi, qu'y-a-t-il d'écrit? Comment lis-tu?"

Luc 10, 27 Celui-ci répondit: "Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit; et ton prochain comme toi-même" --

Luc 10, 28 "Tu as bien répondu, lui dit Jésus; fais cela et tu vivras."

Luc 10, 29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus: "Et qui est mon prochain?"

Luc 10, 30 Jésus reprit: "Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l'avoir dépouillé et roué de coups, s'en allèrent, le laissant à demi mort.

Luc 10, 31 Un prêtre vint à descendre par ce chemin-là; il le vit et passa outre.

Luc 10, 32 Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le vit et passa outre.

Luc 10, 33 Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié.

Luc 10, 34 Il s'approcha, banda ses plaies, y versant de l'huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l'hôtellerie et prit soin de lui.

Luc 10, 35 Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l'hôtelier, en disant: Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour.

Luc 10, 36 Lequel de ces trois, à ton avis, s'est montré le prochain de l'homme tombé aux mains des brigands?"

Luc 10, 37 Il dit: "Celui-là qui a exercé la miséricorde envers lui." Et Jésus lui dit: "Va, et toi aussi, fais de même."

Luc 10, 38 Comme ils faisaient route, il entra dans un village, et une femme, nommée Marthe, le reçut dans sa maison.

Luc 10, 39 Celle-ci avait une soeur appelée Marie, qui, s'étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.

Luc 10, 40 Marthe, elle, était absorbée par les multiples soins du service. Intervenant, elle dit: "Seigneur, cela ne te fait rien que ma soeur me laisse servir toute seule? Dis-lui donc de m'aider."

Luc 10, 41 Mais le Seigneur lui répondit: "Marthe, Marthe, tu te soucies et t'agites pour beaucoup de choses;

Luc 10, 42 pourtant il en faut peu, une seule même. C'est Marie qui a choisi la meilleure part; elle ne lui sera pas enlevée."

Luc 11, 1 Et il advint, comme il était quelque part à prier, quand il eut cessé, un de ses disciples lui dit: "Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l'a appris à ses disciples."

Luc 11, 2 Il leur dit: "Lorsque vous priez, dites: Père, que ton Nom soit sanctifié; que ton règne vienne;

Luc 11, 3 donne-nous chaque jour notre pain quotidien;

Luc 11, 4 et remets-nous nos péchés, car nous-mêmes remettons à quiconque nous doit; et ne nous soumets pas à la tentation."

Luc 11, 5 Il leur dit encore: "Si l'un de vous, ayant un ami, s'en va le trouver au milieu de la nuit, pour lui dire: Mon ami, prête-moi trois pains,

Luc 11, 6 parce qu'un de mes amis m'est arrivé de voyage et je n'ai rien à lui servir,

Luc 11, 7 et que de l'intérieur l'autre réponde: Ne me cause pas de tracas; maintenant la porte est fermée, et mes enfants et moi sommes au lit; je ne puis me lever pour t'en donner;

Luc 11, 8 je vous le dis, même s'il ne se lève pas pour les lui donner en qualité d'ami, il se lèvera du moins à cause de son impudence et lui donnera tout ce dont il a besoin.

Luc 11, 9 "Et moi, je vous dis: demandez et l'on vous donnera; cherchez et vous trouverez; frappez et l'on vous ouvrira.

Luc 11, 10 Car quiconque demande reçoit; qui cherche trouve; et à qui frappe on ouvrira.

Luc 11, 11 Quel est d'entre vous le père auquel son fils demandera un poisson, et qui, à la place du poisson, lui remettra un serpent?

Luc 11, 12 Ou encore s'il demande un oeuf, lui remettra-t-il un scorpion?

Luc 11, 13 Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient!"

Luc 11, 14 Il expulsait un démon, qui était muet. Or il advint que, le démon étant sorti, le muet parla, et les foules furent dans l'admiration.

Luc 11, 15 Mais certains d'entre eux dirent: "C'est par Béelzéboul, le prince des démons, qu'il expulse les démons."

Luc 11, 16 D'autres, pour le mettre à l'épreuve, réclamaient de lui un signe venant du ciel.

Luc 11, 17 Mais lui, connaissant leurs pensées, leur dit: "Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté, et maison sur maison s'écroule.

Luc 11, 18 Si donc Satan s'est, lui aussi, divisé contre lui-même, comment son royaume se maintiendra-t-il... puisque vous dites que c'est par Béelzéboul que j'expulse les démons.

Luc 11, 19 Mais si, moi, c'est par Béelzéboul que j'expulse les démons, vos fils, par qui les expulsent-ils? Aussi seront-ils eux-mêmes vos juges.

Luc 11, 20 Mais si c'est par le doigt de Dieu que j'expulse les démons, c'est donc que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu'à vous.

Luc 11, 21 Lorsqu'un homme fort et bien armé garde son palais, ses biens sont en sûreté;

Luc 11, 22 mais qu'un plus fort que lui survienne et le batte, il lui enlève l'armure en laquelle il se confiait et il distribue ses dépouilles.

Luc 11, 23 "Qui n'est pas avec moi est contre moi, et qui n'amasse pas avec moi dissipe.

Luc 11, 24 "Lorsque l'esprit impur est sorti de l'homme, il erre par des lieux arides en quête de repos. N'en trouvant pas, il dit: Je vais retourner dans ma demeure, d'où je suis sorti.

Luc 11, 25 Etant venu, il la trouve balayée, bien en ordre.

Luc 11, 26 Alors il s'en va prendre sept autres esprits plus mauvais que lui; ils reviennent et y habitent. Et l'état final de cet homme devient pire que le premier."

Luc 11, 27 Or il advint, comme il parlait ainsi, qu'une femme éleva la voix du milieu de la foule et lui dit: "Heureuses les entrailles qui t'ont porté et les seins que tu as sucés!"

Luc 11, 28 Mais il dit: "Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l'observent!"

Luc 11, 29 Comme les foules se pressaient en masse, il se mit à dire: "Cette génération est une génération mauvaise; elle demande un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe de Jonas.

Luc 11, 30 Car, tout comme Jonas devint un signe pour les Ninivites, de même le Fils de l'homme en sera un pour cette génération.

Luc 11, 31 La reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec les hommes de cette génération et elle les condamnera, car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon!

Luc 11, 32 Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas!

Luc 11, 33 "Personne, après avoir allumé une lampe, ne la met en quelque endroit caché ou sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, pour que ceux qui pénètrent voient la clarté.

Luc 11, 34 La lampe du corps, c'est ton oeil. Lorsque ton oeil est sain, ton corps tout entier aussi est lumineux; mais dès qu'il est malade, ton corps aussi est ténébreux.

Luc 11, 35 Vois donc si la lumière qui est en toi n'est pas ténèbres!

Luc 11, 36 Si donc ton corps tout entier est lumineux, sans aucune partie ténébreuse, il sera lumineux tout entier, comme lorsque la lampe t'illumine de son éclat."

Luc 11, 37 Tandis qu'il parlait, un Pharisien l'invite à déjeuner chez lui. Il entra et se mit à table.

Luc 11, 38 Ce que voyant, le Pharisien s'étonna de ce qu'il n'eût pas fait d'abord les ablutions avant le déjeuner.

Luc 11, 39 Mais le Seigneur lui dit: "Vous voilà bien, vous, les Pharisiens! L'extérieur de la coupe et du plat, vous le purifiez, alors que votre intérieur à vous est plein de rapine et de méchanceté!

Luc 11, 40 Insensés! Celui qui a fait l'extérieur n'a-t-il pas fait aussi l'intérieur?

Luc 11, 41 Donnez plutôt en aumône ce que vous avez, et alors tout sera pur pour vous.

Luc 11, 42 Mais malheur à vous, les Pharisiens, qui acquittez la dîme de la menthe, de la rue et de toute plante potagère, et qui délaissez la justice et l'amour de Dieu! Il fallait pratiquer ceci, sans omettre cela.

Luc 11, 43 Malheur à vous, les Pharisiens, qui aimez le premier siège dans les synagogues et les salutations sur les places publiques!

Luc 11, 44 Malheur à vous, qui êtes comme les tombeaux que rien ne signale et sur lesquels on marche sans le savoir!"

Luc 11, 45 Prenant alors la parole, un des légistes lui dit: "Maître, en parlant ainsi, tu nous outrages, nous aussi!"

Luc 11, 46 Alors il dit: "A vous aussi, les légistes, malheur, parce que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter et vous-mêmes ne touchez pas à ces fardeaux d'un seul de vos doigts!

Luc 11, 47 "Malheur à vous, parce que vous bâtissez les tombeaux des prophètes, et ce sont vos pères qui les ont tués!

Luc 11, 48 Vous êtes donc des témoins et vous approuvez les actes de vos pères; eux ont tué, et vous, vous bâtissez!

Luc 11, 49 "Et voilà pourquoi la Sagesse de Dieu a dit: Je leur enverrai des prophètes et des apôtres; ils en tueront et pourchasseront,

Luc 11, 50 afin qu'il soit demandé compte à cette génération du sang de tous les prophètes qui a été répandu depuis la fondation du monde,

Luc 11, 51 depuis le sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie, qui périt entre l'autel et le Temple. Oui, je vous le dis, il en sera demandé compte à cette génération.

Luc 11, 52 Malheur à vous, les légistes, parce que vous avez enlevé la clef de la science! Vous-mêmes n'êtes pas entrés, et ceux qui voulaient entrer, vous les en avez empêchés!

Luc 11, 53 Quand il fut sorti de là, les scribes et les Pharisiens se mirent à lui en vouloir terriblement et à le faire parler sur une foule de choses,

Luc 11, 54 lui tendant des pièges pour surprendre de sa bouche quelque parole.

Luc 12, 1 Sur ces entrefaites, la foule s'étant rassemblée par milliers, au point qu'on s'écrasait les uns les autres, il se mit à dire, et d'abord à ses disciples: "Méfiez-vous du levain - c'est-à-dire de l'hypocrisie - des Pharisiens.

Luc 12, 2 Rien, en effet, n'est voilé qui ne sera révélé, rien de caché qui ne sera connu.

Luc 12, 3 C'est pourquoi tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu au grand jour, et ce que vous aurez dit à l'oreille dans les pièces les plus retirées sera proclamé sur les toits.

Luc 12, 4 "Je vous le dis à vous, mes amis: Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps et après cela ne peuvent rien faire de plus.

Luc 12, 5 Je vais vous montrer qui vous devez craindre: craignez Celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne; oui, je vous le dis, Celui-là, craignez-le.

Luc 12, 6 Ne vend-on pas cinq passereaux pour deux as? Et pas un d'entre eux n'est en oubli devant Dieu!

Luc 12, 7 Bien plus, vos cheveux même sont tous comptés. Soyez sans crainte; vous valez mieux qu'une multitude de passereaux.

Luc 12, 8 "Je vous le dis, quiconque se sera déclaré pour moi devant les hommes, le Fils de l'homme aussi se déclarera pour lui devant les anges de Dieu;

Luc 12, 9 mais celui qui m'aura renié à la face des hommes sera renié à la face des anges de Dieu.

Luc 12, 10 "Et quiconque dira une parole contre le Fils de l'homme, cela lui sera remis, mais à qui aura blasphémé contre le Saint Esprit, cela ne sera pas remis.

Luc 12, 11 "Lorsqu'on vous conduira devant les synagogues, les magistrats et les autorités, ne cherchez pas avec inquiétude comment vous défendre ou que dire,

Luc 12, 12 car le Saint Esprit vous enseignera à cette heure même ce qu'il faut dire."

Luc 12, 13 Quelqu'un de la foule lui dit: "Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage."

Luc 12, 14 Il lui dit: "Homme, qui m'a établi pour être votre juge ou régler vos partages?"

Luc 12, 15 Puis il leur dit: "Attention! gardez-vous de toute cupidité, car, au sein même de l'abondance, la vie d'un homme n'est pas assurée par ses biens."

Luc 12, 16 Il leur dit alors une parabole: "Il y avait un homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté.

Luc 12, 17 Et il se demandait en lui-même: Que vais-je faire? Car je n'ai pas où recueillir ma récolte.

Luc 12, 18 Puis il se dit: Voici ce que je vais faire: j'abattrai mes greniers, j'en construirai de plus grands, j'y recueillerai tout mon blé et mes biens,

Luc 12, 19 et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as quantité de biens en réserve pour de nombreuses années; repose-toi, mange, bois, fais la fête.

Luc 12, 20 Mais Dieu lui dit: Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l'aura?

Luc 12, 21 Ainsi en est-il de celui qui thésaurise pour lui-même, au lieu de s'enrichir en vue de Dieu."

Luc 12, 22 Puis il dit à ses disciples: "Voilà pourquoi je vous dis: Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez.

Luc 12, 23 Car la vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement.

Luc 12, 24 Considérez les corbeaux: ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'ont ni cellier ni grenier, et Dieu les nourrit. Combien plus valez-vous que les oiseaux!

Luc 12, 25 Qui d'entre vous d'ailleurs peut, en s'en inquiétant, ajouter une coudée à la longueur de sa vie?

Luc 12, 26 Si donc la plus petite chose même passe votre pouvoir, pourquoi vous inquiéter des autres?

Luc 12, 27 Considérez les lis, comme ils ne filent ni ne tissent. Or, je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a pas été vêtu comme l'un d'eux.

Luc 12, 28 Que si, dans les champs, Dieu habille de la sorte l'herbe qui est aujourd'hui, et demain sera jetée au four, combien plus le fera-t-il pour vous, gens de peu de foi!

Luc 12, 29 Vous non plus, ne cherchez pas ce que vous mangerez et ce que vous boirez; ne vous tourmentez pas.

Luc 12, 30 Car ce sont là toutes choses dont les païens de ce monde sont en quête; mais votre Père sait que vous en avez besoin.

Luc 12, 31 Aussi bien, cherchez son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît.

Luc 12, 32 "Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père s'est complu à vous donner le Royaume.

Luc 12, 33 "Vendez vos biens, et donnez-les en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s'usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, où ni voleur n'approche ni mite ne détruit.

Luc 12, 34 Car où est votre trésor, là aussi sera votre coeur.

Luc 12, 35 "Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées.

Luc 12, 36 Soyez semblables, vous, à des gens qui attendent leur maître à son retour de noces, pour lui ouvrir dès qu'il viendra et frappera.

Luc 12, 37 Heureux ces serviteurs que le maître en arrivant trouvera en train de veiller! En vérité, je vous le dis, il se ceindra, les fera mettre à table et, passant de l'un à l'autre, il les servira.

Luc 12, 38 Qu'il vienne à la deuxième ou à la troisième veille, s'il trouve les choses ainsi, heureux seront-ils!

Luc 12, 39 Comprenez bien ceci: si le maître de maison avait su à quelle heure le voleur devait venir, il n'aurait pas laissé percer le mur de sa maison.

Luc 12, 40 Vous aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ne pensez pas que le Fils de l'homme va venir."

Luc 12, 41 Pierre dit alors: "Seigneur, est-ce pour nous que tu dis cette parabole, ou bien pour tout le monde?"

Luc 12, 42 Et le Seigneur dit: "Quel est donc l'intendant fidèle, avisé, que le maître établira sur ses gens pour leur donner en temps voulu leur ration de blé?

Luc 12, 43 Heureux ce serviteur, que son maître en arrivant trouvera occupé de la sorte!

Luc 12, 44 Vraiment, je vous le dis, il l'établira sur tous ses biens.

Luc 12, 45 Mais si ce serviteur dit en son coeur: Mon maître tarde à venir, et qu'il se mette à frapper les serviteurs et les servantes, à manger, boire et s'enivrer,

Luc 12, 46 le maître de ce serviteur arrivera au jour qu'il n'attend pas et à l'heure qu'il ne connaît pas; il le retranchera et lui assignera sa part parmi les infidèles.

Luc 12, 47 "Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n'aura rien préparé ou fait selon sa volonté, recevra un grand nombre de coups.

Luc 12, 48 Quant à celui qui, sans la connaître, aura par sa conduite mérité des coups, il n'en recevra qu'un petit nombre. A qui on aura donné beaucoup il sera beaucoup demandé, et à qui on aura confié beaucoup on réclamera davantage.

Luc 12, 49 "Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il fût allumé!

Luc 12, 50 Je dois être baptisé d'un baptême, et quelle n'est pas mon angoisse jusqu'à ce qu'il soit consommé!

Luc 12, 51 "Pensez-vous que je sois apparu pour établir la paix sur la terre? Non, je vous le dis, mais bien la division.

Luc 12, 52 Désormais en effet, dans une maison de cinq personnes, on sera divisé, trois contre deux et deux contre trois:

Luc 12, 53 on sera divisé, père contre fils et fils contre père, mère contre sa fille et fille contre sa mère, belle-mère contre sa bru et bru contre sa belle-mère."

Luc 12, 54 Il disait encore aux foules: "Lorsque vous voyez un nuage se lever au couchant, aussitôt vous dites que la pluie vient, et ainsi arrive-t-il.

Luc 12, 55 Et lorsque c'est le vent du midi qui souffle, vous dites qu'il va faire chaud, et c'est ce qui arrive.

Luc 12, 56 Hypocrites, vous savez discerner le visage de la terre et du ciel; et ce temps-ci alors, comment ne le discernez-vous pas?

Luc 12, 57 "Mais pourquoi ne jugez-vous pas par vous-mêmes de ce qui est juste?

Luc 12, 58 Ainsi, quand tu vas avec ton adversaire devant le magistrat, tâche, en chemin, d'en finir avec lui, de peur qu'il ne te traîne devant le juge, que le juge ne te livre à l'exécuteur, et que l'exécuteur ne te jette en prison.

Luc 12, 59 Je te le dis, tu ne sortiras pas de là que tu n'aies rendu même jusqu'au dernier sou."

Luc 13, 1 En ce même temps survinrent des gens qui lui rapportèrent ce qui était arrivé aux Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs victimes.

Luc 13, 2 Prenant la parole, il leur dit: "Pensez-vous que, pour avoir subi pareil sort, ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens?

Luc 13, 3 Non, je vous le dis, mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous pareillement.

Luc 13, 4 Ou ces dix-huit personnes que la tour de Siloé a tuées dans sa chute, pensez-vous que leur dette fût plus grande que celle de tous les hommes qui habitent Jérusalem?

Luc 13, 5 Non, je vous le dis; mais si vous ne voulez pas vous repentir, vous périrez tous de même."

Luc 13, 6 Il disait encore la parabole que voici: "Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher des fruits et n'en trouva pas.

Luc 13, 7 Il dit alors au vigneron: Voilà trois ans que je viens chercher des fruits sur ce figuier, et je n'en trouve pas. Coupe-le; pourquoi donc use-t-il la terre pour rien?

Luc 13, 8 L'autre lui répondit: Maître, laisse-le cette année encore, le temps que je creuse tout autour et que je mette du fumier.

Luc 13, 9 Peut-être donnera-t-il des fruits à l'avenir... Sinon tu le couperas."

Luc 13, 10 Or il enseignait dans une synagogue le jour du sabbat.

Luc 13, 11 Et voici qu'il y avait là une femme ayant depuis dix-huit ans un esprit qui la rendait infirme; elle était toute courbée et ne pouvait absolument pas se redresser.

Luc 13, 12 La voyant, Jésus l'interpella et lui dit: "Femme, te voilà délivrée de ton infirmité";

Luc 13, 13 puis il lui imposa les mains. Et, à l'instant même, elle se redressa, et elle glorifiait Dieu.

Luc 13, 14 Mais le chef de la synagogue, indigné de ce que Jésus eût fait une guérison le sabbat, prit la parole et dit à la foule: "Il y a six jours pendant lesquels on doit travailler; venez donc ces jours-là vous faire guérir, et non le jour du sabbat!"

Luc 13, 15 Mais le Seigneur lui répondit: "Hypocrites! chacun de vous, le sabbat, ne délie-t-il pas de la crèche son boeuf ou son âne pour le mener boire?

Luc 13, 16 Et cette fille d'Abraham, que Satan a liée voici dix-huit ans, il n'eût pas fallu la délier de ce lien le jour du sabbat!"

Luc 13, 17 Comme il disait cela, tous ses adversaires étaient remplis de confusion, tandis que toute la foule était dans la joie de toutes les choses magnifiques qui arrivaient par lui.

Luc 13, 18 Il disait donc: "A quoi le Royaume de Dieu est-il semblable et à quoi vais-je le comparer?

Luc 13, 19 Il est semblable à un grain de sénevé qu'un homme a pris et jeté dans son jardin; il croît et devient un arbre, et les oiseaux du ciel s'abritent dans ses branches."

Luc 13, 20 Il dit encore: "A quoi vais-je comparer le Royaume de Dieu?

Luc 13, 21 Il est semblable à du levain qu'une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine, jusqu'à ce que le tout ait levé."

Luc 13, 22 Et il cheminait par villes et villages, enseignant et faisant route vers Jérusalem.

Luc 13, 23 Quelqu'un lui dit: "Seigneur, est-ce le petit nombre qui sera sauvé?" Il leur dit:

Luc 13, 24 "Luttez pour entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne pourront pas.

Luc 13, 25 "Dès que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, et que, restés dehors, vous vous serez mis à frapper à la porte en disant: Seigneur, ouvre-nous, il vous répondra: Je ne sais d'où vous êtes.

Luc 13, 26 Alors vous vous mettrez à dire: Nous avons mangé et bu devant toi, tu as enseigné sur nos places.

Luc 13, 27 Mais il vous répondra: Je ne sais d'où vous êtes; éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l'injustice.

Luc 13, 28 "Là seront les pleurs et les grincements de dents, lorsque vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous, jetés dehors.

Luc 13, 29 Et l'on viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, prendre place au festin dans le Royaume de Dieu.

Luc 13, 30 "Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et il y a des premiers qui seront derniers."

Luc 13, 31 A cette heure même, s'approchèrent quelques Pharisiens, qui lui dirent: "Pars et va-t-en d'ici; car Hérode veut te tuer."

Luc 13, 32 Il leur dit: "Allez dire à ce renard: Voici que je chasse des démons et accomplis des guérisons aujourd'hui et demain, et le troisième jour je suis consommé!

Luc 13, 33 Mais aujourd'hui, demain et le jour suivant, je dois poursuivre ma route, car il ne convient pas qu'un prophète périsse hors de Jérusalem.

Luc 13, 34 "Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble sa couvée sous ses ailes... et vous n'avez pas voulu!

Luc 13, 35 Voici que votre maison va vous être laissée. Oui, je vous le dis, vous ne me verrez plus, jusqu'à ce qu'arrive le jour où vous direz: Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!"

Luc 14, 1 Et il advint, comme il était venu un sabbat chez l'un des chefs des Pharisiens pour prendre un repas, qu'eux étaient à l'observer.

Luc 14, 2 Et voici qu'un hydropique se trouvait devant lui.

Luc 14, 3 Prenant la parole, Jésus dit aux légistes et aux Pharisiens: "Est-il permis, le sabbat, de guérir, ou non?"

Luc 14, 4 Et eux se tinrent cois. Prenant alors le malade, il le guérit et le renvoya.

Luc 14, 5 Puis il leur dit: "Lequel d'entre vous, si son fils ou son boeuf vient à tomber dans un puits, ne l'en tirera aussitôt, le jour du sabbat?"

Luc 14, 6 Et ils ne purent rien répondre à cela.

Luc 14, 7 Il disait ensuite une parabole à l'adresse des invités, remarquant comment ils choisissaient les premiers divans; il leur disait:

Luc 14, 8 "Lorsque quelqu'un t'invite à un repas de noces, ne va pas t'étendre sur le premier divan, de peur qu'un plus digne que toi n'ait été invité par ton hôte,

Luc 14, 9 et que celui qui vous a invités, toi et lui, ne vienne te dire: Cède-lui la place. Et alors tu devrais, plein de confusion, aller occuper la dernière place.

Luc 14, 10 Au contraire, lorsque tu es invité, va te mettre à la dernière place, de façon qu'à son arrivée celui qui t'a invité te dise: Mon ami, monte plus haut. Alors il y aura pour toi de l'honneur devant tous les autres convives.

Luc 14, 11 Car quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé."

Luc 14, 12 Puis il disait à celui qui l'avait invité: "Lorsque tu donnes un déjeuner ou un dîner, ne convie ni tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins, de peur qu'eux aussi ne t'invitent à leur tour et qu'on ne te rende la pareille.

Luc 14, 13 Mais lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles;

Luc 14, 14 heureux seras-tu alors de ce qu'ils n'ont pas de quoi te le rendre! Car cela te sera rendu lors de la résurrection des justes."

Luc 14, 15 A ces mots, l'un des convives lui dit: "Heureux celui qui prendra son repas dans le Royaume de Dieu!"

Luc 14, 16 Il lui dit: "Un homme faisait un grand dîner, auquel il invite beaucoup de monde.

Luc 14, 17 A l'heure du dîner, il envoya son serviteur dire aux invités: Venez; maintenant tout est prêt.

Luc 14, 18 Et tous, comme de concert, se mirent à s'excuser. Le premier lui dit: J'ai acheté un champ et il me faut aller le voir; je t'en prie, tiens-moi pour excusé.

Luc 14, 19 Un autre dit: J'ai acheté cinq paires de boeufs et je pars les essayer; je t'en prie, tiens-moi pour excusé.

Luc 14, 20 Un autre dit: Je viens de me marier, et c'est pourquoi je ne puis venir.

Luc 14, 21 "A son retour, le serviteur rapporta cela à son maître. Alors, pris de colère, le maître de maison dit à son serviteur: Va-t-en vite par les places et les rues de la ville, et introduis ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. --

Luc 14, 22 Maître, dit le serviteur, tes ordres sont exécutés, et il y a encore de la place.

Luc 14, 23 Et le maître dit au serviteur: Va-t-en par les chemins et le long des clôtures, et fais entrer les gens de force, afin que ma maison se remplisse.

Luc 14, 24 Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon dîner."

Luc 14, 25 Des foules nombreuses faisaient route avec lui, et se retournant il leur dit:

Luc 14, 26 "Si quelqu'un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs, et jusqu'à sa propre vie, il ne peut être mon disciple.

Luc 14, 27 Quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas derrière moi ne peut être mon disciple.

Luc 14, 28 "Qui de vous en effet, s'il veut bâtir une tour, ne commence par s'asseoir pour calculer la dépense et voir s'il a de quoi aller jusqu'au bout?

Luc 14, 29 De peur que, s'il pose les fondations et ne peut achever, tous ceux qui le verront ne se mettent à se moquer de lui, en disant:

Luc 14, 30 Voilà un homme qui a commencé de bâtir et il n'a pu achever!

Luc 14, 31 Ou encore quel est le roi qui, partant faire la guerre à un autre roi, ne commencera par s'asseoir pour examiner s'il est capable, avec 10.000 hommes, de se porter à la rencontre de celui qui marche contre lui avec 20.000?

Luc 14, 32 Sinon, alors que l'autre est encore loin, il lui envoie une ambassade pour demander la paix.

Luc 14, 33 Ainsi donc, quiconque parmi vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple.

Luc 14, 34 "C'est donc une bonne chose que le sel. Mais si même le sel vient à s'affadir, avec quoi l'assaisonnera-t-on?

Luc 14, 35 Il n'est bon ni pour la terre ni pour le fumier: on le jette dehors. Celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende!"

Luc 15, 1 Cependant tous les publicains et les pécheurs s'approchaient de lui pour l'entendre.

Luc 15, 2 Et les Pharisiens et les scribes de murmurer: "Cet homme, disaient-ils, fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux!"

Luc 15, 3 Il leur dit alors cette parabole:

Luc 15, 4 "Lequel d'entre vous, s'il a cent brebis et vient à en perdre une, n'abandonne les 89 autres dans le désert pour s'en aller après celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il l'ait retrouvée?

Luc 15, 5 Et, quand il l'a retrouvée, il la met, tout joyeux, sur ses épaules

Luc 15, 6 et, de retour chez lui, il assemble amis et voisins et leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car je l'ai retrouvée, ma brebis qui était perdue!

Luc 15, 7 C'est ainsi, je vous le dis, qu'il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour 99 justes, qui n'ont pas besoin de repentir.

Luc 15, 8 "Ou bien, quelle est la femme qui, si elle a dix drachmes et vient à en perdre une, n'allume une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin, jusqu'à ce qu'elle l'ait retrouvée?

Luc 15, 9 Et, quand elle l'a retrouvée, elle assemble amies et voisines et leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car je l'ai retrouvée, la drachme que j'avais perdue!

Luc 15, 10 C'est ainsi, je vous le dis, qu'il naît de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent."

Luc 15, 11 Il dit encore: "Un homme avait deux fils.

Luc 15, 12 Le plus jeune dit à son père: Père, donne-moi la part de fortune qui me revient. Et le père leur partagea son bien.

Luc 15, 13 Peu de jours après, rassemblant tout son avoir, le plus jeune fils partit pour un pays lointain et y dissipa son bien en vivant dans l'inconduite.

Luc 15, 14 "Quand il eut tout dépensé, une famine sévère survint en cette contrée et il commença à sentir la privation.

Luc 15, 15 Il alla se mettre au service d'un des habitants de cette contrée, qui l'envoya dans ses champs garder les cochons.

Luc 15, 16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre des caroubes que mangeaient les cochons, et personne ne lui en donnait.

Luc 15, 17 Rentrant alors en lui-même, il se dit: Combien de mercenaires de mon père ont du pain en surabondance, et moi je suis ici à périr de faim!

Luc 15, 18 Je veux partir, aller vers mon père et lui dire: Père, j'ai péché contre le Ciel et envers toi;

Luc 15, 19 je ne mérite plus d'être appelé ton fils, traite-moi comme l'un de tes mercenaires.

Luc 15, 20 Il partit donc et s'en alla vers son père. "Tandis qu'il était encore loin, son père l'aperçut et fut pris de pitié; il courut se jeter à son cou et l'embrassa tendrement.

Luc 15, 21 Le fils alors lui dit: Père, j'ai péché contre le Ciel et envers toi, je ne mérite plus d'être appelé ton fils.

Luc 15, 22 Mais le père dit à ses serviteurs: Vite, apportez la plus belle robe et l'en revêtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds.

Luc 15, 23 Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons,

Luc 15, 24 car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouvé! Et ils se mirent à festoyer.

Luc 15, 25 "Son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il fut près de la maison, il entendit de la musique et des danses.

Luc 15, 26 Appelant un des serviteurs, il s'enquérait de ce que cela pouvait bien être.

Luc 15, 27 Celui-ci lui dit: C'est ton frère qui est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu'il l'a recouvré en bonne santé.

Luc 15, 28 Il se mit alors en colère, et il refusait d'entrer. Son père sortit l'en prier.

Luc 15, 29 Mais il répondit à son père: Voilà tant d'années que je te sers, sans avoir jamais transgressé un seul de tes ordres, et jamais tu ne m'as donné un chevreau, à moi, pour festoyer avec mes amis;

Luc 15, 30 et puis ton fils que voici revient-il, après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu fais tuer pour lui le veau gras!

Luc 15, 31 "Mais le père lui dit: Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.

Luc 15, 32 Mais il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouvé!"

Luc 16, 1 Il disait encore à ses disciples: "Il était un homme riche qui avait un intendant, et celui-ci lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens.

Luc 16, 2 Il le fit appeler et lui dit: Qu'est-ce que j'entends dire de toi? Rends compte de ta gestion, car tu ne peux plus gérer mes biens désormais.

Luc 16, 3 L'intendant se dit en lui-même: Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance? Piocher? Je n'en ai pas la force; mendier? J'aurai honte...

Luc 16, 4 Ah! je sais ce que je vais faire, pour qu'une fois relevé de ma gérance, il y en ait qui m'accueillent chez eux.

Luc 16, 5 "Et, faisant venir un à un les débiteurs de son maître, il dit au premier: Combien dois-tu à mon maître? --

Luc 16, 6 Cent barils d'huile, lui dit-il. Il lui dit: Prends ton billet, assieds-toi et écris vite 50.

Luc 16, 7 Puis il dit à un autre: Et toi, combien dois-tu? - Cent mesures de blé, dit-il. Il lui dit: Prends ton billet, et écris 80.

Luc 16, 8 "Et le maître loua cet intendant malhonnête d'avoir agi de façon avisée. Car les fils de ce monde-ci sont plus avisés envers leurs propres congénères que les fils de la lumière.

Luc 16, 9 "Eh bien! moi je vous dis: faites-vous des amis avec le malhonnête Argent, afin qu'au jour où il viendra à manquer, ceux-ci vous accueillent dans les tentes éternelles.

Luc 16, 10 Qui est fidèle en très peu de chose est fidèle aussi en beaucoup, et qui est malhonnête en très peu est malhonnête aussi en beaucoup.

Luc 16, 11 Si donc vous ne vous êtes pas montrés fidèles pour le malhonnête Argent, qui vous confiera le vrai bien?

Luc 16, 12 Et si vous ne vous êtes pas montrés fidèles pour le bien étranger, qui vous donnera le vôtre?

Luc 16, 13 "Nul serviteur ne peut servir deux maîtres: ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent."

Luc 16, 14 Les Pharisiens, qui sont amis de l'argent, entendaient tout cela et ils se moquaient de lui.

Luc 16, 15 Il leur dit: "Vous êtes, vous, ceux qui se donnent pour justes devant les hommes, mais Dieu connaît vos coeurs; car ce qui est élevé pour les hommes est objet de dégoût devant Dieu.

Luc 16, 16 "Jusqu'à Jean ce furent la Loi et les Prophètes; depuis lors le Royaume de Dieu est annoncé, et tous s'efforcent d'y entrer par violence.

Luc 16, 17 "Il est plus facile que le ciel et la terre passent que ne tombe un seul menu trait de la Loi.

Luc 16, 18 "Tout homme qui répudie sa femme et en épouse une autre commet un adultère, et celui qui épouse une femme répudiée par son mari commet un adultère.

Luc 16, 19 "Il y avait un homme riche qui se revêtait de pourpre et de lin fin et faisait chaque jour brillante chère.

Luc 16, 20 Et un pauvre, nommé Lazare, gisait près de son portail, tout couvert d'ulcères.

Luc 16, 21 Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche... Bien plus, les chiens eux-mêmes venaient lécher ses ulcères.

Luc 16, 22 Or il advint que le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche aussi mourut, et on l'ensevelit.

Luc 16, 23 "Dans l'Hadès, en proie à des tortures, il lève les yeux et voit de loin Abraham, et Lazare en son sein.

Luc 16, 24 Alors il s'écria: Père Abraham, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je suis tourmenté dans cette flamme.

Luc 16, 25 Mais Abraham dit: Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare pareillement ses maux; maintenant ici il est consolé, et toi, tu es tourmenté.

Luc 16, 26 Ce n'est pas tout: entre nous et vous un grand abîme a été fixé, afin que ceux qui voudraient passer d'ici chez vous ne le puissent, et qu'on ne traverse pas non plus de là-bas chez nous.

Luc 16, 27 "Il dit alors: Je te prie donc, père, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père,

Luc 16, 28 car j'ai cinq frères; qu'il leur porte son témoignage, de peur qu'ils ne viennent, eux aussi, dans ce lieu de la torture.

Luc 16, 29 Et Abraham de dire: Ils ont Moïse et les Prophètes; qu'ils les écoutent. --

Luc 16, 30 Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu'un de chez les morts va les trouver, ils se repentiront.

Luc 16, 31 Mais il lui dit: Du moment qu'ils n'écoutent pas Moïse et les Prophètes, même si quelqu'un ressuscite d'entre les morts, ils ne seront pas convaincus."

Luc 17, 1 Puis il dit à ses disciples: "Il est impossible que les scandales n'arrivent pas, mais malheur à celui par qui ils arrivent!

Luc 17, 2 Mieux vaudrait pour lui se voir passer autour du cou une pierre à moudre et être jeté à la mer que de scandaliser un seul de ces petits.

Luc 17, 3 Prenez garde à vous! "Si ton frère vient à pécher, réprimande-le et, s'il se repent, remets-lui.

Luc 17, 4 Et si sept fois le jour il pèche contre toi et que sept fois il revienne à toi, en disant: Je me repens, tu lui remettras."

Luc 17, 5 Les apôtres dirent au Seigneur: "Augmente en nous la foi."

Luc 17, 6 Le Seigneur dit: "Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous auriez dit au mûrier que voilà: Déracine-toi et va te planter dans la mer, et il vous aurait obéi!

Luc 17, 7 "Qui d'entre vous, s'il a un serviteur qui laboure ou garde les bêtes, lui dira à son retour des champs: Vite, viens te mettre à table?

Luc 17, 8 Ne lui dira-t-il pas au contraire: Prépare-moi de quoi dîner, ceins-toi pour me servir, jusqu'à ce que j'aie mangé et bu; après quoi, tu mangeras et boiras à ton tour?

Luc 17, 9 Sait-il gré à ce serviteur d'avoir fait ce qui lui a été prescrit?

Luc 17, 10 Ainsi de vous; lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été prescrit, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles; nous avons fait ce que nous devions faire."

Luc 17, 11 Et il advint, comme il faisait route vers Jérusalem, qu'il passa aux confins de la Samarie et de la Galilée.

Luc 17, 12 A son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre et s'arrêtèrent à distance;

Luc 17, 13 ils élevèrent la voix et dirent: "Jésus, Maître, aie pitié de nous."

Luc 17, 14 A cette vue, il leur dit: "Allez vous montrer aux prêtres." Et il advint, comme ils y allaient, qu'ils furent purifiés.

Luc 17, 15 L'un d'entre eux, voyant qu'il avait été purifié, revint sur ses pas en glorifiant Dieu à haute voix

Luc 17, 16 et tomba sur la face aux pieds de Jésus, en le remerciant. Et c'était un Samaritain.

Luc 17, 17 Prenant la parole, Jésus dit: "Est-ce que les dix n'ont pas été purifiés? Les neuf autres, où sont-ils?

Luc 17, 18 Il ne s'est trouvé, pour revenir rendre gloire à Dieu, que cet étranger!"

Luc 17, 19 Et il lui dit: "Relève-toi, va; ta foi t'a sauvé."

Luc 17, 20 Les Pharisiens lui ayant demandé quand viendrait le Royaume de Dieu, il leur répondit: "La venue du Royaume de Dieu ne se laisse pas observer,

Luc 17, 21 et l'on ne dira pas: Voici: il est ici! ou bien: il est là! Car voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous."

Luc 17, 22 Il dit encore aux disciples: "Viendront des jours où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l'homme, et vous ne le verrez pas.

Luc 17, 23 On vous dira: Le voilà! Le voici! N'y allez pas, n'y courez pas.

Luc 17, 24 Comme l'éclair en effet, jaillissant d'un point du ciel, resplendit jusqu'à l'autre, ainsi en sera-t-il du Fils de l'homme lors de son Jour.

Luc 17, 25 Mais il faut d'abord qu'il souffre beaucoup et qu'il soit rejeté par cette génération.

Luc 17, 26 "Et comme il advint aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il encore aux jours du Fils de l'homme.

Luc 17, 27 On mangeait, on buvait, on prenait femme ou mari, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche; et vint le déluge, qui les fit tous périr.

Luc 17, 28 De même, comme il advint aux jours de Lot: on mangeait, on buvait, on achetait, on vendait, on plantait, on bâtissait;

Luc 17, 29 mais le jour où Lot sortit de Sodome, Dieu fit pleuvoir du ciel du feu et du soufre, et il les fit tous périr.

Luc 17, 30 De même en sera-t-il, le Jour où le Fils de l'homme doit se révéler.

Luc 17, 31 "En ce Jour-là, que celui qui sera sur la terrasse et aura ses affaires dans la maison, ne descende pas les prendre et, pareillement, que celui qui sera aux champs ne retourne pas en arrière.

Luc 17, 32 Rappelez-vous la femme de Lot.

Luc 17, 33 Qui cherchera à épargner sa vie la perdra, et qui la perdra la sauvegardera.

Luc 17, 34 Je vous le dis: en cette nuit-là, deux seront sur un même lit: l'un sera pris et l'autre laissé;

Luc 17, 35 deux femmes seront à moudre ensemble: l'une sera prise et l'autre laissée.

Luc 17, 37 Prenant alors la parole, ils lui disent: "Où, Seigneur?" Il leur dit: "Où sera le corps, là aussi les vautours se rassembleront."

Luc 18, 1 Et il leur disait une parabole sur ce qu'il leur fallait prier sans cesse et ne pas se décourager.

Luc 18, 2 "Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et n'avait de considération pour personne.

Luc 18, 3 Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait le trouver, en disant: Rends-moi justice contre mon adversaire!

Luc 18, 4 Il s'y refusa longtemps. Après quoi il se dit: J'ai beau ne pas craindre Dieu et n'avoir de considération pour personne,

Luc 18, 5 néanmoins, comme cette veuve m'importune, je vais lui rendre justice, pour qu'elle ne vienne pas sans fin me rompre la tête."

Luc 18, 6 Et le Seigneur dit: "Ecoutez ce que dit ce juge inique.

Luc 18, 7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit, tandis qu'il patiente à leur sujet!

Luc 18, 8 Je vous dis qu'il leur fera prompte justice. Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?"

Luc 18, 9 Il dit encore, à l'adresse de certains qui se flattaient d'être des justes et n'avaient que mépris pour les autres, la parabole que voici:

Luc 18, 10 "Deux hommes montèrent au Temple pour prier; l'un était Pharisien et l'autre publicain.

Luc 18, 11 Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain;

Luc 18, 12 je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j'acquiers.

Luc 18, 13 Le publicain, se tenant à distance, n'osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant: Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis!

Luc 18, 14 Je vous le dis: ce dernier descendit chez lui justifié, l'autre non. Car tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé."

Luc 18, 15 On lui présentait aussi les tout-petits pour qu'il les touchât; ce que voyant, les disciples les rabrouaient.

Luc 18, 16 Mais Jésus appela à lui ces enfants, en disant: "Laissez les petits enfants venir à moi, ne les empêchez pas; car c'est à leurs pareils qu'appartient le Royaume de Dieu.

Luc 18, 17 En vérité je vous le dis: quiconque n'accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant n'y entrera pas."

Luc 18, 18 Un notable l'interrogea en disant: "Bon maître, que me faut-il faire pour avoir en héritage la vie éternelle?"

Luc 18, 19 Jésus lui dit: "Pourquoi m'appelles-tu bon? Nul n'est bon que Dieu seul.

Luc 18, 20 Tu connais les commandements: Ne commets pas d'adultère, ne tue pas, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage; honore ton père et ta mère" --

Luc 18, 21 "Tout cela, dit-il, je l'ai observé dès ma jeunesse."

Luc 18, 22 Entendant cela, Jésus lui dit: "Une chose encore te fait défaut: Tout ce que tu as, vends-le et distribue-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi."

Luc 18, 23 Mais lui, entendant cela, devint tout triste, car il était fort riche.

Luc 18, 24 En le voyant, Jésus dit: "Comme il est difficile à ceux qui ont des richesses de pénétrer dans le Royaume de Dieu!

Luc 18, 25 Oui, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu!"

Luc 18, 26 Ceux qui entendaient dirent: "Et qui peut être sauvé?"

Luc 18, 27 Il dit: "Ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu."

Luc 18, 28 Pierre dit alors: "Voici que nous, laissant nos biens, nous t'avons suivi!"

Luc 18, 29 Il leur dit: "En vérité, je vous le dis: nul n'aura laissé maison, femme, frères, parents ou enfants, à cause du Royaume de Dieu,

Luc 18, 30 qui ne reçoive bien davantage en ce temps-ci, et dans le monde à venir la vie éternelle."

Luc 18, 31 Prenant avec lui les Douze, il leur dit: "Voici que nous montons à Jérusalem et que s'accomplira tout ce qui a été écrit par les Prophètes pour le Fils de l'homme.

Luc 18, 32 Il sera en effet livré aux païens, bafoué, outragé, couvert de crachats;

Luc 18, 33 après l'avoir flagellé, ils le tueront et, le troisième jour, il ressuscitera."

Luc 18, 34 Et eux ne saisirent rien de tout cela; cette parole leur demeurait cachée, et ils ne comprenaient pas ce qu'il disait.

Luc 18, 35 Or il advint, comme il approchait de Jéricho, qu'un aveugle était assis au bord du chemin et mendiait.

Luc 18, 36 Entendant une foule marcher, il s'enquérait de ce que cela pouvait être.

Luc 18, 37 On lui annonça que c'était Jésus le Nazôréen qui passait.

Luc 18, 38 Alors il s'écria: "Jésus, Fils de David, aie pitié de moi!"

Luc 18, 39 Ceux qui marchaient en tête le rabrouaient pour le faire taire, mais lui criait de plus belle: "Fils de David, aie pitié de moi!"

Luc 18, 40 Jésus s'arrêta et ordonna de le lui amener. Quand il fut près, il lui demanda:

Luc 18, 41 "Que veux-tu que je fasse pour toi" - "Seigneur, dit-il, que je recouvre la vue!"

Luc 18, 42 Jésus lui dit: "Recouvre la vue; ta foi t'a sauvé."

Luc 18, 43 Et à l'instant même il recouvra la vue, et il le suivait en glorifiant Dieu. Et tout le peuple, voyant cela, célébra les louanges de Dieu.

Luc 19, 1 Entré dans Jéricho, il traversait la ville.

Luc 19, 2 Et voici un homme appelé du nom de Zachée; c'était un chef de publicains, et qui était riche.

Luc 19, 3 Et il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait à cause de la foule, car il était petit de taille.

Luc 19, 4 Il courut donc en avant et monta sur un sycomore pour voir Jésus, qui devait passer par là.

Luc 19, 5 Arrivé en cet endroit, Jésus leva les yeux et lui dit: "Zachée, descends vite, car il me faut aujourd'hui demeurer chez toi."

Luc 19, 6 Et vite il descendit et le reçut avec joie.

Luc 19, 7 Ce que voyant, tous murmuraient et disaient: "Il est allé loger chez un homme pécheur!"

Luc 19, 8 Mais Zachée, debout, dit au Seigneur: "Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j'ai extorqué quelque chose à quelqu'un, je lui rends le quadruple."

Luc 19, 9 Et Jésus lui dit: "Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d'Abraham.

Luc 19, 10 Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu."

Luc 19, 11 Comme les gens écoutaient cela, il dit encore une parabole, parce qu'il était près de Jérusalem, et qu'on pensait que le Royaume de Dieu allait apparaître à l'instant même.

Luc 19, 12 Il dit donc: "Un homme de haute naissance se rendit dans un pays lointain pour recevoir la dignité royale et revenir ensuite.

Luc 19, 13 Appelant dix de ses serviteurs, il leur remit dix mines et leur dit: Faites-les valoir jusqu'à ce que je vienne.

Luc 19, 14 Mais ses concitoyens le haïssaient et ils dépêchèrent à sa suite une ambassade chargée de dire: Nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous.

Luc 19, 15 "Et il advint qu'une fois de retour, après avoir reçu la dignité royale, il fit appeler ces serviteurs auxquels il avait remis l'argent, pour savoir ce que chacun lui avait fait produire.

Luc 19, 16 Le premier se présenta et dit: Seigneur, ta mine a rapporté dix mines. --

Luc 19, 17 C'est bien, bon serviteur, lui dit-il; puisque tu t'es montré fidèle en très peu de chose, reçois autorité dix villes.

Luc 19, 18 Le second vint et dit: Ta mine, Seigneur, a produit cinq mines.

Luc 19, 19 A celui-là encore il dit: Toi aussi, sois à la tête de cinq villes.

Luc 19, 20 "L'autre aussi vint et dit: Seigneur, voici ta mine, que je gardais déposée dans un linge.

Luc 19, 21 Car j'avais peur de toi, qui es un homme sévère, qui prends ce que tu n'as pas mis en dépôt et moissonnes ce que tu n'as pas semé. --

Luc 19, 22 Je te juge, lui dit-il, sur tes propres paroles, mauvais serviteur. Tu savais que je suis un homme sévère, prenant ce que je n'ai pas mis en dépôt et moissonnant ce que je n'ai pas semé.

Luc 19, 23 Pourquoi donc n'as-tu pas confié mon argent à la banque? A mon retour, je l'aurais retiré avec un intérêt.

Luc 19, 24 Et il dit à ceux qui se tenaient là: Enlevez-lui sa mine, et donnez-la à celui qui a les dix mines. --

Luc 19, 25 Seigneur, lui dirent-ils, il a dix mines! --

Luc 19, 26 Je vous le dis: à tout homme qui a l'on donnera; mais à qui n'a pas on enlèvera même ce qu'il a.

Luc 19, 27 "Quant à mes ennemis, ceux qui n'ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici, et égorgez-les en ma présence."

Luc 19, 28 Ayant dit cela, il partait en tête, montant à Jérusalem.

Luc 19, 29 Et il advint qu'en approchant de Bethphagé et de Béthanie, près du mont dit des Oliviers, il envoya deux des disciples, en disant:

Luc 19, 30 "Allez au village qui est en face et, en y pénétrant, vous trouverez, à l'attache, un ânon que personne au monde n'a jamais monté; détachez-le et amenez-le.

Luc 19, 31 Et si quelqu'un vous demande: Pourquoi le détachez-vous? Vous direz ceci: C'est que le Seigneur en a besoin."

Luc 19, 32 Etant donc partis, les envoyés trouvèrent les choses comme il leur avait dit.

Luc 19, 33 Et tandis qu'ils détachaient l'ânon, ses maîtres leur dirent: "Pourquoi détachez-vous cet ânon?"

Luc 19, 34 Ils dirent: "C'est que le Seigneur en a besoin."

Luc 19, 35 Ils l'amenèrent donc à Jésus et, jetant leurs manteaux sur l'ânon, ils firent monter Jésus.

Luc 19, 36 Et, tandis qu'il avançait, les gens étendaient leurs manteaux sur le chemin.

Luc 19, 37 Déjà il approchait de la descente du mont des Oliviers quand, dans sa joie, toute la multitude des disciples se mit à louer Dieu d'une voix forte pour tous les miracles qu'ils avaient vus.

Luc 19, 38 Ils disaient: "Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur! Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux!"

Luc 19, 39 Quelques Pharisiens de la foule lui dirent: "Maître, réprimande tes disciples."

Luc 19, 40 Mais il répondit: "Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront."

Luc 19, 41 Quand il fut proche, à la vue de la ville, il pleura sur elle,

Luc 19, 42 en disant: "Ah! si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix! Mais non, il est demeuré caché à tes yeux.

Luc 19, 43 Oui, des jours viendront sur toi, où tes ennemis t'environneront de retranchements, t'investiront, te presseront de toute part.

Luc 19, 44 Ils t'écraseront sur le sol, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n'as pas reconnu le temps où tu fus visitée!"

Luc 19, 45 Puis, entré dans le Temple, il se mit à chasser les vendeurs,

Luc 19, 46 en leur disant: "Il est écrit: Ma maison sera une maison de prière. Mais vous, vous en avez fait un repaire de brigands!"

Luc 19, 47 Il était journellement à enseigner dans le Temple, et les grands prêtres et les scribes cherchaient à le faire périr, les notables du peuple aussi.

Luc 19, 48 Mais ils ne trouvaient pas ce qu'ils pourraient faire, car tout le peuple l'écoutait, suspendu à ses lèvres.

Luc 20, 1 Et il advint, un jour qu'il enseignait le peuple dans le Temple, et annonçait la Bonne Nouvelle, que les grands prêtres et les scribes survinrent avec les anciens,

Luc 20, 2 et lui parlèrent en ces termes: "Dis-nous par quelle autorité tu fais cela, ou quel est celui qui t'a donné cette autorité?"

Luc 20, 3 Il leur répondit: "Moi aussi, je vais vous poser une question. Dites-moi donc:

Luc 20, 4 le baptême de Jean était-il du Ciel ou des hommes?"

Luc 20, 5 Mais ils firent par-devers eux ce calcul: "Si nous disons: Du Ciel, il dira: Pourquoi n'avez-vous pas cru en lui?

Luc 20, 6 Et si nous disons: Des hommes, tout le peuple nous lapidera, car il est persuadé que Jean est un prophète."

Luc 20, 7 Et ils répondirent ne pas savoir d'où il était.

Luc 20, 8 Et Jésus leur dit: "Moi non plus, je ne vous dis pas par quelle autorité je fais cela."

Luc 20, 9 Il se mit alors à dire au peuple la parabole que voici: "Un homme planta une vigne, puis il la loua à des vignerons et partit en voyage pour un temps assez long.

Luc 20, 10 "Le moment venu, il envoya un serviteur aux vignerons pour qu'ils lui donnent une part du fruit de la vigne; mais les vignerons le renvoyèrent les mains vides, après l'avoir battu.

Luc 20, 11 Il recommença, envoyant un autre serviteur; et celui-là aussi, ils le battirent, le couvrirent d'outrages et le renvoyèrent les mains vides.

Luc 20, 12 Il recommença, envoyant un troisième; et celui-là aussi, ils le blessèrent et le jetèrent dehors.

Luc 20, 13 Le maître de la vigne se dit alors: Que faire? Je vais envoyer mon fils bien-aimé; peut-être respecteront-ils celui-là.

Luc 20, 14 Mais, à sa vue, les vignerons faisaient entre eux ce raisonnement: Celui-ci est l'héritier; tuons-le, pour que l'héritage soit à nous.

Luc 20, 15 Et, le jetant hors de la vigne, ils le tuèrent. "Que leur fera donc le maître de la vigne?

Luc 20, 16 Il viendra, fera périr ces vignerons et donnera la vigne à d'autres." A ces mots, ils dirent: A Dieu ne plaise!

Luc 20, 17 Mais, fixant sur eux son regard, il dit: "Que signifie donc ceci qui est écrit: La pierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs, c'est elle qui est devenue pierre de faîte?

Luc 20, 18 Quiconque tombera sur cette pierre s'y fracassera, et celui sur qui elle tombera, elle l'écrasera."

Luc 20, 19 Les scribes et les grands prêtres cherchèrent à porter les mains sur lui à cette heure même, mais ils eurent peur du peuple. Ils avaient bien compris, en effet, que c'était pour eux qu'il avait dit cette parabole.

Luc 20, 20 Ils se mirent alors aux aguets et lui envoyèrent des espions, qui jouèrent les justes pour le prendre en défaut sur quelque parole, de manière à le livrer à l'autorité et au pouvoir du gouverneur.

Luc 20, 21 Ils l'interrogèrent donc en disant: "Maître, nous savons que tu parles et enseignes avec droiture et que tu ne tiens pas compte des personnes, mais que tu enseignes en toute vérité la voie de Dieu.

Luc 20, 22 Nous est-il permis ou non de payer le tribut à César?"

Luc 20, 23 Mais, pénétrant leur astuce, il leur dit:

Luc 20, 24 "Montrez-moi un denier. De qui porte-t-il l'effigie et l'inscription?" Ils dirent: "De César."

Luc 20, 25 Alors il leur dit: "Eh bien! rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu."

Luc 20, 26 Et ils ne purent le prendre en défaut sur quelque propos devant le peuple et, tout étonnés de sa réponse, ils gardèrent le silence.

Luc 20, 27 S'approchant alors, quelques Sadducéens - ceux qui nient qu'il y ait une résurrection - l'interrogèrent

Luc 20, 28 en disant: "Maître, Moïse a écrit pour nous: Si quelqu'un a un frère marié qui meurt sans avoir d'enfant, que son frère prenne la femme et suscite une postérité à son frère.

Luc 20, 29 Il y avait donc sept frères. Le premier, ayant pris femme, mourut sans enfant.

Luc 20, 30 Le second aussi,

Luc 20, 31 puis le troisième prirent la femme. Et les sept moururent de même, sans laisser d'enfant après eux.

Luc 20, 32 Finalement, la femme aussi mourut.

Luc 20, 33 Eh bien! cette femme, à la résurrection, duquel d'entre eux va-t-elle devenir la femme? Car les sept l'auront eue pour femme."

Luc 20, 34 Et Jésus leur dit: "Les fils de ce monde-ci prennent femme ou mari;

Luc 20, 35 mais ceux qui auront été jugés dignes d'avoir part à ce monde-là et à la résurrection d'entre les morts ne prennent ni femme ni mari;

Luc 20, 36 aussi bien ne peuvent-ils plus mourir, car ils sont pareils aux anges, et ils sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection.

Luc 20, 37 Et que les morts ressuscitent, Moïse aussi l'a donné à entendre dans le passage du Buisson quand il appelle le Seigneur le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob.

Luc 20, 38 Or il n'est pas un Dieu de morts, mais de vivants; tous en effet vivent pour lui."

Luc 20, 39 Prenant alors la parole, quelques scribes dirent: "Maître, tu as bien parlé."

Luc 20, 40 Car ils n'osaient plus l'interroger sur rien.

Luc 20, 41 Il leur dit: "Comment peut-on dire que le Christ est fils de David?

Luc 20, 42 C'est David lui-même en effet qui dit, au livre des

Luc Psaumes: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Siège à ma droite,

Luc 20, 43 jusqu'à ce que j'aie fait de tes ennemis un escabeau pour tes pieds.

Luc 20, 44 David donc l'appelle Seigneur; comment alors est-il son fils?"

Luc 20, 45 Comme tout le peuple écoutait, il dit aux disciples:

Luc 20, 46 "Méfiez-vous des scribes qui se plaisent à circuler en longues robes, qui aiment les salutations sur les places publiques, et les premiers sièges dans les synagogues et les premiers divans dans les festins,

Luc 20, 47 qui dévorent les biens des veuves, et affectent de faire de longues prières. Ils subiront, ceux-là, une condamnation plus sévère!"

Luc 21, 1 Levant les yeux, il vit les riches qui mettaient leurs offrandes dans le Trésor.

Luc 21, 2 Il vit aussi une veuve indigente qui y mettait deux piécettes,

Luc 21, 3 et il dit: "Vraiment, je vous le dis, cette veuve qui est pauvre a mis plus qu'eux tous.

Luc 21, 4 Car tous ceux-là ont mis de leur superflu dans les offrandes, mais elle, de son dénuement, a mis tout ce qu'elle avait pour vivre."

Luc 21, 5 Comme certains disaient du Temple qu'il était orné de belles pierres et d'offrandes votives, il dit:

Luc 21, 6 "De ce que vous contemplez, viendront des jours où il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit jetée bas."

Luc 21, 7 Ils l'interrogèrent alors en disant: "Maître, quand donc cela aura-t-il lieu, et quel sera le signe que cela est sur le point d'arriver?"

Luc 21, 8 Il dit: "Prenez garde de vous laisser abuser, car il en viendra beaucoup sous mon nom, qui diront: C'est moi! et Le temps est tout proche. N'allez pas à leur suite.

Luc 21, 9 Lorsque vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne vous effrayez pas; car il faut que cela arrive d'abord, mais ce ne sera pas de sitôt la fin."

Luc 21, 10 Alors il leur disait: "On se dressera nation contre nation et royaume contre royaume.

Luc 21, 11 Il y aura de grands tremblements de terre et, par endroits, des pestes et des famines; il y aura aussi des phénomènes terribles et, venant du ciel, de grands signes.

Luc 21, 12 "Mais, avant tout cela, on portera les mains sur vous, on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous traduira devant des rois et des gouverneurs à cause de mon Nom,

Luc 21, 13 et cela aboutira pour vous au témoignage.

Luc 21, 14 Mettez-vous donc bien dans l'esprit que vous n'avez pas à préparer d'avance votre défense:

Luc 21, 15 car moi je vous donnerai un langage et une sagesse, à quoi nul de vos adversaires ne pourra résister ni contredire.

Luc 21, 16 Vous serez livrés même par vos père et mère, vos frères, vos proches et vos amis; on fera mourir plusieurs d'entre vous,

Luc 21, 17 et vous serez haïs de tous à cause de mon nom.

Luc 21, 18 Mais pas un cheveu de votre tête ne se perdra.

Luc 21, 19 C'est par votre constance que vous sauverez vos vies!

Luc 21, 20 "Mais lorsque vous verrez Jérusalem investie par des armées, alors comprenez que sa dévastation est toute proche.

Luc 21, 21 Alors, que ceux qui seront en Judée s'enfuient dans les montagnes, que ceux qui seront à l'intérieur de la ville s'en éloignent, et que ceux qui seront dans les campagnes n'y entrent pas;

Luc 21, 22 car ce seront des jours de vengeance, où devra s'accomplir tout ce qui a été écrit.

Luc 21, 23 Malheur à celles qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là! "Car il y aura grande détresse sur la terre et colère contre ce peuple.

Luc 21, 24 Ils tomberont sous le tranchant du glaive et ils seront emmenés captifs dans toutes les nations, et Jérusalem sera foulée aux pieds par des païens jusqu'à ce que soient accomplis les temps des païens.

Luc 21, 25 "Et il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur la terre, les nations seront dans l'angoisse, inquiètes du fracas de la mer et des flots;

Luc 21, 26 des hommes défailliront de frayeur, dans l'attente de ce qui menace le monde habité, car les puissances des cieux seront ébranlées.

Luc 21, 27 Et alors on verra le Fils de l'homme venant dans une nuée avec puissance et grande gloire.

Luc 21, 28 Quand cela commencera d'arriver, redressez-vous et relevez la tête, parce que votre délivrance est proche."

Luc 21, 29 Et il leur dit une parabole: "Voyez le figuier et les autres arbres.

Luc 21, 30 Dès qu'ils bourgeonnent, vous comprenez de vous-mêmes, en les regardant, que désormais l'été est proche.

Luc 21, 31 Ainsi vous, lorsque vous verrez cela arriver, comprenez que le Royaume de Dieu est proche.

Luc 21, 32 En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout ne soit arrivé.

Luc 21, 33 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point.

Luc 21, 34 "Tenez-vous sur vos gardes, de peur que vos coeurs ne s'appesantissent dans la débauche, l'ivrognerie, les soucis de la vie, et que ce Jour-là ne fonde soudain sur vous

Luc 21, 35 comme un filet; car il s'abattra sur tous ceux qui habitent la surface de toute la terre.

Luc 21, 36 Veillez donc et priez en tout temps, afin d'avoir la force d'échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l'homme."

Luc 21, 37 Pendant le jour, il était dans le Temple à enseigner; mais la nuit, il s'en allait la passer en plein air sur le mont dit des Oliviers.

Luc 21, 38 Et, dès l'aurore, tout le peuple venait à lui dans le Temple pour l'écouter.

Luc 22, 1 La fête des Azymes, appelée la Pâque, approchait.

Luc 22, 2 Et les grands prêtres et les scribes cherchaient comment le tuer, car ils avaient peur du peuple.

Luc 22, 3 Or Satan entra dans Judas, appelé Iscariote, qui était du nombre des Douze.

Luc 22, 4 Il s'en alla conférer avec les grands prêtres et les chefs des gardes sur le moyen de le leur livrer.

Luc 22, 5 Ils se réjouirent et convinrent de lui donner de l'argent.

Luc 22, 6 Il acquiesça, et il cherchait une occasion favorable pour le leur livrer à l'insu de la foule.

Luc 22, 7 Vint le jour des Azymes, où devait être immolée la pâque,

Luc 22, 8 et il envoya Pierre et Jean en disant: "Allez nous préparer la pâque, que nous la mangions."

Luc 22, 9 Ils lui dirent: "Où veux-tu que nous préparions?"

Luc 22, 10 Il leur dit: "Voici qu'en entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau. Suivez-le dans la maison où il pénétrera,

Luc 22, 11 et vous direz au propriétaire de la maison: Le Maître te fait dire: Où est la salle où je pourrai manger la pâque avec mes disciples?

Luc 22, 12 Et celui-ci vous montrera, à l'étage, une grande pièce garnie de coussins; faites-y les préparatifs."

Luc 22, 13 S'en étant donc allés, ils trouvèrent comme il leur avait dit, et ils préparèrent la pâque.

Luc 22, 14 Lorsque l'heure fut venue, il se mit à table, et les apôtres avec lui.

Luc 22, 15 Et il leur dit: "J'ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous avant de souffrir;

Luc 22, 16 car je vous le dis, jamais plus je ne la mangerai jusqu'à ce qu'elle s'accomplisse dans le Royaume de Dieu."

Luc 22, 17 Puis, ayant reçu une coupe, il rendit grâces et dit: "Prenez ceci et partagez entre vous;

Luc 22, 18 car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du produit de la vigne jusqu'à ce que le Royaume de Dieu soit venu."

Luc 22, 19 Puis, prenant du pain, il rendit grâces, le rompit et le leur donna, en disant: "Ceci est mon corps, donné pour vous; faites cela en mémoire de moi."

Luc 22, 20 Il fit de même pour la coupe après le repas, disant: "Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous.

Luc 22, 21 "Cependant, voici que la main de celui qui me livre est avec moi sur la table.

Luc 22, 22 Le Fils de l'homme, certes, va son chemin selon ce qui a été arrêté, mais malheur à cet homme-là par qui il est livré!"

Luc 22, 23 Et eux se mirent à se demander entre eux quel était donc parmi eux celui qui allait faire cela.

Luc 22, 24 Il s'éleva aussi entre eux une contestation: lequel d'entre eux pouvait être tenu pour le plus grand?

Luc 22, 25 Il leur dit: "Les rois des nations dominent sur eux, et ceux qui exercent le pouvoir sur eux se font appeler Bienfaiteurs.

Luc 22, 26 Mais pour vous, il n'en va pas ainsi. Au contraire, que le plus grand parmi vous se comporte comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert.

Luc 22, 27 Quel est en effet le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert? N'est-ce pas celui qui est à table? Et moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert!

Luc 22, 28 "Vous êtes, vous, ceux qui êtes demeurés constamment avec moi dans mes épreuves;

Luc 22, 29 et moi je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi:

Luc 22, 30 vous mangerez et boirez à ma table en mon Royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d'Israël.

Luc 22, 31 "Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme froment;

Luc 22, 32 mais moi j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères."

Luc 22, 33 Celui-ci lui dit: "Seigneur, je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort."

Luc 22, 34 Mais il dit: "Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd'hui que tu n'aies, par trois fois, nié me connaître."

Luc 22, 35 Puis il leur dit: "Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni besace, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose" - "De rien", dirent-ils.

Luc 22, 36 Et il leur dit: "Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a une besace, et que celui qui n'en a pas vende son manteau pour acheter un glaive.

Luc 22, 37 Car, je vous le dis, il faut que s'accomplisse en moi ceci qui est écrit: Il a été compté parmi les scélérats. Aussi bien, ce qui me concerne touche à sa fin" --

Luc 22, 38 "Seigneur, dirent-ils, il y a justement ici deux glaives." Il leur répondit: "C'est bien assez!"

Luc 22, 39 Il sortit et se rendit, comme de coutume, au mont des Oliviers, et les disciples aussi le suivirent.

Luc 22, 40 Parvenu en ce lieu, il leur dit: "Priez, pour ne pas entrer en tentation."

Luc 22, 41 Puis il s'éloigna d'eux d'environ un jet de pierre et, fléchissant les genoux, il priait en disant:

Luc 22, 42 "Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse!"

Luc 22, 43 Alors lui apparut, venant du ciel, un ange qui le réconfortait.

Luc 22, 44 Entré en agonie, il priait de façon plus instante, et sa sueur devint comme de grosses gouttes de sang qui tombaient à terre.

Luc 22, 45 Se relevant de sa prière, il vint vers les disciples qu'il trouva endormis de tristesse,

Luc 22, 46 et il leur dit: "Qu'avez-vous à dormir? Relevez-vous et priez, pour ne pas entrer en tentation."

Luc 22, 47 Tandis qu'il parlait encore, voici une foule, et à sa tête marchait le nommé Judas, l'un des Douze, qui s'approcha de Jésus pour lui donner un baiser.

Luc 22, 48 Mais Jésus lui dit: "Judas, c'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme!"

Luc 22, 49 Voyant ce qui allait arriver, ses compagnons lui dirent: "Seigneur, faut-il frapper du glaive?"

Luc 22, 50 Et l'un d'eux frappa le serviteur du grand prêtre et lui enleva l'oreille droite.

Luc 22, 51 Mais Jésus prit la parole et dit: "Restez-en là." Et, lui touchant l'oreille, il le guérit.

Luc 22, 52 Puis Jésus dit à ceux qui s'étaient portés contre lui, grands prêtres, chefs des gardes du Temple et anciens: "Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons?

Luc 22, 53 Alors que chaque jour j'étais avec vous dans le Temple, vous n'avez pas porté les mains sur moi. Mais c'est votre heure et le pouvoir des Ténèbres."

Luc 22, 54 L'ayant donc saisi, ils l'emmenèrent et l'introduisirent dans la maison du grand prêtre. Quant à Pierre, il suivait de loin.

Luc 22, 55 Comme ils avaient allumé du feu au milieu de la cour et s'étaient assis autour, Pierre s'assit au milieu d'eux.

Luc 22, 56 Une servante le vit assis près de la flambée et, fixant les yeux sur lui, elle dit: "Celui-là aussi était avec lui!"

Luc 22, 57 Mais lui nia en disant: "Femme, je ne le connais pas."

Luc 22, 58 Peu après, un autre, l'ayant vu, déclara: "Toi aussi, tu en es!" Mais Pierre déclara: "Homme, je n'en suis pas."

Luc 22, 59 Environ une heure plus tard, un autre soutenait avec insistance: "Sûrement, celui-là aussi était avec lui, et d'ailleurs il est Galiléen!" Mais Pierre dit:

Luc 22, 60 "Homme, je ne sais ce que tu dis." Et à l'instant même, comme il parlait encore, un coq chanta,

Luc 22, 61 et le Seigneur, se retournant, fixa son regard sur Pierre. Et Pierre se ressouvint de la parole du Seigneur, qui lui avait dit: "Avant que le coq ait chanté aujourd'hui, tu m'auras renié trois fois."

Luc 22, 62 Et, sortant dehors, il pleura amèrement.

Luc 22, 63 Les hommes qui le gardaient le bafouaient et le battaient;

Luc 22, 64 ils lui voilaient le visage et l'interrogeaient en disant: "Fais le prophète! Qui est-ce qui t'a frappé?"

Luc 22, 65 Et ils proféraient contre lui beaucoup d'autres injures.

Luc 22, 66 Et quand il fit jour, le conseil des Anciens du peuple s'assembla, grands prêtres et scribes. Ils l'amenèrent dans leur Sanhédrin

Luc 22, 67 et dirent: "Si tu es le Christ, dis-le-nous." Il leur dit: "Si je vous le dis, vous ne croirez pas,

Luc 22, 68 et si je vous interroge, vous ne répondrez pas.

Luc 22, 69 Mais désormais le Fils de l'homme siégera à la droite de la Puissance de Dieu!"

Luc 22, 70 Tous dirent alors: "Tu es donc le Fils de Dieu!" Il leur déclara: "Vous le dites: je le suis."

Luc 22, 71 Et ils dirent: "Qu'avons-nous encore besoin de témoignage? Car nous-mêmes l'avons entendu de sa bouche!"

Luc 23, 1 Puis toute l'assemblée se leva, et ils l'amenèrent devant Pilate.

Luc 23, 2 Ils se mirent alors à l'accuser, en disant: "Nous avons trouvé cet homme mettant le trouble dans notre nation, empêchant de payer les impôts à César et se disant Christ Roi."

Luc 23, 3 Pilate l'interrogea en disant: "Tu es le roi des Juifs" - "Tu le dis", lui répondit-il.

Luc 23, 4 Pilate dit alors aux grands prêtres et aux foules: "Je ne trouve en cet homme aucun motif de condamnation."

Luc 23, 5 Mais eux d'insister en disant: "Il soulève le peuple, enseignant par toute la Judée, depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu'ici."

Luc 23, 6 A ces mots, Pilate demanda si l'homme était Galiléen.

Luc 23, 7 Et s'étant assuré qu'il était de la juridiction d'Hérode, il le renvoya à Hérode qui se trouvait, lui aussi, à Jérusalem en ces jours-là.

Luc 23, 8 Hérode, en voyant Jésus, fut tout joyeux; car depuis assez longtemps il désirait le voir, pour ce qu'il entendait dire de lui; et il espérait lui voir faire quelque miracle.

Luc 23, 9 Il l'interrogea donc avec force paroles, mais il ne lui répondit rien.

Luc 23, 10 Cependant les grands prêtres et les scribes se tenaient là, l'accusant avec véhémence.

Luc 23, 11 Après l'avoir, ainsi que ses gardes, traité avec mépris et bafoué, Hérode le revêtit d'un habit splendide et le renvoya à Pilate.

Luc 23, 12 Et, ce même jour, Hérode et Pilate devinrent deux amis, d'ennemis qu'ils étaient auparavant.

Luc 23, 13 Ayant convoqué les grands prêtres, les chefs et le peuple, Pilate

Luc 23, 14 leur dit: "Vous m'avez présenté cet homme comme détournant le peuple, et voici que moi je l'ai interrogé devant vous, et je n'ai trouvé en cet homme aucun motif de condamnation pour ce dont vous l'accusez.

Luc 23, 15 Hérode non plus d'ailleurs, puisqu'il l'a renvoyé devant nous. Vous le voyez; cet homme n'a rien fait qui mérite la mort.

Luc 23, 16 Je le relâcherai donc, après l'avoir châtié."

Luc 23, 18 Mais eux se mirent à pousser des cris tous ensemble: "A mort cet homme! Et relâche-nous Barabbas."

Luc 23, 19 Ce dernier avait été jeté en prison pour une sédition survenue dans la ville et pour meurtre.

Luc 23, 20 De nouveau Pilate, qui voulait relâcher Jésus, leur adressa la parole.

Luc 23, 21 Mais eux répondaient en criant: "Crucifie-le! crucifie-le!"

Luc 23, 22 Pour la troisième fois, il leur dit: "Quel mal a donc fait cet homme? Je n'ai trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort; je le relâcherai donc, après l'avoir châtié."

Luc 23, 23 Mais eux insistaient à grands cris, demandant qu'il fût crucifié; et leurs clameurs gagnaient en violence.

Luc 23, 24 Et Pilate prononça qu'il fût fait droit à leur demande.

Luc 23, 25 Il relâcha celui qui avait été jeté en prison pour sédition et meurtre, celui qu'ils réclamaient. Quant à Jésus, il le livra à leur bon plaisir.

Luc 23, 26 Quand ils l'emmenèrent, ils mirent la main sur un certain Simon de Cyrène qui revenait des champs, et le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus.

Luc 23, 27 Une grande masse du peuple le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui.

Luc 23, 28 Mais, se retournant vers elles, Jésus dit: "Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi! pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants!

Luc 23, 29 Car voici venir des jours où l'on dira: Heureuses les femmes stériles, les entrailles qui n'ont pas enfanté, et les seins qui n'ont pas nourri!

Luc 23, 30 Alors on se mettra à dire aux montagnes: Tombez sur nous! et aux collines: Couvrez-nous!

Luc 23, 31 Car si l'on traite ainsi le bois vert, qu'adviendra-t-il du sec?"

Luc 23, 32 On emmenait encore deux malfaiteurs pour être exécutés avec lui.

Luc 23, 33 Lorsqu'ils furent arrivés au lieu appelé Crâne, ils l'y crucifièrent ainsi que les malfaiteurs, l'un à droite et l'autre à gauche.

Luc 23, 34 Et Jésus disait: "Père, pardonne-leur: ils ne savent ce qu'ils font." Puis, se partageant ses vêtements, ils tirèrent au sort.

Luc 23, 35 Le peuple se tenait là, à regarder. Les chefs, eux, se moquaient: "Il en a sauvé d'autres, disaient-ils; qu'il se sauve lui-même, s'il est le Christ de Dieu, l'Elu!"

Luc 23, 36 Les soldats aussi se gaussèrent de lui: s'approchant pour lui présenter du vinaigre,

Luc 23, 37 ils disaient: "Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même!"

Luc 23, 38 Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui: "Celui-ci est le roi des Juifs."

Luc 23, 39 L'un des malfaiteurs suspendus à la croix l'injuriait: "N'es-tu pas le Christ? Sauve-toi toi même, et nous aussi."

Luc 23, 40 Mais l'autre, le reprenant, déclara: "Tu n'as même pas crainte de Dieu, alors que tu subis la même peine!

Luc 23, 41 Pour nous, c'est justice, nous payons nos actes; mais lui n'a rien fait de mal."

Luc 23, 42 Et il disait: "Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras avec ton royaume."

Luc 23, 43 Et il lui dit: "En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis."

Luc 23, 44 C'était déjà environ la sixième heure quand, le soleil s'éclipsant, l'obscurité se fit sur la terre entière, jusqu'à la neuvième heure.

Luc 23, 45 Le voile du Sanctuaire se déchira par le milieu,

Luc 23, 46 et, jetant un grand cri, Jésus dit: "Père, en tes mains je remets mon esprit." Ayant dit cela, il expira.

Luc 23, 47 Voyant ce qui était arrivé, le centenier glorifiait Dieu, en disant: "Sûrement, cet homme était un juste!"

Luc 23, 48 Et toutes les foules qui s'étaient rassemblées pour ce spectacle, voyant ce qui était arrivé, s'en retournaient en se frappant la poitrine.

Luc 23, 49 Tous ses amis se tenaient à distance, ainsi que les femmes qui l'accompagnaient depuis la Galilée, et qui regardaient cela.

Luc 23, 50 Et voici un homme nommé Joseph, membre du Conseil, homme droit et juste.

Luc 23, 51 Celui-là n'avait pas donné son assentiment au dessein ni à l'acte des autres. Il était d'Arimathie, ville juive, et il attendait le Royaume de Dieu.

Luc 23, 52 Il alla trouver Pilate et réclama le corps de Jésus.

Luc 23, 53 Il le descendit, le roula dans un linceul et le mit dans une tombe taillée dans le roc, où personne encore n'avait été placé.

Luc 23, 54 C'était le jour de la Préparation, et le sabbat commençait à poindre.

Luc 23, 55 Cependant les femmes qui étaient venues avec lui de Galilée avaient suivi Joseph; elles regardèrent le tombeau et comment son corps avait été mis.

Luc 23, 56 Puis elles s'en retournèrent et préparèrent aromates et parfums. Et le sabbat, elles se tinrent en repos, selon le précepte.

Luc 24, 1 Le premier jour de la semaine, à la pointe de l'aurore, elles allèrent à la tombe, portant les aromates qu'elles avaient préparés.

Luc 24, 2 Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau,

Luc 24, 3 mais, étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.

Luc 24, 4 Et il advint, comme elles en demeuraient perplexes, que deux hommes se tinrent devant elles, en habit éblouissant.

Luc 24, 5 Et tandis que, saisies d'effroi, elles tenaient leur visage incliné vers le sol, ils leur dirent: "Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts?

Luc 24, 6 Il n'est pas ici; mais il est ressuscité. Rappelez-vous comment il vous a parlé, quand il était encore en Galilée:

Luc 24, 7 Il faut, disait-il, que le Fils de l'homme soit livré aux mains des pécheurs, qu'il soit crucifié, et qu'il ressuscite le troisième jour."

Luc 24, 8 Et elles se rappelèrent ses paroles.

Luc 24, 9 A leur retour du tombeau, elles rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres.

Luc 24, 10 C'étaient Marie la Magdaléenne, Jeanne et Marie, mère de Jacques. Les autres femmes qui étaient avec elles le dirent aussi aux apôtres;

Luc 24, 11 mais ces propos leur semblèrent du radotage, et ils ne les crurent pas.

Luc 24, 12 Pierre cependant partit et courut au tombeau. Mais, se penchant, il ne voit que les linges. Et il s'en alla chez lui, tout surpris de ce qui était arrivé.

Luc 24, 13 Et voici que, ce même jour, deux d'entre eux faisaient route vers un village du nom d'Emmaüs, distant de Jérusalem de 60 stades,

Luc 24, 14 et ils conversaient entre eux de tout ce qui était arrivé.

Luc 24, 15 Et il advint, comme ils conversaient et discutaient ensemble, que Jésus en personne s'approcha, et il faisait route avec eux;

Luc 24, 16 mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.

Luc 24, 17 Il Leur dit: "Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant?" Et ils s'arrêtèrent, le visage sombre.

Luc 24, 18 Prenant la parole, l'un d'eux, nommé Cléophas, lui dit: "Tu es bien le seul habitant de Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci" --

Luc 24, 19 "Quoi donc?" Leur dit-il. Ils lui dirent: "Ce qui concerne Jésus le Nazarénien, qui s'est montré un prophète puissant en oeuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple,

Luc 24, 20 comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié.

Luc 24, 21 Nous espérions, nous, que c'était lui qui allait délivrer Israël; mais avec tout cela, voilà le troisième jour depuis que ces choses sont arrivées!

Luc 24, 22 Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, stupéfiés. S'étant rendues de grand matin au tombeau

Luc 24, 23 et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire qu'elles ont même eu la vision d'anges qui le disent vivant.

Luc 24, 24 Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé les choses tout comme les femmes avaient dit; mais lui, ils ne l'ont pas vu!"

Luc 24, 25 Alors il leur dit: "O coeurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu'ont annoncé les Prophètes!

Luc 24, 26 Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire?"

Luc 24, 27 Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.

Luc 24, 28 Quand ils furent près du village où ils se rendaient, il fit semblant d'aller plus loin.

Luc 24, 29 Mais ils le pressèrent en disant: "Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme." Il entra donc pour rester avec eux.

Luc 24, 30 Et il advint, comme il était à table avec eux, qu'il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna.

Luc 24, 31 Leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent... mais il avait disparu de devant eux.

Luc 24, 32 Et ils se dirent l'un à l'autre: "Notre coeur n'était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Ecritures?"

Luc 24, 33 A cette heure même, ils partirent et s'en retournèrent à Jérusalem. Ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons,

Luc 24, 34 qui dirent: "C'est bien vrai! le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon!"

Luc 24, 35 Et eux de raconter ce qui s'était passé en chemin, et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain.

Luc 24, 36 Tandis qu'ils disaient cela, lui se tint au milieu d'eux et leur dit: "Paix à vous!"

Luc 24, 37 Saisis de frayeur et de crainte, ils pensaient voir un esprit.

Luc 24, 38 Mais il leur dit: "Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi des doutes montent-ils en votre coeur?

Luc 24, 39 Voyez mes mains et mes pieds; c'est bien moi! Palpez-moi et rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai."

Luc 24, 40 Ayant dit cela, il leur montra ses mains et ses pieds.

Luc 24, 41 Et comme, dans leur joie, ils ne croyaient pas encore et demeuraient saisis d'étonnement, il leur dit: "Avez-vous ici quelque chose à manger?"

Luc 24, 42 Ils lui présentèrent un morceau de poisson grillé.

Luc 24, 43 Il le prit et le mangea devant eux.

Luc 24, 44 Puis il leur dit: "Telles sont bien les paroles que je vous ai dites quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les

Luc Psaumes."

Luc 24, 45 Alors il leur ouvrit l'esprit à l'intelligence des Ecritures,

Luc 24, 46 et il leur dit: "Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d'entre les morts le troisième jour,

Luc 24, 47 et qu'en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.

Luc 24, 48 De cela vous êtes témoins.

Luc 24, 49 "Et voici que moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Vous donc, demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut."

Luc 24, 50 Puis il les emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit.

Luc 24, 51 Et il advint, comme il les bénissait, qu'il se sépara d'eux et fut emporté au ciel.

Luc 24, 52 Pour eux, s'étant prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem en grande joie,

Luc 24, 53 et ils étaient constamment dans le Temple à louer Dieu.

 

 

 

Evangile selon Jean

 

1, 1 Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu.

Jean 1, 2 Il était au commencement avec Dieu.

Jean 1, 3 Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut.

Jean 1, 4 Ce qui fut en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes,

Jean 1, 5 et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas saisie.

Jean 1, 6 Il y eut un homme envoyé de Dieu. Son nom était Jean.

Jean 1, 7 Il vint pour témoigner, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui.

Jean 1, 8 Celui-là n'était pas la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière.

Jean 1, 9 Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme; il venait dans le monde.

Jean 1, 10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l'a pas reconnu.

Jean 1, 11 Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas accueilli.

Jean 1, 12 Mais à tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom,

Jean 1, 13 lui qui ne fut engendré ni du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.

Jean 1, 14 Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité.

Jean 1, 15 Jean lui rend témoignage et il clame: "C'est de lui que j'ai dit: Celui qui vient derrière moi, le voilà passé devant moi, parce qu'avant moi il était."

Jean 1, 16 Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce.

Jean 1, 17 Car la Loi fut donnée par Moïse; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.

Jean 1, 18 Nul n'a jamais vu Dieu; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l'a fait connaître.

Jean 1, 19 Et voici quel fut le témoignage de Jean, quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander: "Qui es-tu?"

Jean 1, 20 Il confessa, il ne nia pas, il confessa: "Je ne suis pas le Christ" --

Jean 1, 21 "Qu'es-tu donc? Lui demandèrent-ils. Es-tu Elie?" Il dit: "Je ne le suis pas" - "Es-tu le prophète?" Il répondit: "Non."

Jean 1, 22 Ils lui dirent alors: "Qui es-tu, que nous donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés? Que dis-tu de toi-même" --

Jean 1, 23 Il déclara: "Je suis la voix de celui qui crie dans le désert: Rendez droit le chemin du Seigneur, comme a dit Isaïe, le prophète."

Jean 1, 24 On avait envoyé des Pharisiens.

Jean 1, 25 Ils lui demandèrent: "Pourquoi donc baptises-tu, si tu n'es ni le Christ, ni Elie, ni le prophète?"

Jean 1, 26 Jean leur répondit: "Moi, je baptise dans l'eau. Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas,

Jean 1, 27 celui qui vient derrière moi, dont je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sandale."

Jean 1, 28 Cela se passait à Béthanie au-delà du Jourdain, où Jean baptisait.

Jean 1, 29 Le lendemain, il voit Jésus venir vers lui et il dit: "Voici l'agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde.

Jean 1, 30 C'est de lui que j'ai dit: Derrière moi vient un homme qui est passé devant moi parce qu'avant moi il était.

Jean 1, 31 Et moi, je ne le connaissais pas; mais c'est pour qu'il fût manifesté à Israël que je suis venu baptisant dans l'eau."

Jean 1, 32 Et Jean rendit témoignage en disant: "J'ai vu l'Esprit descendre, tel une colombe venant du ciel, et demeurer sur lui.

Jean 1, 33 Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, celui-là m'avait dit: Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit Saint.

Jean 1, 34 Et moi, j'ai vu et je témoigne que celui-ci est l'Elu de Dieu."

Jean 1, 35 Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples.

Jean 1, 36 Regardant Jésus qui passait, il dit: "Voici l'agneau de Dieu."

Jean 1, 37 Les deux disciples entendirent ses paroles et suivirent Jésus.

Jean 1, 38 Jésus se retourna et, voyant qu'ils le suivaient, leur dit: "Que cherchez-vous?" Ils lui dirent: "Rabbi - ce qui veut dire Maître --, où demeures-tu?"

Jean 1, 39 Il leur dit: "Venez et voyez." Ils vinrent donc et virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. C'était environ la dixième heure.

Jean 1, 40 André, le frère de Simon-Pierre, était l'un des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et suivi Jésus.

Jean 1, 41 Il rencontre en premier lieu son frère Simon et lui dit: "Nous avons trouvé le Messie" - ce qui veut dire Christ.

Jean 1, 42 Il l'amena à Jésus. Jésus le regarda et dit: "Tu es Simon, le fils de Jean; tu t'appelleras Céphas" - ce qui veut dire Pierre.

Jean 1, 43 Le lendemain, Jésus résolut de partir pour la Galilée; il rencontre Philippe et lui dit: "Suis-moi!"

Jean 1, 44 Philippe était de Bethsaïde, la ville d'André et de Pierre.

Jean 1, 45 Philippe rencontre Nathanaël et lui dit: "Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous l'avons trouvé: Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth."

Jean 1, 46 Nathanaël lui dit: "De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon?" Philippe lui dit: "Viens et vois."

Jean 1, 47 Jésus vit Nathanaël venir vers lui et il dit de lui: "Voici vraiment un Israélite sans détours."

Jean 1, 48 Nathanaël lui dit: "D'où me connais-tu?" Jésus lui répondit: "Avant que Philippe t'appelât, quant tu étais sous le figuier, je t'ai vu."

Jean 1, 49 Nathanaël reprit: "Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d'Israël."

Jean 1, 50 Jésus lui répondit: "Parce que je t'ai dit: Je t'ai vu sous le figuier, tu crois! Tu verras mieux encore."

Jean 1, 51 Et il lui dit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'homme."

Jean 2, 1 Le troisième jour, il y eut des noces à Cana de Galilée, et la mère de Jésus y était.

Jean 2, 2 Jésus aussi fut invité à ces noces, ainsi que ses disciples.

Jean 2, 3 Or il n'y avait plus de vin, car le vin des noces était épuisé. La mère de Jésus lui dit: "Ils n'ont pas de vin."

Jean 2, 4 Jésus lui dit: "Que me veux-tu, femme? Mon heure n'est pas encore arrivée."

Jean 2, 5 Sa mère dit aux servants: "Tout ce qu'il vous dira, faites-le."

Jean 2, 6 Or il y avait là six jarres de pierre, destinées aux purifications des Juifs, et contenant chacune deux ou trois mesures.

Jean 2, 7 Jésus leur dit: "Remplissez d'eau ces jarres." Ils les remplirent jusqu'au bord.

Jean 2, 8 Il leur dit: "Puisez maintenant et portez-en au maître du repas." Ils lui en portèrent.

Jean 2, 9 Lorsque le maître du repas eut goûté l'eau changée en vin - et il ne savait pas d'où il venait, tandis que les servants le savaient, eux qui avaient puisé l'eau - le maître du repas appelle le marié

Jean 2, 10 et lui dit: "Tout homme sert d'abord le bon vin et, quand les gens sont ivres, le moins bon. Toi, tu as gardé le bon vin jusqu'à présent!"

Jean 2, 11 Tel fut le premier des signes de Jésus, il l'accomplit à Cana de Galilée et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui.

Jean 2, 12 Après quoi, il descendit à Capharnaüm, lui, ainsi que sa mère et ses frères et ses disciples, et ils n'y demeurèrent que peu de jours.

Jean 2, 13 La Pâque des Juifs était proche et Jésus monta à Jérusalem.

Jean 2, 14 Il trouva dans le Temple les vendeurs de boeufs, de brebis et de colombes et les changeurs assis.

Jean 2, 15 Se faisant un fouet de cordes, il les chassa tous du Temple, et les brebis et les boeufs; il répandit la monnaie des changeurs et renversa leurs tables,

Jean 2, 16 et aux vendeurs de colombes il dit: "Enlevez cela d'ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce."

Jean 2, 17 Ses disciples se rappelèrent qu'il est écrit: "Le zèle pour ta maison me dévorera."

Jean 2, 18 Alors les Juifs prirent la parole et lui dirent: "Quel signe nous montres-tu pour agir ainsi?"

Jean 2, 19 Jésus leur répondit: "Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai."

Jean 2, 20 Les Juifs lui dirent alors: "Il a fallu 46 ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèveras?"

Jean 2, 21 Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.

Jean 2, 22 Aussi, quand il ressuscita d'entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela, et ils crurent à l'Ecriture et à la parole qu'il avait dite.

Jean 2, 23 Comme il était à Jérusalem durant la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu'il faisait.

Jean 2, 24 Mais Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu'il les connaissait tous

Jean 2, 25 et qu'il n'avait pas besoin d'un témoignage sur l'homme: car lui-même connaissait ce qu'il y avait dans l'homme.

Jean 3, 1 Or il y avait parmi les Pharisiens un homme du nom de Nicodème, un notable des Juifs.

Jean 3, 2 Il vint de nuit trouver Jésus et lui dit: "Rabbi, nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître: personne ne peut faire les signes que tu fais, si Dieu n'est pas avec lui."

Jean 3, 3 Jésus lui répondit: "En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu."

Jean 3, 4 Nicodème lui dit: "Comment un homme peut-il naître, étant vieux? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître?"

Jean 3, 5 Jésus répondit: "En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.

Jean 3, 6 Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'Esprit est esprit.

Jean 3, 7 Ne t'étonne pas, si je t'ai dit: Il vous faut naître d'en haut.

Jean 3, 8 Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l'Esprit."

Jean 3, 9 Nicodème lui répondit: "Comment cela peut-il se faire?"

Jean 3, 10 Jésus lui répondit: "Tu es Maître en Israël, et ces choses-là, tu ne les saisis pas?

Jean 3, 11 En vérité, en vérité, je te le dis, nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu; mais vous n'accueillez pas notre témoignage.

Jean 3, 12 Si vous ne croyez pas quand je vous dis les choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous dirai les choses du ciel?

Jean 3, 13 Nul n'est monté au ciel, hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme.

Jean 3, 14 Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l'homme,

Jean 3, 15 afin que quiconque croit ait par lui la vie éternelle.

Jean 3, 16 Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle.

Jean 3, 17 Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.

Jean 3, 18 Qui croit en lui n'est pas jugé; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au Nom du Fils unique de Dieu.

Jean 3, 19 Et tel est le jugement: la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs oeuvres étaient mauvaises.

Jean 3, 20 Quiconque, en effet, commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient démontrées coupables,

Jean 3, 21 mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que soit manifesté que ses oeuvres sont faites en Dieu."

Jean 3, 22 Après cela, Jésus vint avec ses disciples au pays de Judée et il y séjourna avec eux, et il baptisait.

Jean 3, 23 Jean aussi baptisait, à Aenon, près de Salim, car les eaux y abondaient, et les gens se présentaient et se faisaient baptiser.

Jean 3, 24 Jean, en effet, n'avait pas encore été jeté en prison.

Jean 3, 25 Il s'éleva alors une discussion entre les disciples de Jean et un Juif à propos de purification:

Jean 3, 26 ils vinrent trouver Jean et lui dirent: "Rabbi, celui qui était avec toi de l'autre côté du Jourdain, celui à qui tu as rendu témoignage, le voilà qui baptise et tous viennent à lui!"

Jean 3, 27 Jean répondit: "Un homme ne peut rien recevoir, si cela ne lui a été donné du ciel.

Jean 3, 28 Vous-mêmes, vous m'êtes témoins que j'ai dit: Je ne suis pas le Christ, mais je suis envoyé devant lui.

Jean 3, 29 Qui a l'épouse est l'époux; mais l'ami de l'époux qui se tient là et qui l'entend, est ravi de joie à la voix de l'époux. Telle est ma joie, et elle est complète.

Jean 3, 30 Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse.

Jean 3, 31 Celui qui vient d'en haut est au-dessus de tous; celui qui est de la terre est terrestre et parle en terrestre. Celui qui vient du ciel

Jean 3, 32 témoigne de ce qu'il a vu et entendu, et son témoignage, nul ne l'accueille.

Jean 3, 33 Qui accueille son témoignage certifie que Dieu est véridique;

Jean 3, 34 en effet, celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, car il donne l'Esprit sans mesure.

Jean 3, 35 Le Père aime le Fils et a tout remis dans sa main.

Jean 3, 36 Qui croit au Fils a la vie éternelle; qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie; mais la colère de Dieu demeure sur lui."

Jean 4, 1 Quand Jésus apprit que les Pharisiens avaient entendu dire qu'il faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean --

Jean 4, 2 bien qu'à vrai dire Jésus lui-même ne baptisât pas, mais ses disciples --,

Jean 4, 3 il quitta la Judée et s'en retourna en Galilée.

Jean 4, 4 Or il lui fallait traverser la Samarie.

Jean 4, 5 Il arrive donc à une ville de Samarie appelée Sychar, près de la terre que Jacob avait donnée à son fils Joseph.

Jean 4, 6 Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la marche, se tenait donc assis près du puits. C'était environ la sixième heure.

Jean 4, 7 Une femme de Samarie vient pour puiser de l'eau. Jésus lui dit: "Donne-moi à boire."

Jean 4, 8 Ses disciples en effet s'en étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger.

Jean 4, 9 La femme samaritaine lui dit: "Comment! toi qui es Juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme samaritaine?" (Les Juifs en effet n'ont pas de relations avec les Samaritains.)

Jean 4, 10 Jésus lui répondit: "Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit: Donne-moi à boire, c'est toi qui l'aurais prié et il t'aurait donné de l'eau vive."

Jean 4, 11 Elle lui dit: "Seigneur, tu n'as rien pour puiser, et le puits est profond. D'où l'as-tu donc, l'eau vive?

Jean 4, 12 Serais-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et y a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses bêtes?"

Jean 4, 13 Jésus lui répondit: "Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau;

Jean 4, 14 mais qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif; l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissant en vie éternelle."

Jean 4, 15 La femme lui dit: "Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n'aie plus soif et ne vienne plus ici pour puiser."

Jean 4, 16 Il lui dit: "Va, appelle ton mari et reviens ici."

Jean 4, 17 La femme lui répondit: "Je n'ai pas de mari." Jésus lui dit: "Tu as bien fait de dire: Je n'ai pas de mari,

Jean 4, 18 car tu as eu cinq maris et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari; en cela tu dis vrai."

Jean 4, 19 La femme lui dit: "Seigneur, je vois que tu es un prophète...

Jean 4, 20 Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous dites: C'est à Jérusalem qu'est le lieu où il faut adorer."

Jean 4, 21 Jésus lui dit: "Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père.

Jean 4, 22 Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.

Jean 4, 23 Mais l'heure vient - et c'est maintenant - où les véritables adorateurs adoreront le Père dans l'esprit et la vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père.

Jean 4, 24 Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c'est dans l'esprit et la vérité qu'ils doivent adorer."

Jean 4, 25 La femme lui dit: "Je sais que le Messie doit venir, celui qu'on appelle Christ. Quand il viendra, il nous expliquera tout."

Jean 4, 26 Jésus lui dit: "Je le suis, moi qui te parle."

Jean 4, 27 Là-dessus arrivèrent ses disciples, et ils s'étonnaient qu'il parlât à une femme. Pourtant pas un ne dit: "Que cherches-tu?" Ou: "De quoi lui parles-tu?"

Jean 4, 28 La femme alors laissa là sa cruche, courut à la ville et dit aux gens:

Jean 4, 29 "Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Ne serait-il pas le Christ?"

Jean 4, 30 Ils sortirent de la ville et ils se dirigeaient vers lui.

Jean 4, 31 Entre-temps, les disciples le priaient, en disant: "Rabbi, mange."

Jean 4, 32 Mais il leur dit: "J'ai à manger un aliment que vous ne connaissez pas."

Jean 4, 33 Les disciples se disaient entre eux: "Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger?" Jésus leur dit:

Jean 4, 34 "Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et de mener son oeuvre à bonne fin.

Jean 4, 35 Ne dites-vous pas: Encore quatre mois et vient la moisson? Eh bien! je vous dis: Levez les yeux et regardez les champs, ils sont blancs pour la moisson. Déjà

Jean 4, 36 le moissonneur reçoit son salaire et récolte du fruit pour la vie éternelle, en sorte que le semeur se réjouit avec le moissonneur.

Jean 4, 37 Car ici se vérifie le dicton: autre est le semeur, autre le moissonneur:

Jean 4, 38 je vous ai envoyés moissonner là où vous ne vous êtes pas fatigués; d'autres se sont fatigués et vous, vous héritez de leurs fatigues."

Jean 4, 39 Un bon nombre de Samaritains de cette ville crurent en lui à cause de la parole de la femme, qui attestait: "Il m'a dit tout ce que j'ai fait."

Jean 4, 40 Quand donc ils furent arrivés près de lui, les Samaritains le prièrent de demeurer chez eux. Il y demeura deux jours

Jean 4, 41 et ils furent bien plus nombreux à croire, à cause de sa parole,

Jean 4, 42 et ils disaient à la femme: "Ce n'est plus sur tes dires que nous croyons; nous l'avons nous-mêmes entendu et nous savons que c'est vraiment lui le sauveur du monde."

Jean 4, 43 Après ces deux jours, il partit de là pour la Galilée.

Jean 4, 44 Jésus avait en effet témoigné lui-même qu'un prophète n'est pas honoré dans sa propre patrie.

Jean 4, 45 Quand donc il vint en Galilée, les Galiléens l'accueillirent, ayant vu tout ce qu'il avait fait à Jérusalem lors de la fête; car eux aussi étaient venus à la fête.

Jean 4, 46 Il retourna alors à Cana de Galilée, où il avait changé l'eau en vin. Et il y avait un fonctionnaire royal, dont le fils était malade à Capharnaüm.

Jean 4, 47 Apprenant que Jésus était arrivé de Judée en Galilée, il s'en vint le trouver et il le priait de descendre guérir son fils, car il allait mourir.

Jean 4, 48 Jésus lui dit: "Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croirez pas!"

Jean 4, 49 Le fonctionnaire royal lui dit: "Seigneur, descends avant que ne meure mon petit enfant."

Jean 4, 50 Jésus lui dit: "Va, ton fils vit." L'homme crut à la parole que Jésus lui avait dite et il se mit en route.

Jean 4, 51 Déjà il descendait, quand ses serviteurs, venant à sa rencontre, lui dirent que son enfant était vivant.

Jean 4, 52 Il s'informa auprès d'eux de l'heure à laquelle il s'était trouvé mieux. Ils lui dirent: "C'est hier, à la septième heure, que la fièvre l'a quitté."

Jean 4, 53 Le père reconnut que c'était l'heure où Jésus lui avait dit: "Ton fils vit", et il crut, lui avec sa maison tout entière.

Jean 4, 54 Ce nouveau signe, le second, Jésus le fit à son retour de Judée en Galilée.

Jean 5, 1 Après cela, il y eut une fête des Juifs et Jésus monta à Jérusalem.

Jean 5, 2 Or il existe à Jérusalem, près de la Probatique, une piscine qui s'appelle en hébreu Bethesda et qui a cinq portiques.

Jean 5, 3 Sous ces portiques gisaient une multitude d'infirmes, aveugles, boiteux, impotents, qui attendaient le bouillonnement de l'eau.

Jean 5, 4 Car l'ange du Seigneur descendait par moments dans la piscine et agitait l'eau: le premier alors à y entrer, après que l'eau avait été agitée, se trouvait guéri, quel que fût son mal.

Jean 5, 5 Il y avait là un homme qui était infirme depuis 38 ans.

Jean 5, 6 Jésus, le voyant étendu et apprenant qu'il était dans cet état depuis longtemps déjà, lui dit: "Veux-tu guérir?"

Jean 5, 7 L'infirme lui répondit: "Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine, quand l'eau vient à être agitée; et, le temps que j'y aille, un autre descend avant moi."

Jean 5, 8 Jésus lui dit: "Lève-toi, prends ton grabat et marche."

Jean 5, 9 Et aussitôt l'homme fut guéri; il prit son grabat et il marchait. Or c'était le sabbat, ce jour-là.

Jean 5, 10 Les Juifs dirent donc à celui qui venait d'être guéri: "C'est le sabbat. Il ne t'est pas permis de porter ton grabat."

Jean 5, 11 Il leur répondit: "Celui qui m'a guéri m'a dit: Prends ton grabat et marche."

Jean 5, 12 Ils lui demandèrent: "Quel est l'homme qui t'a dit: Prends ton grabat et marche?"

Jean 5, 13 Mais celui qui avait été guéri ne savait pas qui c'était; Jésus en effet avait disparu, car il y avait foule en ce lieu.

Jean 5, 14 Après cela, Jésus le rencontre dans le Temple et lui dit: "Te voilà guéri; ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive pire encore."

Jean 5, 15 L'homme s'en fut révéler aux Juifs que c'était Jésus qui l'avait guéri.

Jean 5, 16 C'est pourquoi les Juifs persécutaient Jésus: parce qu'il faisait ces choses-là le jour du sabbat.

Jean 5, 17 Mais il leur répondit: "Mon Père est à l'oeuvre jusqu'à présent et j'oeuvre moi aussi."

Jean 5, 18 Aussi les Juifs n'en cherchaient que davantage à le tuer, puisque, non content de violer le sabbat, il appelait encore Dieu son propre Père, se faisant égal à Dieu.

Jean 5, 19 Jésus reprit donc la parole et leur dit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu'il ne le voie faire au Père; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement.

Jean 5, 20 Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu'il fait; et il lui montrera des oeuvres plus grandes que celles-ci, à vous en stupéfier.

Jean 5, 21 Comme le Père en effet ressuscite les morts et leur redonne vie, ainsi le Fils donne vie à qui il veut.

Jean 5, 22 Car le Père ne juge personne; il a donné au Fils le jugement tout entier,

Jean 5, 23 afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Qui n'honore pas le Fils n'honore pas le Père qui l'a envoyé.

Jean 5, 24 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m'a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie.

Jean 5, 25 En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient - et c'est maintenant - où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront.

Jean 5, 26 Comme le Père en effet a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d'avoir aussi la vie en lui-même

Jean 5, 27 et il lui a donné pouvoir d'exercer le jugement parce qu'il est Fils d'homme.

Jean 5, 28 N'en soyez pas étonnés, car elle vient, l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix

Jean 5, 29 et sortiront: ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement.

Jean 5, 30 Je ne puis rien faire de moi-même. Je juge selon ce que j'entends: et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé.

Jean 5, 31 Si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage n'est pas valable.

Jean 5, 32 Un autre témoigne de moi, et je sais qu'il est valable le témoignage qu'il me rend.

Jean 5, 33 Vous avez envoyé trouver Jean et il a rendu témoignage à la vérité.

Jean 5, 34 Non que je relève du témoignage d'un homme; si j'en parle, c'est pour votre salut.

Jean 5, 35 Celui-là était la lampe qui brûle et qui luit, et vous avez voulu vous réjouir une heure à sa lumière.

Jean 5, 36 Mais j'ai plus grand que le témoignage de Jean: les oeuvres que le Père m'a donné à mener à bonne fin, ces oeuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père m'envoie.

Jean 5, 37 Et le Père qui m'a envoyé, lui, me rend témoignage. Vous n'avez jamais entendu sa voix, vous n'avez jamais vu sa face,

Jean 5, 38 et sa parole, vous ne l'avez pas à demeure en vous, puisque vous ne croyez pas celui qu'il a envoyé.

Jean 5, 39 Vous scrutez les Ecritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle, et ce sont elles qui me rendent témoignage,

Jean 5, 40 et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie!

Jean 5, 41 De la gloire, je n'en reçois pas qui vienne des hommes;

Jean 5, 42 mais je vous connais: vous n'avez pas en vous l'amour de Dieu;

Jean 5, 43 je viens au nom de mon Père et vous ne m'accueillez pas; qu'un autre vienne en son propre nom, celui-là, vous l'accueillerez.

Jean 5, 44 Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique.

Jean 5, 45 Ne pensez pas que je vous accuserai auprès du Père. Votre accusateur, c'est Moïse, en qui vous avez mis votre espoir.

Jean 5, 46 Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c'est de moi qu'il a écrit.

Jean 5, 47 Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles?"

Jean 6, 1 Après cela, Jésus s'en alla de l'autre côté de la mer de Galilée ou de Tibériade.

Jean 6, 2 Une grande foule le suivait, à la vue des signes qu'il opérait sur les malades.

Jean 6, 3 Jésus gravit la montagne et là, il s'assit avec ses disciples.

Jean 6, 4 Or la Pâque, la fête des Juifs, était proche.

Jean 6, 5 Levant alors les yeux et voyant qu'une grande foule venait à lui, Jésus dit à Philippe: "Où achèterons-nous des pains pour que mangent ces gens?"

Jean 6, 6 Il disait cela pour le mettre à l'épreuve, car lui-même savait ce qu'il allait faire.

Jean 6, 7 Philippe lui répondit: "Deux deniers de pain ne suffisent pas pour que chacun en reçoive un petit morceau."

Jean 6, 8 Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit:

Jean 6, 9 "Il y a ici un enfant, qui a cinq pains d'orge et deux poissons; mais qu'est-ce que cela pour tant de monde?"

Jean 6, 10 Jésus leur dit: "Faites s'étendre les gens." Il y avait beaucoup d'herbe en ce lieu. Ils s'étendirent donc, au nombre d'environ 5.000 hommes.

Jean 6, 11 Alors Jésus prit les pains et, ayant rendu grâces, il les distribua aux convives, de même aussi pour les poissons, autant qu'ils en voulaient.

Jean 6, 12 Quand ils furent repus, il dit à ses disciples: "Rassemblez les morceaux en surplus, afin que rien ne soit perdu."

Jean 6, 13 Ils les rassemblèrent donc et remplirent douze couffins avec les morceaux qui, des cinq pains d'orge, se trouvaient en surplus à ceux qui avaient mangé.

Jean 6, 14 A la vue du signe qu'il venait de faire, les gens disaient: "C'est vraiment lui le prophète qui doit venir dans le monde."

Jean 6, 15 Alors Jésus, se rendant compte qu'ils allaient venir s'emparer de lui pour le faire roi, s'enfuit à nouveau dans la montagne, tout seul.

Jean 6, 16 Quand le soir fut venu, ses disciples descendirent à la mer,

Jean 6, 17 et, montant en bateau, ils se rendaient de l'autre côté de la mer à Capharnaüm. Il faisait déjà nuit, Jésus n'était pas encore venu les rejoindre;

Jean 6, 18 et la mer, comme soufflait un grand vent, se soulevait.

Jean 6, 19 Ils avaient ramé environ 25 ou 30 stades, quand ils voient Jésus marcher sur la mer et s'approcher du bateau. Ils eurent peur.

Jean 6, 20 Mais il leur dit: "C'est moi. N'ayez pas peur."

Jean 6, 21 Ils étaient disposés à le prendre dans le bateau, mais aussitôt le bateau toucha terre là où ils se rendaient.

Jean 6, 22 Le lendemain, la foule qui se tenait de l'autre côté de la mer vit qu'il n'y avait eu là qu'une barque et que Jésus n'était pas monté dans le bateau avec ses disciples, mais que seuls ses disciples s'en étaient allés.

Jean 6, 23 Cependant, de Tibériade des bateaux vinrent près du lieu où l'on avait mangé le pain.

Jean 6, 24 Quand donc la foule vit que Jésus n'était pas là, ni ses disciples non plus, les gens s'embarquèrent et vinrent à Capharnaüm à la recherche de Jésus.

Jean 6, 25 L'ayant trouvé de l'autre côté de la mer, ils lui dirent: "Rabbi, quand es-tu arrivé ici?"

Jean 6, 26 Jésus leur répondit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non pas parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et avez été rassasiés.

Jean 6, 27 Travaillez non pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l'homme, car c'est lui que le Père, Dieu, a marqué de son sceau."

Jean 6, 28 Ils lui dirent alors: "Que devons-nous faire pour travailler aux oeuvres de Dieu?"

Jean 6, 29 Jésus leur répondit: "L'oeuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé."

Jean 6, 30 Ils lui dirent alors: "Quel signe fais-tu donc, pour qu'à sa vue nous te croyions? Quelle oeuvre accomplis-tu?

Jean 6, 31 Nos pères ont mangé la manne dans le désert, selon ce qui est écrit: Il leur a donné à manger du pain venu du ciel."

Jean 6, 32 Jésus leur répondit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, non, ce n'est pas Moïse qui vous a donné le pain qui vient du ciel; mais c'est mon Père qui vous le donne, le pain qui vient du ciel, le vrai;

Jean 6, 33 car le pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde."

Jean 6, 34 Ils lui dirent alors: "Seigneur, donne-nous toujours ce pain-là."

Jean 6, 35 Jésus leur dit: "Je suis le pain de vie. Qui vient à moi n'aura jamais faim; qui croit en moi n'aura jamais soif.

Jean 6, 36 Mais je vous l'ai dit: vous me voyez et vous ne croyez pas.

Jean 6, 37 Tout ce que me donne le Père viendra à moi, et celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors;

Jean 6, 38 car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé.

Jean 6, 39 Or c'est la volonté de celui qui m'a envoyé que je ne perde rien de tout ce qu'il m'a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour.

Jean 6, 40 Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour."

Jean 6, 41 Les Juifs alors se mirent à murmurer à son sujet, parce qu'il avait dit: "Je suis le pain descendu du ciel."

Jean 6, 42 Ils disaient: "Celui-là n'est-il pas Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère? Comment peut-il dire maintenant: Je suis descendu du ciel?"

Jean 6, 43 Jésus leur répondit: "Ne murmurez pas entre vous.

Jean 6, 44 Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.

Jean 6, 45 Il est écrit dans les prophètes: Ils seront tous enseignés par Dieu. Quiconque s'est mis à l'écoute du Père et à son école vient à moi.

Jean 6, 46 Non que personne ait vu le Père, sinon celui qui vient d'auprès de Dieu: celui-là a vu le Père.

Jean 6, 47 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle.

Jean 6, 48 Je suis le pain de vie.

Jean 6, 49 Vos pères, dans le désert, ont mangé la manne et sont morts;

Jean 6, 50 ce pain est celui qui descend du ciel pour qu'on le mange et ne meure pas.

Jean 6, 51 Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et même, le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde."

Jean 6, 52 Les Juifs alors se mirent à discuter fort entre eux; ils disaient: "Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger?"

Jean 6, 53 Alors Jésus leur dit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous.

Jean 6, 54 Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour.

Jean 6, 55 Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson.

Jean 6, 56 Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.

Jean 6, 57 De même que le Père, qui est vivant, m'a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi.

Jean 6, 58 Voici le pain descendu du ciel; il n'est pas comme celui qu'ont mangé les pères et ils sont morts; qui mange ce pain vivra à jamais."

Jean 6, 59 Tel fut l'enseignement qu'il donna dans une synagogue à Capharnaüm.

Jean 6, 60 Après l'avoir entendu, beaucoup de ses disciples dirent: "Elle est dure, cette parole! Qui peut l'écouter?"

Jean 6, 61 Mais, sachant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce propos, Jésus leur dit: "Cela vous scandalise?

Jean 6, 62 Et quand vous verrez le Fils de l'homme monter là où il était auparavant?...

Jean 6, 63 C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie.

Jean 6, 64 Mais il en est parmi vous qui ne croient pas." Jésus savait en effet dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui le livrerait.

Jean 6, 65 Et il disait: "Voilà pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, si cela ne lui est donné par le Père."

Jean 6, 66 Dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ils n'allaient plus avec lui.

Jean 6, 67 Jésus dit alors aux Douze: "Voulez-vous partir, vous aussi?"

Jean 6, 68 Simon-Pierre lui répondit: "Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle.

Jean 6, 69 Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu."

Jean 6, 70 Jésus leur répondit: "N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze? Et l'un d'entre vous est un démon."

Jean 6, 71 Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariote; c'est lui en effet qui devait le livrer, lui, l'un des Douze.

Jean 7, 1 Après cela, Jésus parcourait la Galilée; il n'avait pas pouvoir de circuler en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le tuer.

Jean 7, 2 Or la fête juive des Tentes était proche.

Jean 7, 3 Ses frères lui dirent donc: "Passe d'ici en Judée, que tes disciples aussi voient les oeuvres que tu fais:

Jean 7, 4 on n'agit pas en secret, quand on veut être en vue. Puisque tu fais ces choses-là, manifeste-toi au monde."

Jean 7, 5 Pas même ses frères en effet ne croyaient en lui.

Jean 7, 6 Jésus leur dit alors: "Mon temps n'est pas encore venu, tandis que le vôtre est toujours prêt.

Jean 7, 7 Le monde ne peut pas vous haïr; mais moi, il me hait, parce que je témoigne que ses oeuvres sont mauvaises.

Jean 7, 8 Vous, montez à la fête; moi, je ne monte pas à cette fête, parce que mon temps n'est pas encore accompli."

Jean 7, 9 Cela dit, il resta en Galilée.

Jean 7, 10 Mais quand ses frères furent montés à la fête, alors il monta lui aussi, pas au grand jour, mais en secret.

Jean 7, 11 Les Juifs le cherchaient donc pendant la fête et disaient: "Où est-il?"

Jean 7, 12 On chuchotait beaucoup sur son compte dans les foules. Les uns disaient: "C'est un homme de bien." D'autres disaient: "Non, il égare la foule."

Jean 7, 13 Pourtant personne ne s'exprimait ouvertement à son sujet par peur des Juifs.

Jean 7, 14 On était déjà au milieu de la fête, lorsque Jésus monta au Temple et se mit à enseigner.

Jean 7, 15 Les Juifs, étonnés, disaient: "Comment connaît-il les lettres sans avoir étudié?"

Jean 7, 16 Jésus leur répondit: "Ma doctrine n'est pas de moi, mais de celui qui m'a envoyé.

Jean 7, 17 Si quelqu'un veut faire sa volonté, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de moi-même.

Jean 7, 18 Celui qui parle de lui-même cherche sa propre gloire; mais celui qui cherche la gloire de celui qui l'a envoyé, celui-là est véridique et il n'y a pas en lui d'imposture.

Jean 7, 19 Moïse ne vous a-t-il pas donné la Loi? Et aucun de vous ne la pratique, la Loi! Pourquoi cherchez-vous à me tuer?"

Jean 7, 20 La foule répondit: "Tu as un démon. Qui cherche à te tuer?"

Jean 7, 21 Jésus leur répondit: "Pour une seule oeuvre que j'ai faite, vous voilà tous étonnés.

Jean 7, 22 Moïse vous a donné la circoncision - non qu'elle vienne de Moïse mais des patriarches - et, le jour du sabbat, vous la pratiquez sur un homme.

Jean 7, 23 Alors, un homme reçoit la circoncision, le jour du sabbat, pour que ne soit pas enfreinte la Loi de Moïse, et vous vous indignez contre moi parce que j'ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat?

Jean 7, 24 Cessez de juger sur l'apparence; jugez selon la justice."

Jean 7, 25 Certains, des gens de Jérusalem, disaient: "N'est-ce pas lui qu'ils cherchent à tuer?

Jean 7, 26 Et le voilà qui parle ouvertement sans qu'ils lui disent rien! Est-ce que vraiment les autorités auraient reconnu qu'il est le Christ?

Jean 7, 27 Mais lui, nous savons d'où il est, tandis que le Christ, à sa venue, personne ne saura d'où il est."

Jean 7, 28 Alors Jésus, enseignant dans le Temple, s'écria: "Vous me connaissez et vous savez d'où je suis; et pourtant ce n'est pas de moi-même que je suis venu, mais il m'envoie vraiment, celui qui m'a envoyé. Vous, vous ne le connaissez pas.

Jean 7, 29 Moi, je le connais, parce que je viens d'auprès de lui et c'est lui qui m'a envoyé."

Jean 7, 30 Ils cherchaient alors à le saisir, mais personne ne porta la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue.

Jean 7, 31 Dans la foule, beaucoup crurent en lui et disaient: "Le Christ, quand il viendra, fera-t-il plus de signes que n'en a fait celui-ci?

Jean 7, 32 Ces rumeurs de la foule à son sujet parvinrent aux oreilles des Pharisiens. Ils envoyèrent des gardes pour le saisir.

Jean 7, 33 Jésus dit alors: "Pour un peu de temps encore je suis avec vous, et je m'en vais vers celui qui m'a envoyé.

Jean 7, 34 Vous me chercherez, et ne me trouverez pas; et où je suis, vous ne pouvez pas venir."

Jean 7, 35 Les Juifs se dirent entre eux: "Où va-t-il aller, que nous ne le trouverons pas? Va-t-il rejoindre ceux qui sont dispersés chez les Grecs et enseigner les Grecs?

Jean 7, 36 Que signifie cette parole qu'il a dite: Vous me chercherez et ne me trouverez pas; et où je suis, vous ne pouvez pas venir?"

Jean 7, 37 Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout, s'écria: "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive,

Jean 7, 38 celui qui croit en moi!" selon le mot de l'Ecriture: De son sein couleront des fleuves d'eau vive.

Jean 7, 39 Il parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui; car il n'y avait pas encore d'Esprit, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié.

Jean 7, 40 Dans la foule, plusieurs, qui avaient entendu ces paroles, disaient: "C'est vraiment lui le prophète!"

Jean 7, 41 D'autres disaient: "C'est le Christ!" Mais d'autres disaient: "Est-ce de la Galilée que le Christ doit venir?

Jean 7, 42 L'Ecriture n'a-t-elle pas dit que c'est de la descendance de David et de Bethléem, le village où était David, que doit venir le Christ?"

Jean 7, 43 Une scission se produisit donc dans la foule, à cause de lui.

Jean 7, 44 Certains d'entre eux voulaient le saisir, mais personne ne porta la main sur lui.

Jean 7, 45 Les gardes revinrent donc trouver les grands prêtres et les Pharisiens. Ceux-ci leur dirent: "Pourquoi ne l'avez-vous pas amené?"

Jean 7, 46 Les gardes répondirent: "Jamais homme n'a parlé comme cela!"

Jean 7, 47 Les Pharisiens répliquèrent: "Vous aussi, vous êtes-vous laissé égarer?

Jean 7, 48 Est-il un des notables qui ait cru en lui? Ou un des Pharisiens?

Jean 7, 49 Mais cette foule qui ne connaît pas la Loi, ce sont des maudits!"

Jean 7, 50 Nicodème, l'un d'entre eux, celui qui était venu trouver Jésus précédemment, leur dit:

Jean 7, 51 "Notre Loi juge-t-elle un homme sans d'abord l'entendre et savoir ce qu'il fait!"

Jean 7, 52 Ils lui répondirent: "Es-tu de la Galilée, toi aussi? Etudie! Tu verras que ce n'est pas de la Galilée que surgit le prophète."

Jean 7, 53 Et ils s'en allèrent chacun chez soi.

Jean 8, 1 Quant à Jésus, il alla au mont des Oliviers.

Jean 8, 2 Mais, dès l'aurore, de nouveau il fut là dans le Temple, et tout le peuple venait à lui, et s'étant assis il les enseignait.

Jean 8, 3 Or les scribes et les Pharisiens amènent une femme surprise en adultère et, la plaçant au milieu,

Jean 8, 4 ils disent à Jésus: "Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère.

Jean 8, 5 Or dans la Loi Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu?"

Jean 8, 6 Ils disaient cela pour le mettre à l'épreuve, afin d'avoir matière à l'accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à écrire avec son doigt sur le sol.

Jean 8, 7 Comme ils persistaient à l'interroger, il se redressa et leur dit: "Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre!"

Jean 8, 8 Et se baissant de nouveau, il écrivait sur le sol.

Jean 8, 9 Mais eux, entendant cela, s'en allèrent un à un, à commencer par les plus vieux; et il fut laissé seul, avec la femme toujours là au milieu.

Jean 8, 10 Alors, se redressant, Jésus lui dit: "Femme, où sont-ils? Personne ne t'a condamnée?"

Jean 8, 11 Elle dit: "Personne, Seigneur." Alors Jésus dit: "Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus."

Jean 8, 12 De nouveau Jésus leur adressa la parole et dit: "Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie."

Jean 8, 13 Les Pharisiens lui dirent alors: "Tu te rends témoignage à toi-même; ton témoignage n'est pas valable."

Jean 8, 14 Jésus leur répondit: "Bien que je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est valable, parce que je sais d'où je suis venu et où je vais; mais vous, vous ne savez pas d'où je viens ni où je vais.

Jean 8, 15 Vous, vous jugez selon la chair; moi, je ne juge personne;

Jean 8, 16 et s'il m'arrive de juger, moi, mon jugement est selon la vérité, parce que je ne suis pas seul; mais il y a moi et celui qui m'a envoyé;

Jean 8, 17 et il est écrit dans votre Loi que le témoignage de deux personnes est valable.

Jean 8, 18 Je suis à moi-même mon propre témoin, et pour moi témoigne le Père qui m'a envoyé."

Jean 8, 19 Ils lui disaient donc: "Où est ton Père?" Jésus répondit: "Vous ne connaissez ni moi ni mon Père; si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père."

Jean 8, 20 Il prononça ces paroles au Trésor, alors qu'il enseignait dans le Temple. Personne ne se saisit de lui, parce que son heure n'était pas encore venue.

Jean 8, 21 Jésus leur dit encore: "Je m'en vais et vous me chercherez et vous mourrez dans votre péché. Où je vais, vous ne pouvez venir."

Jean 8, 22 Les Juifs disaient donc: "Va-t-il se donner la mort, qu'il dise: Où je vais, vous ne pouvez venir?"

Jean 8, 23 Et il leur disait: "Vous, vous êtes d'en bas; moi, je suis d'en haut. Vous, vous êtes de ce monde; moi, je ne suis pas de ce monde.

Jean 8, 24 Je vous ai donc dit que vous mourrez dans vos péchés. Car si vous ne croyez pas que Je Suis, vous mourrez dans vos péchés."

Jean 8, 25 Ils lui disaient donc: "Qui es-tu?" Jésus leur dit: "Dès le commencement ce que je vous dis.

Jean 8, 26 J'ai sur vous beaucoup à dire et à juger; mais celui qui m'a envoyé est véridique et je dis au monde ce que j'ai entendu de lui."

Jean 8, 27 Ils ne comprirent pas qu'il leur parlait du Père.

Jean 8, 28 Jésus leur dit donc: "Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous saurez que Je Suis et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père m'a enseigné,

Jean 8, 29 et celui qui m'a envoyé est avec moi; il ne m'a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît."

Jean 8, 30 Comme il disait cela, beaucoup crurent en lui.

Jean 8, 31 Jésus dit alors aux Juifs qui l'avaient cru: "Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples

Jean 8, 32 et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera.

Jean 8, 33 Ils lui répondirent: "Nous sommes la descendance d'Abraham et jamais nous n'avons été esclaves de personne. Comment peux-tu dire: Vous deviendrez libres?"

Jean 8, 34 Jésus leur répondit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave.

Jean 8, 35 Or l'esclave ne demeure pas à jamais dans la maison, le fils y demeure à jamais.

Jean 8, 36 Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres.

Jean 8, 37 Je sais, vous êtes la descendance d'Abraham; mais vous cherchez à me tuer, parce que ma parole ne pénètre pas en vous.

Jean 8, 38 Je dis ce que j'ai vu chez mon Père; et vous, vous faites ce que vous avez entendu auprès de votre père."

Jean 8, 39 Ils lui répondirent: "Notre père, c'est Abraham." Jésus leur dit: "Si vous êtes enfants d'Abraham, faites les oeuvres d'Abraham.

Jean 8, 40 Or maintenant vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité, que j'ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l'a pas fait!

Jean 8, 41 Vous faites les oeuvres de votre père." Ils lui dirent: "Nous ne sommes pas nés de la prostitution; nous n'avons qu'un seul Père: Dieu."

Jean 8, 42 Jésus leur dit: "Si Dieu était votre Père, vous m'aimeriez, car c'est de Dieu que je suis sorti et que je viens; je ne viens pas de moi-même; mais lui m'a envoyé.

Jean 8, 43 Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage? C'est que vous ne pouvez pas entendre ma parole.

Jean 8, 44 Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement et n'était pas établi dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui: quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu'il est menteur et père du mensonge.

Jean 8, 45 Mais parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas.

Jean 8, 46 Qui d'entre vous me convaincra de péché? Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas?

Jean 8, 47 Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu; si vous n'entendez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu."

Jean 8, 48 Les Juifs lui répondirent: "N'avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et que tu as un démon?"

Jean 8, 49 Jésus répondit: "Je n'ai pas un démon mais j'honore mon Père, et vous cherchez à me déshonorer.

Jean 8, 50 Je ne cherche pas ma gloire; il est quelqu'un qui la cherche et qui juge.

Jean 8, 51 En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort."

Jean 8, 52 Les Juifs lui dirent: "Maintenant nous savons que tu as un démon. Abraham est mort, les prophètes aussi, et tu dis: Si quelqu'un garde ma parole, il ne goûtera jamais de la mort.

Jean 8, 53 Es-tu donc plus grand qu'Abraham, notre père, qui est mort? Les prophètes aussi sont morts. Qui prétends-tu être?"

Jean 8, 54 Jésus répondit: "Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien; c'est mon Père qui me glorifie, lui dont vous dites: Il est notre Dieu,

Jean 8, 55 et vous ne le connaissez pas; mais moi, je le connais; et si je disais: Je ne le connais pas, je serais semblable à vous, un menteur. Mais je le connais et je garde sa parole.

Jean 8, 56 Abraham, votre père, exulta à la pensée qu'il verrait mon Jour. Il l'a vu et fut dans la joie."

Jean 8, 57 Les Juifs lui dirent alors: "Tu n'as pas 50 ans, et tu as vu Abraham!"

Jean 8, 58 Jésus leur dit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham existât, Je Suis."

Jean 8, 59 Ils ramassèrent alors des pierres pour les lui jeter; mais Jésus se déroba et sortit du Temple.

Jean 9, 1 En passant, il vit un homme aveugle de naissance.

Jean 9, 2 Ses disciples lui demandèrent: "Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle?"

Jean 9, 3 Jésus répondit: "Ni lui ni ses parents n'ont péché, mais c'est afin que soient manifestées en lui les oeuvres de Dieu.

Jean 9, 4 Tant qu'il fait jour, il nous faut travailler aux oeuvres de celui qui m'a envoyé; la nuit vient, où nul ne peut travailler.

Jean 9, 5 Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde."

Jean 9, 6 Ayant dit cela, il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, enduisit avec cette boue les yeux de l'aveugle

Jean 9, 7 et lui dit: "Va te laver à la piscine de Siloé" - ce qui veut dire: Envoyé. L'aveugle s'en alla donc, il se lava et revint en voyant clair.

Jean 9, 8 Les voisins et ceux qui étaient habitués à le voir auparavant, car c'était un mendiant, dirent alors: "N'est-ce pas celui qui se tenait assis à mendier?"

Jean 9, 9 Les uns disaient: "C'est lui." D'autres disaient: "Non, mais il lui ressemble." Lui disait: "C'est moi."

Jean 9, 10 Ils lui dirent alors: "Comment donc tes yeux se sont-ils ouverts?"

Jean 9, 11 Il répondit: "L'homme qu'on appelle Jésus a fait de la boue, il m'en a enduit les yeux et m'a dit: Va-t'en à Siloé et lave-toi. Alors je suis parti, je me suis lavé et j'ai recouvré la vue."

Jean 9, 12 Ils lui dirent: "Où est-il?" Il dit: "Je ne sais pas."

Jean 9, 13 On le conduit aux Pharisiens, l'ancien aveugle.

Jean 9, 14 Or c'était sabbat, le jour où Jésus avait fait de la boue, et lui avait ouvert les yeux.

Jean 9, 15 A leur tour les Pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Il leur dit: "Il m'a appliqué de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois."

Jean 9, 16 Certains des Pharisiens disaient: "Il ne vient pas de Dieu, cet homme-là, puisqu'il n'observe pas le sabbat"; d'autres disaient: "Comment un homme pécheur peut-il faire de tels signes?" Et il y eut scission parmi eux.

Jean 9, 17 Alors ils dirent encore à l'aveugle: "Toi, que dis-tu de lui, de ce qu'il t'a ouvert les yeux?" Il dit: "C'est un prophète."

Jean 9, 18 Les Juifs ne crurent pas qu'il eût été aveugle tant qu'ils n'eurent pas appelé les parents de celui qui avait recouvré la vue.

Jean 9, 19 Ils leur demandèrent: "Celui-ci est-il votre fils dont vous dites qu'il est né aveugle? Comment donc y voit-il à présent?"

Jean 9, 20 Ses parents répondirent: "Nous savons que c'est notre fils et qu'il est né aveugle.

Jean 9, 21 Mais comment il y voit maintenant, nous ne le savons pas; ou bien qui lui a ouvert les yeux, nous, nous ne le savons pas. Interrogez-le, il a l'âge; lui-même s'expliquera sur son propre compte."

Jean 9, 22 Ses parents dirent cela parce qu'ils avaient peur des Juifs; car déjà les Juifs étaient convenus que, si quelqu'un reconnaissait Jésus pour le Christ, il serait exclu de la synagogue.

Jean 9, 23 C'est pour cela que ses parents dirent: "Il a l'âge; interrogez-le."

Jean 9, 24 Les Juifs appelèrent donc une seconde fois l'homme qui avait été aveugle et lui dirent: "Rends gloire à Dieu! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur."

Jean 9, 25 Lui, répondit: "Si c'est un pécheur, je ne sais pas; je ne sais qu'une chose: j'étais aveugle et à présent j'y vois."

Jean 9, 26 Ils lui dirent alors: "Que t'a-t-il fait? Comment t'a-t-il ouvert les yeux?"

Jean 9, 27 Il leur répondit: "Je vous l'ai déjà dit et vous n'avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous l'entendre à nouveau? Est-ce que, vous aussi, vous voudriez devenir ses disciples?"

Jean 9, 28 Ils l'injurièrent et lui dirent: "C'est toi qui es son disciple; mais nous, c'est de Moïse que nous sommes disciples.

Jean 9, 29 Nous savons, nous, que Dieu a parlé à Moïse; mais celui-là, nous ne savons pas d'où il est."

Jean 9, 30 L'homme leur répondit: "C'est bien là l'étonnant: que vous ne sachiez pas d'où il est, et qu'il m'ait ouvert les yeux.

Jean 9, 31 Nous savons que Dieu n'écoute pas les pécheurs, mais si quelqu'un est religieux et fait sa volonté, celui-là il l'écoute.

Jean 9, 32 Jamais on n'a ouï dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né.

Jean 9, 33 Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire."

Jean 9, 34 Ils lui répondirent: "De naissance tu n'es que péché et tu nous fais la leçon!" Et ils le jetèrent dehors.

Jean 9, 35 Jésus apprit qu'ils l'avaient jeté dehors. Le rencontrant, il lui dit: "Crois-tu au Fils de l'homme?"

Jean 9, 36 Il répondit: "Et qui est-il, Seigneur, que je croie en lui?"

Jean 9, 37 Jésus lui dit: "Tu le vois; celui qui te parle, c'est lui."

Jean 9, 38 Alors il déclara: "Je crois, Seigneur", et il se prosterna devant lui.

Jean 9, 39 Jésus dit alors: "C'est pour un discernement que je suis venu en ce monde: pour que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui voient deviennent aveugles."

Jean 9, 40 Des Pharisiens, qui se trouvaient avec lui, entendirent ces paroles et lui dirent: "Est-ce que nous aussi, nous sommes aveugles?"

Jean 9, 41 Jésus leur dit: "Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché; mais vous dites: Nous voyons! Votre péché demeure."

Jean 10, 1 "En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre pas par la porte dans l'enclos des brebis, mais en fait l'escalade par une autre voie, celui-là est un voleur et un brigand;

Jean 10, 2 celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis.

Jean 10, 3 Le portier lui ouvre et les brebis écoutent sa voix, et ses brebis à lui, il les appelle une à une et il les mène dehors.

Jean 10, 4 Quand il a fait sortir toutes celles qui sont à lui, il marche devant elles et les brebis le suivent, parce qu'elles connaissent sa voix.

Jean 10, 5 Elles ne suivront pas un étranger; elles le fuiront au contraire, parce qu'elles ne connaissent pas la voix des étrangers."

Jean 10, 6 Jésus leur tint ce discours mystérieux mais eux ne comprirent pas ce dont il leur parlait.

Jean 10, 7 Alors Jésus dit à nouveau: "En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.

Jean 10, 8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands; mais les brebis ne les ont pas écoutés.

Jean 10, 9 Je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé; il entrera et sortira, et trouvera un pâturage.

Jean 10, 10 Le voleur ne vient que pour voler, égorger et faire périr. Moi, je suis venu pour qu'on ait la vie et qu'on l'ait surabondante.

Jean 10, 11 Je suis le bon pasteur; le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis.

Jean 10, 12 Le mercenaire, qui n'est pas le pasteur et à qui n'appartiennent pas les brebis, voit-il venir le loup, il laisse les brebis et s'enfuit, et le loup s'en empare et les disperse.

Jean 10, 13 C'est qu'il est mercenaire et ne se soucie pas des brebis.

Jean 10, 14 Je suis le bon pasteur; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,

Jean 10, 15 comme le Père me connaît et que je connais le Père, et je donne ma vie pour mes brebis.

Jean 10, 16 J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos; celles-là aussi, il faut que je les mène; elles écouteront ma voix; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur;

Jean 10, 17 c'est pour cela que le Père m'aime, parce que je donne ma vie, pour la reprendre.

Jean 10, 18 Personne ne me l'enlève; mais je la donne de moi-même. J'ai pouvoir de la donner et j'ai pouvoir de la reprendre; tel est le commandement que j'ai reçu de mon Père."

Jean 10, 19 Il y eut de nouveau scission parmi les Juifs à cause de ces paroles.

Jean 10, 20 Beaucoup d'entre eux disaient: "Il a un démon; il délire. Pourquoi l'écoutez-vous?"

Jean 10, 21 D'autres disaient: "Ces paroles ne sont pas d'un démoniaque. Est-ce qu'un démon peut ouvrir les yeux d'un aveugle?"

Jean 10, 22 Il y eut alors la fête de la Dédicace à Jérusalem. C'était l'hiver.

Jean 10, 23 Jésus allait et venait dans le Temple sous le portique de Salomon.

Jean 10, 24 Les Juifs firent cercle autour de lui et lui dirent: "Jusqu'à quand vas-tu nous tenir en haleine? Si tu es le Christ, dis-le-nous ouvertement."

Jean 10, 25 Jésus leur répondit: "Je vous l'ai dit, et vous ne croyez pas. Les oeuvres que je fais au nom de mon Père témoignent de moi;

Jean 10, 26 mais vous ne croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis.

Jean 10, 27 Mes brebis écoutent ma voix, je les connais et elles me suivent;

Jean 10, 28 je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et nul ne les arrachera de ma main.

Jean 10, 29 Mon Père, quant à ce qu'il m'a donné, est plus grand que tous. Nul ne peut rien arracher de la main du Père.

Jean 10, 30 Moi et le Père nous sommes un."

Jean 10, 31 Les Juifs apportèrent de nouveau des pierres pour le lapider.

Jean 10, 32 Jésus leur dit alors: "Je vous ai montré quantité de bonnes oeuvres, venant du Père; pour laquelle de ces oeuvres me lapidez-vous?"

Jean 10, 33 Les Juifs lui répondirent: "Ce n'est pas pour une bonne oeuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème et parce que toi, n'étant qu'un homme, tu te fais Dieu."

Jean 10, 34 Jésus leur répondit: "N'est-il pas écrit dans votre Loi: J'ai dit: Vous êtes des dieux?

Jean 10, 35 Alors qu'elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu fut adressée - et l'Ecriture ne peut être récusée --

Jean 10, 36 à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde vous dites: Tu blasphèmes, parce que j'ai dit: Je suis Fils de Dieu!

Jean 10, 37 Si je ne fais pas les oeuvres de mon Père, ne me croyez pas;

Jean 10, 38 mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces oeuvres, afin de reconnaître une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père."

Jean 10, 39 Ils cherchaient donc de nouveau à le saisir, mais il leur échappa des mains.

Jean 10, 40 De nouveau il s'en alla au-delà du Jourdain, au lieu où Jean avait d'abord baptisé, et il y demeura.

Jean 10, 41 Beaucoup vinrent à lui et disaient: "Jean n'a fait aucun signe; mais tout ce que Jean a dit de celui-ci était vrai."

Jean 10, 42 Et là, beaucoup crurent en lui.

Jean 11, 1 Il y avait un malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de sa soeur Marthe.

Jean 11, 2 Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfum et lui essuya les pieds avec ses cheveux; c'était son frère Lazare qui était malade.

Jean 11, 3 Les deux soeurs envoyèrent donc dire à Jésus: "Seigneur, celui que tu aimes est malade."

Jean 11, 4 A cette nouvelle, Jésus dit: "Cette maladie ne mène pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu: afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle."

Jean 11, 5 Or Jésus aimait Marthe et sa soeur et Lazare.

Jean 11, 6 Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore dans le lieu où il se trouvait;

Jean 11, 7 alors seulement, il dit aux disciples: "Allons de nouveau en Judée."

Jean 11, 8 Ses disciples lui dirent: "Rabbi, tout récemment les Juifs cherchaient à te lapider, et tu retournes là-bas!"

Jean 11, 9 Jésus répondit: "N'y a-t-il pas douze heures de jour? Si quelqu'un marche le jour, il ne bute pas, parce qu'il voit la lumière de ce monde;

Jean 11, 10 mais s'il marche la nuit, il bute, parce que la lumière n'est pas en lui."

Jean 11, 11 Il dit cela, et ensuite: "Notre ami Lazare repose, leur dit-il; mais je vais aller le réveiller."

Jean 11, 12 Les disciples lui dirent: "Seigneur, s'il repose, il sera sauvé."

Jean 11, 13 Jésus avait parlé de sa mort, mais eux pensèrent qu'il parlait du repos du sommeil.

Jean 11, 14 Alors Jésus leur dit ouvertement: "Lazare est mort,

Jean 11, 15 et je me réjouis pour vous de n'avoir pas été là-bas, afin que vous croyiez. Mais allons auprès de lui!"

Jean 11, 16 Alors Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples: "Allons, nous aussi, pour mourir avec lui!"

Jean 11, 17 A son arrivée, Jésus trouva Lazare dans le tombeau depuis quatre jours déjà.

Jean 11, 18 Béthanie était près de Jérusalem, distant d'environ quinze stades,

Jean 11, 19 et beaucoup d'entre les Juifs étaient venus auprès de Marthe et de Marie pour les consoler au sujet de leur frère.

Jean 11, 20 Quand Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison.

Jean 11, 21 Marthe dit à Jésus: "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.

Jean 11, 22 Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera."

Jean 11, 23 Jésus lui dit: "Ton frère ressuscitera" [4481]--

Jean 11, 24 "Je sais, dit Marthe, qu'il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour."

Jean 11, 25 Jésus lui dit: "Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s'il meurt, vivra;

Jean 11, 26 et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu?"

Jean 11, 27 Elle lui dit: "Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde."

Jean 11, 28 Ayant dit cela, elle s'en alla appeler sa soeur Marie, lui disant en secret: "Le Maître est là et il t'appelle."

Jean 11, 29 Celle-ci, à cette nouvelle, se leva bien vite et alla vers lui.

Jean 11, 30 Jésus n'était pas encore arrivé au village, mais il se trouvait toujours à l'endroit où Marthe était venue à sa rencontre.

Jean 11, 31 Quand les Juifs qui étaient avec Marie dans la maison et la consolaient la virent se lever bien vite et sortir, ils la suivirent, pensant qu'elle allait au tombeau pour y pleurer.

Jean 11, 32 Arrivée là où était Jésus, Marie, en le voyant, tomba à ses pieds et lui dit: "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort!"

Jean 11, 33 Lorsqu'il la vit pleurer, et pleurer aussi les Juifs qui l'avaient accompagnée, Jésus frémit en son esprit et se troubla.

Jean 11, 34 Il dit: "Où l'avez-vous mis?" Ils lui dirent: "Seigneur, viens et vois."

Jean 11, 35 Jésus pleura.

Jean 11, 36 Les Juifs dirent alors: "Voyez comme il l'aimait!"

Jean 11, 37 Mais quelques-uns d'entre eux dirent: "Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourût pas?"

Jean 11, 38 Alors Jésus, frémissant à nouveau en lui-même, se rend au tombeau. C'était une grotte, avec une pierre placée par-dessus.

Jean 11, 39 Jésus dit: "Enlevez la pierre!" Marthe, la soeur du mort, lui dit: "Seigneur, il sent déjà: c'est le quatrième jour."

Jean 11, 40 Jésus lui dit: "Ne t'ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?"

Jean 11, 41 On enleva donc la pierre. Jésus leva les yeux en haut et dit: "Père, je te rends grâces de m'avoir écouté.

Jean 11, 42 Je savais que tu m'écoutes toujours; mais c'est à cause de la foule qui m'entoure que j'ai parlé, afin qu'ils croient que tu m'as envoyé."

Jean 11, 43 Cela dit, il s'écria d'une voix forte: "Lazare, viens dehors!"

Jean 11, 44 Le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes, et son visage était enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit: "Déliez-le et laissez-le aller."

Jean 11, 45 Beaucoup d'entre les Juifs qui étaient venus auprès de Marie et avaient vu ce qu'il avait fait, crurent en lui.

Jean 11, 46 Mais certains s'en furent trouver les Pharisiens et leur dirent ce qu'avait fait Jésus.

Jean 11, 47 Les grands prêtres et les Pharisiens réunirent alors un conseil: "Que faisons-nous? Disaient-ils, cet homme fait beaucoup de signes.

Jean 11, 48 Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront et ils supprimeront notre Lieu saint et notre nation."

Jean 11, 49 Mais l'un d'entre eux, Caïphe, étant grand prêtre cette année-là, leur dit: "Vous n'y entendez rien.

Jean 11, 50 Vous ne songez même pas qu'il est de votre intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière."

Jean 11, 51 Or cela, il ne le dit pas de lui-même; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation --

Jean 11, 52 et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés.

Jean 11, 53 Dès ce jour-là donc, ils résolurent de le tuer.

Jean 11, 54 Aussi Jésus cessa de circuler en public parmi les Juifs; il se retira dans la région voisine du désert, dans une ville appelée Ephraïm, et il y séjournait avec ses disciples.

Jean 11, 55 Or la Pâque des Juifs était proche et beaucoup de gens montèrent de la campagne à Jérusalem, avant la Pâque, pour se purifier.

Jean 11, 56 Ils cherchaient Jésus et se disaient les uns aux autres, en se tenant dans le Temple: "Qu'en pensez-vous? Qu'il ne viendra pas à la fête?"

Jean 11, 57 Les grands prêtres et les Pharisiens avaient donné des ordres: si quelqu'un savait où il était, il devait l'indiquer, afin qu'on le saisît.

Jean 12, 1 Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie, où était Lazare, que Jésus avait ressuscité d'entre les morts.

Jean 12, 2 On lui fit là un repas. Marthe servait. Lazare était l'un des convives.

Jean 12, 3 Alors Marie, prenant une livre d'un parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux; et la maison s'emplit de la senteur du parfum.

Jean 12, 4 Mais Judas l'Iscariote, l'un de ses disciples, celui qui allait le livrer, dit:

Jean 12, 5 "Pourquoi ce parfum n'a-t-il pas été vendu 300 deniers qu'on aurait donnés à des pauvres?"

Jean 12, 6 Mais il dit cela non par souci des pauvres, mais parce qu'il était voleur et que, tenant la bourse, il dérobait ce qu'on y mettait.

Jean 12, 7 Jésus dit alors: "Laisse-la: c'est pour le jour de ma sépulture qu'elle devait garder ce parfum.

Jean 12, 8 Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous; mais moi, vous ne m'aurez pas toujours."

Jean 12, 9 La grande foule des Juifs apprit qu'il était là et ils vinrent, pas seulement pour Jésus, mais aussi pour voir Lazare, qu'il avait ressuscité d'entre les morts.

Jean 12, 10 Les grands prêtres décidèrent de tuer aussi Lazare,

Jean 12, 11 parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s'en allaient et croyaient en Jésus.

Jean 12, 12 Le lendemain, la foule nombreuse venue pour la fête apprit que Jésus venait à Jérusalem;

Jean 12, 13 ils prirent les rameaux des palmiers et sortirent à sa rencontre et ils criaient: "Hosanna! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur et le roi d'Israël!"

Jean 12, 14 Jésus, trouvant un petit âne, s'assit dessus selon qu'il est écrit:

Jean 12, 15 Sois sans crainte, fille de Sion: voici que ton roi vient, monté sur un petit d'ânesse.

Jean 12, 16 Cela, ses disciples ne le comprirent pas tout d'abord; mais quand Jésus eut été glorifié, alors ils se souvinrent que cela était écrit de lui et que c'était ce qu'on lui avait fait.

Jean 12, 17 La foule qui était avec lui, quand il avait appelé Lazare hors du tombeau et l'avait ressuscité d'entre les morts, rendait témoignage.

Jean 12, 18 C'est aussi pourquoi la foule vint à sa rencontre: parce qu'ils avaient entendu dire qu'il avait fait ce signe.

Jean 12, 19 Alors les Pharisiens se dirent entre eux: "Vous voyez que vous ne gagnez rien; voilà le monde parti après lui!"

Jean 12, 20 Il y avait là quelques Grecs, de ceux qui montaient pour adorer pendant la fête.

Jean 12, 21 Ils s'avancèrent vers Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et ils lui firent cette demande: "Seigneur, nous voulons voir Jésus."

Jean 12, 22 Philippe vient le dire à André; André et Philippe viennent le dire à Jésus.

Jean 12, 23 Jésus leur répond: "Voici venue l'heure où doit être glorifié le Fils de l'homme.

Jean 12, 24 En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.

Jean 12, 25 Qui aime sa vie la perd; et qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle.

Jean 12, 26 Si quelqu'un me sert, qu'il me suive, et où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera.

Jean 12, 27 Maintenant mon âme est troublée. Et que dire? Père, sauve-moi de cette heure! Mais c'est pour cela que je suis venu à cette heure.

Jean 12, 28 Père, glorifie ton nom!" Du ciel vint alors une voix: "Je l'ai glorifié et de nouveau je le glorifierai."

Jean 12, 29 La foule qui se tenait là et qui avait entendu, disait qu'il y avait eu un coup de tonnerre; d'autres disaient: "Un ange lui a parlé."

Jean 12, 30 Jésus reprit: "Ce n'est pas pour moi qu'il y a eu cette voix, mais pour vous.

Jean 12, 31 C'est maintenant le jugement de ce monde; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors;

Jean 12, 32 et moi, une fois élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi."

Jean 12, 33 Il signifiait par là de quelle mort il allait mourir.

Jean 12, 34 La foule alors lui répondit: "Nous avons appris de la Loi que le Christ demeure à jamais. Comment peux-tu dire: Il faut que soit élevé le Fils de l'homme? Qui est ce Fils de l'homme?"

Jean 12, 35 Jésus leur dit: "Pour peu de temps encore la lumière est parmi vous. Marchez tant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous saisissent: celui qui marche dans les ténèbres ne sait pas où il va.

Jean 12, 36 Tant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin de devenir des fils de lumière." Ainsi parla Jésus, et s'en allant il se déroba à leur vue.

Jean 12, 37 Bien qu'il eût fait tant de signes devant eux, ils ne croyaient pas en lui,

Jean 12, 38 afin que s'accomplît la parole dite par Isaïe le prophète: Seigneur, qui a cru à notre parole? Et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été révélé?

Jean 12, 39 Aussi bien ne pouvaient-ils croire, car Isaïe a dit encore:

Jean 12, 40 Il a aveuglé leurs yeux et il a endurci leur coeur, pour que leurs yeux ne voient pas, que leur coeur ne comprenne pas, qu'ils ne se convertissent pas et que je ne les guérisse pas.

Jean 12, 41 Isaïe a dit cela, parce qu'il eut la vision de sa gloire et qu'il parla de lui.

Jean 12, 42 Toutefois, il est vrai, même parmi les notables, un bon nombre crurent en lui, mais à cause des Pharisiens ils ne se déclaraient pas, de peur d'être exclus de la synagogue,

Jean 12, 43 car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu.

Jean 12, 44 Jésus a dit, il l'a clamé: "Qui croit en moi, ce n'est pas en moi qu'il croit, mais en celui qui m'a envoyé,

Jean 12, 45 et qui me voit voit celui qui m'a envoyé.

Jean 12, 46 Moi, lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres.

Jean 12, 47 Si quelqu'un entend mes paroles et ne les garde pas, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde.

Jean 12, 48 Qui me rejette et n'accueille pas mes paroles a son juge: la parole que j'ai fait entendre, c'est elle qui le jugera au dernier jour;

Jean 12, 49 car ce n'est pas de moi-même que j'ai parlé, mais le Père qui m'a envoyé m'a lui-même commandé ce que j'avais à dire et à faire connaître;

Jean 12, 50 et je sais que son commandement est vie éternelle. Ainsi donc ce que je dis, tel que le Père me l'a dit je le dis."

Jean 13, 1 Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin.

Jean 13, 2 Au cours d'un repas, alors que déjà le diable avait mis au coeur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer,

Jean 13, 3 sachant que le Père lui avait tout remis entre les mains et qu'il était venu de Dieu et qu'il s'en allait vers Dieu,

Jean 13, 4 il se lève de table, dépose ses vêtements, et prenant un linge, il s'en ceignit.

Jean 13, 5 Puis il met de l'eau dans un bassin et il commença à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.

Jean 13, 6 Il vient donc à Simon-Pierre, qui lui dit: "Seigneur, toi, me laver les pieds?"

Jean 13, 7 Jésus lui répondit: "Ce que je fais, tu ne le sais pas à présent; par la suite tu comprendras."

Jean 13, 8 Pierre lui dit: "Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais!" Jésus lui répondit: "Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi."

Jean 13, 9 Simon-Pierre lui dit: "Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête!"

Jean 13, 10 Jésus lui dit: "Qui s'est baigné n'a pas besoin de se laver; il est pur tout entier. Vous aussi, vous êtes purs; mais pas tous."

Jean 13, 11 Il connaissait en effet celui qui le livrait; voilà pourquoi il dit: "Vous n'êtes pas tous purs."

Jean 13, 12 Quand il leur eut lavé les pieds, qu'il eut repris ses vêtements et se fut remis à table, il leur dit: "Comprenez-vous ce que je vous ai fait?

Jean 13, 13 Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis.

Jean 13, 14 Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.

Jean 13, 15 Car c'est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j'ai fait pour vous.

Jean 13, 16 En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que son maître, ni l'envoyé plus grand que celui qui l'a envoyé.

Jean 13, 17 Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites.

Jean 13, 18 Ce n'est pas de vous tous que je parle; je connais ceux que j'ai choisis; mais il faut que l'Ecriture s'accomplisse: Celui qui mange mon pain a levé contre moi son talon.

Jean 13, 19 Je vous le dis, dès à présent, avant que la chose n'arrive, pour qu'une fois celle-ci arrivée, vous croyiez que Je Suis.

Jean 13, 20 En vérité, en vérité, je vous le dis, qui accueille celui que j'aurai envoyé m'accueille; et qui m'accueille, accueille celui qui m'a envoyé."

Jean 13, 21 Ayant dit cela, Jésus fut troublé en son esprit et il attesta: "En vérité, en vérité, je vous le dis, l'un de vous me livrera."

Jean 13, 22 Les disciples se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui il parlait.

Jean 13, 23 Un de ses disciples, celui que Jésus aimait, se trouvait à table tout contre Jésus.

Jean 13, 24 Simon-Pierre lui fait signe et lui dit: "Demande quel est celui dont il parle."

Jean 13, 25 Celui-ci, se penchant alors vers la poitrine de Jésus, lui dit: "Seigneur, qui est-ce?"

Jean 13, 26 Jésus répond: "C'est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper." Trempant alors la bouchée, il la prend et la donne à Judas, fils de Simon Iscariote.

Jean 13, 27 Après la bouchée, alors Satan entra en lui. Jésus lui dit donc: "Ce que tu fais, fais-le vite."

Jean 13, 28 Mais cela, aucun parmi les convives ne comprit pourquoi il le lui disait.

Jean 13, 29 Comme Judas tenait la bourse, certains pensaient que Jésus voulait lui dire: "Achète ce dont nous avons besoin pour la fête", ou qu'il donnât quelque chose aux pauvres.

Jean 13, 30 Aussitôt la bouchée prise, il sortit; il faisait nuit.

Jean 13, 31 Quand il fut sorti, Jésus dit: "Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui.

Jean 13, 32 Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même et c'est aussitôt qu'il le glorifiera.

Jean 13, 33 Petits enfants, c'est pour peu de temps que je suis encore avec vous. Vous me chercherez, et comme je l'ai dit aux Juifs: où je vais, vous ne pouvez venir, à vous aussi je le dis à présent.

Jean 13, 34 Je vous donne un commandement nouveau: vous aimer les uns les autres; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.

Jean 13, 35 A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l'amour les uns pour les autres."

Jean 13, 36 Simon-Pierre lui dit: "Seigneur, où vas-tu?" Jésus lui répondit: "Où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant; mais tu me suivras plus tard."

Jean 13, 37 Pierre lui dit: "Pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent? Je donnerai ma vie pour toi."

Jean 13, 38 Jésus répond: "Tu donneras ta vie pour moi? En vérité, en vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié trois fois.

Jean 14, 1 "Que votre coeur ne se trouble pas! vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.

Jean 14, 2 Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures; sinon, je vous l'aurais dit; je vais vous préparer une place.

Jean 14, 3 Et quand je serai allé et que je vous aurai préparé une place, à nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis, vous aussi, vous soyez.

Jean 14, 4 Et du lieu où je vais, vous savez le chemin."

Jean 14, 5 Thomas lui dit: "Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment saurions-nous le chemin?"

Jean 14, 6 Jésus lui dit: "Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi.

Jean 14, 7 Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père; dès à présent vous le connaissez et vous l'avez vu."

Jean 14, 8 Philippe lui dit: "Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit."

Jean 14, 9 Jésus lui dit: "Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe? Qui m'a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire: Montre-nous le Père!?

Jean 14, 10 Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même: mais le Père demeurant en moi fait ses oeuvres.

Jean 14, 11 Croyez-m'en! je suis dans le Père et le Père est en moi. Croyez du moins à cause des oeuvres mêmes.

Jean 14, 12 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera, lui aussi, les oeuvres que je fais; et il en fera même de plus grandes, parce que je vais vers le Père.

Jean 14, 13 Et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils.

Jean 14, 14 Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai.

Jean 14, 15 Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements;

Jean 14, 16 et je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu'il soit avec vous à jamais,

Jean 14, 17 l'Esprit de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu'il ne le voit pas ni ne le reconnaît. Vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure auprès de vous.

Jean 14, 18 Je ne vous laisserai pas orphelins. Je viendrai vers vous.

Jean 14, 19 Encore un peu de temps et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous verrez que je vis et vous aussi, vous vivrez.

Jean 14, 20 Ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père et vous en moi et moi en vous.

Jean 14, 21 Celui qui a mes commandements et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime; or celui qui m'aime sera aimé de mon Père; et je l'aimerai et je me manifesterai à lui."

Jean 14, 22 Judas - pas l'Iscariote - lui dit: "Seigneur, et qu'est-il advenu, que tu doives te manifester à nous et non pas au monde?"

Jean 14, 23 Jésus lui répondit: "Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui.

Jean 14, 24 Celui qui ne m'aime pas ne garde pas mes paroles; et la parole que vous entendez n'est pas de moi, mais du Père qui m'a envoyé.

Jean 14, 25 Je vous ai dit cela tandis que je demeurais près de vous.

Jean 14, 26 Mais le Paraclet, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.

Jean 14, 27 Je vous laisse la paix; c'est ma paix que je vous donne; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre coeur ne se trouble ni ne s'effraie.

Jean 14, 28 Vous avez entendu que je vous ai dit: Je m'en vais et je reviendrai vers vous. Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Père, parce que le Père est plus grand que moi.

Jean 14, 29 Je vous le dis maintenant avant que cela n'arrive, pour qu'au moment où cela arrivera, vous croyiez.

Jean 14, 30 Je ne m'entretiendrai plus beaucoup avec vous, car il vient, le Prince de ce monde; sur moi il n'a aucun pouvoir,

Jean 14, 31 mais il faut que le monde reconnaisse que j'aime le Père et que je fais comme le Père m'a commandé. Levez-vous! Partons d'ici!

Jean 15, 1 "Je suis la vigne véritable et mon Père est le vigneron.

Jean 15, 2 Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, pour qu'il porte encore plus de fruit.

Jean 15, 3 Déjà vous êtes purs grâce à la parole que je vous ai fait entendre.

Jean 15, 4 Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même porter du fruit s'il ne demeure pas sur la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi.

Jean 15, 5 Je suis la vigne; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit; car hors de moi vous ne pouvez rien faire.

Jean 15, 6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche; on les ramasse et on les jette au feu et ils brûlent.

Jean 15, 7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et vous l'aurez.

Jean 15, 8 C'est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit et deveniez mes disciples.

Jean 15, 9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour.

Jean 15, 10 Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour, comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour.

Jean 15, 11 Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète.

Jean 15, 12 Voici quel est mon commandement: vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés.[4482]

Jean 15, 13 Nul n'a plus grand amour que celui-ci: donner sa vie pour ses amis.

Jean 15, 14 Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande.

Jean 15, 15 Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître.

Jean 15, 16 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi; mais c'est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure, afin que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne.

Jean 15, 17 Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres.

Jean 15, 18 Si le monde vous hait, sachez que moi, il m'a pris en haine avant vous.

Jean 15, 19 Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien; mais parce que vous n'êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tiré du monde, pour cette raison, le monde vous hait.

Jean 15, 20 Rappelez-vous la parole que je vous ai dite: Le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront; s'ils ont gardé ma parole, la vôtre aussi ils la garderont.

Jean 15, 21 Mais tout cela, ils le feront contre vous à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé.

Jean 15, 22 Si je n'étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n'auraient pas de péché; mais maintenant ils n'ont pas d'excuse à leur péché.

Jean 15, 23 Qui me hait, hait aussi mon Père.

Jean 15, 24 Si je n'avais pas fait parmi eux les oeuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché; mais maintenant ils ont vu et ils nous haïssent, et moi et mon Père.

Jean 15, 25 Mais c'est pour que s'accomplisse la parole écrite dans leur Loi: Ils m'ont haï sans raison.

Jean 15, 26 Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité, qui vient du Père, il me rendra témoignage.

Jean 15, 27 Mais vous aussi, vous témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement.

Jean 16, 1 Je vous ai dit cela pour vous éviter le scandale.

Jean 16, 2 On vous exclura des synagogues. Bien plus, l'heure vient où quiconque vous tuera pensera rendre un culte à Dieu.

Jean 16, 3 Et cela, ils le feront pour n'avoir reconnu ni le Père ni moi.

Jean 16, 4 Mais je vous ai dit cela, pour qu'une fois leur heure venue, vous vous rappeliez que je vous l'ai dit. "Je ne vous ai pas dit cela dès le commencement, parce que j'étais avec vous.

Jean 16, 5 Mais maintenant je m'en vais vers celui qui m'a envoyé et aucun de vous ne me demande: Où vas-tu?

Jean 16, 6 Mais parce que je vous ai dit cela, la tristesse remplit vos coeurs.

Jean 16, 7 Cependant je vous dis la vérité: c'est votre intérêt que je parte; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous; mais si je pars, je vous l'enverrai.

Jean 16, 8 Et lui, une fois venu, il établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement:

Jean 16, 9 de péché, parce qu'ils ne croient pas en moi;

Jean 16, 10 de justice, parce que je vais vers le Père et que vous ne me verrez plus;

Jean 16, 11 de jugement, parce que le Prince de ce monde est jugé.

Jean 16, 12 J'ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter à présent.

Jean 16, 13 Mais quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu'il entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir.

Jean 16, 14 Lui me glorifiera, car c'est de mon bien qu'il recevra et il vous le dévoilera.

Jean 16, 15 Tout ce qu'a le Père est à moi. Voilà pourquoi j'ai dit que c'est de mon bien qu'il reçoit et qu'il vous le dévoilera.

Jean 16, 16 "Encore un peu, et vous ne me verrez plus, et puis un peu encore, et vous me verrez."

Jean 16, 17 Quelques-uns de ses disciples se dirent entre eux: "Qu'est-ce qu'il nous dit là: Encore un peu, et vous ne me verrez plus, et puis un peu encore, et vous me verrez, et: Je vais vers le Père?"

Jean 16, 18 Ils disaient: "Qu'est-ce que ce: un peu? Nous ne savons pas ce qu'il veut dire."

Jean 16, 19 Jésus comprit qu'ils voulaient le questionner et il leur dit: "Vous vous interrogez entre vous sur ce que j'ai dit: Encore un peu, et vous ne me verrez plus, et puis un peu encore, et vous me verrez.

Jean 16, 20 En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous vous lamenterez, et le monde se réjouira; vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie.

Jean 16, 21 La femme, sur le point d'accoucher, s'attriste parce que son heure est venue; mais lorsqu'elle a donné le jour à l'enfant, elle ne se souvient plus des douleurs, dans la joie qu'un homme soit venu au monde.

Jean 16, 22 Vous aussi, maintenant vous voilà tristes; mais je vous verrai de nouveau et votre coeur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l'enlèvera.

Jean 16, 23 Ce jour-là, vous ne me poserez aucune question. En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom.

Jean 16, 24 Jusqu'à présent vous n'avez rien demandé en mon nom; demandez et vous recevrez, pour que votre joie soit complète.

Jean 16, 25 Tout cela, je vous l'ai dit en figures. L'heure vient où je ne vous parlerai plus en figures, mais je vous entretiendrai du Père en toute clarté.

Jean 16, 26 Ce jour-là, vous demanderez en mon nom et je ne vous dis pas que j'interviendrai pour vous auprès du Père,

Jean 16, 27 car le Père lui-même vous aime, parce que vous m'aimez et que vous croyez que je suis sorti d'auprès de Dieu.

Jean 16, 28 Je suis sorti d'auprès du Père et venu dans le monde. De nouveau je quitte le monde et je vais vers le Père."

Jean 16, 29 Ses disciples lui disent: "Voilà que maintenant tu parles en clair et sans figures!

Jean 16, 30 Nous savons maintenant que tu sais tout et n'as pas besoin qu'on te questionne. A cela nous croyons que tu es sorti de Dieu."

Jean 16, 31 Jésus leur répondit: "Vous croyez à présent?

Jean 16, 32 Voici venir l'heure - et elle est venue - où vous serez dispersés chacun de votre côté et me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul: le Père est avec moi.

Jean 16, 33 Je vous ai dit ces choses, pour que vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous aurez à souffrir. Mais gardez courage! J'ai vaincu le monde."

Jean 17, 1 Ainsi parla Jésus, et levant les yeux au ciel, il dit: "Père, l'heure est venue: glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie

Jean 17, 2 et que, selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés!

Jean 17, 3 Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.

Jean 17, 4 Je t'ai glorifié sur la terre, en menant à bonne fin l'oeuvre que tu m'as donné de faire.

Jean 17, 5 Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de la gloire que j'avais auprès de toi, avant que fût le monde.

Jean 17, 6 J'ai manifesté ton nom aux hommes, que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi et tu me les as donnés et ils ont gardé ta parole.

Jean 17, 7 Maintenant ils ont reconnu que tout ce que tu m'as donné vient de toi;

Jean 17, 8 car les paroles que tu m'as données, je les leur ai données, et ils les ont accueillies et ils ont vraiment reconnu que je suis sorti d'auprès de toi, et ils ont cru que tu m'as envoyé.

Jean 17, 9 C'est pour eux que je prie; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés, car ils sont à toi,

Jean 17, 10 et tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi, et je suis glorifié en eux.

Jean 17, 11 Je ne suis plus dans le monde; eux sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. Père saint, garde-les dans ton nom que tu m'as donné, pour qu'ils soient un comme nous.

Jean 17, 12 Quand j'étais avec eux, je les gardais dans ton nom que tu m'as donné. J'ai veillé et aucun d'eux ne s'est perdu, sauf le fils de perdition, afin que l'Ecriture fût accomplie.

Jean 17, 13 Mais maintenant je viens vers toi et je parle ainsi dans le monde, afin qu'ils aient en eux-mêmes ma joie complète.

Jean 17, 14 Je leur ai donné ta parole et le monde les a haïs, parce qu'ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.

Jean 17, 15 Je ne te prie pas de les enlever du monde, mais de les garder du Mauvais.

Jean 17, 16 Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.

Jean 17, 17 Sanctifie-les dans la vérité: ta parole est vérité.

Jean 17, 18 Comme tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.

Jean 17, 19 Pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu'ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité.

Jean 17, 20 Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi,

Jean 17, 21 afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé.

Jean 17, 22 Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un:

Jean 17, 23 moi en eux et toi en moi, afin qu'ils soient parfaits dans l'unité, et que le monde reconnaisse que tu m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé.

Jean 17, 24 Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire, que tu m'as donnée parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde.

Jean 17, 25 Père juste, le monde ne t'a pas connu, mais moi je t'ai connu et ceux-ci ont reconnu que tu m'as envoyé.

Jean 17, 26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux."

Jean 18, 1 Ayant dit cela, Jésus s'en alla avec ses disciples de l'autre côté du torrent du Cédron. Il y avait là un jardin dans lequel il entra, ainsi que ses disciples.

Jean 18, 2 Or Judas, qui le livrait, connaissait aussi ce lieu, parce que bien des fois Jésus et ses disciples s'y étaient réunis.

Jean 18, 3 Judas donc, menant la cohorte et des gardes détachés par les grands prêtres et les Pharisiens, vient là avec des lanternes, des torches et des armes.

Jean 18, 4 Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui advenir, sortit et leur dit: "Qui cherchez-vous?"

Jean 18, 5 Ils lui répondirent: "Jésus le Nazôréen." Il leur dit: "C'est moi." Or Judas, qui le livrait, se tenait là, lui aussi, avec eux.

Jean 18, 6 Quand Jésus leur eut dit: "C'est moi", ils reculèrent et tombèrent à terre.

Jean 18, 7 De nouveau il leur demanda: "Qui cherchez-vous?" Ils dirent: "Jésus le Nazôréen."

Jean 18, 8 Jésus répondit: "Je vous ai dit que c'est moi. Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez ceux-là s'en aller":

Jean 18, 9 afin que s'accomplît la parole qu'il avait dite: "Ceux que tu m'as donnés, je n'en ai pas perdu un seul."

Jean 18, 10 Alors Simon-Pierre, qui portait un glaive, le tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l'oreille droite. Ce serviteur avait nom Malchus.

Jean 18, 11 Jésus dit à Pierre: "Rentre le glaive dans le fourreau. La coupe que m'a donnée le Père, ne la boirai-je pas?"

Jean 18, 12 Alors la cohorte, le tribun et les gardes des Juifs saisirent Jésus et le lièrent.

Jean 18, 13 Ils le menèrent d'abord chez Anne; c'était en effet le beau-père de Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là.

Jean 18, 14 Or Caïphe était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs: "Il y a intérêt à ce qu'un seul homme meure pour le peuple."

Jean 18, 15 Or Simon-Pierre suivait Jésus, ainsi qu'un autre disciple. Ce disciple était connu du grand prêtre et entra avec Jésus dans la cour du grand prêtre,

Jean 18, 16 tandis que Pierre se tenait près de la porte, dehors. L'autre disciple, celui qui était connu du grand prêtre, sortit donc et dit un mot à la portière et il fit entrer Pierre.

Jean 18, 17 La servante, celle qui gardait la porte, dit alors à Pierre: "N'es-tu pas, toi aussi, des disciples de cet homme?" Lui, dit: "Je n'en suis pas."

Jean 18, 18 Les serviteurs et les gardes, qui avaient fait un feu de braise, parce que le temps était froid, se tenaient là et se chauffaient. Pierre aussi se tenait là avec eux et se chauffait.

Jean 18, 19 Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur sa doctrine.

Jean 18, 20 Jésus lui répondit: "C'est au grand jour que j'ai parlé au monde, j'ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple où tous les Juifs s'assemblent et je n'ai rien dit en secret.

Jean 18, 21 Pourquoi m'interroges-tu? Demande à ceux qui ont entendu ce que je leur ai enseigné; eux, ils savent ce que j'ai dit."

Jean 18, 22 A ces mots, l'un des gardes, qui se tenait là, donna une gifle à Jésus en disant: "C'est ainsi que tu réponds au grand prêtre?"

Jean 18, 23 Jésus lui répondit: "Si j'ai mal parlé, témoigne de ce qui est mal; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu?"

Jean 18, 24 Anne l'envoya alors, toujours lié, au grand prêtre, Caïphe.

Jean 18, 25 Or Simon-Pierre se tenait là et se chauffait. Ils lui dirent: "N'es-tu pas, toi aussi, de ses disciples?" Lui le nia et dit: "Je n'en suis pas."

Jean 18, 26 Un des serviteurs du grand prêtre, un parent de celui à qui Pierre avait tranché l'oreille, dit: "Ne t'ai-je pas vu dans le jardin avec lui?"

Jean 18, 27 De nouveau Pierre nia, et aussitôt un coq chanta.

Jean 18, 28 Alors ils mènent Jésus de chez Caïphe au prétoire. C'était le matin. Eux-mêmes n'entrèrent pas dans le prétoire, pour ne pas se souiller, mais pour pouvoir manger la Pâque.

Jean 18, 29 Pilate sortit donc au-dehors, vers eux, et il dit: "Quelle accusation portez-vous contre cet homme?"

Jean 18, 30 Ils lui répondirent: "Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré."

Jean 18, 31 Pilate leur dit: "Prenez-le, vous, et jugez-le selon votre Loi." Les Juifs lui dirent: "Il ne nous est pas permis de mettre quelqu'un à mort":

Jean 18, 32 afin que s'accomplît la parole qu'avait dite Jésus, signifiant de quelle mort il devait mourir.

Jean 18, 33 Alors Pilate entra de nouveau dans le prétoire; il appela Jésus et dit: "Tu es le roi des Juifs?"

Jean 18, 34 Jésus répondit: "Dis-tu cela de toi-même ou d'autres te l'ont-ils dit de moi?"

Jean 18, 35 Pilate répondit: "Est-ce que je suis Juif, moi? Ta nation et les grands prêtres t'ont livré à moi. Qu'as-tu fait?"

Jean 18, 36 Jésus répondit: "Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n'est pas d'ici."

Jean 18, 37 Pilate lui dit: "Donc tu es roi?" Jésus répondit: "Tu le dis: je suis roi. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix."

Jean 18, 38 Pilate lui dit: "Qu'est-ce que la vérité?" Et, sur ce mot, il sortit de nouveau et alla vers les Juifs. Et il leur dit: "Je ne trouve en lui aucun motif de condamnation.

Jean 18, 39 Mais c'est pour vous une coutume que je vous relâche quelqu'un à la Pâque. Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs?"

Jean 18, 40 Alors ils vociférèrent de nouveau, disant: "Pas lui, mais Barabbas!" Or Barabbas était un brigand.

Jean 19, 1 Pilate prit alors Jésus et le fit flageller.

Jean 19, 2 Les soldats, tressant une couronne avec des épines, la lui posèrent sur la tête, et ils le revêtirent d'un manteau de pourpre;

Jean 19, 3 et ils s'avançaient vers lui et disaient: "Salut, roi des Juifs!" Et ils lui donnaient des coups.

Jean 19, 4 De nouveau, Pilate sortit dehors et leur dit: "Voyez, je vous l'amène dehors, pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation."

Jean 19, 5 Jésus sortit donc dehors, portant la couronne d'épines et le manteau de pourpre; et Pilate leur dit: "Voici l'homme!"

Jean 19, 6 Lorsqu'ils le virent, les grands prêtres et les gardes vociférèrent, disant: "Crucifie-le! Crucifie-le!" Pilate leur dit: "Prenez-le, vous, et crucifiez-le; car moi, je ne trouve pas en lui de motif de condamnation."

Jean 19, 7 Les Juifs lui répliquèrent: "Nous avons une Loi et d'après cette Loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait Fils de Dieu."

Jean 19, 8 Lorsque Pilate entendit cette parole, il fut encore plus effrayé.

Jean 19, 9 Il entra de nouveau dans le prétoire et dit à Jésus: "D'où es-tu?" Mais Jésus ne lui donna pas de réponse.

Jean 19, 10 Pilate lui dit donc: "Tu ne me parles pas? Ne sais-tu pas que j'ai pouvoir de te relâcher et que j'ai pouvoir de te crucifier?"

Jean 19, 11 Jésus lui répondit: "Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi, si cela ne t'avait été donné d'en haut; c'est pourquoi celui qui m'a livré à toi a un plus grand péché."

Jean 19, 12 Dès lors Pilate cherchait à le relâcher. Mais les Juifs vociféraient, disant: "Si tu le relâches, tu n'es pas ami de César: quiconque se fait roi, s'oppose à César."

Jean 19, 13 Pilate, entendant ces paroles, amena Jésus dehors et le fit asseoir au tribunal, en un lieu dit le Dallage, en hébreu Gabbatha.

Jean 19, 14 Or c'était la Préparation de la Pâque; c'était vers la sixième heure. Il dit aux Juifs: "Voici votre roi."

Jean 19, 15 Eux vociférèrent: "A mort! A mort! Crucifie-le!" Pilate leur dit: "Crucifierai-je votre roi?" Les grands prêtres répondirent: "Nous n'avons de roi que César!"

Jean 19, 16 Alors il le leur livra pour être crucifié. Ils prirent donc Jésus.

Jean 19, 17 Et il sortit, portant sa croix, et vint au lieu dit du Crâne - ce qui se dit en hébreu Golgotha --

Jean 19, 18 où ils le crucifièrent et avec lui deux autres: un de chaque côté et, au milieu, Jésus.

Jean 19, 19 Pilate rédigea aussi un écriteau et le fit placer sur la croix. Il y était écrit: "Jésus le Nazôréen, le roi des Juifs."

Jean 19, 20 Cet écriteau, beaucoup de Juifs le lurent, car le lieu où Jésus fut mis en croix était proche de la ville, et c'était écrit en hébreu, en latin et en grec.

Jean 19, 21 Les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate: "N'écris pas: Le roi des Juifs, mais: Cet homme a dit: Je suis le roi des Juifs."

Jean 19, 22 Pilate répondit: "Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit."

Jean 19, 23 Lorsque les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements et firent quatre parts, une part pour chaque soldat, et la tunique. Or la tunique était sans couture, tissée d'une pièce à partir du haut;

Jean 19, 24 ils se dirent donc entre eux: "Ne la déchirons pas, mais tirons au sort qui l'aura": afin que l'Ecriture fût accomplie: Ils se sont partagé mes habits, et mon vêtement, ils l'ont tiré au sort. Voilà ce que firent les soldats.

Jean 19, 25 Or près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la soeur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala.

Jean 19, 26 Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d'elle, le disciple qu'il aimait, dit à sa mère: "Femme, voici ton fils."

Jean 19, 27 Puis il dit au disciple: "Voici ta mère." Dès cette heure-là, le disciple l'accueillit comme sienne.

Jean 19, 28 Après quoi, sachant que désormais tout était achevé pour que l'Ecriture fût parfaitement accomplie, Jésus dit: "J'ai soif."

Jean 19, 29 Un vase était là, rempli de vinaigre. On mit autour d'une branche d'hysope une éponge imbibée de vinaigre et on l'approcha de sa bouche.

Jean 19, 30 Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit: "C'est achevé" et, inclinant la tête, il remit l'esprit.

Jean 19, 31 Comme c'était la Préparation, les Juifs, pour éviter que les corps restent sur la croix durant le sabbat - car ce sabbat était un grand jour --, demandèrent à Pilate qu'on leur brisât les jambes et qu'on les enlevât.

Jean 19, 32 Les soldats vinrent donc et brisèrent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié avec lui.

Jean 19, 33 Venus à Jésus, quand ils virent était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes,

Jean 19, 34 mais l'un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l'eau.

Jean 19, 35 Celui qui a vu rend témoignage - son témoignage est véritable, et celui-là sait qu'il dit vrai - pour que vous aussi vous croyiez.

Jean 19, 36 Car cela est arrivé afin que l'Ecriture fût accomplie: Pas un os ne lui sera brisé.

Jean 19, 37 Et une autre Ecriture dit encore: Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé.

Jean 19, 38 Après ces événements, Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par peur des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Pilate le permit. Ils vinrent donc et enlevèrent son corps.

Jean 19, 39 Nicodème - celui qui précédemment était venu, de nuit, trouver Jésus - vint aussi, apportant un mélange de myrrhe et d'aloès, d'environ cent livres.

Jean 19, 40 Ils prirent donc le corps de Jésus et le lièrent de linges, avec les aromates, selon le mode de sépulture en usage chez les Juifs.

Jean 19, 41 Or il y avait un jardin au lieu où il avait été crucifié, et, dans ce jardin, un tombeau neuf, dans lequel personne n'avait encore été mis.

Jean 19, 42 A cause de la Préparation des Juifs, comme le tombeau était proche, c'est là qu'ils déposèrent Jésus.

Jean 20, 1 Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala vient de bonne heure au tombeau, comme il faisait encore sombre, et elle aperçoit la pierre enlevée du tombeau.

Jean 20, 2 Elle court alors et vient trouver Simon-Pierre, ainsi que l'autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit: "On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l'a mis."

Jean 20, 3 Pierre sortit donc, ainsi que l'autre disciple, et ils se rendirent au tombeau.

Jean 20, 4 Ils couraient tous les deux ensemble. L'autre disciple, plus rapide que Pierre, le devança à la course et arriva le premier au tombeau.

Jean 20, 5 Se penchant, il aperçoit les linges, gisant à terre; pourtant il n'entra pas.

Jean 20, 6 Alors arrive aussi Simon-Pierre, qui le suivait; il entra dans le tombeau; et il voit les linges, gisant à terre,

Jean 20, 7 ainsi que le suaire qui avait recouvert sa tête; non pas avec les linges, mais roulé à part dans un endroit.

Jean 20, 8 Alors entra aussi l'autre disciple, arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut.

Jean 20, 9 En effet, ils ne savaient pas encore que, d'après l'Ecriture, il devait ressusciter d'entre les morts.

Jean 20, 10 Les disciples s'en retournèrent alors chez eux.

Jean 20, 11 Marie se tenait près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. Or, tout en pleurant, elle se pencha vers l'intérieur du tombeau

Jean 20, 12 et elle voit deux anges, en vêtements blancs, assis là où avait reposé le corps de Jésus, l'un à la tête et l'autre aux pieds.

Jean 20, 13 Ceux-ci lui disent: "Femme, pourquoi pleures-tu?" Elle leur dit: "Parce qu'on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l'a mis."

Jean 20, 14 Ayant dit cela, elle se retourna, et elle voit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c'était Jésus.

Jean 20, 15 Jésus lui dit: "Femme, pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu?" Le prenant pour le jardinier, elle lui dit: "Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et je l'enlèverai."

Jean 20, 16 Jésus lui dit: "Marie!" Se retournant, elle lui dit en hébreu: "Rabbouni" - ce qui veut dire: "Maître."

Jean 20, 17 Jésus lui dit: "Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur: je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu."

Jean 20, 18 Marie de Magdala vient annoncer aux disciples qu'elle a vu le Seigneur et qu'il lui a dit cela.

Jean 20, 19 Le soir, ce même jour, le premier de la semaine, et les portes étant closes, là où se trouvaient les disciples, par peur des Juifs, Jésus vint et se tint au milieu et il leur dit: "Paix à vous!"

Jean 20, 20 Ayant dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie à la vue du Seigneur.

Jean 20, 21 Il leur dit alors, de nouveau: "Paix à vous! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie."

Jean 20, 22 Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit: "Recevez l'Esprit Saint.

Jean 20, 23 Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus."

Jean 20, 24 Or Thomas, l'un des Douze, appelé Didyme, n'était pas avec eux, lorsque vint Jésus.

Jean 20, 25 Les autres disciples lui dirent donc: "Nous avons vu le Seigneur!" Mais il leur dit: "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas."

Jean 20, 26 Huit jours après, ses disciples étaient de nouveau à l'intérieur et Thomas avec eux. Jésus vient, les portes étant closes, et il se tint au milieu et dit: "Paix à vous.

Jean 20, 27 Puis il dit à Thomas: "Porte ton doigt ici: voici mes mains; avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne deviens pas incrédule, mais croyant."

Jean 20, 28 Thomas lui répondit: "Mon Seigneur et mon Dieu!"

Jean 20, 29 Jésus lui dit: "Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru."

Jean 20, 30 Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore beaucoup d'autres signes, qui ne sont pas écrits dans ce livre.

Jean 20, 31 Ceux-là ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu'en croyant vous ayez la vie en son nom.

Jean 21, 1 Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade. Il se manifesta ainsi.

Jean 21, 2 Simon-Pierre, Thomas, appelé Didyme, Nathanaël, de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres de ses disciples se trouvaient ensemble.

Jean 21, 3 Simon-Pierre leur dit: "Je m'en vais pêcher." Ils lui dirent: "Nous venons nous aussi avec toi." Ils sortirent, montèrent dans le bateau et, cette nuit-là, ils ne prirent rien.

Jean 21, 4 Or, le matin déjà venu, Jésus se tint sur le rivage; pourtant les disciples ne savaient pas que c'était Jésus.

Jean 21, 5 Jésus leur dit: "Les enfants, vous n'avez pas du poisson?" Ils lui répondirent: "Non!"

Jean 21, 6 Il leur dit: "Jetez le filet à droite du bateau et vous trouverez." Ils le jetèrent donc et ils n'avaient plus la force de le tirer, tant il était plein de poissons.

Jean 21, 7 Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre: "C'est le Seigneur!" A ces mots: "C'est le Seigneur!" Simon-Pierre mit son vêtement - car il était nu - et il se jeta à l'eau.

Jean 21, 8 Les autres disciples, qui n'étaient pas loin de la terre, mais à environ 200 coudées, vinrent avec la barque, traînant le filet de poissons.

Jean 21, 9 Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise, avec du poisson dessus, et du pain.

Jean 21, 10 Jésus leur dit: "Apportez de ces poissons que vous venez de prendre."

Jean 21, 11 Alors Simon-Pierre monta dans le bateau et tira à terre le filet, plein de gros poissons: 153; et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas.

Jean 21, 12 Jésus leur dit: "Venez déjeuner." Aucun des disciples n'osait lui demander: "Qui es-tu?" Sachant que c'était le Seigneur.

Jean 21, 13 Jésus vient, il prend le pain et il le leur donne; et de même le poisson.

Jean 21, 14 Ce fut là la troisième fois que Jésus se manifesta aux disciples, une fois ressuscité d'entre les morts.

Jean 21, 15 Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon-Pierre: "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci?" Il lui répondit: "Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime." Jésus lui dit: "Pais mes agneaux."

Jean 21, 16 Il lui dit à nouveau, une deuxième fois: "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu" - "Oui, Seigneur, lui dit-il, tu sais que je t'aime." Jésus lui dit: "Pais mes brebis."

Jean 21, 17 Il lui dit pour la troisième fois: "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu?" Pierre fut peiné de ce qu'il lui eût dit pour la troisième fois: "M'aimes-tu", et il lui dit: "Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t'aime." Jésus lui dit: "Pais mes brebis.

Jean 21, 18 En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas."

Jean 21, 19 Il signifiait, en parlant ainsi, le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu. Ayant dit cela, il lui dit: "Suis-moi."

Jean 21, 20 Se retournant, Pierre aperçoit, marchant à leur suite, le disciple que Jésus aimait, celui-là même qui, durant le repas, s'était penché sur sa poitrine et avait dit: "Seigneur, qui est-ce qui te livre?"

Jean 21, 21 Le voyant donc, Pierre dit à Jésus: "Seigneur, et lui?"

Jean 21, 22 Jésus lui dit: "Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe? Toi, suis-moi."

Jean 21, 23 Le bruit se répandit alors chez les frères que ce disciple ne mourrait pas. Or Jésus n'avait pas dit à Pierre: "Il ne mourra pas", mais: "Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne."

Jean 21, 24 C'est ce disciple qui témoigne de ces faits et qui les a écrits, et nous savons que son témoignage est véridique.

Jean 21, 25 Il y a encore bien d'autres choses qu'a faites Jésus. Si on les mettait par écrit une à une, je pense que le monde lui-même ne suffirait pas à contenir les livres qu'on en écrirait.

 

 

 

 

Actes

 

1, 1 J'ai consacré mon premier livre, ô Théophile, à tout ce que Jésus a fait et enseigné, depuis le commencement

Actes 1, 2 jusqu'au jour où, après avoir donné ses instructions aux apôtres qu'il avait choisis sous l'action de l'Esprit Saint, il fut enlevé au ciel.

Actes 1, 3 C'est encore à eux qu'avec de nombreuses preuves il s'était présenté vivant après sa passion; pendant 40 jours, il leur était apparu et les avait entretenus du Royaume de Dieu.

Actes 1, 4 Alors, au cours d'un repas qu'il partageait avec eux, il leur enjoignit de ne pas s'éloigner de Jérusalem, mais d'y attendre ce que le Père avait promis, "ce que, dit-il, vous avez entendu de ma bouche:

Actes 1, 5 Jean, lui, a baptisé avec de l'eau, mais vous, c'est dans l'Esprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours."

Actes 1, 6 Etant donc réunis, ils l'interrogeaient ainsi: "Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël?"

Actes 1, 7 Il leur répondit: "Il ne vous appartient pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés de sa seule autorité.

Actes 1, 8 Mais vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre."

Actes 1, 9 A ces mots, sous leurs regards, il s'éleva, et une nuée le déroba à leurs yeux.

Actes 1, 10 Et comme ils étaient là, les yeux fixés au ciel pendant qu'il s'en allait, voici que deux hommes vêtus de blanc se trouvèrent à leurs côtés;

Actes 1, 11 ils leur dirent: Hommes" de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel? Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela, de la même manière dont vous l'avez vu s'en aller vers le ciel."

Actes 1, 12 Alors, du mont des Oliviers, ils s'en retournèrent à Jérusalem; la distance n'est pas grande: celle d'un chemin de sabbat.

Actes 1, 13 Rentrés en ville, ils montèrent à la chambre haute où ils se tenaient habituellement. C'étaient Pierre, Jean, Jacques, André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d'Alphée et Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques.

Actes 1, 14 Tous, d'un même coeur, étaient assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie mère de Jésus, et avec ses frères.

Actes 1, 15 En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères, - ils étaient réunis au nombre d'environ 120 personnes, - et il dit:

Actes 1, 16 "Frères, il fallait que s'accomplît l'Ecriture où, par la bouche de David, l'Esprit Saint avait parlé d'avance de Judas, qui s'est fait le guide de ceux qui ont arrêté Jésus.

Actes 1, 17 Il avait rang parmi nous et s'était vu attribuer une part dans notre ministère.

Actes 1, 18 Et voilà que, s'étant acquis un domaine avec le salaire de son forfait, cet homme est tombé la tête la première et a éclaté par le milieu, et toutes ses entrailles se sont répandues.

Actes 1, 19 La chose fut si connue de tous les habitants de Jérusalem que ce domaine fut appelé dans leur langue Hakeldama, c'est-à-dire "Domaine du Sang."

Actes 1, 20 Or il est écrit au Livre des

Actes Psaumes: Que son enclos devienne désert et qu'il ne se trouve personne pour y habiter. "Et encore: Qu'un autre reçoive sa charge.

Actes 1, 21 "Il faut donc que, de ces hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous,

Actes 1, 22 en commençant au baptême de Jean jusqu'au jour où il nous fut enlevé, il y en ait un qui devienne avec nous témoin de sa résurrection."

Actes 1, 23 On en présenta deux, Joseph dit Barsabbas, surnommé Justus, et Matthias.

Actes 1, 24 Alors ils firent cette prière: "Toi, Seigneur, qui connais le coeur de tous les hommes, montre-nous lequel de ces deux tu as choisi

Actes 1, 25 pour occuper, dans le ministère de l'apostolat, la place qu'a délaissée Judas pour s'en aller à sa place à lui."

Actes 1, 26 Alors on tira au sort et le sort tomba sur Matthias, qui fut mis au nombre des douze apôtres.

Actes 2, 1 Le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu,

Actes 2, 2 quand, tout à coup, vint du ciel un bruit tel que celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient.

Actes 2, 3 Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu; elles se partageaient, et il s'en posa une sur chacun d'eux.

Actes 2, 4 Tous furent alors remplis de l'Esprit Saint et commencèrent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer.

Actes 2, 5 Or il y avait, demeurant à Jérusalem, des hommes dévots de toutes les nations qui sont sous le ciel.

Actes 2, 6 Au bruit qui se produisit, la multitude se rassembla et fut confondue: chacun les entendait parler en son propre idiome.

Actes 2, 7 Ils étaient stupéfaits, et, tout étonnés, ils disaient: "Ces hommes qui parlent, ne sont-ils pas tous Galiléens?

Actes 2, 8 Comment se fait-il alors que chacun de nous les entende dans son propre idiome maternel?

Actes 2, 9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de Mésopotamie, de Judée et de Cappadoce, du Pont et d'Asie,

Actes 2, 10 de Phrygie et de Pamphylie, d'Egypte et de cette partie de la Libye qui est proche de Cyrène, Romains en résidence,

Actes 2, 11 tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons publier dans notre langue les merveilles de Dieu!"

Actes 2, 12 Tous étaient stupéfaits et se disaient, perplexes, l'un à l'autre: "Que peut bien être cela?"

Actes 2, 13 D'autres encore disaient en se moquant: "Ils sont pleins de vin doux!"

Actes 2, 14 Pierre alors, debout avec les Onze, éleva la voix et leur adressa ces mots: "Hommes de Judée et vous tous qui résidez à Jérusalem, apprenez ceci, prêtez l'oreille à mes paroles.

Actes 2, 15 Non, ces gens ne sont pas ivres, comme vous le supposez; ce n'est d'ailleurs que la troisième heure du jour.

Actes 2, 16 Mais c'est bien ce qu'a dit le prophète:

Actes 2, 17 Il se fera dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair. Alors vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards des songes.

Actes 2, 18 Et moi, sur mes serviteurs et sur mes servantes je répandrai de mon Esprit.

Actes 2, 19 Et je ferai paraître des prodiges là-haut dans le ciel et des signes ici-bas sur la terre.

Actes 2, 20 Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang, avant que vienne le Jour du Seigneur, ce grand Jour.

Actes 2, 21 Et quiconque alors invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

Actes 2, 22 "Hommes d'Israël, écoutez ces paroles. Jésus le Nazôréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu'il a opérés par lui au milieu de vous, ainsi que vous le savez vous-mêmes,

Actes 2, 23 cet homme qui avait été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l'avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies,

Actes 2, 24 mais Dieu l'a ressuscité, le délivrant des affres de l'Hadès. Aussi bien n'était-il pas possible qu'il fût retenu en son pouvoir;

Actes 2, 25 car David dit à son sujet: Je voyais sans cesse le Seigneur devant moi, car il est à ma droite, pour que je ne vacille pas.

Actes 2, 26 Aussi mon coeur s'est-il réjoui et ma langue a-t-elle jubilé; ma chair elle-même reposera dans l'espérance

Actes 2, 27 que tu n'abandonneras pas mon âme à l'Hadès et ne laisseras pas ton Saint voir la corruption.

Actes 2, 28 Tu m'as fait connaître des chemins de vie, tu me rempliras de joie en ta présence.

Actes 2, 29 "Frères, il est permis de vous le dire en toute assurance: le patriarche David est mort et a été enseveli, et son tombeau est encore aujourd'hui parmi nous.

Actes 2, 30 Mais comme il était prophète et savait que Dieu lui avait juré par serment de faire asseoir sur son trône un descendant de son sang,

Actes 2, 31 il a vu d'avance et annoncé la résurrection du Christ qui, en effet, n'a pas été abandonné à l'Hadès, et dont la chair n'a pas vu la corruption:

Actes 2, 32 Dieu l'a ressuscité, ce Jésus; nous en sommes tous témoins.

Actes 2, 33 Et maintenant, exalté par la droite de Dieu, il a reçu du Père l'Esprit Saint, objet de la promesse, et l'a répandu. C'est là ce que vous voyez et entendez.

Actes 2, 34 Car David, lui, n'est pas monté aux cieux; or il dit lui-même: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Siège à ma droite,

Actes 2, 35 jusqu'à ce que j'aie fait de tes ennemis un escabeau pour tes pieds.

Actes 2, 36 "Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié."

Actes 2, 37 D'entendre cela, ils eurent le coeur transpercé, et ils dirent à Pierre et aux apôtres: "Frères, que devons-nous faire?"

Actes 2, 38 Pierre leur répondit: "Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint Esprit.

Actes 2, 39 Car c'est pour vous qu'est la promesse, ainsi que pour vos enfants et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera."

Actes 2, 40 Par beaucoup d'autres paroles encore, il les adjurait et les exhortait: "Sauvez-vous, disait-il, de cette génération dévoyée."

Actes 2, 41 Eux donc, accueillant sa parole, se firent baptiser. Il s'adjoignit ce jour-là environ 3.000 âmes.

Actes 2, 42 Ils se montraient assidus à l'enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières.

Actes 2, 43 La crainte s'emparait de tous les esprits: nombreux étaient les prodiges et signes accomplis par les apôtres.

Actes 2, 44 Tous les croyants ensemble mettaient tout en commun;

Actes 2, 45 ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous selon les besoins de chacun.

Actes 2, 46 Jour après jour, d'un seul coeur, ils fréquentaient assidûment le Temple et rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec allégresse et simplicité de coeur.

Actes 2, 47 Ils louaient Dieu et avaient la faveur de tout le peuple. Et chaque jour, le Seigneur adjoignait à la communauté ceux qui seraient sauvés.

Actes 3, 1 Pierre et Jean montaient au Temple pour la prière de la neuvième heure.

Actes 3, 2 Or on apportait un impotent de naissance qu'on déposait tous les jours à la porte du Temple appelée la Belle, pour demander l'aumône à ceux qui y entraient.

Actes 3, 3 Voyant Pierre et Jean sur le point de pénétrer dans le Temple, il leur demanda l'aumône.

Actes 3, 4 Alors Pierre fixa les yeux sur lui, ainsi que Jean, et dit: "Regarde-nous."

Actes 3, 5 Il tenait son regard attaché sur eux, s'attendant à en recevoir quelque chose.

Actes 3, 6 Mais Pierre dit: "De l'argent et de l'or, je n'en ai pas, mais ce que j'ai, je te le donne: au nom de Jésus Christ le Nazôréen, marche!"

Actes 3, 7 Et le saisissant par la main droite, il le releva. A l'instant ses pieds et ses chevilles s'affermirent;

Actes 3, 8 d'un bond il fut debout, et le voilà qui marchait. Il entra avec eux dans le Temple, marchant, gambadant et louant Dieu.

Actes 3, 9 Tout le peuple le vit marcher et louer Dieu;

Actes 3, 10 on le reconnaissait: c'était bien lui qui demandait l'aumône, assis à la Belle Porte du Temple. Et l'on fut rempli d'effroi et de stupeur au sujet de ce qui lui était arrivé.

Actes 3, 11 Comme il ne lâchait pas Pierre et Jean, tous, hors d'eux-mêmes, accoururent vers eux au portique dit de Salomon.

Actes 3, 12 A cette vue, Pierre s'adressa au peuple: "Hommes d'Israël, pourquoi vous étonner de cela? Qu'avez-vous à nous regarder, comme si c'était par notre propre puissance ou grâce à notre piété que nous avons fait marcher cet homme?

Actes 3, 13 Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères a glorifié son serviteur Jésus que vous, vous avez livré et que vous avez renié devant Pilate, alors qu'il était décidé à le relâcher.

Actes 3, 14 Mais vous, vous avez chargé le Saint et le juste; vous avez réclamé la grâce d'un assassin,

Actes 3, 15 tandis que vous faisiez mourir le prince de la vie. Dieu l'a ressuscité des morts: nous en sommes témoins.

Actes 3, 16 Et par la foi en son nom, à cet homme que vous voyez et connaissez, ce nom même a rendu la force, et c'est la foi en lui qui, devant vous tous, l'a rétabli en pleine santé.

Actes 3, 17 "Cependant, frères, je sais que c'est par ignorance que vous avez agi, ainsi d'ailleurs que vos chefs.

Actes 3, 18 Dieu, lui, a ainsi accompli ce qu'il avait annoncé d'avance par la bouche de tous les prophètes, que son Christ souffrirait.

Actes 3, 19 Repentez-vous donc et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés,

Actes 3, 20 et qu'ainsi le Seigneur fasse venir le temps du répit. Il enverra alors le Christ qui vous a été destiné, Jésus,

Actes 3, 21 celui que le ciel doit garder jusqu'aux temps de la restauration universelle dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes.

Actes 3, 22 Moïse, d'abord, a dit: Le Seigneur Dieu vous suscitera d'entre vos frères un prophète semblable à moi; vous l'écouterez en tout ce qu'il vous dira.

Actes 3, 23 Quiconque n'écoutera pas ce prophète sera exterminé du sein du peuple.

Actes 3, 24 Tous les prophètes, ensuite, qui ont parlé depuis Samuel et ses successeurs, ont pareillement annoncé ces jours-ci.

Actes 3, 25 "Vous êtes, vous, les fils des prophètes et de l'alliance que Dieu a conclue avec nos pères quand il a dit à Abraham: Et en ta postérité seront bénies toutes les familles de la terre.

Actes 3, 26 C'est pour vous d'abord que Dieu a ressuscité son Serviteur et l'a envoyé vous bénir, du moment que chacun de vous se détourne de ses perversités."

Actes 4, 1 Ils parlaient encore au peuple quand survinrent les prêtres, le commandant du Temple et les Sadducéens,

Actes 4, 2 contrariés de les voir enseigner le peuple et annoncer en la personne de Jésus la résurrection des morts.

Actes 4, 3 Ils mirent la main sur eux et les emprisonnèrent jusqu'au lendemain, car déjà le soir tombait.

Actes 4, 4 Cependant beaucoup de ceux qui avaient entendu la parole embrassèrent la foi, et le nombre des fidèles, en ne comptant que les hommes, fut d'environ 5.000.

Actes 4, 5 Le lendemain les chefs des Juifs, les anciens et les scribes se rassemblèrent à Jérusalem.

Actes 4, 6 Il y avait là Anne le grand prêtre, Caïphe, Jonathan, Alexandre et tous les membres des familles pontificales.

Actes 4, 7 Ils firent comparaître les apôtres et se mirent à les questionner: "Par quel pouvoir ou par quel nom avez-vous fait cela, vous autres?"

Actes 4, 8 Alors Pierre, rempli de l'Esprit Saint, leur dit: "Chefs du peuple et anciens,

Actes 4, 9 puisqu'aujourd'hui nous avons à répondre en justice du bien fait à un infirme et du moyen par lequel il a été guéri,

Actes 4, 10 sachez-le bien, vous tous, ainsi que tout le peuple d'Israël: c'est par le nom de Jésus Christ le Nazôréen, celui que vous, vous avez crucifié, et que Dieu a ressuscité des morts, c'est par son nom et par nul autre que cet homme se présente guéri devant vous.

Actes 4, 11 C'est lui la pierre que vous, les bâtisseurs, avez dédaignée, et qui est devenue la pierre d'angle.

Actes 4, 12 Car il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés."

Actes 4, 13 Considérant l'assurance de Pierre et de Jean et se rendant compte que c'étaient des gens sans instruction ni culture, les sanhédrites étaient dans l'étonnement. Ils reconnaissaient bien en eux ceux qui étaient avec Jésus;

Actes 4, 14 en même temps ils voyaient, debout auprès d'eux, l'homme qui avait été guéri; aussi n'avaient-ils rien à répliquer.

Actes 4, 15 Ils les firent alors sortir du Sanhédrin et se mirent à délibérer entre eux.

Actes 4, 16 Ils disaient: "Qu'allons-nous faire à ces gens-là? Qu'un signe notoire ait été opéré par eux, c'est trop clair pour tous les habitants de Jérusalem, et nous ne pouvons le nier.

Actes 4, 17 Mais pour que cela ne se répande pas davantage dans le peuple, empêchons-les par des menaces de parler désormais à qui que ce soit en ce nom-là."

Actes 4, 18 Ils les rappelèrent donc et leur défendirent de souffler mot et d'enseigner au nom de Jésus.

Actes 4, 19 Mais Pierre et Jean de leur rétorquer: "S'il est juste aux yeux de Dieu de vous obéir plutôt qu'à Dieu, à vous d'en juger.

Actes 4, 20 Nous ne pouvons pas, quant à nous, ne pas publier ce que nous avons vu et entendu."

Actes 4, 21 Cependant, après de nouvelles menaces, ils les relâchèrent, ne voyant pas comment les punir, à cause du peuple: car tout le monde glorifiait Dieu de ce qui s'était passé.

Actes 4, 22 L'homme guéri miraculeusement avait en effet plus de 40 ans.

Actes 4, 23 Une fois relâchés, ils se rendirent auprès des leurs et rapportèrent tout ce que les grands prêtres et les anciens leur avaient dit.

Actes 4, 24 A ce récit, d'un seul élan, ils élevèrent la voix vers Dieu et dirent: "Maître, c'est toi qui as fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve;

Actes 4, 25 c'est toi qui as dit par l'Esprit Saint et par la bouche de notre père David, ton serviteur: Pourquoi cette arrogance chez les nations, ces vains projets chez les peuples?

Actes 4, 26 Les rois de la terre se sont mis en campagne et les magistrats se sont rassemblés de concert contre le Seigneur et contre son Oint.

Actes 4, 27 Oui vraiment, ils se sont rassemblés dans cette ville contre ton saint serviteur Jésus, que tu as oint, Hérode et Ponce Pilate avec les nations païennes et les peuples d'Israël,

Actes 4, 28 pour accomplir tout ce que, dans ta puissance et ta sagesse, tu avais déterminé par avance.

Actes 4, 29 A présent donc, Seigneur, considère leurs menaces et, afin de permettre à tes serviteurs d'annoncer ta parole en toute assurance,

Actes 4, 30 étends la main pour opérer des guérisons, signes et prodiges par le nom de ton saint serviteur Jésus."

Actes 4, 31 Tandis qu'ils priaient, l'endroit où ils se trouvaient réunis trembla; tous furent alors remplis du Saint Esprit et se mirent à annoncer la parole de Dieu avec assurance.

Actes 4, 32 La multitude des croyants n'avait qu'un coeur et qu'une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun.

Actes 4, 33 Avec beaucoup de puissance, les apôtres rendaient témoignage à la résurrection du Seigneur Jésus, et ils jouissaient tous d'une grande faveur.

Actes 4, 34 Aussi parmi eux nul n'était dans le besoin; car tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de la vente

Actes 4, 35 et le déposaient aux pieds des apôtres. On distribuait alors à chacun suivant ses besoins.

Actes 4, 36 Joseph, surnommé par les apôtres Barnabé (ce qui veut dire fils d'encouragement), lévite originaire de Chypre,

Actes 4, 37 possédait un champ; il le vendit, apporta l'argent et le déposa aux pieds des apôtres.

Actes 5, 1 Un certain Ananie, d'accord avec Saphire sa femme, vendit une propriété;

Actes 5, 2 il détourna une partie du prix, de connivence avec sa femme, et apportant le reste, il le déposa aux pieds des apôtres.

Actes 5, 3 "Ananie, lui dit alors Pierre, pourquoi Satan a-t-il rempli ton coeur, que tu mentes à l'Esprit Saint et détournes une partie du prix du champ?

Actes 5, 4 Quand tu avais ton bien, n'étais-tu pas libre de le garder, et quand tu l'as vendu, ne pouvais-tu disposer du prix à ton gré? Comment donc cette décision a-t-elle pu naître dans ton coeur? Ce n'est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu."

Actes 5, 5 En entendant ces paroles, Ananie tomba et expira. Une grande crainte s'empara alors de tous ceux qui l'apprirent.

Actes 5, 6 Les jeunes gens vinrent envelopper le corps et l'emportèrent pour l'enterrer.

Actes 5, 7 Au bout d'un intervalle d'environ trois heures, sa femme, qui ne savait pas ce qui était arrivé, entra.

Actes 5, 8 Pierre l'interpella: "Dis-moi, le champ que vous avez vendu, c'était tant?" Elle dit: "Oui, tant."

Actes 5, 9 Alors Pierre: "Comment donc avez-vous pu vous concerter pour mettre l'Esprit du Seigneur à l'épreuve? Eh bien! voici à la porte les pas de ceux qui ont enterré ton mari: ils vont aussi t'emporter."

Actes 5, 10 A l'instant même elle tomba à ses pieds et expira. Les jeunes gens qui entraient la trouvèrent morte; ils l'emportèrent et l'enterrèrent auprès de son mari.

Actes 5, 11 Une grande crainte s'empara alors de l'Eglise entière et de tous ceux qui apprirent ces choses.

Actes 5, 12 Par les mains des apôtres il se faisait de nombreux signes et prodiges parmi le peuple... Ils se tenaient tous d'un commun accord sous le portique de Salomon,

Actes 5, 13 et personne d'autre n'osait se joindre à eux, mais le peuple célébrait leurs louanges.

Actes 5, 14 Des croyants de plus en plus nombreux s'adjoignaient au Seigneur, une multitude d'hommes et de femmes...

Actes 5, 15 à tel point qu'on allait jusqu'à transporter les malades dans les rues et les déposer là sur des lits et des grabats, afin que tout au moins l'ombre de Pierre, à son passage, couvrît l'un d'eux.

Actes 5, 16 La multitude accourait même des villes voisines de Jérusalem, apportant des malades et des gens possédés par des esprits impurs et tous étaient guéris.

Actes 5, 17 Alors intervint le grand prêtre, avec tous ceux de son entourage, le parti des Sadducéens. Pleins d'animosité,

Actes 5, 18 ils mirent la main sur les apôtres et les jetèrent dans la prison publique.

Actes 5, 19 Mais pendant la nuit l'Ange du Seigneur ouvrit les portes de la prison et, après les avoir conduits dehors, leur dit:

Actes 5, 20 "Allez annoncer hardiment au peuple dans le Temple tout ce qui concerne cette Vie-là."

Actes 5, 21 Dociles à ces paroles, ils entrèrent au Temple dès le point du jour et se mirent à enseigner. Cependant le grand prêtre arriva avec ceux de son entourage. On convoqua le Sanhédrin et tout le Sénat des Israélites et on fit chercher les apôtres à la prison.

Actes 5, 22 Mais les satellites, rendus sur place, ne les trouvèrent pas dans la prison. Ils revinrent donc annoncer:

Actes 5, 23 "Nous avons trouvé la prison soigneusement fermée et les gardes en faction aux portes. Mais quand nous avons ouvert, nous n'avons trouvé personne à l'intérieur."

Actes 5, 24 A cette nouvelle, le commandant du Temple et les grands prêtres, tout perplexes à leur sujet, se demandaient ce que cela pouvait bien signifier.

Actes 5, 25 Survint alors quelqu'un qui leur annonça: "Les hommes que vous avez mis en prison, les voilà qui se tiennent dans le Temple et enseignent le peuple."

Actes 5, 26 Alors le commandant du Temple partit avec ses hommes et ramena les apôtres, mais sans violence, car ils craignaient le peuple, qui aurait pu les lapider.

Actes 5, 27 Les ayant donc amenés, ils les firent comparaître devant le Sanhédrin. Le grand prêtre les interrogea:

Actes 5, 28 "Nous vous avions formellement interdit d'enseigner en ce nom-là. Or voici que vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine! Vous voulez ainsi faire retomber sur nous le sang de cet homme-là!"

Actes 5, 29 Pierre répondit alors, avec les apôtres: "Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.

Actes 5, 30 Le Dieu de nos pères a ressuscité ce Jésus que vous, vous aviez fait mourir en le suspendant au gibet.

Actes 5, 31 C'est lui que Dieu a exalté par sa droite, le faisant Chef et Sauveur, afin d'accorder par lui à Israël la repentance et la rémission des péchés.

Actes 5, 32 Nous sommes témoins de ces choses, nous et l'Esprit Saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent."

Actes 5, 33 En entendant cela, ils frémissaient de rage et projetaient de les faire mourir.

Actes 5, 34 Alors un Pharisien nommé Gamaliel se leva au milieu du Sanhédrin; c'était un docteur de la Loi respecté de tout le peuple. Il donna l'ordre de faire sortir ces hommes un instant.

Actes 5, 35 Puis il dit aux sanhédrites: "Hommes d'Israël, prenez bien garde à ce que vous allez faire à l'égard de ces gens-là.

Actes 5, 36 Il y a quelque temps déjà se leva Theudas, qui se disait quelqu'un et qui rallia environ 400 hommes. Il fut tué, et tous ceux qui l'avaient suivi se débandèrent, et il n'en resta rien.

Actes 5, 37 Après lui, à l'époque du recensement, se leva Judas le Galiléen, qui entraîna du monde à sa suite; il périt, lui aussi, et ceux qui l'avaient suivi furent dispersés.

Actes 5, 38 A présent donc, je vous le dis, ne vous occupez pas de ces gens-là, laissez-les. Car si leur propos ou leur oeuvre vient des hommes, elle se détruira d'elle-même;

Actes 5, 39 mais si vraiment elle vient de Dieu, vous n'arriverez pas à les détruire. Ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu." On adopta son avis.

Actes 5, 40 Ils rappelèrent alors les apôtres. Après les avoir fait battre de verges, ils leur interdirent de parler au nom de Jésus, puis les relâchèrent.

Actes 5, 41 Pour eux, ils s'en allèrent du Sanhédrin, tout joyeux d'avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Nom.

Actes 5, 42 Et chaque jour, au Temple et dans les maisons, ils ne cessaient d'enseigner et d'annoncer la Bonne Nouvelle du Christ Jésus.

Actes 6, 1 En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, il y eut des murmures chez les Hellénistes contre les Hébreux. Dans le service quotidien, disaient-ils, on négligeait leurs veuves.

Actes 6, 2 Les Douze convoquèrent alors l'assemblée des disciples et leur dirent: "Il ne sied pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables.

Actes 6, 3 Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes de bonne réputation, remplis de l'Esprit et de sagesse, et nous les préposerons à cet office;

Actes 6, 4 quant à nous, nous resterons assidus à la prière et au service de la parole."

Actes 6, 5 La proposition plut à toute l'assemblée, et l'on choisit Etienne, homme rempli de foi et de l'Esprit Saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, prosélyte d'Antioche.

Actes 6, 6 On les présenta aux apôtres et, après avoir prié, ils leur imposèrent les mains.

Actes 6, 7 Et la parole du Seigneur croissait; le nombre des disciples augmentait considérablement à Jérusalem, et une multitude de prêtres obéissaient à la foi.

Actes 6, 8 Etienne, rempli de grâce et de puissance, opérait de grands prodiges et signes parmi le peuple.

Actes 6, 9 Alors intervinrent des gens de la synagogue dite des Affranchis, des Cyrénéens, des Alexandrins et d'autres de Cilicie et d'Asie. Ils se mirent à discuter avec Etienne,

Actes 6, 10 mais ils n'étaient pas de force à tenir tête à la sagesse et à l'Esprit qui le faisaient parler.

Actes 6, 11 Ils soudoyèrent alors des hommes pour dire: "Nous l'avons entendu prononcer des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu."

Actes 6, 12 Ils ameutèrent ainsi le peuple, les anciens et les scribes, puis, survenant à l'improviste, ils s'emparèrent de lui et l'emmenèrent devant le Sanhédrin.

Actes 6, 13 Là ils produisirent des faux témoins qui déclarèrent: "Cet individu ne cesse pas de tenir des propos contre ce saint Lieu et contre la Loi.

Actes 6, 14 Nous l'avons entendu dire que Jésus, ce Nazôréen, détruira ce Lieu-ci et changera les usages que Moïse nous a légués."

Actes 6, 15 Or, tous ceux qui siégeaient au Sanhédrin avaient les yeux fixés sur lui, et son visage leur apparut semblable à celui d'un ange.

Actes 7, 1 Le grand prêtre demanda: "En est-il bien ainsi?"

Actes 7, 2 Il répondit: "Frères et pères, écoutez. Le Dieu de la gloire apparut à notre père Abraham, encore en Mésopotamie avant de s'établir à Harân,

Actes 7, 3 et lui dit: Quitte ton pays et ta parenté, et va dans le pays que je te montrerai.

Actes 7, 4 Il quitta alors le pays des Chaldéens pour s'établir à Harân. C'est de là, après la mort de son père, que Dieu le fit passer dans ce pays où vous habitez maintenant.

Actes 7, 5 Il ne lui donna aucune propriété dans ce pays, pas même de quoi poser le pied, mais il promit de lui en donner la possession, ainsi qu'à sa postérité après lui quoiqu'il n'eût pas d'enfant.

Actes 7, 6 Et Dieu lui déclara que sa postérité séjournerait en terre étrangère, qu'on la réduirait en servitude et qu'on la maltraiterait durant 400 ans. --

Actes 7, 7 Mais la nation dont ils auront été les esclaves, je la jugerai, moi, dit Dieu. Après quoi, ils s'en iront et me rendront leur culte en ce lieu même.

Actes 7, 8 Il lui donna ensuite l'alliance de la circoncision; c'est ainsi qu'étant devenu père d'Isaac, Abraham le circoncit le huitième jour. Et Isaac fit de même pour Jacob, et Jacob pour les douze patriarches.

Actes 7, 9 "Les patriarches, jaloux de Joseph, le vendirent pour être emmené en Egypte. Mais Dieu était avec lui:

Actes 7, 10 il le tira de toutes ses tribulations et lui donna grâce et sagesse devant Pharaon, roi d'Egypte, qui l'établit gouverneur de l'Egypte et de toute sa maison.

Actes 7, 11 Survinrent alors dans toute l'Egypte et en Canaan famine et grande détresse; nos pères ne trouvaient rien à manger.

Actes 7, 12 Apprenant qu'il y avait des vivres en Egypte, Jacob y envoya nos pères une première fois;

Actes 7, 13 la deuxième fois, Joseph se fit reconnaître de ses frères, et son origine fut révélée à Pharaon.

Actes 7, 14 Joseph envoya chercher alors son père Jacob et toute sa parenté, qui comptait 75 personnes.

Actes 7, 15 Jacob descendit donc en Egypte, et il y mourut, ainsi que nos pères.

Actes 7, 16 Leurs corps furent transportés à Sichem et déposés dans le tombeau qu'Abraham avait acheté à prix d'argent aux fils d'Emmor, père de Sichem.

Actes 7, 17 "Comme approchait le temps où devait s'accomplir la promesse que Dieu avait faite solennellement à Abraham, le peuple s'accrut et se multiplia en Egypte,

Actes 7, 18 jusqu'à l'avènement d'un nouveau roi qui ne se souvint pas de Joseph.

Actes 7, 19 Usant d'astuce envers notre race, ce roi maltraita nos pères, jusqu'à leur faire exposer leurs nouveau-nés pour qu'ils ne puissent pas vivre.

Actes 7, 20 C'est à ce moment que naquit Moïse, qui était beau devant Dieu. Il fut nourri trois mois dans la maison de son père;

Actes 7, 21 puis, comme il avait été exposé, la fille de Pharaon le recueillit et l'éleva comme son propre fils.

Actes 7, 22 Ainsi Moïse fut-il instruit dans toute la sagesse des Egyptiens, et il était puissant en paroles et en oeuvres.

Actes 7, 23 "Comme il atteignait la quarantaine, la pensée lui vint de visiter ses frères, les Israélites.

Actes 7, 24 Voyant maltraiter l'un d'eux, il prit sa défense et vengea l'opprimé en tuant l'Egyptien.

Actes 7, 25 Ses frères, supposait-il, comprendraient que c'était Dieu qui, par sa main, leur apportait le salut; mais ils ne le comprirent pas.

Actes 7, 26 Le lendemain, il en aperçut qui se battaient, et il voulut les remettre d'accord. Mes amis, leur dit-il, vous êtes frères: pourquoi vous maltraiter l'un l'autre?

Actes 7, 27 Alors celui qui maltraitait son compagnon le repoussa en disant: Qui t'a établi chef et juge sur nous?

Actes 7, 28 Voudrais-tu me tuer comme hier tu as tué l'Egyptien?

Actes 7, 29 A ces mots, Moïse s'enfuit et alla se réfugier au pays de Madian, où il eut deux fils.

Actes 7, 30 "Au bout de 40 ans, un ange lui apparut au désert du mont Sinaï, dans la flamme d'un buisson en feu.

Actes 7, 31 Moïse était étonné à la vue de cette apparition. Comme il s'avançait pour mieux voir, la voix du Seigneur se fit entendre:

Actes 7, 32 Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Tout tremblant, Moïse n'osait regarder.

Actes 7, 33 Alors le Seigneur lui dit: Ote les sandales de tes pieds, car l'endroit où tu te tiens est une terre sainte.

Actes 7, 34 Oui, j'ai vu l'affliction de mon peuple en Egypte, j'ai entendu son gémissement et je suis descendu pour le délivrer. Viens donc, que je t'envoie en Egypte.

Actes 7, 35 "Ce Moïse qu'ils avaient renié en disant: Qui t'a établi chef et juge? Voici que Dieu le leur envoyait comme chef et rédempteur, par l'entremise de l'ange qui lui était apparu dans le buisson.

Actes 7, 36 C'est lui qui les fit sortir, en opérant prodiges et signes au pays d'Egypte, à la mer Rouge et au désert pendant 40 ans.

Actes 7, 37 C'est lui, Moïse, qui dit aux Israélites: Dieu vous suscitera d'entre vos frères un prophète comme moi.

Actes 7, 38 C'est lui qui, lors de l'assemblée au désert, était avec l'ange qui lui parlait sur le mont Sinaï, tout en restant avec nos pères, lui qui reçut les paroles de vie pour nous les donner.

Actes 7, 39 Voilà celui à qui nos pères refusèrent d'obéir. Bien plus, ils le repoussèrent et, retournant de coeur en Egypte,

Actes 7, 40 ils dirent à Aaron: Fais-nous des dieux qui marchent devant nous; car ce Moïse qui nous a fait sortir du pays d'Egypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé

Actes 7, 41 Il Fabriquèrent un veau en ces jours-là et offrirent un sacrifice à l'idole, et ils célébraient joyeusement l'oeuvre de leurs mains.

Actes 7, 42 Alors Dieu se détourna d'eux et les livra au culte de l'armée du ciel, ainsi qu'il est écrit au livre des Prophètes: M'avez-vous donc offert victimes et sacrifices, pendant 40 ans au désert, maison d'Israël?

Actes 7, 43 Mais vous avez porté la tente de Moloch et l'étoile du dieu Rephân, les figures que vous aviez faites pour les adorer; aussi vous déporterai-je par-delà Babylone.

Actes 7, 44 "Nos pères au désert avaient la Tente du Témoignage, ainsi qu'en avait disposé Celui qui parlait à Moïse, lui enjoignant de la faire suivant le modèle qu'il avait vu.

Actes 7, 45 Après l'avoir reçue, nos pères l'introduisirent, sous la conduite de Josué, dans le pays conquis sur les nations que Dieu chassa devant eux; ainsi en fut-il jusqu'aux jours de David.

Actes 7, 46 Celui-ci trouva grâce devant Dieu et sollicita la faveur de trouver une résidence pour la maison de Jacob.

Actes 7, 47 Ce fut Salomon toutefois qui lui bâtit une maison.

Actes 7, 48 Mais le Très-Haut n'habite pas dans des demeures faites de main d'homme; ainsi le dit le prophète:

Actes 7, 49 Le ciel est mon trône et la terre l'escabeau de mes pieds: quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, et quel sera le lieu de mon repos?

Actes 7, 50 N'est-ce pas ma main qui a fait tout cela?

Actes 7, 51 "Nuques raides, oreilles et coeurs incirconcis, toujours vous résistez à l'Esprit Saint! Tels furent vos pères, tels vous êtes!

Actes 7, 52 Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils point persécuté? Ils ont tué ceux qui prédisaient la venue du Juste, celui-là même que maintenant vous venez de trahir et d'assassiner,

Actes 7, 53 vous qui avez reçu la Loi par le ministère des anges et ne l'avez pas observée."

Actes 7, 54 A ces mots, leurs coeurs frémissaient de rage, et ils grinçaient des dents contre Etienne.

Actes 7, 55 Tout rempli de l'Esprit Saint, il fixa son regard vers le ciel; il vit alors la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu.

Actes 7, 56 "Ah! dit-il, je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu."

Actes 7, 57 Jetant alors de grands cris, ils se bouchèrent les oreilles et, comme un seul homme, se précipitèrent sur lui,

Actes 7, 58 le poussèrent hors de la ville et se mirent à le lapider. Les témoins avaient déposé leurs vêtements aux pieds d'un jeune homme appelé Saul.

Actes 7, 59 Et tandis qu'on le lapidait, Etienne faisait cette invocation: "Seigneur Jésus, reçois mon esprit."

Actes 7, 60 Puis il fléchit les genoux et dit, dans un grand cri: "Seigneur, ne leur impute pas ce péché." Et en disant cela, il s'endormit.

Actes 8, 1 Saul, lui, approuvait ce meurtre. En ce jour-là, une violente persécution se déchaîna contre l'Eglise de Jérusalem. Tous, à l'exception des apôtres, se dispersèrent dans les campagnes de Judée et de Samarie.

Actes 8, 2 Cependant des hommes dévots ensevelirent Etienne et firent sur lui de grandes lamentations.

Actes 8, 3 Quant à Saul, il ravageait l'Eglise; allant de maison en maison, il en arrachait hommes et femmes et les jetait en prison.

Actes 8, 4 Ceux-là donc qui avaient été dispersés s'en allèrent de lieu en lieu en annonçant la parole de la Bonne Nouvelle.

Actes 8, 5 C'est ainsi que Philippe, qui était descendu dans une ville de la Samarie, y proclamait le Christ.

Actes 8, 6 Les foules unanimes s'attachaient à ses enseignements, car tous entendaient parler des signes qu'il opérait, ou les voyaient.

Actes 8, 7 De beaucoup de possédés, en effet, les esprits impurs sortaient en poussant de grands cris. Nombre de paralytiques et d'impotents furent également guéris.

Actes 8, 8 Et la joie fut vive en cette ville.

Actes 8, 9 Or il y avait déjà auparavant dans la ville un homme appelé Simon, qui exerçait la magie et jetait le peuple de Samarie dans l'émerveillement. Il se disait quelqu'un de grand,

Actes 8, 10 et tous, du plus petit au plus grand, s'attachaient à lui. "Cet homme, disait-on, est la Puissance de Dieu, celle qu'on appelle la Grande."

Actes 8, 11 Ils s'attachaient donc à lui, parce qu'il y avait longtemps qu'il les tenait émerveillés par ses sortilèges.

Actes 8, 12 Mais quand ils eurent cru à Philippe qui leur annonçait la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu et du nom de Jésus Christ, ils se firent baptiser, hommes et femmes.

Actes 8, 13 Simon lui-même crut à son tour; ayant reçu le baptême, il ne lâchait plus Philippe, et il était dans l'émerveillement à la vue des signes et des grands miracles qui s'opéraient sous ses yeux.

Actes 8, 14 Apprenant que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu, les apôtres qui étaient à Jérusalem y envoyèrent Pierre et Jean.

Actes 8, 15 Ceux-ci descendirent donc chez les Samaritains et prièrent pour eux, afin que l'Esprit Saint leur fût donné.

Actes 8, 16 Car il n'était encore tombé sur aucun d'eux; ils avaient seulement été baptisés au nom du Seigneur Jésus.

Actes 8, 17 Alors Pierre et Jean se mirent à leur imposer les mains, et ils recevaient l'Esprit Saint.

Actes 8, 18 Mais quand Simon vit que l'Esprit Saint était donné par l'imposition des mains des apôtres, il leur offrit de l'argent.

Actes 8, 19 "Donnez-moi, dit-il, ce pouvoir à moi aussi: que celui à qui j'imposerai les mains reçoive l'Esprit Saint."

Actes 8, 20 Mais Pierre lui répliqua: "Périsse ton argent, et toi avec lui, puisque tu as cru acheter le don de Dieu à prix d'argent!

Actes 8, 21 Dans cette affaire il n'y a pour toi ni part ni héritage, car ton coeur n'est pas droit devant Dieu.

Actes 8, 22 Repens-toi donc de ton mauvais dessein et prie le Seigneur: peut-être cette pensée de ton coeur te sera-t-elle pardonnée;

Actes 8, 23 car tu es, je le vois, dans l'amertume du fiel et les liens de l'iniquité."

Actes 8, 24 Simon répondit: "Intercédez vous-mêmes pour moi auprès du Seigneur, afin que rien ne m'arrive de ce que vous venez de dire."

Actes 8, 25 Pour eux, après avoir rendu témoignage et annoncé la parole du Seigneur, ils retournèrent à Jérusalem en évangélisant de nombreux villages samaritains.

Actes 8, 26 L'Ange du Seigneur s'adressa à Philippe et lui dit: "Pars et va-t'en, à l'heure de midi, sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza; elle est déserte."

Actes 8, 27 Il partit donc et s'y rendit. Justement un Ethiopien, un eunuque, haut fonctionnaire de Candace, reine d'Ethiopie, et surintendant de tous ses trésors, qui était venu en pèlerinage à Jérusalem,

Actes 8, 28 s'en retournait, assis sur son char, en lisant le prophète Isaïe.

Actes 8, 29 L'Esprit dit à Philippe: "Avance et rattrape ce char."

Actes 8, 30 Philippe y courut, et il entendit que l'eunuque lisait le prophète Isaïe. Il lui demanda: "Comprends-tu donc ce que tu lis" --

Actes 8, 31 "Et comment le pourrais-je, dit-il, si personne ne me guide?" Et il invita Philippe à monter et à s'asseoir près de lui.

Actes 8, 32 Le passage de l'Ecriture qu'il lisait était le suivant: Comme une brebis il a été conduit à la boucherie; comme un agneau muet devant celui qui le tond, ainsi il n'ouvre pas la bouche.

Actes 8, 33 Dans son abaissement la justice lui a été déniée. Sa postérité, qui la racontera? Car sa vie est retranchée de la terre.

Actes 8, 34 S'adressant à Philippe, l'eunuque lui dit: "Je t'en prie, de qui le prophète dit-il cela? De lui-même ou de quelqu'un d'autre?"

Actes 8, 35 Philippe prit alors la parole et, partant de ce texte de l'Ecriture, lui annonça la Bonne Nouvelle de Jésus.

Actes 8, 36 Chemin faisant, ils arrivèrent à un point d'eau, et l'eunuque dit: "Voici de l'eau. Qu'est-ce qui empêche que je sois baptisé?"

Actes 8, 38 Et il fit arrêter le char. Ils descendirent tous deux dans l'eau, Philippe avec l'eunuque, et il le baptisa.

Actes 8, 39 Mais, quand ils furent remontés de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe, et l'eunuque ne le vit plus. Et il poursuivit son chemin tout joyeux.

Actes 8, 40 Quant à Philippe, il se trouva à Azot; continuant sa route, il annonçait la Bonne Nouvelle dans toutes les villes qu'il traversait, jusqu'à ce qu'il arrivât à Césarée.

Actes 9, 1 Cependant Saul, ne respirant toujours que menaces et carnage à l'égard des disciples du Seigneur, alla trouver le grand prêtre

Actes 9, 2 et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s'il y trouvait quelques adeptes de la Voie, hommes ou femmes, il les amenât enchaînés à Jérusalem.

Actes 9, 3 Il faisait route et approchait de Damas, quand soudain une lumière venue du ciel l'enveloppa de sa clarté.

Actes 9, 4 Tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait: "Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu" --

Actes 9, 5 "Qui es-tu, Seigneur?" Demanda-t-il. Et lui: "Je suis Jésus que tu persécutes.

Actes 9, 6 Mais relève-toi, entre dans la ville, et l'on te dira ce que tu dois faire."

Actes 9, 7 Ses compagnons de route s'étaient arrêtés, muets de stupeur: ils entendaient bien la voix, mais sans voir personne.

Actes 9, 8 Saul se releva de terre, mais, quoiqu'il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien. On le conduisit par la main pour le faire entrer à Damas.

Actes 9, 9 Trois jours durant, il resta sans voir, ne mangeant et ne buvant rien.

Actes 9, 10 Il y avait à Damas un disciple du nom d'Ananie. Le Seigneur l'appela dans une vision: "Ananie" - "Me voici, Seigneur", répondit-il. --

Actes 9, 11 "Pars, reprit le Seigneur, va dans la rue Droite et demande, dans la maison de Judas, un nommé Saul de Tarse. Car le voilà qui prie

Actes 9, 12 et qui a vu un homme du nom d'Ananie entrer et lui imposer les mains pour lui rendre la vue."

Actes 9, 13 Ananie répondit: "Seigneur, j'ai entendu beaucoup de monde parler de cet homme et dire tout le mal qu'il a fait à tes saints à Jérusalem.

Actes 9, 14 Et il est ici avec pleins pouvoirs des grands prêtres pour enchaîner tous ceux qui invoquent ton nom."

Actes 9, 15 Mais le Seigneur lui dit: "Va, car cet homme m'est un instrument de choix pour porter mon nom devant les nations païennes, les rois et les Israélites.

Actes 9, 16 Moi-même, en effet, je lui montrerai tout ce qu'il lui faudra souffrir pour mon nom."

Actes 9, 17 Alors Ananie partit, entra dans la maison, imposa les mains à Saul et lui dit: "Saoul, mon frère, celui qui m'envoie, c'est le Seigneur, ce Jésus qui t'est apparu sur le chemin par où tu venais; et c'est afin que tu recouvres la vue et sois rempli de l'Esprit Saint."

Actes 9, 18 Aussitôt il lui tomba des yeux comme des écailles, et il recouvra la vue. sur-le-champ il fut baptisé;

Actes 9, 19 puis il prit de la nourriture, et les forces lui revinrent. Il passa quelques jours avec les disciples à Damas,

Actes 9, 20 et aussitôt il se mit à prêcher Jésus dans les synagogues, proclamant qu'il est le Fils de Dieu.

Actes 9, 21 Tous ceux qui l'entendaient étaient stupéfaits et disaient: "N'est-ce pas là celui qui, à Jérusalem, s'acharnait sur ceux qui invoquent ce nom, et n'est-il pas venu ici tout exprès pour les amener enchaînés aux grands prêtres?"

Actes 9, 22 Mais Saul gagnait toujours en force et confondait les Juifs de Damas en démontrant que Jésus est bien le Christ.

Actes 9, 23 Au bout d'un certain temps, les Juifs se concertèrent pour le faire périr.

Actes 9, 24 Mais Saul eut vent de leur complot. On gardait même les portes de la ville jour et nuit, afin de le faire périr.

Actes 9, 25 Alors les disciples le prirent de nuit et le descendirent dans une corbeille le long de la muraille.

Actes 9, 26 Arrivé à Jérusalem, il essayait de se joindre aux disciples, mais tous en avaient peur, ne croyant pas qu'il fût vraiment disciple.

Actes 9, 27 Alors Barnabé le prit avec lui, l'amena aux apôtres et leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur, qui lui avait parlé, et avec quelle assurance il avait prêché à Damas au nom de Jésus.

Actes 9, 28 Dès lors il allait et venait avec eux dans Jérusalem, prêchant avec assurance au nom du Seigneur.

Actes 9, 29 Il s'adressait aussi aux Hellénistes et discutait avec eux; mais ceux-ci machinaient sa perte.

Actes 9, 30 L'ayant su, les frères le ramenèrent à Césarée, d'où ils le firent partir pour Tarse.

Actes 9, 31 Cependant les Eglises jouissaient de la paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie; elles s'édifiaient et vivaient dans la crainte du Seigneur, et elles étaient comblées de la consolation du Saint Esprit.

Actes 9, 32 Pierre, qui passait partout, descendit également chez les saints qui habitaient Lydda.

Actes 9, 33 Il y trouva un homme du nom d'Enée, qui gisait sur un grabat depuis huit ans; c'était un paralytique.

Actes 9, 34 Pierre lui dit: "Enée, Jésus Christ te guérit. Lève-toi et fais toi-même ton lit." Et il se leva aussitôt.

Actes 9, 35 Tous les habitants de Lydda et de la plaine de Saron le virent, et ils se convertirent au Seigneur.

Actes 9, 36 Il y avait à Joppé parmi les disciples une femme du nom de Tabitha, en grec Dorcas. Elle était riche des bonnes oeuvres et des aumônes qu'elle faisait.

Actes 9, 37 Or il se fit qu'elle tomba malade en ces jours-là et mourut. Après l'avoir lavée, on la déposa dans la chambre haute.

Actes 9, 38 Comme Lydda n'est pas loin de Joppé, les disciples, apprenant que Pierre s'y trouvait, lui dépêchèrent deux hommes pour lui adresser cette prière: "Viens chez nous sans tarder."

Actes 9, 39 Pierre partit tout de suite avec eux. Aussitôt arrivé, on le fit monter à la chambre haute, où toutes les veuves en pleurs s'empressèrent autour de lui, lui montrant les tuniques et les manteaux que faisait Dorcas lorsqu'elle était avec elles.

Actes 9, 40 Pierre mit tout le monde dehors, puis, à genoux, pria. Se tournant ensuite vers le corps, il dit: "Tabitha, lève-toi." Elle ouvrit les yeux et, voyant Pierre, se mit sur son séant.

Actes 9, 41 Lui prenant la main, Pierre la fit lever. Appelant alors les saints et les veuves, il la leur présenta vivante.

Actes 9, 42 Tout Joppé sut la chose, et beaucoup crurent au Seigneur.

Actes 9, 43 Pierre demeura un certain temps à Joppé chez un corroyeur appelé Simon.

Actes 10, 1 Il y avait à Césarée un homme du nom de Corneille, centurion de la cohorte Italique.

Actes 10, 2 Pieux et craignant Dieu, ainsi que toute sa maison, il faisait de larges aumônes au peuple juif et priait Dieu sans cesse.

Actes 10, 3 Il eut une vision. Vers la neuvième heure du jour, l'Ange de Dieu - il le voyait clairement - entrait chez lui et l'appelait: "Corneille!"

Actes 10, 4 Il le regarda et fut pris de frayeur. "Qu'y a-t-il, Seigneur?" Demanda-t-il. - "Tes prières et tes aumônes, lui répondit l'ange, sont montées devant Dieu, et il s'est souvenu de toi.

Actes 10, 5 Maintenant donc, envoie des hommes à Joppé et fais venir Simon, surnommé Pierre.

Actes 10, 6 Il loge chez un certain Simon, un corroyeur, dont la maison se trouve au bord de la mer."

Actes 10, 7 Quand l'ange qui lui parlait fut parti, Corneille appela deux de ses domestiques ainsi qu'un soldat pieux, de ceux qui lui étaient attachés,

Actes 10, 8 et après leur avoir tout expliqué, il les envoya à Joppé.

Actes 10, 9 Le lendemain, tandis qu'ils faisaient route et approchaient de la ville, Pierre monta sur la terrasse, vers la sixième heure, pour prier.

Actes 10, 10 Il sentit la faim et voulut prendre quelque chose. Or, pendant qu'on lui préparait à manger, il tomba en extase.

Actes 10, 11 Il voit le ciel ouvert et un objet, semblable à une grande nappe nouée aux quatre coins, en descendre vers la terre.

Actes 10, 12 Et dedans il y avait tous les quadrupèdes et les reptiles, et tous les oiseaux du ciel.

Actes 10, 13 Une voix lui dit alors: "Allons, Pierre, immole et mange."

Actes 10, 14 Mais Pierre répondit: "Oh non! Seigneur, car je n'ai jamais rien mangé de souillé ni d'impur!"

Actes 10, 15 De nouveau, une seconde fois, la voix lui parle: "Ce que Dieu a purifié, toi, ne le dis pas souillé."

Actes 10, 16 Cela se répéta par trois fois, et aussitôt l'objet fut remporté au ciel.

Actes 10, 17 Tout perplexe, Pierre était à se demander en lui-même ce que pouvait bien signifier la vision qu'il venait d'avoir, quand justement les hommes envoyés par Corneille, s'étant enquis de la maison de Simon, se présentèrent au portail.

Actes 10, 18 Ils appelèrent et s'informèrent si c'était bien là que logeait Simon surnommé Pierre.

Actes 10, 19 Comme Pierre était toujours à réfléchir sur sa vision, l'Esprit lui dit: "Voilà des hommes qui te cherchent.

Actes 10, 20 Va donc, descends et pars avec eux sans hésiter, car c'est moi qui les ai envoyés."

Actes 10, 21 Pierre descendit auprès de ces hommes et leur dit: "Me voici. Je suis celui que vous cherchez. Quel est le motif qui vous amène?"

Actes 10, 22 Ils répondirent: "Le centurion Corneille, homme juste et craignant Dieu, à qui toute la nation juive rend bon témoignage, a reçu d'un ange saint l'avis de te faire venir chez lui et d'entendre les paroles que tu as à dire."

Actes 10, 23 Pierre les fit alors entrer et leur donna l'hospitalité. Le lendemain, il se mit en route et partit avec eux; quelques-uns des frères de Joppé l'accompagnèrent.

Actes 10, 24 Il entra dans Césarée le jour suivant. Corneille les attendait et avait réuni ses parents et ses amis intimes.

Actes 10, 25 Au moment où Pierre entrait, Corneille vint à sa rencontre et, tombant à ses pieds, se prosterna.

Actes 10, 26 Mais Pierre le releva en disant: "Relève-toi. Je ne suis qu'un homme, moi aussi."

Actes 10, 27 Et tout en s'entretenant avec lui, il entra. Il trouve alors les gens qui s'étaient réunis en grand nombre,

Actes 10, 28 et il leur dit: "Vous le savez, il est absolument interdit à un Juif de frayer avec un étranger ou d'entrer chez lui. Mais Dieu vient de me montrer, à moi, qu'il ne faut appeler aucun homme souillé ou impur.

Actes 10, 29 Aussi n'ai-je fait aucune difficulté pour me rendre à votre appel. Je vous le demande donc, pour quelle raison m'avez-vous fait venir?"

Actes 10, 30 Corneille répondit: "Il y a maintenant trois jours, j'étais en prière chez moi à la neuvième heure et voici qu'un homme surgit devant moi, en vêtements resplendissants.

Actes 10, 31 Il me dit: Corneille, ta prière a été exaucée, et de tes aumônes on s'est souvenu auprès de Dieu.

Actes 10, 32 Envoie donc quérir à Joppé Simon, surnommé Pierre. Il loge dans la maison du corroyeur Simon, au bord de la mer.

Actes 10, 33 Aussitôt je t'ai donc fait chercher, et toi, tu as bien fait de venir. Nous voici donc tous devant toi pour entendre ce qui t'a été prescrit par Dieu."

Actes 10, 34 Alors Pierre prit la parole et dit: "Je constate en vérité que Dieu ne fait pas acception des personnes,

Actes 10, 35 mais qu'en toute nation celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable.

Actes 10, 36 "Il a envoyé sa parole aux Israélites, leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ: c'est lui le Seigneur de tous.

Actes 10, 37 Vous savez ce qui s'est passé dans toute la Judée: Jésus de Nazareth, ses débuts en Galilée, après le baptême proclamé par Jean;

Actes 10, 38 comment Dieu l'a oint de l'Esprit Saint et de puissance, lui qui a passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient tombés au pouvoir du diable; car Dieu était avec lui.

Actes 10, 39 Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu'il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Lui qu'ils sont allés jusqu'à faire mourir en le suspendant au gibet,

Actes 10, 40 Dieu l'a ressuscité le troisième jour et lui a donné de se manifester,

Actes 10, 41 non à tout le peuple, mais aux témoins que Dieu avait choisis d'avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d'entre les morts;

Actes 10, 42 et il nous a enjoint de proclamer au Peuple et d'attester qu'il est, lui, le juge établi par Dieu pour les vivants et les morts.

Actes 10, 43 C'est de lui que tous les prophètes rendent ce témoignage que quiconque croit en lui recevra, par son nom, la rémission de ses péchés."

Actes 10, 44 Pierre parlait encore quand l'Esprit Saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la parole.

Actes 10, 45 Et tous les croyants circoncis qui étaient venus avec Pierre furent stupéfaits de voir que le don du Saint Esprit avait été répandu aussi sur les païens.

Actes 10, 46 Ils les entendaient en effet parler en langues et magnifier Dieu. Alors Pierre déclara:

Actes 10, 47 "Peut-on refuser l'eau du baptême à ceux qui ont reçu l'Esprit Saint aussi bien que nous?"

Actes 10, 48 Et il ordonna de les baptiser au nom de Jésus Christ. Alors ils le prièrent de rester quelques jours avec eux.

Actes 11, 1 Cependant les apôtres et les frères de Judée apprirent que les païens, eux aussi, avaient accueilli la parole de Dieu.

Actes 11, 2 Quand donc Pierre monta à Jérusalem, les circoncis le prirent à partie:

Actes 11, 3 "Pourquoi, lui demandèrent-ils, es-tu entré chez des incirconcis et as-tu mangé avec eux?"

Actes 11, 4 Pierre alors se mit à leur exposer toute l'affaire point par point:

Actes 11, 5 "J'étais, dit-il, en prière dans la ville de Joppé quand, en extase, j'eus une vision: du ciel un objet descendait, semblable à une grande nappe qui s'abaissait, tenue aux quatre coins, et elle vint jusqu'à moi.

Actes 11, 6 Je regardais, ne la quittant pas des yeux, et j'y vis les quadrupèdes de la terre, les bêtes sauvages, les reptiles ainsi que les oiseaux du ciel.

Actes 11, 7 J'entendis alors une voix me dire: Allons, Pierre, immole et mange''

Actes 11, 8 Je répondis: Oh non! Seigneur, car rien de souillé ni d'impur n'entra jamais dans ma bouche''

Actes 11, 9 Une seconde fois, la voix reprit du ciel: Ce que Dieu a purifié, toi, ne le dis pas souillé''

Actes 11, 10 Cela se répéta par trois fois, puis tout fut de nouveau retiré dans le ciel.

Actes 11, 11 "Juste au même moment, trois hommes se présentèrent devant la maison où nous étions; ils m'étaient envoyés de Césarée.

Actes 11, 12 L'Esprit me dit de les accompagner sans scrupule. Les six frères que voici vinrent également avec moi et nous entrâmes chez l'homme en question.

Actes 11, 13 Il nous raconta comment il avait vu un ange se présenter chez lui et lui dire: Envoie quérir à Joppé Simon, surnommé Pierre.

Actes 11, 14 Il te dira des paroles qui t'apporteront le salut, à toi et à toute ta famille''

Actes 11, 15 "Or, à peine avais-je commencé à parler que l'Esprit Saint tomba sur eux, tout comme sur nous au début.

Actes 11, 16 Je me suis alors rappelé cette parole du Seigneur: Jean, disait-il, a baptisé avec de l'eau, mais vous, vous serez baptisés dans l'Esprit Saint.

Actes 11, 17 Si donc Dieu leur a accordé le même don qu'à nous, pour avoir cru au Seigneur Jésus Christ, qui étais-je, moi, pour faire obstacle à Dieu."

Actes 11, 18 Ces paroles les apaisèrent, et ils glorifièrent Dieu en disant: "Ainsi donc aux païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie!"

Actes 11, 19 Ceux-là donc qui avaient été dispersés lors de la tribulation survenue à l'occasion d'Etienne poussèrent jusqu'en Phénicie, à Chypre et à Antioche, mais sans prêcher la parole à d'autres qu'aux Juifs.

Actes 11, 20 Il y avait toutefois parmi eux quelques Chypriotes et Cyrénéens qui, venus à Antioche, s'adressaient aussi aux Grecs, leur annonçant la Bonne Nouvelle du Seigneur Jésus.

Actes 11, 21 La main du Seigneur les secondait, et grand fut le nombre de ceux qui embrassèrent la foi et se convertirent au Seigneur.

Actes 11, 22 La nouvelle en vint aux oreilles de l'Eglise de Jérusalem, et l'on députa Barnabé à Antioche.

Actes 11, 23 Lorsqu'il arriva et qu'il vit la grâce accordée par Dieu, il s'en réjouit et les encouragea tous à demeurer, d'un coeur ferme, fidèles au Seigneur;

Actes 11, 24 car c'était un homme de bien, rempli de l'Esprit Saint et de foi. Une foule considérable s'adjoignit ainsi au Seigneur.

Actes 11, 25 Barnabé partit alors chercher Saul à Tarse.

Actes 11, 26 L'ayant trouvé, il l'amena à Antioche. Toute une année durant ils vécurent ensemble dans l'Eglise et y instruisirent une foule considérable. C'est à Antioche que, pour la première fois, les disciples reçurent le nom de "chrétiens."

Actes 11, 27 En ces jours-là, des prophètes descendirent de Jérusalem à Antioche.

Actes 11, 28 L'un d'eux nommé Agabus, se leva et, sous l'action de l'Esprit, se mit à annoncer qu'il y aurait une grande famine dans tout l'univers. C'est celle qui se produisit sous Claude.

Actes 11, 29 Les disciples décidèrent alors d'envoyer, chacun selon ses moyens, des secours aux frères de Judée;

Actes 11, 30 ce qu'ils firent, en les envoyant aux anciens par l'entremise de Barnabé et de Saul.

Actes 12, 1 Vers ce temps-là, le roi Hérode mit la main sur quelques membres de l'Eglise pour les maltraiter.

Actes 12, 2 Il fit périr par le glaive Jacques, frère de Jean.

Actes 12, 3 Voyant que c'était agréable aux Juifs, il fit encore arrêter Pierre. C'étaient les jours des Azymes.

Actes 12, 4 Il le fit saisir et jeter en prison, le donnant à garder à quatre escouades de quatre soldats; il voulait le faire comparaître devant le peuple après la Pâque.

Actes 12, 5 Tandis que Pierre était ainsi gardé en prison, la prière de l'Eglise s'élevait pour lui vers Dieu sans relâche.

Actes 12, 6 Or, la nuit même avant le jour où Hérode devait le faire comparaître, Pierre était endormi entre deux soldats; deux chaînes le liaient et, devant la porte, des sentinelles gardaient la prison.

Actes 12, 7 Soudain, l'Ange du Seigneur survint, et le cachot fut inondé de lumière. L'ange frappa Pierre au côté et le fit lever: "Debout! Vite!" dit-il. Et les chaînes lui tombèrent des mains.

Actes 12, 8 L'ange lui dit alors: "Mets ta ceinture et chausse tes sandales"; ce qu'il fit. Il lui dit encore: "Jette ton manteau sur tes épaules et suis-moi."

Actes 12, 9 Pierre sortit, et il le suivait; il ne se rendait pas compte que ce fût vrai, ce qui se faisait par l'ange, mais il se figurait avoir une vision.

Actes 12, 10 Ils franchirent ainsi un premier poste de garde, puis un second, et parvinrent à la porte de fer qui donne sur la ville. D'elle-même, elle s'ouvrit devant eux. Ils sortirent, allèrent jusqu'au bout d'une rue, puis brusquement l'ange le quitta.

Actes 12, 11 Alors Pierre, revenant à lui, dit: "Maintenant je sais réellement que le Seigneur a envoyé son Ange et m'a arraché aux mains d'Hérode et à tout ce qu'attendait le peuple des Juifs."

Actes 12, 12 Et s'étant reconnu, il se rendit à la maison de Marie, mère de Jean, surnommé Marc, où une assemblée assez nombreuse s'était réunie et priait.

Actes 12, 13 Il heurta le battant du portail, et une servante, nommée Rhodé, vint aux écoutes.

Actes 12, 14 Elle reconnut la voix de Pierre et, dans sa joie, au lieu d'ouvrir la porte, elle courut à l'intérieur annoncer que Pierre était là, devant le portail.

Actes 12, 15 On lui dit: "Tu es folle!" mais elle soutenait qu'il en était bien ainsi. "C'est son ange!" dirent-ils alors.

Actes 12, 16 Pierre cependant continuait à frapper. Quand ils eurent ouvert, ils virent que c'était bien lui et furent saisis de stupeur.

Actes 12, 17 Mais il leur fit de la main signe de se taire et leur raconta comment le Seigneur l'avait tiré de la prison. Il ajouta: "Annoncez-le à Jacques et aux frères." Puis il sortit et s'en alla dans un autre endroit.

Actes 12, 18 Au lever du jour, ce fut grand émoi chez les soldats: qu'était donc devenu Pierre?

Actes 12, 19 Hérode l'ayant envoyé chercher sans qu'on le trouvât, ordonna, après interrogatoire des gardes, de les exécuter. Puis de Judée il descendit à Césarée, où il demeura.

Actes 12, 20 Hérode était en conflit aigu avec les gens de Tyr et de Sidon. D'un commun accord ceux-ci se présentèrent devant lui et, après avoir gagné Blastus, le chambellan du roi, ils sollicitaient la paix. Leur pays, en effet, tirait sa subsistance de celui du roi.

Actes 12, 21 Au jour fixé, Hérode, vêtu de ses habits royaux, prit place sur la tribune et, tandis qu'il les haranguait,

Actes 12, 22 le peuple se mit à crier: "C'est un dieu qui parle, ce n'est pas un homme!"

Actes 12, 23 Mais à l'instant même, l'Ange du Seigneur le frappa, parce qu'il n'avait pas rendu gloire à Dieu; et rongé de vers, il rendit l'âme.

Actes 12, 24 Cependant la parole de Dieu croissait et se multipliait.

Actes 12, 25 Quant à Barnabé et Saul, après avoir accompli leur ministère à Jérusalem, ils revinrent, ramenant avec eux Jean, surnommé Marc.

Actes 13, 1 Il y avait dans l'Eglise établie à Antioche des prophètes et des docteurs: Barnabé, Syméon appelé Niger, Lucius de Cyrène, Manaën, ami d'enfance d'Hérode le tétrarque, et Saul.

Actes 13, 2 Or un jour, tandis qu'ils célébraient le culte du Seigneur et jeûnaient, l'Esprit Saint dit: "Mettez-moi donc à part Barnabé et Saul en vue de l'oeuvre à laquelle je les ai appelés."

Actes 13, 3 Alors, après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les laissèrent à leur mission.

Actes 13, 4 Eux donc, envoyés en mission par le Saint Esprit, descendirent à Séleucie, d'où ils firent voile pour Chypre.

Actes 13, 5 Arrivés à Salamine, ils se mirent à annoncer la parole de Dieu dans les synagogues des Juifs. Ils avaient avec eux Jean comme auxiliaire.

Actes 13, 6 Ayant traversé toute l'île jusqu'à Paphos, ils trouvèrent là un magicien, faux prophète juif, nommé Bar-Jésus,

Actes 13, 7 qui était de l'entourage du proconsul Sergius Paulus, homme avisé. Ce dernier fit appeler Barnabé et Saul, désireux d'entendre la parole de Dieu.

Actes 13, 8 Mais Elymas le magicien - ainsi se traduit son nom - leur faisait opposition, cherchant à détourner le proconsul de la foi.

Actes 13, 9 Alors Saul - appelé aussi Paul --, rempli de l'Esprit Saint, le fixa du regard

Actes 13, 10 et lui dit: "Etre rempli de toutes les astuces et de toutes les scélératesses, fils du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu donc pas de rendre tortueuses les voies du Seigneur qui sont droites?

Actes 13, 11 Voici à présent que la main du Seigneur est sur toi. Tu vas devenir aveugle, et pour un temps tu ne verras plus le soleil." A l'instant même, obscurité et ténèbres s'abattirent sur lui, et il tournait de tous côtés, cherchant quelqu'un pour le conduire.

Actes 13, 12 Alors, voyant ce qui s'était passé, le proconsul embrassa la foi, vivement frappé par la doctrine du Seigneur.

Actes 13, 13 De Paphos, où ils s'embarquèrent, Paul et ses compagnons gagnèrent Pergé, en Pamphylie. Mais Jean les quitta pour retourner à Jérusalem.

Actes 13, 14 Quant à eux, poussant au-delà de Pergé, ils arrivèrent à Antioche de Pisidie. Le jour du sabbat, ils entrèrent à la synagogue et s'assirent.

Actes 13, 15 Après la lecture de la Loi et des Prophètes, les chefs de la synagogue leur envoyèrent dire: "Frères, si vous avez quelque parole d'encouragement à dire au peuple, parlez."

Actes 13, 16 Paul alors se leva, fit signe de la main et dit: "Hommes d'Israël, et vous qui craignez Dieu, écoutez.

Actes 13, 17 Le Dieu de ce peuple, le Dieu d'Israël élut nos pères et fit grandir ce peuple durant son exil en terre d'Egypte. Puis, en déployant la force de son bras, il les en fit sortir

Actes 13, 18 et, durant 40 ans environ, il les entoura de soins au désert.

Actes 13, 19 Ensuite, après avoir exterminé sept nations dans la terre de Canaan, il les mit en possession de leur pays:

Actes 13, 20 450 ans environ. Après quoi, il leur donna des juges, jusqu'au prophète Samuel.

Actes 13, 21 Par la suite, ils demandèrent un roi, et Dieu leur donna Saül, fils de Cis, de la tribu de Benjamin: 40 ans.

Actes 13, 22 Après l'avoir écarté, Dieu suscita pour eux David comme roi. C'est à lui qu'il a rendu ce témoignage: J'ai trouvé David, fils de Jessé, un homme selon mon coeur, qui accomplira toutes mes volontés.

Actes 13, 23 C'est de sa descendance que, suivant sa promesse, Dieu a suscité pour Israël Jésus comme Sauveur.

Actes 13, 24 Jean, le précurseur, avait préparé son arrivée en proclamant à l'adresse de tout le peuple d'Israël un baptême de repentance.

Actes 13, 25 Au moment de terminer sa course, Jean disait: Celui que vous croyez que je suis, je ne le suis pas; mais voici venir après moi celui dont je ne suis pas digne de délier la sandale.

Actes 13, 26 "Frères, vous les enfants de la race d'Abraham et vous ici présents qui craignez Dieu, c'est à vous que ce message de salut a été envoyé.

Actes 13, 27 En effet, les habitants de Jérusalem et leurs chefs ont accompli sans le savoir les paroles des prophètes qu'on lit chaque sabbat.

Actes 13, 28 Sans trouver en lui aucun motif de mort, ils l'ont condamné et ont demandé à Pilate de le faire périr.

Actes 13, 29 Et lorsqu'ils eurent accompli tout ce qui était écrit de lui, ils le descendirent du gibet et le mirent au tombeau.

Actes 13, 30 Mais Dieu l'a ressuscité;

Actes 13, 31 pendant de nombreux jours, il est apparu à ceux qui étaient montés avec lui de Galilée à Jérusalem, ceux-là mêmes qui sont maintenant ses témoins auprès du peuple.

Actes 13, 32 "Et nous, nous vous annonçons la Bonne Nouvelle: la promesse faite à nos pères,

Actes 13, 33 Dieu l'a accomplie en notre faveur à nous, leurs enfants: il a ressuscité Jésus. Ainsi est-il écrit dans les

Actes Psaumes: Tu es mon fils, moi-même aujourd'hui je t'ai engendré.

Actes 13, 34 Que Dieu l'ait ressuscité des morts et qu'il ne doive plus retourner à la corruption, c'est bien ce qu'il avait déclaré: Je vous donnerai les choses saintes de David, celles qui sont dignes de foi.

Actes 13, 35 C'est pourquoi il dit ailleurs encore: Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption.

Actes 13, 36 Or David, après avoir en son temps servi les desseins de Dieu, est mort, a été réuni à ses pères et a vu la corruption.

Actes 13, 37 Celui que Dieu a ressuscité, lui, n'a pas vu la corruption.

Actes 13, 38 "Sachez-le donc, frères, c'est par lui que la rémission des péchés vous est annoncée. L'entière justification que vous n'avez pu obtenir par la Loi de Moïse,

Actes 13, 39 c'est par lui que quiconque croit l'obtient.

Actes 13, 40 "Prenez donc garde que n'arrive ce qui est dit dans les Prophètes:

Actes 13, 41 Regardez, contempteurs, soyez dans la stupeur et disparaissez! Parce que de vos jours je vais accomplir une oeuvre que vous ne croiriez pas si on vous la racontait."

Actes 13, 42 Et, à leur sortie, on les invitait à parler encore du même sujet le sabbat suivant.

Actes 13, 43 Après que l'assemblée se fut séparée, nombre de Juifs et de prosélytes qui adoraient Dieu suivirent Paul et Barnabé, et ceux-ci, dans leurs entretiens, les engageaient à rester fidèles à la grâce de Dieu.

Actes 13, 44 Le sabbat suivant, presque toute la ville s'assembla pour entendre la parole de Dieu.

Actes 13, 45 A la vue de cette foule, les Juifs furent remplis de jalousie, et ils répliquaient par des blasphèmes aux paroles de Paul.

Actes 13, 46 S'enhardissant alors, Paul et Barnabé déclarèrent: "C'était à vous d'abord qu'il fallait annoncer la parole de Dieu. Puisque vous la repoussez et ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien! nous nous tournons vers les païens.

Actes 13, 47 Car ainsi nous l'a ordonné le Seigneur: Je t'ai établi lumière des nations, pour que tu portes le salut jusqu'aux extrémités de la terre."

Actes 13, 48 Tout joyeux à ces mots, les païens se mirent à glorifier la parole du Seigneur, et tous ceux-là embrassèrent la foi, qui étaient destinés à la vie éternelle.

Actes 13, 49 Ainsi la parole du Seigneur se répandait dans toute la région.

Actes 13, 50 Mais les Juifs montèrent la tête aux dames de condition qui adoraient Dieu ainsi qu'aux notables de la ville; ils suscitèrent de la sorte une persécution contre Paul et Barnabé et les chassèrent de leur territoire.

Actes 13, 51 Ceux-ci, secouant contre eux la poussière de leurs pieds, se rendirent à Iconium.

Actes 13, 52 Quant aux disciples, ils étaient remplis de joie et de l'Esprit Saint.

Actes 14, 1 A Iconium, ils entrèrent de même dans la synagogue des Juifs et parlèrent de telle façon qu'une grande foule de Juifs et de Grecs embrassèrent la foi.

Actes 14, 2 Mais les Juifs restés incrédules excitèrent les païens et les indisposèrent contre les frères.

Actes 14, 3 Paul et Barnabé prolongèrent donc leur séjour assez longtemps, pleins d'assurance dans le Seigneur, qui rendait témoignage à la prédication de sa grâce en opérant signes et prodiges par leurs mains.

Actes 14, 4 La population de la ville se partagea. Les uns étaient pour les Juifs, les autres pour les apôtres.

Actes 14, 5 Chez les païens et les Juifs, leurs chefs en tête, on se préparait à les maltraiter et à les lapider.

Actes 14, 6 Mais s'en étant rendu compte, ils allèrent chercher refuge dans les villes de la Lycaonie, Lystres, Derbé et leurs environs,

Actes 14, 7 où ils se mirent à annoncer la Bonne Nouvelle.

Actes 14, 8 Il y avait là, assis, un homme perclus des pieds; impotent de naissance, il n'avait jamais marché.

Actes 14, 9 Il écouta Paul discourir. Celui-ci, arrêtant sur lui son regard et voyant qu'il avait la foi pour être guéri,

Actes 14, 10 dit d'une voix forte: "Lève-toi, tiens-toi droit sur tes pieds!" Il se dressa d'un bond: il marchait.

Actes 14, 11 A la vue de ce que Paul venait de faire, la foule s'écria, en lycaonien: "Les dieux, sous forme humaine, sont descendus parmi nous!"

Actes 14, 12 Ils appelaient Barnabé Zeus et Paul Hermès, puisque c'était lui qui portait la parole.

Actes 14, 13 Les prêtres du Zeus-de-devant-la-ville amenèrent au portail des taureaux ornés de guirlandes, et ils se disposaient, de concert avec la foule, à offrir un sacrifice.

Actes 14, 14 Informés de la chose, les apôtres Barnabé et Paul déchirèrent leurs vêtements et se précipitèrent vers la foule en criant:

Actes 14, 15 "Amis, que faites-vous là? Nous aussi, nous sommes des hommes, soumis au même sort que vous, des hommes qui vous annoncent d'abandonner toutes ces vaines idoles pour vous tourner vers le Dieu vivant qui a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve.

Actes 14, 16 Dans les générations passées, il a laissé toutes les nations suivre leurs voies;

Actes 14, 17 il n'a pas manqué pour autant de se rendre témoignage par ses bienfaits, vous dispensant du ciel pluies et saisons fertiles, rassasiant vos coeurs de nourriture et de félicité..."

Actes 14, 18 C'est à peine s'ils réussirent par ces paroles à empêcher la foule de leur offrir un sacrifice.

Actes 14, 19 Survinrent alors d'Antioche et d'Iconium des Juifs qui gagnèrent les foules. On lapida Paul et on le traîna hors de la ville, le croyant mort.

Actes 14, 20 Mais, comme les disciples faisaient cercle autour de lui, il se releva et rentra dans la ville. Et le lendemain, avec Barnabé, il partit pour Derbé.

Actes 14, 21 Après avoir évangélisé cette ville et y avoir fait bon nombre de disciples, ils retournèrent à Lystres, Iconium et Antioche.

Actes 14, 22 Ils affermissaient le coeur des disciples, les encourageant à persévérer dans la foi, "car, disaient-ils, il nous faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le Royaume de Dieu."

Actes 14, 23 Ils leur désignèrent des anciens dans chaque Eglise, et, après avoir fait des prières accompagnées de jeûne, ils les confièrent au Seigneur en qui ils avaient mis leur foi.

Actes 14, 24 Traversant alors la Pisidie, ils gagnèrent la Pamphylie.

Actes 14, 25 Puis, après avoir annoncé la parole à Pergé, ils descendirent à Attalie;

Actes 14, 26 de là ils firent voile vers Antioche, d'où ils étaient partis, recommandés à la grâce de Dieu pour l'oeuvre qu'ils venaient d'accomplir.

Actes 14, 27 A leur arrivée, ils réunirent l'Eglise et se mirent à rapporter tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux païens la porte de la foi.

Actes 14, 28 Ils demeurèrent ensuite assez longtemps avec les disciples.

Actes 15, 1 Cependant certaines gens descendus de Judée enseignaient aux frères: "Si vous ne vous faites pas circoncire suivant l'usage qui vient de Moïse, vous ne pouvez être sauvés."

Actes 15, 2 Après bien de l'agitation et une discussion assez vive engagée avec eux par Paul et Barnabé, il fut décidé que Paul, Barnabé et quelques autres des leurs monteraient à Jérusalem auprès des apôtres et des anciens pour traiter de ce litige.

Actes 15, 3 Eux donc, après avoir été escortés par l'Eglise, traversèrent la Phénicie et la Samarie, racontant la conversion des païens, et ils causaient une grande joie à tous les frères.

Actes 15, 4 Arrivés à Jérusalem, ils furent accueillis par l'Eglise, les apôtres et les anciens, et ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux.

Actes 15, 5 Mais certaines gens du parti des Pharisiens qui étaient devenus croyants intervinrent pour déclarer qu'il fallait circoncire les païens et leur enjoindre d'observer la Loi de Moïse.

Actes 15, 6 Alors les apôtres et les anciens se réunirent pour examiner cette question.

Actes 15, 7 Après une longue discussion, Pierre se leva et dit: "Frères, vous le savez: dès les premiers jours, Dieu m'a choisi parmi vous pour que les païens entendent de ma bouche la parole de la Bonne Nouvelle et embrassent la foi.

Actes 15, 8 Et Dieu, qui connaît les coeurs, a témoigné en leur faveur, en leur donnant l'Esprit Saint tout comme à nous.

Actes 15, 9 Et il n'a fait aucune distinction entre eux et nous, puisqu'il a purifié leur coeur par la foi.

Actes 15, 10 Pourquoi donc maintenant tentez-vous Dieu en voulant imposer aux disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n'avons eu la force de porter?

Actes 15, 11 D'ailleurs, c'est par la grâce du Seigneur Jésus que nous croyons être sauvés, exactement comme eux."

Actes 15, 12 Alors toute l'assemblée fit silence. On écoutait Barnabé et Paul exposer tout ce que Dieu avait accompli par eux de signes et prodiges parmi les païens.

Actes 15, 13 Quand ils eurent cessé de parler, Jacques prit la parole et dit: "Frères, écoutez-moi.

Actes 15, 14 Syméon a exposé comment, dès le début, Dieu a pris soin de tirer d'entre les païens un peuple réservé à son Nom.

Actes 15, 15 Ce qui concorde avec les paroles des Prophètes, puisqu'il est écrit:

Actes 15, 16 Après cela je reviendrai et je relèverai la tente de David qui était tombée; je relèverai ses ruines et je la redresserai,

Actes 15, 17 afin que le reste des hommes cherchent le Seigneur, ainsi que toutes les nations qui ont été consacrées à mon Nom, dit le Seigneur qui fait

Actes 15, 18 connaître ces choses depuis des siècles.

Actes 15, 19 "C'est pourquoi je juge, moi, qu'il ne faut pas tracasser ceux des païens qui se convertissent à Dieu.

Actes 15, 20 Qu'on leur mande seulement de s'abstenir de ce qui a été souillé par les idoles, des unions illégitimes, des chairs étouffées et du sang.

Actes 15, 21 Car depuis les temps anciens Moïse a dans chaque ville ses prédicateurs, qui le lisent dans les synagogues tous les jours de sabbat."

Actes 15, 22 Alors les apôtres et les anciens, d'accord avec l'Eglise tout entière, décidèrent de choisir quelques-uns d'entre eux et de les envoyer à Antioche avec Paul et Barnabé. Ce furent Jude, surnommé Barsabbas, et Silas, hommes considérés parmi les frères.

Actes 15, 23 Ils leur remirent la lettre suivante: "Les apôtres et les anciens, vos frères, aux frères de la gentilité qui sont à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut!

Actes 15, 24 Ayant appris que, sans mandat de notre part, certaines gens venus de chez nous ont, par leurs propos, jeté le trouble parmi vous et bouleversé vos esprits,

Actes 15, 25 nous avons décidé d'un commun accord de choisir des délégués et de vous les envoyer avec nos bien-aimés Barnabé et Paul,

Actes 15, 26 ces hommes qui ont voué leur vie au nom de notre Seigneur Jésus Christ.

Actes 15, 27 Nous vous avons donc envoyé Jude et Silas, qui vous transmettront de vive voix le même message.

Actes 15, 28 L'Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas vous imposer d'autres charges que celles-ci, qui sont indispensables:

Actes 15, 29 vous abstenir des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées et des unions illégitimes. Vous ferez bien de vous en garder. Adieu."

Actes 15, 30 Prenant congé donc, les délégués descendirent à Antioche, où ils réunirent l'assemblée et remirent la lettre.

Actes 15, 31 Lecture en fut faite, et l'on se réjouit de l'encouragement qu'elle apportait.

Actes 15, 32 Jude et Silas, qui étaient eux-mêmes prophètes, exhortèrent les frères et les affermirent par un long discours.

Actes 15, 33 Au bout de quelque temps, les frères les renvoyèrent avec des souhaits de paix vers ceux qui les avaient députés.

Actes 15, 35 Paul et Barnabé toutefois demeurèrent à Antioche où, avec beaucoup d'autres, ils enseignaient et annonçaient la Bonne Nouvelle, la parole du Seigneur.

Actes 15, 36 Quelque temps après, Paul dit à Barnabé: "Retournons donc visiter les frères dans toutes les villes où nous avons annoncé la parole du Seigneur, pour voir où ils en sont."

Actes 15, 37 Mais Barnabé voulait emmener aussi Jean, surnommé Marc;

Actes 15, 38 Paul, lui, n'était pas d'avis d'emmener celui qui les avait abandonnés en Pamphylie et n'avait pas été à l'oeuvre avec eux.

Actes 15, 39 On s'échauffa, et l'on finit par se séparer. Barnabé prit Marc avec lui et s'embarqua pour Chypre.

Actes 15, 40 De son côté, Paul fit choix de Silas et partit, après avoir été confié par les frères à la grâce de Dieu.

Actes 15, 41 Il traversa la Syrie et la Cilicie, où il affermit les Eglises.

Actes 16, 1 Il gagna ensuite Derbé, puis Lystres. Il y avait là un disciple nommé Timothée, fils d'une juive devenue croyante, mais d'un père grec.

Actes 16, 2 Les frères de Lystres et d'Iconium lui rendaient un bon témoignage.

Actes 16, 3 Paul décida de l'emmener avec lui. Il le prit donc et le circoncit, à cause des Juifs qui se trouvaient dans ces parages, car tout le monde savait que son père était grec.

Actes 16, 4 Dans les villes où ils passaient, ils transmettaient, en recommandant de les observer, les décrets portés par les apôtres et les anciens de Jérusalem.

Actes 16, 5 Ainsi les Eglises s'affermissaient dans la foi et croissaient en nombre de jour en jour.

Actes 16, 6 Ils parcoururent la Phrygie et le territoire galate, le Saint Esprit les ayant empêchés d'annoncer la parole en Asie.

Actes 16, 7 Parvenus aux confins de la Mysie, ils tentèrent d'entrer en Bithynie, mais l'Esprit de Jésus ne le leur permit pas.

Actes 16, 8 Ils traversèrent donc la Mysie et descendirent à Troas.

Actes 16, 9 Or, pendant la nuit, Paul eut une vision: un Macédonien était là, debout, qui lui adressait cette prière: "Passe en Macédoine, viens à notre secours!"

Actes 16, 10 Aussitôt après cette vision, nous cherchâmes à partir pour la Macédoine, persuadés que Dieu nous appelait à y porter la Bonne Nouvelle.

Actes 16, 11 Embarqués à Troas, nous cinglâmes droit sur Samothrace, et le lendemain sur Néapolis,

Actes 16, 12 d'où nous gagnâmes Philippes, cité de premier rang de ce district de Macédoine et colonie. Nous passâmes quelques jours dans cette ville,

Actes 16, 13 puis, le jour du sabbat, nous nous rendîmes en dehors de la porte, sur les bords de la rivière, où l'on avait l'habitude de faire la prière. Nous étant assis, nous adressâmes la parole aux femmes qui s'étaient réunies.

Actes 16, 14 L'une d'elles, nommée Lydie, nous écoutait; c'était une négociante en pourpre, de la ville de Thyatire; elle adorait Dieu. Le Seigneur lui ouvrit le coeur, de sorte qu'elle s'attacha aux paroles de Paul.

Actes 16, 15 Après avoir été baptisée ainsi que les siens, elle nous fit cette prière: "Si vous me tenez pour une fidèle du Seigneur, venez demeurer dans ma maison." Et elle nous y contraignit.

Actes 16, 16 Un jour que nous nous rendions à la prière, nous rencontrâmes une servante qui avait un esprit divinateur; elle faisait gagner beaucoup d'argent à ses maîtres en rendant des oracles.

Actes 16, 17 Elle se mit à nous suivre, Paul et nous, en criant: "Ces gens-là sont des serviteurs du Dieu Très-Haut; ils vous annoncent la voie du salut."

Actes 16, 18 Elle fit ainsi pendant bien des jours. A la fin Paul, excédé, se retourna et dit à l'esprit: "Je t'ordonne au nom de Jésus Christ de sortir de cette femme." Et l'esprit sortit à l'instant même.

Actes 16, 19 Mais ses maîtres, voyant disparaître leurs espoirs de gain, se saisirent de Paul et de Silas, les traînèrent sur l'agora devant les magistrats

Actes 16, 20 et dirent, en les présentant aux stratèges: "Ces gens-là jettent le trouble dans notre ville. Ce sont des Juifs,

Actes 16, 21 et ils prêchent des usages qu'il ne nous est permis, à nous Romains, ni d'accepter ni de suivre."

Actes 16, 22 La foule s'ameuta contre eux, et les stratèges, après avoir fait arracher leurs vêtements, ordonnèrent de les battre de verges.

Actes 16, 23 Quand ils les eurent bien roués de coups, ils les jetèrent en prison, en recommandant au geôlier de les garder avec soin.

Actes 16, 24 Ayant reçu pareille consigne, celui-ci les jeta dans le cachot intérieur et leur fixa les pieds dans des ceps.

Actes 16, 25 Vers minuit, Paul et Silas, en prière, chantaient les louanges de Dieu; les prisonniers les écoutaient.

Actes 16, 26 Tout à coup, il se produisit un si violent tremblement de terre que les fondements de la prison en furent ébranlés. A l'instant, toutes les portes s'ouvrirent, et les liens de tous les prisonniers se détachèrent.

Actes 16, 27 Tiré de son sommeil et voyant ouvertes les portes de la prison, le geôlier sortit son glaive; il allait se tuer, à l'idée que les prisonniers s'étaient évadés.

Actes 16, 28 Mais Paul cria d'une voix forte: "Ne te fais aucun mal, car nous sommes tous ici."

Actes 16, 29 Le geôlier demanda de la lumière, accourut et, tout tremblant, se jeta aux pieds de Paul et de Silas.

Actes 16, 30 Puis il les fit sortir et dit: "Seigneurs, que me faut-il faire pour être sauvé?"

Actes 16, 31 Ils répondirent: "Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et les tiens."

Actes 16, 32 Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu'à tous ceux qui étaient dans sa maison.

Actes 16, 33 Le geôlier les prit avec lui à l'heure même, en pleine nuit, lava leurs plaies et sur-le-champ reçut le baptême, lui et tous les siens.

Actes 16, 34 Il les fit alors monter dans sa maison, dressa la table, et il se réjouit avec tous les siens d'avoir cru en Dieu.

Actes 16, 35 Lorsqu'il fit jour, les stratèges envoyèrent les licteurs dire au geôlier: "Relâche ces gens-là."

Actes 16, 36 Celui-ci rapporta ces paroles à Paul: "Les stratèges ont envoyé dire de vous relâcher. Sortez donc et allez-vous-en."

Actes 16, 37 Mais Paul dit aux licteurs: "Ils nous ont fait battre en public et sans jugement, nous, des citoyens romains, et ils nous ont jetés en prison. Et maintenant, c'est à la dérobée qu'ils nous font sortir! Eh bien, non! Qu'ils viennent eux-mêmes nous libérer."

Actes 16, 38 Les licteurs rapportèrent ces paroles aux stratèges. Effrayés en apprenant qu'ils étaient citoyens romains,

Actes 16, 39 ceux-ci vinrent les presser de quitter la ville.

Actes 16, 40 Au sortir de la prison, Paul et Silas se rendirent chez Lydie, revirent les frères et les exhortèrent, puis ils partirent.

Actes 17, 1 Après avoir traversé Amphipolis et Apollonie, ils arrivèrent à Thessalonique, où les Juifs avaient une synagogue.

Actes 17, 2 Suivant son habitude, Paul alla les y trouver. Trois sabbats de suite, il discuta avec eux d'après les Ecritures.

Actes 17, 3 Il les leur expliquait, établissant que le Christ devait souffrir et ressusciter des morts, "et le Christ, disait-il, c'est ce Jésus que je vous annonce."

Actes 17, 4 Quelques-uns d'entre eux se laissèrent convaincre et furent gagnés à Paul et à Silas, ainsi qu'une multitude d'adorateurs de Dieu et de Grecs et bon nombre de dames de qualité.

Actes 17, 5 Mais les Juifs, pris de jalousie, ramassèrent sur la place quelques mauvais sujets, provoquèrent des attroupements et répandirent le tumulte dans la ville. Ils se présentèrent alors à la maison de Jason, cherchant Paul et Silas pour les produire devant l'assemblée du peuple.

Actes 17, 6 Ne les ayant pas trouvés, ils traînèrent Jason et quelques frères devant les politarques en criant: "Ces gens qui ont révolutionné le monde entier, les voilà maintenant ici,

Actes 17, 7 et Jason les reçoit chez lui. Tous ces gens-là contreviennent aux édits de César en affirmant qu'il y a un autre roi, Jésus."

Actes 17, 8 Par ces clameurs, ils mirent en émoi la foule et les politarques,

Actes 17, 9 qui exigèrent une caution de la part de Jason et des autres avant de les relâcher.

Actes 17, 10 Les frères firent aussitôt partir de nuit Paul et Silas pour Bérée. Arrivés là, ils se rendirent à la synagogue des Juifs.

Actes 17, 11 Or ceux-ci avaient l'âme plus noble que ceux de Thessalonique. Ils accueillirent la parole avec le plus grand empressement. Chaque jour, ils examinaient les Ecritures pour voir si tout était exact.

Actes 17, 12 Beaucoup d'entre eux embrassèrent ainsi la foi, de même que, parmi les Grecs, des dames de qualité et bon nombre d'hommes.

Actes 17, 13 Mais quand les Juifs de Thessalonique surent que Paul avait annoncé aussi à Bérée la parole de Dieu, ils vinrent là encore semer dans la foule l'agitation et le trouble.

Actes 17, 14 Alors les frères firent tout de suite partir Paul en direction de la mer; quant à Silas et Timothée, ils restèrent là.

Actes 17, 15 Ceux qui escortaient Paul le conduisirent jusqu'à Athènes et s'en retournèrent ensuite avec l'ordre pour Silas et Timothée de le rejoindre au plus vite.

Actes 17, 16 Tandis que Paul les attendait à Athènes, son esprit s'échauffait en lui au spectacle de cette ville remplie d'idoles.

Actes 17, 17 Il s'entretenait donc à la synagogue avec des Juifs et ceux qui adoraient Dieu, et sur l'agora, tous les jours, avec les passants.

Actes 17, 18 Il y avait même des philosophes épicuriens et stoïciens qui l'abordaient. Les uns disaient: "Que peut bien vouloir dire ce perroquet?" D'autres: "On dirait un prêcheur de divinités étrangères", parce qu'il annonçait Jésus et la résurrection.

Actes 17, 19 Ils le prirent alors avec eux et le menèrent devant l'Aréopage en disant: "Pourrions-nous savoir quelle est cette nouvelle doctrine que tu enseignes?

Actes 17, 20 Car ce sont d'étranges propos que tu nous fais entendre. Nous voudrions donc savoir ce que cela veut dire."

Actes 17, 21 Tous les Athéniens en effet et les étrangers qui résidaient parmi eux n'avaient d'autre passe-temps que de dire ou écouter les dernières nouveautés.

Actes 17, 22 Debout au milieu de l'Aréopage, Paul dit alors: "Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes.

Actes 17, 23 Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j'ai trouvé jusqu'à un autel avec l'inscription: au dieu inconnu. Eh bien! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer.

Actes 17, 24 "Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s'y trouve, lui, le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite pas dans des temples faits de main d'homme.

Actes 17, 25 Il n'est pas non plus servi par des mains humaines, comme s'il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses.

Actes 17, 26 Si d'un principe unique il a fait tout le genre humain pour qu'il habite sur toute la face de la terre; s'il a fixé des temps déterminés et les limites de l'habitat des hommes,

Actes 17, 27 c'était afin qu'ils cherchent la divinité pour l'atteindre, si possible, comme à tâtons et la trouver; aussi bien n'est-elle pas loin de chacun de nous.

Actes 17, 28 C'est en elle en effet que nous avons la vie, le mouvement et l'être. Ainsi d'ailleurs l'ont dit certains des vôtres: Car nous sommes aussi de sa race.

Actes 17, 29 "Que si nous sommes de la race de Dieu, nous ne devons pas penser que la divinité soit semblable à de l'or, de l'argent ou de la pierre, travaillés par l'art et le génie de l'homme.

Actes 17, 30 "Or voici que, fermant les yeux sur les temps de l'ignorance, Dieu fait maintenant savoir aux hommes d'avoir tous et partout à se repentir,

Actes 17, 31 parce qu'il a fixé un jour pour juger l'univers avec justice, par un homme qu'il y a destiné, offrant à tous une garantie en le ressuscitant des morts."

Actes 17, 32 A ces mots de résurrection des morts, les uns se moquaient, les autres disaient: "Nous t'entendrons là-dessus une autre fois."

Actes 17, 33 C'est ainsi que Paul se retira du milieu d'eux.

Actes 17, 34 Quelques hommes cependant s'attachèrent à lui et embrassèrent la foi. Denys l'Aréopagite fut du nombre. Il y eut aussi une femme nommée Damaris, et d'autres avec eux.

Actes 18, 1 Après cela, Paul s'éloigna d'Athènes et gagna Corinthe.

Actes 18, 2 Il y trouva un Juif nommé Aquilas, originaire du Pont, qui venait d'arriver d'Italie avec Priscille, sa femme, à la suite d'un édit de Claude qui ordonnait à tous les Juifs de s'éloigner de Rome. Il se lia avec eux,

Actes 18, 3 et, comme ils étaient du même métier, il demeura chez eux et y travailla. Ils étaient de leur état fabricants de tentes.

Actes 18, 4 Chaque sabbat, il discourait à la synagogue et s'efforçait de persuader Juifs et Grecs.

Actes 18, 5 Quand Silas et Timothée furent arrivés de Macédoine, Paul se consacra tout entier à la parole, attestant aux Juifs que Jésus est le Christ.

Actes 18, 6 Mais devant leur opposition et leurs paroles blasphématoires, il secoua ses vêtements et leur dit: "Que votre sang retombe sur votre tête! Pour moi, je suis pur, et désormais c'est aux païens que j'irai."

Actes 18, 7 Alors, se retirant de là, Paul se rendit chez un certain Justus, homme adorant Dieu, dont la maison était contiguë à la synagogue.

Actes 18, 8 Crispus, le chef de synagogue, crut au Seigneur avec tous les siens. Beaucoup de Corinthiens qui entendaient Paul embrassaient également la foi et se faisaient baptiser.

Actes 18, 9 Une nuit, dans une vision, le Seigneur dit à Paul: "Sois sans crainte. Continue de parler, ne te tais pas.

Actes 18, 10 Car je suis avec toi, et personne ne mettra sur toi la main pour te faire du mal, parce que j'ai à moi un peuple nombreux dans cette ville."

Actes 18, 11 Il séjourna là un an et six mois, enseignant aux gens la parole de Dieu.

Actes 18, 12 Alors que Gallion était proconsul d'Achaïe, les Juifs se soulevèrent d'un commun accord contre Paul et l'amenèrent devant le tribunal

Actes 18, 13 en disant: "Cet individu cherche à persuader les gens d'adorer Dieu d'une manière contraire à la Loi."

Actes 18, 14 Paul allait ouvrir la bouche, quand Gallion dit aux Juifs: "S'il était question de quelque délit ou méfait, j'accueillerais, Juifs, votre plainte, comme de raison.

Actes 18, 15 Mais puisqu'il s'agit de contestations sur des mots et des noms et sur votre propre Loi, à vous de voir! Etre juge, moi, en ces matières, je m'y refuse."

Actes 18, 16 Et il les renvoya du tribunal.

Actes 18, 17 Tous alors se saisirent de Sosthène, le chef de synagogue, et, devant le tribunal, se mirent à le battre. Et de tout cela Gallion n'avait cure.

Actes 18, 18 Paul resta encore un certain temps à Corinthe, puis il prit congé des frères et s'embarqua pour la Syrie. Priscille et Aquila l'accompagnaient. Il s'était fait tondre la tête à Cenchrées, à cause d'un voeu qu'il avait fait.

Actes 18, 19 Ils abordèrent à Ephèse, où il se sépara de ses compagnons. Il se rendit à la synagogue et s'y entretint avec les Juifs.

Actes 18, 20 Ceux-ci lui demandèrent de prolonger son séjour. Il n'y consentit pas,

Actes 18, 21 mais, en prenant congé d'eux, il leur dit: "Je reviendrai chez vous une autre fois, s'il plaît à Dieu." Et il partit d'Ephèse.

Actes 18, 22 Débarqué à Césarée, il monta saluer l'Eglise, puis descendit à Antioche;

Actes 18, 23 après y avoir passé quelque temps, il repartit et parcourut successivement le territoire galate et la Phrygie en affermissant tous les disciples.

Actes 18, 24 Un Juif nommé Apollos, originaire d'Alexandrie, était arrivé à Ephèse. C'était un homme éloquent, versé dans les Ecritures.

Actes 18, 25 Il avait été instruit de la Voie du Seigneur, et, dans la ferveur de son âme, il prêchait et enseignait avec exactitude ce qui concerne Jésus, bien qu'il connût seulement le baptême de Jean.

Actes 18, 26 Il se mit donc à parler avec assurance dans la synagogue. Priscille et Aquila, qui l'avaient entendu, le prirent avec eux et lui exposèrent plus exactement la Voie.

Actes 18, 27 Comme il voulait partir pour l'Achaïe, les frères l'y encouragèrent et écrivirent aux disciples de lui faire bon accueil. Arrivé là, il fut, par l'effet de la grâce, d'un grand secours aux croyants:

Actes 18, 28 car il réfutait vigoureusement les Juifs en public, démontrant par les Ecritures que Jésus est le Christ.

Actes 17, 1 Après avoir traversé Amphipolis et Apollonie, ils arrivèrent à Thessalonique, où les Juifs avaient une synagogue.

Actes 17, 2 Suivant son habitude, Paul alla les y trouver. Trois sabbats de suite, il discuta avec eux d'après les Ecritures.

Actes 17, 3 Il les leur expliquait, établissant que le Christ devait souffrir et ressusciter des morts, "et le Christ, disait-il, c'est ce Jésus que je vous annonce."

Actes 17, 4 Quelques-uns d'entre eux se laissèrent convaincre et furent gagnés à Paul et à Silas, ainsi qu'une multitude d'adorateurs de Dieu et de Grecs et bon nombre de dames de qualité.

Actes 17, 5 Mais les Juifs, pris de jalousie, ramassèrent sur la place quelques mauvais sujets, provoquèrent des attroupements et répandirent le tumulte dans la ville. Ils se présentèrent alors à la maison de Jason, cherchant Paul et Silas pour les produire devant l'assemblée du peuple.

Actes 17, 6 Ne les ayant pas trouvés, ils traînèrent Jason et quelques frères devant les politarques en criant: "Ces gens qui ont révolutionné le monde entier, les voilà maintenant ici,

Actes 17, 7 et Jason les reçoit chez lui. Tous ces gens-là contreviennent aux édits de César en affirmant qu'il y a un autre roi, Jésus."

Actes 17, 8 Par ces clameurs, ils mirent en émoi la foule et les politarques,

Actes 17, 9 qui exigèrent une caution de la part de Jason et des autres avant de les relâcher.

Actes 17, 10 Les frères firent aussitôt partir de nuit Paul et Silas pour Bérée. Arrivés là, ils se rendirent à la synagogue des Juifs.

Actes 17, 11 Or ceux-ci avaient l'âme plus noble que ceux de Thessalonique. Ils accueillirent la parole avec le plus grand empressement. Chaque jour, ils examinaient les Ecritures pour voir si tout était exact.

Actes 17, 12 Beaucoup d'entre eux embrassèrent ainsi la foi, de même que, parmi les Grecs, des dames de qualité et bon nombre d'hommes.

Actes 17, 13 Mais quand les Juifs de Thessalonique surent que Paul avait annoncé aussi à Bérée la parole de Dieu, ils vinrent là encore semer dans la foule l'agitation et le trouble.

Actes 17, 14 Alors les frères firent tout de suite partir Paul en direction de la mer; quant à Silas et Timothée, ils restèrent là.

Actes 17, 15 Ceux qui escortaient Paul le conduisirent jusqu'à Athènes et s'en retournèrent ensuite avec l'ordre pour Silas et Timothée de le rejoindre au plus vite.

Actes 17, 16 Tandis que Paul les attendait à Athènes, son esprit s'échauffait en lui au spectacle de cette ville remplie d'idoles.

Actes 17, 17 Il s'entretenait donc à la synagogue avec des Juifs et ceux qui adoraient Dieu, et sur l'agora, tous les jours, avec les passants.

Actes 17, 18 Il y avait même des philosophes épicuriens et stoïciens qui l'abordaient. Les uns disaient: "Que peut bien vouloir dire ce perroquet?" D'autres: "On dirait un prêcheur de divinités étrangères", parce qu'il annonçait Jésus et la résurrection.

Actes 17, 19 Ils le prirent alors avec eux et le menèrent devant l'Aréopage en disant: "Pourrions-nous savoir quelle est cette nouvelle doctrine que tu enseignes?

Actes 17, 20 Car ce sont d'étranges propos que tu nous fais entendre. Nous voudrions donc savoir ce que cela veut dire."

Actes 17, 21 Tous les Athéniens en effet et les étrangers qui résidaient parmi eux n'avaient d'autre passe-temps que de dire ou écouter les dernières nouveautés.

Actes 17, 22 Debout au milieu de l'Aréopage, Paul dit alors: "Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes.

Actes 17, 23 Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j'ai trouvé jusqu'à un autel avec l'inscription: au dieu inconnu. Eh bien! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer.

Actes 17, 24 "Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s'y trouve, lui, le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite pas dans des temples faits de main d'homme.

Actes 17, 25 Il n'est pas non plus servi par des mains humaines, comme s'il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses.

Actes 17, 26 Si d'un principe unique il a fait tout le genre humain pour qu'il habite sur toute la face de la terre; s'il a fixé des temps déterminés et les limites de l'habitat des hommes,

Actes 17, 27 c'était afin qu'ils cherchent la divinité pour l'atteindre, si possible, comme à tâtons et la trouver; aussi bien n'est-elle pas loin de chacun de nous.

Actes 17, 28 C'est en elle en effet que nous avons la vie, le mouvement et l'être. Ainsi d'ailleurs l'ont dit certains des vôtres: Car nous sommes aussi de sa race.

Actes 17, 29 "Que si nous sommes de la race de Dieu, nous ne devons pas penser que la divinité soit semblable à de l'or, de l'argent ou de la pierre, travaillés par l'art et le génie de l'homme.

Actes 17, 30 "Or voici que, fermant les yeux sur les temps de l'ignorance, Dieu fait maintenant savoir aux hommes d'avoir tous et partout à se repentir,

Actes 17, 31 parce qu'il a fixé un jour pour juger l'univers avec justice, par un homme qu'il y a destiné, offrant à tous une garantie en le ressuscitant des morts."

Actes 17, 32 A ces mots de résurrection des morts, les uns se moquaient, les autres disaient: "Nous t'entendrons là-dessus une autre fois."

Actes 17, 33 C'est ainsi que Paul se retira du milieu d'eux.

Actes 17, 34 Quelques hommes cependant s'attachèrent à lui et embrassèrent la foi. Denys l'Aréopagite fut du nombre. Il y eut aussi une femme nommée Damaris, et d'autres avec eux.

Actes 18, 1 Après cela, Paul s'éloigna d'Athènes et gagna Corinthe.

Actes 18, 2 Il y trouva un Juif nommé Aquilas, originaire du Pont, qui venait d'arriver d'Italie avec Priscille, sa femme, à la suite d'un édit de Claude qui ordonnait à tous les Juifs de s'éloigner de Rome. Il se lia avec eux,

Actes 18, 3 et, comme ils étaient du même métier, il demeura chez eux et y travailla. Ils étaient de leur état fabricants de tentes.

Actes 18, 4 Chaque sabbat, il discourait à la synagogue et s'efforçait de persuader Juifs et Grecs.

Actes 18, 5 Quand Silas et Timothée furent arrivés de Macédoine, Paul se consacra tout entier à la parole, attestant aux Juifs que Jésus est le Christ.

Actes 18, 6 Mais devant leur opposition et leurs paroles blasphématoires, il secoua ses vêtements et leur dit: "Que votre sang retombe sur votre tête! Pour moi, je suis pur, et désormais c'est aux païens que j'irai."

Actes 18, 7 Alors, se retirant de là, Paul se rendit chez un certain Justus, homme adorant Dieu, dont la maison était contiguë à la synagogue.

Actes 18, 8 Crispus, le chef de synagogue, crut au Seigneur avec tous les siens. Beaucoup de Corinthiens qui entendaient Paul embrassaient également la foi et se faisaient baptiser.

Actes 18, 9 Une nuit, dans une vision, le Seigneur dit à Paul: "Sois sans crainte. Continue de parler, ne te tais pas.

Actes 18, 10 Car je suis avec toi, et personne ne mettra sur toi la main pour te faire du mal, parce que j'ai à moi un peuple nombreux dans cette ville."

Actes 18, 11 Il séjourna là un an et six mois, enseignant aux gens la parole de Dieu.

Actes 18, 12 Alors que Gallion était proconsul d'Achaïe, les Juifs se soulevèrent d'un commun accord contre Paul et l'amenèrent devant le tribunal

Actes 18, 13 en disant: "Cet individu cherche à persuader les gens d'adorer Dieu d'une manière contraire à la Loi."

Actes 18, 14 Paul allait ouvrir la bouche, quand Gallion dit aux Juifs: "S'il était question de quelque délit ou méfait, j'accueillerais, Juifs, votre plainte, comme de raison.

Actes 18, 15 Mais puisqu'il s'agit de contestations sur des mots et des noms et sur votre propre Loi, à vous de voir! Etre juge, moi, en ces matières, je m'y refuse."

Actes 18, 16 Et il les renvoya du tribunal.

Actes 18, 17 Tous alors se saisirent de Sosthène, le chef de synagogue, et, devant le tribunal, se mirent à le battre. Et de tout cela Gallion n'avait cure.

Actes 18, 18 Paul resta encore un certain temps à Corinthe, puis il prit congé des frères et s'embarqua pour la Syrie. Priscille et Aquila l'accompagnaient. Il s'était fait tondre la tête à Cenchrées, à cause d'un voeu qu'il avait fait.

Actes 18, 19 Ils abordèrent à Ephèse, où il se sépara de ses compagnons. Il se rendit à la synagogue et s'y entretint avec les Juifs.

Actes 18, 20 Ceux-ci lui demandèrent de prolonger son séjour. Il n'y consentit pas,

Actes 18, 21 mais, en prenant congé d'eux, il leur dit: "Je reviendrai chez vous une autre fois, s'il plaît à Dieu." Et il partit d'Ephèse.

Actes 18, 22 Débarqué à Césarée, il monta saluer l'Eglise, puis descendit à Antioche;

Actes 18, 23 après y avoir passé quelque temps, il repartit et parcourut successivement le territoire galate et la Phrygie en affermissant tous les disciples.

Actes 18, 24 Un Juif nommé Apollos, originaire d'Alexandrie, était arrivé à Ephèse. C'était un homme éloquent, versé dans les Ecritures.

Actes 18, 25 Il avait été instruit de la Voie du Seigneur, et, dans la ferveur de son âme, il prêchait et enseignait avec exactitude ce qui concerne Jésus, bien qu'il connût seulement le baptême de Jean.

Actes 18, 26 Il se mit donc à parler avec assurance dans la synagogue. Priscille et Aquila, qui l'avaient entendu, le prirent avec eux et lui exposèrent plus exactement la Voie.

Actes 18, 27 Comme il voulait partir pour l'Achaïe, les frères l'y encouragèrent et écrivirent aux disciples de lui faire bon accueil. Arrivé là, il fut, par l'effet de la grâce, d'un grand secours aux croyants:

Actes 18, 28 car il réfutait vigoureusement les Juifs en public, démontrant par les Ecritures que Jésus est le Christ.

Actes 19, 1 Tandis qu'Apollos était à Corinthe, Paul, après avoir traversé le haut-pays, arriva à Ephèse. Il y trouva quelques disciples

Actes 19, 2 et leur dit: "Avez-vous reçu l'Esprit Saint quand vous avez embrassé la foi?" Ils lui répondirent: "Mais nous n'avons même pas entendu dire qu'il y a un Esprit Saint."

Actes 19, 3 Et lui: "Quel baptême avez-vous donc reçu"? - "Le baptême de Jean", répondirent-ils.

Actes 19, 4 Paul dit alors: "Jean a baptisé d'un baptême de repentance, en disant au peuple de croire en celui qui viendrait après lui, c'est-à-dire en Jésus."

Actes 19, 5 A ces mots, ils se firent baptiser au nom du Seigneur Jésus;

Actes 19, 6 et quand Paul leur eut imposé les mains, l'Esprit Saint vint sur eux, et ils se mirent à parler en langues et à prophétiser.

Actes 19, 7 Ces hommes étaient en tout une douzaine.

Actes 19, 8 Paul se rendit à la synagogue et, pendant trois mois, y parla avec assurance. Il entretenait ses auditeurs du Royaume de Dieu et cherchait à les persuader.

Actes 19, 9 Certains cependant, endurcis et incrédules, décriaient la Voie devant l'assistance. Il rompit alors avec eux et prit à part les disciples. Chaque jour, il les entretenait dans l'école de Tyrannos.

Actes 19, 10 Il en fut ainsi deux années durant, en sorte que tous les habitants de l'Asie, Juifs et Grecs, purent entendre la parole du Seigneur.

Actes 19, 11 Dieu opérait par les mains de Paul des miracles peu banals,

Actes 19, 12 à tel point qu'il suffisait d'appliquer sur les malades des mouchoirs ou des linges qui avaient touché son corps: alors les maladies les quittaient et les esprits mauvais s'en allaient.

Actes 19, 13 Or quelques exorcistes juifs ambulants s'essayèrent à prononcer, eux aussi, le nom du Seigneur Jésus sur ceux qui avaient des esprits mauvais. Ils disaient: "Je vous adjure par ce Jésus que Paul proclame."

Actes 19, 14 Il y avait sept fils de Scéva, un grand prêtre juif, qui agissaient de la sorte.

Actes 19, 15 Mais l'esprit mauvais leur répliqua: "Jésus, je le connais, et Paul, je sais qui c'est. Mais vous autres, qui êtes-vous?"

Actes 19, 16 Et se jetant sur eux, l'homme possédé de l'esprit mauvais les maîtrisa les uns et les autres et les malmena si bien que c'est nus et couverts de blessures qu'ils s'échappèrent de cette maison.

Actes 19, 17 Tous les habitants d'Ephèse, Juifs et Grecs, surent la chose. La crainte alors s'empara de tous et le nom du Seigneur Jésus fut glorifié.

Actes 19, 18 Beaucoup de ceux qui étaient devenus croyants venaient faire leurs aveux et dévoiler leurs pratiques.

Actes 19, 19 Bon nombre de ceux qui s'étaient adonnés à la magie apportaient leurs livres et les brûlaient en présence de tous. On en estima la valeur: cela faisait 50.000 pièces d'argent.

Actes 19, 20 Ainsi la parole du Seigneur croissait et s'affermissait puissamment.

Actes 19, 21 Après ces événements, Paul forma le projet de traverser la Macédoine et l'Achaïe pour gagner Jérusalem. "Après avoir été là, disait-il, il me faut voir également Rome."

Actes 19, 22 Il envoya alors en Macédoine deux de ses auxiliaires, Timothée et Eraste; pour lui, il resta quelque temps encore en Asie.

Actes 19, 23 Vers ce temps-là, un tumulte assez grave se produisit à propos de la Voie.

Actes 19, 24 Un certain Démétrius, qui était orfèvre et fabriquait des temples d'Artémis en argent, procurait ainsi aux artisans beaucoup de travail.

Actes 19, 25 Il les réunit, ainsi que les ouvriers des métiers similaires, et leur dit: "Mes amis, c'est à cette industrie, vous le savez, que nous devons notre bien-être.

Actes 19, 26 Or, vous le voyez et l'entendez dire, non seulement à Ephèse, mais dans presque toute l'Asie, ce Paul, par ses raisons, a entraîné à sa suite une foule considérable, en affirmant qu'ils ne sont pas dieux, ceux qui sont sortis de la main des hommes.

Actes 19, 27 Cela risque non seulement de jeter le discrédit sur notre profession, mais encore de faire compter pour rien le sanctuaire même de la grande déesse Artémis, pour finir par dépouiller de son prestige celle que révèrent toute l'Asie et le monde entier."

Actes 19, 28 A ces mots, remplis de colère, ils se mirent à crier: "Grande est l'Artémis des Ephésiens!"

Actes 19, 29 Le désordre gagna la ville entière. On se précipita en masse au théâtre, y entraînant les Macédoniens Gaïus et Aristarque, compagnons de voyage de Paul.

Actes 19, 30 Paul, lui, voulait se présenter devant l'assemblée du peuple, mais les disciples l'en empêchèrent.

Actes 19, 31 Quelques asiarques même, qui l'avaient en amitié, le firent instamment prier de ne pas s'exposer en allant au théâtre.

Actes 19, 32 Les uns criaient une chose, les autres une autre. L'assemblée était en pleine confusion, et la plupart ne savaient même pas pourquoi on s'était réuni.

Actes 19, 33 Des gens de la foule persuadèrent Alexandre, que les Juifs poussaient en avant. Alexandre, ayant fait signe de la main, voulait s'expliquer devant le peuple.

Actes 19, 34 Mais quand on eut reconnu que c'était un Juif, tous se mirent à crier d'une seule voix, pendant près de deux heures: "Grande est l'Artémis des Ephésiens!"

Actes 19, 35 Enfin le chancelier calma la foule et dit: "Ephésiens, quel homme au monde ignore que la ville d'Ephèse est la gardienne du temple de la grande Artémis et de sa statue tombée du ciel?

Actes 19, 36 Cela étant donc sans conteste, il faut vous tenir tranquilles et ne rien faire d'inconsidéré.

Actes 19, 37 Vous avez amené ces hommes: ils ne sont coupables ni de sacrilège ni de blasphème envers notre déesse.

Actes 19, 38 Que si Démétrius et les artisans qui sont avec lui ont des griefs contre quelqu'un, il y a des audiences, il y a des proconsuls: qu'ils portent plainte.

Actes 19, 39 Et si vous avez quelque autre affaire à débattre, on la résoudra dans l'assemblée régulière.

Actes 19, 40 Aussi bien risquons-nous d'être accusés de sédition pour ce qui s'est passé aujourd'hui, vu qu'il n'existe aucun motif qui nous permette de justifier cet attroupement." Et sur ces mots, il congédia l'assemblée.

Actes 20, 1 Après que le tumulte eut pris fin, Paul convoqua les disciples, leur adressa une exhortation et, après avoir fait ses adieux, partit pour la Macédoine.

Actes 20, 2 Il traversa cette contrée, y exhorta longuement les fidèles et parvint en Grèce,

Actes 20, 3 où il resta trois mois. Un complot fomenté par les Juifs contre lui au moment où il allait s'embarquer pour la Syrie le décida à s'en retourner par la Macédoine.

Actes 20, 4 Il avait pour compagnons Sopatros, fils de Pyrrhus, de Bérée; Aristarque et Secundus, de Thessalonique; Gaïus, de Dobérès, et Timothée, ainsi que les Asiates Tychique et Trophime.

Actes 20, 5 Ceux-ci prirent les devants et nous attendirent à Troas.

Actes 20, 6 Nous-mêmes, nous quittâmes Philippes par mer après les jours des Azymes et, au bout de cinq jours, les rejoignîmes à Troas, où nous passâmes sept jours.

Actes 20, 7 Le premier jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain; Paul, qui devait partir le lendemain, s'entretenait avec eux. Il prolongea son discours jusqu'au milieu de la nuit.

Actes 20, 8 Il y avait bon nombre de lampes dans la chambre haute où nous étions réunis.

Actes 20, 9 Un adolescent, du nom d'Eutyque, qui était assis sur le bord de la fenêtre, se laissa gagner par un profond sommeil, pendant que Paul discourait toujours. Entraîné par le sommeil, il tomba du troisième étage en bas. On le releva mort.

Actes 20, 10 Paul descendit, se pencha sur lui, le prit dans ses bras et dit: "Ne vous agitez donc pas: son âme est en lui."

Actes 20, 11 Puis il remonta, rompit le pain et mangea; longtemps encore il parla, jusqu'au point du jour. C'est alors qu'il partit.

Actes 20, 12 Quant au jeune garçon, on le ramena vivant, et ce ne fut pas une petite consolation.

Actes 20, 13 Pour nous, prenant les devants par mer, nous fîmes voile vers Assos, où nous devions prendre Paul: ainsi en avait-il disposé. Lui-même viendrait par la route.

Actes 20, 14 Lorsqu'il nous eut rejoints à Assos, nous le prîmes à bord et gagnâmes Mitylène.

Actes 20, 15 De là, nous repartîmes le lendemain et parvînmes devant Chio. Le jour suivant, nous touchions à Samos, et, après nous être arrêtés à Trogyllion, nous arrivions le jour d'après à Milet.

Actes 20, 16 Paul avait en effet décidé de passer au large d'Ephèse, pour ne pas avoir à s'attarder en Asie. Il se hâtait afin d'être, si possible, le jour de la Pentecôte à Jérusalem.

Actes 20, 17 De Milet, il envoya chercher à Ephèse les anciens de cette Eglise.

Actes 20, 18 Quand ils furent arrivés auprès de lui, il leur dit: "Vous savez vous-mêmes de quelle façon, depuis le premier jour où j'ai mis le pied en Asie, je n'ai cessé de me comporter avec vous,

Actes 20, 19 servant le Seigneur en toute humilité, dans les larmes et au milieu des épreuves que m'ont occasionnées les machinations des Juifs.

Actes 20, 20 Vous savez comment, en rien de ce qui vous était avantageux, je ne me suis dérobé quand il fallait vous prêcher et vous instruire, en public et en privé,

Actes 20, 21 adjurant Juifs et Grecs de se repentir envers Dieu et de croire en Jésus, notre Seigneur.

Actes 20, 22 "Et maintenant voici qu'enchaîné par l'Esprit je me rends à Jérusalem, sans savoir ce qui m'y adviendra,

Actes 20, 23 sinon que, de ville en ville, l'Esprit Saint m'avertit que chaînes et tribulations m'attendent.

Actes 20, 24 Mais je n'attache aucun prix à ma propre vie, pourvu que je mène à bonne fin ma course et le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus: rendre témoignage à l'Evangile de la grâce de Dieu.

Actes 20, 25 "Et maintenant voici que, je le sais, vous ne reverrez plus mon visage, vous tous au milieu de qui j'ai passé en proclamant le Royaume.

Actes 20, 26 C'est pourquoi je l'atteste aujourd'hui devant vous: je suis pur du sang de tous.

Actes 20, 27 Car je ne me suis pas dérobé quand il fallait vous annoncer toute la volonté de Dieu.

Actes 20, 28 "Soyez attentifs à vous-mêmes, et à tout le troupeau dont l'Esprit Saint vous a établis gardiens pour paître l'Eglise de Dieu, qu'il s'est acquise par le sang de son propre fils.

Actes 20, 29 "Je sais, moi, qu'après mon départ il s'introduira parmi vous des loups redoutables qui ne ménageront pas le troupeau,

Actes 20, 30 et que du milieu même de vous se lèveront des hommes tenant des discours pervers dans le but d'entraîner les disciples à leur suite.

Actes 20, 31 C'est pourquoi soyez vigilants, vous souvenant que, trois années durant, nuit et jour, je n'ai cessé de reprendre avec larmes chacun d'entre vous.

Actes 20, 32 "Et à présent je vous confie à Dieu et à la parole de sa grâce, qui a le pouvoir de bâtir l'édifice et de procurer l'héritage parmi tous les sanctifiés.

Actes 20, 33 "Argent, or, vêtements, je n'en ai convoité de personne:

Actes 20, 34 vous savez vous-mêmes qu'à mes besoins et à ceux de mes compagnons ont pourvu les mains que voilà.

Actes 20, 35 De toutes manières je vous l'ai montré: c'est en peinant ainsi qu'il faut venir en aide aux faibles et se souvenir des paroles du Seigneur Jésus, qui a dit lui-même: Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir."

Actes 20, 36 A ces mots, se mettant à genoux, avec eux tous il pria.

Actes 20, 37 Tous alors éclatèrent en sanglots, et, se jetant au cou de Paul, ils l'embrassaient,

Actes 20, 38 affligés surtout de la parole qu'il avait dite: qu'ils ne devaient plus revoir son visage. Puis ils l'accompagnèrent jusqu'au bateau.

Actes 21, 1 Lorsque, nous étant arrachés à eux, nous eûmes gagné le large, nous cinglâmes droit sur Cos; le lendemain nous atteignîmes Rhodes, et de là Patara.

Actes 21, 2 Ayant trouvé un navire en partance pour la Phénicie, nous y montâmes et partîmes.

Actes 21, 3 Arrivés en vue de Chypre, nous la laissâmes à gauche pour voguer vers la Syrie, et nous abordâmes à Tyr, car c'est là que le bateau devait décharger sa cargaison.

Actes 21, 4 Ayant découvert les disciples, nous restâmes là sept jours. Poussés par l'Esprit, ils disaient à Paul de ne pas monter à Jérusalem.

Actes 21, 5 Mais, notre séjour achevé, nous partîmes. Nous marchions, escortés de tous, y compris femmes et enfants. Hors de la ville, nous nous mîmes à genoux sur la grève pour prier.

Actes 21, 6 Puis, ayant fait nos adieux, nous montâmes sur le navire. Ces gens s'en retournèrent alors chez eux.

Actes 21, 7 Et nous, achevant la traversée, nous nous rendîmes de Tyr à Ptolémaïs. Après avoir salué les frères et être restés un jour avec eux,

Actes 21, 8 nous repartîmes le lendemain pour gagner Césarée. Descendus chez Philippe l'évangéliste, qui était un des Sept, nous demeurâmes chez lui.

Actes 21, 9 Il avait quatre filles vierges qui prophétisaient.

Actes 21, 10 Comme nous passions là plusieurs jours, un prophète du nom d'Agabus descendit de Judée.

Actes 21, 11 Il vint nous trouver et, prenant la ceinture de Paul, il s'en lia les pieds et les mains en disant: "Voici ce que dit l'Esprit Saint: L'homme auquel appartient cette ceinture, les Juifs le lieront comme ceci à Jérusalem, et ils le livreront aux mains des païens."

Actes 21, 12 A ces paroles, nous nous mîmes, avec ceux de l'endroit, à supplier Paul de ne pas monter à Jérusalem.

Actes 21, 13 Alors il répondit: "Qu'avez-vous à pleurer et à me briser le coeur? Je suis prêt, moi, non seulement à me laisser lier, mais encore à mourir à Jérusalem pour le nom du Seigneur Jésus."

Actes 21, 14 Comme il n'y avait pas moyen de le persuader, nous cessâmes nos instances, disant: "Que la volonté du Seigneur se fasse!"

Actes 21, 15 Après ces quelques jours, ayant achevé nos préparatifs, nous montâmes à Jérusalem.

Actes 21, 16 Des disciples de Césarée nous accompagnèrent et nous menèrent loger chez un certain Mnason, de Chypre, disciple des premiers jours.

Actes 21, 17 A notre arrivée à Jérusalem, les frères nous reçurent avec joie.

Actes 21, 18 Le jour suivant, Paul se rendit avec nous chez Jacques, où tous les anciens se réunirent.

Actes 21, 19 Après les avoir salués, il se mit à exposer par le détail ce que Dieu avait fait chez les païens par son ministère.

Actes 21, 20 Et ils glorifiaient Dieu de ce qu'ils entendaient. Ils lui dirent alors: "Tu vois, frère, combien de milliers de Juifs ont embrassé la foi, et ce sont tous de zélés partisans de la Loi.

Actes 21, 21 Or à ton sujet ils ont entendu dire que, dans ton enseignement, tu pousses les Juifs qui vivent au milieu des païens à la défection vis-à-vis de Moïse, leur disant de ne plus circoncire leurs enfants et de ne plus suivre les coutumes.

Actes 21, 22 Que faire donc? Assurément la multitude ne manquera pas de se rassembler, car on apprendra ton arrivée.

Actes 21, 23 Fais donc ce que nous allons te dire. Nous avons ici quatre hommes qui sont tenus par un voeu.

Actes 21, 24 Emmène-les, joins-toi à eux pour la purification et charge-toi des frais pour qu'ils puissent se faire raser la tête. Ainsi tout le monde saura qu'il n'y a rien de vrai dans ce qu'ils ont entendu dire à ton sujet, mais que tu te conduis, toi aussi, en observateur de la Loi.

Actes 21, 25 Quant aux païens qui ont embrassé la foi, nous leur avons mandé nos décisions: se garder des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées et des unions illégitimes."

Actes 21, 26 Le jour suivant, Paul emmena donc ces hommes et, après s'être joint à eux pour la purification, il entra dans le Temple, où il annonça le délai dans lequel, les jours de purification terminés, on devrait présenter l'oblation pour chacun d'entre eux.

Actes 21, 27 Les sept jours touchaient à leur fin, quand les Juifs d'Asie, l'ayant aperçu dans le Temple, ameutèrent la foule et mirent la main sur lui,

Actes 21, 28 en criant: "Hommes d'Israël, au secours! Le voici, l'individu qui prêche à tous et partout contre notre peuple, contre la Loi et contre ce Lieu! Et voilà encore qu'il a introduit des Grecs dans le Temple et profané ce saint Lieu."

Actes 21, 29 Précédemment en effet ils avaient vu l'Ephésien Trophime avec lui dans la ville, et ils pensaient que Paul l'avait introduit dans le Temple.

Actes 21, 30 La ville entière fut en effervescence, et le peuple accourut de toutes parts. On s'empara de Paul, on se mit à le traîner hors du Temple, dont les portes furent aussitôt fermées.

Actes 21, 31 On cherchait à le mettre à mort, quand cet avis parvint au tribun de la cohorte: "Tout Jérusalem est sens dessus dessous!"

Actes 21, 32 Aussitôt, prenant avec lui des soldats et des centurions, il se précipita sur les manifestants. Ceux-ci, à la vue du tribun et des soldats, cessèrent de frapper Paul.

Actes 21, 33 Alors le tribun s'approcha, se saisit de lui et ordonna de le lier de deux chaînes; puis il demanda qui il était et ce qu'il avait fait.

Actes 21, 34 Mais dans la foule les uns criaient ceci, les autres cela. Ne pouvant, dans ce tapage, obtenir aucun renseignement précis, il donna l'ordre de conduire Paul dans la forteresse.

Actes 21, 35 Quand il eut atteint les degrés, il dut être porté par les soldats, en raison de la violence de la foule.

Actes 21, 36 Car le peuple suivait en masse, aux cris de: "A mort!"

Actes 21, 37 Sur le point d'être introduit dans la forteresse, Paul dit au tribun: "Me serait-il permis de te dire un mot?" - "Tu sais le grec? Demanda celui-ci.

Actes 21, 38 Tu n'es donc pas l'Egyptien qui, ces temps derniers, a soulevé 4.000 bandits et les a entraînés au désert?"

Actes 21, 39 "Moi, reprit Paul, je suis Juif, de Tarse en Cilicie, citoyen d'une ville qui n'est pas sans renom. Je t'en prie, permets-moi de parler au peuple."

Actes 21, 40 La permission accordée, Paul, debout sur les degrés, fit de la main signe au peuple. Il se fit un grand silence. Alors il leur adressa la parole en langue hébraïque.

Actes 22, 1 "Frères et pères, écoutez ce que j'ai maintenant à vous dire pour ma défense."

Actes 22, 2 Quand ils entendirent qu'il s'adressait à eux en langue hébraïque, leur silence se fit plus profond. Il poursuivit:

Actes 22, 3 "Je suis Juif. Né à Tarse en Cilicie, j'ai cependant été élevé ici dans cette ville, et c'est aux pieds de Gamaliel que j'ai été formé à l'exacte observance de la Loi de nos pères, et j'étais rempli du zèle de Dieu, comme vous l'êtes tous aujourd'hui.

Actes 22, 4 J'ai persécuté à mort cette Voie, chargeant de chaînes et jetant en prison hommes et femmes,

Actes 22, 5 comme le grand prêtre m'en est témoin, ainsi que tout le collège des anciens. J'avais même reçu d'eux des lettres pour les frères de Damas, et je m'y rendais en vue d'amener ceux de là-bas enchaînés à Jérusalem pour y être châtiés.

Actes 22, 6 "Je faisais route et j'approchais de Damas, quand tout à coup, vers midi, une grande lumière venue du ciel m'enveloppa de son éclat.

Actes 22, 7 Je tombai sur le sol et j'entendis une voix qui me disait: Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu?

Actes 22, 8 Je répondis: Qui es-tu, Seigneur? Il me dit alors: Je suis Jésus le Nazôréen, que tu persécutes.

Actes 22, 9 Ceux qui étaient avec moi virent bien la lumière, mais ils n'entendirent pas la voix de celui qui me parlait.

Actes 22, 10 Je repris: Que dois-je faire, Seigneur? Le Seigneur me dit: Relève-toi. Va à Damas. Là on te dira tout ce qu'il t'est prescrit de faire.

Actes 22, 11 Mais comme je n'y voyais plus à cause de l'éclat de cette lumière, c'est conduit par la main de mes compagnons que j'arrivai à Damas.

Actes 22, 12 "Il y avait là un certain Ananie, homme dévot selon la Loi et jouissant du bon témoignage de tous les Juifs de la ville;

Actes 22, 13 il vint me trouver et, une fois près de moi, me dit: Saoul, mon frère, recouvre la vue. Et moi, au même instant, je pus le voir.

Actes 22, 14 Il dit alors: Le Dieu de nos pères t'a prédestiné à connaître sa volonté, à voir le Juste et à entendre la voix sortie de sa bouche;

Actes 22, 15 car pour lui tu dois être témoin devant tous les hommes de ce que tu as vu et entendu.

Actes 22, 16 Pourquoi tarder encore? Allons! Reçois le baptême et purifie-toi de tes péchés en invoquant son nom.

Actes 22, 17 "De retour à Jérusalem, il m'est arrivé, un jour que je priais dans le Temple, de tomber en extase.

Actes 22, 18 Je vis le Seigneur, qui me dit: Hâte-toi, sors vite de Jérusalem, car ils n'accueilleront pas ton témoignage à mon sujet. --

Actes 22, 19 Seigneur, répondis-je, ils savent pourtant bien que, de synagogue en synagogue, je faisais jeter en prison et battre de verges ceux qui croient en toi;

Actes 22, 20 et quand on répandait le sang d'Etienne, ton témoin, j'étais là, moi aussi, d'accord avec ceux qui le tuaient, et je gardais leurs vêtements''

Actes 22, 21 Il me dit alors: Va; c'est au loin, vers les païens, que moi, je veux t'envoyer."

Actes 22, 22 Jusque-là on l'écoutait. Mais à ces mots, on se mit à crier: "Otez de la terre un pareil individu! Il n'est pas digne de vivre."

Actes 22, 23 On vociférait, on jetait ses vêtements, on lançait de la poussière en l'air.

Actes 22, 24 Le tribun le fit alors introduire dans la forteresse et ordonna de lui donner la question par le fouet, afin de savoir pour quel motif on criait ainsi contre lui.

Actes 22, 25 Quand on l'eut attaché avec les courroies, Paul dit au centurion de service: "Un citoyen romain, et qui n'a même pas été jugé, vous est-il permis de lui appliquer le fouet?"

Actes 22, 26 A ces mots, le centurion alla trouver le tribun pour le prévenir: "Que vas-tu faire? Cet homme est citoyen romain."

Actes 22, 27 Le tribun vint donc demander à Paul: "Dis-moi, tu es citoyen romain?" - "Oui", répondit-il.

Actes 22, 28 Le tribun reprit: "Moi, il m'a fallu une forte somme pour acheter ce droit de cité" - "Et moi, dit Paul, je l'ai de naissance."

Actes 22, 29 Aussitôt donc, ceux qui allaient le mettre à la question s'écartèrent de lui et le tribun lui-même eut peur, sachant que c'était un citoyen romain qu'il avait chargé de chaînes.

Actes 22, 30 Le lendemain, voulant savoir de quoi les Juifs l'accusaient au juste, il le fit détacher et ordonna aux grands prêtres ainsi qu'à tout le Sanhédrin de se réunir; puis il amena Paul et le fit comparaître devant eux.

Actes 23, 1 Fixant du regard le Sanhédrin, Paul dit: "Frères, c'est tout à fait en bonne conscience que je me suis conduit devant Dieu jusqu'à ce jour."

Actes 23, 2 Mais le grand prêtre Ananie ordonna à ses assistants de le frapper sur la bouche.

Actes 23, 3 Alors Paul lui dit: "C'est Dieu qui te frappera, toi, muraille blanchie! Eh quoi! Tu sièges pour me juger d'après la Loi, et, au mépris de la Loi, tu ordonnes de me frapper!"

Actes 23, 4 Les assistants lui dirent: "C'est le grand prêtre de Dieu que tu insultes?"

Actes 23, 5 Paul répondit: "Je ne savais pas, frères, que ce fût le grand prêtre. Car il est écrit: Tu ne maudiras pas le chef de ton peuple."

Actes 23, 6 Paul savait qu'il y avait là d'un côté le parti des Sadducéens, de l'autre celui des Pharisiens. Il s'écria donc dans le Sanhédrin: "Frères, je suis, moi, Pharisien, fils de Pharisiens. C'est pour notre espérance, la résurrection des morts, que je suis mis en jugement."

Actes 23, 7 A peine eut-il dit cela qu'un conflit se produisit entre Pharisiens et Sadducéens, et l'assemblée se divisa.

Actes 23, 8 Les Sadducéens disent en effet qu'il n'y a ni résurrection, ni ange, ni esprit, tandis que les Pharisiens professent l'un et l'autre.

Actes 23, 9 Il se fit donc une grande clameur. Quelques scribes du parti des Pharisiens se levèrent et protestèrent énergiquement: "Nous ne trouvons rien de mal en cet homme. Et si un esprit lui avait parlé? Ou un ange?"

Actes 23, 10 La dispute devenait de plus en plus vive. Le tribun, craignant qu'ils ne missent Paul en pièces, fit descendre la troupe pour l'enlever du milieu d'eux et le ramener à la forteresse.

Actes 23, 11 La nuit suivante, le Seigneur vint le trouver et lui dit: "Courage! De même que tu as rendu témoignage de moi à Jérusalem, ainsi faut-il encore que tu témoignes à Rome."

Actes 23, 12 Lorsqu'il fit jour, les Juifs tinrent un conciliabule, où ils s'engagèrent par anathème à ne pas manger ni boire avant d'avoir tué Paul.

Actes 23, 13 Ils étaient plus de 40 à avoir fait cette conjuration.

Actes 23, 14 Ils allèrent trouver les grands prêtres et les anciens, et leur dirent: "Nous nous sommes engagés par anathème à ne rien prendre avant d'avoir tué Paul.

Actes 23, 15 Vous donc maintenant, d'accord avec le Sanhédrin, expliquez au tribun qu'il doit vous l'amener, sous prétexte d'examiner plus à fond son affaire. De notre côté, nous sommes prêts à le tuer avant qu'il n'arrive."

Actes 23, 16 Mais le fils de la soeur de Paul eut connaissance du guet-apens. Il se rendit à la forteresse, entra et prévint Paul.

Actes 23, 17 Appelant un des centurions, Paul lui dit: "Conduis ce jeune homme au tribun; il a quelque chose à lui communiquer."

Actes 23, 18 Le centurion le prit donc et l'amena au tribun. "Le prisonnier Paul, dit-il, m'a appelé et m'a prié de t'amener ce jeune homme, qui a quelque chose à te dire."

Actes 23, 19 Le tribun prit le jeune homme par la main, se retira à l'écart et lui demanda: "Qu'as-tu à me communiquer?" -

Actes 23, 20 "Les Juifs, répondit-il, se sont concertés pour te prier d'amener Paul demain au Sanhédrin, sous prétexte d'enquêter plus à fond sur son cas.

Actes 23, 21 Ne va pas les croire. Plus de 40 d'entre eux le guettent, qui se sont engagés par anathème à ne pas manger ni boire avant de l'avoir tué. Et maintenant, ils sont tout prêts, escomptant ton accord."

Actes 23, 22 Le tribun congédia le jeune homme avec cette recommandation: "Ne raconte à personne que tu m'as révélé ces choses."

Actes 23, 23 Puis il appela deux des centurions et leur dit: "Tenez prêts à partir pour Césarée, dès la troisième heure de la nuit, 200 soldats, 70 cavaliers et 200 hommes d'armes.

Actes 23, 24 Qu'on ait aussi des chevaux pour faire monter Paul et le conduire sain et sauf au gouverneur Félix."

Actes 23, 25 Et il écrivit une lettre ainsi conçue:

Actes 23, 26 "Claudius Lysias au très excellent gouverneur Félix, salut!

Actes 23, 27 L'homme que voici avait été pris par les Juifs, et ils allaient le tuer, quand j'arrivai avec la troupe et le leur arrachai, ayant appris qu'il était citoyen romain.

Actes 23, 28 J'ai voulu savoir au juste pourquoi ils l'accusaient et je l'ai amené dans leur Sanhédrin.

Actes 23, 29 J'ai constaté que l'accusation se rapportait à des points contestés de leur Loi, mais qu'il n'y avait aucune charge qui entraînât la mort ou les chaînes.

Actes 23, 30 Avisé qu'un complot se préparait contre cet homme, je te l'ai aussitôt envoyé, et j'ai informé ses accusateurs qu'ils avaient à porter devant toi leur plainte contre lui."

Actes 23, 31 Conformément aux ordres reçus, les soldats prirent Paul et le conduisirent de nuit à Antipatris.

Actes 23, 32 Le lendemain, ils laissèrent les cavaliers s'en aller avec lui et rentrèrent à la forteresse.

Actes 23, 33 Arrivés à Césarée, les cavaliers remirent la lettre au gouverneur et lui présentèrent Paul.

Actes 23, 34 Après avoir lu la lettre, le gouverneur s'informa de quelle province il était. Apprenant qu'il était de Cilicie:

Actes 23, 35 "Je t'entendrai, dit-il, quand tes accusateurs seront arrivés, eux aussi." Et il le fit garder dans le prétoire d'Hérode.

Actes 24, 1 Cinq jours plus tard, le grand prêtre Ananie descendit avec quelques anciens et un avocat, un certain Tertullus, et, devant le gouverneur, ils se constituèrent accusateurs de Paul.

Actes 24, 2 Celui-ci fut appelé, et Tertullus entama l'accusation en ces termes: "La paix profonde dont nous jouissons grâce à toi et les réformes dont cette nation est redevable à ta providence,

Actes 24, 3 en tout et partout nous les accueillons, très excellent Félix, avec toutes sortes d'actions de grâces.

Actes 24, 4 Mais pour ne pas t'importuner davantage, je te prie de nous écouter un instant avec la bienveillance qui te caractérise.

Actes 24, 5 Cet homme, nous l'avons constaté, est une peste: il suscite des désordres chez tous les Juifs du monde entier, et c'est un meneur du parti des Nazôréens.

Actes 24, 6 Il a même tenté de profaner le Temple, et nous l'avons alors arrêté.

Actes 24, 8 C'est par lui que tu pourras toi-même, en l'interrogeant, t'assurer du bien-fondé de toutes nos accusations contre lui."

Actes 24, 9 Les Juifs l'appuyèrent, assurant qu'il en était bien ainsi.

Actes 24, 10 Alors, le gouverneur lui ayant fait signe de parler, Paul répondit: "Voilà, je le sais, de nombreuses années que tu as cette nation sous ta juridiction; aussi est-ce avec confiance que je plaiderai ma cause.

Actes 24, 11 Tu peux t'en assurer: il n'y a pas plus de douze jours que je suis monté en pèlerinage à Jérusalem,

Actes 24, 12 et, ni dans le Temple, ni dans les synagogues, ni par la ville, on ne m'a trouvé en discussion avec quelqu'un ou en train d'ameuter la foule.

Actes 24, 13 Ils ne peuvent pas davantage te prouver ce dont ils m'accusent maintenant.

Actes 24, 14 "Je t'avoue pourtant ceci: c'est suivant la Voie, qualifiée par eux de parti, que je sers le Dieu de mes pères, gardant ma foi à tout ce qu'il y a dans la Loi et à ce qui est écrit dans les Prophètes,

Actes 24, 15 ayant en Dieu l'espérance, comme ceux-ci l'ont eux-mêmes, qu'il y aura une résurrection des justes et des pécheurs.

Actes 24, 16 C'est pourquoi, moi aussi, je m'applique à avoir sans cesse une conscience irréprochable devant Dieu et devant les hommes.

Actes 24, 17 "Au bout de bien des années, je suis venu apporter des aumônes à ma nation et présenter des offrandes:

Actes 24, 18 c'est ainsi qu'ils m'ont trouvé dans le Temple; je m'étais purifié et ne provoquais ni attroupement ni tumulte.

Actes 24, 19 Mais quelques Juifs d'Asie... c'est eux qui auraient dû se présenter devant toi et m'accuser, s'ils avaient quelque chose contre moi!

Actes 24, 20 Que ceux-ci du moins disent, eux, de quel délit ils m'ont trouvé coupable lorsque j'ai comparu devant le Sanhédrin!

Actes 24, 21 A moins qu'il ne s'agisse de cette seule parole que j'ai criée, debout au milieu d'eux: C'est à cause de la résurrection des morts que je suis mis aujourd'hui en jugement devant vous."

Actes 24, 22 Félix, qui était fort exactement informé de ce qui concerne la Voie, les ajourna en disant: "Dès que le tribun Lysias sera descendu, je statuerai sur votre affaire."

Actes 24, 23 Il prescrivit au centurion de garder Paul prisonnier, mais de lui laisser quelques facilités et de n'empêcher aucun des siens de lui rendre service.

Actes 24, 24 Quelques jours plus tard, Félix vint avec sa femme Drusille, qui était juive. Il envoya chercher Paul et l'écouta parler de la foi au Christ Jésus.

Actes 24, 25 Mais comme il se mettait à discourir sur la justice, la continence, le jugement à venir, Félix prit peur et répondit: "Pour le moment, tu peux aller. Je te rappellerai à la première occasion."

Actes 24, 26 Il espérait par ailleurs que Paul lui donnerait de l'argent; aussi l'envoyait-il assez souvent chercher pour converser avec lui.

Actes 24, 27 Après deux années révolues, Félix reçut pour successeur Porcius Festus. Voulant faire plaisir aux Juifs, Félix laissa Paul en captivité.

Actes 25, 1 Trois jours après son arrivée dans la province, Festus monta de Césarée à Jérusalem.

Actes 25, 2 Les grands prêtres et les notables juifs se constituèrent devant lui accusateurs de Paul. Lui présentant leur requête

Actes 25, 3 contre celui-ci, ils sollicitaient comme une faveur qu'il fût transféré à Jérusalem; ils préparaient un guet-apens pour le tuer en chemin.

Actes 25, 4 Mais Festus répondit que Paul devait rester en prison à Césarée, que lui-même d'ailleurs allait partir tout de suite.

Actes 25, 5 "Que ceux donc d'entre vous qui ont qualité, dit-il, descendent avec moi et, si cet homme est coupable en quelque manière, qu'ils le mettent en accusation."

Actes 25, 6 Après avoir passé chez eux huit à dix jours au plus, il descendit à Césarée et, siégeant au tribunal le lendemain, il fit amener Paul.

Actes 25, 7 Quand celui-ci fut arrivé, les Juifs descendus de Jérusalem l'entourèrent, portant contre lui des accusations multiples et graves, qu'ils n'étaient pas capables de prouver.

Actes 25, 8 Paul se défendait: "Je n'ai, disait-il, commis aucune faute contre la Loi des Juifs, ni contre le Temple, ni contre César."

Actes 25, 9 Voulant faire plaisir aux Juifs, Festus répondit à Paul: "Veux-tu monter à Jérusalem pour y être jugé là-dessus en ma présence?"

Actes 25, 10 Mais Paul répliqua: "Je suis devant le tribunal de César; c'est là que je dois être jugé. Je n'ai fait aucun tort aux Juifs, tu le sais très bien toi-même.

Actes 25, 11 Mais si je suis réellement coupable, si j'ai commis quelque crime qui mérite la mort, je ne refuse pas de mourir. Si, par contre, il n'y a rien de fondé dans les accusations de ces gens-là contre moi, nul n'a le droit de me céder à eux. J'en appelle à César!"

Actes 25, 12 Alors Festus, après en avoir conféré avec son conseil, répondit: "Tu en appelles à César, tu iras devant César."

Actes 25, 13 Quelques jours plus tard, le roi Agrippa et Bérénice arrivèrent à Césarée et vinrent saluer Festus.

Actes 25, 14 Comme leur séjour se prolongeait, Festus exposa au roi l'affaire de Paul: "Il y a ici, dit-il, un homme que Félix a laissé en captivité.

Actes 25, 15 Pendant que j'étais à Jérusalem, les grands prêtres et les anciens des Juifs ont porté plainte à son sujet, demandant sa condamnation.

Actes 25, 16 Je leur ai répondu que les Romains n'ont pas l'habitude de céder un homme avant que, ayant été accusé, il ait eu ses accusateurs en face de lui et qu'on lui ait donné la possibilité de se défendre contre l'inculpation.

Actes 25, 17 Ils sont donc venus ici avec moi, et, sans y apporter aucun délai, dès le lendemain, j'ai siégé à mon tribunal et fait amener l'homme.

Actes 25, 18 Mis en sa présence, les accusateurs n'ont soulevé aucun grief concernant des forfaits que, pour ma part, j'aurais soupçonnés.

Actes 25, 19 Ils avaient seulement avec lui je ne sais quelles contestations touchant leur religion à eux et touchant un certain Jésus, qui est mort, et que Paul affirme être en vie.

Actes 25, 20 Pour moi, embarrassé devant un débat de ce genre, je lui ai demandé s'il voulait aller à Jérusalem pour y être jugé là-dessus.

Actes 25, 21 Mais Paul ayant interjeté appel pour que son cas fût réservé au jugement de l'auguste empereur, j'ai ordonné de le garder jusqu'à ce que je l'envoie à César."

Actes 25, 22 Agrippa dit à Festus: "Je voudrais, moi aussi, entendre cet homme" - "Demain, dit-il, tu l'entendras."

Actes 25, 23 Le lendemain donc, Agrippa et Bérénice vinrent en grande pompe et se rendirent à la salle d'audience, entourés des tribuns et des notabilités de la ville. Sur l'ordre de Festus, on amena Paul.

Actes 25, 24 Festus dit alors: "Roi Agrippa et vous tous ici présents avec nous, vous voyez cet homme au sujet duquel la communauté juive tout entière est intervenue auprès de moi, tant à Jérusalem qu'ici, protestant à grands cris qu'il ne fallait pas le laisser vivre davantage.

Actes 25, 25 Pour moi, j'ai reconnu qu'il n'a rien fait qui mérite la mort; cependant, comme il en a lui-même appelé à l'auguste empereur, j'ai décidé de le lui envoyer.

Actes 25, 26 Je n'ai rien de bien précis à écrire au Seigneur sur son compte; c'est pourquoi je l'ai fait comparaître devant vous, devant toi surtout, roi Agrippa, afin qu'après cet interrogatoire, j'aie quelque chose à écrire.

Actes 25, 27 Il me paraît absurde, en effet, d'envoyer un prisonnier sans indiquer en même temps les charges qui pèsent sur lui."

Actes 26, 1 Agrippa dit à Paul: "Tu es autorisé à plaider ta cause." Alors, étendant la main, Paul présenta sa défense:

Actes 26, 2 "De tout ce dont me chargent les Juifs, je m'estime heureux, roi Agrippa, d'avoir aujourd'hui à me disculper devant toi,

Actes 26, 3 d'autant plus que tu es au courant de toutes les coutumes et controverses des Juifs. Aussi, je te prie de m'écouter avec patience.

Actes 26, 4 "Ce qu'a été ma vie depuis ma jeunesse, comment depuis le début j'ai vécu au sein de ma nation, à Jérusalem même, tous les Juifs le savent.

Actes 26, 5 Ils me connaissent de longue date et peuvent, s'ils le veulent, témoigner que j'ai vécu suivant le parti le plus strict de notre religion, en Pharisien.

Actes 26, 6 Maintenant encore, si je suis mis en jugement, c'est à cause de mon espérance en la promesse faite par Dieu à nos pères

Actes 26, 7 et dont nos douze tribus, dans le culte qu'elles rendent à Dieu avec persévérance, nuit et jour, espèrent atteindre l'accomplissement. C'est pour cette espérance, ô roi, que je suis mis en accusation par les Juifs.

Actes 26, 8 Pourquoi juge-t-on incroyable parmi vous que Dieu ressuscite les morts?

Actes 26, 9 "Pour moi donc, j'avais estimé devoir employer tous les moyens pour combattre le nom de Jésus le Nazôréen.

Actes 26, 10 Et c'est ce que j'ai fait à Jérusalem; j'ai moi-même jeté en prison un grand nombre de saints, ayant reçu ce pouvoir des grands prêtres, et quand on les mettait à mort, j'apportais mon suffrage.

Actes 26, 11 Souvent aussi, parcourant toutes les synagogues, je voulais, par mes sévices, les forcer à blasphémer et, dans l'excès de ma fureur contre eux, je les poursuivais jusque dans les villes étrangères.

Actes 26, 12 "C'est ainsi que je me rendis à Damas avec pleins pouvoirs et mission des grands prêtres.

Actes 26, 13 En chemin, vers midi, je vis, ô roi, venant du ciel et plus éclatante que le soleil, une lumière qui resplendit autour de moi et de ceux qui m'accompagnaient.

Actes 26, 14 Tous nous tombâmes à terre, et j'entendis une voix qui me disait en langue hébraïque: Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu? Il est dur pour toi de regimber contre l'aiguillon.

Actes 26, 15 Je répondis: Qui es-tu, Seigneur? Le Seigneur dit: Je suis Jésus, que tu persécutes.

Actes 26, 16 Mais relève-toi et tiens-toi debout. Car voici pourquoi je te suis apparu: pour t'établir serviteur et témoin de la vision dans laquelle tu viens de me voir et de celles où je me montrerai encore à toi.

Actes 26, 17 C'est pour cela que je te délivrerai du peuple et des nations païennes, vers lesquelles je t'envoie, moi,

Actes 26, 18 pour leur ouvrir les yeux, afin qu'elles reviennent des ténèbres à la lumière et de l'empire de Satan à Dieu, et qu'elles obtiennent, par la foi en moi, la rémission de leurs péchés et une part d'héritage avec les sanctifiés.

Actes 26, 19 "Dès lors, roi Agrippa, je n'ai pas été rebelle à la vision céleste.

Actes 26, 20 Bien au contraire, aux habitants de Damas d'abord, à Jérusalem et dans tout le pays de Judée, puis aux païens, j'ai prêché qu'il fallait se repentir et revenir à Dieu en faisant des oeuvres qui conviennent au repentir.

Actes 26, 21 Voilà pourquoi les Juifs, s'étant saisis de moi dans le Temple, essayaient de me tuer.

Actes 26, 22 Soutenu par la protection de Dieu, j'ai continué jusqu'à ce jour à rendre mon témoignage devant petits et grands, sans jamais rien dire en dehors de ce que les Prophètes et Moïse avaient déclaré devoir arriver:

Actes 26, 23 que le Christ souffrirait et que, ressuscité le premier d'entre les morts, il annoncerait la lumière au peuple et aux nations païennes."

Actes 26, 24 Il en était là de sa défense, quand Festus dit à haute voix: "Tu es fou, Paul; ton grand savoir te fait perdre la tête."

Actes 26, 25 Sur quoi Paul de dire: "Je ne suis pas fou, très excellent Festus, mais je parle un langage de vérité et de bon sens.

Actes 26, 26 Car il est instruit de ces choses, le roi, auquel je m'adresse en toute assurance, persuadé que rien ne lui en est étranger. Car ce n'est pas dans un coin que cela s'est passé!

Actes 26, 27 Crois-tu aux prophètes, roi Agrippa? Je sais que tu y crois."

Actes 26, 28 Et le roi Agrippa de répondre à Paul: "Encore un peu et, par tes raisons, tu vas faire de moi un chrétien!"

Actes 26, 29 Et Paul: "Qu'il s'en faille de peu ou de beaucoup, puisse Dieu faire que non seulement toi, mais tous ceux qui m'écoutent aujourd'hui, vous deveniez tels que je suis moi-même, à l'exception des chaînes que voici."

Actes 26, 30 Là-dessus le roi se leva, ainsi que le gouverneur, Bérénice et ceux qui étaient assis avec eux.

Actes 26, 31 En se retirant, ils parlaient entre eux: "Cet homme, disaient-ils, n'a rien fait qui mérite la mort ni les chaînes."

Actes 26, 32 Agrippa, lui, dit à Festus: "On aurait pu relâcher cet homme s'il n'en avait appelé à César."

Actes 27, 1 Quand notre embarquement pour l'Italie eut été décidé, on remit Paul et quelques autres prisonniers à un centurion de la cohorte Augusta, nommé Julius.

Actes 27, 2 Nous montâmes à bord d'un vaisseau d'Adramyttium qui allait partir pour les côtes d'Asie, et nous prîmes la mer. Il y avait avec nous Aristarque, un Macédonien de Thessalonique.

Actes 27, 3 Le lendemain, nous touchâmes à Sidon. Julius fit preuve d'humanité à l'égard de Paul en lui permettant d'aller trouver ses amis et de recevoir leurs bons offices.

Actes 27, 4 Partis de là, nous longeâmes la côte de Chypre, parce que les vents étaient contraires.

Actes 27, 5 Traversant ensuite les mers de Cilicie et de Pamphylie, nous arrivâmes au bout de quinze jours à Myre en Lycie.

Actes 27, 6 Là, le centurion trouva un navire alexandrin en partance pour l'Italie et nous fit monter à bord.

Actes 27, 7 Pendant plusieurs jours la navigation fut lente, et nous arrivâmes à grand-peine à la hauteur de Cnide. Le vent ne nous permit pas d'aborder, nous longeâmes alors la Crète vers le cap Salmoné,

Actes 27, 8 et après l'avoir côtoyée péniblement, nous arrivâmes à un endroit appelé Bons-Ports, près duquel se trouve la ville de Lasaïa.

Actes 27, 9 Il s'était écoulé pas mal de temps, et la navigation était désormais périlleuse, car même le Jeûne était déjà passé. Paul les en avertissait:

Actes 27, 10 "Mes amis, leur disait-il, je vois que la navigation n'ira pas sans péril et sans grave dommage non seulement pour la cargaison et le navire, mais même pour nos personnes."

Actes 27, 11 Le centurion se fiait au capitaine et à l'armateur plutôt qu'aux dires de Paul;

Actes 27, 12 le port se prêtait d'ailleurs mal à l'hivernage. La plupart furent donc d'avis de partir et de gagner, si possible, pour y passer l'hiver, Phénix, un port de Crète tourné vers le sud-ouest et le nord-ouest.

Actes 27, 13 Un léger vent du sud s'étant levé, ils se crurent en mesure d'exécuter leur projet. Ils levèrent l'ancre et se mirent à côtoyer de près la Crète.

Actes 27, 14 Mais bientôt, venant de l'île, se déchaîna un vent d'ouragan nommé Euraquilon.

Actes 27, 15 Le navire fut entraîné et ne put tenir tête au vent; nous nous abandonnâmes donc à la dérive.

Actes 27, 16 Filant sous une petite île appelée Cauda, nous réussîmes à grand-peine à nous rendre maîtres de la chaloupe.

Actes 27, 17 Après l'avoir hissée, on fit usage des engins de secours: on ceintura le navire; puis, par crainte d'aller échouer sur la Syrte, on laissa glisser l'ancre flottante. On allait ainsi à la dérive.

Actes 27, 18 Le lendemain, comme nous étions furieusement battus de la tempête, on se mit à délester le navire

Actes 27, 19 et, le troisième jour, de leurs propres mains, les matelots jetèrent les agrès à la mer.

Actes 27, 20 Ni soleil ni étoiles n'avaient brillé depuis plusieurs jours, et la tempête gardait toujours la même violence; aussi tout espoir de salut était-il désormais perdu pour nous.

Actes 27, 21 Il y avait longtemps qu'on n'avait plus mangé: alors Paul, debout au milieu des autres, leur dit: "Il fallait m'écouter, mes amis, et ne pas quitter la Crète; on se serait épargné ce péril et ce dommage.

Actes 27, 22 Quoi qu'il en soit, je vous invite à avoir bon courage, car aucun de vous n'y laissera la vie, le navire seul sera perdu.

Actes 27, 23 Cette nuit en effet m'est apparu un ange du Dieu auquel j'appartiens et que je sers,

Actes 27, 24 et il m'a dit: Sois sans crainte, Paul. Il faut que tu comparaisses devant César, et voici que Dieu t'accorde la vie de tous ceux qui naviguent avec toi.

Actes 27, 25 Courage donc, mes amis! Je me fie à Dieu de ce qu'il en sera comme il m'a été dit.

Actes 27, 26 Mais nous devons échouer sur une île."

Actes 27, 27 C'était la quatorzième nuit et nous étions ballottés sur l'Adriatique, quand, vers minuit, les matelots pressentirent l'approche d'une terre.

Actes 27, 28 Ils lancèrent la sonde et trouvèrent vingt brasses; un peu plus loin, ils la lancèrent encore et trouvèrent quinze brasses.

Actes 27, 29 Craignant donc que nous n'allions échouer quelque part sur des écueils, ils jetèrent quatre ancres à la poupe; et ils appelaient de leurs voeux la venue du jour.

Actes 27, 30 Mais les matelots cherchaient à s'enfuir du navire. Ils mirent la chaloupe à la mer, sous prétexte d'aller élonger les ancres de la proue.

Actes 27, 31 Paul dit alors au centurion et aux soldats: "Si ces gens-là ne restent pas sur le navire, vous ne pouvez être sauvés."

Actes 27, 32 Sur ce les soldats coupèrent les cordes de la chaloupe et la laissèrent tomber.

Actes 27, 33 En attendant que parût le jour, Paul engageait tout le monde à prendre de la nourriture. "Voici aujourd'hui quatorze jours, disait-il, que, dans l'attente, vous restez à jeun, sans rien prendre.

Actes 27, 34 Je vous engage donc à prendre de la nourriture, car c'est votre propre salut qui est ici en jeu. Nul d'entre vous ne perdra un cheveu de sa tête."

Actes 27, 35 Cela dit, il prit du pain, rendit grâces à Dieu devant tous, le rompit et se mit à manger.

Actes 27, 36 Alors, retrouvant leur courage, eux aussi prirent tous de la nourriture.

Actes 27, 37 Nous étions en tout sur le navire 276 personnes.

Actes 27, 38 Une fois rassasiés, on se mit à alléger le navire en jetant le blé à la mer.

Actes 27, 39 Quand le jour parut, les marins ne reconnurent pas la terre; ils distinguaient seulement une baie avec une plage, et ils se proposaient, si possible, d'y pousser le navire.

Actes 27, 40 Ils détachèrent les ancres, qu'ils abandonnèrent à la mer; ils relâchèrent en même temps les amarres des gouvernails. Puis, hissant au vent la voile d'artimon, ils se laissèrent porter vers la plage.

Actes 27, 41 Mais ayant touché un haut-fond entre deux courants, ils y firent échouer le navire. La proue, fortement engagée, restait immobile, tandis que la poupe, violemment secouée, se disloquait.

Actes 27, 42 Les soldats résolurent alors de tuer les prisonniers, de peur qu'il ne s'en échappât quelqu'un à la nage.

Actes 27, 43 Mais le centurion, qui voulait sauver Paul, s'opposa à leur dessein. Il donna l'ordre à ceux qui savaient nager de se jeter à l'eau les premiers et de gagner la terre;

Actes 27, 44 quant aux autres, ils la gagneraient, qui sur des planches, qui sur les épaves du navire. Et c'est ainsi que tous parvinrent sains et saufs à terre.

Actes 28, 1 Une fois sauvés, nous apprîmes que l'île s'appelait Malte.

Actes 28, 2 Les indigènes nous traitèrent avec une humanité peu banale. Ils nous accueillirent tous auprès d'un grand feu qu'ils avaient allumé à cause de la pluie qui était survenue et du froid.

Actes 28, 3 Comme Paul ramassait une brassée de bois sec et la jetait dans le feu, une vipère, que la chaleur en fit sortir, s'accrocha à sa main.

Actes 28, 4 Quand les indigènes virent la bête suspendue à sa main, ils se dirent entre eux: "Pour sûr, c'est un assassin que cet homme: il vient d'échapper à la mer, et la vengeance divine ne lui permet pas de vivre."

Actes 28, 5 Mais lui secoua la bête dans le feu et n'en ressentit aucun mal.

Actes 28, 6 Ils s'attendaient à le voir enfler ou tomber raide mort. Après avoir attendu longtemps, voyant qu'il ne lui arrivait rien d'anormal, ils changèrent d'avis et se mirent à dire que c'était un dieu.

Actes 28, 7 Il y avait à proximité de cet endroit un domaine appartenant au Premier de l'île, nommé Publius. Celui-ci nous reçut et nous hébergea complaisamment pendant trois jours.

Actes 28, 8 Justement le père de Publius, en proie aux fièvres et à la dysenterie, était alité. Paul alla le voir, pria, lui imposa les mains et le guérit.

Actes 28, 9 Sur quoi, les autres malades de l'île vinrent aussi le trouver et furent guéris.

Actes 28, 10 Aussi nous comblèrent-ils de toutes sortes de prévenances et, à notre départ, nous pourvurent-ils du nécessaire.

Actes 28, 11 Au bout de trois mois, nous prîmes la mer sur un navire qui avait hiverné dans l'île; c'était un bateau alexandrin, à l'enseigne des Dioscures.

Actes 28, 12 Nous abordâmes à Syracuse et y demeurâmes trois jours.

Actes 28, 13 De là, en longeant la côte, nous allâmes à Rhegium. Le jour suivant, le vent du Sud se leva, et nous parvenions le surlendemain à Puteoli.

Actes 28, 14 Y trouvant des frères, nous eûmes la consolation de rester sept jours avec eux. Et c'est ainsi que nous arrivâmes à Rome.

Actes 28, 15 Les frères de cette ville, informés de notre arrivée, vinrent à notre rencontre jusqu'au Forum d'Appius et aux Trois-Tavernes. En les voyant, Paul rendit grâces à Dieu et reprit courage.

Actes 28, 16 Quand nous fûmes entrés dans Rome, on permit à Paul de loger en son particulier avec le soldat qui le gardait.

Actes 28, 17 Trois jours après, il convoqua les notables juifs. Lorsqu'ils furent réunis, il leur dit: "Frères, alors que je n'avais rien fait contre notre peuple ni contre les coutumes des pères, j'ai été arrêté à Jérusalem et livré aux mains des Romains.

Actes 28, 18 Enquête faite, ceux-ci voulaient me relâcher, parce qu'il n'y avait rien en moi qui méritât la mort.

Actes 28, 19 Mais comme les Juifs s'y opposaient, j'ai été contraint d'en appeler à César, sans pourtant vouloir accuser en rien ma nation.

Actes 28, 20 Voilà pourquoi j'ai demandé à vous voir et à vous parler; car c'est à cause de l'espérance d'Israël que je porte les chaînes que voici."

Actes 28, 21 Ils lui répondirent: "Pour notre compte, nous n'avons reçu à ton sujet aucune lettre de Judée, et aucun des frères arrivés ici ne nous a rien communiqué ni appris de fâcheux sur ton compte.

Actes 28, 22 Mais nous voudrions entendre de ta bouche ce que tu penses; car pour ce qui est de ce parti-là, nous savons qu'il rencontre partout la contradiction."

Actes 28, 23 Ils prirent donc jour avec lui et vinrent en plus grand nombre le trouver en son logis. Dans l'exposé qu'il leur fit, il rendait témoignage du Royaume de Dieu et cherchait à les persuader au sujet de Jésus, en partant de la Loi de Moïse et des Prophètes. Cela dura depuis le matin jusqu'au soir.

Actes 28, 24 Les uns se laissaient persuader par ses paroles, les autres restaient incrédules.

Actes 28, 25 Ils se séparaient sans être d'accord entre eux, quand Paul dit ce simple mot: "Elles sont bien vraies les paroles que l'Esprit Saint a dites à vos pères par la bouche du prophète Isaïe:

Actes 28, 26 Va trouver ce peuple et dis-lui: vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas; vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.

Actes 28, 27 C'est que l'esprit de ce peuple s'est épaissi: ils se sont bouché les oreilles, ils ont fermé les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n'entendent, que leur esprit ne comprenne, qu'ils ne se convertissent. Et je les aurais guéris!

Actes 28, 28 "Sachez-le donc: c'est aux païens qu'a été envoyé ce salut de Dieu. Eux du moins, ils écouteront."

Actes 28, 30 Paul demeura deux années entières dans le logis qu'il avait loué. Il recevait tous ceux qui venaient le trouver,

Actes 28, 31 proclamant le Royaume de Dieu et enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus Christ avec pleine assurance et sans obstacle.

 

Epitre aux Romains

 

1, 1 Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par vocation, mis à part pour annoncer l'Evangile de Dieu,

Romains 1, 2 que d'avance il avait promis par ses prophètes dans les saintes Ecritures,

Romains 1, 3 concernant son Fils, issu de la lignée de David selon la chair,

Romains 1, 4 établi Fils de Dieu avec puissance selon l'Esprit de sainteté, par sa résurrection des morts, Jésus Christ notre Seigneur,

Romains 1, 5 par qui nous avons reçu grâce et apostolat pour prêcher, à l'honneur de son nom, l'obéissance de la foi parmi tous les païens,

Romains 1, 6 dont vous faites partie, vous aussi, appelés de Jésus Christ,

Romains 1, 7 à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome, aux saints par vocation, à vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ.

Romains 1, 8 Et d'abord je remercie mon Dieu par Jésus Christ à votre sujet à tous, de ce qu'on publie votre foi dans le monde entier.

Romains 1, 9 Car Dieu m'est témoin, à qui je rends un culte spirituel en annonçant l'Evangile de son Fils, avec quelle continuité je fais mémoire de vous

Romains 1, 10 et demande constamment dans mes prières d'avoir enfin une occasion favorable, si Dieu le veut, d'aller jusqu'à vous.

Romains 1, 11 Car j'ai un vif désir de vous voir, afin de vous communiquer quelque don spirituel, pour vous affermir,

Romains 1, 12 ou plutôt éprouver le réconfort parmi vous de notre foi commune à vous et à moi.

Romains 1, 13 Je ne veux pas vous laisser ignorer, frères, que j'ai souvent projeté de me rendre chez vous -- mais j'en fus empêché jusqu'ici -- afin de recueillir aussi quelque fruit parmi vous comme parmi les autres païens.

Romains 1, 14 Je me dois aux Grecs comme aux barbares, aux savants comme aux ignorants:

Romains 1, 15 de là mon empressement à vous porter l'Evangile à vous aussi, habitants de Rome.

Romains 1, 16 Car je ne rougis pas de l'Evangile: il est une force de Dieu pour le salut de tout homme qui croit, du Juif d'abord, puis du Grec.

Romains 1, 17 Car en lui la justice de Dieu se révèle de la foi à la foi, comme il est écrit: Le juste vivra de la foi.

Romains 1, 18 En effet, la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes, qui tiennent la vérité captive dans l'injustice;

Romains 1, 19 car ce qu'on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste: Dieu en effet le leur a manifesté.

Romains 1, 20 Ce qu'il a d'invisible depuis la création du monde se laisse voir à l'intelligence à travers ses oeuvres, son éternelle puissance et sa divinité, en sorte qu'ils sont inexcusables;

Romains 1, 21 puisque, ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu comme à un Dieu gloire ou actions de grâces, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements et leur coeur inintelligent s'est enténébré:

Romains 1, 22 dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous

Romains 1, 23 et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d'hommes corruptibles, d'oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles.

Romains 1, 24 Aussi Dieu les a-t-il livrés selon les convoitises de leur coeur à une impureté où ils avilissent eux-mêmes leurs propres corps;

Romains 1, 25 eux qui ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature de préférence au Créateur, qui est béni éternellement! Amen.

Romains 1, 26 Aussi Dieu les a-t-il livrés à des passions avilissantes: car leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature;

Romains 1, 27 pareillement les hommes, délaissant l'usage naturel de la femme, ont brûlé de désir les uns pour les autres, perpétrant l'infamie d'homme à homme et recevant en leurs personnes l'inévitable salaire de leur égarement.

Romains 1, 28 Et comme ils n'ont pas jugé bon de garder la vraie connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à leur esprit sans jugement, pour faire ce qui ne convient pas:

Romains 1, 29 remplis de toute injustice, de perversité, de cupidité, de malice; ne respirant qu'envie, meurtre, dispute, fourberie, malignité; diffamateurs,

Romains 1, 30 détracteurs, ennemis de Dieu, insulteurs, orgueilleux, fanfarons, ingénieux au mal, rebelles à leurs parents,

Romains 1, 31 insensés, déloyaux, sans coeur, sans pitié;

Romains 1, 32 connaissant bien pourtant le verdict de Dieu qui déclare dignes de mort les auteurs de pareilles actions, non seulement ils les font, mais ils approuvent encore ceux qui les commettent.

Romains 2, 1 Aussi es-tu sans excuse, qui que tu sois, toi qui juges. Car en jugeant autrui, tu juges contre toi-même: puisque tu agis de même, toi qui juges,

Romains 2, 2 et nous savons que le jugement de Dieu s'exerce selon la vérité sur les auteurs de pareilles actions.

Romains 2, 3 Et tu comptes, toi qui juges ceux qui les commettent et qui les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de Dieu?

Romains 2, 4 Ou bien méprises-tu ses richesses de bonté, de patience, de longanimité, sans reconnaître que cette bonté de Dieu te pousse au repentir?

Romains 2, 5 Par ton endurcissement et l'impénitence de ton coeur, tu amasses contre toi un trésor de colère, au jour de la colère où se révélera le juste jugement de Dieu,

Romains 2, 6 qui rendra à chacun selon ses oeuvres:

Romains 2, 7 à ceux qui par la constance dans le bien recherchent gloire, honneur et incorruptibilité: la vie éternelle;

Romains 2, 8 aux autres, âmes rebelles, indociles à la vérité et dociles à l'injustice: la colère et l'indignation.

Romains 2, 9 Tribulation et angoisse à toute âme humaine qui s'adonne au mal, au Juif d'abord, puis au Grec;

Romains 2, 10 gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d'abord, puis au Grec;

Romains 2, 11 car Dieu ne fait pas acception des personnes.

Romains 2, 12 En effet, quiconque aura péché sans la Loi, périra aussi sans la Loi; et quiconque aura péché sous la Loi, par la Loi sera jugé;

Romains 2, 13 ce ne sont pas les auditeurs de la Loi qui sont justes devant Dieu, mais les observateurs de la Loi qui seront justifiés.

Romains 2, 14 En effet, quand des païens privés de la Loi accomplissent naturellement les prescriptions de la Loi, ces hommes, sans posséder de Loi, se tiennent à eux-mêmes lieu de Loi;

Romains 2, 15 ils montrent la réalité de cette loi inscrite en leur coeur, à preuve le témoignage de leur conscience, ainsi que les jugements intérieurs de blâme ou d'éloge qu'ils portent les uns sur les autres...

Romains 2, 16 au jour où Dieu jugera les pensées secrètes des hommes, selon mon Evangile, par le Christ Jésus.

Romains 2, 17 Mais si toi, qui arbores le nom de Juif, qui te reposes sur la Loi, qui te glorifies en Dieu,

Romains 2, 18 qui connais sa volonté, qui discernes le meilleur, instruit par la Loi,

Romains 2, 19 et ainsi te flattes d'être toi-même le guide des aveugles, la lumière de qui marche dans les ténèbres,

Romains 2, 20 l'éducateur des ignorants, le maître des simples, parce que tu possèdes dans la Loi l'expression même de la science et de la vérité...

Romains 2, 21 eh bien! l'homme qui enseigne autrui, tu ne t'enseignes pas toi-même! tu prêches de ne pas dérober et tu dérobes!

Romains 2, 22 tu interdis l'adultère et tu commets l'adultère! tu abhorres les idoles, et tu pilles leurs temples!

Romains 2, 23 Toi qui te glorifies dans la Loi, en transgressant cette Loi, c'est Dieu que tu déshonores,

Romains 2, 24 car le nom de Dieu, à cause de vous, est blasphémé parmi les nations, dit l'Ecriture.

Romains 2, 25 La circoncision, en effet, te sert si tu pratiques la Loi; mais si tu transgresses la Loi, avec ta circoncision, tu n'es plus qu'un incirconcis.

Romains 2, 26 Si donc l'incirconcis garde les prescriptions de la Loi, son incirconcision ne vaudra-t-elle pas une circoncision?

Romains 2, 27 Et celui qui physiquement incirconcis accomplit la Loi te jugera, toi qui avec la lettre et avec la circoncision es transgresseur de la Loi,

Romains 2, 28 Car le Juif n'est pas celui qui l'est au-dehors, et la circoncision n'est pas au-dehors dans la chair,

Romains 2, 29 le vrai Juif l'est au-dedans et la circoncision dans le coeur, selon l'esprit et non pas selon la lettre: voilà celui qui tient sa louange non des hommes, mais de Dieu.

Romains 3, 1 Quelle est donc la supériorité du Juif? Quelle est l'utilité de la circoncision?

Romains 3, 2 Grande à tous égards. D'abord c'est à eux que furent confiés les oracles de Dieu.

Romains 3, 3 Quoi donc si d'aucuns furent infidèles? Leur infidélité va-t-elle annuler la fidélité de Dieu?

Romains 3, 4 Certes non! Il faut que Dieu soit véridique et tout homme menteur, comme dit l'Ecriture: Afin que tu sois justifié dans tes paroles, et triomphes si l'on te met en jugement.

Romains 3, 5 Mais si notre injustice met en relief la justice de Dieu, que dire? Dieu serait-il injuste en nous frappant de sa colère? Je parle en homme.

Romains 3, 6 Certes non! Sinon, comment Dieu jugera-t-il le monde?

Romains 3, 7 Mais si mon mensonge a rehaussé la vérité de Dieu pour sa gloire, de quel droit suis-je jugé moi aussi comme un pécheur?

Romains 3, 8 Ou bien, comme certains nous accusent outrageusement de le dire, devrions-nous faire le mal pour qu'en sorte le bien? Ceux-là méritent leur condamnation.

Romains 3, 9 Quoi donc? L'emportons-nous? Pas du tout. Car nous avons établi que Juifs et Grecs, tous sont soumis au péché,

Romains 3, 10 comme il est écrit: Il n'est pas de juste, pas un seul,

Romains 3, 11 il n'en est pas de sensé, pas un qui recherche Dieu.

Romains 3, 12 Tous ils sont dévoyés, ensemble pervertis; il n'en est pas qui fasse le bien, non, pas un seul.

Romains 3, 13 Leur gosier est un sépulcre béant, leur langue trame la ruse. Un venin d'aspic est sous leurs lèvres,

Romains 3, 14 la malédiction et l'aigreur emplissent leur bouche.

Romains 3, 15 Agiles sont leurs pieds à verser le sang;

Romains 3, 16 ruine et misère sont sur leurs chemins.

Romains 3, 17 Le chemin de la paix, ils ne l'ont pas connu,

Romains 3, 18 nulle crainte de Dieu devant leurs yeux.

Romains 3, 19 Or, nous le savons, tout ce que dit la Loi, elle le dit pour ceux qui sont sous la Loi, afin que toute bouche soit fermée, et le monde entier reconnu coupable devant Dieu,

Romains 3, 20 puisque personne ne sera justifié devant lui par la pratique de la Loi: la Loi ne fait que donner la connaissance du péché.

Romains 3, 21 Mais maintenant, sans la Loi, la justice de Dieu s'est manifestée, attestée par la Loi et les Prophètes,

Romains 3, 22 justice de Dieu par la foi en Jésus Christ, à l'adresse de tous ceux qui croient -- car il n'y a pas de différence:

Romains 3, 23 tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu --

Romains 3, 24 et ils sont justifiés par la faveur de sa grâce en vertu de la rédemption accomplie dans le Christ Jésus:

Romains 3, 25 Dieu l'a exposé, instrument de propitiation par son propre sang moyennant la foi; il voulait montrer sa justice, du fait qu'il avait passé condamnation sur les péchés commis jadis

Romains 3, 26 au temps de la patience de Dieu; il voulait montrer sa justice au temps présent, afin d'être juste et de justifier celui qui se réclame de la foi en Jésus.

Romains 3, 27 Où donc est le droit de se glorifier? Il est exclu. Par quel genre de loi? Celle des oeuvres? Non, par une loi de foi.

Romains 3, 28 Car nous estimons que l'homme est justifié par la foi sans la pratique de la Loi.

Romains 3, 29 Ou alors Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement, et non point des païens? Certes, également des païens;

Romains 3, 30 puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu, qui justifiera les circoncis en vertu de la foi comme les incirconcis par le moyen de cette foi.

Romains 3, 31 Alors, par la foi nous privons la Loi de sa valeur? Certes non! Nous la lui conférons.

Romains 4, 1 Que dirons-nous donc d'Abraham, notre ancêtre selon la chair?

Romains 4, 2 Si Abraham tint sa justice des oeuvres, il a de quoi se glorifier. Mais non au regard de Dieu!

Romains 4, 3 Que dit en effet l'Ecriture? Abraham crut à Dieu, et ce lui fut compté comme justice.

Romains 4, 4 A qui fournit un travail on ne compte pas le salaire à titre gracieux: c'est un dû;

Romains 4, 5 mais à qui, au lieu de travailler, croit en celui qui justifie l'impie, on compte sa foi comme justice.

Romains 4, 6 Exactement comme David proclame heureux l'homme à qui Dieu attribue la justice indépendamment des oeuvres:

Romains 4, 7 Heureux ceux dont les offenses ont été remises, et les péchés couverts.

Romains 4, 8 Heureux l'homme à qui le Seigneur n'impute aucun péché.

Romains 4, 9 Cette déclaration de bonheur s'adresse-t-elle donc aux circoncis ou bien également aux incirconcis? Nous disons, en effet, que la foi d'Abraham lui fut comptée comme justice.

Romains 4, 10 Comment donc fut-elle comptée? Quand il était circoncis ou avant qu'il le fût? Non pas après, mais avant;

Romains 4, 11 et il reçut le signe de la circoncision comme sceau de la justice de la foi qu'il possédait quand il était incirconcis; ainsi devint-il à la fois le père de tous ceux qui croiraient sans avoir la circoncision, pour que la justice leur fût également comptée,

Romains 4, 12 et le père des circoncis, qui ne se contentent pas d'être circoncis, mais marchent sur les traces de la foi qu'avant la circoncision eut notre père Abraham.

Romains 4, 13 De fait ce n'est point par l'intermédiaire d'une loi qu'agit la promesse faite à Abraham ou à sa descendance de recevoir le monde en héritage, mais par le moyen de la justice de la foi.

Romains 4, 14 Car si l'héritage appartient à ceux qui relèvent de la Loi, la foi est sans objet, et la promesse sans valeur;

Romains 4, 15 la Loi en effet produit la colère, tandis qu'en l'absence de loi il n'y a pas non plus de transgression.

Romains 4, 16 Aussi dépend-il de la foi, afin d'être don gracieux, et qu'ainsi la promesse soit assurée à toute la descendance, qui se réclame non de la Loi seulement, mais encore de la foi d'Abraham, notre père à tous,

Romains 4, 17 comme il est écrit: Je t'ai établi père d'une multitude de peuples -- notre père devant Celui auquel il a cru, le Dieu qui donne la vie aux morts et appelle le néant à l'existence.

Romains 4, 18 Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi père d'une multitude de peuples, selon qu'il fut dit: Telle sera ta descendance.

Romains 4, 19 C'est d'une foi sans défaillance qu'il considéra son corps déjà mort -- il avait quelque cent ans -- et le sein de Sara, mort également;

Romains 4, 20 appuyé sur la promesse de Dieu, sans hésitation ni incrédulité, mais avec une foi puissante, il rendit gloire à Dieu,

Romains 4, 21 certain que tout ce que Dieu a promis, il est assez puissant ensuite pour l'accomplir.

Romains 4, 22 Voilà pourquoi ce lui fut compté comme justice.

Romains 4, 23 Or quand l'Ecriture dit que sa foi lui fut comptée, ce n'est point pour lui seul; elle nous visait également,

Romains 4, 24 nous à qui la foi doit être comptée, nous qui croyons en celui qui ressuscita d'entre les morts Jésus notre Seigneur,

Romains 4, 25 livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification.

Romains 5, 1 Ayant donc reçu notre justification de la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ,

Romains 5, 2 lui qui nous a donné d'avoir accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu.

Romains 5, 3 Que dis-je? Nous nous glorifions encore des tribulations, sachant bien que la tribulation produit la constance,

Romains 5, 4 la constance une vertu éprouvée, la vertu éprouvée l'espérance.

Romains 5, 5 Et l'espérance ne déçoit point, parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint Esprit qui nous fut donné.

Romains 5, 6 C'est en effet alors que nous étions sans force, c'est alors, au temps fixé, que le Christ est mort pour des impies; --

Romains 5, 7 à peine en effet voudrait-on mourir pour un homme juste; pour un homme de bien, oui, peut-être osera-t-on mourir; --

Romains 5, 8 mais la preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous.

Romains 5, 9 Combien plus, maintenant justifiés dans son sang, serons-nous par lui sauvés de la colère.

Romains 5, 10 Si, étant ennemis, nous fûmes réconciliés à Dieu par la mort de son Fils, combien plus, une fois réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie,

Romains 5, 11 et pas seulement cela, mais nous nous glorifions en Dieu par notre Seigneur Jésus Christ par qui dès à présent nous avons obtenu la réconciliation.

Romains 5, 12 Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché; --

Romains 5, 13 car jusqu'à la Loi il y avait du péché dans le monde, mais le péché n'est pas imputé quand il n'y a pas de loi;

Romains 5, 14 cependant la mort a régné d'Adam à Moïse même sur ceux qui n'avaient point péché d'une transgression semblable à celle d'Adam, figure de celui qui devait venir...

Romains 5, 15 Mais il n'en va pas du don comme de la faute. Si, par la faute d'un seul, la multitude est morte, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d'un seul homme, Jésus Christ, se sont-ils répandus à profusion sur la multitude.

Romains 5, 16 Et il n'en va pas du don comme des conséquences du péché d'un seul: le jugement venant après un seul péché aboutit à une condamnation, l'oeuvre de grâce à la suite d'un grand nombre de fautes aboutit à une justification.

Romains 5, 17 Si, en effet, par la faute d'un seul, la mort a régné du fait de ce seul homme, combien plus ceux qui reçoivent avec profusion la grâce et le don de la justice régneront-ils dans la vie par le seul Jésus Christ.

Romains 5, 18 Ainsi donc, comme la faute d'un seul a entraîné sur tous les hommes une condamnation, de même l'oeuvre de justice d'un seul procure à tous une justification qui donne la vie.

Romains 5, 19 Comme en effet par la désobéissance d'un seul homme la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par l'obéissance d'un seul la multitude sera-t-elle constituée juste.

Romains 5, 20 La Loi, elle, est intervenue pour que se multipliât la faute; mais où le péché s'est multiplié, la grâce a surabondé:

Romains 5, 21 ainsi, de même que le péché a régné dans la mort, de même la grâce régnerait par la justice pour la vie éternelle par Jésus Christ notre Seigneur.

Romains 6, 1 Que dire alors? Qu'il nous faut rester dans le péché, pour que la grâce se multiplie? Certes non!

Romains 6, 2 Si nous sommes morts au péché, comment continuer de vivre en lui?

Romains 6, 3 Ou bien ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que tous nous avons été baptisés?

Romains 6, 4 Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle.

Romains 6, 5 Car si c'est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable;

Romains 6, 6 comprenons-le, notre vieil homme a été crucifié avec lui, pour que fût réduit à l'impuissance ce corps de péché, afin que nous cessions d'être asservis au péché.

Romains 6, 7 Car celui qui est mort est affranchi du péché.

Romains 6, 8 Mais si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivons aussi avec lui,

Romains 6, 9 sachant que le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus, que la mort n'exerce plus de pouvoir sur lui.

Romains 6, 10 Sa mort fut une mort au péché, une fois pour toutes; mais sa vie est une vie à Dieu.

Romains 6, 11 Et vous de même, considérez que vous êtes morts au péché et vivants à Dieu dans le Christ Jésus.

Romains 6, 12 Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel de manière à vous plier à ses convoitises.

Romains 6, 13 Ne faites plus de vos membres des armes d'injustice au service du péché; mais offrez-vous à Dieu comme des vivants revenus de la mort et faites de vos membres des armes de justice au service de Dieu.

Romains 6, 14 Car le péché ne dominera pas sur vous: vous n'êtes pas sous la Loi, mais sous la grâce.

Romains 6, 15 Quoi donc? Allons-nous pécher parce que nous ne sommes pas sous la Loi, mais sous la grâce? Certes non!

Romains 6, 16 Ne savez-vous pas qu'en vous offrant à quelqu'un comme esclaves pour obéir, vous devenez les esclaves du maître à qui vous obéissez, soit du péché pour la mort, soit de l'obéissance pour la justice?

Romains 6, 17 Mais grâces soient rendues à Dieu; jadis esclaves du péché, vous vous êtes soumis cordialement à la règle de doctrine à laquelle vous avez été confiés,

Romains 6, 18 et, affranchis du péché, vous avez été asservis à la justice. --

Romains 6, 19 J'emploie une comparaison humaine en raison de votre faiblesse naturelle. -- Car si vous avez jadis offert vos membres comme esclaves à l'impureté et au désordre de manière à vous désordonner, offrez-les de même aujourd'hui à la justice pour sanctifier.

Romains 6, 20 Quand vous étiez esclaves du péché, vous étiez libres à l'égard de la justice.

Romains 6, 21 Quel fruit recueilliez-vous alors d'actions dont aujourd'hui vous rougissez? Car leur aboutissement, c'est la mort.

Romains 6, 22 Mais aujourd'hui, libérés du péché et asservis à Dieu, vous fructifiez pour la sainteté, et l'aboutissement, c'est la vie éternelle.

Romains 6, 23 Car le salaire du péché, c'est la mort; mais le don gratuit de Dieu, c'est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur.

Romains 7, 1 Ou bien ignorez-vous, frères -- je parle à des experts en fait de loi -- que la loi ne s'impose à l'homme que durant sa vie?

Romains 7, 2 C'est ainsi que la femme mariée est liée par la loi au mari tant qu'il est vivant; mais si l'homme meurt, elle se trouve dégagée de la loi du mari.

Romains 7, 3 C'est donc du vivant de son mari qu'elle portera le nom d'adultère, si elle devient la femme d'un autre; mais en cas de mort du mari, elle est si bien affranchie de la loi qu'elle n'est pas adultère en devenant la femme d'un autre.

Romains 7, 4 Ainsi, mes frères, vous de même vous avez été mis à mort à l'égard de la Loi par le corps du Christ pour appartenir à un autre, à Celui qui est ressuscité d'entre les morts, afin que nous fructifiions pour Dieu.

Romains 7, 5 De fait, quand nous étions dans la chair, les passions pécheresses qui se servent de la Loi opéraient en nos membres afin que nous fructifiions pour la mort.

Romains 7, 6 Mais à présent nous avons été dégagés de la Loi, étant morts à ce qui nous tenait prisonniers, de manière à servir dans la nouveauté de l'esprit et non plus dans la vétusté de la lettre.

Romains 7, 7 Qu'est-ce à dire? Que la Loi est péché? Certes non! Seulement je n'ai connu le péché que par la Loi. Et, de fait, j'aurais ignoré la convoitise si la Loi n'avait dit: Tu ne convoiteras pas!

Romains 7, 8 Mais, saisissant l'occasion, le péché par le moyen du précepte produisit en moi toute espèce de convoitise: car sans la Loi le péché n'est qu'un mort.

Romains 7, 9 Ah! je vivais jadis sans la Loi; mais quand le précepte est survenu, le péché a pris vie

Romains 7, 10 tandis que moi je suis mort, et il s'est trouvé que le précepte fait pour la vie me conduisit à la mort.

Romains 7, 11 Car le péché saisit l'occasion et, utilisant le précepte, me séduisit et par son moyen me tua.

Romains 7, 12 La Loi, elle, est donc sainte, et saint le précepte, et juste et bon.

Romains 7, 13 Une chose bonne serait-elle donc devenue mort pour moi? Certes non! Mais c'est le péché, lui, qui, afin de paraître péché, se servit d'une chose bonne pour me procurer la mort, afin que le péché exerçât toute sa puissance de péché par le moyen du précepte.

Romains 7, 14 En effet, nous savons que la Loi est spirituelle; mais moi je suis un être de chair, vendu au pouvoir du péché.

Romains 7, 15 Vraiment ce que je fais je ne le comprends pas: car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais.

Romains 7, 16 Or si je fais ce que je ne veux pas, je reconnais, d'accord avec la Loi, qu'elle est bonne;

Romains 7, 17 en réalité ce n'est plus moi qui accomplis l'action, mais le péché qui habite en moi.

Romains 7, 18 Car je sais que nul bien n'habite en moi, je veux dire dans ma chair; en effet, vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l'accomplir:

Romains 7, 19 puisque je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas.

Romains 7, 20 Or si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui accomplis l'action, mais le péché qui habite en moi.

Romains 7, 21 Je trouve donc une loi s'imposant à moi, quand je veux faire le bien; le mal seul se présente à moi.

Romains 7, 22 Car je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de l'homme intérieur;

Romains 7, 23 mais j'aperçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et m'enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres.

Romains 7, 24 Malheureux homme que je suis! Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort?

Romains 7, 25 Grâces soient à Dieu par Jésus Christ notre Seigneur! C'est donc bien moi qui par la raison sers une loi de Dieu et par la chair une loi de péché.

Romains 8, 1 Il n'y a donc plus maintenant de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus.

Romains 8, 2 La loi de l'Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus t'a affranchi de la loi du péché et de la mort.

Romains 8, 3 De fait, chose impossible à la Loi, impuissante du fait de la chair, Dieu, en envoyant son propre Fils avec une chair semblable à celle du péché et en vue du péché, a condamné le péché dans la chair,

Romains 8, 4 afin que le précepte de la Loi fût accompli en nous dont la conduite n'obéit pas à la chair mais à l'esprit.

Romains 8, 5 En effet, ceux qui vivent selon la chair désirent ce qui est charnel; ceux qui vivent selon l'esprit, ce qui est spirituel.

Romains 8, 6 Car le désir de la chair, c'est la mort, tandis que le désir de l'esprit, c'est la vie et la paix,

Romains 8, 7 puisque le désir de la chair est inimitié contre Dieu: il ne se soumet pas à la loi de Dieu, il ne le peut même pas,

Romains 8, 8 et ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu.

Romains 8, 9 Vous, vous n'êtes pas dans la chair mais dans l'esprit, puisque l'Esprit de Dieu habite en vous. Qui n'a pas l'Esprit du Christ ne lui appartient pas,

Romains 8, 10 mais si le Christ est en vous, bien que le corps soit mort déjà en raison du péché, l'Esprit est vie en raison de la justice.

Romains 8, 11 Et si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.

Romains 8, 12 Ainsi donc, mes frères, nous sommes débiteurs, mais non point envers la chair pour devoir vivre selon la chair.

Romains 8, 13 Car si vous vivez selon la chair, vous mourrez. Mais si par l'Esprit vous faites mourir les oeuvres du corps, vous vivrez.

Romains 8, 14 En effet, tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu.

Romains 8, 15 Aussi bien n'avez-vous pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier: Abba! Père!

Romains 8, 16 L'Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu.

Romains 8, 17 Enfants, et donc héritiers; héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui.

Romains 8, 18 J'estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous.

Romains 8, 19 Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu:

Romains 8, 20 si elle fut assujettie à la vanité, -- non qu'elle l'eût voulu, mais à cause de celui qui l'y a soumise, -- c'est avec l'espérance

Romains 8, 21 d'être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu.

Romains 8, 22 Nous le savons en effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement.

Romains 8, 23 Et non pas elle seule: nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de la rédemption de notre corps.

Romains 8, 24 Car notre salut est objet d'espérance; et voir ce qu'on espère, ce n'est plus l'espérer: ce qu'on voit, comment pourrait-on l'espérer encore?

Romains 8, 25 Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c'est l'attendre avec constance.

Romains 8, 26 Pareillement l'Esprit vient au secours de notre faiblesse; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut; mais l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables,

Romains 8, 27 et Celui qui sonde les coeurs sait quel est le désir de l'Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu.

Romains 8, 28 Et nous savons qu'avec ceux qui l'aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien, avec ceux qu'il a appelés selon son dessein.

Romains 8, 29 Car ceux que d'avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l'image de son Fils, afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères;

Romains 8, 30 et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés; ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés; ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés.

Romains 8, 31 Que dire après cela? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?

Romains 8, 32 Lui qui n'a pas épargné son propre Fils mais l'a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur?

Romains 8, 33 Qui se fera l'accusateur de ceux que Dieu a élus? C'est Dieu qui justifie.

Romains 8, 34 Qui donc condamnera? Le Christ Jésus, celui qui est mort, que dis-je? Ressuscité, qui est à la droite de Dieu, qui intercède pour nous?

Romains 8, 35 Qui nous séparera de l'amour du Christ? La tribulation, l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive?

Romains 8, 36 Selon le mot de l'Ecriture: A cause de toi, l'on nous met à mort tout le long du jour; nous avons passé pour des brebis d'abattoir.

Romains 8, 37 Mais en tout cela nous sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés.

Romains 8, 38 Oui, j'en ai l'assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances,

Romains 8, 39 ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur.

Romains 9, 1 Je dis la vérité dans le Christ, je ne mens point -- ma conscience m'en rend témoignage dans l'Esprit Saint --,

Romains 9, 2 j'éprouve une grande tristesse et une douleur incessante en mon coeur.

Romains 9, 3 Car je souhaiterais d'être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair,

Romains 9, 4 eux qui sont Israélites, à qui appartiennent l'adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses

Romains 9, 5 et aussi les patriarches, et de qui le Christ est issu selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement! Amen.

Romains 9, 6 Non certes que la parole de Dieu ait failli. Car tous les descendants d'Israël ne sont pas Israël.

Romains 9, 7 De même que, pour être postérité d'Abraham, tous ne sont pas ses enfants; mais c'est par Isaac qu'une descendance portera ton nom,

Romains 9, 8 ce qui signifie: ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, seuls comptent comme postérité les enfants de la promesse.

Romains 9, 9 Voici en effet les termes de la promesse: Vers cette époque je viendrai et Sara aura un fils.

Romains 9, 10 Mieux encore, Rébecca avait conçu d'un seul homme, Isaac notre père:

Romains 9, 11 or, avant la naissance des enfants, quand ils n'avaient fait ni bien ni mal, pour que s'affirmât la liberté de l'élection divine,

Romains 9, 12 qui dépend de celui qui appelle et non des oeuvres, il lui fut dit: L'aîné servira le cadet,

Romains 9, 13 selon qu'il est écrit: J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü.

Romains 9, 14 Qu'est-ce à dire? Dieu serait-il injuste? Certes non!

Romains 9, 15 Car il dit à Moïse: Je fais miséricorde à qui je fais miséricorde et j'ai pitié de qui j'ai pitié.

Romains 9, 16 Il n'est donc pas question de l'homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde.

Romains 9, 17 Car l'Ecriture dit au Pharaon: Je t'ai suscité à dessein pour montrer en toi ma puissance et pour qu'on célèbre mon nom par toute la terre.

Romains 9, 18 Ainsi donc il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut.

Romains 9, 19 Tu vas donc me dire: Qu'a-t-il encore à blâmer? Qui résiste en effet à sa volonté?

Romains 9, 20 O homme! vraiment, qui es-tu pour disputer avec Dieu? L'oeuvre va-t-elle dire à celui qui l'a modelée: Pourquoi m'as-tu faite ainsi?

Romains 9, 21 Le potier n'est-il pas maître de son argile pour fabriquer de la même pâte un vase de luxe ou un vase ordinaire?

Romains 9, 22 Eh bien! si Dieu, voulant manifester sa colère et faire connaître sa puissance, a supporté avec beaucoup de longanimité des vases de colère devenus dignes de perdition,

Romains 9, 23 dans le dessein de manifester la richesse de sa gloire envers des vases de miséricorde qu'il a d'avance préparés pour la gloire,

Romains 9, 24 envers nous qu'il a appelés non seulement d'entre les Juifs mais encore d'entre les païens...

Romains 9, 25 C'est bien ce qu'il dit en Osée: J'appellerai mon peuple celui qui n'était pas mon peuple, et bien-aimée celle qui n'était pas la bien-aimée.

Romains 9, 26 Et au lieu même où on leur avait dit: "Vous n'êtes pas mon peuple", on les appellera fils du Dieu vivant.

Romains 9, 27 Et Isaïe s'écrie en faveur d'Israël: Quand le nombre des fils d'Israël serait comme le sable de la mer, le reste sera sauvé:

Romains 9, 28 car sans retard ni reprise le Seigneur accomplira sa parole sur la terre.

Romains 9, 29 Et comme l'avait prédit Isaïe: Si le Seigneur Sabaot ne nous avait laissé un germe, nous serions devenus comme Sodome, assimilés à Gomorrhe.

Romains 9, 30 Que conclure? Que des païens qui ne poursuivaient pas de justice ont atteint une justice, la justice de la foi,

Romains 9, 31 tandis qu'Israël qui poursuivait une loi de justice, n'a pas atteint la Loi.

Romains 9, 32 Pourquoi? Parce que, au lieu de recourir à la foi, ils comptaient sur les oeuvres. Ils ont buté contre la pierre d'achoppement,

Romains 9, 33 comme il est écrit: Voici que je pose en Sion une pierre d'achoppement et un rocher qui fait tomber; mais qui croit en lui ne sera pas confondu.

Romains 10, 1 Frères, certes l'élan de mon coeur et ma prière à Dieu pour eux, c'est qu'ils soient sauvés.

Romains 10, 2 Car je leur rends témoignage qu'ils ont du zèle pour Dieu; mais c'est un zèle mal éclairé.

Romains 10, 3 Méconnaissant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur propre, ils ont refusé de se soumettre à la justice de Dieu.

Romains 10, 4 Car la fin de la Loi, c'est le Christ pour la justification de tout croyant.

Romains 10, 5 Moïse écrit en effet de la justice née de la Loi qu'en l'accomplissant l'homme vivra par elle,

Romains 10, 6 tandis que la justice née de la foi, elle, parle ainsi: Ne dis pas dans ton coeur: Qui montrera au ciel? Entends: pour en faire descendre le Christ;

Romains 10, 7 ou bien: Qui descendra dans l'abîme? Entends: pour faire remonter le Christ de chez les morts.

Romains 10, 8 Que dit-elle donc? La parole est tout près de toi, sur tes lèvres et dans ton coeur, entends: la parole de la foi que nous prêchons.

Romains 10, 9 En effet, si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton coeur croit que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé.

Romains 10, 10 Car la foi du coeur obtient la justice, et la confession des lèvres, le salut.

Romains 10, 11 L'Ecriture ne dit-elle pas: Quiconque croit en lui ne sera pas confondu?

Romains 10, 12 Aussi bien n'y a-t-il pas de distinction entre Juif et Grec: tous ont le même Seigneur, riche envers tous ceux qui l'invoquent.

Romains 10, 13 En effet, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

Romains 10, 14 Mais comment l'invoquer sans d'abord croire en lui? Et comment croire sans d'abord l'entendre? Et comment entendre sans prédicateur?

Romains 10, 15 Et comment prêcher sans être d'abord envoyé? Selon le mot de l'Ecriture: Qu'ils sont beaux les pieds des messagers de bonnes nouvelles!

Romains 10, 16 Mais tous n'ont pas obéi à la Bonne Nouvelle. Car Isaïe l'a dit: Seigneur, qui a cru à notre prédication?

Romains 10, 17 Ainsi la foi naît de la prédication et la prédication se fait par la parole du Christ.

Romains 10, 18 Or je demande: n'auraient-ils pas entendu? Et pourtant leur voix a retenti par toute la terre et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde.

Romains 10, 19 Mais je demande: Israël n'aurait-il pas compris? Déjà Moïse dit: Je vous rendrai jaloux de ce qui n'est pas une nation, contre une nation sans intelligence j'exciterai votre dépit.

Romains 10, 20 Et Isaïe ose ajouter: J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis manifesté à ceux qui ne m'interrogeaient pas,

Romains 10, 21 tandis qu'il dit à l'adresse d'Israël: Tout le jour j'ai tendu les mains vers un peuple désobéissant et rebelle.

Romains 11, 1 Je demande donc: Dieu aurait-il rejeté son peuple? Certes non! Ne suis-je pas moi-même Israélite, de la race d'Abraham, de la tribu de Benjamin?

Romains 11, 2 Dieu n'a pas rejeté le peuple que d'avance il a discerné. Ou bien ignorez-vous ce que dit l'Ecriture à propos d'Elie, quand il s'entretient avec Dieu pour accuser Israël:

Romains 11, 3 Seigneur, ils ont tué tes prophètes, rasé tes autels, et moi je suis resté seul et ils en veulent à ma vie!

Romains 11, 4 Eh bien, que lui répond l'oracle divin? Je me suis réservé 7.000 hommes qui n'ont pas fléchi le genou devant Baal.

Romains 11, 5 Ainsi pareillement aujourd'hui il subsiste un reste, élu par grâce.

Romains 11, 6 Mais si c'est par grâce, ce n'est plus en raison des oeuvres; autrement la grâce n'est plus grâce.

Romains 11, 7 Que conclure? Ce que recherche Israël, il ne l'a pas atteint; mais ceux-là l'ont atteint qui ont été élus. Les autres, ils ont été endurcis,

Romains 11, 8 selon le mot de l'Ecriture: Dieu leur a donné un esprit de torpeur: ils n'ont pas d'yeux pour voir, d'oreilles pour entendre jusqu'à ce jour.

Romains 11, 9 David dit aussi: Que leur table soit un piège, un lacet, une cause de chute, et leur serve de salaire!

Romains 11, 10 Que leurs yeux s'enténèbrent pour ne point voir, et fais-leur sans arrêt courber le dos!

Romains 11, 11 Je demande donc: serait-ce pour une vraie chute qu'ils ont bronché? Certes non! mais leur faux pas a procuré le salut aux païens, afin que leur propre jalousie en fût excitée.

Romains 11, 12 Et si leur faux pas a fait la richesse du monde et leur amoindrissement la richesse des païens, que ne fera pas leur totalité!

Romains 11, 13 Or je vous le dis à vous, les païens, je suis bien l'apôtre des païens et j'honore mon ministère,

Romains 11, 14 mais c'est avec l'espoir d'exciter la jalousie de ceux de mon sang et d'en sauver quelques-uns.

Romains 11, 15 Car si leur mise à l'écart fut une réconciliation pour le monde, que sera leur admission, sinon une résurrection d'entre les morts?

Romains 11, 16 Or si les prémices sont saintes, toute la pâte aussi; et si la racine est sainte, les branches aussi.

Romains 11, 17 Mais si quelques-unes des branches ont été coupées tandis que toi, sauvageon d'olivier tu as été greffé parmi elles pour bénéficier avec elles de la sève de l'olivier,

Romains 11, 18 ne va pas te glorifier aux dépens des branches. Ou si tu veux te glorifier, ce n'est pas toi qui portes la racine, c'est la racine qui te porte.

Romains 11, 19 Tu diras: On a coupé des branches, pour que, moi, je fusse greffé.

Romains 11, 20 Fort bien. Elles ont été coupées pour leur incrédulité, et c'est la foi qui te fait tenir. Ne t'enorgueillis pas; crains plutôt.

Romains 11, 21 Car si Dieu n'a pas épargné les branches naturelles, prends garde qu'il ne t'épargne pas davantage.

Romains 11, 22 Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu: sévérité envers ceux qui sont tombés, et envers toi bonté, pourvu que tu demeures en cette bonté; autrement tu seras retranché toi aussi.

Romains 11, 23 Et eux, s'ils ne demeurent pas dans l'incrédulité, ils seront greffés: Dieu est bien assez puissant pour les greffer à nouveau.

Romains 11, 24 En effet, si toi tu as été retranché de l'olivier sauvage auquel tu appartenais par nature, et greffé, contre nature, sur un olivier franc, combien plus eux, les branches naturelles, seront-ils greffés sur leur propre olivier!

Romains 11, 25 Car je ne veux pas, frères, vous laisser ignorer ce mystère, de peur que vous ne vous complaisiez en votre sagesse: une partie d'Israël s'est endurcie jusqu'à ce que soit entrée la totalité des païens,

Romains 11, 26 et ainsi tout Israël sera sauvé, comme il est écrit: De Sion viendra le Libérateur, il ôtera les impiétés du milieu de Jacob.

Romains 11, 27 Et voici quelle sera mon alliance avec eux lorsque j'enlèverai leurs péchés.

Romains 11, 28 Ennemis, il est vrai, selon l'Evangile, à cause de vous, ils sont, selon l'Election, chéris à cause de leurs pères.

Romains 11, 29 Car les dons et l'appel de Dieu sont sans repentance.

Romains 11, 30 En effet, de même que jadis vous avez désobéi à Dieu et qu'au temps présent vous avez obtenu miséricorde grâce à leur désobéissance,

Romains 11, 31 eux de même au temps présent ont désobéi grâce à la miséricorde exercée envers vous, afin qu'eux aussi ils obtiennent au temps présent miséricorde.

Romains 11, 32 Car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde.

Romains 11, 33 O abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles!

Romains 11, 34 Qui en effet a jamais connu la pensée du Seigneur? Qui en fut jamais le conseiller?

Romains 11, 35 Ou bien qui l'a prévenu de ses dons pour devoir être payé de retour?

Romains 11, 36 Car tout est de lui et par lui et pour lui. A lui soit la gloire éternellement! Amen.

Romains 12, 1 Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu: c'est là le culte spirituel que vous avez à rendre.

Romains 12, 2 Et ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait.

Romains 12, 3 Au nom de la grâce qui m'a été donnée, je le dis à tous et à chacun: ne vous surestimez pas plus qu'il ne faut vous estimer, mais gardez de vous une sage estime, chacun selon le degré de foi que Dieu lui a départi.

Romains 12, 4 Car, de même que notre corps en son unité possède plus d'un membre et que ces membres n'ont pas tous la même fonction,

Romains 12, 5 ainsi nous, à plusieurs, nous ne formons qu'un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres.

Romains 12, 6 Mais, pourvus de dons différents selon la grâce qui nous a été donnée, si c'est le don de prophétie, exerçons-le en proportion de notre foi;

Romains 12, 7 si c'est le service, en servant; l'enseignement, en enseignant;

Romains 12, 8 l'exhortation, en exhortant. Que celui qui donne le fasse sans calcul; celui qui préside, avec diligence; celui qui exerce la miséricorde, en rayonnant de joie.

Romains 12, 9 Que votre charité soit sans feinte, détestant le mal, solidement attachés au bien;

Romains 12, 10 que l'amour fraternel vous lie d'affection entre vous, chacun regardant les autres comme plus méritants,

Romains 12, 11 d'un zèle sans nonchalance, dans la ferveur de l'esprit, au service du Seigneur,

Romains 12, 12 avec la joie de l'espérance, constants dans la tribulation, assidus à la prière,

Romains 12, 13 prenant part aux besoins des saints, avides de donner l'hospitalité.

Romains 12, 14 Bénissez ceux qui vous persécutent; bénissez, ne maudissez pas.

Romains 12, 15 Réjouissez-vous avec qui est dans la joie, pleurez avec qui pleure.

Romains 12, 16 Pleins d'une égale complaisance pour tous, sans vous complaire dans l'orgueil, attirés plutôt par ce qui est humble, ne vous complaisez pas dans votre propre sagesse.

Romains 12, 17 Sans rendre à personne le mal pour le mal, ayant à coeur ce qui est bien devant tous les hommes,

Romains 12, 18 en paix avec tous si possible, autant qu'il dépend de vous,

Romains 12, 19 sans vous faire justice à vous-mêmes, mes bien-aimés, laissez agir la colère; car il est écrit: C'est moi qui ferai justice, moi qui rétribuerai, dit le Seigneur.

Romains 12, 20 Bien plutôt, si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s'il a soif, donne-lui à boire; ce faisant, tu amasseras des charbons ardents sur sa tête.

Romains 12, 21 Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien.

Romains 13, 1 Que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu.

Romains 13, 2 Si bien que celui qui résiste à l'autorité se rebelle contre l'ordre établi par Dieu. Et les rebelles se feront eux-mêmes condamner.

Romains 13, 3 En effet, les magistrats ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu n'avoir pas à craindre l'autorité? Fais le bien et tu en recevras des éloges;

Romains 13, 4 car elle est un instrument de Dieu pour te conduire au bien. Mais crains, si tu fais le mal; car ce n'est pas pour rien qu'elle porte le glaive: elle est un instrument de Dieu pour faire justice et châtier qui fait le mal.

Romains 13, 5 Aussi doit-on se soumettre non seulement par crainte du châtiment, mais par motif de conscience.

Romains 13, 6 N'est-ce pas pour cela même que vous payez les impôts? Car il s'agit de fonctionnaires qui s'appliquent de par Dieu à cet office.

Romains 13, 7 Rendez à chacun ce qui lui est dû: à qui l'impôt, l'impôt; à qui les taxes, les taxes; à qui la crainte, la crainte; à qui l'honneur, l'honneur.

Romains 13, 8 N'ayez de dettes envers personne, sinon celle de l'amour mutuel. Car celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi.

Romains 13, 9 En effet, le précepte: Tu ne commettras pas d'adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas, et tous les autres se résument en cette formule: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Romains 13, 10 La charité ne fait point de tort au prochain. La charité est donc la Loi dans sa plénitude.

Romains 13, 11 D'autant que vous savez en quel moment nous vivons. C'est l'heure désormais de vous arracher au sommeil; le salut est maintenant plus près de nous qu'au temps où nous avons cru.

Romains 13, 12 La nuit est avancée. Le jour est arrivé. Laissons là les oeuvres de ténèbres et revêtons les armes de lumière.

Romains 13, 13 Comme il sied en plein jour, conduisons-nous avec dignité: point de ripailles ni d'orgies, pas de luxure ni de débauche, pas de querelles ni de jalousies.

Romains 13, 14 Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ et ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises.

Romains 14, 1 A celui qui est faible dans la foi, soyez accueillants sans vouloir discuter des opinions.

Romains 14, 2 Tel croit pouvoir manger de tout, tandis que le faible ne mange que des légumes:

Romains 14, 3 que celui qui mange ne méprise pas l'abstinent et que l'abstinent ne juge pas celui qui mange; Dieu l'a bien accueilli.

Romains 14, 4 Toi, qui es-tu pour juger un serviteur d'autrui? Qu'il reste debout ou qu'il tombe, cela ne concerne que son maître; d'ailleurs il restera debout, car le Seigneur a la force de le soutenir.

Romains 14, 5 Celui-ci préfère un jour à un autre; celui-là les estime tous pareils: que chacun s'en tienne à son jugement.

Romains 14, 6 Celui qui tient compte des jours le fait pour le Seigneur; et celui qui mange le fait pour le Seigneur, puisqu'il rend grâce à Dieu. Et celui qui s'abstient le fait pour le Seigneur, et il rend grâce à Dieu.

Romains 14, 7 En effet, nul d'entre nous ne vit pour soi-même, comme nul ne meurt pour soi-même;

Romains 14, 8 si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Donc, dans la vie comme dans la mort, nous appartenons au Seigneur.

Romains 14, 9 Car le Christ est mort et revenu à la vie pour être le Seigneur des morts et des vivants.

Romains 14, 10 Mais toi, pourquoi juger ton frère? Et toi, pourquoi mépriser ton frère? Tous, en effet, nous comparaîtrons au tribunal de Dieu,

Romains 14, 11 car il est écrit: Par ma vie, dit le Seigneur, tout genou devant moi fléchira, et toute langue rendra gloire à Dieu.

Romains 14, 12 C'est donc que chacun de nous rendra compte à Dieu pour soi-même.

Romains 14, 13 Finissons-en donc avec ces jugements les uns sur les autres: jugez plutôt qu'il ne faut rien mettre devant votre frère qui le fasse buter ou tomber. --

Romains 14, 14 Je le sais, j'en suis certain dans le Seigneur Jésus, rien n'est impur en soi, mais seulement pour celui qui estime un aliment impur; en ce cas il l'est pour lui. --

Romains 14, 15 En effet, si pour un aliment ton frère est contristé, tu ne te conduis plus selon la charité. Ne va pas avec ton aliment faire périr celui-là pour qui le Christ est mort!

Romains 14, 16 N'exposez donc pas votre privilège à l'outrage.

Romains 14, 17 Car le règne de Dieu n'est pas affaire de nourriture ou de boisson, il est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint.

Romains 14, 18 Celui en effet qui sert le Christ de la sorte est agréable à Dieu et approuvé des hommes.

Romains 14, 19 Poursuivons donc ce qui favorise la paix et l'édification mutuelle.

Romains 14, 20 Ne va pas pour un aliment détruire l'oeuvre de Dieu. Tout est pur assurément, mais devient un mal pour l'homme qui mange en donnant du scandale.

Romains 14, 21 Ce qui est bien, c'est de s'abstenir de viande et de vin et de tout ce qui fait buter ou tomber ou faiblir ton frère.

Romains 14, 22 Cette foi que tu as, garde-la pour toi devant Dieu. Heureux qui ne se juge pas coupable au moment même où il se décide.

Romains 14, 23 Mais celui qui mange malgré ses doutes est condamné, parce qu'il agit sans bonne foi et que tout ce qui ne procède pas de la bonne foi est péché.

Romains 15, 1 Mais c'est un devoir pour nous, les forts, de porter les faiblesses de ceux qui n'ont pas cette force et de ne point rechercher ce qui nous plaît.

Romains 15, 2 Que chacun d'entre nous plaise à son prochain pour le bien, en vue d'édifier.

Romains 15, 3 Car le Christ n'a pas recherché ce qui lui plaisait; mais comme il est écrit: Les insultes de tes insulteurs sont tombées sur moi.

Romains 15, 4 En effet, tout ce qui a été écrit dans le passé le fut pour notre instruction, afin que la constance et la consolation que donnent les Ecritures nous procurent l'espérance.

Romains 15, 5 Que le Dieu de la constance et de la consolation vous accorde d'avoir les uns pour les autres la même aspiration à l'exemple du Christ Jésus,

Romains 15, 6 afin que d'un même coeur et d'une même bouche vous glorifiiez le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ.

Romains 15, 7 Aussi soyez accueillants les uns pour les autres, comme le Christ le fut pour vous à la gloire de Dieu.

Romains 15, 8 Je l'affirme en effet, le Christ s'est fait ministre des circoncis à l'honneur de la véracité divine, pour accomplir les promesses faites aux patriarches,

Romains 15, 9 et les nations glorifient Dieu pour sa miséricorde, selon le mot de l'Ecriture: C'est pourquoi je te louerai parmi les nations et je chanterai à la gloire de ton nom;

Romains 15, 10 et cet autre: Nations, exultez avec son peuple;

Romains 15, 11 ou encore: Toutes les nations, louez le Seigneur, et que tous les peuples le célèbrent.

Romains 15, 12 Et Isaïe dit à son tour: Il paraîtra, le rejeton de Jessé, celui qui se dresse pour commander aux nations. En lui les nations mettront leur espérance.

Romains 15, 13 Que le Dieu de l'espérance vous donne en plénitude dans votre acte de foi la joie et la paix afin que l'espérance surabonde en vous par la vertu de l'Esprit Saint.

Romains 15, 14 Je suis personnellement bien persuadé, mes frères, à votre sujet, que vous êtes par vous-mêmes remplis de bons sentiments, en pleine possession du don de science, capables aussi de vous avertir mutuellement.

Romains 15, 15 Je vous ai cependant écrit assez hardiment par endroits, comme pour raviver vos souvenirs, en vertu de la grâce que Dieu m'a faite

Romains 15, 16 d'être un officiant du Christ Jésus auprès des païens, ministre de l'Evangile de Dieu, afin que les païens deviennent une offrande agréable, sanctifiée dans l'Esprit Saint.

Romains 15, 17 Je puis donc me glorifier dans le Christ Jésus en ce qui concerne l'oeuvre de Dieu.

Romains 15, 18 Car je n'oserais parler de ce que le Christ n'aurait pas fait par moi pour obtenir l'obéissance des païens, en parole et en oeuvre,

Romains 15, 19 par la vertu des signes et des prodiges, par la vertu de l'Esprit de Dieu: ainsi, depuis Jérusalem en rayonnant jusqu'à l'Illyrie, j'ai procuré l'accomplissement de l'Evangile du Christ,

Romains 15, 20 tenant de la sorte à honneur de limiter cet apostolat aux régions où l'on n'avait pas invoqué le nom du Christ, pour ne point bâtir sur des fondations posées par autrui

Romains 15, 21 et me conformer à ce qui est écrit: Ceux à qui on ne l'avait pas annoncé le verront et ceux qui n'en avaient pas entendu parler comprendront.

Romains 15, 22 C'est bien là ce qui chaque fois m'empêchait d'aller chez vous.

Romains 15, 23 Mais à présent, comme je n'ai plus d'occupation dans ces contrées et que depuis des années j'ai un vif désir d'aller chez vous,

Romains 15, 24 quand je me rendrai en Espagne... Car j'espère vous voir en cours de route et être mis par vous sur le chemin de ce pays, une fois que j'aurai un peu savouré la joie de votre présence.

Romains 15, 25 Mais maintenant je me rends à Jérusalem pour le service des saints:

Romains 15, 26 car la Macédoine et l'Achaïe ont bien voulu prendre quelque part aux besoins des saints de Jérusalem qui sont dans la pauvreté.

Romains 15, 27 Oui, elles l'ont bien voulu, et elles le leur devaient: si les païens, en effet, ont participé à leurs biens spirituels, ils doivent à leur tour les servir de leurs biens temporels.

Romains 15, 28 Quand donc j'aurai terminé cette affaire et leur aurai remis officiellement cette récolte, je partirai pour l'Espagne en passant par chez vous.

Romains 15, 29 Et je sais qu'en arrivant chez vous je viendrai avec la plénitude des bénédictions du Christ.

Romains 15, 30 Mais je vous le demande, frères, par notre Seigneur Jésus Christ et la charité de l'Esprit, luttez avec moi dans les prières que vous adressez à Dieu pour moi;

Romains 15, 31 afin que j'échappe aux incrédules de Judée et que le secours que je porte à Jérusalem soit agréé des saints,

Romains 15, 32 et qu'ainsi, venant à vous dans la joie, Dieu veuille me faire goûter avec vous quelque repos.

Romains 15, 33 Que le Dieu de la paix soit avec vous tous! Amen.

Romains 16, 1 Je vous recommande Phébée, notre soeur, diaconesse de l'Eglise de Cenchrées:

Romains 16, 2 offrez-lui dans le Seigneur un accueil digne des saints, et assistez-la en toute affaire où elle aurait besoin de vous; aussi bien fut-elle une protectrice pour nombre de chrétiens et pour moi-même.

Romains 16, 3 Saluez Prisca et Aquilas, mes coopérateurs dans le Christ Jésus;

Romains 16, 4 pour me sauver la vie ils ont risqué leur tête, et je ne suis pas seul à leur devoir de la gratitude: c'est le cas de toutes les Eglises de la gentilité;

Romains 16, 5 saluez aussi l'Eglise qui se réunit chez eux. Saluez mon cher Epénète, les prémices que l'Asie a offertes au Christ.

Romains 16, 6 Saluez Marie, qui s'est bien fatiguée pour vous.

Romains 16, 7 Saluez Andronicus et Junias, mes parents et mes compagnons de captivité: ce sont des apôtres marquants qui m'ont précédé dans le Christ.

Romains 16, 8 Saluez Ampliatus qui m'est cher dans le Seigneur.

Romains 16, 9 Saluez Urbain, notre coopérateur dans le Christ, et mon cher Stachys.

Romains 16, 10 Saluez Apelle, qui a fait ses preuves dans le Christ. Saluez les membres de la maison d'Aristobule.

Romains 16, 11 Saluez Hérodion, mon parent; saluez les membres de la maison de Narcisse dans le Seigneur.

Romains 16, 12 Saluez Tryphène et Tryphose, qui se fatiguent dans le Seigneur; saluez ma chère Persis, qui s'est beaucoup fatiguée dans le Seigneur.

Romains 16, 13 Saluez Rufus, cet élu dans le Seigneur, et sa mère qui est aussi la mienne.

Romains 16, 14 Saluez Asyncrite, Phlégon, Hermès, Patrobas, Hermas, et les frères qui sont avec eux.

Romains 16, 15 Saluez Philologue et Julie, Nérée et sa soeur, et Olympas et tous les saints qui sont avec eux.

Romains 16, 16 Saluez-vous mutuellement d'un saint baiser. Toutes les Eglises du Christ vous saluent.

Romains 16, 17 Je vous en prie, frères, gardez-vous de ces fauteurs de dissensions et de scandales contre l'enseignement que vous avez reçu; évitez-les.

Romains 16, 18 Car ces sortes de gens ne servent pas notre Seigneur le Christ, mais leur ventre, et par des discours doucereux et flatteurs séduisent les coeurs simples.

Romains 16, 19 En effet, le renom de votre obéissance s'est répandu partout et vous faites ma joie; mais je veux que vous soyez avisés pour le bien et malhabiles pour le mal.

Romains 16, 20 Le Dieu de la paix écrasera bien vite Satan sous vos pieds. Que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec vous!

Romains 16, 21 Timothée, mon coopérateur, vous salue, ainsi que Lucius, Jason et Sosipatros, mes parents.

Romains 16, 22 Je vous salue dans le Seigneur, moi Tertius, qui ai écrit cette lettre.

Romains 16, 23 Gaïus vous salue, qui est mon hôte et celui de l'Eglise entière. Eraste, le trésorier de la ville, vous salue, ainsi que Quartus, notre frère.

Romains 16, 25 A Celui qui a le pouvoir de vous affermir conformément à l'Evangile que j'annonce en prêchant Jésus Christ, révélation d'un mystère enveloppé de silence aux siècles éternels,

Romains 16, 26 mais aujourd'hui manifesté, et par des Ecritures qui le prédisent selon l'ordre du Dieu éternel porté à la connaissance de toutes les nations pour les amener à l'obéissance de la foi;

Romains 16, 27 à Dieu qui seul est sage, par Jésus Christ, à lui soit la gloire aux siècles des siècles! Amen.

 

 

I Corinthiens

 

1, 1 Paul, appelé à être apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu, et Sosthène, le frère,

1 Corinthiens 1, 2 à l'Eglise de Dieu établie à Corinthe, à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus, appelés à être saints avec tous ceux qui en tout lieu invoquent le nom de Jésus Christ notre Seigneur, le leur et le nôtre;

1 Corinthiens 1, 3 à vous grâce et paix de par Dieu, notre Père, et le Seigneur Jésus Christ!

1 Corinthiens 1, 4 Je rends grâce à Dieu sans cesse à votre sujet pour la grâce de Dieu qui vous a été accordée dans le Christ Jésus;

1 Corinthiens 1, 5 car vous avez été comblés en lui de toutes les richesses, toutes celles de la parole et toutes celles de la science,

1 Corinthiens 1, 6 à raison même de la fermeté qu'a prise en vous le témoignage du Christ.

1 Corinthiens 1, 7 Aussi ne manquez-vous d'aucun don de la grâce, dans l'attente où vous êtes de la Révélation de notre Seigneur Jésus Christ.

1 Corinthiens 1, 8 C'est lui qui vous affermira jusqu'au bout, pour que vous soyez irréprochables au Jour de notre Seigneur Jésus Christ.

1 Corinthiens 1, 9 Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils, Jésus Christ notre Seigneur.

1 Corinthiens 1, 10 Je vous en prie, frères, par le nom de notre Seigneur Jésus Christ, ayez tous même langage; qu'il n'y ait point parmi vous de divisions; soyez étroitement unis dans le même esprit et dans la même pensée.

1 Corinthiens 1, 11 En effet, mes frères, il m'a été signalé à votre sujet par les gens de Chloé qu'il y a parmi vous des discordes.

1 Corinthiens 1, 12 J'entends par là que chacun de vous dit: "Moi, je suis à Paul" - "Et moi, à Apollos" - "Et moi, à Céphas" - "Et moi, au Christ."

1 Corinthiens 1, 13 Le Christ est-il divisé? Serait-ce Paul qui a été crucifié pour vous? Ou bien serait-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés?

1 Corinthiens 1, 14 Je rends grâce de n'avoir baptisé aucun de vous, si ce n'est Crispus et Caïus,

1 Corinthiens 1, 15 de sorte que nul ne peut dire que vous avez été baptisés en mon nom.

1 Corinthiens 1, 16 Ah si! j'ai baptisé encore la famille de Stéphanas. Pour le reste, je ne sache pas avoir baptisé quelqu'un d'autre.

1 Corinthiens 1, 17 Car le Christ ne m'a pas envoyé baptiser, mais annoncer l'Evangile, et cela sans la sagesse du langage, pour que ne soit pas réduite à néant la croix du Christ.

1 Corinthiens 1, 18 Le langage de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu.

1 Corinthiens 1, 19 Car il est écrit: Je détruirai la sagesse des sages, et l'intelligence des intelligents je la rejetterai.

1 Corinthiens 1, 20 Où est-il, le sage? Où est-il, l'homme cultivé? Où est-il, le raisonneur de ce siècle? Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde?

1 Corinthiens 1, 21 Puisqu'en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n'a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c'est par la folie du message qu'il a plu à Dieu de sauver les croyants.

1 Corinthiens 1, 22 Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs sont en quête de sagesse,

1 Corinthiens 1, 23 nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens,

1 Corinthiens 1, 24 mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, c'est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.

1 Corinthiens 1, 25 Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

1 Corinthiens 1, 26 Aussi bien, frères, considérez votre appel: il n'y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de gens bien nés.

1 Corinthiens 1, 27 Mais ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages; ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort;

1 Corinthiens 1, 28 ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l'on méprise, voilà ce que Dieu a choisi; ce qui n'est pas, pour réduire à rien ce qui est,

1 Corinthiens 1, 29 afin qu'aucune chair n'aille se glorifier devant Dieu.

1 Corinthiens 1, 30 Car c'est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et rédemption,

1 Corinthiens 1, 31 afin que, comme il est écrit, celui qui se glorifie, qu'il se glorifie dans le Seigneur.

1 Corinthiens 2, 1 Pour moi, quand je suis venu chez vous, frères, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige de la parole ou de la sagesse.

1 Corinthiens 2, 2 Non, je n'ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié.

1 Corinthiens 2, 3 Moi-même, je me suis présenté à vous faible, craintif et tout tremblant,

1 Corinthiens 2, 4 et ma parole et mon message n'avaient rien des discours persuasifs de la sagesse; c'était une démonstration d'Esprit et de puissance,

1 Corinthiens 2, 5 pour que votre foi reposât, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.

1 Corinthiens 2, 6 Pourtant, c'est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits, mais non d'une sagesse de ce monde ni des princes de ce monde, voués à la destruction.

1 Corinthiens 2, 7 Ce dont nous parlons, au contraire, c'est d'une sagesse de Dieu, mystérieuse, demeurée cachée, celle que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour notre gloire,

1 Corinthiens 2, 8 celle qu'aucun des princes de ce monde n'a connue - s'ils l'avaient connue, en effet, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire --

1 Corinthiens 2, 9 mais, selon qu'il est écrit, nous annonçons ce que l'oeil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté au coeur de l'homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment.

1 Corinthiens 2, 10 Car c'est à nous que Dieu l'a révélé par l'Esprit; l'Esprit en effet sonde tout, jusqu'aux profondeurs de Dieu.

1 Corinthiens 2, 11 Qui donc entre les hommes sait ce qui concerne l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui? De même, nul ne connaît ce qui concerne Dieu, sinon l'Esprit de Dieu.

1 Corinthiens 2, 12 Or, nous n'avons pas reçu, nous, l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu, pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits.

1 Corinthiens 2, 13 Et nous en parlons non pas avec des discours enseignés par l'humaine sagesse, mais avec ceux qu'enseigne l'Esprit, exprimant en termes spirituels des réalités spirituelles.

1 Corinthiens 2, 14 L'homme psychique n'accueille pas ce qui est de l'Esprit de Dieu: c'est folie pour lui et il ne peut le connaître, car c'est spirituellement qu'on en juge.

1 Corinthiens 2, 15 L'homme spirituel, au contraire, juge de tout, et lui-même n'est jugé par personne.

1 Corinthiens 2, 16 Qui en effet a connu la pensée du Seigneur, pour pouvoir l'instruire? Et nous l'avons, nous, la pensée du Christ.

1 Corinthiens 3, 1 Pour moi, frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des êtres de chair, comme à de petits enfants dans le Christ.

1 Corinthiens 3, 2 C'est du lait que je vous ai donné à boire, non une nourriture solide; vous ne pouviez encore la supporter. Mais vous ne le pouvez pas davantage maintenant,

1 Corinthiens 3, 3 car vous êtes encore charnels. Du moment qu'il y a parmi vous jalousie et dispute, n'êtes-vous pas charnels et votre conduite n'est-elle pas tout humaine?

1 Corinthiens 3, 4 Lorsque vous dites, l'un: "Moi, je suis à Paul", et l'autre: "Moi, à Apollos", n'est-ce pas là bien humain?

1 Corinthiens 3, 5 Qu'est-ce donc qu'Apollos? Et qu'est-ce que Paul? Des serviteurs par qui vous avez embrassé la foi, et chacun d'eux selon ce que le Seigneur lui a donné.

1 Corinthiens 3, 6 Moi, j'ai planté, Apollos a arrosé; mais c'est Dieu qui donnait la croissance.

1 Corinthiens 3, 7 Ainsi donc, ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui qui donne la croissance: Dieu.

1 Corinthiens 3, 8 Celui qui plante et celui qui arrose ne font qu'un, mais chacun recevra son propre salaire selon son propre labeur.

1 Corinthiens 3, 9 Car nous sommes les coopérateurs de Dieu; vous êtes le champ de Dieu, l'édifice de Dieu.

1 Corinthiens 3, 10 Selon la grâce de Dieu qui m'a été accordée, tel un bon architecte, j'ai posé le fondement. Un autre bâtit dessus. Mais que chacun prenne garde à la manière dont il y bâtit.

1 Corinthiens 3, 11 De fondement, en effet, nul n'en peut poser d'autre que celui qui s'y trouve, c'est-à-dire Jésus Christ.

1 Corinthiens 3, 12 Que si sur ce fondement on bâtit avec de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, du bois, du foin, de la paille,

1 Corinthiens 3, 13 l'oeuvre de chacun deviendra manifeste; le Jour, en effet, la fera connaître, car il doit se révéler dans le feu, et c'est ce feu qui éprouvera la qualité de l'oeuvre de chacun.

1 Corinthiens 3, 14 Si l'oeuvre bâtie sur le fondement subsiste, l'ouvrier recevra une récompense;

1 Corinthiens 3, 15 si son oeuvre est consumée, il en subira la perte; quant à lui, il sera sauvé, mais comme à travers le feu.

1 Corinthiens 3, 16 Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous?

1 Corinthiens 3, 17 Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, celui-là, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c'est vous.

1 Corinthiens 3, 18 Que nul ne se dupe lui-même! Si quelqu'un parmi vous croit être sage à la façon de ce monde, qu'il se fasse fou pour devenir sage;

1 Corinthiens 3, 19 car la sagesse de ce monde est folie auprès de Dieu. Il est écrit en effet: Celui qui prend les sages à leur propre astuce;

1 Corinthiens 3, 20 et encore: Le Seigneur connaît les pensées des sages; il sait qu'elles sont vaines.

1 Corinthiens 3, 21 Ainsi donc, que nul ne se glorifie dans les hommes; car tout est à vous,

1 Corinthiens 3, 22 soit Paul, soit Apollos, sois Céphas, soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit le présent, soit l'avenir. Tout est à vous;

1 Corinthiens 3, 23 mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu.

1 Corinthiens 4, 1 Qu'on nous regarde donc comme des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu.

1 Corinthiens 4, 2 Or, ce qu'en fin de compte on demande à des intendants, c'est que chacun soit trouvé fidèle.

1 Corinthiens 4, 3 Pour moi, il m'importe fort peu d'être jugé par vous ou par un tribunal humain. Bien plus, je ne me juge pas moi-même.

1 Corinthiens 4, 4 Ma conscience, il est vrai, ne me reproche rien, mais je n'en suis pas justifié pour autant; mon juge, c'est le Seigneur.

1 Corinthiens 4, 5 Ainsi donc, ne portez pas de jugement prématuré. Laissez venir le Seigneur; c'est lui qui éclairera les secrets des ténèbres et rendra manifestes les desseins des coeurs. Et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui revient.

1 Corinthiens 4, 6 En tout cela, frères, je me suis pris comme exemple avec Apollos à cause de vous, pour que vous appreniez, en nos personnes, la maxime: "Rien au-delà de ce qui est écrit", afin que vous ne vous gonfliez pas d'orgueil en prenant le parti de l'un contre l'autre.

1 Corinthiens 4, 7 Qui donc en effet te distingue? Qu'as-tu que tu n'aies reçu? Et si tu l'as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu?

1 Corinthiens 4, 8 Déjà, vous êtes rassasiés! déjà vous vous êtes enrichis! sans nous, vous êtes devenus rois! Ah! que ne l'êtes-vous donc, rois, pour que nous partagions, nous aussi, votre royauté!

1 Corinthiens 4, 9 Car Dieu, ce me semble, nous a, nous les apôtres, exhibés au dernier rang, comme des condamnés à mort; oui, nous avons été livrés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes.

1 Corinthiens 4, 10 Nous sommes fous, nous, à cause du Christ, mais vous, vous êtes prudents dans le Christ; nous sommes faibles, mais vous, vous êtes forts; vous êtes à l'honneur, mais nous dans le mépris.

1 Corinthiens 4, 11 Jusqu'à l'heure présente, nous avons faim, nous avons soif, nous sommes nus, maltraités et errants;

1 Corinthiens 4, 12 nous nous épuisons à travailler de nos mains. On nous insulte et nous bénissons; on nous persécute et nous l'endurons;

1 Corinthiens 4, 13 on nous calomnie et nous consolons. Nous sommes devenus comme l'ordure du monde, jusqu'à présent l'universel rebut.

1 Corinthiens 4, 14 Ce n'est pas pour vous confondre que j'écris cela; c'est pour vous avertir comme mes enfants bien-aimés.

1 Corinthiens 4, 15 Auriez-vous en effet des milliers de pédagogues dans le Christ, que vous n'avez pas plusieurs pères; car c'est moi qui, par l'Evangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus.

1 Corinthiens 4, 16 Je vous en prie donc, montrez-vous mes imitateurs.

1 Corinthiens 4, 17 C'est pour cela même que je vous ai envoyé Timothée, qui est mon enfant bien-aimé et fidèle dans le Seigneur; il vous rappellera mes règles de conduite dans le Christ Jésus, telles que je les enseigne partout dans toutes les Eglises.

1 Corinthiens 4, 18 Dans la pensée que je ne viendrais pas chez vous, certains se sont gonflés d'orgueil.

1 Corinthiens 4, 19 Mais je viendrai bientôt chez vous, s'il plaît au Seigneur, et je jugerai alors non des paroles de ces gonflés d'orgueil, mais de leur puissance;

1 Corinthiens 4, 20 car le Royaume de Dieu ne consiste pas en parole, mais en puissance.

1 Corinthiens 4, 21 Que préférez-vous? Que je vienne chez vous avec des verges, ou bien avec charité et en esprit de douceur?

1 Corinthiens 5, 1 On n'entend parler que d'inconduite parmi vous, et d'une inconduite telle qu'il n'en existe pas même chez les païens; c'est à ce point que l'un de vous vit avec la femme de son père!

1 Corinthiens 5, 2 Et vous êtes gonflés d'orgueil! Et vous n'avez pas plutôt pris le deuil, pour qu'on enlevât du milieu de vous celui qui a commis cet acte!

1 Corinthiens 5, 3 Eh bien! moi, absent de corps, mais présent d'esprit, j'ai déjà jugé, comme si j'étais présent, celui qui a perpétré une telle action.

1 Corinthiens 5, 4 Il faut qu'au nom du Seigneur Jésus, vous et mon esprit nous étant assemblés avec la puissance de notre Seigneur Jésus,

1 Corinthiens 5, 5 nous livrions cet individu à Satan pour la perte de sa chair, afin que l'esprit soit sauvé au Jour du Seigneur.

1 Corinthiens 5, 6 Il n'y a pas de quoi vous glorifier! Ne savez-vous pas qu'un peu de levain fait lever toute la pâte?

1 Corinthiens 5, 7 Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes des azymes. Car notre pâque, le Christ, a été immolée.

1 Corinthiens 5, 8 Ainsi donc, célébrons la fête, non pas avec du vieux levain de malice et de méchanceté, mais avec des azymes de pureté et de vérité.

1 Corinthiens 5, 9 En vous écrivant, dans ma lettre, de n'avoir pas de relations avec des débauchés,

1 Corinthiens 5, 10 je n'entendais nullement les débauchés de ce monde, ou bien les cupides et les rapaces, ou les idolâtres; car il vous faudrait alors sortir du monde.

1 Corinthiens 5, 11 Non, je vous ai écrit de n'avoir pas de rapports avec celui qui, tout en portant le nom de frère, serait débauché, cupide, idolâtre, insulteur, ivrogne ou rapace, et même, avec un tel homme, de ne point prendre de repas.

1 Corinthiens 5, 12 Qu'ai-je à faire en effet de juger ceux du dehors? N'est-ce pas ceux du dedans que vous jugez, vous?

1 Corinthiens 5, 13 Ceux du dehors, c'est Dieu qui les jugera. Enlevez le mauvais du milieu de vous.

1 Corinthiens 6, 1 Quand l'un de vous a un différend avec un autre, ose-t-il bien aller en justice devant les injustes, et non devant les saints?

1 Corinthiens 6, 2 Ou bien ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde? Et si c'est par vous que le monde doit être jugé, êtes-vous indignes de prononcer sur des riens?

1 Corinthiens 6, 3 Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? A plus forte raison les choses de cette vie!

1 Corinthiens 6, 4 Et quand vous avez là-dessus des litiges, vous allez prendre pour juges des gens que l'Eglise méprise!

1 Corinthiens 6, 5 Je le dis à votre honte; ainsi, il n'y a parmi vous aucun homme sage, qui puisse servir d'arbitre entre ses frères!

1 Corinthiens 6, 6 Mais on va en justice frère contre frère, et cela devant des infidèles!

1 Corinthiens 6, 7 De toute façon, certes, c'est déjà pour vous une défaite que d'avoir des procès entre vous. Pourquoi ne pas souffrir plutôt l'injustice? Pourquoi ne pas vous laisser plutôt dépouiller?

1 Corinthiens 6, 8 Mais non, c'est vous qui commettez l'injustice et dépouillez les autres; et ce sont des frères!

1 Corinthiens 6, 9 Ne savez-vous pas que les injustes n'hériteront pas du Royaume de Dieu? Ne vous y trompez pas! Ni impudiques, ni idolâtres, ni adultères, ni dépravés, ni gens de moeurs infâmes,

1 Corinthiens 6, 10 ni voleurs, ni cupides, pas plus qu'ivrognes, insulteurs ou rapaces, n'hériteront du Royaume de Dieu.

1 Corinthiens 6, 11 Et cela, vous l'étiez bien, quelques-uns. Mais vous vous êtes lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés par le nom du Seigneur Jésus Christ et par l'Esprit de notre Dieu.

1 Corinthiens 6, 12 "Tout m'est permis"; mais tout n'est pas profitable. "Tout m'est permis"; mais je ne me laisserai, moi, dominer par rien.

1 Corinthiens 6, 13 Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments, et Dieu détruira ceux-ci comme celui-là. Mais le corps n'est pas pour la fornication; il est pour le Seigneur, et le Seigneur pour le corps.

1 Corinthiens 6, 14 Et Dieu, qui a ressuscité le Seigneur, nous ressuscitera, nous aussi, par sa puissance.

1 Corinthiens 6, 15 Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ? Et j'irais prendre les membres du Christ pour en faire des membres de prostituée! Jamais de la vie!

1 Corinthiens 6, 16 Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s'unit à la prostituée n'est avec elle qu'un seul corps? Car il est dit: Les deux ne seront qu'une seule chair.

1 Corinthiens 6, 17 Celui qui s'unit au Seigneur, au contraire, n'est avec lui qu'un seul esprit.

1 Corinthiens 6, 18 Fuyez la fornication! Tout péché que l'homme peut commettre est extérieur à son corps; celui qui fornique, lui, pèche contre son propre corps.

1 Corinthiens 6, 19 Ou bien ne savez-vous pas que votre corps est un temple du Saint Esprit, qui est en vous et que vous tenez de Dieu? Et que vous ne vous appartenez pas?

1 Corinthiens 6, 20 Vous avez été bel et bien achetés! Glorifiez donc Dieu dans votre corps.

1 Corinthiens 7, 1 J'en viens maintenant à ce que vous m'avez écrit. Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme.

1 Corinthiens 7, 2 Toutefois, à cause des débauches, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari.

1 Corinthiens 7, 3 Que le mari s'acquitte de son devoir envers sa femme, et pareillement la femme envers son mari.

1 Corinthiens 7, 4 La femme ne dispose pas de son corps, mais le mari. Pareillement, le mari ne dispose pas de son corps, mais la femme.

1 Corinthiens 7, 5 Ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un commun accord, pour un temps, afin de vaquer à la prière; et de nouveau soyez ensemble, de peur que Satan ne profite, pour vous tenter, de votre incontinence.

1 Corinthiens 7, 6 Ce que je dis là est une concession, non un ordre.

1 Corinthiens 7, 7 Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi; mais chacun reçoit de Dieu son don particulier, celui-ci d'une manière, celui-là de l'autre.

1 Corinthiens 7, 8 Je dis toutefois aux célibataires et aux veuves qu'il leur est bon de demeurer comme moi.

1 Corinthiens 7, 9 Mais s'ils ne peuvent se contenir, qu'ils se marient: mieux vaut se marier que de brûler.

1 Corinthiens 7, 10 Quant aux personnes mariées, voici ce que je prescris, non pas moi, mais le Seigneur: que la femme ne se sépare pas de son mari --

1 Corinthiens 7, 11 au cas où elle s'en séparerait, qu'elle ne se remarie pas ou qu'elle se réconcilie avec son mari - et que le mari ne répudie pas sa femme.

1 Corinthiens 7, 12 Quant aux autres, c'est moi qui leur dis, non le Seigneur: si un frère a une femme non croyante qui consente à cohabiter avec lui, qu'il ne la répudie pas.

1 Corinthiens 7, 13 Une femme a-t-elle un mari non croyant qui consente à cohabiter avec elle, qu'elle ne répudie pas son mari.

1 Corinthiens 7, 14 En effet le mari non croyant se trouve sanctifié par sa femme, et la femme non croyante se trouve sanctifiée par le mari croyant. Car autrement, vos enfants seraient impurs, alors qu'ils sont saints!

1 Corinthiens 7, 15 Mais si la partie non croyante veut se séparer, qu'elle se sépare; en pareil cas, le frère ou la soeur ne sont pas liés: Dieu vous a appelés à vivre en paix.

1 Corinthiens 7, 16 Et que sais-tu, femme, si tu sauveras ton mari? Et que sais-tu, mari, si tu sauveras ta femme?

1 Corinthiens 7, 17 Par ailleurs, que chacun continue de vivre dans la condition que lui a départie le Seigneur, tel que l'a trouvé l'appel de Dieu. C'est la règle que j'établis dans toutes les Eglises.

1 Corinthiens 7, 18 Quelqu'un était-il circoncis lors de son appel? Qu'il ne se fasse pas de prépuce. L'appel l'a-t-il trouvé incirconcis? Qu'il ne se fasse pas circoncire.

1 Corinthiens 7, 19 La circoncision n'est rien, et l'incirconcision n'est rien; ce qui compte, c'est de garder les commandements de Dieu.

1 Corinthiens 7, 20 Que chacun demeure dans l'état où l'a trouvé l'appel de Dieu.

1 Corinthiens 7, 21 Etais-tu esclave, lors de ton appel? Ne t'en soucie pas. Et même si tu peux devenir libre, mets plutôt à profit ta condition d'esclave.

1 Corinthiens 7, 22 Car celui qui était esclave lors de son appel dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur; pareillement celui qui était libre lors de son appel est un esclave du Christ.

1 Corinthiens 7, 23 Vous avez été bel et bien achetés! Ne vous rendez pas esclaves des hommes.

1 Corinthiens 7, 24 Que chacun, frères, demeure devant Dieu dans l'état où l'a trouvé son appel.

1 Corinthiens 7, 25 Pour ce qui est des vierges, je n'ai pas d'ordre du Seigneur, mais je donne un avis en homme qui, par la miséricorde du Seigneur, est digne de confiance.

1 Corinthiens 7, 26 Je pense donc que c'est une bonne chose, en raison de la détresse présente, que c'est une bonne chose pour l'homme d'être ainsi.

1 Corinthiens 7, 27 Es-tu lié à une femme? Ne cherche pas à rompre. N'es-tu pas lié à une femme? Ne cherche pas de femme.

1 Corinthiens 7, 28 Si cependant tu te maries, tu ne pèches pas; et si la jeune fille se marie, elle ne pèche pas. Mais ceux-là connaîtront la tribulation dans leur chair, et moi, je voudrais vous l'épargner.

1 Corinthiens 7, 29 Je vous le dis, frères: le temps se fait court. Que désormais ceux qui ont femme vivent comme s'ils n'en avaient pas;

1 Corinthiens 7, 30 ceux qui pleurent, comme s'il ne pleuraient pas; ceux qui sont dans la joie, comme s'ils n'étaient pas dans la joie; ceux qui achètent, comme s'ils ne possédaient pas;

1 Corinthiens 7, 31 ceux qui usent de ce monde, comme s'ils n'en usaient pas vraiment. Car elle passe, la figure de ce monde.

1 Corinthiens 7, 32 Je voudrais vous voir exempts de soucis. L'homme qui n'est pas marié a souci des affaires du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur.

1 Corinthiens 7, 33 Celui qui s'est marié a souci des affaires du monde, des moyens de plaire à sa femme;

1 Corinthiens 7, 34 et le voilà partagé. De même la femme sans mari, comme la jeune fille, a souci des affaires du Seigneur; elle cherche à être sainte de corps et d'esprit. Celle qui s'est mariée a souci des affaires du monde, des moyens de plaire à son mari.

1 Corinthiens 7, 35 Je dis cela dans votre propre intérêt, non pour vous tendre un piège, mais pour vous porter à ce qui est digne et qui attache sans partage au Seigneur.

1 Corinthiens 7, 36 Si quelqu'un pense, étant en pleine ardeur juvénile, qu'il risque de mal se conduire vis-à-vis de sa fiancée, et que les choses doivent suivre leur cours, qu'il fasse ce qu'il veut: il ne pèche pas, qu'ils se marient!

1 Corinthiens 7, 37 Mais celui qui a pris dans son coeur une ferme résolution, en dehors de toute contrainte, en gardant le plein contrôle de sa volonté, et a ainsi décidé en lui-même de respecter sa vierge, celui-là fait bien.

1 Corinthiens 7, 38 Ainsi celui qui se marie avec sa fiancée fait bien, mais celui qui ne se marie pas avec elle fait mieux encore.

1 Corinthiens 7, 39 La femme demeure liée à son mari aussi longtemps qu'il vit; mais si le mari meurt, elle est libre d'épouser qui elle veut, dans le Seigneur seulement.

1 Corinthiens 7, 40 Elle sera pourtant plus heureuse, à mon sens, si elle reste comme elle est. Et je pense bien, moi aussi, avoir l'Esprit de Dieu.

1 Corinthiens 8, 1 Pour ce qui est des viandes immolées aux idoles, nous avons tous la science, c'est entendu. Mais la science enfle; c'est la charité qui édifie.

1 Corinthiens 8, 2 Si quelqu'un s'imagine connaître quelque chose, il ne connaît pas encore comme il faut connaître;

1 Corinthiens 8, 3 mais si quelqu'un aime Dieu, celui-là est connu de lui.

1 Corinthiens 8, 4 Donc, pour ce qui est de manger des viandes immolées aux idoles, nous savons qu'une idole n'est rien dans le monde et qu'il n'est de Dieu que le Dieu unique.

1 Corinthiens 8, 5 Car, bien qu'il y ait, soit au ciel, soit sur la terre, de prétendus dieux - et de fait il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs --,

1 Corinthiens 8, 6 pour nous en tout cas, il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes.

1 Corinthiens 8, 7 Mais tous n'ont pas la science. Certains, par suite de leur fréquentation encore récente des idoles, mangent les viandes immolées comme telles, et leur conscience, qui est faible, s'en trouve souillée.

1 Corinthiens 8, 8 Ce n'est pas un aliment, certes, qui nous rapprochera de Dieu. Si nous n'en mangeons pas, nous n'avons rien de moins; et si nous en mangeons, nous n'avons rien de plus.

1 Corinthiens 8, 9 Mais prenez garde que cette liberté dont vous usez ne devienne pour les faibles occasions de chute.

1 Corinthiens 8, 10 Si en effet quelqu'un te voit, toi qui as la science, attablé dans un temple d'idoles, sa conscience à lui qui est faible ne va-t-elle pas se croire autorisée à manger des viandes immolées aux idoles?

1 Corinthiens 8, 11 Et ta science alors va faire périr le faible, ce frère pour qui le Christ est mort!

1 Corinthiens 8, 12 En péchant ainsi contre vos frères, en blessant leur conscience, qui est faible, c'est contre le Christ que vous péchez.

1 Corinthiens 8, 13 C'est pourquoi, si un aliment doit causer la chute de mon frère, je me passerai de viande à tout jamais, afin de ne pas causer la chute de mon frère.

1 Corinthiens 9, 1 Ne suis-je pas libre? Ne suis-je pas apôtre? N'ai-je donc pas vu Jésus, notre Seigneur? N'êtes-vous pas mon oeuvre dans le Seigneur?

1 Corinthiens 9, 2 Si pour d'autres je ne suis pas apôtre, pour vous du moins je le suis; car c'est vous qui, dans le Seigneur, êtes le sceau de mon apostolat.

1 Corinthiens 9, 3 Ma défense contre ceux qui m'accusent, la voici:

1 Corinthiens 9, 4 N'avons-nous pas le droit de manger et de boire?

1 Corinthiens 9, 5 N'avons-nous pas le droit d'emmener avec nous une femme chrétienne, comme les autres apôtres, et les frères du Seigneur, et Céphas?

1 Corinthiens 9, 6 Ou bien, est-ce que moi seul et Barnabé, nous n'avons pas le droit de ne pas travailler?

1 Corinthiens 9, 7 Qui fait jamais campagne à ses propres frais? Qui plante une vigne et n'en mange pas le fruit? Qui fait paître un troupeau et ne se nourrit pas du lait du troupeau?

1 Corinthiens 9, 8 N'y a-t-il là que propos humains? Ou bien la Loi ne le dit-elle pas aussi?

1 Corinthiens 9, 9 C'est bien dans la Loi de Moïse qu'il est écrit: Tu ne muselleras pas le boeuf qui foule le grain. Dieu se mettrait-il en peine des boeufs?

1 Corinthiens 9, 10 N'est-ce pas évidemment pour nous qu'il parle? Oui, c'est pour nous que cela a été écrit: celui qui laboure doit labourer dans l'espérance, et celui qui foule le grain, dans l'espérance d'en avoir sa part.

1 Corinthiens 9, 11 Si nous avons semé en vous les biens spirituels, est-ce chose extraordinaire que nous récoltions vos biens temporels?

1 Corinthiens 9, 12 Si d'autres ont ce droit sur vous, ne l'avons-nous pas davantage? Cependant nous n'avons pas usé de ce droit. Nous supportons tout, au contraire, pour ne pas créer d'obstacle à l'Evangile du Christ.

1 Corinthiens 9, 13 Ne savez-vous pas que les ministres du temple vivent du temple, que ceux qui servent à l'autel partagent avec l'autel?

1 Corinthiens 9, 14 De même, le Seigneur a prescrit à ceux qui annoncent l'Evangile de vivre de l'Evangile.

1 Corinthiens 9, 15 Mais je n'ai usé, moi, d'aucun de ces droits, et je n'écris pas cela pour qu'il en soit ainsi à mon égard; plutôt mourir que de... Mon titre de gloire, personne ne le réduira à néant.

1 Corinthiens 9, 16 Annoncer l'Evangile en effet n'est pas pour moi un titre de gloire; c'est une nécessité qui m'incombe. Oui, malheur à moi si je n'annonçais pas l'Evangile!

1 Corinthiens 9, 17 Si j'avais l'initiative de cette tâche, j'aurais droit à une récompense; si je ne l'ai pas, c'est une charge qui m'est confiée.

1 Corinthiens 9, 18 Quelle est donc ma récompense? C'est qu'en annonçant l'Evangile, j'offre gratuitement l'Evangile, sans user du droit que me confère l'Evangile.

1 Corinthiens 9, 19 Oui, libre à l'égard de tous, je me suis fait l'esclave de tous, afin de gagner le plus grand nombre.

1 Corinthiens 9, 20 Je me suis fait Juif avec les Juifs, afin de gagner les Juifs; sujet de la Loi avec les sujets de la Loi - moi, qui ne suis pas sujet de la Loi - afin de gagner les sujets de la Loi.

1 Corinthiens 9, 21 Je me suis fait un sans-loi avec les sans-loi - moi qui ne suis pas sans une loi de Dieu, étant sous la loi du Christ - afin de gagner les sans-loi.

1 Corinthiens 9, 22 Je me suis fait faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver à tout prix quelques-uns.

1 Corinthiens 9, 23 Et tout cela, je le fais à cause de l'Evangile, afin d'en avoir ma part.

1 Corinthiens 9, 24 Ne savez-vous pas que, dans les courses du stade, tous courent, mais un seul obtient le prix? Courez donc de manière à le remporter.

1 Corinthiens 9, 25 Tout athlète se prive de tout; mais eux, c'est pour obtenir une couronne périssable, nous une impérissable.

1 Corinthiens 9, 26 Et c'est bien ainsi que je cours, moi, non à l'aventure; c'est ainsi que je fais du pugilat, sans frapper dans le vide.

1 Corinthiens 9, 27 Je meurtris mon corps au contraire et le traîne en esclavage, de peur qu'après avoir servi de héraut pour les autres, je ne sois moi-même disqualifié.

1 Corinthiens 10, 1 Car je ne veux pas que vous l'ignoriez, frères: nos pères ont tous été sous la nuée, tous ont passé à travers la mer,

1 Corinthiens 10, 2 tous ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer,

1 Corinthiens 10, 3 tous ont mangé le même aliment spirituel

1 Corinthiens 10, 4 et tous ont bu le même breuvage spirituel - ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher, c'était le Christ.

1 Corinthiens 10, 5 Cependant, ce n'est pas le plus grand nombre d'entre eux qui plut à Dieu, puisque leurs corps jonchèrent le désert.

1 Corinthiens 10, 6 Ces faits se sont produits pour nous servir d'exemples, pour que nous n'ayons pas de convoitises mauvaises, comme ils en eurent eux-mêmes.

1 Corinthiens 10, 7 Ne devenez pas idolâtres comme certains d'entre eux, dont il est écrit: Le peuple s'assit pour manger et boire, puis ils se levèrent pour s'amuser.

1 Corinthiens 10, 8 Et ne forniquons pas, comme le firent certains d'entre eux; et il en tomba 23.000 en un seul jour.

1 Corinthiens 10, 9 Ne tentons pas non plus le Seigneur, comme le firent certains d'entre eux; et ils périrent par les serpents.

1 Corinthiens 10, 10 Et ne murmurez pas, comme le firent certains d'entre eux; et ils périrent par l'Exterminateur.

1 Corinthiens 10, 11 Cela leur arrivait pour servir d'exemple, et a été écrit pour notre instruction à nous qui touchons à la fin des temps.

1 Corinthiens 10, 12 Ainsi donc, que celui qui se flatte d'être debout prenne garde de tomber.

1 Corinthiens 10, 13 Aucune tentation ne vous est survenue, qui passât la mesure humaine. Dieu est fidèle; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces; mais avec la tentation, il vous donnera le moyen d'en sortir et la force de la supporter.

1 Corinthiens 10, 14 C'est pourquoi, mes bien-aimés, fuyez l'idolâtrie.

1 Corinthiens 10, 15 Je vous parle comme à des gens sensés; jugez vous-mêmes de ce que je dis.

1 Corinthiens 10, 16 La coupe de bénédiction que nous bénissons, n'est-elle pas communion au sang du Christ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas communion au corps du Christ?

1 Corinthiens 10, 17 Parce qu'il n'y a qu'un pain, à plusieurs nous ne sommes qu'un corps, car tous nous participons à ce pain unique.

1 Corinthiens 10, 18 Considérez l'Israël selon la chair. Ceux qui mangent les victimes ne sont-ils pas en communion avec l'autel?

1 Corinthiens 10, 19 Qu'est-ce à dire? Que la viande immolée aux idoles soit quelque chose? Ou que l'idole soit quelque chose?...

1 Corinthiens 10, 20 Mais ce qu'on immole, c'est à des démons et à ce qui n'est pas Dieu qu'on l'immole. Or, je ne veux pas que vous entriez en communion avec les démons.

1 Corinthiens 10, 21 Vous ne pouvez boire la coupe du Seigneur et la coupe des démons; vous ne pouvez participer à la table du Seigneur et à la table des démons.

1 Corinthiens 10, 22 Ou bien voudrions-nous provoquer la jalousie du Seigneur? Serions-nous plus forts que lui?

1 Corinthiens 10, 23 "Tout est permis"; mais tout n'est pas profitable. "Tout est permis"; mais tout n'édifie pas.

1 Corinthiens 10, 24 Que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui d'autrui.

1 Corinthiens 10, 25 Tout ce qui se vend au marché, mangez-le sans poser de question par motif de conscience;

1 Corinthiens 10, 26 car la terre est au Seigneur, et tout ce qui la remplit.

1 Corinthiens 10, 27 Si quelque infidèle vous invite et que vous acceptiez d'y aller, mangez tout ce qu'on vous sert, sans poser de question par motif de conscience.

1 Corinthiens 10, 28 Mais si quelqu'un vous dit: "Ceci a été immolé en sacrifice", n'en mangez pas, à cause de celui qui vous a prévenus, et par motif de conscience.

1 Corinthiens 10, 29 Par conscience j'entends non la vôtre, mais celle d'autrui; car pourquoi ma liberté relèverait-elle du jugement d'une conscience étrangère?

1 Corinthiens 10, 30 Si je prends quelque chose en rendant grâce, pourquoi serais-je blâmé pour ce dont je rends grâce?

1 Corinthiens 10, 31 Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu.

1 Corinthiens 10, 32 Ne donnez scandale ni aux Juifs, ni aux Grecs, ni à l'Eglise de Dieu,

1 Corinthiens 10, 33 tout comme moi je m'efforce de plaire en tout à tous, ne recherchant pas mon propre intérêt, mais celui du plus grand nombre, afin qu'ils soient sauvés.

1 Corinthiens 11, 1 Montrez-vous mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ.

1 Corinthiens 11, 2 Je vous félicite de ce qu'en toutes choses vous vous souvenez de moi et gardez les traditions comme je vous les ai transmises.

1 Corinthiens 11, 3 Je veux cependant que vous le sachiez: le chef de tout homme, c'est le Christ; le chef de la femme, c'est l'homme; et le chef du Christ, c'est Dieu.

1 Corinthiens 11, 4 Tout homme qui prie ou prophétise le chef couvert fait affront à son chef.

1 Corinthiens 11, 5 Toute femme qui prie ou prophétise le chef découvert fait affront à son chef; c'est exactement comme si elle était tondue.

1 Corinthiens 11, 6 Si donc une femme ne met pas de voile, alors, qu'elle se coupe les cheveux! Mais si c'est une honte pour une femme d'avoir les cheveux coupés ou tondus, qu'elle mette un voile.

1 Corinthiens 11, 7 L'homme, lui, ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et le reflet de Dieu; quant à la femme, elle est le reflet de l'homme.

1 Corinthiens 11, 8 Ce n'est pas l'homme en effet qui a été tiré de la femme, mais la femme de l'homme;

1 Corinthiens 11, 9 et ce n'est pas l'homme, bien sûr, qui a été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme.

1 Corinthiens 11, 10 Voilà pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion, à cause des anges.

1 Corinthiens 11, 11 Aussi bien, dans le Seigneur, ni la femme ne va sans l'homme, ni l'homme sans la femme;

1 Corinthiens 11, 12 car, de même que la femme a été tirée de l'homme, ainsi l'homme naît par la femme, et tout vient de Dieu.

1 Corinthiens 11, 13 Jugez-en par vous-mêmes. Est-il convenable que la femme prie Dieu la tête découverte?

1 Corinthiens 11, 14 La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c'est une honte pour l'homme de porter les cheveux longs,

1 Corinthiens 11, 15 tandis que c'est une gloire pour la femme de les porter ainsi? Car la chevelure lui a été donnée en guise de voile.

1 Corinthiens 11, 16 Au reste, si quelqu'un se plaît à ergoter, tel n'est pas notre usage, ni celui des Eglises de Dieu.

1 Corinthiens 11, 17 Et puisque j'en suis aux recommandations, je n'ai pas à vous louer de ce que vos réunions tournent non pas à votre bien, mais à votre détriment.

1 Corinthiens 11, 18 Car j'apprends tout d'abord que, lorsque vous vous réunissez en assemblée, il se produit parmi vous des divisions, et je le crois en partie.

1 Corinthiens 11, 19 Il faut bien qu'il y ait aussi des scissions parmi vous, pour permettre aux hommes éprouvés de se manifester parmi vous.

1 Corinthiens 11, 20 Lors donc que vous vous réunissez en commun, ce n'est plus le Repas du Seigneur que vous prenez.

1 Corinthiens 11, 21 Dès qu'on est à table en effet, chacun prend d'abord son propre repas, et l'un a faim, tandis que l'autre est ivre.

1 Corinthiens 11, 22 Vous n'avez donc pas de maisons pour manger et boire? Ou bien méprisez-vous l'Eglise de Dieu, et voulez-vous faire honte à ceux qui n'ont rien? Que vous dire? Vous louer? Sur ce point, je ne vous loue pas.

1 Corinthiens 11, 23 Pour moi, en effet, j'ai reçu du Seigneur ce qu'à mon tour je vous ai transmis: le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain

1 Corinthiens 11, 24 et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit: "Ceci est mon corps, qui est pour vous; faites ceci en mémoire de moi."

1 Corinthiens 11, 25 De même, après le repas, il prit la coupe, en disant: "Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi."

1 Corinthiens 11, 26 Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.

1 Corinthiens 11, 27 Ainsi donc, quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du corps et du sang du Seigneur.

1 Corinthiens 11, 28 Que chacun donc s'éprouve soi-même, et qu'ainsi il mange de ce pain et boive de cette coupe;

1 Corinthiens 11, 29 car celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation, s'il ne discerne le Corps.

1 Corinthiens 11, 30 Voilà pourquoi il y a parmi vous beaucoup de malades et d'infirmes, et que bon nombre sont morts.

1 Corinthiens 11, 31 Si nous nous examinions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés.

1 Corinthiens 11, 32 Mais par ses jugements le Seigneur nous corrige, pour que nous ne soyons point condamnés avec le monde.

1 Corinthiens 11, 33 Ainsi donc, mes frères, quand vous vous réunissez pour le Repas, attendez-vous les uns les autres.

1 Corinthiens 11, 34 Si quelqu'un a faim, qu'il mange chez lui, afin de ne pas vous réunir pour votre condamnation. Quant au reste, je le réglerai lors de ma venue.

1 Corinthiens 12, 1 Pour ce qui est des dons spirituels, frères, je ne veux pas vous voir dans l'ignorance.

1 Corinthiens 12, 2 Quand vous étiez païens, vous le savez, vous étiez entraînés irrésistiblement vers les idoles muettes.

1 Corinthiens 12, 3 C'est pourquoi, je vous le déclare: personne, parlant avec l'Esprit de Dieu, ne dit: "Anathème à Jésus", et nul ne peut dire: "Jésus est Seigneur", s'il n'est avec l'Esprit Saint.

1 Corinthiens 12, 4 Il y a, certes, diversité de dons spirituels, mais c'est le même Esprit;

1 Corinthiens 12, 5 diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur;

1 Corinthiens 12, 6 diversité d'opérations, mais c'est le même Dieu qui opère tout en tous.

1 Corinthiens 12, 7 A chacun la manifestation de l'Esprit est donnée en vue du bien commun.

1 Corinthiens 12, 8 A l'un, c'est un discours de sagesse qui est donné par l'Esprit; à tel autre un discours de science, selon le même Esprit;

1 Corinthiens 12, 9 à un autre la foi, dans le même Esprit; à tel autre les dons de guérisons, dans l'unique Esprit;

1 Corinthiens 12, 10 à tel autre la puissance d'opérer des miracles; à tel autre la prophétie; à tel autre le discernement des esprits; à un autre les diversités de langues, à tel autre le don de les interpréter.

1 Corinthiens 12, 11 Mais tout cela, c'est l'unique et même Esprit qui l'opère, distribuant ses dons à chacun en particulier comme il l'entend.

1 Corinthiens 12, 12 De même, en effet, que le corps est un, tout en ayant plusieurs membres, et que tous les membres du corps, en dépit de leur pluralité, ne forment qu'un seul corps, ainsi en est-il du Christ.

1 Corinthiens 12, 13 Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d'un seul Esprit.

1 Corinthiens 12, 14 Aussi bien le corps n'est-il pas un seul membre, mais plusieurs.

1 Corinthiens 12, 15 Si le pied disait: "Parce que je ne suis pas la main, je ne suis pas du corps", il n'en serait pas moins du corps pour cela.

1 Corinthiens 12, 16 Et si l'oreille disait: "Parce que je ne suis pas l'oeil, je ne suis pas du corps", elle n'en serait pas moins du corps pour cela.

1 Corinthiens 12, 17 Si tout le corps était oeil, où serait l'ouïe? Si tout était oreille, où serait l'odorat?

1 Corinthiens 12, 18 Mais, de fait, Dieu a placé les membres, et chacun d'eux dans le corps, selon qu'il a voulu.

1 Corinthiens 12, 19 Si le tout était un seul membre, où serait le corps?

1 Corinthiens 12, 20 Mais, de fait, il y a plusieurs membres, et cependant un seul corps.

1 Corinthiens 12, 21 L'oeil ne peut donc dire à la main: "Je n'ai pas besoin de toi", ni la tête à son tour dire aux pieds: "Je n'ai pas besoin de vous."

1 Corinthiens 12, 22 Bien plus, les membres du corps qui sont tenus pour plus faibles sont nécessaires;

1 Corinthiens 12, 23 et ceux que nous tenons pour les moins honorables du corps sont ceux-là mêmes que nous entourons de plus d'honneur, et ce que nous avons d'indécent, on le traite avec le plus de décence;

1 Corinthiens 12, 24 ce que nous avons de décent n'en a pas besoin. Mais Dieu a disposé le corps de manière à donner davantage d'honneur à ce qui en manque,

1 Corinthiens 12, 25 pour qu'il n'y ait point de division dans le corps, mais qu'au contraire les membres se témoignent une mutuelle sollicitude.

1 Corinthiens 12, 26 Un membre souffre-t-il? Tous les membres souffrent avec lui. Un membre est-il à l'honneur? Tous les membres se réjouissent avec lui.

1 Corinthiens 12, 27 Or vous êtes, vous, le corps du Christ, et membres chacun pour sa part.

1 Corinthiens 12, 28 Et ceux que Dieu a établis dans l'Eglise sont premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes, troisièmement les docteurs... Puis il y a les miracles, puis les dons de guérisons, d'assistance, de gouvernement, les diversités de langues.

1 Corinthiens 12, 29 Tous sont-ils apôtres? Tous prophètes? Tous docteurs? Tous font-ils des miracles?

1 Corinthiens 12, 30 Tous ont-ils des dons de guérisons? Tous parlent-ils en langues? Tous interprètent-ils?

1 Corinthiens 12, 31 Aspirez aux dons supérieurs. Et je vais encore vous montrer une voie qui les dépasse toutes.

1 Corinthiens 13, 1 Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je ne suis plus qu'airain qui sonne ou cymbale qui retentit.

1 Corinthiens 13, 2 Quand j'aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j'aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien.

1 Corinthiens 13, 3 Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien.

1 Corinthiens 13, 4 La charité est longanime; la charité est serviable; elle n'est pas envieuse; la charité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas;

1 Corinthiens 13, 5 elle ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal;

1 Corinthiens 13, 6 elle ne se réjouit pas de l'injustice, mais elle met sa joie dans la vérité.

1 Corinthiens 13, 7 Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout.

1 Corinthiens 13, 8 La charité ne passe jamais. Les prophéties? Elles disparaîtront. Les langues? Elles se tairont. La science? Elle disparaîtra.

1 Corinthiens 13, 9 Car partielle est notre science, partielle aussi notre prophétie.

1 Corinthiens 13, 10 Mais quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra.

1 Corinthiens 13, 11 Lorsque j'étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant; une fois devenu homme, j'ai fait disparaître ce qui était de l'enfant.

1 Corinthiens 13, 12 Car nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. A présent, je connais d'une manière partielle; mais alors je connaîtrai comme je suis connu.

1 Corinthiens 13, 13 Maintenant donc demeurent foi, espérance, charité, ces trois choses, mais la plus grande d'entre elles, c'est la charité.

1 Corinthiens 14, 1 Recherchez la charité; aspirez aussi aux dons spirituels, surtout à celui de prophétie.

1 Corinthiens 14, 2 Car celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu; personne en effet ne comprend: il dit en esprit des choses mystérieuses.

1 Corinthiens 14, 3 Celui qui prophétise, au contraire, parle aux hommes; il édifie, exhorte, réconforte.

1 Corinthiens 14, 4 Celui qui parle en langue s'édifie lui-même, celui qui prophétise édifie l'assemblée.

1 Corinthiens 14, 5 Je voudrais, certes, que vous parliez tous en langues, mais plus encore que vous prophétisiez; car celui qui prophétise l'emporte sur celui qui parle en langues, à moins que ce dernier n'interprète, pour que l'assemblée en tire édification.

1 Corinthiens 14, 6 Et maintenant, frères, supposons que je vienne chez vous et vous parle en langues, en quoi vous serai-je utile, si ma parole ne vous apporte ni révélation, ni science, ni prophétie, ni enseignement?

1 Corinthiens 14, 7 Ainsi en est-il des instruments de musique, flûte ou cithare; s'ils ne donnent pas distinctement les notes, comment saura-t-on ce que joue la flûte ou la cithare?

1 Corinthiens 14, 8 Et si la trompette n'émet qu'un son confus, qui se préparera au combat?

1 Corinthiens 14, 9 Ainsi de vous: si votre langue n'émet pas de parole intelligible, comment saura-t-on ce que vous dites? Vous parlerez en l'air.

1 Corinthiens 14, 10 Il y a, de par le monde, je ne sais combien d'espèces de langages, et rien n'est sans langage.

1 Corinthiens 14, 11 Si donc j'ignore la valeur du langage, je ferai l'effet d'un Barbare à celui qui parle, et celui qui parle me fera, à moi, l'effet d'un Barbare.

1 Corinthiens 14, 12 Ainsi de vous: puisque vous aspirez aux dons spirituels, cherchez à les avoir en abondance pour l'édification de l'assemblée.

1 Corinthiens 14, 13 C'est pourquoi celui qui parle en langue doit prier pour pouvoir interpréter.

1 Corinthiens 14, 14 Car, si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence n'en retire aucun fruit.

1 Corinthiens 14, 15 Que faire donc? Je prierai avec l'esprit, mais je prierai aussi avec l'intelligence. Je dirai un hymne avec l'esprit, mais je le dirai aussi avec l'intelligence.

1 Corinthiens 14, 16 Autrement, si tu ne bénis qu'en esprit, comment celui qui a rang de non-initié répondra-t-il "Amen!" à ton action de grâces, puisqu'il ne sait pas ce que tu dis?

1 Corinthiens 14, 17 Ton action de grâces est belle, certes, mais l'autre n'en est pas édifié.

1 Corinthiens 14, 18 Je rends grâces à Dieu de ce que je parle en langues plus que vous tous;

1 Corinthiens 14, 19 mais dans l'assemblée, j'aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, pour instruire aussi les autres, que 10.000 en langue.

1 Corinthiens 14, 20 Frères, ne soyez pas des enfants pour le jugement; des petits enfants pour la malice, soit, mais pour le jugement soyez des hommes faits.

1 Corinthiens 14, 21 Il est écrit dans la Loi: C'est par des hommes d'une autre langue et par des lèvres d'étrangers que je parlerai à ce peuple, et même ainsi ils ne m'écouteront pas, dit le Seigneur.

1 Corinthiens 14, 22 Ainsi donc, les langues servent de signe non pour les croyants, mais pour les infidèles: la prophétie, elle, n'est pas pour les infidèles mais pour les croyants.

1 Corinthiens 14, 23 Si donc l'Eglise entière se réunit ensemble et que tous parlent en langues, et qu'il entre des non-initiés ou des infidèles, ne diront-ils pas que vous êtes fous?

1 Corinthiens 14, 24 Mais si tous prophétisent et qu'il entre un infidèle ou un non-initié, le voilà repris par tous, jugé par tous;

1 Corinthiens 14, 25 les secrets de son coeur sont dévoilés, et ainsi, tombant sur la face, il adorera Dieu, en déclarant que Dieu est réellement parmi vous.

1 Corinthiens 14, 26 Que conclure, frères? Lorsque vous vous assemblez, chacun peut avoir un cantique, un enseignement, une révélation, un discours en langue, une interprétation. Que tout se passe de manière à édifier.

1 Corinthiens 14, 27 Parle-t-on en langue? Que ce soit le fait de deux ou de trois tout au plus, et à tour de rôle; et qu'il y ait un interprète.

1 Corinthiens 14, 28 S'il n'y a pas d'interprète, qu'on se taise dans l'assemblée; qu'on se parle à soi-même et à Dieu.

1 Corinthiens 14, 29 Pour les prophètes, qu'il y en ait deux ou trois à parler, et que les autres jugent.

1 Corinthiens 14, 30 Si un autre qui est assis a une révélation, que le premier se taise.

1 Corinthiens 14, 31 Car vous pouvez tous prophétiser à tour de rôle, pour que tous soient instruits et tous exhortés.

1 Corinthiens 14, 32 Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes;

1 Corinthiens 14, 33 car Dieu n'est pas un Dieu de désordre, mais de paix. Comme dans toutes les Eglises des saints,

1 Corinthiens 14, 34 que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis de prendre la parole; qu'elles se tiennent dans la soumission, selon que la Loi même le dit.

1 Corinthiens 14, 35 Si elles veulent s'instruire sur quelque point, qu'elles interrogent leur mari à la maison; car il est inconvenant pour une femme de parler dans une assemblée.

1 Corinthiens 14, 36 Est-ce de chez vous qu'est sortie la parole de Dieu? Ou bien, est-ce à vous seuls qu'elle est parvenue?

1 Corinthiens 14, 37 Si quelqu'un croit être prophète ou inspiré par l'Esprit, qu'il reconnaisse en ce que je vous écris un commandement du Seigneur.

1 Corinthiens 14, 38 S'il l'ignore, c'est qu'il est ignoré.

1 Corinthiens 14, 39 Ainsi donc, mes frères, aspirez au don de prophétie, et n'empêchez pas de parler en langues.

1 Corinthiens 14, 40 Mais que tout se passe dignement et dans l'ordre.

1 Corinthiens 15, 1 Je vous rappelle, frères, l'Evangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu et dans lequel vous demeurez fermes,

1 Corinthiens 15, 2 par lequel aussi vous vous sauvez, si vous le gardez tel que je vous l'ai annoncé; sinon, vous auriez cru en vain.

1 Corinthiens 15, 3 Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j'avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Ecritures,

1 Corinthiens 15, 4 qu'il a été mis au tombeau, qu'il est ressuscité le troisième jour selon les Ecritures,

1 Corinthiens 15, 5 qu'il est apparu à Céphas, puis aux Douze.

1 Corinthiens 15, 6 Ensuite, il est apparu à plus de 500 frères à la fois - la plupart d'entre eux demeurent jusqu'à présent et quelques-uns se sont endormis --

1 Corinthiens 15, 7 ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres.

1 Corinthiens 15, 8 Et, en tout dernier lieu, il m'est apparu à moi aussi, comme à l'avorton.

1 Corinthiens 15, 9 Car je suis le moindre des apôtres; je ne mérite pas d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu.

1 Corinthiens 15, 10 C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce à mon égard n'a pas été stérile. Loin de là, j'ai travaillé plus qu'eux tous: oh! non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi.

1 Corinthiens 15, 11 Bref, eux ou moi, voilà ce que nous prêchons. Et voilà ce que vous avez cru.

1 Corinthiens 15, 12 Or, si l'on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment certains parmi vous peuvent-ils dire qu'il n'y a pas de résurrection des morts?

1 Corinthiens 15, 13 S'il n'y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n'est pas ressuscité.

1 Corinthiens 15, 14 Mais si le Christ n'est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi.

1 Corinthiens 15, 15 Il se trouve même que nous sommes des faux témoins de Dieu, puisque nous avons attesté contre Dieu qu'il a ressuscité le Christ, alors qu'il ne l'a pas ressuscité, s'il est vrai que les morts ne ressuscitent pas.

1 Corinthiens 15, 16 Car si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est pas ressuscité.

1 Corinthiens 15, 17 Et si le Christ n'est pas ressuscité, vaine est votre foi; vous êtes encore dans vos péchés.

1 Corinthiens 15, 18 Alors aussi ceux qui se sont endormis dans le Christ ont péri.

1 Corinthiens 15, 19 Si c'est pour cette vie seulement que nous avons mis notre espoir dans le Christ, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes.

1 Corinthiens 15, 20 Mais non; le Christ est ressuscité d'entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis.

1 Corinthiens 15, 21 Car, la mort étant venue par un homme, c'est par un homme aussi que vient la résurrection des morts.

1 Corinthiens 15, 22 De même en effet que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ.

1 Corinthiens 15, 23 Mais chacun à son rang: comme prémices, le Christ, ensuite ceux qui seront au Christ, lors de son Avènement.

1 Corinthiens 15, 24 Puis ce sera la fin, lorsqu'il remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute Principauté, Domination et Puissance.

1 Corinthiens 15, 25 Car il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds.

1 Corinthiens 15, 26 Le dernier ennemi détruit, c'est la Mort;

1 Corinthiens 15, 27 car il a tout mis sous ses pieds. Mais lorsqu'il dira: "Tous est soumis désormais", c'est évidemment à l'exclusion de Celui qui lui a soumis toutes choses.

1 Corinthiens 15, 28 Et lorsque toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même se soumettra à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous.

1 Corinthiens 15, 29 S'il en était autrement, que gagneraient ceux qui se font baptiser pour les morts? Si les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi donc se fait-on baptiser pour eux?

1 Corinthiens 15, 30 Et nous-mêmes, pourquoi à toute heure nous exposer au péril?

1 Corinthiens 15, 31 Chaque jour je suis à la mort, aussi vrai, frères, que vous êtes pour moi un titre de gloire dans le Christ Jésus, notre Seigneur.

1 Corinthiens 15, 32 Si c'est dans des vues humaines que j'ai livré combat contre les bêtes à Ephèse, que m'en revient-il? Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons.

1 Corinthiens 15, 33 Ne vous y trompez pas: "Les mauvaises compagnies corrompent les bonnes moeurs."

1 Corinthiens 15, 34 Dégrisez-vous, comme il sied, et ne péchez pas; car il en est parmi vous qui ignorent tout de Dieu. Je le dis à votre honte.

1 Corinthiens 15, 35 Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils? Avec quel corps reviennent-ils?

1 Corinthiens 15, 36 Insensé! Ce que tu sèmes, toi, ne reprend vie s'il ne meurt.

1 Corinthiens 15, 37 Et ce que tu sèmes, ce n'est pas le corps à venir, mais un simple grain, soit de blé, soit de quelque autre plante;

1 Corinthiens 15, 38 et Dieu lui donne un corps à son gré, à chaque semence un corps particulier.

1 Corinthiens 15, 39 Toutes les chairs ne sont pas les mêmes, mais autre est la chair des hommes, autre la chair des bêtes, autre la chair des oiseaux, autre celle des poissons.

1 Corinthiens 15, 40 Il y a aussi des corps célestes et des corps terrestres, mais autre est l'éclat des célestes, autre celui des terrestres.

1 Corinthiens 15, 41 Autre l'éclat du soleil, autre l'éclat de la lune, autre l'éclat des étoiles. Une étoile même diffère en éclat d'une étoile.

1 Corinthiens 15, 42 Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts: on est semé dans la corruption, on ressuscite dans l'incorruptibilité;

1 Corinthiens 15, 43 on est semé dans l'ignominie, on ressuscite dans la gloire; on est semé dans la faiblesse, on ressuscite dans la force;

1 Corinthiens 15, 44 on est semé corps psychique, on ressuscite corps spirituel. S'il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel.

1 Corinthiens 15, 45 C'est ainsi qu'il est écrit: Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante; le dernier Adam, esprit vivifiant.

1 Corinthiens 15, 46 Mais ce n'est pas le spirituel qui paraît d'abord; c'est le psychique, puis le spirituel.

1 Corinthiens 15, 47 Le premier homme, issu du sol, est terrestre, le second, lui, vient du ciel.

1 Corinthiens 15, 48 Tel a été le terrestre, tels seront aussi les terrestres; tel le céleste, tels seront aussi les célestes.

1 Corinthiens 15, 49 Et de même que nous avons porté l'image du terrestre, nous porterons aussi l'image du céleste.

1 Corinthiens 15, 50 Je l'affirme, frères: la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l'incorruptibilité.

1 Corinthiens 15, 51 Oui, je vais vous dire un mystère: nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés.

1 Corinthiens 15, 52 En un instant, en un clin d'oeil, au son de la trompette finale, car elle sonnera, la trompette, et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés.

1 Corinthiens 15, 53 Il faut, en effet, que cet être corruptible revête l'incorruptibilité, que cet être mortel revête l'immortalité.

1 Corinthiens 15, 54 Quand donc cet être corruptible aura revêtu l'incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l'immortalité, alors s'accomplira la parole qui est écrite: La mort a été engloutie dans la victoire.

1 Corinthiens 15, 55 Où est-elle, ô mort, ta victoire? Où est-il, ô mort, ton aiguillon?

1 Corinthiens 15, 56 L'aiguillon de la mort, c'est le péché, et la force du péché, c'est la Loi.

1 Corinthiens 15, 57 Mais grâces soient à Dieu, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ!

1 Corinthiens 15, 58 Ainsi donc, mes frères bien-aimés, montrez-vous fermes, inébranlables, toujours en progrès dans l'oeuvre du Seigneur, sachant que votre labeur n'est pas vain dans le Seigneur.

1 Corinthiens 16, 1 Quant à la collecte en faveur des saints, suivez, vous aussi, les instructions que j'ai données aux Eglises de la Galatie.

1 Corinthiens 16, 2 Que le premier jour de la semaine, chacun de vous mette de côté chez lui ce qu'il aura pu épargner, en sorte qu'on n'attende pas que je vienne pour recueillir les dons.

1 Corinthiens 16, 3 Et une fois près de vous, j'enverrai, munis de lettres, ceux que vous aurez jugés aptes, porter vos libéralités à Jérusalem;

1 Corinthiens 16, 4 et s'il vaut la peine que j'y aille aussi, ils feront le voyage avec moi.

1 Corinthiens 16, 5 J'irai chez vous, après avoir traversé la Macédoine; car je passerai par la Macédoine.

1 Corinthiens 16, 6 Peut-être séjournerai-je chez vous ou même y passerai-je l'hiver, afin que ce soit vous qui m'acheminiez vers l'endroit où j'irai.

1 Corinthiens 16, 7 Car je ne veux pas vous voir juste en passant; j'espère bien rester quelque temps chez vous, si le Seigneur le permet.

1 Corinthiens 16, 8 Toutefois je resterai à Ephèse jusqu'à la Pentecôte;

1 Corinthiens 16, 9 car une porte y est ouverte toute grande à mon activité, et les adversaires sont nombreux.

1 Corinthiens 16, 10 Si Timothée arrive, veillez à ce qu'il soit sans crainte au milieu de vous; car il travaille comme moi à l'oeuvre du Seigneur.

1 Corinthiens 16, 11 Que personne donc ne le méprise. Acheminez-le en paix, pour qu'il vienne me rejoindre: je l'attends avec les frères.

1 Corinthiens 16, 12 Quant à notre frère Apollos, je l'ai vivement exhorté à aller chez vous avec les frères, mais il ne veut absolument pas y aller maintenant; il ira lorsqu'il en trouvera l'occasion.

1 Corinthiens 16, 13 Veillez, demeurez fermes dans la foi, soyez des hommes, soyez forts.

1 Corinthiens 16, 14 Que tout se passe chez vous dans la charité.

1 Corinthiens 16, 15 Encore une recommandation, frères. Vous savez que Stéphanas et les siens sont les prémices de l'Achaïe, et qu'ils se sont rangés d'eux-mêmes au service des saints.

1 Corinthiens 16, 16 A votre tour, rangez-vous sous de tels hommes, et sous quiconque travaille et peine avec eux.

1 Corinthiens 16, 17 Je suis heureux de la visite de Stéphanas, de Fortunatus et d'Achaïcus, qui ont suppléé à votre absence;

1 Corinthiens 16, 18 ils ont en effet tranquillisé mon esprit et le vôtre. Sachez donc apprécier de tels hommes.

1 Corinthiens 16, 19 Les Eglises d'Asie vous saluent. Aquilas et Prisca vous saluent bien dans le Seigneur, ainsi que l'assemblée qui se réunit chez eux.

1 Corinthiens 16, 20 Tous les frères vous saluent. Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser.

1 Corinthiens 16, 21 La salutation est de ma main, à moi, Paul.

1 Corinthiens 16, 22 Si quelqu'un n'aime pas le Seigneur, qu'il soit anathème! "Maran atha."

1 Corinthiens 16, 23 La grâce du Seigneur Jésus soit avec vous!

1 Corinthiens 16, 24 Je vous aime tous dans le Christ Jésus.

 

 

II Corinthiens

 

 1, 1 Paul, apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu, et Timothée, le frère, à l'Eglise de Dieu établie à Corinthe, ainsi qu'à tous les saints qui sont dans l'Achaïe entière;

2 Corinthiens 1, 2 à vous grâce et paix de par Dieu, notre Père, et le Seigneur Jésus Christ!

2 Corinthiens 1, 3 Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation,

2 Corinthiens 1, 4 qui nous console dans toute notre tribulation, afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit.

2 Corinthiens 1, 5 De même en effet que les souffrances du Christ abondent pour nous, ainsi, par le Christ, abonde aussi notre consolation.

2 Corinthiens 1, 6 Sommes-nous dans la tribulation? C'est pour votre consolation et salut. Sommes-nous consolés? C'est pour votre consolation, qui vous donne de supporter avec constance les mêmes souffrances que nous endurons, nous aussi.

2 Corinthiens 1, 7 Et notre espoir à votre égard est ferme: nous savons que, partageant nos souffrances, vous partagerez aussi notre consolation.

2 Corinthiens 1, 8 Car nous ne voulons pas que vous l'ignoriez, frères: la tribulation qui nous est survenue en Asie nous a accablés à l'excès, au-delà de nos forces, à tel point que nous désespérions même de conserver la vie.

2 Corinthiens 1, 9 Vraiment, nous avons porté en nous-mêmes notre arrêt de mort, afin d'apprendre à ne pas mettre notre confiance en nous-mêmes mais en Dieu, qui ressuscite les morts.

2 Corinthiens 1, 10 C'est lui qui nous a délivrés d'une telle mort et nous en délivrera; en lui nous avons cette espérance qu'il nous en délivrera encore.

2 Corinthiens 1, 11 Vous-mêmes nous aiderez par la prière, afin que ce bienfait, qu'un grand nombre de personnes nous auront obtenu, soit pour un grand nombre un motif d'action de grâces à notre sujet.

2 Corinthiens 1, 12 Ce qui fait notre fierté, c'est ce témoignage de notre conscience que nous nous sommes comportés dans le monde, et plus particulièrement à votre égard, avec la sainteté et la pureté qui viennent de Dieu, non pas avec une sagesse charnelle, mais bien avec la grâce de Dieu.

2 Corinthiens 1, 13 En effet, il n'y a rien dans nos lettres que ce que vous y lisez et comprenez. Et j'espère que vous comprendrez pleinement --

2 Corinthiens 1, 14 ainsi que vous nous avez compris en partie - que nous sommes pour vous un titre de gloire, comme vous le serez pour nous, au Jour de notre Seigneur Jésus.

2 Corinthiens 1, 15 C'est dans cette assurance que je voulais venir chez vous tout d'abord pour vous procurer une seconde grâce;

2 Corinthiens 1, 16 puis de chez vous passer en Macédoine et de Macédoine revenir chez vous; et vous m'auriez acheminé vers la Judée.

2 Corinthiens 1, 17 En formant ce projet, aurais-je donc fait preuve de légèreté? Ou bien mes projets s'inspirent-ils de la chair, en sorte qu'il y ait en moi le oui, oui, et le non, non?

2 Corinthiens 1, 18 Aussi vrai que Dieu est fidèle, notre langage avec vous n'est pas oui et non.

2 Corinthiens 1, 19 Car le Fils de Dieu, le Christ Jésus, que nous avons prêché parmi vous, Silvain, Timothée et moi, n'a pas été oui et non; il n'y a eu que oui en lui.

2 Corinthiens 1, 20 Toutes les promesses de Dieu ont en effet leur oui en lui; aussi bien est-ce par lui que nous disons l'"Amen" à Dieu pour sa gloire.

2 Corinthiens 1, 21 Et Celui qui nous affermit avec vous dans le Christ et qui nous a donné l'onction, c'est Dieu,

2 Corinthiens 1, 22 Lui qui nous a aussi marqués d'un sceau et a mis dans nos coeurs les arrhes de l'Esprit.

2 Corinthiens 1, 23 Pour moi, j'en prends Dieu à témoin sur mon âme, c'est par ménagement pour vous que je ne suis plus venu à Corinthe.

2 Corinthiens 1, 24 Ce n'est pas que nous entendions régenter votre foi. Non, nous contribuons à votre joie; car, pour la foi, vous tenez bon.

2 Corinthiens 2, 1 Je décidai donc en moi-même de ne pas revenir chez vous dans la tristesse.

2 Corinthiens 2, 2 Car si c'est moi qui vous attriste, qui peut alors me donner de la joie sinon celui que j'aurai attristé?

2 Corinthiens 2, 3 Et si j'ai écrit ce que vous savez, c'était pour ne pas éprouver de tristesse, en venant, du fait de ceux qui devraient me donner de la joie, persuadé à l'égard de vous tous que ma joie est aussi la vôtre, à vous tous.

2 Corinthiens 2, 4 Oui, c'est dans une grande tribulation et angoisse de coeur que je vous ai écrit, parmi bien des larmes, non pour que vous soyez attristés, mais pour que vous sachiez l'extrême affection que je vous porte.

2 Corinthiens 2, 5 Que si quelqu'un a causé de la tristesse, ce n'est pas à moi qu'il en a causé; c'est, dans une certaine mesure (n'exagérons rien), à vous tous.

2 Corinthiens 2, 6 C'est assez pour cet homme-là du châtiment infligé par la majorité,

2 Corinthiens 2, 7 en sorte qu'il vaut mieux au contraire lui pardonner et l'encourager, de peur que cet homme-là ne vienne à sombrer dans une tristesse excessive.

2 Corinthiens 2, 8 C'est pourquoi je vous exhorte à faire prévaloir envers lui la charité.

2 Corinthiens 2, 9 Aussi bien, en écrivant, je ne me proposais que de vous mettre à l'épreuve et de voir si vous êtes en tous points obéissants.

2 Corinthiens 2, 10 Mais à qui vous pardonnez, je pardonne aussi; car, si j'ai pardonné - pour autant que j'ai eu à pardonner - c'est à cause de vous, en présence du Christ.

2 Corinthiens 2, 11 Il ne s'agit pas d'être dupes de Satan, car nous n'ignorons pas ses desseins.

2 Corinthiens 2, 12 J'arrivai donc à Troas pour l'Evangile du Christ, et bien qu'une porte me fût ouverte dans le Seigneur,

2 Corinthiens 2, 13 mon esprit n'eut point de repos, parce que je ne trouvai pas Tite, mon frère. Je pris donc congé d'eux et partis pour la Macédoine.

2 Corinthiens 2, 14 Grâces soient à Dieu qui, dans le Christ, nous emmène sans cesse dans son triomphe et qui, par nous, répand en tous lieux le parfum de sa connaissance.

2 Corinthiens 2, 15 Car nous sommes bien, pour Dieu, la bonne odeur du Christ parmi ceux qui se sauvent et parmi ceux qui se perdent;

2 Corinthiens 2, 16 pour les uns, une odeur qui de la mort conduit à la mort; pour les autres, une odeur qui de la vie conduit à la vie. Et de cela qui est capable?

2 Corinthiens 2, 17 Nous ne sommes pas, en effet, comme la plupart, qui frelatent la parole de Dieu; non, c'est en toute pureté, c'est en envoyés de Dieu que, devant Dieu, nous parlons dans le Christ.

2 Corinthiens 3, 1 Recommençons-nous à nous recommander nous-mêmes? Ou bien aurions-nous besoin, comme certains, de lettres de recommandation pour vous ou de vous?

2 Corinthiens 3, 2 Notre lettre, c'est vous, une lettre écrite en nos coeurs, connue et lue par tous les hommes.

2 Corinthiens 3, 3 Vous êtes manifestement une lettre du Christ remise à nos soins, écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur les coeurs.

2 Corinthiens 3, 4 Telle est la conviction que nous avons par le Christ auprès de Dieu.

2 Corinthiens 3, 5 Ce n'est pas que de nous-mêmes nous soyons capables de revendiquer quoi que ce soit comme venant de nous; non, notre capacité vient de Dieu,

2 Corinthiens 3, 6 qui nous a rendus capables d'être ministres d'une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l'Esprit; car la lettre tue, l'Esprit vivifie.

2 Corinthiens 3, 7 Or, si le ministère de la mort, gravé en lettres sur des pierres, a été entouré d'une telle gloire que les fils d'Israël ne pouvaient fixer les yeux sur le visage de Moïse à cause de la gloire de son visage, pourtant passagère,

2 Corinthiens 3, 8 comment le ministère de l'Esprit n'en aurait-il pas davantage?

2 Corinthiens 3, 9 Si en effet le ministère de la condamnation fut glorieux, combien plus le ministère de justice l'emporte-t-il en gloire!

2 Corinthiens 3, 10 Non, si de ce point de vue, on la compare à cette gloire suréminente, la gloire de ce premier ministère n'en fut pas une.

2 Corinthiens 3, 11 Car, si ce qui était passager s'est manifesté dans la gloire, combien plus ce qui demeure sera-t-il glorieux!

2 Corinthiens 3, 12 En possession d'une telle espérance, nous nous comportons avec beaucoup d'assurance,

2 Corinthiens 3, 13 et non comme Moïse, qui mettait un voile sur son visage pour empêcher les fils d'Israël de voir la fin de ce qui était passager...

2 Corinthiens 3, 14 Mais leur entendement s'est obscurci. Jusqu'à ce jour en effet, lorsqu'on lit l'Ancien Testament, ce même voile demeure. Il n'est point retiré; car c'est le Christ qui le fait disparaître.

2 Corinthiens 3, 15 Oui, jusqu'à ce jour, toutes les fois qu'on lit Moïse, un voile est posé sur leur coeur.

2 Corinthiens 3, 16 C'est quand on se convertit au Seigneur que le voile est enlevé.

2 Corinthiens 3, 17 Car le Seigneur, c'est l'Esprit, et où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté.

2 Corinthiens 3, 18 Et nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire, comme de par le Seigneur, qui est Esprit.

2 Corinthiens 4, 1 Voilà pourquoi, miséricordieusement investis de ce ministère, nous ne faiblissons pas,

2 Corinthiens 4, 2 mais nous avons répudié les dissimulations de la honte, ne nous conduisant pas avec astuce et ne falsifiant pas la parole de Dieu. Au contraire, par la manifestation de la vérité, nous nous recommandons à toute conscience humaine devant Dieu.

2 Corinthiens 4, 3 Que si notre Evangile demeure voilé, c'est pour ceux qui se perdent qu'il est voilé,

2 Corinthiens 4, 4 pour les incrédules, dont le dieu de ce monde a aveuglé l'entendement afin qu'ils ne voient pas briller l'Evangile de la gloire du Christ, qui est l'image de Dieu.

2 Corinthiens 4, 5 Car ce n'est pas nous que nous prêchons, mais le Christ Jésus, Seigneur; nous ne sommes, nous, que vos serviteurs, à cause de Jésus.

2 Corinthiens 4, 6 En effet le Dieu qui a dit: "Que des ténèbres resplendisse la lumière", est Celui qui a resplendi dans nos coeurs, pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu, qui est sur la face du Christ.

2 Corinthiens 4, 7 Mais ce trésor, nous le portons en des vases d'argile, pour que cet excès de puissance soit de Dieu et ne vienne pas de nous.

2 Corinthiens 4, 8 Nous sommes pressés de toute part, mais non pas écrasés; ne sachant qu'espérer, mais non désespérés;

2 Corinthiens 4, 9 persécutés, mais non abandonnés; terrassés, mais non annihilés.

2 Corinthiens 4, 10 Nous portons partout et toujours en notre corps les souffrances de mort de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre corps.

2 Corinthiens 4, 11 Quoique vivants en effet, nous sommes continuellement livrés à la mort à cause de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre chair mortelle.

2 Corinthiens 4, 12 Ainsi donc, la mort fait son oeuvre en nous, et la vie en vous.

2 Corinthiens 4, 13 Mais, possédant ce même esprit de foi, selon ce qui est écrit: J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé, nous aussi, nous croyons, et c'est pourquoi nous parlons,

2 Corinthiens 4, 14 sachant que Celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera nous aussi avec Jésus, et nous placera près de lui avec vous.

2 Corinthiens 4, 15 Car tout cela arrive à cause de vous, pour que la grâce, se multipliant, fasse abonder l'action de grâces chez un plus grand nombre, à la gloire de Dieu.

2 Corinthiens 4, 16 C'est pourquoi nous ne faiblissons pas. Au contraire, même si notre homme extérieur s'en va en ruine, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour.

2 Corinthiens 4, 17 Car la légère tribulation d'un instant nous prépare, jusqu'à l'excès, une masse éternelle de gloire,

2 Corinthiens 4, 18 à nous qui ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles; les choses visibles en effet n'ont qu'un temps, les invisibles sont éternelles.

2 Corinthiens 5, 1 Nous savons en effet que si cette tente - notre maison terrestre - vient à être détruite, nous avons un édifice qui est l'oeuvre de Dieu, une maison éternelle qui n'est pas faite de main d'homme, dans les cieux.

2 Corinthiens 5, 2 Aussi gémissons-nous dans cet état, ardemment désireux de revêtir par-dessus l'autre notre habitation céleste,

2 Corinthiens 5, 3 si toutefois nous devons être trouvés vêtus, et non pas nus.

2 Corinthiens 5, 4 Oui, nous qui sommes dans cette tente, nous gémissons, accablés; nous ne voudrions pas en effet nous dévêtir, mais nous revêtir par-dessus, afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie.

2 Corinthiens 5, 5 Et Celui qui nous a faits pour cela même, c'est Dieu, qui nous a donné les arrhes de l'Esprit.

2 Corinthiens 5, 6 Ainsi donc, toujours pleins de hardiesse, et sachant que demeurer dans ce corps, c'est vivre en exil loin du Seigneur,

2 Corinthiens 5, 7 car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision...

2 Corinthiens 5, 8 Nous sommes donc pleins de hardiesse et préférons quitter ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur.

2 Corinthiens 5, 9 Aussi bien, que nous demeurions en ce corps ou que nous le quittions, avons-nous à coeur de lui plaire.

2 Corinthiens 5, 10 Car il faut que tous nous soyons mis à découvert devant le tribunal du Christ, pour que chacun recouvre ce qu'il aura fait pendant qu'il était dans son corps, soit en bien, soit en mal.

2 Corinthiens 5, 11 Connaissant donc la crainte du Seigneur, nous cherchons à persuader les hommes. Quant à Dieu, nous sommes à découvert devant lui, et j'espère que, dans vos consciences aussi, nous sommes à découvert.

2 Corinthiens 5, 12 Nous ne recommençons pas à nous recommander nous-mêmes devant vous; nous vous donnons seulement occasion de vous glorifier à notre sujet, pour que vous puissiez répondre à ceux qui se glorifient de ce qui se voit et non de ce qui est dans le coeur.

2 Corinthiens 5, 13 En effet, si nous avons été hors de sens, c'était pour Dieu; si nous sommes raisonnables, c'est pour vous.

2 Corinthiens 5, 14 Car l'amour du Christ nous presse, à la pensée que, si un seul est mort pour tous, alors tous sont morts.

2 Corinthiens 5, 15 Et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux.

2 Corinthiens 5, 16 Ainsi donc, désormais nous ne connaissons personne selon la chair. Même si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant ce n'est plus ainsi que nous le connaissons.

2 Corinthiens 5, 17 Si donc quelqu'un est dans le Christ, c'est une création nouvelle: l'être ancien a disparu, un être nouveau est là.

2 Corinthiens 5, 18 Et le tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec Lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation.

2 Corinthiens 5, 19 Car c'était Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes, et mettant en nous la parole de la réconciliation.

2 Corinthiens 5, 20 Nous sommes donc en ambassade pour le Christ; c'est comme si Dieu exhortait par nous. Nous vous en supplions au nom du Christ: laissez-vous réconcilier avec Dieu.

2 Corinthiens 5, 21 Celui qui n'avait pas connu le péché, Il l'a fait péché pour nous, afin qu'en lui nous devenions justice de Dieu.

2 Corinthiens 6, 1 Et puisque nous sommes ses coopérateurs, nous vous exhortons encore à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu.

2 Corinthiens 6, 2 Il dit en effet: Au moment favorable, je t'ai exaucé; au jour du salut, je t'ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut.

2 Corinthiens 6, 3 Nous ne donnons à personne aucun sujet de scandale, pour que le ministère ne soit pas décrié.

2 Corinthiens 6, 4 Au contraire, nous nous recommandons en tout comme des ministres de Dieu: par une grande constance dans les tribulations, dans les détresses, dans les angoisses,

2 Corinthiens 6, 5 sous les coups, dans les prisons, dans les désordres, dans les fatigues, dans les veilles, dans les jeûnes;

2 Corinthiens 6, 6 par la pureté, par la science, par la patience, par la bonté, par un esprit saint, par une charité sans feinte,

2 Corinthiens 6, 7 par la parole de vérité, par la puissance de Dieu; par les armes offensives et défensives de la justice;

2 Corinthiens 6, 8 dans l'honneur et l'ignominie, dans la mauvaise et la bonne réputation; tenus pour imposteurs et pourtant véridiques;

2 Corinthiens 6, 9 pour gens obscurs, nous pourtant si connus; pour gens qui vont mourir, et nous voilà vivants; pour gens qu'on châtie, mais sans les mettre à mort;

2 Corinthiens 6, 10 pour tristes, nous qui sommes toujours joyeux; pour pauvres, nous qui faisons tant de riches; pour gens qui n'ont rien, nous qui possédons tout.

2 Corinthiens 6, 11 Nous vous avons parlé en toute liberté, Corinthiens; notre coeur s'est grand ouvert.

2 Corinthiens 6, 12 Vous n'êtes pas à l'étroit chez nous; c'est dans vos coeurs que vous êtes à l'étroit.

2 Corinthiens 6, 13 Payez-nous donc de retour; je vous parle comme à mes enfants, ouvrez tout grand votre coeur, vous aussi.

2 Corinthiens 6, 14 Ne formez pas d'attelage disparate avec des infidèles. Quel rapport en effet entre la justice et l'impiété? Quelle union entre la lumière et les ténèbres?

2 Corinthiens 6, 15 Quelle entente entre le Christ et Béliar? Quelle association entre le fidèle et l'infidèle?

2 Corinthiens 6, 16 Quel accord entre le temple de Dieu et les idoles? Or c'est nous qui sommes le temple du Dieu vivant, ainsi que Dieu l'a dit: J'habiterai au milieu d'eux et j'y marcherai; je serai leur Dieu et ils seront mon peuple.

2 Corinthiens 6, 17 Sortez donc du milieu de ces gens-là et tenez-vous à l'écart, dit le Seigneur. Ne touchez rien d'impur, et moi, je vous accueillerai.

2 Corinthiens 6, 18 Je serai pour vous un père, et vous serez pour moi des fils et des filles, dit le Seigneur tout-puissant.

2 Corinthiens 7, 1 En possession de telles promesses, bien-aimés, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit, achevant de nous sanctifier dans la crainte de Dieu.

2 Corinthiens 7, 2 Faites-nous place en vos coeurs. Nous n'avons fait tort à personne, nous n'avons ruiné personne, nous n'avons exploité personne.

2 Corinthiens 7, 3 Je ne dis pas cela pour vous condamner. Je vous l'ai déjà dit: vous êtes dans nos coeurs à la vie et à la mort.

2 Corinthiens 7, 4 J'ai grande confiance en vous, je suis très fier de vous. Je suis comblé de consolation; je surabonde de joie dans toute notre tribulation.

2 Corinthiens 7, 5 De fait, à notre arrivée en Macédoine, notre chair ne connut pas de repos. Partout des tribulations: au-dehors, des luttes; au-dedans, des craintes.

2 Corinthiens 7, 6 Mais Celui qui console les humiliés, Dieu, nous a consolés par l'arrivée de Tite,

2 Corinthiens 7, 7 et non seulement par son arrivée, mais encore par la consolation que vous-mêmes lui aviez donnée. Il nous a fait part de votre ardent désir, de votre désolation, de votre zèle pour moi, si bien qu'en moi la joie a prévalu.

2 Corinthiens 7, 8 Vraiment, si je vous ai attristés par ma lettre, je ne le regrette pas. Et si je l'ai regretté - je vois bien que cette lettre vous a, ne fût-ce qu'un moment, attristés --

2 Corinthiens 7, 9 je m'en réjouis maintenant, non de ce que vous avez été attristés, mais de ce que cette tristesse vous a portés au repentir. Car vous avez été attristés selon Dieu, en sorte que vous n'avez, de notre part, subi aucun dommage.

2 Corinthiens 7, 10 La tristesse selon Dieu produit en effet un repentir salutaire qu'on ne regrette pas; la tristesse du monde, elle, produit la mort.

2 Corinthiens 7, 11 Voyez plutôt ce qu'elle a produit chez vous, cette tristesse selon Dieu. Quel empressement! Que dis-je? Quelles excuses! Quelle indignation! Quelle crainte! Quel ardent désir! Quel zèle! Quelle punition! Vous avez montré de toutes manières que vous étiez innocents en cette affaire.

2 Corinthiens 7, 12 Aussi bien, si je vous ai écrit, ce n'est ni à cause de l'offenseur ni à cause de l'offensé. C'était pour faire éclater chez vous devant Dieu l'empressement que vous avez à notre égard.

2 Corinthiens 7, 13 Voilà ce qui nous a consolés. A cette consolation personnelle s'est ajoutée une joie bien plus grande encore, celle de voir la joie de Tite, dont l'esprit a reçu apaisement de vous tous.

2 Corinthiens 7, 14 Que si devant lui je me suis quelque peu glorifié à votre sujet, je n'ai pas eu à en rougir. Au contraire, de même qu'en toutes choses nous vous avons dit la vérité, ainsi ce dont nous nous sommes glorifiés auprès de Tite s'est trouvé être la vérité.

2 Corinthiens 7, 15 Et son affection pour vous redouble, quand il se rappelle votre obéissance à tous, comment vous l'avez accueilli avec crainte et tremblement.

2 Corinthiens 7, 16 Je me réjouis de pouvoir en tout compter sur vous.

2 Corinthiens 8, 1 Nous vous faisons connaître, frères, la grâce de Dieu qui a été accordée aux Eglises de Macédoine.

2 Corinthiens 8, 2 Parmi les nombreuses tribulations qui les ont éprouvées, leur joie surabondante et leur profonde pauvreté ont débordé chez eux en trésors de générosité.

2 Corinthiens 8, 3 Selon leurs moyens, je l'atteste, et au-delà de leurs moyens, spontanément,

2 Corinthiens 8, 4 ils nous ont demandé avec beaucoup d'insistance la faveur de participer à ce service en faveur des saints.

2 Corinthiens 8, 5 Dépassant même nos espérances, ils se sont donnés eux-mêmes, d'abord au Seigneur, puis à nous, par la volonté de Dieu.

2 Corinthiens 8, 6 Aussi avons-nous prié Tite de mener encore à bonne fin chez vous cette libéralité, comme il avait commencé.

2 Corinthiens 8, 7 Mais, de même que vous excellez en tout, foi, parole, science, empressement de toute nature, charité que nous vous avons communiquée, il vous faut aussi exceller en cette libéralité.

2 Corinthiens 8, 8 Ce n'est pas un ordre que je donne; je veux seulement, par l'empressement des autres, éprouver la sincérité de votre charité.

2 Corinthiens 8, 9 Vous connaissez, en effet, la libéralité de notre Seigneur Jésus Christ, qui pour vous s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté.

2 Corinthiens 8, 10 C'est un avis que je donne là-dessus; et c'est ce qui vous convient, à vous qui, dès l'an dernier, avez été les premiers non seulement à entreprendre mais encore à vouloir.

2 Corinthiens 8, 11 Maintenant donc achevez votre oeuvre, afin que l'achèvement réponde à l'ardeur du vouloir, selon vos moyens.

2 Corinthiens 8, 12 Lorsque l'ardeur y est, on est agréé pour ce qu'on a, il n'est pas question de ce qu'on n'a pas.

2 Corinthiens 8, 13 Il ne s'agit point, pour soulager les autres, de vous réduire à la gêne; ce qu'il faut, c'est l'égalité.

2 Corinthiens 8, 14 Dans le cas présent, votre superflu pourvoit à leur dénuement, pour que leur superflu pourvoie aussi à votre dénuement. Ainsi se fera l'égalité,

2 Corinthiens 8, 15 selon qu'il est écrit: Celui qui avait beaucoup recueilli n'eut rien de trop, et celui qui avait peu recueilli ne manqua de rien.

2 Corinthiens 8, 16 Grâces soient à Dieu, qui met au coeur de Tite le même empressement pour vous:

2 Corinthiens 8, 17 il a répondu à notre appel. Plus empressé même que jamais, c'est spontanément qu'il se rend chez vous.

2 Corinthiens 8, 18 Nous envoyons avec lui le frère dont toutes les Eglises font l'éloge au sujet de l'Evangile.

2 Corinthiens 8, 19 Ce n'est pas tout; il a encore été désigné par le suffrage des Eglises comme notre compagnon de voyage dans cette libéralité, dont le service est assuré par nous pour la gloire du Seigneur lui-même et notre propre satisfaction.

2 Corinthiens 8, 20 Par là nous voulons éviter qu'on n'aille nous décrier pour cette forte somme dont le service est assuré par nous;

2 Corinthiens 8, 21 car nous avons à coeur ce qui est bien, non seulement devant le Seigneur, mais encore devant les hommes.

2 Corinthiens 8, 22 Avec eux nous envoyons aussi celui de nos frères dont nous avons éprouvé l'empressement de maintes manières et en maintes circonstances, et qui maintenant est beaucoup plus empressé, en raison de la grande confiance qu'il a en vous.

2 Corinthiens 8, 23 Pour ce qui est de Tite, c'est mon associé et coopérateur auprès de vous; quant à nos frères, ce sont les envoyés des Eglises, la gloire du Christ.

2 Corinthiens 8, 24 Donnez-leur donc, à la face des Eglises, la preuve de votre charité et du bien-fondé de notre fierté à votre égard.

2 Corinthiens 9, 1 Quant à ce service en faveur des saints, il est superflu pour moi de vous en écrire.

2 Corinthiens 9, 2 Je sais en effet votre ardeur, dont je suis fier pour vous auprès des Macédoniens: "L'Achaïe, leur dis-je, est prête depuis l'an passé." Et votre zèle a été un stimulant pour le plus grand nombre.

2 Corinthiens 9, 3 Toutefois je vous envoie les frères, pour que la fierté que nous tirons de vous ne soit pas réduite à néant sur ce point, et que vous soyez prêts, ainsi que je l'ai dit.

2 Corinthiens 9, 4 Autrement, si des Macédoniens venaient avec moi et ne vous trouvaient pas prêts, notre belle assurance tournerait à notre confusion, pour ne pas dire à la vôtre.

2 Corinthiens 9, 5 J'ai donc jugé nécessaire d'inviter les frères à nous précéder chez vous, et à organiser d'avance votre largesse déjà annoncée, afin qu'elle soit prête comme une largesse et non comme une lésinerie.

2 Corinthiens 9, 6 Songez-y: qui sème chichement moissonnera aussi chichement; qui sème largement moissonnera aussi largement.

2 Corinthiens 9, 7 Que chacun donne selon ce qu'il a décidé dans son coeur, non d'une manière chagrine ou contrainte; car Dieu aime celui qui donne avec joie.

2 Corinthiens 9, 8 Dieu d'ailleurs est assez puissant pour vous combler de toutes sortes de libéralités afin que, possédant toujours et en toute chose tout ce qu'il vous faut, il vous reste du superflu pour toute bonne oeuvre,

2 Corinthiens 9, 9 selon qu'il est écrit: Il a fait des largesses, il a donné aux pauvres; sa justice demeure à jamais.

2 Corinthiens 9, 10 Celui qui fournit au laboureur la semence et le pain qui le nourrit vous fournira la semence à vous aussi, et en abondance, et il fera croître les fruits de votre justice.

2 Corinthiens 9, 11 Enrichis de toutes manières, vous pourrez pratiquer toutes les générosités, lesquelles, par notre entremise, feront monter vers Dieu l'action de grâces.

2 Corinthiens 9, 12 Car le service de cette offrande ne pourvoit pas seulement aux besoins des saints; il est encore une source abondante de nombreuses actions de grâces envers Dieu.

2 Corinthiens 9, 13 Ce service leur prouvant ce que vous êtes, ils glorifient Dieu pour votre obéissance dans la profession de l'Evangile du Christ et pour la générosité de votre communion avec eux et avec tous.

2 Corinthiens 9, 14 Et leur prière pour vous manifeste la tendresse qu'ils vous portent, en raison de la grâce surabondante que Dieu a répandue sur vous.

2 Corinthiens 9, 15 Grâces soient à Dieu pour son ineffable don!

2 Corinthiens 10, 1 C'est moi, Paul en personne, qui vous en prie, par la douceur et l'indulgence du Christ, moi si humble avec vous face à face, mais, absent, si hardi à votre égard.

2 Corinthiens 10, 2 Je vous en prie: que je n'aie pas, une fois chez vous, à user hardiment de cette assurance dont j'entends avoir l'audace contre certaines gens qui pensent que notre conduite s'inspire de la chair.

2 Corinthiens 10, 3 Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas selon la chair.

2 Corinthiens 10, 4 Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais elles ont, au service de Dieu, la puissance de renverser les forteresses. Nous renversons les sophismes

2 Corinthiens 10, 5 et toute puissance altière qui se dresse contre la connaissance de Dieu, et nous faisons toute pensée captive pour l'amener à obéir au Christ.

2 Corinthiens 10, 6 Et nous sommes prêts à châtier toute désobéissance, dès que votre obéissance sera parfaite.

2 Corinthiens 10, 7 Rendez-vous à l'évidence. Si quelqu'un se flatte d'être au Christ, qu'il se le dise une bonne fois: de même qu'il est au Christ, nous le sommes aussi.

2 Corinthiens 10, 8 Et dussé-je me glorifier un peu trop de notre pouvoir, que le Seigneur nous a donné pour votre édification et non pour votre ruine, je n'en rougirais pas.

2 Corinthiens 10, 9 Car je ne veux pas paraître vouloir vous effrayer par mes lettres.

2 Corinthiens 10, 10 "Les lettres, dit-on, sont énergiques et sévères; mais, quand il est là, c'est un corps chétif, et sa parole est nulle."

2 Corinthiens 10, 11 Qu'il se le dise bien, celui-là: tel nous sommes en paroles dans nos lettres quand nous sommes absent, tel aussi, une fois présent, nous serons dans nos actes.

2 Corinthiens 10, 12 Certes, nous n'avons pas l'audace de nous égaler ni de nous comparer à de certaines gens qui se recommandent eux-mêmes. En se mesurant eux-mêmes à leur mesure et en se comparant à eux-mêmes, ils manquent d'intelligence.

2 Corinthiens 10, 13 Pour nous, nous n'irons pas nous glorifier hors de mesure, mais nous prendrons comme mesure la règle même que Dieu nous a assignée pour mesure: celle d'être arrivés jusqu'à vous.

2 Corinthiens 10, 14 Car nous ne nous étendons pas indûment, comme ce serait le cas si nous n'étions pas arrivés jusqu'à vous; nous sommes bel et bien parvenus jusqu'à vous avec l'Evangile du Christ.

2 Corinthiens 10, 15 Nous ne nous glorifions pas hors de mesure, au moyen des labeurs d'autrui; et nous avons l'espoir, avec les progrès en vous de votre foi, de nous agrandir de plus en plus selon notre règle à nous,

2 Corinthiens 10, 16 en portant l'Evangile au-delà de chez vous, au lieu d'empiéter sur le domaine d'autrui et de nous glorifier de travaux tout préparés.

2 Corinthiens 10, 17 Celui donc qui se glorifie, qu'il se glorifie dans le Seigneur.

2 Corinthiens 10, 18 Ce n'est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé; c'est celui que le Seigneur recommande.

2 Corinthiens 11, 1 Oh! si vous pouviez supporter que je fasse un peu l'insensé! Mais, bien sûr, vous me supportez.

2 Corinthiens 11, 2 J'éprouve à votre égard en effet une jalousie divine; car je vous ai fiancés à un époux unique, comme une vierge pure à présenter au Christ.

2 Corinthiens 11, 3 Mais j'ai bien peur qu'à l'exemple d'Eve, que le serpent a dupée par son astuce, vos pensées ne se corrompent en s'écartant de la simplicité envers le Christ.

2 Corinthiens 11, 4 Si le premier venu en effet prêche un autre Jésus que celui que nous avons prêché, s'il s'agit de recevoir un Esprit différent de celui que vous avez reçu, ou un Evangile différent de celui que vous avez accueilli, vous le supportez fort bien.

2 Corinthiens 11, 5 J'estime pourtant ne le céder en rien à ces "archiapôtres."

2 Corinthiens 11, 6 Si je ne suis qu'un profane pour la parole, pour la science, c'est autre chose; en tout et devant tous, nous vous l'avons montré.

2 Corinthiens 11, 7 Ou bien, aurais-je commis une faute en vous annonçant gratuitement l'Evangile de Dieu m'abaissant moi-même pour vous élever, vous?

2 Corinthiens 11, 8 J'ai dépouillé d'autres Eglises, recevant d'elles un salaire pour vous servir.

2 Corinthiens 11, 9 Et quand, une fois chez vous, je me suis vu dans le besoin, je n'ai été à charge à personne: ce sont les frères venus de Macédoine qui ont pourvu à ce qui me manquait. De toutes manières je me suis gardé de vous être à charge, et je m'en garderai.

2 Corinthiens 11, 10 Aussi sûrement que la vérité du Christ est en moi, ce titre de gloire ne me sera pas enlevé dans les régions de l'Achaïe.

2 Corinthiens 11, 11 Pourquoi? Parce que je ne vous aime pas? Dieu le sait.

2 Corinthiens 11, 12 Et ce que je fais, je le ferai encore, afin d'ôter tout prétexte à ceux qui en voudraient un, pour être trouvés nos pareils sur le point où ils se glorifient.

2 Corinthiens 11, 13 Car ces gens-là sont de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, qui se déguisent en apôtres du Christ.

2 Corinthiens 11, 14 Et rien d'étonnant: Satan lui-même se déguise bien en ange de lumière.

2 Corinthiens 11, 15 Rien donc de surprenant si ses ministres aussi se déguisent en ministres de justice. Mais leur fin sera conforme à leurs oeuvres.

2 Corinthiens 11, 16 Je le répète, qu'on ne me prenne pas pour un insensé; ou bien alors, acceptez-moi au moins comme tel, que je puisse à mon tour me glorifier un peu.

2 Corinthiens 11, 17 Ce que je vais dire, je ne le dirai pas selon le Seigneur, mais comme un insensé, dans l'assurance d'avoir de quoi me glorifier.

2 Corinthiens 11, 18 Puisque tant d'autres se glorifient selon la chair, je vais, moi aussi, me glorifier.

2 Corinthiens 11, 19 Vous supportez si volontiers les insensés, vous qui êtes sensés!

2 Corinthiens 11, 20 Oui, vous supportez qu'on vous asservisse, qu'on vous dévore, qu'on vous pille, qu'on vous traite avec arrogance, qu'on vous frappe au visage.

2 Corinthiens 11, 21 Je le dis à votre honte; c'est à croire que nous nous sommes montré faible... Mais ce dont on se prévaut - c'est en insensé que je parle --, je puis m'en prévaloir, moi aussi.

2 Corinthiens 11, 22 Ils sont Hébreux? Moi aussi. Ils sont Israélites? Moi aussi. Ils sont postérité d'Abraham? Moi aussi.

2 Corinthiens 11, 23 Ils sont ministres du Christ? (Je vais dire une folie!) Moi, plus qu'eux. Bien plus par les travaux, bien plus par les emprisonnements, infiniment plus par les coups. Souvent j'ai été à la mort.

2 Corinthiens 11, 24 Cinq fois j'ai reçu des Juifs les 39 coups de fouet;

2 Corinthiens 11, 25 trois fois j'ai été battu de verges; une fois lapidé; trois fois j'ai fait naufrage. Il m'est arrivé de passer un jour et une nuit dans l'abîme!

2 Corinthiens 11, 26 Voyages sans nombre, dangers des rivières, dangers des brigands, dangers de mes compatriotes, dangers des païens, dangers de la ville, dangers du désert, dangers de la mer, dangers des faux frères!

2 Corinthiens 11, 27 Labeur et fatigue, veilles fréquentes, faim et soif, jeûnes répétés, froid et nudité!

2 Corinthiens 11, 28 Et sans parler du reste, mon obsession quotidienne, le souci de toutes les Eglises!

2 Corinthiens 11, 29 Qui est faible, que je ne sois faible? Qui vient à tomber, qu'un feu ne me brûle?

2 Corinthiens 11, 30 S'il faut se glorifier, c'est de mes faiblesses que je me glorifierai.

2 Corinthiens 11, 31 Le Dieu et Père du Seigneur Jésus, qui est béni éternellement, sait que je ne mens pas.

2 Corinthiens 11, 32 A Damas, l'ethnarque du roi Arétas faisait garder la ville des Damascéniens pour m'appréhender,

2 Corinthiens 11, 33 et c'est par une fenêtre, dans un panier, qu'on me laissa glisser le long de la muraille, et ainsi j'échappai à ses mains.

2 Corinthiens 12, 1 Il faut se glorifier? (cela ne vaut rien pourtant) eh bien! j'en viendrai aux visions et révélations du Seigneur.

2 Corinthiens 12, 2 Je connais un homme dans le Christ qui, voici quatorze ans - était-ce en son corps? Je ne sais; était-ce hors de son corps? Je ne sais; Dieu le sait - cet homme-là fut ravi jusqu'au troisième ciel.

2 Corinthiens 12, 3 Et cet homme-là - était-ce en son corps? Etait-ce sans son corps? Je ne sais, Dieu le sait --, je sais

2 Corinthiens 12, 4 qu'il fut ravi jusqu'au paradis et qu'il entendit des paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme de redire.

2 Corinthiens 12, 5 Pour cet homme-là je me glorifierai; mais pour moi, je ne me glorifierai que de mes faiblesses.

2 Corinthiens 12, 6 Oh! si je voulais me glorifier, je ne serais pas insensé; je dirais la vérité. Mais je m'abstiens, de peur qu'on ne se fasse de moi une idée supérieure à ce qu'on voit en moi ou ce qu'on m'entend dire.

2 Corinthiens 12, 7 Et pour que l'excellence même de ces révélations ne m'enorgueillisse pas, il m'a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter - pour que je ne m'enorgueillisse pas!

2 Corinthiens 12, 8 A ce sujet, par trois fois, j'ai prié le Seigneur pour qu'il s'éloigne de moi.

2 Corinthiens 12, 9 Mais il m'a déclaré: "Ma grâce te suffit: car la puissance se déploie dans la faiblesse." C'est donc de grand coeur que je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ.

2 Corinthiens 12, 10 C'est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les détresses, dans les persécutions et les angoisses endurées pour le Christ; car, lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort.

2 Corinthiens 12, 11 Me voilà devenu insensé! C'est vous qui m'y avez contraint. C'était à vous de me recommander. Car je n'ai été en rien inférieur à ces "archiapôtres", bien que je ne sois rien.

2 Corinthiens 12, 12 Les traits distinctifs de l'apôtre ont été réalisés chez vous; parfaite constance, signes, prodiges et miracles.

2 Corinthiens 12, 13 Qu'avez-vous eu de moins que les autres Eglises, sinon que personnellement je ne vous ai pas été à charge? Pardonnez-moi cette injustice.

2 Corinthiens 12, 14 Voici que, pour la troisième fois, je suis prêt à me rendre chez vous, et je ne vous serai pas à charge; car ce que je recherche, ce ne sont pas vos biens, mais vous. Ce ne sont pas en effet les enfants qui doivent thésauriser pour les parents, mais les parents pour les enfants.

2 Corinthiens 12, 15 Pour moi, je dépenserai très volontiers et je me dépenserai moi-même tout entier pour vos âmes. Faut-il que, vous aimant davantage, je sois moins aimé?

2 Corinthiens 12, 16 Soit, dira-t-on; personnellement je ne vous ai pas grevés. Mais, en fourbe que je suis, je vous ai pris par la ruse.

2 Corinthiens 12, 17 Vous aurais-je donc exploités par l'un quelconque de ceux que je vous ai envoyés?

2 Corinthiens 12, 18 J'ai insisté auprès de Tite, et j'ai envoyé avec lui le frère. Tite vous aurait-il exploités? N'avons-nous pas marché dans le même esprit? Suivi les mêmes traces?

2 Corinthiens 12, 19 Depuis longtemps, vous vous imaginez que nous nous défendons devant vous. C'est devant Dieu, dans le Christ, que nous parlons. Et tout cela, bien-aimés, pour votre édification.

2 Corinthiens 12, 20 Je crains, en effet, qu'à mon arrivée je ne vous trouve pas tels que je voudrais, et que vous me trouviez tel que vous ne voudriez pas; qu'il n'y ait discorde, jalousie, animosités, disputes, calomnies, commérages, insolences, désordres.

2 Corinthiens 12, 21 Je crains qu'à ma prochaine visite mon Dieu ne m'humilie à votre sujet, et que je n'aie à mener le deuil sur plusieurs de ceux qui ont péché précédemment et ne se sont pas repentis pour leurs actes d'impureté, de fornication et de débauche.

2 Corinthiens 13, 1 C'est la troisième fois que je vais me rendre chez vous. Toute affaire se décidera sur la parole de deux témoins ou de trois.

2 Corinthiens 13, 2 Je l'ai déjà dit à ceux qui ont péché précédemment et à tous les autres, et je le redis d'avance aujourd'hui que je suis absent, comme lors de mon second séjour: si je reviens, je serai sans ménagement,

2 Corinthiens 13, 3 puisque vous cherchez une preuve que le Christ parle en moi, lui qui n'est pas faible à votre égard, mais qui est puissant parmi vous.

2 Corinthiens 13, 4 Certes, il a été crucifié en raison de sa faiblesse, mais il est vivant par la puissance de Dieu. Et nous aussi, nous sommes faibles en lui, bien sûr, mais nous vivrons avec lui, par la puissance de Dieu à votre égard.

2 Corinthiens 13, 5 Examinez-vous vous-mêmes pour voir si vous êtes dans la foi. Eprouvez-vous vous-mêmes. Ne reconnaissez-vous pas que Jésus Christ est en vous? A moins peut-être que l'épreuve ne tourne contre vous.

2 Corinthiens 13, 6 Vous reconnaîtrez, je l'espère, qu'elle ne tourne pas contre nous.

2 Corinthiens 13, 7 Nous prions Dieu que vous ne fassiez aucun mal; notre désir n'est pas de paraître l'emporter dans l'épreuve, mais de vous voir faire le bien, et de succomber ainsi dans l'épreuve.

2 Corinthiens 13, 8 Car nous n'avons aucun pouvoir contre la vérité; nous n'en avons que pour la vérité.

2 Corinthiens 13, 9 Oui, nous nous réjouissons, quand nous sommes faibles et que vous êtes forts. Ce que nous demandons dans nos prières, c'est votre affermissement.

2 Corinthiens 13, 10 Voilà pourquoi je vous écris cela, étant absent, afin de n'avoir pas, une fois présent, à user de sévérité selon le pouvoir que le Seigneur m'a donné pour édifier, et non pour détruire.

2 Corinthiens 13, 11 Au demeurant, frères, soyez joyeux; affermissez-vous; exhortez-vous. Ayez même sentiment; vivez en paix, et le Dieu de la charité et de la paix sera avec vous.

2 Corinthiens 13, 12 Saluez-vous mutuellement d'un saint baiser. Tous les saints vous saluent.

2 Corinthiens 13, 13 La grâce du Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous!

 

 

 

Galates

 

1, 1 Paul, apôtre, non de la part des hommes ni par l'intermédiaire d'un homme, mais par Jésus Christ et Dieu le Père qui l'a ressuscité des morts,

Galates 1, 2 et tous les frères qui sont avec moi, aux Eglises de Galatie.

Galates 1, 3 A vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ,

Galates 1, 4 qui s'est livré pour nos péchés afin de nous arracher à ce monde actuel et mauvais, selon la volonté de Dieu notre Père,

Galates 1, 5 à qui soit la gloire dans les siècles des siècles! Amen.

Galates 1, 6 Je m'étonne que si vite vous abandonniez Celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un second évangile --

Galates 1, 7 non qu'il y en ait deux; il y a seulement des gens en train de jeter le trouble parmi vous et qui veulent bouleverser l'Evangile du Christ.

Galates 1, 8 Eh bien! si nous-même, si un ange venu du ciel vous annonçait un évangile différent de celui que nous avons prêché, qu'il soit anathème!

Galates 1, 9 Nous l'avons déjà dit, et aujourd'hui je le répète: si quelqu'un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème!

Galates 1, 10 En tout cas, maintenant est-ce la faveur des hommes, ou celle de Dieu que je veux gagner? Est-ce que je cherche à plaire à des hommes? Si je voulais encore plaire à des hommes, je ne serais plus le serviteur du Christ.

Galates 1, 11 Sachez-le, en effet, mes frères, l'Evangile que j'ai annoncé n'est pas à mesure humaine:

Galates 1, 12 ce n'est pas non plus d'un homme que je l'ai reçu ou appris, mais par une révélation de Jésus Christ.

Galates 1, 13 Vous avez certes entendu parler de ma conduite jadis dans le judaïsme, de la persécution effrénée que je menais contre l'Eglise de Dieu et des ravages que je lui causais,

Galates 1, 14 et de mes progrès dans le Judaïsme, où je surpassais bien des compatriotes de mon âge, en partisan acharné des traditions de mes pères.

Galates 1, 15 Mais quand Celui qui dès le sein maternel m'a mis à part et appelé par sa grâce daigna

Galates 1, 16 révéler en moi son Fils pour que je l'annonce parmi les païens, aussitôt, sans consulter la chair et le sang,

Galates 1, 17 sans monter à Jérusalem trouver les apôtres mes prédécesseurs, je m'en allai en Arabie, puis je revins encore à Damas.

Galates 1, 18 Ensuite, après trois ans, je montai à Jérusalem rendre visite à Céphas et demeurai auprès de lui quinze jours:

Galates 1, 19 je n'ai pas vu d'autre apôtre, mais seulement Jacques, le frère du Seigneur:

Galates 1, 20 et quand je vous écris cela, j'atteste devant Dieu que je ne mens point.

Galates 1, 21 Ensuite je suis allé en Syrie et en Cilicie,

Galates 1, 22 mais j'étais personnellement inconnu des Eglises de Judée qui sont dans le Christ;

Galates 1, 23 on y entendait seulement dire que le persécuteur de naguère annonçait maintenant la foi qu'alors il voulait détruire;

Galates 1, 24 et elles glorifiaient Dieu à mon sujet.

Galates 2, 1 Ensuite, au bout de quatorze ans, je montai de nouveau à Jérusalem avec Barnabé et Tite que je pris avec moi.

Galates 2, 2 J'y montai à la suite d'une révélation; et je leur exposai l'Evangile que je prêche parmi les païens - mais séparément aux notables, de peur de courir ou d'avoir couru pour rien.

Galates 2, 3 Eh bien! de Tite lui-même, mon compagnon qui était grec, on n'exigea pas qu'il se fît circoncire.

Galates 2, 4 Mais à cause des intrus, ces faux frères qui se sont glissés pour espionner la liberté que nous avons dans le Christ Jésus, afin de nous réduire en servitude,

Galates 2, 5 gens auxquels nous refusâmes de céder, fût-ce un moment, par déférence, afin de sauvegarder pour vous la vérité de l'Evangile...

Galates 2, 6 Et de la part de ceux qu'on tenait pour des notables - peu m'importe ce qu'alors ils pouvaient être; Dieu ne fait point acception des personnes --, à mon Evangile, en tout cas, les notables n'ont rien ajouté.

Galates 2, 7 Au contraire, voyant que l'évangélisation des incirconcis m'était confiée comme à Pierre celle des circoncis --

Galates 2, 8 car Celui qui avait agi en Pierre pour faire de lui un apôtre des circoncis, avait pareillement agi en moi en faveur des païens --

Galates 2, 9 et reconnaissant la grâce qui m'avait été départie, Jacques, Céphas et Jean, ces notables, ces colonnes, nous tendirent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion: nous irions, nous aux païens, eux à la Circoncision;

Galates 2, 10 nous devions seulement songer aux pauvres, ce que précisément j'ai eu à coeur de faire.

Galates 2, 11 Mais quand Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il s'était donné tort.

Galates 2, 12 En effet, avant l'arrivée de certaines gens de l'entourage de Jacques, il prenait ses repas avec les païens; mais quand ces gens arrivèrent, on le vit se dérober et se tenir à l'écart, par peur des circoncis.

Galates 2, 13 Et les autres Juifs l'imitèrent dans sa dissimulation, au point d'entraîner Barnabé lui-même à dissimuler avec eux.

Galates 2, 14 Mais quand je vis qu'ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l'Evangile, je dis à Céphas devant tout le monde: "Si toi qui es Juif, tu vis comme les païens, et non à la juive, comment peux-tu contraindre les païens à judaïser?

Galates 2, 15 "Nous sommes, nous, des Juifs de naissance et non de ces pécheurs de païens;

Galates 2, 16 et cependant, sachant que l'homme n'est pas justifié par la pratique de la loi, mais seulement par la foi en Jésus Christ, nous avons cru, nous aussi, au Christ Jésus, afin d'obtenir la justification par la foi au Christ et non par la pratique de la loi, puisque par la pratique de la loi personne ne sera justifié.

Galates 2, 17 Or si, recherchant notre justification dans le Christ, il s'est trouvé que nous sommes des pécheurs comme les autres, serait-ce que le Christ est au service du péché? Certes non!

Galates 2, 18 Car en relevant ce que j'ai abattu, je me convaincs moi-même de transgression.

Galates 2, 19 En effet, par la Loi je suis mort à la Loi afin de vivre à Dieu: je suis crucifié avec le Christ;

Galates 2, 20 et ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi.

Galates 2, 21 Je n'annule pas le don de Dieu: car si la justice vient de la loi, c'est donc que le Christ est mort pour rien."

Galates 3, 1 O Galates sans intelligence, qui vous a ensorcelés? A vos yeux pourtant ont été dépeints les traits de Jésus Christ en croix.

Galates 3, 2 Je ne veux savoir de vous qu'une chose: est-ce pour avoir pratiqué la Loi que vous avez reçu l'Esprit, ou pour avoir cru à la prédication?

Galates 3, 3 Etes-vous à ce point dépourvus d'intelligence, que de commencer par l'esprit pour finir maintenant dans la chair?

Galates 3, 4 Est-ce en vain que vous avez éprouvé tant de faveurs? Et ce serait bel et bien en vain.

Galates 3, 5 Celui donc qui vous prodigue l'Esprit et opère parmi vous des miracles, le fait-il parce que vous pratiquez la loi ou parce que vous croyez à la prédication?

Galates 3, 6 Ainsi Abraham crut-il en Dieu, et ce lui fut compté comme justice.

Galates 3, 7 Comprenez-le donc: ceux qui se réclament de la foi, ce sont eux les fils d'Abraham.

Galates 3, 8 Et l'Ecriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, annonça d'avance à Abraham cette bonne nouvelle: En toi seront bénies toutes les nations.

Galates 3, 9 Si bien que ceux qui se réclament de la foi sont bénis avec Abraham le croyant.

Galates 3, 10 Tous ceux en effet qui se réclament de la pratique de la loi encourent une malédiction. Car il est écrit: Maudit soit quiconque ne s'attache pas à tous les préceptes écrits dans le livre de la Loi pour les pratiquer. --

Galates 3, 11 Que d'ailleurs la Loi ne puisse justifier personne devant Dieu, c'est l'évidence, puisque le juste vivra par la foi;

Galates 3, 12 or la Loi, elle, ne procède pas de la foi: mais c'est en pratiquant ces préceptes que l'homme vivra par eux. --

Galates 3, 13 Le Christ nous a rachetés de cette malédiction de la Loi, devenu lui-même malédiction pour nous, car il est écrit: Maudit quiconque pend au gibet,

Galates 3, 14 afin qu'aux païens passe dans le Christ Jésus la bénédiction d'Abraham et que par la foi nous recevions l'Esprit de la promesse.

Galates 3, 15 Frères, partons du plan humain: un testament, dûment ratifié, qui n'est pourtant que de l'homme, ne s'annule pas ni ne reçoit de modifications.

Galates 3, 16 Or c'est à Abraham que les promesses furent adressées et à sa descendance. L'Ecriture ne dit pas: "et aux descendants", comme s'il s'agissait de plusieurs; elle n'en désigne qu'un: et à ta descendance, c'est-à-dire le Christ.

Galates 3, 17 Or voici ma pensée: un testament déjà établi par Dieu en bonne et due forme, la Loi venue après 430 ans ne va pas l'infirmer, et ainsi rendre vaine la promesse.

Galates 3, 18 Car si on hérite en vertu de la loi, ce n'est plus en vertu de la promesse: or c'est par une promesse que Dieu accorda sa faveur à Abraham.

Galates 3, 19 Alors pourquoi la Loi? Elle fut ajoutée en vue des transgressions, jusqu'à la venue de la descendance à qui était destinée la promesse, édictée par le ministère des anges et l'entremise d'un médiateur.

Galates 3, 20 Or il n'y a pas de médiateur, quand on est seul, et Dieu est seul.

Galates 3, 21 La Loi s'opposerait donc aux promesses de Dieu? Certes non! En effet, si nous avait été donnée une loi capable de communiquer la vie, alors vraiment la justice procéderait de la loi.

Galates 3, 22 Mais en fait l'Ecriture a tout enfermé sous le péché, afin que la promesse, par la foi en Jésus Christ, fût accordée à ceux qui croient.

Galates 3, 23 Avant la venue de la foi, nous étions enfermés sous la garde de la Loi, réservés à la foi qui devait se révéler.

Galates 3, 24 Ainsi la Loi nous servit-elle de pédagogue jusqu'au Christ, pour que nous obtenions de la foi notre justification.

Galates 3, 25 Mais la foi venue, nous ne sommes plus sous un pédagogue.

Galates 3, 26 Car vous êtes tous fils de Dieu, par la foi, dans Christ Jésus.

Galates 3, 27 Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ:

Galates 3, 28 il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus.

Galates 3, 29 Mais si vous appartenez au Christ, vous êtes donc la descendance d'Abraham, héritiers selon la promesse.

Galates 4, 1 Or je dis: aussi longtemps qu'il est un enfant, l'héritier, quoique propriétaire de tous les biens, ne diffère en rien d'un esclave.

Galates 4, 2 Il est sous le régime des tuteurs et des intendants jusqu'à la date fixée par son père.

Galates 4, 3 Nous aussi, durant notre enfance, nous étions asservis aux éléments du monde.

Galates 4, 4 Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sujet de la loi,

Galates 4, 5 afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l'adoption filiale.

Galates 4, 6 Et la preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père!

Galates 4, 7 Aussi n'es-tu plus esclave mais fils; fils, et donc héritier de par Dieu.

Galates 4, 8 Jadis, dans votre ignorance de Dieu, vous fûtes asservis à des dieux qui au vrai n'en sont pas;

Galates 4, 9 mais maintenant que vous avez connu Dieu ou plutôt qu'il vous a connus, comment retourner encore à ces éléments sans force ni valeur, auxquels à nouveau, comme jadis, vous voulez vous asservir?

Galates 4, 10 Observer des jours, des mois, des saisons, des années!

Galates 4, 11 Vous me faites craindre de m'être inutilement fatigué pour vous.

Galates 4, 12 Devenez semblables à moi, puisque je me suis fait semblable à vous, frères, je vous en supplie. Vous ne m'avez nullement offensé.

Galates 4, 13 Mais vous le savez, ce fut une maladie qui me donna l'occasion de vous évangéliser la première fois,

Galates 4, 14 et, malgré l'épreuve que vous était ce corps infirme, vous n'avez marqué ni mépris ni dégoût; mais vous m'avez accueilli comme un ange de Dieu, comme le Christ Jésus.

Galates 4, 15 Que sont donc devenues les félicitations que vous vous adressiez? Car je vous rends ce témoignage: s'il avait été possible, vous vous seriez arraché les yeux pour me les donner.

Galates 4, 16 Alors, suis-je devenu votre ennemi en vous disant la vérité?

Galates 4, 17 Leur attachement pour vous n'est pas bon; ils veulent vous séparer de moi, pour vous attacher à eux.

Galates 4, 18 Il est bien de s'attacher les autres pour le bien, pour toujours, et non pas seulement quand je suis près de vous,

Galates 4, 19 mes petits enfants, vous que j'enfante à nouveau dans la douleur jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous.

Galates 4, 20 Que ne suis-je près de vous en cet instant pour adapter mon langage, car je ne sais comment m'y prendre avec vous.

Galates 4, 21 Dites-moi, vous qui voulez vous soumettre à la Loi, n'entendez-vous pas la Loi?

Galates 4, 22 Il est écrit en effet qu'Abraham eut deux fils, l'un de la servante, l'autre de la femme libre;

Galates 4, 23 mais celui de la servante est né selon la chair, celui de la femme libre en vertu de la promesse.

Galates 4, 24 Il y a là une allégorie: ces femmes représentent deux alliances; la première se rattache au Sinaï et enfante pour la servitude: c'est Agar

Galates 4, 25 (car le Sinaï est en Arabie) et elle correspond à la Jérusalem actuelle, qui de fait est esclave avec ses enfants.

Galates 4, 26 Mais la Jérusalem d'en haut est libre, et elle est notre mère;

Galates 4, 27 car il est écrit: Réjouis-toi, stérile qui n'enfantais pas, éclate en cris de joie, toi qui n'as pas connu les douleurs; car nombreux sont les enfants de l'abandonnée, plus que les fils de l'épouse.

Galates 4, 28 Or vous, mes frères, à la manière d'Isaac, vous êtes enfants de la promesse.

Galates 4, 29 Mais, comme alors l'enfant de la chair persécutait l'enfant de l'esprit, il en est encore ainsi maintenant.

Galates 4, 30 Eh bien, que dit l'Ecriture: Chasse la servante et son fils, car il ne faut pas que le fils de la servante hérite avec le fils de la femme libre.

Galates 4, 31 Aussi, mes frères, ne sommes-nous pas enfants d'une servante mais de la femme libre.

Galates 5, 1 C'est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés. Donc tenez bon et ne vous remettez pas sous le joug de l'esclavage.

Galates 5, 2 C'est moi, Paul, qui vous le dis: si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien.

Galates 5, 3 De nouveau je l'atteste à tout homme qui se fait circoncire: il est tenu à l'observance intégrale de la Loi.

Galates 5, 4 Vous avez rompu avec le Christ, vous qui cherchez la justice dans la Loi; vous êtes déchus de la grâce.

Galates 5, 5 Car pour nous, c'est l'Esprit qui nous fait attendre de la foi les biens qu'espère la justice.

Galates 5, 6 En effet, dans le Christ Jésus ni circoncision ni incirconcision ne comptent, mais seulement la foi opérant par la charité.

Galates 5, 7 Votre course partait bien; qui a entravé votre élan de soumission à la vérité?

Galates 5, 8 Cette suggestion ne vient pas de Celui qui vous appelle.

Galates 5, 9 Un peu de levain fait lever toute la pâte.

Galates 5, 10 Pour moi, j'ai confiance qu'unis dans le Seigneur vous n'aurez pas d'autre sentiment; mais qui vous trouble subira sa condamnation, quel qu'il soit.

Galates 5, 11 Quant à moi, frères, si je prêche encore la circoncision, pourquoi suis-je encore persécuté? C'en est donc fini du scandale de la croix!

Galates 5, 12 Qu'ils aillent jusqu'à la mutilation, ceux qui bouleversent vos âmes!

Galates 5, 13 Vous en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté; seulement, que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair; mais par la charité mettez-vous au service les uns des autres.

Galates 5, 14 Car une seule formule contient toute la Loi en sa plénitude: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Galates 5, 15 Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous allez vous entre-détruire.

Galates 5, 16 Or je dis: laissez-vous mener par l'Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire la convoitise charnelle.

Galates 5, 17 Car la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair; il y a entre eux antagonisme, si bien que vous ne faites pas ce que vous voudriez.

Galates 5, 18 Mais si l'Esprit vous anime, vous n'êtes pas sous la Loi.

Galates 5, 19 Or on sait bien tout ce que produit la chair: fornication, impureté, débauche,

Galates 5, 20 idolâtrie, magie, haines, discorde, jalousie, emportements, disputes, dissensions, scissions,

Galates 5, 21 sentiments d'envie, orgies, ripailles et choses semblables - et je vous préviens, comme je l'ai déjà fait, que ceux qui commettent ces fautes-là n'hériteront pas du Royaume de Dieu. --

Galates 5, 22 Mais le fruit de l'Esprit est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres,

Galates 5, 23 douceur, maîtrise de soi: contre de telles choses il n'y a pas de loi.

Galates 5, 24 Or ceux qui appartiennent au Christ Jésus ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises.

Galates 5, 25 Puisque l'Esprit est notre vie, que l'Esprit nous fasse aussi agir.

Galates 5, 26 Ne cherchons pas la vaine gloire, en nous provoquant les uns les autres, en nous enviant mutuellement.

Galates 6, 1 Frères, même dans le cas où quelqu'un serait pris en faute, vous les spirituels, rétablissez-le en esprit de douceur, te surveillant toi-même, car tu pourrais bien toi aussi être tenté.

Galates 6, 2 Portez les fardeaux les uns des autres et accomplissez ainsi la Loi du Christ.

Galates 6, 3 Car si quelqu'un estime être quelque chose alors qu'il n'est rien, il se fait illusion.

Galates 6, 4 Que chacun examine sa propre conduite et alors il trouvera en soi seul et non dans les autres l'occasion de se glorifier;

Galates 6, 5 car tout homme devra porter sa charge personnelle.

Galates 6, 6 Que le disciple fasse part de toute sorte de biens à celui qui lui enseigne la parole.

Galates 6, 7 Ne vous y trompez pas; on ne se moque pas de Dieu. Car ce que l'on sème, on le récolte:

Galates 6, 8 qui sème dans sa chair, récoltera de la chair la corruption; qui sème dans l'esprit, récoltera de l'esprit la vie éternelle.

Galates 6, 9 Ne nous lassons pas de faire le bien; en son temps viendra la récolte, si nous ne nous relâchons pas.

Galates 6, 10 Ainsi donc, tant que nous en avons l'occasion, pratiquons le bien à l'égard de tous et surtout de nos frères dans la foi.

Galates 6, 11 Voyez quels gros caractères ma main trace à votre intention.

Galates 6, 12 Des gens désireux de faire bonne figure dans la chair, voilà ceux qui vous imposent la circoncision, à seule fin d'éviter la persécution pour la croix du Christ.

Galates 6, 13 Car ceux qui se font circoncire n'observent pas eux-mêmes la loi; ils veulent seulement que vous soyez circoncis, pour se glorifier dans votre chair.

Galates 6, 14 Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde.

Galates 6, 15 Car la circoncision n'est rien, ni l'incirconcision; il s'agit d'être une créature nouvelle.

Galates 6, 16 Et à tous ceux qui suivront cette règle, paix et miséricorde, ainsi qu'à l'Israël de Dieu.

Galates 6, 17 Dorénavant que personne ne me suscite d'ennuis: je porte dans mon corps les marques de Jésus.

Galates 6, 18 Frères, la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit! Amen.

 

 

 

Ephésiens

 

1, 1 Paul, apôtre du Christ Jésus, par la volonté de Dieu, aux saints et fidèles dans le Christ Jésus.

Ephésiens 1, 2 A vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ.

Ephésiens 1, 3 Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ.

Ephésiens 1, 4 C'est ainsi qu'Il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l'amour,

Ephésiens 1, 5 déterminant d'avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus Christ. Tel fut le bon plaisir de sa volonté,

Ephésiens 1, 6 à la louange de gloire de sa grâce, dont Il nous a gratifiés dans le Bien-Aimé.

Ephésiens 1, 7 En lui nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce,

Ephésiens 1, 8 qu'Il nous a prodiguée, en toute sagesse et intelligence:

Ephésiens 1, 9 Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu'Il avait formé en lui par avance,

Ephésiens 1, 10 pour le réaliser quand les temps seraient accomplis: ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres.

Ephésiens 1, 11 C'est en lui encore que nous avons été mis à part, désignés d'avance, selon le plan préétabli de Celui qui mène toutes choses au gré de sa volonté,

Ephésiens 1, 12 pour être, à la louange de sa gloire, ceux qui ont par avance espéré dans le Christ.

Ephésiens 1, 13 C'est en lui que vous aussi, après avoir entendu la Parole de vérité, l'Evangile de votre salut, et y avoir cru, vous avez été marqués d'un sceau par l'Esprit de la Promesse, cet Esprit Saint

Ephésiens 1, 14 qui constitue les arrhes de notre héritage, et prépare la rédemption du Peuple que Dieu s'est acquis, pour la louange de sa gloire.

Ephésiens 1, 15 C'est pourquoi moi-même, ayant appris votre foi dans le Seigneur Jésus et votre charité à l'égard de tous les saints,

Ephésiens 1, 16 je ne cesse de rendre grâces à votre sujet et de faire mémoire de vous dans mes prières.

Ephésiens 1, 17 Daigne le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père de la gloire, vous donner un esprit de sagesse et de révélation, qui vous le fasse vraiment connaître!

Ephésiens 1, 18 Puisse-t-il illuminer les yeux de votre coeur pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel, quels trésors de gloire renferme son héritage parmi les saints,

Ephésiens 1, 19 et quelle extraordinaire grandeur sa puissance revêt pour nous, les croyants, selon la vigueur de sa force,

Ephésiens 1, 20 qu'il a déployée en la personne du Christ, le ressuscitant d'entre les morts et le faisant siéger à sa droite, dans les cieux,

Ephésiens 1, 21 bien au-dessus de toute Principauté, Puissance, Vertu, Seigneurie, et de tout autre nom qui se pourra nommer, non seulement dans ce siècle-ci, mais encore dans le siècle à venir.

Ephésiens 1, 22 Il a tout mis sous ses pieds, et l'a constitué, au sommet de tout, Tête pour l'Eglise,

Ephésiens 1, 23 laquelle est son Corps, la Plénitude de Celui qui est rempli, tout en tout.

Ephésiens 2, 1 Et vous qui étiez morts par suite des fautes et des péchés

Ephésiens 2, 2 dans lesquels vous avez vécu jadis, selon le cours de ce monde, selon le Prince de l'empire de l'air, cet Esprit qui poursuit son oeuvre en ceux qui résistent...

Ephésiens 2, 3 Nous tous d'ailleurs, nous fûmes jadis de ceux-là, vivant selon nos convoitises charnelles, servant les caprices de la chair et des pensées coupables, si bien que nous étions par nature voués à la colère tout comme les autres...

Ephésiens 2, 4 Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont Il nous a aimés,

Ephésiens 2, 5 alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ - c'est par grâce que vous êtes sauvés! --

Ephésiens 2, 6 avec lui Il nous a ressuscités et fait asseoir aux cieux, dans le Christ Jésus.

Ephésiens 2, 7 Il a voulu par là démontrer dans les siècles à venir l'extraordinaire richesse de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus.

Ephésiens 2, 8 Car c'est bien par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu;

Ephésiens 2, 9 il ne vient pas des oeuvres, car nul ne doit pouvoir se glorifier.

Ephésiens 2, 10 Nous sommes en effet son ouvrage, créés dans le Christ Jésus en vue des bonnes oeuvres que Dieu a préparées d'avance pour que nous les pratiquions.

Ephésiens 2, 11 Rappelez-vous donc qu'autrefois, vous les païens - qui étiez tels dans la chair, vous qui étiez appelés "prépuce" par ceux qui s'appellent "circoncision",... d'une opération pratiquée dans la chair! --

Ephésiens 2, 12 rappelez-vous qu'en ce temps-là vous étiez sans Christ, exclus de la cité d'Israël, étrangers aux alliances de la Promesse, n'ayant ni espérance ni Dieu en ce monde!

Ephésiens 2, 13 Or voici qu'à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ.

Ephésiens 2, 14 Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n'en a fait qu'un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine,

Ephésiens 2, 15 cette Loi des préceptes avec ses ordonnances, pour créer en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau, faire la paix,

Ephésiens 2, 16 et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la Croix: en sa personne il a tué la Haine.

Ephésiens 2, 17 Alors il est venu proclamer la paix, paix pour vous qui étiez loin et paix pour ceux qui étaient proches:

Ephésiens 2, 18 par lui nous avons en effet, tous deux en un seul Esprit, libre accès auprès du Père.

Ephésiens 2, 19 Ainsi donc, vous n'êtes plus des étrangers ni des hôtes; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu.

Ephésiens 2, 20 Car la construction que vous êtes a pour fondations les apôtres et prophètes, et pour pierre d'angle le Christ Jésus lui-même.

Ephésiens 2, 21 En lui toute construction s'ajuste et grandit en un temple saint, dans le Seigneur;

Ephésiens 2, 22 en lui, vous aussi, vous êtes intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu, dans l'Esprit.

Ephésiens 3, 1 C'est pourquoi moi, Paul, prisonnier du Christ à cause de vous, païens...

Ephésiens 3, 2 Car vous avez appris, je pense, comment Dieu m'a dispensé la grâce qu'il m'a confiée pour vous,

Ephésiens 3, 3 m'accordant par révélation la connaissance du Mystère, tel que je viens de l'exposer en peu de mots:

Ephésiens 3, 4 à me lire, vous pouvez vous rendre compte de l'intelligence que j'ai du Mystère du Christ.

Ephésiens 3, 5 Ce Mystère n'avait pas été communiqué aux hommes des temps passés comme il vient d'être révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes, dans l'Esprit:

Ephésiens 3, 6 les païens sont admis au même héritage, membres du même Corps, bénéficiaires de la même Promesse, dans le Christ Jésus, par le moyen de l'Evangile.

Ephésiens 3, 7 Et de cet Evangile je suis devenu ministre par le don de la grâce que Dieu m'a confiée en y déployant sa puissance:

Ephésiens 3, 8 à moi, le moindre de tous les saints, a été confiée cette grâce-là, d'annoncer aux païens l'insondable richesse du Christ

Ephésiens 3, 9 et de mettre en pleine lumière la dispensation du Mystère: il a été tenu caché depuis les siècles en Dieu, le Créateur de toutes choses,

Ephésiens 3, 10 pour que les Principautés et les Puissances célestes aient maintenant connaissance, par le moyen de l'Eglise, de la sagesse infinie en ressources déployée par Dieu

Ephésiens 3, 11 en ce dessein éternel qu'il a conçu dans le Christ Jésus notre Seigneur,

Ephésiens 3, 12 et qui nous donne d'oser nous approcher en toute confiance par le chemin de la foi au Christ.

Ephésiens 3, 13 Ainsi, je vous en prie, ne vous laissez pas abattre par les épreuves que j'endure pour vous; elles sont votre gloire!

Ephésiens 3, 14 C'est pourquoi je fléchis les genoux en présence du Père

Ephésiens 3, 15 de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom.

Ephésiens 3, 16 Qu'Il daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l'homme intérieur,

Ephésiens 3, 17 que le Christ habite en vos coeurs par la foi, et que vous soyez enracinés, fondés dans l'amour.

Ephésiens 3, 18 Ainsi vous recevrez la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu'est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur,

Ephésiens 3, 19 vous connaîtrez l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la Plénitude de Dieu.

Ephésiens 3, 20 A Celui dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir,

Ephésiens 3, 21 à Lui la gloire, dans l'Eglise et le Christ Jésus, pour tous les âges et tous les siècles! Amen.

Ephésiens 4, 1 Je vous exhorte donc, moi le prisonnier dans le Seigneur, à mener une vie digne de l'appel que vous avez reçu:

Ephésiens 4, 2 en toute humilité, douceur et patience, supportez-vous les uns les autres avec charité;

Ephésiens 4, 3 appliquez-vous à conserver l'unité de l'Esprit par ce lien qu'est la paix.

Ephésiens 4, 4 Il n'y a qu'un Corps et qu'un Esprit, comme il n'y a qu'une espérance au terme de l'appel que vous avez reçu;

Ephésiens 4, 5 un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême;

Ephésiens 4, 6 un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous.

Ephésiens 4, 7 Cependant chacun de nous a reçu sa part de la faveur divine selon que le Christ a mesuré ses dons.

Ephésiens 4, 8 C'est pourquoi l'on dit: Montant dans les hauteurs il a emmené des captifs, il a donné des dons aux hommes.

Ephésiens 4, 9 "Il est monté", qu'est-ce à dire, sinon qu'il est aussi descendu dans les régions inférieures de la terre?

Ephésiens 4, 10 Et celui qui est descendu, c'est le même qui est aussi monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses.

Ephésiens 4, 11 C'est lui encore qui "a donné" aux uns d'être apôtres, à d'autres d'être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs,

Ephésiens 4, 12 organisant ainsi les saints pour l'oeuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du Christ,

Ephésiens 4, 13 au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu'un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l'âge, qui réalise la plénitude du Christ.

Ephésiens 4, 14 Ainsi nous ne serons plus des enfants, nous ne nous laisserons plus ballotter et emporter à tout vent de la doctrine, au gré de l'imposture des hommes et de leur astuce à fourvoyer dans l'erreur.

Ephésiens 4, 15 Mais, vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le Christ,

Ephésiens 4, 16 dont le Corps tout entier reçoit concorde et cohésion par toutes sortes de jointures qui le nourrissent et l'actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même, dans la charité.

Ephésiens 4, 17 Je vous dis donc et vous adjure dans le Seigneur de ne plus vous conduire comme le font les païens, avec leur vain jugement

Ephésiens 4, 18 et leurs pensées enténébrées: ils sont devenus étrangers à la vie de Dieu à cause de l'ignorance qu'a entraînée chez eux l'endurcissement du coeur,

Ephésiens 4, 19 et, leur sens moral une fois émoussé, ils se sont livrés à la débauche au point de perpétrer avec frénésie toute sorte d'impureté.

Ephésiens 4, 20 Mais vous, ce n'est pas ainsi que vous avez appris le Christ,

Ephésiens 4, 21 si du moins vous l'avez reçu dans une prédication et un enseignement conformes à la vérité qui est en Jésus,

Ephésiens 4, 22 à savoir qu'il vous faut abandonner votre premier genre de vie et dépouiller le vieil homme, qui va se corrompant au fil des convoitises décevantes,

Ephésiens 4, 23 pour vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement

Ephésiens 4, 24 et revêtir l'Homme nouveau, qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité.

Ephésiens 4, 25 Dès lors, plus de mensonge: que chacun dise la vérité à son prochain; ne sommes-nous pas membres les uns des autres?

Ephésiens 4, 26 Emportez-vous, mais ne commettez pas le péché: que le soleil ne se couche pas sur votre colère;

Ephésiens 4, 27 il ne faut pas donner prise au diable.

Ephésiens 4, 28 Que celui qui volait ne vole plus; qu'il prenne plutôt la peine de travailler de ses mains, au point de pouvoir faire le bien en secourant les nécessiteux.

Ephésiens 4, 29 De votre bouche ne doit sortir aucun mauvais propos, mais plutôt toute bonne parole capable d'édifier, quand il le faut, et de faire du bien à ceux qui l'entendent.

Ephésiens 4, 30 Ne contristez pas l'Esprit Saint de Dieu, qui vous a marqués de son sceau pour le jour de la rédemption.

Ephésiens 4, 31 Aigreur, emportement, colère, clameurs, outrages, tout cela doit être extirpé de chez vous, avec la malice sous toutes ses formes.

Ephésiens 4, 32 Montrez-vous au contraire bons et compatissants les uns pour les autres, vous pardonnant mutuellement, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ.

Ephésiens 5, 1 Oui, cherchez à imiter Dieu, comme des enfants bien-aimés,

Ephésiens 5, 2 et suivez la voie de l'amour, à l'exemple du Christ qui vous a aimés et s'est livré pour nous, s'offrant à Dieu en sacrifice d'agréable odeur.

Ephésiens 5, 3 Quant à la fornication, à l'impureté sous toutes ses formes, ou encore à la cupidité, que leurs noms ne soient même pas prononcés parmi vous: c'est ce qui sied à des saints.

Ephésiens 5, 4 De même pour les grossièretés, les inepties, les facéties: tout cela ne convient guère; faites entendre plutôt des actions de grâces.

Ephésiens 5, 5 Car, sachez-le bien, ni le fornicateur, ni le débauché, ni le cupide - qui est un idolâtre - n'ont droit à l'héritage dans le Royaume du Christ et de Dieu.

Ephésiens 5, 6 Que nul ne vous abuse par de vaines raisons: ce sont bien de tels désordres qui attirent la colère de Dieu sur ceux qui lui résistent.

Ephésiens 5, 7 N'ayez donc rien de commun avec eux.

Ephésiens 5, 8 Jadis vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur; conduisez-vous en enfants de lumière;

Ephésiens 5, 9 car le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité.

Ephésiens 5, 10 Discernez ce qui plaît au Seigneur,

Ephésiens 5, 11 et ne prenez aucune part aux oeuvres stériles des ténèbres; dénoncez-les plutôt.

Ephésiens 5, 12 Certes, ce que ces gens-là font en cachette, on a honte même de le dire;

Ephésiens 5, 13 mais quand tout cela est dénoncé, c'est dans la lumière qu'on le voit apparaître;

Ephésiens 5, 14 tout ce qui apparaît, en effet, est lumière. C'est pourquoi l'on dit: Eveille-toi, toi qui dors, lève-toi d'entre les morts, et sur toi luira le Christ.

Ephésiens 5, 15 Ainsi prenez bien garde à votre conduite; qu'elle soit celle non d'insensés mais de sages,

Ephésiens 5, 16 qui tirent bon parti de la période présente; car nos temps sont mauvais;

Ephésiens 5, 17 ne vous montrez donc pas inconsidérés, mais sachez voir quelle est la volonté du Seigneur.

Ephésiens 5, 18 Ne vous enivrez pas de vin: on n'y trouve que libertinage; mais cherchez dans l'Esprit votre plénitude.

Ephésiens 5, 19 Récitez entre vous des

Ephésiens Psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre coeur.

Ephésiens 5, 20 En tout temps et à tout propos, rendez grâces à Dieu le Père, au nom de notre Seigneur Jésus Christ.

Ephésiens 5, 21 Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ.

Ephésiens 5, 22 Que les femmes le soient à leurs maris comme au Seigneur:

Ephésiens 5, 23 en effet, le mari est chef de sa femme, comme le Christ est chef de l'Eglise, lui le sauveur du Corps;

Ephésiens 5, 24 or l'Eglise se soumet au Christ; les femmes doivent donc, et de la même manière, se soumettre en tout à leurs maris.

Ephésiens 5, 25 Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise: il s'est livré pour elle,

Ephésiens 5, 26 afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d'eau qu'une parole accompagne;

Ephésiens 5, 27 car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée.

Ephésiens 5, 28 De la même façon les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Aimer sa femme, c'est s'aimer soi-même.

Ephésiens 5, 29 Car nul n'a jamais haï sa propre chair; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin. C'est justement ce que le Christ fait pour l'Eglise:

Ephésiens 5, 30 ne sommes-nous pas les membres de son Corps?

Ephésiens 5, 31 Voici donc que l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair:

Ephésiens 5, 32 ce mystère est de grande portée; je veux dire qu'il s'applique au Christ et à l'Eglise.

Ephésiens 5, 33 Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa femme comme soi-même, et que la femme révère son mari.

Ephésiens 6, 1 Enfants, obéissez à vos parents, dans le Seigneur: cela est juste.

Ephésiens 6, 2 Honore ton père et ta mère, tel est le premier commandement auquel soit attachée une promesse:

Ephésiens 6, 3 pour que tu t'en trouves bien et jouisses d'une longue vie sur la terre.

Ephésiens 6, 4 Et vous, parents, n'exaspérez pas vos enfants, mais usez, en les éduquant, de corrections et de semonces qui s'inspirent du Seigneur.

Ephésiens 6, 5 Esclaves, obéissez à vos maîtres d'ici-bas avec crainte et tremblement, en simplicité de coeur, comme au Christ;

Ephésiens 6, 6 non d'une obéissance tout extérieure qui cherche à plaire aux hommes, mais comme des esclaves du Christ, qui font avec âme la volonté de Dieu.

Ephésiens 6, 7 Que votre service empressé s'adresse au Seigneur et non aux hommes,

Ephésiens 6, 8 dans l'assurance que chacun sera payé par le Seigneur selon ce qu'il aura fait de bien, qu'il soit esclave ou qu'il soit libre.

Ephésiens 6, 9 Et vous, maîtres, agissez de même à leur égard; laissez de côté les menaces, et dites-vous bien que, pour eux comme pour vous, le Maître est dans les cieux, et qu'il ne fait point acception des personnes.

Ephésiens 6, 10 En définitive, rendez-vous puissants dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force.

Ephésiens 6, 11 Revêtez l'armure de Dieu, pour pouvoir résister aux manoeuvres du diable.

Ephésiens 6, 12 Car ce n'est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes.

Ephésiens 6, 13 C'est pour cela qu'il vous faut endosser l'armure de Dieu, afin qu'au jour mauvais vous puissiez résister et, après avoir tout mis en oeuvre, rester fermes.

Ephésiens 6, 14 Tenez-vous donc debout, avec la Vérité pour ceinture, la Justice pour cuirasse,

Ephésiens 6, 15 et pour chaussures le Zèle à propager l'Evangile de la paix;

Ephésiens 6, 16 ayez toujours en main le bouclier de la Foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Mauvais;

Ephésiens 6, 17 enfin recevez le casque du Salut et le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire la Parole de Dieu.

Ephésiens 6, 18 Vivez dans la prière et les supplications; priez en tout temps, dans l'Esprit; apportez-y une vigilance inlassable et intercédez pour tous les saints.

Ephésiens 6, 19 Priez aussi pour moi, afin qu'il me soit donné d'ouvrir la bouche pour parler et d'annoncer hardiment le Mystère de l'Evangile,

Ephésiens 6, 20 dont je suis l'ambassadeur dans mes chaînes; obtenez-moi la hardiesse d'en parler comme je le dois.

Ephésiens 6, 21 Je désire que vous sachiez, vous aussi, où j'en suis et ce que je deviens; vous serez informés de tout par Tychique, ce frère bien-aimé qui m'est un fidèle assistant dans le Seigneur.

Ephésiens 6, 22 Je vous l'envoie tout exprès pour vous donner de nos nouvelles et réconforter vos coeurs.

Ephésiens 6, 23 Que Dieu le Père et le Seigneur Jésus Christ accordent paix aux frères, ainsi que charité et foi.

Ephésiens 6, 24 La grâce soit avec tous ceux qui aiment notre Seigneur Jésus Christ, dans la vie incorruptible!

 

 

 

Philippiens

 

1, 1 Paul et Timothée, serviteurs du Christ Jésus, à tous les saints dans le Christ Jésus qui sont à Philippes, avec leurs épiscopes et leurs diacres.

Philippiens 1, 2 A vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ!

Philippiens 1, 3 Je rends grâces à mon Dieu chaque fois que je fais mémoire de vous,

Philippiens 1, 4 en tout temps dans toutes mes prières pour vous tous, prières que je fais avec joie,

Philippiens 1, 5 car je me rappelle la part que vous avez prise à l'Evangile depuis le premier jour jusqu'à maintenant;

Philippiens 1, 6 j'en suis bien sûr d'ailleurs, Celui qui a commencé en vous cette oeuvre excellente en poursuivra l'accomplissement jusqu'au Jour du Christ Jésus.

Philippiens 1, 7 Il n'est que juste pour moi d'avoir ces sentiments à l'égard de vous tous, car je vous porte en mon coeur, vous qui, dans mes chaînes comme dans la défense et l'affermissement de l'Evangile, vous associez tous à ma grâce.

Philippiens 1, 8 Oui, Dieu m'est témoin que je vous aime tous tendrement dans le coeur du Christ Jésus!

Philippiens 1, 9 Et voici ma prière: que votre charité croissant toujours de plus en plus s'épanche en cette vraie science et ce tact affiné

Philippiens 1, 10 qui vous donneront de discerner le meilleur et de vous rendre purs et sans reproche pour le Jour du Christ,

Philippiens 1, 11 dans la pleine maturité de ce fruit de justice que nous portons par Jésus Christ, pour la gloire et louange de Dieu.

Philippiens 1, 12 Je désire que vous le sachiez, frères, mon affaire a tourné plutôt au profit de l'Evangile:

Philippiens 1, 13 en effet, dans tout le Prétoire et partout ailleurs, mes chaînes ont acquis, dans le Christ, une vraie notoriété,

Philippiens 1, 14 et la plupart des frères, enhardis dans le Seigneur du fait même de ces chaînes, redoublent d'une belle audace à proclamer sans crainte la Parole.

Philippiens 1, 15 Certains, il est vrai, le font par envie, en esprit de rivalité, mais pour les autres, c'est vraiment dans de bons sentiments qu'ils prêchent le Christ.

Philippiens 1, 16 Ces derniers agissent par charité, sachant bien que je suis voué à défendre ainsi l'Evangile;

Philippiens 1, 17 quant aux premiers, c'est par esprit d'intrigue qu'ils annoncent le Christ; leurs intentions ne sont pas pures: ils s'imaginent ainsi aggraver le poids de mes chaînes.

Philippiens 1, 18 Mais qu'importe? Après tout, d'une manière comme de l'autre, hypocrite ou sincère, le Christ est annoncé, et je m'en réjouis. Je persisterai même à m'en réjouir,

Philippiens 1, 19 car je sais que cela servira à mon salut, grâce à vos prières et au secours de l'Esprit de Jésus Christ qui me sera fourni;

Philippiens 1, 20 telle est l'attente de mon ardent espoir: rien ne me confondra, je garderai au contraire toute mon assurance et, cette fois-ci comme toujours, le Christ sera glorifié dans mon corps, soit que je vive soit que je meure.

Philippiens 1, 21 Pour moi, certes, la Vie c'est le Christ, et mourir représente un gain.

Philippiens 1, 22 Cependant, si la vie dans cette chair doit me permettre encore un fructueux travail, j'hésite à faire un choix...

Philippiens 1, 23 Je me sens pris dans cette alternative: d'une part, j'ai le désir de m'en aller et d'être avec le Christ, ce qui serait, et de beaucoup, bien préférable;

Philippiens 1, 24 mais de l'autre, demeurer dans la chair est plus urgent pour votre bien.

Philippiens 1, 25 Au fait, ceci me persuade: je sais que je vais rester et demeurer près de vous tous pour votre avancement et la joie de votre foi,

Philippiens 1, 26 afin que mon retour et ma présence parmi vous soient pour vous un nouveau sujet de fierté dans le Christ Jésus.

Philippiens 1, 27 Menez seulement une vie digne de l'Evangile du Christ, afin que je constate, si je viens chez vous, ou que j'entende dire, si je reste absent, que vous tenez ferme dans un même esprit, luttant de concert et d'un coeur unanime pour la foi de l'Evangile,

Philippiens 1, 28 et nullement effrayés par vos adversaires: c'est là un présage certain, pour eux de la ruine et pour vous du salut. Et cela vient de Dieu:

Philippiens 1, 29 car c'est par sa faveur qu'il vous a été donné, non pas seulement de croire au Christ, mais encore de souffrir pour lui.

Philippiens 1, 30 Par là vous menez le même combat que vous m'avez vu soutenir et que, vous le savez, je soutiens encore.

Philippiens 2, 1 Aussi je vous en conjure par tout ce qu'il peut y avoir d'appel pressant dans le Christ, de persuasion dans l'Amour, de communion dans l'Esprit, de tendresse compatissante,

Philippiens 2, 2 mettez le comble à ma joie par l'accord de vos sentiments: ayez le même amour, une seule âme, un seul sentiment;

Philippiens 2, 3 n'accordez rien à l'esprit de parti, rien à la vaine gloire, mais que chacun par l'humilité estime les autres supérieurs à soi;

Philippiens 2, 4 ne recherchez pas chacun vos propres intérêts, mais plutôt que chacun songe à ceux des autres.

Philippiens 2, 5 Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus:

Philippiens 2, 6 Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.

Philippiens 2, 7 Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme,

Philippiens 2, 8 il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix!

Philippiens 2, 9 Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom,

Philippiens 2, 10 pour que tout, au nom de Jésus, s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers,

Philippiens 2, 11 et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu'il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.

Philippiens 2, 12 Ainsi donc, mes bien-aimés, avec cette obéissance dont vous avez toujours fait preuve, et qui doit paraître, non seulement quand je suis là, mais bien plus encore maintenant que je suis absent, travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut:

Philippiens 2, 13 aussi bien, Dieu est là qui opère en vous à la fois le vouloir et l'opération même, au profit de ses bienveillants desseins.

Philippiens 2, 14 Agissez en tout sans murmures ni contestations,

Philippiens 2, 15 afin de vous rendre irréprochables et purs, enfants de Dieu sans tache au sein d'une génération dévoyée et pervertie, d'un monde où vous brillez comme des foyers de lumière,

Philippiens 2, 16 en lui présentant la Parole de vie. Vous me préparez ainsi un sujet de fierté pour le Jour du Christ, car ma course et ma peine n'auront pas été vaines.

Philippiens 2, 17 Au fait, si mon sang même doit se répandre en libation sur le sacrifice et l'oblation de votre foi, j'en suis heureux et m'en réjouis avec vous tous,

Philippiens 2, 18 comme vous devez, de votre côté, en être heureux et vous en réjouir avec moi.

Philippiens 2, 19 J'espère du moins, dans le Seigneur Jésus, vous envoyer bientôt Timothée, afin d'être soulagé moi-même en obtenant de vos nouvelles.

Philippiens 2, 20 Je n'ai vraiment personne qui saura comme lui s'intéresser d'un coeur sincère à votre situation:

Philippiens 2, 21 tous recherchent leurs propres intérêts, non ceux de Jésus Christ.

Philippiens 2, 22 Mais lui, vous savez qu'il a fait ses preuves: c'est comme un fils auprès de son père qu'il a servi avec moi la cause de l'Evangile.

Philippiens 2, 23 C'est donc lui que je compte vous envoyer, dès que j'aurai vu clair dans mes affaires.

Philippiens 2, 24 J'ai d'ailleurs bon espoir dans le Seigneur de venir bientôt moi-même.

Philippiens 2, 25 Mais je crois nécessaire de vous renvoyer Epaphrodite, ce frère qui m'est un compagnon de travail et de combat, et que vous avez délégué pour assister mon indigence.

Philippiens 2, 26 Car il languit après vous tous, et ne tient plus en place du fait que vous avez appris sa maladie.

Philippiens 2, 27 C'est vrai qu'il a été malade, et bien près de la mort; mais Dieu a eu pitié de lui, et pas seulement de lui, mais aussi bien de moi, m'épargnant d'avoir chagrin sur chagrin.

Philippiens 2, 28 Aussi je m'empresse de vous le renvoyer, afin que sa vue vous remette en joie, et que j'aie moi-même moins de peine.

Philippiens 2, 29 Accueillez-le donc dans le Seigneur en toute joie, et tenez en grande estime des gens tels que lui:

Philippiens 2, 30 c'est pour l'oeuvre du Christ qu'il a failli mourir, ayant risqué sa vie pour vous suppléer dans le service que vous ne pouviez me rendre vous-mêmes.

Philippiens 3, 1 Enfin, mes frères, réjouissez-vous dans le Seigneur... Vous adresser les mêmes avis ne m'est pas à charge, et pour vous c'est une sûreté:

Philippiens 3, 2 Prenez garde aux chiens! Prenez garde aux mauvais ouvriers! Prenez garde aux faux circoncis!

Philippiens 3, 3 Car c'est nous qui sommes les circoncis, nous qui offrons le culte selon l'Esprit de Dieu et tirons notre gloire du Christ Jésus, au lieu de placer notre confiance dans la chair.

Philippiens 3, 4 J'aurais pourtant sujet, moi, d'avoir confiance même dans la chair; si quelque autre croit avoir des raisons de se confier dans la chair, j'en ai bien davantage:

Philippiens 3, 5 circoncis dès le huitième jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d'Hébreux; quant à la Loi, un Pharisien;

Philippiens 3, 6 quant au zèle, un persécuteur de l'Eglise; quant à la justice que peut donner la Loi, un homme irréprochable.

Philippiens 3, 7 Mais tous ces avantages dont j'étais pourvu, je les ai considérés comme un désavantage, à cause du Christ.

Philippiens 3, 8 Bien plus, désormais je considère tout comme désavantageux à cause de la supériorité de la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. A cause de lui j'ai accepté de tout perdre, je considère tout comme déchets, afin de gagner le Christ,

Philippiens 3, 9 et d'être trouvé en lui, n'ayant plus ma justice à moi, celle qui vient de la Loi, mais la justice par la foi au Christ, celle qui vient de Dieu et s'appuie sur la foi;

Philippiens 3, 10 le connaître, lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans sa mort,

Philippiens 3, 11 afin de parvenir si possible à ressusciter d'entre les morts.

Philippiens 3, 12 Non que je sois déjà au but, ni déjà devenu parfait; mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, ayant été saisi moi-même par le Christ Jésus.

Philippiens 3, 13 Non, frères, je ne me flatte point d'avoir déjà saisi; je dis seulement ceci: oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l'avant, tendu de tout mon être,

Philippiens 3, 14 et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus.

Philippiens 3, 15 Nous tous qui sommes des "parfaits", c'est ainsi qu'il nous faut penser; et si, sur quelque point, vous pensez autrement, là encore Dieu vous éclairera.

Philippiens 3, 16 En attendant, quel que soit le point déjà atteint, marchons toujours dans la même ligne.

Philippiens 3, 17 Devenez à l'envi mes imitateurs, frères, et fixez vos regards sur ceux qui se conduisent comme vous en avez en nous un exemple.

Philippiens 3, 18 Car il en est beaucoup, je vous l'ai dit souvent et je le redis aujourd'hui avec larmes, qui se conduisent en ennemis de la croix du Christ:

Philippiens 3, 19 leur fin sera la perdition; ils ont pour dieu leur ventre et mettent leur gloire dans leur honte; ils n'apprécient que les choses de la terre.

Philippiens 3, 20 Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux, d'où nous attendons ardemment, comme sauveur, le Seigneur Jésus Christ,

Philippiens 3, 21 qui transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire, avec cette force qu'il a de pouvoir même se soumettre toutes choses.

Philippiens 4, 1 Ainsi donc, mes frères bien-aimés et tant désirés, ma joie et ma couronne, tenez bon de la sorte, dans le Seigneur, mes bien-aimés.

Philippiens 4, 2 J'exhorte Evodie comme j'exhorte Syntyche à vivre en bonne intelligence dans le Seigneur.

Philippiens 4, 3 Et toi de ton côté, Syzyge, vrai "compagnon", je te demande de leur venir en aide: car elles m'ont assisté dans la lutte pour l'Evangile, en même temps que Clément et mes autres collaborateurs, dont les noms sont écrits au livre de vie.

Philippiens 4, 4 Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le dis encore, réjouissez-vous.

Philippiens 4, 5 Que votre modération soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche.

Philippiens 4, 6 N'entretenez aucun souci; mais en tout besoin recourez à l'oraison et à la prière, pénétrées d'action de grâces, pour présenter vos requêtes à Dieu.

Philippiens 4, 7 Alors la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, prendra sous sa garde vos coeurs et vos pensées, dans le Christ Jésus.

Philippiens 4, 8 Enfin, frères, tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de juste, de pur, d'aimable, d'honorable, tout ce qu'il peut y avoir de bon dans la vertu et la louange humaines, voilà ce qui doit vous préoccuper.

Philippiens 4, 9 Ce que vous avez appris, reçu, entendu de moi et constaté en moi, voilà ce que vous devez pratiquer. Alors le Dieu de la paix sera avec vous.

Philippiens 4, 10 J'ai eu grande joie dans le Seigneur à voir enfin refleurir votre intérêt pour moi; il était bien toujours vivant, mais vous ne trouviez pas d'occasion.

Philippiens 4, 11 Ce n'est pas mon dénuement qui m'inspire ces paroles; j'ai appris en effet à me suffire en toute occasion.

Philippiens 4, 12 Je sais me priver comme je sais être à l'aise. En tout temps et de toutes manières, je me suis initié à la satiété comme à la faim, à l'abondance comme au dénuement.

Philippiens 4, 13 Je puis tout en Celui qui me rend fort.

Philippiens 4, 14 Cependant vous avez bien fait de prendre part à mon épreuve.

Philippiens 4, 15 Vous le savez vous-mêmes, Philippiens: dans les débuts de l'Evangile, quand je quittai la Macédoine, aucune Eglise ne m'assista par mode de contributions pécuniaires; vous fûtes les seuls,

Philippiens 4, 16 vous qui, dès mon séjour à Thessalonique, m'avez envoyé, et par deux fois, ce dont j'avais besoin.

Philippiens 4, 17 Ce n'est pas que je recherche les dons; ce que je recherche, c'est le bénéfice qui s'augmente à votre actif.

Philippiens 4, 18 Pour le moment j'ai tout ce qu'il faut, et même plus qu'il ne faut; je suis comblé, depuis qu'Epaphrodite m'a remis votre offrande, parfum de bonne odeur, sacrifice que Dieu reçoit et trouve agréable.

Philippiens 4, 19 En retour mon Dieu comblera tous vos besoins, selon sa richesse, avec magnificence, dans le Christ Jésus.

Philippiens 4, 20 Gloire à ce Dieu, notre Père, dans les siècles des siècles! Amen.

Philippiens 4, 21 Saluez chacun des saints dans le Christ Jésus. Les frères qui sont avec moi vous saluent.

Philippiens 4, 22 Tous les saints vous saluent, surtout ceux de la Maison de César.

Philippiens 4, 23 La grâce du Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit!

 

 

Colossiens

 

1, 1 Paul, apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu, et le frère Timothée,

Colossiens 1, 2 aux saints de Colosses, frères fidèles dans le Christ. A vous grâce et paix de par Dieu notre Père!

Colossiens 1, 3 Nous ne cessons de rendre grâces au Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, en pensant à vous dans nos prières,

Colossiens 1, 4 depuis que nous avons appris votre foi dans le Christ Jésus et la charité que vous avez à l'égard de tous les saints,

Colossiens 1, 5 en raison de l'espérance qui vous est réservée dans les cieux. Cette espérance, vous en avez naguère entendu l'annonce dans la Parole de vérité, l'Evangile

Colossiens 1, 6 qui est parvenu chez vous, de même que dans le monde entier il fructifie et se développe; chez vous il fait de même depuis le jour où vous avez appris et compris dans sa vérité la grâce de Dieu.

Colossiens 1, 7 C'est Épaphras, notre cher compagnon de service, qui vous en a instruits; il nous supplée fidèlement comme ministre du Christ,

Colossiens 1, 8 et c'est lui-même qui nous a fait connaître votre dilection dans l'Esprit.

Colossiens 1, 9 C'est pourquoi nous aussi, depuis le jour où nous avons reçu ces nouvelles, nous ne cessons de prier pour vous et de demander à Dieu qu'Il vous fasse parvenir à la pleine connaissance de sa volonté, en toute sagesse et intelligence spirituelle.

Colossiens 1, 10 Vous pourrez ainsi mener une vie digne du Seigneur et qui Lui plaise en tout: vous produirez toutes sortes de bonnes oeuvres et grandirez dans la connaissance de Dieu;

Colossiens 1, 11 animés d'une puissante énergie par la vigueur de sa gloire, vous acquerrez une parfaite constance et endurance; avec joie

Colossiens 1, 12 vous remercierez le Père qui vous a mis en mesure de partager le sort des saints dans la lumière.

Colossiens 1, 13 Il nous a en effet arrachés à l'empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé,

Colossiens 1, 14 en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés.

Colossiens 1, 15 Il est l'image du Dieu invisible, Premier-Né de toute créature,

Colossiens 1, 16 car c'est en lui qu'ont été créées toutes choses dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances; tout a été créé par lui et pour lui.

Colossiens 1, 17 Il est avant toute chose et tout subsiste en lui.

Colossiens 1, 18 Et il est aussi la tête du Corps, c'est-à-dire l'Eglise: Il est le Principe, Premier-né d'entre les morts (il fallait qu'il obtînt en tout la primauté),

Colossiens 1, 19 car Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude

Colossiens 1, 20 et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix.

Colossiens 1, 21 Vous-mêmes, qui étiez devenus jadis des étrangers et des ennemis, par vos pensées et par vos oeuvres mauvaises,

Colossiens 1, 22 voici qu'à présent Il vous a réconciliés dans son corps de chair, le livrant à la mort, pour vous faire paraître devant Lui saints, sans tache et sans reproche.

Colossiens 1, 23 Il faut seulement que vous persévériez dans la foi, affermis sur des bases solides, sans vous laisser détourner de l'espérance promise par l'Evangile que vous avez entendu, qui a été prêché à toute créature sous le ciel, et dont moi, Paul, je suis devenu le ministre.

Colossiens 1, 24 En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j'endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l'Eglise.

Colossiens 1, 25 Car je suis devenu ministre de l'Eglise, en vertu de la charge que Dieu m'a confiée, de réaliser chez vous l'avènement de la Parole de Dieu,

Colossiens 1, 26 ce mystère resté caché depuis les siècles et les générations et qui maintenant vient d'être manifesté à ses saints:

Colossiens 1, 27 Dieu a bien voulu leur faire connaître de quelle gloire est riche ce mystère chez les païens: c'est le Christ parmi vous! l'espérance de la gloire!

Colossiens 1, 28 Ce Christ, nous l'annonçons, avertissant tout homme et instruisant tout homme en toute sagesse, afin de rendre tout homme parfait dans le Christ.

Colossiens 1, 29 Et c'est bien pour cette cause que je me fatigue à lutter, avec son énergie qui agit en moi avec puissance.

Colossiens 2, 1 Oui, je désire que vous sachiez quelle dure bataille je dois livrer pour vous, pour ceux de Laodicée, et pour tant d'autres qui ne m'ont jamais vu de leurs yeux;

Colossiens 2, 2 afin que leurs cœurs en soient stimulés et qu'étroitement rapprochés dans l'amour ils parviennent au plein épanouissement de l'intelligence qui leur fera pénétrer le mystère de Dieu,

Colossiens 2, 3 dans lequel se trouvent, cachés, tous les trésors de la sagesse et de connaissance!

Colossiens 2, 4 Je dis cela pour que nul ne vous abuse par des discours spécieux.

Colossiens 2, 5 Sans doute, je suis absent de corps; mais en esprit je suis parmi vous, heureux de voir le bel ordre qui règne chez vous et la solidité de votre foi au Christ.

Colossiens 2, 6 Le christ tel que vous l'avez reçu, Jésus le Seigneur, c'est en lui qu'il vous faut marcher,

Colossiens 2, 7 enracinés et édifiés en lui, appuyés sur la foi telle qu'on vous l'a enseignée, et débordant d'action de grâces.

Colossiens 2, 7 Prenez garde qu'il ne se trouve quelqu'un pour vous réduite en esclavage par le vain leurre de la "philosophie', selon un tradition toute humaine, selon les éléments du monde, et non selon le Christ.

Colossiens 2, 9 Car en lui habite corporellement toute la Plénitude de la Divinité,

Colossiens 2, 10 et vous vous trouvez en lui associés à sa plénitude, lui qui est la Tête de toute Principauté et de toute Puissance.

Colossiens 2, 11 C'est en lui que vous avez été circoncis d'un circoncision qui n'est pas de main d'homme, par l'entier dépouillement de votre corps charnel; telle est la circoncision du Christ:

Colossiens 2, 12 ensevelis avec lui lors du baptême, vous en êtes aussi ressuscités avec lui, parce que vous avez cru en la force de Dieu qui l'a ressuscité des morts.

Colossiens 2, 13 Vous qui étiez morts du fait de vos fautes et de votre chair incirconcise, Il vous a fait revivre avec lui! Il nous a pardonné toutes nos fautes!

Colossiens 2, 14 Il a effacé, au détriment des ordonnances légales, la cédule de notre dette, qui nous était contraire; il l'a supprimée en la clouant à la croix.

Colossiens 2, 15 Il a dépouillé les Principautés et les Puissances et les a données en spectacle à la face du monde, en les traînant dans son cortège triomphal.

Colossiens 2, 16 Dès lors, que nul ne s'avise de vous critiquer sur des questions de nourriture et de boisson, ou en matière de fêtes annuelles, de nouvelles lunes ou de sabbats.

Colossiens 2, 17 Tout cela n'est que l'ombre des choses à venir, mais la réalité, c'est le corps du Christ.

Colossiens 2, 18 Que personne n'aille vous en frustrer, en se complaisant dans d'humbles pratiques, dans un culte des anges: celui-là donne toute son attention aux choses qu'il a vues, bouffi qu'il est d'un vain orgueil par sa pensée charnelle,

Colossiens 2, 19 et il ne s'attache pas à la Tête dont le Corps tout entier reçoit nourriture et cohésion, par les jointures et ligaments, pour réaliser sa croissance en Dieu.

Colossiens 2, 20 Du moment que vous êtes morts avec le Christ aux éléments du monde, pourquoi vous plier à des ordonnances comme si vous viviez encore dans ce monde?

Colossiens 2, 21 "Ne prends pas, ne goûte pas, ne touche pas",

Colossiens 2, 22 tout cela pour des choses vouées à périr par leur usage même! Voilà bien les prescriptions et doctrines des hommes!

Colossiens 2, 23 Ces sortes de règles peuvent faire figure de sagesse par leur affectation de religiosité et d'humilité qui ne ménage pas le corps; en fait elles n'ont aucune valeur pour l'insolence de la chair.

Colossiens 3, 1 Du moment donc que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu.

Colossiens 3, 2 Songez aux choses d'en haut, non à celles de la terre.

Colossiens 3, 3 Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu:

Colossiens 3, 4 quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire.

Colossiens 3, 5 Mortifiez donc vos membres terrestres: fornication, impureté, passion coupable, mauvais désirs, et la cupidité qui est une idolâtrie;

Colossiens 3, 6 voilà ce qui attire la colère divine sur ceux qui résistent.

Colossiens 3, 7 Vous-mêmes, vous vous conduisiez naguère de la sorte, quand vous viviez parmi eux.

Colossiens 3, 8 Et bien ! à présent, vous aussi, rejetez tout cela: colère, emportement, malice, outrage, vilains propos, doivent quitter vos lèvres;

Colossiens 3, 9 ne vous mentez plus les uns aux autres. Vous vous êtes dépouillés du vieil homme avec ses agissements,

Colossiens 3, 10 et vous avez revêtu le nouveau, celui qui s'achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l'image de son Créateur.

Colossiens 3, 11 Là, il n'est plus question de Grec ou de Juif, de circoncision ou d'incirconcision, de Barbare, de Scythe, d'esclave, d'homme libre; il n'y a que le Christ qui est tout et en tout.

Colossiens 3, 12 Vous donc, les élus de Dieu, ses saints et ses bien-aimés, revêtez des sentiments de tendre compassion, de bienveillance, d'humilité, de douceur, de patience;

Colossiens 3, 13 supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si l'un a contre l'autre quelque sujet de plainte; le Seigneur vous a pardonnés, faites de même à votre tour.

Colossiens 3, 14 Et puis, par dessus tout, la charité, en laquelle se noue la perfection.

Colossiens 3, 15 Avec cela, que la paix du Christ règne dans vos coeurs: tel est bien le terme de l'appel qui vous a rassemblés en un même Corps. Enfin, vivez dans l'action de grâces !

Colossiens 3, 16 Que la Parole du Christ réside chez vous en abondance: instruisez-vous en toute sagesse par des admonitions réciproques. Chantez à Dieu de tout votre coeur avec reconnaissance, par des Psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés.

Colossiens 3, 17 Et quoi que vous puissiez dire ou faire, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, rendant par lui grâces au Dieu Père !

Colossiens 3, 18 Femmes, soyez soumises à vos maris, comme il se doit dans le Seigneur.

Colossiens 3, 19 Maris, aimez vos femmes, et ne leur montrez point d’humeur.

Colossiens 3, 20 Enfants, obéissez en tout à vos parents, c’est cela qui est beau dans le Seigneur.

Colossiens 3, 21 Parents, n’exaspérez pas vos enfants, de peur qu’ils ne se découragent.

Colossiens 3, 22 Esclaves, obéissez en tout à vos maîtres d’ici-bas, non d’une obéissance toute extérieure qui cherche à plaire aux hommes, mais en simplicité de coeur, dans la crainte du Maître.

Colossiens 3, 23 Quel que soit votre travail, faites le avec âme, comme pour le Seigneur et non pour des hommes,

Colossiens 3, 24 sachant que le Seigneur vous récompensera en vous faisant ses héritiers. C’est le Seigneur Christ que vous servez:

Colossiens 3, 25 qui se montre injuste sera certes payé de son injustice, sans qu’il soit fait acception des personnes.

Colossiens 4, 1 Maîtres, accordez à vos esclaves le juste et l’équitable, sachant que, vous aussi, vous avez un Maître au ciel.

Colossiens 4, 2 Soyez assidus à la prière; qu’elle vous tienne vigilants dans l’action de grâces.

Colossiens 4, 3 Priez pour nous en particulier, afin que Dieu ouvre un champ libre à notre prédication et que nous puissions annoncer le mystère du Christ; c’est à cause de lui que je suis dans les fers;

Colossiens 4, 4 obtenez-moi de le publier en parlant comme je le dois.

Colossiens 4, 5 Conduisez-vous avec sagesse envers ceux du dehors; sachez tirer partie de la période présente.

Colossiens 4, 6 Que votre langage soit toujours aimable, plein d’à-propos, avec l’art de répondre à chacun comme il faut.

Colossiens 4, 7 Pour tout ce qui me concerne, Tychique vous informera, ce frère bien-aimé qui m’est un fidèle assistant et compagnon de service dans le Seigneur.

Colossiens 4, 8 Je vous l’envoie tout exprès pour vous donner de nos nouvelles et réconforter vos coeurs.

Colossiens 4, 9 Je lui adjoins Onésime, le fidèle et bien-aimé frère, qui est de chez vous. Ils vous apprendront tout ce qui se passe ici.

Colossiens 4, 10 Aristarque, mon compagnon de captivité, vous salue, ainsi que Marc, le cousin de Barnabé, au sujet duquel vous avez reçu des instructions: s’il vient chez vous, faites-lui bon accueil.

Colossiens 4, 11Jésus surnommé Justus vous salue également. De ceux qui nous sont venus de la Circoncision, ce sont les seuls qui travaillent avec moi pour le Royaume de Dieu; ils m’ont été une consolation.

Colossiens 4, 12 Epaphras, votre compatriote, vous salue; ce serviteur du Christ Jésus ne cesse de lutter pour vous dans ses prières, afin que vous teniez ferme, parfaits et bien établis dans tous les vouloirs divins.

Colossiens 4, 13 Oui, je lui rends ce témoignage qu’il prend beaucoup de peine pour vous, ainsi que pour ceux de Laodicée et pour ceux de Hiérapolis.

Colossiens 4, 14 Vous avez les salutations de Luc, le cher médecin, et de Démas.

Colossiens 4, 15 Saluez les frères qui sont à Laodicée, avec Nymphas et l’Eglise qui s’assemble dans sa maison.

Colossiens 4, 16 Quand cette lettre aura été lue chez vous, faites qu’on la lise aussi dans l’Eglise des Laodicéens, et procurez-vous celle de Laodicée, pour la lire à votre tour.

Colossiens 4, 17 Dites à Archippe: “Prends garde au ministère que tu as reçu dans le Seigneur, et tâche de bien l’accomplir.”

Colossiens 4, 18 Voici le salut de ma main, à moi, Paul. Souvenez-vous de mes chaînes !

Colossiens La grâce soit avec vous !

 

 

 

 

I Théssaloniciens

 

1 Théssaloniciens 1, 1 Paul, Silvain et Timothée, à l'Eglise des Thessaloniciens qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus Christ. A vous grâce et paix.

1 Théssaloniciens 1, 2 Nous rendons grâces à Dieu à tout moment pour vous tous, en faisant mention de vous sans cesse dans nos prières.

1 Théssaloniciens 1, 3 Nous nous rappelons en présence de notre Dieu et Père l'activité de votre foi, le labeur de votre charité, la constance de votre espérance, qui sont dus à notre Seigneur Jésus Christ.

1 Théssaloniciens 1, 4 Nous le savons, frères aimés de Dieu, vous avez été choisis.

1 Théssaloniciens 1, 5 Car notre Evangile ne s'est pas présenté à vous en paroles seulement, mais en puissance, dans l'action de l'Esprit Saint, en surabondance. De fait, vous savez comment nous nous sommes comportés au milieu de vous pour votre service.

1 Théssaloniciens 1, 6 Et vous vous êtes mis à nous imiter, nous et le Seigneur, en accueillant la parole, parmi bien des tribulations, avec la joie de l'Esprit Saint:

1 Théssaloniciens 1, 7 vous êtes ainsi devenus un modèle pour tous les croyants de Macédoine et d'Achaïe.

1 Théssaloniciens 1, 8 De chez vous, en effet, la parole du Seigneur a retenti, et pas seulement en Macédoine et en Achaïe, mais de tous côtés votre foi en Dieu s'est répandue, si bien que nous n'avons plus besoin d'en rien dire.

1 Théssaloniciens 1, 9 On raconte là-bas comment nous sommes venus chez vous, et comment vous vous êtes tournés vers Dieu, abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et véritable,

1 Théssaloniciens 1, 10 dans l'attente de son Fils qui viendra des cieux, qu'il a ressuscité des morts, Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient.

1 Théssaloniciens 2, 1 Vous-mêmes savez, frères, comment nous sommes venus chez vous, que ce ne fut pas en vain.

1 Théssaloniciens 2, 2 Nous avions, vous le savez, enduré à Philippes des souffrances et des insultes, mais notre Dieu nous a accordé de prêcher en toute hardiesse devant vous l'Evangile de Dieu, au milieu d'une lutte pénible.

1 Théssaloniciens 2, 3 En vous exhortant, nous ne nous inspirons ni de l'erreur ni de l'impureté, et nous ne tentons pas de ruser avec vous.

1 Théssaloniciens 2, 4 Seulement, Dieu nous ayant confié l'Evangile après nous avoir éprouvés, nous prêchons en conséquence, cherchant à plaire non pas aux hommes mais à Dieu qui éprouve nos coeurs.

1 Théssaloniciens 2, 5 Jamais non plus nous n'avons eu un mot de flatterie, vous le savez, ni une arrière-pensée de cupidité, Dieu en est témoin;

1 Théssaloniciens 2, 6 ni recherché la gloire humaine, pas plus chez vous que chez d'autres,

1 Théssaloniciens 2, 7 alors que nous pouvions, étant apôtres du Christ, vous faire sentir tout notre poids. Au contraire, nous nous sommes faits tout aimables au milieu de vous. Comme une mère nourrit ses enfants et les entoure de soins,

1 Théssaloniciens 2, 8 telle était notre tendresse pour vous que nous aurions voulu vous livrer, en même temps que l'Evangile de Dieu, notre propre vie, tant vous nous étiez devenus chers.

1 Théssaloniciens 2, 9 Vous vous souvenez, frères, de nos labeurs et fatigues: de nuit comme de jour, nous travaillions, pour n'être à la charge d'aucun de vous, tandis que nous vous annoncions l'Evangile de Dieu!

1 Théssaloniciens 2, 10 Vous êtes témoins, et Dieu l'est aussi, combien notre attitude envers vous, les croyants, a été sainte, juste, sans reproche.

1 Théssaloniciens 2, 11 Comme un père pour ses enfants, vous le savez, nous vous avons, chacun de vous,

1 Théssaloniciens 2, 12 exhortés, encouragés, adjurés de mener une vie digne de Dieu qui vous appelle à son Royaume et à sa gloire.

1 Théssaloniciens 2, 13 Voilà pourquoi, de notre côté, nous ne cessons de rendre grâces à Dieu de ce que, une fois reçue la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l'avez accueillie, non comme une parole d'hommes, mais comme ce qu'elle est réellement, la parole de Dieu. Et cette parole reste active en vous, les croyants.

1 Théssaloniciens 2, 14 Car vous vous êtes mis, frères, à imiter les Eglises de Dieu dans le Christ Jésus qui sont en Judée: vous avez souffert de la part de vos compatriotes les mêmes traitements qu'ils ont soufferts de la part des Juifs:

1 Théssaloniciens 2, 15 ces gens-là ont mis à mort Jésus le Seigneur et les prophètes, ils nous ont persécutés, ils ne plaisent pas à Dieu, ils sont ennemis de tous les hommes

1 Théssaloniciens 2, 16 quand ils nous empêchent de prêcher aux païens pour leur salut, mettant ainsi en tout temps le comble à leur péché; et elle est tombée sur eux, la colère, pour en finir.

1 Théssaloniciens 2, 17 Et nous, frères, privés de votre compagnie pour un moment, de visage mais non de coeur, nous nous sommes sentis extrêmement pressés de revoir votre visage, tant notre désir était vif.

1 Théssaloniciens 2, 18 Nous avons donc voulu venir jusqu'à vous - moi-même, Paul, à plusieurs reprises --, mais Satan nous en a empêchés.

1 Théssaloniciens 2, 19 Quelle est en effet notre espérance, notre joie, la couronne dont nous serons fiers, si ce n'est vous, en présence de notre Seigneur Jésus lors de son Avènement?

1 Théssaloniciens 2, 20 Oui, c'est bien vous qui êtes notre gloire et notre joie.

1 Théssaloniciens 3, 1 Aussi, n'y tenant plus, nous avons pris le parti de demeurer seuls à Athènes,

1 Théssaloniciens 3, 2 et nous avons envoyé Timothée, notre frère et le collaborateur de Dieu dans l'Evangile du Christ, pour vous affermir et réconforter dans votre foi,

1 Théssaloniciens 3, 3 afin que personne ne se laisse ébranler par ces tribulations. Car vous savez bien que c'est là notre partage:

1 Théssaloniciens 3, 4 quand nous étions près de vous, nous vous prédisions que nous aurions à subir des tribulations, et c'est ce qui est arrivé, vous le savez.

1 Théssaloniciens 3, 5 C'est pour cela que, n'y tenant plus, je l'ai envoyé s'informer de votre foi. Pourvu que déjà le Tentateur ne vous ait pas tentés et que notre labeur n'ait pas été rendu vain!

1 Théssaloniciens 3, 6 Maintenant Timothée vient de nous revenir de chez vous et il nous a donné de bonnes nouvelles de votre foi et de votre charité: il dit que vous conservez toujours de nous un bon souvenir, que vous aspirez à nous revoir autant que nous à vous revoir.

1 Théssaloniciens 3, 7 Nous avons trouvé là, frères, en raison de votre foi, un réconfort au milieu de toutes nos angoisses et tribulations.

1 Théssaloniciens 3, 8 Maintenant nous revivons, puisque vous tenez bon dans le Seigneur.

1 Théssaloniciens 3, 9 Comment pourrions-nous remercier Dieu suffisamment à votre sujet, pour toute la joie dont vous nous réjouissez devant notre Dieu?

1 Théssaloniciens 3, 10 Nuit et jour nous lui demandons, avec une extrême instance, de revoir votre visage et de pouvoir compléter ce qui manque encore à votre foi.

1 Théssaloniciens 3, 11 Que Dieu lui-même, notre Père, et notre Seigneur Jésus aplanissent notre chemin jusqu'à vous.

1 Théssaloniciens 3, 12 Et vous, que le Seigneur vous fasse croître et abonder dans l'amour que vous avez les uns envers les autres et envers tous, comme nous-mêmes envers vous:

1 Théssaloniciens 3, 13 qu'il affermisse ainsi vos coeurs irréprochables en sainteté devant Dieu, notre Père, lors de l'Avènement de notre Seigneur Jésus avec tous ses saints.

1 Théssaloniciens 4, 1 Enfin, frères, nous vous le demandons et vous y engageons dans le Seigneur Jésus: vous avez reçu notre enseignement sur la manière de vivre qui plaît à Dieu, et déjà c'est ainsi que vous vivez; faites-y des progrès encore.

1 Théssaloniciens 4, 2 Vous savez bien quelles prescriptions nous vous avons données de par le Seigneur Jésus.

1 Théssaloniciens 4, 3 Et voici quelle est la volonté de Dieu: c'est votre sanctification; c'est que vous vous absteniez d'impudicité,

1 Théssaloniciens 4, 4 que chacun de vous sache user du corps qui lui appartient avec sainteté et respect,

1 Théssaloniciens 4, 5 sans se laisser emporter par la passion comme font les païens qui ne connaissent pas Dieu;

1 Théssaloniciens 4, 6 que personne en cette matière ne supplante ou ne dupe son frère. Le Seigneur tire vengeance de tout cela, nous vous l'avons déjà dit et attesté.

1 Théssaloniciens 4, 7 Car Dieu ne nous a pas appelés à l'impureté mais à la sanctification.

1 Théssaloniciens 4, 8 Dès lors, qui rejette cela, ce n'est pas un homme qu'il rejette, c'est Dieu, lui qui vous a fait le don de son Esprit Saint.

1 Théssaloniciens 4, 9 Sur l'amour fraternel, vous n'avez pas besoin qu'on vous écrive, car vous avez personnellement appris de Dieu à vous aimer les uns les autres,

1 Théssaloniciens 4, 10 et vous le faites bien envers tous les frères de la Macédoine entière. Mais nous vous engageons, frères, à faire encore des progrès

1 Théssaloniciens 4, 11 en mettant votre honneur à vivre calmes, à vous occuper chacun de vos affaires, à travailler de vos mains, comme nous vous l'avons ordonné.

1 Théssaloniciens 4, 12 Ainsi vous mènerez une vie honorable au regard de ceux du dehors et vous n'aurez besoin de personne.

1 Théssaloniciens 4, 13 Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez ignorants au sujet des morts; il ne faut pas que vous vous désoliez comme les autres, qui n'ont pas d'espérance.

1 Théssaloniciens 4, 14 Puisque nous croyons que Jésus est mort et qu'il est ressuscité, de même, ceux qui se sont endormis en Jésus, Dieu les emmènera avec lui.

1 Théssaloniciens 4, 15 Voici en effet ce que nous avons à vous dire, sur la parole du Seigneur. Nous, les vivants, nous qui serons encore là pour l'Avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui seront endormis.

1 Théssaloniciens 4, 16 Car lui-même, le Seigneur, au signal donné par la voix de l'archange et la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts qui sont dans le Christ ressusciteront en premier lieu;

1 Théssaloniciens 4, 17 après quoi nous, les vivants, nous qui serons encore là, nous serons réunis à eux et emportés sur des nuées pour rencontrer le Seigneur dans les airs. Ainsi nous serons avec le Seigneur toujours.

1 Théssaloniciens 4, 18 Réconfortez-vous donc les uns les autres de ces pensées.

1 Théssaloniciens 5, 1 Quant aux temps et moments, vous n'avez pas besoin, frères, qu'on vous en écrive.

1 Théssaloniciens 5, 2 Vous savez vous-mêmes parfaitement que le Jour du Seigneur arrive comme un voleur en pleine nuit.

1 Théssaloniciens 5, 3 Quand les hommes se diront: Paix et sécurité! c'est alors que tout d'un coup fondra sur eux la perdition, comme les douleurs sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper.

1 Théssaloniciens 5, 4 Mais vous, frères, vous n'êtes pas dans les ténèbres, de telle sorte que ce Jour vous surprenne comme un voleur:

1 Théssaloniciens 5, 5 tous vous êtes des fils de la lumière, des fils du jour. Nous ne sommes pas de la nuit, des ténèbres.

1 Théssaloniciens 5, 6 Alors ne nous endormons pas, comme font les autres, mais restons éveillés et sobres.

1 Théssaloniciens 5, 7 Ceux qui dorment dorment la nuit, ceux qui s'enivrent s'enivrent la nuit.

1 Théssaloniciens 5, 8 Nous, au contraire, nous qui sommes du jour, soyons sobres; revêtons la cuirasse de la foi et de la charité, avec le casque de l'espérance du salut.

1 Théssaloniciens 5, 9 Dieu ne nous a pas réservés pour sa colère, mais pour entrer en possession du salut par notre Seigneur Jésus Christ,

1 Théssaloniciens 5, 10 qui est mort pour nous afin que, éveillés ou endormis, nous vivions unis à lui.

1 Théssaloniciens 5, 11 C'est pourquoi il faut vous réconforter mutuellement et vous édifier l'un l'autre, comme déjà vous le faites.

1 Théssaloniciens 5, 12 Nous vous demandons, frères, d'avoir de la considération pour ceux qui se donnent de la peine au milieu de vous, qui sont à votre tête dans le Seigneur et qui vous reprennent.

1 Théssaloniciens 5, 13 Estimez-les avec une extrême charité, en raison de leur travail. Soyez en paix entre vous.

1 Théssaloniciens 5, 14 Nous vous y engageons, frères, reprenez les désordonnés, encouragez les craintifs, soutenez les faibles, ayez de la patience envers tous.

1 Théssaloniciens 5, 15 Veillez à ce que personne ne rende le mal pour le mal, mais poursuivez toujours le bien, soit entre vous soit envers tous.

1 Théssaloniciens 5, 16 Restez toujours joyeux.

1 Théssaloniciens 5, 17 Priez sans cesse.

1 Théssaloniciens 5, 18 En toute condition soyez dans l'action de grâces. C'est la volonté de Dieu sur vous dans le Christ Jésus.

1 Théssaloniciens 5, 19 N'éteignez pas l'Esprit,

1 Théssaloniciens 5, 20 ne dépréciez pas les dons de prophétie;

1 Théssaloniciens 5, 21 mais vérifiez tout: ce qui est bon, retenez-le;

1 Théssaloniciens 5, 22 gardez-vous de toute espèce de mal.

1 Théssaloniciens 5, 23 Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l'esprit, l'âme et le corps, soit gardé sans reproche à l'Avènement de notre Seigneur Jésus Christ.

1 Théssaloniciens 5, 24 Il est fidèle, celui qui vous appelle: c'est encore lui qui fera cela.

1 Théssaloniciens 5, 25 Frères, priez vous aussi pour nous.

1 Théssaloniciens 5, 26 Saluez tous les frères par un saint baiser.

1 Théssaloniciens 5, 27 Je vous en adjure par le Seigneur, que cette lettre soit lue à tous les frères.

1 Théssaloniciens 5, 28 Que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec vous.

 

 

 

II Théssaloniciens

 

2 Théssaloniciens 1, 1 Paul, Silvain et Timothée, à l'Eglise des Thessaloniciens qui est en Dieu notre Père et dans le Seigneur Jésus Christ.

2 Théssaloniciens 1, 2 Que Dieu le Père et le Seigneur Jésus Christ vous accordent grâce et paix.

2 Théssaloniciens 1, 3 Nous devons rendre grâce à Dieu à tout moment à votre sujet, frères, et ce n'est que juste, parce que votre foi est en grand progrès et que l'amour de chacun pour les autres s'accroît parmi vous tous,

2 Théssaloniciens 1, 4 au point que nous-mêmes sommes fiers de vous parmi les Eglises de Dieu, de votre constance et de votre foi dans toutes les persécutions et tribulations que vous supportez.

2 Théssaloniciens 1, 5 Par là se manifeste le juste jugement de Dieu, où vous serez trouvés dignes du Royaume de Dieu pour lequel vous souffrez vous aussi.

2 Théssaloniciens 1, 6 Car ce sera bien l'effet de la justice de Dieu de rendre la tribulation à ceux qui vous l'infligent,

2 Théssaloniciens 1, 7 et à vous, qui la subissez, le repos avec nous, quand le Seigneur Jésus se révélera du haut du ciel, avec les anges de sa puissance,

2 Théssaloniciens 1, 8 au milieu d'une flamme brûlante, et qu'il tirera vengeance de ceux qui ne connaissent pas Dieu et de ceux qui n'obéissent pas à l'Evangile de notre Seigneur Jésus.

2 Théssaloniciens 1, 9 Ceux-là seront châtiés d'une perte éternelle, éloignés de la face du Seigneur et de la gloire de sa force,

2 Théssaloniciens 1, 10 quand il viendra pour être glorifié dans ses saints et admiré en tous ceux qui auront cru - et vous, vous avez cru notre témoignage. Ainsi en sera-t-il en ce jour-là.

2 Théssaloniciens 1, 11 Dans cette pensée, nous prions nous aussi à tout moment pour vous, afin que notre Dieu vous rende dignes de son appel, qu'il mène à bonne fin par sa puissance toute intention de faire le bien et toute activité de votre foi;

2 Théssaloniciens 1, 12 de la sorte, le nom de notre Seigneur Jésus sera glorifié en vous, et vous en lui, conformément à la grâce de notre Dieu et du Seigneur Jésus Christ.

2 Théssaloniciens 2, 1 Nous vous le demandons, frères, à propos de la Venue de notre Seigneur Jésus Christ et de notre rassemblement auprès de lui,

2 Théssaloniciens 2, 2 ne vous laissez pas trop vite mettre hors de sens ni alarmer par des manifestations de l'Esprit, des paroles ou des lettres données comme venant de nous, et qui vous feraient penser que le jour du Seigneur est déjà là.

2 Théssaloniciens 2, 3 Que personne ne vous abuse d'aucune manière. Auparavant doit venir l'apostasie et se révéler l'Homme impie, l'Etre perdu,

2 Théssaloniciens 2, 4 l'Adversaire, celui qui s'élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu'à s'asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu.

2 Théssaloniciens 2, 5 Vous vous rappelez, n'est-ce pas, que quand j'étais encore près de vous je vous disais cela.

2 Théssaloniciens 2, 6 Et vous savez ce qui le retient maintenant, de façon qu'il ne se révèle qu'à son moment.

2 Théssaloniciens 2, 7 Dès maintenant, oui, le mystère de l'impiété est à l'oeuvre. Mais que seulement celui qui le retient soit d'abord écarté.

2 Théssaloniciens 2, 8 Alors l'Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa bouche, l'anéantira par la manifestation de sa Venue.

2 Théssaloniciens 2, 9 Sa venue à lui, l'Impie, aura été marquée, par l'influence de Satan, de toute espèce d'oeuvres de puissance, de signes et de prodiges mensongers,

2 Théssaloniciens 2, 10 comme de toutes les tromperies du mal, à l'adresse de ceux qui sont voués à la perdition pour n'avoir pas accueilli l'amour de la vérité qui leur aurait valu d'être sauvés.

2 Théssaloniciens 2, 11 Voilà pourquoi Dieu leur envoie une influence qui les égare, qui les pousse à croire le mensonge,

2 Théssaloniciens 2, 12 en sorte que soient condamnés tous ceux qui auront refusé de croire la vérité et pris parti pour le mal.

2 Théssaloniciens 2, 13 Nous devons, quant à nous, rendre grâce à Dieu à tout moment à votre sujet, frères aimés du Seigneur, parce que Dieu vous a choisis dès le commencement pour être sauvés par l'Esprit qui sanctifie et la foi en la vérité:

2 Théssaloniciens 2, 14 c'est à quoi il vous a appelés par notre Evangile, pour que vous entriez en possession de la gloire de notre Seigneur Jésus Christ.

2 Théssaloniciens 2, 15 Dès lors, frères, tenez bon, gardez fermement les traditions que vous avez apprises de nous, de vive voix ou par lettre.

2 Théssaloniciens 2, 16 Que notre Seigneur Jésus Christ lui-même, ainsi que Dieu notre Père, qui nous a aimés et nous a donné, par grâce, consolation éternelle et heureuse espérance,

2 Théssaloniciens 2, 17 consolent vos coeurs et les affermissent en toute bonne oeuvre et parole.

2 Théssaloniciens 3, 1 Enfin, frères, priez pour nous, demandant que la parole du Seigneur accomplisse sa course et soit glorifiée, comme elle le fait chez vous,

2 Théssaloniciens 3, 2 et que nous soyons délivrés de ces hommes égarés et mauvais - car la foi n'est pas donnée à tous.

2 Théssaloniciens 3, 3 Mais le Seigneur est fidèle: il vous affermira et vous gardera du Mauvais.

2 Théssaloniciens 3, 4 Nous avons d'ailleurs, dans le Seigneur, toute confiance en vous: ce que nous vous prescrivons, vous le faites et vous continuerez de le faire.

2 Théssaloniciens 3, 5 Que le Seigneur dirige vos coeurs vers l'amour de Dieu et la constance du Christ.

2 Théssaloniciens 3, 6 Or nous vous prescrivons, frères, au nom du Seigneur Jésus Christ, de vous tenir à distance de tout frère qui mène une vie désordonnée et ne se conforme pas à la tradition que vous avez reçue de nous.

2 Théssaloniciens 3, 7 Car vous savez bien comment il faut nous imiter. Nous n'avons pas eu une vie désordonnée parmi vous,

2 Théssaloniciens 3, 8 nous ne nous sommes fait donner par personne le pain que nous mangions, mais de nuit comme de jour nous étions au travail, dans le labeur et la fatigue, pour n'être à la charge d'aucun de vous:

2 Théssaloniciens 3, 9 non pas que nous n'en ayons le pouvoir, mais nous entendions vous proposer en nous un modèle à imiter.

2 Théssaloniciens 3, 10 Et puis, quand nous étions près de vous, nous vous donnions cette règle: si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus.

2 Théssaloniciens 3, 11 Or nous entendons dire qu'il en est parmi vous qui mènent une vie désordonnée, ne travaillant pas du tout mais se mêlant de tout.

2 Théssaloniciens 3, 12 Ceux-là, nous les invitons et engageons dans le Seigneur Jésus Christ à travailler dans le calme et à manger le pain qu'ils auront eux-mêmes gagné.

2 Théssaloniciens 3, 13 Pour vous, frères, ne vous lassez pas de faire le bien.

2 Théssaloniciens 3, 14 Si quelqu'un n'obéit pas aux indications de cette lettre, notez-le, et, pour sa confusion, cessez de frayer avec lui;

2 Théssaloniciens 3, 15 cependant ne le traitez pas en ennemi, mais reprenez-le comme un frère.

2 Théssaloniciens 3, 16 Que le Seigneur de la paix vous donne lui-même la paix en tout temps et de toute manière. Que le Seigneur soit avec vous tous.

2 Théssaloniciens 3, 17 Ce salut est de ma main, à moi Paul. C'est le signe qui distingue toutes mes lettres. Voici quelle est mon écriture.

2 Théssaloniciens 3, 18 Que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec vous tous.

 

 

 

I Timothée

 

1 Thimothées 1, 1 Paul, apôtre du Christ Jésus selon l'ordre de Dieu notre Sauveur et du Christ Jésus, notre espérance,

1 Thimothées 1, 2 à Timothée, mon véritable enfant dans la foi: grâce, miséricorde, paix, de par Dieu le Père et le Christ Jésus notre Seigneur.

1 Thimothées 1, 3 Ainsi donc, en partant pour la Macédoine, je t'ai prié de demeurer à Ephèse, pour enjoindre à certains de cesser d'enseigner des doctrines étrangères

1 Thimothées 1, 4 et de s'attacher à des fables et à des généalogies sans fin, plus propres à soulever de vains problèmes qu'à servir le dessein de Dieu fondé sur la foi.

1 Thimothées 1, 5 Cette injonction ne vise qu'à promouvoir la charité qui procède d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sans détours.

1 Thimothées 1, 6 Pour avoir dévié de cette ligne, certains se sont fourvoyés en un creux verbiage;

1 Thimothées 1, 7 ils ont la prétention d'être des docteurs de la Loi, alors qu'ils ne savent ni ce qu'ils disent, ni de quoi ils se font les champions.

1 Thimothées 1, 8 Certes, nous le savons, la Loi est bonne, si on en fait un usage légitime,

1 Thimothées 1, 9 en sachant bien qu'elle n'a pas été instituée pour le juste, mais pour les insoumis et les rebelles, les impies et les pécheurs, les sacrilèges et les profanateurs, les parricides et les matricides, les assassins,

1 Thimothées 1, 10 les impudiques, les homosexuels, les trafiquants d'hommes, les menteurs, les parjures, et pour tout ce qui s'oppose à la saine doctrine,

1 Thimothées 1, 11 celle qui est conforme à l'Evangile de la gloire du Dieu bienheureux, qui m'a été confié.

1 Thimothées 1, 12 Je rends grâce à celui qui m'a donné la force, le Christ Jésus, notre Seigneur, qui m'a jugé assez fidèle pour m'appeler à son service,

1 Thimothées 1, 13 moi, naguère un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur. Mais il m'a été fait miséricorde parce que j'agissais par ignorance, étranger à la foi;

1 Thimothées 1, 14 et la grâce de notre Seigneur a surabondé avec la foi et la charité qui est dans le Christ Jésus.

1 Thimothées 1, 15 Elle est sûre cette parole et digne d'une entière créance: le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier.

1 Thimothées 1, 16 Et s'il m'a été fait miséricorde, c'est pour qu'en moi, le premier, Jésus Christ manifestât toute sa patience, faisant de moi un exemple pour ceux qui doivent croire en lui en vue de la vie éternelle.

1 Thimothées 1, 17 Au Roi des siècles, Dieu incorruptible, invisible, unique, honneur et gloire dans les siècles des siècles! Amen.

1 Thimothées 1, 18 Tel est l'avertissement que je t'adresse, Timothée, mon enfant, en accord avec les prophéties jadis prononcées sur toi, afin que, pénétré de celles-ci, tu combattes le bon combat,

1 Thimothées 1, 19 possédant foi et bonne conscience; pour s'en être affranchis, certains ont fait naufrage dans la foi;

1 Thimothées 1, 20 entre autres, Hyménée et Alexandre, que j'ai livrés à Satan pour leur apprendre à ne plus blasphémer.

1 Thimothées 2, 1 Je recommande donc, avant tout, qu'on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes,

1 Thimothées 2, 2 pour les rois et tous les dépositaires de l'autorité, afin que nous puissions mener une vie calme et paisible en toute piété et dignité.

1 Thimothées 2, 3 Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur,

1 Thimothées 2, 4 lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.

1 Thimothées 2, 5 Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même,

1 Thimothées 2, 6 qui s'est livré en rançon pour tous. Tel est le témoignage rendu aux temps marqués

1 Thimothées 2, 7 et dont j'ai été établi, moi, héraut et apôtre - je dis vrai, je ne mens pas --, docteur des païens, dans la foi et la vérité.

1 Thimothées 2, 8 Ainsi donc je veux que les hommes prient en tout lieu, élevant vers le ciel des mains pieuses, sans colère ni dispute.

1 Thimothées 2, 9 Que les femmes, de même, aient une tenue décente; que leur parure, modeste et réservée, ne soit pas faite de cheveux tressés, d'or, de pierreries, de somptueuses toilettes,

1 Thimothées 2, 10 mais bien plutôt de bonnes oeuvres, ainsi qu'il convient à des femmes qui font profession de piété.

1 Thimothées 2, 11 Pendant l'instruction, la femme doit garder le silence, en toute soumission.

1 Thimothées 2, 12 Je ne permets pas à la femme d'enseigner ni de faire la loi à l'homme. Qu'elle garde le silence.

1 Thimothées 2, 13 C'est Adam en effet qui fut formé le premier, Eve ensuite.

1 Thimothées 2, 14 Et ce n'est pas Adam qui se laissa séduire, mais la femme qui, séduite, se rendit coupable de transgression.

1 Thimothées 2, 15 Néanmoins elle sera sauvée en devenant mère, à condition de persévérer avec modestie dans la foi, la charité et la sainteté.

1 Thimothées 3, 1 Elle est sûre cette parole: celui qui aspire à la charge d'épiscope désire une noble fonction.

1 Thimothées 3, 2 Aussi faut-il que l'épiscope soit irréprochable, mari d'une seule femme, qu'il soit sobre, pondéré, courtois, hospitalier, apte à l'enseignement,

1 Thimothées 3, 3 ni buveur ni batailleur, mais bienveillant, ennemi des chicanes, détaché de l'argent,

1 Thimothées 3, 4 sachant bien gouverner sa propre maison et tenir ses enfants dans la soumission d'une manière parfaitement digne.

1 Thimothées 3, 5 Car celui qui ne sait pas gouverner sa propre maison, comment pourrait-il prendre soin de l'Eglise de Dieu?

1 Thimothées 3, 6 Que ce ne soit pas un converti de fraîche date, de peur que, l'orgueil lui tournant la tête, il ne vienne à encourir la même condamnation que le diable.

1 Thimothées 3, 7 Il faut en outre que ceux du dehors rendent de lui un bon témoignage, de peur qu'il ne tombe dans l'opprobre et dans les filets du diable.

1 Thimothées 3, 8 Les diacres, eux aussi, seront des hommes dignes, n'ayant qu'une parole, modérés dans l'usage du vin, fuyant les profits déshonnêtes.

1 Thimothées 3, 9 Qu'ils gardent le mystère de la foi dans une conscience pure.

1 Thimothées 3, 10 On commencera par les mettre à l'épreuve, et ensuite, si on n'a rien à leur reprocher, on les admettra aux fonctions de diacres.

1 Thimothées 3, 11 Que pareillement les femmes soient dignes, point médisantes, sobres, fidèles en tout.

1 Thimothées 3, 12 Les diacres doivent être maris d'une seule femme, savoir bien gouverner leurs enfants et leur propre maison.

1 Thimothées 3, 13 Ceux qui remplissent bien leurs fonctions s'acquièrent un rang honorable et une ferme assurance en la foi au Christ Jésus.

1 Thimothées 3, 14 En t'écrivant cela, j'espère te rejoindre bientôt.

1 Thimothées 3, 15 Si toutefois je tardais, il faut que tu saches comment te comporter dans la maison de Dieu - je veux dire l'Eglise du Dieu vivant --: colonne et support de la vérité.

1 Thimothées 3, 16 Oui, c'est incontestablement un grand mystère que celui de la piété: Il a été manifesté dans la chair, justifié dans l'Esprit, vu des anges, proclamé chez les païens, cru dans le monde, enlevé dans la gloire.

1 Thimothées 4, 1 L'Esprit dit expressément que, dans les derniers temps, certains renieront la foi pour s'attacher à des esprits trompeurs et à des doctrines diaboliques,

1 Thimothées 4, 2 séduits par des menteurs hypocrites marqués au fer rouge dans leur conscience:

1 Thimothées 4, 3 ces gens-là interdisent le mariage et l'usage d'aliments que Dieu a créés pour être pris avec action de grâces par les croyants et ceux qui ont la connaissance de la vérité.

1 Thimothées 4, 4 Car tout ce que Dieu a créé est bon et aucun aliment n'est à proscrire, si on le prend avec action de grâces:

1 Thimothées 4, 5 la parole de Dieu et la prière le sanctifient.

1 Thimothées 4, 6 Si tu exposes cela aux frères, tu seras un bon serviteur du Christ Jésus, nourri des enseignements de la foi et de la bonne doctrine dont tu t'es toujours montré le disciple fidèle.

1 Thimothées 4, 7 Quant aux fables profanes, racontars de vieilles femmes, rejette-les. Exerce-toi à la piété.

1 Thimothées 4, 8 Les exercices corporels, eux, ne servent pas à grand-chose: la piété au contraire est utile à tout, car elle a la promesse de la vie, de la vie présente comme de la vie future.

1 Thimothées 4, 9 Elle est sûre cette parole et digne d'une entière créance.

1 Thimothées 4, 10 Si en effet nous peinons et combattons, c'est que nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant, le Sauveur de tous les hommes, des croyants surtout.

1 Thimothées 4, 11 Tel doit être l'objet de tes prescriptions et de ton enseignement.

1 Thimothées 4, 12 Que personne ne méprise ton jeune âge. Au contraire, montre-toi un modèle pour les croyants, par la parole, la conduite, la charité, la foi, la pureté.

1 Thimothées 4, 13 En attendant que je vienne, consacre-toi à la lecture, à l'exhortation, à l'enseignement.

1 Thimothées 4, 14 Ne néglige pas le don spirituel qui est en toi, qui t'a été conféré par une intervention prophétique accompagnée de l'imposition des mains du collège des presbytres.

1 Thimothées 4, 15 Prends cela à coeur. Sois-y tout entier, afin que tes progrès soient manifestes à tous.

1 Thimothées 4, 16 Veille sur ta personne et sur ton enseignement; persévère en ces dispositions. Agissant ainsi, tu te sauveras, toi et ceux qui t'écoutent.

1 Thimothées 5, 1 Ne rudoie pas un vieillard; au contraire, exhorte-le comme un père, les jeunes gens comme des frères,

1 Thimothées 5, 2 les femmes âgées comme des mères, les jeunes comme des soeurs, en toute pureté.

1 Thimothées 5, 3 Honore les veuves - j'entends les vraies veuves.

1 Thimothées 5, 4 Si une veuve a des enfants ou des petits-enfants, il faut avant tout leur apprendre à pratiquer la piété envers leur propre famille et à payer leurs parents de retour. Voilà ce qui plaît à Dieu.

1 Thimothées 5, 5 Mais la vraie veuve, celle qui reste absolument seule, s'en remet à Dieu et consacre ses jours et ses nuits à la prière et à l'oraison.

1 Thimothées 5, 6 Quant à celle qui ne pense qu'au plaisir, quoique vivante, elle est morte.

1 Thimothées 5, 7 Cela aussi tu le rappelleras, afin qu'elles soient irréprochables.

1 Thimothées 5, 8 Si quelqu'un ne prend pas soin des siens, surtout de ceux qui vivent avec lui, il a renié la foi: il est pire qu'un infidèle.

1 Thimothées 5, 9 Ne peut être inscrite au groupe des veuves qu'une femme d'au moins 60 ans, ayant été la femme d'un seul mari.

1 Thimothées 5, 10 Elle devra produire le témoignage de sa bonne conduite: avoir élevé des enfants, exercé l'hospitalité, lavé les pieds des saints, secouru les affligés, pratiqué toutes les formes de la bienfaisance.

1 Thimothées 5, 11 Les jeunes veuves, écarte-les. Dès que des désirs indignes du Christ les assaillent, elles veulent se remarier,

1 Thimothées 5, 12 méritant ainsi d'être condamnées pour avoir manqué à leur premier engagement.

1 Thimothées 5, 13 Avec cela, n'ayant rien à faire, elles apprennent à courir les maisons; si encore c'était pour ne rien faire, mais c'est pour bavarder, s'occuper de ce qui ne les regarde pas, parler à tort et à travers.

1 Thimothées 5, 14 Je veux donc que les jeunes veuves se remarient, qu'elles aient des enfants, gouvernent leur maison et ne donnent à l'adversaire aucune occasion d'insulte.

1 Thimothées 5, 15 Il en est déjà qui se sont fourvoyées à la suite de Satan.

1 Thimothées 5, 16 Si une croyante a des veuves dans sa parenté, qu'elle les assiste, afin que l'Eglise n'en supporte pas la charge, et puisse ainsi secourir les vraies veuves.

1 Thimothées 5, 17 Les presbytres qui exercent bien la présidence méritent une double rémunération, surtout ceux qui peinent à la parole et à l'enseignement.

1 Thimothées 5, 18 L'Ecriture dit en effet: Tu ne muselleras pas le boeuf qui foule le grain; et encore: L'ouvrier mérite son salaire.

1 Thimothées 5, 19 N'accueille d'accusation contre un presbytre que sur déposition de deux ou trois témoins.

1 Thimothées 5, 20 Les coupables, reprends-les devant tous, afin que les autres en éprouvent de la crainte.

1 Thimothées 5, 21 Je t'en conjure devant Dieu, le Christ Jésus et les anges élus, observe ces règles avec impartialité, sans rien faire par favoritisme.

1 Thimothées 5, 22 Ne te hâte pas d'imposer les mains à qui que ce soit. Ne te fais pas complice des péchés d'autrui. Garde-toi pur.

1 Thimothées 5, 23 Cesse de ne boire que de l'eau. Prends un peu de vin à cause de ton estomac et de tes fréquents malaises.

1 Thimothées 5, 24 Il est des hommes dont les fautes apparaissent avant même tout jugement; d'autres au contraire chez qui elles ne se découvrent qu'après;

1 Thimothées 5, 25 les bonnes actions, elles aussi, se voient: même celles dont ce n'est pas le cas ne sauraient demeurer cachées.

1 Thimothées 6, 1 Tous ceux qui sont sous le joug de l'esclavage doivent considérer leurs maîtres comme dignes d'un entier respect, afin que le nom de Dieu et la doctrine ne soient pas blasphémés.

1 Thimothées 6, 2 Quant à ceux qui ont pour maîtres des croyants, qu'ils n'aillent pas les mépriser sous prétexte que ce sont des frères; qu'au contraire ils les servent d'autant mieux que ce sont des croyants et des amis de Dieu qui bénéficient de leurs services. Voilà ce que tu dois enseigner et recommander.

1 Thimothées 6, 3 Si quelqu'un enseigne autre chose et ne reste pas attaché à de saines paroles, celles de notre Seigneur Jésus Christ, et à la doctrine conforme à la piété,

1 Thimothées 6, 4 c'est un être aveuglé par l'orgueil, un ignorant en mal de questions oiseuses et de querelles de mots; de là viennent l'envie, la discorde, les outrages, les soupçons malveillants,

1 Thimothées 6, 5 les disputes interminables de gens à l'esprit corrompu, privés de la vérité, aux yeux de qui la piété est une source de profits.

1 Thimothées 6, 6 Profitable, oui, la piété l'est grandement pour qui se contente de ce qu'il a.

1 Thimothées 6, 7 Car nous n'avons rien apporté dans le monde et de même nous n'en pouvons rien emporter.

1 Thimothées 6, 8 Lors donc que nous avons nourriture et vêtement, sachons être satisfaits.

1 Thimothées 6, 9 Quant à ceux qui veulent amasser des richesses, ils tombent dans la tentation, dans le piège, dans une foule de convoitises insensées et funestes, qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition.

1 Thimothées 6, 10 Car la racine de tous les maux, c'est l'amour de l'argent. Pour s'y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont transpercé l'âme de tourments sans nombre.

1 Thimothées 6, 11 Pour toi, homme de Dieu, fuis tout cela. Poursuis la justice, la piété, la foi, la charité, la constance, la douceur.

1 Thimothées 6, 12 Combats le bon combat de la foi, conquiers la vie éternelle à laquelle tu as été appelé et en vue de laquelle tu as fait ta belle profession de foi en présence de nombreux témoins.

1 Thimothées 6, 13 Je t'en prie devant Dieu qui donne la vie à toutes choses et devant le Christ Jésus qui, sous Ponce Pilate, a rendu son beau témoignage,

1 Thimothées 6, 14 garde le commandement sans tache et sans reproche, jusqu'à l'Apparition de notre Seigneur Jésus Christ,

1 Thimothées 6, 15 que fera paraître aux temps marqués le Bienheureux et unique Souverain, le Roi des rois et Seigneur des seigneurs,

1 Thimothées 6, 16 le seul qui possède l'immortalité, qui habite une lumière inaccessible, que nul d'entre les hommes n'a vu ni ne peut voir. A lui appartiennent honneur et puissance à jamais! Amen.

1 Thimothées 6, 17 Aux riches de ce monde, recommande de ne pas juger de haut, de ne pas placer leur confiance en des richesses précaires, mais en Dieu qui nous pourvoit largement de tout, afin que nous en jouissions.

1 Thimothées 6, 18 Qu'ils fassent le bien, s'enrichissent de bonnes oeuvres, donnent de bon coeur, sachent partager;

1 Thimothées 6, 19 de cette manière, ils s'amassent pour l'avenir un solide capital, avec lequel ils pourront acquérir la vie véritable.

1 Thimothées 6, 20 O Timothée, garde le dépôt. Evite les discours creux et impies, les objections d'une pseudo-science.

1 Thimothées 6, 21 Pour l'avoir professée, certains se sont écartés de la foi. La grâce soit avec vous!

 

 

 

 

II Timothée

 

2 Thimothées 1, 1 Paul, apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu, pour annoncer la promesse de la vie qui est dans le Christ Jésus,

2 Thimothées 1, 2 à Timothée mon enfant bien-aimé, grâce, miséricorde, paix de par Dieu le Père et le Christ Jésus notre Seigneur.

2 Thimothées 1, 3 Je rends grâce à Dieu que je sers, à la suite de mes ancêtres, avec une conscience pure, lorsque, sans cesse, nuit et jour, je fais mémoire de toi dans mes prières.

2 Thimothées 1, 4 En me rappelant tes larmes, je brûle du désir de te revoir, afin d'être rempli de joie.

2 Thimothées 1, 5 J'évoque le souvenir de la foi sans détours qui est en toi, foi qui, d'abord, résida dans le coeur de ta grand'mère Loïs et de ta mère Eunice et qui, j'en suis convaincu, réside également en toi.

2 Thimothées 1, 6 C'est pourquoi je t'invite à raviver le don spirituel que Dieu a déposé en toi par l'imposition de mes mains.

2 Thimothées 1, 7 Car ce n'est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un Esprit de force, d'amour et de maîtrise de soi.

2 Thimothées 1, 8 Ne rougis donc pas du témoignage à rendre à notre Seigneur, ni de moi son prisonnier, mais souffre plutôt avec moi pour l'Evangile, soutenu par la force de Dieu,

2 Thimothées 1, 9 qui nous a sauvés et nous a appelés d'un saint appel, non en considération de nos oeuvres, mais conformément à son propre dessein et à sa grâce. A nous donnée avant tous les siècles dans le Christ Jésus,

2 Thimothées 1, 10 cette grâce a été maintenant manifestée par l'Apparition de notre Sauveur le Christ Jésus, qui a détruit la mort et fait resplendir la vie et l'immortalité par le moyen de l'Evangile,

2 Thimothées 1, 11 au service duquel j'ai été établi, moi, héraut, apôtre et docteur.

2 Thimothées 1, 12 C'est à cause de cela que je connais cette nouvelle épreuve, mais je n'en rougis pas, car je sais en qui j'ai mis ma foi et j'ai la conviction qu'il est capable de garder mon dépôt jusqu'à ce Jour-là.

2 Thimothées 1, 13 Prends pour norme les saines paroles que tu as entendues de moi, dans la foi et l'amour du Christ Jésus.

2 Thimothées 1, 14 Garde le bon dépôt avec l'aide de l'Esprit Saint qui habite en nous.

2 Thimothées 1, 15 Tu le sais, tous ceux d'Asie, parmi lesquels Phygèle et Hermogène, se sont détournés de moi.

2 Thimothées 1, 16 Que le Seigneur fasse miséricorde à la famille d'Onésiphore, car souvent il m'a réconforté, et il n'a pas rougi de mes chaînes;

2 Thimothées 1, 17 au contraire, à son arrivée à Rome, il m'a recherché activement et m'a découvert.

2 Thimothées 1, 18 Que le Seigneur lui donne d'obtenir miséricorde auprès du Seigneur en ce Jour-là. Quant aux services qu'il m'a rendus, à Ephèse, tu les connais mieux que personne.

2 Thimothées 2, 1 Toi donc, mon enfant, fortifie-toi dans la grâce du Christ Jésus.

2 Thimothées 2, 2 Ce que tu as appris de moi sur l'attestation de nombreux témoins, confie-le à des hommes sûrs, capables à leur tour d'en instruire d'autres.

2 Thimothées 2, 3 Prends ta part de souffrances, en bon soldat du Christ Jésus.

2 Thimothées 2, 4 Dans le métier des armes, personne ne s'encombre des affaires de la vie civile, s'il veut donner satisfaction à qui l'a engagé.

2 Thimothées 2, 5 De même l'athlète ne reçoit la couronne que s'il a lutté selon les règles.

2 Thimothées 2, 6 C'est au cultivateur qui travaille dur, que doivent revenir, en premier lieu, les fruits de la récolte.

2 Thimothées 2, 7 Comprends ce que je veux dire. D'ailleurs le Seigneur te fera tout comprendre.

2 Thimothées 2, 8 Souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d'entre les morts, issu de la race de David, selon mon Evangile.

2 Thimothées 2, 9 Pour lui je souffre jusqu'à porter des chaînes comme un malfaiteur. Mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée.

2 Thimothées 2, 10 C'est pourquoi j'endure tout pour les élus, afin qu'eux aussi obtiennent le salut qui est dans le Christ Jésus avec la gloire éternelle.

2 Thimothées 2, 11 Elle est sûre cette parole: Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons.

2 Thimothées 2, 12 Si nous tenons ferme, avec lui nous régnerons. Si nous le renions, lui aussi nous reniera.

2 Thimothées 2, 13 Si nous sommes infidèles, lui reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même.

2 Thimothées 2, 14 Tout cela, rappelle-le, attestant devant Dieu qu'il faut éviter les querelles de mots, bonnes seulement à perdre ceux qui les écoutent.

2 Thimothées 2, 15 Efforce-toi de te présenter à Dieu comme un homme éprouvé, un ouvrier qui n'a pas à rougir, un fidèle dispensateur de la parole de vérité.

2 Thimothées 2, 16 Quant aux discours creux et impies, évite-les. Leurs auteurs feront toujours plus de progrès dans la voie de l'impiété,

2 Thimothées 2, 17 et leur parole étendra ses ravages comme la gangrène. Hyménée et Philète sont de ceux-là;

2 Thimothées 2, 18 ils se sont écartés de la vérité, en prétendant que la résurrection a déjà eu lieu, renversant ainsi la foi de plusieurs.

2 Thimothées 2, 19 Cependant les solides fondations posées par Dieu tiennent bon, marquées du sceau de ces paroles: Le Seigneur connaît les siens, et: Qu'il évite l'iniquité, celui qui prononce le nom du Seigneur.

2 Thimothées 2, 20 Dans une grande maison, il n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent; il en est aussi de bois et d'argile. Les uns sont réservés aux usages nobles, les autres aux usages vulgaires.

2 Thimothées 2, 21 Si donc quelqu'un se préserve des fautes dont je parle, il sera un vase noble, sanctifié, utile au Maître, propre à toute oeuvre bonne.

2 Thimothées 2, 22 Fuis les passions de la jeunesse. Recherche la justice, la foi, la charité, la paix, en union avec ceux qui d'un coeur pur invoquent le Seigneur.

2 Thimothées 2, 23 Mais les folles et stupides recherches, évite-les: tu sais qu'elles engendrent des querelles.

2 Thimothées 2, 24 Or, le serviteur du Seigneur ne doit pas être querelleur, mais accueillant à tous, capable d'instruire, patient dans l'épreuve;

2 Thimothées 2, 25 c'est avec douceur qu'il doit reprendre les opposants, en songeant que Dieu, peut-être, leur donnera de se convertir, de connaître la vérité

2 Thimothées 2, 26 et de revenir à la raison, une fois dégagés des filets du diable, qui les retient captifs, asservis à sa volonté.

2 Thimothées 3, 1 Sache bien, par ailleurs, que dans les derniers jours surviendront des moments difficiles.

2 Thimothées 3, 2 Les hommes en effet seront égoïstes, cupides, vantards, orgueilleux, diffamateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, sacrilèges,

2 Thimothées 3, 3 sans coeur, sans pitié, médisants, intempérants, intraitables, ennemis du bien,

2 Thimothées 3, 4 délateurs, effrontés, aveuglés par l'orgueil, plus amis de la volupté que de Dieu,

2 Thimothées 3, 5 ayant les apparences de la piété mais reniant ce qui en est la force. Ceux-là aussi, évite-les.

2 Thimothées 3, 6 Ils sont bien du nombre, ceux qui s'introduisent dans les maisons et envoûtent des femmelettes chargées de péchés, entraînées par toutes sortes de passions et qui,

2 Thimothées 3, 7 toujours à s'instruire, ne sont jamais capables de parvenir à la connaissance de la vérité.

2 Thimothées 3, 8 A l'exemple de Jannès et de Jambrès qui se dressèrent contre Moïse, ils se dressent, eux aussi, contre la vérité, hommes à l'esprit corrompu, sans garantie en matière de foi.

2 Thimothées 3, 9 Mais ils n'iront pas plus loin, car leur folie sera démasquée aux yeux de tous, comme le fut celle des deux autres.

2 Thimothées 3, 10 Pour toi, tu m'as suivi dans mon enseignement, ma conduite, mes projets, ma foi, ma patience, ma charité, ma constance

2 Thimothées 3, 11 dans les persécutions et les souffrances qui me sont survenues à Antioche, à Iconium, à Lystres. Quelles persécutions n'ai-je pas eu à subir! Et de toutes le Seigneur m'a délivré.

2 Thimothées 3, 12 Oui, tous ceux qui veulent vivre dans le Christ avec piété seront persécutés.

2 Thimothées 3, 13 Quant aux pécheurs et aux charlatans, ils feront toujours plus de progrès dans le mal, à la fois trompeurs et trompés.

2 Thimothées 3, 14 Pour toi, tiens-toi à ce que tu as appris et dont tu as acquis la certitude. Tu sais de quels maîtres tu le tiens;

2 Thimothées 3, 15 et c'est depuis ton plus jeune âge que tu connais les saintes Lettres. Elles sont à même de te procurer la sagesse qui conduit au salut par la foi dans le Christ Jésus.

2 Thimothées 3, 16 Toute Ecriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la justice:

2 Thimothées 3, 17 ainsi l'homme de Dieu se trouve-t-il accompli, équipé pour toute oeuvre bonne.

2 Thimothées 4, 1 Je t'adjure devant Dieu et devant le Christ Jésus, qui doit juger les vivants et les morts, au nom de son Apparition et de son Règne:

2 Thimothées 4, 2 proclame la parole, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte, avec une patience inlassable et le souci d'instruire.

2 Thimothées 4, 3 Car un temps viendra où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine, mais au contraire, au gré de leurs passions et l'oreille les démangeant, ils se donneront des maîtres en quantité

2 Thimothées 4, 4 et détourneront l'oreille de la vérité pour se tourner vers les fables.

2 Thimothées 4, 5 Pour toi, sois prudent en tout, supporte l'épreuve, fais oeuvre de prédicateur de l'Evangile, acquitte-toi à la perfection de ton ministère.

2 Thimothées 4, 6 Quant à moi, je suis déjà répandu en libation et le moment de mon départ est venu.

2 Thimothées 4, 7 J'ai combattu jusqu'au bout le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi.

2 Thimothées 4, 8 Et maintenant, voici qu'est préparée pour moi la couronne de justice, qu'en retour le Seigneur me donnera en ce Jour-là, lui, le juste Juge, et non seulement à moi mais à tous ceux qui auront attendu avec amour son Apparition.

2 Thimothées 4, 9 Hâte-toi de venir me rejoindre au plus vite,

2 Thimothées 4, 10 car Démas m'a abandonné par amour du monde présent. Il est parti pour Thessalonique, Crescens pour la Galatie, Tite pour la Dalmatie.

2 Thimothées 4, 11 Seul Luc est avec moi. Prends Marc et amène-le avec toi, car il m'est précieux pour le ministère.

2 Thimothées 4, 12 J'ai envoyé Tychique à Ephèse.

2 Thimothées 4, 13 En venant, apporte le manteau que j'ai laissé à Troas chez Carpos, ainsi que les livres, surtout les parchemins.

2 Thimothées 4, 14 Alexandre le fondeur m'a fait beaucoup de mal. Le Seigneur lui rendra selon ses oeuvres.

2 Thimothées 4, 15 Toi aussi, méfie-toi de lui, car il a été un adversaire acharné de notre prédication.

2 Thimothées 4, 16 La première fois que j'ai eu à présenter ma défense, personne ne m'a soutenu. Tous m'ont abandonné! Qu'il ne leur en soit pas tenu rigueur!

2 Thimothées 4, 17 Le Seigneur, lui, m'a assisté et m'a rempli de force afin que, par moi, le message fût proclamé et qu'il parvînt aux oreilles de tous les païens. Et j'ai été délivré de la gueule du lion.

2 Thimothées 4, 18 Le Seigneur me délivrera de toute entreprise perverse et me sauvera en me prenant dans son Royaume céleste. A lui la gloire dans tous les siècles! Amen!

2 Thimothées 4, 19 Salue Prisca et Aquilas, ainsi que la famille d'Onésiphore.

2 Thimothées 4, 20 Eraste est resté à Corinthe. J'ai laissé Trophime malade à Milet.

2 Thimothées 4, 21 Hâte-toi de venir avant l'hiver. Tu as le salut d'Eubule, de Pudens, de Lin, de Claudia et de tous les frères.

2 Thimothées 4, 22 Le Seigneur soit avec ton esprit! La grâce soit avec vous!

 

 

Tite

 

Tite 1, 1 Paul, serviteur de Dieu, apôtre de Jésus Christ pour amener les élus de Dieu à la foi et à la connaissance de la vérité ordonnée à la piété,

Tite 1, 2 dans l'espérance de la vie éternelle promise avant tous les siècles par le Dieu qui ne ment pas

Tite 1, 3 et qui, aux temps marqués, a manifesté sa parole par une proclamation dont un ordre de Dieu notre Sauveur m'a confié la charge,

Tite 1, 4 à Tite mon véritable enfant en notre foi commune, grâce et paix de par Dieu le Père et le Christ Jésus notre Sauveur.

Tite 1, 5 Si je t'ai laissé en Crète, c'est pour y achever l'organisation et pour établir dans chaque ville des presbytres, conformément à mes instructions.

Tite 1, 6 Chaque candidat doit être irréprochable, mari d'une seule femme, avoir des enfants croyants, qui ne puissent être accusés d'inconduite et ne soient pas insoumis.

Tite 1, 7 L'épiscope, en effet, en sa qualité d'intendant de Dieu, doit être irréprochable: ni arrogant, ni coléreux, ni buveur, ni batailleur, ni avide de gains déshonnêtes,

Tite 1, 8 mais au contraire hospitalier, ami du bien, pondéré, juste, pieux, maître de soi,

Tite 1, 9 attaché à l'enseignement sûr, conforme à la doctrine; ne doit-il pas être capable, à la fois, d'exhorter dans la saine doctrine et de confondre les contradicteurs?

Tite 1, 10 Nombreux sont en effet les esprits rebelles, les vains discoureurs, les séducteurs, surtout chez les circoncis.

Tite 1, 11 Il faut leur fermer la bouche; ces gens-là bouleversent des familles entières, enseignant pour de scandaleux profits ce qui ne se doit pas.

Tite 1, 12 L'un d'entre eux, leur propre prophète, a dit: "Crétois: perpétuels menteurs, mauvaises bêtes, ventres paresseux."

Tite 1, 13 Ce témoignage est vrai; aussi reprends-les vertement, pour qu'ils conservent une foi saine,

Tite 1, 14 sans prêter attention à des fables juives et aux prescriptions de gens qui tournent le dos à la vérité.

Tite 1, 15 Tout est pur pour les purs. Mais pour ceux qui sont souillés et qui n'ont pas la foi, rien n'est pur. Leur esprit même et leur conscience sont souillés.

Tite 1, 16 Ils font profession de connaître Dieu, mais, par leur conduite, ils le renient: êtres abominables, rebelles, incapables d'aucun bien.

Tite 2, 1 Pour toi, enseigne ce qui est conforme à la saine doctrine.

Tite 2, 2 Que les vieillards soient sobres, dignes, pondérés, robustes dans la foi, la charité, la constance.

Tite 2, 3 Que pareillement les femmes âgées aient le comportement qui sied à des saintes: ni médisantes, ni adonnées au vin, mais de bon conseil;

Tite 2, 4 ainsi elles apprendront aux jeunes femmes à aimer leur mari et leurs enfants,

Tite 2, 5 à être réservées, chastes, femmes d'intérieur, bonnes, soumises à leur mari, en sorte que la parole de Dieu ne soit pas blasphémée.

Tite 2, 6 Exhorte également les jeunes gens à garder en tout la pondération,

Tite 2, 7 offrant en ta personne un exemple de bonne conduite: pureté de doctrine, dignité,

Tite 2, 8 enseignement sain, irréprochable, afin que l'adversaire, ne pouvant dire aucun mal de nous, soit rempli de confusion.

Tite 2, 9 Que les esclaves soient soumis en tout à leurs maîtres, cherchant à leur donner satisfaction, évitant de les contredire,

Tite 2, 10 ne commettant aucune indélicatesse, se montrant au contraire d'une parfaite fidélité: ainsi feront-ils honneur en tout à la doctrine de Dieu notre Sauveur.

Tite 2, 11 Car la grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes, s'est manifestée,

Tite 2, 12 nous enseignant à renoncer à l'impiété et aux convoitises de ce monde, pour vivre en ce siècle présent dans la réserve, la justice et la piété,

Tite 2, 13 attendant la bienheureuse espérance et l'Apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, le Christ Jésus

Tite 2, 14 qui s'est livré pour nous afin de nous racheter de toute iniquité et de purifier un peuple qui lui appartienne en propre, zélé pour le bien.

Tite 2, 15 C'est ainsi que tu dois parler, exhorter, reprendre avec une autorité entière. Que personne ne te méprise.

Tite 3, 1 Rappelle à tous qu'il faut être soumis aux magistrats et aux autorités, pratiquer l'obéissance, être prêt à toute bonne oeuvre,

Tite 3, 2 n'outrager personne, éviter les disputes, se montrer bienveillant, témoigner à tous les hommes une parfaite douceur.

Tite 3, 3 Car nous aussi, nous étions naguère des insensés, des rebelles, des égarés, esclaves d'une foule de convoitises et de plaisirs, vivant dans la malice et l'envie, odieux et nous haïssant les uns les autres.

Tite 3, 4 Mais le jour où apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes,

Tite 3, 5 il ne s'est pas occupé des oeuvres de justice que nous avions pu accomplir, mais, poussé par sa seule miséricorde, il nous a sauvés par le bain de la régénération et de la rénovation en l'Esprit Saint.

Tite 3, 6 Et cet Esprit, il l'a répandu sur nous à profusion, par Jésus Christ notre Sauveur,

Tite 3, 7 afin que, justifiés par la grâce du Christ, nous obtenions en espérance l'héritage de la vie éternelle.

Tite 3, 8 Elle est sûre cette parole et je tiens à ce que, sur ce point, tu sois catégorique, afin que ceux qui ont placé leur foi en Dieu aient à coeur d'exceller dans la pratique du bien. Voilà qui est bon et utile aux hommes.

Tite 3, 9 Mais les folles recherches, les généalogies, les disputes, les polémiques au sujet de la Loi, évite-les. Elles sont sans utilité et sans profit.

Tite 3, 10 Quant à l'homme de parti, après un premier et un second avertissement, romps avec lui.

Tite 3, 11 Un tel individu, tu le sais, est un dévoyé et un pécheur qui se condamne lui-même.

Tite 3, 12 Lorsque je t'aurai envoyé Artémas ou Tychique, hâte-toi de me rejoindre à Nicopolis. C'est là que j'ai décidé de passer l'hiver.

Tite 3, 13 Prends toutes dispositions pour le voyage du juriste Zénas et d'Apollos, afin qu'ils ne manquent de rien.

Tite 3, 14 Les nôtres aussi doivent apprendre à exceller dans la pratique du bien pour faire face aux nécessités pressantes. Ainsi ne seront-ils pas sans fruits.

Tite 3, 15 Tu as le salut de tous ceux qui sont avec moi. Salue ceux qui nous aiment dans la foi. La grâce soit avec vous tous!

 

 

Philémon

 

Philémon 1 "Paul, prisonnier du Christ Jésus, et le frère Timothée, à Philémon, notre cher collaborateur,

Philémon 2 avec Apphia notre soeur, Archippe notre frère d'armes, et l'Eglise qui s'assemble dans ta maison.

Philémon 3 A vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ!

Philémon 4 Je rends sans cesse grâces à mon Dieu en faisant mémoire de toi dans mes prières,

Philémon 5 car j'entends louer ta charité et la foi qui t'anime, tant à l'égard du Seigneur Jésus qu'au bénéfice de tous les saints.

Philémon 6 Puisse cette foi rendre agissant son esprit d'entraide en t'éclairant pleinement sur tout le bien qu'il est en notre pouvoir d'accomplir pour le Christ.

Philémon 7 De fait, j'ai eu grande joie et consolation en apprenant ta charité: on me dit, frère, que tu as soulagé le coeur des saints!

Philémon 8 C'est pourquoi, bien que j'aie dans le Christ tout le franc-parler nécessaire pour te prescrire ton devoir,

Philémon 9 je préfère invoquer la charité et te présenter une requête. Celui qui va parler, c'est Paul, le vieux Paul et, qui plus est, maintenant le prisonnier du Christ Jésus.

Philémon 10 La requête est pour mon enfant, que j'ai engendré dans les chaînes, cet Onésime,

Philémon 11 qui jadis ne te fut guère utile, mais qui désormais te sera bien utile, comme il l'est devenu pour moi.

Philémon 12 Je te le renvoie, et lui, c'est comme mon propre coeur.

Philémon 13 Je désirais le retenir près de moi, pour qu'il me servît en ton nom dans ces chaînes que me vaut l'Evangile;

Philémon 14 cependant je n'ai rien voulu faire sans ton assentiment, pour que ce bienfait ne parût pas t'être imposé, mais qu'il vînt de ton bon gré.

Philémon 15 Peut-être aussi Onésime ne t'a-t-il été retiré pour un temps qu'afin de t'être rendu pour l'éternité,

Philémon 16 non plus comme un esclave, mais bien mieux qu'un esclave, comme un frère très cher: il l'est grandement pour moi, combien plus va-t-il l'être pour toi, et selon le monde et selon le Seigneur!

Philémon 17 Si donc tu as égard aux liens qui nous unissent, reçois-le comme si c'était moi.

Philémon 18 Et s'il t'a fait du tort ou te doit quelque chose, mets cela sur mon compte.

Philémon 19 Moi, Paul, je m'y engage de ma propre écriture: c'est moi qui réglerai... Pour ne rien dire de la dette qui t'oblige toujours à mon endroit, et qui est toi-même!

Philémon 20 Allons, frère, j'attends de toi ce service dans le Seigneur; soulage mon coeur dans le Christ.

Philémon 21 Je t'écris avec pleine confiance en ta docilité: je sais bien que tu feras plus encore que je ne demande.

Philémon 22 Avec cela, prépare-moi un gîte; j'espère en effet que, grâce à vos prières, je vais vous être rendu.

Philémon 23 Tu as les salutations d'Epaphras, mon compagnon de captivité dans le Christ Jésus,

Philémon 24 ainsi que de Marc, Aristarque, Démas et Luc, mes collaborateurs.

Philémon 25 Que la grâce du Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit!

 

 

Hébreux

 

Hébreux 1, 1 Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu,

Hébreux 1, 2 en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils, qu'il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles.

Hébreux 1, 3 Resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance, ce Fils qui soutient l'univers par sa parole puissante, ayant accompli la purification des péchés, s'est assis à la droite de la Majesté dans les hauteurs,

Hébreux 1, 4 devenu d'autant supérieur aux anges que le nom qu'il a reçu en héritage est incomparable au leur.

Hébreux 1, 5 Auquel des anges, en effet, Dieu a-t-il jamais dit: Tu es mon Fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré? Et encore: Je serai pour lui un père, et lui sera pour moi un fils.

Hébreux 1, 6 Et de nouveau, lorsqu'il introduit le Premier-né dans le monde, il dit: Que tous les anges de Dieu l'adorent.

Hébreux 1, 7 Tandis qu'il s'exprime ainsi en s'adressant aux anges: Il fait de ses anges des vents, de ses serviteur une flamme ardente,

Hébreux 1, 8 il dit à son Fils: Ton trône, ô Dieu, subsiste dans les siècles des siècles, et: le sceptre de droiture est le sceptre de sa royauté.

Hébreux 1, 9 Tu as aimé la justice et tu as haï l'impiété. C'est pourquoi, Dieu, ton Dieu t'a oint d'une huile d'allégresse de préférence à tes compagnons.

Hébreux 1, 10 Et encore: C'est toi, Seigneur, qui aux origines fondas la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains.

Hébreux 1, 11 Eux périront, mais toi tu demeures, et tous ils vieilliront comme un vêtement.

Hébreux 1, 12 Comme un manteau tu les rouleras, comme un vêtement, et ils seront changés. Mais toi, tu es le même et tes années ne s'achèveront point.

Hébreux 1, 13 Et auquel des anges a-t-il jamais dit: Assieds-toi à ma droite jusqu'à ce que je place tes ennemis comme un escabeau sous tes pieds?

Hébreux 1, 14 Est-ce que tous ne sont pas des esprits chargés d'un ministère, envoyés en service pour ceux qui doivent hériter du salut?

Hébreux 2, 1 C'est pourquoi nous devons nous attacher avec plus d'attention aux enseignements que nous avons entendus, de peur d'être entraînés à la dérive.

Hébreux 2, 2 Si déjà la parole promulguée par des anges s'est trouvée garantie et si toute transgression et désobéissance a reçu une juste rétribution,

Hébreux 2, 3 comment nous-mêmes échapperons-nous, si nous négligeons pareil salut? Celui-ci, inauguré par la prédication du Seigneur, nous a été garanti par ceux qui l'ont entendu,

Hébreux 2, 4 Dieu appuyant leur témoignage par des signes, des prodiges, des miracles de toutes sortes, ainsi que par des communications d'Esprit Saint qu'il distribue à son gré.

Hébreux 2, 5 En effet, ce n'est pas à des anges qu'il a soumis le monde à venir dont nous parlons.

Hébreux 2, 6 Quelqu'un a fait quelque part cette attestation: Qu'est-ce que l'homme pour que tu te souviennes de lui, ou le fils de l'homme pour que tu le prennes en considération?

Hébreux 2, 7 Tu l'as un moment abaissé au-dessous des anges. Tu l'as couronné de gloire et d'honneur.

Hébreux 2, 8 Tu as tout mis sous ses pieds. Par le fait qu'il lui a tout soumis, il n'a rien laissé qui lui demeure insoumis. Actuellement, il est vrai, nous ne voyons pas encore que tout lui soit soumis.

Hébreux 2, 9 Mais celui qui a été abaissé un moment au-dessous des anges, Jésus, nous le voyons couronné de gloire et d'honneur, parce qu'il a souffert la mort: il fallait que, par la grâce de Dieu, au bénéfice de tout homme, il goûtât la mort.

Hébreux 2, 10 Il convenait, en effet, que, voulant conduire à la gloire un grand nombre de fils, Celui pour qui et par qui sont toutes choses rendît parfait par des souffrances le chef qui devait les guider vers leur salut.

Hébreux 2, 11 Car le sanctificateur et les sanctifiés ont tous même origine. C'est pourquoi il ne rougit pas de les nommer frères,

Hébreux 2, 12 quand il dit: J'annoncerai ton nom à mes frères. Je te chanterai au milieu de l'assemblée. Et encore:

Hébreux 2, 13 Pour moi j'aurai confiance en lui. Et encore: Nous voici, moi et les enfants que Dieu m'a donnés.

Hébreux 2, 14 Puis donc que les enfants avaient en commun le sang et la chair, lui aussi y participa pareillement afin de réduire à l'impuissance, par sa mort, celui qui a la puissance de la mort, c'est-à-dire le diable,

Hébreux 2, 15 et d'affranchir tous ceux qui, leur vie entière, étaient tenus en esclavage par la crainte de la mort.

Hébreux 2, 16 Car ce n'est certes pas des anges qu'il se charge, mais c'est de la descendance d'Abraham qu'il se charge.

Hébreux 2, 17 En conséquence, il a dû devenir en tout semblable à ses frères, afin de devenir dans leurs rapports avec Dieu un grand prêtre miséricordieux et fidèle, pour expier les péchés du peuple.

Hébreux 2, 18 Car du fait qu'il a lui-même souffert par l'épreuve, il est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés.

Hébreux 3, 1 En conséquence, frères saints, vous qui avez en partage une vocation céleste, considérez l'apôtre et grand prêtre de notre profession de foi, Jésus;

Hébreux 3, 2 il est fidèle à celui qui l'a institué, comme Moïse le fut aussi dans toute sa maison.

Hébreux 3, 3 Car il a été jugé digne d'une gloire supérieure à celle de Moïse, dans la mesure même où la dignité du constructeur d'une maison est plus grande que celle de la maison elle-même.

Hébreux 3, 4 Toute maison, en effet, est construite par quelqu'un, et celui qui a tout construit, c'est Dieu.

Hébreux 3, 5 Moïse, à la vérité, a été fidèle dans toute sa maison, en qualité de serviteur, pour témoigner de ce qui devait être dit;

Hébreux 3, 6 tandis que le Christ, lui, l'a été en qualité de fils, à la tête de sa maison. Et sa maison, c'est nous, pourvu que nous gardions l'assurance et la joyeuse fierté de l'espérance.

Hébreux 3, 7 C'est pourquoi, comme le dit l'Esprit Saint: Aujourd'hui, si vous entendez sa voix,

Hébreux 3, 8 n'endurcissez pas vos coeurs comme cela s'est produit dans la Querelle, au jour de la Tentation dans le désert,

Hébreux 3, 9 où vos Pères me tentèrent, me mettant à l'épreuve, alors qu'ils avaient vu mes oeuvres

Hébreux 3, 10 pendant 40 ans. C'est pourquoi j'ai été irrité contre cette génération et j'ai dit: Toujours leur coeur se fourvoie, ils n'ont pas connu mes voies;

Hébreux 3, 11 aussi ai-je juré dans ma colère: Non, ils n'entreront pas dans mon repos.

Hébreux 3, 12 Prenez garde, frères, qu'il n'y ait peut-être en quelqu'un d'entre vous un coeur mauvais, assez incrédule pour se détacher du Dieu vivant.

Hébreux 3, 13 Mais encouragez-vous mutuellement chaque jour, tant que vaut cet aujourd'hui, afin qu'aucun de vous ne s'endurcisse par la séduction du péché.

Hébreux 3, 14 Car nous sommes devenus participants du Christ, si toutefois nous retenons inébranlablement jusqu'à la fin, dans toute sa solidité, notre confiance initiale.

Hébreux 3, 15 Dans cette parole: Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs comme cela s'est produit dans la Querelle,

Hébreux 3, 16 quels sont donc ceux qui, après avoir entendu, ont querellé? Mais n'étaient-ce pas tous ceux qui sont sortis d'Egypte grâce à Moïse?

Hébreux 3, 17 Et contre qui s'irrita-t-il pendant 40 ans? N'est-ce pas contre ceux qui avaient péché et dont les cadavres tombèrent dans le désert?

Hébreux 3, 18 Et à qui jura-t-il qu'ils n'entreraient pas dans son repos, sinon à ceux qui avaient désobéi?

Hébreux 3, 19 Et nous voyons qu'ils ne purent entrer à cause de leur infidélité.

Hébreux 4, 1 Craignons donc que l'un de vous n'estime arriver trop tard, alors qu'en fait la promesse d'entrer dans son repos reste en vigueur.

Hébreux 4, 2 Car nous aussi nous avons reçu une bonne nouvelle absolument comme ceux-là. Mais la parole qu'ils avaient entendue ne leur servit de rien, parce qu'ils ne restèrent pas en communion par la foi avec ceux qui écoutèrent.

Hébreux 4, 3 Nous entrons en effet, nous les croyants, dans un repos, selon qu'il a dit: Aussi ai-je juré dans ma colère: Non, ils n'entreront pas dans mon repos. Les oeuvres de Dieu certes étaient achevées dès la fondation du monde,

Hébreux 4, 4 puisqu'il a dit quelque part au sujet du septième jour: Et Dieu se reposa le septième jour de toutes ses oeuvres.

Hébreux 4, 5 Et de nouveau en cet endroit: Ils n'entreront pas dans mon repos.

Hébreux 4, 6 Ainsi donc, puisqu'il est acquis que certains doivent y entrer, et que ceux qui avaient reçu d'abord la bonne nouvelle n'y entrèrent pas à cause de leur désobéissance,

Hébreux 4, 7 de nouveau Dieu fixe un jour, un aujourd'hui, disant en David, après si longtemps, comme il a été dit ci-dessus: Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs...

Hébreux 4, 8 Si Josué avait introduit les Israélites dans ce repos, Dieu n'aurait pas dans la suite parlé d'un autre jour.

Hébreux 4, 9 C'est donc qu'un repos, celui du septième jour, est réservé au peuple de Dieu.

Hébreux 4, 10 Car celui qui est entré dans son repos lui aussi se repose de ses oeuvres, comme Dieu des siennes.

Hébreux 4, 11 Efforçons-nous dont d'entrer dans ce repos, afin que nul ne succombe, en imitant cet exemple de désobéissance.

Hébreux 4, 12 Vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu'aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du coeur.

Hébreux 4, 13 Aussi n'y a-t-il pas de créature qui reste invisible devant elle, mais tout est nu et découvert aux yeux de Celui à qui nous devons rendre compte.

Hébreux 4, 14 Ayant donc un grand prêtre souverain qui a traversé les cieux, Jésus, le Fils de Dieu, tenons ferme la profession de foi.

Hébreux 4, 15 Car nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout, d'une manière semblable, à l'exception du péché.

Hébreux 4, 16 Avançons-nous donc avec assurance vers le trône de la grâce afin d'obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour une aide opportune.

Hébreux 5, 1 Tout grand prêtre, en effet, pris d'entre les hommes, est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu, afin d'offrir dons et sacrifices pour les péchés.

Hébreux 5, 2 Il peut ressentir de la commisération pour les ignorants et les égarés, puisqu'il est lui-même également enveloppé de faiblesse,

Hébreux 5, 3 et qu'à cause d'elle, il doit offrir pour lui-même des sacrifices pour le péché, comme il le fait pour le peuple.

Hébreux 5, 4 Nul ne s'arroge à soi-même cet honneur, on y est appelé par Dieu, absolument comme Aaron.

Hébreux 5, 5 De même ce n'est pas le Christ qui s'est attribué à soi-même la gloire de devenir grand prêtre, mais il l'a reçue de celui qui lui a dit: Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré;

Hébreux 5, 6 comme il dit encore ailleurs: Tu es prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech.

Hébreux 5, 7 C'est lui qui, aux jours de sa chair, ayant présenté, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé en raison de sa piété,

Hébreux 5, 8 tout Fils qu'il était, apprit, de ce qu'il souffrit, l'obéissance;

Hébreux 5, 9 après avoir été rendu parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel,

Hébreux 5, 10 puisqu'il est salué par Dieu du titre de grand prêtre selon l'ordre de Melchisédech.

Hébreux 5, 11 Sur ce sujet, nous avons bien des choses à dire, et difficiles à exposer parce que vous êtes devenus lents à comprendre.

Hébreux 5, 12 En effet, alors qu'avec le temps vous devriez être devenus des maîtres, vous avez de nouveau besoin qu'on vous enseigne les premiers rudiments des oracles de Dieu, et vous en êtes venus à avoir besoin de lait, non de nourriture solide.

Hébreux 5, 13 Effectivement, quiconque en est encore au lait ne peut goûter la doctrine de justice, car c'est un tout petit enfant;

Hébreux 5, 14 les parfaits, eux, ont la nourriture solide, ceux qui, par l'habitude, ont le sens moral exercé au discernement du bien et du mal.

Hébreux 6, 1 C'est pourquoi, laissant l'enseignement élémentaire sur le Christ, élevons-nous à l'enseignement parfait, sans revenir sur les articles fondamentaux du repentir des oeuvres mortes et de la foi en Dieu,

Hébreux 6, 2 de l'instruction sur les baptêmes et de l'imposition des mains, de la résurrection des morts et du jugement éternel.

Hébreux 6, 3 Et c'est ainsi que nous allons faire, si Dieu le permet.

Hébreux 6, 4 Il est impossible, en effet, pour ceux qui une fois ont été illuminés, qui ont goûté au don céleste, qui sont devenus participants de l'Esprit Saint,

Hébreux 6, 5 qui ont goûté la belle parole de Dieu et les forces du monde à venir,

Hébreux 6, 6 et qui néanmoins sont tombés, de les rénover une seconde fois en les amenant à la pénitence, alors qu'ils crucifient pour leur compte le Fils de Dieu et le bafouent publiquement.

Hébreux 6, 7 En effet, lorsqu'une terre a bu la pluie venue souvent sur elle, et qu'elle produit des plantes utiles à ceux-là mêmes pour qui elle est cultivée, elle reçoit de Dieu une bénédiction.

Hébreux 6, 8 Mais celle qui porte des épines et des ronces est réprouvée et bien proche d'être maudite. Elle finira par être brûlée.

Hébreux 6, 9 Mais quant à vous, bien-aimés, tout en parlant ainsi, nous sommes persuadés que vous êtes dans une situation meilleure et favorable au salut.

Hébreux 6, 10 Car Dieu n'est point injuste, pour oublier ce que vous avez fait et la charité que vous avez montrée pour son nom, vous qui avez servi et qui servez les saints.

Hébreux 6, 11 Nous désirons seulement que chacun de vous montre le même zèle pour le plein épanouissement de l'espérance jusqu'à la fin;

Hébreux 6, 12 de telle sorte que vous ne deveniez pas nonchalants, mais que vous imitiez ceux qui, par la foi et la persévérance, héritent des promesses.

Hébreux 6, 13 En effet, lorsqu'il fit la promesse à Abraham, Dieu ne pouvant jurer par un plus grand, jura par lui-même,

Hébreux 6, 14 en disant: Certes, je te comblerai de bénédictions et je te multiplierai grandement.

Hébreux 6, 15 C'est ainsi qu'Abraham, ayant persévéré, vit s'accomplir la promesse.

Hébreux 6, 16 Les hommes jurent par un plus grand, et, entre eux, la garantie du serment met un terme à toute contestation.

Hébreux 6, 17 Aussi Dieu, voulant bien davantage faire voir aux héritiers de la promesse l'immutabilité de son dessein, s'engagea-t-il par un serment,

Hébreux 6, 18 afin que, par deux réalités immuables, dans lesquelles il est impossible à un Dieu de mentir, nous soyons puissamment encouragés - nous qui avons trouvé un refuge - à saisir fortement l'espérance qui nous est offerte.

Hébreux 6, 19 En elle, nous avons comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide, et pénétrant par-delà le voile,

Hébreux 6, 20 là où est entré pour nous, en précurseur, Jésus, devenu pour l'éternité grand prêtre selon l'ordre de Melchisédech.

Hébreux 7, 1 En effet, ce Melchisédech, roi de Salem, prêtre du Dieu Très-Haut, qui se porta à la rencontre d'Abraham s'en retournant après la défaite des rois, et qui le bénit;

Hébreux 7, 2 à qui aussi Abraham attribua la dîme de tout, dont on interprète d'abord le nom comme "roi de justice" et qui est aussi roi de Salem, c'est-à-dire "roi de paix",

Hébreux 7, 3 qui est sans père, sans mère, sans généalogie, dont les jours n'ont pas de commencement et dont la vie n'a pas de fin, qui est assimilé au Fils de Dieu, ce Melchisédech demeure prêtre pour toujours.

Hébreux 7, 4 Considérez donc comme il est grand celui à qui Abraham donna aussi la dîme du meilleur butin, lui le Patriarche.

Hébreux 7, 5 Et à la vérité, ceux des fils de Lévi qui reçoivent la prêtrise ont ordre, selon la Loi, de lever la dîme sur le peuple, c'est-à-dire sur leurs frères qui sont pourtant eux aussi sortis des reins d'Abraham.

Hébreux 7, 6 Mais celui qui n'était pas de leur lignée a levé la dîme sur Abraham, et il a béni le détenteur des promesses.

Hébreux 7, 7 Or, sans aucun doute, c'est l'inférieur qui est béni par le supérieur.

Hébreux 7, 8 De plus, ici ce sont des hommes mortels qui perçoivent les dîmes, mais là c'est celui dont on atteste qu'il vit.

Hébreux 7, 9 Enfin c'est pour ainsi dire Lévi lui-même, lui qui perçoit la dîme, qui se trouve l'avoir payée en la personne d'Abraham;

Hébreux 7, 10 car il était encore dans les reins de son aïeul, lorsque Melchisédech se porta à sa rencontre.

Hébreux 7, 11 Si donc la perfection était réalisée par le sacerdoce lévitique - car c'est sur lui que repose la Loi donnée au peuple --, quel besoin y avait-il encore que se présentât un autre prêtre selon l'ordre de Melchisédech et qu'il ne fût pas dit "selon l'ordre d'Aaron" --

Hébreux 7, 12 En effet, changé le sacerdoce, nécessairement se produit aussi un changement de Loi. --

Hébreux 7, 13 Car celui dont ces choses sont dites appartenait à une autre tribu, dont aucun membre ne s'est jamais occupé du service de l'autel.

Hébreux 7, 14 Il est notoire, en effet, que notre Seigneur est issu de Juda, tribu dont Moïse n'a rien dit quand il traite des prêtres.

Hébreux 7, 15 Cela devient encore plus évident si, à la ressemblance de Melchisédech, se présente un autre prêtre,

Hébreux 7, 16 qui ne l'est pas devenu selon la règle d'une prescription charnelle, mais bien selon la puissance d'une vie impérissable.

Hébreux 7, 17 Ce témoignage, en effet, lui est rendu: Tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech.

Hébreux 7, 18 Ainsi se trouve abrogée la prescription antérieure, en raison de sa faiblesse et de son inutilité --

Hébreux 7, 19 car la Loi n'a rien amené à la perfection - et introduite une espérance meilleure, par laquelle nous approchons de Dieu.

Hébreux 7, 20 D'autant plus que cela ne s'est pas fait sans serment. Les autres, en effet, sont devenus prêtres sans serment;

Hébreux 7, 21 mais celui-ci l'a été avec serment, par Celui qui lui a dit: "Le Seigneur a juré, et il ne s'en repentira pas: Tu es prêtre pour l'éternité."

Hébreux 7, 22 Et par suite c'est d'une alliance meilleure que Jésus est devenu garant.

Hébreux 7, 23 De plus, ceux-là sont devenus prêtres en grand nombre, parce que la mort les empêchait de durer;

Hébreux 7, 24 mais lui, du fait qu'il demeure pour l'éternité, il a un sacerdoce immuable.

Hébreux 7, 25 D'où il suit qu'il est capable de sauver de façon définitive ceux qui par lui s'avancent vers Dieu, étant toujours vivant pour intercéder en leur faveur.

Hébreux 7, 26 Oui, tel est précisément le grand prêtre qu'il nous fallait, saint, innocent, immaculé, séparé désormais des pécheurs, élevé plus haut que les cieux,

Hébreux 7, 27 qui ne soit pas journellement dans la nécessité, comme les grands prêtres, d'offrir des victimes d'abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple, car ceci il l'a fait une fois pour toutes en s'offrant lui-même.

Hébreux 7, 28 La Loi, en effet, établit comme grands prêtres des hommes sujets à la faiblesse; mais la parole du serment - postérieur à la Loi - établit le Fils rendu parfait pour l'éternité.

Hébreux 8, 1 Le point capital de nos propos est que nous avons un pareil grand prêtre qui s'est assis à la droite du trône de la Majesté dans les cieux,

Hébreux 8, 2 ministre du sanctuaire et de la Tente, la vraie, celle que le Seigneur, non un homme, a dressée.

Hébreux 8, 3 Tout grand prêtre, en effet, est établi pour offrir des dons et des sacrifices; d'où la nécessité pour lui aussi d'avoir quelque chose à offrir.

Hébreux 8, 4 A la vérité, si Jésus était sur terre, il ne serait pas même prêtre, puisqu'il y en a qui offrent les dons, conformément à la Loi;

Hébreux 8, 5 ceux-là assurent le service d'une copie et d'une ombre des réalités célestes, ainsi que Moïse, quand il eut à construire la Tente, en fut divinement averti: Vois, est-il dit en effet, tu feras tout d'après le modèle qui t'a été montré sur la montagne.

Hébreux 8, 6 Mais à présent, le Christ a obtenu un ministère d'autant plus élevé que meilleure est l'alliance dont il est le médiateur, et fondée sur de meilleures promesses.

Hébreux 8, 7 Car si cette première alliance avait été irréprochable, il n'y aurait pas eu lieu de lui en substituer une seconde.

Hébreux 8, 8 C'est en effet en les blâmant que Dieu déclare: Voici que des jours viennent, dit le Seigneur, et je conclurai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle,

Hébreux 8, 9 non pas comme l'alliance que je fis avec leurs pères, au jour où je pris leur main pour les tirer du pays d'Egypte. Puisqu'eux-mêmes ne sont pas demeurés dans mon alliance, moi aussi je les ai négligés, dit le Seigneur.

Hébreux 8, 10 Voici l'alliance que je contracterai avec la maison d'Israël, après ces jours-là, dit le Seigneur: Je mettrai mes lois dans leur pensée, je les graverai dans leur coeur, et je serai leur Dieu et ils seront mon peuple.

Hébreux 8, 11 Personne n'aura plus à instruire son concitoyen, ni personne son frère, en disant: "Connais le Seigneur", puisque tous me connaîtront, du petit jusqu'au grand.

Hébreux 8, 12 Car je pardonnerai leurs torts, et de leurs péchés je n'aurai plus souvenance.

Hébreux 8, 13 En disant: alliance nouvelle, il rend vieille la première. Or ce qui est vieilli et vétuste est près de disparaître.

Hébreux 9, 1 La première alliance, elle aussi, avait donc des institutions cultuelles ainsi qu'un sanctuaire, celui de ce monde.

Hébreux 9, 2 Une tente, en effet - la tente antérieure - avait été dressée; là se trouvaient le chandelier, la table, et l'exposition des pains; c'est celle qui est appelée: le Saint.

Hébreux 9, 3 Puis, derrière le second voile était une tente appelée Saint des Saints,

Hébreux 9, 4 comportant un autel des parfums en or et l'arche de l'alliance entièrement recouverte d'or, dans laquelle se trouvaient une urne d'or contenant la manne, le rameau d'Aaron qui avait poussé, et les tables de l'alliance;

Hébreux 9, 5 puis au-dessus, les chérubins de gloire couvrant d'ombre le propitiatoire. Ce n'est pas le moment de parler de tout cela en détail.

Hébreux 9, 6 Tout étant ainsi disposé, les prêtres entrent en tout temps dans la première tente pour s'acquitter du service cultuel.

Hébreux 9, 7 Dans la seconde, au contraire, seul le grand prêtre pénètre, et une seule fois par an, non sans s'être muni de sang qu'il offre pour ses manquements et ceux du peuple.

Hébreux 9, 8 L'Esprit Saint montre ainsi que la voie du sanctuaire n'est pas ouverte, tant que la première Tente subsiste.

Hébreux 9, 9 C'est là une figure pour la période actuelle; sous son régime on offre des dons et des sacrifices, qui n'ont pas le pouvoir de rendre parfait l'adorateur en sa conscience;

Hébreux 9, 10 ce sont des règles pour la chair, ne concernant que les aliments, les boissons, diverses ablutions, et imposées seulement jusqu'au temps de la réforme.

Hébreux 9, 11 Le Christ, lui, survenu comme grand prêtre des biens à venir, traversant la tente plus grande et plus parfaite qui n'est pas faite de main d'homme, c'est-à-dire qui n'est pas de cette création,

Hébreux 9, 12 entra une fois pour toutes dans le sanctuaire, non pas avec du sang de boucs et de jeunes taureaux, mais avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle.

Hébreux 9, 13 Si en effet du sang de boucs et de taureaux et de la cendre de génisse, dont on asperge ceux qui sont souillés, les sanctifient en leur procurant la pureté de la chair,

Hébreux 9, 14 combien plus le sang du Christ, qui par un Esprit éternel s'est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes pour que nous rendions un culte au Dieu vivant.

Hébreux 9, 15 Voilà pourquoi il est médiateur d'une nouvelle alliance, afin que, sa mort ayant eu lieu pour racheter les transgressions de la première alliance, ceux qui sont appelés reçoivent l'héritage éternel promis.

Hébreux 9, 16 Car là où il y a testament, il est nécessaire que la mort du testateur soit constatée.

Hébreux 9, 17 Un testament, en effet, n'est valide qu'à la suite du décès, puisqu'il n'entre jamais en vigueur tant que vit le testateur.

Hébreux 9, 18 De là vient que même la première alliance n'a pas été inaugurée sans effusion de sang.

Hébreux 9, 19 Effectivement, lorsque Moïse eut promulgué au peuple entier chaque prescription selon la teneur de la Loi, il prit le sang des jeunes taureaux et des boucs, avec de l'eau, de la laine écarlate et de l'hysope, et il aspergea le livre lui-même et tout le peuple

Hébreux 9, 20 en disant: Ceci est le sang de l'alliance que Dieu a prescrite pour vous.

Hébreux 9, 21 Puis, de la même manière, il aspergea de sang la Tente et tous les objets du culte.

Hébreux 9, 22 D'ailleurs, selon la Loi, presque tout est purifié par le sang, et sans effusion de sang il n'y a point de rémission.

Hébreux 9, 23 Il est donc nécessaire, d'une part que les copies des réalités célestes soient purifiées de cette manière, d'autre part que les réalités célestes elles-mêmes le soient aussi, mais par des sacrifices plus excellents que ceux d'ici-bas.

Hébreux 9, 24 Ce n'est pas, en effet, dans un sanctuaire fait de main d'homme, dans une image de l'authentique, que le Christ est entré, mais dans le ciel lui-même, afin de paraître maintenant devant la face de Dieu en notre faveur.

Hébreux 9, 25 Ce n'est pas non plus pour s'offrir lui-même à plusieurs reprises, comme fait le grand prêtre qui entre chaque année dans le sanctuaire avec un sang qui n'est pas le sien,

Hébreux 9, 26 car alors il aurait dû souffrir plusieurs fois depuis la fondation du monde. Or c'est maintenant, une fois pour toutes, à la fin des temps, qu'il s'est manifesté pour abolir le péché par son sacrifice.

Hébreux 9, 27 Et comme les hommes ne meurent qu'une fois, après quoi il y a un jugement,

Hébreux 9, 28 ainsi le Christ, après s'être offert une seule fois pour enlever les péchés d'un grand nombre, apparaîtra une seconde fois - hors du péché - à ceux qui l'attendent, pour leur donner le salut.

Hébreux 10, 1 N'ayant, en effet, que l'ombre des biens à venir, non la substance même des réalités, la Loi est absolument impuissante, avec ces sacrifices, toujours les mêmes, que l'on offre perpétuellement d'année en année, à rendre parfaits ceux qui s'approchent de Dieu.

Hébreux 10, 2 Autrement, n'aurait-on pas cessé de les offrir puisque les officiants de ce culte, purifiés une fois pour toutes, n'auraient plus conscience d'aucun péché?

Hébreux 10, 3 Bien au contraire, par ces sacrifices eux-mêmes, on rappelle chaque année le souvenir des péchés.

Hébreux 10, 4 En effet, du sang de taureaux et de boucs est impuissant à enlever des péchés.

Hébreux 10, 5 C'est pourquoi, en entrant dans le monde, le Christ dit: Tu n'as voulu ni sacrifice ni oblation; mais tu m'as façonné un corps.

Hébreux 10, 6 Tu n'as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour les péchés.

Hébreux 10, 7 Alors j'ai dit: Voici, je viens, car c'est de moi qu'il est question dans le rouleau du livre, pour faire, ô Dieu, ta volonté.

Hébreux 10, 8 Il commence par dire: Sacrifices, oblations, holocaustes, sacrifices pour les péchés, tu ne les as pas voulus ni agréés - et cependant ils sont offerts d'après la Loi --,

Hébreux 10, 9 alors il déclare: Voici, je viens pour faire ta volonté. Il abroge le premier régime pour fonder le second.

Hébreux 10, 10 Et c'est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l'oblation du corps de Jésus Christ, une fois pour toutes.

Hébreux 10, 11 Tandis que tout prêtre se tient debout chaque jour, officiant et offrant maintes fois les mêmes sacrifices, qui sont absolument impuissants à enlever des péchés,

Hébreux 10, 12 lui au contraire, ayant offert pour les péchés un unique sacrifice, il s'est assis pour toujours à la droite de Dieu,

Hébreux 10, 13 attendant désormais que ses ennemis soient placés comme un escabeau sous ses pieds.

Hébreux 10, 14 Car par une oblation unique il a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il sanctifie.

Hébreux 10, 15 Or l'Esprit Saint lui aussi nous l'atteste; car après avoir déclaré:

Hébreux 10, 16 Telle est l'alliance que je contracterai avec eux après ces jours-là, le Seigneur dit: Je mettrai mes lois dans leur coeur et je les graverai dans leur pensée.

Hébreux 10, 17 Ni de leurs péchés, ni de leurs offenses, je ne me souviendrai plus.

Hébreux 10, 18 Or là où les péchés sont remis, il n'y a plus d'oblation pour le péché.

Hébreux 10, 19 Ayant donc, frères, l'assurance voulue pour l'accès au sanctuaire par le sang de Jésus,

Hébreux 10, 20 par cette voie qu'il a inaugurée pour nous, récente et vivante, à travers le voile - c'est-à-dire sa chair --,

Hébreux 10, 21 et un prêtre souverain à la tête de la maison de Dieu,

Hébreux 10, 22 approchons-nous avec un coeur sincère, dans la plénitude de la foi, les coeurs nettoyés de toutes les souillures d'une conscience mauvaise et le corps lavé d'une eau pure.

Hébreux 10, 23 Gardons indéfectible la confession de l'espérance, car celui qui a promis est fidèle,

Hébreux 10, 24 et faisons attention les uns aux autres pour nous stimuler dans la charité et les oeuvres bonnes;

Hébreux 10, 25 ne désertez pas votre propre assemblée, comme quelques-uns ont coutume de le faire, mais encouragez-vous mutuellement, et d'autant plus que vous voyez approcher le Jour.

Hébreux 10, 26 Car si nous péchons volontairement, après avoir reçu la connaissance de la vérité, il n'y a plus de sacrifice pour les péchés.

Hébreux 10, 27 Il y a, au contraire, une perspective redoutable, celle du jugement et d'un courroux de feu qui doit dévorer les rebelles.

Hébreux 10, 28 Quelqu'un rejette-t-il la Loi de Moïse? Impitoyablement il est mis à mort sur la déposition de deux ou trois témoins.

Hébreux 10, 29 D'un châtiment combien plus grave sera jugé digne, ne pensez-vous pas, celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, tenu pour profane le sang de l'alliance dans lequel il a été sanctifié, et outragé l'Esprit de la grâce?

Hébreux 10, 30 Nous connaissons, en effet, celui qui a dit: A moi la vengeance. C'est moi qui rétribuerai. Et encore: Le Seigneur jugera son peuple.

Hébreux 10, 31 Oh! chose effroyable que de tomber aux mains du Dieu vivant!

Hébreux 10, 32 Mais rappelez-vous ces premiers jours, où après avoir été illuminés, vous avez soutenu un grand assaut de souffrances,

Hébreux 10, 33 tantôt exposés publiquement aux opprobres et aux tribulations, tantôt vous rendant solidaires de ceux qui étaient ainsi traités.

Hébreux 10, 34 Et, en effet, vous avez pris part aux souffrances des prisonniers; vous avez accepté avec joie la spoliation de vos biens, sachant que vous étiez en possession d'une richesse meilleure et stable.

Hébreux 10, 35 Ne perdez donc pas votre assurance; elle a une grande et juste récompense.

Hébreux 10, 36 Vous avez besoin de constance, pour que, après avoir accompli la volonté de Dieu, vous bénéficiiez de la promesse.

Hébreux 10, 37 Car encore un peu, bien peu de temps, Celui qui vient arrivera et il ne tardera pas.

Hébreux 10, 38 Or mon juste vivra par la foi; et s'il se dérobe, mon âme ne se complaira pas en lui.

Hébreux 10, 39 Pour nous, nous ne sommes pas des hommes de dérobade pour la perdition, mais des hommes de foi pour la sauvegarde de notre âme.

Hébreux 11, 1 Or la foi est la garantie des biens que l'on espère, la preuve des réalités qu'on ne voit pas.

Hébreux 11, 2 C'est elle qui a valu aux anciens un bon témoignage.

Hébreux 11, 3 Par la foi, nous comprenons que les mondes ont été formés par une parole de Dieu, de sorte que ce que l'on voit provient de ce qui n'est pas apparent.

Hébreux 11, 4 Par la foi, Abel offrit à Dieu un sacrifice de plus grande valeur que celui de Caïn; aussi fut-il proclamé juste, Dieu ayant rendu témoignage à ses dons, et par elle aussi, bien que mort, il parle encore.

Hébreux 11, 5 Par la foi, Hénoch fut enlevé, en sorte qu'il ne vit pas la mort, et on ne le trouva plus, parce que Dieu l'avait enlevé. Avant son enlèvement, en effet, il lui est rendu témoignage qu'il avait plu à Dieu.

Hébreux 11, 6 Or sans la foi il est impossible de lui plaire. Car celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il existe et qu'il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent.

Hébreux 11, 7 Par la foi, Noé, divinement averti de ce qui n'était pas encore visible, saisi d'une crainte religieuse, construisit une arche pour sauver sa famille. Par la foi, il condamna le monde et il devint héritier de la justice qui s'obtient par la foi.

Hébreux 11, 8 Par la foi, Abraham obéit à l'appel de partir vers un pays qu'il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait.

Hébreux 11, 9 Par la foi, il vint séjourner dans la Terre promise comme en un pays étranger, y vivant sous des tentes, ainsi qu'Isaac et Jacob, héritiers avec lui de la même promesse.

Hébreux 11, 10 C'est qu'il attendait la ville pourvue de fondations dont Dieu est l'architecte et le constructeur.

Hébreux 11, 11 Par la foi, Sara, elle aussi, reçut la vertu de concevoir, et cela en dépit de son âge avancé, parce qu'elle estima fidèle celui qui avait promis.

Hébreux 11, 12 C'est bien pour cela que d'un seul homme, et déjà marqué par la mort, naquirent des descendants comparables par leur nombre aux étoiles du ciel et aux grains de sable sur le rivage de la mer, innombrables...

Hébreux 11, 13 C'est dans la foi qu'ils moururent tous sans avoir reçu l'objet des promesses, mais ils l'ont vu et salué de loin, et ils ont confessé qu'ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre.

Hébreux 11, 14 Ceux qui parlent ainsi font voir clairement qu'ils sont à la recherche d'une patrie.

Hébreux 11, 15 Et s'ils avaient pensé à celle d'où ils étaient sortis, ils auraient eu le temps d'y retourner.

Hébreux 11, 16 Or, en fait, ils aspirent à une patrie meilleure, c'est-à-dire céleste. C'est pourquoi, Dieu n'a pas honte de s'appeler leur Dieu; il leur a préparé, en effet, une ville...

Hébreux 11, 17 Par la foi, Abraham, mis à l'épreuve, a offert Isaac, et c'est son fils unique qu'il offrait en sacrifice, lui qui était le dépositaire des promesses,

Hébreux 11, 18 lui à qui il avait été dit: C'est par Isaac que tu auras une postérité.

Hébreux 11, 19 Dieu, pensait-il, est capable même de ressusciter les morts; c'est pour cela qu'il recouvra son fils, et ce fut un symbole.

Hébreux 11, 20 Par la foi encore, Isaac donna à Jacob et à Esaü des bénédictions assurant l'avenir.

Hébreux 11, 21 Par la foi, Jacob mourant bénit chacun des fils de Joseph et il se prosterna appuyé sur l'extrémité de son bâton.

Hébreux 11, 22 Par la foi, Joseph, proche de sa fin, évoqua l'exode des fils d'Israël et donna des ordres au sujet de ses restes.

Hébreux 11, 23 Par la foi, Moïse, à sa naissance fut caché par ses parents pendant trois mois, parce qu'ils virent que le petit enfant était beau et ils ne craignirent pas l'édit du roi.

Hébreux 11, 24 Par la foi, Moïse, devenu grand, refusa d'être appelé fils d'une fille d'un Pharaon,

Hébreux 11, 25 aimant mieux être maltraité avec le peuple de Dieu que de connaître la jouissance éphémère du péché,

Hébreux 11, 26 estimant comme une richesse supérieure aux trésors de l'Egypte l'opprobre du Christ. Il avait, en effet, les yeux fixés sur la récompense.

Hébreux 11, 27 Par la foi, il quitta l'Egypte sans craindre la fureur du roi: comme s'il voyait l'Invisible, il tint ferme.

Hébreux 11, 28 Par la foi, il célébra la Pâque et fit l'aspersion du sang, afin que l'Exterminateur ne touchât point les premiers-nés d'Israël.

Hébreux 11, 29 Par la foi, ils traversèrent la mer Rouge comme une terre sèche, tandis que les Egyptiens, ayant essayé le passage, furent engloutis.

Hébreux 11, 30 Par la foi, les murs de Jéricho tombèrent, quand on en eut fait le tour pendant sept jours.

Hébreux 11, 31 Par la foi, Rahab la prostituée ne périt pas avec les incrédules, parce qu'elle avait accueilli pacifiquement les éclaireurs.

Hébreux 11, 32 Et que dirai-je encore? Car le temps me manquerait si je racontais ce qui concerne Gédéon, Baraq, Samson, Jephté, David, ainsi que Samuel et les Prophètes,

Hébreux 11, 33 eux qui, grâce à la foi, soumirent des royaumes, exercèrent la justice, obtinrent l'accomplissement des promesses, fermèrent la gueule des lions,

Hébreux 11, 34 éteignirent la violence du feu, échappèrent au tranchant du glaive, furent rendus vigoureux, de malades qu'ils étaient, montrèrent de la vaillance à la guerre, refoulèrent les invasions étrangères.

Hébreux 11, 35 Des femmes ont recouvré leurs morts par la résurrection. Les uns se sont laissé torturer, refusant leur délivrance afin d'obtenir une meilleure résurrection.

Hébreux 11, 36 D'autres subirent l'épreuve des dérisions et des fouets, et même celle des chaînes et de la prison.

Hébreux 11, 37 Ils ont été lapidés, sciés, ils ont péri par le glaive, ils sont allés çà et là, sous des peaux de moutons et des toisons de chèvres, dénués, opprimés, maltraités,

Hébreux 11, 38 eux dont le monde était indigne, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes, les antres de la terre.

Hébreux 11, 39 Et tous ceux-là, bien qu'ils aient reçu un bon témoignage à cause de leur foi, ne bénéficièrent pas de la promesse:

Hébreux 11, 40 c'est que Dieu prévoyait pour nous un sort meilleur, et ils ne devaient pas parvenir sans nous à la perfection.

Hébreux 12, 1 Voilà donc pourquoi nous aussi, enveloppés que nous sommes d'une si grande nuée de témoins, nous devons rejeter tout fardeau et le péché qui nous assiège et courir avec constance l'épreuve qui nous est proposée,

Hébreux 12, 2 fixant nos yeux sur le chef de notre foi, qui la mène à la perfection, Jésus, qui au lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix, dont il méprisa l'infamie, et qui est assis désormais à la droite du trône de Dieu.

Hébreux 12, 3 Songez à celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle contradiction, afin de ne pas défaillir par lassitude de vos âmes.

Hébreux 12, 4 Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang dans la lutte contre le péché.

Hébreux 12, 5 Avez-vous oublié l'exhortation qui s'adresse à vous comme à des fils: Mon fils, ne méprise pas la correction du Seigneur, et ne te décourage pas quand il te reprend.

Hébreux 12, 6 Car celui qu'aime le Seigneur, il le corrige, et il châtie tout fils qu'il agrée.

Hébreux 12, 7 C'est pour votre correction que vous souffrez. C'est en fils que Dieu vous traite. Et quel est le fils que ne corrige son père?

Hébreux 12, 8 Si vous êtes exempts de cette correction, dont tous ont leur part, c'est que vous êtes des bâtards et non des fils.

Hébreux 12, 9 D'ailleurs, nous avons eu pour nous corriger nos pères selon la chair, et nous les respections. Ne serons-nous pas soumis bien davantage au Père des esprits pour avoir la vie?

Hébreux 12, 10 Ceux-là, en effet, nous corrigeaient pendant peu de temps et au juger; mais lui, c'est pour notre bien, afin de nous faire participer à sa sainteté.

Hébreux 12, 11 Certes, toute correction ne paraît pas sur le moment être un sujet de joie, mais de tristesse. Plus tard cependant, elle rapporte à ceux qu'elle a exercés un fruit de paix et de justice.

Hébreux 12, 12 C'est pourquoi redressez vos mains inertes et vos genoux fléchissants,

Hébreux 12, 13 et rendez droits pour vos pas les sentiers tortueux, afin que le boiteux ne dévie point, mais plutôt qu'il guérisse.

Hébreux 12, 14 Recherchez la paix avec tous, et la sanctification sans laquelle personne ne verra le Seigneur;

Hébreux 12, 15 veillant à ce que personne ne soit privé de la grâce de Dieu, à ce qu'aucune racine amère ne pousse des rejetons et ne cause du trouble, ce qui contaminerait toute la masse,

Hébreux 12, 16 à ce qu'enfin il n'y ait aucun impudique ni profanateur, comme Esaü qui, pour un seul mets, livra son droit d'aînesse.

Hébreux 12, 17 Vous savez bien que, par la suite, quand il voulut obtenir la bénédiction, il fut rejeté; car il ne put obtenir un changement de sentiment, bien qu'il l'eût recherché avec larmes.

Hébreux 12, 18 Vous ne vous êtes pas approchés d'une réalité palpable: feu ardent, obscurité, ténèbres, ouragan,

Hébreux 12, 19 bruit de trompette, et clameur de paroles telle que ceux qui l'entendirent supplièrent qu'on ne leur parlât pas davantage.

Hébreux 12, 20 Ils ne pouvaient en effet supporter cette prescription: Quiconque touchera la montagne, même si c'est un animal, sera lapidé.

Hébreux 12, 21 Si terrible était le spectacle que Moïse dit: Je suis effrayé et tout tremblant.

Hébreux 12, 22 Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de la cité du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, et de myriades d'anges, réunion de fête,

Hébreux 12, 23 et de l'assemblée des premiers-nés qui sont inscrits dans les cieux, d'un Dieu Juge universel, et des esprits des justes qui ont été rendus parfaits,

Hébreux 12, 24 de Jésus médiateur d'une alliance nouvelle, et d'un sang purificateur plus éloquent que celui d'Abel.

Hébreux 12, 25 Prenez garde de ne pas refuser d'écouter Celui qui parle. Si ceux, en effet, qui ont refusé d'écouter celui qui promulguait des oracles sur cette terre n'ont pas échappé au châtiment, à combien plus forte raison n'y échapperons-nous pas, si nous nous détournons de Celui qui parle des cieux.

Hébreux 12, 26 Celui dont la voix jadis ébranla la terre nous a fait maintenant cette promesse: Encore une fois, moi j'ébranlerai non seulement la terre mais aussi le ciel.

Hébreux 12, 27 Cet encore une fois indique que les choses ébranlées seront changées, puisque ce sont des réalités créées, pour que subsistent celles qui sont inébranlables.

Hébreux 12, 28 Ainsi, puisque nous recevons la possession d'un royaume inébranlable, retenons fermement la grâce, et par elle rendons à Dieu un culte qui lui soit agréable, avec religion et crainte.

Hébreux 12, 29 En effet, notre Dieu est un feu consumant.

Hébreux 13, 1 Persévérez dans la dilection fraternelle.

Hébreux 13, 2 N'oubliez pas l'hospitalité, car c'est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent des anges.

Hébreux 13, 3 Souvenez-vous des prisonniers, comme si vous étiez emprisonnés avec eux, et de ceux qui sont maltraités, comme étant vous aussi dans un corps.

Hébreux 13, 4 Que le mariage soit honoré de tous et le lit nuptial sans souillure. Car Dieu jugera fornicateurs et adultères.

Hébreux 13, 5 Que votre conduite soit exempte d'avarice, vous contentant de ce que vous avez présentement; car Dieu lui-même a dit: Je ne te laisserai ni ne t'abandonnerai;

Hébreux 13, 6 de sorte que nous pouvons dire avec hardiesse: Le Seigneur est mon secours; je ne craindrai pas. Que peut me faire un homme?

Hébreux 13, 7 Souvenez-vous de vos chefs, eux qui vous ont fait entendre la parole de Dieu, et, considérant l'issue de leur carrière, imitez leur foi.

Hébreux 13, 8 Jésus Christ est le même hier et aujourd'hui, il le sera à jamais.

Hébreux 13, 9 Ne vous laissez pas égarer par des doctrines diverses et étrangères: car il est bon que le coeur soit affermi par la grâce, non par des aliments qui n'ont été d'aucun profit à ceux qui en usèrent.

Hébreux 13, 10 Nous avons un autel dont les desservants de la Tente n'ont pas le droit de se nourrir.

Hébreux 13, 11 Ces animaux, en effet, dont le grand prêtre porte le sang dans le sanctuaire pour l'expiation du péché, leurs corps sont brûlés en dehors du camp.

Hébreux 13, 12 C'est pourquoi Jésus lui aussi, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte.

Hébreux 13, 13 Par conséquent, pour aller à lui sortons en dehors du camp, en portant son opprobre.

Hébreux 13, 14 Car nous n'avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous recherchons celle de l'avenir.

Hébreux 13, 15 Par lui, offrons à Dieu un sacrifice de louange en tout temps, c'est-à-dire le fruit de lèvres qui confessent son nom.

Hébreux 13, 16 Quant à la bienfaisance et à la mise en commun des ressources, ne les oubliez pas, car c'est à de tels sacrifices que Dieu prend plaisir.

Hébreux 13, 17 Obéissez à vos chefs et soyez-leur dociles, car ils veillent sur vos âmes, comme devant en rendre compte; afin qu'ils le fassent avec joie et non en gémissant, ce qui vous serait dommageable.

Hébreux 13, 18 Priez pour nous, car nous croyons avoir une bonne conscience, résolus que nous sommes à nous bien conduire en toutes choses.

Hébreux 13, 19 Je vous exhorte plus instamment à le faire pour obtenir que je vous sois rendu plus vite.

Hébreux 13, 20 Que le Dieu de la paix, qui a ramené de chez les morts celui qui est devenu par le sang d'une alliance éternelle le grand Pasteur des brebis, notre Seigneur Jésus,

Hébreux 13, 21 vous rende aptes à accomplir sa volonté en toute sorte de bien, produisant en nous ce qui lui est agréable par Jésus Christ, à qui soit la gloire pour les siècles des siècles! Amen.

Hébreux 13, 22 Je vous en prie, frères, faites bon accueil à ces paroles d'exhortation: aussi bien vous ai-je écrit brièvement.

Hébreux 13, 23 Apprenez que notre frère Timothée à été libéré. S'il arrive assez tôt, c'est avec lui que je viendrai vous voir.

Hébreux 13, 24 Saluez tous vos chefs et tous les saints. Ceux d'Italie vous saluent.

Hébreux 13, 25 La grâce soit avec vous tous!

 

 

Jacques

 

1, 1 Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus Christ, aux douze tribus de la Dispersion, salut!

Jacques 1, 2 Tenez pour une joie suprême, mes frères, d'être en butte à toutes sortes d'épreuves.

Jacques 1, 3 Vous le savez: bien éprouvée, votre foi produit la constance;

Jacques 1, 4 mais que la constance s'accompagne d'une oeuvre parfaite, afin que vous soyez parfaits, irréprochables, ne laissant rien à désirer.

Jacques 1, 5 Si l'un de vous manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu - il donne à tous généreusement, sans récriminer - et elle lui sera donnée.

Jacques 1, 6 Mais qu'il demande avec foi, sans hésitation, car celui qui hésite ressemble au flot de la mer que le vent soulève et agite.

Jacques 1, 7 Qu'il ne s'imagine pas, cet homme-là, recevoir quoi que ce soit du Seigneur:

Jacques 1, 8 homme à l'âme partagée, inconstant dans toutes ses voies!

Jacques 1, 9 Que le frère d'humble condition se glorifie de son exaltation

Jacques 1, 10 et le riche de son humiliation, car il passera comme fleur d'herbe.

Jacques 1, 11 Le soleil brûlant s'est levé: il a desséché l'herbe et sa fleur tombe, sa belle apparence est détruite. Ainsi se flétrira le riche dans ses démarches!

Jacques 1, 12 Heureux homme, celui qui supporte l'épreuve! Sa valeur une fois reconnue, il recevra la couronne de vie que le Seigneur a promise à ceux qui l'aiment.

Jacques 1, 13 Que nul, s'il est éprouvé, ne dise: "C'est Dieu qui m'éprouve." Dieu en effet n'éprouve pas le mal, il n'éprouve non plus personne.

Jacques 1, 14 Mais chacun est éprouvé par sa propre convoitise qui l'attire et le leurre.

Jacques 1, 15 Puis la convoitise, ayant conçu, donne naissance au péché, et le péché, parvenu à son terme, enfante la mort.

Jacques 1, 16 Ne vous égarez pas, mes frères bien-aimés:

Jacques 1, 17 tout don excellent, toute donation parfaite vient d'en haut et descend du Père des lumières, chez qui n'existe aucun changement, ni l'ombre d'une variation.

Jacques 1, 18 Il a voulu nous enfanter par une parole de vérité, pour que nous soyons comme les prémices de ses créatures.

Jacques 1, 19 Sachez-le, mes frères bien-aimés: que chacun soit prompt à écouter, lent à parler, lent à la colère;

Jacques 1, 20 car la colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu.

Jacques 1, 21 Rejetez donc toute malpropreté, tout reste de malice, et recevez avec docilité la Parole qui a été implantée en vous et qui peut sauver vos âmes.

Jacques 1, 22 Mettez la Parole en pratique. Ne soyez pas seulement des auditeurs qui s'abusent eux-mêmes!

Jacques 1, 23 Qui écoute la Parole sans la mettre en pratique ressemble à un homme qui observe sa physionomie dans un miroir.

Jacques 1, 24 Il s'observe, part, et oublie comment il était.

Jacques 1, 25 Celui, au contraire, qui se penche sur la Loi parfaite de liberté et s'y tient attaché, non pas en auditeur oublieux, mais pour la mettre activement en pratique, celui-là trouve son bonheur en la pratiquant.

Jacques 1, 26 Si quelqu'un s'imagine être religieux sans mettre un frein à sa langue et trompe son propre coeur, sa religion est vaine.

Jacques 1, 27 La religion pure et sans tache devant Dieu notre Père consiste en ceci: visiter les orphelins et les veuves dans leurs épreuves, se garder de toute souillure du monde.

Jacques 2, 1 Mes frères, ne mêlez pas à des considérations de personnes la foi en notre Seigneur Jésus Christ glorifié.

Jacques 2, 2 Supposez qu'il entre dans votre assemblée un homme à bague d'or, en habit resplendissant, et qu'il entre aussi un pauvre en habit malpropre.

Jacques 2, 3 Vous tournez vos regards vers celui qui porte l'habit resplendissant et vous lui dites: "Toi, assieds-toi ici à la place d'honneur." Quant au pauvre, vous lui dites: "Toi, tiens-toi là debout", ou bien: "Assieds-toi au bas de mon escabeau."

Jacques 2, 4 Ne portez-vous pas en vous-mêmes un jugement, ne devenez-vous pas des juges aux pensées perverses?

Jacques 2, 5 Ecoutez, mes frères bien-aimés: Dieu n'a-t-il pas choisi les pauvres selon le monde comme riches dans la foi et héritiers du Royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment?

Jacques 2, 6 Mais vous, vous méprisez le pauvre! N'est-ce pas les riches qui vous oppriment? N'est-ce pas eux qui vous traînent devant les tribunaux?

Jacques 2, 7 N'est-ce pas eux qui blasphèment le beau Nom qu'on a invoqué sur vous?

Jacques 2, 8 Si donc vous accomplissez la Loi royale suivant l'Ecriture: Tu aimeras ton prochain comme toi-même, vous faites bien;

Jacques 2, 9 mais si vous considérez les personnes, vous commettez un péché et la Loi vous condamne comme transgresseurs.

Jacques 2, 10 Aurait-on observé la Loi tout entière, si l'on commet un écart sur un seul point, c'est du tout qu'on devient justiciable.

Jacques 2, 11 Car celui qui a dit: Tu ne commettras pas d'adultère, a dit aussi: Tu ne commettras pas de meurtre. Si donc tu évites l'adultère, mais que tu commettes un meurtre, te voilà devenu transgresseur de la Loi.

Jacques 2, 12 Parlez et agissez comme des gens qui doivent être jugés par une loi de liberté.

Jacques 2, 13 Car le jugement est sans miséricorde pour qui n'a pas fait miséricorde; mais la miséricorde se rit du jugement.

Jacques 2, 14 A quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu'un dise: "J'ai la foi", s'il n'a pas les oeuvres? La foi peut-elle le sauver?

Jacques 2, 15 Si un frère ou une soeur sont nus, s'ils manquent de leur nourriture quotidienne,

Jacques 2, 16 et que l'un d'entre vous leur dise: "Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous", sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il?

Jacques 2, 17 Ainsi en est-il de la foi: si elle n'a pas les oeuvres, elle est tout à fait morte.

Jacques 2, 18 Au contraire, on dira: "Toi, tu as la foi, et moi, j'ai les oeuvres? Montre-moi ta foi sans les oeuvres; moi, c'est par les oeuvres que je te montrerai ma foi.

Jacques 2, 19 Toi, tu crois qu'il y a un seul Dieu? Tu fais bien. Les démons le croient aussi, et ils tremblent.

Jacques 2, 20 Veux-tu savoir, homme insensé, que la foi sans les oeuvres est stérile?

Jacques 2, 21 Abraham, notre père, ne fut-il pas justifié par les oeuvres quand il offrit Isaac, son fils, sur l'autel?

Jacques 2, 22 Tu le vois: la foi coopérait à ses oeuvres et par les oeuvres sa foi fut rendue parfaite.

Jacques 2, 23 Ainsi fut accomplie cette parole de l'Ecriture: Abraham crut à Dieu, cela lui fut compté comme justice et il fut appelé ami de Dieu."

Jacques 2, 24 Vous le voyez: c'est par les oeuvres que l'homme est justifié et non par la foi seule.

Jacques 2, 25 De même, Rahab, la prostituée, n'est-ce pas par les oeuvres qu'elle fut justifiée quand elle reçut les messagers et les fit partir par un autre chemin?

Jacques 2, 26 Comme le corps sans l'âme est mort, de même la foi sans les oeuvres est-elle morte.

Jacques 3, 1 Ne soyez pas nombreux, mes frères, à devenir docteurs. Vous le savez, nous n'en recevrons qu'un jugement plus sévère,

Jacques 3, 2 car à maintes reprises nous commettons des écarts, tous sans exception. Si quelqu'un ne commet pas d'écart de paroles, c'est un homme parfait, il est capable de refréner tout son corps.

Jacques 3, 3 Quand nous mettons aux chevaux un mors dans la bouche, pour nous en faire obéir, nous dirigeons tout leur corps.

Jacques 3, 4 Voyez encore les vaisseaux: si grands qu'ils soient, même poussés par des vents violents, ils sont dirigés par un tout petit gouvernail, au gré du pilote.

Jacques 3, 5 De même la langue est un membre minuscule et elle peut se glorifier de grandes choses! Voyez quel petit feu embrase une immense forêt:

Jacques 3, 6 la langue aussi est un feu. C'est le monde du mal, cette langue placée parmi nos membres: elle souille tout le corps; elle enflamme le cycle de la création, enflammée qu'elle est par la Géhenne.

Jacques 3, 7 Bêtes sauvages et oiseaux, reptiles et animaux marins de tout genre sont domptés et ont été domptés par l'homme.

Jacques 3, 8 La langue, au contraire, personne ne peut la dompter: c'est un fléau sans repos. Elle est pleine d'un venin mortel.

Jacques 3, 9 Par elle nous bénissons le Seigneur et Père, et par elle nous maudissons les hommes faits à l'image de Dieu.

Jacques 3, 10 De la même bouche sortent la bénédiction et la malédiction. Il ne faut pas, mes frères, qu'il en soit ainsi.

Jacques 3, 11 La source fait-elle jaillir par la même ouverture le doux et l'amer?

Jacques 3, 12 Un figuier, mes frères, peut-il donner des olives, ou une vigne des figues? L'eau de mer ne peut pas non plus donner de l'eau douce.

Jacques 3, 13 Est-il quelqu'un de sage et d'expérimenté parmi vous? Qu'il fasse voir par une bonne conduite des actes empreints de douceur et de sagesse.

Jacques 3, 14 Si vous avez au coeur, au contraire, une amère jalousie et un esprit de chicane, ne vous vantez pas, ne mentez pas contre la vérité.

Jacques 3, 15 Pareille sagesse ne descend pas d'en haut: elle est terrestre, animale, démoniaque.

Jacques 3, 16 Car, où il y a jalousie et chicane, il y a désordre et toutes sortes de mauvaises actions.

Jacques 3, 17 Tandis que la sagesse d'en haut est tout d'abord pure, puis pacifique, indulgente, bienveillante, pleine de pitié et de bons fruits, sans partialité, sans hypocrisie.

Jacques 3, 18 Un fruit de justice est semé dans la paix pour ceux qui produisent la paix.

Jacques 4, 1 D'où viennent les guerres, d'où viennent les batailles parmi vous? N'est-ce pas précisément de vos passions, qui combattent dans vos membres?

Jacques 4, 2 Vous convoitez et ne possédez pas? Alors vous tuez. Vous êtes jaloux et ne pouvez obtenir? Alors vous bataillez et vous faites la guerre. Vous ne possédez pas parce que vous ne demandez pas.

Jacques 4, 3 Vous demandez et ne recevez pas parce que vous demandez mal, afin de dépenser pour vos passions.

Jacques 4, 4 Adultères, ne savez-vous pas que l'amitié pour le monde est inimitié contre Dieu? Qui veut donc être ami du monde, se rend ennemi de Dieu.

Jacques 4, 5 Penseriez-vous que l'Ecriture dise en vain: Il désire avec jalousie, l'esprit qu'il a mis en nous?

Jacques 4, 6 Il donne d'ailleurs une plus grande grâce suivant la parole de l'Ecriture: Dieu résiste aux orgueilleux, mais il donne sa grâce aux humbles.

Jacques 4, 7 Soumettez-vous donc à Dieu; résistez au diable et il fuira loin de vous.

Jacques 4, 8 Approchez-vous de Dieu et il s'approchera de vous. Purifiez vos mains, pécheurs; sanctifiez vos coeurs, gens à l'âme partagée.

Jacques 4, 9 Voyez votre misère, prenez le deuil, pleurez. Que votre rire se change en deuil et votre joie en tristesse.

Jacques 4, 10 Humiliez-vous devant le Seigneur et il vous élèvera.

Jacques 4, 11 Ne médisez pas les uns des autres, frères. Celui qui médit d'un frère ou qui juge son frère, médit de la Loi et juge la Loi. Or si tu juges la Loi, tu n'es pas l'observateur de la Loi, mais son juge.

Jacques 4, 12 Il n'y a qu'un seul législateur et juge, celui qui peut sauver ou perdre. Et toi, qui es-tu pour juger le prochain?

Jacques 4, 13 Eh bien, maintenant! vous qui dites: "Aujourd'hui ou demain nous irons dans telle ville, nous y passerons l'année, nous ferons du commerce et nous gagnerons de l'argent!"

Jacques 4, 14 Vous qui ne savez pas ce que demain sera votre vie, car vous êtes une vapeur qui paraît un instant, puis disparaît.

Jacques 4, 15 Que ne dites-vous au contraire: "Si le Seigneur le veut, nous vivrons et nous ferons ceci ou cela."

Jacques 4, 16 Mais voilà que vous vous glorifiez de votre forfanterie! Toute gloriole de ce genre est mauvaise.

Jacques 4, 17 Celui donc qui sait faire le bien et ne le fait pas, commet un péché.

Jacques 5, 1 Eh bien, maintenant, les riches! Pleurez, hurlez sur les malheurs qui vont vous arriver.

Jacques 5, 2 Votre richesse est pourrie, vos vêtements sont rongés par les vers.

Jacques 5, 3 Votre or et votre argent sont rouillés, et leur rouille témoignera contre vous: elle dévorera vos chairs; c'est un feu que vous avez thésaurisé dans les derniers jours!

Jacques 5, 4 Voyez: le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont fauché vos champs, crie, et les clameurs des moissonneurs sont parvenues aux oreilles du Seigneur des Armées.

Jacques 5, 5 Vous avez vécu sur terre dans la mollesse et le luxe, vous vous êtes repus au jour du carnage.

Jacques 5, 6 Vous avez condamné, vous avez tué le juste: il ne vous résiste pas.

Jacques 5, 7 Soyez donc patients, frères, jusqu'à l'Avènement du Seigneur. Voyez le laboureur: il attend patiemment le précieux fruit de la terre jusqu'aux pluies de la première et de l'arrière-saison.

Jacques 5, 8 Soyez patients, vous aussi; affermissez vos coeurs, car l'Avènement du Seigneur est proche.

Jacques 5, 9 Ne vous plaignez pas les uns des autres, frères, afin de n'être pas jugés. Voyez: le Juge se tient aux portes!

Jacques 5, 10 Prenez, frères, pour modèles de souffrance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.

Jacques 5, 11 Voyez: nous proclamons bienheureux ceux qui ont de la constance. Vous avez entendu parler de la constance de Job et vous avez vu le dessein du Seigneur; car le Seigneur est miséricordieux et compatissant.

Jacques 5, 12 Mais avant tout, mes frères, ne jurez ni par le ciel, ni par la terre, n'usez d'aucun autre serment. Que votre oui soit oui, que votre non soit non, afin que vous ne tombiez pas sous le jugement.

Jacques 5, 13 Quelqu'un parmi vous souffre-t-il? Qu'il prie. Quelqu'un est-il joyeux? Qu'il entonne un cantique. Quelqu'un parmi vous est-il malade?

Jacques 5, 14 Qu'il appelle les presbytres de l'Eglise et qu'ils prient sur lui après l'avoir oint d'huile au nom du Seigneur.

Jacques 5, 15 La prière de la foi sauvera le patient et le Seigneur le relèvera. S'il a commis des péchés, ils lui seront remis.

Jacques 5, 16 Confessez donc vos péchés les uns aux autres et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris. La supplication fervente du juste a beaucoup de puissance.

Jacques 5, 17 Elie était un homme semblable à nous: il pria instamment qu'il n'y eût pas de pluie, et il n'y eut pas de pluie sur la terre pendant trois ans et six mois.

Jacques 5, 18 Puis il pria de nouveau: le ciel donna de la pluie et la terre produisit son fruit.

Jacques 5, 19 Mes frères, si quelqu'un parmi vous s'égare loin de la vérité et qu'un autre l'y ramène,

Jacques 5, 20 qu'il le sache: celui qui ramène un pécheur de son égarement sauvera son âme de la mort et couvrira une multitude de péchés.

 

 

I Pierre

 

1 Pierre 1, 1 Pierre, apôtre de Jésus Christ, aux étrangers de la Dispersion: du Pont, de Galatie, de Cappadoce, d'Asie et de Bithynie, élus

1 Pierre 1, 2 selon la prescience de Dieu le Père, dans la sanctification de l'Esprit, pour obéir et être aspergés du sang de Jésus Christ. A vous grâce et paix en abondance.

1 Pierre 1, 3 Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ: dans sa grande miséricorde, il nous a engendrés de nouveau par la Résurrection de Jésus Christ d'entre les morts, pour une vivante espérance,

1 Pierre 1, 4 pour un héritage exempt de corruption, de souillure, de flétrissure, et qui vous est réservé dans les cieux, à vous

1 Pierre 1, 5 que, par la foi, la puissance de Dieu garde pour le salut prêt à se manifester au dernier moment.

1 Pierre 1, 6 Vous en tressaillez de joie, bien qu'il vous faille encore quelque temps être affligés par diverses épreuves,

1 Pierre 1, 7 afin que, bien éprouvée, votre foi, plus précieuse que l'or périssable que l'on vérifie par le feu, devienne un sujet de louange, de gloire et d'honneur, lors de la Révélation de Jésus Christ.

1 Pierre 1, 8 Sans l'avoir vu vous l'aimez; sans le voir encore, mais en croyant, vous tressaillez d'une joie indicible et pleine de gloire,

1 Pierre 1, 9 sûrs d'obtenir l'objet de votre foi: le salut des âmes.

1 Pierre 1, 10 Sur ce salut ont porté les investigations et les recherches des prophètes, qui ont prophétisé sur la grâce à vous destinée.

1 Pierre 1, 11 Ils ont cherché à découvrir quel temps et quelles circonstances avait en vue l'Esprit du Christ, qui était en eux, quand il attestait à l'avance les souffrances du Christ et les gloires qui les suivraient.

1 Pierre 1, 12 Il leur fut révélé que ce n'était pas pour eux-mêmes, mais pour vous, qu'ils administraient ce message, que maintenant vous annoncent ceux qui vous prêchent l'Evangile, dans l'Esprit Saint envoyé du ciel, et sur lequel les anges se penchent avec convoitise.

1 Pierre 1, 13 L'intelligence en éveil, parfaitement sensée, espérez pleinement en la grâce qui doit vous être apportée par la Révélation de Jésus Christ.

1 Pierre 1, 14 En enfants obéissants, ne vous laissez pas modeler par vos passions de jadis, du temps de votre ignorance.

1 Pierre 1, 15 Mais, à l'exemple du Saint qui vous a appelés, devenez saints, vous aussi, dans toute votre conduite,

1 Pierre 1, 16 selon qu'il est écrit: Vous serez saints, parce que moi, je suis saint.

1 Pierre 1, 17 Et si vous appelez Père celui qui, sans acception de personnes, juge chacun selon ses oeuvres, conduisez-vous avec crainte pendant le temps de votre exil.

1 Pierre 1, 18 Sachez que ce n'est par rien de corruptible, argent ou or, que vous avez été affranchis de la vaine conduite héritée de vos pères,

1 Pierre 1, 19 mais par un sang précieux, comme d'un agneau sans reproche et sans tache, le Christ,

1 Pierre 1, 20 discerné avant la fondation du monde et manifesté dans les derniers temps à cause de vous.

1 Pierre 1, 21 Par lui vous croyez en Dieu, qui l'a fait ressusciter d'entre les morts et lui a donné la gloire, si bien que votre foi soit en Dieu comme votre espérance.

1 Pierre 1, 22 En obéissant à la vérité, vous avez sanctifié vos âmes, pour vous aimer sincèrement comme des frères. D'un coeur pur, aimez-vous les uns les autres sans défaillance,

1 Pierre 1, 23 engendrés de nouveau d'une semence non point corruptible, mais incorruptible: la Parole de Dieu, vivante et permanente.

1 Pierre 1, 24 Car toute chair est comme l'herbe et toute sa gloire comme fleur d'herbe; l'herbe se dessèche et sa fleur tombe;

1 Pierre 1, 25 mais la Parole du Seigneur demeure pour l'éternité. C'est cette Parole dont la Bonne Nouvelle vous a été portée.

1 Pierre 2, 1 Rejetez donc toute malice et toute fourberie, hypocrisies, jalousies et toute sorte de médisances.

1 Pierre 2, 2 Comme des enfants nouveau-nés désirez le lait non frelaté de la parole, afin que, par lui, vous croissiez pour le salut,

1 Pierre 2, 3 si du moins vous avez goûté combien le Seigneur est excellent.

1 Pierre 2, 4 Approchez-vous de lui, la pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie, précieuse auprès de Dieu.

1 Pierre 2, 5 Vous-mêmes, comme pierres vivantes, prêtez-vous à l'édification d'un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint, en vue d'offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ.

1 Pierre 2, 6 Car il y a dans l'Ecriture: Voici que je pose en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse, et celui qui se confie en elle ne sera pas confondu.

1 Pierre 2, 7 A vous donc, les croyants, l'honneur, mais pour les incrédules, la pierre qu'ont rejetée les constructeurs, celle-là est devenue la tête de l'angle,

1 Pierre 2, 8 une pierre d'achoppement et un rocher qui fait tomber. Ils s'y heurtent parce qu'ils ne croient pas à la Parole; c'est bien à cela qu'ils ont été destinés.

1 Pierre 2, 9 Mais vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, pour proclamer les louanges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière,

1 Pierre 2, 10 vous qui jadis n'étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le Peuple de Dieu, qui n'obteniez pas miséricorde et qui maintenant avez obtenu miséricorde.

1 Pierre 2, 11 Très chers, je vous exhorte, comme étrangers et voyageurs, à vous abstenir des désirs charnels, qui font la guerre à l'âme.

1 Pierre 2, 12 Ayez au milieu des nations une belle conduite afin que, sur le point même où ils vous calomnient comme malfaiteurs, la vue de vos bonnes oeuvres les amène à glorifier Dieu, au jour de sa Visite.

1 Pierre 2, 13 Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute institution humaine: soit au roi, comme souverain,

1 Pierre 2, 14 soit aux gouverneurs, comme envoyés par lui pour punir ceux qui font le mal et féliciter ceux qui font le bien.

1 Pierre 2, 15 Car c'est la volonté de Dieu qu'en faisant le bien vous fermiez la bouche à l'ignorance des insensés.

1 Pierre 2, 16 Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs de Dieu.

1 Pierre 2, 17 Honorez tout le monde, aimez vos frères, craignez Dieu, honorez le roi.

1 Pierre 2, 18 Vous les domestiques, soyez soumis à vos maîtres, avec une profonde crainte, non seulement aux bons et aux bienveillants, mais aussi aux difficiles.

1 Pierre 2, 19 Car c'est une grâce que de supporter, par égard pour Dieu, des peines que l'on souffre injustement.

1 Pierre 2, 20 Quelle gloire, en effet, à supporter les coups si vous avez commis une faute? Mais si, faisant le bien, vous supportez la souffrance, c'est une grâce auprès de Dieu.

1 Pierre 2, 21 Or, c'est à cela que vous avez été appelés, car le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un modèle afin que vous suiviez ses traces,

1 Pierre 2, 22 lui qui n'a pas commis de faute - et il ne s'est pas trouvé de fourberie dans sa bouche;

1 Pierre 2, 23 lui qui insulté ne rendait pas l'insulte, souffrant ne menaçait pas, mais s'en remettait à Celui qui juge avec justice;

1 Pierre 2, 24 lui qui, sur le bois, a porté lui-même nos fautes dans son corps, afin que, morts à nos fautes, nous vivions pour la justice; lui dont la meurtrissure vous a guéris.

1 Pierre 2, 25 Car vous étiez égarés comme des brebis, mais à présent vous êtes retournés vers le pasteur et le gardien de vos âmes.

1 Pierre 3, 1 Pareillement, vous les femmes, soyez soumises à vos maris, afin que, même si quelques-uns refusent de croire à la Parole, ils soient, sans parole, gagnés par la conduite de leurs femmes,

1 Pierre 3, 2 en considérant votre vie chaste et pleine de respect.

1 Pierre 3, 3 Que votre parure ne soit pas extérieure, faite de cheveux tressés, de cercles d'or et de toilettes bien ajustées,

1 Pierre 3, 4 mais à l'intérieur de votre coeur dans l'incorruptibilité d'une âme douce et calme: voilà ce qui est précieux devant Dieu.

1 Pierre 3, 5 C'est ainsi qu'autrefois les saintes femmes qui espéraient en Dieu se paraient, soumises à leurs maris:

1 Pierre 3, 6 telle Sara obéissait à Abraham, en l'appelant son Seigneur. C'est d'elle que vous êtes devenues les enfants, si vous agissez bien, sans terreur et sans aucun trouble.

1 Pierre 3, 7 Vous pareillement, les maris, menez la vie commune avec compréhension, comme auprès d'un être plus fragile, la femme; accordez-lui sa part d'honneur, comme cohéritière de la grâce de Vie. Ainsi vos prières ne seront pas entravées.

1 Pierre 3, 8 Enfin, vous tous, en esprit d'union, dans la compassion, l'amour fraternel, la miséricorde, l'esprit d'humilité,

1 Pierre 3, 9 ne rendez pas mal pour mal, insulte pour insulte. Bénissez, au contraire, car c'est à cela que vous avez été appelés, afin d'hériter la bénédiction.

1 Pierre 3, 10 Qui veut, en effet, aimer la vie et voir des jours heureux doit garder sa langue du mal et ses lèvres des paroles fourbes,

1 Pierre 3, 11 s'éloigner du mal et faire le bien, chercher la paix et la poursuivre.

1 Pierre 3, 12 Car le Seigneur a les yeux sur les justes et tend l'oreille à leur prière, mais le Seigneur tourne sa face contre ceux qui font le mal.

1 Pierre 3, 13 Et qui vous ferait du mal, si vous devenez zélés pour le bien?

1 Pierre 3, 14 Heureux d'ailleurs quand vous souffririez pour la justice! N'ayez d'eux aucune crainte et ne soyez pas troublés.

1 Pierre 3, 15 Au contraire, sanctifiez dans vos coeurs le Seigneur Christ, toujours prêts à la défense contre quiconque vous demande raison de l'espérance qui est en vous.

1 Pierre 3, 16 Mais que ce soit avec douceur et respect, en possession d'une bonne conscience, afin que, sur le point même où l'on vous calomnie, soient confondus ceux qui décrient votre bonne conduite dans le Christ.

1 Pierre 3, 17 Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si telle était la volonté de Dieu, qu'en faisant le mal.

1 Pierre 3, 18 Le Christ lui-même est mort une fois pour les péchés, juste pour des injustes, afin de nous mener à Dieu. Mis à mort selon la chair, il a été vivifié selon l'esprit.

1 Pierre 3, 19 C'est en lui qu'il s'en alla même prêcher aux esprits en prison,

1 Pierre 3, 20 à ceux qui jadis avaient refusé de croire lorsque temporisait la longanimité de Dieu, aux jours où Noé construisait l'Arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l'eau.

1 Pierre 3, 21 Ce qui y correspond, c'est le baptême qui vous sauve à présent et qui n'est pas l'enlèvement d'une souillure charnelle, mais l'engagement à Dieu d'une bonne conscience par la résurrection de Jésus Christ,

1 Pierre 3, 22 lui qui, passé au ciel, est à la droite de Dieu, après s'être soumis les Anges, les Dominations et les Puissances.

1 Pierre 4, 1 Le Christ ayant donc souffert dans la chair, vous aussi armez-vous de cette même pensée, à savoir: celui qui a souffert dans la chair a rompu avec le péché,

1 Pierre 4, 2 pour passer le temps qui reste à vivre dans la chair, non plus selon les passions humaines, mais selon le vouloir divin.

1 Pierre 4, 3 Il suffit bien en effet d'avoir accompli dans le passé la volonté des païens, en se prêtant aux débauches, aux passions, aux saouleries, orgies, beuveries, au culte illicite des idoles.

1 Pierre 4, 4 A ce sujet, ils jugent étrange que vous ne couriez pas avec eux vers ce torrent de perdition, et ils se répandent en outrages.

1 Pierre 4, 5 Ils en rendront compte à celui qui est prêt à juger vivants et morts.

1 Pierre 4, 6 C'est pour cela, en effet, que même aux morts a été annoncée la Bonne Nouvelle, afin que, jugés selon les hommes dans la chair, ils vivent selon Dieu dans l'esprit.

1 Pierre 4, 7 La fin de toutes choses est proche. Soyez donc sages et sobres en vue de la prière.

1 Pierre 4, 8 Avant tout, conservez entre vous une grande charité, car la charité couvre une multitude de péchés.

1 Pierre 4, 9 Pratiquez l'hospitalité les uns envers les autres, sans murmurer.

1 Pierre 4, 10 Chacun selon la grâce reçue, mettez-vous au service les uns des autres, comme de bons intendants d'une multiple grâce de Dieu.

1 Pierre 4, 11 Si quelqu'un parle, que ce soit comme les paroles de Dieu; si quelqu'un assure le service, que ce soit comme par un mandat reçu de Dieu, afin qu'en tout Dieu soit glorifié par Jésus Christ, à qui sont la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. Amen.

1 Pierre 4, 12 Très chers, ne jugez pas étrange l'incendie qui sévit au milieu de vous pour vous éprouver, comme s'il vous survenait quelque chose d'étrange.

1 Pierre 4, 13 Mais, dans la mesure où vous participez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin que, lors de la révélation de sa gloire, vous soyez aussi dans la joie et l'allégresse.

1 Pierre 4, 14 Heureux, si vous êtes outragés pour le nom du Christ, car l'Esprit de gloire, l'Esprit de Dieu repose sur vous.

1 Pierre 4, 15 Que nul de vous n'ait à souffrir comme meurtrier, ou voleur, ou malfaiteur, ou comme délateur,

1 Pierre 4, 16 mais si c'est comme chrétien, qu'il n'ait pas honte, qu'il glorifie Dieu de porter ce nom.

1 Pierre 4, 17 Car le moment est venu de commencer le jugement par la maison de Dieu. Or s'il débute par nous, quelle sera la fin de ceux qui refusent de croire à la Bonne Nouvelle de Dieu?

1 Pierre 4, 18 Si le juste est à peine sauvé, l'impie, le pécheur, où se montrera-t-il?

1 Pierre 4, 19 Ainsi, que ceux qui souffrent selon le vouloir divin remettent leurs âmes au Créateur fidèle, en faisant le bien.

1 Pierre 5, 1 Les anciens qui sont parmi nous, je les exhorte, moi, ancien comme eux, témoin des souffrances du Christ, et qui dois participer à la gloire qui va être révélée.

1 Pierre 5, 2 Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, veillant sur lui, non par contrainte, mais de bon gré, selon Dieu; non pour un gain sordide, mais avec l'élan du coeur;

1 Pierre 5, 3 non pas en faisant les seigneurs à l'égard de ceux qui vous sont échus en partage, mais en devenant les modèles du troupeau.

1 Pierre 5, 4 Et quand paraîtra le Chef des pasteurs, vous recevrez la couronne de gloire qui ne se flétrit pas.

1 Pierre 5, 5 Pareillement, les jeunes, soyez soumis aux anciens: revêtez-vous tous d'humilité dans vos rapports mutuels, car Dieu résiste aux orgueilleux, mais c'est aux humbles qu'il donne sa grâce.

1 Pierre 5, 6 Humiliez-vous donc sous la puissante main de Dieu, pour qu'il vous élève au bon moment;

1 Pierre 5, 7 de toute votre inquiétude, déchargez-vous sur lui, car il a soin de vous.

1 Pierre 5, 8 Soyez sobres, veillez. Votre partie adverse, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer.

1 Pierre 5, 9 Résistez-lui, fermes dans la foi, sachant que c'est le même genre de souffrance que la communauté des frères, répandue dans le monde, supporte.

1 Pierre 5, 10 Quand vous aurez un peu souffert, le Dieu de toute grâce, qui vous a appelés à sa gloire éternelle, dans le Christ, vous rétablira lui-même, vous affermira, vous fortifiera, vous rendra inébranlables.

1 Pierre 5, 11 A Lui la puissance pour les siècles des siècles! Amen.

1 Pierre 5, 12 Je vous écris ces quelques mots par Silvain, que je tiens pour un frère fidèle, pour vous exhorter et attester que telle est la vraie grâce de Dieu: tenez-vous-y.

1 Pierre 5, 13 Celle qui est à Babylone, élue comme vous, vous salue, ainsi que Marc, mon fils.

1 Pierre 5, 14 Saluez-vous les uns les autres dans un baiser de charité. Paix à vous tous qui êtes dans le Christ!

 

 

II Pierre

 

2 Pierre 1, 1 Syméon Pierre, serviteur et apôtre de Jésus Christ, à ceux qui ont reçu par la justice de notre Dieu et Sauveur Jésus Christ une foi d'un aussi grand prix que la nôtre,

2 Pierre 1, 2 à vous grâce et paix en abondance, par la connaissance de notre Seigneur!

2 Pierre 1, 3 Car sa divine puissance nous a donné tout ce qui concerne la vie et la piété: elle nous a fait connaître Celui qui nous a appelés par sa propre gloire et vertu.

2 Pierre 1, 4 Par elles, les précieuses, les plus grandes promesses nous ont été données, afin que vous deveniez ainsi participants de la divine nature, vous étant arrachés à la corruption qui est dans le monde, dans la convoitise.

2 Pierre 1, 5 Pour cette même raison, apportez encore tout votre zèle à joindre à votre foi la vertu, à la vertu la connaissance,

2 Pierre 1, 6 à la connaissance la tempérance, à la tempérance la constance, à la constance la piété,

2 Pierre 1, 7 à la piété l'amour fraternel, à l'amour fraternel la charité.

2 Pierre 1, 8 En effet, si ces choses vous appartiennent et qu'elles abondent, elles ne vous laisseront pas sans activité, ni sans fruit pour la connaissance de notre Seigneur Jésus Christ.

2 Pierre 1, 9 Celui qui ne les possède pas, c'est un aveugle, un myope; il oublie qu'il a été purifié de ses anciens péchés.

2 Pierre 1, 10 Ayez donc d'autant plus de zèle, frères, pour affermir votre vocation et votre élection. Ce faisant, pas de danger que vous tombiez jamais.

2 Pierre 1, 11 Car c'est ainsi que vous sera largement accordée par surcroît l'entrée dans le Royaume éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ.

2 Pierre 1, 12 C'est pourquoi je vous rappellerai toujours ces choses, bien que vous les sachiez et soyez affermis dans la présente vérité.

2 Pierre 1, 13 Je crois juste, tant que je suis dans cette tente, de vous tenir en éveil par mes rappels,

2 Pierre 1, 14 sachant, comme d'ailleurs notre Seigneur Jésus Christ me l'a manifesté, que l'abandon de ma tente est proche.

2 Pierre 1, 15 Mais j'emploierai mon zèle à ce qu'en toute occasion, après mon départ, vous puissiez vous remettre ces choses en mémoire.

2 Pierre 1, 16 Car ce n'est pas en suivant des fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la puissance et l'Avènement de notre Seigneur Jésus Christ, mais après avoir été témoins oculaires de sa majesté.

2 Pierre 1, 17 Il reçut en effet de Dieu le Père honneur et gloire, lorsque la Gloire pleine de majesté lui transmit une telle parole: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur."

2 Pierre 1, 18 Cette voix, nous, nous l'avons entendue; elle venait du Ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte.

2 Pierre 1, 19 Ainsi nous tenons plus ferme la parole prophétique: vous faites bien de la regarder, comme une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour commence à poindre et que l'astre du matin se lève dans vos coeurs.

2 Pierre 1, 20 Avant tout, sachez-le: aucune prophétie d'Ecriture n'est objet d'explication personnelle;

2 Pierre 1, 21 ce n'est pas d'une volonté humaine qu'est jamais venue une prophétie, c'est poussés par l'Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu.

2 Pierre 2, 1 Il y a eu de faux prophètes dans le peuple, comme il y aura aussi parmi vous de faux docteurs, qui introduiront des sectes pernicieuses et qui, reniant le Maître qui les a rachetés, attireront sur eux-mêmes une prompte perdition.

2 Pierre 2, 2 Beaucoup suivront leurs débauches, et la voie de la vérité sera blasphémée, à cause d'eux.

2 Pierre 2, 3 Par cupidité, au moyen de paroles trompeuses, ils trafiqueront de vous, eux dont le jugement depuis longtemps n'est pas inactif et dont la perdition ne sommeille pas.

2 Pierre 2, 4 Car si Dieu n'a pas épargné les Anges qui avaient péché, mais les a mis dans le Tartare et livrés aux abîmes de ténèbres, où ils sont réservés pour le Jugement;

2 Pierre 2, 5 s'il n'a pas épargné l'ancien monde, tout en préservant huit personnes dont Noé, héraut de justice, tandis qu'il amenait le Déluge sur un monde d'impies;

2 Pierre 2, 6 si, à titre d'exemple pour les impies à venir, il a mis en cendres et condamné à la destruction les villes de Sodome et de Gomorrhe,

2 Pierre 2, 7 s'il a délivré Lot, le juste, qu'affligeait la conduite débauchée de ces hommes criminels -

2 Pierre 2, 8 car ce juste qui habitait au milieu d'eux torturait jour après jour son âme de juste à cause des oeuvres iniques qu'il voyait et entendait -,

2 Pierre 2, 9 c'est que le Seigneur sait délivrer de l'épreuve les hommes pieux et garder les hommes impies pour les châtier au jour du Jugement,

2 Pierre 2, 10 surtout ceux qui, par convoitise impure, suivent la chair et méprisent la Seigneurie. Audacieux, arrogants, ils ne craignent pas de blasphémer les Gloires,

2 Pierre 2, 11 alors que les Anges, quoique supérieurs en force et en puissance, ne portent pas contre elles devant le Seigneur de jugement calomnieux.

2 Pierre 2, 12 Mais eux sont comme des animaux sans raison, voués par nature à être pris et détruits; blasphémant ce qu'ils ignorent, de la même destruction ils seront détruits eux aussi,

2 Pierre 2, 13 subissant l'injustice comme salaire de l'injustice. Ils estiment délices la volupté du jour, hommes souillés et flétris, ils mettent leur volupté à vous tromper, en faisant bonne chère avec vous.

2 Pierre 2, 14 Ils ont les yeux pleins d'adultère et insatiables de péché, ils allèchent les âmes mal affermies, ils ont le coeur exercé à la cupidité, êtres maudits!

2 Pierre 2, 15 Après avoir quitté la voie droite, ils se sont égarés en suivant la voie de Balaam, fils de Bosor, qui chérit un salaire d'injustice

2 Pierre 2, 16 mais qui fut repris de son méfait. Une monture sans voix, avec une voix humaine, arrêta la démence du prophète.

2 Pierre 2, 17 Ce sont des fontaines sans eau et des nuages poussés par un tourbillon; l'obscurité des ténèbres leur est réservée.

2 Pierre 2, 18 Avec des discours gonflés de vide, ils allèchent, par les désirs charnels, par les débauches, ceux qui venaient à peine de fuir les gens qui passent leur vie dans l'égarement.

2 Pierre 2, 19 Ils leur promettent la liberté, mais ils sont eux-mêmes esclaves de la corruption, car on est esclave de ce qui vous domine.

2 Pierre 2, 20 En effet, si, après avoir fui les souillures du monde par la connaissance du Seigneur et Sauveur Jésus Christ, ils s'y engagent de nouveau et sont dominés, leur dernière condition est devenue pire que la première.

2 Pierre 2, 21 Car mieux valait pour eux n'avoir pas connu la voie de la justice, que de l'avoir connue pour se détourner du saint commandement qui leur avait été transmis.

2 Pierre 2, 22 Il leur est arrivé ce que dit le véridique proverbe: Le chien est retourné à son propre vomissement, et: "La truie à peine lavée se roule dans le bourbier."

2 Pierre 3, 1 Voici déjà, très chers, la deuxième lettre que je vous écris; dans les deux je fais appel à vos souvenirs pour éveiller en vous une saine intelligence.

2 Pierre 3, 2 Souvenez-vous des choses prédites par les saints prophètes et du commandement de vos apôtres, celui du Seigneur et Sauveur.

2 Pierre 3, 3 Sachez tout d'abord qu'aux derniers jours, il viendra des railleurs pleins de raillerie, guidés par leurs passions.

2 Pierre 3, 4 Ils diront: "Où est la promesse de son avènement? Depuis que les Pères sont morts, tout demeure comme au début de la création."

2 Pierre 3, 5 Car ils ignorent volontairement qu'il y eut autrefois des cieux et une terre qui, du milieu de l'eau, par le moyen de l'eau, surgit à la parole de Dieu

2 Pierre 3, 6 et que, par ces mêmes causes, le monde d'alors périt inondé par l'eau.

2 Pierre 3, 7 Mais les cieux et la terre d'à présent, la même parole les a mis de côté et en réserve pour le feu, en vue du jour du Jugement et de la ruine des hommes impies.

2 Pierre 3, 8 Mais voici un point, très chers, que vous ne devez pas ignorer: c'est que devant le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour.

2 Pierre 3, 9 Le Seigneur ne retarde pas l'accomplissement de ce qu'il a promis, comme certains l'accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir.

2 Pierre 3, 10 Il viendra, le Jour du Seigneur, comme un voleur; en ce jour, les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, la terre avec les oeuvres qu'elle renferme sera consumée.

2 Pierre 3, 11 Puisque toutes ces choses se dissolvent ainsi, quels ne devez-vous pas être par une sainte conduite et par les prières,

2 Pierre 3, 12 attendant et hâtant l'avènement du Jour de Dieu, où les cieux enflammés se dissoudront et où les éléments embrasés se fondront.

2 Pierre 3, 13 Ce sont de nouveaux cieux et une terre nouvelle que nous attendons selon sa promesse, où la justice habitera.

2 Pierre 3, 14 C'est pourquoi, très chers, en attendant, mettez votre zèle à être sans tache et sans reproche, pour être trouvés en paix.

2 Pierre 3, 15 Tenez la longanimité de notre Seigneur pour salutaire, comme notre cher frère Paul vous l'a aussi écrit selon la sagesse qui lui a été donnée.

2 Pierre 3, 16 Il le fait d'ailleurs dans toutes les lettres où il parle de ces questions. Il s'y rencontre des points obscurs, que les gens sans instruction et sans fermeté détournent de leur sens - comme d'ailleurs les autres Ecritures - pour leur propre perdition.

2 Pierre 3, 17 Vous donc, très chers, étant avertis, soyez sur vos gardes, de peur qu'entraînés par l'égarement des criminels, vous ne veniez à déchoir de votre fermeté.

2 Pierre 3, 18 Mais croissez dans la grâce et la connaissance de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ: à lui la gloire maintenant et jusqu'au jour de l'éternité! Amen.

 

 

I Jean

 

1 Jean 1, 1 Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie; -

1 Jean 1, 2 car la Vie s'est manifestée: nous l'avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue -

1 Jean 1, 3 ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous. Quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ.

1 Jean 1, 4 Tout ceci, nous vous l'écrivons pour que notre joie soit complète.

1 Jean 1, 5 Or voici le message que nous avons entendu de lui et que nous vous annonçons: Dieu est Lumière, en lui point de ténèbres.

1 Jean 1, 6 Si nous disons que nous sommes en communion avec lui alors que nous marchons dans les ténèbres, nous mentons, nous ne faisons pas la vérité.

1 Jean 1, 7 Mais si nous marchons dans la lumière comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres, et le sang de Jésus, son Fils, nous purifie de tout péché.

1 Jean 1, 8 Si nous disons: "Nous n'avons pas de péché", nous nous abusons, la vérité n'est pas en nous.

1 Jean 1, 9 Si nous confessons nos péchés, lui, fidèle et juste, pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité.

1 Jean 1, 10 Si nous disons: "Nous n'avons pas péché", nous faisons de lui un menteur, et sa parole n'est pas en nous.

1 Jean 2, 1 Petits enfants, je vous écris ceci pour que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu'un vient à pécher, nous avons comme avocat auprès du Père Jésus Christ, le Juste.

1 Jean 2, 2 C'est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier.

1 Jean 2, 3 A ceci nous savons que nous le connaissons: si nous gardons ses commandements.

1 Jean 2, 4 Qui dit: "Je le connais", alors qu'il ne garde pas ses commandements est un menteur, et la vérité n'est pas en lui.

1 Jean 2, 5 Mais celui qui garde sa parole, c'est en lui vraiment que l'amour de Dieu est accompli. A cela nous savons que nous sommes en lui.

1 Jean 2, 6 Celui qui prétend demeurer en lui doit se conduire à son tour comme celui-là s'est conduit.

1 Jean 2, 7 Bien-aimés, ce n'est pas un commandement nouveau que je vous écris, c'est un commandement ancien, que vous avez reçu dès le début. Ce commandement ancien est la parole que vous avez entendue.

1 Jean 2, 8 Et néanmoins, encore une fois, c'est un commandement nouveau que je vous écris - ce qui est vrai pour vous comme pour lui - puisque les ténèbres s'en vont et que la véritable lumière brille déjà.

1 Jean 2, 9 Celui qui prétend être dans la lumière tout en haïssant son frère est encore dans les ténèbres.

1 Jean 2, 10 Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et il n'y a en lui aucune occasion de chute.

1 Jean 2, 11 Mais celui qui hait son frère est dans les ténèbres, il marche dans les ténèbres, il ne sait où il va, parce que les ténèbres ont aveuglé ses yeux.

1 Jean 2, 12 Je vous écris, petits enfants, parce que vos péchés vous sont remis par la vertu de son nom.

1 Jean 2, 13 Je vous écris, pères, parce que vous connaissez celui qui est dès le commencement. Je vous écris, jeunes gens, parce que vous avez vaincu le Mauvais.

1 Jean 2, 14 Je vous ai écrit, petits enfants, parce que vous connaissez le Père. Je vous ai écrit, pères, parce que vous connaissez celui qui est dès le commencement. Je vous ai écrit, jeunes gens, parce que vous êtes forts, que la parole de Dieu demeure en vous et que vous avez vaincu le Mauvais.

1 Jean 2, 15 N'aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui.

1 Jean 2, 16 Car tout ce qui est dans le monde - la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la richesse - vient non pas du Père, mais du monde.

1 Jean 2, 17 Or le monde passe avec ses convoitises; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement.

1 Jean 2, 18 Petits enfants, voici venue la dernière heure. Vous avez ouï dire que l'Antichrist doit venir; et déjà maintenant beaucoup d'antichrists sont survenus: à quoi nous reconnaissons que la dernière heure est là.

1 Jean 2, 19 Ils sont sortis de chez nous, mais ils n'étaient pas des nôtres. S'ils avaient été des nôtres, ils seraient restés avec nous. Mais il fallait que fût démontré que tous n'étaient pas des nôtres.

1 Jean 2, 20 Quant à vous, vous avez reçu l'onction venant du Saint, et tous vous possédez la science.

1 Jean 2, 21 Je vous ai écrit, non que vous ignoriez la vérité, mais parce que vous la connaissez et qu'aucun mensonge ne provient de la vérité.

1 Jean 2, 22 Qui est le menteur, sinon celui qui nie que Jésus soit le Christ? Le voilà l'Antichrist! Il nie le Père et le Fils.

1 Jean 2, 23 Quiconque nie le Fils ne possède pas non plus le Père. Qui confesse le Fils possède aussi le Père.

1 Jean 2, 24 Pour vous, que ce que vous avez entendu dès le début demeure en vous. Si en vous demeure ce que vous avez entendu dès le début, vous aussi, vous demeurerez dans le Fils et dans le Père.

1 Jean 2, 25 Or telle est la promesse que lui-même vous a faite: la vie éternelle.

1 Jean 2, 26 Voilà ce que j'ai tenu à vous écrire au sujet de ceux qui cherchent à vous égarer.

1 Jean 2, 27 Quant à vous, l'onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous n'avez pas besoin qu'on vous enseigne. Mais puisque son onction vous instruit de tout, qu'elle est véridique, non mensongère, comme elle vous a instruits, demeurez en lui.

1 Jean 2, 28 Oui, maintenant, demeurez en lui, petits enfants, pour que, s'il venait à paraître, nous ayons pleine assurance, et non point la honte de nous trouver loin de lui à son Avènement.

1 Jean 2, 29 Si vous savez qu'il est juste, reconnaissez que quiconque pratique la justice est né de lui.

1 Jean 3, 1 Voyez quelle manifestation d'amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes! Si le monde ne nous connaît pas, c'est qu'il ne l'a pas connu.

1 Jean 3, 2 Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est.

1 Jean 3, 3 Quiconque a cette espérance en lui se rend pur comme celui-là est pur.

1 Jean 3, 4 Quiconque commet le péché commet aussi l'iniquité, car le péché est l'iniquité.

1 Jean 3, 5 Or vous savez que celui-là s'est manifesté pour ôter les péchés et qu'il n'y a pas de péché en lui.

1 Jean 3, 6 Quiconque demeure en lui ne pèche pas. Quiconque pèche ne l'a vu ni connu.

1 Jean 3, 7 Petits enfants, que personne ne vous égare. Celui qui pratique la justice est juste comme celui-là est juste.

1 Jean 3, 8 Celui qui commet le péché est du diable, car le diable est pécheur dès l'origine. C'est pour détruire les oeuvres du diable que le Fils de Dieu est apparu.

1 Jean 3, 9 Quiconque est né de Dieu ne commet pas le péché parce que sa semence demeure en lui; il ne peut pécher, étant né de Dieu.

1 Jean 3, 10 A ceci sont reconnaissables les enfants de Dieu et les enfants du diable: quiconque ne pratique pas la justice n'est pas de Dieu, ni celui qui n'aime pas son frère.

1 Jean 3, 11 Car tel est le message que vous avez entendu dès le début: nous devons nous aimer les uns les autres,

1 Jean 3, 12 loin d'imiter Caïn, qui, étant du Mauvais, égorgea son frère. Et pourquoi l'égorgea-t-il? Parce que ses oeuvres étaient mauvaises, tandis que celles de son frère étaient justes.

1 Jean 3, 13 Ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous hait.

1 Jean 3, 14 Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort.

1 Jean 3, 15 Quiconque hait son frère est un homicide; or vous savez qu'aucun homicide n'a la vie éternelle demeurant en lui.

1 Jean 3, 16 A ceci nous avons connu l'Amour: celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères.

1 Jean 3, 17 Si quelqu'un, jouissant des biens de ce monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui?

1 Jean 3, 18 Petits enfants, n'aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité.

1 Jean 3, 19 A cela nous saurons que nous sommes de la vérité, et devant lui nous apaiserons notre coeur,

1 Jean 3, 20 si notre coeur venait à nous condamner, car Dieu est plus grand que notre coeur, et il connaît tout.

1 Jean 3, 21 Bien-aimés, si notre coeur ne nous condamne pas, nous avons pleine assurance devant Dieu:

1 Jean 3, 22 quoi que nous lui demandions, nous le recevons de lui, parce que nous gardons ses commandements et que nous faisons ce qui lui est agréable.

1 Jean 3, 23 Or voici son commandement: croire au nom de son Fils Jésus Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous en a donné le commandement.

1 Jean 3, 24 Et celui qui garde ses commandements demeure en Dieu et Dieu en lui; à ceci nous savons qu'il demeure en nous: à l'Esprit qu'il nous a donné.

1 Jean 4, 1 Bien-aimés, ne vous fiez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour voir s'ils viennent de Dieu, car beaucoup de faux prophètes sont venus dans le monde.

1 Jean 4, 2 A ceci reconnaissez l'esprit de Dieu: tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est de Dieu;

1 Jean 4, 3 et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n'est pas de Dieu; c'est là l'esprit de l'Antichrist. Vous avez entendu dire qu'il allait venir; eh bien! maintenant, il est déjà dans le monde.

1 Jean 4, 4 Vous, petits enfants, vous êtes de Dieu et vous les avez vaincus. Car Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde.

1 Jean 4, 5 Eux, ils sont du monde; c'est pourquoi ils parlent d'après le monde et le monde les écoute.

1 Jean 4, 6 Nous, nous sommes de Dieu. Qui connaît Dieu nous écoute, qui n'est pas de Dieu ne nous écoute pas. C'est à quoi nous reconnaissons l'esprit de la vérité et l'esprit de l'erreur.

1 Jean 4, 7 Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l'amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu.

1 Jean 4, 8 Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est Amour.

1 Jean 4, 9 En ceci s'est manifesté l'amour de Dieu pour nous: Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui.

1 Jean 4, 10 En ceci consiste l'amour: ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés.

1 Jean 4, 11 Bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres.

1 Jean 4, 12 Dieu, personne ne l'a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, en nous son amour est accompli.

1 Jean 4, 13 A ceci nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous: il nous a donné de son Esprit.

1 Jean 4, 14 Et nous, nous avons contemplé et nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde.

1 Jean 4, 15 Celui qui confesse que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui et lui en Dieu.

1 Jean 4, 16 Et nous, nous avons reconnu l'amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est Amour: celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui.

1 Jean 4, 17 En ceci consiste la perfection de l'amour en nous: que nous ayons pleine assurance au jour du Jugement, car tel est celui-là, tels aussi nous sommes en ce monde.

1 Jean 4, 18 Il n'y a pas de crainte dans l'amour; au contraire, le parfait amour bannit la crainte, car la crainte implique un châtiment, et celui qui craint n'est point parvenu à la perfection de l'amour.

1 Jean 4, 19 Quant à nous, aimons, puisque lui nous a aimés le premier.

1 Jean 4, 20 Si quelqu'un dit: "J'aime Dieu" et qu'il déteste son frère, c'est un menteur: celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas.

1 Jean 4, 21 Oui, voilà le commandement que nous avons reçu de lui: que celui qui aime Dieu aime aussi son frère.

1 Jean 5, 1 Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu; et quiconque aime celui qui a engendré aime celui qui est né de lui.

1 Jean 5, 2 Nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu à ce que nous aimons Dieu et que nous pratiquons ses commandements.

1 Jean 5, 3 Car l'amour de Dieu consiste à garder ses commandements.

1 Jean 5, 4 Et ses commandements ne sont pas pesants, puisque tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Et telle est la victoire qui a triomphé du monde: notre foi.

1 Jean 5, 5 Quel est le vainqueur du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu?

1 Jean 5, 6 C'est lui qui est venu par eau et par sang: Jésus Christ, non avec l'eau seulement mais avec l'eau et avec le sang. Et c'est l'Esprit qui rend témoignage, parce que l'Esprit est la Vérité.

1 Jean 5, 7 Il y en a ainsi trois à témoigner:

1 Jean 5, 8 l'Esprit, l'eau, le sang, et ces trois tendent au même but.

1 Jean 5, 9 Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand. Car c'est le témoignage de Dieu, le témoignage que Dieu a rendu à son Fils.

1 Jean 5, 10 Celui qui croit au Fils de Dieu a ce témoignage en lui. Celui qui ne croit pas en Dieu fait de lui un menteur, puisqu'il ne croit pas au témoignage que Dieu a rendu à son Fils.

1 Jean 5, 11 Et voici ce témoignage: c'est que Dieu nous a donné la vie éternelle et que cette vie est dans son Fils.

1 Jean 5, 12 Qui a le Fils a la vie; qui n'a pas le Fils n'a pas la vie.

1 Jean 5, 13 Je vous ai écrit ces choses, à vous qui croyez au nom du Fils de Dieu, pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle.

1 Jean 5, 14 Nous avons en Dieu cette assurance que, si nous demandons quelque chose selon sa volonté, il nous écoute.

1 Jean 5, 15 Et si nous savons qu'il nous écoute en tout ce que nous lui demandons, nous savons que nous possédons ce que nous lui avons demandé.

1 Jean 5, 16 Quelqu'un voit-il son frère commettre un péché ne conduisant pas à la mort, qu'il prie et Dieu donnera la vie à ce frère. Il ne s'agit pas de ceux qui commettent le péché conduisant à la mort; car il y a un péché qui conduit à la mort, pour ce péché-là, je ne dis pas qu'il faut prier.

1 Jean 5, 17 Toute iniquité est péché mais il y a tel péché qui ne conduit pas à la mort.

1 Jean 5, 18 Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche pas; l'Engendré de Dieu le garde et le Mauvais n'a pas prise sur lui.

1 Jean 5, 19 Nous savons que nous sommes de Dieu et que le monde entier gît au pouvoir du Mauvais.

1 Jean 5, 20 Nous savons que le Fils de Dieu est venu et qu'il nous a donné l'intelligence afin que nous connaissions le Véritable. Nous sommes dans le Véritable, dans son Fils Jésus Christ. Celui-ci est le Dieu véritable et la Vie éternelle.

1 Jean 5, 21 Petits enfants, gardez-vous des idoles...

 

 

II Jean

 

2 Jean 1 Moi, l'Ancien, à la Dame élue et à ses enfants, que j'aime en vérité - non pas moi seulement, mais tous ceux qui ont connu la Vérité -

2 Jean 2 en raison de la vérité qui demeure en nous et restera avec nous éternellement.

2 Jean 3 Avec nous seront grâce, miséricorde, paix, de la part de Dieu le Père et de la part de Jésus Christ, le Fils du Père, en vérité et amour.

2 Jean 4 Je me suis beaucoup réjoui d'avoir rencontré de tes enfants qui vivent dans la vérité, selon le commandement que nous avons reçu du Père.

2 Jean 5 Et maintenant, Dame, bien que ce ne soit pas un commandement nouveau que je t'écris mais celui que nous possédons depuis le début, je te le demande, aimons-nous les uns les autres.

2 Jean 6 L'amour consiste à vivre selon ses commandements. Et le premier commandement, ainsi que vous l'avez appris dès le début, c'est que vous viviez dans l'amour.

2 Jean 7 C'est que beaucoup de séducteurs se sont répandus dans le monde, qui ne confessent pas Jésus Christ venu dans la chair. Voilà bien le Séducteur, l'Antichrist.

2 Jean 8 Ayez les yeux sur vous, pour ne pas perdre le fruit de nos travaux, mais recevoir au contraire une pleine récompense.

2 Jean 9 Quiconque va plus avant et ne demeure pas dans la doctrine du Christ ne possède pas Dieu. Celui qui demeure dans la doctrine, c'est lui qui possède et le Père et le Fils.

2 Jean 10 Si quelqu'un vient à vous sans apporter cette doctrine, ne le recevez pas chez vous et abstenez-vous de le saluer.

2 Jean 11 Celui qui le salue participe à ses oeuvres mauvaises.

2 Jean 12 Ayant beaucoup de choses à vous écrire, j'ai préféré ne pas le faire avec du papier et de l'encre. Mais j'espère vous rejoindre et vous parler de vive voix, afin que notre joie soit parfaite.

2 Jean 13 Les enfants de ta sœur Elue te saluent.

 

 

 

III Jean

 

3 Jean 1 Moi, l'Ancien, au très cher Gaïus, que j'aime en vérité.

3 Jean 2 Très cher, je souhaite que tu te portes bien sous tous les rapports et que ton corps soit en aussi bonne santé que ton âme.

3 Jean 3 Je me suis beaucoup réjoui des frères qui sont venus et qui ont rendu témoignage à ta vérité, je veux dire à la façon dont tu vis dans la vérité.

3 Jean 4 Apprendre que mes enfants vivent dans la vérité, rien ne m'est un plus grand sujet de joie.

3 Jean 5 Très cher, tu agis fidèlement en te dépensant pour les frères, bien que ce soient des étrangers.

3 Jean 6 Ils ont rendu témoignage à ta charité, devant l'Eglise. Tu feras une bonne action en pourvoyant à leur voyage, d'une manière digne de Dieu.

3 Jean 7 C'est pour le Nom qu'ils se sont mis en route, sans rien recevoir des païens.

3 Jean 8 Nous devons accueillir de tels hommes, afin de collaborer à leurs travaux pour la Vérité.

3 Jean 9 J'ai écrit un mot à l'Eglise. Mais Diotréphès, qui est avide d'y occuper la première place, ne nous reçoit pas.

3 Jean 10 C'est pourquoi je ne manquerai pas, si je viens, de rappeler sa conduite. Il se répand en mauvais propos contre nous. Non satisfait de cela, il refuse lui-même de recevoir les frères, et ceux qui voudraient les recevoir, il les en empêche et les expulse de l'Eglise.

3 Jean 11 Très cher, imite non le mal mais le bien. Qui fait le bien est de Dieu. Qui fait le mal n'a pas vu Dieu.

3 Jean 12 Quant à Démétrius, tout le monde lui rend témoignage, y compris la Vérité elle-même. Nous aussi, nous lui rendons témoignage, et tu sais que notre témoignage est vrai.

3 Jean 13 J'aurais beaucoup de choses à te dire. Mais je ne veux pas le faire avec de l'encre et un calame.

3 Jean 14 J'espère en effet te voir sous peu, et nous nous entretiendrons de vive voix.

3 Jean 15 Que la paix soit avec toi! Tes amis te saluent. Salue les nôtres, chacun par son nom.

 

 

 

Jude

 

Jude 1 Jude, serviteur de Jésus Christ, frère de Jacques, aux appelés, aimés de Dieu le Père et gardés pour Jésus Christ.

Jude 2 A vous miséricorde et paix et charité en abondance.

Jude 3 Très chers, j'avais un grand désir de vous écrire au sujet de notre salut commun, et j'ai été contraint de le faire, afin de vous exhorter à combattre pour la foi transmise aux saints une fois pour toutes.

Jude 4 Car il s'est glissé parmi vous certains hommes qui depuis longtemps ont été marqués d'avance pour cette sentence: ces impies travestissent en débauche la grâce de notre Dieu et renient notre seul Maître et Seigneur Jésus Christ.

Jude 5 Je veux vous rappeler, à vous qui connaissez tout cela une fois pour toutes, que le Seigneur, après avoir sauvé le peuple de la terre d'Egypte, a fait périr ensuite les incrédules.

Jude 6 Quant aux anges, qui n'ont pas conservé leur primauté, mais ont quitté leur propre demeure, c'est pour le jugement du grand Jour qu'il les a gardés dans des liens éternels, au fond des ténèbres.

Jude 7 Ainsi Sodome, Gomorrhe et les villes voisines qui se sont prostituées de la même manière et ont couru après une chair différente, sont-elles proposées en exemple, subissant la peine d'un feu éternel.

Jude 8 Pourtant, ceux-là aussi, en délire, souillent la chair, méprisent la Seigneurie, blasphèment les Gloires.

Jude 9 Pourtant, l'archange Michel, lorsqu'il plaidait contre le diable et discutait au sujet du corps de Moïse, n'osa pas porter contre lui un jugement outrageant, mais dit: "Que le Seigneur te réprime!"

Jude 10 Quant à eux, ils blasphèment ce qu'ils ignorent; et ce qu'ils connaissent par nature, comme les bêtes sans raison, ne sert qu'à les perdre.

Jude 11 Malheur à eux! car c'est dans la voie de Caïn qu'ils sont allés, c'est dans l'égarement de Balaam qu'ils se sont jetés pour un salaire, c'est par la révolte de Coré qu'ils ont péri.

Jude 12 Ce sont eux les écueils de vos agapes. Ils font bonne chère sans vergogne, ils se repaissent: nuées sans eau que les vents emportent, arbres de fin de saison, sans fruits, deux fois morts, déracinés,

Jude 13 houle sauvage de la mer écumant sa propre honte, astres errants auxquels les ténèbres épaisses sont gardées pour l'éternité.

Jude 14 C'est aussi pour eux qu'a prophétisé en ces termes Hénoch, le septième patriarche depuis Adam: "Voici: le Seigneur est venu avec ses saintes myriades,

Jude 15 afin d'exercer le jugement contre tous et de confondre tous les impies pour toutes les oeuvres d'impiété qu'ils ont commises, pour toutes les paroles dures qu'ont proférées contre lui les pécheurs impies."

Jude 16 Ce sont eux qui murmurent, se plaignent, marchent selon leurs convoitises, leur bouche dit des choses orgueilleuses, ils flattent par intérêt.

Jude 17 Mais vous, très chers, rappelez-vous ce qui a été prédit par les apôtres de notre Seigneur Jésus Christ.

Jude 18 Ils vous disaient: "A la fin du temps, il y aura des moqueurs, marchant selon leurs convoitises impies."

Jude 19 Ce sont eux qui créent des divisions, ces animaux, ces êtres "psychiques" qui n'ont pas d'esprit.

Jude 20 Mais vous, très chers, vous édifiant sur votre foi très sainte, priant dans l'Esprit Saint,

Jude 21 gardez-vous dans la charité de Dieu, prêts à recevoir la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ pour la vie éternelle.

Jude 22 Les uns, ceux qui hésitent, cherchez à les convaincre;

Jude 23 les autres, sauvez-les en les arrachant au feu; les autres enfin, portez-leur une pitié craintive, en haïssant jusqu'à la tunique contaminée par leur chair.

Jude 24 A celui qui peut vous garder de la chute et vous présenter devant sa gloire, sans reproche, dans l'allégresse,

Jude 25 à l'unique Dieu, notre Sauveur par Jésus Christ notre Seigneur, gloire, majesté, force et puissance avant tout temps, maintenant et dans tous les temps! Amen.

 

 

Apocalypse

 

Apocalypse 1, 1 Révélation de Jésus Christ: Dieu la lui donna pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt; Il envoya son Ange pour la faire connaître à Jean son serviteur,

Apocalypse 1, 2 lequel a attesté la Parole de Dieu et le témoignage de Jésus Christ: toutes ses visions.

Apocalypse 1, 3 Heureux le lecteur et les auditeurs de ces paroles prophétiques s'ils en retiennent le contenu, car le Temps est proche!

Apocalypse 1, 4 Jean, aux sept Eglises d'Asie. Grâce et paix vous soient données par "Il est, Il était et Il vient", par les sept Esprits présents devant son trône,

Apocalypse 1, 5 et par Jésus Christ, le témoin fidèle, le Premier-né d'entre les morts, le Prince des rois de la terre. Il nous aime et nous a lavés de nos péchés par son sang,

Apocalypse 1, 6 il a fait de nous une Royauté de Prêtres, pour son Dieu et Père: à lui donc la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. Amen.

Apocalypse 1, 7 Voici, il vient avec les nuées; chacun le verra, même ceux qui l'ont transpercé, et sur lui se lamenteront toutes les races de la terre. Oui, Amen!

Apocalypse 1, 8 Je suis l'Alpha et l'Oméga, dit le Seigneur Dieu, "Il est, Il était et Il vient", le Maître-de-tout.

Apocalypse 1, 9 Moi, Jean, votre frère et votre compagnon dans l'épreuve, la royauté et la constance, en Jésus. Je me trouvais dans l'île de Patmos, à cause de la Parole de Dieu et du témoignage de Jésus.

Apocalypse 1, 10 Je tombai en extase, le jour du Seigneur, et j'entendis derrière moi une voix clamer, comme une trompette:

Apocalypse 1, 11 "Ce que tu vois, écris-le dans un livre pour l'envoyer aux sept Eglises: à Ephèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée."

Apocalypse 1, 12 Je me retournai pour regarder la voix qui me parlait; et m'étant retourné, je vis sept candélabres d'or,

Apocalypse 1, 13 et, au milieu des candélabres, comme un Fils d'homme revêtu d'une longue robe serrée à la taille par une ceinture en or.

Apocalypse 1, 14 Sa tête, avec ses cheveux blancs, est comme de la laine blanche, comme de la neige, ses yeux comme une flamme ardente,

Apocalypse 1, 15 ses pieds pareils à de l'airain précieux que l'on aurait purifié au creuset, sa voix comme la voix des grandes eaux.

Apocalypse 1, 16 Dans sa main droite il a sept étoiles, et de sa bouche sort une épée acérée, à double tranchant; et son visage, c'est comme le soleil qui brille dans tout son éclat.

Apocalypse 1, 17 A sa vue, je tombai à ses pieds, comme mort; mais il posa sur moi sa main droite en disant: "Ne crains pas, je suis le Premier et le Dernier,

Apocalypse 1, 18 le Vivant; je fus mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la Mort et de l'Hadès.

Apocalypse 1, 19 Ecris donc ce que tu as vu: le présent et ce qui doit arriver plus tard.

Apocalypse 1, 20 Quant au mystère des sept étoiles que tu as vues dans ma main droite et des sept candélabres d'or, le voici: les sept étoiles sont les Anges des sept Eglises; et les sept candélabres sont les sept Eglises.

Apocalypse 2, 1 "A l'Ange de l'Eglise d'Ephèse, écris: Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles en sa droite et qui marche au milieu des sept candélabres d'or.

Apocalypse 2, 2 Je connais ta conduite, tes labeurs et ta constance; je le sais, tu ne peux souffrir les méchants: tu as mis à l'épreuve ceux qui usurpent le titre d'apôtres, et tu les as trouvés menteurs.

Apocalypse 2, 3 Tu as de la constance: n'as-tu pas souffert pour mon nom, sans te lasser?

Apocalypse 2, 4 Mais j'ai contre toi que tu as perdu ton amour d'antan.

Apocalypse 2, 5 Allons! rappelle-toi d'où tu es tombé, repens-toi, reprends ta conduite première. Sinon, je vais venir à toi pour changer ton candélabre de son rang, si tu ne te repens.

Apocalypse 2, 6 Il y a cependant pour toi que tu détestes la conduite des Nicolaïtes, que je déteste moi-même.

Apocalypse 2, 7 Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Eglises: au vainqueur, je ferai manger de l'arbre de vie placé dans le Paradis de Dieu.

Apocalypse 2, 8 "A l'Ange de l'Eglise de Smyrne, écris: Ainsi parle le Premier et le Dernier, celui qui fut mort et qui a repris vie.

Apocalypse 2, 9 Je connais tes épreuves et ta pauvreté - tu es riche pourtant - et les diffamations de ceux qui usurpent le titre de Juifs - une synagogue de Satan plutôt! --

Apocalypse 2, 10 Ne crains pas les souffrances qui t'attendent: voici, le Diable va jeter des vôtres en prison pour vous tenter, et vous aurez dix jours d'épreuve. Reste fidèle jusqu'à la mort, et je te donnerai la couronne de vie.

Apocalypse 2, 11 Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Eglises: le vainqueur n'a rien à craindre de la seconde mort.

Apocalypse 2, 12 "A l'Ange de l'Eglise de Pergame, écris: Ainsi parle celui qui possède l'épée acérée à double tranchant.

Apocalypse 2, 13 Je sais où tu demeures: là est le trône de Satan. Mais tu tiens ferme à mon nom et tu n'as pas renié ma foi, même aux jours d'Antipas, mon témoin fidèle, qui fut mis à mort chez vous, là où demeure Satan.

Apocalypse 2, 14 Mais j'ai contre toi quelque grief: tu en as là qui tiennent la doctrine de Balaam; il incitait Balaq à tendre un piège aux fils d'Israël pour qu'ils mangent des viandes immolées aux idoles et se prostituent.

Apocalypse 2, 15 Ainsi, chez toi aussi, il en est qui tiennent la doctrine des Nicolaïtes.

Apocalypse 2, 16 Allons! repens-toi, sinon je vais bientôt venir à toi pour combattre ces gens avec l'épée de ma bouche.

Apocalypse 2, 17 Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Eglises: au vainqueur, je donnerai de la manne cachée et je lui donnerai aussi un caillou blanc, un caillou portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit.

Apocalypse 2, 18 "A l'Ange de l'Eglise de Thyatire, écris: Ainsi parle le Fils de Dieu, dont les yeux sont comme une flamme ardente et les pieds pareils à de l'airain précieux.

Apocalypse 2, 19 Je connais ta conduite: ton amour, ta foi, ton dévouement, ta constance; tes oeuvres vont sans cesse en se multipliant.

Apocalypse 2, 20 Mais j'ai contre toi que tu tolères Jézabel, cette femme qui se dit prophétesse; elle égare mes serviteurs, les incitant à se prostituer en mangeant des viandes immolées aux idoles.

Apocalypse 2, 21 Je lui ai laissé le temps de se repentir, mais elle refuse de se repentir de ses prostitutions.

Apocalypse 2, 22 Voici, je vais la jeter sur un lit de douleurs, et ses compagnons de prostitution dans une épreuve terrible, s'ils ne se repentent de leur conduite.

Apocalypse 2, 23 Et ses enfants, je vais les frapper de mort: ainsi, toutes les Eglises sauront que c'est moi qui sonde les reins et les coeurs; et je vous paierai chacun selon vos oeuvres.

Apocalypse 2, 24 Quant à vous autres, à Thyatire, qui ne partagez pas cette doctrine, vous qui n'avez pas connu "les profondeurs de Satan", comme ils disent, je vous déclare que je ne vous impose pas d'autre fardeau;

Apocalypse 2, 25 du moins, ce que vous avez, tenez-le ferme jusqu'à mon retour.

Apocalypse 2, 26 Le vainqueur, celui qui restera fidèle à mon service jusqu'à la fin, je lui donnerai pouvoir sur les nations:

Apocalypse 2, 27 c'est avec un sceptre de fer qu'il les mènera comme on fracasse des vases d'argile!

Apocalypse 2, 28 Ainsi moi-même j'ai reçu ce pouvoir de mon Père. Et je lui donnerai l'Etoile du matin.

Apocalypse 2, 29 Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Eglises.

Apocalypse 3, 1 "A l'Ange de l'Eglise de Sardes, écris: Ainsi parle celui qui possède les sept Esprits de Dieu et les sept étoiles. Je connais ta conduite; tu passes pour vivant, mais tu es mort.

Apocalypse 3, 2 Réveille-toi, ranime ce qui te reste de vie défaillante! Non, je n'ai pas trouvé ta vie bien pleine aux yeux de mon Dieu.

Apocalypse 3, 3 Allons! rappelle-toi comment tu accueillis la parole; garde-la et repens-toi. Car si tu ne veilles pas, je viendrai comme un voleur sans que tu saches à quelle heure je te surprendrai.

Apocalypse 3, 4 A Sardes, néanmoins, quelques-uns des tiens n'ont pas souillé leurs vêtements; ils m'accompagneront, en blanc, car ils en sont dignes.

Apocalypse 3, 5 Le vainqueur sera donc revêtu de blanc; et son nom, je ne l'effacerai pas du livre de vie, mais j'en répondrai devant mon Père et devant ses Anges.

Apocalypse 3, 6 Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Eglises.

Apocalypse 3, 7 "A l'Ange de l'Eglise de Philadelphie, écris: Ainsi parle le Saint, le Vrai, celui qui détient la clef de David: s'il ouvre, nul ne fermera, et s'il ferme, nul n'ouvrira.

Apocalypse 3, 8 Je connais ta conduite: voici, j'ai ouvert devant toi une porte que nul ne peut fermer, et, disposant pourtant de peu de puissance, tu as gardé ma parole sans renier mon nom.

Apocalypse 3, 9 Voici, je forcerai ceux de la Synagogue de Satan - ils usurpent la qualité de Juifs, les menteurs --, oui, je les forcerai à venir se prosterner devant tes pieds, à reconnaître que je t'ai aimé.

Apocalypse 3, 10 Puisque tu as gardé ma consigne de constance, à mon tour je te garderai de l'heure de l'épreuve qui va fondre sur le monde entier pour éprouver les habitants de la terre.

Apocalypse 3, 11 Mon retour est proche: tiens ferme ce que tu as, pour que nul ne ravisse ta couronne.

Apocalypse 3, 12 Le vainqueur, je le ferai colonne dans le temple de mon Dieu; il n'en sortira plus jamais et je graverai sur lui le nom de mon Dieu, et le nom de la Cité de mon Dieu, la nouvelle Jérusalem qui descend du Ciel, de chez mon Dieu, et le nom nouveau que je porte.

Apocalypse 3, 13 Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Eglises.

Apocalypse 3, 14 "A l'Ange de l'Eglise de Laodicée, écris: Ainsi parle l'Amen, le Témoin fidèle et vrai, le Principe de la création de Dieu.

Apocalypse 3, 15 Je connais ta conduite: tu n'es ni froid ni chaud - que n'es-tu l'un ou l'autre! --

Apocalypse 3, 16 Ainsi, puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche.

Apocalypse 3, 17 Tu t'imagines: me voilà riche, je me suis enrichi et je n'ai besoin de rien; mais tu ne le vois donc pas: c'est toi qui es malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu!

Apocalypse 3, 18 Aussi, suis donc mon conseil: achète chez moi de l'or purifié au feu pour t'enrichir; des habits blancs pour t'en revêtir et cacher la honte de ta nudité; un collyre enfin pour t'en oindre les yeux et recouvrer la vue.

Apocalypse 3, 19 Ceux que j'aime, je les semonce et les corrige. Allons! Un peu d'ardeur, et repens-toi!

Apocalypse 3, 20 Voici, je me tiens à la porte et je frappe; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi.

Apocalypse 3, 21 Le vainqueur, je lui donnerai de siéger avec moi sur mon trône, comme moi-même, après ma victoire, j'ai siégé avec mon Père sur son trône.

Apocalypse 3, 22 Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Eglises."

Apocalypse 4, 1 J'eus ensuite une vision. Voici: une porte était ouverte au ciel, et la voix que j'avais naguère entendu me parler comme une trompette me dit: Monte ici, que je te montre ce qui doit arriver par la suite.

Apocalypse 4, 2 A l'instant, je tombai en extase. Voici, un trône était dressé dans le ciel, et, siégeant sur le trône, Quelqu'un...

Apocalypse 4, 3 Celui qui siège est comme une vision de jaspe et de cornaline; un arc-en-ciel autour du trône est comme une vision d'émeraude.

Apocalypse 4, 4 24 sièges entourent le trône, sur lesquels sont assis 24 Vieillards vêtus de blanc, avec des couronnes d'or sur leurs têtes.

Apocalypse 4, 5 Du trône partent des éclairs, des voix et des tonnerres, et sept lampes de feu brûlent devant lui, les sept Esprits de Dieu.

Apocalypse 4, 6 Devant le trône, on dirait une mer, transparente autant que du cristal. Au milieu du trône et autour de lui, se tiennent quatre Vivants, constellés d'yeux par-devant et par-derrière.

Apocalypse 4, 7 Le premier Vivant est comme un lion; le deuxième Vivant est comme un jeune taureau; le troisième Vivant a comme un visage d'homme; le quatrième Vivant est comme un aigle en plein vol.

Apocalypse 4, 8 Les quatre Vivants, portant chacun six ailes, sont constellés d'yeux tout autour et en dedans. Ils ne cessent de répéter jour et nuit: "Saint, Saint, Saint, Seigneur, Dieu Maître-de-tout, Il était, Il est et Il vient."

Apocalypse 4, 9 Et chaque fois que les Vivants offrent gloire, honneur et action de grâces à Celui qui siège sur le trône et qui vit dans les siècles des siècles,

Apocalypse 4, 10 les 24 Vieillards se prosternent devant Celui qui siège sur le trône pour adorer Celui qui vit dans les siècles des siècles; ils lancent leurs couronnes devant le trône en disant:

Apocalypse 4, 11 "Tu es digne, ô notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire, l'honneur et la puissance, car c'est toi qui créas l'univers; par ta volonté, il n'était pas et fut créé."

Apocalypse 5, 1 Et je vis dans la main droite de Celui qui siège sur le trône un livre roulé, écrit au recto et au verso, et scellé de sept sceaux.

Apocalypse 5, 2 Et je vis un Ange puissant proclamant à pleine voix: "Qui est digne d'ouvrir le livre et d'en briser les sceaux?"

Apocalypse 5, 3 Mais nul n'était capable, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre, d'ouvrir le livre et de le lire.

Apocalypse 5, 4 Et je pleurais fort de ce que nul ne s'était trouvé digne d'ouvrir le livre et de le lire.

Apocalypse 5, 5 L'un des Vieillards me dit alors: "Ne pleure pas. Voici: il a remporté la victoire, le Lion de la tribu de Juda, le Rejeton de David; il ouvrira donc le livre aux sept sceaux."

Apocalypse 5, 6 Alors je vis, debout entre le trône aux quatre Vivants et les Vieillards, un Agneau, comme égorgé, portant sept cornes et sept yeux, qui sont les sept Esprits de Dieu en mission par toute la terre.

Apocalypse 5, 7 Il s'en vint prendre le livre dans la main droite de Celui qui siège sur le trône.

Apocalypse 5, 8 Quand il l'eut pris, les quatre Vivants et les 24 Vieillards se prosternèrent devant l'Agneau, tenant chacun une harpe et des coupes d'or pleines de parfums, les prières des saints;

Apocalypse 5, 9 ils chantaient un cantique nouveau: "Tu es digne de prendre le livre et d'en ouvrir les sceaux, car tu fus égorgé et tu rachetas pour Dieu, au prix de ton sang, des hommes de toute race, langue, peuple et nation;

Apocalypse 5, 10 tu as fait d'eux pour notre Dieu une Royauté de Prêtres régnant sur la terre."

Apocalypse 5, 11 Et ma vision se poursuivit. J'entendis la voix d'une multitude d'Anges rassemblés autour du trône, des Vivants et des Vieillards - ils se comptaient par myriades de myriades et par milliers de milliers! --

Apocalypse 5, 12 et criant à pleine voix: "Digne est l'Agneau égorgé de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l'honneur, la gloire et la louange."

Apocalypse 5, 13 Et toute créature, dans le ciel, et sur la terre, et sous la terre, et sur la mer, l'univers entier, je l'entendis s'écrier: "A Celui qui siège sur le trône, ainsi qu'à l'Agneau, la louange, l'honneur, la gloire et la puissance dans les siècles des siècles!"

Apocalypse 5, 14 Et les quatre Vivants disaient: "Amen!;" et les Vieillards se prosternèrent pour adorer.

Apocalypse 6, 1 Et ma vision se poursuivit. Lorsque l'Agneau ouvrit le premier des sept sceaux, j'entendis le premier des quatre Vivants crier comme d'une voix de tonnerre: "Viens!"

Apocalypse 6, 2 Et voici qu'apparut à mes yeux un cheval blanc; celui qui le montait tenait un arc; on lui donna une couronne et il partit en vainqueur, et pour vaincre encore.

Apocalypse 6, 3 Lorsqu'il ouvrit le deuxième sceau, j'entendis le deuxième Vivant crier: "Viens!"

Apocalypse 6, 4 Alors surgit un autre cheval, rouge-feu; celui qui le montait, on lui donna de bannir la paix hors de la terre, et de faire que l'on s'entr'égorgeât; on lui donna une grande épée.

Apocalypse 6, 5 Lorsqu'il ouvrit le troisième sceau, j'entendis le troisième Vivant crier: "Viens!" Et voici qu'apparut à mes yeux un cheval noir; celui qui le montait tenait à la main une balance,

Apocalypse 6, 6 et j'entendis comme une voix, du milieu des quatre Vivants, qui disait: "Un litre de blé pour un denier, trois litres d'orge pour un denier! Quant à l'huile et au vin, ne les gâche pas!"

Apocalypse 6, 7 Lorsqu'il ouvrit le quatrième sceau, j'entendis le cri du quatrième Vivant: "Viens!"

Apocalypse 6, 8 Et voici qu'apparut à mes yeux un cheval verdâtre; celui qui le montait, on le nomme: la Mort; et l'Hadès le suivait. Alors, on leur donna pouvoir sur le quart de la terre, pour exterminer par l'épée, par la faim, par la peste, et par les fauves de la terre.

Apocalypse 6, 9 Lorsqu'il ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l'autel les âmes de ceux qui furent égorgés pour la Parole de Dieu et le témoignage qu'ils avaient rendu.

Apocalypse 6, 10 Ils crièrent d'une voix puissante: "Jusques à quand, Maître saint et vrai, tarderas-tu à faire justice, à tirer vengeance de notre sang sur les habitants de la terre?"

Apocalypse 6, 11 Alors on leur donna à chacun une robe blanche en leur disant de patienter encore un peu, le temps que fussent au complet leurs compagnons de service et leurs frères qui doivent être mis à mort comme eux.

Apocalypse 6, 12 Et ma vision se poursuivit. Lorsqu'il ouvrit le sixième sceau, alors il se fit un violent tremblement de terre, et le soleil devint noir comme une étoffe de crin, et la lune devint tout entière comme du sang,

Apocalypse 6, 13 et les astres du ciel s'abattirent sur la terre comme les figues avortées que projette un figuier tordu par la tempête,

Apocalypse 6, 14 et le ciel disparut comme un livre qu'on roule, et les monts et les îles s'arrachèrent de leur place;

Apocalypse 6, 15 et les rois de la terre, et les hauts personnages, et les grands capitaines, et les gens enrichis, et les gens influents, et tous enfin, esclaves ou libres, ils allèrent se terrer dans les cavernes et parmi les rochers des montagnes,

Apocalypse 6, 16 disant aux montagnes et aux rochers: "Croulez sur nous et cachez-nous loin de Celui qui siège sur le trône et loin de la colère de l'Agneau."

Apocalypse 6, 17 Car il est arrivé, le grand Jour de sa colère, et qui donc peut tenir?

Apocalypse 7, 1 Après quoi je vis quatre Anges, debout aux quatre coins de la terre, retenant les quatre vents de la terre pour qu'il ne soufflât point de vent, ni sur la terre, ni sur la mer, ni sur aucun arbre.

Apocalypse 7, 2 Puis je vis un autre Ange monter de l'orient, portant le sceau du Dieu vivant; il cria d'une voix puissante aux quatre Anges auxquels il fut donné de malmener la terre et la mer:

Apocalypse 7, 3 "Attendez, pour malmener la terre et la mer et les arbres, que nous ayons marqué au front les serviteurs de notre Dieu."

Apocalypse 7, 4 Et j'appris combien furent alors marqués du sceau: 144.000 de toutes les tribus des fils d'Israël.

Apocalypse 7, 5 De la tribu de Juda, 12.000 furent marqués; de la tribu de Ruben, 12.000; de la tribu de Gad, 12.000;

Apocalypse 7, 6 de la tribu d'Aser, 12.000; de la tribu de Nephtali, 12.000; de la tribu de Manassé, 12.000;

Apocalypse 7, 7 de la tribu de Siméon, 12.000; de la tribu de Lévi, 12.000; de la tribu d'Issachar, 12.000;

Apocalypse 7, 8 de la tribu de Zabulon, 12.000; de la tribu de Joseph, 12.000; de la tribu de Benjamin, 12.000 furent marqués.

Apocalypse 7, 9 Après quoi, voici qu'apparut à mes yeux une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toute nation, race, peuple et langue; debout devant le trône et devant l'Agneau, vêtus de robes blanches, des palmes à la main,

Apocalypse 7, 10 ils crient d'une voix puissante: "Le salut à notre Dieu, qui siège sur le trône, ainsi qu'à l'Agneau!"

Apocalypse 7, 11 Et tous les Anges en cercle autour du trône, des Vieillards et des quatre Vivants, se prosternèrent devant le trône, la face contre terre, pour adorer Dieu;

Apocalypse 7, 12 ils disaient: "Amen! Louange, gloire, sagesse, action de grâces, honneur, puissance et force à notre Dieu pour les siècles des siècles! Amen!"

Apocalypse 7, 13 L'un des Vieillards prit alors la parole et me dit: "Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils et d'où viennent-ils?"

Apocalypse 7, 14 Et moi de répondre: "Monseigneur, c'est toi qui le sais." Il reprit: "Ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve: ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau.

Apocalypse 7, 15 C'est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, le servant jour et nuit dans son temple; et Celui qui siège sur le trône étendra sur eux sa tente.

Apocalypse 7, 16 Jamais plus ils ne souffriront de la faim ni de la soif; jamais plus ils ne seront accablés ni par le soleil, ni par aucun vent brûlant.

Apocalypse 7, 17 Car l'Agneau qui se tient au milieu du trône sera leur pasteur et les conduira aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux."

Apocalypse 8, 1 Et lorsque l'Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit un silence dans le ciel, environ une demi-heure...

Apocalypse 8, 2 Et je vis les sept Anges qui se tiennent devant Dieu; on leur remit sept trompettes.

Apocalypse 8, 3 Un autre Ange vint alors se placer près de l'autel, muni d'une pelle en or. On lui donna beaucoup de parfums pour qu'il les offrît, avec les prières de tous les saints, sur l'autel d'or placé devant le trône.

Apocalypse 8, 4 Et, de la main de l'Ange, la fumée des parfums s'éleva devant Dieu, avec les prières des saints.

Apocalypse 8, 5 Puis l'Ange saisit la pelle et l'emplit du feu de l'autel qu'il jeta sur la terre. Ce furent alors des tonnerres, des voix et des éclairs, et tout trembla.

Apocalypse 8, 6 Les sept Anges aux sept trompettes s'apprêtèrent à sonner.

Apocalypse 8, 7 Et le premier sonna... Il y eut alors de la grêle et du feu mêlés de sang qui furent jetés sur la terre: et le tiers de la terre fut consumé, et le tiers des arbres fut consumé, et toute herbe verte fut consumée.

Apocalypse 8, 8 Et le deuxième Ange sonna... Alors une énorme masse embrasée, comme une montagne, fut projetée dans la mer, et le tiers de la mer devint du sang:

Apocalypse 8, 9 il périt ainsi le tiers des créatures vivant dans la mer, et le tiers des navires fut détruit.

Apocalypse 8, 10 Et le troisième Ange sonna... Alors tomba du ciel un grand astre, brûlant comme une torche. Il tomba sur le tiers des fleuves et sur les sources;

Apocalypse 8, 11 l'astre se nomme "Absinthe": le tiers des eaux se changea en absinthe, et bien des gens moururent, de ces eaux devenues amères.

Apocalypse 8, 12 Et le quatrième Ange sonna... Alors furent frappés le tiers du soleil et le tiers de la lune et le tiers des étoiles: ils s'assombrirent d'un tiers, et le jour perdit le tiers de sa clarté, et la nuit de même.

Apocalypse 8, 13 Et ma vision se poursuivit. J'entendis un aigle volant au zénith et criant d'une voix puissante: "Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre, à cause de la voix des dernières trompettes dont les trois Anges vont sonner.

Apocalypse 9, 1 Et le cinquième Ange sonna... Alors je vis un astre qui du ciel avait chu sur la terre. On lui remit la clef du puits de l'Abîme?

Apocalypse 9, 2 Il ouvrit le puits de l'Abîme et il en monta une fumée, comme celle d'une immense fournaise - le soleil et l'atmosphère en furent obscurcis --

Apocalypse 9, 3 et, de cette fumée, des sauterelles se répandirent sur la terre; on leur donna un pouvoir pareil à celui des scorpions de la terre.

Apocalypse 9, 4 On leur dit d'épargner les prairies, toute verdure et tout arbre, et de s'en prendre seulement aux hommes qui ne porteraient pas sur le front le sceau de Dieu.

Apocalypse 9, 5 On leur donna, non de les tuer, mais de les tourmenter durant cinq mois. La douleur qu'elles provoquent ressemble à celle d'une piqûre de scorpion.

Apocalypse 9, 6 En ces jours-là, les hommes rechercheront la mort sans la trouver, ils souhaiteront mourir et la mort les fuira!

Apocalypse 9, 7 Or ces sauterelles, à les voir, font penser à des chevaux équipés pour la guerre; sur leur tête on dirait des couronnes d'or, et leur face rappelle des faces humaines;

Apocalypse 9, 8 leurs cheveux, des chevelures de femmes, et leurs dents, des dents de lions;

Apocalypse 9, 9 leur thorax, des cuirasses de fer, et le bruit de leurs ailes, le vacarme de chars aux multiples chevaux se ruant au combat;

Apocalypse 9, 10 elles ont une queue pareille à des scorpions, avec un dard; et dans leur queue se trouve leur pouvoir de torturer les hommes durant cinq mois.

Apocalypse 9, 11 A leur tête, comme roi, elles ont l'Ange de l'Abîme; il s'appelle en hébreu: "Abaddôn", et en grec: "Apollyôn."

Apocalypse 9, 12 Le premier "Malheur" a passé, voici encore deux "Malheurs" qui le suivent...

Apocalypse 9, 13 Et le sixième Ange sonna... Alors j'entendis une voix venant des quatre cornes de l'autel d'or placé devant Dieu;

Apocalypse 9, 14 elle dit au sixième Ange portant trompette: "Relâche les quatre Anges enchaînés sur le grand fleuve Euphrate."

Apocalypse 9, 15 Et l'on relâcha les quatre Anges qui se tenaient prêts pour l'heure et le jour et le mois et l'année, afin d'exterminer le tiers des hommes.

Apocalypse 9, 16 Leur armée comptait 200.000.000 de cavaliers: on m'en précisa le nombre.

Apocalypse 9, 17 Tels m'apparurent en vision les chevaux et leurs cavaliers: ceux-ci portent des cuirasses de feu, d'hyacinthe et de soufre; quant aux chevaux, leur tête est comme celle du lion, et leur bouche crache feu et fumée et soufre.

Apocalypse 9, 18 Alors le tiers des hommes fut exterminé par ces trois fléaux: le feu, la fumée et le soufre vomis de la bouche des chevaux.

Apocalypse 9, 19 Car la puissance des chevaux réside en leur bouche; elle réside aussi dans leur queue: ces queues, en effet, ainsi que des serpents, sont munies de têtes dont elles se servent pour nuire.

Apocalypse 9, 20 Or les hommes échappés à l'hécatombe de ces fléaux ne renoncèrent même pas aux oeuvres de leurs mains: ils ne cessèrent d'adorer les démons, ces idoles d'or, d'argent, de bronze, de pierre et de bois, incapables de voir, d'entendre ou de marcher.

Apocalypse 9, 21 Ils n'abandonnèrent ni leurs meurtres, ni leurs sorcelleries, ni leurs débauches, ni leurs rapines.

Apocalypse 10, 1 Je vis ensuite un autre Ange, puissant, descendre du ciel enveloppé d'une nuée, un arc-en-ciel au-dessus de la tête, le visage comme le soleil et les jambes comme des colonnes de feu.

Apocalypse 10, 2 Il tenait en sa main un petit livre ouvert. Il posa le pied droit sur la mer, le gauche sur la terre,

Apocalypse 10, 3 et il poussa une puissante clameur pareille au rugissement du lion. Après quoi, les sept tonnerres firent retentir leurs voix.

Apocalypse 10, 4 Quand les sept tonnerres eurent parlé, j'allais écrire mais j'entendis du ciel une voix me dire: "Tiens secrètes les paroles des sept tonnerres et ne les écris pas."

Apocalypse 10, 5 Alors l'Ange que j'avais vu, debout sur la mer et la terre, leva la main droite au ciel

Apocalypse 10, 6 et jura par Celui qui vit dans les siècles des siècles, qui créa le ciel et tout ce qu'il contient, la terre et tout ce qu'elle contient, la mer et tout ce qu'elle contient: "Plus de délai!

Apocalypse 10, 7 Mais aux jours où l'on entendra le septième Ange, quand il sonnera de la trompette, alors sera consommé le mystère de Dieu, selon la bonne nouvelle qu'il en a donnée à ses serviteurs les prophètes."

Apocalypse 10, 8 Puis la voix du ciel, que j'avais entendue, me parla de nouveau: "Va prendre le petit livre ouvert dans la main de l'Ange debout sur la mer et sur la terre."

Apocalypse 10, 9 Je m'en fus alors prier l'Ange de me donner le petit livre; et lui me dit: tiens, mange-le; il te remplira les entrailles d'amertume, mais en ta bouche il aura la douceur du miel."

Apocalypse 10, 10 "Je pris le petit livre de la main de l'Ange et l'avalai; dans ma bouche, il avait la douceur du miel, mais quand je l'eus mangé, il remplit mes entrailles d'amertume.

Apocalypse 10, 11 Alors on me dit: "Il te faut de nouveau prophétiser contre une foule de peuples, de nations, de langues et de rois."

Apocalypse 11, 1 Puis on me donna un roseau, une sorte de baguette, en me disant: "Lève-toi pour mesurer le Temple de Dieu, l'autel et les adorateurs qui s'y trouvent;

Apocalypse 11, 2 quant au parvis extérieur du Temple, laisse-le, ne le mesure pas, car on l'a donné aux païens: ils fouleront la Ville Sainte durant 42 mois.

Apocalypse 11, 3 Mais je donnerai à mes deux témoins de prophétiser pendant 1.260 jours, revêtus de sacs."

Apocalypse 11, 4 Ce sont les deux oliviers et les deux flambeaux qui se tiennent devant le Maître de la terre.

Apocalypse 11, 5 Si l'on s'avisait de les malmener, un feu jaillirait de leur bouche pour dévorer leurs ennemis; oui, qui s'aviserait de les malmener, c'est ainsi qu'il lui faudrait périr.

Apocalypse 11, 6 Ils ont pouvoir de clore le ciel afin que nulle pluie ne tombe durant le temps de leur mission; ils ont aussi pouvoir sur les eaux, de les changer en sang, et pouvoir de frapper la terre de mille fléaux, aussi souvent qu'ils le voudront.

Apocalypse 11, 7 Mais quand ils auront fini de rendre témoignage, la Bête qui surgit de l'Abîme viendra guerroyer contre eux, les vaincre et les tuer.

Apocalypse 11, 8 Et leurs cadavres, sur la place de la Grande Cité, Sodome ou Egypte comme on l'appelle symboliquement, là où leur Seigneur aussi fut crucifié,

Apocalypse 11, 9 leurs cadavres demeurent exposés aux regards des peuples, des races, des langues et des nations, durant trois jours et demi, sans qu'il soit permis de les mettre au tombeau.

Apocalypse 11, 10 Les habitants de la terre s'en réjouissent et s'en félicitent; ils échangent des présents, car ces deux prophètes leur avaient causé bien des tourments.

Apocalypse 11, 11 Mais, passés les trois jours et demi, Dieu leur infusa un souffle de vie qui les remit sur pieds, au grand effroi de ceux qui les regardaient.

Apocalypse 11, 12 J'entendis alors une voix puissante leur crier du ciel: "Montez ici!" Ils montèrent donc au ciel dans la nuée, aux yeux de leurs ennemis.

Apocalypse 11, 13 A cette heure-là, il se fit un violent tremblement de terre, et le dixième de la ville croula, et dans le cataclysme périrent 7.000 personnes. Les survivants, saisis d'effroi, rendirent gloire au Dieu du ciel.

Apocalypse 11, 14 Le deuxième "Malheur" a passé, voici que le troisième accourt!

Apocalypse 11, 15 Et le septième Ange sonna... Alors, au ciel, des voix clamèrent: "La royauté du monde est acquise à notre Seigneur ainsi qu'à son Christ; il régnera dans les siècles des siècles."

Apocalypse 11, 16 Et les 24 Vieillards qui sont assis devant Dieu, sur leurs sièges, se prosternèrent pour adorer Dieu en disant:

Apocalypse 11, 17 "Nous te rendons grâce, Seigneur, Dieu Maître-de-tout, Il est et Il était, parce que tu as pris en main ton immense puissance pour établir ton règne.

Apocalypse 11, 18 Les nations s'étaient mises en fureur; mais voici ta fureur à toi, et le temps pour les morts d'être jugés; le temps de récompenser tes serviteurs les prophètes, les saints, et ceux qui craignent ton nom, petits et grands, et de perdre ceux qui perdent la terre."

Apocalypse 11, 19 Alors s'ouvrit le temple de Dieu, dans le ciel, et son arche d'alliance apparut, dans le temple; puis ce furent des éclairs et des voix et des tonnerres et un tremblement de terre, et la grêle tombait dru...

Apocalypse 12, 1 Un signe grandiose apparut au ciel: une Femme! le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête;

Apocalypse 12, 2 elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement.

Apocalypse 12, 3 Puis un second signe apparut au ciel: un énorme Dragon rouge-feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d'un diadème.

Apocalypse 12, 4 Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les précipite sur la terre. En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s'apprête à dévorer son enfant aussitôt né.

Apocalypse 12, 5 Or la Femme mit au monde un enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations avec un sceptre de fer;

Apocalypse 12, 6 et son enfant fut enlevé jusqu'auprès de Dieu et de son trône, tandis que la Femme s'enfuyait au désert, où Dieu lui a ménagé un refuge pour qu'elle y soit nourrie 1.260 jours.

Apocalypse 12, 7 Alors, il y eut une bataille dans le ciel: Michel et ses Anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses Anges,

Apocalypse 12, 8 mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel.

Apocalypse 12, 9 On le jeta donc, l'énorme Dragon, l'antique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l'appelle, le séducteur du monde entier, on le jeta sur la terre et ses Anges furent jetés avec lui.

Apocalypse 12, 10 Et j'entendis une voix clamer dans le ciel: "Désormais, la victoire, la puissance et la royauté sont acquises à notre Dieu, et la domination à son Christ, puisqu'on a jeté bas l'accusateur de nos frères, celui qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu.

Apocalypse 12, 11 Mais eux l'ont vaincu par le sang de l'Agneau et par la parole dont ils ont témoigné, car ils ont méprisé leur vie jusqu'à mourir.

Apocalypse 12, 12 Soyez donc dans la joie, vous, les cieux et leurs habitants. Malheur à vous, la terre et la mer, car le Diable est descendu chez vous, frémissant de colère et sachant que ses jours sont comptés."

Apocalypse 12, 13 Se voyant rejeté sur la terre, le Dragon se lança à la poursuite de la Femme, la mère de l'enfant mâle.

Apocalypse 12, 14 Mais elle reçut les deux ailes du grand aigle pour voler au désert jusqu'au refuge où, loin du Serpent, elle doit être nourrie un temps et des temps et la moitié d'un temps.

Apocalypse 12, 15 Le Serpent vomit alors de sa gueule comme un fleuve d'eau derrière la Femme pour l'entraîner dans ses flots.

Apocalypse 12, 16 Mais la terre vint au secours de la Femme: ouvrant la bouche, elle engloutit le fleuve vomi par la gueule du Dragon.

Apocalypse 12, 17 Alors, furieux contre la Femme, le Dragon s'en alla guerroyer contre le reste de ses enfants, ceux qui gardent les commandements de Dieu et possèdent le témoignage de Jésus.

Apocalypse 13, 1 Et je me tins sur la grève de la mer. Alors je vis surgir de la mer une Bête ayant sept têtes et dix cornes, sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des titres blasphématoires.

Apocalypse 13, 2 La Bête que je vis ressemblait à une panthère, avec les pattes comme celles d'un ours et la gueule comme une gueule de lion; et le Dragon lui transmit sa puissance et son trône et un pouvoir immense.

Apocalypse 13, 3 L'une de ses têtes paraissait blessée à mort, mais sa plaie mortelle fut guérie; alors, émerveillée, la terre entière suivit la Bête.

Apocalypse 13, 4 On se prosterna devant le Dragon, parce qu'il avait remis le pouvoir à la Bête; et l'on se prosterna devant la Bête en disant: "Qui égale la Bête, et qui peut lutter contre elle?"

Apocalypse 13, 5 On lui donna de proférer des paroles d'orgueil et de blasphème; on lui donna pouvoir d'agir durant 42 mois;

Apocalypse 13, 6 alors elle se mit à proférer des blasphèmes contre Dieu, à blasphémer son nom et sa demeure, ceux qui demeurent au ciel.

Apocalypse 13, 7 On lui donna de mener campagne contre les saints et de les vaincre; on lui donna pouvoir sur toute race, peuple, langue ou nation.

Apocalypse 13, 8 Et ils l'adoreront, tous les habitants de la terre dont le nom ne se trouve pas écrit, dès l'origine du monde, dans le livre de vie de l'Agneau égorgé.

Apocalypse 13, 9 Celui qui a des oreilles, qu'il entende!

Apocalypse 13, 10 Les chaînes pour qui doit être enchaîné; la mort par le glaive pour qui doit périr par le glaive! Voilà qui fonde l'endurance et la confiance des saints.

Apocalypse 13, 11 Je vis ensuite surgir de la terre une autre Bête; elle avait deux cornes comme un agneau, mais parlait comme un dragon.

Apocalypse 13, 12 Au service de la première Bête, elle en établit partout le pouvoir, amenant la terre et ses habitants à adorer cette première Bête dont la plaie mortelle fut guérie.

Apocalypse 13, 13 Elle accomplit des prodiges étonnants: jusqu'à faire descendre, aux yeux de tous, le feu du ciel sur la terre;

Apocalypse 13, 14 et, par les prodiges qu'il lui a été donné d'accomplir au service de la Bête, elle fourvoie les habitants de la terre, leur disant de dresser une image en l'honneur de cette Bête qui, frappée du glaive, a repris vie.

Apocalypse 13, 15 On lui donna même d'animer l'image de la Bête pour la faire parler, et de faire en sorte que fussent mis à mort tous ceux qui n'adoreraient pas l'image de la Bête.

Apocalypse 13, 16 Par ses manoeuvres, tous, petits et grands, riches ou pauvres, libres et esclaves, se feront marquer sur la main droite ou sur le front,

Apocalypse 13, 17 et nul ne pourra rien acheter ni vendre s'il n'est marqué au nom de la Bête ou au chiffre de son nom.

Apocalypse 13, 18 C'est ici qu'il faut de la finesse! Que l'homme doué d'esprit calcule le chiffre de la Bête, c'est un chiffre d'homme: son chiffre, c'est 666.

Apocalypse 14, 1 Puis voici que l'Agneau apparut à mes yeux; il se tenait sur le mont Sion, avec 144.000 gens portant inscrits sur le front leur nom et le nom de leur père.

Apocalypse 14, 2 Et j'entendis un bruit venant du ciel, comme le mugissement des grandes eaux ou le grondement d'un orage violent, et ce bruit me faisait songer à des joueurs de harpe touchant de leurs instruments;

Apocalypse 14, 3 ils chantent un cantique nouveau devant le trône et devant les quatre Vivants et les Vieillards. Et nul ne pouvait apprendre le cantique, hormis les 144.000, les rachetés à la terre.

Apocalypse 14, 4 Ceux-là, ils ne se sont pas souillés avec des femmes, ils sont vierges; ceux-là suivent l'Agneau partout où il va; ceux-là ont été rachetés d'entre les hommes comme prémices pour Dieu et pour l'Agneau.

Apocalypse 14, 5 Jamais leur bouche ne connut le mensonge: ils sont immaculés.

Apocalypse 14, 6 Puis je vis un autre Ange qui volait au zénith, ayant une bonne nouvelle éternelle à annoncer à ceux qui demeurent sur la terre, à toute nation, race, langue et peuple.

Apocalypse 14, 7 Il criait d'une voix puissante: "Craignez Dieu et glorifiez-le, car voici l'heure de son Jugement; adorez donc Celui qui a fait le ciel et la terre et la mer et les sources."

Apocalypse 14, 8 Un autre Ange, un deuxième, le suivit en criant: "Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la Grande, elle qui a abreuvé toutes les nations du vin de la colère."

Apocalypse 14, 9 Un autre Ange, un troisième, les suivit, criant d'une voix puissante: "Quiconque adore la Bête et son image, et se fait marquer sur le front ou sur la main,

Apocalypse 14, 10 lui aussi boira le vin de la fureur de Dieu, qui se trouve préparé, pur, dans la coupe de sa colère. Il subira le supplice du feu et du soufre, devant les saints Anges et devant l'Agneau.

Apocalypse 14, 11 Et la fumée de leur supplice s'élève pour les siècles des siècles; non, point de repos, ni le jour ni la nuit, pour ceux qui adorent la Bête et son image, pour qui reçoit la marque de son nom."

Apocalypse 14, 12 Voilà qui fonde la constance des saints, ceux qui gardent les commandements de Dieu et la foi en Jésus.

Apocalypse 14, 13 Puis j'entendis une voix me dire, du ciel: "Ecris: Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur; dès maintenant - oui, dit l'Esprit - qu'ils se reposent de leurs fatigues, car leurs oeuvres les accompagnent."

Apocalypse 14, 14 Et voici qu'apparut à mes yeux une nuée blanche et sur la nuée était assis comme un Fils d'homme, ayant sur la tête une couronne d'or et dans la main une faucille aiguisée.

Apocalypse 14, 15 Puis un autre Ange sortit du temple et cria d'une voix puissante à celui qui était assis sur la nuée: "Jette ta faucille et moissonne, car c'est l'heure de moissonner, la moisson de la terre est mûre."

Apocalypse 14, 16 Alors celui qui était assis sur la nuée jeta sa faucille sur la terre, et la terre fut moissonnée.

Apocalypse 14, 17 Puis un autre Ange sortit du temple, au ciel, tenant également une faucille aiguisée.

Apocalypse 14, 18 Et un autre Ange sortit de l'autel - l'Ange préposé au feu - et cria d'une voix puissante à celui qui tenait la faucille: "Jette ta faucille aiguisée, vendange les grappes dans la vigne de la terre, car ses raisins sont mûrs."

Apocalypse 14, 19 L'Ange alors jeta sa faucille sur la terre, il en vendangea la vigne et versa le tout dans la cuve de la colère de Dieu, cuve immense!

Apocalypse 14, 20 Puis on la foula hors de la ville, et il en coula du sang qui monta jusqu'au mors des chevaux sur une étendue de mille stades.

Apocalypse 15, 1 Puis je vis dans le ciel encore un signe, grand et merveilleux: sept Anges, portant sept fléaux, les derniers puisqu'ils doivent consommer la colère de Dieu.

Apocalypse 15, 2 Et je vis comme une mer de cristal mêlée de feu, et ceux qui ont triomphé de la Bête, de son image et du chiffre de son nom, debout près de cette mer de cristal. S'accompagnant sur les harpes de Dieu,

Apocalypse 15, 3 ils chantent le cantique de Moïse, le serviteur de Dieu, et le cantique de l'Agneau: "Grandes et merveilleuses sont tes oeuvres, Seigneur, Dieu Maître-de-tout; justes et droites sont tes voies, ô Roi des nations.

Apocalypse 15, 4 Qui ne craindrait, Seigneur, et ne glorifierait ton nom? Car seul tu es saint; et tous les païens viendront se prosterner devant toi, parce que tu as fait éclater tes vengeances."

Apocalypse 15, 5 Après quoi, ma vision se poursuivit. Au ciel s'ouvrit le temple, la Tente du Témoignage,

Apocalypse 15, 6 d'où sortirent les sept Anges aux sept fléaux, vêtus de robes de lin pur, éblouissantes, serrées à la taille par des ceintures en or.

Apocalypse 15, 7 Puis, l'un des quatre Vivants remit aux sept Anges sept coupes en or remplies de la colère du Dieu qui vit pour les siècles des siècles.

Apocalypse 15, 8 Et le temple se remplit d'une fumée produite par la gloire de Dieu et par sa puissance, en sorte que nul ne put y pénétrer jusqu'à la consommation des sept fléaux des sept Anges.

Apocalypse 16, 1 Et j'entendis une voix qui, du temple, criait aux sept Anges: "Allez, répandez sur la terre les sept coupes de la colère de Dieu."

Apocalypse 16, 2 Et le premier s'en alla répandre sa coupe sur la terre; alors, ce fut un ulcère mauvais et pernicieux sur les gens qui portaient la marque de la Bête et se prosternaient devant son image.

Apocalypse 16, 3 Et le deuxième répandit sa coupe dans la mer; alors, ce fut du sang - on aurait dit un meurtre! - et tout être vivant mourut dans la mer.

Apocalypse 16, 4 Et le troisième répandit sa coupe dans les fleuves et les sources; alors, ce fut du sang.

Apocalypse 16, 5 Et j'entendis l'Ange des eaux qui disait: "Tu es juste, Il est et Il était, le Saint, d'avoir ainsi châtié;

Apocalypse 16, 6 c'est le sang des saints et des prophètes qu'ils ont versé, c'est donc du sang que tu leur as fait boire, ils le méritent!"

Apocalypse 16, 7 Et j'entendis l'autel dire: "Oui, Seigneur, Dieu Maître-de-tout, tes châtiments sont vrais et justes."

Apocalypse 16, 8 Et le quatrième répandit sa coupe sur le soleil; alors, il lui fut donné de brûler les hommes par le feu,

Apocalypse 16, 9 et les hommes furent brûlés par une chaleur torride. Mais, loin de se repentir en rendant gloire à Dieu, ils blasphémèrent le nom du Dieu qui détenait en son pouvoir de tels fléaux.

Apocalypse 16, 10 Et le cinquième répandit sa coupe sur le trône de la Bête, alors, son royaume devint ténèbres, et l'on se mordait la langue de douleur.

Apocalypse 16, 11 Mais, loin de se repentir de leurs agissements, les hommes blasphémèrent le Dieu du ciel sous le coup des douleurs et des plaies.

Apocalypse 16, 12 Et le sixième répandit sa coupe sur le grand fleuve Euphrate; alors, ses eaux tarirent, livrant passage aux rois de l'Orient.

Apocalypse 16, 13 Puis, de la gueule du Dragon, et de la gueule de la Bête, et de la gueule du faux prophète, je vis surgir trois esprits impurs, comme des grenouilles --

Apocalypse 16, 14 et de fait, ce sont des esprits démoniaques, des faiseurs de prodiges, qui s'en vont rassembler les rois du monde entier pour la guerre, pour le grand Jour du Dieu Maître-de-tout.

Apocalypse 16, 15 (Voici que je viens comme un voleur: heureux celui qui veille et garde ses vêtements pour ne pas aller nu et laisser voir sa honte.)

Apocalypse 16, 16 Ils les rassemblèrent au lieu dit, en hébreu, Harmagedôn.

Apocalypse 16, 17 Et le septième répandit sa coupe dans l'air; alors, partant du temple, une voix clama: "C'en est fait!"

Apocalypse 16, 18 Et ce furent des éclairs et des voix et des tonnerres, avec un violent tremblement de terre; non, depuis qu'il y a des hommes sur la terre, jamais on n'avait vu pareil tremblement de terre, aussi violent!

Apocalypse 16, 19 La Grande Cité se scinda en trois parties, et les cités des nations croulèrent; et Babylone la Grande, Dieu s'en souvint pour lui donner la coupe où bouillonne le vin de sa colère.

Apocalypse 16, 20 Alors, toute île prit la fuite, et les montagnes disparurent.

Apocalypse 16, 21 Et des grêlons énormes - près de 80 livres! - s'abattirent du ciel sur les hommes. Et les hommes blasphémèrent Dieu, à cause de cette grêle désastreuse; oui, elle est bien cause d'un effrayant désastre.

Apocalypse 17, 1 Alors l'un des sept Anges aux sept coupes s'en vint me dire: "Viens, que je te montre le jugement de la Prostituée fameuse, assise au bord des grandes eaux;

Apocalypse 17, 2 c'est avec elle qu'ont forniqué les rois de la terre, et les habitants de la terre se sont saoulés du vin de sa prostitution."

Apocalypse 17, 3 Il me transporta au désert, en esprit. Et je vis une femme, assise sur une Bête écarlate couverte de titres blasphématoires et portant sept têtes et dix cornes.

Apocalypse 17, 4 La femme, vêtue de pourpre et d'écarlate, étincelait d'or, de pierres précieuses et de perles; elle tenait à la main une coupe en or, remplie d'abominations et des souillures de sa prostitution.

Apocalypse 17, 5 Sur son front, un nom était inscrit - un mystère! - "Babylone la Grande, la mère des prostituées et des abominations de la terre.

Apocalypse 17, 6 Et sous mes yeux, la femme se saoulait du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus. A sa vue, je fus bien stupéfait;

Apocalypse 17, 7 mais l'Ange me dit: "Pourquoi t'étonner? Je vais te dire, moi, le mystère de la femme et de la Bête qui la porte, aux sept têtes et aux dix cornes.

Apocalypse 17, 8 "Cette Bête-là, elle était et elle n'est plus; elle va remonter de l'Abîme, mais pour s'en aller à sa perte; et les habitants de la terre, dont le nom ne fut pas inscrit dès l'origine du monde dans le livre de vie, s'émerveilleront au spectacle de la Bête, de ce qu'elle était, n'est plus, et reparaîtra.

Apocalypse 17, 9 C'est ici qu'il faut un esprit doué de finesse! Les sept têtes, ce sont sept collines sur lesquelles la femme est assise. "Ce sont aussi sept rois,

Apocalypse 17, 10 dont cinq ont passé, l'un vit, et le dernier n'est pas encore venu; une fois là, il faut qu'il demeure un peu.

Apocalypse 17, 11 Quant à la Bête qui était et n'est plus, elle-même fait le huitième, l'un des sept cependant; il s'en va à sa perte.

Apocalypse 17, 12 Et ces dix cornes-là, ce sont dix rois; ils n'ont pas encore reçu de royauté, ils recevront un pouvoir royal, pour une heure seulement, avec la Bête.

Apocalypse 17, 13 Ils sont tous d'accord pour remettre à la Bête leur puissance et leur pouvoir.

Apocalypse 17, 14 Ils mèneront campagne contre l'Agneau, et l'Agneau les vaincra, car il est Seigneur des seigneurs et Roi des rois, avec les siens: les appelés, les choisis, les fidèles.

Apocalypse 17, 15 "Et ces eaux-là, poursuivit l'Ange, où la Prostituée est assise, ce sont des peuples, des foules, des nations et des langues.

Apocalypse 17, 16 Mais ces dix cornes-là et la Bête, ils vont prendre en haine la Prostituée, ils la dépouilleront de ses vêtements, toute nue, ils en mangeront la chair, ils la consumeront par le feu;

Apocalypse 17, 17 car Dieu leur a inspiré la résolution de réaliser son propre dessein, de se mettre d'accord pour remettre leur pouvoir royal à la Bête, jusqu'à l'accomplissement des paroles de Dieu.

Apocalypse 17, 18 Et cette femme-là, c'est la Grande Cité, celle qui règne sur les rois de la terre."

Apocalypse 18, 1 Après quoi, je vis descendre du ciel un autre Ange, ayant un grand pouvoir, et la terre fut illuminée de sa splendeur.

Apocalypse 18, 2 Il s'écria d'une voix puissante: "Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la Grande; elle s'est changée en demeure de démons, en repaire pour toutes sortes d'esprits impurs, en repaire pour toutes sortes d'oiseaux impurs et dégoûtants.

Apocalypse 18, 3 Car au vin de ses prostitutions se sont abreuvées toutes les nations, et les rois de la terre ont forniqué avec elle, et les trafiquants de la terre se sont enrichis de son luxe effréné."

Apocalypse 18, 4 Puis j'entendis une autre voix qui disait, du ciel: "Sortez, ô mon peuple, quittez-la, de peur que, solidaires de ses fautes, vous n'ayez à pâtir de ses plaies!

Apocalypse 18, 5 Car ses péchés se sont amoncelés jusqu'au ciel, et Dieu s'est souvenu de ses iniquités.

Apocalypse 18, 6 Payez-la de sa propre monnaie! Rendez-lui au double de ses forfaits! Dans la coupe de ses mixtures, mélangez une double dose!

Apocalypse 18, 7 A la mesure de son faste et de son luxe, donnez-lui tourments et malheurs! Je trône en reine, se dit-elle, et je ne suis pas veuve, et jamais je ne verrai le deuil...

Apocalypse 18, 8 Voilà pourquoi, en un seul jour, des plaies vont fondre sur elle: peste, deuil et famine; elle sera consumée par le feu. Car il est puissant le Seigneur Dieu qui l'a condamnée."

Apocalypse 18, 9 Ils pleureront, ils se lamenteront sur elle, les rois de la terre, les compagnons de sa vie lascive et fastueuse, quand ils verront la fumée de ses flammes,

Apocalypse 18, 10 retenus à distance par peur de son supplice: "Hélas, hélas! Immense cité, ô Babylone, cité puissante, car une heure a suffi pour que tu sois jugée!"

Apocalypse 18, 11 Ils pleurent et se désolent sur elle, les trafiquants de la terre; les cargaisons de leurs navires, nul désormais ne les achète!

Apocalypse 18, 12 Cargaisons d'or et d'argent, de pierres précieuses et de perles, de lin et de pourpre, de soie et d'écarlate; et les bois de thuya, et les objets d'ivoire, et les objets de bois précieux, de bronze, de fer ou de marbre;

Apocalypse 18, 13 le cinnamome, l'amome et les parfums, la myrrhe et l'encens, le vin et l'huile, la farine et le blé, les bestiaux et les moutons, les chevaux et les chars, les esclaves et la marchandise humaine...

Apocalypse 18, 14 Et les fruits mûrs, que convoitait ton âme, s'en sont allés, loin de toi; et tout le luxe et la splendeur, c'est à jamais fini pour toi, sans retour!

Apocalypse 18, 15 Les trafiquants qu'elle enrichit de ce commerce se tiendront à distance, par peur de son supplice, pleurant et gémissant:

Apocalypse 18, 16 "Hélas, hélas! Immense cité, vêtue de lin, de pourpre et d'écarlate, parée d'or, de pierres précieuses et de perles,

Apocalypse 18, 17 car une heure a suffi pour ruiner tout ce luxe!" Capitaines et gens qui font le cabotage, matelots et tous ceux qui vivent de la mer, se tinrent à distance

Apocalypse 18, 18 et criaient, regardant la fumée de ses flammes: "Qui donc était semblable à l'immense cité?"

Apocalypse 18, 19 Et jetant la poussière sur leur tête, ils s'écriaient, pleurant et gémissant: "Hélas, hélas! Immense cité, dont la vie luxueuse enrichissait tous les patrons des navires de mer, car une heure a suffi pour consommer sa ruine!"

Apocalypse 18, 20 O ciel, sois dans l'allégresse sur elle, et vous, saints, apôtres et prophètes, car Dieu, en la condamnant, a jugé votre cause.

Apocalypse 18, 21 Un Ange puissant prit alors une pierre, comme une grosse meule, et la jeta dans la mer en disant: "Ainsi, d'un coup, on jettera Babylone, la grande cité, on ne la verra jamais plus..."

Apocalypse 18, 22 Le chant des harpistes et des trouvères et des joueurs de flûte ou de trompette chez toi ne s'entendra jamais plus; les artisans de tout métier chez toi ne se verront jamais plus; et la voix de la meule chez toi ne s'entendra jamais plus;

Apocalypse 18, 23 la lumière de la lampe chez toi ne brillera jamais plus; la voix du jeune époux et de l'épousée chez toi ne s'entendra jamais plus. Car tes marchands étaient les princes de la terre, et tes sortilèges ont fourvoyé tous les peuples;

Apocalypse 18, 24 et c'est en elle que l'on a vu le sang des prophètes et des saints, et de tous ceux qui furent égorgés sur la terre.

Apocalypse 19, 1 Après quoi j'entendis comme un grand bruit de foule immense au ciel, qui clamait: "Alleluia! Salut et gloire et puissance à notre Dieu,

Apocalypse 19, 2 car ses jugements sont vrais et justes: il a jugé la Prostituée fameuse qui corrompait la terre par sa prostitution, et vengé sur elle le sang de ses serviteurs."

Apocalypse 19, 3 Puis ils reprirent: "Alleluia! Oui, sa fumée s'élève pour les siècles des siècles!"

Apocalypse 19, 4 Alors, les 24 Vieillards et les quatre Vivants se prosternèrent pour adorer Dieu, qui siège sur le trône, en disant: "Amen, alleluia!..."

Apocalypse 19, 5 Puis une voix partit du trône: "Louez notre Dieu, vous tous qui le servez, et vous qui le craignez, les petits et les grands."

Apocalypse 19, 6 Alors j'entendis comme le bruit d'une foule immense, comme le mugissement des grandes eaux, comme le grondement de violents tonnerres; on clamait: "Alleluia! Car il a pris possession de son règne, le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout.

Apocalypse 19, 7 Soyons dans l'allégresse et dans la joie, rendons gloire à Dieu, car voici les noces de l'Agneau, et son épouse s'est faite belle:

Apocalypse 19, 8 on lui a donné de se vêtir de lin d'une blancheur éclatante" - le lin, c'est en effet les bonnes actions des saints.

Apocalypse 19, 9 Puis il me dit: "Ecris: Heureux les gens invités au festin de noce de l'Agneau. Ces paroles de Dieu, ajouta-t-il, sont vraies."

Apocalypse 19, 10 Alors je me prosternai à ses pieds pour l'adorer, mais lui me dit: "Non, attention, je suis un serviteur comme toi et comme tes frères qui possèdent le témoignage de Jésus. C'est Dieu que tu dois adorer." Le témoignage de Jésus, c'est l'esprit de prophétie.

Apocalypse 19, 11 Alors je vis le ciel ouvert, et voici un cheval blanc; celui qui le monte s'appelle "Fidèle" et "Vrai", il juge et fait la guerre avec justice.

Apocalypse 19, 12 Ses yeux? Une flamme ardente; sur sa tête, plusieurs diadèmes; inscrit sur lui, un nom qu'il est seul à connaître;

Apocalypse 19, 13 le manteau qui l'enveloppe est trempé de sang; et son nom? Le Verbe de Dieu.

Apocalypse 19, 14 Les armées du ciel le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues de lin d'une blancheur parfaite.

Apocalypse 19, 15 De sa bouche sort une épée acérée pour en frapper les païens; c'est lui qui les mènera avec un sceptre de fer; c'est lui qui foule dans la cuve le vin de l'ardente colère de Dieu, le Maître-de-tout.

Apocalypse 19, 16 Un nom est inscrit sur son manteau et sur sa cuisse: Roi des rois et Seigneur des seigneurs.

Apocalypse 19, 17 Puis je vis un Ange, debout sur le soleil, crier d'une voix puissante à tous les oiseaux qui volent au zénith: "Venez, ralliez le grand festin de Dieu!

Apocalypse 19, 18 Vous y avalerez chairs de rois, et chairs de grands capitaines, et chairs de héros, et chairs de chevaux avec leurs cavaliers, et chairs de toutes gens, libres et esclaves, petits et grands!"

Apocalypse 19, 19 Je vis alors la Bête, avec les rois de la terre et leurs armées rassemblés pour engager le combat contre le Cavalier et son armée.

Apocalypse 19, 20 Mais la Bête fut capturée, avec le faux prophète - celui qui accomplit au service de la Bête des prodiges par lesquels il fourvoyait les gens ayant reçu la marque de la Bête et les adorateurs de son image, - on les jeta tous deux, vivants, dans l'étang de feu, de soufre embrasé.

Apocalypse 19, 21 Tout le reste fut exterminé par l'épée du Cavalier, qui sort de sa bouche, et tous les oiseaux se repurent de leurs chairs.

Apocalypse 20, 1 Puis je vis un Ange descendre du ciel, ayant en main la clef de l'Abîme, ainsi qu'une énorme chaîne.

Apocalypse 20, 2 Il maîtrisa le Dragon, l'antique Serpent, - c'est le Diable, Satan, - et l'enchaîna pour mille années.

Apocalypse 20, 3 Il le jeta dans l'Abîme, tira sur lui les verrous, apposa des scellés, afin qu'il cessât de fourvoyer les nations jusqu'à l'achèvement des mille années. Après quoi, il doit être relâché pour un peu de temps.

Apocalypse 20, 4 Puis je vis des trônes sur lesquels ils s'assirent, et on leur remit le jugement; et aussi les âmes de ceux qui furent décapités pour le témoignage de Jésus et la Parole de Dieu, et tous ceux qui refusèrent d'adorer la Bête et son image, de se faire marquer sur le front ou sur la main; ils reprirent vie et régnèrent avec le Christ mille années.

Apocalypse 20, 5 Les autres morts ne purent reprendre vie avant l'achèvement des mille années. C'est la première résurrection.

Apocalypse 20, 6 Heureux et saint celui qui participe à la première résurrection! La seconde mort n'a pas pouvoir sur eux, mais ils seront prêtres de Dieu et du Christ avec qui ils régneront mille années.

Apocalypse 20, 7 Les mille ans écoulés, Satan, relâché de sa prison,

Apocalypse 20, 8 s'en ira séduire les nations des quatre coins de la terre, Gog et Magog, et les rassembler pour la guerre, aussi nombreux que le sable de la mer;

Apocalypse 20, 9 ils montèrent sur toute l'étendue du pays, puis ils investirent le camp des saints, la Cité bien-aimée. Mais un feu descendit du ciel et les dévora.

Apocalypse 20, 10 Alors, le diable, leur séducteur, fut jeté dans l'étang de feu et de soufre, y rejoignant la Bête et le faux prophète, et leur supplice durera jour et nuit, pour les siècles des siècles.

Apocalypse 20, 11 Puis je vis un trône blanc, très grand, et Celui qui siège dessus. Le ciel et la terre s'enfuirent de devant sa face sans laisser de traces.

Apocalypse 20, 12 Et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône; on ouvrit des livres, puis un autre livre, celui de la vie; alors, les morts furent jugés d'après le contenu des livres, chacun selon ses oeuvres.

Apocalypse 20, 13 Et la mer rendit les morts qu'elle gardait, la Mort et l'Hadès rendirent les morts qu'ils gardaient, et chacun fut jugé selon ses oeuvres.

Apocalypse 20, 14 Alors la Mort et l'Hadès furent jetés dans l'étang de feu - c'est la seconde mort cet étang de feu --

Apocalypse 20, 15 et celui qui ne se trouva pas inscrit dans le livre de vie, on le jeta dans l'étang de feu.

Apocalypse 21, 1 Puis je vis un ciel nouveau, une terre nouvelle - car le premier ciel et la première terre ont disparu, et de mer, il n'y en a plus.

Apocalypse 21, 2 Et je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu; elle s'est faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux.

Apocalypse 21, 3 J'entendis alors une voix clamer, du trône: "Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux; ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu.

Apocalypse 21, 4 Il essuiera toute larme de leurs yeux: de mort, il n'y en aura plus; de pleur, de cri et de peine, il n'y en aura plus, car l'ancien monde s'en est allé."

Apocalypse 21, 5 Alors, Celui qui siège sur le trône déclara: "Voici, je fais l'univers nouveau." Puis il ajouta: "Ecris: Ces paroles sont certaines et vraies."

Apocalypse 21, 6 "C'en est fait, me dit-il encore, je suis l'Alpha et l'Oméga, le Principe et la Fin; celui qui a soif, moi, je lui donnerai de la source de vie, gratuitement.

Apocalypse 21, 7 Telle sera la part du vainqueur; et je serai son Dieu, et lui sera mon fils.

Apocalypse 21, 8 Mais les lâches, les renégats, les dépravés, les assassins, les impurs, les sorciers, les idolâtres, bref, tous les hommes de mensonge, leur lot se trouve dans l'étang brûlant de feu et de soufre: c'est la seconde mort."

Apocalypse 21, 9 Alors, l'un des sept Anges aux sept coupes remplies des sept derniers fléaux s'en vint me dire: "Viens, que je te montre la Fiancée, l'Epouse de l'Agneau."

Apocalypse 21, 10 Il me transporta donc en esprit sur une montagne de grande hauteur, et me montra la Cité sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, de chez Dieu,

Apocalypse 21, 11 avec en elle la gloire de Dieu. Elle resplendit telle une pierre très précieuse, comme une pierre de jaspe cristallin.

Apocalypse 21, 12 Elle est munie d'un rempart de grande hauteur pourvu de douze portes près desquelles y a douze Anges et des noms inscrits, ceux des douze tribus des fils d'Israël;

Apocalypse 21, 13 à l'orient, trois portes; au nord, trois portes; au midi, trois portes; à l'occident, trois portes.

Apocalypse 21, 14 Le rempart de la ville repose sur douze assises portant chacune le nom de l'un des douze apôtres de l'Agneau.

Apocalypse 21, 15 Celui qui me parlait tenait une mesure, un roseau d'or, pour mesurer la ville, ses portes et son rempart;

Apocalypse 21, 16 cette ville dessine un carré: sa longueur égale sa largeur. Il la mesura donc à l'aide du roseau, soit 12.000 stades; longueur, largeur et hauteur y sont égales.

Apocalypse 21, 17 Puis il en mesura le rempart, soit 144 coudées. - L'Ange mesurait d'après une mesure humaine. --

Apocalypse 21, 18 Ce rempart est construit en jaspe, et la ville est de l'or pur, comme du cristal bien pur.

Apocalypse 21, 19 Les assises de son rempart sont rehaussées de pierreries de toute sorte: la première assise est de jaspe, la deuxième de saphir, la troisième de calcédoine, la quatrième d'émeraude,

Apocalypse 21, 20 la cinquième de sardoine, la sixième de cornaline, la septième de chrysolithe, la huitième de béryl, la neuvième de topaze, la dixième de chrysoprase, la onzième d'hyacinthe, la douzième d'améthyste.

Apocalypse 21, 21 Et les douze portes sont douze perles, chaque porte formée d'une seule perle; et la place de la ville est de l'or pur, transparent comme du cristal.

Apocalypse 21, 22 De temple, je n'en vis point en elle; c'est que le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout, est son temple, ainsi que l'Agneau.

Apocalypse 21, 23 La ville peut se passer de l'éclat du soleil et de celui de la lune, car la gloire de Dieu l'a illuminée, et l'Agneau lui tient lieu de flambeau.

Apocalypse 21, 24 Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre viendront lui porter leurs trésors.

Apocalypse 21, 25 Ses portes resteront ouvertes le jour - car il n'y aura pas de nuit --

Apocalypse 21, 26 et l'on viendra lui porter les trésors et le faste des nations.

Apocalypse 21, 27 Rien de souillé n'y pourra pénétrer, ni ceux qui commettent l'abomination et le mal, mais seulement ceux qui sont inscrits dans le livre de vie de l'Agneau.

Apocalypse 22, 1 Puis l'Ange me montra le fleuve de Vie, limpide comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l'Agneau.

Apocalypse 22, 2 Au milieu de la place, de part et d'autre du fleuve, il y a des arbres de Vie qui fructifient douze fois, une fois chaque mois; et leurs feuilles peuvent guérir les païens.

Apocalypse 22, 3 De malédiction, il n'y en aura plus; le trône de Dieu et de l'Agneau sera dressé dans la ville, et les serviteurs de Dieu l'adoreront;

Apocalypse 22, 4 ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts.

Apocalypse 22, 5 De nuit, il n'y en aura plus; ils se passeront de lampe ou de soleil pour s'éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière, et ils régneront pour les siècles des siècles.

Apocalypse 22, 6 Puis il me dit: "Ces paroles sont certaines et vraies; le Seigneur Dieu, qui inspire les prophètes, a envoyé son Ange pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt.

Apocalypse 22, 7 Voici que mon retour est proche! Heureux celui qui garde les paroles prophétiques de ce livre."

Apocalypse 22, 8 C'est moi, Jean, qui voyais et entendais tout cela; une fois les paroles et les visions achevées, je tombai aux pieds de l'Ange qui m'avait tout montré, pour l'adorer.

Apocalypse 22, 9 Mais lui me dit: "Non, attention, je suis un serviteur comme toi et tes frères les prophètes et ceux qui gardent les paroles de ce livre; c'est Dieu qu'il faut adorer."

Apocalypse 22, 10 Il me dit encore: "Ne tiens pas secrètes les paroles prophétiques de ce livre, car le Temps est proche.

Apocalypse 22, 11 Que le pécheur pèche encore, et que l'homme souillé se souille encore; que l'homme de bien vive encore dans le bien, et que le saint se sanctifie encore.

Apocalypse 22, 12 Voici que mon retour est proche, et j'apporte avec moi le salaire que je vais payer à chacun, en proportion de son travail.

Apocalypse 22, 13 Je suis l'Alpha et l'Oméga, le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin.

Apocalypse 22, 14 Heureux ceux qui lavent leurs robes; ils pourront disposer de l'arbre de Vie, et pénétrer dans la Cité, par les portes.

Apocalypse 22, 15 Dehors les chiens, les sorciers, les impurs, les assassins, les idolâtres et tous ceux qui se plaisent à faire le mal!"

Apocalypse 22, 16 Moi, Jésus, j'ai envoyé mon Ange publier chez vous ces révélations concernant les Eglises. Je suis le rejeton de la race de David, l'Etoile radieuse du matin.

Apocalypse 22, 17 L'Esprit et l'Epouse disent: "Viens!" Que celui qui entend dise: "Viens!" Et que l'homme assoiffé s'approche, que l'homme de désir reçoive l'eau de la vie, gratuitement.

Apocalypse 22, 18 Je déclare, moi, à quiconque écoute les paroles prophétiques de ce livre: "Qui oserait y faire des surcharges, Dieu le chargera de tous les fléaux décrits dans ce livre!

Apocalypse 22, 19 Et qui oserait retrancher aux paroles de ce livre prophétique, Dieu retranchera son lot de l'arbre de Vie et de la Cité sainte, décrits dans ce livre!"

Apocalypse 22, 20 Le garant de ces révélations l'affirme: "Oui, mon retour est proche!" Amen, viens, Seigneur Jésus!

Apocalypse 22, 21 Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec tous! Amen.

 

 



[1] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[2] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ? et  2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[3]  2.1, 62, Article 4 — L’ordre des vertus théologales

[4] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[5] 1, 23, Article 7 — Le nombre des prédestinés est-il fixé ? S3

[6] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[7] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ?

[8] 1, 1 Article 2 — La doctrine sacrée est-elle une science ?

[9] 2.1, 91, Article 5 — Existe-t-il une seule loi divine ou davantage ?

[10] 1, 1, Article 3 — La doctrine sacrée est-elle une ou multiple ?

[11] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[12] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[13] 1, 1, Article 2 — La doctrine sacrée est-elle une science ?

[14] 1, 1, Article 4 — La doctrine sacrée est-elle spéculative ou pratique ?

[15] 1, 85, Article 6 — L’intellect peut-il se tromper ?

[16] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?

[17] Article 6 — L’homme ordonne-t-il toutes choses à sa fin ultime ?

[18] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? §1

[19] 1, 1, Article 2 — La doctrine sacrée est-elle une science ?

[20]  2.1, 68, Article 4 — Quels sont les dons et combien sont-ils ?

[21] 2.1, 57, Article 2 — Y a-t-il trois habitus intellectuels spéculatifs — la sagesse, la science et la simple intelligence ?

[22] 2.2, 45, Article 3 — La sagesse est-elle seulement spéculative, ou bien est-elle aussi pratique ?

[23] 2.1, 57, Article 4 — La prudence est-elle une vertu distincte de l’art ?

[24] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[25] 1, 1, Article 2 — La doctrine sacrée est-elle une science ?

[26] 2.2, 45, Article 2 — Quel est le siège de la sagesse ?

[27] 2.1, 58, Article 5 — La vertu intellectuelle peut-elle exister sans vertu morale ?

[28] 1, 77, Article 2 — Y a-t-il une ou plusieurs puissances dans l’âme ?

[29] 2.1, 49, Article 1 — L’habitus est-il une qualité ?

[30] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ?

[31] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[32] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[33] 1, 1, Article 2 — La doctrine sacrée est-elle une science ?

[34] 1, 1, Article 8 — Cette doctrine argumente-t-elle ? §1

[35] 2.1, 110, Article 2 — La grâce est-elle une qualité de l’âme ?

[36] 2.1, 62, Article 3 — Quel est le nombre et la nature des vertus théologales ?

[37] 1, 1, Article 5 — La doctrine sacrée est-elle supérieure aux autres sciences ?

[38] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? points 1 et 3

[39] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? S1

[40] 3, 61, Article 1 — Les sacrements sont-ils nécessaires au salut de l’homme ?

[41] 1, 12, Article 13 — Au-dessus de la connaissance naturelle, y a-t-il en cette vie une connaissance de Dieu par la grâce ?

[42] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ? S2

[43] 2.1, 107, Article 3 — La loi nouvelle est-elle contenue dans l’ancienne ?

[44] St Anselme Proslogion ii : « cet insensé, en entendant ce que je dis : quelque chose de tel que rien de plus grand ne puisse être pensé, comprend ce qu'il entend ; et ce qu'il comprend est dans son intelligence, même s'il ne comprend pas que cette chose existe. [...] l'Être qui est tel que rien de plus grand ne puisse être pensé, ne peut être dans la seule intelligence ; en effet, s'il est dans la seule intelligence, on peut imaginer un être comme lui qui existe aussi dans la réalité et qui est donc plus grand que lui. Si donc il était dans la seule intelligence, l'être qui est tel que rien de plus grand ne puisse être pensé serait tel que quelque chose de plus grand pût être pensé » 

[45] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[46] 2.1, 1, Article 6 — L’homme ordonne-t-il toutes choses à sa fin ultime ?

[47] 2.1, QUESTION 2 — EN QUELS BIENS CONSISTE LA BÉATITUDE ?

[48] 1, 12, Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ?

[49] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[50] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[51] 2.1, 62, Article 3 — Quel est le nombre et la nature des vertus théologales ?

[52] 2.1, 110, Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ?

[53] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

[54] 1, 2, Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ?

[55] Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[56] Somme contre gentils, 13

[57] 1, 46, Article 2 — Est-ce un article de foi que le monde ait commencé ? S7

[58] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 phrase 4

[59] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[60] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[61] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[62] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? points 1 et 2

[63] 1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ?

[64] 1, 2, Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ?, O2

et 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ? S2

[65] 1, 12, Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ?

[66] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[67] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 phrase 4

[68] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 3

[69] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[70] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 4

[71] 1, 1, Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ?

[72] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ?

[73] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ?

[74] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[75] 1, 20, Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ?

[76] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ?

[77] 1, 93, Article 2 — Y a-t-il une image de Dieu chez les créatures sans raison ?

[78] 1, 1, Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ?

[79] 1, 1, Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ?

[80] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[81] 2.2, 23, Article 1 — La charité est-elle une amitié ?

[82] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ?

[83] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[84] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[85] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[86] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[87] 1, 93, Article 6 — L’image de Dieu existe-t-elle chez l’homme selon l’esprit seulement ?

[88] 1, 82, Article 3 — La volonté est-elle une puissance supérieure à l’intelligence ?

[89] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ? phrase 5

[90] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[91] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? §2

[92] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[93] 1, 1, Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ?

[94] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ?

[95] 1, QUESTION 3 — LA SIMPLICITÉ DE DIEU, intro §1

[96] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[97] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3

[98] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1&2 1ère partie

[99] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[100] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[101] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[102] 1, 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ? §1

[103] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? §2

[104] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ?

[105] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[106] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[107] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[108] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[109] 1, 2, Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ?

[110] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[111] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2

[112] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[113] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[114] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[115] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[116] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[117] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2 et Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? S2

[118] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[119] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[120] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ?

[121] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[122] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ?

[123] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[124] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[125] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[126] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[127] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[128] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[129] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[130] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[131] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[132] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[133] 1, 7 Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[134] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[135] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[136] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ?

[137] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 3

[138] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[139] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? S1

[140] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[141] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? O3

[142] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[143] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[144] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[145] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[146] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[147] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[148] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[149] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[150] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[151] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[152] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? dernier §

[153] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[154] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ? S3

[155] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? premier §

[156] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[157] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S2

[158] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[159] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? phrase 4

[160] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[161] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[162] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ? §2

[163] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2

[164] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2

[165] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3 2ème partie

[166] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S1

[167] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[168] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

[169] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[170] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[171] 1, 5, Article 2 — Puisqu’il n’y a entre le bon et l’étant qu’une différence de raison, lequel est premier en raison ? S2

[172] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ? S1

[173] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ? §2

[174] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2

[175] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ? S1

[176] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S1

[177] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ?

[178] 1, 5, Article 2 — Puisqu’il n’y a entre le bon et l’étant qu’une différence de raison, lequel est premier en raison ?

[179] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[180] 1, 5, Article 2 — Puisqu’il n’y a entre le bon et l’étant qu’une différence de raison, lequel est premier en raison ? S1 §1

[181] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 phrase 4

[182] 2.1, 31, Article 3 — Le plaisir diffère-t-il de la joie ?

[183] 2.1, 8, Article 2 — La volonté porte-t-elle seulement sur la fin, ou aussi sur les moyens ?

[184] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[185] 1, 48, Article 4 — Le mal détruit-il totalement le bien ?

[186] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[187] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[188] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[189] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[190] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S4

[191] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[192] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[193] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ? §2

[194] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §2

[195] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ?

[196] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[197] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[198] 1, 6, Article 1 — Peut-on dire de Dieu qu’il est bon ?

[199] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §

[200] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ?

[201] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ? §2

[202] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[203] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[204] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[205] 1, 6, Article 1 — Peut-on dire de Dieu qu’il est bon ?

[206] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[207] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[208] Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[209] Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[210] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? §2

[211] 1, 6, Article 1 — Peut-on dire de Dieu qu’il est bon ? §1

[212] Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[213] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S2

[214] Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[215] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[216] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[217] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ?

[218] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S2

[219] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ?

[220] 1, 65, Article 4 — Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ? §3

[221] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[222] 1, 6, Article 2 — Dieu est-il suprêmement bon ?

[223] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[224] 1, 3 Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ?

[225] 1, 3 Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ?

[226] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? point 3

[227] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[228] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[229] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ? §3

[230] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ?

[231] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? S3

[232] 1, 54, Article 2 — L’acte d’intellection de l’ange est-il son existence ? §2

[233] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ? §2

[234] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[235] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3

[236] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[237] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[238] 1, 25,  Article 4 — Dieu peut-il faire que les choses passées n’aient pas été ?

[239] 1, 75, Article 1 — L’âme est-elle une réalité corporelle ?

[240] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[241] 1, 75, Article 1 — L’âme est-elle une réalité corporelle ? §2

[242] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? point 3

[243] 1, 66, Article 1 — Un état informe de la matière créée a-t-il précédé dans le temps la distinction de celle-ci ? §2

[244] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1 et 2

[245] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[246] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[247] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[248] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ? S2

[249] 1, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[250] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[251] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[252] 1, 50, Article 3 — Quel est le nombre des anges ? S1

[253] 1, 50, Article 3 — Quel est le nombre des anges ? §4

[254] 1, 7, Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ? O3 et S3

[255] 1, 7, Article 4 — Peut-il y avoir dans les choses une multitude infinie ? S1

[256] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[257] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2

[258] 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ? §2

[259] 1, 8, Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ?

[260] 2.2, 25, Article 11 — Les démons doivent-ils être aimés de charité ?

[261] 1, 8, Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ? S2

[262] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[263] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[264] 1, 8, Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ?

[265] 1, 8, Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ?

[266] 1, 8, Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ?

[267] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[268] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ?

[269] 3, 76, Article 1 — Le Christ tout entier est-il contenu dans ce sacrement ? S3

[270] 1, 7, Article 4 — Peut-il y avoir dans les choses une multitude infinie ?

[271] 1, 76, Article 8 — L’âme est-elle tout entière dans chaque partie du corps ?

[272] 1, 8, Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ?

[273] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[274] 2.1, 110, Article 4 — Quel est le siège de la grâce ?

[275] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[276] 2.1, 110, Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ? §3

[277] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ?

[278] 1, 14, Article 12 — Dieu connaît-il une infinité de choses ?

[279] 1, 8, Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ?

[280] 1, 8, Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ?

[281] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[282] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[283] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[284] 1, 8, Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ?

[285] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[286] 3, 2, Article 3 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans le suppôt ou hypostase ?

[287] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? S3

[288] 1, 7, Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ?

[289] 1, 76, Article 8 — L’âme est-elle tout entière dans chaque partie du corps ?

[290] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ?

[291] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? S3

[292] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S1

[293] 1, 18, Article 1 — A qui appartient-il de vivre ?

[294] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 3

[295] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? §2

[296] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[297] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[298] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[299] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[300] 1, 14, Article 3 — La connaissance que Dieu a de lui-même est-elle compréhensive ?

[301] 1, 20, Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ?

[302] 1, 1, Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ?

[303] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[304] 1, 1, Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ?

[305] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[306] 2.1, 5, Article 1 — L’homme peut-il obtenir la béatitude ?

[307] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[308] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ?

[309] 1, 44, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ?

[310] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[311] 1, 8, Article 1 — Dieu est-il en toutes choses ?

[312] 1, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[313] 1, 66, Article 2 — Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ?

[314] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3

[315] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[316] 1, 52, Article 2 — L’ange peut-il être dans plusieurs lieux en même temps ? §3

[317] 1, 62, Article 8 — Les anges bienheureux ont-ils pu pécher par la suite ?

[318] 1, 53, Article 1 — L’ange peut-il se mouvoir localement ?

[319] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[320] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? S4

[321] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? S4

[322] 2.2, 180, Article 6 — Les mouvements de contemplation distingués par Denys S.2

[323] 1, 18, Article 1 — A qui appartient-il de vivre ?

[324] 1, 1, Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ?

[325] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[326] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[327] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ?

[328] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[329] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? §1

[330] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[331] 1, 9, Article 2 — Être immuable est-il propre à Dieu ? §4

[332] 1, 50, Article 5 — L’immortalité ou incorruptibilité des anges

[333] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1  et  1, 8, Article 4 — Être partout est-il propre à Dieu ? §2

[334] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? phrase 1

[335] 2.1, 93, Article 4 — Les êtres nécessaires sont-ils soumis à la loi éternelle ?

[336] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[337] 1, 9, Article 2 — Être immuable est-il propre à Dieu ?

[338] 1, 62, Article 9 — Après l’entrée dans la gloire, les anges ont-ils pu progresser ?

[339] 1, 50, Article 5 — L’immortalité ou incorruptibilité des anges

[340] 1, 62, Article 9 — Après l’entrée dans la gloire, les anges ont-ils pu progresser ?

[341] 1, 12, Article 10 — L’intellect créé connaît-il simultanément tout ce qu’il voit en Dieu ?

1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[342] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ? §1

[343] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §2

[344] 1, 16, Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? §2

[345] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ? S1

[346] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 3

[347] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? O1

[348] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §2

[349] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ? §2

[350] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[351] 1, 9, Article 2 — Être immuable est-il propre à Dieu ? §5

[352] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ? §1

[353] Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[354] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §2

[355] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ? §1

[356] 1, 25, Article 5 — Dieu peut-il faire les choses qu’il ne fait pas, ou omettre celles qu’il fait ?

[357] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[358] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[359] 1, 50, Article 5 — L’immortalité ou incorruptibilité des anges

[360] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[361] 1, 57, Article 3 — Les anges connaissent-ils l’avenir ? S2 et

1, 58, Article 1 — L’intellect de l’ange est-il tantôt en puissance et tantôt en acte ? §3

[362] 1, 53, Article 1 — L’ange peut-il se mouvoir localement ?

[363] 1, 53, Article 3 — Le mouvement de l’ange est-il successif ou instantané ? dernier §

[364] 1, 53, Article 3 — Le mouvement de l’ange est-il successif ou instantané ?

[365] 1, 62, Article 8 — Les anges bienheureux ont-ils pu pécher par la suite ?

[366] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §2

[367] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[368] 1, 90, Article 4 — L’âme humaine a-t-elle été faite avant le corps ?

[369] 1, 66, Article 4 — Le temps fut-il concréé avec la matière informe ? S3

[370] 1, 90, Article 3 — L’âme humaine a-t-elle été faite par l’intermédiaire des anges ?

[371] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[372] 1, 84, Article 6 — L’âme acquiert-elle la connaissance intellectuelle à partir du sens ?

[373] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S4

[374] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[375] 1, 66, Article 1 — Un état informe de la matière créée a-t-il précédé dans le temps la distinction de celle-ci ?

[376] 1, 66, Article 4 — Le temps fut-il concréé avec la matière informe ? S3

[377] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S1

[378] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux S2

[379] 1, 108, Article 2 — Y a-t-il un ordre unique dans une même hiérarchie ?

[380] 3, 59, Article 6 — Le pouvoir judiciaire du Christ s’étend-il même aux anges ?

[381] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ?

[382] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[383] 1, 10, Article 6 — Y a-t-il un seul aevum, comme il y a un seul temps et une seule éternité ? §4

[384] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2

[385] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S1

[386] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[387] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ? S1

[388] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2

[389] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[390] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[391] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S2

[392] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? O1

[393] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[394] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

et 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[395] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S2

[396] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §3

[397] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? S1

[398] 1, 4, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S1

et 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[399] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[400] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[401] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[402] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[403] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[404] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? S4

[405] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S4

[406] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? S4

[407] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §1

[408] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[409] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[410] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[411] Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[412] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S4

[413] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S1

[414] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S2

[415] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[416] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3 et

1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2

[417] 1, 8, Article 3 — Dieu est-il partout par l’essence, la puissance et la présence ? §1

[418] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[419] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[420] 1, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[421] 2.1, 3, Article 3 — La béatitude est-elle une activité de la partie sensible de l’âme, ou seulement de sa partie intellectuelle ?

[422] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[423] 2.1, 25, Article 4 — Les quatre passions principales, et 2.1, 31, Article 3 — Le plaisir diffère-t-il de la joie ?

[424] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ?

[425] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §1

[426] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? phrase 2

[427] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[428] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[429] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ?

[430] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §3

[431] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? §1

[432] 2.2, 173, Article 1 — Les prophètes voient-ils l’essence même de Dieu ? §3

[433] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[434] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? §2

[435] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? §2

[436] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §3

[437] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[438] 2.1, 110, Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ? §3

[439] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[440] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[441] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[442] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §2

[443] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[444] 2.2, 175, Article 4 — Dans son ravissement, S. Paul a-t-il été hors de sens ?

[445] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[446] 2.2, 173, Article 1 — Les prophètes voient-ils l’essence même de Dieu ? §3 et

2.2, 174, Article 2 — La prophétie la plus haute est-elle celle qui se produit sans vision de l’imagination ?

[447] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[448] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[449] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? §1

[450] Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §2

[451] 1, 78, Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme

[452] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[453] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? point 1

[454] S, 92, Article 2 — Les saints, après la résurrection, verront-ils Dieu avec les yeux du corps ?

[455] 1, 1, Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ? et

1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? S4

[456] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[457] S, 92, Article 2 — Les saints, après la résurrection, verront-ils Dieu avec les yeux du corps ? §2

[458] 2.2, 173, Article 1 — Les prophètes voient-ils l’essence même de Dieu ? §3

[459] 1, 1, Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ?

[460] 1, 56, Article 1 — L’ange se connaît-il lui-même ?

[461] 1, 58, Article 5 — Peut-il y avoir de l’erreur dans l’intellect de l’ange ? §1

[462] 1, 56, Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ?

[463] 1, 13, Article 3 — L’essence divine peut-elle être vue par les yeux du corps ?

[464] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ?

[465] 2.1, 110, Article 1 — La grâce est-elle une réalité dans l’âme ? §1

[466] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[467] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O4

[468] 1, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[469] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[470] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[471] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[472] 1, 78, Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme

[473] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ?

[474] 1, 12, Article 3 — L’essence divine peut-elle être vue par les yeux du corps ?

[475] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ? §2

[476] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[477] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ?

[478] 1, 56, Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ?

[479] 2.2, 175, Article 4 — Dans son ravissement, S. Paul a-t-il été hors de sens ?

[480] 1, 56, Article 3 — Les anges peuvent-ils connaître Dieu par leurs facultés naturelles ?

[481] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[482] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[483] 1, 56, Article 3 — Les anges peuvent-ils connaître Dieu par leurs facultés naturelles ?

[484] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? points

[485] Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[486] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ? §2

[487] 1, 78, Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme

[488] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[489] 1, 56, Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ?

[490] 1, 56, Article 1 — L’ange se connaît-il lui-même ?

[491] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3

[492] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[493] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? S3 et

1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[494] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §2

[495] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ?

[496] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? points

[497] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §2

[498] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?

[499] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ?

[500] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? dernier §

[501] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ?

[502] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[503] 1, 12, Article 3 — L’essence divine peut-elle être vue par les yeux du corps ?

[504] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[505] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? points

[506] 1, 108, Article 8 — Les hommes sont-ils élevés aux ordres angéliques ? §1

[507] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? points

[508] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[509] 2.2, Article 3 — La charité est-elle infusée en nous en proportion de nos capacités naturelles ?

[510] 2.1, 28, Article 1 — L’union est-elle un effet de l’amour ? §2 et 2.2, 23, Article 1 — La charité est-elle une amitié ?

[511] 2.2, 24,

Article 7 — La charité s’accroît-elle à l’infini ? S2 et 2.1, 33 Article 1 — Le plaisir est-il cause de dilatation ?

[512] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[513] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ? phrase 2

[514] 1, 12, Article 6 — Parmi ceux qui voient l’essence de Dieu, certains la voient-ils plus parfaitement que d’autres ? S1

[515] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ? phrase 2

[516] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? points

[517] 2.2, Article 3 — La charité est-elle infusée en nous en proportion de nos capacités naturelles ?

[518] 1, 12, Article 6 — Parmi ceux qui voient l’essence de Dieu, certains la voient-ils plus parfaitement que d’autres ?

[519] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[520] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[521] 1, 12, Article 6 — Parmi ceux qui voient l’essence de Dieu, certains la voient-ils plus parfaitement que d’autres ? O1

[522] 2.2, 175, Article 4 — Dans son ravissement, S. Paul a-t-il été hors de sens ?

[523] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[524] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[525] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[526] 1, 12, 5, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[527] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[528] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[529] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[530] S, 95, Article 5 — Convient-il d’attribuer à l’âme trois dots ?

[531] 2.2, 18, Article 2 — L’espérance existe-t-elle chez les bienheureux ?

[532] 2.1, 2, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle en quelque bien créé ?

[533] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[534] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ? §2

[535] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[536] 2.2, 24, Article 7 — La charité s’accroît-elle à l’infini ?

[537] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ? §2

[538] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[539] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[540] 2.1, 3, Article 4 — Si la béatitude est une activité de la partie intellectuelle, est-elle une activité de l’intellect ou de la volonté ?

[541] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

[542] 1, 57, Article 4 — Les anges connaissent-ils les pensées des cœurs ?

[543] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[544] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ?

[545] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ?

[546] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[547] 1, 12, Article 8 — L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ? dernière phrase

[548] 2.1, 3, Article 5 — La béatitude est-elle une activité de l’intellect spéculatif ou de l’intellect pratique ?

[549] 2.1, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle en quelque bien créé ?

[550] 2.2, 167, Article 1 — Le vice de curiosité peut-il exister dans la connaissance intellectuelle ? point 3

[551] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[552] 1, 16, Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? §2

[553] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[554] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[555] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? points

[556] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[557] 1, 12, Article 8 — L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ?

[558] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ?

[559] 2.2, 175, Article 4 — Dans son ravissement, S. Paul a-t-il été hors de sens ? S3

[560] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? §2

[561] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps S1

[562] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[563] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[564] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ?

[565] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[566] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps S1

[567] 1, 8, Article 3 — Dieu est-il partout par l’essence, la puissance et la présence ?

[568] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ? §1

[569] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ?

[570] Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[571] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ?

[572] 2.2, 174, Article 3 — Les divers degrés de la prophétie §3

[573] 2.2, 174, Article 2 — La prophétie la plus haute est-elle celle qui se produit sans vision de l’imagination ?

[574] 1, 12, Article 13 — Au-dessus de la connaissance naturelle, y a-t-il en cette vie une connaissance de Dieu par la grâce ?

[575] 2.2, 174, Article 1 — Quelles sont les espèces de la prophétie ?

[576] 2.2, 175, Article 4 — Dans son ravissement, S. Paul a-t-il été hors de sens ?

[577] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[578] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[579] S, Article 2 — Les saints, après la résurrection, verront-ils Dieu avec les yeux du corps ? §2

[580] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? §2

[581] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ?

[582] 1, 12, Article 3 — L’essence divine peut-elle être vue par les yeux du corps ?

[583] 1, 2, Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ?

[584] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[585] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ?

[586] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[587] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? et 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[588] 1, 2, Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ?

[589] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[590] 2.2, 174, Article 4 — Moïse fut-il le plus grand des prophètes ?

[591] 1, 2, Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ? O2, S1

[592] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[593] 2.2, 4, Article 1 — Qu’est-ce que la foi ?

[594] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[595] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[596] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[597] 2.2, 173, Article 1 — Les prophètes voient-ils l’essence même de Dieu ? §3 et

2.2, 174, Article 2 — La prophétie la plus haute est-elle celle qui se produit sans vision de l’imagination ?

[598] 1, 12, Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ?

[599] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[600] 2.2, 174, Article 2 — La prophétie la plus haute est-elle celle qui se produit sans vision de l’imagination ?

[601] 2.2, 4, Article 1 — Qu’est-ce que la foi ?

[602] 2.2, 2, Article 2 — De combien de manières emploie-t-on le mot " croire " ?

[603] 2.1, 57, Article 2 — Y a-t-il trois habitus intellectuels spéculatifs — la sagesse, la science et la simple intelligence ?

[604] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[605] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[606] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[607] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[608] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[609] 1, 12, Article 3 — L’essence divine peut-elle être vue par les yeux du corps ?

[610] 1, 12, Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ?

[611] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[612] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[613] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[614] Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ?

[615] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ? §1

[616] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3

[617] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3 fin

[618] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[619] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[620] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? S2

[621] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ? §1

[622] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? S4

[623] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[624] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ? §1

[625] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ?

[626] 1, 12, Article 3 — L’essence divine peut-elle être vue par les yeux du corps ?

[627] 1, 12, Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ?

[628] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[629] 1, 12, Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ?

[630] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? S1

[631] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? S2

[632] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[633] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ?

[634] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? S3

[635] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

[636] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ?

[637] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[638] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[639] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §3

[640] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[641] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[642] 1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ?

[643] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[644] 1, 12, Article 8 — L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ?

[645] 1, 12, Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ?

[646] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[647] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

[648] 1, 1, Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ?

[649] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ?

[650] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? O3

[651] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[652] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? phrases 1 et 2

[653] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?

[654] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[655] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[656] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ? et

1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[657] 1, 11, Article 4 — Dieu est-il le plus un de tous les étants ?

[658] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §2

[659] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? phrases 1 et 2

[660] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

[661] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[662] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? S4

[663] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[664] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? phrases 1 et 2

[665] 1, 13, Article 4 — Les nombreux noms donnés à Dieu sont-ils synonymes ? §2

[666] 1, 11, Article 4 — Dieu est-il le plus un de tous les étants ?

[667] 1, 13, Article 4 — Les nombreux noms donnés à Dieu sont-ils synonymes ? §2

[668] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ? §2

[669] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? O2

[670] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S1

[671] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[672] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? C1

[673] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §2

[674] 1, 13, Article 4 — Les nombreux noms donnés à Dieu sont-ils synonymes ? §2

[675] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ? point 1

[676] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[677] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

[678] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ? §2

[679] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? §3

[680] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[681] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? S2

[682] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

[683] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[684] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? §3

[685] Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §2 et 4

[686] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

[687] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[688] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[689] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ?

[690] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[691] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ?

[692] 1, 13, Article 7 — Certains noms sont-ils dits de Dieu temporellement ? §4

[693] 1, 13, Article 7 — Certains noms sont-ils dits de Dieu temporellement ? §5

[694] 1, 27, Article 5 — N’y a-t-il en Dieu que ces deux processions ?

[695] 1, 13, Article 7 — Certains noms sont-ils dits de Dieu temporellement ? §4

[696] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? phrases 1&2

[697] 1, 13, Article 7 — Certains noms sont-ils dits de Dieu temporellement ? §5

[698] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[699] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[700] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? phrases 1& 2

[701] 1, 12, Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ?

[702] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[703] 1, 1, Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ?

[704] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[705] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ?

[706] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[707] 1, 13, Article 7 — Certains noms sont-ils dits de Dieu temporellement ? §4

[708] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[709] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[710] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? S1

[711] 1, 13, Article 9 — Ce nom “ Dieu ” est-il communicable ? §2

[712] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §1

[713] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[714] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[715] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[716] 1, 88, Article 1 — L’âme humaine peut-elle, dans l’état de la vie présente, connaître par elle-même les substances immatérielles ? §1

[717] 1, 13, Article 8 — Ce nom “ Dieu ” signifie-t-il la nature de Dieu, ou son opération ?

[718] 1, 13, Article 9 — Ce nom “ Dieu ” est-il communicable ? §1

[719] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ? dernière phrase

[720] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? phrases 1& 2

[721] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[722] 1, 13, Article 8 — Ce nom “ Dieu ” signifie-t-il la nature de Dieu, ou son opération ?

[723] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

[724] 1,

[725] 1, 12, Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ?

[726] 1, 13, Article 8 — Ce nom “ Dieu ” signifie-t-il la nature de Dieu, ou son opération ? S2

[727] 1, 13, Article 9 — Ce nom “ Dieu ” est-il communicable ?

[728] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[729] 1, 1, Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ?

[730] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[731] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ?

[732] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[733] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ?

[734] 1, 13, Article 8 — Ce nom “ Dieu ” signifie-t-il la nature de Dieu, ou son opération ?

[735] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[736] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[737] 1, 13, Article 9 — Ce nom “ Dieu ” est-il communicable ? §3

[738] 1, 13, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[739] 1, 13, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[740] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? S1

[741] 1, 12, Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ?

[742] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[743] 1, 13, Article 9 — Ce nom “ Dieu ” est-il communicable ? §

[744] 1, 13, Article 9 — Ce nom “ Dieu ” est-il communicable ? S2

[745] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[746] 2.1, 49, Article 1 — L’habitus est-il une qualité ?

[747] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[748] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[749] 1, 13, Article 11 — Le nom “ Celui qui est ” est-il, plus que tous les autres, le nom propre de Dieu ? point 2

[750] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[751] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ? §2

[752] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[753] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ? §1

[754] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3

[755] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? §1

[756] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[757] 1, 12, Article 8 — L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ?

[758] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ? S1

[759] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[760] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2

[761] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[762] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[763] 1, 93, Article 1 — Y a-t-il une image de Dieu chez l’homme ?

[764] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? 03 et

Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[765] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[766] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[767] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ?

[768] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie1

[769] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[770] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[771] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S3

[772] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[773] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[774] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[775] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[776] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ? §2

[777] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[778] 1, 13, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[779] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[780] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[781] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ?

[782] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ? §4

[783] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[784] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[785] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[786] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[787] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

[788] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ? §2

[789] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[790] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[791] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[792] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[793] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[794] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[795] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[796] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

[797] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[798] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[799] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[800] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[801] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[802] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[803] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ?

[804] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[805] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §3

[806] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[807] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

[808] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[809] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §3

[810] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[811] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

[812] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §3

[813] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §3

[814] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[815] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ?

[816] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[817] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §3

[818] 1, 12, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[819] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[820] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[821] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[822] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[823] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[824] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[825] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[826] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §1

[827] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[828] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? §1

[829] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §2

[830] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? §2

[831] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[832] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[833] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[834] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ? S1

[835] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[836] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[837] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[838] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[839] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[840] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[841] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[842] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ? §2

[843] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[844] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ? et 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[845] 1, 46, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ?

[846] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[847] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[848] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[849] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? S4

[850] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[851] 1, 46, Article 1 — Les créatures ont-elles toujours existé ? §1

[852] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[853] 1, 16, Article 5 — Dieu est-il la vérité ?

[854] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[855] 1, 12, Article 3 — L’essence divine peut-elle être vue par les yeux du corps ?

[856] 1, 13, Article 11 — Le nom “ Celui qui est ” est-il, plus que tous les autres, le nom propre de Dieu ?

[857] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[858] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §2

[859] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[860] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ?

[861] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ? S1 §1

[862] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[863] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[864] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[865] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[866] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2 et

1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[867] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ? réponse et S3

[868] 1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ?

[869] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §3

[870] 2.2, 180, Article 8 — La durée de la contemplation

[871] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[872] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ? §1

[873] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[874] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[875] 1, 58, Article 4 — La connaissance de l’ange se fait-elle par composition et division ?

[876] 1, 14, Article 10 — Dieu a-t-il la connaissance des maux ?

[877] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[878] 1, 78, Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme §1

[879] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[880] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[881] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[882] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? point1

[883] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[884] 1, 78, Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme §1

[885] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[886] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[887] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? §4

[888] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ? §2

[889] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §3

[890] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[891] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[892] 3, 75, Article 8 — Cette proposition est-elle vraie " À partir du pain devient le corps du Christ " ?

[893] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[894] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ?

[895] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? et

1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[896] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ? §4

[897] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ? §4

[898] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? §4

[899] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[900] 1, 7, Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ?

[901] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[902] 1, 46, Article 2 — Est-ce un article de foi que le monde ait commencé ?

[903] S, 91, Article 2 — Le mouvement des corps célestes cessera-t-il ? §1

[904] 1, Article 6 — L’âme humaine est-elle incorruptible ?

[905] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §1

[906] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ? S1

[907] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

[908] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? S2

[909] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[910] 1, 14, Article 3 — La connaissance que Dieu a de lui-même est-elle compréhensive ? S1

[911] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? S2

[912] 1, 16, Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? §2

[913] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[914] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ? O1

[915] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ? O1

[916] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[917] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[918] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[919] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[920] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ?

[921] 1, 8, Article 3 — Dieu est-il partout par l’essence, la puissance et la présence ?

[922] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ? S1

[923] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ? S1

[924] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ?

[925] 1, 14, Article 13 — Dieu connaît-il les futurs contingents ? §3

[926] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ? S1

[927] 1, 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ?

[928] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[929] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[930] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[931] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[932] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[933] 1, 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ?

[934] 1, 14, Article 13 — Dieu connaît-il les futurs contingents ? S3

[935] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[936] 1, 14, Article 14 — Dieu connaît-il nos énonciations ?

[937] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[938] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[939] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[940] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? S1

[941] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[942] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ?

[943] 1, 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ?

[944] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[945] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[946] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[947] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[948] 1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ?

[949] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[950] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[951] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[952] 1, 14, Article 16 — Dieu a-t-il des choses une connaissance spéculative, ou une connaissance pratique ? §2

[953] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[954] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 et 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[955] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[956] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[957] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §2

[958] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §2

[959] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[960] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 et 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[961] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ? §2

[962] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ? §2

[963] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ?

[964] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[965] 2.1, 2, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle en quelque bien créé ?

[966] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

[967] 1, 45, Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ?

[968] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ? S3

[969] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

[970] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[971] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

[972] 1, 15, Article 2 — Y a-t-il plusieurs idées, ou une seule ? §3

[973] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[974] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ? S1

[975] 1, 14, Article 16 — Dieu a-t-il des choses une connaissance spéculative, ou une connaissance pratique ? §1

[976] 1, 15, Article 2 — Y a-t-il plusieurs idées, ou une seule ? §3

[977] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ?

[978] 1, 14, Article 10 — Dieu a-t-il la connaissance des maux ?

[979] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[980] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[981] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ? §4

[982] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ? §1

[983] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

[984] 1, 14, Article 16 — Dieu a-t-il des choses une connaissance spéculative, ou une connaissance pratique ? §1

[985] 1, 14, Article 10 — Dieu a-t-il la connaissance des maux ?

[986] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[987] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[988] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[989] 1, 5, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ?

[990] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[991] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ? et

2.1, 19, Article 1 — La bonté de la volonté dépend-elle de l’objet ?

[992] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ? S3

[993] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

[994] 1, 16, Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ?

[995] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[996] 2.2, 180, Article 6 — Les mouvements de contemplation distingués par Denys S2 §3

[997] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[998] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §3

[999] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[1000] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[1001] 1 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ?

[1002] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[1003] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[1004] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[1005] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ? §1

[1006] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1007] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §2

[1008] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[1009] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? §1

[1010] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[1011] 1, 14, Article 10 — Dieu a-t-il la connaissance des maux ?

[1012] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? O1

[1013] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? §1

[1014] 2.1, 31, Article 3 — Le plaisir diffère-t-il de la joie ?

[1015] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ?

[1016] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S4

[1017] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[1018] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[1019] 2.1, 4, Article 2 — Quel est le principal dans la béatitude — la délectation ou la vision ?

[1020] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant S3

[1021] 2.2, 109, Article 3 — La vérité fait-elle partie de la justice ?

[1022] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ?

[1023] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1024] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1025] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1026] 1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ?

[1027] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ?

[1028] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[1029] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1030] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[1031] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[1032] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[1033] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant S2

[1034] 1, 13 Article 10 — Ce nom “ Dieu ” est-il employé de façon univoque, ou équivoque, selon qu’il signifie Dieu par nature, par participation, ou selon l’opinion ?

[1035] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? §2

[1036] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §3

[1037] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

[1038] 1, 56, Article 3 — Les anges peuvent-ils connaître Dieu par leurs facultés naturelles ? et

1, 85, Article 3 — Est-il naturel à notre intellect de connaître d’abord le plus universel ?

[1039] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §2

[1040] 1, 16, Article 5 — Dieu est-il la vérité ?

[1041] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ? et 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[1042] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ? S3

[1043] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2 et 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ?

[1044] 1, 46, Article 1 — Les créatures ont-elles toujours existé ?

[1045] 1, 16, Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? §2

[1046] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

[1047] 1, 16, Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? §2

[1048] 1, 14, Article 15 — La science de Dieu est-elle soumise au changement ?

[1049] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ?

[1050] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[1051] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §3

[1052] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[1053] 1, 11, Article 4 — Dieu est-il le plus un de tous les étants ?

[1054] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[1055] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §2

[1056] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? S1

[1057] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §3

[1058] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[1059]  1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[1060] 1, 17, Article 1 — La fausseté est-elle dans les choses ? §3

[1061] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §2

[1062] 1, 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ?

[1063] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? §2

[1064] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[1065] 1, 17, Article 2 — La fausseté est-elle dans le sens ? §2

[1066] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1067] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ?

[1068] 1, 17, Article 2 — La fausseté est-elle dans le sens ? §2

[1069] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[1070] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ?

[1071] 1, 17, Article 2 — La fausseté est-elle dans le sens ? §2

[1072] 1,91, Article 3 — La disposition qui fut attribuée au corps ainsi produit S3

[1073] 1, 58, Article 5 — Peut-il y avoir de l’erreur dans l’intellect de l’ange ? §1

[1074] 1, 17, Article 3 — La fausseté est-elle dans l’intelligence ?

[1075] 1, 2, Article 1 — L’existence de Dieu est-elle évidente par elle-même ? §1

[1076] 1, 17, Article 3 — La fausseté est-elle dans l’intelligence ? §3

[1077] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §2

[1078] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[1079] 1, 17, Article 4 — L’opposition entre le vrai et le faux

[1080] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[1081] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[1082] 1, 75, Article 1 — L’âme est-elle une réalité corporelle ? §3

[1083] 1, Article 1 — A qui appartient-il de vivre ? dernière phrase

[1084] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[1085] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ?

[1086] 1, 17, Article 3 — La fausseté est-elle dans l’intelligence ? §2

[1087] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

[1088] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

[1089] 1, 75, Article 1 — L’âme est-elle une réalité corporelle ? §3

[1090] 1, 78, Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme

[1091] 2.1, 49, Article 3 — L’habitus implique-t-il une tendance à l’action ?

[1092] 2.2, 183, Article 1 — Qu’est-ce qui constitue un état de vie parmi les hommes ? §1

[1093] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[1094] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[1095] 1, 75, Article 1 — L’âme est-elle une réalité corporelle ? §3

[1096] 1, 78, Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme §1

[1097] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1098] 1, 17, Article 2 — La fausseté est-elle dans le sens ? §1 et 2

[1099] 2.1, 1, Article 1 — Appartient-il à l’homme d’agir pour une fin ?

[1100] 1, 78, Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme

[1101] 2.1, 1, Article 6 — L’homme ordonne-t-il toutes choses à sa fin ultime ?

[1102] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[1103] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[1104] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[1105] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[1106] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[1107] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[1108] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[1109] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[1110] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

[1111] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

[1112] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2 et

1, 14 Article 10 — Dieu a-t-il la connaissance des maux ?

[1113] 1, 45, Article 4 — A quels êtres appartient-il d’être créés ?

[1114] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ? S2

[1115] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[1116] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1117] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1118] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[1119] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1120] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[1121] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ?

[1122] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[1123] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

[1124] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[1125] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §3

[1126] 1, 14 Article 10 — Dieu a-t-il la connaissance des maux ?

[1127] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[1128] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 5

[1129] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[1130] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[1131] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1132] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ?

[1133] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1134] 2.1, 26, Article 1 — L’amour est-il dans le concupiscible ?

[1135] 2.1, 31, Article 4 — Le plaisir est-il dans l’appétit intellectuel ?

[1136] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ?

[1137] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[1138] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[1139] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[1140] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1141] 1, 80, Article 2 — L’appétit sensible et l’appétit intellectuel sont-ils des puissances différentes ?

[1142] 1, 25, Article 2 — L’ordre des passions du concupiscible entre elles

[1143] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[1144] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[1145] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ? S1

[1146] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? dernière phrase

[1147] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[1148] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? §2

[1149] 1, 6, Article 2 — Dieu est-il suprêmement bon ?

[1150] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[1151] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? phrase 4

[1152] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1153] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1154] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[1155] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1156] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ? et

[1157] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1158] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §1

[1159] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §1

[1160] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §1

[1161] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ? S3

[1162] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[1163] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1164] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1165] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[1166] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ? §2

[1167] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1168] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? dernière phrase

[1169] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1170] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

[1171] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1172] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1173] 1, 6, Article 1 — Peut-on dire de Dieu qu’il est bon ? §1

[1174] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[1175] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1176] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[1177] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[1178] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ? S3

[1179] 2.1, 13, Article 1 — Le choix est-il un acte de la volonté, ou de la raison ?

[1180] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[1181] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[1182] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[1183] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1184] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ?

[1185] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[1186] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ? §3

[1187] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ? §4

[1188] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[1189] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1190] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 phrase 4

[1191] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[1192] 1,14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[1193] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1194] 2.1, 17, Article 1 — Le commandement est-il un acte de la volonté ou bien de la raison ?

[1195] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? dernière phrase

[1196] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1197] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1198] 1, 79, Article 11 — L’intellect spéculatif et l’intellect pratique sont-ils des puissances différentes ?

[1199] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ? S4

[1200] 2.1, 9, Article 1 — La volonté est-elle mue par l’intelligence ?

[1201] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[1202] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §2

[1203] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1204] 1, 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ? §1

[1205] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[1206] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1207] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? §2

[1208] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[1209] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? et

 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses

[1210] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[1211] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1212] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? §2

[1213] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? §2

[1214] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1215] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? et 1, 16, Article 5 — Dieu est-il la vérité ?

[1216] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? §2

[1217] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1218] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[1219] 2.1, 20, Article 2 — La bonté et la malice de l’acte extérieur dépendent-elles entièrement de celles de la volonté ?

[1220] 21, 20, Article 1 — La bonté et la malice sont-elles d’abord dans l’acte de la volonté, ou dans l’acte extérieur ?

[1221] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[1222] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? §1

[1223] 1, 16, Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? §2

[1224] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[1225] 1, 19, Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ? §2

[1226] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ?

[1227] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1228] 2.1, 9, Article 1 — La volonté est-elle mue par l’intelligence ?

[1229] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ? et

1, 14, Article 15 — La science de Dieu est-elle soumise au changement ?

[1230] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

[1231] 1, 19, Article 7 — La volonté de Dieu est-elle sujette au changement ?

[1232] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1233] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? S3 phrase 1

[1234] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? S3

[1235] 1, 19, Article 7 — La volonté de Dieu est-elle sujette au changement ?

[1236] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

[1237] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? §2

[1238] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? point 2

[1239] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? §1

[1240] 1, 83, Article 1 — L’homme est-il doué de libre arbitre ?

[1241] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? S3 phrase 1

[1242] 1, 19, Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ? §2

[1243] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

[1244] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ? phrase 3

[1245] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? S3 phrase 1

[1246] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? §1

[1247] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1248] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1249] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1250] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §2

[1251] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1252] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §2

[1253] 2.1, 18, Article 3 — La bonté ou la malice des actions humaines leur vient-elle des circonstances ? O2

[1254] 1, 19, Article 9 — Y a-t-il en Dieu la volonté des choses mauvaises ? §1

[1255] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §2

[1256] 1, 19, Article 9 — Y a-t-il en Dieu la volonté des choses mauvaises ?

[1257] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? points 1 et 2

[1258] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? avant dernière phrase

[1259] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? §2 phrase 3

[1260] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1261] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? §2 phrase 3

[1262] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? avant dernière phrase

[1263] 1, 14, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[1264] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? dernière phrase

[1265] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

[1266] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1267] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? phrase 3

[1268] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? S4

[1269] 1, 19, Article 11 — Doit-on distinguer en Dieu une volonté de signe ?

[1270] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §2

[1271] 1, 19, Article 9 — Y a-t-il en Dieu la volonté des choses mauvaises ? §2

[1272] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? S4

[1273] 1, 19, Article 11 — Doit-on distinguer en Dieu une volonté de signe ? dernière phrase

[1274] 1, 19, Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ?

[1275] 1, 19, Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ?

[1276] 1, 19, Article 11 — Doit-on distinguer en Dieu une volonté de signe ? dernière phrase

[1277] 1, 19, Article 12 — Convient-il de proposer cinq signes de la volonté divine ? dernier §

[1278] 1, 19, Article 12 — Convient-il de proposer cinq signes de la volonté divine ? §1 et 2

[1279] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? point 1

[1280] 1, 19, Article 12 — Convient-il de proposer cinq signes de la volonté divine ? dernier §

[1281] 2.1, 25, Article 4 — Les quatre passions principales

[1282] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? O1

[1283] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1284] 2.1, 26, Article 1 — L’amour est-il dans le concupiscible ? §2

[1285] 2.1, 29, Article 2 — La haine est-elle causée par l’amour ?

[1286] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 3 et S2

[1287] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? S1

[1288] 1, 85, Article 3 — Est-il naturel à notre intellect de connaître d’abord le plus universel ?

[1289] 2.1, 25, Article 4 — Les quatre passions principales

[1290] 2.1, 26, Article 1 — Le bien est-il la seule cause de l’amour ?

[1291] 2.1, 31, Article 3 — Le plaisir diffère-t-il de la joie ?

[1292] 2.1, 26, Article 1 — L’amour est-il dans le concupiscible ?

[1293] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1294] 1, 85, Article 3 — Est-il naturel à notre intellect de connaître d’abord le plus universel ?

[1295] 2.1, 9, Article 2 — La volonté est-elle mue par l’appétit sensitif ?

[1296] 1, 22, Article 1 — Y a-t-il des passions dans l’âme ?

[1297] 2.1, 31, Article 3 — Le plaisir diffère-t-il de la joie ?

[1298] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? S1

[1299] 2.1, 22, Article 2 — Les passions sont-elles dans la partie appétitive de l’âme, plutôt que dans sa partie cognitive ?

[1300] 2.1, 27, Article 3 — La ressemblance est-elle cause de l’amour ? §1 et

2.1, 31, Article 3 — Le plaisir diffère-t-il de la joie ?

[1301] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? S1

[1302] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? S2

[1303] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? S1

[1304] 2.1, 26, Article 4 — A-t-on raison de distinguer amour d’amitié, et amour de convoitise ?

[1305] 2.1, 28, Article 1 — L’union est-elle un effet de l’amour ?

[1306] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[1307] 2.1, 28, Article 2 — L’inhabitation mutuelle est-elle un effet de l’amour ?

[1308] 2.1, 28, Article 3 — L’extase est-elle un effet de l’amour ?

[1309] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? dernière phrase

[1310] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ?

[1311] 2.1, 26, Article 4 — A-t-on raison de distinguer amour d’amitié, et amour de convoitise ?

[1312] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1313] 2.2, 25, Article 3 — Les créatures sans raison doivent-elles être aimées de charité ?

[1314] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1315] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[1316] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? §1

[1317] 2.1, 9, Article 6 — La volonté est-elle mue par Dieu seul en qualité de principe extérieur ? §2

[1318] 2.1, 27, Article 1 — Le bien est-il la seule cause de l’amour ?

[1319] 2.1, 28, Article 3 — L’extase est-elle un effet de l’amour ?

[1320] 1, 46, Article 1 — Les créatures ont-elles toujours existé ? §1

[1321] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

[1322] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[1323] 2.2, 25, Article 3 — Les créatures sans raison doivent-elles être aimées de charité ?

[1324] 2.2, 23, Article 1 — La charité est-elle une amitié ?

[1325] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ?

[1326] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[1327] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[1328] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? dernière phrase

[1329] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[1330] 1, 20, Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ?

[1331] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[1332] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1333] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

[1334] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? §1

[1335] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[1336] 1, 20, Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ? §1

[1337] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[1338] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? dernière phrase

[1339] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ?

[1340] 2.2, 23, Article 8 — La charité est-elle la forme des vertus ?

[1341] 2.1, 27, Article 3 — La ressemblance est-elle cause de l’amour ?

[1342] 1, 20, Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ? §1

[1343] 1, 20, Article 3 — Dieu aime-t-il l’un plus que l’autre ?

[1344] 1, 20, Article 4 — Dieu aime-t-il davantage les meilleurs ? S1

[1345] 1, 108, Article 8 — Les hommes sont-ils élevés aux ordres angéliques ?

[1346] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[1347] 2.2, 182, Article 4 — L’ordre de priorité entre ces deux vies

[1348] 2.1, 62, Article 4 — L’ordre des vertus théologales

[1349] 1, 20, Article 4 — Dieu aime-t-il davantage les meilleurs ?

[1350] 1, 20, Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ? §1

[1351] 2.1, 61, Article 2 — Le nombre des vertus cardinales

[1352] 2.2, 62, Article 1 — De quelle vertu la restitution est-elle l’acte ?

[1353] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1354] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1355] 2.2, 61, Article 1 — Y a-t-il deux espèces de justice —distributive et commutative ?

[1356] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ?

[1357] 2.1, 60, Article 2 — Les vertus morales qui concernent les opérations se distinguent-elles de celles qui concernent les passions ?

[1358] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

[1359] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? S1

[1360] 2.1, 56, Article 4 — L’irascible et le concupiscible peuvent-ils être le siège de la vertu ?

[1361] 2.1, 56, Article 6 — La volonté peut-elle être le siège de la vertu ?

[1362] 2.1, 9, Article 1 — La volonté est-elle mue par l’intelligence ? §3

[1363] 2.1, 91, Article 1 — Qu’est-ce que la loi éternelle ?

[1364] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[1365] 1, 6, Article 1 — Peut-on dire de Dieu qu’il est bon ?

[1366] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? §2

[1367] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ? §3

[1368] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1369] 2.2, 58, Article 4 — La justice a-t-elle son siège dans la volonté ?

[1370] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[1371] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §4

[1372] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §3

[1373] 2.1, 90, Article 1 — La loi est-elle œuvre de raison ?

[1374] 2.2, 58, Article 4 — La justice a-t-elle son siège dans la volonté ?

[1375] 2.2, 109, Article 3 — La vérité fait-elle partie de la justice ?

[1376] 2.2, 30, Article 1 — La miséricorde a-t-elle pour cause en nous le mal d’autrui ? §2

[1377] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? S1

[1378] 2.2, 30, Article 3 — La miséricorde est-elle une vertu ? O1

[1379] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? S1

[1380] 2.2, 30, Article 1 — La miséricorde a-t-elle pour cause en nous le mal d’autrui ? §1

[1381] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1382] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[1383] 1, 21, Article 1 — Trouve-t-on en Dieu la justice ? S3

[1384] 2.2, 117, Article 2 — Quelle est la matière de la libéralité ?

[1385] 1, 21, Article 3 — Trouve-t-on en Dieu la miséricorde ? 2 dernières phrases

[1386] 2.1, 113, Article 9 — La justification de l’impie est-elle la plus grande œuvre de Dieu ?

[1387] 2.1, 1, Article 2 — Agir pour une fin est-il propre à la nature raisonnable ?

[1388] 1, 21, Article 1 — Trouve-t-on en Dieu la justice ? S3

[1389] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[1390] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1391] 1, 5 ,Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1392] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? §2

[1393] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1394] 2.2, 47, Article 9 — La sollicitude ou vigilance se rapporte-t-elle à la prudence ?

[1395] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[1396] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[1397] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1398] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[1399] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[1400] 1, 21, Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ? §3

[1401] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1402] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? §2

[1403] 2.2, 49, Article 4 — La sagacité

[1404] 2.2, 49, Article 1 — La mémoire

[1405] 2.2, 49, Article 2 — L’intellect ou intelligence

[1406] 2.2, 49, Article 6 — La prévoyance

[1407] 2.2, 47, Article 2 — La prudence est-elle seulement dans la raison pratique, ou aussi dans la raison spéculative ?

[1408] 2.2, 47, Article 10 — La prudence s’étend-elle au gouvernement de la multitude ?

[1409] 2.1, 1, Article 8 — Toutes les autres créatures se rejoignent-elles dans cette fin ultime ?

[1410] 2.2, 51, Article 1 — L’eubulia est-elle une vertu ?

[1411] 2.2, 51, Article 3 — La synésis est-elle une vertu ?

[1412] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[1413] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1414] 2.2, 47, Article 8 — Commander est-il l’acte principal de la prudence ?

[1415] 2.2, 47, Article 8 — Commander est-il l’acte principal de la prudence ?

[1416] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? dernière phrase

[1417] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1418] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ?

[1419] 1, 9, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §2

[1420] 1, 83, Article 1 — L’homme est-il doué de libre arbitre ?

[1421] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ?

[1422] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ? §4

[1423] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1424] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[1425] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

[1426] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ? §1

[1427] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[1428] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

[1429] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1430] 1, 19, Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ? §1

[1431] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ?

[1432] 1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ?

[1433] 1, 44, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ?

[1434] 1, 83, Article 1 — L’homme est-il doué de libre arbitre ?

[1435] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ?

[1436] 1, 23, Article 6 — La certitude de la prédestination — les prédestinés sont-ils infailliblement sauvés ?

[1437] 2.1, 21, Article 3 — L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, entraîne-t-il mérite ou démérite ?

[1438] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[1439] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1440] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §2

[1441] 1, 6, Article 2 — Dieu est-il suprêmement bon ?

[1442] 1, 103, Article 5 — Toutes choses sont-elles soumises au gouvernement divin ? §1

[1443] 2.2, 47, Article 8 — Commander est-il l’acte principal de la prudence ?

[1444] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ?

[1445] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ?

[1446] 1, 21, Article 3 — Trouve-t-on en Dieu la miséricorde ? §3

[1447] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[1448] 1, 10, Article 3 — Les anges peuvent-ils immédiatement, par leur vertu, déplacer les corps ?

[1449] 1, 14, Article 6 — Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

[1450] 1, 86, Article 2 — Notre intellect peut-il connaître des infinis ?

[1451] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[1452] 1, 19, Article 9 — Y a-t-il en Dieu la volonté des choses mauvaises ?

[1453] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[1454] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? O3

[1455] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ?

[1456] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[1457] 2.1, 1, Article 8 — Toutes les autres créatures se rejoignent-elles dans cette fin ultime ?

[1458] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ?

[1459] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §2

[1460] 1, 19, Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ?

[1461] 1, 22, Article 3 — La providence divine s’applique-t-elle immédiatement à toutes choses ?

[1462] 1, 83, Article 1 — L’homme est-il doué de libre arbitre ? §1

[1463] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[1464] 1, 21, Article 3 — Trouve-t-on en Dieu la miséricorde ? §2

[1465] 2.1, 113, Article 2 — L’infusion de la grâce est-elle requise pour la justification ?

[1466] 1, 22, Article 3 — La providence divine s’applique-t-elle immédiatement à toutes choses ?

[1467] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[1468] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[1469] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?

[1470] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ?

[1471] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[1472] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1473] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ? §3

[1474] 2.1, 1, Article 8 — Toutes les autres créatures se rejoignent-elles dans cette fin ultime ?

[1475] 1, 62, Article 5 — Les anges ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ?

[1476] 1, 21, Article 3 — Trouve-t-on en Dieu la miséricorde ?

[1477] 2.1, 22, Article 1 — Y a-t-il des passions dans l’âme ?

[1478] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2

[1479] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ?

[1480] 2.1, 110, Article 1 — La grâce est-elle une réalité dans l’âme ?

[1481] 2.1, 109, Article 6 — L’homme peut-il sans la grâce, se préparer à la grâce ?

[1482] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ?

[1483] 1, 23, Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ?

[1484] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[1485] 1, 22, Article 3 — La providence divine s’applique-t-elle immédiatement à toutes choses ? §1

[1486] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ? phrase 2

[1487] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1488] 1, 23, Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ?

[1489] 1, 24, Article 3 — Quelqu’un peut-il être effacé du livre de vie ? §2

[1490] 1, 20, Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ?

[1491] 1, 19, Article 9 — Y a-t-il en Dieu la volonté des choses mauvaises ?

[1492] 2.1, 21, Article 3 — L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, entraîne-t-il mérite ou démérite ?

[1493] 1, 23, Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ?

[1494] 1, 22, Article 4 — La providence divine impose-t-elle la nécessité aux choses qui lui sont soumises ?

[1495] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ?

[1496] 2.1, 79, Article 3 — Dieu est-il cause de l’aveuglement et de l’endurcissement de certains ?

[1497] 1, 20, Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ?

[1498] 1, 24, Article 3 — Quelqu’un peut-il être effacé du livre de vie ? §2 et

2.1, 79, Article 3 — Dieu est-il cause de l’aveuglement et de l’endurcissement de certains ?

[1499] 1, 22, Article 4 — La providence divine impose-t-elle la nécessité aux choses qui lui sont soumises ?

[1500] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ? S4

[1501] 2.1, 113, Article 2 — L’infusion de la grâce est-elle requise pour la justification ?

[1502] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ? S2

[1503] 2.2, 27, Article 3 — Dieu doit-il être aimé de dilection pour lui-même ?

[1504] 1, 23, Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ?

[1505] 1, 23, Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ?

[1506] 2.2, 27, Article 3 — Dieu doit-il être aimé de dilection pour lui-même ?

[1507] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? §1

[1508] 1, 23, Article 3 — La réprobation de certains hommes vient-elle de Dieu ?

[1509] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? §1

[1510] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[1511] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[1512] 1, 23, Article 4 — Peut-on dire que les prédestinés sont élus ?

[1513] 1, 20, Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ?

[1514] 1, 22, Article 3 — La providence divine s’applique-t-elle immédiatement à toutes choses ? §1

[1515] 1, 21, Article 3 — Trouve-t-on en Dieu la miséricorde ? §2

[1516] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ?

[1517] 2.1, 81, Article 3 — Le péché originel est-il transmis à tous ceux qui descendent charnellement d’Adam ?

[1518] 1, 21, Article 3 — Trouve-t-on en Dieu la miséricorde ? §2

[1519] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ?

[1520] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? §2

[1521] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ? S4

[1522] 2.1, 114, Article 5 — Peut-on mériter pour soi-même la première grâce ?

[1523] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ? S4

[1524] 1, 22, Article 4 — La providence divine impose-t-elle la nécessité aux choses qui lui sont soumises ?

[1525] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ?

[1526] 2.1, 109, Article 6 — L’homme peut-il sans la grâce, se préparer à la grâce ?

[1527] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ? phrase 3

[1528] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ? phrase 3

[1529] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1530] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[1531] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[1532] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1533] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[1534] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ? S2

[1535] 1, 21, Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ?

[1536] 1, 66, Article 1 — Un état informe de la matière créée a-t-il précédé dans le temps la distinction de celle-ci ?

[1537] 2.1, 87, Article 3 — Y a-t-il un péché qui rende passible d’une peine éternelle ?

[1538] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ?

[1539] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ?

[1540] 1, 23, Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ?

[1541] 1, 22, Article 4 — La providence divine impose-t-elle la nécessité aux choses qui lui sont soumises ?

[1542] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ?

[1543] 1, 19, Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ?

[1544] 1, 24, Article 3 — Quelqu’un peut-il être effacé du livre de vie ? §2

[1545] 1, 23, Article 5 — Les mérites sont-ils la cause ou la raison de la prédestination, ou de la réprobation, ainsi que de l’élection ? §4

[1546] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ?S2

[1547] 1, 23, Article 7 — Le nombre des prédestinés est-il fixé ? dernier §

[1548] 1, 19, Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ?

[1549] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ?

[1550] 1, 23, Article 3 — La réprobation de certains hommes vient-elle de Dieu ? S3

[1551] 1, 23, Article 5 — Les mérites sont-ils la cause ou la raison de la prédestination, ou de la réprobation, ainsi que de l’élection ? S3 §3

[1552] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1553] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1554] 1, 23, Article 6 — La certitude de la prédestination — les prédestinés sont-ils infailliblement sauvés ?

[1555] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ?

[1556] 1, 7, Article 4 — Peut-il y avoir dans les choses une multitude infinie ? §4

[1557] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ?

[1558] 1, 19, Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ?

[1559] 1, 75, Article 6 — L’âme humaine est-elle incorruptible ?

[1560] 2.1, 1, Article 8 — Toutes les autres créatures se rejoignent-elles dans cette fin ultime ?

[1561] 1, 23, Article 3 — La réprobation de certains hommes vient-elle de Dieu ? S2

[1562] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ? S2

[1563] 1, 23, Article 6 — La certitude de la prédestination — les prédestinés sont-ils infailliblement sauvés ? S1

[1564] 1, 23, Article 6 — La certitude de la prédestination — les prédestinés sont-ils infailliblement sauvés ? S1

[1565] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[1566] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?

[1567] 2.1, 83, Article 4 — Quelques-unes de ces puissances - la puissance génératrice, l’appétit concupiscible et le sens du toucher - sont-elles spécialement infectées ?

[1568] 1, 21, Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ?

[1569] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ?

[1570] 1, 23, Article 6 — La certitude de la prédestination — les prédestinés sont-ils infailliblement sauvés ?

[1571] 1, 116, Article 4 — Tout est-il soumis au destin ?

[1572] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ?

[1573] 1, 23, Article 5 — Les mérites sont-ils la cause ou la raison de la prédestination, ou de la réprobation, ainsi que de l’élection ?

[1574] 1, 23, Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ?

[1575] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ?

[1576] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ?

[1577] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[1578] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1579] 1, 19, Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ?

[1580] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[1581] 1, 23, Article 3 — La réprobation de certains hommes vient-elle de Dieu ?

[1582] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

[1583] 1, 23, Article 7 — Le nombre des prédestinés est-il fixé ?

[1584] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ?

[1585] S, 87, Article 3 — Chacun pourra-t-il voir d’un seul regard tous les mérites et démérites de lui-même et des autres ?

[1586] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[1587] 1, 18, Article 4 — Toutes choses sont-elles vie en Dieu. ?

[1588] 1, 24, Article 1 — Qu’est-ce que le livre de vie ?

[1589] 1, 24, Article 1 — Qu’est-ce que le livre de vie ?

[1590] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ? S4

[1591] 1, 24, Article 1 — Qu’est-ce que le livre de vie ?

[1592] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

[1593] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ? S4

[1594] 1, 24, Article 3 — Quelqu’un peut-il être effacé du livre de vie ? §2

[1595] 1, 23, Article 6 — La certitude de la prédestination — les prédestinés sont-ils infailliblement sauvés ?

[1596] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[1597] 1, 24, Article 1 — Qu’est-ce que le livre de vie ?

[1598] 1, 23, Article 6 — La certitude de la prédestination — les prédestinés sont-ils infailliblement sauvés ?

[1599] 2.1, 109, Article 5 — Sans la grâce, l’homme peut-il mériter la vie éternelle ?

[1600] 1, 63, Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ? et

2.1, 87, Article 3 — Y a-t-il un péché qui rende passible d’une peine éternelle ?

[1601] 1, 24, Article 1 — Qu’est-ce que le livre de vie ? §1

[1602] 1, 23, Article 6 — La certitude de la prédestination — les prédestinés sont-ils infailliblement sauvés ?

[1603] 1, 24, Article 2 — De quelle vie est-il le livre ? R et S3

[1604] 1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ? S4

[1605] 1, 63, Article 6 — S’est-il écoulé un certain temps entre la création de l’ange et sa chute ? S4 et

2.1, 87, Article 3 — Y a-t-il un péché qui rende passible d’une peine éternelle ?

[1606]  1, 23, Article 3 — La réprobation de certains hommes vient-elle de Dieu ? §2 dernière phrase et

2.1, 79, Article 3 — Dieu est-il cause de l’aveuglement et de l’endurcissement de certains ?

[1607] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[1608] 1, 9, Article 2 — Être immuable est-il propre à Dieu ?

[1609] 3, 84, Article 10 — Le sacrement de pénitence peut-il être renouvelé ? §3

[1610] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[1611] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S3

[1612] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1613] 1, 6, Article 2 — Dieu est-il suprêmement bon ?

[1614] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[1615] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[1616] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1617] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[1618] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ? et

1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1619] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[1620] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1621] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 phrase 4

[1622] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[1623] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1624] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[1625] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1626] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[1627] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[1628] 1, 23, Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ?

[1629] 1, 16, Article 4 — Du vrai comparé au bon

[1630] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[1631] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[1632] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[1633] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[1634] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[1635] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[1636] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[1637] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[1638] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[1639] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ?

[1640] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ? raison 1

[1641] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[1642] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[1643] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ? raison 1

[1644] Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1645] Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[1646] 2.1, 71, Article 6 — La définition du péché par S. Augustin — “ Une parole, un acte ou un désir contraire à la loi éternelle. ”

[1647] 1, 21, Article 3 — Trouve-t-on en Dieu la miséricorde ?

[1648] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §2

[1649] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §1

[1650] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 phrase 4

[1651] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[1652] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1653] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[1654] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ?

[1655] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[1656] 2.1, 113, Article 9 — La justification de l’impie est-elle la plus grande œuvre de Dieu ?

[1657] 1, 21, Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ? §3

[1658] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ? §3

[1659] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ?

[1660] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[1661] 2.2, 152, Article 5 — La supériorité de la virginité par rapport aux autres vertus

[1662] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ? §4

[1663] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ? S4

[1664] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ? §4

[1665] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[1666] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ?

[1667] 1, 21, Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ? §2

[1668] 1, 19, Article 9 — Y a-t-il en Dieu la volonté des choses mauvaises ? §2

[1669] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ?

[1670] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[1671] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ?

[1672] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[1673] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[1674] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ?

[1675] 1, 21, Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ? §2

[1676] 1, 6, Article 2 — Dieu est-il suprêmement bon ?

[1677] 1, 79, Article 1 — L’intelligence est-elle une puissance de l’âme ou son essence ?

[1678] 1, 77, Article 2 — Y a-t-il une ou plusieurs puissances dans l’âme ?

[1679] 2.1, 77, Article 2 — La passion peut-elle dominer la raison contre le savoir de celle-ci ?

[1680] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[1681] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1682] 1, 21, Article 2 — La justice de Dieu peut-elle être dite “ Vérité ” ?

[1683] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ?

[1684] 1, 25, Article 5 — Dieu peut-il faire les choses qu’il ne fait pas, ou omettre celles qu’il fait ? §2

[1685] 1, 22, Article 3 — La providence divine s’applique-t-elle immédiatement à toutes choses ? §1

[1686] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ? §3

[1687] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ?

[1688] 1, 19, Article 6 — La volonté divine s’accomplit-elle toujours ?

[1689] 1, 22, Article 3 — La providence divine s’applique-t-elle immédiatement à toutes choses ?

[1690] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[1691] 1, 21, Article 1 — Trouve-t-on en Dieu la justice ? §1

[1692] 1, 25, Article 5 — Dieu peut-il faire les choses qu’il ne fait pas, ou omettre celles qu’il fait ? S1

[1693] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ?

[1694] 1, 21, Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ?

[1695] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? S2

[1696] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[1697] 3, 7, Article 11 — La grâce du Christ est-elle infinie ?

[1698] Dogme 1950

[1699] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S1 dernière phrase

[1700] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? S1

[1701] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ? §2

[1702] 1, 25, Article 6 — Les choses que Dieu fait, pourrait-il les faire meilleures ?

[1703] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1704] 1, 22, Article 3 — La providence divine s’applique-t-elle immédiatement à toutes choses ?

[1705] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §2

[1706]  1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1707] 1, 5, Article 7 — Certaines actions humaines sont-elles requises pour que l’homme obtienne de Dieu la béatitude ?

[1708] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1709] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ?

[1710] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1711] 1, 5, Article 7 — Certaines actions humaines sont-elles requises pour que l’homme obtienne de Dieu la béatitude ?

[1712] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[1713] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ? §2

[1714] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1715] 2.1, 1, Article 8 — Toutes les autres créatures se rejoignent-elles dans cette fin ultime ? dernière phrase

[1716] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1717] 2.1, 4, Article 2 — Quel est le principal dans la béatitude — la délectation ou la vision ?

[1718] 1, 26, Article 1 — La béatitude convient-elle à Dieu ?

[1719] 2.1, 3, Article 3 — La béatitude est-elle une activité de la partie sensible de l’âme, ou seulement de sa partie intellectuelle ?

[1720] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[1721] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ? §2

[1722] 2.1, 4, Article 2 — Quel est le principal dans la béatitude — la délectation ou la vision ?

[1723] 1, 6, Article 2 — Dieu est-il suprêmement bon ?

[1724] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ? point 2

[1725] 2.1, 1, Article 8 — Toutes les autres créatures se rejoignent-elles dans cette fin ultime ? dernière phrase

[1726] 2.1, 3, Article 3 — La béatitude est-elle une activité de la partie sensible de l’âme, ou seulement de sa partie intellectuelle ?

[1727] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[1728] 2.1, 3, Article 1 — La béatitude est-elle une réalité incréée ?

[1729] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[1730] 2.1, 3, Article 1 — La béatitude est-elle une réalité incréée ?

[1731] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

[1732] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ?

[1733] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1734] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

[1735] 1, 22, Article 3 — La providence divine s’applique-t-elle immédiatement à toutes choses ?

[1736] 2.1, 31, Article 3 — Le plaisir diffère-t-il de la joie ?

[1737] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1738] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ?

[1739] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1740] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[1741] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ?

[1742] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1743] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[1744] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[1745] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? §2

[1746] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? S1 et 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ? §1

[1747] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? et 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3

[1748] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ?

[1749] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[1750] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? et 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[1751] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §3

[1752] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ?

[1753] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? §3

[1754] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[1755] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1756] 1, 18, Article 2 — Qu’est-ce que la vie ?

[1757] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ?

[1758] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3

[1759] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ?

[1760] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[1761] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[1762] 1, 79, Article 1 — L’intelligence est-elle une puissance de l’âme ou son essence ?

[1763] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[1764] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

[1765] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[1766] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[1767] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[1768] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1769] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[1770] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ?

[1771] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1772] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ?

[1773] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1774] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ?

[1775] 2.1, 28, Article 2 — L’inhabitation mutuelle est-elle un effet de l’amour ?

[1776] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[1777] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1778] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[1779] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1780] 1, 82, Article 4 — La volonté meut-elle l’intelligence ? §1

[1781] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[1782] 2.1, 27, Article 3 — La ressemblance est-elle cause de l’amour ?

[1783] 2.1, 27, Article 3 — La ressemblance est-elle cause de l’amour ?

[1784] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

[1785] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ?

[1786] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1787] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1788] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1789] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[1790] 2.1, 27, Article 3 — La ressemblance est-elle cause de l’amour ?

[1791] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §3

[1792] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[1793] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[1794] 1, 25, Article 2 — La puissance de Dieu est-elle infinie ?

[1795] 1, 78, Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme

[1796] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[1797] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1798] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[1799] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ? et

1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[1800] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[1801] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[1802] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1803] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §3

[1804] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3

[1805] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §2

[1806] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? §1

[1807] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[1808] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1809] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? S2

[1810] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ? §1

[1811] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1812] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? S2

[1813] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ?

[1814] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ?

[1815] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[1816] 1, 22, Article 3 — La providence divine s’applique-t-elle immédiatement à toutes choses ?

[1817] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? S2

[1818] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1819] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §1

[1820] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1821] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ? §2

[1822] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[1823] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ?

[1824] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[1825] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? §2 phrase 2

[1826] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[1827] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1828] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §2

[1829] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1830] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §3 phrase 2

[1831] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §2

[1832] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[1833] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[1834] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1835] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[1836] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier §

[1837] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ? §2

[1838] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[1839] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1840] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? dernier §

[1841] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §2

[1842] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ?

[1843] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1844] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[1845] 2.1, 22, Article 1 — Y a-t-il des passions dans l’âme ?

[1846] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[1847] 1, 28, Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ? §2

[1848] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

[1849] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[1850] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[1851] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

[1852] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[1853] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? §2

[1854] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ? S3

[1855] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? dernier §

[1856] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[1857] 1, 27, Article 3 — Outre la génération, peut-il y avoir une autre procession en Dieu ?

[1858] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ? S3

[1859] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1860] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? dernière phrase

[1861] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[1862] 1, 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ?

[1863] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[1864] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

[1865] 1, 42, Article 1 — Y a-t-il lieu de parler d’égalité entre les Personnes divines ? S4

[1866] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ?

[1867] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[1868] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 3

[1869] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[1870] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[1871] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ? §2

[1872] 1, 89, Article 1 — L’âme séparée du corps peut-elle faire acte d’intelligence ? §2

[1873] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2

[1874] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[1875] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[1876] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ? §4

[1877] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? §1-2 et

1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 1

[1878] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ?

[1879] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne §2

[1880] 3, 2, Article 2 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans la personne ? S3

[1881] 1, 13, Article 9 — Ce nom “ Dieu ” est-il communicable ? §2

[1882] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ? S3

[1883] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[1884] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point1

[1885] 3, 2, Article 2 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans la personne ? S3

[1886] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[1887] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[1888] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[1889] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne O2

[1890] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne §1

[1891] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne S3

[1892] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[1893] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[1894] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[1895] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ?

[1896] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[1897] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ? §2

[1898] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[1899] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 1

[1900] 1, 1, Article 8 — Cette doctrine argumente-t-elle ? O1&2

[1901] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

[1902] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ? dernière phrase

[1903] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[1904] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ?

[1905] 1, 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ?

[1906] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[1907] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[1908] Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[1909] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[1910] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1911] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[1912] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[1913] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[1914] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[1915] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ? S2

[1916] Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[1917] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[1918] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[1919] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[1920] 1, 13, Article 10 — Ce nom “ Dieu ” est-il employé de façon univoque, ou équivoque, selon qu’il signifie Dieu par nature, par participation, ou selon l’opinion ?

[1921] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §2

[1922] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §4

[1923] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ?

[1924] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[1925] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[1926] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[1927] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §3

[1928] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[1929] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §4

[1930] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[1931] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[1932] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[1933] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §4

[1934] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[1935] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[1936] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ?

[1937] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[1938] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[1939] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[1940] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ?

[1941] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[1942] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? dernier §

[1943] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[1944] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[1945] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ? S2

[1946] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[1947] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[1948] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S4 et

1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S1

[1949] 1, 42, Article 4 — Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ? S3

[1950] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[1951] 1, 28, Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ?

[1952] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ?

[1953] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? §3

[1954] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ?

[1955] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[1956] 1, 6, Article 2 — Dieu est-il suprêmement bon ?

[1957] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier §

[1958] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2

[1959] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? S2

[1960] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[1961] 1, 28, Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ? §2

[1962] 1, 37, Article 2 

[1963] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[1964] 1, 27, Article 3 — Outre la génération, peut-il y avoir une autre procession en Dieu ?

[1965] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ?

[1966] 1, 27, Article 5 — N’y a-t-il en Dieu que ces deux processions ?

[1967] 1, 28, Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ?

[1968] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[1969] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? §3

[1970] 1, 27 ,Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ?

[1971] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ?

[1972] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ?

[1973] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[1974] 1, 54, Article 5 — Les anges ont-ils d’autres puissances cognitives que l’intelligence ?

[1975] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2 et

1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2

[1976] 1, 27, Article 5 — N’y a-t-il en Dieu que ces deux processions ?

[1977] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? et

1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[1978] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[1979] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[1980] 1, 42, Article 4 — Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ?

[1981] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ? point 1

[1982] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?  S1 dernière phrase

[1983] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §1

[1984] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §1

[1985] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[1986] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[1987] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §1

[1988] Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2

[1989] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

[1990] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[1991] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?  S1 dernière phrase

[1992] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[1993] 1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ? §4

[1994] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[1995] 1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ? O1

[1996] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[1997] 1, 13, Article 9 — Ce nom “ Dieu ” est-il communicable ? §2

[1998] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[1999] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[2000] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[2001] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne 03 et S3

[2002] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[2003] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[2004] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[2005] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2006] 1, 30, Article 4 — Comment le nom de “ personne ” est-il commun en Dieu ? §1

[2007] 1, 30, Article 4 — Comment le nom de “ personne ” est-il commun en Dieu ? §3

[2008] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[2009] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 3

[2010] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4 et

1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? dernier §

[2011] 1, 30, Article 4 — Comment le nom de “ personne ” est-il commun en Dieu ?

[2012] 1, 11, Article 4 — Dieu est-il le plus un de tous les étants ?

[2013] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[2014] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? S1

[2015] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[2016] 1, 31, Article 1 — Y a-t-il une trinité en Dieu ?

[2017] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? S2

[2018] 1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ? §4

[2019] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier §

[2020] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[2021] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[2022] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[2023] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? dernier §

[2024] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[2025] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2026] 1, 31, Article 1 — Y a-t-il une trinité en Dieu ?

[2027] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2028] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ? phrases 1 à 4

[2029] [2029] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ? dernière phrase

[2030] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne O2

[2031] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ? point 5

[2032] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2033] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4 dernière phrase

[2034] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? dernier §

[2035] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §2

[2036] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[2037] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ? §1

[2038] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[2039] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? §3

[2040] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2041] 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions §1

[2042] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ?

[2043] 1, 31, Article 3 — Le terme exclusif “ seul ” peut-il s’adjoindre à un terme essentiel ? §1

[2044] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ?

[2045] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[2046] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4 dernière phrase

[2047] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? S4

[2048] 1, 31, Article 3 — Le terme exclusif “ seul ” peut-il s’adjoindre à un terme essentiel ? S2

[2049] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier §

[2050] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier §

[2051] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[2052] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ?

[2053] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ?

[2054] 1, 6, Article 2 — Dieu est-il suprêmement bon ?

[2055] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3 et 4

[2056] 1, 1, Article 2 — La doctrine sacrée est-elle une science ?

[2057] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2058] 1, 85, Article 2 — Les espèces intelligibles abstraites sont-elles ce que notre intelligence connaît ?

[2059] 1, 12, Article 12 — Pouvons-nous, en cette vie, connaître Dieu par la raison naturelle ? §2

[2060] 1, 2, Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ?

[2061] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §1

[2062] 2.2, 1, Article 5 — L’objet de la foi peut-il être une chose sue ?

[2063] 1, 1, Article 8 — Cette doctrine argumente-t-elle ? §2

[2064] 2.2, 2, Article 3 — Est-il nécessaire au salut de croire quelque chose qui dépasse la raison naturelle ?

[2065] 1, 27, Article 3 — Outre la génération, peut-il y avoir une autre procession en Dieu ?

[2066] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? 3ème considération

[2067] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §2

[2068] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ?

[2069] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? §1

[2070] 1, 32, Article 1 — La Trinité des Personnes divines peut-elle être connue par la raison naturelle ? S3 1er motif

[2071] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[2072] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[2073] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[2074] 2.1, 4, Article 8 — Une société d’amis est-elle requise pour la béatitude ?

[2075] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ?

[2076] 2.2, 2, Article 3 — Est-il nécessaire au salut de croire quelque chose qui dépasse la raison naturelle ?

[2077] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ?

[2078] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? S2 §2

[2079] 3, 1, Article 1 — Convenait-il à Dieu de s’incarner ?

[2080] 1, 29, Article 3 — Convient-il d’employer le terme “ personne ” pour parler de Dieu ? O1

[2081] 1, 31, Article 1 — Y a-t-il une trinité en Dieu ?

[2082] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[2083] 1,28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? et

1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[2084] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? S1 et

1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? S2

[2085] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[2086] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? S2

[2087] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[2088] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? S4

[2089] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2090] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ? S3

[2091] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ?

[2092] 1, 29, Article 3 — Convient-il d’employer le terme “ personne ” pour parler de Dieu ? S1

[2093] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ?

[2094] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier §

[2095] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §2

[2096] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? §2

[2097] 1, 28, Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ?

[2098] 1, 31, Article 1 — Y a-t-il une trinité en Dieu ?

[2099] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[2100] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[2101] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[2102] 1, 27, Article 5 — N’y a-t-il en Dieu que ces deux processions ?

[2103] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ?

[2104] 1, 27, Article 3 — Outre la génération, peut-il y avoir une autre procession en Dieu ?

[2105] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? premier et dernier §

[2106] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2107] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ? S3

[2108] 1, 27, Article 5 — N’y a-t-il en Dieu que ces deux processions ?

[2109] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ? S1

[2110] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? S1

[2111] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? §2

[2112] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[2113] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ? et

1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[2114] 1, 29, Article 3 — Convient-il d’employer le terme “ personne ” pour parler de Dieu ? S2

[2115] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[2116] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? §2

[2117] 1, 1, Article 2 — La doctrine sacrée est-elle une science ?

[2118] 1, 32, Article 1 — La Trinité des Personnes divines peut-elle être connue par la raison naturelle ?

[2119] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2120] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier §

[2121] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2122] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2123] 1, 13, Article 11 — Le nom “ Celui qui est ” est-il, plus que tous les autres, le nom propre de Dieu ? point 2

[2124] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2

[2125] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[2126] 1, 42, Article 4 — Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ?

[2127] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? S2

[2128] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[2129] 1, 13, Article 11 — Le nom “ Celui qui est ” est-il, plus que tous les autres, le nom propre de Dieu ? point 2

[2130] 1, 13, Article 9 — Ce nom “ Dieu ” est-il communicable ? §2

[2131] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? §1

[2132] 1, 13, Article 6 — Si c’est par analogie, ces noms sont-ils dits en priorité de Dieu ou des créatures ? dernier §

[2133] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier §

[2134] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2135] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2136] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §4

[2137] 1, 13, Article 6 — Si c’est par analogie, ces noms sont-ils dits en priorité de Dieu ou des créatures ? dernier §

[2138] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[2139] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ? début §2

[2140] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? §1

[2141] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier §

[2142] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2143] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[2144] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? §2

[2145] 1, 2, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? dernier §

[2146] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ?

[2147] 1, 13, Article 6 — Si c’est par analogie, ces noms sont-ils dits en priorité de Dieu ou des créatures ? dernier §

[2148] 1, 33, Article 2 — Le nom de “ Père ” est-il le nom propre de cette Personne ? S4

[2149] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §3

[2150] 1, 93, Article 1 — Y a-t-il une image de Dieu chez l’homme ?

[2151] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[2152] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §2

[2153] 1, 33, Article 3 — Le nom de “ Père ”, dit de Dieu, signifie-t-il en première intention une propriété personnelle ? fin §2

[2154] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §3

[2155] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2156] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[2157] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2158] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ?

[2159] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps, dernier §

[2160] 1, 33, Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ? S2

[2161] 1, 28, Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ?

[2162] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ? S4

[2163] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? S4

[2164] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ?

[2165] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2166] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §1

[2167] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ? S3

[2168] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ?

[2169] 1, 36, Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ?

[2170] 1, 33, Article 2 — Le nom de “ Père ” est-il le nom propre de cette Personne ? S4

[2171] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? dernier §

[2172] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? dernier § et

1, 29 Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2173] 1, 29 Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2174] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2175] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? dernier §

[2176] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? dernier §

[2177] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3, S3 et

1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[2178] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? dernier §

[2179] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[2180] 1, 16, Article 4 — Du vrai comparé au bon

[2181] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

[2182] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3, S3 et

1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2

[2183] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[2184] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? §1

[2185] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? fin §1

[2186] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2187] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? b)

[2188] 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions

[2189] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? §2

[2190] 1, 36, Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ?

[2191] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? a)

[2192] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2193] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2194] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[2195] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2196] 3, 5, Article 2 — Le Fils de Dieu devait-il assumer un corps terrestre, c’est-à-dire fait de chair et de sang ?

[2197] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2198] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[2199] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier §

[2200] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ?

[2201] 1, 43, Article 7 — Convient-il au Saint-Esprit d’être envoyé visiblement ?

[2202] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? S1

[2203] 1, 34, Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ?

[2204] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? S1

[2205] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? a)

[2206] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2207] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

[2208] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §1

[2209] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §1

[2210] [2210] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

[2211] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[2212] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[2213] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[2214] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2215] Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? dernier §

[2216] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? S1

[2217] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ?

[2218] 1,15,Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ? §2

[2219] 1, 15, Article 2 — Y a-t-il plusieurs idées, ou une seule ? §1

[2220] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? a)

[2221] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §1

[2222] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[2223] 1, 14, Article 9 — Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ? §2

[2224] 1, 42, Article 3 — Y a-t-il un ordre entre les Personnes divines ?

[2225] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2226] 1, 93, Article 1 — Y a-t-il une image de Dieu chez l’homme ? §3

[2227] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2228] 1, 36, Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ?

[2229] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ?

[2230] 1, 93, Article 1 — Y a-t-il une image de Dieu chez l’homme ? §3

[2231] 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions

[2232] 1, 42, Article 1 — Y a-t-il lieu de parler d’égalité entre les Personnes divines ?

[2233] 1, 36, Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ?

[2234] 1, 36, Article 4 — Le Père et le Fils sont-ils un seul principe du Saint-Esprit ?

[2235] 1, 93, Article 8 — Est-ce par rapport à cet objet qu’est Dieu que l’image de la divine Trinité est dans l’âme ? §1

[2236] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[2237] 1, 34, Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ?

[2238] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ?

[2239] 1, 35, Article 2 — Le nom d’Image est-il propre au Fils ? §3

[2240] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[2241] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? dernier §

[2242] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? O1

[2243] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ? S3

[2244] 1, 28, Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ? §2

[2245] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ?

[2246] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[2247] 1, 36, Article 1 — L’Esprit-Saint, est-il le nom propre d’une personne divine ? §2

[2248] 1, 36, Article 1 — L’Esprit-Saint, est-il le nom propre d’une personne divine ? §2

[2249] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ?

[2250] 1, 29, Article 3 — Convient-il d’employer le terme “ personne ” pour parler de Dieu ? O1

[2251] 1, 34, Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ?

[2252] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ? et 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[2253] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[2254] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ?

[2255] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[2256] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[2257] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §1

[2258] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2259] 1, 28, Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ? §1

[2260] 1, 28, Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ? §2 phrase 2

[2261] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2262] 2.1, 62, Article 4 — L’ordre des vertus théologales §1

[2263] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ? point 3

[2264] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[2265] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? S1

[2266] 2.1, 28, Article 2 — L’inhabitation mutuelle est-elle un effet de l’amour ? §3

[2267] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? a)

[2268] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? §3

[2269] 1, 36, Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ? S2

[2270] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? S1

[2271] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? §1

[2272] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 phrase 4

[2273] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? §3

[2274] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? et 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2275] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[2276] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? S6

[2277] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2278] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2279] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? S6

[2280] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4 et

1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? et  1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2281] 1, 36, Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ? S1

[2282] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[2283] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? §3

[2284] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? §3

[2285] 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions §1

[2286] 1, 36, Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ? S2

[2287] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? §1 et S1

[2288] 1, 36, Article 4 — Le Père et le Fils sont-ils un seul principe du Saint-Esprit ? S2

[2289] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? §2

[2290] 1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ? §4

[2291] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? §2

[2292] 1, 27, Article 3 — Outre la génération, peut-il y avoir une autre procession en Dieu ?

[2293] 1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ? §4

[2294] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §1

[2295] 1, 36, Article 4 — Le Père et le Fils sont-ils un seul principe du Saint-Esprit ? S1

[2296] 1, 36, Article 4 — Le Père et le Fils sont-ils un seul principe du Saint-Esprit ? S4

[2297] 1, 36, Article 4 — Le Père et le Fils sont-ils un seul principe du Saint-Esprit ? S4

[2298] 1, 36, Article 4 — Le Père et le Fils sont-ils un seul principe du Saint-Esprit ? S1

[2299] 1, 36, Article 4 — Le Père et le Fils sont-ils un seul principe du Saint-Esprit ? S1

[2300] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §1

[2301] 1, 28, Article 4 — Quel est le nombre des relations en Dieu ? §2

[2302] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ?

[2303] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2304] 2.1, 28, Article 1 — L’union est-elle un effet de l’amour ?

[2305] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ?

[2306] 1, 27, Article 3 — Outre la génération, peut-il y avoir une autre procession en Dieu ?

[2307] 1, 36, Article 1 — L’Esprit-Saint, est-il le nom propre d’une personne divine ? §1

[2308] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ? S3

[2309] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? §1 a)

[2310] 2.1, 28, Article 2 — L’inhabitation mutuelle est-elle un effet de l’amour ?

[2311] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[2312] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[2313] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? §2

[2314] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? §1 b)

[2315] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? §3

[2316] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ? S3

[2317] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[2318] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ? et S3

[2319] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3

[2320] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

[2321] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? §1 a)

[2322] 1, 34, Article 3 — Le nom de “ Verbe ” implique-t-il rapport aux créatures ?

[2323] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §3

[2324] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? §3

[2325] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ? §3

[2326] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ? §4

[2327] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ? §4

[2328] 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions

[2329] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §1

[2330] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ? §4

[2331] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? S2

[2332] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ? §4

[2333] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ? §4

[2334] 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions

[2335] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? §1 b)

[2336] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ? §4

[2337] Article 3 — Le nom de “ Verbe ” implique-t-il rapport aux créatures ?

[2338] 1, 20, Article 2 — Dieu aime-t-il toutes choses ? §1

[2339] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[2340] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2341] 1, 42, Article 3 — Y a-t-il un ordre entre les Personnes divines ?

[2342] 1, 38, Article 1 — “ Don ” peut-il être un nom personnel ? §1

[2343] 2.1, 11, Article 2 — Jouir est-il propre à la seule créature raisonnable ou aussi aux bêtes ? §1

[2344] 1, 43, Article 5 — Y a-t-il mission invisible du Fils aussi bien que du Saint-Esprit ?

[2345] 2.1, 62, Article 3 — Quel est le nombre et la nature des vertus théologales ? §2

[2346] 1, 63, Article 3 — A cause de quel désir l’ange a-t-il péché ? §2

[2347] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[2348] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §2 et

2.1, 3, Article 1 — La béatitude est-elle une réalité incréée ?

[2349] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? §3

[2350] 1, 38, Article 1 — “ Don ” peut-il être un nom personnel ? S1

[2351] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? dernier §

[2352] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? dernier §

[2353] 1, 36, Article 1 — L’Esprit-Saint, est-il le nom propre d’une personne divine ? O3

[2354] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ?

[2355] 2.1, 26, Article 4 — A-t-on raison de distinguer amour d’amitié, et amour de convoitise ?

[2356] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ? et

1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ? dernier §

[2357] 1, 43, Article 3 — Comment une Personne divine est-elle envoyée ? §2

[2358] 1, 34, Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ?

[2359] 1, 35, Article 2 — Le nom d’Image est-il propre au Fils ?

[2360] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ?

[2361] 1, 38, Article 1 — “ Don ” peut-il être un nom personnel ?

[2362] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2 et

1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[2363] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ? et

1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ?

[2364] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne §1

[2365] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[2366] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne §2

[2367] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[2368] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2369] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[2370] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2371] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? avant-dernière phrase, 1ère partie

[2372] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? S2

[2373] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[2374] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2375] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? §3

[2376] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2377] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? O1

[2378] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[2379] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2380] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? §2

[2381] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? §1

[2382] 3, 3, Article 1 — Assumer convient-il à une personne divine ? phrase 1

[2383] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? S2

[2384] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2385] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier §

[2386] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2387] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[2388] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ? 2ème partie

[2389] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? point 3

[2390] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1, 1ère partie

[2391] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[2392] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? §3

[2393] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2

[2394] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ? dernière phrase

[2395] 1, 36, Article 4 — Le Père et le Fils sont-ils un seul principe du Saint-Esprit ? S7

[2396] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2397] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 3

[2398] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[2399] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ? et

1, 11, Article 4 — Dieu est-il le plus un de tous les étants ?

[2400] 1, 39, Article 3 — Les noms essentiels s’attribuent-ils aux Personnes au pluriel ou au singulier ? §2

[2401] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2402] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ? S1

[2403] 1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ? §4 et S1

[2404] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2405] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? dernier §

[2406] 1, 39, Article 3 — Les noms essentiels s’attribuent-ils aux Personnes au pluriel ou au singulier ? §3 et S1

[2407] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2408] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ?

[2409] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 1ère partie

[2410] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[2411] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

[2412] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[2413] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2414] 1, 30, Article 4 — Comment le nom de “ personne ” est-il commun en Dieu ? §3

[2415] 1, 39, Article 4 — Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ? §1

[2416] 1, 30, Article 4 — Comment le nom de “ personne ” est-il commun en Dieu ? §1

[2417] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

[2418] 1, 39, Article 3 — Les noms essentiels s’attribuent-ils aux Personnes au pluriel ou au singulier ? §3

[2419] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2420] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? §4

[2421] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? §1

[2422] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

[2423] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? S1 et 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? S2

[2424] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2425] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[2426] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[2427] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[2428] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[2429] 1, 33, Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ?

[2430] 1, 33, Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ?

[2431] 1, 27, Article 5 — N’y a-t-il en Dieu que ces deux processions ?

[2432] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 1ère partie

[2433] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[2434] 1, 39, Article 4 — Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ? §2

[2435] 1, 39, Article 4 — Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ? §3

[2436] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ? S1 et 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? S2

[2437] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1 phrase 1

[2438] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[2439] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[2440] 1, 39, Article 5 — Les termes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris abstraitement ?

[2441] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[2442] 1, 39, Article 5 — Les termes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris abstraitement ?

[2443] 1, 39, Article 3 — Les noms essentiels s’attribuent-ils aux Personnes au pluriel ou au singulier ? §2

[2444] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ?

[2445] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2446] 1, 31, Article 1 — Y a-t-il une trinité en Dieu ?

[2447] 1, 30, Article 4 — Comment le nom de “ personne ” est-il commun en Dieu ?

[2448] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ?

[2449] 1, 39, Article 4 — Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ? §2

[2450] 1, 39, Article 4 — Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ? §2

[2451] 1, 39, Article 5 — Les termes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris abstraitement ? S5

[2452] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[2453] 1, 39, Article 4 — Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ? §3

[2454] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[2455] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §4

[2456] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? S2

[2457] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? fin §1 et

1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2458] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2459] 1, 32, Article 1 — La Trinité des Personnes divines peut-elle être connue par la raison naturelle ?

[2460] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[2461] 1, 32, Article 1 — La Trinité des Personnes divines peut-elle être connue par la raison naturelle ? S1 et

1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ? S3

[2462] 1, 45, Article 7 — Y a-t-il un vestige de la Trinité dans les êtres créés ?

[2463] 1, 34, Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ?

[2464] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ?

[2465] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ?

[2466] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? dernier § et S1 phrase 1

[2467] 1, 37, Article 2 — Le Père et le Fils s’aiment-ils par le Saint-Esprit ? §3 phrase 1

[2468] 1, 35, Article 2 — Le nom d’Image est-il propre au Fils ?

[2469] 1, 38, Article 2 — “ Don ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

[2470] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ?

[2471] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? §2

[2472] 2.1, 32, Article 1 — L’action est-elle la cause propre du plaisir ?

[2473] 1, 39, Article 7 — Faut-il approprier les noms essentiels aux Personnes ? S2

[2474] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[2475] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? dernier §

[2476] 1, 16, Article 5 — Dieu est-il la vérité ?

[2477] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2478] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ?

[2479] 1, 30, Article 4 — Comment le nom de “ personne ” est-il commun en Dieu ? §3

[2480] 1, 2, Article 2 — L’existence de Dieu est-elle démontrable ? et

1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

[2481] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §2

[2482] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

[2483] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? dernier §

[2484] 1, 35, Article 2 — Le nom d’Image est-il propre au Fils ? dernier §

[2485] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? premier verbe

[2486] 2.1, 4, Article 1 — La délectation est-elle requise pour la béatitude ?

[2487] 1, 38, Article 2 — “ Don ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

[2488] 1, 43, Article 3 — Comment une Personne divine est-elle envoyée ? §2

[2489] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? O1

[2490] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

[2491] 1, 33, Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ?

[2492] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? §3

[2493] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? O2

[2494] 1, 18, Article 1 — A qui appartient-il de vivre ? SC

[2495] 1, 26, Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ?

[2496] 1, 37, Article 2 — Le Père et le Fils s’aiment-ils par le Saint-Esprit ?

[2497] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[2498] 1, 33, Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ?

[2499] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? a)

[2500] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[2501] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

[2502] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? O3

[2503] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[2504] 1, 33, Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ? S2

[2505] 1, 34, Article 3 — Le nom de “ Verbe ” implique-t-il rapport aux créatures ?

[2506] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ? §1

[2507] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

[2508] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? O4

[2509] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §1

[2510] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §4 et

1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2511] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? O5 §1

[2512] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[2513] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §3

[2514] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? O5 §2

[2515] 1, 24, Article 1 — Qu’est-ce que le livre de vie ? §1

[2516] 1, 18, Article 1 — A qui appartient-il de vivre ?

[2517] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ? dernier §

[2518] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2519] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? O5 §2 2ème partie

[2520] 1, 39, Article 4 — Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ?

[2521] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2522] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2523] 1, 39, Article 4 — Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ? S3

[2524] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3

[2525] 1, 33, Article 2 — Le nom de “ Père ” est-il le nom propre de cette Personne ?

[2526] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §3

[2527] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §4

[2528] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? §3

[2529] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §5

[2530] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §3

[2531] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? dernier §

[2532] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? §2

[2533] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? S1

[2534] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[2535] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[2536] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[2537] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[2538] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? §2

[2539] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2540] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? §2

[2541] 1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ? §2 et dernier §

[2542] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? §2

[2543] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4 et

1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? dernier § et

1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[2544] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?  point 1 et

1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[2545] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2546] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? S2

[2547] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[2548] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[2549] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2550] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? §2

[2551] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2552] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[2553] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[2554] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? §2

[2555] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? S1

[2556] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §5

[2557] 1, 33, Article 2 — Le nom de “ Père ” est-il le nom propre de cette Personne ?

[2558] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2559] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[2560] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? et 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions

[2561] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §2

[2562] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3

[2563] 1, 29, Article 3 — Convient-il d’employer le terme “ personne ” pour parler de Dieu ? S2

[2564] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

[2565] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2566] 1, 42, Article 4 — Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ? S3

[2567] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[2568] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? §2

[2569] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? S1, propriétés non personnelles

[2570] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? S1, propriétés personnelles

[2571] 1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ?

[2572] 1, 40, Article 2 — Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ? dernier §

[2573] 1, 40, Article 2 — Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ? §1

[2574] 1, 40, Article 3 — Si par la pensée on abstrait des personnes leurs relations, reste-t-il des hypostases distinctes ? §3 propriétés non personnelles

[2575] 1, 40, Article 2 — Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ?

[2576] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne

[2577] 1, 29, Article 3 — Convient-il d’employer le terme “ personne ” pour parler de Dieu ? S2

[2578] 1, 40, Article 3 — Si par la pensée on abstrait des personnes leurs relations, reste-t-il des hypostases distinctes ? dernier §

[2579] 1, 40, Article 3 — Si par la pensée on abstrait des personnes leurs relations, reste-t-il des hypostases distinctes ? §3 propriétés personnelles

[2580] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2581] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2582] 1, 40, Article 2 — Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ?

[2583] 1, 40, Article 2 — Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ? §3

[2584] 1, 40, Article 3 — Si par la pensée on abstrait des personnes leurs relations, reste-t-il des hypostases distinctes ? §3 propriétés non personnelles

[2585] 1, 40, Article 3 — Si par la pensée on abstrait des personnes leurs relations, reste-t-il des hypostases distinctes ? §3 propriétés personnelles

[2586] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2587] 1, 40, Article 4 — Logiquement, les relations présupposentelles les actes des personnes, ou inversement ? SC

[2588] 1, 40, Article 4 — Logiquement, les relations présupposentelles les actes des personnes, ou inversement ? dernière phrase

[2589] 1, 40, Article 4 — Logiquement, les relations présupposentelles les actes des personnes, ou inversement ? §2

[2590] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ?

[2591] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? dernier §

[2592] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? point 1

[2593] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? dernier §

[2594] 1, 40, Article 2 — Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ? §3 et 4 et

1, 41, Article 1 — Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ? S2 avant dernière phrase

[2595] 1, 30, Article 4 — Comment le nom de “ personne ” est-il commun en Dieu ? O1

[2596] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? dernier §

[2597] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 1re partie

[2598] 1, 40, Article 2 — Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ? §3 et 4

[2599] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[2600] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? dernier §

[2601] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ?

[2602] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

[2603] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[2604] 1, 41, Article 1 — Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ? S2 2ème partie

[2605] 1, 26, Article 3 — L’amour est-il identique à la dilection ? et Article 1 — L’amour est-il dans le concupiscible ?

[2606] 1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ? §1

[2607] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

[2608] 1, 34, Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ?

[2609] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? milieu §2

[2610] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? début §2

[2611] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? fin §2

[2612] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? points 1 et 2

[2613] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2614] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[2615] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ? §2

[2616] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? début §2

[2617] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[2618] 1, 41, Article 2 — Les actes notionnels sont-ils nécessaires ou volontaires ? §1

[2619] 1, 37, Article 2 — Le Père et le Fils s’aiment-ils par le Saint-Esprit ? §3

[2620] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

[2621] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? fin §2

[2622] 1, 37, Article 2 — Le Père et le Fils s’aiment-ils par le Saint-Esprit ? §3

[2623] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ?

[2624] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? milieu §2

[2625] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[2626] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 3

[2627] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? §2

[2628] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[2629] 1, 39, Article 5 — Les termes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris abstraitement ?

[2630] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ?

[2631] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[2632] 1, 41, Article 1 — Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ? SC et S2

[2633] 1, 118, Article 1 — L’âme sensitive est-elle transmise avec la semence ?

[2634] 1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ?

[2635] 1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ? S2

[2636] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? §1

[2637] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §3

[2638] 1, 33, Article 3 — Le nom de “ Père ”, dit de Dieu, signifie-t-il en première intention une propriété personnelle ? §2

[2639] 1, 118, Article 1 — L’âme sensitive est-elle transmise avec la semence ?

[2640] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[2641] 1, 40, Article 2 — Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ? dernier §

[2642] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[2643] 1, 39, Article 4 — Les adjectifs, verbes ou participes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris au concret ? §2

[2644] 1, 39, Article 5 — Les termes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris abstraitement ?

[2645] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[2646] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[2647] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? §3

[2648] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[2649] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §2 prase 4

[2650] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §2 phrase 2

[2651] 3, 2, Article 8 — L’union est-elle identique à l’assomption ?

[2652] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1 et

1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? §1

[2653] 1, 45, Article 3 — La création est-elle quelque chose dans la créature ?

[2654] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ?

[2655] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[2656] 1, 41, Article 3 — La personne procède-t-elle de rien, ou de quelque chose ? §1

[2657] 1, 41, Article 2 — Les actes notionnels sont-ils nécessaires ou volontaires ? §3

[2658] 1, 34, Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ?

[2659] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

[2660] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ? S3 et 4

[2661] 1, 41, Article 1 — Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ?

[2662] 1, 33, Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ?

[2663] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ? §2

[2664] 1, 41, Article 1 — Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ? S2 et

1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[2665] 1, 41, Article 3 — La personne procède-t-elle de rien, ou de quelque chose ? §1

[2666] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[2667] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ?

[2668] 1, 41, Article 4 — Faut-il poser en Dieu une puissance relative aux actes notionnels ?

[2669] 1, 33, Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ?

[2670] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[2671] 1, 41, Article 3 — La personne procède-t-elle de rien, ou de quelque chose ? S4, fin §1

[2672] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[2673] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ?

[2674] 1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ?

[2675] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[2676] 1, 27, Article 4 — La procession de l’amour en Dieu peut-elle s’appeler génération ?

[2677] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ? S3 et 4

[2678] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[2679] 1, 33, Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ?

[2680] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[2681] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ?

[2682] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[2683] 1, 33, Article 2 — Le nom de “ Père ” est-il le nom propre de cette Personne ?

[2684] 1, 41, Article 4 — Faut-il poser en Dieu une puissance relative aux actes notionnels ? S2

[2685] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[2686] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §2

[2687] 1, 41, Article 2 — Les actes notionnels sont-ils nécessaires ou volontaires ? §2

[2688] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ? S3

[2689] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? §3

[2690] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[2691] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[2692] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? S1

[2693] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2694] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[2695] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? §1

[2696] 1, 32, Article 2 — Le nom de “ Père ” est-il le nom propre de cette Personne ? S4

[2697] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2698] 1, 39, Article 5 — Les termes notionnels peuvent-ils s’attribuer aux noms essentiels pris abstraitement ?

[2699] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? S1

[2700] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? §1

[2701] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? §1

[2702] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[2703] 1, 30, Article 2 — Combien y a-t-il de personnes en Dieu ?

[2704] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2705] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2706] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? et 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[2707] 1, 34, Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ?

[2708] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

[2709] 1, 41, Article 2 — Les actes notionnels sont-ils nécessaires ou volontaires ? §3

[2710] 1, 41, Article 2 — Les actes notionnels sont-ils nécessaires ou volontaires ? §2

[2711] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? et 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[2712] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? et

1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[2713] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[2714] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? dernier §

[2715] 1, 42, Article 6 — Les Personnes divines sont-elles égales en puissance ? S3

[2716] 1, 41, Article 6 — Les actes notionnels peuvent-ils se terminer à plusieurs personnes ? §1 et 4

[2717] 1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ?

[2718] 1, 7, Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ?

[2719] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2720] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[2721] 1, 35, Article 2 — Le nom d’Image est-il propre au Fils ?

[2722] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[2723] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? §1 et

1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ?

[2724] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ?

[2725] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[2726] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ?

[2727] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ?

[2728] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[2729] Article 1 — Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ? S2

[2730] 1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ? §4

[2731] 1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? S4

[2732] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? début §1

[2733] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 3

[2734] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[2735] 1, 42, Article 1 — Y a-t-il lieu de parler d’égalité entre les Personnes divines ? S1

[2736]

[2737] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[2738] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §2

[2739] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? S3

[2740] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? et 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[2741] 1, 41, Article 2 — Les actes notionnels sont-ils nécessaires ou volontaires ? §2

[2742] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? S1

[2743] 1, 41, Article 2 — Les actes notionnels sont-ils nécessaires ou volontaires ? §3

[2744] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? et 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ? et

1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2745] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3

[2746] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? §4

[2747] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? considération 1, condition 1 et 3

[2748] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? a)

[2749] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ? §3

[2750] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[2751] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ?

[2752] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? dernier §

[2753] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ? S1 et Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ? S2

[2754] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? dernier §

[2755] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? considération 1, beauté du Fils

[2756] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? dernier §

[2757] 1, 39 ,Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? et 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2758] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[2759] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[2760] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[2761] 1, 41, Article 1 — Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ? S2

[2762] 1, 33, Article 1 — Convient-il au Père d’être qualifié de “ Principe ” ? S3

[2763] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? S1

[2764] 1, 39, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2765] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ?

[2766] 1, 42, Article 3 — Y a-t-il un ordre entre les Personnes divines ?

[2767] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ? S3

[2768] 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions §1

[2769] 1, 42, Article 1 — Y a-t-il lieu de parler d’égalité entre les Personnes divines ? S1

[2770] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? S1

[2771] 1, 33, Article 2 — Le nom de “ Père ” est-il le nom propre de cette Personne ? S4

[2772] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[2773] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[2774] 2.2, 101, Article 1 — A qui la piété s’étend-elle ?

[2775] 1, 42, Article 1 — Y a-t-il lieu de parler d’égalité entre les Personnes divines ? S1

[2776] 1, 42, Article 1 — Y a-t-il lieu de parler d’égalité entre les Personnes divines ? §2

[2777] 1, 40, Article 1 — La relation est-elle identique à la Personne ? §2

[2778] 1, 9, Article 3 — Convient-il d’employer le terme “ personne ” pour parler de Dieu ? S2

[2779] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4

[2780] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[2781] 1, 30, Article 4 — Comment le nom de “ personne ” est-il commun en Dieu ? S3

[2782] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §4

[2783] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[2784] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §4

[2785] 1, 41, Article 1 — Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ? S1

[2786] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[2787] 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions

[2788] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? dernier §

[2789] 1, 13, Article 2 — Certains noms attribués à Dieu désignent-ils sa substance ? dernier §

[2790] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? dernier §

[2791] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? a)

[2792] 1, 42, Article 4 — Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ?

[2793] 1, 41, Article 6 — Les actes notionnels peuvent-ils se terminer à plusieurs personnes ?

[2794] 1, 42, Article 4 — Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ?

[2795] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[2796] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[2797] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? §2

[2798] 1, 42, Article 4 — Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ? S2

[2799] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2800] 1, 41, Article 6 — Les actes notionnels peuvent-ils se terminer à plusieurs personnes ? S1

[2801] 1, 42, Article 4 — Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ?

[2802] 1, 40, Article 3 — Si par la pensée on abstrait des personnes leurs relations, reste-t-il des hypostases distinctes ? §3

[2803] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ? §2

[2804] 1, 27, Article 2 — Y a-t-il en Dieu une procession qui puisse s’appeler une génération ?

[2805] 3, 3, Article 1 — Assumer convient-il à une personne divine ?

[2806] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ? §2

[2807] 1, 42, Article 3 — Y a-t-il un ordre entre les Personnes divines ?

[2808] 3, 2, Article 8 — L’union est-elle identique à l’assomption ? §2

[2809] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[2810] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? et 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2811] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? et 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2812] 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions

[2813] 3, 3, Article 1 — Assumer convient-il à une personne divine ?

[2814] 1, 39, Article 1 — En Dieu, l’essence est-elle identique à la personne ? et 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2815] 3, 1, Article 1 — Convenait-il à Dieu de s’incarner ?

[2816] 1, 43, Article 5 — Y a-t-il mission invisible du Fils aussi bien que du Saint-Esprit ?

[2817] 1, 31, Article 4 — Convenait-il que le Christ naisse d’une femme ?

[2818] 21, 110, Article 1 — La grâce est-elle une réalité dans l’âme ? §2

[2819] 1, 43, Article 1 — Convient-il à une Personne divine d’être envoyée ? §1

[2820] 1, 43, Article 2 — La mission est-elle éternelle ou seulement temporelle ? §1

[2821] 2.1, 68, Article 3 — Les dons du Saint-Esprit sont-ils des habitus ?

[2822] 2.1, 112, Article 1 — Dieu seul est-il cause efficiente de la grâce ?

[2823] 2.1, 111, Article 1 — Convient-il de diviser la grâce en grâce qui rend agréable à Dieu et grâce gratuitement donnée ?

[2824] 2.1, 111, Article 1 — Convient-il de diviser la grâce en grâce qui rend agréable à Dieu et grâce gratuitement donnée ?

[2825] 1, 43, Article 2 — La mission est-elle éternelle ou seulement temporelle ? S3

[2826] 1, 43, Article 2 — La mission est-elle éternelle ou seulement temporelle ? §1

[2827] 1, 8, Article 3 — Dieu est-il partout par l’essence, la puissance et la présence ?

[2828] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[2829] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[2830] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §2

[2831] 1, 110, Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ? §3

[2832] 1, 38, Article 1 — “ Don ” peut-il être un nom personnel ? 1ère partie

[2833] 1, 38, Article 1 — “ Don ” peut-il être un nom personnel ? 2ème partie et

2.1, 110, Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ? §2

[2834] 2.1, 110, Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ? §2

[2835] 1, 38, Article 1 — “ Don ” peut-il être un nom personnel ? 2ème partie

[2836] 2.1, 110, Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ? §2

[2837] 2.1, 111, Article 5 — Comparaison entre la grâce qui rend agréable à Dieu et la grâce gratuitement donnée

[2838] 2.1, 111, Article 5 — Comparaison entre la grâce qui rend agréable à Dieu et la grâce gratuitement donnée S2

[2839] 1, 43, Article 2 — La mission est-elle éternelle ou seulement temporelle ? §1

[2840] 1, 43, Article 3 — Comment une Personne divine est-elle envoyée ?

[2841] 1, 39, Article 7 — Faut-il approprier les noms essentiels aux Personnes ?

[2842] 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions

[2843] 1, 43, Article 1 — Convient-il à une Personne divine d’être envoyée ? §2

[2844] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

[2845] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[2846] 2.1, 110, Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ? §2

[2847] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

[2848] 1, 32, Article 3 — Le nombre des notions

[2849] 2.1, 68, Article 1 — Les dons sont-ils différents des vertus ? §4

[2850] 1, 43, Article 3 — Comment une Personne divine est-elle envoyée ?

[2851] 2.1, 65, Article 4 — La foi et l’espérance peuvent-elles exister sans la charité ?

[2852] 1, 34, Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ?

[2853] 1, 43, Article 1 — Convient-il à une Personne divine d’être envoyée ? §2

[2854] 1, 27, Article 3 — Outre la génération, peut-il y avoir une autre procession en Dieu ?

[2855] 2.1, 110, Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ? §2

[2856] 1, 43, Article 1 — Convient-il à une Personne divine d’être envoyée ? §1

[2857] 1, 38, Article 2 — “ Don ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

[2858] 1, 39, Article 7 — Faut-il approprier les noms essentiels aux Personnes ?

[2859] 1, 110, Article 2 — La grâce est-elle une qualité de l’âme ? §2

[2860] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

[2861] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ? §3

[2862] 2.2, 45, Article 2 — Quel est le siège de la sagesse ?

[2863] 1, 43, Article 1 — Convient-il à une Personne divine d’être envoyée ? et

Article 3 — Comment une Personne divine est-elle envoyée ?

[2864] 1, 27, Article 3 — Outre la génération, peut-il y avoir une autre procession en Dieu ?

[2865] 1, 43, Article 3 — Comment une Personne divine est-elle envoyée ?

[2866] 2.2, 172, Article 1 — La prophétie est-elle naturelle ?

[2867] 2.1, 109, Article 2 — L’homme peut-il sans la grâce de Dieu, vouloir et faire quelque chose de bien ?

[2868] 2.2, 24, Article 7 — La charité s’accroît-elle à l’infini ?

[2869] 3, 7, Article 9 — Le Christ a-t-il eu la plénitude de la grâce ?

[2870] 3, 2, Article 9 — L’union du Verbe incarné est-elle l’union la plus parfaite ?

[2871] 3, 62, Article 3 — Les sacrements contiennent-ils la grâce ?

[2872] 1, 114, Article 3 — Peut-on, par la grâce, mériter de plein droit la vie éternelle ?

[2873] 1, 43, Article 1 — Convient-il à une Personne divine d’être envoyée ? §2

[2874] 2.2, 172, Article 1 — La prophétie est-elle naturelle ?

[2875] 2.2, 172, Article 1 — La prophétie est-elle naturelle ?

[2876] 2.2, 136, Article 3 — Peut-on avoir la patience sans la grâce ?

[2877] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ? et

Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §2

[2878] 3, 34, Article 1 — Au premier instant de sa conception, le Christ a-t-il été sanctifié par la grâce ?

[2879] 3, 62, Article 3 — Les sacrements contiennent-ils la grâce ?

[2880] 1, 43, Article 1 — Convient-il à une Personne divine d’être envoyée ?

[2881] 1, 42, Article 4 — Les Personnes divines sont-elles égales en grandeur ? S1

[2882] 3, 3, Article 1 — Assumer convient-il à une personne divine ?

[2883] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ?

[2884] 2.1, 1, Article 2 — Agir pour une fin est-il propre à la nature raisonnable ? §2

[2885] 1, 110, Article 1 — La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ?

[2886] 1, 12, Article 12 — Pouvons-nous, en cette vie, connaître Dieu par la raison naturelle ? §2

[2887] 1, 12, Article 13 — Au-dessus de la connaissance naturelle, y a-t-il en cette vie une connaissance de Dieu par la grâce ?

[2888] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

[2889] 1, 36, Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ?

[2890] 3, 2, Article 2 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans la personne ?

[2891] 3, 2, Article 8 — L’union est-elle identique à l’assomption ? §3

[2892] 2.2, 173, Article 2 — La révélation prophétique se fait-elle par infusion de certaines représentations, ou seulement par infusion d’une lumière ? §2

[2893] 1, 31, Article 2 — Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? §2

[2894] 3, 2, Article 2 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans la personne ?

[2895] 3, 34, Article 1 — Au premier instant de sa conception, le Christ a-t-il été sanctifié par la grâce ?

[2896] 3, 46, Article 3 — Cette manière de délivrer les hommes était-elle la plus appropriée ?

[2897] 3, 64, Article 4 — Le Christ pouvait-il communiquer à d’autres son pouvoir sur les sacrements ?

[2898] 1, 36, Article 3 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils ?

[2899] 1, 43, Article 3 — Comment une Personne divine est-elle envoyée ?

[2900] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

[2901] 1, 42, Article 3 — Y a-t-il un ordre entre les Personnes divines ?

[2902] 1, 43, Article 1 — Convient-il à une Personne divine d’être envoyée ?

[2903] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ?

[2904] 3, 64, Article 1 — Dieu est-il seul à réaliser l’effet intérieur du sacrement ?

[2905] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[2906] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? §1

[2907] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence,  et de l’existence ? point 1

[2908] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[2909] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ? S3

[2910] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2911] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[2912] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[2913] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[2914] 1, 43, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ? §1

[2915] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[2916] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[2917] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? §1

[2918] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S4 et

1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S1

[2919] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ? S2

[2920] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? S3

[2921] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[2922] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §2

[2923] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? phrase 4

[2924] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? S3

[2925] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ? S3

[2926] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2927] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ? §1

[2928] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[2929] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 1

[2930] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[2931] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[2932] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[2933] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[2934] 1, 4, Article 1 — Dieu est-il parfait ?

[2935] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? S3

[2936] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? point 1

[2937] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? dernier §

[2938] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §3

[2939] 1, 44, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ?

[2940] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2941] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[2942] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ?

[2943] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ?

[2944] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[2945] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ?

[2946] 1, 15, Article 2 — Y a-t-il plusieurs idées, ou une seule ?

[2947] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §3

[2948] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §2

[2949] 1, 75, Article 4 — L’âme est-elle l’homme même ?

[2950] 1, 110, Article 1 — La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ? et

1, 113, Article 2 — Y a-t-il un ange particulier chargé de garder chaque homme ?

[2951] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ?

[2952] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[2953] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S1

[2954] 1, 18, Article 4 — Toutes choses sont-elles vie en Dieu. ?

[2955] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ?

[2956] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[2957] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

[2958] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[2959] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2960] 1, 79, Article 2 — L’intelligence est-elle une puissance passive ? §3

[2961] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[2962] 1, 6, Article 1 — Peut-on dire de Dieu qu’il est bon ?

[2963] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[2964] 1, 44, Article 4 — Dieu est-il la cause finale de toute chose ? phrase 3

[2965] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? §1

[2966] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[2967] 1, 44, Article 4 — Dieu est-il la cause finale de toute chose ?

[2968] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[2969] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[2970] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? §4

[2971] 1, 41, Article 3 — La personne procède-t-elle de rien, ou de quelque chose ? dernier §

[2972] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[2973] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ? §3

[2974] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 1ère partie

[2975] 1, 7, Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ? S4

[2976] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[2977] 1, 44, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ?

[2978] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[2979] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[2980] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[2981] 1, 41, Article 1 — Faut-il attribuer aux personnes les actes notionnels ? S2

[2982] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

[2983] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? a)

[2984] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[2985] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[2986] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2987] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[2988] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 3 et S2

[2989] 2.1, 22, Article 1 — Y a-t-il des passions dans l’âme ?

[2990] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? §4

[2991] 1, 41, Article 3 — La personne procède-t-elle de rien, ou de quelque chose ? §3

[2992] 1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ? S2

[2993] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[2994] 1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ? S2

[2995] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ? S1

[2996] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ? S3

[2997] 1, 45, Article 3 — La création est-elle quelque chose dans la créature ?

[2998] 1, 42, Article 1 — Y a-t-il lieu de parler d’égalité entre les Personnes divines ? S4

[2999] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 3 et S2

[3000] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[3001] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? §4

[3002] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1 et

1, 50, Article 5 — L’immortalité ou incorruptibilité des anges S3

[3003] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[3004] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[3005] 1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ? S2

[3006] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[3007] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? §4

[3008] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? S3

[3009] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ? et

1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? §1

[3010] 1, 14, Article 1 — Y a-t-il une science en Dieu ?

[3011] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[3012] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[3013] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §2

[3014] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[3015] 1, 68, Article 1 — Le firmament a-t-il été créé le deuxième jour ? S1 §2

[3016] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[3017] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2 phrase 2

[3018] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? §1

[3019] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[3020] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[3021] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[3022] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[3023] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

[3024] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §3

[3025] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[3026] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §2

[3027] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3028] 1, 32, Article 2 — Le nom de “ Père ” est-il le nom propre de cette Personne ? S4

[3029] 1, 30, Article 1 — Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?

[3030] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? 4ème considération et avant-dernier §

[3031] 1, 39, Article 7 — Faut-il approprier les noms essentiels aux Personnes ?

[3032] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? 3ème considération

[3033] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? O2

[3034] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? §4

[3035] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? §2

[3036] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[3037] 1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? §4 et

1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ?

[3038] 1, 32, Article 2 — Faut-il attribuer des “ notions ” aux Personnes divines ? dernier §

[3039] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ? et

1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? S2

[3040] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? a)

[3041] 1, 32, Article 1 — La Trinité des Personnes divines peut-elle être connue par la raison naturelle ? S3

[3042] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ? et

Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[3043] 1, 35, Article 2 — Le nom d’Image est-il propre au Fils ? dernier §

[3044] 1, 36, Article 2 — Le Saint-Esprit procède-t-il du Père et du Fils ?

[3045] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §1

[3046] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ? S4

[3047] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ? phrase 1

[3048] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? 4ème considération

[3049] 1, 39, Article 7 — Faut-il approprier les noms essentiels aux Personnes ?

[3050] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? 3ème considération

[3051] 1, 18, Article 2 — Qu’est-ce que la vie ?

[3052] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3053] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ? et

2.2, 45, Article 3 — La sagesse est-elle seulement spéculative, ou bien est-elle aussi pratique ?

[3054] 2.1, 113, Article 2 — L’infusion de la grâce est-elle requise pour la justification ? et

2.1, 110, Article 1 — La grâce est-elle une réalité dans l’âme ? §1

[3055] 1, 32, Article 1 — La Trinité des Personnes divines peut-elle être connue par la raison naturelle ?

[3056] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §1

[3057]  1, 29, Article 4 — Que signifie, en Dieu, le nom de Personne ? et

1, 40, Article 2 — Est-ce que les relations distinguent et constituent les personnes ?

[3058] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? et Article 5 — N’y a-t-il en Dieu que ces deux processions ?

[3059] 1, 34, Article 2 — “ Le Verbe ”, est-ce un nom propre du Fils ?

[3060] 1, 37, Article 1 — “ Amour ” est-il un nom propre du Saint-Esprit ?

[3061] 1, 33, Article 4 — Est-il propre au Père d’être inengendré ?

[3062] 1, 34, Article 1 — Le mot “ Verbe ”, est-il en Dieu un nom essentiel, ou personnel ? a) et

1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §2

[3063] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[3064] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3065] 1, 45, Article 7 — Y a-t-il un vestige de la Trinité dans les êtres créés ? §1

[3066] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[3067] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §2

[3068] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? point 1

[3069] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ? et

1, 45, Article 4 — A quels êtres appartient-il d’être créés ?

[3070] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[3071] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3072] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? point 1

[3073] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3 avant dernière phrase

[3074] 1, 45, Article 4 — A quels êtres appartient-il d’être créés ?

[3075] 1, 45, Article 4 — A quels êtres appartient-il d’être créés ?

[3076] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3077] 1, 6, Article 2 — Dieu est-il suprêmement bon ?

[3078] 1, 45, Article 4 — A quels êtres appartient-il d’être créés ?

[3079] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3080] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? S3 et

1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? S3

[3081] 1, 50, Article 5 — L’immortalité ou incorruptibilité des anges §1

[3082] 1, 16, Article 8 — L’immutabilité de la vérité O2 et

1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? O3

[3083] 1, 46, Article 1 — Les créatures ont-elles toujours existé ? O1

[3084] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 1ère partie

[3085] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? points 1 et 2

[3086] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[3087] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[3088] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[3089] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[3090] 1, 44, Article 4 — Dieu est-il la cause finale de toute chose ?

[3091] 1, 44, Article 3 — Dieu est-il la cause exemplaire des choses ?

[3092] 1, 44, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ?

[3093] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[3094] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[3095] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?

[3096] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? §2

[3097] 1, 1, Article 8 — Cette doctrine argumente-t-elle ? O2

[3098] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[3099] 1, 3, Article 8 — Dieu entre-t-il en composition avec les autres êtres ? S3

[3100] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[3101] 1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ? S2

[3102] 1, 25, Article 2 — La puissance de Dieu est-elle infinie ? S2

[3103] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? S3 et

1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? S3

[3104] 1, 23, Article 5 — Les mérites sont-ils la cause ou la raison de la prédestination, ou de la réprobation, ainsi que de l’élection ? S3 §3

[3105] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[3106] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[3107] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[3108] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ? §1

[3109] 1, 25, Article 2 — La puissance de Dieu est-elle infinie ? S2

[3110] 1, 46, Article 1 — Les créatures ont-elles toujours existé ? S6 §2

[3111] 1, 25, Article 2 — La puissance de Dieu est-elle infinie ? S2

[3112] 1, 46, Article 1 — Les créatures ont-elles toujours existé ? S2 et 3

[3113] 1, 44, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ?

[3114] 1, 46, Article 1 — Les créatures ont-elles toujours existé ? S3

[3115] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[3116] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[3117] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[3118] 1, 7, Article 4 — Peut-il y avoir dans les choses une multitude infinie ?

[3119] 2.2, 4, Article 1 — Qu’est-ce que la foi ?

[3120] 1, 32, Article 1 — La Trinité des Personnes divines peut-elle être connue par la raison naturelle ?

[3121] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ? §1

[3122] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? §2 et

1, 46, Article 1 — Les créatures ont-elles toujours existé ? §1

[3123] 1, 1, Article 8 — Cette doctrine argumente-t-elle ? S2 §1

[3124] 1, 44, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ?

[3125] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[3126] 1, 67, Article 2 — La lumière corporelle est-elle un corps ?

[3127] 1, 46, Article 1 — Les créatures ont-elles toujours existé ? S8

[3128] 1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ? S3

[3129] 1, 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ?

[3130] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[3131] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[3132] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ?

[3133] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 2ème partie

[3134] 1, 7, Article 4 — Peut-il y avoir dans les choses une multitude infinie ? §3

[3135] 1, 75, Article 6 — L’âme humaine est-elle incorruptible ?

[3136] 1, 76, Article 2 — Y a-t-il autant de principes d’intellection qu’il y a de corps ?

[3137] S, 70, Article 2 — Les actes des puissances sensibles demeurent-ils dans l’âme séparée ?

[3138] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[3139] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1 et Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ? §1

[3140] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[3141] 1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ? S3

[3142] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ? S2

[3143] 1, 46, Article 2 — Est-ce un article de foi que le monde ait commencé ? SC

[3144] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? 3ème considération

[3145] 1, 65, Article 3 — La créature corporelle a-t-elle été l’œuvre de Dieu par l’intermédiaire des anges ? §3

[3146] 1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ? S2 et 3 et

Article 3 — La création est-elle quelque chose dans la créature ?

[3147] 1, 11, Article 4 — Dieu est-il le plus un de tous les étants ?

[3148] 1, 44, Article 3 — Dieu est-il la cause exemplaire des choses ?

[3149] 1, 44, Article 4 — Dieu est-il la cause finale de toute chose ?

[3150] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[3151] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? S3

[3152] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[3153] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[3154] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3

[3155] 1, 45, Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ?

[3156] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[3157] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[3158] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[3159] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[3160] 1, 25, Article 5 — Dieu peut-il faire les choses qu’il ne fait pas, ou omettre celles qu’il fait ? §2

[3161] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? 3ème considération

[3162] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3163] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? point 1

[3164] 1, 15, Article 2 — Y a-t-il plusieurs idées, ou une seule ?

[3165] 1, 41, Article 3 — La personne procède-t-elle de rien, ou de quelque chose ? §2 et 3

[3166] 1, 15, Article 3 — Y a-t-il des idées de toutes les choses que Dieu connaît ?

[3167] 1, 47, Article 1 — La multitude des choses et leur distinction §4

[3168] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ?

[3169] 1, 21, Article 1 — Trouve-t-on en Dieu la justice ?

[3170] 1, 62, Article 6 — Les anges ont-ils reçu la grâce et la gloire en proportion de leur capacité naturelle ?

[3171] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[3172] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? points 1 et 2

[3173] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[3174] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3175] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ? point 3

[3176] 1, 47, Article 1 — La multitude des choses et leur distinction §4

[3177] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3178] 1, 39, Article 8 — Quel attribut faut-il approprier à chaque Personne ? 2ème considération

[3179] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[3180] 1, 25, Article 2 — La puissance de Dieu est-elle infinie ?

[3181] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses §3

[3182] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ? et

1,11, Article 3 — Dieu est-il un ? point 3

[3183] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[3184] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[3185] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[3186] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3187] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[3188] 1, 28, Article 1 — Y a-t-il en Dieu des relations réelles ? et

Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[3189] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3190] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3191] 1, 28, Article 3 — Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ?

[3192] 2.1, 18, Article 7 — L’espèce qui vient de la fin est-elle subordonnée à celle qui vient de l’objet comme à un genre, ou est-ce le contraire ?

[3193] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3194] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ?

[3195] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S4 et

1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[3196] 2.1, 20, Article 3 — La bonté et la malice de l’acte extérieur sont-elles les mêmes que celles de l’acte intérieur ?

[3197] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3198] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ? S2

[3199] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3200] 1, 19, Article 5 — Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ? §2 et

1, 44, Article 3 — Dieu est-il la cause exemplaire des choses ?

[3201] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ? S2

[3202] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[3203] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[3204] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses

[3205] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[3206] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ? S2

[3207] 1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? S1

[3208] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? §2

[3209] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ? S2

[3210] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §3

[3211] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3212] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[3213] 1, 48, Article 2 — Le mal se trouve-t-il dans les choses ?

[3214] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[3215] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3216] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ? S1

[3217] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[3218] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ? S2

[3219] 1, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? S3

[3220] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3221] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3222] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ?

[3223] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2 et

1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3224] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ? S3

[3225] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3226] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ? S3

[3227] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3228] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ?

[3229] 1, 48, Article 4 — Le mal détruit-il totalement le bien ? §1

[3230] 1, 48, Article 4 — Le mal détruit-il totalement le bien ? §2

[3231] 1, 48, Article 4 — Le mal détruit-il totalement le bien ? §3

[3232] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[3233] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[3234] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3235] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3236] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3237] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3238] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ?

[3239] 1, 64, Article 3 — La souffrance des démons

[3240] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ?

[3241] 1, 48, Article 5 — La division du mal par la peine et la faute §2

[3242] 1, 44, Article 4 — Dieu est-il la cause finale de toute chose ?

[3243] 2.1, 21, Article 3 — L’acte humain, en tant qu’il est bon ou mauvais, entraîne-t-il mérite ou démérite ?

[3244] 1, 48, Article 5 — La division du mal par la peine et la faute S.SC

[3245] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[3246] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3247] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3248] 2.1, 18, Article 7 — L’espèce qui vient de la fin est-elle subordonnée à celle qui vient de l’objet comme à un genre, ou est-ce le contraire ?

[3249] 1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ?

[3250] 1, 48, Article 6 — La raison de mal se réalise-t-elle davantage dans la peine, ou dans la faute ? point 1, 1ère partie

[3251] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

[3252] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ?

[3253] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voies 1&2 1ère partie

[3254] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ?

[3255] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3256] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ?

[3257] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3258] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §3 1ère partie

[3259] 2.1, 18, Article 7 — L’espèce qui vient de la fin est-elle subordonnée à celle qui vient de l’objet comme à un genre, ou est-ce le contraire ?

[3260] 1, 48, Article 4 — Le mal détruit-il totalement le bien ? dernière phrase

[3261] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §3 2ème partie

[3262] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? point 2

[3263] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §3 2ème partie

[3264] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §3 2ème partie

[3265] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §2

[3266] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ?

[3267] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[3268] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §3 1ère partie

[3269] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §3 2ème partie

[3270] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses §3

[3271] 1, 48, Article 5 — La division du mal par la peine et la faute

[3272] 1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ? §1

[3273] 1, 48, Article 5 — La division du mal par la peine et la faute

[3274] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §1

[3275] 1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ? §1

[3276] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[3277] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[3278] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 3

[3279] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ?

[3280] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 3

[3281] 1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ? §3 2ème partie

[3282] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? O3

[3283] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[3284] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[3285] 1, 6, Article 3 — Dieu seul est-il bon par essence ?

[3286] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ?

[3287] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ?

[3288] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[3289] 1, 48, Article 4 — Le mal détruit-il totalement le bien ?

[3290] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ?

[3291] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ?

[3292] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 3

[3293] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[3294] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses S1

[3295] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ?

[3296] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[3297] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ?

[3298] 1, 48, Article 3 — Le bien est-il le sujet du mal ?

[3299] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire — y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[3300] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3301] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §3

[3302] 1, 23, Article 7 — Le nombre des prédestinés est-il fixé ? S3

[3303] 1, 7, Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ? §3

[3304] 1, 44, Article 4 — Dieu est-il la cause finale de toute chose ?

[3305] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? point 3

[3306] 1, 75, Article 1 — L’âme est-elle une réalité corporelle ? §3

[3307] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3

[3308] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3

[3309] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ?

[3310] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[3311] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[3312] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[3313] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[3314] 1, 7, Article 1 — Dieu est-il infini ? O2 et S2 et Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ? §3 début

[3315] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3316] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3317] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3318] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[3319] 1, 84, Article 2 — L’âme connaît-elle les corps par son essence ou à travers des espèces ? §3 à 5

[3320] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? S2

[3321] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[3322] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses §3

[3323] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[3324] 1, 85, Article 2 — Les espèces intelligibles abstraites sont-elles ce que notre intelligence connaît ? §3

[3325] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3326] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2

[3327] 1, 54, Article 1 — L’acte d’intellection de l’ange est-il sa substance ? 1ère partie

[3328] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ? S1 §1 1ère partie

[3329] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? §1 et

1, 44, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ? §1

[3330] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §1

[3331] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §2

[3332] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3333] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3334] 1, 110, Article 1 — La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ? S2

[3335] 1, 44, Article 4 — Dieu est-il la cause finale de toute chose ?

[3336] 1, 15, Article 2 — Y a-t-il plusieurs idées, ou une seule ?

[3337] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ? S2 et

1, 29, Article 2 — Persona, hypostasis, subsistentia et essentia sont-ils synonymes ? S3 1ère partie

[3338] 1, 110, Article 1 — La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ? S2

[3339] 1, 44, Article 4 — Dieu est-il la cause finale de toute chose ?

[3340] 1, 7, Article 4 — Peut-il y avoir dans les choses une multitude infinie ? §3 et 4

[3341] 1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ?

[3342] 1, 84, Article 2 — L’âme connaît-elle les corps par son essence ou à travers des espèces ? §4

[3343] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[3344] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[3345] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

[3346] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? point 1

[3347] 1, 108, Article 3 — Dans un seul ordre y a-t-il plusieurs anges ?

[3348] 1, 108, Article 2 — Y a-t-il un ordre unique dans une même hiérarchie ?

[3349] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? point 1

[3350] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[3351] 1, 30, Article 3 — Que signifient en Dieu nos termes numériques ?

[3352] 1, 18, Article 2 — Qu’est-ce que la vie ? S1

[3353] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[3354] 1, 47, Article 3 — L’unité du monde S2

[3355] 1, 62, Article 2 — Les anges avaient-ils besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ?

[3356] 1, 62, Article 2 — Les anges avaient-ils besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ?

[3357] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[3358] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? §3

[3359] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3360] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[3361] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voies 1&2 1ère partie

[3362] 1, 84, Article 2 — L’âme connaît-elle les corps par son essence ou à travers des espèces ? §4

[3363] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ?

[3364] 1, 62, Article 2 — Les anges avaient-ils besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ?

[3365] 1, 39, Article 2 — Doit-on dire qu’il y a trois Personnes d’une seule essence ?

[3366] 1, 63, Article 4 — En admettant que certains anges sont devenus mauvais volontairement, y en a-t-il d’autres qui le sont naturellement ?

[3367] 1, 18, Article 2 — Qu’est-ce que la vie ?

[3368] 1, 75, Article 1 — L’âme est-elle une réalité corporelle ?

[3369] 1, 76, Article 5 — À quelle sorte de corps convenait-il que l’âme intellective fût unie ?

[3370] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ? 2ème partie

[3371] 1, 51, Article 2 — Les anges assument-ils des corps ?

[3372] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ?

[3373] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ? S2 et

1, 11, Article 2 — Y a-t-il opposition entre l’un et le multiple ? S1

[3374] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? point 1 et

1, 21, Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ? §3

[3375] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3376] 1, 110, Article 3 — Les anges peuvent-ils immédiatement, par leur vertu, déplacer les corps ?

[3377] 1, 48, Article 4 — Le mal détruit-il totalement le bien ? §3

[3378] 2.2, 173, 2, Article 2 — La révélation prophétique se fait-elle par infusion de certaines représentations, ou seulement par infusion d’une lumière ? §2

[3379] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[3380] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[3381] 1, 51, Article 1 — Les anges ont-ils des corps qui leur soient unis naturellement ?

[3382] 1, 108, Article 8 — Les hommes sont-ils élevés aux ordres angéliques ? §1

[3383] 3, 5, Article 1 — Le Fils de Dieu devait-il assumer un corps véritable ?

[3384] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ? §4

[3385] 1, 17, Article 4 — L’opposition entre le vrai et le faux et

1, 16, Article 5 — Dieu est-il la vérité ?

[3386] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? point 1 et

1, 21, Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ? §3

[3387] 1, 18, Article 2 — Qu’est-ce que la vie ? §2

[3388] 1, 18, Article 2 — Qu’est-ce que la vie ? §2

[3389] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ? S3

[3390] 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ? S3

[3391] 1, 51, Article 1 — Les anges ont-ils des corps qui leur soient unis naturellement ? S3

[3392] 1, 1, Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ? S2

[3393] 1, 51, Article 2 — Les anges assument-ils des corps ? S2

[3394] 1, 51, Article 2 — Les anges assument-ils des corps ? S2

[3395] 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ?

[3396] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ? et 3, 76, Article 6 — Le corps du Christ est-il déplacé lorsque l’on déplace l’hostie ou la coupe après la consécration ? §1

[3397] 1, 7, Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ? §3

[3398] 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ? §2

[3399] 3, 5, Article 2 — Le Fils de Dieu devait-il assumer un corps terrestre, c’est-à-dire fait de chair et de sang ?

[3400] 1, 51, Article 3 — Les anges exercent-ils les fonctions de la vie dans les corps qu’ils assument ? S2

[3401] 1, 62, Article 8 — Les anges bienheureux ont-ils pu pécher par la suite ?

[3402] 1, 110, Article 3 — Les anges peuvent-ils immédiatement, par leur vertu, déplacer les corps ?

[3403] 3, 31, Article 5 — Le corps du Christ a-t-il été formé du sang le plus pur de la Vierge ?

[3404] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3405] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? §2

[3406] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3407] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? §1

[3408] 1, 50, Article 3 — Quel est le nombre des anges ? dernier §

[3409] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ? avant-dernier §

[3410] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3411] 1, 51, Article 2 — Les anges assument-ils des corps ? et 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ?

[3412] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[3413] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[3414] 1, 25, Article 3 — Dieu est-il tout-puissant ?

[3415] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ?

[3416] 1, 47, Article 3 — L’unité du monde

[3417] 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ? O2

[3418] 1, 110, Article 3 — Les anges peuvent-ils immédiatement, par leur vertu, déplacer les corps ?

[3419] 1, 51, Article 3 — Les anges exercent-ils les fonctions de la vie dans les corps qu’ils assument ? S3

[3420] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps

[3421] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ?

[3422] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3423] 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ?

[3424] 1, 76, Article 2 — Y a-t-il autant de principes d’intellection qu’il y a de corps ? §3

[3425] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1

[3426] 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ? §2

[3427] 1, 52, Article 3 — Plusieurs anges peuvent-il être dans un même lieu ? 1ère partie

[3428] 1, 52, Article 3 — Plusieurs anges peuvent-il être dans un même lieu ? 1ère partie

[3429] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 1ère partie phrase 4

[3430] 1, 62, Article 9 — Après l’entrée dans la gloire, les anges ont-ils pu progresser ?

[3431] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 1ère partie phrase 4

[3432] 1, 52, Article 2 — En quel enfer le Christ est-il descendu ?

[3433] 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ?

[3434] 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ?

[3435] 1, 52, Article 2 — L’ange peut-il être dans plusieurs lieux en même temps ? §1

[3436] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2 et

1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3437] 1, 52, Article 2 — L’ange peut-il être dans plusieurs lieux en même temps ? §2

[3438] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 1ère partie phrase 4

[3439] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ?

[3440] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2 et

1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3441] 1, 75, Article 7 — L’âme est-elle de même espèce que l’ange ? S3

[3442] 1, 53, Article 1 — L’ange peut-il se mouvoir localement ? §2 et S1§3

[3443] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? S1

[3444] 1, 7, Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ? O3 et S3

[3445] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ? S2

[3446] 1, 7, Article 4 — Peut-il y avoir dans les choses une multitude infinie ? dernier §

[3447] 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ? §2

[3448] 1, 52, Article 2 — L’ange peut-il être dans plusieurs lieux en même temps ? §2

[3449] 1, 53, Article 2 — L’ange passe-t-il d’un lieu à un autre en traversant l’espace intermédiaire ? §2

[3450] 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ? §2

[3451] 1, 79, Article 3 — Faut-il admettre l’existence d’un intellect agent ?

[3452] 1, 110, Article 1 — La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ?

[3453] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3454] 1, 67, Article 2 — La lumière corporelle est-elle un corps ? point 2

[3455] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? §2

[3456] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[3457] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ? S2

[3458] 1, 53, Article 2 — L’ange passe-t-il d’un lieu à un autre en traversant l’espace intermédiaire ? fin §1

[3459] 1, 53, Article 1 — L’ange peut-il se mouvoir localement ? §1

[3460] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[3461] 1, 53, Article 3 — Le mouvement de l’ange est-il successif ou instantané ? S1 1ère phrase

[3462] 1, 53, Article 1 — L’ange peut-il se mouvoir localement ? §2 et S1§3

[3463] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1 et

1, 53, Article 2 — L’ange passe-t-il d’un lieu à un autre en traversant l’espace intermédiaire ? fin §1

[3464] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps

[3465] 1, 53, Article 3 — Le mouvement de l’ange est-il successif ou instantané ? dernier §

[3466] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3467] 1, 67, Article 3 — La lumière est-elle une qualité ?

[3468] 1, 53, Article 3 — Le mouvement de l’ange est-il successif ou instantané ? §2 2ème partie

[3469] 1, 53, Article 3 — Le mouvement de l’ange est-il successif ou instantané ? S1 1ère phrase

[3470] 1, 53, Article 2 — L’ange passe-t-il d’un lieu à un autre en traversant l’espace intermédiaire ? §2

[3471] 1, 53, Article 2 — L’ange peut-il être dans plusieurs lieux en même temps ? §2

[3472] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ?

[3473] 1, 18, Article 2 — Qu’est-ce que la vie ? SC

[3474] 1, 56, Article 1 — L’ange se connaît-il lui-même ?

[3475] 1, 79, Article 3 — Faut-il admettre l’existence d’un intellect agent ?

[3476] 1, 44, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ? §1

[3477] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2

[3478] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2

[3479] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[3480] 1, 44, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ? et

1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[3481] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? §1

[3482] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

[3483] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ? et

1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? 1ère partie

[3484] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3485] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? 1ère partie

[3486] 1, 54, Article 1 — L’acte d’intellection de l’ange est-il sa substance ? S2 1ère partie

[3487] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? 2ème partie

[3488] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? 1ère partie

[3489] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2

[3490] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3

[3491] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2

[3492] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[3493] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ? et 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[3494] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3495] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[3496] 1, 54, Article 1 — L’acte d’intellection de l’ange est-il sa substance ? S2 1ère partie

[3497] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3498] 1, 55, Article 1 — Les anges connaissent-ils toutes choses par leur substance ou par des espèces ? §2

[3499] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant et

1, 54, Article 2 — L’acte d’intellection de l’ange est-il son existence ? §2 1ère partie

[3500] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[3501] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? points 1 et 2

[3502] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[3503] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? §3

[3504] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S3 et

1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? S3

[3505] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3 1ère partie

[3506] 1, 25, Article 1 — Y a-t-il en Dieu de la puissance ? 2ème partie

[3507] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2 et

1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3, 2ème partie

[3508] 1, 54, Article 2 — L’acte d’intellection de l’ange est-il son existence ?

[3509] 1, 54, Article 1 — L’acte d’intellection de l’ange est-il sa substance ?

[3510] 1, 54, Article 2 — L’acte d’intellection de l’ange est-il son existence ? O2 1ère phrase

[3511] 1, 79, Article 3 — Faut-il admettre l’existence d’un intellect agent ? §2

[3512] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? point 1

[3513] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3 1ère partie

[3514] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[3515] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[3516] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? dernier §

[3517] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3518] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[3519] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ? §1

[3520] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

[3521] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ? §1

[3522] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3523] 1, 79, Article 2 — L’intelligence est-elle une puissance passive ? §3

[3524] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[3525] 1, 65, Article 4 — Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ? §3

[3526] 1, 79, Article 3 — Faut-il admettre l’existence d’un intellect agent ?

[3527] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3528] 1, 79, Article 2 — L’intelligence est-elle une puissance passive ? §3

[3529] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ? §1

[3530] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? §2

[3531] 1, 79, Article 6 — La mémoire est-elle dans l’intellect ?

[3532] 1, 78, Article 1 — Les différents genres de puissances dans l’âme

[3533] 1, 51, Article 1 — Les anges ont-ils des corps qui leur soient unis naturellement ?

[3534] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3535] 1, 51, Article 1 — Les anges ont-ils des corps qui leur soient unis naturellement ?

[3536] 1, 51, Article 3 — Les anges exercent-ils les fonctions de la vie dans les corps qu’ils assument ? S2

[3537] 1, 57, Article 2 — Les anges connaissent-ils les singuliers ?

[3538] 1, 64, Article 1 — L’obscurcissement de leur intelligence

[3539] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §2

[3540] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[3541] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ? §1

[3542] 1, 44, Article 3 — Dieu est-il la cause exemplaire des choses ? O1 1ère partie

[3543] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3544] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §1

[3545] 1, 54, Article 2 — L’acte d’intellection de l’ange est-il son existence ? §2

[3546] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §2

[3547] 1, 54, Article 5 — Les anges ont-ils d’autres puissances cognitives que l’intelligence ?

[3548] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[3549] 1, Article 1 — Les anges connaissent-ils toutes choses par leur substance ou par des espèces ? phrase 1

[3550] 1, 44, Article 3 — Dieu est-il la cause exemplaire des choses ?

[3551] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ? dernier §

[3552] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[3553] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[3554] 1, 79, Article 3 — Faut-il admettre l’existence d’un intellect agent ?

[3555] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[3556] 1, 53, Article 1 — L’ange peut-il se mouvoir localement ?

[3557] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §1

[3558] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ? §1 2ème partie

[3559] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ?

[3560] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

[3561] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ?

[3562] 1, 58, Article 6 — La connaissance de l’ange peut-elle être appelée “ connaissance du matin ” et “ connaissance du soir ” ?

[3563] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ? §1

[3564] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ? S1

[3565] 1, 53, Article 1 — L’ange peut-il se mouvoir localement ?

[3566] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3567] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ? §1

[3568] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ? §3

[3569] 1, 14, Article 5 — Dieu connaît-il les autres ? §3

[3570] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ?

[3571] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ? §3

[3572] 1, 85, Article 3 — Est-il naturel à notre intellect de connaître d’abord le plus universel ?

[3573] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ? §2 et

1, 34, Article 3 — Le nom de “ Verbe ” implique-t-il rapport aux créatures ?

[3574] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[3575] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ? §3

[3576] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[3577] 2.2, 47, Article 5 — La prudence est-elle une vertu spéciale ? S2

[3578] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? §3

[3579] 1, 29, Article 1 — Définition de la personne §2

[3580] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ? §1

[3581] 1, 54, Article 5 — Les anges ont-ils d’autres puissances cognitives que l’intelligence ?

[3582] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? 02

[3583] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 1ère partie

[3584] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? 1ère partie

[3585] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? 03 et

Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[3586] 1, 55, Article 1 — Les anges connaissent-ils toutes choses par leur substance ou par des espèces ? §1

[3587] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? 03 et

Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[3588] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3589] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[3590] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ? §1

[3591] 1, 56, Article 1 — L’ange se connaît-il lui-même ? §2 2ème partie

[3592] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ? §3

[3593] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ? §1

[3594] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ? §1

[3595] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[3596] 1, 56, Article 1 — L’ange se connaît-il lui-même ? §1

[3597] 1, 45, Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ? §3

[3598] 1, 55, Article 1 — Les anges connaissent-ils toutes choses par leur substance ou par des espèces ? §2

[3599] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? 03 et

Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[3600] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[3601] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3

[3602] 1, 57, Article 4 — Les anges connaissent-ils les pensées des cœurs ? point 2

[3603] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[3604] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3605] 1, 58, Article 6 — La connaissance de l’ange peut-elle être appelée “ connaissance du matin ” et “ connaissance du soir ” ?

[3606] 1, 56, Article 1 — L’ange se connaît-il lui-même ? §2

[3607] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux S1 et 2

[3608] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? 03 et

Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[3609] 1, 56, Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ? 2ème partie

[3610] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ? §3

[3611] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[3612] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 2

[3613] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? fin §2

[3614] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ? dernier §

[3615] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3616] 1, 12, Article 12 — Pouvons-nous, en cette vie, connaître Dieu par la raison naturelle ? §2

[3617] 1, 56, Article 1 — L’ange se connaît-il lui-même ? §2

[3618] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ?

[3619] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ? dernier §

[3620] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ? et

1, 45, Article 7 — Y a-t-il un vestige de la Trinité dans les êtres créés ? §3

[3621] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §3

[3622] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ? §3

[3623] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ? §3

[3624] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ? §1 1ère partie

[3625] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ? §1 2ème partie

[3626] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ? §1

[3627] 1, 51, Article 1 — Les anges ont-ils des corps qui leur soient unis naturellement ?

[3628] 1, 55, Article 3 — Les anges supérieurs connaissent-ils par des espèces plus universelles que les anges inférieurs ?

[3629] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3630] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ? §1

[3631] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[3632] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ? §2

[3633] 1, 56, Article 1 — L’ange se connaît-il lui-même ? §2

[3634] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ? §4

[3635] 1, 86, Article 6 — L’intellect peut-il se tromper ? §1

[3636] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ? §2

[3637] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ?

[3638] 1, 54, Article 5 — Les anges ont-ils d’autres puissances cognitives que l’intelligence ?

[3639] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? 03 et

Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[3640] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3641] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[3642] 1, 86, Article 1 — Notre intellect connaît-il les singuliers ? §2

[3643] 1, 113, Article 2 — Y a-t-il un ange particulier chargé de garder chaque homme ?

[3644] 1, 112, Article 1 — Certains anges sont-ils envoyés pour un ministère ?

[3645] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 2

[3646] 1, 110, Article 3 — Les anges peuvent-ils immédiatement, par leur vertu, déplacer les corps ?

[3647] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3648] 1, 45, Article 4 — A quels êtres appartient-il d’être créés ?

[3649] 1, 56, Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ?

[3650] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? dernier §

[3651] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[3652] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[3653] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ?

[3654] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[3655] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ?

[3656] 1, 44, Article 3 — Dieu est-il la cause exemplaire des choses ?

[3657] 1, 56, Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ?

[3658] 1, 57, Article 2 — Les anges connaissent-ils les singuliers ? dernier §

[3659] 1, 55, Article 3 — Les anges supérieurs connaissent-ils par des espèces plus universelles que les anges inférieurs ?

[3660] 2.2, 171, Article 3 — La prophétie a-t-elle seulement pour objet les futurs contingents ? dernier §

[3661] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[3662] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3663] 1, 57, Article 1 — Les anges connaissent-ils les choses matérielles ?

[3664] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ? et 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ? point 2

[3665] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ? §1

[3666] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ? dernier § et

1, 14, Article 13 — Dieu connaît-il les futurs contingents ? §3

[3667] 2.2, 172, Article 1 — La prophétie est-elle naturelle ?

[3668] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3669] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[3670] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3671] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3672] 1, 57, Article 3 — Les anges connaissent-ils l’avenir ? S3

[3673] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ? §1 2ème partie et

1, 79, Article 3 — Faut-il admettre l’existence d’un intellect agent ? §2

[3674] 1, 56, Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ?

[3675] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ? §3

[3676] 1, 111, Article 3 — L’ange peut-il modifier l’imagination de l’homme ?

[3677] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

[3678] 1, 105, Article 4 — Dieu peut-il mouvoir la volonté ?

[3679] 1, 82, Article 4 — La volonté meut-elle l’intelligence ? §2

[3680] S, 85, Article 1 — La clarté est-elle une prérogative du corps glorieux ?

[3681] 1, 55, Article 3 — Les anges supérieurs connaissent-ils par des espèces plus universelles que les anges inférieurs ?

[3682] 1, 77, Article 4 — Les rapports naturels entre les puissances de l’âme §3

[3683] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ? et

1, 25, Article 5 — Dieu peut-il faire les choses qu’il ne fait pas, ou omettre celles qu’il fait ? R et S1

[3684] 1, 56, Article 3 — Les anges peuvent-ils connaître Dieu par leurs facultés naturelles ? §2

[3685] 2.2, 172, Article 2 — La prophétie vient-elle de Dieu par l’intermédiaire des anges ?

[3686] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3687] 1, 57, Article 4 — Les anges connaissent-ils les pensées des cœurs ? point 2

[3688] 1, 55, Article 3 — Les anges supérieurs connaissent-ils par des espèces plus universelles que les anges inférieurs ?

[3689] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

[3690] 1, 112, Article 1 — Certains anges sont-ils envoyés pour un ministère ? §1

[3691] 1, 57, Article 5 — Les anges connaissent-ils tous les mystères de la grâce ? SC

[3692] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ? §3

[3693] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ? point 3

[3694] 1, 53, Article 1 — L’ange peut-il se mouvoir localement ? §2

[3695] 2.1, 30, Article 1 — La convoitise est-elle seulement dans l’appétit sensible ? S2

[3696] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? S3

[3697] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ? et

2.2, 180, Article 3 — La vie contemplative comporte-t-elle des actes divers ?

[3698] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3699] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

[3700] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §2

[3701] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[3702] 2.1, 3, Article 2 — Si la béatitude est une réalité créée, est-elle une activité ? S2

[3703] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3 et 4

[3704] 1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

[3705] 1, 54, Article 5 — Les anges ont-ils d’autres puissances cognitives que l’intelligence ?

[3706] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ?

[3707] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? 03

[3708] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3 et 4

[3709] 1, 58, Article 2 — L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? O3

[3710] 1, 12, Article 10 — L’intellect créé connaît-il simultanément tout ce qu’il voit en Dieu ?

[3711] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? 03 et

Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[3712] 1, 12, Article 8 — L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ?

[3713] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3714] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? 03

[3715] 1, 12, Article 8 — L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ?

[3716] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3717] 1, 50, Article 3 — Quel est le nombre des anges ? dernier §,

1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ? 1ère partie et

1, 58, Article 1 — L’intellect de l’ange est-il tantôt en puissance et tantôt en acte ? §2

[3718] 1, 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ?

[3719] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3720] 1, 79, Article 8 — La raison se distingue-t-elle de l’intelligence ? §1

[3721] 1, 79, Article 2 — L’intelligence est-elle une puissance passive ? §3

[3722] 1, 79, Article 8 — La raison se distingue-t-elle de l’intelligence ? §1

[3723] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ? et

1, 57, Article 1 — Les anges connaissent-ils les choses matérielles ? §1

[3724] 1, 58, Article 2 — L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? fin §3

[3725] 1, 58, Article 2 — L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? fin §3

[3726] 1, 85, Article 5 — Notre intellect connaît-il par composition et division ? §1

[3727] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ? S2

[3728] 1, 57, Article 1 — Les anges connaissent-ils les choses matérielles ?

[3729] 1, 58, Article 2 — L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? §3

[3730] 1, 63, Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ?

[3731] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ? S2

[3732] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ?

[3733] 1, 17, Article 3 — La fausseté est-elle dans l’intelligence ? §1

[3734] 1, 17, Article 3 — La fausseté est-elle dans l’intelligence ? §1

[3735] 1, 58, Article 4 — La connaissance de l’ange se fait-elle par composition et division ?

[3736] 1, 64, Article 1 — L’obscurcissement de leur intelligence §2

[3737] 1, 64, Article 1 — L’obscurcissement de leur intelligence §2

[3738] 1, 58, Article 5 — Peut-il y avoir de l’erreur dans l’intellect de l’ange ?

[3739] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[3740] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3741] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[3742] 1, 34, Article 3 — Le nom de “ Verbe ” implique-t-il rapport aux créatures ? et

1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §2

[3743] 1, 58, Article 2 — L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? §3 fin

[3744] 1, 63, Article 3 — A cause de quel désir l’ange a-t-il péché ?

[3745] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[3746] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3747] 1, 53, Article 3 — La substance de l’ange est-elle son intelligence ? phrase 2

[3748] 1, 54, Article 4 — Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ?

[3749] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ?

[3750] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3751] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3752] 1, 12, Article 8 — L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ?

[3753] 1, 34, Article 3 — Le nom de “ Verbe ” implique-t-il rapport aux créatures ?

[3754] 1, 14, Article 11 — Dieu connaît-il les singuliers ? dernier §

[3755] 1, 58, Article 2 — L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? §3 fin

[3756] 1, 58, Article 2 — L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? §1

[3757] 2.1, 67, Article 3 — La foi demeure-t-elle après cette vie ? §1

[3758] 1, 58, Article 2 — L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? §3 fin

[3759] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ? 2ème partie

[3760] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ? 1ère partie

[3761] 1, 9, Article 2 — Être immuable est-il propre à Dieu ? §4 1ère partie

[3762] 1, 45, Article 7 — Y a-t-il un vestige de la Trinité dans les êtres créés ? §2

[3763] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ?

[3764] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? point 3 fin

[3765] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[3766] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[3767] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

[3768] 1, 85, Article 3 — Est-il naturel à notre intellect de connaître d’abord le plus universel ?

[3769] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[3770] 2.1, 25, Article 3 — L’ordre des passions de l’irascible entre elles

[3771] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? S2 et 1, 18, Article 3 — La vie convient-elle à Dieu ? S1

[3772] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[3773] 1, 59, Article 1 — Y a-t-il une volonté chez les anges ?

[3774] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[3775] 1, 16, Article 3 — Du vrai comparé à l’étant

[3776] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[3777] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[3778] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S1 et

1, 28, Article 2 — Ces relations sont-elles l’essence divine elle-même ? §2

[3779] 1, 45, Article 8 — L’œuvre de la création se mêle-t-elle aux œuvres de la nature et de la volonté ? S2

[3780] 1, 59, Article 1 — Y a-t-il une volonté chez les anges ?

[3781] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[3782] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[3783] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3 et §1

[3784] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[3785] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[3786] 1, 59, Article 2 — La volonté de l’ange est-elle identique à sa nature ou à son intelligence §1

[3787] 1, 77, Article 3 — Comment distingue-t-on ces puissances ? §1

[3788] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? 1ère phrase

[3789] 1, 14, Article 1 — La délibération est-elle une enquête ?

[3790] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ? 2ème partie

[3791] 1, 58, Article 5 — Peut-il y avoir de l’erreur dans l’intellect de l’ange ? §1

[3792] 1, 55, Article 3 — Les anges supérieurs connaissent-ils par des espèces plus universelles que les anges inférieurs ?

[3793] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3794] 1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? points 1 et 2

[3795] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ? 2ème partie

[3796] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3 et §1

[3797] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ? 1ère partie

[3798] 1, 8, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[3799] 1, Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ?

[3800] 2.1, 23, Article 1 — Les passions du concupiscible diffèrent-elles des passions de l’irascible ? §2

[3801] 2.1, 56, Article 4 — L’irascible et le concupiscible peuvent-ils être le siège de la vertu ?

[3802] 1, 51, Article 1 — Les anges ont-ils des corps qui leur soient unis naturellement ?

[3803] 1, 77, Article 3 — Comment distingue-t-on ces puissances ? §1

[3804] 1, 59, Article 1 — Y a-t-il une volonté chez les anges ? 2ème partie

[3805] 2.1, 22, Article 3 — Les passions sont-elles dans l’appétit sensible plutôt que dans l’appétit intellectuel appelé volontés ?

[3806] 1, 13, Article 3 — Certains noms sont-ils attribués à Dieu au sens propre, ou bien tous lui sont-ils attribués par métaphore ?

[3807] 1, 22, Article 3 — Les passions sont-elles dans l’appétit sensible plutôt que dans l’appétit intellectuel appelé volontés ? S3

[3808] 2.1, 26, Article 4 — A-t-on raison de distinguer amour d’amitié, et amour de convoitise ?

[3809] 2.1, 31, Article 3 — Le plaisir diffère-t-il de la joie ?

[3810] 2.1, 56, Article 6 — La volonté peut-elle être le siège de la vertu ?

[3811] 2.1, 62, Article 1 — Y a-t-il des vertus théologales ? §1

[3812] 2.1, 62, Article 3 — Quel est le nombre et la nature des vertus théologales ? §2

[3813] 2.1, 60, Article 4 — Concernant les différentes passions, y a-t-il différentes vertus morales ? point 2

[3814] 2.1, 26, Article 3 — L’amour est-il identique à la dilection ? §2

[3815] 1, 59, Article 1 — Y a-t-il une volonté chez les anges ?

[3816] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[3817] 2.1, 62, Article 1 — Y a-t-il des vertus théologales ?

[3818] 1, 16, Article 4 — Du vrai comparé au bon et

2.1, 4, Article 2 — Quel est le principal dans la béatitude — la délectation ou la vision ?

[3819] 1, 55, Article 2 — Les espèces sont-elles connaturelles aux anges, ou reçues des choses ?

[3820] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[3821] 3, 2, Article 1 — L’union du Verbe incarné s’est-elle faite dans la nature ? §2

[3822] 1, Article 1 — Y a-t-il une volonté chez les anges ?

[3823] 2.1, 26, Article 3 — L’amour est-il identique à la dilection ? §2

[3824] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ?

[3825] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[3826] 1, 16, Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? §2

[3827] 2.1, 62, Article 1 — Y a-t-il des vertus théologales ?

[3828] 2.1, 14, Article 1 — La délibération est-elle une enquête ?

[3829] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[3830] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[3831] 1, 85, Article 3 — Est-il naturel à notre intellect de connaître d’abord le plus universel ? §1

[3832] 1, 16, Article 4 — Du vrai comparé au bon et

2.1, 4, Article 2 — Quel est le principal dans la béatitude — la délectation ou la vision ?

[3833] 1, 60, Article 1 — Y a-t-il chez l’ange une dilection naturelle ? O2

[3834] 1, 62, Article 4 — Les anges ont-ils mérité leur béatitude ?

[3835] 1, 60, Article 1 — Y a-t-il chez l’ange une dilection naturelle ? 1ère partie

[3836] 1, 85, Article 3 — Est-il naturel à notre intellect de connaître d’abord le plus universel ?

[3837] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ? 1ère partie

[3838] 2.1, 1, Article 6 — L’homme ordonne-t-il toutes choses à sa fin ultime ?

[3839] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? O3

[3840] 1, 85, Article 3 — Est-il naturel à notre intellect de connaître d’abord le plus universel ?

[3841] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[3842] 1, 62, Article 2 — Les anges avaient-ils besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ?

[3843] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ? S1

[3844] 2.1, 28, Article 1 — L’union est-elle un effet de l’amour ?

[3845] 1, 25, Article 4 — Peut-on s’aimer soi-même de charité ?

[3846] 2.1, 26, Article 1 — L’amour est-il dans le concupiscible ?

[3847] 1, 5, Article 6 — La division du bien en honnête, utile et délectable

[3848] 2.1, 26, Article 4 — A-t-on raison de distinguer amour d’amitié, et amour de convoitise ?

[3849] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3850] 1, 11, Article 4 — Dieu est-il le plus un de tous les étants ? S3

[3851] 1, 27, Article 1 — Y a-t-il une procession en Dieu ? §3

[3852] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? §2

[3853] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? et  1, 20, Article 1 — L’amour se trouve-t-il en Dieu ?

[3854] 1, 56, Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ? S2

[3855] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3856] 1, 60, Article 3 — L’ange s’aime-t-il lui-même d’un amour naturel ou d’un amour électif ? §1

[3857] 1, 60, Article 3 — L’ange s’aime-t-il lui-même d’un amour naturel ou d’un amour électif ? §2

[3858] 2.2, 30, Article 2 — A qui convient-il d’exercer la miséricorde ? §2 et 3

[3859] 1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[3860] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux  O1

[3861] 2.1, 28, Article 1 — L’union est-elle un effet de l’amour ?

[3862] 1, 60, Article 2 — Y a-t-il chez l’ange un amour électif ? §2

[3863] 2.1, 26, Article 4 — A-t-on raison de distinguer amour d’amitié, et amour de convoitise ? §1

[3864] 1, 60, Article 3 — L’ange s’aime-t-il lui-même d’un amour naturel ou d’un amour électif ? §1

[3865] 1, 60, Article 3 — L’ange s’aime-t-il lui-même d’un amour naturel ou d’un amour électif ? §2

[3866] 1, 60, Article 4 — L’ange aime-t-il naturellement un autre ange comme lui-même ? §1

[3867] 1, 60, Article 2 — Y a-t-il chez l’ange un amour électif ? §2

[3868] 1, 60, Article 4 — L’ange aime-t-il naturellement un autre ange comme lui-même ? dernier §

[3869] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 1ère partie

[3870] 1, 60, Article 4 — L’ange aime-t-il naturellement un autre ange comme lui-même ? §1

[3871] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ? 2ème partie

[3872] 2.1, 62, Article 1 — Y a-t-il des vertus théologales ?

[3873] 1, 63, Article 2 — Quelles sortes de péché peut-il y avoir chez l’ange ? §2

[3874] 2.1, 100, Article 1 — Tous les préceptes moraux de la loi ancienne appartiennent-ils à la loi naturelle ?

[3875] 1, 60, Article 3 — L’ange s’aime-t-il lui-même d’un amour naturel ou d’un amour électif ? §1

[3876] 1, 60, Article 4 — L’ange aime-t-il naturellement un autre ange comme lui-même ? §1

[3877] 1, 60, Article 4 — L’ange aime-t-il naturellement un autre ange comme lui-même ? S2

[3878] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ? dernier §

[3879] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[3880] 1, 63, Article 2 — Quelles sortes de péché peut-il y avoir chez l’ange ? §2

[3881] 1, 60, Article 4 — L’ange aime-t-il naturellement un autre ange comme lui-même ? S2

[3882] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ? dernier §

[3883] 1, 60, Article 5 — L’ange, par amour naturel aime-t-il Dieu plus que lui-même ? §2

[3884] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ? dernier §

[3885] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ? dernier §

[3886] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[3887] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ? dernier §

[3888] 1, 64, Article 1 — L’obscurcissement de leur intelligence

[3889] 1, 64, Article 3 — La souffrance des démons

[3890] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[3891] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[3892] 1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ? point 1

[3893] 1, 44, Article 1 — Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ? §1

[3894] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? §1

[3895] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? §2

[3896] 1, 61, Article 1 — L’ange a-t-il une cause de son existence ? S2

[3897] 1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? et

1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[3898] 1, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[3899] 1, 10, Article 4 — L’éternité diffère-t-elle du temps ? §1

[3900] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ?

[3901] 1, 16, Article 7 — L’éternité de la vérité

[3902] 1, 61, Article 1 — L’ange a-t-il une cause de son existence ?

[3903] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ? §1

[3904] 1, 46, Article 2 — Est-ce un article de foi que le monde ait commencé ?

[3905] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[3906] 1, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? fin

[3907] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ?

[3908] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps

[3909] 1, 61, Article 2 — L’ange existe-t-il de toute éternité ? S1

[3910] 1, 108, Article 5 — Les noms et les propriétés de chaque ordre

[3911] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3912] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[3913] 1, 46, Article 2 — Est-ce un article de foi que le monde ait commencé ?

[3914] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[3915] 1, 74, Article 2 — Ces jours sont-ils un seul ou plusieurs ?

[3916] 1, 47, Article 1 — La multitude des choses et leur distinction §3

[3917] 1, 4, Article 2 — Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses ?

[3918] 1, 74, Article 2 — Ces jours sont-ils un seul ou plusieurs ?

[3919] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[3920] 1, 66, Article 3 — Le ciel empyrée fut-il concréé avec la matière informe ?

[3921] 1, 66, Article 3 — Le ciel empyrée fut-il concréé avec la matière informe ?

[3922] 1, 47, Article 3 — L’unité du monde

[3923] 1, 66, Article 3 — Le ciel empyrée fut-il concréé avec la matière informe ?

[3924] 1, 61, Article 3 — L’ange a-t-il été créé avant les créatures corporelles ?

[3925] 1, 110, Article 1 — La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ?

[3926] 1, 63, Article 7 — Le plus élevé parmi les anges déchus était-il absolument le plus élevé de tous les anges ? §1

[3927] 1, 63, Article 3 — A cause de quel désir l’ange a-t-il péché ?

[3928] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? S3 et

1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? S3

[3929] 1, 74, Article 2 — Ces jours sont-ils un seul ou plusieurs ? §2

[3930] 1, 58, Article 6 — La connaissance de l’ange peut-elle être appelée “ connaissance du matin ” et “ connaissance du soir ” ?

[3931] 1, 62, Article 8 — Les anges bienheureux ont-ils pu pécher par la suite ?

[3932] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

[3933] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[3934] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?

[3935] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[3936] 1, 62, Article 1 — Les anges ont-ils été créés bienheureux ? §2

[3937] 1, 74, Article 2 — Ces jours sont-ils un seul ou plusieurs ? §2

[3938] 1, 58, Article 7 — La connaissance du matin et la connaissance du soir sont-elles identiques ou diverses ?

[3939] 1, 60, Article 5 — L’ange, par amour naturel aime-t-il Dieu plus que lui-même ? dernier §

[3940] 1, 62, Article 1 — Les anges ont-ils été créés bienheureux ? §2 1ère partie

[3941] 2.1, 112, Article 2 — Une certaine disposition, par un acte du libre arbitre, est-elle requise chez celui qui reçoit la grâce ? phrase 2

[3942] 1, 60, Article 2 — Y a-t-il chez l’ange un amour électif ?

[3943] 1, 60, Article 1 — Y a-t-il chez l’ange une dilection naturelle ?

[3944] 1, 76, Article 3 — Y a-t-il dans l’homme d’autres âmes que l’âme intellectuelle ? §1

[3945] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?

[3946] 2.1, 109, Article 6 — L’homme peut-il sans la grâce, se préparer à la grâce ? §1

[3947] 1, 60, Article 5 — L’ange, par amour naturel aime-t-il Dieu plus que lui-même ? dernier §

[3948] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?

[3949] 1, 60, Article 2 — Y a-t-il chez l’ange un amour électif ? dernier §

[3950] 2.1, 109, Article 3 — L’homme peut-il sans la grâce, aimer Dieu par-dessus toutes choses ?

[3951] 2.1, 114, Article 4 — La grâce tient-elle principalement de la charité d’être le principe du mérite ?

[3952] 2.1, 109, Article 6 — L’homme peut-il sans la grâce, se préparer à la grâce ? §1

[3953] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ? et

2.1, 110, Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ?

[3954] 2.1, 110, Article 2 — La grâce est-elle une qualité de l’âme ? §2

[3955] 1, 62, Article 1 — Les anges ont-ils été créés bienheureux ?

[3956] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ? §2

[3957] 1, 74, Article 2 — Ces jours sont-ils un seul ou plusieurs ? §3 fin

[3958] 2.1, 109, Article 5 — Sans la grâce, l’homme peut-il mériter la vie éternelle ?

[3959] 1, 62, Article 1 — Les anges ont-ils été créés bienheureux ? §2 et S2

[3960] 2.1, 110, Article 1 — La grâce est-elle une réalité dans l’âme ? §3

[3961] 2.1, 110, Article 2 — La grâce est-elle une qualité de l’âme ? §2

[3962] 1, 63, Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ?

[3963] 1, 62, Article 1 — Les anges ont-ils été créés bienheureux ? fin et S2

[3964] 1, 62, Article 1 — Les anges ont-ils été créés bienheureux ? §2 1ère partie

[3965] 1, 60, Article 5 — L’ange, par amour naturel aime-t-il Dieu plus que lui-même ?

[3966] 1, 62, Article 3 — Les anges ont-ils été créés en grâce ? début

[3967] 2.1, 109, Article 5 — Sans la grâce, l’homme peut-il mériter la vie éternelle ?

[3968] 1, 108, Article 4 — La distinction des hiérarchies et des ordres tient-elle à la nature des anges ?

[3969] 2.1, 114, Article 2 — Peut-on, sans la grâce, mériter la vie éternelle

[3970] 1, 26, Article 2 — Dit-on de Dieu qu’il est bienheureux en raison de l’intellection ? et

1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? et

1, 3, Article 4 — Y a-t-il en Dieu composition de l’essence et de l’existence ?

[3971] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

[3972] 2.1, 114, Article 1 — L’homme peut-il mériter de Dieu quelque chose ? §1

[3973] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ? et 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[3974] 1, 62, Article 3 — Les anges ont-ils été créés en grâce ?

[3975] 2.1, 114, Article 5 — Sans la grâce, l’homme peut-il mériter la vie éternelle ?

[3976] 2.1, 114, Article 5 — Peut-on mériter pour soi-même la première grâce ?

[3977] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ?

[3978] 2.1, 5, Article 7 — Certaines actions humaines sont-elles requises pour que l’homme obtienne de Dieu la béatitude ?

[3979] 2.1, 114, Article 1 — L’homme peut-il mériter de Dieu quelque chose ? §1

[3980] 2.1, 119, Article 5 — Sans la grâce, l’homme peut-il mériter la vie éternelle ?

[3981] 2.1, 109, Article 6 — L’homme peut-il sans la grâce, se préparer à la grâce ? §1

[3982] 1, 62, Article 2 — Les anges avaient-ils besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ? S2

[3983] 2.1, 110, Article 3 — La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ?

[3984] 2.2, 24, Article 6 — La charité s’accroît-elle par chacun de ses actes ? S1

[3985] 1, 46, Article 2 — Est-ce un article de foi que le monde ait commencé ? S1 2ème partie

[3986] 1, 62, Article 4 — Les anges ont-ils mérité leur béatitude ? §1 et 2

[3987] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[3988] 1, 108, Article 8 — Les hommes sont-ils élevés aux ordres angéliques ?

[3989] 4, 69, Article 2 — Y a-t-il des âmes qui aillent au ciel ou en enfer aussitôt après la mort ?

[3990] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[3991] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[3992] 1, 62, Article 3 — Les anges ont-ils été créés en grâce ? 2ème partie

[3993] 2.1, 114, Article 4 — La grâce tient-elle principalement de la charité d’être le principe du mérite ? et

2.2, 24, Article 6 — La charité s’accroît-elle par chacun de ses actes ? O1 et S1

[3994] 2.1, 5, Article 7 — Certaines actions humaines sont-elles requises pour que l’homme obtienne de Dieu la béatitude ?

[3995] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps

[3996] 1, 62, Article 4 — Les anges ont-ils mérité leur béatitude ? §4

[3997] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[3998] 2.1, 112, Article 1 — Dieu seul est-il cause efficiente de la grâce ?

[3999] 2.1, 109, Article 6 — L’homme peut-il sans la grâce, se préparer à la grâce ? §1

[4000] 2.1, 112, Article 1 — Dieu seul est-il cause efficiente de la grâce ?

[4001] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ? et

2.1, 110, Article 2 — La grâce est-elle une qualité de l’âme ? §2

[4002] 2.1, 112, Article 4 — La grâce est-elle égale en tous ? §2

[4003] 1, 55, Article 3 — Les anges supérieurs connaissent-ils par des espèces plus universelles que les anges inférieurs ?

[4004] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[4005] 2.1, 77, Article 1 — La passion de l’appétit sensible peut-elle mouvoir ou incliner la volonté ?

[4006] 2.1, 112, Article 4 — La grâce est-elle égale en tous ? §2

[4007] 2.1, 110, Article 2 — La grâce est-elle une qualité de l’âme ?

[4008] 1, 45, Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ?

[4009] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[4010] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[4011] 2.1, 77, Article 1 — La passion de l’appétit sensible peut-elle mouvoir ou incliner la volonté ?

[4012] 1, 62, Article 5 — Les anges ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ? SC 1ère phrase

[4013] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[4014] 2.1, 3, Article 2 — Si la béatitude est une réalité créée, est-elle une activité ?

[4015] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[4016] 1, 62, Article 4 — Les anges ont-ils mérité leur béatitude ? début

[4017] 1, 62, Article 7 — Après l’entrée dans la gloire, la connaissance et l’amour naturels demeurent-ils chez les anges ? S1

[4018] 1, 58, Article 7 — La connaissance du matin et la connaissance du soir sont-elles identiques ou diverses ? fin

[4019] 1, 26, Article 2 — Dit-on de Dieu qu’il est bienheureux en raison de l’intellection ? et

1, 14, Article 4 — Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

[4020] 1, 21, Article 1 — Trouve-t-on en Dieu la justice ? S3 1ère partie

[4021] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses §3

[4022] 1, 59, Article 1 — Y a-t-il une volonté chez les anges ?

[4023] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[4024] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[4025] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ? dernier §

[4026] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ? §1 et

1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? fin

[4027] 2.1, 1, Article 7 — La fin ultime est-elle la même pour tous les hommes ? 1ère partie

[4028] 1, 63, Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ?

[4029] 1, 16, Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? §2 2ème partie

[4030] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[4031] 2.1, 14, Article 2 — La délibération a-t-elle pour objet la fin, ou seulement les moyens ?

[4032] 1, 19, Article 10 — Dieu a-t-il le libre arbitre ?

[4033] 2.1, 71, Article 2 — Le vice est-il contraire à la nature ? §2

[4034] 2.1, 114, Article 4 — La grâce tient-elle principalement de la charité d’être le principe du mérite ?

[4035] 1, 62, Article 8 — Les anges bienheureux ont-ils pu pécher par la suite ? et S2 2ème partie

[4036] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ? §2

[4037] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses et

1, 55, Article 3 — Les anges supérieurs connaissent-ils par des espèces plus universelles que les anges inférieurs ?

[4038] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[4039] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[4040] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses

[4041] 1, 12, Article 7 — Un intellect créé peut-il comprendre l’essence divine ?

[4042] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[4043] 1, 23, Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ?

[4044] 2.1, 114, Article 1 — L’homme peut-il mériter de Dieu quelque chose ?

[4045] 2.2, 28, Article 1 — La joie est-elle un effet de la charité ?

[4046] 2.1, 31, Article 3 — Le plaisir diffère-t-il de la joie ?

[4047] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ? et

1, 19, Article 2 — Dieu veut-il autre chose que lui-même ?

[4048] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[4049] 1, 50, Article 5 — L’immortalité ou incorruptibilité des anges

[4050] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[4051] 1, 62, Article 7 — Après l’entrée dans la gloire, la connaissance et l’amour naturels demeurent-ils chez les anges ? R et S2

[4052] 1, 60, Article 5 — L’ange, par amour naturel aime-t-il Dieu plus que lui-même ?

[4053] 1, 58, Article 5 — Peut-il y avoir de l’erreur dans l’intellect de l’ange ?

[4054] 2.1, 71, Article 1 — Le vice est-il le contraire de la vertu ?

[4055] 1, 19, Article 3 — Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement ? §2 2ème partie

[4056] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[4057] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[4058] 1, 60, Article 5 — L’ange, par amour naturel aime-t-il Dieu plus que lui-même ?

[4059] 2.1, 76, Article 1 — L’ignorance est-elle cause de péché ?

[4060] 2.1, 77, Article 2 — La passion peut-elle dominer la raison contre le savoir de celle-ci ? §2

[4061] 1, 59, Article 4 — L’irascible et le concupiscible existent-ils chez les anges ?

[4062] 1, 63, Article 2 — Quelles sortes de péché peut-il y avoir chez l’ange ?

[4063] 2.1, 84, Article 4 — Combien y a-t-il de péchés capitaux, et quels sont-ils ?

[4064] 2.1, 84, Article 2 — L’orgueil est-il le commencement de tout péché ?

[4065] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ? 1ère partie

[4066] 1, 63, Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ? S4 §2

[4067] 1, 23, Article 1 — Les passions du concupiscible diffèrent-elles des passions de l’irascible ?

[4068] 1, 63, Article 2 — Quelles sortes de péché peut-il y avoir chez l’ange ? §2

[4069] 2.2, 118, Article 2 — L’avarice est-elle un péché spécial ?

[4070] 2.2, 158, Article 2 — La colère est-elle un péché ?

[4071] 2.2, 35, Article 1 — L’acédie est-elle un péché ?

[4072] 2.1, 84, Article 2 — L’orgueil est-il le commencement de tout péché ?

[4073] 1, 16, Article 4 — Du vrai comparé au bon

[4074] 2.1, 74, Article 1 — La volonté peut-elle être le siège du péché ?

[4075] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ?

[4076] 2.1, 1, Article 8 — Toutes les autres créatures se rejoignent-elles dans cette fin ultime ?

[4077] 2.1, 13, Article 5 — Le choix ne porte-t-il que sur des choses possibles ?

[4078] 1, 59, Article 4 — L’irascible et le concupiscible existent-ils chez les anges ?

[4079] 2.1, 77, Article 2 — La passion peut-elle dominer la raison contre le savoir de celle-ci ?

[4080] 1, 60, Article 3 — L’ange s’aime-t-il lui-même d’un amour naturel ou d’un amour électif ? §2

[4081] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[4082] 1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ? §2

[4083] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §2

[4084] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?

[4085] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ?

[4086] 1, 110, Article 2 — La grâce est-elle une qualité de l’âme ? §2

[4087] 1, 3, Article 6 — Y a-t-il en Dieu composition de sujet et d’accident ? points 1 et 3

[4088] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[4089] 1, 23, Article 3 — La réprobation de certains hommes vient-elle de Dieu ? §1

[4090] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[4091] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[4092] 1, 49, Article 1 — Le bien peut-il être cause du mal ? §3 2ème partie

[4093] 1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ? §1

[4094] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? §2

[4095] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ? O1

[4096] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[4097] 2.1, 81, Article 1 — Le premier péché de l’homme se transmet-il à la postérité par voie d’origine ? §2

[4098] 2.1, 82, Article 3 — Le péché originel est-il la convoitise ?

[4099] 1, 63, Article 4 — En admettant que certains anges sont devenus mauvais volontairement, y en a-t-il d’autres qui le sont naturellement ? phrase 2 et 3

[4100] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? S3

[4101] 1, 62, Article 1 — Les anges ont-ils été créés bienheureux ? §2

[4102] 1, 62, Article 5 — Les anges ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ? §1

[4103] 1, 58, Article 6 — La connaissance de l’ange peut-elle être appelée “connaissance du matin” et “connaissance du soir” ? S2

[4104] 1, 62, Article 4 — Les anges ont-ils mérité leur béatitude ?

[4105] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[4106] 1, 46, Article 2 — Est-ce un article de foi que le monde ait commencé ? S1 2ème partie

[4107] 1, 62, Article 4 — Les anges ont-ils mérité leur béatitude ?

[4108] 1, 62, Article 5 — Les anges ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ? §1

[4109] 1, 63, Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ?

[4110] 1, 63, Article 4 — En admettant que certains anges sont devenus mauvais volontairement, y en a-t-il d’autres qui le sont naturellement ?

[4111] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[4112] 2.1, 71, Article 1 — Le vice est-il le contraire de la vertu ? 2ème partie

[4113] 1, 46, Article 2 — Est-ce un article de foi que le monde ait commencé ? S1 2ème partie

[4114]  1, 45, Article 2 — Dieu peut-il créer quelque chose ? S3

[4115]  1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[4116]  1, 63, Article 5 — L’ange a-t-il pu devenir mauvais volontairement dès le premier instant de sa création ? O4 début

[4117]  1, 45, Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ?

[4118]  1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ? §1

[4119]  1, 64, Article 2 — L’obstination de leur volonté

[4120]  1, 23, Article 1 — Convient-il d’attribuer à Dieu la prédestination ?

[4121]  2.1, 114, Article 2 — Peut-on, sans la grâce, mériter la vie éternelle §1

[4122]  1, 62, Article 3 — Les anges ont-ils été créés en grâce ?

[4123]  1, 62, Article 3 — Les anges ont-ils été créés en grâce ?

[4124]  1, 63, Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ?

[4125]  1, 63, Article 5 — L’ange a-t-il pu devenir mauvais volontairement dès le premier instant de sa création ? dernier §

[4126]  1, 53, Article 2 — L’ange passe-t-il d’un lieu à un autre en traversant l’espace intermédiaire ? §1

[4127]  1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[4128]  1, 62, Article 3 — Les anges ont-ils été créés en grâce ?

[4129]  1, 62, Article 5 — Les anges ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ? §1

[4130]  1, 62, Article 4 — Les anges ont-ils mérité leur béatitude ? §3 et 4

[4131]  1, 1, Article 9 — La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ?

[4132]  1, 63, Article 5 — L’ange a-t-il pu devenir mauvais volontairement dès le premier instant de sa création ?

[4133]  1, 64, Article 2 — L’obstination de leur volonté §1

[4134]  1, 53, Article 2 — L’ange passe-t-il d’un lieu à un autre en traversant l’espace intermédiaire ? §1

[4135]  1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[4136]  1, 58, Article 6 — La connaissance de l’ange peut-elle être appelée “connaissance du matin” et “connaissance du soir” ?

[4137]  1, 63, Article 5 — L’ange a-t-il pu devenir mauvais volontairement dès le premier instant de sa création ? §4

[4138]  1, 58, Article 6 — La connaissance de l’ange peut-elle être appelée “connaissance du matin” et “connaissance du soir” ? S2 1ère partie

[4139]  1, 108, Article 6 — Les rapports des différents ordres entre eux §3

[4140]  2.1, 1, Article 6 — L’homme ordonne-t-il toutes choses à sa fin ultime ?

[4141]  1, 110, Article 1 — La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ?

[4142]  1, 108, Article 6 — Les rapports des différents ordres entre eux §2

[4143]  1, 63, Article 3 — A cause de quel désir l’ange a-t-il péché ? et 2.2, 162, Article 1 — L’orgueil est-il un péché ?

[4144]  2.2, 162, Article 4 — Quelles sont les espèces de l’orgueil ? point 2

[4145]  1, 59, Article 4 — L’irascible et le concupiscible existent-ils chez les anges ? et

1, 63, Article 6 — S’est-il écoulé un certain temps entre la création de l’ange et sa chute ?

[4146]  2.1, 71, Article 4 — L’acte vicieux peut-il cœxister avec la vertu ? §2

[4147]  1, 23, Article 2 — Qu’est-ce que la prédestination, et introduit-elle quelque chose de réel dans le prédestiné ?

[4148]  1, 21, Article 3 — Trouve-t-on en Dieu la miséricorde ?

[4149]  1, 21, Article 1 — Trouve-t-on en Dieu la justice ?

[4150]  1, 63, Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ?

[4151]  1, 62, Article 2 — Les anges avaient-ils besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ? S1

[4152]  1, 63, Article 6 — S’est-il écoulé un certain temps entre la création de l’ange et sa chute ? S4

[4153]  1, 63, Article 3 — A cause de quel désir l’ange a-t-il péché ?

[4154]  2.2, 162, Article 1 — L’orgueil est-il un péché ?

[4155]  2.1, 73, Article 3 — La gravité des péchés et des vices est-elle évaluée selon leurs objets ? §1

[4156]  2.1, 80, Article 2 — Le diable induit-il à pécher par suggestion intérieure ?

[4157]  1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[4158]  1, 16, Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? §2 2ème partie et S1

[4159]  1, 63, Article 3 — A cause de quel désir l’ange a-t-il péché ? §2 fin

[4160]  1, 62, Article 6 — Les anges ont-ils reçu la grâce et la gloire en proportion de leur capacité naturelle ? §2

[4161]  1, 23, Article 7 — Le nombre des prédestinés est-il fixé ? S3

[4162]  1, 23, Article 7 — Le nombre des prédestinés est-il fixé ? S3

[4163]  1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux et

1, 108, Article 4 — La distinction des hiérarchies et des ordres tient-elle à la nature des anges ?

[4164]  1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[4165]  1, 23, Article 7 — Le nombre des prédestinés est-il fixé ? S3

[4166]  1, 63, Article 7 — Le plus élevé parmi les anges déchus était-il absolument le plus élevé de tous les anges ?

[4167]  1, 63, Article 8 — Le péché du premier ange a-t-il causé le péché des autres ?

[4168]  1, 23, Article 7 — Le nombre des prédestinés est-il fixé ? dernier §

[4169]  1, 108, Article 5 — Les noms et les propriétés de chaque ordre S3 et 5

[4170]  2.1, 71, Article 4 — L’acte vicieux peut-il cœxister avec la vertu ? §2

[4171]  1, 108, Article 5 — Les noms et les propriétés de chaque ordre S5 et 6

[4172]  1, 56, Article 1 — L’ange se connaît-il lui-même ? §2

[4173]  2.1, 3, Article 7 — La béatitude consiste-t-elle dans la connaissance des substances séparées, c’est-à-dire des anges ? fin

[4174]  1, 84, Article 6 — L’âme acquiert-elle la connaissance intellectuelle à partir du sens ?

[4175]  1, 16, Article 5 — Dieu est-il la vérité ?

[4176]  2.1, 4, Article 4 — La rectitude de la volonté est-elle requise pour la béatitude ?

[4177]  1, 58, Article 6 — La connaissance de l’ange peut-elle être appelée “connaissance du matin” et “connaissance du soir” ?

[4178]  1, 56, Article 3 — Les anges peuvent-ils connaître Dieu par leurs facultés naturelles ?

[4179]  1, 106, Article 1 — Un ange meut-il l’intelligence d’un autre en l’illuminant ?

[4180]  2.2, 45, Article 2 — Quel est le siège de la sagesse ?

[4181]  1, 48, Article 4 — Le mal détruit-il totalement le bien ?

[4182]  1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[4183]  1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ?

[4184]  1, 64, Article 4 — Le lieu du châtiment des démons §1

[4185]  1, 12, Article 8 — L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ?

[4186]  2.2, 45, Article 2 — Quel est le siège de la sagesse ?

[4187]  1, 3, Article 5 — La béatitude est-elle une activité de l’intellect spéculatif ou de l’intellect pratique ?

[4188]  1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[4189]  1, 56, Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ?

[4190]  1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ?

[4191]  1, 56, Article 3 — Les anges peuvent-ils connaître Dieu par leurs facultés naturelles ?

[4192]  1, 58, Article 6 — La connaissance de l’ange peut-elle être appelée “connaissance du matin” et “connaissance du soir” ? S2 1ère partie

[4193] 1, 62, Article 3 — Les anges ont-ils été créés en grâce ?

[4194] 1, 62, Article 6 — Les anges ont-ils reçu la grâce et la gloire en proportion de leur capacité naturelle ?

[4195] 1, 107, Article 1 — Un ange parle-t-il à un autre ?

[4196] 1, 57, Article 1 — Les anges connaissent-ils les choses matérielles ? et

1, 57, Article 3 — Les anges connaissent-ils l’avenir ? S3

[4197] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[4198] 1, 64, Article 1 — L’obscurcissement de leur intelligence

[4199] 2.1, 113, Article 2 — L’infusion de la grâce est-elle requise pour la justification ?

[4200] 1, 63, Article 3 — A cause de quel désir l’ange a-t-il péché ?

[4201] 2.2, 162, Article 1 — L’orgueil est-il un péché ?

[4202] 1, 63, Article 8 — Le péché du premier ange a-t-il causé le péché des autres ?

[4203] 2.1, 5, Article 4 — La béatitude une fois possédée peut-elle être perdue ? §3

[4204] 2.1, 87, Article 3 — Y a-t-il un péché qui rende passible d’une peine éternelle ?

[4205] 1, 16, Article 1 — La vérité est-elle dans la chose, ou seulement dans l’intelligence ? §1

[4206] 1, 59, Article 4 — L’irascible et le concupiscible existent-ils chez les anges ?

[4207] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[4208] 1, 16, Article 6 — Toutes choses sont-elles vraies d’une seule vérité, ou de plusieurs ? S1

[4209] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[4210] S, 98, Article 2 — Les damnés se repentent-ils du mal qu’ils ont accompli ?

[4211] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[4212] S, 5, Article 1 — La rémission du péché est-elle l’effet de la contrition ?

[4213] 1, 64, Article 3 — La souffrance des démons

[4214] 2.1, 18, Article 7 — L’espèce qui vient de la fin est-elle subordonnée à celle qui vient de l’objet comme à un genre, ou est-ce le contraire ? dernier §

[4215] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[4216] 2.1, 35, Article 3 — La tristesse ou douleur est-elle contraire au plaisir ?

[4217] 2.1, 23, Article 1 — Les passions du concupiscible diffèrent-elles des passions de l’irascible ? §2

[4218] 2.1, 39, Article 2 — La tristesse peut-elle être un bien honnête ?

[4219] S, 97, Article 2 — Le ver des damnés est-il corporel ?

[4220] 1, 63, Article 3 — A cause de quel désir l’ange a-t-il péché ?

[4221] 1, 59, Article 4 — L’irascible et le concupiscible existent-ils chez les anges ?

[4222] 1, 63, Article 2 — Quelles sortes de péché peut-il y avoir chez l’ange ? §2

[4223] 2.1, 1, Article 6 — L’homme ordonne-t-il toutes choses à sa fin ultime ?

[4224] 3, 46, Article 8 — Sa passion a-t-elle empêché le Christ d’éprouver la joie béatifique ? S1

[4225] 2.2, 19, Article 7 — La crainte est-elle le commencement de la sagesse ?

[4226] S, 70ter, Article 4 — Les souffrances du purgatoire sont-elles volontaires ?

[4227] 1, 52, Article 1 — L’ange est-il dans un lieu ?

[4228] S, 97, Article 1 — Les damnés, en enfer, ne souffrent-ils que de la peine du feu ?

[4229] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[4230] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses

[4231] 1, 49, Article 2 — Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ?

[4232] 1, 64, Article 1 — L’obscurcissement de leur intelligence §2 1ère partie

[4233] S, 70ter, Article 5 — Les âmes du purgatoire sont-elles tourmentées par les démons ?

[4234] 1, 112, Article 2 — Tous les anges sont-ils envoyés en ministère ? §2

[4235] 1, 64, Article 3 — La souffrance des démons

[4236] S, 70ter, Article 1 — Y a-t-il un purgatoire après cette vie ? §1

[4237] 1, 112, Article 3 — Les anges envoyés en ministère demeurent-ils auprès de Dieu ?

[4238] 1, 10, Article 3 — Est-il propre à Dieu d’être éternel ? §2

[4239] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[4240] 2.1, 77, Article 1 — La passion de l’appétit sensible peut-elle mouvoir ou incliner la volonté ?

[4241] 2.1, 79, Article 3 — Dieu est-il cause de l’aveuglement et de l’endurcissement de certains ?

[4242] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? Voie 2 début

[4243] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S2 1ère partie

[4244] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? dernier § et

1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[4245] 1, 63, Article 8 — Le péché du premier ange a-t-il causé le péché des autres ?

[4246] 1, 48, Article 4 — Le mal détruit-il totalement le bien ?

[4247] 1, 9, Article 1 — Dieu est-il absolument immuable ?

[4248] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §1

[4249] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps

1, 58, Article 1 — L’intellect de l’ange est-il tantôt en puissance et tantôt en acte ? §2

[4250] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[4251] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ?

[4252] 1, 48, Article 2 — Le mal se trouve-t-il dans les choses ?

[4253] 1, 13, Article 1 — Dieu peut-il être nommé par nous ?

[4254] 1, 64, Article 1 — L’obscurcissement de leur intelligence §2 1ère partie et

2.1, 80, Article 2 — Le diable induit-il à pécher par suggestion intérieure ?

[4255] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[4256] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[4257] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[4258] 1, 21, Article 1 — Trouve-t-on en Dieu la justice ?

[4259] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses §3

[4260] 1, 65, Article 2 — La créature corporelle a-t-elle été faite en vue de la bonté de Dieu ? §1

[4261] 1, 59, Article 3 — Les anges ont-ils le libre arbitre ?

[4262] 1, 62, Article 2 — Les anges avaient-ils besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ?

[4263] 1, 62, Article 6 — Les anges ont-ils reçu la grâce et la gloire en proportion de leur capacité naturelle ?

[4264] 1, 50, Article 4 — La distinction des anges entre eux

[4265] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? et Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? et

1, 47, Article 1 — La multitude des choses et leur distinction §4

[4266] 1, 47, Article 3 — L’unité du monde

[4267] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses §3

[4268] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[4269] 1, 5, Article 1 — Le bon et l’étant sont-ils identiques dans la réalité ?

[4270] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ? §2

[4271] 1, 47, Article 1 — La multitude des choses et leur distinction §4

[4272] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ?

[4273] 1, 6, Article 4 — Toutes choses sont-elles bonnes de la bonté divine ? dernier §

[4274] 1, 65, Article 2 — La créature corporelle a-t-elle été faite en vue de la bonté de Dieu ? §3 points 2 et 3

[4275] 2.2, 58, Article 11 — L’acte de la justice consiste-t-il à rendre à chacun son dû ?

[4276] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses §3

[4277] 1, 22, Article 1 — La providence convient-elle à Dieu ?

[4278] 1, 21,  Article 1 — Trouve-t-on en Dieu la justice ? S3 1ère partie

[4279] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[4280] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 phrase 4 et

1, 19, Article 4 — La volonté de Dieu est-elle cause des choses ? point 2

[4281] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses dernier §

[4282] 1, 7, Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ? §3

[4283] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[4284] 1, 45, Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ? S1 2ème partie

[4285] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ? S3

[4286] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[4287] 1, 45, Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ?

[4288] 1, 18, Article 2 — Qu’est-ce que la vie ? début §2

[4289] 1, 44, Article 2 — La matière première est-elle créée par Dieu ?

[4290] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[4291] 1, 45, Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ?

[4292] 1, 45, Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ?

[4293] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses dernier §

[4294] 1, 15, Article 2 — Y a-t-il plusieurs idées, ou une seule ? §2

[4295] 1, 14, Article 8 — La science de Dieu est-elle cause des choses ?

[4296] 1, 45, Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ? S3

[4297] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[4298] 1, 45, Article 4 — A quels êtres appartient-il d’être créés ? 2ème partie

[4299] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[4300] 1, 110, Article 1 — La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ? §2

[4301] 1, 13, Article 5 — Y a-t-il des noms attribués à Dieu et aux créatures, univoquement ou équivoquement ? §1 et S1, phrase 2

[4302] 1, 3, Article 7 — Dieu est-il composé de quelque manière, ou absolument simple ? point 4 et

1, 7, Article 3 — Quelque chose peut-il être infini en étendue ? S3 et

1, 65, Article 2 — La créature corporelle a-t-elle été faite en vue de la bonté de Dieu ?

[4303] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[4304] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[4305] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses §1

[4306] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ? S1 et Article 3 — Dieu est-il un ? S2

[4307] 1, 8, Article 4 — Être partout est-il propre à Dieu ? S2

[4308] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ? S3 phrase 2

[4309] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ? fin

[4310] 1, 65, Article 3 — La créature corporelle a-t-elle été l’œuvre de Dieu par l’intermédiaire des anges ?

[4311] 1, 110, Article 1 — La créature corporelle est-elle gouvernée par les anges ?

[4312] 1, 110, Article 3 — Les anges peuvent-ils immédiatement, par leur vertu, déplacer les corps ?

[4313] 1, 74, Article 2 — Ces jours sont-ils un seul ou plusieurs ? §3 fin

[4314] 1, 45, Article 3 — La création est-elle quelque chose dans la créature ?

[4315] 1, 45, Article 5 — Appartient-il à Dieu seul de créer ? §3

[4316] 1, 15, Article 1 — Y a-t-il des idées en Dieu ?

[4317] 1, 65, Article 4 — Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ? §4

[4318] 1, 65, Article 4 — Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ? §4

[4319] 1, 65, Article 4 — Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ? §4

[4320] 1, 19, Article 8 — La volonté de Dieu rend-elle forcément nécessaires les choses qu’elle veut ? §2

[4321] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ? S3 phrase 2

[4322] 3, 77, Article 1 — Les accidents qui subsistent sont-ils privés de sujet ?

[4323] 1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ? fin

[4324] 1, 68, Article 4 — Est-il normal que la lumière ait été créée le premier jour ? dernier § 2ème partie

[4325] 1, 19, Article 1 — Y a-t-il une volonté en Dieu ? phrase 3

[4326] 1, 45, Article 4 — A quels êtres appartient-il d’être créés ?

[4327] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ?

[4328] 1, 64, Article 4 — Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ? §1

[4329] 1, 45, Article 4 — A quels êtres appartient-il d’être créés ?

[4330] 1, 74, Article 2 — Ces jours sont-ils un seul ou plusieurs ? §3

[4331] 1, 69, Article 1 — Le rassemblement des eaux §2

[4332] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S3 et

1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? S3

[4333] 1, 12, Article 1 — Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ? O3

[4334] 1, 66, Article 1 — Un état informe de la matière créée a-t-il précédé dans le temps la distinction de celle-ci ? §3

[4335] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[4336] 1, 45, Article 1 — Qu’est-ce que la création ?

[4337] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S3 et

1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? S3

[4338] 3, 77, Article 1 — Les accidents qui subsistent sont-ils privés de sujet ?

[4339] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses §3

[4340] 1, 68, Article 1 — Le firmament a-t-il été créé le deuxième jour ?

[4341] 1, 66, Article 3 — Le ciel empyrée fut-il concréé avec la matière informe ? §3 fin

[4342] 1, 91, Article 4 — Les modalités et l’ordre de cette production §3

[4343] 1, 45, Article 6 — Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes divines ? §2

[4344] 1, QUESTION 69 — L’ŒUVRE DU TROISIÈME JOUR

[4345] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 1

[4346] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S3

[4347] 1, 9, Article 2 — Être immuable est-il propre à Dieu ? §3 et

1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ? §1 phrase 2

[4348] 1, 63, Article 1 — Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ? O2

[4349] 1, 9, Article 2 — Être immuable est-il propre à Dieu ? §3 et

1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ? §1 phrase 3

[4350] 1, 66, Article 2 — Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ? §2 dernière phrase

[4351] 1, 5, Article 3 — Puisque l’être est premier, tout étant est-il bon ? S3

[4352] 1, 7, Article 2 — Y a-t-il, en dehors de Dieu, un être qui soit infini en son essence ? §1

[4353] 1, 110, Article 3 — Les anges peuvent-ils immédiatement, par leur vertu, déplacer les corps ?

[4354] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ? §4 point 3

[4355] 1, 58, Article 3 — L’intellection de l’ange est-elle discursive ?

[4356] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? §3

[4357] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? point 3

[4358] 1, 9, Article 2 — Être immuable est-il propre à Dieu ? §3

[4359] 1, 66, Article 2 — Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ? dernière phrase

[4360] 1, 66, Article 2 — Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ? dernière phrase

[4361] 1, 66, Article 2 — Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ? §3 et 6

[4362] 1, 3, Article 2 — Y a-t-il en Dieu composition de matière et de forme ? point 3

[4363] 1, 66, Article 2 — Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ? §4

[4364] 1, 9, Article 2 — Être immuable est-il propre à Dieu ?

[4365] 1, 11, Article 3 — Dieu est-il un ? point 3

[4366] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 1ère partie

[4367] 1, 175, Article 5 — Dans cet état, l’âme de S. Paul a-t-elle été complètement séparée de son corps ?

[4368] 1, 68, Article 1 — Le firmament a-t-il été créé le deuxième jour ? point 1 §2

[4369] 1, 68, Article 2 — Y a-t-il des eaux au-dessus du firmament ? §2

[4370] 1, 64, Article 4 — Le lieu du châtiment des démons §1 et 111

[4371] 1, 68, Article 1 — Le firmament a-t-il été créé le deuxième jour ? point 1

[4372] 1, 68, Article 1 — Le firmament a-t-il été créé le deuxième jour ? point 1 §2 fin

[4373] 1, 48, Article 1 — Le mal est-il une nature ?

[4374] S, 75, Article 1 — La résurrection des corps doit-elle avoir lieu ? avant dernier §

[4375] S, 91, Article 1 — Le monde sera-t-il renouvelé ?

[4376] 1, 62, Article 5 — Les anges ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ?

[4377] 1, 108, Article 8 — Les hommes sont-ils élevés aux ordres angéliques ?

[4378] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[4379] S, 91, Article 4 — Les éléments seront-ils renouvelés par la réception d’une clarté ?

[4380] 1, 64, Article 4 — Le lieu du châtiment des démons

[4381] 1, 3, Article 1 — Dieu est-il un corps, c’est-à-dire y a-t-il en lui composition de parties quantitatives ? point 2 fin

[4382] 1, 91, Article 2 — Le mouvement des corps célestes cessera-t-il ?

[4383] 1, 108, Article 6 — Les rapports des différents ordres entre eux

[4384] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[4385] S, 91, Article 4 — Les éléments seront-ils renouvelés par la réception d’une clarté ?

[4386] 1, 67, Article 3 — La lumière est-elle une qualité ?

[4387] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[4388] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[4389] 1, 68, Article 1 — Le firmament a-t-il été créé le deuxième jour ?

[4390] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[4391] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[4392] 1, 61, Article 3 — L’ange a-t-il été créé avant les créatures corporelles ?

[4393] 1, 50, Article 1 — Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?

[4394] 1, 61, Article 4 — Les anges ont-ils été créés dans le ciel empyrée ? et

1, 66, Article 3 — Le ciel empyrée fut-il concréé avec la matière informe ?

[4395] 1, 66, Article 1 — Un état informe de la matière créée a-t-il précédé dans le temps la distinction de celle-ci ? §1&3

[4396] 1, 66, Article 1 — Un état informe de la matière créée a-t-il précédé dans le temps la distinction de celle-ci ? §1&3

[4397] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[4398] 1, 62, Article 5 — Les anges ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ?

[4399] 1, 10, Article 5 — La différence entre l’aevum et le temps §3

[4400] 1, 10, Article 1 — Qu’est-ce que l’éternité ? §1

[4401] 1, 66, Article 2 — Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ? §2

[4402] 1, 41, Article 5 — En quoi consiste cette puissance ? §2

[4403] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ?

[4404] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[4405] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[4406] 1, 56, Article 2 — Un ange en connaît-il un autre ? 01 1ère partie

[4407] 1, 3, Article 5 — Y a-t-il en Dieu composition de genre et de différence ? point 3

[4408] 1, 12, Article 3 — L’essence divine peut-elle être vue par les yeux du corps ?

[4409] 1, 50, Article 2 — L’ange est-il composé de matière et de forme ? §3

[4410] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? phrase 4

[4411] 1, 5, Article 5 — La bonté consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ?

[4412] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ?

[4413] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité séubsistante ? §3

[4414] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ? S1

[4415] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1 et S3

[4416] 1, 75, Article 2 — L’âme est-elle une réalité subsistante ? S1

[4417] 1, 75,²                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                10                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           ¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿¿/§…ùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùùù ::!:!:!:!:!:!:!:!:!:!:!:!:!:!:!:!:!:!:!:!:!%èèè                                                                                                                                                                  

                                                                                                 Article 3 — Les âmes des bêtes sont-elles subsistantes ?

[4418] 1, 75, Article 3 — Les âmes des bêtes sont-elles subsistantes ?

[4419] 1, 75, Article 4 — L’âme est-elle l’homme même ? §1

[4420] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ? §1

[4421] 1, 11, Article 1 — Est-ce que “ un ” ajoute quelque chose à “ étant ” ?

[4422] 1, 65, Article 4 — Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ? §3

[4423] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1&2 1ère partie

[4424] 1, 14, Article 2 — Dieu se connaît-il lui-même ? 1ère partie

[4425] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? O1

[4426] 1, 16, Article 2 — La vérité est-elle dans l’intelligence seulement quand elle compose et divise ?

[4427] 1, 79, Article 2 — L’intelligence est-elle une puissance passive ? §2 et 3

[4428] 1, 3, Article 3 — Y a-t-il en Dieu composition d’essence ou de nature, et de sujet ? §1

[4429] 1, 85, Article 1 — Notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?

[4430] 1, 12, Article 4 — Une substance intellectuelle créée, par ses seules facultés naturelles, est-elle capable de voir l’essence de Dieu ? §3

[4431] 2.1, 2, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle en quelque bien créé ?

[4432] 2.2, 183, Article 2 — Doit-il y avoir, parmi les hommes, diversité d’états ou d’offices ?

[4433] 1, 65, Article 4 — Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ? §3

[4434] 1, 65, Article 4 — Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ?

[4435] 1, 105, Article 4 — Dieu peut-il mouvoir la volonté ? §1

[4436] 1, 4, Article 3 — Peut-on dire que les créatures ressemblent à Dieu ?

[4437] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 1 phrase 4

[4438] 1, 76, Article 1 — Le principe pensant s’unit-il au corps comme une forme ?

[4439] 2.1, 26, Article 1 — L’amour est-il dans le concupiscible ?

[4440] 2.2, 23, Article 8 — La charité est-elle la forme des vertus ?

[4441] 2.2, 16, Article 1 — Les préceptes relatifs à la foi, S2

[4442] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[4443] 2.1, 110, Article 4 — Quel est le siège de la grâce ?

[4444] 2.1, 68, Article 5 — Les dons du Saint-Esprit sont-ils connexes ? et

2.1, 106, Article 1 — La loi nouvelle est-elle une loi écrite, ou une loi intérieure ?

[4445] 1, 62, Article 4 — Les anges ont-ils mérité leur béatitude ? §1

[4446] 2.2, 64, Article 2 — Est-il permis de tuer le pécheur ? et

2.2, 64, Article 4 — Est-il permis à un clerc de mettre à mort un pécheur ? 2° et S3

[4447] 2.1, 26, Article 3 — L’amour est-il identique à la dilection ? §1

[4448] 2.1, 26, Article 4 — A-t-on raison de distinguer amour d’amitié, et amour de convoitise ?

[4449] 1, 12, Article 5 — L’intellect créé, pour voir l’essence divine, a-t-il besoin d’une lumière créée ?

[4450] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ? et

1, 26, Article 2 — Dit-on de Dieu qu’il est bienheureux en raison de l’intellection ?

[4451] 2.1, 8, Article 1 — La volonté n’a-t-elle pour objet que le bien ? et

1, 5, Article 4 — Dans quel genre de cause la bonté rentre-t-elle ?

[4452] 1, 62, Article 9 — Après l’entrée dans la gloire, les anges ont-ils pu progresser ?

[4453] 2.1, 28, Article 1 — L’union est-elle un effet de l’amour ?

[4454] 2.1, 28, Article 2 — L’inhabitation mutuelle est-elle un effet de l’amour ?

[4455] 2.1, 105, Article 2 — Les préceptes judiciaires qui concernent les rapports entre citoyens S10 §1

[4456] 2.1, 108, Article 1 — La loi nouvelle doit-elle commander ou prohiber certains actes extérieurs ? §2 2ème partie et

2.1, 108, Article 2 — La loi nouvelle règle-t-elle suffisamment les actes extérieurs ? S4

[4457] 2.2, 11, Article 3 — Doit-on tolérer les hérétiques ? §2 2ème partie

[4458] 2.1, 3, Article 8 — La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l’essence divine ?

[4459] 1, 12, Article 8 — L’intellect créé qui voit l’essence divine connaît-il en elle toutes choses ?

[4460] 1, 2, Article 3 — Dieu existe-t-il ? voie 2

[4461] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ?

[4462] 1, 12, Article 13 — Au-dessus de la connaissance naturelle, y a-t-il en cette vie une connaissance de Dieu par la grâce ?

[4463] 1, 10, Article 2 — Dieu est-il éternel ?

[4464] 1, 14, Article 7 — La science de Dieu est-elle discursive ?

[4465] 1, 12, Article 11 — Un homme peut-il en cette vie voir l’essence de Dieu ? et 1, 16, Article 5 — Dieu est-il la vérité ?

[4466] 2.2, 174, Article 2 — La prophétie la plus haute est-elle celle qui se produit sans vision de l’imagination ?

[4467] 1, 12, Article 2 — L’essence de Dieu est-elle vue par l’intellect au moyen d’une espèce créée ?

[4468] 2.2, 174, Article 2 — La prophétie la plus haute est-elle celle qui se produit sans vision de l’imagination ?

[4469] 1, 12, Article 9 — Ce que l’intellect créé connaît en Dieu, le connaît-il au moyen de certaines représentations ? S2

[4470] 2.2, 182, Article 3 — La vie contemplative est-elle empêchée par la vie active ?

[4471] 1, 47, Article 2 — L’inégalité des choses

[4472] 1, 11, Article 4 — Dieu est-il le plus un de tous les étants ?

[4473] 1, 11, Article 4 — Dieu est-il le plus un de tous les étants ?

[4474] 1, 8, Article 2 — Dieu est-il partout ? S3

[4475] 1, 62, Article 9 — Après l’entrée dans la gloire, les anges ont-ils pu progresser ? S3

[4476] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ? §1

[4477] 1, 22, Article 2 — Toutes choses sont-elles soumises à la providence divine ? SC

[4478] 1, 19, Article 7 — La volonté de Dieu est-elle sujette au changement ? S2

[4479] 1, 19, Article 11 — Doit-on distinguer en Dieu une volonté de signe ?

[4480] Article 4 — Trouve-t-on la justice et la miséricorde dans toutes les œuvres de Dieu ? S1

[4481] 1, 19, Article 7 — La volonté de Dieu est-elle sujette au changement ? S2

[4482] 2.1, 68, Article 1 — Les dons sont-ils différents des vertus ? §4